Skip to main content

Full text of "Esquisse biographique sur Chevalier de Lorimier [microforme]"

See other formats


IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


u. 


1.0 


1.1 


11.25 


Uâ|2^    |2.5 

Ui  lâi   12.2 

ë  i;â   12.0 

•UUk. 

RE 

U   il  1.6 


^'l^ 


^ 


71 


^jS-^ 


^:^*' 
^ 


'/ 


/A 


Photographie 

Sdences 

Corporation 


33  WeST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  MS80 

(716)872-4503 


CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHJVI/ICJVIH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  Institute  for  Historical  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  nrticroreproductions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notas  techniques  et  bibiiogreiihiques 


The  Institute  has  attempted  to  obtain  the  best 
original  copy  available  for  filming.  Features  of  this 
copy  which  may  be  bibliographically  unique, 
which  may  alter  any  of  the  images  in  the 
reproduction,  or  which  may  significantly  change 
the  usual  method  of  filming.  are  checked  below. 


□    Coloured  covers/ 
Ce  jverture  de  couleur 

I      I    Covers  damaged/ 


D 


D 


D 
D 


D 


D 


Couverture  endommagée 


Covers  restored  and/or  laminated/ 
Couverture  restaurée  et/ou  pelliculée 


I      I    Cover  title  missing/ 


Le  titre  de  couverture  manqua 


I      I    Coloured  maps/ 


Cartes  géographiques  en  couleur 


Coloc^red  ink  (i.e.  other  than  blue  or  black)/ 
Encre  de  couleur  (i.e.  autre  que  bleue  ou  noire) 


I     I   Coloured  plates  and/or  illustrations/ 


Planches  et/ou  i^'ustrations  en  couleur 


Bound  with  other  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 


Tight  binding  may  cause  shadows  or  distortion 
along  interior  margin/ 

La  re  liure  serrée  peut  caucer  de  l'ombre  ou  de  la 
distortion  le  long  de  la  marge  intérieure 

Blank  leaves  added  during  restoration  may 
appear  within  the  text.  Whenever  possible,  thèse 
hâve  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
lors  d'une  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 

Additional  commenta:/ 
Commentaires  supplémentaires: 


L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
point  de  vue  bibliographique,  qui  peuvent  modifier 
une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
modification  dans  la  méthode  normale  de  filmage 
sont  indiqués  ci-dessous. 


□   Coloured  pages/ 
Pages  de  couleur 


D 
D 
0 
D 


D 


Pages  damaged/ 
Pages  endommagées 

Pages  restored  and/or  laminated/ 
Pages  restaurées  et/ou  pelliculées 

Pages  discoloured,  stained  or  foxed/ 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 

Pages  detached/ 
Pages  détachées 

Showthrough/ 
Transparence 


I      I    Quality  of  print  varies/ 


Qualité  inégale  de  l'impression 

Includes  supplementary  matériel/ 
Comprend  du  matériel  supplémentaire 

Only  édition  available/ 
Seule  édition  disponible 


Pages  wholly  or  partially  obscured  by  errata 
slips,  tissues,  etc.,  hâve  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Les  pages  totalement  ou  partiellement 
obscurcies  par  un  feuillet  d'errata,  une  pelure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
obtenir  la  meilleure  image  possible. 


This  item  is  filmed  at  the  réduction  ratio  checked  below/ 

Ce  document  est  filmé  au  taux  de  réduction  indiqué  ci-dessous. 


10X 

14X 

18X 

22X 

26X 

90X 

J 

12X 


16X 


20X 


24X 


28X 


32X 


The  copy  filmed  hsra  hat  bean  reproducod  thanks 
to  tha  ganarosity  of  : 

Library  of  tha  Public 
Archivas  of  Canada 


L'axamplaira  filmé  fut  raproduit  grflca  à  la 
générosité  da: 

La  bibliothèque  das  Archives 
publiques  du  Canada 


Tha  images  appaaring  hère  ara  tha  best  quality 
possible  considering  the  condition  and  legibility 
of  the  original  copy  and  in  Iceeping  with  the 
filming  contract  spécifications. 


Les  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
conformité  avec  les  conditions  du  contrat  de 
filmage. 


Original  copies  in  printed  paper  covers  are  filmed 
beginning  with  the  front  cover  and  anding  on 
the  last  page  with  a  printed  or  illustratad  impres- 
sion, or  the  baclc  cover  when  appropriate.  Ail 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
first  page  with  a  printed  or  illustratad  impres- 
sion, and  anding  on  the  last  page  with  a  printed 
or  illustratad  impression. 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couverture  en 
papier  est  imprimée  sont  flirtes  en  commençant 
par  le  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soit  par  le  second 
plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  commençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  — ►  (meaning  "CON- 
TINUED"),  or  the  symbol  V  (meaning  "END"), 
whichever  applies. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — ►  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  V  signifie  "FIN  ". 


Maps,  plates,  charts,  etc.,  may  be  filmed  at 
di'i'ferent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
ontirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
beginning  in  the  upper  left  hand  corner,  left  to 
right  and  top  to  bottom,  as  many  frames  as 
required.  The  following  diagrams  illustrate  the 
method: 


Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  da  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  è  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  è  droite, 
et  de  haut  en  bas,  an  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


1 

2 

3 

1 

2 

3 

#    ■ 

5 

! 

6 

# 


c 


F 


ESQUISSE  BIOGEAPHIQUE 


^WAi, 


1UE 


CHEYALIEE  DE  LORIMIER. 


PAR 


HECTOR  FABRE. 


î. 


Prlar:  30  sous. 


MONTREAL; 

DE  LMMPWMERIE  DU  "PAYS,"  RUE  SAINTE  THÊEÈSE 

1856. 


! 


H 


•'   >     :i     V»    ï    til\ 


r.. 


t  t 


«  î  è  4- 


II 


y   '■ 


A  M    \ 


'  :  *  M 


ESQUISSE  BIOGRAPHIQUE     :     ;  '     ,; 


OHEYALIEK  DE  LORIMIER. 


15  Fevriuk  1836. 


I. 

La  loi  (lu  rnallnur  a  été  imposée  aux  peu- 
f>les  comme  aux  individus.  Les  uutiuii:^,  dans 
leur  longue  course  à  travers  les  siècles 
comme  Thomnie  dans  son  court  passage  sur 
la  terre,  portent  le  poids  des  regrets  et  du 
deuil.  Dans  leur  histoire  c.ornme  dans  celle 
de  la  famille,  il  y  a  des  tombes  cliéres  et  des 
douleurs  éternelles,  des  catastrophes  dont  on 
se  souvient  toujours  et  des  n;  jrts  qu'on  n'ou- 
blie jamais. 

Dieu  a  donné  comme  une  consolation  et 
une  espérance  suprêmes,  à  Phomme  la  certi- 
tude d'un  monde  meilleur,  aux  peuples  la 
gloire  ;  tel  qu'il  fait  croître  des  fleurs  sur 
les  tombes. 

Notre  race  honorée  de  la  mission  de  re- 
présenter dans  l'Amérique  Britannique  le 
catholicisme,  la  France  et  la  liberté,  a  subi 
dans  toute  sa  rigueur  et  toute  sa  gloire  la 
loi  commune.  Française  et  catholique,  elle 
s'est  vue  séparée  presqu'à  son  berr.eau  de 
Ja  mère-patrie  qui  lui  avait  donné  sa  foi 
sainte  et  son  illustre  origine.  Libérale,  elle 
a  vu  après  50  ans  de  la  plus  magnanime  ré- 
sistance à  la  plus  injuste  tyrannie,  non  le  tri- 
omphe, mais  les  funérailles  de  ses  libertés  ; 
non  l'aube  de  l'indépendance  mais  le  règne 
de  la  terreur  et  de  la  cour  martiale.  Après 
avoir  pleuré  Montcalm  mort,  la  France 
perdue,  le  drapeau  français  proscrit  des 
bords  du  St.  Laurent  et  repassant  en  deuil 
les  mers,  elle  a  gémi  sur  l'emprisonnement,  • 
la  mort  ou  l'exil  de  ses  meilleurs  fils,  sur  les 
ruines  et  les  cadavres  dont  les  malheurs  de 
37,  38  et  39  avaient  jonché  son  sol. 

C'est  un  fragment  de  la  lugubre  et  glo- 
rieuse histoire  de  cette  dernière  époque  que 


je  viens  vous  lire  ce  Rolr.  Les  pages  sui- 
vantes sont  consacrées  à  retracer  la  noble 
vie  et  la  mort  héroïque  d'un  de  ces  martyrs 
de  "  39  "  dont  les  noms  rayonnent  dans  le 
sang  et  la  gloire. 

Les  vies  de  ces  compatriotes,  pluiaes  de 
vertus  intimes,  de  grandeur  modeste,  de 
saintes  affections,  de  foi  en  Dieu,  de  dévoue- 
ment à  la  patrie,  d'amour  pour  te  bien; 
douces  et  pures  au  foyer,  palno'iques  et  ar- 
dentes au  forum,  sont  plus  belles  et  plus  par- 
faites que  les  existences  honorées  et  bruy- 
antes des  citoyens  antiques.  Leurs  morta 
que  la  foi  a  bénies,  que  la  certitude  d'une 
vie  iTiiiilleure  a  consolées,  que  l'héroïsme  a 
immortalisées,  que  le  contact  de  l'échafaud 
a  éclaboussées  de  sang  et  de  gloire,  rappel- 
lent les  plus  vailians,  les  meilleurs  trépas. 

Agenouillé  sur  tes  tombes  de  pareils 
liomiuco,  on  est  lier  d'èlre  Canadiens-fran- 
çais, on  se  sent  le  droit  de  lever  le  front  à 
la  hauteur  de  l'orgueil  des  autres  peuples. 
Ils  sont  nos  héros,  à  nous  à  qui  la  France  a 
légué,  il  y  a  quelques  siècles,  le  sang  avec 
lequel  ils  se  font  grands  et  nombreux.  Leur 
histoire  ruisselante  de  larmes  et  de  patrio- 
tisme, de  vaillance  et  de  fierté,  est  la  page 
la  plus  pathélique  de  nos  annales.  Les  ôcha- 
fauds  et  les  gibets  où  ils  succombèrent  sont 
nos  ctiamps  d'honneur  ;  les  obscures  cime- 
tières où  gisent  leurs  corps  mutilés  sont  nos 
Pan! Iléon  et  nis  St.  Denis.  Pour  mausolée 
nous  leur  avons  donné  une  simple  croix  Je 
bois,  le  symbole  du  Golgotha  ;  le  symbole 
qui  depuis  18  cents  ans  couvre  de  son  ombre 
sacrée,  guide  de  sa  lumière,  sauve  ou  crée 
par  sa  divine  inllucace  les  civilisations  chié- 
ticnncs  cl  les  grands  peuples,  les   noblo-i 


—  4 


H 


«duri  et  tes  idées  généreuses,  les  progrés 
et  les  libertés;  le  symbole  qui  protège  nos 
berceaux,  qui  sanctifie  nos  vie»,  qui  sacre  nos 
tombes  et  que  baisait  en  mourant,  avec  une 
suprême  félicité,  l'bomine  dont  je  vais  ra- 
conter les  œurre». 

Nos  cœurs  et  nos  souvenirs,  notre  deuil 
et  notre  admiration  «ont  les  otateurn  et  les 
historiens  émus  et  attemlris  qui  perpétueront 
leur  mémoire. 

L'heure  fatale  qui  verra  Toubli  remplacer 
la  reconnaissance  dans  le  cœur  de  notre 
peuple,  ne  doit  jamais  sonner.  Car  alors  le 
cœur  de  ce  peuple  sera  bien  près  de  cesser 
de  battre  ;  la  fusion  et  l'Angleterre  seront  à 
quelques  moinens  de  leur  triomphe  impio. 
La  Toix  française,  qui  depuis  des  :iièclt>:i, 
parle  des  bords  du  St.  Laurent  de  liberté, 
de  France,  de  catholicisme,  à  toutes  les  race^ 
étrangères,  s'éteindra  d^épuisemcnt  aux  stu- 
pides  applaudissemens  de  ceux  qui  ne  com- 
prennent pas  quel  reflet  de  gloire  notre  ex- 
istence jette  sur  TAmérique,  et  combien 
tous  ceux  qui  ont  le  sentiment  des  grandes 
choses  doivent  ^enir  à  la  conserver. 

