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Full text of "Discours sur le libéralisme politique [microforme] : prononcé par M. W. Laurier, député fédéral, le 26 juin 1877, à la salle de musique sous les auspices du Club canadien"

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Photographie 

Sciences 
Corporation 


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23  WEST  MAÎN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  1458^ 

(716)  872-4503 


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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHM/ICMH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  Institute  for  Historical  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  microroproductions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliogrephiques 


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Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 


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Pages  restaurées  et/ou  pelliculées 

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Pagâs  détachées 


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D 


Comprend  du  matériel  supplémentaire 

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10X 

14X 

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V 

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24X 

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de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'image«  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrant  la  méthode. 


32X 


1 

2 

3 

4 

5 

6 

DISCOURS 


SUR   LE 


reLiTioi 


PRONONCÉ  Par 

M.   MV^.    LAURIER 

DÉPUTÉ  FÉDÉRAL 

LÉ   26  JUIN    \QjJi    A    LA   SALLE    DE    MUSIQUE 

Sons  les  auspices  du  CLUB  CANADIEN 


QUEBFcl: 

IMPKIMERK  DE  L'ÉVÉNEMENT 


1877 


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INTRODUCTION 


Jamais,  depuis  les  «T^rar.ds  triomphes  oratoires 
de  M.  Papineaii,  oti  n'avait  vu  un  pareil  auditoire, 
un  public  aussi  intellin-ent.  aussi  cultivé  et  éclairé, 
se  précipiter  au  devant  d'un  orateur  venant  lui 
parler  de  libertés  politiques  et  lui  exposer  la  vraie 
théorie  du  réprime  constitutionnel,  ce  régime  aux 
procurés  succ<\ssifs,  mùrem(»nt  élaborés.  lents  et 
siîrs,  expression  raisonnée.  ferme  et  pacifique  de  la 
marche  d'un  peuple  vers  des  destinées  meilleures. 

Depuis  de  lonf^ues.  oui.  de  bien  lons^ues  années, 
nous  avions  perdu  l'habitude  d'entendre  un  homme 
public  parler  d'autres  choses  que  de  ses  adver- 
saires, des  mérites  de  son  parti,  des  crirnes  de 
ceux  qui  lui  font  opposition,  des  mille  petites 
chicanes  qui  sont  la  monnaie  courante  des  discou- 
reurs. Il  nous  manquait  la  théorie  le  sens  des 
principes  constitutionnels,  la  thèse  qui  établit,  qui 
démontre  et  qui  élucide 

En  un  seul  jour  M.  Laurier  s'est  placé  à  la 
hauteur  de  l'homme  d'état  et  nous  a  ramenés  aux 
notions  saines  et  viriles  qui,  d'âi>'e  en  âge  se  déve- 
loppant, ont  fait  du  régime  constitutionnel  le 
modèle  de  tous  les  gouvernements 

L'auditoire  semblait  avoir  été  cho^'si,  tant  il  y 
avait  de  notabilités  de  tout  genre  se  pressant,  se 
disputant  une  place  pour  entendre  le  chef  désor- 
mais accrédité  des  libéraux  canadiens,  pressentant 
l'immense  portée  de  ses  paroles  et  toutes  prêtes  à 
les  recueillir  comme  la  formule  éloquente,  comme 
le  code  précis,  net  et  lumineux  de  nos  institutions. 

On  était  venu  de  toutes  parts,  de  tous  les  dis- 
tricts environnants,  et  jusque  de  tSt.  Hyacinthe  et 
de  Montréal,  pour  assister  à  cette  fête  unique 
dont  le  spectacle  a  été  aussi  imposant  qu'instruc- 
tif. Les  premiers  hommes  du  pays,  appartenant  à 
la  magistrature,  au  barreau,  à  toutes  les  profes- 
sions libérales,  au  commerce,  à  l'industrie,   aux 


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métiers,— car  il  n'y  avait  pas  d'exceptions  pour  ce 
que  l'on  considérait  comme  une  grande  démons- 
tration nationale  —s'étaient  donné  rendez  vous 
pour  encombrer  la  salle  où  M.  Laurier  faisait  sa 
conférence  et  pour  mêler  leurs  applaudissements, 
sans  distinction-^  d'opinions,  de  partis  ou  de  ten- 
dances. 

Il  y  avait  plus  de  deux  mille  personnes  rassem- 
blées datis  une  salle  qui  en  contient  à  peine 
douze  cents  dans  les  occasions  les  plus  chères  au 
public  ;  les  gardiens  des  portes,  envahis  par  un 
flot  montant  et  grossissant  sans  cesse,  avaient 
renoncé  à  recevoir  les  billets  d'entrée  ;  la  foule 
était  trop  nombreuse  et  trop  avide  pour  attendre  ; 
on  ne  pouvait  pas  la  contenir  ni  la  soumettre  aux 
règlements  ordinaires,  il  a  fallu  de  bonne  heure 
lui  laisser  libre  cours  et  lui  abandonner  toutes  les 
issues  ;  la  grande  porte  centrale  elle-même,  tou- 
jours fermée,  même  dans  les  plus  attrayantes 
circonstances,  et  qui  ne  mesure  pas  moins  de 
vingt  pieds  de  largeur,  avait  dû  être  laissée  toute 
grande  ouverte,  et  les  gradins,  qui  mènent  de 
cette  porte  au  plancher  de  la  salle,  étaient  littérale* 
ment  inondés  d'auditeurs  qui  se  prêtaient  appui 
pour  tenir  le  plus  profond  silence,  afin  de  ne  rien 
perdre  des  paroles  qu'ils  venaient  entendre. 

Il  y  avait  quelque  chose  de  magnifique  dans  le 
spectacle  de  cett>3  foule  attentive  et  en  même 
temps  enthousiasme,  qui  voulait  applaudir  à  cha- 
que phrase  de  l'orateur  et  qui  se  contenait  malgré 
elle,  pour  ne  rien  perdre  de  ce  qu'il  lui  disait,  de 
ce  qu'il  lui  démontrait  ;  car  le  discours  de  M. 
Laurier  a  été  une  démonstration  en  même  temps 
qu'une  harangue  ;  il  a  été  une  exposition  écla- 
tante et  vivante  de  ce  que  sont  les  véritables  prin- 
cipes libéraux,  si  méconnus,  si  dénaturés,  si  ca- 
lomniés, et  que  l'on  vout  assimiler  en  vain  aux 
élucubrations  funestes  du  libéralisme  européen. 

On  peut  dire  que  ce  discours  ouvre  une  ère 
nouvelle  dans  notre  politique.  Il  l'affranchit  des 


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coteries  de  toutes  les  misérables  petitesses  qui 
constituent  l'aliment  quotidien  des  partis  qui  se 
disputent  sur  des  ïiens  ou  pour  des  satisfactions 
passagères  ;  le  libéralisme,  envisagé  à  ce  point  de 
vue,  devient  une  grande  et  féconde  thèse  qui  le 
débarrasse  des  accusations  vexatoires,  et  lui  rend 
son  action  salutaire  en  même  temps  qu'il  l'élève  à 
là  hauteur  d'une  théorie  sociale. 

L'événement  du  26  juin  est  pour  nous  surtout, 
canadiens  français,  un  sujet  d'orgueil  et  de  su- 
perbe encouragement.  On  nous  a  erus  jusqu'ici 
impropres  à  la  vie  parlementaire,  et  l'on  a  eu  trop 
souvent  raison,  tant  notre  éducation  est  peu  de 
nature  à  nous  donner  le  tempérament  n.^ct'ssaire, 
tant  notre  conduite  dans  les  i  irconstances  poli- 
tiques trahit  cette  lacune  de,  l'éducation,  et  tant 
notre  presse,  presque  uniquement  occupée  de 
querelles  secondaires  où  les  personnes  sont  seules 
en  cause,  semble  en  avoir  peu  l'intelligence. — 
Mais  il  ne  faut  pas  confondre  une  certaine  inexpé- 
rience avec  de  l'inaptitude,  et  les  canadiens  fran- 
çais ont  démontré,  dans  la  hoiroe  désormais  mé- 
morable du  26  juin,  qu'ils  pouvaient,  tout  aussi 
bien  que  leurs  concitoyens  d'origine  anglaise, 
comprendre  le  jeu  et  saisir  la  portée  des  institu- 
tions représentatives,  lorsqu'ils  leur  sont  exposés 
avec  la  clarté,  la  méthode  lumineuse,  l'argumen- 
tation calme  autant  qu  éloquente,  en  un  mot  avec 
le  sens  exact  qu'a  déploj'-és  Mi  Laurier  dans  tout 
le  cours  de  sa  conférence. 

Cette  conférence  n'a  pa'*  été  une  simple  plai- 
doierie  en  faveur  d'un  parti  politique,  comme  on 
pouvait  s'y  attendre  en  toute  justice,  elle  a  été 
une  définition  d^s  choses,  des  cnoses  depuis  si 
longtemps  oubliées  pour  les  mots,  et  nous  a  rame- 
nés par  l'histoire,  par  l'exemple  des  libéraux  de  la 
Grande-Bretagne,  et  par  l'aperçu  de  la  marche  pro- 
gressive des  institutions,  au  sentiment  des  prin- 
cipes, guides  indispensables  dont  nous  contem- 
plons tristement  le  naufrage  de  plus  en  plus  pro- 


IV 

tond  dans  les  chicanes  journalières  do  la  vie  pu* 
bli(|ue. 

C'est  de  la  r^^connaissance  que  ses  compatriotes 
doivent  maintcnajil  à  M.  JL^aurier,  après  l'hommaîre 
éclatant  qu'ils  lui  oiit  rendu.  Ils  lui  devront 
d*avoir  soulaucé  la  conscience  populaire  d<^s  acca* 
blantes  doctrines  qu'on  veut  lui  imposer,  et  qui 
sont  la  né<>iition  absolue  de  tout  principe  consti» 
tutionnel  ;  ils  lui  devront  d'avoir  ouvert  une  voie 
et  montra  la  route  à  suivre,  hienl'ait  inestimable 
pour  un  peuple  égaré  dans  toute  espèce  de  brouil- 
lards, en  proie  à  toutes  les  incertitudes  ;  ils  lui 
devront  enjin  de  les  avoir  rendus  au  sain  amour 
du  libéridisme,  ce  srlorieux  et  immortel  penchant 
qui  a  été  le  salut  des  peuples  et  auquel  s»'S  adver- 
saires ont  rendu  hoinmage,  dans  tous  les  âges,  par 
la  conct^ssiou  des  réformes  nécessaires  et  par  la 
reconnaissance  de  droits  populaires,  longtemps 
combattus  et  désormais  inaliénables 

(Vent  donc  une  sorte  d'apostolat  dont  M.  Lau- 
rier a  jeté  les  premières  semences  dans  la  soirée 
du  26  juin.  A  nous  d'en  suivre  avec  un  soin  jaloux 
les  développements  et  de  les  recueillir  au  temps 
de  la  moisson.  A  nous  de  marcher  sans  crainte  et 
sans  hésitation,  "  le  front  haut."  comme  dit  l'ora- 
teur libéral,  et  avec  l'orgueil  de  nos  principes. 
Nous  savons  où  nous  allons  désormais  ;  nous 
n'allons  pas  aux  cataclysmes  révolutionnaires  ;  le 
libéralisme  est  dégagé  de  ses  aspects  farouches, 
de  son  caractère  anti-social  et  anti-religieux,  et  il 
ne  garde  plus  que  sa  physionomie  véritable,  celle 
de  l'amour  des  libertés  légitimes  et  nécessaires,^ 
des  libertés  progressives,  qui  résultent  des  con- 
ditions naturellrs  du  progrès,  et  non  des  brusques 
poussées  en  avant,  que  veulent  imprimer  des 
esprits  dangereux. 

Voilà  la  physionomie  qu'a  le  libéralime  cana- 
dien, celle  que  M.  Laurier  a  indiquée,  et  celle  que 
nous  devrons  à  l'avenir  savoir  lui  conserver. 


Québec,  n  juin  187 T. 


A  M.  Wii.niio  LALRiEn,  M.  P., 

Arthabaskaville 


MouKiour 

J'ai  l'hoiintnr  de  vous  informer  qn«  les  membres  «lu  Club  <  iina- 
vlien  do  (juébec,  club  fondé  tlan»  un  but  d'iustructiou  politique,  ont 
décidé,  à  lune  de  leur»  séances,  de  vous  prier  de  faire  une  confé- 
rence publiciue  ù  québcc  sur  le  "  Libéralisme  politique". 

Nous  vivons  dnns  un  temps  où  les  partis  politiqtu  «  se  font  une 
<ruerrc  a<:bnrnée,  junorre  do  personnalités  le  plus  souvent.  Aussi  leg 
membres  du  Club  Canadien  ont-ils  cru  qu'il  serait  oppoitun,  dans 
l'intérêt  du  pays  (  t  du  purti  libéral,  de  vous  inviter  à  jeter  une  nou- 
velle lumière  sur  les  principes  qui  dirigent  ce  parti  et  It;  but-  que 
ses  chefs  ont  en  vue. 

Espérant  que  vous  répondrez  favorablement  à  la  demande  de» 
membres  du  <'lub  Canadien  dont  je  suis  l'interprète, 

J'ai  l'honneur  d'être, 

Monsieur, 
Votre  très-humble  et  très-dévoué  serviteur, 

ACHILLE  LaKTE, 
Président  du  "  Club  Cana^Men* 


ArtliabaBkavi  k-,  14  juin  187T. 

