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Full text of "Le protestantisme et le catholicisme dans leurs rapports avec la liberté et la prospérité des peuples [microforme] : étude d'économie sociale"

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TEST  TARGET  (MT-3) 


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Photographie 

Sciences 
Corporation 


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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CîHM/ICMH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadien  Institute  for  Histoi-ical  Microreproductions  /  Inntitut  canadien  de  microreproducîions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliographiques 


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qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
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I      I    Coloured  plates  and/or  illustrations/ 


n 


Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 


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Tight  b'nding  may  cause  shadows  or  distortion 
along  interior  margin/ 

La  reliure  serrée  peut  causer  de  l'ombre  ou  de  '.a 
distortion  le  long  de  la  marge  intérieure 

Blank  leaves  added  during  restoration  may 
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hâve  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
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mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
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Pages  restaurées  et/ou  pelliculécs 

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D 


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obtenir  la  meilleure  image  possible. 


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10X 

14X 

18X 

22X 

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Y 

12X 


16X 


20X 


24X 


28X 


32X 


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papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
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plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  commençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'Ulustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  — *>(meaning  "CON- 
TiiSiUËû  i,  or  the  symbol  V  imeanîng    END"), 
whichever  applies. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
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symbole  V  signifie  "FIN". 


Maps,  plates,  charts,  etc.,  may  be  filmed  at 
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entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
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right  and  top  to  bottom,  as  many  frames  as 
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method: 


Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


1  2  3 


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3 

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LE       . 

PROTESTANTISME 


ET  LE 


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CATHOLICISME 

DANS  LEURS  RAPPORTS  AVEC 

i.A   LIBERTÉ  ET  LA  PROSPÉRITÉ  DES  PEUPLES. 


r. 


ÉTUDE  D'ÉCONOMIE  SOCIALE. 


Par 


^-  M  .     DE     L  A  V  E  L  E  Y  H  , 

Membre  de  rinsHtut  de  droit  international 
de»  Académies  royales  de  Baltique,  de  Madrid  et  de  y»lH>nite, 
<  'orreapondant  de  l'Institut  de  France, 
Offioteifa'aoad^nïie  de  l'Oui^aralté  de  Pranoé,  ete. 


EXTRAIT  DE  LA  MEVUE  DE  B 


tTE. 


MONTREÎA 


'  1876. 


ÊM 


LE  PROÎESTANTISIIIIE  &  lE  CATHOLICISME 

DANS  LEURS  RAPPORTS  AVEC  LA  LIBERTÉ 
ET  LA  PROSPÉRITÉ  DES  PEUPLES. 


ÉTUDE  D'ÉCONOMIE  SOCIALE. 


On  parle  beaucoup  aujourd'hui  de  la  décadence  des  races  latines. 
Elles  déclinent  rapidement,  dit  on,  et  l'avenir  appartient  d  la  race 
germanique  ainsi  qu'à  la  race  slave. 

Je  ne  crois  pas  que  les  latins  soient  condamnes  au  déclin  en  raison 
du  sang  qui  coule  dans  leurs  veines,  c'est-à-dire  par  suite  d'une  cause 
fatale,  car  un  peuple  ne  peut  changer  de  nature,  ni  modifier  sa  consti- 
tution physique  ;  mais  ce  qui  semble  lésulter  de  l'histoire  et  i^urtout 
des  événements  conten^porains,  c'est  que  les  peuples  catholiques  pro- 
gressent beaucoup  moins  vite  que  Xet  nations  ayant  cessé  de  l'être  <3È 
que,  relativement  à  ces  dernières,  ils  paraissent  reculer.  Le  fait  est  si 
apparent  que  les  évêques  mêmes  et  leur  organe  de  France,  l' Univers, 
en  font  un  texte  de  reproches  aux  catholiques  infidèles. 

Différents  motifs  m'empêchent  d'attribuer  ce  fait,  qu'on  ne  peut 
nier,  à  des  influences  de  race.  . 

Certee,  la  destinée  des  nations  dépend  en  partie  de  leur  constitu- 
tion physique.  Si  même  on  remonte  à  l'origine,  on  ne  trouve  que 
deux  causes  qui  puissent  expliquer  les  destinées  différentes  des  divers 
peuples  :  la  race  et  le  milieu  ;  la  constitution  de  l'homme  d'une  part 
et,  d'autre  part,  Tinfluence  de  la  nature  extérieure,  le  climat,  la 
situation  géographique,  les  produits  du  sol,  l'aspect  des  lieus,  la 
nourriture.  Mais  actuellement,  quand  il  s'agit  de  natior.s  qui  ont  un 
sang  auséi  mélangé  que  les  peuples  européens  et  qui,  d'ailleurs,  des- 
cendent d'une  souche  commune,  il  est  très  difficile  de  rattacher,  avec 

une  certitude  quelque  peu  scientifique,  les  faits  sociaux  à  l'action  de 
la  race. 

Les  Anglais  s'entendent  mieux  que  les  Français  à  pratiquer  le  ré- 
gime parlementaire  et  les  libertés  pratiques.    Est-ce  l'Influence  du 


2  — 


sang  ?  Je  ne  le  pense  pas,  car  juBqne  vers  le  xvie  siècle  la  France, 
l'Espagne  et  l'Italie  avaient  des  libertés  provinciales  très  semblables 
aux  libertés  anglaises.  La  seule  différence  notable  était  que  celles-ci 
avaient  pour  organe  un  parlement  unique  et  un  régime  centralisé  qui 
se  montra  assez  fort  pour  tenir  tête  à  la  royauté.  La  conquête  nor- 
mande ayant  unifié  l'Angleterre,  un  parlement  unitaire  put  se  consti- 
tuer, et  la  royauté  étant  très  iorle,  "-a  uublesse  et  lus  communes 
s'unirent  pour  la  combattre,  tandis  qu'ailleurs  elles  furent  constam- 
ment en  lut  e. 

Les  destinées  de  la  France  et  de  l'Angleterre  ne  derlennent  entière- 
ment différentes  qu'à  partir  du  xvie  siècle,  quand  le»  puritains  eurent 
vaincu  les  Stuarts,  et  que  Louis  XIV,  en  expulsant  les  réformés  de 
France,  en  eut  extirpé  les  derniers  restes  de  l'autonomie  locale  et  les 
seuls  éléments  de  résistance  sérieuse  à  opposer  au  despotisme. 

Quand  on  volt  les  protestants  latins  l'emporter  sur  des  populations 
germaniques  mais  catholiques ,  quand,  dans  un  même  pays  et  dans 
un  môme  groupe^  de  môme  langue  et  de  môme  origine,  on  constate 
que  les  réformés  progressent  plus  vite  et  plus  régulièrement  que  les 
catholiques,  il  est  dlff-cile  de  ne  pas  attribuer  la  supériorité  des  uns 
sur  les  autres  au  culte  qu'ils  professent. 

On  a  trop  souvent  apporté  dans  l'étude  de  ces  questions  des 
passions  de  secte  ou  des  préjugés  antl-rellgieux.  Il  est  temps  d'y 
appliquer  la  méthode  d'observation  et  l'impartialité  scientifique  du 
physiologiste  et  du  naturaliste^  De  la  simple  constatation  des  faits 
résulteront  des  conclusions  lrr<^frageb^e8. 

Il  est  admis  que  les  Ecossais  et  les  Irlandais  sont  d'orlgiue  cel- 
tique.   Les  uns  et  les  autres  ont  été  soumis  aux  Anglais.    Ju^qa'au 
xvie  siècle,  l'Irlande  était  bien  plus  clvlllséa  que  l'Ecosse.    La  verte 
'  Erin  était,  pendant  le  premier  moyen  âge,  un  foyer  de  civilisation, 
quand  l'Ecosse  était  encore  un  repaire  de  barbares. 

Depuis  que  les  Ecossais  ont  adopté  la  Réforme^  ils  ont  devancé 
même  les  Anglais.  Le  climat  et  la  nature  du  sol  s'opposent  à  ce  que 
,  l'Ecosse  soit  aussi  riche  que  l'Angleterre  ;  mais  Macaulay  constate 
que,  depuis  le  xviie  siècle,  ks  Ecossais  l'emportent  sur  les  Anglais 
dans  tous  les  genres.  L'Irlande,  au  contraire,  dévouée  à  l'ultramon- 
tanlsme,  pauvre,  misérable,  agitée  par  l'esprit  de  rébellion,  semble 
Incapable  de  se  relever  par  ses  propres  forces.  Quel  contraste,  môme 
en  Irlande,  entre  !e  Connaught,  exclusivement  catholique,  et  l'Ulster, 
où  domine  le  protestantisme  ! 

L'Ulster  est  enrichi  par  l'Industrie,  le  Connaught  présente  l'Image 
des  dernières  extrémités  de  la  misère  humaine  ! 

Je  m'Interdis  d'établir  une  comparaison  entre  les  Etats-Unis  et  les 
Etats  de  l'Amérique  du  Sud,  ou  entre  les  nations  du  Nord  et  celles  du 


i 


—  3  — 

Midi  de  l'Europe.  On  pourrait  expliquer  les  différences  que  l'on 
constate  par  le  climat  ou  par  la  race.  Mais  allons  en  Suisse  et  com- 
parons la  situation  des  cantons  de  Neuchâtel,  de  Vaud  et  de  Genève 
(surtout  avant  l'immigration  récente  d'^s  catholiques  savoyards)  à 
celle  de  Lucerne,  du  Valais  et  des  cantons  forestiers.  Les  premiers 
l'emportent  extraordinalrement  sur  les  seconds  sous  le  rapport  de 
l'instruction,  de  la  littérature,  des  beaux-arte,  de  l'industrie,  du  com- 
merce, de  la  richesse,  de  la  propreté,  en  un  mot,  de  la  civilisation 
80US  tous  ses  aspects  et  dans  toutes  les  acceptions. 

Les  premiers  sont  latins,  mais  protestants  ;  les  seconds,  germains, 
mais  soumis  à  Rome.  C'est  donc  le  culte  et  non  la  race  qui  est  la 
cause  de  la  supériorité  de  ceux-là. 

Transportons-nous  maintenant  dans  un  même  canton,  celui  d'Ap- 
penzell,  habité  tout  entier  par  une  population  germanique  entièrement 
Identique.  Entre  les  Rhodes  intérieures  catholiques  et  les  Rhodes 
extérieures  protestantes,  on  constate  exactement  le  môme  contraste 
qu'entre  les  habitants  de  Neuchfttel  et  ceux  du  canton  de  Lucerne  ou 
d'Uri.  D'un  côté,  l'instruction,  l'activité,  l'industrie,  des  relations 
avec  le  monde  extérieur  et,  par  suite,  la  richesse.  De  l'autre  côté, 
l'inertie,  la  routine,  l'ignorance,  la  pauvreté  (1). 


lage 


(1)  Ecoutons  M.  Hepworth  DIxon,  dont  certes  aucun  préjugé  de 
secte  n'influence  le  jugement.  Voici  ce  qu'il  dit  dans  son  livre  récent 
sur  la  Suisse  : 

"  Comparez,  dit-il,  un  canton  protestant  à  un  canton  catholique, 
Appenzell,  Rhodes  extérieures,  par  exemple,  à  Rhodes  Intérieures,  et 
prononcez  vous-même,  en  toute  connaissance  de  cause. 

"Il  y  a  autant  de  différence  entre  ces  deux  demi-cantons  qu'entre 
Irt  c  inton  de  Berne  et  celui  du  Valais.    Dans  la  partie  basse  du  pays, 
if^  villages  sont  construits  en  bois,  il  est  vrai  ;  mais  le  tout  est  coquet 
et  propre.    Une  fontaine,  d'où  partent  de  charmants  ruisseaux,  oc- 
cupe le  centre  du  village.    Tout  auprès  se  trouvent  l'église,  la  maison 
commune  et  i'école  primaire.  Chaque  cottage  est  entouré  d'un  jardin. 
Des  plantes  grimpantes  revêtent  tous  les  murs  et  couvrent  presque 
tous  les  toits.    On  entend,  de  toutes  parts,  les  bruits  des  métiers  à 
tisser  ;  les  gamins  chantent  en  se  rendant  à  l'école.    Les  rues  sont 
propres,  les  marchés  bien  approvisionnés,  tous  les  gens  que  vous  ren- 
contrez bien  vêtus.    Dans  la  montagne,   au  contraire,  pauvreté  et 
désolation  partout.    On  rencontre  peu  de  villageois.    Les  paysans 
vivent  dans  des  huttes,  dispersés  çà  et  là  :  au  rez-de-chaussée,  des 
étables  pour  les  porcs  et  les  bestiaux  ;  au-dessus,  des  chambres  à 
coucher,  tout  comme  en  Biscaye  et  en  Navarre.     Ces  huttes  Pont  cer- 
tainement Bolides,  mais  aucun  goût  n'a  présidé  à  leur  grossière  con- 
struction. -,,,:..A..-i.  ■,.,...i.rir'^ V---  ;  ■':"^'=^-'"^;rr''r\";;;-^ •:-;,:;:■-.  ,^:j 

"Chaque  berger  vit  à  part  ;  il  ne  rencontre  ses  concitoyens  qu'à  la 
messe,  au  pugilat  ou  au  cabaret.  Chacun  sait  lire  et  écrire,  car  ils 
sont  Suisses  ot  assujettis  aux  lois  cantonales  ;  mais  ils  ne  connaissent 
ni  livre  ,  ni  journaux  ;  à  peine  rencontre  t-ou  quelque  vie  des  saints, 


.     '  '  —  4  — 

Partout  où  dans  un  même  pays  les  deux  cultes  sont  en  présence,^ 
les  protestants  sont  plus  actifs,  plus  Industrieux,  plus  économes  et, 
par  suite,  plus  riches  que  les  catholiques. 

"  Aux  Etats-Unis,"  dit  Tocqueville,  "  la  plupart  des  catholiques 
sont  pauvres."  *  <  ,  t    ; 

Au  Canada,  les  grandes  affaires,  les  industries,  le  commerce,  les 
principales  boutiques  dans  les  villes  sont  aux  mains  des  protestants. 

M.  Audiganne,  dans  ses  remarquables  études  sur  les  populations 
ouvrières  de  la  Frcnce,  remarque  la  supériorité  des  protestants  dans 
rinduntrie,  et  son  témoignage  est  d'autant  moins  suspect  qu'il  n'at- 
tribue pas  cette  supériorité  au  proteotantisme.  "La  majorité  des 
ouvriers  nîmois,  dit-il,  notamment  les  tatfetassiers,  sent  catholiques 
tandis  que  les  chefs  d'industries  et  du  commerce,  les  capltalletes,  eu 
un  mot,  appartiennent  en  général  à  la  religion  réformée. 