Le  meurtre  ou  le  suicide  de  notre  natio- 
nalité suivra  de  près  Toubli  de  nos  gloires. 
Car  une  nition  qui  a  de  la  sève  et  de  l'a- 
venir ne  saurait  ainsi  flétrir  ses  lauriers, 
briser  sa  couronne  d'immortalité,  déchirer 
les  pages  de  son  martyrologe,  en«evelir  son 
passé  dans  le  silence  de  l'ingratitude,  dé- 
truire son  panthéon,  abandonner  son  patri- 
moine national,  user  pour  ainsi  dire  avec  de 
l'infamie  ou  laisser  effacer  par  la  main  du 
temps  son  nom  de  toutes  les  grandes  choses 
qui  doivent  le  porter  en  triomphe  à  la  pos- 
térité. 

Ce  n'est  que  lorsqu'une  nationalité  ago- 
nise qu'elle  souffre  de  telles  profanations  ; 
ce  n'est  que  lorsque  le  sang  français  se  sera 
misérablement  appauvri  dans  nos  veines 
qu'on  les  verra  sur  ce  sol. 

Pour  que  le  souvenir  des  Chrnier  et  des 
Perrault,  morts  au  champ  d'honneur,  des 
Duquette,  des  Cardinal  et  des  DeLorimier, 
morts  sur  l'échafaud,  soit  toujours  vivace  ; 
il  faut  souvent  parler  d'eux  dans  nos  réu- 
nions publiques,  comme  au  foyer  des  familles 
l'on  s'entretient  de  parens  qui  no  sont  plu». 
Il  faut  présenter  leurs  histoires  comme  de 
patriotiques  reliques  aux  larmes  et  à  l'admi- 
ration de  nos  compatriotes  :  enseignement 
pour  les  générations  qui  commencent,  sou- 
venir pour  celles  qui  s'en  vont. 

Il  faut  surtout  que  la  jeunesse,  que  la  jeu- 
nesse actuelle  étudie  et  vénère  ces  histoires 
pour  se  préparer  à  l'avenir  ;  qu'elle  s'im- 


preigne  de  la  vaillance,  du  patriotisme,  de  la 
foi  qu'on  y  respire  pour  conserver  le  coin 
de  sol  que  Dieu  et  la  France  nous  ont  donné. 
Il  faut  qu'elle  se  fasse  la  chaste  et  fidèle 
amante  de  ces  méinoire;^,  qu'elle  les  aime, 
les  honore,  les  préserve  et,  enfin,  les  dépose 
intactes  et  pures  dans  le  cœur  de  ceux  qui 
nous  remplaceront  dans  le  service  de  la 
patrie. 

C'est  parce  que  je  sais  que  la  jeunesse 
actuelle  est  fidèle  à  ces  souvenirs  sacrés, 
c'est  parce  que  je  sais  qu'elle  garde  reli- 
gieusement dans  son  cœur  la  mémoire  de 
toutes  les  grandeurs  et  de  toutes  les  tris- 
tesses de  la  race  française  en  Canada,  que 
uie  trouvant  le  premier  de  ses  membres  à 
parler  de  cette  tribune,  j'ai  choisi  pour  sujet 
de  ma  Ircture  la  vie  et  la  mort  d'un  des 
martyrs  de  notre  cause  nationale. 

Il  m'a  semblé  encore  qu'il  appartenait  à 
ceux  qui  ont  vu  la  mort  frapper  ce  qu'on  a 
de  plus  cher  après  Dieu,  jeter  un  voile  de 
deuil  sur  leur  foyer,  éteindre  leurs  plus  dou- 
ces joies  domestiques,  de  raconter  les  dra- 
mes du  malheur,  de  parcourir  le  sentier  des 
grandes  infortunes  historiques. 

■l'ai  espéré  aussi  que  le  pieux  devoir  qui 
m'amenait  à  cette  tribune,  m'obtiendrait 
l'indulgence  de  mon  auditoire. 

C'est  donc,  mesdames  et  messieurs,  pour 
raviver  en  nous  tous  le  souvenir  béni  de  nos 
martyrs  politiques,  et  pour  déposer  mon  mo- 
deste hommage,  rehaussé  par  votre  con- 
cours, sur  leurs  tombes,  que  j'ai  écrit  la  vifl 
et  la  mort  d'un  des  plus  braves  de  ces  bra- 
ves, d'un  des  meilleurs  de  ces  bons,  de  Che- 
valier de  Lorimier. 

n. 

François  Marie  Thomas  Chevalier 
DE  Lorimier  naquit  à  St.  Cuthbert,  comté 
Je  Berthier,  le  2()  décembre  1803. 

Après  avoir  fait  un  cours  d'études  classi- 
ques. De  Lorimier  commença  sa.cléricature 
sous  M.  Pierr»  Ritchot,  notaire,  en  1824. 
Dans  les  abords  de  la  profession,  il  rencontra 
les  aridités  légales  que  tous  les  étudiants  en 
droits  savent  par  cœur,  mais  qui  n'ôteot  pas 
à  celte  portion  de  la  vie  le  charme  qu'y 
répandent  la  jeunesse  et  Pespérance.  Ca- 
ractère ferme  et  droit,  nature  loyale  et  pure, 
iisut  éviter  les  amolissemens,  les  oublis  du 
devoir,  les  désordres  qui  souillent  ou  gaspil- 
lent que  trop  de  jeunes  intelligences  et  de 
nobles  cœurs.  Il  ne  fut  pas  de  ceux  pour 
qui  le  séjour  des  villes  est  malsain  et  qui 
voient  leurs  facultés  qu'auraient  rigoureuse- 
ment développé  la  solitude,  la  niéditation, 


^V^PT 


—  5  — 


1:9  classi- 
iiicature 
1824.. 
sncontra 
liants  en 
keot  pas 
Ime  qu'y 
le.     Ca- 
■■  et  pure, 
jublis  du 
gaspil- 
es  et  de 
!ui  pour 
et  qui 
(oureuse- 
îditttion. 


la  vie  austère  des  champs,  se  rétrécir,  so 
rapetisser,  se  fermer  à  l'ardent  contact  des 
influences  urbaines.  Il  sut  résister  aux  en- 
traîntmens  d'une  exubérante  jeunesse  et  se 
préparer  Aérieusenient,  énergiquenient  aux 
devoirs  de  la  vie. 

Admis  notaire  en  août  1829,  De  Lorimier 
apporta  dans  Pexercice  de  sa  profession  une 
haute  probité,  des  lumières,  de  l'assiduité  et 
un  jugement  solide.  Fidèle  aux  lois  de  la 
reconnaissance  et  de  l'amitié,  il  rendit  plus 
tard  d'iinportans  services  à  la  famille  de 
celui  dont  i!  avait  été  d'abord  lu  clerc,  puis 
l'associé. 

En  1832,  il  épousa  la  fille  de  J.  M.  Ca- 
dieux,  notaire  ;  la  compagne  de  son  choix, 
qui  le  .pleure  depuis  17  ans  dans  le  deuil 
et  le  veuvage,  était  digne  de  lui  aider  à  sup- 
porter les  terribles  douleurs  que  lui  préparait 
la  Providence. 

Comme  tous  les  hommes  qui  aiment  leur 
pajs,  non  avec  la  langueur  et  la  molle  insou- 
ciance d'un  asiatique,  mais  avec  l'ardeur 
des  cœurs  jeunes  et  enthousiustes,  De  Lori- 
mier se  mêla  de  bonne  heure  de  politique  et 
d'affaires  publiques. 

La  race  canadienne  française  n'était  pas 
alors  divisée  en  deux  camps  comme  elle  l'est 
malheureusement  aujourd'hui.  A  la  voix 
puissante  d'un  illustre  tribun,  nous  étions 
unis  sur  le  même  terrain,  dans  \iy  même 
cause  ;  nous  marchions  avec  un  admirable 
accord  vers  le  même  but.  T^ous  faisions 
ensemble  les  luttes  du  forum  ;  un  seul  dra- 
peau ombrageait  nos  rangs  ;  les  victoires  et 
les  défaites  étaient  communes,  toutes  les 
âmes,  toutes  les  voix  françaises  à  l'unisson 
acclamaient  les  unes  ou  déploraient  les  autres. 

Cjuelques  traîtres  à  l'ambition  perverse  ou 
au  courage  défaillant  avaient  seuls,  à  diffé- 
rents intervalles,dèserté  la  phalange  nationa- 
le ;  mais  ces  désertions  avaient  été  plus  que 
compensées  par  l'adjonction  importante  des 
hommes  d'élite  de  l'émigration  irlandaise,tels 
queles  Waller,lesTraceyetlesO'Callaghan. 
Nous  avions  reconnu  les  éminens  services 
que  nous  rendraient  ces  hommes  distingués 
en  chargeant  quelques-uns  d'entr'eux  de  re- 
présonter  au  parlement  des  comtés  cana- 
diens-français. Nous  voulions  aussi  prou- 
ver à  l'Angleterre  que  dans  le  malheur 
nous  pouvions  faire  ce  qu'elle  n'osait  pas 
dans  sa  puissance  :  se  dépouiller  des  pré- 
jugés aveugles  et  violens  et  reconnaître 
le  mérite,  la  vertu,  l'intelligence  partout 
où  ils  se  trouvaient  : — tout  en  maintenant 
les  droits  de  nos  compatriotes  à  la  libre 


existence,  à  la  jouissance  du  lol,  au  gouTtr- 
nement  de  leurs  affaires. 

La  politique  d'alors  si  simple  et  en  roèmt 
Irms  si  gtaiide  pouvait  se  résumer  eu  deux 
mots  :  <'  Liberté  et  nationalité."  Nous  de* 
mandions  la  liberté  pour  le  Canada  fran- 
çais ;  puis  nous  élevant  au-dessus  de  tout 
ressentiment  quelque  juste  qu'il  fut,  nous  la 
réclamions  même  pour  ceux  qui  jouissaient 
de  nos  souffrances  et  qui  foulaient  aux  pieds 
tout  ce  qu?  nous  aimions. 

Aimant  notre  nationalité  d'un  amour  qu'a- 
vait passionné  plutôt  qu'affaibli  les  persé- 
cutions et  les  malheurs,  nous  voulions  qu'on 
en  respectât  l'existence  comme  une  chose 
sacrée.  Nous  désirions  les  mêmes  droits, 
le  même  respect  pour  les  autres,  voulant  non 
proscrire  mais  vivre.  Nous  étions  prêts  à 
tendre  la  main  de  la  fraternité  à  n'importe 
quelle  race,  qu'elle  fut  heureuse  ou  infortu- 
née, pourvu  qu'elle  n'attentât  pas  à  nos  droits 
et  à  nos  libertés. 

Hors  de  cette  politique  il  n'y  avait  alors 
pour  notre  race  que  honte  et  ruine.  La 
forme  de  la  position  a  changé  depuis,  mais 
le  fonds  est  resté  le  même.  Notre  salut  et 
notre  gloire  veulent  toujours  et  voudront 
toujours  la  permanence  de  notre  nationalité,^ 
la  possession  de  la  liberté.  Toutes  nos 
luttes  politiques  pour  n'être  pas  stériles  ou 
nuisibles  doivent  avoir  ce  double  but,  proté- 
ger la  nationalité  française,  étendre  ou  sau- 
ver la  liberté.  Si  jamais  nous  voulons  bri- 
ser l'union  sainte  qui  les  relie,  si  jamais  nous 
voulons  sauver  l'une,  la  liberté,  et  rejeter 
l'autre,  la  nationalité  ;  nous  les  perdrons  tou- 
tes deux.  Dieu  ne  permettra  jamais  que  nos 
compatriotes  soient  heureux  et  libres  lors- 
qu'ils auront  renié  la  langue,  les  lois,  les 
mœurs,  le  sang  que  nous  tenons  de  lui  et  de 
la  France.  La  servitude  et  l'abaissement 
seront  le  deuil  de  notre  nationalité.  Morte, 
la  génération  parricide  ne  laissera  qu'une 
mémoire  ignominieuse  et  un  héritage  dévoré 
par  l'étranger. 

De  Lorimier  ne  put  donc  hésiter,  il  em- 
biassa  comme  tous  les  hommes  de  patrio- 
tisme, la  cause  française  et  libérale.  Il  le 
fit  avec  tant  d'ardeur  que  lors  de  l'élection 
du  Dr.  'Irucey  par  le  Quartier  Ouest  de 
Montréal,  en  1832,  il  faillit  être  blessé  et 
une  balle  brisa  dans  sa  main  son  manche  de 
parapluie,  au  moment  où  Billet  tombait  mor- 
tellement frappé  à  quelques  pas  de  lui.  Oa 
sait  qu'à  la  fin  de  cette  élection,  le  21  mal, 
trois  Canadiens,  ouvriers  paisibles,  furent 
tués  par  les  troupes  anglaises  qui,  avec  une 
sauvage  brutalité,  tirèrent  sur  les  citoyens. 


me- 


rlus tard  dans  une  de  ces  assemblée*)  on 
élections  que  la  minorité  tory  troublait  par 
la  rioh>ncc,  il  fut  assez  grièvement  blcii&û  à 
la  jnmbe. 

