Skip to main content

Full text of "Six mois dans les Montagnes-Rocheuses [microforme] : Colorado, Utah, Nouveau-Mexique"

See other formats


<b^ 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


// 


,^V%' 


1.0 


l.l 


1.25 


25 
2.2 

1-4    il.ô 


V 


^; 


/A 


CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHM/ICMH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  Institute  for  Historical  Microreproductions  institut  canadien  de  microreproductions  historiques 

1980 


Technical  Notes  /  Notes  techniques 


The  Instituts  has  attempted  to  obtain  the  best 
original  copy  available  for  filming.  Physical 
features  of  this  copy  which  may  aiter  any  of  the 
images  in  the  reproduction  are  checked  below. 


L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Certains 
défauts  susceptibles  de  nuire  à  la  qualité  de  la 
reproduction  sont  notés  ci-dessous. 


n 


Coioured  covers/ 
Couvertures  de  couleur 


D 


Coioured  pages/ 
Pages  de  couleur 


0 


Coioured  maps/ 

Cartes  géographiques  en  couleur 


D 


Coioured  plates/ 
Planches  en  couleur 


0 


Pages  discoioured,  stained  or  foxed/ 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


D 


Show  through/ 
Transparence 


D 


Tight  binding  (may  cause  shadows  or 
distortion  along  interior  margin)/ 
Reliure  serré  (peut  causer  de  l'ombre  ou 
de  la  distortion  le  long  de  la  marge 
intérieure) 


D 


Pages  damaged/ 
Pages  endommagées 


El 


Additional  commente/ 
Commentaires  supplémentaires 


Par  rapport  aux  autres  pages  du  livre,  un  taux 
de  réduction  différent  a  pu  être  utilisé  lors 
du  filmage  de  cartes  ou  de  tableaux  dépliants. 


Bibliographie  Notes  /  Notes  Dibliographiques 


D 
D 
D 


Only  édition  available/ 
Seule  édition  disponible 


Bound  with  oth«/  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 


Cover  title  missing/ 

Le  titre  de  couverture  manque 


0 

D 
D 


Pagination  incorrect/ 
Erreurs  de  pagination 


Pages  missing/ 
Des  pages  manquent 


Maps  missing/ 

Des  cartes  géographiques  manquent 


D 


Plates  missing/ 

Des  planches  manquent 


Additional  commente/ 
Commentaires  supplémenteires 


La  pagination  est  comme  suit  :  [2]  -  105,  108  -  323. 


The  images  appearing  hère  are  the  beat  quatity 
possible  considering  the  condition  and  legibility 
of  the  originai  copy  and  in  keeping  with  the 
filming  contract  spécifications. 


Les  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  le  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
conformité  avec  les  conditions  du  contrat  de 
filmage. 


The  lest  recorded  frame  on  each  microfiche  shall 
contain  the  symbol  — ►(meaning  CONTINUED"), 
or  the  symbol  y  (meaning  "END"),  whichever 
applies. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la  der- 
nière image  de  chaque  microfiche,  selon  le  cas: 
le  symbole  —^  signifie  "A  SUIVRE",  le  symbole 
V  signifie  "FIN". 


The  original  copy  was  borrowed  from,  and 
filmed  with,  the  kind  consent  of  the  following 
institution: 

Morisset  Library 

University  of  Ottawa 

Maps  or  plates  too  large  to  be  entirely  included 
in  one  exposure  are  filmed  beginning  in  the 
upper  left  hand  corner,  left  to  right  and  top  to 
bottom,  as  many  frames  as  required.  The 
following  diagrams  illustrate  the  method: 


L'exemplaire  filmé  fut  reproduit  grâce  à  la 
générosité  de  l'établissement  préteur 
suivant  : 

Bibliothdque  Morisset 
Université  d'Ottawa 

Les  cartes  ou  les  planches  trop  grandes  pour  être 
reproduites  en  un  seul  cliché  sont  filmées  à 
partir  de  l'angle  supérieure  gauche,  de  gaurhe  à 
droite  et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Le  diagramme  suivant 
illustre  la  méthode  : 


1 

2 

3 

1 

2 

3 

4 

5 

6 

VI 


>/ 


'    ■'      -j 


''.'       1. 


■■■■■      t     v 
^  "     "  ^' 


;l'     1 


"ty.,A' 


■1  , 


->  • 
'   l    - 


\  ) 


'>ï^ 


::;) 


■    7   ■ 


/ 


/ 


SIX  MOIS 


DANS  LES 


COLORADO  -  UTAH  —  NOUVEAU-MEXIQUE 


PAR 


H.   BEAV GRAND 

Ouvrage  accompagné  d'une  carte-itinéraire  et  orné  de 
nombreuses  illustrations  hors  texte 

Avec  une  préface  de  LOUIS  FRÉCHETTE 


o>»î« 


MONTREAL 
ORANGER     FRÈRES 

1699,  rue  Notre  Dame 
1890 


<:A;N'A.r>:ANA     ) 


w 

Mis 

Ai 


âj^^^^^^B^ 


<u 


/ 


MMHH 


LE   MONT   GARFIELQ 


t 


Mon  cher  ami, 

Connaissant  le  patriotique  amour  que 
vous  portez  aux  Canadiens-français  et  le 
profond  intérêt  que  vous  inspire  tout  ce  qui 
touche  à  leur  histoires  je  me  permets  de  vous 
dédier  ces  pages  qui  vous  ♦'"«/  de  cette 

race  de  hardis  pionniers  qui  ont  implanté 
le  culte  de  la  France  en  Amérique. 

H.  BEAUGRAND 

Montréal,  Canada,  octobre  1890 


D«ni  le  Jardin  dti  Dieux  —  Le*  (titn  Binmole 


PREFACE 


Ils  devaient  avoir  le  cœur  bardé  du  triple  | 

airain  d'Horace,  les  hardis  enfants  de    Bre-  [ 

tagne  et  de  Normandie  qui  vinrent,  à 
travers  tant  de  périls,  conquérir  à  la  France 
cet  empire  d'Amérique,  hélas  !  perdu  depuis. 

Durant  des  siècles  on  les  vit  s'enfoncer 
dans  tous  les  déserts,  sonder  les  plus  impé- 
nétrables forêts,  remonter  le  cours  de  tous  les  ' 
fleuves,  parcourir  tous  les  grands  lacs,  explo- 
rer les  régions  les  plus  reculées,  résoudre  les 
problêmes  ^géographiques  les  plus  inabor- 
dables. 

Depuis  les  gorges  du  Nouveau- Mexique 
jusqu'aux  extrémités  hyperboréennes  de  l'A- 
laska, pas  un  sentier,  pas  une  plaine,  pas  un    '   \ 


9  SIX  MOIS  DANS  LES  MONT  AGNES- ROCHEUSES 

I  II  ■    -  III         ■■■[■■i»».i  ,       .  ■     .  .       Il      I       ■  I    ■■-    I     I  .1— -^..ii 

sommet,  pour  âînsi  dire,  qui  n'ait  été  foulé  par 
le  pas  de  ces  sublimes  aventuriers  qui,  avec 
un  courage  et  une  vigueur  physique  dont 
l'histoire  n'offre  point  d'autre  exemple,  s'étaient 
ainsi  constitués  les  avant- coureurs  de  la  civi- 
lisation sur  les  trois  quarts  d'un  continent. 

Leurs  descendants  ont  hérité  de  leur  éner- 
gie, de  leur  esprit  d'investigation  et  de  leur 
amour  des  voyages.  L'inconnu  leur  parle 
avec  un  attrait  irrésistible.  Chez  grand  nom- 
bre d'entre  eux,  l'homme  est  incomplet  s'il  n'a 
dqns  ses  souvenirs  des  récits  plus  ou  moins 
merveilleux  de  lointaines  excursions,  de  péril- 
leuses entreprises,  de  luttes,  de  fuites,  d'éva- 
.  sions,  d'aventures  de  toutes  sortes,  dc^ns  des 
pays  étranges  dont  la  description  enthou- 
siasme la  jeunesse  qui,  plus  tard,  ne  sera 
satisfaite  qu'après  avoir  tenté  les  mêmes 
exploits. 

Le  fai'-  ^^t  que  les  Canadiens-français  ont 
tellement  fouillé  l'Amérique  en  tous  sens, 
qu'ils  se  sont  un  peu  implantés  partout.  Allez 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  lO 

dans  tous  les  centres  américains,  pénétrez 
dans  les  recoins  les  plus  sauvages  des  Mon- 
tagnes-Rocheuses, si  vous  n'y  trouvez  pas  une 
colonie  canadienne,  vous  y  trouverez  des  indi- 
vidus isolés,  ou  tout  au  moins  la  trace  de  leur 
passage  et  de  leurs  travaux. 

Cela  est  tellement  vrai  que  les  Anglais  eux- 
mêmes  racontent  là-dessus  les  histoires  les 
T)lus  invraisemblables.  Voici  une  plaisanterie, 
par  exemple,  qui,  si  elle  manque  d'authenticité 
quant  au  sujet,  n'en  est  pas  moins  éloquente 
au  point  de  vue  typique. 

Deux  personnages  se  rencontrent  su^  la 
rue  Notre-Dame,  à  Montréal  : 


•  Vous  savez  la  nouvelle  ? 

-  Non. 

•  La  Jeannette, . . 
■  Eh  btën  ? 

-  Elle  est  arrivée  au  pôle. 

-  Pas  possible  ! 
Comme  je  vous  le  dis. 


I BPS!"'™™ ''  ™'  ''~  -  '  ■" •  •  ■r'"'^'^''}'"^' .  "--■:■ "c'< 


II 


SIX  MOIS  DAMS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


I  mi' 


—  La  Jeannette  a  atteint  le  pôle....  Sapristi  ! 
Et  qu'a-t-on  trouvé  là  .•* 
-^Un  Canadien  assis  dessus  ! 

L'auteur  du  présent  volume,  M.  Beaugrand, 
n'a  pas  que  je  sache  l'ambition  d'aller  planter 
sa  tente  au  pôle  nord,  mais  pour  ce  qui  est 
d'aimer  les  voyages  et  les  aventures,  il  est 
bien  le  digne  fils  de  sa  race. 

M.  Beaugrand,  qui  a  fondé  cinq  ou  six 
journaux,  qui  a  publié  plusieurs  ouvrages,  qui 
a  fait  sa  fortune,  qui  a  été  deux  fois  maire  de 
la  plus  grande  ville  du  pays,  qui  est  officier 
de  la  Légion  d'honneur,  décoré  sur  toutes  les 
coutures,  et  qui  compte  à  peine  quarante  ans.... 
a  trouvé  le  moyen,  par  temps  perdu,  de  faire 
la  campagne  du  Mexique  avec  l'armée  fran- 
çaise, de  visiter  plusieurs  fois  l'Europe  et 
l'Afrique,  et  d'aller  jusque  dans  les  pays  neufs 
du  Far  West  relever  les  vestiges  des  Cana- 
diens qui  l'y  ont  précédé,  et  recueillir  les 
légendes  qu'ils  y  ont  écrites. 

C'est  le  récit  de  sa  dernière  excursion  au 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


12 


fond  de  ces  parages  étranges  et  peu  connus, 
qu'il  offre  aujourd'hui  au  public,  sous  le  titre 
de  :  Six  mois  dans  les  MotUagnes- Rocheuses. 

M.  Beaugrand  prétend  voyager  pour  sa 
santé.  Mais  quand  on  lit  le  récit  de  ses  péré- 
grinations, de  ses  recherches,  de  ses  longues 
courses  à  travers  des  pays  presque  fantas- 
tiques, à  la  découverte  d'une  inscription 
bizarre,  d'une  curiosité  préhistorique  ou  d'un 
caprice  de  la  nature;  quand  on  songe  à  ce 
qu'il  lui  a  fallu  d'études  et  d'observations  pour 
parsemer  ce  récit,  comme  il  l'a  fait,  de  sou- 
venirs historiques,  d'anecdotes  piquantes  et 
d'étonnantes  statistiques  ;  quand  on  pense  à 
ce  qu'il  lui  a  fallu  de  temps  et  de  patience 
pour  compiler  ses  matériaux,  compulser  ses 
notes  et  donner  une  forme  littéraire  à  son 
travail,  on  est  tenté  de  se  demander  si  la 
maladie  de  IViï.  Beaugrand  est  bien  sérieuse, 
et  si  elle  n'est  pas  un  peu  mise  à  la  clef 
comme  élément  de  contraste  avec  une  vie  si 
féconde  et  si  agitée. 

En  tout  cas,  ba^inage  à  part,  comme  c'est 


13 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


paraît -il,  un  asthme  aigu  qui  force  M.  Beau- 
grand  à  voyager,  ses  lecteurs  admettront 
comme  moi  qu'ils  doivent  trop  à  cette  maladie- 
là,  pour  ne  pas  espérer  qu'elle  justifiera  sa 
réputation  populaire  et  lui  constituera  pour 
de  bon  un  brevet  de  longue  vie. 

Je  viens  de  prononcer  le  mot  de  forme 
littéraire.  Ce  n'est  pas,  à  la  vérité,  ce  qui 
semble  préoccuper  le  plus  M.  Beaugrand 
dans  ses  ouvrages.  Il  semble  vouloir  s'atta- 
cher à  quelque  chose  de  plus  tangible  et  de 
plus  substantiel. 

Sa  plume  court  sur  le  papier  un  peu  à  la 
diable,  mais  toujours  devant  elle,  sans  s'at- 
tarder aux  attraits  de  la  route,  sans  paraître 
avoir  d'autre  ambition  que  celle  d'arriver  à 
temps  et  d'atteindre  son  but  :  être  utile  et 
intéresser. 

On  sent  que  M.  Beau^and  écrit  à  la 
vapeur,  comme  il  voyage  ;  et  c'est  peut-être 
là  le  principal  charme  de  ses  livres.  C'est  un 
peu  la  mise  en  scène  imaginée  par  d'Ennery 
pour  Michel  Stroghoff  :  le  décor  défile  devant 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


14 


le  spectateur,  rapidement,  sans  arrêter,  mais 
de  manière,  ce-jendant,  à  ne  rien  laisser 
perdre  ni  du  détail  intéressant,  ni  de  l'aspect 
grandiose  de  l'ensemble. 

Je  sais  bien,  mon  Dieu,  que  ce  n'est  pas  là, 
précisément,  la  façon  de  procéder  de  Cha- 
teaubriand. Mais  sans  faire  à  M.  Beaugrand 
la  plaisanterie  de  comparer  son  style  à  celui 
qui  a  si  longtemps  fait  admirer  l'auteur  des 
Voyages  en  Amérique,  je  ne  puis  m'empêcher 
de  lui  savoir  gré  de  nous  avoir  fait  grâce  de 
descriptions  à  perte  d'haleine,  de  phrases  ron- 
flantes et  balancées  comme  des  battants  de 
cloche  ou  des  pendules  d'horloge,  et  surtout 
de  ses  rêveries  romanesques  au  bord  des 
torrents. 

Il  nous  fait  connaître  une  région  nouvelle, 
avec  ses  ressources  agricoles  et  minières  ;  il 
nous  conduit  à  travers  un  pays  aussi  merveil- 
leux par  son  progrès  matériel  que  par  ses 
beautés  pittoresques  ;  il  nous  initie  à  des 
mœurs  et  coutumes  aussi  bizarres  qu'an- 
ciennes ;  il  nous  ouvre  des  pages  d'histoire 


<iU^4ù**'ie  (Harruire)  Fort -tM.' n?i.) ^fôit 

-dt  j^MW/ iU,_  (,/, /f^ç 

t^*-Ju^i/. ,^_  it/ /6et 

•^Koïéaru/; ...zi/  _  ul. ^f^v 

^.^w«^, Fecàm^  ù/. /S-/ 

(^u^er-ùj-, /^  _  i^ /^  -; 

j^m/y, ùi  _t^. /éy^ 

^ùUi  <uuK  .-JtêntMu  Fcrt—  ui. ^€'/S 

^jg  €Utne /J(UMtu.j^e/à7z£e  e/t  ^cu /éS3 

tlVù-ifre  (4e.)i7iuiriv,  _  t</  _  i^. 16^8 

^JtiMicn  <^e  Jl-reiUi  _  ù/.  —ù/ ^éilg 

t/tnnei'f/fe: ^  _  Jbrt  en  ttutft,  _  /(^t 

.<kn/</e/'J/é, iU.  _  U/. //^^;  ^__ 

X.^r.  ff^-irvU,. U._  _ù/ /viu-    -^'pr.Uiiilh^:^ 

^«i^<««-^vyw/: et/  _  tt^ /ys(^ 

J/i^Ainc, tW.^  i'^. /é^'î  7   z^' 


Plan 

du 

Fort  de  iivMmUagrte' 
Bâ/i  en  /<?// 

A  HaMitUnn  cUa  MiMùyrtnatre^ 

B  Ch.tM-lle. 

C  VUuuf*.  aeaScuUHia^  cJtrdtou 

D  Juraltn.  pviaa^- 

E    Toum  n  mufru/ifj  «  •  tner-rt,-. 


CARTE  HISTORIQUE  DE  L'Û.E 


f/i    fhf  f/<^///vi  c/  fruir  con.^r 


.Hi  rj  /'i/r  ./f  )f,n/ff,n 


StJxtm/**-t,_JFoJtv/c  gnfcùf.^ffS' 

MoucAervUte. ^U. 4téi 

Japratrie .  ^J'ert^-  r«^ /f/e 

Varermca Ffdcute^itt. /€^3 

«^  l'héiMe, (  vu,) if/. ^^SS 

,ii-uyo^,/'C/AiM*fta  tU. ^ycc 

Jê'i^e^rvfùw  Kad.  erv-érùt. iy^é 

JfMlt€ren^. .lW. //tC 

Jàc  f  ,tfi^tnyrtrj,  F'fn-ffter/Y  y/t-/ 

CAùf/auM^^, Uù.^  _  //JS 

^(aan-attiaid, ^'«/, ^7^/ 


^6^t ^t 

46SV ïgé 

Jb'6c 4yi 

4f'/0 qo<T 

^(>tc /4ec 

4690^  _  )s6y 
/^r(-_  _  ficS' 

lyic.  .  63U 

r/3c iîsi 

i^ji^c  _  77/^ 
jyFo  _  _  au 
fye<r--X34t 


^77^- -977^ 

/yf        *êo40 

/.  U3S 

/Sic--43ySc 
t8yo  _J^Stcif 


hii/iritirtif 
(  fleauÀarruUt)) 

/''a^ÙMM-if.;  Ce-  Au  ci  (^»r*ii.er'  a^/ie^ 
M'fi/Tvn^e  rnouf*U- Ce-- 1^  nuu.  /(iitf.f. 

/^^3,  Ce/te/ uftfu:^  rtta.fn^f  aMi'  <mt 


■en^  </tti,  tout)  utàjtnmt^ 


.un^  fji^  Cieny  ruM^Oné- 


16^  ¥ê^■f64éi^6S^U'cl^/ââ/à.^64f 


rej  <M»«u;<v 


/64^  S^S-  464é i,/gSi  e^cl^/66/ à^^6^ 


C/iruti ,  .tÊtffJ  V, 
JcM/rnttn^,  SI., 4 
d'jMéri>MJ<H 
j9i  Jn^oti^tirt .  (  '/< 

fiirttAjMtii 


Plan 

Mittntain  Tort 

A  Htdu/enft  OfCHf  MtaAt>nui-ùd 

D  l'e^fieiMf.  Garderu, 

G  JUdciU'<3         de-  dtr 


î  DE   L'ÎLE  DE  M0NTEK4L 

''Wyvi  v/-  trut  r  c</nMn4/ù'ortA 


JEsrs 


Vurmnt.* 


'>rcunM 


'tni<:Jtrrvu<r 


K  l.orufinuul 

f/a*/  ^t/iie  a^n*u<  Cf  Utii.  rn/mt^  cuz/t  i(4^iU4^ 


u  *t/<.^/<in  ov^yw/T/ 


.JH'foef  ■^witQ.Hi  *<>/ en4M>-f.  ao*i*fr.a.  ÂcmAynt^/i 


■maU/. 


CcUa^e  Ce^Ca  n^<^*X' /vtt*f  Cou/cm. 


(/.", 


Il 'Il  II  rie) 


Xmi  cU<)  fU/o  <"««« 
dtauZ-Ue  dt  Memti-ftuù 


Juauéft 
u:htnc,  i 


l.iu-.fuMe.,  LaMtvcJifJtert' 
ffikr/\r)itu. 


Ji^m  ■   ,.Moft/*^*tcàaMvf/a^ruit>^fii<i^if//f. 


■ma4tf  ' 


du  Pr'fU  Brianà,  cAcu-f^j)  ctt,la  fffmmcraM^x/ean  ti<nwûn( 
Jea»uPeu^l.  GenMltno-nttnc\  /nu^e-i^/f^^'ertiiXY'c/cunc- 
</<!  /a  Pe/Ue^Hrrrrunt^^  (ù.Giu/ùiufnt:  ZfJirfiim,ocrpUamt 
di  H'H^ném/lon  f^de-xtn4T(  hiu^martnierv.  /aÀf^tère^rU- 
Stada^crté-  (Ou^Jiec)  ^/^  tf<JU**n/rr^ gi^a^r^Tvc^tn.t-fHW 
d 'Jfcr^rUu^  /<■  2  iW^re  />fifS,ann  entrer/  àftuJitd^ 
<nt''./à  Jf.'i.'''rfn6-c<'n/faùvt<>  d^-  f.' it-r^e/er  C'ftf^ttn  Scu4A- 
</'e^iu,fùJ  '/l^c</uet)C4^rirr^',^t^/u,^im/u'■ALe^*oc■au■  'r^n^ 
JiiUa)it.'VCi9-^U  auf/  il Hru,f  ^i^-ini^WfMfi^^u^  i/r^fiaA»<u^. 


clf  ueuey  4Ùy  la^Vûn/a^ffiJi,  ofutMe^^Jitj/r  /it<  J^U-TètT^aC 
(^fUr^ /HTiwuf'dfy^ Oui-  avuU.'Xéi'firK'n^  t'efn.<^je6a'*t^  ^i<my 

</«■  tù-tt^r\K'r^ pi^c^ti  i/eyfii>uf/»-<n->^.^cf  f^aar^t*  a'.ixne-i^ti'/M-if. 
trUen-eicr^  rÂarare^cU/^c^rreé.  '7- {*arif^r  f^nw.  cfvu  UHà- 
(pt'fJtrùfi/a  Jlbcfie/a.^-.M^fui/a/ifm/'  tte^neUe-  vmtr-^ii'e' 
f-éaté'  c{'e*i4't'fifn-  rrU/te  ,iMt4^faafA^jn<7m*m<>  /etntma  s^^^n^ 

Anrùe^lfiC^  .   l^rux^if:>uitn  ^j,i(i*rut^/}  e/Pifni^Orave'  uù>i/mt> 
If  •'iiMA^yli'-  'i!ui/(f4   t(Ct^    rf'ur'n/rfiit  i*H<  iu  n/'tt^ou^ÛfiM 

jttiMic  càd-c^ètt-  du-nerdi/-yf'HeUfft^-uni'yau/re^c^'fnt/t44^n^ 
auin^r  -ùatf^  de  um^^/ivtc^u-n^frurtt/nanf^  ata.do*ntnAi4  U* 
/g/t-f,-' (i-t-i^  Mn  ■./*ei<f-ut^df.,ycnife47/,  ^Aa*nJr./«jnf^ 
le  Hre-tniri-  oui  en/  HarO>  ,/<•  ci/^f  i/f,  Jfh.f^fr  t'<f^i4/f' 
ai't-tf  ui*tvrf  /fu^'//c<-À*tlini(i,  ÀiJ  dan-^urie  r/e .  CAiirrtJiùttn 
nou.f  /T^Uir-enO-  au.  u^i«i/n<  »4iui^a/fur  df  -t/i  JUa^  i/tu- 
rfrmrrtù/i/  ^Juut  'e^f)&Zaur^n/;  tu-n^-f  à^/''^/i'deJfrfl^À^/■ 
H'trt-tti/ 'tifinf  ffucr^  d<  n<-^-ff/in<u4i\i  f//f  Af^>7^^^.^e  deà 
'Pratrif.Ki^u,  n^m  fii<'^lr  de  et.  n<t<tjoa.ârnr. 

(  ''eitt  tHif /éurn-f.  dffd/ë.'  deux  >'tiH.érf  i/e.aTy'air'ùv  at*e., 
/e  i.iyutn  U^S,^u  ce^/rr^  ^  ftre^^i^rr  /ne-*!**!^  (^in.^ 
-/y/e  de  //7<fn^fet/^ntir  un  iMre'/Ce4><>ae'.é^  e*i^^»r'e.j«rtc^ 
f^  (jA<t*npMtn  e/.  t/'fuj  air*fetd' n^?rn^fe  c/e  dn/etttae<f. 
Lf  ttyaat  d<  r/ntfnfd!atri  ù/t/e  d^ /'/i/^HJred/;/.n. yà'ff. 
Ou/Tf  yrt  t/^dcnn^-  tia  dert<^m.t//i^ûn  à  n'^.-dff.ffe/e) 
j/n/ atttUfi ù'ccc<i<d47n  t/*e.?ir-fn  de  Ji.'Soru.i  //>«*<!vV 

^d  «fi-  e>i&ltdjt»te.. 

t/(Jitr4ier  fus'à  <H  iJKcU^  (,Âh^iaMxeJ  /e  .V  dt.efrv^t,M^^ 
*nort  tia.»ul  f*tfe'  ti/4e,  «t^f'Sài.    ■ 

efa*m*tC  d«  CAa*rtJt/ai*f. .  ne  à  tXfmùUjie..  ( ^nt.nt^J,  mt^ 
fSSr    ■mifT't d3u*/*<-  -«  f  s dér:e»n.6re'./fiJ^- 

i'^*4./'de.Gn^ttu<i4!y^f>eu.*'  de-^wa*^ofi*te***H.^,  n.è»i  'cfl€ye^ 
(CÀ4t*>iAaMe  I  fn  ^âvS.-Mtn-t  a  J6.>^./ij)j/yt/mH^.e.,/^^é 


'en* 

rrH 


^■■..:.;>....^-,^j. l.,.^jaa.ij 


J 


^. 


a  ^;-^ 


•■■t;^\ 


i< 


W,  4 


ri 
II 


■^îT-f 


irl^ .•-.--    -V.'., 


^;  ■Tfia 


vK 


I 


.i        , 


t  Kvannton 


ÏKlTsi 


tv^ 


mM':^ 


Vn, 


ffSlocmk  iL,  Cedd 


A^' 


ï'Tiié^if  iL>w*^  *««^-'  •*'< 


;srrt 


:!  •*. 


'S^ÂâLEFJuNe 


.S' 


Ëot^ 


„  TT«^^^ 


M  I  L  L  A  WD 

-A  «... 

Fillmoro     '^ 


nV 


vX.»' 


.c\^ 


*€b}L 


'"-%-.7*''>. 


».    '■".  fil  »''(\2r--*P'  ifât  J  ^ (y    / 

k'i'-  OF     JL  11- 


""^^      .u^HiM'^-  '     ' ' 


'''•'i 


#'^ 


cr£eh  w^'^'::^A^^.,o 


v^ 


Ouniilson  Pi.  ^-i 


fl*-»*  m     '"«  ..."         f    ■  > 


:>■■<} 


vsi". 


'«i«ihii^ï  ■  #  ^ 


^^J" 


^     '  ^    Bishop  1^. 


^w. 


v^' 

4^** 


■  ati 


:-> 


^^«C*: 


'An** 


lOtertirvuRif- 


fit! 


« 


Ja/X 


Oaibonate, 


.-'k 


1^3 


Mt»<?itrroH 


■       ,14. 


'«•<«. 


M*A  'vlfruV^^ 


wi*%*«  ' 


â^'^£>i^.-t^'^: 


x^ 


rr»»ij 


0/> 


*r     ^*"r'' 


.'jT   *■ 


<NV 


:>^ 


r«e<)M^ 


(^   Mt./Ja6k«{ 


^w* 


Ktt.ofthc,HolyCroi 


iK!^^^ 


toâctitMiltm■^.,^ 


■|'V  ' 


•Ml.  , 


r»«»( 


:lKbyiiJfc.E 


'A.  oovTz 


îk*  ir^a 


cHrfaMci' 


'.'/"«tiii».^'»»^ 


(  ?L   -MF    t'     1     ■  Vj^'^Ni-witrja  Monumeut  V 


■  .^^"^  H  HilriTti.ii 

FL*:^A  SPRINCSI 


Kelk< 


t..J ^_Ji., 


im 


k       S] 

Videlield 


lNtoa<1oW8^ 


CIVTU.nial^     .i^^^^ij  ugf-i^^^^    '  iV     ^^mW%lMt  ?    \:f         .  BéP«''"iPi 


Oak 


"^^ 


\OckfJ\f^fl 


S>irCUACHE(* 


ffl"^-:.--^^^Vf.--^L-^._,>^ 


fErlen 
IDuihIrr 


1  fy  AVo'th  Juno. 

,  fan  <  arlofl 

Verric 


^5^ 


"^o^  l'Irèm'ont 


^^^ 


i  ! 


ïi 


■y. 


h 


*^"!^ 


«ôti^ 


t^"' 


r 


M.5 


flUèJiot  dei  0*0 


t'*-YJ^ih.m\ 


ItJSTi 


J  jh^^'     -E^'**'» 'Va\,i)i$ 


/  /;  V 


^m 


^àS^ 


"Rarkors  auttjST 


L 


! 

! 

i 


■ 


Mi 


CARTE -ITINERAIRE 

•        ^   > 

d'un  voyage  de 

SIX  MOIS  DANS  m  MONTAGNES-ROCHEUSES 

H.    BEAUGRAND 

• 

'       "-^     — -                        — --^ 

r- 


"■l'H^'V^ 


^•*> 


*v. 


t 


4 


.^ 


'<>'é- 


■f 


P 


CliuiiiiuiV 
-^«-^..^^ — V  /•)  rir  llKiji_ 

— _- — — .  — rj=s— ...  .  I 

/  .4  ^ 


y^» 


•<'■■ 


>r  Albuquerqoe 

I 
I 


•A     A  '     K 


-ï^' 
.%l^. 


^ 


.u^^j».»^:. 


::r^ 


'"^^ 


8/«C|,|ACHEC>> 


Pinoin 


X7« 


.o^  .l'A   <       I         ^r 


*C'  1.*^ 


IDuihIrh 


*»* 


...IniklHkuBtf 


-•»?<-* 

, „  .  ;s,CBLO 

îrtsoemer  M  ..Y^.    ..   . 

**  Kl»  «o'th  Jiina 


'  WejllK.ri.    Onry^V^      W    P 

/■/       1        ÎWsoemer  H  ^.j 

J  i 


«»» 


(Jarnptt»    '\^     *'^^ 


\V4hiiloj» 


1  Wn 


Ploga 
/ 


il         _  .   "^Ili^ 


^^^ 


4: 


Oj<*  CalieiUe 


'jf  m  n 


Biir  lança 
»i'c)inuiiihe 


H(l<r 


'y. 


iiora  f  eak-Cl,^?! 


c 


vO 


f^ 


0 


i 


I 

■ 

I 


Las  Vaigas'^ 

A  \  N 


M       1 


U 


l!.M 


-'^' 


..,.  ,  ,„.,^,,^«.»t=-3wr-' 


SIX  MOIS  PANS  LES  MONTAGNES- 
ROCHEUSES 


,  Les  pages  qui  suivent,  écrites  sans  préten- 
tion au  style  ou  à  l'érudition,  sont  le  résultat 
d'un  voyage  de  santé,  fait  dans  le  Ccîorado, 
le  Nouveau-Mexique  et  l'Utah,  pendant  l'au- 
tomne et  l'hiver  de  1889-90. 

Trop  malade,  d'abord,  pour  me  livrer  à  un 
travail  sérieux  et  régulier,  je  me  suis  contenté 
de  prendre  des  renseignements  et  de  noter, 
au  hasard,  tout  ce  qui  me  frappait,  dans  un 
pays  pittoresque,  à  peine  ouvert  à  la  civilisa- 
tion et  encore  très  imparfaitement  connu  du 
public  voyageifr. 

Le  Far-West  américain  est  aujourd'hui 
acculé    aux    Montagnes  -  Rocheuses  —  aux 


19 


iàlX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


^■ 


montagnes  de  roche,  comme  disaient  les  an- 
ciens trappeurs  français  —  et  il  faut  même 
escalader  la  première  chaîne  de  cet  immense 
massif  pour  rencontrer  maintenant  ces  types 
exotiques  que  Btiffalo-Bill  est  allé  promener 
dans  les  capitales  européennes.  Tout  cela 
disparaît  à  vue  d'œil  devant  le  progrès  tou- 
jours croissant  des  chemins  de  fer  et  de 
l'électricité,  et  dans  vingt  ans,  il  ne  restera 
guère  de  coin  reculé  de  l'Amérique  du  Nord 
qui  n'ait  été  modernisé  par  l'envahissement 
de  ces  puissants  véhicules  de  la  civilisation  et 
du  progrès  matériel. 

Les  contrées  que  j'ai  visitées  n'ont  guère 
d'histoire  et  les  Indiens  '"'  eux-mêmes,  qui 
l'habitent  encore,  ne  font  guère  remonter  leurs 
traditions  à  plus  de  deux  ou  trois  générations. 
Encore  faut-il  faire  largement  la  part  de  la 


*  Chacun  sait  que  cette  dénomination  d'Indiens  — 
Indios  en  espagnol  —  appliquée  aux  aborigènes  des  deux 
Amériques  —  tient  à  l'erreur  de  Christopl"ke  Colcnb  et 
des  premiers  découvreurs,  qui  regardaient  d'abord  le 
nouveau  monde  comme  un  prolongement  des  Indes. 
M.  Benjamin  Suite  si  érudit  et  si  bien  versé  en  pareilles 
matières  tient  pour  le  mot  :  Sauvages.  Je  me  sers  in- 
distinctement des  deux  expressions,  certain  d'être  bien 
compris  de  tous  ceux  qui  liront  ces  pages  qui  n'ont 
d'ailleurs,  je  l'ai  déjà  dit,  aucune  prétention  à  l'érudition. 


SIX  MOIS  DANS  les.monïagnes-r()cheusb:s  20 


légende  dans  tout  ce  que  nous  racontent  les 
indigènes,  qui  sont  aussi  indifférents  à  l'his- 
toire du  passé  qu'ils  ne  paraissent  s'occuper 
de  ce  que  peut  leur  réserver  l'avenir.  Le  sau- 
vage vit  au  jour  le  jour,  apparemment  sans 
regrets  pour  les  événements  de  la  veille  et 
sans  inquiétude  pour  les  nécessités  du  lende- 
main. La  civilisation  et  le  {)rogrès  implacable 
,du  blanc  les  ont  refoulés  dans  les  montagnes 
où  ils  vivent  sous  la  tutelle  du  gouvernement 
de  Washington.  Sont-ils  heureux  ou  malheu- 
reux ?  c'est  ce  qu'il  serait  assez  difficile  de 
découvrir  sous  le  masque  d'indifférence  et  de 
stoïcisme  qui  les  distingue  dans  leurs  relations 
avec  les  étrangers. 

En  dehors  des  études  géographiques  et 
ethnographiques  plus  ou  moins  sérieuses  que 
comporte  naturellement  un  voyage  dans  des 
pays  nouveaux,  j'ai  cru  faire  acte  de  bon  Ca- 
nadien et  de  bon  Français  en  faisant  ressortir, 
chaque  fois  que  j'en  ai  trouvé  l'occasion,  la 
grande,  la  très  grande  part  qui  revient  à  nos 
pères,  ces  hardis  coureurs  des  bois  des  trois 
derniers  siècles,  dans  la  découverte  et  dans 
les  premières  explorations  de  ces  contrées 
sauvages. 


2  I  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

t 

Traversant  les  montagnes,  —  soit  à  cheval, 
soit  en  diligence  ou  en  chemin  de  fer,  selon 
les  circonstances,  — j'ai  voyagé  à  loisir  et  à 
petites  journées,  sans  programme  arrêté,  sans 
itinéraire  tracé  d'avance,  au  hasard  de  l'im- 
pression et  du  caprice  de  chaque  jour. 

J'ai  écrit  comme  j'ai  voyagé  :  en  invalide 
forcé  de  se  laisser  guider  par  l'état  de  sa  santé 
et  par  les  circonstances  de  chaque  jour. 
C'est  pourquoi  j'ai  ajouté  au  présent  volume 
une  carte  itinéraire  qui  permettra  au  lecteur 
de  suivre  assez  facilement  le  cours  de  mes 
pérégrinations  dans  un  des  pays  les  plus  acci- 
dentés qu'il  y  ait  au  monde.  J'ai  aussi  con- 
servé, sans  les  traduire,  les  noms  anglais,  sau- 
vages et  espagnols  des  endroits  que  j'ai  visités, 
afin  de  ne  pas  dérouter  ceux  qui  pourraient 
avoir  la  fantaisie  de  faire  un  jour  un  voyage 
analogue.  De  nombreuses  illustrations  servi- 
ront aussi  à  rendre  plus  intelligibles  les  des- 
criptions que  j'ai  essayé  de  faire  des  sites  qui 
m'ont  le  plus  vivement  intéressé. 

J'ai  essayé  de  rester  vrai,  toujours,  souvent 
au  détriment  du  pittoresque  et  du  merveilleux  ; 
et  les  statistiques  commerciales,  industrielles 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


22 


et  agricoles  que  je  cite  en  passant  ont  toujours 
été  puisées  aux  sources  les  plus  authentiques. 
En  un  mot,  j'ai  voulu,  avant  tout,  faire  une 
description  véridique  d'un  pays  qui  est  encore 
aujourd'hui  l'un  des  plus  curieux,  et  qui  sera, 
avant  longtemps,  un  des  plus  prospères  du 
continent  de  l'Amérique  septentrionale. 


'^•^ 


23  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


II 


DE  MONTRÉAL  A  CHICAGO 


28    OCTOBRE  1889. 

Deux  jours  et  trois  nuits  de  chemin  de  fer, 
avec  vingt-quatre  heures  de  repos  à  Chicago, 
suffisent  aujourd'hui  pour  faire  le  voyage  de 
Montréal  à  'Denver  ;  soit  sept  cents  lieues  en 
soixante  heures,  avec  tout  le  confort  moderne 
que  comportent  les  installations  superbes  des 
wagons-salons,  des  wagons-lits  et  des  wagons- 
restaurants.  Et  tout  cela,  avec  un  seul  arrêt, 
à  Chicago.  C'est  un  changement  à  vue  qui 
nous  fait  rêver,  tout  éveillés,  à  ces  trucs  de 
théâtre  où  les  décors  s'élèvent  ou  s'enfoncent, 
paraissent  et  disparaissent  aux  yeux  du  pu- 
blic, sans  qu'il  soit  même  nécessaire  de  baisser 
le  rideau. 


wriwiiiwiii  ,1  n  ,      — _______.,.  _--. 


SIX  i^ois  Dans  les  montagnes-rocheuses 


24 


Et  partout,  maintenant,  la  lumière  électri- 
que remplace,  la  nuit,  la  lumière  blafarde  des 
anciens  systèmes  d'éclairage.  Il  n'y  a  certai- 
nement pas  de  pays  au  monde  où  le  progrès 
se  soit  affirmé  d'une  manière  plus  éclatante 
qu'aux  Etats-Unis  et  au  Canada,  dans  l'amé- 
lioration des  systèmes  de  transport  du  public 
voyageur. 

En  partant  de  Montréal,  j'avais  mis  dans 
mon  sac  de  voyage,  pour  utiliser  les  loisirs  de 
la  route,  les  deux  volumes  des  Lettres  du 
Baron  de  Lahontan  ''\  J'avais,  sans  y  réiiéchir 
d'ailleurs,  choisi  un  ouvrage  qui  me  fournissait 
les  points  de  comparaison  les  plus  pittoresques 
et  les  plus  authentiques,  entre  la  manière  de 
voyager  de  nos  pères,  de  Montréal  à  Chi- 
cago, il  y  a  deux  cents  ans,  et  les  facilités  que 
nous  procurent  aujourd'hui  les  découvertes  de 
la  vapeur  et  de  l'électricité.  Et  ces  compa- 
raisons m'amenaient  à  déplorer  l'ignorance, 
les  préjugés  et  le  fanatisme  de  ces  sectaires  t 


*  Voyages  du  Baron  de  Lahontan,  dans  l'Amérique 
Septentrionale.  a^y:ec  cartes  et  figures,  Artisterdam,  1705. 

t  Une  vive  discussion  se  faisait  alors,  dans  les  jour- 
naux anglais  et  français  du  Canada,  sur  les  droits  con- 
férés aux  Canadiens-français,  par  le  traité  de  Versailles, 
en  1763. 


25  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

qui  osent  aujourd'hui  élever  la  voix  contre  les 
descendants  de  ces  vaillants  voyageurs  de 
race  française  qui  ont  découvert,  pacifié,  civi- 
lisé et  partiellement  colonisé  tous  ces  vastes 
pays  qui  s'étendent  entre  l'embouchure  du 
Saint- Laurent,  à  l'est,  et  les  bords  du  fleuve 
Mississipi,  à  l'ouest. 

Pas  un  lac,  pas  une  rivière,  pas  une  mon- 
tagne qne  nos  pères  n'aient  explorée,  pas  un 
fortin  historique  qui  n'ait  été  témoin  de  leurs 
luttes  avec  les  guerriers  des  Cinq- Nations  ; 
et  si  le  sort  des  armes  a  pu  changer  le  dra- 
peau qui  flottait  alors  des  rivages  de  l'Acadie 
au  pied  des  Montagnes-Rocheuses,  l'histoire 
est  toujours  là  pour  rappeler  que  ce  sont 
les  Français  qui  ont  été  les  pionniers  de  la 
civilisation  dans  cette  partie  du  continent  de 
l'Amérique  du  Nord. 

Lachine,  Kingston  {Frontenac),  Toronto, 
Sarnia,  que  nous  passons  à  toute  vapeur,  sont 
autant  d'anciens  postes  français  fondés  aux 
premiers  temps  de  la  colonie  ;  et  la  grande 
ville  de  Chicago  est  située,  aujourd'hui,  à 
l'embouchure  de  la  rivière  du  même  nom  que 
je  trouvé  indiquée,  dans  les  cartes  de  Lahon- 
tan  sous  le   nom  de    Chegakou  —  Portage  de 


....     t 
i 

■\:\ 


■\ 


•o 

3 


t-  O 

2  > 

UJ  c 

et  o 

O  o 

<  f 

-'  F 

•  o 

t-  U 

<«  I 

tu  0, 

_J  ç 

D  « 

(/i  -J 

9) 


■a 


I 


bg 


IJ 

c 

DC 

O 

D 

w 

< 

e 

_l 

E 

. 

o 

1- 

O 

co 

1 

liJ 

o 

-J 

c 

K 

o 

_) 

ta 

(/) 

_l 

«1 

•o 

(A 

u 

•a 

Q. 

Kl 


m 


';-^' .':::,<. 


'    V 


^ 


STX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


2S 


Chegakou  des  Illinois.     Et  cette  carte  date 
de  1689,  il  y  ajuste  deux  cents  ans. 

Lahontan  qui,  comme  on  le  sait,  çtait  offi- 
cier dans  les  troupes  royales,  donne  d'abord 
la  description  des  canots  dans  lesquels  on 
voyageait  alors,  et  qu'il  appelle  les  "  voitures 
du  Canada  "  : 


"  Leur  grandeur  varie  de  dix  piedç  de  longueur  jusqu'à 
vingt-huit.  Les  plus  petits  ne  contiennent  que  deux 
personnes.  Ce  sont  des  coffres  à  mort.  On  y  est  assis 
sur  les  talons.  Pour  peu  de  mouvement  que  l'on  se 
donne  ou  que  l'on  penche  plus  d'un  côté  que  de  l'autre, 
ils  renversent.  Les  plus  grands  peuvent  contenir  aisé- 
ment quatorze  hommes,  mais  pour  l'ordinaire,  quand  on 
veut  s'en  servir  pour  transporter  des  vivres  ou  des  mar- 
chandises, trois  hommes  suffisent  pour  les  gouverner. 
Avec  ce  petit  nombre  de  canoteurs  on  peut  transporter 
jusqu'à  vingt  quintaux.  Ceux-ci  sont  sûrs  et  ne  tournent 
jamais  quand  ils  sont  d'écorce  de  bouleau,  laquelle  se 
lève  ordinairement  en  hiver  avec  de  l'eau  chaude... 

Ces  bâtiments  ont  20  pouces  de  profondeur,  28  pieds 
de  longueur  et  quatre  et  demi  de  largeur  vers  la  barre 
du  milieu.  S'ils  sont  commodes  par  leur  grande  légèreté 
et  le  peu  d'eau  qu'ils  tirent,  il  faut  avouer  qu'ils  sont  en 
récompense  bien  incommodes  par  leur  fragilité  ;  car  pour 
peu  qu'ils  touchent  ou  chargent  sur  le  caillou  ou  sur  le 
sable,  les  crevasses  de  l'écorce  s'entrouvrent,  ensuite 
l'eau  entre  dedans  et  mouille  les  vivres  et  les  marchan- 
dises.    Chaque  jour  il  y  a  quelque  crevasse  ou  quelque 


29 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


couture  à  gommer.  Toutes  les  nuits  .on  est  obligé  de  les 
décharger  à  flot  et  de  les  porter  à  terre  où  on  les  attache 
à  des  piquets,  de  peur  que  le  vent  ne  les  emporte  ;  car 
ils  pèsent  si  peu  que  deux  hommes  les  portent  à  leur  aise 
sur  l'épaule,  chacun  par  un  bout.  Cette  s'eule  facilité 
me  fait  juger  qu'il  n'y  a  pas  de  meilleure  voiture  au 
monde  pour  naviguer  dans  les  rivières  du  Canada  qui 
sont  si  remplies  de  cascades,  de  cataractes  et  de  cou- 
rants  Ces  canots  ne  valent  rien  du  tout  pour  la  navi- 
gation des  grands  lacs  où  les  vagues  les  engloutiraient 
si  on  ne  gagnait  terre  lorsque  lèvent  s'élève.  Cependant 
on  fait  des  traverses  de  4  ou  5  lieues  d'une  île  à  l'autre, 
mais  c'est  toujours  en  temps  calme  et  à  force  de  bras  car 
on  pourrait  être  facilement  submergé —  {Lahontan 
Vol.  I,  pages  ZS-Z^) 

Voilà  pour  les  voitures  d'autrefois  dans  les- 
quelles on  faisait  le  voyage  de  Montréal  au 
Mississipi.  On  avouera  qu'on  était  encore 
loin  des  Pullman  cars  éclairés  à  l'électricité  et 
chauffés  à  la  vapeur.  Nos  pères  mettaient 
alors  plus  de  temps  à  parcourir  l'espace  qui 
sépare  Montréal  de  Kingston,  que  je  viens 
d'en  mettre  pour  faire  le  trajet  de  700  lieues 
qui  sépare  Montréal  de  Deïiver.  Et  on  va 
voir  au  prix  de  quelles  misères,  de  quelles 
privations,  de  quelles  souffrances  ils  parve- 
naient à  surmonter  les  difficultés  sans  nombre 
qui  les  attendaient  partout  ;  sans  compter  les 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


30 


Iroquois  qui  les  guettaient  dans  chaque  buis- 
son, pour  leur  dresser  des  embuscades.  C'est 
encore  M.  de  Lahontan  qui  raconte  son  pre- 
mier voyage  de  Montréal  au  fort  de  Fron- 
tenac (Kingston)  :   • 


"  Je  m'embarquai  à  Montréal  dans  un  canot  conduit 
par  trois  habiles  Canadiens.  Chaque  canot  é':ait  chargé 
de  deux  soldats  ;  uou'*  voyageâmes  contre  la  rapidité  du 
fleuve  jusqu'à  trois  lieues  de  cette  ville  où  nous  trouvâmes 
le  saut  St.  Louis,  petit  cataracte  si  violent,  qu'on  fut 
contraint  de,  se  jeter  dans  l'eau  jusqu'à  la  ceinture,  pour 
traîner  les  canots  un  demi-quart  de  lieue  contre  les  cou- 
rants. Nous  nous  rembarquâmes  au-dessus  de  ce  pas- 
sage, et  après  avoir  vogué  douze  lieues  ou  environ,  partie 
sur  le  leuve,  partie  sur  le  lac  St.  Louis,  jusqu'au  lieu 
appelé  les  Cascades,  il  fallut  débarquer  et  transporter 
nos  canots  à  un  demi-quart  de  lieue  de  là.  Il  est  vrai 
qu'on  les  aurait  encore  pu  traîner  avec  un  peu  de  peine 
en  cet  endroit,  s'il  ne  se  fût  trouvé  au-dessus  du  cata- 
racte du  trou.  Je  m'étais  imaginé  que  la  seule  diftîculté 
de  remonter  le  fleuve  ne  consistait  qu'en  la  peine  et 
l'embarras  des  portages,  mais  celle  de  refouler  sans  cesse 
les  courants,  soit  en  traînant  les  canots  ou  en  piquant 
de  fond,  ne  me  parut  pas  moindre.  Nous  abordâmes  à 
cinq  ou  six  lieu<ss  plus  haut  aux  Sauts  des  Cèdres  et  dît 
Buisson,  où  l'on  fut  encore  obligé  de  faire  des  portages 
(k  cinq  cents  pas.  Nous  entrâmes,  à  quelques  lieues  au- 
aessus,  dans  le  lac  St-François,  à  qui  l'on  donne  vingt 
lieues  de  circonférence  et  l'ayant  traversé,  nous  trou- 


31 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


vâmes  des  courants  aussi  forts  que  les  précédents,  sur- 
tout le  Long-Saut  où  l'on  fit  un  portage  d'une  demi- 
lieue.  Il  ne  nous  restait  plus  à  franchir  que  le  pas  des 
Galots.  Nous  fûmes  obligés  encore  de  traîner  les  canots 
contre  la  rapidité  du  fleuve.  Enfin,  après  avoir  essuyé 
'encore  bien  des  fatigues  à  tous  .ces  passages,  nous  arri- 
vâmes au  lieu  nommé  la  Galette,  d'où  il  ne  restait  plus 
que  vingt  lieues  de  navigation  jusqu'au  fort  Frontenac. 
Ce  fut  en  cet  endroit  que  les  canoteurs  quittèrent  leurs 
perches  pour  se  servir  des  rames,  Peau  étant  ensuite 
presque  aussi  dormante  qu'j  dans  un  étang.  L'incom- 
modité des  marmgouins,  que  nous  opelons  en  France 
des  cousins,  et  qui  se  trouvent,  à  ce  qu'on  dit,^dans  tous 
les  pays  du  Canada,  me  semble  la  plus  insupportable  du 
monde.  Noui  en  avons  trouvé  des  nuées  qui  ont  pensé 
nous  consumer,  et  comme  il  n'y  a  que  la  fumée  qui  les 
puisse  dissiper,  le  remède  est  pire  que  le  mal...  (Za- 
âontan,  Vol,  /,  pages  39-40.) 


W 


Je  ne  crois  pas  avoir  besoin  d'insister  sur 
la  différence  des  voyages  d'alors  et  d'aujour- 
d'hui, mais  en  lisant  ces  pages  intéressantes 
qui  nous  reportent  deux  siècles  en  arrière,  on 
ne  peut  s'empêcher  de  réfléchir  qu'il  n'y  a  pas 
un  pouce  de  terrain  entre  Montréal,  Toronto, 
Sarnia  et  Chicago  qui  n'ait  appartenu  à  la 
France  par  droit  de  découverte  et  d'explora- 
tion. La  ville  de  Toronto,  elle-même,  si  fière 
de  ses  progrès  et  de  son  accroissement,  était 


ijt 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


32 


déjà  prévue,  à  cette  époque,  par  Laho7itan 
lui-même  dans  un  mémoire  qu'il  présentait  à 
M.  de  Pontchartrain,  sur  un  projet  de  défense 
des  grands  lacs  contre  les  incursions  des 
Iroquois  : 

"  Je  ferais,  dit-il,  trois  petits  fortins  en  différents 
endroits  ;  l'un  à  la  décharge  du  lac  Erié  que  vous  verrez 
,  sur  ma  carte  du  Canada,  sous  le  nom  de  fort  supposé, 
aussi  bien  que  les  deux  autres  ;  le  second  à  l'entrée  du 
lac  Ontario  et  le  troisième  à  l'embouchure  de  la  baye 
de  Toronto  sur  le  même  lac." 