"  Quand  une  même  famille  s'est  divisée  en  deux  brihches,  l'une 
restée  dans  le  giron  de  la  croyance  de  ses  pères,  l'autre  enrôlée  sous 
l'étendard  des  doctrines  nouvelles,  on  remarque  presque  toujours, 
d'un  côté,  une  gêne  progressive  et,  de  l'autre,  une  riclitesse  crois- 
sante."—" A  Mazamet,  l'Elbœuf  du  Midi  de  la  France,"  dit  encore  M. 
Audiganne,  "  tous  les  chefs  d'industrie,  excepté  un,  sont  protestants* 
tandis  que  la  grande  majorité  des  ou'?riers  est  catholique.  Il  y  a 
moins  d'instruction  parmi  ces  derniers  que  parmi  les  familles  labo  ' 
rieuses  de  la  classe  protestante.  "  ^      - 

Avant  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  les  réformés  l'emportaient 
dans  toutes  les  branches  du  travail,  et  les  catholiques,  qui  ne  pou- 
vaient soutenir  la  concurrence,  leur  firent  défendre,  à  partir  de  1662, 
par  plusieurs  édlts  successifs,  l'exercice  de  différentes  industries  où 
ils  excellaient.  Après  leur  expulsion  de  France,  les  protestants  ap- 
portèrent en  Angleterre,  en  Prusse,  en  Hollande  leur  esprit  d'entre- 
prise et  d'économie  ;  ils  enrichissaient  le  district  q\ï  ils  se  fixaient. 
C'est  à  des  latins  réformés  que  les  Gi  rmains  doivent  en  partie  leurs 


quelques  feuilles  populaires,  quelques  recueils  de  remèdes  de  bonnes 
femmes,  au  lieu  de  nouvelles  fraîches  tt  excitantes. 

•*  Le  demi-canton  protestant  devient  chaque  jour  plus  riche  et  plus 
peuplé  ;  le  demi-canton  catholique  croupit  dans  la  pauvreté  at  la  fai- 
blesse. Et  rien  d'étonnant  à  cela,  car  le  premier  reçoit  tous  les  étran- 
gers, quelle  que  soit  ieui  religion,  accueille  avec  joie  toutes  les  idées 
nouvelles  et  adopte  sans  retard  toutes  le»  améliorations  apportées  au 
métier  à  tisser,  source  dé  sa  richesse  ;  le  second,  au  contraire,  ferme 
ses  portes  à  tout  le  monde,  aux:  protestfHrcs  de  tous  tes  pays  et  aux 
catholiques  qui  ne  sont  pas  nés  dans  le  canton  ,•  il  conserve  ses  jeux 
antiques  et  son  vieux  costume,  il  exécute  ses  travaux  iustiques  tout 
comme  au  moyen  âge,  il  célèbre  ses  jours  de  fêtes  et  ses  luttes  au  pu- 
gilat :  il  se  nourrit  de  pain  de  seigle  grossier  et  de  petit  lait  ;  il 
dédaigne  souverainement,  enfin,  l'industrie  qui  enrichit  son  voisin." 


—  5  — 


»> 


progrùâ.  LûB  réfugiés  de  la  Révocation  ont.  introduit  en  Angleterre 
différentes  industries,  entre  autres,  celle  de  la  scio,  et  ce  sont  les  dis- 
ciples de  Calvin  qui  ont  civilisé  l'Ecosse. 

Comparez  la  cote  à  la  Bourse  des  fonds  publics  des  Etats  protes- 
tants et  des  Etats  catholiques,  la  différence  est  grande.  Les  3  p,  c. 
anglais  dépasse  92,  les  3  p  c.  français  flotte  vers  60.  La  rente  de  la 
Hollande,  de  la  Prusse,  du  Danemarck,  de  la  Suède  sont  au  moins  au 
pair  ;  celle  de  l'Autriche,  de  l'Italie,  de  l'Espagne  et  du  Portugal  est 
moins  élevée  d'un  tiers  ou  même  de  moitié. 

Aujourd'hui,  dans  toute  l'Allemagne,  le  commerce  des  œuvres  de 
l'esprit,  livres,  revues,  cartes,  journaux,  est  presque  entièrement  aux 
mains  des  juifs  et  des  protestants. 

En  présence  de  tons  ces  faits  concordants,  il  est  difficile  de  ne  pas 
avouer  que  c'est  le  culte  et  non  le  sang  qui  est  la  cause  de  la  prospé- 
rité extraordinaire  de  certains  peuples. 

La  Réforme  a  communiqué  aux  pays  qui  l'ont  adoptée  une  force 
dont  l'histoire  peut  à  peine  se  rendre  compte.  Voyez  les  Pays-Bas  : 
deux  millions  d'hommes  sur  un  sol  moitié  sable  et  moitié  mar^^s  ;  ils 
résistent  à  l'Espagne  qui  tenait  l'Europe  dans  ses  mains  et,  à  peine 
affranchis  du  joug  castillan,  ils  couvrent  toutes  les  mers  de  leur  pa- 
villon, marchent  à  la  tête  du  monde  Intellectuel,  possèdent  autant  de 
navires  que  tout  le  reste  du  continent  ensemble,  se  font  l'âme  de 
toutes  les  grandes  coalitions  européennes,  tiennent  tête  à  l'Angleterre 
et  à  la  France,  alliées  contre  eux,  offrent  aux  Etats-Unis  le  type  de 
l'union  fédérale  qui  permet  l'accroissement  indéfini  de  la  grande  ré- 
publique, et  donnent  l'exemple  des  combinaisons  ânancières  qui 
contribuent  si  puissamment  au  développement  actuel  de  la  richesse, 
les  banques  d'émission  et  les  sociétés  par  actions. 

La  Suède,  un  million  d'hommes  sur  une  terre  granitique,  ensevelie 
sous  les  neiges  pendant  six  mois  de  l'année,  intervient  sur  le  conti- 
nent, sous  Oustave-Adolphe,  avec  la  puissance  que  l'on  sait,  bat 
l'Autriche  par  les  mains  de  ses  merveilleux  stratégistes  Wrangel 
Torstenson  et  Banner,  et  sauve  la  Réforme.  Aujourd'hui,  l'Angle- 
terre est  la  reine  des  mers,  la  première  des  nations  industrielles  et 
commerciale  ;  elle  gouverne,  en  Asie,  deux  cents  millions  d'hommes 
et  envahit  le  globe  par  les  essaims  qu'elle  y  lance.  Il  faut  voir  dans 
le  beau  livre  de  Sir  Charles  Dilke,  Oreater  Britain,  le  tableau  de  la 
puissance  anglo-saxonne  dans  le  monde  entier.  Les  Etats-Unis, 
croissent  avec  une  rapidité  vertigineuse.  Ils  comptent  42  millions 
d'habitants.  Vers  la  fin  du  siècle,  ils  en  auront  100  millions.  Ils 
sont  déjà  le  peuple  le  plus  riche  et  le  plus  puissant  du  globe. 

La  Prusse  protestante  bat  deux  empires,  chacun  deux  fois  plus 
peuplé  qu'elle,  le  premier  en  sept  semaines,  le  second  en  sept  mois. 


6 


Dans  deux  Bi(>cleB,  l'Amérique,  l'Australie  et  l'Afrique  australe  appar- 
tiendront aux  Anglo-BazonB  hérétiques  et  l'Asie  aux  Slaves  schlsma- 
tlques. 

Les  peuples  soumis  à  Rome  semblent  frappés  de  stérilité  ;  ils  ne 
colonisent  plus  (1),  ils  n'ont  aucune  puissance  d'expansion.  Le  mot, 
employé  par  M.  Thiers  pour  peindre  leur  capitale  religieuse,  Rome, 
viduU  08  et  fiterilitaa,  pourrait  s'appliauer  aussi  à  eux.  Leur  pasriM  est 
brillant,  mais  le  présent  eat  sombre  et  l'avenir  inquiétant.  Est-il  une 
situation  plus  triste  que  celle  de  l'Espagne  ?  La  France,  qui  a  rendu 
de  si  grands  services  au  monde,  est  aussi  bien  à  plaindre,  non  parce 
qu'elle  a  été  vaincue  sur  les  champs  de  bataille— des  revers  mllitairea 
peuvent  se  réparer— mais  parce  qu'elle  semble  destinée  à  ôtre  ballottée 
sans  cesse  entre  le  despotisme  et  l'anarchie.  Aujourd'hui  encore,  à 
l'instant  où,  pour  se  relever,  elle  aurait  besoin  de  l'accord  de  tous  ses 
enfants,  les  partis  extrêmes  se  disputent  la  prééminence,  au  risque  de 
déchaîner  encore  une  fols  la  guerre  civile.  C'est  l'ultramontanisme 
qui  est  la  cause  des  malheurs  de  la  France  ;  c'est  lui  qui  a  alf  aibli  le 
pays  par  cette  action  délétère  que  nous  analyserons  plus  loin.  C'est 
lui  qui,  par  l'impératrice  Eugénie,  organe  du  parti  clérical,  a  fait 
entreprendre  l'expédition  du  Mexique,  pour  relever  les  nations  catho- 
liques en  Amérique,  et  la  guerre  de  Prusse,  pour  mettre  obstacle  au 
progrès  des  Etats  protestant**  en  Europe  (3). 

L'Italie  et  la  Belgique  paraissent  plus  heureuses  que  la  Fiance  et 
que  l'Espagne  ;  mais  la  liberté  est-elle  déflnitivement  établie  dans  ces 
deux  pays?  De  bons  esprits  en  doutent.  Récemment,  un  journal  de 
Rome,  Il  Diritto,  publiait  un  remarquable  travail  sur  la  situation  d« 
l'Italie,  sous  ce  titre  significatif  :  Vltalia  liera.  Les  peuples  soumis 
au  Pape  sont  morts  déjà,  ou  meurent,  s'éerie  l'auteur  avec  épouvante. 


■  '6 


I 


(1)  Voici  un  exemple  pris  au  hasard. 

Le  comte  de  Beauvoir  arrive  â  Canton.  Il  y  voit  un  îlot,  Sha-Myen, 
situé  au  milieu  de  la  rivière  et  cédé  à  la  France  et  à  l'Angleterre.  Le 
voyageur  est  frappé  du  contraste  que  présentent  la  partie  cédée  à 
l'Angleterre  et  celle  qui  appartient  à  la  France  : 

'•  En  six  ans  (1867),  il  y  a  là  déjà  une  petite  bourgade  angblse,  une 
église  protestante,  un  criquet  grmmd,  un  terrain  d'entraînement  pour 
les  courses,  des  villas  spacieuses  et  des  godovins  magnifiques  pour  les 

fraudes  maisons  thétfères  de  la  Chine.  Un  sentier  sépare  le  '  irrltolre 
ritannique  du  territoire  français.  Sur  le  nôtre,  11  y  a  de.  touffes 
d'arbres  incultes,  des  ordures,  des  chiens  errants,  des  ch  ts,  des 
taupes,  mais  pas  une  maison."  (  Voyage  autour  du  monde,  t.  II,  p.  437.) 

(2)  C'est  ce  que  M.  de  Bismarck  affirmait  récemment  du  haut  de  la 
tribune  à  Berlin.  L'impératrice  disait  en  juillet  1870  :  Ceci  est  ma 
guerre.  C'est  elle  qui,  dans  le  Conseil  suprême  de  Salnt-Cloud,  a  fait 
dé<dder  la  guerre,  dont  l'empereur  voyait  clairement  le  péril. 


7  — 


Il  popoli  di  relioiotie  papale' o  fono  g'a  vurrO,  o  vanno  morendi.  "81 
l'Italie,"  ajoutc-t,-ll,  "  parait  moins  malade,  c'estiparce  que  le  clergû,  at- 
teudact  la  restauration  du  Pape  d'une  Intervention  autrichienne 
d'abord,  et  aujou'd'hul  d'une  intervention  française,  n'a  pas  encore 
attaqué  la  liberté  tt  la  constitution  comme  force  intérieure.  Dans  les 
élections,  le  parti  clérical  s'est  abstr nu  ;  mais  cela  changera.  Déjà  il 
est  descendu  dans  l'arène  îl  Naples,  à  Rome,  il  Boloene.  L'Eglise 
couvre  le  pays  d'associations  inspirées  par  les  jéeultes,  et  les  congré- 
gaMons  s'emparent  de  la  nouvelle  génération  qu'elles  élèvent  dans  U 
haine  de  l'Italie  et  do  ses  institutions."  Cette  appréciation  est  juste. 
L'Italie  est  uujourd'hul  dans  la  situitlon  où  s'est  trouvée  la  France 
après  1789,  et  la  Belgique  après  1830;  le  souille  de  la  liberté  emporte 
la  nation  entière,  m  ème  dans  le  clergé.  Le  patriotisme,  l'espoir  d'un 
brillant  avenir,  l'enthousiasme  du  progrès  enflamment  tous  les  cœurs 
et  font  oublier  les  dissidences  ;  mais  bientôt  éclatera  l'incompatibi- 
lité entre  la  civilisation  moderne  -t  les  idées  romaines.  Le  clergé,  les 
jésuites  surtout,  soumis  à  la  voix  de  Rome,  se  mettent  déjà  à  l'œuvre 
pour  miner  l'édifice  des  libertés  politiques  à  peine  assis  sur  le  soi. 
C'est  exactement  ce  qui  s'est  pacsé  en  Belgique  depuis  1840. 

Récemment,  l'un  des  auteurs  de  la  Constitution  belge,  et  le  plus 
éminent  peut  être,  me  disait,  l'âme  remplie  de  tristesse  :  "Nous  avons 
cru  que,  pour  fonder  la  liberté,  11  suffisait  de  la  proclamer,  en  sépa- 
rant l'Eglise  (l'>  l'Etat.  Je  commence  à  croire  que  nous  nous  sommes 
trompés.  L'Egilse,  s'appuyant  sur  les  campagnes,  vaut  Imposer  son 
pouvoir  absolu.  Les  grandes  villes  acquises  aux  idées  modernes  ne 
se  laisseront  pas  asservir  sans  cherchei  ;l  se  défendre.  Nous  dérivons 
vers  une  guerre  civile,  comme  en  France.  Nous  sommes  déjà  da.. 
une  situation  révolutionnaire.  L'avenir  me  paraît  gros  de  troubles." 
Les  dernières  élections  ont  commencé  à  faire  apparaître  le  danger. 
Les  élections  pour  les  Chambres  ont  fortlfl'5  le  parti  clérical,  tauills 
que  celles  pour  les  communes  ont  donné  le  pouvoir  aux  libéraux  dans 
toutes  les  grandes  villes.  L'antagonisme  entre  les  villes  et  les  cam- 
pagnes, une  des  causes  de  la  guerre  c  Je  en  France,  se  montre  déjà 
aussi  en  Belgique.  Tant  que  le  g(  avemement  sera  aux  mains 
d'hommes  prudents  plus  disposés  à  servir  le  pays  qu'à  obéir  aux 
évêques,  des  désordres  graves  ne  sont  pas  à  craindre.  Mais  si  les  fa- 
natiques, qui  acceptent  ouvertement  le  Syllabus  comme  programme 
politique,  devaient  arriver  au  pouvoir,  des  chocs  terribles  s'e^asul- 
vralent. 

