<^
%.
A/.
^i^
iMAGE EVALUATION
TEST TARGET (MT-3)
I.
I.l
1.25
^la iiM
*^ Hk 1112 2
2.0
1.4
1.8
1.6
6" —
Photographie
Sciences
Corporation
■^.
iV
#
t
Cx
23 WEST MAIN f TREET
WFBSTER,N.Y. 14580
(716) 87':-4503
.<"'<
9)
CV
6^
%
^'^^
^^
^9)^
r-t)-^
2s'
fc^
W^
O^
CIHM/ICMH
Microfiche
Séries.
CîHM/ICMH
Collection de
microfiches.
Canadien Institute for Histoi-ical Microreproductions / Inntitut canadien de microreproducîions historiques
Technical and Bibliographie Notes/Notes techniques et bibliographiques
The institute has attempted to obtain the best
original copy avaitable for filming. Features of this
copv which may be bibliographically unique,
which may alter any of the images in the
reproduction, or which may significantly change
the usual method of filming, are checked below.
L'Institut a microfilmé le meilleur exemplaire
qu'il lui a été possible de se procurer. Les détails
de cet exemplaire qui sont peut âtre uniques du
point de vue bibliographique, qui peuvent modifier
une image reproduite, ou qui peuvent exiger uns
modification dans la méthode normale de filmage
sont indiqués ci-dessous.
Coloured covsrs/
Couverture de couleur
□ Covers damaged/
Couverture endommagée
□ Covers restored and/or laminated/
Couverture restaurée et/ou pelliculée
□ Cover title missiing/
Le titre de couverture manque
I I Coloured pages/
I I Coloured maps/
Cartes géographiques en couleur
□ Ccloured ink (i.e. other than blue or black)/
Er cre de couleur (i.e. autre que bleue ou noire)
I I Coloured plates and/or illustrations/
n
Planches et/ou illustrations en couleur
Bound with other matériel/
J Relié avec d'autres documents
D
D
D
Tight b'nding may cause shadows or distortion
along interior margin/
La reliure serrée peut causer de l'ombre ou de '.a
distortion le long de la marge intérieure
Blank leaves added during restoration may
appear within the lext. Whenever possible, thèse
hâve been omitted from filming/
Il se peut que certaines pages blanches ajoutées
lors d'une restauration apparaissent dans le texte,
mais, lorsque cela était possible, ces pages n'ont
pas été filmées.
Additional comments:/
Commentaires supplémentaires;
Pages de couleur
Pages damaged/
Pages endommageas
□ Pages restored and/or laminated/
Pages restaurées et/ou pelliculécs
Q Pages discoloured, stained or foxed/
Pages décolorées, tachetées ou piquées
□Pages detached/
Pages détachées
Showthrough/
Transparence
Quality of prir
Qualité inégale de l'impression
Includes supplementary materii
Comprend du matériel supplémentaire
r^ Showthrough/
I I Quality of print varies/
! I Includes supplementary materia!/
D
D
Onlv édition available/
Seule édition disponible
Pages wholly or partially obscured by errata
slips, tissues, etc., hâve been refilmed to
ensure the best possible image/
Les pages totalement ou partiellement
obscurcies pai' un feuillet d'errata, une pelure,
etc., ont été filmées à nouveau de façon, à
obtenir la meilleure image possible.
This item is filmed at the réduction ratio checked below/
Ce document est filmé au taux de réduction indiqué ci-dessous.
10X
14X
18X
22X
26X
30X
Y
12X
16X
20X
24X
28X
32X
The copv fiimed hère hss tccn rcproducad thsnks
to the generosity of :
Library of the Public
Archives of Canada
L'exemplaire filmé fut reproduit grâce à la
générosité de:
La bibliothèque des Archives
publiques du Canada
Th-> .mages appearing hère are the best quality
possible considering the condition and legibllity
of the original copy and in keeping with the
filming contract spécifications.
Original copies in printed paper covers ère filmed
beginning with the front cover and ending on
the last page with a printed or illustrated impres-
sion, or the back cover when appropriate. AH
other original copies are filmed beginning on the
first page with a printed or illustrated impres-
sion, and ending on the last page with a printed
or illustrated impression.
Les images suivantes ont été reproduites avec te
plus grand soin, compte tenu de la condition et
de la netteté de l'exemplaire filmé, et en
conformité avec les conditions du contrat de
filmage.
Les enemplaires originaux dont la couverture en
papier est imprimée sont filmés en commençant
par le premier plat et en terminant soit par la
dernière page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'illustration, soit par le second
plat, selon le cas. Tous les autres exemplaires
originaux sont filmés en commençant par la
première page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'Ulustration et en terminant par
la dernière page qui comporte une telle
empreinte.
The last recorded frame on each microfiche
shall contain the symbol — *>(meaning "CON-
TiiSiUËû i, or the symbol V imeanîng END"),
whichever applies.
Un des symboles suivants apparaîtra sur la
dernière image de chaque microfiche, selon le
cas: le symbole — ♦- signifie "A SUIVRE", le
symbole V signifie "FIN".
Maps, plates, charts, etc., may be filmed at
différent réduction ratios. Those too large to be
entirely included in one exposure are filmed
beginning in the upper left hand corner, left to
right and top to bottom, as many frames as
required. The following diagrams iliustrate the
method:
Les cartes, planches, tableaux, etc., peuvent être
filmés à des taux de réduction différents.
Lorsque le document est trop grand pour être
reproduit en un seul cliché, il est filmé à partir
de l'angle supérieur gauche, de gauche à droite,
et de haut en bas, en prenant le nombre
d'images nécessaire. Les diagrammes suivants
illustrent la méthode.
1 2 3
-: -1: "
--:■- -2'- ■ ^
3
'--■■4 " ^
: S
6
9\jin
p
\A
[
LE .
PROTESTANTISME
ET LE
i
CATHOLICISME
DANS LEURS RAPPORTS AVEC
i.A LIBERTÉ ET LA PROSPÉRITÉ DES PEUPLES.
r.
ÉTUDE D'ÉCONOMIE SOCIALE.
Par
^- M . DE L A V E L E Y H ,
Membre de rinsHtut de droit international
de» Académies royales de Baltique, de Madrid et de y»lH>nite,
< 'orreapondant de l'Institut de France,
Offioteifa'aoad^nïie de l'Oui^aralté de Pranoé, ete.
EXTRAIT DE LA MEVUE DE B
tTE.
MONTREÎA
' 1876.
ÊM
LE PROÎESTANTISIIIIE & lE CATHOLICISME
DANS LEURS RAPPORTS AVEC LA LIBERTÉ
ET LA PROSPÉRITÉ DES PEUPLES.
ÉTUDE D'ÉCONOMIE SOCIALE.
On parle beaucoup aujourd'hui de la décadence des races latines.
Elles déclinent rapidement, dit on, et l'avenir appartient d la race
germanique ainsi qu'à la race slave.
Je ne crois pas que les latins soient condamnes au déclin en raison
du sang qui coule dans leurs veines, c'est-à-dire par suite d'une cause
fatale, car un peuple ne peut changer de nature, ni modifier sa consti-
tution physique ; mais ce qui semble lésulter de l'histoire et i^urtout
des événements conten^porains, c'est que les peuples catholiques pro-
gressent beaucoup moins vite que Xet nations ayant cessé de l'être <3È
que, relativement à ces dernières, ils paraissent reculer. Le fait est si
apparent que les évêques mêmes et leur organe de France, l' Univers,
en font un texte de reproches aux catholiques infidèles.
Différents motifs m'empêchent d'attribuer ce fait, qu'on ne peut
nier, à des influences de race. .
Certee, la destinée des nations dépend en partie de leur constitu-
tion physique. Si même on remonte à l'origine, on ne trouve que
deux causes qui puissent expliquer les destinées différentes des divers
peuples : la race et le milieu ; la constitution de l'homme d'une part
et, d'autre part, Tinfluence de la nature extérieure, le climat, la
situation géographique, les produits du sol, l'aspect des lieus, la
nourriture. Mais actuellement, quand il s'agit de natior.s qui ont un
sang auséi mélangé que les peuples européens et qui, d'ailleurs, des-
cendent d'une souche commune, il est très difficile de rattacher, avec
une certitude quelque peu scientifique, les faits sociaux à l'action de
la race.
Les Anglais s'entendent mieux que les Français à pratiquer le ré-
gime parlementaire et les libertés pratiques. Est-ce l'Influence du
2 —
sang ? Je ne le pense pas, car juBqne vers le xvie siècle la France,
l'Espagne et l'Italie avaient des libertés provinciales très semblables
aux libertés anglaises. La seule différence notable était que celles-ci
avaient pour organe un parlement unique et un régime centralisé qui
se montra assez fort pour tenir tête à la royauté. La conquête nor-
mande ayant unifié l'Angleterre, un parlement unitaire put se consti-
tuer, et la royauté étant très iorle, "-a uublesse et lus communes
s'unirent pour la combattre, tandis qu'ailleurs elles furent constam-
ment en lut e.
Les destinées de la France et de l'Angleterre ne derlennent entière-
ment différentes qu'à partir du xvie siècle, quand le» puritains eurent
vaincu les Stuarts, et que Louis XIV, en expulsant les réformés de
France, en eut extirpé les derniers restes de l'autonomie locale et les
seuls éléments de résistance sérieuse à opposer au despotisme.
Quand on volt les protestants latins l'emporter sur des populations
germaniques mais catholiques , quand, dans un même pays et dans
un môme groupe^ de môme langue et de môme origine, on constate
que les réformés progressent plus vite et plus régulièrement que les
catholiques, il est dlff-cile de ne pas attribuer la supériorité des uns
sur les autres au culte qu'ils professent.
On a trop souvent apporté dans l'étude de ces questions des
passions de secte ou des préjugés antl-rellgieux. Il est temps d'y
appliquer la méthode d'observation et l'impartialité scientifique du
physiologiste et du naturaliste^ De la simple constatation des faits
résulteront des conclusions lrr<^frageb^e8.
Il est admis que les Ecossais et les Irlandais sont d'orlgiue cel-
tique. Les uns et les autres ont été soumis aux Anglais. Ju^qa'au
xvie siècle, l'Irlande était bien plus clvlllséa que l'Ecosse. La verte
' Erin était, pendant le premier moyen âge, un foyer de civilisation,
quand l'Ecosse était encore un repaire de barbares.
Depuis que les Ecossais ont adopté la Réforme^ ils ont devancé
même les Anglais. Le climat et la nature du sol s'opposent à ce que
, l'Ecosse soit aussi riche que l'Angleterre ; mais Macaulay constate
que, depuis le xviie siècle, ks Ecossais l'emportent sur les Anglais
dans tous les genres. L'Irlande, au contraire, dévouée à l'ultramon-
tanlsme, pauvre, misérable, agitée par l'esprit de rébellion, semble
Incapable de se relever par ses propres forces. Quel contraste, môme
en Irlande, entre !e Connaught, exclusivement catholique, et l'Ulster,
où domine le protestantisme !
L'Ulster est enrichi par l'Industrie, le Connaught présente l'Image
des dernières extrémités de la misère humaine !
Je m'Interdis d'établir une comparaison entre les Etats-Unis et les
Etats de l'Amérique du Sud, ou entre les nations du Nord et celles du
i
— 3 —
Midi de l'Europe. On pourrait expliquer les différences que l'on
constate par le climat ou par la race. Mais allons en Suisse et com-
parons la situation des cantons de Neuchâtel, de Vaud et de Genève
(surtout avant l'immigration récente d'^s catholiques savoyards) à
celle de Lucerne, du Valais et des cantons forestiers. Les premiers
l'emportent extraordinalrement sur les seconds sous le rapport de
l'instruction, de la littérature, des beaux-arte, de l'industrie, du com-
merce, de la richesse, de la propreté, en un mot, de la civilisation
80US tous ses aspects et dans toutes les acceptions.