M.  AcuaiiB  LaRub, 

Président  du  Club  Canadien, 

Québec 

* 

Monsieur 

J'ai  l'honneur  d'accuser  réception  de  votre  lettre  ni'invitant,  an 
nom  du  Club  Canadien,  Ji  faire  une  conférouco  publique  ù  QîJtbeo, 
sur  le  "  Libéralisme  politique  ". 

Je  me  fais  un  devoir  autant  qu'un  plaisir  d'accepter  vohe  invita- 
hon,  et,  si.  ce  jour  convient  à  votre  Club,  je  Hserai  dès  maintenant 
le  26  courant,  pour  la  date  de  cette  conférence. 

.l'ai  l'honneur  d'être. 

Monsieur, 
Votre  dévoué  sei  vit;  ur, 

WILFIUD  LAURIER 


LE  LIBERALISME  POLITIQUE 


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»^-;t  in?. 


Mesdames  et  Messieurs, 

Je  ne  saurais  cacher  .nie  j'ai  accei^t/î  avec  uu  certiiin  senti- 
ment do  lilaisir  l'offre  ,iui  ni^K^té  laite  do  venir  exposer  <iuel- 
lés  sent  les  doctrines  du  parti  lib^nd,  et  ce  que  comporte  ce 
mot  de  «libéralisme,  "  pour  les  lihérnux  de  la  province  de 

Québec.  . 

Je  dis  que  ce  n'est  pas  sans  nn^cortain  sentiment  de  plaisir 
'mie  j'ai  accepté  ;  mais  j'aurais  certainement  refusé  si  je  n'avais 
regardé  qu'aux  difficultés   de  la  tâche,    (.^pendant,  si   les 
difficultés  de  cette  tAche  sont  nombreuses  et  délicates,  d'uii 
'autre  caté,  je  suis  tellement  pénétré  de  l'importance  qu'il  y  a 
pour  le  parti  libéral  de  définir  nettement  sa  position,  devant 
l'opinion  publique  de  la  province,  que  cette  considération  a 
.été  pour  moi  supérieure  à  toutes  les  autres. 
"^''    En  effet,  je  ne  me  fais  pas  illusion  sur  la  position  du  parti 
libéral  dans  la  province  de  Québec,  et  je  dis  de  suite  qu'il  y 
occupe  une  position  fausse  au  point  de  vue  de  l'opinion   pu- 
blique. Je  sais  qm-,  pour  un  grand  nombre  de  nos  compatno- 
'les,  le  pkrti  libéral  est  ur  parti  composé  d'hom...e3  à  doctrines 
perverses  et  à  tendances  dangereuses,  marchant  sciemment  et 
<lélibérément  à  la  révolution.  Je  sais  que,  pour  une  portion 
<le  nos  compatriotes,  le  parti  libéral  est  un   parti   composé 
d'hommes  à  intp-^ions  droites  peut-ôtre,  mais  victimes  et  du- 
"pes  de  principes  «ar  lesquels  ils  sont  conduite   inconsciem- 
ment, mais  fatalement,  à  la  révolution.  Je  sais  enfin  que  pour 
une  autre  partie,  non  pas  la  moins  considérable  peut-être  de 
notre  peuple,  le  libéralisme  est  une  forme  nouvelle  du  mal, 
une  hérésie  portant  aveq  elle  sa  propre  conaamnation. 


Je  sais  tout  cela,  et  c'est  parce  que  je  le  sais  que  j'ai  ac- 
cepté de  venir  devant  vous.  Je  n'ai  pas  l'outrecuidance  de 
croire  que  rien  de  ce  que  je  pourrai  dire  ici  ce  sioir,  aura  l'ef- 
fet de  dissiper  aucun  des  pn'jugcs  qui  existent  aujourd'hui 
contre  nous  ;  ma  seule  ambition  est  d'ouvrir  la  voie,  comptant 
que  la  voie  ouverte  sera  suivie  par  d'autres,  et  que  l'œuvre 
commencée  sera  complètement  achevée  ;  ma  prétention  ne  va 
pas  au  delà.  > 

Et  que  personne  ne  dise  que  cette  manifestation  est  inutile 
ou  intempestive. 

Il  n'e&t  ni  inutile  ni  intempestif  de  combattre  les  préjugés 
qui  se  dressent  partout  entre  nous  et  l'opinion  publique  ;  il 
n'est  ni  inutile  ni  intempestif  de  définir  nettement  notre  po- 
sition telle  qu'elle  est. 

Il  est  \mi  que  nous  avdhs  été  assez  longtemps  déjà  devant 
l'opinion  publique,  pour  qu'elle  ait  eu  l'occtision  de  nous  con- 
naître et  de  nous  apprécier.  Mais  il  est  également  vrai  que  si, 
comme  toiit  parti  politique,  nous  avons  eu  nos  ennemis,  plus 
qu'aucun  parti  politique  nous  avons  été  attaqués.  Des  enne- 
mis que  nous  avons,  les  uns  nous  ont  systématiquement  déni- 
grés, les  autres  nous  ont  de  bonne  foi  calomniés,  I-es  uns  et 
les  autres  nous  ont  représentés  comme  professant  des  doctri- 
nes dont  l'effet,  prévu  et  calculé  pour  certains  d'entre  nous, 
non  entrevu,  mais  fatal  pour  les  autres,  serait  le  bouleverse- 
ment de  notre  société,  la  révolution  avec  toutes  ses  horreurs. 
C'est  pour  répondre  à  ces  accusations,  pour  définir  notre  posi- 
tion, que  la  démonstration  de  ce  soir  a  été  organisée  par  le 
Club  Canadien. 

D'après  ma  manière  de  voir,  le  inoyen  le  plus  efficace,  le 
seul  moyeu  de  mettre  à  néant  oos  accusât'  ns,  de  défendre  nos 
idées  et  nos  principes,  c'est  de  les  faire  connaître.  Oui,  j'en 
suis  convaincu,  la  seule  exposition  de  nos  principes  en  sera 
la  meilleure  comme  la  pins  éloquente  apologie. 

Et  quand  nous  nous  serons  fait  connaître  tels  que  nous 
sommet.,  quand  nous  aurons  fait  connaître  nos  principes  tel» 
qu'ils  sontj  nous  aurons,  je  crois,  obtenu  un  double  résultat. 


—  5  — 

I^  premiar  sera  d'amener  à  nous  tous  les  amis  de  la  KLea**-, 
tous  ceux  qui,  avant  comme  après  1837,  ont  travaillé  îwwr 
MOUS  obtenir  le  gouvernement  responsable»  le  gouverneniflËl» 
du  peuple  par  le  peuple,  et  qui,  cette  forme  de  gouverneM«fc 
établie,  se  sont  éloignés  de  nous,  par  crainte  que  nous  nie  lîi^ 
sions  ce  que  l'on  nous  représentait,  par  ci-ainte  que  la  résJu»- 
tioB  des  idées  qu'on  nous  attribuait,  n'amenât  la  destructào» 
du  gùuverjùement  qu'ils  avaient  eu  tant  de  peine  à  étaWii:. 
TiC  second  résultat  sera  de  forcer  nos  ennemis  véritables,  ww 
ceux  qui  au  fond  sont  des  ennemis  plus  ou  moins  déguisé*  ♦!« 
la  liberté,  non  plus  à  en  appeler  contre  nous  aux  pr(yug«L'S  «A 
à  la  peur,  mais  ù  se  présenter  franchement  comme  nous  «Sw- 
lant  le  peuple  avec  leurs  idées  et  leurs  actes. 

Et  quand  la  lutte  se  fera  sur  les  pures  questions  de  parti- 
cipes, quand  les  actes  seront  jugés  d'aprc'S  les  peusc^îs  »;pfe 
les  inspirent,  et  les  pensées  d'après  leur  •valeur  pvo"pf«>^r; 
quuiid  on  ne  craindra  plus  d'accepter  oe  qui  e^i  bien  ou  en 
rejeter  ce  qui  est  mal,  de  peur  qu'en  acceptant  ce  qui  est  hwav, 
en.  rejetant  ce  qui  est  mal,  on  ne  rende  trop  fort  un  part*  4 
doctrines  perverses  et  à  tendances  dangereuses,  il  m'intpiMtft 
peu  de  quel  côté  sera  alors  la  victoire.  Quand  je  dis^jafBÎ 
m'importe  peu  de  quel  côté  sera  la  victoire,  je  n'entends  |i«k 
direquo  je  suis  indifférent  au  résultat  de  la  lutte.  Je  veiuciftBe 
,ceci  :  si  la  lutte  tourne  contre  nous,  l'opinion  exprimée  met 
la  libre  expression  du  peuple;  mais  j'en  ai  la.  couvidiom, 
un  jour  viendra  où  nos  idées,  jetées  en  terre,  germeront  *dt 
porteront  leurs  fruits,  si  la  semence  en  est  saine  et  juste. 

Oui,  j'en  ai  la  confiance,  j'en  ai  la  certitude,  si  nos  Hess, 
sont  justes  comme  je  le  crois,  si  nos  idées  sont  une  émaaaitwaE 
du  vrai  éternel  et  immuable,  comme  je  le  crois,  «ffieis 
ne  périront  pas  ;  elles  peuvent  «Itre  rejetées,  honnies,  iieïisets»- 
fées,  mais  un  jour  viendra  où  on  le«  verra  germer,  le^«r«iL 
grandir,  lorsque  le  soleil  aura  fait  son  œuvre,  et  suffisuraMfeaft 
préparé  le  terrain. 

J'ai   déjà  signalé  quelques-unes  des  accusations  <itte  n 
fait  circuler  contrenous,  je  reviendrai  eicore  sur  ce  sujet,' 


_6  — 

c'est  là  le  poiiit  lo  plus  important.  Toutes  les  accusations 
portées  eontitî  nous,  toutes  les  objections  à  nos  doctrines, 
peuvent  se  résuaner  dans  les  propositions  suivantes  :  lo.  lo 
libéralisme  est  une  foiine  nouvelle  de  l'erreur,  une  héréssie 
déjà,  virtuellement  condamnée  par  le  chef  de  Féglise  ;  2o.  un 
catholique  ne  peut  pas  être  libéral. 

Voilà  ce  que  proclament  nos  adversaires. 
M.  le  président,  tous  ceux  qui  me  font  en  ce  moment 
l'honneur  de  ni'écouter  me  i\3ndront  cette  justice  que  je  pose 
la  question  telle  (qu'elle  est,  et  que  je  n'exagère  rien.  Tous 
me  rendixint  cette  justice  que  je  reproduis  fidèlement  les 
reprocher  qui  nous  sont  tous  les  jours  adressés.  Tous  admet- 
tront que  c'est  bien  là  le  langage  de  la  presse  conservatrice 

Je  sais  que  le  libéralisme  catholique  a  été  condamné  par  lo 
chef  de  l'église.  On  me  demandera  :  «pi'est-ce  que  le  libéra- 
lisme catholique?  8ur  ie  seuil  de  cette  question,  je  m'arrête. 
Cette  question  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  mon  sujet  ;  au 
surplus,  elle  n'est  pas  de  ma  compétence.  Mais  je  sais  et  je 
dis  que  le  libéralisme  catliolique  n'est  pas  le  libéralisme 
politique.  S'il  était  vrai  que  les  censures  ecclésiastiques  por^ 
tées  contre  le  libéralisme  catholiquie,  dussent  s'appliquer  m. 
libéralisme  politique,  ce  fait  constituerait  jDour  nous,  français 
d'origine,  catholiques  de  religion,  un  état  de  choses  dont  les 
conséquences  seraient  aussi  ékiinges  que  douloureuses. 

En  effet,  nous  canadiens-français,  nous  sommes  une  race 
conquise,  ("est  une  vérité  tiiste  à  dire,  mais  enfin  c'est  la  vé- 
rité. Mais  si  nous  sommes  une  race  conquise,  nous  avons 
aussi  fait  une  conquête  :  la  conquête  de  la  liberté.  Nous  som- 
mes un  peuple  libre  ;  nous  somioes  Tine  minorté,  mais  tous 
nos  droits,  tous  nos  privilèges  nous  sont  conservés.  Or,  quelle 
est  la  cause  qui  nous  vaut  cette  liberté  ?  C'est  la  constitution 
qui  nous  a  été  conquise  pai  nos  pères,  et  dont  nous  jouissons 
aujoord'hui.  Nous  avons  une  constitution  qui  place  le  gon- 
•  vernement  dans  le  suffrage  '^es  citoyens  ;  nous  avons  uûb 
constitution  qui  nous  a  été  octroyée  pour  notr^  propre  pffotec, 
tion.    Nous  n'avons  pas  plus  de  droits,  noue  n'avons  pas  pluB 


de  privilèges,  mai»  nous  avons  autant  de  droits,  autant  de 
privilèges  que  les  autres  populations  qui  compostent  avec  nous 
la  faaaiille  canadienne.  Or,  il  ne  faut  pafi  oublier  que  les  au- 
tres membres  de  la  famille  canadienne  sont  partagés  en  deux 
partis  :  le  parti  libéral  et  le  parti  conservateur. 