De  Lorimior  fut  fidùlu  à  un  tri  débui 
Dans  la  marclio  du  parti  populaire  vers  dus 
mesures  de  plus  en  plus  énergiques  puiir  te- 
nir l'attitude  du  pays  à  la  hauteur  de  la  ty- 
rannie croissante,  on  ne  le  compta  jamais 
parmi  les  rrtiirdalaires,  les  patriotes  tiiniiles. 
iSon  patriotisme  ardent  était  inaccessible 
aux  faiblesses  des  cœurs  pusillanimes,  et  il 
ignorait  les  prétextes  et  les  détours  dont 
certains  hommes  savent  couvrir  leur  retraite 
du  chemin  du  devoir. 

Il  prit  une  part  active  aux  mouvemens 
politiques  et  aux  assemblées  publiques  qui 
organisèrent  la  résistance  pacifique  aux  em- 
piètemens  croissants  de  nos  persécuteurs. 
Il  fut  le  secrétaire  de  la  grande  assemblée 
du  comté  de  Montréal,  tenue  le  15  mai 
1837,  et  de  l'assemblée  des  citoyens  de  la 
ville  de  Montréal  du  29  juin  1837.  A  la 
première  de  ces  assemblées,  un  comité  cen- 
tral de  résistance  fut  nommé,  qui  choisit 
De  Lorimier  pour  secrétaire.  En  cette  qua- 
lité il  fit  preuve  d'une  vigilance  et  d'un  dé- 
vouement remarquables.  En  un  mot,  ami 
de  son  pays,  loin  de  fuir  il  recherchait  avec 
avidité  les  occasions  de  le  ser\ir.  Prodi- 
guant volontiers  son  tems  et  ses  labeur»,  il 
ne  demandait  ;ien  en  retour  de  ses  sacrifices 
patriotiques  que  la  satisfaction  d'un  devoir 
noblement  accompli  et  la  certitude  d'un  peu 
de  bien  fait  à  ses  compatriotes.  Sa  grande 
àrae  était  inaccessibles  à  ses  puérils  acres 
de  vanité  qui  font  croire  à  certains  hommes 
que  leur  moindre  démarche  politique  sauve 
la  patrie  qu'une  démarche  «imblab'.e  de  la 
part  d'un  adversaire  avait  mis  en  danger  la 
veille. 

III. 

La  tourmente  de  novembre  et  décembre 
1837  approchait.  On  commençait  à  en- 
tendre dans  les  campagnes  les  sinistres  pré- 
ludes des  insurrections  et  des  orages.  Comme 
un  souffle  ardent  passait  sur  les  âmes  pour 
les  exciter,  sur  les  courages  pour  les  aigui- 
ser ;  un  sombre  enthousiasme  brûluit  toutes 
les  poitrines.  Partout,  dans  tous  les  foyers 
et  dans  tous  les  cercles,  on  parlait  des  inaU 
heurs  de  la  patrie  et  des  injustices  de  l'An- 
gleterre ;  on  s'enflammait  à  ces  récits  et  on 
gémissait  ensemble  sur  les  tristesses  du  pré- 
sent et  de  l'avenir.  L'exaspération  générale 
était  telle,  que  de  nouvelles  persécutions 
pouvaient  amener  un  fatal  recours  au<  armes. 


:     C'est  ce  que  nos  (yrons  comprirent  areo 
I  une  terrible  sagacité.  Par  des  mesures  d'une 
illégalité  évidente  et  d'une  outrageante  ty- 
'  raniiie,  ils  nous  poussèrent  i  Tinsurrection. 
!      Le  système  adopté  a  )  début  par  le  parti 
'  national  avait  été  d'opposer  à  toutes  les  op- 
pressions une  résistance  pacifique  et  tût  ou 
I  tard  efficace,  "  en  tarissant,  comme  disait 
I  une  résolution  adoptée  par  l'assemblée  du 
comté  de  Montréal,  la  source  du  revenu 
!  que  les  mesures  du  ministère  anglais  avaient 
'  pour  but  de  nous  dérober." 

Ce  sage  système  qui  nous  donnait  l'invin- 
:  cible   force  de   la  modération,  n'allait  pas 
pour  cela  à  nos  oppresseurs  qui  redoublèrent 
I  d'insolence  pour  nous  pousser  au  désespoir 
et  à  l'insurrection.     Notre  situation  était 
1  telle,  qu'un  membre  éminent  du  la  chambre 
j  des  communes  d'Angleterre  s'était  écrié  eu 
i  face  des  ministres  :  "  Oui  !  si  rous  préten- 
'  dez  consommer  votre  œuvre  d'iniquité,  c'est 
I  pour  les  Canadiens  une  obligation  morale 
que  de  nous  résister.    Oui  !  si  le  même  sang 
coulait  dans  leurs  veines  que  celui  qui  a  pro- 
duit les  Washington,  les  Franklin,  les  Jef- 
:  ferson,  ils  vous  chasseraient  de  leur  pays, 
!  comme  vous  avez  été  justement  chassés  des 
anciennes  colonies." 

Poujsés  au  désespoir,  les  jeunes  hommes, 
les  tôtes  ardentes  voulurent  prouver  que  le 
sang  qui  coulait  dans  les  veines  du  Canada- 
français  était  digne,  était  capable  de  renoii- 
I  vêler  les  drames  héroïques  qui  avaient  coni^ 
I  mencé  la  grandeur  de  la  nation  américaine. 
Ce  que  les  remontrances,  la  justice  de  la 
I  cause  n'avaient  pu  obtenir  d'un  pouvoir  im- 
pitoyable, on  essaya  de  le  conquérir  par  la 
force  des  armes.  On  s'en  remit  aux  hasards 
i  de  la  guerre,  on  en  appela  à  l'épée;  lu  tri- 
:  bunc  fut  abandonnée  pour  le  cjiamp  de  ba- 
1  taille.  ' 

I      De  Lorimier  qui,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
!  avait  pris  une  part  active  dans  l'organisation 
de  la  résistance  pacifique,  fut  entraîné  dans 
le  parti  de  l'insurrection.    Il  se  jeia  résolu- 
ment dans  les  rangs  de  l'armée  patriote.    Il 
,  était  de  ceux  qui  ne  savent  pas  refuser  une 
large  part  dans  les  périls  de  leur  race, et  qui 
sont  à  leur  poste  à  l'heure  de  la  lutte.  Eloi- 
gné ds  la  carrière  militaire  par  son  carac- 
[  1ère  et  ses  habitudes,  il  se  fit  soldat  par  pa- 
;  triolisme. 

V^ers  le  15  novembre,  De  Lorimier  se 
rendit  dans  le  comté  des  Deux-Montagnes 
pour  seconder  Girod  et  Chénier  dans  les 
préparatifs  d'insurrection. 

Bientôt  une  immense  rumeur  de  victoire 
traversant  le  pays,  semant  partout  l'enthou- 


■^^ 


—  7  — 


rent  nrco 
très  (l*uiie 
;eante  ty- 
urrection. 
n  le  parti 
es  les  Op- 
el tôt  ou 
ime  (lisait 
niblée  du 
[lu  revenu 
lis  avaient 

aitTinvin- 
l'allait  pas 
Joublèreiit 
I  désespoir 
ilion  était 
la  cliambiB 
it  écrié  eu 
ui  préten- 
quité,  c^est 
ion  morale 
même  sang 
I  qui  a  pro- 
in,  les  Jef- 
leur  pays, 
chassés  des 

es  homme?, 
iver  que  le 
du  Canada- 
e  de  renon- 
raient  corn?- 
amérirainp. 
stire  de  la 
pouvoir  im- 
lérir  par  la 
aux  hasards 
e;  la  tri- 
lainn  de  ba- 


'ai  déjà  dit, 
organisation 
traîné  dan« 
je; a  résolu- 
patriote.    Il 

refuser  une 
■  race, et  qui 
lutte.  Eloi- 

son  carac- 
jldat  par  pa- 

Lorimier  se 

-Montagnes 

lier  dans  les 

ir  de  victoire 
)Ut  Tenthou- 


«la».mc  et  IV.spévance,  vint  apprendre  aux 
patriotes  des  Deux-. Montagnes  qu'à  .St. 
Denis  une  poignée  du  brnrcs  avait  vaincu  ie.i 
soldiits  anglai».  Mais  durant  totitc  niltc 
épo'|uu  les  joies  devaient  être  courtos 
et  se  llétrir  bien  vite, comme  des  fleurs  d'un 
jonr,  nu  souHiu  du  malhci  r;  les  lombes  de- 
vaient être  plus  communes  que  lus  tropiiées, 
les  sanglots  plus  retentissants  que  les  cris  du 
victoire.  A  puiau  les  lauriers  de  St.  Denis 
étaient  ils  posés  au  fiont  de  la  patrie  qu'il 
fallnil  les  entrelacer  de  ciôpes  et  do  cou- 
ronnes le  martyrs.  Le  mussiacre  et  l'incrn- 
d48  di;  St.  Charles,  le  sac  de  ?t.  Denis 
njo'.iliiieul  des  pajjes  funèbres  au  innityio- 
loge  lie  notiu  race  et  de  nouvelles  douleurs 
à  iiOh  vieilles  douluui.s. 

Victorieux  d'une  insurrection  sans  orga- 
nisation, san«  armes,  soutenue  seulement  par 
la  justice  et  le  désespoir  do  cœurs  braves  et 
sans  crainte  les  troupes  britanniques  su  por- 
tèrent à  St.  Eustnche  pour  y  écrasnr  djtis 
le  sang  les  durnères  résistances  des  oppri- 
més. On  les  y  attendit  de  pied  ferme  quoi- 
q  le  l'insuccès  fût  certain  ;  car  on  roulait 
que  de  la  défaite  de  St.  Éustache  comme 
de  la  victoire  de  St.  Denis  l'honneur  sortit 
sauf.  Celle  sulilime  espérance  ne  fut  pas 
déçue.  Cliénier  et  ses  compagnons  s'ic- 
combùrent,  Colborne  triompha  ;  mais  fde- 
puis  ce  jour-là  et  devant  l'histoire,  la  défuito 
de  Chénier  est  devenue  son  triomphe,  et  lo 
triomphe  de  Colborne  est  devenu  son  igno- 
minie. Le  nom  de  l'un,  honoré  et  béni  vil 
dans  le  cœur  du  peuple,  Panthéon  des  grands 
souvenirs;  le  nom  de  l'autre  n'aj'ant  pas 
même  le  vulgaire  bonheur  de  l'oubli,  reste  à 
l'histoire  où  nul  ne  le  prononce  avec  respect 
où  tous  le  voient  avec  l'horreur  qu'inspire 
U4ie  tache  de  sang. 

De  Lorimier  assista  au  combat  d.i  fît. 
Eustache.  A  la  fin  de  la  lutte,  lai=>!i!,t  'on 
général  et  son  ami  accomplir  son  iioroï.jii" 
«lestiuée,  il  se  réfugia  à  St.  Benoit.  Là. 
voyant  l'inutilitA  de  nouveaux  rlf^rts  et  vou- 
lant conserver  à  ses  compatrioles  un  hn^* 
dont  ils  pourraient  encore  avoir  besoin,  il  ré- 
solut de  pa'ser  aux  Etats-Uni'^.  Avec  qiii:l- 
ques  amis  et  à  la  faveur  de  dégniscmcnH,  il 
pagna 'Trois  Rivières,  traversa  le  St.  Fiau- 
rent  et  les  towuships  et  arriva  enfin  aux 
frontiùies,  6j*ais6  de  fatigue,  de  stratngèmes, 
du  raar.!he  et  de  privations.  Souvent  sur  la 
route  ils  faillirent  être  reconnus  et  pri'*  |>ar 
lus  volontaires,  et  ne  durent  leur  salut  qu'à 
d'iogéuitiuses  ruses  et  d'hospitaliers  asiles. 
La  pensée  trouve,  il  me  semble,  un  mélan- 
colique plaisir  à  suivre  ces  quelques  hommes 


I  duni  leur  longue  et  pénible  course  à  travera 

leur  patrie  et  à  la  compaier  à  |j  fuite  des 

I  Girondins  dans  le  Midi  de  la  France.     Les 

'  uns  et  lus  autres  cherchaient  à  soustraire  à 

la  mort  des  vies  qu'enchantaient  PafTection 

de  femmes  chastes   et  belles  et  les  douces 

I  jouis»ances  d'heureux  foyers. 

