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Full text of "La guerre de Sept ans [microforme] : histoire diplomatique et militaire"

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IMAGE  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


l.l 


1.25 


■-  Ihh    12  2 


1^ 


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Photographie 

Sciences 

Corporation 


23  WEST  MAiN  STREFT 

WEBSTER,  N.Y.  MS80 

(716)  S72-4S03 


CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIKM/ICIVIH 
Collection  de 
microfiches. 


Canedian  Instituts  for  Historica!  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliographiques 


The  Institute  has  attempted  to  obtain  the  best 
original  copy  available  for  filming.  Features  of  this 
copy  which  may  be  bibliographically  unique, 
which  may  alter  any  of  the  images  in  the 
reproduction,  or  whioh  may  significantly  change 
the  usual  method  of  filming,  are  checked  below. 


L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procure?.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
point  de  vue  bibliographique,  qui  peuvent  modifier 
une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
modification  dans  la  méthode  normale  de  filmage 
sont  indiqués  ci-dessous. 


□    Cotoured  covers/ 
Couverture  de  couleur 


□    Coloured  pages/ 
Pages  de  couleur 


□    Covers  damaged/ 
Couverture  endommagée 


□    Pages  damaged/ 
Pages  endommagées 


□    Covers  restored  and/or  laminated/ 
Couverture  restaurée  et/ou  peiliculée 


□    Pages  restored  and,'or  laminated/ 
Papes  restaurées  et/ou  pelliculées 


D 


Cov3r  title  missing/ 

Le  titre  de  couverture  /nanque 


0 


Pages  discoloured,  stained  or  foxed/ 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


I      j    Coloured  mars/ 


D 


Carxes  géographiques  en  coubur 

Coloured  ink  (i.e.  oth«r  th&n  blue  or  black)/ 
Ennre  de  couleur  (i.e.  autre  que  bleue  ou  noire) 


j      I    Pages  detached/ 


Pages  détachées 

Showthrough/ 
Transparence 


I       I    Showthrough/ 


□    Coloured  plates  and/or  illustrations/ 
Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 


□    Quality  of  print  varies/ 
Qualité  inégale  de  l'impression 


□ 


Bound  with  other  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 


D 


Includes  supplementary  material/ 
Comprend  du  matériel  supplémentaire 


□ 


□ 


Tight  binding  may  cause  shadows  or  distortion 
along  interior  margin/ 

La  retiure  serrée  peut  causer  de  l'ombre  ou  de  la 
distortion  le  long  de  la  marge  intérieure 

Blank  leaves  added  during  restoration  may 
appear  within  the  text.  Whenever  possible,  thèse 
hâve  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
lors  d'unft  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 


D 
D 


Only  édition  available/ 
Seule  édition  disponible 

Pages  wholly  or  partially  obscured  by  errata 
slips,  tissues,  etc.,  hâve  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Les  pages  totalement  ou  partiellement 
obscurcies  par  un  feuillet  d'errata,  une  pelure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  r^ouveau  de  façon  à 
obtenir  la  meilleure  image  possible. 


n 


Additional  comments:/ 
Commentaires  supplémentaires; 


This  item  is  filmed  aï  the  réduction  ratio  checked  below/ 

Ce  document  est  filmé  au  taux  de  réduction  indiqué  ci-dessous. 


10X 

14X 

18X 

22X 

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30X 

7 

1 

12X 


16X 


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24X 


28X 


32X 


ails 

du 

idifier 

une 

nage 


The  copy  filmed  hère  has  been  reproduced  thanks 
to  the  generosity  of  : 

Library  of  the  Public 
Archives  of  Canada 

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filming  contract  spécifications. 


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générosité  de: 

La  bibliothèque  des  Archives 
publiques  du  C&Dada 

Les  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grarid  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
conformité  avec  les  conditions  du  contrat  de 
filmage. 


Original  copias  in  printed  paper  covers  ."^re  filmed 
be^inning  with  the  front  cover  and  endirig  on 
the  iasi:  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, or  the  back  cover  when  appropriate.  AH 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
first  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, and  ending  on  the  lest  page  with  a  printed 
or  illustrated  impression. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  — ^>  (meaning  "CON- 
TINUED"),  or  the  symbol  V  (meaning  "END  "). 
whichever  applief 

Maps,  plates,  charte,  etc.,  may  be  filmed  at 
différent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
beginning  in  the  upper  left  hand  corner,  left  to 
right  and  top  to  bottom.  as  many  frames  as 
required.  The  follov»  ing  diagrams  illustrate  the 
method: 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couvertuie  en 
papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
par  le  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  ura  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soit  par  le  second 
plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  comrp>ençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 

Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — »-  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  V  signifie  "FIN". 

Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


-rata 
o 


leiure, 
1  à 


1 

2 

3 

/ 


32X 


1 

2 

3 

4 

5 

6 

LA 


GUERRE  DE  SEPT  ANS 


DU   MÊME    A  ITEUR 


Louis  XV  et  le  Renversement  des  Alliances.  —  Pioliminaires 
fie  ]a  (Tiiene  de  Sept  Ans  (1754-1756).  1  vol    '"n-S". 

La  Guerre   de   Sept   Ans.  —  Histoire   diiiloraatiqiic    et   militaire. 
Vol.  I.  Les  Débuts.  —  Vol.  II.  Crel'eld  et  Zorndort. 


broUs  de  reproduction  cl  de  t  radial  ton  n'aereés 

pour  Ions  les  ptnjfi, 

y  cunipris  la  i^ardc  cl  In  JSurwijc. 


TYI'(l(il;WMIIK    rillMIN-DIDOT    Kl     C'\    —    MKSMI,    (Kl  IIK), 


fZl? 


RICHARD   WADDINGTON 


I.A 


DE  SEPT  ANS 


HISTdIRE  DIPLOMATIQliE  ET  MIIJTAIHE 


TOMI']  III 


MINDEN   —   KUNERSDORF  —   QUÉBEC 


?  ^' 


LIBRAIRIE    DE    PARIS 

FIRMIN-DIDOT  ET   C-,   IMPRIMEURS-ÉDITEURS 
56,  RUE  JACOB,  PARIS 


LA 


r.UERRE  DE  SEPT  ANS 


CIIAPITKK    PKEMIEK 

BERGEN 

INfURSIOX  DKS  irVXOVRIKXS  EN  KRANCONIK.  — IKRDIN'AM)  MARCIII. 

SrU    IRANCFORT.    —     RATAII.LK     DK      RKR(iKX.    LK    l'RIXCK 

UKNKI    l)K   PRISSK   A   UAMUKR(i. 


A  '1 


D'npi'i's  lo  pi'oii'i'ainmo  »''lalK)i'<''  à  Paris  1  ),  lo  roiniuoiico- 
iiiciil  (lo  la  cainpaiiiic  (rAllcniatiiio  avait  ôlô  lixr  an  iii<»is 
(le  juin;  à  cotte  ôpocjiio,  lo  niai'ôchal  do  Contados,  à  la 
lôlo  (lo  la  i"raii(lo  arniôo,  l'oi'to  do  80.000  lionmios,  (lo- 
vait onvahir  la  Wostplialio,  l'aii'o  les  si(\«os  do  Lip[)sladt 
et  Mmistor.  pousser  (U^vaut  lui  lo  prinoo  Ferdinand  au- 
quel on  alti'ij)uait  un  eiroctirdo  ÔIl.OOO  o()nd)altaids,  et  lo 
i'(\jotei'  au  delà  du  Wesor,  tandis  ({u'un  cor[)S  in(l(''pon- 
daut  de  20.000  lionuuos,  aux  ordres  du  duc  do  Tiroiilio. 
opiM'orait  on  Wottei'avio  et  on  liesse.  Kn  attendant  la  Ix'llo 
saison,  les  troupes  lVan('aises  consoi'voi'aiont  leurs  can- 
toniienients  actuels,  travailleraient  à  leuis  r(''parations  et 
rosteraiout  sur  la  d('d'eusive.  M;illiouroust>nient  pour  lo 
r(>pos  des  (|uartiors  d'iiivor  et  pour   la  ti'an(|uillit(';  dos 

(1)  Coniï'renra  clic/,  le  nian'clial  de  Rclleisle,  18  f(îvrier  l'.Mt.  Ardiivca  de 
la  fiuiMio.  Allemagne,  3.")I2. 

CtElUlK   DE   SKPT   ANS.   —   T.    III.  1 


L.\  GlIKIinE  DK  SEPT  ANS    —  CIIAP.  I. 


iioinbrnix  pcniiissiomiaircs  l'ovciius  «mi  Kraiicc.  \o  pi-iiico 
Kn'diiwiiHl  ir<''liiit  |»as  un  •)l)S('rval<Mii'  (idric  des  Itorincs 
tr'adilioiis  d  ii[)i'("'S  l('s<(iirll('s  les  iiiaiHiMlvi'cs  de  giin'i'c  dô- 
l)Ulai«Mil  cl  liiiissaicid  avec  les  Itcaiix  jours. 

Ccpoiidaiil  les  mois  de  janvier,  l'évi'ier  et  trois  semaines 
de  mars  s'écoulèrent  sans  incident  sérieux.  L'éclian.nc  des 
prisonniers  l'ut  oU'ectué  de  pari  et  d'autre  et  lit  consta- 
ter, iiu  crédit  des  llanovriens,  un  excédent  (Ij  de  '200  ol- 
ficiers  et  V.UOO  soldats  tranchais  ([ui  lurent  reJAciiés  [•!) 
moyennant  une  rançon  d(!  S'i-  francs  par  liomnie,  et  à  la 
condition  de  ne  pas  servir  pendant  le  cours  de  la  fiuerre 
contre  le  roi  de  l*russc  et  ses  alliés.  D'un  accord  com- 
mun, les  hostilités  lurent  i)res(|ue  tolalenvent  suspendues, 
et  des  arrangements  conclus  entre  les  counnandauts  lo- 
caux permirent  de  neutraliser  durant  l'hiver,  au  grand 
l»tin''lic<!  des  habitants,  certains  terrihn'res  de  la  rive  droite 
du  Rhin.  Otto  trêve  tacite  l'ut  rompue  par  lo  dépai'l  de 
Ferdinand  qui  «piitta  Munster  le  22  mars,  et  se  rendit  en 
liesse  où  il  s'était  l'ait  devancer  par  une  partie  de  ses 
forces.  Il  annon(;ait  l'intention  (3)  do  chasser  l'ennemi  de 
Fulde,  de  refouler  l'année  du  duc  de  Deux-Ponts  sur  la 
Kranconic  et  peut-être  jusqu'à  Band)erg',  puis  de  se  re- 
tourner contre  les  Fran(;ais  de  Broglie  en  marchant  droit 
sur  Francfort,  et  de  leur  enlever  rinq)ortanf  magisin  de 
Fi'iedherg  «  par  quoi  ils  seront  fort  arriérés  dans  leur 
campagne  ». 

En  esquissant  ce  plan  d'opérations,  Ferdinand  repro- 
duisait les  projets  dont  il  caressait  l'exécution  depuis  la 
lin  de  l'année  1758  et  pour  lesquels  il  n'avait  pu  ob- 
tenir [k)  le  concours  du  roi   de  Prusse.  L'occupation  de 


-I 

..*■■'■ 


(1)  Redon,  l'cklziigr  (1er  allirrtcn  Année,  vol.  II.  Ilainhoiirg,  180f>. 

(2)  Conladcs  à  Helleislfi,  21  novembre  1758.  Archives  de  la  Guerre,  3487. 

(3)  Ferdinand  i\  Iloldernesse.  Mun.sler,  21  mars  l/.Mi.  Record  Oflice. 

(i)  Frédéric  à  Ferdinand.  Rreslau,  li  janvier  17."»9.  Correspondance  poli- 
tique. XVIII,  p.  22. 


IKRDINAND  FAIT  UNR  INCUIISION  KN  FRANCONIK.  3 

Ki-niK  l'orl,  (|ui  assurait  aux  Fraii<;ais  un  solide  point  d'ap- 
piii  sur  le  Mein,  l'ut  une  nouvelle  cause  d'ajouinenient  ; 
mais  Tavis  «l'une  inrui'sion  des  Impériaux  suc  Kulde  et 
la  ciainle  «le  v«»ip  ltr«)uiie  s«'  Jet«'i'  sur  le  c'«»rps  isid«'' 
(lu  i»i'in««'  «riss«'ml»in',i;'  en  liesse,  «|«'Mi«|<'renl  le  L:«''n«''i'al 
lianovrien  à  «•«)ninien«'«'r  son  m«)uv«'menl.  Vers  la  lin  «lu 
mois,  il  avait  r«''uni  à  C.assci  environ  27,000  c«»nibatlants, 
r'«''pailis  en  lr<»is  <livisi«)ns,  sous  les  ordres  des  princes  d<; 
UiunsNvitdv,  «riloisfein  et  d'Isseinhurii.  L'expédition  «lé- 
bula  pai'  la  prise  «l«>  p«)ssession  de  Fultle  et  Meininp'u, 
«[ue  ruvant-s;ar«le  «lo  l'aruiée  des  Cercles  «lut  éva«u«M'. 
laissant  l)on  nombre  «l«>  ju'isouniers  enti-e  les  mains  «l«'s 
confédérés.  l»rès  «le  M«'inin,i;«Mi,  deux  bataillons  du  con- 
lin,i;«'nt  de  l'Electeur  «le  C«>lo,i;ne  uiirent  l)as  les  armes,  et 
à  Wassiuficu  un  autre  l)ataill«)U  d«*  rKmi)ir<'  lit  do  même  ; 
le  général  Arbei'i;',  (pii  accourait  à  son  secours,  fut  l'e- 
[xuissé.  Tu  p«'U  plus  loin,  l«'s  r(\L:im«Mits  autriclii«Mis 
Savoie  et  l{r«'tla«li  t'nr«'nt  sur[)ris  pendant  <]n'ils  étaient 
à  la  messe  et  culbutés  par  les  liussar«ls  bessois  avec  perte, 
pour  le  [)remier,  «le  ses  étendards.  Ces  l'ésultats  désas- 
treux étaient  «lus  t(»ul  autant  au  mauvais  esprit  «les  s«)l- 
dats  de  lEmpin'  et  au  man«[ue  d'entente  entre  leur  gé- 
néral eu  chef  et  Serbelloni,  commandant  «le  la  «livision 
autrichienne,  «ju'à  la  distribution  défectueuse  «les  cant«)U- 
nements, 

A  la  suite  des  écbe«'s  (|u"il  venait  d«'  subir,  Deux-Ponts 
supplia  le  «lue  «le  Broglie(l)  de  faire  une  «liversion  «jui 
lui  «lonuîlt  le  temps  «lo  concentrer  ses  tr«)upi'S  enc«>i'e 
disséminées,  A  cet  appel  le  général  franc^'ais  resta  sourd  ; 
menacé  «lirectement,  il  ne  p«>uvait  aider  son  voisin. 
«Je  «lois  croire  (2),  i'épon«l-il,  «jne  toutes  les  f«n'ces  des 


(1)  Dcux-Ponls  ^  Broglie.  Nuremberg,  2  avril  17.VJ.  ArcLives  de  la  Gi'erre, 
35  li. 

('}.)  Hroglie  à  Deux-Ponts.  Francfort,  -i  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 
351i. 


Il 


4  LA  GUI'RUE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 

t'iiiicmis   se   soiil    jxirircs  ni    liesse    où    le   |>i'iiu'e   l-'er*- 

(liiiaïKJ  esl   venu  liii-iiièiiie Il  <i  jxdissé  un   corps  en 

avant  aux  ordres  dn  [M'inee  «le  llolslein  enli-e  Kulde  el 
iterstein  ;  il  a  l'iiit   l'aire  des  ionrs  el  il  a  assendtlé  Ix'an- 

ronp  de  niaiiasins  el  de  eliariols  à  Kulde ;  il  a  Iteaii- 

(•oii|»  d'arlillerie  avec  Ini.  "  |{r(i,i;lie  écrit  (I)  à  Helleish' 
dans  le  même  espril.  Il  lanl  l'avom-r,  les  rappoi-ls  re- 
<;ns  sni"  l'armée  de  |)en\-l'oiils  n'étaient  pas  de  nature  à 
ren<lre  souliailahle  la  coopéi-ation.  Inleri'oiié  sui-  le  noin- 
In'c  et  le  moral  des  lioiipes  impériales  et  sur  la  liiîne  pro- 
l)al)le  de  leur  r<>lraite,  le  ministre  l'ram^ais  (Joei-lz  avait 
mandé  (pie  l'aiméi»  de  rKni[)ii'(>  était  dans  le  |)lus  mau- 
vais étot  et  (pi'il  ne  l'allait  [)as  compter  sur  "  plus  de 
10.000  liommes  sans  olliciers,  mal  armés,  mal  lia!)illés, 
mal  payés  et  de  mauvaise  volonté  »  ;  cpie  les  troii|)es  aiitri- 
cliieniies  étaient  neilleures,  mais  (pi'elles  ne  dépassuient 
pas  12  ou  IV. 000  liommes,  el  (pie  ([iianî  au  point  surleijuol 
M.  le  mince  de  Deux-Ponts  rétrouraderait.  il  é' 


1' 


V 


(jue  ce  serait  dans  la  direction  de  ]a  |{(»lièine.  n  Je  suis 
convaincu,  ajoute  l'ort  sa.sement  Hroplie,  (pie  tout  cela  est 
dans  l'exacte  vérité,  et  c'est  une  nouv(dle  raison  |)oiir  ne 
pas  s'aventurer  et  s*ex])osor  à  eu  être  abandonnés.  »  Il 
ii'étail  d'ailleurs  rien  moins  ([uo  rassuré  sur  les  inlenlioiis 
du  princi^  Ferdinand  :  >>  Si  le  mouvement  des  ennemis 
nous  rej^arde,  il  est  certain  (ju'ils  vont  ])en(laiit  «pichpies 
jours  rassembler  des  siii>sislauccs  derrière  eux,  en  char- 
ger des  chariots,  et  de  là  ils  seront  sur  nous  en  deuv 
marches  \ives,  selon  leur  coutume,  »  Il  a  peine  à  croire 
à  une  atta(pie  contre  le  poste  de  HeruïMi  (»ii  il  veut  réu- 


Ji 


ir  sou  monde,  mais  par  [)recaulion,  il  a])pelle  a  lui  les 
Saxons  et  invite  ArnuMilières  à  l'aire  une  diversior,  du  côté 
de  hyllemherg.  Ce  dernier,  en  hou  camarade,  et  (|Uoi(|u'il 


(1)  Bioglie  à  Iklleisle.  FraiicforI,  3  el  .'<  avril  1759.  Ardiives  de  la  Guerre, 
3514. 


FERrUNAM)  SK  RETOURNE  CiiNTRE  LES  i  RA>TAIS.  5 

fût  <r«>|»iiii«»ii.  ir.'i|>i'rs  les  i'n|)|M»i'ls  (le  ses  rspions,  (\[\o  Kn*- 
<lillilliil  rhiil  lie  rrloiif  l'i  MnilsItT,  tu  <1<>ll\  ilrt.-lrlM'IlUMlls 
•  le  H  l»jilfiill<tiis  sur  Allkirclicii  «•!  Si(•^lHM'^^  h'juid'o  purJ, 
r»liii/j'l  avec  :J.(MK)  lioiiiiiirs  »!(>  lrnM|K'S'  lry("'r<'s  s'avain'ii 
jiisfju'.'i  l''riiii»l\»'nl»ci',ii'.  occupa  F  rit /.lai-,  cf  puiir  imjir'cs- 
sidiinci'  rciiiiciiii  ciivitya  sctiiiincr  la  \  illc  de  (lasscl. 

Ces  (Icmniisfr'aliMns  ne  (l'ompci-ciif  pas  l'ctal-majoi'  des 
CMtilV'dciV'S  (pii  se  liMi'iia  à  diriger  2  Italailluns  coiili'o 
Silai/(d.  La  itrciiiicrc  parlio  <Iii  prouraiiiiiic  riait  accom- 
plie; restait  le  second  chapitre  «pii  coiisislait  à  tomher 
Mir  le  cirps  de  Uroulie  avant  cpi'il  pût  èlnî  secrmi'ii  et 
à  le  refouler  sur  le  Uliiii.  Dans  ce  luit,  l''erdinan<l  fit  l'c- 
venir  ses  troupes  de  la  Kraiicoiiie,  les  concentra  à  Kulde 
le  7  avril,  en  partit  le  10,  et  après  s'être  assuré  de  Freyens- 
ternaii  et  l'Iriclislein  dont  il  -liassa  h's  avant-postes  fran- 
çais, niai'clia  en  <Ii'oife  li^ue  sni"  Ki'anrfort;  le  12iivi'il,  il 
était  un  |)eii  au  nord  de  llaiinu,  sur*  Inri'  i- re  de  la  N'iddi, 
à  Windeken,  d'où  il  expulsa  le  réiiinient  de  Uoyal  Hoiis- 
sillon.  avec  perte  de  ses  bauaii'es  et  de  cpielcpies  pi'ison- 
niers, 

Maliiré  la  l»rus([uerie  de  ratta<|ue,  lîronlje  ne  fut  pas 
pris  au  dépourvu,  l'i-évcnu  de  la  rentrée  des  »(»nfédérés 
à'Kuldc,  il  activa  les  nu»uvenioids  des  Saxons,  donna  or- 
(IrtN'i  Saint-tlerniain  de  les  remplacera  l-ind>urii",  lit  venir 
son  parc  d'ai-lillerie  et  indicpui  le  villa.n'e  de  Uer^'en,  à 
i  lieues  d(>  Kr'ancfort,  comme  |)oint  de  l'assemldenienl  tré- 
lierai.  Voici  en  (pnds  termes  il  rend  com[)t(>  (l)de  la  si 
lnati(»n  à  helleisN»  :  "  ("omme  cela  m'a  paru  pressant,  jo 
suis  monté  aujourd'hui  à  che\al  a\ant  le  joui*;  je  mo 
suis  porté  à  Willtel  où  depuis  plusieurs  joui-s  j'avais  fait 
conduire  la  jirosse  artillerie  et  des  pontons.  J'ai  l'ait  je- 
ter deux  ponts  sur  la  Mdda  et  j'ai  attendu  avec  cpud- 


(1)  Broi^lic  à  Belleislo.  Bei'};»'!!,  8  tieures  soir,  13  avril   175',».  Arcliivcs  de 
la  Guerre,  35li. 


-^iU-U 15 


«PISiiiHMii 


LA  GUPJtKE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAIV  I 


(|ii<'   mipnhi  liée  I  ;ii'I'iv(M'  <I(>s  iroupcs  (|iii  so'-l.  ii 


I  (lin 


Kl  - 


Icinriil  (l(>s  ('.'UiioniKMiHMils.  Kiiliii  vci's  midi  cllrs  mit 
(■oimnoncr  A  jiri'ivci'  de  Ions  cùIrs  <>!  elles  le  soiii  toutes 
aeluelleiiiei;! M.    «le   (lasli'ies  est   reveim  Jivec    toutes 


les  ti 


roiiiKs  qii  II  iiNJiM  avec  mi,  et  il  me  ra 


l|)|)0|'l 


e  (jii  ou 


lie  peut  |)i'es(jue  |)lus  donler  (|ue  les  emieiiiis  ne  mar- 
cliont  sur  trois  cohinnes.  Le  seul  i'éi;imeiil  de  lloyal 
Uoussillon  (|iii  était   à  \Vind(>l\en  a  perdu  ses  é'|uipai;'es 


(Mie  les  hussards  noirs  o 


ut  pi 


is. 


occupe   est    trouve 


Tort 


Le  poste  (p!(>  l'arme* 
l'li( 


MOU  par  l(»us  les  olliciers  géné- 


raux el  |)ariiciiliers;  nous  avons  eu  le  lemps 


le  t( 


d'v  |)l 


icer 


les  troupes  aujourd'hui  et  tout  est  en  ir.ule.  Si  les  enne- 
mis uous  y  alta(|ueut,  il  me  semlde  (pie  tout  l«>  mond(>  a 
beaucoup  (reini(  de  taire  son  devoir.  J'ai  |)r('>vei»u  M.  do 
Sair.l-tîei'iiiaiii  de  l(Uil  ce  (pii  se  passe;  je  crois  (pi'il  vien- 
dra le  plus  diligemment  (ju'il  pourra.  Il  aurai!  ('tt'  à 
souhaiter  cpi'il  eut  r\t'  en\(>y(''  (pie!(pi(>s  jours  phis  \ù\... 
(liesseii  a  tout  ce  (pi'il  I"au1  pour  ui:(>  hoiine  (h'-l'ense; 
enihij'ai  lîUdn''  de  ne  ri(>i«  ouhlie'-.  Le  mai^iisiii  de  Fried- 
hei'u  sera  vrais(Muhlal>lemeiit  perdu.  » 

Nous  en  pruiitons  à  la  relation  de  l'Ktal-Major  Iraii- 
(•ais  (I)  la  description  suivante  du  lh('At!'e  «le  l'action  (pii 
allai!  s'en,i;at!«M'  :  <>  Le  poste  de  IJei'ii'eu  ([u'il  lie  i\{U'  de 
lîroulie)  avait  reconnu  il  y  avait  l«)iii:temps  «^1  «pi'il  avait 
mand«''  à  la  cour  «Mre  excellent,  est  d'une  petite  (''t<Mi- 
diie.  La  dr«»ite  appuie  au  villaii'e  (hr  IJer,i;(Mi  (pii  est  plac('^ 


1; 


sur  le  !)«)r«l  «lu  ruisseau  (jiii  c«»niiiuie  depuis  la  jus<pi  Ji 
l'ranclorl.  o\  est  tivs  escai'pi'*  proche  de  lîeriren,  ipii  (>sl 
j  iilouiv  de  \«M'j;«M's  t'eriiu's  d'une  haie  vive,  a' ;'c  heaii- 
coup  de  pommiers  on  avant  dont  «m  l'orma  un  ahatis.  A 
la  liauche  (Mail  un  hois  dans  l(>(|uel  se  trouve  aussi  ui 
escarp(^'.ieut  Lrs  raide  (pii  tourne  ius«|U(>  vis-à-vis  >Vil- 


(!)  Kolalioii  (ti!  l'Ktal-Majoi'  l'iaiii ;ais.  Aicliives  «h;  lu  Giiuie.  vol.  3:il  i.  (Voir 
la  ciL^to  à  la  lin  dti  vuliiine.) 


DKSCUIPTION  DU  LA  l'OSIilON  UK  ItERUKN.  7 

Ix'l  et  qui  se  IcM'litinr  .'i  la  iN'idda.  hr  In  (iruilc  au  ('«Mlll'o, 
le  (ri'i'aiu  va  ni  uioulanf  iusi>itsil)l(Mn(Mit  jusiprà  unt>  au- 
cicniic  lour,  tjui  csf  le  pm'nt  le  plus  rlcNr  Au  pays,  cl  il 
rcdcsccud  dr  là  di'  uirnic  juscpi'à  la  iiauciic.  l/cufre- 
iW{]<.  du  'iilai^c  au  'ois,  csl  une  plaiuc  lîrs  rase  coupro 
Irausvci'salcruout  pai-  un  faviu.  (Icllc  posiliou  oMiiicait 
n(''f('ssi;ir(MU('ul  Irs  (uiuniiis  à  attaipus'  un<*  des  deux  ailes, 
et  UKUUc  les  deux,  a  vaut  de  pouvdii-  ruarclici'  à  la  Iftur 
cl  de  se  uu'llrc  daus  Iv  iMMilranl.   » 

(louiuic  t»H  le  voil.  la  (-li>r  d(>  la  di-IVusc  rlail  !<•  Jxuîric 
de  H(M';;<>u.  Kutout'é  d'uu  uiur  de  dou/c  à  dix-liiiil  pieds 
de  liauleui'  el  de  trois  pieds  d'épaisseui',  uiuiii  d'uu  ehà- 
leau  el  d'une  (\i;lis<>  (|ui  p(>u\ai<'ul  servir  de  ivduil,  IJer- 
iicu  élail  un  posiez  lorl  i'esp(>clalde,  eapahle  d'uise  resis- 
lauee  sérieuse;  Nuil  a»  .oins  un  assaiil  <1i"'ii;é  eoiilre  lui 
devi'-'il-il  être  précédé  du  l'eu  de  l'aflillerie,  (ju'ii  sérail 
d'ailleurs  facile  d'(»u\  r!i'd(>  réniiuence  V(<isiue  «  \ni  iiolieu 
SIeiu  »,  siluée  à  uii  kil<»uu''lre  «Mivirou  de  l'eiicciulo. 

1.0  pelil  plaleau  où  la  Italaillc  l'ut  livrée  n'a,  daus  sa 
parlie  découverte,  (|u'uue  lariicur  de  1.100  uu'Mres;  la 
l'orèl  de  Wi'.'oei  à  i^auclie,  le  villai;,'e  do  itevij'oii  à  droite, 
le  olieuiiu  creux  (|ui  faisait  couiuiuiiiijuer  ces  deux  loca- 
lités au  ceuire,  reudaieul  peu  aocessihle  la  jxisitiou  choi- 
sie par  Uro.ulie.  Kii  outre,  taudis  (|ue  de  la  tour  de  lîer- 
jUiM'-Warte  ou  douiiuail  les  foruialionsdu  prince  Kerdiuaud 
et  (pi'ou  était  à  pm'muc  de  suivre  f<Mites  ses  uiana'uvres,  la 
nature  du  leri-aiu  p(>ruu'ilali  :vi  ooutraire  aux  Krau(;ais 
de  dissimuler  !e  ui'os  de  leui's  tritupcsdaiis  la  forêt,  dei-- 
ricre  la  crête  on  dans  les  ru(>s  et  maisons  de  Her.yen. 
li  infériorité  sup|)osé(>  de  l'adversaire  expli<pio  la  précipi- 
tatiiui  des  mouvements  de  Kerdinaud  el  le  [)eu  dcnioyei 


ÎS 


([U  il  ci'ut  utile  d'y  atlecter. 

Dans  Hei'geu  même,  le  t-éuéral  fraiu;ais  plai.-a  huit  ba- 
taillons allemands  et  srisscssous  les  ordres  du  harou  île 
(llu'en;  eu  dehors  (le  la  Uiuraille  et  à  [lortée,  onze  liatail- 


WÊmm 


8  LA  ciKumî  m:  skpï  ans.  —  ciiai».  i 

lotis  IVniK.'nis  cl  (l(Mi\  l>;il;iilloiis  suisses,  sous  la  dircclinii 
siipri  iciirc  (lu  |)rinc('  (Iniiiillc  <lr  L»»i'f;iin(',  Jissisir  des  iiiii- 
irchaiix  de  cimii)  d'Orlick  el  Siiiiil-(lli;iniiiiis;  d(«rr!èi'('  le 


)MlS    ( 


le  \Vill»el.    le  eoiitiliiiciil  s;i\nii  e|.   eii  l'ései'Ve,   li'dis 


Id'i.miides  IViUM'aises.  An  centre,  eiilrc  les  deux  ailes  cl  en 
arrièi'c  de  \<  l<»iir'  de  IJei",i;or-\Vai'le,  la  .urosse  cavalerie 
sur  trois  li.uiies;  les  dra.iioiis  scrvaid  de  soutien  au  ceidre 
et  à  la  uanchc;  cnlin  rartilierie,  conimandée  par  le  che- 
valier INdl(>lier.  sur  le  Iront  de  halaille.  hél'alcalion  laite 
(U\s  fiarnis<»ns  de  llanati,  (''rancloi-t  et  autres  villes,  les 
l''rau(;ais  avaieid  présents  à  Taction  'iS  hataillons,  V2  os- 
cadrt»ns  et  d(>s  ti'oupes  léiiV-res,  soit  2!>. ()()()  à  .'M).(KK)  coni- 
liattants.  l/arnM''e  du  pi'inc<*  Kerdinand  (oniptail  (1)  -l'y  ba- 
taillons l'éiiuliers,  .'{!>  escadr(tns  et  :{..")()(>  des  (  orps  i'rancs, 
soit  en  tout  -11 AHH)  lioninies.  Les  eU'ectils  étaierd  à  peu  près 
cf;au\  de  |)art  et  d'autre;  les  Kran(;ais  avaieid  j)lus  di^ 
fantassins  et  de  canons,  tandis  (|ue  l<'s  coid'édéi'és  l'eiu- 
porlaienf  (2)  en  cavalerio. 

Aussitôt  (pie  Kerdinand  eut  connaissance  des  mesures 
pris<>s  ])ar  Hro.ylie  pour  la  concentration  de  s(»n  ariin-e  à 
IJerifen,  il  (l(''cida  de  l»rus(pier  ren.yaiicnient  :  «  (^oiiimo 
toute  l'.ioii  expédition  exigeait  lieaucoup  de  C(''l('M'it('',  (''cril- 
il  Cli.  je  n'^solus  de  niarclier  à  eux  sans  perdre  de  t(  nips.  <> 
Mali;iv  la  fatiiiiie  des  lrou[»(>s  ([ui  veiiai("nl  de  l'aire  trois 
('tapes  |orc('>es,  ordre  lut  (Ioiiik''  aux  divisions  de  se  iiiettri^ 
en  roule  a\aiit  le  jour  et  de  se  porter  le  plus  rapide- 
iiient  possilde  sur  le  plateau  de  lieriieii. 

Vers  huit  heures  du  inatiii,  l'allaire  d(d)ula  (4)  par  des 


(I)  iiodiMi,  vol.  u,  |).  i;. 

('i)  li(;s  cireclifs  (l(!s  itaiilons  ol  escadrons  confédérés  étaient  plus  forts 
(|ue  ceux  des  iinilés  f     iraiscs  corrcsiiondantes. 

(:t)  Fi-rdiiiand  à  llo^     rni-ssc.  Wind.kcn,  li  avril  175'.».  Hocord  Oflicc. 

Il)  Lo  récil  di'  la  balaillr  de  llor^-rn  est  tiré  des  rappoils  (li>  Hro^lii',  du 
liriine  l'"<'r(liiiaml,  de  \Viil};cnaii,  de  la  (iiscliirlilr  i/cv  Sichnijiiln  iijcn  h'iir- 
fjcs,  vol.  III,  Ht-rlin.  I.S28;  Sodenstern,  UicSchladil  bei  lirrgcn,  Kassel,  IHCi  ; 


«f 


AI'TAQIIK  DU  VILLAGE  DK  HER(.r,N. 


rscarinoiU'Iics  dans  1('  }t(»is  ilc  WilIx'I  nilrc  les  troupes 
leurres  des  deux  iii'inées,  el  par  la  |»rise  de  possession  du 
pont  de  celte  localité  par  les  llano\  riens,  bientôt,  lent* 
avanf-.uai'd'' ,  sous  Jes  ordi-es  du  jn'ince  héréditaire  de, 
Urunswieli,  couronna,  la  liautcuir  Ani  liolien  Stein,  ouvril 
la  canonnade  avec  les  trois  pièces  de  f^i-os  calihre  (pi'fdlo 
avait  anieiMM's  et  lan«;a  des  c(»lonnes  d'assaut  sur  Iteriicn. 
(liions  le  récit  <pie  l'ait  le  princ(>  Keivlinand  (\)  de  la 
|)rernière  atta(|ue  du  v'lla,L:e  :  .'  Lorscpu^  j'arrivais  avec 
lavant -li'arde,  consistant  en  trois  hataillons  de  i;renadiei's 
et  les  troupes  léyéres,  soutenus  par  on/e  escadr-ons  et  sept 
Italaillons  avec  du  .uros  canon,  les  eniienns  n'étaient  pas 
encore  formés;  je  reniar(piai  niêine  de  la  confusion  |)arnil 
eux. ...le  nrapei(;us  par  le  tei-rain  <|U(  je  pouvais  décou- 
vrir, (pie  je  devais  coininencer  par  [)rendr'e  le  \illa.î:(>  de 
Heriien,  paur  p^ngiior  la  hauteur'  (jui  est  derrière  ce  vil- 
la,sie,  (>l  (,ù  je  ne  <lécouvris  alors  <[u'un  coi'ps  d'à  peu 
près  V.OOO  ho'unies.  Leur  canon  conun(n<;a  à  jouer-,  mais 
t'aildement.  .le  l'ésolus  d'atla'prer'  le  villaj;*'  et  lis  pr-esser 
la  mar'clK'  des  colonnes.  Kn  attendant,  les  gi'enadiei'S  s'é- 
taient por'tés  avec  uiu'  valeur-  tout  e.xti-aordinaire  contr-C! 
le  villapc,  (pioi(iue  un  peu  Ir-oj)  tôt;  ils  chassèi-ent  l'en- 
n«Mni  des  jar-dins  <'t  le  poussèrent  dans  le  villa.ue.  <<  iTa- 
pr-ès  le  pr-in(-e,  l'épuisement  des  munitions  tit  avoi-ter  la 
tentative  :  «  Ayant  tir-é  tous  les  (W)  coups  ([iiils  avaient,  ils 
conimencèr-enf  à  se  r-eplier  dans  le  même  temps  (pie  le 
|)rince  d'Issernhui'i;' s'avari(;ait  pour-  les  soulenii-.  " 

L'assaut  des  llanovriens,  à  la  tète  d(>s(|iiels  marchaient  les 
,i:r'(Miadiei-s  des  hatailloiis  llehn  (>t  (Ir-amirr,  fut  viveinerrt 
mené  et  eut  p(»iir'  r-ésultal  de  rerouler  les  (léf(Miseur*s  der-- 
i-ièr-e  les  mur-s  du  Ixuiri:.  lîr-oiilie  iîppuya  ceux-ci  des  r-étîi- 
menls  de  l'iémont,  Koyal  l»oiissill(»n  et  Alsace,  el  r'erd'or-(;a 

\V('st|iliali'ii,  Crsrhivlilf  (Icr  Feldz-lii/cdcs  llerzoï/s  l'vnUnand  v.  Ilraiinsch- 
ii-eiy,  ll(Mliii,  1S7I  ;  Hrdt'ri,  Tiigehiirli,  i'\c.,  etc ... 
(1)  rcidiiiaiid  il  Iloldcnicssf.  Lic^aûiayn,  "2:1  iiviil  I7.V.».  Ikcoid  Ollicc. 


10 


LA  r.L'ERUE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  I. 


I  I' 


SOI)  f'xti'ônio  droite  dos  rég'inicnts  suisses  do  CnstoUa  ot  ^\(' 
Hioshiicli.  Ofto  niJiiMi'iivi'o  foivji  roiiuoini  à  la  rotraito; 
mais  sur  oos  oiili'oraifos,  voi-s  dix  houros,  la  division  d'Is- 
soiuhuri;'  oiilcait  on  lioo;  ses  proiuiors  lialaiiloiis  s'ôlaiicô- 
l'ouf  aussilôt  au  socoui's  des  assaillants,  tandis  (|uo  le  reste 
se  déploya  sur  le  [)lateaii.  La  seconde  tentaliv<'  des  ronfé- 
dérés  eut  d'altord  le  même  sueeès  (jue  la  |)remière  et  lit 
l'oculer  le.;  Kraneais  Jus([ue  dans  l'intéi'ieur  de  litM'.uen. 
C'est  à  ee  moment  (|ue  se  place  la  confro-attacpn'  victo- 
rieuse ([uo  raconte  la  relation  de  rEtJit-Major  français  (1)  : 
«  Alors  M.  le  duc  de  IJrof^lic  mena  le  régiment  de  Holian 
le  Inn^  des  vcrj^ers,  fit  cidrer  celui  de  Beauvoisis  par  la 
rue  du  villa.ee  et  ordonna  <[u'ils  fussent  soutenus  par  Dau- 
pin'n  et  Knpliien.  Ces  troupes  réunies  atta(|uèrenl  l'ennemi 
avec  tant  de  couraîj;c  qu'elles  le  chassèrent  et  le  mirent 
en  jirand  désordre.  »  Le  prinsc  d'Issend)uri;'  (jui  accou- 
rait avec  du  renfort,  fut  entraîné  dans  la  déroute  et  tué  en 
cherchant  à  rassend>ler  son  monde.  Extrayons  du  rapport 
du  prince  Ferdinand  le  passage  consacré  à  cet  épisode  :  «  Ce 
mouvement  opposé  des  uns  et  des  autres  y  mit  la  confu- 
sion, rpii  augmenta  à  mesure  ([ue  le  feu  des  ennemis  de- 
vint plus  fort.  Le  prince  (rissend)urg  fut  tué  et  tous  ses 
bataillons  revinrent  en  si  grande  confusion  ({uc  j'eus  une 
peine  iidinie  de  les  rallier.  Us  perdirent  cinq  pièces  de 
canon  qui  restèrent  dans  le  village  et  qu'il  n'y  avait  pas 
moyen  de  rattraper.  Les  ennemis  sortirent  du  village  avec 
des  grands  cris,  en  poursuivant  notre  infanterie;  je  cou- 
rus aloi's  à  la  cavalerie  pour  la  faire  avancer.  Le  régiment 
hessois  du  (>orps  (hinna  ;  les  Français  furent  renverses  et 
renvoyés  dans  le  village  dans  un  instant.  Nous  fîmes  à 
cette  occasion  150  prisomiiers.  On  réussit  à  la  fin  de  ral- 
lier l'infanterie,  et  elle  fut  ramenée  sur  la  hauteur  vis-à- 
vis  de  celle  qui  était  occupée  par  les  Français.  » 

(!)  Relation  de  l'Élal-Major.  Aicliivcs  de  la  Guerre,  vol.  3hli. 


CONTHE-ATTAQUK    DES   FRANÇAIS. 


11 


Coinplf'foiis  fc  ivcit  par  les  docuiiionts  fraïuais  :  ha 
conti'('-alta(jii('  à  la(|uollp  fail  allusion  le  prince,  avail  ('lé 
laite  par  l(>s  rét;iineiils  de  Uoliaii  et  de  Heauvoisis.  ('.(>lte 
brigade.  eiitralné(>  par  son  ardeur,  s'était  mise,  en  dépit 
des  oj'di'es  donnés,  à  la  poni'suile  des  l'uyards.  Mal  lui  en 
pi'it;  elle  lut  chai'iiée  par  les  cuirassiei's  hessois  et  forcée 
de  reg'aitner,  avec  des  perles  sensibles,  l'abri  des  murs  de 
Hei'uen.  A  leur  tour,  les  Hessois  furent  arrêtés  pai"  le  feu 
do  l'arlillei'ie  (>t  l'entrée  en  scène  de  dix  escadrons  (pie 
liro.ulie  détaclirt  contre  eux.  Il  n'y  eut  pas  au  coui's  de  la 
journée  d'autre  rencontre  de  cavalerie,  et  cependant,  il 
semblerait  (pie  le  désordre  des  confédérés,  après  la  mort 
d'Issemburp',  aurait  pu  être  transformé  en  déroute,  si  le 
fiénéral  fran(;ais  eût  fait  appel  à  cette  arme. 

Uéfiai^és  par  le  succès  des  Hessois,  les  bataillons  du 
prince  béréditaire  furent  ralliés  [)ar  leur  vaillant  clief  et 
tirent  un  nouvel  effort  pf>ur  s'em])nrcr  de  IJcriicu;  ils 
furent  repoussés,  l/infanterie  française  s'avam-a  derecbef 
et,  en  dé|)it  des  démonstrations  de  la  cavalerie  ennemie, 
fit  nn'ne  d'aborder  la  crête  sur  lafjuelle  s'était  retirée  l'ar- 
mée de  Ferdinand.  «  Les  clioscs  paraissaient  très  péi'il- 
leuses  pour  nous,  écrit  (1)  le  narrateur  banovrien;  par 
bonbeur,  le  tiénéral-lieutenant  Wuttienau  arriva  avec  six 
bataiUons  (pii  avaient  couru  près  d'une  lieure  et  i)erdu 
pres(jue  la  respiration.  »  L'apparition  fort  opporlnm^  de 
cette  division  fraîcbe  permit  aux  alliés  de  reformer  leurs 
unités  fort  éprouvées  pa?"  le  cond)at  du  matin.  A  partir  de 
ce  moment,  l'ensia^iement  dégénéra  en  une  lutte  d'artil 
lerie.  «  Nous  restAmes  ainsi,  dit  la  relation  allemande, 
sur  le  tei'rain  (jue  nous  avions  soutenu,  en  essuyant  jiis- 
(pi'à  liuit  beures  du  soir  la  plus  terrible  canonnade  (|u'<tn 
eût  jamais  entendue;  les  ennemis  ne  montrèr<>nt  point 
l'envie  de  nous  atta(]uer...  Nous  avions  planté  deux  cents 


(1)  Rapport  de  Wulgenau.  Windfkea,  14  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


il 


«^i^«^ 


12 


I.A  OUERHK  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


/' 


|)fis  (loviiiil  los  rr.ii'iinoiils  .ros  liiiit  ,ei'(»s  fiinoiis  avoc  les 
pirccs  (!<•  n'.iiiinciils.  (Icllcs-ci  lircul  l'en  sur  loiil  (•(>  (|iii 
so  piTscnlîiil  (les  ciiiMMiiis,  Ijiiulis  que  les  aulres  lii'jiieut 
(•(»ulinu<'lleuieul  vers  les  ligues  des  euueuiis  el  vers  Her- 
jien;  les  euiieuiis  ne  l'esl.iieut  pas  eu  arrièi-e,  leurennou- 
uade  fui  luèni"  plus  forte  et  on  n'en  a  jamais  vu  si  opiniA- 
Ire,  (pii  a  dni'é  12  heures  de  siiile.  n  [.a  retraite  coinnieiu'a 
à  10  heures  du  soir;  le  prince  l''er<linaiul,  <pii  resta  l'un  des 
derniers  sur  le  champ  de  bataille,  ne  rentra  à  Windekeu 
qu'à  2  heures  du  matin. 

Ainsi  que  le  prouve  ce  récit,  les  dispositions  ([ue  jirit 
le  général  hauovrien  après  l'an'ivcc  de  NVuti^'enau  en  im- 
posèrent au  duc  de  Urofjlie  (pii  craitinit  une  reprise  du 
C()ud)at.  Revenu  à  la  tour  de  |{ei;i;er-\Varte  et  coinplète- 
ujent  rassuré  du  côté  de  Willxd,  il  renl'ori.-a  son  centre  d'une 
iii'osse  l'éserve  d'infanterie  (Mnprnntée  à  sa  tiauche.  h  II 
attendit  ainsi  à  quoi  allaient  aboutir  les  maïueuvres  des 
ennemis,  mais  tout  se  passa  eu  canonnades  e\tréuu>ment 
vives  qui  firent  beaucoup  souH'rirles  brigades  qui  étaient 
à  la  tète  du  village,  ayant  tiré  à  cartouche  avec  de 
iiivtsses  pièces  et  à  une  portée  qu'on  croyait  inqiossible, 
mais  cpii  était  ce[)endant  ti'ès  meurtrière...  l'n  moment 
avant  la  nuit,  les  alliés  portèrent  [)lus  d'infanterie  vers 
le  villafie  comme  pour  l'econnnencer  une  nouvcdle  at- 
taque, et  à  II  heures  du  soir,  ils  tirent  leur  retraite  et 
marchèrent  tonte  la  nuit.  » 

Maijiré  leur  bonne  altitude,  les  confédérés  étaient  en 
fort  piteux  état.  "  Nous  avons  passé  la  nuit,  écrit  Wutge- 
nau.  sans  feu,  sans  eau,  sans  pain,  la  [)lui)art  des  régi- 
ments ayant  laissé  leurs  havresacsà  Windeken.  »  Ils  em- 
pf»rtèr<Mit  cependant  du  clunnp  de  l'action  leurs  blessés, 
dont  les  plus  gravement  att<Mnts  furent  abiuidonnés  dans 
les  villages  des  environs.  Leur  perte,  évaluée*  à  (i.OOO  par 
le  duc  de  lîroglie,  s'éleva  d'après  le  rapport  ofliciel  de  l''er- 
diuand  à  122  officiers  et  2.V93  soldats  tués,  blcssésou  pris; 


IMPORTANCE  DE  LA   IIATAILLE  DE  IIEIIGEN. 


13 


colle  (les  Fraiirais  fut  égale  sinon  supérieure.  I^e  maréchal 
(le  Coiilades  ^1)  donne  le  cliilIVe  de  .'l.VOO  el  1<>  cuniniis- 
saii'e  des  guerres  Duniouriez  parle  de  -2. 000  idessés  dans 
les  liùpilaux  de  Fi'ancCort,  dont  (pi(d<pM>H-uns  app.irlenaid 
à  l'armée  conledéive.  hans  celle  de  Hi'oglie,  les  hal. ni- 
ions qui  avaient  coniribué  à  la  défense  de  lterg<Mi  sup- 
portèrent à  (>ux  seuls  tout  le  poids  de  l'alfaire;  ils  y  lai^;- 
sèrent  pres(pie  le  (juai't  de  leui'  ellectif.  La  cavalerie  n'eut 
<jue  13  (tfliciers  et  soldats  lioi-s  de  cond>at;  dans  le  coi'ps 
saxon,  le  seul  oflicier  i'rap|)é  fut  le  lieutenant  généi-al 
Dylieru  (]ui  mourut  de  ses  blessures.  Cimj  canons  restèrent 
au  pouvoir  du  vaincjueur. 

Au  surplus,  la  victoire  de  Rergen,  médiocre  comme 
résultats  si  l'on  n'envisage  que  ceux  de  l'engagement, 
eut  p(»ur  ell'et  de  mettre  lin  à  l'enti'eprise  du  pi'ince  Fer- 
dinand <i  L'événement  est  bien  inijxu'tant,  écrit  Soubise 
de  Vei'sailles  (2).  un  succès  différent  entraînant  la  perte 
de  i'Knqjire  et  nous  faisant  honteusement  repasser  le 
Uhin.  »  GrAcc  à  sa  prévoyance  et  à  la  rapidité  de  sa  con- 
centration, Hroglie  avait  conjuré  le  péril,  et  c'est  avec 
une  satisfaction  légitin  e  (|ue  le  rédacteur  du  i'a|)port 
fram^ais  j)ouvait  dire  :  u  Lorsqu'on  se  rappellera  <(u'on 
n'a  pu  avoir  de  nouvelles  cei'taines  de  la  marche  des 
ennemis  que  le  11  au  soir,  que  l'armée  était  séparée  de 
plus  de  80  (juartiers,  ([u'elle  a  été  rassemblée  et  a  gagné 
la  bataille  en  3H  heui'es,  (jue  tous  les  magasins  ont  été 
conservés  et  (pi'il  a  été  pourvu  aux  garnisons  et  à  la 
sûreté  des  villes  de  llanan,  de  (Jiess<Mi  et  de  Mayence,  on 
trouvera  qu'il  n'y  a  point  eu  de  tenq)s  perdu  et  ([u'il 
fallait  que  toutes  les  précautions  fussent  !)ien  prises  d'a- 
vance. I) 

Si  le  choix  du  cluunp  de  bataille,   si  les   dispositions 


(t)  Conladcs  i\  Belleisle.  Francfort,  2G  avril   I7.V.».  Arcliives  de  la  Guerre, 
351  i. 
(2)  Soubise  à  "Castries,  29  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


i^^m 


14 


LA  GIJKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


<  1 


i 


sur  lo  tcri'uiii  pour  la  (IrTcnsc  l'onl  honneur  au  général 
l'i-uncais,  il  faut  avoiU'i*  i|U(>  pendant  le  coniUat  il  péclia 
par  liinidilé  ou  e.\<-ès  de  pi'u<ience.  Ferdinand  au  eon- 
Iraire  eonnnil  des  fautes  «l'ordre  o])posé;  la  liAte  et  le 
décousu  ^hi  son  attn({uo  lo  ccMidainnaient  à  une  dél'aito 
poui'  peu  «ju'il  l'encontrAt  uiu>  l'ésistanee  sérieuse.  Il  se 
trompa  sur  les  forces  de  so'.i  adversaire,  u«;  lit  pas  pré- 
céder l'assaut  <l«!  rinlanteri(^  d'une  action  suffisante  de 
l'artillerie,  crut  inènie  ([u'clle  n'était  [)as  indispensable, 
et  exposa  eu  conséquence  son  armée  à  un  échec  (jui  au- 
rait pu  tourner  en  désas'iro.  Sur  les  2i  pièces  de  gros 
canou  que  Ferdinand  avait  emmenées  de  (lassel,  il  n'en 
utilisa  que  11,  et  encore  la  plupart  n(;  commencèrent 
à  tirer  qu'à  (>  heures  <lu  soir;  par  contre,  il  oui  beau- 
coup à  souffrir  des  batteries  supérieures  des  Fran(;ais, 
sui'  'Ut  de  celles  qui,  i''tal)lies  sur  la  lisière  du  bois  {\v. 
Wilbcl,  enfilaient  ses  lignes.  La  le(;on  ne  l'ut  pas  perdue; 
elle  l'ut  d'ailleurs  soulignée  par  le  roi  de  l'riîsse,  «pii 
dans  sa  correspondance  avec  Ferdinand  n'hésite  pas  à  at- 
tribuer l'insuccès  au  manque  d'artillerie.  Dès  le  len<le- 
main  de  la  bataille,  le  prince  porta  ses  efforts  sur  l'aug- 
mentation et  la  réorganisation  <le  cette  arme,  avec  <les 
résultats  que  nous  aurons  l'occasion  de  constater  dans  le 
cours  de  la  Cumpagnc. 

Dans  le  canq)  fran(;ais  on  sut  gré  au  général  <le  sa 
victoire.  «  M.  le  duc  de  Broglie,  écrit  Dumouriez  (1),  fait 
donner  une  gratification  en  vin  et  en  viande  à  ses  trou- 
pes; elles  l'ont  bien  méritée.  Il  en  a  tonte  la  confiance  et 
la  plus  naïvement  exprimée.  »  A  Versailles,  <lans  le  cercle 
intinu.'  du  Koi,  on  ne  partagea  pas  l'enthousiasme  <lu  sol- 
dat, u  M.  le  duc  de  iiroglie,  mande  Soubise  (2),  n'obtien- 

(1)  Dumouriez  à  Fumeron.  Fraiicfoil,  ti  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3514.  Le  futur  iiiini.slre  tt  général  de  la  république  était  alors  commissaire 
des  guerres  à  l'année  d<;  Hroglie. 

(2)  Soubise  à  Castriez,  29  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


^)l 


RROOUE  MAL  VU  A  LA  COm. 


15 


(Ira  pas  la  fii'Ace  «loiit  il  pourrait  se  flaffri*.  Srs  lettres  ne 
iV'ussisseiit  pas;  je  crains  inêmc  ([ii'clh's  ne  fass«'nt  tort 
aux  réeonqu'nses  (|u"il  demande  pour  les  ol'lieiers  pîirli- 
cnliet'S.  »  Iteeonnaissons  néanmoins  ([ne  Sonhise  remi 
justice*  aux  (jualités  de  son  ancien  lieutenant  :  «  '  ussi  je 
pense  oi  je  dis...  ([ue  M.  le  duc  de  hi'ojilie  mérite  heau- 
coup...  ([uil  faut  s'en  servir  et  lui  passer  les  défauts  de 
son  caractère.  »  Helleisle,  tout  en  adressant  au  vaincjueur 
l<>s  félicitations  ohlinatoires,  y  joiiinit  (1)  des  criii(]ues  au 
sujet  de  la  faiblesse  de  la  poursuite  et  de  la  cipture  pîir 
l'ennemi  de  l'jiôpital  d"llanau  dont  le  bruit  était  parvenu 
au  ministère.  Pour  le  coup,  liro^lie,  d'ordinaire  très  froid, 
se  i'Aclio  et  emprunte  pour  sa  réplicpu»  (2)  le  ton  et  la  viva- 
cité de  son  frère,  l'ex-andiassadeur  de  Dresde  et  de  Vai'- 
sovio  :  «  Pr<'miè)'ement,  monsieui'  le  maréchal,  le  fait  est 
faux;  rin')pital  n'a  j)oint  été  pris  et  les  ennemis  n'en  oui 
j)oint  approché;  •i°<[uand  ils  l'auraient  pris,  cela  aurait 
été  peu  étonnant  et  très  pardonnable  pour  deux  rai- 
sons :  la  première  ([ue  la  vie  des  hommes  étant  pré- 
cieuse, il  vaut  toujoui-s  mieux  laisser  prendre  un  hôpi- 
tal que  de  faire  périr  dans  le  transport  les  malades  qui 
ne  sont  pas  transportahles...  Entin,  Monsieur  le  maré- 
chal, je  n'ij^nore  point  que  le  Koi  doit  être  averti  du 
mal  comme  du  hien,  et  vous  pouvez  être  sur  que  je 
ne  lui  cacherai  jamais  rien.  Je  suis  plus  capable  qu'un 
autre  de  faire  des  fautes,  mais  j'espère  que  la  franchise 
avec  la({uelle  je  les  avouerai  me  méritera  rimlulgence 
de  Sa  Majesté.  Vous  sentirez  cependant  qu'il  est  bien 
atl'reux  qu'il  y  ait  des  particuliers  dans  une  armée,  au- 
torisés, par  la  confiance  (|ue  le  ministre  leur  donne,  à 
mander  des  niensoniies  et  à  chei'cher  des  toi'ts  inventés 
à  leur  général,  quand  ils  ne  peuvent  <;n  trouver  de  réels.  » 


(1)  Relleislc  à  Hroglie,  19  avril  1759.  Aichivps  de  la  Guerro. 

(2)  liroj^lic  i  Belleisle.  l'iuncforl,  22  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


I 


c 


<l 


1  I 


v;  LA  r.lIERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 

(Icllc  (''i»lli'('  se  croisa  .ivcc  uiip  Icllrc  aulograplic  <lu  Koi 
cl  iiii  l>ill<>t  lirs  aiiiiahlc  de  liollcislc  (I  i  :  c  Le  Koi  vous 
rci-anlc  comiiie  un  des  lirulcnnuls  ^vurrauv  de  ses  ni*- 
uiôcs  Ir  |»lus  eu  état  de  coiMUiaiidiM-  daus  la  suit<>  »;  enfin 
l'octi'oi  (le  (|u<'l(|ues-uu('s  «los  lî'i'iU'cs  soUicitrcs  vint  [»aci- 
licr  les  esprits. 

Pelletier,  (|ui  était  à  la  tète  <le  l'aitillerie,  et  d'Orlick 
lurent  proniiis  lieut<'nanls  i;énéran.\,  et  le  prince  de  Uolian 
devint  niaréclial  de  camp.  Du  hîUou  de  maréchal  de 
^'l'anc(^  [K»nr  le  vain(|ueur  il  ne  l'ut  pas  (|uostion;  cepen- 
dant le  pour  et  le  contre  avaient  été  fort  discutés  à  Ver- 
sailles. In  mut  intime  de  Soultiso  à  son  ami  [il)  Castries  y 
l'ait  allusion  :  Tout  d'abord  les  compliments  sur  les  succès 
des  ai'Uies  ([u'ou  associe,  selon  la  mode  de  répo(|ue.  à 
ceux  d(î  la  palanti'rie  :  "  C'est  un  heau  momeid  (|ue  le  re- 
tour d'une  Itataille  f;ai;née.  .le  ne  me  i'a[)j)ell(!  pas  M""'  de 
Tanuerat  qui  u  le  bonheur  do  vous  plaire;  Je  crains 
(piellc  ne  soit  de  la  seconde  noblesse.  Fi  donc,  Monsieur  le 
iiém''ral  de  la  cavalerie,  m*  >()us  abaissez  j)oint...  Je  viens 
de  voir  la  duchesse  de  Hrofilie  (jui  demamie  avec  instance 
le  biUon.  »  Quebjues  joui's  après,  rappréciati<tn  llatteuse 
que  nous  avons  extrait*^  de  la  coi'respondance  de  Soubise 
est  suivie  di;  ces  mots  :  k  Je  vous  répète  (|u"on  n'est  pas 
dans  la  résolution  de  le  faire  maréchal  de  Franc<».  »  Uro- 
glie  en  ed'et  dut  attendre  quel(|ues  mois  la  distinction  su- 
prême de  sou  pays;  mais  il  l'ut  mieux  traité  par  b.  M.  Im- 
périales de  Vienne  <|ui,  reconnaissantes  au  sauveur  de 
l'Allemagne  du  sud,  voulurent  lui  décerner  le  titre  de 
princcî  de  l'Enqiire.  Consultée  à  ce  sujet,  la  cour  de  Ver- 
sailles, malgré  ses  sentiments  peu  favorables  pour  le 
destinataire  d'un  bonneur  qu'elle  trouvait  excessif,  ne 
put  que  remercie  l'Euqjercur  avec  cll'usiou  et  accepter 
sou  olf're  gracieuse. 

(1)  Belloisle  à  Broglift,  22  avril  1759.  Archives  de  la  Guorro. 

(2)  Soubise  à  Castries,  19  avril  1759.  Archives  île  la  Guerre. 


a 


«ETRAITE  DE  FERDINAND. 


17 


Si  le  ,«(''n(''rnl  IVain;!iis  so  mollira  peu  iMitrcprciiiMit  sur 
IcMliiimp  (l<>  hiilaillc,  il  le  lut  oucoro  moins  apivs  sa  vic- 
foirc  (joui  il  ncsuJ  pas  tirer  tout  le  parti  [jossildc.  Ccpcu- 
«lant  l'adjonction,  W  lendemain  de  TaU'aire,  des  IV  l»alail- 
lons  et  V  escadrons  de  Sainl-(iei'niain  lui  assurait  sur  le 
pi'ince  Ferdinand  une  supériorité  nuniéri((ue  ({ui  sjijou- 
lait  au  |)resti,i;e  moi-al  du  succès.  Kn  dépit  de  ces  avan- 
tages, |{i'o;;lie  se  borna  à   l'aire  suivre»  l'ennemi  par  ses 
vidontaires  et  par  sa  cavalerie  légère,  et  <'iK^ore  les  ins- 
tructions poiM'  la  ])oursuite  étaienf-(dl(>s  empi'eintes  d'une, 
pindence  <pii  inditiue  ou  peu  dc^  conllaïu'e  dans  les  su- 
bordonnés, ou  un  respect  exauéi-é  pour  l'acUcrsaire  :  u  J'ai 
l'cconunandé  à  M.  d'Obenheim,  écrit-il  à  IJelleish^  i  1),  de 
ne  point  s'aventurei*  et  en  cas  que  les  ennemis  marchas- 
sent ce  inatin,  d'aller  à  la  suite  des  draj;<)ns  Jus([u'à  llun- 
ficn,  mais  de  n<'  jjoint  le  dépasser,  (juclque  chose  qui  put 
arriver...  On  en  peut  refuser  l)eaucoup  de  louanj^es  au 
prince  Ferdinand  de  la  iirandeur  du  projet  et  de  la  vi- 
vacité de  sa  mai'clie;  c'est  un  ennemi  danyei'eux  et  aux 
mouvements  du(|u«d  on  ne  saurait  donner  trop  d'atten- 
tion... Je  ne  pense  pas  qu'il  l'aille  s'erulornur;  l'ennemi 
est  hattu  mais  il  n'est  pas  détruit  ;  il  va  changer  son  projet 
et  tîU'her  de  reprendre  sa  revanche.  » 

Après  un  séjour  de  deux  jours  à  Windeken,  et  de 
deux  autres  à  Marienhorn,  Ferdinand  continua  à  se  re- 
])lier  sur  la  liesse.  Le  18,  il  transféra  son  ([uartier  gé- 
néral à  (irnnherg,  puis  à  Alsfeld  et  enlin  le  -2;$,  à  Zic- 
genhayn.  l>ans  uiuî  lettre  à  Ihtldernesse  (2)  il  justifie  ce 
recul  :  «  Ayant  un  ennemi  beaucoup  plus  fort  en  front, 
les  Autrichiens  sur  mon  flanc  .aanche,  le  corps  de  M.  de 
Blaisclsur  madioitc  et  une  distance  de  vingt  milles  d'Al- 
lemagne entre  rennemi  et  Casscl  d'où  je  tire  toutes  mes 


(1)  Uroglio  à  Bellcisle.  Francfort,  1',»  avril  1759.  Arcliives  de  la  Guorrt'. 

(2)  Ferdinand  à  Holdernessc.  /ie^-eniiayn,  27  avril  17o'J.  Record  Oflice. 

GUEUnE   DR   SEPT   ANS.    —   T.    III.  2 


rjFmr~-r, 


l.H 


LA  Gl  EURE  DE  SEI'T  ANS.  —  CIIAP.  I. 


siibsistaïKcs,  il  jiiii'ait  (Aî'  une  fausse;  lioiifo  qin'  in»  vou- 
loir |>i'is  l'ain'  mil  retraite.  »  Peiidaiil  la  niarcJK'  rétro- 
grade des  ("oiilV'déi'és,  lllaisel.  ([ui  avait  la  dii-eeliou  sujié- 
rieiii'c  des  tr(»ii|M's  ié.yèi'es  IVaiK-aises,  liuvi.  un  <'ond)al 
heureux:  inl'oruié,  |)ar  une  dépêche  trouvée  sur  un  <»rii- 
eiei'  pi'isonnier.  du  voisinage  d'un  détaciuMuenl  einuMui, 
il  ralla(|ua  (d  lui  tua  ou  prit  heaucoup  de  monde,  dont 
1 1  ofliciers  et  '1\'>\  dra.^'ous  du  réj^iment  |)russien  de  j-'in- 
ekenslein.  La,  l'afipue  des  hommes  el  des  eln'vaux,  la  pé- 
nurie d(;  vivres  et  de  Ion rra,i;('s  tirent  arrêter  la  poui'suite  ; 
les  réiiiments  réj^uliers  de  Broglio  étaient  déjà  de  retour 
dans  leurs  cantoniu'uuMits. 

Le  25  avril,  Contadt^s  ([ui  revenait  de  Krance  arriva 
à  Francloit;  il  apportait  avec  lui  la  nouv(dle  distrii)U- 
tion  de  l'armé*'  d'après  la([uelle  llroylie  vcjyait  sou  corps 
réduit  à  ;IS  hataillons  et  :il  escadrons.  1. (»()()  troujx's 
léiièi'eset  18 canons,  (loutre  ccdte  diminution,  Ui'o,yli(!  pro- 
testa par  un  mémoire  (l)  où  il  exposait  que  s(jn  ell'ectil' 
dinuMué  iM'  serait  pas  eu  état  do  re[»ousscr  une  seconde 
tentative  de  Ferdinand.  Il  ne  fallait  pas  compter  sur  le 
duc  de  Deux-Ponts  ;  ((  M.  le  maréchal  de  Contades  sait 
le  peu  de  fonds  ({u'on  doit  faire  sur  rarnu''e  do  l'Empire, 
sa  faihlesse,  sa  composition,  son  penchant  à  rentrer  en 
Itohême.  Il  est  aisé  de  ju.i^er  de  là  du  [)eu  d(;  forces  (ju'il 
faudia  au  prince  Henri  pour  la  mas(pu'r.  »  Le  docunuMit 
concluait  à  une  auiinientatiou  indispensahlo  pour  résister 
à  un  eir(n't  cond)iné  dos  j)rinces  llonri  et  Ferdinand.  Quel- 
ques joure  après,  notre  général  marque  sou  niécouteu- 
tcment  eu  aunonç.int  à  Belleislc  (2)  qu'il  va,  avec  la 
permission  de  Contades,  faire  une  cure  de  lait  à  Oher  In- 
gelheim  et  ([u'il  cède  1(>  conunandouiout  au  chevalier  de 
Muv.  Avant  de  s'absenter,  il  attire  derechef  l'attention  du 


(1)  Mémoire  de  IJroglic,  29  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 

(2l  Broglie  à  Belieisle.  Franeforl,  3  mai  1759.  Arcliives  de  la  Guerre. 


LK  PRINCE  IIKNRI  ENTRi:  KN  niANCONIE. 


10 


niiiiisli'csiii-  le  diiiiure'  d'uiu'  iiituisioii  (h>s  (•(mlV'dt'rrs  <|iii 
n'iiMi'iKlrniil  pas  pour  ii.^ii*  !<'  10  Juin,  d.ili'  iiidi(|iii'><'  par 
Coiitildcs  (>t  XoiitcviiiH'd  connue  ccllt;  d<>  lii  iiiohilisiilioii 
griM'i'alt',  Mèiin"  liiiiyatic  à  Coiifadcs  I)  (\n"\\  pi-ir  de  l'aire 
une  diversion  :  «  .le  dois  vous  (»l»sei'ver  de   nouveaii  (|n  il 

nie  >enil(le  <pn'  V(tus  n'avez  pas  un  nionienf  à  perdre 

et  penf-èlre  même  (|n'en  donnant  sur-le-champ  ordi'  •  aux 
troupes  (lue  vous  vous  êtes  proposé  d'asscMuhler  à  (lolo- 
pne.  de  se  port<'r  à  Lindiour,:;.  elles  y  arriveront  à  peiin' 
à  t(  :mJ)s.  »  |{ient«'»t  une  demande  d'aide  de  révè(|ne  de 
NVurlzInu'i:  vint  eonlirmer  les  craintes  du  duc;  puis  ce  l'ut 
l>eu\-l'onls  ([ui  appela  au  secours  !'2)  !  Le  prince  Henri 
niarclie  contre  lui  avec  :J(>.(M)(>  hommes;  les  llanovriens 
en  ont  10.000  à  HischoU'sheim.  localité  au  sud  de  Kulde; 
rarnu''o  dos  Cordes  va  l'étroiii'ader  sur  llamherii. 

Ces  hruits,  ou  ce  (jui  concerne  le  détachenn'nt  t\o  l'ar- 
mée du  [H'ince  Ferdinand,  étaient  exagérés.  Celui-ci  n'a- 
vait participé  à  l'entreprise  du  princ(>  lleni-i  ([ue  par  l'en- 
voi de  .')  (»u  (i.OOO  hoiunu's,  sous  le  .nénéral  IrH'.  dans  la 
partie  supérieure  de  la  vallée  de  la  \V<M'ra.  Le  10  mai, 
cette  division  était  j)arv«înuo  à  Utindiild  près  de  Ki'ini.iisho- 
l'en;elle  j)oussa  ses  éclaireurs  jus([u'à  Schweinl'urt  sur 
le  Mein,  mais  m'  prit  aucuiu'  part  aux  enuaiioments  ipii 
eurent  lieu  entre  Prussiens  et  Impériaux  et  retourna  peu 
après  (Ml  liesse. 

Quant  au  mouvenu'ut  du  prince  Henri,  il  eut  une  autre 
importance;  l'opération  déhuta  le  8  mai  par  uiuî  ren- 
contre près  de  Hoir  outre  Finck  et  l'Autrichien  Mac  Cuire  ; 
ce  dernier,  hattu  et  coupé,  ne  [»ut  rejoindre  rarniée  de 
rEinpire  (ju'à  INuremher,!;-  ajuès  nu  loiii;  détour  par  la 
Hohème.  Deux-Ponts  dont  h'  (piartier  général  était  à 
Culmhach,  très  ému  de  l'apprcjcln^  des  Prussiens  et  des 


(I)  Broglie  à  Conlades.  Franc  tu  il,  .">  mai  IT.'.O.  Aicliivcs  de  la  Guerre. 
(:!)  Deux-Ponts  à  Broglie,  10  mai  1750.  Archives  de  la  tiuerre. 


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50 


II 


LA  r.lIKlUlK  DE  SEPr  ANS.  —  CIIAP.  I. 


movnciis,  ne  pîirl.'iil  de  l'icii  moins  (|U('  de  se  l'clii'ci* 
sur  le  Itantilx'.  Lit  ToiicIk*  (|iic  nous  nvoiis  vu  niinisti'<i 
IV;ui(;ais  à  llcrlin  .-l  (|ui  rîail  cliai'.uv  d'une  nussion  eu 
AlIcMiauiic  (1)  cl  iW^vvVf.  oMiiiiTuI  avec  ra|>|)ui  de  lla- 
(lick.  le  r<>ni|tla(;anl  de  Scrlx-lloni,  (|u<>  la  rcirailc  lui  di- 
rigée sur  l'an  d»!'r,i;.  Kllc  coula  <*licr  au\  luipci'iaux  :  ^  Nos 


lroup«'S  s  «'itai'inllciil,  raconlc  (ioci 


Iz  (2), 


sans  pour  anisi 


(lire  lirci'  un  cou]>  <lc  fusil.  »  Ucnscijincnu'nls  idcidiciiu's 
iW  \a\  'louclic  (.'{)  :  "  Le  rcfiiincnl  (rinfanlcric  d<'  (li-onaicli 
(lu  cercle  (le  TrancoiuC,  alla(|U(''  ce  malin  ywv  :2()0  Inis- 
sai'ds,  a  nus  l)as  les  armes  sans  tirer  un  coup  de  fusil  el 
;{  escadrons  de  draiions  palalins  n  oui  pas  l'ail  une  nieil- 
leU'T  d(''fense  el  se  sont  (lis|»ers(''s.  Que  peul-on  es[»(''rer 
de  pareilles  !roU])es  (pii  ne  peuveni  (jnc  d ('•(•(, urau'cr  el 
(Muharrasser  les  Aulricliiens?  »  Ou  u'alleitinil  Hainheri;'  lo 
\\  mai  (|ue  poui'  fuir  à  i\urend)eri;  où  iiuil  la  reculade. 
Les  l'i'ussiens  suivireni  «i  loisir,  ramassanl  les  Irainai-ds, 
reciieillani  les  d(''serleui's  el  s'(Mnparaid  des  majuasins  (pw 
les  Imp(';jriu\  n'axaieni  pas  eu  le  lemps  de  deiruire;  le 
H)  mai.  ils  enlr''>renl  à  llandteri;  el  auraient  [)n  conlinuer 


l( 


eiii'  course  \  icloruMise,  s  ils  n  axaient  ]>as  ele  rap|)eles 
par  les  nouvelles  de  la  diversion  du  ,U(''U('M'al  autrichien 
(leiuminii'en  sur  les  fronli('M'es  de  Saxe  el  des  promirs 
des  [tusses  vers  Poseii. 

Dans  toute  la  Kranconie  et  .jus(pi;>  dans  r(''\ècli(''  de 
Wurizhui'ii'  la  pa!ii(pie  fui  ,:;('•  m'- raie  parmi  les  auloril(''s; 
la  po[uilalion,  par  contre,  lit  Itou  accueil  aux  Prussiens. 
('  L'ennemi,  «'•cril  Uyliinci*  ('i.),  a  lrouv(''  le  iu(»yen  de  metiro 
l(S  p(Miples  dans  ses  inl(''j'('''ls;  ils  se  l(»uent  (l(i  la  disci- 
jdino,  du  peu  de  Ion  ipiil  occasionne  j)ar  son  s(''jour,  et 
pai'aissent  (l(',L;dùl(''s  de  'a  mauulention  et  des  proC(''(l(''s  d(» 

(1)  LaTouclu'  i\  li(!llcislc.  Ciilinltuch,  |o  in;ii  l".V.).  Arcliivcs  tic  la  CutMie. 

(2)  (iocrlz  à  llroKlic.  Cassciulorl',  Il  mai  17.">i).  Arcliivcs  do  la  (lu(^i'r(!. 

(3)  r,a  Touche  à  Hcllcisjp.  Casscndorf,  Il  mai  17.")!».  Aifliivos  de  la  riiii'rro. 
['\\  Ujhiner  a  licllcisli'.  \Viiil/.biirn,  17  mai  175'>t.  Aichivcs  de  la  (Uierrc. 


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21 


l'aniH'»'  (le  IKiiipiit'.  »  Wiiflzlmri;'  lui  .sauvr  pai-  l'arrivi'c 
(»j)|)(H'(uin'  «lu  ui'Im''!'.".!  aulricliini   Saiiii-.\ii(liv,  Sr|i\\ciii- 
fiirl  par  (•«•Ile  «In  partisan  Kisclici'  (|iir  IW'niîlic  avait  dr- 
prclir  avant  son  d'-parl  ptmr  les  eaux.  Apivs  f»  jours  de 
l'cpos  à  l'.ainiK'i'.i;,  le  pi'incM'  llniri  lit  prnidn>  les  dc\an!s 
à  son  pan-  d'artillerie  le  il  mai,  et  'iH  heures  plus  tai-d  se 
mit  en   roule   |>oiir  la  Saxe;  le  r'etour  ne  fut  si;.tiialé  par 
d'autre  ineid<'iit  (pi'uii  eoinliat  d'arrière-uarde  où  I'  s  Prus- 
siens repoiissèi'eiit  les  hussards  et  les  pandoiirs  et  leui'  en- 
levèrent -1  canons.  \  en  croire  le  i-apport  de  (ioerl/,  (I  , 
leur  conduite   pendant    la    retraite   l'ut    heaiicoiip   moins 
.'xeiiiplaire  qu'au  déhut   <le  l'expédition.  «  Ils  (h''\aslenl 
le  pays  partout  où  ils  passent,  en  eniuièneiit  les  suhsistaii- 
ces  et  tout  l'ariient  <iu'ils  peuvent  ramasser.  Ils  malli'aitent 
cnieileiiieut  les  haillil's  et  surtout  h's  pMis  d'église.  »  A 
ISaniheri;'  ils  réclanièrent  au  chapitre  une  coiitril)uti(tii  de 
700. (MM>  é<us  et  déliiii'enl  des  olaues  poui'  en  .i^surei'  le 
|iaieiii(  ni.  Maraiiiville  (|ni  était  rentré  comme  attaché  mi- 
litaire au  (juarti<*r,néiiéral  du  ducde  lieux-Ponts,  donne  (i) 
les  niènies  inrormatious  :  •■  Les  Prussiens  ont  emmené  les 
cliexanx.  les  IxiMil's,  les  vaches  et  tout  ce  (pii  pourrait  l'a- 
cililerles  niouvemeiils  de  celte  armée.  » 

A  propos  de  l'iucui'siftn  du  pi'inee  lîenri  en  Krancoiiie, 
les  cours  de  Vienne  et  dr  Versailles  échan.uèrent  des  l'é- 
ci'iniinati»>ns  où  chacune  i-ejetait  sur  I  auti-e  la  resjxmsa- 
hilité  des  malh(Mirs  survenus  au  dur  de  Deux-lNnits.  Aux 
plaintes  transmises  par  l{o\er,  (|ui  faisait  l'intéi-ini  de  lam- 
liassade  de  Vienne,  sur  rinaetion  des  l''ram;ais.  Cdioiseul 
réplicpie  ['.])  en  allrihuaut  h^s  succès  du  pi'ince  Henri  à 
deux  causes  :  «  La  première,  que  M.  le  ju-ince  de  Peux- 
Pom-.  est  le  plus  ine|»le  de  tous  les  hommes;  la  secoinle, 


(1)  riocrl/.  A  lii'llcislc.  NuioinIirr;{,  '.!('>  mai  I7.i',>.  Arrliivcs  de  la  ("iiicrrc. 
('!)  Mfiraiiivillc  à  lli-lltiislc.  Krliin;;i'ii,  ;t()  mai  IT.V.i.  Anliivcs  (le  la  Cucirc. 
(3)  riioiscul  i\  Hi)yer,  28  mai  17.".'.».  AU'aircs  KlraiiniTt's.  Aiihiclif. 


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II; 


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22 


LA  OUEUUE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


(]U<'    L's   Autricliioiis    laissciif    lfaii(|iiilleiii<'nt    l<'    |)riiict' 

ll<'iiri  (''VJU'uer  la  Saxe  jiniii'  se  ji^rtcr  eu  Fraucoiiio 

Ufinandoz  iiii  pou  à  M.  de  KatiiiiJz  ce;  (]ue  sont  devcMius  les 
;U).()00  lioiiiincs  (le   troupes  auti'icliicnnes  (pii  devaient 

être  avec  laruiée  des  (lercles le  nrattends  qu'il  dira 

(pie  tous  ces  liieoiivéTiieiits  iiariiveiit  ([iw  par  iKtlre  faille, 
mais  avee  sa  [X'riiiissioii  nous  eroyons  <}u<'  c'esl  i)ar  celle 
de  la  cour  de  Vienne.  »  Quelle  (pie  lut  la  raison  de  llieu- 
reuse  issue  de  l'entn'prise,  nous  devons  constatei'([iio  l'ev- 
pédition  du  prince  tieui'i  remplit  le  but  propos('';  elle  mit 
l'arnuje  des  Cercles  liors  <r(''tat  de  rien  accomplir  Jus(pi'au 
mois  de  juiliet.  nailleurs  ri;;;pératrice  Ueine.  m(''Con- 
tenle  à  l)on  di-oit  du  duc  de  lïeu.\-l*onts.  rappela  la  plus 
tirande  [)arlie  de  ses  nationaux  et  irduisit  à  'i  '•(\uimenls 
de  cavaleri(>  et  Ip.OOO  Croates  le  contiiiyeut  allecté'  à  l'ar- 
mée de  rKmpire. 

Uelournons  maintenant  à  rarm<''o  l"ran(;aise  :  Peu  de 
jours  après  la  hataillc  de  Beriicn,  Ferdinand  avait  l'ait 
part  au  roi  de  l*russc  (1)  de  ses  iii(jui(''tudes  pour  Munster 
et  de  son  intention  de  rentrer  en  Westplialie;  n(''anmoins 
il  maintint  son  (piartier  i:én(''ral  à  Zie.uenliayn  jiis(praii 
15  mai,  et  ne  se  rendit  à  Lippstadt  ([ii(>  le  18,  laissant 
Imlioir  avec  sa  division  pour  couvrir  la  liesse.  Avec  »[uel- 
<]ue  v(''rit(''  il  put  se  lV'licit(>r  (2)  d'avoir  tenu  les  Fram^ais 
en  suspens  pendant  plus  d'un  mois.  De  leur  côt(!',  ceux-ci, 
revenus  de  l'alerte  <pie  leur  avait  occasit>mi(''e  l'incursion 
des  contVMl(''r(''s,  avaient  r<''int(\i;r(''  leurs  ([uartiers  et  ('taient 
occupi's  aux  travaux  de  r(''parati(»n  (jui,  en  avance  sur 
raiiu«''e  pr(''C(''dente,  (''taient  cependant  e,  retai'd  hur  ceux 
(l(!  rennemi.  Les  r(''j;iments  l'ran(;ais  et  suisses  avaient 
re(;u  et  incorpor(3  leurs  jeunes  soldais,  mais  le  recrute- 


(t)   Ferdinand  à    Frédéric.  Ziegenliayn,  23   avril    Î759.  Correspondance 
politique,  vol.  XVIII,  p.  ■.>02. 
(2)  Ferdinand  à  llolderncsse. /iogenliayn,  15  mai  1759.  Record  OHice. 


Ht,:: 


ESSAIS  DE  IIECUUTEMENT  A  HANAU. 


:>3 


iiK'iil  dos  corns  .•ilIcinaïKls  nu  soi-vicc  de  Louis  \V  «Icvc- 
ii.'iit  (le  plus  <Mi  plus  (liriirilr.  Ou  avilit  cIumtIk''  à  iniitcr  les 
iii:iss('iu<Mils  <!('  ri'ôdrric  en  Saxe  et  au  Mcckiciuhoui'i;'  eu 
iu'nti(|Minil  des  levées  dans  lo,  eouité  de  llauau.  Les  [)re- 
luières  teutatives  u'ayauf  pas  réussi,  Itelleisle  iusiste(l)  : 
«  J'espère  pourtant  que  nous  en  vieudi'ons  à  J)Out  avee 
de  la  suite  et  toute  la  rigueur  prussieune.  »  Le  secoud 
essai  fut  aussi  inlructuenv  ([ue  le  premier.  Le  chevalier 
de  -Muy  s'excuse  (2)  de  son  insuccès  :  <(  iNous  ne  tirerions 
pas  de  ces  hommes,  quand  même  nous  les  aurions,  uu 
usaii'c  aussi  i;rand  que  le  roi  de  J'russe.  Nos  troupes  étran- 
gères mêmes,  quoique  mieux  disciplinées  (jne  les  natio- 
nales, n'ont  pas  la  vii:ilance  (|ui  l'ait  chez  ce  prince  de 
cha(pie  réiiiuieiit,  soit  en  marche,  soit  (>n  canq)a,i:ne,  soit 
en  (piartiei',  une  espèce  de  prison  où  les  scjldats  sont  ob- 
servés sîiiis  cesse.  » 

Sans  jious  inscrire  en  faux  contre  une  appréciation  ({U(! 
cojiiirnitMit  les  témoi,nnaii'es  de  plusieurs  contenq)oi'ains 
sur  la  Sévérité  du  régime  prussien,  nous  devons  recomiaî- 
tre(pie  les  procédés  arhiti'aires  de  recrufeiueut  aux([uels 
Frédéric  avait  recours  étaient  facilités  par  lacouMunnanfé 
de  lauLiue  et  de  ndiiiicn,  et  peut-être  aussi  parle  senti- 
ment uational  inconscient  nniis  vivace  qui  confondait  la 
cause  du  roi  de  l^i'usso  avec  celle  de  la  patrie  allemande. 


(i)  n('ll"isle  i\  Conladcs,  7  mai  17:.9.  Aicliives  di;  la  (liio.rrc,  3515. 

(2)  Muy  à  IJiilleisle.  Francfort,  22  mai  1751).  Archives  de  la  Guerre,  3510. 


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II 


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CHAPITRE  II 
MINDEN 

l'aRMKI:  I)H  COXTADES  DÉBOUCIIK  par  la  HESSK.  —  RETR\ITE 
DE  FERIUNAXI).  —  SURPRISE  I>E  MIXDEX.  —  CAPITL'LVTIOX 
DE  Ml'NSTER.  —  I5ATA1LLE  DE  MIXDEX.  —  COMBAT  DE 
COEFELD. 

Pendant  rintcrvalle  de  repos  qui  précéda  la  reprise  des 
hostilités,  le  cabinet  de  Versailles  apporta  une  modifica- 
tion importante  au  plan  concerté  avec  Contades.  Confor- 
mément à  l'avis  de  quelques  membres  du  conseil,  et  aussi 
SOUS  rinflucnce  des  mémoires  qu'inspirait  à  Broglie  la 
crainte  d'une  nouvelle  pointe  du  prince  Ferdinand  sur 
Francfort,  Belleisle  proposa  (1)  de  faire  déboucher  la 
grande  armée  par  la  Wetteravie  et  par  la  liesse,  au  lieu  de 
la  Westphalie,  comme  on  le  voulait  d'abord.  Dans  l'esprit 
du  ministre,  il  serait  ]  "éférable  de  dégarnir  le  Bas-Rhin 
qui  n'était  pas  menacé  et  de  renforcer  les  corps  chargés  de 
la  défense  du  Moin  et  de  la  Lahn,  dont  le  recul,  envisagé 
comme  possible  lors  de  l'adoption  du  projet  primitif,  au- 
rait été  mal  interprété  par  l'opinion.  Ce  changement  «  de- 
vait empêcher  le  cri  général  et  prévenir  le  ton  et  les  écrits 
avantageux  que  les  cours  de  Berlin  et  de  Londres  ne  man- 
queront pas  de  prendre  par  cette  retraite  dans  nos  places 
qu'ils  qualifieront  peut-être  de  fuite,  et  effaceront  avec 

(1)  Belleisle  à  Contades,  7  mai  1751).  Archivcâ  de  la  Guerre,  3515. 


in 


EFFECTIF  DE  L'ARMÉE  DE  CONTADES. 