Maintenant,  si  nous  qui  sommes  catholiques,  nous  n'avions 
pas  le  droit  d'avoir  nos  préférences,  si  nous  n'avions  pas  le 
droit  d'appartenir  au  parti  libéral,  il  arriverait  de  deux  choses 
l'une  :  ou  nous  serions  obligés  de  nous  abstenir  complète- 
ment de  prendre  part  à  la  direction  des  affaires  de  l'état,  et, 
alors,  la  constitution,  cette  constitution  qui  noijs  a  été  oc- 
troyée pour  nous  protéger  —  ne  serait  plus  entre  nos  mains 
qu'une  lettre  morte  ;  ou  nous  serions  obligés  de  prendre  part 
îi  la  direction  des  affaires  de  l'état  sous  la  direction  et  au  profit 
du  parti  conservateur,  et  alors,  notre  action  n'étant  plus  libre, 
la  constitution  ne  serait  encore  entre  nos  mains  qi  une  lettre 
Lfiorte,  et  nous  aurions  par  surcroît  l'ignominie  de  n'être  plus, 
pour  ceux  des  autres  membres  de  la  famille  canadienne  qui 
composent  le  parti  conservateur,  que  des  instruments  et  de» 
comparses. 

Ces  conséquences  absurdes,  mais  dont  personne  ne  pourrait 
contester  la  rigoureuse  exactitude,  ne  montrent-elles  pas  jus- 
qu'à l'évidence  à  quel  point  est  fausse  l'assertion  qu'un 
catholique  no  saurait  appartenir  au  parti  libéral  1 

Puisque  la  Providence  a  réuni  sur  ce  coin  de  terre  des  po- 
pulations difterentes  d'origine  et  de  religion,  n'est-il  pas 
iïianifeste  que  ces  population-^  doivent  avoir  ensemble  de.» 
intérêts  communs  et  identiques,  et  que,  sur  tout  ce  qui  tou- 
che à  ses  intérêts,  chacun  est  libre  de  suivre  soit  le  parti  li- 
béral, soit  le  parti  consei'vateur,  suivant  que  sa  conscience  lui 
dicte  de  suivre  iun  ou  l'autre  parti  ? 

Pour  moi,  j'ap^^^artiens  au  parti  libéral.  Si  c'est  un  tort 
d'être  libéral,  j'accepte  qu'on  me  le  reproche  ;  si  c'est  un 
crime  d'être  libéral,  ce  crime,  j'en  suis  coupable.  Pour  moi, 
je  ne  demande  qu'une  chose,  c'est  que  nous  soyons  jugés 
d'après  nos  principes.  J'aurais  honte  de  nos  principes,  si  nous 


'.,/ 


_8  — 

:ai^MiiouB  pas  les  exprimer  ;  notre  cause  ne  vaudrait  pas  nos 
«jBorts  pour  la  faire  triompher,  si  le  meilleur  moyen  de  la  faire 
tdonxpher  était  d'où  cacher  la  nature.  Le  parti  libéral  a  été 
■wûagt-cinq  ans  dans  l'opposition,  qu'il  y  soit  encore  vingt- 
«inq  ans,  si  b  peuple  n'est  pas  encore  arrivé  à  accepter  ses 
{d«es,  mais  «ju'il  marche  le  front  liaut,  bannières  déployées, 
ila  face  du  pays  ! 

ïl  importe  cependant  avant  tout  de  s'entendre  sur  la 
ajj^Qification,  la  valeur  et  la  portée  de  ce  mot  "  libéral,"  et  de 
«et  autre  mot  "  conservateur:' 

J'affirme  qu'il  n'est  pjis  une  chose,  si  peu  connue  en  ce 
pays,  par  ceux  qui  l'attsiquent,  que  le  libéralisme.  Il  y  a 
^uâieurs  raisons  à  cela. 

Kûus  n'avons  été  initiés  que  d'hier  aux  institutions  repré- 
i^entaiives.  La  population  anglaise  comprend  le  jeu  de  ces 
âistitutions,  en  quelque  sorte  d'instinct,  en  outre  par  suite 
•l'une  expérience  séculaire.  Notre  population,  au  contraire, 
9^  les  connaît  guère  encore.  L'éducation  ne  fait  que  de 
fiorameucer  à  se  répandre  parmi  nous,  et  pour  ceux  qui 
■ssuDi  instruits,  notre  éducation  française  nous  conduit  natu- 
«Uement  à  étudier  l'histoire  de  la  liberté  moderne,  non  pas 
(dans  la  terre  classique  de  la  liberté,  non  pas  dans  l'histoire 
"Jfela  vieille  Angleterre,  mais  chez  les  peuples  du  continent 
«•uropéen,  chez  les  peuples  de  même  origine  et  de  même 
IPBligion  que  nous.  Et  là,  malheureusement,  l'histoire-  de  la 
Ubertié  est  écrite  en  caractères  de  sang,  dans  les  pages  les 
^«s  navrantes  que  contiennent  peut-être  les  annales  du 
^taue  humain.  Dans  toutes  les  fîhisses  de  la  société  instruite, 
<iyfa  i>eut  voir,  ettrayéos  par  ces  pages  lugubres,  des  âmes  loyales 
':^ui  regardent  avec  terreur  l'esprit  de  liberté,  s'imaginant  que 
l'esprit  de  liberté  doit  produire  ici  les  mêmes  désastres,  les 
gaêineB  crimes  que  dans  les  jiays  dont  je  parle.  Pour  ces 
«ïsprits  de  bonne  foi,  le  seul  mot  de  libéralisme  est  gros  do 
«cJ&mités  uatiOAales. 

San(:  blâmer  tout-à-fait  ces  craintes,  mais  sans  nous  en  laisser 
*iÇîayev,reinont<jus  jusqu'à  la  source  même,  et  examinons  avec 


calme  ce  qui  se  trouve  au  fond  de  ces  deux  mots  :  h'hfv^^ 
comenKtfeur.  Quelle  idée  cache  ce  mot  de  libéra/  qui  nous  * 
valu  tant  d'anatlièmes  1  Quelle  idée  cache  ce  mot  de  conêer- 
vafeur,  qui  semble  tellement  consacré  qu'on  l'applique  modes- 
tement à  tout  ce  qui  est  bien  î  L'un  est-il,  comme  on  le  préten<4> 
comme  de  fait  on  l'affirme  tous  les  jours,  l'expression  d'une 
forme  nouvelle  de  l'erreur  ?  L'autre  est-il,  comme  on  gemfelfc 
constamment  l'insinuer,  la  définition  du  bien  sous  tous  ses 
aspects  ?  L'un  est-il  la  révolte,  l'anarchie,  le  désordre  î  L'autre 
«st-il  le  seul  principe  stable  de  la  société  1  Voilà  des  questrans 
qu'on  se  pose  tous  les  jours  dans  notre  pays.  Ces  distinoti«»s 
subtiles,  que  l'on  retrouve  sans  cesse  dans  notre  presse,  ne 
sont  cependant  pas  nouvelles.  Elles  ne  sont  que  la  répétitvMt 
des  rêveries  de  quelques  publicistes  de  France,  qui,  TdUÎerwè» 
dans  leur  cabinet,  ne  voient  que  le  passé  et  critiquent 
amèrement  tout  ce  qui  existe  aujoui-d'hui,  pour  la  raison  <pate 
ce  qui  existe  aujourd'hui  ne  i-essemble  à  rien  de  ce  qù  m 
existé  autrefois. 

Ceux-là  disent  que  l'idée  libérale  est  une  idée  nouvelle,  et 
ceux-là  se  trompent.  L''dée  libérale,  non  plus  que  Vid&t 
contraire,  n'est  pas  une  idée  nouvelle  ;  c'est  une  idée  vieille 
comme  le  monde,  que  l'on  retrouve  à  chaque  page  de  l'hiattoîie 
du  monde,  mais  ce  n'est  que  de  nos  jours  qu'on  en  connsâtk 
force  et  les  lois,  et  qu'on  sait  l'utiliser.  La  vapeur  existaH; 
avant  Fuiton,  mais  ce  n'est  que  depuis  Fulton  qu'on  connaît 
toute  l'étendue  de  sa  puissance  et  qu'on  sait  lui  faire  ])rodiu»ft 
ses  merveilleux  effets.  C'est  la  combinaison  du  twbe  et  da 
piston  qui  est  l'instrument  dont  on  se  sert  pour  utiliser  k. 
vapeur  ;  c'est  la  forme  des  gouvernements  représentatifs  qà». 
a  révélé  au  monde  les  deux  principes  libéral  et  conserva- 
teur, et  cette  forme  de  gouvernement  est  l'instrument  qui  leur 
fait  rendre  tous  leurs  effets. 

•  Sur  quelque  sujet  que  ce  soit,  dans  le  domaine  des  choses 
humaines,  le  vrai  ne  se  manifeste  pas  également  à  toutes  lee 
intelligences.  Il  en  est  dont  le  regaid  plonge  plus  loin  daWB 
l'inconnu,  mais  embrasse  moins  à  la  fois  ;  il  en  est  d'atiteSR 


^10  — 


dont  le  regard,  s'il  est  moins  pénétrant,  aperçoit  plus  nette- 
ment dans  la  sphère  où  il  peut  s'étendre.  Cette  distinction 
primordiale  explique  de  suite  jusqu'à  un  certain  point  ridéit3 
libérale  et  l'idée  conservatrice.  Par  cette  seule  raison,  lo 
même  objet  ne  sera  pa«  vu  sous  le  même  aspect  par  des  yeux 
diÔ'érents  ;  par  cette  seule  raiâon,  les  uns  prendront  une  route 
que  les  autres  éviteront,  quand  cependant  les  uns  et  les  autres 
se  proposeront  d'arriver  au  même  but.  Mais  il  y  a  une  raison 
concluante  qui  explique  clairement  la  nature,  la  raison  d'êtve 
et  le  pourquoi  des  deux  différentes  idées.  Macaulay  dans 
son  histoire  d'Angleterre,  en  donne  la  raison  d'une  manière 
admircd)le  de  clarté.  Pariant  de  la  réunion  des  chambres 
pour  la  Bccondie  session  du  Long  Parlement,  sous  (/harles  1er, 
le  grand  historien  s'erprime  ainsi  : 

"  De  ce  jour  date  l'existence  organique  des  deux  grands 
partis  qui,  depuis,  ont  toujours  alternativeraent  gouverné  le 
pays.  A  la  vérité,  la  distinction  qui  alors  devint  évidente,  a 
toujours  existé.  Car  cette  distinction  a  son  origine  dans  la 
diversité  de  tempe  raments,  d'intelligences,  d'intérêts,  qu'on 
retrouve  dans  toutes  les  sociétés,  et  qu'on  y  retrouvem  aussi 
longtemps  que  l'esprit  humain  sera  attiré  dans  des  directions 
opposées,  par  le  clwxme  de  l'habitude  ou  par  le  charme  de  la 
nouveauté.  Cette  distinction  se  retrouve,  non  pas  seulement 
en  politique,  mais  dans  la  littérature,  dans  )es  arts,  dans  les 
sciences,  dans  la  chirurgie,  dans  la  mécanique,  dans  l'agricul- 
ture, jusque  dans  les  mathématiques.  Partout  il  existe  une 
classe  d'hommes  qui  s'attachenx  avec  amour  à  tout  ce  qui  est 
«mcien,  et  qui,  même  lorsqu'ils  sont  convaincus  par  des 
arguments  péremptoires  qu'un  changement  serait  avantageux, 
n'y  consentent  cependant  qu'avec  regret  et  «spugnance.  Il  se 
trouve  aussi  partout  une  autre  classe  d'hommes  exubérants 
d'espérance,  hardis  dans  leufs  idées,  allant  toujours  de  l'avant, 
prompts  à  discerner  les  imperfections  de  tout'  ce  qui  existe, 
estimant  peu  les  risques  et  ies  inconvénients  qui  accom- 
pagnent toujours  les  améliorations,^  disposés  à  regarder  tout 
changement  ûom^  une  Amélioration,"  -    '  •: 

Les  pnemiears  sont  les  cona^vateurs  ;  les  seconds  sont  les 
libédraux.  Voilà  te  sens  réel*  l'explication  véiitaJbile  et  du 
principe  libéral  et ,  du  principe  coçscrvabaur.  Ce  so»t  deux 


\' 


11 


't 


attribut»  de  notre  nature.  Com  le  le  dit  admirablement 
Macaulay,  on  les  letrouve  partout  :  tians  les  arts,  dans  les 
sciences,  dans  toutes  les  branches  ou^  ferles  à  la  spéculation 
humaine  ;  mais  c'est  en  politique  qu'ils  sont  le  plus  apparents. 

Ainsi  ceux  qui  condamnent  le  libéi-alisme  comme  une 
idée  nourelle,  n'ont  pas  réfléchi  à  ce  qui  se  passe  chaque 
joujr  sous  leurs  yeux.  Ceux  qui  condamnent  le  libéralisme 
comme  une  erreur,  n'ont  pas  réfléchi  qu'ils  s'exposaient,  en 
le  faisant,  à  condamner  un  attribut  de  la  nature  humaine. 