Les premiers sont latins, mais protestants ; les seconds, germains,
mais soumis à Rome. C'est donc le culte et non la race qui est la
cause de la supériorité de ceux-là.
Transportons-nous maintenant dans un même canton, celui d'Ap-
penzell, habité tout entier par une population germanique entièrement
Identique. Entre les Rhodes intérieures catholiques et les Rhodes
extérieures protestantes, on constate exactement le môme contraste
qu'entre les habitants de Neuchfttel et ceux du canton de Lucerne ou
d'Uri. D'un côté, l'instruction, l'activité, l'industrie, des relations
avec le monde extérieur et, par suite, la richesse. De l'autre côté,
l'inertie, la routine, l'ignorance, la pauvreté (1).
lage
(1) Ecoutons M. Hepworth DIxon, dont certes aucun préjugé de
secte n'influence le jugement. Voici ce qu'il dit dans son livre récent
sur la Suisse :
" Comparez, dit-il, un canton protestant à un canton catholique,
Appenzell, Rhodes extérieures, par exemple, à Rhodes Intérieures, et
prononcez vous-même, en toute connaissance de cause.
"Il y a autant de différence entre ces deux demi-cantons qu'entre
Irt c inton de Berne et celui du Valais. Dans la partie basse du pays,
if^ villages sont construits en bois, il est vrai ; mais le tout est coquet
et propre. Une fontaine, d'où partent de charmants ruisseaux, oc-
cupe le centre du village. Tout auprès se trouvent l'église, la maison
commune et i'école primaire. Chaque cottage est entouré d'un jardin.
Des plantes grimpantes revêtent tous les murs et couvrent presque
tous les toits. On entend, de toutes parts, les bruits des métiers à
tisser ; les gamins chantent en se rendant à l'école. Les rues sont
propres, les marchés bien approvisionnés, tous les gens que vous ren-
contrez bien vêtus. Dans la montagne, au contraire, pauvreté et
désolation partout. On rencontre peu de villageois. Les paysans
vivent dans des huttes, dispersés çà et là : au rez-de-chaussée, des
étables pour les porcs et les bestiaux ; au-dessus, des chambres à
coucher, tout comme en Biscaye et en Navarre. Ces huttes Pont cer-
tainement Bolides, mais aucun goût n'a présidé à leur grossière con-
struction. -,,,:..A..-i. ■,.,...i.rir'^ V--- ; ■':"^'=^-'"^;rr''r\";;;-^ •:-;,:;:■-. ,^:j
"Chaque berger vit à part ; il ne rencontre ses concitoyens qu'à la
messe, au pugilat ou au cabaret. Chacun sait lire et écrire, car ils
sont Suisses ot assujettis aux lois cantonales ; mais ils ne connaissent
ni livre , ni journaux ; à peine rencontre t-ou quelque vie des saints,
. ' ' — 4 —
Partout où dans un même pays les deux cultes sont en présence,^
les protestants sont plus actifs, plus Industrieux, plus économes et,
par suite, plus riches que les catholiques.
" Aux Etats-Unis," dit Tocqueville, " la plupart des catholiques
sont pauvres." * < , t ;
Au Canada, les grandes affaires, les industries, le commerce, les
principales boutiques dans les villes sont aux mains des protestants.
M. Audiganne, dans ses remarquables études sur les populations
ouvrières de la Frcnce, remarque la supériorité des protestants dans
rinduntrie, et son témoignage est d'autant moins suspect qu'il n'at-
tribue pas cette supériorité au proteotantisme. "La majorité des
ouvriers nîmois, dit-il, notamment les tatfetassiers, sent catholiques
tandis que les chefs d'industries et du commerce, les capltalletes, eu
un mot, appartiennent en général à la religion réformée.
" Quand une même famille s'est divisée en deux brihches, l'une
restée dans le giron de la croyance de ses pères, l'autre enrôlée sous
l'étendard des doctrines nouvelles, on remarque presque toujours,
d'un côté, une gêne progressive et, de l'autre, une riclitesse crois-
sante."—" A Mazamet, l'Elbœuf du Midi de la France," dit encore M.
Audiganne, " tous les chefs d'industrie, excepté un, sont protestants*
tandis que la grande majorité des ou'?riers est catholique. Il y a
moins d'instruction parmi ces derniers que parmi les familles labo '
rieuses de la classe protestante. " ^ -
Avant la révocation de l'édit de Nantes, les réformés l'emportaient
dans toutes les branches du travail, et les catholiques, qui ne pou-
vaient soutenir la concurrence, leur firent défendre, à partir de 1662,
par plusieurs édlts successifs, l'exercice de différentes industries où
ils excellaient. Après leur expulsion de France, les protestants ap-
portèrent en Angleterre, en Prusse, en Hollande leur esprit d'entre-
prise et d'économie ; ils enrichissaient le district q\ï ils se fixaient.
C'est à des latins réformés que les Gi rmains doivent en partie leurs
quelques feuilles populaires, quelques recueils de remèdes de bonnes
femmes, au lieu de nouvelles fraîches tt excitantes.
•* Le demi-canton protestant devient chaque jour plus riche et plus
peuplé ; le demi-canton catholique croupit dans la pauvreté at la fai-
blesse. Et rien d'étonnant à cela, car le premier reçoit tous les étran-
gers, quelle que soit ieui religion, accueille avec joie toutes les idées
nouvelles et adopte sans retard toutes le» améliorations apportées au
métier à tisser, source dé sa richesse ; le second, au contraire, ferme
ses portes à tout le monde, aux: protestfHrcs de tous tes pays et aux
catholiques qui ne sont pas nés dans le canton ,• il conserve ses jeux
antiques et son vieux costume, il exécute ses travaux iustiques tout
comme au moyen âge, il célèbre ses jours de fêtes et ses luttes au pu-
gilat : il se nourrit de pain de seigle grossier et de petit lait ; il
dédaigne souverainement, enfin, l'industrie qui enrichit son voisin."
— 5 —
»>
progrùâ. LûB réfugiés de la Révocation ont. introduit en Angleterre
différentes industries, entre autres, celle de la scio, et ce sont les dis-
ciples de Calvin qui ont civilisé l'Ecosse.
Comparez la cote à la Bourse des fonds publics des Etats protes-
tants et des Etats catholiques, la différence est grande. Les 3 p, c.
anglais dépasse 92, les 3 p c. français flotte vers 60. La rente de la
Hollande, de la Prusse, du Danemarck, de la Suède sont au moins au
pair ; celle de l'Autriche, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal est
moins élevée d'un tiers ou même de moitié.
Aujourd'hui, dans toute l'Allemagne, le commerce des œuvres de
l'esprit, livres, revues, cartes, journaux, est presque entièrement aux
mains des juifs et des protestants.
En présence de tons ces faits concordants, il est difficile de ne pas
avouer que c'est le culte et non le sang qui est la cause de la prospé-
rité extraordinaire de certains peuples.
La Réforme a communiqué aux pays qui l'ont adoptée une force
dont l'histoire peut à peine se rendre compte. Voyez les Pays-Bas :
deux millions d'hommes sur un sol moitié sable et moitié mar^^s ; ils
résistent à l'Espagne qui tenait l'Europe dans ses mains et, à peine
affranchis du joug castillan, ils couvrent toutes les mers de leur pa-
villon, marchent à la tête du monde Intellectuel, possèdent autant de
navires que tout le reste du continent ensemble, se font l'âme de
toutes les grandes coalitions européennes, tiennent tête à l'Angleterre
et à la France, alliées contre eux, offrent aux Etats-Unis le type de
l'union fédérale qui permet l'accroissement indéfini de la grande ré-
publique, et donnent l'exemple des combinaisons ânancières qui
contribuent si puissamment au développement actuel de la richesse,
les banques d'émission et les sociétés par actions.
La Suède, un million d'hommes sur une terre granitique, ensevelie
sous les neiges pendant six mois de l'année, intervient sur le conti-
nent, sous Oustave-Adolphe, avec la puissance que l'on sait, bat
l'Autriche par les mains de ses merveilleux stratégistes Wrangel
Torstenson et Banner, et sauve la Réforme. Aujourd'hui, l'Angle-
terre est la reine des mers, la première des nations industrielles et
commerciale ; elle gouverne, en Asie, deux cents millions d'hommes
et envahit le globe par les essaims qu'elle y lance. Il faut voir dans
le beau livre de Sir Charles Dilke, Oreater Britain, le tableau de la
puissance anglo-saxonne dans le monde entier. Les Etats-Unis,
croissent avec une rapidité vertigineuse. Ils comptent 42 millions
d'habitants. Vers la fin du siècle, ils en auront 100 millions. Ils
sont déjà le peuple le plus riche et le plus puissant du globe.
La Prusse protestante bat deux empires, chacun deux fois plus
peuplé qu'elle, le premier en sept semaines, le second en sept mois.
6
Dans deux Bi(>cleB, l'Amérique, l'Australie et l'Afrique australe appar-
tiendront aux Anglo-BazonB hérétiques et l'Asie aux Slaves schlsma-
tlques.
Les peuples soumis à Rome semblent frappés de stérilité ; ils ne
colonisent plus (1), ils n'ont aucune puissance d'expansion. Le mot,
employé par M. Thiers pour peindre leur capitale religieuse, Rome,
viduU 08 et fiterilitaa, pourrait s'appliauer aussi à eux. Leur pasriM est
brillant, mais le présent eat sombre et l'avenir inquiétant. Est-il une
situation plus triste que celle de l'Espagne ? La France, qui a rendu
de si grands services au monde, est aussi bien à plaindre, non parce
qu'elle a été vaincue sur les champs de bataille— des revers mllitairea
peuvent se réparer— mais parce qu'elle semble destinée à ôtre ballottée
sans cesse entre le despotisme et l'anarchie. Aujourd'hui encore, à
l'instant où, pour se relever, elle aurait besoin de l'accord de tous ses
enfants, les partis extrêmes se disputent la prééminence, au risque de
déchaîner encore une fols la guerre civile. C'est l'ultramontanisme
qui est la cause des malheurs de la France ; c'est lui qui a alf aibli le
pays par cette action délétère que nous analyserons plus loin. C'est
lui qui, par l'impératrice Eugénie, organe du parti clérical, a fait
entreprendre l'expédition du Mexique, pour relever les nations catho-
liques en Amérique, et la guerre de Prusse, pour mettre obstacle au
progrès des Etats protestant** en Europe (3).
L'Italie et la Belgique paraissent plus heureuses que la Fiance et
que l'Espagne ; mais la liberté est-elle déflnitivement établie dans ces
deux pays? De bons esprits en doutent. Récemment, un journal de
Rome, Il Diritto, publiait un remarquable travail sur la situation d«
l'Italie, sous ce titre significatif : Vltalia liera. Les peuples soumis
au Pape sont morts déjà, ou meurent, s'éerie l'auteur avec épouvante.
■ '6
I
(1) Voici un exemple pris au hasard.
Le comte de Beauvoir arrive â Canton. Il y voit un îlot, Sha-Myen,
situé au milieu de la rivière et cédé à la France et à l'Angleterre. Le
voyageur est frappé du contraste que présentent la partie cédée à
l'Angleterre et celle qui appartient à la France :
'• En six ans (1867), il y a là déjà une petite bourgade angblse, une
église protestante, un criquet grmmd, un terrain d'entraînement pour
les courses, des villas spacieuses et des godovins magnifiques pour les
fraudes maisons thétfères de la Chine. Un sentier sépare le ' irrltolre
ritannique du territoire français. Sur le nôtre, 11 y a de. touffes
d'arbres incultes, des ordures, des chiens errants, des ch ts, des
taupes, mais pas une maison." ( Voyage autour du monde, t. II, p. 437.)