25 


une  sorte  de  vraisemblance  l'avantage  réel  remporté  le 
i;i  avril  ».  De  plus,  on  demanda  à  Contades  d'avancer  son 
mouvement  de  quelques  jours  et  de  laisser  provisoire- 
ment la  division  de  Saint-Germain  à  la  disposition  de  liro- 
glie  pour  le  cas  d'une  entreprise  du  prince  Ferdinand 
contre  (iiesson  ou  Hanau. 

CiOutades  s'Inclina  devant  les  suggestions  do  Versailles, 
informa  Broglie  (1)  ([ue  la  marche  du  gros  de  l'armée  serait 
dirigée  sur  Giessen  et  l'invita  î\  faire  ses  préparatifs  en 
conséquence.  A  cette  époque,  c'est-à-dire  au  milieu  de 
mai,  Broglie,  ou  pendant  son.  absence  aux  eaux,  son  rem- 
plaçant Muy,  avait  sous  ses  ordres,  *ant  autour  de  Franc- 
fort qu'en  Wetteravie,  sans  compter  les  garnisons,  (JO  ba- 
taillons, 57  escadrons  et  2.200  troupes  légères,  dont,  une 
fois  la  campagne  commencée,  il  ne  garderait  qu'à  peu 
près  la  moitié.  Sur  le  Bas-Uhin,  le  marquis  d'Armentières 
devait  opérer  avec  un  corps  indépendant  de  19  batail- 
lons, 2'»  escadrons  et  2.000  hommes  des  corps  francs;  le 
reste  de  la  grande  armée  était  échelonné  sur  le  Bhin  de- 
puis Wesel  jusqu'à  Coblentz.  Le  total,  en  y  ajoutant  ce 
qui  était  alloué  aux  places  fortes,  se  montait  à  136  batail- 
lons, 12i  escadrons  et  5  à  6.000  troupes  légères,  soit  en- 
viron 90.00')  combattants.  Contades  (2)  annonce  à  Muy  qu'il 
espère  arriver  le  31  à  Giessen  :  «  J'y  aurai  le  1"'  juin  100 
bataillons  et  100  escadrons,  en  y  comprenant  la  réserve 
que  je  laisse  à  M.  le  duc  de  Broglie.  »  Ce  dernier,  d'abord 
fort  mécontent  de  la  diminution  de  l'effectif  qui  lui  était 
confié,  en  avait  refusé  le  commandement  sous  prétexte  de 
santé,  puis  il  se  ravisa,  et  promit  de  rejoindre  aussitôt  sa 
cure  achevée. 

La  concentration  s'accomplit  sans  incident  autre  que 


(1)  Contades  à  Hroglie,  14  mai  1759.  Archives  de  la  Guerre.  Allemagne, 
3rii5. 

(2)  Contades  i\  Muy.  Dusseldorf,  17  mai  1759.  Archives  do  la  Guerre. 
Allemagne,  351  G. 


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2G 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


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la  iatigue  des  étapes;  le  30  mai,  Contades  (1)  mande  à 
Bellcisle  des  environs  de  (liesscn,  qu'il  avait  réuni  au- 
tour de  cette  ville  et  auprès  de  Marburg  82  bataillons  et 
5'i.  escadrons.  Muy  avait  affecté  G  bataillons  à  Francfort  et 
:i  à  llanau;  avec  le  surplus,  18  bataillons  et  20  escadrons, 
il  était  à  llomburg;  les  carabiniers  et  gendarmes  dont 
la  mobilisation  avait  été  retardée  étaient  encore  en  ar- 
rière; l'armée  traînait  avec  elle  74  canons  de  position 
dont  12  au  corps  de  réserve.  Contades  se  loue  de  l'esprit 
et  de  la  tenue  des  troupes  (2)  :  «  Je  ne  les  ai  jamais  vues 
entrer  en  campagne  en  aussi  bon  état.  »  Il  attribue  ce 
bon  résultat  à  l'augmentation  du  traitement  d'hiver  qui 
avait  permis  d'améliorer  la  nourriture  du  soldat,  et  aux 
facilités  accordées  aux  capitaines  pour  le  recrutement  de 
leurs  compagnies.  Le  10  juin,  le  quartier  général  était  à 
Corbach  dans  la  principauté  de  Waldeck;  le  même  jour, 
lîroglie  qui  avait  rejoint  son  corps  de  réserve,  occupa,  sans 
coup  férir,  Casscl  et  le  lendemain  Mundcn.  Dans  ces  deux 
villes,  les  Français  s'emparèrent  de  magasins  considérables 
que  l'ennemi  n'avait  pu  ni  enlever  ni  détruire.  Le  13  juin, 
Contades  avise  (3)  lielleisle  de  son  arrivée  à  Stadtberg  : 
«  Je  suis  très  obligé  à  M.  le  prince  Ferdinand  d'avoir  bien 
voulu  que  je  passasse  par  ici;  il  était  bien  le  maître  de 
m'en  empêcher.  Dix  mille  hommes  placés  dans  ces  délilés 
ne  seraient  pas  forcés  par  une  armée.  »  Jusqu'alors  on 
n'avait  rencontré  aucune  résistance;  on  n'avait  même  pas 
pris  le  contact  avec  l'arrière-garde  du  général  Imliolf  qui 
était  demeuré  le  dernier  en  liesse;  à  Stadtberg  les  Fran- 
çais se  retrouvèrent  en  face  des  confédérés  dont  le  gros 
était  campé  à  liuren. 


(1)  Contades  à  Bellcisle.  Heuchclelin,  30  mai  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3516. 

(2)  Contades  à  Bellcisle.  Nieder  Walcheren,  3  juin   1759.  Archives  de  la 
Guerre,  3517. 

(3)  Contades  à  Bellcisle.  Stadtberg,  13  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


OCCUPATION  DE  LA  IIESSE  PAR  LES  FHANÇAIS 


27 


Ferdinand,  qui  depuis  le  18  mai  était  rentré  en  Wcst- 
phalie,  parait  s'être  attendu  à  voir  son  adversaire  déhou- 
clicr  (le  Wesel  et  de  Dusseldorf  et  ne  s'être  rendu  compte 
que  tardivement  de  la  marche  des  Français  par  (iiessen; 
tout  au  moins  ne  rcdoute-t-il  pas  une  vigoureuse  ofl'en- 
sive  de  leur  pari.  «  Le  maréchal  de  Contades,  écrit-il  (1)  le 
20  mai,  s'est  éloigné  du  Rhin  k  peu  pi<"'S  au  même  moment 
que  je  m'en  suis  rapproché;  les  all'aires  de  Franconie  et 
mon  séjour  à  Ziegenhayn  peuvent  lui  avoir  donné  l'idée  de 
se  porter  avec  la  plus  i;rande  partie  de  ses  troupes  sur  la 
Lalin...  Cet  éloignemen.t  du   maréchal  du  Rhin  m'offre 
une   belle  occasion  de  tenter  quelque  chose  sur  Dussel- 
dorf. »  iMais  l'artillerie  lui  fait  défaut  pour  un  sièg-e  même 
de  courte  durée  et  il  devra  se  borner  à  «  une  diversion 
qui  obligera  peut-être  le  maréchal  de  revenir  sur  le  Rhin.  » 
En  exécution  de  ce  projet,  le  prince  de  Brunswick  fut 
chargé  d'une  expédition  contre  les  détachements  français 
de  la  rive  droite  du  fleuve  ;  il  culbuta  les  avant-postes  des 
villages  d'Elverfeld  et  Niedmann  en  leur  infligeant  une 
perte  de  200  hommes  tués  ou  pris,  parmi  lesquels  leur 
chef,  le  lieutenant-colonel  de  Montfort,  et  poussa  une  re- 
connaissance jusque  sous  les  murs  de  Dusseldorf.  Cette 
pointe  hardie  jeta  l'alarme  dans  la  ville.  Sourches,  qui 
y  commandait,  fait  part  de  son  émotion  (2)  au  ministre  : 
«  Je  prépare  tout  ici  pour  la  défense  de  la  place  en  cas  de 
besoin...  Ma  plus  grande  inquiétude  est  pour  les  magasins 
prodigieux  de  fourrages  qui  sont  restés  ici  et  que  l'on  a 
placés  malheureusement  hors  de  l'enceinte  des  fortifica- 
tions, comptant  qu'ils  seraient  consommés  avant  le  départ 
de  l'armée.  »  Torcy,  le  gouverneur  de  Cologne,  fut  saisi 
également  de  panique  et  prévint  Contades  de  ses  prépara- 


(1)  Ferdinand  à  Holdernesse.  Ileike,  29  mai  175'.».  Record  onice.  Londres. 
(?)  Sourches  à  Belleisle.  Dusseldorf,  5  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3517. 


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28 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


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tifs  [lour  l'évacuation  des  approvisionnements  et  des  hoii- 
ciies  à  feu  dcDeutz,  tôle  de  pont  sur  la  rive  droite  du  Rhin. 
Cet  avis  lui  valut  une  verte  semonce  (1)  :  «  Il  me  parait 
que  vous  comptez  abandonner  les  retranchements  de 
Deutz,  si  Tennemi  s'y  portait;  mon  intention  n'est  point 
du  lout  telle,  et  je  ne  les  ai  pas  fait  construire  pour  être 

abaidonnés  A  l'approche  de  l'ennemi Il  est  nécessaire 

qu'en  tout  vous  ne  preniez  rien  sur  vous  et  que  vous  exé- 
cutiez tout  ce  qui  sera  prescrit.  »  Contades,  on  le  voit,  eut 
le  mérite  de  ne  pas  attacher  trop  d'importance  à  l'incur- 
Mon  du  prince  de  lirunswick  et  de  ne  pas  se  laisser  détour- 
ner de  son  but  par  celte  iversion.  Les  événements  lui 
donnèrent  raison,  car  le  mouvement  des  Français  sur  Gies- 
sen  suffit  pour  déterminer  Ferdinand  à  concentrer  son 
armée,  à  rappeler  à  lui  ImholT  et  fi  céder  la  Hesse  à  l'en- 
val  isseur.  En  prenant  position  à  Buren  avec  le  gros  de  ses 
tro  jpes,  il  espérait  à  la  fois  barrer  le  passage  de  l'Ems  et 
du  Weser,  couvrir  ses  forteresses  de  Munster  et  de  Lipps- 
tadt  et  maintenir  le  contact  a-vec  Wangenheim,  aflecté 
avec  sa  division  à  la  garde  de  la  Westphalie. 

Pour  arracher  cette  province  aux  confédérés,  il  devenait 
urgent  de  faire  entrer  en  ligne  le  corps  d'Armentières; 
aussi  Contades  engage-t-il  (2)  ce  dernier  à  se  mettre  en 
caripagne  tout  en  le  renseignant  sur  ses  propres  projets  : 
«  Les  ennemis,  étonnés  de  la  rapidité  de  notre  marche,  se 
rassemblent  à  Lippstadt  et  paraissent  incertains  du  parti 
qu'ils  vont  prendre.  Je  vais  profiter  de  leur  étonnement. 
.le  lîompte  marcher  avec  l'armée  le  14  à  Stadtberg  et  le  15 
passer  les  défilés  pour  entrer  dans  la  plaine  de  Pader- 
boin  ou  bien  tenir  ces  défilés  suivant  les  circonstances 
pour  être  le  maître  de  déboucher 


»  Broglie  doit  aller  de 


Cassel  k  Warburg  oî  il  arrivera  le  15 


«  Je  serai  obligé 


(1)  Contades  à  Torcy.  Corbacli,  11  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre.  3517. 

(2)  Contades  à  Armenlières.  Corbacli,  12  juin  175'J.  Arcliives  de  la  Guerre. 
35i:'. 


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FERDINAND  ADANDONNE  SA  POSITION  I)K  BUREN. 


29 


do  séjouiner  queliiuo  temps  au  delà  des  défilés  de  Stadt- 
berg  afin  de  donner  le  temps  aux  munitionnaires  de  for- 
mer leur  établissement  de  Corbach,  car  il  a  fallu  forcer 
tous  les  moyens  pour  nous  faire  vivre  au  delà  de  Stadt- 
berg.  Nous  allons  voir  ce  que  ce  mouvement  en  avant  va 
produire  sur  M.  le  prince  Ferdinand  ;  il  est  vraisemblable 
ou  qu'il  se  rapprochera  de  moi,  ou  qu'il  se  portera  vers 
Hielefcldt,  ou  qu'il  prendra  une  position  à  Lippstadt;  ses 
mouvements  décid'^ront  les  vôtres  et  le  siège  de  Munster. 
Je  ne  doute  pas  aussi  que  la  marche  (jue  vous  allez  faire 
en  avant  ne  l'embarrasse  beaucoup,  et  peut-être  le  déter- 
minera-t-ellc  à  abandonner  iMunster.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Monsieur,  il  est  nécessaire  que  vous  vous  portiez  à  une 
marche  en  avant  de  Wesel,  et  que  vous  poussiez  des  déta- 
chements dans  tout  le  pays  afin  que  votre  mouvement 
fasse  plus  d'effet.  » 

Pendant  cinq  jours,  les  deux  armées  restèrent  en  obser- 
vation, les  Français  à  Meerhof,  les  confédérés  à  Buren  ;  il  y 
eut  des  escarmouches  insignifiantes  où  chacun  s'attribua 
l'avantage,  et  des  reconnaissances  où  les  deux  états-ma- 
jors se  rencontrèrent  et  où  M.  d'iïennevy,  aidc-maréchal 
des  logis  de  l'armée,  eut  une  conversation  avec  le  duc  de 
Uichmond.  Dans  le  camp  français,  on  fut  fixé  le  17  juin 
sur  la  présence  de  Ferdinand  par  une  lettre  datée  du  matin 
et  signée  de  lui,  par  laquelle  il  demandait  pour  deux  de  ses 
officiers  malades  un  passeport  à  l'efTet  de  faire  une  cure 
aux  eaux  de  Giesmar.  A  ce  moment,  le  maréchal  prétait  (1) 
à  l'ennemi  le  dessein  de  se  maintenir  dans  «  la  position  de 
Buren  qui  n'est  attaquable  que  par  sa  gauche,  manœuvre 
qui  rendra  difficile  son  ravitaillement  par  Corbach  » ,  où 
il  fait  établir  ses  fours.  Les  Hanovriens  le  tirèrent  d'em- 
barras en  levant  leur  camp  le  surlendemain  à  la  pointe  du 
jour  et  en  se  retirant  sur  Lippstadt.  Pour  expliquer  ce  re- 

(1)  Conlades  à  Belleisle.  Meerhof,  17  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3517. 


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80 


LA  GL'ERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


cul,  Ferdinand  ailùgua  (1)  !<"  doiihlc  risque  (ju'il  courrait, 
en  séjournant  trop  longtemps  à  Huren,  de  perdre  sa  ligne 
de  ravitaillement,  ou,  pour  la  conserver,  d'ôtre  contraint 
d'accepter  une  bataille  dans  un  poste  peu  propice.  «  Il  ne 
me  parait  i)as  encore  décidé  si  Tennemi  commencera  par 
faire  le  siège  de  iJppstadt  ou  s'il  voudra  m'obliger  à  lui 
livrer  combat.  S'il  s'attache  à  la  ville  de  I.ippstadt,  il  se 
porrriit  «pie  Munster  fût  assiégé  en  môme  temps  par  le 
marquis  d'Armentières.  (<omme  l'ennemi  est  fort  supé- 
rieur en  troupes,  je  ne  puis  empùclie r  ni  l'un  ni  l'autre. 
Et  si  je  ne  vois  pas  jour  à  secourir  ces  deux  places,  je 
crains  fort  que  je  ne  sois  forcé  d'abandonner  une  partie 
de  mes  magasins,  pour  sauver  l'autre,  et  de  passer  le 
Weser.  » 

Mais  dans  ce  cas,  quelle  direction  faudra-t-il  prendre? 
Ferdinand  interroge  (2)  le  roi  (ieorge  à  ce  sujet  :  «  il  peut 
arriver,  Sire,  que  je  me  trouve  obligé  de  passer  le  Weser; 
la  question  sera  alors  vers  oii  j'aurai  à  me  replier.  Si  je 
descends  le  long  du  Weser,  je  m'écarte  du  secours  que  je 
peux  obtenir  de  Sa  Majesté  prussienne,  mais  si  je  me  replie 
vers  le  Hrandebourp-eois,  je  dois  abandonner  la  forteresse 
de  Stade  à  sa  propre  force.  »  Pour  résoudre  le  dilemme, 
il  sollicite  des  instructions  précises.  Le  Roi  lui  lit  répon- 
dre (3)  qu'il  le  laissait  libre  d'agir  selon  ses  vues  propres 
et  qu'il  avait  toute  confiance  en  son  jugement.  Dans  le 
camp  lianovrien,  on  supposait  aux  Français  des  eilcctifs  qui 
dépassaient  de  beaucoup  la  réalité.  Westphalen,  le  perspi- 
cace secrétaire  du  prince  Ferdinand,  partageait  lui-même 
cette  opinion  (V)  :  «  M.  le  duc  de  Broglie  qu'on  croit  moins 
gascon  que  ses  compatriotes,  a  dit  à  Cassel  que  l'armée 


(1)  Ferdinand  à  Holdernesse.  Ritlbcrg.  21  juin  1759.  Record  OITice. 

(2)  Ferdinand  à  George.  Rittberg,  21  juin  1759.  Newcastle  Papers,  32892. 

(3)  Holdernesse  à  Ferdinand,  30  juin  1759.  Record  Office. 

('i)  Westphalen  h  Iloenichen.  RiUberg,  26  juin  1759.  Newcastle  Papers, 
vol.  32892.  ._  .,_,    ..    ^ 


ÉLOr.ES  ADRESSKS  A  CONTADES. 


•1 


française  était  composée  de  100.000  combattants,  (jue 
pas  un  homme  n'y  manquait.  Le  landgrave  qui  nous  l'a 
mandé  en  est  persuadé  et  si;  croit  perdu  sans  ressource.  » 
Retardé  pai-  la  nécessité  de  transporter  ses  approvision- 
nements de  Irancfort  h  cinquante  lieues  de  distance,  tlon- 
tades  ne  put  exploiter  les  appréhensions  de  son  adversaire 
et  ne  déhoucha  de  Meerhof  que  le  2V  juin.  «  Pei-sonnc, 
écrit-il  i\  Armenticres  (1),  sachant  que  je  tire  ma  matière 
du  Mein,  ne  me  reprochera  mes  séjours  forcés  à  Meerhof  et 
Padeiborn;  il  verra  qu'on  ne  peut  pas  aller  plus  vite  sur 
tous  les  objets  et  h  tous  les  égards.  »  Armentières  aura  à 
entreprendre  les  sièges  de  Munster  et  de  Lippstadt,  mais 
ne  doit  pas  s'engager  avant  que  la  grande  armée  n'ait  fait 
de  nouvelles  étapes  vers  le  Weser  :  «  Je  pense  donc  que  le 
moment  de  vos  opérations  ne  viendra  que  lorsque  le  prince 
Ferdinand  sera  à  Bielefeldt  ou  même  l'aura  dépassé.  Jus- 
que-là vous  devez  vous  contenter  d'observer  le  camp  de 
Diilmen...  Ainsi  vous  voyez  que  c'est  à  peu  près  à  l'époque 
du  r'  juillet  qu'il  faut  que  vous  soyez  préparé  à  marcher 
en  avant.  » 

A  Versailles,  la  prompte  mobilisation  et  les  progrès 
comparativement  rapides  de  l'armée  avaient  produit  une 
excellente  impression  :  «  Je  donnerais,  écrit  Belleisle  (2), 
une  bonne  somme  de  ma  poche  pour  que  vous  eussiez 
50  fours  à  Corbach,  faits  et  parfaits  depuis  le  13,  avec 
30.000  sacs  de  farine  pour  vous  mettre  en  état  de  tour- 
ner cette  gauche  de  M.  le  prince  Ferdinand  comme  vous 
le  proposez,  mais  à  l'impossible  nul  n'est  tenu.  »  Quel- 
ques jours  après,  c'est  une  conversation  (3)  entre  Louis  XV 
et  le  ministre  que  celui-ci  rapporte  :  «  Je  répondis  au 
Roi  que  votre  volonté  était  telle  (de  marcher  à  l'ennemi) 


(1)  Contades  à  Armentières.  Meerhof.  23  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre 
3517. 

(2)  Belleisle  à  Contades,  20  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre,  3517. 

(3)  Belleisle  à  Contades,  25  juin  1759.  Archives  de  la  Guerre,  3517. 


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83 


LA  GUEIUIE  DK  SEPT  ANS.  -  CIIAI'.  II. 


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([uc  VOUS  l'aviez  inspirée  iV  toute  volro  année.  Vous  avez 
en  cllct  la  satisfaction  (|iie  toutes  les  lettres  (|ui  en  vien- 
nent chantent  vos  louantes,  et  l'ordre  et  la  discipline  (|ui 
y  régnent.  » 

Aus8it(^t  les  vivres  assurés,  Contadcs  reprit  sonoH'ensive, 
ne  s'accorda  (ju'un  court  repos  à  l'aderhorn  et  en  re[)artit 
le  29,  laissant  dans  la  ville  V  à  500  malades  ou  éclopés;  le 
lendemain  l'avant-gai'de  de  Hroglie  s'empara  de  llittberg 
où  elle  captura  le  poste  de  ."iO  grenadiers,  un  iK'ipital  do 
(52  Anglais  et  un  convoi  de  U:^  voitures  attelées  à  V  che- 
vaux. Enfin  le  2  juillet,  Hioglie  et  Fischer  annoncèrent 
leur  entrée  lï  Hieleleldt  que  l'ennemi  avait  évacué  après 
avoir  distribué  aux  habitants  le  contenu  du  magasin;  ils 
ignoraient  encore  si  le  ^irince  Ferdinand  s'était  retiré  sur 
OsnabiUck  ou  sur  Warendorf.  Depuis  le  séjour  de  Buren 
il  y  avait  eu  entre  les  troupes  légères  des  belligér.ints  une 
succession  d'escarmouches  avec  résultats  \ariés,  mais  peu 
importants;  les  confédérés  avaient  ellectué  leur  retraite 
en  bon  ordre,  ne  perdant  en  route  que  des  déserteurs 
d'ailleurs  nombreux.  D'après  le  rapport  fait  au  maré- 
chal (1),  en  trois  semaines  on  avait  délivré  1.500  passe- 
ports aux  transfuges  du  camp  hanovrien. 

Après  un  arrêt  de  cinq  jours  à  Dissen,  petit  bourg  situé 
à  égale  distance  de  Munster  ,^t  d'IIervorden,  Ferdinand 
transporta  son  quartier  g<^i:,}rdl  à  Osnabriick.  Les  forces 
dont  il  avait  disposé  jusqu'f  lors  ne  comptaient,  par  suite 
du  maintien  en  Westphalie  de  la  division  Wangenheim, 
que  45  bataillons,  68  escadrons  et  quelques  troupes 
légères,  soit  environ  45.000  hommes,  et  étaient  donc  très 
inférieures  à  celles  des  Français.  Pour  rétablir  la  propor- 
tion numérique,  le  prince  rappela  les  8  bataillons  et  les 
8  escadrons  de  Wangenheim;  en  conséquence,  ce  général 


(1)  Contades  à  Belleisle.  Bielefeldl,  5  juillet  I7ô9.  Archives  de  la  Guerre, 

3M8.       .   ,  ■  ■   .  ._  _,..: ...^^.-....-..v-. 


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JONdlON  DE  NVANGENIIKIM  AVKC  I  EHDINAXD. 


33 


quitta  Dalmcii,  et  aprî-s  avoir  passé  par  Mimsler  dont  il 
rcnfnrra  la  garnison,  rejoignit  l'armée  coniéiléréo  à  Osna- 
l)rHck  le  î)  juillot.  Le  départ  do  Wangonheiin  laissait  au 
pouvoir  des  Français  toute  la  région  comprise  entre  le 
Uliin  <'t  l'Knis,  j\  l'exception  des  places  de  Munster  et  de 
Ijppstadt. 

l'nc  retraite  ininterrompue  depuis  le  début  tle  la  cam- 
pagne avait  attiré  h  Ferdinand  des  critiques  sévères  de  la 
part  de  s.»n  ancien  chef  le  roi  de  Prusse.  Kn  cherchant  à 
se  disculper,  le  prince  rend  hommage  (1)  à  la  stratégie  et 
h  la  taciicpic  de  son  adversaire  :  «  Le  maréchal  do  Con- 
tadcs  marche  avec  de  grandes  précautions,  et  se  tient  ex- 
trêmement serré.  La  manœuvre  qu'il  a  jusqu'à  présent 
exécutée,  consiste  k  pousser  un  corps  en  avant  sut  sa  droite, 
pour  déborder  ma  gauche,  mais  ce  corps  ne  s'éloigne  ja- 
mais du  gros  que  d'une  heure  de  chemin,  et  les  positions 
qu'il  prend  sont  toujours  très  fortes,  et  il  parait  qu'il  ne 
veut  agir  cpi'à  coup  sûr.  V.  M.  voit  par  le  que  je  dois  être 
un  peu  embarrassé  ;  je  ne  vois  d'issue  à  ce  jeu  que  de  livrer 
bataille,  et  je  ne  saurais  livrer  bataille  qu'en  attendant 
beaucoup  de  la  fortune.  »  i*ourquoi  Ferdinand  adopta-t-il 
la  direction  excentrique  d'Osnabr(\ck'.'  Sans  doute  pour 
faciliter  la  jonction  de  Wangenheim  et  pour  être  à  même 
de  secourir  Munster;  mais,  en  revanche,  il  courait  le  ris- 
que d'être  devancé  sur  le  Weser.  Il  semblerait  d'ailleurs 
que  la  cause  immédiate  du  mouvement  fût  un  rapport 
d'Imhotr(2)  qui  annonçait  la  présence  de  gros  partis  fran- 
çais dans  les  environs  de  Melle.  La  marche  de  Dissen  à 
Osnabrûck  fut  laborieuse;  la  chaleur  était  intense  et  le 
pays  difficile;  aussi  l'étape  commencée  à  cinq  heures  du 
matin  ne  se  termina-t-elle  pour  la  plupart  des  régiments 
confédérés  que  dans  la  nuit  ou  le  lendemain  matin.  Le 


(1)  Ferdinand  à  Frédéric.  Dissen,  0  juillet  1759.  Westphalen,  III,  p.  328. 

(2)  Reden,  l'cldziige  (1er  allicrtcn  Armée,  II,  p.  SU. 

CUER'.E  DE  SLPT  ANS.  —  T.  III.  8 


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I,A  (UJERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


9  juillet,  [)eiidant  (juc  Ferdinand  se  reposait  ù  Osnabriick, 
Contades  s'installait îVUervordcn,  ctBroçIic  avec  son  corps, 
qui,  malgré  son  titre  de  réserve,  servait  d'avant-çarde, 
s'emparait  par  un  lienreu.v  coup  do  main  de  la  forteresse 
de  iMindon. 

Une  première  sommation  faite  au  gouverneur  de  la 
place,  le  général  Zastrow,  n'ayant  pas  produit  d'effet,  Bro- 
glie  allait  attendre  les  renforts  et  le  canon  qu'il  avait  ré 
clamés,  quand  arriva  Fischer  avec  ses  volontaires.  Voici 
en  quels  termes  le  duc  raconte  l'aventure  (1)  :  «  Je  l'ai 
chargé  (Fischer)  ai  si  que  les  hussards  de  Nassau,  de  cher- 
cher un  gué;  ils  n'en  ont  pas  trouvé,  mais  ils  ont  vu  un 
bac  de  l'autre  côté  duWeser;  au  moyen  de  (jnelques  louis 
mon  frère  a  fait  passer  à  la  nage  un  grenadier  qui  a  ra- 
mené le  bac  dans  lequel  il  a  fait  passer  au.ssitAt  le  corps  de 
Fischer  et  a  été  avec  lui.  J'ai  fait  en  même  temps  tourner 
la  ville  à  M.  le  Baron  de  Closen,  avec  huit  compagnies  de 
grenadieivs  et  huit  piquets,  pour  aller  se  placer  devant  la 
porte  de  Nienbourg  et  empêcher  que  la  garnison  ne  piU 
s'échapper  par  li\.  Les  Fischers  ont  marché  à  l'ouvrage  de 
la  tète  du  pont;  il  y  a  eu  quehjues  coups  de  fusil,  j'ai  fait 
tirer  7  ou  8  coups  de  canon  de  ce  cO>té-ci  de  la  rivière  sur 
cet  ouvrage  et  sur  le  pont,  ce  qui  a  si  fort  intimidé  ceu.v  qui 
legardaif  nt  ([u'ils  se  sont  enfuis  dans  la  ville  sans  achever 
de  lever  le  pont-levis.  Les  grenadiers  de  Fischer  ont  suivi 
Cl  sont  entrés  api'ès  les  ennemis  dans  la  ville  et  ont  été  sui- 
vis de  presque  tout  le  corps  qui  ont  pressé  les  ennemis  de 
rue  en  rue  et  pris  presque  tout  sur  les  remparts  où  ils  se 
sont  réfugiés.  Mon  frère  y  e.st  entré  avec  eu.\  et  s'est  occupé 
de  sauver  la  ville  du  pillage.  J'y  ai  couru  de  mon  côlé  et 
je  suis  entré  dans  la  ville  avec  G  compagnies  de  grenadiers 
français  avec  lesquels  nous  avons  fermé  toutes  les  rues  et 
mis   dehors  tous  les  Fischers  (jui  ont  un  peu  pillé  mais 


(1)  Uroglie  à  Conludcs.  Minden,  9  juillet  1759.  Arcliivcs  de  la  Guerre,  3518. 


SUUPIUSE   1)K  MINDEN  PAU  UROGME. 


35 


beaucoup  moins  (lue  dans  pareille  circonstance  on  ne  de- 
vait le  craindre.  Il  n'y  a  pas,  à  ce  que  m'a  dit  M.  Tisclier, 
un  homme  de  son  corps  tué,  mais  seulement  des  blessés, 
et  très  peu  de;>  ennemis —  M.  de  Zastrow  est  pris  ainsi  (pie 
tous  les  officiers  et  soldats;  j'en  aurai  demain  l'état  (jne 
j'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer,  ainsi  que  celui  des  ma- 
gasins de  yrains  qu'on  dit  qu'il  y  a.  Ils  ont  jeté  aujour- 
d'hui un  petit  mai^asin  de  foin,  et  en  ont  brûlé  un  de  i)aille 
au  nioinent  de  l'attaque.  »  Toute  la  garnison ,  compo- 
sée de  l.VOO  à  1 .500  réguliers  et  miliciens,  fut  faite  p''ison- 
nièrc.  Dans  Minden  les  Français  ti'ouvérent  de  gros  appro- 
visionnements de  farine  et  d'avoine  «jui  facilitèrent  le 
ravitaillement. 

AussitAt(|ue  Ferdinand  eut  vent  de  la  pointe  de  l'avant- 
garde  de  (boutades  sur  Minden,  il  délacha  successivement, 
le  10  juillet  le  prince  de  Brunswick  et  le  général  Wan- 
genheim  avec  des  forces  considérables,  pour  devancer,  si 
possible,  les  Français  auv  défilés  de  Hille  et  Lûbbecke,  et 
suivit  lui-même  dans  la  nuit  avec  le  gros.  En  cours  de 
route,  on  apprit  la  chute  de  Minden.  Pour  l'armée  du 
prince,  comme  le  fait  remarquer  son  adjudant  Ueden  (1), 
les  consécjucnces  pouvaient  être  des  plus  graves;  rien 
n'empêchait  (^.ontades  de  Jescendre  le  cours  du  Wescr,  de 
s'emparer  de  Nienbourg  qui  n'était  défendu  que  par  (juel- 
ques  invalides,  et  de  lui  disputer  le  passage  du  lleuve. 
«  11  me  fallut,  écrivit  Ferdinand  (2),  choisir  alors  entre 
deux  choses  qui  avaient  chacune  ses  risques  :  ou  de  re- 
brousser tout  de  suite  chemin  vers  Munster  pour  tfVcher  de 
dégager  cette  ville  qui  venait  d'être  atta(|uée  par  le  mar- 
quis d'Armentières,  ou  de  m'approcher  du  Weser  pour 
tâcher  de  sauver  Nienbourg  avec  les  magasins,  et  pour 


(1)  Ucden.  vol.  II,  p.  12. 

(2)  l'crdiiirtiid  à  lioldernessi!.  i'plersiiagcii,  21  juillel  1T5'J.  WcslpluiliMi, 
(Jcscliiclile  lier  FcIdsUgi'  des  Hcrzoys  Ferdinand  r.  llr(iunseh(rei(j,  \Ur- 
lin,  1871,  vol.  III,  p.  ,180. 


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>>  i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  II. 


empêcher  de  n'être  pas  totalement  coupé  des  états  de 
Sa  Majesté  et  de  ceux  de  ses  alliés,  »  i 

Avant  de  s'arrêter  à  ce  dernier  parti,  le  prince  avait 
consulté  ses  principaux  officiers,  Sackville,  Sporcken  et 
Imhoff,  et  échangé  force  billets  avec  son  homme  de 
confiance  Westphalen.  Il  faut  lire  cette  correspondance 
pour  se  rendre  compte  de  l'influence  qu'exerçaient  sur 
la  conduite  du  général  en  chef  les  conseils  de  sou  secré- 
taire. Aucun  mouvement  de  troupes  ne  s'accomplit,  au- 
cune mesure  administrative  ou  politique  n'est  adoptée 
sauî  qu'il  ait  donné  son  opinion.  Parfois,  c'est  Westphalen, 
le  stratège  civil,  comme  l'appellent  quelques  écrivains 
militaires,  qui  assume  l'initiative,  qui  suggère  avec  beau- 
coup de  déférence  et  non  moins  de  précision  une  entre- 
prise à  tenter,  une  précaution  à  prendre,  un  détachement 
à  faire,  une  manœuvre  à  exécuter.  Presque  toujours  la 
proposition  est  retenue  et  son  auteur  chargé  de  préparer 
les  instructions  de  détail.  Quelquefois  Westphalen  fait  la 
leçon  à  son  maître,  qu'il  trouve  trop  indécis  et  trop  porté 
à  écouter  son  entourage;  un  mémoire  (1)  qu'il  lui  adressa 
pendant  le  séjour  à  Osnabriick  est  tout  à  fait  typique  : 
«  J'approuve  infiniment  que  V.  A.  S.  demande  l'avis  aux 
autres,  mais,  si  elle  me  permet  de  le  dire,  je  souhaiterais 

quelle  méditât  elle-même  ses  projets Si,  au  lieu  de 

cela,  V.  A.  S.  dit  à  tel  et  tel  :  Dites-moi  votre  sentiment 
sur  ce  que  je  doive  faire,  celui-ci  dira  à  la  vérité  son  sen- 
timent ;  mais  puisqu'il  ne  remplit  pas  la  sphère  du  géné- 
ral en  chef  et  qu'il  n'est  pas  non  plus  au  fait  de  tout  ce 
qui  entre  dans  la  situation  de  l'armée,  tant  par  rapport 
à  sa  position  locale  que  par  rapport  aux  magasins,  ce  sera 

un  pur  hasard  s'il  rencontre  juste Il  en  est  de  même 

si  V.  A.  S.  demande  i  plusieurs  personnes  à  la  fois  ce 


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'ri       / 

II 


i 


(1)  Westphalen  à  Ferdinand.  Osnabriick,  9  juillet  1759.  Westphalen,  111, 
p.  350. 


ii\ 


FERDINAND  SE  DÉCIDE  A  GAGNER  LE  BAS  W  ESER.      37 

qu'elles  pensent.  Et  si  l'on  est  d'un  sentiment  contraire, 
alors  V.  A.  S.  n'en  sera  que  plus  eml)arrassée.  » 

Dans  la  conférence  qui  eut  lieu  les  11  et  12  juillet, 
Westphalen  se  prononça  énergiquement  pour  la  marche 
au  Weser,  et  ce  concept  prévalut.  De  liomto  où  était  le 
quartier  général,  Ferdinand,  qui  éprouvait  des  inquiétudes 
pour  Brome,  y  envoya  le  général  Dreves  avec  quatre  ha- 
taillons  prendre  possession  de  la  ville,  de  gré  ou  de  force; 
dans  le  cas  où  l'armée  retournerait  à  Osnabriick  et  en 
\Vesti)lialie,  Dreves  était  autorisé  îl  se  retirer  à  Stade.  D'au- 
tre part,  dès  l'arrivée  à  Bomte  le  11  juillet  au  soir,  Estorll", 
avec  400  fantassins  et  autant  de  cavaliers,  avait  été  ex- 
pédié sur  Nienburg  pour  en  renforcer  la  garnison  ot  pro- 
téger les  magasins.  Ce  fut  seulement  le  12  au  soir  que 
Ferdinand  fit  connaître  sa  résolution  d'abandonner  pour 
le  moment  Munster  à  son  sort  et  de  gagner  le  bas  Weser; 
en  conséquence,  les  ordres  furent  donnés  de  se  diriger 
sur  Stolzenau,  localité  située  sur  le  fleuve  entre  Nienburg 
et  Minden. 

Auv  environs  de  Diepenau,  les  éclaireurs  du  prince  hé- 
réditaire, qui  faisaient  avant-garde,  avaient  repris  le  con- 
t?  ivec  ceux  de  Broglie.  Un  coup  de  main  hardi  du 
p  '  ■!'  Luckner  releva  le  moral  des  confédérés,  un  peu 
<^b(V^.f  -ar  la  prise  de  Minden.  A  une  heure  du  matin  le 
12  juitj",  200  hussards  pénétrèrent,  sans  être  aperçus  du 
poste  français,  dans  la  bourgade  d'iïolzhauscn  où  étaient 
cantonnés  quatre  escadrons  de  carabiniers  sous  les  ordres 
du  marquis  des  Salles,  (irâce  aux  indications  des  paysans 
qui,  munis  de  lanternes,  leur  désignèrent  les  maisons  où 
étaient  logés  les  officiers,  ils  s'emparèrent  de  Salles  qui 
fut  grièvement  blessé  en  se  défendant,  et  de  plusieurs  au- 
tres. Évc'llés  par  le  bruit,  les  carabiniers  se  ressaisirent, 
s  embusquèrent  dans  les  habitations  et  derrière  les  haies, 
tirent  feu  sur  l'ennemi  et  parvinrent  ù  rendre  la  liberté  à 
quelques-uns  de  leurs  camarades.  Néanmoins  les   hus- 


38 


LA  GUEr.RE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IL 


u 


i 


sards  purent  se  replier  avec  perte  infime,  emmenant  une 
dizaine  de  prisonniers,  parmi  lesquels  ï  officiers,  ïO  che- 
vaux et  du  butin.  De  Ilolzhausen,  l'alarme  fut  donnée  aux 
hameaux  voisins  où  étaient  des  détachements  de  cava- 
lerie et  de  dragons.  Le  lieutenant-colonel  de  Scepeaux 
réunit  son  monde  aux  carabiniers,  et  aussitôt  le  jour  venu, 
se  porta  à  toute  allure  et  sans  reconnaître  le  terrain  à  la 
poursuite  des  hussards.  Cette  course  folle  le  conduisit  à 
un  village  où  il  se  heurta  à  l'avant-garde  hanovrienne 
et  essuya  «  une  décharge  d'infanterie  assez  roulante  et 
suivie  de  plusieurs  coups  de  canon.  J'en  jugeai  i  pièces, 
écrit  Scepeaux  (1),  dont  le  rapport  possède  au  moins  le 
mérite  de  la  franchise,  ce  qui  nous  fit  penser  au  rétro- 
grade. Les  hussards  attentifs  à  nos  manœuvres  parurent, 
mais  leur  feu  ni  leur  approche  n'en  imposa  point  à  mes 
carabiniers  pendant  une  petite  heure.  Le  tout  se  retirait 
par  échelles,  le  plus  en  ordre,  en  faisant  feu  par  divisions. 
Leur  bonne  contenance  s'est  so.  tenue  pendant  une  lieue 
et  sans  perte  d'hommes  ni  de  chevaux;  mais  par  une 
fatalité  imaginaire  ils  se  sont  crus  coupés.  Cette  opinion  est 
devenue  si  générale  que  toutes  les  troupes  ont  pris,  mal- 
gré les  efforts  de  messieurs  les  officiers  et  les  miens,  la 
fuite  avec  un  ensemble  qui  avait  l'air  si  concerté  que  les 
hussards  ont  profité  du  désordre  général,  et  ont  pris,  pen- 
dant la  course  qui  n'a  pas  pu  se  ralentir  pendant  un  bon 
quart  d'heure  se  culbutant  les  uns  les  autres,  environ  180 
hommes  et  autant  de  chevaux;  et  sans  une  troupe  de 
dragons  que  M.  d'Apchon  avait  envoyés  à  notre  secours, 
le  reste  des  carabiniers  galoperait  encore.  Il  n'y  a  pas  eu 
6  carabiniers  de  tués.  »  Nos  cavaliers  avaient  eu  affaire  (2) 
à  quelques  escadrons  prussiens  appuyés  par  300  chasseurs 
à  pied  et  2  canons  de  campagne. 


(1;  Rapport  de  Scepeaux,  14  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre,  3518. 
(2)  Lettre  du  caïup  hanovrien.  Slolzenau,  15  juillet  1759.  Ncwcastle  Papers, 
vol.  32893. 


SUCCÈS  DES  PARTISANS  LUCKNER  ET  FREYTAG. 


39 


Cette  défaite,  humiliante  pour  le  corps  d'élite  qui  en 
fut  la  victi.uc,  donne  de  la  vigilance  des  grand'gardes  de 
l'armée  d3  Contades  une  mauvaise  impression  que  con- 
firme une  échauftburée  du  môme  genre  dans  le  pays  de 
liesse.  Peu  de  jours  auparavant,  le  colonel  hanovrien  Frey- 
tag  avait  fait  une  incursion  sur  les  bords  du  haut  Weser 
et  y  avait  enlevé  plusieurs  détachements  des  volontaires 
d'Alsace,  y  compris  leur  colonel  Beyerlé  et  le  lieutenant- 
colonel.  Le  récit  de  l'escarmouche  (1)  ne  fait  pas  hon- 
neur aux  surpris  :  «  La  troupe  était  à  la  distribution  de  la 
viande;  quatre  mille  hommes  avaient  déjà  entouré  le  vil- 
lage et  y  entrèrent  sans  qu'on  sût  que  c'était  l'ennemi;  on 
n'a  tiré  d'autres  coups  de  fusil  que  sur  ceux  qui  cher- 
chaient leur  salut  à  la  nage  et  dans  un  petit  vadelin  cuii 
coula  à  fond,  force  d'être  chargé  de  fugitifs.  M.  Beyerlé  tut 
pris  dans  sa  chambre  où  il  entra  de  son  jardin  lorsqu'il 
apprit  ce  désastre  et  s'y  fît  prendre  à  son  tour;  cette  expé- 
dition ne  dura  que  10  minutes.  De  là  les  ennemis  s'en  allè- 
rent sur  Burfeld  où  était  M.  de  Bercamp ,  se  coiffant  de 
casques  de  leurs  prisonniers  ;  ils  arrivent  devant  la  porte 
du  couvent,  où  logeait  cet  officier  supérieur  avec  toute  sa 
troupe,  qu'ils  trouvent  fermée;  ils  commencent  à  l'ouvrir 
à  coups  de  hache;  la  sentinelle  qui  était  en  dedans  jure  et 
peste  bi^aucoup  contre  ceux  qui  y  faisaient  ce  bruit;  la 
porte  saute  et  les  ennemis  entrent,  demandent  la  chambre 
à  coucher  du  lieutenant-colonel  qu'ils  trouvent  couché 
encore,  et  le  font  prisonnier  dans  son  lit.  » 

Cette  affaire,  suivie  de  la  capture  d'un  autre  poste  à 
Wittenhausen,  fit  croire  à  un  retour  offensif  de  l'ennemi 
sur  Munden  et  Cassel.  Pour  parer  au  danger  qui  menaçait 
sa  base  de  ravitaillement,  Contades  renvoya  en  liesse  la 
brigade  suisse  de  Castella,  les  volontaires  étrangers  et  un 
régiment  de  dragons. 


;i)  Lellro  (le  Munden  du  6  juillet  1739.  Archives  de  la  Guerre,  3518. 


I  ( 


40 


LA  GUERRE  DIÎ  SEPT  ANS.  —  CHAP.  11. 


En  prêtant  à  Contades  le  dessein  de  lui  disputer  la  pos- 
session du  Weser  inférieur,  Ferdinand  avait  siniS"uli«! rement 
e.Kagéré  la  iiardiesse  des  conceptions  de  son  adversaire. 
Le  général  français  n'avait  qu'un  objectif  beaucoup  moins 
ambitieux.  «  Avant  de  passer  le  Weser,  écrit-il  à  Hroglie  (1) , 
qui  plein  d'ardeur  songeait  au  siège  d'Hameln,  il  fallait 
obliger  M.  le  prince  Ferdinand  de  le  repasser  le  plus  bas 
qu'il  serait  possible,  pour  l'éloigner  toujours  davantage  de 
la  Hesse  et  de  ses  places,  tant  de  celles  de  Westphalie  que 
de  celles  du  NVeser.  La  prise  de  Minden  nous  donne  un 
avantage  infini  par  son  pont  sur  le  Weser  qui  nous  met 
en  état  d'y  passer  ce  lleuve  et  de  resserrer  M.  le  prince 
Ferdinand  sur  l'Aller  en  le  séparant  d'Hameln  et  d'Hano- 
vre. 11  faut  profiter  d'un  si  grand  avantage,  et  je  pense 
comme  vous  que  la  réserve  y  serait  très  bien  placée  en  at- 
tendant que  j'aie  obligé  M,  le  prince  Ferdinand  de  quitter 
les  environs  d'Osnabriick  et  de  gagner  le  bas  Weser.  » 
Par  malheur,  les  difficultés  d'approvisionnement  le  re- 
tiennent sur  place  :  «  M.  de  Peyre  m'a  assuré  hier  qu'il  ne 
pouvait  plus  fournir  l'armée  plus  loin  k  cause  de  l'éloigne- 
ment  de  ses  établissements  et  de  l'inexactitude  des  voitures 
qui  amènent  les  farines  de  Francfort  à  Cassel  et  Pader- 
born.  Je  me  vois  donc  arrêté  malgré  moi  et  obligé  à  laisser 
gagner  tranquillement  le  bas  Weser  à  M.  le  prince  Ferdi- 
nand sans  pouvoir  le  suivre  plus  loin...  Ce  que  vous  me 
proposez  sur  Hameln  est  digne  de  vous,  et  vous  pouvez, 
Monsieur  le  duc,  vous  occuper  de  cet  objet  auquel  je  con- 
courrai pour  quelques  brigades  à  la  rive  gauche  du  Weser 
si  vous  en  avez  besoin.  Je  n'ai  pas  depuis  hier  matin  de 
nouvelles  des  ennemis  ;  nos  troupes  légères  excédées  dor 
ment  sans  doute,  je  vais  les  réveiller.  » 

Sur  ces  entrefaites,  Broglie  apprend  la  marche  de  Ferdi- 


(1)  Contades  à  Hroglie.  Ilervorden,  11  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3518. 


â 


COÎSTADES  CAMPE  AUX  ENVIRONS  DE  MINDEN. 


41 


nand  dans  la  direction  de  Nienhiirg".  «  Il  fait  sagement, 
inande-t-il  au  maréchal  (1),  car  s'il  avait  tardé  davantage, 
je  vous  aurais  proposé  d'aller  insulter  Nienburs  qui  est 
insultable...  la  prise  de  Minden  aura  toujours  fait  l'eflet 
d'accélérer  le  passage  du  Weser  au  prince  Ferdinand.  » 
L'avis  transmis  par  son  lieutenant  fit  renoncer  Contades  à 
la  course  sur  Osnabrûck  par  Uamsel  et  Melle  pour  laquelle 
il  avait  fait  réparer  les  chemins  par  des  corvées  de  paysans. 
(1  .le  vais  porter  l'armée  sur  Minden,  écrit-il  à  Belleisle,  et 
me  mettre  à  cheval  sur  le  Weser.  »  Il  espère  s'y  établir  le 
15  juillet  avec  le  gros  sur  la  rive  gauche  et  le  corps  de  Bro- 
glie  sur  la  rive  droite.  En  effet,  k  la  date  indiquée,  le  quar- 
tier général  est  à  Minden,  l'armée  campée  sur  deux  lignes, 
la  droite  à  la  forteresse,  la  gauche  près  de  la  montagne; 
pour  faciliter  les  communications  entre  les  deux  rives,  au 
pont  de  pierre  de  la  ville  on  ajoute  un  second  pont  de  ba- 
teaux. 

Pendant  que  les  Français  s'installaient  à  Minden,  Fer- 
dinand qui  avait  abandonné  toute  intention  de  passer  sur 
la  rive  droite  du  fleuve,  se  rapprochait  rapidement;  le  14  il 
est  à  Stolzenau  sur  la  rive  gauche  et  y  jette  trois  ponts  sur 
le  fleuve.  Puis,  informé  qu'une  partie  de  l'armée  française 
s'était  avancée  jusqu'à  Petershagen,  petite  ville  au  nord 
de  Minden,  et  croyant  le  corps  de  Broglie  (2)  occupé  au 
siège  d'Hameln,  il  adopte,  sur  la  suggestion  de  Westpha- 
len  (3),  l'idée  de  profiter  de  la  division  de  Tarmée  de  Con- 
tades en  deux  tronçons,  pour  frapper  un  coup  décisif.  Dans 
ce  but  (4),  il  g?gne  Oberstadt  dans  la  nuit  du  15  au  IC,  et 


;  Ferdi- 


(1)  lîioglie  à  Contadvis.  Minden,  12  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3318. 

(2)  Sackville  à  Holdernesse.  Oberstadt,  10  juillet  1759.  Newcastle  Papers, 
vol.  32893. 

(3)  Westphalen  à  Ferdinand.  Stolzenau,  15  juillet   1759.  Westphalen,  111, 
p.  370. 

(i)  Ferdinand  à  Holdernesse.  Petershagen,  21  juillet  1759.  Newcastle  Pa- 
pers,  vol.  32893. 


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42 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -    CIIAP.  II. 


à  minuit  se  remet  en  route  «  avec  tous  les  piquets  de  l'ar- 
mée <|ui  suivit  elle-même  le  17  avec  le  jour  ».  I.es  Fran- 
çais avaient  éventé  la  mèche;  ils  déclinèrent  le  combat  en 
resserrant  leurs  lignes  de  manière  A  placer  le  marais  de 
Minden  entre  eux  et  l'ennemi.  «  Plus  j'examin  ,  rapporte 
Contades  (1),  la  position  de  l'armée  dans  ce  camp  où  je 
pense  qu'elle  est  inattaquable,  et  plUs  je  pense  que  M.  le 
prince  Ferdinand  espérait  que  les  démonstrations  d'at- 
taquer qu'il  fît  hier  m'engageraient  à  marcher  à  lui,  et 
qu'il  pourrait  m'attaquer  avec  avantage  avant  que  l'armée 
fût  formée...  J'ai  fait  repasser  le  Weser  aujourd'hui  à  la  ré- 
serve de  M.  de  Hroglie  qui  appuie  sa  gauche  au  Weser;  je 
compte  dans  cette  position,  si  31.  le  prince  Ferdinand  ne  fait 
pas  de  mouvements  qui  m'obligent  d'en  changer,  laisser 
faire  à  M.  d'Arraentières  les  sièges  de  Munster  et  de  Lipp- 
stadt,  faire  les  préparatifs  pour  celui  d'Hameln,  et  pen- 
dant ce  temps  faire  travailler  à  l'établissement  des  fours 
commencés  ici,  et  y  faire  apporter  des  farines.  » 

A  partir  du  17  juillet  jusqu'à  la  fin  du  mois,  les  deux 
partis  restèrent  immobiles  s'observant  l'un  l'autre.  «  Je 
ne  puis  pas  passer  le  Weser  avec  l'armée,  écrit  Contades  (2), 
tant  que  M.  le  prince  Ferdinand  sera  de  ce  côté-ci;  j'es- 
père que  je  serai  instruit  du  moment  où  il  le  passera  pour 
le  passer  tout  de  suite.  »  On  pouvait  attendre  sans  grand 
inconvénient,  car  l'abondance  régnait  dans  le  camp 
français  :  ((  Les  paysans  nous  apportent,  mande  Cornil- 
lon  (3),  toutes  sortes  de  légumes,  des  œufs,  des  poulets  et 
des  pigeons...  Je  fais  faire  tous  les  jours  dans  cette  ville 
20  pièces  de  bière  à  6  livres  la  pièce  qu'on  délivre  à  cha- 
que régiment  sur  le  billet  que  je  donne;  par  ce  moyen 
elle  ne  revient  pas  à  un  sol  le  pot  au  soldat.  »  Cependant, 

(1)  Contades  à  Belleisle.  Minden,  18  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3519. 

(2)  Contades  à  Delleisle.  Minden,  22  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Cornillon  à  Belleisle.  Minden,  22  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


SIKOE  ET  PRISE  DE  MUNSTER  PAR  ARMENTIERES. 


43 


sans  doute  A  la  suite  des  marches  et  du  mauvais  temps,  il 
y  avait  beaucoup  de  malades.  Malgré  cela,  le  moral  s'était 
maintenu  bon  au  cours  de  la  campagne  et  à  en  croire  la 
correspondance  échangée  avec  Belleisle,  la  gaieté  fran- 
çaise était  poussée  à  des  extrêmes  qui  ne  laissaient  pns 
d'inquiéter  le  vieux  ministre.  Averti  par  un  de   ses  cor- 
respoiulants,  il  demande  des  explications.  La  justification 
de  Conlades  (1)  jette  quelque  jour  sur  les  habitudes  des 
jeunes  ol'liciers  :  «<  Vous  jugez  très  bien  du  caractère  de 
celui  qui  l'a  écrite,  qui  est  sans  doute  un  atrabilaire  qui 
trouve  mauvais  que  la  jeunesse  s'amuse.  Il  est  vrai  qu'au 
camp  de  MeerholF  les  jeunes  gens  de  l'armée  se  choisirent 
un  chef  qu'ils  appelèrent  le  chef  de  la  calotte.  On  me 
rendit  compte  le  matin  qu'ils  avaient  fait  beaucoup   de 
bruit  pendant  la  nuit  au  camp;  j'ordonnai  à  M.  de  Cornil- 
lon  de  dire  aux  majors,  et  je  le  dis  moi-même  aux  com- 
mandants des  corps,  que  je  ne  m'opposais  point  à  ce  que 
la  jeunesse  s'amusât,  mais  que  j'exigeais  deux  choses  :  la 
première,  que  la  retraite  battue  on  ne  fit  plus  de  bruit  au 
camp,  et  la  seconde,  que  messieurs  les  lieutenants,  quand 
ils  s'assembleraient  pour  jouer   aux  barres  à  la  tète  du 
camp,  ne  s'écartassent  jamais  du  respect  qu'ils  devaient 
aux  anciens  officiers,  et  que  si  ces  deux  conditions  n'étaient 
pas  remplies,  je  mettrais  toute  cette  jeunesse  dans  le  cas 
d'avoir  besoin  de  se  reposer  en  leur  faisant  monter  la  garde 
à  la  tétc  du  camp  de  deux  jours  l'un,  et  en  punissant  encore 
plus  sévèrement  ceux  qui  seraient  les  chefs;  je  n'ai  pas  ouï 
parler  qu'il  soit  rien  arrivé  qui  intéresse  la  discipline.  » 

Pour  reprendre  l'offensive,  Contades,  on  vient  de  le  voir, 
attendait  l'issue  des  opérations  dont  avait  été  chargé  le 
marquis  d'Armentières.  Ce  général  avec  un  corps  de  19  ba- 
taillons et  de  20  escadrons  devait  poursuivre  la  conquête 


(1)  Conlades  à  Belleisle.  Minden,  22  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3519. 


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44 


LA  GUEHRE  DK  SEPT  ANS.  —  CHAI».  II. 


de  la  NVcstphalic,  tâche  (iiii,  par  suite  du  rappel  de  la  di- 
vision lianovrienne,  se  réduisait  A  la  prise  de  Munster  et 
Lippstadt.  A  la  suite  d'un  long-  séjour  à  Schirmbeck,  en 
avant  de  Wosel,  il  s'ébranla  le  5  juillet  et  parvint  devant 
Munster  quelques  jours  après  le  départ  de  Wangenlieim, 
L'investissement,  effectué  sans  retard,  intercepta  toute  com- 
munication avec  le  prince  Ferdinand  et  amena  la  capture 
du  colonel  de  la  Chevalerie,  qui  apportait  au  g-ouverncur 
l'ordre  de  se  défendre  à  outrance.  Armentières,  dont  la 
grosse  artillerie  était  encore  en  arrière,  voulut  se  rendre 
maître  de  la  place  par  un  coup  de  main.  Dans  la  nuit 
du  12  au  13  juillet,  il  tenta  l'escaladt  ;  des  instructions  mal 
comprises  ou  mal  exécutées  firent  échouer  l'assaut  qui 
coûta  à  l'assaillant  41  officiers  et  534  soldats  tués  ou  bles- 
sés, et  il  fallut  se  résigner  k  un  siège  méthodique.  Les 
travaux  une  fois  amorcés  ne  traînèrent  pas;  la  tranchée 
fut  commencée  dans  la  soirée  du  19;  le  22  le  défenseur 
évacua  la  ville  et  se  retira  dans  la  citadelle.  Le  25  dès 
l'aube,  les  batteries  ouvrirent  le  feu  et  à  8  heures  et  de- 
mie (1)  le  gouverneur  hanovrien  hissa  le  drapeau  blanc. 

La  garnison,  commandée  par  le  général  Zastrow  (2'i  et 
forte  de  3.594  hommes  de  tous  rangs,  mit  bas  les  armes. 
Dans  la  forteresse  les  Français  trouvèrent  beaucoup  d'ef- 
fets, et,  en  outre  du  canon  de  la  place,  2  pièces  de  cam- 
pagne enlevées  à  Crefeld  aux  régiments  d'Enghien  et  de 
la  Marine.  Le  31  juillet  Armentières  était  sous  les  murs  de 
Lippstadt,  prêt  à  en  entreprendre  l'attaque,  et  si  siir  du 
résultat  qu'il  consultait  déjà  le  général  en  chef  sur  la  des- 
tination à  donner  à  la  garnison  quand  elle  serait  entre  ses 
mains. 

Du  côté  de  la  grande  armée  la  tranquillité  ne  fut  trou- 


(1)  Armentières  à  nelleisle.  Sous  Munster,  25  juillet  1759.  Archives  de  la 
Guerre.  Allemagne,  3519. 
{?.)  Ne  pas  confondre  avec  le  général  Zastrow  fait  prisonnier  à  Mindcn. 


REPIUSE  D'OSNAUIIUCK  PAU  LES  CONFÉDEUÉS. 


4r> 


|)léc,  en  dehors  cVaffaircs  d'avant-postos  sans  importance, 
(lue  par  deux  expéditions  des  confédérés;  la  première  eut 
pour  ellet  de  déloger  de  Liibbecke  les  hussards  do  IJer- 
cliinv  et  les  volontaires  de  Muret.  (]ette  pointe,  diriijée 
sur  la  ligne  de  retraite  de  l'armée  française,  occasionna  à 
l'état- major  d'autant  plus  de   souci  qu'on  attendait  de 
llervorden  un  convoi  considérable  de  pain  et  un  trésor  de 
•i.'iOO.OOO   livres  sous  l'escorte  d'un  régiment   de  cava- 
lerie. Afin  d'en   assurer  l'arrivée,  Contades   dépêcha    le 
'26  juillet  au  secours  de  Hcrchiiiy  (1),  qui  dans  l'intervalle 
avait  été  rejoint  par  les  irréguliers  de  Turpin  et  les  gre- 
nadiers de  Prague,  3.000  hommes  soiis  les  ordres  du  duc 
de  Hrissac.  Ce  détachement,  composé  de  20  compagnies 
de  grenadiers,  de  20  piquets  d'infanterie   empruntés  à 
17  régiments  ditlerents,  de  1.000  chevaux  et  5  pièces  de 
canon,  alla  prendre  position  entre  Liibbecke  et  Engeren 
à  l'eCTet  de  protéger  la  route  d'IIervorden.  Le  mouvement 
fut  appuyé  par  Danlezy  avec  une  division  de  3.000  hom- 
mes; à  l'approche  de  ce  dernier,  l'ennemi  évacua  Liib- 
becke où  nos  troupes  rentrèrent  sans  opposition,  et  Dan- 
lezy revint  au  quartier  général.  Le  second  incident  se  passa 
k  Osnabrilck;  cette  ville  avait  été  occupée   le  iV  juil- 
let par  M.  de  Comeiras  avec  ses  troupes  légères;  il  s'y 
était  emparé  d'un  hôpital  anglais  et  d'un  gros  magasin 
de  fourrages  évalué  à   un  million  de  rations;  mais   le 
succès  ne  fut  qu'éphémère.  Le  28  au  matin,  le  général 
Drèves,  de  retour  de  sa  course  à  Brème  avec  4  bataillons 
d'infanterie,  un  régiment  de  dragons  et  quelques  chas- 
seurs, recouvra  la  ville  après  un  combat  qui  lui  coûta 
une  centaine  d'hommes;  les  volontaires  de  Clermont  qui 
constituaient  la  garnison  française,  y  perdirent  une  pièce 
de  canon,  plus  de  200  tués,  blessés  ou  pris  et  leurs  équi- 


(1)  Contades  à  Belleisle.  Mimlen,  28  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre. 
Allemagne,  3519. 


4P. 


LA  GIERRE  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


[)îiges.  Le  stock  de  foiirrngc.s  était  resté  intact.  Drôves, 
|)lus  diligent  (]uo  le  commandant  l'ranrais,  s'employa  ac- 
tivement h  !e  mettre  en  sth'et*'  au  deliV  du  Weser. 

Dans  l'esprit  de  Kerdinaud,  les  aU'aircs  de  Llibherke  et 
d'Osnabrtlck  n'étaient  que  le  prélude  d'une  opération  dont 
le  l)Ut  serait  de  déterminer  (>)ntades,  en  coupant  sa  base 
do  ravitaillement,  ii  abandonner  sa  position  sous  Minden, 
puis,  ce  résultat  obtenu,  de  secourir  la  ville  de  Munster. 
Pour  assurer  l'exécution  de  ce  plan,  il  avait  confié  au 
prince  béréditaire  (1)  0  bataillons,  10  escadrons  de  dra- 
gons et  de  bussards  et  les  cbasseurs  banovriens.  soit  5  A 
6.000  combattants,  que  renforceraient  les  :{.(K)0  de  Urè- 
ves.  La  nouvelle  de  la  capitulation  de  Munster  vint  sim- 
plilicr  le  projet  et  le  réduire  à  une  manœuvre  dont  les  elTets 
furent  des  plus  décisifs. 

Cbez  les  Français,  les  petits  combats  que  nous  venons 
de  relater  semblent  avoir  excité  les  cerveaux;  on  aspi- 
rait il  une  véritable  bataille;  on  reprocbait  au  maré- 
chal de  ne  pas  l'engager,  et  on  contrastait  sa  prudence 
excessive  avec  la  hardiesse  heureuse  de  son  principal  lieu- 
tenant :  «  Il  se  tient  à  l'armée  beaucoup  de  propos,  rap- 
porte Cornillon  (2),  qui  prouvent  que  l'on  souhaiterait 
que  M.  le  Maréchal  voulût  aller  plus  vite  î\  l'ennemi,  ce 
qui  leur  fait  désirer  pour  chef  M.  le  duc  de  Broglie.  Cela 
se  dit  hautement  partout.  »  Ue  son  côté,  Belleisle  ne  ces- 
sait d'insister  (3)  sur  la  nécessité  de  faire  la  guerre  au 
coût  des  alliés  :  «  Je  ne  vois  de  ressources,  pour  nos  dé- 

(1)  Instructions  pour  le  prince  liéréditaire.  Pctershagen ,  24  juillet  1759. 
Westphalen,  III,  392. 

(2)  Cornillon  à  Belleisle.  Minden,  29  juillt't  175"j.  Archives  de  la  Guerre. 
Allemagne,  3519. 

(3)  Belleisle  à  Contadcs,  23  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre,  Allemagne, 
3519.  Cette  dépOche,  tombée  entre  les  mains  de  l'ennemi  avec  la  correspon- 
dance de  Contades,  quelques  jours  après  la  bataille  de  Minden,  fut  publiée 
en  Hollande  et  en  Angleterre;  son  contenu  lit  sur  l'opinion  une  impression 
défavorable. 


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CONTADES  SK  DKCIDE  A  MVUEU  HATAIM.E. 


47 


penses  les  plus  ui>;erifes  et  pour  la  réparation  «les  trou- 
pes, «pie  dans  l'argent  que  nous  pourrons  avoir  «1«!S  pays 
ennemis  d'où  il  faudia  également  lever  des  subsistances 
de  toutes  espèces,  indt-pendaninuînt  de  l'argent,  c'est-î\- 
dire  des  foins,  des  pailles,  des  avoines  pour  l'hiver,  «lu 
l)l('',  «les  bestiaux,  des  elievîuix  et  ni«^me  des  hommes  p«)ur 
recruter  toutes  nos  troupes  6trang«>res.  I.a  guerre  ne 
doit  pas  Clive  proiongi'C,  et  peut-«Hre  faudra-l-il,  suivant 
les  cv(înements  (pii  arriveront  d'ici  à  la  lin  de  septembre, 
faire  un  v«';ritable  désert  en  avant  de  la  ligne  des  (piar- 
tiers  que  l'on  jugera  à  propos  de  tenir  pen«lant  l'hiver, 
alin  que  l'ennemi  se  trouve  dans  une  impt)ssibilité  réelle 
d'en  pouvoir  approcher.  »  Avant  d'appliquer  me  mé- 
thode dont  la  première  partie  tout  au  moins  était  emprun- 
tée aux  procédés  du  roi  de  Prusse,  il  convenait  d'imiter 
ce  souverain  en  remportant  des  victoires  et  en  se  rendant 
maître  des  contrées  où  on  voulait  toucher  «les  contribu- 
tions. C'est  ainsi  «{ue,  stimulé  du  dehors  et  du  dedans, 
Contades  se  décida  ù  modifier  la  sage  tactique  «ju'il  avait 
pratiquée  jusqu'alors  et  à  attaquer  le  prince  Ferdinand; 
il  annonça  cette  décision  à  Bellcisle  par  un  billet  daté 
du  ai  juillet. 

Kn  prenant  cette  initiative,  il  allait  combler  le  vœu  de 
son  habile  adversaire.  «  Notre  situation  ici  est  des  plus 
intéressantes,  écrivait  (1)  une  semaine  avant  l'action  Lord 
Sackville,  le  commandant  du  contingent  anglais,  le 
prince  fait  tout  ce  qu'il  peut  pour  amener  l'ennemi  à  une 
ailaire  décisive,  mais  le  maréchal  de  Contades  jusqu'à 
présent  persiste  à  ne  pas  livrer  bataille.  Votre  Crûce  esti- 
mera, je  crois,  que  la  prudence  du  maréchal  lui  fait 
grand  honneur,  car  en  agissant  ainsi,  il  sert  les  intérêts 
de  son  maître  et  il  conserve  intacte  son  armée.  Contades 


(1)  Sackville  à  Kewiastle.  Pelershagen,  24  juillet  1759.  Newcaslle  Papers, 
328'J3. 


48 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


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attend  évidemment  la  chute  de  Munster  avant  de  repren- 
dre l'oHensive.  11  pourra  alors  rallier  à  lui  le  corps  de 
troupes  i^celi.i  d'Armentières),  et  il  aura  alors  une  grande 
supériorité  en  nombre.  En  ce  moment,  rien  n'est  plus  à 
souhaiter  qu'une  bataille,  mais  je  doute  que  tout  le  génie 
de  notre  général  puisse  trouver  une  occasion  assez  fa- 
vorable pour  justifier  l'entreprise Le  pvince  a  trop 

contre  lui,  et  si  quelque  événement  favorable  ne  permet 
pas  au  roi  de  Prusse  de  nous  aider  taut  soit  peu,  je  ne* 
vols  pas  comment  cette  campagne  peut  finir  heureuse- 
ment. » 

Ferdinand,  en  etfet,  était  très  désireux  de  mettre  lin 
aux  progrès  des  Français  qui  lui  :_ valent  fait  perdre  tout  le 
territoire  compris  entre  le  Hhin  et  le  Weser  et  qui  mena- 
çaient de  le  refouler  sur  l'Elbe;  il  avîiit  à  cœur  do  prendre 
sa  revanche  de  la  retraite  continuelle  qu'il  s'était  cru  forcé 
de  faire  depuis  la  réouverture  des  hostilités.  La  position 
de  Contades  sous  les  murs  de  Minden  était,  il  est  vrai, 
inexpugnable,  mais  il  espérait  l'obliger  à  la  quitter  en 
agissant  sur  sa  ligne  de  ravitaillement.  «  Si  je  réussis, 
écrit-il  la  veille  de  la  bataille  au  roi  de  Prusse  (1),  à  éta- 
blir le  corps  du  pi'ince  héréditaire  à  Kirchlinnlger,  près 
de  llervordcn,  je  suis  à  dos  de  l'ennemi  et  sur  la  route  de 
ses  convois.  Il  me  semble  qu'aloi's,  il  ne  lui  reste  d'autre 
parti  à  prendre  que  de  nous  eu  déloger,  et,  s'il  n'y  réus- 
sit point,  de  repasser  les  montagnes  ou  de  déboucher 
dans  la  plaine  pour  me  combattre,  où  il  sera  pris  par 
ma  position  actuelle  en  flanc  au  moment  même  qu'il 
débouche.  »  Pour  profiter  de  la  faute  dr.it,  en  grand 
capitaine,  il  venait  de  prévoir  l'éventualité,  Ferdinand 
s'était  porté  à  llille  avec  le  gros  de  son  armée,  laissant  à 
Petershagon  le  général  Wangenheim  avec  un  corps  de 
10.000  hommes. 


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(1)  Ferdinand  à  Frédéric.  Uiilc,  31  juillet  1750.  Wostplialcn,  111,  p.  4i'2. 


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DESPRIPTION  DI'  CHAMP  DE  BATAILLE. 


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Essayons  de  décrire  le  champ  de  l)ataillc  (1)  où  allaient 
se  rencontrer  les  armées  rivales,  et  plaijons-nous,  pour 
l'étude  des  lieux,  sur  le  Wittekinds-Berg  où  a  été  érigée  la 
statue  colossale  de  l'Empereur  (luillaume.  A  nos  pieds, 
les  villages  de  Barkhausen  et  Bolhorst,  autour  desquels 
les  Français  étaient  campés  le  31  juillet;  vis-à-vis  de  nous, 
à  quelque  distance,  se  découvrent  les  bastions  de  Minden 
transformés  en  promenades  ombragées.  Plus  près  vers  la 
gauche,  le  marais  de  Minden  aménagé  en  prairies,  coupé 
par  des  digues  plantées  d'arbrisseaux;  l'aspect  des  lieux 
laisse  deviner  des  difficultés  de  traversée  qui,  très  sé- 
rieuses encore  à  l'heure  présente,  le  rendaient  infranchis- 
sable à  l'époque  de  l'action.  Au  delà,  le  village  delîahlen, 
entouré  de  plantations  qui  s'égrènent  jusqu'au  marais. 
A  la  sortie  de  la  zone  marécageuse,  un  rideau  de  végétation 
crayonne  le  cours  du  ruisseau  de  Bastau  qui  sert  de  fossé 
aux  vieilles  fortifications  de  Minden  avant  de  se  jeter  dans 
le  Weser.  Au-dessous  de  nous,  à  droite,  le  Ueuve  s'échappe 
du  défilé  de  Porta-Westfalica  après  s'ètr<>  frayé  un  passage 
entre  les  Wiehen  (îebirge,  sur  l'extrémité  desquels  nous 
nous  tenons,  et  les  Weser  Gebirge  qui  leur  font  face;  puis, 
suivant  un  chenal  à  peu  près  direct,  il  sépare  Minden  de 
son  faubourg  de  la  rive  droite  et  disparait  à  l'horizon  sous 
la  feuillée  sombre  du  Ileisterholz.  Plus  loin  que  la  ville, 
entre  elle  et  llahlon,  s'étend  la  plaine  ou  bruyère  de  Minden, 
aujourd'hui  cultivée  dans  presque  toute  son  étendue,  par- 
semée de  maisons,  de  jardins,  de  bosquets  qui  obstruent 
la  vue  et  empochent  de  distinguer  les  hameaux  de  Maul- 
bcorkamp,  de  Stemmer  et  de  Kutenliausen  dont  nous 
aurons  à  parler  dans  le  récit  do  la  bataille.  En  1759,  le 
terrain,  beaucoup  plus  ouvert  aux  abords  de  l'enceinte, 


(1)  \'oir  la  carte  à  la  (in  du  volume.  Le  ri'cit  de  la  bataille  est  tiré  dos 
rapiiorls  de  Coiitades  et  de  Uroglie,  des  lettres  d'ofliciers  (Archives  de  la 
Guerre),  des  rapports  du  prince  Ferdinand,  des  dépositions  au  conseil  de 
Kuerre  de  Sackville,  de  Wesiplialen,  Uenouard,  Schaeter,  etc.,  etc. 
GiEiuu:  ne  ski't  ans.  —  t.  m.  4 


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50 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


I  I 


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se  revêtait  à  trois  ou  quatre  kilomètres  du  glacis  de  Mindeu 
d'un  fouillis  de  haies  et  de  vergers.  Derrière  cette  l)ar- 
ricre  de  verdure  les  grands  bois  qui  emprisonnent  la 
plaine  de  toute  part  s'estompent  au  fond  du  tableau.  Du 
pied  du  glacis,  le  sol  monte  en  pente  presque  insensible 
jusqu'à  une  crête  de  faible  relief,  assez  élevée  cependant 
pour  dérober  des  mouvements  de  troupes  au  regard  de 
l'approchant.  Du  côté  de  Stemmer,  le  point  culminant 
se  discerne  entre  le  moulin  et  le  cimetière  du  hameau; 
près  de  Hahlen,  sur  la  route  qui  conduit  aujourd'hui  au 
champ  de  manœuvres,  un  petit  mamelon  dépasse  le  voisi- 
nage de  deux  à  trois  mètres  de  hauteur.  En  résumé,  une 
contrée  plate,  sans  accidents  importants,  assez  favorable 
à  l'emploi  de  la  cavalerie. 

Le  village  de  llille  où  le  prince  Ferdinand  avait  son 
quartier  général,  est  situé  sur  le  bord  du  marais  de  Min- 
den  à  environ  six  kilomètres  en  amont  de  Hahlen;  quant 
à  Todtenhausen  ou  Thonhausen  qui,  dans  quek[ues  récits, 
donne  son  nom  à  la  bataille,  c'est  un  village  adossé  à  la 
forêt  d'IIeisterholz,  qui  le  sépare  de  la  ville  de  Petersha- 
gen;  il  se  trouve  un  peu  en  arrière  de  Kutenhausen  et 
à  faible  distance  du  Weser. 

Tandis  que  les  Français,  leurs  flancs  appuyés  aux  murs 
de  Minden  à  droite,  à  la  montagne  à  gauche,  leur  front 
couvert  par  le  marais,  paraissaient  bénéficier  d'une  posi- 
tion à  peu  près  inaccessible,  la  ligne  des  confédérés, 
très  étendue,  semblait  plus  vulnérable.  Le  corps  de  Wan- 
genheim  à  Todtenhausen  était  bien  loin  du  quartier  géné- 
ral de  liille.  Ne  serait-il  pas  possible  de  l'écraser  avant 
que  le  gros  put  venir  à  son  aide?  Telle  fut  la  pensée  de 
Contades  et  l'idée  dominante  qui  inspira  ses  conceptions. 
Voici  en  quels  termes  l'ordre  général  (1)  définit  la  tâche 
de  la  droite  française,  chargée  de  l'action  décisive  :  «  La 
réserve  de  M.  le  duc  de  Brogiie  fera  la  droite  de  tout,  se 
(1)  Ordre  d'attaque.  Miiiden,  .'{l  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre. 


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PLAN  DATTAQUE  DE  CONTADES. 


51 


portera  au  village  de  Todtenhaiisen,  et  de  là  sur  le  camp 
de  M.  de  Bevcrn(l)  sur  le  chemin  de  Petershagen.  L'attaque 

que  fera  cotte  réserve  doit  ùtre  vive  et  rapide Pour 

assurer  le  succès  de  cette  attaque,  il  faut  qu'elle  soit  forte 
en  nombre  de  troupes  et  surtout  en  infanterie  et  en  artil- 
lerie; on  joindra  à  l'infanterie  de  la  réserve  les  régiments 
des  grenadiers  de  France  et  Royaux  (8  bataillons),  et  on 
joindra  à  l'artillerie  de  cette  réserve  6  pièces  de  canon 
de  12  et  V  obusiers Pendant  que  cette  réserve  sera  occu- 
pée sur  cet  objet,  l'armée  achèvera  de  se  former  et  mar- 
chera ensuite  en  bataille  devant  elle.  » 

Le  commandant  de  l'aile  droite,  le  duc  de  Broglie,  avait 
ainsi  à  sa  disposition  22  bataillons  et  18  escadrons.  Immé- 
diatement à  sa  gauche,  deux  brigades  d'infanterie,  Picar- 
die et  Belzunce,  sous  les  ordres  du  lieutenant  général  Nico- 
laï,  devaient  «  combiner  leur  mouvement  avec  la  gauche 
de  la  réserve  »  ;  elles  étaient  appuyées  elles-mêmes  en  se- 
conde ligne  par  deux  autres  brigades  sous  Saint-Germain. 

Le  reste  de  l'armée  française  se  déploierait  sur  l,i  circon- 
férence d'un  secteur  dont  la  ville  de  Minden  aurait  été  le 
point  central.  A  la  gauche,  le  flanc  extérieur  protégé  par 
le  grand  marais,  marcherait  le  comte  de  Guerchy  avec  les 
briga^les  de  Champagne  et  du  Roy;  il  devait  dépasser  le 
bois  de  Hummelbeck  et  s'arrêter  à  la  hauteur  du  village 
de  llahlen  dont  il  se  rendrait  maître.  Continuant  le  front 
de  l)ataille,  venait  après  la  division  Guerchy  celle  du  ma- 
réchal de  camp  Maugiron,  composée  des  brigades  d'Aqui- 
taine et  de  Condé.  Derrière  ces  deux  corps  et  leur  ser- 
vant de  soutien,  les  Saxons  sous  leur  prince,  le  comte  de 
Lusace,  forts  de  13  bataillons.  Le  centre  n'était  formé  que 
de  cavalerie  sur  trois  lignes,  de  longueur  à  peu  près  égale  ; 
en  première  les  brigades  de  Colonel  général,  Cravate  et 
Mestrc  de  camp ,  en  seconde  les  brigades  du  Roy ,  Royal 

(t)  C'est  par  erreur  que  Beveru  avait  été  désigné  comme  commandant  de 
ce  coté. 


52 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


il 


Étranger  et  Bourgogne,  et,  en  troisième,  en  guise  de  ré- 
serve, les  18  escadrons  des  gendarmes  et  des  carabiniers, 
en  tout  63  escadrons.  A  la  droite  des  premiers  rangs  de  la 
cavalerie  et  à  leur  hauteur,  le  lieutenant  général  de  Heau- 
préau,  avec  les  brigades  de  Touraine  et  de  Rouergue,  se 
reliait  aux  divisions  Nicolaï  et  Saint-Germain.  Tout  à  fait  î\ 
l'ouest,  à  la  digue  qui  d'Eickhorst  mène  à  travers  le  ma- 
rais à  llille,  le  duc  d'Havre  avec  les  quatre  bataillons  de 
Navarre  et  la  plupart  des  corps  francs,  était  chargé  d'une 
fausse  attaque  contre  le  quartier  général  et  l'extrême  droite 
des  confédérés.  Quatre  pièces  empruntées  au  parc  lui 
étaient  adjointes  et  devaient  entretenir  une  canonnade  vio- 
lente contre  la  position  ennemie  ;  enfin,  la  garde  de  Mindcn 
était  confiée  à  une  brigade  tout  entière,  celle  de  Lowen- 
dahl. 

En  résumé,  Contades  allait  engager  80  bataillons  (l)  et 
81  escadrons,  soit  environ  42.000  fantassins,  10.000  cava- 
liers et  2.000  artilleurs,  soutenus  par  170  canons  de  tout 
calibre.  A  ces  forces,  le  prince  Ferdinand  pourrait  oppo- 
ser M)  bataillons  et  61  escadrons,  soit  un  effectif  de  près  de 
31.000  fantassins  (2),  9.000  cavaliers  et  2.500  artilleurs, 
appuyés  par  187  pièces.  Le  31  juillet,  son  armée  était  divi- 
sée en  deux  tronçons  inégaux;  le  général  Wangenheim, 
avec  15  bataillons  et  19  escadrons,  garnissait  les  villages 
de  Todtenhausen  et  Kutenhauscn,  dont  les  approches 
étaient  défendues  par  des  redoutes  munies  de  32  canons 
répartis  en  trois  batteries;  le  gros  était  campé  depuis  llille 
jusqu'à  Fricdewalde,  le  front  couvert  par  un  petit  ruisseau 
qui  se  jette  dans  le  marais,  les  avant-postes  aux  villages 
de  llortum  et  de  llolzhausen,  le  tout  caché  derrière  le  ri- 
deau de  bois  qui  borde  la  plaine  de  Minden. 


(1)  Dans  ces  cliiffros  ne  sont  pas  comptés  la  garnison  de  Minden  et  le 
détachement  du  duc  de  Brissac. 

(21  Y  compris  les  trois  bataillons  du  général  Gilsa  et  non  compris  le  corps 
du  prince  héréditaire  de  Brunswiciv. 


FERDINAND  PRÉVOIT  L  ATTAQUE. 


53 


le  ri- 


Conformémentaux  instructions  de  Contades,  les  troupes 
s'ébranlèrent  vers  minuit.  Distribuées  en  huit  colonnes, 
elles  franchirent  le  ruisseau  de  Bastau  au  moyen  de  dix- 
huit  ponts  qu'on  y  avait  jetés,  se  formèrent  sur  les  pentes 
douces  qui  viennent  mourir  au  pied  du  glacis  de  Minden 
et  y  attendirent  le  jour  et  des  ordres  ultérieurs.  La  réserve 
de  Broglie,  qui  constituait  la  neuvième  colonne  et  qui 
était  campée  sur  la  rive  droite  du  Weser,  traversa  le  fleuve 
et  la  ville  pour  prendre  l'extrême  droite.  Au  dire  de  cer- 
tains auteurs  allemands  (1),  il  y  eut  de  la  confusion  dans 
Ici  marche  et  on  perdit  beaucoup  de  temps  avant  d'occu- 
per les  emplacements  définitifs. 

i'resque  à  la  même  heure,  les  confédérés  étaient  en 
mouvement;  d'après  une  tradition  locale  (2),  Ferdinand 
aurait  été  prévenu  des  intentions  du  maréchal;  un  paysan, 
chargé  de  remettre  au  duc  de  Brissac  un  modèle  de  sou- 
lieis,  avait  eu  des  soupçons  sur  le  contenu  de  son  paquet 
et  l'avait  porté  au  quartier  général  du  prince  ;  on  l'ou- 
vrit et  on  trouva,  caché  dans  la  semelle,  un  billet  annon- 
çant l'engagement  du  lendemain.  Que  cette  anecdote  soit 
authentique  ou  non,  il  est  certain  que  le  général  hano- 
vrien  prévoyait  l' offensive  des  Français.  D'après  la  décision 
donnée  le  31  juillet  à  cinq  heures  du  soir,  les  troupes  de- 
vaient être  sous  les  armes  à  une  heure  du  matin;  dans  le 
cas  d'une  attaque  (3),  l'armée  devait  marcher  en  huit 
colonnes  vers  la  bruyère  de  ftiinden  et  s'établir  la  droite 
au  moulin  à  vent  de  Hahlen,  la  gauche  à  Stemmer  où 
elle  se  reherait  au  corps  de  Wangenheim.  A  l'inverse  de 
l'ordre  de  bataille  de  Contades,  la  cavalerie,  sous  la  con- 
duite de  Sackville  et  du  prince  de  Holstein,  était  sur  les 
ailes,  l'infanterie  et  l'artillerie  au  centre.  Averti  à  trois 


(1)  Brci}?.  Ali.  Milit.  Zeitung,  1889,  Schlaclit  von  Minden. 

(2)  Bornlmiim.  Sclilachl  hci  Minden,  Miudi'n. 

(3)  Ordre  du  31  juillet  1759.  Hille,  cinq  heures  du  soir.  Weslplialen,  vol.  III, 

p.  587. 


M 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


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i! 


heures  du  matin,  par  le  rapport  de  deux  déserteurs  du 
régiment  de  Picardie,  de  la  manœuvre  de  l'adversaire, 
Ferdinand  (1)  lança  les  officiers  de  son  état-major  pour 
mettre  en  route  ses  divisions,  et,  accompagné  de  son  pi- 
queur  et  dun  paysan  qui  lui  servait  de  guide,  poussa  jus- 
qu'à la  lisière  de  la  plaine  pour  recounaitre  les  Français 
dont  il  put  voir  «  une  grande  partie  formée  en  bataille  et 
s'avaiiçant  sur  Kutenhausen.  »  11  ordonna  au  prince  d'An- 
halt,  qui  commandait  les  avant-postes,  d'enlever  le  village 
d'IIahlen  dont  les  Français  avaient  pris  possession,  et  allait 
se  rendre  à  Todtenhauscii  qu'il  sentait  menacé,  quand  le 
feu  de  l'artillerie  éclata  en  arrière  et  sur  la  droite.  C'était 
le  canon  du  lue  d'Havre  qui  tirait  sur  le  village  d'Hille. 
Le  prince  ne  se  laissa  pas  tromper  par  ce  qui  étal'  évi- 
demment une  fausse  attaque;  il  se  borna  à  renforcer  sa 
batterie  de  deux  pièces,  à  recommander  aux  piquets  de 
garde  de  tenir  ferme  et  au  général  Gilsa,  détaché  avec 
trois  bataillons  de  l'autre  côté  du  marais,  d'inquiéter  les 
communications  d'IIavré.  En  retournant  à  son  armée,  le 
prince  rencontra  les  têtes  de  colonnes  de  la  cavalerie 
d'IIolstein  et  de  l'infanterie  d'Imhoff  qui  constituaient  la 
gauche  du  corps  de  bataille  ;  il  enjoignit  aux  généraux  d'ac- 
célérer leur  marche  sur  Stemmer  et  regagna  sa  droite  où 
les  régiments  de  Sporcken  commençaient  à  se  déployer. 
Du  côté  de  Todtenhausen,  point  indiqué  pour  le  pre- 
mier effort  français ,  le  canon  s'était  fait  entendre,  vers  4 
heures  du  matin  selon  les  uns,  vers  5  heures  selon  les 
autres.  Dès  la  veille,  à  la  réunion  des  officiers  généraux 
assemblés  pour  recevoir  leurs  instructions,  Broglie  avait 
déclaré  qu'il  ne  pourrait  assaillir  la  position  de  Todten- 
hausen qu'autant  qu'il  serait  appuyé  et  flanqué  par  la  di- 
vision Nicolaï.  L'observation  ne  fut  pas  relevée  ou  ne  par- 
vint pas  aux  oreilles  du  maréchal  de  Contades;  toujours 

(1)  Relation   du  prince  Ferdinand  adressée    à  Iloldernesse.  Paderborn, 
3  février  1760.  Westphalen,  vol.  III,  p.  579. 