Les  pays  catholiques,  des  deux  côtés  de  l'Atlantique,  sont  donc  en 
proie  à  des  luttes  Intestines  qui  consument  leurs  forces  ou  tout  au 
moins  qui  les  empêchent  d'avancer  aussi  régulièrement  et  aussi  ra- 
pidement que  les  peuples  protestants. 


ISl 


—  8  — 

Il  y  a  deux  eiècles,  la  Buprématle  appartenait  sans  conteste  aux 
Etats  catholiques.  Les  autres  n'étalent  que  des  puissances  de  second 
ordre.  Aujourd'hui,  mettez  d'un  côté  la  France,  l'Autriche,  l'Es- 
pagne, l'Italie  Et  l'Amérique  du  eud,  et,  de  l'autre  côté,  la  Rusrle, 
l'empire  d'Allemagne,  l'Angleterre  et  l'Amérique  du  nord,  évidem- 
ment la  prédomlneuce  a  paeeé  aux  hérétiques  et  aux  schlsmatiques. 
M.  Levasseur  a  lu  récemment  A  l'Institut  un  curieux  travail,  où  il 
montre  que  la  France,  en  1700,  représentait  à  elle  seule,  31  p.  c.  ou  le 
tierb  de  la  force  des  cinq  grandes  puissances  réunies,  tandis  qu'au- 
jourd'hui, en  comptant  en  Europe  six  grandes  puissances,  elle  ne 
possède»  plus  que  15  p.  i.  ou  le  sixième  du  total  de  leur  force  (1). 

Pour  tout  homme  qui  veut  Interroger  les  faits  sans  partis  pris,  Il 
demeure  donc  établi  que  la  réforme  est  plus  favorable  que  le  catholi- 
cisme au  développement  des  nations.    Il  faut  maintenant  trouver  les 
causes  de  ce  fait.    Je  crois  qu'il  n'ect  pas  difficile  de  les  Indiquer. 


II 


\ 


Il  est  aujourd'hui  admis  par  tout  le  monde  que  la  diffusion  des  lu- 
mières est  la  première  condition  du  progrès.  Le  travail  est  d'autant 
plus  productif  qu'il  est  dirigé  avec  plus  d'intelligence.  L*applIcation 
de  la  science,  sous  toutes  ses  formes,  à  la  production,  voilà  ce  que 
fait  la  richesse  de  l'homme  civilisé.  L'affreux  dénûment  du  sauvage 
provient  df)  son  ignorance.  Le  progrès  économique  sera  donc  eu 
proportion  des  découvertes  scientifiques  appliquées  à  l'industrie. 

L'instruction,  généralement  répandue,  est  aussi  Indispensable  à  Ift 
pratique  des  libertés  constitutionnelles.  Là  où  les  pouvoirs  émanent 
de  l'élection,  il  faut  que  les  électeurs  aient  assez  de  lumières  pour 
bien  choisir  leurs  représentants,  sinon  le  pays  est  mal  gouverné  ;  il 
tombe  de  faute  en  faute  et  marche  à  sa  ruine.  Dans  un  Etat  despo- 
tique, l'instruction  est  utile  :  elle  n'est  pas  Indlspenst^ble.  Da^  ';  un 
grand  Etat  libre,  ou  qui  veut  l'être,  elle  ept  de  nécessité  absolue,  soub 
peine  de  déclin  par  Inertie  ou  par  désordre.  L'instruction  est  donc  la 
base  de  la  lloerté  et  de  la  prospérité  des  peuples.  Or,  jusqu'à  présent, 
les  Etats  protestants  sont  seuls  parvenus  à  assurer  l'Instruction  à 
triis.  Lci  Etatc  catholiques  ont  beau  déclarer  l'instruction  obliga- 
toire, comme  l'Italie,  ou  dépenser  beaucoup  d'argent  pour  cet  objet, 
comme  la  Belgique,  Ils  ne  parviennent  pas  à  dissiper  l'ignorance. 


v< 


(1)  Compte  rendu  des  Scancés  de  VInstiiut,  par  M.  Vergé,  numéro  de 
Novembre,  1872.— La  population  do  la  France  augmentait  très  lente- 
ment. Dans  la  dernière  période  quinquennale,  elle  a  dlmlrué  de 
806,000,  sans  compter,  bien  entendu,  la  perte  de  l' Alsace-Lorraine. 


-  9 


Sous  le  rapport  de  l'Instruction  élémentaire,  les  Etats  protestants 
BOiit  incomparablement  plus  avancée  que  les  pays  catholiques.  Tj' An- 
gleterre seule  n  'ec^*  qu'au  niveau  de  ceux-ci,  probablement  parce  que 
l 'Église  anglicane  est,  parmi  les  formes  du  culte  réformé,  celle  qui  se 
rapproche  le  plut  de  l'Eglise  de  Rome.  Tous  les  pays  protestants 
marchent  en  tête,  sans  ou  presque  sans  illettrés,  comme  la  Saxe,  le 
Danemark,  la  Suède  et  la  Prusse ,  les  pays  catholiques  restent  très 
loin  en  arrière  avec  un  tiers  au  moins  d'ignorants,  comme  la  France 
et  la  Belgique  ou,  avec  les  trois  quarts,  comme  l'Espagne  ou  le 
Portugal. 

Voypz  en  Suisse  :  quelle  différence,  sous  ce  rapport,  entre  les  can- 
tons catholiques  et  les  cantons  protestants  !  Les  cantons  purement 
latins  de  Neuchâtel,  de  Yaud  et  de  Genève  sont  au  niveau  des  cantons 
germaniques  de  Zurich  et  de  Berne,  et  ils  sont  très  supérieurs  à  cf  ux 
du  Tessin,  du  Valais  ou  de  Luceme  (1).  La  cause  de  ce  contraste  est 
évidente  et  a  été  souvent  signalée  Le  culte  réformé  repose  sur  un 
livre  i  la  BlMs  ,  le  protestant  doi'i  donc  savoir  lire  (2;.  Aussi  le  pre- 
mier et  le  dernier  mot  'e  Luther  a  été  :  Instruisez  les  enfants,  c'est  le 
devoir  des  parents  et  des  magistrats,  c'est  un  commandement  de 
Dieu.  Le  culte  catholique,  au  contraire,  repose  sur  les  sacrements  et 
sur  certaines  pratiques,  comme  la  confession,  la  messe,  le  sermon,  qui 
n'exigent  point  la  lecture.  Savoir  lire  n'est  donc  pas  nécessaire  ; 
c'est  plutôt  un  danger,  car  cela  ébranle  nécessairement  le  principe  de 
l'obéissance  passive  sut  lequel  s'appuie  tout  l'édifice  catholique  :  la 
lecture  est  la  voie  qui  cordult  à  l'hérésie^  La  conséquence  évidente 
est  que  le  prêtre  catholique  sern  hostile  à  l'instruction  on  tout  au 
moins  qu'il  ne  fera  jamais  autant  d'efîorts  pour  la  répandre  que  le 
ministre  protestant.  L'organisation  de  l'instruction  populaire  date 
de  la  Réforme.  L'instruction  étant  très  favorable  à  la  pratique  de  la 
liberté  politique  et  A  la  production  de  la  richesse,  et  le  protestantisme 
favorisant  la  Jiffueion  de  l'instruction,  il  y  a  là  une  cause  manifeste 
de  supériorité  pour  les  Etats  protestants  (3).        ,      ,•;;   ,)33;n_ 


Sf/ 


(1)  Pour  les  faits,  voyez  mon  livre,  LHmtruction  du  peuple, 

(2)  Pendant  la  guerre  de  1870,  on  a  pu  constater  que  les  soldats 
protestants  avaient  bien  plus  d'instruction  que  les  catholiques.  Dans 
les  ambulances  et  les  hôpitaux,  les  premiers,  quand  ils  commençaient 
à  se  remettre  de  leurs  blessures,  demandaient  des  livres,  les  seconds 
un  jeu  de  cartes.  ~:r^  ; 

(3)  Récemment,  M.  Goblet  d'Alviella  analysait  ici  même  un  travail 
de  M.  de  Cand  elles  établissant  combien  la  production  scientifique  des 
peuples  protestants  est  supérieure  à  celle  des  Etal  a  catholiques. 


^ 


Tout  le  monde  s'accorde  à  dire  que  la  force  des  nations  dépend  de 
leur  moralité.  On  lit  partout  cette  maxime,  qui  est  presque  devenue 
un  axiome  de  la  science  politique  :  Quand  les  mœurs  se  corrompent, 
l'Etat  est  perdu.  Or,  11  paraît  avéré  que  le  niveau  moral  est  plua 
élevé  chez  les  peuples  protestants  que  chez  les  peuples  catholiques. 
Les  écrivains  religieux  le  disent  eux-mêmes  et  ils  l'expliquent  par  le 
fait  que  les  premiers  restent  plus  fidèles  que  les  seconds  à  leur  reli- 
gion, explication  que  je  crois  Juste.  Lisez  los  œuvres  littéraires  en 
France,  assistez,  dans  les  divers  théâtres,  aux  pièces  en  vogue  : 
l'adultère  dans  toutes  ses  variétés  et  sous  tontes  ses  formes  en  fait 
toujours  le  fond.  Les  romans  et  les  comédies  qui  ont  eu  du  succès 
doivent  être  sévèrement  bannies  du  cercle  d'une  fam  lie  honnête.  En 
Angleterre,  en  Allemagne,  il  n'en  est  pas  ainsi.  Les  œuvres  litté- 
raires qui  ne  portent  point  l'empreinte  de  l'itiiitation  étrargére  6 ont 
d'un  ton  et  d'un  style  dont  des  oreilles  chastes  n'ont  pas  à  s'alar- 
mer (1). 

Pour  la  littérature  française,  le  mal  vient  de  loin.  Les  Provençaur 
ont  hérité  de  !a  corruption  gallo-romaine  et  i  l<  ont  chanté  et  rendu 
aimable,  sous  le  nom  de  galanterie,  le  relâchement  des  mœurs  et  les 
amours  irrégulières.  La  galanterie  est  devenue  ainsi  la  note  domi^ 
santé  de  toutes  les  œuvres  d'imagination  et  un  des  traits  du  caractère 
national.  Le  Roi  "vert  galant"  est  le  plus  populaire  des  souverains 
français.  Dans  les  pays  qui  ont  adopté  la  Réforme,  l'esprit  puritain  a 
mis  un  frein  â  ce  re]âchement  des  mœurs  et  y  a  fait  succéder  une 
sévérité  qui  a  pu  paraître  excessive,  mais  qui  a  donné  aux  hommes 
une  trempe  morale  Incomparable. 

Dans  les  pays  catholiques,  ceux  qui  ont  voulu  combattre  l'omnipo- 
tence de  l'Egli^'»  ont  pris  leurs  armes  non  à  î'Evangile,  mais  à  l'esprit 
de  la  Renaissance  et  au  paganisme.  On  peut  attaquer  l'Eglise  de 
deux  façons,  soit  en  montrant  qu'elle  s'est  éloignée  de  la  doctrine  du 
Christ  et  en  prè:hant  un  christianisme  plus  pur  et  plus  sévère  que  le 
sien,  soit  en  attaquant  ses  dogmes  par  l'ironie  et  en  insurgeant  les  sens 
contre  ses  prescriptions  morales.  Luther,  Calvin,  Knox,  Zwltgle  ont 
pris  le  premlev  parti,  Rabelais  et  Voltaire,  le  second.  Il  est  clair  que 
les  uns  s'appuyant  sur  l'Evangile  doivent  raffermir  le  sentiment  moral 
tandis  que  les  seconds  ne  peuvent  réussir  qu'en  le  ruinant.  De  là 
vient  que  preeque  tous  les  auteurs  français  qui  ont  travaillé  à  l'éman- 
dpatioa  des  esprits  ont  eu  leur  note  immorale.  Mettra-t-on  sans 
appréhension  entre  les  mains,  je  ne  dis  pas  d'une  jeune  fille,  mais 

(1).  Voyez  le  II  va  récent  de  M.  Potvîn,  Delà  Corruption  du  gont 
Ittteraire  en  F)'anc6. 


^ 


11 


m 


même  d'un  jeune  homme,  les  œuvres  complètes  de  Rabelais,  de  Vol- 
taire, de  Rousseau,  de  Diderot,  de  Courier,  de  Béranger  ?  Les  auteurs 
qui  respectent  toujours  la  morale  et  qu'on  fait  lire  à  la  jeunesse, 
BosBuet,  Fénelon,  Racine,  sont  presque  toujours  dévou*3s  à  l'Eglise  et 
pénétrés  de  doctrines  absolutistes.  De  là  vient  la  trempe  profondé- 
ment catholique  de  la  plupart  de  ceux  qui,  en  France^  ne  sont  pas 
révolutionnaires.  ^  _,,.,. 

En  Angleterre  et  en  Amérique,  il  en  est  autrement  :  les  partisans 
les  plus  décidés  de  la  liberté  sont  en  même  temps  ceux  qui  professent 
la  morale  la  plus  sévère  :  les  puritains  et  les  quakers.  Tandis  que 
BoBsuet  formulait  la  théorie  de  Pabsolutismei  Milton  écrivait  celle  de 
la  République,  et  ce  sont  les  puritains  qui  ont  fondé  la  liberté  en 
Angleterre  et  aux  Etats  UniSr  D'un  côté,  les  écrivains  qui  sont  reli- 
gieux et  moraux  prêchent  la  servitude,  tandis  que  ceux  qui  veulent  la 
liberté  ue  respectent  ni  religioii,  ni  morale  ;  de  l'autre  côté,  au  con- 
traire, iee  mêmes  hommes  défendent  â  la  fols  la  religion,  la  morale  et 
lallberté.   _   .  .  ;.,.;•,-  '--    •;;■  ;,-.  ,v  -j,  ,;'     ,.  M%.:{^,v:!k 

Voyez  les  conséqences  ;  comparez  la  vie  privée  des  hommes  qui 
OHt  fait  la  révolution  de  1648,  en  Angleterre^  ou  qui  ont  fondé  la  ré- 
publique en  Amérique,  avec  celle  des  hommes  de  la  république 
française.  Les  premiers  sont  tous  de  mœurs  irréprochables,  d'une 
probité  sans  tache,  d'une  sévérité  de  principes  presque  outrée. 
Les  seconds,  sauf  quelques  fanatiques,  comme  Salnt-Just  et  Robes- 
pierre, sont,  la  plupart,  de  mœurs  très  relâchée».  Le  pius  puissant 
d'entre  eux,  le  vrai  représentant  de  la  Révolution  française,  Mirabeau, 
ce  grand  génie,  ce  prodigieux  orateur,  se  vend  à  la  cour,  écrit  des 
livres  obscènes  et  pousse  la  dépravation  aux  dernières  limites.  Mettez 
en  regard  les  austères  calvinistes  qu'  ont  vaincu  le  despotisme,  fondé 
la  liberté  en  Angleterre  et  en  Amérique  :  quel  contraste  I  Edgard 
Qulnet  remarque,  dans  son  admirable  livre  sur  la  Révolution  fran- 
çaise, que  les  hommes  de  cette  époque,  si  pleins  d'enthousiasme  au 
début,  se  sont  vite  lassés  de  cet  affort  et  ont  bientôt  demandé  ou  subi 
le  repos  de  la  servitude  sous  l'empire.  Les  gueUx  do  Hollande  ont 
lutté  bien  plus  longtemps  et  ont  traversé  de  bien  autres  épreuves, 
sans  se  laisser  décourager.  Leurs  vllUs  étaient  prises  d'assaut,  des 
populations  entières  massacrées.  Ils  luttaient,  eux,  une  poignée 
d'hommes,  contre  un  adversaire  qui  avait  à  sa  disposition  les  trésors 
des  deux  mondes.  Ils  n'ont  éprouvé  ni  lassitude,  ni  découragement, 
et  Us  ont  fini  par  vaincre  :  ils  avalent  la  foi  I  .       ,-  ^ 

«'^  L'orgueil,  le  débordement  de  la  personnalité,  la  vanité,  ont  mis  aux 
prises  les  -artisans  de  la  Révolution  française,  dans  uno  lutte  mor- 
telle et  fratricide  :  ils  se  sont  égorgés  les  uns  les  autres^  au  lieu  de 
■'unir  pour  fonder  la  Rép-blI  lue.    En  Hollande,  en  Angleterre,  en 


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■■ 


■       —   12  —  r  .       S  ;   ■. 

