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IMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
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1.0
l.l
1.25
25
2.2
1-4 il.ô
V
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CIHM/ICMH
Microfiche
Séries.
CIHM/ICMH
Collection de
microfiches.
Canadian Institute for Historical Microreproductions institut canadien de microreproductions historiques
1980
Technical Notes / Notes techniques
The Instituts has attempted to obtain the best
original copy available for filming. Physical
features of this copy which may aiter any of the
images in the reproduction are checked below.
L'Institut a microfilmé le meilleur exemplaire
qu'il lui a été possible de se procurer. Certains
défauts susceptibles de nuire à la qualité de la
reproduction sont notés ci-dessous.
n
Coioured covers/
Couvertures de couleur
D
Coioured pages/
Pages de couleur
0
Coioured maps/
Cartes géographiques en couleur
D
Coioured plates/
Planches en couleur
0
Pages discoioured, stained or foxed/
Pages décolorées, tachetées ou piquées
D
Show through/
Transparence
D
Tight binding (may cause shadows or
distortion along interior margin)/
Reliure serré (peut causer de l'ombre ou
de la distortion le long de la marge
intérieure)
D
Pages damaged/
Pages endommagées
El
Additional commente/
Commentaires supplémentaires
Par rapport aux autres pages du livre, un taux
de réduction différent a pu être utilisé lors
du filmage de cartes ou de tableaux dépliants.
Bibliographie Notes / Notes Dibliographiques
D
D
D
Only édition available/
Seule édition disponible
Bound with oth«/ matériel/
Relié avec d'autres documents
Cover title missing/
Le titre de couverture manque
0
D
D
Pagination incorrect/
Erreurs de pagination
Pages missing/
Des pages manquent
Maps missing/
Des cartes géographiques manquent
D
Plates missing/
Des planches manquent
Additional commente/
Commentaires supplémenteires
La pagination est comme suit : [2] - 105, 108 - 323.
The images appearing hère are the beat quatity
possible considering the condition and legibility
of the originai copy and in keeping with the
filming contract spécifications.
Les images suivantes ont été reproduites avec le
plus grand soin, compte tenu de la condition et
de le netteté de l'exemplaire filmé, et en
conformité avec les conditions du contrat de
filmage.
The lest recorded frame on each microfiche shall
contain the symbol — ►(meaning CONTINUED"),
or the symbol y (meaning "END"), whichever
applies.
Un des symboles suivants apparaîtra sur la der-
nière image de chaque microfiche, selon le cas:
le symbole —^ signifie "A SUIVRE", le symbole
V signifie "FIN".
The original copy was borrowed from, and
filmed with, the kind consent of the following
institution:
Morisset Library
University of Ottawa
Maps or plates too large to be entirely included
in one exposure are filmed beginning in the
upper left hand corner, left to right and top to
bottom, as many frames as required. The
following diagrams illustrate the method:
L'exemplaire filmé fut reproduit grâce à la
générosité de l'établissement préteur
suivant :
Bibliothdque Morisset
Université d'Ottawa
Les cartes ou les planches trop grandes pour être
reproduites en un seul cliché sont filmées à
partir de l'angle supérieure gauche, de gaurhe à
droite et de haut en bas, en prenant le nombre
d'images nécessaire. Le diagramme suivant
illustre la méthode :
1
2
3
1
2
3
4
5
6
VI
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SIX MOIS
DANS LES
COLORADO - UTAH — NOUVEAU-MEXIQUE
PAR
H. BEAV GRAND
Ouvrage accompagné d'une carte-itinéraire et orné de
nombreuses illustrations hors texte
Avec une préface de LOUIS FRÉCHETTE
o>»î«
MONTREAL
ORANGER FRÈRES
1699, rue Notre Dame
1890
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LE MONT GARFIELQ
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Mon cher ami,
Connaissant le patriotique amour que
vous portez aux Canadiens-français et le
profond intérêt que vous inspire tout ce qui
touche à leur histoires je me permets de vous
dédier ces pages qui vous ♦'"«/ de cette
race de hardis pionniers qui ont implanté
le culte de la France en Amérique.
H. BEAUGRAND
Montréal, Canada, octobre 1890
D«ni le Jardin dti Dieux — Le* (titn Binmole
PREFACE
Ils devaient avoir le cœur bardé du triple |
airain d'Horace, les hardis enfants de Bre- [
tagne et de Normandie qui vinrent, à
travers tant de périls, conquérir à la France
cet empire d'Amérique, hélas ! perdu depuis.
Durant des siècles on les vit s'enfoncer
dans tous les déserts, sonder les plus impé-
nétrables forêts, remonter le cours de tous les '
fleuves, parcourir tous les grands lacs, explo-
rer les régions les plus reculées, résoudre les
problêmes ^géographiques les plus inabor-
dables.
Depuis les gorges du Nouveau- Mexique
jusqu'aux extrémités hyperboréennes de l'A-
laska, pas un sentier, pas une plaine, pas un ' \
9 SIX MOIS DANS LES MONT AGNES- ROCHEUSES
I II ■ - III ■■■[■■i»».i , . ■ . . Il I ■ I ■■- I I .1— -^..ii
sommet, pour âînsi dire, qui n'ait été foulé par
le pas de ces sublimes aventuriers qui, avec
un courage et une vigueur physique dont
l'histoire n'offre point d'autre exemple, s'étaient
ainsi constitués les avant- coureurs de la civi-
lisation sur les trois quarts d'un continent.
Leurs descendants ont hérité de leur éner-
gie, de leur esprit d'investigation et de leur
amour des voyages. L'inconnu leur parle
avec un attrait irrésistible. Chez grand nom-
bre d'entre eux, l'homme est incomplet s'il n'a
dqns ses souvenirs des récits plus ou moins
merveilleux de lointaines excursions, de péril-
leuses entreprises, de luttes, de fuites, d'éva-
. sions, d'aventures de toutes sortes, dc^ns des
pays étranges dont la description enthou-
siasme la jeunesse qui, plus tard, ne sera
satisfaite qu'après avoir tenté les mêmes
exploits.
Le fai'- ^^t que les Canadiens-français ont
tellement fouillé l'Amérique en tous sens,
qu'ils se sont un peu implantés partout. Allez
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES lO
dans tous les centres américains, pénétrez
dans les recoins les plus sauvages des Mon-
tagnes-Rocheuses, si vous n'y trouvez pas une
colonie canadienne, vous y trouverez des indi-
vidus isolés, ou tout au moins la trace de leur
passage et de leurs travaux.
Cela est tellement vrai que les Anglais eux-
mêmes racontent là-dessus les histoires les
T)lus invraisemblables. Voici une plaisanterie,
par exemple, qui, si elle manque d'authenticité
quant au sujet, n'en est pas moins éloquente
au point de vue typique.
Deux personnages se rencontrent su^ la
rue Notre-Dame, à Montréal :
• Vous savez la nouvelle ?
- Non.
• La Jeannette, . .
■ Eh btën ?
- Elle est arrivée au pôle.
- Pas possible !
Comme je vous le dis.
I BPS!"'™™ '' ™' ''~ - ' ■" • • ■r'"'^'^''}'"^' . "--■:■ "c'<
II
SIX MOIS DAMS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
I mi'
— La Jeannette a atteint le pôle.... Sapristi !
Et qu'a-t-on trouvé là .•*
-^Un Canadien assis dessus !
L'auteur du présent volume, M. Beaugrand,
n'a pas que je sache l'ambition d'aller planter
sa tente au pôle nord, mais pour ce qui est
d'aimer les voyages et les aventures, il est
bien le digne fils de sa race.
M. Beaugrand, qui a fondé cinq ou six
journaux, qui a publié plusieurs ouvrages, qui
a fait sa fortune, qui a été deux fois maire de
la plus grande ville du pays, qui est officier
de la Légion d'honneur, décoré sur toutes les
coutures, et qui compte à peine quarante ans....
a trouvé le moyen, par temps perdu, de faire
la campagne du Mexique avec l'armée fran-
çaise, de visiter plusieurs fois l'Europe et
l'Afrique, et d'aller jusque dans les pays neufs
du Far West relever les vestiges des Cana-
diens qui l'y ont précédé, et recueillir les
légendes qu'ils y ont écrites.
C'est le récit de sa dernière excursion au
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
12
fond de ces parages étranges et peu connus,
qu'il offre aujourd'hui au public, sous le titre
de : Six mois dans les MotUagnes- Rocheuses.
M. Beaugrand prétend voyager pour sa
santé. Mais quand on lit le récit de ses péré-
grinations, de ses recherches, de ses longues
courses à travers des pays presque fantas-
tiques, à la découverte d'une inscription
bizarre, d'une curiosité préhistorique ou d'un
caprice de la nature; quand on songe à ce
qu'il lui a fallu d'études et d'observations pour
parsemer ce récit, comme il l'a fait, de sou-
venirs historiques, d'anecdotes piquantes et
d'étonnantes statistiques ; quand on pense à
ce qu'il lui a fallu de temps et de patience
pour compiler ses matériaux, compulser ses
notes et donner une forme littéraire à son
travail, on est tenté de se demander si la
maladie de IViï. Beaugrand est bien sérieuse,
et si elle n'est pas un peu mise à la clef
comme élément de contraste avec une vie si
féconde et si agitée.
En tout cas, ba^inage à part, comme c'est
13
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
paraît -il, un asthme aigu qui force M. Beau-
grand à voyager, ses lecteurs admettront
comme moi qu'ils doivent trop à cette maladie-
là, pour ne pas espérer qu'elle justifiera sa
réputation populaire et lui constituera pour
de bon un brevet de longue vie.
Je viens de prononcer le mot de forme
littéraire. Ce n'est pas, à la vérité, ce qui
semble préoccuper le plus M. Beaugrand
dans ses ouvrages. Il semble vouloir s'atta-
cher à quelque chose de plus tangible et de
plus substantiel.
Sa plume court sur le papier un peu à la
diable, mais toujours devant elle, sans s'at-
tarder aux attraits de la route, sans paraître
avoir d'autre ambition que celle d'arriver à
temps et d'atteindre son but : être utile et
intéresser.
On sent que M. Beau^and écrit à la
vapeur, comme il voyage ; et c'est peut-être
là le principal charme de ses livres. C'est un
peu la mise en scène imaginée par d'Ennery
pour Michel Stroghoff : le décor défile devant
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
14
le spectateur, rapidement, sans arrêter, mais
de manière, ce-jendant, à ne rien laisser
perdre ni du détail intéressant, ni de l'aspect
grandiose de l'ensemble.
Je sais bien, mon Dieu, que ce n'est pas là,
précisément, la façon de procéder de Cha-
teaubriand. Mais sans faire à M. Beaugrand
la plaisanterie de comparer son style à celui
qui a si longtemps fait admirer l'auteur des
Voyages en Amérique, je ne puis m'empêcher
de lui savoir gré de nous avoir fait grâce de
descriptions à perte d'haleine, de phrases ron-
flantes et balancées comme des battants de
cloche ou des pendules d'horloge, et surtout
de ses rêveries romanesques au bord des
torrents.
Il nous fait connaître une région nouvelle,
avec ses ressources agricoles et minières ; il
nous conduit à travers un pays aussi merveil-
leux par son progrès matériel que par ses
beautés pittoresques ; il nous initie à des
mœurs et coutumes aussi bizarres qu'an-
ciennes ; il nous ouvre des pages d'histoire
<iU^4ù**'ie (Harruire) Fort -tM.' n?i.) ^fôit
-dt j^MW/ iU,_ (,/, /f^ç
t^*-Ju^i/. ,^_ it/ /6et
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^JtiMicn <^e Jl-reiUi _ ù/. —ù/ ^éilg
t/tnnei'f/fe: ^ _ Jbrt en ttutft, _ /(^t
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D Juraltn. pviaa^-
E Toum n mufru/ifj « • tner-rt,-.
CARTE HISTORIQUE DE L'Û.E
f/i fhf f/<^///vi c/ fruir con.^r
.Hi rj /'i/r ./f )f,n/ff,n
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Japratrie . ^J'ert^- r«^ /f/e
Varermca Ffdcute^itt. /€^3
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Jê'i^e^rvfùw Kad. erv-érùt. iy^é
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Ji^m ■ ,.Moft/*^*tcàaMvf/a^ruit>^fii<i^if//f.
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du Pr'fU Brianà, cAcu-f^j) ctt,la fffmmcraM^x/ean ti<nwûn(
Jea»uPeu^l. GenMltno-nttnc\ /nu^e-i^/f^^'ertiiXY'c/cunc-
</<! /a Pe/Ue^Hrrrrunt^^ (ù.Giu/ùiufnt: ZfJirfiim,ocrpUamt
di H'H^ném/lon f^de-xtn4T( hiu^martnierv. /aÀf^tère^rU-
Stada^crté- (Ou^Jiec) ^/^ tf<JU**n/rr^ gi^a^r^Tvc^tn.t-fHW
d 'Jfcr^rUu^ /<■ 2 iW^re />fifS,ann entrer/ àftuJitd^
<nt''./à Jf.'i.'''rfn6-c<'n/faùvt<> d^- f.' it-r^e/er C'ftf^ttn Scu4A-
</'e^iu,fùJ '/l^c</uet)C4^rirr^',^t^/u,^im/u'■ALe^*oc■au■ 'r^n^
JiiUa)it.'VCi9-^U auf/ il Hru,f ^i^-ini^WfMfi^^u^ i/r^fiaA»<u^.
clf ueuey 4Ùy la^Vûn/a^ffiJi, ofutMe^^Jitj/r /it< J^U-TètT^aC
(^fUr^ /HTiwuf'dfy^ Oui- avuU.'Xéi'firK'n^ t'efn.<^je6a'*t^ ^i<my
</«■ tù-tt^r\K'r^ pi^c^ti i/eyfii>uf/»-<n->^.^cf f^aar^t* a'.ixne-i^ti'/M-if.
trUen-eicr^ rÂarare^cU/^c^rreé. '7- {*arif^r f^nw. cfvu UHà-
(pt'fJtrùfi/a Jlbcfie/a.^-.M^fui/a/ifm/' tte^neUe- vmtr-^ii'e'
f-éaté' c{'e*i4't'fifn- rrU/te ,iMt4^faafA^jn<7m*m<> /etntma s^^^n^
Anrùe^lfiC^ . l^rux^if:>uitn ^j,i(i*rut^/} e/Pifni^Orave' uù>i/mt>
If •'iiMA^yli'- 'i!ui/(f4 t(Ct^ rf'ur'n/rfiit i*H< iu n/'tt^ou^ÛfiM
jttiMic càd-c^ètt- du-nerdi/-yf'HeUfft^-uni'yau/re^c^'fnt/t44^n^
auin^r -ùatf^ de um^^/ivtc^u-n^frurtt/nanf^ ata.do*ntnAi4 U*
/g/t-f,-' (i-t-i^ Mn ■./*ei<f-ut^df.,ycnife47/, ^Aa*nJr./«jnf^
le Hre-tniri- oui en/ HarO> ,/<• ci/^f i/f, Jfh.f^fr t'<f^i4/f'
ai't-tf ui*tvrf /fu^'//c<-À*tlini(i, ÀiJ dan-^urie r/e . CAiirrtJiùttn
nou.f /T^Uir-enO- au. u^i«i/n< »4iui^a/fur df -t/i JUa^ i/tu-
rfrmrrtù/i/ ^Juut 'e^f)&Zaur^n/; tu-n^-f à^/''^/i'deJfrfl^À^/■
H'trt-tti/ 'tifinf ffucr^ d< n<-^-ff/in<u4i\i f//f Af^>7^^^.^e deà
'Pratrif.Ki^u, n^m fii<'^lr de et. n<t<tjoa.ârnr.
( ''eitt tHif /éurn-f. dffd/ë.' deux >'tiH.érf i/e.aTy'air'ùv at*e.,
/e i.iyutn U^S,^u ce^/rr^ ^ ftre^^i^rr /ne-*!**!^ (^in.^
-/y/e de //7<fn^fet/^ntir un iMre'/Ce4><>ae'.é^ e*i^^»r'e.j«rtc^
f^ (jA<t*npMtn e/. t/'fuj air*fetd' n^?rn^fe c/e dn/etttae<f.
Lf ttyaat d< r/ntfnfd!atri ù/t/e d^ /'/i/^HJred/;/.n. yà'ff.
Ou/Tf yrt t/^dcnn^- tia dert<^m.t//i^ûn à n'^.-dff.ffe/e)
j/n/ atttUfi ù'ccc<i<d47n t/*e.?ir-fn de Ji.'Soru.i //>«*<!vV
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SIX MOIS PANS LES MONTAGNES-
ROCHEUSES
, Les pages qui suivent, écrites sans préten-
tion au style ou à l'érudition, sont le résultat
d'un voyage de santé, fait dans le Ccîorado,
le Nouveau-Mexique et l'Utah, pendant l'au-
tomne et l'hiver de 1889-90.
Trop malade, d'abord, pour me livrer à un
travail sérieux et régulier, je me suis contenté
de prendre des renseignements et de noter,
au hasard, tout ce qui me frappait, dans un
pays pittoresque, à peine ouvert à la civilisa-
tion et encore très imparfaitement connu du
public voyageifr.
Le Far-West américain est aujourd'hui
acculé aux Montagnes - Rocheuses — aux
19
iàlX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
^■
montagnes de roche, comme disaient les an-
ciens trappeurs français — et il faut même
escalader la première chaîne de cet immense
massif pour rencontrer maintenant ces types
exotiques que Btiffalo-Bill est allé promener
dans les capitales européennes. Tout cela
disparaît à vue d'œil devant le progrès tou-
jours croissant des chemins de fer et de
l'électricité, et dans vingt ans, il ne restera
guère de coin reculé de l'Amérique du Nord
qui n'ait été modernisé par l'envahissement
de ces puissants véhicules de la civilisation et
du progrès matériel.
Les contrées que j'ai visitées n'ont guère
d'histoire et les Indiens '"' eux-mêmes, qui
l'habitent encore, ne font guère remonter leurs
traditions à plus de deux ou trois générations.
Encore faut-il faire largement la part de la
* Chacun sait que cette dénomination d'Indiens —
Indios en espagnol — appliquée aux aborigènes des deux
Amériques — tient à l'erreur de Christopl"ke Colcnb et
des premiers découvreurs, qui regardaient d'abord le
nouveau monde comme un prolongement des Indes.
M. Benjamin Suite si érudit et si bien versé en pareilles
matières tient pour le mot : Sauvages. Je me sers in-
distinctement des deux expressions, certain d'être bien
compris de tous ceux qui liront ces pages qui n'ont
d'ailleurs, je l'ai déjà dit, aucune prétention à l'érudition.
SIX MOIS DANS les.monïagnes-r()cheusb:s 20
légende dans tout ce que nous racontent les
indigènes, qui sont aussi indifférents à l'his-
toire du passé qu'ils ne paraissent s'occuper
de ce que peut leur réserver l'avenir. Le sau-
vage vit au jour le jour, apparemment sans
regrets pour les événements de la veille et
sans inquiétude pour les nécessités du lende-
main. La civilisation et le {)rogrès implacable
,du blanc les ont refoulés dans les montagnes
où ils vivent sous la tutelle du gouvernement
de Washington. Sont-ils heureux ou malheu-
reux ? c'est ce qu'il serait assez difficile de
découvrir sous le masque d'indifférence et de
stoïcisme qui les distingue dans leurs relations
avec les étrangers.
En dehors des études géographiques et
ethnographiques plus ou moins sérieuses que
comporte naturellement un voyage dans des
pays nouveaux, j'ai cru faire acte de bon Ca-
nadien et de bon Français en faisant ressortir,
chaque fois que j'en ai trouvé l'occasion, la
grande, la très grande part qui revient à nos
pères, ces hardis coureurs des bois des trois
derniers siècles, dans la découverte et dans
les premières explorations de ces contrées
sauvages.
2 I SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
t
Traversant les montagnes, — soit à cheval,
soit en diligence ou en chemin de fer, selon
les circonstances, — j'ai voyagé à loisir et à
petites journées, sans programme arrêté, sans
itinéraire tracé d'avance, au hasard de l'im-
pression et du caprice de chaque jour.
J'ai écrit comme j'ai voyagé : en invalide
forcé de se laisser guider par l'état de sa santé
et par les circonstances de chaque jour.
C'est pourquoi j'ai ajouté au présent volume
une carte itinéraire qui permettra au lecteur
de suivre assez facilement le cours de mes
pérégrinations dans un des pays les plus acci-
dentés qu'il y ait au monde. J'ai aussi con-
servé, sans les traduire, les noms anglais, sau-
vages et espagnols des endroits que j'ai visités,
afin de ne pas dérouter ceux qui pourraient
avoir la fantaisie de faire un jour un voyage
analogue. De nombreuses illustrations servi-
ront aussi à rendre plus intelligibles les des-
criptions que j'ai essayé de faire des sites qui
m'ont le plus vivement intéressé.
J'ai essayé de rester vrai, toujours, souvent
au détriment du pittoresque et du merveilleux ;
et les statistiques commerciales, industrielles
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
22
et agricoles que je cite en passant ont toujours
été puisées aux sources les plus authentiques.
En un mot, j'ai voulu, avant tout, faire une
description véridique d'un pays qui est encore
aujourd'hui l'un des plus curieux, et qui sera,
avant longtemps, un des plus prospères du
continent de l'Amérique septentrionale.
'^•^
23 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
II
DE MONTRÉAL A CHICAGO
28 OCTOBRE 1889.
Deux jours et trois nuits de chemin de fer,
avec vingt-quatre heures de repos à Chicago,
suffisent aujourd'hui pour faire le voyage de
Montréal à 'Denver ; soit sept cents lieues en
soixante heures, avec tout le confort moderne
que comportent les installations superbes des
wagons-salons, des wagons-lits et des wagons-
restaurants. Et tout cela, avec un seul arrêt,
à Chicago. C'est un changement à vue qui
nous fait rêver, tout éveillés, à ces trucs de
théâtre où les décors s'élèvent ou s'enfoncent,
paraissent et disparaissent aux yeux du pu-
blic, sans qu'il soit même nécessaire de baisser
le rideau.
wriwiiiwiii ,1 n , — _______.,. _--.
SIX i^ois Dans les montagnes-rocheuses
24
Et partout, maintenant, la lumière électri-
que remplace, la nuit, la lumière blafarde des
anciens systèmes d'éclairage. Il n'y a certai-
nement pas de pays au monde où le progrès
se soit affirmé d'une manière plus éclatante
qu'aux Etats-Unis et au Canada, dans l'amé-
lioration des systèmes de transport du public
voyageur.
En partant de Montréal, j'avais mis dans
mon sac de voyage, pour utiliser les loisirs de
la route, les deux volumes des Lettres du
Baron de Lahontan ''\ J'avais, sans y réiiéchir
d'ailleurs, choisi un ouvrage qui me fournissait
les points de comparaison les plus pittoresques
et les plus authentiques, entre la manière de
voyager de nos pères, de Montréal à Chi-
cago, il y a deux cents ans, et les facilités que
nous procurent aujourd'hui les découvertes de
la vapeur et de l'électricité. Et ces compa-
raisons m'amenaient à déplorer l'ignorance,
les préjugés et le fanatisme de ces sectaires t
* Voyages du Baron de Lahontan, dans l'Amérique
Septentrionale. a^y:ec cartes et figures, Artisterdam, 1705.
t Une vive discussion se faisait alors, dans les jour-
naux anglais et français du Canada, sur les droits con-
férés aux Canadiens-français, par le traité de Versailles,
en 1763.
25 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
qui osent aujourd'hui élever la voix contre les
descendants de ces vaillants voyageurs de
race française qui ont découvert, pacifié, civi-
lisé et partiellement colonisé tous ces vastes
pays qui s'étendent entre l'embouchure du
Saint- Laurent, à l'est, et les bords du fleuve
Mississipi, à l'ouest.
Pas un lac, pas une rivière, pas une mon-
tagne qne nos pères n'aient explorée, pas un
fortin historique qui n'ait été témoin de leurs
luttes avec les guerriers des Cinq- Nations ;
et si le sort des armes a pu changer le dra-
peau qui flottait alors des rivages de l'Acadie
au pied des Montagnes-Rocheuses, l'histoire
est toujours là pour rappeler que ce sont
les Français qui ont été les pionniers de la
civilisation dans cette partie du continent de
l'Amérique du Nord.
Lachine, Kingston {Frontenac), Toronto,
Sarnia, que nous passons à toute vapeur, sont
autant d'anciens postes français fondés aux
premiers temps de la colonie ; et la grande
ville de Chicago est située, aujourd'hui, à
l'embouchure de la rivière du même nom que
je trouvé indiquée, dans les cartes de Lahon-
tan sous le nom de Chegakou — Portage de
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STX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
2S
Chegakou des Illinois. Et cette carte date
de 1689, il y ajuste deux cents ans.
Lahontan qui, comme on le sait, çtait offi-
cier dans les troupes royales, donne d'abord
la description des canots dans lesquels on
voyageait alors, et qu'il appelle les " voitures
du Canada " :
" Leur grandeur varie de dix piedç de longueur jusqu'à
vingt-huit. Les plus petits ne contiennent que deux
personnes. Ce sont des coffres à mort. On y est assis
sur les talons. Pour peu de mouvement que l'on se
donne ou que l'on penche plus d'un côté que de l'autre,
ils renversent. Les plus grands peuvent contenir aisé-
ment quatorze hommes, mais pour l'ordinaire, quand on
veut s'en servir pour transporter des vivres ou des mar-
chandises, trois hommes suffisent pour les gouverner.
Avec ce petit nombre de canoteurs on peut transporter
jusqu'à vingt quintaux. Ceux-ci sont sûrs et ne tournent
jamais quand ils sont d'écorce de bouleau, laquelle se
lève ordinairement en hiver avec de l'eau chaude...
Ces bâtiments ont 20 pouces de profondeur, 28 pieds
de longueur et quatre et demi de largeur vers la barre
du milieu. S'ils sont commodes par leur grande légèreté
et le peu d'eau qu'ils tirent, il faut avouer qu'ils sont en
récompense bien incommodes par leur fragilité ; car pour
peu qu'ils touchent ou chargent sur le caillou ou sur le
sable, les crevasses de l'écorce s'entrouvrent, ensuite
l'eau entre dedans et mouille les vivres et les marchan-
dises. Chaque jour il y a quelque crevasse ou quelque
29
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
couture à gommer. Toutes les nuits .on est obligé de les
décharger à flot et de les porter à terre où on les attache
à des piquets, de peur que le vent ne les emporte ; car
ils pèsent si peu que deux hommes les portent à leur aise
sur l'épaule, chacun par un bout. Cette s'eule facilité
me fait juger qu'il n'y a pas de meilleure voiture au
monde pour naviguer dans les rivières du Canada qui
sont si remplies de cascades, de cataractes et de cou-
rants Ces canots ne valent rien du tout pour la navi-
gation des grands lacs où les vagues les engloutiraient
si on ne gagnait terre lorsque lèvent s'élève. Cependant
on fait des traverses de 4 ou 5 lieues d'une île à l'autre,
mais c'est toujours en temps calme et à force de bras car
on pourrait être facilement submergé — {Lahontan
Vol. I, pages ZS-Z^)
Voilà pour les voitures d'autrefois dans les-
quelles on faisait le voyage de Montréal au
Mississipi. On avouera qu'on était encore
loin des Pullman cars éclairés à l'électricité et
chauffés à la vapeur. Nos pères mettaient
alors plus de temps à parcourir l'espace qui
sépare Montréal de Kingston, que je viens
d'en mettre pour faire le trajet de 700 lieues
qui sépare Montréal de Deïiver. Et on va
voir au prix de quelles misères, de quelles
privations, de quelles souffrances ils parve-
naient à surmonter les difficultés sans nombre
qui les attendaient partout ; sans compter les
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
30
Iroquois qui les guettaient dans chaque buis-
son, pour leur dresser des embuscades. C'est
encore M. de Lahontan qui raconte son pre-
mier voyage de Montréal au fort de Fron-
tenac (Kingston) : •
" Je m'embarquai à Montréal dans un canot conduit
par trois habiles Canadiens. Chaque canot é':ait chargé
de deux soldats ; uou'* voyageâmes contre la rapidité du
fleuve jusqu'à trois lieues de cette ville où nous trouvâmes
le saut St. Louis, petit cataracte si violent, qu'on fut
contraint de, se jeter dans l'eau jusqu'à la ceinture, pour
traîner les canots un demi-quart de lieue contre les cou-
rants. Nous nous rembarquâmes au-dessus de ce pas-
sage, et après avoir vogué douze lieues ou environ, partie
sur le leuve, partie sur le lac St. Louis, jusqu'au lieu
appelé les Cascades, il fallut débarquer et transporter
nos canots à un demi-quart de lieue de là. Il est vrai
qu'on les aurait encore pu traîner avec un peu de peine
en cet endroit, s'il ne se fût trouvé au-dessus du cata-
racte du trou. Je m'étais imaginé que la seule diftîculté
de remonter le fleuve ne consistait qu'en la peine et
l'embarras des portages, mais celle de refouler sans cesse
les courants, soit en traînant les canots ou en piquant
de fond, ne me parut pas moindre. Nous abordâmes à
cinq ou six lieu<ss plus haut aux Sauts des Cèdres et dît
Buisson, où l'on fut encore obligé de faire des portages
(k cinq cents pas. Nous entrâmes, à quelques lieues au-
aessus, dans le lac St-François, à qui l'on donne vingt
lieues de circonférence et l'ayant traversé, nous trou-
31
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
vâmes des courants aussi forts que les précédents, sur-
tout le Long-Saut où l'on fit un portage d'une demi-
lieue. Il ne nous restait plus à franchir que le pas des
Galots. Nous fûmes obligés encore de traîner les canots
contre la rapidité du fleuve. Enfin, après avoir essuyé
'encore bien des fatigues à tous .ces passages, nous arri-
vâmes au lieu nommé la Galette, d'où il ne restait plus
que vingt lieues de navigation jusqu'au fort Frontenac.
Ce fut en cet endroit que les canoteurs quittèrent leurs
perches pour se servir des rames, Peau étant ensuite
presque aussi dormante qu'j dans un étang. L'incom-
modité des marmgouins, que nous opelons en France
des cousins, et qui se trouvent, à ce qu'on dit,^dans tous
les pays du Canada, me semble la plus insupportable du
monde. Noui en avons trouvé des nuées qui ont pensé
nous consumer, et comme il n'y a que la fumée qui les
puisse dissiper, le remède est pire que le mal... (Za-
âontan, Vol, /, pages 39-40.)
W
Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur
la différence des voyages d'alors et d'aujour-
d'hui, mais en lisant ces pages intéressantes
qui nous reportent deux siècles en arrière, on
ne peut s'empêcher de réfléchir qu'il n'y a pas
un pouce de terrain entre Montréal, Toronto,
Sarnia et Chicago qui n'ait appartenu à la
France par droit de découverte et d'explora-
tion. La ville de Toronto, elle-même, si fière
de ses progrès et de son accroissement, était
ijt
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
32
déjà prévue, à cette époque, par Laho7itan
lui-même dans un mémoire qu'il présentait à
M. de Pontchartrain, sur un projet de défense
des grands lacs contre les incursions des
Iroquois :
" Je ferais, dit-il, trois petits fortins en différents
endroits ; l'un à la décharge du lac Erié que vous verrez
, sur ma carte du Canada, sous le nom de fort supposé,
aussi bien que les deux autres ; le second à l'entrée du
lac Ontario et le troisième à l'embouchure de la baye
de Toronto sur le même lac."
Ce fort de Toronto, indiqué en 1689 par
Lahontan, ne fut construit que cinquante ans
plus tard sous le nom de Fort Rouillé ; mais
ces braves citoyens de Toronto ignorent ou
prétendent ignorer que le site de leur ville fut
choisi, il y a deux cents ans, par un officier
français. ^ •
En faisant le trajet de Montréal à Chicago,
par le Grand Trtmk Raikvay, on traverse la
décharge du lac Muron, de Sarnia au Fort
Gratiot, Ce dernier fort est construit sur
l'emplacement autrefois occupé par le Fort
Saint-Joseph commandé par Lahontan en
1687-88. Voici en quels termes il raconte le
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33 ^IX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
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passage de la rivière du Détroit et du lac
Saint-Clair :
" Le 6 septembre 1687, nous entrâmes dans le détroit
du lac Huron, que nous remontâmes contre un faible
courant de demi-lieue de largeur, jusqu'au lac de Sainte-
Claire qui a douze lieues de circonférence. Le 8 du
même mois, nous suivîmes les bords jusqu'à l'autre bout,
d'où il ne nous restait plus que six lieues à refouler pour
gagner l'entrée du lac Huron, où nous mîmes pied à
terre le 14. Vous ne sauriez imaginer la bauté de ce
détroit et de ce petit lac, par la quantité d'arbres fruitiers
sauvages que l'on voit, de toutes les espèces, sur ses
bords. J'avoue que le défaut de culture en rend les
fruits moins agréables, mais la quantité en est surpre-
nante. Nous ne découvrions sur le rivage que des
troupes de cerfs et de chevreuils. Nous battions aussi
les petites îles pour obliger ces animaux à traverser en
terre ferme, pendant que les canoteurs dispersés autour
de l'île leur cassaient la tête dès qu'ils étaient à la nage.
Arrivés au fort Saint-Joseph dont j'allais prendre posses-
sion, messieurs Duluth et de ^onti voulurent se reposer
quelques jours avant de passer outre.... (Za/iofUau,
Vo/. I, pages 108-108.)
Je ne suivrai pas le brave officier dans ses
voyages à Michillimakinac, par la route que
l'on suivait alors pour atteindre le portage de
Chegakou, par la voie des lacs Huron et des
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SIX MOIS DANS lES MONTAGNES-ROCHEUSES
34
Illinois (Michigan). Les chemins de fer ont
bouleversé tout cela et nous faisons en dix-
neuf heures, le trajet que les rudes voyageurs
d'autrefois prenaient trente jours pour accom-
plir, en canot.
Mais, c'est égal, c'étaient de vaillants hom-
mes que nos ancêtres, et il faut lire ces récits
pittoresques pour se faire une juste idée des
difficultés qu'ils avaient à surmonter.
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[M 35 ^'^ ^'^^^ DA^S LES MONTAGNES-ROCHEUSES
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III
CHICAGO — LES SIOUX — LFS BISOKS
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Il y a plus de vingt ans que je visitai Chi-
cago pour la première fois, et depuis cette
époque, j'y suis allé, en moyenne, à peu près
tous les deux ans. C'est dire que je suis assez
familier avec l'accroissement merveilleux de
cette ville étonnante qui porte aujourd'hui
avec orgueil et avec droit le titre de Reine
de l'Ouest.
Eh bien, c'est toujours avec un étonnement
nouveau méfié d'admiration que je parcours
les rues de cette métropole moderne, qui
compte aujourd'hui une population de plus de
1,100,000 habitants. L'histoire de Chicago
n'est d'ailleurs que le corollaire des progrès
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A^
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
38
immenses qui se sont accomplis dans les Etats
de l'Ouest depuis vingt-cinq ans, et il faut
avoir été un peu témoin de tout cela pour
pouvoir établir une comparaison et se former
une idée à peu près juste de la progression
sans égale dans l'histoire, du peuple améri-
cain depuis la guerre de sécession.
Je n'ai, cette fois-ci, fait qu'un séjour de 24
heures à Chicago pour reprendre sans délai
la route du Colorado, par voie du Chicago,
Rock- 1 sland & Pacific Railway. Je désigne
mon itinéraire à dessein, car j'aurais pu choisir
une autre route. Il n'y a pas moins de cinq
compagnies différentes qui font le service ré-
gulier et quotidien entre Chicago et Denver,
et il y a quinze ans à peine qu'on a terminé
la construction du premier des chemins de fer
qui relient ces deux villes. Le Rock-Isla7id
Railzvay traverse le Mississipi à Davenport,
lowa, et file tout droit vers l'ouest en passant
par les Etats de l'Illinois, de l'Iowa, du Kan-
sas et du Colorado.
Il y a cinquante ans à peine que le Missis-
sipi formait la frontière occidentale de la
civilisation américaine, et nous nous trouvons
aujourd'hui en face d'un pays fertile, bien
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II
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39 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
cultivé et traversé en tous sens par le plus
beau et le plus complet réseau de chemins de
fer qui soit au monde. Le service est la per-
fection même, (it j'ai déjà dit qu'il n'y a qu'un
seul changement de train entre Montréal et
Denver, sur un parcours de 700 lieues.
J'ai continué à lire les Lettres du Baron de
Lahontan, et en filant à toute vapeur, douil-
lettement installé dans le fauteuil à bascule
d'un Pullman car, je revoyais à travers
deux siècles de distance, les voyageurs d'au-
trefois allant à la découverte des peuplades
sauvages qui vivaient à l'ouest du Mississipi.