Maintenant,  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  forme  de  notre 
gouvernement  est  celle  de  la  monarchie  représentative.  C'e«t 
là  l'instrumeoit  qui  met  en  relief  et  en  action  les  deux 
principe»  libéral  et  conservateur.  On  nous  accuse  souvent, 
nous  libéraux,  d'être  dos  républicains.  Je  ne  signale  pas  ce 
reproche  poiu:  le  relever  :  le  reproche  ne  vaut  pas  d'être 
relevé.  Je  dis  simplement  que  la  forme  importepeu  ;  qu'elle 
soit  monarcliique,  qu'elle  soit  républicaine,  du  moment 
qu'un  peuple  a  le  droit  de  vote,  du  moment  qu'il  a  un  gou- 
vernement responsable,  il  a  la  pleine  mesure  de  la  liberté. 
Cependant,  la  liberté  n^  serait  bientôt  qu'un  vain  mot,  si 
elle  laissait  sans  contrôle  ceux  qui  ont  la  direction  du 
pouvoir.  Un  homme,  dont  la  sagacité  étonnante  a  formulé 
les  axiomes  de  la  science  gouvernementale  avec  une  justesse 
qui  n'a  jamais  erré,  Junius,  a  dit  :  "  Eternal  vigilance  is  fhe 
2n'ice  of  liherty.  "  Une  vigilance  éternelle  est  le  piix  de  la 
liberté.,  Oui,  si  un  peuple  veut  rester  libre,,  il  lui  faut  comme 
Argus  àVoircent  yeux,  et  toujours  être  en  éveil.  S'il  s'en- 
dort, s'il  faiblit,  chaque  moment  d'indolence  lui  coûtera  une 
liarcelle  de  ses  droits.  Une  vigilance  éternelle,  de  tous  les 
instants,  c'est  là  le  prix  dont  il  doit  payer  ce  bienfait  inap- 
préciable de  la  libeïté.  Or,  la  forme  de  la  monarchie  repré- 
sentative se  prêté  merveilleusement,  —  plus  peut-être  que 
la  forme  républicaine  —  à  l'exercice  de  cette  vigilance 
nécessaire.  ï)'un  côté,  vous  avez  ceux  qui  gouvernent,  et  de 
l'autre,  ceux  qui  surveillent.  D'un  côté,-  vcus  avez  ceux  qui 
sont  au  pouvoir  et  qui' ont  intérêt  à  y  rester,  de  l'autre, 


:i 


_  12  — 

«ans  avez  ceux  <iiii  out  intérêt  à  y  arriver  eux-mêmes. 
"Quel  sera  le  lien  de  cohésion  qui  réunira  chacun  de  ce» 
■iifFérentij  groupes î  Quel  sera  le  principe,  le  sentiment  qui 
tangtna  les  divers  éléments  de  la  population,  soit  parmi  ceux 
i^ik  gouvernent,  soit  parmi  ceux  qui  surveillent?  Ce  sera  ou  le 
^principe  libéral,  ou  le  principe  conservateur.  Vous  verrez 
««semble  ceux  (Qu'attire  le  charme  de  la  nouveauté,  et  voua 
Tcarrez  ensemble  ceux  qu'attire  le  charme  de  l'habitude.  Vous 
^rearrez  ensemble  ceux  qui  s'attachent  à  tout  ce  qui  est  ancien, 
^  TOUS  A'crrez  ensemble  ceux  qui  sont  toujours  disposés  à 
léfonuer. 

Maintenant,  je  le  demande  ;  entre  ces  deux  idées  qui  con- 
siiitiient  la  base  des  partis,  peut-il  y  avoir  une  différence 
i&orslc  ?  L'une  est-elle  radicalement  bonne  et  l'autre  nidi- 
«alement  mauvaise  1  N'eist-il  pas  manifeste  que  toutes  deux 
aont  ce  cju'on  appelle  en  morale  indifférenfeM,  c'est-à-dire 
«pse  toutes  deux  sont  susceptibles  d'appréciation,  de  pon- 
dération et  de  choix  î  Ne  serait-il  pas  aussi  injuste  qu'al> 
a«rde  de  cciidamner  ou  d'approuver,  soit  l'une  soit  l'autre, 
eomme  absolument  mauvaise  ou  bonne  ? 

L'une  et  l'autre  sont  susceptibles  de  beaucoup  de  bien 
4X)mme  de  beaucoup  de  mal.  Le  conservateur  qui  défend  les 
Tjeilles  in.  l;:tutions  de  son  pays,  peut  faire  beaucoup  de 
fcienj  de  n^Ome  qu'il  peut  fcire  beaucoup  de  mal,  s'il  s'obstine 
«  vouloir  l' laintenir  des  abus  devenus  intolérables.  Le  ^'béral 
«jtiî  combîi  t  ces  abus,  et  après  de  longs  efforts  parvient  à  les 
«xtirper,  peut  être  un  bienfaiteur  public,  de  même  que  le 
ïib<Çra1  qui  porterait  une  main  légère  sur  des  institutions 
sacrées,  pourrait  être  un  fléau  uton  seulement  pour  son  pays, 
aoaîs  pour  ^'humanité  tout  entière. 

Certes,  je  suis  loin  de  faire  un  reproche  à  nos  adversaires 
dfe  leurs  convictions,  mais  pour  moi,  je  l'ai  déjà  dit,  je  suis 
TOï  libéral.  Je  suis  un  de  ceux  qui  pensent  que  partout, 
dans  les  choses  liumaincs,  il  y  a  des  abus  à  réformer,  de 
nouveaux  horizons  à  ouvrir,  de  nouvelles  forces  à  développer. 


—  13  — 

Du  reste,  le  libéralisme  me  parsiit  de  tous  points  supérieur 
à  l'autre  principe.  Le  principe  du  libéralisme  réside  dana 
l'eseence  même  de  notre  nature,  danscette  soif  de  bonheur 
que  nous  apportons  avec  nous  dans  la  vie,  qui  nous  suit 
partout,  pour  n'être  cependant  jamais  complètement  as- 
souvie ù.)  ce  côté-ci  de  la  tombe.  Notre  âme  est  immortelle, 
mais  nos  moyens  sont  bornés.  Nous  gmvitons  sans  cesse 
vers  un  idéal  que  nous  n'atteignons  jamais.  Nous  rêvona 
le  bien,  nous  n'atteignons  jamais  que  le  mieux.  A  peine 
sommes-nous  arrivés  au  terme  que  nous  nous  étions  assignés^ 
que  non  "  y  d/^iouvrons  des  aorizons  «luo  nous  n'avions  pas 
même  soupçonué^i.  Nous  nous  y  précipitons,  et  ces  horizons, 
exploré*}  à  leur  tour,  nous  en  découvrent  d'autres  qui  noua 
entrainc^nt  encol«  et  toujours  plus  loin. 

Ainsi  en  sera-t-il  tant  que  l'homme  sera  ce  qu'il  est  ;  tant 
que  l'âme  immortelle  habitera  le  corps  mortel  ;  ses  désirs 
seront  toujours  plus  vastes  que  ses  moyens,  ses  actions  n'ar- 
riveront jamais  k  la  hauteur  de  ses  conceptions.  Il  est  le 
véritable  Sysiphe  de  la  fable  ;  son  oeuvre  toujours  finie  est 
toujours  à  recommencer. 

Cette  condition  de  notre  nature  est  précisément  ce  qui 
fait  la  grandeur  de  l'homme  ;  cai  elle  le  condamne  fatale- 
ment au  mouvement,  au  progrès  ;  nos  moyens  sont  bornés, 
mais  notre  nature  est  perfectible,  et  nous  avons  l'infini 
pour  champ  de  course.  Ainsi  il  y  a  toujours  place  pour 
l'amélioration  de  notre  condition,  pour  le  perfectionnement 
de  notre  nature,  et  pour  l'accession  d'un  plus  grand  nombre 
t  une  vie  plus  facile.  Voilà  encore  ce  qui,  à  mes  yeux,, 
constitue  la  supériorité  du  libéraliMme. 

En  outre,  l'expérience  constate  qu'insensiblement,  imper- 
ceptiblement, il  se  glissera  dans  le  corps  social  des  abus 
qui  finiront  par  entraver  sérieusement  son  ascension  pro- 
gressive, peut-être  par  mettre  son  existence  en  danger. 

L'expérience  constate  encoue  que  des  institutions  qui,  au 
début,  auront  été  utiles,  parce  qu'elles  étaient  appropriées  à 
l'état  de  société  où  elles  avaient  été  introduites,  finiront  par 


n 


î 


devenir,  par  lo  fait   seul   que  tout  changera  autour  d'elles, 
d'intolérables  abus.  Telle  a   i'-ié  parmi   nous   la  tefnure  sei-' 
gneuriale.  Il  est  incontestable  ({u'auix  débuts  de  la  colonie, 
ce  système  avait  singulièrement  facilité  l'établissement  du 
8ol.  Mais  en  1850,  tout  avait  tellement  changé  parmi  nou3- 
que  ce  système  aurait  fini  par  pro-duirc  des  complîcatiotkî" 
déplorables,  si  notre  assemblée,  sur  l'initiative  des  libéraux, 
n'avait  eu  la  eagesse  de  l'abolir. 

Comme  conséquence  de  cette  loi  que  j'ai  indiquée  comme 
la  cause  déterminante  des  idées  libérale  et  conservatrice,  il  se 
trouvera  toujours  des*  hommes  qui  s'attaclicront  avec  amour 
à  ces  abus,  qui  les  défendront  k  outrance  et  qui  verront  avec 
terreur  toute  tentative  d'y  porter  la  main.  Malheur  à  ces 
hommes,  s'ils  S3  trouvent  a^.-oir  le  pouvoir,  et  s'ils  ue  savent 
pas  faire  le  sacrifice  de  leurs  préférences;  Malheur  à  ces 
hommes,  s'ils  ne  savent  pas  céder  et  adopter  les  réfonues 
proposées  !  Ils  attireront  sur  leur  pays  des  commotions  d'au- 
tiint  plus  terribles  que  justice  aura  été  refusée  plus  longtemps^. 
L'histoire,  hélas  !  constate  surabondamment  que  bien  peu  de 
ceux  qui  gouvernent  ont  su  comprendre  ces  aspirations  de 
l'humanité  et  y  faire  droit.  Il  y  a  eu  plus  de  révolutions 
causées  par  l'obstination  des  conservateui-s  que  par  les  exage- 
lalions  des  libéraux.    ' 

L'art  suprême  de  gouverner  est  de  guider  et  diriger,  en  les 
contrôlant,  ces  aspirations  de  l'humanité.  Les  aurais  possè- 
dent cet  art  au  suprême  degré.  Aussi  voyez  f  œuVre  du  grand 
parti  libéral  anglais.  Que  de  réformes  il  a  opérées,  que  d'abus 
il  a  fait  disparaître,  sans  secousse,  sans  perturbation,  sans 
Tiolencé  !  Il  a  compris  les  aspirations  des  opprimés,  il  a 
compris  les  besoins  nouveaux  créés  par  des  situations  nou- 
velles, et,  sous  l'autorité  de  la  loi,  etsans  autre  instrument 
que  la  loi,  il  a  opéré  une  série  de  réformes  qui  ont  fait  dti 
peuple  anglais,  le  peuple  le  plus  libre,  le  plus  prospère  et  le 
plus  heureux  de  l'Europe. 

Voyez  au  contraire  les  gouvernements  du  continent.  La 
plupart  n'ont  jamais  su  comprendre  les  aspirations  de  leurs 


—  15  — 

peuplcti.  Quand  los  malheureux  relevaient  la  t<}te,  pour  tairo 
ajtriver  jusqu'à  leurs  poumons  quelques  souffles  d'air  et  de 
liberté,  ils  ont  été  brutalement  repouss(!'8  dans  un  cercle 
tovvjoura  de  plus  eu  plus  hormctiquemont  resserré. 

Mais,  un  jour  est  venu  cù  les  obstacles  ont  volé  eji  éclats, 
oîi  ces  peuples  se  sont  rués  liors  des  machines  qui  les  para- 
lysaient, et,  alors,  soua  le  nom  sacré  de  la  liberté,  on  a  vu 
&*ao€omplir  les  plus  effroyables  crimes.  Faut-il  s'en  étonner  I 

S'étonne-t-on  (juand  les  nua^'es  amoncelés  sur  notre  tête, 
éclatent  en  grêle  et  en  foudre  1  S'étonne-t-on  quand  la  vapeur 
Mt  voler  en  éclats  lea  parois  qui  la  retenaient  captive,  parce 
que  le  mécanicien  n'a  pas  eu  la  prudence  de  lever  la  soupape 
qui  doit  la  dégager  de  l'exubémnoe  de  sa  propre  force  î  Non, 
il  y  a  là  une  loi  fatale,  qui  aura  toujours  le  même  eflet,  dans 
r©rdre  moral,  comme  dans  l'ordre  physique.  Partout  où  il  y 
a  compression,  il  y  aura  explosion,  violences  et  ruines.  Je  ne 
dis  pas  cela  pour  eyuser  lea  révolutions  ;  je  hais  les  révolu- 
tions ;  je  déteste  touie  tentative  de  vouloir  faire  triompher  ses 
opinions  par  la  violence.  Au  surplus,  je  suis  moins  disposé  à 
en  faire  retomber  la  responsabilité  sur  ceux  qui  les  font  que 
aur  ceux  qui  les  provoquent  par  leur  aveugle  obstination.  Je 
ilis  cela  pour  expliquer  la  supériorité  du  libémlisme  qui, 
comprenant  les  aspirations  de  la  nature  humaine,  au  lieu  de 
lea  violenter,  tâche  de  les  diriger. 