^1 


HESITATIONS  DE  BROGLIK. 


55 


cst-il  que  rien  ne  fut  changé  aux  ordres  primitifs.  Broglie, 
une  fois  sur  le  terrain,  au  lieu  de  Jjrusquer  une  attafjue  qui 
aurait  peut-être  réussi,  attendit,  sans  dépasser  Poggeu- 
rnûhle,  l'entrée  en  ligne  de  Nicolaï  qui,  lui  non  plus,  ne 
voulut  pas  scngager  sans  son  voisin  de  gauche.  Un  en- 
tretien eut  lieu  entre  le  duc,  Saint-dlerniain  et  Nicolaï,  à 
la  suite  duquel  les  brigades  do  Picardie  et  de  Belzunce 
qui  composaient  la  division  Nicolaï  firent  un  mouvement 
en  avant.  Broglie  en  profita  pour  chasser  les  vedettes  de 
l'ennenn  d'une  petite  crête,  et  y  installa  son  artillerie  pour 
battre  les  redoutes  que  celui-ci  avait  élevées  près  de  Tod- 
teniiauscii;  de  sa  personne,  il  s'avança  pour  reconnaître. 
Mais  laissons-lui  la  parole  (1)  :  «  En  y  arrivant,  je  découvris 
les  ennemis  en  bataille  sur  deu.v  lignes  dont  l'une  en  avant 
des  haies  qui  joignent  le  village  de  Kutenhausen  avec  la 
censé  de  Todtenhausen,  et  l'autre  derrière  au  dedans  des 
haies.  La  première  ligne  marchait  en  avant,  fort  vite,  lors- 
que je  l'aperçus;  elle  avait  à  sa  droite  une  colonne  de 
cavale  ie  dont  je  ne  voyais  pas  le  front  et  qui  se  dévelop- 
pait a    galop  ;  leur  front  était  beaucoup  plus  étendu  que 
le  mien  et  leurs  dispositions  semblaient  absolument  offen- 
sives. Cela  me   fit  revenir  promptement  à  ma  cavalerie 
pour  la  former  sur  deux  lignes,  afin  d'être  en  état  de  rece- 
voir celle  des  ennemis  que  je  croyais  devoir  venir  me 
charger  en  flanc.  Le  canon  alors  commença  à  tirer  sur 
la  redoute  et  sur  le  front  de  la  ligne  des  ennemis  et  ils  y 
répondirent  par  un  feu  très  vif  et  très  supérieur.  Les  bri- 
gades de  Picardie  et  de  Belzunce  arrivèrent  un  moment 
après  à  la  hauteur  de  moi.  Je  fis  part  à  M.  le  chevalier  de 
Niolaï  de  la  disposition  des  ennemis  qui  me  paraissaient, 
ainsi  qu'à  M.  le  chevalier  de  Muy  qui  était  avec  moi,  être 
trop  en  force  dans  cette  partie,  et  dans  une  position  trop 
avantageuse  pour  que  je  dusse  seul  les  attaquer.  » 


(IJ  Broglie  à  Belleisle,  i  août  1709.  Archives  de  la  Guerre.  Allemagne, 
vol.  3520. 


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se 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  II. 


Là-dessus  survient  un  officier  du  maréchal  avec  mission 
de  demander  quand  l'aile  droite  s'engagerait  ;  Hrogjie  de 
répliquer  qu'il  attendait  l'action  de  Nicolaï  sur  Kutenhau- 
sen.  Enfin  apn'^s  un  temps  précieux  gaspillé  en  allées  et  ve- 
nues, Broglie  finit  par  rejoindre  Contades,  lui  expose  la 
situation,  et  réclame  de  nouvelles  instructions.  «  Comme 
M.  le  maréchal  allait  prononcer,  on  lui  fil  remarquer  que 
les  ennemis,  qui  depuis  quelques  moments  canonnaient  la 
gauche,  commençaient  à  déboucher  dans  la  bruyère,  et  il 
y  découvrit  effectivement  de  l'infanterie  rouge  s'avançant 
extrêmement  vite  et  se  formant.  M.  le  comte  de  Noailles  lui 
dit  que,  cette  attaque  paraissant  sérieuse,  il  fallait  en  avoir 
le  succès  avant  de  songer  à  l'autre.  Presque  en  même  temps 
il  (le  maréchal)  vit  la  cavalerie  de  la  gauche  aller  charger 
cette  infanterie,  y  entrer,  et  en  être  ensuite  repoussée. 
Alors  il  me  dit  de  ne  songer  qu'à  contenir  les  ennemis  vis- 
à-vis  de  moi  jusqu'à  ce  qu'il  vit  ce  que  cela  allait  devenir, 
et,  en  cas  que  l'affaire  tournât  mal,  de  favoriser  la  retraite 
de  l'armée  le  mieux  que  je  pourrais.  » 

Pendant  les  hésitations  de  notre  droite,  que  se  passait-il 
dans  les  autres  quartiers  du  champ  de  bataille?  Au  centre, 
la  cavalerie  était  au  poste  qui  lui  avait  été  désigné,  mais 
une  bonne  partie  de  l'infanterie  de  la  gauche  n'était  pas  en 
ligne  à  six  heures  du  matin.  Profitant  du  répit  qui  lui  était 
laissé,  Ferdinand  avait  accéléré  la  marche  de  ses  colon- 
nes, dont  les  tètes  s'apercevaient  au  bord  de  la  plaine.  Il 
n'était  pas  huit  heures  que  l'armée  principale,  sous  les  or- 
dres directs  du  prince,  avait  pris  ses  emplacements  de 
combat,  la  droite  à  Hartum  près  du  marais,  la  gauche  à 
Stemmer  où  elle  se  raccordait  avec  l'infanterie  de  Wan- 
genheim  placée  dans  les  vergers  de  Kutenhausen;  ce 
mouvement  avait  pu  s'accomplir  sans  la  moindre  inter- 
vention de  la  part  des  Français,  qui  avaient  ainsi  perdu 
tout  le  bénéfice  de  leur  départ  nocturne, 

A  re.\trême  droite  des  confédérés,    une  escarmouche 


I  II 


lïçîtia'iièi',: 


L'INFANTERIE  ANGLAISE   DÉBOUCHE  AU  CENTRE. 


57 


eut  lieux  pour  la  possession  du  village  de  Hahlcn  occupé 
par  un  détachoment  de  la  division  Gucrchy;  il  fut  facile- 
ment enlevé  par  le  prince  d'Anhalt  jï  la  tète  des  piquets 
des  avant-postes;  les  défenseurs,  deux  bataillons  de  Cham- 
pagne que  ne  fit  pas  soutenir  leur  divisionnaire,  évacuè- 
rent les  maisons  en  y  mettant  le  feu.  Il  était  neuf  heures 
du  malin.  3Iaitre  de  cette  importante  position  qui  assurait 
son  flanc  droit,  Ferdinand  établit  successivement  auprès 
du  moulin  de  Hahlen  les  batteries  anglaises  et  hanovrien- 
nes  au  fur  et  à  mesure  de  leur  entrée  en  scène  ;  bientôt 
'Mi  canons  y  furent  installés  avec  le  double  objectif  de 
tirer  sur  les  masses  françaises  et  de  protéger  le  déploiement 
des  troupes  de  Sporcken. 

(l'était  une  'encontre  entre  l'infanterie  de  ce  général 
et  la  cavalerie  de  Contades  qui  allait  trancher  le  sort  de  la 
journée.  Les  six  régiments  (1)  anglais  et  trois  bataillons 
hanovriens,  commandés  par  les  généraux  \Valdegrave  et 
Kingsley,  sortirent  des  bois  entre  Hartum  et  Ilolzhausen  et 
se  formèrent  à  la  lisière  en  deux  lignes.  Puis,  à  la  suite 
d'un  ordre  mal  interprété,  cette  division,  sans  attendre 
l'appui  de  la  cavalerie  encore  en  arrière,  se  porta  en  avant 
dans  la  bruyère  de  Minden;  elle  s'y  trouva  exposée  au  feu 
croisé  de  deux  batteries  françaises  et  souffrit  beaucoup, 
sans  cependant  suspendre  sa  marche.  C'est  l'apparition  de 
ces  bataillons  qui  avait  empoché  Contades  de  renouveler 
à  Broglie  l'injonction  de  donner  l'assaut  aux  retranche- 
ments de  Todtenhausen. 

Revenons  maintenant  au  récit  de  cet  épisode  tel  qu'il 
est  présenté  dans  la  relation  officielle  (2)  :  «  Pendant  le 
temps  que  M.  le  duc  de  Broglie  prenait  les  ordres  de  M.  le 
maréchal,  on  lui  fit  voir  de  l'infanterie  ennemie  qui  dé- 
bouchait  des   bois  vis-ti-vis  de  notre    centre,   qui  était 

(1)  Les  lé^iinenls  anglais  présents  à  la  bataille  n'avaient  qu'un  bataillon. 
Ci)  Relation  de  la  bataille  de  Minden.  Archives  de  la  Guerre.  Allemagne. 
3520. 


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58 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  11. 


soutenue  de  quelque  cavalerie;  lorsque  ces  troupes  furent 
ù  une  demi-portée  de  canon,  l'infanterie  se  forma  sur 
deux  lienes  avec  une  prompl'tude  incroyable  et  marcha 
en  avant  sur  la  gaucho  de  la  cavalerie,   » 

D'après  un  témoin  oculaire,  l'officier  d'état-major  Plain- 
champ  (1),  le  maréchal  fut  «  comme  étonné  de  voir  qu'ils 
(les  ennemis)  avaient  beaucoup  d'infanterie  et  que  nous 
n'en  avions  pas  assez  pour  leur  opposer,  et  dit  en  propres 
termes  :  Est-ce  que  nous  n'avons  pas  plus  d'infanterie?  » 
On  peut  se  demander  en  ellet  ce  que  faisaient  en  ce  mo- 
ment les  29  bataillons  du  comte  de  Guerchy  et  du  comte 
de  Lusace. 

Nous  l'avons  déjà  fait  observer,  le  centre  français  était 
composé  uniquement  des  63  escadrons  de  cavalerie  de 
la  grande  armée,  disposés  sur  trois  lignes,  appuyés  par 
30  bouches  à  feu  réparties  en  2  l)atteries,  mais  sans  troupes 
d'infanterie  comme  soutien.  Pour  arrêter  les  progrès  des 
Anglais  et  des  Hanovriens,  le  duc  de  Filzjaraes,  comman- 
dant en  chef  de  la  cavalerie,  n'avait  d'autre  moyen  que  de 
les  charger.  «  Il  le  fit  par  11  escadrons  aux  ordres  de  M.  le 
marquis  de  Castries.  L'attaque  fut  vigoureuse,  mais  les 
ennemis  ne  s'en  étonnèrent  point;  ils  attendirent  notre 
cavalerie  i\  dix  pas,  lui  firent  le  feu  le  plus  vif  et  le  plus 
nourri ,  et  reçurent  à  coups  de  baïonnettes  ceux  qui  s'a- 
vançaient jusqu'aux  premiers  rangs.  »  Durant  la  charge 
de  Castries,  le  maréchal  «  ordonna  à  M.  le  marcjuis  de 
Beaupréau  d'occuper,  avec  les  brigades  de  l'infanterie  de 
Touraino  et  de  llouergue  et  huit  canons  de  huit  .juelques 
maisons  entourées  de  haies,  qui  étaient  en  avant  de  la 
droite  de  notre  cavalerie,  pour  la  protéger  et  prendre  à 
revers  cette  infanterie  ennemie  qui  s'avançait  avec  tant 
d'audace.  » 

Pendant  que  Beaupréau  marchait  ainsi  sur  le  hameau 

(1)  Plainchanip  à  X.  MinJen,  1"  août  1750.  Archives  de  la  Guerre.  Aile- 
magne,  3520. 


3 


CHARGES  DE  LA  CAVALEKIE  FRANÇAISE. 


59 


(\o  Maull)ei'^cn(l),  Mnngirnn.  avec  les  brigades  de Condé  et 
(rA<juitfiine,  l'aisail  un  iiioiivemcut  analogue  sur  la  gau- 
che; culiu  les  batteries  françaises  reprenaient  leur  tir  (|ui 
l)attait  on  échnrpe  les  bataillons  anglais.  A  la  suite  de 
cette  canonnade  le  second  échelon  de  la  cavalerie  (•barj2;'ea 
à  son  four,  il  y  eut  du  flottement  parmi  les  Anglais  de  la 
première  ligne,  mais  Ferdinand  les  lit  soutenir  pai"  la 
dfuxiômo,  augmenta  ses  batteries  du  moulin  de  Hahlen 
et  euv()\a  ollicier  sur  officier  à  Lord  SacUville,  conmian- 
oant  des  2V  escadrons  de  l'aile  droite,  pour  l'invitor  à 
accourir  sans  retard  au  .secours  de  l'infanterie.  L'appel 
ne  fut  pas  entendu,  mais  'es  autres  mesures  amenèrent 
ICfTet  désiré, 

La  seconde  charge  de  la  cavalerie  française  ne  produisit 
pas  plus  de  résultat  que  la  promicrc,  aussi  le  nia.'échal 
eut-il  recours  à  sa  réserve  composée  des  18  escadrons  de 
gendaruies  et  carabiniers.  Cette  masse  de  2.000  cavaliers 
d'élite,  lancée  à  fond  de  train,  aborda  l'infanterie  ennemie 
de  flanc  et  à  revers  et  remporta  quelque  succès;  elle  perça 
la  première  ligne,  mais  échoua  contre  la  deuxième  que 
venaient  de  renforcer  les  0  bataillons  du  général  Scheele 
et  une  partie  de  ceux  de  Wutgenau.  Secondée  par  des 
troupes  fraîches,  peut-être  cette  charge  eùt-elle  réussi; 
mais  il  n'en  fut  rien;  toute  la  cavalerie  avait  donné,  et  les 
légiments  qui  avaient  livré  les  piemiers  combats  n'étaient 
pas  en  état  d'en  tenter  un  autre.  Les  gendarmes  cl  les  cara- 
biniers furent  très  maltraités;  3L  de  Poyannc,  qui  les  com- 
mandait, reçut  plusieurs  blessures;  sur  778  gendarmes  pré- 
sents à  l'affaire,  153  furent  tués  ou  pris,  205  blessés;  des 
huit  escadrons,  il  ne  restait,  le  soir  de  la  bataille,  que  315 
soldats  armés,  montés,  et  prêts  à  servir.  L'action  des  63 
escadrons  du  centre  se  termina  par  un  dernier  assaut  de 
M.  de  Vogué  sur  la  droite,  aussi  infructueux  que  les  autres. 


(1)  Ou  Maulbeorkamp. 


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LA  GUEIUIE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


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Si,  h  ce  momtnt,  les  2V  escadrons  do  Suckville  avaient 
paru  sur  le  champ  de  bataille,  il  est  probalilc  que  la 
déroule  de  Contades  eiU  été  aussi  complète  (|ue  celle  de 
Soubise  lors  de  la  néfaste  journée  de  Uossbach.  Même  sans 
celte  intervention,  la  situation  était  fort  critique;  les  en- 
treprises de  Ueaupréau  et  Mauf:iron  n'avaient  pas  mieux 
réussi  que  les  charges  de  leurs  camarades  de  la  cavalerie. 
Les  brigades  de  Tourainc  et  Uouerguc  trouvèrent  le  ha- 
meau de  Maulbergen  occupé  par  les  fantassins  ennemis 
cl  furent  accueillies  par  une  fusillade  qui  les  arrêta  net; 
rhésitation  que  cette  réception  occasionna  fut  transformée 
en  débandade  par  la  cavalerie  hessoise  du  prince  de  llols- 
lein,  qui  tomba  sur  elles  à  l'improvistc.  Leur  général 
«  Beaupréau  fut  blesse  de  plusieurs  coups  de  sabre,  le 
brigadier  Monty  de  deux  coups  de  feu,  et  elles  se  repliè- 
rent sur  les  brigades  d'Auvergne  et  d'Anhalt  que  M.  le 
maréchal  plaça  à  la  hâte  dans  les  haies  en  arrière  do  la 
bruyère.  »  Profitant  de  cet  avantage,  les  confédérés  instal- 
lèrent auprès  de  Maulbergen  une  batterie  qui  tira  avec 
beaucoup  d'activité. 

L'échec  de  la  division  Beaupréau  fut  dii,  parait-il,  à  une 
erreur  de  son  chef.  Ce  dernier,  soucieux  de  se  maintenir 
en  ligne  avec  N'icolaï,  qui  de  son  côté  cherchait  à  se  rap- 
procher de  Broglie,  <(  ordonna  de  rompre  par  quart  de 
rang  ».  La  manœuvre  fut  exécutée  si  près  de  la  cavalerie 
ennemie  que  celle-ci  pénétra  dans  les  intervalles  de  nos 
bataillons  avant  qu'ils  fussent  remis  en  bataille.  Cette  sur- 
prise semble  les  avoir  privés  de  tous  moyens  de  défense, 
aussi  furent-ils  sabrés  à  l'exception  de  2  bataillons  de  la 
gauche  que  la  brigade  de  cavalerie  de  droite  (Mestre  de 
Camp)  dégagea  par  un  mouvement  en  avant.  Le  seul  ré- 
giment de  Touraine  perdit,  dans  cette  malheureuse  affaire, 
en  tués  et  pris,  45  officiers  et  86i  sous-olficicrs  et  soldats 
sur  un  effectif  de  1.230. 

La  défaite  de  Beaupréau  eut  pour  corollaire  le  recul  de  la 


DKI'AITE  DK  M.VUdIRON  ET  DES  SAXONS. 


01 


'  avaient 


division  Nirolaï  <;t  la  capturo  dos  haftcrios  fiaiiçaiscs  ôta- 
l»lics  eu  face  de  Maulbergen.  Ces  deriuùres,  vainement  afta- 
(|n»''es  h  plusieurs  reprises  par  l'infanterie  du  wnéral  hn- 
lioir,  furent  enfin  enlevées  yrAce  à  une  évolution  habile 
des  escadrons  du  prince  de  llolstein  qui  enfoncèrent  les 
troupes  de  soutien.  Dans  ces  rencontres,  qui  doivent  avoir 
eu  lieu  entre  Kutenhauscn  et  Maulbcr^en  et  aux  abords 
de  ce  hameau,  lic^urôrent  non  seulement  les  19  escadrons 
(le  llolstein,  mais  aussi  les  18  de  Wangenheim  ;  les  dra- 
gons de  llolstein  et  deux  régiments  hanovriens,  Hammers- 
tein  et  du  Corps,  s'y  distinguèrent  et  subirent  des  pertes 
sérieuses.  Ce  fut  probablement  dans  la  mêlée  avec  la  bri- 
gade de  Mestre  de  Camp  que  le  colonel  du  régiment  du 
Corps  fut  fait  prisonnier.  Sauf  cette  exception,  la  cavalerie 
fr;mriiise  ne  croisa  pas  le  fer  sur  cette  partie  du  hamp  de 
bataille. 

Pendant  que  ces  incidents  se  passaient  au  c  nirc  et  à  la 
droite  de  l'armée  de  Contades,  à  sa  gauche  oUensivc  de 
Maugirou  avait  également  échoué  :  ce  gêné  al  fut  blessé 
de  deux  coups  de  feu.  Ses  deux  brigades,  i  epoussées  par 
les  Anglo-IIanovriens  de  Sporcken  e^  u^Sc  leele  auxquels 
s'étaient  joints  quelques  bataillor  .  de  lu  division  >Vut- 
genau,  tombèrent  sous  les  feux  d  la  batterie  du  moulin 
de  llahlenet  de  celle  que  le  colon'  1  Braun  venait  d'amener 
sur  les  positions  conquises;  r!,oS  reculèrent  en  désordre 
et  entraînèrent  une  partie  du  corps  du  comte  de  Lusace 
accouru  à  leur  aide.  Quelques  bataillons  saxons,  ayant 
formé  le  carré,  sans  doute  dans  la  crainte  d'une  charge  de 
cavalerie,  qui  d'ailleurs  ne  se  produisit  pas,  souffrirent 
Ijeaucoup  des  boulets  et  de  la  mitraille  que  les  canons 
ennemis  firent  pleuvoir  sur  leurs  rangs  serrés. 

Il  était  à  peine  neuf  heures,  et  Contades  était  complète- 
ment battu.  Presque  toute  la  cavalerie  française,  et  deux 
divisions  d'infanterie,  celle»  d<e  Beaupréau  et  Maugiron, 
étaient  en  pleine  déroute:   U^  brigades  de  Nicolaï  et  la 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  II. 


moitié  des  Saxons  avaient  «Hé  entamées.  Les  Anglais  et  lla- 
novrions  qui  constituaient  la  droite  de  l'armée  confédérée 
gagnaient  du  terrain;  les  batteries  françaises  si  efficaces 
au  début  de  l'action  avaient  été  prises  ou  retirées  de  la 
zone  de  feu  ;  l'artillerie  du  prince  Ferdinand,  dont  la  su- 
périorité n'était  plus  contestée,  accablait  de  ses  projectiles 
l3s  masses  confuses  des  Français.  Guerchy,  dont  les  troupes 
étaient  encore  intactes,  n'avait  plus  participé  au  combat 
depuis  l'abandon  du  village  d'IIahlen  et  se  contentait  d'é- 
clianger  quelques  coups  de  fusil  avec  les  tirailleurs  en- 
nemis. Du  côté  de  Todtenbausen,  en  dépit  des  pertes  que 
lui  infligeait  le  canon  ennemi,  supérieur  en  nombre  et  en 
calibre,  Broglie  se  maintenait  ferme.  Seuls  de  ses  troupes, 
les  grenadiers  de  France  envoyés  au  secours  de  Nicolaï 
avaient  été  sérieusement  engagés.  D'après  le  rapport  du 
général,  ces  soldats  d'élite  se  distinguèrent  par  leur 
fermeté;  ils  perdirent  deux  de  leurs  colonels  tués  et 
300  liommes  hors  de  combat. 

Dans  de  pareilles  conditions,  il  n'y  avait  d'autre  parti  à 
prendre  que  celui  de  la  rentrée  au  camp  ;  aussi  Contades 
dut-il  en  donner  le  signal.  Elle  fut  couverte  par  le  corps  de 
Broglie.  «  Toute  la  réserve,  rapporte  ce  dernier,  se  retira 
sur  deux  lignes,  protégeant  la  retraite  de  Picardie  et  de 
Belzunce;  les  ennemis  débouchèrent  alors  sur  (5  colonnes 
et  montèrent  le  rideau  d'où  ils  canonnèrent  la  réserve 
avec  beaucoup  de  vivacité,  et  de  très  grosses  pièces,  jus- 
que dans  les  haies  de  Minden;  elle  (la  réserve)  s'arrêta 
vingt  fois  depuis  le  champ  de  bataille  jusque-là  et  ne 
borda  la  haie  qu'après  que  toute  l'armée  eut  repassé  le 
ruisseau.  Alors  voyant  que  les  troupes  étaient  inutiles  dans 
cette  position,  et  qu'elles  allaient  y  être  très  maltraitées 
par  la  canonnade  des  ennemis  oui  commençaient  à  leur  y 
faire  du  mal,  je  les  fis  repasser  par  la  ville  et  fis  jilacer 
quelques  pièces  de  gros  canon  sur  un  cavalier  pour  empê- 
cher les  ennemis  d'en  approcher.  On  vint  alors  nie  cher- 


PEUTRS  DES  DEIX  ARMEES. 


63 


cher  de  la  part  de  M.  le  marchai;  je  lo  joignis  sur  une 
butte  entre  la  gorge  du  Weser  et  Minden.    ■ 

Remettons  pour  le  moment  le  récit  du  conciliabule  qui 
détermina  l'orientation  de  la  marche  rétrograde,  et  cons- 
tatons la  situation  respective  des  deux  combattants.  La 
bataille  avait  pris  lin  entre  10  et  11  heures  du  matin; 
l'armée  de  (^ontades  avait  repassé  les  ponts  du  Bastau, 
et  après  les  avoir  coupés  pour  arrêter  toute  velléité  de 
poursuite,  s'était  réfugiée  dans  son  camp  de  la  veille  où 
les  projectiles  ennemis  lui  laissèrent  peu  de  repos.  Les 
confédérés  s'étaient  avancés  jusqu'au  glacis  de  Minden, 
à  faihle  distance  du  ruisseau;  ils  y  restèrent  toute  l'après- 
midi,  puis  dressèrent  leurs  tentes  entre  Hahlen  et  Frie- 
dewald. 

Durant  la  matinée  du  l"  août,  le  rôle  du  corps  de  Wan- 
geidieim  fut  plutôt  passif;  quelques  escadrons  de  sa  cava- 
lerie prêtèrent,  il  est  vrai,  leur  concours  au  pi'ince  de 
Holstein  et  prirent  part  aux  engagements  entre  Stenmicr 
et  Maulbergen,  mais  ses  quinze  bataillons  ne  quittèrent 
les  retranchements  qu'ils  avaient  garnis  au  cours  de  l'ac- 
tion que  sur  les  ordres  formels  du  prince  Ferdinand  ;  ils 
se  bornèrent  à  suivre  de  loin  le  corps  de  Broglie  sans 
essayer  de  l'entamer. 

Du  côté  franc^ais,  le  déficit  fut  considérable;  évalué  pav 
certains  correspondants  à  11.000  ou  12.000  h'^n.ues,  il 
s'éleva,  d'après  les  états  officiels,  à  7.086  tués,  blessés  ou 
pris,  parmi  lesquels  six  généraux  et  h',\H  officiers.  La  cava- 
lerie, fort  éprouvée,  compta  VC  officiers  tués,  102  blessés 
ou  pris,  1.935  sous-officiers  et  cavaliers  mis  hors  de  com- 
bat; les  63  escadrons  du  centre  perdirent  à  peu  près 
28  %  de  leurs  ellectifs.  L'infanterie  et  l'artilierie  eurent  un 
déchet  d'environ  200  officiers  et  4.800  hommes,  qui  porta 
principalement  sur  la  division  des  grenadiers,  les  régi- 
ments de  Touraine,  Aumont,  Houergue,  Aquitaine  et  le 
corps  saxon.  Les  confédérés  accusèrent  une  perte  totale 


64 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP,  II. 


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de  2.7t32  de  tous  rangs,  dont  1.392  appartenaient  aux  six 
bataillons  anglais  (1),  soit  30  ^  de  leur  elFeetif,  La  divi- 
sion Wangenhcim  n'eut  que  502  mis  hors  de  combat,  dont 
moitié  pour  les  18  escadrons  qui  formaient  sa  cavalerie. 
Les  vainqueurs  recueillirent  comme  trophées  43  canons, 
10  drapeaux  et  7  étendards. 

En  résumé,  la  bataille  de  Minden,  si  elle  n'égala  pas  la 
honte  de  Kossbach,  ne  lit  honneur  ni  au  maréchal  ni  à  ses 
principaux  lieutenants.  Pourquoi  l'avoir  livrée?  Sans  doute 
Contades,  quoiqu'il  n'eût  pas  reçu  d'instructions  positives 
à  cet  égard,  n'ignorait  pas  le  désir  de  sa  cour  de  le  voir 
remporter  un  succès  qui  le  rendit  maitrc  du  Hanovre  ;  sans 
doute  il  était  au  courant  des  préparatifs  de  descente  en 
Angleterre  et  connaissait  l'obligation  dans  laquelle  il  se 
trouverait  de  fournir  des  contingents  au  corps  expédition- 
naire; mais  fort  de  la  confiance  du  souverain  et  du  mi- 
nistre, il  était  libre  de  diriger  les  opérations  k  son  gré.  Au 
lieu  de  risquer  un  engagement  offensif  dont  le  sort  était 
nécessairement  douteux,  n'avait-il  pas  tout  bénéfice,  en 
gardant  une  position  pour  ainsi  dire  inexpugnable,  à  atten- 
dre le  résultat  du  siège  de  Lippstadt  qu'Armentières  allait 
commencer?  Cette  ville  prise,  ce  qui  ne  demanderait  que 
quelques  jours,  il  aurait  été  rejoint  par  son  lieutenant  et 
aurait  pu  oe  servir  d'une  supériorité  numérique  fort  ac- 
crue, pour  forcer  son  adversaire  à  la  retraite,  ou,  le  cas 
échéant,  pour  combattre  avec  plus  de  chauces  en  sa  fa- 
veur. Si  cependant  l'alfaiblissement  dci  conféc'  l'rés  par  le 
détachement  du  prince  héréditaire  explique  dans  une  cer- 
taine mesure  la  résolution  de  Contades,  que  de  fautes  com- 
mises sur  le  champ  de  bataille!  L'avantage  acquis  grAce 
à  la  marche  de  nuit  qui  avait  amené  les  troupes  sur  le  ter- 
rain au  point  du  jour,  fut  perdu  pendant  la  matinée.  Deux 
ou  trois  heures  passées  dans  l'inaction  ou  gaspillées  en 

(1)  Ces  régiments  portent  encore  sur  leurs  drapeaux  le  nom  de  Minden 
en  souvenir  de  leur  belle  conduite. 


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CRITIQUE  DE  BROOLIE  ET  DE  CONTADES. 


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canonnade  donnèrent  au  prince  Ferdinand  le  temps  de 
manœuvrer  à  son  aise  et  de  remédier  au  vice  d'une  ligne 
beaucoup  trop  étendue.  Au  duc  de  Broglie  incombe  la  res- 
ponsabililc  du  reta  d  apporté  à  l'attaque  de  Todtenbau- 
sen;  ce  général  qui  dans  plusieurs  occasions  avait  montré 
du  coup  d'œil  et  de  l'initiative,  en  manqua  complètement 
à  l'all'aire  du  1"'  août;  il  prête  20.000  hommes  à  Wangen- 
heim  qui  en  avait  tout  au  plus  13.000,  et  n'ose  pas  tenter 
un  ell'ort  qui  n'eût  pis  coûté  il  ses  hommes  plus  cher  que  le 
feu  d'artillerie  auquel  ils  restèrent  inutilement  exposés 
pendant  des  heures  entières. 

Westphalen  est  sévère  pour  le  commandant  du  corps  de 
réserve.  Voici  en  quels  termes  il  commente  (  l)  la  relation 
publiée  par  les  amis  de  ce  dernier  :  <•  Le  raisonnement  de 
Broglie  est  faux,  et  si  jamais  la  bataille  pouvait  être  ga- 
gnée, cela  aurait  été  en  s'emparant  de  Kutenhausen,  et  en 
délogeant  le  général  Wangenheim.  Si  Broglie  pouvait 
l'attaquer  à  4  heures  du  matin,  et  s'il  ne  l'a  pas  fait,  il  est 
bien  simple  qu'il  est  cause  delà  perte  de  la  bataille.  Ceci 
me  fait  penser  que  M.  de  Broglie  pourrait  fort  bien  ne 
pas  être  aussi  habile  qu'on  le  'it.  » 

Mais  si  le  lieutenant  est  en  défaut,  que  dire  du  général 
en  chef  qui,  pendant  la  longue  attente,  ne  pense  pas  à 
faire  ce  que  fit  le  prince  Ferdinand,  à  se  transporter  à  sa 
droite  pour  veiller  en  personi  à  l'exécution  de  ses  ordres? 
Pourquoi  ne  s'être  pas  servi  d«  >a  gauche  demeurée  inac- 
tive dans  l'expectative  d'un  m^  ivement  de  la  droite  qui 
ne  se  produisait  pas?  Pourquoi  n'avoir  pas  occupé  en  force 
le  village  de  Hahlén  et  s'être  laissé  devancer  à  Maulber- 
gen?  Pourquoi  n'avoir  pas  comblé  au  centre  le  vide  qui 
permit  à  l'ennemi  de  percer  après  la  défaite  de  la  cava- 
lerie? De  la  part  des  Français  il  n'y  eut  au  cours  de  l'ac- 


il)  Westphalen  à  Ferdinand,  2S  août  1750.  Arch.  de  l'Etat-Major  général. 
Uerlin,  C.  X.  324. 

GlERRE   DE  SEPf  ANS.   —   T.    III.  5 


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LA  GUEHHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


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tion  aucune  unité  de  direction;  chaque  divisionnaire  agit 
pour  son  propre  compte  et  se  préoccupe  trop  ou  trop  peu 
de  son  voisin.  liroglie  pousse  la  timidité  jusqu'à  la  déso- 
béissance; Mcolaï  se  décide  à  soutenir  le  corps  de  réserve, 
quand  l'échec  du  centre  allait  décider  du  sort  de  la  ba- 
taille. Beaupréau,  par  ses  mauvaises  dispositions,  trans- 
forme en  désastre  une  opération  qui  n'était  que  liasar- 
deuse  ;  Guerchy  ne  sait  tirer  aucun  parti  des  troupes  qui 
lui  avaient  été  confiées. 

Quant  à  la  cavalerie,  elle  fut  piteusement  battue  par  une 
infanterie  qui  ne  paraît  pas  môme  lui  avoir  fait  l'honneur 
de  former  les  carrés  pour  recevoir  la  charge.  C'est  avec 
raison  que  Belleisle  écrivait  à  son  ami  Castries  (1)  :  «  Il 
ne  m'entre  pas  dans  l'esprit  que  60  escadrons  en  plaine 
ne  puissent  pas  rompre  et  fouler  aux  pieJs  9  ou  10  batail- 
lons; tandis  que  je  vois  que  dans  le  même  lieu,  et  un  mo- 
ment après,  une  poignée  de  cavalerie  ennemie  a  sabré, 
renversé  et  mis  en  déroute  i  de  nos  brigades  d'infanterie 
qui  composaient  en  nombre  un  tiers  de  plus  de  combattants 
que  les  bataillons  anglais  qui  ont  repoussé  notre  cavale- 
rie. »  Les  pertes  des  régiments  qui  prirent  une  part  eft'ec- 
tive  à  l'engagement  sont  la  meilleure  preuve  du  courage 
déployé;  aussi  faut-il  attribuer  leur  malheur  au  manque 
d'ensemble  dans  la  charge  et  à  l'intrépidité  et  au  sang- 
froid  des  fantassins  ennemis.  Ceux-ci  (2),  sur  trois  rangs  et 
formés  sur  deux  lignes,  arrêtèrent  par  leur  feu,  non  seule- 
ment les  attaques  successives  de  front,  mais  aussi  un  assaut 
plus  dangereux  des  genf^-^rmes  et  des  carabiniers,  qui 
porta  sur  leur  flanc  et  partiellement  à  revers.  L'infanterie 
fran(;aise  ne  fut  pas  plus  heureuse;  la  défaite  des  briga- 
des de  Touraine  et  de  Rouergue  rappelle  celle  des  batail- 
lons de  Soubise  A  Rossbach;  par  contre,  les  grenadiers  de 

(1)  Belleisle  à  CasI  ries.  Lettre  citée  par  Pajol,  Gue7-resd('.LouisXV,  vol.  IV, 
p.  407. 

(2)  Voir  Pajol,  Guerres  de  Louis  XV,  t.  IV. 


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DÉSOBfilSSANCK  DK  LORD  SACKVILLK 


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France  et  les  lloyaux,  ainsi  que  plusieurs  régiments  tlu 
corps  de  Broglie,  soutinrent  le  feu  des  J)atteries  confédé- 
rées avec  une  fermeté  digne  d'un  meilleur  sort.  L'artille- 
rie, quoique  servie  avec  bravoure,  se  montra,  au  point  de 
vue  et  de  l'efficacité  et  de  la  mobilité,  inférieure  à  celle 
des  alliés,  tant  à  lodtenbausen  (|u'au  centre.  Au  surplus 
les  appréciations  du  vainqueur  sur  le  vaincu  ne  sont  pas 
flatteuses  :  «  Jamais,  écrit  Reden  dans  son  journal  (1),  une 
armée  ne  s'est  battue  plus  mollement que  les  Fran- 
çais dans  cette  journée.  >,  La  relation  (2)  détaillée  du 
prince  Ferdinand  explique  la  faiblesse  de  ses  pertes  par  le 
((  peu  de  résistance  et  contenance  de  l'ennemi  et  sa  subite 
manu'uvre  rétrogradante.  »  La  même  impression  se  re- 
trouve dans  les  récits  rapportés  du  champ  de  bataille  par 
les  officiers  chargés  de  dépêches.  «  L'affaire,  écrit  Lady 
Varmouth  (3 1  à  la  suite  d'entretiens  avec  eux,  n'a  pas  été 
à  beaucoup  près  si  meurtrière  que  celle  de  Crevelt;  les 
Français  ont  très  mal  fait.  » 

Selon  toute  probabilité,  la  déconfiture  de  Contades  eùi 
été  plus  complète  encore  sans  la  défaillance  de  Lord  George 
Sackville  qui  commandait  la  cavalerie  à  l'aile  droite  des 
confédérés.  Au  lieu  d'exécuter  les  ordres  répétés  que  lui 
remirent  plusieurs  aides  de  camp  du  prince  Ferdinand, 
et  de  mener  ses  escadrons  à  la  poursuite  de  la  cavalerie 
française  en  désordre,  il  hésita,  demanda  de  nouvelles  ins- 
tructions et  laissa  échapper  le  moment  favorable.  Le  prince, 
fort  mécontent,  dans  l'ordre  du  jour  du  lendemain  lit 
allusion  à  l'incident  (il  en  disant  que  si  le  marquis  de 
Granby,  commandant  en  second,  avait  eu  la  direction  de 
la  cavalerie  anglaise,  les  résultats  de  la  journée  eussent 


(1)  Reden.  FcUlziiije  der  nllii'ricn  Arvtec,  vol.  H,  p.  63. 

(2)  Relation    détaillée   de    la   victoiic   du   1"  aortl.  Newrastie    Papers, 
vol.  3289  i. 

(:5)  Lady  Vanncuth  àNe\vcastlo,0  août  1759.  Newcaslle  Papers,  vol.  32894. 
{i)  Aiinual  Rcgislcr  l"."j9.  State  Papers. 


f.8 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


'     !  'i; 


été  plus  brillants.  Sackville  ainsi  visé  se  fit  accorder  la 
permission  de  rentrer  en  Angleterre;  peu  de  temps  après 
son  retour,  ayant  été  privé  par  le  Roi  de  tous  ses  grades  et 
honneurs,  il  obtint  do  passer  devant  un  conseil  de  guerre. 
En  fin  de  com|)le  et  A  la  suite  de  longs  débats,  il  fut  déclaré 
coupable  de  désobéissance  et  exclu  de  tout  emploi  mili- 
taire. Par  contre,  Ferdinand  prodigua  des  éloges  à  l'infan- 
terie et  à  l'artillerie  anglaises;  il  alloua  môme,  selon  la 
coutume  de  l'époque,  à  plusieurs  officiers  de  cette  dernière 
arme  des  gratifications  en  ai'gent.  A  titre  do  récompense 
pour  sa  victoire,  Ferdinand  reçut  du  roi  George  l'ordre 
de  la  Jarretière  et  im  don  de  20.000  livres  sterling. 

Nous  avons  laissé  l'armée  de  Contades  réintégrée  dans 
ses  camps  de  la  veille  où  elle  fut  rejointe  par  la  brigade 
d'IIavré,  qui  sous  la  menace  d'être  pris  à  dos  par  le  géné- 
ral Gilsa,  avait  dû  renoncer  à  sa  fausse  attaque.  C'est  à  ce 
moment  que  le  maréchal  eut  avis  de  la  défaite  et  de  la 
retraite  précipitée  du  duc  de  Brissac.  Ce  général,  nous  l'a- 
vons dit,  avait  été  envoyé  de  Minden  le  28  juillet  avec  un 
détachement  de  3.000  honmies  dont  un  tiers  cavaliers, 
pour  protéger  un  convoi  de  pain  et  d'espèces  qui  s'ache- 
minait sur  iMinden  et  pour  veiller  sur  la  ligne  de  ravitail- 
lement de  liervorden.  La  première  partie  du  programme 
fut  heureusement  accomplie  :  argent  et  pain  gagnèrent 
sans  accident  le  quartier  français;  quant  aux  communica- 
tions, elles  furent  assurées  par  un  combat  livré  sur  les 
bords  du  ruisseau  l'Elze,  le  30  juillet,  à  la  suite  duquel 
Hrissac,  qui  avpit  rallié  à  lui  les  hussards  de  Turpin  et  de 
Berchiny  ainsi  que  quelques  centaines  de  volontaires,  eut 
la  satisfaction  de  voir  le  prince  héréditaire  s'éloigner  dans 
la  direction  de  Kimsel.  Le  lendemain  confoi'mément  aux 
ordres  de  Contades,  il  se  posta  à  Coefeld  pour  couvrir  les 
équipages  de  l'armée. 

Entre  temps  le  prince  de  Brunswick,  renforcé  de  3  ba- 
taillons arrivés  d'Osnabrûck  sous  le  général  Drèves,  était 


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COMBAT  DE  COEFELD. 


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,'itail- 


3  ba- 
.  était 


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revenu  le  1"  août,  avant  le  jour,  à  la  rencontre  des  P'ran- 
cais;  il  avait  avec  lui  10  bataillons,  l'i.  escadrons,  soit 
presque  10.000  combattants,  et  30  canons  dont  10  de  i;ros 
calibre.  H  repartit  ses  troupes  en  trois  fractions,  dont 
l'une  destinée  à  tourner  la  position  de  Brissac.  Ce  dernier 
essaya  de  parer  le  coup  en  perçant  le  centre  ennemi  qu'il 
lit  attaquer  par  sa  cavalerie;  la.  charge,  conduite  par  le 
comte  de  La  (iuiche,  eut  d'abord  quelque  succès,  mais  le 
feu  d'une  réserve  d'infanterie  placée  fort  à  propos  aiTéta 
les  escadrons  français  et  leur  fit  faire  demi-tour.  Force 
fut  au  petit  corps  de  Brissac  de  battre  en  retraite  ;  le  mou- 
vement se  fit  d'abord  avec  ordre,  mais  tout  h  coup  une 
fusillade  des  plus  chaudes  éclata  sur  la  droite  ;  c'était  la 
cavalerie  et  l'artillerie  qui  étaient  aux  prises  avec  une  des 
colonnes  hanovriennes.  Les  cavaliers  s'enfuirent  et  les 
5  pièces  de  canon  tombèrent  aux  mains  de  l'ennemi;  l'in- 
fanterie, qui  composait  l'autre  colonne,  put  retiagner  le 
camp  de  Minden.  Toute  l'affaire  ne  coûta  que  .'}.'{  hommes 
aux  vainqueurs.  On  peut  s'imaginer  l'effet  produit  sur  les 
esprits  déjà  démoralisés  de  l'État-Major  français  par  le 
retour  des  débris  de  la  division  Brissac;  la  défaite  de  ce 
détachement  par  un  ennemi  fort  supérieur  en  nombre 
n'était  pas  en  elle-même  un  fait  très  important,  mais  les 
conséquences  du  combat  se  présentaient  avec  une  portée 
infiniment  plus  grave.  Le  prince  héréditaire,  avec  un 
corps  de  troupes  dont  l'effectif  était  grossi  par  des  cer- 
veaux excités,  était  établi  sur  la  ligne  de  ravitaillement; 
maître  de  Hervordcn,  il  interceptait  les  communications 
avec  Armentières  et  les  magasins  de  l'armée. 

iievenons  au  conseil  de  guerre  (1)  tenu  après  la  ba- 
taille. Broglie  qui  y  arriva  un  des  derniers  trouva  le  ma- 
réchal à  peu  près  décidé  pour  la  marche  par  les  gorges 
de  la  rive  gauche  du  Weser.  Très  opposé  à  ce  projet,  il 

(I)  Ce  récit  est  empiiinlé  ii  la  dt'ptVhe  do  Bioglic  à  Hi>lleisle  déjà  citée  et 
au  Bulletin  de  l'armée,  rédigé  par  Monleynard  ou  sous  sa  direction. 


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LA  GUKRRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI».  II. 


représenta  à  son  chef  qu'il  serait  «  moralement  impossible 
de  passer  sur  le  dos  des  12.000  hommes  qu'on  prétait  au 
prince  héréditaire,  que  le  passage  de  la  NVerra  dont  les 
ponts  étaient  rompus  ou  en  possession  de  l'ennemi,  serait 
une  opération  des  plus  épineuses,  que  si  toute  l'armée, 
embarrassée  d'un  nombre  prodigieux  d'équipag'es  et  dans 
un  grand  désordre,  s'enfermait  une  fois  dans  la  gorge  où 
elle  serait  sûrement  suivie  par  l'armée  ennemie  qui  la 
canonnait  encore  et  semblait  vouloir  se  mettre  en  mou- 
vement, et  que  l'attaque  de  Coefeld  ne  réussit  pas,  l'armée 
entière  serait  perdue  sans  ressource  et  sans  qu'il  en  revint 
personne.  Il  (Contades)  convint  du  danger  de  ce  parti  et 
me  fit  l'honneur  de  me  demander  si  J'en  savais  un  autre. 
Je  lui  répondis  que  dans  la  position  où  il  se  trouvait  il 
n'y  avait  rien  à  proposer  qui  ne  fût  sujet  à  de  grands 
inconvénients,  n^ais  qu'il  me  paraissait  qu'il  y  en  avait 
beaucoup  moins  à  repasser  le  Weser,  qu'il  y  avait  trois 
ponts  et  des  gués,  que  la  cavaleri»,  pourrait  passer  à  gué, 
et  l'infanterie  et  les  gros  équipages  sur  les  ponts,  et  que 
quand  on  serait  une  fois  enfourné  dans  la  gorge  d'Hameln 
qui  est  assez  étroite,  on  pourrait  avec  l'infanterie  seule  y 
arrêter  l'armée  des  ennemis  et  y  assurer  la  retraite.  » 
Quelques  généraux  soutinrent  au  contraire  «  que  les  enne- 
mis ne  pourraient  défendre  la  sortie  des  gorges  et  la  rivière 
de  la  Werra  en  môme  temps  »  ;  que  la  traversée  d'un  cours 
d'eau  «  plein  de  gués  jusqu'à  son  embouchure  »  était 
facile,  et  qu'on  était  on  nombre  plus  que  suffisant  «  pour 
se  faire  jour  et  passer  sur  le  ventre  au  corps  du  prince 
héréditaire...  M.  le  maréchal  alla  aux  voix,  et  recueillit 
toutes  celles  des  officiers  généraux  qui  étaient  présents  et 
qui  étaient,  je  crois,  MM,  le  prince  de  Condé,  d'Anlezy,  duc 
de  Fitzjames,  comte  de  Noailles,  Dumesnil,  de  Vogué,  duc 
de  Laval,  de  Saint-Chamans,  de  Castries  et  de  Monteynard, 
et  quelques  autres  encore  dont  je  ne  me  rappelle  point  les 
noms.  A  la  réserve  de  M.  de  Castriez  et  de  M.  de  iMontey- 


CONTADES  ABANDONNE  LA  VILLE  DE   MINDEN.  71 

nard,  tous  les  autres  furent  pour  repasser  le  Wesor,  et 
M.  le  maréchal  l'ordonna.  » 

Malheureusement,  des  instructions  avaient  été  trans- 
mises pour  l'itinéraire  par  la  rive  gauche  du  Wescr;  les 
gros  équipages  avaient  déjà  franchi  la  gorge  de  Hackui- 
sen.  l)e  là  des  contre-ordres  qui  ne  furent  que  partielle- 
ment exécutés.  «  On  fut,  écrit  Monteynard  (1),  depuis 
10  heures  du  matin  jusqu'au  lendemain  2  aoiU  à  la  pointe 
du  jour,  pour  passer  le  Weser;  toute  cette  partie-là  était  si 
inconnue  que  l'armée  resta  amoncelée  toute  la  journée  du 
lendemain  et  qu'il  fallut  ce  temps-là  pour  la  mettre  en 
ordre  de  marche.  ;>  Aussitôt  la  rivière  traversée,  les  ponis 
furent  brûlés  et  à  trois  heures  du  matin  on  s'ébranla  dans 
la  direction  de  Buckeburg  sur  la  rive  droite  du  Weser,  l'a- 
vant-uarde  auv  ordres  de  Saint-(iermain,  l'arrière-garde 
sous  Nicolaï  et  Broglie.  A  Minden,  on  laissa  un  détachement 
de  300  hommes  chargé  de  remettre  au  prince  Ferdinand 
la  ville  et  les  nombreux  malades  et  blessés  qu'on  dut  aban- 
donner à  ses  bons  soins.  L'ennemi  ne  fit  aucun  ell'ort  pour 
inquiéter  la  retraite  ;  il  prit  possession  de  xMinden,  le  2  août, 
à  la  suite  d'un  arrangement  en  vertu  duquel  la  petite 
garnison  se  rendit  prisonnière,  recueillit  les  transfuges 
qui,  par  bandes  de  50  et  80  hommes,  désertaient  leurs 
drapeaux,  et  chanta  le  Te  Denm  traditionnel.  Ce  ne  fut 
que  le  3  août  que  Ferdinand  envoya  le  général  Urlf  avec 
les  grenadiers  de  larmée  et  la  cavalerie  hessoise  pour 
appuyer  les  troupes  légères  de  Luckner  qui  s'étaient  déjà 
attachées  aux  pas  des  Français,  Le  V  aoùi,  le  prince  héré- 
ditaire, avec  sa  division  renforcée  de  quelque  cavalerie, 
fut  dirigé  sur  Rinteln  pendant  que  le  gros  des  confédé- 
rés gagnait  le  village  de  Coefeld.  En  arrivant  à  l'étape, 
Ferdinand  eut  la  satisfaction  d'apprendre  que  le  partisan 
Freytag  avait  capturé  les  gros  bagages  de  l'armée  fran- 


(I)  Bulletin  de  l'année.  Archives  de  la  Guerre.  Allemagne,  3520. 


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72 


LA  GrERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  ir. 


raise,  les  équipages  de  Contades,  du  prince  du  Condé  et 
de  la  plupart  des  généraux,  ainsi  que  la  correspondance 
du  maréchal.  Le  convoi  n'avait  pu  «Ure  rappelé  en  temps 
utile  et  avait  continué  sa  marche,  harcelé  par  les  troupes 
légères  des  alliés,  jusqu'à  la  petite  ville  de  IJetniold,  où 
l'escorte,  trop  l'aihle  pour  prolonger  la  résistance,  dut 
capituler. 


londé  et 
andance 
a  temps 
troupes 
lold,  où 
ice,  dut 


CHAPITRE   III 


FIN  DE  LA  CAMPAGNE  DE   1759  EN  ALLEMAGNE 

HKTIIAITE  DE  CONTADKS.  —  AHAJiHON  DE  CASSEL.  —  .MISSION 
A  l'armée  du  MARÉCUAL  d'eSTRÉES.  —  LONG  SÉJOUR  DES 
ARMÉES  RIVALES  SUR  LA  LAIIN.  —  NOMINATION  DE  IIKO- 
(il.lK  AU  COMMANDEMENT  E>  CIIEE.  —  CAPITULATION  DE 
MI'NSTER.  —  MOUVEMENT  01  I  ENSII'  DE  IIROGLIE.  —  QUAR- 
TIERS d'hiver. 

La  situation  de  l'armée  fr8.n(;aise  au  début  do  la  retraite 
(|ui  suivit  la  défaite  de  Minden,  ne  laissait  pas  d'être  cri- 
tique. Isolée  sur  la  rive  droite  du  Weser,  coupée  de  sa 
base  de  ravitaillement,  sans  magasins,  réduite  bientôt  aux 
ressources  que  fournirait  le  pays  traversé,  traînant  avec 
elle  un  parc  d'arlillcrie  et  une  quantité  de  voi^ires  dont 
la  marche  serait  retardée  par  les  mauvais  chemins,  fort 
ébranlée  dans  son  moral,  sans  confiance  dans  ses  chefs, 
comment  accomplirait-elle  les  longues  et  difficiles  étapes 
qui  la  séparaient  de  Cassel?  Avant  d'atteindre  cette  ville, 
ne  serait-elle  pas  devancée  par  le  prince  Ferdinand  ou  tout 
au  moins  par  le  prince  de  Brunswick?  Quel  parti  prendre 
si,  en  arrivant  en  liesse,  on  trouvait  la  route  barrée  par 
un  ennemi  victorieux?  Fort  heureusement  pour  Contades 
et  ses  soldats,  ces  éventualités,  qui  semblaient  si  dangereu- 
sement probables,  ne  se  produisirent  pas.  Grâce  iV  la  ra- 
pidité du  mouvement,  à  la  bonne  attitude  de  l'armée,  qui 
parait  s'être  ressaisie,  grâce  surtout  à  la  nonchalance  de 


11 


7i 


LA  C.UERRE  [)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


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l'adversuir(î  qui,  satisfait  du  succès,  ne  terjta  rien  pour  le 
rendio  plu.s  complet,  it;  retour  de  Mindeu,  qui  auniit  pu 
êlie  un  tlésastro,  s'accomplit  dans  des  conditions  [)rcsque 
normales,  et  contribua  h  relever,  dans  une  certaine  me- 
sure, le  prestige  fort  compromis  des  armes  françaises. 

Rassurés  par  l'inactivité  des  confédérés,  lli'0!j;lie  et  Mon- 
teynard,  cette  fois  d'accord,  proposèrent  à  Contades  de  re- 
passer le  Weser  dans  les  environs  d'Hameln,  en  utilisant 
des  gués  connus  des  on.^iers  qui  avaient  fait  dans  ce  pavs 
les  campagnes  de  1757  et  17r)8,  de  se  diriger  sur  l»ader- 
born  et  d'y  ell'ectuer  la  jonction  avec  Armcntièrcs.  Le 
maréchal  opposa  à  cette  idée  des  raisons  tirées  du  retard 
qu'entraînerait  la  traversée  du  fleuve  et  de  la  difliculté  de 
nourrir  l'armée  (jiii  n'aurait  assez  de  pain  qu'à  la  condi- 
tion de  pous.sor  droit  sur  Cassel. 

Cependant,  malgré  la  hiVte  de  parvenir  à  destination,  on 
accorda  aux  hommes  un  repos  d'un  jour  à  Oldendorf.  «  .le 
n'ai  pas  voulu  porter  l'armée  plus  loin,  écrit  Contades  (1), 
afin  de  donner  le  ten)i)s  aux  écpupages,  (jui  m'ont  beau- 
coup incommodé  dans  les  marches  d'hier  et  d'avant-hier, 
de  prendre  les  devants.  J'ai  môme  pris  le  parti  pour  ce 
même  objet  de  faire  séjourner  ici  l'armée,  et  aussi  pour 
faire  une  distribution  de  pain  et  de  viande  jusqu'au  6  in- 
clus, jour  que  je  compte  que  l'armée  arrivera  à  Imbeck 
(Einîi)eck).  M.  Cayot  a  envoyé  des  mandements  ù  Imbeck, 
Guttingen  ot  tous  les  lieux  principaux  ;\  portée,  pour  ras- 
sembler tout  le  pain  qu'il  sera  possible.  Ces  mandements 
sont  accompagnés  des  menaces  les  j;»lus  sévères  s'ils  ne 
sont  pas  obéis.  Je  compte  aussi  qu'il  pourra  m'arriver  un 
convoi  de  pain  de  Cassel  à  Imbeck  si  les  ordres  qui  ont 
été  donnés  ont  été  reçus.  L'arrière-garde  de  l'armée  aux 
ordres  de  M.  le  chevalier  de  Nicolaï  est  arrivée  hier  au  soir 


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(1)  Contades  il  IJelleisle.    Camp  d'Oldondorf,  4  août   1759.  Archives   delà 
Guerre,  3520. 


HKTRAITE  DE  CONTADES  LE  LOMi  DU  \VE8E«. 


"5 


;ï  9  heures;  il  n'a  rien  luissc  derrière;  elle  n'a  été  suivie 
iiue  par  des  chasseurs;  nous  avons  eu  une  vingtaine 
dliommi'S  hlessés  qui  ont  tous  étr  rapportés;  il  n'y  a  eu 
personne  <1<*  tué,  »  Le  niaré*  liai  était  sans  avis  d'Armcn- 
tiéres,  Chevronse  1)  et  He^enval  (2),  mais  il  no  dositait  pas 
que,  conformément  au\  instructions,  ils  so  fussent  dirigés 
sur  Warhury  et  Casscl.  Citons  un  détail  (jui  prouve  la  coui*- 
toisic  des  relations  entre  les  belligérants  :  «  M.  le  comte 
de  Liitzeihurg  ([ui  avait  été  pris  dans  l'action  est  revenu 
hior  au  s<»ir.  M.  lo  [,  ince  Ferdinand  lui  a  permis  de  vc- 

prcndre  ses  fonctions  en  attendant  (pi'il  fût  échangé 

Les  :J(»0  honnnes  que  j'avais  laissés  k  Minden  pour  y  capi- 
hilcr  so  sont  rendus  prisonniers  do  guerre.  M.  le  prince 
Keriiinand  nrannonce  (|u'il  va  me  les  renvoyer.  » 

Si  le  flegmati(|uc  (lonfades  se  tran(piillisait  déjà  sur  la 
suite  des  événements,  il  n'en  était  pas  de  même  à  Casscl 
où  l'on  était  dans  les  transes  au  sujet  de  l'armée.  <  Rien 
n'est  si  dangereux  que  notre  position,  mande  Dumouriez  (:i) 
qui  s'acquittait  avec  beaucoup  de  zèle  et  d'intelligence  de 
ses  fonctions  de  commissaire.  Nous  ne  savons  pas  encore 
de  nouvelles  de  l'armée  et  ne  pouvons  asseoir  de  conjec- 
tures jusqu'à  ce  que  nous  apprenions  (ju'elle  ait  gagné 
Eimheck,  mais  depuis  le  f^nous  n'en  avons  pas  la  moindre 

nouvelle  ni  de  ce  qui  s'est  passé Si  elle  (l'armée)  était  à 

Kiinbeck  je  la  regarderais  comme  sauvée;  jusque-là  il  n'y 
a  rien  à  envisager  que  de  terrible.  Elle  doit  être  sans  pain, 
.l'en  fais  faire  nuit  et  jour,  j'assemble  quantités  de  chariots 
et  au  premier  avis  ils  voleront.  Nous  avons  eu  la  première 
nouvelle  hier  à  8  heures  du  malin.  M.  de  liezenval  va  arri- 
ver avec  la  brigade  de  Castella  et  llericy  (V)  ;  nous  on  avons 


(t)  Chevreiisfi  avait  été  chargé  de  mas(iuer  Lippstadt. 

(2)  Commandant  des  troupes  françaises  en  liesse. 

(3)  Dumouriez  au  Ministre.  Casse!,  'i  et  C  août  1759.  Archives  de  la  Guerre, 

3520. 

(4)  Le  régiment  de  cavalerie  d'Hericy. 


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;o  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  111. 

grand  besoin  n'ayant  ici  que  deu.v  bataillons  et  le  seul 
canon  de  Courten...  Le  point  d'appui  est  la  Hesse,  mais 
l'année  a  pris  une  route  bien  scabreuse  pour  y  parvenir.  » 
Deux  jours  plus  tard  le  ton  devient  rassurant  :  <(  M.  le  ma- 
réchal est  à  Eimbeck  et  sera  sans  doute  demain  à  Northeim. 
J'aurai  demain  VOO.OOO  rations  de  pain  à  Gottingen  et  je 
vois  que  ce  secours  sera  bien  nécessaire.  Les  ordres  qu'on 
avait  envoyés  pour  en  faire  dans  cette  ville  pour  le  5  n'y 
sont  parvenus  que  le  6.  Je  voudrais  pouvoir  faire  voler  les 
caissons.   Nous  ignorons  encore  tout  détail,  mais  je  ne 

puis  imaginer  ce  qu'est  devenu   le  prince  Ferdinand 

Demain  nous  en  saurons  davantage,  mais  nous  respirons 
du  moins  et  il  était  temps,  »  La  nouvelle  de  l'arrivée  de 
Contades  à  Eimbeck  était  prématurée,  cai  il  n'y  fut  rendu 
que  le  7  août  au  soir. 

•Jusqu'à  Oldendorf,  les  progrès  de  l'armée  avaient  été  sin- 
gulièrement lents,  aussi  Hroglie  qui  s'appropriait  de  plus  en 
plus  le  rôle  de  mentor  officieux  du  maréchal,  prit-il  our  lui 
d'appeler  (1^  son  attention  sur  les  dangers  d'un  plus  grand 
retard  :  «  Je  crois,  Monsieur  le  maréchal,  et  iM.  de  Saiiit- 
(iermain  le  pense  comme  moi,  qu'il  n'y  a  pas  de  temps  à 
perdre  pour  vous  déterminer  à  faire  marcher  légèrement 
votre  armée  à  Cassel,  sans  quoi  vous  vous  commettriez  au 
plus  grand  malheur  qui  serait  celui  d'être  prévenu  en 
Hesse,  et  le  salut  de  l'armée  semble  mériter  la  préférence 
sur  toute  autre  considération.  C'est  par  attachement  pour 
vous  et  pour  le  Roi  que  j'ai  l'honneur  de  vous  parler  ainsi  ; 
songez,  je  vous  prie,  que  vous  n'avez  fait  que  8  lieues 
depuis  le  2  au  matin  ;  il  vous  en  reste  2S  pour  aller  à  Cas- 
sel.  Le  prince  Ferdinand  a  été  hier  avec  son  armée  à  Her- 
vorden,  il  peut  facilement  être  le  10  ou  le  11  à  Cassel  ou  à 
Munden;  il  faut  donc  ([u'une  partie  de  votre  armée  force 


(1)  liro^^lie  à  Contades.  Pics  d'IIamuln,  5  août  1759.  Archives  de  la  Guerre. 
Alleinas^iie,  vol.  3520. 


PRIVATIONS  ET  DÉSORDRE  DE  LA  RETRAIT!:. 


77 


de  marches  pour  y  arriver  et  y  soit  le  î>  au  plus  tard.  » 
Le  conseil  parut  bon,  aussi  Coufades  conlia-t-il  à  lîroplie 
une  avant-garde,  composée  de  sa  division  et  de  colle  de 
Saint-Germain  et  forte  de  26  bataillons  et  38  escadrons, 
avec  ordre  de  gagner  (>assel  au  plus  vite,  de  rejoindre 
Armentières  et  de  déblayer  le  terrain  pour  l'approche  du 
gros  qui  rainèuerait  avec  lui  les  équipages,  les  caissons 
de  vivres  et  le  parc  d'arfillerie.  Ku  lisant  les  p'  intes  du 
maréchal  sur  ses  embarras  de  transport,  on  se  demande 
si  ce  no  fut  pas  un  bonheur  pour  l'armée  d'avoir  perdu 
son  principal  convoi  à  Detmold.  Le  défilé  des  voitures  par 
les  détestables  routes  du  Hanovre  tlurait  un  temps  consi- 
dérable et  entravait  le  mouvement  des  troupes,  «  La  file 
en  était  si  longue,  écrit  Conlades  (1),  que  quoique  j'eusse 
mis  trois  brigades  d'iufantei'ie  et  une  de  cavalerie,  il  y  a 
eu  quelques  équipages  pillés  qui  s'étaient  écartés.  »  Quand 
on  entra  à  P^imbeck,  on  commençait  à  manquer  de  pain, 
les  réquisitions  ne  produisant  que  peu  de  chose.  «  .l'espère 
qu'il  en  arrivera  demain  matin  qui  nous  donnera  le  temps 
d'attendre  celui  de  Cassel.  Les  marches  que  j'ai  été  <tbligé 
de  faire,  et  la  nuit,  ont  occasionné  de  la  maraude  que  je 
ne  pourrai  arrêter  que  quand  j'aurai  pu  mettre  l'armée 
ensemble.  Les  esrortes  des  équipages,  et  plus  encore  les 
valets  et  les  vivandiers,  ont  fait  le  plus  de  désordre.  »  Ces 
mauvais  procéd  'S  avaient  pour  consé(juences  des  repré- 
sailles de  la  part  des  habitants  :  «  Les  paysans  se  mettent 
de  la  partie,  rapporte  un  officier  d'état-major  (2)  ;  l'on  en 
a  déjà  arrêté  plusieurs  qui  ont  tué  des  soldats,  »  Quel- 
(j'cfois  les  indigènes,  attirés  par  le  butin,  prenaient  l'ini- 
ti.itive  en  dévalisant  les  voitures,  comme  l'indique  un 
aiticL'  de  la  capitulation  de  Detmold  :  «  Ou  ne  pourra  faire 

(1)  Contades  i\  Belleislc  Au  ciiini»  (i'KiinliecN,  7  août  1759.  Archives  de  la 
(liiiTie,  vol.  ;)r)20. 

■!i  Plaiiirhami»  au  Ministre.  Oldendorf,  4  août  1759.  Archives  delà  C.iierrc. 
All(>iiia;^iie,  352<». 


1^ 


lï^. 


I   ) 


78 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


Il   ,' 


I  il. 


iiucune  recherche  sous  prétexte  d'indiscipline,  vu  que  si 
quelques  sokh\ts  déiacliés  ont  commis  des  désordres  dans 
le  pays,  les  paysans  en  ont  fait  encore  davantage  dans 
nos  éijuipages.  » 

Enfin  l'annonce  des  vivres  rassemblés  par  Dumouriez 
vint  réconforter  les  esprits  ;  <<  D'aujourd'hui,  Monsieur  le 
maréchal,  mande  Contades  (1),  je  commence  à  respirer; 
je  suis  assu''é  des  subsistances  de  l'armée;  il  est  arrivé  ce 
soir  à  (iottingen   u:i  convoi  de  VOO.OOO  rations  de  pain 

qui  sera  distribué  demain; les  troupes  ont  soulTert 

avec  beaucoup  de  patience;  je  ne  prétends  pas  dire  qu'il 
n'y  ait  pas  eu  beaucoup  de  désordres.  »  En  sortant  d'Eim- 
beck  où  il  avait  fallu  laisser  le  général  de  Beaupréau  à 
cause  de  la  gravité  de  se»  blessures,  il  y  avait  ôu  une 
affaire  d'arrière-garde,  mais  l'ennemi  avait  été  repoussé 
dans  un  combat  qui  nous  avait  coûté  nnn  cinquantaine 
de  tués  et  blessés.  A  partir  de  ce  moment,  le  mouvement 
se  continua  sans  encombre.  Le  9  août,  r?cglie  informait 
la  coui  de  son  entrée  à  Casscl  après  une  escarmouche 
avec  les  éclaireurs  ennemis  dans  les  défilés  de  Munden  ;  il 
déclarait  ses  troupes  fatiguées  par  les  marches  forcées, 
«  mais  en  très  bon  ordre  et  presque  sans  traineurs  ».  Le  12 
il  fut  rejoint  par  Cortades.  L'armée  qui  avait  repris  le 
contact  avec  Arracntières,  occupa  les  positions  suivantes  : 
le  corps  principal  avec  l'ctat-major  en  avant  d'î  Cassel  et 
à  la  rive  gauche  de  la  Fulda;  Saiut-Ciernain,  avec  trois 
brigades  d'infantciie,  î\  Lutzelberg  sur  la  r'^e  droite;  Bro- 
glie  à  Oberfelmar,  Armcntières  et  Chevreuse  à  Woifha- 
geu. 

Au  demeurant,  la  retraite  des  Français  par  un  pays  où 
il  n'existait  ni  fours,  ni  magasins,  et  où  rien  n'avait  été 
préparé  pour  le  service  des  provisions,  n'eut  pas  pour  eux 

(1)  Contades  à  Rellcisle.  Parnsen,  8  août  1759,  Archives  de  la  Guerre. 
Allemagne,  3520, 


LENTEUR  DES  MOUVEMENTS  DE  FERDINAND. 


79 


les  conséquences  désastreuses  qu'on  aurait  pu  craindre; 
leurs  pertes  furent  restreintes  à  des  déserteurs  fort  nom- 
breux dans  les  régiments  allemands  et  parmi  les  Saxons, 
aux  éclopés,  aux  malades  et  blessés  trop  gravement  atteints 
pour  être  transportés,  enfin  aux  voitures  prises  ou  aban- 
données. Le  prince  béréditaire  qui,  avec  sa  division  ren- 
forcée, avait  été  affecté  à  la  poursuite  de  l'armée  de  Con- 
tades,  dut  avouer  (1)  le  peu  de  résultats  obtenus  :  «  Malgré 
toute  mon  application  et  toute  la  bonne  volonté  des  dif- 
férents cbefs  des  corps,  et  particulièrement  de  M.  Luckner, 
la  fortune  ne  nous  a  pas  été  propice.  Qu'Elle  (S.  A.)  ne 
m'impute  pas,  si  je  n'ai  pas  rempli  en  tout  son  attente  ;  la 
difficulté  du  terrain,  les  bonnes  mesures  de  l'ennemi,  et 
particulièrement  sa  diligence  inconcevable,  sont  cause 
que  nous  n'avons  pas  fait  davantage.  » 

Ferdinand  ne  fit  aucur.  etlbrt  sérieux  pour  entamer  son 
adversaire;  il  se  borna  à  le  faire  surveiller  à  distance, 
tandis  qu'avec  le  gros  de  ses  forces  il  gagnait  successive- 
ment Bielefeldt.  Paderborn  et  Stadtberg  où  il  établit  son 
quartier  général  le  12  août.  Cet  itinéraire  correspondait  ù 
la  première  partie  du  programme  dressé  par  Westplialen. 
«  De  Paderborn,  disait  (2)  le  mémoire  de  ce  dernier,  il  faut 
jeter  l'oeil  sur  Cassel  pour  voir  s'il  est  possible  d'y  pré- 
venir l'ennemi.  Si  non,  il  faut  se  contenter  d'occuper  les 
défilés  du  Dymel  et  procéder  tout  de  suite  par  un  détache- 
ment au  siège  de  Munster.  »  In  instant,  le  prince  Ferdi- 
nand et  son  secrétaire  avaient  espéré  devenir  maîtres  de 
cette  importante  ville  sans  subir  les  lenteui's  d'un  siège. 
A  celte  fin,  le  colonel  anglais  Boyd,  avec  trois  bataillons 
et  quelques  canons  et  mortiers,  fut  cliargé  de  se  rendre  de 
l.ippstadtà  Munster  etde  bombardci'  la  place.  L'entreprise 


[\)  Prince  hérédilairp  à  Ferdinand.  Walleron,  Il  aoùl  l/ôO.  Newcastlc 
Tapers,  328!t'». 

\!;  Idée  générale  des  mouvemenls  à  faiio,  4  août  17.VJ.  Archives  de  l'K- 
lalMajor  général,  Berlin,  C.  X.  n"  324. 


■M 


80 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  III. 


a. 


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ïO- 


échoua  :  trois  mortiers  ciyvèrent,  la  garnison  ne  se  laissa 
pas  intimider  et  Boyd  dut  se  retirer  à  Warendorf  sans 
avoir  rien  accompli. 

Il  nous  faut  maintenant  dire  quelques  mots  des  agisse- 
ments d'Armentières,  que  nous  avons  vu  devant  Lippstadt 
se  préparant  à  en  faire  l'attaque.  Le  2  août,  c'est-à-dire  le 
lendemain  de  la  bataille  de  Minden,  il  avait  été  invité  par 
Contades(l)à  diriger  son  parc  de  siège  sur  ^Yesel,  à  ren- 
forcer de  dix  bataillons  la  garnison  de  cette  place  et  celle 
de  Uus-seldorf,  et  à  se  rendre  avec  le  reste  de  son  corps 
à  Warburgàla  rencontre  delà  grande  armée.  11  prévient 
HcUeisle  de  ces  injonctions,  auxquelles  il  va  se  confor- 
mer, tout  en  regrettant  de  ne  pouvoir  se  transporter  sur 
le  Bas-Rhin  pour  veiller  sur  les  mouvements  que  fv  .•!!' 
l'ennemi  de  ce  côté.  Dans  sa  dépêche  Contades  n'ava^o  iuit 
mention  que  des  deux  forteresses  du  Rhin  et  n'avait  pas 
parlé  de  Munster.  Armentières  aussitôt  d'interpréter  cette 
omission  dans  le  sens  de  l'évacuation  et  de  ne  comporter 
en  conséquence.  Cependant  il  n'est  pas  sûr  d'avoir  bien 
fait,  et  avec  une  franchise  un  peu  naïve  il  avoue  à  Bel- 
leisie  (2)  son  embarras  :  «  Le  lendemain,  faisant  réflexion 
que  l'ordre  d'évacuer  Munster  n'était  pas  expressément 
donné,  et  ne  connaissant  que  l'obéissance  stricte,  j'ai  en- 
voyé (contrariant  sra*  cela  ma  façon  de  penser)  ordre  à 
M.  de  tiayon  d'y  tenii*.  »  Il  ajoute  qu'il  ne  serait  pas  fâ- 
ché que  le  second  messager  ne  parvint  pas  à  destination. 

En  passant  à  Paderborn  le  4  août,  Armentières  fut  averti 
de  la  situation  critique  du  convoi  et  des  gros  équipages 
de  l'armée;  les  notions  qu'il  professait  sur  l'exécution  de 
ses  instructions  ne  lui  permirent  pas  de  modifier  son  itiné- 
raire :  M  Comme  il  était  11  heures  du  soir  quand  je  l'ap- 

(I)  Arinenlic-iv s  à  Uelloislc.  Dovaiit  Lipi'slailt,  2  aortt  ITr)9.  Arcliives  de 
la  r.  lierre,  Xt'lO 

{:Vj  Armcnlières  à  Bclleisle.  Warluirg,  5  août  1759.  Aicii'ves  de  la  Guerre, 
vol.  3520. 


MUNSTER  RKOCCUPE  PAU  LES  FRANÇAIS. 


81 


pris,  que  mon  infanterie  avait  fait  7  lieues,  devant  me 
rendre  le  lendemain  t\  Warhurg,  dont  la  direction  de 
Detmold  m'éloignait  de  10  lieues,  je  n'ai  pas  cru  devoir  me 
porter  à  Detmold  pour  essayer  d'en  tirer  ([uelques  équipa- 
ges. »  I/opération  semblait  délicate;  en  fait  elle  eût  pro- 
bablement réussi;  quelques  escadrons  de  cavalerie  soute- 
nus par  de  l'infanterie  qu'on  aurait  pu  transporter  en 
chariots,  eussent  suffi  sans  doule  pour  chasser  le  détache- 
ment du  colonel  Freytag-  qui  était  encore  seul  à  Detmold,  et 
pour  sauver  une  partie  des  voitures.  Le  lendemain  Armen- 
tières  changea  d'opinion  comme  il  l'avait  fait  pour  Muns- 
ter, et  envoya  Melfort  qui  revint  avec  l'avis  que  l'ennemi 
était  en  force  et  qu'il  avait  enlevé  son  butin. 

En  ce  ({ui  concerne  Munster,  Comeiras  montra  1res  heu- 
reusement plus  d'initiative  que  son  chef;  cet  officier  gé- 
néral qui  rétrogradait  après  son  échec  d'Ôsnabruck,  en 
passant  à  Munster  le  IJ  août,  trouva  la  ville  dégarnie  do 
troupes;  il  la  fit  réoccuper  par  son  infanterie  qu'il  y  amena 
en  chariot.  Il  était  temps;  deux  heures  après,  les  hussards 
hessois  se  présentaient  aux  portes.  Le  7,  (iayon  revint  avec 
la  garnison,  reprit  possession  de  la  ville  et  la  mit  ainsi  à 
l'aljri  (lu  coup  de  main  du  colonel  Hoyd.  Quoiqu'on  fût 
bien  loin  de  l'ennemi,  ou  tout  au  moins  de  son  corps  prin- 
cipal, l'évacuation  de  la  Westphalie  avait  été  signalée  par 
la  confusion  et  l'incurie  qui  étaient  à  cette  époque  les  ca- 
ractéristiques d'une  armée  française  en  retraite.  Le  com- 
missaire â"  Crancé  nous  raconte  (1)  ses  expériences.  Parti 
de  Munster  le  3  avec  Gayon,  il  se  rend  le  V  à  Dulmen;  il  n'y 
rencontre  ni  soldats  ni  employés;  personne  n'avait  songé 
h  déblayer  le  magasin  de  farines  dont  les  habitants  s'étaient 
emparés;  grAce  à  des  perquisitions  dans  les  maisons  parti- 
culières, il  retrouve  1.480  sacs  qu'il  fait  portera  Wesel; 

(1)  Cianco  à  Uelleisle.  Munster,  8  août  l'59.  Archives  de  la  Guerre.  Alle- 
■:..  ',ne,  3520. 

r.tEKiiE  nE  sr.i'T  ans.        t.  m.  6 


m 


82 


LA  GUEURIi;  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAIV  111. 


le  7  il  rentre  k  Munster  avec  la  garnison  :  «  Je  ne  puis  vous 
exprimer,  Monseigneur,  avec  quelle  douleur  j'ai  vu  le  dé- 
sordre qui  s'est  nasse  depuis  notre  départ  de  cette  ville 
dans  les  magasins  de  toute  espèce  que  nous  y  avions  lais- 
ses. Le  magasin  des  eilets  d'iiabilloment  et  équipement 
abandonné  par  les  llanovriensa  été  totalement  pillé,  celui 
des  fourrages  a  été  considérablement  altéré,  les  maga- 
sins des  vivres  ont  été  pillés  en  grande  partie;  j'y  ai  re- 
trouvé deux  emplacements  .seulement  qui  n'ont  point  été 
toucliés  où  il  y  a  deux  mille  sacs  de  Carine  non  endom- 
magés. J'ai  fait  à  ce  sujet  'es  repvésenlatiois  les  plus  vives 
il  Messieurs  de  la  Régen.:e;  ils  .  j'ont  répondu  et  assuré 
qu'en  partant  de  Munster,  M.  de  Gayon  leur  avait  envoyé 
un  officier  avec  permission  verbale  de  distribuer  aux  pau- 
vres les  fai'ines  que  nous  laissions  dans  la  ville,  ce  qui 
avait  été  fait  aussitôt  après  notre  départ.  » 

Le  séjour  du  quartier  général  de  Contades  à  Cassel  ne 
fut  que  de  courte  durée;  dès  le  15  août,  c'est-à-dire  deux 
jours  après  son  arrivée  dans  la  capitale  de  l'Klectorat,  le 
général  français  annonce  son  intention  d'évacuei'  la  ville, 
ce  qui  coûtera  à  l'armée  12.000  sacs  de  farine  et  bon  nom- 
bre de  malades  et  de  blessés  qu'on  ne  peut  transporter. 
La  crainte  d'être  tourné  par  les  confédérés  le  contraint  à 
ce  sacrifice.  <(  En  voulant  tenir  Ca.ssol,  écrit-il  (1),  je  per- 
drais toute  communication  avec  le  Mein  et  le  Bas-Rhin.  » 
Le  leiademain,  sur  l'avis  de  la  victoire  des  Russes  à  Ku- 
nersiàirf,  il  reprend  courage  et  informe  Relleisle  (2)  qu'il 
va  essayer  de  conservai' Cassel;  il  lui  fallut  déchanter.  Le 
17  août,  une  manœuvre  combinée  des  alliés  contre  le  corps 
d'Armentiières  détermina  un  nouveau  recul  des  Français. 
Tandis  que  le  prince  héréditaire  de  Rrunswick  qui  ('tait 

(liConladns  à  Belleislo.  Cassil,  l.i  août  1759.  Archives  de  la  Guerre. 
Allemagne,  35'2U. 

('2)  Contades  à  Hclleisic.  Cassel,  10  aoiH  17,v,t.  Archives  de  la  Guerre. 
Allemagne,  3521. 


■1:    ^H 


M 


CONTADES  ÉVACUE  CASSEL. 


83 


repassé  sur  la  rive  gauche  du  Weser  et  avait  rejoint  Tar- 
méc  de  son  oncle,  rejetait  les  avant-postes  de  Fischer  en 
arrière  de  Wolfshagen,  le  prince  de  Holsteiii  débouchait 
de  Corbach  sur  Naumbourg-  où  il  enlevait  presque  à  la 
barbe  d'Armentières  le  bataillon  de  grenadiers  Narbonne 
qui  y  avait  été  envoyé  la  veille.  Cet  échec,  dû  à  un  manque 
d'entente  entre  les  commandants  de  la  première  ligne  fran- 
çaise, fut  suivi  de  la  retraite  d'Armentières  sur  Hreiden- 
bacli  où  il  (»[)éra  sa  jonction  avec  Broglie.  Ce  dernier,  après 
une  reconnaissance  effectuée  de  concert  avec  son  collègue, 
fit  au  maréchal  deContadcs  un  rapport  où  il  ne  dissimulait 
[)as  sou  opinion  sur  la  nécessité  de  continuer  le  mouvement 
rétrograde  (1)  :  «  Il  parait  urgent^  Monsieur  le  nuiréchal, 
que  vous  preniez  un  parti;  il  semble  qu'ils  se  réduisent 
toujours  à  deux,  le  premier  de  porter  ici  toute  votre  armée 
pour  marcher  sur  le  prince  Ferdinand,  s'il  dépasse  les 
débouchés  qui  sont  ici  devant  moi,  ou  de  songer  à  rega- 
gner promptement  une  position  qui  assure  votre  commu- 
nication avec  le  Mein  et  à  ne  pas  vous  laisseï' prévenir  sur 
-Marbourg.  J'ignore  lequel  des  deux  partis  doit  être  préféré; 
il  n'appartient  qu'A  vous  d'en  juger.  Les  inconvénients  et 
les  dangers  du  premier  ne  vous  échapperont  pas,  non  plus 
que  la  promptitude  ([u'il  est  nécessaire  d'employer  si  vous 
vous  décidez  au  second;  je  me  tiendrai  prêt  à  exécuter  tout 
ce  que  vous  me  prescrirez;  si  j'étais  le  maître  ou  que  je 
formasse  votre  gauche,  je  vous  avoue  que  j'aurais  cru  de- 
voir faire  marcher  promptement  le  corps  que  je  conuuande 
à  Fritzlar,  pour  être  sûr  de  n'y  être  pas  prévenu  ci  assurer 
votre  communication  avec  Marbourg;  mais  après  ce  (pii  a 
été  résolu  hier  de  garder  Cassel  cl  de  prendre  une  position 
pour  n'en  être  point  séparé,  je  n'ai  pas  osé  le  prendre  sur 
moi.  » 


1^ 


(Il  liro^lie  à  Contades.  Hrcidoiibiiih,  i  licuros  1  2  du  soir.  Sans  dale,  mais 
évideinineul,  17  août.  Arcliives  de  la  Guerre.  Allemagne,  3.521. 


84 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  III. 


i      '  '  < 


i\  I 


Un  avis  de  ce  frcnre,  appuyé  des  conseils  toujours  pessi- 
mistes de  Saiut-dermain  (1),  suffit  pour  mettre  fin  aux 
hésitations  de  Coutades.  I^e  18  août,  le  gros  de  l'armée 
sortit  de  Cassel  et  franchit  l'Kder  derrière  lequel  Broglie  et 
Armentiéres  reçurent  l'ordre  do  rejoindre.  La  marche 
continua  jusqu'au  2V  août,  date  à  laquelle  le  quartier  gé- 
néral s'installa  à  (Iross  Selheim  sur  les  bords  de  la  Lahn, 
iY  faible  distance  de  la  place  de  Marburg.  Ce  recul  coûta 
aux  Français,  sans  compter  beaucoup  d'éclopés,  la  ville 
de  Cassel  et  le  fort  de  Ziegenhayn.  Dans  la  première  le 
maréchal  avait  dû  laisser  un  détachement  pour  protéger 
son  liùpital;  la  capitulation  qui  eut  lieu  le  lî>  fît  tomber 
entre  les  mains  de  l'ennemi  VOO  hommes  valides  et 
1.100  blessés  ou  malades.  Le  gouverneur  de  Ziegenhayn, 
prévenu  trop  tard,  ne  put  rallier  l'armée  et  se  rendit 
le  2î)  avec  ses  300  hommes,  après  avoir  essuyé  quelques 
coups  de  canon. 

A  Marburg,  Contades  trouva  le  maréchal  d'Estrées  qui 
avait  été  envoyé  en  mission  spéciale  pour  se  rendre  compte 
de  la  situation  des  alfaires,  de  l'état  des  troupes  et  pour,  le 
cas  échéant,  en  prendre  le  commandement.  La  nouvelle  de 
la  défaite  de  Minden  avait  été  apportée  à  Versailles  par 
deux  dépèches  de  Contades  en  date  dos  2  et  4  août,  et  par 
une  troisième  que  Broglie  avait  expédiée  le  3  du  même 
mois  avec  l'autorisation  de  son  chef.  Un  procédé  aussi  con- 
traire aux  principes  de  la  hiérarchie  militaire  avait  attiré  à 
son  auteur  un  blâme  du  Uoi,  mais  le  récit  de  Broglie,  très 
populaire  depuis  sa  victoire  de  Bergen,  n'avait  pas  laissé  de 
produire  un  grand  effet  qu'étaient  venues  grossir  les  corres- 
pondances particulières  de  l'armée.  Du  rapport  de  Broglie 
<(  il  a  été  fait,  écrit  Belleisle  (2),  des  copies  qui  courent 


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(1)  Saint-Gonnain  à  Belleisle.  Gross  Zeilen,  2i  août  1759.  Archives  de  la 
Guerre.  Allemagne,  3521. 

(2)  Uclleisle  à  Contades,  12  aorti  1759.  Archives  de  la  Guerre.  Allemagne, 
3520. 


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POLÉMIQUE  AU  SUJET  DE  imOGLIE. 