Amérique,  par  l'efEe^  d'un  certain  esprit  de  charité,  d'humilité,  de 
l'apport;  mutuel,  ceux  qui  affranchissaient  leur  patrie  de  la  tyrannie 
Eont  parvenus  â  s'entendre,  afin  de  consolider  leur  œuvr<î.  Pour 
fonder  un  Etat,  le  christianisme  de  Fenn  et  de  Washington  est  un 
meilleur  ciment  que  la  philosophie  de  Vergniaud,  de  Robespierre  et 
de  Mirabeau.  Sans  juger  les  deux  doctrines,  on  peut  constater  les 
résultats  qu'elles  ont  produits. 

Quand  le  sentiment  religieux  s'affaiblit,  le  mobile  qui  porte  à  bien 
agir,  le  ressort  de  la  vie  morale,  c'est  le  point  d'honneur,  la  vanité,  la 
recherche  de  l'approbation  des  autres  hommes.  Alfred  de  Vigny  a 
montré  cela  en  termes  éloquents  dans  un  chapitre  de  son  livre: 
Grandeur  et  servitude  militaires.  Musset  l'a  répété  dai  s  ces  vers  si 
pleins  d'énergie  :  ''L'orgueil... 

» 

C'est  ce  qui  reste  encore  d'un  peu  beau  dans  la  vie." 

M.  Taine  dit,  dans  ses  Notes  sur  V  Angleterre  :  "  En  France,  le  prin- 
cipe moral  est  fondé  feur  le  «sentiment  de  l'honneur  ;  en  Angleterre, 
sur  l'idée  du  devoir  ;  or,  le  premier  est  arbitraire,  sa  portée  est  diffé- 
rente selon  les  personnes."  ;       .-■ 

DaMB  l&  France  nou?;elle,  Prévost-Paradcl  écrit  ce  qui  suit  :'*  Aux 
yeux  de  tout  observateur  clairvoyant  et  de  bonne  foi,  notre  pays  offre 
aujourd'hui  le  spectacle,  presque  unique  dans  le  monde,  d'une  société 
dans  laquelle  le  point  d'honneur  est  devenue  la  principale  garantie 
du  bon  ordre  et  fait  accomplir  la  plupart  des  devoirs  et  des  sacrifices, 
que  la  religion  et  le  patriotisme  ont  perdu  la  puissance  d'ordonner. 
Si  nos  lois  sont  généralement  respectées,  si  le  jeune  soldat  rejoint  do- 
cilement son  drapeau  et  lui  reste  fidèle,  si  l'agent  comptable  respecte 
la  caisse  publique,  si  le  Français,  enfin,  s'acquitte  convenable^lent  de 
ses  devoirs  envers  l'Etat  et  envers  ses  concitoyens,  c'est  au  point 
d'honneur  que  nous  en  sommes  surtout  redevables.  Ce  n'est  pas  le 
respect  de  la  loi  divine,  passée  depuis  longtemps  à  l'état  c"e  problème  ; 
ce  n'est  pas  le  dévouement  philosophique  à  un  devoir  incertain,  et 
encore  moins  à  l'être  abstrait,  l'Etat  bouleversé  et  discrédité  par  tant 
de  révolutions  ;  c'est  la  crainte  d'avoir  à  rougir  publiquement  d'une 
action  réputée  honteuse  qui  maintient  seule,  parmi  nous,  un  désir 
suflisant  de  bien  faire."  Peinture  fidèle  et  désolante  que  Prévost- 
Paradol  trace,  l'âme  navrée,  surtout  quand  II  ajoute  :  "  N'avoir  plus 
que  le  point  d'honneur  pour  appui  et  le  sentir  fléchir  sous  sa  main 
comme  le  roseau  fragile  dont  parle  l'Ecriture  !  " 

Lisez  les  proclamations  ru  peuple  et  à  l'armée  :  quand  on  veut  les 
entraîner,  exciter  leur  enthousiasme,  on  fait  appel  au  point  d'honneur 
ou  à  la  vanité.  Ecoutez  Napoléon  :  "  Du  haut  des  pyramides,  qua- 
rante siècles  vous  contemplent."    Ou  bien:  "Soldats,  rentrés  dan» 


^i-*!  '-•s-^l-^^.'s^v.K'r^KX-^  i^m^^Kj;.:,- 


13  — 


vos  foyers,  vous  pourrez  dire  :  j'étais  à  léna,  â^  Austerlltz  !  "  Parler 
de  soi  ou  eu  faire  parler,  voilà  le  but  et  le  mobile.  Nelson,  à  Trafalgar, 
dit  tout  simplement  :  "  Je  compte  que  chacun  fera  son  devoir."  Dans 
les  pièces  émanant  des  hommes  de  la  révolution  des  Pays-Bas  ou  de 
la  révolution  d'Amérique,  on  Invoque  l'amour  de  la  patrie,  le  devoir, 
la  loi  divine.  Il  est  clair  que  ces  ressorts-ci  sont  plus  sûrs  que  les 
premiers.  Au  fond,  faire  parler  de  soi  est  un  avantage  assez  creux. 
Dès  qu'on  a'i'esprit  assez  fort  pour  le  constater,  le  point  d'honneur 
perd  son  efficacité  comme  règle  de  conduite.  D'ailleurs,  l'opinion 
publique  peut  être  pervertie  et,  en  ce  cas,  ce  n'est  pas  en  faveur  de  la 
vertu  qu'on  peut  l'invoquer.  Les  écrivains  français  ont  presque  tous 
exalté  la  Renaissance  aux  dépens  de  la  Réforme  parce  que,  plus  large 
dans  ses  vues,  elle  apportait  à  l'humanité  un  afEranchissement  plus 
complet.  Les  faits  ne  leur  donnent  pas  raison.  Les  pays  qui  ont 
embrassé  la  Réforme  prennent  manifestement  l'avance  sur  ceux  qui 
s'en  sont  tenus  à  la  Renaissance.  C'est  que  la  Réforme  avait  en  elle 
une  force  morale  qui  manquait  à  la  Renaissance.  Or,  la  force  morale 
est,  avec  la  science,  la  source  de  la  prospérité  des  nations.  La  Re- 
naissance était  un  retour  à  l'antiquité,  la  Réforme  un  rétour  à  l'Evan- 
gile. L'Evangile,  étant  supérieure  à  la  tradition  antique,  devait 
donner  de  meilleurs  fruits. 


ï:-A1bIî 


IV 


--•-^'''iài-rf  -  '■*&',  AS'*.?:*:  i^ri^r. 


La  Réforme  a  favorisé  le  progrès  des  peuples  qui  l'ont  adoptée, 
parce  qu'elle  leur  a  permis  do  fonder  des  institutions  libres,  tandis 
que  le  catholicisme  conduit  sxl  despotisme  ou  à  l'anarchie,  et  souvent, 
tdtematlvement,  à  l'un  et  à  l'autre.  Le  gouvernement  naturel  des 
peuples  protestants  est  le  gouvernement  représentatif.  Le  gouverne- 
ment congenial  des  peuples  catholiques  est  le  gouvernement  despo- 
tique. Tant  qu'ils  y  restent  soumis,  ils  demeurent  en  paix  ;  Ils  ont  le 
régime  qui  leur  convient  ;  quand  ils  essayent  de  s'en  affranchir,  ils 
tombent  dans  le  ciésordre  et  s'affaiblissent  :  ils  sont  dans  un  état  coti- 
tralre  à  leur  état  naturel.  C'est  là  ce  que  soutiennent  le  journal 
l' Univers  et  la  VivUta  caiholica,  organes  de  la  cour  de  Rome,  et  les  faits 
semblent  leur  donner  raison. 

On  s'est  demandé  souvent  pourquoi  les  révolutions  des  Pays-Bas, 
d'Angleterre  et  d'Amérique  avalent  réussi,  tandis  que  la  révolution 
française  semble  avoir  échoué.  M.  Ouizot  a  même  publié  un  écrit 
spécial  pour  éclairclr  cette  question  qui  contient  en  effet  le  secret  de 
nos  destinées.  Je  n'hésite  pas  à  répondre  :  c'est  parce  que  les  pre- 
mières se  sont  faites  dans  des  pays  protestants,  la  seconde  dans  nn 
pays  catholique.    Voltaire  l'avait  déjà  vu.    Il  se  demande  cemme&t 


—  14  — 


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1^ 


11  Be  fait  que  les  gouvernements  de  la  France  et  de  l'Angleterre  sont 
devenus  aussi  différents  que  ceux  du  Maroc  et  de  Venise  ?  "  N'est-ce 
point,  dlt-U,  par  cette  raison  que,  s'étant  toujours  plaints  de  la  cour 
de  Rome,  les  Anglais  en  ont  entièrement  secoué  le  joug  honteux, 
taudis  qu'un  peuple  plus  léger  l'a  porté  en  affectant  d'en  rire  et  en 
dansant  avec  ses  chaînes."  Voltaire  disait  vrai,  mais  n'est-ce  pas  lui 
qui  excitait  ce  rire  et  qui  menait  la  danse  ? 

Aujourd'hui,  nous  pouvons  démontrer  à  l'évidence  ce  que  les  bons 
esprits  commençaient  seulement  à  entrevoir  au  xviiie  siècle.  L'in- 
âuence  décisive  que  les  formes  du  culte  exercent  sur  la  politique  et 
sur  l'économie  politique  n'avait  pas  été  mise  en  lumière.  Maintenant 
elle  éclate  au  grand  jour  et  se  montre  de  plus  en  plus  clairement  dans 
les  événements  contemporains.  L'action  que  la  religion  exerce  sur 
les  hommes  est  si  profonde,  qu'Us  sont  toujours  amenés  à  donner  â 
l'organisation  de  l'Etat  des  formes  empruntées  à  l'organisation  reli- 
gieuse. 

Partout  où  le  80i>  «^eraln  passe  pour  être  le  représentant  de  la  divi- 
nité, la  liberté  ne  pat  s'établir  parce  que  le  pouvoir  de  celu'.  qui 
parle  et  agit  au  nom  de  Dieu  est  nécessairement  absolu.  Les  ordres 
du  Ciel  ne  se  discutent  pas.  Les  simples  mortels  ne  peuvent  que  s'in- 
cllner  et  obéir.  Je  ne  connais  point  d'exception  à  cette  règle.  Dans 
les  anciens  empires  de  l' leie,  et  dans  ceux  d'aujourd'hui,  dans  les 
Etats  mahométans  comme  dans  les  pajs  catholiques  où  les  rois  ré- 
gnaient de  droit  divin,  le  peuple  a  été  complètement  asservi.  Il  était 
libre  à  Athènes  et  à  Rome,  parce  que  ceux  qui  gouvernaient,  élus  par 
leurs  concitoyens,  ne  se  donnaient  pas  comme  les  représentants  de  la 
divinité,  Le  sacerdoce  n'était  pas  une  caste  et  il  n'exerçait  quà  peu 
d'influence  dans  l'Et9t. 

Le  christianisme  primitive  devait  singulièrement  favoriser  l'éta- 
blissement d'institutions  libres  et  démocratiques.  Sans  doute,  par  ses 
côtés  ascétiques,  II  détachait  l'homme  de  ses  intérêts  terrestres  et  ne 
le  poussait  point  â  revendiquer  ses  droits  de  citoyen.  Mais  en  rele- 
^nt  ut  purifiant  les  mœurs,  il  le  rendait  plus  apte  à  se  gouverner  lui- 
môme  et  à  vivre  libre.  Au  sein  des  associations  chrétiennes  des  pre- 
miers siècles  régnait  une  grande  égalité  et  tous  les  pouvoirs  émanaient 
du  peuple.  La  parole  et  l'opinion  étaient  les  ressorts  du  gouverne- 
ment. Les  primitives  Eglises  chrétiennes  étaient  de  véritables  répu- 
bliques démocratiques.  Aussi,  quand  les  presbjtérlens,  au  xvie 
Blôcle,  rétablirent  l'ancienne  organisation  de  l'Eglise,  ils  furent  en- 
traînés à  établir  dans  l'Etat  des  institutions  républicaines. 