(2) C'est ce que M. de Bismarck affirmait récemment du haut de la
tribune à Berlin. L'impératrice disait en juillet 1870 : Ceci est ma
guerre. C'est elle qui, dans le Conseil suprême de Salnt-Cloud, a fait
dé<dder la guerre, dont l'empereur voyait clairement le péril.
7 —
Il popoli di relioiotie papale' o fono g'a vurrO, o vanno morendi. "81
l'Italie," ajoutc-t,-ll, " parait moins malade, c'estiparce que le clergû, at-
teudact la restauration du Pape d'une Intervention autrichienne
d'abord, et aujou'd'hul d'une intervention française, n'a pas encore
attaqué la liberté tt la constitution comme force intérieure. Dans les
élections, le parti clérical s'est abstr nu ; mais cela changera. Déjà il
est descendu dans l'arène îl Naples, à Rome, il Boloene. L'Eglise
couvre le pays d'associations inspirées par les jéeultes, et les congré-
gaMons s'emparent de la nouvelle génération qu'elles élèvent dans U
haine de l'Italie et do ses institutions." Cette appréciation est juste.
L'Italie est uujourd'hul dans la situitlon où s'est trouvée la France
après 1789, et la Belgique après 1830; le souille de la liberté emporte
la nation entière, m ème dans le clergé. Le patriotisme, l'espoir d'un
brillant avenir, l'enthousiasme du progrès enflamment tous les cœurs
et font oublier les dissidences ; mais bientôt éclatera l'incompatibi-
lité entre la civilisation moderne -t les idées romaines. Le clergé, les
jésuites surtout, soumis à la voix de Rome, se mettent déjà à l'œuvre
pour miner l'édifice des libertés politiques à peine assis sur le soi.
C'est exactement ce qui s'est pacsé en Belgique depuis 1840.
Récemment, l'un des auteurs de la Constitution belge, et le plus
éminent peut être, me disait, l'âme remplie de tristesse : "Nous avons
cru que, pour fonder la liberté, 11 suffisait de la proclamer, en sépa-
rant l'Eglise (l'> l'Etat. Je commence à croire que nous nous sommes
trompés. L'Egilse, s'appuyant sur les campagnes, vaut Imposer son
pouvoir absolu. Les grandes villes acquises aux idées modernes ne
se laisseront pas asservir sans cherchei ;l se défendre. Nous dérivons
vers une guerre civile, comme en France. Nous sommes déjà da..
une situation révolutionnaire. L'avenir me paraît gros de troubles."
Les dernières élections ont commencé à faire apparaître le danger.
Les élections pour les Chambres ont fortlfl'5 le parti clérical, tauills
que celles pour les communes ont donné le pouvoir aux libéraux dans
toutes les grandes villes. L'antagonisme entre les villes et les cam-
pagnes, une des causes de la guerre c Je en France, se montre déjà
aussi en Belgique. Tant que le g( avemement sera aux mains
d'hommes prudents plus disposés à servir le pays qu'à obéir aux
évêques, des désordres graves ne sont pas à craindre. Mais si les fa-
natiques, qui acceptent ouvertement le Syllabus comme programme
politique, devaient arriver au pouvoir, des chocs terribles s'e^asul-
vralent.
Les pays catholiques, des deux côtés de l'Atlantique, sont donc en
proie à des luttes Intestines qui consument leurs forces ou tout au
moins qui les empêchent d'avancer aussi régulièrement et aussi ra-
pidement que les peuples protestants.
ISl
— 8 —
Il y a deux eiècles, la Buprématle appartenait sans conteste aux
Etats catholiques. Les autres n'étalent que des puissances de second
ordre. Aujourd'hui, mettez d'un côté la France, l'Autriche, l'Es-
pagne, l'Italie Et l'Amérique du eud, et, de l'autre côté, la Rusrle,
l'empire d'Allemagne, l'Angleterre et l'Amérique du nord, évidem-
ment la prédomlneuce a paeeé aux hérétiques et aux schlsmatiques.
M. Levasseur a lu récemment A l'Institut un curieux travail, où il
montre que la France, en 1700, représentait à elle seule, 31 p. c. ou le
tierb de la force des cinq grandes puissances réunies, tandis qu'au-
jourd'hui, en comptant en Europe six grandes puissances, elle ne
possède» plus que 15 p. i. ou le sixième du total de leur force (1).
Pour tout homme qui veut Interroger les faits sans partis pris, Il
demeure donc établi que la réforme est plus favorable que le catholi-
cisme au développement des nations. Il faut maintenant trouver les
causes de ce fait. Je crois qu'il n'ect pas difficile de les Indiquer.
II
\
Il est aujourd'hui admis par tout le monde que la diffusion des lu-
mières est la première condition du progrès. Le travail est d'autant
plus productif qu'il est dirigé avec plus d'intelligence. L*applIcation
de la science, sous toutes ses formes, à la production, voilà ce que
fait la richesse de l'homme civilisé. L'affreux dénûment du sauvage
provient df) son ignorance. Le progrès économique sera donc eu
proportion des découvertes scientifiques appliquées à l'industrie.
L'instruction, généralement répandue, est aussi Indispensable à Ift
pratique des libertés constitutionnelles. Là où les pouvoirs émanent
de l'élection, il faut que les électeurs aient assez de lumières pour
bien choisir leurs représentants, sinon le pays est mal gouverné ; il
tombe de faute en faute et marche à sa ruine. Dans un Etat despo-
tique, l'instruction est utile : elle n'est pas Indlspenst^ble. Da^ '; un
grand Etat libre, ou qui veut l'être, elle ept de nécessité absolue, soub
peine de déclin par Inertie ou par désordre. L'instruction est donc la
base de la lloerté et de la prospérité des peuples. Or, jusqu'à présent,
les Etats protestants sont seuls parvenus à assurer l'Instruction à
triis. Lci Etatc catholiques ont beau déclarer l'instruction obliga-
toire, comme l'Italie, ou dépenser beaucoup d'argent pour cet objet,
comme la Belgique, Ils ne parviennent pas à dissiper l'ignorance.
v<
(1) Compte rendu des Scancés de VInstiiut, par M. Vergé, numéro de
Novembre, 1872.— La population do la France augmentait très lente-
ment. Dans la dernière période quinquennale, elle a dlmlrué de
806,000, sans compter, bien entendu, la perte de l' Alsace-Lorraine.
- 9
Sous le rapport de l'Instruction élémentaire, les Etats protestants
BOiit incomparablement plus avancée que les pays catholiques. Tj' An-
gleterre seule n 'ec^* qu'au niveau de ceux-ci, probablement parce que
l 'Église anglicane est, parmi les formes du culte réformé, celle qui se
rapproche le plut de l'Eglise de Rome. Tous les pays protestants
marchent en tête, sans ou presque sans illettrés, comme la Saxe, le
Danemark, la Suède et la Prusse , les pays catholiques restent très
loin en arrière avec un tiers au moins d'ignorants, comme la France
et la Belgique ou, avec les trois quarts, comme l'Espagne ou le
Portugal.
Voypz en Suisse : quelle différence, sous ce rapport, entre les can-
tons catholiques et les cantons protestants ! Les cantons purement
latins de Neuchâtel, de Yaud et de Genève sont au niveau des cantons
germaniques de Zurich et de Berne, et ils sont très supérieurs à cf ux
du Tessin, du Valais ou de Luceme (1). La cause de ce contraste est
évidente et a été souvent signalée Le culte réformé repose sur un
livre i la BlMs , le protestant doi'i donc savoir lire (2;. Aussi le pre-
mier et le dernier mot 'e Luther a été : Instruisez les enfants, c'est le
devoir des parents et des magistrats, c'est un commandement de
Dieu. Le culte catholique, au contraire, repose sur les sacrements et
sur certaines pratiques, comme la confession, la messe, le sermon, qui
n'exigent point la lecture. Savoir lire n'est donc pas nécessaire ;
c'est plutôt un danger, car cela ébranle nécessairement le principe de
l'obéissance passive sut lequel s'appuie tout l'édifice catholique : la
lecture est la voie qui cordult à l'hérésie^ La conséquence évidente
est que le prêtre catholique sern hostile à l'instruction on tout au
moins qu'il ne fera jamais autant d'efîorts pour la répandre que le
ministre protestant. L'organisation de l'instruction populaire date
de la Réforme. L'instruction étant très favorable à la pratique de la
liberté politique et A la production de la richesse, et le protestantisme
favorisant la Jiffueion de l'instruction, il y a là une cause manifeste
de supériorité pour les Etats protestants (3). , ,•;; ,)33;n_
Sf/
(1) Pour les faits, voyez mon livre, LHmtruction du peuple,
(2) Pendant la guerre de 1870, on a pu constater que les soldats
protestants avaient bien plus d'instruction que les catholiques. Dans
les ambulances et les hôpitaux, les premiers, quand ils commençaient
à se remettre de leurs blessures, demandaient des livres, les seconds
un jeu de cartes. ~:r^ ;
(3) Récemment, M. Goblet d'Alviella analysait ici même un travail
de M. de Cand elles établissant combien la production scientifique des
peuples protestants est supérieure à celle des Etal a catholiques.
^
Tout le monde s'accorde à dire que la force des nations dépend de
leur moralité. On lit partout cette maxime, qui est presque devenue
un axiome de la science politique : Quand les mœurs se corrompent,
l'Etat est perdu. Or, 11 paraît avéré que le niveau moral est plua
élevé chez les peuples protestants que chez les peuples catholiques.
Les écrivains religieux le disent eux-mêmes et ils l'expliquent par le
fait que les premiers restent plus fidèles que les seconds à leur reli-
gion, explication que je crois Juste. Lisez los œuvres littéraires en
France, assistez, dans les divers théâtres, aux pièces en vogue :
l'adultère dans toutes ses variétés et sous tontes ses formes en fait
toujours le fond. Les romans et les comédies qui ont eu du succès
doivent être sévèrement bannies du cercle d'une fam lie honnête. En
Angleterre, en Allemagne, il n'en est pas ainsi. Les œuvres litté-
raires qui ne portent point l'empreinte de l'itiiitation étrargére 6 ont
d'un ton et d'un style dont des oreilles chastes n'ont pas à s'alar-
mer (1).
Pour la littérature française, le mal vient de loin. Les Provençaur
ont hérité de !a corruption gallo-romaine et i l< ont chanté et rendu
aimable, sous le nom de galanterie, le relâchement des mœurs et les
amours irrégulières. La galanterie est devenue ainsi la note domi^
santé de toutes les œuvres d'imagination et un des traits du caractère
national. Le Roi "vert galant" est le plus populaire des souverains
français. Dans les pays qui ont adopté la Réforme, l'esprit puritain a
mis un frein â ce re]âchement des mœurs et y a fait succéder une
sévérité qui a pu paraître excessive, mais qui a donné aux hommes
une trempe morale Incomparable.