Ce  fort  de  Toronto,  indiqué  en  1689  par 
Lahontan,  ne  fut  construit  que  cinquante  ans 
plus  tard  sous  le  nom  de  Fort  Rouillé  ;  mais 
ces  braves  citoyens  de  Toronto  ignorent  ou 
prétendent  ignorer  que  le  site  de  leur  ville  fut 
choisi,  il  y  a  deux  cents  ans,  par  un  officier 
français.  ^  • 

En  faisant  le  trajet  de  Montréal  à  Chicago, 
par  le  Grand  Trtmk  Raikvay,  on  traverse  la 
décharge  du  lac  Muron,  de  Sarnia  au  Fort 
Gratiot,  Ce  dernier  fort  est  construit  sur 
l'emplacement  autrefois  occupé  par  le  Fort 
Saint-Joseph  commandé  par  Lahontan  en 
1687-88.     Voici  en  quels  termes  il  raconte  le 


-à  ir 


'?9  f; 


33  ^IX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


[''■■■ 

I   ■■■; 

m 


passage  de   la  rivière  du  Détroit  et  du  lac 
Saint-Clair  : 

"  Le  6  septembre  1687,  nous  entrâmes  dans  le  détroit 
du  lac  Huron,  que  nous  remontâmes  contre  un  faible 
courant  de  demi-lieue  de  largeur,  jusqu'au  lac  de  Sainte- 
Claire  qui  a  douze  lieues  de  circonférence.  Le  8  du 
même  mois,  nous  suivîmes  les  bords  jusqu'à  l'autre  bout, 
d'où  il  ne  nous  restait  plus  que  six  lieues  à  refouler  pour 
gagner  l'entrée  du  lac  Huron,  où  nous  mîmes  pied  à 
terre  le  14.  Vous  ne  sauriez  imaginer  la  bauté  de  ce 
détroit  et  de  ce  petit  lac,  par  la  quantité  d'arbres  fruitiers 
sauvages  que  l'on  voit,  de  toutes  les  espèces,  sur  ses 
bords.  J'avoue  que  le  défaut  de  culture  en  rend  les 
fruits  moins  agréables,  mais  la  quantité  en  est  surpre- 
nante. Nous  ne  découvrions  sur  le  rivage  que  des 
troupes  de  cerfs  et  de  chevreuils.  Nous  battions  aussi 
les  petites  îles  pour  obliger  ces  animaux  à  traverser  en 
terre  ferme,  pendant  que  les  canoteurs  dispersés  autour 
de  l'île  leur  cassaient  la  tête  dès  qu'ils  étaient  à  la  nage. 
Arrivés  au  fort  Saint-Joseph  dont  j'allais  prendre  posses- 
sion, messieurs  Duluth  et  de  ^onti  voulurent  se  reposer 
quelques  jours  avant  de  passer  outre....  (Za/iofUau, 
Vo/.  I,  pages  108-108.) 


Je  ne  suivrai  pas  le  brave  officier  dans  ses 
voyages  à  Michillimakinac,  par  la  route  que 
l'on  suivait  alors  pour  atteindre  le  portage  de 
Chegakou,  par  la  voie  des  lacs  Huron  et  des 


LA  (iOROE   raLTÊQUE 


mgm. 


mm 


■L-..jfcMt- 


UÊm 


Ill  ï'- 

II 

^:i^|ppp'fi1«fIHip!Blf5jnW5»wvi|  i.'i)'rfimW!^f^^f'll^ 


m: 


l! 


ky..        i 


SIX  MOIS  DANS  lES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


34 


Illinois  (Michigan).  Les  chemins  de  fer  ont 
bouleversé  tout  cela  et  nous  faisons  en  dix- 
neuf  heures,  le  trajet  que  les  rudes  voyageurs 
d'autrefois  prenaient  trente  jours  pour  accom- 
plir, en  canot. 

Mais,  c'est  égal,  c'étaient  de  vaillants  hom- 
mes que  nos  ancêtres,  et  il  faut  lire  ces  récits 
pittoresques  pour  se  faire  une  juste  idée  des 
difficultés  qu'ils  avaient  à  surmonter. 


'  n 


10 


[M  35  ^'^  ^'^^^  DA^S  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


\  I 


?  '  I 


III 


CHICAGO  —  LES  SIOUX  —  LFS  BISOKS 


V 


Il  y  a  plus  de  vingt  ans  que  je  visitai  Chi- 
cago pour  la  première  fois,  et  depuis  cette 
époque,  j'y  suis  allé,  en  moyenne,  à  peu  près 
tous  les  deux  ans.  C'est  dire  que  je  suis  assez 
familier  avec  l'accroissement  merveilleux  de 
cette  ville  étonnante  qui  porte  aujourd'hui 
avec  orgueil  et  avec  droit  le  titre  de  Reine 
de  l'Ouest. 

Eh  bien,  c'est  toujours  avec  un  étonnement 
nouveau  méfié  d'admiration  que  je  parcours 
les  rues  de  cette  métropole  moderne,  qui 
compte  aujourd'hui  une  population  de  plus  de 
1,100,000  habitants.  L'histoire  de  Chicago 
n'est  d'ailleurs  que  le  corollaire  des  progrès 


t 


I 


m 


if 


A^ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


38 


immenses  qui  se  sont  accomplis  dans  les  Etats 
de  l'Ouest  depuis  vingt-cinq  ans,  et  il  faut 
avoir  été  un  peu  témoin  de  tout  cela  pour 
pouvoir  établir  une  comparaison  et  se  former 
une  idée  à  peu  près  juste  de  la  progression 
sans  égale  dans  l'histoire,  du  peuple  améri- 
cain depuis  la  guerre  de  sécession. 

Je  n'ai,  cette  fois-ci,  fait  qu'un  séjour  de  24 
heures  à  Chicago  pour  reprendre  sans  délai 
la  route  du  Colorado,  par  voie  du  Chicago, 
Rock- 1 sland  &  Pacific  Railway.  Je  désigne 
mon  itinéraire  à  dessein,  car  j'aurais  pu  choisir 
une  autre  route.  Il  n'y  a  pas  moins  de  cinq 
compagnies  différentes  qui  font  le  service  ré- 
gulier et  quotidien  entre  Chicago  et  Denver, 
et  il  y  a  quinze  ans  à  peine  qu'on  a  terminé 
la  construction  du  premier  des  chemins  de  fer 
qui  relient  ces  deux  villes.  Le  Rock-Isla7id 
Railzvay  traverse  le  Mississipi  à  Davenport, 
lowa,  et  file  tout  droit  vers  l'ouest  en  passant 
par  les  Etats  de  l'Illinois,  de  l'Iowa,  du  Kan- 
sas  et  du  Colorado. 

Il  y  a  cinquante  ans  à  peine  que  le  Missis- 
sipi formait  la  frontière  occidentale  de  la 
civilisation  américaine,  et  nous  nous  trouvons 
aujourd'hui   en   face   d'un  pays   fertile,  bien 


i  r 


iî 


II 

i! 


39  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

cultivé  et  traversé  en  tous  sens  par  le  plus 
beau  et  le  plus  complet  réseau  de  chemins  de 
fer  qui  soit  au  monde.  Le  service  est  la  per- 
fection même,  (it  j'ai  déjà  dit  qu'il  n'y  a  qu'un 
seul  changement  de  train  entre  Montréal  et 
Denver,  sur  un  parcours  de  700  lieues. 

J'ai  continué  à  lire  les  Lettres  du  Baron  de 
Lahontan,  et  en  filant  à  toute  vapeur,  douil- 
lettement installé  dans  le  fauteuil  à  bascule 
d'un  Pullman  car,  je  revoyais  à  travers 
deux  siècles  de  distance,  les  voyageurs  d'au- 
trefois allant  à  la  découverte  des  peuplades 
sauvages  qui  vivaient  à  l'ouest  du  Mississipi. 
Les  terribles  Sioux  de  la  plaine  chassaient 
alors  le  bison  là  où  s'élèvent  maintenant  des 
cités  populeuses  et  florissantes,  et  ces  valeu- 
reux guerriers,  après  avoir  lutté  avec  acharne- 
ment contre  la  marche  implacable  de  la  civili- 
sation, ont  été  refoulés  jusqu'au  cœur  des 
Montagnes-Rocheuses.  Les  Sioux  furent  les 
seuls  guerriers  qui  luttèrent  avec  avantage 
contre  les  Iroquois,  et  Lahontan  nous  fait  le 
récit  d'une  bataille  qui  eut  lieu,  sur  le  Missis- 
sipi, dans  une  île  qui  portait,  de  son  temps,  le 
nom  d'//^  aux  Rencontresy  en  mémoire  de  ce 
fait  d'armes  : 


iii. 


/ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-RDCHEUSES 


40 


"  J'arrivai  le  2  mars  au  Heuve  du  Mississipi  que  je 
trouvai  beaucoup  plus  rapide  et  plus  profond  que  la  pre- 
mière fois,  à  cause  des  pluyes  et  du  débordement  des 
rivières.  Pour  nous  épargner  de  la  rame,  nous  nous 
abandonnâmes  au  courant.  Le  dixième  nous  arrivâmes 
à  \Ile  aux  Rencontres.  Cette  île  est  située  vis-à-vis.  On 
lui  a  donné  le  nom  de  rencontres  depuis  qu'un  parti  de 

-  400  Iroquois  y  fut  défait  par  300  J^adouessis  ou  Stoux. 
Voici  en  peu  de  mots  comment  la  chose  arriva.  Ces 
Iroquois  ayant  dessein  de  surprendre  certains  peuples 
situez  aux  environs  des  Otentas  que  je  vous  ferai  bientôt 
connaître,  arrivèrent  chez  les  Illinois,  qui  leur  fournirent 
des  vivres,  et  chez  lesquels  ils  construisirent  leurs  canots. 
S'étant  embarquez  sur  le  fleuve  de  Mississipi,  ils  furent 
découverts  par  une  autre  petite  flotte  qui  descendait  le 
fleuve  de  l'autre  côté.  Les  Iroquois  traversèrent  aussitôt 
à  cette  île,  nommée  depuis  aux  rencontres.     Les  Sioux 

.  soupçonnant  leur  dessein,  sans  savoir  quel  était  ce  peu- 
ple, (car  ils  ne  connaissaient  les  Iroquois  que  de  répu- 
tation) se  hâtèrent  de  les  joindre.    •  il    ^ 

"  Les  deux  partis  se  postèrent  chacun  stir  une  pointe 
de  l'île,  ce  sont  les  deux  endroits  désignés  sur  ma  carte 
par  deux  croix.  Il  ne  furent  pas  plus  tôt  en  vue  que  les 
Iroquois  s'écrièrent  :  Qui  êtes- vous  ?  Sioux,  répondirent 
les  autres.  Ceux-ci  ayant  fait  à  leur  tour  la  même  de- 
mande, les  Iroquois  répondirent  avec  une  pareille  fran- 
'  chise.  Et  où  all^z-vous  continuèrent  les  Iroquois.  —  A 
•  !a  chasse  aux  bœufs,  répondirent  les  Sioux  ;  mais  vous, 
Iroquois,  quel  est  votre  but  ?  —  Nous  allons,  répartirent- 
ils,  à  lâchasse  aux  hommes  ?  —  Kh  bien,  dirent  les  Sioux, 
n'allez  pas  plus  loin,  nous  sommes  des  hommes.     Sur  ce 


--"Il 
il 

'•I 


41  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


défi  les  deux  partis  débarquèrent  de  chaciue  côté  de  l'île. 
Ensuite  le  chef  des  Sioux  ayant  brisé  tous  les  canots  à 
coups  de  hache,  il  dit  à  ses  guerriers  qu'il  fallait  vaincre 
ou  mourir,  et  en  même  temps  donna  tête  baissée  contre 
les  Iroquois.  Ceux-ci  le  reçurent  d'abord  ave  ^  une  nuée 
de  flèches  ;  mais  les  autres  ayant  essuyé  cette  première 
décharge  qui  ne  laisôa  pas  de  leur  tuer  80  hommes,  fon- 
dirent, la  massue  à  la  n^in,  sur  leurs  ennemis,  qui  n'ayant 
pas  le  temps  de  recharger  furent  défaits  à  plate  couture. 
Ce  combat  qui  dura  deux  heures  fut  si  chaud  que  260 
Iroquois  y  perdirent  !a  vie  et  tout  le  reste  du  parti  fut 
pris,  pas  un  seul  n'échappa.  Quelques  Iroquois  ayant 
tenté  de  se  sauver  sur  la  fin  du  combat,  le  chef  victorieux 
les  fit  poursuivre  par  dix  ou  douze  des  siens  dans  un  des 
canots  qui  lui  restaient  pour  butin,  si  bien  qu'on  atteignit 
les  fuyards  qui  furent  tous  noyés.  Après  cette  victoire, 
ils  coupèrent  le  nez  et  les  oreilles  aux  deux  prisonniers 
les  plus  agiles,  et  les  ayant  munis  de  leurs  fusils,  de 
poudre  et  de  plomb,  ils  leur  laissèrent  la  liberté  de 
retourner  dans  leur  pays,  pour  dire  à  leur  compatriotes 
qu'ils  ne  se  servissent  plus  de  femmes  pour  faire  la 
chasse  aux  hommes.  (Lahontan,  Vol.  I,  lettre  26,  28 
mai  1689.) 

Ce  récit  est  absolument  typique  des  mœurs 
de  cette  époque  ;  mais  les  Iroquois,  les  Sioux 
et  les  bisons  ont  presque  disparu  depuis,  de  la 
face  du  globe.  Il  ne  reste  guère  qu  une  poi- 
gnée d'Iroquois  au  Canada  et  dans  l'Etat  de 
New- York  ;  et  les  Sioux,  depuis  leur  fameux 


:j 


n  ''] 


^w^ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEU«ES 


42 


massacre  du  régiment  de  Custer,  en  1876, 
ont  été  refoulés  dans  les  montagnes  et  sont 
aujourd'hui  soumis,  comme  les  Iroquois  du 
Canada,  au  régime  sévère  de  la  tutelle  du 
gouvernement  américain.  Comme  toutes  les 
tribus  de  l'Ouest  des  Etats-Unis,  ces  terribles 
guerriers  de  la  plaine  ont  été  transportés  et 
sont  retenus,  bon  gré  mal  gré,  sur  les  réserves 
qui  leur  sont  assignées,  comme  lieux  de  rési- 
dence, par  les  autorités  de  Washington. 

Quant  aux  bisons  qui  erraient  à  l'état  sau- 
vage, au  nombre  de  plus  de  8,000,000,  il  y  a 
à  peine  vingt  ans,  dans  les  plaines  situées 
entre  le  Mississipi  à  l'est  et  les  Montagnes- 
Rocheuses  à  l'ouest,  il  n'en  reste  pas  aujour- 
d'hui six  cents,  en  tout  et  partout,  d'après  un 
rapport  officiel  du  Smithsonian  Institute  de 
Washington.  Sur  ce  nombre,  trois  cent- 
quatre  sont  captifs,  en  différents  endroits  ; 
deux  cents  sont  placés  sous  la  sauvegarde 
des  autorités  dans  le  parc  national  de  la  Yelïvw 
sfone,  et  les  autres  paissent  à  l'état  sauvage 
dans  les  vallées  inaccessibles  formées  par  les 
chaînes  de  montagnes  du  Wyoming,  du  Da- 
kota et  du  Montana.  ^ 

Il   en  reste  aussi   quelques-uns   dans  les 


y 


;7- 


M 


43 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


fil! 


1 


"S 


prairies  des  territoires  du  Nord-Ouest  au 
Canada,  mais  le  nombre  en  est  si  restreint  que 
la  race  dispaîtra  fatalement  à  très  courte 
échéance.  Le  Kansas,  l'Iowa,  le  Colorado,  le 
Wyoming,  leNebraska  où  paissaient  ces  énor- 
mes troupeaux  de  buffles,'  ont  été  tour  à  tour 
livrés  à  la  culture  et  à  la  colonisation,  et  le 
sifflet  strident  de  la  locomotive  retentit  aujour- 
d'hui partout,  là  où  l'on  n'entendait  naguère 
que  le  cri  de  guerre  des  Peaux- Rouges  et  les 
mugissements  des  bisons  fuyant  devant  les 
flèches,  les  lances  et  les  balles  des  chasseurs 
acharnés  à  leur  destruction.  :  .  !'*■   ;:' 

.■„ v^:'3-.,':S^''';''  .  •■"  ..''■■■■■.■■^v r  ,  ,  /    ■  "  ■■  ■,■;•■'■■"     '  ::■[■:■ 


;»  M 


/■ 


il;  ,1 
liif  i' 


i!!  il 
I"! 


-màià 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  '  44 


IV 


LE  COLORADO  -  L'UTAH  —  LE  NOUVEAU- 
MEXIQUE 


Francis  Parkman,  1  eminent  historien  amé- 
ricain qui  a  écrit  de  si  belles  choses  sur  l'his- 
toire du  Canada  français,  débuta  dans  la 
littérature,  par  le  récit  d'un  voyage  qu'il  fit,  il 
y  a  plus  de  quarante  ans,  jusqu'aux  Mon- 
tagnes-Rocheuses. Son  livre  :  The  Oregon 
Trail  contient  les  péripéties  et  les  détails 
intéressants  d'une  expédition  qu'il  entreprit, 
sous  la  direction  d'un  vieux  trappeur  cana- 
dien-français, Henri  Châtillon,  à  travers  les 
plaines  que  je  viens  de  traverser  en  chemin 
de  fer. 

Denver  n'existait  pas  alors,  et  le  pays  n'était 
habité  que  par  les  Indiens,  les  chasseurs,  les 
coureurs  des  bois  et  les  troupeaux  de  bisons 


45 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAONES-ROCHEUSES 


':}\ 


'I     !■ 


qui  paissaient  dans  les  plaines  situées  entre  le 
fort  Leavenworth  et  les  Montagnes-Rocheu- 
ses. La  Californie.,  le  Nouveau- Mexique, 
l'Arizona  et  la  partie  méridionale  du  Colorado 
faisaient  alors  partie  de  la  confédération  mexi- 
caine, et  ce  ne  fut  qu'en  1848,  que  tous  ces 
territoires  furent  cédés  régulièrement  aux 
Etats-Unis. 

Le  pays  qui  comprend  aujourd'hui  l'Etat  du 
Colorado  et  le  territoire  du  Nouveau-Mexique 
fut  visité  d'abord  par  un  capitaine  espagnol. 
Don  Alvar  Nunez  Cabeça  de  Vaca,  en  1528, 
six  ans  avant  la  découverte  du  Canada  par 
Jacques  Cartier.  Le  capitaine  de  Vaca  avait 
fait  naufrage  sur  les  côtes  du  Texas,  et  il 
s'était  bravement  enfoncé  dans  les  terres  in- 
connues avec  trois  compagnons,  les  seuls  sur- 
vivants de  son  désastre.  Durant  dix  ans,  il 
erra  parmi  les  tribus  du  Texas,  du  Colorado 
et  du  Nouveau-Mexioue,  et  il  se  rendit  même 
jusqu'au  golfe  de  Californie.  En  voyageant 
continuellement  vers  le  Midi,  il  arriva  enfin  à 
Mexico,  où  il  fut  reçu  avec  distinction  par  le 
vice-roi  espagnol,  Mendoza  et  ,  ar  Fernand 
Cortès.  Enthousiasmés  par  les  succès  de 
Pizarre  dans  les  provinces  du  Midi  et  par  les 


/ 


/ 


li 


I 


CHEFS  INDIENS 


UN    VIEUX   DE   LA   VIEILLE 


LA   MERE   ET   LA   FILLE 


Il  :■    ]■ 


\  ii  ;'i 


i! 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


48 


récits  de  Vaca,  les  Espagnols  organisèrent 
une  expédition  sous  les  ordres  du  capitaine 
Francisco  Vasquez  Coronado,  qui  fut  proclamé 
capitaine  général  et  gouverneur  de  tous  les 
pays  situés  au  nord  du  Rio  Bravo  del  Norte. 
Le  capitaine  Coronado  établit  un  gouverne- 
ment, et  les  missionnaires  se  dispersèrent 
parmi  les  tribus  indiennes  qui  habitaient  déjà 
le  pays  et  qui  vivaient  de  chasse,  de  pêche 
et  d'agriculture. 

Je  parlerai  plus  loin,  en  détail,  de  ces  cu- 
rieuses populations  indigènes  qui,  comme  les 
Aztèques,  avaient  atteint  un  certain  degré  de 
civilisation,  et  qui  vivaient  en  commun,  sou- 
mises à  un  gouvernement  et  à  certaines  lois 
quelles  ont  conservés  jusqu'aujourdhui.  La 
ville  de  Santa- Fé  fut  fondée  et  devint  le  siège 
du  gouvernement  espagnol.  Le  Colorado 
faisait  alors  partie  de  cette  immense  province 
connue  d'abord  sous  le  nom  de  Nouvelle- 
Grenade  et  soumise  à  l'autorité  centrale  du 
Mexique.  Le  Colorado  fut  plus  tard  exploré 
par  les  Français,  et  devint  la  frontière  occi- 
dentale du  territoire  de  la  Louisiane,  qui  fut 
cédé  aux  Etats-Unis,  en  1803,  par  Napoléon 


.    I 


f 


49 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


i      il 


Le  Nouveau-Mexique  fut  envahi  par  les 
Américains,  en  1846,  et  fut  définitivement 
cédé  au  gouvernement  de  Washington  par  le 
traité  de  Guadaloupe- Hidalgo,  le  2  février 
1848.  Le  baron  de  Lahontan,  dans  son  fameux 
voyage  de  la  rivière  Longue,  en  1689,  ren- 
contra des  tribus  indiennes  qui  connaissaient 
les  Espagnols  pour  avoir  été  expulsées  par 
eux  de  leurs  pays  de  chasse,  sur  les  frontières 
du  Nouveau- Mexique. 

Il  est  aussi  certain  que  tous  ces  pays  étaient 
connus  des  voyageurs  français  longtemps 
avant  la  cession  du  territoire  de  la  Louisiane 
aux  Etats-Unis,  car  on  rencontre  à  chaque 
pas  des  traces  de  leur  passage.  Des  noms 
français  de  villes,  de  villages,  de  forts,  de 
montagnes,  de  défilés,  de  cols,  de  vallées,  de 
rivières,  de  torrents  rappellent  partout  la  part 
prépondérante  que  prirent  nos  ancêtres  dans 
la  découverte  et  l'exploration  de  ces  contrées. 

Le  gouvernement  américain,  après  le  traité 
de  1 803,  s'empressa  d'envoyer  un  détachement 
de  troupes,  sous  les  ordres  du  major  Pike, 
pour  prendre  possession  des  territoires  que  la 
France  venait  de  lui  vendre  pour  une  chanson. 
Et  ce  fut  sous  la  conduite  de  deux  gruides- 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


50 


interprètes  canadiens-français,  les  nommés 
Rainville  et  Rousseau  que  les  soldats  améri- 
cains traversèrent  les  immenses  prairies  qui 
se  déroulent  à  l'ouest  du  Mississipi  jusqu'au 
mont  Cheyenne,  sentinelle  avancée  d'un  contre- 
fort des  Montagnes- Rocheuses  qui  s'étend 
dans  la  plaine  et  que  domine  le  mont  Pike, 
à  une  altitude  de  14,147  pieds  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  La  cime  couverte  de  neiges 
éternelles  de  cette  majestueuse  montagne, 
est,  dit-on,  visible  à  une  distance  de  cent 
milles,  dans  la  prairie.  La  limpidité  merveil- 
leuse de  l'atmosphère,  à  œtte  altitude,  est  un 
sujet  d'étonnement  pour  tous  ceux  qui  visitent 
le  pays  pour  la  première  fois,  et  il  est  très 
difficile  de  s'y  faire  une  idée  exacte  des  dis- 
tances. Les  trappeurs  canadiens  connaissaient 
déjà  le  mont  Pike  sous  le  nom  de  :  grosse  mon- 
tagne bleue,  comme  ils  avaient  d'ailleurs  déjà 
baptisé  les  sources  de  Manitou  du  nom 
pittoresque  de  la  Fontame-qui  bouille.  Le 
général  Frémont,  surnommé  :  the  pathfinder, 
le  découvreur  de  sentiers,  explora  de  nouveau 
le  pays  en  1843-45  et  traversa  les  Montagnes- 
Rocheuses  pour  se  rendre  en  Californie.  Le 
capitaine  Bonneville,  que  Washington  Irving 


w 


'  B.giimju'4X.iJJi.'aigaji'j  -LSI!'  -'■ 


■^^''^^■■SSWIS!" 


!  ! 


'tr 


*    ! 


t  /^ 


51 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


a  immortalisé  dans  ses  récits,  avait  visité  le 
Colorado  en  1832,  et  un  autre  Canadien- 
français  nommé  Carrière  avait  découvert  des 
gisements  aurifères,  dans  le  lit  de  la  rivière 
Platte,  en  1835.  Ce  ne  fut  cependant  qu'en 
1858,  il  y  a  trente-deux  ans,  que  la  fièvre  de 
l'or  amena  aux  pieds  des  Montagnes- Rocheu- 
ses une  immigration  d'aventuriers  qui  jetèrent 
les  fondations  de  la  ville  de  Denver.  On  tra-  t 
versait  alors  les  prairies  du  Kansas  et  du 
Colorado,  avec  des  caravanes  de  lourdes 
charrettes  traînée  par  des  bœufs,  et  l'on  prenait 
généralemant  de  trente  à  quarante  jours  pour 
parcourir  une  distance  que  l'on  traverse  au- 
jourd'hui en  autant  d'heures. 

Le  Colorado  compte  aujourd'hui  une  popu- 
lation de  400,000  habitants  dispersés  sur  un 
territoire  d'une  superficie  de  103,645  milles 
carrés.  On  l'a  surnommé  :  T/ie  Centennial  State^ 
l'Etat  du  Centenaire,  parce  qu'il  a  été  ^mis 
dans  l'Union  américaine,  le  4  juillet  1876,  cen- 
tième anniversaire  de  la  proclamation  d'indé- 
pendance des  colonies  britanniques,  le  4  juillet 
1776. 

Le  Nouveau-Mexique  ne  possède  encore 
qu'une  organisation  territoriale.   Il  occupe  une 


ii 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAdNES-ROCHEUSES 


52 


superficie  de  121,201  milles  carrés,  avec  une 
population  estimée  à  près  de  200,000  habi- 
tants. Les  Chambres  de  Washington  sont 
actuellement  à  discuter  un  projet  de  loi  pour 
l'admettre  au  nombre  des  Etats  de  l'Union  ; 
ce  qui  ne  saurait  longtemps  tarder,  à  moins 
d'un  injuste  parti  pris.      ^ 

Le  territoire  de  l'Utah,  avec  une  superficie 
de  89,400  milles  carrés  et  une  population 
d'à  peu  près  300,000  âmes,  est  situé  immédia- 
tement à  l'ouest  du  Colorado.  Le  pays  fut 
découvert  et  exploré  par  les  trappeurs  fran- 
çais, vers  la  fin  du  XVI P  siècle,  et  Lahontan 
rencontra  aussi  des  sauvages  qui  lui  parlèrent 
du  grand  lac  salé.  Les  mormons,  sous  la  con- 
duite de  Brigham  Young,  immigrèrent  en 
masse,  et  s'établirent,  en  1847,  dans  la  vallée 
de  rUtah  et  du  lac  salé,  où  ils  fondèrent  la  ville 
de  Sait  Lake. 

Voilà  un  aperçu  général  des  pays  que  j'ai 
parcourus,  et  je  m'empresse  de  dire  que  c'est 
surtout  au  point  de  vue  de  ma  santé  et  du 
pittoresque  que  j'ai  visité  les  contrées  situées 
dans  ce  que  l'on  appelle  ici  le  cœur  des  Mon- 
tagnes-Rocheuses :  tke  heart  0/  the  Rockies. 
Prenant  Denver,  capitalç  du  Colorado,  comme 


53  ^'î^  M<>ï^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


point  de  départ,  je  me  suis  rendu  ensuite  à 
Manitou,  à  Colorado  Springs,  à  Pueblo,  à 
Salida,  à  Gunnison,  à  Grand  y  une  lion, -d  Pro- 
vost  et  à  Sali  Lake  City,  à  l'ouest  ;  à  Lead- 
ville  et  à  Aspen  au  nord  ;  à  Ouray,  Silverton, 
Durango,  Alamosa,  Antonito,  Espanola  et  à 
Santa-Fé  du  Nouveau-Mexique,  au  sud,  en 
revenant  à  Denver,  par  le  col  de  la  Veta,  par 
Trinidad  et  Cuchara  Junction —  ce  qui  repré- 
sente un  parcours  de  6,000  milles  dans  le  pays 
le  plus  accidenté  du  monde.  On  escalade 
littéralement  en  chemin  de  fer  des  montagnes 
de  10,000  pieds  d'altitude,  et  on  traverse  des 
gorges  et  des  ravines  creusées  dans  le  roc  vif, 
et  dont  les  murs  escarpés  s'élèvent  à  pic  à 
2,500  pieds  au-dessus  de  la  locomotive  qui 
côtoie  les  eaux  du  torrent  qu'on  entend  gron- 
der au  fond  du  précipice.  On  a  réellement 
fait  là  des  prodiges  de  construction  et  si  le 
pays  neuf  que  l'on  traverse  n'offre  encore  que 
peu  de  ressources  au  commerce,  à  l'agricul-^ 
ture  et  à  l'industrie,  on  s'arrête  en  revanche, 
en  contemplation  devant  une  nature  sauvage 
et  des  paysages  grandioses  qui  étonnent 
même  l'imagination  la  plus  fantastique  et  la 
plus  enthousiaste. 


Mliï 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTACJNES-ROCHEUSES 


54 


i.'   '   < , 


V 


DENVER 


Comme  j'avais  fait  de  la  ville  de  Denver 
le  centre  de  mes  opérations,  mon  point  de 
départ  et  de  ravitaillement,  il  n'est  que  juste 
que  je  fasse  un  peu  l'historique  de  cette 
grande  ville  qui  compte  à  peine  trente  années 
d'existence.        U      :     v  .--    ^      -   ^ 

La  découverte  de  mines  d'or  en  Californie 
avait  été  le  signal  d'une  nombreuse  émigra- 
tion vers  le  Pacifique,  et  un  grand  nombre 
d'aventuriers  se  dirigèrent  vers  l'ouest,  —  les 
uns,  par  mer,  en  doublant  le  cap  Horn,  ou  en 
traversant  l'isthme  de  Panama  ;  les  autres  par 
terre  en  escaladant  les  Montagnes-Rocheuses 
pour  atteindre  la  terre  promise.  Ce  ne  fut 
que  dix  ans  plus  tard,  en  1859,  qu'un  camp 
de  mineurs  fut  établi  sur  les  bords  de  la  rivière 


'Il 


I 


t(>"^ 


55 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


f  li 


I  i 


il 


Platte,  qui  arrose  le  versant  oriental  de  la 
chaîne  des  Montagnes- Rocheuses,  —  à  l'en- 
droit où  est  maintenant  située  la  ville  de 
Denver,  capitale  du  Colorado.  A  cette  épo- 
que, le  pays  n'était  pas  même  formé  en  Ter- 
ritoire, et  j'ai  déjà  dit  que  ce  ne  fut  qu'en  1876 
qu'il  fut  admis  au  nombre  des  Etats  de 
l'Union  américaine. 

Le  dernier  recensement  de  Denver  accuse 
une  population  de  plus  de  1 20,000  habitants 
et  l'accroissement  remarquable  de  la  ville  n'est 
pas  plus  extraordinaire  que  la  prospérité 
merveilleuse  dont  elle  jouit  depuis  sa  fonda- 
tion, en  1859.  Par  sa  position  géographique 
aussi  bien  que  par  l'esprit  d'entreprise  et 
l'énergie  de  ses  citoyens,  Denver  est  devenu 
un  centre  industriel,  agricole  et  commercial 
où  convergent  aujourd'hui  vingt  lignes  de 
chemins  de  fer,  et  sa  Bourse  des  valeurs  mi- 
nières ne  le  cède  en  importance  et  en  variété 
qu'à  celle  de  San  Francisco.  Il  y  a  dix-huit 
ans  à  peine  que  le  service  des  voyageurs  se 
faisait  encore  par  les  diligences  entre  Kansas 
City  et  Denver,  qui  ne  comptait  alors  qu'une 
population  de  4,000  habitants  !  On  admire 
aujourd'hui  une  cité  qui  s'enorgueillit  à  bon 


/ 


i 


i 


o 
m 

z 
<. 
m 

73 


*!l( 


D 


I 


SIX  MOI»  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


58 


droit  de  ses  superbes  édifices  publics,  de  ses 
écoles  qui  sont  des  modèles  d'organisation  et 
d'installation,  de  ses  tramways  électriques  et 
à  cables  conHmts,  et  de  ses  résidences  princières 
qui  bordent  de  larges  avenues,  et  qui  dénotent 
l'opulence  et  la  prospérité  de  ses  citoyens. 

Denver  est  situé  à  une  altitude  de  5,195 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  pos- 
sède un  climat  et  une  température  que  recher- 
chent tous  ceux  qui  souffrent  de  la  poitrine 
ou  de  maladies  nerveuses.  Les  hôtels  ne  le 
cèdent  en  rien  à  ceux  des  Etats  de  l'Est,  et  le 
public  voyageur  trouve  ici  toutes  les  commo- 
dités et  tout  le  luxe  de  New-York  ou  de 
Boston.  La  population  augmente  chaque  jour, 
et  Denver  est  appelé  à  devenir  le  grand  centre 
commercial  de  l'immense  région  qui  sépare 
San  Francisco  de  Chicago  et  de  Saint- Louis. 

Les  propriétés  foncières  y  ont  acquis  une 
valeur  énorme  en  quelques  années,  et  l'on 
construit  constamment  des  édifices  qui  feraient 
honneur  aux  grandes  villes  de  l'Est.  Les  res- 
sources agricoles  du  Colorado  et  l'élevage, 
qui  s'y  fait  sur  wne  grande  échelle,  apportent 
aussi  leur  contingent  à  l'industrie  minière,  et 
plusieurs  grands  fabricants  de  l'Est  ont  cons- 

4 


!    5 


;l«i 


59  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

truit  ici  de  nouveaux  ateliers,  afin  de  supprimer 
le  coût  du  transport  des  marchandises  qui  est 
encore  relativement  élevé.     La  concurrence, 
cependant,  tend  à  faire  baisser  continuellement 
et  à  équilibrer  le  tarif  des  chemins  de  fer.  J'ai 
dit,  plus  haut,  un  mot    des  écoles  publiques 
que  j'avais  déjà  visitées,  en   1885,  et  je  ne 
saurais  trop  insister  sur  leur  merveilleuse  ins- 
tallation au  triple  point  de  vue  de  l'instruction, 
de  l'éducation  et  de  l'hygiène.     L'instruction 
est  gratuite  et  obligatoire,  et  non  seulement  on 
donne  aux  élèves  la  facilité  et  l'occasion  d'ac- 
quérir les  connaissances  les  plus  utiles  et  les 
plus  multiples,  mais  on  fournit  même  gratui- 
tement aux  enfants  les  livres  et  tous  les  acces- 
soires nécessaires  aux  études  les  plus  variées 
et  les  plus  compliquées.     Il   faut   vraiment 
visiter  ces  établissements  dans  tous  leurs  dé- 
tails pour  en  apprécier  la  valeur  et  pour  com- 
prendre le  sentiment  libéral  et  humanitaire 
qui  a  présidé  à  leur  organisation.    Un  simple 
détail  prouvera  jusqu'à  quel  point  on  a  porté 
la  sollicitude  pour  la  parfaite  éducation  de  la 
jeunesse.     On  a  installé,  dans  chaque  classe, 
de  la  plus  basse  à  la  plus  élevée,  des  pots 
de  fleurs  naturelles  qui  servent  à  orner  les 


''^^^Sim 


SIX  MOIS  DANS  LES  M()NTA(;NES-ROCH  EUSES  60 


chambres  et  à  donner  des  leçons  graduées  de 
botanique  pratique  à  tous  les  élèves.  Des 
salles  de  bain  sont  aménagées  dans  chaque 
école,  afin  de  permettre  aux  enfants  de  pren- 
dre des  habitudes  de  propreté  et  de  pouvoir 
apprécier  le  proverbe  anglais  qui  dit  que  : 
cleanliness  is  7text  to  godliness.  L'édifice  de  la 
Hig/i  School  est  superbe  à  tous  les  points  de 
vue.  L'installation  des  cabinets  de  physique 
et  de  chimie  est,  paraît-il,  une  des  plus  com- 
plètes du  continent  américain.  Et  toutes  ces 
écoles  sont  gratuites  !  Les  enfants  du  pauvre 
et  du  riche  grandissent  ensemble  sous  la 
tutelle  de  professeurs  distingués,  et  l'on  arrive 
ainsi  à  façonner  des  citoyens  intelligents  qui 
ont  étudié  sur  les  bancs  d'une  école  com- 
mune, qui  ont  appris  à  se  connaître,  à  s'estimer 
et  à  commencer  les  luttes  de  la  vie  dans  un 
même  sentiment  de  patriotisme  éclairé  et  de 
solidarité  démocratique. 

Denver  est  fière  de  ses  écoles,  et  le  directeur 
de  la  High  School  s'enorgueillit  avec  raison 
d  un  de  ses  élèves  qui,  en  sortant  des  classes, 
est  entré  d'emblée,  comme  essayeur  dans  un 
grand  établissement  métallurgique,  avec  un 
salaire  de  $5,000  par  an. 


\'\ 


1" 


;^' 


m 


6i 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


Ce  résultat  en  dit  plus  long  que  tout  ce 
que  je  pourrais  citer  à  l'appui  des  éloges  que 
je  viens  de  faire  des  écoles  de  Denver. 


V 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  02 


•    /: 


VI 


MANITOU -COLORAOO  SPRINGS— LE  JARDIN 
DES  DIEUX  — GLEN-EYRE 


A  soixante-quinze  milles  directement  au 
sud  de  Denver,  — au  pied  et  à  l'ombre  du 
mont  Pz/ce, — se  trouvent  situées  les  deux  jolies 
villes  de  Manitou  et  de  Colorado  Springs, 
célèbres  dans  tous  les  Etats  de  l'Ouest  par 
leurs  sources  d'eaux  bicarbonatées,  sodiques 
et  ferrugineuses.  Ces  sources  auxquelles  on 
a  donné  les  noms  de  Shoshone,  Navajo,  Ma- 
nitou et  Little-Chief  é\.?i\ç\\X.  connues  des  trap- 
peurs canadiens  sous  l'appellation  générale  de 
Fontaine-  qui- bouille,  nom  que  l'on  a  conservé 
d'ailleurs  à  la  petite  rivière  qui  descend  de  la 
montagne  pour  aller  se  mêler,  plus  loin,  dans 
la  plaine,  aux  eaux  de  l'Arkansas.  La  ville 
de  Manitou  est  aux  Etats  de  l'Ouest  ce  que 


'■.  i;l 


ft 


63 


SIX  MOTS  DANS  T,ES   MONTAGNES-ROCHEUSES 


illii  19\\ 


Saratoga  est  à  ceux  de  l'Est.  Des  milliers 
de  visiteurs  viennent  constamment  y  chercher 
la  santé,  en  toutes  saisons,  ainsi  que  la  fraî- 
cheur et  le  délassement  pendant  les  chaleurs 
de  l'été.  La  ville  de  Colorado  Springs  est 
située  à  deux  lieues  de  Manitou,  à  l'extrémité 
latérale  du  contrefort  des  Montagnes-Rocheu- 
ses qui  projette  dans  la  plaine  et  dont  le  mont 
Cheyeniie  est  la  sentinelle  avancée.  Elle  tient 
son  nom  des  sources  d'eaux  minérales  de 
Manitou,  et  fut  fondée  dès  les  premières  années 
de  la  colonisation  du  Colorado,  vers  1860. 
Elle  est  située  à  une  altitude  de  5,982  pieds 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  compte  une 
population  de  10,000  habitants.  Manitou  n'a 
qu'une  population  permanente  de  1,000  habi- 
tants, avec  une  altitude  de  6,334  pieds. 

Le  climat  de  Colorado  Springs  peut  être 
recommandé  principalement  aux  personnes 
qui  souffrent  de  la  poitrine  et  d'affections 
des  organes  respiratoires.  On  a  obtenu  des 
cures  merveilleuses  chez  des  malades  qui 
n'avaient  pas  attendu  qu'il  fût  trop  tard  pour 
venir  bénificier  des  effets  de  son  climat  incom- 
parable. J'ai  déjà  dit  un  mot  des  difficultés 
qu'il  y  a  ici  déjuger  correcteipent  les  distan- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


64 


ces,  grâce  à  la  raréfaction  de  l'air  et  à  la  lim- 
pidité de  l'atmosphère  à  cette  altitude. 

Le  major  Pike,  dans  le  récit  de  son  voyage 
d'exploration  en  1806,  raconte  gravement, 
qu'il  voyagea  durant  trois  jours  vers  la  grosse 
montagne  bleue,  sans  cependant  paraître  s'en 
approcher  visiblement.  A  la  date  du  15 
novembre  1 806,  il  écrit  : 


"  A  deux  heures  de  l'après-midi,  je  crus  distinguer,  à 
notre  droite,  une  montagne  qui  nous  apparut  d'abord 
SOUS  lu  forme  d'un  léger  nuage  bleu  ;  mais  une  demi" 
heure  plus  tard,  avec  l'aide  de  ma  longue-vue,  je  distin- 
guai très  bien  la  montagne  du  haut  d'une  éminence. 
Tous  mes  hommes  se  joignirent  à  moi  pour  pousser  trois 
hourrahs  en  l'honneur  de  la  grosse  montagne  bleue. 
Nous  lîmes  ce  jour-là,  mie  étape  de  24  milles. 

"  16  novembre,  dimanche  ;  étape  de  wy-î  milles. 

"  17  novembre;  nous  nous  hâtâmes,  dans  l'espoir 
d'arriver  au  pied  des  montagnes,  mais  nous  ne  parûmes 
pas  nous  on  approcher  visiblement,  même  après  avoir 
fait  une  nouvelle  étape  de  24  milles."  '  , 

Du  18  au  21  novembre,  P'ke  s'arrêta  pour 
fiirela  chasse  aux  bisons  ;  mais  le  21  et  le  22 
du  même  moisj'^il  fit  deux  nouvelles  étapes 
de  trente-huit  milles.  Le  25  seulement  il 
arriva  au  pied  du  mont  Cheyenne  qu'il  esca- 
lada pour  la  première  fois.     Les  explorateurs 


65 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


se  trouvèrent  donc  durant  dix  jours  en  vue 
du  mont  Pike,  avant  d'y  arriver.  Ce  pays  est 
maintenant  traversé  dans  tous  les  sens  par 
les  chemins  de  fer,  et  l'on  est  actuellement  à 
en  construire  u'i  qui  transportera  les  touristes 
jusqu'au  sommet  de  la  grosse  montagne  bleue, 
à  une  altitude  de  14,147  pieds.  Et  dire  qu'il 
y  a  trente  ans  à  peine  que  ce  pays  est  habité 
par  les  blancs  ! 

La  température  moyenne  de  Colorado 
Springs  et  de  Manitou  est  de  60  degrés  Fa- 
renheit,  et,  bien  qu'en  hiver  le  thermomètre 
descende  parfois  jusqu'à  zéro,  la  raréfaction 
et  la  pureté  de  l'air  empêchent  le  froid  de  se 
faire  sentir  aussi  sévèrement  que  dans  les 
pays  moins  élevés.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire 
qu'on  trouve  partout,  au  Colorado,  et  surtout 
dans  les  villes  d'eaux,  des  hôtels  de  première 
classe  où  la  nourriture,  l'installation  et  le  ser- 
vice sont  dignes  des  grandes  villes  américaines. 
Il  y  en  a  pour  tous  les  goûts  et  pour  toutes 
les  bourses.  Le  service  de  la  poste  et  des 
chemins  de  fer  est  aussi  fait  avec  toute  la 
régularité  et  toute  la  fréquence  désirables. 
On  pourrait  se  croire,  sous  ce  rapport,  à  New- 
York,  à  Boston  ou  à  Montréal.    Les  voitures 


lÉÊ^ 


'  I 
'  'i 

PRi! 


LE  POftTAIL  DU  JARDIN   DES  DIEUX 


K 


^^i  ii«i 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  68 


de  louage  et  les  chevaux  de  selle  y  sont 
aussi  à  un  bon  marché  relatif,  car  l'élevage 
se  fait  sur  une  grande  échelle- dans  les  ranches 
environnantes,  et  les  chevaux  ne  se  vendent 
pas  trop  cher. 

Les  environs  de  Manitou  et  de  Colorado 
Springs  présentent  de  magnifiques  prome- 
nades et  sont  le  but  d'excursions  très  intéres- 
santes. Les  plus  célèbres  sont  l'ascension  du 
mont  Pike  et  du  mont  Cheyenne,  la  visite  des 
Grandes  Cavernes  et  de  la  Grotte  des  Vents,  les 
promenades  du  Jardin  des  Dienx,  de  Glen- 
Eyre,  des  gorges  de  Clieyenne,  des  Sept  Lacs, 
des  Sept  Cascades  et  la  Cascade  de  l Arc- en- ciel. 
Toutes  ces  visites  peuvent  se  faire  en  voiture 
ou  à  cheval,  et  aucune  d'elles  ne  dure  plus 
d'une  journée.  Ces  sites  se  trouvent  réunis 
dans  un  rayon  de  trois  lieues  de  la  ville.  La 
principale  curiosité  et  la  plus  intéressante,  le 
Jardin  des  Dieux  est  située  sir  la  route  qui 
conduit  de  Manitou  à  Colorado  Springs. 

L'ascension  du  mont  Pikesç^  fait  avec  assez 
de  facilité,  sojt  à  cheval  par  un  sentier  qui 
conduit  au  sommet  en  six  heures,  soit  en  voi- 
ture par  une  bonne  route  que  l'on  a  construite 
depuis  quelques  années.     J'ai   déjà  dit  qu'on 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-S) 


p^' 
^"^l^^ 


y 
^ 


/j 


1.0 


l.l 


1.25 


1^128 

■  50     "^~ 


15 
2.2 

M 

U     III  1.6 


v^ 


.% 


'>• 


(? 


7 


>(S« 


/ 


l 


69 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


était  en  train  de  construire  un  chemin  de  fer 
à  engrenage  qui  ira  jusqu'au  sommet,  sur  le 
modèle  de  celui  -^i  existe  depuis  plusieurs 
années  au  mont  Washington.  L'ascension 
se  fera  donc,  avant  longtemps,  avec  la  plus 
grande  facilité.  La  vue  du  haut  du  mont 
Pike  est  absolument  superbe,  et  s'étend  à  une 
distance  incalculable.  A  l'est,  et  à  perte  de 
vue,  les  vastes  prairies  du  Colorado  ;  au  nord, 
au  sud  et  à  l'ouest,  les  Montagnes-Rocheuses 
avec  leurs  chaînes  et  leurs  pics  innombrables. 
On  ne  peut  se  fatiguer  d'admirer  le  contraste 
merveilleux  que  présentent  la  plaine  immense 
qui  s'étend  à  l'est,  et  le  massif  des  sommets 
neigeux  qui  apparaissent  à  l'ouest,  semblables 
aux  flots  d'une  mer  en  furie  qui  se  serait  pé- 
trifiée. Un  observatoire,  relié  par  le  télé- 
graphe aux  grands  centres  des  Etats-Unis, 
a  été  établi  sur  le  sommet  par  le  Bureau  Mé- 
téorologique de  Washington,  et  tous  les  tou- 
ristes sont  cordialement  reçus  par  les  em- 
ployés qui  séjournent  à  l'année,  à  cette  grande 
altitude.  Bien  des  personnes  sont  cependant 
plus  ou  moins  incommodées  par  "  le  mal  de 
montagne,"  dû  à  la  raréfaction  de  l'air,  et  l'on 
ne  peut  guère  stationner  au  sommet  à  cause 


m 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  7O 


des  neiges  et  du  froid,  à  moins  qu'on  ne  soit 
très  chaudement  vêtu. 

Immédiatement  au  bas  et  à  9,000  pieds  au- 
dessous  du  pic,  on  aperçoit,  la  ville  de  Ma- 
nitou qui  nous  apparaît  comme  un  mouchoir 
de  dentelles  que  le  vent  aurait  emporté  dans 
la  plaine  ;  deux  lieues  plus  loin,  Colorado 
Springs  avec  ses  larges  boulevards  et  ses 
avenues  tirées  au  cordeau,  ne  paraît  guère 
plus  grand  qu'un  damier  ordinaire.  A  200 
milles  au  sud,  "  Los  Picachos,"  the  Spanish 
PejLkSy  comme  les  nomment  les  Américains, 
dessinent  leurs  cimes  neigeuses  à  l'horizon,  et 
à  soixante-quinze  milles  au  nord  on  distingue 
vaguement  Denver  par  les  nuages  de  fumée 
qui  s'élèvent  des  fourneaux  de  ses  usines.  La 
route  qui  conduit  de  Manitou  au  sommet  est 
des  plus  pittoresques,  et  l'on  côtoie  continuel- 
lement des  torrents  qui  ont  taillé  leur  lit  dans 
le  roc  vif  de  la  montagne  en  formant  parfois 
des  cascades  écumantes  ou  des  lacs  tranquilles 
où  se  mirent  les  pins  rabougris  qui  poussent 
sur  les  flancs  ^carpes  des  ravins  et  des  pré- 
cipices. C'est  à  mi-chemin  que  l'on  admire 
les  seps  lacs  et  les  cascades  de  Minnehaha. 

L'ascension  du   mont   Cheyenne  est  aussi 


I 


^-■ 


's:' 


I 


7" 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


! 

I 

]\ 

II 


relativement  facile  :  un  sentier  de  mulet  y 
conduit,  en  quelques  heures,  de  Colorado 
Springs.  Cette  montagne  est  devenue  célèbre, 
depuis  quelques  années,  par  le  tombeau  de 
Mme  Heléna  Hunt  Jackson  qui  a  désiré 
être  enterrée  là,  dans  la  solitude,  sur  le  versant 
qui  fait  face  au  soleil  levant.  Mme  Jackson 
était  un  auteur  bien  connu  aux  Etats-Unis 
par  des  articles  de  revue  et  par  des  livres  où 
elle  a  pris  la  défense  des  Peaux-Rouges  contre 
les  entreprises  envahissantes  des  colons  et 
contre  la  faiblesse  du  gouvernement  qui  assis- 
tait impassible  au  massacre  des  tribus  sauva- 
ges. Son  livre  Un  siècle  de  déshonneur  est  un 
plaidoyer  formidable  contre  l'injustice  des  au- 
torités américaines.  Aussi  la  réputation  de 
l'auteur  s'est-elle  répandue  dans  tous  les 
Etats  de  l'Union.  La  visite  à  son  tombeau 
a  pris  les  proportions  d'un  pèlerinage,  et  cha- 
cun, selon  le  désir  de  la  défunte,  dépose  une 
pierre  sur  le  tertre  où  elle  repose,  aux  pieds 
des  grands  pins  noirs  de  la  forêt  que  surplom- 
bent les  cimes  dentelées  de  la  montagne 
funèbre.  Déjà  une  pyramide  imposante 
s'élève  sur  la  tombe  de  l'amie  des  sauvantes, 
et  chaque  jour  d'autres  touristes  ajoutent  des 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


72 


pierres  à  ce  monument  d'un  nouveau  genre. 
Mme  Jackson  habitait  la  viile  de  Colorado 
Springs  où  elle  était  universellement  aimée 
et  respectée,  et  tous  ceux  à  qui  j'ai  mentionné 
son  nom  m'en  ont  parlé  dans  les  termes  de  la 
plus  sympathique  admiration. 