Les  défenseurs  et  les  adversaires  de  l'Eglise  romaine  confondent, 
les  uns  non  moins  que  les  autres,  le  christianisme  et  le  catholicisme. 
Ceux  qui  attaquent  le  chrietlanîsme  lui  attribuent  les  principes,  les 


T 


—  15  — 


- 


abus  et  les  crimes  de  l'Eglise  romaloe,  et  ceux  qui  défen  ^t  l'Ëglise 
romaine  Invoquent  les  mérites,  les  vertus  et  les  bienfait,  du  chris- 
tianisme. Erreur  de  part  et  d'autre.  Le  christianisme  est  favorable 
à  la  liberté  ;  le  catholicisme  est  son  ennemi  mortel,  c'est  son  chef  in- 
faillible qui  l'affirme.  L'histoire  des  Institutions  de  l'Eglise  nous 
montre  une  marche  constante  vers  une  concentration  de  plus  en  plus 
grande  des  pouvoirs.  Elle  est.  partie  de  la  démocratie  ôgalitaire  et 
repré8entatl\e  de  premiers  siècles,  pour  aboutir,  au  xixe  siècle,  par 
la  proclamation  de  l'infaillibilité  papal  i,  au  despotisme  le  plus  absolu 
qu'on  puisse  imaginer.  République  démocratique  au  début,  elle  est 
devenue  aristocratique,  quand  les  évéqucs  ont  étendu  leur  pouvoir 
sans  perdre  leur  indépendance  vii  à  vis  des  Papes  ;  elle  était  encore 
une  monarchie  constitutionnelle  tant  que  les  conciles  exerçaient  le 
contrôle  suprême.  Aujourd'hui,  elle  réalise  l'idéal  de  la  théocratie  et 
du  despotisme  le  plus  absolu  qu'on  puisse  imaginer.  Si  la  société  ci- 
vile tend  à  se  mouler  sur  la  société  religieuse,  comme  les  fai>^s  le  dé- 
montrent, elle  doit  ê^re  soumise  à  un  gouvernement  purement  despo- 
tique. C'est  bien  ainsi  que  l'entendent  les  partisans  de  l'Eglise. 
BosBUet,  dans  sa  Politique  tirée  de  V Ecriture  minte,  trace  les  conditions 
du  gouvernement  qui  convient  à  un  pays  catholique.  **  Dieu  établit 
les  rois  comme  ses  ministres  et  régne  par  eux  sur  les  peuples." — 
"L'autorité  royale  est  absolue."— "Le  prince  no  doit  rendre  compte 
à  personne  de  ce  qu'il  trdonne."— "  Il  faut  obéir  aux  princes  comme 
à  la  justice  même.  Ils  sont  des  ditux  et  participent,  en  quelque 
fa^îcn,  à  l'indépendance  divine." — "Les  sujets  n'ont  à  opposer  à  la 
violence  des  princes  que  des  remor  trances  respectueuses,  sans  muti- 
nerie et  sans  murmure/'  Ainsi,  logiquemaLt,  dans  un  pays  catho 
lique,  le  gouvernement  doit  être  deepotlqus  (1),  d'abord  parce  que, 

(1)  Voici  en  quel  pompeux  et  vigoureux  langage  Bossuet  nous 
donne  la  définition  de  la  monarchie,  telle  qu'elle  ressort  de  la  tradition 
cattioUque  romaine,  tt  telle  qu^elle  nous  vient  de  la  Rome  des  Césars 
et  de  la  Rome  des  Papes  : 

»  **  Il  faut  obéir  au  prince  comme  à  la  justice  même.  Ils  sont  des 
dieux  et  participent  eu  quelque  façon  à  l'indépendance  divine 
Comme  en  Dieu  est  réunie  tome  perftcTion,  ainsi  toute  la  puissance 
dea  particuliers  est  réunie  en  la  personne  du  prince.  Que  Dieu  retire 
sa  mail),  le  monde  retombera  dans  le  ntaut  ;  que  l'autori'é  cesse  dans 
le  royaume,  tout  sera  eu  confusion.  Considérez  le  prince  dans  son 
cabinet  :  de  là  partent  les  ordres  qui  font  aller  de  concert  les  magis- 
trats et  les  capitaines,  les  provinces  et  les  armées.  C'est  l'image  de 
Dieu,  qui,  assis  dans  son  trône  au  plus  haut  des  deux,  fait  aller  toute 
la  nature.  Les  mérhants  ont  beau  se  cacher,  la  lumière  de  Dieu  les 
suit  partout.  Ainsi  Dieu  donne  au  prin<  de  découvrir  les  trames  les 
plus  secrètes  ;  il  a  des  yeux  et  des  mains  partout  ;  les  oiseaux  du  ciel 
lui  rapportent  ce  qui  ge  passe.    Il  a  même  reçu  de  Dieu,  pour  l'usage 


16  — 


tel  eet  celui  de  l'Eglise  qui  se  sert  de  type,  ensuite,  parce  que  les  rois 
tenant  leur  pouvoir  directement  de  Dieu  ou  du  Pape,  ce  pouvoir  ne 
peut  être  ni  limité,  ni  contrôlé. 

La  Réforme,  au  contraire,  étant  un  retour  vers  le  christianisme 
primitif,  engendra  partout  l'esprit  de  liberté  et  de  résistance  à  l'abso- 
lutisme. Elle  tendait  â  faire  naître  des  institutions  républicaines  et 
constitutionnelles.  Le  protestant  ne  reconnaît  en  religion  qu'une 
seule  autorité,  la  Bible.  Il  ne  s'Incline  pas  devant  l'autorité  d'un 
homme  comme  le  catholique  ;  il  examine  et  discute  par  ^ul-même. 
Les  calvinistes  et  les  presbytériens  ayant  rétabli  l'organisation  répu- 
blicaine dans  l'Eglise,  le  protestant,  par  une  suite  logique,  transporta 
dans  la  société  politique  les  mêmes  principes  et  les  mêmes  habitudes. 
L'accusation  que  Lamennais  adresse  à  la  Réforme  est  complètement 
vraie.  "  On  avait,"  dlt-ll,  "  nié  le  pouvoir  dans  la  société  religieuse, 
11  fallait  nécessairement  le  nier  aussi  dans  la  société  politique  et 
substituer  dans  l'une  et  dans  l'autre  la  raison  et  la  volonté  de  chaque 
homme  à  la  raison  ot  à  la  volonté  de  Dieu  ;  chacun,  dès  lors,  ne  dé- 
pendant plus  que  de  soi-même,  dut  jouir  d'une  entière  liberté,  dut 
être  son  maître,  son  roi,  son  Dieu."  Montesquieu  dit  aussi:  "La 
r-^llglon  catholique  convient  mieux  à  une  monarchie,  la  protestante 
s'accommode  mieux  d'une  république." 

Luther  et  Calvin,  pas  plus  que  saint  Paul  ou  le  Christ,  ne  prêchent 
la  slstance  à  la  tyrannie  ;  Ils  la  condamnent  plutôt  et  préconisent 
l'obéissance.  Ils  n'admettent  pas  non  plus  la  pleine  liberté  de  con- 
science. Mais,  malgré  eux,  le  principe  de  la  liberté  politique  et  reli- 
gieuse et  celui  de  la  souveraineté  du  peuple  sort  logiquement  de  la 
Réforme.  La  preuve  en  ôst  que  cela  en  a  été  partout  le  fruit  naturel. 
Les  écrivains  réformés  revendiquent  les  droits  du  peuple,  et  là  où  les 
protestants  triomphent.  Ils  établissent  des  institutions  libres.  Leurs 
ennemis  ne  s'y  sont  pas  trompés  ;  ils  ont  signalé,  comme  un  mal, 
cette  connexltô  entre  la  Réforme  et  la  liberté. 

"Les  réformateurs,''  dit  un  envoyé  vénitien  en  France  au  xvie 
siècle,  " prêchent  eue  le  roi  n'a  pas  d'autorité  sur  ses  sujets."  "  Par 
là,"  ajoute-t-ll,  "  on  marche  vers  un  gouvernement  semblable  à  celui 
qui  existe  en  Suisse  et  vers  la  ruine  de  la  constitution  monarchique 
du  royaume  (1)."  , 


V 


des  affaïres,  une  certaine  pénétration  qui  fait  penser  qu'il  devine. 
A-t-11  pénétré  l'intrîgue,  ces  longs  bras  vont  prendre  ses  ennemis  aux 
extrémités  du  monde,  ils  vont  les  déterrer  au  fond  des  abîmes  :  11  n'y 
a  pas  d'asile  assuré  contre  une  telle  puissance." 

(1)  Voyez  pour  les  Idées  politiques  de  la  Réforme  l'ouvrage  si 
instructif  de  M.  Laurent,  la  Révolution  française^  1. 1,  sect.  ii,  §  3. 


17  - 


V 


"Les  ministres,"  dit  Montluc,  "prêchaient  que  les  rois  ne  pou- 
vaient avoir  aucune  puissance  que  celle  qui  plaisait  au  peuple  ; 
d'autres  prêchaient  que  la  noblesse  n'était  rien  plus  qu'eux  (1)."  C'est 
bien  là,  en  efEet,  le  souffle  libéral  et  égalltalre  du  calvinisme.  Ta- 
vannes  revient  souvent  sur  l'esprit  démocratique  des  huguenots. 
"Ce  sont,"  dIt-11,  "  des  républiques  dans  let»  Etats  royaux  ayant  leurs 
moyens,  leurs  gens  de  guerre,  leurs  finances  séparées  et  voulant 
établir  un  gouvernement  populaire  et  démocratique  (2)."  Le  grand 
jurisconsulte  Dumoulin  dénonça  les  pasteurs  protestants  au  Parle- 
ment en  disant  "  qu'Us  n'ont  d'autre  dessein  que  de  réduire  la  France 
en  un  Etat  populaire  et  d'en  faire  une  rép  ibllque  comme  celle  de 
Qenève,  dont  ils  ont  chasdé  le  .  .£ite  et  l'évêque,  et  qu'ils  s'efforcent 
pareillement  d'abolir  le  droit  d'aînesse,  voulant  égaler  les  roturiers 
aux  nobles  et  les  puînés  aux  r.inés  comme  étant  tous  enfants  d'Adam 
et  égaux  par  le  droit  divin  et  naturel."  Ce  sont  évidemment  là  las 
idées  de  la  révolution  française,  et  si  la  France  était  passée  à  la  Ré- 
forme au  xvie  siècle,  elle  eût  joui  dès  lors  de  la  liberté  et  du  st^- 
governmmt,  et  dUe  les  eût  conservés.  En  1622,  Grégoire  XV  écrit  au 
roi  de  France  pour  l'engager  à  en  finir  avec  Genève,  foyer  du  calvi- 
nisme et  du  républicanisme.  En  France,  après  la  mort  de  Henri  IV, 
le  duc  de  Rohan,  huguenot,  voulut  "faire  république,"  en  disant  que 
le  temps  des  rois  était  passé. 

On  a  reproché  à  la  noblesse  protestante  d^avolr  voulu  diviser  la 
France  en  petits  Etats  républicains,  comme  ec  Suisse,  et  on  fait  un 
mérite  à  la  Ll£ue  d'avoir  maintenu  l'unité  française.  Ce  que  les  hu- 
guenots voulaient,  <^n  effet,  c'était  l'autonomie  locale,  la  décentrali- 
sation et  un  régime  fédéral  consacrant  les  libertés  communales  ex. 
provinciales.  C'est  encore  ce  que  la  France  cherche  en  vain  d'établir, 
et  c'est  la  passion  aveugle  de  l'unité  et  de  l'uniformité  qui  a  fait 
échouer  la  révolution  ec  qui  ramène  toujours  le  despotisme. 

Calvin  Veut  quâ  "  le  ministre  du  saint  Evangile  soit  élu  avec  con- 
sentement et  approbation  du  peuple,  les  pasteurs  présidant  sur  l'élec- 
tion." C'est  le  régime  que  les  calvinistes  voulaient  introduire  en 
France.  "  En  l'année  1620,"  dit  Tavannes,  "leur  Etat  était  vraiment, 
populaire,  ayant  les  maires  des  villes  et  les  ministres  toute  l'autorité, 
de  quoi  Us  ne  font  part  à  la  noblesse  de  leur  parti  qu'en  apparence 
tellement  que  s'ils  venaient  au  dessus  de  leurs  desseins,  l'Etat  de 
France  deviendrait,  comme  celui  de  Suisse,  à  la  ruine  des  princes  et 
des  gentilshommes." 


(1)  Biaise  de  Nontlue. 
série,  t.  XXII,  p.  26. 


Collection  des  Mémoires  de  Petitot,  Ire 


(2)  Tavamus.    Même  collection,  t.  XXIIIj  p.  72. 


18 


■ 


ff 


'■    SI 


Î>  1 


Aussitôt  que  la  Réforme  eut  mis  l'Evangile  aux  mains  des  paysans, 
ils  réclamèrent  l'abolition  du  servage  et  la  reconnaissance  de  leurs  an- 
ciens droits  au  nom  de  "  la  liberté  chrétienne."  La  Réforme  inspira 
partout  d'énergiques  revendications  des  droits  naturels,  la  liberté,  la 
tolérance,  l'égalité  des  droits,  la  souveraineté  du  peuple.  Elles  sont 
Inscrites  dans  un  grand  nombre  d'écrits  du  temps,  entre  autres,  dans 
le  célèbre  pamphlet  de  Languet  :  Junii  Bniti  celtœ,  VitidicUe  contra 
tyrannoK,  de  prmcipe  in  populum  popuîique  in  principes,  légitima  po- 
testate,  et  dans  le  dialogue,  De  Vautorite  du  prince  et  de  la  liberté  des 
peuples  (1).      .  .,  )       ,  :. 

Ces  idées,  qui  forment  la  base  des  libertés  modernes,  ont  toujours 
trouvé  d'éloquents  défenseurs  dans  le  protestantisme.  Le  ministre 
Jurieu  les  a  défendues  contre  Bossuet,  dans  un  débat  bien  connu,  et 
Locke  les  a  exposées  sous  une  forme  scientifique.  C'est  à  lui  que 
Montesquieu,  Voltaire  et  les  écrivains  politiques  du  xviiie  siècle  les 
ont  empruntées,  et  c'est  d'elles  qu'eet  sortie  la  révolution  française. 
Mais,  longtemps  avant,  elles  avalent  été  appliquées,  avec  un  succès 
soutenu,  dans  les  Etats  protestants,  en  Hollande  d'abord,  puis  en 
Angleterre  et  surtout  en  Amérique. 

Le  fameux  édit  du  16  juillet  1581,  par  lequel  les  Etats  Généraux 
des  Pays-Bas  proclament  la  déchéance  du  roi  d'Espagne,  consacre 
nettement  la  souveraineté  du  peuple.  Pour  détrôner  un  roi,  ils  de- 
vaient nécessairement  invoquer  ce  principe  :  "  Les  sujets  ne  sont  pas 
créés  de  Dieu  pour  le  prince,  afin  de  lui  obéir  en  tout  ce  qui  lui  plaît 
de  commander,  mais  plutôt  le  prince  pour  les  sujets,  sans  lesquels  II 
ne  peut  être  prince,  afin  de  les  gouverner  selon  le  droit  et  la  raison." 
L'édit  ajoute  que  les  habitants  ont  été  obligé,  pou;*  se  soustraire  à  la 
tyrannie  du  tyran,  de  se  soustraire  à  son  obéissance:  "Il  ne  leur 
reste  d'autre  moyen  que  celui-là  pour  conserver  et  défendre  leur  an- 
cienne liberté  et  celle  de  leurs  femmes,  enfants  et  postérité,  pour  les- 
quels, selon  le  droit  de  la  nature.  Ils  sont  obligés  d'exposer  leur  vie 
et  leurs  biens."  La  révolution  d'Angleterre  de  1648  s'est  faite  au 
nom  des  mêmes  principes.  Mllton  et  les  autres  républicains  de 
l'époque  les  ont  défendus  avec  une  admirable  vigueur  d'esprit  et  de 
caractère. 

Nous  sommes  habitués  à  faire  honneur  des  fameux  principes  de 
89  à  la  révolution  française.  C'est  une  grave  erreur  historique.  En 
France,  on  a  fait  d'éloquents  discours  à  ce  sujet  ;  mais  on  n'a  jamais 
respecté  les  libertés,  pas  même  la  plus  sacrée  de  toutes,  la  liberté  de 

(1)  Mémoires  de  Petat  de  France  sous  Charles  IX,  t.  III,  p.  57-64. 
Voyez  Laurent,  Bevolution  française,  1. 1,  p.  345. 


t 


-   19  — 


% 


conscience  (1).  Les  puritains  et  les  quakers  les  ont  proclamées  et 
pratiquâmes  depuis  deux  cents  ans  en  Amt'^rlque,  et  c'est  là  et  en  An- 
gleterre que  l'Europe  a  été  en  prendre  l'idée  vers  la  fin  du  xviiie 
siècle. 