85 


cr  ge- 


toiitesles  maisons  de  Paris  et  de  Versailles,  et  l'on  y  dit  que 
c'est  M.  de  liroglie  qui  a  sauvé  et  qui  a  couvert  et  lacilité 
la  retraite  de  l'armée  dont  il  a  fait  l'arrière-garde.  Cela  se 
porte  dans  les  cafés,  l'on  a  même  l'ait  des  placards,  et 
comme  tout  cela  se  fait  sans  connaissance  des  auteurs, 
que  l'on  n'ignore  pourtant  pas  mais  que  l'on  ne  peut 
prouver,  il  en  résulte  une  clameur  contre  vous.  Je  n'y  suis 
pas  épargné  et  l'on  y  dit  que  la  rancune  que  je  garde 
contre  .M.  de  Broglie  i\  cause  de  tout  ce  qui  s'est  passé  en 
Bohème  ot  à  Prague,  est  la  cause  que  j'ai  empêché  qu'il 
ne  fût  maréchal  de  France  et  qu'il  ne  commandîVt  l'armée, 
et  de  là  on  continue  tout  ce  que  vous  pouvez  imaginer  de 
plus  insolent.  » 

La  Daupliine,  fille  du  roi  de  Pologne,  en  correspon- 
dance léglée  avec  le  comte  de  liroglie,  ancien  and)assa- 
deur  que  nous  avons  vu  à  l'œuvre  à  Dresde  et  à  Varsovie, 
avait  épousé  ouvertement  la  cause  du  duc.  Helleisle,  au 
contraire,  avait  pris  avec  chaleur  la  défense  du  général 
malheureux;  nous  empruntons  à  sa  lettre  un  exposé  com- 
plot des  incidents  survenus  :  «  J'avais  fait  lire  cet  ordre  du 
."51  juillet  (l'ordre  pour  la  biitaille  de  Mindcn)  à  M.  le  Dau- 
phin on  particulier,  ainsi  qu'au  maréchal  d'Estrées,  à  M.  de 
Souhiso  et  à  M.  de  Choiseiil.  Vos  dispositions  ont  eu  l'ap- 
prchation  générale,  et  M.  le  maréchal  d'Kstrées  a  dit  avec 
la  franchise  que  vous  luy  connaissez  qu'il  se  ferait  grand 

honneur  d'en  avoir  fait  de  pareilles Je  ne  vous  rendrai 

pas  ici  le  discours  que  j'ai  tenu  au  Koy  après  cette  lec- 
ture; j'ai  parlé  au  moins  une  bonne  demi-heure  avec 
toute  la  force,  l'onction  et  la  tendresse  j'ose  me  servir  de 
ce  terme)  que  j'ai  pour  le  Uoy.  Je  crois  n'avoir  rien 
omis,  et  je  puis  vous  dire  que  j'ai  ému  tout  le  conseil,  dont 
tous  les  membres  m'ont  embrassé  quand  nous  en  sommes 
sortis.  J'ai  supplié  le  lioy  de  trouver  bon  que  je  ne  fusse 
pas  le  juge  d'une  (jueslion  où  il  s'agissait  de  M.  le  duc  de 
Broglie  dans  la  prévention  où  pouvait  être  le  public,  qu'y 


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LA  r.UERUK  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  III. 


ayant  doux  marccliaux  de  Franco  dans  lo  conseil,  il  était 
tout  naturel  do  charger  M.  lo  inaréclial  d'Estrécs,  qui  est 
l'ancien,  de  voir  tout  cela  par  Iny-môme;  <[u'il  était  bien 
diflicilc  à  Versailles  d'approfondir  la  conduite  et  les  intri- 
liuos.  Que  quant  au  fait  principal,  il  était  entièrement  con- 
tre M,  de  l{roi;lie,  qui  avait  eu  ordre  d'attaquer  et  n'en  avait 
rien  fiùi,  d'où  était  néanmoins  résulté  la  perte  de  la  ha- 
tnillo.  L'nrficle  sur  lequel  jui  lo  plus  appuyé,  est  l'impossi- 
l)ilité  que  (jui  que  ce  soit  puisse  aujourd'liuy  commander 
une  armée  avec  la  tolérance  des  propos,  des  écritures,  des 
inlrig-ues  et  des  cabales;  qu'il  fallait  que  le  général,  quel 
(ju'il  fût,  fût  non  seulement  le  maître  absolu  sur  tous  ceux 
({ui  sont  dans  son  armée,  mais  aussi  qu'il  fût  assuré  de 
toute  la  confiance  du  Uoy,  et  d'être  soutenu  do  toute:  son 
autorité.  C'est  sur  cet  article,  où  j'ose  dire  que  je  n'ai  rien 
oublié,  que  j'ai  fait  impression.  »  Après  un  débat  où  les 
deux  maréchaux  membres  du  Conseil,  d'Estrées  et  Sou- 
bise,  se  j)rononcèrent  dans  le  môme  sens  que  le  ministre, 
il  fui  décidé  que  le  premier  irait  à  l'armée  sous  prétexte 
des  plans  à  adopter  pour  la  fin  de  la  saison,  et  pour  «  les 
concilier  avec  la  politique  et  avec  le  projet  maritime  qui 
subsiste  toujours  et  qui  affaiblira  votre  armée  au  moins 
de  'lï  bataillons,  quand  vous  aurez  fini  votre  campagne.  » 
Pour  le  public,  «  il  sera  donc  dit,  comme  cela  est  en  effet, 
que  le  Roy  envoyé  M.  le  maréchal  d'Estrées  s'aboucher 
avec  vous  pour  concerter  les  opérations  de  tout  le  reste  de 
la  campagne,  ce  qui  serait  trop  long  et  presque  impossible 
à  faire  par  écrit.  Cela  satisfera  les  cours  de  Vienne  et  de 
Russie,  et  produira,  je  crois,  un  très  grand  bien,  en  ce 
(ju'il  aura  ordre  de  dire  à  toute  l'armée  l'estime  et  la 
confiance  que  le  Roy  a  en  vous,  et  il  prêchera  mieux  que 
tout  autre  contre  les  intrigues  et  les  cabales  des  écrivains.  » 
iîelloisle  termine  sa  lettre  a  Contades  par  quelques  mots 
sur  le  compte  de  Broglie,  où  son  antipathie  personnelle 
lutte  avec  le  loyal  désir  de  tout  subordonner  à  l'intérêt 


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CIUTIQ»  ES  DK  LA  CONDUITE  DE  COMADES  A  MINDEN 


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(lu  service  du  lloi  :  "  ("''est  un  Iton  militaire,  il  n'y  eu  a  pas 
beaucoup  i\  choisir,  il  faut  (|uc  le  Floy  s'en  serve;  mais  il 
l'aut  en  n)ènie  temps  le  tenir  clans  sa  place  en  attendant 
(pi'on  puisse  l'employer  seul  dau-.  (jueUjue  partie.  Je  veux 
même  éloigner  de  moy  foute  idée  qu'il  ait  été  capable  de 
rester  dîi us  l'iiiactioule  1  " d'aoust  pou!"  l'aire  échouer  voire 
îill.Hpie  l'action  serait  trop  noire  et  trop  criminelle,  et  je 
ne  l'en  juis  pas  croire  capable.  Quoy  qu'il  en  soit,  j'ay  crû 
devoir  ne  taire  sur  son  sujet,  et  toutes  les  fois  que  le  Uoy 
l'enqdoyera  en  particulier,  je  me  mettray  par  dessus  la 
tète  pour  l'ayder  de  tous  mes  moyens  et  de  toutes  mes 
forces  pour  le  faire  réussir,  parce  (jue  je  ne  veux  que  le 
bien,  et  après  les  malheurs  <]ue  j'ay  éprouvés  je  me  suis 
voué  au  Uoy  et  à  ses  alfaires  sans  aucune  autre   espèce 

de  VI  e  particulière,  quelle  (ju'elle  puisse  être » 

Qi  oi  qu'en  pût  dire  Helleisle,  l'opinion  était  en  géné- 
ral défavorable  à  Contades  qu'elle  rendait  responsable  du 
mal. leur  de  Minden.  On  lui  reprochait  d'avoir  all'aibli 
son  armée  par  de  trop  nombreux  détachements,  d'avoir 
mai  choisi  le  terrain  de  la  bataille,  de  n'avoir  pris  aucune 
pr<;caution  pour  la  retraite  en  cas  d'échec,  enllu  d'avoir 
permis  k  l'ennemi  de  couper  ses  communications  avec 
le  corps  d'Armenticres,  et  de  s'être  laissé  acculer  à  la 
désastreuse  nécessité  de  se  retirer  par  la  rive  droite  du 
Vy'eser  en  sacriliant  ses  magasins  et  ses  équipages.  D'après 
Slarhemberg,  qui  reproduit  ces  accusations  (1),  Louis  XV 
se  montrait  plus  irrité  et  plus  troublé  qu'il  ne  l'avait  ja- 
mais été;  le  ministère  était  divisé  en  deux  camps  :  tandis 
que  Helleisle  et  Soubise  donnaient  raison  à  Coptades  et 
attribuaient  la  défaite  à  la  désobéissance  de  son  lieute- 
nant, la  plupart  de  leurs  collègues  ne  voyaient  d'autre  re- 
mède que  la  m.  aination  de  Hroglie  au  commandement 
en  chef.  La  Pompadour  et  Choiseul,  quoique  résignés  au 


II 


(1)  Slarhemberg  à  Kaunilz,  10  août  l'59,  Arcliives  de  Vienne, 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


rappel  de  (^ontades,  étaient  très  mal  disposés  pour  le  rem- 
plaçant désigné.  Dans  ces  conditions,  à  titre  de  mezzo- 
terminc,  la  cour  se  rangea  à  l'idée  de  la  mission  du  maré- 
chal d'Estrées.  Le  seul  à  a.oir  confiance  dans  le  délégué 
extraordinaire  était  son  vieil  ami  Belleisle;  ni  Choiseul 
ni  la  favorite  ne  faisaient  grand  cas  de  2?.  capacité  mili- 
taire; aussi  dans  un  billet  intime  le  ministre  des  Affaires 
Etrangères  ne  cachc-t-il  pas  à  Kaunitz  (1)  sou  découra- 
gement et  son  peu  d'espoir  pour  l'avenir  :  «  .le  rougis 
quand  je  parle  de  notre  armée.  Je  ne  peux  pas  me  mettre 
dans  la  tête  et  moins  encore  dans  le  cœur  qu'un  ramas- 
sis d'Hanovricns,  etc..  batte  l'armée  du  Roi.  Je  ne  sais 
pas  où  cette  armée  est  à  présent,  je  la  crois  dans  la  com- 
munication de  Marbourg  à  Francfort;  le  maréchal  d'Es- 
trées y  est  arrivé  ;  nous  attendons  ses  premières  relations 
d'après  lesquelles  nous  nous  déterminerons  à  donner 
un  ordre  positif  pour  combattre  de  nouveau  le  prince 
Ferdinand i  Du  moins  c'est  mon  avis  ainsi  que  celui  de 
M.  de  lîelleisle,  car  quand  môme  selon  notre  usage  nous 
perdrions  la  bataille,  il  ne  peut  nous  arriver  rien  de  pis 
que  ce  qui  arrive,  au  lieu  que  si  nous  la  gagnons,  nous 
contenons  le  prince  Ferdinand  de  façon  qu'il  ne  fera  pas 
de  détachements  en  Saxe,  et  nous  rétablissons  l'opinion 
de  Tios  armes  en  Europe  et  eu  Allemagne  particulière- 
ment. )) 

Ce  fut  le  25  août  que  le  maréchal  d'Estrées  rejoignit 
l'armée;  ses  premières  impressions  furent  mauvaises  :  ((  Je 
ne  puis  encore  revenir  de  ma  surprise,  écrit-il  (2)  à  un 
ami,  quand  je  fais  attention  que  dans  moins  de  deux 
mois,  l'armée  française  forte  d'environ  100.000  hommes 
soit  diminuée  de  près  de  moitié;  on  peut  L  peine  recon- 
naître les  plus  beoux  régiments  de  France,  les  Royaux  et 


(1)  riioiseul  à  Kaiinilz,  28  aoiU  1759.  Archives  de  Vienne. 

(2)  LeUre  ittterceplée  J'Estrées  du  28  août  1759.  Wesliilialen,  III,  7i8. 


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MISSION  DÉSIRÉES  A  L'ARMÉE. 


89 


fleux  OU  trois  autres  régiments  étrangers.  Pour  ménager 
le  pauvre  Contatlos  contre  (jui  le  duc  de  Broglie,  le  comte 
Saint-Germain  et  Saint-Pern  orient  hautement,  j'ai  fait  à 
la  cour  le  portrait  le  moins  touchant  qui  m'a  été  possible; 
mais  malgré  cela  la  lecture  seule  serait  capable  de  le  faire 
rappeler  sur-le-champ,  sans  la  protection  de  celle  dont 
je  vous  ai  parlé  bien  des  fois.  » 

Si  Belleisle  avait  tablé  sur  l'énergie  et  l'initiative  de 
dEstrécs  pour  réparer  les  atïaires  en  Allemagne,  il  faut 
avouer  qu'il  connaissait  bien  mal  son  homme  ou  ipi'il  se 
laissait  aveugler  par  l'amitié.  Par  son  action,  ou  plutôt  par 
son  inaction,  le  commissaire  spécial  de  la  cour  justifia  le 
propos  que  M.  de  Puyseulx  avait  tenu  sur  son  compte  (1)  : 
«  Le  maréchal  d'Kstréesaune  réputation  faite  qu'il  ne  doit 
pas  risquer  de  perdre  on  se  chargeant  d'uue  besogne  in- 
certaine. »  Il  n'av.iit  pu  refuser  de  se  rendre  en  Allemagne, 
mais  arrivé  au  quartier  général,  il  repoussa  le  commande- 
ment que  Contades  lui  offrit  dès  le  premier  abord,  et  se 
borna  à  donner  des  conseils  qui,  à  en  juger  par  ses  épitres, 
durent  être  empreints  du  pessimisme  le  plus  outré.  Dans 
ses  lettres  t\  Bellcislj  (2)  on  ne  relève  pas  une  parole  d'es- 
poir ou  de  confiance;  l'esprit  de  l'armée  est  détestable, 
les  officiers  de  troupes  sont  ruinés,  les  malades  augmentent 
à  vue  d'oeil,  Munster  sera  pris,  d'Armentières  ne  pourra 
sauver  la  place.  «  Vous  me  trouvères  ne  voyant  pas  en  cou- 
leur de  rose,  mais  je  suis  obligé  d'arrêter  mes  yeux,  et 
dj  régler  mon  jugement  sur  ce  que  je  vois,  et  ceux  qui 
vous  diront  le  contraire  vous  tromîteront,  et  par  consé- 
quent le  Uoy.  Si  cette  armée  est  détruite  i)ar  la  fatigue 
ou  souffre  quelque  échec,  je  ne  vois  pas  où  S.  M.  en  prendra 
une  autre;  de  telles  circonstances  méritent  de  grandes 


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Mi  Slarhembers  à  Kaunitz,   14  siplombre  1759.  Archives  de  Vienne. 
(•>1  Estrécs  à  Bellcisle,  30  acit,  3  septembre  1759.  Archives  de  ia  Guerre, 
vol.  3y.>2. 


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90 


LA  GIIEIIRE  ni-:  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


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réflexions.  »  Le  post-scriptnm  vise  s;v  propre  responsabilité 
qu'il  entend  dégager  :  «  Je  vous  p/éviens  une  fois  pour 
tout,  monsieur  h\  maréchal,  que  je  n'entrcray  dans  aucun 
détail  des  opérations  journalières  de  l'armée,  et  je  m'en 
raporte  ù  ce  que  monsieur  le  mareschal  de  Contadcs  vous 
en  écrira.  »  A  lire  ces  extraits  on  constate  qu'an  lieu  de 
la  fermeté  et  de  l'entrain  nécessaires  j[)our  ranimer  les 
courages,  d'Estrées  fournit  une  note  de  plus  au  concert 
de  lamentations  et  de  plaintes  que  révèlent  les  correspon- 
dances. 

Il  faut  le  reconnaître,  la  tâche,  toujours  difficile  quand 
il  s'agit  de  rétablir  le  moral  d'une  troupe  battue,  était 
d'autant  plus  lourde  que  le  changement  dans  la  direction 
ne  s'elï'ectuait  qu'un  mois  après  la  défaite.  «  Il  trouvera, 
écrivait  un  officier  (1)  qui  avait  vu  le  maréchal  lors  oe  son 
passage  à  Francfort,  des  circonstances  incroyables  de  l'in- 
consistance actuelle.  L'armée  n'existe  plus,  c'est  une  sortie 
d'Egypte  dans  la  plus  grande  conl'usion.  Les  officiers  s'en 
vont  sans  ordres,  sans  permission,  se  disant  blessés  et  cou- 
rent les  villes.  On  leur  rol'use  icy  le  logement,  et  ils  se  plai- 
gnent fort.  Les  opinions  Liont  toujours  dans  le  môme  par- 

tag-e Il  faudrait,  pour  tout  remettre,  ou  la  présence  du 

maître,  ou  celle  d'un  prince  du  sang-,  ou  celle  du  maré- 
chal d'Estrées  comme  général C'est  un  miracle  si  nous 

sommes  icy  et  s'il  existe  une  armée.  Au  bout  de  25  lieues 
non  seulement  on  n'a  pas  été  remis,  mais  on  a  été  pis 
qu'au  premier  moment.  En  voicy  35  autres  qui  ont  encore 
empiré  les  dispositions.  »  Que  d'Estrées  comme  comman- 
dant en  chef  eût  porté  remède  aux  maux  signalés,  cela  est 
fort  douteux;  (juant  à  son  inefficacité  comme  conseiller 
non  responsable  d'un  général  discrédité,  elle  fut  bientôt 
démontrée. 

Le  i  septembre,  après  avoir  passé  près  de  deux  sc- 


(1)  Leltre  non  signée.  FrancforI,  2i  août  1759.  Archives  de  la  Guerre,  3521. 


DISCUSSION'  SUR  LA  CONSERVATION  DK  MUNSTER. 


01 


niîiincs  dans  la  région  de  Marburg,  les  Franruis,  sur  l'avis 
d'un  mouvement  tonnant  de  l'ennemi  sur  Wetziar,  se 
rotirèront  sur  (iiessen  et  se  cantonnèi'cnt  sur  les  bords  de 
la  babn  où  ils  demeurèrent  jusqu'au  commenceme.it  de 
décembre.  Marburi;',  abandonné  à  son  sort,  capitula  le 
11  septembre  après  deu\  jours  d'une  canonnade  qui  ne 
coûta  à  la  garnison  que  quelques  hommes  tués  et  blessés, 
et  personne  à  l'assiégeant;  le  lieutenant-colonel  Duplcs- 
sis  et  ses  800  hommes  se  rendirent  prisonniers  de  guerre. 
Pendant  le  séjour  des  armées  rivales  aux  environs  de  Mar- 
burg,  il  n'y  avait  ou  que  des  affaires  cVavant-postes  ;  la 
seule  de  quelque  importance  fut  la  surprise  à  \Velter  du 
corps  de  Fischer  qui  s'en  tira  avcf  une  perte  de  300  à 
VOO  hommes.  Par  contre,  on  avaii  fait  de  part  et  d'autre 
des  détachements  considérables  pour  la  Westphalie;  le 
20  août,  le  général  Imboil' était  parti  (1)  avec  cinq  batail- 
lons et  deux  régiments  de  cavalerie  pour  renforcer  lo  petit 
corps  de  Boyd  chargé  du  blocus  de  Munster.  Le  27  du 
même  mois,  Armentières  avait  quitté  le  quartier  général 
pour  prendre  le  commandement  des  troupes  du  lias-Uhin, 
fortes  de  l.'J.OOO  hommes  environ,  dont  moitié  milices.  De 
son  nouveau  camp  sous  les  murs  de  Giosscn  Contades  lui 
envoya  huit  bataillons  choisis  parmi  ceux  (|ui  avaient  été 
les  plus  éprouvés  à  Minden  et  dont  le  total  ne  dépassait 
pas  3.  VOO  fusils. 

Fallait-il  essayer  de  se  maintenir  à  Munster?  Les  deux 
maréchaux  et  Voyer  d'Argenson  qui  servait  sous  Armen- 
tières étaient  de  cet  avis;  aux  yeux  de  lîelleisle,  au  con- 
traire, ce  projet  ne  pouvait  se  concilier  avec  la  décision 
prise  de  faire  hiverner  la  grande  armée  entre  la  Lahn  et 
le  Mein.  «  Le  point  délicat,  écrivait  le  ministre  (2),  et  qui 
mérite  d'être  exécuté  bien  à  propos,  cstdc  névacuei  Muns- 


(1)  Redon,  Fcldzug  der  allierlcn  Année,  vol.  II,  p.  75. 

(î)  Relleislc  à  Contades,  10  st:|ileiubre  i'.td.  Archives  de  la  Guerre,  3r)22. 


92 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


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ter  ni  trop  tôt  ni  trop  tard;  il  serait  à  désirer  qu'on  fit 
croire  à  M.  le  prince  Ferdinand  que  nous  voulons  occuper 
Munster  en  force  pendant  l'hiver.  » 

De  son  côté,  Ferdinand  attachait  trop  d'importance  à  la 
possession  de  la  ville  pour  ne  pas  persévérer  dans  ses  efforts 
tendant  à  la  recouvrer.  Le  siège  ou  plutôt  le  blocus  eu 
avait  été  commencé  après  Minden  par  le  colonel  Boyd  avec 
ce  (juon  avait  prélevé  sur  les  garnisons  de  Lippstadt  et 
de  Hameln,  et  avait  été  continué  par  le  général  ImhoU". 
(le  dernier,  dès  son  arrivée  sous  les  murs  de  la  place,  se 
montrii  convaincu  de  l'impossibilité  de  la  tâche  qui  lui 
avait  été  confiée.  «  Estorfl",  écrit  \Ves*;;\'alen  (l),'a  vu,  en 
passant  près  de  Munster,  M.  d'Imhofï',  Cet  homme  voit 
noir;  il  désespère,  puisqu'il  a  trouvé  vis-à-vis  de  lui  un 
moulin   à  vent   retranché.  Le  duc  lui  a   écrit  dans  les 

termes  les  plus  forts le  duc  est  bien  à  plaindre  avec 

ces  gens-là.  C'est  le  meilleur  général  que  nous  ayons;  ju- 
gez du  reste.  »  Le  pronostic  de  Weslphalen  était  fondé;  à 
l'approche  d'Armentières,  Imholf  leva  son  camp  et  se  retira 
à  Telligt.  Le  général  français  (2)  entra  à  Munster  sans  op- 
positiou,  y  séjourna  du  6  au  11  septembre  et  retourna  à 
Wesel  après  avoir  renforcé  la  garnison  de  (iOO  hommes. 
D'après  Westphalen  (3),  Imhoff  aurait  reculé  jusqu'au  We- 
ser  sans  les  ordres  positifs  qu'il  reçut  de  rester  enWest- 
phalie.  Aussitôt  Armentières  parti,  le  blocus  fut  rétabli; 
il  fut  troublé  le  16  octobre  par  une  sortie  heureuse  des 
Français;  les  Jianovriens,  surpris,  perdirent  un  canon,  un 
drapeau,  pins  de  200  hommes  dont  moitié  prisonniers  et 
beaucoup  de  bagages  et  d'armes   Ce  ne  fut  qu'aux  pre- 


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(1)  Weslplialon  ù  Ilai'nichon.  Wetter,  2  septembre  1759.  Weslphalen,  III, 
755. 

(2)  Armenlièies  ù  Relleislc.  Munster,  6  septembre  1759.  Arcliives  tle  la 
Guerre,  .3522. 

(3)  Weslplialen   à  Ilaeniciien.  Nleder-Weymar,  IG  septembre  175'.».  Wesl- 
phalen, III,  773. 


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LES  DEl.X  ARMÉES  SUR  LES  BORDS  DE  LA  LAHN. 


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miers  jours  de  novembre  que  les  opérations  furent  sérieu- 
sement reprises;  celle  du  siège  fut  transférée  au  comte  de 
Buckeburg-,  tandis  (ju'Iraboir  fut  relégué  ou  commande- 
ment de  l'armée  d'observation. 

Kevenous  à  la  Lahn  où,  à  la  lin  de  septembre,  les  ai- 
mées principales  étaient  postées  vis-tY-vis  l'une  de  l'autre 
sur  les  bords  opposés  de  la  rivière,  les  Français  depuis 
Dudenboven  jusqu'à  Giessen  avec  un  fort  détacbement  en 
garde  tlauc  à  Wctzlar;  les  confédérés,  en  face,  éclielonnés 
de  liotbeim  jusqu'à  StaufTcuberg-,  couverts  à  droite  par  les 
divisions  Wangenheim  et  lievern,  à  gauche  par  le  prince 
de  Holstein.  De  part  et  d'autre,  on  travaillait  sans  relAche 
aux  batteries,  redans  et  tranchées,  de  manière  à  rendre 
toute  attaque  sinon  impossible  au  moins  fort  coûteuse. 
Malgré  ces  préparatifs  de  défense,  Contades  et  Kstrées, 
préoccupés  de  la  question  des  subsistances  qu'il  fallait  tirer 
de  Francfort,  parlaient  (1)  de  battre  en  retraite  sur  Fried- 
bcrg.  Broglie,  continuant  son  rôle  de  mentor  du  général 
en  chef,  avait  produit  un  mémoire  préconisant  la  destruc- 
tion des  fortifications  de  Giessen;  la  proposition  fut  ap- 
prouvée à  Paris  et  reçut  un  commencement  d'exécution, 

A  l'armée  française  on  n'était  pas  d'accord  sur  la  situa- 
tion numérique  :  à  eu  croire  les  états  du  major  général  Cor- 
nillon,  malgré  le  départ  des  Saxons  renvoyés  se  refaire  <\ 
Francfort  et  des  bataillons  détachés  sur  le  Bas-Uhin,  l'in- 
fanterie seule  comptait  42.000  présents  sous  les  armes; 
au  dire  des  maréchaux  (2),  ces  chiffres  étaient  exagérés; 
les  bataillons,  l'un  dans  l'autre,  ne  devaient  pas  être  éva- 
lués à  plus  de  'i.50  hommes  ;  on  ne  pouvait  tabler  sur  un 
•îll'ectifde  plus  de  50.000  comprenant  infanterie,  cavalerie, 
artillerie  et  troupes  légères  ;  les  confédérés  au  contraire, 


(1)  Cotilatk's  àUelIcisle,  IS.  20,  2!)  seplembie  1759.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Coiilades  à  Belleisle.  Klein  Lines,  25  septembre  1"J'J.  Mémoire  de  la 
uirnie  dale. 


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94 


LA  GUEUHE  DE  SKPT  ANS.  -  CHAP.  III. 


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gi'Ace  il  l'arrivée  des  recrues  et  à  la  désertion  des  soldats 
allemands  du  Roi,  atteignaient  le  chiffre  de  58.000. 

Si,  du  quartier  ii^énéral  de  Contades,  nous  nous  trans- 
portons dans  celui  de  Ferdinand,  nous  relèverons  dans  la 
correspondance  de  ce  dernier  les  mômes  complaintes  sur 
la  supériorité  de  son  adversaire.  C'est  cette  raison  qu'il  in- 
voque pour  ajourner  le  concours,  ne  serait-ce  que  de  .'>.000 
hommes,  dont  le  roi  de  Prusse  ne  cessait  de  solliciter  l'en- 
voi en  Saxe.  Et  cependant  le  nouvel  appel  que  lui  adressa 
Frédéric  (1),  après  la  capitulation  de  Dresde,  était  bien 
pressant  :  «  Si  vous  ne  pensez  pas  promptemcnt  me  secou- 
rir, songez  qu'il  n'en  sera  plus  temps,  et  à  quoi  serviront 
vos  progrès  si  vous  me  laissez  accabler,  .le  ne  grossis  point 
les  objets,  je  vous  mande  la  pure  vérité,  je  vous  prie  d'y 
faire  des  réflexions  sérieuses;  à  moins  d'un  miracle  ou  de 
vos  secours,  je  suis  perdu  sans  ressource.  »  Ferdinand  fait 
la  sourde  oreille  et  (2)  se  confond  en  excuses  :  «  La  prise 
de  Dresde  me  fait  une  peine  infin'9,  et  ce  qui  l'augmente, 
c'est  que  V.  iM.  parait  croire  que  je  ne  fais  pas  en  cette  ren- 
contre ce  que  je  devais  faire....  Si  je  détache  4  à  5.000 
hommes,  puis-je  espérer  d'arrêter  l'armée  ennemie,  (|ui  de- 
puis l'arrivée  de  M.  d'Estrées  cherche  tous  les  moyens  d'a- 
vancer de  nouveau?...  J'ai  fait  des  petits  détachements  en 
Saxe  pour  alarmer  et  pour  partager  l'attention  du  prince 
de  Deux-Ponts.  Si  la  saison  est  plus  avancée,  je  pourrai 
faire  davantage  et  agir  avec  vigueur.  »  Le  véritable  motif 
du  refus  était  le  désir  de  recouvrer  Munster  avant  toute 
expédition  excentrique.  «  Après  la  prise  de  Munster,  écrit  (3  ) 
Westphalen  au  prince,  on  verra  s'il  sera  possible  de  faire 


(1)  Frédéric  à  Ferdinand,  Waldow,   7  septembre  1759.  Correspondance 
politique,  XVIII,  p.  523. 

(2)  Ferdinand  à  Frédéric,  Nieder  Weymar,  13  septembre   1759.  ^VeslI)ha- 
len,  III,  ]).  7()7. 

(3)  Westphalen  à  Ferdinand,  28  septembre  1759.  État-major  général,  Ber- 
lin, C.  X,  325. 


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BROGLIG  nÉSIGNÉ  POLll  LK  COMMANDEMENT  EN  CIIEI' 


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une  diversion  en  laveur  du  roi  de  Prusse  ou  non.  »  En  effet, 
la  faiblesse  de  ses  clVectifs  (lu'alléguait  le  prince  Ferdi- 
nand, ne  l'empêcha  pas  de  renforcer  Iniliolf  (1)  de  cinq 
ré,L;inîerits  de  cavalerie,  six  bataillons  et  un  train  de  grosse 
artillerie,  I^e  blocus  de  Munster,  dont  ce  général  était 
chargé,  n'était  rien  moins  (ju'eflicace;  Armentières  restait 
en  communication  avec  la  ville  et  avait  pu  y  faire  entrer 
un  convoi  de  vivres  et  de  nu. .allons.  D'autre  part,  les 
Français  avaient  acquis  sur  le  Kliin  un  solide  point  d  apjini 
par  l'occupation  de  la  forteresse  d'Elirenbreitstein  dont 
les  portes  venaient  de  leur  être  ouvertes  après  de  longs 
pourparlers  qu'avait  tranchés  en  leur  faveur  l'apparition 
d'un  parti  hanovrien. 

Vers  cette  môme  époque,  c'est-à-dire  dans  les  derniers 
jours  de  septembre,  une  importante  décision  fut  adoi)tée 
à  Versailles.  Au  sein  du  gouvernement  le  mécontentement 
devenait  de   plus  en  plus  marqué;  Clioiseul  ne  dissimu- 
lait (2)  pas  A  Starhemberg  le  souci  que  lui  causait  la  con- 
duite des  opérations  en  Allemagne  :  ((  Je  crains  fort  qu'a- 
vant la  fm  de  la  campagne  les  ennemis  ne  soient  maîtres 
de  Landau  et  notre  armée  chassée  au-delà  du  Uhin;  dans 
ce  cas,  nous  ne  repasserons  plus  cette  rivière  de   toute 
la  guerre,  et  il  faudra  regarder  la  guerre  d'Allemagne 
comme  Unie  pour  nous.  »  Si  on  abandonnait  la  ligne  du 
Mein,il  était  résolu  î\  donner  sa  démission.  Interrogé  sur 
les  motifs  d'un  pareil  abattement,  le  ministre  se  répandit 
en  plaintes  sur  le  compte  d'Estrées,  et  finit  par  prier  Star- 
hemberg de  lui  écrire  un  billet  qu'il  pourrait  montrer  au 
lloi  et  dans  lequel  l'ambassadeur  conseillerait  la  nomina- 
tion de  Broglie  à  la  tète  de  l'armée.  Bien  que  l'Autrichien 
se  fût  refusé  à  une  démarche  aussi  compromettante  sans 


(1)  Ferdinand  à  Frédéric.   Kroftdorf,  il   octobre  1"5'J.    Weslpbalcii,  111, 
p.  831. 

(2)  Starlicmberg  à  Kaunilz,  '2i)  septembre  I75"j.  Archives  de  Vienne. 


00 


LA  GUERRE  DE  SEl'T  ANS. 


cn.vp.  Ht. 


instruction  positive  de  sa  cour,  il  s'employa  (1)  à  vaincre 
la  résistance  que  la  toute-puissante  M""'  de  Pompadour 
faisait  encore  au  choix  de  ilroglie.  Il  y  réussit  d'autant 
mieux  (ju'elle  avait  toujours  été  hostile  à  d'Estrées,  que 
Contades  demandait  lui-mémo  à  être  relevé  de  ses  fonc- 
tions, et  que  Souhise,  le  candidat  préféré,  avait  été  all'ecté 
il  la  grande  entreprise  projetée  contre  l'Angleterre  et  n'était 
pas  disponible  pour  l'xVllemagne;  ces  personnages  écartés, 
il  ne  restait  que  Hroglie  au(juel  la  favorite  se  résigna  mal- 
gré la  méfiance  qu'elle  professait  pour  son  caractère  et 
pour  son  entourage. 

La  résolution  prise,  il  fallut  la  communicpiei-  aux  deux 
maréchaux,  iielleisle  eut  à  se  charger  d'une  tâche  (|ui  dut 
lui  sembler  particulièrement  ingrate;  aussi  avec  quelles 
circonlocutions  et  précautions  oratoires  leur  annonce- 
t-il  (2)  leur  rappel  et  leur  remplacement  prochain  par  le 
duc  de  Broglie  :  «  Je  sçais,  monsieur  le  maréchal,  écrit-il 
à  d'Estrées,  que  vous  n'ignorés  pas  toutes  les  menées  ([ue 
r(m  a  mises  en  œuvre  pour  d'une  part  accabler  M.  le  maré- 
chal de  Contades,  et  de  l'autre  exalter  M.  de  Broglie  jus- 
qu'aux quatrièmes  cieux;  il  est  parti  des  lettres  de  l'armée 
qui  ont  pullulé  au  centuple  A  Paris  et  même  à  Versailles. 
La  fermentation  était  déjà  assez  grande  avant  votre  départ  ; 
mais  depuis  elle  a  augmenté  à  l'infini;  on  ne  s'en  est  pas 
tenu  là,  on  a  fait  agir  à  Vienne,  à  Pétersbourg,  à  Stock- 
holm, à  Copenhague,  et  dans  toutes  les  autres  cours  d'Al- 
lemagne, d'où  il  est  venu  également  des  lettres  par  les 
ministres  du  Uoy,  ou  ceux  des  Princes  qui  sont  en  France, 
qui  demandent  tous  que  le  Roy  fasse  commander  son  ar- 
mée par  M.  le  duc  de  Broglie.  M.  de  Starhemberg  a  eu  à  ce 
sujet  mission  en  forme  de  M.  le  comte  de  Kaunitz,  »  Mal- 
gré les  précédents  du  prince  Charles  de  Lorraine  et  du  ma- 


(1)  SUrhemberfi  à  Kaunil/.,  20  septembie  1750.  Aicliives  de  Vienne. 

(2)  Bclleisle  à  Estrées,  27  septembre   1759.  Archives  de  la  Guerre,  3523. 


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UAI'PEL  DESTRKES  ET  DE  CONTADES. 


97 


réchal  Apraxin  iV  propos  desquels  les  cours  alliées  étaient 
intervenues,  le  Hoi  n'oiU  pas  cédé  <■  si  M.  de  Contades 
comme  un  tn's  lionncHc  homme  et  un  zélé  serviteur  du 
lloy  n'était  venu  do  luy-méme  au-devant  par  des  lettres 
particulières  (lu'il  a  écrites  il  M"'"  de  Pompadour  et  à  moy, 
où  il  oUrc  et  demande  mémo  de  cjuitter  le  commandement 
de  l'armée,  ne  désirant  autre  chose  que  de  conserver 
l'estime  et  les  bontés  du  Roy.  » 

Alin  de  sauver  les  apparences  et  de  ménager  Tamour- 
propre  de  Contades  et  des  lieutenants  généraux  plus  an- 
ciens que  Brog'.ic,  ce  dernier  était  appelé  il  Paris  pour  re- 
cevoir ses  instructions  et  ne  rejoindrait  son  poste  <[ue  vers 
la  lin  d'octobre  «  <[ui  est  à  peu  près  le  temps  où  l'on  songe 
sérieusement  aux  (quartiers  d'hyver.  »  Belleisle  s'occupe 
ensuite  d'Estrées  :  «  Quant  à  ce  qui  vous  regarde,  Mon- 
sieur le  Maréchal,  votre  situation  est  fort  différente  de  celle 
de  M.  de  Contades,  vous  n'avez  eu  qu'une  commission  mo- 
mentanée avec  pleine  liberté  d'abréger  ou  de  prolonger 
votre  séjour  suivant  (juc  vous  le  jugeriez  le  plus  utile; 
votre  zèle  vous  a  porté  à  le  prolonger  jus([u'à  la  fin  de  la 
campagne;  ainsi  il  sera  tout  naturel  que  vous  reveniez  en 
même  temps  que  le  maréchal  de  Contades  après  avoir 
concerté  le  plan  général  des  quartiers  d'hyver,  où  vous  ne 
pouvez  estre  que  très  utile  on  ce  que  vous  otes  bien  plus 
eu  état  d'en  imposer  à  M.  le  duc  de  Broglie  que  M.  de  Con- 
tades et  que  tout  autre »> 

A  la  suite  de  cette  décision,  Broglie  se  rendit  à  Paris, 
et  les  deux  maréchaux  restèrent  au  quartier  général.  F^e 
mois  d'octobre  se  passa  sans  incidents  importants,  les 
deux  armées  séparées  par  la  Lahn  et  détachant  des  troupes 
l'une  et  l'autre  au  secours  d'Imholl' et  d'Armentières.  Alors 
(jue  Broglie,  quand  il  se  trouvait  sur  les  lieux,  avait  sou- 
tenu le  démantèlement  de  Giessen,  depuis  son  arrivée  en 
France  il  était  d'accord  avec  la  cour  pour  le  maintien  des 
fortifications.  Au  ministre  qui  insiste  dans  ce  sens,  Conta- 


GUEUnE   DE   SEPT  ANS.    —   T.    III. 


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LA  (iUEHUK  I)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III 


des  répond  (1)  non  sans  ironie  :  «  Sur  la  proposition  do 
M.  de  nrof;lie,  nous  vous  avons  |)ro|)osé,  M.  le  marrchal 
d'Estrées  et  moi,  d'évacuer  et  démolir  (iiessen.  Il  pense 
aujourd'hui  ([u'il  faut  conserver  la  place.  Qu'il  vienne  donc 
ici  le  plus  tAt  possible.  »  D'F^strées  a  liAtc  de  partir  (2)  : 
((  Vraisemblablement  M.  de  Hroglie  sera  ici  avant  le  1"', 
je  n'y  aurai  i)lus  all'aire,  étant  trrs  déterminé  à  n'avoir 
d'autre  avis  (|ue  le  sien.  » 

Enfin,  le  !2  novembre  tard  dans  la  journée,  le  nouveau 
généi-al  en  chef  arriva  au  quartier  général  de  Klein  Lines; 
l'entretien  entre  son  prédécesseur  et  lui  ne  se  prolon- 
gea pas  longtemp.s,  car  Contades  était  déjà  en  route  îc 
lendemain  î''  six  heures  du  matin.  Son  dépai  t  avait  été  pré- 
cédé par  ceux  du  maréchal  d'Estrées,  des  ducs  de  Hrissac, 
rVievreuse  et  Fit/james,  du  prince  de  Heaulfrcmont,  du 
marquis  de  Sourches,  du  chevalier  de  Nicolaï,  et  des  com- 
tes de  Noailles  et  d'Anlezy,  tous  lieutenanlo  généraux  plus 
anciens  de  grade  (juc  Hroglie.  A  l'état-major,  Monteynard, 
maréchal  des  logis  général,  Cornillon,  major  général  de 
l'infanterie,  Fumel,  major  général  de  la  cavalerie,  furent 
remplacés  dans  leurs  fonctions  respectives  par  le  comte  de 
Jlroglie,  l'ancien  ambassadeur,  Belzunce  et  Lameth.  D'a- 
près un  témoin  impartial,  le  prince  Ferdinand  (3),  Broglie 
aurait  été  bien  accueilli  par  la  troupe.  «  Le  soldat  ennemi 
paraît  fort  content  du  nouveau  général  ;  il  n'en  est  pas  de 
même  des  officiers  et  surtout  des  généraux.  » 

Si  l'on  peut  s'en  rapporter  aux  états  mensuels  dont  nous 
avons  vu  contester  l'exactitude  par  Contades  et  Estrées, 
l'armée  française  campée  sous  (Iiessen,  sans  compter  par 
conséquent  les  garnisons  de  la  Wetteravie  et  des  bords  du 
iMein,  donnait  comme  elTectif  présent  sous  les  armes  un  peu 

(1)  Contades  à  Bolleislo,  Klein  Lines,  19  octobre  1759.  Archives  Guerre,  :{524. 

(2)  Estrées  àHelleisle,  Klein  Lines,  1!)  ocloi)re  1759.  Archives  Guerre,  3.524. 

(3)  Ferdinand  à  Iloldernesse,  Kroffdorf,  8  novembre  1759,  Military  Expé- 
ditions. Record  Olïice. 


J  , 


DISCUSSION  SIR  LA  CONSKnVATION  DE  MUNî-TKR. 


nit 


plus  (le  VO. ()()()  fantassins  (ît  11.000  cavaliers  montés,  soit 
on  y  ajoutant  les  troupes  h'gùres,  d'ailleurs  fort  délabrées, 
un  grand  total  de  ÔV.OOO  coiuliall'Jits.  Son  adversaire 
n'en  avait  pas  autant  :  «  La  supériorité  de  l'armée  fran- 
çaise, écrivait  Ferdinand  au  commencement  de  novem- 
bre (1),  sur  celle  de  S.  .M.  est  avouée  de  tout  le  monde.  On 
sait  le  nondire  des  bataillons  et  des  escadrons  de  l'un  et 

de  l'autre le  pied  de  l'armée  alliée  ne  surpasse  pas 

5i.n00  hommes  et  il  m'a  fallu  en  employer  une  bonne 
partie  pour  les  garnisons  de  iMinden,  de  Lippstadt  et  de 
llameln.  »  Dans  une  lettre  du  11  octobre  (2),  Ferdinand 
évaluait  à  17.000  hommes  les  troupes  servant  en  West- 
phalie;  depuis  lors,  il  avait  expédié  à  ImhoU'  un  nouveau 
détachement  de  3.000;  aussi  en  faisant  la  part  d'atténua- 
tions de  calcul  nécessaires  pour  justifier  la  demande  de 
renforts  (pi'il  adressait  au  cabinet  anglais,  est-il  difficile 
de  lui  attribuer  plus  de  VO.OOO  hommes  sur  la  Lahn.  Les 
deux  armées  soulfraient  du  froid  et  du  mauvais  temps, 
les  chevaux  beaucoup  plus  que  les  hommes  ('.))  qui  avaient 
du  bois  en  abondance  et  étaient  bien  baraqués.  Un  des 
premiers  soins  de  Hroglie  avait  été  de  faire  venir  des  ca- 
potes et  des  gilets  en  magasin  à  Francfort  pour  les  dis- 
tribuer aux  soldats. 

Jusqu'à  quelle  époque  serait-il  possible  de  conserver 
(liossen  et  Munster.'  Telle  était  la  question  qui  se  débat- 
tait entre  le  ministre  de  la  (luerre  à  Versailles  et  lesgéné- 
laux  des  armées  d'Allemagne.  «  Nous  connaissons  tous, 
écrivait  Belleisle  Ci.),  combien  il  eût  été  utile  de  pou- 
voir occuper  en  force  Munster  pendant  l'hiver.  »  Mais  des 


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(1)  Ferdinantlà  IloUlernesso,  KrofTdorf,  7  novembre  17r)9.  Record  Office. 

(2)  Ferdinand  à  Hohiernesse,  Kroll'dorf,  11  octobre  175!».  Record  Office. 

(3)  Brot!,lic  à   Belleisle,  Klein  Lines,  5   novembre  l'.VJ.  Archives   Guerre 
Granby  à  Holdernesse,  Kroff'dorf,  i;t  novembre  17ô9.  Record  Office. 

(4)  Belleisle  à  Broglie,   10   novembre  17.59.  Archives  Guerre.  Allemagne, 
33'25. 


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100 


LA  GUERKE  1)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


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nisons  politiques  avaient  fait  (iéeider  le  muiution  <!ii  gros 
de  l'année  dvi  c6té  dit  Mein  et  de  la  Kalin,  aussi  Itien 
(|uc  le  renvoi  de  2'i.  bataillons  en  Kranc»*.  (ïela  étant,  «  il 
n'y  a  pas  assés  d'étoile  pour  tenir  Munster  avec  une  garni- 
son suffisante,  avec  hupielle  inéme  il  serait  impossible  de 
communiquer;  d'y  en  laisser  une  médiocre,  c'est  l'exposer 
à  une  perte  certaine.  Les  ennemis  ont  acluelleineiit  l>  .1 
7.000  prisonniers  à  nous.  Il  serait  bien  imprudent  d'en 
augmenter  encore*  le  nombre  p:'es(|ue  avee  certitude,  c'est 
ce  qui  m'a  déterminé  à  mander  A  M.  d'Armentières  de  se 
borner  à  mettre  dans  Munster  les  munitions  et  les  vivres 
nécessaires  pour  jusqu'au  mois  de  janvier,  afin  de  pouvoir 
tenir  dans  celte  place  jusqucs  à  la  lin  de  cette  campagne.  » 
Pour  effectuer  ce  ravitaillement  partiel,  Armentières  aurait 
besoin  d'être  su|)érieur  A  ImliolF;  aussi  si  le  prince  Ferdi- 
nand envoyait  de  nouveaux  détachements  en  Wcstphalie, 
lU'oglie  était-il  invité  il  faire  de  môme,  tout  en  choisis- 
sant pour  ce  renfort  ce  qui  restait  des  ik  bataillons  des- 
tinés à  rentrer  en  Krance.  Mais  le  commandant  en  chef 
n'entendait  pas  acquiescer  à,  cette  demande;  hypnotisé 
pjir  l'ennemi  qu'il  avait  en  lace  de  lui,  il  craignfiit  de  s'af- 
fîùblir  et  écrivait  à  Armentières  qu  il  ?ie  pourrait  lui  l'aire 
parvenir  des  secours  qu'après  la  dislocation  de  r:a  propre 
armée. 

Ce  moment  qui  était  en  réalité  encore  loin  paraissait 
proche,  car  les  intempéries  de  la  saison  et  les  diflicultés 
d'approvisionnement  rendaient  la  situation  des  t.oupcs 
cantonnées  le  long  de  la  L.ibn  de,  plus  en  plus  pénible. 
<(  Vous  avez,  Monsieur,  écrivait  (lucrchy  (l),  depuis  (juel- 
ques  jours  les  pieds  bien  chauds;  il  n'en  est  pas  de  môme 
des  nôtres  qui  sont  bien  humides  depuis  que  vous  nous 
avez  quilles  et  que  vous  avez  été  remplacé  par  une  pluie 


(I)  i. 'jrdiy  A  un  t^mi,  Klein  Liiies,  13  novembre  17.'>U  Aicliivus  (lueiTC. 
Allemagne,  :)525. 


SODI  TRANCKS  DES  DEUX  *I\MKF,S 


101 


«sso/-  confilanto,  parfois  un  peu  do  ncigo.  »  Au  dii'o  do 
Hrof^lio  (1),  Ifî  [)iiin  arrivait  on  relard,  les  haracjuosôlaiont 
pleines  d'oan;  le  soldat  niancpiait  de  paille,  et  pour  cond)le 
do  malheurs  le  trésorier,  à  bout  do  fonds  vA  sam;  crédit, 
ne  trouvait  plus  A  osconipler  ses  traites  chez  les  iiancpiicrs 
de  Franefort.  Hroglij  résume  ainsi  ses  doléances  :  «  La  be- 
sogne devient  encore  plus  difficile  lorsqu'il  (le  ijénéral)  a 
en  tête  un  ennemy  (jui  a  jiisiju'icy  donné  l'ordre,  dont 
l'armée  est  plus  iiouïhreuso  (pie  celle  du  Uoy,  et  qui  paye 
tout  argent  comptant.  <'/est  à  regret  que  je  fais  lY  Sa  Ma- 
jesté un  exposé  aussy  pou  agréable Je  vous  prie  de  luy 

répéter  encore  ce  que  j'ay  e(i  l'honneur  de  lui  dire,  que  jo 
suis  extrêmement  éloigné  de  me  croire  les  talons  nécessai- 
res pour  sup|)léer  à  tant  do  ciuises  qui  manquent  icy,  et 
commander  son  armée  dav^  des  circonstances  aussi  criti- 
(jucs.  »  ('.omm(>  conclusion,  il  annonce  son  <lessein  de  lover 
son  camp  actuel,  do  laisser  dans  (iicssen  une  garnison  de 
2.0(K)  l'ommerj  et  de  se  retirer  sur  Friedberg. 

Néanmoins,  l'exécution  de  cette  décision  fut  itjonrnée 
jusqu'au  5  décembre.  IVudautles  trois  dernières  semaines 
du  séjour  sur  la  Lahn,  la  situation  ne  s'était  guère  amé- 
liorée; «  Urogiie,  écrit  Wostphalen  (2),  a  mis  la  plus 
grande  partie  de  sa  cavalerie  en  cantonnement  derrière  le 
camp;  il  ne  veut  céder;  nous  ne  voulons  céder  non  plus; 
celui  qui  peut  supporter  le  mieux  la  faim  sera  appareiu- 
mcnt  le  dernier.  Il  a  fait  bien  mauvais  temps;  dix  jours 
de  pluie?  continuelles  avaient  lollomont  rompu  les  che- 
uîinsquo  tous  les  transports  manquaient  tout  d'un  couj». 
Songez  si  nous  avons  été  (embarrassés.  »  Chez  les  l''i'iincais 
les  jtrivatiouK  étaient  pareilles,  mais  les  difficultés  comuju- 
nes  étaient  aggravées  parle  maiupie  d'argent,  tant  pour 


: 


{l)nroRliR  h  BnlIcislR,  Kkin  Linos,  ir>  novembre  17.VJ.  Arcliivcs  fiiirrro. 
AlItMiiajçnc,  ;irr.>5. 

('?.)  NVcslplialon  A  Ilaoiiic)i(>n ,  Krofftîorf,  '}.0  novcmlir»'  t7l.<).  \Vi»sl|>lialon, 
111, 1».  8<V'. 


103 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI»,  III. 


0 


1"^ 


les  l)esoins  inim/kliats  que  pour  l'jichal  des  approvision- 
nements d'hiver;  l'état  de  la  caisse  était  devenu  le  prin- 
cipal souci  de  Broglic  :  «  Je  vous  répète  (1)  que  le  prêt  va 
manquer  pour  le  soldat  et  la  solde  de  l'officier,  que  l'en- 
trepreneur de  la  viande  est  sur  le  point  de  n'en  plus  four- 
nir, que  le  munilionnaire  est  dans  le  même  cas  pour  le 
pain,  que  l'artillerie  n'a  pas  de  quoy  acheter  de  l'avoine 
pour  ses  chevaux,  et  que  les  achats  et  rentrées  des  four- 
rages vont  totalement  cesser  faute  d'arqent.  Si,  comme 
j'ay  eii  l'honneur  de  vous  le  mander,  il  n'est  pas  pourvu  à 

l'argent  d'icy  à  huit  jours,  il  faut  licencier  l'armée Il 

y  a  beaucoup  de  mauvaises  positions  à  la  guerre  dont 
avec  de  l'activité,  des  soins  et  du  courage,  on  peut  se  ti- 
rer; mais  dans  le  cas  présent,  il  n'y  a  de  remède  que  de 
l'argent  et  sans  cela  il  faut  que  cette  armée  périsse  vrai- 
semblablement même  avant  la  fin  de  l'année.  » 

Une  opération  heureuse  des  confédérés  contre  les  Wur- 
tembourgeois  ne  fut  pas  sans  influence  sur  la  détermina- 
tion d'abandonner  les  lignes  de  (îiesscn.  A  la  suite  d'une 
convention  passée  avec  la  cour  de  Versailles,  le  duc  de 
Wurtemberg  avait  remis  à  la  disposition  de  la  France  Ips 
troupes  qui  avaiert  fait  la  campagne  de  1758  et  qui 
étaient  rentrées  chez  elles  à  la  fin  de  cette  année.  Ce  corps 
d'un  effectif  réel  de  10  à  11.000  hommes  était  venu,  fort 
à  propos,  remplacer  les  Saxons  très  diminués  par  la  déser- 
tion, qu'il  avait  fallu  reléguer  sur  les  derrières  de  l'armée. 
Aussitôt  les  Wurtembourgeois  mobilisés,  Broglie,  dans  le 
but  d'iuquiéter  la  gauche  du  prince  Ferdinand,  les  avait 
dirigés  sur  Fulde.  Arrivé  dans  celte  ville  le  20  novembre, 
le  duc  de  Wurtemberg,  qui  commandait  en  personne,  en- 
voya ses  hussards  Icvrr  des  contributions  dans  les  vallées 
de  la  Fulde  et  de  la  W  i-ra;  il  se  préparait  à  les  suivre  vers 
Alsfela  quand  il  fut  1    usquement  surpris  par  une  contre- 

(1)  Broglie  à  IJelleisle.  Klein  Lines,  27  novembre  1759.  Archives  de  la 
Guerre,  3525. 


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SL'RPKISE  ET  DÉFAITE  DES  WUUTEMBOURC.EOIS. 


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attaque  de  l'ennemi.  Le  prince  de  Hrunswick,  à  la  tôtede 
neuf  bataillons  et  de  douze  escadrons,  avait  filé  droit  sur 
Lauterbach,  en  avait  chassé  un  parti  de  cavalerie  fran- 
çaise, et  débouchait  le  30  novembre  en  vue  de  Fulde.  Le 
duc  de  Wurtemberg,  averti  trop  tard  de  l'approche  du 
prince,  n'avait  pas  eu  le  temps  de  rassembler  son  contin- 
gent éparpillé  de  tous  les  côtés;  il  essaya  de  résister  dans 
la  ville,  mais  l'infanterie  confédérée,  soutenue  par  son  ca- 
non, s'empara  des  ponts,  força  les  portes  et  coupa  la  l'e- 
traite  au\  défenseurs  dont  la  majeure  partie,  bousculée  par 
la  cavalerie,  fut  obligée  de  se  rendre.  Le  reste  se  retira 
à  Bruckenau  et  Uieneck  près  de  Gemunden;  de  son  côté, 
le  prince  de  Brunswick,  après  un  séjour  de  trois  jours  à 
Fulde,  rallia  l'armée  du  prince  Ferdinand,  Cette  all'aire 
coûta  aux  Wurtembourgeois  1.500  hommes  tués  ou  pris  et 
deux  canons.  Le  secret  de  l'expédition  avait  été  si  bien 
gardé  que  le  jour  même  du  combat,  Broglic  écrivait  (1)  au 
duc  :  «  Je  n'ai  aucune  nouvelle  que  ce  corps  (celui  du 
prince  hérédilaii'^)  ait  effectivement  marché,  quoique  j'aie 
beaucoup  d'espions  et  de  détachements  qui  ont  éclairé  la 
partie  d'Alsfeld.  » 

Pour  la  pointe  sur  Fulde,  le  général  du  roi  George  avait 
utilisé  des  troupes  qui  devaient  renforcer  la  division  d'Im- 
holf  ;  l'avis  de  la  capitulation  de  Munster,  apporté  le  2.'J  no- 
vembre, avait  permis  de  les  afTecter  à  une  autre  destination. 
Voici  ce  qui  s'était  passé  en  Westphalie  :  Armenticres  n'a- 
vait à  sa  disposition  qu'environ  9.000  fantassins  et  2.000  ca- 
valiers, forces  qui  lui  parurent  insuffisantes  pour  la  relève 
de  Munster.  Il  annonce  bien  (2)  son  intention  de  tenter  l'en- 
treprise, mais  les  réserves  dont  il  accompagne  sa  résolution 
ne  sont  pas  de  bon  augure  pour  la  réussite  :  «  J'ose  vous 


(1)  IJroglie  à  Wurtemberg.  Klein  Lines,  30  novembre  1759.  Archives  de  la 
Guerre. 

(2)  Armentiéres  H  Belleisle,  Dosstein,  15  novembre  I75y.  Archives  de  la 
•  '■lierre. 


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104 


LA  GUKllRK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IM. 


affirmer  que  je  marche  avec  la  volonté  d'un  homme  de 
g-uerre  déterminé  à  se  conduire  relativement  à  ce  qui  sera 
possible.  Le  combat  ne  sera  engagé  qu'avec  grande  appa- 
rence de  succès  et  le  désagrément  de  revenir  sans  rien  faire 
ne  me  fera  point  compromettre  mal  k  propos  les  troupes 
du  Koi.  »  Armentières  s'approcha  en  elfet  de  la  place  assié- 
gée, eut  le  19  novembre  une  affaire  d'avant-postes  avec 
Imhoff(iui  lui  barrait  le  chemin,  mais  croyant  ce  dernier 
bien  décidé  à  lui  tenir  tète,  il  renonça  à  toute  idée  de 
forcer  la  ligne  de  circonvallation  et  dépêcha  à  Goyon,  le 
gouverneur  de  Munster,  l'ordre  de  le  rejoindre  avec  sa 
garnison  dans  la  nuit  du  19  au  20;  puis,  après  quelques 
heures  d'attente  inutile,  il  se  retira  sur  Dorstein.  Un  peu 
plus  de  persévérance  de  la  part  d'Armentières  aurait  peut- 
être  amené  la  retraite  d'Imhoff  dont  la  fermeté  laissait  à 
désirer..  «  .l'ai  mauvaise  opinion  de  notre  homme,  écrivait 
Westphalen  (1),  depuis  qu'Armentières  a  passé  la  Lippe; 
il  dit  qu'il  faut  avoir  une  bonne  confiance  en  Dieu  pour 
croire  qu'on  puisse  être  sauvé.  Cet  honnête  homme  dé- 
courage tout  le  monde.  Il  est  si  rempli  de  peur  que  tout  ce 

qu'il  dit  et  tout  ce  qu'il  fait  s'en  ressent Le  pèlerin  se 

croit  sur  d'être  battu.  »  Goyon,  après  avoir  pris  l'avis  de 
son  second,  Boisclereau,  qui  avait  joué  un  rôle  brillant 
dans  la  défense,  jugea  impraticable  la  sortie  proposée  et, 
livré  à  ses  propres  ressources,  entra  en  pourparlers  avec 
l'ennemi;  il  obtint  les  honneurs  de  la  guerre  et  la  liberté 
de  la  garnison  qui  fut  dirigée  sur  Wesel.  Quoique  le  blocus 
de  Munster  se  fût  prolongé  longtemps,  les  travaux  réels 
du  siège  avaient  été  de  courte  durée,  les  tranchées  ayant 
été  ouvertes  dans  la  nuit  du  8  au  9  et  le  feu  des  batteries 
ayant  commencé  le  17  seulement. 

Il  était  à  prévoir  qu'une  partie  de  l'armée  assiégeante 
irait  renforcer  celle  du  prince  Ferdinand;  aussi  Broglie 

(!)  Westphalen    à  Haenichen,  Kroildorf,  20  novembre  175".».  Weslplialwi, 
III,  862. 


CAPITULATION  DE  MUNSTEll. 


105 


fit-il  (1)  à  Armcntières  une  demande  de  diversion  que 
celui-ci  accepta;  mais  les  g-laces  et  la  nécessité  de  re- 
plier les  ponts  sur  le  Rhin  firent  retarder  l'opération 
jusqu'aux  derniers  jours  de  décembre.  Ce  fut  seulement 
le  25  de  ce  mois  que  Voyer  put  mander  (2)  son  arrivée 
avec  6.000  hommes  à  Sieg-burg,  et  son  intention  de  franchir 
la  Sieg  et  de  gagner  Hackenburg.  Entre  temps,  Vogué, 
avec  une  division  de  la  grande  armée,  avait  pris  position 
h  Limburg  d'où  il  lui  serait  facile  de  donner  la  main  à 
son  collègue.  Ces  moavemenis  se  rattachaient  à  un  retour 
offensif  de  Broglie  à  qui  le  moment  avait  paru  pro- 
pice pour  recouvrer  le  terrain  perdu  en  Wettcravie  dans 
la  première  semaine  de  décembre.  Fidèle  à  sa  promesse, 
Ferdinand  avait  détaché  le  prince  de  Brunswick  en  Saxe 
au  secours  du  roi  de  Prusse,  avec  une  forte  division  de 
13  bataillons  et  19  escadrons  sur  lesquels  près  de  la  moi- 
tié avait  été  fournie  par  le  corps  d'imhoffen  Westphalie. 
Broglie,  dont  le  service  de  renseignements  était  très  dé- 
fectueux, n'eut  vent  que  le  17  ;^3)  d'une  expédition  qui  avait 
débuté  le  9.  Dans  sa  correspondance  avec  Belieisle,  il  se 
demande  ce  qu'était  devenu  le  prince  héréditaire  depuis 
les  incidents  de  Fuldc  ;  il  ne  comprend  pas  pourquoi  lo 
prince  Ferdinand  n'a  pas  commencé  le  siège  de  Giessen  que 
le  recul  des  Français  avait  abandonné  à  ses  propres  forces, 
mais  il  ne  soupçonne  la  vérité  que  plu;  ieurs  jours  après 
Tévéncment.  Enfin,  quand  le  doute  n'est  plus  permis,  il 
se  décide  à  reprendre  l'offensive  :  il  invite  Wurtemberg 
ù  couvrir  le  flanc  droit,  lui  annonce  pour  le  21  décembre  la 
marche  en  avant  sur  Giessen,  et  insiste  auprès  d'Armentiè- 
res  pour  la  prompte  exécution  de  l'opération  suspendue. 


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(1)  Broglie  à  Armenliùrcs,  Fiiedberg,  8  décembre  1759.  Archives  Guerre, 
3526. 

{'2)  Voyer  à  Muy,  Siegburg,  25  décembre  17.")9.  Arcliives  Guerre,  352G. 

(3)  Broglie  à  Wurtemberg,  Friedberg,  17  décembre  1759.  Archives  de  la 
Guerre,  3526. 


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LV  GUEURK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  m. 


Avant  (le  quitter  Friedberg,  Broglie  avait  rec-ii  de  Ver- 
sailles le  biVton  de  maréchal  do  France,  que  réclamaient 
pour  lui  ses  amis  depuis  la  victoire  de  liergen.  Cette  pro- 
motion, en  donnant  au  duc  un  rang  supérieur,  devait  avoir 
pour  conséquence  soit  la  mise  d'Armentières  sous  ses 
ordres  soit  le  rappel  de  ce  dernier.  Ce  fut  à  ce  parti  que 
s'arrêta  la  cour  :  Armentières  qui  s'était  rendu  à  Cologne 
pour  liAterles  préparatifs  de  l'expédition  sur  la  rive  droite 
du  Rhin,  y  apprit  à  la  fois  la  venue  de  son  successeur,  le 
chevalier  du  Muy,  et  la  nomination  de  Broglie  au  grade 
de  maréchal  de  France.  A  Belleisle,  il  ne  cache  pas  le  dé- 
pit que  lui  cause  l'avancement  de  son  collègue  :  «  Il  me 
pavait  (1)  que  sous  un  maréchal  de  France,  ministre  de  la 
(îuerre,  l'on  n'aurait  pas  dû  s'attendre  que  de  deux  lieu- 
tenants généraux  commandant  en  même  temps  deux  ar- 
mées séparées,  le  cadet  fût  fait  maréchal  de  France  et  l'an- 
cien laissé.  Cependant,  cet  ancien.  Monseigneur,  pourrait, 
je  crois,  demander  le  parallèle  entre  lui  et  son  cadet.  » 
La  nmtation  n'apporta  d'ailleurs  aucun  nouveau  retard 
dans  la  diversion  concertée  avec  Broglie;  le  25  décembre, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  Voyer  était  à  Siegburg, 
et  malgré  les  mauvaises  routes,  l'inondation  et  les  ponts 
coupés,  espérait  être  à  Ilackenburg  pour  le  30.  De  son  côté, 
Muy  qui  dirigeait  le  deuxième  échelon,  devait  partir  de 
Cologne  le  27. 

Ainsi  mises  en  train,  les  affaires  parurent  prendre  une 
tournure  favorable  pour  les  Français.  Le  2  janvier  17G0, 
Voyer,  après  une  marche  des  plus  pénibles,  opéra  sa 
jonction  avec  Vogué  qui  était  à  la  tète  de  l'extrême  gauche 
de  la  grande  armée;  leurs  forces  réunies  se  montaient  à 
environ  11.000  hommes.  Dès  le  lendemain,  ils  commencè- 
rent leur  entreprise  contre  la  ligne  de  communication 
du  prince  Ferdinand;  Vogué  enleva  le  bourg  de  Herborn 

(1)  Armentières  à  Belleisle,  Cologne,  25  décembre  1759.  Archives  de  la 
Guerre,  3526. 


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COMBAT  DE  DILLENIUJRG. 


107 


avec  sa  petite  garnison  do  120hoinnies;  Fischer  et  Dau- 
vet  prirent  possession  de  la  ville  de  Dillenburg  et  bloquè- 
rent la  citadelle  qui  refusa  de  capituler.  Ce  m»'  me  jour, 
Muy  entrait  à  lîackenburg  où  il  attendit  les  insti  actions 
du  général  on  chef.  Le  mouvement  de  Voyer  contre  la 
droite  des  confédérés,  les  démonstrations  de  Saint-Ger- 
main et  des  Wurtembourgeois  sur  leur  gauche,  enfin  la 
marche  des  Français  sur  C.iessen ,  déterminèrent  le  prince 
Ferdinand  à  lever  le  blocus  de  la  place  puis  à  abandonner 
la  position  sur  la  Lahn  qu'il  occupait  depuis  le  19  septem- 
bre. La  retraite  s'eil'ectua  le  5  janvier  sans  être  inquiétée 
par  Broglie  qui  se  contenta  de  remplacer  l'adversaire  dans 
les  cantonnements  évacués. 

Du  côté  de  la  Dille,  peut-être  Voyer  eùt-il  été  plus  en- 
treprenant sans  un  échec  qu'il  essuya  à  Dillenburg.  Peu 
soucieux  de  voir  le  château  tomber  entre  les  mains  des 
Français,  le  prince  Ferdinand  dirigea  sur  ce  point  une 
partie  de  la  division  Wangenheim;  l'opération  fut  si  heu- 
reusement conduite  que  non  seulement  la  forteresse  fut 
débloquée,  mais  que  le  détachement  français  chargé  de 
l'investissement  fut  détruit  ou  fait  prisonnier.  Les  Suisses 
du  régiment  de  Waldner  qui  le  composaient  se  défendirent 
avec  bravoure,  mais  leur  commandant,  le  brigadier  Para- 
vicini,  qui  avait  l'ordre  de  se  retirer  devant  un  ennemi 
supérieur,  se  laissa  envelopper  bien  que  l'approche  des 
confédérés  eût  lieu  dans  l'après-midi;  mortellement  blessé, 
il  expira  une  demi-heure  après  l'action  et  paya  ainsi  de  sa 
vicia  faute  commise.  Le  môme  7  janvier,  à.  peu  de  distance 
de  Dillenburg,  un  avant-poste  de  cent  dragons  du  régi- 
ment de  Beauffremont  fut  enlevé  par  un  parti  de  chas- 
seurs hanovriens  et  d'Écossais  sous  les  ordres  de  Luckner. 
Cet  officier  dont  la  réputation  grandissait  de  jour  en  jour 
venait  de  se  distinguer  quelques  jours  auparavant  en  sur- 
prenant et  capturant  le  lieutenant-colonel  de  Muret  avec 
une  centaine  d'hommes.  Ces  revers  et  la  reculade  de  Fis- 


10« 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  MI. 


(i 


cher,  chasse'"  de  Oher  et  Nieder  Schuden,  impressionnèrent 
Voyer  qui  se  liilta  de  rassembler  son  monde  à  Trudorf  et 
appela  Muy  à  son  secours.  Au  surplus,  la  pointe  des  llano- 
vriens,  en  dehors  des  pertes  matérielles  infligées  aux  Fran- 
çais, n'eut  d'autre  suite  que  celle  d'arrêter  l'offensive  de 
Voyer  et  de  ses  lieutenants. 

De  son  côté,  Broglie,  qui  avait  repris  son  ancien  quar- 
tier général  de  Giessen,  n'était  pas  disposé  à  recommencer 
la  campagne;  pour  débusquer  le  prince  Ferdinand  des 
environs  de  Marburg  où  il  s'était  posté,  il  aurait  fallu  un 
effort  sérieux.  Le  nouveau  maréchal  prépara,  à  la  vérité, 
un  projet  d'attaque  combinée  sur  les  cantonnements  en- 
nemis, mais  il  y  renonça  sur  les  observations  de  Saint-Ger- 
main qui  poussa  la  franchise  jusqu'à  déclarer  «  décousu  » 
le  plan  de  son  supérieur  et  à  lui  refuser  toute  chance  de 
succès.  Le  11  janvier,  les  ordres  furent  lancés  pour  la  dis- 
location t.e  l'armée;  le  13,  Broglie  (1)  quittait  Giessen  de 
nouveau,  et  après  un  séjour  de  quelques  jours  à  Fried- 
berg,  rentrait  à  Francfort.  Muy  et  Voyer,  avec  leurs  divi- 
sions respectives,  repassèrent  sur  la  rive  gauche  du  Khin  ; 
Tarméc  principale  s'établit  sur  la  ligne  du  Mein  et  de  la 
Lahn;  les  Saxons  et  Wurtembourgeois  depuis  Wurtzburg 
jusqu'à  Hanau,  l'aile  droite  sous  Saint-Germain  autour 
d'Aschaffenburg,  Vogué  à  Limburg  avec  l'aile  gauche.  Aus- 
sitôt informé  de  ces  mouvements,  le  prince  Ferdinand  se 
hâta  de  renvoyer  ses  troupes  dans  leurs  quartiers  d'hiver; 
Marburg,  Dillenburg,  Ilomburg  furent  munis  de  garnisons 
et  servirent  d'avant-postes,  la  division  anglaise  gagna  le 
territoire  d'Osnabriick,  les  confédérés  allemands  se  répar- 
tirent entre  la  Westphalie,  la  Hesse  et  l'cvéché  de  Pader- 
born.  Vers  la  lin  de  février,  le  prince  de  Brunswick ,  de 
retour  de  Saxe,  rejoignit  l'armée  et  à  partir  de  ce  moment, 
la  tranquillité  fut  complète. 

(1)  Broglie  à  Belleisle.  Friedberg,  ir.  janvier  1760.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3550. 


i 


FIN  DE  LA  CAMPAGNE. 


109 


Ainsi  se  termina  cette  longue  et  dure  campagne  si  bril- 
lamment commencée,  si  péniblement  achevée,  La  sauté 
des  troupes  était  excellente  ;  le  soldat  avait  montre  de  la 
confiance  en  son  nouveau  chef,  de  l'entrain  dans  les  dei - 
nières  opérations;  il  avait  supporté  avec  bonne  humeur 
les  épreuves  du  froid  et  de  la  fatigue.  Depuis  sa  prise  du 
commandement,  Bro^lie  avait  fait  preuve  de  décision  et 
de  volonté;  forcé  par  les  difficultés  de  ravitaillement  d'a- 
bandonner (iicssen,  il  avait  su  profiter  de  la  première  oc- 
casion pour  y  rentrer;  dans  la  lutte  de  ténacité  engagée 
sur  les  bords  de  la  Lahn  entre  les  généraux  rivaux,  il 
avait  eu  le  dessus  et  pouvait,  en  dépit  de  quelques  revers 
partiels  dont  la  responsabilité  ne  lui  incombait  pas,  se  tar- 
ituer  du  recul  de  son  adversaire.  Au  point  de  vue  général, 
la  campagne  de  1759  n'avait  rapporté  à  la  France  aucun 
profit,  car  l'hiver  de  1760  retrouvait  l'armée  à  peu  près 
dans  les  quartiers  qu'elle  avait  occupés  pendant  la  mau- 
vaise saison  de  1759.  Les  troupes  avaient  beaucoup  mar- 
ché, remporté  quelques  succès,  enlevé  des  magasins,  des 
places  fortes,  mais  en  fin  de  compte  elles  étaient  revenues 
au  point  de  départ;  des  conquêtes  éphémères  de  l'été,  rien 
n'avait  été  conservé.  Le  prince  Ferdinand,  avec  ses  soldats, 
véritable  amalgame  de  nationalités  diverses,  avait  repoussé 
l'invasion,  sauvé  le  terri*oire  des  princes  alliés,  repris  ses 
quartiers  d'hiver  eu  pays  ennemi;  bien  plus,  il  avait  pu 
détacher  au  secours  du  roi  de  Prusse  une  division  impor- 
tante tout  en  tenant  tête  à  l'ennemi  et  en  lui  infligeant 
même  des  échecs.  Depuis  la  bataille  de  Minden,  comme  le 
reconnaissaient  Belleisle  et  Broglie,  c'était  le  général  ha- 
novrien  qui  faisait  la  loi  en  Allemagne  aux  armées  du  Roi 
Très  Chrétien.  Ce  triste  résultat  apportait  une  nouvelle 
atteinte  au  prestige  militaire  de  la  France,  déjà  compro- 
mis aux  yeux  de  l'Europe  par  les  revers  de  1757  et  1758. 


ufnmf^.l^^im 


,  CHAPITRE  IV 

KUNERSDORF 

PLAN  i)K  (:ami>a(;xk  comiuxk  par  lks  «ussks  kt  lks  autui- 

CIIIKNS.  —  COMMENCKMENT  TARDIF  DKS  HOSTILITÉS.  —  IKR- 
MOR  REMPLACÉ  PAR  SOLTIKOFF.  —  RATAILLK  DK  PALTZIG,  — 
JONCTION  DK  LAUDON  AVEC  LES  RUSSES  —  BATAILLE  DE  KV- 
NERSDORF.  —  DÉTRESSE  DE  FRÉDÉRIC.  —  INACTIVITÉ  ET 
DÉFAIT  d'entente  DES  GÉNÉRAUX  ALLIÉS.  —  SÉPARATION 
DES  DEUX  ARMÉES.  —  DAl  N  EN  LUSACE  ET  EN  SAXE.  — 
RUSSES  EN  S1LÉSIE.  —  REPRISE  DES  QUARTIERS  DIIIVKR  SUR 
LA  VISTULE. 

f 

Pour  suivre  jusqu'au  bout  les  opérations  des  armées 
françaises  en  Allemagne,  nous  avons  négligé  momentané- 
ment les  incidents  beaucoup  plus  graves  de  la  lutte  que 
soutenait  le  Roi  de  Prusse  contre  les  Autrichiens  et  les 
Russes.  Le  défaut  de  simultanéité  qui  en  résulte  dans  le 
récit  a  d'autant  moins  d'importance  que  l'action  du  second 
groupe  de  belligérants  se  développa  sur  des  théîUres  dis- 
tincts très  éloignés  de  ceux  que  nous  venons  de  visiter,  et 
n'eut  qu'une  répercussion  purement  morale  sur  la  cam- 
pagne de  Ferdinand  contre  les  généraux  de  Loui."  XV. 

Frédéric  avait  passé  à  Breslau  la  plus  grande  partie  de 
l'hiver  1758-1759.  To  't  en  appliquant  son  énergie  et  son 
esprit  de  méthode  à  la  réorganisation  de  son  armée,  se- 
lon l'habitude,  il  consacra  ses  loisirs  à  la  politique  exté- 
rieure. Il  est  impossible  de  feuilleter  la  volumineuse  cor- 


l! 


POLITIQUE  KTnVNGKRE  DK  l'RKDKlUC. 


Itl 


respoiuKince  échangée  avec  les  ministres  et  les  représen- 
tants prussiens  à  l'étranger,  sans  découvrir  A  chaque  ins- 
tant la  trame  des  combinaisons  lussi  subtiles  (|ue  mysté- 
rieuses (ju'il  essaie  d'ourdir  auprès  des  cours  de  l'Kurope, 
dans  le  but  d'embarrasser  ou  de  diviser  ses  adversaires. 
Uu'il  s'agisse  de  susciter  un  nouvel  ennemi  il  l'Autriche  ou 
do  nouer  des  négociations  pacifiques  destinées  plus  à  com- 
promettre celui  (|ui  s'y  prêtera,  qu'à  terminer  la  guerre, 
nous  le  voyons  déployer  la  môme  activité,  la  même  fer- 
tilité de  conception.  Mais  ces  qualités  par  leur  exagéra- 
tion nuisent  souvent  au  succès;  la  mobilité  de  son  esprit,  la 
conliance  dans  son  étoile,  lui  font  constamment  déserter 
robjectif  de  la  veille,  pour  en  viser  un  autre  qui  parait 
plus  avantageux.  Jamais  ministre  des  Allaires  Étrangères 
ne  fut  plus  difficile  à  suivre  ou  à  deviner,  qu'il  ne  se  révèle 
dans  ses  instructions  à  ses  agents  diplomatiques.  Tout  à 
l'idée  du  moment,  il  se  soucie  peu  d'être  conséquent,  ce 
qui  ne  l'empêche  pas  de  se  montrer  peu  indulgent  pour  le 
malheureux  dont  la  compréhension  n'est  pas  assez  souple 
pour  saisir  au  vol  la  nouvelle  pensée.  Il  se  plait  d'ailleurs 
dans  les  voies  détournées,  et  ne  dédaigne  pas  la  corruption 
pour  arriver  à  ses  fins. 

C'est  ainsi  que  pondant  le  mois  de  janvier  1759,  Frédé- 
ric s'ingénie  à  fomenter  des  troubles  en  Suède  contre  le 
parti  au  pouvoir,  à  pousser  la  Porte  ottomane  contre  l'Im- 
pératrice Reine,  à  escompter  les  conflits  en  Espagne  et  eu 
Italie  que  pourrait  occasionner  la  mort  du  roi  d'Espagne, 
à  intriguer  à,  Varsovie,  et  à  découvrir  les  moyens  de  déta- 
cher la  Russie  de  l'alliance.  Le  résident  anglais  en  Pologne, 
bord  Stormont,  dont  on  se  rappelle  la  démarche  en  1756, 
lors  de  l'entrée  des  Prussiens  en  Saxe,  avait  réussi  h  inté- 
resser la  cour  de  Saint-James  au  sort  du  roi  Auguste  et  de 
sa  famille,  et  s'était  évertué  à  élaborer  un  traité  de  paix 
tnlre  la  Saxe  et  son  puissant  voisin.  Lu  arrangement  de 
celte  nature  n'aurait  guère  convenu  à  Frédéric  qui  tirait 


ii 


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112 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  IV. 


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(le  l'hllectoi'at  un  revenu  annuel  de  (5  millions  de  couronnes 
et  de  nondu'euses  recrues  pour  ses  régiments;  aussi  rcc^ut- 
il  froidement  la  communication  (|ue  .Mitchell  (1  )  lui  fit  de  la 
corresijondance  éclian^^ée  entre  liOndres  et  Varsovie.  Il 
avait  drjà  désavoua  une  négociation  engagée  par  Wolkei'S- 
dorf,  grand  veneur  du  roi  électeur,  avec  le  général  Schmet- 
tau  et  n'admettait  de  convention  avec  la  cour  de  Saxe, 
qu'autant  que  la  Russie  y  partici[)erait.  Uue  intervention 
du  roi  (îeorgo  en  faveur  du  prince  électoral  et  de  la  prin- 
cesse n'eut  pas  meilleure  fortune;  à  la  plaidoirie,  d'ailleurs 
peu  convaincue  de  Mitchell  (2),  demandant  pour  eu.v  la 
faculté  de  se  retirer  soit  à  Varsovie  soit  à  Munich,  Frédéric 
répondit  que  son  interlocuteur  savait  mieux  que  personne 
l'importance  pour  les  Prussiens  de  se  maintenir  î\  Dresde, 
et  «  qu'accorder  à  la  famille  royale  et  électorale  la  per- 
mission de  partir  serait  faire  table  rase  des  fortifications 
de  la  ville.  » 

C'était  surtout  du  côté  de  la  Russie  que  le  Roi  ei\t  voulu 
obtenir  des  résultats.  Serait-il  possible  de  battre  en  brèche 
l'influence  autrichienne,  de  déterminer  une  révolution  de 
palais  qui  donnerait  l'ascendant  à  la  jeune  cour  et  entraî- 
nerait le  désistement  de  la  puissance,  devenue,  grAce  au 
courage  et  à  l'endurance  de  ses  soldats,  le  plus  formidable 
des  ennemis  de  la  Prusse?  Pour  travailler  dans  ce  sens,  il 
avait  compté  sur  le  crédit  de  Keith,  successeur  de  \ViIliams 
à  l'ambassade  anglaise.  Malheureusement  il  était  nul  de 
l'aveu  même  de  l'envoyé  :  «  Je  suis  ici  depuis  presqu'un  an, 
écrivait  (3j  le  diplomate,  sans  grande  satisfaction  person- 
nelle et  ce  qui  est  pire,  sans  être  d'une  utilité  quelconque 
pour  le  service  de  S.  M.,  et  à  en  juger  d'après  les  appa- 


ii; 


(1)  Mitchollù  Stormont.  Rreslau,  tOjanv.  1"5'J.  Mitchell  Papers.  Musée  bri- 
tannique. 

(2)  Mitchell  à  lloldernesse  très  secret.  Breilau,  21  janv.  1759.  Mitcliell  Pa- 
pers. 

(3)  Keith  à  Newcaslle,  T' janv.  1759.  Newcaslle  Papers,  vol.  32887. 


INTRIGUES  I'HUSSIENNES  AUPUKS  DU  SCLTAN. 


lt:t 


rencos,  je  n'ai  pas  grande  clifuice  d'être  plus  utile  dans 
l'avenir.  »  Les  lenseignenienls  tr«'s  précis,  cpjc  possédait 
Frédéric  sur  les  intrigues  de  lu  cour  de  l'étershourg,  con- 
lirnièrent  hiontAt  l'exactitude  de  cette  (i[)préciation  et  force 
lut  de  reconnaître  que,  pour  l'heure  actuelle,  il  était  im- 
possible de  lutter  contre  les  sentiments  hostiles  (pie  lu  Tza- 
rine  et  son  entourage  professaient  a  son  égard. 

Un  moment  le  roi  de  Prusse  crut  être  plus  heureux 
auprès  de  la  l*orte.  Hexin,  son  envoyé  ù  Constantitiople, 
tpii  de  ;oncert  avec  Porter,  le  ministre  hritannicpie,  cher- 
chait il  gagner  la  Turquie,  avait  eu  avec  le  grand  Vizir  (1) 
un  entretien  secret.  Ce  dernier  avait  fait  les  [)romesses 
les  plus  catégoriques;  il  s'était  engagé  à  obtenir  du  Sultan 
la  signature  d'un  traité  d'alliance  avec  la  Prusse,  et  l'en- 
trée en  lice  contre  l'Impératrice,  mais  lous  la  réserve 
formelle  que  la  Grande-Bretagne  apposerait  son  sceau  au 
l)as  de  la  convention,  l-a  proposition,  transmise  à  Londres, 
fait  tout  d'abord  la  joie  de  Newcastle  (2)  :  «  Nous  avons 
une  oilre  directe  du  Vizir  de  Constantinople  d'accomplir 
tout  et  plus  que  nous  désirons;  il  ne  f.îit  pas  les  choses  à 
moitié.  »  Mais  la  première  satisfaction  passée,  le  cabinet 
anglais  envisagea  les  conséquences  de  la  garantie  et  l'el- 
i'ct  qu'elle  produirait  î'i  Pétersbourg.  Après  mûre  réflexion, 
on  décida  de  s'en  tenir  à  une  déclaration  verbale,  qui  ne 
laisserait  pas  de  traces;  en  conséquence  Pitt  informa  {',]) 
Porter  que  «  S.  M.  britannique  mettrait  en  œuvre  ses  bons 
ofp  es  auprès  du  roi  de  Prusse  pour  assurer  l'exécution 
intégrale  des  conditions  stipulées  entre  S.  M.  prussienne 
et  la  Porte.  »  Une  formule  aussi  vague  ne  convint  pas  au 
gouvernement  turc  qui  renonça  ù,  ses  projets  belliqueux; 
et  ainsi  finit  un  incident  qui  avait  fort  inquiété  les  cours 

(1)  Frédéric  à  Knyphauseii.   Landshut,  '20    mai   17r>s».    Correspondance 
palUiquc.  .Wni,  p.  241. 

(2)  Newcastle  à  Hardwiike,  Ti  mai  IT.')».  Newcaslle  Papers,  vol.  :v.>89l. 
13)  PiU  à  Porter,  très  secrci,  Î2  juin  1759.  Newcaslle  Papers,  vol.  32892. 

GUEnRE   ns   SEI'Ï   AN.S.    —    T.    ill.  8 


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i,A  (;iJ3:i«UK  \y.i  skpt  ans.  —  ciiap.  iv. 


alli«;cs  ot  donnô  lieu  i"uJ(^  loii^q-iiosdisserlafions  entre  l'iun- 
l)ussiuleiu'  IViinçais  <;(  le  cliaiicelier  Kaunit/.. 

I*'ut-ee  risolement  dans  lequel  il  se  réfugiait  depuis  la 
uiorl  de  sa  suuir  hien-aiuiéc,  l'insucctVs  de  ses  tentatives 
au|>i'ès  des  nuissaïu'es  neutres,  ou  le  découragement  en- 
gendré par  les  revers  de  fin  d«!  campagne,  toujours  est-il 
<|ue  l'i'édéric  insista  plus  <|ue  d<î  <u)utunu'  sur  l'obligation 
dans   la<piell<'  il   se  trouverait  de  terminer  uni?  lutte  qui 
épuisait  les  rtîssources  de  son  royaume.  A  la  suit»?  d'unes 
conversation  avec  le  iloi  après  diner,  le  18  mai,  Mitchell  lit 
un   rap^port  k  son  chef  liiérarcliique   Holdernesse   et  aux 
principaux  personnages  du  cabinet,  Newcastle  et  l'ilt.  A  ses 
trois  correspondants  il    l'elate  presque  dans   les  mêmes 
l'M'mes  l 'S  propos  du  Itoi  et  l'impression  (pi'il  a  ressentie  : 
«  Jamais  c(^  prince  (1)  ne  m'a  parle  «mi  langage  aussi  éner- 
gi<pie  de  la  nécessité  de  l'aire  la  |»aix;  il  a  affirmé  avec 
beaucoup  de  fiaiicbise  que  c'était  un  nnracle  si  les  affaires 
avaient  été  si   bien  jusqu'i'i    présent.  »  Dans  la    <léi)éclie 
adressé(^  à  l'itt,  on  lit  «jueUpics  <lélails  (-2)  «pji  dévoilent  la 
pensée  intime  du  souverain  :  «  Vos  ininistr(>s  peuvent-ils 
faire  la  paix,  avait  dit  Frédéric,  h^s  circonstances  le  per- 
metti'aient-ellcs  encore?»  A  Mitchell  (pii  se  porte  fort  des 
dispositions  conciliantes  de  son  gouvi'rnement,  le  Hoi  de 
ré|)li(pier  :  «  .l'espère  (jue  l'on  ne  m'oubliera  pas  »,  puis  se 
leprenanl  :  «  Non,  je  ne  cours  aucun  dang(!r,  M.  I*itt  (!st  un 
honnête  homme;  il  est  ferme;  mes  intéi'ôts  .sont  assurés 
dans  s«vs  mains.  »  (les  questions,  le  soiqx-on  «pii  les  inspire, 
la  confiance  exprimée  indiipjent  bien  la  double  préoccu- 
pation d(i  mettre  fin  h  la  guerre  et  de  n'être  pas  la  dupe 
de  son  allié  dans  les  négociations  qui  précéderaicmt  la  paix.' 

Il  est  superilu  de  constater  (|ue  le  souci  de  la  politi(]ue 


(1)  Milchcll  à  N(>>vrastl*'.   I.andshut,  20   mai    I7.V.).   Noxcastli;   l'n|ior8, 
vol.  3'2H<JI. 

(2)  MUcliuli  à  l'iU.  Lamlshul,  20  mai  (70'.).  iMitchcIi  rupors. 


ri\ 


STIUTKGIK  DKKKNSIVK  I)K  KIlKDl'HîC. 