De  Lorimier  se   rendit    à  Montpellier, 

Vermont.     Sur  la  terre  étrangère   il  dut 

éprouver  toutes  les  dures  nécessités  du  l'ex* 

I  il,  et  gagner  son  pain  quotidien  par  les  plus 

I  rudes  labeurs. 

Ainsi  le  gouvernement  anglais,  ce  gou- 
I  vernement  qui  avait  laissé  mourir  la  Vendée 
1  et  In  Polo^uo,  pouvait  dire  à  son  pailemcnl: 
;  en  parodiant  lus  paroles  de  L-ébastiani  :  "  La 
paix  régne  en  Caiiada."' 
I      La  paix  régnait  en  effet  en  Canada,  mais 
I  c'était  celte  paix  qui,  enfant  de  la  mort,  pla- 
I  ne  dans  les  nimetièrcs.     La  paix  régnait  »ur 
des  cadavres  et  des  ruines,  sur  St.  Charles 
et  St.  Eustache,  sur  les  gémissements  étouf- 
fés dans  toutes  les  poitrines  et  sur  les  pleurs 
silencieusement    versés  au  coin  des  foyers 
sur  lus  absens,  aux  portes  dus  prisons  sur 
les  captifs,  à  l'ombre  des  saules  sur  les  morts. 
La  paix  régnait  sur  la  race  française,  comme 
lu  paix  règne  dans  les  forêts  dont  l'orago  a 
brisé  les  rameaux,  crevassé  le  sol,  desséché 
et  dispersé  les  feuilles. 

L'élite  des  patriotes  était  en  prison  et  en 
exil,  Chenier  et  Perrault  étaient  dans  l'é- 
ternité, la  tribune  était  brisée,  la  voix  de 
Papineau  ne  pouvait  plus  retentir,  la  cham- 
bre d'assrmbléc  n'était  plus  qu'un  grand 
souvenir,  le  cliquetis  des  fers  était  devenue 
la  persuasive  éloquence  de  l'autorité,  la  ter- 
reur était  la  loi,  on  volait  paisiblement  le 
trésor  public  en  haut  lieu,  le  patriotisme 
était  un  crime  pour  lequel  on  souffrait,  la 
trahison  érigée  tout  naturellement  en  vertu 
éir.it  récompensée  :  "  La  paix  régnait  en  Ca- 
nada." 

Les  soiilTiances  des  opprimés  étaient  poi- 
snantus.  lu  tiinmiihe  des  oppresseurs  était 
iiisoliT.î,  li^  sang  avait  r.oulé  de  quelques  vei- 
ni  5  f.rriyai-i  «,  bien  des  femmes  étaient  en 
lioiul,  bitii  d^'s  ( Mifants  se  trouvaient  orphe- 
lins, Taguniu  du  la  race  Canadienne  semblait 
commencer  et  la  liberté  n'attendait  plus  que 
les  dernières  heures  de  sa  compagne  pour 
quitter,  comme  autrefoisie  drapeau  de  la 
France,  une  terre  qui  ne  savait  donner  que 
l'hospitalité  du  sépulcre:  "  La  paix  régnait 
en  Canada." 

Les  cachots  regorgaient  de  captif!*,  le 
chemin  de  l'exil  était  encombré  de  pros» 
dits,  l'épéc  qui  avait  combattu  sur  les  jtlat- 


y/*' 


8  — 


Ml  d*Abnli»in  et  oui  avait  Taîncu  à  Ch&- 
teauguay  et  à  St.  Denii  était  briiée,  ça  et 
là  dana  les  campagoea  il  y  avait  des  ruines 
fomantes  et  des  mares  de  sang,  enfin  de  tout 
ce  que  nova  aimions  il  ne  restait  debout  que 
la  crois  n'ombrageant  que  dips  foyers  déserts 
ou  mornes  ;>  "  La  pais  régnait  eu  Canadar" 

IV. 

Les  proscrits  sentaient  se  glisser  dans 
laura  ènies  les  tristesses  de  la  nostalgie,  et 
Pimpérieus  besoin  de  revoir,  au  moins  pour 
quelques  jours,  le  ciel  aimé  de  la  patrie.  En 
pensant  à  toutes  leurs  douleurs,  à  leur  na- 
tionalité menacée,  à  tout  ce  que  leurs  compa- 
triotes souffraient  pour  avoir  aimé  la  liberté, 
pour  être  restéa  fidèles  au  souvenir  et  à  la 
langue  de  la  France,  ils  se  sentaient  au  cœur 
une  amertume  profonde  et  un  effrayant  dé- 
air  de  lutte  et  de  vengeance.  Il  leur  sem- 
blait que  le  vaillant  dévouement  de  qnelqucs 
braves  pouvait  tout  accomplir,  tout  surmon' 
ter  ;  lorsqu'ils  auraient  devant  eux  la  pers- 
pective de  la  patrie  sauvée,  de  la  liberté  ci- 
catrisant de  son  souffle  les  pluies  d'un  de- 
mi-tiôcle,  de  la  fin  de  l'exil  et  du  malheur, 
et  si  le  sort  était  contraire,  la  certitude  de 
l'immortalité  dans  la  ntort,  d'nne  gloire  im- 
mense consolant  et  éclairant  leurs  tombus. 
Leur  noble  espoir  fut  déçu.  Ils  n'eurent 
ni  le  bonheur  de  sauver  leur  pays,  ni  la  su- 
prême consolation  d'un  grand  trépas. 

La  troupe  qui  envahit  le  pays  sous  le 
commandement  du  Dr.  Robert  Nelson,  en 
ftvrier  1838,  et  dans  laquelle  servait  De 
Lorimier  avec  le  grade  de  Capitaine,  était 
si  faible,  si  peu  discipliné,  si  dépourvue  de 
tout,  si  peu  soutenue  qu'elle  ne  put  opérer 
rien  de  sérieux,  et  dut  se  débander  bien 
vite. 

Les  proscrits  ne  perdirent  pourtant  pas 
tout  espoir,  et  l'on  recommença  bientôt  à 
organiser  une  nouvelle  invasion,  qui  devait 
être  appuyée  par  une  insurrection  dans  l'in- 
térieur. De  Lorimier  fut  chargé  d'aller 
préparer  le  soulèvement  dans  le  comté  des 
Deux-Montagnes. 

Lors  de  la  prise  d'armes  du  3  novembre 
1838,  il  commandait  à  Beauharnais  comme 
brigadier-général.  Ayant  reçu  l'ordre  de 
venir  joindre,  à  Napierville,  le  corps  princi- 
pal de  l'armée  patriote,  DeLorimier  s'y  di 
rigea  avec  ses  troupes  et  ses  prisionniers.  Il 
apprit  en  route  que  Colborne  marchait  vers 
cette  partie  du  pays  avec  des  forces  consi- 
dérables, et  que  l'armée  patriote  incapable 
de  soutenir  la  lutte,  était  dissoute  et  en  fuite. 
Ne  voulant  pas  exposer  de  braves  gens  à 


une  mort  inutile  et  jugeant  le  «ttccéa  impôt» 
sible,  il  donna  A  ses  compagnons  d'armet 
Tordre  de  chercher  leur  salut  dans  la  fuite. 
Avec  quelques-uns  d'entr'eur,  il  essaya  de 
gagner  les  Etats-Unis,  mai»  dans  hi  nuit  do 
12  novembre  ils  Airent  attaqués  près  det 
frontières,  et  DeLorimier,  séparé  des  siens, 
fut  pris  entre  1  et  2  heures  du  matin. 

Les  volontaires  anglais  incapables  de  corn» 
prendre  le  respect  et  les  égards  dus  au  cou- 
rage malheureux,  insultèrent  et  garottèreni 
leur  prisonnier,  et  le  forcèrent  de  marcher 
15  milles  à  pied.  On  le  mit  dans  un  humide 
cachot,  au  pain  et  à  l'eau,  à  Napierville.  Il 
y  demeura  jusqu'au  23  novembre,  jour  de  sa 
translation  à  la  prison  de  Montréal, 

Cetie  translation  se  fit  sans  incident  et  sans 
trouble.  Notre  population  avait  pris  la  doulou- 
reuse habitude  de  voir  passer  de  tels  cor- 
tèges, conduisant  au  cachot,  peut-être  à  la 
mort,  les  meilleurs  citoyens.  Daas  le  mal- 
heur on  elle  était  tombée,  rien  n'avait  plua 
le  triste  privilège  de  l'éîonner.  Toute  l'a- 
mertume de  son  sort  lui  était  connue,  le» 
sinistres  nouvelles  d'arrestations,  de  persé- 
cutions, de  défaites  qui  éclataient  de  temsà 
autre,  comme  des  glas  funèbres,  ne  feraient 
qu'assombrir  encore  les  cœurs,  que  faire 
monter  aux  yeux  quelques  larmes,  dont  la 
source  semblait  devoir  être  épuisée  tant  elle 
avait  coulée. 

En  entrant  dans  la  prison  de  Montréal, 
en  franchissant  le  seuil  de  la  sombre  de- 
meure qu'il  ne  devait  quitter  que  pour  la 
gibet  et  l'éternité,  DeLorimier  eut  comme 
un  pressentiment  de  son  sort.  Son  cœur  se 
serra,  il  lui  sembla  que  la  vie  libre,  le  soleil 
lui  disaient  adieu,  et  plein  d'une  ineffable  tris- 
tesse, il  dit  à  ses  compagnons  de  captivité 
qu'il  n'espérait  plus  sortir  de  la  prison  où  le 
jetaient  la  tyrannie  et  le  malheur  des  tems. 

Le  8  janvier  1839,  De  Lorimier  fut  offi- 
ciellement notifié  que  son  procès  aurait  lieu 
dans  trois  jours.  Son  attitude  devant  la 
cour  martiale  fut  simple,  digne  et  fière. 
Niant  au  préalable  la  compétence  de  l'ini- 
que tribunal,  il  se  défendit  ;  mais  toute  dé- 
fense était  inutile.  Les  juges  militaires  n'a- 
vaient pas  été  nommés  pour  la  clémence  et 
la  justice  ;  ils  étaient  membres  d'un  tribunal 
de  vengeance  ;  ils  condamnèrent  l'accusé  k 
la  peine  de  mort.  De  Lorimier  écouta  la 
sentence  sans  effroi  comme  il  devait  la  subir 
sans  faiblesse. 

Cette  triste  nouvelle  fut  accueillie  avec 
une  joie  féroce  par  tous  les  homme»  qui, 
avides  de  se  gorger  du  sang  français,  trou- 
vaient qu'il  ne  sortait  pas  assez  vite  et  assez 


I 


—  0 


•boadMiNPtfel  d«  r.M  raton,  Noa  rantmit 
qui,  me»*  tu  fa!u  dt  ieur  Nnglint  triom- 
pb*,  IranbUirat  qu«  la  Providence  ne  nous 
auieitfct  des  fengenra,  et  que  des  nobles 
cceurs  ùt  moins  rassuraient  considéruble- 
incnt,  s'épanouirent  d'aise  et  de  rage.  Au 
eoniraire,  les  patriotes,  les  captifs,  les  pros« 
erits,  notre  race  presque  toute  cnliôre  qui 
vojait  réehafnud  après  le  champ  de  bataille 
dévorer  ses  fils,  furent  constirnés  ;  et  uu 
iMoitnse  sanglot  décbira  les  poitrines  ca- 
■ndiennes. 

Mais  qu'étaient  les  afflictions  de  la  patrie 
en  cette  circonstance,  auprès  de  l'affliction 
de  la  famille,  frappée  plu»  spécialement  et 
plus  inlimoment  dans  son  chef  T  L'homme 
qui  devait  mourir  en  bérrs,  n'avait  su  répan- 
dre, dans  des  tems  plus  heureux,  que  joie  et 
bonheur  autour  de  lui.  Son  cœur  bon,  af- 
fectueux, sensible  n'avait  Jamais  contenu  que 
des  tendresses  et  de  l'amitié.  Il  était  de 
ceux  qui,  pour  leur  compagne,  sèment  la 
roule  de  la  vie  de  fleurs  en  gardant  pour 
eux  les  ronces,  qui  vident  la  coupe  des  dou- 
leurs plutôt  que  de  la  voir  approcher  des 
lèvres  chéries.  Ausfii  comment  dire  le  dé- 
sespoir de  la  femme  à  qui  on  allait  enlever 
le  compagnon  de  sa  vie,  le  père  de  ses  en- 
fans,  la  lumière,  l'amour,  l'espérance  de  son 
fojrer  T  La  mort  qui,  arrive  pour  la  plupart 
des  hommes  dans  l'ombre  et  le  mfstére, 
s'approche  lentement  à  la  faveur  des  vacil- 
lations et  des  répits  de  la  maiddie,  et  qui  avant 
de  frapper  laisse,  pour  ainsi  dire,  l'esprit 
s'habituer  graduellement  à  son  hideux  as- 
pect, se  présentait  dans  sa  désolante  certi- 
tude dénuée'd'espéronce  et  de  masque.  La 
victime  ét&it  marquée  pour  le  sacrifice  ; 
l'heure  fatale  était  fixée.  L'abime  était 
ouvert,  et  cet  abîme  nos  oppresseurs  ne  le 
fermaient  jamais...  En  face  de  ces  épreuves, 
les  cœurs  ne  pouvaient  que  se  fermer  à  l'es- 
pérance et  s'ensevelir  dans  les  larmes  et 
dans  la  prière. 