Toutes  ces  montagnes  sont  sillonnées  par 
des  torrents  qui  ont  creusé  leurs  lits  jusqu'à 
des  profondeurs  parfois  vertigineuses.  Il  en 
est  résulté  des  gorges  merveilleuses  où  l'on 
peut  voir  les  stratifications  les  plus  curieuses  et 
les  plus  intéressantes.  Les  environs  de  Ma- 
nitou  et  de  Colorado  Springs  offrent  des  pro- 
menades nombreuses  dans  ces  gorges  où  le 
soleil  ne  pénètre  parfois  que  pendant  quelques 
instants.  Partout  des  sentiers  à  mulet  ou  des 
routes  pour  les  voitures.  On  n'a  que  l'em- 
barras du  choix,  et  l'on  peut  facilement  passer 
un  mois  dans  le  pays,  en  faisant  chaque  jour 
une  nouvelle  excursion. 

De  nombreuses  grottes  ont  été  découvertes 
dans  les  montagnes,  mais  les  plus  célèbres 
sont  la  gravée  caverne  de  Manitou  et  la 
Grotte  des  vents.  La  grande  caverne  fut  dé- 
couverte en  1 88 1 ,  et  explorée  pour  la  première 
fois  en  1885.     Elle  offre  plusieurs  chambres 


I  j^QS^iâiéâ^^^iH^i  '^'  : 


•^mmummtmtmmt 


I  ?■■ 


.1 


72, 


SrXMOTS  DANS  LES  MONTAGNES  ROCHKUS ES 


m\\ 


à  stalactites  fort  intéressantes,  et  l'on  a  donné 
des  noms  plus  ou  moins  appropriés  à  des  for- 
mations curieuses  que  l'on  rencontre  à  chaque 
pas.  La  salle  la  plus  remarquable  est  celle 
que  l'on  nomme  Concert  Hall,  la  salle  de 
concert,  où  un  groupe  de  stalactites  et  de  sta- 
lagmites, représente  assez  bien  les  tuyaux 
d'un  orgue,  d'où  l'on  réussit  à  tirer  des  sons 
fort  agréables  et  qui  ressemblent  assez  au 
carillon  des  cloches  entendues  à  distance. 

La  Grotte  des  vents  est  moins  curieuse  et 
moins  importante;  bien  qu'elle  soit  le  but 
d'une  très  intéressante  promenade  dans  la 
montagne. 

Mais  l'excursion  par  excellence  est  celle 
que  l'on  fait  au  Jardin  des  Dieux.  C'est  là 
une  merveille  naturelle  que  les  sauvages 
connaissaient  de  date  immémoriale,  et  qu'ils 
avaient  choisie  comme  un  lieu  de  culte  et  de 
réunion,  longtemps  avant  l'arrivée  des  blancs 
dans  le  pays.  Voici  la  légende  que  l'on  m'a 
racontée  à  ce  sujet.  Les  Indiens  visitaient 
régulièrement  les  eaux  de  la  Fontaine-qni- 
boîiille  pour  y  conduire  leurs  malades,  leurs 
blessés  et  leurs  invalides.  Ils  croyaient  que 
Iç  Grand- Esprit  avait  soufflé  le  souffle  de  vie 


/ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  74 


i 


dans  les  eaux  de  Manitou,  et  ils  buvaient  ces 
eaux  ;  ils  y  lavaient  leurs  blessures  et  y  bai- 
gnaient leurs  membres  malades.  Après  avoir 
passé  un  certain  temps  auprès  des  sources, 
ils  se  rendaient  tous  dans  le  Jardm  des  Dieux 
pour  y  offrir  des  sacrifices  au  Grand-Esprit, 
en  témoignage  de  leur  reconnaissance  des 
guérisons  qu'il  venait  d'opérer.  Les  jeunes 
guerriers  s'y  livraient  aussi  aux  jeux  d'adresse 
et  aux  exercices  de  la  guerre,  en  terminant 
les  réjouissances  par  des  courses  de  chevaux. 
On  voit  d'ailleurs  encore  des  traces  de 
campement  et  des  pistes  circulaires  pour  ces 
courses. 

Le  Jardin  des  Dietix  est  un  vaste  cirque 
entouré  de  rochers  abrupts,  et  formant  une 
ellipse  dont  le  grand  axe  mesure  trois  milles 
de  longueur  et  le  petit  à  peu  près  un  mille. 
Le  jardin  n'est  pas  un  lieu  habité,  mais 
un  endroit  couvert  de  rochers  ruiniformes  des 
plus  étranges,  où  le  Grand- Esprit  |iabitait 
autrefois,  selon  la  croyance  des  Peaux-Rouges. 
Le  plateau  qu'occupe  cette  merveille  naturelle 
est  situé  à  mi-chemin  entre  Manitou  et  Colo- 
rado Spi'ingSy  et  l'on  y  a  accès  par  un  portail 
gigantesque,    formé    de    murailles   de    grès 


75  SIX  MOIS  dans' LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


rouge,  espacées  d'à  peu  près  200  pieds.  Ces 
murailles  s'élèvent  perpendiculairement  à  une 
hauteur  de  500  pieds.  Cette  fissure  curieuse, 
dans  le  roc  vif,  a  dû  être  le  résultat  d'un  bou- 
leversement volcanique  ou  d'un  tremblement 
de  terre.  On  a,  tout  à  coup,  en  arrivant  à  ce 
portail,  une  vue  splendide  du  mont  Pike,  qui 
se  dessine  si  nettement,  avec  ses  neiges 
éblouissantes,  au  fond  de  la  vallée,  qu'on  s'en 
croirait  tout  près,  bien  qu'on  soit  à  dix  heures 
de  son  sommet. 

On  ne  peut,  à  moins  de  les  avoir  vues,  se 
faire  une  idée  des  fausses  ruines,  des  faux 
monuments  et  des  formations  fantastiques  que 
l'on  rencontre  à  chaque  pas  dans  le  jardin  des 
dieux.  A  côté  de  rocs  figurant  des  monstres 
gigantesques  sont  des  imitations  d'édifices 
grandioses.  Certains  rochers  isolés  figurant 
une  tour  ou  une  pyramide,  ont  plu^  de  300 
pieds  de  hauteur  et  certains  passages  ont  plus 
de  100  pieds  d'escarpement.  Tout  ce  vaste 
espace  est  plongé  dans  une  solitude  absolue,  et 
les  touristes  seuls  y  font  des  excursions  et  des 
promenades.  J'y  ai  rencontré  un  artiste  an- 
glais qui  y  faisait  des  croquis,  mais  je  doute 
que  le  pinceau  puisse  jamais  rendre  la  gran- 


'  Ma 

,'■  1 

nk^^H 

.,. 

■::|Ni 

'^^^^^^K 

w 

'^K. 

'  jjfiwHB^' 

3l\^^^^5i5lK«>ci^'— 

M:  •:! 


J-L-V 


mi 

Hl^. 

^ 

Éy 

F'im 

^^H 

3 

Kr^'^^9 

^MêÊ 

H 

■  ,«  •  :^ 

|P^£H 

^B 

M    ^ 

m'^M 

^^^ 

I 


•    •  *,^> 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTACrES-ROCHEUSES 


78 


deur  imposante  de  ce  merveilleux  caprice  de 
la  nature.  La  plupart  des  rochers  ont  déjà 
reçu  des  noms  fantaisistes  évoqués  par  des 
similitudes  plus  ou  moins  discutables.  On 
distingue  entre  autres  le  Bonhomme  et  la 
Bonne  femme,  les  Frères  siamois,  les  Droma- 
daires, les  Aiguilles,  les  Champignons,  la 
Tortue,  la  Cathédrale,  etc.,  etc. 

Glen-Eyre  est  le  nom  donné  par  le  général 
Palmer  à  une  gorge  remarquable  située  un 
peu  plus  bas  et  à  droite  du  portail  du  Jardin 
des  Dieux.  Ce  nom  qui  signifie  en  français 
Val  de  faire  vient  de  ce  que  l'on  aperçoit, 
accroché  au  flanc  du  rocher,  en  entrant  dans 
la  gorge,  l'aire  d'un  aigle  qui  s'est  enfui  en 
abandonnant  son  nid,  devant  le  progrès  de  la 
civilisation.  Le  général  Palmer  a  construit 
au  fond  de  cet  endroit  pittoresque,  un  superbe 
château  qu'il  habite  pendant  la  belle  saison. 
Le  parc  qui  l'environne  est  ouvert  aux  tou- 
ristes. Les  formations  de  grès  rouge  qu'on  y 
trouve,  bien  que  moins  nombreuses,  ne  sont 
pas  moins  curieyses  que  celles  que  l'on  ren- 
contre dans  le  Jardin  des  Dieux. 

Voilà  à  peu  près  ce  que  j'ai  remarqué  à 
Manitou  et  dans  les  environs,  sans  parler  du 


79 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


mîeu^  tout  à  fait  sensible  que  j'ai  ressenti, 
pendant  mon  séjour  dans  la  montagne.  Des 
milliers  de  personnes  viennent  d'ailleurs,  cha- 
que année,  de  tous  les  pays  d'Europe  et 
d'Amérique,  pour  y  chercher  la  guérison  et  la 
santé.  J'y  ai  rencontré  des  Canadiens,  des^ 
Français,  des  Allemands,  des  Espagnols,  des 
Autrichiens,  des  Italiens,  mais  surtout  des 
Anglais,  qui  sont  ici  en  très  grand  nombre  et 
qui  ont  engagé,  m'a-t-on  dit,  de  très  grands 
capitaux  dans  l'exploitation  des  mines  du 
pays  et  dans  l'élevage  des  bestiaux. 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  80 


VII 

LES  CHIENS  DE   PRAIRIE  —  PUEBLO  —  TRI- 
NIDAD  —  LA   VETA  -  OURAY 


De  Denver  à  Trinidad,  en  passant  par 
Pueblo,  le  chemin  de  fer  Denver  et  Rio  Grande 
longe  les  plateaux  mamelonnés  qui  sont  situés 
aux  confins  de  la  prairie  et  immédiatement 
aux  pieds  de  la  première  chaîne  des  Monta- 
gnes-Rocheuses. 

Entre  Colorado  Springs  et  Pueblo,  nous 
apercevQns,  des  fenêtres  du  convoi,  à  droite  et 
à  gauche  de  la  voie,  des  Prairie  dog  towns 
—  littéralement  des  "villages  de  chiens  des 
prairies."  Ces  petits  animaux,  de  l'ordre  des^ 
rongeurs,  gros  comme  des  lapins  ordinaires, 
habitent  les  prairfes  américaines  et  construi- 
sent leurs  terriers  par  milliers  dans  les  endroits 
où  ils  trouvent,  en  abondance  les  herbes  dont 
ils   font  leur  principale   nourriture.      Ils  ne 


8i 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


i- 


paraissent  guère  s'inquiéter  du  voisinage  des 
hommes  et  ils  sont  très  comiques  à  voir,  assis 
sur  lé  derrière,  au  haut  des  petites  buttes  de 
sable  qui  proviennent  du  creusement  de  leurs 
habitations  souterraines,  et  poussant  des  gro- 
gnements qui  ressemblent  beaucoup  au  jappe- 
ment des  jeunes  chiens.  On  dit — je  n'ai 
jamais  vérifié  la  chose  et  je  suis  loin  de  me 
porter  garant  de  l'authenticité  de  l'histoire  — 
que  chaque  terrier  est  habité  en  commun  par 
un  chien  de  prairie,  un  serpent  à  sonnettes  et 
un  hibou  'qui  font  tous  les  trois  le  meilleur 
ménage  du  monde.  Je  n'ai  jamais  vu  que  les 
chiens,  car  on  prétend  encore  que  leurs  sinis- 
tres compagnons  ne  sortent  que  la  nuit. 
J'ignore  aussi  l'origine  de  cette  tradition  qui 
me  paraît  bien  risquée  et  tout  ce  que  je  sais 
du  chien  de  prairie,  c'est  de  l'avoir  aperçu  en 
passant  et  d'avoir  appris  dans  un  bouquin 
quelconque  que,  scientifiquement,  cet  intéres- 
Sfint  petit  animal  est  connu  dans  le  monde  des 
savants  sous  le  nom  du  cynomus  ou  spermo- 
philus  ludovicianus.  Je  laisse  aux  naturalistes 
l'agréable  besogne  d'étudier  plus  longuement 
les  habitudes  et  les  mœurs  de  cette  marmotte 
américaine. 


1. 


/p.-',;    ■• 


UN   VILLAGE   DE  CHIENS  DE  PRAIRIE 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


82 


La  ville  de  Pueblo  est  située  à  45  milles  au 
sud  de  Colorado  SpringSy  et  c'est  de  là  que  le 
chemin  de  fer,  en  se  dirigeant  directement 
vers  l'ouest,  traverse  les  montagnes  par  le 
défilé  du  Royal  Gorge,  pour  nous  conduire  à 
Salida,  Leadville,  Asperi,  Gunnison,  Grand- 
yunction  et  Sait  Lake  City.  Nous  allons 
maintenant  nous  diriger  plus  au  sud,  vers 
Trinidad,  pour  revenir  à  Cuchara  yunction, 
et  de  là  nous  rendre  par  le  col  de  la  Veta, 
dans  la  vallée  de  San- Luis,  en  allant  jusqu'à 
Santa- Fé  au  Nouveau-Mexique,  par  la  vallée 
du  Rio  Grande  del  Norte.  C'est  le  pays  des 
Pueblos  ou  villages  indiens,  et  c'est  sans  con- 
tredit un  des  coins  les  plus  pittoresques  et  les 
plus  intéressants  de  l'Amérique  du  Nord.  Je 
n'entreprendrai  pas  de  traduire  les  noms  an- 
glais ou  espagnols  des  endroits  que  j'ai  visités, 
car  il  serait  probablement  impossible  de  s'y 
reconnaître  en  consultant  les  cartes  géogra- 
phiques. On  se  trouve  ici  aux  confins  des 
anciennes  possessions  mexicaines,  et  l'on  y 
rencontre  un  mélange  d'anglais  et  d'espagnol 
que  l'on  peut  comparer  au  mélange  d'anglais 
et  de  français  qui  existe  dans  les  villes  et  dans 
les  villages  limitrophes  des  provinces  de  Qué- 
bec et  d'Ontario. 


83 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


On  a  donné  à  Pueblo  le  surnom  de  "  Pitts- 
burg"  de  l'Ouest,"  en  raison  de  ses  hauts  four- 
neaux et  de  ses  vastes  intérêts  manufacturiers. 
Le  minerai  de  fer  et  le  charbon  abondent  dans 
les  environs  ;  aussi  la  ville,  qui  ne  compte  que 
quelques  années  d'existence,  a-t-elle  déjà  une 
population  de  30,000  habitants.  L'élevage  des 
bestiaux,  que  l'on  fait  en  grand  dans  les  plaines 
voisines,  et  les  ressources  agricoles  des  terres 
arrosées  par  la  rivière  Arkansas,  ajoutent  aussi 
largement  à  la  prospérité  commerciale  et  in- 
dustrielle de  la  ville  naissante.  La  fièvre  de 
la  spéculation  sur  la  propriété  foncière  est  au- 
jourd'hui à  son  comble  à  Pueblo,  mais  il  en 
est  un  peu  de  même  dans  toutes  les  nouvelles 
villes  de  l'Ouest. 

Denver  en  est  un  exemple  frappant  et 
Pueblo  aspire  à  suivre  Denver  dans  la  voie 
d'une  prospérité  absolument  merveilleuse.  On 
y  a  déjà  construit  et  l'on  construit  encore 
actuellement  des  édifices  qui  feraient  honneur 
aux  grandes  villes  des  Etats  de  l'Est  et  du 
Canada.  Citons  comme  exemples  un  superbe 
hôtel  de  $500,000  et  un  théâtre  qui  en  a  coûté 
autant.  On  y  construit  aussi  un  véritable 
palais  pour  l'exposition  permanente  des  pro- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


84. 


duits  des  mines  du  Colorado  —  et  tout  cela 
dans  une  ville  de  30,000  âmes  ! 

Trinidad  est  une  ville  de  6,000  habitants 
située  au  sud,  près  de  la  frontière  du  Nouveau- 
Mexique,  et  au  cœur  d'un  pays  riche  en  mines 
de  charbon.  C'est  aussi  une  ville  nouvelle  — 
a  railroad  town  —  comme  disent  les  Améri- 
cains, une  ville  qui  doit  sa  naissance  à  la  cons- 
truction d'un  chemin  de  fer.  C'est  bien  un 
peu  là  l'histoire  de  toutes  les  villes  de  l'Ouest. 
C'est  à  Cuchara  Junction  que  le  Denver-Rio 
Grande  R.  R.  bifurque  de  nouveau  à- droite 
et  à  l'ouest  pour  escalader  la  chaîne  de  ^'^«^r^ 
de  Cristo,  en  passant  par  le  col  de  la  Veta,  à 
une  altitude  de  9,393  pieds  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  Immédiatement  après  avoir 
quitté  le  village  de  la  Veta,  et  en  vue  des  pics 
jumeaux  appelés  par  les  Espagnols  Los  Pica- 
chos,  la  voie  s'engage  dans  les  dédales  appa- 
ramment  inextricables  de  gorges,  de  défilés 
et  de  précipices,  qui  suivent  le  cours  d'un  tor- 
rent que  nous  traversons  et  retraversons  à 
chaque  instant  sur  des  ponts  suspendus  aux 
anfractuosités  de  la  montagne.  Nous  mon- 
tons en  suivant  une  pente  plus  ou  moins 
rapide,  selon  les  exigences  et  les  accidents  du 


SI 

■■-'M  I 


■^1 


MÉÉm 


85  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

sol.  Deux  puissantes  locomotives  nous  traî- 
nent lentement  en  poussant  des  râles  ca- 
dencés qui  nous  font  comprendre  la  force 
énorme  de  traction  qui  leur  est  nécessaire 
pour  surmonter  les  difficultés  qui  se  dressent 
à  chaque  pas.  Roulant  parfois  sur  les  che- 
valets et  sur  les  tréteaux  entrelacés  d'un 
viaduc  vertigineux  jeté  sur  le  torrent  qui 
mugit  au  fond  d'un  abîme  ;  surplombés  plus 
loin  par  des  rochers  gigantesques  qui  nous 
menacent  par  leurs  dimensions  fantastiques, 
nous  montons,  nous  montons  toujours,  cons- 
tamment en  vue  de  pics  innombrables  qui 
dressent  leurs  cimes  couvertes  de  neiges,  dans 
toutes  les  directions. 

On  a  dit  des  Montagnes-Rocheuses,  que 
ce  n'était  pas  une  chaîne  de  montagnes,  mais 
plutôt  un  océan  de  montagnes,  et  il  faut  avoir 
traversé  le  massif  du  Colorado  pour  se  faire 
une  idée  de  la  justesse  de  l'expression.  De  la 
hauteur  du  mont  Veta  on  aperçoit  au  nord 
les  sommets  de  la  Sierra  Mojada,  au  sud  la 
chaîne  de  la  Culebra  et  immédiatement  à 
l'ouest,  le  plus  haut  pic  du  Colorado,  la  Sierra 
Blanca  qui  élève  sa  cime  neigeuse  à  une  alti- 
tude de  14,464  pieds  au-dessus  du  niveau  de 


j'-i'-.. 

'*■■  ■  ■  ,  ■ 


C'^  = 


i^^* 


■      i    •.V,;u;V-l*.,; 


.^v.^J!:^■, 

'f>  '    ,■'  "'  .-î^ 
t.     "■-    '     :     . 


:\Kl  ;M'r  :".• 


"*,/-,■■  - 

-  ■'  -    ■  J 

'.;:•;. 

«■ 

'■■,■,',, 

--  ,"t  ,t 

f\ 

■,-''■   , 

'■    '  '  V 

-4; 

'■rt' 

J  .-*^.  . 

'  «f 

•-■>-'  *■' 

*- 

Il 


i'   .  »■' 


f  '.*.■ 


1i/  ".  I.  ■••;-    ;    •■'.#, .  ■>• 


.*vï-.-. 


••il;': 


i^-^ 


;=îJ->j'<}''^'^,, 


.'5i'.-...' 


-  Vf  *,   ■     ■  l      . 

•••  »v ,   \ 

if 

;■■':!■■.■,- 

I^  '  - 

!'<']' '.■•,■.•:.,'    ,-„■•.'■- 

*   ■-'     '    ''  ' 

.N    *'."'■    >      ^ 

■■■  >  '.  Tv 

■^ 

\   i 


'■  r^-h:    ■  r,±  :.  ■  ■'  ^'^  -r ,.. 


■  SJr 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


88 


a  mer.     Des  montagnes  à  droite,  à  gauche, 
devant,  derrière,  des  montagnes  partout. 

La  descente  du  sommet  de  la  Veia  dans  les 
plaines  de  San-Luis  se  fait  à  peu  près  avec 
la  même  variété  de  paysage  et  toujours  avec 
la  même  sécurité,  en  dépit  des  obstacles  qui 
s'accumulent  partout.  On  suit  les  sommets 
des  chaînons  inférieurs,  en  remarquant  que  les 
torrents  coulent  maintenant  vers  l'ouest  pour 
aller  se  jeter  dans  le  Rio  Grande  del  Norte. 
Par  une  série  de  détours,  de  retours  et  de  zig- 
zags qu'il  serait  impossible  de  décrire,  nous 
descendons  lentement  des  pentes  rendues  ac- 
cessibles au  moyen  .  de  travaux  herculéens. 
Ici  l'on  a  percé  la  montagne  par  des  tunnels 
creusés  dans  le  roc  vif;  un  peu  plus  loin,  la 
voie,  taillée  dans  le  granit,  serpente  au  flanc 
d'un  précipice  dont  on  n'aperçoit  pas  toujours 
le  fond  ;  et  partout  des  ponts,  des  viaducs  et 
des  tréteaux  en  treillis  qui  nous  permettent 
d'arriver  enfin  dans  la  vallée  de  San-Luis,  où 
le  Rio  Grande  poursuit  sa  course  accidentée 
pour  servir  plus* loin  de  frontière  entre  le 
Mexique  et  les  Etats-Unis,  et  pour  se  jeter 
enfin  dans  le  golfe  du  Mexique,  à  Brazos 
Santiago.     On  arrive  enfin  à  la  ville  d'Ala- 


89 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


mosa,  où  la  voie  bifurque  de  nouveau  vers  le 
nord  pour  desservir  le  commerce  des  centres 
miniers  et  agricoles  de  Del  Norte^  de  South- 
Fork  et  de  Waggon  wheel  Gap.  Il  existe  un 
peu  partout,  dans  les  Montagnes-Rocheuses, 
des  sources  minérales  d'eau  chaude,  auprès 
desquelles  on  a  construit  des  hôtels  pour  les 
malades  et  les  invalides.  Les  sources  de 
Waggon  zvlieel  Gap  ont  acquis  une  célébrité 
qui  attire  chaque  annnée  un  grand  nombre 
de  baigneurs  de  toutes  les  parties  des  Etats 
de  l'Ouest. 


La  chasse  et  la  pêche  sont  aussi  partout 
abondantes  dans  la  montagne.  Les  lacs  et 
les  rivières  sont  ftrès  poisonneux,  et  l'on  tue 
l'ours,  la  panthère,  le  chevreuil  et  l'antilope 
aux  environs  même  des  stations  du  chemin 
de  Ver.  Il  faut  avouer,  cependant,  qu'il  y  a 
dix  ans  à  peine  que  le  pays  a  été  livré  au 
commerce  et  à  l'agriculture  par  la  construction 
du  Denver  âf  Rio  Grande  Raihvay,  et  il  est 
assez  facile  de  prévoir  l'époque  où  la  chasse 
se  fera  aussi  rare  que  dans  les  Laurentides, 
bien  qu'il  y  ait  ici  des  refuges  assurés  pour  le 
gibier,  dans  les  solitudes  inaccessibles  et  inex- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


90 


plorées  des  montagnes  de  Saguache  et   de 
Lagarita. 

Revenant  à  Alamosa,  qui  est  le  centre  com- 
mercial de  la  vallée  du  Rio  Grande^  le  chemin 
de  fer  se  dirige  au  sud  vers  Antonito,  à  travers 
un  pays  fertile  qui  fut  autrefois  le  lit  d'un 
grand  lac,  s'il  faut  en  croire  les  géologues. 
Nous  touchons  ici  à  la  frontière  du  Nouveau- 
Mexique  et  aux  limites  du  pays  occupé  autre- 
fois par  les  Espagnols.  Il  y  a  encore,  à 
Antonito,  bifurcation  du  chemin  ^e  fer;  la 
ligne  principale  se  dirigeant  à  l'ouest  vers  les 
villes  minières  de  Chama,  de  Durango,  de 
Silverton  et  d'Ouray  ;  et  de  là  un  embran- 
chement allant  directement  au  sud,  à  travers 
le  pays  des  Pueblos,  vers  Espanola  et  Santa 
Fé  et  à  une  distance  de  408  milles  de  Denver- 

Nous  allons  d'abord  suivre  la  ligne  princi- 
pale jusqu'à  Ouray,  quitte  à  revenir  ensuite 
sur  nos  pas,  afin  de  nous  occuper  plus  lon- 
guement des  Indiens  du  Nouveau-Mexique. 

Le  chemin  de  fçr,  entre  Antonito  et  Ouray, 
e^t  construit  à  une  altitude  moyenne  de 
7000  pieds,  allant  progressivement  en  montant 
jusqu'à  la  ville  de  Silverton  qui  est  pittores- 


I 


^ 


91 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


quement  assise  sur  un  plateau  élevé  de  9,224 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 

En  quittant  la  vallée  de  San- Luis  on  tra- 
verse d'abord  la  chaîne  des  Conejos,  pour 
redescendre  dans  la  vallée  de  Los  Pinos, 
toujours  en  suivant  les  sinuosités  des  défilés 
les  plus  pittoresques  et  les  plus  intéressants. 
Le  passage  de  la  gorge  de  Toltee  nous  con- 
duit à  travers  les  profondeurs  d'une  fissure 
gigantesque  produite  dans  le  roc  par  quelque 
cataclysme. 

La  rivière  coule  ici  au  fond  d'un  abîme 
profond  de  1500  pieds,  et  les  ingénieurs  ont 
dû  construire  des  ponts,  on  plutôt  des  balcons 
suspendus  au  flanc  escarpé  de  la  montagne  où 
les  convois  circulent  sur  une  voie  aérienne. 
On  entend  souvent  sans  l'apercevoir  le  torrent 
qui  écume  au  fond  de  son  lit  de  granit,  et  l'on 
aperçoit  à  une  hauteur  vertigineuse  le  bleu  du 
ciel  qui  éclaire  vaguement  la  grandeur  sauvage 
d'une  scène  qui  nous  rappelle  les  illustrations 
fantastiques  de  la  Divine  Comédie  du  Dante, 
par  Gustave  Doré.  A  gauche,  en  sortant  de 
la  gorge,  on  aperçoit  un  obélisque  élevé  par 
la  main  des  hommes  et  qui  pique  naturelle- 
ment la   curiosité   du   voyageur.     C'est    un 


^'' 


I  *-^! 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  92 

monument  élevé,  le  26  septembre  1881,  à  la 
mémoire  du  président  Garfield  qui  était  enter- 
ré, ce  jour  là,  à  Cleveland,  dans  l'Etat  de 
rOhio.  Sur  le  granit  poli  de  l'obélisque  on 
a  gravé  l'inscription  suivante  : 

In  Memoriam 

JAMES   ABRAHAM    GARFIELD 

Président  of  the  United  States 

Died  September  19,  1881 
Mourned   by   ail  the   People 

Erected   by  Members  of  the   National   Association   of 

General  Passenger  and  Ticket  Agents,  who 

held  mémorial  Burial  Services 

on  this  spot, 

September  26,   1881 

On  arrive  un  peu  plus  loin  à  la  station  des 
CumbreSy  sommet  de  la  chaîne  des  Conejos  et 
à  une  altitude  de  10,015  pieds,  oii  l'on  com- 
mence la  descente  qui  se  fait  à  peu  près  dans 
les  mêmes  conditions  que  l'ascension.  On 
passe  sans  s'arrêtei*  Chama,  Amorgo  où  l'on 
prend  la  diligence  pour  les  sources  de  Pagosa. 
Ces  sources  étaient  célèbres  parmi  les  Indiens, 
longtemps  avant  l'arrivée  des  blancs  dans  le 


/ 


93 


SIX  MOIS  DANS  LES  MON  l'AGNES-ROCHEUSES 


pays.  Un  peu  plus  loin,  à  Ignacio,  se  trouve 
située  la  réserve  des  Utes,  ou  de  la  tribu  des 
Enfants,  comme  les  appelaient  les  trappeurs 
canadiens  Iqui  faisaient  la  chasse  et  la  traite 
dans  ce  pays.  Des  fenêtres  du  wagon,  on 
aperçoit  les  wigwams  de  la  tribu  et  l'on  est 
certain  de  rencontrer,  à  la  gare,  des  ^^^uvages 
qui  vous  offrent  en  vente  des  arcs,  des  flèches 
et  des  casse-têtes,  comme  souvenirs  de  voyage. 
Ces  Indiens  ressemblent  absolument  à  nos 
sauvages  du  Nord- Ouest  canadien  et  sont 
soumis  à  la  tutelle  du  gouvernement  améri- 
cain, qui  les  Qourrit  et  qui  les  entretient. 

On  arrive  enfin  à  Durango,  qui  est  le  centre 
commercial  des  régions  agricoles  de  Far- 
mington  et  de  Bloomfield,  aussi  bien  que  des 
vallées  fertiles  du  Rio  de  las  animas  perdidas 
—  rivière  des  âmes  perdues  —  et  du  Rio 
Florida,  Ici,  comme  partout  ailleurs  dans  les 
régions  montagneuses  du  Colorado,  le  ren- 
dement des  mines  est  très  considérable,  et 
l'exploitation  de  nouveaux  gisements  d'argent 
et  de  houille  promet  beaucoup  pour  l'avenir. 
Durango  compte  déjà  une  population  de 
4,000  habitants.  La  ville  est  située  à  450 
milles  de  Denver  et  à  une  altitude  de  6,250 


SIX  MOIS  DANS  LSS  MONTAGNES-ROCHEUSES  94 

pieds.  Le  chemin  de  fer,  en  quittant  Durango, 
se  dirige  directement  au  nord  en  suivant  la 
vallée  du  Rio  de  las  animas.  On  traverse 
encore  des  gorges  profondes  et  on  escalade  de 
nouveau  des  sommets  élevés  avant  d'arriver  à 
Silverton,  petite  ville  de  3,000  habitants,  qui  a 
expédié,  pendant  les  trois  dernières  années, 
pour  plus  de  $2,000,000  de  minerai  d'argent 
aux  fonderies  de  Denver  et  de  Pueblo.  L'ex- 
ploitation de  nouveaux  gisements  se  fait  tous 
les  jours  et  le  rendement  augmente  en  consé- 
quence. Les  hommes  du  métier  prédisent 
pour  Silverton  un  avenir  brillant  et  prospère, 
et  un  vieux  mineur  d'expérience  avec  qui  je 
causais  des  ressources  du  pays,  me  disait 
dans  son  langage  pittoresque,  en  me  mon- 
trant les  montagnes  environnantes  :  ail  those 
mountains  are  Jairly  rotten  with  silver.  — 
toutes  ces  montagnes-là  sont  réellement  pour- 
ries d'argent. 

Le  pays  qui  sépare  Silverton  de  Ouray 
offrait  des  difficultés  extraordinaires  pour  la 
construction  d'un  chemin  de  fer  ;  mais  on  est 
parvenu  à  vaincre  tous  les  obstacles  en  por- 
tant la  ligne  jusqu'à  Ironton,  après  avoir 
escaladé  des  sommets  de  12,000  pieds  d'alti- 


95  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


lit. 

m. 


tude.  Il  reste  encore  une  distance  de  huit 
milles  à  construire,  et  que  l'on  parcourt  aujour- 
d'hui en  diligence,  à  travers  les  sites  les  plus 
pittoresques  et  les  plus  accidentés. 

Ouray  qui  est  aussi  une  ville  minière  admi- 
rablement située  dans  une  vallée  fertile,  sur 
les  bords  de  la  rivière  Uncompahgre,  promet 
de  devenir,  avant  longtemps,  la  rivale  de 
Leadville  et  d'Aspen  pour  l'exploitation  des 
mines  d'or  et  d'argent,  qui  abondent  dans  les 
environs.  Les  capitalistes  de  l'Est  ayant 
reconnu  la  richesse  des  filons  et  l'abondance 
du  minerai,  ont  formé  des  sociétés  minières, 
avec  de  forts  capitaux,  et  l'on  construit  actu- 
ellement de  vastes  établissements  pour  la 
réduction  des  métaux.  Ouray  possède  déjà 
un  hôtel  de  première  classe,  comme  on  n'en 
voit  guère,  excepté  dans  les  grandes  villes,  et 
un  système  d'écoles  publiques  que  la  plupart 
de  nos  villes  canadiennes  pourraient  lui  envier. 
Là,  comme  partout  ailleurs  dans  les  pays  de 
l'Ouest,  la  ville  est  éclairée  à  la  lumière  élec- 
trique, et  les  communications  postales  et  télé- 
graphiques ne  laissent  rien  à  désirer.       a 

Le  chemin  de  fer  en  partant  d'Ouray 
rejoint  à  Montrose  la  ligne  principale  de  Den- 


ii! 


^ef  i- 


il 

«,4 


'■•t.'-' 


•:V<- 


\' 


-c 


.«•: 


-.^sr.. 


^■■«r. 


!       . 


^'ëé 


h 


■■'^' 


'^O. 


^..C»?v:r 


■l^^;^ 


# 


JSf, 


■■"•,^^%, 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


98 


ver  à  Sait  Lake  City.  Nous  retournerons 
d'abord  à  Antonito  pour  nous  rendre  à  Santa- 
Fé  du  Nouveau- Mexique,  avant  de  voyager 
plus  loin  vers  l'ouest,  en  repassant  par  là. 


99  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


VIII 


HAUTEUR  DES  MONTAGNES  DU  COLORADO 
LE  NOUVEAU-MEXIQUE 


Il  serait  assez  difficile  de  se  faire  une  juste 
idée  de  la  hauteur  générale  des  Montagnes- 
Rocheuses  ou  de  l'altitude  où  l'on  a  réussi  à 
porter  les  chemins  de  fer,  sans  procéder  par 
comparaison  et  sans  donner  un  tableau  général 
de  la  hauteur  des  principaux  pics  du  Colorado. 

Le  chemin  de  fer  le  plus  élevé  de  l'Europe 
est  celui  qui  traverse  le  Righi,  à  une  altitude 
de  5,753  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 
La  ligne  du  Saint-Gothard  ne  s'élève  qu'à 
3,788  pieds.  Le  cjiemin  de  fer  Denver  àf  Rio 
Grande,  par  lequel  j'ai  traversé  les  Montagnes- 
Rocheuses,  s'élève  à  12,000  pieds  entre  Sil- 
verton  et  Ouray  ;  à  10,856  pieds  sur  le 
Marshall  Pass,  entre  Salida  'et  Gunnison  ;  à 
11,329  pieds  sur  le  Fremont  Pass.     La  ville 

i 

•yjoiversitaT" 

CANADIANA 


\ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


lOO 


de  Leadville,  où  j'aurai  occasion  de  conduire 
mes  lecteurs  plus  tard,  est  située  à  une  alti- 
tude de  10,200  pieds. 

Le  seul  autre  chemin  de  fer  au  monde,  qu  i 
atteigne  des  hauteurs  comparables,  est  celui 
que  l'on  est  en  train  de  construire  de  Valpa- 
raiso  sur  le  Pacifique  à  Buenos-Ayres  sur 
l'Atlantique,  en  traversant  la  chaîne  des 
Andes  qui  sépare  le  Chili  de  la  République 
Argentine  ;  et  encore  cette  ligne  n'atteint-elle 
qu'une  altitude  de  10,450  pieds  au-dessus  du 
niveî^u  de  la  mer.  J'ai  dit  qu'un  chemin  de 
fer  à  engrenage  —  cog  wheel  road —  serait 
terminé,  dans  deux  ou  trois  mois,  jusqu'au 
sommet  du  mont  Pike,  à  une  hauteur  de 
14,147  pieds.  Ce  sera  la  voie  ferrée  la  plus 
élevée  du  monde. 

Maintenant,  j'ai  cru  qu'il  serait  intéressant 
de  compiler  une  liste  des  plus  hautes  monta- 
gnes du  Colorado  ;  ce  qui  pourra  donner  une 
idée  assez  juste  de  l'aspect  général  de  cette 
partie  du  pays  située  dans  le  massif  des 
Montagnes-Rocheyses.  J'ai  conservé  les  noms 
anglais  afin  de  faciliter  les  recherches  de  ceux 
qui  auraient  la  curiosité  de  consulter  une  carte 
géographique.     J'y  ai  aussi  ajouté  la  hauteur 


lOl  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


des  cols  et  des  défilés  par  où  l'on  traverse  les 
montagnes  soit  en  chemin  de  fer,  soit  en  dili- 
gence : 

Pieds 

Sierra  Blanra i4>464 

Moiint  Harvard i4>383 

Mount  Massive i4>368 

Gray's  Peak i4»34i 

Mount  Rosalie i4j34o 

Mount  Torrey i4>336 

Mount  Elbert 14,326 

La  Plata  Mountain 14,302 

Mount  Lincoln..    14,297 

Buckskin  Mountain 14,296 

Mount  VVilson 14,380 

Long's  Peak 14,271 

Quandary  Peak 14,269 

Mount  Antero 14,245 

James'  Peak 14,242 

Mount  Shavano 14,238 

Uncompaghre  Peak 14,235 

Mount  Crestones 14,233 

Mount  Princeton' 14,199 

Mount  Bross 14,185 

Mount  ofthe  Holy  Cross 14,176 

Baldy  Mountain 14,176 

Mount  Sneffles. 14,158 

Pike's  Peak 14,147 

Castle  Mountain 14,106 

Mount  Yale 14,101 


DANS  LA  GORGE  DES  "  AMES  PERDUES"  — LES  AIGUILLES 


'   -^Vi 


_  ■  ,1  ■. 


■  ■■.V-''-:jt-ù-|-=' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


I02 


San  Luis  Mountain 

Mount  Red  Cloud 

The  Watterhorn 

Mount  Simpson 

Mount  ^^^olus 

Mount  Ouray 

Mount  Stewart 

Mount  Maroon 

Mount  Cameron 

Mount  Handie. 

Mount  Capitol 

Horseshoe  Mountain 

Snowmass    Mountain 

Mount  Grizzly 

Pigeon  Mountain 

Mount  Blaine 

Mount  Frustrum 

Pyramid  Movmtain 

Mount  White  Rock..  

Mount  Hague 

Mount  R  G.  Pyramid 

Silver  Heels  Mountain 

Mount  Hunchback , 

Mount   Rovvter 

Mount  Homestake.. 

Mount  Ojo 

Spanish  Peaks 13,620- 

Mount  Guyot.^..... 

Trinchara  Mountains 

Mount  Kendall 

Mount  Buffalo 


4,100 

4,092 

4,069 

4,055 

4,054 

4,043 . 

4,032 

4,000 

4,000 

3,997 
3,992 
3,988 
3,961 
3,956 
3,928 
3,905 
3,883 

3,895 
3,847 
3,832 

3,773 
3,766 

3,755 
3,750 
3,687 
3,640 
2,720 

3,565 
3,546 
3,542 
3,541 


I03 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROC  H  EUSES 


Mount  Arapahoe i3>52o 

Mount  Dunn 13,502 

Mount  Bellevue it,ooo 

Alpine  Pass i3>5So 

Argentine  Pass 13,100 

Cochetopa  Pass , 10,032 

Hayden  Pass 10,780 

Trout  Creek  Pass 9,346 

Berthoud  Pass ii,349 

Marshall  Pass 10,852 

Veta  Pass ,     9,392 

Poncho  Pass 8,945 

Tennessee  Pass 10,418        ^ 

Taryral  Pass 12,176 

Breckenridge  Pass 9,490 

Cottonwood  Pass 13,500 

Fremont  Pass 11,540 

Mosquito  Pass 13,700 

U te  Pass 11,200 

La  nomenclature  est  assez  longue,  mais  il 
y  a  encore,  au  Colorado,  soixante-douze  pics 
variant  en  hauteur  de  13,500  à  14,300  pieds  et 
qui  n'ont  pas  encore  reçu  les  honneurs  du 
baptême. 

Cela  dit,  nous  allons  reprendre  la  route  du 
Nouveau- Mexique,  en  suivant  la  vallée  du 
Rio  Grande  del  Norte, 


SIX  MOTS  DVNS  LES  MOXrAGNESROCHFUSES 


104 


J'ai  déjà  dit  un  mot  de  la  découverte  acci- 
dentelle du  Nouveau -Mexique  par  le  capitaine 
Alvar  Nunez  de  Cabesa  de  Vaca,  qui  avait  fait 
naufrage  sur  les  côtes  du  Texas,  en  1528,  et 
qui  s'était  dirigé  vers  les  solitudes  de  l'Ouest, 
dans  l'intention  de  rejoindre  les  compagnons 
de  Cortez  qui  s'étaient  emparés  de  l'empire 

de  Montezuma,  dix  ans  auparavant.  Cabesa 
de  Vaca  ne  fut  cependant  pas  le  premier  Eu- 
ropéen qui  foula  le  sol  du  Nouveau-Mexique, 
et  c'est  à  un  missionnaire  franciscain,  Don 
José  de  Basconzalès,  que  revient  l'honneur  de 
la  première  découverte  ;  seulement  le  mission- 
naire, qui  était  parti  seul  de  Mexico  pour  aller 
prêcher  l'Evangile  aux  peuplades  inconnues 
du  Nord,  ne  revint  jamais  pour  raconter  son 
voyage.  On  connaissait  la  date  de  son  départ 
mais  on  n'avait  plus  jamais  entendu  parler  de 
lui,  lorsque  Cabesa  de  Vaca  et  ses  compa- 
gnons, en  se  dirigeant  toujours  vers  l'ouest, 
arrivèrent  à  l'antique  cité  de  Zuni,  située  à 
190  milles  au  sud-ouest  de  Santa- Fé  et  à  dix 
milles  de  la  frontière  actuelle  du  Territoire  de 
l'Arizona. 

Vaca  et  ses  compagnons  furent  reçus  avec 
des  démontrations  d'amitié  parles  Indiens  du 


(.  • 


I05 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHtUSES 


pays  qui  leur  donnèrent  en  présent  "  des  tur- 
quoises, des  fruits,  de  la  viande  séchée,  des 
couvertes  de  bœuf —  peaux  de  buffle  —  et  des 
émeraudes  taillées  en  pointes  de  Hèches/» 
Ces  Indiens  habitaient  en  commun  une  vaste 
forteresse  construite  de  briques  de  boue 
cuites  au  soleil,  et  vivaient  d'agriculture,  de 
chasse  et  de  pêche.  Après  avoir  permis  à 
leurs  hôtes  de  se  reposer  et  de  se  restaurer, 
les  sauvages  conduisirent  Vaca  au  pied  d'un 
-ocher  escarpé  qui  s'élevait,  solitaire,  à  quelque 
distance  de  la  ville,  et  là,  gravée  sur  le  flanc  de 
granit,  lui  montrèrent  l'inscription  suivante  : 

Don  José  de  Basconzalès  —  1526 

Le  pauvre  missionnaire  avait  passé  par  là, 
et  c'était  tout  ce  qui  restait  comme  souvenir 
de  son  dévouement  et  de  son  zèle.  Où  était- 
il  allé  ?  Comment  avait- il  péri  ?  Les  Indiens 
l'ignoraient  où  ne  voulaient  peut-être  pas  le 
dire,  s'ils  le  savaient.  Dans  tous  les  cas, 
cette  inscription  qui  existe  encore  aujourd'hui 
marque  la  date  de  la  première  découverte  du 
pays.  Treize  ans  plus  tard,  cii  1539,  le  vice- 
roi  du  Mexique  envoya  une  expédition  sous 
les  ordres  du  franciscain  Marco  de  Niza  pour 


\ 


SIX  MOIS  DAN»  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I08 

explorer  ce  que  l'on  appelait  alors  le  royaume 
de  Cidola,  ou  royaume  des  buffles,  parce  que 
ces  animaux  paissaient  en  grand  nombre  dans 
tous  les  territoires  situés  au  nord  du  Rio 
Grande  del  Norte.  Le  missionnaire  fit  une 
relation  détaillée  des  circonstances  de  son 
voyagé  aussi  bien  qu'une  description  très 
exagérée  des  richesses  des  pays  et  des  peuples 
qu'il  avait  visités.  Ce  fut  alors  que  le  gouver- 
nement espagnol  résolut  de  conquérir  le  pays 
et,  le  lundi  de  Pâques  de  l'année  1540,  une 
armée  de  i  ,500  hommes  partit  de  Mexico  sous 
les  ordres  de  Francisco  Vasquez  de  Coronado, 
et  se  dirigea  vers  le  nord. 

Coronado  était  l'un  des  conquistadores,  un 
des  conquérants,  compagnons  de  Cortez,  et 
on  lui  avait  confié  le  commandement  de  cette 
expédition,  parce  que  l'on  croyait  qu'il  était 
destiné  à  conquérir  un  pays  aussi  riche  que  le 
Pérou.  Les  récits  fantaisistes  de  Vaca  et  de 
ses  compagnons,  et  après  eux  de  Marco  de 
Niza,  faisaient  croire  à  la  découverte  d'un 
véritable  Eldorado,  où  l'on  trouverait  l'or, 
l'argent  et  les  pierres  précieuses  en  grande 
quantité.  Les  premiers  explorateurs  avaient 
abusé   du  privilège  d'exagérer  outre  mesure 


I09 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


tout  ce  qu'ils  avaient  vu  et  rencontré.  Ils 
avaient  parlé  de  montagnes  d'opales,  de  mines 
de  turquoises,  de  vallées  étincelantes  de  gre- 
nats et  d'aiguës  mannes,  de  ruisseaux  coulant 
sur  du  sable  d'argent,  de  serpents  à  castagnet- 
tes—  à  sonnettes — d'oiseaux  au  plumage 
plus  brillant  que  celui  du  paon,  et  d'un  désert 
plus  grand  et  plus  terrible  que  le  Sahara. 

Les  succès  merveilleux  de  Cortez  et  de 
Pizarre  permettaient  aux  autorités  de  croire 
aux  descriptions  et  aux  relations  les  plus 
invraisemblables.  Aussi  fut-ce  au  son  des 
trompettes  et  du  canon  que  Coronado  partit 
à  la  tête  de  sa  vaillante  petite  armée,  après 
avoir  entendu  la  messe  à  Notre-Dame  de 
Compostelle.  Le  vice-roi  lui-même,  Mendoza, 
accompagna  les  troupes  durant  deux  jours 
de  marche,  et  avant  de  les  quitter,  leur  fit  une 
exhortation  dans  laquelle  il  les  engageait  à 
suivre  la  piste  glorieuse  des  conquistadores, 
qui  avaient  fait  de  si  grandes  choses  pour 
l'honneur  de  l'Espagne  et  de  la  religion. 
L'historien  de  l'expédition,  Castenada,  nous 
raconte  les  merveilleuses  choses  qu'ils  virent 
et  qu'ils  rencontrèrent  partout.  Ils  passèrent 
à  des  endroits  *'  où  la  terre  résonnait  et  trem- 


/ 


rn 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONT  AGNES- ROCHEUSES  I  lO 

blait  comme  un  tambour  et  où  les  cendres  et 
la  lave  bouillonnaient  d'une  manière  infernale." 
Ils  virent  "des  rochers  magnétiques  se  joindre 
ensemble  sans  raison  apparente."  Ils  souffri- 
rent de  "tempêtes  de  grêle  où  les  grêlons, 
gros  comme  des  œufs  bosselaient  leurs  casques 
et  leurs  armures,  et  couvraient  la  terre  d'une 
épaisseur  d'un  pied  et  demi."  Ils  combatti- 
rent et  vainquirent  "  des  tribus  de  géants  et 
des  Indiens  de  toutes  sortes,  mais  ils  furent 
heureux  de  ne  pas  rencontrer  de  cannibales." 
On  voit  que  le  récit  homérique  de  Caste- 
lada  fut  digne  des  relations  légendaires  de 
Cabesa  de  Vaca,  mais  on  retrace,  parmi  toutes 
ces  exagérations,  la  véritable  histoire  de  l'ex- 
pédition de  Coronado.  Il  réussit  à  massacrer 
les  indiens,  à  répandre  la  terrenr  dans  le 
pays,  à  découvrir  de  nouvelles  contrées  et  à 
se  rendre  jusque  sur  les  bords  de  la  rivière 
Missouri,  longtemps  avant  que  les  Français 
eux-mêmes  eussent  exploré  cette  partie  du 
continent  ;  mais  il  ne  trouva  ni  or,  ni  argent, 
ni  pierres  précieuses.  Durant  trois  ans,  les 
vaillants  aventuriers  parcoururent  des  pays 
inconnus,  sans  pouvoir  découvrir  les  "  mon- 
tagnes d'opales,  les  mines  de  turquoises,  les 


I  [I 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


vallées  étincelantes  de  grenats  et  d'aiguës 
marines  et  les  ruisseaux  coulant  sur  du  sable 
d'argent."  Il  y  avait  bien  des  indications  et 
des  traces  de  tout  cela,  mais  il  fallait  du 
travail,  de  la  patience  et  de  la  persévérance 
pour  forcer  la  terre  à  livrer  toutes  ces  richesses. 
Mais  les  soldats  espagnols,  n'avaient  aucune 
de  ces  vertus,  et  ils  venaient  dans  le  pays  bien 
décidés  à  forcer  les  naturels  à  répéter  l'histoire 
de  Pizarre  et  de  la  rançon  merveilleuse  de 
l'inca  Atahualpa.  On  peut  juger  de  leur 
déception  et  de  leur  désenchantement.  L'ex- 
pédition de  Coronado  donna  cependant  à  la 
couronne  d'Espagne  un  territoire  cinq  fois 
plus  grand  que  la  superficie  de  l'Espagne  elle- 
même.  Quelques  missionnaires  franciscains 
demeurèrent  dans  le  pays,  mais  furent  presque 
tous  massacrés  par  les  Indiens,  qui  voulaient 
probablement  se  venger  des  cruautés  de  Coro- 
nado et  de  ses  compagnons.  ■^*  '  > 
En  1581,  le  frère  Agostino  Ruyz  fut  mas- 
sacré par  les  sauvages  avec  un  de  ses  com- 
pagnons dans  un  village  connu  sous  le  nom 
de  Paola.  En  1582,  Don  Antonio  de  Espejo 
visita  les  villes  et  Pucblos  de  Zuni,  de  Acoma, 
et  écrivit  une  relation  fort  intéressante  de  ses 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


112 


voyages.  En  1595,  le  capitaine  Juan  de 
Onate  fonda  une  colonie  à  l'endroit  où  la 
rivière  Chama  se  jette  dans  le  Rio  Grande,  et 
c'est  aussi  de  cette  époque  que  date  la  fon- 
dation de  la  Villa  Real  de  Santa  Fe  —  ville 
royale  de  la  Sainte- Foi.  Les  Espagnols  après 
s'être  emparés  du  pays,  commencèrent  immé- 
diatement l'exploitation  des  mines,  en  rédui- 
sant les  naturels  à  l'esclavage  et  en  les  forçant 
à  travailler  dans  les  entrailles  de  la  terre.  On 
trouve  un  peu  partout,  dans  le  Nouveau- 
Mexique,  des  traces  d'exploitation  d'anciennes 
mines  d'or  et  d'argent. 

Les  Indiens  vaincus  par  la  sup^iorité  des 
armes  de  leurs  conquérants  furent  d'abord 
soumis,  mais  se  révoltèrent  ensuite  et  chas- 
sèrent leurs  oppresseurs  du  pays,  après  avoir 
tué  tous  ceux  qui  tombèrent  entre  leurs  mains. 
Ceci  se  passait  en  1680.  Douze  ans  plus  tard, 
Diego  de  Vargas,  à  la  tête  d'une  nombreuse 
armée,  reconquit  le  pays  et  rétablit  l'autorité 
espagnole,  mais  cette  fois  à  la  condition  que 
les  Indiens  retiendraient  leur  liberté  et  ne 
seraient  plus  forcés  de  travailler  dans  les  mines. 
Depuis  cette  époque  jusqu'en  182 1,  l'histoire 
de    Santa- Fé    et    du    Nouveau- Mexique   ne 


113 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


présente  rien  de  remarquable.  La  révolution 
de  1821  chassa  les  Espagnols  du  pays,  et  le 
Mexique  devint  une  république  indépendante. 
Le  Nouveau-Mexique  fut  occupé  par  les 
troupes  américaines  en  1846,  et  le  pays  fut 
définitivement  cédé  aux  Etats-Unis,  par  le 
traité  de  Guadeloupe- Hidalgo,  le  2  févvier 
1848.  i 

J'ai  déjà  dit  que  les  Indiens  du  Nouveau-  \ 
Mexique  différaient  entièrement  des  autres 
sauvages  du  continent,  par  leurs  coutumes, 
leurs  croyances,  leur  forme  de  gouvernement 
et  leur  manière  de  vivre  en  général,  et  je  trai- 
terai ce  s  'et  en  commençant  par  dire  un  mot 
de  la  ville  de  Santa-Fé,  qui  fut  autrefois  le 
centre  de  ces  primitives  confédérations,  comme 
elle  est  restée  la  capitale  du  Nouveau-Mexique 
depuis  sa  fondation,  il  y  a  plus  de  trois  cents 
ans. 