Les terribles Sioux de la plaine chassaient
alors le bison là où s'élèvent maintenant des
cités populeuses et florissantes, et ces valeu-
reux guerriers, après avoir lutté avec acharne-
ment contre la marche implacable de la civili-
sation, ont été refoulés jusqu'au cœur des
Montagnes-Rocheuses. Les Sioux furent les
seuls guerriers qui luttèrent avec avantage
contre les Iroquois, et Lahontan nous fait le
récit d'une bataille qui eut lieu, sur le Missis-
sipi, dans une île qui portait, de son temps, le
nom d'//^ aux Rencontresy en mémoire de ce
fait d'armes :
iii.
/
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-RDCHEUSES
40
" J'arrivai le 2 mars au Heuve du Mississipi que je
trouvai beaucoup plus rapide et plus profond que la pre-
mière fois, à cause des pluyes et du débordement des
rivières. Pour nous épargner de la rame, nous nous
abandonnâmes au courant. Le dixième nous arrivâmes
à \Ile aux Rencontres. Cette île est située vis-à-vis. On
lui a donné le nom de rencontres depuis qu'un parti de
- 400 Iroquois y fut défait par 300 J^adouessis ou Stoux.
Voici en peu de mots comment la chose arriva. Ces
Iroquois ayant dessein de surprendre certains peuples
situez aux environs des Otentas que je vous ferai bientôt
connaître, arrivèrent chez les Illinois, qui leur fournirent
des vivres, et chez lesquels ils construisirent leurs canots.
S'étant embarquez sur le fleuve de Mississipi, ils furent
découverts par une autre petite flotte qui descendait le
fleuve de l'autre côté. Les Iroquois traversèrent aussitôt
à cette île, nommée depuis aux rencontres. Les Sioux
. soupçonnant leur dessein, sans savoir quel était ce peu-
ple, (car ils ne connaissaient les Iroquois que de répu-
tation) se hâtèrent de les joindre. • il ^
" Les deux partis se postèrent chacun stir une pointe
de l'île, ce sont les deux endroits désignés sur ma carte
par deux croix. Il ne furent pas plus tôt en vue que les
Iroquois s'écrièrent : Qui êtes- vous ? Sioux, répondirent
les autres. Ceux-ci ayant fait à leur tour la même de-
mande, les Iroquois répondirent avec une pareille fran-
' chise. Et où all^z-vous continuèrent les Iroquois. — A
• !a chasse aux bœufs, répondirent les Sioux ; mais vous,
Iroquois, quel est votre but ? — Nous allons, répartirent-
ils, à lâchasse aux hommes ? — Kh bien, dirent les Sioux,
n'allez pas plus loin, nous sommes des hommes. Sur ce
--"Il
il
'•I
41 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
défi les deux partis débarquèrent de chaciue côté de l'île.
Ensuite le chef des Sioux ayant brisé tous les canots à
coups de hache, il dit à ses guerriers qu'il fallait vaincre
ou mourir, et en même temps donna tête baissée contre
les Iroquois. Ceux-ci le reçurent d'abord ave ^ une nuée
de flèches ; mais les autres ayant essuyé cette première
décharge qui ne laisôa pas de leur tuer 80 hommes, fon-
dirent, la massue à la n^in, sur leurs ennemis, qui n'ayant
pas le temps de recharger furent défaits à plate couture.
Ce combat qui dura deux heures fut si chaud que 260
Iroquois y perdirent !a vie et tout le reste du parti fut
pris, pas un seul n'échappa. Quelques Iroquois ayant
tenté de se sauver sur la fin du combat, le chef victorieux
les fit poursuivre par dix ou douze des siens dans un des
canots qui lui restaient pour butin, si bien qu'on atteignit
les fuyards qui furent tous noyés. Après cette victoire,
ils coupèrent le nez et les oreilles aux deux prisonniers
les plus agiles, et les ayant munis de leurs fusils, de
poudre et de plomb, ils leur laissèrent la liberté de
retourner dans leur pays, pour dire à leur compatriotes
qu'ils ne se servissent plus de femmes pour faire la
chasse aux hommes. (Lahontan, Vol. I, lettre 26, 28
mai 1689.)
Ce récit est absolument typique des mœurs
de cette époque ; mais les Iroquois, les Sioux
et les bisons ont presque disparu depuis, de la
face du globe. Il ne reste guère qu une poi-
gnée d'Iroquois au Canada et dans l'Etat de
New- York ; et les Sioux, depuis leur fameux
:j
n '']
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEU«ES
42
massacre du régiment de Custer, en 1876,
ont été refoulés dans les montagnes et sont
aujourd'hui soumis, comme les Iroquois du
Canada, au régime sévère de la tutelle du
gouvernement américain. Comme toutes les
tribus de l'Ouest des Etats-Unis, ces terribles
guerriers de la plaine ont été transportés et
sont retenus, bon gré mal gré, sur les réserves
qui leur sont assignées, comme lieux de rési-
dence, par les autorités de Washington.
Quant aux bisons qui erraient à l'état sau-
vage, au nombre de plus de 8,000,000, il y a
à peine vingt ans, dans les plaines situées
entre le Mississipi à l'est et les Montagnes-
Rocheuses à l'ouest, il n'en reste pas aujour-
d'hui six cents, en tout et partout, d'après un
rapport officiel du Smithsonian Institute de
Washington. Sur ce nombre, trois cent-
quatre sont captifs, en différents endroits ;
deux cents sont placés sous la sauvegarde
des autorités dans le parc national de la Yelïvw
sfone, et les autres paissent à l'état sauvage
dans les vallées inaccessibles formées par les
chaînes de montagnes du Wyoming, du Da-
kota et du Montana. ^
Il en reste aussi quelques-uns dans les
y
;7-
M
43
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
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prairies des territoires du Nord-Ouest au
Canada, mais le nombre en est si restreint que
la race dispaîtra fatalement à très courte
échéance. Le Kansas, l'Iowa, le Colorado, le
Wyoming, leNebraska où paissaient ces énor-
mes troupeaux de buffles,' ont été tour à tour
livrés à la culture et à la colonisation, et le
sifflet strident de la locomotive retentit aujour-
d'hui partout, là où l'on n'entendait naguère
que le cri de guerre des Peaux- Rouges et les
mugissements des bisons fuyant devant les
flèches, les lances et les balles des chasseurs
acharnés à leur destruction. : . !'*■ ;:'
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES ' 44
IV
LE COLORADO - L'UTAH — LE NOUVEAU-
MEXIQUE
Francis Parkman, 1 eminent historien amé-
ricain qui a écrit de si belles choses sur l'his-
toire du Canada français, débuta dans la
littérature, par le récit d'un voyage qu'il fit, il
y a plus de quarante ans, jusqu'aux Mon-
tagnes-Rocheuses. Son livre : The Oregon
Trail contient les péripéties et les détails
intéressants d'une expédition qu'il entreprit,
sous la direction d'un vieux trappeur cana-
dien-français, Henri Châtillon, à travers les
plaines que je viens de traverser en chemin
de fer.
Denver n'existait pas alors, et le pays n'était
habité que par les Indiens, les chasseurs, les
coureurs des bois et les troupeaux de bisons
45
SIX MOIS DANS LES MONTAONES-ROCHEUSES
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qui paissaient dans les plaines situées entre le
fort Leavenworth et les Montagnes-Rocheu-
ses. La Californie., le Nouveau- Mexique,
l'Arizona et la partie méridionale du Colorado
faisaient alors partie de la confédération mexi-
caine, et ce ne fut qu'en 1848, que tous ces
territoires furent cédés régulièrement aux
Etats-Unis.
Le pays qui comprend aujourd'hui l'Etat du
Colorado et le territoire du Nouveau-Mexique
fut visité d'abord par un capitaine espagnol.
Don Alvar Nunez Cabeça de Vaca, en 1528,
six ans avant la découverte du Canada par
Jacques Cartier. Le capitaine de Vaca avait
fait naufrage sur les côtes du Texas, et il
s'était bravement enfoncé dans les terres in-
connues avec trois compagnons, les seuls sur-
vivants de son désastre. Durant dix ans, il
erra parmi les tribus du Texas, du Colorado
et du Nouveau-Mexioue, et il se rendit même
jusqu'au golfe de Californie. En voyageant
continuellement vers le Midi, il arriva enfin à
Mexico, où il fut reçu avec distinction par le
vice-roi espagnol, Mendoza et , ar Fernand
Cortès. Enthousiasmés par les succès de
Pizarre dans les provinces du Midi et par les
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CHEFS INDIENS
UN VIEUX DE LA VIEILLE
LA MERE ET LA FILLE
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
48
récits de Vaca, les Espagnols organisèrent
une expédition sous les ordres du capitaine
Francisco Vasquez Coronado, qui fut proclamé
capitaine général et gouverneur de tous les
pays situés au nord du Rio Bravo del Norte.
Le capitaine Coronado établit un gouverne-
ment, et les missionnaires se dispersèrent
parmi les tribus indiennes qui habitaient déjà
le pays et qui vivaient de chasse, de pêche
et d'agriculture.
Je parlerai plus loin, en détail, de ces cu-
rieuses populations indigènes qui, comme les
Aztèques, avaient atteint un certain degré de
civilisation, et qui vivaient en commun, sou-
mises à un gouvernement et à certaines lois
quelles ont conservés jusqu'aujourdhui. La
ville de Santa- Fé fut fondée et devint le siège
du gouvernement espagnol. Le Colorado
faisait alors partie de cette immense province
connue d'abord sous le nom de Nouvelle-
Grenade et soumise à l'autorité centrale du
Mexique. Le Colorado fut plus tard exploré
par les Français, et devint la frontière occi-
dentale du territoire de la Louisiane, qui fut
cédé aux Etats-Unis, en 1803, par Napoléon
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49
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
i il
Le Nouveau-Mexique fut envahi par les
Américains, en 1846, et fut définitivement
cédé au gouvernement de Washington par le
traité de Guadaloupe- Hidalgo, le 2 février
1848. Le baron de Lahontan, dans son fameux
voyage de la rivière Longue, en 1689, ren-
contra des tribus indiennes qui connaissaient
les Espagnols pour avoir été expulsées par
eux de leurs pays de chasse, sur les frontières
du Nouveau- Mexique.
Il est aussi certain que tous ces pays étaient
connus des voyageurs français longtemps
avant la cession du territoire de la Louisiane
aux Etats-Unis, car on rencontre à chaque
pas des traces de leur passage. Des noms
français de villes, de villages, de forts, de
montagnes, de défilés, de cols, de vallées, de
rivières, de torrents rappellent partout la part
prépondérante que prirent nos ancêtres dans
la découverte et l'exploration de ces contrées.
Le gouvernement américain, après le traité
de 1 803, s'empressa d'envoyer un détachement
de troupes, sous les ordres du major Pike,
pour prendre possession des territoires que la
France venait de lui vendre pour une chanson.
Et ce fut sous la conduite de deux gruides-
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
50
interprètes canadiens-français, les nommés
Rainville et Rousseau que les soldats améri-
cains traversèrent les immenses prairies qui
se déroulent à l'ouest du Mississipi jusqu'au
mont Cheyenne, sentinelle avancée d'un contre-
fort des Montagnes- Rocheuses qui s'étend
dans la plaine et que domine le mont Pike,
à une altitude de 14,147 pieds au-dessus du
niveau de la mer. La cime couverte de neiges
éternelles de cette majestueuse montagne,
est, dit-on, visible à une distance de cent
milles, dans la prairie. La limpidité merveil-
leuse de l'atmosphère, à œtte altitude, est un
sujet d'étonnement pour tous ceux qui visitent
le pays pour la première fois, et il est très
difficile de s'y faire une idée exacte des dis-
tances. Les trappeurs canadiens connaissaient
déjà le mont Pike sous le nom de : grosse mon-
tagne bleue, comme ils avaient d'ailleurs déjà
baptisé les sources de Manitou du nom
pittoresque de la Fontame-qui bouille. Le
général Frémont, surnommé : the pathfinder,
le découvreur de sentiers, explora de nouveau
le pays en 1843-45 et traversa les Montagnes-
Rocheuses pour se rendre en Californie. Le
capitaine Bonneville, que Washington Irving
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51
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
a immortalisé dans ses récits, avait visité le
Colorado en 1832, et un autre Canadien-
français nommé Carrière avait découvert des
gisements aurifères, dans le lit de la rivière
Platte, en 1835. Ce ne fut cependant qu'en
1858, il y a trente-deux ans, que la fièvre de
l'or amena aux pieds des Montagnes- Rocheu-
ses une immigration d'aventuriers qui jetèrent
les fondations de la ville de Denver. On tra- t
versait alors les prairies du Kansas et du
Colorado, avec des caravanes de lourdes
charrettes traînée par des bœufs, et l'on prenait
généralemant de trente à quarante jours pour
parcourir une distance que l'on traverse au-
jourd'hui en autant d'heures.
Le Colorado compte aujourd'hui une popu-
lation de 400,000 habitants dispersés sur un
territoire d'une superficie de 103,645 milles
carrés. On l'a surnommé : T/ie Centennial State^
l'Etat du Centenaire, parce qu'il a été ^mis
dans l'Union américaine, le 4 juillet 1876, cen-
tième anniversaire de la proclamation d'indé-
pendance des colonies britanniques, le 4 juillet
1776.
Le Nouveau-Mexique ne possède encore
qu'une organisation territoriale. Il occupe une
ii
SIX MOIS DANS LES MONTAdNES-ROCHEUSES
52
superficie de 121,201 milles carrés, avec une
population estimée à près de 200,000 habi-
tants. Les Chambres de Washington sont
actuellement à discuter un projet de loi pour
l'admettre au nombre des Etats de l'Union ;
ce qui ne saurait longtemps tarder, à moins
d'un injuste parti pris. ^
Le territoire de l'Utah, avec une superficie
de 89,400 milles carrés et une population
d'à peu près 300,000 âmes, est situé immédia-
tement à l'ouest du Colorado. Le pays fut
découvert et exploré par les trappeurs fran-
çais, vers la fin du XVI P siècle, et Lahontan
rencontra aussi des sauvages qui lui parlèrent
du grand lac salé. Les mormons, sous la con-
duite de Brigham Young, immigrèrent en
masse, et s'établirent, en 1847, dans la vallée
de rUtah et du lac salé, où ils fondèrent la ville
de Sait Lake.
Voilà un aperçu général des pays que j'ai
parcourus, et je m'empresse de dire que c'est
surtout au point de vue de ma santé et du
pittoresque que j'ai visité les contrées situées
dans ce que l'on appelle ici le cœur des Mon-
tagnes-Rocheuses : tke heart 0/ the Rockies.
Prenant Denver, capitalç du Colorado, comme
53 ^'î^ M<>ï^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
point de départ, je me suis rendu ensuite à
Manitou, à Colorado Springs, à Pueblo, à
Salida, à Gunnison, à Grand y une lion, -d Pro-
vost et à Sali Lake City, à l'ouest ; à Lead-
ville et à Aspen au nord ; à Ouray, Silverton,
Durango, Alamosa, Antonito, Espanola et à
Santa-Fé du Nouveau-Mexique, au sud, en
revenant à Denver, par le col de la Veta, par
Trinidad et Cuchara Junction — ce qui repré-
sente un parcours de 6,000 milles dans le pays
le plus accidenté du monde. On escalade
littéralement en chemin de fer des montagnes
de 10,000 pieds d'altitude, et on traverse des
gorges et des ravines creusées dans le roc vif,
et dont les murs escarpés s'élèvent à pic à
2,500 pieds au-dessus de la locomotive qui
côtoie les eaux du torrent qu'on entend gron-
der au fond du précipice. On a réellement
fait là des prodiges de construction et si le
pays neuf que l'on traverse n'offre encore que
peu de ressources au commerce, à l'agricul-^
ture et à l'industrie, on s'arrête en revanche,
en contemplation devant une nature sauvage
et des paysages grandioses qui étonnent
même l'imagination la plus fantastique et la
plus enthousiaste.
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SIX MOIS DANS LES MONTACJNES-ROCHEUSES
54
i.' ' < ,
V
DENVER
Comme j'avais fait de la ville de Denver
le centre de mes opérations, mon point de
départ et de ravitaillement, il n'est que juste
que je fasse un peu l'historique de cette
grande ville qui compte à peine trente années
d'existence. U : v .-- ^ - ^
La découverte de mines d'or en Californie
avait été le signal d'une nombreuse émigra-
tion vers le Pacifique, et un grand nombre
d'aventuriers se dirigèrent vers l'ouest, — les
uns, par mer, en doublant le cap Horn, ou en
traversant l'isthme de Panama ; les autres par
terre en escaladant les Montagnes-Rocheuses
pour atteindre la terre promise. Ce ne fut
que dix ans plus tard, en 1859, qu'un camp
de mineurs fut établi sur les bords de la rivière
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SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
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Platte, qui arrose le versant oriental de la
chaîne des Montagnes- Rocheuses, — à l'en-
droit où est maintenant située la ville de
Denver, capitale du Colorado. A cette épo-
que, le pays n'était pas même formé en Ter-
ritoire, et j'ai déjà dit que ce ne fut qu'en 1876
qu'il fut admis au nombre des Etats de
l'Union américaine.
Le dernier recensement de Denver accuse
une population de plus de 1 20,000 habitants
et l'accroissement remarquable de la ville n'est
pas plus extraordinaire que la prospérité
merveilleuse dont elle jouit depuis sa fonda-
tion, en 1859. Par sa position géographique
aussi bien que par l'esprit d'entreprise et
l'énergie de ses citoyens, Denver est devenu
un centre industriel, agricole et commercial
où convergent aujourd'hui vingt lignes de
chemins de fer, et sa Bourse des valeurs mi-
nières ne le cède en importance et en variété
qu'à celle de San Francisco. Il y a dix-huit
ans à peine que le service des voyageurs se
faisait encore par les diligences entre Kansas
City et Denver, qui ne comptait alors qu'une
population de 4,000 habitants ! On admire
aujourd'hui une cité qui s'enorgueillit à bon
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SIX MOI» DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
58
droit de ses superbes édifices publics, de ses
écoles qui sont des modèles d'organisation et
d'installation, de ses tramways électriques et
à cables conHmts, et de ses résidences princières
qui bordent de larges avenues, et qui dénotent
l'opulence et la prospérité de ses citoyens.
Denver est situé à une altitude de 5,195
pieds au-dessus du niveau de la mer, et pos-
sède un climat et une température que recher-
chent tous ceux qui souffrent de la poitrine
ou de maladies nerveuses. Les hôtels ne le
cèdent en rien à ceux des Etats de l'Est, et le
public voyageur trouve ici toutes les commo-
dités et tout le luxe de New-York ou de
Boston. La population augmente chaque jour,
et Denver est appelé à devenir le grand centre
commercial de l'immense région qui sépare
San Francisco de Chicago et de Saint- Louis.
Les propriétés foncières y ont acquis une
valeur énorme en quelques années, et l'on
construit constamment des édifices qui feraient
honneur aux grandes villes de l'Est. Les res-
sources agricoles du Colorado et l'élevage,
qui s'y fait sur wne grande échelle, apportent
aussi leur contingent à l'industrie minière, et
plusieurs grands fabricants de l'Est ont cons-
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59 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
truit ici de nouveaux ateliers, afin de supprimer
le coût du transport des marchandises qui est
encore relativement élevé. La concurrence,
cependant, tend à faire baisser continuellement
et à équilibrer le tarif des chemins de fer. J'ai
dit, plus haut, un mot des écoles publiques
que j'avais déjà visitées, en 1885, et je ne
saurais trop insister sur leur merveilleuse ins-
tallation au triple point de vue de l'instruction,
de l'éducation et de l'hygiène. L'instruction
est gratuite et obligatoire, et non seulement on
donne aux élèves la facilité et l'occasion d'ac-
quérir les connaissances les plus utiles et les
plus multiples, mais on fournit même gratui-
tement aux enfants les livres et tous les acces-
soires nécessaires aux études les plus variées
et les plus compliquées. Il faut vraiment
visiter ces établissements dans tous leurs dé-
tails pour en apprécier la valeur et pour com-
prendre le sentiment libéral et humanitaire
qui a présidé à leur organisation. Un simple
détail prouvera jusqu'à quel point on a porté
la sollicitude pour la parfaite éducation de la
jeunesse. On a installé, dans chaque classe,
de la plus basse à la plus élevée, des pots
de fleurs naturelles qui servent à orner les
''^^^Sim
SIX MOIS DANS LES M()NTA(;NES-ROCH EUSES 60
chambres et à donner des leçons graduées de
botanique pratique à tous les élèves. Des
salles de bain sont aménagées dans chaque
école, afin de permettre aux enfants de pren-
dre des habitudes de propreté et de pouvoir
apprécier le proverbe anglais qui dit que :
cleanliness is 7text to godliness. L'édifice de la
Hig/i School est superbe à tous les points de
vue. L'installation des cabinets de physique
et de chimie est, paraît-il, une des plus com-
plètes du continent américain. Et toutes ces
écoles sont gratuites ! Les enfants du pauvre
et du riche grandissent ensemble sous la
tutelle de professeurs distingués, et l'on arrive
ainsi à façonner des citoyens intelligents qui
ont étudié sur les bancs d'une école com-
mune, qui ont appris à se connaître, à s'estimer
et à commencer les luttes de la vie dans un
même sentiment de patriotisme éclairé et de
solidarité démocratique.
Denver est fière de ses écoles, et le directeur
de la High School s'enorgueillit avec raison
d un de ses élèves qui, en sortant des classes,
est entré d'emblée, comme essayeur dans un
grand établissement métallurgique, avec un
salaire de $5,000 par an.
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SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Ce résultat en dit plus long que tout ce
que je pourrais citer à l'appui des éloges que
je viens de faire des écoles de Denver.
V
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 02
• /:
VI
MANITOU -COLORAOO SPRINGS— LE JARDIN
DES DIEUX — GLEN-EYRE
A soixante-quinze milles directement au
sud de Denver, — au pied et à l'ombre du
mont Pz/ce, — se trouvent situées les deux jolies
villes de Manitou et de Colorado Springs,
célèbres dans tous les Etats de l'Ouest par
leurs sources d'eaux bicarbonatées, sodiques
et ferrugineuses. Ces sources auxquelles on
a donné les noms de Shoshone, Navajo, Ma-
nitou et Little-Chief é\.?i\ç\\X. connues des trap-
peurs canadiens sous l'appellation générale de
Fontaine- qui- bouille, nom que l'on a conservé
d'ailleurs à la petite rivière qui descend de la
montagne pour aller se mêler, plus loin, dans
la plaine, aux eaux de l'Arkansas. La ville
de Manitou est aux Etats de l'Ouest ce que
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SIX MOTS DANS T,ES MONTAGNES-ROCHEUSES
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Saratoga est à ceux de l'Est. Des milliers
de visiteurs viennent constamment y chercher
la santé, en toutes saisons, ainsi que la fraî-
cheur et le délassement pendant les chaleurs
de l'été. La ville de Colorado Springs est
située à deux lieues de Manitou, à l'extrémité
latérale du contrefort des Montagnes-Rocheu-
ses qui projette dans la plaine et dont le mont
Cheyeniie est la sentinelle avancée. Elle tient
son nom des sources d'eaux minérales de
Manitou, et fut fondée dès les premières années
de la colonisation du Colorado, vers 1860.
Elle est située à une altitude de 5,982 pieds
au-dessus du niveau de la mer, et compte une
population de 10,000 habitants. Manitou n'a
qu'une population permanente de 1,000 habi-
tants, avec une altitude de 6,334 pieds.
Le climat de Colorado Springs peut être
recommandé principalement aux personnes
qui souffrent de la poitrine et d'affections
des organes respiratoires. On a obtenu des
cures merveilleuses chez des malades qui
n'avaient pas attendu qu'il fût trop tard pour
venir bénificier des effets de son climat incom-
parable. J'ai déjà dit un mot des difficultés
qu'il y a ici déjuger correcteipent les distan-
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
64
ces, grâce à la raréfaction de l'air et à la lim-
pidité de l'atmosphère à cette altitude.
Le major Pike, dans le récit de son voyage
d'exploration en 1806, raconte gravement,
qu'il voyagea durant trois jours vers la grosse
montagne bleue, sans cependant paraître s'en
approcher visiblement. A la date du 15
novembre 1 806, il écrit :
" A deux heures de l'après-midi, je crus distinguer, à
notre droite, une montagne qui nous apparut d'abord
SOUS lu forme d'un léger nuage bleu ; mais une demi"
heure plus tard, avec l'aide de ma longue-vue, je distin-
guai très bien la montagne du haut d'une éminence.
Tous mes hommes se joignirent à moi pour pousser trois
hourrahs en l'honneur de la grosse montagne bleue.
Nous lîmes ce jour-là, mie étape de 24 milles.
" 16 novembre, dimanche ; étape de wy-î milles.
" 17 novembre; nous nous hâtâmes, dans l'espoir
d'arriver au pied des montagnes, mais nous ne parûmes
pas nous on approcher visiblement, même après avoir
fait une nouvelle étape de 24 milles." ' ,
Du 18 au 21 novembre, P'ke s'arrêta pour
fiirela chasse aux bisons ; mais le 21 et le 22
du même moisj'^il fit deux nouvelles étapes
de trente-huit milles. Le 25 seulement il
arriva au pied du mont Cheyenne qu'il esca-
lada pour la première fois. Les explorateurs
65
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
se trouvèrent donc durant dix jours en vue
du mont Pike, avant d'y arriver. Ce pays est
maintenant traversé dans tous les sens par
les chemins de fer, et l'on est actuellement à
en construire u'i qui transportera les touristes
jusqu'au sommet de la grosse montagne bleue,
à une altitude de 14,147 pieds. Et dire qu'il
y a trente ans à peine que ce pays est habité
par les blancs !
La température moyenne de Colorado
Springs et de Manitou est de 60 degrés Fa-
renheit, et, bien qu'en hiver le thermomètre
descende parfois jusqu'à zéro, la raréfaction
et la pureté de l'air empêchent le froid de se
faire sentir aussi sévèrement que dans les
pays moins élevés. Je n'ai pas besoin de dire
qu'on trouve partout, au Colorado, et surtout
dans les villes d'eaux, des hôtels de première
classe où la nourriture, l'installation et le ser-
vice sont dignes des grandes villes américaines.
Il y en a pour tous les goûts et pour toutes
les bourses. Le service de la poste et des
chemins de fer est aussi fait avec toute la
régularité et toute la fréquence désirables.
On pourrait se croire, sous ce rapport, à New-
York, à Boston ou à Montréal. Les voitures
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LE POftTAIL DU JARDIN DES DIEUX
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 68
de louage et les chevaux de selle y sont
aussi à un bon marché relatif, car l'élevage
se fait sur une grande échelle- dans les ranches
environnantes, et les chevaux ne se vendent
pas trop cher.
Les environs de Manitou et de Colorado
Springs présentent de magnifiques prome-
nades et sont le but d'excursions très intéres-
santes. Les plus célèbres sont l'ascension du
mont Pike et du mont Cheyenne, la visite des
Grandes Cavernes et de la Grotte des Vents, les
promenades du Jardin des Dienx, de Glen-
Eyre, des gorges de Clieyenne, des Sept Lacs,
des Sept Cascades et la Cascade de l Arc- en- ciel.
Toutes ces visites peuvent se faire en voiture
ou à cheval, et aucune d'elles ne dure plus
d'une journée. Ces sites se trouvent réunis
dans un rayon de trois lieues de la ville. La
principale curiosité et la plus intéressante, le
Jardin des Dieux est située sir la route qui
conduit de Manitou à Colorado Springs.
L'ascension du mont Pikesç^ fait avec assez
de facilité, sojt à cheval par un sentier qui
conduit au sommet en six heures, soit en voi-
ture par une bonne route que l'on a construite
depuis quelques années. J'ai déjà dit qu'on
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
était en train de construire un chemin de fer
à engrenage qui ira jusqu'au sommet, sur le
modèle de celui -^i existe depuis plusieurs
années au mont Washington. L'ascension
se fera donc, avant longtemps, avec la plus
grande facilité. La vue du haut du mont
Pike est absolument superbe, et s'étend à une
distance incalculable. A l'est, et à perte de
vue, les vastes prairies du Colorado ; au nord,
au sud et à l'ouest, les Montagnes-Rocheuses
avec leurs chaînes et leurs pics innombrables.
On ne peut se fatiguer d'admirer le contraste
merveilleux que présentent la plaine immense
qui s'étend à l'est, et le massif des sommets
neigeux qui apparaissent à l'ouest, semblables
aux flots d'une mer en furie qui se serait pé-
trifiée. Un observatoire, relié par le télé-
graphe aux grands centres des Etats-Unis,
a été établi sur le sommet par le Bureau Mé-
téorologique de Washington, et tous les tou-
ristes sont cordialement reçus par les em-
ployés qui séjournent à l'année, à cette grande
altitude. Bien des personnes sont cependant
plus ou moins incommodées par " le mal de
montagne," dû à la raréfaction de l'air, et l'on
ne peut guère stationner au sommet à cause
m
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 7O
des neiges et du froid, à moins qu'on ne soit
très chaudement vêtu.
Immédiatement au bas et à 9,000 pieds au-
dessous du pic, on aperçoit, la ville de Ma-
nitou qui nous apparaît comme un mouchoir
de dentelles que le vent aurait emporté dans
la plaine ; deux lieues plus loin, Colorado
Springs avec ses larges boulevards et ses
avenues tirées au cordeau, ne paraît guère
plus grand qu'un damier ordinaire. A 200
milles au sud, " Los Picachos," the Spanish
PejLkSy comme les nomment les Américains,
dessinent leurs cimes neigeuses à l'horizon, et
à soixante-quinze milles au nord on distingue
vaguement Denver par les nuages de fumée
qui s'élèvent des fourneaux de ses usines. La
route qui conduit de Manitou au sommet est
des plus pittoresques, et l'on côtoie continuel-
lement des torrents qui ont taillé leur lit dans
le roc vif de la montagne en formant parfois
des cascades écumantes ou des lacs tranquilles
où se mirent les pins rabougris qui poussent
sur les flancs ^carpes des ravins et des pré-
cipices. C'est à mi-chemin que l'on admire
les seps lacs et les cascades de Minnehaha.
L'ascension du mont Cheyenne est aussi
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
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relativement facile : un sentier de mulet y
conduit, en quelques heures, de Colorado
Springs. Cette montagne est devenue célèbre,
depuis quelques années, par le tombeau de
Mme Heléna Hunt Jackson qui a désiré
être enterrée là, dans la solitude, sur le versant
qui fait face au soleil levant. Mme Jackson
était un auteur bien connu aux Etats-Unis
par des articles de revue et par des livres où
elle a pris la défense des Peaux-Rouges contre
les entreprises envahissantes des colons et
contre la faiblesse du gouvernement qui assis-
tait impassible au massacre des tribus sauva-
ges. Son livre Un siècle de déshonneur est un
plaidoyer formidable contre l'injustice des au-
torités américaines. Aussi la réputation de
l'auteur s'est-elle répandue dans tous les
Etats de l'Union. La visite à son tombeau
a pris les proportions d'un pèlerinage, et cha-
cun, selon le désir de la défunte, dépose une
pierre sur le tertre où elle repose, aux pieds
des grands pins noirs de la forêt que surplom-
bent les cimes dentelées de la montagne
funèbre. Déjà une pyramide imposante
s'élève sur la tombe de l'amie des sauvantes,
et chaque jour d'autres touristes ajoutent des
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
72
pierres à ce monument d'un nouveau genre.
Mme Jackson habitait la viile de Colorado
Springs où elle était universellement aimée
et respectée, et tous ceux à qui j'ai mentionné
son nom m'en ont parlé dans les termes de la
plus sympathique admiration.
Toutes ces montagnes sont sillonnées par
des torrents qui ont creusé leurs lits jusqu'à
des profondeurs parfois vertigineuses. Il en
est résulté des gorges merveilleuses où l'on
peut voir les stratifications les plus curieuses et
les plus intéressantes. Les environs de Ma-
nitou et de Colorado Springs offrent des pro-
menades nombreuses dans ces gorges où le
soleil ne pénètre parfois que pendant quelques
instants. Partout des sentiers à mulet ou des
routes pour les voitures. On n'a que l'em-
barras du choix, et l'on peut facilement passer
un mois dans le pays, en faisant chaque jour
une nouvelle excursion.
De nombreuses grottes ont été découvertes
dans les montagnes, mais les plus célèbres
sont la gravée caverne de Manitou et la
Grotte des vents. La grande caverne fut dé-
couverte en 1 88 1 , et explorée pour la première
fois en 1885. Elle offre plusieurs chambres
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SrXMOTS DANS LES MONTAGNES ROCHKUS ES
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à stalactites fort intéressantes, et l'on a donné
des noms plus ou moins appropriés à des for-
mations curieuses que l'on rencontre à chaque
pas. La salle la plus remarquable est celle
que l'on nomme Concert Hall, la salle de
concert, où un groupe de stalactites et de sta-
lagmites, représente assez bien les tuyaux
d'un orgue, d'où l'on réussit à tirer des sons
fort agréables et qui ressemblent assez au
carillon des cloches entendues à distance.
La Grotte des vents est moins curieuse et
moins importante; bien qu'elle soit le but
d'une très intéressante promenade dans la
montagne.
Mais l'excursion par excellence est celle
que l'on fait au Jardin des Dieux. C'est là
une merveille naturelle que les sauvages
connaissaient de date immémoriale, et qu'ils
avaient choisie comme un lieu de culte et de
réunion, longtemps avant l'arrivée des blancs
dans le pays. Voici la légende que l'on m'a
racontée à ce sujet. Les Indiens visitaient
régulièrement les eaux de la Fontaine-qni-
boîiille pour y conduire leurs malades, leurs
blessés et leurs invalides. Ils croyaient que
Iç Grand- Esprit avait soufflé le souffle de vie
/
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 74
i
dans les eaux de Manitou, et ils buvaient ces
eaux ; ils y lavaient leurs blessures et y bai-
gnaient leurs membres malades. Après avoir
passé un certain temps auprès des sources,
ils se rendaient tous dans le Jardm des Dieux
pour y offrir des sacrifices au Grand-Esprit,
en témoignage de leur reconnaissance des
guérisons qu'il venait d'opérer. Les jeunes
guerriers s'y livraient aussi aux jeux d'adresse
et aux exercices de la guerre, en terminant
les réjouissances par des courses de chevaux.
On voit d'ailleurs encore des traces de
campement et des pistes circulaires pour ces
courses.
Le Jardin des Dietix est un vaste cirque
entouré de rochers abrupts, et formant une
ellipse dont le grand axe mesure trois milles
de longueur et le petit à peu près un mille.
Le jardin n'est pas un lieu habité, mais
un endroit couvert de rochers ruiniformes des
plus étranges, où le Grand- Esprit |iabitait
autrefois, selon la croyance des Peaux-Rouges.
Le plateau qu'occupe cette merveille naturelle
est situé à mi-chemin entre Manitou et Colo-
rado Spi'ingSy et l'on y a accès par un portail
gigantesque, formé de murailles de grès
75 SIX MOIS dans' LES MONTAGNES-ROCHEUSES
rouge, espacées d'à peu près 200 pieds. Ces
murailles s'élèvent perpendiculairement à une
hauteur de 500 pieds. Cette fissure curieuse,
dans le roc vif, a dû être le résultat d'un bou-
leversement volcanique ou d'un tremblement
de terre. On a, tout à coup, en arrivant à ce
portail, une vue splendide du mont Pike, qui
se dessine si nettement, avec ses neiges
éblouissantes, au fond de la vallée, qu'on s'en
croirait tout près, bien qu'on soit à dix heures
de son sommet.
On ne peut, à moins de les avoir vues, se
faire une idée des fausses ruines, des faux
monuments et des formations fantastiques que
l'on rencontre à chaque pas dans le jardin des
dieux. A côté de rocs figurant des monstres
gigantesques sont des imitations d'édifices
grandioses. Certains rochers isolés figurant
une tour ou une pyramide, ont plu^ de 300
pieds de hauteur et certains passages ont plus
de 100 pieds d'escarpement. Tout ce vaste
espace est plongé dans une solitude absolue, et
les touristes seuls y font des excursions et des
promenades. J'y ai rencontré un artiste an-
glais qui y faisait des croquis, mais je doute
que le pinceau puisse jamais rendre la gran-
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SIX MOIS DANS LES MONTACrES-ROCHEUSES
78
deur imposante de ce merveilleux caprice de
la nature. La plupart des rochers ont déjà
reçu des noms fantaisistes évoqués par des
similitudes plus ou moins discutables. On
distingue entre autres le Bonhomme et la
Bonne femme, les Frères siamois, les Droma-
daires, les Aiguilles, les Champignons, la
Tortue, la Cathédrale, etc., etc.