Dans les pays catholiques, ceux qui ont voulu combattre l'omnipo-
tence de l'Egli^'» ont pris leurs armes non à î'Evangile, mais à l'esprit
de la Renaissance et au paganisme. On peut attaquer l'Eglise de
deux façons, soit en montrant qu'elle s'est éloignée de la doctrine du
Christ et en prè:hant un christianisme plus pur et plus sévère que le
sien, soit en attaquant ses dogmes par l'ironie et en insurgeant les sens
contre ses prescriptions morales. Luther, Calvin, Knox, Zwltgle ont
pris le premlev parti, Rabelais et Voltaire, le second. Il est clair que
les uns s'appuyant sur l'Evangile doivent raffermir le sentiment moral
tandis que les seconds ne peuvent réussir qu'en le ruinant. De là
vient que preeque tous les auteurs français qui ont travaillé à l'éman-
dpatioa des esprits ont eu leur note immorale. Mettra-t-on sans
appréhension entre les mains, je ne dis pas d'une jeune fille, mais
(1). Voyez le II va récent de M. Potvîn, Delà Corruption du gont
Ittteraire en F)'anc6.
^
11
m
même d'un jeune homme, les œuvres complètes de Rabelais, de Vol-
taire, de Rousseau, de Diderot, de Courier, de Béranger ? Les auteurs
qui respectent toujours la morale et qu'on fait lire à la jeunesse,
BosBuet, Fénelon, Racine, sont presque toujours dévou*3s à l'Eglise et
pénétrés de doctrines absolutistes. De là vient la trempe profondé-
ment catholique de la plupart de ceux qui, en France^ ne sont pas
révolutionnaires. ^ _,,.,.
En Angleterre et en Amérique, il en est autrement : les partisans
les plus décidés de la liberté sont en même temps ceux qui professent
la morale la plus sévère : les puritains et les quakers. Tandis que
BoBsuet formulait la théorie de Pabsolutismei Milton écrivait celle de
la République, et ce sont les puritains qui ont fondé la liberté en
Angleterre et aux Etats UniSr D'un côté, les écrivains qui sont reli-
gieux et moraux prêchent la servitude, tandis que ceux qui veulent la
liberté ue respectent ni religioii, ni morale ; de l'autre côté, au con-
traire, iee mêmes hommes défendent â la fols la religion, la morale et
lallberté. _ . . ;.,.;•,- '-- •;;■ ;,-. ,v -j, ,;' ,. M%.:{^,v:!k
Voyez les conséqences ; comparez la vie privée des hommes qui
OHt fait la révolution de 1648, en Angleterre^ ou qui ont fondé la ré-
publique en Amérique, avec celle des hommes de la république
française. Les premiers sont tous de mœurs irréprochables, d'une
probité sans tache, d'une sévérité de principes presque outrée.
Les seconds, sauf quelques fanatiques, comme Salnt-Just et Robes-
pierre, sont, la plupart, de mœurs très relâchée». Le pius puissant
d'entre eux, le vrai représentant de la Révolution française, Mirabeau,
ce grand génie, ce prodigieux orateur, se vend à la cour, écrit des
livres obscènes et pousse la dépravation aux dernières limites. Mettez
en regard les austères calvinistes qu' ont vaincu le despotisme, fondé
la liberté en Angleterre et en Amérique : quel contraste I Edgard
Qulnet remarque, dans son admirable livre sur la Révolution fran-
çaise, que les hommes de cette époque, si pleins d'enthousiasme au
début, se sont vite lassés de cet affort et ont bientôt demandé ou subi
le repos de la servitude sous l'empire. Les gueUx do Hollande ont
lutté bien plus longtemps et ont traversé de bien autres épreuves,
sans se laisser décourager. Leurs vllUs étaient prises d'assaut, des
populations entières massacrées. Ils luttaient, eux, une poignée
d'hommes, contre un adversaire qui avait à sa disposition les trésors
des deux mondes. Ils n'ont éprouvé ni lassitude, ni découragement,
et Us ont fini par vaincre : ils avalent la foi I . ,- ^
«'^ L'orgueil, le débordement de la personnalité, la vanité, ont mis aux
prises les -artisans de la Révolution française, dans uno lutte mor-
telle et fratricide : ils se sont égorgés les uns les autres^ au lieu de
■'unir pour fonder la Rép-blI lue. En Hollande, en Angleterre, en
f
i
■■
■ — 12 — r . S ; ■.
Amérique, par l'efEe^ d'un certain esprit de charité, d'humilité, de
l'apport; mutuel, ceux qui affranchissaient leur patrie de la tyrannie
Eont parvenus â s'entendre, afin de consolider leur œuvr<î. Pour
fonder un Etat, le christianisme de Fenn et de Washington est un
meilleur ciment que la philosophie de Vergniaud, de Robespierre et
de Mirabeau. Sans juger les deux doctrines, on peut constater les
résultats qu'elles ont produits.
Quand le sentiment religieux s'affaiblit, le mobile qui porte à bien
agir, le ressort de la vie morale, c'est le point d'honneur, la vanité, la
recherche de l'approbation des autres hommes. Alfred de Vigny a
montré cela en termes éloquents dans un chapitre de son livre:
Grandeur et servitude militaires. Musset l'a répété dai s ces vers si
pleins d'énergie : ''L'orgueil...
»
C'est ce qui reste encore d'un peu beau dans la vie."
M. Taine dit, dans ses Notes sur V Angleterre : " En France, le prin-
cipe moral est fondé feur le «sentiment de l'honneur ; en Angleterre,
sur l'idée du devoir ; or, le premier est arbitraire, sa portée est diffé-
rente selon les personnes." ; .-■
DaMB l& France nou?;elle, Prévost-Paradcl écrit ce qui suit :'* Aux
yeux de tout observateur clairvoyant et de bonne foi, notre pays offre
aujourd'hui le spectacle, presque unique dans le monde, d'une société
dans laquelle le point d'honneur est devenue la principale garantie
du bon ordre et fait accomplir la plupart des devoirs et des sacrifices,
que la religion et le patriotisme ont perdu la puissance d'ordonner.
Si nos lois sont généralement respectées, si le jeune soldat rejoint do-
cilement son drapeau et lui reste fidèle, si l'agent comptable respecte
la caisse publique, si le Français, enfin, s'acquitte convenable^lent de
ses devoirs envers l'Etat et envers ses concitoyens, c'est au point
d'honneur que nous en sommes surtout redevables. Ce n'est pas le
respect de la loi divine, passée depuis longtemps à l'état c"e problème ;
ce n'est pas le dévouement philosophique à un devoir incertain, et
encore moins à l'être abstrait, l'Etat bouleversé et discrédité par tant
de révolutions ; c'est la crainte d'avoir à rougir publiquement d'une
action réputée honteuse qui maintient seule, parmi nous, un désir
suflisant de bien faire." Peinture fidèle et désolante que Prévost-
Paradol trace, l'âme navrée, surtout quand II ajoute : " N'avoir plus
que le point d'honneur pour appui et le sentir fléchir sous sa main
comme le roseau fragile dont parle l'Ecriture ! "
Lisez les proclamations ru peuple et à l'armée : quand on veut les
entraîner, exciter leur enthousiasme, on fait appel au point d'honneur
ou à la vanité. Ecoutez Napoléon : " Du haut des pyramides, qua-
rante siècles vous contemplent." Ou bien: "Soldats, rentrés dan»
^i-*! '-•s-^l-^^.'s^v.K'r^KX-^ i^m^^Kj;.:,-
13 —
vos foyers, vous pourrez dire : j'étais à léna, â^ Austerlltz ! " Parler
de soi ou eu faire parler, voilà le but et le mobile. Nelson, à Trafalgar,
dit tout simplement : " Je compte que chacun fera son devoir." Dans
les pièces émanant des hommes de la révolution des Pays-Bas ou de
la révolution d'Amérique, on Invoque l'amour de la patrie, le devoir,
la loi divine. Il est clair que ces ressorts-ci sont plus sûrs que les
premiers. Au fond, faire parler de soi est un avantage assez creux.
Dès qu'on a'i'esprit assez fort pour le constater, le point d'honneur
perd son efficacité comme règle de conduite. D'ailleurs, l'opinion
publique peut être pervertie et, en ce cas, ce n'est pas en faveur de la
vertu qu'on peut l'invoquer. Les écrivains français ont presque tous
exalté la Renaissance aux dépens de la Réforme parce que, plus large
dans ses vues, elle apportait à l'humanité un afEranchissement plus
complet. Les faits ne leur donnent pas raison. Les pays qui ont
embrassé la Réforme prennent manifestement l'avance sur ceux qui
s'en sont tenus à la Renaissance. C'est que la Réforme avait en elle
une force morale qui manquait à la Renaissance. Or, la force morale
est, avec la science, la source de la prospérité des nations. La Re-
naissance était un retour à l'antiquité, la Réforme un rétour à l'Evan-
gile. L'Evangile, étant supérieure à la tradition antique, devait
donner de meilleurs fruits.
ï:-A1bIî
IV
--•-^'''iài-rf - '■*&', AS'*.?:*: i^ri^r.
La Réforme a favorisé le progrès des peuples qui l'ont adoptée,
parce qu'elle leur a permis do fonder des institutions libres, tandis
que le catholicisme conduit sxl despotisme ou à l'anarchie, et souvent,
tdtematlvement, à l'un et à l'autre. Le gouvernement naturel des
peuples protestants est le gouvernement représentatif. Le gouverne-
ment congenial des peuples catholiques est le gouvernement despo-
tique. Tant qu'ils y restent soumis, ils demeurent en paix ; Ils ont le
régime qui leur convient ; quand ils essayent de s'en affranchir, ils
tombent dans le ciésordre et s'affaiblissent : ils sont dans un état coti-
tralre à leur état naturel. C'est là ce que soutiennent le journal
l' Univers et la VivUta caiholica, organes de la cour de Rome, et les faits
semblent leur donner raison.
On s'est demandé souvent pourquoi les révolutions des Pays-Bas,
d'Angleterre et d'Amérique avalent réussi, tandis que la révolution
française semble avoir échoué. M. Ouizot a même publié un écrit
spécial pour éclairclr cette question qui contient en effet le secret de
nos destinées. Je n'hésite pas à répondre : c'est parce que les pre-
mières se sont faites dans des pays protestants, la seconde dans nn
pays catholique. Voltaire l'avait déjà vu. Il se demande cemme&t
— 14 —
:|«|
■■♦ i
; I
y
1^
11 Be fait que les gouvernements de la France et de l'Angleterre sont
devenus aussi différents que ceux du Maroc et de Venise ? " N'est-ce
point, dlt-U, par cette raison que, s'étant toujours plaints de la cour
de Rome, les Anglais en ont entièrement secoué le joug honteux,
taudis qu'un peuple plus léger l'a porté en affectant d'en rire et en
dansant avec ses chaînes." Voltaire disait vrai, mais n'est-ce pas lui
qui excitait ce rire et qui menait la danse ?
Aujourd'hui, nous pouvons démontrer à l'évidence ce que les bons
esprits commençaient seulement à entrevoir au xviiie siècle. L'in-
âuence décisive que les formes du culte exercent sur la politique et
sur l'économie politique n'avait pas été mise en lumière. Maintenant
elle éclate au grand jour et se montre de plus en plus clairement dans
les événements contemporains. L'action que la religion exerce sur
les hommes est si profonde, qu'Us sont toujours amenés à donner â
l'organisation de l'Etat des formes empruntées à l'organisation reli-
gieuse.
Partout où le 80i> «^eraln passe pour être le représentant de la divi-
nité, la liberté ne pat s'établir parce que le pouvoir de celu'. qui
parle et agit au nom de Dieu est nécessairement absolu. Les ordres
du Ciel ne se discutent pas. Les simples mortels ne peuvent que s'in-
cllner et obéir. Je ne connais point d'exception à cette règle. Dans
les anciens empires de l' leie, et dans ceux d'aujourd'hui, dans les
Etats mahométans comme dans les pajs catholiques où les rois ré-
gnaient de droit divin, le peuple a été complètement asservi. Il était
libre à Athènes et à Rome, parce que ceux qui gouvernaient, élus par
leurs concitoyens, ne se donnaient pas comme les représentants de la
divinité, Le sacerdoce n'était pas une caste et il n'exerçait quà peu
d'influence dans l'Et9t.