:-m. 


m. 


SIX  MOIS.  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  I4 


IX 


PUEBLOS  ET   PUEBLO.VNOS 


La  ville  de  Santa- Fé  est  située  à  une  alti- 
tude de  7,044  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer  et  est  traversée  par  le  Rio  Santa  Féy 
petite  rivière  que  l'on  passe  à  pied  sec,  géné- 
ralement, mais  qui  devient  un  torrent  fort 
imposant  et  parfois  fort  dangereux,  à  l'époque 
de  la  fonte  des  neiges  dans  les  montagnes 
environnantes.  Santa- Fé  a  conservé  tous  les 
caractéristiques  d'une  ville  espagnole  et  ne 
compte  guère,  aujourd'hui,  qu'une  population 
de  10,000  habitants  dont  les  trois-quarts 
sont  d'origine  mexicaine.  Le  saint  père  Pie 
IX  a  érigé  Santa- Fé  en  diocèse  comprenant 
le  territoire  du  Nouveau-Mexique  avec  les 
évêchés  du  Colorado  et  de  l' Arizona  comme 
suffragants  ;  et  le  premier  archevêque,   Mgr 


115  ^'^  ^^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


J.  B.  Lamy  reçut  le  pallîum,  le  i6  Juin  1875. 
Il  est  assez  curieux  de  constater  que  l'arche- 
vêque et  la  plupart  des  prêtres  du  diosèse, 
sont  français,  bien  que  l'élément  français  ou 
d'origine  française  compte  à  peine  quelques 
rares  représentants  en  dehors  du  clergé,  dans 
cette  ancienne  province  espagnole. 

A  part  quelques  églises  modernes,  quelques 
édifices  publics  et  quelques  constructions  mi- 
litaires qui  sont  de  date  récente,  la  ville  de 
Santa- Fé  présente  aujourd'hui  le  même  aspect 
qu'elle  avait  sous  le  régime  autoritaire  du 
vice-roi  du  Mexique.  On  y  voit  la  p/ava 
mayor  où  se  trouve  situé  l'ancien  palais  des 
gouverneurs,  et  de  longues  rangées  de  maisons 
construites  en  adoèes,  grosses  briques  de  boue 
cuites  au  soleil  et  conservant  une  couleur  ter- 
reuse qui  donne  un  aspect  triste  à  toutes  ces 
constructions  primitives.  La  fameuse  église 
de  San  Miguel,  une  des  plus  anciennes  du 
continent  américain,  existe  encore,  quoique 
dans  un  état  assez  délabré.  On  fait  remonter 
sa  construction  aux  premiers  jours  de  la 
colonie,  mais  elle  fut  réduite  en  cendres  lors 
du  soulèvement  des  pueblos  en  1680.  Elle 
fut  restaurée  lors  du  retour  des  Espagnols,  et 


u 
'f.   ■■{. 


f: 

p'i. .' 

f:' 

-:*:•' 

Mr.'  > 

,  ' 

:     J, 

■  tj 

-lU 

%i 

* 

•t.'      :• 


.» .: 


(  V,  ; 


■■V   'i    ■ 
■*.i.. 


"- 

#?; 

' .  ^1 

'ï4'- 

V;. 

b?  .    ■• 

-'-.♦'■ 

^.'■: 

>'       .  ^ 

•■■ 

'  .1  • 

■''*': 

*■' 

Xf 

'  •'*.  ■■;'-■.   '"" 

» 

^   i  ' 

i"<  •     !  '  ' 

'4 

,•  .: 

"■•    * 

-,  >■ 

,■- 

!..  ^   -f 

'• 

, 

^â 

Ml 

,''i 

fy  -:?V'^'^*i:p 


,,■■'>'■ 


f ,, 


;i);<Li>    ...'■ 


.1     t-         '    y.--.- 


'^■■A  t  -, 


SIX  MOrs  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


ii8 


» 


on  lit  encore  aujourd'hui,  gravée  sur  un  soli- 
veau, l'inscription  suivante,  en  langue  espa- 
gnole: :.j     .        , 

Le  Marquis  de  la  Penuela  reconstruisit  cet 
édifice  avec  son  serviteur 
.  .  Don  Augustin  Florès  Vergara 

A.  D.  lyio 

On  voit  aussi,  au-dessus  du  maître-autel, 
un  vieux  tableau  de  l'Annonciation,  noirci 
par  l'âge  et  portant  toutes  les  marques  de  la 
plus  haute  antiquité.  La  date  inscrite  au  dos 
porte  le  millésime  de  1287.  Le  prêtre  qui 
m'accompagnait  ne  connaissait  pas  l'histoire 
de  cette  curieuse  peinture,  mais  il  m'assura 
qu'il  n'avait  aucun  doute  sur  l'authenticité  de 
la  date,  car  son  prédécesseur,  qui  était  un 
vieux  moine  espagnol  fort  érudit,  lui  avait 
souvent  dit  qu'il  considérait  ce  tableau  comme 
une  des  plus  anciennes  peintures  religieuses 
V  qu'il  y  eût  au  monde.  Tout  près  de  l'église 
de  San  Miguel,  op  montre  encore  aux  visi- 
teurs une  vieille  maison  qui  faisait  partie  de 
la  forteresse  indienne  des  pueblos  de  Analco, 
lorsque  les  Espagnols  s'emparèrent  du  pays. 


119 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


Santa- Fé  était  autrefois,  comme  elle  l'est 
d'ailleurs  encore  aujourd'hui,  le  centre  ou  la 
capitale  des  villages  indiens  que  Vaca,  Coro- 
nado,  Espejo  et  Onate  découvrirent  à  diffé- 
rentes époques,  dans  la  vallée  du  Rio  Grande. 
Les  Indiens  vivaient  dans  des  maisons  à  deux 
ou  trois  étages,  construites  de  pierres  ou  de 
briques  de  boue,  rangées  en  quadrilatères 
en  forme  de  forteresses,  afin  de  protéger  les 
habitants  contre  les  incursions  des  tribus  des 
montagnes  qui  vivaient  de  brigandages  et  de 
déprédations.  Les  Espagnols  donnèrent  à 
ces  villages  le  nom  de  Pueblos  et  à  leurs  habi- 
tants celui  de  Puebloanos.  Tels  ils  vivaient 
alors,  tels  ils  vivent  encore  aujourd'hui,  culti- 
vant le  sol  et  récoltant  le  maïs,  les  légumes 
et  le  coton.  Ils  chassaient  aussi  le  bison,  le 
chevreuil  et  l'ours,  qui  abondaient  dans  les 
plaines  et  dans  les  montagnes  environnantes, 
mais  ils  s'éloignaient  raremer  ;urs  pueblos 

par  crainte  des  cruels  Ap  .  des  Navajos, 

avec  qui  ils  étaient  en  gt.  .e  continuelle.  On 
]eur  donnait  aussi  le  nom  général  de  Moquis 
qui  signifie  chaussures,  parce  que  ces  nations 
connaissaient  l'art  de  tanner  et  préparer  les 
cuirs  pour  s'en  faire  des  chaussures. 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  20 

Cabeza  de  Vaca,  le  premier  explorateur, 
raconte  qu'en  se  dirigeant  vers  le  nord-ouest, 
il  rencontra  des  peuplades  "  vivant  dans  des 
"  habitations  de  grande  dimensions,  construites 
"  de  terre,  situées  sur  les  bords  d'une  rivière 
"qui  coulait  entre  deux  chaînes  de  monta- 
"  gnes."  Il  parle  de  la  bravoure  et  de  la 
haute  stature  des  hommes  qui  étaient  vêtus 
de  costumes  de  peaux  de  bêtes  bien  préparées, 
et  des  femmes  qui  portaient  des  vêtements  de 
coton  et  qui  lavaient  leurs  costumes  avec  une 
racine  savonneuse  qui  les  nettoyaient  bien 
proprement.  Ces  sauvages  reçurent  les  blancs 
avec  les  plus  grandes  démonstrations  d'amitié 
et  leur  rendirent  hommage  comme  aux  fils  du 
soleil.  Les  mères  apportaient  leurs  enfants 
pour  les  faires  bénir  et  touchaient  humble 
ment  les  vêtements  des  étrangers,  croyant 
par  là  obtenir  des  faveurs  surnaturelles. 

Ceci  se  passait  en  1528.  Le  franciscain 
Niza,  qui  vint  quelques  années  plus  tard, 
raconte  à  peu  près  #les  mêmes  faits,  en  les 
exagérant  et  en  affirmant  que  les  Indiens 
possédaient  des  vases  d'or  et  d'argent  en  plus 
grande  abondance  que  les  Incas  du  Pérou. 


/ 


f 


121 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


"  Suivant  toujours  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  j'ar- 
rivai au  haut  d'une  montagne  où,  avec  l'aide  des  Indiens, 
je  construisis  une  pyramide  de  pierres,  pour  y  placer 
une  croix,  symbole  de  la  foi  et  de  la  conquête.  Ces 
peuples  devinrent  alors  l'héritage  de  Dieu  et  de^^-^pagne 
et  je  donnai  à  la  nouvelle  province  le  nom  de  £i  Nuevo 
Regno  de  San  Francisco  —  Nouveau  Royaume  de  Saint. 
François." 

Et  depuis  cette  époque  saint  François  est 

resté  le  patron  du  Nouveau- Mexique.     Cas- 

taneda  qui  accompagnait  l'expédition  de  Coro- 

*  nado,  en  1 540,  comme  historien,  raconte  que  : 

"  Les  chefs  dirent  à  Coronado,  que  leurs  villages 
étaient  plus  anciens  que  la  mémoire  de  sept  générations. 
Les  femmes  portaient  des  manteaux  de  coton  qui  étaient 
attachés  autour  du  cou  et  passaient  ensuite  sous  le  bras 
droit,  pour  tomber  sur  des  jupons  aussi  fabriqués  de 
V  coton.  Elles  portaient  aussi  des  perles  sur  la  tête  et  des 
colliers  de  coquillages  autour  du  cou.  Elles  arrangeaient 
leurs  cheveux  derrière  la  tête  dans  la  forme  d'une  roue 
ou  de  l'anse  d'une  tasse." 

Antonito  de  Espejo,  quarante  ans  plus  tard 
en  1582,  écrivait  ce  qui  suit  : 

"  Nous  trouvâmes  partout  des  maisons  bien  cons- 
truites et  ayant  à  l'intérieur  des  poêles  de  pierre,  peur 
la  saison  d'hiver.  Les  habitants  sont  vêtus  de  coton  et 
de  peaux  de  daims,  selon  la  manière  des  Indiens  df 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


122 


royaume  du  Mexique.  Mais  ce  qu'il  y  a  déplus  étrange 
c'est  de  voir  les  hommes  et  les  femmes  porter  des 
souliers,  ce  qu'on  ne  voit  jamais  parmi  les  Indiens  du 
Mexique.  Les  femmes  peignent  leurs  cheveux  avec  soin 
et  ne  portent  rien  sur  la  tête.  Dans  tous  ces  pueblos  il 
y  a  des  caciques  qui  gouvernent  comme  les  caciques  du 
Mexique  et  qui  ont  des  sergents-d'armes  qui  proclament 
leurs  ordres  et  leurs  cornmmandements  et  qui  veillent 
à  leur  exécution.  Dans  leurs  champs  qui  sont  vastes  et 
nombreux,  Ils  construisent  des  abris  couverts  de  terre 
où  les  travailleurs  mangent  et  ee  reposent  pendant  les 
grandes  chaleurs  du  jour,  car  ce  sont  des  nations  adon- 
nées à  un  travail  constant  et  régulier.  Les  armes  dont 
ils  se  servent  sont  des  arcs  et  des  flèches  avec  des  pointes 
de  silex  qui  traversent  une  cotte  de  mailles  ;  aussi  des 
manacas  ou  épées  dont  la  tranche  est  aussi  faite  de  silex 
et  avec  lesquelles  ils  peuvent  couper  un  homme  en  deiix. 
Ils  ont  aussi  des  boucliers  faits  de  peaux  de  bison," 

Vilîanueva  écrivait  cent  ans  plus  tard  : 

"  Il  est  indubitable  que  les  habitations  des  pueblos 
sont  mieux  construites  que  celles  des  autres  Indiens  du 
Mexique  et  que  leurs  habitants  sont  plus  civilisés  et  plus 
industrieux  que  les  autres  peuplades  que  nous  con- 
naissons." 

La  forme  de  gouternement  de  ce  curieux 
peuple  est  aussi  restée  exatement  ce  qu'elle 
était  lors  de  la  première  conquête.  Les  gou- 
verneurs espagnols  respectèrent  leurs   us  et 


I  -H 


12 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


*«». 


coutumes,  lorsqu'ils  virent  qu'il  était  parfaite- 
ment inutile  d'essayer  de  les  soumettre  aux 
usages  européens.  Ce  ne  fut  pas,  cependant, 
sans  luttes  et  sans  persécutions  que  ces 
pauvres  Aztèques  réussirent  à  conserver  leurs 
traditions,  et  l'histoire  du  premier  siècle  de 
leur  esclavage  est  une  longue  suite  de  cruautés 
inutiles  et  de  persécutions  sanglantes. 

Les  Espagnols  voulurent  agir  avec  "ïès 
puebloanos  comme  ils  l'avaient  fait  avec  les 
Mexicains  et  avec  les  Péruviens.  On  les 
réduisit  en  esclavage  et  on  les  força  à  tra- 
vailler dans  les  mines,  où  ils  succombaient  le 
plus  souvent  sous  le  poids  d'un  labeur  surhu- 
main. On  les  contraignit  à  embrasser  le 
christianisme  par  la  torture  et  la  prison,  et  on 
renversa  les  autels  de  leuns  dieux  domestiques. 
La  supériorité  des  armes  européennes  leur 
en  imposa  d'abord  et  ils  endurèrent  ainsi 
durant  cent  ans  le  régime  tyrannique  de 
leurs  oppresseurs.  Mais  il  arriva  un  jour  où 
la  mesure  fut  à  son  comble,  et  pendant  "la 
première  lune  du  mois  d'août  1680",  il  y  eut 
un  soulèvement  général,  pendant  lequel  tous 
les  Espagnols  furent  massacrés,  toutes  les 
églises  furent  démolies  et  réduites  en  cendres 


n 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


124 


V 

'"I 


et  toutes  les  traces  du  régime  exécré  furent 
oblitérées.  Les  quelques  militaires  qui  purent 
s'enfuir  se  dirigèrent  en  grande  hâte  vers 
Mexico,  où  ils  racontèrent  ce  qui  venait  de  se 
passer  dans  la  capitale  de  la  Nouvelle- 
Espagne. 

Plusieurs  expéditions  furent  organisées  pour 
reconquérir  le  pays  ;  mais  elles  subirent  d'abord 
des  échecs  répétés.     Les  capitaines  Otermin, 
Ramirez,  Cruzate  et  Posada  furent  tour  à  tour 
vaincus    par    les   habitants    des   pueblos  qui 
s'étaient  réunis  en  armes  pour  combattre  l'en- 
nemi, commun  dont  ils  connaissaient  alors  la 
tactique  et  les  manières  de  faire  la  guerre. 
Ce  ne  fut  qu'en  1692,  grâce  aux  divisions  in- 
testines qui  existaient  alors  parmi  les  Indiens, 
que  Diego  de  Vargas  réussit  à  rétablir  l'auto- 
rité  de   la   couronne   d'Espagne.      Mais  un 
traité  en  règle  accordait  cette  fois  aux  Pue~ 
blOi-inos  la  restauration  de  leur  forme  primitive 
de  gouvernement,  les  exemptait  de  l'eslavage 
et  du  travail  dans  les  mines  et  permettait  le 
libre  usage  de  leur  tulte  à  ceux  qui  n'avaient 
pas  jugé  à  propos  d'embrasser  le  christianisme. 
Ce  même  Diego  de  Vargas  avait  cependant 
déclaré,  en  quittant  Mexico  "  qu'il  était  aussi 


^^P' 


125  ^^^  ^'^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


»    .1 


impossible  de  convertir  un  sauvage  sans  les 
soldats  que  d'essayer  de  faire  entendre  raison 
à  un  juif  sans  le  tribunal  de  la  sainte  Inquisi- 
tion." On  voit  que  le  vaillant  capitan  avait 
été  forcé  d'en  rabattre,  et  qu'il  fut  fort  heu- 
reux d'accepter  la  soumission  des  Indiens, 
tout  en  leur  accordant  des  privilèges  fort  libé- 
raux, à  une  époque  où  l'Espagnol  ne  régnait 
en  Amérique  que  par  la  terreur  et  la  persé- 
cution. Les  Puebloanos  avaient  donc  fait 
preuve  d'une  grande  valeur  et  s'étaient  mon- 
trés aussi  braves  soldats  qu'ils  étaient  bons 
laboureurs  et  sages  administrateurs. 

Les  pueblos  du  Nouveau- Mexique  sont 
actuellement  au  nombre  de  dix-neuf,  formant 
autant  de  communes  absolument  indépen- 
dantes les  unes  des  autres,  et  ayant  chacune 
son  organisation  municipale.  Voici  la  liste 
complète  de  ces  villages  avec  leur  population 
d'après  le  dernier  recencement  décennal  de 
1880: 


Taos  '. 391 

San  Juan 408 

Santa-Clara 212 

San  Idelfonso 139 

Pecuris , i>ii5 


L'AIGUILLE  DE  CURRICANTl 


MÉamUÊM 


-m 


■  .  1 


r.'A 


-;(. ,  >  . 


•>; 


/.  '  -j  f . .  '■• 


■a;„^„...  i    i  ..  «fcJïa-' 


..■Vi,v 


7...  .,  .  .■.^»-  •    C  f  ■  .-  V 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


128 


Nambè 66 

Pojuaque  26 

Tesuque 96 

Sochiti 271 

San-Domingo i>i23 

San-Felipè 613 

Teniez 401 

Zia  58 

Santa-Anna 489 

LagLina   968 

Isoleta 1,081 

Sandia 345 

Zuni    2,082 

Acoma 582 

Le  tout  formant  une  population  totale  de 
10,469  habitants.  Ces  chiffres  sont  aussi 
exacts  qu'il  a  été  possible  de  les  contrôler  ; 
mais  ils  sont  probablement  au-dessous  de  la 
vérité.  Les  Indiens  sont  en  général  fort  réti- 
cents sur  tout  ce  qui  les  concerne  et  la  discré- 
tion n'est  pas  la  moindre  de  leurs  vertus.  Il 
est  hors  de  doute  que  le  nombre  des  Pueblo- 
anos  diminue  graduellement,  comme  l'attestent 
d'ailleurs  les  nombreuses  ruines  de  villages 
inhabités  que  l'on  rencontre  un  peu  partout 
dans  les  vallées  du  Rio  Grande  et  du  Rio 
Pecos,  qui  sont  les  deux  principales  rivières  du 
Nouveau- Mexique.     Les   premiers  explora- 


129 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


teurs  portaient  leur  nombre  à  plus  de  50,000, 
mais  il  faut  sans  doute  faire  la  part  de  l'exagé- 
ration dans  leurs  calculs  comme  dans  leurs 
appréciations  fantaisistes.  Ce  qui  paraît  cer- 
tain c'est  que  les  Puebloanos  semblent  suivre 
la  destinée  fatale  de  tous  les  indigènes  des 
deux  Amériques,  qui  disparaissent  devant 
l'avancement  des  chemins  de  fer  et  les  pro- 
grès de  la  colonisation  moderne. 

Chaque  village  ou  pueblo  est  gouverné  par 
un  cacique  qui  est  en  même  temps  chef  de 
la  commune,  grand-prêtre  du  culte  de  Mon- 
tezuma  et  directeur  général  des  affaires  tem- 
porelles et  spirituelles  des  habitants.  Le 
cacique  choisit  lui  même  son  successeur  dès 
qu'il  prend  possession  du  pouvoir,  mais  Ton 
ignore  l'origine  de  cette  coutume,  qui  remonte 
à  la  plus  haute  antiquité.  Le  cacique  est 
aidé  d'un  gubernador,  de  trois  priiicipalesy 
d'un  alguazil,  d'un  fiscal  mayor  et  d'un  capitan 
de  la  guerra.  ,  Les  principales  forment  une 
espèce  de  cabinet  et  sont  les  conseillers  du 

cacique,  qui  choisit  chaque  année,  sur  leur 
recommandation,  un  gubernador  ou  gouver- 
neur. Les  pi'incipales  sont  toujours  d'anciens, 
gouverneurs.     Ualguazil  est  une  espèce  de 


'  '.'A, 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


130 


haut  shérif  qui  veille  à  l'exécution  des  lois. 
V.Ç.  fiscal  mayor  préside  aux  cérémonies  reli- 
gieuses, et  le  capitan  de  la  guerra  est  chargé 
du  commandement  en  chef  et  de  l'organisation 
des  expéditions  guerrières.  On  voit  que  le 
ministère  est  assez  complet.  Mais  ce  qui  dis- 
tingue les  ministres  sauvages  de  leurs  collè- 
gues des  autres  parties  du  monde,  c'est  qu'il 
ne  reçoivent  aucun  traitement  ni  aucune  com- 
pensation quelconque.  Tous  sont  forcés  de 
cultiver  la  terre  et  de  gagner  leur  pain  à  la 
sueur  de  leur  front.  Combien  de  politiciens 
de  profession,  en  Europe  comme  en  Améri- 
que, au  Canada  même,  crèveraient  de  faim, 
s'ils  étaient  forcés  de  subir  ce  régime  ultra- 
démocratique !  Toute  tribu  ou  Pueblo,  si  ré- 
duite qu'elle  soit  en  population,  a  ce  même 
nombre  de  chefs,  tous  fils  de  Montezuma, 
et  il  n'est  pas  de  peuple  au  monde  qui  con- 
serve d'une  manière  plus  fidèle  et  plus  méti- 
culeuse, les  traditions  et  les  lois  de  ses  ancê- 
tres.   Bien  que  le  plus  grand  nombre  des  Ptie- 

bloanos  soient  catholiques,  leur  croyance  est 
restée  un  curieux  mélange  de  christianisme  et 
de  paganism^,  qu'il  serait  difficile  d'analyser. 
Ils  réunissent  dans  un  même  sentiment  d'ado- 


131 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


/ 


ration  le  Christ  et  le  soleil,  la  Vierge  et  la 
lune,  les  saints  et  les  étoiles.  L'arc- en- ciel  est 
l'objet  d'un  culte  tout  particulier. 

Le  nom  de  Montezuma,  le  père  des  Aztè- 
ques, est  un  nom  sacré  entre  tous,  et  chaque 
pueblo  entretient  un  brazier  sacré,  dans  l'at- 
tente de  la  venue  de  ce  Montezuma  qui  doit 
les  conduire  à  la  conquête  de  l'empire  du 
Mexique,  où  il  régnera  dans  une  splendeur 
éternelle.  La  grenouille,  le  serpent  à  son- 
nettes et  la  tortue  sont  des  emblèmes  sacrés, 
et  malheur  à  ceux  qui  les  profaneraient  en  les 
touchant,  même  par  accident.  Toutes  ces  '• 
croyances  et  ces  superstitions  ont  résisté  aux  ; 
efforts  des  missionnaires  qui  sont  forcés  de  se 
contenter  du  peu  d'influence  qu'ils  ont  pu 
acquérir  sur  ces  sauvages,  en  leur  inculquant 
des  principes  de  moralité,  pour  leur  conduite 
ordinaire.  Les  mendiants  et  les  vagabonds 
sont  inconnus  dans  les  pueblos.  Tous  les 
hommes,  sans  exception,  s'occupent  de  la  cul- 
ture des  champs,  et  les  femmes  sont  chargées 
des  devoirs  domestiques,  sans  être  forcées, 
comme  dans  les  autres  tribus  sauvages,  de 
faire  les  travaux  les  plus  rudes  tet  les  plus 
asservissants.     Les  vieillards,  les  malades  et 


:.vj' ;.:vk  "'■ 


:^:m 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


132 


les  infirmes  sont  nourris  et  entretenus  aux  frais 
de  la  commune.  On  voit  que  ces  institutions 
ont  du  bon,  et  qu'il  y  a  bien  des  nations  soi- 
disant  progressives  qui  pourraient  prendre  des 
leçons  de  gouvernement  de  ces  enfants  d'une 
civilisation  préhistorique. 


[Ç^:U\\Af: 


133 


SIX  MOIS  PANS  I,ES  MONTAGNES-ROCIIEUSES 


X 


SANTA-CLARA  —  SAN-JUAN  —  TAOS 


,'  f  ,;.^^^; 


A  six  heures  au  nord  de  Santa- Fé,  se  trouve 
située  la  gare  de  Espanola,  sur  la  ligne  du 
Denver  et  Rio  Grmide  Raihvay.  Le  chemin 
de  fer  suit  ici  les  sinuosités  du  fleuve  jusqu'à 
Embudo,  à  cinquante  milles  plus  haut,  et  c'est 
dans  cette  vallée  fertile  que  sont  situés  les 
trois  pueblos  de  San-Juan,  de  Santa-Clara  et 
de  San-Idelfonso.  Le  petit  village  de  Espa- 
nola est  le  centre  commercial  du  pays,  et  j'ai 
rencontré  là  deux  Canadiens  de  Lachute  qui 
ont  des  magasins  spacieux  et  qui  font  un  com- 
merce fort  important  avec  les  cultivateurs  et 
les  éleveurs  des  environs.  Ceci  m'amène  na- 
turellement à  constater  ici  que  j'ai  rencontré 
des  compatriotes  partout  où  je  me  suis  trouvé 
jusqu'à  présent,  soit  au  Colorado  ou  au  Nou- 
veau-Mexique ;  et  les  familles  des  Beaubien, 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I34 


des  Mercure,  de  Saint- Vrain  et  des  Cloutier 
sont  bien  connues  dans  la  vallée  du  Rio 
Grande  del  Norte.  La  veuve  du  premier 
gouverneur  du  territoire  est  une  Beaubien,  et 
elle  vit  encore  à  Taos.  Son  mari,  le  colonel 
Bent,  fut  tué  par  les  Mexicains,  dans  l'insur- 
rection qui  suivit  l'occupation  du  pays  par  les 
troupes  américaines,  en  1847. 

Les  villages  indiens  se  ressemblent  telle- 
ment, —  par"  les  habitations,  les  traditions,  la 
manière  de  cultiver  la  terre  et  la  manière  de 
vivre  de  leurs  habitants,  —  qu'il  suffit  réelle- 
ment d'en  visiter  un  seul  pour  se  former  une 
juste  idée  de  tous  les  autres.  Aussi  ne  men- 
tionnerai-je  qu'en  passant  ma  visite  à  San- 
Juan,  à  Santa  Clara  et  à  San-Idelfonso,  pour 
m'occuper  plus  longuement  de  mon  voyage 
à  Fernandez  de  Taos. 

Le  pueblo  de  Taos  est  un  des  plus  curieux 
et  l'un  des  plus  importants  du  pays,  et  les  édi- 
fices remarquables  ou  vivent  aujourd'hui  les 
Puebloanos  sont  de  la  plus  haute  antiquité.  Ce 
pueblo,  situé  à  vi^gt-deux  milles  d'Embudo, 
est  relié  à  la  gare  par  un  service  de  diligen- 
ces, mais  je  préférai  faire  la  route  à  cheval, 
en  compagnie  de  deux  artistes  américains,  qui 


135  ^'^  ^'^'^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

avaient  eu  la  bonne  idée  de  venir  faire  des 
études  et  des  croquis  dans  cette  contrée  pitto- 
resque. Le  pays  entre  Embudo  et  Taos 
n'offre  rien  de  remarquable.  On  passe  en 
route  deux  ou  trois  hameaux  mexicains  et 
quelques  haciendas.  Les  habitants  nous  re- 
gardent passer  avec  cette  indifférence  simulée 
ou  réelle  qui  distingue  les  métis  espagnols. 
A  la  porte  de  chaque  masure  construite  en 
adobesy  on  voit  de  longues  grappes  de  piment 
rouge  arrangées  en  festons,  et  qui  relèvent  la 
monotonie  et  l'uniformité  de  la  couleur  boueuse 
qui  distingue  toutes  les  habitations  du  pays. 
Le  piment  mêlé  à  la  viande  de  bœuf  — 
chili  con  carne — forme  avec  \ç.s  tortillas,  es- 
pèce de  crêpes  de  maïs,  les  deux  principaux 
mets  de  la  cuisine  mexicaine,  et  gare  à  la 
bouche  de  l'étranger  qui,  sans  défiance,  atta- 
que un  plat  de  chili  con  carne,  safis  y  mettre 
toute  la  modération  nécessaire.  Autant  vau- 
dr?at  assaisonner  une  assiettée  de  soupe  ordi- 
naire d'une  grande  cuillerée  de  poivre  rouge. 
Cela  vous  emporte  la  bouche  du  coup.  C'était 
là,  pour  moi,  une  vieille  expérience  chèrement 
acquise  pendant  mon  service  militaire  au 
Mexique  ;  mais  il  n'en  était  pas  de  même  de 


V 


r 
m 

■D 

c 
m 

CD 


o 
m 

> 
O 
V) 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


138 


mes  deux  compagnons,  qui  ne  connaissaient 
pas  encore  les  habitudes  du  pays.  On  leur 
en  avait  servi  au  déjeuner.  Ils  en  furent 
quittes,  cependant,  pour  une  soif  dévorante 
qui  les  poursuivit  jusqu'à  Taos,  et  ils  jurèrent 
un  peu  tard  qu'ils  se  contenteraient,  à  l'ave- 
nir, des  mets  ordinaires  de  leur  cuisine  natio- 
nale. Nous  arrivâmes  dans  la  vallée  de  Taos 
vers  les  cinq  heures  du  soir,  au  moment  où  le 
soleil  disparaissait  derrière  les  montagnes  de 
l'Occident,  et  nous  fûmes  enchantés  de  trouver 
bon  gîte  et  bon  couvert  dans  une  auberge  fort 
confortable  tenue  par  un  irlandais  nommé 
Dibble,  qui  vit  dans  le  pays  dej.  uis  de  longues 
années.  Fernandez  de  Taos  est  une  petite 
ville  de  1,500  habitants,  qui  fut  la  première 
capitale  du  Nouveau-Mexique,  après  la  ces- 
sion du  pays  aux  Etats-Unis.  Ici  vécut  pen- 
dant de  longues  années  et  mourut,  le  23  mai 
1868,  à  l'âge  de  cinquante-neuf  ans,  le  célèbre 
scout,  trappeur  et  guide.  Kit  Carson.  Son 
corps  repose  dans  l'humble  cimetière  de  Taos, 
mais  ses  compatri(ftes  lui  ont  élevé  un  monu- 
ment sur  une  des  places  de  Santa- Fé. 

A  deux  milles  du  village  et  immédiatement 
au  pied  du  Mont  Taos,  se  trouvent  situées  les 

8 


Î39 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAONES-ROCHEUSES 


deux  grandes  maisons  communales  du  pueblo, 
se  faisant  face  sur  les  rives  d'une  petite  rivière 
qui  descend  de  la  montagne,  et  où  vivent  en 
commun  à  peu  près  quatre  cents  Indiens. 
Ces  maisons  ont  quatre  étages  et  sont  cons- 
truites en  pyramide  tronquée  ;  c'est-à-dire 
que  chaque  étage  forme  une  terrasse  et  que 
le  tout  ressemble  assez  à  une  série  de  mai- 
sons d'inégale  grandeur,  superposées,  la  plus 
grande  servant  de  base  à  la  deuxième  qui  est 
plus  petite,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  cin- 
quième, qui  n'est  qu'une  tour  où  se  tient 
constamment,  nuit  et  jour,  la  vigie  qui  doit 
annoncer  l'arrivée  du  grand  Montezuma,  qui 
est  le  messie  des  Puebloanos.  Cette  tradition 
est  respectée  dans  tous  les  pueblos.  Les  mis- 
sionnaires n'ont  jamais  pu  convaincre  ces  pau- 
vres Indiens  de  l'inutilité  de  leurs  veilles  et 
de  leur  attente  naïve.  Et  il  a  plus  de  trois 
cents  ans  que  l'Evangile  leur  fut  prêché  pour 
la  première  fois. 

Les  ma'sons  communales  de  Taos  n'ont  ni 
portes  ni  ic.iêtres  au  premier  étage,  et  l'on  est 
forcé  de  grimper  par  des  échelles  jusqu'au 
sommet,  pour  descendre  ensuite  dans  les 
chambres  intérieurcc  par  le  même  moyen,  et 


,y 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I4O 


fi 


à  travers  des  trous  percés  sur  la  première 
terrasse.  On  construisait  ainsi  pour  se  pro- 
téger contre  les  surprises  et  les  attaques  noc- 
turnes des  Indiens  des  montagnes,  avant  la 
conquête  espagnole,  et  l'on  continue  la  tradi- 
tion sans  s'occuper  de  ce  qu'un  boulet  de 
canon  pratiquerait  facilement  une  ouverture 
dans  les  murs  de  terre  de  cette  forteresse 
primitive.  Mais  comme  je  l'ai  déjà  dit,  les 
Puebloanos  ne  s'occupent  que  fort  peu  des 
progrès  modernes,  et  c'est  chez  eux  que  l'on 
met  en  pratique  le  vieux  proverbe  :  tels  pères, 
tels  fils.  Au  centre  du  premier  étage  et  immé- 
diatement au-dessous  du  deuxième,  se  trouve 
située  la  salle  du  conseil,  où  se  réunissent  les 
chefs  et  où  l'on  entretient  le  feu  sacré. 

L'entrée  en  est  interdite  aux  femmes  de  la 
tribu  et  aux  étrangers.  C'est  là  que  se  pra- 
tiquent les  rites  d'un  culte  dont  on  ne  connaît 
guère  les  dogmes  et  les  cérémonies  ;  mais  il  est 
généralement  admis  que  c'est  un  curieux  mé- 
lange de  traditions  païennes  et  de  cérémonies 
chrétiennes.  Les  bfancs  du  pays  avouent  fran- 
chement ne  connaître  rien  de  précis,  à  ce  sujet 
— et  les  missionnaires  eux-mernes  ne  parais- 
sent pas  en  savoir  beaucoup  plus  long.  —  On 


■^î 


141  SIX  MOIS  DAKS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

célèbre  chaque  année,  par  des  jeux,  des  danses, 
des  courses  et  des  réjouissances  publiques,  la 
fête  de  saint  J  érôme  que  les  I  ndiens  ont  adopté 
comme  patron,  et  tous  \ç.spueblos  de  la  vallée 
du  Rio  Grande  envoient  des  députations  pour 
prendre  part  à  la  cérémonie.     On  m'a  dit  que 
c'était   là  une  occasion  unique  d'étudier  les 
coutumes  et  les  traditions  religieuses  des  pue- 
blos,  et  j'ai  regretté  vivement  de  ne  pouvoir 
.'     être  témoin  de   ces  fêtes  populaires,  qui  se 
'^  célèbrent  le  dernier  jour  du  mois  de  septem- 
bre de  chaque  année.     Je  me  suis  cependant 
,  bien  promis,  si  jamaiiî  l'occasion  s'en  présentait, 
de  revenir  à  Taos  à  cette  époque  de  l'année, 
car  j'avoue  que  tout  ce  qui  touche  à  ces  Indiens 
pique  vivement  ma  curiosité.     J'ai  visité  en 
,    détail  tous  les  appartements  —  à  l'exception 
de   la  salle  du  conseil — d'une   des  maisons 
communales,  sous  la  conduite  de  Xalgtiazil  ou 
haut  shérif.   J'y  ai  été  reçu  avec  la  plus  grande 
politesse  ;  je  pourrais  même  dire  avec  la  plus 
grande  cordialité,   surtout  par  une  foule  de 
bambins  absolument  nus  qui  nous  suivaient 
partout,  nous  regardant  avec  curiosité  et  ac- 
ceptant volontiers  les  pièces  de  cinq  sous  que 
nous  leur  offrions  c«5mme  cadeaux. 


CHEZ  LES  PUESLOS 


LA  VIEJLLE  EGLISE   DE  SAN  JUAN 


!) 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I42 

L'ameublement  des  différentes  pièces  pré- 
sentait la  plus  grande  simplicité.  Des  peaux 
d'ours,  de  loup  ou  de  panthère,  étendues  sur 
le  parquet  cimenté,  servaient  de  lit  pendant 
la  nuit  et  de  tapis  pour  s'asseoir  pendant 
le  jour.  Quelques  pierres  calcinées  dans  un 
coin  pour  le  foyer,  et  des  vases  en  terre  cuite 
de  différentes  grandeurs,  composaient  unifor- 
mément chaque  batterie  de  cuisine.  Les 
femmes  accroupies  sur  leurs  talons  trico- 
taient des  mitasses  de  laine  ou  brodaient  avpc 
des  grains  de  verroterie  des  bonnets,  des 
souliers,  des  ceinturons  ou  des  gilets  de  peau 
de  chevreuil,  en  fumant  des  cigarettes  de 
feuilles  de  maïs.  Les  hommes,  presque  tous 
absents,  travaillaient  aux  champs,  ou  étaient 
dans  la  montagne  voisine,  occupés  à  couper 
du  bois  qu'ils  transportaient  à  dos  d'âne,  pour 
entretenir  le  feu  sacré  de  la  salle  du  conseil  et 
pour  faire  bouillir  les  marmites  des  familles 
de  la  commune.  La  tranquillité  la  plus  abso- 
lue régnait  partout,  et  les  enfants  eux-mêmes 
s'amusaient  sur  tes  terrasses  avec  cet  air 
d'indescriptible  mélancolie  et  de  paresseuse 
nonchalance  qui  distingue  tous  les  habitants 
des  anciennes  colonies  espagnoles. 


143 


SIX  MOIS  DANS  LES  MON  PAGNES- ROCHEUSES 


Les  filles  »e  marient  très  jeunes  et  per- 
dent très  vite  toute  trace  de  jeunesse  et  de 
beauté.  J'ai  vu  des  femmes  de  vingt-cinq  ans 
qui  paraissaient  plus  vieilles,  plus  cassées  et 
plus  ridées  que  nos  femmes  du  nord,  à  l'âge 
de  soixante  ans.  Elles  travaillent  continuelle- 
ment nu-tête,  sous  les  rayons  brûlants  d'un 
soleil  tropical  ;  la  raréfaction  de  l'atmosphère, 
à  cette  altitude,  a  d'ailleurs  pour  effet,  me  dit- 
on,  de  sécher  et  de  rider  la  peau  d'une  manière 
désastreuse  pour  la  beauté  des  femmes.  S'il 
existe  des  difficultés  intestines  ou  des  querelles 
de  famille  dans  le  pueblo,  l'étranger  n'en  sait 
jamais  rien,  et  tout  se  règle  à  l'amiable  par 
l'autorité  du  cacique  et  de  ses  officiers.  Toute 
la  vie  intime  de  la  communauté  repose  sur  le 
culte  sacré  des  traditions  et  dans  l'observation 
des  rites,  des  coutumes  et  des  lois  transmises 
par  les  ancêtres.  En  hiver,  l'occupation  prin- 
cipale des  Pîiebloanos  est  la  répétition  et 
l'exercice  des  danses  nationales,  sous  la  direc- 
tion au  fiscal  mayor,  pour  les  fêtes  et  les  céré- 
monies religieuses  de  la  belle  saison.  Deux 
des  principales  danses  sont  la  cachina,  qui 
correspond  à  un  service  d'action  de  grâce,  et 
la  you-pel-lay  ou  danse  du  maïs,  qui  a  lieu, 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I44. 

chaque  année,  à  l'époque  de  la  récolte  de  cette 
plante.  Un  des  amusements  les  plus  en  vogue 
est  la  chasse  du  lièvre,  qui  abonde  partout  au 
Nouveau-Mexique.  On  chasse  le  lièvre  à  pied 
et  à  coups  de  bâton,  ce  qui  doit  être  assez 
difficile,  mais  on  m'a  dit  que  les  Puebloanos 
sont  fort  adroits  à  cet  exercice  et  qu'ils 
y  prennent  un  plaisir  immense  ;  —  toujours, 
naturellement,  parce  que  leurs  ancêtres  chas- 
saient le  lièvre  de  cette  manière  primitive  et 
lorsqu'il  est  si  facile,  aujourd'hui,  de  l'abattre 
à  coups  de  fusil  ! 

Les  habitants  des  pueblos  se  servent  géné- 
néralement  entre  eux  de  différents  idiomes 
dérivés  de  la  langue  aztèque  ;  mais  il  est  très 
curieux  de  constater  qu'ils  ne  se  comprennent 
pas  toujours  d'un  village  à  l'autre,  sans  le 
secours  de  la  langue  espagnole,  qu'ils  parlent 
plus  ou  moins  correctement.  Chaque  habita- 
tion ou  plutôt  chaque  centre  d'habitations, 
possède  un  langage  différent,  et  les  Pueblo- 
anos de  Zuni,  de  Picuris,  de  Isoleta  et  de  San- 
Domingo,  ne  se  Comprennent  entre  eux  qu'à 
la  condition  de  parler  espagnol.  Leur  langue 
mère  est  devenue  tellement  corrompue  au 
contact  des  autres  tribus  sauvages,  qu'il  s'est 


145  ^''^  ^^'^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

formé  des  patois  particuliers  à  chaque  pueblo. 
Ce  qui  explique  la  chose  et  ce  qui  paraît 
cependant  fort  étonnant,  c'est  que  les  habi- 
tants des  villages  ne  se  visitent  que  très 
rarement  entre  eux  ;  ce  qui  les  distingue  des 
tribus  nomades  qui  les  entourent.  Le  Pueblo- 
ano  paraît  heureux  et  satisfait  de  vivre  dans 
sa  commune,  et  ne  s'occupe  jamais  de  ce  qui 
se  passe  au  dehors. 

Les  mariages  se  font  toujours  entre  les  ha- 
bitants d'une  même  organisation  communale, 
et  l'on  attribue  à  cette  cause  la  décroissance 
et  l'étiolement  de  la  race.  Il  est  absolument 
certain  que  cette  nation  curieuse  comptait 
autrefois  une  très  nombreuse  population,  car 
on  trouve  un  peu  partout,  dans  le  Nouveau - 
Mexique  et  dans  l'Arizona,  des  vestiges  et 
des  ruines  de  pueblos  abandonnés  longtemps 
avant  la  conquête.  Les  premiers  explorateurs 
font  tous  mention  de  ces  ruines,  dans  leurs 
relations  de  voyage,  et  les  Indiens  eux-mêmes 
dans  leurs  traditions  parlent  constamment  de 
la  gloire,  de  la  grandeur  et  de  la  richesse  du 
royaume  de  Montezuma.  Cette  tradition 
paraît  être  la  base  principale  de  leur  organi- 
sation politique  et  religieuse  ;  mais  l'histoire  de 


t  v.'J 
'tiiji 


(■"; 
u^ 


LES  PORTES   OE  LAOORE 


7 


''■   i'.-' 


c:.    i.    \\ 


.'V, 


>rj' 


y   ■  .  w*^:  -••  ■ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I48 

ces  peuples  restera  à  jamais  ensevelie  dans  la 
plus  grande  obscurité.  Ils  paraissent  destinés, 
comme  les  autres  nations  indigènes  des  deux 
Amériques,  à  disparaître  tôt  ou  tard  devant 
le  progrès  moderne  ;  mais  il  n'en  reste  pas 
moins  acquis,  qu'ils  ont  atteint  dans  le  passé, 
comme  ils  possèdent  d'ailleurs  encore  aujour-  , 
d'hui,  un  degré  de  civilisation  supérieur,  à  tous 
les  points  de  vue,  à  l'état  sauvage  et  nomade 
des  autres  tribus  du  continent  américain,  tou- 
jours à  l'exception  de  leurs  frères  du  Mexique, 
qui  avaient  fondé  l'empire  de  Montezuma  et 
de  Guatimozin. 

Le  rapport  suivant,  adressé  à  l'institut 
archéologique  de  Washington,  sur  les  pueblos 
par  le  professeur  Ad.  F.  Bandelier,  complétera 
les  renseignements  que  j'ai  pu  obtenir  sur  ces 
intéressantes  populations  indigènes. 

Fort  Huachu:a,  Territoire  d'Arizona, 
15  février  io34. 

A  l'honorable   W.    G.   Ritch,  secrétaire  du   Territoire 
dit  Nouveau- M mùiue^  à  Santa-Fé,  N.-M. 

Cher  monbîeur, 

Conformément  à  vos  désirs,  je  vais  vous  soumettre 
une  description  rapide  et  nécessairement  incomplète  des 
ruines  des  aborigènes  dissiminées  dans  'm  coiitrée  de 


149 


SIX  AFOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


Santa-Fé.  Cet  essai  sera  forcément  imparfait,  puisque 
je  n'ai  point  visité  tous  les  recoins  du  pays,  et  parce  que, 
d'ailleurs,  les  matériaux  que  j'ai  recueillis  sont  aujour- 
d'hui bien  loin  de  ma  portée.  Aussi  vous  prierai-je 
d'avoii  égard  à  ces  circonstances  en  présence  des  défec- 
tuosités qui  abondent  dans  mon  travail. 

Lorsqu'on  fait  la  classification  des  ruines,  on  doit 
inclure  dans  la  première  division  les  villages  qu'on  sait 
avoir  été  occupés  dans  le  cours  du  seizième  siècle,  et 
dans  la  seconde,  ceux  sur  le  compte  desquels  on  n'a  |)as 
de  renseignements  officiels,  et  qui,  par  conséquent,  de- 
vaient être  abandonnés  avant  l'année  1540. 

Les  ruines  de  la  première  division  sont  toutes  du 
même  type  ;  c'est  celui  du  pueblo  communal,  résidence 
à  plusieurs  étages,  tel  qu'on  en  trouve  encore  habitées 
par  les  aborigènes  sédentaires  du  Nouveau-Mexique. 

La  seconde  classe  comprendra  deux  types  —  celui 
dont  il  vient  d'être  question,  et  le  type  de  la  demeure 
familiale  détachée,  formant  des  villages  avec  maisons 
quelque  peu  éparpillées.  Les  constructions  de  grottes 
servant  d'abris  représentent  les  modifications  de  l'une 
ou  de  l'autre  de  ces  deux  classes. 

En  1598,  date  delà  première  colonisation  par  l'Es- 
pagne, et  avant  cette  époque,  lorsque  des  explorateurs 
espagnols  qui  ne  faisaient  que  passer —  sous  Coronado, 
de  1540  à  1543  ;  sous  Francisco  Sanchez  Charnuscado 
en  1580  ;  sous  Espejo  en  1583,  et  sous  Gaspard  Castano 
de  Sosa  en  1 590  ;  —  traversant  quelques  parties  du  comté 
de  Santa-F'é,  il  y  avait  dans  certains  coin  de  ce  territoire 
trois  groupes  distincts  d'Indiens.  C'étaient  les  Queres 
à  rOuesl;,  les  Tanos  au  Sud  et  les  Tehuas  au  Nord  et 


.i/ 


SIX  MOIS  DANS  I,ES  MONTAGVES-ROCHEUSF.S  T  5O 


au  centre.  Les  deux  derniers  groupes  parlaient  un 
langage  qui  n'était  qu'un  dialecte  d'une  langue  com- 
mune à  ces  peuples. 

Les  Queres  ont  habité  jusqu'en  i68g  une  localité  de 
la  Ciénega  ou  Ciéneguilla,  sur  la  route  de  la  Pegna^ 
Blaiica.  Leur  village,  dont  il  n'existe  pas  môme  de 
trace,  avait  reçu  le  nom  de  Chi-mii-a.  C'était  l'avant- 
poste  oriental  de  la  grande  famille  du  Rio  Grande  de 
cette  tribu. 

Les  villages  tanos  sont  complètement  abandonnés 
aujourd'hui,  la  plus  grande  partie  de  leurs  habitants  étant 
allés  s'établir  au  Moqui  après  1694,  et  ceux  qui  étaient 
restés  ayant  été  emportés  par  la  petite  vérole  au  com- 
mencement de  ce  siècle.  Les  ruines  de  Galistco.  —  non 
pas  du  village  actuel,  mais  celies  qui  se  trouvent  à  un 
mille  et  demi  au  nord-est  de  ce  dernier,  au  nord  de 
Creston,  —  celles  de  San-Cristobal,  de  San-Cazaro,  de 
San-Marcos,  et  probablement  aussi  celles  de  la  Ga- 
rita  dans  la  ville  même  de  Santa-Fé,  appartenaient  à 
cette  tribu.  Les  noms  indiens  de  ces  villages  me  sont 
inconnus,  à  l'exception  de  celui  du  pueblo  de  Santa-Fé, 
qui  portait  le  nom  de  Fo-o-ge.  Le  pueblo  de  la  Tuerto 
près  de  Golden  City,  et  celui  de  la  Tunque^  en  face  de 
Santo-Domingo  et  de  San-Felipe,  étaient  habités  égale- 
ment par  les  Tanos,  —  la  première  de  ces  localités  avai^ 
assurément  ces  Indiens  pour  habitants,  en  1598. 

Des  pueblos  tehua  if  n'y  en  avait  qu'un  seul,  —  celui 
Û!Oj-qué,  ou  de  San-Juan,  — qui  fût  sur  la  rive  gauche 
du  Rio  Grande,  à  peu  près  sur  son  emplacement 
actuel.  Les  villages  de  Nambe,  de  Tezuque,  I  Te-tzo-ge) 
de  Pojuaque   {Fo-zuan-ge,')  et  de  Cuya-mun-ge  étaient, 


vil 


:'iJ 


IJI  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


en  1598,  des  hameaux  insign  ''...its  ;  mais  ils  s'accrurent 
rapidement  pendant  l'ère  de  prospérité  générale  pour 
\ii?,  pueblos  qui  finit  en  1680. 

,  Les  jîrincipaux  établissements  des  Te/iuas  se  trou- 
vaient sur  la  rive  droite  du  fleuve,  et  ne  formaient  pas 
moins  de  dix  villages. 

Il  n'y  en  a  qu'un  seul  qui  existe  encore  sur  son  em- 
l^la cément  primitif;  c'est  celui  de  Santa-Clara  {Ca-J>o). 
San-Ildefonso  {O-Jo-qtte)  est  situé  à  environ  un  mille  du 
Bo-ve  de  1598. 

Les  pueblos  de  Troo-maxia-(pii-no  (Pajaritos),  de 
Camitria,  de  Quiotraco,  d'Axo/,  de  Junetrc,  etc.,  au- 
jourd'hui en  ruines,  sont  également  dans  le  comté  du 
Rio  Arriba.  C'est  aussi  dans  ce  comté  que  se  trouve 
Yunqtie,  sur  le  Rio  Chama,  où  fut  fondé,  le  rer  septembre 
1598,  le  premier  établissement  des  Espagnols  au  Nou- 
veau-Mexique. 

Les  Tiguas  —  c'est-à-dire  les  Indiens  qui  parlent  le 
dialecte  de  Sandia  et  d'Isleta  —  touchaient  la  frontière 
sud-ouest  du  comté,  par  leurs  deux  pueblos  du  vieux 
San-Pedro,  qui  furent  abandonnés  après  1680.  et  sont  à 
présent  en  ruines. 

Les  habitants  de  la  vallée  du  Pecos,  dont  le  centre 
était  au  grand  village  de  A-gu-yu  (là  ou  s'élève  à  pré- 
sent la  vieille  église  de  Pecos),  n'avaient  pas  poussé 
leurs  établissements  jusqu'au  comté  même  de  Santa-Fé. 