Glen-Eyre est le nom donné par le général
Palmer à une gorge remarquable située un
peu plus bas et à droite du portail du Jardin
des Dieux. Ce nom qui signifie en français
Val de faire vient de ce que l'on aperçoit,
accroché au flanc du rocher, en entrant dans
la gorge, l'aire d'un aigle qui s'est enfui en
abandonnant son nid, devant le progrès de la
civilisation. Le général Palmer a construit
au fond de cet endroit pittoresque, un superbe
château qu'il habite pendant la belle saison.
Le parc qui l'environne est ouvert aux tou-
ristes. Les formations de grès rouge qu'on y
trouve, bien que moins nombreuses, ne sont
pas moins curieyses que celles que l'on ren-
contre dans le Jardin des Dieux.
Voilà à peu près ce que j'ai remarqué à
Manitou et dans les environs, sans parler du
79
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
mîeu^ tout à fait sensible que j'ai ressenti,
pendant mon séjour dans la montagne. Des
milliers de personnes viennent d'ailleurs, cha-
que année, de tous les pays d'Europe et
d'Amérique, pour y chercher la guérison et la
santé. J'y ai rencontré des Canadiens, des^
Français, des Allemands, des Espagnols, des
Autrichiens, des Italiens, mais surtout des
Anglais, qui sont ici en très grand nombre et
qui ont engagé, m'a-t-on dit, de très grands
capitaux dans l'exploitation des mines du
pays et dans l'élevage des bestiaux.
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 80
VII
LES CHIENS DE PRAIRIE — PUEBLO — TRI-
NIDAD — LA VETA - OURAY
De Denver à Trinidad, en passant par
Pueblo, le chemin de fer Denver et Rio Grande
longe les plateaux mamelonnés qui sont situés
aux confins de la prairie et immédiatement
aux pieds de la première chaîne des Monta-
gnes-Rocheuses.
Entre Colorado Springs et Pueblo, nous
apercevQns, des fenêtres du convoi, à droite et
à gauche de la voie, des Prairie dog towns
— littéralement des "villages de chiens des
prairies." Ces petits animaux, de l'ordre des^
rongeurs, gros comme des lapins ordinaires,
habitent les prairfes américaines et construi-
sent leurs terriers par milliers dans les endroits
où ils trouvent, en abondance les herbes dont
ils font leur principale nourriture. Ils ne
8i
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
i-
paraissent guère s'inquiéter du voisinage des
hommes et ils sont très comiques à voir, assis
sur lé derrière, au haut des petites buttes de
sable qui proviennent du creusement de leurs
habitations souterraines, et poussant des gro-
gnements qui ressemblent beaucoup au jappe-
ment des jeunes chiens. On dit — je n'ai
jamais vérifié la chose et je suis loin de me
porter garant de l'authenticité de l'histoire —
que chaque terrier est habité en commun par
un chien de prairie, un serpent à sonnettes et
un hibou 'qui font tous les trois le meilleur
ménage du monde. Je n'ai jamais vu que les
chiens, car on prétend encore que leurs sinis-
tres compagnons ne sortent que la nuit.
J'ignore aussi l'origine de cette tradition qui
me paraît bien risquée et tout ce que je sais
du chien de prairie, c'est de l'avoir aperçu en
passant et d'avoir appris dans un bouquin
quelconque que, scientifiquement, cet intéres-
Sfint petit animal est connu dans le monde des
savants sous le nom du cynomus ou spermo-
philus ludovicianus. Je laisse aux naturalistes
l'agréable besogne d'étudier plus longuement
les habitudes et les mœurs de cette marmotte
américaine.
1.
/p.-',; ■•
UN VILLAGE DE CHIENS DE PRAIRIE
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
82
La ville de Pueblo est située à 45 milles au
sud de Colorado SpringSy et c'est de là que le
chemin de fer, en se dirigeant directement
vers l'ouest, traverse les montagnes par le
défilé du Royal Gorge, pour nous conduire à
Salida, Leadville, Asperi, Gunnison, Grand-
yunction et Sait Lake City. Nous allons
maintenant nous diriger plus au sud, vers
Trinidad, pour revenir à Cuchara yunction,
et de là nous rendre par le col de la Veta,
dans la vallée de San- Luis, en allant jusqu'à
Santa- Fé au Nouveau-Mexique, par la vallée
du Rio Grande del Norte. C'est le pays des
Pueblos ou villages indiens, et c'est sans con-
tredit un des coins les plus pittoresques et les
plus intéressants de l'Amérique du Nord. Je
n'entreprendrai pas de traduire les noms an-
glais ou espagnols des endroits que j'ai visités,
car il serait probablement impossible de s'y
reconnaître en consultant les cartes géogra-
phiques. On se trouve ici aux confins des
anciennes possessions mexicaines, et l'on y
rencontre un mélange d'anglais et d'espagnol
que l'on peut comparer au mélange d'anglais
et de français qui existe dans les villes et dans
les villages limitrophes des provinces de Qué-
bec et d'Ontario.
83
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
On a donné à Pueblo le surnom de " Pitts-
burg" de l'Ouest," en raison de ses hauts four-
neaux et de ses vastes intérêts manufacturiers.
Le minerai de fer et le charbon abondent dans
les environs ; aussi la ville, qui ne compte que
quelques années d'existence, a-t-elle déjà une
population de 30,000 habitants. L'élevage des
bestiaux, que l'on fait en grand dans les plaines
voisines, et les ressources agricoles des terres
arrosées par la rivière Arkansas, ajoutent aussi
largement à la prospérité commerciale et in-
dustrielle de la ville naissante. La fièvre de
la spéculation sur la propriété foncière est au-
jourd'hui à son comble à Pueblo, mais il en
est un peu de même dans toutes les nouvelles
villes de l'Ouest.
Denver en est un exemple frappant et
Pueblo aspire à suivre Denver dans la voie
d'une prospérité absolument merveilleuse. On
y a déjà construit et l'on construit encore
actuellement des édifices qui feraient honneur
aux grandes villes des Etats de l'Est et du
Canada. Citons comme exemples un superbe
hôtel de $500,000 et un théâtre qui en a coûté
autant. On y construit aussi un véritable
palais pour l'exposition permanente des pro-
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
84.
duits des mines du Colorado — et tout cela
dans une ville de 30,000 âmes !
Trinidad est une ville de 6,000 habitants
située au sud, près de la frontière du Nouveau-
Mexique, et au cœur d'un pays riche en mines
de charbon. C'est aussi une ville nouvelle —
a railroad town — comme disent les Améri-
cains, une ville qui doit sa naissance à la cons-
truction d'un chemin de fer. C'est bien un
peu là l'histoire de toutes les villes de l'Ouest.
C'est à Cuchara Junction que le Denver-Rio
Grande R. R. bifurque de nouveau à- droite
et à l'ouest pour escalader la chaîne de ^'^«^r^
de Cristo, en passant par le col de la Veta, à
une altitude de 9,393 pieds au-dessus du
niveau de la mer. Immédiatement après avoir
quitté le village de la Veta, et en vue des pics
jumeaux appelés par les Espagnols Los Pica-
chos, la voie s'engage dans les dédales appa-
ramment inextricables de gorges, de défilés
et de précipices, qui suivent le cours d'un tor-
rent que nous traversons et retraversons à
chaque instant sur des ponts suspendus aux
anfractuosités de la montagne. Nous mon-
tons en suivant une pente plus ou moins
rapide, selon les exigences et les accidents du
SI
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MÉÉm
85 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
sol. Deux puissantes locomotives nous traî-
nent lentement en poussant des râles ca-
dencés qui nous font comprendre la force
énorme de traction qui leur est nécessaire
pour surmonter les difficultés qui se dressent
à chaque pas. Roulant parfois sur les che-
valets et sur les tréteaux entrelacés d'un
viaduc vertigineux jeté sur le torrent qui
mugit au fond d'un abîme ; surplombés plus
loin par des rochers gigantesques qui nous
menacent par leurs dimensions fantastiques,
nous montons, nous montons toujours, cons-
tamment en vue de pics innombrables qui
dressent leurs cimes couvertes de neiges, dans
toutes les directions.
On a dit des Montagnes-Rocheuses, que
ce n'était pas une chaîne de montagnes, mais
plutôt un océan de montagnes, et il faut avoir
traversé le massif du Colorado pour se faire
une idée de la justesse de l'expression. De la
hauteur du mont Veta on aperçoit au nord
les sommets de la Sierra Mojada, au sud la
chaîne de la Culebra et immédiatement à
l'ouest, le plus haut pic du Colorado, la Sierra
Blanca qui élève sa cime neigeuse à une alti-
tude de 14,464 pieds au-dessus du niveau de
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
88
a mer. Des montagnes à droite, à gauche,
devant, derrière, des montagnes partout.
La descente du sommet de la Veia dans les
plaines de San-Luis se fait à peu près avec
la même variété de paysage et toujours avec
la même sécurité, en dépit des obstacles qui
s'accumulent partout. On suit les sommets
des chaînons inférieurs, en remarquant que les
torrents coulent maintenant vers l'ouest pour
aller se jeter dans le Rio Grande del Norte.
Par une série de détours, de retours et de zig-
zags qu'il serait impossible de décrire, nous
descendons lentement des pentes rendues ac-
cessibles au moyen . de travaux herculéens.
Ici l'on a percé la montagne par des tunnels
creusés dans le roc vif; un peu plus loin, la
voie, taillée dans le granit, serpente au flanc
d'un précipice dont on n'aperçoit pas toujours
le fond ; et partout des ponts, des viaducs et
des tréteaux en treillis qui nous permettent
d'arriver enfin dans la vallée de San-Luis, où
le Rio Grande poursuit sa course accidentée
pour servir plus* loin de frontière entre le
Mexique et les Etats-Unis, et pour se jeter
enfin dans le golfe du Mexique, à Brazos
Santiago. On arrive enfin à la ville d'Ala-
89
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
mosa, où la voie bifurque de nouveau vers le
nord pour desservir le commerce des centres
miniers et agricoles de Del Norte^ de South-
Fork et de Waggon wheel Gap. Il existe un
peu partout, dans les Montagnes-Rocheuses,
des sources minérales d'eau chaude, auprès
desquelles on a construit des hôtels pour les
malades et les invalides. Les sources de
Waggon zvlieel Gap ont acquis une célébrité
qui attire chaque annnée un grand nombre
de baigneurs de toutes les parties des Etats
de l'Ouest.
La chasse et la pêche sont aussi partout
abondantes dans la montagne. Les lacs et
les rivières sont ftrès poisonneux, et l'on tue
l'ours, la panthère, le chevreuil et l'antilope
aux environs même des stations du chemin
de Ver. Il faut avouer, cependant, qu'il y a
dix ans à peine que le pays a été livré au
commerce et à l'agriculture par la construction
du Denver âf Rio Grande Raihvay, et il est
assez facile de prévoir l'époque où la chasse
se fera aussi rare que dans les Laurentides,
bien qu'il y ait ici des refuges assurés pour le
gibier, dans les solitudes inaccessibles et inex-
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
90
plorées des montagnes de Saguache et de
Lagarita.
Revenant à Alamosa, qui est le centre com-
mercial de la vallée du Rio Grande^ le chemin
de fer se dirige au sud vers Antonito, à travers
un pays fertile qui fut autrefois le lit d'un
grand lac, s'il faut en croire les géologues.
Nous touchons ici à la frontière du Nouveau-
Mexique et aux limites du pays occupé autre-
fois par les Espagnols. Il y a encore, à
Antonito, bifurcation du chemin ^e fer; la
ligne principale se dirigeant à l'ouest vers les
villes minières de Chama, de Durango, de
Silverton et d'Ouray ; et de là un embran-
chement allant directement au sud, à travers
le pays des Pueblos, vers Espanola et Santa
Fé et à une distance de 408 milles de Denver-
Nous allons d'abord suivre la ligne princi-
pale jusqu'à Ouray, quitte à revenir ensuite
sur nos pas, afin de nous occuper plus lon-
guement des Indiens du Nouveau-Mexique.
Le chemin de fçr, entre Antonito et Ouray,
e^t construit à une altitude moyenne de
7000 pieds, allant progressivement en montant
jusqu'à la ville de Silverton qui est pittores-
I
^
91
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
quement assise sur un plateau élevé de 9,224
pieds au-dessus du niveau de la mer.
En quittant la vallée de San- Luis on tra-
verse d'abord la chaîne des Conejos, pour
redescendre dans la vallée de Los Pinos,
toujours en suivant les sinuosités des défilés
les plus pittoresques et les plus intéressants.
Le passage de la gorge de Toltee nous con-
duit à travers les profondeurs d'une fissure
gigantesque produite dans le roc par quelque
cataclysme.
La rivière coule ici au fond d'un abîme
profond de 1500 pieds, et les ingénieurs ont
dû construire des ponts, on plutôt des balcons
suspendus au flanc escarpé de la montagne où
les convois circulent sur une voie aérienne.
On entend souvent sans l'apercevoir le torrent
qui écume au fond de son lit de granit, et l'on
aperçoit à une hauteur vertigineuse le bleu du
ciel qui éclaire vaguement la grandeur sauvage
d'une scène qui nous rappelle les illustrations
fantastiques de la Divine Comédie du Dante,
par Gustave Doré. A gauche, en sortant de
la gorge, on aperçoit un obélisque élevé par
la main des hommes et qui pique naturelle-
ment la curiosité du voyageur. C'est un
^''
I *-^!
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 92
monument élevé, le 26 septembre 1881, à la
mémoire du président Garfield qui était enter-
ré, ce jour là, à Cleveland, dans l'Etat de
rOhio. Sur le granit poli de l'obélisque on
a gravé l'inscription suivante :
In Memoriam
JAMES ABRAHAM GARFIELD
Président of the United States
Died September 19, 1881
Mourned by ail the People
Erected by Members of the National Association of
General Passenger and Ticket Agents, who
held mémorial Burial Services
on this spot,
September 26, 1881
On arrive un peu plus loin à la station des
CumbreSy sommet de la chaîne des Conejos et
à une altitude de 10,015 pieds, oii l'on com-
mence la descente qui se fait à peu près dans
les mêmes conditions que l'ascension. On
passe sans s'arrêtei* Chama, Amorgo où l'on
prend la diligence pour les sources de Pagosa.
Ces sources étaient célèbres parmi les Indiens,
longtemps avant l'arrivée des blancs dans le
/
93
SIX MOIS DANS LES MON l'AGNES-ROCHEUSES
pays. Un peu plus loin, à Ignacio, se trouve
située la réserve des Utes, ou de la tribu des
Enfants, comme les appelaient les trappeurs
canadiens Iqui faisaient la chasse et la traite
dans ce pays. Des fenêtres du wagon, on
aperçoit les wigwams de la tribu et l'on est
certain de rencontrer, à la gare, des ^^^uvages
qui vous offrent en vente des arcs, des flèches
et des casse-têtes, comme souvenirs de voyage.
Ces Indiens ressemblent absolument à nos
sauvages du Nord- Ouest canadien et sont
soumis à la tutelle du gouvernement améri-
cain, qui les Qourrit et qui les entretient.
On arrive enfin à Durango, qui est le centre
commercial des régions agricoles de Far-
mington et de Bloomfield, aussi bien que des
vallées fertiles du Rio de las animas perdidas
— rivière des âmes perdues — et du Rio
Florida, Ici, comme partout ailleurs dans les
régions montagneuses du Colorado, le ren-
dement des mines est très considérable, et
l'exploitation de nouveaux gisements d'argent
et de houille promet beaucoup pour l'avenir.
Durango compte déjà une population de
4,000 habitants. La ville est située à 450
milles de Denver et à une altitude de 6,250
SIX MOIS DANS LSS MONTAGNES-ROCHEUSES 94
pieds. Le chemin de fer, en quittant Durango,
se dirige directement au nord en suivant la
vallée du Rio de las animas. On traverse
encore des gorges profondes et on escalade de
nouveau des sommets élevés avant d'arriver à
Silverton, petite ville de 3,000 habitants, qui a
expédié, pendant les trois dernières années,
pour plus de $2,000,000 de minerai d'argent
aux fonderies de Denver et de Pueblo. L'ex-
ploitation de nouveaux gisements se fait tous
les jours et le rendement augmente en consé-
quence. Les hommes du métier prédisent
pour Silverton un avenir brillant et prospère,
et un vieux mineur d'expérience avec qui je
causais des ressources du pays, me disait
dans son langage pittoresque, en me mon-
trant les montagnes environnantes : ail those
mountains are Jairly rotten with silver. —
toutes ces montagnes-là sont réellement pour-
ries d'argent.
Le pays qui sépare Silverton de Ouray
offrait des difficultés extraordinaires pour la
construction d'un chemin de fer ; mais on est
parvenu à vaincre tous les obstacles en por-
tant la ligne jusqu'à Ironton, après avoir
escaladé des sommets de 12,000 pieds d'alti-
95 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
lit.
m.
tude. Il reste encore une distance de huit
milles à construire, et que l'on parcourt aujour-
d'hui en diligence, à travers les sites les plus
pittoresques et les plus accidentés.
Ouray qui est aussi une ville minière admi-
rablement située dans une vallée fertile, sur
les bords de la rivière Uncompahgre, promet
de devenir, avant longtemps, la rivale de
Leadville et d'Aspen pour l'exploitation des
mines d'or et d'argent, qui abondent dans les
environs. Les capitalistes de l'Est ayant
reconnu la richesse des filons et l'abondance
du minerai, ont formé des sociétés minières,
avec de forts capitaux, et l'on construit actu-
ellement de vastes établissements pour la
réduction des métaux. Ouray possède déjà
un hôtel de première classe, comme on n'en
voit guère, excepté dans les grandes villes, et
un système d'écoles publiques que la plupart
de nos villes canadiennes pourraient lui envier.
Là, comme partout ailleurs dans les pays de
l'Ouest, la ville est éclairée à la lumière élec-
trique, et les communications postales et télé-
graphiques ne laissent rien à désirer. a
Le chemin de fer en partant d'Ouray
rejoint à Montrose la ligne principale de Den-
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
98
ver à Sait Lake City. Nous retournerons
d'abord à Antonito pour nous rendre à Santa-
Fé du Nouveau- Mexique, avant de voyager
plus loin vers l'ouest, en repassant par là.
99 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
VIII
HAUTEUR DES MONTAGNES DU COLORADO
LE NOUVEAU-MEXIQUE
Il serait assez difficile de se faire une juste
idée de la hauteur générale des Montagnes-
Rocheuses ou de l'altitude où l'on a réussi à
porter les chemins de fer, sans procéder par
comparaison et sans donner un tableau général
de la hauteur des principaux pics du Colorado.
Le chemin de fer le plus élevé de l'Europe
est celui qui traverse le Righi, à une altitude
de 5,753 pieds au-dessus du niveau de la mer.
La ligne du Saint-Gothard ne s'élève qu'à
3,788 pieds. Le cjiemin de fer Denver àf Rio
Grande, par lequel j'ai traversé les Montagnes-
Rocheuses, s'élève à 12,000 pieds entre Sil-
verton et Ouray ; à 10,856 pieds sur le
Marshall Pass, entre Salida 'et Gunnison ; à
11,329 pieds sur le Fremont Pass. La ville
i
•yjoiversitaT"
CANADIANA
\
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
lOO
de Leadville, où j'aurai occasion de conduire
mes lecteurs plus tard, est située à une alti-
tude de 10,200 pieds.
Le seul autre chemin de fer au monde, qu i
atteigne des hauteurs comparables, est celui
que l'on est en train de construire de Valpa-
raiso sur le Pacifique à Buenos-Ayres sur
l'Atlantique, en traversant la chaîne des
Andes qui sépare le Chili de la République
Argentine ; et encore cette ligne n'atteint-elle
qu'une altitude de 10,450 pieds au-dessus du
niveî^u de la mer. J'ai dit qu'un chemin de
fer à engrenage — cog wheel road — serait
terminé, dans deux ou trois mois, jusqu'au
sommet du mont Pike, à une hauteur de
14,147 pieds. Ce sera la voie ferrée la plus
élevée du monde.
Maintenant, j'ai cru qu'il serait intéressant
de compiler une liste des plus hautes monta-
gnes du Colorado ; ce qui pourra donner une
idée assez juste de l'aspect général de cette
partie du pays située dans le massif des
Montagnes-Rocheyses. J'ai conservé les noms
anglais afin de faciliter les recherches de ceux
qui auraient la curiosité de consulter une carte
géographique. J'y ai aussi ajouté la hauteur
lOl SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
des cols et des défilés par où l'on traverse les
montagnes soit en chemin de fer, soit en dili-
gence :
Pieds
Sierra Blanra i4>464
Moiint Harvard i4>383
Mount Massive i4>368
Gray's Peak i4»34i
Mount Rosalie i4j34o
Mount Torrey i4>336
Mount Elbert 14,326
La Plata Mountain 14,302
Mount Lincoln.. 14,297
Buckskin Mountain 14,296
Mount VVilson 14,380
Long's Peak 14,271
Quandary Peak 14,269
Mount Antero 14,245
James' Peak 14,242
Mount Shavano 14,238
Uncompaghre Peak 14,235
Mount Crestones 14,233
Mount Princeton' 14,199
Mount Bross 14,185
Mount ofthe Holy Cross 14,176
Baldy Mountain 14,176
Mount Sneffles. 14,158
Pike's Peak 14,147
Castle Mountain 14,106
Mount Yale 14,101
DANS LA GORGE DES " AMES PERDUES" — LES AIGUILLES
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
I02
San Luis Mountain
Mount Red Cloud
The Watterhorn
Mount Simpson
Mount ^^^olus
Mount Ouray
Mount Stewart
Mount Maroon
Mount Cameron
Mount Handie.
Mount Capitol
Horseshoe Mountain
Snowmass Mountain
Mount Grizzly
Pigeon Mountain
Mount Blaine
Mount Frustrum
Pyramid Movmtain
Mount White Rock..
Mount Hague
Mount R G. Pyramid
Silver Heels Mountain
Mount Hunchback ,
Mount Rovvter
Mount Homestake..
Mount Ojo
Spanish Peaks 13,620-
Mount Guyot.^.....
Trinchara Mountains
Mount Kendall
Mount Buffalo
4,100
4,092
4,069
4,055
4,054
4,043 .
4,032
4,000
4,000
3,997
3,992
3,988
3,961
3,956
3,928
3,905
3,883
3,895
3,847
3,832
3,773
3,766
3,755
3,750
3,687
3,640
2,720
3,565
3,546
3,542
3,541
I03
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROC H EUSES
Mount Arapahoe i3>52o
Mount Dunn 13,502
Mount Bellevue it,ooo
Alpine Pass i3>5So
Argentine Pass 13,100
Cochetopa Pass , 10,032
Hayden Pass 10,780
Trout Creek Pass 9,346
Berthoud Pass ii,349
Marshall Pass 10,852
Veta Pass , 9,392
Poncho Pass 8,945
Tennessee Pass 10,418 ^
Taryral Pass 12,176
Breckenridge Pass 9,490
Cottonwood Pass 13,500
Fremont Pass 11,540
Mosquito Pass 13,700
U te Pass 11,200
La nomenclature est assez longue, mais il
y a encore, au Colorado, soixante-douze pics
variant en hauteur de 13,500 à 14,300 pieds et
qui n'ont pas encore reçu les honneurs du
baptême.
Cela dit, nous allons reprendre la route du
Nouveau- Mexique, en suivant la vallée du
Rio Grande del Norte,
SIX MOTS DVNS LES MOXrAGNESROCHFUSES
104
J'ai déjà dit un mot de la découverte acci-
dentelle du Nouveau -Mexique par le capitaine
Alvar Nunez de Cabesa de Vaca, qui avait fait
naufrage sur les côtes du Texas, en 1528, et
qui s'était dirigé vers les solitudes de l'Ouest,
dans l'intention de rejoindre les compagnons
de Cortez qui s'étaient emparés de l'empire
de Montezuma, dix ans auparavant. Cabesa
de Vaca ne fut cependant pas le premier Eu-
ropéen qui foula le sol du Nouveau-Mexique,
et c'est à un missionnaire franciscain, Don
José de Basconzalès, que revient l'honneur de
la première découverte ; seulement le mission-
naire, qui était parti seul de Mexico pour aller
prêcher l'Evangile aux peuplades inconnues
du Nord, ne revint jamais pour raconter son
voyage. On connaissait la date de son départ
mais on n'avait plus jamais entendu parler de
lui, lorsque Cabesa de Vaca et ses compa-
gnons, en se dirigeant toujours vers l'ouest,
arrivèrent à l'antique cité de Zuni, située à
190 milles au sud-ouest de Santa- Fé et à dix
milles de la frontière actuelle du Territoire de
l'Arizona.
Vaca et ses compagnons furent reçus avec
des démontrations d'amitié parles Indiens du
(. •
I05
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHtUSES
pays qui leur donnèrent en présent " des tur-
quoises, des fruits, de la viande séchée, des
couvertes de bœuf — peaux de buffle — et des
émeraudes taillées en pointes de Hèches/»
Ces Indiens habitaient en commun une vaste
forteresse construite de briques de boue
cuites au soleil, et vivaient d'agriculture, de
chasse et de pêche. Après avoir permis à
leurs hôtes de se reposer et de se restaurer,
les sauvages conduisirent Vaca au pied d'un
-ocher escarpé qui s'élevait, solitaire, à quelque
distance de la ville, et là, gravée sur le flanc de
granit, lui montrèrent l'inscription suivante :
Don José de Basconzalès — 1526
Le pauvre missionnaire avait passé par là,
et c'était tout ce qui restait comme souvenir
de son dévouement et de son zèle. Où était-
il allé ? Comment avait- il péri ? Les Indiens
l'ignoraient où ne voulaient peut-être pas le
dire, s'ils le savaient. Dans tous les cas,
cette inscription qui existe encore aujourd'hui
marque la date de la première découverte du
pays. Treize ans plus tard, cii 1539, le vice-
roi du Mexique envoya une expédition sous
les ordres du franciscain Marco de Niza pour
\
SIX MOIS DAN» LES MONTAGNES-ROCHEUSES I08
explorer ce que l'on appelait alors le royaume
de Cidola, ou royaume des buffles, parce que
ces animaux paissaient en grand nombre dans
tous les territoires situés au nord du Rio
Grande del Norte. Le missionnaire fit une
relation détaillée des circonstances de son
voyagé aussi bien qu'une description très
exagérée des richesses des pays et des peuples
qu'il avait visités. Ce fut alors que le gouver-
nement espagnol résolut de conquérir le pays
et, le lundi de Pâques de l'année 1540, une
armée de i ,500 hommes partit de Mexico sous
les ordres de Francisco Vasquez de Coronado,
et se dirigea vers le nord.
Coronado était l'un des conquistadores, un
des conquérants, compagnons de Cortez, et
on lui avait confié le commandement de cette
expédition, parce que l'on croyait qu'il était
destiné à conquérir un pays aussi riche que le
Pérou. Les récits fantaisistes de Vaca et de
ses compagnons, et après eux de Marco de
Niza, faisaient croire à la découverte d'un
véritable Eldorado, où l'on trouverait l'or,
l'argent et les pierres précieuses en grande
quantité. Les premiers explorateurs avaient
abusé du privilège d'exagérer outre mesure
I09
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
tout ce qu'ils avaient vu et rencontré. Ils
avaient parlé de montagnes d'opales, de mines
de turquoises, de vallées étincelantes de gre-
nats et d'aiguës mannes, de ruisseaux coulant
sur du sable d'argent, de serpents à castagnet-
tes— à sonnettes — d'oiseaux au plumage
plus brillant que celui du paon, et d'un désert
plus grand et plus terrible que le Sahara.
Les succès merveilleux de Cortez et de
Pizarre permettaient aux autorités de croire
aux descriptions et aux relations les plus
invraisemblables. Aussi fut-ce au son des
trompettes et du canon que Coronado partit
à la tête de sa vaillante petite armée, après
avoir entendu la messe à Notre-Dame de
Compostelle. Le vice-roi lui-même, Mendoza,
accompagna les troupes durant deux jours
de marche, et avant de les quitter, leur fit une
exhortation dans laquelle il les engageait à
suivre la piste glorieuse des conquistadores,
qui avaient fait de si grandes choses pour
l'honneur de l'Espagne et de la religion.
L'historien de l'expédition, Castenada, nous
raconte les merveilleuses choses qu'ils virent
et qu'ils rencontrèrent partout. Ils passèrent
à des endroits *' où la terre résonnait et trem-
/
rn
SIX MOIS DANS LES MONT AGNES- ROCHEUSES I lO
blait comme un tambour et où les cendres et
la lave bouillonnaient d'une manière infernale."
Ils virent "des rochers magnétiques se joindre
ensemble sans raison apparente." Ils souffri-
rent de "tempêtes de grêle où les grêlons,
gros comme des œufs bosselaient leurs casques
et leurs armures, et couvraient la terre d'une
épaisseur d'un pied et demi." Ils combatti-
rent et vainquirent " des tribus de géants et
des Indiens de toutes sortes, mais ils furent
heureux de ne pas rencontrer de cannibales."
On voit que le récit homérique de Caste-
lada fut digne des relations légendaires de
Cabesa de Vaca, mais on retrace, parmi toutes
ces exagérations, la véritable histoire de l'ex-
pédition de Coronado. Il réussit à massacrer
les indiens, à répandre la terrenr dans le
pays, à découvrir de nouvelles contrées et à
se rendre jusque sur les bords de la rivière
Missouri, longtemps avant que les Français
eux-mêmes eussent exploré cette partie du
continent ; mais il ne trouva ni or, ni argent,
ni pierres précieuses. Durant trois ans, les
vaillants aventuriers parcoururent des pays
inconnus, sans pouvoir découvrir les " mon-
tagnes d'opales, les mines de turquoises, les
I [I
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
vallées étincelantes de grenats et d'aiguës
marines et les ruisseaux coulant sur du sable
d'argent." Il y avait bien des indications et
des traces de tout cela, mais il fallait du
travail, de la patience et de la persévérance
pour forcer la terre à livrer toutes ces richesses.
Mais les soldats espagnols, n'avaient aucune
de ces vertus, et ils venaient dans le pays bien
décidés à forcer les naturels à répéter l'histoire
de Pizarre et de la rançon merveilleuse de
l'inca Atahualpa. On peut juger de leur
déception et de leur désenchantement. L'ex-
pédition de Coronado donna cependant à la
couronne d'Espagne un territoire cinq fois
plus grand que la superficie de l'Espagne elle-
même. Quelques missionnaires franciscains
demeurèrent dans le pays, mais furent presque
tous massacrés par les Indiens, qui voulaient
probablement se venger des cruautés de Coro-
nado et de ses compagnons. ■^* ' >
En 1581, le frère Agostino Ruyz fut mas-
sacré par les sauvages avec un de ses com-
pagnons dans un village connu sous le nom
de Paola. En 1582, Don Antonio de Espejo
visita les villes et Pucblos de Zuni, de Acoma,
et écrivit une relation fort intéressante de ses
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
112
voyages. En 1595, le capitaine Juan de
Onate fonda une colonie à l'endroit où la
rivière Chama se jette dans le Rio Grande, et
c'est aussi de cette époque que date la fon-
dation de la Villa Real de Santa Fe — ville
royale de la Sainte- Foi. Les Espagnols après
s'être emparés du pays, commencèrent immé-
diatement l'exploitation des mines, en rédui-
sant les naturels à l'esclavage et en les forçant
à travailler dans les entrailles de la terre. On
trouve un peu partout, dans le Nouveau-
Mexique, des traces d'exploitation d'anciennes
mines d'or et d'argent.
Les Indiens vaincus par la sup^iorité des
armes de leurs conquérants furent d'abord
soumis, mais se révoltèrent ensuite et chas-
sèrent leurs oppresseurs du pays, après avoir
tué tous ceux qui tombèrent entre leurs mains.
Ceci se passait en 1680. Douze ans plus tard,
Diego de Vargas, à la tête d'une nombreuse
armée, reconquit le pays et rétablit l'autorité
espagnole, mais cette fois à la condition que
les Indiens retiendraient leur liberté et ne
seraient plus forcés de travailler dans les mines.
Depuis cette époque jusqu'en 182 1, l'histoire
de Santa- Fé et du Nouveau- Mexique ne
113
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
présente rien de remarquable. La révolution
de 1821 chassa les Espagnols du pays, et le
Mexique devint une république indépendante.
Le Nouveau-Mexique fut occupé par les
troupes américaines en 1846, et le pays fut
définitivement cédé aux Etats-Unis, par le
traité de Guadeloupe- Hidalgo, le 2 févvier
1848. i
J'ai déjà dit que les Indiens du Nouveau- \
Mexique différaient entièrement des autres
sauvages du continent, par leurs coutumes,
leurs croyances, leur forme de gouvernement
et leur manière de vivre en général, et je trai-
terai ce s 'et en commençant par dire un mot
de la ville de Santa-Fé, qui fut autrefois le
centre de ces primitives confédérations, comme
elle est restée la capitale du Nouveau-Mexique
depuis sa fondation, il y a plus de trois cents
ans.
:-m.
m.
SIX MOIS. DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I I4
IX
PUEBLOS ET PUEBLO.VNOS
La ville de Santa- Fé est située à une alti-
tude de 7,044 pieds au-dessus du niveau de
la mer et est traversée par le Rio Santa Féy
petite rivière que l'on passe à pied sec, géné-
ralement, mais qui devient un torrent fort
imposant et parfois fort dangereux, à l'époque
de la fonte des neiges dans les montagnes
environnantes. Santa- Fé a conservé tous les
caractéristiques d'une ville espagnole et ne
compte guère, aujourd'hui, qu'une population
de 10,000 habitants dont les trois-quarts
sont d'origine mexicaine. Le saint père Pie
IX a érigé Santa- Fé en diocèse comprenant
le territoire du Nouveau-Mexique avec les
évêchés du Colorado et de l' Arizona comme
suffragants ; et le premier archevêque, Mgr
115 ^'^ ^^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
J. B. Lamy reçut le pallîum, le i6 Juin 1875.
Il est assez curieux de constater que l'arche-
vêque et la plupart des prêtres du diosèse,
sont français, bien que l'élément français ou
d'origine française compte à peine quelques
rares représentants en dehors du clergé, dans
cette ancienne province espagnole.
A part quelques églises modernes, quelques
édifices publics et quelques constructions mi-
litaires qui sont de date récente, la ville de
Santa- Fé présente aujourd'hui le même aspect
qu'elle avait sous le régime autoritaire du
vice-roi du Mexique. On y voit la p/ava
mayor où se trouve situé l'ancien palais des
gouverneurs, et de longues rangées de maisons
construites en adoèes, grosses briques de boue
cuites au soleil et conservant une couleur ter-
reuse qui donne un aspect triste à toutes ces
constructions primitives. La fameuse église
de San Miguel, une des plus anciennes du
continent américain, existe encore, quoique
dans un état assez délabré. On fait remonter
sa construction aux premiers jours de la
colonie, mais elle fut réduite en cendres lors
du soulèvement des pueblos en 1680. Elle
fut restaurée lors du retour des Espagnols, et
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SIX MOrs DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
ii8
»
on lit encore aujourd'hui, gravée sur un soli-
veau, l'inscription suivante, en langue espa-
gnole: :.j . ,
Le Marquis de la Penuela reconstruisit cet
édifice avec son serviteur
. . Don Augustin Florès Vergara
A. D. lyio
On voit aussi, au-dessus du maître-autel,
un vieux tableau de l'Annonciation, noirci
par l'âge et portant toutes les marques de la
plus haute antiquité. La date inscrite au dos
porte le millésime de 1287. Le prêtre qui
m'accompagnait ne connaissait pas l'histoire
de cette curieuse peinture, mais il m'assura
qu'il n'avait aucun doute sur l'authenticité de
la date, car son prédécesseur, qui était un
vieux moine espagnol fort érudit, lui avait
souvent dit qu'il considérait ce tableau comme
une des plus anciennes peintures religieuses
V qu'il y eût au monde. Tout près de l'église
de San Miguel, op montre encore aux visi-
teurs une vieille maison qui faisait partie de
la forteresse indienne des pueblos de Analco,
lorsque les Espagnols s'emparèrent du pays.
119
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Santa- Fé était autrefois, comme elle l'est
d'ailleurs encore aujourd'hui, le centre ou la
capitale des villages indiens que Vaca, Coro-
nado, Espejo et Onate découvrirent à diffé-
rentes époques, dans la vallée du Rio Grande.