Le christianisme primitive devait singulièrement favoriser l'éta-
blissement d'institutions libres et démocratiques. Sans doute, par ses
côtés ascétiques, II détachait l'homme de ses intérêts terrestres et ne
le poussait point â revendiquer ses droits de citoyen. Mais en rele-
^nt ut purifiant les mœurs, il le rendait plus apte à se gouverner lui-
môme et à vivre libre. Au sein des associations chrétiennes des pre-
miers siècles régnait une grande égalité et tous les pouvoirs émanaient
du peuple. La parole et l'opinion étaient les ressorts du gouverne-
ment. Les primitives Eglises chrétiennes étaient de véritables répu-
bliques démocratiques. Aussi, quand les presbjtérlens, au xvie
Blôcle, rétablirent l'ancienne organisation de l'Eglise, ils furent en-
traînés à établir dans l'Etat des institutions républicaines.
Les défenseurs et les adversaires de l'Eglise romaine confondent,
les uns non moins que les autres, le christianisme et le catholicisme.
Ceux qui attaquent le chrietlanîsme lui attribuent les principes, les
T
— 15 —
-
abus et les crimes de l'Eglise romaloe, et ceux qui défen ^t l'Ëglise
romaine Invoquent les mérites, les vertus et les bienfait, du chris-
tianisme. Erreur de part et d'autre. Le christianisme est favorable
à la liberté ; le catholicisme est son ennemi mortel, c'est son chef in-
faillible qui l'affirme. L'histoire des Institutions de l'Eglise nous
montre une marche constante vers une concentration de plus en plus
grande des pouvoirs. Elle est. partie de la démocratie ôgalitaire et
repré8entatl\e de premiers siècles, pour aboutir, au xixe siècle, par
la proclamation de l'infaillibilité papal i, au despotisme le plus absolu
qu'on puisse imaginer. République démocratique au début, elle est
devenue aristocratique, quand les évéqucs ont étendu leur pouvoir
sans perdre leur indépendance vii à vis des Papes ; elle était encore
une monarchie constitutionnelle tant que les conciles exerçaient le
contrôle suprême. Aujourd'hui, elle réalise l'idéal de la théocratie et
du despotisme le plus absolu qu'on puisse imaginer. Si la société ci-
vile tend à se mouler sur la société religieuse, comme les fai>^s le dé-
montrent, elle doit ê^re soumise à un gouvernement purement despo-
tique. C'est bien ainsi que l'entendent les partisans de l'Eglise.
BosBUet, dans sa Politique tirée de V Ecriture minte, trace les conditions
du gouvernement qui convient à un pays catholique. ** Dieu établit
les rois comme ses ministres et régne par eux sur les peuples." —
"L'autorité royale est absolue."— "Le prince no doit rendre compte
à personne de ce qu'il trdonne."— " Il faut obéir aux princes comme
à la justice même. Ils sont des ditux et participent, en quelque
fa^îcn, à l'indépendance divine." — "Les sujets n'ont à opposer à la
violence des princes que des remor trances respectueuses, sans muti-
nerie et sans murmure/' Ainsi, logiquemaLt, dans un pays catho
lique, le gouvernement doit être deepotlqus (1), d'abord parce que,
(1) Voici en quel pompeux et vigoureux langage Bossuet nous
donne la définition de la monarchie, telle qu'elle ressort de la tradition
cattioUque romaine, tt telle qu^elle nous vient de la Rome des Césars
et de la Rome des Papes :
» ** Il faut obéir au prince comme à la justice même. Ils sont des
dieux et participent eu quelque façon à l'indépendance divine
Comme en Dieu est réunie tome perftcTion, ainsi toute la puissance
dea particuliers est réunie en la personne du prince. Que Dieu retire
sa mail), le monde retombera dans le ntaut ; que l'autori'é cesse dans
le royaume, tout sera eu confusion. Considérez le prince dans son
cabinet : de là partent les ordres qui font aller de concert les magis-
trats et les capitaines, les provinces et les armées. C'est l'image de
Dieu, qui, assis dans son trône au plus haut des deux, fait aller toute
la nature. Les mérhants ont beau se cacher, la lumière de Dieu les
suit partout. Ainsi Dieu donne au prin< de découvrir les trames les
plus secrètes ; il a des yeux et des mains partout ; les oiseaux du ciel
lui rapportent ce qui ge passe. Il a même reçu de Dieu, pour l'usage
16 —
tel eet celui de l'Eglise qui se sert de type, ensuite, parce que les rois
tenant leur pouvoir directement de Dieu ou du Pape, ce pouvoir ne
peut être ni limité, ni contrôlé.
La Réforme, au contraire, étant un retour vers le christianisme
primitif, engendra partout l'esprit de liberté et de résistance à l'abso-
lutisme. Elle tendait â faire naître des institutions républicaines et
constitutionnelles. Le protestant ne reconnaît en religion qu'une
seule autorité, la Bible. Il ne s'Incline pas devant l'autorité d'un
homme comme le catholique ; il examine et discute par ^ul-même.
Les calvinistes et les presbytériens ayant rétabli l'organisation répu-
blicaine dans l'Eglise, le protestant, par une suite logique, transporta
dans la société politique les mêmes principes et les mêmes habitudes.
L'accusation que Lamennais adresse à la Réforme est complètement
vraie. " On avait," dlt-ll, " nié le pouvoir dans la société religieuse,
11 fallait nécessairement le nier aussi dans la société politique et
substituer dans l'une et dans l'autre la raison et la volonté de chaque
homme à la raison ot à la volonté de Dieu ; chacun, dès lors, ne dé-
pendant plus que de soi-même, dut jouir d'une entière liberté, dut
être son maître, son roi, son Dieu." Montesquieu dit aussi: "La
r-^llglon catholique convient mieux à une monarchie, la protestante
s'accommode mieux d'une république."
Luther et Calvin, pas plus que saint Paul ou le Christ, ne prêchent
la slstance à la tyrannie ; Ils la condamnent plutôt et préconisent
l'obéissance. Ils n'admettent pas non plus la pleine liberté de con-
science. Mais, malgré eux, le principe de la liberté politique et reli-
gieuse et celui de la souveraineté du peuple sort logiquement de la
Réforme. La preuve en ôst que cela en a été partout le fruit naturel.
Les écrivains réformés revendiquent les droits du peuple, et là où les
protestants triomphent. Ils établissent des institutions libres. Leurs
ennemis ne s'y sont pas trompés ; ils ont signalé, comme un mal,
cette connexltô entre la Réforme et la liberté.
"Les réformateurs,'' dit un envoyé vénitien en France au xvie
siècle, " prêchent eue le roi n'a pas d'autorité sur ses sujets." " Par
là," ajoute-t-ll, " on marche vers un gouvernement semblable à celui
qui existe en Suisse et vers la ruine de la constitution monarchique
du royaume (1)." ,
V
des affaïres, une certaine pénétration qui fait penser qu'il devine.
A-t-11 pénétré l'intrîgue, ces longs bras vont prendre ses ennemis aux
extrémités du monde, ils vont les déterrer au fond des abîmes : 11 n'y
a pas d'asile assuré contre une telle puissance."
(1) Voyez pour les Idées politiques de la Réforme l'ouvrage si
instructif de M. Laurent, la Révolution française^ 1. 1, sect. ii, § 3.
17 -
V
"Les ministres," dit Montluc, "prêchaient que les rois ne pou-
vaient avoir aucune puissance que celle qui plaisait au peuple ;
d'autres prêchaient que la noblesse n'était rien plus qu'eux (1)." C'est
bien là, en efEet, le souffle libéral et égalltalre du calvinisme. Ta-
vannes revient souvent sur l'esprit démocratique des huguenots.
"Ce sont," dIt-11, " des républiques dans let» Etats royaux ayant leurs
moyens, leurs gens de guerre, leurs finances séparées et voulant
établir un gouvernement populaire et démocratique (2)." Le grand
jurisconsulte Dumoulin dénonça les pasteurs protestants au Parle-
ment en disant " qu'Us n'ont d'autre dessein que de réduire la France
en un Etat populaire et d'en faire une rép ibllque comme celle de
Qenève, dont ils ont chasdé le . .£ite et l'évêque, et qu'ils s'efforcent
pareillement d'abolir le droit d'aînesse, voulant égaler les roturiers
aux nobles et les puînés aux r.inés comme étant tous enfants d'Adam
et égaux par le droit divin et naturel." Ce sont évidemment là las
idées de la révolution française, et si la France était passée à la Ré-
forme au xvie siècle, elle eût joui dès lors de la liberté et du st^-
governmmt, et dUe les eût conservés. En 1622, Grégoire XV écrit au
roi de France pour l'engager à en finir avec Genève, foyer du calvi-
nisme et du républicanisme. En France, après la mort de Henri IV,
le duc de Rohan, huguenot, voulut "faire république," en disant que
le temps des rois était passé.
On a reproché à la noblesse protestante d^avolr voulu diviser la
France en petits Etats républicains, comme ec Suisse, et on fait un
mérite à la Ll£ue d'avoir maintenu l'unité française. Ce que les hu-
guenots voulaient, <^n effet, c'était l'autonomie locale, la décentrali-
sation et un régime fédéral consacrant les libertés communales ex.
provinciales. C'est encore ce que la France cherche en vain d'établir,
et c'est la passion aveugle de l'unité et de l'uniformité qui a fait
échouer la révolution ec qui ramène toujours le despotisme.
Calvin Veut quâ " le ministre du saint Evangile soit élu avec con-
sentement et approbation du peuple, les pasteurs présidant sur l'élec-
tion." C'est le régime que les calvinistes voulaient introduire en
France. " En l'année 1620," dit Tavannes, "leur Etat était vraiment,
populaire, ayant les maires des villes et les ministres toute l'autorité,
de quoi Us ne font part à la noblesse de leur parti qu'en apparence
tellement que s'ils venaient au dessus de leurs desseins, l'Etat de
France deviendrait, comme celui de Suisse, à la ruine des princes et
des gentilshommes."
(1) Biaise de Nontlue.
série, t. XXII, p. 26.
Collection des Mémoires de Petitot, Ire
(2) Tavamus. Même collection, t. XXIIIj p. 72.
18
■
ff
'■ SI
Î> 1
Aussitôt que la Réforme eut mis l'Evangile aux mains des paysans,
ils réclamèrent l'abolition du servage et la reconnaissance de leurs an-
ciens droits au nom de " la liberté chrétienne." La Réforme inspira
partout d'énergiques revendications des droits naturels, la liberté, la
tolérance, l'égalité des droits, la souveraineté du peuple. Elles sont
Inscrites dans un grand nombre d'écrits du temps, entre autres, dans
le célèbre pamphlet de Languet : Junii Bniti celtœ, VitidicUe contra
tyrannoK, de prmcipe in populum popuîique in principes, légitima po-
testate, et dans le dialogue, De Vautorite du prince et de la liberté des
peuples (1). . ., ) , :.
Ces idées, qui forment la base des libertés modernes, ont toujours
trouvé d'éloquents défenseurs dans le protestantisme. Le ministre
Jurieu les a défendues contre Bossuet, dans un débat bien connu, et
Locke les a exposées sous une forme scientifique. C'est à lui que
Montesquieu, Voltaire et les écrivains politiques du xviiie siècle les
ont empruntées, et c'est d'elles qu'eet sortie la révolution française.