Au  sujet  des  ruines  qui  étaient  habitées  et  qui  furent 
abandonnées  avant  le  seizième  siècle,  on  peut  dire  que 
le  plus  ancien  .t^M.'e,  —  celui  de  la  Himille  détachée, 
groupée  en  hameaux  irrèguliers  ou  isolés,  —  n'est  pas 
très  commun.   Un  village  de  ce  genre,  indiqué  seulement 


/  1' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  I52 


par  des  mounds  et  des  fragments  de  poterie,  peut  se  voir 
encore  à  la  station  de  Lamy,  au  Fort  Marcy  (de  Santa- 
Fé),  et  dans  des  constructions  isolées  ou  de  petits 
groupes  qui  sont  dissiminés  dans  quelque  localités,  mais 
qui  sont  assez  rares.  On  ne  voit  pas  souvent  à  présent 
ce  genre  d'architecture  aborigène  auquel  on  a  donné  le 
nom  de  cliff-houses,  ou  de  petites  grottes  avec  maçon" 
nerie.  Mais  l'autre  classe,  celle  de  la  maison  commune, 
compacte,  haute  de  plusieurs  étages,  se  trouve  encore 
représentée  par  des  ruines  nombreuses. 

En  partant  du  sud,  on  trouve  la  ruine  de  Valverde, 
prés  de  Golden.  Une  chaîne  de  quatre  beaux  villages, 
dont  quelques-uns  sont  très  grands,  s'étend  de  l'ouest  à 
l'est,  à  une  distance  moyenne  de  cinq  milles  de  Galisteo, 
le  long  du  Cresto  méridional.  Ce  ,sont  le  Pueblo,  le 
Largo,  le  Pueblo  Colorado,  le  Pueblo  de  Shé,  et  le 
Pueblo  Blanco. 

'A  deux  milles  et  demi,  a  l'est-nord-est  de  Wallace, 
se  trouve  un  grand  villa'jce.  Il  y  en  a  deux  autres  sur 
l'Arroyo  Hondo,  à  une  distance  de  cinq  à  six  milles  au 
sud  de  Santa-Fé.  un  petit  en  avant  de  la  gorge  rocheuse, 
et  l'autre  assez  grand,  en  aval. 

La  route  de  Pegna  Blanca  coupe  les  fondations  d'un 
petit  pucblos  qui  est  près  d'Agua  Fria,  à  six  milles  au 
norJ  de  Santa-Fé  Je  connais  au  moins  trois  ruines  de 
ce  genre.  A  l'est  et  au  sud-est  de  Tezuque,  vers  la 
Sierra,  se  trouve  la  ruiiic  de  Pio-ge  à  Los  Luceros,  d'où 
partirent  les  Indiens  de  San-Juan  pour  s'établir  dans 
la  localité  qu'ils  occupent  à  présent.  Cette  liste  de 
douze  localités  n'est  que  le  total  approximatif  des  ruines 
de  ce  genre. 


153 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSESJ 


Vers  l'ouest,  au-delà  de  Rio  Grande  et  vis-à-vis  de  la 
partie  septentrionale  du  comté,  les  énormes  cagnons  de 
la  Sierra  del  Valle  s'élargissent  dans  la  direction  de  Santa 
Clara.  On  a  creusé  en  plusieurs  endroits  le  tuf  volca- 
nique et  friable  don}  se  composent  leurs  parois,  afin  de 
former  des  grottes  artificielles,  la  plupart  de  petites 
dimensions.  Chaque  groupe  de  grottes  représente  à  lui 
seul  wïïptieblos.  et  imite,  autant  que  cela  lui  est  possible, 
le  système  du  village  communal  à  plusieurs  étages. 

D'autres  ruines  du  même  genre  occupent  les  faîtes 
des  mesas,  ainsi  que  la  base  du  cagnon.  Ces  anciennes 
résidences  dans  des  glottes  qui,  par  la  nature  môme  de 
la  roche,  étaient  plus  aisément  creusées  que  les  maisons 
proprement  dites  ne  pouvaient  être  construites,  sont 
considérées  par  les  Tehuas  comme  ayant  servi  de  de- 
meure à  leurs  ancêtres,  avant  que  la  tribu  descendît  dans 
la  vallée  de  Rio  Grande. 

Il  y  .1,  par  conséquent,  nme  relation  historique  entre 
ces  Indiens  et  les  établissements  au  Nord  du  comté  de 
Santa-Fé.  C'est  cette  relation  qui  explique  pourquoi 
il  en  a  été  fait  brièvement  mention  dans  ces  pages. 

Je  suis. 

Votre  très  humble  serviteur. 


Ad.  F.  Bandelier, 
Chargé  des  recherches  de  l'Institut 
archéologique  d'Amérique. 


I 


Slît  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  1  54 


XI 


LES  **  PENITENTES  "  —  LES  "  CLIFF- 
DWELLERS" 


Le  comté  de  Taos  est  aussi  célèbre,  aujour- 
d'hui, par  ses  pénitentes  que  par  ses  pueblos  et 
si  les  autorités  respectent  les  traditions  des  In- 
diens et  leur  accordent  la  plus  grande  latitude 
dans  l'exercice  de  leur  rites  absolument  inof- 
fensifs, elles  ont  été  forcées  d'intervenir  pour 
supprimer,  en  grande  partie  du  moins,  les 
pratiques  cruelles  et  barbares  de  quelques 
illuminés  emportés  par  le  fanatisme  religieux. 

C'est  une  vieille  coutume  espagnole  que 
celle  des  processions  de  la  semaine  sainte.  La 
tradition  la  fait  remonter  à  l'époque  où  l'Es- 
pagne fut  reconquise  sur  les  Arabes. 

On  raconte  qu'autrefois  on  louait  pour  ces 
cérémonies  une  victime  volontaire,  un  homme 
qui  représentait  la  personne  du  Christ,  et  était 


f::'.îi 


155 


SIX  MOIS  PANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


fouetté  de  verges  dans  les  rues.  En  ce  temps- 
là,  des  pénitents,  le  visage  voilé,  mais  le  buste 
nu,  suivaient  le  cortège  en  se  flagellant  jus- 
qu'au sang,  et,  pour  mettre  un  terme  à  ces 
démonstrations  d'une  dévotion  exagérée,  il 
fallut  une  ordonnance  du  roi  Charles  III. 

Ici,  la  société  des />enùen^es  se  recrute  parmi 
les  métis  mexicains,  et  elle  a  pour  but  la  célé- 
bration, chaque  année,  des  fêtes  de  la  Passion, 
par  des  cérémonies  d'un  caractère  aussi  brutal 
que  peu  conforme  aux  règlements  de  l'Eglise. 
Le  temps  du  carême  est  pour  ces  pauvres 
fanatiques  l'occasion  de  jeûnes  et  de  péni- 
tences incroyables,  et  chaque  vendredi,  ils  se 
réunissent  dans  la  montagne  pour  se  flageller 
mutuellement  avec  des  branches  de  cactus 
couvertes  d'épines  ou  avec  des  fouets  dont 
les  mèches  multiples  ont  des  pointes  d'acier 
qui  enlèvent  des  morceaux  de  chair  à  chaque 
coup.  Et  ce  n'est  encore  là  que  le  prélude 
des  tortures  effroyables  qu'il  vont  s'infliger 
pendant  la  semaine  sainte,  où  ils  répètent  litté- 
ralement les  différentes  phases  du  martyre  de 
l'Homme-Dieu,  jusqu'au  crucifiement  de  l'un 
ou  de  plusieurs  des  leurs,  en  grande  pompe, 
le  vendredi-saint,  sur  une  des  collines  sacrées, 


m 


m 


m 


m 


•D     o 


r*     rn 


m 


''i^mm 


(/> 

"D 

m 

o    5 

•    -t 

"5     m 


r 
m 


c 

3 

o 

?     o 

•0  73 
»  C 
^       O 


m 

s. 
m 

z 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


II 


1.25 


150 
116 


|28 


12.2 


«*    ...    mil  2.0 


1.8 


U    IIIIII.6 


V] 


v> 


/: 


V 


/^ 


f 


^ 


y 


> 


>* 


'^ 


<% 


> 


L 


m_ 


-,    Vf^'^V 


•>'>■•    V---  . 


'i-    ,v 


■■  ,.    A 


I 


/«A-'.  .•'• 


M»        \ 


■Ti  V  ■ 


f  if 


f'f^  ; 


■Vf 


n.  ■ 


..M' 


*•    t 


>>>-;.>'■"•■• 


d  ..•v^^t. .;  '^y  v,-.;v  '     ■  .• 


J  «  v. 


['-  •  t: 


f 


r 


A  ,    I 


^     N, 


V 


V  -^. 


^-»      -  %iM  »  t  *>i«  mmanm 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  58 

OÙ  l'on  a  construit  des  chapelles  ou  calvaires, 
et  que  l'on  appelle  casas  de  los  pénitentes, 
maisons  des  pénitents. 

Ces  chapelles  sont  remplies  de  croix  que 
les  pénitentes  ont  traînées  ou  portées  sur  leurs 
épaules  depuis  nombre  d'années,  jusqu'à  des 
distances  considérables  ;  et  il  faut  vraiment 
voir  et  soulever  ces  croix,  pour  se  faire  une 
idée  de  leur  grandeur  et  de  leur  poids.  J'en 
ai  mesuré  une,  par  curiosité,  qui  avait  vingt- 
cinq  pieds  de  long,  et  qui  pesait  huit  cents 
livres  ;  les  plus  petites  n'en  pesaient  pas 
moins  de  trois  cents  ;  et  elles  étaient  toutes 
couvertes  du  sang  des  pauvres  victimes  qui 
s'étaient  sacrifiées  volontairement,  pour  l'ex- 
piation de  leurs  péchés,  jusqu'à  souffrir  le 
supplice  du  Christ.  On  formait  une  proces- 
sion sous  la  direction  d'un  chef,  qu'on  appe- 
lait :  el  hermano  mayor  et  qui  exerce  l'autorité 
la  plus  absolue  sur  chaque  confrérie,  et  aux 
sons  aigus  d'un  fifre  champêtre,  on  faisait 
souffrir  successivement  et  littéralement  aux 
victimes  toutes  les  phases  de  la  Passion,  y 
compris  le  couronnement  d'épines,  la  flagel- 
lation et  le  supplice  du  calvaire.  On  clouait 
ces  pauvres  illuminés  sur  les  croix,  en  leur 

\ 


r 


159 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


enfonçant  des  clous  dans  les  pieds  et  dans  les 
mains,  et  il  n'y  avait  guère  que  le  coup  de 
lance  mortel  au  flanc  qu'on  leur  épargnait, 
mais  qu'on  remplaçait  cependant  par  une  en- 
taille d'où  le  sang  coulait  avec  abondance.  On 
les  laissait  ainsi  pendant  une  demi-heure  et  on 
les  descendait  ensuite,  morts  ou  vifs.  Les 
hommes  robustes  résistaient  à  tout  cela  et 
guérissaient  généralement,  mais  il  n'était  pas 
rare  de  voir  succomber  les  victimes  de  cette 
barbare  coutume.  Qu'on  n'aille  paà  croire 
que  j'exagère,  car  il  n'y  a  guère  que  trois 
ans,  en  1887,  que  quatre  pénitentes  sont  morts 
des  suites  du  crucifiement  dans  les  Villages 
mexicains  du  sud  du  Colorado. 

Les  autorités  civiles  et  religieuses  se  sont 
justement  émues  de  ces  atrocités,  et  les  chefs 
furent  traduits  devant  les  tribunaux  ;  mais  il 
fut  impossible  d'établir  légalement  la  culpa- 
bilité de  ceux  qui  avaient  pris  part  au  supplice 
et  qui  avaient  causé  directement  la  mort  des 
victimes  ;  et  comme  les  pénitentes  se  cachent 
généralement  avec  soin,  pour  pratiquer  leurs 
rites,  il  est  hors  de  doute  que  les  crucifiés  qui 
succombent  à  leurs  blessures,  sont  beaucoup 
plus  nombreux,  qu'on  ne  le  croit  générale- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  l60 

ment.  Inutile  de  dire  que  le  clergé  est  non 
seulement  étranger  à  ces  barbares  coutumes, 
miis  qu'il  s'y  oppose  formellement. 

Mgr.  Lamy,  archevêque  de  Santa- Fé,  a 
plusieurs  fois  lancé  des  mandements  à  ce 
sujet,  sans  cependant  parvenir  à  abolir  la 
confrérie  des  pénitentes,  qui  continuent  en 
secret  leur  cérémonies,  en  supprimant  cepen- 
dant le  dernier  acte  du  drame  et  en  se  con- 
tentant d'attacher  la  victime  au  lieu  de  la 
clouer  sur  la  croix.  J'ai  entre  les  mains  deux 
photographies  instantanées  de  ces  lugubres 
opérations  ;  l'une,  d'une  procession  de  péni- 
tentes gravissant  le  calvaire,  et  l'autre  de  la 
scène  du  crucifiement. 

Ces  photographies  ont  été  obtenues  subrep- 
ticement par  un  touriste  déguisé  qui  s'était 
joint  à  la  procession  et  qui  portait  sur  lui  | 

une  cantera  minuscule.  Il  raconte  aussi  en 
détail  toutes  les  cérémonies  dont  il  fut  témoin, 
et  affirme  que  le  sang  coulait  à  flots  sur  le  dos 
des  flagellants,  dont  quelques-uns  ne  reçurent 
pas  moins  de  deux  mille  coups  de  fouet  ; 
ce  qui  paraît  incroyable.  15  n  sç.m\  pénitente 
fut  attaché  à  la  croix,  ce  jour-là,  mais  au 
moment  où  on  le  liait  solidement  sur  le  bois 


l6l  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


du  supplice,  le  pauvre  fanatique  s'écriait  : 
Hay  !  Que  estoy  deshonrado  !  Je  suis  désho- 
noré !  pas  avec  une  corde  !  clouez-moi  !  clouez- 
moi  ! 

Quelques-uns  des  assistants  voulaient  se 
rendre  à  son  désir,  mais  le  hermano  mayor  s'y 
refusa  obstinément,  de  peur  d'avoir  des  dé- 
mêlés avec  la  justice. 

N'est-ce  pas,  que  ce  sont  là  des  choses 
absolument  étonnantes,  en  plein  dix-neuvième 
siècle,  et  sous  le  système  démocratique  du 
gouvernement  américain  ?  Je  m'empre->se  de 
dire,  cependant,  que  les  autorités  du  pays  ont 
résolu  de  sévir  rigoureusement  contre  les 
auteurs  de  ces  pratiques  barbares  qui  ne  sau- 
raient tarder  à  disparaître,  avec  une  nouvelle 
génération.  Mais  le  pays  est  si  vaste,  si  acci- 
denté et  encore  si  sauvage  que  les  fanatiques 
d'aujourd'hui  trouveront  bien  encore  moyen 
d'éluder  la  vigilance  de  la  justice  pour  aller 
pratiquer  leurs  cérémonies  dans  quelque  vallée 
reculée. 

hts  penilenles  du  Nouveau- Mexique  et  du 
Colarodo,  ne  sont  que  les  successeurs  des 
confréries  de  pénitents  et  de  flagellants  qui 
existaient  au  moyen  âge  en  Espagne,  dans  le 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  102 


midi  de  la  France  et  en  Italie.  Une  proces- 
sion de  flagellants  eut  lieu  à  Lisbonne  il  y  a 
soixante  ans  à  peine,  en  182 1,  mais  jamais  les 
confréries  d'Europe  n'ont  porté  les  mortifica- 
tions et  la  torture  aussi  loin  que  les  pénitentes 
du  In  ou  veau- Mexique.  Il  est  curieux  de 
constater  que  les  Puebloanos  pratiquaient 
déjà,  avant  la  conquête,  des  rites  d'expiation 
qui  avaient  une  certaine  similitude  avec  les 
pratiques  d'aujourd'hui.  Deux  fois  par  an,  on 
choisissait  dans  chaque  tribu,  six  hommes  et 
six  femmes  que  l'on  enfermait  dans  la  salle 
du  Conseil  pendant  trois  jours,  et  que  l'on 
sacrifiait  ensuite  pour  apaiser  la  colère  des 
dieux.  Le  cacique  faisait  aussi  pénitence  en 
se  fouettant  avec  des  branches  épineuses  de 
palmilla,  de  maguey  ou  de  cactus.  Ces  pau- 
vres sauvages  greffèrent  leurs  traditions  sur 
les  croyances  chrétiennes  et  continuèrent  leurs 
sacrifices  antiques  en  imitation  de  la  passion 
de  Jésus-Christ  ;  c'est  tout  ce  que  les  mission- 
naires purent  obtenir  de  leur  nature  barbare, 
et  c'est  là  l'origincf  des  pénitentes  d'aujour- 
d'hui. Il  est  inutile  de  dire  que  ces  confréries 
se  recrutent  parmi  la  classe  la  plus  basse  et  la 
plus  ignorante,  et  il  est  juste  de  constater  que 


'■(il 


'X 


!;»■ 


-)' 


si! 


i63 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


les  autorités  mexicaines  ont  fait  tout  en  leur 
pouvoir  pour  les  supprimer.  La  danse  du  soleil 
chez  les  Sioux  du  Nord  et  la  danse  du  sacrifice 
chez  les  Arrapahoes  et  les  Utes  du  Sud  ont 
un  caractère  aussi  cruel  et  aussi  dangereux  ; 
et  chacun  sait  que  tous  les  sauvages  de 
l'Amérique  ont  toujours  admiré  les  guerriers 
qui  montraient  le  plus  de  courage  en  suppor- 
tant les  tortures  physiques  les  plus  longues  et 
les  plus  atroces.  Nos  Iroquois  du  Canada  ne 
faisaient  pas  exception  à  cette  règle,  et  tous 
nos  auteurs  ont  rendu  témoignage  à  leur  bra 
voure  légendaire,  devant  les  supplices  et  la 
mort.  •  V' 


,r..      ,:^),. 


A  mi-distance  entre  Santa- Fé  et  Espanola, 
le  chemin  de  fer  suit  durant  quelques  milles  la 
base  d'un  chaînon  de  montagnes  escarpées 
et  absolument  dépourvues  de  toute  végéta- 
tion, qui  s'élèvent  sur  la  rive  occidentale 
du  Rio  Grande  del  Norte.  Sur  la  rive  oppo- 
sée du  fleuve,  on  aperçoit  les  habitations 
grisâtres  des  pueblos  de  San-Idelfonso-  et  de 
Santa- Clara.    Le  conducteur  du  train  attire 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


164 


ici  notre  attention  sur  des  taches  noires  que 
Ton  aperçoit  çà  et  là  sur  le  flanc  rougeâtre 
des  montagnes,  et  qui  nous  apparaissent 
d'abord  comme  de  gigantesques  nids  d'oi- 
seaux creusés  dans  la  falaise.  Ce  sont  là 
des  grottes  et  des  cavernes  qui  étaient  habi- 
tées autrefois  par  une  race  depuis  longtemps 
disparue,  et  qui  n'a  laissé  absolument  aucune 
autre  trace  de  son  existence.  Les  ethnologues 
américains  ont  donné  à  ces  antiques  habi- 
tations le  nom  de  cliff  divellings  et  aux 
peuples  qui  les  ont  construites  et  qui  y  de- 
meuraient le  nom  de  :  cliff  divellers.  On  est 
encore  dans  la  plus  profonde  ignorance  sur 
l'âge  de  ces  constructions  primitives  et  sur 
les  causes  qui  ont  pu  forcer  des  populations 
évidemment  fort  nombreuses  '"^donner 

des  demeures  qui  fournissent  des  preuves 
irréfutables  d'une  civilisation  relativement  très- 
avancée  pour  l'époque  où  elles  étaient  ha- 
bitées. Les  auteurs  espagnols  des  premières 
années  de  la  conquête  se  contentent  de  men- 
tionner ces  ruines,  *!sans  paraître  s'occuper  de 
rechercher  leur  origine  ou  leur  histoire,  et  les 
Indiens  du  pays,  avec  leur  stoïcisme  et  leur 
indifférence  ordinaire,  vous  répondent  par  un 


165  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

haussement  d'épaules  et  l'inévitable  :  Quien 
sabe  ?  Qui  sait  ?  que  l'on  reçoit  en  réponse 
à  toutes  les  questions  possibles  et  impossibles 
que  l'on  puisse  faire.  Mon  premier  devoir  en 
arrivant  à  Espanola  fut  de  me  procurer  les 
services  d'un  guide  pour  aller  visiter  ces 
grottes  curieuses,  et  en  compagnie  des  deux 
artistes  avec  qui  j'avais  fait  le  voyage  de  Taos, 
nous  nous  dirigeâmes  à  cheval  vers  les  mon- 
tagnes voisines,  en  visitant,  en  chemin,  les 
deux  ^«^^/^^  dont  j'ai  déjà  parlé.  .  ^ 

La  route  fut  facile  jusqu'au  moment  où  nous 
arrivâmes  au  pied  des  rochers  escarpés  où 
sont  situés  les  cliff-divellings,  mais  là,  nous 
fûmes  forcés  d'abandonner  nos  chevaux  pour 
grimper,  à  une  hauteur  perpendiculaire  de 
trois  cents  pieds,  où  l'on  apercevait  une  espèce 
de  trou  noir  qui  n'était  autre  chose  que  l'en- 
trée principale  d'une  habitation  fort  considé- 
rable, comme  on  va  le  voir  tout  à  l'heure. 
L'ascension  fut  moins  difficile  qu'elle  ne  nous 
avait  paru  de  prime  abord.  Par  une  série 
de  degrés  et  de  pentes  adoucies,  ingénieuse- 
ment taillées  dans  le  roc,  nous  escaladâmes  la 
falaise  qui  nous  avait  paru  si  difficile  à  gravir, 
et  nous  fûmes  bientôt  sur  le  seuil  d'une  vaste 


MabitattbA  dea  Cliff-Dwelle» 


-■♦' 


■.■m"* 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-RtXiHEUSES  *        l68 


chambre  circulaire  dont  les  murs  blanchis  i 
portaient  encore  les  traces  de  dessins  hiéro- 
glyphiques. Le  parquet  cimenté  était  parfaite- 
ment uni,  et  trois  portes  de  cinq  pieds  de 
hauteur,  sur  deux  pieds  de  largeur,  s'ouvraient 
dans  le  mur  et  conduisaient  évidemment  à 
d'autres  appartements.  Une  ouverture  taillée 
dans  le  roc  vif  du  plafond  servait  de  cheminée, 
et  des  pierres  calcinées  gisaient  par  terre  im- 
médiatement au  dessous,  et  avaient  dû  former 
l'âtre  ou  l'on  cuisait  les  aliments.  Quelques 
fragments  de  vases  brisés  étaient  encore  là, 
d'ailleurs,  pour  démontrer  que  nos  supposi- 
tions étaient  justes,  mais  en  dehors  de  cela 
il  ne  restait  aucun  vestige  d'ameublement. 
En  examinant  la  paroi  extérieure  de  plus  près, 
nous  découvrîmes  que  c'était  un  mur  construit 
de  pierres  superposées  et  cimentées  avec  tant 
d'adresse,  que  nous  avions  d'abord  pensé  que 
la  chambre  avait  été  entièrement  taillée  dans 
le  flanc  de  la  montagne.  On  avait  évidem- 
ment profité  d'une  caverne  naturelle  dont  on 
avait  muré  l'entra  afin  de  la  rendre  plus 
forte  et  plus  habitable. 

L'habitation  que  nous  visitions  ne  conte- 
nait que  douze  chambres  de  grandeur  égale, 


169 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


là  l'exception  d'une  salle  centrale  et  circulaire, 
ayant  trente  pieds  de  diamètre.  Un  bloc  de 
pierre  rougeâtre  placé  au  centre  avait  dû 
servir  d'autel  ou  de  pierre  de  sacrifice,  car  on 
y  avait  creusé  une  espèce  de  petite  rigole,  à 
la  surface,  probablement  pour  laisser  couler 
le  sang  des  victimes.  On  a  trouvé  dans 
cette  salle  une  foule  d'objets  que  j'avais  pu 
examiner  au  musée  historique  de  Santa- Fé  ; 
entr'autres,  une  pierre  pour  écraser  le  maïs, 
avec  son  pilon,  des  haches  et  des  marteaux  de 
pierre  et  de  silex,  des  arcs  et  des  flèches,  des 
vases,  des  urnes  et  des  cruches  de  terre  cuite 
décorées  de  dessins  forts  curieux  ;  enfin  des 
sandales,  des  paniers,  et  des  ceintures  tressées 
de  feuilles  de  la  plante  du  Yucca  que  les 
Américains  appellent  spanish  bayonets.  Tous 
ces  objets  sont  fabriqués  avec  un  soin  et  une 
intelligence  qui  prouvent  que  cette  race  pré- 
historique possédait  une  civilisation  au  moins 
égale  à  celle  des  ptceblos  d'aujourd'hui.  Des 
ouvertures  d'à  peu  près  deux  pieds  carrés, 
taillées  dans  le  roc,  servaient  de  cheminées  et 
de  fenêtres,  en  même  temps,  mais  nous  avions 
eu  la  précaution  d'emporter  des  bougies  afin 
de   pouvoir  mieux    examiner  les   chambres 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


170 


intérieures.  Le  soleil  disparaissait  à  l'horizon 
lorsque  nous  descendîmes  dans  la  vallée  pour 
y  retrouver  nos  chevaux  et  pour  reprendre 
la  route  d'Espanola.  L'habitation  que  noun 
avions  visitée  était  une  des  plus  petites  et 
l'une  des  plus  faciles  d'accès  qu'il  y  eût  dans 
la  montagne. 

Les  c/i^s  dwellings  d'Espanola  sont  d'ail- 
leurs les  moins  importants  du  Nouveau- 
Mexique,  et  c'est  plus  au  nord,  près  de  la 
frontière  du  Colorado,  que  l'on  a  découvert 
de  véritables  cités  composées  de  ces  curieuses 
cavernes.  Le  major  Powell,  M.  W.  H.  Jack- 
son de  Denver  et  le  lieutenant  Simpson  de 
l'armée  américaine  ont  tour  à  tour  visité  les 
gorges  du  Rio  Mancos,  situées  près  de  Du- 
rango,  et  y  ont  fait  des  découyertes  absolu- 
ment étonnantes,  et  dont  je  parlerai  plus  loin. 

Un  ingénieur  de  Denver,  M.  Stanton,  qui 
vient  d'explorer  les  gorges  du  Rio  Colorado^ 
a  aussi  trouvé  les  restes  de  vastes  habitations 
de  cliffs-diuellers,  suspendues  comme  des  nids 
d'aigles,  aux  flan^fs  de  montagnes  escarpées. 
Chaque  jour  amène  de  nouvelles  découvertes, 
mais  les  savants  restent  toujours  dans  la  plus 
profonde  obscurité  sur  l'origine,  l'histoire  et 


:  'Jil 


171  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

l'époque  de  la  disparition  d'une  race  qui  a 
dû  compter  plus  de  100,000  habitants,  s'il  est 
permis  déjuger  de  leur  nombre  par  les  ruines 
gigantesques  qu'ils  ont  laissées  sur  leurs  pas- 
sage. 


''  i 


I 


> 
a 
-» 

ô 

r 
m 

(A 

o 
m 

S 

m 

30 

fii 


O 

c 
< 


R 


O 
r 

•n 

o 
$ 


m 


ri 


./■■;'■;•  ^:;a'': 


fa' 


i'^- 


^ 


.*.%. 


'•«-     r      --    %• 


^■^5S^*' 


/i..,»'-'-" 


^A^^âuaiMaMaHiiÉMÉimH 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  72 


XII 


ENCORE  LES  CLIFF-DWELLERS 


Je  viens  de  raconter  ma  visite  à  l'une  des 
grottes  des  cliffs-dwellers,  près  d'Espanola  et 
j'ai  dit  que  ce  groupe  d'habitations  préhistori- 
ques était  beaucoup  moins  important  que  ceux 
que  l'on  rencontre  plus  au  nord,  près  de  la 
frontière  du  Colorado.  Je  vais  maintenant 
parler  des  ruines  du  Rio  Mancos,  qui  com- 
prennent des  palais,  villes  ou  villéiges,  comme 
on  voudra  bien  les  appeler,  contenait  chacun 
plus  de  mille  appartements  ;  ce  qui  forme 
une  population  d'au  moins  5,000  habitants, 
en  admettant  que  la  moyenne  des  familles 
ne  fut  que  de  cinq  personnes  ;  ce  qui  serait 
loin  d'être  un  chiffre  exagéré,  en  comptant 
les  enfants  et  les  vieillards  des  deux  sexes. 
Et  l'on  compte  onze  groupes  d'habitations  de 


[!t'.i 


I  73  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

cette  importance,  sur  le  Rio  ChacOy  dans  un 
rayon  de  vingt- cinq  milles,  Les  falaises  escar- 
pées des  gorges  du  Rio  Mancos  et  des  gorges 
latérales  de  ses  tributaires  sont  littéralement 
couvertes  de  ces  ruines,  qui  ressemblent  à 
d'immenses  ruches  taillées  dans  le  roc.  Les 
gorges  profondes  du  Rio  Colorado  sont  aussi 
remplies  de  ces  grottes  artificielles,  et  l'atten- 
tion du  monde  savant  commence  à  se  porter 
sérieusement  vers  la  solution  de  ce  problème 
ethnologique.  Le  rapport  de  M.  W.  H. 
Jackson,  du  Bureau  officiel  d'exploration  de 
Washington  (1875- 1877)  donne  une  descrip- 
tion détaillée  des  habitations  de  Chettro  Kettle 
sur  le  Rio  Chaco,  et  je  vais  en  emprunter  des 
chiffres  qui  donnent  une  opinion  assez  juste 
ds  l'étendue  de  quelques  uns  de  ces  c'iff- 
dwellings.     s 

"  Dans  cette  ruine,  dit  M.  Jackson,  il  y 
avait  autrefois  un  mur,  dont  il  reste  encore 
de  nombreux  vestiges,  ayant  une  longueur  de 
935  pieds,  avec  une  hauteur  de  40  pieds, 
donnant  une  surface  de  37,400  pieds,  et  une 
moyenne  de  cinquante  blocs  ou  morceaux  de 
pierre  pour  chaque  pied  carré  de  maçonnerie  ; 
ce  qui  formait  un  total  de  2,000,000  de  mor- 


wÊÊÊÊÊÊÊm 


^ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEt/SKS    Z^l^^ 


ceaux  pour  la  surface  extérieure  du  'mur  seu- 
lement. Multipliez  ce  total  par  la  surface 
opposée  et  aussi  par  les  murailles  transver- 
sales et  latérales,  en  supposant  un  terrasse- 
ment symétrique,  et  on  arrive  à  un  total  de 
30,000,000  de  blocs  ou  morceaux  de  pierre 
et  3 1 5,000  pieds  cubes  de  maçonnerie.  Ces 
millions  de  blocs  avaient  dû  nécessairement 
être  taillés  et  ajustés  ;  les  soliveaux  qui  sou- 
tenaient les  plafonds  et  les  terrasses  supé- 
rieures avaient  été  coupés  dans  les  forêts 
éloignées,  car  il  n'y  a,  aux  environs,  aucune 
trace  de  végétation  forestière.  Ajoutez  à  cela 
les.  travaux  de  crépissure,  de  menuiserie  et 
de  décoration  murale,  et  loi  se  trouve  devant 
un  travail  gigantesque  exécuté  par  un  peuple 
L  qui  n'avait  que  les  outils  les  plus  primitifs, 

mais  qui  devait,  par  contre,  avoir  une  organi- 
sation intelligente,  industrieuse,  patiente  et 
bien  disciplinée."  ^.. 

J'ai  déjà  dit  que  les  cliff-dwell\ngs  étaient 
systématiquement  construits  dans  des  gorges 
escarpées  et  toujours  à  des  hauteurs  abruptes 
de  300  à  1000  pieds  au-dessus  du  lit  des 
torrents  et  des  rivières,  et  à  peu  près  à  la 
même  distance  en  bas  du  sommet  des  pla- 


175  S"^  ^^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

teaux  ou  des  montagnes.  Il  est  évident  que 
les  habitants,  comme  les  oiseaux  de  proie, 
plaçaient  ainsi  leurs  demeures  dans  des  en-^ 
droits  inaccessibles,  et  pour  ainsi  dire  inatta- 
quables, pour  se  protéger  contre  les  attaques 
et  les  surprises  de  leurs  ennemis.  Les  armes, 
vêtements  et  ustensiles  domestiques  qu'on  a 
trouvés  dans  les  grotte  ressemblent  d'une 
manière  étonnante  à  ceux  des  Pueblanos  d'au- 
jourd'hui, et  il  est  curieux  de  constater  que, 
comme  eux,  les  cliff-dwellers  portaient  des 
sandales  ou  souliers  tressés  de  feuilles  de 
Yucca.  J'ai  déjà  dit  qu'on  donnait  aux  Pue- 
blanos le  nom  de  nioquis  qui  veut  dire  chaus- 
sures dans  îa  langue  de  plusieurs  tribus.  Il  y 
a  donc  une  similitude  étonnante  qui  ferait 
croire  à  une  parenté  ou  à  une  filiation  entre 
les  cliff-dwellers  et  les  habitants  àç.s  pueblos  ; 
mais  ceux-ci  professent  la  plus  profonde  igno- 
rance à  ce  sujet,  et  aucune  de  leurs  traditions, 
auxquelles  ib  sont  généralement  si  fidèles,  ne 
fait  la  moindre  allusion  aux  grottes  et  cavernes 
de  ces  nations  préhistoriques. 

La  différence  qui  existe  entre  les  cliff- 
dwellings  et  les  pueblos  modernes,  c'est  que 
les  premiers  construisaient  en  pierre  sur  les 


If'IJ' 


CaMe-tête,  ornerrront»  et  outil»  trouvé»  chez  les  "  Cllff  Dweller»" 


L 


««•> 


Fouet,  tambourin,  manchettes  et  souliers,  trouvés  darts  le» 
habitsitions  des  •' Cliff  Owellers" 


■^ 


•■!  '.*.^ 


,.;is",. 


■:f,.-v  • 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  78 

flancs  abrupts  des  montagnes  escarpées,  tan- 
dis que  les  derniers  se  servent  de  briques  de 
boue  cuites  au  soleil  et  s'établissent  générale- 
ment dv*ns  la  plaine.  Tous  les  savants  du 
Smithsonian  Institute  de  Washington  ont  plus 
ou  moins  ergoté  sur  l'origine  probable  de  ces 
nations,  mais  on  n'est  guère  plus  avancé  qu'au 
premier  jour  delà  discussion.  Les  uns  pré- 
tendent que  les  cliffs-dwellings  étaient  autre- 
fois habités  par  une  nation  paisible  qui  fut 
chassée  du  pays  et  poussée  plus  loin  vers 
le  sud,  par  la  migration  des  Aztèques  qui 
venaient  du  nord  et  qui  marchaient  vers  le 
Mexique  où  ils  établirent  l'empire  de  Monte- 
zuma.  D'autres  croient  que  les  cliff-divellers 
étaient,  dès  l'origine,  des  indigènes  de  la  plaine 
qui  s'enfuirent  dans  les  montagnes  où  ils  se 
fortifièrent,  pour  échapper  à  la  cruauté  et  à 
tyrannie  des  conquistadores,  comme  on  appelle 
encore  les  premiers  conquérants  espagnols. 

Mais  cette  dernière  hypothèse  n'est  guère 
soutenable,  car  aucun  des  historiens  de  l'épo- 
que, et  ils  sont  assez  nombreux,  ne  fait  men- 
tion d'un  seul  fait  analogue.  Ce  qu'il  y  a  de 
certain,  c'est  que  ces  curieuses  habitations 
iurent  construites  comme  refuges,  et  ce  qu'il 

10 


179 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAUNES-ROCHLUSES 


y  a  d'étonnant  c'est  qu'une  nation  assez  nom- 
breuse et  assez  intelligente  pour  se  fortifier 
d'une  manière  aussi  remarquable  n'ait  pas 
préféré  la  lutte  ouverte,  la  guerre,  en.  un  mot, 
à  ce  genre  de  vie  craintive  et  misérable,  dans 
des  endroits  incommo  les  et  presque  inacces- 
sibles. J'ai  déjà  dit  qu'il  y  avait  tout  lieu  de 
croire,  par  les  nombreuses  villes  que  l'on  a  dé- 
couvertes un  peu  partout,  et  que  l'on  décou- 
vre encore  chaque  jour,  que  les  cliff-dwellers 
formaient  une  nation  qui  comptait  au  moins 
100,000  habitants.  Et  dire,  aujourd'hui,  qu'il 
ne  reste  pas  un  seul  descendant  de  cette  race 
qu'on  ne  connaît  pas  autrement  que  par  les 
ruines  qu'elle  a  laissées,  pour  nous  intéresser 
sur  son  origine  et  son  histoire  ! 

Une  seule  tribu  sauvage,  celle  des  Southern 
Utes  —  les  enfants  du  Sud,  comme  les  appe- 
laient les  vieux  trappeurs  canadiens  —  qui 
habite  aujourd'hui  la  réserve  de  San- Ignacio, 
au  sud  du  Colorado,  paraît  avoir  conservé 
un  semblant  de  légende  au  sujet  des  cliff-  -, 
dwellings,  qu'ils  croient  être  habités  par  les  ■ 
esprits  de  leurs  ancêtres  ;  et  ils  considèrent 
comme  sacrilège  toute  tentative  d'exploration 
dans  cette  direction.     Mais  il  est  évident  que 


,•  s-- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MON.TAGNES- ROCHEUSES  I?0 


cette  légende  a  été  inventée  après  coup,  car 
les  Utes  ignorent  absolument  l'art  de  cons- 
truire des  maisons  en  pierre  ;  et  leurs  vête- 
ments, et  leurs  ustensiles  domestiques  ne  res- 
semblent en  rien  à  ceux  qu'on  a  trouvés  dans 
les  grottes  et  cavernes  du  pays. 

Les  cliff-dwellers  cultivaient  les  terres  des 
hauts  plateaux  avoisinant  leurs  habitations, 
et  l'on  a  trouvé  des  canaux  d'irrigation  qui 
témoignent  aussi  de  leur  industrie  et  de  leur 
connaissance  de  l'agriculture.  J'ai  rencontré, 
à  Durango,  un  explorateur  distingué  qui  est 
engagé  depuis  plusieurs  années  à  faire  des 
études  et  des  recherches  ethnologiques  sur  les 
Indiens  du  Nouveau- Mexique  et  du  Colorado, 
pour  servir  à  une  nouvelle  édition  de  l'histoire 
des  Etats-Unis  de  Bancroft.  Il  m'a  avoué 
franchement  que  l'origine,  l'histoire  et  l'extinc- 
tion de  cette  race  préhistorique  restaient  pour 
lui  un  mystère  qu'il  n'espérait  pas  pouvoir 
percer. 

Le  pueblo  qui  se  rapproche  le  plus  des  cliff- 
dwillitigs  par  sa  construction  est  celui  de  Zuni 
dont  j'ai  déjà  dit  un  mot,  et  qui  compte  encore 
aujourd'hui  plus  de  2,000  habitants.  Il  est 
situé  à  190  milles  au  sud-ouest  de  Santa  Fé 


l8l  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


et  à  dix  milles  de  la  frontière  de  l'Arizona. 
C'était  là  une  des  "  sept  villes  de  Cibola  " 
dont  on  avait  fait  un  rapport  si  enthousiaste 
et  si  exagéré  à  Coronado,  et  la  ville  était  alors 
construite  sur  une  haute  éminence  et  défendue 
par  des  murs  de  pierre  qui  la  rendaient  pres- 
que imprenable.  'Lq  pueblo  actuel  de  Zuni, 
ou  Zuni  nuevo,  comme  disent  les  Mexicains, 
est  situé  à  quelques  milles  de  là  dans  la  plaine, 
et  est  construit  à'adobes  comme  les  autres 
pueblos  du  pays.  L'ancienne  Zuni  ou  Zuni 
viejo  fut  détruite  par  les  Espagnols,  mais  on 
en  voit  encore  les  ruines,  qui  ont  une  certaine 
analogie  avec  les  constructions  des  cliff-dwel- 
lers.  Les  Indiens  d'aujourd'hui,  cependant, 
n'ont  conservé  aucune  tradition  qui  puisse 
servir  à  éclaircir  le  mystère  qui  enveloppe  ces 
curieuses  habitations.  C'est  aussi  à  six  milles 
de  Zuni  que  se  trouve  le  fameux  rocher  où 
l'on  aperçoit  encore  l'inscription,  gravée  là 
il  y  a  trois  cent  soixante-et-quatre  ans,  en 
1526,  par  le  premier  explorateur.  Don  José 
de  Basconzalès. 

Les  Espagnols  avait  donné  à  ce  rocher 
le  nom  de  :  el  moro,  et  les  Américains  l'ap- 
pellent   inscription  rock,  à  cause  des  noni- 


/ 


IMAGES  8t  STATUETTES  do»  "CLIFF  OV/EULERS" 


';'.  "^'..cr.  :  ■.,,,<;• 


VASES  TROUVbS  CHEZ  LES  ••  CLIFF  DWELLERS 


EL 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  84 

breuses  inscriptions  en  espagnol  et  en  anglais, 
que  tous  les  voyageurs  anciens  et  modernes  se 
sont  empressés  d'y  graver  à  l'exemple  de  Bas- 
conzalès.  Ces  inscriptions  se  chiffrent  actuel- 
lement par  centaines,  et  à  côté  des  insanités 
des  Perrichon  de  notre  époque,  on  y  trouve 
des  dates  et  des  noms  de  la  plus  haute 
valeur  historique.  La  plus  curieuse  inscrip- 
tion est  probablement  celle  qu'y  grava  le 
vainqueur  de  la  grande  insurrection  de  1680, 
dont  j'ai  déjà  parlé.  Elle  se  lit  encore  comme 
suit  : 

Ici  passa  Don  Diego  de  Bargas 

pour  aller  reconquérir  la    ' 

Ville  Royale   de  Santa-Fé 

du  JVouveau-Mexique 

à  la  Couronne  Royale  d'Espagne, 

à  ses  propres  frais. 

En  Van  de  grâce  1692. 

Les  mots,  à  ses  propres  frais,  sont  aujour- 
d'hui d'un  haut  comique,  car  le  même  Diego 
de  Bargas  fut  destitué  de  ses  fonctions  de  gou- 
verneur du  pays,  en  «697,  pour  avoir,  disent 
les  documents  de  l'époque  "  employé  l'argent 
du  trésor  public  à  son  usage  particulier, 
pour  avoir  tiré  sur  le  trésor  sous  le  prétexte 


i85 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


d'y  acheter  du  maïs,  des  mulets  pour  les 
colons,  et  avoir  empoché  ces  sommes  sous 
d'autres  faux  prétextes." 

Je  ne  veux  pas  quitter  le  Nouveau- Mexique 
sans  dire  un  mot  de  son  désert,  que  les  Espa- 
gnols avaient  nommé  lajornada  del  Mtterio 
—  le  voyage  de  la  mort  —  parce  que  ceux 
qui  l'entreprenaient  y  laissaient  généralement 
leurs  os.  Ce  désert  est  situé  au  sud,  près  de 
la  frontière  mexicaine  et  occupe  une  zone 
de  terre  longue  de  cent  milles,  sur  une  largeur 
variant  de  cinq  à  trente-cinq  milles.  C'est  un 
plateau  aride,  absolument  sans  eau  et  sans 
végétation,  habité  par  les  terribles  Apaches, 
qui  ont  donné  tant  de  mal  au  gouvernement 
américain,  depuis  quelques  années.  Il  y  souf- 
fle généralement  un  vent  du  sud  ouest  qui 
rappelle  le  terrible  simoun  du  Sahara,  et  que 
les  Espagnols  appelaient  la  solana,  en  mé- 
moire des  vents  brûlants  de  la  Manche  et  de 
l'Andalousie.  ,  ;.:.:;  ;  j  . 

Les  redoutables  Apaches  trouvaient  là  iiri 
refuge  assuré  contre  les  poursuites  de  leurs 
ennemis  jusqu'à  l'époque  de  la  construction 
du  Southern  Pacific  Railivay,  qui  longe  le 
désert  en  se  dirigeant  vers  l'ouest.     Le  sifflet 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


i86 


strident  de  la  première  locomotive  a  été  le 
signal  de  la  défaite  pour  les  sauvages,  car  les 
troupes  peuvent  maintenant  se  transporter  si 
promptement  sur  toute  la  longueur  du  désert, 
qu'il  est  facile  d'en  surveiller  tous  les  points  à 
la  fois.  Les  Apaches  ont  donc  enterré  la 
hache  de  guerre,  et  la  paix  règne  aujourd'hui 
sur  tout  le  territoire  du  Nouveau-Mexique. 

Retournons  maintenant  sur  nos  pas  pour 
reprendre,  à  Pueblo,  la  route  de  Salida,  de 
Gunnison,  de  Grand  Junction  et  de  Sait 
Lake  City.       .,       .    ,     , 


187  Six  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


XIII 


ENCORE  LES  "  PENITENTES  "— DE  PUEBLO 
A  "  SALT  LAKE  CITY.  " 


Avant  d'aller  plus  loin  et  de  quitter  défini- 
tivement le  Nouveau-Mexique  pour  suivre 
mon  itinéraire  vers  le  nord-ouest,  je  traduis 
textuellement  la  dépêche  suivante  que  j'em- 
prunte au  Denver  Times  du  7  avril,  lundi  de 
Pâques,  1890. 

Fort  Garland,  Colorado,  7  avril.  —  Jeudi  et  vendredi 
de  la  semaine  sainte,  eut  eu  lieu,  ici,  parmi  les  Mexicains, 
les  cérémonies  habituelles  de  la  confrérie  des  Pénitentes. 
Pendant  ces  deux  jours,  ces  pauvres  illuminés  ont  fait 
pénitence  en  s'infligeant  les  traitements  les  plus  barbares 
et  les  plus  douloureux.  On  en  voyait  qui  se  flagellaient 
jusqu'au  sang,  avec  des  épines  de  cactus,  d'autres  qui 
portaient  des  croix  énormes,  et  d'autres  enfin  qui  sui- 
vaient la  procession,  littéralement  chargés  de  chaînes. 
Et  cela,  en  dépit  de  la  défense  la  plus  formelle  des 
autorités  religieuses.  On  doit  dire  cependant  que  la 
confrérie  des  Pénitentes  se  recrute  parmi  la  classe  la  plus 
ignorante  du  pafrs. 


'-11. -r  ■'    -      ■  ^r' 


DANS  LA  GORUE  ROYALE 


(. 


1 1'. 


i      ,.,".'; 


.■•'/•■■ 


'M: 


''■■      ■  «».'■., 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


190 


Et  ceci  se  passait,  pendant  la  semaine  sainte 
de  l'année  1890,  à  deux  cent  milles  de  Denver. 
Les  commentaires  seraient  superflus. 


La  distance  de  six  cent  quinze  milles  qui 
sépare  Pueblo  de  Sait  Lake  City  offre  peut- 
être  au  voyageur  les  panoramas  les  plus  pitto- 
resques et  les  plus  accidentés  qu'il  y  ait  au 
monfie.  Le  chemin  de  fer  poursuit  sa  course 
à  travers  le  massif  des  Montagnes- Rocheuses, 
escaladant  des  défilés  de  plus  de  10,000  pieds 
d'élévation,  et  traversant  des  gorges  et  des 
déserts  d'un  aspect  aussi  sauvage  que  mer- 
veilleux. On  s'étonne  constamment  devant 
les  difficultés  naturelles  qu'on  a  dû  vaincre  et 
les  millions  qu'on  a  dû  dépenser,  sans  espoir 
de  bénéfices  immédiats,  pour  construire  une 
voie  ferrée  dans  des  conditions  comme  celles  r 

De  Pueblo  à  Canyon  City,  la  route  suit  la 
vallée  de  l'Arkansas,  en  passant  la  ville  de. 
Florence  où  l'on  exploite  quarante  puits  de. 
pétrole,  et  où  l'on  a  construit  un  embranche- 
ment qui  conduit,  à  six  milles  de  là,  aux  mineii 


'A 
11 

4 


IM 


I  ! 

Ht 


191  SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

de  Coal  Creek.  On  commence  ici  à  gravir 
les  contreforts  de  la  première  chaîne  de  mon- 
tagnes pour  entrer  presque  immédiatement 
dan.5  une  fissure  gigantesque,  ayant  2627  pieds 
à  sa  plus  grande  profondeur,  dans  la  roche 
calcaire,  entre  des  murailles  espacées  seule- 
ment de  trente  à  soixante  pieds  au  plus,  et 
moins  quelquefois,  dans  le  fond  où  coule  la 
rivière.  On  a  donné  à  cette  gorge  imposante 
le  nom  de  Royal  Gorge,  et  la  direction  du 
Denver  and  Rio  Grande  Raihvay  a  eu  la 
bonne  idée  de  construire  des  wagons  absolu- 
ment ouverts,  qui  permettent  au  voyageur 
d'admirer,  en  filant  à  toute  vapeur,  ce  monu- 
mental caprice  de  la  nature. 

En  sortant  de  ce  col  obscur  où  la  lumière 
du  jour  peut  à  peine  pénétrer,  on  découvre, 
à  gauche,  la  superbe  chaîne  de  Sangre  de 
Cristo  avec  ses  pics  neigeux  éclairés  par  un 
soleil  brillant.  C'est  un  changement  à  vue 
absolument  féerique.  On  passe  Parkdale  et 
les  sources  chaudes  de  Wellsville  pour  arriver 
bientôt  à  Salida,  ville  de  3,000  habitants, 
située  à  un<"  élévation  de  7,049  pieds,  3217 
milles  de  Denver.  La  voie  bifurque  ici  de 
nouveau   vers   le  nord  pour  se  diriger  vers 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


192 


Leadville  et  Aspen,  les  deux  grands  centres 
miniers  du  Colorado,  où  je  conduirai  mes 
lecteurs  en  revenant  de  Sait  Lake  City. 

Nous  allons,  à  présent,  continuer  notre  route 
directement  vers  l'ouest,  et  escalader  de  nou- 
veau une  chaîne  de  montagnes  par  Marshall 
Pass,  où  la  voie  atteint  une  hauteur  de  10,856 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Les 
Américains  ont  donné  au  chemin  de  fer,  en 
cet  endroit,  le  nom  de  :  railroad  in  the 
cloîids,  un  chemin  de  fer  dans  les  nuages  ;  ce 
qui  est  littéralement  vrai,  car  on  s'élève  à 
certains  endroits,  au-dessus  des  nuages  qui 
flottent,  en  flocons  blancs,  au-dessous  du 
convoi  qui  gravit  en  les  contournant  les  flancs 
escarpés  de  la  montagne.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  répéter  ici  ce  que  j'ai  déjà  dit  de  Veta 
Pass,  au  sujet  des  dififi cultes  de  toutes  sortes 
que  l'on  a  eu  à  surmonter  pour  escalader  une 
chaîne  de  montagnes  aussi  élevées,  car  j'aurais 
à  revenir,  à  chaque  instant,  sur  les  prodiges 
de  science  et  d'énergie  dont  les  ingénieurs 
ont  constammenl#fait  preuve  dans  la  construc- 
tion des  chemins  de  fer  transcontinentaux, 
aussi  bien  au  Canada  qu'aux  Etats-Unis. 