Les Indiens vivaient dans des maisons à deux
ou trois étages, construites de pierres ou de
briques de boue, rangées en quadrilatères
en forme de forteresses, afin de protéger les
habitants contre les incursions des tribus des
montagnes qui vivaient de brigandages et de
déprédations. Les Espagnols donnèrent à
ces villages le nom de Pueblos et à leurs habi-
tants celui de Puebloanos. Tels ils vivaient
alors, tels ils vivent encore aujourd'hui, culti-
vant le sol et récoltant le maïs, les légumes
et le coton. Ils chassaient aussi le bison, le
chevreuil et l'ours, qui abondaient dans les
plaines et dans les montagnes environnantes,
mais ils s'éloignaient raremer ;urs pueblos
par crainte des cruels Ap . des Navajos,
avec qui ils étaient en gt. .e continuelle. On
]eur donnait aussi le nom général de Moquis
qui signifie chaussures, parce que ces nations
connaissaient l'art de tanner et préparer les
cuirs pour s'en faire des chaussures.
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 20
Cabeza de Vaca, le premier explorateur,
raconte qu'en se dirigeant vers le nord-ouest,
il rencontra des peuplades " vivant dans des
" habitations de grande dimensions, construites
" de terre, situées sur les bords d'une rivière
"qui coulait entre deux chaînes de monta-
" gnes." Il parle de la bravoure et de la
haute stature des hommes qui étaient vêtus
de costumes de peaux de bêtes bien préparées,
et des femmes qui portaient des vêtements de
coton et qui lavaient leurs costumes avec une
racine savonneuse qui les nettoyaient bien
proprement. Ces sauvages reçurent les blancs
avec les plus grandes démonstrations d'amitié
et leur rendirent hommage comme aux fils du
soleil. Les mères apportaient leurs enfants
pour les faires bénir et touchaient humble
ment les vêtements des étrangers, croyant
par là obtenir des faveurs surnaturelles.
Ceci se passait en 1528. Le franciscain
Niza, qui vint quelques années plus tard,
raconte à peu près #les mêmes faits, en les
exagérant et en affirmant que les Indiens
possédaient des vases d'or et d'argent en plus
grande abondance que les Incas du Pérou.
/
f
121
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
" Suivant toujours l'inspiration du Saint-Esprit, j'ar-
rivai au haut d'une montagne où, avec l'aide des Indiens,
je construisis une pyramide de pierres, pour y placer
une croix, symbole de la foi et de la conquête. Ces
peuples devinrent alors l'héritage de Dieu et de^^-^pagne
et je donnai à la nouvelle province le nom de £i Nuevo
Regno de San Francisco — Nouveau Royaume de Saint.
François."
Et depuis cette époque saint François est
resté le patron du Nouveau- Mexique. Cas-
taneda qui accompagnait l'expédition de Coro-
* nado, en 1 540, comme historien, raconte que :
" Les chefs dirent à Coronado, que leurs villages
étaient plus anciens que la mémoire de sept générations.
Les femmes portaient des manteaux de coton qui étaient
attachés autour du cou et passaient ensuite sous le bras
droit, pour tomber sur des jupons aussi fabriqués de
V coton. Elles portaient aussi des perles sur la tête et des
colliers de coquillages autour du cou. Elles arrangeaient
leurs cheveux derrière la tête dans la forme d'une roue
ou de l'anse d'une tasse."
Antonito de Espejo, quarante ans plus tard
en 1582, écrivait ce qui suit :
" Nous trouvâmes partout des maisons bien cons-
truites et ayant à l'intérieur des poêles de pierre, peur
la saison d'hiver. Les habitants sont vêtus de coton et
de peaux de daims, selon la manière des Indiens df
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
122
royaume du Mexique. Mais ce qu'il y a déplus étrange
c'est de voir les hommes et les femmes porter des
souliers, ce qu'on ne voit jamais parmi les Indiens du
Mexique. Les femmes peignent leurs cheveux avec soin
et ne portent rien sur la tête. Dans tous ces pueblos il
y a des caciques qui gouvernent comme les caciques du
Mexique et qui ont des sergents-d'armes qui proclament
leurs ordres et leurs cornmmandements et qui veillent
à leur exécution. Dans leurs champs qui sont vastes et
nombreux, Ils construisent des abris couverts de terre
où les travailleurs mangent et ee reposent pendant les
grandes chaleurs du jour, car ce sont des nations adon-
nées à un travail constant et régulier. Les armes dont
ils se servent sont des arcs et des flèches avec des pointes
de silex qui traversent une cotte de mailles ; aussi des
manacas ou épées dont la tranche est aussi faite de silex
et avec lesquelles ils peuvent couper un homme en deiix.
Ils ont aussi des boucliers faits de peaux de bison,"
Vilîanueva écrivait cent ans plus tard :
" Il est indubitable que les habitations des pueblos
sont mieux construites que celles des autres Indiens du
Mexique et que leurs habitants sont plus civilisés et plus
industrieux que les autres peuplades que nous con-
naissons."
La forme de gouternement de ce curieux
peuple est aussi restée exatement ce qu'elle
était lors de la première conquête. Les gou-
verneurs espagnols respectèrent leurs us et
I -H
12
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
*«».
coutumes, lorsqu'ils virent qu'il était parfaite-
ment inutile d'essayer de les soumettre aux
usages européens. Ce ne fut pas, cependant,
sans luttes et sans persécutions que ces
pauvres Aztèques réussirent à conserver leurs
traditions, et l'histoire du premier siècle de
leur esclavage est une longue suite de cruautés
inutiles et de persécutions sanglantes.
Les Espagnols voulurent agir avec "ïès
puebloanos comme ils l'avaient fait avec les
Mexicains et avec les Péruviens. On les
réduisit en esclavage et on les força à tra-
vailler dans les mines, où ils succombaient le
plus souvent sous le poids d'un labeur surhu-
main. On les contraignit à embrasser le
christianisme par la torture et la prison, et on
renversa les autels de leuns dieux domestiques.
La supériorité des armes européennes leur
en imposa d'abord et ils endurèrent ainsi
durant cent ans le régime tyrannique de
leurs oppresseurs. Mais il arriva un jour où
la mesure fut à son comble, et pendant "la
première lune du mois d'août 1680", il y eut
un soulèvement général, pendant lequel tous
les Espagnols furent massacrés, toutes les
églises furent démolies et réduites en cendres
n
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
124
V
'"I
et toutes les traces du régime exécré furent
oblitérées. Les quelques militaires qui purent
s'enfuir se dirigèrent en grande hâte vers
Mexico, où ils racontèrent ce qui venait de se
passer dans la capitale de la Nouvelle-
Espagne.
Plusieurs expéditions furent organisées pour
reconquérir le pays ; mais elles subirent d'abord
des échecs répétés. Les capitaines Otermin,
Ramirez, Cruzate et Posada furent tour à tour
vaincus par les habitants des pueblos qui
s'étaient réunis en armes pour combattre l'en-
nemi, commun dont ils connaissaient alors la
tactique et les manières de faire la guerre.
Ce ne fut qu'en 1692, grâce aux divisions in-
testines qui existaient alors parmi les Indiens,
que Diego de Vargas réussit à rétablir l'auto-
rité de la couronne d'Espagne. Mais un
traité en règle accordait cette fois aux Pue~
blOi-inos la restauration de leur forme primitive
de gouvernement, les exemptait de l'eslavage
et du travail dans les mines et permettait le
libre usage de leur tulte à ceux qui n'avaient
pas jugé à propos d'embrasser le christianisme.
Ce même Diego de Vargas avait cependant
déclaré, en quittant Mexico " qu'il était aussi
^^P'
125 ^^^ ^'^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
» .1
impossible de convertir un sauvage sans les
soldats que d'essayer de faire entendre raison
à un juif sans le tribunal de la sainte Inquisi-
tion." On voit que le vaillant capitan avait
été forcé d'en rabattre, et qu'il fut fort heu-
reux d'accepter la soumission des Indiens,
tout en leur accordant des privilèges fort libé-
raux, à une époque où l'Espagnol ne régnait
en Amérique que par la terreur et la persé-
cution. Les Puebloanos avaient donc fait
preuve d'une grande valeur et s'étaient mon-
trés aussi braves soldats qu'ils étaient bons
laboureurs et sages administrateurs.
Les pueblos du Nouveau- Mexique sont
actuellement au nombre de dix-neuf, formant
autant de communes absolument indépen-
dantes les unes des autres, et ayant chacune
son organisation municipale. Voici la liste
complète de ces villages avec leur population
d'après le dernier recencement décennal de
1880:
Taos '. 391
San Juan 408
Santa-Clara 212
San Idelfonso 139
Pecuris , i>ii5
L'AIGUILLE DE CURRICANTl
MÉamUÊM
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7... ., . .■.^»- • C f ■ .- V
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
128
Nambè 66
Pojuaque 26
Tesuque 96
Sochiti 271
San-Domingo i>i23
San-Felipè 613
Teniez 401
Zia 58
Santa-Anna 489
LagLina 968
Isoleta 1,081
Sandia 345
Zuni 2,082
Acoma 582
Le tout formant une population totale de
10,469 habitants. Ces chiffres sont aussi
exacts qu'il a été possible de les contrôler ;
mais ils sont probablement au-dessous de la
vérité. Les Indiens sont en général fort réti-
cents sur tout ce qui les concerne et la discré-
tion n'est pas la moindre de leurs vertus. Il
est hors de doute que le nombre des Pueblo-
anos diminue graduellement, comme l'attestent
d'ailleurs les nombreuses ruines de villages
inhabités que l'on rencontre un peu partout
dans les vallées du Rio Grande et du Rio
Pecos, qui sont les deux principales rivières du
Nouveau- Mexique. Les premiers explora-
129
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
teurs portaient leur nombre à plus de 50,000,
mais il faut sans doute faire la part de l'exagé-
ration dans leurs calculs comme dans leurs
appréciations fantaisistes. Ce qui paraît cer-
tain c'est que les Puebloanos semblent suivre
la destinée fatale de tous les indigènes des
deux Amériques, qui disparaissent devant
l'avancement des chemins de fer et les pro-
grès de la colonisation moderne.
Chaque village ou pueblo est gouverné par
un cacique qui est en même temps chef de
la commune, grand-prêtre du culte de Mon-
tezuma et directeur général des affaires tem-
porelles et spirituelles des habitants. Le
cacique choisit lui même son successeur dès
qu'il prend possession du pouvoir, mais Ton
ignore l'origine de cette coutume, qui remonte
à la plus haute antiquité. Le cacique est
aidé d'un gubernador, de trois priiicipalesy
d'un alguazil, d'un fiscal mayor et d'un capitan
de la guerra. , Les principales forment une
espèce de cabinet et sont les conseillers du
cacique, qui choisit chaque année, sur leur
recommandation, un gubernador ou gouver-
neur. Les pi'incipales sont toujours d'anciens,
gouverneurs. Ualguazil est une espèce de
' '.'A,
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
130
haut shérif qui veille à l'exécution des lois.
V.Ç. fiscal mayor préside aux cérémonies reli-
gieuses, et le capitan de la guerra est chargé
du commandement en chef et de l'organisation
des expéditions guerrières. On voit que le
ministère est assez complet. Mais ce qui dis-
tingue les ministres sauvages de leurs collè-
gues des autres parties du monde, c'est qu'il
ne reçoivent aucun traitement ni aucune com-
pensation quelconque. Tous sont forcés de
cultiver la terre et de gagner leur pain à la
sueur de leur front. Combien de politiciens
de profession, en Europe comme en Améri-
que, au Canada même, crèveraient de faim,
s'ils étaient forcés de subir ce régime ultra-
démocratique ! Toute tribu ou Pueblo, si ré-
duite qu'elle soit en population, a ce même
nombre de chefs, tous fils de Montezuma,
et il n'est pas de peuple au monde qui con-
serve d'une manière plus fidèle et plus méti-
culeuse, les traditions et les lois de ses ancê-
tres. Bien que le plus grand nombre des Ptie-
bloanos soient catholiques, leur croyance est
restée un curieux mélange de christianisme et
de paganism^, qu'il serait difficile d'analyser.
Ils réunissent dans un même sentiment d'ado-
131
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
/
ration le Christ et le soleil, la Vierge et la
lune, les saints et les étoiles. L'arc- en- ciel est
l'objet d'un culte tout particulier.
Le nom de Montezuma, le père des Aztè-
ques, est un nom sacré entre tous, et chaque
pueblo entretient un brazier sacré, dans l'at-
tente de la venue de ce Montezuma qui doit
les conduire à la conquête de l'empire du
Mexique, où il régnera dans une splendeur
éternelle. La grenouille, le serpent à son-
nettes et la tortue sont des emblèmes sacrés,
et malheur à ceux qui les profaneraient en les
touchant, même par accident. Toutes ces '•
croyances et ces superstitions ont résisté aux ;
efforts des missionnaires qui sont forcés de se
contenter du peu d'influence qu'ils ont pu
acquérir sur ces sauvages, en leur inculquant
des principes de moralité, pour leur conduite
ordinaire. Les mendiants et les vagabonds
sont inconnus dans les pueblos. Tous les
hommes, sans exception, s'occupent de la cul-
ture des champs, et les femmes sont chargées
des devoirs domestiques, sans être forcées,
comme dans les autres tribus sauvages, de
faire les travaux les plus rudes tet les plus
asservissants. Les vieillards, les malades et
:.vj' ;.:vk "'■
:^:m
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
132
les infirmes sont nourris et entretenus aux frais
de la commune. On voit que ces institutions
ont du bon, et qu'il y a bien des nations soi-
disant progressives qui pourraient prendre des
leçons de gouvernement de ces enfants d'une
civilisation préhistorique.
[Ç^:U\\Af:
133
SIX MOIS PANS I,ES MONTAGNES-ROCIIEUSES
X
SANTA-CLARA — SAN-JUAN — TAOS
,' f ,;.^^^;
A six heures au nord de Santa- Fé, se trouve
située la gare de Espanola, sur la ligne du
Denver et Rio Grmide Raihvay. Le chemin
de fer suit ici les sinuosités du fleuve jusqu'à
Embudo, à cinquante milles plus haut, et c'est
dans cette vallée fertile que sont situés les
trois pueblos de San-Juan, de Santa-Clara et
de San-Idelfonso. Le petit village de Espa-
nola est le centre commercial du pays, et j'ai
rencontré là deux Canadiens de Lachute qui
ont des magasins spacieux et qui font un com-
merce fort important avec les cultivateurs et
les éleveurs des environs. Ceci m'amène na-
turellement à constater ici que j'ai rencontré
des compatriotes partout où je me suis trouvé
jusqu'à présent, soit au Colorado ou au Nou-
veau-Mexique ; et les familles des Beaubien,
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I34
des Mercure, de Saint- Vrain et des Cloutier
sont bien connues dans la vallée du Rio
Grande del Norte. La veuve du premier
gouverneur du territoire est une Beaubien, et
elle vit encore à Taos. Son mari, le colonel
Bent, fut tué par les Mexicains, dans l'insur-
rection qui suivit l'occupation du pays par les
troupes américaines, en 1847.
Les villages indiens se ressemblent telle-
ment, — par" les habitations, les traditions, la
manière de cultiver la terre et la manière de
vivre de leurs habitants, — qu'il suffit réelle-
ment d'en visiter un seul pour se former une
juste idée de tous les autres. Aussi ne men-
tionnerai-je qu'en passant ma visite à San-
Juan, à Santa Clara et à San-Idelfonso, pour
m'occuper plus longuement de mon voyage
à Fernandez de Taos.
Le pueblo de Taos est un des plus curieux
et l'un des plus importants du pays, et les édi-
fices remarquables ou vivent aujourd'hui les
Puebloanos sont de la plus haute antiquité. Ce
pueblo, situé à vi^gt-deux milles d'Embudo,
est relié à la gare par un service de diligen-
ces, mais je préférai faire la route à cheval,
en compagnie de deux artistes américains, qui
135 ^'^ ^'^'^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
avaient eu la bonne idée de venir faire des
études et des croquis dans cette contrée pitto-
resque. Le pays entre Embudo et Taos
n'offre rien de remarquable. On passe en
route deux ou trois hameaux mexicains et
quelques haciendas. Les habitants nous re-
gardent passer avec cette indifférence simulée
ou réelle qui distingue les métis espagnols.
A la porte de chaque masure construite en
adobesy on voit de longues grappes de piment
rouge arrangées en festons, et qui relèvent la
monotonie et l'uniformité de la couleur boueuse
qui distingue toutes les habitations du pays.
Le piment mêlé à la viande de bœuf —
chili con carne — forme avec \ç.s tortillas, es-
pèce de crêpes de maïs, les deux principaux
mets de la cuisine mexicaine, et gare à la
bouche de l'étranger qui, sans défiance, atta-
que un plat de chili con carne, safis y mettre
toute la modération nécessaire. Autant vau-
dr?at assaisonner une assiettée de soupe ordi-
naire d'une grande cuillerée de poivre rouge.
Cela vous emporte la bouche du coup. C'était
là, pour moi, une vieille expérience chèrement
acquise pendant mon service militaire au
Mexique ; mais il n'en était pas de même de
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V)
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
138
mes deux compagnons, qui ne connaissaient
pas encore les habitudes du pays. On leur
en avait servi au déjeuner. Ils en furent
quittes, cependant, pour une soif dévorante
qui les poursuivit jusqu'à Taos, et ils jurèrent
un peu tard qu'ils se contenteraient, à l'ave-
nir, des mets ordinaires de leur cuisine natio-
nale. Nous arrivâmes dans la vallée de Taos
vers les cinq heures du soir, au moment où le
soleil disparaissait derrière les montagnes de
l'Occident, et nous fûmes enchantés de trouver
bon gîte et bon couvert dans une auberge fort
confortable tenue par un irlandais nommé
Dibble, qui vit dans le pays dej. uis de longues
années. Fernandez de Taos est une petite
ville de 1,500 habitants, qui fut la première
capitale du Nouveau-Mexique, après la ces-
sion du pays aux Etats-Unis. Ici vécut pen-
dant de longues années et mourut, le 23 mai
1868, à l'âge de cinquante-neuf ans, le célèbre
scout, trappeur et guide. Kit Carson. Son
corps repose dans l'humble cimetière de Taos,
mais ses compatri(ftes lui ont élevé un monu-
ment sur une des places de Santa- Fé.
A deux milles du village et immédiatement
au pied du Mont Taos, se trouvent situées les
8
Î39
SIX MOIS DANS LES MONTAONES-ROCHEUSES
deux grandes maisons communales du pueblo,
se faisant face sur les rives d'une petite rivière
qui descend de la montagne, et où vivent en
commun à peu près quatre cents Indiens.
Ces maisons ont quatre étages et sont cons-
truites en pyramide tronquée ; c'est-à-dire
que chaque étage forme une terrasse et que
le tout ressemble assez à une série de mai-
sons d'inégale grandeur, superposées, la plus
grande servant de base à la deuxième qui est
plus petite, et ainsi de suite jusqu'à la cin-
quième, qui n'est qu'une tour où se tient
constamment, nuit et jour, la vigie qui doit
annoncer l'arrivée du grand Montezuma, qui
est le messie des Puebloanos. Cette tradition
est respectée dans tous les pueblos. Les mis-
sionnaires n'ont jamais pu convaincre ces pau-
vres Indiens de l'inutilité de leurs veilles et
de leur attente naïve. Et il a plus de trois
cents ans que l'Evangile leur fut prêché pour
la première fois.
Les ma'sons communales de Taos n'ont ni
portes ni ic.iêtres au premier étage, et l'on est
forcé de grimper par des échelles jusqu'au
sommet, pour descendre ensuite dans les
chambres intérieurcc par le même moyen, et
,y
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I4O
fi
à travers des trous percés sur la première
terrasse. On construisait ainsi pour se pro-
téger contre les surprises et les attaques noc-
turnes des Indiens des montagnes, avant la
conquête espagnole, et l'on continue la tradi-
tion sans s'occuper de ce qu'un boulet de
canon pratiquerait facilement une ouverture
dans les murs de terre de cette forteresse
primitive. Mais comme je l'ai déjà dit, les
Puebloanos ne s'occupent que fort peu des
progrès modernes, et c'est chez eux que l'on
met en pratique le vieux proverbe : tels pères,
tels fils. Au centre du premier étage et immé-
diatement au-dessous du deuxième, se trouve
située la salle du conseil, où se réunissent les
chefs et où l'on entretient le feu sacré.
L'entrée en est interdite aux femmes de la
tribu et aux étrangers. C'est là que se pra-
tiquent les rites d'un culte dont on ne connaît
guère les dogmes et les cérémonies ; mais il est
généralement admis que c'est un curieux mé-
lange de traditions païennes et de cérémonies
chrétiennes. Les bfancs du pays avouent fran-
chement ne connaître rien de précis, à ce sujet
— et les missionnaires eux-mernes ne parais-
sent pas en savoir beaucoup plus long. — On
■^î
141 SIX MOIS DAKS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
célèbre chaque année, par des jeux, des danses,
des courses et des réjouissances publiques, la
fête de saint J érôme que les I ndiens ont adopté
comme patron, et tous \ç.spueblos de la vallée
du Rio Grande envoient des députations pour
prendre part à la cérémonie. On m'a dit que
c'était là une occasion unique d'étudier les
coutumes et les traditions religieuses des pue-
blos, et j'ai regretté vivement de ne pouvoir
.' être témoin de ces fêtes populaires, qui se
'^ célèbrent le dernier jour du mois de septem-
bre de chaque année. Je me suis cependant
, bien promis, si jamaiiî l'occasion s'en présentait,
de revenir à Taos à cette époque de l'année,
car j'avoue que tout ce qui touche à ces Indiens
pique vivement ma curiosité. J'ai visité en
, détail tous les appartements — à l'exception
de la salle du conseil — d'une des maisons
communales, sous la conduite de Xalgtiazil ou
haut shérif. J'y ai été reçu avec la plus grande
politesse ; je pourrais même dire avec la plus
grande cordialité, surtout par une foule de
bambins absolument nus qui nous suivaient
partout, nous regardant avec curiosité et ac-
ceptant volontiers les pièces de cinq sous que
nous leur offrions c«5mme cadeaux.
CHEZ LES PUESLOS
LA VIEJLLE EGLISE DE SAN JUAN
!)
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I42
L'ameublement des différentes pièces pré-
sentait la plus grande simplicité. Des peaux
d'ours, de loup ou de panthère, étendues sur
le parquet cimenté, servaient de lit pendant
la nuit et de tapis pour s'asseoir pendant
le jour. Quelques pierres calcinées dans un
coin pour le foyer, et des vases en terre cuite
de différentes grandeurs, composaient unifor-
mément chaque batterie de cuisine. Les
femmes accroupies sur leurs talons trico-
taient des mitasses de laine ou brodaient avpc
des grains de verroterie des bonnets, des
souliers, des ceinturons ou des gilets de peau
de chevreuil, en fumant des cigarettes de
feuilles de maïs. Les hommes, presque tous
absents, travaillaient aux champs, ou étaient
dans la montagne voisine, occupés à couper
du bois qu'ils transportaient à dos d'âne, pour
entretenir le feu sacré de la salle du conseil et
pour faire bouillir les marmites des familles
de la commune. La tranquillité la plus abso-
lue régnait partout, et les enfants eux-mêmes
s'amusaient sur tes terrasses avec cet air
d'indescriptible mélancolie et de paresseuse
nonchalance qui distingue tous les habitants
des anciennes colonies espagnoles.
143
SIX MOIS DANS LES MON PAGNES- ROCHEUSES
Les filles »e marient très jeunes et per-
dent très vite toute trace de jeunesse et de
beauté. J'ai vu des femmes de vingt-cinq ans
qui paraissaient plus vieilles, plus cassées et
plus ridées que nos femmes du nord, à l'âge
de soixante ans. Elles travaillent continuelle-
ment nu-tête, sous les rayons brûlants d'un
soleil tropical ; la raréfaction de l'atmosphère,
à cette altitude, a d'ailleurs pour effet, me dit-
on, de sécher et de rider la peau d'une manière
désastreuse pour la beauté des femmes. S'il
existe des difficultés intestines ou des querelles
de famille dans le pueblo, l'étranger n'en sait
jamais rien, et tout se règle à l'amiable par
l'autorité du cacique et de ses officiers. Toute
la vie intime de la communauté repose sur le
culte sacré des traditions et dans l'observation
des rites, des coutumes et des lois transmises
par les ancêtres. En hiver, l'occupation prin-
cipale des Pîiebloanos est la répétition et
l'exercice des danses nationales, sous la direc-
tion au fiscal mayor, pour les fêtes et les céré-
monies religieuses de la belle saison. Deux
des principales danses sont la cachina, qui
correspond à un service d'action de grâce, et
la you-pel-lay ou danse du maïs, qui a lieu,
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I44.
chaque année, à l'époque de la récolte de cette
plante. Un des amusements les plus en vogue
est la chasse du lièvre, qui abonde partout au
Nouveau-Mexique. On chasse le lièvre à pied
et à coups de bâton, ce qui doit être assez
difficile, mais on m'a dit que les Puebloanos
sont fort adroits à cet exercice et qu'ils
y prennent un plaisir immense ; — toujours,
naturellement, parce que leurs ancêtres chas-
saient le lièvre de cette manière primitive et
lorsqu'il est si facile, aujourd'hui, de l'abattre
à coups de fusil !
Les habitants des pueblos se servent géné-
néralement entre eux de différents idiomes
dérivés de la langue aztèque ; mais il est très
curieux de constater qu'ils ne se comprennent
pas toujours d'un village à l'autre, sans le
secours de la langue espagnole, qu'ils parlent
plus ou moins correctement. Chaque habita-
tion ou plutôt chaque centre d'habitations,
possède un langage différent, et les Pueblo-
anos de Zuni, de Picuris, de Isoleta et de San-
Domingo, ne se Comprennent entre eux qu'à
la condition de parler espagnol. Leur langue
mère est devenue tellement corrompue au
contact des autres tribus sauvages, qu'il s'est
145 ^''^ ^^'^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
formé des patois particuliers à chaque pueblo.
Ce qui explique la chose et ce qui paraît
cependant fort étonnant, c'est que les habi-
tants des villages ne se visitent que très
rarement entre eux ; ce qui les distingue des
tribus nomades qui les entourent. Le Pueblo-
ano paraît heureux et satisfait de vivre dans
sa commune, et ne s'occupe jamais de ce qui
se passe au dehors.
Les mariages se font toujours entre les ha-
bitants d'une même organisation communale,
et l'on attribue à cette cause la décroissance
et l'étiolement de la race. Il est absolument
certain que cette nation curieuse comptait
autrefois une très nombreuse population, car
on trouve un peu partout, dans le Nouveau -
Mexique et dans l'Arizona, des vestiges et
des ruines de pueblos abandonnés longtemps
avant la conquête. Les premiers explorateurs
font tous mention de ces ruines, dans leurs
relations de voyage, et les Indiens eux-mêmes
dans leurs traditions parlent constamment de
la gloire, de la grandeur et de la richesse du
royaume de Montezuma. Cette tradition
paraît être la base principale de leur organi-
sation politique et religieuse ; mais l'histoire de
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LES PORTES OE LAOORE
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I48
ces peuples restera à jamais ensevelie dans la
plus grande obscurité. Ils paraissent destinés,
comme les autres nations indigènes des deux
Amériques, à disparaître tôt ou tard devant
le progrès moderne ; mais il n'en reste pas
moins acquis, qu'ils ont atteint dans le passé,
comme ils possèdent d'ailleurs encore aujour- ,
d'hui, un degré de civilisation supérieur, à tous
les points de vue, à l'état sauvage et nomade
des autres tribus du continent américain, tou-
jours à l'exception de leurs frères du Mexique,
qui avaient fondé l'empire de Montezuma et
de Guatimozin.
Le rapport suivant, adressé à l'institut
archéologique de Washington, sur les pueblos
par le professeur Ad. F. Bandelier, complétera
les renseignements que j'ai pu obtenir sur ces
intéressantes populations indigènes.
Fort Huachu:a, Territoire d'Arizona,
15 février io34.
A l'honorable W. G. Ritch, secrétaire du Territoire
dit Nouveau- M mùiue^ à Santa-Fé, N.-M.
Cher monbîeur,
Conformément à vos désirs, je vais vous soumettre
une description rapide et nécessairement incomplète des
ruines des aborigènes dissiminées dans 'm coiitrée de
149
SIX AFOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Santa-Fé. Cet essai sera forcément imparfait, puisque
je n'ai point visité tous les recoins du pays, et parce que,
d'ailleurs, les matériaux que j'ai recueillis sont aujour-
d'hui bien loin de ma portée. Aussi vous prierai-je
d'avoii égard à ces circonstances en présence des défec-
tuosités qui abondent dans mon travail.
Lorsqu'on fait la classification des ruines, on doit
inclure dans la première division les villages qu'on sait
avoir été occupés dans le cours du seizième siècle, et
dans la seconde, ceux sur le compte desquels on n'a |)as
de renseignements officiels, et qui, par conséquent, de-
vaient être abandonnés avant l'année 1540.
Les ruines de la première division sont toutes du
même type ; c'est celui du pueblo communal, résidence
à plusieurs étages, tel qu'on en trouve encore habitées
par les aborigènes sédentaires du Nouveau-Mexique.
La seconde classe comprendra deux types — celui
dont il vient d'être question, et le type de la demeure
familiale détachée, formant des villages avec maisons
quelque peu éparpillées. Les constructions de grottes
servant d'abris représentent les modifications de l'une
ou de l'autre de ces deux classes.
En 1598, date delà première colonisation par l'Es-
pagne, et avant cette époque, lorsque des explorateurs
espagnols qui ne faisaient que passer — sous Coronado,
de 1540 à 1543 ; sous Francisco Sanchez Charnuscado
en 1580 ; sous Espejo en 1583, et sous Gaspard Castano
de Sosa en 1 590 ; — traversant quelques parties du comté
de Santa-F'é, il y avait dans certains coin de ce territoire
trois groupes distincts d'Indiens. C'étaient les Queres
à rOuesl;, les Tanos au Sud et les Tehuas au Nord et
.i/
SIX MOIS DANS I,ES MONTAGVES-ROCHEUSF.S T 5O
au centre. Les deux derniers groupes parlaient un
langage qui n'était qu'un dialecte d'une langue com-
mune à ces peuples.
Les Queres ont habité jusqu'en i68g une localité de
la Ciénega ou Ciéneguilla, sur la route de la Pegna^
Blaiica. Leur village, dont il n'existe pas môme de
trace, avait reçu le nom de Chi-mii-a. C'était l'avant-
poste oriental de la grande famille du Rio Grande de
cette tribu.
Les villages tanos sont complètement abandonnés
aujourd'hui, la plus grande partie de leurs habitants étant
allés s'établir au Moqui après 1694, et ceux qui étaient
restés ayant été emportés par la petite vérole au com-
mencement de ce siècle. Les ruines de Galistco. — non
pas du village actuel, mais celies qui se trouvent à un
mille et demi au nord-est de ce dernier, au nord de
Creston, — celles de San-Cristobal, de San-Cazaro, de
San-Marcos, et probablement aussi celles de la Ga-
rita dans la ville même de Santa-Fé, appartenaient à
cette tribu. Les noms indiens de ces villages me sont
inconnus, à l'exception de celui du pueblo de Santa-Fé,
qui portait le nom de Fo-o-ge. Le pueblo de la Tuerto
près de Golden City, et celui de la Tunque^ en face de
Santo-Domingo et de San-Felipe, étaient habités égale-
ment par les Tanos, — la première de ces localités avai^
assurément ces Indiens pour habitants, en 1598.
Des pueblos tehua if n'y en avait qu'un seul, — celui
Û!Oj-qué, ou de San-Juan, — qui fût sur la rive gauche
du Rio Grande, à peu près sur son emplacement
actuel. Les villages de Nambe, de Tezuque, I Te-tzo-ge)
de Pojuaque {Fo-zuan-ge,') et de Cuya-mun-ge étaient,
vil
:'iJ
IJI SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
en 1598, des hameaux insign ''...its ; mais ils s'accrurent
rapidement pendant l'ère de prospérité générale pour
\ii?, pueblos qui finit en 1680.
, Les jîrincipaux établissements des Te/iuas se trou-
vaient sur la rive droite du fleuve, et ne formaient pas
moins de dix villages.
Il n'y en a qu'un seul qui existe encore sur son em-
l^la cément primitif; c'est celui de Santa-Clara {Ca-J>o).
San-Ildefonso {O-Jo-qtte) est situé à environ un mille du
Bo-ve de 1598.
Les pueblos de Troo-maxia-(pii-no (Pajaritos), de
Camitria, de Quiotraco, d'Axo/, de Junetrc, etc., au-
jourd'hui en ruines, sont également dans le comté du
Rio Arriba. C'est aussi dans ce comté que se trouve
Yunqtie, sur le Rio Chama, où fut fondé, le rer septembre
1598, le premier établissement des Espagnols au Nou-
veau-Mexique.
Les Tiguas — c'est-à-dire les Indiens qui parlent le
dialecte de Sandia et d'Isleta — touchaient la frontière
sud-ouest du comté, par leurs deux pueblos du vieux
San-Pedro, qui furent abandonnés après 1680. et sont à
présent en ruines.
Les habitants de la vallée du Pecos, dont le centre
était au grand village de A-gu-yu (là ou s'élève à pré-
sent la vieille église de Pecos), n'avaient pas poussé
leurs établissements jusqu'au comté même de Santa-Fé.
Au sujet des ruines qui étaient habitées et qui furent
abandonnées avant le seizième siècle, on peut dire que
le plus ancien .t^M.'e, — celui de la Himille détachée,
groupée en hameaux irrèguliers ou isolés, — n'est pas
très commun. Un village de ce genre, indiqué seulement
/ 1'
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES I52
par des mounds et des fragments de poterie, peut se voir
encore à la station de Lamy, au Fort Marcy (de Santa-
Fé), et dans des constructions isolées ou de petits
groupes qui sont dissiminés dans quelque localités, mais
qui sont assez rares. On ne voit pas souvent à présent
ce genre d'architecture aborigène auquel on a donné le
nom de cliff-houses, ou de petites grottes avec maçon"
nerie. Mais l'autre classe, celle de la maison commune,
compacte, haute de plusieurs étages, se trouve encore
représentée par des ruines nombreuses.
En partant du sud, on trouve la ruine de Valverde,
prés de Golden. Une chaîne de quatre beaux villages,
dont quelques-uns sont très grands, s'étend de l'ouest à
l'est, à une distance moyenne de cinq milles de Galisteo,
le long du Cresto méridional. Ce ,sont le Pueblo, le
Largo, le Pueblo Colorado, le Pueblo de Shé, et le
Pueblo Blanco.
'A deux milles et demi, a l'est-nord-est de Wallace,
se trouve un grand villa'jce. Il y en a deux autres sur
l'Arroyo Hondo, à une distance de cinq à six milles au
sud de Santa-Fé. un petit en avant de la gorge rocheuse,
et l'autre assez grand, en aval.
La route de Pegna Blanca coupe les fondations d'un
petit pucblos qui est près d'Agua Fria, à six milles au
norJ de Santa-Fé Je connais au moins trois ruines de
ce genre. A l'est et au sud-est de Tezuque, vers la
Sierra, se trouve la ruiiic de Pio-ge à Los Luceros, d'où
partirent les Indiens de San-Juan pour s'établir dans
la localité qu'ils occupent à présent. Cette liste de
douze localités n'est que le total approximatif des ruines
de ce genre.
153
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSESJ
Vers l'ouest, au-delà de Rio Grande et vis-à-vis de la
partie septentrionale du comté, les énormes cagnons de
la Sierra del Valle s'élargissent dans la direction de Santa
Clara. On a creusé en plusieurs endroits le tuf volca-
nique et friable don} se composent leurs parois, afin de
former des grottes artificielles, la plupart de petites
dimensions. Chaque groupe de grottes représente à lui
seul wïïptieblos. et imite, autant que cela lui est possible,
le système du village communal à plusieurs étages.
D'autres ruines du même genre occupent les faîtes
des mesas, ainsi que la base du cagnon. Ces anciennes
résidences dans des glottes qui, par la nature môme de
la roche, étaient plus aisément creusées que les maisons
proprement dites ne pouvaient être construites, sont
considérées par les Tehuas comme ayant servi de de-
meure à leurs ancêtres, avant que la tribu descendît dans
la vallée de Rio Grande.
Il y .1, par conséquent, nme relation historique entre
ces Indiens et les établissements au Nord du comté de
Santa-Fé. C'est cette relation qui explique pourquoi
il en a été fait brièvement mention dans ces pages.
Je suis.
Votre très humble serviteur.
Ad. F. Bandelier,
Chargé des recherches de l'Institut
archéologique d'Amérique.