Croyez-vous  par  exemple  que  si  l'AngleteiTe  avait  per&ist<5 
^  refuser  aux  catholiques  leur  émancipation  j  si  elle  avait 
jpeiaisté  à  refuser  aux -catholiques,  aux  juifs,  et  aux  dénomi- 
ipations  protestantes  qui  ne  font  pas  pailie  de  l'église  établie, 
la  plénitude  des  droits  civils  et  politiques  ;  si  elle  avait  per- 
sisté à  conserver  le  suffrage  restreint  au  petit  nombre  ;  si  elle 
avait  persisté  à  refuser  le  libre  commerce  des  céréales  ;  si  elle 
avait  persisté  à  refuser  le  droit  de  suifrage'aux  classes  ou\Tières, 
pensea  vous  qu'un  jour  ne  serait  pas  venu  où  le  peuple  se  fût 
levé  en  armes,  pour  se  faire  à  lui-même  cette  justice  qui  lui 
aurait  été  obstinément  refusée  ?  Pensez-vous  que  le  lion 
hideux  de  l'émeute  n'aurait  pas  grondé  sous  les   fenêtres  de 


F  ^ 


m 


—  IG  — 

"Wcstininsl^'f,  ft  (|ue  It'  miiL,'  de  lii  guerre  civile  ri't*nmit  pas 
ensanglauté  les  nies  de  Londres,  comiue  il  a  tant  de  foi:^ 
ensanglanté  les  iiies  de  Paris  ?  Ij\  nature  humaine  est  j^rtoul 
la  mt'nie,  et  là,  comme  ailleurs,  la  compression  aumit  produit 
•xplosion,  violences  et  ruines,  ('en  calamitéa  terribles  ont  été 
(évitées,  grâce  à  l'initiative  dos  libéraux  qui,  comprenant  le 
mal,  ont  proi)08é  et  appliqué  le  remède. 

Qu'y  a-t-il  de  ])lu8  beau  (}ue  l'histoire  du  ginud  parti  libéral 
anglais  dans  ce  siècle  i  Au  début,  c'est  Fox,  le  auge,  le 
généreux  Fox,  défendant  la  cause  des  opprimés,  partout  oh  il 
y  a  des  opprimés.  TJn  peu  plus  t«ird,  c'est  O'ConneU,  le  grand 
O'C'onuell,  revendicjuaiit  et  obtenant  pour  ses  coreligionnaires 
les  droits  et  les  imvilégcS  de  sujets  anglais.  Il  est  assisté  dans 
cette  (jcuvre  par  tous  les  libéraux  des  trois  royaumes,  Grey, 
Bi-ougham,  Tîus.<»ell,  Jefirey  et  une  foule  d'autres.  Puis  vien- 
nent successivement  l'abolition  de  l'oligarchie  gouvernemen- 
tale, la  rappel  des  lois  i)rohibant  le  commerce  des  céréales, 
l'extensiou  du  suffrage  aux  classes  ouvrières,  et  enfin,  pour 
eoiTonncr  le  tout,  l'abolition  de  l'église  d'Angleterre  comme 
religion  d'étîit  eu  Irlande.  Et  remarquez-le  bien,  les  libéraux 
qiiî  opèrent  ces  réformes  successives,  ne  sont  pas  recrutés 
seulemen,'  dans  les  cLisses  moyennes,  ^ais  quelques-uns  de 
leirrs  chefs  les  plus  illustres  sont  recrutés  dans  la  pairie 
d'Angleterre.  Je  ne  sache  pas  de  spectacle  qui'fsisse  plus 
d'honneur  à  l'humanité,  que  le  spectacle  de  ces  pairs  d'An- 
gleterre, de  ces  nobles,  de  ces  riches,  de  ces  puissants, 
combattant  opiniâtrement  pour  déraciner  une  foule  d'abus 
séculaires,  sacrifiant  leurs  privilèges  avec  un  calme  enthou- 
siasme pour  rendre  la  vie  plus  facile  et  plus  heureuse  à  un 
plus  grand  nombre.  A  ce  sujet,  laissex-moi  vous  citer  une 
lettre  do  ^Macau-'ay  à  unde  ses  amis,  écrite  au  lendemain  du 
vote  sur  le  fameux  bill  de  réforme,  qui  mit  fin  au  système 
des  ho}fr(jê.-j)ourrif<.  Cette  lettre,  suivant  moi,  fait  voir  admi- 
rablement ce  que  c'est  qu'un  libéral  anglais.  La  voici.  Je 
demande  pardon  de  faire  cette  citation,  parce  qu'elle  est  un. 
peu  longue  : 


—  17  ^ 


"  Je  n«  i-uvorrai  jauiai«,  je  ne  m'attends  pas  ù  jamais  revoir 
une  àcène  semhlaljle  ù  la  (Hrlulim  (^ilin'Mtf)n)  de  mardi  dernier. 
Si  je  devain  vivre  cin<|u«ntr  iiiH,  l'impression  m'en  resterait 
aussi  fraîche  et  aussi  vive  que  si  elle  venait  d'avoir  lieu.  C'eltt 
doit  être  comme  d'avoir  u  César  poijjrnarflé  dans  le  8<^nat, 
ou  Cromwell  enlevant  la  i)ifiH«e  (maer)  de  sur  la  tablo  du 
Parlement  ;  une  scène  (ju'ou  voit  une  fois  et  <[u'on  n'oublio 
jamais.  I^i  foule  d<^bordait  de  la  chambre  de  toutes  parts. 
t,>uandle8  otrangei-s  eurent  re^ni  l'ordre  do  se  retirer  et  que 
les  portes  eurent  été  fermées,  nous  étions  six  cer.t  huit  membres 
présents,  cinquante-cinq  de  plus  qu'on  n'en  avait  jamais  vus 
dans  aucune  autre  division  précédente.  Les  oui,  et  les  non 
furent  comme  deux  volées  do  canon,  tirées  des  deux  côté.s 
opposés  d'un  cliamp  de  bataille.  Lorsque  l'opposition  se  fut 
retirée  dans  le  corridor  {lublnj),  opération  (|ui  dura  plus  de 
vingt  minutes,  nous  nous  répandîmes  sur  les  banquettes  des 
deux  côtés  de  la  chambre  ;  car  il  y  en  avait  plusieurs  parmi 
nous  qui  n'avaient  pas  pu  trouver  de  siège  pendant  la  soirée. 
<^}iiand  les  portes  eurent  été  fermées,  nous  commençâmes  ;ï 
faire  des  calculs  sur  notre  nombre.  Tout  le  monde  était  dé- 
couragé. "  Nous  soiimies  battus,  nous  ne  sommes  au  plus  que 

pense  pas  (pie  nous  soyons 
L'échevin  Thompsoa  les  a 
deux  cent  quatre-vingt-dix- 
neuf."  Voilà  ce  qui  se  disait  pajmi  nous.  I^  chanibi'e,  lorsque 
les  ministériels  seuls  s'y  trouvaient,  était  déjà  très  remplie, 
plus  même  qu'elle  ne  l'est  généralement  dans  les  débats  d'un 
intérêt  considérable.  Cependant  )e  n'avais  pas  d'espérance 
<{ue  nous  fussions  trois  cents.  Comme  les  scrutateurs  (teller») 
passaient  le  long  de  la  plus  basse  rangée  gauche,  l'intensité 
de  notre  attention  devint  intolérable— -deux-cent-quatre-vingt 
onze — deux  cent  quatre-vingt  douze, — nous  étions  tous  de- 
boutj  le  cou  tendu,  comptant  avec  les  scrutateurs.  A  trois 
«sente,  il  y  eut  un  léger  cri  de  joie  ;  à  trois-cent-deux,  un  au- 
tre, mais  supprimé  au  môme  instant,  car  nous  ne  connaissions 
pas  encore  le  nombre  des  forces  ennemies  ;  nous  savions 
cependant  <iue  si  nous  étions  battus,  la  défaite  ne  pouvait  pas 
être  considérable.  Enfin,  les  portes  sont  ouvertes,  et  les  voici 
qui  entrent.  Chacun  d'eux,  comme  il  entrait,  apportait  un 
compte  différent  du  nombre  qu'ils  étaient.  ÏJi  ettet,  pressés 
comme  ils  l'étaient  dans  le  corridor,  il  était  iniposaible  de  se 
rendre  compte  exactement  de  leur  nombre.  D'aboi-d  on  nous 
dit  qu'ils  étaient  trois-cent-trois,  puis  ce  chifFre  s'accrut  jus- 


,  *f  deux  cent  quatre-vingts.   Je  ne 
"  même  deux  cent  cinquante. 
'*  comptés.  11  dit  qu'ils  sont 


im 


i^ 


—  18-- 

qu'à  troia-ceut-dix  et  décrut  de  suite  jusqu'à  ti-ois-cent-sept. 
iN^ous  étions  tou^  muets  d'anxiété,  loreque  Charles  Wood  qui 
ae  tenait  près  de  la  porte,  saute  sur  un  banc  en  criant  :  ils  ne 
sont  que  trois-cent-im.  Alors  nous  poussons  un  cri  qui  aurait 
pu  être  entendu  jusqu'à  t'haring  Cross,  nous  je  ons  nos  cha- 
peaux en  l'air,  nous  battons  des  pieds,  nous  nous  frappons 
les  mains. 

"  Les  scrutLt;ci:rs  peuvent  à  peina  se  fraye/  un  passage  dans 
la  foule  ;  la  chambre  était  remplie  jusqu'à  la  table,  et  une  mer 
de  têtes  s'y  agitait  comme  dans  le  parterre  d'un  théâtre.  Mais 
vous  auriez  po  entendre  tomber  une  épingle,  lorsque  Dun- 
eannon  lut  les  chiftres.  Alors,  de  nouvelles  acclamations  écla- 
tant, et  plusieurs  d'entre  nous  versent  des  lannes.  Pour  moi, 
je  pouvais  à  peine  retenir  les  miennes.  Et  il  fallait  voir  la 
mâchoire  de  Peel  tomber,  et  la  figure  de  Twiss  qui  avait  l'air 
d'un  damné,  et  Herries  qui  avait  l'air  de  Judas  ôtant  sa  cra- 
vate pour  la  dernière  opération.  Nous  nous  donnons  des  poi- 
gnées de  mains,  nous  nova  frappons  dans;  le  dos,  nous  sortons 
riant,  pleurant,  et  poussant  des  hourras.  Et  à  peine  les  portes 
aont-elleis  ouvertes,  que  d'autres  acclamations  répondent  aux 
nôtres.  Tous  les  passages,  tous  les  escaliers,  toutes  les  anti- 
chambres étaient  pleins  de  gens  qui  étaient  restés  là  jusqu'à 
quatitt  heUi.  3  du  matin,  ixmr  connaître  quel  serait  le  résultat, 
^ous  nous  frayons  péniblement  un  passage  à  travers  deux 
masses  compactes  de  gens  qui  crient  et  agitent  leurs  chapeaux 
au-dessus  de  leurs  têtes.  Enfin  nous  voici  en  plein  air  ;  j'ap- 
pelle une  voiture,  et  la  première  chose  que  le  cocher  me  dit  : 
"  Le  bill  est-il  passé,  monsieur? — Oui,  par  une  voix. — Que  le 
ciel  en  soit  béni  !"  Et  Macaulay  finit  par  une  phrase  qui  in- 
diqnc  bien  le  libéral  :  "  Ainsi,  continue-t^il,  finit  une  scène 
qui  n'aura  probablement  pj\8  d'égale,  jusqu'à  ce  que  le  parle- 
mont  réformé  ait  lui-même  besoin  d'être  réformé.  " 

Celui  qui  écrivait  ainsi,  dans  ces  termes  exliilai  mts,  venait 
de  voter  l'abalitian  du  système  en  vertu  duquel  il  tenait  son 
mandat.  Macaulay  tenait  son  mandat  de  la  générosité  d^m 
pair  d'Angleterre,  Lord  Lansdowne,  qui  l'avait  fait  élire  par 
1©  boiagpourn  de  Calue.  Je  connais  peu  de  pages  qui  fassent 
plua  d'honneur  à  l'humanité  que  cette  simple  lettre  qui  naos 
montre  ces  natcu'es  ivnglaises,  calmes  et  opiniâtres  dans  la 
lutte,  qui  s'émofionmnt  enfin,  pleurant  et  riant  à   '«  fois. 


—  19  — 

parce  qu'un  acte  de  justice  f  jeut  d'être  accomiîli,  parce  qu'un 
ivbus  vknt  d'être  déraciné  du  soi  de  la  vieille  Anglet-env. 

Membres  du  Chih  Cmmdien,  libéraux  de  la  |M"ovince  de 
Québec,  voilà  quels  sont  nos  nikod-èleg  !  voilà  quels  sont  nos 
principes  !  Twilà  quel  est  notre  parti  î 

Il  est  vrai  qu'il  existe  eu  Euroi>e,  en  France,  en  Italii»  «t 
en  Allemagn-e,  une  classe  d'hommes  qui  se  donnent  le  titty 
de  libéraux,  mais  c[ui  n'ottii  de  libéral  qr.j  le  nom,  et  qui  sont 
les  plus  dangereux  des  honunes.  Ce  ne  sont  pas  des  libéraux^ 
ce  sont  des  révolutionnaires  ;  dans  leurs  principes  ils  sont 
tellement  exaltés  qu'ils  s'aspirent  à  rien  moins  <pi'à  la  de- 
struction de  la  société  moderne.  Avec  ces  liommes,  nous  n'a- 
vons rien  de  cummiin  j  mais  c'est  la  tactique  d'e  nos  adversaires 
de  toujours  nous  assimiler  à  eux.  Ces  Aceusations  sont  au- 
dessous  de  nous,  et  la  seule  recouse  que  nous  puissions  faire 
dignement,  c'est  d'affirmer  nos  véritables  princijjes,  et  de  faire 
de  telle  sorte  que  nos  actes  soient  toujours  conformes  à  noa 
principes. 