De  Lorimier  le  cœur  briné,  car  il  p»t 
triste  de  quitter  ce  monde  lorsqu'on  y  laisse 
une  jeunesse  inachevée,  de  douces  amitiés, 
d'heureux  liens  brisés  trop  t6t  ;  De  Lori- 
inier,  dis-je,  se  roidissant  contre  la  douleur, 
essayait  de  consoler  sa  femme  et  ses  amis. 
On  lui  parlait  de  son  supplice  ;  d'une  voix 
inspirée  et  affectueuse  il  parlait  d'immorta- 
lité et  de  gloire.  Madame  De  Lorimier, 
dans  l'ejialtation  de  ses  peines,  s'écria  qu'il 
allait  avoir  une  mort  cruelle  et  ignominieuse, 
il  lui  répondit  avec  uhe  douce  sérénité  : 
*<  Ma  mort  sera  cruelle,  ma  chère  Henriette, 
mais  elle  m  sera  pas  ignominieuse.     Oiterte 


en  hotoeousta  i  mon  pajri  «t  à  la  liberté,  le 
contact  du  gibet  ne  pourra  la  souiller.  La 
défhonneur  attaché  au  trépas  sur  l'échafaud, 
n'atteint  pas  les  victimes  d'une  pareille 
MUse.  La  mort  des  Duquelle,  des  Cardi- 
nal, des  Lount,  des  Math«ws  est  plus  hono- 
rable quH  la  vie  d'esclave  sous  un  gouverne» 
ment  despotique." 

Il  se  préparait  à  la  mort  par  les  prière» 
et  les  pratiques  religieuses  qui  adoucissent 
pour  le  catholique,  le  pa»kuge  de  ce  monde 
à  l'éternité.  L'impiété  sarrilége  qui  assom* 
brit,  souille  et  désole  le  rhevel  de  trop  des 
grands  moribonds  des  tems  modernes,  était 
absente  de  la  pensée  et  du  cœur  de  nos 
patriotes.  La  foi  ajoutait  sa  suprême  béné» 
diction  aux  bénédictions  de  la  patrie  et  de 
la  liberté.  En  mourant  pour  des  choses 
humoines,  ils  n'oubliaient  pas  celui  sans  le« 
quel  le  bien  ne  serait  qu'une  sublime  chimè- 
re, la  vertu  qu'une  erreur  splendide.  C'était 
au  pied  de  la  croix,  dans  la  contemplation 
recueillie  du  drame  divin  du  Golgoiha,  qu'ils 
se  préparaient  à  mourir  en  héros  et  en  mar- 
tyr, sans  crainte  et  sans  faute. 

V. 

Dans  les  loisirs  de  la  prison,  De  Lorimier 
écrivait  des  lettres  à  su  femme,  à  ses  amis, 
à  ses  compatriotes.  Ces  lettres  sont  tou- 
chantes et  'ristes  comme  le  murmure  qu'ar- 
rache le  vent  d'automne  à  la  feuille  qui 
tombe,  comme  les  bruits  du  soir  dans  les 
mausolées,  comme  la  dernière  plainte  de  la 
vague  se  brisant  au  rivage.  On  y  sent  pal- 
piter un  noble  cœur  qui  va  se  briser,  couler 
des  pleurs  sur  les  têtes  chagrines  d'enfaus 
chéris  et  sur  la  poitrine  sanglotante  de  la 
femme  aimée  ;  on  y  sent  frémir  et  écldter 
tous  les  sentiroens  qui  bonor«nt  les  cœur» 
mourans.  Ces  adieux  écrilAj  aux  dernières 
lueurs  de  la  vi3  tt  aux  premières  lueurs  de 
réternité,  pénètrent  l'àme  d'une  mélancolie 
profonde  et  d'un  funèbre  enlhousia^tme. 

A  son  frère  il  f  crit  :  "  Il  m'est  doulou- 
reux de  laisser  ma  patrie  encore  dans  les 
chaînes  et  ma  famille  dans  l'infortune  ;  quoi- 
qu'il en  soit,  il  faut  que  je  meurs  ;  mais  je 
meurs  courageux,  ferme  et  calme." 

A  un  ami  il  dit  :  "  Je  ne  regretterais  pas 
la  vie  si  je  n'avais  m  femme,  ni  enfans,  ni 
amis,  ni  patrie  "  ;  à  nn  autre  il  recommande 
de  se  rappeler  qu'il  est  mort  sur  l'échafaud 
pour  ron  poys. 

Les  derniers  adieux  de  M.  De  Lorimier  à 
la  compagne  dévouée  de  sa  vie  sont  déchi- 
rons :  "  Des  assassins  avides  de  sang  vien- 
nent in'urracher  de  tes  bias,  ils  ne  pourront 


—  10 


jamais  uffucer  tni  mémoire  de  ton  cœur  ; 
j'en  ai  la  couviction.  Ils  viennent  t'arracher 
Ion  soutien  et  ton  protecteur,  ^linsi  que  celui 
(le  met  cliers  entaus.  La  Providence  et 
les  amis  de  la  putrio  y  pourvoiront.  Ils 
'•a  m'ont  pas  seulement  donné  le  tems  de 
voir  mes  deux  chères  petites  filles,pour  les  ser- 
rer coiitie  mon  cœur  paternel,  et  leur  donner 
un  dernier  adieu,  lis  m^ont  ;>rivé  de  voir 
mon  bon  vieux  père,  mes  frères  et  sœurs, 
pour  leur  faire  mes  adieux  !  Ah  cruelle  pen- 
sée !     Cependant  je  leur  pardonne  de  tout 

mon  cœur Tu  as  reçu  hier  nu  !>oir 

mes  derniers  einbrasscinens  et  mes  derniers 
ndieux  :  cependant  du  fonds  de  mon  froid, 
humide  et  solitaire  cachot,  entouré  de  tous 
les  appnreils  de  la  mut,  je  te  fais  mon  der- 
nier, oui,  mon  dernier  adieu.  Ton  époux, 
tendre  et  chéii,  enchaîné  comme  un  meur- 
trier, ses  bras  à  la  veille  d'être  liés,  le  sou- 
haite, ma  chère  Henriette,  le  bonheur,  si 
jamais  ton  cœur  abimé  de  douleur,  puisse  le 
((oûter.  Sois  heureuse,  ma  chère  et  mal- 
iieureiise  épouse,  ain^'i  que  mes  chtrs  petits 
enfans  ;  c'est  le  vœu  le  plus  ardent  de  mon 
âme." 

Craignant  que  des  ennemis  ignorant  jus- 
qu'au respect  dû  au  malb>;ur,  ne  lui  attri- 
buassent des  opinions  et  des  sentimens  étran- 
gers à  son  cœur  et  à  sa  pensée,  il  en  fit 
une  déclaration  publique  à  ses  compatriotes. 
Cette  déclaration  \Av\nQ  d'une  grandeur  et 
d'uiie  éiévalion  antiques,  se  termii.e  par  ces 
mots  :  "  (juant  à  vous,  mes  coni|)atriotes, 
puisse  mou  exécuLinn  et  celle  de  mes  roui- 
pagnons  d'infortune  vous  être  utile.  Je  n'ai 
plus  que  quelques  heures  à  vivre,  mais  j'ai 
voulu  partager  mon  teins  entre  mes  devoirs 
religieux  et  mes  devoirs  envers  mes  compa- 
triotes. Pour  eux  je  meurs  sur  le  gibet,  de 
In  mort  infàmc  du  meurtrier  ;  pour  eux  je 
me  sépare  de  mes  jeunes  enfans,  de  mon 
épouse  chérie,  sans  autre  appui  que  mon  in- 
dustrie ;  et  pour  eux  je  meurs  en  m'écriiint  : 
Vire  la  liberté  I   V^ive  rindcpeiidance  !  " 

Ces  mots  d'indépenJance  cl  de  liberté 
qu'articulaient  les  lèvres  mourantes  de  De- 
Lorimier,  sont  eotnme  un  éeho  de  la  c'ameur 
qui  partie  des  gorf^es  des  Therinophj'les  et 
du  forum  iiomain,  a  traversé  les  siècles  se 
mêlant  aux  grandes  choses,  *t  a  relenti  sur 
les  champs  de  bataill«  de  rilnrope,  dans  les 
tiibuues  du  Nouveau  Monde  et  jnsijue  sur 
nos  èrhafauils.  C'est  le  cri  il'es|>t;raiiee  des 
nations  en  détresse,  c'est  l'hymne  des  grands 
triomphes  pn|iulairei:i.  C'est  la  protesl.itinn 
dfs  victimes  rontiu  les  Iwin-ieaux,  de  reux 
ijui  mciiiei.i   dans  la  gloire  coude  n  ux  qui 


I  vivent  dans  l'iniqitité,  des  Vergniand  contre 
;  les  Robespierre,  des  De  Lorimier  contre  lei 
!  Colborne.  Inscrivons  ces  mots  sur  nos  dra- 
j  peaux,  pour  qu'en  s'inclinant  ils  tes  mêlent  à 
I  II  poussière  de  nos  compatriotes  morts,  et 
I  qu'en  se  relevant  ils  les  portent  tièrement 
i  dans  les  airs  !  Qu'ils  retentissent  dans  les 
I  fêles  de  notre  race,  dans  les  funérailles  ou 

■  les  triomphes  de  nos  libertés,  comme  un 
;  adi^  nu  passé  et  comme  un  salut  à  l'avenir. 
j  La  veille  de  l'exécution,  les  captifs  don- 
I  nèrent  à  De  Lorimier  et  llindelang,  un  sou- 
I  per  d'adieu  en  imitation  du  dernier  banquet 

;  des  Giiondins.     Â  la  fin  du  repas,  De  Lo- 

I  rimier  d'une  voix  profondément  émue  porta 

le  toast  suivant  :  "  A  mon  pays  !  Puisse-t-il 

:  ne  jamais  oublier  que  des  braves   ont  sacn- 

llé  pour  lui    '"ur  vie   sur   l'échufuud.     J'ai 

vécu  patiiote,  je  meurs  patriote."     Le  mo- 

;  incit  était  trop  solennel  et  l'espace  de  tems 

\  q"i  le  séparait  de  l'éternité  était  trop  court, 

'  pour  lui  permettre  de  les  gaspiller  en  vains 

i  discours.     Il  ft.t  bref,  grave,  ému,  éloquent. 

'  L'ombre  lie  la  prison    et  de  l'échafaud,  le 

deuil  de  sa  famille  et  de  sa  patrie  se  proje< 

I  taient,  pour  ainsi  dire,  sur  ses  paroles  et  les 

j  rendaient  sombres  et  funèbres.     De  tems  à 

autre  cependant, refoulant  dan»  son  cœur  avec 

un  suprême  courage  toute  tristesse  et  tout 

atendrissement,  il  parlait  avec  enthousiafime 

'  de  l'avenir  de  son  pays,  le  déroulait  comme 

\  une  suite  et  une    compensation  du    présent, 

beau,    ma5;ique,    éblouissont,    embelli    par 

Dieu,  ctincelant  de  grandeur  et  de  liberlt. 