Déjà  en  1620,  la  constitution  de  Vir/çinlo  établit  le  gouvernement 
représentatif,  le  Jugement  par  jury  et  le  principe  que  l'im;  ôb  doit 
être  voté  par  ceux  qui  le  payait. 

Dés  l'origine,  le  Massachussetts  établit  l'enseignement  obligatoire 
et  la  séparation  complète  de  l'Eglise  et  de  l'Etat.  Les  sectes  vivent 
libres  sous  la  loi  commune  et  choisissent  elles-mêmes  leurs  ministres. 
La  démocratie  représentative  y  existe  aussi  complètement  que  de  nos 
j-^urs.  Les  juges  mêmes  sont  annuellement  choisis  par  les  citoyens. 
Mais  un  fait  plus  important  se  produit.  Un  homme  se  lève  (1633),  ré- 
clamant non  seulement  la  tolérance,  mais  la  complète  égalité  dos 
cultes  devant  la  loi  civile,  et  sur  ce  principe  II  fonde  un  Etat.  C'est 
Roger  Williams,  nom  peu  connu  sur  notre  continent,  mais  qui  mérite 
d'être  Instruit  parmi  ceux  des  bienfaiteurs  de  l'humanité.  Le  pre- 
mier dans  ce  monde  ensanglanté  par  l'intolérance  depuis  quatre  oillle 
ans,  avant  môme  que  Descartes  eût  fondé  la  libre  recherche  dans  la 
philosophie,  il  consacre  la  liberté  religieuse  comme  un  droit  poli- 
tique. "La  persécution  eu  matière  de  conscience  est,"  répétait-Il, 
"manifestement  et  lamentablement  contraire  à  l'enseignement  de 
Jésus- Christ." — "Celui  qui  commande  le  vaisseau  de  l'Etat  peut 
maintenir  l'ordre  à  bord  et  le  conduire  vers  le  port,  quoique  tout 
l'équipage  ne  soit  pas  obligé  d'assister  au  service  divin." — "  Le  pou- 
voir civil  n'a  d'empire  que  sur  les  corps  et  les  biens  des  hommes  ;  Il 
ne  peut  intervenir  en  matière  de  foi,  môme  pour  empêcher  une 
Eglise  de  tomber  dans  l'apostasie  ou  l'hérésie." — "  Enlever  le  joug 
de  la  tyrannie  des  âmes,  c'est  non  seulement  faire  acte  de  justice  en- 
vers les  j)euple8  opprimés,  mais  c'est  aussi  établir  la  liberté  et  la  paix 
publiques  sur  l'intérêt  de  la  conscience  de  tous." 

n  faut  lire,  dans  l'admirable  histoire  de  Bancroft,  comment  Hoger 
Williams  fonda  la  ville  de  Providence  et  l'Etat  de  Rhode-Island  sur 
ces  principes  alors  méconnus  partout  en  Europe,  sauf  peut-être  dans 
les  Pays-Bas.  Quand  une  constitution  fut  établie  en  1641,  tous  les 
citoyens  furent  appelés  à  la  voter.  Les  fondateurs  eux-mêmes  l'ap- 
pelèrent une  démocratie,  et.  c'en  était  une  en  effet  dans  toute  la  force 
du  terme  et  telle  que  l'entendait  Rousseau.    Le  peuple  se  gouvernait 


(1)  Il  faut  lire,  à  ce  sujet,  un  article  très  Instructif  de  Prévost- 
Paradol  dans  la  Imfue  des  Deux-Mondes  (1858),  où  il  montre  que  ni  la 
loi,  ni  les  magistrats,  n'ont  admis  en  France  la  liberté  des  cultes. 
Eue  n'y  existe  pas  encore. 


/ 


1 


—  20  — 


directement  lui-mf^mc.  Tous  les  citoyens  sans  distinction  de  culte 
(étaient  égaux  devant  la  loi,  et  toute  loi  devait  ôtre  confirmée  dans  le 8 
assemblées  primaires.  C'était  le  self-novprnment  le  plun  radical  qu'aient 
connu  les  socItHés  humaines,  et  il  dure  depuis  plus  de  deux  slt^cles 
«ans  troubles  et  sans  révolution. 

Les  quakers,  dans  la  Pennsylvanie  et  dans  le  New  Jersey,  donm^rent 
pour  base  à  l'Etat  des  principes  semblables.  Le  pouvoir  réside  dans 
le  peuple  :  We  put  Vie  poiner  in  thi  people,  tel  est  la  base  de  la  constitu- 
tion du  New  Jerf  )y.  En  voici  les  dispositions  principales  :  Nul 
homme,  ni  nulle  réunion  d'hommes,  n'a  pouvoir  sur  la  conscience. 
Personne,  en  aucun  temps,  par  aucun  moyen,  ni  sous  aucun  pré»^exte, 
ne  sera  poursuivi,  ni  lésé,  en  quoi  que  ce  soit,  pour  opinions  reli  • 
gieufies.  L'assemblée  générale  sera  nommée  au  scrutin  secret.  Tout 
homme  peut  élire  et  ôtre  élu.  Les  électeurs  donneront  à  leurs  dé- 
putés des  instructions  obligatoires.  Si  le  député  ne  remplit  pas  bien 
son  mandat,  il  peut  être  poursuivi.  Dix  commissaires,  élus  par  l'as- 
semblée, exercent  le  pouvoir  exécutif.  Les  juges  et  les  constables 
sont  élus  par  le  peuple  pour  deux  ans.  i«B  juges  président  le  jury, 
mais  le  pouvoir  judiciaire  est  exercé  par  les  douze  citoyens  qui  le 
composent.  Nul  ne  sera  emprisonné  pour  dettes.  L  s  orphelins  se- 
ront élevés  an"^  frais  de  l'Etat.  L'enseignement  est  un  service  public 
payé  par  le  budget  commun. 

Mêmes  principes  à  peu  près  en  Pennsylvanie  et  dans  le  Connectlcut. 

Ces  idées  que  l'homme  se  posbède,  qu'il  est  libre,  qu'on  ne  peut 
réclamer  de  lui  un  service  ou  une  contribution  sans  son  consente- 
ment exprès,  que  le  gouvernement,  la  justice,   touc  les  pouvoirs 
émanent  du  peuple,  cet  ensemble  de  principes  que  les  sociétés  mo- 
dernes s'efforcent  d'appliquer,  vient  incontestablement  de  la  tradition 
germanique,  et  même  on  le  retrouve  à  l'origine  chez  la  plupart  des 
races,  avant  le  développement  du  pouvoir  royal.    Mais  si  ces  prin- 
cipes, étouffés  au  moyen  âge  par  la  féodalité,  et  à  partir  du  xve 
siècle  par  la  royauté  centralisée  et  absolue,  ont  repris  vie  en  Suisse, 
en  Angleterre,  en  Hollande  et  aux  Etats-Unis,  c'est  grâce  au  souffle 
démocratique  de  la  Réforme,  et  ce  n'est  que  dans  les  pays  protestants 
qu'ils  se  sont  maintenus  et  qu'ils  ont  assuré  aux  peuples  l'ordre  et  la 
prospérité.    SI  la  France  n'avait  pas  persécuté,  égorgé  et  exilé  ceux 
de  ses  enfants  qui  s'étaient  convertis  au  protestantisme,  elle  aurait 
pu  développer  ces  germes  de  liberté  et  de  self-government  qui  s'étaient 
conservés  dans  les  Etats  provinciaux.    C'est  là  une  vérité  parfaite- 
ment établie  dans  un  travail  de  M.  Gustave  Garrison  remontant  déjà 
à  plusieurs  années  (1).    Les  études  et  les  événeokents  contemporains 

(1)  He'nte  des  Deux-Mondes,  Yojez  Année  IS^. 


) 


—  21  — 

apportent  chaque  année  de  nouvellett  preuves  à  l'appui.  Dans  les 
assemblées  de  la  Rochelle  et  de  Grenoble,  aux  états  générauz  d'Or- 
léans, l'esprit  de  liberté  et  l'eeprit  par'  mentaire  se  montrent  aussi 
puissants  que  dans  le  parlement  nnglaic,  et  on  y  parle  cette  langue 
nette  et  ferme  de  Calvin,  si  bien  faite  pour  traiter  les  grands  intérêts 
de  la  religion  et  de  la  politique. 

"  Nous  saurons  défendre  contre  le  roi  nos  villes  sans  roi,"  disaient 
les  huguenots,  et  il  n'y  a  pas  à,  en  douter,  s'ils  avalent  triomphé,  ils 
auraient  fondé  la  monarchie  constitutionnelle,  comme  en  Angleterre, 
ou  une  république  fédérale,  comme  dans  les  Pays-Bas.  La  noblesse 
française,  si  elle  avait  conservé  l'esprit  d'Indépendance  et  d'opposi- 
tion légale  qu'elle  avait  emprunté  au  protestantisme,  aurait  imposé 
des  limites  au  pouvoir  royal  et  la  France  eût  échappé  à  ce  despotisme 
oriental  de  Louis  XIV  et  de  ses  successeurs,  qui  a  brisé  les  carac- 
tères (1).  François  1er,  en  donnant  le  signal  de  la  persécution  des 
réformés  (2),  et  Henri  IV,  en  abjurant  le  protestantisme,  ont  trahi  la 
véritable  intérêt  de  la  France,  comme  l'a  fait  la  noblesse.  Ce  mot  : 
lïtris  vaut  bien  une  messe,  où  la  plupart  des  historiens  français  voient 
une  preuve  de  sens  pratique,  est  d'un  révoltant  cynisme.  Se  vendre, 
renier  sa  fol  pour  un  avantage  matériel,  est  évidemment  un  acte  que 
tout  honnête  homme  doit  flétrir.  La  France  en  porte  la  peine  au- 
jourd'hui, de  môme  qu'elle  souftre  encore  des  conséquences  funestes 
de  la  Saint-Barthélémy  et  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  ces 
deux  grands  attentats  â  la  liberté  de  conscience.  Ce  qui  manque  le 
plus  à  la  France,  ce  dont  des  hommes  qui,  sans  rompre  avec  la  tradi- 
tion, acceptent  cependant  les  idées  nouvelles.  Les  républicains  sont 
généralement  hostiles  ou  indifférents  à  toute  idée  religieuse,  et, 
comme  à  leurs  ancêtres,  les  révolutionnaires  du  siècle  dernier,  il  leur 


^^m 


(1)  M.  Qninet,  dans  son  livre  sur  la  Révolution,  prononce  sur  la 
noblesse  française  à  cette  époque  un  jugement  sévère  mais  juste  : 
"  Elle  avait  vendu  sa  foi  religieuse,  comment  aurait-elle  pu  fonder  la 
foi  politique  ?  Dans  la  fronde  elle  montre  l'esprit  d'intrigue  sans  am- 
bition. Rebelle  à  Mazarin,  elle  se  prosterne  dès  que  le  prince  paraît. 
On  vit  alors  son  néant;  elle  n'avait  guidé  les  Fracçais  vers  aucune 
liberté."  ,  _  .  ■       .  „  ,; 

,  (2)  "François  1er,  dit  Napoléon  à  Sainte-Hélène,  était  véritable- 
ment placé  pour  adopter  le  protestantisme  à  sa  naissance  et  s'en 
déclarer  le  chef  en  Europe.  Il  eût  épargné  à  la  France  ses  terribles 
convulsions  religieuses.  Malheureusement,  François  1er  ne  comprit 
rien  de  tout  cela,  car  il  ne  saurait  donner  ses  scrupules  pour  excuse, 
puisqu'il  s'allia  aux  Turcs  et  les  amena  au  milieu  de  nous.  Tout 
bonnement,  c'est  qu'il  ne  voyait  pas  plus  loin.  Bêtise  du  temps. 
Inintelligence  féodale  !  François  1er,  après  tout,  n'était  qu'un  héros 
de  tournoi,  qu'un  beau  de  salon,  un  grand  homme  pygmé  !  "  {3fe- 
moïia',  17  août  1816.) 


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iff'T-^^' 


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maïK^me  nne  baee  pour  édifier  uii  édifice  solide.  Ceux  qui  défendent 
les  iài^es  religieuses  veulent  faire  revivre  l'ancien  régime  et  font 
obstac.V?  à  toute  réforme.  La  France  a,  e-n  ce  moment,  l'occasion  de 
fonder  dee  institutions  libres.  Mais  lee  partisans  de  la  monarchie 
frayeront  1  chemin  au  retour  d'un  Napoléon  ou  jetteront  le  pays  dans 
l'anarchlvv  ^  ar  leur  aveugle  obstination.  Sous  Louls-Fhilippe,  en  1850, 
et  encore  en  ce  moment,  IclJ  conservateurs  perdent  leur  pays  par  leur 
attachement  «  des  formes  vieillies.  La  république  est,  en  ce  moment, 
le  seul  gouvernement  possible  en  France,  et  les  républicains  l'empê 
cheront  de  p\*endre  racine  par^e  que  le  catholicisme  les  a  pénétrés  du 
génie  de  l'intolérance  (1)  et  du  desrot'Bine.  La  France  échappera 
difficilement  à  une  nouvelle  restauration  du  pouvoir  absolu.  La  reli- 
gion romaine  na  point  préparé  les  Français  à  vivre  libres,  à  se  to- 
lérer et  à  se  gou7erner  eux-mêmes.  ,      ,   «   , 

Chez  les  peuples  catholiques,  la  tolérance  est  parfois  dans  les  lois, 
elle  n'est  jamais  duns  les  mœurs.  Malheur  à  celui  qui,  voulant  faire 
usage  de  la  liberté  de  conscience,  se  décide  à  obétr  aux  inspirations 
delà  sienne.  U  est  honni  même  par  ses  proches  et  par  les  indiffé- 
rents, plue  f^'icore  que  par  les  croyants.  Les  Incrédules  trouvent  plus 
commodes  de  rire  du  prêtre  ou  de  l'attaquer,  sauf  à  se  courber  devant 
lui  dans  toutes  les  circonstances  importantes  de  la  vie.  Résignés  au 
joug  de  l'orthodoxie,  dont  ils  se  moquent  et  qu'ils  subissent,  ils  ne 
permettent  pas  que  d'aiiïres,  le  trouvant  trop  lourd,  aient  le  courage 
de  s'y  soustraire  ouvertement.  Par  l'intimidation  et  le  ridicule,  l'uni- 
formité s'impose  et  la  liberté  n'est  qu'un  mot. 