Maintenant,  airivé  à.oe  point  de  mon  ex^)Osé,  je  passerai 
en  revue  l'histoire  du  parti  libéral  de  notre  pays.  Je  suis  de 
ceux  qui  ne  craignent  pas  de  scruter  l'histoire  de  mou  parti. 
Je  suis  de  ceux  qui  pensent  qu'il  y  a  plus  à  gagner  à  dire 
franchement  Ja  vérité,  qu'à  essayer  de  se  faire  illusion  à  soi- 
même  et  aux  autres.  Ayons  le  courage  le  dire  la  vérité  !  Si 
notre  parti  a  fait  des  fautes,  nos  dénégations  n'empêcheront 
pas  les  choses  d'avoir  été  ce  qu'elles  ont  été.  Du  reste,  si  notre 
parti  a  commis  des  fautes,  nous  trouverons  toujours  dans 
l'autre  parti  assez  de  fautes  pour  compenser  les  nôtres,  et  au 
surplus,  l'autre  parti,  fftt-il  immaculé,  nos  principes  n'en 
seraient,  pour  cela,  ni  meilleurs  ni  pires,  Ajons  le  courage 
de  dire  la  vérité,  et  que  la  vérité  dite  sur  nos  fautes  passées 
nous  empêche  d'y  retomber  à  l'avenir. 

Jusqu'à  1848,  tous  les  Canadiens  Fi-an^ais  n'avaient  forme 
qu'un  seul  parti,  le  parti  libén\l.  Le  parti  conserA'ateur,  ou 
plutôt  le  parti  fori/,  comme  on  l'appelait,  n'était  qu'une  faible 
minorité.    C'est  de  1848  que  datent  les  premières  traces  de» 


—  20  — 


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deux  partis  qui,  depuis,  se  sont  disputé  le  pouvoir.  M.  1a- 
fontîiine  avait  accepté  le  régime  établi  eu  1841,  lorsque  M. 
Papineau  fut  revenu  de  l'exil,  il  attaqua  le  nouvel  ordre  de 
cliObes  avec  sa  grande  éloquence  et  de  toute  la  liauteur  de  ses 
idées.  Je  n'entreprendrai  pas  ici  de  faire  la  critique  de  la  po- 
litique respective  de  ces  '^'eux  grands  hommes.  Tous  deux 
aimèrent  leur  pays,  ardemment,  passionnément,  tous  deux 
lui  dévouèrent  leur  vie  ;  tous  deux,  par  des  voies  différentes, 
n'eurent  d'autre  but  que  de  le  servir  ;  tous  deux  furent  pro- 
bes et  désintéressés.  Restons  sur  cos  souvenirs,  sans  clierclier, 
qui  des  deux  eut  tort  et  qui  eut  raison. 

Il  se  trouvait,  à  cette  époque,  une  génération  de  jeunes 
gens  d'un  graul  talent  et  d'une  impétuosité  de  caractère  plus- 
grande  encore.  Désespérés  d'être  venus  trop  tard  pour  jou^r 
leur  tête  dans  les  événements  de  37,  iL  se  précipitèrent,  avec 
une  alacrité  aveugle,  dans  le  mouvement  politique  de  l'épo- 
que. Ils  se  trouvèrent  au  premier  rang  des  partisans  de  M. 
Lafontaine,  dans  sa  glorieuse  lutte  contre  Lord  Metcalfe.  Ils 
l'abandonnèrent  ensuite  pour  la  politique  plus  avancée  de  M. 
Papineau,  et,  tout  en  se  rangeant  à  sa  suite,  comme  il  était 
naturel,  ils  l'eurent  bientôt  devancé. 

Enhardis  par  leur  propre  succès,  entraînés  par  leur  propre 
enthousiasme,  ils  fondèrent  un  journal  V Avenir,  dans  lequel 
:''.3  se  posèrent  en  réformateurs  et  en  régénérateurs  de  leur 
i>ays.  Non  contents  de  s'attaquer  à  la  situation  politique,  ils 
s'attaquèrent  audacieuse!.^ ent  à  la  situation  sociale.  lis  lan- 
cèrent un  programme  contenant  pas  moins  de  vingt-ct-un 
articles,  qui  commen(^'ait  par  l'élection  des  juges  de  paix 
et  finissait  par  l'annexion  aux  Etats-Unis,  et  qui  n'était  en 
somme  rien  autre  chose  qu'une  révolution  complète  de  la 
province.  8'il  eût  été  possible  que,  par  un  coup  de  baguette 
magicpie,  les  vingt-et-un  articles  de  ce  programme  fussent 
réalisés  dans  le  cours  d'ime  nuit,  le  pays  au  matin  n'eut  jilus 
été  reconnaissable.  Celui  qui  l'aurait  quitté  la  veille  et  y 
serait  revenu  le  lendemain,  n'aurait  pu  s'y  retrouver.  . 


.  "     —21  —      ■ 

Ija.  seule  excuse  de  ces  libëraux,  c'était  leur  jeunesse  ;  lo 
plus  «gé  d'entr'eux  n'avait  pas  vingt-deux  ans.  K  ■ 

Messieurs,  je  constiite  (^es  faits,  je  n'entends  pas  faire  de 
reproche  à  qui  que  ce  soit.  Le  talent  et  les  convictions 
sincères  ont  toujours  droit  à  notre  respect.  Quel  est  celui 
d'entre  nous,  du  reste,  qui,  s'il  eût  vt'cu  à  cette  époque,  peut 
se  flatter  qu'il  aurait  été  plus  sage,  et  qu'il  ne  serait  pas 
tombé  dans  les  mêmes  écarts  1  Tout  prêtiiit  alors  à  ces  exagé- 
rations :  la  situation  de  notre  pays,  la  situation  en  Europe. 

ï^e  pays  n'était  pas  encore  guéri  des  blessures  de  l'insur- 
rection  ;  on  nous  avait  octroyé  une  constitution  libre,  il  est 
vrai,  mais  la  nouvelle  const'*  tion  n'était  pas  appliquée  de 
bonne  foi  par  le  bureau  colonial.  11  y  avait,  au  fond  de 
chaque  âme,  des  grondements  que  comprimait  seul  le  souve- 
nir de  la  vengeance  tirée  de  l'insurrection.  De  tous  les  côtés, 
du  reste,  arrivaient  jusqu'ici  des  effluves  de  démocratie  et  de 
révolte.  La  société  frémissait  déjà  aux  premiers  souffles  de 
■oette  grande  tempête  qui  devait  éclater  quelques  anné&s  plus 
tard,  presque  par  tout  le  monde  civilisé,  et  qui  fit  un  moment 
chanceler  la  société  sur  elle-même.  Les  années  qui  précèdent 
1848  sont  effrayantes  à  contempler.  On  éprouve  de  l'hor- 
reur à  constater  ce  travail  sinistre  qui-  se  faisait  partout  et 
qui  jeta  dans  la  révolte,  à  un  moment  donné,  plus  de  quatre- 
vingts  millions  d'hommes. 

Cet  état  de  choses  devait  puissamment  agir  sur  des  imagi- 
nations jeunes,  ardentes  et  inexpérimentées.  Aussi,  nos  jeunes 
réformateurs,  non  contents  de  vouloir  révolutionner  leur  pays, 
saluaient  avec   transport   chaque    révolution    nouvelle    en-. 
Europe. 

Cependant,  à  peine  avaient-ils  fait  deux  pas  dans  la  vie 
.qu'ils  s'apercevaient  de  leur  immense  erreur.  Dès  1852,  ils 
publiaient  un  nouveau  journal.  Ils  abandonnaient  L'Avenir 
aux  énergumènes  et  cherchaient  dans  le  nouveau  journal  Le 
Pays,  sans  toujours  la  trouver,  il  est  vrai,  la  voie  nouvelle 
«jue  devaient  suivre  les  amis  de  la  liberté  sous  la  nouvelle 
■conf^titntton.   '" 


oo 


On  ne  peut  aujourd'hui,  en  relisant  le  programme  de 
V Avenir,  c'empêcher  de  sourire  ;  on  no  j^eut  s'empêcher  de 
sourire,  en  retrouvant  avec  un  si  grand  bon  sens  quelquefois^ 
tant  de  propositions  absurdes  ou  impossibles.  Il  serait  oiseux 
de  repasser,  une  à  une,  toutes  les  propositions  incongi-ues  que 
contenait  le  prc^imme  de  L* Avenir.  J'en  prendra»  une  au 
hasard  :  les  parlements  annuels.  Je  suis  certain  que  chaicun 
des  jeunes  réformateui-s  d'alors,  qui  est  arrivé  aujourd'hui  ù 
la  députation,  est  fermement  d'opinion  qu'une  élection  tou» 
les  cinq  ans  est  tout-à-fait  suffisante.  Et  d'ailleurs,  n'est-il 
pas  manifeste  que  les  parlements  annuels  seraient  une  entrave» 
constante  à  toute  législation  sérieuse,  et  une  source  d'agitation 
en  permanence? 

Cependant,  le  mal  était  fait.  Le  clergé,  alarmé  de  ces  allures 
qui  ne  rappelaient  que  trop  les  révolutionnaires  d'Eui'ope, 
déclara  de  suite  une  guerre  impitoyable  au  nouveau  parti. 
La  population  anglaise,  amie  de  la  liberté,  2nais  amie  de 
l'ordre,  se  déclara  également  contre  le  nouveau  parti,  et 
pendant  vingt-cinq  ans,  ce  parti  est  resté  dans  l'opposition, 
bien  que  l'honneur  lui  revienne  d'avoir  pris  l'initiatiA'e  de 
toutes  les  réformes  accomplies  depuis  cette  époque.  C'est 
vainement  qu'il  demanda  et  obtint  l'abolition  de  la  tenure 
seigneuriale  ;  c'est  Aainement  qu'il  demanda  et  obtint  la 
décentralisation  judiciaire  ;  c'est  vainement  que  le  premier 
il  donna  l'élan  à  l'œuvre  de  la  colonisation,  ces  sages  réformes 
ne  lui  furent  pas  comptées  ;  c'est  vainement  que  ces  enfants, 
devenus  hommes,  désavouèrent  les  entrainements  de  leur 
jeunesse  ;  c'est  vainement  enfin  que  le  parti  consen^ateur 
commit  fautes  sur  fautes,  la  génération  des  libéraux  de  1848 
«jtait  presqu'entièrement  disparue  de  l'arène  politique,  lors- 
que commença  à  poindre  l'aurore  d'un  jour  nouveau  pour 
le  parti  libéral.  Depuis  ce  temps,  de  nouvelles  accessions 
ont  été  ftiites  au  parti  ;  des  idées  plus  réfléchies,  plus  calmes, 
y  ont  prédominé  ;  quant  à  l'ancien  programme,  de  to  ate  la 
partie  sociale,  il  ne  reste  plus  rien   du   tout,  et,  de  la  partie 


23  — 


politique,  il  no    reste   que   les  principes   du  \ïa.rti   libéral 
d'Angleterre. 

Perdant  <îe  temps,  que  faisait  l'autre  parti  ?  Lorsque  la 
scission  entre  M.  Papineau  et  M.  Lafontainc  fut  devenue 
complHe,  la  fraction  du  parti  liWral  qui  suivit  M.  La- 
fontaine,  finit,  après  ^[uelques  tâtonnements,  par  s'allier  aux 
tories  du  Haut-Canada  ;  alors,  au  titre  de  libéral  qu'elle  no 
pouvait  ou  n'osait  pas  encore  avouer,  elle  ajouta  celui  do 
conservateur.  Le  nouveau  parti  se  donna  le  nom  do 
libéral-conservateur.  Quelques  années  s'écoulèrent,  et  de  nou- 
velles modifications  survinrent  ;  le  nouveau  parti  alDandonna 
entièrement  le  titre  de  libéral,  et  ne  s'appela  plus  que  lo 
parti  conservateur.  Quelques  années  s'écoulèrent  encore,  de 
nouvelles  modifications  survinrent  ;  Je  ne  saisplus  de  (juel 
nom  nous  appelons  ce  parti.  Ceux  qui  aujourd'hui  semblent 
y  tenir  le  haut  du  pavé,  s'appelleront  eux-mêmes  :  le  parti 
ultramontain,  le  parti  catholique.  Ses  principes  se  sont  modi- 
fiés comme  son  nom.  Si  M.  Cartier  revenait  aujourd'hui  sur 
la  terre,  il  ne  reconnaîtrait  plus  son  parti.  M.  Cartier  était 
dévoué  aux  principes  de  la  constitution  anglaise.  Ceux  qui 
aujourd'hui,  parmi  ses  anciens  partisane,  tiennnent  le  haut 
du  pavé,  Tepoussent  ouvertement  les  principes  de  la  consti- 
tution anglaise,  comme  \me  concession  à  ce  qu'ils  appellent 
l'esprit  du  mal.  Ils  ne  comprennent  ni  leur  p..ys,  ni  leur 
époque.  Toutes  leurs  idées  sont  calquées  sur  celles  des  réac- 
tionnaires de  France,  comme  les  idées  des  libéraux  de  1848 
étai!ent  calquées  sur  celles  des  révolutionnaires  de  France. 
Ils  se  passionnent  pour  Don  Carlos  et  le  comte  de  Chambord, 
comme  les  libéraux  se  passionnaient  pour  Loui^  Blanc  et 
Ledvu-Rollin.  Ils  crient  :  vive  le  roi  !  comme  les  libéraux 
criaient  :  vive  la  république  !  I^n  parlant  de  DonCarlos  et  du 
comte  de  Ciiambord,  ils  affectent  de  ne  jamais  dire  que  Sa 
Majesté  L  ,w/  CharJ&s  VIT,  Sa  Majesté  le  rot/  Henri  Y,  tout 
comme  les  libéraux,  en  parlant  de  Napoléon  III,  ne  disaient 
jamais  que  M.  Louis  Bonaparte. 