,  I!  prophétisait   la  venue  des  jours  du   soleil 

après  les  jours  d'orage,  du  printemjis  après 

Ihiver,  du  calme  après  l'épreuve.     Au  bout 

;  du  sentier  d'itifortunns  dont  il  allait  franchir 

i  ia  dernière   étape,  il  montrait  pour  lui  1 1 

■  pour  ses  compatriotes  un  monde  meilleur,  un 
I  champ  de  repos,  un  oasis.  Après  avoir  dé- 
;  ploré  les  malheurs  de  sa  famille  désolée, 
'  de  sa  patrie  insultée  comme  une  m^^ndiante, 
:  foulée  aux  pieds  eotnme  une  esclave,  de  ses 

amis  prisonnier»;  proscrits    ou  morts,  il  eut 
I  encore  la  force  de  prédire  à    tous   ce  qu'il 
!  avait  rêvé  pour  eux,  aux  jours  d'tspoir  et  de 
bonheur. 

llindelang,  jeune  français,  le  Lafayette 
mallieuicux  de  notre  hitoire,  prit  ensuite  la 
j  parole  :  "  Ma  voix  s'altè'e,  «-hcrs  ami«,  dif-il, 
quant'  je  me  représente  vos  inlortunes  nsi- 
'  [jonales,  et  mon  cœur  se  bii?e  à  la  pensée 
de  l'aQliction  ti>;  ma  vieille  mère  en  appre- 
nant ma  mort  dans  un  pays  étranger,  lur  l'é- 
chafaud et  par  les  mains  d'Anglais  impiloy- 
nbles.  Que  Dicn  lui  piète  force  et  courage  ! 
Qu'un  de  vous  lui  étiive  ccinbien  j'ai  ♦'»« 


11  — 


ferme  et  lésignè  dans  mon  «uit  niulliuurcux. 
Dites-lui  que  je  suis  mort  comme  un  Fran- 
çais. Avant  i!e  fiuir,  lai&sez-moi  vous  dire 
que  la  liberté  de  votre  malheureuse  pairie 
ne  peut  ôtre  achetée  trop  cher,  et  que  pour 
tsacause  je  fais  de  bon  cœur  le  sacrifice  dn 
ma  vie." 


blancH,  voUins  du  sépulcre,  et  des  jeunctf 
hommes  à  quelques  années  de  Tenfance  san- 
glot taient  ensemble.  Tous  le»  fronts  ridés 
ou  hautains  pliaient  vers  la  terie,  écrasés 
sous  le  désespoir.  Il  sembla  que  de  ces 
poitrines  dévorées  par  lei  chagrin,  allait  sortir 
un  cri  formidable  qui  teirilierait  1rs  tyrans 
S^adressant  ensui'e  à  ses  compagnons  de  j  dans  leurs  palais  et  qui  irait  dans  les  chau- 
supplice,  il  s'écria  :  "  Dem'in  est  le  jour  de  i  inières  mettre  le  feu  au  cœur,  les  armes  aux 
doulciirs,  non  pour  nous,  mais  pour  nos  amis  J  bias  des  débris  de  notre  race.  On  sie  tut 
Vos  noms  et  le  mien  seront  gravés  en  lettres  I  pourtant,  car  le  soi  de  Tinsurrection  avait 
d'or  sur  Tautel  delà  liberté.  Je  porte  le  |  déjà  trop  bu  de  sang  innocent.  Les  pri- 
toast  suivant  :  "Au  Canada  :  Je  ne  regrette  '  sonniers  mornes  et  abuttU!i,Dn  Lorimier  triste 
pas  nia  vie,  si  t<i  peux  un  jour  être  arraché  mais  ferme,  llindeulang  insouciant  et  gai  en 
à  la  lyrannie  de  TAngitituire.  CVs^t  lu  vœu  apparence,  se  serrèrent  une  dernière  fois  les 
«incùre  de  celui  qui  mourra  pour  toi  demain.  |  inuins,  et  on  se  sépara.  C'étaient  les  pré- 
Un  teins  viendra  où  dans  leurs  fôtes  tet.  en-  :  ludes  du  drame.  <  • 
fans  se  rappelleront  que  Charles  Ilinde- 
lang,  un  étranger,  fut  martyr  pour  eux  et 
Tictime  de  la  haine  britannique." 

Lus  prisonniers  jeunes  et  vitux  pleurèrent 
à  ces  paroles  touchantes.     C'était  en   etTut 


VL 

L'aurore  du  15  février  1839  parut  à  l'Iio- 
rison,  morne   et  triste  pour  tous  les  cœurs 
un  spectacle   navrant  que  de  voir  ce  jeune  ;  canadiens.  Ses  rayons  en  descendant  sur  les 
étranger,  brave  et  chevaleresque, Aenu  de  si  <  villes  et  les  campagnes,  en  se  glissant,  mes- 
loin  pour  sacrifier  à  notre  cause,  sa  vie  avant  j  sagers  et  hérauits  de  la  mort,  à  travers  les 


son  crépuscule,  sa  jeunesse  a»ant  s&  :natu 
rké,  son  bonheur  avant  sa  plénitude,  sa  part 
de  joies  et  d'atïeitions  terrestres  avant  leur 
épuisement.  Ils  étaient  heureux  pourtant 
d'entendre  comme  la  voix  de  la  France  se 
réveillant,  après  des  années  de  silence,  pour 
dire  qu'elle  avait  encore  de  la   sympathie 


barreaux  de  la  prison,  n'éclairèrent  que  cons- 
ternation partout,  hors  les  pâles  sourires  de 
quelques-uns  des  condamnés.  On  eût  dit 
que  i)ieu  avait  jeté  un  linceuil  de  plomb  sur 
le  pays  tout  entier,  linceuil  que  dans  leur 
rage  des  mains  impies  essayaient  en  vain  de 
soulever.     Il  les  écrasait  ùe  son  poids,  et 


pour  nous,  et  qu'elle  voulait  comme  une  j  leurs  rires  motiraienl  sans  écho  dans  ses  plis 
raère  attendrie  et  lièi  e  de  ses  fils  d'Ainé-  profonds.  Qu'i  chaque  anniversaire  de  ce 
rique,  méldr  sus  larmes  et  son  sang  à  nos  jour,  on  voie  (|uelque  chose  de  ce  spectacle  ; 
larmes  et  à  notre  sang.  Cette  voix  à  cetle  j  que  notre  race  se  souvienne,  qu'en  deuil  elle 
lieure  solennelle   et  sous  les  murs  sinistres  .  salue,  comme  nour  le  fesons  ce  soir,  une  des 


de  la  prison,  retentissait  comme  une  belli 
queuse  mélodii:  d'un  barde,  pèlerin  et  guer- 
lier  de  la  Normandie,  venu  de  la  vieille  terre 
d'Europe  pour  consoler  par  ses  chants,  les 
d'auteurs  de  la  Nouvelle-France.  Il  leur 
semblait   à   cos  hommes,  qu*un  rayon  de  ce 


dates  les  plus  noires  de  notre  martyrologe. 
De  Loriiïiier  vit  sans  pâlir  les  rayons  de 
l'aurore  venir  donner,  commK  une  caresse 
d'adieu,  à  son  front  qu'allait  refroidir  la  mort. 
L'hoiniue,  môme  lorsqu'il  est  Fur  le  point 
lie  quitter  la   vie    aime  à  respirer  les  par- 


soleil  qu'on  up|>elle  la  Fiance  et  dont  les  i  fuins  charmans  qui  s'échappent  de  tout  ce 
brumes  brilannit|ues  nous  cachaient  la  face  ;  qui  est  jeune  et  radieux,  du  printems,  du 
«{ilouissante,  \enait  se  repose.'  sur  leurs  i  matin  et  des  berceaux, 
plaies  et  sur  leurs  soulVranccs  pour  en  allé- 1  II  était  préparé  aux  événemens  de  la 
ger  lu  fardeau,  pour  les  |>leurer,  les  bénir,  journée.  Il  avait  rendu  à  Dieu  un  compte 
les  gloiifier.  i  lidèle  de  la  vie  qui  lui  avait  été  donnée,  un 

A  travers  to  is  ces  entretiens  et  ces  dis-  prêtre  l'avait  absous;  son  âme  était  prête 
cours,  l'heure  dont  rien  no  rnlenlit  ni  ne  pour  le  voyage  de  l'éternité.  Son  attitude 
lÂte  la  iHnrcliti  inSexible,  avançait  toujours,  était  ré>ignée,  sou  cœur  ferme  lorsque  le 
et  le  moment  fdtal  de  la  séparation  ttiiil  geôlier  entra  dans  sa  cellule  pour  lui  lier  les 
airiké.  Il  fuliail  lji-ser  les  condamnés  con- .  mains.  Cela  fait,  on  le  conduisit  vers  ses 
sacrer  le  teins  qu'il  leur  rc-lait,  à  une  der- ,  compagnons  de  supplice,  Nicolas,  Daunais, 
nièie  préparation  aux  évèuemens  du  lende- !  Nai  bonne  et  llindeulang.  En  joignant  ce 
muiu.  Les  adieux  fuient  |.leius  de  lai  mes  et  ;  dernier  il  s'écria  :  •'  Courage,  ce  sera  bien- 
de  déchiremcns.   Des  viiiliards  aux  cheveux    lt\t  fait."'     ii'héioïi|ue  jeune  homme  réfon- 


J!f 


12 


dit  :  *'  La  ntort  n'ett  rien  pour  un  Français 
qui  la  subit  pour  la  cause  de  la  liberté." 

Le  funèbre  cortège  étant  com;)l«;t,  on 
s'achemina  vers  Pécliafaud.  A  c6té  des 
premières  marches,  on  avait  placé  cinq  cer- 
cueils sur  chacun  desquels  on  avait  l'crit 
arec  de  la  craie,  le  nom  d'un  des  condamnés. 
C'étaient  là  les  sépultures  et  les  épilapbes 
que  leur  avait  préparées  le  bourreau.  £n 
passant,  aucune  des  victimes  ne  parut  remar- 
quer, ces  preuves  sinistres  de  la  prévoyance 
de  l'autorité. 

Farv<>nus  sur  la  platcForme,  les  condamnés 
purent  contempler  à  la  fois,  la  foule  silencieu- 
se qu'avaient  attiré  les  séduisante,  perspecti- 
ves d'un  horrible  spectacle,  le  som>re  don- 
jon où  ils  laissaient  tant  d'amis,  un  coin  'lu  St. 
Laurent,  derrier  représentant  de  la  p,\lrie 
bien-aimée.  Triple  apparition  qui  ne  cessa 
qu'avec  la  pression  de  la  main  du  prêtre, 
sous  l'étreinte  glacée  du  bourreau  et  de  la 
mort. 

Avant  le  moment  fatal,  llindeling  s'avan- 
çant  du  côté  de  la  foule,  prononça  quelques 
paroles,  qu'il  couronna  du  cri  de  "  ^^ive  la 
Liberté." 

De  Lorimier  sourit  et  approuva  de  la  tête. 

Le  supplice  commença. 
Fendant  son  terrible  accomplissement,  l'in- 
térieur de  la  prison  présentait  un  émouvant 
et  solennel  spectu'le.  Les  captifs  réunis^u 
centre  de  leurs  quartiers  étaient  agenouillés, 
le  front  penché,  le  cœur  saignant  et  la  pen- 
sée élevée  vers  Dieu,  comme  pour  escoi  fer 
aus  célestes  demeures,  les  âmes  de  leurs  amis 
roourans.  il  fesait  sombre,  les  fenêtres  ne 
laissaient  pénétrer  qu'uue  lumière  terne  et 
sans  éclat  ;  les  figures  étaient  pâles,  de  cette 
pileur  que  jette  sur  les  traits  de  l'homme  lo 
passaf^e  des  grandes  aillictions.  Un  vieillard 
aux  cheveux  blancs,  disait  la  prière  des  morts, 
le  De  profil ndis  ;  toutes  les  luvres  murmu- 
raient les  lugubres  et  sublimes  paroles  du 
psaume  sacré,  pendant  que  de  tous  les  yeux 
coulaient  silencieusement  des  larmes.  Ces 
voix  pieuses,  ces  sanglots,  cette  assemblée 
en  ce  lieu  rappelaient  les  catacombes  et  les 
premiers  chrétiens  priant  sur  les  corps  muti- 
lés de  leurs  irères  martyrs. 

La  ftule  présentait  un  sper^tacle  bien  diffé- 
rent. i::^lle  était  pleine  d'agitation  et  de 
trouble.  La  pilié  ou  les  remords  déchiraient 
toutes  les  consciences,  pâlissaient  toutes  les 
figures.  On  suivait  avec  une  effrayante  émo- 
tion les  péripéties  de  l'exécution,  et  de 
temps  à  autro  des  Itommes  s'évanouissaient. 

La  bourreau  fit  son  œuvre.  La  mort 
itendit  son  suaire  sur  ces  cinq  vaillans  hom- 


mes ;  leurs  généreux  coeurt  cessèrent  it 
baltie,  tandis  que  le  deuil  et  la  gloire  con>* 
meiiçuient  a  veiller  sur  leurs  corps  inaninéa 
et  que  cinq  crêpes  funèbres  ceignaient  le 
front  meurtri  de  la  patrie. 