I
Slît MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 1 54
XI
LES ** PENITENTES " — LES " CLIFF-
DWELLERS"
Le comté de Taos est aussi célèbre, aujour-
d'hui, par ses pénitentes que par ses pueblos et
si les autorités respectent les traditions des In-
diens et leur accordent la plus grande latitude
dans l'exercice de leur rites absolument inof-
fensifs, elles ont été forcées d'intervenir pour
supprimer, en grande partie du moins, les
pratiques cruelles et barbares de quelques
illuminés emportés par le fanatisme religieux.
C'est une vieille coutume espagnole que
celle des processions de la semaine sainte. La
tradition la fait remonter à l'époque où l'Es-
pagne fut reconquise sur les Arabes.
On raconte qu'autrefois on louait pour ces
cérémonies une victime volontaire, un homme
qui représentait la personne du Christ, et était
f::'.îi
155
SIX MOIS PANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
fouetté de verges dans les rues. En ce temps-
là, des pénitents, le visage voilé, mais le buste
nu, suivaient le cortège en se flagellant jus-
qu'au sang, et, pour mettre un terme à ces
démonstrations d'une dévotion exagérée, il
fallut une ordonnance du roi Charles III.
Ici, la société des />enùen^es se recrute parmi
les métis mexicains, et elle a pour but la célé-
bration, chaque année, des fêtes de la Passion,
par des cérémonies d'un caractère aussi brutal
que peu conforme aux règlements de l'Eglise.
Le temps du carême est pour ces pauvres
fanatiques l'occasion de jeûnes et de péni-
tences incroyables, et chaque vendredi, ils se
réunissent dans la montagne pour se flageller
mutuellement avec des branches de cactus
couvertes d'épines ou avec des fouets dont
les mèches multiples ont des pointes d'acier
qui enlèvent des morceaux de chair à chaque
coup. Et ce n'est encore là que le prélude
des tortures effroyables qu'il vont s'infliger
pendant la semaine sainte, où ils répètent litté-
ralement les différentes phases du martyre de
l'Homme-Dieu, jusqu'au crucifiement de l'un
ou de plusieurs des leurs, en grande pompe,
le vendredi-saint, sur une des collines sacrées,
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 58
OÙ l'on a construit des chapelles ou calvaires,
et que l'on appelle casas de los pénitentes,
maisons des pénitents.
Ces chapelles sont remplies de croix que
les pénitentes ont traînées ou portées sur leurs
épaules depuis nombre d'années, jusqu'à des
distances considérables ; et il faut vraiment
voir et soulever ces croix, pour se faire une
idée de leur grandeur et de leur poids. J'en
ai mesuré une, par curiosité, qui avait vingt-
cinq pieds de long, et qui pesait huit cents
livres ; les plus petites n'en pesaient pas
moins de trois cents ; et elles étaient toutes
couvertes du sang des pauvres victimes qui
s'étaient sacrifiées volontairement, pour l'ex-
piation de leurs péchés, jusqu'à souffrir le
supplice du Christ. On formait une proces-
sion sous la direction d'un chef, qu'on appe-
lait : el hermano mayor et qui exerce l'autorité
la plus absolue sur chaque confrérie, et aux
sons aigus d'un fifre champêtre, on faisait
souffrir successivement et littéralement aux
victimes toutes les phases de la Passion, y
compris le couronnement d'épines, la flagel-
lation et le supplice du calvaire. On clouait
ces pauvres illuminés sur les croix, en leur
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159
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
enfonçant des clous dans les pieds et dans les
mains, et il n'y avait guère que le coup de
lance mortel au flanc qu'on leur épargnait,
mais qu'on remplaçait cependant par une en-
taille d'où le sang coulait avec abondance. On
les laissait ainsi pendant une demi-heure et on
les descendait ensuite, morts ou vifs. Les
hommes robustes résistaient à tout cela et
guérissaient généralement, mais il n'était pas
rare de voir succomber les victimes de cette
barbare coutume. Qu'on n'aille paà croire
que j'exagère, car il n'y a guère que trois
ans, en 1887, que quatre pénitentes sont morts
des suites du crucifiement dans les Villages
mexicains du sud du Colorado.
Les autorités civiles et religieuses se sont
justement émues de ces atrocités, et les chefs
furent traduits devant les tribunaux ; mais il
fut impossible d'établir légalement la culpa-
bilité de ceux qui avaient pris part au supplice
et qui avaient causé directement la mort des
victimes ; et comme les pénitentes se cachent
généralement avec soin, pour pratiquer leurs
rites, il est hors de doute que les crucifiés qui
succombent à leurs blessures, sont beaucoup
plus nombreux, qu'on ne le croit générale-
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES l60
ment. Inutile de dire que le clergé est non
seulement étranger à ces barbares coutumes,
miis qu'il s'y oppose formellement.
Mgr. Lamy, archevêque de Santa- Fé, a
plusieurs fois lancé des mandements à ce
sujet, sans cependant parvenir à abolir la
confrérie des pénitentes, qui continuent en
secret leur cérémonies, en supprimant cepen-
dant le dernier acte du drame et en se con-
tentant d'attacher la victime au lieu de la
clouer sur la croix. J'ai entre les mains deux
photographies instantanées de ces lugubres
opérations ; l'une, d'une procession de péni-
tentes gravissant le calvaire, et l'autre de la
scène du crucifiement.
Ces photographies ont été obtenues subrep-
ticement par un touriste déguisé qui s'était
joint à la procession et qui portait sur lui |
une cantera minuscule. Il raconte aussi en
détail toutes les cérémonies dont il fut témoin,
et affirme que le sang coulait à flots sur le dos
des flagellants, dont quelques-uns ne reçurent
pas moins de deux mille coups de fouet ;
ce qui paraît incroyable. 15 n sç.m\ pénitente
fut attaché à la croix, ce jour-là, mais au
moment où on le liait solidement sur le bois
l6l SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
du supplice, le pauvre fanatique s'écriait :
Hay ! Que estoy deshonrado ! Je suis désho-
noré ! pas avec une corde ! clouez-moi ! clouez-
moi !
Quelques-uns des assistants voulaient se
rendre à son désir, mais le hermano mayor s'y
refusa obstinément, de peur d'avoir des dé-
mêlés avec la justice.
N'est-ce pas, que ce sont là des choses
absolument étonnantes, en plein dix-neuvième
siècle, et sous le système démocratique du
gouvernement américain ? Je m'empre->se de
dire, cependant, que les autorités du pays ont
résolu de sévir rigoureusement contre les
auteurs de ces pratiques barbares qui ne sau-
raient tarder à disparaître, avec une nouvelle
génération. Mais le pays est si vaste, si acci-
denté et encore si sauvage que les fanatiques
d'aujourd'hui trouveront bien encore moyen
d'éluder la vigilance de la justice pour aller
pratiquer leurs cérémonies dans quelque vallée
reculée.
hts penilenles du Nouveau- Mexique et du
Colarodo, ne sont que les successeurs des
confréries de pénitents et de flagellants qui
existaient au moyen âge en Espagne, dans le
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 102
midi de la France et en Italie. Une proces-
sion de flagellants eut lieu à Lisbonne il y a
soixante ans à peine, en 182 1, mais jamais les
confréries d'Europe n'ont porté les mortifica-
tions et la torture aussi loin que les pénitentes
du In ou veau- Mexique. Il est curieux de
constater que les Puebloanos pratiquaient
déjà, avant la conquête, des rites d'expiation
qui avaient une certaine similitude avec les
pratiques d'aujourd'hui. Deux fois par an, on
choisissait dans chaque tribu, six hommes et
six femmes que l'on enfermait dans la salle
du Conseil pendant trois jours, et que l'on
sacrifiait ensuite pour apaiser la colère des
dieux. Le cacique faisait aussi pénitence en
se fouettant avec des branches épineuses de
palmilla, de maguey ou de cactus. Ces pau-
vres sauvages greffèrent leurs traditions sur
les croyances chrétiennes et continuèrent leurs
sacrifices antiques en imitation de la passion
de Jésus-Christ ; c'est tout ce que les mission-
naires purent obtenir de leur nature barbare,
et c'est là l'origincf des pénitentes d'aujour-
d'hui. Il est inutile de dire que ces confréries
se recrutent parmi la classe la plus basse et la
plus ignorante, et il est juste de constater que
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si!
i63
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
les autorités mexicaines ont fait tout en leur
pouvoir pour les supprimer. La danse du soleil
chez les Sioux du Nord et la danse du sacrifice
chez les Arrapahoes et les Utes du Sud ont
un caractère aussi cruel et aussi dangereux ;
et chacun sait que tous les sauvages de
l'Amérique ont toujours admiré les guerriers
qui montraient le plus de courage en suppor-
tant les tortures physiques les plus longues et
les plus atroces. Nos Iroquois du Canada ne
faisaient pas exception à cette règle, et tous
nos auteurs ont rendu témoignage à leur bra
voure légendaire, devant les supplices et la
mort. • V'
,r.. ,:^),.
A mi-distance entre Santa- Fé et Espanola,
le chemin de fer suit durant quelques milles la
base d'un chaînon de montagnes escarpées
et absolument dépourvues de toute végéta-
tion, qui s'élèvent sur la rive occidentale
du Rio Grande del Norte. Sur la rive oppo-
sée du fleuve, on aperçoit les habitations
grisâtres des pueblos de San-Idelfonso- et de
Santa- Clara. Le conducteur du train attire
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
164
ici notre attention sur des taches noires que
Ton aperçoit çà et là sur le flanc rougeâtre
des montagnes, et qui nous apparaissent
d'abord comme de gigantesques nids d'oi-
seaux creusés dans la falaise. Ce sont là
des grottes et des cavernes qui étaient habi-
tées autrefois par une race depuis longtemps
disparue, et qui n'a laissé absolument aucune
autre trace de son existence. Les ethnologues
américains ont donné à ces antiques habi-
tations le nom de cliff divellings et aux
peuples qui les ont construites et qui y de-
meuraient le nom de : cliff divellers. On est
encore dans la plus profonde ignorance sur
l'âge de ces constructions primitives et sur
les causes qui ont pu forcer des populations
évidemment fort nombreuses '"^donner
des demeures qui fournissent des preuves
irréfutables d'une civilisation relativement très-
avancée pour l'époque où elles étaient ha-
bitées. Les auteurs espagnols des premières
années de la conquête se contentent de men-
tionner ces ruines, *!sans paraître s'occuper de
rechercher leur origine ou leur histoire, et les
Indiens du pays, avec leur stoïcisme et leur
indifférence ordinaire, vous répondent par un
165 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
haussement d'épaules et l'inévitable : Quien
sabe ? Qui sait ? que l'on reçoit en réponse
à toutes les questions possibles et impossibles
que l'on puisse faire. Mon premier devoir en
arrivant à Espanola fut de me procurer les
services d'un guide pour aller visiter ces
grottes curieuses, et en compagnie des deux
artistes avec qui j'avais fait le voyage de Taos,
nous nous dirigeâmes à cheval vers les mon-
tagnes voisines, en visitant, en chemin, les
deux ^«^^/^^ dont j'ai déjà parlé. . ^
La route fut facile jusqu'au moment où nous
arrivâmes au pied des rochers escarpés où
sont situés les cliff-divellings, mais là, nous
fûmes forcés d'abandonner nos chevaux pour
grimper, à une hauteur perpendiculaire de
trois cents pieds, où l'on apercevait une espèce
de trou noir qui n'était autre chose que l'en-
trée principale d'une habitation fort considé-
rable, comme on va le voir tout à l'heure.
L'ascension fut moins difficile qu'elle ne nous
avait paru de prime abord. Par une série
de degrés et de pentes adoucies, ingénieuse-
ment taillées dans le roc, nous escaladâmes la
falaise qui nous avait paru si difficile à gravir,
et nous fûmes bientôt sur le seuil d'une vaste
MabitattbA dea Cliff-Dwelle»
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■.■m"*
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-RtXiHEUSES * l68
chambre circulaire dont les murs blanchis i
portaient encore les traces de dessins hiéro-
glyphiques. Le parquet cimenté était parfaite-
ment uni, et trois portes de cinq pieds de
hauteur, sur deux pieds de largeur, s'ouvraient
dans le mur et conduisaient évidemment à
d'autres appartements. Une ouverture taillée
dans le roc vif du plafond servait de cheminée,
et des pierres calcinées gisaient par terre im-
médiatement au dessous, et avaient dû former
l'âtre ou l'on cuisait les aliments. Quelques
fragments de vases brisés étaient encore là,
d'ailleurs, pour démontrer que nos supposi-
tions étaient justes, mais en dehors de cela
il ne restait aucun vestige d'ameublement.
En examinant la paroi extérieure de plus près,
nous découvrîmes que c'était un mur construit
de pierres superposées et cimentées avec tant
d'adresse, que nous avions d'abord pensé que
la chambre avait été entièrement taillée dans
le flanc de la montagne. On avait évidem-
ment profité d'une caverne naturelle dont on
avait muré l'entra afin de la rendre plus
forte et plus habitable.
L'habitation que nous visitions ne conte-
nait que douze chambres de grandeur égale,
169
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
là l'exception d'une salle centrale et circulaire,
ayant trente pieds de diamètre. Un bloc de
pierre rougeâtre placé au centre avait dû
servir d'autel ou de pierre de sacrifice, car on
y avait creusé une espèce de petite rigole, à
la surface, probablement pour laisser couler
le sang des victimes. On a trouvé dans
cette salle une foule d'objets que j'avais pu
examiner au musée historique de Santa- Fé ;
entr'autres, une pierre pour écraser le maïs,
avec son pilon, des haches et des marteaux de
pierre et de silex, des arcs et des flèches, des
vases, des urnes et des cruches de terre cuite
décorées de dessins forts curieux ; enfin des
sandales, des paniers, et des ceintures tressées
de feuilles de la plante du Yucca que les
Américains appellent spanish bayonets. Tous
ces objets sont fabriqués avec un soin et une
intelligence qui prouvent que cette race pré-
historique possédait une civilisation au moins
égale à celle des ptceblos d'aujourd'hui. Des
ouvertures d'à peu près deux pieds carrés,
taillées dans le roc, servaient de cheminées et
de fenêtres, en même temps, mais nous avions
eu la précaution d'emporter des bougies afin
de pouvoir mieux examiner les chambres
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
170
intérieures. Le soleil disparaissait à l'horizon
lorsque nous descendîmes dans la vallée pour
y retrouver nos chevaux et pour reprendre
la route d'Espanola. L'habitation que noun
avions visitée était une des plus petites et
l'une des plus faciles d'accès qu'il y eût dans
la montagne.
Les c/i^s dwellings d'Espanola sont d'ail-
leurs les moins importants du Nouveau-
Mexique, et c'est plus au nord, près de la
frontière du Colorado, que l'on a découvert
de véritables cités composées de ces curieuses
cavernes. Le major Powell, M. W. H. Jack-
son de Denver et le lieutenant Simpson de
l'armée américaine ont tour à tour visité les
gorges du Rio Mancos, situées près de Du-
rango, et y ont fait des découyertes absolu-
ment étonnantes, et dont je parlerai plus loin.
Un ingénieur de Denver, M. Stanton, qui
vient d'explorer les gorges du Rio Colorado^
a aussi trouvé les restes de vastes habitations
de cliffs-diuellers, suspendues comme des nids
d'aigles, aux flan^fs de montagnes escarpées.
Chaque jour amène de nouvelles découvertes,
mais les savants restent toujours dans la plus
profonde obscurité sur l'origine, l'histoire et
: 'Jil
171 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
l'époque de la disparition d'une race qui a
dû compter plus de 100,000 habitants, s'il est
permis déjuger de leur nombre par les ruines
gigantesques qu'ils ont laissées sur leurs pas-
sage.
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 72
XII
ENCORE LES CLIFF-DWELLERS
Je viens de raconter ma visite à l'une des
grottes des cliffs-dwellers, près d'Espanola et
j'ai dit que ce groupe d'habitations préhistori-
ques était beaucoup moins important que ceux
que l'on rencontre plus au nord, près de la
frontière du Colorado. Je vais maintenant
parler des ruines du Rio Mancos, qui com-
prennent des palais, villes ou villéiges, comme
on voudra bien les appeler, contenait chacun
plus de mille appartements ; ce qui forme
une population d'au moins 5,000 habitants,
en admettant que la moyenne des familles
ne fut que de cinq personnes ; ce qui serait
loin d'être un chiffre exagéré, en comptant
les enfants et les vieillards des deux sexes.
Et l'on compte onze groupes d'habitations de
[!t'.i
I 73 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
cette importance, sur le Rio ChacOy dans un
rayon de vingt- cinq milles, Les falaises escar-
pées des gorges du Rio Mancos et des gorges
latérales de ses tributaires sont littéralement
couvertes de ces ruines, qui ressemblent à
d'immenses ruches taillées dans le roc. Les
gorges profondes du Rio Colorado sont aussi
remplies de ces grottes artificielles, et l'atten-
tion du monde savant commence à se porter
sérieusement vers la solution de ce problème
ethnologique. Le rapport de M. W. H.
Jackson, du Bureau officiel d'exploration de
Washington (1875- 1877) donne une descrip-
tion détaillée des habitations de Chettro Kettle
sur le Rio Chaco, et je vais en emprunter des
chiffres qui donnent une opinion assez juste
ds l'étendue de quelques uns de ces c'iff-
dwellings. s
" Dans cette ruine, dit M. Jackson, il y
avait autrefois un mur, dont il reste encore
de nombreux vestiges, ayant une longueur de
935 pieds, avec une hauteur de 40 pieds,
donnant une surface de 37,400 pieds, et une
moyenne de cinquante blocs ou morceaux de
pierre pour chaque pied carré de maçonnerie ;
ce qui formait un total de 2,000,000 de mor-
wÊÊÊÊÊÊÊm
^
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEt/SKS Z^l^^
ceaux pour la surface extérieure du 'mur seu-
lement. Multipliez ce total par la surface
opposée et aussi par les murailles transver-
sales et latérales, en supposant un terrasse-
ment symétrique, et on arrive à un total de
30,000,000 de blocs ou morceaux de pierre
et 3 1 5,000 pieds cubes de maçonnerie. Ces
millions de blocs avaient dû nécessairement
être taillés et ajustés ; les soliveaux qui sou-
tenaient les plafonds et les terrasses supé-
rieures avaient été coupés dans les forêts
éloignées, car il n'y a, aux environs, aucune
trace de végétation forestière. Ajoutez à cela
les. travaux de crépissure, de menuiserie et
de décoration murale, et loi se trouve devant
un travail gigantesque exécuté par un peuple
L qui n'avait que les outils les plus primitifs,
mais qui devait, par contre, avoir une organi-
sation intelligente, industrieuse, patiente et
bien disciplinée." ^..
J'ai déjà dit que les cliff-dwell\ngs étaient
systématiquement construits dans des gorges
escarpées et toujours à des hauteurs abruptes
de 300 à 1000 pieds au-dessus du lit des
torrents et des rivières, et à peu près à la
même distance en bas du sommet des pla-
175 S"^ ^^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
teaux ou des montagnes. Il est évident que
les habitants, comme les oiseaux de proie,
plaçaient ainsi leurs demeures dans des en-^
droits inaccessibles, et pour ainsi dire inatta-
quables, pour se protéger contre les attaques
et les surprises de leurs ennemis. Les armes,
vêtements et ustensiles domestiques qu'on a
trouvés dans les grotte ressemblent d'une
manière étonnante à ceux des Pueblanos d'au-
jourd'hui, et il est curieux de constater que,
comme eux, les cliff-dwellers portaient des
sandales ou souliers tressés de feuilles de
Yucca. J'ai déjà dit qu'on donnait aux Pue-
blanos le nom de nioquis qui veut dire chaus-
sures dans îa langue de plusieurs tribus. Il y
a donc une similitude étonnante qui ferait
croire à une parenté ou à une filiation entre
les cliff-dwellers et les habitants àç.s pueblos ;
mais ceux-ci professent la plus profonde igno-
rance à ce sujet, et aucune de leurs traditions,
auxquelles ib sont généralement si fidèles, ne
fait la moindre allusion aux grottes et cavernes
de ces nations préhistoriques.
La différence qui existe entre les cliff-
dwellings et les pueblos modernes, c'est que
les premiers construisaient en pierre sur les
If'IJ'
CaMe-tête, ornerrront» et outil» trouvé» chez les " Cllff Dweller»"
L
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Fouet, tambourin, manchettes et souliers, trouvés darts le»
habitsitions des •' Cliff Owellers"
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 78
flancs abrupts des montagnes escarpées, tan-
dis que les derniers se servent de briques de
boue cuites au soleil et s'établissent générale-
ment dv*ns la plaine. Tous les savants du
Smithsonian Institute de Washington ont plus
ou moins ergoté sur l'origine probable de ces
nations, mais on n'est guère plus avancé qu'au
premier jour delà discussion. Les uns pré-
tendent que les cliffs-dwellings étaient autre-
fois habités par une nation paisible qui fut
chassée du pays et poussée plus loin vers
le sud, par la migration des Aztèques qui
venaient du nord et qui marchaient vers le
Mexique où ils établirent l'empire de Monte-
zuma. D'autres croient que les cliff-divellers
étaient, dès l'origine, des indigènes de la plaine
qui s'enfuirent dans les montagnes où ils se
fortifièrent, pour échapper à la cruauté et à
tyrannie des conquistadores, comme on appelle
encore les premiers conquérants espagnols.
Mais cette dernière hypothèse n'est guère
soutenable, car aucun des historiens de l'épo-
que, et ils sont assez nombreux, ne fait men-
tion d'un seul fait analogue. Ce qu'il y a de
certain, c'est que ces curieuses habitations
iurent construites comme refuges, et ce qu'il
10
179
SIX MOIS DANS LES MONTAUNES-ROCHLUSES
y a d'étonnant c'est qu'une nation assez nom-
breuse et assez intelligente pour se fortifier
d'une manière aussi remarquable n'ait pas
préféré la lutte ouverte, la guerre, en. un mot,
à ce genre de vie craintive et misérable, dans
des endroits incommo les et presque inacces-
sibles. J'ai déjà dit qu'il y avait tout lieu de
croire, par les nombreuses villes que l'on a dé-
couvertes un peu partout, et que l'on décou-
vre encore chaque jour, que les cliff-dwellers
formaient une nation qui comptait au moins
100,000 habitants. Et dire, aujourd'hui, qu'il
ne reste pas un seul descendant de cette race
qu'on ne connaît pas autrement que par les
ruines qu'elle a laissées, pour nous intéresser
sur son origine et son histoire !
Une seule tribu sauvage, celle des Southern
Utes — les enfants du Sud, comme les appe-
laient les vieux trappeurs canadiens — qui
habite aujourd'hui la réserve de San- Ignacio,
au sud du Colorado, paraît avoir conservé
un semblant de légende au sujet des cliff- -,
dwellings, qu'ils croient être habités par les ■
esprits de leurs ancêtres ; et ils considèrent
comme sacrilège toute tentative d'exploration
dans cette direction. Mais il est évident que
,• s--
SIX MOIS DANS LES MON.TAGNES- ROCHEUSES I?0
cette légende a été inventée après coup, car
les Utes ignorent absolument l'art de cons-
truire des maisons en pierre ; et leurs vête-
ments, et leurs ustensiles domestiques ne res-
semblent en rien à ceux qu'on a trouvés dans
les grottes et cavernes du pays.
Les cliff-dwellers cultivaient les terres des
hauts plateaux avoisinant leurs habitations,
et l'on a trouvé des canaux d'irrigation qui
témoignent aussi de leur industrie et de leur
connaissance de l'agriculture. J'ai rencontré,
à Durango, un explorateur distingué qui est
engagé depuis plusieurs années à faire des
études et des recherches ethnologiques sur les
Indiens du Nouveau- Mexique et du Colorado,
pour servir à une nouvelle édition de l'histoire
des Etats-Unis de Bancroft. Il m'a avoué
franchement que l'origine, l'histoire et l'extinc-
tion de cette race préhistorique restaient pour
lui un mystère qu'il n'espérait pas pouvoir
percer.
Le pueblo qui se rapproche le plus des cliff-
dwillitigs par sa construction est celui de Zuni
dont j'ai déjà dit un mot, et qui compte encore
aujourd'hui plus de 2,000 habitants. Il est
situé à 190 milles au sud-ouest de Santa Fé
l8l SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
et à dix milles de la frontière de l'Arizona.
C'était là une des " sept villes de Cibola "
dont on avait fait un rapport si enthousiaste
et si exagéré à Coronado, et la ville était alors
construite sur une haute éminence et défendue
par des murs de pierre qui la rendaient pres-
que imprenable. 'Lq pueblo actuel de Zuni,
ou Zuni nuevo, comme disent les Mexicains,
est situé à quelques milles de là dans la plaine,
et est construit à'adobes comme les autres
pueblos du pays. L'ancienne Zuni ou Zuni
viejo fut détruite par les Espagnols, mais on
en voit encore les ruines, qui ont une certaine
analogie avec les constructions des cliff-dwel-
lers. Les Indiens d'aujourd'hui, cependant,
n'ont conservé aucune tradition qui puisse
servir à éclaircir le mystère qui enveloppe ces
curieuses habitations. C'est aussi à six milles
de Zuni que se trouve le fameux rocher où
l'on aperçoit encore l'inscription, gravée là
il y a trois cent soixante-et-quatre ans, en
1526, par le premier explorateur. Don José
de Basconzalès.
Les Espagnols avait donné à ce rocher
le nom de : el moro, et les Américains l'ap-
pellent inscription rock, à cause des noni-
/
IMAGES 8t STATUETTES do» "CLIFF OV/EULERS"
';'. "^'..cr. : ■.,,,<;•
VASES TROUVbS CHEZ LES •• CLIFF DWELLERS
EL
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 84
breuses inscriptions en espagnol et en anglais,
que tous les voyageurs anciens et modernes se
sont empressés d'y graver à l'exemple de Bas-
conzalès. Ces inscriptions se chiffrent actuel-
lement par centaines, et à côté des insanités
des Perrichon de notre époque, on y trouve
des dates et des noms de la plus haute
valeur historique. La plus curieuse inscrip-
tion est probablement celle qu'y grava le
vainqueur de la grande insurrection de 1680,
dont j'ai déjà parlé. Elle se lit encore comme
suit :
Ici passa Don Diego de Bargas
pour aller reconquérir la '
Ville Royale de Santa-Fé
du JVouveau-Mexique
à la Couronne Royale d'Espagne,
à ses propres frais.
En Van de grâce 1692.
Les mots, à ses propres frais, sont aujour-
d'hui d'un haut comique, car le même Diego
de Bargas fut destitué de ses fonctions de gou-
verneur du pays, en «697, pour avoir, disent
les documents de l'époque " employé l'argent
du trésor public à son usage particulier,
pour avoir tiré sur le trésor sous le prétexte
i85
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
d'y acheter du maïs, des mulets pour les
colons, et avoir empoché ces sommes sous
d'autres faux prétextes."
Je ne veux pas quitter le Nouveau- Mexique
sans dire un mot de son désert, que les Espa-
gnols avaient nommé lajornada del Mtterio
— le voyage de la mort — parce que ceux
qui l'entreprenaient y laissaient généralement
leurs os. Ce désert est situé au sud, près de
la frontière mexicaine et occupe une zone
de terre longue de cent milles, sur une largeur
variant de cinq à trente-cinq milles. C'est un
plateau aride, absolument sans eau et sans
végétation, habité par les terribles Apaches,
qui ont donné tant de mal au gouvernement
américain, depuis quelques années. Il y souf-
fle généralement un vent du sud ouest qui
rappelle le terrible simoun du Sahara, et que
les Espagnols appelaient la solana, en mé-
moire des vents brûlants de la Manche et de
l'Andalousie. , ;.:.:; ; j .
Les redoutables Apaches trouvaient là iiri
refuge assuré contre les poursuites de leurs
ennemis jusqu'à l'époque de la construction
du Southern Pacific Railivay, qui longe le
désert en se dirigeant vers l'ouest. Le sifflet
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
i86
strident de la première locomotive a été le
signal de la défaite pour les sauvages, car les
troupes peuvent maintenant se transporter si
promptement sur toute la longueur du désert,
qu'il est facile d'en surveiller tous les points à
la fois. Les Apaches ont donc enterré la
hache de guerre, et la paix règne aujourd'hui
sur tout le territoire du Nouveau-Mexique.
Retournons maintenant sur nos pas pour
reprendre, à Pueblo, la route de Salida, de
Gunnison, de Grand Junction et de Sait
Lake City. ., . , ,
187 Six MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
XIII
ENCORE LES " PENITENTES "— DE PUEBLO
A " SALT LAKE CITY. "
Avant d'aller plus loin et de quitter défini-
tivement le Nouveau-Mexique pour suivre
mon itinéraire vers le nord-ouest, je traduis
textuellement la dépêche suivante que j'em-
prunte au Denver Times du 7 avril, lundi de
Pâques, 1890.
Fort Garland, Colorado, 7 avril. — Jeudi et vendredi
de la semaine sainte, eut eu lieu, ici, parmi les Mexicains,
les cérémonies habituelles de la confrérie des Pénitentes.
Pendant ces deux jours, ces pauvres illuminés ont fait
pénitence en s'infligeant les traitements les plus barbares
et les plus douloureux. On en voyait qui se flagellaient
jusqu'au sang, avec des épines de cactus, d'autres qui
portaient des croix énormes, et d'autres enfin qui sui-
vaient la procession, littéralement chargés de chaînes.
Et cela, en dépit de la défense la plus formelle des
autorités religieuses. On doit dire cependant que la
confrérie des Pénitentes se recrute parmi la classe la plus
ignorante du pafrs.
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DANS LA GORUE ROYALE
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
190
Et ceci se passait, pendant la semaine sainte
de l'année 1890, à deux cent milles de Denver.
Les commentaires seraient superflus.
La distance de six cent quinze milles qui
sépare Pueblo de Sait Lake City offre peut-
être au voyageur les panoramas les plus pitto-
resques et les plus accidentés qu'il y ait au
monfie. Le chemin de fer poursuit sa course
à travers le massif des Montagnes- Rocheuses,
escaladant des défilés de plus de 10,000 pieds
d'élévation, et traversant des gorges et des
déserts d'un aspect aussi sauvage que mer-
veilleux. On s'étonne constamment devant
les difficultés naturelles qu'on a dû vaincre et
les millions qu'on a dû dépenser, sans espoir
de bénéfices immédiats, pour construire une
voie ferrée dans des conditions comme celles r
De Pueblo à Canyon City, la route suit la
vallée de l'Arkansas, en passant la ville de.
Florence où l'on exploite quarante puits de.
pétrole, et où l'on a construit un embranche-
ment qui conduit, à six milles de là, aux mineii
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191 SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
de Coal Creek. On commence ici à gravir
les contreforts de la première chaîne de mon-
tagnes pour entrer presque immédiatement
dan.5 une fissure gigantesque, ayant 2627 pieds
à sa plus grande profondeur, dans la roche
calcaire, entre des murailles espacées seule-
ment de trente à soixante pieds au plus, et
moins quelquefois, dans le fond où coule la
rivière. On a donné à cette gorge imposante
le nom de Royal Gorge, et la direction du
Denver and Rio Grande Raihvay a eu la
bonne idée de construire des wagons absolu-
ment ouverts, qui permettent au voyageur
d'admirer, en filant à toute vapeur, ce monu-
mental caprice de la nature.
En sortant de ce col obscur où la lumière
du jour peut à peine pénétrer, on découvre,
à gauche, la superbe chaîne de Sangre de
Cristo avec ses pics neigeux éclairés par un
soleil brillant. C'est un changement à vue
absolument féerique. On passe Parkdale et
les sources chaudes de Wellsville pour arriver
bientôt à Salida, ville de 3,000 habitants,
située à un<" élévation de 7,049 pieds, 3217
milles de Denver. La voie bifurque ici de
nouveau vers le nord pour se diriger vers
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
192
Leadville et Aspen, les deux grands centres
miniers du Colorado, où je conduirai mes
lecteurs en revenant de Sait Lake City.
Nous allons, à présent, continuer notre route
directement vers l'ouest, et escalader de nou-
veau une chaîne de montagnes par Marshall
Pass, où la voie atteint une hauteur de 10,856
pieds au-dessus du niveau de la mer. Les
Américains ont donné au chemin de fer, en
cet endroit, le nom de : railroad in the
cloîids, un chemin de fer dans les nuages ; ce
qui est littéralement vrai, car on s'élève à
certains endroits, au-dessus des nuages qui
flottent, en flocons blancs, au-dessous du
convoi qui gravit en les contournant les flancs
escarpés de la montagne. Je n'ai pas besoin
de répéter ici ce que j'ai déjà dit de Veta
Pass, au sujet des dififi cultes de toutes sortes
que l'on a eu à surmonter pour escalader une
chaîne de montagnes aussi élevées, car j'aurais
à revenir, à chaque instant, sur les prodiges
de science et d'énergie dont les ingénieurs
ont constammenl#fait preuve dans la construc-
tion des chemins de fer transcontinentaux,
aussi bien au Canada qu'aux Etats-Unis.
Il est assez curieux de citer ici la descrip-
Il'
193
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES!
u\
w
tion des Montagnes-Rocheuses faite par Ga-
briel Franchère, dans sa célèbre relation d'un
voyage à la côte du nord-ouest en 18 10, 11,
12, 13 et 14. C'est encore un Canadien qui
a fait sa part de découvertes dans l'Amérique
Septentrionale. Il faut remarquer que M.
Franchère parle ici des Montagnes-Rocheuses
du Canada, qui sont moins élevées que celles
du Montana, du Wyoming et du Colorado :
On parle si, souvent des Montagnes de Roches, et l'on
paraît les connaître si j: eu, que le lecteur doit naturel-
lement désirer que j'en dise ici un mot. S'il faut s'en
rapporter au dire des voyageurs, et aux cartes les plus
récentes, ces montagnes s'étendent, à peu près en ligne
droite, du 35e ou 36e dég. de lat. septentrionale, jus-
qu'à l'embouchure de l'Unjiga, ou Rivière McKenzie»
dans l'océan Arctique, par les 65e ou 66e degrés. Cette
étendue de 30 dég. de lat. ou 750 lieues communes,
n'est que le moyen côté d'un triangle, dont le petit côté
est de 26 dég. de long, par les 35 ou 36 dég. de lat. —
c'est-à-dire d'environ 525 h'eues, et dont la chaîne de
montagnes forme l'hypothènuse, l'extrémité méridionale
de cette chaîne étant ])ar les 114 dégrés, et l'extrémité
septentrionale par les 140 dég. de long, occidentale ;
en sorte que la longeur réelle et diagonale de cette chaîne
de montagnes doit être d'à peu près 900 lieues, du S.-E.
au N.-O.
Dans une aussi grande étendue, la hauteur perpen-
diculaire, et la largeur de la base, doivent être néces-
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1
LES BUTTES DE GUNNISON
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 96
sairement fort inégales. Nous mîmes à peu près quatre
jours à les traverser ; d'où je conclus., par le che-
min que nous dûmes faire, qu'elles peuvent avoir, en
cet endroit, c'est-à-dire, vers le 54e degré de latitude,
une quarantaine de lieues de largeur. Le géographe
Pinkerton se trompe assurément, quand il ne donne à
ces montagnes que 3,000 pieds d'élévation au-dessus du
niveau de la mer ; d'après mes propres observations,
je n'hésiterais pas à leur en donner 6,000 ; nous nous
élevâmes très probablement à 1,500 pieds au-dessus du
niveau des vallées, et nous n'étions peut-être pas à la
moitié de la hauteur totale ; et les vallées doivent être
elles-m^mes considérablement au-dessus du niveau de
l'Océan Pacifique, vu le nombre prodigieux de rapides
que l'on rencontre dans la Columbia, depuis les chutes
jusqu'à la rivière au Canot. Quoi qu'il en soit, si ces
montagnes le cèdent aux Andes en hauteur et en
étendue, elles surpassent de beaucoup, sous ces deux
rapports, les Apalaches, regardées jusqu'à ces derniers
temps comme les principales montagnes de l'Amérique
Septentrionale ; aussi donnent-elles naissance à une infi-
nité de rivières, et aux plus grands fleuves de ce conti-
lîent.
Ces montagnes offrent un champ vaste et neuf à
l'histoire naturelle ; nul botaniste, nul minéralogiste, ne
les a encore examinées. Les premiers voyageurs les
ont appelées Montagnes Luisantes, à cause d'un nombre
infini de cristaux de roche, qui en couvrent, dit-on, la
surface, et qui, lorsqu'elles ne sont pas couvertes de
neige, ou dans les endroits où elles n'en sont pas cou-
vertes, réfléchissent au loin les rayons du soleil. Le nom ]\
I
197
SIX MOIS DANS LES MONTAGNEà-ROCHEUSES
de Montagnes de Roches ou Rocheuses par excellence,
leur a probablement été donné par ceux qui les ont
traversées ensuite, à cause des énormes rochers qu'elles
offraient çà et là à leur vue Effectivement, le Rocher
à Miette, et celui de M'Gillivray surtout, m'ont presque
paru des merveilles de la nature. Quelques-uns pensent
qu'elles renferment des métaux et des pierres précieuses.