115 


«;\lt'ri(Mir»;  n'(Mn|)(^chji  pus  Kriklùric  <le  pivpnmr  avec  soin 
la  campafii'iH!  (jiii  allait  s'ouvrir.  L'anniM»  1759  se  sii,-naIo 
|)ai'  un  chan^^eiin'ut  radical  dans  la  sti-atéf^ie  loyale  :  jus- 
«lu'alors  le  roi  «le  Prusse  avail  pris  l'ollensive  contre  ses 
iiomi)reux  ennemis.  Kn  175(1,  il  se  rend  maître  de  la  Saxe, 
entre  en  Uohôme,  et  sans  la  résistanc»;  inattendue  des 
Sa.xons,  aurait  écrasé  les  Autrichiens  avant  (pi'ils  n'cnsseut 
eu  le  temps  de  se;  rassembler.  Kn  1757,  les  opérations  dé- 
hulcnt  j)ar  l'invasion  de  la  Uohénie,  la  victoire  de  Praj^nie 
et  pai'  une  poussée  (pli  n'est  arrêtée»  (pie  par  le  <lésastre  do 
Kolin.  Au  |)riulcnips  d<>  175H,  Krédéi'ic  porte  ses  arujes  en 
Moravie,  l'ail  le  siè^-e  d'Olmill/.  et  ne  cache  pas  son  inlen- 
(iou  de  poursuivre  ses  avjintaf^es  jusqu'au  Danuhe.  Kn 
I75î>au  contraire,  peiulanl  les  premiers  mois  de  la  saison 
il  resti^  sur  la  défensive,  refuse  de  coopérer  A  l'attaijue  (1) 
(pie  1<;  prince  l'erdinand  voudi-ait  enti'<'prendre  eonire  les 
{"lançais,  et  se  contente  de  retarder  la  marche  des  Hussck 
et  des  Autrichiens,  en  détruisant  lcu."s  -na;.;asins  et  en 
menaçant  leurs  communications. 

A  (juel  motif  faut-il  attribuer  l'adoptieui  d'une  mélhode 
<(ui  semble,  iV  première  vue,  si  op[)osëe  au  tempérament 
de  l'homme  et  au  nénie  du  capitaine?  Kvidemment  à  l'état 
d(î  son  armée  et  à  l'expérience  du  passé.  La  campagne  do 
1758  ix'avait  pas  été  JieunMise;  l'écluîc  devant  OlmUtz.  la 
bataille  san,:;lante  <le  Zdrudorf,  la  surprise  d'Ilochkirch, 
avai(!nt  non  s(;ulement  coûté  au  roi  de  IM'Usse  ses  meilleurs 
soldats,  mais  lui  avaient  appris  la  valeur  ^""ran (lissante 
(rennemis  tenus  jus'jiraiors  en  mince  estime.  Il  faut  liro 
la  longue  lettre  [i)  à  Fou(pu^  sur  la  tacti(pi(î  des  Autri- 
chiens et  notamment  sur  leur  emploi  (h;  l'artillerie,  pour 
se  conv  ,incre  de  l'impression    fait(î  par   les  [)ro4;'rès  d«^ 


(1)  Fr(^(lfii«;  à  FcnlinniKi,  14  jaiivicr  i7.">9.  Corirspottiianci-  i>o/ittquf. 
XVIII.  p.  :>2. 

{'.>.)  l-rédéi'ir  à  La  .Mollo  l'oiii|iii>.  Ui-llcxions  sur  i(U(*l(iU('s  cliangcinenls 
dans  la  forme  iI-î  luii(î  la  guerre,  21  décembre  17r>H. 


lift 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


.1  lll' 


l'armée  rivale.  Au  surplus,  la  nécessité  de  remplir  les  vides 
dans  les  régiments  suffit  pour  expliquer  l'inaction  momen- 
tanée des  Prussiens.  Afin  de  trouver  les  30.000  recrues  que 
ne  pouvaient  fournir  en  totalité  les  états  r(>yaux,  il  fal- 
lait lever  de  force  des  contingents  dans  les  pays  occupés, 
la  Saxe,  le  Mecklembourg,  la  Poméranie  suédoise,  les  du- 
chés d'Anhalt,  et  ramasser  dans  toute  l'Allemagne  et  en 
Pologne  des  hommes  que  la  renommée  du  grand  monar- 
que, et  peut-être  encore  plus  l'appAt  d'une  prime  de 
10  thalers,  attiraient  sous  les  drapeaux;  pour  compléter 
les  corps  irréguliers  on  s'adressait  à  l'élément  déserteur  et 
prisonnier.  Mais  si  par  ces  moyens  empiriques  on  recons- 
tituait le  nombre,  il  n'en  élait  pas  de  même  de  la  qualité 
qui  laissait  fort  à  désirer;  aussi  Frédéric,  comme  plus 
tard  Napoléon  dans  les  dernières  années  de  son  rogne, 
cherche-t-il  à  augmenter  son  artillerie.  Les  130.000  Prus- 
siens dont  se  compose  l'armée  active  en  1759 ,  trahient 
avec  eux  580  canons,  tunt  de  parc  que  de  bataillon,  soit 
une  proportion  de  4  canons  par  1.000  hommes,  et  malgré 
cet  appui,  Frédéric  reconnaît  que  l'infanterie  «abâtardie 
par  les  pertes  trop  fréquentes,  ne  doit  point  être  com- 
mise à  des  entreprises  difficiles;  ce  serait  la  mettre  à  de 
trop  grandes  épreuves  que  de  la  risquer  à  des  attaques  qui 
demandent  une  constance  et  une  fermeté  inébranlables.  » 
C'était  parler  en  sage;  malheureusement,  comme  nous  le 
verrons,  la  pratique  ne  répondit  pas  à  la  thi'orie. 

Vers  la  lin  de  l'hiver,  les  forces  du  Roi  étaient  distri- 
buées comme  suit  :  En  basse  Silésie  48.000  hommes  sous 
ses  ordres  directs;  20.000  avec  Fouqué  dans  la  haute  Silé- 
sie; 37.000  sous  le  commandement  du  prince  Henri  en 
Saxe;  enfin  les  25.000  des  corps  de  Dohna,  Wobersnow 
et  Platen,  opposés  aux  Russes  et  aux  Suédois.  En  tenant 
compte  de  la  cavalerie  détachée  à  l'armée  du  prince  Ferdi- 
nand, des  dépôts,  des  convalescents  et  des  varnisons  do 
Magdebourg,  Stettin,  Berlin,  Dresde,  des  places  de  l'Oder 


ÉVALUATION  DES  FORCES  RESPECTIVES. 


117 


et  de  la  Silésie,  on  arrive  à  un  total  que  Mitchell  évalue  (1) 
eu  chilles  ronds  à  200.000  combattants.  D'après  l'envoyé 
i)ritannique,  ces  troupes,  surtout  la  cavalerie,  étaient  en 
très  bon  état,  et  contrastaient  favorablement,  au  point  de 
vue  de  la  discipline,  du  physique  et  de  la  tenue,  avec 
l'armée  qui  avait  pris  part  à  la  campagne  de  1758. 

Aux  masses  prussiennes,  comparons  celles  des  puissances 
alliées  directement  engagées  contre  elles.  Les  Autrichiens 
avaient  en  ligne  environ  (2)  1  GO. 000  baïonnettes  et  sa- 
bres, répartis  de  la  manière  suivante  :  Sur  les  confins  de  la 
Bohème  et  de  la  Silésie  92.000  combattants  sous  les  ordres 
de  Daun  et  de  ses  lieutenants  Laudon,  Beck  et  Harsch. 
Dans  la  haute  Silésie,  De  Ville  tenait  tête  à  Fouqué  avec 
30.000  hommes.  La  frontière  de  Saxe  était  gardée  par 
les  17.000  soldats  de  (icnimingen  et  d'Arenberg.  Enfin,  le 
duc  de  Deux-Ponts  couvrait  la  Franconie  et  la  Thuringe 
avec  20.000  Autrichiens  et  à  peu  près  autant  de  troupes  des 
Cercles.  Les  Russes,  qui  n'avaient  pas  dépassé  la  Vistule, 
pouvaien'  être  évalués  à  OO.OOO  de  toutes  armes,  dont  une 
bonne  partie  en  arrière  ;  enfin  les  Suédois,  à  peine  12.000 
en  nombre,  étaient  encore  enfermés  û  Stralsund  et  dans 
l'ile  de  Rugen.  En  résumé,  quand  tout  le  monde  serait 
dans  le  rang,  les  alliés  auraient  à  leur  service  un  effectif  de 
250.000  soldats,  pour  combattre  les  130.000  du  Roi. 

Au  cours  du  printemps,  en  fait  d'événements  militaires, 
à  signaler  l'incursion  du  prince  Henri  en  Bohême,  la  des- 
trrction  des  magasins  autrichiens  et  la  marche  victo- 
rieuse contre  l'armée  de  Deux-l*onts.  Une  opération  du 
même  genre  fut  confiée  à  Wobersnow  :  ce  général  pénétra 
eu  Pologne,  et,  sans  s».uci  d'une  neutralité  d'ailleurs  assez 
mal  observée,  débuta  par  l'enlèvement  du  prince  Sulkow- 
sky,   (jui  avait  la  réputation   d'être   inféodé  ;Y  la  cause 


(t)  Mitclioll  i\  Holdernesse.   Landshut,   i  mai    1759.  Musée  hrilaiiniquc. 
(2)  Répartition  des  troupes  aulricliiennes,  6  mai  17r)9.  Archives  de  la  Guerre,- 
vol.  3515. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CîiAP.  IV. 


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autrichienne;  le  chAteau  de  ce  seigneur  fut  cerné,  lui- 
môme  fut  interné  k  (llogau  et  sa  petite  troupe  incorporée 
dans  l'armée  prussienne.  Après  ce  coup  d'intimidation,  les 
soldats  de  Wobersnow  parcoururent  la  Posnanie,  s'empa- 
rèrent sans  coup  férir  des  approvisionnements  de  vivres 
et  de  fourrages  que  l'intendance  russe  avait  réunis  pour 
les  opérations  futures,  et  détruisirent  tout  ce  qu'ils  ne 
purent  pas  emporter.  Du  côté  autrichien,  le  général  Beck 
se  distingua  en  capturant  la  ville  de  Greifenberg  et  en 
faisant  prisonnier  le  bataillon  qui  y  tenait  garnison. 

Entre  temps,  la  mobilisation  s'eil'ectuait  de  part  et  d'au- 
tre, et  vers  la  fin  de  mars,  les  armées  prussiennes  et  au- 
trichiennes étaient  en  présence  sur  les  frontières  de  la 
Silésie  et  de  la  Saxe.  Néanmoins,  l'inaction  se  prolongea 
pendant  les  mois  d'avril,  de  mai  et  une  partie  de  juin. 
Les  Autrichiens  attendaient  l'entrée  en  ligne  des  Russes, 
auxquels  il  fallait  laisser  le  temps  d'arriver  sur  l'Oder. 
Dès  le  mois  de  janvier,  des  pourparlers  s'étaient  noués 
à  Saint-Pétersbourg  (1)  pour  régler  et  imposer  aux  géné- 
raux la  coopération  qui  avait  si  complètement  fait  défaut 
dans  la  campagne  précédente.  Après  quatre  mois  de  cor- 
respondance et  de  conversation,  on  se  mit  d'accord  pour 
désigner  les  rives  de  l'Oder,  entre  Breslau  et  Glogau, 
comme  point  de  réunion,  et  le  18  juillet  comme  date  de 
la  rencontre  probable  des  doux  armées.  Kaunitz,  au  cou- 
rant de  mai,  écrivit  à  Ferniur,  commandant  en  chef  des 
Russes,  une  lettre  où  il  insistait  sur  la  nécessité  de  mettre 
ses  troupes  en  marche  en  temps  utile,  en  sorte  que  le  pre- 
mier échelon,  dont  l'effectif  avait  été  fixé  à  30.000  hom- 
mes, fût  rendu  à  Posen  pour  la  fin  de  mai,  et  que  le  reste 
suivit  sans  retard.  Fermor  répondit,  le  16  mai,  que  son 


(1)  Trolha,  Riissisclie  Œsicrcicliisclie  h'ooperntion  iin  Feidzugc  17 '>U, 
Hannover,  1888,  donne  des  extraits  et  l'analyse  de  la  correspondance  échan- 
gée entre  les  camps  russe  et  autrichien  pendant  la  campagne. 


COOPÉRATION  DES  RUSSES  ET  DES  AUTRICHIENS. 


119 


mouvement  commencerait  à  la  date  du  21  et  qu'il  en  avi- 
sait le  maréchal  Daun. 

Ce  dernier  avait  quitté  Vienne  le  26  mars  pour  prendre 
le  commandement  de  la  graude  armée  impériale  ;  malgré 
le  peu  de  résultat  de  la  dernière  campagne,  il  avait  con- 
servé le  nrestige  que  lui  avaient  valu  ses  victoires  de  Ko- 
lin  et  Hochkirch  ;  aussi  son  départ  fut-il  annoncé  par  des 
odes  où  ses  futurs  exploits  étaient  célébrés  en  vers  dont  le 
fond  et  là  forme,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  la  traduction 
envoyée  par  Boyer  à  son  ministre,  étaient  aussi  ridicules 
que  médiocres  : 

«  Daim  court  a»  combat  ; 

«  Berlin  en  frémit; 

«  Ij'Allemagne  endormie  se  réveille  au  bruit  des  armes  ; 

«  La  Moldau  s'en  réjouit,  l'Oder  en  tremble,  etc.,  etc..  » 

A  son  quartier  général  en  liohèmc,  le  feld-maréchal 
reçut  communication  de  l'arrangement  des  deux  cours 
par  l'entremise  du  général  Tillier,  qui  avait  représenté  le 
gouvernement  de  Marie-Thérèse  dans  les  conférences  de 
Pétersbourg.  A  la  suite  de  réflexions  qui  durèrent  quelques 
jours,  Daun  proposa  par  l'intermédiaire  de  l'attaché  russe, 
le  général  Springer,  do  substituer  comme  point  de  jonc- 
tion et  de  traversée  de  l'Oder,  la  localité  de  Crossen  ù  celle 
de  Glogau  que  suggéraient  les  Russes.  Springer  alla  sou- 
mettre cette  modification  à  Fermor  qu'il  trouva  en  marche 
sur  Posen.  Le  général  russe  ne  voulut  pas  accepter  Cros- 
sen, et,  à  titre  de  compromis,  mit  en  avant  le  village  de 
Karolath,  situé  à  23  kilomètres  en  aval  de  Clogau;  quant 
à  passer  le  fleuve  avant  l'arrivée  des  Autrichiens,  il  s'y 
refusait  absolument;  tout  au  plus  s'engagerait-il  à  les  at- 
tendre pendant  dix  jours  sur  la  rive  droite.  Springer,  <[ui 
revint  avec  cette  réponse  au  camp  impérial,  rencontra  de 
la  part  de  Daun  de  vives  objections  aux  réserves  de  Fer- 
mor. De  là,  entre  les  deux  généraux,  un  nouvel  échange 


msBsamam 


120 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  IV. 


de  lettres  qui  n'eut  d'autre  ellct  que  d'envenimer  le  dé- 
bat, à  en  juger  pnr  la  dépêche  de  Fermor  (1)  à  la  Tzarine  : 
«  Daun  soulève  difliculté  apros  difficulté  et  s'ell'orce  de 
faire  porter  sur  l'armée  russe  tout  le  poids  de  la  campagne 
qui  va  s'ouvrir;  il  cherche  des  motifs  pour  excuser  son 
manquement  probable  au  rendez-vous  sur  l'Oder  ».  Fort 
heureusement  pour  l'enlente  cordiale,  les  deux  cabinets 
mirent  fin  à  la  controverse,  celui  de  Vienne  en  invitant 
Daun  à  commencer  les  opérations,  celui  de  Pétersbourg  en 
envoyant  à  son  général  des  instructions  détaillées  sur  le 
rôle  à  jouer  vis-à-vis  de  son  collègue  autrichien.  Le  res- 
crit  impérial,  qui  était  daté  du  iï  juin  (2),  ne  tranche 
pas  les  questions  débattues  et  se  borne  à  poser  des  hypo- 
thèses successives  et  à  conseiller  des  solutions  pour  cha- 
cune d'elles.  En  cas  de  réunion  des  deux  armées,  quoique 
les  Russes  ne  fussent  pas  subordonnés  à  Daun ,  Fermor  se 
conduirait  à  l'égard  du  maréchal  avec  le  respect  et  avec 
la  loyauté  qui  sied  à  l'alliance,  il  se  conformerait  à  ses 
avis,  «  non  comme  à  des  ordres,  mais  à  titre  de  complai- 
sance et  déférence  »;  toutefois,  cette  condescendance  ne 
s'étendrait  pas  au  cas  où  il  serait  exigé  des  troupes  des 
efforts  au-dessus  de  leurs  forces,  ou  à  celui  où  elles  seraient 
exposées  à  un  danger  imminent;  enfin,  l'armée  russe  ne 
devait  pas  s'éloigner  de  l'Oder  de  plus  de  trois  journées 
de  route.  En  résumé,  en  dépit  de  toutes  les  précautions 
prises  et  du  désir  évident  d'accord  dont  les  gouvernements 
s'étaient  inspirés ,  l'application  de  ces  bonnes  dispositions 
allait  dépendre  des  incidents  de  la  guerre  et  plus  encore 
du  caractère,  du  talent  et  du  tempérament  des  comman- 
dants en  chef. 

D'après  le  plan  concerté,  Daun  ne  devait  entreprendre 
son  mouvement  que  quand  il  serait  assuré  de  la  présence 
des  Russes  à  Poson;  aussi,  préoccupé  avant  tout  de  la 

(\)  Fermor  à  Elisabeth,  16  juin  1759.  Trollia,  p.  14. 

Cl)  Instructions  de  la  conférence  pour  le  général  en  chef.  Trolha,  p.  15. 


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INCURSION  DU  PRINCE  HENRI  EN  BOHÊME. 


121 


coopération,  ne  se  laissa-t-il  pas  troubler  par  les  incursions 
du  prince  Henri  en  Hohôme  et  contre  l'armée  des  Cercles. 
(Cependant,  la  première  avait  eu  des  suites  fAcheuses  pour 
les  Autrichiens;  le  prince  Henri  avait  passé  la  frontière  le 
15  avril,  détruit  les  magasins  d'Aussig,  Lowosilz  et  Leit- 
meritz,  iirùlé  150  bateaux  i'jv  l'Elbe  ainsi  que  les  ponts  de 
l'Eger,  battu  les  avant-postes  impériaux,  fait  prisonnier  le 
général  Renard  et  2.000  hommes,  jeté  l'alarme  jusque  sous 
les  murs  de  Prague,  et  était  revenu  en  Saxe  le  23  avril 
après  avoir  infligé  aux  Autrichiens  une  perte  que  ceux-ci 
évaluèrent  (1)  à  plus  de  six  millions  de  florins.  Quant  à 
l'expédition  des  Prussiens  contre  l'armée  des  Cercles  ra- 
contée dans  un  chapitre  précédent,  il  est  inutile  d'eu  ré- 
péter l'heureuse  issue;  elle  détermina  l'envoi  de  Vehla  en 
Lusace  avec  une  faible  division,  et  la  diversion  plus  im- 
portante de  Gemmingen  sur  le  territoire  de  la  Saxe;  elle 
eut  également  pour  conséquence  le  rappel  de  Hadick  avec 
le  gros  des  troupes  autrichiennes  détachées  sous  les  ordres 
du  duc  de  Deux-Ponts.  Pendant  ces  événements,  Daun  de- 
meura impassible  dans  son  camp  de  Schurtz. 

De  son  côté,  le  roi  de  Prusse  ne  bougea  pas  de  son  quar- 
tier général  de  Landshut,  si  ce  n'est  pour  prêter  son  con- 
cours à  Fouqué  contre  le  général  de  Ville  dans  un  coup  de 
main  que  ce  dernier  évita  en  rentrant  en  Bohême.  Tou- 
tefois, il  fallait  songer  aux  Russes,  qui,  malgré  les  len- 
teurs inhérentes  à  leur  organisation  défectueuse  et  les 
retards  dus  à  la  destruction  de  leurs  magasins,  se  rassem- 
blaient sur  la  Vistulc.  ManteufFel,  qui  avait  remplacé  pro- 
visoirement Dohna  malade  et  en  congé,  reçut  ordre  de 
confier  la  surveillance  des  Suédois  à  son  lieutenant  Kleist, 
avec  5.000  hommes,  et  de  marcher  avec  le  reste  vers  Star- 
gard.  A  cette  époque,  le  Roi  ne  croyait  pas  (2)  à  la  jonc- 

(1)  Boyer  à  Choiseul,  11  juin  1759.  Aflaires  Étrangères.  Aulriilie. 
('2)  Frédéric  à  Manlcuffel.  Landshut,  16  mai  1759.  Correspondance  j)oli- 
lique.  XVIII,  223. 


122 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


tion  des  Husses  et  de  Daim;  à  ces  premiers  il  attribuait 
l'intention  d'employer  au  siège  de  Colberg  une  partie  de 
leurs  forces  et  d'envahir  le  Brandebourg  avec  l'autre. 
Dans  le  doute,  Manteuffel  eut  pour  instruction  de  se  com- 
porter d'après  les  progrès  de  l'ennemi,  et  de  prendre  en 
attendant  une  position  d'observation.  Son  corps  d'armée 
serait  renforcé  par  une  division  de  10  bataillons  et  par 
deux  régiments  de  cavalerie,  que  lui  enverrait  le  prince 
Henri,  aussitôt  qu'il  serait  revenu  de  son  raid  en  Franconie. 
A  Vienne,  on  était  plein  d'espoir  dans  la  coopération  des 
alliés.  Montazet,  de  retour  dans  la  capitale,  fait  part  (1) 
à  Belleisle  de  ses  impressions,  ci  .e  fois  optimistes  :  «  Le 
plan  de  la  dernière  campagne  doit  être  la  base  de  celui- 
ci,  avec  la  dillérence  que  nous  éviterons,  à  ce  que  j'es- 
père, les  fautes  que  nous  avons  faites  l'année  dernière,  et 
(pie  le  roi  de  Prusse  sera  obligé  de  faire  les  mêmes  mou- 
vements. Nous  aurons  de  plus  l'avantage  d'avoir  sur  l'Elbe 
le  corps  du  général  Hadick  qui  sera  entièrement  aux  or- 
dres de  M.  le  marécbal  Daun,  et  beaucoup  plus  en  état  de 
faire  de  bonne  besogne  que  ne  l'était  l'armée  de  l'Em- 
pire l'année  dernière.  D'un  autre  côté,  les  Suédois  feront 
sans  doute  pour  le  moins  ce  qu'ils  ont  fait  la  campagne 
passée,  et  obligeront  le  .'oi  de  Prusse  à  avoir  un  corps  vis- 
à-vis  d'eux,  de  façon  i[uc  si  nous  manœuvrons  comme  il  me 
semble  qu'on  le  veut  ici,  et  que  d'un  autre  côté  les  Russes 
y  aillent  bon  jeu,  bon  argent,  comme  on  en  est  persuadé, 
nous  pourrons  embarrasser  le  roi  de  Prusse,  et  je  ne  déses- 
père pas  que  Berlin  ne  paye  l'incendie  de  la  Bohême.  Ce 
ne  serait  pas  à  la  vérité  un  grand  événement,  mais  avec 
un  ennemi  comme  celui  que  nous  avons,  il  faut  faire  tout 
le  mal  qu'on  peut....  M.  de  Tillier,  homme  d'esprit  et  of- 
ficier de  distinction,  qui  a  été  à  Pétersbourg,  poui  arran- 


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(1)  Montazet  à  Belloisle.  Vienne,  27  mai  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3.J16. 


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ENTRÉE  EN  CAMPAGNE  DES  lU'SSKS. 


123 


gcr  le  plan  de  campagne,  et  qui  n'avait  nulle  confiance 
aux  Russes,  m'a  assuré  que  leur  armée  serait  de  soixante 
mille  hommes,  en  bon  état,  et  qu'il  ne  doutait  point  qu'elle 
n'exécutât  le  plan  projeté.  L'assurance  que  m'en  a  donne 
cet  officier  et  sa  confiance  me  font  d'autant  plus  de  plaisir, 
que  j'étais  bien  éloigne  de  croire  qu'on  piU  tirer  un  grand 
parti  de  cette  armée.  » 

Hientôt  les  faits  parurent  justifier  cette  appréciation  : 
IJoisgelin ,  qui  remplissait  les  fonctions  d'attaché  militaire 
auprès  de  Daun,  annonçait  (1)  l'arrivée  au  camp  de  Schurtz 
d'un  officier  envoyé  par  Fermor,  avec  l'avis  que  la  pre- 
mière division  moscovite  serait  à  Posen  le  1"  juin,  et  que 
toute  l'armée  y  serait  concentrée  vers  le  15  de  ce  mois. 
Entre  temps  Monlazet  avait  rallié  le  quartier  général,  et 
aussitôt  le  contact  repris,  adressait  (2)  son  rapport  au  mi- 
nistre :  On  était  en  correspondance  avec  le  camp  russe, 
mais  la  discussion,  encore  ouverte  sur  le  point  de  jonction 
et  sur  la  manière  dont  elle  serait  etl'ectuée  empochait  de 
s'arrêter  à  un  parti  ferme.  «  M.  de  Daun  n'en  sait  pas  plus 
aujourd'hui  qu'au  commencement  de  la  campagne.  »  Dans 
son  embaTas  il  avait  expédié  le  général  de  Lascy  prendre 
langue  à  Vienne.  Quant  au  roi  de  Prusse,  il  semblait  bien 
décidé  A  ne  pas  sortir  de  l'attitude  défensive  qu'il  avait 
adoptée  ;  il  augmentait  son  artillerie  dont  il  venait  d'or- 
ganiser une  batterie  k  cheval;  «  il  préside  lui-môme  tous 
les  jours  à  ce  nouvel  exercice  dont  nous  verrons  sans  doute 
quelque  échantillon  avant  de  nous  quitter.  » 

Avant  d'entamer  le  récit  de  la  campagne,  il  convient  de 
dire  quelques  mots  des  mouvements  des  Russes,  et  du 
changement  aussi  brusque  qu'inattendu  de  leur  général 
en  chef,  à  la  veille  de  la  rencontre  avec  l'ennemi.  Comme 


II 


(1)  Boisgeliii  à  Belleislc.  Schurtz,   1"  juin   l'.VJ.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3517. 

(2)  Monlazet  à  Belleislc.  Scburlz,    15  juin  1759.  Archives   de  la  Guerre, 
vol.  S517. 


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LA  r.UERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV, 


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d'habitiulo,  les  débuts  avaient  été  difficiles.  L'attaché 
français  Mesnager,  mal  disposé  d'ailleurs  pour  Fernior, 
voit  (t)  tout  en  noir.  ((  La  jalousie  et  les  cabales  régnent 
toujours  entre  les  généraux,  il  y  en  a  fort  peu  sur  lesquels 
on  peut  compter  ;  la  perte  des  uns  et  la  retraite  forcée  des 
autres  a  donné  lieu  à  une  promotion  qui  ne  se  peut  expri- 
mer; en  deux  ans  des  lieutenants  sont  devenus  brigadiers. 
Tous  les  aides  de  camp,  les  employés  dans  les  vivres  ou 
la  secrétairoric,  enfin,  tous  ceux  qui  ont  accompagné  le 
général  à  la  bataille  sont  colonels  ou  lieutenants-colo- 
nels; la  plus  grande  partie  n'a  pas  les  éléments  du  ser- 
vice. Cependant  l'armée  entre  en  campagne;  ce  n'est  à.  la 
vérité  qu'une  feinte  que  le  passage  de  la  Vistule,  car  cer- 
tainement l'on  y  restera  encore  plus  de  six  semaines.  Le 
fourrage  manque  absolument,  la  cavalerie  et  les  chevaux 
d'équipage  sont  ruinés  avant  de  marcher  à  l'ennemi,  les 
munitions  ne  sont  point  arrivées,  les  réparations  des  régi- 
ments ne  sont  pas  faites,  la  grosse  artillerie  qu'on  m'as- 
sure être  bien  peu  de  chose,  est  encore  à  Memel;  et  la 
seconde  division  n'a  commencé  à  défiler  de  Riga  qu'au 
commencement  d'avril.  » 

Le  général  en  chef,  allemand  d'origine,  luthérien  de 
religion,  était  jalousé  des  officiers  et  n'avait  pas  la  con- 
fiance du  soldat,  dont  il  s'occupait  peu.  Cet  état  de  choses 
était  si  connu,  et  le  bruit  de  ses  démêlés  avec  ses  lieute- 
nants si  répandu  dans  le  public,  que  Frédéric  s'imagina 
qu'il  pourrait  renouveler  auprès  de  lui  les  tentatives  de 
corruption  qu'il  avait  naguère  employées  avec  le  chance- 
lier Bestuchew.  A  cet  effet  (2),  un  officier  suisse  au  ser- 
vice hollandais,  désigné  par  le  prince  Louis  de  Bruns- 
wick, fut  chargé  d'une  mission  délicate;  il  demanderait 


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(1)  Mpsnaser  à  Belleisle.  Marienwerder,  29  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3.)  14. 

(2)  Frédéric  à  Heciit.  Ureslau,  21  mars  1759.  Instructions  caclielées.  Cor- 
n'spondanci- poli  lique,  Wlll,  120.  ,     ;.    , 


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nOIINA  MARCHE  CONTRK  LES  RUSSES. 


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une  pince  diuis  rétat-mnjor  <lo  l'crmor  et  cliorchorait  à 
s'y  faii'(«  ayrcer.  S'il  réussissait  lï  établir  des  rapports  inti- 
mes avec  ce  général,  il  était  autorisé  à  lui  offrir,  soit  une 
somme  de  100.000  écus,  soit  le  grade  de  feld-maréclial  dans 
l'armée  prussienne,  avecun**  pension  de  10  à  12.000  écus. 
En  paiement  de  ces  avantages,  le  roi  de  l'russc  serait  in- 
formé par  l'intermédiaire  de  son  émissaire,  en  temps  utile, 
((  de  tout  ce  que  les  troupes  de  Uussie  voudront  entrepren- 
dre. »  Le  mandataire  n'oblint  pas  la  permission  sollicitée, 
et  n'eut  pas  par  conséquent  l'occasion  de  faire  ù  l'ermor 
les  oll'res  dont  il  était  porteur;  l'eùt-il  pu,  rien  dans  la 
conduite  de  co  dernier,  ne  permet  de  supposer  qu'il  eiU 
consenti  il  jouer  le  rcMe  de  traître. 

Quoiqu'il  fiU  déjà  question  en  haut  lieu  de  sou  rempla- 
cement, Fernior  présida  aux  opérations  initiales  de  l'ar- 
mée russe,  et  échangea  avec  Oaun  les  premières  corres- 
pondances au  sujet  de  la  jonctiju  avec  les  Autrichiens. 
Vers  la  mi-juin,  le  quartier  général,  l'avant- garde  de 
Mordwinow  et  le  corps  d'observation  étaient  à  Posen,  la 
première  divi.sion  à  llszes,  sur  la  Netze,  et  la  seconde  à 
Nakel,  en  tout  71  bataillons,  .'{6  escadrons,  6  à  7.000  co- 
saques ou  irréguliers  et  92  canons  de  gros  calibre,  soit 
50  à  55.000  combattants.  A  la  défense  de  la  Prusse  royale 
et  de  la  ligne  de  la  Vistule,  étaient  affectés  8  régiments 
d'infanterie  ù  effectifs  incomplets,  quelques  escadrons  do 
cavalerie  régulière  et  quelques  sotnias  de  Cosaques  sous 
les  ordres  du  général  Frolow  Bargrejew,  qui  succédait 
îl  Rumjanzew,  nommé  à  la  tète  d'une  division  de  l'armée 
active.  Ces  troupes  furent  renforcées  au  cours  de  l'été, 
mais  ne  participèrent  pas  aux  événements  de  la  cam- 
pagne. 

Pendant  que  les  Russes  effectuaient  leur  marche  de  la 
Vistule  à  Posen  et  à  la  Netze,  le  général  Dohna,  qui  avait 
repris  le  commandement  de  son  corps,  avait  débouché  de 
Stargard  et  s'était  dirigé  sur  Lansberg,  où  il  séjourna  du 


136 


LA  GUKHRK  l)K  SEPT  ANS. 


(IIAP.  IV. 


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12  au  23  juin.  Si  au  lieu  de  perdre  ainsi  dix  Jours  il  se 
fût  rendu  directement  sur  Posen,  il  aurait  pu  infliger  aux 
20.000  Ilusses  qui  y  étaient  un  écliec  dont  l'ellet  eiU  été 
considérable  pour  la  suite  des  hostilités.  Kermor  profita 
du  répit  pour  appeler  k  lui  ses  deux  divisions  encore  en 
arrière,  et  pour  concentrer  son  armée  qui  se  trouva  réunie 
k  Posen  le  2!)  juin.  De  son  côté,  Dolma  avait  été  rejoint 
[lar  le  f^énéral  llulsen  avec  les  10.000  hommes  (10  ba- 
taillons et  22  escadrons)  détachés  de  l'armée  du  prince 
Henri,  et  voyait  ainsi  ses  effectifs  portés  à  environ  28.000 
fusils  et  sabres;  il  prit  le  30,  à  Klein  (Joslin,  une  position 
qui  lui  permettait  de  menacer  la  lifine  de  ravitaillement 
des  Russes.  Aussitôt  qu'il  eut  connaissance  de  l'approche 
des  Prussiens  de  Dohna,  Femor  dépécha  le  20  juin  un 
courrier  il  Daun,  pour  l'informer  que  l'attaque  h  laquelle 
il  était  exposé  le  forçait  de  suspendre  sa  marche  vers 
l'Oder. 

Presque  à  la  môme  date,  jour  pour  jour,  la  grande  armée 
autrichienne  avait  commencé  son  mouvement;  conformé- 
ment aux  ordres  que  Fiascy  avait  rapportés  de  Vienne,  le 
feld-maréchal  venait  de  faire  un  pas  en  avant.  Le  28  juin, 
il  quitta  Schurtz  où  il  était  depuis  si  longtemps,  laissant 
aux  généraux  Harsch  et  de  Ville  le  soin  de  couvrir  la 
Bohême  avec  35.000  hommes;  le  G  juillet,  il  s'établit  dans 
un  camp  avantageusement  situé  à  Cerlachsheim,  près  de 
Mark  Lissa,  sur  la  Queiss.  A  cette  éj-oque,  lladik,  qui  avait 
été  rappelé  de  l'armée  de  Deux-Ponts,  s'apprêtait  à  fran- 
chir l'Elbe,  près  de  Toplitz;  Wehla  occupait  Gcirlitz  et 
Lobau  en  Lusace,  et  (îemmingen  surveillait  le  prince  Henri 
sur  la  frontière  de  la  Saxe.  Le  8  juillet,  Daun  convoqua  un 
conseil  de  guerre,  et  proposa  de  faire  avancer  l'armée  au 
delà  de  la  Queiss  ;  malgré  l'opposition  de  presque  tous  les 
assistants,  il  allait  exécuter  son  projet,  quand  une  dépêche 
de  Fermer  et  les  renseignements  verbaux  d'un  de  ses  offi- 
ciers, le  marquis  de  Botta,  qui  rentrait  d'une  mission  au 


FEKMOH  HEMPLACÉ  PAR  SOLTIKOFF. 


127 


quartier  général  russe,  !«'  firent  chnnper  d'avis.  Hotta  avait 
eu  une  entrevue  avec  Soltikofl',  le  rempla<;ant  de  Fermor; 
le  nouveau  général  en  chef  informait  son  collègue  autri- 
cliieu  «  qu'il  avait  été  obligé  (1)  de  faire  repasser  la  War- 
tlia  aux  troupes  qui  étaient  sur  la  rive  gauche  de  cette  ri- 
vière, et  de  se  fortifier  dans  une  position  sur  la  rive  droite, 
les  Prussiens  étant  h  portée  de  lui  du  môme  cAté.  Il  ajoute 
(ju'il  va  envoyer  un  gros  détachement  sur  l'ennepii,  pour 
savoir  vérilablement  (jueiles  sont  ses  forces  et  la  fa(;on 
dont  il  est  campé,  et  que,  lorsque  tout  sera  disposé  pour  le 
mieux,  il  lui  (à  Daun)  en  fera  part  afin  de  suivre  le  plan 
projeté.  »  Les  appréciations  de  l'Autrichien,  flatteuses  pour 
l'armée  moscovite,  ne  le  sont  guère  pour  leur  chef:  «  M.  de 
itotta  a  trouvé  l'armée  russe,  on  ne  peut  pas  plus  belle. 
Klle  a  une  quantité  prodigieuse  de  canons;  s'il  a  rapporté 
une  bonne  idée  des  troupes,  il  n'est  pas  trop  bien  prévenu 
en  faveur  de  M.  de  SoltikofT.  11  en  a  jugé  le  jour  que  les 
l'russiens  se  montrèrent  auprès  de  Posen,  au  nombre  de 
10.000  hommes,  ce  qui  porta  la  plus  grande  confusion 
dans  le  camp  des  Russes;  et,  malgré  cela,  ce  général  ne 
se  montra  nulle  part.  Ce  fut  M.  de  Fermor  qui  fit  toutes  les 
dispositions  et  qui  tAcha  de  remettre  l'ordre,  de  façon  que 

M.  (le  Botta a  beaucoup  meilleure  opinion  de  M.  de 

Fermor  que  de  M,  de  Soltikoif.  »  Et  Montazet  de  conclure  : 
«  Que  devons-nous  donc  espérer  de  cette  armée,  si  ce  n'est 
qu'elle  occupe  30  ou  40.000  Prussiens  toute  la  campagne? 
et  je  trouve  que  ce  sera  beaucoup  faire  à  elle,  si  elle  rem- 
plit cet  objet  jusqu'à  la  lin  d'octobre  sans  recevoir  d'é- 
chec. 1) 

A  partir  du  30  juin  en  effet,  Fermor  avait  cessé  d'exercer 
le  commandement  suprême  qu'il  céda  à  Soltikoff,  tout  en 
consentant  à  servir  sous  lui,  et  à  lui  prêter  l'aide  de  son 


(1)  Montazet  à  Uclleisle.  Gerlachsclieirn,  î»  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3518. 


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128 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CUAP.  IV. 


U  ;  , 


expérience  et  de  ses  conseils.  Le  nouveau  commandant  en 
chef,  Agé  de  60  ans,  encore  très  actif,  sans  grande  expé- 
rience de  la  guerre,  devait  sa  nomination  à  la  faveur  dont 
il  jouissait  à  la  cour;  Kusse  de  la  vieille  école,  orthodoxe 
fervent,  simple  dans  ses  rapports,  il  sut  gagner  l'estime  du 
soldat  et  obtenir  le  concours  obéissant  de  ses  généraux. 
Mesnager  (1)  fait  son  éloge  :  «  Il  se  peut  qu'il  ne  réunisse 
pas  toutes  les  qualités  d'un  général,  mais  il  est  heureux, 
aifable,  désire  l'union,  et  s'il  n'avait  pas  les  mains  liées  par 
ses  instruclions,  je  crois  qu'il  entreprendrait  volontiers.  » 
Sur  le  champ  de  bataiMe,  Soltikolï'  montra  peut-être  plus 
de  coup  d'oeil  que  son  prédécesseur,  mais  dans  la  conduite 
générale  des  opérations,  nous  le  verrons  aussi  timide, 
aussi  hésitant  que  lui. 

Ce  changement  inattendu  n'était  pas  de  nature  à  aug- 
menter la  confiance  déjà  ébranlée  des  Autrichiens;  aussi 
Montazet,  qui  évidemment  dans  l'espèce  est  l'interprète  de 
la  pensée  de  l'état-major  impérial,  ne  croit  pas  à  la  coo- 
pération efficace  des  alliés  et  préférerait  laisser  à  chacun 
son  initiative.  Telle  devait  être  aussi  la  manière  de  voir 
de  Daun.  Il  venait  d'apprendre  par  Botta  (2)  que  les  Rus- 
ses n'étaient  pas  en  état  de  faire  campagne  ;  leur  parc  d'ar- 
tillerie était  encore  en  arrière,  leur  service  do  commis- 
sariat très  imparfait,  et  il  sci'ait  imprudent  de  compter 
sur  leur  arrivée  aux  bords  de  l'Oder  il  la  date  indiquée. 
Ces  impressions  répétées  devant  Springer  et  rapportées 
aussitôt  à  Soltikoff,  donnèrent  lieu  à  de  vives  protesta- 
tions (3)  de  la  part  de  ce  dernier.  Il  affirma  derechef 
son  intention  de  remplir  exactement  le  programme  de 
campagne  concerté  entre  les  deux  cours,  cita,  comme 


(1)  Mesnager  à  Uelleisle.  Fiancfoit,  )  août  IT.V.i.  Ardiives  de  la  Guerre, 
3520. 

(2)  Rapport  de  Springer,  10  juillet  i'V).  Masslowski,  III.  Pièces  annexes. 

(3)  Réponse  de  Sollikoff  au  rapport  de  Springer.  Masslowski,  III.  Pièces 
annexes. 


i(i 


FUÉDKRIC  ET  DAUN  VIS-A-VIS  LUN  DK  L'AUTRE. 


129 


preuve  à  l'appui,  le  mouvement  sur  01)ornik  qu'il  venait 
d'accomplir,  et  termina  en  se  plaignant  amèrement  de 
l'inaction  des  Autrichiens.  Des  récriminations  pareilles 
n'étaient  pas  de  bon  augure  pour  l'entente  loyale  des 
deux  armées.  ;        , 

Nous  avons  laissé  Frédéric  aux  environs  de  Landshut, 
attendant  avec  impatience  les  résultats  des  opérations  de 
Dohna,  auquel  il  avait  adjoint  Wobersnow  en  guise  de 
conseiller.  La  nouvelle  de  la  concentration  des  Russes  à 
Posen  fut  pour  lui  une  grosse  déception,  aussi  reproche-î  il 
à  ses  deux  lieutenants,  en  termes  vifs,  la  lenteur  de  leur 
manœuvre.  «  Uohna,  écrit-il  au  prince  Henri  (1),  au  lieu 
d'exécuter  son  entreprise  avec  célérité,  a  rampé  comme  une 
tortue  pour  avancer.  Il  est  parti  de  Landsherg  le  23  juin, 
et  il  était  le  29  à  5  milles  de  là;  toute  sa  marche  n'a 
été  que  de  12  milles.  Cette  lenteur  et  le  peu  de  précaution 
qu'il  a  pris  pour  cacher  sa  marche,  a  donné  à  Fermor  le 
temps  de  joindre  ses  corps  ».  Le  5  juillet,  l'armée  royale 
déboucha  de  Landshut  où  elle  fut  remplacée  par  Fouqué. 
Il  n'y  avait  plus  de  doute  :  Daun  combinait  ses  mouve- 
ments avec  ceux  des  Russes,  et  cherchait  une  réunion  à 
laquelle  il  fallait  à  tout  prix  mettre  obstacle.  «  La  grande 
allaire,  mande  le  Roi  à  son  frère  (2),  est  d'empêcher  (len- 
nemi)  d'envoyer  du  secours  aux  Russes  par  la  Lusace, 
ou  de  l'obliger  de  couvrir  ses  magasins  de  Zittau  et  de 
(label,  pour  que  toute  sa  force  ne  me  tombe  pas  sur  le 

corps; mon  camp  est  à  un  mille  et  demi  de  Lauban, 

à  un  demi-mille  de  Greifenberg,  et  environ  à  un  mille  et 
demi  de  Lœwcnberg;  ma  position  est  bonne  et  avanta- 
geuse. Daun  est  encore  àMarklissa;  Laudon  a  marché  au- 
jourd'hui, les  uns  disent  à  Lauban,  les  autres  vers  Seiden- 


(1)  Frédéric  à  Henri.  Rpich-IIfiiinorsdorf,  5  juillet  1739,  Correspondance 
puUliquc,  XVIII,  p.  357. 

(2)  Frédéric  à  Henri.  Schmollseifen,  10  juillet  175'J.  Correspondance  poli- 
tique, XVUI,  p.  390. 

CUEUnS   DE   SEPT  ANS.   —   T.    111.  9 


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^.    Il 


130 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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herg  ».  En  conséquence,  le  Roi  demande  au  prince  Henri 
de  se  porter  sur  Bautzen  et  d'occuper  Weissenberg-. 

Jusqu'au  29  juillet,  c'est-A-dirc  pendant  quinze  jours, 
Frédéric  resta  à  Schiaottseifen,  en  face  des  Autrichiens 
qui  l'avaient  suivi  et  qui  étaient  employés  comme  de  cou- 
tume à,  se  retrancher.  «  Daun,  écrit-il  à  son  frère  (1),  établit 
des  batteries,  comme  s'il  voulait  nous  battre  en  brèche; 
cela  devient  fol  à  force  d'être  outré.  »  Si  le  Roi  ne  pensait 
pas  à  assaillir  son  adversaire,  ce  dernier  était  encore  moins 
disposé  à  tAter  le  camp  prussien,  dont  remplacement 
avait  été  admirablement  choisi,  et  dont  on  pouvait  dire 
que  «  la  nature  s'était  complue  à  faire  une  place  de 
guerre  d'un  terrain  qui  ne  devait  être  qu'un  champ  la- 
bouré. >y 

Pendant  que  les  commandants  en  chef  se  surveillaient 
l'un  l'autre  sans  en  venir  à  une  rencontre,  au  delà  de  l'O- 
der, et  sur  les  rives  de  la  Wartha,  il  y  avait  eu  une  succes- 
sion de  marches  et  de  contre-marches  exécutées  par  l'ar- 
mée de  Dohna  et  par  celle  des  Russes.  Wobersnovv  qui 
commandait  lavant-garde  prussienne,  après  une  recon- 
naissance où  il  s'assura  que  toutes  les  forces  de  SoltikoU' 
étaient  concentrées  à  Posen,  dut  renoncer  à  une  attaque 
qui  ne  présentait  aucane  chance  de  succès.  Dohna,  avec 
le  gros,  se  porta  sur  la  Wartha,  aux  environs  d'Obornik, 
dans  l'espoir  que  les  Russes,  pour  recouvrer  leurs  commu- 
nications avec  les  places  de  la  Vistule,  abandonneraient  leur 
position  actuelle.  Cette  attente  fut  trompée;  le  7  juillet, 
Soitikolf  déboucha  de  Posen  où  il  laissa  ses  gros  bagages, 
et  couvert  par  un  rideau  de  cosaques,  gagna  Tarnowo  et 
Winskowice,  où  il  se  trouvait  plus  rapproché  de  l'Oder  que 
son  adversaire.  Kn  agissant  ainsi,  et  en  sacrifiant  pour  le 
moment  sa  base  de  ravitaillement,  le  général  russe  prouvait 


(I)  Frédéric  à  Henri.  Sclimoltseiren,  IC  juillet  17.1!).  Correspondance  poli- 
tique, XVIII,  |i.  i07. 


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LES  RUSSES  MARCHENT  VERS  LODER. 


131 


o  et 

que 

|ur  le 

lu  V  ait 


poli- 


qu'il  avait  à  cœur  de  remplir  le  programme  convenu  et  de 
donner  la  main  aux  Autrichiens.  Il  persévéra  dans  cette 
ligne  de  conduite,  et  admirablement  secondé  par  ses  cosa- 
ques groupés  sous  la  direction  de  Todlebcn,  déjoua  les 
manœuvres  de  l'adversaire  et  franchitle  20  juillet  à  Golt- 
zen  la  frontière  du  Brandebourg.  Entre  temps  Dohna,  fort 
gêné  i)ar  le  manque  de  farine,  qu'il  ne  pouvait  obtenir  des 
Polonais  sans  des  mesures  de  rigueur  interdites  dans  un 
pays  neutre,  avait  perdu  beaucoup  de  temps  à  transporter 
ou  à  reconstruire  ses  fours  ;  puis,  de  plus  en  plus  préoc- 
cupé de  la  jonction  qu'il  avait  ordre  d'empêcher,  avait 
marché  le  21  de  Schwiebus  il  Zullichau,  d'où  il  chassa  un 
détachement  russe  qui  s'y  était  installé  la  veille.  Le  len- 
demain, l'arrivée  du  général  Wedell,  muni  de  pouvoirs 
extraordinaires  pour  le  remplacer  à  la  tête  de  l'armée, 
mit  fin  à  ses  embarras. 

Dans  ses  opérations  en  Posnanie,  Dohna  semble  avoir 
manqué  de  célérité  et  de  décision;  il  laissa  échapper  des 
occasions  favorables  d'engager  l'ennemi  et  ne  sut  pas  in- 
terdire à  SoltikofF  l'approche  de  l'Oder.  Wobersnow  par- 
tagea les  erreurs  de  son  chef,  ou  n'eut  pas  assez  de  crédit 
pour  1ns  prévenir.  Frédéric,  selon  sou  habitude,  ne  dis- 
sinv;  !);>s  son  mécontentement;  une  lettre  à  Wobers- 
n  V  fcine  du  bhVme  le  plus  sévère,  se  termine  par 

ces  mol  Votre  campagne  de  Pologne  mériterait  d'être 
imprimée  comme  exemple  éternel  des  partis  qu'un  offi- 
cier judicieux  ne  doit  pas  prendre.  Vous  avez  fait  toutes 
les  sottises  qu'on  peut  faire  à  la  guerre,  et  pas  la  moin- 
dre chose  qu'un  homme  avisé  puisse  approuver.  »  Quant  à 
Dohna,  il  reçut  de  son  maître  (2)  le  billet  caractéristique 
suivant  :  «  Vous  êtes  trop  malade  pour  vous  charger  du 

(1;  Frédéric  à  Wobersnow.  Scliinollseifen,  19  juillet  1759.  Correspondance 
pitlHique.  XVUI,  p.  492. 

(2)  Frédéric  à  Dohna.  Sciimollscifen,  20  juillet  17b9.  Cortcxpondance 
politique,  XVllI,  \\.  425. 


132 


L.\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  IV. 


commandement.  Vous  ferez  bien  de  vous  faire  transporter 
ou  à  lierlin,  ou  dans  un  endroit  où  vous  pourrez  remettre 
votre  santé.  Adieu.  »  Avouons  que  si  le  ton  méprisant  et 
brutal  que  Frédéric  assumait  à  l'égard  de  ses  généraux 
malheureux  ou  incapables  prête  à  la  critique,  ce  genre 
de  procédés  était  plus  fertile  en  résultats  que  celui  des 
compliments  de  condoléance  adressés  par  la  cour  de  Ver- 
sailles aux  uns,  ou  de  l'indulgence  bienveillante  dont  elle 
savait  couvrir  les  fautes  des  autres. 

WedcU,  le  nouveau  général  de  l'armée  prussienne, 
moins  ancien  de  grade  que  qu'^lques  collègues  placés  sous 
ses  ordres,  avait  reçu  une  commission  le  désignant  comme 
représentant  du  Roi,  devant  être  auprès  des  troupes  «  ce 
qu'un  dictateur  a  été  du  temps  des  Romains..  »  Ses  instruc- 
tions (1)  lui  enjoignaient  d'arrêterles  ennemis  en  choisis- 
sant une  bonne  position,  de  les  attaquer  ensuite  «  à  la  ma- 
nière du  Roi,  d'exiger  de  tous  du  zèle  et  de  l'obéissance, 
de  faire  passer  au  conseil  de  guerre  tout  officier  qui  com- 
mettrait des  lâchetés.  » 

Comme  le  démontrent  des  expériences  multiples,  le 
remplacement  d'un  chef  même  médiocre,  à  la  veille  d'une 
affaire,  ne  fut  pas  un  avantage  pour  les  Prussiens;  Wedell, 
il  est  vrai,  avait  signalé  son  arrivée  par  un  petit  succès, 
en  lan(;ant  l'escorte  de  cavalerie  venue  à  sa  rencontre 
contre  les  fourrageurs  ennemis,  et  en  leur  prenant  ou  tuant 
;{00  hommes;  mais  il  n'eut  le  temps  ni  d'étudier  le  pays 
ni  de  se  rendre  compte  des  projets  de  l'ennemi.  Les  Russes 
profitèrent  de  la  circonstance  :  Soltikofï,  après  une  ins- 
pection des  lignes  prussiennes,  se  décida  à  les  tourner  par 
leur  gauche;  à  cet  efl'et,  il  mit  son  armée  en  branle  et 
bivouaqua  avec  le  gros  près  de  Ruckow  et  Tavant-garde 
entre  Schonborn  et  Nickern;  le  2;J  juillet,  au  petit  jour  il 
continua  le  mouvement.  Un  témoin  oculaire,  le  major  russe 

(1)  InsUiiclions  f/our  Wedell.  Correspondance  politiqyr,  XVIII,  p.  424. 


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CHAMP  DE  BATAILLE  DE  PALT/JG. 


133 


de  Tcttau,  fait  (1;  des  incidents  de  la  matinée  la  descrip- 
tion suivante  :  «  Toute  l'armée,  excepté  les  k  régiments, 
sous  les  ordres  du  lieutenant  général  MordwinoU',...  arri- 
vait durant  la  nuit,  et  les  deux  chefs,  ayant  encore  reconnu 
si  l'ennemi  n'avait  pas  changé  sa  position,  nous  firent  faire 
un  quart  de  conversion  à  droite  et  marcher  le  long  des 
montagnes,  jusqu'au  village  de  Paltzig,  en  deçà  duquel  l'on 
s'arrêta,  et  ayant  remarqué  que  l'ennemi  marchait  aussi 
sur  le  penchant  des  montagnes  opposées,  on  fit  placer 
quelque  artillerie  sur  une  hauteur  devant  notre  droite, 
d'où  l'on  incommodait  sa  cavalerie  qui  couvrait  ses  co- 
lonnes. » 

Les  deux  armées  étaient  séparées  par  un  vallon  maré- 
cageux d'une  largeur  variant  de  300  à  600  mètres,  dans 
lequel  un  petit  affluent  de  l'Oder  élargit  de  temps  en  temps 
son  cours,  pour  former  des  étangs  ou  retenues  d'eau  ali- 
mentant les  moulins  de  la  contrée.  Sur  ce  ruisseau,  se  suc- 
cédaient les  ponts  du  village  de  Nickern,  de  la  Eichmiilile, 
du  village  de  Glogsen  et  de  la  lleidemuhle,  ce  dernier  ser- 
vant à  la  grande  route  de  Posen  à  ZuUichau  et  Crossen.  Au 
nord,  et  sur  la  rive  droite,  s'élève  entre  le  cours  d'eau 
et  les  chaumières  de  Paltzig  la  chaîne  des  hauteurs  dont 
parle  Tettau.  Ce  fut  sur  ces  mamelons  que  les  généraux 
russes  rangèrent  leurs  troupes,  quand  ils  eurent  deviné 
les  inteniions  offensives  des  Prussiens.  La  première  divi- 
sion, dont  Fermor  avait  pris  le  commandement  depuis 
son.  remplacement  dans  les  fonctions  de  général  en  chef, 
composait  la  droite;  elle  s'appuyait  sur  la  route  de  Cros- 
sen défendue  par  une  batterie  et  un  fossé  que  Fermor  y 
avait  fait  creuser;  2  régiments  étaient  repliés  en  équerrc, 
parallèlement  à  la  chaussée.  La  deuxième  division,  celle 
de  Villebois,  s'alignait  au  centre  devant  le  village  de  Pal- 


(1)  Journal  des  campagnes  de  1758-60;  Major  v.  TeUau.  Archives  de  l'K- 
lalniajor  général,  Uerlin,  XXVII  n"  "1 


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134 


LA  r.UERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


tzig;  enfin  le  corps  d'observation,  sous  le  prince  Galitzin, 
formait  la  gauche  et  surveillait  les  abords  de  Nickcrn. 
L'infanterie  de  la  droite  et  du  centre  était  en  deu.\  lignes, 
celle  de  la  gauche  en  une  seule;  la  cavalerie  était  sur  les 
ailes  ou  dans  les  intervalles;  la  grosse  artillerie  était  ré- 
partie en  8  groupes  sui*  le  front  de  bataille.  Déduction 
faite  de  la  garnison  de  Posen  et  des  deu.x  brigades  Fast 
et  iMordwinow,  laissées  k  Goltzen  pour  la  garde  des  ba- 
gages, ou  en  marche  pour  rejoindre,  l'armée  de  Soltikofl" 
comptait  'jV  bataillons,  3'+  escadrons,  7  à.  8.000  cosaques 
et  irréguliers  et  186  canons,  y  compris  les  pièces  des  régi- 
ments, soit  environ  46.000  combattants  (1)  dont  3'i..000 
fantassins.  A  ce,"  forces,  les  Prussiens  étaient  à  môme  d'op- 
poser 30  bataillons  et  67  escadrons,  soit  près  de  30.000  ef- 
fectifs, dont  20.000  infanterie;  en  artillerie  ils  étaient  très 
inférieurs  aux  Russes, 

Wcdell  commença  la  matinée  du  23  juillet  par  une  re- 
connaissance, pour  laquelle  il  se  fit  accompagner  de  deux 
régiments  de  dragons,  de  tous  ses  hussards  et  de  quelque 
infantei'ie;  il  parait  ne  pas  s'être  douté  du  proche  voisi- 
nage de  l'ennemi,  ni  de  ses  projets  aggressifs.  D'ailleurs 
i!  ne  pouvait  découvrir  le  gros  de  l'armée  russe,  dont 
la  lorét  qui  s'étend  derrière  Paltzig  lui  dérobait  la  vue; 
mais  soupçonnant  d'après  les  nuages  de  poussière  un 
mouvement  de  leur  part,  il  se  mit  à  la  recherche  d'une 
nouvelle  position  pour  ses  propres  troupes.  Il  était  encore 
à  cette  besogne,  quand  vers  11  heures,  le  canon  de  la  bat- 
terie que  les  Prussiens  avaient  dressée  sur  la  colline  de 
l'Eichberg,  entre  Kaltzig  et  Schonborn,  l'avorlit  qu'on 
était  déjà  aux  prises  de  ce  côté.  WedcU  s'empressa  de  ren- 

(l)  Masslowskl  évalue  l'armée  russe  à  40.000  hoinincs,  mais  il  ne  compte 
les  54  bataillons  qu'à  ."lao  lioinmes;  ces  eh ilTres  semblent  trop  faibles.  Teltau 
donne  pour  son  régiment  (2  bat.)  pendant  l'aclion  une  perte  de  703  tués  et 
blessés,  ce  qui  suppose,  vu  les  circonstances,  un  effectif  bien  suitérieur  aux 
diiffrcs  de  Massiowski. 


[f\ 


BATAILLE  DE  PALTZIC. 


135 


trcr  au  camp,  où  il  trouva  son  monde  sous  les  armes.  II 
devenait  évident  que  les  (lusses  cherchaient  à  se  g:lisser 
entre  lui  et  l'Oder,  Pour  déjouer  cette  raancï'uvre,  il  lui 
fallait  s'emparer  de  la  route  de  Oossen,  <[ui  servirait  de 
débouché  à  Soltikofl",  et  partant  livrer  la  bataille  que  lui 
prescrivaient  les  instructions  royales.  Le  dictateur  s'arrêta 
à  ce  parti,  et  résolut  de  combiittre  les  Flusses  ur  un  ter- 
rain qu'il  n'avait  pas  pu  parcou'rir,  et  dont  il  no  soupçon- 
nait pas  les  diflicultés. 

Ses  dispositions  furent  aussitôt  prises  :  L'avant-garde 
de  cinq  bataillons  sous  le  général  ManteufFel,  Ja  division 
Hulsen  de  même  force  et  la  cavalerie  de  l'aile  gauche,  tra- 
versèrent le  village  do  Kay  et  se  dirigèrent  sur  la  (Iross 
ou  lleidemiihle;  V  bataillons  étaient  destinés  aune  atta- 
que de  flanc;  le  centre,  conduit  par  Kanitz,  devait  franchir 
le  ruisseau  en  amont,  tandis  que  la  droite,  composée  uni- 
quement de  cavalerie,  essaierait  de  passer  à  Nickern  ;  enfin, 
Wobersnow,  avec  G  bataillons  et  8  escadrons,  était  en  ré- 
serve. L'affaire  débuta  par  une  démonstration  de  la  ca- 
valerie de  droite,  dans  la  direction  de  Nickern,  que  fît 
échouer  la  nature  marécageuse  du  terrain,  tout  autant 
que  les  projectiles  des  batteries  russes  ;  pour  empêcher  une 
nouvelle  tentative  de  ce  côté,  les  cosaques  incendièrent  le 
village  et  détruisirent  le  pont. 

Vers  deux  heures,  la  canonnade  (1)  s'étendit  sur  toute 
la  ligne;  malgré  le  feu  des  défenseurs,  les  Prussiens  se 
formèrent  à  l'abri  des  bois  qui  bordaient  les  deux  rives 
du  ruisseau  et,  poussant  à  travers  le  marais,  commencè- 
rent, vers  trois  heures  et  demie,  l'attaque  de  la  droite  de 
Soltikofl'.  Ce  ûer.^ier,  assisté  de  Fermor,  avait  eu  tout  le 
loisir  de  faire  ses  préparatifs.  Dans  les  rangs  moscovites 

(1)  Le  récit  de  la  bataille  est  tirô  de  Masslowski;  de  la  Grsc/iiclite  des  Sir' 
licnj/lln  it/cn  h'rirf/cs.  Berlin,  1828;  de  la  relation  du  colonel  saxon  Riedesel. 
Xcitsrhrifl  fiir  Kunst,  etc.  Berlin,  1855,  du  journal  de  Tettau,  du  rapport  de 
Mosnager,  etc.,  etc.  Voir  la  carte  à  la  lin  du  volume. 


138 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


OU  ne  prévit  pas  d'abord  une  action  sérieuse  :  «  On  dési- 
gna, écrit  Tettau,  les  endroits  où  nous  devions  prendre 
notre  camp,  ne  croyant  pas  que  l'ennemi  s'approcherait 
trop  pour  eu  venir  aux  mains  aujourd'hui.  La  chaleur 
était  excessive,  et  déjà  on  fit  couper  le  blé  sous  nos  pieds, 
pour  en  donner  à  nos  chevaux,  et  pour  faire  un  vide  h 
dresser  nos  tentes.  »  Mais  Fermor  n'avait  pas  été  trompé 
par  la  tranquillité  de  la  matinée;  il  avait  placé  ses  batte- 
ries sur  et  à  C(Mé  de  la  grande  route,  de  manière  à  prendre 
l'assaillant  de  front  et  en  écharpe  au  débouché  des  bois 
qui  frangeaient  la  base  de  la  position  russe.  Cependant 
une  circonstance  favorisait  l'attaque  :  à  partir  d'Eichmiihle 
et  devant  le  centre  de  Paltzi;:,  le  ruisseau  fait  un  coude 
vers  le  sud  jusqu'au  confluent  du  petit  cours  d'eau  de 
Kay,pour  gagner  ensuite  sa  direction  primitive.  Le  renfle- 
ment de  la  rive  droite  qui  épouse  les  sinuosités  du  vallon , 
constitue  ainsi  un  promontoire  de  forme  triangulaire,  dont 
le  sommet  touche  au  pont  de  la  grande  route  à,  (îross- 
midile,  et  l'un  des  côtés  longe  un  marais  à  peu  près  in- 
franchissable. Ce  promontoire  avait  été  laissé  en  dehors  des 
lignes  russes,  et  quoique  balayé  par  leur  canon,  offrait, 
grâce  aux  bouquets  de  bois  dont  il  était  semé,  des  faci- 
lités au  déploiement  des  colonnes  prussiennes.  Pour  pa- 
rer iV  cet  inconvénient,  le  général  Volkonsky  vint  occuper  la 
partie  saillante  jusqu'à  la  lisière  du  bois  avec  «  le  premier 
régiment  de  grenadiers,  celui  de  Sibérie,  un  bataillon  de 
Perm,  et  le  régiment  d'Uglitz.  »  Ce  furent  ces  unités  qui 
reçurent  le  premier  choc  et  éprouvèrent  les  plus  grandes 
pertes;  aussi  emprunterons-nous  quelques  détails  de  la  ba- 
taille au  récit  très  mouvementé  du  major  von  Tettau,  qui 
servait  au  régiment  de  Sibérie. 

L'attaque  du  général  prussien  se  ressentit  du  défaut  de 
reconnaissance;  elle  se  fit  successivement,  sans  ensemble, 
et  avec  un  décousu  qui  ne  fait  pas  honneur  au  tacticien 
responsable.  Manteuffel  qui  avec  l'avant-garde  devait  don- 


ATTAQUES  DE  MAMEUFFEL  ET  IIULSEN. 


137 


ncp  le  premier  n'eut  pas  plus  de  succès  qu'à  la  hafaille  de 
Zorndorf;  ses  bataillons  franchirent  le  ruisseau  et  se  por- 
tèrent en  avant,  appuyés  par  leurs  canons  de  campagne 
et  quelques  grosses  pièces  qu'on  avait  ameuées  à  la  rive 
sud  du  vallon  de  (îlogsen;  mais  écrasés  par  le  feu  supé- 
rieur des  batteries  russes,  découragés  par  la  blessure  de 
leur  chef,  ils  reculèrent  en  désordre,  sans  avoir  abordé 
l'adversaire.  Wodell,  qui  montra  dans  la  journée  autant  de 
bravoure  que  peu  de  capacité,  sans  attendre  le  concours 
du  détachement  chargé  d'agir  sur  le  flanc  droit  des  Russes, 
fit  appel  aux  troupes  de  soutien  commandées  par  Hulsen. 
Laissons  la  parole  à  Tetfau  :  «  Le  bois  épais  nous  empo- 
cha de  les  voir  (les  Prussiens)  avancer;  nos  batteries  en 
arrière  de  nous  sur  la  hauteur  principale  ne  disconti- 
nuaient pas  à  tirer,  malgré  le  feu  que  l'ennemi  y  fit,  mais 
celle  d'en  bas fut  rendue  inutile  par  l'infanterie  prus- 
sienne qui  s'était  glissée  sans  être  aperçue  dans  le  bois,  et 
tirait  d'abord  tous  les  '^anonniers  qui  n'y  prenaient  pas 
garde,  et  faisaient  un  feu  ell'royable  de  front,  sans  voir 
qu'on  les  rassommait  de  derrière  les  broussailles....  Ces 
gens  (les  Prussiens)  sortaient  courbés  du  bois,  comme  des 
chasseurs,  mais  sans  perdre  un  moment,  ils  avançaient 
d'une  mine  hardie  et  fière  sous  un  feu  si  supérieur  à  celui 
qui  leur  était  opposé,  que  dans  fort  peu  de  temps  le  régi- 
ment d'Uglitz,  le  bataillon  de  Perm,  et  le  second  de  Si- 
bérie lûchaient  pied.  »  Pris  en  flanc  par  les  Prussiens  qui, 
embusqués  dans  un  chemin  creux  et  cachés  derrière  les 
arbres,  le  fusillaient  à  30  pas  de  distance,  l'autre  batail- 
lon de  Sibérie  recula  à  son  tour;  il  fut  sauvé  de  sa  posi- 
tion critique  par  le  régiment  de  Nissowsky,  de  la  seconde 
ligne,  qui  chassa  l'assaillant  du  bois  et  vint  boucher  la 
trouée  dans  la  première  ligne  des  Russes.  D'autre  part 
Soltikolf ,  voyant  que  l'efTort  des  Prussiens  visait  presque 
exclusivement  sa  droite,  l'avait  renforcée  de  2  régiments 
d'infanterie  empruntés  à  l'aile  gauche.  L'action  continua 


•188 


LA  r.UERRE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIVP.  IV. 


avec  fureur;  tous  les  l)iitaiUons  de  la  gauche  prussienne 
s'engagèrent  à  l'exception  de  la  r«'?serve  de  Wobersnow. 
«  L'infanterie  prussienne,  raconte  Tettau,  avait  fait  des 
efforts  pour  renverser  (|uel(jucs  bataillons  du  cor[)S  de  (la- 
litzin,  (tirés  par  Soltikoll'do  sa  gauche)  qui  lui  disputaient 
le  passage  par  l'intervalle  du  bois,  d'où  elle  fut  soutenue 
toutes  les  fois  qu'elle  commençait  i\  plier;  il  me  semble 
que  je  l'ai  vu  revenir  ([uatre  fois  à  la  charge;  la  batterie 
d'en  haut  les  empocha  trop.  Enfui,  leur  cavalerie  tenta 
une  attaque.  » 

C'était  la  division  de  Wobersnow  qui  entrait  en  ligne; 
mais  contrairement  à  ce  qui  s'était  passé  pour  les  assauts 
antérieurs,  la  cavalerie  y  prit  une  large  nart.  Les  15  es- 
cadrons de  Schorlemmer  quittèrent  la  route  à  (IrossmUhle, 
descendirent  la  rive  droite  du  ruisseau,  traversèrent  le 
bois  marécageux  parallèle  à  la  grande  route,  se  formèrent 
en  bataille,  malgré  les  difficultés  du  terrain,  et  se  lancè- 
rent contre  l'extrôme  droite  des  Russes.  Cette  explication 
donnée,  continuons  notre  citation  :  «  Quelques  escadrons 
de  Schorlemmer  percèrent  furieusement  le  régiment  d'in- 
fanterie de  Kicw  (1),  entamèrent  même  la  réserve,  ren- 
versèrent quelques  cuirassiers  de  Kiew,  mais  le  lieutenant 
général  de  Demicow  (2)  arrivait  avec  quelques  escadrons 
de  cuirassiers  du  régiment  de  S.  A.  L  fort  à  propos;  ils 
(les  Prussiens)  furent  ramenés  rudement  et  furent  régalés 
par  le  feu  de  la  seconde  ligne  dont  le  brave  général  Demi- 
cow fut  tué.  Ils  repassèrent  néanmoins  par  le  ventre  de  la 
première  ligne,  bien  qu'elle  les  reçut  la  bayonnette  au  bout 
des  fusils,  et  furent  reconduits  par  nos  escadrons  jusqu'à 


i\     i 


(1)  Teltau  doit  faire  erreur;  il  n'y  avait  pas  de  régiment  d'infanterie  du  nom 
de  Kiew,  dans  l'armée  de  Soltilioff.  Riedesel  cite  le  régiment  Kyan,  comme 
très  éprouvé  par  la  charge  de  la  cavalerie  prussienne.  Peut-être  s'agil-ii 
du  régiment  Wjatka,  qui  se  trouvait  dans  cette  partie  du  champ  de  bataille. 

(2)  Uemicoude,  officier  d'origine  suisse  qui  s'était  distingué  à  la  bataille  de 
Zorndorf. 


COMBAT  SI  R  LA  ROUTE  DE  CROSSEN. 


13» 


du  nom 
comme 
s'agil-iî 
bataille, 
taille  de 


leur  front.  »  Ici  se  place  un  retour  ollensif  au(jucl  partici- 
pèrent les  hussards  prussiens,  et  une  série  tle  con)bats  à 
l'arme  blanche  entre  eux  et  les  dragons  de  Schorlcinmer, 
d'une  part,  et  la  brigade  dcJaropkin  venue  de  la  gauche, 
et  appuyée  par  les  cosaques  de  Tschugujew  de  l'autre.  Le 
succès  resta  en  définitive  aux  Russes.  L'infanterie  de  \Vo- 
bcrsnoNV  se  comporta  beaucoup  moins  bien  que  la  cava- 
lerie; abîmée  par  la  mousquetcrie  et  l'artillerie,  abordée 
en  flanc  par  les  escadrons  de  Panin,  elle  prit  la  fuite;  Wo- 
bersnnw  fut  tué  en  essayant  de  la  rallier. 

Le  désir  de  suivre  le  récit  de  Tettau  nous  a  amenés  à 
nous  attacher  plus  particulièrement  aux  épisodes  de  la 
partie  du  champ  de  bataille  oit  était  posté  le  régiment 
de  notre  narrateur,  (^e  fut  d'ailleurs  sur  ce  point  que  la 
lutte  fut  la  plus  acharnée,  mais  pendant  les  assauts  suc- 
cessifs que  les  fantassins  de  Wedell  livrèrent  contre  la 
brigade  Volkonsky  et  les  renforts  qui  lui  vinrent  en  aide, 
il  y  eut  un  engagement  des  plus  vifs  aux  abords  de  la  grande 
route  de  Crossen.  Ici,  le  terrain  plus  dégarni  était  balayé 
par  le  feu  de  la  grande  batterie  que  Fermor  avait  fait 
établir;  aussi,  l'attaque  prussienne  fut-elle  plus  facilement 
repoussée,  et  les  régiments  russes  ne  firent-ils  pas  de  pertes 
aussi  sensibles  que  celles  de  leurs  camarades.  Le  général 
Stuttcnheim,  (|ui  tenta  avec  i  bataillons  de  tourner  la  bat- 
terie en  passant  par  la  plaine  marécageuse,  réussit  à  dé- 
ployer le  régiment  de  Bevern ,  mais  ne  put  l'entraîner  à 
l'assaut;  une  charge  de  cuirassiers  dirigée  contre  la  bat- 
terie échoua  également;  ils  laissèrent  aux  mains  des  Rus- 
ses leur  colonel  blessé  et  leurs  étendards.  De  ce  côté  eut 
lieu  l'incident  raconté  par  Tettau  :  <(  Presque  tout  le 
deuxième  bataillon  de  Trcskow  déserta  dans  les  haies  et 
passa  du  côté  du  régiment  de  Moscou,  prenant  un  drapeau 
avec;  ces  gens  étaient  presque  tous  de  la  haute  Silésie, 
sujets  de  l'Impératrice-Reine.  » 

Il  était  plus  de  7  heures  quand  la  bataille  se  termina; 


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140 


L\  GUKIIRK  DE  SKPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


railc  gauche  des  Prussiens,  qui  formait  plus  des  deux  tiers 
de  leiu'  armëe,  était  eu  pleine  di'iroute.  Seuls  les  8  halail- 
lo..s  de  Kanitz  et  ia  cavalerie  de  la  droite,  dont  le  jùle 
s'était  borné  iV  des  démonstrations  inutiles  du  cùté  d'Kicli- 
mdhlc  et  de  Niekern  sans  franchir  le  ruisseau,  avaient 
conservé  leurs  formations;  ils  couvrirent  la  retraite  (jui 
se  fit  jusqu'au  cours  d'eau  de  Mosau  et  se  continua  le  len- 
demain jus(ju'<\  l'Oder.  L'armée  battue  fut  assez  molle- 
ment suivie  par  les  irré^uliers  de  Todleben  qui  ramassè- 
rent des  traînards  et  queUjues  bagages. 

Aux  vaincus  rallairc  coiUa,  d'après  leurs  états  officiels, 
1.428  officiers  et  soldats  tués;  V.556  blessés,  2.1(>'i.  [irison- 
niers  ou  disparus,  en  tout  238  officiers,  et  7.910  soldats; 
parmi  les  tués  le  général  Wobersnow ,  au  nombre  des 
blessés  les  généraux  Manteull'el  et  (iablentz.  Treize  canons, 
2  étendards  et  2  drapeaux  restèrent  en  possession  des 
vainqueurs.  Ces  chiffres,  tout  au  moins  pour  le  détail,  ne 
sont  pas  d'accord  avec  ceux  des  Kusses,  d'après  lesquels 
ils  auraient  enterré  sur  le  champ  de  bataille  'i..220  cada- 
vres prussiens;  par  contre,  ils  n'auraient  recueilli  que 
1.200  blessés  et  enregistré  seulement  l.'i.95  prisonniers  ou 
déserteurs.  Les  pertes  de  l'armée  russe  se  montèrent  à 
900  tués  (1),  3.90i  blessés,  soit  environ  5.000  de  tous  rangs. 

En  résumé,  la  bataille  de  Paltzig  ou  de  Kay,  livrée  mal 
îY  propos,  sans  étude  suffisante  du  terrain,  conduite  sans 
méthode  pendant  l'action,  se  réduisit  à  un  engagement 
des  plus  sanglants  entre  20.000  Prussiens  et  26,000  Kusses, 
où  les  premiers  perdirent  kO  0/0,  les  seconds  20  0/0  de 
leurs  effectifs.  Du  côté  des  Russes,  toutes  les  armes  se  dis- 
tinguèrent, l'infanterie  par  sa  solidité  et  sa  puissance  de 
résistance,  la  cavalerie  par  la  vigueur  et  l'opportunité  de 
ses  charges,  Tartilleric  par  l'intensité  et  la  précision  de 
son  tir.  Soltikolf,  bien  secondé  par  Fermer,  montra  du 

(r,  Chifl'ies  donnés  iiar  TeUau. 


LliS  lUJSSES  OCCIPENT  FRANCrOUT. 


141 


co.ip  d'ci'il  et  de  la  décision  sur  I«î  terruiu,  mnis  il  no  fira 
pns  pi'olit  de  sa  vicfoirc  F^a  fatij,'-iie  de  ses  lioinnics,  et 
plus  encore  le  souvonir  de  Zorndorf,  lui  servirent  d'ex- 
cuse pour  l'être  resté  juscju'au  hout  sur  la  défensive.  Quant 
aux  Prussiens,  à  l'exception  des  cavaliers  de  Schorlemmcr, 
ils  ne  lurent  pas  <ï  la  hauteur  de  leur  réputation,  Frédéric 
ne  sut  pas  mauvais  gré  à  Wedell  de  son  échec;  peut-être 
avait-il  conscience  de  la  part  de  responsabilité  que  lui 
valaient  des  instructions  trop  impérieuses  :  ■■  J'avais  le 
pressentiment  que  l'affaire  irait  mal,  écrit-il  (1  )  à  la  récep- 
tion de  la  nouvelle il  ne  faut  plus  y  penser,  mais  aux 

secours  (ju'on  peut  réunir  pour  reprendre  l'allaire  à  n<'uf. 
Ce  n'est  pas  votre  faute  si  les  canailles  ont  lAché  pic  si 
honteusement.  » 
.Le  21.  juillet,  lendemain  de  la  bataille,  les  Prussiens 
passèrent  l'Oder  à  Tschicherzig-,  tandis  que  les  Kusses  em- 
ployèrent la  journée  à  enterrer  les  morts,  à  ramasser  les 
blessés  et  à  remettre  l'ordre  dans  les  régiments  les  plus 
éprouvés.  Le  25,  le  prince  VolkonsUy,  avec  un  détachement 
de  V.OOO  hommes,  s'empara  de  Crossen  d'où  il  chassa  les 
hussards  prussiens  et  où  il  trouva  des  provisions  de  pain 
et  de  farine;  le  28,  il  fut  rejoint  par  le  gros  de  l'armée.  On 
jeta  aussitôt  quelques  troupes  légères  sur  la  rive  gauche 
de  l'Oder,  et  on  commença  à  préparer  des  ponts  pour  la 
traversée  du  fleuve.  De  Crossen,  le  général  Villebois  fut 
envoyé  avec  10.000  hommes  sur  Francfort;  le  31 ,  il  oc- 
cuj)a  !a  ville  sans  grande  difficulté,  lit  prisonnier  le  ba- 
taillon de  milice  qui  y  tenait  garnison,  et  prit  possession 
de  magasins  importants. 

Dès  le  29  juillet,  les  communications  avaient  été  ouver- 
tes avec  les  Autrichiens  (2)  grAce  à  l'arrivée  d'un  ofticier 


rd 


(0  Frédéric  à  Wedell.  Sclimoltseifen,  2i  juillet  175'J.  Caircspandancr. 
politi<lue,  XVIII,  445. 

(2)  Rlcdesel  à  Bruiil.  Crossen,  2!t  juillet  1759.  Zcitsc/iriff  fiir  Kunsi,  etc. 
Berlin,  1855. 


142 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


!    )} 


expédie  par  Laudon,  qui  annonçait  la  présence  de  ce  der- 
nier à  Muskau  avec  un  corps  de  20.000  hommes.  Le  31, 
nouveau  mossaju^er  (1)  de  ce  général,  venu  de  Sommerfeld, 
et  demandant  qu'on  lui  indiquât  le  point  de  jonction  avec 
les  Russes.  On  apprit  à  cette  occasion  que  le  roi  de  Prusse 
(Hait  le  29  à  Bunzlau  ;  enfin,  le  soir,  on  reçut  la  visite  du  gé- 
néral aiitriciiien  Betlem,  escorté  de  200  hussards,  q'ii  con- 
firma ces  informations.  A  la  réception  de  ces  avis  succes- 
sifs, Solti'voli'  convoqua  un  conseil  de  guerre  et,  sur  son 
vote  conforme,  ordonna  la  marche  sur  Francfort,  qui  fut 
désigné  à  Laudoii  comme  endroit  de  réunion  des  deux 
•trmées. 

Avant  de  suivre  les  Russes  dans  l'"U'  mouvement  qui 
ne  fut  pas  inquiété  par  l'ennemi,  il  convient  de  nous  re- 
porter au.v  quartiers  généraux  de  Daun  et  de  Frédéric. 
Le  feld-maréchal,  quoiqu'il  eût  tout  lieu  de  croire  les  Rus- 
ses encore  dans  les  parages  de  Posen,  s'était  déterminé, 
non  sans  de  longues  hésitations,  à  envoyer  au-devant 
d'eux  un  fort  détachement  de  son  armée.  Voici  en  quels 
termes  Montazet  rend  compte  (2)  de  la  décision  prise  : 
«  Pour  moi  je  ne  vois  rien  de  mieux  à  faire  aujourd'hui 
que  ce  que  M.  le  Maréchal  a  résolu.  Le  voici  en  quatre 
mots  :  1°  Il  ne  laissera  à  M.  d'Harsch  que  15  à  20.000  hom- 
mes pour  faire  la  guerre  défensive  vis-à-vis  de  Land- 
shut,  puisqu'il  trouve  l'offensive  si  difficile;  2°  Il  mettra 
20.000  hommes  en  Saxe  vis-à-vis  de  M.  le  prince  Henri, 
afin  de  n'avoir  aucune  inquiétude  sur  la  Hohême,  ni  sur  ses 
subsistances;  3°  Il  a  donné  des  ordres  à  M.  Hadick,  pour 
marcher  après-demain  avec  35.000  hommes  sur  le  Bas- 
Oder  vers  Ci'ossen,  afin  de  prouver  aux  Russes  l'envie 
qu'on  a  de  les  seconder  et  de  les  engager  par  là  à  faire 


(1)  Riedcsel  à  Rrulil.  Crossen,  31  juillet  I7.VJ.  Zeilsclirift  fi'tr  Ivinst,  elc. 
Berlin,  1855. 

(2)  Montazel  à  lîelleisle.  (lorlitzlieiin,  21  juillet  1750.  Archives  de  la  Guerre, 
M51"J. 


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HADICK  ET  LAUDON  A  LA  IlEXCONTRE  DES  RUSSES. 


143 


envie 
faire 


quelque  tentative  nerveuse.  M.  Hadick,  au  lieu  de  marcher 
directement  sur  le  Bas-Oder,  a  ordre  de  chasser  première- 
ment le  prince  Henri  de  la  Lusace,  qui  depuis  que  nous 
sommes  ici  se  promène  derrière  nous,  et  menace  nos  sub- 
sistances. »  Selon  les  événements,  le  corps  destiné  à  la 
Saxe  suivrait  le  Prince  Henri  ou  tenterait  un  coup  de  main 
sur  Dresde.  Si  Hadick  ne  pouvait  joindre  les  Russes,  soit 
que  ces  derniers  eussent  été  forcés,  par  le  défaut  de  pro- 
visions ou  par  les  manœuvres  de  l'ennemi  à  ne  pas  s'é- 
loigner de  Posen,  soit  pour  un  autre  motif,  il  ferait  une 
incursion  dans  le.  Brandebourg  et  se  porterait  sur  Franc- 
fort, Berlin ,  etc.  Quant  à  Daun  «  à  qui  il  resterait  encore 
50.000  hommes  de  bonnes  troupes  »,  il  surveillerait  le 
Roi  en  occupant  des  positions  avantageuses.  «  Ce  plan  d'o- 
pérations, ajoute  le  Français,  me  plaît  d'autant  plus  qu'il 
ne  m'offre  aucun  grand  écueil,  et  qu'il  doit  embarrasser 
considérablement  le  roi  de  Prusse.  »  Au  dire  de  Montazet, 
l'armée  envoyée  à  la  rencontre  des  Russes  avait  été  com- 
posée de  ce  qu'il  avait  «  de  mieux  en  troupes  et  en  ofli- 
ciers.  » 

En  exécution  du  programme  adopté,  Hadick  était  à  Lo- 
bau  le  2V  juillet,  son  avant-garde  à  Hochkirch;  il  y  reçut 
l'avis  (1)  que  Laudon,  ([ui  jusqu'alors  avait  été  sous  ses  or- 
dres, devait  exercer  un  commandement  indépendant  avec 
mission  de  se  réunir  aux  Russes.  Le  20  juillet,  deux  jours 
plus  tard  que  Frédéric,  Daun  avait  eu  les  premières  nou- 
velles (2)  de  la  balaills  de  Paitzig,  par  un  officier  accom- 
pagné de  quelques  cavaliers  habillés  en  uniformes  prus- 
siens, que  Laudon  lui  avait  dépêchés  de  Rotlienburg.  Soit 
qu'il  ne  crût  pas  à  l'authenticité  de  la  victoire  attribuée  à 
Soltikotf,  soit  qu'il  ne  voulût  pas  quitter  son  camp  de 


(1)  Boisseliii  à  Belleisle.  Lobaii,  2G  juillet  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3519. 

(2)  Montazet  à   Belleisle.  Gorlitzheini,  '.!7  juillet  1759.  Archives  de  la 
Guérie,  3519.  .     » 


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144. 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


Mark  Lissa  tant  ([uc  le  Roi  demeurerait  vis-à-vis  de  lui, 
Daun  ne  bougea  pas.  Ce  ne  fut  que  le  20  (1),  après  confir- 
niatiou  du  succès  des  Russes,  qu'il  invita  Laudon  et  Ha- 
dick  à  faire  toute  diligence  pour  opérer  leur  jonction,  et 
qu'il  se  prépara  à  marcher  le  lendemain  à  Lauban  avec 
une  partie  de  ses  forces.  Il  y  restera  immobile  pendant 
12  jours,  du  30  juillet  au  11  août. 

Examinons  maintenant  les  dispositions  de  Frédéric.  Il 
apprend  la  défaite  de  Wedall  le  24  juillet;  à  cette  date,  le 
gros  de  l'armée  royale,  un  peu  plus  de  ï-0.000  hommes, 
tenait  en  échec  les  50.000  de  Daun.  En  Lusace,  le  prince 
Henri  et  Finck,  le  premier  avec  20.000  hommes  aux  envi- 
rons de  Konigswartha,  le  second  avec  9.000  à  Bautzen;  en 
face  d'eux  en  Saxe  et  en  Lusace,  Hadick  à  Lobau  à  la  tète 
de  25.000  combattants,  Vehla  à  Rumburg,  Macguire  et 
Hrcntano  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  près  de  la  frontière 
de  Roliéme  avec  un  total  d'ensemble  de  12  à  15.000  hom- 
mes. Laudon,  dont  le  corps  allait  être  porté  à  rcH'ectif  de 
20.000,  mais  qui  n'en  avait  pas  encore  la  moitié,  était  à 
Rothenburg  où  le  surveillaient  les  G. 000  hommes  du 
prince  de  Wurtemberg  détachés  à  cet  elfot  du  camp  royal. 
A  Sawade,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oder,  Wedell  et  son  ar- 
mée sous  le  coup  de  leur  désastre  récent;  sur  la  rive  droite 
du  fleuve,  les  Russes  maîtres  de  Crossen  ou  en  marche 
pour  cette  ville.  Enfin,  du  côté  de  Landshut  en  Silésie, 
Deville  et  Fouqué  opposés  l'un  à  l'autre;  l'Autrichien,  fort 
de  2V. 000  soldats;  le  Prussien,  un  peu  plus  faihle. 