Il  est  assez  curieux  de  citer  ici  la  descrip- 


Il' 


193 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES! 


u\ 


w 


tion  des  Montagnes-Rocheuses  faite  par  Ga- 
briel Franchère,  dans  sa  célèbre  relation  d'un 
voyage  à  la  côte  du  nord-ouest  en  18 10,  11, 
12,  13  et  14.  C'est  encore  un  Canadien  qui 
a  fait  sa  part  de  découvertes  dans  l'Amérique 
Septentrionale.  Il  faut  remarquer  que  M. 
Franchère  parle  ici  des  Montagnes-Rocheuses 
du  Canada,  qui  sont  moins  élevées  que  celles 
du  Montana,  du  Wyoming  et  du  Colorado  : 

On  parle  si,  souvent  des  Montagnes  de  Roches,  et  l'on 
paraît  les  connaître  si  j:  eu,  que  le  lecteur  doit  naturel- 
lement désirer  que  j'en  dise  ici  un  mot.  S'il  faut  s'en 
rapporter  au  dire  des  voyageurs,  et  aux  cartes  les  plus 
récentes,  ces  montagnes  s'étendent,  à  peu  près  en  ligne 
droite,  du  35e  ou  36e  dég.  de  lat.  septentrionale,  jus- 
qu'à l'embouchure  de  l'Unjiga,  ou  Rivière  McKenzie» 
dans  l'océan  Arctique,  par  les  65e  ou  66e  degrés.  Cette 
étendue  de  30  dég.  de  lat.  ou  750  lieues  communes, 
n'est  que  le  moyen  côté  d'un  triangle,  dont  le  petit  côté 
est  de  26  dég.  de  long,  par  les  35  ou  36  dég.  de  lat.  — 
c'est-à-dire  d'environ  525  h'eues,  et  dont  la  chaîne  de 
montagnes  forme  l'hypothènuse,  l'extrémité  méridionale 
de  cette  chaîne  étant  ])ar  les  114  dégrés,  et  l'extrémité 
septentrionale  par  les  140  dég.  de  long,  occidentale  ; 
en  sorte  que  la  longeur  réelle  et  diagonale  de  cette  chaîne 
de  montagnes  doit  être  d'à  peu  près  900  lieues,  du  S.-E. 
au  N.-O. 

Dans  une  aussi  grande  étendue,  la  hauteur  perpen- 
diculaire, et  la  largeur  de  la  base,  doivent  être  néces- 


w  • 


1 


LES  BUTTES  DE  GUNNISON 


.!.,':';'' V' 


l 


*' 


iV- 


.0(1  •''^;"-  '. .      ■     . 

■  ■■";> 


"  ^'  V* 


•V- 


'■r 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  96 


sairement  fort  inégales.     Nous  mîmes  à  peu  près  quatre 
jours  à   les   traverser  ;    d'où  je  conclus.,   par   le   che- 
min que  nous  dûmes  faire,  qu'elles  peuvent  avoir,  en 
cet  endroit,  c'est-à-dire,  vers  le  54e  degré  de  latitude, 
une   quarantaine   de   lieues  de  largeur.     Le  géographe 
Pinkerton  se  trompe  assurément,  quand  il  ne  donne  à 
ces  montagnes  que  3,000  pieds  d'élévation  au-dessus  du 
niveau   de  la  mer  ;  d'après  mes  propres  observations, 
je  n'hésiterais  pas  à  leur  en  donner  6,000  ;  nous  nous 
élevâmes  très  probablement  à  1,500  pieds  au-dessus  du 
niveau  des  vallées,  et  nous  n'étions  peut-être  pas  à  la 
moitié  de  la  hauteur  totale  ;  et  les  vallées  doivent  être 
elles-m^mes  considérablement  au-dessus  du  niveau  de 
l'Océan  Pacifique,  vu  le  nombre  prodigieux  de  rapides 
que  l'on  rencontre  dans  la  Columbia,  depuis  les  chutes 
jusqu'à  la  rivière  au  Canot.     Quoi  qu'il  en  soit,  si  ces 
montagnes   le   cèdent  aux    Andes   en    hauteur   et  en 
étendue,  elles  surpassent  de  beaucoup,  sous  ces  deux 
rapports,  les  Apalaches,  regardées  jusqu'à  ces  derniers 
temps  comme  les  principales  montagnes  de  l'Amérique 
Septentrionale  ;  aussi  donnent-elles  naissance  à  une  infi- 
nité de  rivières,  et  aux  plus  grands  fleuves  de  ce  conti- 
lîent. 

Ces  montagnes  offrent  un  champ  vaste  et  neuf  à 
l'histoire  naturelle  ;  nul  botaniste,  nul  minéralogiste,  ne 
les  a  encore  examinées.  Les  premiers  voyageurs  les 
ont  appelées  Montagnes  Luisantes,  à  cause  d'un  nombre 
infini  de  cristaux  de  roche,  qui  en  couvrent,  dit-on,  la 
surface,  et  qui,  lorsqu'elles  ne  sont  pas  couvertes  de 
neige,  ou  dans  les  endroits  où  elles  n'en  sont  pas  cou- 
vertes, réfléchissent  au  loin  les  rayons  du  soleil.  Le  nom  ]\ 


I 


197 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNEà-ROCHEUSES 


de  Montagnes  de  Roches  ou  Rocheuses  par  excellence, 
leur  a  probablement  été  donné  par  ceux  qui  les  ont 
traversées  ensuite,  à  cause  des  énormes  rochers  qu'elles 
offraient  çà  et  là  à  leur  vue  Effectivement,  le  Rocher 
à  Miette,  et  celui  de  M'Gillivray  surtout,  m'ont  presque 
paru  des  merveilles  de  la  nature.  Quelques-uns  pensent 
qu'elles  renferment  des  métaux  et  des  pierres  précieuses. 

A  l'exception  du  mouton  blanc  et  de  l'ibex,  les  ani- 
maux des  Montagnes  de  Roches,  si  ces  montagnes  en 
nourrissent  de  particuliers,  ne  sont  pas  plus  connus  que 
leurs  productions  minérales  et  végétales.  Le  mouton 
blanc  se  tient  ordinairement  sur  des  rochers  escarpés, 
où  il  est  presque  impossible  aux  hommes,  et  mêhie  aux 
loups,  de  l'aller  chercher  ;  nous  en  vîmes  plusieurs  sur 
ceux  qui  entourent  le  Fort  des  Montagnes.  Cet  animal 
a  les  cornes  grosses  et  tournées  circulairement,  comme 
celles  du  bélier  domestique  ;  il  a  la  laine  longue,  mais 
grossière  ;  celle  du  ventre  est  la  plus  fine  et  la  plus 
blanche.  Les  sauvages  qui  habitent  près  des  montagnes 
font  avec  cette  laine  des  couvertures  à  peu  près  sem- 
blables aux  nôtres,  qu'ils  échangent  avec  ceux  des  bords 
de  la  Columbia,   pour  du  poisson,  de  la  rassade,  etc., 

L'ibex  est  une  espèce  de  chèvre,  qui  fréquente,  comme 
le  mouton,  le  sommet  et  les  fentes  des  rochers  ;  il  diffère 
de  ce  dernier,  en  ce  qu'il  a  du  poil,  au  lieu  de  laine,  et 
n'a  pas  les  cornes  circulaires,  mais  seulement  rejettées 
en  arrière.  La  couleur  ft'est  pas  non  plus  la  même.  Les 
indigènes  font  bouillir  les  cornes  de  ces  animaux,  et  en 
fabriquent  ensuite  ^artistement  des  cuillères,  de  petits 
plats,  etc. 


■'.'"■,'i  '1:  '' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  I  98 


Je  vais  maintenant  me  borner  à  donner  un 
apierçu  géographique  et  commercial  du  pays 
montagneux  qui  sépare  Denver  de  Sait  Lake 
City,  jcar  ces  contrées  n'ont  pas  d'histoire,  et 
les  quelques  villes  que  l'on  rencontre  comptent 
à  peine  dix  à  quinze  ans  d'existence.  La  pre- 
mière station  importante  que  l'on  rencontre  à 
l'ouest  de  Marshal  Pass  est  la  ville  de  Gunni- 
son  qui  compte  une  population  de  2,500  habi- 
tants, et  qui  est  le  centre  commercial  d'une  val- 
lée fertile  arrosée  par  la  rivière  Gunnison. 

Ici,  comme  partout  dans  les  montagnes,  on  a 
découvert  des  mines  dont  l'exploitation  ajoute 
largement  à  la  prospérité  des  villes  naissantes 
et  à  l'alimentation  du  chemin  de  fer.  L'hôtel 
de  la  Veta,  à  Gunnison,  est  un  superbe  édifice 
qui  a  coûté  $225,000,  et  qui  sert  de  buffet. 
Les  voyageurs  peuvent  y  prendre  un  repas 
succulent.  De  nombreux  touristes,  pendant 
la  belle  saison,  viennent  ici  pour  la  chasse  du 
gros  gibier  qui  abonde  dans  la  montagne,  et 
pour  la  pêche  de  la  truite,  que  l'on  trouve  dans  il 

les  lacs  et  les  petit'es  rivières  des  environs. 

Il  y  a  encore  ici  un  embranchement  du 
chemin  de  fer  qui  va  jusqu'au  Crested  Butte, 
à  une  distance  de  vingt-huit  milles,  où  l'on  a 


I  99  ^'X  '^'OÏS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

découvert  d'abondantes  mines  d'un  charbon 
anthracite  que  l'on  dit  être  d'aussi  bonne  qua- 
lité que  le  meilleur  charbon  de  la  Pennsyl- 
vanie. La  ligne  principale  se  continue^  tou- 
jours vers  l'ouest  et  un  nouvel  embranchement 
de  trente-six  milles,  à  Sapinero,  se  dirige  vers 
la  petite  ville  de  Lake  City  où  de  riches  mines 
d'argent  ont  été  mises  en  exploitation  depuis 
quelques  années. 

Quelques  milles  plus  loin,  sur  l'artère  prin- 
cipale, on  entre  dans  une  nouvelle  gorge  non 
moins  intéressante  et  non  moins  profonde  que 
la  Royal  Gorge,  et  que  l'on  a  surnommée  le 
Black  Canyon,  à  cause  de  l'obscurité  relative 
qui  y  règne  continuellement  et  de  la  couleur 
sombre  des  flancs  escarpés  de  la  montagne. 
Cette  gorge  a  quatorze  milles  de  longueur. 
On  y  remarque  spécialement  une  cascade 
superbe  qui  tombe  d'une  hauteur  vertigineuse, 
et  un  pic  très  curieux  qui  s'élève  abruptement 
comme  un  obélisque  monstre,  et  que  l'on  a 
nommé  le  C^irrecanti  Needle.  On  m'a  dit 
que  les  Indiens  y  tenaient  des  conseils  et 
des  assemblées  solennelles,  lors  des  premières 
explorations  du  pays.  Un  peu  plus  loin,  on 
suit  encore  les  sinuosités  d'une  nouvelle  gorge 


LES  GORGES  DE  LA  GUNNISON 


ÉÉÉÉÉÉÉiÉiiiÉllllll 


'■    f.«i';  «■;'■■    -'X' 


<-;.-■  -s..  . .. 


•1  :  ::f': '■;.■...'' 


''  -;"'*    ' 


•y   • 


'■'','*'",. 


l 

SIX  M«IS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  202 

avant  d'arriver  à  la  jolie  ville  de  Montrose, 
située  à  trois  cents  cinquante-trois  milles  de 
Denver,  à  une  altitude  de  5,811  pieds,  au 
milieu  de  la  vallée  de  la  rivière  Uncompahgre, 
C'est  ici  que  le  chemin  de  fer  bifurque  encore 
au  sud  pour  aller  jusqu'à  Ouray,  ville  minière 
très-importante,  dont  j'ai  déjà  parlé  dans  un 
des  chapitres  précédents. 

Toujours  en  continuant  notre  voyage  vers 
l'ouest,  on  passe  Delta,  petit  village  de  cinq 
cents  habitants,  pour  arriver,  soixante-et-douze 
milles  plus  loin,  à  la  ville  de  Grand  Junction 
située  à  quatre  cents  vingt-cinq  milles  de 
Denver,  au  confluent  des  rivières  Gunnison  et 
Grande,  dans  un  pays  célèbre  déjà  par  la 
culture  des  fruits.  C'est  ici  que  la  division 
nord  du  Denver  et  Rio  Grande  Railway,  qui 
dessert  les  villes  minières  de  Leadville,  Red 
Cliffy  Aspen  et  Glenwood  Springs,  se  raccorde 
à  la  ligne  principale  qui  se  continue  toujours 
à  l'ouest  vers  Sait  Lake  City  et  Ogden. 

La  rivière  Grande,  qui  prend  sa  source  dans 
les  montagnes  du  iford  du  Colorado,  se  jette, 
plus  au  sud,  dans  la  célèbre  Rio  Colorado  — 
rivière  rouge  —  dont  les  gorges  merveilleuses 
sont  restées,  jusque  aujourd'hui  dans  le  do- 
11 


203  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHRUSES 


maine  de  la  légende.  La  rivière  Rouge  tra- 
verse les  territoires  de  TUtah  et  de  l' Arizona 
pour  se  jeter,  après  un  parcours  de  huit  cents 
milles,  dans  le  golfe  de  Californie.  Les  eaux 
de  la  rivière  ont  creusé  partout  sur  leur  pas- 
sage, dans  le  sol  et  dans  le  roc  vif,  une  gigan- 
tesque crevasse  qui  varie  en  profondeur  de 
2000  à  6000  pieds,  et  qui  se  continue  ainsi 
jusqu'à  la  mer,  en  taillant  son  lit  à  travers  les 
plaines,  les  plateaux  et  les  montagnes. 

Ces  gorges  incomparables  sont  encore  rela- 
tivement inconnues,   bien  qu'on  ait  tenté,   à 
deux  reprises,  de  les  explorer.  Le  major  Powell 
du  bureau   d'exploration  et   d'arpentage  de 
Washington  avait  réussi,  au  prjx  de  grands  ) 
dangers,  à  suivre  le  lit  de  la  rivière,  sur  une 
distance   assez    considérable,    mais    il   avait 
reculé  devant  des  cataractes,  des  remous  et  des 
rapides  qui  présentaient  des  difficultés  de  pas- 
sage qu'il  consj  ^ '-pit  comme  insurmontables. 
Un  ingénieur  ^nver,  Robert  B.  Stanton, 

organisait  06,  une  expédition  dans  le  but 

d'explorer  iv-  /^io  Colorado  jusqu  h  son  embou- 
chure, mais  ses  premiers  efforts  furent  contre- 
carrés par  le  naufrage  de  ses  bateaux  et  la 
mort   de  quelques-uns  de  ses   compagnons. 


« 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTA(;NES.KOCHKUSES  2O4 

Il  fut  forcé  de  rebrousser  chemin  et  de  venir 
se  ravitailler  à  Denver,  car  il  n'avait  pas  aban- 
donné le  dessein  de  pénétrer  le  mystère  des 
gorges  de  la  rivière  Rouge.  Il  organisa  une 
nouvelle  expédition,  et  reprit,  en  décembre 
1889,  le  chemin  du  Grand  Canyon  of  the  Colo- 
rado, bien  décidé,  cette  fois,  à  pousser  son 
entreprise  jusqu'au  bout,  si  la  chose  était 
humainement  possible.  Ses  derniers  efforts 
ont  été  couronnés  de  succès  et  M.  Stanton, 
a  fait  son  rapport  officiel  aux  directeurs  pro- 
visoires du  Denver,  Colorado  Canyon  and  Pa- 
cific Raihvay.  Je  dis  rapport  officiel,  car  M. 
Stanton  a  joint  l'utile  à  l'agréable  en  explorant 
les  gorges  du  Rio  Colorado,  et  ce  sont  des 
capitalistes  qui  lui  avaient  fourni  les  fonds 
nécessaires  pour  la  réussite  d'une  expédition 
aussi  hasardeuse.  N'est  ce  pas  que  cette  idée 
de  vouloir  construire  une  voie  ferrée  dans  le 
lit  d'un  fleuve  qui  roule  ses  eaux  tumultueuses 
à  une  profondeur  moyenne  de  tpis  ou  quatre 
mille  pieds,  est  absolument  dans  le  carac- 
tère américain  qui*ne  recule  devant  rien  et 
qui  trouve  généralement  moyen  de  tourner 
les  plus  grandes  difficultés  à  son  avantage 
commercial. 


205  S^^  ^^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

C'était,  cependant,  une  passion  plus  forte 
que  celle  de  l'argent  qui  avait  engagé  des 
Canadiens-français  à  explorer  le  jRïo  Colorado 
à  une  époque  ou  la  géographie  du  pays  était 
encore  généralement  ignorée  ;  c'était  la  passion 
des  aventures  et  l'attrait  de  l'inconnu. 

M.  Stanton  raconte  qu'un  matin,  en  aval 
d'un  rapide  dangereux  qu'il  venait  de  franchir 
avec  ses  compagnons,  il  crut  apercevoir  une 
inscription  sur  la  falaise,  près  d'un  endroit  où 
une  accalmie  permettait  d'arrêter  les  bateaux. 
Il  s'approcha  et  lut  avec  surprise  ces  mots 
gravés  profondément  dans  le  roc  : 

I.  JULIEN— 1833 

M.  Stanton  dit  lui-même  qu'il  est  de  toute, 
évidence  que  des  voyageurs  canadiens  ont 
passé  par  là  trente-six  ans  avant  la  première 
exploration  du  major  Powell  en  1869,  et  à 
une  époque  ou  le  pays  n'avait  pas  encore  été 
officiellement  exploré  par  le  gouvernement 
des  Etats-Unis.  Et  voici  qui  paraît  encore 
aussi  curieux.  En  co'ntinuant  leur  voyage  à 
travers  les  mille  périls  des  cataractes,  des 
rapides,  des  remous  et  des  fureurs  du  fleuve, 


LES  GORGES  OU  RIO  COLORADO 


r 


f^t- 


r/ 


a.    >i; 


'.'■4       ,     ■/.■'■ 


ïd  ,  t""/':*^' 


' ,.'  •  <."'* 


.  '!"< 


.;      1  . 


!.      C 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUbES  20 8 

à  une  profondeur  de  plus  de  5,000  pieds,  M. 
Stanton  et  ses  compagnons  aperçurent  un 
matin,  à  leur  suprême  étonnement,  un  mineur 
solitaire  qui  cherchait  des  paillettes  d'or  dans 
les  sables  de  la  rive,  à  un  endroit  où  le  fleuve 
s'élargissant,  formait  une  grève  assez  considé- 
rable. Et  ce  mineur  qui,  depuis  plus  d'un  an, 
vivait  ainsi  seul,  de  chasse  et  de  pêche,  en 
cherchant  de  l'or  dans  le  lit  du  Rio  Colorado, 
c'était  encore  un  Canadien-français  ;  il  s'appe- 
lait/^^/^!;^;  Zfl:«//^r.  '^ 
.  Cela  se  passait  au  mois  de  janvier  1890,  et 
il  me  serait  difficile  de  citer  deux  preuves 
plus  convaincantes  et  plus  authentiques  que 
la  présence  de  ces  Canadiens  :  Julien,  en  1833, 
et  Lantier,  en  1890,  dans  les  gorges  inexplo- 
rées du  Colorado,  à  l'appui  de  la  théorie  que 
j'ai  déjà  émise,  au  sujet  de  la  découverte  et 
de  l'exploration  première  de  tous  les  pays  qui 
constituent  le  massif  des  Montagnes-Rocheu- 
ses par  les  trappeurs  et  les  voyageurs  de 
nationalité  franco-canadienne. 

En   quittant    Grand  Junction,   on    passe 
Fruitvale,  puis  on  s'engage  sur  des  plateaux 


209  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSESi 

arides,  que  l'on  a  surnommés  le  désert  du 
Colorado.  Sur  un  parcours  de  deux  centmilles, 
on  n'aperçoit  pas  le  moindre  signe  de  végé- 
tation, si  ce  n'est  des  buissons  de  sauge  —  sage 
brushes  —  qui  poussent  ça  et  là  sur  la  croûte 
grisâtre  de  la  terre  cuite  par  le  soleil.  On  pré- 
tend, cependant,  qu'il  serait  possible  de  rendre 
ce  pays  propre  à  la  culture  en  construisant 
des  canaux  d'irrigation  qui  y  apporteraient 
l'eau  de  la  rivière  Grande,  mais  personne,  jus- 
qu'à présent  n'a  encore  entrepris  d'en  faire 
l'essai.  Il  reste  encore  trop  de  terres  fertiles  et 
inoccupées  pour  qu'on  s'amuse  à  fertiliser  les 
déserts,  par  des  travaux  difficiles  et  extrême- 
ment coûteux.  On  aperçoit  toujours,  dans  la 
distance,  des  chaînes  de  montagnes  couvertes 
de  neige,  ce  qui  varie  un  peu  le  paysage  qui, 
sans  cela,  deviendrait  monotone  et  ennuyeux. 
A  cinq  cent  quarante-quatre  milles  de  Denver, 
on  aperçoit  enfin  la  Green  River,  la  rivière 
Verte,  où  l'on  commence  de  nouveau  l'ascen- 
sion des  monts  Wasatch.  J'allais  oublier  de 
dire  qu'à  cinquante  milles  à  l'ouest  de  Grand 
Junction  nous  avions  traversé  la  frontière  du 
territoire  de  l'Utah,  et  que  nous  étions  ac- 
tuellement dans  le  pays  des  Mormons.     On 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  2  lO 

passe  plusieurs  petites  stations  de  peu  d'im- 
portance, et  l'on  arrive  à  la  petite  ville  de  Price* 
située  dans  la  vallée  et  sur  les  bords  de  la 
rivière  du  même  nom,  à  six  cent  onze  milles 
de  Denver.  A  quatre-vingt  milles  au  nord, 
se  trouve  le  fort  Duchêne,  poste  militaire 
important,  construit  sur  une  réserve  indienne 
de  4,000,000  d'acres,  où  vivent  2,500  sau- 
vages sous  la  tutelle  du  gouvernement  de 
Washington.  Ce  poste  porte  le  nom  d'un 
célèbre  trappeur  canadien  qui  accompagnait 
le  général  Fremont,  comme  guide,  lors  de  ses  ;  < 
explorations  de  1842,  43  et  44.     i    ^'  ^; 

A  six  milles  au-delà  de /*r2V^,  on  passe  Grj//^  . 
Ga(e,   situé   à  l'entrée   du   défilé    du   même 
nom.     Cette  petite   ville   est  ainsi  nommée   '     , 
parce  que  deux  énormes  rochers,  taillés  per- 
pendiculairement, simulent  assez  bien  les  por-  ,   ; 
tes  monumentales  d'une  forteresse  qui  aurait 
pu  être  construite  par  des  géants.    On  atteint 
bientôt  le  sommet  des  Wasatch,  par  un  défilé 
d'une  altitude  de  7,465  pieds,  et  l'on  descend 
ensuite   à   l'oues^  pour   se   trouver   dans  la 
superbe  et  fertile  vallée  de  l'Utah,  à  une  dis- 
tance de  six  cent  soixante-et-dix- neuf  milles  :        ^" 
de  Denver.   On  tombe  ici  dans  un  pays  admi- 


iilîl 


211  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES      ^\ 

rablement  cultivé,  où  les  habitations  se  grou- 
pent autour  des  villes  de  Springville,  de 
Provo,  de  Lehigh,  de  Draper,  jusqu'à  Sa/^ 
Lake  City.  % 

Sur  une  distance  de  trente-six  milles,  on 
côtoie  les  rives  du  lac  Utah,  et  l'on  aperçoit 
enfin  dans  le  lointain  le  dôme  du  tabernacle 
et  les  tours  inachevées  du  temple  des  Saints 
du  dernier  jour,  comme  les  Mormons  s'ap- 
pellent eux-mêmes,  avec  une  modestie  qui 
fait  honneur  à  leur  crédulité.  La  vallée  de 
rUtah  est  enfermée  entre  deux  chaînes  de 
hautes  montagnes,  à  l'est  par  les  monts 
Wasatch  et  à  l'ouest  par  les  Monts  Oquirrh. 
Une  petite  rivière,  à  laquelle  les  Mormons  ont 
donné  un  nom  biblique,  le  Jourdain,  réunit  les 
eaux  du  lac  Utah,  aux  eaux  du  grand  lac 
salé  à  quelques  milles  de  Sait  Lake  City- 
On  sait  que  le  fleuve  du  Jourdain,  en  Pales- 
tine, dans  les  eaux  duquel  Jésus-Christ  fut 
baptisé  par  Jean- Baptiste,  réunit  les  eaux  de 
la  mer  de  Galilée  aux  eaux  de  la  Mer- Morte. 
Les  Mormons,  toujours  pour  suivre  la  tradi- 
tion, baptisent  leurs  néophytes  dans  les  eaux 
du  Jourdain  de  l'Utah,  car  ils  se  piquent  spé- 
cialement d'imiter  en  tout  la  tradition  biblique 


CASTLE  GATE 


-  ^--y-J'-'^'*^'^' 


'^tff^^^^'^S^'^M' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  214 


et  évangélique  de  l'Ancien  et  du  Nouveau- 
Testament. 


\ 


\  s, 


'»;■,  ■'..  .•-■'* 


21 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


•J  '■ 


XIV 


AU  PAYS  DES  MORMONS 


/  ^■^ 


J'ai  déyà  dit  que  le  territoire  de  l'Utah  avait 
été  exploré,  en  1833,  par  le  capitaine  Bonne- 
ville,  qui  découvrit  le  grand  lac  salé,  et  plus 
tard,  en  1843,  P^i*  le  général  Fremont,  qui  fit 
un  rapport  officiel  au  gouvernement  améri- 
cain sur  les  contrées  environnantes.  Mais  le 
pays  ne  fut  colonisé  que  quatre  ans  plus  tard 
par  le  président  Brigham  Young  de  l'Eglise 
des  Mormons,  qui  entra  dans  la  vallée  de 
rUtah,  le  24  juin  1847,  à  la  tête  de  cent 
quarante-sept  pionniers,  et  qui  choisit  immé- 
diatement le  site  actuel  de  Sait  Lake  City 
pour  l'établissement  de  sa  colonie.  Les  Mor- 
mons avaient  quitté  l' Illinois,  l'année  précé- 
dente, et  la  caravane  avait  mis  près  d'un  an 
à  traverser  le  pays,  alors  sauvage,  qui  sépare 


SIX  RIOIS.DANS  LES  MONTAGNES-R(3CHEUSES 


216 


rUtah  des  bords  du  Mississipi.  De  nom- 
breuses caravanes  les  suivirent  bientôt,  et  la 
population  s'accrut  dans  de  telles  proportions, 
que  le  pays  fut  organisé  en  territoire,  avec  un 
gouvernement  régulier,  au  mois  de  septembre 
1850.  Brigham  Young  en  fut  nommé  le  pre- 
mier gouverneur,  par  le  gouvernement  de 
Washington,  et  la  ville  de  Sa/^  Lake  City  fut 
politiquement  organisée,  le  11  janvier  1851. 
Les  Mormons  qui  habitaient  exclusivement 
le  pays  à  cette  époque,  faisaient  une  propa- 
gande énergique  dans  les  Etats  de  l'Est,  aussi 
bien  que  dans  les  pays  du  nord  de  l'Europe, 
particulièrement  parmi  les  Anglais  et  les 
Scandinaves. 

De  nombreux  néophytes,  venaient  conti- 
nuellement se  joindre  à  la  colonie  naissante 
et  les  Saints  des  derniers  jours  jetèrent 
les  bases  d'une  colonie  nombreuse  et  pros- 
père. Jusqu'à  la  date  de  la  construction  du 
premier  chemin  de  fer,  en  1871,  les  Mormons 
vécurent  chez  eux  en  restant  complètement 
étrangers  aux  relations  du  dehors,  et  Brigham 
Young  était  littéralement  l'autocrate  du  nou- 
veau territoire  habité  par  ses  disciples.  Les 
étrangers,  ou  les  Gentils,  cor^me  les  Mormons 


■il 


\ 


2.1^  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


appellent  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  de  leur 
Eglise,  commencèrent  à  émigrer  vers  cette 
époque,  et  en  1890,  pour  la  première  fois 
clans  l'histoire  du  pays,  les  élections  munici- 
pales de  Sait  Lake  City  ont  eu  pour  résultat 
d'enlever  le  contrôle  des  affaires  des  mains 
des  chefs  de  cette  puissance  oligarchie.  Je 
vais,  avant  d'aller  plus  loin,  faire  un  résumé 
historique  de  la  fondation  de  la  secte  des 
Mormons,  par  leur  prophète  Joseph  Smith,  en 
1827. 

Lors  de  la  confusion  des  langues,  après 
la  construction  de  la  tour  de  Babel,  le  Sei- 
gneur, selon  la  croyance  des  Mormons,  aurait 
conduit  un  petit  peuple  vers  les  rives  du 
continent  américain  ;  et  ce  peuple,  après  avoir 
traversé  l'océan  sur  huit  vaisseaux,  serait  de- 
venu une  nation  puissante  qui  habita  l'Amé- 
rique durant  1,500  ans,  mais  qui  fut  détruite, 
600  ans  avant  Jésus-Christ,  pour  s'être  adon- 
né  à  des  pratiques  païennes  et  idolâtres.  Une 
nouvelle  colonie  d'IsraéliteS,  de  la  tribu  de 
Joseph,  vint  aussitôt  rep  .upler  l'Amérique, 
mais  les  nouveaux  venus  se  divisèrent  bientôt 
en  deux  puissantes  factions,  sous  les  ordres  de 
deux  chefs  nommés  Nephi  et  Lamah.    Leurs 


r 
> 

o 

I 
> 

z 
m 

o 
m 
v> 


in 

> 

O 

XI 


o 
m 

o 

3J 


m 


-■  vv..^.^;- 


■.^^■■■■" 


Vf' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  2  20 


partisans  étaient  connu  respectivement  sous 
les  noms  de  Nephites  et  Lamaniies.  Les  Ne- 
phites  continuèrent  la  saine  tradition  et  sui- 
virent les  lois  du  Seigneur.  Les  Lamanites, 
au  contraire,  devinrent  un  peuple  méchant, 
mais  puissant,  qui  détruisit  les  Nephites,  vers 
l'an  400  de  l'ère  chrétienne.  Mormon,  qui 
était  un  prophète,  vivait  vers  cette  époque,  et 
il  reçut  l'ordre  du  Seigneur  d'écrire  l'histoire 
de  ses  ancêtres  et  des  prophéties  divines  qui 
leur  avaient  été  révélées,  avant  leur  destruc- 
tion par  les  Lamanites.  ' 

Il  commença  le  travail  qui  fut  terminé  vingt 
ans  plus  tard  par  son  fils  Moroni,  et  le  tout, 
gravé  sur  des  tablettes  d'or,  fut  enfoui  dans 
une  colline  appelée  Cumorah  et  située  dans 
le  township  de  Manchester,  comté  d'Onta- 
rio, état  de  New-York.  Ces  archives  sacrées 
furent  découvertes,  le  22  septembre  1827, 
par  le  prophète  Joseph  Smith,  qu'un  ange  ré- 
vélateur avait  conduit  en  cet  endroit.  Les 
tablettes  d'or  avaient  été  déposées  dans  un 
coffre  de  pierre  cimenté  avec  soin,  et  le  tout 
fut  trouvé  dans  le  plus  parfait  état  de  pré- 
servation, avec  deux  pierres  transparentes 
qui  permirent  au  prophète  de  traduire  et  d'in- 


221  SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

terpréter  les  caractères  égyptiens  de  ces  re- 
lations curieuses.  Trois  témoins,  nommés  res- 
pectivement Oliver  Cowdrey,  David  Whit- 
mer  et  Martin  Harris,  assistaient  aux  fouilles 
faites  par  Joseph  Smith  et  certifièrent  que  la 
découverte  du  livre  sacré  était  parfaitement 
authentique.  C'est  de  cette  époque  que  date 
l'organisation  de  X Eglise  de  y ésus- Christ  des 
Saints  du  dernier  jour  —  Church  oj  yesus- 
Christ  of  laUer-day  Saints.  Joseph  Smith 
commença  la  prédication  de  la  nouvelle  doc- 
trine, et  un  grand  nombre  de  néophytes  se 
joignirent  à  lui,  dès  les  premiers  jours. 

Les  Mormons  émigrèr^nt  d'abord  à  Kirt- 
land,  Ohio,  où  ils  construisirent  un  temple, 
en  1833  ;  plus  tard,  en  1838,  ils  élevèrent  un 
nouveau  temple  à  Far- West,  Missouri  ;  en 
1841  ils  s'établirent  à  Nauvoo,  dans  ^"Mlinois, 
où  ils  devinrent  très  nombreux,  et  où  lis  élevè- 
rent un  troisième  temple,  qui  fut  inauguré  par 
de  grandes  cérémonies  le  3  mai  1846.  Les  po- 
pulations environnantes  s'émurent  de  leur  pré- 
sence en  cet  endioit,  et  devinrent  hostiles  en 
face  de  l'accroissement  rapide  du  nombre  des 
Saints  du  dernier  jour.  Une  émeute  éclata 
bientôt  ;  le  prophète  Joseph  Smith  fut  tué 


..?' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  22  2 

dans  la  mêlée,  et  le  temple  devint  la  proie  des 
flammes.  C'est  alors  que  le  nouveau  prési- 
dent Brigham  Young,  se  mit  à  la  tête  de  ses 
disciples  et  se  dirigea  vers  l'Ouest,  pour 
aller  s'établir  définitivement  dans  la  vallée  de 
rUtah,  où  il  mourut  en  1877.  Il  est  curieux 
de  constater  que  les  biens  des  Mormons,  dans 
riUinois,  furent  achetés  par  la  fameuse  com- 
munauté socialiste  française  d'Etienne  Cabet 
qui  mourut  à  Saint-Louis,  quelques  années 
plus  tard,  après  avoir  assisté  à  l'effondrement 
de  son  système  et  à  la  dispersion  de  ses  : 
adhérents. 

La  croyance  des  Mormons  est  basée  sur 
l'Ancien  et  le  Mouveau-Testament  aussi  bien 
que  sur  les  révélations  de  Mormon,  qui 
comprennent  les  livres  de  Nephi,  de  Jacob, 
d'Enos,  de  Jarom,  de  Mo:iah,  de  Zeniff, 
d'Alma,  d'Helaman,  de  Mormon,  d'Ether  et 
de  Moroni.  —  Ce  troisième  Testament,  comme 
ils  l'appellent,  forme  un'volume  de  623  pages, 
petit  texte,  plus  considérable  que  le  Nouveau- 
Testament,  et  le  $tyle  ressemble  beaucoup  à 
celui  des  anciens  livres.  Le  tout  forme  un 
récit  assez  obscur  des  événements  qui  se 
rattachent    à   la    prétendue   découverte    de 


-■1. 


223 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


l'Amérique  par  les  anciens,  et  à  la  destruc- 
tion  de   ces   peuples   par  les    Lamanites. 

Pour  terminer,  j'emprunte  au  volume  inti- 
tulé :  Mormon  Doctrine,  les  treize  articles  de 
foi  de  \ Eglise  de  y ésus-Christ  des  Saents 
des  derniers  jours  rédigés  par  leur  premier 
prophète,  Joseph  Smith.  Je  traduis  textuelle- 
ment : 


'>?y* 


1  —  Nous  croyons  en  Dieu,  le  Père  Eternel,  en  son 
fils  Jésus-Christ,  et  en  le  Saint-Esprit. 

2  —  Nous  croyons  que  tous  les  hommes  seront  punis 
pour  leur  propres  péchés  et  non  pas  pour  le  péché 
d'Adam.  . 

3  —  Nous  croyons  que  par  l'expiation  du  Christ,  toute 
l'humanité  peut  être  sauvéej  en  obéissant  aux  lois  et 
aux  préceptes  de  l'Evangile. 

4  —  Nous  croyons  que  ces  préceptes  sont  :  i»  La  foi 
en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  2°  le  repentir  ;  3"  le 
baptême  par  immersion,  pour  la  rémission  des  péchés  ; 
4"  l'imposition  des  mains  et  les  dons  du  Saint-Esprit. 

5  —  Nous  croyons  qu'un  homme  peut  recevoir  les 
dons  de  Dieu  par  la  prophétie  et  l'imposition  des  mains 
de  ceux  qui  ont  reçu  de  Dieu  l'autorité  de  prêcher 
l'Evangile  et  d'administrer  ses  préceptes. 

6  —  Nous  croyons  à  la  même  organisation  hiérarchi- 
que qui  existait  dans  l'Eglise  primitive,  c'est-à-dire  les 
apôtres,  les  prophètes,  les  pasteurs,  les  professeurs,  les 
évangélistes,  etc. 


lUik  ^  .i^tfM^^ I* ^l.:t  ÂikA.'ij  ^j 


/ta.  ,■!;••>:  •'7,'r->  ■^.TT'-'HV'V  ■~''î'.''.,r      '         ■'    ■  *^V  '"     7'' 


'';"■;;■''; a:' ■  '■ 


■,.■,  ,1^  M  7  'TTr  r  ■  iv 


> 

«/> 

> 


> 

(A 


< 

m 

Vt 

> 
z 

H 
O 

o 
o 

ô 
m 

z 

H 
> 

r 


'i   ;•■  ■•^ir^V\:>' /T '■[[■■:. y^;:mr'y'_ 


•Y,     a;f 


"'''.*''■■  ^ 


?v  : 


V    '.**V'^'' 


,,;,'i 


m 


SIX  MOIS  DANS  LES  MOMTAGNES-ROCHEUSES  220 


7 — Nous  croyons  aux 'dons  des  langues,  de  la  pro- 
phétie, des  révélations,  des  visions,  des  guérisons,  de 
l'interprétation  des  langues,  etc. 

8  —  Nous  croyons  que  la  Bible  est  la  parole  de  Dieu 
en  autant  qu'elle  a  été  traduite    correctement  ;    nous 
croyons  aussi  que  le  livre  de  Mormon  est  la  parole  de 
Dieu. 

9  —  Nous  croyons  à  tout  ce  que  Dieu  a  révélé,  à  tout 
ce  qu'il  révèle  maintenant,  et  nous  croyons  qu'il  révélera 
encore  de  grandes  chosçs  qui  appartiçnnent  au  royaume 
éternel,  '         ' 

10  —  Nous  croyons  littéralement  au  rassemblement 
d'Israël  et  à  la  restauration  des  dix  Tribus.  Nous  croyons 
que  le  Christ  régnera  personnellement  sur  cette  terre,  et 
que  cette  terre  sera  renouvelée  et  recevra  la  gloire  du 
paradis.  . 

1 1  —  Nous  réclamons  le  privilège  d'adorer  Dieu  selon 
la  voix  de  nos  consciences,  et  nous  reconnaissons  à  tous 
les  hommes  le  même  privilège,  quelle  que  soit  la  forme 
ou  le  fond  de  leur  culte. 

12  —  Nous  croyons  au  respect  et  à  l'obéissance  aux 
rois,  aux  présidents,  aux  gouverneurs  et  aux  magistrats, 
en  obéissant  aux  lois,  en  les  honorant  et  les  soutenant.  • 

13  —  Nous  croyons  que  nous  devons  être  honnêtes, 
véridiques,  chastes,  charitables,  vertueux  et  que  nous 
devons  faire  du  bien  à  tous  les  hommes  ;  en  vérité  nous 
devons  dire  que  non»  suivons  les  ordonnances  de  saint 
Paul,  en  "  croyant  toutes  choses  et  en  espérant  toutes 
choses  "  ;  nous  avons  souffert  beaucoup  de  choses  et 
nous  espérons   pouvoir  encore  souffrir   toutes  choses. 


227 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


Nous  recherchons  tout  ce  qui  est  vertueux,  aimable, 
bien  considéré  et  digne  d'éloges. 

Joseph  Smith       ! 


L'organisation  de  l'Eglise  des  mormons  est 
absolument  autocratique,  et  tous  obéissent 
aveuglément  aux  ordres  du  président,  qui  est 
le  chef  spirituel  et  temporel  de  toutes  choses. 
Le  président  Woodruff,  qui  est  le  chef  actuel 
des  Saints  du  dernier  jour,  est  un  vieillard 
qui  paraît  être  loin  de  posséder  les  qualités 
executives  de  ses  prédécesseurs,  John  Taylor 
et  Brigham  Young.  Les  Gentils  continuent 
à  émigrer  vers  l'Utah  et  se  sont  déjà  emparés 
du  gouvernement  de  Sait  Lake  City  ;  ils  ne 
tarderont  guère  à  obtenir  la  majorité  dans  la 
législature  du  Territoire,  et  le  pouvoir  tem- 
porel de  l'Eglise  des  mormons  aura  cessé 
d'exister. 

La  polygamie  est  absolument  défendue  par 
les  lois  civiles,  et  les  autorités  jettent  en  pri- 
son les  Saints  qui  se  permettent  d'avoir 
plus  d'une  femme  à  la  fois.  On  remarque 
d'ailleurs  que  la  plupart  des  mormons  d'au- 
jourd'hui ne  se  gênent  guère  pour  blâmer 
ouvertement  cette   coutume  immorale,   bien 


;f 


.■■■V-' 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  2  28 

qu'ils  disent  que  les   chefs  ne  faisaient  que 
suivre  l'exemple  donné  par  les  patriarches  et 
;  par  les  saints  rois  David  et  Solomon.     Le 

'"(        '      gouvernement  de  l'Eglise  est  alimenté  par  une 
dîme  de  di>i  pour  cent,  que  les  fidèles  payent 
I  en  nature  avec  les  produits  de  la  terre,  en 

[  animaux  pour  ceux  qui  s'occupent  de  l'éle- 

vage, et  en  argent  pour  ceux  qui  sont  dans  le 
f     commerce  ou  dans  l'industrie. 

Plusieurs  schismes  ont  déjà  éclaté  parmi  les 
mormons,  et  l'on  compte  déjà  deux  ou  trois 
.    **  Eglises  réformées."  On  aurait  tort  de  croire 
que  le  fanatisme  religieux  empêche  les  disci- 
V^ï  :       pies  de  Joseph  Smith  de  s'occuper  des  affaires 
•       de  ce  monde,  car  les  plus  grands  établisse- 
"' ■       ments   commerciaux  et   industriels   de   Sait 
Lake  City  sont  entre  leurs  mains.     Ils  sont 
•    également   propriétaires   de   la    plus  grande 
partie  du  territoire,  et  leur  terres  sont  des  mo- 
dèles de  cultu|e  comme  leurs  habitations  sont 
des  modèles  de  confort  et  de  bien-être.     Ils 
r .  ont  fondé  des  journaux   partout,  et  ils  ont 

même  créé  des  établissements  dans  diffé- 
rentes parties  des  Etats-Unis  et  du  Canada. 
Ils  envoient  régulièrement  en  Europe,  en 
Asie  et  même  jusqu'en  Océanie,  des  mission- 


V 


229*  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

naires  pour  prêcher  la  doctrine  de  Joseph 
Smith,  et,  bien  que  la  majorité  des  mormons 
se  recrute  parmi  les  Anglo-Saxons,  on  en  voit 
cependant  de  presque  toutes  les  origines  et 
.  de  presque  tous  les  pays  du  monde.  Je  dois 
ici  faire  une  exception,  car  bien  que  je  sois 
allé  aux  renseignements,  je  n'ai  pas  pu  décou- 
vrir un  seul  mormon  d'origine  française  à 
Sait  Lake  City. 

J'ai  cru  devoir  donner  tous  ces  détails  sur 
l'organisation  et  la  croyance  religieuse  de  ce 
curieux  peuple,  car  je  crois,  que,  en  général,  on 
se  fait,  au  Canada  et  ailleurs,  de  bien  fausses 
idées  sur  son  compte.  Ce  sont  des  fanatiques 
qui  croient  que  le  royaume  du  ciel  leur  est  f 
exclusivement  réservé,  et  qui  attendent  avec 
patience  une  deuxième  visite  du  Messie,  qui, 
cette  fois,  régnera  personnellement  et  visible- 
ment sur  toute  la  terre,  et  dont  la  capitale  sera 
naturellement  la  cité  de  Sign —  autrement 
dite  Sait  Lake  City.  Ils  font  tout  simplement 
graviter  le  reste  de  l'univers  autour  de  leur 
croyance,  et  ils  s'intitulent  modestement  **  le 
peuple  choisi  de  Dieu." 


r 
> 


m 

o 

c 


> 
o 

> 
r 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  232 


V'-* 


■■■/■■ 


XV 


ENCORE  LES  MORMONS  —  LE  GRAND 
LAC  SALÉ 


Sait  Lake  City  est  aujourd'hui  une  ville  de 
35,000  habitants,  ayant  des  églises  de  pres- 
que toutes  les  sectes  religieuses,  trois  grands 
journaux  quotidiens,  une  université,  des 
hôpitaux,  des  écoles  publiques  de  tous  les 
rangs,  deux  grands  théâtres,  une  bourse, 
un  musée,  un  système  complet  de  tramways 
électriques,  un  aqueduc  et  plusieurs  grandes 
fabriques  de  verre,  de  machines  de  toutes 
sortes,  de  meubles,  de  chaussures,  de  tabac, 
de  briques,  de  tuiles,  de  ciment,  etc.  La  ville 
est  éclairée  à  l'électricité,  ainsi  que  la  plupart 
des  édifices  publics* et  des  maisons  particuliè- 
res. En  chiffres  ronds,  la  ville  contient  10,000 
maisons,  200  fabriques,  16  publications  pério- 


\ 


233  ^^^  ^'^^S  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

ùiques,  9  !  *-iues,  i8  imprimeries,  22  écoles 
et  !4  édifices  voués  à  l'exercice  des  diffé- 
rents cultes.  Les  établissements  mormons 
sont  naturellement  en  plus  grand  nombre,  ont 
plus  d'importance  que  les  autres,  et  offrent 
plus  d'intérêt  aux  voyageurs.  On  aperçoit 
de  loin,  en  approchant  de  SaU  Lake  City,  les 
trois  grands  édifices  religieux  qui  occupent  le 
Temple  Square.  Ce  sont  le  Tabernacle,  la 
Salle  d'assemblée  et  le  Temple,  qui  n'est  pas 
encore  tout  à  fait  terminé,  bien  qu'il  s'élève 
déjà  à  une  grande  hauteur.  Je  vais  donner 
une  courte  description  de  chacun  de  ces 
édifices,  qui  sont,  à  Sait  Lake  City  et  pour 
les  mormons  en  particulier,  ce  que  la  basilique 
de  Saint- Pierre  et  le  Vatican  sont  à  Rome  et 
au  monde  catholique  en  général.  Le  taber- 
nacle est  de  forme  elliptique,  d'une  longueur 
de  250  pieds  et  d'une  largeur  de  150  pieds. 
La  iief  a  une  hauteur  de  80  pieds  avec  un 
jubé  en  galerie  qui  fait  tout  le  tour  de  l'édifice. 
Un  orgue  superbe  occupe  l'une  des  extrémi- 
tés du  tabernacle,  qui  ressemble,  à  l'intérieur, 
par  la  simplicité  de  sa  construction  et  de 
ses  décorations,  à  la  plupart  des  temples 
protestants.     Dix   mille   personnes   peuvent 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  234 

trouver  place,  en  même  temps,  dans  cette 
vaste  enceinte,  qui  possède  les  meilleurs  qua- 
lités d'acoustique.  J'ai  assisté  à  la  prédica- 
tion du  dimanche,  où  tous  les  étrangers  sont 
admis  et  même  reçus  avec  la  plus  grande 
politesse  ;  et,  bien  que  je  fusse  placé  à  l'ex- 
trémité de  l'édifice  opposée  à  celle  où  se 
trouvait  le  prédicateur  qui  était  un  vieillard, 
je  ne  perdis  pas  une  seule  parole  de  son  dis- 
cours. La  musique  et  les  chœurs  étaient 
absolument  remarquables,  et  l'orateur  fit  un 
sermon  qui  dénotait  une  instruction  supé- 
rieure et  une  facilité  d'élocution  peu  commune. 
Il  prêchait  sur  un  texte  de  l'Apocalypse,  et 
prédisait,  selon  la  doctrine  mormonne,  la  nou- 
velle venue  du  Messie  et  son  règne  éternel 
sur  la  terre.  Le  tabernacle  était  rempli,  et 
tous  les  fidèles  observaient  le  recueillement 
le  plus  respectueux  et  le  plus  complet.  Pas 
un  mot  de  la  polygamie,  qui  passe,  aux  yeux 
des  étrangers,  comme  le  signe  distinctif  de 
l'organisation  sociale  et  religieuse  des  Saints 
dît  dernier  jours. 

J'ai  déjà  dit,  *d'ailleurs,  que  les  autorités 
fédérales  sévissent  avec  la  plus  grande  rigueur 
contre  ceux  qui  se  permettent  d'avoir  plus 


235  ^^"^  '^"^^^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

d'une  femme  à  la  fois,  et,  si  la  chose  se 
pratique  encore  aujourd'hui,  elle  est  tenue 
tellement  secrète  que  les  étrangers  n'en  peu- 
vent pas  trouver  d'exemple.  La  Salle  d'as- 
semblée—  Assembly  Hall — est  située  près 
du  Tabernacle  et  sert  indistinctement  aux  réu- 
nions publiques  ou  aux  services  religieux.  C'est 
aussi  un  édifice  remarquable  qui  peut  contenir 
3,000  personnes,  et  dont  les  peintures  décora- 
tives ont  un  caractère  exclusivement  religieux* 
Les  panneaux  de  la  voûte  contiennent  une 
série  de  tableaux  représentant  l'histoire  de  la 
déci^uverte  du  livre  des  mormons  par  leur 
prophète  Joseph  Smith.  Une  immense  ruche 
emblématique,  avec  l'inscription  :  Holiness  to 
the  Lord,  occupe  le  panneau  du  centre.  Cette 
ruche  et  cette  inscription  se  retrouvent  partout 
dans  les  édifices  des  mormons,  à  Sait  Lake 
City.  Ce  sont  les  armes  et  la  devise  de  leur 
Eglise. 

Le  nouveau  temple  de  Sait  Lake  City  sera 
sans  contredit,  lorsqu'il  sera  terminé,  un  des 
édifices  les  plus  curieux  et  les  plus  remarqua- 
bles de  l'Amérique.  L'extérieur  ressemble 
assez,  en  grandeur  et  en  apparence  architec- 
turale, à  l'église  de  Notre-Dame  à  Montréal» 


n 

X 


o 

S. 

O 

z 


l 


3 


o 

<u 


a 
3- 
•o 


,     SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNF.S-ROCHEUSES  238 

avec  cette  différence,  cependant,  qu*il  y  a  trois 
tours  à  chaque  extrémité,  et  que  ces  tours, 
lorsqu'elles  seront  finies,  seront  surmontées 
par  des  flèches  qui  atteindront  une  hauteur  de 
deux  cent  cinquante  pieds.  La  longueur  du 
temple  est  de  deux  cents  pieds,  sur  une  lar- 
geur de  cent  pieds,  et  le  tout  est  construit 
en  granit  magnifique,  taillé  et  sculpté  d'une 
manière  tout  à  fait  artistique.  La  première 
pierre  fut  posée  le  6  avril  1853,  et  il  serait 
assez  difficile  de  dire  à  quelle  époque  le 
temple  sera  consacré  au  culte.  Qu'il  me  suf- 
fise de  constater  que  les  Mormons  ont  déjà 
dépensé  $5,000,000— -je  dis  bien  cinq  millions 
de  piastres  —  pour  les  travaux  faits  jusque 
aujourd'hui,  et  l'intérieur  n'a  pas  encore  été 
touché.  On  évalue  le  coût  total  à  $8,000,000  ; 
mais  l'architecte  lui-même  qui  m'a  donné  ces 
détails  avoue  qu'il  est  assez  difficile  de  donner 
des  chiffres  absolument  exacts.  On  voit  que 
les  mormons  ne  mesquinent  pas  pour  tout  ce 
qui  touche  aux  intérêts  et  à  la  magnificence 
de  leur  culte.  L«s  trois  édifices  dont  je  viens 
de  donner  une  courte  description  seraient 
considérés  comme  remarquables,  dans  n'im- 
porte quel  pays  du  monde.     Le  magasin  des 


239 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


dîmes  —  tithing storehouse  —  le  musée,  les  rési- 
dences du  président  et  des  apôtres,  sont  des 
constructions  ordinaires  comme  on  en  ren- 
contre partout,  si  j'en  excepte,  cependant,  le 
Gardo  House,  ancienne  résidence  de  Brigham 
Young,  construite  par  lui  quelque  années 
avant  sa  mort.  Il  est  peut-être  intéressant 
de  dire  ici  que  Brigham  Young  était  né  à 
Willingham,  Etat  du  Vermont,  en  1801,  qu'il 
embrassa  la  croyance  de  Joseph  Smith  en 
1833,  et  qu'il  mourut  à  Sait  Lake  City,  le  29 
août,  1877,  laissant  une  fortune  personnelle 
de  plusieurs  millions-  de  dollars,  aux  très  nom- 
breux enfants  qu'il  avait  eus  de  plusieurs 
femmes. 