A l'exception du mouton blanc et de l'ibex, les ani-
maux des Montagnes de Roches, si ces montagnes en
nourrissent de particuliers, ne sont pas plus connus que
leurs productions minérales et végétales. Le mouton
blanc se tient ordinairement sur des rochers escarpés,
où il est presque impossible aux hommes, et mêhie aux
loups, de l'aller chercher ; nous en vîmes plusieurs sur
ceux qui entourent le Fort des Montagnes. Cet animal
a les cornes grosses et tournées circulairement, comme
celles du bélier domestique ; il a la laine longue, mais
grossière ; celle du ventre est la plus fine et la plus
blanche. Les sauvages qui habitent près des montagnes
font avec cette laine des couvertures à peu près sem-
blables aux nôtres, qu'ils échangent avec ceux des bords
de la Columbia, pour du poisson, de la rassade, etc.,
L'ibex est une espèce de chèvre, qui fréquente, comme
le mouton, le sommet et les fentes des rochers ; il diffère
de ce dernier, en ce qu'il a du poil, au lieu de laine, et
n'a pas les cornes circulaires, mais seulement rejettées
en arrière. La couleur ft'est pas non plus la même. Les
indigènes font bouillir les cornes de ces animaux, et en
fabriquent ensuite ^artistement des cuillères, de petits
plats, etc.
■'.'"■,'i '1: ''
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES I 98
Je vais maintenant me borner à donner un
apierçu géographique et commercial du pays
montagneux qui sépare Denver de Sait Lake
City, jcar ces contrées n'ont pas d'histoire, et
les quelques villes que l'on rencontre comptent
à peine dix à quinze ans d'existence. La pre-
mière station importante que l'on rencontre à
l'ouest de Marshal Pass est la ville de Gunni-
son qui compte une population de 2,500 habi-
tants, et qui est le centre commercial d'une val-
lée fertile arrosée par la rivière Gunnison.
Ici, comme partout dans les montagnes, on a
découvert des mines dont l'exploitation ajoute
largement à la prospérité des villes naissantes
et à l'alimentation du chemin de fer. L'hôtel
de la Veta, à Gunnison, est un superbe édifice
qui a coûté $225,000, et qui sert de buffet.
Les voyageurs peuvent y prendre un repas
succulent. De nombreux touristes, pendant
la belle saison, viennent ici pour la chasse du
gros gibier qui abonde dans la montagne, et
pour la pêche de la truite, que l'on trouve dans il
les lacs et les petit'es rivières des environs.
Il y a encore ici un embranchement du
chemin de fer qui va jusqu'au Crested Butte,
à une distance de vingt-huit milles, où l'on a
I 99 ^'X '^'OÏS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
découvert d'abondantes mines d'un charbon
anthracite que l'on dit être d'aussi bonne qua-
lité que le meilleur charbon de la Pennsyl-
vanie. La ligne principale se continue^ tou-
jours vers l'ouest et un nouvel embranchement
de trente-six milles, à Sapinero, se dirige vers
la petite ville de Lake City où de riches mines
d'argent ont été mises en exploitation depuis
quelques années.
Quelques milles plus loin, sur l'artère prin-
cipale, on entre dans une nouvelle gorge non
moins intéressante et non moins profonde que
la Royal Gorge, et que l'on a surnommée le
Black Canyon, à cause de l'obscurité relative
qui y règne continuellement et de la couleur
sombre des flancs escarpés de la montagne.
Cette gorge a quatorze milles de longueur.
On y remarque spécialement une cascade
superbe qui tombe d'une hauteur vertigineuse,
et un pic très curieux qui s'élève abruptement
comme un obélisque monstre, et que l'on a
nommé le C^irrecanti Needle. On m'a dit
que les Indiens y tenaient des conseils et
des assemblées solennelles, lors des premières
explorations du pays. Un peu plus loin, on
suit encore les sinuosités d'une nouvelle gorge
LES GORGES DE LA GUNNISON
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SIX M«IS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 202
avant d'arriver à la jolie ville de Montrose,
située à trois cents cinquante-trois milles de
Denver, à une altitude de 5,811 pieds, au
milieu de la vallée de la rivière Uncompahgre,
C'est ici que le chemin de fer bifurque encore
au sud pour aller jusqu'à Ouray, ville minière
très-importante, dont j'ai déjà parlé dans un
des chapitres précédents.
Toujours en continuant notre voyage vers
l'ouest, on passe Delta, petit village de cinq
cents habitants, pour arriver, soixante-et-douze
milles plus loin, à la ville de Grand Junction
située à quatre cents vingt-cinq milles de
Denver, au confluent des rivières Gunnison et
Grande, dans un pays célèbre déjà par la
culture des fruits. C'est ici que la division
nord du Denver et Rio Grande Railway, qui
dessert les villes minières de Leadville, Red
Cliffy Aspen et Glenwood Springs, se raccorde
à la ligne principale qui se continue toujours
à l'ouest vers Sait Lake City et Ogden.
La rivière Grande, qui prend sa source dans
les montagnes du iford du Colorado, se jette,
plus au sud, dans la célèbre Rio Colorado —
rivière rouge — dont les gorges merveilleuses
sont restées, jusque aujourd'hui dans le do-
11
203 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHRUSES
maine de la légende. La rivière Rouge tra-
verse les territoires de TUtah et de l' Arizona
pour se jeter, après un parcours de huit cents
milles, dans le golfe de Californie. Les eaux
de la rivière ont creusé partout sur leur pas-
sage, dans le sol et dans le roc vif, une gigan-
tesque crevasse qui varie en profondeur de
2000 à 6000 pieds, et qui se continue ainsi
jusqu'à la mer, en taillant son lit à travers les
plaines, les plateaux et les montagnes.
Ces gorges incomparables sont encore rela-
tivement inconnues, bien qu'on ait tenté, à
deux reprises, de les explorer. Le major Powell
du bureau d'exploration et d'arpentage de
Washington avait réussi, au prjx de grands )
dangers, à suivre le lit de la rivière, sur une
distance assez considérable, mais il avait
reculé devant des cataractes, des remous et des
rapides qui présentaient des difficultés de pas-
sage qu'il consj ^ '-pit comme insurmontables.
Un ingénieur ^nver, Robert B. Stanton,
organisait 06, une expédition dans le but
d'explorer iv- /^io Colorado jusqu h son embou-
chure, mais ses premiers efforts furent contre-
carrés par le naufrage de ses bateaux et la
mort de quelques-uns de ses compagnons.
«
SIX MOIS DANS LES MONTA(;NES.KOCHKUSES 2O4
Il fut forcé de rebrousser chemin et de venir
se ravitailler à Denver, car il n'avait pas aban-
donné le dessein de pénétrer le mystère des
gorges de la rivière Rouge. Il organisa une
nouvelle expédition, et reprit, en décembre
1889, le chemin du Grand Canyon of the Colo-
rado, bien décidé, cette fois, à pousser son
entreprise jusqu'au bout, si la chose était
humainement possible. Ses derniers efforts
ont été couronnés de succès et M. Stanton,
a fait son rapport officiel aux directeurs pro-
visoires du Denver, Colorado Canyon and Pa-
cific Raihvay. Je dis rapport officiel, car M.
Stanton a joint l'utile à l'agréable en explorant
les gorges du Rio Colorado, et ce sont des
capitalistes qui lui avaient fourni les fonds
nécessaires pour la réussite d'une expédition
aussi hasardeuse. N'est ce pas que cette idée
de vouloir construire une voie ferrée dans le
lit d'un fleuve qui roule ses eaux tumultueuses
à une profondeur moyenne de tpis ou quatre
mille pieds, est absolument dans le carac-
tère américain qui*ne recule devant rien et
qui trouve généralement moyen de tourner
les plus grandes difficultés à son avantage
commercial.
205 S^^ ^^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
C'était, cependant, une passion plus forte
que celle de l'argent qui avait engagé des
Canadiens-français à explorer le jRïo Colorado
à une époque ou la géographie du pays était
encore généralement ignorée ; c'était la passion
des aventures et l'attrait de l'inconnu.
M. Stanton raconte qu'un matin, en aval
d'un rapide dangereux qu'il venait de franchir
avec ses compagnons, il crut apercevoir une
inscription sur la falaise, près d'un endroit où
une accalmie permettait d'arrêter les bateaux.
Il s'approcha et lut avec surprise ces mots
gravés profondément dans le roc :
I. JULIEN— 1833
M. Stanton dit lui-même qu'il est de toute,
évidence que des voyageurs canadiens ont
passé par là trente-six ans avant la première
exploration du major Powell en 1869, et à
une époque ou le pays n'avait pas encore été
officiellement exploré par le gouvernement
des Etats-Unis. Et voici qui paraît encore
aussi curieux. En co'ntinuant leur voyage à
travers les mille périls des cataractes, des
rapides, des remous et des fureurs du fleuve,
LES GORGES OU RIO COLORADO
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUbES 20 8
à une profondeur de plus de 5,000 pieds, M.
Stanton et ses compagnons aperçurent un
matin, à leur suprême étonnement, un mineur
solitaire qui cherchait des paillettes d'or dans
les sables de la rive, à un endroit où le fleuve
s'élargissant, formait une grève assez considé-
rable. Et ce mineur qui, depuis plus d'un an,
vivait ainsi seul, de chasse et de pêche, en
cherchant de l'or dans le lit du Rio Colorado,
c'était encore un Canadien-français ; il s'appe-
lait/^^/^!;^; Zfl:«//^r. '^
. Cela se passait au mois de janvier 1890, et
il me serait difficile de citer deux preuves
plus convaincantes et plus authentiques que
la présence de ces Canadiens : Julien, en 1833,
et Lantier, en 1890, dans les gorges inexplo-
rées du Colorado, à l'appui de la théorie que
j'ai déjà émise, au sujet de la découverte et
de l'exploration première de tous les pays qui
constituent le massif des Montagnes-Rocheu-
ses par les trappeurs et les voyageurs de
nationalité franco-canadienne.
En quittant Grand Junction, on passe
Fruitvale, puis on s'engage sur des plateaux
209 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSESi
arides, que l'on a surnommés le désert du
Colorado. Sur un parcours de deux centmilles,
on n'aperçoit pas le moindre signe de végé-
tation, si ce n'est des buissons de sauge — sage
brushes — qui poussent ça et là sur la croûte
grisâtre de la terre cuite par le soleil. On pré-
tend, cependant, qu'il serait possible de rendre
ce pays propre à la culture en construisant
des canaux d'irrigation qui y apporteraient
l'eau de la rivière Grande, mais personne, jus-
qu'à présent n'a encore entrepris d'en faire
l'essai. Il reste encore trop de terres fertiles et
inoccupées pour qu'on s'amuse à fertiliser les
déserts, par des travaux difficiles et extrême-
ment coûteux. On aperçoit toujours, dans la
distance, des chaînes de montagnes couvertes
de neige, ce qui varie un peu le paysage qui,
sans cela, deviendrait monotone et ennuyeux.
A cinq cent quarante-quatre milles de Denver,
on aperçoit enfin la Green River, la rivière
Verte, où l'on commence de nouveau l'ascen-
sion des monts Wasatch. J'allais oublier de
dire qu'à cinquante milles à l'ouest de Grand
Junction nous avions traversé la frontière du
territoire de l'Utah, et que nous étions ac-
tuellement dans le pays des Mormons. On
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 2 lO
passe plusieurs petites stations de peu d'im-
portance, et l'on arrive à la petite ville de Price*
située dans la vallée et sur les bords de la
rivière du même nom, à six cent onze milles
de Denver. A quatre-vingt milles au nord,
se trouve le fort Duchêne, poste militaire
important, construit sur une réserve indienne
de 4,000,000 d'acres, où vivent 2,500 sau-
vages sous la tutelle du gouvernement de
Washington. Ce poste porte le nom d'un
célèbre trappeur canadien qui accompagnait
le général Fremont, comme guide, lors de ses ; <
explorations de 1842, 43 et 44. i ^' ^;
A six milles au-delà de /*r2V^, on passe Grj//^ .
Ga(e, situé à l'entrée du défilé du même
nom. Cette petite ville est ainsi nommée ' ,
parce que deux énormes rochers, taillés per-
pendiculairement, simulent assez bien les por- , ;
tes monumentales d'une forteresse qui aurait
pu être construite par des géants. On atteint
bientôt le sommet des Wasatch, par un défilé
d'une altitude de 7,465 pieds, et l'on descend
ensuite à l'oues^ pour se trouver dans la
superbe et fertile vallée de l'Utah, à une dis-
tance de six cent soixante-et-dix- neuf milles : ^"
de Denver. On tombe ici dans un pays admi-
iilîl
211 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES ^\
rablement cultivé, où les habitations se grou-
pent autour des villes de Springville, de
Provo, de Lehigh, de Draper, jusqu'à Sa/^
Lake City. %
Sur une distance de trente-six milles, on
côtoie les rives du lac Utah, et l'on aperçoit
enfin dans le lointain le dôme du tabernacle
et les tours inachevées du temple des Saints
du dernier jour, comme les Mormons s'ap-
pellent eux-mêmes, avec une modestie qui
fait honneur à leur crédulité. La vallée de
rUtah est enfermée entre deux chaînes de
hautes montagnes, à l'est par les monts
Wasatch et à l'ouest par les Monts Oquirrh.
Une petite rivière, à laquelle les Mormons ont
donné un nom biblique, le Jourdain, réunit les
eaux du lac Utah, aux eaux du grand lac
salé à quelques milles de Sait Lake City-
On sait que le fleuve du Jourdain, en Pales-
tine, dans les eaux duquel Jésus-Christ fut
baptisé par Jean- Baptiste, réunit les eaux de
la mer de Galilée aux eaux de la Mer- Morte.
Les Mormons, toujours pour suivre la tradi-
tion, baptisent leurs néophytes dans les eaux
du Jourdain de l'Utah, car ils se piquent spé-
cialement d'imiter en tout la tradition biblique
CASTLE GATE
- ^--y-J'-'^'*^'^'
'^tff^^^^'^S^'^M'
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 214
et évangélique de l'Ancien et du Nouveau-
Testament.
\
\ s,
'»;■, ■'.. .•-■'*
21
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
•J '■
XIV
AU PAYS DES MORMONS
/ ^■^
J'ai déyà dit que le territoire de l'Utah avait
été exploré, en 1833, par le capitaine Bonne-
ville, qui découvrit le grand lac salé, et plus
tard, en 1843, P^i* le général Fremont, qui fit
un rapport officiel au gouvernement améri-
cain sur les contrées environnantes. Mais le
pays ne fut colonisé que quatre ans plus tard
par le président Brigham Young de l'Eglise
des Mormons, qui entra dans la vallée de
rUtah, le 24 juin 1847, à la tête de cent
quarante-sept pionniers, et qui choisit immé-
diatement le site actuel de Sait Lake City
pour l'établissement de sa colonie. Les Mor-
mons avaient quitté l' Illinois, l'année précé-
dente, et la caravane avait mis près d'un an
à traverser le pays, alors sauvage, qui sépare
SIX RIOIS.DANS LES MONTAGNES-R(3CHEUSES
216
rUtah des bords du Mississipi. De nom-
breuses caravanes les suivirent bientôt, et la
population s'accrut dans de telles proportions,
que le pays fut organisé en territoire, avec un
gouvernement régulier, au mois de septembre
1850. Brigham Young en fut nommé le pre-
mier gouverneur, par le gouvernement de
Washington, et la ville de Sa/^ Lake City fut
politiquement organisée, le 11 janvier 1851.
Les Mormons qui habitaient exclusivement
le pays à cette époque, faisaient une propa-
gande énergique dans les Etats de l'Est, aussi
bien que dans les pays du nord de l'Europe,
particulièrement parmi les Anglais et les
Scandinaves.
De nombreux néophytes, venaient conti-
nuellement se joindre à la colonie naissante
et les Saints des derniers jours jetèrent
les bases d'une colonie nombreuse et pros-
père. Jusqu'à la date de la construction du
premier chemin de fer, en 1871, les Mormons
vécurent chez eux en restant complètement
étrangers aux relations du dehors, et Brigham
Young était littéralement l'autocrate du nou-
veau territoire habité par ses disciples. Les
étrangers, ou les Gentils, cor^me les Mormons
■il
\
2.1^ SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
appellent tous ceux qui ne sont pas de leur
Eglise, commencèrent à émigrer vers cette
époque, et en 1890, pour la première fois
clans l'histoire du pays, les élections munici-
pales de Sait Lake City ont eu pour résultat
d'enlever le contrôle des affaires des mains
des chefs de cette puissance oligarchie. Je
vais, avant d'aller plus loin, faire un résumé
historique de la fondation de la secte des
Mormons, par leur prophète Joseph Smith, en
1827.
Lors de la confusion des langues, après
la construction de la tour de Babel, le Sei-
gneur, selon la croyance des Mormons, aurait
conduit un petit peuple vers les rives du
continent américain ; et ce peuple, après avoir
traversé l'océan sur huit vaisseaux, serait de-
venu une nation puissante qui habita l'Amé-
rique durant 1,500 ans, mais qui fut détruite,
600 ans avant Jésus-Christ, pour s'être adon-
né à des pratiques païennes et idolâtres. Une
nouvelle colonie d'IsraéliteS, de la tribu de
Joseph, vint aussitôt rep .upler l'Amérique,
mais les nouveaux venus se divisèrent bientôt
en deux puissantes factions, sous les ordres de
deux chefs nommés Nephi et Lamah. Leurs
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 2 20
partisans étaient connu respectivement sous
les noms de Nephites et Lamaniies. Les Ne-
phites continuèrent la saine tradition et sui-
virent les lois du Seigneur. Les Lamanites,
au contraire, devinrent un peuple méchant,
mais puissant, qui détruisit les Nephites, vers
l'an 400 de l'ère chrétienne. Mormon, qui
était un prophète, vivait vers cette époque, et
il reçut l'ordre du Seigneur d'écrire l'histoire
de ses ancêtres et des prophéties divines qui
leur avaient été révélées, avant leur destruc-
tion par les Lamanites. '
Il commença le travail qui fut terminé vingt
ans plus tard par son fils Moroni, et le tout,
gravé sur des tablettes d'or, fut enfoui dans
une colline appelée Cumorah et située dans
le township de Manchester, comté d'Onta-
rio, état de New-York. Ces archives sacrées
furent découvertes, le 22 septembre 1827,
par le prophète Joseph Smith, qu'un ange ré-
vélateur avait conduit en cet endroit. Les
tablettes d'or avaient été déposées dans un
coffre de pierre cimenté avec soin, et le tout
fut trouvé dans le plus parfait état de pré-
servation, avec deux pierres transparentes
qui permirent au prophète de traduire et d'in-
221 SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
terpréter les caractères égyptiens de ces re-
lations curieuses. Trois témoins, nommés res-
pectivement Oliver Cowdrey, David Whit-
mer et Martin Harris, assistaient aux fouilles
faites par Joseph Smith et certifièrent que la
découverte du livre sacré était parfaitement
authentique. C'est de cette époque que date
l'organisation de X Eglise de y ésus- Christ des
Saints du dernier jour — Church oj yesus-
Christ of laUer-day Saints. Joseph Smith
commença la prédication de la nouvelle doc-
trine, et un grand nombre de néophytes se
joignirent à lui, dès les premiers jours.
Les Mormons émigrèr^nt d'abord à Kirt-
land, Ohio, où ils construisirent un temple,
en 1833 ; plus tard, en 1838, ils élevèrent un
nouveau temple à Far- West, Missouri ; en
1841 ils s'établirent à Nauvoo, dans ^"Mlinois,
où ils devinrent très nombreux, et où lis élevè-
rent un troisième temple, qui fut inauguré par
de grandes cérémonies le 3 mai 1846. Les po-
pulations environnantes s'émurent de leur pré-
sence en cet endioit, et devinrent hostiles en
face de l'accroissement rapide du nombre des
Saints du dernier jour. Une émeute éclata
bientôt ; le prophète Joseph Smith fut tué
..?'
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 22 2
dans la mêlée, et le temple devint la proie des
flammes. C'est alors que le nouveau prési-
dent Brigham Young, se mit à la tête de ses
disciples et se dirigea vers l'Ouest, pour
aller s'établir définitivement dans la vallée de
rUtah, où il mourut en 1877. Il est curieux
de constater que les biens des Mormons, dans
riUinois, furent achetés par la fameuse com-
munauté socialiste française d'Etienne Cabet
qui mourut à Saint-Louis, quelques années
plus tard, après avoir assisté à l'effondrement
de son système et à la dispersion de ses :
adhérents.
La croyance des Mormons est basée sur
l'Ancien et le Mouveau-Testament aussi bien
que sur les révélations de Mormon, qui
comprennent les livres de Nephi, de Jacob,
d'Enos, de Jarom, de Mo:iah, de Zeniff,
d'Alma, d'Helaman, de Mormon, d'Ether et
de Moroni. — Ce troisième Testament, comme
ils l'appellent, forme un'volume de 623 pages,
petit texte, plus considérable que le Nouveau-
Testament, et le $tyle ressemble beaucoup à
celui des anciens livres. Le tout forme un
récit assez obscur des événements qui se
rattachent à la prétendue découverte de
-■1.
223
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
l'Amérique par les anciens, et à la destruc-
tion de ces peuples par les Lamanites.
Pour terminer, j'emprunte au volume inti-
tulé : Mormon Doctrine, les treize articles de
foi de \ Eglise de y ésus-Christ des Saents
des derniers jours rédigés par leur premier
prophète, Joseph Smith. Je traduis textuelle-
ment :
'>?y*
1 — Nous croyons en Dieu, le Père Eternel, en son
fils Jésus-Christ, et en le Saint-Esprit.
2 — Nous croyons que tous les hommes seront punis
pour leur propres péchés et non pas pour le péché
d'Adam. .
3 — Nous croyons que par l'expiation du Christ, toute
l'humanité peut être sauvéej en obéissant aux lois et
aux préceptes de l'Evangile.
4 — Nous croyons que ces préceptes sont : i» La foi
en Notre-Seigneur Jésus-Christ ; 2° le repentir ; 3" le
baptême par immersion, pour la rémission des péchés ;
4" l'imposition des mains et les dons du Saint-Esprit.
5 — Nous croyons qu'un homme peut recevoir les
dons de Dieu par la prophétie et l'imposition des mains
de ceux qui ont reçu de Dieu l'autorité de prêcher
l'Evangile et d'administrer ses préceptes.
6 — Nous croyons à la même organisation hiérarchi-
que qui existait dans l'Eglise primitive, c'est-à-dire les
apôtres, les prophètes, les pasteurs, les professeurs, les
évangélistes, etc.
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SIX MOIS DANS LES MOMTAGNES-ROCHEUSES 220
7 — Nous croyons aux 'dons des langues, de la pro-
phétie, des révélations, des visions, des guérisons, de
l'interprétation des langues, etc.
8 — Nous croyons que la Bible est la parole de Dieu
en autant qu'elle a été traduite correctement ; nous
croyons aussi que le livre de Mormon est la parole de
Dieu.
9 — Nous croyons à tout ce que Dieu a révélé, à tout
ce qu'il révèle maintenant, et nous croyons qu'il révélera
encore de grandes chosçs qui appartiçnnent au royaume
éternel, ' '
10 — Nous croyons littéralement au rassemblement
d'Israël et à la restauration des dix Tribus. Nous croyons
que le Christ régnera personnellement sur cette terre, et
que cette terre sera renouvelée et recevra la gloire du
paradis. .
1 1 — Nous réclamons le privilège d'adorer Dieu selon
la voix de nos consciences, et nous reconnaissons à tous
les hommes le même privilège, quelle que soit la forme
ou le fond de leur culte.
12 — Nous croyons au respect et à l'obéissance aux
rois, aux présidents, aux gouverneurs et aux magistrats,
en obéissant aux lois, en les honorant et les soutenant. •
13 — Nous croyons que nous devons être honnêtes,
véridiques, chastes, charitables, vertueux et que nous
devons faire du bien à tous les hommes ; en vérité nous
devons dire que non» suivons les ordonnances de saint
Paul, en " croyant toutes choses et en espérant toutes
choses " ; nous avons souffert beaucoup de choses et
nous espérons pouvoir encore souffrir toutes choses.
227
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
Nous recherchons tout ce qui est vertueux, aimable,
bien considéré et digne d'éloges.
Joseph Smith !
L'organisation de l'Eglise des mormons est
absolument autocratique, et tous obéissent
aveuglément aux ordres du président, qui est
le chef spirituel et temporel de toutes choses.
Le président Woodruff, qui est le chef actuel
des Saints du dernier jour, est un vieillard
qui paraît être loin de posséder les qualités
executives de ses prédécesseurs, John Taylor
et Brigham Young. Les Gentils continuent
à émigrer vers l'Utah et se sont déjà emparés
du gouvernement de Sait Lake City ; ils ne
tarderont guère à obtenir la majorité dans la
législature du Territoire, et le pouvoir tem-
porel de l'Eglise des mormons aura cessé
d'exister.
La polygamie est absolument défendue par
les lois civiles, et les autorités jettent en pri-
son les Saints qui se permettent d'avoir
plus d'une femme à la fois. On remarque
d'ailleurs que la plupart des mormons d'au-
jourd'hui ne se gênent guère pour blâmer
ouvertement cette coutume immorale, bien
;f
.■■■V-'
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 2 28
qu'ils disent que les chefs ne faisaient que
suivre l'exemple donné par les patriarches et
; par les saints rois David et Solomon. Le
'"( ' gouvernement de l'Eglise est alimenté par une
dîme de di>i pour cent, que les fidèles payent
I en nature avec les produits de la terre, en
[ animaux pour ceux qui s'occupent de l'éle-
vage, et en argent pour ceux qui sont dans le
f commerce ou dans l'industrie.
Plusieurs schismes ont déjà éclaté parmi les
mormons, et l'on compte déjà deux ou trois
. ** Eglises réformées." On aurait tort de croire
que le fanatisme religieux empêche les disci-
V^ï : pies de Joseph Smith de s'occuper des affaires
• de ce monde, car les plus grands établisse-
"' ■ ments commerciaux et industriels de Sait
Lake City sont entre leurs mains. Ils sont
• également propriétaires de la plus grande
partie du territoire, et leur terres sont des mo-
dèles de cultu|e comme leurs habitations sont
des modèles de confort et de bien-être. Ils
r . ont fondé des journaux partout, et ils ont
même créé des établissements dans diffé-
rentes parties des Etats-Unis et du Canada.
Ils envoient régulièrement en Europe, en
Asie et même jusqu'en Océanie, des mission-
V
229* SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
naires pour prêcher la doctrine de Joseph
Smith, et, bien que la majorité des mormons
se recrute parmi les Anglo-Saxons, on en voit
cependant de presque toutes les origines et
. de presque tous les pays du monde. Je dois
ici faire une exception, car bien que je sois
allé aux renseignements, je n'ai pas pu décou-
vrir un seul mormon d'origine française à
Sait Lake City.
J'ai cru devoir donner tous ces détails sur
l'organisation et la croyance religieuse de ce
curieux peuple, car je crois, que, en général, on
se fait, au Canada et ailleurs, de bien fausses
idées sur son compte. Ce sont des fanatiques
qui croient que le royaume du ciel leur est f
exclusivement réservé, et qui attendent avec
patience une deuxième visite du Messie, qui,
cette fois, régnera personnellement et visible-
ment sur toute la terre, et dont la capitale sera
naturellement la cité de Sign — autrement
dite Sait Lake City. Ils font tout simplement
graviter le reste de l'univers autour de leur
croyance, et ils s'intitulent modestement ** le
peuple choisi de Dieu."
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SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 232
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XV
ENCORE LES MORMONS — LE GRAND
LAC SALÉ
Sait Lake City est aujourd'hui une ville de
35,000 habitants, ayant des églises de pres-
que toutes les sectes religieuses, trois grands
journaux quotidiens, une université, des
hôpitaux, des écoles publiques de tous les
rangs, deux grands théâtres, une bourse,
un musée, un système complet de tramways
électriques, un aqueduc et plusieurs grandes
fabriques de verre, de machines de toutes
sortes, de meubles, de chaussures, de tabac,
de briques, de tuiles, de ciment, etc. La ville
est éclairée à l'électricité, ainsi que la plupart
des édifices publics* et des maisons particuliè-
res. En chiffres ronds, la ville contient 10,000
maisons, 200 fabriques, 16 publications pério-
\
233 ^^^ ^'^^S DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
ùiques, 9 ! *-iues, i8 imprimeries, 22 écoles
et !4 édifices voués à l'exercice des diffé-
rents cultes. Les établissements mormons
sont naturellement en plus grand nombre, ont
plus d'importance que les autres, et offrent
plus d'intérêt aux voyageurs. On aperçoit
de loin, en approchant de SaU Lake City, les
trois grands édifices religieux qui occupent le
Temple Square. Ce sont le Tabernacle, la
Salle d'assemblée et le Temple, qui n'est pas
encore tout à fait terminé, bien qu'il s'élève
déjà à une grande hauteur. Je vais donner
une courte description de chacun de ces
édifices, qui sont, à Sait Lake City et pour
les mormons en particulier, ce que la basilique
de Saint- Pierre et le Vatican sont à Rome et
au monde catholique en général. Le taber-
nacle est de forme elliptique, d'une longueur
de 250 pieds et d'une largeur de 150 pieds.
La iief a une hauteur de 80 pieds avec un
jubé en galerie qui fait tout le tour de l'édifice.
Un orgue superbe occupe l'une des extrémi-
tés du tabernacle, qui ressemble, à l'intérieur,
par la simplicité de sa construction et de
ses décorations, à la plupart des temples
protestants. Dix mille personnes peuvent
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 234
trouver place, en même temps, dans cette
vaste enceinte, qui possède les meilleurs qua-
lités d'acoustique. J'ai assisté à la prédica-
tion du dimanche, où tous les étrangers sont
admis et même reçus avec la plus grande
politesse ; et, bien que je fusse placé à l'ex-
trémité de l'édifice opposée à celle où se
trouvait le prédicateur qui était un vieillard,
je ne perdis pas une seule parole de son dis-
cours. La musique et les chœurs étaient
absolument remarquables, et l'orateur fit un
sermon qui dénotait une instruction supé-
rieure et une facilité d'élocution peu commune.
Il prêchait sur un texte de l'Apocalypse, et
prédisait, selon la doctrine mormonne, la nou-
velle venue du Messie et son règne éternel
sur la terre. Le tabernacle était rempli, et
tous les fidèles observaient le recueillement
le plus respectueux et le plus complet. Pas
un mot de la polygamie, qui passe, aux yeux
des étrangers, comme le signe distinctif de
l'organisation sociale et religieuse des Saints
dît dernier jours.
J'ai déjà dit, *d'ailleurs, que les autorités
fédérales sévissent avec la plus grande rigueur
contre ceux qui se permettent d'avoir plus
235 ^^"^ '^"^^^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
d'une femme à la fois, et, si la chose se
pratique encore aujourd'hui, elle est tenue
tellement secrète que les étrangers n'en peu-
vent pas trouver d'exemple. La Salle d'as-
semblée— Assembly Hall — est située près
du Tabernacle et sert indistinctement aux réu-
nions publiques ou aux services religieux. C'est
aussi un édifice remarquable qui peut contenir
3,000 personnes, et dont les peintures décora-
tives ont un caractère exclusivement religieux*
Les panneaux de la voûte contiennent une
série de tableaux représentant l'histoire de la
déci^uverte du livre des mormons par leur
prophète Joseph Smith. Une immense ruche
emblématique, avec l'inscription : Holiness to
the Lord, occupe le panneau du centre. Cette
ruche et cette inscription se retrouvent partout
dans les édifices des mormons, à Sait Lake
City. Ce sont les armes et la devise de leur
Eglise.
Le nouveau temple de Sait Lake City sera
sans contredit, lorsqu'il sera terminé, un des
édifices les plus curieux et les plus remarqua-
bles de l'Amérique. L'extérieur ressemble
assez, en grandeur et en apparence architec-
turale, à l'église de Notre-Dame à Montréal»
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, SIX MOIS DANS LES MONTAGNF.S-ROCHEUSES 238
avec cette différence, cependant, qu*il y a trois
tours à chaque extrémité, et que ces tours,
lorsqu'elles seront finies, seront surmontées
par des flèches qui atteindront une hauteur de
deux cent cinquante pieds. La longueur du
temple est de deux cents pieds, sur une lar-
geur de cent pieds, et le tout est construit
en granit magnifique, taillé et sculpté d'une
manière tout à fait artistique. La première
pierre fut posée le 6 avril 1853, et il serait
assez difficile de dire à quelle époque le
temple sera consacré au culte. Qu'il me suf-
fise de constater que les Mormons ont déjà
dépensé $5,000,000— -je dis bien cinq millions
de piastres — pour les travaux faits jusque
aujourd'hui, et l'intérieur n'a pas encore été
touché. On évalue le coût total à $8,000,000 ;
mais l'architecte lui-même qui m'a donné ces
détails avoue qu'il est assez difficile de donner
des chiffres absolument exacts. On voit que
les mormons ne mesquinent pas pour tout ce
qui touche aux intérêts et à la magnificence
de leur culte. L«s trois édifices dont je viens
de donner une courte description seraient
considérés comme remarquables, dans n'im-
porte quel pays du monde. Le magasin des
239
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
dîmes — tithing storehouse — le musée, les rési-
dences du président et des apôtres, sont des
constructions ordinaires comme on en ren-
contre partout, si j'en excepte, cependant, le
Gardo House, ancienne résidence de Brigham
Young, construite par lui quelque années
avant sa mort. Il est peut-être intéressant
de dire ici que Brigham Young était né à
Willingham, Etat du Vermont, en 1801, qu'il
embrassa la croyance de Joseph Smith en
1833, et qu'il mourut à Sait Lake City, le 29
août, 1877, laissant une fortune personnelle
de plusieurs millions- de dollars, aux très nom-
breux enfants qu'il avait eus de plusieurs
femmes.
L'établissement commercial le plus impor-
tant de Sait Lake City est le Zions Coopér-
ative Mercantile Institution, immense asso-
ciation coopérative qui a des succursales dans
toutes les villes de l'Utah, et qui fait des
affaires, chaque année, pour un montant très-
élevé. Ses transactions pour l'année 1889
se sont élevées à plus de $5,000,000, et en
consultant Bradstreet, j'ai constaté que son
crédit était illimité. /.
On veut probablement savoir, maintenant.
«
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
240
avant de quitter le pays des mormons, quelle
est mon opinion sur ce 'curieux peuple qui
s^ croit appelé à jouer sur terre le rôle de
" peuple choisi de Dieu. " Je n'ai pas à
discuter ici l'absurdité de leurs traditions et
la puérilité de leur croyance dans les révé-
lations de leur prophète Joseph Smith. Leur
religion semble un mélange de crédulité inex-
plicable et de fanatisme outré. Les maho-
métants eux-mêmes n'observent pas plus ré-
gulièrement les préceptes du Coran et ne
croient pas plus fermement aux inspirations
de Mahomet que les mormons ne pratiquent
les ordonnances de leur Eglise et ne sont con-
vaincus que Joseph Smith était le prophète
de Dieu. Dans la vie ordinaire et dans leurs
relations avec les Gentils, on m'a dit tant de
bien et tant de mal des Saints du dernier
jour, qu'il est assez difficile pour moi de me
former une idée absolument juste sur leur ,
compte. Un prêtre catholique m'a vanté leur
fidélité inaltérable à leur croyance, tout en
faisant naturellement ses réserves au point
de vue religieux. D'autres personnes m'ont
affirmé que les mormons étaient des hypo-
crites ; d'autres enfin m'ont vanté leur hono-
I
241 SIX MOIS DANS .,ES MONTAGNES-ROCHEUSES
kf^
rabilité et leur parfaite intégrité, dans leurs
relations commerciales. Je dois dire pendant
les quelques jours que j'ai passés à Sa/^ Lake
City, j'ai cherché à me renseigner, autant que
faire se pouvait, sur tout ce qui se rattache
à leur organisation sociale, et partout où je
me suis adressé, chez les plus hauts digni-
taires de l'Eglise, comme chez le plus humble
cultivateur, on m'a reçu et l'on m'a répondu
avec la plus grande courtoisie, la plus parfaite
bienveillance et la plus grande cordialité au
moins apparente.