Les  premières  dépêches  de  Frédéric  sont  adressées  à  son 
frère  et  à  Wedell.  De  ce  dernier,  il  songe  tout  d'abord  à 
relever  le  moral;  au  prince,  il  dévoile  le  fond  de  sa  pen- 
sée (2)  :  (t  -l'ai  craint  et  prévu  ce  malheur;  ainsi  il  ne  reste 

(1)  Monlazi'l  à  IlL-lleisIt'.  Gorlilzlieini,  29  juillet  1759.  P.  S.  Archives  de  la 
Guérie,  351'.». 

(2)  Frédéric   à  Henri.   SchinoUseifcn,   24  juillet  1759.    Correspondance 
polUinue,  XVIII,  p.  445. 


FRÉDÉRIC  APPELLE  A  LUI   LE  PRINCE  HENRI. 


145 


qu'à  vous  joindre  le  plus  vite  que  vous  pourrez  au  prince 
de  Wurtemberg.  Je  vous  donnerai  le  conunandement  de 
mon  armée  pendant  mon  absence  ici,  et  j'irai  moi-môme, 
dès  que  je  saurai  les  troupes  arrivées,  pour  voir  comment 
nous  pourrons  porter  remède  à  cet  inconvénient.  Mandez- 
moi  bien  vite  quand  vos  troupes  pourront  être  à  Sagan.  >• 
Par  une  dépôcbe  du  lendemain  (1),  il  s'annonce  à  Wedell 
avec  un  renfort  de  16  bataillons,  29  escadrons  et  30  canons 
de  gros  calibre  pour  le  2  ou  3  août.  Le  même  jour,  sur- 
vient une  lettre  {^^  du  prince  Henri  qui  se  plaint,  non  sans 
quelque  raison,  des  instructions  simultanées  et  quelquefois 
contradictoires  adressées  à  Finck  et  iV  lui-même.  «  Je  me 
vois  également  blAmable  en  suivant  ses  ordres  et  en  ne  les 
suivant  pas,  et  sujet  au  reproche  d'avoir  manqué  à  les 
suivre,  ou  responsable  d'un  événement  fâcheux  qui  en 
peut  être  la  suite.  »  On  voit  que  l'écrivain  n'avait  pas  ou- 
blié les  procédés  royaux  vis-à-vis  du  prince  de  Prusse  k 
l'occasion  de  la  retraite  de  Bohème  en  1757.  Il  ajoute  : 
<(  Mon  projet  était  de  rester  tranquille  au  delà  do  Dr'  ^de, 
afin  que  lladick  y  restât  aussi  pour  pouvoir  marcher  promp- 
tement,  sans  que  ce  dernier  s'en  aperçût,  soit  contre  les 
Russes,  soit  contre  Laudon,  tandis  que  le  général  de  Finck, 
qui  devait  couvrir  ma  marche  à  Marienstorn,  aurait  anmsé 
l'ennemi,  h  La  conclusion  est  pessimiste  :  «  Je  crois  que  si 
on  ne  remédie  pas  promptement  aux  désordres  que  cause 
l'armée  de  l'Kmpire  (3)  et  à  secourir  le  prince  Ferdi- 
nand Cl.),  que  les  mêmes  circonstances  qui  sont  du  côté  des 
Russes  seront  en  peu  de  temps  dans  ce  pays-là.  J'attends 
donc  la  réponse  sur  cette  lettre  pour  savoir  précisément, 
de  quel  côté  vous  voulez  que  je  me  tourne.  » 

(1)  l'iédéiic  à  Wedell,  Sclinioltseifen,  'ITt iuWM. Correspondance politù/uc. 
XVIII,  p.   lis. 

(2)  Henri  à  Frédéric.  Rollinaiislit/,,  1.{ juillet  1759.  Schiining,  vol.  IL  p.  \i:i. 

(3)  L'avanl-gardc  des  Cercles  venait  de  lever  des  contributions  à  Halbers- 
tadt. 

(i)  Le  prince  Ferdinand  était  en  pleine  retraite  devant  l'année  de  Contades. 

GUERRE   DE   SEPT   ANS.   —  T.    III.  10 


140 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


1      / 


Dans  sa  réplique  (1),  Frédéric  se  montre  à  la  fois  net  et 
alfectueux  :  «  Le  principal  est  présentement  de  nous  défaire 
des  Russes...  Dès  que  nous  en  serons  débarrassés,  nous 
serons  toujours  à  même  d'envoyer  d'abord  un  corps  de 
troupes  dans  le  Halberstadt,  s'il  en  f  st  besoin.  Je  vous  as- 
sure, mon  très  cher  frère,  que  jo  ne  vous  mande  pas  tous 

les  embarras  que  je  rencontre  ici Ne  me  grondez  pas, 

je  vous  prie,  ce  n'est,  Dieu  sait,  pas  ma  faute;  je  m'en  rap- 
porte aux  chiffres.  Si  je  vous  parlais  une  demi-heure,  je 
vous  expliquerais  tout.  » 

Obéissant  aux  ordres  donnés,  le  prince  Henri  parvint  à 
Sagan  dans  la  nuit  du  28  au  29  et  y  rallia  la  division  du 
prince  de  Wurtemberg  ;  il  en  repartit  presque  aussitôt 
pour  le  quartier  général  de  Schmottseifen,  où  il  prit  le 
commandement  des  troupes  affectées  à  la  garde  de  la  Silé- 
sie.  Frédéric,  après  une  entrevue  de  2  heures  avec  son 
frère  (2)  auquel  il  laissa  des  instructions  écrites,  alla  le 
remplacer  à  Sagan  ;  il  n'amenait  avec  lui  que  le  général 
Seydlitz,  mais  il  y  trouva  20  bataillons  et  35  escadrons 
prêts  à  se  battre  contre  les  Russes,  20  pièces  de  gros  cali- 
bre, et  la  batterie  à  cheval  qu'il  venait  d'organiser.  Il 
était  encore  mal  renseigné  sur  la  distribution  des  diffé- 
rents corps  ennemis  qui  agissaient  autour  de  lui,  cardans 
ses  lettres  à  Wedell  (3)  et  au  prince  Henri,  il  parle  de  Hadick 
comme  étant  encore  en  Lusace  et  de  Finck,  comme  «  de- 
vant couvrir  Torgau  contre  Hadick  et  les  entreprises  des 
Autrichiens.  »  Le  31  juillet  seulement,  Frédéric  apprit  (V) 
par  une  dépèche  interceptée,  que  Laudon  était  en  route 


(1)  Frédéric  à  Henri.  Schmottseifen,  25  juillet  l"5ii.  Correspondance  poli- 
tique, XVIH,  p.  WJ. 

(2)  Kalt.  Journal,  p.  393.  Milcliell  à  liolderncsse.  Scinnoltseifen,  2i  juillet 
17.')4.  Mitchell  Papers. 

(3)  Frédéric  à  Wedell  et  au  prince  Henri.  Sagan,  30  juillet  1759.  Corres- 
pondance politique,  XVIIl,  460,  '402. 

(4)  Frédéric  à  Finck.  Christianstadt,  31  juillet  1759.  Correspondance  poli- 
tique, XMll,  p.  4G4. 


MARCHE  DE  FRÉDÉRIC  SUR  FRANCFORT. 


147 


pour  rejoindre  les  Russes,  et  que  Hadick  le  suivait  de 
près.  Dans  l'espoir  de  rattraper  le  premier,  on  doubla  les 
étapes,  mais  il  était  trop  tard.  Les  deux  généraux  autri- 
chiens étaient  à  Priebus  di's  le  29;  le  30,  Laudon,  par  des 
marches  forcées,  avait  gagné  Sommerfeld  puis  Slarzed- 
del;  Hadick,  encombré  par  son  convoi  et  son  artillerie, 
n'avait  pas  dépassé  Triebel  et  2i  heures  après  Pforten  ;  un 
cordon  de  cavalerie  légère  avait  dérobé  ses  mouvements 
à  la  connaissance  des  Prussiens.  A  Sommerfeld,  où  il  par- 
vint à  son  tour  le  1"  août,  Frédéric  acquit  le  certitude  de 
la  jonction  de  Laudon  et  de  Hadick  et  de  l'orientation 
de  leur  itinéraire  vers  Francfort,  mais  ce  qui  était  vrai 
le  31  juillet  ne  l'était  plus  le  lendemain.  Hadick,  qui  jus- 
qu'alors avait  protégé  Laudon  en  emboîtant  ses  pas,  qui 
avait  même  envoyé  un  aide  de  camp  à  Soltikolf  pour  le 
prier  de  lui  préparer  les  moyens  de  passer  l'Oder,  ému 
du  vr'sinage  de  l'armée  royale  et  craignant  d'être  pris 
entre  deux  feux,  renonça  à  s'unir  aux  Russes  et  résolut  de 
se  rapprocher  de  Daun:  en  conséquence,  il  se  hâta  de 
rebrousser  vers  Spremberg.  Pendant  qu'il  accomplissait 
cette  manœuvre,  son  arrière-garde  se  heurta  en  traver- 
sant la  Neisse  à  l'avant-garde  du  Roi;  dans  l'engagement 
elle  fut  fortement  entamée,  laissa  aux  mains  des  Prus- 
siens un  bataillon  entier,  ï  canons  ot  un  convoi  de  500  voi- 
tures. Frédéric,  qui  cheminait  en  sens  inverse,  n'eut  pas 
le  loisir  de  suspendre  son  mouvCinent  pour  poursuivre  le 
succès,  et  Hadick  put  s'installer  à  Spremberg,  sans  autre 
aventure.  Le  soir  de  cette  affaire,  Frédéric  écrivait  (1)  à 
son  frère  :  «  Je  suis  informé  postérieurement  que  les  Russes 
sont  entrés  avant-hier  à  Francfort;  toute  leur  armée  y 
marche;  je  prends  mon  chemin  par  Reeskow;  Finck  est 
à  Seuftenberg,  je  lui  mande  de  me  joindre;  Wedell  est  à 


(1)  Frédéric  à  Henri,  2   août   1759.  Correspondance  politique,  XVIH, 
p.  iC9. 


lis 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS,  —  ClIAP.  IV. 


Crossen  et  pousse  l'arri ère-garde  russe;  il  passera  à  Schicl- 
]o\v.  Dès  que  nous  serons  un  peu  en  force,  nous  marche- 
rons sur  ces  gens,  et  nous  nous  battrons  per  (sic)  aris  et 
focis Je  ne  compte  plus  sur  vos  lettres,  toute  corres- 
pondance sera  interceptée  par  lladick.  »  Nouveau  billet, 
daté  de  iMiillrose  le  6  août  (1),  où  il  annonce  l'arrivée  du 
corps  de  WedcU.  A  partir  de  ce  moment  jusqu'au  25  août, 
le  prince  Henri  demeura  sans  nouvelles  du  Roi. 

Il  serait  superflu  de  relater  les  marches  et  contre- 
marches de  Wedell,  depuis  le  passage  de  l'Oder  après  la 
bataille  de  Paltzig  jusqu'à  la  r'-union  de  ses  troupes  avec 
celles  de  Frédéric;  il  suffit  de  constater  qu'il  n'eut  aucune 
rencontre  avec  les  Russes.  Quant  à  Finck  que  nous  avons 
vu  à  Rautzen  opposé  à  Hadick,  après  le  départ  de  ce  der- 
nier, il  se  porta  à  Torgau  pour  arrêter  les  progrès  que 
faisait  de  ce  côté  l'armée  des  Cercles;  il  était  même  sous 
les  murs  de  cette  place ,  quand  il  fut  touché  le  3  août 
par  la  dépêche  du  Roi  qui  l'appelait  à  lui.  Reparti  dans 
laprès-midi  du  4,  il  parvint  le  9  au  camp  royal,  ayant 
accompli  en  neuf  jours  une  course  de  260  kilomètres, 
résultat  tout  à  fait  remarquable  pour  l'époque.  Ainsi  se 
trouva  accomplie  la  première  partie  du  programme  que 
s'était  tracé  Frédéric  :  la  concentration  de  forces  considé- 
rables contre  les  Russes.  En  effet,  le  soir  du  9  août,  il  avait 
assemblé  sous  ses  ordres  63  bataillons  et  106  escadrons 
avec  un  parc  important  d'artillerie. 

Laissons  le  faire  ses  préparatifs  pour  la  traversée  de 
l'Oder  et  pour  la  bataille  qu'il  entendait  livrer  à  l'armée 
austro-russe,  et  voyons  ce  qui  se  tramait  dans  les  quar- 
tiers généraux  ennemis. 

Malheureusement  pour  la  cause  des  alliés,  l'unité  de 
direction  qu'imposait  aux  armées  prussiennes  la  volonté 


(1)  Frédéric  à  Henri.  Miillrose,  G  août  1759.  Correspondance  politique. 
XVIII,  p.  476.  .      .  ; 


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JONCTION  DE  LAUDON  AVEC  LES  RUSSES. 


140 


du  souverain,  faisait  défaut  chez  eux.  Soltikoff,  un  peu 
hésitant  d'ahord,  semble  depuis  son  départ  de  Posen  n'a- 
voir eu  qu'un  but,  la  jonction  avec  les  Autrichiens;  après 
sa  victoire  à  Paltzifj;'  et  son  arrivée  à  Crossen,  à  ce  premier 
objectif,  il  en  avait  ajouté  un  second,  la  marche  sur  Her- 
lin.  Le  colonel  saxon  Uiedesel  était  bien  l'interprète  de 
la  pensée  de  l'état-major  russe,  quand  il  exprimait  h 
Bruhl  (1)  l'espoir  de  dater  bientôt  ses  lettres  de  la  capi- 
tale. Aussi  fut-ce  une  déception  générale  quand  Laudon, 
dans  l'entrevue  qu'il  eut  avec  Soltikoff,  le  2  août,  fit  part 
du  retour  en  arrière  de  son  collègue  Hadick,  sur  le  bruit 
d'une  opéiation  combinée  du  roi  de  Prusse  et  du  prince 
Henri  contre  le  maréchal  Daun,  et  sollicita  l'envoi  de 
30.000  hommes  au  secours  de  ce  dernier.  A  défaut  de  ce 
détachement  qui  lui  fut  refusé,  Laudon  chercha  (2)  à 
persuader  au  général  en  chef  de  faire  passer  son  armée 
sur  la  rive  gauche  de  l'Oder.  Soltikoff  ne  voulut  rien  écou- 
ter; Laudon  continua  sa  marche,  et  vint  camper  le  3  août 
aux  env  ;'ons  de  Francfort;  le  lendemain  il  reçut  les  géné- 
raux ru  ?es  avec  tous  les  honneurs  dus  à  leur  rang,  et 
leur  fit  inspecter  ses  troupes,  fortes  de  14-. 000  fantassins, 
4.500  cavaliers  et  42  canons.  La  faiblesse  comparative  du 
corps  autrichien  fut  un  motif  de  désappointement  pour 
les  [lusses  qui  avaient  compté  sur  les  45.000  hommes  et 
le  parc  d'artillerie  dont  avaient  parlé  les  premiers  mes- 
sagers. Malgré  les  politesses  respectives  et  les  coups  de 
canon  avec  lesquels  on  avait  salué  le  général  en  chef,  il 
n'y  avait  entre  lui  et  Laudon  que  peu  de  sympathie  (3). 
Celui-ci  avait,  il  est  vrai,  indisposé  les  Russes  en  éraet- 


(1)  Riedesel  à  Brulil.  Crossen,  31  juillet  1759.  Zeitsclirift  fui-  hiinst,  etc. 

(2)  Masslowski  prétend  que  le  but  réel  de  ces  propositions  élait  de  per- 
mettre à  Laudon  d'arriver  le  premier  à  Francfort.  Les  dates  de  l'ilinéiaire 
du  général  autrichien  ne  se  prêtent  guère  à  cette  insinuation. 

(3)  Mesnager  à  Belleisle.  Francfort,  U  aoiH  1739.  Archives  de  la  Guerre, 
3520. 


h.  i 


150 


LA  OUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


tant  la  prétention  de  partager  de  compte  à  demi  avec  eux 
la  contribution  en  argent  dont  ils  avaient  frappé  la  ville 
de  Francfort,  ot  d'avoir  son  lot  dans  les  approvisionne- 
ments capturés.  Quant  à  entraîner  les  Russes  sur  la.  rive 
gauche  de  l'Oder,  il  fallut  y  renoncer;  aussi  les  Autri- 
chiens firent-ils  traverser  le  fleuve  «  à  leurs  bagages  (1) , 
mulets  et  femmes  en  grand  nombre  »,  et  vinrent-ils  cam- 
per eux-mêmes  à  la  droite  de  la  cavalerie  russe,  un  quart 
de  mille  en  deçà  de  la  ville. 

Pendant  les  jours  suivants,  les  Russes  et  leurs  alliés  fu- 
rent employés  à  fortifier  les  hauteurs  de  Kuncrsdorf,  sur 
lesquelles  ils  étaient  établis.  On  traça  des  lignes,  creusa 
des  fossés,  construisit  des  batteries,  coupa  des  arbres  pour 
en  faire  des  abatis,  en  un  mot  on  se  prépara  à  bien  rece- 
voir le  Roi,  dont  les  cosaques  et  les  piindours  signalaient 
à  tout  moment  le  voisinage.  11  y  eut  des  escarmouches 
entre  les  cavaleries  rivales;  il  y  eut  même  échange  de  bons 
procédés.  Frédéric  ayant  appris  qu'un  sous-officier  russe, 
placé  avec  quelques  dragons  comme  sauvegarde  dans  un 
village  de  la  région,  avait  été  blessé  et  pris  par  des  hus- 
sards prussiens,  lui  rendit  sa  liberté  après  avoir  fait  passer 
par  les  baguettes,  en  sa  présence,  les  soldats  coupables. 
Entre  temps,  les  alliés  essayaient  de  s'entendre  sur  la 
conduite  ultérieure  des  opérations.  Lié  par  ses  instruc- 
tions qui  le  subordonnaient  dans  une  certaine  mesure  au 
commandant  en  chef  des  Impériaux,  reconnaissant  d'ail- 
leurs que  le  mauvais  état  de  ses  chevaux  et  de  ses  équi- 
pages lui  interdisait  un  mouvement  en  masse  sur  Rerlin, 
Soltikoff  consentit  à  écouter  les  propositions  que  Daun  lui 
transmettait,  par  l'entremise  de  Laudon  et  de  Springer, 
pour  la  coopération  des  deux  armées.  En  concordance  avec 
ces  vues,  il  fut  résolu,  dans  un  conseil  de  guerre  (2)  tenu 


(1)  Journal  du  TeUaii. 

(2)  Relalion  des  opérations  de  l'armée  combinée  à  la  bataille  de  Franc- 
fort. Archives  de  l'État-major  général.  Berlin,  XXVIl,  n"  408. 


LES  «USSES  SE  PRÉPARENT  A  MARCHER  SUR  CROSSEN.  151 

le  10  août,  que  les  Aiistro-Uusscs  remonteraient  l'Oder 
pour  donner  la  main  aux  Autrichiens;  le  point  de  traver- 
sée devait  être  Schidlow  ou  Crossen;  le  convoi  et  les  ba- 
gages partiraient  le  11,  et  les  troupes  suivraient  le  14. 
Frédéric  se  chargea  de  faire  ajourner  l'exécution  de  ce 
projet;  au  cours  de  la  nuit  du  11  au  12,  un  avis  de  Todle- 
bcn  annonça  que  les  Prussiens  s'apprêtaient  à  franchir  le 
fleuve  à  Goritz.  Il  était  évident  qu'on  allait  être  attaqué; 
aussi  lit-on  tous  les  préparatifs  en  conséquence  et  écri- 
vit-on à  Hadick,  qui  se  trouvait  encore  à  Spremberg,  d'ac- 
courir au  secours  tout  au  moins  avec  sa  cavalerie. 

Daun  était  trop  loin  pour  qu'on  pût  lui  faire  appel;  à  la 
lin  de  juillet,  les  forces  du  maréchal  étaient  réparties  entre 
les  camps  de  La  ibaii  et  de  Mark  Lissa  ;  jusqu'au  10  août  il 
n'y  eut  dans  cette  distribution  d'autre  modification  que 
l'envoi  du  général  Beck  à  Priebus  avec  une  division  de 
7  à  8.000  hommes.  Montazet  qui  rongeait  son  frein,  s'en 
prend,  on  ne  sait  pourquoi,  aux  généraux  russes  dont 
l'esprit  d'entreprise  avait  dépassé  jusqu'alors  celui  du  chef 
auprès  duquel  il  était  accrédité  :  «  Oui,  Monseigneur  (1). 
Les  Russes  ont  beau  gagner  des  batailles,  le  soldat  a  beau 
être  brave  à  l'excès;  il  n'y  a  que  la  valeur  de  cette  infan- 
terie et  la  peur  que  les  Prussiens  en  ont  aujourd'hui  qui 
puisse  nous  en  faire  retirer  certains  avantages.  Car  n'est-il 
pas  déplorable  que  le  jour  de  leur  victoire  ils  n'aient  pas 
songé  à  faire  suivre  l'ennemi  qui  s'est  retiré  dans  la  plus 
grande  confusion?  Mais  rien  n'a  remué  pendant  le  com- 
bat et  rien  n'a  remué  après  la  bataille,  de  façon  que  les 
Russes,  ce  jour-là,  n'ont  rien  pris  sur  l'ennemi  ;  ce  n'est  que 
le  lendemain  qu'ils  ont  trouvé  dans  les  bois  les  canons, 
drapeaux  et  étendards  et  plus  de  1^.000  armes  que  les  Prus- 
siens avaient  jetés  enfuyant,  quoique  sans  être  suivis.  Que 
serait  donc  devenue  cette  armée  si  elle  eût  été  harcelée?  En 

(1)  Montazet  à  Bellcisle.  Lauban,  G  aoiU  1759.  Arch.  de  la  Guerre,  3520. 


Il 


!l: 


152 


LA  GUEURK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  IV. 


vérité  cela  fait  saiuner  le  Cd'iir.  Que  peut-on  doue  conclure 
(lune  pareille  conduite,  si  ce  n'est  que  les  généraux  rus- 
ses n'y  entendent  rien,  et  que  le  .soldat  est  excellent?  » 

Le  10  août  Daun  montre  au  Français  (1)  un  billet  de 
Laudon,  relatant  un  entretien  avec  Soltikoff;  le  général 
russe  se  déclarait  pn>t  à  passer  l'Oder,  aussitôt  son  gros 
canon  arrivé  de  Posen,  h  la  condition  que  la  grande  armée 
autrichienne  se  rapprocherait  de  la  rive  gauche  du  fleuve 
((  pour  se  prêter  mutuel  appui.  »  Le  feld-maréchal  promit 
de  se  conformer  à  ce  désir;  il  laisserait  Buckow  à  Mark 
laissa,  où  grAce  à  un  prélèvement  sur  les  troupes  de  De 
Ville,  on  aurait  assez  de  monde  pour  tenir  en  respect  le 
prince  Henri.  Montazet,  au  contraire,  voudrait  hïcher  les 
Russes  et  entrer  en  Saxe.  «  Quel  heureux  événement  pour 
délivi'er  la  Saxe;  je  ne  cesse  de  le  répéter...  le  Roi  est  à 
Libus  avec  ses  principales  forces,  et  il  n'y  a  personne  en 
Saxe.  »  Deux  jours  après,  le  quartier  général  des  Impériaux 
était  installé  à  Rothenburg,  mais  Montazet  qui  partageait 
les  préjugés  de  l'état-major  auquel  il  était  associé,  ne  peut 
croire  (2)  à  une  loyale  coopération  des  Russes.  La  nouvelle 
de  la  grande  bataille  qui  parvint  le  13  août  au  camp  au- 
trichien, vint  donner  un  démenti  éclatant  à  ces  soupçons 
injustifiés. 

Pendant  son  séjour  à  Wulkow,  Frédéric  avait  appris  la 
victoire  de  Minden  de  la  bouche  de  Rulow,  l'adjudant  du 
prince  Ferdinand,  et  l'avis  de  la  retraite  de  De  Ville,  que 
le  manque  de  provisions  et  les  manœuvres  de  Fouqué 
avaient  forcé  à  réintégrer  la  Bohème.  Délivré  de  soucis  si 
deux  points  de  l'échiquier  militaire,  il  s'adonna  tout  en- 
tier à  l'entreprise  contre  les  Russes,  La  traversée  de  l'Oder 
fut  accomplie  sans  difficulté,  et  sans  être  troublée  par  l'en- 

(1)  Montazet  à  Bollcisle.  Lauban,  10  août  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3520. 

(:!)  Montazet  à  IJelleisle.  Rothenburg,  12  août  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
."i520. 


Û 


fukdkrk;  i'assë  l'udëk. 


I.i3 


ncmi;  on  lit  venir  do  Ciistrin,  .ivec  toutes  sortes  de  précau- 
tions pour  garder  le  secret,  un  é(juipage  de  ponts;  on  éta- 
blit dans  la  nuit  du  10  au  11  août  sur  les  trois  liras  que 
forme  l'Oder  aux  abords  de  (loritz,  deux  ponts,  l'un  de 
bateaux,  l'autre  de  pontons.  L'infanterie  et  l'artillerie  qui 
avaient  quitté  le  camp  dès  la  veille  au  soir,  y  défilèrent 
rapidement;  la  cavalerie  passa  la  rivière  à  gué  sans  autre 
incident  que  la  chute  de  cheval  de  Seydlit/,  qui  fut  en- 
traîné par  le  courant,  et  faillit  être  noyé.  Aussitôt  le  pas- 
sage terminé,  les  troupes  se  formèrent  près  du  hameau 
d'Oetscher.  Le  général  Flemming,  avec  un  détachement  de 
7  bataillons,  fut  laissé  k  la  garde  des  ponts;  le  général 
Wunsch  avec  une  division  mixte  de  3.000  hommes  resta 
sur  la  rive  gauche  pour  faire  diversion  et  pour  protéger 
les  voitures.  L'armée  ainsi  allaiblie  d'environ  G. 000  com- 
battants s'avança  en  trois  colonnes,  précédée  de  la  cava- 
lerie légère  qui  poussait  devant  elle  les  Cosaques  de  Tod- 
lebeu.  A  une  heure  de  l'après-midi,  elle  avait  atteint  la 
hauteur  de  Bischotl'see  où  elle  campa,  le  corps  de  Finck 
<'ntre  Trettin  et  Lessow,  le  gros  entre  ce  village  et  la  route 
(le  Storkow.  Le  Koi  se  porta  tout  de  suite  en  avant  de  Tret 
tin,  pour  reconnaître  la  position  austro-russe. 

Essayons  de  nous  rendre  compte  de  la  contrée  qui  fut  le 
théAtre  d'une  des  luttes  les  plus  sanglantes  (1)  du  dix- 

(l)Le  récit  de  la  bataille  do.  Kuncisdort'  est  tiré  des  sources  suivantes  : 
Journal  de  l'arnii-c  iinpéiialo  russe.  Etat-major  général.  Hurlin.  XXVII. 
n"  461.  —  Relation  riisse  de  la  bataille  de  l''ranct'ort.  État-major  {"énéral,  Iler- 
lin,  XXVII,  n"  -iOS.  —  Journal  du  major  russe  v.  Tettau.  État-major  géné- 
ral, licrlin,  XXVll,  n"  71.  —  Relation  du  colonel  saxon  v.  Kiodesel.  Zcilsch  ifl 
fiir  hunsi,  Wissoisc/inlt  uiul  Gcschiclite  îles  hriri/s.  \iei\\n,  1855.  —  Jour- 
nal de  Gaudy.  État-major  général,  XXVII,  31. —  Anccdotv ii  ziir  balaiUe 
lici  Kunersdorf.  État-major  général.  Heriin,  XXVII,  408.  —  Relation  de 
Mesnager  et  rapports  russes  envoyés  par  lui.  Arcii.  de  la  Guerre,  1759, 
vol.  3.'«20.  —  Ouvrage  de  l'État-major  prussien.  Herlin,  1828.  —  Corrrspon- 
<laiicc  politique,  vol.  XVIII.  —  Stiehle.  Die  Schiaclil  bci  hunerstlorf. 
Bcilmfl  ziim  Mililar  W'oclicnhUill.  IJerlin,  18.V.».  —  Lauliert.  Die  Selilaclil 
Ix'i  Kuncrsdorf.  Berlin,  litoo.  —  Massiowski,  Dcr  SiehcnjiUirigc  Kric;/,  vol. 
III.  —  Rauibaud.  Hussex  et  Prussiens,  etc.  Voir  la  carte  à  la  fin  du  volume. 


♦ 


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154 


LA  OUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  IV. 


huitiôm'î  siècle.  U»<>i  qu'en  ait  dit  riiislorion  (larlylc  dans 
un  passayc  souvent  cité,  l'aspect  des  lieux  n'a  pas  subi 
de  telles  modifications,  fpi'il  ne  soit  possible  de  suivre  sur 
place  les  phases  de  l'action,  et  de  retrouver  les  accidents 
de  terrain  cpii  eurent  une  influence  si  grande  sur  le  sort 
de  la  bataille. 

Pendant  une  partie  de  son  parcours  la  vallée  de  l'Oder 
est  dominée  par  des  hauteurs  qui  épousent  tantôt  l'une, 
tantôt  l'autre  rive.  En  face  de  la  villes  de  Francfort,  les 
collines  qui  escortent  le  fleuve  sur  la  rive  droite,  s'écartent 
sensiblement  jusqu'à  faire  avec  lui  un  angle  presque  droit, 
et  laissent  par  conséquent,  entre  elles  et  les  berges,  un  es- 
pace considérable.  Du  quai  du  port  fluvial  de  Francfort, 
on  suit  admirablement  la  crôte  du  massif,  dont  les  der- 
niers escarpements  se  baignent  dans  l'Oder,  i\  notre  droite, 
vers  Schwetig,  et  qui  remonte  vers  l'ouest  dans  la  di- 
rection de  Trettin  dont  l'église  est  un  point  de  repère  du 
paysage. 

Transportons-nous  à  ce  village,  par  la  chaussée  qui  tra- 
verse une  plaine  naguère  marécageuse,  ^  ijourd'hui  bien 
drainée  et  généralement  en  culture.  I.a  roiue  s'éloigne  peu 
à  peu  de  l'Oder  et  court  parallèle  aux  hauteurs  dont  le 
village  de  Kunersdorf  peut  être  considéré  comme  le  cen- 
tre. De  Trettin  au  sommet  du  Fincksberg,  le  trajet  est 
bref;  là,  le  spectateur  se  trouve  à  l'endroit  même  où  Fré- 
déric fit  sa  première  reconnaissance  la  veille  de  la  ba- 
taille. A  sa  droite  se  déroulent  les  prairies  qu'il  vient  de 
parcourir,  et  qui,  au  milieu  du  dix-huitième  siècle,  étaient 
infranchissables  pour  un  corps  de  troupe;  immédiatement 
en  face  se  dresse  le  Miihlberg,  premier  chaînon  du  massif, 
actuellement  planté  de  bois,  mais  butte  dénudée  à  l'époque 
de  la  mêlée.  Au  delà,  nous  distinguons  le  clocher  pointu 
de  Kunersdorf,  puis  un  plateau  bosselé  de  mamelons  qui 
se  prolonge  jusqu'à  l'Oder.  A  gauche  du  Miihlberg,  et  jus- 
qu'au fond  du  tableau,  la  forêt  s'étend  à  perte  de  vue,  et 


K 


DESCRIPTION  Di:  MASSII-  DE  KlINKHSDORl'. 


i:i5 


couvre  les  deux  tiers  de  la  superficie.  Kiitre  nous  et  le 
Mnhlberg-,  une  vallée  profonde,  celle  du  IliUnierlIicss,  le 
«  ruisseau  bourbeux  »  dont  parle  le  Uoi  dans  son  récit, 
(ju'il  faudra  traverser  pour  aborder  la  position  ennemie. 
I.e  llUhnerlliess  dont  les  eaux  se  déchargent  dans  le  ma- 
rais prend  sii  source  assez  loin  dans  les  bois  et  constitue 
par  son  cours  tortueux  et  encaissé  le  fossé  naturel  du 
promontoire  de  Kunersdorf.  Les  bas-fonds  du  IKibncr- 
fliess  une  fois  dépassés,  on  accède  sur  le  plateau  par  un 
vallon  à  pente  douce,  le  Becker-drund ,  qui  sépare  le 
Mtthlberg  de  la  colline  voisine  dont  le  nom  de  Pech-Stang 
a  été  changé,  en  souvenir  du  soldat  poète,  en  celui  de  Kleist- 
berg.  Sur  l'autre  liane  du  Milhlberg-,  et  s'étendant  sur  une 
partie  du  marécage,  existait  alors  un  bois,  le  drosse  Els- 
busch,  à  peu  près  disparu  aujourd'hui,  qui  rendait  difficile 
tout  déploiement  de  ce  côté. 

Ce  qu'on  ne  voit  pas,  et  ce  que  Frédéric  ne  pouvait  voir 
du  FincUsberg,  ce  sont  les  accidents  intérieurs  du  massif 
qui  jouèrent,  comme  on  le  verra,  un  grand  rôle  dans  les 
épisodes  de  la  journée.  Ces  hauteurs  sont  coupées  par 
un  certain  nombre  de  ravins  descendant  vers  le  marais 
dans  une  direction  perpendiculaire  î\  la  crête.  Tout  d'a- 
bord nous  pouvons  négliger  le  premier  qui  frange  le 
Milhlberg;  le  second  au  contraire,  le  Kuh  Grund,  donne 
passage  à  une  route  conduisant  du  village  de  Kuners- 
dorf en  bas;  étroit,  sinueux,  i\  bord  escarpé,  surtout  dans 
la  partie  inférieure,  il  oppose  un  obstacle  formidable  à 
toute  troupe  qui,  descendant  du  Milhlberg,  chercherait  à 
le  franchir;  (quelques  centaines  de  mètres  plus  loin,  dé- 
vale un  troisième  ravin,  le  Tiefe  Weg,  qui  présente  les 
mêmes  caractéristiques  que  le  Kuh  (irund,  et  partant,  les 
mômes  difficultés.  Enfin,  à  deux  ou  trois  kilomètres,  en 
gagnant  vers  le  Judcberg  à  l'extrémité  du  plateau,  nous 
trouvons  le  Laudons  Grund  petite  vallée  plus  large,  s'é- 
vasant  en  forme  d'entonnoir,  elle  ne  fut  le  12  août  le 


I  * 


156 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


théâtre  d'aucun  combat.  Afin  de  compléter  notre  descrip- 
tion, transportons-nous  à  Kuncrsdorf,  dont  nous  n'avons 
lait  jusqu'ici  qu'apercevoir  le  clocher,  (iomme  dans  beau- 
coup da  localités  de  la  contrée,  les  maisons  sont  grou- 
pées autour  d'un  élang,  le  Dorf  See,  mais  cette  pièce  d'eau 
n'est  pas  ^  )lée,  elle  n'est  que  la  maille  supérieure  d'une 
chainc  de  petits  lacs  qui  s'égrènent  jusque  dans  la  forêt. 
Pour  franchir  cette  chaîne  et  pénétrer  dans  la  partie 
du  plateau  comprise  entre  Kunersdorf  et  le  Judeberg  du 
côté  de  roder,  il  n'y  a  que  des  passages  étroits,  dont  les 
principaux  sont  situés  entre  le  Dorf  See,  le  Blank  See,  et 
plus  loin,  entre  ce  dernier  et  la  lisière  des  grands  bois. 
Ajoutons  enfin,  que  par-ci  par-là  émergent  quelques  ma- 
melons, le  Seydlitzberg  en  deçà  des  étangs,  le  Spiîzberg 
à  un  kilomètre  environ  au  delà,  le  Falkensteinberg  et 
d'autres  encore  dont  il  est  inutile  d'encombrer  une  nomen- 
clature déjà  trop  longue. 

Sur  les  hauteurs  que  nous  venons  de  décrire,  les  Russes 
avaient  élevé  deux  lignes  de  retranchements,  la  première, 
la  plus  importante  faisant  face  au  sud-est,  se  développait 
sans  interruption  du  Miihlberg  à  l'Oder,  à  faible  écartement 
des  bois,  sur  une  longueur  de  5  à  (>  kilomètres;  l'ingénieur 
moscovite  y  avait  rattaché  le  Spitzbcrg  et  le  Falkenstein- 
berg, qu'il  avait  couronnés  de  redans  et  de  batteries,  et 
transformés  en  bastions  de  sa  forteresse.  Du  Spitzberg, 
l'enceinte  se  prolongait  jusqu'au  Mïihlberg,  et  passait  à 
peu  de  distance  du  village  de  Kunersdorf,  qu'on  avait 
laissé  à  l'extérieur.  Après  avoir  contourné  le  Miihlberg  qui 
formait  le  dernier  bastion  de  gauche,  ces  fortifications  dé- 
crivaient un  retour  en  arrière  et  suivaient  la  crèle  du  côté 
du  marécage  par  un  tracé  à  peu  près  parallèle  à  celui  de  la 
première  ligne.  Ici  la  nature  des  lieux  n'avait  pas  permis 
la  môme  continuité  de  travaux,  et  sur  plusieurs  points  on 
s'était  borné  à  établir  des  ouvrages  de  campagne  non  re- 
liés les  uns  aux  autres. 


FORCES  HESPECT1VES  DES  COMBATTANTS. 


157 


Ajoutons,  pour  l'intelligenoe  de  l' tction,  que  l'intervalle 
entre  les  deux  lignes  oscillait,  d'après  le  terrain,  de  400  à 
700  mètres.  Retenons  également  que  Kunersdorf,  situé  ù 
l'origine  des  ravins  qui  dévalent  vers  le  marais,  est  en  con- 
tre-bas d'uue  vingtaine  de  mètres  par  rapport  au  Spitz- 
berg,  enfin  que  la  différence  de  niveau  entre  le  plateau  de 
Kunersdorf  et  la  plaine  de  l'Oder  varie  de  25  à  VO  mètres. 

Quelles  étaient  les  forces  respectives  des  armées  en  pré- 
sence? Presque  tous  les  écrivains  sont  d'accord  pour  éva- 
luer celles  des  Prussiens  entre  48  et  50.000  hommes. 
Défalcation  faite  des  bataillons  affectés  à  la  garde  des 
ponts,  Frédéric  put  mettre  en  ligne  environ  VG.OOO  com- 
battants (1),  dont  35.000 fantassins  et  11.000  cavaliers;  son 
artillerie,  en  outre  des  112  pièces  régimcntaires,  comp- 
tait 114  canons  de  parc,  quelques  obusiers,  et  les  6  pièces 
de  la  batterie  à  cheval.  Dans  l'armée  royale,  si  la  quan- 
tité était  respectable,  la  qualité,  fort  inégale  selon  les  élé- 
ments auxquels  on  avait  eu  recours,  laissait  à  désirer.  Les 
divisions  de  Finck,  du  prince  de  Wurtemberg,  l'ancien 
corps  du  prince  Henri,  excellentes  troupes,  animées  du 
meilleur  esprit,  rompues  aux  fatigues,  venaient  de  mon- 
trer leur  endurance  dans  les  marches  forcées  qu'elles 
avaient  fournies  pour  arriver  sur  lOdcr  ;  elles  avaient  leurs 
cadres  à  peu  près  complets.  Il  n'en  était  pas  de  même  de 
l'armée  de  Wedell,  qui  entrait  pour  lî).000  hommes  d^us 
l'effectif  total,  et  dont  l'infanterie  avait  été  fort  éprouvée 
par  trois  mois  d'étapes  et  de  combats;  sa  défaite  .'•écente, 
en  ravivant  les  souvenirs  de  Gross  Jaegerdorf  et  de  Zorn- 
dorf,  avait  porté  atteinte  à  son  moral.  Frédéric  qui  n'a- 
vait aucune  confiance  dans  ces  bataillons  recrutés  pour  la 
plupart  dans  la  Prusse  orientale  et  auxquels,  dans  sa  cor- 
respondance intime,  il  donne  le  surnom  de  ((  Baerenhau- 

(1)  y  compris  la  brigade  Wunscii,  forte  de  près  de  3.000  hommes,  laissée 
sur  la  rive  gauche  de  l'Oder.  »|ui  |irit  pari  à  l'alVaire  en  s'einparant  de  la 
ville  de  Francfort. 


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15« 


LA  GUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


V} 


ter  »  (1),  les  avait  distribués  de  manière  à  les  mélanger  aux 
détachements  plus  solides  venus  de  Saxe  ou  de  Silésie. 
Cette  mesure,  bonne  à  certains  égards,  avait  l'inconvénient 
grave  de  mettre  à  la  veille  de  la  bataille,  sous  les  ordres  de 
divisionnaires  et  de  brigadiers  nouveaux,  des  unités  dont 


ils  ignoraient  le  fort  et  le  faible. 


Aussitôt  la  concentration  opérée,  le  Roi  avait  fait  de  ses 
forces  la  répartition  suivante  :  une  avant-garde  de  deux 
brigades,  composée  de  8  bataillons  de  grenadiers,  tirés,  à 
l'exception  d'un  seul,  des  meilleurs  contingents  de  l'armée  ; 
le  gros  de  l'infanterie  formé  comme  d'habitude  sur  deux 
lignes,  chacune  divisée  en  deux  ailes,  la  première  ligne  de 
22  bataillons  commandée  par  les  généraux  Wedell  et 
llulsen,  derrière  celle-ci,  la  seconde  ligne  de  15  bataillons 
provenant  en  grande  majorité  des  vanicus  de  Paltzig,  con- 
duite par  Kanitz  et  Itzenplitz;  enfin  un  corps,  dit  de  réserve, 
de  8  bataillons  et  de  35  escadrons  sous  les  ordres  de  Finck. 
Le  reste  de  la  cavaler'.t,  f>5  escadrons,  était  attaclé  au 
corps  de  bataille  et  servait  sous  Seydlitz,  le  prince  de 
Wurtemberg  et  Platen. 

Les  Autrichiens  comptaient  14  bataillons  de  réguliers, 
5  de  Croates,  IV  compagnies  de  grenadiers  et  6  régiments 
de  dragons  et  hussards,  en  tout  un  peu  plus  de  18.000  hom- 
mes; la  plupart  des  Croates  restèrent  sur  la  rive  gauche  de 
l'Oder.  En  ce  qui  concerne  les  Russes,  il  est  beaucoup  plus 
difficile  d'estimer  leur  nombre,  les  auteurs  qui  ont  traité 
la  matière  ayant  varié  dans  leurs  calculs  repuis  4-2.000 
jusqu'à  02.000  hommes.  Dans  l'armée  rassemblée  à  Ku- 
nersdorf,  figuraient  les  brigades  Mordvinow  et  Fast  qui 
n'avaient  pas  pris  part  à  la  bataille  de  Paltzig;  grâce  à 
leur  présence  et  à  la  venue  de  quelques  autres  renforts, 
Soltikoff  disposait  de  ,32  régiments  fournissant  68  batail- 
lons (2)  et  36  escadrons  de  cavalerie  régulière;  les  effec- 

(1)  Peaux  d'ours;  au  figuré,  paresseux,  laincanls. 

(2)  Masslowski  parait  avoir  compté  deux  fois  le  régiment  Wjalka,  dont  un 


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A./- 


DISPOSITIONS  DE  LARMÉE  AUSTRO-RUSSE. 


159 


tifs,  diminués  par  les  marches  et  par  les  pertes  de  l'airairc 
du  23  juillet,  ne  devaient  pas  dépasser  37  à  38,000  fantas- 
sins et  '*.500  cavaliers;  si  à  ces  chilfres  on  ajoute  6.000  ir- 
réguliers tant  hussai  Is  que  cosaques,  on  peut  estimer  à 
48.000  le  total  des  troupes  moscovites.  L'artillerie  n'avait 
guère  été  modifiée  depuis  la  jonction  de  Mordvinow  et  de- 
vait se  monter  à  253  pièces  de  gros  calibre.  En  résumé, 
Soltikolï  et  Laudon  pouvaient  opposer  aux  40.000  régu^ 
liers  prussiens  et  à  leurs  250  pièces,  (iS.OOO  combat- 
tants (1),  tant  réguliers  qu'irréguliers,  et  300  canons. 

Ces  forces  imposantes  étaient  distribuées  de  la  manière 
suivante  :  Pour  assurer  les  communications  avec  la  rive 
gauche  de  l'Oder  où  le  bagage  de  l'armée  avait  été  déposé 
sous  la  garde  de  3  bataillons,  on  avait  établi  en  outre  des 
deux  ponts  de  Francfort,  au  bas  du  Judcnberget  dans  le 
voisinage  de  Schwetig,  trois  autres  ponts  défendus  par  des 
redans  dont  la  garnison  se  composait  de  3  régiments  de 
Croates.  Le  long  des  retranchements  qui  couvraient  le  ter- 
rain depuis  le  fleuve  jusqu'au  Falkensteinberg,  était  rangée 
sur  deux  lignes  la  division  Fermor  forte  de  18  bataillons; 
derrière  elle  le  gros  de  l'infanterie  autrichienne  ;  les  Russes 
faisaient  face  à  la  forêt  (Frankuirter  Forst)  et  les  Autri- 
chiens à  la  ville  de  Francfort.  Presque  tou  s  ces  troupes 
occupaient  la  partie  du  massif  appelé  Judenberg,  proba- 
blement à  cause  de  la  proximit  du  cimetière  des  juifs,  si- 
tué au  bas  de  la  colline  ;  les  con  >agnies  de  grenadiers  du 
corps  de  Laudon  étaient  à  l'abri  lans  le  Laudons  Crund. 
Lu  Falkensteinberg  jusqu'au  delà  de  Kunersdorf,  les  cour- 
tines et  le  bastion  naturel  que  formait  la  butte  du  (irosser 
Spitzberg  étaient  gardés  par  33  bataillons  en  deux  lignes 


bataillon  était  sur  les  hauteurs  el  l'autre  à  la  garde  des  bagages;  son  ihiffre 
de  bataillons  contesté  par  Laubert  semble  exact. 

(1)  Riedesel  et  la  relation  oflicielle  russe  donnent  j)our  les  Russes,  le  chif- 
fre de  39.411  et  pour  les  Autrichiens  14.937.  Soltikoff,  dans  sadéiiêche,  parle 
de  son  année,  comme  à  peine  forte  de  60.000  hommes. 


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160 


LA  GUEIIRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  IV. 


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SOUS  les  ordres  des  généraux  Villebois  et  Rumjanzew,  la 
division  du  premier  A  droite,  celle  du  second  à  gauche 
du  monticule.  Enlin  sur  le  Miihlberg,  qui  constituait  la 
gauche  de  la  position  russe,  était  posté  le  corps  de  réserve 
commandé  par  le  prince  (ialitzin,  et  composé  de  14  batail- 
lons; le  régiment  de  grenadiers  qui  défendait  le  point  ex- 
trême du  camp  retranché,  était  tourné  vers  le  Hiihner 
Fliess  et  les  hauteurs  de  Trettin;  les  quatre  autres  régi- 
ments, toujours  en  deux  lignes,  faisaient  face  à  l'est  comme 
leurs  camarades.  La  moitié  de  la  cavalerie  russe  était  à  la 
droite  de  Fcrmor,  entre  les  collines  et  le  fleuve;  l'autre 
moitié,  ainsi  que  la  cavalerie  autrichienne,  se  tenaient  au 
pied  du  massif,  entre  le  Rothes  Vorwerk  et  le  Grosse  Els- 
lîusch.  Le  commandant  de  l'artillerie  moscovite  avait  su 
tirer  parti  du  beau  malili'iel  dont  il  disposait  :  le  Juden- 
berg  était  garni  de  cinq  batteries  dont  les  plus  impor- 
tantes découvraient  la  région  des  lacs  de  Kunersdorf,  dont 
les  autres  étaient  orientées  de  manière  à  voir  les  débou- 
chés de  la  forêt  de  Francfort.  Sur  le  Spitzberg  était  établie 
une  batterie  puissante  qui  en  balayait  les  approches  des 
deux  côtés;  au  Miihlberg  quatre  groupes  d'artillerie  plus 
légère  dirigeaient  leur  tir  sur  les  collines  voisines.  Le  long 
des  courtines  qui  reliaient  les  principaux  ouvrages,  on  avait 
ménagé  des  banquettes  pour  faciliter  le  feu  de  mous- 
queterie;  de  place  en  place  des  ouvertures,  masquées  par 
de  petits  redans,  permettaient  au  défenseur  de  faire  des 
sorties.  En  résumé,  toutes  les  précautions  avaient  été  pri- 
ses contre  l'attaque  de  front  à  laquelle  s'att  mdaient  les 
alliés,  et  la  journée  du  11  août  fui  employée  dans  le  camp 
russe  à  achever  les  terrassements  et  à  élever,  en  avant  des 
fortifications,  des  barricades  pour  lesquelles  on  avait  uti- 
lisé les  arbres  de  la  forêt;  enfin  dans  la  crainte  que  les 
maisons  de  Kunersdorf  laissées  en  dehors  de  l'enceinte  ne 
servissent  d'abri  pour  l'assr.illant,  on  avait  incendié  le  vil- 
lage, dont  il  ne  resta  debout  que  l'église.  , 


ORDRE  D'ATTAQUE  DES  PRUSSIENS. 


16! 


Au  cours  de  la  soirée,  Frédéric  qui  s'était  fait  accompa- 
gner dans  sa  reconnaissance  par  des  forestiers  et  par  un 
officier  connaisseur  d'un  pays  où  il  avait  souvent  chassé, 
lanya  ses  ordres  pour  le  lendemain.  L'état-major  prussien 
croyait  à  une  retraite  des  Austro-Russes  dans  la  direc- 
tion de  Crossen,  ausf".  les  dispositions  comportèrent-elles 
deux  hypothèses  ;  nous  négligerons  celle  de  la  retraite, 
pour  ne  retenir  que  celle  qui  se  réalisa,  tout  au  moins  en 
partie.  Les  généraux  Finck  et  Schorlemmcr,  commandants 
de  la  l'éserve,  feraient  sonner  le  réveil  au  petit  jour,  se 
rendraient  avec  un  gros  état-major  sur  les  collines  en 
face  du  Miihlberg,  bien  en  vue  de  l'ennemi,  et  se  con- 
duiraient de  manière  à  faire  supposer  la  présence  du  Uoi. 
Après  une  heure  consacrée  à  ce  manège,  Finck  avancerait 
de  la  troupe  et  du  canon,  tout  eu  les  maintenant  hors  de 
portée;  vers  G  heures  il  planterai!  deux  batteries  sur  les 
hauteurs  de  Trettin  et  de  IJischolfsee,  mais  il  ne  commen- 
cerait son  feu  qu'après  l'ouverture  de  celui  de  l'armée 
royale;  toute  tentative  de  l'ennemi  pour  passer  le  lli'ihner 
Fliess  devait  être  éncrgiquement  repoussée.  Entre  temps 
le  corps  de  bataille  et  l'avant-garde,  précédés  et  éclairés 
par  le  cavalerie  de  Seydlitz,  s'ébranleraient  en  deux  colon- 
nes, suivraient  les  hauteurs  qui  bordent  la  rive  droite  du 
ihihuer  Fliess,  franchiraient  ce  ruisseau,  traverseraient  les 
bois  et  se  déploieraient  à  la  lisière.  La  première  pensée 
de  Frédéric  [)aralt  avoir  été  d'engager  l'action  avec  son 
aile  gauche  qui  aurait  débouché  de  la  forêt  de  Francfort, 
au  delà  et  uu  sud  de  la  chaîne  des  étangs  do  Kuncrsdorf  ; 
mais  pendant  la  marche  de  ses  troupes,  et  à  la  suite  dune 
nouvelle  inspection  des  lieux,  il  moditia  son  plan,  et  réso- 
lut de  débuter  par  rattacjue  du  Mi'ihlberg.  A  cet  ellet,  il 
donna  l'ordre  aux  tètes  de  colonnes  de  faire  une  conver- 
sion à  droite. 

L'armée  royale,  composée  de  l'avant-garde,  des  deux 
lignes  du  corps  de  bataille  et  de  la  principale  parti(!  de 

CIEKRE   1>K   SKIT    \>S.    —   T.    III.  1  ( 


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162 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IV. 


la  cavalerie,  et  traînant  avec  elle  80  canons  de  gros  ca- 
libre, s'était  mise  en  route  entre  2  et  3  heures  du  i.ia- 
tin.  Mais  la  nature  du  terrain,  le  passaj^e  du  ruisseau  sur 
lequel  il  n'y  avait  que  deux  ponts,  la  Faulc  Brucke  et  la 
Stroh  Brucke,  et  surtout  la  profondeur  des  colonnes  qui 
atteignaient  une  longueur  lie  près  de  8  kilomètres,  avaient 
ralenti  la  marche.  Le  changement  de  direction  fut  une 
autre  cause  de  retard;  il  fallut  dételer  les  attelages  de 
12  chevaux  attachés  aux  canons  de  12,  tourner  les  pièces 
sur  place,  et  ratteler  de  nouveau.  D'autre  part,  comme 
conséquence  du  changement  de  formation,  l'infanterie 
qui  appuyait  sa  droite  sur  le  Hiihner  î^liess  ne  laissait  plus 
l'espace  nécessaire  à  la  cavalerie;  aussi  le  prince  de  Wur- 
temberg dut-il  transférer  ses  escadrons  à  la  gauche.  Toutes 
ces  manœuvres  prirent  du  temps,  et  il  était  déjà  11  heures 
et  demie,  quand  on  ouvrit  le  feu  des  batteries  que  le  co- 
lonel MoUer,  commandant  de  l'artillerie  prussienne,  avait 
installées  sur  le  Kleistberg  et  sur  une  autre  butte  à  gauche 
de  la  chaussée  de  Drossen.  Ces  pièces  auxquelles  vinrent 
bientôt  s'ajouter  celles  qu'on  avait  placées  sur  le  Seydlitz- 
berg,  furent  pointées  sur  le  Mtilhberg  et  sur  ses  défen- 
seurs. De  son  côté  Finck  avait  commencé  à  tirer  de  deux 
batteries,  établies  sur  les  mamelons  qui  aujourd'hui  por- 
tent son  nom. 

Jusqu'alors  les  mouvements  des  Prussiens  n'avaient  ren- 
contré aucune  opposition,  et  la  tranquillité  générale  n'a- 
vait été  troublée  que  par  quelques  coups  de  canon  sur 
une  patrouille  de  cosaques.  A  en  juger  par  les  récits  des 
alliés,  Soltikoff  pendant  toute  la  matinée  était  demeuré  in- 
certain sur  le  point  de  l'attaque,  et  inclinait  à  croire  qu'elle 
serait  dirigée  sur  le  front  et  la  droite  de  sa  position;  il 
est  juste  de  reconnaître  qu'un  brouillard  qui  dura  jusqu'à 
8  heures,  favorisa  l'approche  de  l'armée  royale.  Au  sur- 
plus, quelle  que  fût  la  raison  de  son  immobilité,  le  géné- 
ral en  chef  ne  prit  aucune  mesure,  ni  pour  inquiéter  la 


ATTAQUE  ET  PRISE  DU  MUHLBERG. 


i6;t 


marche  des  Prussiens,  ni  pour  renforcer  le  corps  de  Ga- 
litzin,  chargé  de  la  défense  du  Miihlherg-. 

Au  bout  d'une  demi-heuro,  les  60  bouches  à  feu  que 
les  artilleurs  royaux  avaient  mises  en  action,  acquirent  une 
supériorité  marquée  sur  les  40  dont  les  Musses  pouvaient 
disposer.  Les  soldats  de  Galitzin,  et  surtout  les  grenadiers 
postés  au  point  saillant  du  Miihlberg,  canonnés  à  bonne 
portée,  souffrirent  beaucoup  du  tir  convergent  qui  battait 
leur  front  et  enfilait  leurs  rangs.  A  midi,  le  Koi  donna  le 
signal  de  l'assaut;  la  première  brigade  de  l'avant-garde, 
forte  de  4  bataillons  sous  les  ordres  de  Seckendorf,  des- 
cendit le  versant  du  Kleistberg,  traversa  le  Becker  Grund, 
où  elle  était  momentanément  à  l'abri  de  l'artillerie  russe 
qui  ne  voyait  pas  le  fond  du  vallon,  et  gravit  la  pente 
opposée.   Arrivés   à  100  mètres  des  retranchements,  les 
Prussiens  furent  exposés  à  la  mitraille  et  à  la  fusillade 
des  défenseurs;  ils  passèrent  outre,  franchirent  le  fossé, 
sautèrent  dans  l'intérieur  des  lignes  et  tombèrent  sur  les 
fantassins  moscovites  qui  reculèrent  en  désordre.  La  ré- 
sistance, si  courte  qu'elle  fût,  avait  procuré  à  Galitzin 
le  temps  d'amener  à  leur  secours  les  4  régiments  de  fusi- 
liers qui,  avec  celui  des  grenadiers,  composaient  le  corps 
de  réserve;  il  les  forma  le  mieux  qu'il  put,  au  travers  du 
camp  fortifié.  A  cet  endroit  il  y  eut  un  combat  sanglant, 
mais  de  peu  de  durée;  Galitzin  et  Olitz  furent  blessés;  les 
fusiliers,  pris  en  flanc  parle  canon  du  Kleistberg,  mitraillés 
de  front  par  les  pièces  légères  des  bataillons   prussiens, 
cédèrent  devant  les  grenadiers  de  Seckendorf  que  sou- 
tenait la  seconde  brigade  de  l'avant-garde.  Ils  gagnèrent 
en  confusion  le  bas  de  la  colline,  vers  le  (irosse  Elsbusch  ; 
là,  ils  se  trouvèrent  sous  le  feu  du  Finckberg,  et  repri- 
rent leur  fuite,  entraînant  avec  eux  le  régiment  des  gre- 
nadiers à  cheval  et  abandonnant  aux  Prussiens  toute  leur 
artillerie  et  bon  nombre  de  j)risonniers. 

Le  premier  acte  de  la  bataille  avait  été  joué.  Le  Roi 


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164 


L.V  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAI».  IV. 


pouvait  s'applaudir  do  son  entrée  en  scène;  avec  8  batail- 
lons de  son  avant-garde  et  sans  grands  sacrifices,  il  avait 
emporté  une  position  redoutable,  pris  VO  canons,  mis  bors 
de  combat  l'aile  gauche  de  l'ennemi,  et  ce  qui  était  peut- 
être  plus  important,  pénétré  dans  son  camp  retranché. 
En  pos.iession  du  Mtihlberg,  vainqueur  de  (ialitzin,  comme 
il  l'avait  été  de  Nadasdy  àLeuthen,  Frédéric  dut  entrevoir 
une  victoire  égale  à  celle  de  cette  mémorable  journée. 

Malheureusement  pour  eux,  les  Prussiens  ne  tirèrent  pas 
de  leur  premier  succès  tous  les  résultats  qu'ils  eussent  pu 
en  espérer.  Pour  achever  la  destruction  de  la  réserve 
russe,  il  aurait  fallu  de  la  cavalerie;  or  toutes  les  unités 
de  cette  arme  appartenant  au  corps  d'^  bataille  ayant  été 
reportées  à  l'aile  gauche,  et  les  régiments  de  Schorlem- 
mer  n'ayant  pas  encore  traversé  le  Iliibner  Fliess,  on 
n'avait  sous  la  main  que  'i-  escadrons  des  dragons  de 
Platen  ,  qui  finmt  cjuelques  charges,  mais  qui  n'étaient  pas 
assez  nombreux  pour  produire  grande  impression.  Autre 
lacune  plus  grave  :  des  hauteurs  conq-iises  on  voyait  de 
côté  et  à  revers  les  masses  russes  qui  garnissaient  l'en- 
ceinte du  plateau,  depuis  Kuncrsdorf  jusqu'au  Judcnberg; 
il  était  tout  indiqué  d'ouvrir  sur  elles  un  feu  d'autant 
plus  efficace,  qu'il  enfilerait  leurs  formations  et  agirait 
sur  des  profondeurs  de  plusieurs  rangs.  iMais  les  moyens 
d'action  firent  défaut;  les  pièces  régimentaires  n'avaient 
pas  la  portée  nécessaire;  avec  beaucoup  de  difficulté  on 
hissa  sur  les  pentes  sablonneuses  du  Miiblberg  ï  canons 
de  12  qui  hrent  beaucoup  d'effet  (1),  mais  ils  curent  bien- 
tôt épuisé  leurs  munitions,  et  il  fallut  attendre  les  caissons 
qui  n'arrivèrent  que  tardivement.  Quant  aux  pièces  enle- 
vées, aucun  des  narrateurs  n'indique  pourquoi  les  Prus- 
siens ne  les  retournèrent  pas  contre  leurs  anciens  proprié- 
taires. 

(1)  L'Iiislorien  Tciniiclhoff  servait  en  qualité  d'officier  subalterne  avec  ces 
pièces. 


MANQUE    D'AiniLM'JllK   POI'U  CO.VIPLKTKR  LE  SICCKS.        105 


Au  surplus,  soit  encombrement  du  Miihlberi;  et  de  ses 
approches,  soit  impossibilité  d'y  faii-e  monter  les  pièces  et 
leurs  caissons,  on  ne  put  pas,  parait-il,  remédier  au  cours 
de  la  bataille  à  ce  manque  d'artillerie  ;  aussi  Frédéric  ne 
profita-t-il  pas  de  l'avantage  d'une  position  distante  sou 
Icment  de  1.100  mètres  du  plateau  du  Spitzberg-  où  l'on 
se  battit  si  longtemps,  et  (|ui,  à  4  mètres  près,  est  aussi 
élevée  que  ce  mamelon.  lUen  que  partiel,  le  feu  des  gros- 
ses pièces  du  Millilbcrg  fut  des  plus  meurtriers  et  ouvrit 
bien  des  trouées  sanglantes  dans  les  formations  serrées 
de  l'armée  austro-russe;  plus  intense,  peut-être  eùt-il 
fait  pencher  la  balimce  en  faveur  du  Hoi. 

Cependant,  après  le  temps  d'arrêt  indispensable  pour 
rétablir  l'ordre  dans  les  unités,  les  Prussiens  continuè- 
rent à  avancer;  en  tète  les  8  bataillons  de  l'avaut-garde, 
que  venait  de  rejoindre  un  bataillon  du  régiment  du 
Markgraf  Karl;  derrière  eux  la  plus  grande  partie  de  l'aih; 
droite  du  gros  et  la  g-auchc  du  corps  de  réserve.  Le  gé- 
néral Finck  en  effet  avait  franchi  le  Iliihner  Fliess  et 
s'était  établi  entre  l'Elsbnsch  et  le  Miihlberg-,  sur  le  versant 
nord-ouest  de  celte  colline  et  sur  le  petit  plateau  qui  la 
couronne;  par  contre,  la  brigade  Thiele,  extrême  droite  du 
corps  de  bataille,  ne  trouvant  plus  de  place  pour  se  dé- 
ployer en  haut  de  la  butte,  avait  été  forcée  d'obli(juer 
et  de  gagner  l'Elsbusch,  d'où  elle  ne  sortit  qu'une  heure 
et  demie  plus  tard,  pour  renforcer  la  ligne  de  feu.  Des 
escadrons  de  Schorlemmer  quelques-uns  furent  all'ectés 
à  la  garde  du  camp,  les  autres  se  postèrent  derrière  l'in- 
fanterie. En  résumé,  vers  une  heure  et  demie  de  l'après- 
midi,  plus  de  la  moitié  de  l'infanterie  prussienne  était  en- 
tassée sur  le  haut  et  les  déclivités  du  Mulilberg;  seuls  les 
premiers  rangs  pouvaient  agir;  ceux  de  dei'rière  restaient 
inutilement  exposés  à  la  pluie  de  projectiles  que  les  ca- 
nons et  obusiers  à  longue  portée  de  Soltikolï  commen- 
çaient à  faire  tomber  sur  eux. 


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LA  GUERHK  DE  8KPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


Pour  arrêter  les  progn-s  de  rarmce  royale,  les  généraux 
alliés  (jui  s'étaient  placés  sur  le  Spitzberg  firent  exécuter 
une  conversion  aux  deux  régiments  de  gauche  de  la  di- 
vision Uumjan/ew,  le  deuxit-me  grenadiers  et  Uostow,  et 
les  firent  soutenir  par  les  bataillons  suivants  et  par  les 
compagnies    dos   grenadiers   autrichiens,  accourues    du 
Laudons  (irund.  Kntre  ces  nouveaux  venus  que  dirig<'aient 
h's  généraux  Panin  et  Bruce,  et  lavant-garde  prussienne, 
appuyée  [)ar  quelques  hatailljiis  du  corps  de  bataille,  il 
y  eut  un  engagement  qui  se  termina,  grùce  î\  l'entrée  en 
ligne  de  Kinck,  par  la  retraite  des  Austro-Russes  au  delà 
du  Kuli  Grund.  Là  on  se  fusilla  des  deux  crêtes  opposées; 
l'avant-garde  toujours  la  première,  mais  déj      ort  épui- 
sée; derrière  elle  les  régiments  de  Finck,  et  l  aile  droite 
de   l'armée   royale  presque   entière  dont  une    partie  au 
pied,  et  l'autre  sur  les  pentes  du  Milhlherg,  le  tout  fouetté 
par  les  projectiles  russes.  L'aile  gauche,  ainsi  que  toute 
la  cavalerie,  n'avait  pas  encore  pris  part   au  combat.  Il 
était  deux  heures;  on  avait  gagné  du  terrain,  mais  on  se 
heurtait  à  une  résistance  de  plus  en  plus  opiniâtre,  et  il 
devenait  évident  qu'il  y  aurait  lieu  de  retirer  du  feu  les 
bataillons  fatigués  et  de  les  remplacer  par  des  troupes 
fraîches.  A  cet  etl'et,  l'aile  droite  de  l'armée  royale,  qui 
jusqu'alors  était  restée  en  seconde  ligne,  tout  en  subissant 
des  pertes  du  fait  de  l'artillerie  russe,  fut  appelée  en  pre- 
mière pour  remplir  les  vides.  D'autre  part,  la  brigade 
Knobloch,  forte  de  3  bataillons,  chassa  les  Russes  du  ci- 
metière de  Kunersdorf,   gagna   sur  le  plateau  du   cùté 
du  Kuh  Grund,  et  prit  en  flanc  les  défenseurs  de  ce  ravin. 
Grâce  ;i  cette   diversion ,  grAccï   i.ussi  à  l'arrivée  sous  le 
Kuhberg  de  la  brigade  Thiele,  revenue  du  marais  où  elle 
s'était  égarée,  les  Prussiens  parvinrent  enfin  à  dépasser 
l'obstacle  qui  les  avait  arrêtés  si  longtemps,  enlevèrent  les 
canons  de  l'ennemi,  et  refoulèrent  celui-ci  jusqu'au  Tiefe 
Weg.  D'après  quelques  récits,  ils  auraient  même  poussé 


;   » 


LES  PRl'SSIENS  DEPASSENT  LE  KUH  ORUND. 


167 


jusqii'A  la  butte  du  Spitzberg,  et  se  seraient  rendus  mo- 
mentanéuHMit  maîtres  de  cette  clef  de  la  position.  Si  le  fait 
est  exact,  ce  dont  il  est  permis  de  douter,  elle  ne  resta  pas 
en  leur  possession,  et  fut  réoccupée  par  les  régiments 
moscovites  du  centre  et  de  la  droite. 

En  dépit  du  succès  obtenu,  les  soldats  prussiens,  malgré 
leur  discipline  et  leur  endurance,  se  montraient  de  plus  en 
plus  las;  éprouvés  par  des  étapes  presque  inintcrrom[)ues, 
ils  n'avaient  yoùté  depuis  deux  jours  qu'un  repos  insuffi- 
sant; sur  pied  dès  deux  beures  du  matin,  en  marclie  ou 
aucoml)at  depuis  treize  beures  par  une  cbaleur  torride,  ils 
montraient  des  signes  visibles  d'épuisement.  Ktait-il  rai- 
.sonnable  d'exiger  d'eux  de  nouveaux  efforts,  ou  fallait-il 
se  contenter  des  résultats  d'ailleurs  fort  satisfaisants  déjà 
acquis.'  l*lusieurs  généraux  étaient  de  ce  dernier  avis,  et 
l'un  d'eux,  Kinck,  le  dit  au  l\oi  avec  beaucoup  de  francliise  : 
«  La  victoire  était  gagnée,  il  suffisait  de  se  maintenir  sur 
le  terrain  conquis,  pour  décider  l'adversaire  A  abandonner 
la  partie  et  à.  évacuer,  pendant  la  nuit,  ce  qui  lui  restait 
encore  de  sa  position.  » 

Mais  Frédéric,  qui  visait  l'anéantissement  de  r.irmée  aus- 
tro-russe et  qui  comptait  la  culbuter  dans  l'Oder,  ne  voulut 
pas  écouter  ces  sages  conseils,  et  donna  l'ordre  de  pour- 
suivre la  lutte  pour  la  conquête  du  plateau  tout  entier.  A 
ce  moment  de  l'action,  les  généraux  alliés  avaient  conservé 
bien  peu  d'espoir  (1)  d'éviter  la  défaite.  «  Il  était  quatre 
beures  et  demie,  dit  la  relation  autricbienne  (2),  quand 
toutes   les  apparences  commencèrent  à  nous   persuader 

l'affaire    presque  désespérée car  plus   de  la  moitié 

du  champ  de  bataille,  et  bonne  partie  du  canon  russe 
étaient  dans  les  mains  de  l'ennemi.  »  D'après  le  môme  do- 


(1)  Piedescl  à  Bruhl.  Relation  de  la  bataille.  Zeitschrift  /'tir  h'unsl,  etc. 
Berlin,  1855. 

(2)  Relation  de  la  bataille  du  12  août.  Archives  de  la  Guerre.  Vienne. 


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LA  r.UKlUlE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAIV  IV. 


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ciinient  «  lo  soNWI,  ht  vent,  la  fiiin<'îo  ot  une  poiissi^ro  infi- 
nie qui  existe  dans  im  terrain  aussi  sahlonueux  (|uc  celui-ci, 
empêchaient  de  voir  A  la  distance  de  trois  pas  »  et  consti- 
tuaient un  avanfaye  pour  l'assaillant.  Il  avait  fallu  i-ctirer 
l'un  api'ès  l'autre  des  hauteurs  du  Tiefe  Weg-  les  rég-iinenls 
autrichiens  I.audon  et  Haden,  dont  le  pnunier  avait  perdu, 
en  trois  (piarts  d'heure,  'M)  officiers  et  plus  de  500  hommes 
tués  ou  hiessés,  et  dont  le  second  n'avait  iiuère  été  mieux 
traité.  D'après  le  récit  de  Ho!  tow  (1),  Soltikolf  lui-même 
aurait  été  si  découragé  <|u'il  se  serait  mis  à  genoux  devant 
ses  troupes  et  aurait  imploré  l'aide  (h*  Dieu  pour  détour- 
ner un  désastre  ([ui  paraissait  alors  imminent. 

Toutefois  leurs  craintes  sur  l'issue  de  l'aU'aire  n'empê- 
chèrent pas  Soltikofi'et  Laudon  de  prendre  toutes  les  me- 
sures possibles  pour  mettre  terme  aux  progrès  de  l'armée 
prussienne.  Aux  régiments  encore  intacts  d<ï  Uumjanzew, 
(jui  étaient  massés  sur  le  Spitzherg,  vinrent  s'ajouter  suc- 
cessivement le  deuxième  échelon  de  la  division  Villebois 
et  la  brigade  de  Bergqui  appartenait  à  la  division  Fermer. 
Sur  la  crête  qui  domine  le  Tiefe  Wcg,  le  barrage  humain 
que  formaient  ces  troupes  fut  prolongé  par  trois  régiments 
autrichiens,  appelés  de  l'extrême  droite  pour  remplacer 
leurs  camarades.  De  son  côté,  le  commandant  de  l'artil- 
lerie russe,  Borosdin,  accumula  sur  la  butte  du  Spitzherg 
et  sur  cette  partie  du  plateau  tout  le  matériel  dont  il  dis- 
posait encore  ;  pièces  régimentaires,  canons  lourds,  obu- 
siers  du  modèle  Schouvallow,  tout  fut  amené  sur  la  nou- 
velle base  de  résistance.  D'ailleurs  l'approche  de  cette 
formidable  barrière  empruntait  h  la  nature  du  terrain  des 
difficultés  particulières.  Du  village  de  Kunersdorf  à  la  nais- 
sance du  Tiefe  Weg,  il  y  a  à  peine  500  mètres,  aussi  était-il 
impossible  sur  un  front  si  étroit  d'appliquer  la  méthode 
favorite  du  l\oi,  l'attaque  en  échelons  ou  en  lignes.  Les 

(1)  Récit  cité  par  Laubert,  p.  80. 


ASSAUTS  DU  SPITZHERG 


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corps  qui  accouraient  au  feu  ne  pouvaient  se  déployer  ef 
n'avaient  d'autre  ressource  ((ue  de  se  masser  derrière  les 
preuiiers  cdiuliattants,  dont  ils  tiipiaient  ou  quadruplaient 
la  profondeur.  Dans  les  amas  d'In^uimes  ainsi  entassés,  les 
|(()ul(^ls  russes  ouvraient  à  chaque  coup  des  percées  san- 
f;lanles. 

De  l'aulie  côté  de  Kunersdorf,  entre  c<;  villa,i;e  et  le 
Spitzberg,  il  y  avait  un  peu  plus  d'espace,  mais  les  décli- 
vités nues  qui  s'y  déroulent  sur  une  longueur  de  près  d'un 
kilotnèti'e  présentaient  pour  la  défense  les  avantages  d'un 
glacis  naturel,  et  offraient  à  l'artillerie  moscovite  un  ad- 
mirable eliainp  de  tir.  Aux  abords  du  Spitzberg,  tous  les 
élans  de  l'infanterie  prussienne  allaient  se  briser,  comme, 
un  siècle  plus  tard,  ils  devaient  écliouer  sur  les  pentes  de 
Saint-Privat. 

(j'est  contre  cette  position  redoutable  <pie  Frédéric  tenta 
un  suprême  effort,  qui  devait  décider  le  sort  de  la  bataille. 
Pendant  <|ue  la  droite  continuait  A  se  fusiller  avec  les  Au- 
tricliicns  sans  pouvoir  prendrez  pied  sur  le  coteau  qui  do- 
mine le  Tiefc  Weg,  la  gauche  prussienne  mettait  tout  en 
(euvre  pour  emporter  le  Spitzberg.  «  A  peine  notre  infan- 
terie, relate  une  des  narrations  (i),  avait-elle  dépassé  h' 
village  de  Kunersdorf,  qu'elle  reçut  un  feu  de  mitraille 
épouvantable;  il  en  résulta  un  tel  désordre  dans  nos  ba- 
taillons, qu'ils  se  pelotonnèrent  sur  une  profondeur  qui 
atteignait  jusqu'à  10  rangs,  et  restèrent  ainsi  exposés  au 
feu  sans  qu'on  essavAt  de  leur  faire  reprendre  leurs  forma- 
tions ou  de  les  retirer  de  la  zone  de  feu.  »  C'est  ainsi  que 
la  brigade  Knobloch  et  celle  de  la  seconde  ligne  qui  lui 
servait  de  soutien,  tout  en  se  maintenant  péniblenu>nt  en 
avant  des  ruines  de  Kunersdorf.  ne  purent  déboucher  sur 
le  plateau  qui  fait  suite  au  village. 

be  Uoi  disposait  encore,  comme  réserve  d'infanterie, 

{V  Relalioa  aii|iarlcnaiit  à  la  colicclion  du  duc  de  IJrunswick,  citée  par 
Lauberl. 


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170 


LA  GUmilE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


de  l'ailo  gaucho,  soit  environ  16  l)ataillons,  composés  il  est 
vrai  pour  les  trois  quarts  des  régiments  de  Weùell  à  ca- 
dres incomplets,  et  dont  le  moral  se  ressentait  encore  de 
récentes  défaites;  la  cavalerie,  à  l'exception  de  celle  du 
corps  de  Kinck,  était  massée  derrière  les  étangs  de  Ku- 
ncrsdorf,  entre  la  route  de  Drossen  et  la  forôt,  et  n'avait 
pas  pris  part  à  l'engagement.  Seul  le  prince  de  Wurtem- 
berg avait  été  détaciié  pour  faire  des  démonstrations  vers 
re.xtrôme  droite  des  alliés,  mais  il  avait  trouvé  le  passage 
de  la  Faulc  lU-ucke  coupé,  et  n'osant  pas  s'aventuror  dans 
les  défilés  de  la  forôt  de  Francfort,  était  revenu  se  joindre 
aux  régiments  de  Seydlitz. 

A  Kunersdorf,  Frédéric  montra  une  fois  de  plus  qu'il 
avait  à  la  guerre  le  tempérament  du  joueur  qui  r'^que  tout 
sur  une  carte,  dans  l'espoir  de  doubler  son  bénélice.  Peut- 
être  eût-il  gagné  la  partie  sans  l'admirable  ténacité  des 
soldats  russes  et  sans  l'initiative  hardie  du  général  au- 
trichien, mais  n'anticipons  pas.  Le  Hoi  jeta  successivement 
dans  la  bagarre  tontes  les  brigadci:  de  l'aile  gauche  :  Yung 
Stutterheim,  Grabow,  Dericke,  et  enfin  celle  du  général 
Rebent'sch;  stimulés  par  l'exemple  d(^  leurs  camarades, 
«  les  peaux  d'ours  »  paraissent  avoir  fait  leur  devoir,  mais 
leur  courage  fut  dépensé  en  pure  perte.  Il  n'y  avait  qu'un 
seul  chemin  pour  monter  au  Spitzberg;  à  gauche  le  chapelet 
des  lacs  ferme  la  route,  et  les  espaces  étroits  ([uc  laissent 
entre  eux  les  étangs  étaient  réservés  à  la  cavalerie  ;  aussi 
fallait-il  tout  d'abord  traverser  les  ruines  fumantes  de  Ku- 
nersdorf. A  la  sortie  du  village,  les  têtes  de  colonnes  ve- 
naient donner  sur  la  cohue  des  troupes  déjà  engagées,  et, 
dans  l'impossibilité  de  se  frayer  un  passage,  se  confon- 
daient avec  elles  et  tourbillonnaient  inutilement  sous  le 
feu  des  batteries  russes.  Du  côté  du  Spitzberg,  comme  sur 
les  pentes  du  Tiefc  Weg,  le  spectacle  était  celui  que  nous 
décrit  Gaudi  (1)  :  «  Tous  les  régiments  avaient  soulfert, 

(1)  Journal  deGaiidi,  Archives  de  l'Elal-niajor  général.  Ilcrlin,  .\XVII,  n"31. 


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FRÉDÉIUC  A  RECOURS  A  SA  CAVALERIE. 


171 


il  n'y  avait  plus  de  l'ormatious  ;  tout  ce  qui  faisait  encore 
le  coup  tle  feu  était  réparti  en  pelotons  de  10  iV  12  hommes 
de  profondeur.  » 

Force  fut  de  renoncer  à  enlever  le  Spitzberg  par  un  as- 
saut direct;  réussirait-on  mieux  par  une  attaque  de  flanc? 
Depuis  queKiue  temps  déjà,  le  Koi,  plein  des  souvenirs 
du  rôle  glorieux  joué  îl  Zorndorf  par  sa  cavalerie,  avait 
demandé  à  Seydlitz  si  l'heure  n'était  pas  venue  '  ;  la  fain; 
entrer  en  scène.  Retenu  lui-même  au  Kuhberg  d'où  il  sur- 
veillait les  pi'ogrès  de  la  droite,  il  ne  pouvait  se  figurer 
les  obstacles  (|ui  s'opposeraient,  au  delà  de  Kunersdorf,  à 
l'action  de  ses  escadrons.  Au  cours  de  l'après-midi,  Se\d- 
litz  était  allé  auprè.s  du  souverain ,  lui  avait  rendu  compte 
de  la  situation  et  l'avait  supplié  de  se  contenter  des  ré- 
sultats obtenus.  Frédéric  était  resté  sourd  à  cette  prière, 
comme  il  l'avait  été  au  conseil  de  Finck,  et  Seydlitz  dut 
retourner  au  mamelon,  qui  depuis  lors  rappelle  son  nom, 
(>t  prendre  ses  dispo.silions  pour  l'attaque.  Une  blessure 
grave  (ju'il  reçut  vers  ce  moment  l'empêcha  d'en  surveil- 
ler l'exécution,  et  priva  les  escadrons  prussiens  d'un  chef 
dont  le  coup  d'œil  et  la  confiance  qu'il  savait  inspirer 
auraient  été  indispensables  pour  mener  à  bien  une  en- 
treprise des  plus  épineuses.  i*our  se  porter  au  delà  des 
étangs,  la  cavalerie  se  heurta  aux  mômes  difficultés  que 
l'infanterie  au  débouché  de  Kunersdorf.  Les  deux  prin- 
cipaux lacs,  le  Uorfsoe  et  le  IJlankensee,  ne  sont  séparés 
l'un  de  l'autre  que  par  une  langue  de  terre,  large  d'en- 
viron 250  mètres,  et  coupée  par  le  fossé  qui  sert  de  dé- 
vc'soir  au  Dorfsee,  dont  le  niveau  est  légèrement  supé- 
rieur. L'étroitesse  de  terrain  i>o  permettait  le  passage  (ju'à 
deux  escadrons  de  front;  aussi,  pour  se  déployer,  était-il 
nécessaire  que  les  premières  unités  attendissent  les  autres, 
et  que  la  manœuvre  fût  accomplie  sous  le  feu  de  l'artil- 
lerie ennemie.  La  charge  s'exécutait-elle  quand  même, 
elle  était  arrêtée  par  les  abatis,  les  trous  de  loup  et  autres 


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172 


LA  GUERRE  I)i:  SEPT  A>'3. 


CHAP.  IV. 


travaux  dôfensifs,  dont  les  abords  du  Spitzberg  étaient 
semés  li  y  eut  des  succès  pai'Hels,  quelques  pelotons  péné- 
trèrent assez  loin,  comme  le  prouvèrent  les  cadavres  de 
dragons  et  de  cuirassiers  prussiens  ramassés  le  lende- 
main tout  près  de  la  butte;  mais,  dans  son  ensemble,  l'at- 
taque de  la  cavalerie  sur  le  S[)itzberg'  ne  fut  pas  plus 
lieureusc  que  celle  de  l'infanterie. 

De  leur  côté,  les  bataillons  russes,  assemblés  autour  du 
mamelon,  soutiraient  eux  :iussi  du  l'eu  de  la  batterie  du 
Seydlitzberg  et  d'une  autre  qui  avait  été  établie  à  l'est  et 
sur  la  berge  du  B!aukensee.  «  L'artillerie  nombreuse  de 
l'ennemi,  écrit  le  major  Tettau,  tirait  pendant  tout  ce 
temps  et  des  grands  cliemins  (de  Drossen)  et  des  bauteurs 
des  abatis,  et  jetait  sans  cesse  des  tombes,  ainsi  que  sar.- 
la  situation  avantageuse  du  terrain  que  nous  occupâmes, 
nous  aurions  perdu  une  infinité  de  monde,  nieme  dans  les 
régiments  les  plus  éloignés.  » 

Le  combat,  qui  eut  pour  théîUre  le  plateau  inr 'iué  ealre 
le  Spitzberg  et  les  étangs  de  Kunersdorf,  ne  fut  pas  le 
seul  au(juel  prit  part  la  cavalerie  royale;  au  cours  de  l'a- 
près-midi, a\ait  eu  lieu  sur  la  droite  un*-  attaque  du  prince 
de  Wurtemberg,  racontée  (1)  par  tioetzen.  Cet  officier  (pu 
servait  d'adjudant  au  Itoi,  po'-ta  l'ordre  au  prince  de  ga- 
gner avec  une  partie  de  ses  cavaliers  le  bas  des  prairies 
i\  l'orée  de  l'Elsbuscli,  et  d'essayer  de  prendre  à  dos  les 
défenseurs  des  bauteurs  qui  bordent  le  ravin  ai  Tiefe 
Weg.  Wurtemberg  qui  était  de  retour  de  son  mo'.vemeut 
manqué  dans  la  forêt  de  Fr.nicfort  el  dont  les  escadrons, 
rangés  à  la  lisière  du  bois,  étaient  en  butte  aux  projectiles 
ennemis,  ne  se  lit  pas  prier;  il  défila  par  le  Becker  (irund, 
lit  le  tour  du  SKUilberg,  et  avec  (loetzen,  se  mit  à  la  rc- 
cberclie  d'un  endroit  où  il  fiU  possible  d'escalader  la  pente. 


(1)  Gaîizeii.  Anccdoten  zur  Bataille  bei  Kunersdorf.  Arcliives  de  l'Élal- 
iniijor  gi^iK'ial.  Herllii,  XXVII,  408. 


LES  PRUSSIENS   REPOUSSES  AU  SPITZIiERG. 


173 


Revenu  de  sa  reconnaissance,  il  ne  trouva  plus  son  régi- 
ment (le  tôte,  les  dragons  de  Mciuecke,  qui  sur  une  dé- 
charge du  canon  autrichien  avaient  fait  demi- tour,  fut 
l)lcssé  et  eut  quelque  ])eine  à  se  tirer  des  mains  de  l'en- 
nenii.  Une  tentative  du  même  genre  confiée  à  PiittkaiiMuer, 
avec  ses  hussards,  n'eut  pas  une  issue  plus  favorai)le  et 
coûta  la  vie  au  général. 

C'était  du  reste  aux  a!)ordsduSpitzljcrg  qu'allait  se  Iran- 
cher  le  sort  d'une  action  ([ui,  victorieuse  au  début  pour  les 
Prussiens,  était  devenue  fort  douteuse  à  cette  heure.  La 
dernière  brigade  de  l'aile  gauche,  celle  du  général  Reben- 
lisch,  la  suprèmo  réserve  de  l'armée  royale,  venait  d'en- 
trer en  ligne;  elle  eut  d'abord  quelque  succès;  le  régiment 
de  Wied  s'avança  en  l)on  ordre  à  l'assaut  du  Spilzberg, 
mais  bientôt  il  tomba  à  son  tour  sous  le  feu  de  cette  forte- 
resse naturelle;  les  hommes  s'arrêtèrent,  les  rangs  se  mê- 
lèrent. A  ce  spectacle,  le  premier  régiment  de  grenadiers 
russes  et  les  Autrichiens  de  Laudon  ne  purent  se  conte- 
nir, sautèrent  par-dessus  le  parapet,  et  se  précipitèrent  la 
baïonuelte  en  avant  et  le  sabre  au  poing  sur  les  I*russiens. 
Mal  leur  en  prit,  car  ils  furent  ramenés  avec  perte  par  la 
cavalerie.  C'est  probablement  à  ce  moment  que  se  place 
l'incident  relaté  par  (iœtzen  :  ce  deraier,  voyant  l'occa- 
sion propice,  va  droit  au  colonel  Massow,  commandant 
un  régiment  de  cuirassiers,  lui  indi([ue  l'ennemi  en  dé- 
sordre, et  lui  intime  au  nom  du  Roi  l'ordre  de  chargei. 
L'autre  hésite,  ne  veut  pas  lancer  un  oa  deuv  escadrons 
isolés,  attend  que  son  régiment  tout  entier  ait  franchi  le 
défilé  des  étangs,  donne  ainsi  à  reimemi  le  temps  de  ren- 
trer dans  ses  retranchements,  linit  par  ciiarger  avec  son 
monde  au  complet,  se  comporte  avec  beaucoup  de  bra- 
voure, échoue  comme  ses  camarades  et  laisse  200  hom- 
mes sur  place. 