De  Chevalier  de  Lorimier  ri  ne  restait 
plus  sur  la  terre  qu'un  corps  inerte  ?t  une 
mémoire  impérissable.  L'un  pouvait  tom- 
ber en  poussière,  l'autre  sous  la  garde  de 
l'histoire  était  immortelle.  L'oubli  ne  peut 
être  le  salaire  de  tant  de  vertus  et  de  cou- 
rage, de  dévouement  et  de  patriotisme  y 
Dieu  leur  donne  là  haut  d'éternelles  récom- 
penses, ici-bas  d'éternels  souvenirs.  Il  pose 
au  front  des  martyrs,  comme  de  Lorimier, 
des  couronnes  que  les  puissans  ne  peuvent 
briser.  La  tyrannie  avait  eu  le  pouvoir  d'oe- 
vrir  l'éternité  à  notre  compatriote,  mais  elfe 
n'avait  pas  celui  de  lui  fermer  le  ciel  et  les 
cœurs  des  hommes  de  bien. 

Mort  il  léguait  à  sa  famille  désolée, 
un  nom  honorable  et  pur,  titre  de  noblesse 
Dien  plus  solide  que  les  blasons  des  patri- 
ciens ;  à  sa  patrie  un  nom  et  des  actes  qui 
transmis  de  génération  en  génération,  com- 
me des  traditions  nationales,  ne  cesseront 
d'être  honorés  q<ie  lorsque  sur  ce  sol,  à  la 
fumée  des  usines,  on  aura  perdu  jusqu'au 
sentiment  des  grandes  choses. 

VIL 

L'homme  de  bien  en  mourant  martyr,  une 
grande  époque  en  sombrant  dans  une  catas- 
trophe comme  un  vaisseau  dévoré  par  l'in- 
cenilie,  laissent  à  leur  pays  avec  des  regrets 
et  des  débris,  un  héritage  de  traditions  et  de 
principes. 

Trois  seiitimens  principauux  ont  animé  la 
vie  de  De  Lorimier,  et  couvèient  de  leur 
égide  l'époque  qui  s't  teignit  avec  lui  dans  le 
sang  ;  la  fidélité  à  la  foi  de  nos  pères,  le  dé- 
voiitnient  à  la  nationalité  française,  l'amour 
de  la  liberté. 

Catholiques,  ce  fut  sous  la  protection  de  la 
croix  qu'ils  placèrent  leurs  berceaux  et  leurs 
foyers,  leurs  œuvres  et  leurs  tombes.  Ca- 
nadiens français,  ils  s'attaihérent  à  la  cause 
de  leur  nationalité,  la  protégèrent  au  milieu 
de  tous  les  perds  ;  persécutés  et  décimés, 
ils  la  servirent  encore  et  leurs  derniers  efforts, 
leurs  derniers  vœux  furent  pour  elle.  Amis 
de  la  liberté,  ils  en  profes  èrent  le  culte  lors- 
qu'elle ne  pouvait  plus  avoir  d'autels  que  dan» 
les  prisons  et  sur  les  gibets,  et  courtisans  su- 
blimes, leurs  regrets  lui  firent  cortège  dans 
son  exil  passager. 

Llejetterons-nous  ces  principes  pour  en 
adopter  d'autres  î  Refusurons-nous  ce<  piem 


t 


■;U,^' 


—  13  — 


legs  pour  ftccepter  les  doos  funeslea  de  l'é- 
traoger  1  Abandonnerons-nous  la  route  par- 
courue et  tracée  par  nos  pères  pour  prendre 
cellen  idiquée  par  Pennemi  ? 

Deptiiâ  que  celte  ter^e  a  été  conquise  à 
U  civilisation,  elle  a  été  catholique.  I<j 
sang  chrétien  qui  y  coula,  il  jr  a  deux  siècles, 
lui  donna  ce  glorieux  privilège,  elle  Ta  con- 
servé, (les  orages  ont  passé  sur  elle,  mais 
ils  n^ont  pu  déraciner  la  vieille  crois.  Toutes 
les  générations  en  entrant  dans  la  vie  ou 
dans  Tétei-nite,  ont  défilé  à  ses  pieds.  Nulle 
n'est  entrée  sans  son  secours,  nulle  n'esit  sor- 
tie sans  ses  adieux. 

Cesserons-nous  de  présenter  ce  sublime 
spectacle  ]  Fuirons-nous  le  sentier  chrétien, 
bordé  de  grands  souvenirs  ^t  dunt  la  pous- 
sière est  !a  cendre  de  nos  aïeux  ?  Le  sym- 
bole que  les  tempêtes  n'ont  pu  briser,  sera- 
t-il  ébranlé  et  insulté  par  les  fils  de  ceux 
<)«ii  l'ont  protégé  1  Le  inulilera-t-on  par  lâ- 
rlieté  ou  par  trahison  ?  Aurons-nous  honte 
d'être  catholiques  dans  notre  vie  privée  et 
publique,  dans  nos  associations  et  nos  jour- 
naux, parce  qu'il  y  en  a  qui  trouvent  qu'a- 
voir des  principes  religieux,  c'est  être  fana- 
tique, que  les  professer  en  face  du  tous  c'est 
être  intolérant  ;  parce  qu'il  y  en  a  qui  veu- 
lent qu'on  taise  sa  foi  en  certaines  circons- 
tances, pour  plaire  i  ceux  qui  n'en  ont  pas 
ou  qui  en  ont  une  autre  } 

Il  est  peu  de  voix  canadiennes  qui  ôsc- 
faieat  r<r^pondre  "  oui,"  à  des  questions  ainsi 
Aettement  formulées  ;  mais  prenons  garde 
par  notre  inaction  et  nos  com|ilais;)nces  d'en 
augmenter  le  nombre.  Les  bonnes  causes 
flo  triomphent  que  par  des  amis  vigilans,  elles 
ne  s'affaiblissent  que  par  la  faute  des  tièdes 
Amis.  Que  Dieu  nous  garde  d'être  pour  la 
cause  catholique  ces  tiéiies  amis  ! 

Durant  un  dtimi-^iècle,  le  gouvernement 
britannique  a  versé  Kur  ce  sol  ses  richesses 
«t  ses  valets,  il  a  employé  corruption  et  vio- 
lence pour  eu  bannir  la  liberté.  Mais  le 
succès  qui  ailleurs  ét»it  lidéle  à  sa  voix,  lui 
a  fait  défaut  ici.  La  liberté  traquée  sans 
relâche  n'a  pas  péri  cependant.  Illustre 
fugitive,  elle  a  trouvé  refuge  dans  les  rangs 
des  vaincus  de  1760.  Les  Canadiens,  dont 
la  destinée  a  été  d'être  les  martyrs  et  les 
soldats  des  meilleures  cars^^s,  l'ont  protégée 
et  défendue.  Ils  ont  combattu  ses  ennemis, 
partagé  ses  disigiâces,  assuré  ses  triomphes. 
Cette  généreuse  complicité  leur  a  attiré 
cette  tyrannie  et  ces  dénis  de  justice,  a  pro- 
voqué cette  énergique  résistance,  dont  le  ré- 
cit forme  une  des  pages  les  plus  dramatiques 
d*  Pèpnpée  française. 


Si  aujojrd'buî  il  y  a  de  la  liberté  dans  ce 
pays,  s'il  n'est  pas  devenu  une  terre  de  ser- 
vitude, un  tache  au  front  radieux  de  l'Amé- 
rique ;  c'fcst  i  nous  qu'on  le  doit.  C'est 
nous  qui  avons  porté  le  poids  de  la  lutte, 
c'est  à  nous  qu'appartiennent  les  lauriers  de 
la  victoire  mouillés  des  larmes,  teints  du 
sang  de  nos  pères.  Rappelons  quelquefois 
à  nos  détracteurs  qui  nous  reprochent  notre 
pauvreté  et  nos  chaumières,  que  le  tems 
qu'ils  ont  passé  i  faire  fortune  nous  l'avons 
employé  à  de  plus  rudes  et  de  plus  patrio- 
tiques travaux,  à  la  conquête  de  la  liberté. 
Nos  chaumières  qu'ils  méprisent  ont  donné 
l'hospitalité  à  cette  liberté,  lorsque  les  de- 
meures des  puissans  lui  étaient  fermées  ! 
Pendant  qu'ils  entassaient  des  écus  et  qu'on 
s'occupait  an  pouvoir  à  nous  voler  nos  épar- 
gnes, nous  jetions  au  milieu  des  périls  les 
bases  de  l'édiAcc  qui  nous  recouvre  tous 
maintenant  et  qui  demain  agrandi  abritera 
l'avenir.  Demandons  leur, s'ils  trouveraient 
juste  de  reprocher  au  guerrier  appauvri  par 
le  service  de  la  patrie,  ses  haillons  et  ses 
blessures,  de  comparer  avec  dédain  son  ho- 
norable misère  au  faste  éclatant  des  riches! 

Rougirons-nous  de  continuer  ces  œuvres  t 
Cesserons-nous  d'aimer  la  liberté  parce 
qu'en  passant  à  travers  les  passions  humai- 
nes elle  est  susceptible  de  «e  souiller,  parce 
qu'en  touchant  la  terre  elle  pose  parfois  ses 
pieds  dans  la  boue,  parce  qu'elle  n'échappe 
pas  plus  que  l'autorité  aux  atteintes  dfis 
abusl 

Aimons-la  plutôt  et  en  l'aimant  serrons- 
la.  L'ennemi  de  la  liberté  dans  cette  portloa 
du  siècle,  ce  n'est  pas  seulement  le  despotis- 
me, c'est  aussi  la  licence.  Il  faut  se  prému- 
nir à  la  fois  contre  les  agressions  de  l'une  et 
les  entraîneinens  de  l'autre.  Présentons  le 
spectacle  d'une  race  aimant  la  liberté,  sans 
exagération,  la  pratiquant  sans  excès,  se 
protégeant  à  la  fois  contre  les  attaques  de 
l'étranger  et  contre  ses  propres  eutraîne- 
mens.  Ce  ne  serait  pas  la  servir  que  de  la 
lancer  à  la  suite  de  théorie  aventureuses  i 
la  poursuite  d'une  perfection  chimérique,  que 
de  la  poser  en  antagoniste  constant  arec 
l'autorité  dont  elle  ne  doit  être  dans  une  so- 
ciété démocratique  que  l'alliée  et  le  contre- 
poids. Ce  serait  au  contraire  la  serrir  que 
de  lui  faire  éviter  les  voies  inconnaes  et  ha- 
sardées, que  de  lui  frayer  des  voien  droites 
et  sures,  que  de  lu  idonner  pour  base  dans 
l'âme  des  citoyens  la  pratique  du  devoir,  la 
modération  et  le  respect  du  droit. 

En  même  temps  que  cette  terre  était  faîte 
catholique,  elle  était  faite  française  ;  taïUlii 


^14  — 


que  fa  foi  chrétienne  tn  firrnait  possession, 
la  race  frutiçaisu  l'adoptait  comme  une  he- 
conde  patrie  cr66e  à  sa  taille  tt'lle  que  la 
première,  la  rieille  (raiile.  Ce  coin  inconnu 
tle  TAmérique  t;tait  ain^i  honoré  d'un  double 
dépôt  que  pouvaient  lui  envier  les  peuj  le» 
tes  plus  fortunés  du  inonde.  j 

Comme  la  croix,  la  race  française  restai 
debout  malgré  la  barbarie,  malgré  Topines-  j 
sion.  V'aincue  Mir  les  champs  de  bataille  par  ! 
le  nombre,  persécutée  au  forum,  elle  sse  re- 
leva toujours  de  ses  chutes  plus  trançaise  i 
que  jamais.  La  fortune  put  trahir  son  cou-  : 
rage,  mais  jamais  dénationaliser  son  âme. 
llien  n'en  put  effacer  l'empreinte  de  la  ; 
France.  j 