Le président Woodruff lui-même a répondu
à toutes mes questions, peut-être indiscrètes,
parfois, avec une bonhomie et une franchise
dont je n'ai eu qu'à me louer, mais j'avoue
que je n'ai pas eu le temps d'étudier assez
longuement cette étrange population, pour
en parler avec une autorité suffisante. Ce
,que j'en ai vu, cependant, m'a convaincu que,
en général, on se fait une idée bien fausse ou
bien exagérée de tout ce qui touche à la
croyance des mormons, à leur organisation
religieuse et sociale, aussi bien qu'à leur situa-
tion agricole, commerciale et financière. Sur
ce dernier point, ils jouissent indiscutablement
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SIX MOIS DANS LES MONTAONES-ROCHEUSES 244
d'une prospérité relativement supérieure à
celle des autres populations environnantes.
La centralisation de tous les pouvoirs entre
les mains de quelques chefs a eu pour effet
d'établir une solidarité générale qlii exclut la
misère et l'extrême pauvreté dans toutes
les classes de cette organisation politico-reli-
gieuse. L'instruction a aussi fait des progrès
rapides parmi eux, et ils envoient systéma-
tiquement leurs élèves les plus intelligents
terminer leurs études dans les grands collèges
des Etats de l'Et et des pays européens.
Ils cultivent aussi avec succès l'étude des
arts libéraux, et ils comptent dans leurs rangs
des musiciens, des peintres, des sculpteurs et
des architectes de distinction. Le contact
des étrangers tend continuellement à leur
communiquer des idées plus larges et plus
en harmonie avec la civilisation moderne, et
il sera curieux de constater, dans vingt-cinq
ans, les changements que ce contact aura
opérés parmi eux. L'émigration se porte
aujourd'hui considérablement vers l'Utah, qui
offre un champ fertile pour l'agriculture, et
dont les richesses minérales promettent un
rendement que l'on pourra comparer bientôt
IMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
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l.l
1.25
US
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■28
|2.5
12.2
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^v^^ ^\ WcS
'%'
245
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
avantageusement avec ceux des Etats voisins.
Il est curieux de constater que les mormons
ne s'occupent pas de l'exploitation des mines,
et qu'il existe chez eux un préjugé religieux
contre ce genre d'occupation, ce qui a permis
aux Gentils d'accaparer tous les terrains mi-
niers au détriment des Saints du dernier jour.
Le Grand Lac Salé, autrefois connu sous le
nom du Lac Bonneville, du nom de son pre-
mier explorateur, est une vaste nappe d'eau
de 2,200 milles de superficie — environ un
tiers de celle du lac Ontario — entourée de
hautes montagnes, d'une profondeur moyenne
de vingt pieds, ayant une longueur extrême
de cent vingt-six milles et une largeur
moyenne de quarante-cinq mille». Un gallon
impérial de l'eau de ce lac remarquable con-
tient vingt-quatre onces et demie de matières
salines, et le général Fremont, dans son
exploration de 1842, obtint " quatorze cho-
pines de beau sel blanc par l'évaporation de
cinq gallons d'eau dans une bouilloire ordi-
naire, au-dessus d'un feu de campement. "
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSEo
246
Les eaux du lac sont plus salées que les eaux
de l'Atlantique, et contiennent à peu près les
même proportions de sel que les eaux de la
Mer-Morte, en Palestine. Voici d'ailleurs le
résultat d'une analyse faite par les soins du
Smithsonian Institute de Washington. Je
traduis littéralement :
«
Sel ordinaire.... ►. iTj735
Carbonate de chaux 016
• Sulphate de chaux 073
Sel d'Epsom i>i23
Chlorure de magnésie 843
Proportion de solides 13.790
Ëau 86,210
100,000
Cent grains de matières solides contiennent :
Sel ordinaire 85,089
Carbonate de chaux 117
Sulphate de chaux 531
Sel d'Epsom 8,145
Chlorure de magnésie 6,118
0
I
100,000
Voilà pour les savants que cette analyse
peut intéresser. J'ai déjà donné les propor-
247 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
tions en termes ordinaires, pour le commun
des mortels.
Les eaux du Grand Lac Salé sont d'une
pureté et d'une transparence remarquables, et
l'on aperçoit le sable et les petits cailloux
du fond, à une profondeur de vingt-cinq à
trente pieds. Bien que de nombreuses rivières
d'eau douce descendent des montagnes limi-
trophes pour se déverser dans son lit, et bien
qu'on ne leur connaisse pas d'issue ou de
débouché, les eaux du lac restent uniformé-
ment salées. On a remarqué aussi que le
niveau des eaux a changé à plusieurs reprises,
formant une espèce de marée inégale et irré-
gulière ; mais on ignore la cause du flux et
du reflux de cette mer intérieure dont le lit
était autrefois beaucoup plus considérable,
comme on peut en juger par les traces qu'ont
laissées les eaux, en se retirant, sur les flancs
des montagnes voisines.
Plusieurs îles, dont quelques-unes assez
importantes, rompent l'uniformité du paysage, \
et les citoyens de Sa/l Lake City et d'Ogden
ont construit sur le rivage des maisons de
plaisance et des bains, à un endroit magni-
fique que l'on a nommé Lake Park et
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oIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
250
qui prend, chaque année, plus d'importance,
comme ville d'eaux. La densité des eaux
du lac est telle que les baigneurs flottent à la
surface, sans faire le moindre effort, et les
médecins déclarent que les bains du Lac Salé
valent à tous les points de vue, les bains de
mer. Lake Park est à mi-chemin entre Sait
Lake City çX Ogden, ville de 10,000 habitants,
située à trente six milles de la capitale de
rUtah, à sept cent soixante-et-onze milles de
Denver, à deux mille cinq cents de New-
York, à huit cent soixante- et-quatre à l'est de
San- Francisco, et à une élévation de 4,286
pieds au-dessus du niveau de la mer. C'est
ici que ce fait le raccordement du Denver and
Rio Grande Railwayy de \ Union Pacific
Railway et du Central Paxific Railway, Ces
deux derniers chemins de fer forment le pre-
mier réseau transcontinental qui ait été cons-
truit aux Etats-Unis, et la ville d'Ogden,
qui est aussi d'origine mormonne, deviendra
bientôt, par sa portion centrale et ses facilités
de communication, une rivale de son aînée,
Sait Lake City.
C'est ici que se termine mon voyage vers
l'Ouest, et je vais reprendre la route du
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SïJf'llldIS 0!Ai^fe''LfiS' MOltitÀ'dNÊèmbChÉtJ^S
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iJeâdîfîate/dansik Ccïlbraâoiiiv^ll^ y^-'^ Ji^f i^^'
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r?t;ïv ')T>fv{^'' "'^'"''^ oniffroit oë 'or/p toi J?/''D
SlbC KtôtS D'AN&'LÉSl I«ONTAdNES-ROCHEUSl3S
252
-oqâib -del lo itiomom'iB'i ,3idniuu t)l lua a^ihi
«ijcinj, 8ob i^.'jaijoijpilbd ijo aoupfiiDjifj anoiJi^
7.iJî)b sb y^noD nu o^^bjlniîdo II .a3çr>vux;«
10 stjrnrriofl ^ininr^up dd 33âj bI £ îij-jiiq lo ,8fir> *
.HDf.ibniifio-i/im ob :î3[qrnoD jrianiirioacii: nu'L
iJîSryiOtyfAaES Ï)R! BQNNB:VIWiiîrrr.ASPBMî--^b
• •îiii't ifjoq jiiilbrî l'i'ijp 93 Jijoj âb joni ni; n.'î)
: j) Pirj'^qqr/ij •'^sA 00/r, p.onololhq sab sîîr.'d
Il s'agit maintenant de^iiitlëriiUtahipoup-
refaire -^ ma. i route . j usqu'à : Gsrand ? ^^^unctiôn ,
en itrayersiaint de : nouveau la 'ri vièijeo Verte, où
nous allons nous arrêtqr quelques;. instants
pour réveiller les souvenirs de l'expédition du j
capitatineBortneviP "i83:?ji9^'jet'34iJ3J œ^
i Bonneville était capitaine au r^'jre Irégimènt
d'infanterie des Etats- Uiiis^ilorsqù'ilentccprit.;
le i vbyage que Washiiïgtbn ; 1 1 r vângj ; a: .raconté ;
quelques) années .-pluà' tardai Vv Le .désinidèi
prendre part aux explpriitiona desv.territoirfcs
-encore inconnus des; ; Montagnesi-Rocheuses,
et.de vodride pires Ja vie sauvage ides traiteurs'
etl dés ûhasseuFSnde lîGuest;: avait .fetigagé lu
capitaini€5 à' fornuôrime expédition; pour faire
la» tr^teji tout eni>!faisant jdjea létude» quijppur^)
253
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
raient servir à renseigner les autorités mili-
taires sur le nombre, l'armement et les dispo-
sitions pacifiques ou belliqueuses des tribus
sauvages. Il obtint donc un congé de deux
ans, et partit à la tête de quarante hommes et
d'un assortiment complet de marchandises,
de bimbeloterie, d'armes et de munitions, de
rassade, de draps et d'indiennes de couleur,
en un mot de tout ce qu'il fallait pour faire la
traite des pelleteries avec les trappeurs et les
sauvages de l'Ouest.
Le rendez-vous général des traiteurs était,
à cette époque, situé dans une vallée que les
métis canadiens appelaient Trou de Pierre^
parce que l'un des leurs avait été assassiné,
en cette endroit, par une bande de Pieds-
Noirs. Trois compagnies puissantes exer-
çaient alors le monopole de la traite dans ces
pays sauvages : la Compagnie de la Baie
d'Hudson, la kocky Mountain Fur Company
et X American Fur Company, Ces deux der-
nières avaient leurs sièges sociaux à New-
York et à Saint- Louis, respectivement. Le
Trou de Pierre était situé dans la vallée de la
rivière Verte, près de ses sources e$ nv^n loin
des pics que les trappeurs, dans leur langage
"" '™^^'^ °^ <=""«= CHEZ ..S ,„0„„
ii
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 256
pittoresque, avaient nommés les Trois- Tétons,
Ces montagnes que l'on appercevait à une
grande distance, servaient de guides et de
points de ralliement à tous ces aventuriers
qui s'enfonçaient dans la solitude à la recher-
che des fourrures qui abondaient dans les
contrées environnantes.
•
Bonneville arriva au rendez-vous, où il avait
été devancé par les représentants des com-
pagnies et par plusieurs bandes libres de
chasseurs métis et sauvages qui venaient
échanger le produit de leur chasse pour les
marchandises des traiteurs. Durant un mois,
les chasseurs faisaient ripaille, et le Trou de
Pierre devenait un véritable caravansérail où
l'on buvait, dansait, chantait, jouait et où l'on
se battait souvent à la suite des querelles
qu'engendrait la réunion d'éléments aussi
disparates. Plusieurs tribus indiennes, amies
des blancs, venaient aussi camper aux envi-
rons pour se proourer des armes, de la poudre
et des balles dans le double but de faire la
chasse et de se défendre contre les attaques
des Pieds-Noirs et des Corbeaux, qui faisaient
une guerre de surprises et d'embuscades à
VQiSirïs. .!ij;v:3T[:xj4x, no f .;ijp ^.;)noj.inc)fn c/j'J
:)[ Les N:<èzrP>eFoés^ (lefe Tiêtes-Pktes^ileSi (ïfm\'
d'<>rcjlles, ,' les Cpitonnôis^, , kg [Qrosf y ei^tri€;§
fornftaient une espèc^d d'aUianc0 Oiffê^bsiveu^t
défeasiile /Contre;;les Fi^ds-Noir$ ^t le$ Cor-
beaux; mais ceux-ci, qui létaietit ipJus agucTO
et plus nombreux, les poursuivaient partout
àVôC 'tiwe fureur' et' un achameni^nt: quilne
s'èJtpliquè' que par 1> fait que ces sauvages
né' yivîaîiént c|ue f d& guefifre et de rapine^
Le métier 4é trappeur était donc des plus
dahgi3repx> eti il fallait se tenir continuielkmteisit
sur ses gardfes ei être prêt à toutes les é vent
tùaUtés) pour» s'aventurer dans les montagnesj
ApfèSf ^ce mois dé ^ réjouissances et de borii^
baiice, toutes les bandefe se dispersaient pour
revenir un an plus tard recommencer la même
histoire^ r î ; J e • > h- ai pas Vintentiba ; dé» isuî vre i Ip
capitaine 'Bosnie ville dans toutes ses expédilS
tions et dans! (toutes ! ses luttes meurtrièrets
aviec> lesi Pieds- Noirs ; Iqu'ili mei suffise (de xiire
qb'il ine revint' à New* York qiie trdis ans plus
tanjv" Êti qu'il eut quelque difficulté à se faife
patidoiMîier sonaibsèncé prolongée^ par les 'auto-
rités niilitàires. Je désire cependant' relever
aiR MOIS. DAN$/I^RSi MONTAPNES-^OgiIBUaf» ^58
quelques injustices; '^t [qqel^iiesi ineKactitudeà
qùeV/Wa^iin^ton . Ihvihg^ à introduites! âmà
soh réak, sunile comptç 'dès cJia^sGùw» Ncaolûl'-
diénsitidMTpétiai lluer! èélèibre taiiteuri^dftiiki)
l^ie M > C\krisUph& '' iÇ^/oM ' iséî i laisse : aouy qnto
emporter; ipari is^s i pré^-ugiés téohtré^ jtout lœ q-wi
esb^d'iori^iiiflifitabçaisè, /et iBonnevillé; aa'pnoH
bablèmeat échaippé-^ àxaèsi critiques i qiie jpancè
qu'il jetait Kttffioiéiidîans l'armé© des Etats-UdiiV,
cjuoi^iueri né ! à i , N ew (Y orfc de pàrerats > frariçais.
. . lEh ; Micoîrîtaht ilbrg^anifeiatiQh ydejl!expéditi<aQ>
IrîO-ing' iditj à ; plùBieuffs inepriseôt qiié les >Gànar[
diidns )©t*l)eS'iifiéttSj étaient l.oinvdevValcriï'X les
daasbeufBaméridains, dodîgineaitigloissixonneç
maisT! il nie citéi pasiunseul fait ài l'jappui dé
son affinnatioiriif'së, icoptentant' de Tapinioiil
d'un trait©yniéà*aiîg«ip+^rt! f/oréi^ner'Sy biréhi
diti( i I r.vi«gi>nqili piiéiiendait qu'uni y^méricaih
walait uîbiem i \ trôi* » iG^najdieos, - {)our faii-e ■ ; Ija
cKaas^oii lia gïierre; dans les m^nt^gnesijj i.
. I )(OBi j f en j eiXiprlmanti icette i opinion, . il ■ ipaf dît
oublièfi ique Bonften^iUè> îtriîmêmej rie. chef' d^
l'expéditiorii j > alissi / bieti- 1 que ! iées i liétitçnantij
Gte)éî^t(iMathîeui)ftaiQrit< de'sang)français\ les
4/^uxii.dei*niem canadiens /iîeîinaiâsanc© ; que
lel3 .t;?4i;p43e4ara ide V^^erisû^rjFmi. Company
l
2 59 ^^ ^^O'S DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
étaient commandés par Fontanelle, un autre
Canadien ; que les bandes de la Rocky
Mountain Fur Company étaient sous les
ordres d'un chef nommé Sublette ; qu'enfin les
trappeurs canadiens-français avaient décou-
vert et exploré le pays depuis un grand
nombre d'années, et avaient donné des noms
français à tous les endroits connus. La rivière
Verte, Green river, la rivière au Serpent,
Snake river, la rivière aux Saumons, Sal-
mon river, la rivière Boisée, la rivière Malade,
la rivière à Godin, la rivière Cache-la- Poudre
— Powder river, — enfin presque toutes les
montagnes, les vallées et les cours d'eau
de ces pays sauvages portaient des* noms
français ; et comme je l'ai déjà dit, tous les
chefs d'expédition étaient français, cana-
diens-français, ou d'origine française, bien
que les grandes compagnies de traite fussent,
à cette époque, exclusivement composées
d'Américains et d'Anglais. Je ne comprends
guère comment Irving pouvait concilier ces
faits qu'il cite lui-même, avec l'opinion de cet
étranger qui prétendait que les Américains
avaient une supériorité si marquée sur les
traiteurs d'origine française. Il n'est générale-
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1 • ;>
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 202
ment pas d'usage de choisir îes chefs parmi
les moins braves et les moins intelligents pour
commander les plus hardis et les plus aguerris,
ce qui cependant paraîtrait être le cas, si
l'opinion d'Irving et de son " étranger " avait
la moindre apparence de justice ou d'authen-
ticité.
Comme priorité de découverte, le seul fait
que le plus grand nombre des tribus sauvages
portaient des noms français, que les Améri-
cains leur ont conservés, doit être suffisant
pour établir les droits des trappeurs cana-
diens-français. Il est arrivé quelquefois
qu'on a voulu traduire en anglais ces noms
de tribus que nos chasseurs avaient eux-
mêmes traduits des langues sauvages; mais on
a généralement tronqué l'orthographe de ma-
nière à dépister toutes les- recherches étymo-
logiques. En voici un exemple entre plusieurs :
les Américains appellent Utes la tribu sau-
vage qui réside actuellement sur la réserve
de Saint- Ignace, , près du Durango, dans le
midi du Colarado. Ce mot Utes, en anglais,
ne signifie rien du tout, et sans le nom fran-
çais de cette tribu, il serait impossible d'en
trouver l'origine, que voici, cependant. Les
2^r
S1?C MP|!^ PAN9/^RSi MOI)ITA(iNj;R,BpCJtW/U&lfS
trapiptuts r ; caoâdîehs ■ aFfpekient' ' c ettq tribu
/^(j(^?0!«/^J!cej!qmétait Jd tradqçtiiOn llttéralei
(Jq diewf ^ nojrt' j sftïivag^.; ; i hm\ < Américaine , ftra^
duisirent à Igiir tpur .et firçrEt; Voii4hs TTTTjquç
quejque ;aye,nturier illettré jécrivjtiF/tf^iTrn (fit jÇ0
dffrjiiiîerj nom leuj^ Qst resté tel | <peJj i et ç'ie^jî
ainsi qu'on l'écrit, même dans les docim^en^ts
o!(i6iciel&: diu, gouviern^tnent d-Qv iWaahkigton !
Yqilà/ ip/Q^iPflâ!«up€HQirité;4e(l'intellig!epo<è <ie|S
chàviaoUrs^ amériicaiiiiiS,. f swr !«$• ^ cha.'Jëeurs . içana-f
di-çjeist,!;et je ipourjfais^cifc^r ;un. nombre de faits
analogi4çSi>Sji<|l'Éfspacfe më,l4,piermeï}ttiiito -moq
^i(JBien)!qwe je.iVaie pas l!iiitentioî>!ideiC!Ç)rnt(7
nweroici ce ,pMid^y,eF eniifàyeurdermQSfCdn^T
paitriotjeg/i jejne^puis résistepfauw^ésir jde citefr
encpiijqiU.ne) fpis.ik rdatiotvrde^/aâbriel Fr^
ch^re>iqui ié^çr jyaitj vdngftncinq , ana a'vaf^t > îriving,
etnqqi) av^iti 'Visité .ïe, pays 'viittg|:->t|rQls ■ i2i»nf$
ayani^wSitt^inevilleJ Pn verra par. cetite citfitipn
'(\^^^ (lîKjinjseililemônt lUfenihQmmies^irmftîs leà
femmeç ellesTmêmes, i^{irrPAtaifcP.t iliesiidangers
die . Qçflte (vje 1 daj'iTfgerieus^,ii^t . qu'il fallaiit-- unie
bfaVvOMrei plus qu'ordinaire p<>iL|ji,dntj?eplreridrie
deSiiCiSpéditiomidans ces çQftditionsilàiigi^: '.m
n')tiô r^i' id'fdtigiafei i^uè* j'avais iôpr(!)iliv^ X dlièVal,'li> veille',
m'pt)ligç9(i À[ reaalJîirqiipTK tlan» j^oii > qançi:» > j Yecst huit
SIX M<»>V5,.D^N5 j,?;S|Montagme3tRPchb]u;)î;s
204
heure3»: lions passâmes une petite rivière yçnant du ,Hs-/
0,.),;Nous aperçCiraes, bientôt aprè3, cje^ capots qujh^
faisaient; ifoççe de Taines pour noui» atteindre. Cpnamef
nous potirsiiiivions toujo.u^rs notre rônite, nous entendîmes,
une voiK.d'eafantnQU^ crier efii français ; " Arrêtez dou-çj)
arcêtea donO ! "l Nous mîmes à terre, et Ijçç canot? w^MP)
fiyant joints, nous reconnûmes, dans Vun d'eux,, la; femna^
d'un nommé Pierre Dorion, chasseur, qui avait été en^
voyé avec un parti de huit hommes, sous la conduite de
M. J. Reed, pour faire des vivres chez la nation .des
Serpent?, ,ÇettÇ femme ;;|ious apprit la fin,malheure«)ise
de tousiceux, qui composaient ce parti. Elle npus dit quq^
daips le cours du mois de jariAàer, les^ chasseur?) s'étant
dispersés, çà . et là afin de tendre )eurs pi^es pour
prendre; Je .castor, les nommés Jaçob Pe^nor, Gillvis
Leclerc, et, Pierre Dorion, son îij^ari, avaient été fittaqués
pa^ le?, naturels,,' :, que Jt'eclerç,. qui .i^s'é^ait que, ;ble^?,é,
s'élit, iieodu à; ^^ t;ente,! pu il qtait mort au bput.de quel-
ques instants, après lui avoir annoncé que, :^pn!mfi,ri
avait été tué ; qu'elle avait aussitôt pris deux chevaux
qui: étaient restés prèfS de ;sa l^gd, ^vaiit; fait mbtiter
^e^^jS ses de^jç jenfants, et; ^va}t ^ajirné en tpAjt&.hâtp le
poste de M^ R,eed, qui étajt élpigné d'environ cinq jours
de l'endroit où son mari avait été tué ; que sorf etônne-
méti't ^t '^ôri inquiétude avaient été' éxttéiiiés, isôfktjii'e'ïfë
avait > itYouvé lia lirttti^oii déserte et apeifiÇU' que)que^
traces d« sa^g ; que i^, doutant pas que M. Reed;n!eût
été massacré, elle s'était enfuie,, sans pçrdp-e de temps,
vers les montagnes, au sud de la rivière Walawala, où
îélle avait passé i l'hiver . |aya.nt tué lc<^ deufc chevaux'pour
. se ito^rri réelle ei,SÉîS;(ppfpii>tS)jr^u'ei1fij^ se/vp»'^u): s^ns
265 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
vivres, elle avait pris le parti de redescendre les monta-
gnes et de gagner les bords du Tacoutche-Tessé, dans
l'espérance de rencontrer des sauvages plus humains,
qui la laisseraient subsister parmi eux, jusqu'à l'arrivée
des canots qu'elle savait devoir remonter la rivière, au
printemps. Les sauvages du Walawala avaient en effet
accueilli cette femme avec beaucoup d'hospitalité, et
c'étaient eux qui nous l'amenaient. Nous leur fîmes
quelques présents, pour les dédommager de leur soins
et de leur peines, et ils s'en retournèrent satisfaits.
Les personnes qui périrent dans ce malheureux hiver-
nement étaient M. John Reed (commis), Jacob Peznor,
John Hobhough, Pierre Dorion (chasseurs). Gilles Le-
clerc, François Landry, J.-Bte Turcot, André Laclia-
pelle, et Pierre Delaunay. Nous ne doutâmes pas
que cette boucherie ne fût une vengeance exercée contre
nous par les naturels, pour la mort d'un des leurs, que
les gens du parti de M. Clarke avaient pendu pour
vol, le printemps d'auparavant. * ' .■ v .
Que penser de la présence de cette femme,
seule avec ses deux enfants, dans ces pays
sauvages et faisant bravement face à la
situation, sans perdre la tête un seul instant ?
Si les femmes étaient si vaillantes, que de- ;'
vaient donc être les hommes qui vivaient
dans un danger continuel ? / ; ■
Aujourd'hui, tous ces pays de chasse ont
été ouverts à la colonisation et sont croisés»
LE SOMlIkT DU MONT VETA
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•^
>SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 268
dans tous les sens par des chemins de fer.
Les Indiens ont presque entièrement disparu,
et ceux qui restent vivent sous la tutelle du
gouvernement américain. Et il y a à peine
cinquante-six ans que Bonneville faisait son
voyage d'exploration et visitait les côtes du
Pacifique, qui appartenaient alors au Mexique !
Ces changements sont assez merveilleux pour
que le voyageur s'en étonne et les note soi-
gneusement dans sa mémoire ou tout au
moins dans son calepin.
Vi >5fr
Je vais maintenant reprendre mon itinéraire
à Grand Junction, en retournant à Denver
par l'embranchement nord du Denver and Rio
Grande Railway, en passant par Glenwood
Springs, Aspen et Leadville. Je n'entrepren-
drai pas de parler du pays, qui ressemble
absolument à celui dont j'ai déjà fait la des-
cription en passant par Gunnison, Montrose
et Salida. On suit le cours de la rivière
Grande, en continuant à traverser toute une
série de gorges, de défilés et de vallées,
jusqu'aux sources minérales de Glenwood, qui
569
Si^ Mbtîï' OANSlLKS' KiOMTÀtî^EÔ-aiOCHBCstS'
sôrit '^situées à trois cjent soixante- dt-sepit
miller 'île ' Denver et à ,un>e iahitude de 5,768
piëdsi' ' (Des! soufcési Sont' oéièbresi' dmsf le
pays; 1 pour leiJirs Qualités ' icufati vës é« les eaux
en sôttt téllerhent abônd^ntes^ qu'on a cons-
truit -pour les baigneurs une imiiiiensie piscine
q«i'iii^â>^^paâ* moins de ' si« cenits; picdë' de
long ^ur cent pîeds de large; et qui dôhtient
1 1500,000 gfallons d'eàu sulfureuse- à une tenir
përatUré continuelle de 95 "^ 'Fahrenheit; Les
eaux sortent de terre > â*! u^ne tempérafture' de
145 "^ , et l'on peut, en les laissant refroidir à
l'air, obtenir le degré de chaleur qui convient
à chaque malade. Les médecins recomman-
dent pariioulièremisnt ; les- 'bainè; : de ^GUmvàod
Springs pour .de .rhumatisme, la goutte^ le
diabète, les scrofules,^ les maladies de reins,
duvsang et dp la peau. 'Un hôtel moderne
offi?e foutes les commodités nécessaires,, et nné
jdlfe; ville de 3,000 t^abitants s'çst élevép ieri'
cet 'endroit, JSiuïi les bords de h.vvf\hrG'Gràndk:
^)j^Toutë la contrée enviirpneante ;co(ntien't!rior>
et Fargentl en! abondanbejiet de nombi-etiseÈ
mines- 'Ont étéî'miises'; eh! > exploitation depms-
quelijues ahnées.P"Uiiiï)émbi'an^hçmçnt du ché* =
mip de^fer isë' dirige >ïid> vers Aepen,/ situfif ■ ai
9i*x Wôirf' toANfe liés' KiWi<rTÂ'GNÈS-RbckEtJsïls i 7Ô
âôixante^qiîih^é milleJ» au' sùd'-etitj'' dans le
èbmté 'de i Pîtkin. Cette ville, qiiii coMpte' à'
pèirtè dbùié âiirtées d*èxîsten'cte ' ' poësèdé dêjk
lihé ^ôpuktion de 1 1 ',000 habitants, et 'prbïtiét
d^ desrénir' tiln 'fcèntré 'd'éxpléftatibnii minières
d\iné'tf6s' grande to^ôAatiicëi^^.^^L'â^ contrée
environnante est atisiii favorable à' T^levag^
et' à î'afgrîctiltûre) et \ii' hbtti^breuse ëinigratiori
qui'sé pôHiè eôh^taiiîmëHt 'ver^é' dèttie Jjartre' du
Colorado^ 'seriible pfrom'ètti^è ^ùfï ' ' âês/àôp)^^^
ment' rajMdè' ékûi titi'avétiîi- {)rcii!hàîri."^'Urtè
distance de 90 milles sépare Glenwood Sprin ?
de Leadville, et c'est entre ces deux endrOits
que le chemin de fer s'élève de nouveau à une
altitude de 10,418 pieds au-dessus du niveau
de la mer, en traversant le défilé du Tennessee,
— Temiessee pass. C'est de cette hauteur que
l'on aperçoit le remarquable pic que les trap-
peurs et les missionnaires ont nommé : mont
de la Sainte- Croix — mount of the Holy Cross.
Sur le flanc sombre de la montagne, près du
sommet, deux gorges ou plutôt deux glaciers
se coupant à angles droits, forment une croix
gigantesque qui se détache étincelanfe sous
les rayons du soleil, à une hauteur de 14,176
pieds. On raconte que les chasseurs d'autrefois
271
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
faisaient souvent de grands détours pour faire
ici une espèce de pèlerinage et pour venir
dévotement prier devant ce symbole sacré de
la religion chrétienne. Le convoi s'arrête un
instant sur le sommet du défilé pour permet-
tre aux voyageurs d'admirer cet étonnant ca-
price de la nature, et nous reprenons bientôt
la route qui nous conduit à Leadville, cité de
30,000 habitants, dont l'histoire, qui date à
peine d'une douzaine d'années, ressemble assez
aux merveilleux récits des Mille et une Nuits.
1
LE MONT DE LA SAINTE CROIX
%* t '^'î ■• -V,,.< • ■■fr*»."J*-
\> : ■ ■
■.<i.-,-.u.*.'
.' •' r, '
4- '1 - J
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
274
XVII
LEADVILLE. — LES MINES DU COLORADO
Je viens de dire que l'histoire de Lead ville,
depuis sa fondation, ou plutôt depuis la dé-
couverte des gisements d'or et d'argent dans
les environs, en 1876, semble un chapitre em-
prunté aux récits des Mille et une Nuits ou
aux aventures merveilleuses du comte de
Monte-Cristo. Des fortunes colossales ont été
amassées dans un an, dans six mois, parfois
dans un mois ou dans un jour. L'histoire des
premiers temps de la découverte de l'or en
Californie s'est répétée, avec cette différence,
cependant, que les mines de Leadville ont
pu être développée;^ immédiatement par les
moyens que la science moderne met à la dis-
position de toutes les industries. Il serait inu-
tile de faire ici l'historique des premiers éta-
blissements, qui remon tent à peine à quatorze
li
2 75 S'^ ^O'S DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSESJ
ans, car on pourra voir, par la statistique
suivante que dès la première année, en 1879,
le rendement des mines de Leadville attei-
gnait, d'un bond, le chiffre fabuleux de
$10,333,700.00, alors que de 1860 à 1879,
c'est-à-dire durant une période de dix- neuf ans,
cette partie du Colorado n'avait produit qu'à
peu près le même montant, ou $10,700,000.00
en or et en argent.
STATISTIQUES DE ONZE ANNÉES.
1860 à 1879 $10,700,000
1879 10,333,700
1880 15,025,135
1881 13,147,257
1882 17,127,402
1883.. 15,538,446
1884 12,837,407
- 1885 12,357,662
1886 f3.75o»833
1887 12,072,967
1888 11,830,205
1889 13,684,051
$158,405,155
N'est-ce pas que ce chiffre de $158,405,155
est absolument fabuleux, lorsque l'on réfléchit
que Leadville n'existe que depuis 1876, et
1
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
276
que le pays, jusqu'à cette époque, avait à
peine été exploré par quelques mineurs ou
quelques trappeurs qui prenaient plaisir à
vivre isolés, loin des limites de toute civilisa-
tion ? Ai-je besoin d'ajouter que cette richesse
soudaine a eu pour effet de faire de Leadville
une cité prospère, florissante et possédant
toutes les facilités modernes de communica-
tion, de commerce, d'exploitation industrielle,
d'instruction, d'éclairage et d'habitation. Située
dans un des pays les plus pittoresques du
monde, entourée de montagnes couvertes de
neiges éternelles, arrosée par des rivières qui
s'alimentent aux innombrables torrents de la
chaîne des Saguache, la — " ville du plomb "
Leadville est devenue la ville de l'or, de
l'argent et de toutes les am.éliorations imagi-
nables que ces métaux précieux peuvent
apporter dans un pays déjà si richement doué
par la nature.
Afin de mieux faire comprendre la richesse
exceptionnelle des mines de Leadville par la
comparaison, je vais me permettre de donner
ici les chiffres de la production des mines du
monde entier, en or et en argent, pour l'année
passée, 1889. J'emprunte cette statistique au
277 ^^^ ^'•^''^ DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
-r-
-•-
rapport officiel que le professeur Ivan C.
Michels fait chaque année pour le départe-
ment du trésor, à Washington : '
. Pays , Or ^ Argent Total
Etats-Unis $ 36,302,085 $ 68,880,287 $105,182,372
Autres pays d'Amé-
rique 12,383,950 71,158,270 83,542,220
Afrique. c. 4,657,200 50,250 4,707,450
Asie 14,689,085 4,836,330 19,525.415
Australie 29,152,400 10,272,956 39,425.3S6
Europe, i 25,945,125 10,226,990 36,172,115
Total $123,129,845 $165,425,083 $288,554,928
Le poids des métaux du tableau qui pré-
cède se divise comme suit :
/
- OR, 408,391 livres avoir-du-poids.
ARGENT, 8,775,866 avoir-du-poids.
La quantité de l'or est à l'argent dans la
proportion de i à 21.54. La valeur de l'or est
de 42.6 par cent, et celle de l'argent 57.4 par
cent. L'augmentation des mines d'argent se
fait sentir ai'x Etats-Unis et au Mexique, et
tout spécialement en Australie, où la produc-.
tion de l'argent a augmenté de $1,058,000 en
1888 à $10,272,956 en 1889.
Voici un nouveau tableau qui fait voir la
i
LE MAJORDOME- GLEN-EYRE
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l:
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production totale ri^o
i«8i. «,« '^" ^'■^^"*- Total
!''' 95.050,500 n'IlT^ 2^0.250.000
lllt 'or.5.o,io ll'f'T ^^°'^"'5oo
' llll ^03.350.200 leZT '^''^'-'Soo
l!!' 98,520,500 rtVoôZ ^30.100,700
llll '07.061.040 xaô'oi!? ^^9.721.000
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• *948, 340,300 $i,i3ioQç,8, Z ■
* ' 3 ,095,181 $2.073,435,48,
donc constater pttSrf''°°i "" "'''
"on de l'or a ét^ V ^ T "^"^ ^ P-'oduc-
-o-oo au-dessus df i Td ' ^'°'°°°'-
moyenne annuelle deLln'*^"'"" ^e la
J'ai cite' cesliffi! '""'7 P'-^'^^dentes.
en un coup d'oeil r* ^ !""' ^°'«P>-endre,
du rendemenrié ' "1^" ^"^-"^"'^ «
donnent près de dno n'""' ^' ''^^'^^'■"^' ^-'
p^oductio^„defsr;rets^'^^'^
28l
SIX MOIS DANS LES RFONTAGNES-KOCHEUSES
Si je me suis permis de sortir du domaine
du pittoresque pour aborder celui de la statis-
tique, c'est parce que je connais l'attrait tout
particulier que possèdent les métaux précieux
pour le commun des mortels ; et j'ai cru que
mes lecteurs s'arrêteraient un instant avec
plaisir dans le pays de l'or et de l'argent pour
en étudier la richesse presque incalculable. Je
finis, en disant que le produit total des
mines du Colorado, pour l'année ! 889, a été
de $29,941,531 ou plus de dix pour cent des
mines du monde entier. Dans le prochain cha--
pitre, j'étudierai le Colorado au point de vue
agricole, et je donnerai des chiffres qui pour-
ront intéresser, sur les produits de la culture,
de l'élevage, de l'industrie, des mines de fer
et de charbon, des puits de pétrole et sur l'é-
valuation actuelle des propriétés foncières de
la ville de Denver.
De Leadville à Salida, distance de soixante
milles, on traverse un pays accidenté qui res-
semble en tous points à celui que nous avons
déjà parcouru, et nous reprenons ici la route de
Denver, en traversant de nouveau la Royal
Gorge, et en passant par Pueblo et Colorado
Springs.