—  24 


Certes,  je  respecte  trop  l'opiniou  de  mes  adversaires,  pour 
ne  leur  lancer  jamais  aucune  injure  ;  mais  je  leur  fais  le  re- 
proche de  ne  comprendre  ni  leur  époque,  ni  leur  pays.  Je  les 
accuse  de  juger  la  situation  politiijue  de  notre  pays,  non  pa<» 
d'ai)rc'8  ce  qui  s'y  ^passe,  main  d'après  ce  <|ui  se  passe  en 
France.  Je  les  accuse  de  vouloir  introduire  ici  des  idées  dont 
l'application  serait  impossible  dans  notre  état  de  société.  Je 
les  accuse  de  travailler  laborieusement,  et  par  malheur  trop 
efficacement,  à  rabaisser  la  religion  aux  simples  proportions 
d'un  parti  politique. 

C'est  l'habitude,  dans  ie  parti  de  nos  adversaires,  de  nous 
acccuser,  nous  libéraux,  d'irréligion.  Je  ne  suis  pas  ici  pour 
faire  parade  de  mes  sentiments  religieux,  mais  je  déclare  que 
j'ai  trop  de  respect  pour  les  croyances,  dans  lesquelles  je  suis 
né,  pour  jamais  les  faire  servir  de  base  à  une  organisation 
politique. 

Vous  voulez  oi-ganiser  un  parti  catholique.  Mais  n'avez- 
vous  pas  songé  que  si  vous  aviez  le  malheur  de  réussir,  vous 
attireriez  sur  votre  pays  des  calamitïs  dont  il  est  impossible 
de  prévoir  les  conséquences  ] 

Vous  voulez  organiser  tous  les  catholiques  comme  un  seul 
parti,  sans  autre  lien,  sans  autre  base  que  la  communauté  de 
religion,  mais  n'avez-vous  pas  réfléchi  que,  par  le  fait  même, 
TOUS  organisez  la  population  protestante  comme  un  seul  parti,, 
et  qu'alors,  au  lieu  de  la  paix  et  de  l'harmonie  qui  existent  au- 
jourd'hui entre  les  divers  éléments  de  la  population  cana- 
dienne, vous  amenez  la  guerre,  la  guerre  religieuse,  la  plus 
terrible  de  toutes  les  guerres. 

Encore  une  fc^à,  conservateurs,  je  vous  accuse  à  la  face  du 
Canada  de  ne  comprendre  ni  votre  pays  ni  votre  époque. 

Nos  adversaires  nous  font  encore  un  reproche  :  ils  nous  re- 
prochent d'aimer  la  liberté,  et  ils  appellent  l'esprit  de  libertéT 
un  principe  dangereux  et  subversif. 

Est-il  quelque  raison  à  ces  attaques  ?  Aucune,  sinon  qu'il 
existe  en  France  un  groupe  de  catholiques  qui  poursuivent  la 
liberté  de  leurs  imprécations.  Certes,  il  n'y  a  pas  en  Franc» 


—  25  -* 

^ue  des  ennemis  do  la  libert«5  qui  la  regardent  avec  terreur. 
Les  amis  les  plus  ardents  de  la  liberté  la  contemplent  souvent 
avec  le  môme  sentinieTit.  Rappelez-vous  le  dernier  mot  de 
Madame  Koland.  Elle  avait  ardemment  aimé  la  liberté,  elle 
i'avait  appelée  de  tous  ses  v(«ux,  et  son  dernier  mot  est  ce 
mot  navrant  :  0  liberté  !  que  de  crimes  on  commet  en  ton 
nom  !  Combien  de  fois  les  mômes  paroles  n'ont-elles  pas  été 
•répétées  aussi  sincèrement,  par  des  amis  aussi  sincères  de  la 
liberté  ! 

Je  conçois  très-bien,  sans  cependant  les  partager,  les  senti- 
ments de  ces  Français  (jui,  regardant  ce  que  la  liberté  leur  a 
coûté  de  larmes,  de  ruines  et  de  sang,  appellent  quelquefois 
pour  leur  pays  un  despotisme  vigoureux  ;  je  conçois  leurs 
anathèmes  ;  mais  que  ces  anathèmes  contre  la  liberté  soient 
répét<5s  parmi  nous,  c'est  ce  que  je  ne  saurais  comprendre. 

Eh  quoi  !  c'est  nous,  race  conquise,  qui  irions  maudire  la 
liberté  !  Mais  que  serions-nous  donc  sans  la  liberté  1  Que  se- 
rions-ious  maintenant,  si  nos  pères  avaient  eu  les  mêmes  sen- 
timents que  les  conservateurs  d'aujourd'hui  ?  Serions-nous 
autre  chose  qu'une  race  de  parias  1 

J'avoue  bien  que  la  liberté,  telle  qu'elle  a  été  généralement 
comprise  et  pratiquée  en  France,  n'a  rien  de  séduisant.  Les 
français  ont  eu  le  nom  de  la  liberté,  ils  n'ont  pas  encore  en  la 
liberté.  ^Tn  de  leurs  poètes,  Auguste  Barbier,  nous  a  donné 
une  idée  assez  exacte  de  la  liberté  qui  a  quelquefois  passé  en 
France,  et  qu'on  a  vue  pour  la  dernière  fois  à  l'oeuvre  en 
-   187L    11  la  représente  comme  une  femme 

"  A  la  voix  raiique,  anx  dm  s  appas 
*  Qui  du  brun  sur  la  peau,  du  feu  dans  les  prunelles 

'*  Agile  et  marchant  h.  grands  paR, 
"  Se  plnit  aux  cris  du  peuple,  aux  sanglantes  mêlées 

"  Aux  longe  roulements  des  tambours. 
"  A  l'odeur  de  la  poudre,  aux  lointaines  volées 

"  Des  cloches  et  des  canons  souixls  ; 
•*'  Qui  no  prend  ses  amours  que  dans  la  populace, 

"  Et  ne  prête  sou  large  liane 
■'■'  Qu'à  "les  gens  f<ut8  comme  elle,  et  qui  veut  qu'on  l'ombrasse 

''  A\ec  des  bras  rouges  de  snng. 


m 


—  26  — 

8i  la  liberté  était  bien  cette  virago  sinistre,  je  compientlraîs 
les  anathème»  de  no»  advfersairesv,  et  je  aérais  le  premier  à  m'y 
nssocier.  Mais  ce  n'est  pas  là  la  liberté.  Un  pcb'te  angki», 
Tennyson  a  clianté  la  liberté,  la  liberté  de  son  pays  et  du 
nôtre.  Dans  son  poi^me  In  Memorktm,  Tennyson  s'adresse  ù 
nu  ami  qui  lui  demande,  pourquoi  il  ne  va  pas  chercher  dans 
les  îles  des  ïners  du  sud,  un  climat  plus  doux,  et  pourquoi, 
malgré  sa  santé  altérée,  il  persiste  à  reyter  aovis  le  ciel  bru- 
meux de  l'Angleten-e.   Et  le  poète  lui  répond  : 


"  It  la  the  land  tbat  freemen  till, 
That  gober-suited  Freedom  chose, 
Tbe  land  where,  girt  with  friends  or  foes, 
A  man  may  speak  the  thiog  he  will  ; 

**  A  land  of  settled  government, 
A  land  of  just  and  old  renowo, 
Wliere  Freedom  broadens  slowly  down, 
Fiom  précèdent  to  precedeat  : 

"  Where  factiop,  seldom  gathera  head 
But  by  degiees  to  fulness  wrought, 
The  strength  of  some  diflfusive  thought 
Hath  time  and  space  to  work  and  sprcad." 


Le  poëte  répond  à^son  aini,'7qu'il  ne  veut  i)as  s'éloic,ner  de 
l'Angleterre,  parce  que  : 

"  C'est  la  terre  des  hommes  libres,  c'est  la  terre  choisie  par 
la  liberté  calme  et  modérée,  oii,  qu'il  soit  environné  d'amis 
ou  d'ennemis,  un  homme  peut  dire  ce  qu'il  veut  dii'e. 

"  Une  terre  d'un  gouvernement  stable,  une  terre  d'un 
juste  et  antique  renom,  où  la  liberté  s'épand  lentement  de 
précédent  en  précédent. 

"  Où  les  factions  lèvent  rarement  la  tête,  où  la  force  de 
toute  pensée  féconde,  s'élevant  par  degrés  jusqu'à  la  maturité, 
a  le  temps  et  l'espace  pour  se  développer." 

Telle  est  la  liberté  dont  nous  jouissons,  telle  est  la  liberté 
que  nous  défendons  et  que  nos  adversaires  attaquent  sans  là 
comprendre,  et  tout  en  en  possédant  les  bienfaits.  Jean- 
Baptiste  Eousseau,  dans  une  de'ses  odes,  parle  de  peuplades 
barbares  qui,  un  jour,  dans  un]]moment  d'inconcevable  folie, 


—  27  — 

86  mirent  à  insulter  le  sokil  d^  leurs  cris  et  dcleurs  impréca- 
tions. Le  poi-'te  caractérise  d'un  mot,  tjtto  inepto  impiété:    , 

Le  Dieu  poursuivant  sa  carrière, 
Vorsait  des  torrents  de  lumière 
Sur  80(8  obscurs  blasphémateurs. 

Ainsi  eu  est-il  parmi  nous  de  ceik  (jui  attaquent  la  liberté. 
La  liberté  les  couvre,  les  inonde,  les  protège  et  les  défend 
jusque  dans  leurs  imprécations. 

Le  Dieu  poursuivant  sa  carrière, 
Versait  des  torrents  de  lumière 
&\ix  ses  ob»cui-s  blasphémateurs. 

Mais  nos  adversaires,  tout  on  nousreprochant  d'être  les 
amis  de  la  liberté,  nous  reprochent  encore,  par  une  inconsé- 
quence qui  serait  très  grave,  .,;  l'accusation  ('tait  fondée— de 
refuser  à  l'église  la  liberté  à  laciuelle  elle  a  droit.  Ils  nous 
reprochent  de  vouloir  fermer  la  bouche  au  corps  adminis- 
tratif de  l'église,  au  clei-gé,  de  vouloir  l'empêcher  d'enseigner 
au  peuple  ses  devoirs  de  citoyen  et  d'électeur.  Us  nous 
reprochent,  pour  me  servir  de  la  phrase  consacrée,  de  vouloir 
empêcher  le  clergé  de  se  mêler  de  politique  et  de  le  reléguer 
dans  la  sacristie. 

Au  nom  du  parti  libéral,  au  nom  des  principes  libéraux,  jo 
repousse  cette  assertion  ! 

Je  dis  qu'il  n'j  a  pas  un  seul  libéral  canadien  qui  veuille 
empêcher  le  clergé  de  prendre  part  aux  affaires  politiques,  si 
le  clergé  veut  prendre  part  aux  affaires  politiques. 

Au  nom  de  quel  principe  les  amis  de  la  liberté  voudi-aient- 
ils  refuser  au  prêtre  le  droit  de  prendre  part  aux  affivii-es  poli- 
tiques ?  Au  nom  de  quel  principe  les  amis  de  la  liberté  vou- 
draient-ils refuser  au  prêtre  le  droit  d'avoir^des  opinions 
politiques  et  de  les  exprimer,  le  di'oit  d'approuver  ou  de  dé- 
sapprouver les  liommes  publics  et  leurs  actes,  et  cFenseigner 
au  peuple  ce  qu'il  croit  être  son  devoir  ?  Au  nom  de  quel 
principe  le  prêtre  n'aurait-il  ])as  le  droit  do]  dire  que  si  je 
•ima  élu,  moi,  la  religion  est  menacée,  loi-stiue  j'ai  le  droit, 


—  28  — 

moi,  de  dire  que  «i  mou  uJverHaire  est  ^lu,  l'éUit  est  eu 
danger?  Pourquoi  le  pi-ctre  n'aurait-il  pas  le  droit  de  dire  que 
si  je  suis  6\\i,  la  reliyiou  va  être  infailliblement  détruite, 
lorsque  j'ai  le  droit  de  dire  que  si  mou  advei-saire  est  élu, 
l'état  s'en  va  droit  à  la  banqueroute  ?  Xon,  que  le  prêtre 
parle  et  prêche  connue  il  l'entend,  c'est  son  droit.  Jamais  ce 
droit  ne  lui  sera  contesté  par  un  libéral  canadien. 

I^  constitution  Viue  nous  avons  invite  tous  les  citoyens  à 
piendre  part  à  la  direction  des  aftaires  de  l'état  ;  elle  ne  fait, 
d'exception  pour  personne.  Chacun  a  le  droit,  non-seulement 
d'exprimer  son  opinion,  mais  d'influencer,  s'il  le  peut,  par 
l'expression  de  sou  opinion,  l'opinion  de  ses  concitoyens.  Ce 
droit  là  existe  pour  tous  ;  il  ne  peut  y  avoir  de  raison  pour  que 
le  prêtre  en  soit  privé.  Je  suis  ici  pour  dire  toute  ma  pensée, 
et  j'ajoute  que  jo  suis  loin  de  trouver  opportune  l'intervention 
du  clergé  dans  le  domaine  politique,  comme  elle  s'est  exercée 
depuis  (pielquts  années.  Je  crois  au  contraire  que  le  prêtre  a 
tout  à  perdre,  au  point  de  vue  du  respect  dû  à  son  caractère, 
en  s'immisçant  dans  les  questions  ordinaires  de  la  politique  ; 
cependant  son  droit  est  incontestable,  et  s'il  croit  bon  de 
s'en  servir,  notre  devoir  à  nous,  libéraux,  est  de  le  lui  garatt- 
tir  contre  toute  conteste. 