L'établissement  commercial  le  plus  impor- 
tant de  Sait  Lake  City  est  le  Zions  Coopér- 
ative Mercantile  Institution,  immense  asso- 
ciation coopérative  qui  a  des  succursales  dans 
toutes  les  villes  de  l'Utah,  et  qui  fait  des 
affaires,  chaque  année,  pour  un  montant  très- 
élevé.  Ses  transactions  pour  l'année  1889 
se  sont  élevées  à  plus  de  $5,000,000,  et  en 
consultant  Bradstreet,  j'ai  constaté  que  son 
crédit  était  illimité.  /. 

On  veut  probablement  savoir,  maintenant. 


« 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


240 


avant  de  quitter  le  pays  des  mormons,  quelle 
est  mon  opinion  sur  ce  'curieux  peuple  qui 
s^  croit  appelé   à  jouer  sur  terre  le  rôle  de 
"  peuple  choisi   de    Dieu.  "      Je   n'ai  pas   à 
discuter  ici  l'absurdité  de  leurs  traditions  et 
la  puérilité  de  leur  croyance  dans  les  révé- 
lations de  leur  prophète  Joseph  Smith.     Leur 
religion  semble  un  mélange  de  crédulité  inex- 
plicable et  de  fanatisme  outré.     Les  maho- 
métants  eux-mêmes  n'observent  pas  plus  ré- 
gulièrement les   préceptes  du   Coran   et  ne 
croient  pas  plus  fermement  aux  inspirations 
de  Mahomet  que  les  mormons  ne  pratiquent 
les  ordonnances  de  leur  Eglise  et  ne  sont  con- 
vaincus que  Joseph  Smith  était  le  prophète 
de  Dieu.     Dans  la  vie  ordinaire  et  dans  leurs 
relations  avec  les  Gentils,  on  m'a  dit  tant  de 
bien  et  tant  de  mal  des   Saints  du  dernier 
jour,  qu'il  est  assez  difficile  pour  moi  de  me 
former  une  idée  absolument  juste  sur  leur , 
compte.    Un  prêtre  catholique  m'a  vanté  leur 
fidélité  inaltérable  à  leur  croyance,  tout  en 
faisant  naturellement  ses  réserves  au  point 
de  vue  religieux.     D'autres  personnes  m'ont 
affirmé  que  les  mormons  étaient  des  hypo- 
crites ;  d'autres  enfin  m'ont  vanté  leur  hono- 


I 


241  SIX  MOIS  DANS  .,ES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


kf^ 


rabilité  et  leur  parfaite  intégrité,  dans  leurs 
relations  commerciales.  Je  dois  dire  pendant 
les  quelques  jours  que  j'ai  passés  à  Sa/^  Lake 
City,  j'ai  cherché  à  me  renseigner,  autant  que 
faire  se  pouvait,  sur  tout  ce  qui  se  rattache 
à  leur  organisation  sociale,  et  partout  où  je 
me  suis  adressé,  chez  les  plus  hauts  digni- 
taires de  l'Eglise,  comme  chez  le  plus  humble 
cultivateur,  on  m'a  reçu  et  l'on  m'a  répondu 
avec  la  plus  grande  courtoisie,  la  plus  parfaite 
bienveillance  et  la  plus  grande  cordialité  au 
moins  apparente. 

Le  président  Woodruff  lui-même  a  répondu 
à  toutes  mes  questions,  peut-être  indiscrètes, 
parfois,  avec  une  bonhomie  et  une  franchise 
dont  je  n'ai  eu  qu'à  me  louer,  mais  j'avoue 
que  je  n'ai  pas  eu  le  temps  d'étudier  assez 
longuement  cette  étrange  population,  pour 
en  parler  avec  une  autorité  suffisante.  Ce 
,que  j'en  ai  vu,  cependant,  m'a  convaincu  que, 
en  général,  on  se  fait  une  idée  bien  fausse  ou 
bien  exagérée  de  tout  ce  qui  touche  à  la 
croyance  des  mormons,  à  leur  organisation 
religieuse  et  sociale,  aussi  bien  qu'à  leur  situa- 
tion agricole,  commerciale  et  financière.  Sur 
ce  dernier  point,  ils  jouissent  indiscutablement 


r 


33 

m 
m 

o 
m 


O 
O 

Q 

m 

z 
o 

m 
t 

60 


j^..,;._  j'  1'  jii:^.:v"'j!:?;:>._tv; 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAONES-ROCHEUSES  244 

d'une  prospérité  relativement  supérieure  à 
celle  des  autres  populations  environnantes. 
La  centralisation  de  tous  les  pouvoirs  entre 
les  mains  de  quelques  chefs  a  eu  pour  effet 
d'établir  une  solidarité  générale  qlii  exclut  la 
misère  et  l'extrême  pauvreté  dans  toutes 
les  classes  de  cette  organisation  politico-reli- 
gieuse. L'instruction  a  aussi  fait  des  progrès 
rapides  parmi  eux,  et  ils  envoient  systéma- 
tiquement leurs  élèves  les  plus  intelligents 
terminer  leurs  études  dans  les  grands  collèges 
des  Etats  de  l'Et  et  des  pays  européens. 
Ils  cultivent  aussi  avec  succès  l'étude  des 
arts  libéraux,  et  ils  comptent  dans  leurs  rangs 
des  musiciens,  des  peintres,  des  sculpteurs  et 
des  architectes  de  distinction.  Le  contact 
des  étrangers  tend  continuellement  à  leur 
communiquer  des  idées  plus  larges  et  plus 
en  harmonie  avec  la  civilisation  moderne,  et 
il  sera  curieux  de  constater,  dans  vingt-cinq 
ans,  les  changements  que  ce  contact  aura 
opérés  parmi  eux.  L'émigration  se  porte 
aujourd'hui  considérablement  vers  l'Utah,  qui 
offre  un  champ  fertile  pour  l'agriculture,  et 
dont  les  richesses  minérales  promettent  un 
rendement  que  l'on  pourra  comparer  bientôt 


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


l.l 


1.25 


US 
tàà 


■28 


|2.5 


12.2 


ëf    1^    12.0 


1.8 


U    IIIIII.6 


^v^^  ^\  WcS 


'%' 


245 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


avantageusement  avec  ceux  des  Etats  voisins. 
Il  est  curieux  de  constater  que  les  mormons 
ne  s'occupent  pas  de  l'exploitation  des  mines, 
et  qu'il  existe  chez  eux  un  préjugé  religieux 
contre  ce  genre  d'occupation,  ce  qui  a  permis 
aux  Gentils  d'accaparer  tous  les  terrains  mi- 
niers au  détriment  des  Saints  du  dernier  jour. 


Le  Grand  Lac  Salé,  autrefois  connu  sous  le 
nom  du  Lac  Bonneville,  du  nom  de  son  pre- 
mier explorateur,  est  une  vaste  nappe  d'eau 
de  2,200  milles  de  superficie  —  environ  un 
tiers  de  celle  du  lac  Ontario  —  entourée  de 
hautes  montagnes,  d'une  profondeur  moyenne 
de  vingt  pieds,  ayant  une  longueur  extrême 
de  cent  vingt-six  milles  et  une  largeur 
moyenne  de  quarante-cinq  mille».  Un  gallon 
impérial  de  l'eau  de  ce  lac  remarquable  con- 
tient vingt-quatre  onces  et  demie  de  matières 
salines,  et  le  général  Fremont,  dans  son 
exploration  de  1842,  obtint  "  quatorze  cho- 
pines  de  beau  sel  blanc  par  l'évaporation  de 
cinq  gallons  d'eau  dans  une  bouilloire  ordi- 
naire,  au-dessus   d'un   feu   de  campement.  " 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSEo 


246 


Les  eaux  du  lac  sont  plus  salées  que  les  eaux 
de  l'Atlantique,  et  contiennent  à  peu  près  les 
même  proportions  de  sel  que  les  eaux  de  la 
Mer-Morte,  en  Palestine.  Voici  d'ailleurs  le 
résultat  d'une  analyse  faite  par  les  soins  du 
Smithsonian  Institute  de  Washington.  Je 
traduis  littéralement  : 

« 

Sel  ordinaire.... ►. iTj735 

Carbonate  de  chaux 016 

•    Sulphate  de  chaux 073 

Sel  d'Epsom i>i23 

Chlorure  de  magnésie 843 

Proportion  de  solides  13.790 

Ëau 86,210 

100,000 

Cent  grains  de  matières  solides  contiennent  : 

Sel  ordinaire 85,089 

Carbonate  de  chaux 117 

Sulphate  de  chaux 531 

Sel  d'Epsom 8,145 

Chlorure  de  magnésie 6,118 

0  

I 

100,000 

Voilà  pour  les  savants  que  cette  analyse 
peut  intéresser.     J'ai  déjà  donné  les  propor- 


247  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


tions  en  termes  ordinaires,  pour  le  commun 
des  mortels. 

Les  eaux  du  Grand  Lac  Salé  sont  d'une 
pureté  et  d'une  transparence  remarquables,  et 
l'on  aperçoit  le  sable  et  les  petits  cailloux 
du  fond,  à  une  profondeur  de  vingt-cinq  à 
trente  pieds.  Bien  que  de  nombreuses  rivières 
d'eau  douce  descendent  des  montagnes  limi- 
trophes pour  se  déverser  dans  son  lit,  et  bien 
qu'on  ne  leur  connaisse  pas  d'issue  ou  de 
débouché,  les  eaux  du  lac  restent  uniformé- 
ment salées.  On  a  remarqué  aussi  que  le 
niveau  des  eaux  a  changé  à  plusieurs  reprises, 
formant  une  espèce  de  marée  inégale  et  irré- 
gulière ;  mais  on  ignore  la  cause  du  flux  et 
du  reflux  de  cette  mer  intérieure  dont  le  lit 
était  autrefois  beaucoup  plus  considérable, 
comme  on  peut  en  juger  par  les  traces  qu'ont 
laissées  les  eaux,  en  se  retirant,  sur  les  flancs 
des  montagnes  voisines. 

Plusieurs  îles,  dont  quelques-unes  assez 
importantes,  rompent  l'uniformité  du  paysage,  \ 
et  les  citoyens  de  Sa/l  Lake  City  et  d'Ogden 
ont  construit  sur  le  rivage  des  maisons  de 
plaisance  et  des  bains,  à  un  endroit  magni- 
fique   que    l'on    a    nommé    Lake    Park    et 


r 
m 

o 

> 
z 
o 

r 
> 
o 

(A 

> 


'''■      'iH   ■■■' 


■■*_,.. 


.  i^--- f 


,1'  < 


»■<♦ 


;--,i::::; 


:<  *.••: 


•i- 


^; 


f  '/r/,.  ;;.> 


1» 


'-.   ■     i-.. 


■S'  •< 


oIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


250 


qui  prend,  chaque  année,  plus  d'importance, 
comme  ville  d'eaux.  La  densité  des  eaux 
du  lac  est  telle  que  les  baigneurs  flottent  à  la 
surface,  sans  faire  le  moindre  effort,  et  les 
médecins  déclarent  que  les  bains  du  Lac  Salé 
valent  à  tous  les  points  de  vue,  les  bains  de 
mer.  Lake  Park  est  à  mi-chemin  entre  Sait 
Lake  City  çX  Ogden,  ville  de  10,000  habitants, 
située  à  trente  six  milles  de  la  capitale  de 
rUtah,  à  sept  cent  soixante-et-onze  milles  de 
Denver,  à  deux  mille  cinq  cents  de  New- 
York,  à  huit  cent  soixante- et-quatre  à  l'est  de 
San- Francisco,  et  à  une  élévation  de  4,286 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  C'est 
ici  que  ce  fait  le  raccordement  du  Denver  and 
Rio  Grande  Railwayy  de  \  Union  Pacific 
Railway  et  du  Central  Paxific  Railway,  Ces 
deux  derniers  chemins  de  fer  forment  le  pre- 
mier réseau  transcontinental  qui  ait  été  cons- 
truit aux  Etats-Unis,  et  la  ville  d'Ogden, 
qui  est  aussi  d'origine  mormonne,  deviendra 
bientôt,  par  sa  portion  centrale  et  ses  facilités 
de  communication,  une  rivale  de  son  aînée, 
Sait  Lake  City. 

C'est  ici  que  se  termine  mon  voyage  vers 
l'Ouest,   et  je    vais  reprendre   la    route  du 


/ 


is 


\ 


^s^ 


SïJf'llldIS  0!Ai^fe''LfiS'  MOltitÀ'dNÊèmbChÉtJ^S 


èrtJ ^roiitW 'les:i<<èîéres  i miniers  d'As^Dcn -et' iid« 
iJeâdîfîate/dansik  Ccïlbraâoiiiv^ll^  y^-'^  Ji^f  i^^' 

•Mfici  Df.J  ub  gnif.d  fôl  sop  Jnaifibob  aniaob^nr 
^b  Hfiind  8e)[  ,DDv  'jb  ?.j/noq  aol  anoJ   xi  in^br/ 
\\^-»'<i.  o^Jfl^J,fiil•rL■H[^  îm  ^^  J^sA'!l^A_±^'^^>^     -''-'rfî 

14  ' '^|^^^^^^^H|^^^^^H^[^  V n f> Cl 
ù  8  LM^H^|B^|H^H|^ffi^^H  n  xn  '  I 

,r!.':)bJ(..^H^HHH|^H^^^^^B    ur. 

.  f',')iiruKt  ''D<'  j')3fivitft3n  noiilHoq  r,H  ici] /iôjn^id 

.v(\"iO  y\v>A  N\\^Z 
r?t;ïv  ')T>fv{^''  "'^'"''^  oniffroit  oë   'or/p  toi  J?/''D 


SlbC  KtôtS  D'AN&'LÉSl  I«ONTAdNES-ROCHEUSl3S 


252 


-oqâib  -del  lo  itiomom'iB'i  ,3idniuu  t)l  lua  a^ihi 
«ijcinj,  8ob  i^.'jaijoijpilbd  ijo  aoupfiiDjifj  anoiJi^ 
7.iJî)b  sb  y^noD  nu  o^^bjlniîdo  II  .a3çr>vux;« 
10  stjrnrriofl  ^ininr^up  dd  33âj  bI  £  îij-jiiq  lo  ,8fir>  * 
.HDf.ibniifio-i/im  ob  :î3[qrnoD  jrianiirioacii:  nu'L 
iJîSryiOtyfAaES  Ï)R!  BQNNB:VIWiiîrrr.ASPBMî--^b 

•  •îiii't  ifjoq  jiiilbrî  l'i'ijp  93  Jijoj  âb  joni  ni;  n.'î) 
:  j)  Pirj'^qqr/ij  •'^sA  00/r,  p.onololhq  sab  sîîr.'d 
Il  s'agit  maintenant  de^iiitlëriiUtahipoup- 
refaire  -^  ma.  i  route .  j  usqu'à  :  Gsrand  ?  ^^^unctiôn , 
en  itrayersiaint  de  :  nouveau  la 'ri  vièijeo  Verte,  où 
nous    allons    nous  arrêtqr  quelques;. instants 
pour  réveiller  les  souvenirs  de  l'expédition  du j 
capitatineBortneviP         "i83:?ji9^'jet'34iJ3J  œ^ 
i  Bonneville  était  capitaine  au  r^'jre  Irégimènt 
d'infanterie  des  Etats- Uiiis^ilorsqù'ilentccprit.; 
le  i  vbyage  que  Washiiïgtbn  ;  1 1  r  vângj  ;  a:  .raconté  ; 
quelques)  années  .-pluà'  tardai  Vv  Le  .désinidèi 
prendre  part  aux  explpriitiona  desv.territoirfcs 
-encore  inconnus  des;  ;  Montagnesi-Rocheuses, 
et.de  vodride  pires  Ja  vie  sauvage  ides  traiteurs' 
etl  dés  ûhasseuFSnde  lîGuest;:  avait .fetigagé  lu 
capitaini€5  à'  fornuôrime  expédition;  pour  faire 
la»  tr^teji  tout  eni>!faisant  jdjea  létude»  quijppur^) 


253 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


raient  servir  à  renseigner  les  autorités  mili- 
taires sur  le  nombre,  l'armement  et  les  dispo- 
sitions pacifiques  ou  belliqueuses  des  tribus 
sauvages.  Il  obtint  donc  un  congé  de  deux 
ans,  et  partit  à  la  tête  de  quarante  hommes  et 
d'un  assortiment  complet  de  marchandises, 
de  bimbeloterie,  d'armes  et  de  munitions,  de 
rassade,  de  draps  et  d'indiennes  de  couleur, 
en  un  mot  de  tout  ce  qu'il  fallait  pour  faire  la 
traite  des  pelleteries  avec  les  trappeurs  et  les 
sauvages  de  l'Ouest. 

Le  rendez-vous  général  des  traiteurs  était, 
à  cette  époque,  situé  dans  une  vallée  que  les 
métis  canadiens  appelaient  Trou  de  Pierre^ 
parce  que  l'un  des  leurs  avait  été  assassiné, 
en  cette  endroit,  par  une  bande  de  Pieds- 
Noirs.  Trois  compagnies  puissantes  exer- 
çaient alors  le  monopole  de  la  traite  dans  ces 
pays  sauvages  :  la  Compagnie  de  la  Baie 
d'Hudson,  la  kocky  Mountain  Fur  Company 
et  X American  Fur  Company,  Ces  deux  der- 
nières avaient  leurs  sièges  sociaux  à  New- 
York  et  à  Saint- Louis,  respectivement.  Le 
Trou  de  Pierre  était  situé  dans  la  vallée  de  la 
rivière  Verte,  près  de  ses  sources  e$  nv^n  loin 
des  pics  que  les  trappeurs,  dans  leur  langage 


""  '™^^'^  °^  <=""«=   CHEZ  ..S  ,„0„„ 


ii 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  256 

pittoresque,  avaient  nommés  les  Trois-  Tétons, 
Ces  montagnes  que  l'on  appercevait  à  une 
grande  distance,  servaient  de  guides  et  de 
points  de  ralliement  à  tous  ces  aventuriers 
qui  s'enfonçaient  dans  la  solitude  à  la  recher- 
che des  fourrures  qui  abondaient  dans  les 
contrées  environnantes. 

• 

Bonneville  arriva  au  rendez-vous,  où  il  avait 
été  devancé  par  les  représentants  des  com- 
pagnies et  par  plusieurs  bandes  libres  de 
chasseurs  métis  et  sauvages  qui  venaient 
échanger  le  produit  de  leur  chasse  pour  les 
marchandises  des  traiteurs.  Durant  un  mois, 
les  chasseurs  faisaient  ripaille,  et  le  Trou  de 
Pierre  devenait  un  véritable  caravansérail  où 
l'on  buvait,  dansait,  chantait,  jouait  et  où  l'on 
se  battait  souvent  à  la  suite  des  querelles 
qu'engendrait  la  réunion  d'éléments  aussi 
disparates.  Plusieurs  tribus  indiennes,  amies 
des  blancs,  venaient  aussi  camper  aux  envi- 
rons pour  se  proourer  des  armes,  de  la  poudre 
et  des  balles  dans  le  double  but  de  faire  la 
chasse  et  de  se  défendre  contre  les  attaques 
des  Pieds-Noirs  et  des  Corbeaux,  qui  faisaient 
une  guerre  de  surprises  et  d'embuscades  à 


VQiSirïs. .!ij;v:3T[:xj4x,  no  f  .;ijp  ^.;)noj.inc)fn  c/j'J 
:)[  Les  N:<èzrP>eFoés^ (lefe  Tiêtes-Pktes^ileSi  (ïfm\' 
d'<>rcjlles, ,'  les  Cpitonnôis^, ,  kg  [Qrosf y ei^tri€;§ 
fornftaient  une  espèc^d  d'aUianc0  Oiffê^bsiveu^t 
défeasiile  /Contre;;les  Fi^ds-Noir$  ^t  le$  Cor- 
beaux; mais  ceux-ci,  qui  létaietit  ipJus  agucTO 
et  plus  nombreux,  les  poursuivaient  partout 
àVôC  'tiwe  fureur' et'  un  achameni^nt:  quilne 
s'èJtpliquè'  que  par  1>  fait  que  ces  sauvages 
né'  yivîaîiént  c|ue  f  d&  guefifre  et  de  rapine^ 
Le  métier  4é  trappeur  était  donc  des  plus 
dahgi3repx>  eti  il  fallait  se  tenir  continuielkmteisit 
sur  ses  gardfes  ei  être  prêt  à  toutes  les  é vent 
tùaUtés)  pour»  s'aventurer  dans  les  montagnesj 
ApfèSf  ^ce  mois  dé  ^  réjouissances  et  de  borii^ 
baiice,  toutes  les  bandefe  se  dispersaient  pour 
revenir  un  an  plus  tard  recommencer  la  même 
histoire^  r î ;  J e •  > h-  ai  pas  Vintentiba  ;  dé» isuî vre  i  Ip 
capitaine  'Bosnie ville  dans  toutes  ses  expédilS 
tions  et  dans!  (toutes  !  ses  luttes  meurtrièrets 
aviec>  lesi  Pieds- Noirs  ;  Iqu'ili  mei  suffise  (de  xiire 
qb'il ine  revint'  à  New*  York  qiie  trdis  ans  plus 
tanjv"  Êti  qu'il  eut  quelque  difficulté  à  se  faife 
patidoiMîier  sonaibsèncé  prolongée^  par  les 'auto- 
rités niilitàires.     Je  désire  cependant'  relever 


aiR  MOIS.  DAN$/I^RSi  MONTAPNES-^OgiIBUaf»  ^58 


quelques  injustices; '^t  [qqel^iiesi  ineKactitudeà 
qùeV/Wa^iin^ton  . Ihvihg^  à  introduites!  âmà 
soh  réak,  sunile  comptç  'dès  cJia^sGùw»  Ncaolûl'- 
diénsitidMTpétiai  lluer!  èélèibre  taiiteuri^dftiiki) 
l^ie  M  >  C\krisUph&  ''  iÇ^/oM  '  iséî  i  laisse  :  aouy qnto 
emporter;  ipari is^s i pré^-ugiés  téohtré^  jtout  lœ  q-wi 
esb^d'iori^iiiflifitabçaisè,  /et  iBonnevillé;  aa'pnoH 
bablèmeat  échaippé-^  àxaèsi  critiques i  qiie  jpancè 
qu'il  jetait  Kttffioiéiidîans  l'armé©  des  Etats-UdiiV, 
cjuoi^iueri  né  !  à i ,  N  ew  (Y orfc  de  pàrerats  >  frariçais. 
. .  lEh ;  Micoîrîtaht  ilbrg^anifeiatiQh  ydejl!expéditi<aQ> 
IrîO-ing'  iditj  à  ;  plùBieuffs  inepriseôt  qiié  les  >Gànar[ 
diidns  )©t*l)eS'iifiéttSj  étaient  l.oinvdevValcriï'X  les 
daasbeufBaméridains,  dodîgineaitigloissixonneç 
maisT!  il  nie  citéi  pasiunseul  fait  ài  l'jappui  dé 
son  affinnatioiriif'së,  icoptentant'  de  Tapinioiil 
d'un  trait©yniéà*aiîg«ip+^rt!  f/oréi^ner'Sy  biréhi 
diti(  i I r.vi«gi>nqili  piiéiiendait  qu'uni  y^méricaih 
walait uîbiem i \ trôi*  » iG^najdieos,  - {)our  faii-e ■  ; Ija 
cKaas^oii  lia  gïierre;  dans  les  m^nt^gnesijj  i. 
.  I  )(OBi  j  f en  j  eiXiprlmanti  icette  i  opinion, .  il ■  ipaf dît 
oublièfi  ique  Bonften^iUè>  îtriîmêmej rie.  chef' d^ 
l'expéditiorii  j  >  alissi  /  bieti- 1  que  !  iées  i  liétitçnantij 
Gte)éî^t(iMathîeui)ftaiQrit<  de'sang)français\  les 
4/^uxii.dei*niem  canadiens /iîeîinaiâsanc©  ;  que 
lel3  .t;?4i;p43e4ara  ide   V^^erisû^rjFmi.  Company 


l 


2  59  ^^  ^^O'S  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


étaient  commandés  par  Fontanelle,  un  autre 
Canadien  ;  que  les  bandes  de  la  Rocky 
Mountain  Fur  Company  étaient  sous  les 
ordres  d'un  chef  nommé  Sublette  ;  qu'enfin  les 
trappeurs  canadiens-français  avaient  décou- 
vert et  exploré  le  pays  depuis  un  grand 
nombre  d'années,  et  avaient  donné  des  noms 
français  à  tous  les  endroits  connus.  La  rivière 
Verte,  Green  river,  la  rivière  au  Serpent, 
Snake  river,  la  rivière  aux  Saumons,  Sal- 
mon  river,  la  rivière  Boisée,  la  rivière  Malade, 
la  rivière  à  Godin,  la  rivière  Cache-la- Poudre 
—  Powder  river,  —  enfin  presque  toutes  les 
montagnes,  les  vallées  et  les  cours  d'eau 
de  ces  pays  sauvages  portaient  des*  noms 
français  ;  et  comme  je  l'ai  déjà  dit,  tous  les 
chefs  d'expédition  étaient  français,  cana- 
diens-français, ou  d'origine  française,  bien 
que  les  grandes  compagnies  de  traite  fussent, 
à  cette  époque,  exclusivement  composées 
d'Américains  et  d'Anglais.  Je  ne  comprends 
guère  comment  Irving  pouvait  concilier  ces 
faits  qu'il  cite  lui-même,  avec  l'opinion  de  cet 
étranger  qui  prétendait  que  les  Américains 
avaient  une  supériorité  si  marquée  sur  les 
traiteurs  d'origine  française.    Il  n'est  générale- 


M  ■ 


,         Il  ■  -*'  ■■   . 


;.-.T 


1     ;•      *i-  i    -. 


'<î  ■ 

i 

♦• 

.  .   ^4, 

r  ■,  >  *■ 

•  •'  ■  j 

P5    a      ■:^ 


f  .■ 


m-.  ■ 


»  f 

k--: 

■^ 

:  i.V  '\l: 

■•f- 

►>'•■: 

;è^'' 

■.»"^>-  •• 

!S  ■  -, 

'*lï^ 

%' 

l^..'> 

*•'■;.,*; 


•V-  .*n.:\f... 


.V'V 


'-f.'v 


■'-.  !.■ 


„„,-..i..o,.'. . 


1  •  ;> 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  202 

ment  pas  d'usage  de  choisir  îes  chefs  parmi 
les  moins  braves  et  les  moins  intelligents  pour 
commander  les  plus  hardis  et  les  plus  aguerris, 
ce  qui  cependant  paraîtrait  être  le  cas,  si 
l'opinion  d'Irving  et  de  son  "  étranger  "  avait 
la  moindre  apparence  de  justice  ou  d'authen- 
ticité. 

Comme  priorité  de  découverte,  le  seul  fait 
que  le  plus  grand  nombre  des  tribus  sauvages 
portaient  des  noms  français,  que  les  Améri- 
cains leur  ont  conservés,  doit  être  suffisant 
pour  établir  les  droits  des  trappeurs  cana- 
diens-français. Il  est  arrivé  quelquefois 
qu'on  a  voulu  traduire  en  anglais  ces  noms 
de  tribus  que  nos  chasseurs  avaient  eux- 
mêmes  traduits  des  langues  sauvages;  mais  on 
a  généralement  tronqué  l'orthographe  de  ma- 
nière à  dépister  toutes  les-  recherches  étymo- 
logiques. En  voici  un  exemple  entre  plusieurs  : 
les  Américains  appellent  Utes  la  tribu  sau- 
vage qui  réside  actuellement  sur  la  réserve 
de  Saint- Ignace,  , près  du  Durango,  dans  le 
midi  du  Colarado.  Ce  mot  Utes,  en  anglais, 
ne  signifie  rien  du  tout,  et  sans  le  nom  fran- 
çais de  cette  tribu,  il  serait  impossible  d'en 
trouver  l'origine,  que  voici,  cependant.     Les 


2^r 


S1?C  MP|!^  PAN9/^RSi  MOI)ITA(iNj;R,BpCJtW/U&lfS 


trapiptuts  r  ;  caoâdîehs  ■  aFfpekient'  '  c ettq  tribu 
/^(j(^?0!«/^J!cej!qmétait  Jd  tradqçtiiOn  llttéralei 
(Jq  diewf  ^  nojrt'  j  sftïivag^.;  ; i  hm\  <  Américaine ,  ftra^ 
duisirent  à  Igiir  tpur  .et  firçrEt;  Voii4hs  TTTTjquç 
quejque  ;aye,nturier  illettré jécrivjtiF/tf^iTrn (fit  jÇ0 
dffrjiiiîerj  nom  leuj^  Qst  resté  tel  |  <peJj  i  et  ç'ie^jî 
ainsi  qu'on  l'écrit,  même  dans  les  docim^en^ts 
o!(i6iciel&:  diu,  gouviern^tnent  d-Qv  iWaahkigton  ! 
Yqilà/  ip/Q^iPflâ!«up€HQirité;4e(l'intellig!epo<è  <ie|S 
chàviaoUrs^  amériicaiiiiiS,. f swr  !«$•  ^ cha.'Jëeurs .  içana-f 
di-çjeist,!;et  je  ipourjfais^cifc^r  ;un.  nombre  de  faits 
analogi4çSi>Sji<|l'Éfspacfe  më,l4,piermeï}ttiiito  -moq 
^i(JBien)!qwe  je.iVaie  pas  l!iiitentioî>!ideiC!Ç)rnt(7 
nweroici  ce  ,pMid^y,eF  eniifàyeurdermQSfCdn^T 
paitriotjeg/i  jejne^puis  résistepfauw^ésir  jde  citefr 
encpiijqiU.ne)  fpis.ik  rdatiotvrde^/aâbriel  Fr^ 
ch^re>iqui  ié^çr jyaitj  vdngftncinq ,  ana  a'vaf^t  >  îriving, 
etnqqi)  av^iti  'Visité  .ïe,  pays  'viittg|:->t|rQls  ■  i2i»nf$ 
ayani^wSitt^inevilleJ  Pn  verra  par.  cetite  citfitipn 
'(\^^^  (lîKjinjseililemônt  lUfenihQmmies^irmftîs  leà 
femmeç  ellesTmêmes,  i^{irrPAtaifcP.t  iliesiidangers 
die .  Qçflte  (vje  1  daj'iTfgerieus^,ii^t .  qu'il  fallaiit--  unie 
bfaVvOMrei  plus  qu'ordinaire  p<>iL|ji,dntj?eplreridrie 
deSiiCiSpéditiomidans  ces  çQftditionsilàiigi^:  '.m 

n')tiô  r^i' id'fdtigiafei  i^uè* j'avais  iôpr(!)iliv^  X  dlièVal,'li> veille', 
m'pt)ligç9(i  À[  reaalJîirqiipTK  tlan»  j^oii  >  qançi:»  >  j  Yecst  huit 


SIX  M<»>V5,.D^N5  j,?;S|Montagme3tRPchb]u;)î;s 


204 


heure3»:  lions  passâmes  une  petite  rivière  yçnant  du  ,Hs-/ 
0,.),;Nous  aperçCiraes,  bientôt  aprè3,    cje^  capots  qujh^ 
faisaient; ifoççe  de  Taines  pour  noui»  atteindre.    Cpnamef 
nous  potirsiiiivions  toujo.u^rs  notre  rônite,  nous  entendîmes, 
une  voiK.d'eafantnQU^  crier  efii  français  ;  "  Arrêtez  dou-çj) 
arcêtea  donO  !  "l  Nous  mîmes  à  terre,  et  Ijçç  canot?  w^MP) 
fiyant  joints,  nous  reconnûmes,  dans  Vun  d'eux,,  la; femna^ 
d'un  nommé   Pierre  Dorion,  chasseur,   qui  avait  été  en^ 
voyé  avec  un  parti  de  huit  hommes,  sous  la  conduite  de 
M.  J.  Reed,  pour  faire  des  vivres  chez  la  nation  .des 
Serpent?,  ,ÇettÇ  femme  ;;|ious  apprit  la  fin,malheure«)ise 
de  tousiceux,  qui  composaient  ce  parti.  Elle  npus  dit  quq^ 
daips  le  cours  du  mois  de  jariAàer,  les^  chasseur?)  s'étant 
dispersés,  çà .  et  là  afin  de  tendre   )eurs   pi^es   pour 
prendre;  Je  .castor,  les  nommés  Jaçob  Pe^nor,   Gillvis 
Leclerc,  et,  Pierre  Dorion,  son  îij^ari,  avaient  été  fittaqués 
pa^  le?,  naturels,,' :, que Jt'eclerç,. qui  .i^s'é^ait  que,  ;ble^?,é, 
s'élit,  iieodu  à;  ^^  t;ente,!  pu  il  qtait  mort  au  bput.de  quel- 
ques instants,  après  lui  avoir    annoncé  que, :^pn!mfi,ri 
avait  été  tué  ;    qu'elle  avait  aussitôt  pris  deux  chevaux 
qui:  étaient   restés   prèfS  de  ;sa  l^gd,  ^vaiit;  fait  mbtiter 
^e^^jS  ses  de^jç  jenfants,  et;  ^va}t  ^ajirné  en  tpAjt&.hâtp  le 
poste  de  M^  R,eed,  qui  étajt  élpigné  d'environ  cinq  jours 
de  l'endroit  où  son  mari  avait  été  tué  ;  que  sorf  etônne- 
méti't  ^t  '^ôri  inquiétude  avaient  été'  éxttéiiiés,  isôfktjii'e'ïfë 
avait  > itYouvé   lia    lirttti^oii  déserte    et   apeifiÇU'  que)que^ 
traces  d«  sa^g  ;  que  i^, doutant  pas  que  M.  Reed;n!eût 
été  massacré,  elle  s'était  enfuie,,  sans  pçrdp-e  de  temps, 
vers  les  montagnes,  au  sud  de  la  rivière  Walawala,  où 
îélle  avait  passé i  l'hiver .  |aya.nt  tué  lc<^  deufc  chevaux'pour 
. se ito^rri réelle  ei,SÉîS;(ppfpii>tS)jr^u'ei1fij^  se/vp»'^u):  s^ns 


265  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


vivres,  elle  avait  pris  le  parti  de  redescendre  les  monta- 
gnes et  de  gagner  les  bords   du  Tacoutche-Tessé,  dans 
l'espérance  de  rencontrer  des  sauvages  plus  humains, 
qui  la  laisseraient  subsister  parmi  eux,  jusqu'à  l'arrivée 
des  canots  qu'elle  savait  devoir  remonter  la  rivière,  au 
printemps.     Les  sauvages  du  Walawala  avaient  en  effet 
accueilli  cette  femme   avec   beaucoup  d'hospitalité,  et 
c'étaient  eux  qui  nous   l'amenaient.     Nous  leur  fîmes 
quelques  présents,  pour  les  dédommager  de  leur  soins 
et  de  leur  peines,  et  ils  s'en  retournèrent  satisfaits. 

Les  personnes  qui  périrent  dans  ce  malheureux  hiver- 
nement  étaient  M.  John  Reed  (commis),  Jacob  Peznor, 
John  Hobhough,  Pierre  Dorion  (chasseurs).  Gilles  Le- 
clerc,  François  Landry,  J.-Bte  Turcot,  André  Laclia- 
pelle,  et  Pierre  Delaunay.  Nous  ne  doutâmes  pas 
que  cette  boucherie  ne  fût  une  vengeance  exercée  contre 
nous  par  les  naturels,  pour  la  mort  d'un  des  leurs,  que 
les  gens  du  parti  de  M.  Clarke  avaient  pendu  pour 
vol,  le  printemps  d'auparavant.  *    '    .■    v . 

Que  penser  de  la  présence  de  cette  femme, 
seule  avec  ses  deux  enfants,  dans  ces  pays 
sauvages  et  faisant  bravement  face  à  la 
situation,  sans  perdre  la  tête  un  seul  instant  ? 
Si  les  femmes  étaient  si  vaillantes,  que  de-  ;' 
vaient  donc  être  les  hommes  qui  vivaient 
dans  un  danger  continuel  ?  /  ;  ■ 

Aujourd'hui,  tous  ces  pays  de  chasse  ont 
été  ouverts  à  la  colonisation  et  sont  croisés» 


LE  SOMlIkT   DU   MONT  VETA 


■■;■  "!.'-• 


\ 


■■> 


»!-■•■ 


•M  -.i^:^:,\ 


<*^ 


•^ 


>SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  268 


dans  tous  les  sens  par  des  chemins  de  fer. 
Les  Indiens  ont  presque  entièrement  disparu, 
et  ceux  qui  restent  vivent  sous  la  tutelle  du 
gouvernement  américain.  Et  il  y  a  à  peine 
cinquante-six  ans  que  Bonneville  faisait  son 
voyage  d'exploration  et  visitait  les  côtes  du 
Pacifique,  qui  appartenaient  alors  au  Mexique  ! 
Ces  changements  sont  assez  merveilleux  pour 
que  le  voyageur  s'en  étonne  et  les  note  soi- 
gneusement dans  sa  mémoire  ou  tout  au 
moins  dans  son  calepin. 


Vi    >5fr 


Je  vais  maintenant  reprendre  mon  itinéraire 
à  Grand  Junction,  en  retournant  à  Denver 
par  l'embranchement  nord  du  Denver  and  Rio 
Grande  Railway,  en  passant  par  Glenwood 
Springs,  Aspen  et  Leadville.  Je  n'entrepren- 
drai pas  de  parler  du  pays,  qui  ressemble 
absolument  à  celui  dont  j'ai  déjà  fait  la  des- 
cription en  passant  par  Gunnison,  Montrose 
et  Salida.  On  suit  le  cours  de  la  rivière 
Grande,  en  continuant  à  traverser  toute  une 
série  de  gorges,  de  défilés  et  de  vallées, 
jusqu'aux  sources  minérales  de  Glenwood,  qui 


569 


Si^  Mbtîï' OANSlLKS'  KiOMTÀtî^EÔ-aiOCHBCstS' 


sôrit  '^situées  à  trois  cjent  soixante- dt-sepit 
miller 'île  '  Denver  et  à  ,un>e  iahitude  de  5,768 
piëdsi'  '  (Des!  soufcési  Sont'  oéièbresi'  dmsf  le 
pays;  1  pour  leiJirs  Qualités  '  icufati vës  é«  les  eaux 
en  sôttt  téllerhent  abônd^ntes^  qu'on  a  cons- 
truit -pour  les  baigneurs  une  imiiiiensie  piscine 
q«i'iii^â>^^paâ*  moins  de  '  si«  cenits;  picdë'  de 
long  ^ur  cent  pîeds  de  large;  et  qui  dôhtient 
1 1500,000  gfallons  d'eàu  sulfureuse-  à  une  tenir 
përatUré  continuelle  de  95  "^  'Fahrenheit;  Les 
eaux  sortent  de  terre > â*! u^ne  tempérafture' de 
145  "^  ,  et  l'on  peut,  en  les  laissant  refroidir  à 
l'air,  obtenir  le  degré  de  chaleur  qui  convient 
à  chaque  malade.  Les  médecins  recomman- 
dent pariioulièremisnt  ;  les-  'bainè;  :  de  ^GUmvàod 
Springs  pour  .de  .rhumatisme,  la  goutte^  le 
diabète,  les  scrofules,^  les  maladies  de  reins, 
duvsang  et  dp  la  peau.  'Un  hôtel  moderne 
offi?e  foutes  les  commodités  nécessaires,, et nné 
jdlfe;  ville  de  3,000  t^abitants  s'çst  élevép  ieri' 
cet 'endroit,  JSiuïi  les  bords  de  h.vvf\hrG'Gràndk: 
^)j^Toutë  la  contrée  enviirpneante  ;co(ntien't!rior> 
et  Fargentl  en!  abondanbejiet  de  nombi-etiseÈ 
mines- 'Ont  étéî'miises';  eh! > exploitation  depms- 
quelijues  ahnées.P"Uiiiï)émbi'an^hçmçnt  du  ché*  = 
mip  de^fer  isë'  dirige  >ïid> vers  Aepen,/  situfif ■  ai 


9i*x  Wôirf'  toANfe  liés'  KiWi<rTÂ'GNÈS-RbckEtJsïls        i  7Ô 


âôixante^qiîih^é  milleJ»  au'  sùd'-etitj''  dans  le 
èbmté  'de  i Pîtkin.  Cette  ville,  qiiii  coMpte' à' 
pèirtè  dbùié  âiirtées  d*èxîsten'cte '  '  poësèdé  dêjk 
lihé  ^ôpuktion  de  1 1  ',000  habitants,  et  'prbïtiét 
d^  desrénir'  tiln  'fcèntré  'd'éxpléftatibnii  minières 
d\iné'tf6s'  grande  to^ôAatiicëi^^.^^L'â^  contrée 
environnante  est  atisiii  favorable  à'  T^levag^ 
et'  à  î'afgrîctiltûre)  et  \ii'  hbtti^breuse  ëinigratiori 
qui'sé  pôHiè  eôh^taiiîmëHt  'ver^é' dèttie  Jjartre'  du 
Colorado^  'seriible  pfrom'ètti^è  ^ùfï  '  '  âês/àôp)^^^ 
ment' rajMdè'  ékûi  titi'avétiîi-  {)rcii!hàîri."^'Urtè 
distance  de  90  milles  sépare  Glenwood  Sprin  ? 
de  Leadville,  et  c'est  entre  ces  deux  endrOits 
que  le  chemin  de  fer  s'élève  de  nouveau  à  une 
altitude  de  10,418  pieds  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer,  en  traversant  le  défilé  du  Tennessee, 
—  Temiessee  pass.  C'est  de  cette  hauteur  que 
l'on  aperçoit  le  remarquable  pic  que  les  trap- 
peurs et  les  missionnaires  ont  nommé  :  mont 
de  la  Sainte- Croix  —  mount  of  the  Holy  Cross. 
Sur  le  flanc  sombre  de  la  montagne,  près  du 
sommet,  deux  gorges  ou  plutôt  deux  glaciers 
se  coupant  à  angles  droits,  forment  une  croix 
gigantesque  qui  se  détache  étincelanfe  sous 
les  rayons  du  soleil,  à  une  hauteur  de  14,176 
pieds.  On  raconte  que  les  chasseurs  d'autrefois 


271 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


faisaient  souvent  de  grands  détours  pour  faire 
ici  une  espèce  de  pèlerinage  et  pour  venir 
dévotement  prier  devant  ce  symbole  sacré  de 
la  religion  chrétienne.  Le  convoi  s'arrête  un 
instant  sur  le  sommet  du  défilé  pour  permet- 
tre aux  voyageurs  d'admirer  cet  étonnant  ca- 
price de  la  nature,  et  nous  reprenons  bientôt 
la  route  qui  nous  conduit  à  Leadville,  cité  de 
30,000  habitants,  dont  l'histoire,  qui  date  à 
peine  d'une  douzaine  d'années,  ressemble  assez 
aux  merveilleux  récits  des  Mille  et  une  Nuits. 


1 


LE  MONT  DE  LA  SAINTE  CROIX 


%*   t  '^'î   ■•         -V,,.<  •    ■■fr*»."J*- 


\>  :  ■  ■ 


■.<i.-,-.u.*.' 


.'  •'  r,  ' 


4-      '1  -  J 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


274 


XVII 


LEADVILLE.  —  LES  MINES  DU  COLORADO 


Je  viens  de  dire  que  l'histoire  de  Lead ville, 
depuis  sa  fondation,  ou  plutôt  depuis  la  dé- 
couverte des  gisements  d'or  et  d'argent  dans 
les  environs,  en  1876,  semble  un  chapitre  em- 
prunté aux  récits  des  Mille  et  une  Nuits  ou 
aux  aventures  merveilleuses  du  comte  de 
Monte-Cristo.  Des  fortunes  colossales  ont  été 
amassées  dans  un  an,  dans  six  mois,  parfois 
dans  un  mois  ou  dans  un  jour.  L'histoire  des 
premiers  temps  de  la  découverte  de  l'or  en 
Californie  s'est  répétée,  avec  cette  différence, 
cependant,  que  les  mines  de  Leadville  ont 
pu  être  développée;^  immédiatement  par  les 
moyens  que  la  science  moderne  met  à  la  dis- 
position de  toutes  les  industries.  Il  serait  inu- 
tile de  faire  ici  l'historique  des  premiers  éta- 
blissements, qui  remon  tent  à  peine  à  quatorze 


li 


2  75  S'^  ^O'S  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSESJ 

ans,  car  on  pourra  voir,  par  la  statistique 
suivante  que  dès  la  première  année,  en  1879, 
le  rendement  des  mines  de  Leadville  attei- 
gnait, d'un  bond,  le  chiffre  fabuleux  de 
$10,333,700.00,  alors  que  de  1860  à  1879, 
c'est-à-dire  durant  une  période  de  dix- neuf  ans, 
cette  partie  du  Colorado  n'avait  produit  qu'à 
peu  près  le  même  montant,  ou  $10,700,000.00 
en  or  et  en  argent. 

STATISTIQUES  DE  ONZE  ANNÉES. 

1860  à  1879 $10,700,000 

1879  10,333,700 

1880 15,025,135 

1881 13,147,257 

1882 17,127,402 

1883.. 15,538,446 

1884 12,837,407 

-  1885 12,357,662 

1886 f3.75o»833 

1887 12,072,967 

1888 11,830,205 

1889 13,684,051 

$158,405,155 

N'est-ce  pas  que  ce  chiffre  de  $158,405,155 
est  absolument  fabuleux,  lorsque  l'on  réfléchit 
que   Leadville  n'existe  que  depuis  1876,  et 


1 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


276 


que  le  pays,  jusqu'à  cette  époque,  avait  à 
peine  été  exploré  par  quelques  mineurs  ou 
quelques  trappeurs  qui  prenaient  plaisir  à 
vivre  isolés,  loin  des  limites  de  toute  civilisa- 
tion ?  Ai-je  besoin  d'ajouter  que  cette  richesse 
soudaine  a  eu  pour  effet  de  faire  de  Leadville 
une  cité  prospère,  florissante  et  possédant 
toutes  les  facilités  modernes  de  communica- 
tion, de  commerce,  d'exploitation  industrielle, 
d'instruction,  d'éclairage  et  d'habitation.  Située 
dans  un  des  pays  les  plus  pittoresques  du 
monde,  entourée  de  montagnes  couvertes  de 
neiges  éternelles,  arrosée  par  des  rivières  qui 
s'alimentent  aux  innombrables  torrents  de  la 
chaîne  des  Saguache,  la  —  "  ville  du  plomb  " 
Leadville  est  devenue  la  ville  de  l'or,  de 
l'argent  et  de  toutes  les  am.éliorations  imagi- 
nables que  ces  métaux  précieux  peuvent 
apporter  dans  un  pays  déjà  si  richement  doué 
par  la  nature. 

Afin  de  mieux  faire  comprendre  la  richesse 
exceptionnelle  des  mines  de  Leadville  par  la 
comparaison,  je  vais  me  permettre  de  donner 
ici  les  chiffres  de  la  production  des  mines  du 
monde  entier,  en  or  et  en  argent,  pour  l'année 
passée,  1889.   J'emprunte  cette  statistique  au 


277  ^^^  ^'•^''^  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


-r- 


-•- 


rapport  officiel  que  le  professeur  Ivan  C. 
Michels  fait  chaque  année  pour  le  départe- 
ment du  trésor,  à  Washington  :  ' 

.       Pays     ,                       Or     ^             Argent  Total 

Etats-Unis $  36,302,085     $  68,880,287  $105,182,372 

Autres  pays  d'Amé- 
rique         12,383,950          71,158,270  83,542,220 

Afrique. c. 4,657,200                 50,250  4,707,450 

Asie 14,689,085           4,836,330  19,525.415 

Australie 29,152,400         10,272,956  39,425.3S6 

Europe,  i 25,945,125          10,226,990  36,172,115 

Total $123,129,845     $165,425,083     $288,554,928 

Le  poids  des  métaux  du  tableau  qui  pré- 
cède se  divise  comme  suit  : 


/ 


-     OR,  408,391  livres  avoir-du-poids. 
ARGENT,  8,775,866  avoir-du-poids. 

La  quantité  de  l'or  est  à  l'argent  dans  la 
proportion  de  i  à  21.54.  La  valeur  de  l'or  est 
de  42.6  par  cent,  et  celle  de  l'argent  57.4  par 
cent.  L'augmentation  des  mines  d'argent  se 
fait  sentir  ai'x  Etats-Unis  et  au  Mexique,  et 
tout  spécialement  en  Australie,  où  la  produc-. 
tion  de  l'argent  a  augmenté  de  $1,058,000  en 
1888  à  $10,272,956  en  1889. 

Voici  un  nouveau  tableau  qui  fait  voir   la 


i 


LE  MAJORDOME- GLEN-EYRE 


K  ■%,■:-{, 


-■;:.<V'^ 


l: 


i*' 


production  totale  ri^o 

i«8i.  «,«         '^"  ^'■^^"*-  Total 

!''' 95.050,500         n'IlT^  2^0.250.000 

lllt 'or.5.o,io  ll'f'T  ^^°'^"'5oo 

'    llll ^03.350.200           leZT  '^''^'-'Soo 

l!!' 98,520,500  rtVoôZ  ^30.100,700 

llll '07.061.040  xaô'oi!?  ^^9.721.000 

^^^  M  S 

•  *948, 340,300      $i,i3ioQç,8,     Z ■ 

*  '  3  ,095,181     $2.073,435,48, 

donc  constater  pttSrf''°°i  ""  "''' 
"on  de  l'or  a  ét^  V      ^    T  "^"^  ^  P-'oduc- 

-o-oo    au-dessus   df    i Td      '  ^'°'°°°'- 
moyenne  annuelle  deLln'*^"'""  ^e  la 

J'ai  cite'  cesliffi!  '""'7  P'-^'^^dentes. 
en  un  coup  d'oeil  r*      ^     !""'  ^°'«P>-endre, 

du  rendemenrié     '        "1^"  ^"^-"^"'^  « 
donnent  près  de  dno  n'""'  ^'  ''^^'^^'■"^'  ^-' 

p^oductio^„defsr;rets^'^^'^ 


28l 


SIX  MOIS  DANS  LES  RFONTAGNES-KOCHEUSES 


Si  je  me  suis  permis  de  sortir  du  domaine 
du  pittoresque  pour  aborder  celui  de  la  statis- 
tique, c'est  parce  que  je  connais  l'attrait  tout 
particulier  que  possèdent  les  métaux  précieux 
pour  le  commun  des  mortels  ;  et  j'ai  cru  que 
mes  lecteurs  s'arrêteraient  un  instant  avec 
plaisir  dans  le  pays  de  l'or  et  de  l'argent  pour 
en  étudier  la  richesse  presque  incalculable.  Je 
finis,  en  disant  que  le  produit  total  des 
mines  du  Colorado,  pour  l'année  !  889,  a  été 
de  $29,941,531  ou  plus  de  dix  pour  cent  des 
mines  du  monde  entier.  Dans  le  prochain  cha-- 
pitre,  j'étudierai  le  Colorado  au  point  de  vue 
agricole,  et  je  donnerai  des  chiffres  qui  pour- 
ront intéresser,  sur  les  produits  de  la  culture, 
de  l'élevage,  de  l'industrie,  des  mines  de  fer 
et  de  charbon,  des  puits  de  pétrole  et  sur  l'é- 
valuation actuelle  des  propriétés  foncières  de 
la  ville  de  Denver. 