Sera-ce  après  tant  de  luttes  et  d'épreu-  • 
ve»,  qu'on  viendrait  proposer  à  cette  race  le 
suicide,  l'abdication  f    Comment!  ce  qu'elle 
n'a  pas  fait,  lorsqu'elle  n'avait  que  G0,000  ; 
enfans,  elle  le  ferait  maintenant  qu'elle  en  a  ] 
près  d'un  million  ;  ce  qu'elle  n'a  pas  voulu  , 
faire  au  commencement  du  combat,  en  face 
d'un  insuccès  probable,  elle  le  ferait  lorsque 
les  plus  rudes  jonrnées  sont  passées,  lorsque  | 
l'ennemi  est  divi'té  ?    Elle  détruirait  tout- à 
coup,    l'œuvre    consolidé  par  plus  de  deux 
siècles  passés  dans  la  lutte,  sur  le  champ  de 
bataille  d'abord,  puis  nu  forum  ?   Une  gêné-  ', 
ration  dans  son  orgueil  prendrait  la  respon- 
sabdité,  s'arrogerait  le  droit  de  bouleverser  ' 
tout  ce  qu'on  a  fuit  avant  elle,  et  ce  qui  a 
coûté  plus  de  saug  qu'elle  n'en  a  dans  les  , 
veines,  et  ce  qui  a  requis  plus  de  dévouement 
au  bien  public  qu'elle  n'en  aura  jamais?  On 
sacrifierait  à  une  utO|>ic,  le  passé  et  l'avenir  ; 
de  notre  race,  on  insulterait  l'un  et  on  fer-  , 
ineraii  l'autre  ]     Aux  générations  écoulées, 
aux  gér.ératioi.s  qui  dorment  dans  le  sëpui- 1 
cre  de  l'histoire,  on  dirait  :  "  Votre  sang  a 
été  gaspillé  et  il  n'a  fécondé  que  l'erreur,  vos  : 
labeurs  ont  été  vains  et  ils  n'ont  fondé  que 
sur  le  sable,  vous  êtes  restés  Français  et 
vous  auriez   dû   devenir  Anglais  loisqu'en  '. 
17()3  c'était  chose  si  facile;  la  France  serait 
oublié,  le  Canada  &eiail  prospère  et  nous 
n'aurions  pas  le  trouble  de  détruire  votre  : 
œuvre."    Aux  générations  naissantes  on  di- 
rait: "  Oubliez  votre  origine,  si  elle  fut  fran- 
çaise c'est  la  faute  de  vos  aïeux  et  non  la  ; 
nôtre  ;  changez  de  langue,  elle  n'est  bonne  , 
que  pour  la  poésie  et  l't^loquence  et  il  vous  ; 
faut  parler  affaire  ;  n'aimez  au-delà  des  mers 
que  l'Angleterre,  c'est   le  pays  des  écus  ; 
sojez   Anglais    ou    Américains,   l'ancienne  | 
Chambre  d'Assemblée,  nos  murtyrs,  ne  le 
voulaient  pas,  mais  ils  étaient  aveuglés  par 
•  de  bieji  piteux  préjugés  !  " 


Ma»  encore  à  quoi  sacrifier  cette  existcft-' 
ce  sacrée  i  A  quoi  'l  A  des  craintes  chimé- 
riques, à  des  ombres. 

Dira  t-on  pour  nous  pousser  au  suicide, 
que  nous  devons  nous  détruire  jiour  éviter 
les  luîtes  de  race,  des  luttes  qui  n'existent 
pas  encore,  mais  qu'on  prévoit  avec  une  mer- 
veilleuse aptitude?  Mais  est-ce  que  réliés 
par  la  fraternité  des  peuples  divers  ne  peu- 
vent pas  vivre  sans  s'enlredéchirer  sur  un 
même  sol, comme  ils  virent  sur  un  môme  con- 
tinent] Est-ce  que  l'état  de  chose  possible 
dans  un  grand  espace  est  impossible  dans  un 
petit  ?  C\'A  une  question  de  géographie 
alors  et  elle  se  résout  en  notre  faveur,  car 
notre  pays  est  immense  et  il  y  a  place  pour 
tous.  Est-ce  ([ue  notre  paisible  existence, 
nos  mœurs  douces,  notre  langée  harmonieu- 
se, notre  foi  sainte  sont  des  insultts  pou?  les 
autres  races  î  Est-ce  que  chacun  ne  peut  pas 
régler  comme  il  veut  son  intérieur,  d'abord 
qu'il  se  soumet  aux  lois  générales?  Si,  pour 
sitlisfaire  les  exigences  fusioniiistes,  il  faut 
détruire  tout  ce  qu'empêche  la  société  d'û- 
tre  une  communauté  sans  classification  et 
sans  fractions,  il  faut  alors  détruire  la  famille, 
source  des  races,  car  elle  perpétue  des  dé- 
marcations entre  les  citoyens,  elle  nuit  à  l'u- 
niforniité  ! 

Diia-t-on  que  la  fuMon  profitera  au  pays 
auquel  les  races  nuisent  ?  Mais  est-ce  que  par 
h  isard,  au  moyen  du  inôine  procédé  qui  fait 
lire  dans  l'avenir,  ou  aurait  récemment  dé- 
couvert que  le  bien  fait  à  une  race,  n'était 
pas  profitable  an  pays  ?  Pense-t-on  q-ie  ce 
que  l'on  fait  pour  l'un,  n'est  pas  ressenti  par 
l'autre  ?  Nie-t-on  que  la  prospérité  de  celle- 
ci,  contribue  à  la  prorpérité  de  celui-là  î 

Si  l'on  essaie  de  détruire  les  races,  de  les 
fusionner,  ça  ne  se  fera  pas  sans  déchire- 
mens  et  sans  lenteurs,  car  enfin  on  n'oublie 
pas  son  origine,  on  ne  change  pas  d'affec- 
tion, on  ne  lenie  pas  sa  mère,  sans  combat 
et  sans  hésitation.  La  transformation  sera 
lente,  pénible.  Le  cœur  est  si  tenace  si 
peu  pratique,  il  laisse  si  dilficilement  partir 
les  nobles  sentiinens,  les  vieilles  habitudes. 
On  dirait  que  c'est  une  portion  de  lui-môini! 
qui  s'en  va.  Fendant  tout  ce  temps,  et  il 
sera  long,  souffrance  générale,  désarroi 
complet  des  esprits.  La  crise  passée,  com- 
bien d'années  ne  seront-elles  pas  employées, 
à  éteindre  les  derniers  restes  de  l'amour  de 
la  race  et  à  y  substituer  l'amour  exclusif  de 
j  la  nationalité  bigarrée  et  multicolore  réceni- 
;  ment  intronisée  î  Tous  ces  cœurs  dont  on 
'  aura  brisé  les  affections  qu'ils  tenaient  de 
leurs  foyers  et  de  Icins  autels,  pouriont-ils 


Ml 


—  15 


aiiiier  encore  î  Iii»trui(ï  de  Uiir  eirtiir  pas-  |  des  iiilùi^t:*  tr.nniiuti!'.  Pui sonne  uu  rotiJiu 
Bée,  tlécouri«gës  |iur  cette  découverte,  de  j  commettre  aujourd'hui  des  violriices  et  de^ 
peur  de  ec  tromper  encore,  ne  he  fermeront-  |  injustices,  que  demain  on  pourrait  lui  rendre 
ils  pas  au  nouveau  palriotisine  ?  Toutes  ces  :  avec  usure, qui  n'atteindraient  >i!*^  jculemcut 
cendres  du  pa^sé,  tout  ce  levain  s'il  on  veut,  '  une  race,  mais  toutes  les  raccs,i)iais  la  socié'tè 
ne  nuiront-ils  pas  à  la  croi^sunce  du  nouveau  I  toute  entière  intéressée  à  leur  répression, 
venu  1  Toute  celte  p:MJt  promise  ne  sera-l  j  Ce  n'est  ceites  pas  là  un  système  nouveau, 
elle  pds  troublée  t  Après  avoir  vendu  notre  |  c'est  le  système  conçu  par  nos  pères,  venus 


patrie,  manquerions-nous  (te  recevoir  notre 
kalaire  î 


trop  tôt  pour  le  voir  appliquer  complète- 
ment. Depuis  que  la  malveillance  des  autres 


En  supposant  même  que  tout  irait  comme  i  races  a  cédé  devant  notre  bon  vouloir,  il  a 
par  enchantement,  que  la  fusion  se  ferait  |  porté  des  fruits  abondans  ;  il  en  portera 
sans  etforl  et  que  la  prospûnlé  en  résultant  j  bien  plus  encore,  si  les  bons  citoyens  de 
serait  éblouissante,  qu'est-ce  que  noire  race  !  toutes  les  origines  s''unissent  pour  le  faire 
y  aurait  gagné  1  ilieu  que  la  mort.  Q>ie  I  prévaloir. 
lui  sei  virait  alors  toutes  les  richesses,  tous       Mais  que  les  temps  soient  propices  ou  mau- 


les  trésors  de  la  fusion  7 

Kn  supposai.t    plus  encore,  en  supposant 


vais,  que  les  jours  qui  nous  sont  comptés 
soient  des  jours  de  soleil  ou  d'orage,  sachons 


l'impossible,  c'est-à-dire  que  nous  puissions  ;  fuire  notre  devoir  !  Qu'importe  à  quel  prix 
être  en  état  de  profiter  de  ce  bien-être  fa-  j  s'évite  la  défaite  1  Qu'importe  à  quel  prix  on 
buleux,  nous  en  laisserait-on  prendre  notre  |  achète  quelques  jour  de  plus  pour  notre  nu- 
part  ?  Trop  faibles  pour  nous  faire  I  lionalitè  ?  Montcalm  et  De  Lorimier,  les 
craindre,  serions-nous  obéis?  Les  races  i  vaincus  del759  et  les  martyrs  de  1839  ont 
pour  lesquelles  nous  nous  serons  sacrifiés,  i  donné  leur  sang,  menagerions-nous  nos  la- 
n'oublieront-elles  pas  nos  services?     Soni-lbeurs? 

ines-nous  donc  tellement  habitués  à  voir  les  |  Toute  notre  histoire,  tout  notre  passé,  la 
Anglais  tenir  leurs  promesses,  à  écouter  la  \  voix  de  Papineau,  la  tombe  de  De  Lorimier, 
reconnaissance  que  nous  devrions  sur  des  ba- 1  les  mots  de  St.  Lustache,  nos  malheurs 
ses  aussi  fragiles  tout  risquer  pour  tout  pcr-   et  nos  gloires,  nous  crient:  "  Nationalité." 


are! 


Ainsi  la  fusion  en   nous  donnant  la  mort 


Serions-nous  sourds  à  ces  appels  1    Ces  fiers 
accens  n'auraient- ils  plus  d'échos  dans  nos 


et  le  déshonneur,  pourrait  nous  refuser  la  j  âmes  dégénérées? 
misérable  pitance  que  nous  aurions  con-  Non,  les  générations  actuelles  ne  seront 
Toitée.  Triste  politique  qui  nous  det-honorc- ,  pas  les  meurtrières  de  notre  nationalité  ; 
rait  sans  nous  enrichir,  qui  briserait  notre  I  elles  ne  flétriront  pas  à  la  fois  l'espérance 
cœur  sans  emplir  notre  bourse.  Le  chàti- 1  de  l'avenir  et  le  souvenir  du  passé  ;elle  n'o- 
tnent  serait  digne  du  forfait,  et  criminelle  j  teront  pas  à  ceux  qui  viennent  leur  berceau, 
vulgaire,  notre  race  n'aurait  pas  même  !  à  ceux  qui  ne  sont  plus  leur  tombeau  ;  elles 
l'horrible  honneur  d'un  grand  suplice,  d'une   ne  creuseront  pas  de  leurs  mains  la  fosse  de 


bruyante  ignominie 

Ce  que  la  fu<iou  ne  pourra  jamais  nous 


la  France  d'Amérique. 

Elles  sauront  comprendre  que  notre  na- 


donnor,  nous  le  trouverons  dans  la  fraternité  tionalilè  leur  a  été  confiée  comme  un  dé- 
des  races,  c'est-à-dire  le  bien-être  dans  une  pût,  qu'elles  n'ont  pas  le  droit  d'en  disposer 
paix  honorable.  Nous  n'aurons  pour  cela  et  qu'elles  doivent  la  remettre  à  l'avenir 
rien  à  sacrifier,  il  n'y  aura  de  proscrits  que  agrandie  ou  intacte  si  c'est  |i05sible,  mais 
les  préjugés.  On  n'aura  pas  à  donner  pour  i  dans  tous  les  cas  sans  tache  et  sans  souillure, 
base  au  salut  des  uns  la  destruction  des  au-  S'il  faut  pour  cela  soulTrir  et  combattre, 
très.  Notre  sol  aura  des  foyers  j)Our  tous,  elles  sauront  supporter  les  soulfiances  avec 
des  tombeaux  pour  nul.  A  chaque  race  on  fermeté,  soutenir  les  luttes  avec  énergie, 
dira  de  conserver  ses  mœurs,  sa  langue,  son  Si  lo  devoir  rein|)li  notre  race  décline, 
existence  distincte  sans  empiéter  sur  les  c'est  que  Dieu  le  voudra,  il  n'y  aura  plus 
droits  des  autres,  en  concédant  les  mêmes  '  qu'à  prolonger  Tagonie  et  au  moment  su- 
privilèges  à  tous.  On  étendra  aux  races  les  prèine  à  tomber,  comme  De  i^oriniier,  le 
lois  qui  régissent  les  citoyens:  Voilà  tout,  cœur  brisé,  Tàme  en  deui',  mais  sans  blas- 
Les  droits  de  tous  seront  sous  la  sauvegarde  ,  phêine  et  sans  faiblesse.