Cependant,  ce  droit  n'est  pas  illimité.  Nous  n'avons  patj 
parmi  nous  de  droits  al)solus.  I^es  droits  de  chaque  homme, 
dans  notre  état  de  société,  finissent  à  l'endroit  précis  où  ils 
empiètent  sur  les  droits  d'un  autre. 

Le  droit  d'intervention  en  politique  finit  à  l'endroit  où  il 
«npièterait  sur  l'indépendance  de  l'électeur. 

1^  constitution  de  notre  pays  repose  sur  la  volonté  libre- 
ment exprimée  de  chaque  électeur.  La  constitution  entend  que 
chaque  électeur  dépose  son  vote,  librement,  volontairement, 
comme  il  l'entend.  8i  le  plus  grand  nombre  des  électeurs  d'un 
pays  sont  d'une  opinion  actuellement,  et  que  ,par  suite  de 
l'influence  exercée  sur  eux  par  un  ou  plusieurs  hommes,  par 
suite  des  paroles  qu'ils  auront  entendues  ou  des  écrits  qu'il* 


29 


imais  ce 


auront  lus,  leur  opinion  change,  il  n'y  a  lu  rion  que  de  par- 
faitement k'gitinu'.  Bien  que  l'opinion  (qu'ils  exi  riment  soit 
diftcWente  de  celle  qu'ils  auKiient  exprinnjo  «anH  cette  inter- 
vention, cependant  l'opinion  qu'ils  expriment  est  bien  celle 
fju'ils  veulent  exprimer,  celle  qui  est  au  fond  de  leur  con- 
science ;  la  constitution  reçoit  son  entière  a])plicatiou.  Si, 
cependant,  malgré  tous  les  raisonnements,  l'oiiinion  des  élec- 
teurs est  restée  la  même,  mais  que  par  intimidation  ou  par 
fraude,  vous  les  forciez  à  voter  dift'éremment,  l'opinion  qu'ils 
expriment  n'est  plus  leur  opinion,  et  la  constitution  est  dès 
lors  violée.  La  constitution,  comme  Je  l'ai  déjà  dit,  entend 
que  l'opinion  de  chacun  soit  librement  exprimée  comme  il  la 
conçoit,  au  moment  qu'il  l'exprime,  et  la  réunion  collective 
de  chacune  de  ces  opinions  individuelles,  librement  expri- 
mées, forme  le  gouvernement  du  pays. 

La  loi  veille  d'un  (eil  si  jaloux  à  ce  que  l'opinion  de  l'élec- 
teur soit  exprimée  telle  qu'elle  est,  que  si,  dans  un  comté, 
l'opinion  exprimée  par  un  seul  des  électeurs  n'est  pas  son 
opinion  réelle,  mais  une  opinion  arrachée  par  lu  crainte,  par 
la  fraude  ou  par  la  corruption,  l'élection  devra  être  annulée. 

Il  est  donc  parfaitement  permis  de  changer  l'opinion  de 
l'électeur,  par  le  raisonnement  et  par  tous  les  autres  moyens 
de  persuasion,  mais  jamais  par  l'intimidation.  Au  fait,  la 
persuasion  change  la  conviction  de  l'électeur,  l'intimidation 
ne  la  change  pas.  Quand,  par  persuasion,  vous  avez  changé 
la  conviction  de  l'électeur,  l'opinion  qu'il  exprime  est  son  opi- 
nion ;  mais  quand,  par  terreur,  vous  forcez  l'électeur  à  voter, 
l'opinion  qu'il  exprime,  c'est  votre  opinion  ;  faites  disparaître 
la  cause  de  terreur,  et  alors  il  exprimera  une  autre  opinion, 
la  sienne  propre. 

Maintenant,  on  le  conçoit,  si  l'opinion  exprimée  de  la  majo- 
rité des  électeurs  n'est  pas  leur  opinion  réelle,  mais  une 
opinion  arrachée  par  fraude,  par  menace  ou  par  corruption, 
la  constitution  est  violée,  vous  n'avez  pas  le  gouvernement 
de  la  majorité,  mais  le  gouvernement  d'une  minorité.  Or,  si 
un  tel  état  de  choses  se  continue  et  se  répète  ;  si,  après  chaque 


-  3<) 


I  : 
I 


élection,  la  voJoat<!  exprimée  u'est  }>iw  lu  volonté  réelle  Uu 
pays,  eûcûïe  nue  l'ui;^,  vo\w  i-ntiavc/  la  conntitiitiou,  1«  gou- 
varnemeut  reMpouHtibk  n'ont  plu^  (pi'uu  vaiu  mot,  ot  tôt  on 
lard,  ici  cojiuim  ailleui's,  1»  con4vi-eâ.siou  nnumera  l'explo- 
fliou,  Ia  violei.i'e  vi  les  ruinos. 

Mais  il  nt)  ni.incpiera  pas  du  i,'ens  <pii  diront  (juo  le  clergt's 
A  dioit  de  dicter  au  peuple  quels  sont  ses  deroire.  .le  réponds 
siniplomeut  que  nous  sommes  ici  sous  le  gouvernoiuent  de  k 
Reine  d'Angleterre,  sows  l'autor'té  d'une  coiwtitntion  qui 
BOUS  a  été  accordée  couime  un  acte  île  justice  ;  et  que,  si 
IVxercice  des  droite  (pui  vous  réciùiiiez  devait  avoir  pour  effet 
d'ientraver  cotte  constitution  et  de  noua  exposer  à  toutes  les 
conséquences  d'mi  i)areil  acte,  le  ciei-gé  lui-mênio  u'en  vou- 
dmit  pas. 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  fjui  se  donnent  avec  aflfeetation 
comme  les  amis  et  les  défenseurs  du  clergé.  Cependant,  je 
dis  ceci  :  comme  la  plupart  des  jeunes  gens,  mes  compatriotes, 
j'tii  été  élevé  par  des  prôtres,  et  au  unlieu  (le  jeunes  gens  qui 
sont  devenus  des  prêtres.  Je  me  flatte  que  je  compte  parmi 
eux  quelques  amitiés  sincères,  et  à  ceux  là  du  moins  je  pui.s 
dire,  et  ije  dis  :  "  Voyez  s'il  y  a  sousle  soleil  un  pays  plus 
heureux  «pie  le  nôtre  ;  voyez  s'il  y  a  sous  le  soleil  un  pays 
où  régli-t'  catliolifiue  soit  plus  libre  et  plus  pri%'ilégiée  que 
cellil-ci.  Pourquoi  donc  iriez-vous,  par  la  revendicntion  do 
droits  incompatibles  avec  notre  état  de  société,  exposer  eo 
jmys  à  des  agitations  dont  les  conséquences  sont  impossibles  à 
pr(''Voir  ?" 

Mxiis,  je  m'adresse  à  tous  mes  compati'iotes  indistinctement, 
eî  je  leur  dis  : 

"  Xous  sommes  un  i)euple  liem'eux  et  libre  ;  et  nous 
sommes  heureux  et  libres,  grâce  aux  institutions  libérales  qui 
nous  régissent,  institutions  que  nous  devons  aux  eiforts  de 
nos  pères  et  à  la  sagesse  de  la  mère-patrie. 
■  "■  T^a  politique  du  ]')ftrti  libéml  est  de  protéger  ces  institu- 
tioas,  de  les  défendre  et  de  les  propager,  et,  sous  l'empire  de 
«es,  institutiofts,  de  développer  les  ressources  latente»  de  notre 


—  31  — 

pays.  Telle  est  Ift  politiViue  du  parti  libéral  ;  il  n'en  a  pas 
trautro.  " 

Maijitenant,  pour  apprécier  toute  la  valeur  de»  iastitutions 
qui  noua  régissent  aujourd'hui,  comjiarons  l'état  actuel  de 
notre  pays  avec  ce  ({u'il  était  avant  qu'elles  nous  eûaaent  ot6 
o£5troyées. 

Il  y  a  maintenant  qutuuuto  ans,  le  pays  se  trouvait  sous  le 
coup  d'une  émotion  tiévreuae,  en  proie  à  une  agitation  (jui, 
quelque  mois  plus  tard,  éclatait  en  insurrection.  I-a  couronne 
britannique  ne  fut  maintenue  dans  le  pays  que  jMir  la  foToe  de 
la  poudre  et  du  canon.  Et  cependant,  ([no  demandaient  nos 
devancieva'f  Ils  ne  demandaient  rien  autre  chose  que  le« 
institaitions  que  nous  avons  maintenant  ;  ces  institutions 
nous  ont  été  octroyées,  on  les  a  appliquées  loyalement  ;  et 
voyez  la  cousé(pienco  :  le  drapeau  britannique  flotte  sdi  la 
vieille  citatlelle  de  Québec,  il  flotte  ce  soir  au-dessus  de  nos 
têtes,  et  il  ne  se  trouve  pas  dans  le  paya  un  seul  soldat  anglais 
pour  le  défendre  ;  sa  seul»?  défense,  c'est  la  reconnaissance 
que  noua  lui  devons  pour  la  liberté  et  la  sécurité  que  nous 
avons  trouvées  sous  son  ombre. 

Quel  est  le  canadien  qui,  comparant  son  pa3''s  aux  pays 
même  les  plus  libres,  ne  se  sentirait  fier  des  institutions  qui 
l3  protègent  ? 

Quel  est  le  canadien  qui,  parcourant  les  rues  de  cette  vieille 
cité  et  arrivant  au  monument  élevé  à  deux  pas  d'ici,  à  la 
mémoire  des  deux  braves  morts  sur  le  même  champ  do 
bataille  en  se  disputant  l'empire  du  Canada,  ne  se  sentirait 
fier  de  son  pays  ? 

Dans  quel  autre  pays,  sous  le  soleil,  trouverez-voua  un 
monument  semblable,  élevé  à  la  mémoire  du  vaincu  aussi 
bien  que  du  vainqueur  ?  Dans  quel  autre  pays,  soils  le  soleil, 
trouverez-vous  le  nom  du  vaincu  et  du  vainqueur  honorés  au 
même  degré,  occiqiant  la  même  place  dans  le  respect  de  la 
population  1 

Messieurs,  lorsque  dans  cette  dernière  bataille  que  rappelle 
le  monument  de  Wolfe  et  Montcalm,  la  mitraille  semait  la 


32 

mort  dans  les  rangs  de  l'année  française,  lov8«iuc  les  vieux 
liéros  que  ia  victoii'e  avait  tant  de  fois  suivis,  virent  enlin  la 
victoire  leur  échapper,  lorsque,  couchés  sur  le  sol,  sentant 
leur  sang  couler  et  leur  vie  s'éteindre,  ils  virent,  ''onime  con-  • 
séquence  de  leur  déftiite,  Québec  aux  mains  de  l'ennemi,  et 
le  pays  à  jamais  pei'dii,  sans  doute  leur  pensée  suprême  dut 
se  tourner  sur  leurs  enfants,  sur  ceux  qu'ils  laissaient  sans 
protection  et  sans  défense  ;  sans  doute  ils  les  virent  pewécu- 
tés,  asservis,  humiliés,  et  alors,  il  est  permis  de  le  croire,  leur 
dernier  soupir  put  s'exluler  dans  un  cri  de  désesixjir.  Mais 
si,  d'un  autre  côté,  le  ciel  permit  que  le  voile  de  l'&A'enir  se 
déchirât  à  leurs  yeux  mourants  ;  si  le  ciel  permit  que  leur 
regard,  avant  de  se  fermer  pour  jamais,  pénétmt  diuis  l'incou- 
niî  :  s'ils  purent  voir  leurs  enfants  libres  et  heureux,  mar- 
chant le  front  liant  dans  toutes  les  sphères  de  la  société  ; 
s'ils  purent  voir,  dans  la  vieille  cathédrale,  le  banc  d'iiouneur 
des  gouverneura  fi-ancais  occupé  par  un  gouverneur  français  ; 
s'ils,  purent  voir  les  tlèchesdes  églises  s'élançant  de  toutes  les 
vallées,  depuis  les  eaux  de  Gaspé  jusqu'aux  plaines  de  la 
Rivière  Pouge  ;  s'ils  purent  voir  oe  vieux  drapetiu,  qui  noua 
mppelle  la  plus  belle  de  leui-s  victoires,  promené  triomphale- 
ment dans  toutes  nos  cérémonies  publitjues  ;  s'ils  i)urent, 
enfin,  voir  nos  libres  institutions,  n'est-il  pas  pennis  de  croire 
que  leur  dernier  soupir  s'éteignit  dans  un  murmure  de  recon- 
naissance pour  le  ciel,  et  qu'ils  moururent  consolés  1 

Si  les  ombres  de  ces  héros  planent  encore  sur  cette  vieilla 
cité  pour  kupielle  ils  sont  morts,  si  leui-s  ombres  planent  ce 
soir  sur  la  salle  où  nous  sommes  réunis,  il  nous  est  permis  de 
croire  à  nous,  libéraux, — du  moins  nous  avons  cette  chère 
illusion, — (lue  leurs  sym})athies  sont  toutes  a^ec  nous. 


WILFiai)  LAUIUER. 


flSK