De  Leadville  à  Salida,  distance  de  soixante 
milles,  on  traverse  un  pays  accidenté  qui  res- 
semble en  tous  points  à  celui  que  nous  avons 
déjà  parcouru,  et  nous  reprenons  ici  la  route  de 
Denver,  en  traversant  de  nouveau  la  Royal 
Gorge,  et  en  passant  par  Pueblo  et  Colorado 
Springs. 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  282 


XVIII 


L'AGRICULTURE  ET  L'ÉLEVAGE  AU 
COLORADO 


Après  avoir  noté  les  richesses  minérales  du 
Colorado,  il  me  reste  à  dire  un  mot  de  ses 
ressources,  au  double  point  de  vue  de  l'agri- 
culture et  de  l'élevage.  J'ai  déjà  parlé  de  l'ac- 
croissement merveilleux  de  la  ville  de  Denver, 
depuis  dix  ans,  mais  quelques  chiffres  officiels 
offriront  des  données  absolument  authentiques, 
qui  ne  sauraient  manquer  d'intéresser  mes 
lecteurs.  Fondée  en  1859  et  nommée  en 
l'honneur  du  général  Denver,  alors  gouver- 
neur du  Kansas,  la  capitale  du  Colorado  ne 
comptait  qu'une  population  de  4,741  habi- 
tants en  1870.  En  vingt  ans,  ce  nombre  s'est, 
élevé  à  140,000  âmes,  chiffre  actdel  de  la 
population  de  Denver.  L'évaluation  officielle 


283  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

des  propriétés  foncières  pour  fins  d'impôts 
municipaux  s'élevait,  en  1889,  à  plus  de 
$60,000,000,  ce  qui  forme  plus  d'un  tiers  de 
l'évaluation  totale  des  propriétés  de  l'État  du 
Colorado,  qui  s'élève  à  $195,000,000  pour  la 
même  année.  Pendant  l'année  1888,  1,827 
bâtisses  ont  été  construites,  ayant  une  valeur 
totale  $6,000,000.  En  1889,  la  valeur  des  ■ 
nouvelles  constructions  s'est  élevée  à  $7,2 14.- 
585.  Et  l'on  croit  que  la  valeur  des  nouveaux 
édifices  en  voie  de  construction  pendant  l'an- 
née courante,  1890,  atteindra  le  chiffre  fabu- 
leux de  $10,000,000,  pour  une  ville  de  140,000 
habitants.  New-York,  Brooklyn,  Chicago  et 
Saint- Louis  sont  les  seules  villes  du  continent 
dont  les  nouvelles  constructions  dépassent  en 
valeur  celles  de  Denver,  pendant  l'année 
1889. 

Le  tableau  suivant  du  total  des  récoltes  du 
Colorado  depuis  neuf  ans,  donne  une  idée 
assez  juste  de  ses  produits  agricoles  pendant 
cette  période.  Pour  le  maïs,  le  blé,  le  seigle, 
l'avoine,  l'orge  et  les  pommes  de  terre,  les 
quantités  se  chiffrent  par  boisseaux,  le  foin  se 
chiffre  par  tonneaux,  et  la  laine  par  livres  : 


^^ 


DANS  LE  JARDIN   DES   DIEUX 


(SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSE.: 


286 


i 

3 


o 


in 


O 


i 

"S 

< 


! 


«« 

n 


tn 

■S 


I 


«     CNw     moooooovovo 


—   00   N   vo   N   "-i 


N 


11   00 


f)  fl  On  00   VO 


fO  30   w 


ON  N 

'f  d\  00 


ro  ro  »0 


O 


ON  ro  ro  m 


10  00  u^  00  q_ 

irî  NO  00   Ôn  *-■ 


(4    M    H    VO 

rO  NO   fO  N 


On  N   M 

Tt  NO   On 


^1 
t^  00 


00 

NO 


00       «^       t^OONOOOOO       fOt-.iO 
o      ON-'tO      lOrot^oOvO      o 


N   w   i-<  VO  « 

ro  NÔ   N  00  N 

~  00  tA  00 

vu  N  ro 

u-i  l~-.  ON  N 


On  6 
r~  ON 


VO   «  «o  NO 
ON  00  00   ro 


o 


% 


NO   N 
i/^  00 


t^  00   ►- 


pj       Q       N       <*1iOoO       mt^NO       '' 


On  "„  « 
w   «   •-<   N 


o 


Il   NO 


r^  ON  •"  t^ 
fO  ««  co  ro  On 
N   N   N   «   - 


ro  ro  O   On  lA 


O   O   On  NO    -    .   _ 
wN'T'^OO^N^OO 


N 


O   «   fO  N   r') 


O  00  ^   Q   •^  u^ 

■        00   NO   NO   SO 


On  Q  NO 
NO   O   10 


O 


„  "-roNNONO'^«  N 
O.3''500O  M  M  C  ri-  tn 
S^,  rOOON  N  ""."^  ^ 
f^rOiôuri     fôi-T     cfoONO 


M  ro  ON  "«r  w. 

vo"  rô  î?  ,S  O 

N  rO  N  NO  N 

»0  vO  00  On  N 

•»  **  ^  ^  •* 

w  «  «  >-  N 


00  r^  00  m  fo 

>-■   N  N  ^  N 

N   f<^  »^  00  »-~ 

t^  ff  00  no"  NÇ 

8|i«  >-<  IM  Ô 

00  o  »^  o 

rf  w  cf  N  rô 


00  N'»*©  ►"  On  N 

cJj  m  d  rô  fî  ■^ 

os  O   -  N  10  NO 

^  ir>  10  to  NO  NO 


"«J- 

M 

N 

ro 

N 

fO 

•%  ^  •» 

o  w  00    00 

On  ►"  0      N 

vo  10 


Sn 


ow  f<  rOTfu^NO  r^oOON 
OOOOOOOOOOOOOOÔQOOOO 
OOOOOOOOoOOOOOOOOOOO 


28; 


SIX  MOTS  DANS  LES  ^fONTAGNES-ROCHEUSES 


L'élevage  se  fait  partout  sur  une  vaste 
échelle  dans  les  plaines  de  l'est  du  Colorado, 
et  le  rapport  officiel  de  l'année  dernière 
(1889)  montre  un  total  de  800,000  che- 
vaux, 35,000  mulets  et  60,000  porcs.  Le 
tableau  suivant  donne  les  chiffres  exacts,  par 
comtés,  du  nombre  de  bêtes  à  cornes  et  de 
moutons  qui  paissaient  dans  les  prairies  à  la 
même  époque  : 


Comtés. 

Arapahoe. . . 
\rchuleta. . 

Bàca 

Bent 

Boulder. 

ChafFee 

Cheyenne. . 

Custer 

Costilla 

Conejos.  . . . 
Clear  Creek 
Douglas..   .. 

Dolores 

Delta 

Eagle 

Elbert .. 

El  Paso  . . . 
Fiéniont. . . 
Garfieîd 


Bêtes  à  cornes. 

Moutons. 

60537 

189,81- 

ii'SSS 

77.74J 

89.601 

•9,960 

54.972 

18,030 

52,059 

1.380 

24-933 

3,918 

4.671 

12,987 

36234 

32,733 

43764 

20.925 

39.674 

3.353 

49»358 

12,015 

S3.+87 

150,477 

4,242 

64.848 

233  100 

108.006 

171.534 

61,923 

69,9^0 

3,378 

SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


288 


\ 


Comtés.  Bêtes  à  Cornes. 

Gilpin ; 4.023 

Grand 35,622 

Gunnison 39- 1 59 

Hinsdale. 3,86i 

Kuerfano ...  34,479 

Jeflerson 57,238 

Kit  Carson 6,717 

Kiowa 8,916 

Las  Animas 124,569 

Larimer 148,986 

La  Plata , .  61,923 

Lake 3,783 

Lincoln 28,581 

Logan 60,024 

Mesa 97,875 

Montezuma 25,593 

Montrose 104,052 

Morgan 25,002 

Otero 54,531 

Ouray ii,5i4 

Park 75.261 

Phillips 7,785 

Pitkin 11,913 

Prowers 36,483 

Pueblo , .  58,638 

Rio  Blanco 136,389 

Rio  Grande  26,373 

Routt f..  140,304 

Saguache 82,332 

San-Juan 90 

San-Miguel 27,168 

Sedgwick 5,287 

Summit     4,277 


Moutons. 


7,824 
13,692 

155.782 


190,762 
33'26i 
13,767 

156,972 
49,896 
20,916 

44,916 
72,287 
17,562 

89,508 
2,133 


40.155 
15,810 

32.340 
30,042 

33534 

1 5,006 

7,620 


1 


■^ 


J, 


289 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


Comtés.  Bétes  à  Cornes.  Moutons. 

Washington ".  8,370                       16,500 

Weld 109,533  137,985 

Yuraa 18,278 


Total : 2,641,546  2,007,791 

Valeurtotale $25,200,725  $2,139,000        • 

J'ai   déjà   dit   que   les   mines  de  charbon  '     ^  '^     1 

abondaient  partout  dans  les  montagnes.  Les 
géologues  et  les  ingénieurs    considèrent   les  ;  ■ 

gisements  comme  inépuisables.  Pendant  l'an-        '  ;  y^ 
née   1889,  les  mines   ont  produit   2,373,954 
tonneaux  de  houille,  répartis  comme  suit,  dans 
les  différents  comtés  de  l'Etat. 

Tonneaux. 

Arapahoe 900 

Boulder ; 297,793 

Douglas 300 

El  Paso 54,066 

Frémont i 279.855         " 

Gunnison 251,808 

Garlield 144627             ; 

Huerfano 309.023 

Jeflferson 6,600                  'i^     v  ^^ 

Las  Animas 876,990 

La  Plata ^^ 32,630                           ' 

Park 47)OoS 

Pitkin 46,181                  ' 

Weld 26,276 

Total 2,374,054 


':MW^ 


LA  CATHEDRALE— JARDIN   DES  DIEUX 


.(•-,; 


'•!■■['■' 


'I 


SIX  MOIS  DANS   LES  MONT  AGNES- ROCHEUSES  292 


Les  puits  de  pétrole  de  Florence  ont  pro  • 
duit,  l'année  dernière,  360,000  barils  d'huile 
de  bonne  qualité,  et  les  fonderies  et  forges  de 
fer  et  d'acier  de  Pueblo  utilisent  continuelle- 
ment les  minerais  de  fer  qui  se  trouvent  par- 
tout dans  les  montagnes.  Il  est  indiscutable 
aujourd'hui  que  le  Colorado  possède  toutes 
les  richesses  naturelles  nécessaires  pour  deve- 
nir  le  principal  centre  manufacturier  des  Etats 
situés  à  l'ouest  du  Mississipi. 

Il  n'y  a  guère  plus  de  vingt  ans  que  l'on 
considérait  encore  la  plus  grande  partie  du 
territoire  du  Colorado  comme  impropre  à 
la  culture,  à  cause  de  la  sécheresse  de  la  tem- 
pérature,  causée  par  le  manque  presque 
absolu  de  pluies  régulières  ;  mais  l'irrigation 
artificielle  est  en  train  de  changer  cet  état  de 
choses  et  de  fertiliser  d'immenses  étendues  de 
terrain  dont  les  produits  vont  en  augmentant 
tous  les  jours.  34,560,000  acres  ou  54,000 
milles  carrés  reçoivent  déjà  les  eaux  des 
rivières  au  moyen  de  barrages  et  de  canaux, 
et  les  puits  artésiens  de  la  vallée  de  San-Luis 
ont  entièrement  changé  l'aspect  de  cette  con- 
trée qui  ne  compte  pas  moins  de  36,000  milles 
de  superficie. 


293 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


Les  statistiques  qui  précèdent  sont  emprun- 
tées aux  rapports  des  chambres  de  commerce 
et  peuvent  être  considérées  comme  absolu- 
ment exacts.  Il  ne  me  reste  plus  qu'à 
donner  un  tableau  des  principales  villes  du 
Colorado  et  de  leur  population  pour  complé- 
ter les  renseignements  contenus  dans  cette 
correspondance.  Il  faut,  cependant,  pour  bien 
comprendre  la  situation  et  apprécier  les 
immenses  progrès  des  dernières  années,  ne 
pas  oublier  que  l'Etat  ne  fait  partie  de  l'Union 
américaine  que  depuis  1876,  (;t  que  les  pre- 
miers établissements  remontent  à  peine  à 
trente  ans. 

J'ai  déjà  dit  que  les  médecins  étaient  una- 
nimes à  recommander  le  séjour  du  Colorado 
pour  toutes  les  personnes  qui  souffraient  de 
maladies  des  poumons  et  des  voies  respira- 
toires ;  je  dois  ajouter  que  j'ai  été  témoin 
de  guérisons  nombreuses  dues  sans  aucun 
doute  à  un  climat  sec  et  tempéré,  à  une 
atmosphère  pure  et  à  la  légèreté  et  à  la  raré- 
faction de  l'air.  Il  ne  faut  pas,  naturellement, 
attendre  les  dernières  phases  de  la  phthisie, 
lorsque  la  maladie  est  devenue  absolument 
incurable,  pour  se  diriger  vers  le  Colorado  et 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  294 

y  mourir  loin  des  siens,  au  milieu  de  l'indif- 
férence des  étrangers.  C'est  malheureusement 
ce  qui  arrive  trop  souvent.  Mais  il  est  hors  de 
doute  qu'un  séjour,  même  temporaire,  apporte 
toujours  un  soulagement  certain  et  une  gué- 
rison  très  probable,  à  ceux  qui  peuvent  faire 
le  voyage  à  temps  et  dans  les  conditions  vou- 
lues. Je  sais,  par  expérience,  que  le  climat 
offre  une  cure  certaine  pour  l'asthme,  car  j'ai 
trouvé  au  Colorado  un  soulagement  que  j'a- 
vais en  vain  cherché  dans  le  midi  de  la 
France,  en  Italie  et  en  Algérie.  Mais  je  le 
répète  encore,  il  s'agit  de  ne  [)as  attendre 
trop  tard  pour  s'y  rendre  et  de  ne  pas  revenir 
trop  tôt  lorsqu'on  s'y  trouve  bien. 


295  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


XIX 

LE    "  COWBOY  "    AU  COLORADO  -  LE  DRES- 
SAGE DES  CHEVAUX  SAUVAGES 


Ma  relation  de  voyage  était  terminée  et 
j'allais  donner  le  "bon  à  tirer"  à  mon  impri- 
meur, lorsqu'un  de  mes  amis  qui  avait  lu  mon 
manuscrit  et  qui  paraissait  s'être  intéressé  à 
mon  récit,  me  dit  : 

—  Mais  tu  ne  nous  dis  pas  un  mot  des 
cowboys.  Il  me  semble  que  c'est  de  rigueur, 
dans  le  récit  d'un  voyage  au  Colorado. 

—  Mon  cher  ami,  les  cowboys  sont  en  train 
de  disparaître  des  plaines  du  Colorado,  comme 
ils  ont  déjà  disparu  des  plaines  du  Kansas. 
Les  chemins  de  fer,  l'immigration,  les  canaux 
d'irrigation  et  la  charrue  du  cultivateur  sont 
en  train  de  les  chasser  au-delà  des  premières 
chaînes  des  Montagnes-Rocheuses.  Je  ra- 
conterai bien  ce  que  je  sais  de  ces  caractères 


,-^^i.lTT--  ■■— -1 


t'v  .~  '    •      ^T^''-    ' 


LA  CASCADE  DE  L'ARC-EN-CIEL 
(Ute  Pa$8) 


'     '■'►■* 


.1 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  298 

exotiques,  mais  je  n'ai  pas  l'intention  de  réédi- 
ter les  histoires  plus  ou  moins  fantaisistes  que 
l'on  a  déjà  publiées  au  sujet  de  la  vie  aven- 
tureuse du  bouvier  des  plaines  de  l'Ouest. 
Buffalo  Bill  et  sa  troupe  ont  vulgarisé,  en  les 
accentuant  légèrement,  tous  les  détails  de  la 
vie  ordinaire  du  Wild  West,  de  *'  l'Ouest  sau- 
vage." J'ai  cependant  visité  les  vastes  ranches 
où  l'on  s'occupe  tout  particulièrement  de 
l'élevage  et  du  dressage  des  chevaux,  et  j'y  ai 
recueilli  quelques  détails  que  je  crois  inédits, 
et  qui  présentent  un  côté  assez  pittoresque 
de  la  vie  des  plaines. 

Le  cowboy,  de  toute  nécessité,  doit  être  bon 
cavalier  et  doit  pouvoir  non  seulement  monter, 
mais  dompter  les  chevaux  les  plus  sauvages. 
Il  peut  ensuite  devenir  bouvier  et  s'engager 
pour  conduire  les  troupeaux. 

J'ai  assisté  maintes  fois  au  dressage  des 
chevaux,  et  je  me  suis  renseigné  tant  bien 
que  mal  auprès  de  ceux  qui  pouvaient  me 
donner  des  informations.  J'ai  pris  des  notes 
et,  ma  mémoire  aidant,  voici  le  résultat  de  mes 
observations  :       * 

On  commence  par  parquer  {corral)  les  che- 
vaux, au  printemps  et  aux  premiers  jours  de 

16 


299  '''^  ^^^^^  DANS  LES  MOMAONES-ROCHLUSES 

l'été.  Quand  ils  sont  en  sûreté  dans  l'enclos, 
on  choisit  ceux  de  quatre  ans  qu'on  veut 
habituer  à  la  selle  et  préparer  pour  la 
vente.  Alors,  pour  la  première  fois,  elles 
sentent  la  main  de  l'homme.  Ce  dressage  des 
poulains  est  \:^  travail  le  plus  pénible  du  cow- 
boy.  Ces  jeunes  bêtes  sont  sauvages  et  fières  ; 
et  à  moins  qu'on  ne  les  traite  avec  précau- 
tion, on  peut  les  rendre  impropres  au  service 
ordinaire. 

On  raconte  des  centaines  d'aventures  émou- 
vantes dont  les  chevaux  ont  été  les  héros, 
pendant  qu'on  les  dressait.  Buffalo  Bill,  que  je 
connais  très  bien,  me  racontait  qu'il  avait  eu 
un  associé  nommé  Broncho  Charlie,  qui  domp- 
tait une  fois,  au  Gros-Castor,  dans  le  Colo- 
rado, un  superbe  étalon  noir.  Charlie  qui 
s'imaginait  qu'il  avait  parfaitement  habitué  la 
bête  à  son  contrôle,  lui  mit  la  main  sur 
l'encolure,  lorsqu'en  un  clin  d'œil,  l'étalon  lui 
saisit  cette  main  et  se  mit  à  la  secouer  abso- 
lument comme  un  chien  le  ferait  d'un  rat, 
déchirant  les  chairs  et  les  muscles  et  lui 
faisant  une  terrible  blessure.  Ce  fut  un 
bonheur  pour  Charlie  que  l'animal  ne  Tat- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


300 


trapât  point  par  le  bras,  car  il  le  lui  aurait 
broyé  et  mis  en  pièces. 

On  fait  courrir  le  troupeau  autour  du  corral 
au  petit  galop,  pour  permettre  au  cowboy 
d'examiner  toutes  les  bêtes  et  de  choisir  le 
cheval  qu'il  veut  dresser  pour  l'attraper  au 
lasso.  Pour  la  première  fois,  l'animal  sent  les 
liens,  et  aussitôt  toutes  ses  méfiances  s'é- 
veillent. On  la  voit  se  précipiter  et  essayer 
de  se  confondre  dans  la  foule  de  ses  com- 
pagnons. Mais,  peu  à  peu,  le  cowboy  s'ap- 
proche. Il  sait  à  quel  moment  il  devra  donner 
de  la  corde  au  cheval,  afin  qu'il  ne  se  blesse 
pas,  sans  toutefois  lui  fournir  l'occasion  de 
s'échapper. 


Après  ime  lutte  plus  ou  moins  prolongée, 


30I  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

* 

l'animal  est  séparé  enfin  du  troupeau  et  se 
tient  devant  son  maître,  tous  ses  membres 
frémissants,  Tceil  dilaté  et  les  flancs  tout  pan- 
telants. 

*  Le  plus  difficile  reste  à  faire.  La  tâche  du 
cowboy  est  bien  propre  à  exercer  au  plus  haut 
degré  son  jugement,  son  agilité,  sa  patience 
et  son  courage.  Il  faut  que  le  cowboy  passe  un 
nœud  aux  naseaux  du  cheval  et  le  musèle, 
afin  de  s  en  faire  mieux  obéir  et  de  permettre 
en  même  temps  de  lâcher  un  peu  le  lasso,  de 
crainte  qu'il  ne  s'étrangle. 

Avec  un  instinct  aussi  rapide  que  mer- 
veilleux, le  cheval  découvrira  le  signe  de 
frayeur  le  plus  léger  chez  son  dompteur,  et 
il  saura  en  profiter. 

Le  cowboy  s'approche  lentement,  tantôt 
avançant  et  tantôt  reculant,  selon  la  tactique 
du  cheval.  Il  s'agit  pour  lui  d'arriver  jusqu'à  la 
tête  du  cheval.  Si  étrange  que  cela  paraisse, 
la  manière  de  lui  montrer  la  main  est  un  point 
d'une  grande  importance.  Par  instinct,  la  bête 
craint  la  main  ouverte  dont  il  voit  la  paume, 
beaucoup  plus  que  celle  qui  est  fermée,  ou 
dont  on  ne  lui  montre  que  le  dos. 


SIX  MOTS  DANS  LES  M  ONT  AGNES- ROC  H  EUS  ES  302 


Lorsqu'on  est  parvenu  enfin  à  s'approcher 
assez  près  pour  promener  doucement  sur 
l'extrémité  des  naseaux  le  dos  de  la  main,  on 
a  accompli  une  bonne  partie  de  la  tâche.  Le 
cheval  commence  à  se  calmer.  Alors,  d'un 
mouvement  rapide,  on  lui  passe  un  nœud 
coulant  aux  naseaux,  et  la  bête  se  trouve  suf- 
fisamment muselée.  Parfois,  cette  partie  de  la 
tâche  demande  des  heures  entières.  Le  che- 
val essaiera  de  porter  des  coups  avec  ses 
pieds  de  devant,  et  essaiera  de  mordre,  ou 
bien,  pivotant  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  il 
lancera  de  terribles  ruades. 

Malheur  au  coivboy  s'il  n'est  aussi  igile 
qu'un  chat,  et  s'il  ne  sait  point  se  mettre 
en  garde  contre  ces  attaques  dangereuses. 
Mais   surtout   qu'il    ne   lâche   point  le   licol 


303  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

OU  bien  tout  sera  à  recommencer  dans  des 
conditions  pires  encore. 

Après  des  tentatives  longues  et  patientes, 
le  cowboy  parvient  enfin  à  mettre  la  main  sur 
l'encolure,  le  garrot  et  les  reins  du  cheval. 
Cette  manière  n'est  pas  la  plus  courte  pour 
dresser  un  cheval  ;  mais  c'est  la  meilleure. 

Lorsqu'à  force  de  douceur,  on  est  parvenu 
à  rendre  la  bête  maniable,  il  n'est  pas  difficile 
à  un  cavalier  habile  de  la  monter  ensuite. 

Une  méthode  beaucoup  moins  longue  mais 
plus  violente,  et  qui  peut  blesser  le  che- 
val, consiste  à  lui  lier  les  deux  pieds  de 
devant  avec  un  second  lasso,  à  le  jeter  après 
cela  sur  le  flanc,  à  lui  passer  alors  le  licol 
et  à  lui  attacher  une  selle,  pendant  qu'il  gît 
ainsi  sur  le  sol. 

Après  ces  précautions,  un  cavalier  adroit 
fait  passer  la  bête  effarouchée  par  une  série 
d'exercices  fatigants,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit 
littéralement  épuisée,  et  que,  n'en  pouvant 
plus,  elle  se  soumette.  Mais  l'effet  de  cette 
méthode  est  loin  d'être  aussi  satisfaisant  que 
la  première;  car  désormais,  le  cheval  ne 
cessera  plus  de  voir  en  son  maître  un  ennemi 


J 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


304 


naturel,  et  il  n'obéira  plus  que  sous  l'empire 
de  la  crainte. 

Mais  il  ne  suffit  pas  de  dompter  l'animal 
en  lui  passant  un  licol  et  en  l'habituant 
à  y  obéir.  La  seconde  partie  du  dressage  con- 
siste à  lui  mettre  une  selle. 

Pour  l'y  amener,  on  lui  passe  à  plusieurs  re- 
prises la  main  sur  les  reins  et  sur  les  flancs.  On 
lui  jette  ensuite  sur  le  dos  une  couverture  lé- 
gère à  laquelle  est  attachée  une  sous-ventrière. 
Néanmoins,  quelque  accoutumé  que  soit  le 
cheval  à  cette  couverture,  ce  sera  encore  toute 
unç  affaire  lorsqu'on  lui  fera  sentir  le  poids 
d'une  selle  et  qu'on  bouclera  la  sanglel 

Il  va  sans  dire  qu'il  y  a  chevaux  et  chevaux, 
et  que  dans  le  nombre,  il  s'en  trouve  qui  se 
prêtent  plus  facilement  que  les  autres  à  la 
volonté  de  l'homme.  On  arrive  toutefois  à 
surmonter  enfin  la  difficulté  de  la  selle,  et  il 
s'agit  alors  d'accoutumer  la  bête  à  se  laisser 
monter. 

Ce  n'est  pas  la  chose  la  plus  facile  du 
monde  que  d'arriver  à  se  mettre  en  selle,  car 
le  cheval  tourne,  se  dresse  tout  droit  sur  ses 
pieds  de  derrière,  lance  dt;s  ruades  et  s'efforce 
d'échapper.  S'il  se  jette  à  terre,  la  selle  de 


305  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


dressage  est  faite  de  telle  sorte,  avec  un  pom- 
meau élevé,  que  le  cavalier  peut  retirer  les 
jambes  sans  difficulté  dans  le  cas  où  il  se 
trouverait  pris  sous  la  bête.  D'ordinaire,  il  se 
tient  sur  ses  pieds  au  moment  où  le  cheval 
s'abat,  et  il  enfourche  de  nouveau  sa  monture 
dès  qu'elle  se  relève. 

Voici  le  moment  où  le  cheval  va  essayer 
les  cabrioles.  Se  sentant  sur  le  dos  le  poids 
assez  lourd  d'un  cavalier,  il  fait  un  effort  su- 
prême pour  s'en  débarrasser.  Le  voilà  qui  s'é- 
lève au-dessus  du  sol  et  qui  retombe  tenant  la 
tête  entre  ses  jambes  de  devant,  la  queue  serrée 
entre  les  jambes  de  derrière,  et  réunissant  les 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  3 


06 


quatre  pieds  aussi  près  que  cela  lui  est  pos- 
sible. 


^^':^^i^ 


Le  choc  que  le  cavalier  ressent  à  la  des- 
cente est  terrible  et  si  c'est  un  novice,  qui 
ne  Ta  pas  éprouvé  encore,  il  sera  désarçonné 
en  un  rien  de  temps.  Mais  s'il  a  déjà  passé 
par  des  épreuves  semblables,  s  il  sait  se  tenir 
en  selle,  il  est  à  peu  près  certain  que  le  cheval 
recommencera  le  ^nême  manège  en  y  intro- 
duisant de  nombreuses  variations. 

Il  sautera,  pivotera  sur  lui-même  pendant 
qu'il  sera  dans  les  airs  ;  il  s'abattra  sur  le  sol, 
les  jambes  roides  comme  des  barres  ;    et  il 


307  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

lancera  de  terribles  ruades.  Si  l'on  se  met  bien 
dans  l'esprit  que  tout  cela  a  lieu  pendant  une 
course  échevelée,  on  comprendra  facilement 
qu'un  homme  qui  ne  se  sent  pas  en  selle  par- 
faitement à  son  aise,  sera  bientôt  désarçonné. 
Un  coup  dont  la  bête  fait  invariablement  l'es- 
sai quand  elle  voit  qu'aucun  des  autres  ne  Ini 
a  réussi,  consiste  en  un  bond  fait  soudaine- 
ment de  recul.  Immédiatement  après,  le  che- 
val se  dresse  sur  sa  croupe  et  se  laisse 
tomber  en  arrière,  dans  l'espoir  d'écra- 
ser le  cavalier  sous  son  poids.  Il  ne  tient 
alors  qu'à  un  cheveu  que  ce  dernier  n'ait  quel- 
que membre  brisé,  peut-être  même  qu'il  ne 
soit  entièrement  broyé. 

Il  ne  peut  échapper  au  danger  qu'en  se 
jetant  hors  de  selle  par  un  côté,  sans  oublier 
toutefois  de  garder  fermement  dans  sa  poigne 
la  corde  qui  sert  de  licol.  Dès  que  le  cheval 
se  redresse,  le  cavalier  doit  être  déjà  remis  en 
selle. 

C'est  alors  qu'il  faut  du  sang-froid  et  de  la 
présence  d'esprit,  car  le  cheval  ne  médite  rien 
moins  que  la  mort  de  son  cavalier.  Quelque- 
fois il  continuera  cette  lutte  durant  une 
heure,  se  tenant  tout  le  temps  dans  un  étroit 


m^ 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


308 


espace  de  dix  pieds  carrés.  Ce  n'est  que 
lorsqu'il  se  sent  entièrement  hors  d'haleine  et 
à  bout  de  forces  qu'il  donne  quelques 
signes  de  soumission.  Quand  la  bête  en  arrive 
à  ce  point,  c'est  le  moment  d'avoir  recours  au 
fouet  et  à  l'éperon  pour  mettre  le  cheval  au 
galop.  Tandis  qu'il  court,  il  ne  lui  est  pas  pos- 
sible de  faire  ses  cabrioles  de  bouc  ;  aussi, 
pourvu  que  le  cowboy  puisse  rester  en  selle 
quand  le  cheval  fait  ses  sauts,  et  qu'il  le  fasse 
courir  jusqu'au  point  d'épuiser  ses  forces,  il 
est  sûr  de  sortir  vainqueur  de  la  lutte. 
Toutefois,  si  le  cheval  est  d'un  naturel 
'  vicieux,  il  fera  l'essai  du  même  jeu  avec 
chaque  nouveau  cavalier  qu'il  portera  en  selle  ; 


309 


SIX  MOTS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


car,  reconnaissant  un  maître  en  celui  qui  l'a 
d'abord  dompté  et  lui  obéissant,  il  n'aban- 
donnera pas  l'espoir  de  reconquérir  la  liberté 
avec  un  nouveau  cavalier.  Aussi  les  cowboys 
sont-ils  toujours  sur  leurs  gardes  quand  ils 
montent  une  nouvelle  bête,  ne  négligeant 
jamais  de  demander  si  elle  buckcabriole,  et  si 
elle  fait  des  bêtises. 


Qu'arriverait-il  si  un  cheval  s'échappait 
pendant  qu'on  le  dompte  ?  Ce  serait  adieu 
paniers,  les  vendanges  sont  faites,  du  moins  en 
ce  qui  regarderait  le  cavalier.  Le  cheval  se 
souviendrait  à  jamais  de  lui  ;  il  n'oublierait 
pas  de  sa  vie  qu'il  a  eu  un  jour  le  dessus  sur 
cet  homme,  et  tant  qu'il  lui  resterait  un  souffle 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


310 


de  vie,  il  essaierait  de  nouveau  de  gagner  1  a 
partie. 

A  dire  vrai,  il  est  très  difficile  de  reprendre 
un  cheval  qui  est  dans  ce  cas  ;  car  dès  qu'il 
aperçoit  du  plus  loin  un  homme  qui  se  dirige 
vers  lui,  monté  sur  une  autre  bête,  il  se  met  à 
fuir  loin  du  troupeau,  et  il  disparaît  à  l'horizon. 
Dans  la  plupart  des  cas,  s'il  arrive  même  à  un 
cavalier  d'être  jeté  à  terre  une  seule  fois,  il  est 
très  difficile  de  faire  oublier  au  cheval  cette 
victoire,  et  l'on  peut  être  certain  que  la  bête 
continuera  à. cabrioler  de  temps  en  temps  jus- 
qu'à la  fin,  de  sa  vie. 


■:•■  ■■>- 


l 


311  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


XX 


LA  DETTE  DU  SANG 


15  octobre  1890. 

Il  vient  de  se  passer  parmi  les  Indiens  de 
l'ouest,  un  drame  étrange  dont  le  récit  a  fait 
le  tour  de  la  presse  américaine  et  qui  trouve 
naturellement  sa  place  dans  un  livre  qui 
traite  des  régions  sauvages  des  Montagnes 
Rocheuses. 

Les  récits  d'Homère  pâlissent  devant  l'hé- 
roïque réalité  d'une  lutte  comme  celle  que 
nous  raconte  M.  S.  C.  Robertson,  lieutenant 
au  I"  régiment  de  cavalerie  des  Etats-Unis, 
un  des  acteurs  de  ce  drame  émouvant. 

Je  laisse  la  parole  à  M.  Robertson,  me  con- 
tentant de  traduire  son  récit  qui  est  une  des 
plus  curieuses  pages  de  l'histoire  des  races 
indigènes  de  l'Amérique  du  Nord  : 


1 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


312 


"  Jamais,  épopée  sanglante,  ayant  pour  ac- 
teurs des  blancs  et  des  peaux-rouges,  n'a 
présenté  aussi  complètement  la  grandeur  et 
l'horrible,  mêlés  au  pittoresque,  que  celle  dont 
la  réserve  "^  des  Cheyennes  du  Nord  a  été 
le  théâtre,  la  semaine  dernière. 

Dans  cette  réserve  qui  s'étend  au  sud  de 
la  rivière  Yellowstone  dans  le  Montana,  et 
englobe  les  terres  arrosées  par  la  Rosebud  et  la 
TonguCy  on  a  rassemblé  les  restes  dé  cette 
bande  de  Sauvages  belliqueux  qui,  dans  le 
cours  des  septante,  commandée  par  des  chefs 
tels  que  Nez-d'aigle  et  Couteau-rouge,  a  écrit 
leo  pages  les  plus  sanglantes  dans  les  annales 
des  guerres  indiennes  et  livré  les  combats  les 
plus  acharnés  à  nos  généraux  Miles,  McKenzie 
et  Crook.  ;     -  _         ;        >^ 

On  peut  dire  que,  somme  toute,  ces  Sau- 
vages se  sont  montrés  assez  paisibles  depuis 
qu'ils  ont  été  réunis  sur  la  réserve.  Néan- 
moins, depuis  quatre  ans,  ils  ont  donné  quel- 
ques signes  de  mécontentement  et  d'agitation, 
ce  qui  a  rendu  nécessaire  l'établissement  per- 


*  Territoires  réservés  par  le  gouvernement  pour  la 
résidence  des  Indiens. 


313  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGN  h  S- ROCHEUSES 

manent  de  petits  camps  de  troupes  régulières 
dans  leur  voisinage. 

Le  printemps  dernier,  on  craignit  un  instant 
que  le  meurtre  d'un  fermier  par  trois  de  ces 
Sauvages  n'amenât  une  crise  ;  mais  les  assas- 
sins furent  livrés  et  la  crise  n'eut  pas  lieu. 
Néanmoins,  comme  conséquence  de  ce  crime, 
les  tentes  blanches  d'un  escadron  du  I"  régi- 
ment de  cavalerie  des  Etats-Unis,  sont  res- 
tées, pendant  cinq  longs  mois,  comme  de  silen- 
cieux pacificateurs  en  présence  des  wigwams  '\  « 
enfumés  des  Cheyennes,   le  long  du  Lame 

Deer.  '"■''■',-'••' 

Tout  nous  faisait  espérer  le  maintien  de  la 
paix  et  le  départ  prochain  des  troupes,  quand  ; 
le  meurtre  inattendu  d'un  jeune  homme  du     ' 
nom  de  Boyle,  commis  parles  Indiens,  à  la 
date  du  6  septembre  1890,  à  trois  milles  de 
notre  camp,  donna  une  nouvelle  tournure  à 
la  situation.  Après  trois  jours  de  recherches 
actives  par  les  troupes  et  les  Indiens  alliés, 
on  avait  trouvé  le  corps  de  Boyle  dans  une     •/ 
ravine  profonde  sur  le  penchant  d'une  mon-         " 
tagne    escarpée    et  solitaire,  à  une  grande 
distance  de  la  scène  du  meurtre. 

Cette  même  nuit,  la  police  indienne  avait 


"ii'.'- 


7- 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGITES-ROCHEUSES  314 

également  découvert  les  assassins.  C'étaient 
deux  jeunes  Cheyennes  qui,  lorsqu'on  avait 
retrouvé  le  corps  de  la  victime,  s'étaient  enfuis 
dans  la  montagne. 

Ce  crime,  commis  sans  motif  apparent,  avait 
été  accompagné  de  circonstances  qui  le  ren- 
daient exceptionnellement  atroce  ;  mais  il 
eut  pour  dénouement  une  des  scènes  les 
plus  caractéristiques  du  courage  des  Peaux- 
Rouges. 

La  recherche  des  coupables  avait  continué 
sans  aucun  succès  pendant  plusieurs  jours, 
lorsqu'au  moment  où  l'on  s'y  attendait  le 
moins,  le  père  même  de  l'un  d'eux  porta  à 
l'agent  '"'  chef,  un  message  de  leur  part,  pour 
informer  ce  fonctionnaire  qu'ils  étaient  fati- 
gués de  se  cacher,  qu'ils  s'attendaient  bien  au 
sacrifice  de  leur  vie,  mais  qu'ils  voulaient 
mourir  en  combattant  bravement.  Ils  faisaient 
donc  savoir  à  l'agent  que  s'il  voulait  réunir 
les  troupes,  ils  se  présenteraient  seuls  pour  les; 


*  Chaque  réseç^'e  est  placée  sous  le  contrôle  d'un 
fonctionnuire  du  gouvernement  qu'on  appelle  Indian 
Agent,  (agent  des  Indiens.)  Sa  résidence  est  connue 
sous  le  nom  de  Agcncy  (agence). 


315  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

combattre  jusqu'à  la  mort.  Dans  le  cas  où 
leur  demande  serait  repoussée,  ils  se  jetteraient 
sur  l'établissement  de  l'agence,  ainsi  que  sur 
le  camp  et  tueraient  tous  les  blancs  qui  leur 
tomberaient  sous  la  main. 

Faite  par  un  guerrier  de  la  tribu  des 
Shoshones  ou  des  Corbeaux,  une  pareille  pro- 
position n'eût  été  prise  que  pour  une  simple 
vantardise;  mais  elle  avait  un  tout  autre 
caractère  venant  de  deux  jeunes  braves 
Cheyennes.  ,,. 

Avis  fut  donc  immédiatement  donné  au 
major  Carroll  qui  commandait  le  camp,  et  qui 
ordonna  sans  retard  aux  clairons  de  sonner 
le  boute-selle.  Les  troupeaux  furent  ramenés 
aussitôt  au  camp  et  en  un  clin  d'œil  les  soldats 
se  trouvèrent  à  cheval. 

Celui  qui  écrit  ces  ligne^^  ayant  été  un  des 
premiers  à  se  présenter,  reçut  l'ordre  de 
prendre  son  escadron,  de  le  disposer  en 
cordon  autour  du  camp  sans  perdre  un  seul 
instant,  afin  d'empêcher  l'approche  des  deux 
Indiens  de  ce  côté.  .  • 

Comme  nous  parcourions  au  galop  la  dis- 
tance d'un  mille  qui  sépare  le  camp  de 
l'agence,  nous  ne  pouvions  chasser  de  notre 


>.  :-! 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES  3  l6 

esprit  la  pensée  que  nous  étions  en  train  de 
faire  une  course  inutile.  En  effet,  l'idée  d'un 
duel  arrangé  d'avance  entre  deux  jeunes 
Indiens  et  trois  escadrons  de  cavalerie,  nous 
paraissait  trop  ridicule  pour  être  prise  au 
sérieux.  Toutefois,  quand  je  dis  ce  que  j'en 
pensais  au  Loup-vaillant,  chef  Cheyenne  qui 
galopait  à  côté  de  nous,  il  nous  rassura  en 
nous  disant  gravement  que  les  jeunes  guer- 
riers se  présenteraient  comme  ils  l'avaient 
annoncé  et  que  ce  serait  alors  entre  eux  et 
nous,  une  lutte  à  mort. 

Piquant  donc  des  deux,  nous  arrivâmes  à 
.  l'agence  où  nous  postâmes  des  sentinelles  ; 
ensuite,  toujours  guidés  par  le  Loup  vaillant, 
nous  tournâmes  dans  la  direction  de  l'Est  et 
prîmes  un  sentier  que  les  deux  braves  devaient 
suivre,  d'après  ce  que  nous  dit  le  vieil  Indien. 

Arrivés  à  un  demi  mille  de  là,  nous  fîmes 
halte  et  nous  disposâmes  nos  hommes,  les  uns 
démontés  et  distribués  en  tirailleurs,  les  autres 
à  cheval  et  placés  en  vedette.  -    :  i 

En  cet  endroit,  le  chemin  longe  un  étroit 
vallon  qu'on  dirait  encaissé  de  tous  côtés  entre 
des  collines  couronnées  de  roches  escarpées. 
La  nature   n'aurait  pas  pu   nous  choisir  de 


3  I  7  SIX  MOIS  DANS  LES  MONjTAGNES-ROCHEU&ESJ 

meilleur  amphithéâtre  pour  la  scène  que  le 
hasard  nous  préparait.  Lorsque  nous  jetâmes 
nos  regards  autour  de  nous,  pour  poster  nos 
hommes,  le  spectacle  qne  nous  eûmes  sous 
les  yeux  est  un  de  ceux  que  l'homme  n'oublie 
jamais. 

Pendant  l'agitation  des  jours  précédents, 
l'agent  avait  rassemblé  de  tous  les  coins  de 
la  réserve  la  tribu  entière  des  Cheyennes  et 
l'avait  réunie  dans  un  camp  près  de  l'agence. 

A  l'approche  des  troupes,  les  Peaux- 
Rouges  étaient  sortis  de  leurs  tépis  et  au 
moment  de  notre  arrivée,  ils  couronnaient  le 
faîte  des  collines  qui  surplombent  le  vallon, 
en  masses  épaisses  qui  se  détachaient  du  fond 
par  les  brillantes  couleurs  de  leurs  accou- 
trements sauvages. 

A  l'arrière- plan,  sur  les  hauteu  rs   plus  éle- 
vées, sur  l'autre  rive  du    Lame  Deer,  pour 
être   à  l'abri  de  tout  danger,   se  groupaient 
les  femmes  et  les  enfants  en  avant  des  trou- 
peaux de  chevaux.     ;,     .► 

Avant  notre  arrivée,  les  deux  jeunes  meur- 
triers avaient  envoyé  un  messager  à  la  tribu 
pour  l'inviter  à  venir  voir  avec  quelle  bra- 
voure ils  allaient  mourir.  Le  sang-froid  avec 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


3'8 


*, 


lequel  ces  préliminaires  de  la  rencontre 
avaient  été  arrangés  rappelait  les  scènes  des 
arènts  antiques  et  présentait  un  contraste 
étrange  avec  l'ensemble  des  idées  et  des 
mœurs  du  dix-neuvième  siècle.  Les  specta- 
teurs étaient  à  peine  en  place,  ai>  figuré,  que  le 
rideau  fut  levé  et  que  les  deux  acteurs  dont 
tout  le  monde  attendait  anxieusement  l'entrée 
en  scène,  firent  leur  apparition. 

Ils  étaient  à  cheval.  On  les  vit  déboucher 
d'un  terrain  couvert  de  troncs  d'arbres  qui 
traversait  le  vallon  à  environ  deux  mille  cinq 
cents  pieds  de  nous.  Grâce  à  nos  jumelles 
d'ordonnance,  nous  pûmes  nous  assurer  qu'ils 
étaient  bien  armés,  montés  sur  d'excellents 
chevaux  et  en  grand  costume  de  guerre. 
Un  d'eux  portait  une  magnifique  coiffure 
dont  les  plumes  splendides  touchaient  presque 
le  sol.     '■^^  '■■-  .■•■■''■.!''•■ 

Dirigeant  leurs  pontes  vers  la  crête  la  plus 
escarpée  de  la  colline  que  nous  avions  en  face, 
ils  s'arrêtèrent  et  firent  prendre  d'abord  à 
leurs  montures  yne  allure  rapide  pour  décrire 
des  cercles  qui  se  détachaient  clairement  sur 
l'horizon,  leurs  plumes  d'aigle  volant  fièrement 
à  la,  brise. 


319  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

Pendant  cette  course,  ils  avaient  entonné 
leur  chant  de  mort.  Il  ne  leur  fallait  ni  les 
applaudissements  des  loges,  ni  les  cris  du  par- 
terre pour  leur  donner  du  cœur.  N'étaient-ils 
pas  des  braves  Cheyennes,  des  fils  de  guer- 
riers Cheyermes,  dont  les  exploits  avaient 
fait  déjà  le  sujet  de  maints  chants  héroïques, 
le  soir,  à  la  lueur  des  feux  du  bivouac  ?  Les 
yeux  de  centaines  de  braves  de  leur  tribu  et 
des  belles  filles  qu'ils  connaissaient,  n'étaient- 
ils  pas  fixés  sur  eux,  par  delà  le  vallon,  pour 
les  voir  mourir  et  pour  leur  lancer  des  regards 
de  mépris  au  moindre  signe  de  crainte  ? 

Pendant  ces  préliminaires,  nos  hommes 
s'étaient  rapprochés  du  pied  de  la  colline  et 
quelques  instants  après,  le  sifflement  des  balles 
qui  tombaient  autour  de  nous  nous  apprit  que 
ce  duel  épique  avait  commencé. 

Est-il  nécessaire  d'entrer  dans  des  détails  ? 
Cinquante  mousquetons  avaient  répondu  au 
feu  des  deux  Sauvages,  tandis  que  ceux  ci 
tiraient  du  milieu  des  roches.  Se  voyant  cernés 
et  chassés  de  leur  premier  poste,  ils  se  préci- 
pitèrent  au  grand  galop  du  haut  de  la  colline 
et  coururent  vers  une  ligne  de  nouvelles 
troupes  de  cavalerie  qui  venait  d'être  amenée 


■IM 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES  3^0 

sur  le  faîte  méridional  de  la  vallée  par  le 
lieutenant  Pitcher,  du  P'  régiment  de  cava- 
lerie. 

Comme  c'est  sur  cette  crête  que  s'étaient 
massés  la  plupart  des  spectateurs  Cheyennes, 
il  était  évident  que  les  jeunes  braves  dési- 
raient que  leurs  amis  assistassent  à  la  scène 
de  mort. 

Ils  traversèrent  rapidement  le  vallon  ;  l'un 
à  cheval,  l'autre  qui  a  eu  son  cheval  tué  sous 
lui,  court  à  pied.  Le  premier  des  deux,  autour 
de  qui  pjeuventles  balles,  escalade  hardiment 
la  colline,  en  face  du  front  de  bataille  du 
lieutenant  Pitcher,  faisant  feu  en  même  temps 
de  son  mousqueton  qu'il  tient  à  la  hanche. 
Trente  mousquetons  et  revolvers  sont  bra- 
qués sur  lui,  à  bout  portant,  mais  il  ne  bronche 
pas  ;  il  avance  toujours,  ses  prunelles  lançant 
des  éclairs  de  défi  et  de  colère  sauvage.  Il 
fait  une  trouée  dans  la  li^ne.  Il  tombe  alors 
avec  trois  balles  dans  le  crâne  et  plusieurs 
autres  dans  le  corps,  ayant  trouvé  la  mort  en 
combattant  jusqu'au  dernier  moment. 

Cependant  le  jeune  guerrier  qui  était  dé- 
monté, avait  tourné  pour  descendre  le  vallon, 
attiré  peut-être  par  un  petit  groupe  de  blancs 


."^2  1  SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES- ROCHEUSES 


qui  se  tenaient  près  de  l'agence.  Les  balles 
tombaient  dru  autour  de  lui.  On  découvrit 
plus  tard  que  déjà  ses  vêtements  étaient  cri- 
blés de  balles,  mais  c'est  à  ce  point  seulement 
qu'il  dut  recevoir  sa  première  blessure,  car 
tournant  soudainement  à  gauche,  avec  cet 
instinct  caractéristique  des  Peaux-Rouges, 
—  l'instinct  du  lièvre  ou  du  coyote  blessé,  —  il 
chercha  un  refuge  dans  une  tranchée  faite 
par  le  lit  desséché  d'un  torrent  et  là  il  lutta 
avec  désespoir  jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  achevé. 
Ce  brave  était  presque  un  enfant  qui,  ainsi 
qu'on  s'en  est  assuré  plus  tard,  était  resté 
complètement  étranger  au  meurtre  de  Boyle. 
Mais  il  était  trop  vaillant  pour  refuser  de 
prendre  sa  responsabilité  du  crime  commis 
par  son  jeune  compagnon  d'armes. 

Nous  glissant  à  travers  les  broussailles  dans 
sa  direction,  nous  l'aperçûmes  enfin.  Il  était 
déjà  mort.  Nous  restâmes  émus  au  spec- 
tacle de  ce  jeune  homme  au  visage  d'une 
étrange  beauté,  couché  dans  son  costume  aux 
brillantes  couleurs,  les  joues  couvertes  de  ver- 
millon, et  en  voyant  son  sang  rose  qni  tache- 
tait les  feuilles  jaunies  par  l'automne,  sur 
lesquelles  il  était  tombé. 


/ 


SIX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 


322 


A        ^ 


C'était  le  dénouement  du  drame  et  la  dette 
avait  été  payée  à  la  mode  indienne,  sang  pour 
sang.  Nous  apprîmes  plus  tard  que  les  deux 
mères  indiennes,  lorsqu'on  leur  avait  dit  que 
leurs  fils  devaient  mourir,  étaient  allées  dans 
la  montagne  et  là,  en  femmes  dignes  de  Sparte, 
elles  avaient  bravement  orné  leurs  enfants 
pour  la  scène  finale  ;  plus  bravement  encore, 
elles  étaient  restées  spectatrices  de  la  scène 
de  mort.  Après  le  dénouement,  elles  se  pré- 
cipitèrent vers  les  deux  morts  et  se  jetèrent 
sur  ces  corps  bien  aimés. 

Les  autres  femmes  de  la  tribu  et  les  enfants 
sortirent  en  foule  des  camps,  traversèrent  le 
cours  d'eau  et  en  un  instant,  l'air  retentit  de 
leurs  lamentations  auxquelles  se  mêlaient  des 
chants  où  l'on  vantait  déjà  la  vaillance  des 
deux  victimes. 

Pendant  la  fusillade,  grand  nombre  de 
jeunes  braves  Cheyennes  qui  se  tenaient  le 
long  de  la  crête  des  monts,  ne  pouvant  plus 
contrôler  leur  ardeur  martiale,  avaient  sauté  à 
bas  de  leurs  ponies  et  bouclé  leurs  cartou- 
chières par  dessus  leurs  couvertures  ;  mais  la 
police  indienne,  dirigée  avec  prudence  par 
l'agent,  M.  Cooper,  avait  fait  fidèlement  son 


323      '     STX  MOIS  DANS  LES  MONTAGNES-ROCHEUSES 

devoir  et  l'on  avait  ainsi  évité  un  soulèvement 
général  qui  était  à  craindre. 

Comme  nous  chevauchions  lentement  dans 
la  direction  du  camp,  le  soleil  se  couchait  pai- 
siblement derrière  la  vallée  du  Lame  Deer  ; 
mais  dans  notre  mémoire,  se  trouvait  à  jamais 
gravée  en  traits  profonds,  la  scène  dramatique 
sur  laquelle  il  venait  de  jeter  ses  derniers 
rayons." 


i  '.;.:■>  ■ 


FIN 


w 


TABLE  DES  MATIÈRliS 


Préface 

I.  —  Six  mois  dans  les  Montagnes- Rocheuses 

II.  —  De  Montréal  à  Chicago 

III.  —  Chicago,  les  Sioux,  les  Bisons 

IV.  —  Le  Colorado,  l'Utah,  le  Nouveau- Mexique 

V.  —  Denver 

VI.  —  Manitou,^  Colorado    Springs,  le  Jardin   des   Dieux 

Glen-Eyre 

VII.  —  Les  chiens  de  prairie,    Pueblo,  Trinidad,  La  Véta 

Ouray 

VIII.  —  Hauteur  des  montagnes  du  Colorado,  le  Nouveau- 

Mexique 

IX.  —  Pueblos  et  Puebloanos 

X.  —  Santa  Clara,  San-Juan,  Taos 

XL  —  Les  Pénitentes,  les  Cliff  Dwellers 

XII.  —  Encore  les  Cliff  Dwellers 

XIII.  —  Encore   les  Pénitentes    de  Pueblo  à    Sait   Lake 

City 

XIV.  —  Au  pays  des  Mormons 

XV.  —  Encore  les  Mormons,  le  grand  Lac  salé 

^  XVI.  —  Les  Voyages  de  Bonneville,  Aspen,  le  Mont  de  la 
Sainte-Croix 

XVII.  —  Leadville,  les  mines  du  Colorado  '        ■ 

XVIII.  —  L'agriculture  et  l'élevage  au  Colorado 

XIX.  —  I^  Cowboy    au    Colorado,    le   dressage    des   che- 

vaux sauvages     -,    .    ':','/ 

XX.  — La  dette  du  sang  '  . 


8 

i8 

23 

35 
44 
54 

62 

80 

99 
114 

133 
154 
172 

187 

215 

232 

252 
274 
282 

m 

3ÎÏ