Tous  les  p»?uple8  modernes  s'efforcent  d'établir  le  régime  repré- 
seotatiî  «t  constitutionnel.  Ce  régime,  né  en  Angleterre  s'ir  le  ter- 
rain des  anciennes  institutions  germaniques,  fécondé  par  le  protes- 
tantisme, ne  semble  pas  pouvoir  s'implanter  d'une  façon  durable  dans 
les  pays  catholiques  ;  c'ept  qu'c.n  effet,  le  chef  de  l'Etat,  roi  ou  prési- 
dent, ne  peut  être  nn  vrai  souverain  constitutionnel  s'il  est  dévot  et 


(1)  L'intolérance  dos  Français  vient  probablement  de  leur  éduca- 
tion catholique.  Paris  était  avec  1a  Li^ue.  Du  temps  de  Voltaire,  le 
peuple  était  encore  plein  de  haine  contre  les  protestants  et  les  iacré- 
dules.  ••  Nous  supportons  mal  la  contradiction  dans  les  choses  qui 
nous  tiennent  à  cœur,"  dit  un  écrivaU.  français  très  sensé.  "L'opinion 
la  plus  téméraire  ou  la  plus  inepte  est  pour  nous  un  dograe  hors  du- 
quel II  n'y  a  point  de  salut.  Chaque  parti  vc  at  être  une  Eglise  et 
n'admet  pas  le  doute  sur  son  infalllibilivé.  Les  pins  libéraux  cherchent 
des  faux-fuyants  pour  ne  pas  donner  av\x  dissidents  la  liberté  qu'ils 
réclament  pour  eux-mêm<is.  De  là  cettft  facilité  avec  laquelle  s'éta- 
blissent les  dictatures  et  se  perpétuent  vntre  les  mains  de  tous  les 
partis,  dans  leurs  alternatives  de  vlcvoireA  et  de  défaites,  les  mêmes 
moyens  de  compression,"  (Emile  Bbaussirk,  Revm  des  Dmx-Mondcs, 
le   mal,  187L) 


■p 


1* 


~  23  — 

s'il  Be  confesse  en  pénitent  obéissant.  Il  est  gouverné  par  son  confes- 
seur, qui  obéit  au  Pape.  Par  le  moyen  du  confessionnal,  le  Pape  est 
donc  le  vrai  souverain,  à  moins  que  ce  no  soient  les  jésuites,  lesquels 
dirigent  le  Pape.  Les  prérogatives  que  la  constitution  accorde  au  dé- 
positaire du  pouvoir  exécutif  sont  alors  exercées  par  un  pouvoir 
étranger  et  au  détriment  du  pays.  Les  exemples  abondent  dans 
rbistoiro.  Trop  dociles  aux  exigences  de  leur  confesseur,  Louis  XIV 
révoque  l'édit  de  Nantes,  Jacques  II  d'Angleterre  et  Charles  X  de 
France  perdent  leur  couronne  et  Louis  XVI  la  mona  ^.hie  et  la  vie, 
Ferdinand  et  Léopold  d'Autriche  ruinent  leurs  Etats  par  la  plus  ef  ■ 
froyante  persécution,  Auguste  et  i3Igismond  de  Pologne  préparent  le 
partage  de  ce  pays  en  v  introduisant  les  jésuites  et  l'intolérance.  Avec 
un  souverain  pieux  et  bien  confessé,  le  régime  constitutionnel  est  une 
fiction  ou  une  duperie,  car  il  assujettit  la  nation  aux  volontés  d'un 
prêtre  inconnu,  organe  des  prétentions  de  son  Eglise,  on  bien  11  mène 
à  une  révolution,  si  le  pays  se  refuse  à  subir  ce  joug  humiliant.  En 
Autriche,  l'empereur  François-Joseph  n'est  resté  souverain  constitu- 
tionnel qu'en  résistant  à  son  confesseur.  En  terre  protestante,  le 
régime  constitutionnel  se  développe  naturellement  ;  il  est  sur  son  sol 
natal,  tandis  qu'en  terre  catholique,  importation  hérétique,  il  est  miné 
par  le  prêre,  à  moins  qu'il  ne  serve  à  assurer  sa  domination,  et  ainii, 
il  est  ou  faussé  par  les  cléricaux  ou  renversé  par  les  révolutionnaires. 

V 


Autre  cause  d'infériorité  pour  les  peuples  catholiques  :  le  senti- 
ment religieux  y  est  plus  affaibli  chez  les  classes  intelligentes  et 
dirigeantes  que  dans  les  pays  protestants.  Ce  fait  n'est,  je  crois,  nié 
par  personne.  Lee  feuilles  éplscopales  le  constatent  chaque  jour  et  ré- 
clament pour  la  religion  le  même  respect  dont  elle  jouit  en  Angleterre 
et  en  Amérique.  Les  adversaires  de  toute  religion  reprochent  aux 
Américains  et  aux  Anglais  ce  qu'ils  nomment  leur  blgotisme  étroit, 
l'observation  rigoureuse  du  repos  dominical,  les  prières  et  les  jeûnes 
publics,  enfin,  leur  piété  rigide. 

Deux  causas  expliquent  pour(:j(uoI  la  religion  conserve  plus  de  vie 
et  d'autorité  parmi  les  classes  éclairées  chez  les  protestants. 

Premièrement,  le  catholicisme,  par  ses  dogmes  multipliés,  ses  cé- 
rémonies parfois  puériles,  ses  miracles  et  ses  pélerln«iges  (1),  se  place 

(1)  Agasslz,  dans  son  Voyage  au  Uresil,  écrit  à  propos  de  l'in- 
fluence du  catholicisme  dans  ce  pays  :  "  Le  prêtre  est  l'ixistltuteur  du 
peuple.  Il  doit  cesser  de  croire  que  l'esprit  peut.se  contenter  pour 
tout  aliment  de  processions  grotesques  avec  des  saints  coloriés,  des 
cierges  allumés  et  des  bouquets  à  bon  marché.  Tant  que  le  peuple 
ne  réclamera  pas  un  autre  genre  d'instruction  religieuse,  U  ira  se  dé- 
primant ou  ne  se  relèvera  pas." 


».tMfi,'m 


—  24  — 

en  dehors  de  l'atmosphère  de  la  pensée  moderne,  tendis  que  le  protes- 
tantisme., eu  raison  de  sa  simplicité  et  de  ses  formes  variées  et  perfec- 
tibles, peut  s'y  adapter.  M.  Renan  dit  très  bien:  "  La  formation  de 
nouvelles  sectes,  que  les  catholiques  reprochent  aux  protestants 
comme  une  marque  de  faiblesse,  prouve,  au  contraire,  que  le  senti- 
ment religieux  vit  encore  chez  ces  derrlers,  puisqu'il  y  est  créateur. 
11  n'y  a  rien  de  plus  mort  que  ce  qui  ne  bouge  pM." 

L'apathie  avec  laquelle  ont  ét«^  acceptés  récemment  deux  nouveaux 
dogmes  qui,  jadis,  auraient  soulevé  la  plus  vive  opposition  et  conduit 
au  schisme,  est  le  eymtôme  d'un  incroyable  affaissement  de  la  vie  in- 
tellectuelle au  toin  du  catholicisme.  Les  excès  de  la  superstition 
mènent  inévitablement  à  l'incrédulité.  Le  défi  jeté  à  la  raison  par 
l'Eglise  conduit  ceux  qui  refusent  d'en  abdiquer  l'usage  à  rejeter 
toute  espèce  de  culte.  Un  littérateur  f ran  cals,  M.  Qéruzet,  a  peint 
cette  situation  dans  un  trait  qui  en  touche  le  fond  :  "  Un  père  de  fa- 
mille qui  croit  en  Dieu  sans  croire  à  saint  Cupertin,  est  bien  empêché 
entre  des  filles  dévotes  et.  des  flls  athées.  Dieu  nous  déli/re  de 
l'athéisme  et  du  cupertlnage  (1)."  Evidemment,  le  cupertinage  fait 
naître  l'atbéisme  et  tous  deux  ont  conduit  la  France  où  nous  la 
voyons,  parce  qu'il  n'y  a  plus  de  place  pour  une  religion  raisonnable. 

Le  catholicisme  engendre  une  si  complète  indifférence,  en  matière 
religieuse,  que  li  force  même  qu'il  faudrait  pour  sortir  franchement 
de  l'Eglise  fait  défaut.  On  voit  des  protestants  sd  faire  catholique, 
parce  que,  conservant  quelque  fol,  ils  cherchent  le  vrai  culte  et  croient 
que  Rome  le  leur  offre.  Peu  de  catholiques  se  font  protestants, 
parce  qu'ils  sont  devenus  hostiles  ou  indifférents  à  toute  espèce  de 
religion.  Cette  indifférence  sert  encore  l'Eglise,  parce  qu'elle  em- 
pêche qu'on  se  soustraie  complètement  à  son  autorité,  elle  finit  tou- 
jours par  ressaisir  les  e'  f  ants  de  ses  adversaires. 

Le  second  motif  qui  mène  les  peuples  catholinues  à  l'incrédulité  et 
à  la  "  prêtrophobie,"  c'est  que,  l'Eglise  se  montrant  hostile  aux  Idées 
et  aux  libertés  modernes,  tous  ceux  qui  sont  attachés  à  celles-ci  sont 
amenés  souvent,  malgré  eux,  à  détester  et  â  combattre  l'Eglise.  Le 
cri  de  haine  de  Voltaire  :  Ecrasons  IHnfame,  devient  logiquement  et 
partout  le  mot  d'ordre  avoué  ou  inavoué  du  libéralisme.  Sans  re- 
lâche, le  libéral  attaque  et  doit  attaquer  les  prêtres  et  les  moines, 
parce  que  ceux  ci  veulent  asservir  la  société  au  Pape  et  à  ses  délé- 
gués, les  évêques.  Il  ne  peut  respecter  le  dogme  au  moyen  duquel 
on  veut  lui  ravir  la  liberté. 

(1)  En  traçant  la  biographie  de  Qéruzet,  Prévost-Paradol  cite  en- 
core de  lui  un  mot  irrévérencieux  mais  piquant  :  '*  Les  nations  qui  se 
lïégllgent  se  couvrent  de  moines  ;  c'est  la  veimine  du  corps  social." 
Il  y  aurait  peut-être  en  ce  point  quelques  réserves  à  faire. 


Illî 


25  — 


Noufl  avons  constaté  le  fait  et  les  causes  du  fait  ;  voyons-en  main- 
tenant les  conséquences. 

La  première  est  qu'on  ne  réussit  pas  à  affranchir  de  la  domination 
de  Rome  les  pays  que  l'on  insurge  contre  elle  au  nom  d'une  simple 
négation  ou  du  doute  raisonné.  Jamais  nation  ne  fit,  pour  réussir 
dans  ce  dessein,  un  plus  violent  effort  que  la  France.  Elle  y  em- 
ploya tous  les  moyens  avec  une  vigueur  et  un  éclat  incomparables . 
les  raisonnements  de  la  philosophie  et  le  badinage  des  comptes,  la 
satire  de  la  comédie  e1;  l'éloquence  de  la  tribune,  la  torche  des  incen- 
diaires, la  sape  des  démolisseurs  et  la  hache  du  bourreau. 

En  ce  moment,  le  cléricalisme  gouverne  à  Versailles  ;  il  livre  l'en- 
seignement aux  jésuites  et  prépare  le  t^tour  d'une  royauté  toate 
dévouée  Â  l'Eglise.  L'influence  de  celle  ci  grandit  rapidement  et, 
comme  en  Belgique,  elle  semble  devenir  irrésistible.  Cela  provient 
de  ce  que,  en  fait  de  religion,  on  ne  tue  que  ce  qu'on  remplace.  Si, 
en  politique,  on  s'inclinait  devant  la  leçon  des  faits,  comme  dans  les 
sciences  naturt  lies,  cette  vérité  serait  admise  à  l'égal  d'un  axiome 
par  tous  les  gens  sans  préjugés.  La  libre-pensée  ne  brisexa  pas  la 
domination  de  l'Eglise  ;  elle  l'affirmera  plutôt  par  l'effroi  qu'elle  ins- 
pire, car  elle  ne  répond  pas  aux  besoins  profonds  du  cœur  humain. 

La  tentative  de  détruire  le  catholicisme  sans  le  remplacer  n'atteint 
donc  pas  son  but,  mais  elle  donne  naissance  à  l'esprit  révolution- 
naire. Remarquez  combfen  cet  esprit  est  propre  aux  peuples  catho- 
liques partout,  en  Amérique  comme  en  Europe,  tandis  que  les 
observateurs  sont  frappés  de  ne  point  le  rencontrer  iLÔme  dans  les 
démocraties  radicales  des  Etats-Unis.  Les  protestants  respectent  la 
loi  et  l'autorité.  Les  catholiques,  ne  pouvant  ni  fonder  la  liberté,  ni 
s'en  passer,  rendent  le  despotisme  nécessaire  et  ne  se  résignent  pas  à 
le  subir.  De  là  un  ferment  de  rébellion  toujours  actif.  Quand  le 
mal  atteint  son  dernier  terme,  le  pays  roule  de  l'anarchie  dans  le  des- 
potisme et  du  despotisme  dans  l'anarchie,  consumant  ses  forces  dans 
la  lutte  de  partie  irréconciliables.  C'est  l'image  que  lous  offrent 
l'Espagne  et  d'autres  Etats  qui  arrivent  à  une  situation  pareille. 
D'où  vient  le  mal  ?  En  Voici,  je  crois,  la  cause. 

La  liberté  rés^ulfère  n'est  point  possible  sans  les  mœurs.  Or,  le» 
minlst.res  du  culte  sont,  en  réalité,  les  seuls  qui  parlent  au  peuple  de 
morale  et  de  devoir.  Déconsidérés  dans  l'esprit  des  masses,  qui  ks 
remplacera  dans  cet  indispeneable  office  ?  Certes,  ce  ne  sont  pas  les 
libres  penseurs.  Gulzot  l'a  dit  admirablement  :  le  christianisme  est 
une  grande  école  de  respect.  SI,  pour  défendre  la  liberté,  le  vol- 
tairianisme  libéral  ébranle  l'autorité  du  catholicisme,  conuaie  il  est 
nécessairement  amené  d  le  faire,  le  respect  môme  pour  l'autorité  légi- 
time disparaît  et  fait  place  il  un  esprit  d'opposition,  de  dénigrement. 


(i 


iU 


-  26  - 

de  Laine  et  d'ineurrectlon.  Ainsi  naît  le  tempérament  révolution- 
naire des  peuples  catholiques  (1).  Ils  ne  vivent  tranquilles  que 
complètement  soumis  à  Rome,  comme  jadis  l'Espagne,  et  aujourd'hui 
le  Tyrol.  Essayent-ils  de  s'émanciper,  ils  échappent  difficilement  à 
l'anarchie. 

En  fait  de  réformes  sociales  avec  l'appui  du  clergé,  tout  est  facile  - 
Kans  lui  ou  malgré  lui,  tout  est  difficile  et  parfois  impossible.  Voyez 
pour  l'enseignement  primaire. 