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 282
XVIII
L'AGRICULTURE ET L'ÉLEVAGE AU
COLORADO
Après avoir noté les richesses minérales du
Colorado, il me reste à dire un mot de ses
ressources, au double point de vue de l'agri-
culture et de l'élevage. J'ai déjà parlé de l'ac-
croissement merveilleux de la ville de Denver,
depuis dix ans, mais quelques chiffres officiels
offriront des données absolument authentiques,
qui ne sauraient manquer d'intéresser mes
lecteurs. Fondée en 1859 et nommée en
l'honneur du général Denver, alors gouver-
neur du Kansas, la capitale du Colorado ne
comptait qu'une population de 4,741 habi-
tants en 1870. En vingt ans, ce nombre s'est,
élevé à 140,000 âmes, chiffre actdel de la
population de Denver. L'évaluation officielle
283 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
des propriétés foncières pour fins d'impôts
municipaux s'élevait, en 1889, à plus de
$60,000,000, ce qui forme plus d'un tiers de
l'évaluation totale des propriétés de l'État du
Colorado, qui s'élève à $195,000,000 pour la
même année. Pendant l'année 1888, 1,827
bâtisses ont été construites, ayant une valeur
totale $6,000,000. En 1889, la valeur des ■
nouvelles constructions s'est élevée à $7,2 14.-
585. Et l'on croit que la valeur des nouveaux
édifices en voie de construction pendant l'an-
née courante, 1890, atteindra le chiffre fabu-
leux de $10,000,000, pour une ville de 140,000
habitants. New-York, Brooklyn, Chicago et
Saint- Louis sont les seules villes du continent
dont les nouvelles constructions dépassent en
valeur celles de Denver, pendant l'année
1889.
Le tableau suivant du total des récoltes du
Colorado depuis neuf ans, donne une idée
assez juste de ses produits agricoles pendant
cette période. Pour le maïs, le blé, le seigle,
l'avoine, l'orge et les pommes de terre, les
quantités se chiffrent par boisseaux, le foin se
chiffre par tonneaux, et la laine par livres :
^^
DANS LE JARDIN DES DIEUX
(SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSE.:
286
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28;
SIX MOTS DANS LES ^fONTAGNES-ROCHEUSES
L'élevage se fait partout sur une vaste
échelle dans les plaines de l'est du Colorado,
et le rapport officiel de l'année dernière
(1889) montre un total de 800,000 che-
vaux, 35,000 mulets et 60,000 porcs. Le
tableau suivant donne les chiffres exacts, par
comtés, du nombre de bêtes à cornes et de
moutons qui paissaient dans les prairies à la
même époque :
Comtés.
Arapahoe. . .
\rchuleta. .
Bàca
Bent
Boulder.
ChafFee
Cheyenne. .
Custer
Costilla
Conejos. . . .
Clear Creek
Douglas.. ..
Dolores
Delta
Eagle
Elbert ..
El Paso . . .
Fiéniont. . .
Garfieîd
Bêtes à cornes.
Moutons.
60537
189,81-
ii'SSS
77.74J
89.601
•9,960
54.972
18,030
52,059
1.380
24-933
3,918
4.671
12,987
36234
32,733
43764
20.925
39.674
3.353
49»358
12,015
S3.+87
150,477
4,242
64.848
233 100
108.006
171.534
61,923
69,9^0
3,378
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
288
\
Comtés. Bêtes à Cornes.
Gilpin ; 4.023
Grand 35,622
Gunnison 39- 1 59
Hinsdale. 3,86i
Kuerfano ... 34,479
Jeflerson 57,238
Kit Carson 6,717
Kiowa 8,916
Las Animas 124,569
Larimer 148,986
La Plata , . 61,923
Lake 3,783
Lincoln 28,581
Logan 60,024
Mesa 97,875
Montezuma 25,593
Montrose 104,052
Morgan 25,002
Otero 54,531
Ouray ii,5i4
Park 75.261
Phillips 7,785
Pitkin 11,913
Prowers 36,483
Pueblo , . 58,638
Rio Blanco 136,389
Rio Grande 26,373
Routt f.. 140,304
Saguache 82,332
San-Juan 90
San-Miguel 27,168
Sedgwick 5,287
Summit 4,277
Moutons.
7,824
13,692
155.782
190,762
33'26i
13,767
156,972
49,896
20,916
44,916
72,287
17,562
89,508
2,133
40.155
15,810
32.340
30,042
33534
1 5,006
7,620
1
■^
J,
289
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Comtés. Bétes à Cornes. Moutons.
Washington ". 8,370 16,500
Weld 109,533 137,985
Yuraa 18,278
Total : 2,641,546 2,007,791
Valeurtotale $25,200,725 $2,139,000 •
J'ai déjà dit que les mines de charbon ' ^ '^ 1
abondaient partout dans les montagnes. Les
géologues et les ingénieurs considèrent les ; ■
gisements comme inépuisables. Pendant l'an- ' ; y^
née 1889, les mines ont produit 2,373,954
tonneaux de houille, répartis comme suit, dans
les différents comtés de l'Etat.
Tonneaux.
Arapahoe 900
Boulder ; 297,793
Douglas 300
El Paso 54,066
Frémont i 279.855 "
Gunnison 251,808
Garlield 144627 ;
Huerfano 309.023
Jeflferson 6,600 'i^ v ^^
Las Animas 876,990
La Plata ^^ 32,630 '
Park 47)OoS
Pitkin 46,181 '
Weld 26,276
Total 2,374,054
':MW^
LA CATHEDRALE— JARDIN DES DIEUX
.(•-,;
'•!■■['■'
'I
SIX MOIS DANS LES MONT AGNES- ROCHEUSES 292
Les puits de pétrole de Florence ont pro •
duit, l'année dernière, 360,000 barils d'huile
de bonne qualité, et les fonderies et forges de
fer et d'acier de Pueblo utilisent continuelle-
ment les minerais de fer qui se trouvent par-
tout dans les montagnes. Il est indiscutable
aujourd'hui que le Colorado possède toutes
les richesses naturelles nécessaires pour deve-
nir le principal centre manufacturier des Etats
situés à l'ouest du Mississipi.
Il n'y a guère plus de vingt ans que l'on
considérait encore la plus grande partie du
territoire du Colorado comme impropre à
la culture, à cause de la sécheresse de la tem-
pérature, causée par le manque presque
absolu de pluies régulières ; mais l'irrigation
artificielle est en train de changer cet état de
choses et de fertiliser d'immenses étendues de
terrain dont les produits vont en augmentant
tous les jours. 34,560,000 acres ou 54,000
milles carrés reçoivent déjà les eaux des
rivières au moyen de barrages et de canaux,
et les puits artésiens de la vallée de San-Luis
ont entièrement changé l'aspect de cette con-
trée qui ne compte pas moins de 36,000 milles
de superficie.
293
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Les statistiques qui précèdent sont emprun-
tées aux rapports des chambres de commerce
et peuvent être considérées comme absolu-
ment exacts. Il ne me reste plus qu'à
donner un tableau des principales villes du
Colorado et de leur population pour complé-
ter les renseignements contenus dans cette
correspondance. Il faut, cependant, pour bien
comprendre la situation et apprécier les
immenses progrès des dernières années, ne
pas oublier que l'Etat ne fait partie de l'Union
américaine que depuis 1876, (;t que les pre-
miers établissements remontent à peine à
trente ans.
J'ai déjà dit que les médecins étaient una-
nimes à recommander le séjour du Colorado
pour toutes les personnes qui souffraient de
maladies des poumons et des voies respira-
toires ; je dois ajouter que j'ai été témoin
de guérisons nombreuses dues sans aucun
doute à un climat sec et tempéré, à une
atmosphère pure et à la légèreté et à la raré-
faction de l'air. Il ne faut pas, naturellement,
attendre les dernières phases de la phthisie,
lorsque la maladie est devenue absolument
incurable, pour se diriger vers le Colorado et
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 294
y mourir loin des siens, au milieu de l'indif-
férence des étrangers. C'est malheureusement
ce qui arrive trop souvent. Mais il est hors de
doute qu'un séjour, même temporaire, apporte
toujours un soulagement certain et une gué-
rison très probable, à ceux qui peuvent faire
le voyage à temps et dans les conditions vou-
lues. Je sais, par expérience, que le climat
offre une cure certaine pour l'asthme, car j'ai
trouvé au Colorado un soulagement que j'a-
vais en vain cherché dans le midi de la
France, en Italie et en Algérie. Mais je le
répète encore, il s'agit de ne [)as attendre
trop tard pour s'y rendre et de ne pas revenir
trop tôt lorsqu'on s'y trouve bien.
295 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
XIX
LE " COWBOY " AU COLORADO - LE DRES-
SAGE DES CHEVAUX SAUVAGES
Ma relation de voyage était terminée et
j'allais donner le "bon à tirer" à mon impri-
meur, lorsqu'un de mes amis qui avait lu mon
manuscrit et qui paraissait s'être intéressé à
mon récit, me dit :
— Mais tu ne nous dis pas un mot des
cowboys. Il me semble que c'est de rigueur,
dans le récit d'un voyage au Colorado.
— Mon cher ami, les cowboys sont en train
de disparaître des plaines du Colorado, comme
ils ont déjà disparu des plaines du Kansas.
Les chemins de fer, l'immigration, les canaux
d'irrigation et la charrue du cultivateur sont
en train de les chasser au-delà des premières
chaînes des Montagnes-Rocheuses. Je ra-
conterai bien ce que je sais de ces caractères
,-^^i.lTT-- ■■— -1
t'v .~ ' • ^T^''- '
LA CASCADE DE L'ARC-EN-CIEL
(Ute Pa$8)
' '■'►■*
.1
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 298
exotiques, mais je n'ai pas l'intention de réédi-
ter les histoires plus ou moins fantaisistes que
l'on a déjà publiées au sujet de la vie aven-
tureuse du bouvier des plaines de l'Ouest.
Buffalo Bill et sa troupe ont vulgarisé, en les
accentuant légèrement, tous les détails de la
vie ordinaire du Wild West, de *' l'Ouest sau-
vage." J'ai cependant visité les vastes ranches
où l'on s'occupe tout particulièrement de
l'élevage et du dressage des chevaux, et j'y ai
recueilli quelques détails que je crois inédits,
et qui présentent un côté assez pittoresque
de la vie des plaines.
Le cowboy, de toute nécessité, doit être bon
cavalier et doit pouvoir non seulement monter,
mais dompter les chevaux les plus sauvages.
Il peut ensuite devenir bouvier et s'engager
pour conduire les troupeaux.
J'ai assisté maintes fois au dressage des
chevaux, et je me suis renseigné tant bien
que mal auprès de ceux qui pouvaient me
donner des informations. J'ai pris des notes
et, ma mémoire aidant, voici le résultat de mes
observations : *
On commence par parquer {corral) les che-
vaux, au printemps et aux premiers jours de
16
299 '''^ ^^^^^ DANS LES MOMAONES-ROCHLUSES
l'été. Quand ils sont en sûreté dans l'enclos,
on choisit ceux de quatre ans qu'on veut
habituer à la selle et préparer pour la
vente. Alors, pour la première fois, elles
sentent la main de l'homme. Ce dressage des
poulains est \:^ travail le plus pénible du cow-
boy. Ces jeunes bêtes sont sauvages et fières ;
et à moins qu'on ne les traite avec précau-
tion, on peut les rendre impropres au service
ordinaire.
On raconte des centaines d'aventures émou-
vantes dont les chevaux ont été les héros,
pendant qu'on les dressait. Buffalo Bill, que je
connais très bien, me racontait qu'il avait eu
un associé nommé Broncho Charlie, qui domp-
tait une fois, au Gros-Castor, dans le Colo-
rado, un superbe étalon noir. Charlie qui
s'imaginait qu'il avait parfaitement habitué la
bête à son contrôle, lui mit la main sur
l'encolure, lorsqu'en un clin d'œil, l'étalon lui
saisit cette main et se mit à la secouer abso-
lument comme un chien le ferait d'un rat,
déchirant les chairs et les muscles et lui
faisant une terrible blessure. Ce fut un
bonheur pour Charlie que l'animal ne Tat-
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
300
trapât point par le bras, car il le lui aurait
broyé et mis en pièces.
On fait courrir le troupeau autour du corral
au petit galop, pour permettre au cowboy
d'examiner toutes les bêtes et de choisir le
cheval qu'il veut dresser pour l'attraper au
lasso. Pour la première fois, l'animal sent les
liens, et aussitôt toutes ses méfiances s'é-
veillent. On la voit se précipiter et essayer
de se confondre dans la foule de ses com-
pagnons. Mais, peu à peu, le cowboy s'ap-
proche. Il sait à quel moment il devra donner
de la corde au cheval, afin qu'il ne se blesse
pas, sans toutefois lui fournir l'occasion de
s'échapper.
Après ime lutte plus ou moins prolongée,
30I SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
*
l'animal est séparé enfin du troupeau et se
tient devant son maître, tous ses membres
frémissants, Tceil dilaté et les flancs tout pan-
telants.
* Le plus difficile reste à faire. La tâche du
cowboy est bien propre à exercer au plus haut
degré son jugement, son agilité, sa patience
et son courage. Il faut que le cowboy passe un
nœud aux naseaux du cheval et le musèle,
afin de s en faire mieux obéir et de permettre
en même temps de lâcher un peu le lasso, de
crainte qu'il ne s'étrangle.
Avec un instinct aussi rapide que mer-
veilleux, le cheval découvrira le signe de
frayeur le plus léger chez son dompteur, et
il saura en profiter.
Le cowboy s'approche lentement, tantôt
avançant et tantôt reculant, selon la tactique
du cheval. Il s'agit pour lui d'arriver jusqu'à la
tête du cheval. Si étrange que cela paraisse,
la manière de lui montrer la main est un point
d'une grande importance. Par instinct, la bête
craint la main ouverte dont il voit la paume,
beaucoup plus que celle qui est fermée, ou
dont on ne lui montre que le dos.
SIX MOTS DANS LES M ONT AGNES- ROC H EUS ES 302
Lorsqu'on est parvenu enfin à s'approcher
assez près pour promener doucement sur
l'extrémité des naseaux le dos de la main, on
a accompli une bonne partie de la tâche. Le
cheval commence à se calmer. Alors, d'un
mouvement rapide, on lui passe un nœud
coulant aux naseaux, et la bête se trouve suf-
fisamment muselée. Parfois, cette partie de la
tâche demande des heures entières. Le che-
val essaiera de porter des coups avec ses
pieds de devant, et essaiera de mordre, ou
bien, pivotant avec la rapidité de l'éclair, il
lancera de terribles ruades.
Malheur au coivboy s'il n'est aussi igile
qu'un chat, et s'il ne sait point se mettre
en garde contre ces attaques dangereuses.
Mais surtout qu'il ne lâche point le licol
303 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
OU bien tout sera à recommencer dans des
conditions pires encore.
Après des tentatives longues et patientes,
le cowboy parvient enfin à mettre la main sur
l'encolure, le garrot et les reins du cheval.
Cette manière n'est pas la plus courte pour
dresser un cheval ; mais c'est la meilleure.
Lorsqu'à force de douceur, on est parvenu
à rendre la bête maniable, il n'est pas difficile
à un cavalier habile de la monter ensuite.
Une méthode beaucoup moins longue mais
plus violente, et qui peut blesser le che-
val, consiste à lui lier les deux pieds de
devant avec un second lasso, à le jeter après
cela sur le flanc, à lui passer alors le licol
et à lui attacher une selle, pendant qu'il gît
ainsi sur le sol.
Après ces précautions, un cavalier adroit
fait passer la bête effarouchée par une série
d'exercices fatigants, jusqu'à ce qu'elle soit
littéralement épuisée, et que, n'en pouvant
plus, elle se soumette. Mais l'effet de cette
méthode est loin d'être aussi satisfaisant que
la première; car désormais, le cheval ne
cessera plus de voir en son maître un ennemi
J
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
304
naturel, et il n'obéira plus que sous l'empire
de la crainte.
Mais il ne suffit pas de dompter l'animal
en lui passant un licol et en l'habituant
à y obéir. La seconde partie du dressage con-
siste à lui mettre une selle.
Pour l'y amener, on lui passe à plusieurs re-
prises la main sur les reins et sur les flancs. On
lui jette ensuite sur le dos une couverture lé-
gère à laquelle est attachée une sous-ventrière.
Néanmoins, quelque accoutumé que soit le
cheval à cette couverture, ce sera encore toute
unç affaire lorsqu'on lui fera sentir le poids
d'une selle et qu'on bouclera la sanglel
Il va sans dire qu'il y a chevaux et chevaux,
et que dans le nombre, il s'en trouve qui se
prêtent plus facilement que les autres à la
volonté de l'homme. On arrive toutefois à
surmonter enfin la difficulté de la selle, et il
s'agit alors d'accoutumer la bête à se laisser
monter.
Ce n'est pas la chose la plus facile du
monde que d'arriver à se mettre en selle, car
le cheval tourne, se dresse tout droit sur ses
pieds de derrière, lance dt;s ruades et s'efforce
d'échapper. S'il se jette à terre, la selle de
305 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
dressage est faite de telle sorte, avec un pom-
meau élevé, que le cavalier peut retirer les
jambes sans difficulté dans le cas où il se
trouverait pris sous la bête. D'ordinaire, il se
tient sur ses pieds au moment où le cheval
s'abat, et il enfourche de nouveau sa monture
dès qu'elle se relève.
Voici le moment où le cheval va essayer
les cabrioles. Se sentant sur le dos le poids
assez lourd d'un cavalier, il fait un effort su-
prême pour s'en débarrasser. Le voilà qui s'é-
lève au-dessus du sol et qui retombe tenant la
tête entre ses jambes de devant, la queue serrée
entre les jambes de derrière, et réunissant les
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 3
06
quatre pieds aussi près que cela lui est pos-
sible.
^^':^^i^
Le choc que le cavalier ressent à la des-
cente est terrible et si c'est un novice, qui
ne Ta pas éprouvé encore, il sera désarçonné
en un rien de temps. Mais s'il a déjà passé
par des épreuves semblables, s il sait se tenir
en selle, il est à peu près certain que le cheval
recommencera le ^nême manège en y intro-
duisant de nombreuses variations.
Il sautera, pivotera sur lui-même pendant
qu'il sera dans les airs ; il s'abattra sur le sol,
les jambes roides comme des barres ; et il
307 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
lancera de terribles ruades. Si l'on se met bien
dans l'esprit que tout cela a lieu pendant une
course échevelée, on comprendra facilement
qu'un homme qui ne se sent pas en selle par-
faitement à son aise, sera bientôt désarçonné.
Un coup dont la bête fait invariablement l'es-
sai quand elle voit qu'aucun des autres ne Ini
a réussi, consiste en un bond fait soudaine-
ment de recul. Immédiatement après, le che-
val se dresse sur sa croupe et se laisse
tomber en arrière, dans l'espoir d'écra-
ser le cavalier sous son poids. Il ne tient
alors qu'à un cheveu que ce dernier n'ait quel-
que membre brisé, peut-être même qu'il ne
soit entièrement broyé.
Il ne peut échapper au danger qu'en se
jetant hors de selle par un côté, sans oublier
toutefois de garder fermement dans sa poigne
la corde qui sert de licol. Dès que le cheval
se redresse, le cavalier doit être déjà remis en
selle.
C'est alors qu'il faut du sang-froid et de la
présence d'esprit, car le cheval ne médite rien
moins que la mort de son cavalier. Quelque-
fois il continuera cette lutte durant une
heure, se tenant tout le temps dans un étroit
m^
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
308
espace de dix pieds carrés. Ce n'est que
lorsqu'il se sent entièrement hors d'haleine et
à bout de forces qu'il donne quelques
signes de soumission. Quand la bête en arrive
à ce point, c'est le moment d'avoir recours au
fouet et à l'éperon pour mettre le cheval au
galop. Tandis qu'il court, il ne lui est pas pos-
sible de faire ses cabrioles de bouc ; aussi,
pourvu que le cowboy puisse rester en selle
quand le cheval fait ses sauts, et qu'il le fasse
courir jusqu'au point d'épuiser ses forces, il
est sûr de sortir vainqueur de la lutte.
Toutefois, si le cheval est d'un naturel
' vicieux, il fera l'essai du même jeu avec
chaque nouveau cavalier qu'il portera en selle ;
309
SIX MOTS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
car, reconnaissant un maître en celui qui l'a
d'abord dompté et lui obéissant, il n'aban-
donnera pas l'espoir de reconquérir la liberté
avec un nouveau cavalier. Aussi les cowboys
sont-ils toujours sur leurs gardes quand ils
montent une nouvelle bête, ne négligeant
jamais de demander si elle buckcabriole, et si
elle fait des bêtises.
Qu'arriverait-il si un cheval s'échappait
pendant qu'on le dompte ? Ce serait adieu
paniers, les vendanges sont faites, du moins en
ce qui regarderait le cavalier. Le cheval se
souviendrait à jamais de lui ; il n'oublierait
pas de sa vie qu'il a eu un jour le dessus sur
cet homme, et tant qu'il lui resterait un souffle
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
310
de vie, il essaierait de nouveau de gagner 1 a
partie.
A dire vrai, il est très difficile de reprendre
un cheval qui est dans ce cas ; car dès qu'il
aperçoit du plus loin un homme qui se dirige
vers lui, monté sur une autre bête, il se met à
fuir loin du troupeau, et il disparaît à l'horizon.
Dans la plupart des cas, s'il arrive même à un
cavalier d'être jeté à terre une seule fois, il est
très difficile de faire oublier au cheval cette
victoire, et l'on peut être certain que la bête
continuera à. cabrioler de temps en temps jus-
qu'à la fin, de sa vie.
■:•■ ■■>-
l
311 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
XX
LA DETTE DU SANG
15 octobre 1890.
Il vient de se passer parmi les Indiens de
l'ouest, un drame étrange dont le récit a fait
le tour de la presse américaine et qui trouve
naturellement sa place dans un livre qui
traite des régions sauvages des Montagnes
Rocheuses.
Les récits d'Homère pâlissent devant l'hé-
roïque réalité d'une lutte comme celle que
nous raconte M. S. C. Robertson, lieutenant
au I" régiment de cavalerie des Etats-Unis,
un des acteurs de ce drame émouvant.
Je laisse la parole à M. Robertson, me con-
tentant de traduire son récit qui est une des
plus curieuses pages de l'histoire des races
indigènes de l'Amérique du Nord :
1
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
312
" Jamais, épopée sanglante, ayant pour ac-
teurs des blancs et des peaux-rouges, n'a
présenté aussi complètement la grandeur et
l'horrible, mêlés au pittoresque, que celle dont
la réserve "^ des Cheyennes du Nord a été
le théâtre, la semaine dernière.
Dans cette réserve qui s'étend au sud de
la rivière Yellowstone dans le Montana, et
englobe les terres arrosées par la Rosebud et la
TonguCy on a rassemblé les restes dé cette
bande de Sauvages belliqueux qui, dans le
cours des septante, commandée par des chefs
tels que Nez-d'aigle et Couteau-rouge, a écrit
leo pages les plus sanglantes dans les annales
des guerres indiennes et livré les combats les
plus acharnés à nos généraux Miles, McKenzie
et Crook. ; - _ ; >^
On peut dire que, somme toute, ces Sau-
vages se sont montrés assez paisibles depuis
qu'ils ont été réunis sur la réserve. Néan-
moins, depuis quatre ans, ils ont donné quel-
ques signes de mécontentement et d'agitation,
ce qui a rendu nécessaire l'établissement per-
* Territoires réservés par le gouvernement pour la
résidence des Indiens.
313 SIX MOIS DANS LES MONTAGN h S- ROCHEUSES
manent de petits camps de troupes régulières
dans leur voisinage.
Le printemps dernier, on craignit un instant
que le meurtre d'un fermier par trois de ces
Sauvages n'amenât une crise ; mais les assas-
sins furent livrés et la crise n'eut pas lieu.
Néanmoins, comme conséquence de ce crime,
les tentes blanches d'un escadron du I" régi-
ment de cavalerie des Etats-Unis, sont res-
tées, pendant cinq longs mois, comme de silen-
cieux pacificateurs en présence des wigwams '\ «
enfumés des Cheyennes, le long du Lame
Deer. '"■''■',-'••'
Tout nous faisait espérer le maintien de la
paix et le départ prochain des troupes, quand ;
le meurtre inattendu d'un jeune homme du '
nom de Boyle, commis parles Indiens, à la
date du 6 septembre 1890, à trois milles de
notre camp, donna une nouvelle tournure à
la situation. Après trois jours de recherches
actives par les troupes et les Indiens alliés,
on avait trouvé le corps de Boyle dans une •/
ravine profonde sur le penchant d'une mon- "
tagne escarpée et solitaire, à une grande
distance de la scène du meurtre.
Cette même nuit, la police indienne avait
"ii'.'-
7-
SIX MOIS DANS LES MONTAGITES-ROCHEUSES 314
également découvert les assassins. C'étaient
deux jeunes Cheyennes qui, lorsqu'on avait
retrouvé le corps de la victime, s'étaient enfuis
dans la montagne.
Ce crime, commis sans motif apparent, avait
été accompagné de circonstances qui le ren-
daient exceptionnellement atroce ; mais il
eut pour dénouement une des scènes les
plus caractéristiques du courage des Peaux-
Rouges.
La recherche des coupables avait continué
sans aucun succès pendant plusieurs jours,
lorsqu'au moment où l'on s'y attendait le
moins, le père même de l'un d'eux porta à
l'agent '"' chef, un message de leur part, pour
informer ce fonctionnaire qu'ils étaient fati-
gués de se cacher, qu'ils s'attendaient bien au
sacrifice de leur vie, mais qu'ils voulaient
mourir en combattant bravement. Ils faisaient
donc savoir à l'agent que s'il voulait réunir
les troupes, ils se présenteraient seuls pour les;
* Chaque réseç^'e est placée sous le contrôle d'un
fonctionnuire du gouvernement qu'on appelle Indian
Agent, (agent des Indiens.) Sa résidence est connue
sous le nom de Agcncy (agence).
315 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
combattre jusqu'à la mort. Dans le cas où
leur demande serait repoussée, ils se jetteraient
sur l'établissement de l'agence, ainsi que sur
le camp et tueraient tous les blancs qui leur
tomberaient sous la main.
Faite par un guerrier de la tribu des
Shoshones ou des Corbeaux, une pareille pro-
position n'eût été prise que pour une simple
vantardise; mais elle avait un tout autre
caractère venant de deux jeunes braves
Cheyennes. ,,.
Avis fut donc immédiatement donné au
major Carroll qui commandait le camp, et qui
ordonna sans retard aux clairons de sonner
le boute-selle. Les troupeaux furent ramenés
aussitôt au camp et en un clin d'œil les soldats
se trouvèrent à cheval.
Celui qui écrit ces ligne^^ ayant été un des
premiers à se présenter, reçut l'ordre de
prendre son escadron, de le disposer en
cordon autour du camp sans perdre un seul
instant, afin d'empêcher l'approche des deux
Indiens de ce côté. . •
Comme nous parcourions au galop la dis-
tance d'un mille qui sépare le camp de
l'agence, nous ne pouvions chasser de notre
>. :-!
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES 3 l6
esprit la pensée que nous étions en train de
faire une course inutile. En effet, l'idée d'un
duel arrangé d'avance entre deux jeunes
Indiens et trois escadrons de cavalerie, nous
paraissait trop ridicule pour être prise au
sérieux. Toutefois, quand je dis ce que j'en
pensais au Loup-vaillant, chef Cheyenne qui
galopait à côté de nous, il nous rassura en
nous disant gravement que les jeunes guer-
riers se présenteraient comme ils l'avaient
annoncé et que ce serait alors entre eux et
nous, une lutte à mort.
Piquant donc des deux, nous arrivâmes à
. l'agence où nous postâmes des sentinelles ;
ensuite, toujours guidés par le Loup vaillant,
nous tournâmes dans la direction de l'Est et
prîmes un sentier que les deux braves devaient
suivre, d'après ce que nous dit le vieil Indien.
Arrivés à un demi mille de là, nous fîmes
halte et nous disposâmes nos hommes, les uns
démontés et distribués en tirailleurs, les autres
à cheval et placés en vedette. - : i
En cet endroit, le chemin longe un étroit
vallon qu'on dirait encaissé de tous côtés entre
des collines couronnées de roches escarpées.
La nature n'aurait pas pu nous choisir de
3 I 7 SIX MOIS DANS LES MONjTAGNES-ROCHEU&ESJ
meilleur amphithéâtre pour la scène que le
hasard nous préparait. Lorsque nous jetâmes
nos regards autour de nous, pour poster nos
hommes, le spectacle qne nous eûmes sous
les yeux est un de ceux que l'homme n'oublie
jamais.
Pendant l'agitation des jours précédents,
l'agent avait rassemblé de tous les coins de
la réserve la tribu entière des Cheyennes et
l'avait réunie dans un camp près de l'agence.
A l'approche des troupes, les Peaux-
Rouges étaient sortis de leurs tépis et au
moment de notre arrivée, ils couronnaient le
faîte des collines qui surplombent le vallon,
en masses épaisses qui se détachaient du fond
par les brillantes couleurs de leurs accou-
trements sauvages.
A l'arrière- plan, sur les hauteu rs plus éle-
vées, sur l'autre rive du Lame Deer, pour
être à l'abri de tout danger, se groupaient
les femmes et les enfants en avant des trou-
peaux de chevaux. ;, .►
Avant notre arrivée, les deux jeunes meur-
triers avaient envoyé un messager à la tribu
pour l'inviter à venir voir avec quelle bra-
voure ils allaient mourir. Le sang-froid avec
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
3'8
*,
lequel ces préliminaires de la rencontre
avaient été arrangés rappelait les scènes des
arènts antiques et présentait un contraste
étrange avec l'ensemble des idées et des
mœurs du dix-neuvième siècle. Les specta-
teurs étaient à peine en place, ai> figuré, que le
rideau fut levé et que les deux acteurs dont
tout le monde attendait anxieusement l'entrée
en scène, firent leur apparition.
Ils étaient à cheval. On les vit déboucher
d'un terrain couvert de troncs d'arbres qui
traversait le vallon à environ deux mille cinq
cents pieds de nous. Grâce à nos jumelles
d'ordonnance, nous pûmes nous assurer qu'ils
étaient bien armés, montés sur d'excellents
chevaux et en grand costume de guerre.
Un d'eux portait une magnifique coiffure
dont les plumes splendides touchaient presque
le sol. '■^^ '■■- .■•■■''■.!''•■
Dirigeant leurs pontes vers la crête la plus
escarpée de la colline que nous avions en face,
ils s'arrêtèrent et firent prendre d'abord à
leurs montures yne allure rapide pour décrire
des cercles qui se détachaient clairement sur
l'horizon, leurs plumes d'aigle volant fièrement
à la, brise.
319 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
Pendant cette course, ils avaient entonné
leur chant de mort. Il ne leur fallait ni les
applaudissements des loges, ni les cris du par-
terre pour leur donner du cœur. N'étaient-ils
pas des braves Cheyennes, des fils de guer-
riers Cheyermes, dont les exploits avaient
fait déjà le sujet de maints chants héroïques,
le soir, à la lueur des feux du bivouac ? Les
yeux de centaines de braves de leur tribu et
des belles filles qu'ils connaissaient, n'étaient-
ils pas fixés sur eux, par delà le vallon, pour
les voir mourir et pour leur lancer des regards
de mépris au moindre signe de crainte ?
Pendant ces préliminaires, nos hommes
s'étaient rapprochés du pied de la colline et
quelques instants après, le sifflement des balles
qui tombaient autour de nous nous apprit que
ce duel épique avait commencé.
Est-il nécessaire d'entrer dans des détails ?
Cinquante mousquetons avaient répondu au
feu des deux Sauvages, tandis que ceux ci
tiraient du milieu des roches. Se voyant cernés
et chassés de leur premier poste, ils se préci-
pitèrent au grand galop du haut de la colline
et coururent vers une ligne de nouvelles
troupes de cavalerie qui venait d'être amenée
■IM
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES 3^0
sur le faîte méridional de la vallée par le
lieutenant Pitcher, du P' régiment de cava-
lerie.
Comme c'est sur cette crête que s'étaient
massés la plupart des spectateurs Cheyennes,
il était évident que les jeunes braves dési-
raient que leurs amis assistassent à la scène
de mort.
Ils traversèrent rapidement le vallon ; l'un
à cheval, l'autre qui a eu son cheval tué sous
lui, court à pied. Le premier des deux, autour
de qui pjeuventles balles, escalade hardiment
la colline, en face du front de bataille du
lieutenant Pitcher, faisant feu en même temps
de son mousqueton qu'il tient à la hanche.
Trente mousquetons et revolvers sont bra-
qués sur lui, à bout portant, mais il ne bronche
pas ; il avance toujours, ses prunelles lançant
des éclairs de défi et de colère sauvage. Il
fait une trouée dans la li^ne. Il tombe alors
avec trois balles dans le crâne et plusieurs
autres dans le corps, ayant trouvé la mort en
combattant jusqu'au dernier moment.
Cependant le jeune guerrier qui était dé-
monté, avait tourné pour descendre le vallon,
attiré peut-être par un petit groupe de blancs
."^2 1 SIX MOIS DANS LES MONTAGNES- ROCHEUSES
qui se tenaient près de l'agence. Les balles
tombaient dru autour de lui. On découvrit
plus tard que déjà ses vêtements étaient cri-
blés de balles, mais c'est à ce point seulement
qu'il dut recevoir sa première blessure, car
tournant soudainement à gauche, avec cet
instinct caractéristique des Peaux-Rouges,
— l'instinct du lièvre ou du coyote blessé, — il
chercha un refuge dans une tranchée faite
par le lit desséché d'un torrent et là il lutta
avec désespoir jusqu'à ce qu'on l'eût achevé.
Ce brave était presque un enfant qui, ainsi
qu'on s'en est assuré plus tard, était resté
complètement étranger au meurtre de Boyle.
Mais il était trop vaillant pour refuser de
prendre sa responsabilité du crime commis
par son jeune compagnon d'armes.
Nous glissant à travers les broussailles dans
sa direction, nous l'aperçûmes enfin. Il était
déjà mort. Nous restâmes émus au spec-
tacle de ce jeune homme au visage d'une
étrange beauté, couché dans son costume aux
brillantes couleurs, les joues couvertes de ver-
millon, et en voyant son sang rose qni tache-
tait les feuilles jaunies par l'automne, sur
lesquelles il était tombé.
/
SIX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
322
A ^
C'était le dénouement du drame et la dette
avait été payée à la mode indienne, sang pour
sang. Nous apprîmes plus tard que les deux
mères indiennes, lorsqu'on leur avait dit que
leurs fils devaient mourir, étaient allées dans
la montagne et là, en femmes dignes de Sparte,
elles avaient bravement orné leurs enfants
pour la scène finale ; plus bravement encore,
elles étaient restées spectatrices de la scène
de mort. Après le dénouement, elles se pré-
cipitèrent vers les deux morts et se jetèrent
sur ces corps bien aimés.
Les autres femmes de la tribu et les enfants
sortirent en foule des camps, traversèrent le
cours d'eau et en un instant, l'air retentit de
leurs lamentations auxquelles se mêlaient des
chants où l'on vantait déjà la vaillance des
deux victimes.
Pendant la fusillade, grand nombre de
jeunes braves Cheyennes qui se tenaient le
long de la crête des monts, ne pouvant plus
contrôler leur ardeur martiale, avaient sauté à
bas de leurs ponies et bouclé leurs cartou-
chières par dessus leurs couvertures ; mais la
police indienne, dirigée avec prudence par
l'agent, M. Cooper, avait fait fidèlement son
323 ' STX MOIS DANS LES MONTAGNES-ROCHEUSES
devoir et l'on avait ainsi évité un soulèvement
général qui était à craindre.
Comme nous chevauchions lentement dans
la direction du camp, le soleil se couchait pai-
siblement derrière la vallée du Lame Deer ;
mais dans notre mémoire, se trouvait à jamais
gravée en traits profonds, la scène dramatique
sur laquelle il venait de jeter ses derniers
rayons."
i '.;.:■> ■
FIN
w
TABLE DES MATIÈRliS
Préface
I. — Six mois dans les Montagnes- Rocheuses
II. — De Montréal à Chicago
III. — Chicago, les Sioux, les Bisons
IV. — Le Colorado, l'Utah, le Nouveau- Mexique
V. — Denver
VI. — Manitou,^ Colorado Springs, le Jardin des Dieux
Glen-Eyre
VII. — Les chiens de prairie, Pueblo, Trinidad, La Véta
Ouray
VIII. — Hauteur des montagnes du Colorado, le Nouveau-
Mexique
IX. — Pueblos et Puebloanos
X. — Santa Clara, San-Juan, Taos
XL — Les Pénitentes, les Cliff Dwellers
XII. — Encore les Cliff Dwellers
XIII. — Encore les Pénitentes de Pueblo à Sait Lake
City
XIV. — Au pays des Mormons
XV. — Encore les Mormons, le grand Lac salé
^ XVI. — Les Voyages de Bonneville, Aspen, le Mont de la
Sainte-Croix
XVII. — Leadville, les mines du Colorado ' ■
XVIII. — L'agriculture et l'élevage au Colorado
XIX. — I^ Cowboy au Colorado, le dressage des che-
vaux sauvages -, . ':','/
XX. — La dette du sang ' .
8
i8
23
35
44
54
62
80
99
114
133
154
172
187
215
232
252
274
282
m
3ÎÏ