Mais  si,  avec  la  brigade  Rcbcnlisch,  les  dernières  résol- 
ves de  Frédéric  étaient  épuisées,  il  n'en  était  pas  de  même 


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174 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


de  celles  de  son  adversaire.  Les  grenadiers  dont  noas  ve- 
nons de  raconter  la  sortie  et  la  défaite  appartenaient  à  la 
brigade  Volkonski,  de  la  division  Ferinor.  Ces  troupes  fu- 
rent successivement  renforcées  de  tous  les  régiments  de 
Villobois  et  Fermer  jusqu'alors  affectés  à  la  garde  du  Ju- 
dcnberg.  du  Falkensteinberg,  et  de  la  courtine  inter- 
médiaire; Soltikoff,  complètement  rassuré  sur  sa  droite, 
en  disposa  pour  repousser  les  etlbrts  désespérés  des  Prus- 
siens, et  pour  prendre  contre  eux  l'offensive.  Déjà  Laudon 
avait  projeté  une  attaque  de  flanc  contre  la  cavalerie 
prussienne,  que  des  échecs  répétés  avaient  ébranlée;  il 
appela  ù  lui  le  général  (^aramclli  et  deux  régiments  de  dra- 
gons, demeurés  jusqu'alors  dans  la  plaine  près  du  Rothes 
Vorwerk,  les  lit  déboucher  dans  la  clairière  entre  l'enceinte 
de  l'est  et  la  forêt;  à  ces  cavaliers  se  joignit  le  général  russe 
Gaugrabcn,  avec  les  cuirassiers  du  prince  héritier,  que 
nous  avons  vu  se  distinguer  à  Paltzig,  des  dragons,  et  des 
grenadiers  à  cheval.  Laudon  se  mit  à  leur  tcte,  se  jota  sur 
les  escadrons  prussiens,  que  commandait,  depuis  la  bles- 
sure des  deux  premiers  chefs,  le  général  Platen,  fut  refoulé 
par  le  fou  du  Seydlitzberg  et  du  Blankensee,  revint  à  la 
rescousse,  ot  finit  par  l'emporter.  La  déroute  fut  complète; 
la  cavalerie  royale  disparut  du  champ  de  bataille,  et, 
bousculant  tout  sur  son  passage,  alla  se  réfugier  dans  les 
bois  et  de  l'autre  côté  du  Hûhner  Fliess.  Cette  première 
manche  gagnée,  Laudon  se  retourna  contre  l'infanterie, 
qui  faisait  encore  le  coup  de  fusil  aux  abords  de  Kuners- 
dorf,  la  fit  charger,  lui  infligea  de  grosses  pertes  et  la  re- 
jeta au  delà  du  village. 

L'aile  gauche  de  l'armée  royale  était  battue;  restaient 
la  droite  et  le  corps  de  Finck,  dont  les  efl'ectifs  réduits  par 
le  feu  et  la  fatigue  se  cramponnaient  au  versant  ouest  du 
TiefeWegetdu  platoau  qui  succède  à  la  déprcssiozi  de  Ku- 
nersdorf.  Frédéric  et  ses  .généraux  firent  tout  au  monde  pour 
entraîner  leurs  hommes  à  un  dernier  assaut;  lo  li.oi  qui 


CHARGES  HEUREUSES  DE  LAUDON. 


175 


avait  eu  deux  chevaux  blessés  sous  lui  et  qui  avait  reçu 
deux  balles  dans  son  Imbit,  saisit  un  drapeau  du  régiment 
du  prince  Henri,  de  la  brigade  Knobloch,  et  demanda  un 
dernier  effort  à  ses  troupes  en  s  écriant  :  «  Que  tout  brave 
soldat  me  suive  !  »  Elles  étaient  incapables  de  répondre  à 
l'appel.  Les  lUisses,  encouragés  par  les  résultats  obtenus  à 
la  droite,  et  par  l'abattement  visible  de  leurs  adversaires, 
prirent  à  leur  tour  l'offensive.  Le  général  de  Herg,  avec  le 
deuxième  régiment  de  Moscou,  celui  de  Kasan  et  un  dé- 
tachement de  Nisow,  soutenus  par  Villebois  à  la  tête  de 
Narwa  et  Woronesch,  aborda  les  Prussiens  en  flanc,  re- 
couvra les  batteries  dont  quelques  pièces  avaient  été  en- 
clouées,  et  repoussa  l'assaillant  jusqu'au  Kuh  Grund.  Ce 
retour  offensif  auquel  participèrent  d'autres  régiments  des 
divisions  Villebois  et  Fermor  et  ce  qui  restait  de  ceux  de 
Uumjanzew  et  de  l'infanterie  autrichienne,  fut  admirable- 
ment secondé  par  une  nouvelle  charge  de  Laudon.  Ce  gé- 
néral courut  chercher  les  escadrons  alliés  qui  n'avaient 
pas  quitté  la  plaine  de  l'Oder  près  de  la  Kleine  Miihle,  et 
sous  le  couvert  de  la  fumée,  de  la  poussière  et  des  acci- 
dents du  terrain,  les  mena  au  bas  du  Tiefe  Weg,  tomba  sur 
les  bataillons  de  Finck,  leur  tua  du  monde,  et  les  força  à 
reculer  jusqu'au  Miihlberg. 

Ce  fut  sur  cette  hauteur  que  se  rassemblèrent  les  dé})ris 
prussiens;  le  Roi  parvint  à  grouper  quelques  unités  qui 
avaient  conservé  leur  formation;  dans  son  récit,  il  fait  une 
mention  spéciale  de  la  bonne  attitude  du  régiment  Lese- 
vitz,  qui  avaii  pris  part  à  l'attaque  du  Spitzberg  et  qui 
s'était  retiré  sur  le  Miihlberg  ;  grAce  à  la  résistance  de  ces 
braves  et  au  feu  de  l'artillerie,  une  première  attaque  des 
Russes  échoua;  elle  fut  bientôt  renouvelée  avec  le  con- 
cours des  régiments  de  la  droite,  (pie  Soltikoll'  fit  donner 
jusqu'au  dernier.  Ces  troupes  fraîches  eurent  un  plein  suc- 
:>'"!;  elles  emportèrent  d'assaut  le  MiihlbLig,  chassant  de- 
vin' elles  le  flot  des  fuyards.  Avec  la  position  reconqui::;e, 


1    î 


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r^^*"H 


170 


LA  (JUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV, 


les  Russes  rentrèrent  en  possession  du  matériel  qu'ils 
avaient  perdu  vers  le  uiilieu  de  la  journée,  et  rendirent  la 
liberté  à  un  grand  nouibre  de  prisonniers  que  les  l*rus- 
siens  n'avaient  pas  eu  le  loisir  d'emmener.  Parmi  les  der- 
niers à  quitter  la  colline,  fut  Frédéric,  que  le  capitaine  de 
Prittwitz  et  son  escorte  de  hussards  eurent  quelque  peine 
i\  défendre  contre  les  cosaques  accourus,  seloi)  leur  cou- 
tume, pour  ramasser  du  butin.  La  fin  de  la  lutte  fut  mar- 
quée par  un  combat  sur  la  lisière  des  prairies  de  l'Oder, 
où  les  ,i;ardes  du  corps  du  Roi,  en  essayant  d'arrêter  1" in- 
fanterie russe,  furent  assaillis  par  les  dragons  de  Laudon 
et  les  cosaques  de  Tschui^ujew  ;  As  fui\  uf  enfoncés  et  lais- 
sèrent aux  mains  du  vainqueur  leur  étendard,  leur  colonel 
blessé  et  beaucoup  des  leurs.  Du  côté  du  Seydlitzberu.  il 
y  eut  aussi  des  rencontres  :  le  général  Hetlem  avec  les  hus- 
sards autrichiens  surprit  le  régiment  Diericke,  cpii  avait  été 
affecté  à  la  protection  du  parc  d'artillerie,  et  après  une 
défense  désespérée,  le  captura  presque  en  enlier. 

Il  était  plus  de  sept  heures  quand  se  termina  la  ba- 
taille; l'armée  battue  s'enfuit  dans  le  désordre  le  plus 
complet,  les  uns  dans  les  bois,  les  autres  vers  Trettin  et 
Bischollsee;  les  liens  de  la  discipline  étaient  brisés;  cha- 
cun ne  pensait  qu'à  son  propre  salut,  et  ne  songeait  qu'à 
mettre  le  lIuhnerFliess  entre  lui  et  l'ennemi.  Pour  comble 
de  malheur,  un  des  ponts  -^e  roujpit  sous  le  poids  d'un 
canon,  et  il  ne  resta  qu'un  seul  passage  pour  tout  le  maté- 
riel (1  artilleri'e;  aussi  une  bonne  [>artie  fut-elle  abandon- 
née. HeureiasMMiieutpour  les  vaincus,  ilsne  furent  pas  pous- 
sés à  fond;  il  suffit  de  quelques  coups  de  canon  des  bat- 
teries du  l'inksberg  et  de  l'apparition  des  hussards  et  des 
dragons  allectésà  la  garde  des  camps,  pour  faire  rebrousser 
les  partis  de  cavalerie  autrichienne  qui  semblaient  vou- 
loir franchir  le  ruisseau.  D'ailleurs,  la  nuit  tond>ante  et  la 
lassitude  de  la  cavalerie  régulière  austro-russe  expliquent 
l'ajjsence  d'une  poursuite  énergique.  Todieben  et  sesirré- 


LASSITUDE  GÉNÉRALE  DES  COMBATTANTS. 


177 


guliers,  qui  s'étaient  employés  à  suivre 

sienne,  r.imasséiM 

ils  ne  dépassèrent  pas 


la 


cava 


le  rie 


des 


et  force  butin. 


j)riis- 


prisonniei 

ranzendorl.  Ue  cette  troupe  qui 
n'avait  pris  qu'une  faible  part  à  l'action ,  on  aurait  pu 
exiger  un  effort  plus  vigoureux,  mais  il  n'entrait  pas  dans 
les  md'urs  de  l'époque  de  harceler  la  retraite  do  Tennenii 
par  des  attaques  en  dehors  du  champ  de  bataille.  Ni  Solti- 
koff,  ni  Laudonne  paraissent  avoir  songé  à  rendre  la  vic- 
toire plus  complète. 

Il  faut,  du  reste,  reconnaître  que  les  alliés  étaient 
presque  aussi  exténués  que  les  Prussiens;  ils  étaient  sous 
les  armes  depuis  aussi  longtemps;  ils  avaient  souffert  de 
la  chaleur  comme  eux;  ils  avaient  été  exposés  au  feu  pen- 
dant de  longues  heures,  et  avaient  lourdement  perdu.  Le 
maréchal  Daun,  dans  son  rapport  1 1  sur  la  participation  il 
i'aifaire  du  corps  de  Laudoii,  fait  la  constatation  suivante  : 
«  Les  ti^ois  régiments  de  dragons  qui  y  étaient  sont  écra- 
sés; il  y  en  a,  où  il  n'est  point  d'ol'licier  de  resté  (jui  ne 
soit  blessé  »;  quant  aux  compagnies  de  grenadiiM's  autri- 
chiens qui  avaient  si  héroïquement  défendu  le  Kuh  (irund, 
«  elles  étaient  réduites  à  10  ou  12  hommes.  »  Beaucoup  de 
régiments  russes  n'avaient  pas  été  mieux  traités;  sauf  pour 
ceux  de  la  division  Fermor,  qui  ne  s'étaient  engagés  que 
sur  le  tard,  les  unités  étaient  confondues,  les  cadres  dis- 
persés ou  anéantis  ;  en  attendant  la  réorganisation  remise 
au  lendemain,  le  besoin  de  repos  s'imposait  à  tous. 

Au  cours  de  la  journée,  il  s'était  produit  un  incident  qui, 
en  cas  de  victoire  de  Frédéric,  aurait  eu  de  grosses  con- 
séquences. Le  général  prussien  Wunsch,  laissé,  comme  on 
l'a  vu,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oder  avec  2  bataillons  d'in- 
fanterie légère  et  10  escadrons  de  hussards,  s'empara  pres- 
que sans  coup  férir  de  Francfort,  y  fit  prisonniers  quelques 


■ 


il  i\ 


(1)  Daun  à  Deux-Ponts.  Relalion  de  la  bataille.  Papiers  du  prince  Henri. 
B.  III,  w.  Etal-major  général,  Berlin. 

GUKHRi:   I)i:   SEPT   ANS.   —   T.   III.  12 


178 


LA  GUERRli:  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


officiers  blessés  et  un  détachoment  de  250  hommes  qui  y 
avait  été  envoyé  comme  sauvegarde,  sur  la  prière  des 
magistrats  de  la  ville.  Les  Prussiens,  devenus  ainsi  maîtres 
d'une  des  lign(>s  de  retraite  de  l'armée  russe,  l)arricadèrent 
les  ponts  et  résistèrent  aux  premiers  efforts  qu'on  fit  pour 
les  débusquer;  mais  vers  11  heures  du  soir,  ayant  acquis  la 
certitude  de  la  défaite  de  leur  armée,  ils  évacuèrent  la 
ville  et  remirent  en  li])erté  la  troupe  de  sauvegarde. 

Dans  l'action  qui  avait  duré  huit  heures  de  temps,  les 
pertes  de  part  et  d'autre  furent  ell'royables  ;  du  cAté  des 
Prussiens,  d'après  les  relevés  de  Stiehle  et  de  Laubert, 
elles  se  montèrent  k  530  officiers  et  A  environ  18.000  sol- 
dats (i)  tués,  blessés,  pris  ou  disparus;  à  ce  total,  si  l'on 
ajoute  un  certain  nombre  de  déserteurs  qui  ne  rejoigni- 
rent pas  les  camps  des  alliés,  on  trouve  que  la  bataille  de 
Kunersdorf  coûta  à  larmée  royale  près  de  20.000  hom- 
mes. Le  général  l'iillkammer  fut  tué;  itzenplitz  et  Klitzing 
moururent  de  leurs  blessures.  Plusieurs  autres  généraux, 
Seydlitz,  le  prince  de  Wurtemberg-,  Wedell,  Hulsen,  Kno- 
bloch,  Stutterheim,  Itzenpiilz  second  et  Platen  furent  griè- 
vement blessés;  Finck  fut  légèrement  atteint  et  le  Roi  reçut 
une  contusion.  Comme  trophées  de  leur  victoire,  les  alliés 
emportèrent  20  drapeau.v,  2  étendards,  172  canons,  dont 
85  de  gros  calibre  et  les  0  pièces  de  l'artillerie  à  cheval, 
300  tambours,  plus  de  10.000  fusils,  et  une  quantité  de 
caissons. 

Chez  les  vainqueurs,  le  déficit,  quoique  fort  élevé,  fut 
moindre;  la  perte  totale  des  Russes,  à  en  croire  les  docu- 
ments les  plus  authentiques  (2),  fut  de  l'i-.GOO  officiers  et 

(1)  Le  journal  d'opération  de  l'armée  rujse  donne  pour  les  Prussiens  les 
chiffres  suivants  :  enterrés  7.G'27,  prisL/Oi,  déserteurs  2.400;  si  l'on  ajoute  à 
ces  totaux  i  à  5.000  blesL;és  emportés  et  évacués  sur  Goritz  ou  Custrin,  on 
retrouve  le  total  indiqué  ci-dessus. 

(2)  Les  chiffres  ofiicicls  (pie  reproduit  Stiehle  ne  comprennent  pas  les  dis- 
parus et  les  prisonniers  (jue  Tellau  évalue  à  940  hommes,  appartenant  pres- 
que tous  au  corps  de  Galitzin. 


fe, 


Il 


LOURDKS  PERTES  DES  COMUATTANTS. 


179 


soldats;  celle  des  Autrichiens,  d'un  peu  plus  de  2.300,  soil 
pour  l'armée  alliée,  de  17.000  hommes  en  chiffres  ronds. 
L'Ktat-major  coujptait  6  généraux  blessés  :  les  princes  (ia- 
litzin  et  Lubomirski ,  les  généraux  Olitz,  Kssen,  Lobel  et 
Bachmann.  Après  déduction  des  détachements  laissés  par 
les  deux  combattants  sur  la  rive  gauche  de  l'Oder,  ou  à  la 
garde  des  ponts,  on  constate  que  V3.000  Prussiens  et  GO. 000 
Austro-Russes  furent  opposés  les  uns  aux  autres  dans  la  ba- 
taille du  12  août;  les  premiers  curent  V3  p.  100,  les  se- 
conds 2V  p.  100  de  leurs  efl'ectifs  hors  de  combat.  Si  l'on 
réfléchit  que  les  fusils  de  l'époque  avaient  à  peine  une  p»n'tée 
de  200  mètres  et  que  la  zone  utile  de  tir  du  canon  ne  dé- 
passait pas  1.200  mètres,  on  sera  amené  à  conclure  que  le 
perfectionnement  du  matériel,  en  rendant  presque  impos- 
sibles les  rencontres  à  l'arme  blanche  ou  à  faible  distance, 
a  plutAt  diminué  qu'augmenté  la  proportion  du  déchet 
parmi  les  belligérants. 

Le  soir  de  la  bataille,  le  roi  de  Prusse  gagna  Oetscher, 
village  situé  sur  la  rive  droite  de  l'Oder,  à  proximité  des 
pf»nts;  ce  fut  d'une  chaumière  de  ce  hameau  (juil  écrivit 
à  Finckenstein  (l)  un  billet  où  il  ne  faisait  aucun  mystère 
de  l'étendue  du  désastre  :  «  Notre  perte  est  très  considé- 
rable; d'une  armée  de  /i 8.000  hommes,  je  n'en  ai  pas 
3.000.  Dans  le  moment  que  je  parle,  tout  fuit  et  je  ne  suis 
plus  maître  de  mes  gens.  On  fera  bien  à  Berlin  de  penser 
à  sa  sûreté.  C'est  un  cruel  revers.  Je  n'y  survivrai  pas;  les 
suites  de  l'affaire  seront  pires  que  l'affaire  elie-mème.  ,1e 
n'ai  plus  de  ressources,  et  à  ne  point  mentir,  je  crois  tout 
perdu;  je  ne  survivrai  point  à  la  perte  do  ma  patrie.  Adieu 
pour  jamais.  »  L*»  lendemain  matin,  nouvelle  lettre  (2)  au 
ministre  pour  l'engager  à  se  retirer  à  Magdebourg  :  «  L'en- 


^;: 


i 


(1)  Frédéric  à  Finckenstein.  Oetscher,  13  août  17.">9.  Correspondance 
lioUUque,  XVIU,  p.  181. 

{'!)  Frédéric  à  Finckenstein.  Oetsclier,  13  août  1759.  Correspoudanci' 
politique,  XVIFl.p.  482. 


IRo 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  IV. 


:if.^  ;i? 


(    I 


iiemi  peut  être  à  Herlin  dans  deux  ou  trois  jours;  vous  y 
enverrez  tout  ce  <|ue  vous  jugerez  devoir,  et  vous  ferez 
savoir  sous  mains  aux  f^eus  aisés  do  s'en  aller  pendant  ce 
temps  de  crise,  avec  leurs  meilleurs  ellets  et  capitaux,  à 
Hambourg.  » 

Dès  la  matinée  du  13  août,  les  généraux  prussiens  es- 
sayèrent de  remettre  (juokjiie  ordre  dans  la  troupe,  qui 
n'était  qu'un  ramassis  confus  de  soldats  a[)partenant  à 
toutes  les  armes  et  à  tous  les  corps;  ;\  quatre  heures  de 
l'après-midi,  le  passage  de  l'Oder,  jusqu'alors  rigoureuse- 
ment interdit,  fut  commencé;  il  s"accom[>lit  sans  être  trou- 
blé par  l'ennemi.  Aussitôt  l'opération  achevée,  les  ponts 
furent  repliés  et  les  débris  de  l'armée  campèrent  sur  les 
hauteurs  de  Reitwein.  Ici,  soit  que  sa  constitution  physi- 
que n'eût  pas  pu  supporter  le  contre-coup  des  émotions  de 
la  journée  de  Kunersdorf,  soit  que  l'alfaiblissement  du  mo- 
ral eut  fait  renaître  les  idées  de  suicide  qui  le  hantaient 
dans  les  heures  d'abattement,  1^'rédéric  prit  la  résolution 
de  céder  le  commandement  de  l'armée  au  général  Finck, 
celui  de  ses  lieutenants  présents  et  valides  qui  lui  inspi- 
rait le  plus  de  confiance.  Le  ton  des  instructions  rédigées 
pour  Finck  laisse  voir  (1)  le  plus  profond  découragement. 
«  L'armée  infortunée,  dans  l'état  où  je  la  lui  remets,  n'est 
plus  en  situation  de  se  battre  avec  les  Russes.  Hadick  va  se 
hâter  d'aller  à  Berlin,  peut-être  Laudon  aussi.  Si  le  géné- 
ral Finck  les  suit,  les  Russes  lui  viendront  à  dos;  sïl  reste 
sur  roder,  il  attirera  Hadick  de  ce  côté.  Étant  données 
les  circonstances,  je  crois  que,  si  Laudon  se  décide  pour 
Berlin,  on  pourra  l'attaquer  en  route  et  le  battre.  Un  évé- 
nement de  ce  genre,  pourvu  qu'il  tourne  en  notre  faveur, 
serait  un  point  d'arrêt  dans  nos  malheurs,  et  suspendrait 
le  cours  des  all'aires.  Du  temps  gagné  est  beaucoup  dans  les 


(1)  Instructions  pour  Finck,  sans  date.  Correspondance  i)olHi(/iie,  XVIII, 
l>.  483.  L'éditeur  de  la  correspondance  attribue  à  cette  pièce  la  date  du  13 
dans  l'après-midi  ou  du  14  août  dans  la  matinée. 


il  I     ' 


FRÉDÉRIC  CEDE  Lt  COMMANDEMENT  \  l-INCK. 


181 


circonstiiuces  désespérées  :  Cooper,  mon  secrétaire,  lui  (à 
Finck)  fei-a  part  des  nouvelles  de  Torgau  et  de  Dresde.  Il 
devra  informer  de  fout  mon  l'rèro  que  je  nomme  généra- 
lissime de  l'armée.  Il  est  impossible  de  réparer  complète- 
ment notre  malheur;  en  attendant,  ce  (pic  mon  frère  or- 
donnera sera  exécuté.  L'armée  devra  jurer  fidélité  à  mon 
neveu.  VoihV  le  seul  avis  que  je  suis  en  état  de  d<)uner  dans 
nos  malheurs;  si  j'avais  encore  des  ressources,  j'aurais  tenu 
bon.  )) 

A  ses  intimes,  l'attitude  du  Hoi  inspire  de  grosses  inquié- 
tudes. Le  15  août  Coeper,  le  secrétaire  privé,  les  mani- 
feste (1)  à  Kinckenstein  :  «  S.  M.  se  trouve  dans  un  abat- 
tement (|ui  ne  saurait  (jue  faire  f[u'une  peine  inUnie  il  ceux 
qui  ont  l'honneur  de  rai)[)rocher.  Elle  sest  déchargée,  au 
moins  pour  le  présent,  du  commandement  sur  le  lieute- 
nant général  de  Kinck.  Je  ne  crois  pas  les  choses  dans  la 
crise  qu'on  pourrait  se  les  figurer;  cependant  on  les  en- 
visage quasi  comme  désespérées,  et  l'on  agit  en  consé- 
quence. »  Kn  s'exprimant  ainsi,  Coeper  songeait  aux  ins- 
tructions que  son  souverain  (2)  avait  envoyées  à  Sehmettau, 
gouverneur  de  Dresde.  Cet  officier  était  [irévenu  qu'il 
n'avait  pas  de  secours  à  attendre.  «  Au  cas  donc  que  les 
Autrichiens  viennent  il  tenter  ([uelque  chose  contre  Dresde, 
vous  verrez  s'il  y  a  moyen  de  vous  soutenir,  sans  quoi  il 
faudra  que  vous  tâchiez  d'obtenir  une  capitulation  favo- 
rable, savoir  :  à  la  fin  de  pouvoir  vous  retirer  librement 
avec  la  garnison  entière,  caisse,  magasins,  lazaret,  et  tout 
ce  que  nous  avons  à  Dresde.  »  Kn  terminant,  le  Roi  infor- 
mait Sehmettau  de  la  remise  de  l'autorité  suprême  à  Mnck, 
dont  il  aura  à  exécuter  les  ordres,  «  comme  vous  venant 
directement  de  ma  part.  » 


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(1)  Coeper  à  Finckonslein.  Roilweiii,  15  août  1759.  Conrapondancc  poli- 
tique, XVlll,  i>.  i85. 

(2)  Frédéric  à  Sclimellau.  Reilweiii.  li  août  1759.  Correspondais      poli- 
tique, XVIII,  p.  483. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  \SS.  —  CIIAP.  IV. 


i» 


L'intcrini  ne  duva  que  quarante- huit  heures  ;  drs  le 
15  août,  Frédéric  commence  à  se  ressaisir  et  à  prendre  le 
dessus  de  ses  souHrîmces  moralea  et  physiques.  Des  dépê- 
ches conçues  dans  un  tout  autre  esprit  que  celles  de  l'avant- 
veille  partent  dans  toutes  les  directions.  Kleist  qui  était 
resté  avec  quelques  bataillons  en  Poméranie  pour  surveiller 
les  Suédois,  est  appt  lé  à  la  défense  de  la  capitale;  Hordt 
qui  opérait  avec  un  détachement  dans  la  Posnanie,  rejoin- 
dra le  quartier  général;  Uochow,  le  gouverneur  do  Berlin, 
fera  parvenir  à  Furstenwalde  50  canons  de  gros  calibre 
tirés  des  arsenaux  et  destinés  à  remplacer  le  matériel  perdu 
à  Kunersdorf.  Le  rescrit  de  cabinet  adressé  à  Uochow  (1) 
contient  quelques  mots  rassurants  :  «  Quoique  nos  circons- 
tances aient  paru  très  dangereuses  et  désespérées,  il  sem- 
ble que  cette  fois  !e  gros  orage  va  passer  encore  une  fois.  » 
A  partir  du  16,  la  correspondance  reprend  comme  avant 
l'événement,  sans  la  moindre  allusion  à  la  suspension  des 
pouvoirs.  Ce  même  jour,  on  apprit  l'ariivée  de  Iladick  à 
Miillrose  et  le  passage  de  Laudon  sur  la  rive  gauche  de 
roder.  En  conséquence  de  ces  nouvelles,  l'armée  prus- 
sienne recula  jusqu'à  Furstenwalde  et  Madlitz,  dans  une 
position  entourée  de  bois  et  de  marais  où  l'immobilité 
de  ses  adversaires  lui  permit  de  séjourner  en  paix  jus- 
(ju'au  29. 

Transportons-nous  dans  le  camp  russe,  et  recherchons 
les  motifs  de  l'inaction  inexplicable  des  vainqueurs  de  Ku- 
nersdorf. Los  journées  des  13  et  lï  août  avaient  été  em- 
ployées à  débarrasser  le  champ  de  bataille  des  morts  et 
dos  blessés,  à  chanter  le  Te  Dctim  avec  toute  la  mise  on 
scène  usitée,  à  enlever  les  canons  capturés,  parmi  lesquels 
on  comptait  des  spécimens  de  presque  toutes  les  artille- 
ries do«  puissances  engagées  dans  la  guerre,  à  former  les 
convois  de  malades  et  do  prisonniers,  enfin  à  remettre  de 

(1)  Orrlre  pour  Rochow.  Correspondance  politique,  XVIII,  \h  480. 


INACTION'  DES  RUSSES  APRÈS  LA   IIATAILLE. 


183 


l'ordre  partout.  Ces  Jjesognes  absorbèrent  beaucoup  de 
temps,  car  une  semaine  après  rail'aire,  Mesnag-cr  parle  (1) 
encore  du  transport  des  blessés  et  de  l'artillerie  comme 
retardant  la  poursuite  des  Prussiens.  Cependant  il  s'a- 
gissait de  voir  (piel  fruit  on  tirerait  de  la  victoire,  et 
pour  cela  l'entente  entre  les  généraux  en  chef  devenait  de 
plus  en  plus  indispensable.  Apparemment  le  marôcbal 
Daun  prit  les  devants  pour  les  pourparlers  avec  SoltikolF, 
qui  se  continuèrent  presque  journellement;  le  premier 
messager  fut  le  prince  Lobkowitz,  venu  dès  le  lendemain 
de  la  mêlée  apporter  les  félicitations  de  l'État-major  au- 
trichien, puis  lui  succédèrent  lladick,  ([ui  était  k  Midlrose 
depuis  le  14  avec  une  fraction  de  son  corps,  enfin  Lascy, 
le  quartier-maitre  général  de  la  grande  armée.  Ce  dernier 
débarqua  au  camp  de  Soltikoff  le  15  et  lui  soumit  le  pro- 
gramme de  son  chef;  il  consistait  à  se  porter  avec  toutes 
ses  forces  en  Silésie,  et  ;\  entreprendre  le  siège  des  forte- 
resses de  Ih'ieg  et  de  Neisse;  on  demandait  aux  Russes  de 
couvrir  cette  opération  dans  la  partie  du  Brandebourg, 
et  de  faire  des  démonstrations  sur  Herlin  de  manière  à 
occuper  le  Roi  et  l'empêcher  de  secourir  les  places  atta- 
quées. Soltikoff  qui,  à  cette  époque,  était  tout  à  fait  opposé 
au  mouvement  sur  la  Silésie,  et  qui  avait  écrit  dans  ce 
sens  à  sa  cour,  voulut  attendre  la  réponse  avant  de  se  pro- 
noncer; il  pria  Daun  de  lui  accorder  une  entrevue  per- 
sonnelle, qui  fut  fixé  à  (iuben  au  âV  août. 

Sur  ces  entrefaites,  l'armée  russe  chassée  de  Kunersdorf 
par  les  miasmes  du  charnier  quêtait  devenu  son  ancien 
camp,  avait  suivi  le  corps  de  l^audon  sur  la  rive  gauche 
de  l'Oder,  et  avait  pris  position  près  de  ï>assow,  ne  lais- 
sant sur  la  rive  droite  que  Todle])en  et  sa  cavalerie  lé- 
gère pour  garder  les  communications  avec  Posen.  Daun, 


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(1)  Mesnager  à  Belleisle.  Lassow,  19  août  1759.  Arcli   lie  la  Guerre,  vol. 
3521. 


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184 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


de  son  côté,  avait  transporté  son  quartier  général  de  Prie- 
bus  à  Triebel,  de  manière  à  se  rapprocher  dos  Kusscs  dont 
il  était,  malgré  cette  marche,  encore  éloigné  d'environ 
90  kilomètres. 

Quand  les  deux  généraux  se  rencontrèrent  à  (luben,  on 
avait  déjà  gaspillé  douze  jours  des  plus  précieux;  on  allait 
en  perdre  bien  davantage.  Montazet,  dans  une  dépèche 
du  15  août  (1),  cherche  à  expliquer  le  «  commencement  de 
campagne  au-dessous  du  modeste  »  des  Autrichiens;  il 
n'est  guère  plus  ambitieux  pour  le  reste  de  la  saison. 
Après  avoir  constaté  «  par  tous  les  rapports  qui  nous  vien- 
nent journellement  qu'il  (le  roi  de  Prusse)  n'a  jamais  été 
si  fortement  battu  que  dans  cette  dernière  occasion,  »  il 
ajoute  :  «  Pour  moi  je  ne  vois  rien  de  mieux  à  faire  aujour- 
d'hui que  de  ne  point  quitter  de  vue  les  Russes,  et  de  com- 
mencer par  dévaster  le  Brandebourg.  L'on  pourrait  en 
même  temps  dégager  Dresden.  puisque  personne  ne  le 
défend.  Ces  deux  objets  remplis,  je  marcherais  avec  la  plus 
grande  partie  des  forces  russes  et  autrichiennes  en  Silésie; 
je  la  parcourrais  depuis  Crossen  jusqu'à  NeisSe,  en  prenant 
hommes,  iiestiaux,  etc.,  jt  brûlant  les  magasins  du  Roi 
dont  je  ne  pourrais  faire  profit.  J'irais  ensuite  m'asseoir 
devant  Neisse  pour  en  faire  le  siège,  et  ma  campagne  fini- 
rait par  cette  opération Voilà  en  gros,  monseigneur,  ce 

que  je  crois  de  plus  utile,  et  où  il  y  a  le  moins  d'accidents 
à  craindre.  Il  s'agit  de  savoir  si  les  Russes  voudront  se 
prêter  à  nos  besoins,  mais  je  pense  qu'il  faut  en  tirer  parti 
à  quelque  prix  que  ce  soit,  puisque  nous  les  tenons;  et  ce 
n'est  qu'en  ne  les  perdant  point  de  vue,  que  nous  par- 
viendrons à  notre  but.  ^) 

Cinq  jours  après,  autre  lettre  (2);  Lascy  est  revenu  de  sa 


(1)  Montazet  à  Relleisic.  Piiebus,  15  août  1759.  Aidiivos  de  la  Guerre, 
35'.>0. 

(2j  Montazet  à  Belleisle.  Triebel,  20  aortt  1759.  Archives  de  la  Guerre, 
3521. 


CONFÉRENCE  ENTRE  DAUN  ET  SOLTIKOFF. 


18.-. 


mission  et  n'en  a  évidemment  pas  rapporté  de  bonnes  im- 
pressions :  «  Voilà  les  huit  plus  beaux  jours  de  notre  cam- 
pagne que  nous  venons  de  perdre,  parce  que  les  Russes, 
dit-on,  ne  veulent  rien  faire  absolument.  »  Dans  l'entre- 
vue qu'il  doit,  avoir  avec  SoUikofF,  Daun  insistera  proba- 
blement sur  la  nécessité  d'empêcher  les  Prussiens  de  ren- 
forcer les  faibles  détacliements  laissés  en  Saxe  :  «  Il  est 
l)ien  cruel  de  nous  voir  arrêt'^'r  à  propos  de  bottes,  dans  le 
moment  de  recueillir  le  fruit  de  deux  combats  aussi  meur- 
triers  Je  commence  donc  à  croire  que  le  Brandebourg- 

sera  épargné;  reste  à  savoir  si  nous  prendrons  Oresden 
avant  d'aller  en  Silésie  w.  L'absence  de  Montalembert  (1) 
est  filcheuse;  Soltikotf  aurait  pu  être  influencé  «  car  l'on 
dit  que  c'est  un  brave  homme  qui,  à  la  vérité,  n'entf>nd 
rien  à  la  besogne,  mais  aucjuel  du  moins  on  peut  par- 
ler. » 

A  Vienne,  où  la  nouvelle  de  la  victoire  était  parvenue 
le  15  août,  c'est-à-dire  trois  jours  après  la  i)ataille,  les  avis 
étaient  très  partagés  sur  la  suite  à  donner  aux  opérations  : 
Kaunitz  était  partisan  de  la  conquête  de  la  Silésie  que 
l'ambassadeur  Choiseul  appelle  «  l'idole  de  se  n  cœur  »  ; 
l'impératrice  souhaitait  avant  tout  la  destruction  du 
grand  cdversaire  :  «  l^e  roi  de  Prusse,  disait-elle  (2),  était 
l'ennemi  commun,  c'était  lui,  sa  personne  qu'il  fallait 
tâcher  d'abattre  ;  quand  on  avait  coupé  un  arbre  par  la 
racine,  on  avait  bientôt  les  feuilles.  »  Choiseul,  au  con- 
traire, dès  avant  Kunersdorf,  prêchait  le  recouvrement 
do  la  Saxe;  il  avait  cherché  pour  son  projet  favori  l'appui 
de  l'envoyé  saxon  et  avait  été  fort  surpris  de  l'accueil  peu 
encourageant  qu'il  avait  reçu;  mis  au  pied  du  mur,  Fle- 
ming avait  avoué  (3)  «  que  sa  Cour  ne  désirait  pas  qu'on 


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il. 


(1)  Monl'aleml)ert  ne  rejoi}.;nit  la  quarlier  général  russe  que  le  'lo  août. 
'2)  Comte  de   Choiseul  au  Duc,   15  août  175!».  Affaires  Étrangères,  Au- 
triche. 
^3;  Comte  de  Choiseul  au  L>uc,  9  août  ITûO,  Affaires  Étrangères,  Autriche. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP    IV, 


lit  aucune  tentative  pour  la  délivrance  de  la  Saxe;  qu'elle 
craignait  qu'au  lieu  de  réussir,  on  n'achevîVt  de  ruiner 
le  pays.  »  iMalgré  cette  rebuffade  du  principal  intéressé, 
Choiseul  poussa  sa  pointe  et  finit  par  l'emporter.  Il  fit  dé- 
cider le  siège  de  Dresde  et  obtint  pour  le  duc  de  Deux- 
Ponts,  chargé  de  rcntrepriso,  le  concours  d'un  fort  contin- 
gent autricliien  et  l'envoi  d'un  train  d'artillerie  formé  à 
Prague. 

A  en  juger  parles  confidences  laites  à  l'attaché  fran(;ais, 
Daun  dut  avoir  gain  de  cause  dans  la  conférence  de  (iuben. 
«  J'ai  vu  avec  plaisir,  écrit  .Montazct  (1),  que  depuis  son 
entrevue  avec  iM.  de  Soltikoll',  il  disp^'^ait  tout  pour  faire 
prendre  Dresden,  et  qu'il  espérait  que  l'armée  des  Cercles 
commencerait  cette  opération  dans  les  derniers  jours  de  ce 
mois  :  je  ne  doute  pas  non  plus  que  le  siège  de  Neisse  ne 
soit  bien  résolu  après  la  prise  de  Dresden.  »  S'il  faut  s'en 
rapporter  au  récit  que  fit  SoltiUotf  (2)  de  la  conversation 
de  (juben,  Daun  aurait  reconnu  la  nécessité  d'accorder  du 
repos  aux  Russes  et  se  serait  borné  à  leur  demander  de 
prolonger  leur  séjour  dans  les  environs  de  Francfort  jus- 
(ju'à  k,  chute  de  Dresde,  soit  une  dizaine  de  jours,  et  de 
mettre  le  Boi  dans  l'impossiljilité  d'envoyer  du  secours  en 
Saxe.  Aussitôt  la  capitale  do  l'électorat  tombée  au  pou- 
voir des  alliés,  Daun,  avec  le  gros  de  ses  forces,  s'unirait  à 
Soltikoll'  pour  envahir  la  Silésie,  où  on  s'emparerait  de 
Neisse  et  do  Liegnitz  et  où  l'armée  moscovite  pourrait 
établir  ses  quartiers  d'hiver,  à  l'abri  de  ces  places.  A 
cette  dernière  partie  du  programme,  Soltikoff  fit  des  ob- 
jections basées  sur  l'éloignement  dans  lequel  il  se  trou- 
verait de  Posen,  de  la  Vistule  et  de  la  Prusse  royale,  d'où 
il  tirait  ses  ressources  en  hommes,  en  vivres  et  en  mu- 
nitions; mais  il  consentit  i\  conserver  sa  position  actuelle 

(1)  Monlazot  au  coinle  de  Choiseul.  ïriebel,  23  août  175'J,  Archives  de  la 
Guerre  3521. 

(2)  Soltikoff  à  Elisabeth.  Francfort,  21  août  1739.  Trolha,  p.  52. 


MONTALEMBERT  AU  QUARTIER  GÉNÉRAL  RUSSE. 


187 


pendant  deux  semaines,  sens  la  réserve  que  les  Autri- 
cliiens  lui  fourniraient  une  partie  de  l'avoine  et  des  four- 
ratées  dont  sa  cavalerie  aurait  besoin.  A  la  suite  de  cet 
entretien,  les  deux  j^énéraux  firent  part  à  leurs  subordonnés 
de  leur  accord  sur  les  opérations  relatives  à  l'entreprise 
sur  Dresde,  et  à  l'invasion  de  la  Silésie;  puis,  après  un  re- 
pas magnifique,  on  se  sépara  et  cbacun  retourna  à  son 
quartier  général. 

A  la  cour  de  Vienne,  si  l'on  doit  se  fier  à  l'affirmation 
de  Choiseul,  on  se  montra  peu  satisfait  de  l'entente  de  Gu- 
ben  :  «  Ce  qu'il  y  a  de  plaisant,  écrit  l'ambassadeur  (1), 
c'est  qu'après  avoir  donné  deux  i)atailles  malgré  eux 
(comme  M.  de  Soltikoff  l'a  avoué  lui-même),  ils  (les  Russes) 
ne  veulent  pas  poursuivre  leurs  avantages  et  marcher  à 
Berlin  de  peur  d'en  donner  une  troisième  qu'ils  n'auraient 
sûrement  pas,  parce  que  le  Roi  de  Prusse  n'est  pas  en  état 
de  la  leur  livrer,  et  ils  préfèrent  d'aller  en  Silésie  où  ils 
auront  probablement  cette  troisième  bataille  qu'ils  veulent 
éviter,  car  on  ne  prendra  ni  (Jlogau  ni  Neisse  sans  avoir 
défait  l'armée  du  prince  Henri.  » 

Sur  ces  entrefaites,  survint  Montalembert  qui  avait  été 
retenu  à  Varsovie  et  à  Saint-Pétersbourg^;  il  eut  avec 
Soltikoff  et  avec  Daun,  auprès  duquel  il  se  rendit  sous  cou- 
leur d'une  visite  à  Montazet,  des  conversations  fort  inté- 
ressantes, dont  il  rendit  compte  (2)  quelques  jours  plus 
tard  à  Belleisle  :  «  .l'ai  trouvé  en  arrivant  les  Russes  acca- 
blés du  poids  de  cette  guerre;  le  comte  de  Soltikotrm'a  ré- 
pété ce  que  je  me  suis  aperçu  qu'il  disait  h  tout  le  monde  : 
Que  l'armée  russe  en  avait  assez  fait,  que,  si  le  maréchal 
Daun  n'avait  pas  en  vue  de  les  sacrifier  totalement,  il  ne 
devait  faire  aucune  difficulté  de  suivre  le  roi  de  Prusse, 


i.i  « 


fl)  Comte  de  Choiseul  au  Duc,  27  août  1739.  Affaires  Étrangères,  Autriciu'. 
(2)  Montalembert  à  Relleisle.  Lieberoso,  31  août  175'J.  Arch.  de  la  Guerre 
3,521. 


I    ; 


188 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


et  que  c'était  k  lui  avec  ses  troupes  fraîches  il  achever 
une  besogne  si  bien  commencée;  que  pour  lui  il  était  prêt 
à  le  soutenir,  et  à  combattre  encore  une  fois  si  le  maré- 
chal se  trouvait  dans  une  position  où  son  secours  fût  né- 
cessaire; qu'en  attendant  il  était  résolu  de  donner  du  repos 
à  son  armée,  qu'il  marcherait  sur  (iuben,  que  de  là  il  se 
rapprocherait  de  l'Oder  pour  tirer  plus  facilement  ses  sub- 
sistances de  Posen;  et  qu'enfin  il  était  décidé  à  conserver 
le  reste  de  ces  braves  gens  qui  avaient  s!  bien  combattu  à 
Paltzig  et  il  Francfort.  Je  lui  ai  inutilement  représenté 
qu'en  ne  suivant  pas  plus  loin  le  roi  de  Prusse,  il  laissait 
cueillir  aux  Autrichiens  le  fruit  de  ses  Aictoires;il  m'a 
répondu  qu'il  n'en  était  point  jaloux  et  qu'il  leur  souhai- 
tait de  fout  son  cœur  les  plus  grands  succès,  qu'il  en  avait 
assez  fait.  Je  me  suis  aperçu  à  Pétersbourg,  mais  bien  plus 
distinctement  à  cette  armée,  que  tout  ce  qui  est  russe  est 
intimement  persuadé  que  la  cour  de  Vienne  se  soucie  fort 
peu  de  les  ménager,  et  que  son  intention  est  de  leur  faire 
supporter  tout  le  poids  de  cette  guerre.  Ils  sont  devenus 
fort  avantageux  depuis  leurs  victoires  et  parlent  des  Au- 
trichiens en  ternies  peu  convenables.  » 

Des  idées  de  Soltikolf,  le  Français  passe  à  celles  de  Daun, 
qui  semble  avoir  produit  sur  lui  une  impression  bien  plus 
favorable  que  son  collègue  :  «  Il  (Daun)  m'a  expliqué  ses 
vues  et  j'ai  reconnu  toute  l'étendue  de  sa  prudence  dans  le 
peu  de  cas  (ju'il  m'a  paru  faire  d'une  marche  sur  le  roi  de 
Prusse  et  sur  lier) in.  Ce  général  suppose  qu'elle  serait  insuf- 
lisante  pour  accabler  ce  prince,  qu'elle  l'éloignerait  trop 
de  la  Silésie,  qu'il  peut  plus  sûrement  délivrer  la  Saxe 
en  restant  dans  la  position  où  il  est,  que  le  roi  de  Prusse 
ne  peut  rien  détacher  pour  la  Saxe,  qu'il  ne  peut  rien  en- 
treprendre contre  les  Russes  et  qu'enfin  le  prince  Henri 
sera  forcé  de  rester  dans  l'inaction  en  Silésie  sur  la  Bober, 
et  que  lorsque  la  prise  de  Dresde  aura  assuré  la  con- 
(juéte  de  la  Saxe,  il  marchera  avec  les  Russes  en  Silésie 


^â-... 


MONTALEMUERT  SOUTIKNT  LES  PIIOJKTS  DE  DALN. 


189 


assez  tôt  pour  y  pouvoir  encore  fair"i  un  siège  considé- 
rable, » 

A  ce  plan  qui  reposait  sur  l'inaction  du  prince  Henri, 
aussi  bien  que  sur  celle  du  lloi,  Montalembert  fit  (|uel(|U('S 
-objections  inspirées  par  la  crainte  «  que  l'un  ou  l'autre  ne 
t„nte  encore  une  fois  le  sort  des  armes  pour  se  tirer  de  la 
crise  où  il  se  trouve  et  pour  parer  les  grands  coups  qu'ils 
sentent  qu'on  va  leur  portei.  Le  maréchal  m'ayant  paru 
tranquille  A.  cet  égard,  »  la  conversation  passa  à  d'autres 
sujets....  «  Le  maréchal  m'informa  de  plus,  ajoute  iMonta- 
lembert,  qu'il  avait  obtenu  du  comte  de  SoitikofT  dans  son 
entrevue,  qu'il  resterait  en  deçà  de  l'Oder,  lui  ayant  ollert 
de  fournir  à  son  armée  le  pain  et  les  fourrages  qui  lui  se- 
raient nécessaires,  et  qu'après  la  prise  de  Dresde,  ils  mar- 
cheraient ensemble  en  Silésio  où  les  Russes  prendraient 
des  quartiers  d'hiver,  si  le  siège  de  Neisse  qu'il  avait  en 
vue  pouvait  réussir.  Il  m'a  fort  recommandé  d'entretenir  le 
comte  de  Sollikolf  dans  ces  sentiments,  mais  malgré  les 
présents  dont  le  général  en  chef  et  plusieurs  autres  géné- 
raux ont  été  gratifies,  je  vois  régner  beaucoup  d'incerti- 
tude dans  tous  les  esprits,  et  môme  dans  celui  du  général 
qui  n'est  point  d'un  caractère  à  conserver  la  môme  ré- 
solution un  certain  temps  de  suite.  On  parle  quelquefois 
d'aller  attaquer  le  roi  de  Prusse,  quelquefois  de  se  retirer 
pour  se  procurer  des  subsistances  qui  manquent;  nous 
avons  marché  le  28,  le  29  et  le  ;{0  pour  subsister  plus  com- 
modément à  ce  qu'on  dit.  Enfin,  je  crains  fort  que  la  tem- 
porisation nécessaire  au  projet  du  maréchal  Daun  ne  soit 
un  obstacle  à  sa  réussite,  par  la  difficulté  de  placer  les 
Uusses  et  de  les  faire  demeurer  où  il  faudrait  qu'il  fus- 
sent. »  Montalembert  avait  bien  jugé  son  homme  :  Sollikoll 
ne  laissait  pas  d'être  inquiet  du  voisinage  de  Frédéric  dont 
l'armée  se  reconstituait  X  vue  dœil;  il  pensait,  non  sans 
raison,  qu'il  y  aurait  tout  avantage  à  ne  pas  ajourner  une 
rencontre  qui  lui  paraissait  inévitable;  il  avait  môme  pro- 


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190 


LA  CUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  IV. 


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pose  h  F)aun  (1)  uno  attaque  combinée  contre  les  forces 
royales.  Nous  verrons  plus  loin  racquiescemcnt  tardif  que 
donna  l'Autrichien  à  ce  projet,  qui  n'avait  qu'un  tort,  ce- 
lui d'être  en  contradiction  avec  le  prograniUK;  arixté  à 
Guhen. 

Pendant  qu'on  discutait  les  opérations  de  l'avenir,  un  mo- 
tif d'actualité,  le  défaut  do  fourra^ies  dont  on  ne  pouvait 
plus  se  fournir  dans  un  pays  épuisé,  obli,i.;ea  les  lUisses  à 
changer  leurs  cantonnements.  L'armée  quitta  le  camp  de 
Lasso'.v,  qu'elle  avait  occupé  '/Icpuis  le  16,  et  se  rendit  [)ar 
(irunau  àLieberose,  où  elle  arriva  le  :10.  Par  cette  marche, 
Soltikoff  se  rapprocha  do  Daun  d'environ  30  kilomètres. 
Frédéric  suivit  aussitôt  ses  adversaires,  traversa  laSprée  à 
Rrctschcn,  et  vint  camper  il  Weldau  entre  Lubbau  et  Lie- 
bcrose;  dans  ce  nouveau  poste  qui  se  trouve  à  égale  dis- 
tance de  Herlin  et  de  Torgau,  l'inconvénient  d'être  com- 
plètement coupé  de  la  Silésie  était  compensé  par  l'avantage 
de  conserver  les  communications  avec  la  capitale  et  d'être 
plus  à  portée  de  la  Saxe. 

Les  armées  de  Soltikoff  et  de  Daun  (2),  à  45  kilomètres 
l'une  de  l'autre,  interposaient  une  masse  de  plus  de  90,000 
hommes  entre  les  ;{3.000  qui  restaient  au  Uoi  (3)  et  les 
35.000  dont  disposait  le  prince  Henri.  Leurs  chefs  ne  surent 
profiter  ni  de  leur  position  centrale  ni  de  leur  supériorité; 
ils  ne  bougèrent  pas  jusqu'au  14-  septembre. 

Ainsi  qu'on  l'a  vu  parla  correspondance  des  attachés  fran- 
çais, la  double  préoccupation  de  Daun  était  d'empêcher 
Frédéric  d'envoyer  des  secours  en  Saxe  et  de  s'opposer  à  sa 
jonction  avec  le  prince  Henri.  La  suite  nous  apprendra  que 
ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  objectifs  ne  fut  atteint.  Quant  à 
prendre  l'offensive  contre  larmée  royale,  A  achever  l'œuvre 

(1)  Soltikoff  il  Daun.  Lassow,  26  août  1759.  Tiotha,  p.  56. 

('.!)  Daun,  d'après  Montazet,  avait  50.000  hommes,  sans  compter  le  corps 
d'Hadick.  Soltikoff  et  Laudon  en  avaient  certainement  plus  de  40.000. 

(3)  Frédéric  à  Henri,  Furstenwalde,  21  août  1759.  Correspondanct  poli- 
lique,  XVIII,  p.  497. 


DAUN  FIDKf.E  A  SA  TACTIQUE  DÉFENSIVE. 


l'.M 


cnmmenrt'^e  par  les  Uusscs.  il  n'en  out  jamais  la  pensée,  on 
s'il  l'eut,  il  ne  la  ^arda  [>as  longtemps  en  l(Me.  A  ses  yeux, 
tenir  en  échec  son  entrepi-enant  ennetni  était  déjà  un  beau 
résultat;  pour  Tolitenir,  le  feld-njaréclial  comptait  sur  une 
guerre  ([u'on  pourrait  appeler  de  positions;  il  est  vrai  «pi'il 
s'entendait  admirablement  à  les  choisir  et  encore  mieux  ù 
les  fortifier.  D'ailleurs,  d'après  Montazet  (t),  qui  était  qua- 
lifié pour  parler  en  connaissance  de  cause,  cette  allure  dé- 
fensive était  tout  à  fait  adaptée  aux  méthodes  et  au  tem- 
pérament des  soldats  de  Marie-Thérèse.  <  Je  connais  le  fort 
et  le  faible  des  troupes  (jue  je  vois  depuis  trois  ans  que  je 
fais  la  guerre,  et  je  vous  jure  en  honnête  homme  (|ue  j'aime- 
rais mieux  attendre  le  roi  de  Prusse  dans  une  bonne  posi- 
tion avec  un  tiers  de  monde  de  moins  que  de  l'aller  attaquer 
avec  une  moitié  de  plus.  » 

l'ne  des  caractéristiques  les  plus  marquées  du  génie  mi- 
litaire de  Frédéric  était  de  juger  le  tempérament  de  l'ad- 
versaire, de  baser  sur  cette  appréciation  ses  prévisions  pour 
l'avenir  et  de  savoir  profiter  des  erreurs  ou  des  fautes  d'o- 
mission qui  lui  paraissaient  probables.  Au  lendemain  de  sa 
défaite,  nous  avons  vu  Frédéric  soucieux  avant  tout  de  la 
défense  de  sa  capitale;  huit  jours  plus  tard,  il  devine  que 
les  alliés  ne  sauront  pas  compléter  leur  victoire  ;  aussi  le 
20  août,  n*hésite-t-il  pas  à,  détacher  de  sa  faible  armée  pour 
la  Saxe  le  colonel  Wunsch  avec  une  brigade  composée  des 
bataillons  venus  de  Poméranie  que  renforceraient  les  gar- 
nisons de  Wittenberg,  de  Leipzig  et  de  Torgau.  Mais  tout 
en  prenant  ses  précautions  pour  la  conservation  de  l'Klec- 
torat,  le  Roi  est  pendant  plusieurs  jours  convaincu  que 
IJerlin  était  le  point  le  plus  menacé,  tant  il  lui  semble 
impossible  que  les  Autrichiens  ne  tirent  pas  parti  de  ses 
embarras.  «  J'apprends,  écrit-il  le  '2V  (2),  que  Daun  est  ar- 


li 


(1)  Montazet  à  Helleisle,  23  aoùl  175',».  .\rchives  de  la  Guerre, 
;2)  Fréiléric  à  Finckenslein,  2^   août    1759.    Conespondunce  politique, 
XVIII,  j),  498. 


192 


LA  GUERRK  DE  SKPT  ANS.  —  Cil  Al».  IV. 


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rivé  il  (;iil)oii,  que  mon  frère  le  cAtoic,  sans  (jue  je  snrlic 
précisément  où  il  se  trouve.  Les  Russes  attendent  donc 
cette  jonction  pour  me  tomber  sur  ie  corps.  Si  mon  frère 
peut  me  joindre,  nous  aurons  une  all'aire  décisive;  si  non, 
je  me  ferai  écraser,  j'aurai  la  consolation  de  mourir  l'épée 
A  la  main.  » 

A  Merlin,  lorsqu'on  connut  les  premières  dépêches  du 
Uoi,  l'alerte  fut  chaude;  la  cour  et  les  ministi'cs  se  réfugiè- 
rent iV  Maydebourg";  les  principau.v  membres  de  la  bour- 
i^eoisie  reçurent  du  lieutenant  de  police  l'invitation  dis- 
crète de  se  retirer  r  Ilamboury.  Toutefois,  la  picmière 
émotion  passée,  il  se  tint  une  assemblée  des  banquiers  et 
du  corps  des  marchands  (1)  où  il  fut  décidé  d'ajourner  le 
départ,  et  de  députer  près  du  Uoi  un  des  leurs  pour  aller 
au.v  renseignements,  (le  délégué,  du  nom  de  (lotskofsky, 
eut  au  camp  de  Keitwein  une  audience  de  Frédéric  (ju'il 
trouva  l.igé  dans  la  c.d)ane  d'un  paysan;  il  lui  fit  part  du 
sentiment  de  ses  confrères,  qui  préféraient  ne  pas  aban- 
donner la  capitale,  sauf  à  payer  une  contribution  à  l'en- 
nemi, plutôt  (jue  de  s'e.xposerau  pillage  en  s'absentant  de 
leurs  maisons  et  de  leurs  magasins.  Le  monarque  partagea 
cette  manière  de  voir,  tout  en  engageant  (lotskofsky  à  re- 
gagner Berlin  bien  vite,  «  sans  quoi  vous  risquez  que  les 
cosaques  vous  prennent  par  le  collet.  »  De  Reitwein,  le 
délégué  rapporta  des  avis  rassurants  :  «  F^'armée  n'était 
nullement  découragée,  mais  plutôt  remplie  de  bonne  vo- 
lonté, et  du  désir  de  prendre  sa  revanche,  elle  montait  déjil 
alors  à  3'i..000  hommes  elfectifs;  après  les  canons  pris  par 
les  Russes  et  ceu.x  qui  étaient  restés  sur  le  champ  de  ba- 
taille, le  colonel  Muller  avait  encore  92  pièces.  »  Depuis 
l'affaire,  on  lui  avait  expédié  10.000  fusils  et  au  delà  de  100 
canons. 

Ce  fut  seulement  le  30  août  que  Frédéric  fut  fi.xé,  grâce 

(1)  LeUre  de  Berlin  envoyée  par  Yorke  à  Newcastle.  Newcastle  Pajieis, 
32894. 


ï 


MOUVEMKJiT  m    nilNCE  I1EN«»I. 


103 


iï  lu  (lircction  |)i'ise  par  les  Musses,  sur  les  intentions  réelles 
des  alliés  :  >'  Les  Uusses  et  les  .Vutricliicns,  ëcrit-il  (l),<)nt 
tourné  du  cAté  de  la  Lnsact.  Vous  vous  imaginez  (jue  mon 
étounenient  n'en  doit  point  être  médiocre,  d'autant  plus 
que  pendant  que  je  croyais  qu'ils  marcheraient  à  Iterlin, 
ih  prennent  un  parti  tout  contraire  »  Deux  Jours  après, 
arrive  une  dépêche  du  prince  Henri,  la  premier»^  tiepuis 
la  hataille.  «  J'ai  reçu  votre  hillct  du  20,  lui  ré[)ond  le 
Uoi  (2),  et  je  vous  annonce  le  miracle  de  la  maison  de 
Hrandehourg.  Dans  le  temps  que  l'ennemi  avait  passé  l'O- 
der, et  qu'en  hasardant  une  seconde  hataille,  il  pouvait 
linir  la  fiuerre,  il  est  marché  de  Mdllrose  à  Lieherose  ». 

Privé  pendant  plus  de  quinze  jours  de  communications 
avec  le  Uoi,  \c  prince  Henri,  ([u\  commandait  l'armée  de 
Silésie  depuis  la  fin  de  juillet,  n'avait  pas  quitté  le  camp 
de  Schmottseifen;  eulin,  dans  les  derniers  jours  d'aoïU,  il 
essaya  de  se  rapprocher  de  son  frère.  V  cet  eil'et,  il  prit 
position  k  Sagan  le  20  août,  avec  une  avant-garde  sous 
Zieten  îl  Sorau;  ce  détachement  compris,  il  avait  sous  .ses 
ordres  30  bataillons  et  GO  escadrons,  soit  un  peu  plus  de 
30.000  hommes  d'excellentes  troupes.  Ti'ompé  parce  mou- 
vemeni,  Daun  s'imagina  (]ue  le  prince  Henri  allait  franchir 
le  Doher  et,  pour  le  prévenir,  porta  son  armée  de  Triehel 
à  Muskau,  s'éloignant  ainsi  des  Russes;  puis  sur  l'avis  que 
Sorau  n'était  occupé  que  par  la  division  de  Zieten,  il 
poussa  jusqu'à  cette  ville  que  les  Prussiens  évacuèrent  juste 
à  temps,  et  y  établit  son  quartier  général  le  3  septembre. 
Une  lettre  de  Montazet,  datée  de  Sorau  (3j,  nous  met  au 
courant  de  la  situation  :  «  Nous  voilà  donc  assemblés  ici, 


il 


Mil 


(1)  Frédéric  à  Finckenstein.  Borne,  M  aoiU  1759.  Coirespondriiicc  poli- 
Uque.  XVIII,  [i.  509. 

(2)  Fiédéric  i  Henri.  \Valdow,  l"  se|iteinbre  1759.  Carrcspondancc  pâli- 
tique,  XVllI.  |).  510. 

(3)  Montazet  à  Belleisle.  Sorau,  3  septembre  1759.  .Vrciilves  de  la  Guerre, 
3522. 

CUCRUE  DE   SEPT  ANS.   —  T.    II!.  13 


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104 


LA  CUEHUE  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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je  ne  sais  t>'0[)  ce  que  nous  allons  y  faire,  M.  lo  maréchal 
ayant  deux  objets  qui  ne  s'accordent  nullement  k  mon 
avis,  le  premier  de  ménag-cr  les  Russes,  et  le  second  de 
faire  la  guerre.  J'ai  pris  la  liberté  de  lui  dire  que,  moyen- 
nant cela,  nous  ne  ferions  rien  du  tout,  puisque  les  Russes 
ne  cherclieni  que  des  prétextes  pour  s'en  retourner,  et 
qu'ils  n'ont  que  cet  unique  objet.  Aussi  voit-on  ie  qui 
résulte  des  heureuses  dispositions.  Le  roi  de  Prusse  les 
nargue  au  point  qu'il  est  venu  se  camper  à  Lubeiî,  après 
avoir  détaché  8  à  10. 000  hommes  pour  aller  reprendre  la 
Saxe,  et  n'en  ayant  certainement  pas  plus  de  30,000  avec 
lui,  tandis  que  les  Russes  et  les  Autricliiens,  rassemblés  à 
Lieberose,  composent  une  armée  de  60.000  hommes  pour 
le  moins.  N'est-ce  pas  incroyable,  et  après  de  tels  faits 
peut-on  se  flatter  de  détruire  cet  ennem?  aussitôt  qu'on  le 
pense?  >;  On  venait  d'apprendre  la  prise  deTorgau  par  l'ar- 
mée des  Cercles  et  l'incendie  des  faubourgs  de  Dresde  : 
u  J'ai  grande  peur  que  le  résultat  de  tout  ceci  ne  sjit  la 
seule  destruction  de  la  Saxe,  les  Russes  ne  voulant  aller  ni 
en  avant,  ni  être  séparés  pour  ainsi  dire  des  Autrichiens. 
Ces  derniers  d'un  autre  côté  n'osent  les  contredire,  espé- 
rant toujours  de  les  mener  en  Silésie;  mais  je  parierais 
bien  que  les  Russes  manqueront  à  tous  leurs  engagements 
qu'ils  ont  pris  et  que  la  scène  finira  par  un  procès  entre  les 
deux  généraux.  La  pauvre  Saxe  sera  donc  la  victime  de 
tout,  et  les  deux  batailles  que  les  Russes  ont  gagnées  ne 
serviront  qu'à  nous  couvrir  de  honte,  et  à  avoir  f  it  égor- 
ger 50.000  hommes  pour  rien;  en  vérité  c'est  par  trop 
mal  faire  ia  guerre,  et  le  roi  de  Prusse  a  bien  raison  d'être 

aussi  confiant Pour  moi  je  sèche  sur  mes  pieas,  car 

j'ai  beau  faire  des  vœux  et  des  plans,  j'en  suis  toujours 
pour  mes  peines;  et  ce  qui  m'afflige  le  plus,  est  qu'il  est 
bien  difficile  que  cela  soit  autrement  ». 

Aussitôt  qu'il  fut  ivisé  du  commencement  des  opér.itions 
contre  Dresde,  Daun  fit  marcher,  non  sans  quelques  objec- 


DIVERSION  DU  PRINCE  HENRI  EN  LUSACE. 


11(5 


tions  de  la  part  des  Russes,  lladick  sur  cette  ville  pour  prê- 
ter assistance  au  duc  de  Deux-Ponts;  de  son  cùté  Frédéric 
envoya,  au  secour.-  de  la  capitale  de  la  Saxe,  le  général 
Finck  avec  un  corps  d'un  peu  plus  de  10.000  honunes.  Eu- 
fin,  le  prince  llenr"   convaincu  qu'il  rendrait  plus  de  ser- 
vice au  Uoi  par  une  diversion  en  Lusace  qu'en  restant  h 
Sagaa,  décampa  de  cette  ville  le  5  septembre,  remonta  la 
rive  droite  du  Bober,  et  gagna  Kunzendorf,  puis  Giirlitz 
où  il  parvint  le  12  septembre.  A  la  suite  du  prince,  haun 
détacha  \i  général  Beck  avec    ordre  de  rallier  De  Ville, 
({ui  était  chargé  de  la  défense  de  la  Lusace  et  de  la  protec- 
tion des  magasins  de  la  frontière  de  Bohème,  d'où  les  Au- 
trichiens tiraient  leurs  approvisionnements.  Ainsi  renforcé, 
De  Ville  aurait  -20.000  liommes,  force  suffisante  pour  tenir 
tête  au  prince  Henri. 

Ce»  précitutions  prises  pour  assurer  ses  derrières,  Daun, 
avec  le  gros  de  son  armée,  se  porta  le  9  sopteml)re  à 
Spremberg.  Ce  mouvement  qui,  d'après  le  dire  du  maré- 
chal, était  la  première  étape  d'une  opération  offensive  con- 
tre le  roi  de  Prusse,  paraissait  répondre  au  désir  tant  de 
fois  exprimé  par  Soldkoff.  On  savait  depuis  trois  jours  la 
capitulation  de  Dresde;  on  avait  donc  les  mains  libres;  il 
fallait  profiter  de  l'heure  propice.  Messager  sur  messager 
furent  expédiés  au  (juartier  général  russe,  pour  arriver  à 
une  entente,  sans  grand  résultat,  ce  semble,  à  en  juger 
par  les  rapports  adressés  (1)  à  la  Tzarine.  A  Daun,  qui  lui 
demande  de  faire  une  déniuii;:tvation  vers  Luben  et  d'oc 
cuper  l'attcnt'on  du  Roi,  campé  en  avant  de  cette  ville, 
Soltikoff  réplique  en  parlant  d'aller  à  (luben,  c'';st-i\-dire 
du  côté  opposé,  et  de  s'établir  entre  la  Neisse  et  le  Bober, 
à  l'effet  d'empêcher  la  jonction  du  prince  Henri  avec  son 
frère.  Une  action  combinée  entre  deux  généraux  dont  l'ac- 
cord durait  à  peine  le  temps  nécessaire  pour  échanger 


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{i)  Soltikoff  à  Elisabeth.  Lieberose,  13  septembre  1759.  Trotha,  p.  6i,etf. 


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196 


LA  GLEHllE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


une  correspondance,  devenait  de  plus  en  plus  improba- 
ble. Dans  l'espèce,  il  faut  en  convenir,  ce  ne  fut  pas  l'op- 
position de  SoltikolF  qui  fit  échouer  le  projet  des  Autri- 
chiens. 

Quand  on  apprit  à  Vienne  le  départ  de  la  grande  ar- 
mée pour  Sprcmbcrg  et  ses  intentions  belliqueuses,  on  fut 
au  comble  de  la  joie  :  «  Enfin,  après  bien  des  courriers  et 
des  incertitudes,  écrit  le  comte  de  Choiseul  (1),  le  maréchal 
.s'est  détei'miné  àfaire  aujourd'hui  ce  qu'on  aurait  dû  faire 
le  13  août,  c'est-à-dire  à  marcher  au  roi  de  Prusse  et  à 
Berlin.  »  Il  fallut  déchanter  lorsqu'on  sut  que  Daun,  au 
lieu  d'avancer  sur  Berlin,  avait  rétrogradé  sur  Bautzen  et 
opéré  le  13  septembre  sa  réunion  avec  les  divisions  de  De 
Ville  et  de  Heck.  Un  raid  du  prince  Henri  sur  les  maga- 
sins impériaux  et  l'incapacité  de  De  Ville  avalant  boule- 
versé les  combinaisons  du  généralissime.  Citons  le  compte 
rendu  (2)  de  Montazet  :  «  Voilà  pourtant  un  changement 
qui  vient  d'arriver,  qui  vous  déplaira  sans  doute  autant 
qu'à  moi,  puisqu'il  démont  tout  ce  que  j'ai  eu  l'honneur 
de  vous  mander  :  car  M.  De  Ville  n'ayant  pas  fait  un  mot 
de  tout  ce  que  M.  le  maréchal  lui  avait  ordonné,  et  s'étant 
retiré  sur  lindessin  (3)  avec  une  {)récipitation  inconcevable 
il  :  1"  laissé  les  postes  de  la  Bohême  à  découvert,  ce  qui 
a  donné  la  facilité  à  l'ennemi  non  seulement  d'y  entrer 
et  d'y   prendre  (J  ou  700   Croates  à  Kidelande  (Fried- 
land),  mais  même  de  nous  enlever  une  quantité  prodi- 
gieuse de  chariots  de  proviande  [sic)  qui  portaient  des 
subsistances  à  l'armée.  Bref,  M.  De  Ville  a  mandé  à  M.  le 
maréchal  qu'il  .se  retirait  àBudessin,  parce  que  l'ennemi 
était  sur  ses  talons.  C'est  sur  cela  que  notre  général  assem- 


(1)  Coinlft   de  Clioiseul       llelleisle.  Vienne,  12  septembre  IT.'i'J.  Archives 
(le  la  Guerre,  35'2i. 

(2)  Montazet  à  Clioiseul    lludessin,  13   septembre    1".')9.  Archives  de   la 
Guerre,  ;{.")22. 

(3)  Nom  slave  de  Haulzen. 


DAUN  SUIT  LE  PRINCE  HENRI. 


197 


bla  à  Sprembcrg-  messieurs  les  Feldjacgermeisters  qui 
décidèrent  avec  lui  qu'il  fallait  se  porter  ici.  »  Le  Français 
s'étend  sur  les  embarras  de  Daun,  et  se  console  de  l'aban- 
don do  la  marche  contre  le  Roi,  en  tombant  sur  les  al- 
liés :  «  Les  Russes  ne  veulent  rien  faire  dans  le  fond,  ne 
cherchent  qu'à  sauver  les  apparences,  et  ils  exigent  que 
M.  de  Laudon  avec  son  corps  ne  les  quittera  pas.  »  Moata- 
lembert  (1)  partag-cait  les  impressions  de  son  collùg'ue;  il 
pensait  que  les  Russes  n'accompliraient  plus  rien  cette 
campagne,  i>  moins  d'ordres  forniels  de  Saint-Pétersbourg. 
Mcsnager  (2)  donne  au  contraire  la  note  des  militaires  mos- 
covites :  '<  Les  lenteurs,  les  mouvements,  la  politique  du 
maréchal  Daun  ont  excité  une  méfiance  qui  augmente  tous 
les  jours,  par  la  crainte  que  les  arnées  réunies,  il  n'en 
ait  le  commandement  en  chef.  »  Scltikoif,  qui  venait  d'i"»- 
tre  nommé  feld-maréchal,  à  la  suite  de  la  bataille  de  Ku- 
nersdorf,  se  soucierait  peu  de  jouer  un  rùle  de  subalterne. 
Au  quartier  général  russe,  on  s'était  à  peu  près  résigné 
à  se  charge."  du  siège  d'une  des  places  de  l'Oder,  et  pen- 
dant «jue  durerait  cette  opération,  on  comptait  être  cou- 
vert du  cùté  de  Frédéric  par  l'armée  de  Daun  ;  aussi  l'avis 
du  départ  de  ce  dernier  pour  Bautzen,  créa-t-il  dans 
l'état-major  une  émotion  que  Montalembcrt  va  nous  dé- 
crire :  «J'ai  trouvé  ce  général  (Soltikoll)  (;Ji  déterminé  à 
se  rapprocher  de  l'Oder  et  ne  voulant  rien  entreprendre 
qui  pût  l'en  éloigner;  dans  de  pareilles  dispositions,  je 
n'ai  pu  lui  proposer  que  la  priiîe  de  Glogau  »,  Après 
quelques  objections,  le  Russe  avait  accepté  cet  objectif 
moyennant  certaines  conditions  aussitôt  transmises  au 
camp  autrichien  :  «  Mais  la  nouvelle   qu'on  a  reçue  ici 

(1)  Montaleiiibeit  à  Relleislc.   Li('bero.sc,  9  snpteniliro  l'.i'J.    Archives  de 
la  Giiorrc,  :{52L>. 

(2)  Mpsnager  à   Belleisle.  Lieberosc,  12  septembre   1759.  Archives  de   la 
Guerre,  352')!. 

{!)  Montalembcrt  à  Choiseul,  Lieberose,  14  septembre  l"."i9.  Archives  de  la 
Guerre,  3522. 


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LA  GL'ERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


hier  vers  les  neuf  heures  du  matin,  que  le  marôchal  Daun 
avait  marelle  sur  Budessin,  au-devant  du  prince  Henri, 
après  avoir  mandé  qu'il  avait  des  ordres  positifs  de  mar- 
clier  sur  le  roi  de  Prusse,  a  fait  un  si  mauvais  effet  que  le 
comte  de  Soltikoff  voulait  absolument  partir  ce  matin  pour 
s'en  aller  de  son  côté  sur  l'Oder,  renonçant  à  tout  concert 
avec  le  maréchal  Daun.  H  m'a  paru  très  piqué  de  ce  que 
M.  le  maréchal  avait  chang-é  la  direction  do  ses  marches 
sans  l'en  avoir  prévenu  ;  enfin,  toute  la  journée  d'hier  a  été 
employée  à  remettre  le  calme  et  à  rétablir  les  choses  à  peu 
près  sur  le  même  pied; ce  que  j'ai  obtenu  de  plus  es- 
sentiel, c'est  qu'il  n'y  aura  rien  de  changé  au  projet  du 
comte  de  Soltikoff  dont  j'ai  fait  part  à  Montazet  par  son 

ordre Le  comte  de  Romansof  (Rumjanzew)  est  parti 

ce  matin  pour  aller  au  quartier  général  du  maréchal  Daun, 
chargé  de  convenir  avec  lui  des  opérations  qui  restent  à 
faire.  »  Montalembert  attache  beaucoup  d'importance  à  ga- 
g'ner  ce  personnage  «  intéressé  de  vanité  et  d'ambition,  » 
ainsi  que  le  général  Panin.  «  Il  ne  faudra  pas  l'argent  à 
celui-là;  ce  serait  même  un  très  mauvais  moyen  auprès  de 
lui,  mais  la  promesse  du  cordon  bleu  de  Pologne  ou  celle 
du  grade  de  lieutenant  général.  » 

Kn  exécution  du  mandat  qui  lui  avait  été  confié,  Rum- 
janzew se  rendit  à  Bautzen  et  soumit  à  Daun  les  mesures 
préparatoires  que  demandait  son  chef  pour  le  siège  de  Glo- 
gau;  renfort  de  10  à  1*2.000  Autrichiens,  constitution  près 
de  la  ville  d'un  magasin  contenant  un  mois  de  vivres,  four- 
niture du  parc  d'artillerie,  protection  de  l'investissement 
contre  les  entreprises  du  Roi  et  du  prince  Henri.  La  pre- 
mière exigence  des  Russes  pouvait  recevoir  satisfaction 
immédiate;  quant  aux  autres,  il  fallut  se  contenter  des 
promesses  un  peu  vagues  du  feld-maréchal.  Montazet 
voyait  de  très  mauvais  œil  (1)  l'expédition  de  Silésic  au 

(1)   Monla/.ct   à  Contailcs.  Biidcssiii,    18  .septembre   1759.  Archives  de  la 
Guerre.  Carton  de  175'J. 


RENFORT  AUTRICHIKN  ENVOYE  AUX  RUSSES. 


t99 


succès  de  laquelle  il  n'avait  pas  la  moindre  foi  :  «  Ils  (les 
Russes)  ont  eu  peur  que  le  roi  de  Prusse  ne  les  liarcelût 
dans  Icui'  retraite,  et  ont  voulu  se  faire  cscorler  par  25.000 
Autrichiens  que  nous  ne  reverrons  plus  de  la  campagne, 
s'ils  passent  une  fois  le  Bober.  »  Cette  prophétie  se  réalisa, 
comme  la  suite  nous  l'apprendra.  La  division  de  renfort, 
composée  de  10  bataillons  et  de  30  escadrons,  fut  mise  en 
route  sans  perte  de  temps,  et  rallia  les  Austro-Russes  dans 
les  environs  de  Christianstadt.  A  cette  époque  les  forces  de 
rimpératrice-Reine  étaient  réparties  de  la  manière  sui- 
vante :  Daun  avec  40.000  hommes  à  Baulzcn  ;  Iladick,  Mac- 
guire,  Yehla  avec  le  duc  de  Deux-Ponls,  25.000;  en  face 
de  Fouqué,  sous  Harsch  à  Trautenau  18.000;  entre  Gabel 
et  Rcichenberg'  pour  garder  la  frontière  de  Bohème  8.000; 
eniin  30.000  à  l'armée  russe.  Cette  dernière,  toujours  ac- 
compagnée du  corps  de  Laudon,  avait  quitté  son  camp  de 
Lieberose  où  les  subsistances  et  surtout  le  fourrage  fai- 
saient défaut,  et  avait  marché  par  Cuben  et  Sommerfelt 
à  Christianstadt,  où  elle  arriva  le  21  septembre,  et  où  elle 
rencontra  le  nouveau  détachement  autrichien.  C'était  le 
mouvement  sur  la,  Silésie  bien  dessiné,  et  comme  consé- 
quence inévitable,  la  rupture  du  contact  avec  Daun. 

A  partir  de  ce  moment,  les  opérations  des  alliés  devin- 
rent distinctes  les  unes  des  autres;  celles  des  Russes  et  de 
Laudon  eurent  pour  théAtre  la  Slésie,  tandis  que  Daun, 
avec  le  gros  des  Autrichiens,  agissait  en  Lusace  et  en  Saxe. 
En  dépit  des  phrases  courtoises  et  des  politesses  échan- 
gées, on  ne  comptait  plus  de  part  et  d'autre  sur  un  résul- 
tat pratique  de  la  collaboration  des  deux  armées.  «  M.  de 
Soltikoff,  écritMontazet  (1),  suivant  son  nouveau  plan,  veut 
faire  des  conquêtes  en  Silésie.  L'armée  de  M.  le  maréchal 
Daun  sera  donc  destinée  à  protéger  l'Elbe  et  l'Oder.  Cha- 


(1)  Monlazet  au  comte  de  Choiseiil.  Budessin,  IC  sept.  175' 
la  Guerre,  vol.  3523. 


Archives  de 


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200 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


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cun  criera  de  son  cAté  que  l'ennemi  est  sur  ses  talons  ;  nous 
ne  saurons  alors  auquel  entcrnlre,  et  vraisemblablement  il 
arrivera  ce  qui  résulte  ordinairement  de  l'incertitude,  qui 
est  d'arriver  trop  tard  partout...  Vouloir  faire  entrepren- 
dre un  sièg-e  comme  celui  de  (Uogau  par  des  gens  qui  n'y 
entendent  rien,  qui  n'ont  aucune  envie  de  le  faire,  qui 
seraient  peut-être  fâchés  de  réussir,  et  auxquels  il  faut  en- 
voyer un  parc  d'artillerie  que  l'armée  de  M.  le  mai^'échal 
Daun  doit  escorter,  si  l'on  veut  qu'il  ne  soit  pas  enlevé; 
s'obliger  à  leur  fournir  des  subsistances  dans  un  pays  en- 
nemi que  deux  ax'mées  défendent,  et  où  nous  ne  pourrons 
peut-être  pas  faire  passer  un  courrier;  »  s'engager  de  plus 
à  protéger  l'investissement  de  Glogau,  tout  cela  n'abouti- 
rait à  rien  d'utile,  et  compromettrait  le  sort  des  armes  en 
Saxe,  où  le  succès  de  Dresde  avait  été  déjà  suivi  et  com- 
pensé par  la  reprise  de  Wittenberg,  Torgau  et  Leipzig  sur 
l'armée  des  Cercles.  Daun,  à  qui  il  en  a  fait  la  remarque 
le  matin  même,  a  répondu  qu'il  partageait  les  craintes 
exprimées.  «  Il  me  dit  qu'il  n'est  pas  le  maitre  et  que  sa 
cour  le  croit  en  état  de  faire  de  nouvelles  conquêtes  dans 
le  cours  de  cette  campagne,  que  d'ailleurs,  il  a  des  ordres 
précis  de  ne  rien  faire  de  ce  qui  pourrait  déplaire  aux 
Russes.  » 

Laissons  Daun  dans  son  camp  de  Bautzen  où  il  va  sé- 
journer jusqu'aux  derniers  jours  de  septembre,  et  voyons 
comment  se  termina  la  lutte  entre  Frédéric  et  les  Austro- 
Kusses.  Ix  premier  avait  été  très  ému  du  renfort  fourni  à 
Soltikoif  :  «  Mon  frère  a  laissé  passer,  écrit-il  (1),  12.000  Au- 
trichiens qui  ont  joint  les  Russes  à  Christianstadt;  ils  veu- 
lent faire  le  siège  de  Glogau.  Je  marche  à  tire  d'aile  pour 
les  en  empêcher;  mais  je  suis  faible  ;  je  n'ai  que  â'i-.OOO 
hommes,  gens  deux  fois  battus,  vous  m'entendez.  Je  ne  sais 


(1)  Frédt'iic  A  La  MoUe  Foiiqué  près  de  Sorau,  20  sept.  1759.  Correspon- 
dance politique,  XVlll,  j).  55i. 


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FRÉDÉRIC  SE  PORTE  AU  SECOURS  DE  GLOGAU. 


201 


ni  où  vous  êtes,  ni  dans  quelles  circonstances  vous  vous 
trouvez,  mais  si  vous  le  pouvez,  envoyez-moi  du  secours... 
Je  ne  souffrirai  point  qu'on  assiège  (llogau;  ^e  me  battrai 
plutôt,  arrive  ce  qui  en  pourra.  VoiM  la  façon  de  penser 
dos  preux  chevaliers  et  la  mienne,  .le  serai  demain  au  delà 
de  Sagan,  après-demain  près  de  Glogau.  Prompte  réponse, 
mon  ami,  et  que  le  secours  fasse  de  grands  pas.  »  Vn  appel 
similaire  avait  été  adressé  au  prince  Henri,  \otons-le  en 
passant  :  Durant  les  six  semaines  qui  s'écoulèrent  entre  la 
bataille  de  Kunersdorf  et  la  fin  do  .-.eptembre,  un  des  em- 
barras, peut-être  le  plus  gros,  de  Frédéric,  fut  la  difficulté 
de  correspondre  avec  ses  lieutenants,  notamment  avec  le 
prince  Henri  et  avec  Fouqué  qui  était  à  Landshut  en  Si- 
lésie;  beaucoup  de  courriers  avaient  été  interceptés;  ceux 
qui  parvenaient  à  bon  port,  mettaient  4  à  5  jours  à  accom- 
plir le  voyage.  De  là  des  instructions  qui  ne  s'accordaient 
plus  avec  les  événements  et  nécessité  pour  les  subordon- 
nés de  faire  preuve  d'initiative.  Ce  fut  le  cas  du  prince 
Henri  qui  effectua  sa  diversion  en  Lusace  au  moment  même 
où  le  Uoi  l'engageait  (1)  à  conserver  soigneusement  son 
camp  de  Schmottseifen. 

Fouqué  et  Henri  répondirent  k  l'invite  de  leur  souve- 
rain en  lui  expédiant  l'un,  3  bataillons  et  2  escadrons, 
l'autre,  6  bataillons  et  quelques  hussards.  Ces  petits  déta- 
chements que  le  Roi  dénomme  dans  ses  lettres  «  la  col- 
lecte de  l'armée  »  rallièrent  le  camp  royal  à  Haunau,  le 
26  septembre.  Mais  déjà,  le  danger  était  écarté  :  Frédéric, 
par  la  rapidité  de  ses  manœuvres,  par  le  choix  des  posi- 
tions et  par  sa  ficre  attitude,  avait  fait  avorter  le  plan 
des  alliés,  malgré  la  supériorité  du  nombre  et  le  pres- 
tige de  la  victoire  récente.  Pendant  que  les  Austro-Russes 
cheminaient  sur  Glogau  par  Freystadt,  où  ils  étaient  ren- 


(1)  Frédéric  à  Henri.  Woliiau,  4  se[)lemi)re  1751t.  Voir  la  correspondance 
échangée  entre  les  deux  frères.  Schcning,  vol.  II.  Potsdam,  1H51. 


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LA  GUKRRE  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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dus  le  2:<  soptcmbre,  le  Uoi  les  gagna  de  vitesse  en  .s'éta- 
blissantîl  la  môme  date  ilNeustaodtel.  Quand  Soltikoil' vou- 
lut continuer  sur  (Jlogau,  il  trouva  l'armée  royale  lui 
barrant  la  route.  Après  reconnaissance  du  «  poste  à  la 
Daun  »  que  les  Prussiens  avaient  occupé,  les  généraux  al- 
liés renonc''rent  à  l'attaquer  et  campèrent  avec  l'intention 
évidente  de  repasser  sur  la  rive  droite  de  l'Oder.  Frédéric 
est  (1)  complètement  rassuré  :  «  A  présent  que  j'ai  quel- 
ques bonnes  troupes,  je  ne  crains  rien  du  tout.  J'avais  dé- 
taché pour  la  Saxe  tout  ce  qu'il  y  avait  de  mieux  dans 
mes  troupes;  la  campagne  allait  finir  à  (iuben;  les  Russes 
voulaient  partir;  ne  voilà-t-il  pas  ce  malheureux  détache- 
ment (le  10  régiments  de  Daun  (jui  arrive.  Ajoutez-y  quel- 
({ues  corruptions,  et  ces  misérables  se  déterminent  au  siège 
de  Glogau.  Je  crois  que  ce  projet  en  est  manqué.  Il  n'est 
donc  question  à  présent  que  de  sauver  le  plat  pays  do  la 
ruine  dont  il  est  menacé;  hier  ces  canailles  ont  brûlé  deux 
villages  à  nos  yeux  sans  qu'on  le  put  empêcher.  » 

Le  26  septend)re,  les  Austro-Russes  commencèrent  leurs 
préparatifs  pour  la  traversée  de  l'Oder  qu'ils  achevèrent 
le  30  sans  être  inquiétés.  «  L'armée  marche  demain,  écrit 
Montalembert  (2),  pour  aller  à  Kuttlau  à  un  mille  de  Glo- 
gau,  ainsi  nous  pourrons  dire  en  avoir  vu  les  clochers.  » 
Il  ne  fut  plus  question  d'entreprendre  le  siège  pour  lequel 
on  n'avait  d'ailleurs  pas  l'artillerie  nécessaire,  et  la  cam- 
l)agne  se  poursuivit  sans  entrain.  Le  8  octobre,  les  deux 
parties  étaient  en  présence  :  les  Russes  à  Gross-Osten, 
le  Roi,  qui  venait  à  son  tour  de  franchir  l'Oder,  à  Lub- 
chen;  elles  y  séjournèrent  jusqu'au  22  octobre.  Deux  jours 
après  l'arrivée  à  Gross-Osten,  le  maréchal  russe  affirma 
son  intention  de  gagner  ses  quartiers  d'hiver;  depuis  long- 

(1)  Frédéric  à  lu  MoUc  Fouqué.  Haiinau,  2(1  septembre  I7.">'.t.  Carraspon- 
dance  polilique,  XVIH,  p,  .'«ei. 