Décrétez  l'instruction  obligatoire  avec  le  concours  du  pasteur, 
comme  dans  les  pays  protestants,  vous  arrivez  au  but.  Si,  au  con- 
traire, le  prêtre  est  hostile  ou  indifférent,  comme  dans  les  pays  ca- 
tholiques, la  loi  n'est  pas  observée  ;  Il  n'y  a  qu'à  voir  la  statistique 
scolaire  de  l'Italie.  Laissez -vous  entrer  le  prêtre  à  titre  d'autorité, 
comme  en  Belgique,  Il  prépare  le  triomphe  de  la  théocratie.  L'ex- 
pulsez-vous, il  fait  tomber  l'école,  car  il  la  fait  déserter  !  D'%illeurs, 
dans  vos  écoles  normales,  donnerez-vous  à  vos  Instituteurs  un  esprit 
de  résistance  et  d'hostilité  au  clergé  pour  qu'ils  le  communiquent  à 
leurs  élèves  ?  Vous  détruirez  inévitablement  le  sentiment  religieux  et 
vous  formerez  un  peuple  athée.  La  logique  vous  y  pousse  et  **  la 
libre  pensée  "  vous  y  convie.  Y  êtes-vous  préparé  ?  Dans  les  pays 
protestants,  en  Amérique,  en  Hollande,  vous  avez  l'école  laïque  non- 
sectairo,  mais  toute  pénétrée  du  sentiment  chrétien.  Dans  un  pays 
catboliiiue,  l'école  laïque  ne  pourra  vivre  que  par  une  lutte  violente 
contre  ^e  clergé  qui  voudra  la  tuer  ;  elle  sera  donc  inévitablement 
anti-religieuse.  .  .     . 

Pour  les  redoutables  questions  sociales  qui  mettent  aux  prises  les 
travailleurs  et  les  capitalistes,  le  christianisme  apporte  des  solutions, 
car,  par  la  fraternité  et  l'abnégation  qu'il  prêche,  il  conduit  au  règne 
de  la  justice.  Entre  des  maîtres  et  des  ouvriers  vraiment  chrétiens 
nulle  difficulté  ne  pourrait  surgir,  car  l'équité  présiderait  à  la  réparti- 
tion des  produits.  Nous  ne  sentons  que  trop  l'effroyable  lacune  pro- 
duite par  l'affaiblissement  des  sentiments  religieux,  résultat  de  îa 
lutte  obligée  contre  la  seule  forme  de  culte  que  nous  connaissions. 

Dacs  les  pays  protestants,  au  contraire,  les  mi:  Istres  du  culte  sont 
bien  vus  par  toutes  les  classes  de  la  société,  et,  par  leur  Intervention, 
les  conflits  perdent  de  leur  âpreté,  sons  l'influence  chrétienne  dont  Ils 
senties  orgsnes  respectes. 


^ 


(1)  Pour  nous  Français,  écrivait  récemment  M.  Deschanel  dans  l« 
National,  liberté  ?t^  révolution  sont  synonymes,  parce  que  autorité  et 
oppression  l'ont  été  trop  souvent. 


/•i;?r'?*'Kv- ■ 


27 


9 


Dans  Bon  beau  livre  sur  la  Révolution  française,  Qulnet  démontre 
à  révidence  que  si  ce  colossal  effort  d'émancipation  n^a  point  réussi, 
c'esu  par  suite  des  résistances  religieuses,  et  il  en  conclut  qu'on  ne 
peut  réformer  profondément  la  constitution  civile  et  politique  d'un 
pays  sans  réformer  aussi  le  culte.  La  raison  en  est  que  la  société  ci- 
vile et  politique  tend  à  prendre  les  formes  de  lf\  société  religieuse. 

Le  prêtre  a  une  telle  prise  sur  les  âmes  qu'il  leur  impose  son  idéal, 
à  moins  que  vous  ne  déraciniez  le  sentiment  religieux  par  lequel  il 
les  gouverne.  Or,  dans  une  pareille  tentative,  les  nations  risquent  de 
périr. 

Le  progrés  régulier  est  très  difficile  dans  les  pays  catholiques, 
parce  que,  l'Eglise  visant  à  établir  en  tout  sa  domination,  les  forces 
vives  de  la  nation  sont  presque  exclusivement  employées  à  repousser 
les  prétentions  du  clergé.  Voyez  ce  qui  se  passe  en  Belgique.  Tout 
l'eUort  des  partis  est  concentré  sur  cette  unique  question,  et  les 
autres  intérêts,  même  celui  de  notre  défense  nationale  et  de  notre 
'existence  indépendante^  y  sont  subordonnés.  La  lutte  est  si  ardente 
que  deux  fois  déjà  nous  avons  été  à  la  veille  d'une  commotion  vio- 
lente, et  ce  n'est  que  grâce  à  la  sagesse  du  souverain  que  deux  fois 
BOUS  avons  échappé  au  danger.  Les  forces  consacrées  à  lutter  contre 
le  parti  clérical  sont  des  forces  perdues  pour  le  progrès,  car,  même 
quand  elles  l'emportent,  la  victoire  n'a  d'autro  résultat  que  de  nous 
empêcher  de  tomber  sous  le  joug  des  évêques. 

Le  célibat  des  prêtres,  l'absolue  soumission  de  toute  la  hiérarchie 
ecclésiastique  à  une  volonté  unique  et  la  multiplication  des  ordres 
monastiqffIbB  constituent  pour  les  pays  catholiques  une  menace  ^ue  ne 
connaissent  pas  les  pays  protestants.  i       ; 

J'admire  qu'un  homme  renonce  aux  joies  c/e  la  famille  pour  se  dé- 
vouer à  ses  semblables  et  à  sa  vérité.  Saint  Paul  a  raison  ;  celui  quf 
a  «ne  mission  diflGLcile  à  remplir  ne  doit  pas  se  marier.  Mais  quand, 
obligatoirement,  tous  les  prêtres  sont  célibataires,  11  en  résulte,  outre 
les  périls  pour  les  rcoôtirs,  un  grand  danger  pour  l'Etat.  Ces  prêtres 
forment  une  caste  qui  a  un  intérêt  spécial,  d;iflérent  de  celui  de  la 
nation. 

La  vraie  patrie  du  clergé  catholique,  c'est  Rome  ;  il  le  proclame 
lui-même.  Il  sacrlfler»  donc,  s'il  le  faut,  son  pays  au  salut  ou  à  la 
domination  du  Pape,  chef  inf  i»llllble  de  son  culte  et  le  représentant  de 
Dieu  sur  la  terre.  Catholique  d^abord,  ensuite,  si  le  bien  du  catholi- 
cisme le  permet,  Belge,  Français  ou  Allemand,  cela  est  juste  au  point 
de  vue  catholique  et  II  ne  peut  en  être  autrement. 

Quand  le  parti  libéral  était  au  pouvoir  en  Belgique  et  que  Napo- 
léon III,  avant  la  guerre  d'Italie.,  se  posait  en  défenseur  de  l'E4;U«c, 
plus  d'un  prêtre  flanaand  m'a  dit  :  C'est  du  midi  que  nous  viendra  la 


Miilij! 


i   l 


.      —  28  — 

délivrance.  Auï'^urd'hui,  les  ultramontains  allemandB  ne  cachent 
pas  que,  dans  iMotérèt  de  l'Eglise,  ils  trahiraient  l'Allemagne.  Un 
député  bavarois  n'a-t-il  pas  dit  en  plein  parlement  :  C'est  en  vain  que 
vous  levez  de  nouveaux  régiments,  s'ils  sont  catholiques,  Ils  passeront 
â  l'ennemi  ! 

Le  moine  connaît  encore  moins  une  patrie  que  le  prêtre.  Serviteur 
de  la  papauté,  détaché  des  liens  locaux,  11  ne  vit  que  dans  l'Eglise, 
qui  est  universelle,  et  il  n'a  d'autre  visée  que  son  règne,  qui  serait 
aussi  le  sien.  Comment  l'Etat  conservera-t-ll  son  Indépendance  en 
présence  du  clergé  et  du  monarchisme  qui  veulent  être  les  maîtres  et 
qui  tiennent  les  masses  par  les  moyens  d'action  les  plus  puiiBsantH,  les 
plus  irrésistibles  ?  Dans  les  pays  protestants,  les  pasteurs  sont  mariés 
et  Ils  ont  dec  enfants  ;  Us  ont  ainsi  les  mêmes  intérêts  et  le  môme 
genre  de  vie  que  les  autres  citoyens  ,  ils  sont  divisés  en  un  grand 
nombre  de  sectes  ;  ils  n'obéissent  donc  pas  au  même  mot  d'ordre.  Ils 
ne  sont  donc  pas  soumis  hiérarchiquement  à  la  volo  té  d'un  chef 
étranger  poursuivant  un  rêve  de  domination  universelle.  Ils  sont  na- 
tionaux, parce  que  leur  Eglise  eet  uce  Eglise  nationale.  Ils  sont 
Indépendants  de  l'Etat  comme  en  Amérique,  ou  soumis  à  l'Etat 
comme  en  Angleterre  ;  ils  ne  prétender^t  pas  être  les  maîtres  de  l'Etat 
comme  en  France  ou  en  Belgique. 

=*'  La  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  est  un  principe  que  l'on 
s'efforce  partout  de  faire  prévaloir.  On  peut  y  réussir  dans  les  pays 
protestants,  ainsi  qu'on  le  voit  en  Amérique,  parce  que  îe  clergé  s'y 
soumet.  Mais  on  le  décrétera  en  vain  dans  les  pays  catholiqueb. 
L'Eglise,  qui  prétend  que  le  temporel  doit  être  soumis  an  spirituel, 
cojime  le  corps  l'est  à  Tâme,  n'acceptera  ce  régime  de  la  séparation 
qu'en  tant  qu'elle  en  peut  proflttr  pour  arriver  à  son  but.  Cette  sé- 
paration sera  donc  une  leurre  ou  une  duperio.  Vous  ne  pouvez,  dans 
le  même  homme,  séparer  le  fidèle  du  citoyen  et,  d'ordinaire,  ce  sont 
les  sentiments  du  premier  qui  inspirent  )'  j  actes  du  second.  Les  mi- 
nistres du  culte  exercent,  sur  ceux  qui  les  croient  les  Interprètes  de 
la  divinité,  nne  autorité  bien  plus  grande  que  les  magistrats  représen- 
tant de  l'Etat  ;  car  le  prêtre  promet  un  bonheur  étemel  et  menace  des 
peines  de  l'enfer  qui  ne  finissent  point,  tandis  que  le  laïc  ne  dispose 
que  des  peines  et  des  récompenses  terrestres  et  temporaire.  Par  le 
confessional,  le  prêtre  tient  le  souverain,  les  magistrats  et  les  élec- 
teurs et,  par  les  électeurs,  les  chambres.  Tant  qu'il  dispose  des 
sacîL-ements,  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'ifitat  n'ebt  donc  qu'une 
dangereuse  illusion.  -     -"•     ?>  a-  >       l 

Gouverner  avec  le  clergé,  c'est  lui  asservir  la  nation,  et  gouverner 
contre  lui,  c'est  mettre  toute  autorité  en  péril.  Gouverner  à  côté  de 
lui,  en  l'ignorant,  serait  le  plus  sage  ;  mais  c'est  ce  qu'il  ne  permet 


29  — 


\ 


î 


pas.  Qui  n'est  pas  pour  mol  est  contr  ;  mol,  dit-U.  Il  faut  donc  se 
résigner  ou  à  lui  obéir  ou  à  lui  résister,  et  je  ne  saurais  dire  quel  est  le 
parti  le  plus  iûr. 

Les  nations  catholiques  du  continent  ont  emprunté  à  l'Angleterre 
et  à  TAmérlque  des  principes  et  des  Institutions  qui  nés  du  protestan- 
tisme, donnent  de  bons  résultats,  sous  son  Iniluence.  Mais  on  com- 
mence à  voir  sur  le  continent  où  elles  mènent,  lorsqu'elles  sont 
combattues  ou  exploitées  par  un  clergé  ultramontain.  Elles  abou- 
tit-sent  au  désordre,  quand  les  masses  perdent  la  foi,  comme  en 
Espagne  ou  en  France,  et  au  règne  de  l'épistopat,  quand  elles  la  con- 
servent, comme  en  Belgique. 

L'étude  attentive  et  désintéressée  des  faits  contemporains  semble 
donc  aboutir  à  cette  désolante  conclusion  que  les  nations  catholiques 
ne  parviendront  pas  à  conserver  les  libertés  nées  du  protestantisme. 
En  se  soumettant  à  la  domination  absolue  de  l'Eglise,  elles  pourraient 
peut-être  jouir  u'un  bonheur  paisible  et  d'une  vie  médiocre  et  douce 
si  elles  étaient  isolées.  Mais  un  danger  du  dehors  semble  les  menacer, 
dans  un  avenir  rapproché,  à  moins  qu'elle  ne  refusent  d'obéir  à  la 
voix  de  l'épiscopat. 

Buckle,  parmi  les  mérites  de  notre  siècle,  comptait  celui  de  l'indif- 
férence, qui  nous  prés-^rvait  des  guerres  de  religion.  Cet  avantage,  si 
c'en  est  un,  notre  temps  ne  le  conservera  pas.  Tout  semble  se  pré- 
parer pour  un  grand  choc,  dont  la  religion  sera  un  des  principaux 
mobiles.  Déjà,  en  1870,  c'est  l'ultramontanisme  qui  a  déclaré  la 
guerre  à  l'Allemagne.  Si  Henri  V  ou  Napoléon  IV  arrivent  au  trône, 
ce  sera  avec  le  concours  du  clergé,  et  celui-ci  poussera  à  une  nouvelle 
croisade  pour  délivrer  ses  frères  persécutés  au  delà  du  Rhin,  dont  il 
promettra  l'appui.  Les  Etats  où  dominera  le  parti  clérical  seront 
probablement  entraînés  dans  la  guerre  mainte.  Voilà  la  politique  que 
prêchent,  en  France,  l' Univers  et,  ailleurs,  les  autres  organe»  de  la 
curie  romaine.  La  restauration  des  souverains  légitimes  dans  les  trois 
pays  latins,  l'Espagne,  l'Italie  et  la  France.  Rome  rendue  au  Pape  et 
le  contrôle  suprême  à  l'Eglise,  le  retour  aux  vrais  principes  du  gou- 
vernement, c'est  à  dire  à  ceux  que  proclament  le  Syllabiis  et  la  tradi- 
tion catholique,  voilà  le  plan  grandiose  dont  les  ultramontains  pré- 
parent partout  la  réalisation.  Réussiront-ils  ?  Qui  peut  le-  dire  ?  Mais, 
S'ils  succombent  dans  cet  assaut  contre  le  protestantisme  germanique, 
quel  sera  le  sort  des  vaincus  ?  On  frémit  en  songeant  aux  malheurs 
que  prépare  à  l'Europe  le  rêve  de  rendre  à  l'Eglise  la  domination 
universelle  qu'elle  revendique  en  ce  moment  avec  plus  d'audace  et 
d'acharnement  que  jamais.