Mais, longtemps avant, elles avalent été appliquées, avec un succès
soutenu, dans les Etats protestants, en Hollande d'abord, puis en
Angleterre et surtout en Amérique.
Le fameux édit du 16 juillet 1581, par lequel les Etats Généraux
des Pays-Bas proclament la déchéance du roi d'Espagne, consacre
nettement la souveraineté du peuple. Pour détrôner un roi, ils de-
vaient nécessairement invoquer ce principe : " Les sujets ne sont pas
créés de Dieu pour le prince, afin de lui obéir en tout ce qui lui plaît
de commander, mais plutôt le prince pour les sujets, sans lesquels II
ne peut être prince, afin de les gouverner selon le droit et la raison."
L'édit ajoute que les habitants ont été obligé, pou;* se soustraire à la
tyrannie du tyran, de se soustraire à son obéissance: "Il ne leur
reste d'autre moyen que celui-là pour conserver et défendre leur an-
cienne liberté et celle de leurs femmes, enfants et postérité, pour les-
quels, selon le droit de la nature. Ils sont obligés d'exposer leur vie
et leurs biens." La révolution d'Angleterre de 1648 s'est faite au
nom des mêmes principes. Mllton et les autres républicains de
l'époque les ont défendus avec une admirable vigueur d'esprit et de
caractère.
Nous sommes habitués à faire honneur des fameux principes de
89 à la révolution française. C'est une grave erreur historique. En
France, on a fait d'éloquents discours à ce sujet ; mais on n'a jamais
respecté les libertés, pas même la plus sacrée de toutes, la liberté de
(1) Mémoires de Petat de France sous Charles IX, t. III, p. 57-64.
Voyez Laurent, Bevolution française, 1. 1, p. 345.
t
- 19 —
%
conscience (1). Les puritains et les quakers les ont proclamées et
pratiquâmes depuis deux cents ans en Amt'^rlque, et c'est là et en An-
gleterre que l'Europe a été en prendre l'idée vers la fin du xviiie
siècle.
Déjà en 1620, la constitution de Vir/çinlo établit le gouvernement
représentatif, le Jugement par jury et le principe que l'im; ôb doit
être voté par ceux qui le payait.
Dés l'origine, le Massachussetts établit l'enseignement obligatoire
et la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat. Les sectes vivent
libres sous la loi commune et choisissent elles-mêmes leurs ministres.
La démocratie représentative y existe aussi complètement que de nos
j-^urs. Les juges mêmes sont annuellement choisis par les citoyens.
Mais un fait plus important se produit. Un homme se lève (1633), ré-
clamant non seulement la tolérance, mais la complète égalité dos
cultes devant la loi civile, et sur ce principe II fonde un Etat. C'est
Roger Williams, nom peu connu sur notre continent, mais qui mérite
d'être Instruit parmi ceux des bienfaiteurs de l'humanité. Le pre-
mier dans ce monde ensanglanté par l'intolérance depuis quatre oillle
ans, avant môme que Descartes eût fondé la libre recherche dans la
philosophie, il consacre la liberté religieuse comme un droit poli-
tique. "La persécution eu matière de conscience est," répétait-Il,
"manifestement et lamentablement contraire à l'enseignement de
Jésus- Christ." — "Celui qui commande le vaisseau de l'Etat peut
maintenir l'ordre à bord et le conduire vers le port, quoique tout
l'équipage ne soit pas obligé d'assister au service divin." — " Le pou-
voir civil n'a d'empire que sur les corps et les biens des hommes ; Il
ne peut intervenir en matière de foi, môme pour empêcher une
Eglise de tomber dans l'apostasie ou l'hérésie." — " Enlever le joug
de la tyrannie des âmes, c'est non seulement faire acte de justice en-
vers les j)euple8 opprimés, mais c'est aussi établir la liberté et la paix
publiques sur l'intérêt de la conscience de tous."
n faut lire, dans l'admirable histoire de Bancroft, comment Hoger
Williams fonda la ville de Providence et l'Etat de Rhode-Island sur
ces principes alors méconnus partout en Europe, sauf peut-être dans
les Pays-Bas. Quand une constitution fut établie en 1641, tous les
citoyens furent appelés à la voter. Les fondateurs eux-mêmes l'ap-
pelèrent une démocratie, et. c'en était une en effet dans toute la force
du terme et telle que l'entendait Rousseau. Le peuple se gouvernait
(1) Il faut lire, à ce sujet, un article très Instructif de Prévost-
Paradol dans la Imfue des Deux-Mondes (1858), où il montre que ni la
loi, ni les magistrats, n'ont admis en France la liberté des cultes.
Eue n'y existe pas encore.
/
1
— 20 —
directement lui-mf^mc. Tous les citoyens sans distinction de culte
(étaient égaux devant la loi, et toute loi devait ôtre confirmée dans le 8
assemblées primaires. C'était le self-novprnment le plun radical qu'aient
connu les socItHés humaines, et il dure depuis plus de deux slt^cles
«ans troubles et sans révolution.
Les quakers, dans la Pennsylvanie et dans le New Jersey, donm^rent
pour base à l'Etat des principes semblables. Le pouvoir réside dans
le peuple : We put Vie poiner in thi people, tel est la base de la constitu-
tion du New Jerf )y. En voici les dispositions principales : Nul
homme, ni nulle réunion d'hommes, n'a pouvoir sur la conscience.
Personne, en aucun temps, par aucun moyen, ni sous aucun pré»^exte,
ne sera poursuivi, ni lésé, en quoi que ce soit, pour opinions reli •
gieufies. L'assemblée générale sera nommée au scrutin secret. Tout
homme peut élire et ôtre élu. Les électeurs donneront à leurs dé-
putés des instructions obligatoires. Si le député ne remplit pas bien
son mandat, il peut être poursuivi. Dix commissaires, élus par l'as-
semblée, exercent le pouvoir exécutif. Les juges et les constables
sont élus par le peuple pour deux ans. i«B juges président le jury,
mais le pouvoir judiciaire est exercé par les douze citoyens qui le
composent. Nul ne sera emprisonné pour dettes. L s orphelins se-
ront élevés an"^ frais de l'Etat. L'enseignement est un service public
payé par le budget commun.
Mêmes principes à peu près en Pennsylvanie et dans le Connectlcut.
Ces idées que l'homme se posbède, qu'il est libre, qu'on ne peut
réclamer de lui un service ou une contribution sans son consente-
ment exprès, que le gouvernement, la justice, touc les pouvoirs
émanent du peuple, cet ensemble de principes que les sociétés mo-
dernes s'efforcent d'appliquer, vient incontestablement de la tradition
germanique, et même on le retrouve à l'origine chez la plupart des
races, avant le développement du pouvoir royal. Mais si ces prin-
cipes, étouffés au moyen âge par la féodalité, et à partir du xve
siècle par la royauté centralisée et absolue, ont repris vie en Suisse,
en Angleterre, en Hollande et aux Etats-Unis, c'est grâce au souffle
démocratique de la Réforme, et ce n'est que dans les pays protestants
qu'ils se sont maintenus et qu'ils ont assuré aux peuples l'ordre et la
prospérité. SI la France n'avait pas persécuté, égorgé et exilé ceux
de ses enfants qui s'étaient convertis au protestantisme, elle aurait
pu développer ces germes de liberté et de self-government qui s'étaient
conservés dans les Etats provinciaux. C'est là une vérité parfaite-
ment établie dans un travail de M. Gustave Garrison remontant déjà
à plusieurs années (1). Les études et les événeokents contemporains
(1) He'nte des Deux-Mondes, Yojez Année IS^.
)
— 21 —
apportent chaque année de nouvellett preuves à l'appui. Dans les
assemblées de la Rochelle et de Grenoble, aux états générauz d'Or-
léans, l'esprit de liberté et l'eeprit par' mentaire se montrent aussi
puissants que dans le parlement nnglaic, et on y parle cette langue
nette et ferme de Calvin, si bien faite pour traiter les grands intérêts
de la religion et de la politique.
" Nous saurons défendre contre le roi nos villes sans roi," disaient
les huguenots, et il n'y a pas à, en douter, s'ils avalent triomphé, ils
auraient fondé la monarchie constitutionnelle, comme en Angleterre,
ou une république fédérale, comme dans les Pays-Bas. La noblesse
française, si elle avait conservé l'esprit d'Indépendance et d'opposi-
tion légale qu'elle avait emprunté au protestantisme, aurait imposé
des limites au pouvoir royal et la France eût échappé à ce despotisme
oriental de Louis XIV et de ses successeurs, qui a brisé les carac-
tères (1). François 1er, en donnant le signal de la persécution des
réformés (2), et Henri IV, en abjurant le protestantisme, ont trahi la
véritable intérêt de la France, comme l'a fait la noblesse. Ce mot :
lïtris vaut bien une messe, où la plupart des historiens français voient
une preuve de sens pratique, est d'un révoltant cynisme. Se vendre,
renier sa fol pour un avantage matériel, est évidemment un acte que
tout honnête homme doit flétrir. La France en porte la peine au-
jourd'hui, de môme qu'elle souftre encore des conséquences funestes
de la Saint-Barthélémy et de la révocation de l'édit de Nantes, ces
deux grands attentats â la liberté de conscience. Ce qui manque le
plus à la France, ce dont des hommes qui, sans rompre avec la tradi-
tion, acceptent cependant les idées nouvelles. Les républicains sont
généralement hostiles ou indifférents à toute idée religieuse, et,
comme à leurs ancêtres, les révolutionnaires du siècle dernier, il leur
^^m
(1) M. Qninet, dans son livre sur la Révolution, prononce sur la
noblesse française à cette époque un jugement sévère mais juste :
" Elle avait vendu sa foi religieuse, comment aurait-elle pu fonder la
foi politique ? Dans la fronde elle montre l'esprit d'intrigue sans am-
bition. Rebelle à Mazarin, elle se prosterne dès que le prince paraît.
On vit alors son néant; elle n'avait guidé les Fracçais vers aucune
liberté." , _ . ■ . „ ,;
, (2) "François 1er, dit Napoléon à Sainte-Hélène, était véritable-
ment placé pour adopter le protestantisme à sa naissance et s'en
déclarer le chef en Europe. Il eût épargné à la France ses terribles
convulsions religieuses. Malheureusement, François 1er ne comprit
rien de tout cela, car il ne saurait donner ses scrupules pour excuse,
puisqu'il s'allia aux Turcs et les amena au milieu de nous. Tout
bonnement, c'est qu'il ne voyait pas plus loin. Bêtise du temps.
Inintelligence féodale ! François 1er, après tout, n'était qu'un héros
de tournoi, qu'un beau de salon, un grand homme pygmé ! " {3fe-
moïia', 17 août 1816.)
f^
iff'T-^^'
'>v>
»J^
maïK^me nne baee pour édifier uii édifice solide. Ceux qui défendent
les iài^es religieuses veulent faire revivre l'ancien régime et font
obstac.V? à toute réforme. La France a, e-n ce moment, l'occasion de
fonder dee institutions libres. Mais lee partisans de la monarchie
frayeront 1 chemin au retour d'un Napoléon ou jetteront le pays dans
l'anarchlvv ^ ar leur aveugle obstination. Sous Louls-Fhilippe, en 1850,
et encore en ce moment, IclJ conservateurs perdent leur pays par leur
attachement « des formes vieillies. La république est, en ce moment,
le seul gouvernement possible en France, et les républicains l'empê
cheront de p\*endre racine par^e que le catholicisme les a pénétrés du
génie de l'intolérance (1) et du desrot'Bine. La France échappera
difficilement à une nouvelle restauration du pouvoir absolu. La reli-
gion romaine na point préparé les Français à vivre libres, à se to-
lérer et à se gou7erner eux-mêmes. , , « ,
Chez les peuples catholiques, la tolérance est parfois dans les lois,
elle n'est jamais duns les mœurs. Malheur à celui qui, voulant faire
usage de la liberté de conscience, se décide à obétr aux inspirations
delà sienne. U est honni même par ses proches et par les indiffé-
rents, plue f^'icore que par les croyants. Les Incrédules trouvent plus
commodes de rire du prêtre ou de l'attaquer, sauf à se courber devant
lui dans toutes les circonstances importantes de la vie. Résignés au
joug de l'orthodoxie, dont ils se moquent et qu'ils subissent, ils ne
permettent pas que d'aiiïres, le trouvant trop lourd, aient le courage
de s'y soustraire ouvertement. Par l'intimidation et le ridicule, l'uni-
formité s'impose et la liberté n'est qu'un mot.
Tous les p»?uple8 modernes s'efforcent d'établir le régime repré-
seotatiî «t constitutionnel. Ce régime, né en Angleterre s'ir le ter-
rain des anciennes institutions germaniques, fécondé par le protes-
tantisme, ne semble pas pouvoir s'implanter d'une façon durable dans
les pays catholiques ; c'ept qu'c.n effet, le chef de l'Etat, roi ou prési-
dent, ne peut être nn vrai souverain constitutionnel s'il est dévot et
(1) L'intolérance dos Français vient probablement de leur éduca-
tion catholique. Paris était avec 1a Li^ue. Du temps de Voltaire, le
peuple était encore plein de haine contre les protestants et les iacré-
dules. •• Nous supportons mal la contradiction dans les choses qui
nous tiennent à cœur," dit un écrivaU. français très sensé. "L'opinion
la plus téméraire ou la plus inepte est pour nous un dograe hors du-
quel II n'y a point de salut. Chaque parti vc at être une Eglise et
n'admet pas le doute sur son infalllibilivé. Les pins libéraux cherchent
des faux-fuyants pour ne pas donner av\x dissidents la liberté qu'ils
réclament pour eux-mêm<is. De là cettft facilité avec laquelle s'éta-
blissent les dictatures et se perpétuent vntre les mains de tous les
partis, dans leurs alternatives de vlcvoireA et de défaites, les mêmes
moyens de compression," (Emile Bbaussirk, Revm des Dmx-Mondcs,
le mal, 187L)
■p
1*
~ 23 —
s'il Be confesse en pénitent obéissant. Il est gouverné par son confes-
seur, qui obéit au Pape. Par le moyen du confessionnal, le Pape est
donc le vrai souverain, à moins que ce no soient les jésuites, lesquels
dirigent le Pape. Les prérogatives que la constitution accorde au dé-
positaire du pouvoir exécutif sont alors exercées par un pouvoir
étranger et au détriment du pays. Les exemples abondent dans
rbistoiro. Trop dociles aux exigences de leur confesseur, Louis XIV
révoque l'édit de Nantes, Jacques II d'Angleterre et Charles X de
France perdent leur couronne et Louis XVI la mona ^.hie et la vie,
Ferdinand et Léopold d'Autriche ruinent leurs Etats par la plus ef ■
froyante persécution, Auguste et i3Igismond de Pologne préparent le
partage de ce pays en v introduisant les jésuites et l'intolérance. Avec
un souverain pieux et bien confessé, le régime constitutionnel est une
fiction ou une duperie, car il assujettit la nation aux volontés d'un
prêtre inconnu, organe des prétentions de son Eglise, on bien 11 mène
à une révolution, si le pays se refuse à subir ce joug humiliant. En
Autriche, l'empereur François-Joseph n'est resté souverain constitu-
tionnel qu'en résistant à son confesseur. En terre protestante, le
régime constitutionnel se développe naturellement ; il est sur son sol
natal, tandis qu'en terre catholique, importation hérétique, il est miné
par le prêre, à moins qu'il ne serve à assurer sa domination, et ainii,
il est ou faussé par les cléricaux ou renversé par les révolutionnaires.
V
Autre cause d'infériorité pour les peuples catholiques : le senti-
ment religieux y est plus affaibli chez les classes intelligentes et
dirigeantes que dans les pays protestants. Ce fait n'est, je crois, nié
par personne. Lee feuilles éplscopales le constatent chaque jour et ré-
clament pour la religion le même respect dont elle jouit en Angleterre
et en Amérique. Les adversaires de toute religion reprochent aux
Américains et aux Anglais ce qu'ils nomment leur blgotisme étroit,
l'observation rigoureuse du repos dominical, les prières et les jeûnes
publics, enfin, leur piété rigide.
Deux causas expliquent pour(:j(uoI la religion conserve plus de vie
et d'autorité parmi les classes éclairées chez les protestants.
Premièrement, le catholicisme, par ses dogmes multipliés, ses cé-
rémonies parfois puériles, ses miracles et ses pélerln«iges (1), se place
(1) Agasslz, dans son Voyage au Uresil, écrit à propos de l'in-
fluence du catholicisme dans ce pays : " Le prêtre est l'ixistltuteur du
peuple. Il doit cesser de croire que l'esprit peut.se contenter pour
tout aliment de processions grotesques avec des saints coloriés, des
cierges allumés et des bouquets à bon marché. Tant que le peuple
ne réclamera pas un autre genre d'instruction religieuse, U ira se dé-
primant ou ne se relèvera pas."
».tMfi,'m
— 24 —
en dehors de l'atmosphère de la pensée moderne, tendis que le protes-
tantisme., eu raison de sa simplicité et de ses formes variées et perfec-
tibles, peut s'y adapter. M. Renan dit très bien: " La formation de
nouvelles sectes, que les catholiques reprochent aux protestants
comme une marque de faiblesse, prouve, au contraire, que le senti-
ment religieux vit encore chez ces derrlers, puisqu'il y est créateur.
11 n'y a rien de plus mort que ce qui ne bouge pM."
L'apathie avec laquelle ont ét«^ acceptés récemment deux nouveaux
dogmes qui, jadis, auraient soulevé la plus vive opposition et conduit
au schisme, est le eymtôme d'un incroyable affaissement de la vie in-
tellectuelle au toin du catholicisme. Les excès de la superstition
mènent inévitablement à l'incrédulité. Le défi jeté à la raison par
l'Eglise conduit ceux qui refusent d'en abdiquer l'usage à rejeter
toute espèce de culte. Un littérateur f ran cals, M. Qéruzet, a peint
cette situation dans un trait qui en touche le fond : " Un père de fa-
mille qui croit en Dieu sans croire à saint Cupertin, est bien empêché
entre des filles dévotes et. des flls athées. Dieu nous déli/re de
l'athéisme et du cupertlnage (1)." Evidemment, le cupertinage fait
naître l'atbéisme et tous deux ont conduit la France où nous la
voyons, parce qu'il n'y a plus de place pour une religion raisonnable.
Le catholicisme engendre une si complète indifférence, en matière
religieuse, que li force même qu'il faudrait pour sortir franchement
de l'Eglise fait défaut. On voit des protestants sd faire catholique,
parce que, conservant quelque fol, ils cherchent le vrai culte et croient
que Rome le leur offre. Peu de catholiques se font protestants,
parce qu'ils sont devenus hostiles ou indifférents à toute espèce de
religion. Cette indifférence sert encore l'Eglise, parce qu'elle em-
pêche qu'on se soustraie complètement à son autorité, elle finit tou-
jours par ressaisir les e' f ants de ses adversaires.
Le second motif qui mène les peuples catholinues à l'incrédulité et
à la " prêtrophobie," c'est que, l'Eglise se montrant hostile aux Idées
et aux libertés modernes, tous ceux qui sont attachés à celles-ci sont
amenés souvent, malgré eux, à détester et â combattre l'Eglise. Le
cri de haine de Voltaire : Ecrasons IHnfame, devient logiquement et
partout le mot d'ordre avoué ou inavoué du libéralisme. Sans re-
lâche, le libéral attaque et doit attaquer les prêtres et les moines,
parce que ceux ci veulent asservir la société au Pape et à ses délé-
gués, les évêques. Il ne peut respecter le dogme au moyen duquel
on veut lui ravir la liberté.
(1) En traçant la biographie de Qéruzet, Prévost-Paradol cite en-
core de lui un mot irrévérencieux mais piquant : '* Les nations qui se
lïégllgent se couvrent de moines ; c'est la veimine du corps social."
Il y aurait peut-être en ce point quelques réserves à faire.
Illî
25 —
Noufl avons constaté le fait et les causes du fait ; voyons-en main-
tenant les conséquences.
La première est qu'on ne réussit pas à affranchir de la domination
de Rome les pays que l'on insurge contre elle au nom d'une simple
négation ou du doute raisonné. Jamais nation ne fit, pour réussir
dans ce dessein, un plus violent effort que la France. Elle y em-
ploya tous les moyens avec une vigueur et un éclat incomparables .
les raisonnements de la philosophie et le badinage des comptes, la
satire de la comédie e1; l'éloquence de la tribune, la torche des incen-
diaires, la sape des démolisseurs et la hache du bourreau.
En ce moment, le cléricalisme gouverne à Versailles ; il livre l'en-
seignement aux jésuites et prépare le t^tour d'une royauté toate
dévouée  l'Eglise. L'influence de celle ci grandit rapidement et,
comme en Belgique, elle semble devenir irrésistible. Cela provient
de ce que, en fait de religion, on ne tue que ce qu'on remplace. Si,
en politique, on s'inclinait devant la leçon des faits, comme dans les
sciences naturt lies, cette vérité serait admise à l'égal d'un axiome
par tous les gens sans préjugés. La libre-pensée ne brisexa pas la
domination de l'Eglise ; elle l'affirmera plutôt par l'effroi qu'elle ins-
pire, car elle ne répond pas aux besoins profonds du cœur humain.
La tentative de détruire le catholicisme sans le remplacer n'atteint
donc pas son but, mais elle donne naissance à l'esprit révolution-
naire. Remarquez combfen cet esprit est propre aux peuples catho-
liques partout, en Amérique comme en Europe, tandis que les
observateurs sont frappés de ne point le rencontrer iLÔme dans les
démocraties radicales des Etats-Unis. Les protestants respectent la
loi et l'autorité. Les catholiques, ne pouvant ni fonder la liberté, ni
s'en passer, rendent le despotisme nécessaire et ne se résignent pas à
le subir. De là un ferment de rébellion toujours actif. Quand le
mal atteint son dernier terme, le pays roule de l'anarchie dans le des-
potisme et du despotisme dans l'anarchie, consumant ses forces dans
la lutte de partie irréconciliables. C'est l'image que lous offrent
l'Espagne et d'autres Etats qui arrivent à une situation pareille.
D'où vient le mal ? En Voici, je crois, la cause.
La liberté rés^ulfère n'est point possible sans les mœurs. Or, le»
minlst.res du culte sont, en réalité, les seuls qui parlent au peuple de
morale et de devoir. Déconsidérés dans l'esprit des masses, qui ks
remplacera dans cet indispeneable office ? Certes, ce ne sont pas les
libres penseurs. Gulzot l'a dit admirablement : le christianisme est
une grande école de respect. SI, pour défendre la liberté, le vol-
tairianisme libéral ébranle l'autorité du catholicisme, conuaie il est
nécessairement amené d le faire, le respect môme pour l'autorité légi-
time disparaît et fait place il un esprit d'opposition, de dénigrement.
(i
iU
- 26 -
de Laine et d'ineurrectlon. Ainsi naît le tempérament révolution-
naire des peuples catholiques (1). Ils ne vivent tranquilles que
complètement soumis à Rome, comme jadis l'Espagne, et aujourd'hui
le Tyrol. Essayent-ils de s'émanciper, ils échappent difficilement à
l'anarchie.
En fait de réformes sociales avec l'appui du clergé, tout est facile -
Kans lui ou malgré lui, tout est difficile et parfois impossible. Voyez
pour l'enseignement primaire.
Décrétez l'instruction obligatoire avec le concours du pasteur,
comme dans les pays protestants, vous arrivez au but. Si, au con-
traire, le prêtre est hostile ou indifférent, comme dans les pays ca-
tholiques, la loi n'est pas observée ; Il n'y a qu'à voir la statistique
scolaire de l'Italie. Laissez -vous entrer le prêtre à titre d'autorité,
comme en Belgique, Il prépare le triomphe de la théocratie. L'ex-
pulsez-vous, il fait tomber l'école, car il la fait déserter ! D'%illeurs,
dans vos écoles normales, donnerez-vous à vos Instituteurs un esprit
de résistance et d'hostilité au clergé pour qu'ils le communiquent à
leurs élèves ? Vous détruirez inévitablement le sentiment religieux et
vous formerez un peuple athée. La logique vous y pousse et ** la
libre pensée " vous y convie. Y êtes-vous préparé ? Dans les pays
protestants, en Amérique, en Hollande, vous avez l'école laïque non-
sectairo, mais toute pénétrée du sentiment chrétien. Dans un pays
catboliiiue, l'école laïque ne pourra vivre que par une lutte violente
contre ^e clergé qui voudra la tuer ; elle sera donc inévitablement
anti-religieuse. . . .
Pour les redoutables questions sociales qui mettent aux prises les
travailleurs et les capitalistes, le christianisme apporte des solutions,
car, par la fraternité et l'abnégation qu'il prêche, il conduit au règne
de la justice. Entre des maîtres et des ouvriers vraiment chrétiens
nulle difficulté ne pourrait surgir, car l'équité présiderait à la réparti-
tion des produits. Nous ne sentons que trop l'effroyable lacune pro-
duite par l'affaiblissement des sentiments religieux, résultat de îa
lutte obligée contre la seule forme de culte que nous connaissions.
Dacs les pays protestants, au contraire, les mi: Istres du culte sont
bien vus par toutes les classes de la société, et, par leur Intervention,
les conflits perdent de leur âpreté, sons l'influence chrétienne dont Ils
senties orgsnes respectes.
^
(1) Pour nous Français, écrivait récemment M. Deschanel dans l«
National, liberté ?t^ révolution sont synonymes, parce que autorité et
oppression l'ont été trop souvent.
/•i;?r'?*'Kv- ■
27
9
Dans Bon beau livre sur la Révolution française, Qulnet démontre
à révidence que si ce colossal effort d'émancipation n^a point réussi,
c'esu par suite des résistances religieuses, et il en conclut qu'on ne
peut réformer profondément la constitution civile et politique d'un
pays sans réformer aussi le culte. La raison en est que la société ci-
vile et politique tend à prendre les formes de lf\ société religieuse.
Le prêtre a une telle prise sur les âmes qu'il leur impose son idéal,
à moins que vous ne déraciniez le sentiment religieux par lequel il
les gouverne. Or, dans une pareille tentative, les nations risquent de
périr.
Le progrés régulier est très difficile dans les pays catholiques,
parce que, l'Eglise visant à établir en tout sa domination, les forces
vives de la nation sont presque exclusivement employées à repousser
les prétentions du clergé. Voyez ce qui se passe en Belgique. Tout
l'eUort des partis est concentré sur cette unique question, et les
autres intérêts, même celui de notre défense nationale et de notre
'existence indépendante^ y sont subordonnés. La lutte est si ardente
que deux fois déjà nous avons été à la veille d'une commotion vio-
lente, et ce n'est que grâce à la sagesse du souverain que deux fois
BOUS avons échappé au danger. Les forces consacrées à lutter contre
le parti clérical sont des forces perdues pour le progrès, car, même
quand elles l'emportent, la victoire n'a d'autro résultat que de nous
empêcher de tomber sous le joug des évêques.
Le célibat des prêtres, l'absolue soumission de toute la hiérarchie
ecclésiastique à une volonté unique et la multiplication des ordres
monastiqffIbB constituent pour les pays catholiques une menace ^ue ne
connaissent pas les pays protestants. i ;
J'admire qu'un homme renonce aux joies c/e la famille pour se dé-
vouer à ses semblables et à sa vérité. Saint Paul a raison ; celui quf
a «ne mission diflGLcile à remplir ne doit pas se marier. Mais quand,
obligatoirement, tous les prêtres sont célibataires, 11 en résulte, outre
les périls pour les rcoôtirs, un grand danger pour l'Etat. Ces prêtres
forment une caste qui a un intérêt spécial, d;iflérent de celui de la
nation.
La vraie patrie du clergé catholique, c'est Rome ; il le proclame
lui-même. Il sacrlfler» donc, s'il le faut, son pays au salut ou à la
domination du Pape, chef inf i»llllble de son culte et le représentant de
Dieu sur la terre. Catholique d^abord, ensuite, si le bien du catholi-
cisme le permet, Belge, Français ou Allemand, cela est juste au point
de vue catholique et II ne peut en être autrement.
Quand le parti libéral était au pouvoir en Belgique et que Napo-
léon III, avant la guerre d'Italie., se posait en défenseur de l'E4;U«c,
plus d'un prêtre flanaand m'a dit : C'est du midi que nous viendra la
Miilij!
i l
. — 28 —
délivrance. Auï'^urd'hui, les ultramontains allemandB ne cachent
pas que, dans iMotérèt de l'Eglise, ils trahiraient l'Allemagne. Un
député bavarois n'a-t-il pas dit en plein parlement : C'est en vain que
vous levez de nouveaux régiments, s'ils sont catholiques, Ils passeront
â l'ennemi !
Le moine connaît encore moins une patrie que le prêtre. Serviteur
de la papauté, détaché des liens locaux, 11 ne vit que dans l'Eglise,
qui est universelle, et il n'a d'autre visée que son règne, qui serait
aussi le sien. Comment l'Etat conservera-t-ll son Indépendance en
présence du clergé et du monarchisme qui veulent être les maîtres et
qui tiennent les masses par les moyens d'action les plus puiiBsantH, les
plus irrésistibles ? Dans les pays protestants, les pasteurs sont mariés
et Ils ont dec enfants ; Us ont ainsi les mêmes intérêts et le môme
genre de vie que les autres citoyens , ils sont divisés en un grand
nombre de sectes ; ils n'obéissent donc pas au même mot d'ordre. Ils
ne sont donc pas soumis hiérarchiquement à la volo té d'un chef
étranger poursuivant un rêve de domination universelle. Ils sont na-
tionaux, parce que leur Eglise eet uce Eglise nationale. Ils sont
Indépendants de l'Etat comme en Amérique, ou soumis à l'Etat
comme en Angleterre ; ils ne prétender^t pas être les maîtres de l'Etat
comme en France ou en Belgique.
=*' La séparation de l'Eglise et de l'Etat est un principe que l'on
s'efforce partout de faire prévaloir. On peut y réussir dans les pays
protestants, ainsi qu'on le voit en Amérique, parce que îe clergé s'y
soumet. Mais on le décrétera en vain dans les pays catholiqueb.
L'Eglise, qui prétend que le temporel doit être soumis an spirituel,
cojime le corps l'est à Tâme, n'acceptera ce régime de la séparation
qu'en tant qu'elle en peut proflttr pour arriver à son but. Cette sé-
paration sera donc une leurre ou une duperio. Vous ne pouvez, dans
le même homme, séparer le fidèle du citoyen et, d'ordinaire, ce sont
les sentiments du premier qui inspirent )' j actes du second. Les mi-
nistres du culte exercent, sur ceux qui les croient les Interprètes de
la divinité, nne autorité bien plus grande que les magistrats représen-
tant de l'Etat ; car le prêtre promet un bonheur étemel et menace des
peines de l'enfer qui ne finissent point, tandis que le laïc ne dispose
que des peines et des récompenses terrestres et temporaire. Par le
confessional, le prêtre tient le souverain, les magistrats et les élec-
teurs et, par les électeurs, les chambres. Tant qu'il dispose des
sacîL-ements, la séparation de l'Eglise et de l'ifitat n'ebt donc qu'une
dangereuse illusion. - -"• ?> a- > l
Gouverner avec le clergé, c'est lui asservir la nation, et gouverner
contre lui, c'est mettre toute autorité en péril. Gouverner à côté de
lui, en l'ignorant, serait le plus sage ; mais c'est ce qu'il ne permet
29 —
\
î
pas. Qui n'est pas pour mol est contr ; mol, dit-U. Il faut donc se
résigner ou à lui obéir ou à lui résister, et je ne saurais dire quel est le
parti le plus iûr.
Les nations catholiques du continent ont emprunté à l'Angleterre
et à TAmérlque des principes et des Institutions qui nés du protestan-
tisme, donnent de bons résultats, sous son Iniluence. Mais on com-
mence à voir sur le continent où elles mènent, lorsqu'elles sont
combattues ou exploitées par un clergé ultramontain. Elles abou-
tit-sent au désordre, quand les masses perdent la foi, comme en
Espagne ou en France, et au règne de l'épistopat, quand elles la con-
servent, comme en Belgique.
L'étude attentive et désintéressée des faits contemporains semble
donc aboutir à cette désolante conclusion que les nations catholiques
ne parviendront pas à conserver les libertés nées du protestantisme.
En se soumettant à la domination absolue de l'Eglise, elles pourraient
peut-être jouir u'un bonheur paisible et d'une vie médiocre et douce
si elles étaient isolées. Mais un danger du dehors semble les menacer,
dans un avenir rapproché, à moins qu'elle ne refusent d'obéir à la
voix de l'épiscopat.
Buckle, parmi les mérites de notre siècle, comptait celui de l'indif-
férence, qui nous prés-^rvait des guerres de religion. Cet avantage, si
c'en est un, notre temps ne le conservera pas. Tout semble se pré-
parer pour un grand choc, dont la religion sera un des principaux
mobiles. Déjà, en 1870, c'est l'ultramontanisme qui a déclaré la
guerre à l'Allemagne. Si Henri V ou Napoléon IV arrivent au trône,
ce sera avec le concours du clergé, et celui-ci poussera à une nouvelle
croisade pour délivrer ses frères persécutés au delà du Rhin, dont il
promettra l'appui. Les Etats où dominera le parti clérical seront
probablement entraînés dans la guerre mainte. Voilà la politique que
prêchent, en France, l' Univers et, ailleurs, les autres organe» de la
curie romaine. La restauration des souverains légitimes dans les trois
pays latins, l'Espagne, l'Italie et la France. Rome rendue au Pape et
le contrôle suprême à l'Eglise, le retour aux vrais principes du gou-
vernement, c'est à dire à ceux que proclament le Syllabiis et la tradi-
tion catholique, voilà le plan grandiose dont les ultramontains pré-
parent partout la réalisation. Réussiront-ils ? Qui peut le- dire ? Mais,
S'ils succombent dans cet assaut contre le protestantisme germanique,
quel sera le sort des vaincus ? On frémit en songeant aux malheurs
que prépare à l'Europe le rêve de rendre à l'Eglise la domination
universelle qu'elle revendique en ce moment avec plus d'audace et
d'acharnement que jamais.