(2)  Montalembert  i\  Bclleisle.  Carolatli,  1"  octobre  1759.    Archives  de  la 
Guerre,  352'i, 


80LTIK0FF  ANNONCE  SON  DEPART. 


208 


(1)  Rescrit  de  la  conférence  de  Pétcisbouig,  Trolha,  i>.  72  et  7i. 

(2)  Montaleinbert  au  comte  de  Ciioiscul.  Gross-Osleii,  21  octobre  IT.V.t.  Ar- 
chives ÉlrangiTcs.  Russie. 

(3)  Montaleinbcrt  au  comte  de  Cholseul.  TriebuscU  et  Punice,  'iô  et  20  oc- 
tobre 1759.  Arctiives  Étrangères.  Russie. 

(4)  Procès-verbal  du  conseil  de  guerre.  Trolba,  p.  74  à  77. 


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temps,  il  avait  fixé  au  15  octoi)re  le  début  de  la  disloca- 
tion. Cette  résolution  allait  priver  la  cause  coniinune  non 
seulement  du  contingent  russe,  mais  aussi  des  ."H). 000  hom- 
mes de  Laudon  qui,  complètement  isolés  du  reste  des  for- 
ces impériales,  ne  pourraient  se  maintenir  en  Silésie;  de 
plus,  elle  laisserait  à  Frédéric  les  mains  libres  pt..:r  la  re- 
conquête de  la  Sa.xe.  Aussi  avait-on  mis  tout  en  jeu  pour 
faire  revenir  SoltikolF  sur  sa  décision  ;  les  instances  de  Lau- 
don lui  arrachèrent  un  sursis,  tandis  que  les  représen- 
tations d'Ksterhazy  et  de  Lhopital  semblèrent  avoir  été 
écoutées  û  Pétersbourg.  Le  20  octobre,  un  courrier  apporta 
au  général  russe  l'ordre  de"  prendre  position  (1)  le  long 
de  la  rivière  de  la  Warthe  avec  l'osen  comme  point  cen- 
tral. »  Montalembert  (2)  de  se  féliciter  des  «  cinq  jours  de 
retard  du  15  au  20  obtenus  pour  ainsi  dire  k  la  pointe  de 
l'épée  »  et  grâce  auxcjuels  les  nouvelles  instructions 
avaient  eu  le  temps  de  parvenir.  Mais  le  répit  fut  de  courte 
durée;  quatre  jours  plus  tard,  l'attaché  français  est  obligé 
d'annoncer  à  Vienne  (3)  le  départ  définitif  :  les  décisions 
de  Pétersbourg  «  ne  produisent  pas  grand  effet;  il  sest 
tenu  un  conseil  de  guerre  où  l'on  a  protesté  contre  la 

possibilité  de  leur  exécution; nous  sommes  partis  hier 

pour  venir  camper  ici  sur  l'extfème  limite  de  la  fron- 
tière. »  Pour  justifier  le  retour  à  la  Vistule,  les  généraux 
russes  invoquaient  (Vi  l'approche  de  l'hiver,  l'épuisement 
de  la  Posnanie,  les  inconvénients  de  la  ligne  de  la  Warthe, 
enfin  la  rentrée  probable  de  Daun  en  Hohême. 

A  Vienne  on  se  montra  très  mécontent  des  tergiversa- 
tions de   l'état-major  russe,  et  de  ce  sentiment  Kaunitz 


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LA  GUKRRE  DE  SKl'ï  AiNS.  —  CIIAP.  IV. 


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se  lit  l'interprète  en  rcrivant  (I)  h  Starlicmherg  :  «  Nous 
aurions  mieux  fait  si,  depuis  le  12  aoiit,  nous  nous  étions 
conduits  comme  s'il  n'y  avait  point  eu  de  Kussesau  monde. 
On  ne  peut  pas  trouver  mauvais  qu'elle  (la  cour  de  Péters- 
bourii)  pit  donné  l'ordre  à  ses  généraux  de  ménager  ses 
troupes,  mais  ceux-ci  n'ont  pas  fait  de  distinction  entre 
ménager  les  troupes  et  ne  rien  faire  du  tout.  » 

Si  l'entente  n'intervint  pas,  ce  ne  fut  pns  la  faute  de 
Montalembert,  (jui  mit  en  («uvre  toute  sa  diplomatie  pour 
éviter  les  froissements  entre  Soltikoll"  et  Laudon  ;  il  cher- 
cha même  k  gagner  le  premier  en  flattant  des  caprices  (2), 
lesquels,  à  en  juger  p.ir  le  spécimen  suivant,  étaient  par- 
fois difficiles  à  satisfaire  :  «  Il  veut  absolument  entre  autres 
une  berline  et  une  belle  diligence,  Tune  et  l'autre  d''  ; 
mieux  conditionnées,  avec  quatre  roues  de  rechange  h 
ciiacune  »,  le  tout  d'un  faiseur  de  Paris.  Dans  la  discussion 
Montalembert  est  en  général  du  côté  autrichien  *  «  M.  de 
Laudon  a  presque  toujours  raison,  écrit-il  (3),  excepté  lors- 
qu'il veut  l'avoir  vis-à-vis  du  général  russe  et  qu'il  cesse 
d'être  aussi  doux  et  aussi  patient  qu'il  convient  de  l'être 

avec  un  tel  général C'est  un  excellent  homme  de  guerre, 

mais  il  n'est  poiiit  assez  politique,  il  devrait  sentir  qu'il 
faut  à  quelque  prix  que  ce  soit,  vivre  en  bonne  intelligence 
jusqu'à  la  fin  de  la  campagne,  afin  de  laisser  à  sa  cour  la 
liberté  de  prendre  les  partis  qui  lui  conviendront  le  mieux, 
soit  pendant  cet  hiver,  soit  pendant  la  campagne  pro- 
chaine. C'est  ce  que  je  prends  la  liberté  de  lui  représenter 
dans  toutes  les  occasions,  pensant  plus  que  jamais  que 
les  Russes  seront  inutiles  la  campagne  prochaine,  s'ils 
restent  seuls  cet  hiver.  Je  ne  sais  même  si  le  général  russe 


(1)  Kauiiit/.  il  Slarhemberg,  26  oclol)re  1759.  Affaires  Etrangères.  Autriche. 

(2)  Monlaleinl)ert  à  h. 'ieisle.  Carolath,  1"  octobre  1759.  Archives  de  la 
Giierro,  3.")2i. 

(3)  Monlalcnibert  au  comte  de  Choiseul.  Gross-Osten,  12  octobre  1759.  Ar- 
chives de  la  Guerre,  3524. 


DISLOCATION  DES  Al'STIlO-RLSSES. 


2or. 


ne  chcrcho  point  à  dégoûter  les  Autrichiens  dans  la  vue 
de  s'en  séparer  pour  être  plus  libre.  Ils  ont  des  desseins 
sur  Dautzig",  qui  pourraient  bien  traverser  à  l'avenir  toute 
autre  entreprise.  » 

D'après  Cogniazzo  (1)  qui  servait  sous  les  ordres  de  Lau- 
don,  celui-ci  aurait  eu  d'excellents  rapports  personnels 
avec  les  générauv  russes,  à  l'exception  de  Kermor  et  de 
sa  coterie,  mais  n'aurait  pu  surmonter  une  opposition  qui 
était  raisonnée  et  voulue.  Il  obtint  néanmoins  de  Soltikofl' 
un  second  sursis  de  quelques  jours  ;  sur  l'avis  que  le  roi  de 
Prusse  avait  repassé  l'Oder,  l'armée  russe  ([ui  avait  déjà 
franchi  la  frontière  polonaise  le  "20  octobre,  prolongea  son 
séjour  sur  les  confins  de  la  Silésie  jusqu'à  la  fin  du  mois. 
Mais  ce  délai  expiré  (2),  et  à  la  suite  d'une  nouvelle  déci- 
sion en  conseil  de  guerre,  les  Russes  reprirent  le  chemin 
de  leurs  quartiers  d'hiver  habituels,  derrière  la  Vistule,  et 
force  fut  aux  Autrichiens  de  Laudon,  peu  soucieux  de  s'é- 
loigner de  leur  pays,  de  regagner  la  Moravie  par  Czens- 
tochow  et  Cracovie,  après  une  longue  marche  à  travers  la 
Pologne  qui  leur  coûta  beaucoup  de  monde  en  déserteurs, 
traînards  et  malades. 

Frédéric  n'avait  pas  attendu  la  dislocation  des  alliés 
pour  envoyer  au  secours  de  la  Saxe  ;  il  prit  ses  dispositions 
pour  diviser  ses  troupes  en  deux  fractions,  dont  l'une  sous 
les  ordres  de  Hulsen,  forte  de  IV. 000  hommes,  fit  route 
pour  Torgau ,  emmenant  avec  elle  un  parc  de  30  pièces 
et  un  équipage  de  pontons,  dont  l'autre,  provisoirement 
chargée  de  surveiller  le  corps  de  Laudon,  fut  mise  à  la 
disposition  de  Fouqué  pour  la  défense  de  la  Silésie,  Le 
Roi,  très  malade  d'une  attaque  de  goutte,  ne  put  accom- 
pagner ses  soldats  et  dut  remettre  son  départ  au  7  novem- 


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(1)  CeslOndnixse  eines  iistreicliisclirn  Vétérans,  vol.  III,  p.  lo7  et  sui- 
vantes. 

(2)  Monlalembert  au  duc  de  Choiseul.  Kawilz,  30  octobre  1"JU.  Affaires 
Étrangères.  Russie. 


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S06 


LA  r.UERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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bre.  «  .Ift  partirai  d'ici  aprt-s-dpmain,  écrit-il  iï  son  firrc  (1), 
et  j'aime  mieux  me  rendre  estropié  et  boiteux  h  mon 

devoir  que  d'y  mancpier le  me  souviens  de  l»liili[)pe  II 

auquel  ses  généraux  écrivaient  de  ne  point  venir  dans 
l'armée  comme  un  bagage  à  charge,  'nais  pour  y  être 
utile.  Je  mène  au  moins  un  ren^'ort  avec  moi,  pour  que 
personne  n'ait  à  se  plaindre.  » 

Ainsi  s'acheva  cette  campagne  de  1759  où  le  soldat 
russe  se  montra  admirable  de  résistance,  de  ténacité  et 
(\c  bravouve,  et  leur  général  si  inférieur  à  sa  tjVche.  Deux 
victoires  décisives,  des  hécatombes  de  morts  et  de  bles- 
sés, une  supériorité  marquée  acquise  aux  alliés,  abouti- 
rent i\  une  fin  piteuse,  où  nous  voyons  le  vaincu  dicter  la 
loi  au  vainqueur,  et  tenir  en  échec  une  armée  de  GO. 000 
hommes,  avec  des  troupes  do  moitié  moins  fortes,  et  com- 
posées de  ce  qu'il  y  avait  de  pire  dans  les  rangs  prussiens. 
De  ce  lamentable  ef  fond  rement,  sur  qui  faut-il  faire  poser 
la  responsabilité?  Il  est  difficile  de  se  prononcer  H  cet 
égard.  Si  Daun,  à,  plusieurs  reprises,  manqua  de  résolu- 
tion et  d'initiative,  il  est  juste  do  reconnaître  qu'il  ne  fut 
guère  secondé  par  ses  lieutenants;  partagé  entre  le  désir 
de  recouvrer  la  Saxe  et  de  s'emparer  des  places  de  l'Oder,  il 
ne  sut  ni  prendre  parti  en  temps  utile,  ni  déployer,  dans 
ses  rapports  avec  les  Uusses,  la  volonté  et  le  doigté  néces- 
saire spour  les  entraîner  à  une  action  efficace. 

L'ambassadeur  français  reflète  bien  l'opinion  de  la  Cour 
de  Vienne  sur  le  compte  de  Daun  quand  il  plaide  (2)  en 
sa  faveur  les  circonstances  atténuantes  :  «  Ce  malheureux 
bomme  a  été  toute  la  campagne  dans  une  dépendance  ab- 
solue des  Uusses,  n'osant  faire  aucun  mouvement  sans  leur 
consentement  qu'ils  ne  donnaient  jamais,  ayant  sans  cesse 


^1)  Frédt'ric  à  Henri.  Glogau,  5  novembre  1759.  Corrcxpondance  poli- 
tique, XVllI,  p.  G22. 

(2)  Coiiue  de  Clioiscul  au  Duc.  6  octobre  1759.  Affaires  Élrangt'ros.  Au- 
triche. 


i 


IMPOSSIIULITK  1)  L'NK  C<)OI»l^:«ATION  EFFICACE. 


207 


les  mains  liées  par  d(>s  alliés  tiniides,  orgueilleux  de  leurs 
succès,  mal  intentionnés,  exigeants  et  impérieux  parce 
qu'ils  sentent  (pi'on  a  besoin  d'eux  ;  enfin  il  a  été  toute  la 
campagne  comme  un  écolier  qui  n'ose  pas  (juitter  son  pré- 
cepteur. » 

SoltiUoir,  qui  avant  Kunersdoi'f  avait  fait  preuve  d'éner- 
gie, d'«sprit  de  suite  et  de  (pielcjue  capacité  au  poi  it  de 
vue  tactique,  devint  plus  que  médiocre  ai)rés  la  bataille. 
Obéit -il  ;ui  sentiment  très  naturel  do  ménager  ses  soldats 
ellroyaltlement  éprouvés? Céda-t-il  h  l'idée,  très  répaiuliie 
dans  son  état  major,  que  c'était  au  tour  des  .Vutricliiens  de 
porter  les  coups?  Fut-il  influencé  par  des  considérations 
politi(|ues,  à  la  fois  d'ordre  intérieur  et  extérieur?  Il  est 
probable  que  toutes  ces  raisons  furent  pour  quelque  cliose 
dans  sa  conduite.  A  dire  vrai,  'a  coopération  des  deu.x 
armées  était  condamnée  d'avance;  en  essayant  d'imposer 
la  stratégie  imaginée  à  Vienne  ou  à  Pétersbourg,  d'en- 
traver les  généraux  par  des  instructions  trop  vagues  pour 
ne  pas  engager  leur  responsabilité,  trop  précises  pour  ne 
pas  restreindre  leur  liberté,  en  les  forçant  à  des  consul- 
tations qui   n'avaient  d'autre  résultat  que  de  faire  per- 
dre du  temps  et  manquer  l'occasion,  les  cours  impériales 
avaient  oublié  qu'ils  avaient  en  face  d'eux  un  capitaine  de 
premier  ordre,  maître  despotique  de  ses  ressources,  ca- 
pable d'une  décision  énergique  et  pouvant  la  prendre  sur 
'.'heure.  L'infériorité  qui  découlait  d'un  tel  étal  de  choses 
priva  les  alliés  de  prescjue  toutes  leurs  chances  de  succès; 
si  un  moment  la  victoire  favorisa  leur  cause,  ils  le  durent 
à  la  valeur  de  leurs  soldats,  et  à  la  témérité  d'un  prince, 
qui,  malgré  son  génie,  n'était  pas  infaillible. 


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CHAPITRE  V 

MAXEN 

INVASION  DE  LA  SAXE  PAU  LAKMÉE  UKS  CKRCÎ.ES.  —  l'RISE 
DE  DRESDE.  —  SUCCÈS  DK  WUXSCH  ET  DE  FINCK.  —  PRINCE 
HENRI  ET  DAUX  EX  SAXE.  —  RETRAITE  DE  DAUX  SUR 
DRESDE.   —  ARRIVÉE    DU   ROI    DE  PRUSSE.  —    CAPITULATION 

r.  :  MAXEN.   —  DÉFAITE  DE  I)li:RICKE.  INACTION  DE  DAUN. 

—  ARRIVÉE  DU  PRINCE  DE  RRUNSWICK.  —  DRESDE  RESTE 
AUX  AUTRICHIENS.  —  DÉCOURAGEMENT  DE  FRÉDÉRIC,  — 
CAMPAGNE    INUTILE   DES    SUÉDOIS. 


Pendant  la  campagne  de  1759,  les  événements  de  Saxe 
se  mêlent  de  telle  façon  à  ceux  qui  se  passèrent  sur  les 
rives  de  l'Oder,  qu'il  devient  fort  difficile  de  raconter  les 
uns  sans  faire  allusion  aux  autres;  à  maintes  reprises,  en 
effet,  des  fractions  des  grandes  armées  impériale  et  royale 
échangt'^rent  leurs  théâtres  de  lutte  sans  cesser  d'exercer 
sur  l'ensemble  des  opérations  une  action  qui,  pour  être 
plus  éloignée,  n'en  était  pas  moins  très  réelle.  Cependant, 
sous  peine  d'enlever  toute  clarté  à  un  récit  forcément  con- 
fus, il  convenait  de  détacher  l'historique  des  hostilités 
entre  Frédéric  et  les  Austro-Russes,  pour  consacrer  ensuite 
quelques  pages  distinctes  aux  incidents  de  la  Saxe. 

Dans  un  chapitre  précédent,  nous  avons  ramené  dans 
l'Électorat  le  prince  Henri,  à  la  suite  de  son  expédition 
heureuse  contre  l'armée  des  Cercles.  Après  avoir  détaché 
Hulsen  ù  la  tête  d'une  forte  division  pour  renforcer  l'armée 


^v 


PROGRES  DU  DUC  DE  DEIX-PONTS  EN  SAXE. 


2iH) 


d<i  Dohna,  avec  les  26  bataillons  et  15  escadrons  qu'il  avait 
conservés,  il  réintégrait  au  commencement  de  juin  ses  can- 
tonnements de  Zwickau  h  Dresde,  lladick,  avec  le  iiros 
des  Autrichiens  jusqu'alors  aux  ordres  de  Deux-Ponts,  tra- 
versait la  Bohème  pour  rejoindre  le  maréchal  Daun  ;  l'ar- 
mée des  Ceccles  se  réorganisait  autour  de  Korcheim.  Rien 
ne  vint  trouhler  la  quiétude  générale  jusqu'à  la  fin  du 
mois.  Au  cours  de  juillet,  le  prince  Henri  se  rapprocha 
peu  à  peu  de  la  Lusace;  le  ;J()  de  ce  mois,  il  se  vendit  à 
Schmottseifen  pour  assumer  le  commandement  des  troupes 
laissées  à  la  garde  de  la  Silésie,  pondant  que  le  Roi  pre- 
nait la  direction  de  celles  qui  étaient  venues  Je  Saxe  avec 
le  prince,  pour  les  conduire  contre  les  Russes.  Un  peu  plus 
tard,  Finck,  qui  avait  été  envoyé  du  côté  de  T'orgau,  fut 
appelé  a  son  tour  à  la  grande  armée,  et  il  ne  resta  pour 
défend rc  la  Saxe  que  les  garnisons  des  places  fortes  dont 
seule  celle  de  Dresde,  sous  le  général  de  Schmettau,  pré- 
sentait un  ellectif  respectable. 

Le  duc  de  Deux-Ponts,  qui  avait  fait  une  cure  pour  se 
remettre  de  la  chaude  alerte  que  l'incursion  des  Prussiens 
en  Franconie  lui  avait  occasionnée,  était,  à  la  date  du 
IV  juillet,  de  retour  à  son  armée  (1)  qui  s'ébranla  aussitôt. 
Les  premières  étapes  furent  courtes,  car  on  mit  treize 
jours  {\  gagner  Erfurt;  de  là  des  partis  allèrent  lever  des 
contributions  jusque  dans  le  pays  de  Ilalberstadt;  le  -2  août, 
on  était  à  Marienburg,  où  le  général  de  l'tmpire  fut  in- 
formé de  l'état  d'abandon  dans  lequel  se  trouvait  la  Saxe 
depuis  le  départ  du  prince  Henri  et  de  Finck.  Il  activa  en 
conséquence  son  mouvement,  s'empara  sans  résistance  de 
Leipzig,  dont  la  faible  garnison  fat  autorisée  à  se  retirer 
avec  armes  et  bagages,  et  fit  sommer  la  ville  de  Torgau, 
dont  le  commandant,  Wolffersdorf,  après  quelques  jours 


11 


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(l)  iMarainville  à  Delleisle,  Schleisingeii,  14  juillet  175',).  Archives  Guerre, 
vol.  3518. 

CUEKIilî    DE   SKI'T   ANS.   —   T.    III.  li 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


de  défense  énergique,  fut  obligé  de  capituler  aux  mêmes 
conditions;  Wittenberg  se  rendit  également  le  21  août. 
Devenu  ainsi  maitre  du  cours  inférieur  de  l'Elbe  et  d'une 
partie  importante  de  l'Électorat,  Deux-Ponts  se  décida  à 
marcher  sur  Dresde  (1),  où  il  devait  rencontrer  les  renforts 
en  hommes  et  en  canons  que  les  Autrichiens  lui  avaient 
promis.  Il  confia  la  garde  de  ses  conquêtes  au  général 
Saint-André,  que  nous  avons  vu  à  Zorndorf  et  qui  avait 
sous  ses  ordres  10  à  12.000  Impériaux.  En  route,  l'état- 
major  du  duc  visita  (2)  le  château  de  Nischewitz,  pro- 
priété du  ministre  Bruhl,  que  Frédéric  avait  fait  piller 
l'année  précédente;  tout  y  était  dévasté,  tant  à  l'intérieur 
que  dans  le  parc  ;  les  Prussiens  s  étaient  conduits  en  véri- 
tables iconoclastes;  les  statues  avaient  les  bras  et  jambes 
brisés;  les  boiseries  avaient  été  démolies  à  coups  de  hache. 
Sous  les  murs  de  Dresde,  où  on  arriva  le  29,  Deux-Ponts 
trouva  les  détachements  de  Brentano,  Vehla  et  Macguire, 
forts  de  14.000  hommes,  dont  moitié  Croates,  qui  étaient 
au  rendez-vous  depuis  deux  jours;  la  grosse  artillerie  ex- 
pédiée par  eau  de  Prague  était  annoncée  pour  le  1°'  sep- 
tembre. 

Pour  la  protection  de  Dresde,  place  régulièrement  for- 
tifiée quoique  de  second  ordre,  le  gouverneur  Schmettau 
disposait  de  sept  bataillons  composés  d'éléments  peu  sûrs, 
de  600  convalescents  et  d'un  escadron  de  cavalerie;  ses 
bouches  à  feu  étaient  nombreuses,  mais  il  manquait  de  ser- 
vants. Dès  l'approche  des  Impériaux,  les  Prussiens  avaient 
évacué  la  ville  nouvelle  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  et  in- 
cendié un  faubourg  de  la  rive  gauche  où  ils  ne  pouvaient 
se  maintenir.  L'attitude  énergique  de  Schmettau  lor3  de 
l'attaque  par  Daun  après  la  bataille  de  Hochkirch,  faisait 


(1)  MarainvilleàBelIeisle,  Leipzig,  21  août  1759.  Archives  Guerre,  vol.  3521. 

(2)  Murainville   à  Belleisle.  Hiibersbiirg,  25  aoill  175f.  Archiveâ  Guerre, 
vol.  3521. 


CAPITULMFON  DE  DRESDE. 


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prévoir  une  résistance  opiniâtre.  Il  n'en  fut  rien;  depuis 
quelques  jours,  le  gouverneur  avait  en  mai»is  la  dépê- 
che (1),  rédigée  le  surlendemain  de  Kunersdorf,  dans  la- 
quelle le  Roi  le  prévenait  de  l'impossibilité  de  le  secourir 
et  l'autorisait,  en  cas  de  nécessité,  à  rendre  la  ville  sous 
réserve  de  pouvoir  emmener  sa  garnison  et  enlever  «  les 
canons,  approvisionnements,  caisses  et  possessions  autres 
du  Roi.  »  De  son  côté,  Deux-Ponts,  qui  venait  d'appren- 
dre l'apparition  de  la  division  prussienne  de  Wunsch  aux 
environs  de  Torgau  et  la  reprise  de  cette  place  et  de  celle 
de  Wittenberg,  avait  hiUe  de  conclure.  Dans  ces  condi- 
tions, on  se  mit  vite  d'accord  sur  les  termes  de  la  capitu- 
lation, qui  fut  arrêtée  le  4  septembre ,  à  neuf  heures  du 
soir.  En  signant  un  arrangement  (2)  qui  laissait  à  son  sou- 
verain non  seulement  G. 000  hommes  de  troupes,  mais  un 
trésor  de  5.600.000  thalers,  des  effets  nombreux  (^'habil- 
lement, un  équipage  de  pontons  et  une  quantité  considé- 
rable de  vivres,  Schmettau  croyait  s'être  bien  acquitté  de 
son  devoir;  il  fut  détrompé  le  lendemain  par  l'avis  de  l'ap- 
proche de  ^Vdnsch  et  par  une  lettre  de  Frédéric.  «  Vous  ne 
sauriez  me  rendre,  lui  écrivait  le  monarque  (3),  de  service 
plus  important  dans  la  crise  présente,  qu'en  vous  conser- 
vant dans  la  ville  de  Dresde.  Les  choses  changeront  pro- 
bablement un  peu  de  face,  et  vous  devez  vous  attendre  à 
recevoir  en  peu  et  peut-être  en  quelques  jours  du  secours 
du  côté  de  Torgau Conservez-nous  Dresde  et  servez- 
vous  à  cette  fin  de  tous  les  moyens,  quels  qu'ils  soient, 
que  vous  pourrez  mettre  en  usage.  » 

D'après  Schmettau  (V),  dont  le  dire  est  confirmé  par  le 

(1)  Frédéric  à  Schmettau.  Reitwoin,  14  août  1750.  Correspondance  poli- 
tique. XVIII,  p.  483. 

(2)  Schiining.  Der  siebenjOliriiie  hriij,  vol.  II,  p.  148. 

(3)  Frédéric  à  Schmettau.  Fiirsteriwalde,  25  aoiH  17.":9.  Correspoinlnnce 
politique,  -WIII,  p.  501. 

(4)  Schmettau  à  Frédéric,  Gross-Dobrilz,  '.»  septembre  1759.  Correspon- 
dance poliliq  ne,  XVIII,  p.  529. 


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212 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


témoignage  de  Marainville  (1),  attaché  français  auprès  de 
Deux-Ponts,  la  dépêche  royale  no  lui  aurait  été  remise  que 
le  5  septembre  au  matin.  Quant  à  Wunsch ,  qui  n'avait 
que  5.000  à  6.000  hommes,  il  est  plus  que  douteux  qu'il 
eût  pu  elfectuer  quelque  chose  contre  les  28.000  assié- 
geants; en  fait,  son  intervention  se  borna  à  un  combat 
d'avant-postes  dans  lequel  chacun  des  partis  s'attribua  l'a- 
vantage et  à  la  suite  duquel  le  général  prussien,  avisé  de 
la  capitulation,  se  retira  dans  la  direction  de  Torgau.  A 
l'occasion  de  l'occupation  des  portes  par  les  Autrichiens, 
il  y  eut  du  désordre;  un  officier  prussien,  le  colonel  Holl- 
mann,  pris  de  boisson,  voukit  s'y  opposer  et  insulta  l'of- 
ficier et  les  soldats  de  garde;  il  s'en  suivit  une  bagarre 
dans  laquelle  il  fut  tué.  Lors  du  défilé  de  la  garnison, 
qui  eut  lieu  le  8,  la  désertion  (2)  se  fit  sur  une  grande 
échelle  :  «  2.000  hommes,  la  plupart  Saxons,  avec  des  Au- 
trichiens, Russes,  Suédois,  tous  engagés  forcés  après  avoir 
été  pris,  abandonnèrent  leurs  drapeaux.  »  Enfin,  les  vain- 
queurs furent  accusés  d'avoir  violé  la  convention  en  rete- 
nant une  partie  des  pontons.  Le  9  septembre,  le  corps  de 
Hadick,  fort  de  neuf  régiments  d'infanterie  et  cinq  de  ca- 
valerie, rallia  l'armée  de  Deux-Ponts;  le  môme  jour,  Finck 
et  SOS  10.000  hommes,  que  Frédéric  avait  détachés  de  sou 
camp  de  Waldow  avec  la  double  mission  d'empêcher  la 
jonction  de  Hadick  et  di'  secourir  Schmettau,  entrèrent  à 
Grossenhain.  Informés  de  la  prise  de  Dresde,  ils  continuè- 
rent leur  marche  sur  Torgau,  où  ils  s'unirent  au  détache- 
ment de  Wunsch.  ; 

Ce  brigadier,  qui  ne  disposait  que  d'éléments  disparates, 
bataillons  francs,  renforts  venus  de  Poméranie,  troupes 
de  forteresse  ramassées  en  route,  avait  fait  merveille.  A 


(1)  Marainville  à  Belleisic.  devant  Dresde,  5   septembre  1739.  Archives 
Guerre,  3522. 

(2)  Rulan  à  Belleisle,  Dresde,  10  septembre  1759.  Archives  Guerre,  3522. 


SUCCES  DE  WUNSCII  CONTRE  LES  IMPERIAUX. 


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peine  de  retour  de  sa  course  sur  Dresde,  il  attaque.  Saint- 
André  qui,  avec  10.000  hommes  des  Cercles,  faisait  mine 
de  reprendre  Torgau;  quoique  bien  inférieur  en  force, 
Wunscli  battit  les  Impériaux,  leur  fit  300  prisonniers  et 
leur  enleva  huit  pièces  de  canons  et  tout  leur  campement. 
A  la  suite  de  cet  échec,  les  régiments  de  Saint-André  qui 
avaient  perdu  leurs  tentes  furent  appelés  à  Dresde,  où  ils 
formèrent  le  fond  de  la  garnison.  Leipzig,  abandonné  à  son 
sort>  retomba  entre  les  mains  des  Prussiens  ;  puis  Finck  et 
Wansch,  qui  avaient  réuni  leurs  troupes,  s'avancèrent  par 
Dobeln  dans  la  direction  de  Dresde  ;  ils  trouvèrent  sur  leur 
chemin  Hadick  qui,  appuyé  par  une  partie  des  Impériaux 
de  Deux-Ponts  était  allé  à  leur  rencontre.  Les  Prussiens 
rétrogradèrent  sur  Meissen  où  ils  occupèrent  une  forte 
position,  la  gauche  à  l'Elbe,  le  front  couvert  par  la  vallée 
encaissée  de  la  Triebsche  ;  Hadick  les  y  suivit  et  essaya  de 
les  tourner.  Le  21  septembre  eut  lieu  un  combat  chaleu- 
reusement disputé  où  chacun  revendiqua  la  victoire  et  à 
l'issue  duquel  les  deux  adversaires  réintégrèrent  leurs 
cantonnements  antérieurs.  ■ 

Dans  les  derniers  jours  du  mois,  deux  nouveaux  géné- 
raux parurent  sur  la  scène  en  les  personnes  du  maréchal 
Daun  et  du  prince  Henri.  Ce  dernier,  on  se  le  rappelle, 
dans  l'espoir  de  venir  en  aide  au  Roi,  avait  marché  de 
Schmottseifen,  qui  était  depuis  longtemps  ^e  quartier  gé- 
néral, sur  Sagan,  où  il  était  parvenu  le  28  août.  Là,  il  se 
rendit  compte  de  l'impossibilité  de  percer  la  barrière  que 
lui  opposaient  les  armées  ru«se  et  autrichienne,  et  résolut 
de  faire  sur  les  frontières  de  Bohême  une  diversion  dont 
il  se  promettait  un  bon  résultat.  En  conséquence,  il  se  mit 
en  route  le  5  septembre,  remonta  la  rive  droite  du  Bober 
jusqu'à  Bunzlau,  et  le  lendemain  à  Kunzendorf.  De  là,  il 
envoya  Zicten  et  Stutterheim  détruire  les  magasins  autri- 
chiens à  Friedland  et  Zittau;  la  première  expédition  eut  un 
plein  succès,  la  seconde  échoua  devant  la  résistance  éncr- 


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21i 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAP.  V. 


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gique  de  la  petite  garnison  impériale.  Le  général  autri- 
chien De  Ville,  charge  de  protéger  le  ravitaillement  de 
l'armée  de  Du  un,  s'était  porté  à  Gorlitz  où  il  avait  trouvé 
la  division  Beck  que  le  maréchal  lui  avait  expédiée.  Quoi- 
que depuis  ce  renfort  il  eût  sous  ses  ordres  une  vingtaine 
de  mille  hommes,  il  se  laissa  intimider  par  l'arrivée  du 
pririce  Henri  et  par  une  démonstration  de  ce  dernier  dans 
la  direction  de  Bautzen;  dans  la  nuit  du  U)  au  11  sep- 
tcmhre  (1),  il  évacua  Gcirlitz,  gagna  Bautzen  par  une 
marche  forcée  et  avisa  Daun  du  parti  qu'il  venait  de 
prendre.        '  '  '  "    '  :  :.       •    s 

De  Ville,  en  abandonnant  Giirlilz,  livrait  à  la  merci  de 
l'ennemi  la  ligne  d'approvisionnement  des  Autrichiens  et 
lui  ouvrait  l'accès  de  la  Bohème;  aussi  son  recul  eut-il 
une  influence  considérable  sur  la  suite  de  la  campagne. 
Daun,  qui  reçut  la  nouvelle  à  Spremberg  au  début  de  son 
mouvement  contre  le  Roi,  dut  renoncer  à  toute  idée  d'of- 
fensive et  se  rendit  rapidement  à  Bautzen  où  il  fit  sa  jonc- 
tion le  13  septembre  avec  le  corps  de  Ville.  La  manœu- 
vre du  prince  Henri  avait  atteint  le  but  proposé  :  la  grande 
armée  autrichienne,  définitivement  séparée  de  celle  des 
Busses,  ne  pourrait  plus  contribuer  à  un  effort  commun 
contre  Frédéric,  et  celui-ci,  débarrassé  de  toute  crainte 
d'être  pris  entre  deux  feux,  avait  désormais  les  mains 
libres  pour  lutter  contre  les  Austro-Russes  de  Soltikofl'.  A 
partir  de  ce  moment,  les  opérations,  jusqu'alors  confon- 
dues, se  poursuivront  sur  deux  terrains  distincts  :  celui  de 
la  Saxe  et  celui  de  la  Silésie. 

Avec  quelque  raison,  Daun  sut  mauvais  gré  à  son  lieu- 
tenant de  la  faute  commise,  et  De  Ville  n'échappa  à  une 
disgrAce  officielle  qu'en  quittant  l'armée  sous  prétexte 
de  maladie.  C'est  à  propos  de  cet  incident  que  Montazet 


(1)  Montrozard  à  Belleisle,  Bautzen,  Il  septembre  175'.t.  Archives  de  la 
Guerre,  35:!2. 


a    Hl 


DAL'N  SE  SEPARE  DKS  RUSSES. 


215 


passe  (1)  une  revue  peu  flatteujc  des  principaux  personna- 
ges investis  de  commandements  supérieurs  sous  le  ma- 
réclial  :  «  Ce  qu'il  y  a  de  pis,  entre  nous,  est  qu'il  n'a  pas 
un  officier  général  sur  qui  il  puisse  compter.  MM.  d'IIarscli 
et  De  Ville  sont  ceux  qui  ont  été  jusqu'icy  les  plus  accré- 
dités et  les  plus  employés  :  jetez  les  yeux  sur  ce  qu'ils  ont 
fait  dans  le  cours  de  cette  campagne.  Cela  ne  fait-il  pas 
pitié  et  trembler?  Malgré  cela,  M.  le  maréchal  me  disait 
encore  hier,  quoique  furieux,  qu'il  n'en  avait  aucun  en  qui 
il  eût  plus  de  confiance;  jugez  du  reste.  N'y  a-t-il  pas  de 
quoy  frémir?  C'est  ce  qui  me  fait  regarder  les  entreprises 
d'une  certaine  espèce  avec  autant  d'etfroy.  M.  le  maréchal 
n'a  donc  icy  que  deux  officiers  généraux  de  distinction;  il 
me  l'a  dit  cent  fois  luy-même;  l'un  est  M.  de  Lacy,  l'autre 
est  M.  de  F^audhon;  le  premier  est  son  maréchal  des  logis, 
et  le  dernier  est  avec  les  Russes.  Par  conséquent  ny  l'un 
ny  l'autre  ne  peuvent  commander  de  corps.  » 

Du  13  au  23  septembre,  Daun  séjourna  à  Bautzen;  il  y 
reçut  la  visite  de  Rumjanzew,  sur  la  demande  duquel  il 
affecta  aux  Russes  un  renfort  de  10.000  hommes,  et  celle 
du  duc  de  Deux-Ponts,  qui  vint  de  Dresde  (2)  presque  seul 
dans  la  nuit  du  l'i-  au  15,  se  concerter  sur  les  opérations 
de  Saxe  et  apporter  l'avis,  d'ailleurs  inexact,  de  la  marche 
d'un  gros  détachement  que  le  prince  Ferdinand  de  Bruns- 
wick aurait  envoyé  sur  l'Elbe  à  l'aide  des  Prussiens,  Ce  se- 
cours, le  Roi,  il  est  vrai,  l'avait  sollicité  à  plusieurs  reprises 
et  notamment  avec  instance  après  le  désastre  de  Kuncrs- 
dorf ,  mais  le  commandant  de  l'armée  hanovrienne  avait 
toujours  su  trouver  d'excellentes  raisons  pour  ne  pas  faire 
droit  à  la  requête. 

Le  prince  Henri  avait  profité  de  la  fuite  de  De  Ville 


(1)  Montazel  au  comle  de  Clioiseul,  lUidissen,  13  septembre  175'J.  Archives 
de  la  Guerre,  3522. 

(2)  Rutaii  à  Belleisie,  Wilsdriil,   18   septembre   17.")i).  Arcliives  Guerre, 
3523. 


ippi 


216 


LA  GUERHE  I)E  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


//' 


pour  le  remplacer  h  (liirlitz  où  il  demeura  une  dizaiuc  de 
jours.  Durant  ce  laps  d(>  temps  il  y  eut  entre  son  firre  et 
lui  échange  actif  de  correspondance.  Frédéric  lui  «  re- 
commande (1)  Torgau  qui,  dans  la  situation  présente,  de- 
vient de  la  plus  grande  conséquence  ».  Henri  insiste  pour 
obtenir  (2)  des  instructions  précises  :  «  Vous  me  recom- 
mandez Torgau;  je  vous  supplie  de  me  dire  si  vous  voulez 
que  je  marche  par  Spremherg  sur  le  liane  gauche  de  l'ar- 
mée de  Daun;  en  ce  cas,  je  puis  soutenir  l'Elbe  et  les 

places  de  Saxe mais  ici,  ayant  le  dos  contre  la  Silésie, 

ii  me  sera  impossible  de  couvrir  l'un  et  l'autre;  aussi  je 
vous  prie  en  grAce  de  me  fa  .e  connaître  d'abord  positi- 
vement vos  intentions  là-dessus.  »  Le  prince  ne  croit  pas 
nécessaire  une  tentative  contre  la  capitale  de  l'Klectorat. 
«  Dresde  tombera  d'elle-même  »,  parce  que  l'ennemi  ne 
pourra  s'y  maintenir  s'il  n'est  pas  maître  de  toute  la  Saxe; 
le  point  essentiel  est  de  l'empêcher  d'arriver  à  ce  résultat. 
Le  22  septembre,  il  annonce  son  dessein  (3)  de  se  rendre 
en  Saxe  à  moins  de  contre-ordre  :  «  Si  je  ne  reçois  point 
de  vos  lettres,  je  me  verrai  obligé  de  prendre  mon  parti  ; 
je  marcherai  demain  au  soir  et  je  tâcherai  de  gagner  par 
des  marches  forcées  du  côté  de  Hoyerswerda,  afin  d'être 
en  sûreté  à  l'égard  des  subsistances  et  pour  avoir  la  com- 
munication avec  Finck,  mais  je  ne  puis  plus  vous  être 
responsable  ni  des  montagnes  ni  du  corps  de  Fouqué. 
Je  garantirai  Berlin  et  l'Elbe,  et  si  l'ennemi  marche  en 
Silésie,  je  lui  couperai  les  vivres  de  la  Bohème  et  lui 
marcherai  au  dos;  je  tâcherai  encore  d'aider  Finck  à  re- 
prendre Dresde.  » 


(1)  Fréih'iiic  à  Henri,  Forst,  19  septembre  1759.  Correspondance.  poUli- 
qne,  XVllI,  [>.  55(t. 

(2)  Henri  à  Frédéric,  Hermsdorf,  20  septembre  1759.  Scboning,  vol.  H, 
p.  157. 

(3)  Henri  à  Frédéric,  Hermsdorf,  22  septembre  1739.    Schoiiing,  vol.  H, 
p.  ICO. 


f 


LE  PRLNCE  IIENUI  MAIICHE  SUR  LA  SAXE. 


2r 


A  ce  progi-ammo  Frédéric  donna  son  nssentiment  (1)  :  «  Il 
faut  que  je  vous  dise,  sans  vous  flatlcr,  (|ue  j'ai  trouvé  tout 
son  contenu  admirable,  et  je  suis  parfaitement  d'accord 
là-dessus  avec  vous.  »  Henri  reçut-il  en  temps  utile  l'auto- 
risation de  son  frère,  qui  est  datée  du  23?  Cela  est  dou- 
teux. Toujours  est-il  qu'il  expédia  ses  bafVHges  dans  la  jour- 
née et  qu'il  mit  en  mouvement  ses  troupes  dans  la  soirée 
du  même  23.  Les  étapes  furent  des  plus  pénibles,  l'arrière- 
garde  et  le  «  charriage  »  ne  rejoignirent  que  le  28  sep- 
tembre, 2'i.  heu-es  après  l'arrivée  du  gros  à  Hoyerswerda. 
Averti  de  la  présence  dans  cette  ville  d'un  détachement 
autrichien  qui  ne  se  gardait  pas,  Henri  avait  forcé  de  vi- 
tesse et  pris  ses  dispositions  pour  le  surprendre.  Le  succès 
fut  complet;  les  Impériaux,  attaqués  sur  les  deux  flancs, 
chargés  de  front  par  les  cavaliers  du  colonel  de  Gers- 
dorf.  s'enfuirent  laissant  sur  le  champ  de  bataille  plus  de 
300  des  leurs  et  entre  les  mains  des  Prussiens  leur  général, 
Vehla,  et  environ  1.500  prisonniers.  Ce  fut  par  les  échap- 
pés de  cette  déroute  que  Daun  apprit  positivement  dans 
quels  parages  se  tenait  le  prince  avec  lequel,  depuis  son 
brusque  départ,  il  avait  perdu  le  contact.  En  ell'et,  quand 
le  maréchal,  qui  s'était  avancé  le  23  de  Bautzen  à  Keichen- 
bach,  voulut  reconnaître  le  lendemain  la  position  de  l'ad- 
versaire, il  l'avait  trouvé  déguerpi,  et  en  attendant  les 
informations  de  ses  patrouilles,  avait  occupé  les  canton- 
nements de  Gorlitz  que  les  Prussiens  venaient  d'évacuer. 
Aussitôt  fixé  sur  leur  itinéraire,  il  se  dirigea  fV  marches  for- 
cées sur  Dresde;  le  29,  il  franchit  l'Elbe  et  installa  son 
quartier  général  à  Kesseldorf,  sur  la  rive  gauche  où  il 
était  à  proximité  de  l'armée  des  Cercles.  Il  avait  confié  à 
Beck  la  garde  des  magasins  de  Lusacc  et  de  la  frontière 
de  Bohème,  et  avait  assuré  la  communication  avec  ce 


l  • 


I        i  ;! 


(I)  Frédéric  ;t  Henri,  Sucliow,  23  septembre  1759.  Correspondance  poli- 
litjue,  XVIII,  p.  r>57. 


218 


LA  aUEUUE  I)K  SKPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


général  par  un  tlétachenient  sous  les  ordres  de  l'alfy  h 
IJautzcn. 

Tout  le  mois  d'octobre  s'écoula  eu  manci'uvres  entre 
Daun  et  le  prince  Henri,  où  ce  dernier  eut  le  dessus.  De 
lloyerswerda,  il  avait  gagné  Klstcrwerda  avec  l'intention 
de  [)asser  l'Klbe  et  de  se  joindre  à  KincU,  (jui  était  cani[)é 
entre  Meissen  et  Dresde;  faute  d'un  équipage  de  pouls 
suffisant,  il  dut  faire  le  détour  par  Torgau  et  ellectua  la 
réunion  le  V  octobre  à  Strebla,  sur  la  rive  gaucbe  de  l'Klbe. 
L'année  prussienne,  concentrée  sous  ses  ordres,  comptait 
5;j  bataillons  et  103  escadrons,  avec  un  effeclif  d'environ 
40.000  combattants.  De  son  c(Mé,  !>aun,  stimulé  par  les  dé- 
pêciies  qu'il  recevait  de  Vienne,  s'était  porté  lï  sa  rencon- 
tre; il  disposait  de  64  bataillons  et  75  escadrons,  sam  com- 
prendre les  irréguliers,  soit  d'une  dizaine  de  mille  hommes 
de  plus  que  son  adversaire.  Le  6  octobre,  les  avant-postes 
des  belligérants  n'étaient  séparés  que  par  le  ruisseau  de 
Dellnitz.  «  Le  maréchal  Dauu,  écrit  Henri  (1),  paroit  avoir 
des  vues  sur  la  Saxe  qu'il  n'abandonnera  pas,  je  crois,  à 
moins  que  la  fortune  nous  seconde  singulièrement.  Il  est 
venu  se  camper  hier  à  un  petit  quart  de  mille  de  notre 
armée.  Je  ne  crois  pas  que  son  dessein  soit  de  nous  attaquer  ; 
cependant  je  suis  prêt  à  tout  événement  et  j'ai  tout  lieu 
d'espérer  qu'il  me  seroit  favorable.  J'appréhende  bien  plus 
qu'il  détache  vers  Leipzig  ,  pour  m'obliger  à  diviser  mes 
forces  ce  qui  me  meltroit  dans  d'étranges  embarras.  » 

Ce  fut  précisément  le  parti  que  choisit  l'Autrichien  ;  il 
fit  des  démonstrations  sur  Leipzig  qui  décidèrent  le  prince 
à  envoyer  successivement  Rebentisch  et  Wunsch  vers 
Torgau  et  finalement  à  rétrograder  lui-même  sur  cette 
place  :  «  Je  doute,  mande-t-il  à  son  frère  (2),  à  moins  d'un 


(1)  lleini  à  Finckenslcin,  Slrelfi,  10  octobre  1759.  Berlin,  Geh.  Slaats. 
Arcliiv.,  rep.  92. 

(2)  Henri  à  Frédéric,  Slrela,  10  octobre  1759.  Schoning,  vol.  I[,  p.  17i, 


HF.Nni  ET  DAUN  MAN(i;UVRÊNT  L'UN  CONTRE  LAI  THE.      219 

rvéïicmcnt  impivvu.  <|ne  jo  puisse  mnintonir  la  Saxe.  I/en- 
neiui  est  trop  supérieur,  la  situatiou  du  terrain  enti'c 
Torpiu  et  Leipzit;-  trop  désavantageuse...  (l'est  une  triste 
vérité,  mais  elle  est  exactement  réelle  comme  je  la  repré- 
sente. »  Cette  note  décourai^ée  lui  valut  une  mercuriale  (1) 
du  Hoi  :  «  Je  ne  sais  ce  qui  peut  vous  embarrasser  tout 
d'un  coup,  ayant  la  plus  belle  de  mes  armées...  Si  vous 
ne  voulez  jamais  rien  basardor,  il  est  impossible  de  faire 
quelque  cbosc...  Kemettez-vous  donc  l'esprit,  pour  l'amour 
de  Dieu,  et  soyez  bien  en  garde  que  dans  une  occasion 
comme  celle-ci  la  tête  ne  vous  tourne  pas.  »  Le  17  octo- 
bre, Henri  était  aux  environs  de  ïorgau,  d'où  il  conti- 
nua k  adresser  à  son  frère  et  au  ministre  Finckenstein  des 
dépécbes  pessimistes  :  u  Je  ne  puis  vous  cacber,  écrit-il  à 
ce  dernier  (2),  que  nous  sommes  dans  une  crise  très  vio- 
lente. I^'armée  de  l'Empire  commence  k  manœuvrer  de 
l'autre  côté  de  l'Elbe;  Leip^'ii;  est  exposé  et  le  marécbal 
Daun  occupe  avec  l'armée  un  terrain  trop  favorable  pour 
qu'on  puisse  seulement  songer  à  l'attaquer.  Je  n'ai,  grjVce 
au  ciel,  rien  perdu  jusqu'ici  et  n'ai  essuyé  aucun  écbec. 
Je  me  repose  sur  l'esprit  des  gens  d'honneur  qui  me  ren- 
dront la  justice  que  je  fais  tout  ce  qui  m'est  bumainement 
possible,  pour  parer  aux  événements  fiVcbeux.  »  Nouvelle 
remontrance  de  la  part  de  Frédéric,  qui  lui  annonce  (3) 
la  fin  des  hostilités  en  Silésie  et  l'envoi  en  Saxe  de  Hulsen 
avec  18  bataillons,  30  escadrons,  30  pièces  de  grosse  ar- 
tillerie et  un  équipage  de  43  pontons.  «  Voulez-vous  qu'il 
marche  droit  sur  Dresde  ou  à  Torgau,  ou  qu'il  se  porte  sur 
les  flancs  des  Autrichiens  à  Helgern  pour  les  canonner?.... 


(1)  Frédt'iic   à  Henri,   Sophientlial,  20  octobre    1759.  Correspondance, 
polilùiut',  XVIII,  p.  COI. 

(2)  Henri  ii  Fincivenstein,  Torgati,  2i  octobre  1759.  Berlin,  Gcli.  Staats, 
Arcbiv.,  rep.  92. 

(3)  Frédéric,    à  Henri,  Sophienthal,   24  octobre    1759.   Correspondance 
politique.  XVni,  p.  604. 


mm 


I 


no 


LA  (lUERHK  l)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


Depuis  que  vous  avez  pnssô  i'Elhe,  mon  cIhu*  fr«^i'e,  vous 
u'èti's  plus  le  même;  l'inck  vous  a  rempli  l'esprit  d'idées 
noires...  car  si  vous  voulez  que  je  vous  parle  franchement, 
je  n'approuve  point  ce  trou  de  Torgau  (|ui  ne  vous  c(»n- 
vient  pas;  tout  cela  ne  souffle  ni  froid,  ni  chaud.  » 

Si  le  prince  Henri  n'avait  pas  grande  foi  dans  l'heurense 
issue  du  duel  engagé  ei  tre  lui  et  Daun,  ce  dernier,  à  en  ju- 
ger par  les  lettres  de  Montazet,  n'était  guère  plus  désireux 
de  risquer  une  affaire  déoisive.  <<  J'ai  vu,  écrit  le  Kran- 
vais  (1),  ({ue  l'opinion  de  M.  le  maréchal  n'était  pas  de 
jouer  à  (juittc  ou  double.  »  Kn  attendant  des  instructions 
positives  de  la  cour  de  Vienne,  sans  lesquelles  Daun  n'atta- 
querait pas  son  adversaire,  Montazet  impute  le  décousu  des 
opérations  i\  la  division  du  commandement  :  «  Il  y  a  même 
bien  des  gens  qui  pensent  que  quatre  maréchaux,  em- 
ployés pour  ainsi  dire  k  la  même  besogne,  savoir  :  Mes- 
sieurs de  Daun,  Deux-Ponts,  Marshall  et  Serhelloni,  -ont 
plus  que  suffisants  pour  la  conduire,  et  qu'elle  en  irait 
peut-être  mieux,  si  un  seul  en  était  chargé.  »  C'était  une 
allusion  jI  la  nomination  récente  de  Marshall,  le  défenseur 
d'Olmiitz,  au  poste  de  gouverneur  de  Dresde  et  à  l'action 
indépendante  de  l'armée  des  Cercles.  Sur  ces  entrefaites, 
la  retraite  des  Prussiens  sur  Torgau  encouragea  Daun,  qui 
reprit  les  projets  offensifs  et  reparla  de  livrer  bataille. 

A  Vienne,  on  était  très  mécouif  nt  de  la  conduite  du 
maréchal  qui,  au  cours  de  la  c.ir.ipagne,  n'avait  su  tirer 
aucun  parti  de  la  belle  armée  qui  lui  avait  été  confiée. 
Une  dépêche  (2)  de  l'ambassadeur  Choiseul  nous  dépeint  le 
sentiment  public  :  «  La  cour  de  Vienne  désire  qu'on  s'em- 
pare de  toute  la  Saxe  s'il  est  possible,  soit  en  battant  le 
prince  Henry  soit  en  l'obligeant  de  passer  l'Elbe,  et  elle 

(1)  Monlazel  au  comte  de  Choiseul,  Hoff,  15  octobre  1769.  Arcb.  Guerre, 
3.->2'i. 

(2)  Comte  (le  Choiseul  àMontazel,  Vienne,  24  octobre  1759.  Arcii.  Guerre, 

3524.     ,,     ..  _^,. __  ,^,, ,.- _;,     „.__,...    .y      ,_.._,,.-._,,.  ..,.^-.- 


MÉCONTKMEMKM  A  VIKNNK  C«)MTHK  DAL'X. 


221 


est  livs  déterminée  à  la  conscrvoi-  cet  hiver  et  il  y  employer 
les  forces  nécessaires.  Uiiant  aux  moyens  d'y  réussir,  ce 
n'est  pas  au  cabinet  il  diri^^er  les  o^  érations  militaires;  io 
j;énéral  aurait  raison  de  s'en  plaindre;  cette  méthode  n'a 
jauiais  réussi  et  a  toujours  été  hlAmée.  (hi  dit  à  M.  le  ma- 
réchal de  Daun  :  «  Monsieur,  voilù  cent  mille  hommes 
avec  lesquels  nous  voulons  con([uérir  et  garder  la  Saxe, 
l'ennemi  en  a  35  ou  VO  mille,  vous  êtes  homn^e  de  guerre, 
c'est  à  vous  de  prendre  les  moyens  les  plus  prudeiis  et  les 
plus  silrs  pour  remplir  notre  objet.  »  On  n'a  i)oiut  bldmé 
M.  le  maréchal  de  Daun  de  n'avoir  point  attaqué  le  prince 
Henry  à  Strehla,  parce  qu'on  a  dû  penser  que  le  poste  était 
inexpugnable,  puisque  le  général  et  ses  officiers  généraux 
le  jugeaient  ainsi;  je  ne  sçais  pas  si  le  fait  est  bien  cons- 
tant, mais  enfin  nous  devons  le  croire.  Quoi  qu'il  en  soit, 
on  a  pensé  que  le  poste  jugé  inattaipialde  pouvait  se  tour- 
ner, et  que  vous  ne  sçauriez  disconvenir  même  que  si  l'on 
avait  marché  droit  A  Torgau  au  lieu  de  rester  12  jours 
devant  Strehla,  le  prince  Henry  n'aurait  rien  eu  de  plus 
pressé  que  de  se  retirer.  Nous  croyons  encore  que  si  M.  le 
maréchal  était  arrivé  le  10  ou  le  il  à  Torgau,  conmie 
il  le  pouvait,  s'il  ne  s'était  pas  arrêté  à  Strehla,  il  aurait 
eu  environ  trois  semaines  pour  manœuvrer  et  déposter  le 
prince  Henry,  supposé  qu'il  fiU  dans  un  camp  inattaqua- 
ble, en  poussant  un  gros  détachement  sur  Berlin.  Knlin, 
monsieur,  quand  la  cour  de  Vienne  mande  à  M.  le  maré- 
chal de  Daun  qu'elle  ne  prétend  point  bhlmer  sa  conduite, 
mais  qu'après  lui  avoir  fait  connaître  ses  vues  et  ses  inté- 
rêts politiques,  elle  lui  demande  un  niémoire  justificatif 
qui  contienne  les  raisons  qui  l'ont  empêché  d'agir  et  de 
remplir  ses  intentions,  pour  le  communiquer  à  ses  alliés, 
il  me  semble  que  c'est  parler  français  et  qu'on  ne  saurait 

tenir  un  langage  plus  clair le   ne  vous  cache  pas 

n)ôme,  soit  dit  entre  nous,  qu'on  est  ici  extrêmement  mé- 
content du  tîUonnage  de  M.  le  maréchal,  qu'on  ne  l'ap- 


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LA  GUERRE  DV.  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


prouve  pas  davantage  à  Versailles...  .l'ajouterai  cocorc 
qu'il  nous  est  difficile  de  comprendre  pourquoi  l'armée 
impériale  met  neuf  jours  pour  arriver  à  Torgau  tandis  que 
les  ennemis  s'y  sont  portés  en  une  nuit.  Je  vous  ai  mandé, 
monsieur,  dans  ma  dernière  lettre,  que  j'étais  occupé  de- 
puis trois  mois  à  faire  le  panégyrique  de  M.  le  Maréchal 
dans  toute  l'Europe  ;  c'est  la  pure  vérité.  Je  peux  vous  dire 
que  ce  n'est  pas  une  petite  besogne,  et  je  ne  me  flatte  pas 
d'y  avoir  réussi;  mais  depuis  son  entrée  en  Saxe,  sa  jus- 
tification me  parait  impossible  ;  ce  n'est  pas  que  je  manque 
de  bonne  volonté,  n  ais  je  vous  prie  de  m'en  fournir  les 
moyens,  car  je  ne  les  connais  pas.  » 

Dans  une  autre  dépêche  (1)  de  la  même  époque,  Choiseul 
raconte  l'anecdoto  d'un  bonnet  de  nuit  qu'un  mauvais  plai- 
sant aurait  envoyé  à  la  maréchale  comme  cadeau  destiné 
à  son  mari.  Les  dernières  nouvelles  de  Saxe  n'étaient  pas 
de  nature  à  relever  dans  le  public  le  prestige  de  Daun. 

Arrivé  devant  Torgau  où  il  avait  suivi  le  prince  Henri, 
le  maréchal  avait  détaché  le  duc  d'Arenberg  sur  le  che- 
min de  Wittenberg  avec  juission  d'inquiéter  les  com- 
munications des  Prussiens,  tandis  qu'avec  le  gros  il  avait 
choisi  à  Schilda  une  position  qu'il  se  mit  à  fortifier  avec 
soin.  Le  prince  résolut  de  prolicer  de  l'isolement  du  corps 
d'Arenberg  pour  lui  tomber'  dessus;  à  cet  effet,  il  fit  re- 
monter le  cours  de  l'Elbe  à  Wunsch  jusqu'à  Wittenberg 
où  il  devait  franchir  le  fleuve  et  combiner  avec  Reben- 
tisch  une  attaque  sur  les  derrières  d'xVrenberg,  tandis  que 
Finck  l'aborderait  de  front.  Le  29  octobre,  Wunsch  et  Ke- 
bentisch  marchèrent  ensemble  de  Kemberg  sur  Pretzsch; 
en  route,  ils  se  heurtèrent  à  l'avant-garde  impériale  déjà 
aux  prises  avec  Finck.  Surpris  par  cette  rencontre  inatten- 
due, les  Autrichiens  tirent,  pour  gagner  le  pont  de  Sack- 


(t)  Comle  lie  Choiseul  à  Belleisle,  Vieniic,  .>0  octobre  1759.  Archivai*  Guerre, 
3524. 


ARENBEilG  HATTU  A  SACKNMTZ. 


2'23 


witz,  une  retraite  qui  se  transforma  bientôt  en  sauve- 
qui-peut;  ils  perdirent  près  de  'i-.OOO  liomnnes,  dont  1.400 
prisonniers,  parmi  lesquels  le  général  Gemminuen.  Sans 
le  manque  de  fourrage  (1)  qui  avait  forcé  d'Arenbcrg  à 
changer  de  quartier  avant  le  combat,  il  est  probable  (]ue 
son  corps  tout  entier  eût  été  cerné  et  détruit. 

Sous  l'impression  de  cet  échec,  Daun  leva  son  camp  dans 
la  nuit  du  2  au  3  novembre  et  commença  à  rétrograder  sur 
Dresde;  à  partir  du  7,  il  occupa  une  ligne  entre  l'Elbe  et  la 
Freyberger  Mulde;  l'armée  des  Cercles,  dont  Deux-Ponts 
malade  avait  dû  abandonner  le  commandement,  était  à 
Meissiîn  un  peu  en  arrière  et  à  droite  des  Autrichiens.  A 
Dresde,  la  garnison,  composée  en  grande  partie  de  soldats 
de  l'Empire,  travaillait  sous  la  direction  de  l'ingénieur  fran- 
çais (iribeauval  à  mettre  la  place  en  état  de  défense.  Henri 
vint  s'établir  k  Dorschnitz  derrière  l.ommatch  ;  à  sa  droite 
Finck  cherchait  à  s'emparer  de  Nossen  et  à  obliger,  par  ce 
mouvement  tournant,  Daun  à  continuer  son  recul;  Hulsen, 
avec  les  renforts  de  Silésie,  avait  passé  l'Elbe  à  Merschwitz 
et  venait  de  rallier  l'armée  du  prince.  Frédéric,  qui  avait 
pris  le  dessus  d'un  fort  accès  de  goutte  dont  il  avait  souf- 
fert pendant  la  fin  des  hostilités  en  Silésie,  annonçait  (2) 
de  Spremberg  sa  venue  pour  lo  14  :  «  Ne  trouvez-vous  pas 
que  j'arrive  chez  vous  comme  Pompée?  Lucullus  avait 
presque  réduit  iMithridate,  lorsque  l'autre  arriva  et  lui  ra- 
vit l'honneur  de  cette  expédition  ;  mais  je  suis  plus  juste 
que  cet  orgueilleux  Romain,  et  bien  loin  de  rogner  votre 
réputation,  je  voudrais  pouvoir  accroître  votre  gloire  en  y 
contribuant  moi-même.  «La  suite  des  événements  ne  ré- 
pondit guère  b  ce  vœu. 

De  sa  campagne  de  Saxe,  le  maréchal  Daun  sortait  avec 
une  réputation  singulièrement  amoindrie;  aussi  la  criticpie 


] 


(1)  lletiri  à  Frodéric,  Tor^au,  .TO  octobre  175'.).  Scluining,  vol.  IF,  p.  is;!. 

(2)  Frédôric   i\  lienri,  Spremberg,  10   novembre    175'.),  ('tirrcspundaiirc 
poliliiiuc,  XVIII,  p.  025. 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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V. 

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avait-elle  beau  jeu  :  le  comte  de  Choiseul  (1)  s'en  fait  l'or- 
gane :  «  Je  suis  persuadé  môme  que  les  généraux  russes 
se  justifieront  sur  l'inaction  de  M.  de  Daun,  et  qu'ils  auront 
mandé  h  leur  cour  qu'ils  avaient  jugé  inutile  de  fatiguer 
leur  armée  et  de  l'exposer  aux  rigueurs  de  Tarrière-saison, 
puisqu'il  était  clair  que  ce  général  ne  voulait  rien  faire. 
Il  est  vrai  que  sa  conduite  est  tout  à  fait  inconcevable.  » 
L'ambassadeur  fait  un  résumé  détaillé  des  opérations  de 
la  grande  armée  pendant  le  mois  d'octobre,  et  conclut 
ainsi  :  «  Cette  manœuvre  de  déposter  l'ennemy  en  luy  cou- 
pant les  subsistances  peut  estre  bonne  quand  on  a  du  tems 
devant  soi,  mais  il  n'y  a  guères  apparence  que  le  prince 
Henry  qui  a  eu  ses  derrières  libres  jusqu'ù  présent  et  qui 
attend  son  frère  d'un  moment  à  l'autre,  s'en  aille  faute  de 
vivres;  il  broutterait  l'herijc  et  s'exposerait  aux  plus  gran- 
des extrémités  plutôt  que  d'abandonner  un  poste  si  impor- 
tant dans  ce  moment  cy.  » 

A  l'état-major  de  Daun,  malgré  les  avantages  des  posi- 
tions successives  qu'il  avait  choisies,  on  était  fort  en  peine 
et  on  soupirait  après  les  quartiers  d'hiver  :  «  Aussi  avons - 
nous  grand  besoin,  écrit  iMontazet  (2),  que  la  neige  nous 
sépare,  car  sans  cela  la  tin  de  cette  campagne  ne  sera  pas 
brillante  pour  nous  ;  peut-être  même  serait-elle  orageuse.  » 
En  attendant,  la  marche  rétrograde  des  Autrichiens  se 
poursuivait  ;  ému  de  l'occupation  de  Nossen  par  le  corps  de 
Finck,  le  maréchal  reporta  son  armée  à  Wilsdruf  dans  la 
nuit  du  13  au  IV  novembre.  Cette  retraite  ne  s'accomplit 
pas  sans  quelque  désordre,  surtout  au  corps  de  réserve 
commandé  par  Sincère  ;  sans  l'énergie  du  commandant  en 
chef  qui  paya  de  sa  personne,  on  aurait  perdu  des  canons. 


(1)  Coinle  de  Choiseul  à  Helleisle,  1"^  novembre  1759.  (La  date  inscrite  du 
1"  octobre  est  évidemment  un  lapsus.)  Archives  de  la  Guerre,  3524. 

(2)  Montazet  à  Belleisle.  lleiuilz,  lo  novembre  175'.!.  Anhivei  de  la  Guerre, 
3521. 


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DAUN  SE  UETIHE  SUB  DRESDE. 


225 


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«  Je  ne  vous  cache  pas,  Monseigneur,  mande  Montazet  (1), 
que  je  frémis  de  Vesprit  qui  règne  dans  l'armée;  tout  le 
monde  est  dégoûté  et  ne  désire  que  la  fin  de  la  campagne, 
l'ennemy  nous  marche  sans  cesse  sur  les  talons  et  nous  ne 
luy  disputons  rien,  aussy  entreprend-il  des  choses  fortes 
et  ridicules,  je  ne  sçais  en  vérité  ou  tout  cecy  nous  mè- 
nera. Je  ne  vois  d'ailleurs  aucunes  dispositions  pour  ap- 
provisionner Dresde  qui  manque  de  tout,  et  plus  nous  che- 
minons et  moins  je  vois  de  gens  empressés  à  soutenir  Dresde 
et  la  Saxe...  Il  a  déjà  tombé  beaucoup  de  neige;  il  est  à 
désirer  qu'elle  sépare  les  armées.  Le  roy  de  Prusse  a  joint 
celle  du  prince  Henry  depuis  quelques  jours,  il  est  main- 
tenant plus  nombreux  que  nous,  ce  qui  n'augmente  pas 
notre  audace.  » 

Ce  fut  précisément  au  moment  où  Frédéric  escomptait 
la  reprise  de  Dresde,  où  les  amis  de  Daun  ne  savaient 
comment  défendre  leur  héros,  que  ce  dernier  se  releva 
par  une  action  d'éclat,  par  une  entreprise  aussi  discrète- 
ment préparée  que  brillamment  exécutée.  Le  17  novembre, 
Daun  évacua  le  camp  de  Wi'sdruf  avec  toute  son  armée, 
pour  s'établir  dans  une  très  forte  position  sur  les  hauteurs 
de  Plauen.  Son  front  était  couvert  par  le  ravin  encaissé 
de  VVeissritz;  la  droite,  à  l'extrémité  de  laquelle  était  cam- 
,'.^^  -ri  cavalerie,  se  reliait  aux  faubourgs  de  Dresde  par 
!'  Cf  lline  qui  servait  de  citadelle  naturelle.  A  une  atta- 
qiLv  ;r<îcte  contre  les  Autrichiens,  il  ne  fallait  pas  songer  ; 
aussi  Frédéric,  qui  après  une  entrevue  avec  son  frère  le 
13  novembre  à  Hirchstein,  avait  pris  le  commandement 
des  forces  prussiennes  en  Saxe,  résolut-il  d'accentuer  le 
mouvement  tournant  dont  Finck  était  chargé  depuis  le 
commencement  du  mois  et  qui  jusqu'alors  avait  si  bien 
réussi.  Ordre  fut  en  conséquence  envoyé  (2)  à  ce  général 


(1)  Montazet  à  Bellcisle,  WilsJruf,  15  novembre  17.59.  Archives  Guerre,  3524. 

(2)  Frédéric  à  Finck,  Krogis,  14  novembre   1751».  Correspondance  poli- 
Uque,  XVJII,  p.  034. 

GUEnni:  de  sbpt  ans.  —  t.  m.  15 


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226 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V, 


de  marcher  sur  Dippoldiswalda,  de  faire  occuper  Maxen 
par  un  gros  détachement  et  de  jeter  en  Bohême  une  bri- 
gade volante  pour  ruiner  les  magasins  dont  les  Autrichiens 
tiraient  leurs  approvisionnements.  L'expédition  était  ris- 
quée, car  Maxen  où  il  s'agissait  de  se  poster,  situé  à  peu 
près  à  égale  distance  de  Dippoldiswalda  et  de  rEl])e  en  aval 
de  Pirna,  se  trouvait  derrière  le  nouveau  camp  de  Daun  et 
était  partout  beaucoup  plus  rapproché  des  Autrichiens 
que  des  Prussiens  dont  le  quartier  général  encore  éloigné 
ne  fut  installé  à  Wilsdruf  qu'après  le  départ  de  Daun. 
Finck,  qui  faisait  de]^:uis  longtemps  la  guerre  en  Saxe  et 
qui  connaissait  bien  le  pays,  se  permit  de  présenter  quel- 
ques observations  au  Roi  sui  'a  teneur  de  ses  instructions. 
Frédéric  aurait  sèchement  répliqué  (1)  :  «  Vous  savez  que 
je  ne  peux  pas  souffrir  les  objections  ;  arrangez-vous  pour 
exécuter  mon  ordre.  » 

Ainsi  rabroué,  Finck  n'avait  qu'à  s'incliner;  de  Nossen 
où  il  était  depuis  quelques  jours,  il  gagna  Freyberg  et  Dip- 
poldiswalda où  il  entra  avec  son  a'ant-garde  le  16  novem- 
bre, après  en  avoir  chassé  un  détachement  d'Impériaux  au- 
quel il  enleva  deux  canons.  Le  lendemain,  il  rapporte  (2) 
au  Roi  que  le  brigadier  Wunsch,  avec  six  bataillons  d'in- 
fanterie et  quelques  cavaliers,  a  devancé  les  Autrichiens  de 
Brentano  à  Maxen,  que  lui  Finck  suivra  avec  le  gros;  le 
général  Lindstildt  à  Dippoldiswalda  maintiendra  les  com- 
munications avec  l'armée  royale.  Le  18,  nouvelles  dépê- 
ches (3)  au  Roi  :  il  a  appelé  à  lui  lu  brigade  Lindstadt  et 
fait  occuper  le  village  de  Dohna  par  Wunsch  ;  il  ne  laisse 
que  trois  escadrons  à  Dippoldiswalda  ;  il  vient  d'être  rejoint 


(1)  Guerre  de  Sept  ans  par  l'Ktal-inajor  gérerai  prussien,  Herlin,  1828. 
Défense  de  Finck  au  Conseil  de  guerre,  citée  par  Winter. 

(2)  Finck  à  Frédéric,  Dippoldiswalda,  17  novembre  1759.  Winter,  Capitula- 
tion de  Maxen. 

(3)  Finck  à  Frédéric,  Maxen,  18   novembre   17ô9.  Winter,  Capitulation 
de  Maxen. 


FINCK  ENVOYK  A  MAXEN. 


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par  un  convoi  de  pain  avec  une  escorte  de  deux  bataillons  ; 
les  corps  autrichiens  de  Sincère  et  de  Brentano  le  surveil- 
lent :  <.  ie  crois,  malheureusement,  ajoutc-t-il,  que  je  vais 
avoir  une  affaire  générale  avec  ces  gens.  » 

Jusqu'alors,  les  avis  répétés  (1)  expédiés  à  Finck  par 
Frédéric  considéraient  la  rentrée  des  Autrichiens  en  Bo- 
hême comme  un  événement  presque  certain.  «  Quand  Daun 
apprendra,  écrivait  le  Boi  (2),  qu'un  fort  détachement  des 
nôtres  est  posté  à  Maxen,  il  tombera  nécessairement  en  dé- 
sarroi et  en  confusion.  »  Le  17  (3),  Frédéric  parle  de  Daun 
comme  devant  poursuivre  sa  retraite  vers  la  Bohème  par 
Dresde  et  Peterswalde  et  espère  que  Finck  pourra  s'em- 
parer des  bagages  de  l'ennemi.  La  première  dépêche  du 
18  (4)  est  très  explicite.  Il  a  reçu  le  rapport  de  Finck  de  la 
veille,  daté  de  Dippoldiswalda.  «  Je  vous  réponds  que  vous 
avez  bien  fait  d'y  marcher  avec  tout  votre  corps,  car  ils 
auraient  pu  venir  en  force  et  culbuter  votre  division  déta- 
chée. »  Quoique  le  nom  de  Maxen  ne  figure  pas  dans  cette 
lettre,  on  ne  peut  se  méprendre  sur  le  sens,  en  c,ompa- 
rant  les  expressions  dont  se  sert  l'écrivain  royal  avec  le 
billet  de  Finck  qui  annonce  son  intention  de  se  rendre  à 
Maxen.  D'ailleurs,  sur  le  dos  de  la  dépêche  du  général,  le 
secrétaire  du  cabinet  Eichel  avait  écrit  au  crayon,  proba- 
blement sous  la  dictée  du  souverain  :  ((  Il  devra  aller  k 
MaAcn  avec  tout  son  corps  ».  11  n'y  a  donc  nul  doute  sur 
la  pensée  de  Frédéric  et  sur  l'interprétation  des  ordres 
donnés  à  son  lieutenant.  Cependant,  dans  la  lettre  que 


(1)  La  Correspondance  politique  contient  deux  di-pôches  du  16,  trois  du  17 
et  trois  du  18  novembre.  Les  rapports  de  Finck  (lubliés  par  Wintcr  sont  en 
nombre  égal. 

(2)  Frédéric  à  Finck,  Krogis,  16  novembre  1759.  Correspondance  poli- 
tique, XVIII,  p.  041. 

(;i)  Frédéric  à  Finck,  Limbacii,  17  novembre  1759.  Correspondance  poli- 
tique, XVIII,  p.  6i;i. 

("i)  Fréiéric  à  Finck,  Limbacb,  18  novembre  1759.  Correspondance  poli- 
tique, XVIII,  p.  OiS. 


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228 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  V. 


nous  venons  de  citer,  il  n'est  plus  question  de  la  retraite 
de  Daun,  mais  seulement  de  celle  de  l'armée  des  Cercles; 
d'autre  part,  Finck  est  prévenu  que  la  division  commandée 
par  Sincère  n'est  plus  avec  la  grande  armée  et  que  Bren- 
tano  est  allé  le  17  à  Possendorf  (village  à  moitié  route 
entre  Dresde  et  Dippoldiswalda),  Le  soir  du  18,  un  mot  daté 
de  Wilsdruf  (1),  le  nouveau  quartier  général,  dénote  quel- 
que inquiétude  :  Le  Roi  envoie  un  renseignement  de  Zieten 
sur  les  mouvements  de  Sincère  et  de  Brentano,  s'en  rap- 
porte à  Finck  pour  les  dispositions  à  adopter,  et  ajoute  : 
«  Vous  aurez  une  sortie  soit  avec  les  Cercles,  soit  avec  Sin- 
cère. »  A  partir  de  ce  moment,  les  communications  furent 
coupées,  car  si  dans  la  Correspondance  politique  on  trouve 
encore  un  billet  sans  date,  mais  probablement  du  19,  qui 
contient  une  allusion  aux  craintes  exprimées  la  veille  par 
Finck  relativement  à  une  «  affaire  générale  »,  aucune 
réponse  n'est  faite  à  l'appel  (2)  adressé  ce  même  19  :  «  Si 
contre  mon  attente  ils  m'entourent,  je  suis  sûr  que  Votre 
Majesté  me  dégagera.  »  D'ailleurs,  dans  la  dépêche  du  Roi 
datée  du  20  qui  annonce  le  départ  de  Hulsen  avec  des  se- 
cours, il  est  dit  que  cette  mesure  avait  été  prise  sur  les 
informations  de  déserteurs  et  des  coureurs  prussiens. 

Frédéric  avait  trop  compté  sur  la  démoralisation  d'un 
adversaire  qui  savait  parfois  corriger  sa  lenteur  et  son  in- 
décision habituelles  par  des  entreprises  aussi  hardies  qu'in- 
attendues. Alors  que  dans  l'entourage  royal  on  était  con- 
vaincu que  Daun  ne  songeait  qu'à  la  rentrée  en  Bohême, 
le  maréchal  décidait  d'appuyot'  le  corps  de  Brentano,  déjà 
détaché  contre  Finck,  par  la  réserve  de  Sincère  portée  à 
un  effectif  de  15.000  hommes,  et  de  diriger  lui-même 
l'attaque  combinée  à  laquelle  concourrait  une  division 


(1)  Frédéric  à  Finck,  Wilsdruf,  18  novembre  1759.  Correspondance  2)oli- 
tique,  XVIII,  p.  057. 

(2)  Finck  à  Frédéric,  Miixen,  19  novembre  1759.  Cilé  par  WinJer. 


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PROJETS  DE  DAUN  CONTRE  FINCK. 


229 


de  l'armée  des  Cercles.  «  Je  me  mettrai  en  quatre,  écrit 
Montazet  (1),  pour  donner  sur  les  oreilles  à  M.  Finck,  si 
nous  le  trouvons  à  Dippoldiswalda.  M.  le  maréchal  doit 
y  marcher  de  sa  personne,  M.  de  Lascy  y  sera  aussi  ;  ainsi 
il  faut  espérer  que  la  besogne  ira  bien.  » 

Conformément  à  cette  résolution,  Sincère,  renforcé  de 
trois  régiments  d'infanterie  et  deux  rég.ments  de  cavale- 
rie, s'ébranla  de  Ruppchen  (près  de  Possendorf)  dans  la 
matinée  du  19  novembre,  et  marcha  sur  Dippoldiswalda; 
Daun  rejoignit  ses  troupes  en  chemin.  Quand  les  têtes  des 
colonnes  débouchèrent  sur  les  hauteurs  de  Hefslich,  on 
aperçut  des  détachements  prussiens  sur  la  route  de  Dippol- 
diswalda à  Maxen  ;  on  leur  tira  quelques  coups  de  canon, 
et  comme  il  était  trop  tard  pour  rien  entreprendre  ce  jour- 
là,  le  maréchal  fit  occuper  la  ville  de  Dippoldiswalda  que 
l'ennemi  avait  abandonnée  et  camper  entre  Hefslich  et 
Matta  le  corps  de  Sincère.  A  ce  dernier  il  donna  ordre  de 
se  mettre  en  route  dès  le  matin  sur  Reinhardsgrimma,  et 
les  préparatifs  faits  pour  le  lendemain,  il  retourna  à  son 
quartier  général  de  IMauen  dans  la  banlieue  de  Dresde.  Les 
Prussiens  qu'on  avait  fait  canonner  étaient  l'escorte  d'un 
convoi  de  pain  qui  venait  de  Freyberg  et  dont  l'arrivée  à 
Maxen  fut  assurée  par  les  généraux  Platen  et  Mosel  qui  se 
portèrent  à  sa  rencontre.  Mais  bientôt,  le  nombre  toujours 
grossissant  des  Autrichiens  et  la  présence  du  maréchal, 
qu'on  apprit  par  des  déserteurs,  convainquirent  Finck  qu'il 
devait  s'attendre  à  quelque  chose  de  plus  sérieux  qu'à 
l'attaque  d'un  convoi.  Il  s'efforça  sans  succès,  ainsi  que 
nous  l'avons  vu,  d'instruire  le  Roi  du  danger  qui  le  mena- 
çait et  prit  ses  dispositions  pour  tirer  le  mei'îeur  parti 
des  18  bataillons  et  35  escadrons  dont  se  composait  son 
corps.      :  . 


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(I)  Montazet  an  comte  de  Choiseul.  Sous  Dresde,  18  novembre  1759.  Ar- 
chives de  la  Guerre,  3525. 


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230 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


Entre  le  cours  de  l'Elbe  et  les  premières  assises  de  la 
chaîne  de  hauteurs  qui  se  détachent  des  Erzgebirge  vers 
Nossen,  s'étend  un  plateau  vallonné  dont  le  niveau  s'abaisse 
au  fur  et  à  mesure  qu'on  s'approche  du  fleuve  ;  il  est  coupé 
par  des  ruisseaux  dont  la  direction  est  presque  perpendi- 
culaire à  celle  de  l'Elbe  dans  lequel  ils  se  jettent.  Deux  de 
ces  affluents,  le  Rothe-Muglîtz  et  le  Lockwitz-Bach ,  entou- 
rent de  leurs  lits  encaissés  le  terrain  où  allait  s'engager  la 
lutte.  Ces  petites  rivières,  dans  les  environs  de  Maxen,  ne 
sont  éloignées  l'une  de  l'autre  que  de  trois  à  quatre  kilo- 
mètres; dans  cet  espace  restreint,  se  succèdent  plusieurs 
rangées  de  collines  boisées  séparées  par  des  dépressions  peu 
profondes,  mais  dont  les  pentes  extérieures  deviennent  de 
plus  en  plus  escarpées  avec  la  descente  et  se  terminent  en 
plusieurs  endroits  par  des  falaises  rocheuses.  De  ces  som- 
mets, deux  sont  à  noter  :  celui  qui  surplombe  le  vil- 
lage de  Hausdorf  et  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Hei- 
deberg,  un  autre  un  peu  plus  élevé,  le  Maxernberg  qui 
atteint  une  altitude  de  395  mètres  au-dessus  de  la  mer. 
Pour  gagner,  de  Hefslich  où  était  le  camp  autrichien,  le  vil- 
lage de  Maxen,  il  faut  passer  le  défilé  du  Lockwitz-Bach  à 
Reinhardsgrimma,  traverser  la  forêt  du  même  nom,  sur- 
monter les  crêtes  qui  se  dressent  au-dessus  du  vallon  de 
Hausdorf,  escalader  la  chaîne  de  Maxen,  enfin  dévaler  sur 
cette  bourgade,  bâtie  dans  un  fond  qui  rejoint  le  Muglitz  à 
Muhlbach.  Derrière  Maxen  et  à  l'ouest  de  cette  localité,  on 
rencontre  la  colline  de  Schmorsdorf,  mais  entre  le  village 
de  ce  nom  et  ceux  de  Dohna  et  de  Ploschwitz,  le  pays  est 
plat  jusqu'à  la  gorge  du  Muglitz,  laquelle  constitue  un  obs- 
tacle formidable.  A  l'époque  de  la  bataille,  la  route  venant 
de  Dippoldiswalda  perçait  la  forêt  aux  abords  de  Rein- 
hardsgrimma, desservait  le  village  de  Hausdorf,  gravissait 
le  massif  à  l'ouest,  franchissait  la  ligne  des  hauteurs  devant 
Maxen  par  un  col  situé  au  milieu  de  la  chaîne,  descendait 
au  bourg  et  continuait  au  nord  entre  Wittgensdorf  et  Tro- 


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DESCRIPTION  DES  ENVIRONS  DE  MAXEN. 


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nitz  en  longeant  tics  prés  marécageux  avant  de  pénétrer 
dans  cette  dernière  localité. 

Examinons  les  mesures  que  les  généraux  autrichiens 
avaient  concertées  contre  Finck.  La  première  et  la  plus  im- 
portante attaque  partant  de  la  région  de  Dippoldiswalda, 
devait  suivre  le  chemin  que  nous  venons  de  décrire;  elle 
était  confiée  au  corps  de  Sincère  fort  de  25  bataillons,  27  es- 
cadrons et  d'un  régiment  de  hussards,  soit  environ  19,000 
hommes,  et  dirigée  par  Dauu  en  personne.  Au  nord  et  du 
côté  de  l'Elbe,  Brentano  avec  6  bataillons,  5  compagnies 
de  grenadiers,  12  escadrons  et  quelques  Croates  débouche- 
rait entre  Wittgensdorf  et  Tronitz,  sur  le  flanc  droit  des 
Prussiens,  tandis  que  le  prince  Stolberg,  avec  7.000  hom- 
mes des  Cercles,  les  prendrait  à  dos  du  côté  de  Burkhardts- 
walde  et  Weissenstein  ;  enfin  Palfy  et  Kleefeld  avaient  mis- 
sion de  leur  fermer  la  route  de  Dohna.  En  résumé,  35.000 
Autrichiens  ou  Impériaux,  appuyés  d'une  nombreuse  artil- 
lerie, étaient  :  fFectés  à  un  effort  concentrique  contre  les 
13  à  14.000  combattants  et  les  70  canons  que  Finck  pou- 
vait leur  opposer. 

Voyons  maintenant  les  dispositions  de  ce  général  :  Sur 
les  mamelons  qui  constituent  le  Maxernberg  et  font  vis-à- 
vis  aux  collines  de  Hausdorf,  il  avait  assigné  une  place  à 
5  bataillons  et  au  gros  de  son  artillerie;  son  aile  droite, 
formée  de  19  escadrons  et  de  3  bataillons,  ces  derniers 
postés  sur  les  hauteurs  de  Schmorsdorf,  faisait  face  à  Bren- 
tano ;  un  bataillon  observait  les  débouchés  de  Weissenstein 
et  gardait  les  bagages  assemblés  entre  Maxen  et  Schmors- 
dorf. Platen,  avec  V  bataillons  et  13  escadrons,  était  en 
position  aux  abords  de  Beinhardsgrimma,  et  Wunsch,  avec 
sa  brigade  de  5  bataillons  et  3  escadrons,  devait  tenir  tète 
aux  Impériaux  de  Stolberg  et  aux  Autrichiens  de  Palfy. 

De  grand  matin,  le  20  novembre,  Finck  se  rendit  aux 
environs  de  Beinhardsgrimma  et  fit  une  reconnaissance 
des  Autrichiens;  comme  rien  ne  bougeait  dans  ces  pa- 


MH 


233 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


Cil  A  P.  V. 


',1 


rages,  il  revint  vei-s  Rohrsdorf  pour  surveiller  les  agisse- 
ments de  Hrcntano,  En  route,  il  reçut  de  Platen  dos  avis 
successifs  que  l'ennemi  commençait  à  déboucher,  que  deux 
colonnes  marchaient  sur  Reinhardsgrimma,  qu'un  feu  as- 
sez vif  s'échangeait  entre  ses  tirailleurs  et  ceux  de  Sin- 
cère, enfin  que  des  Pandours  en  nombre  considérable  se 
montraient  près  de  llirschbach  et  faisaient  mine  de  lui 
couper  la  retraite.  Finck  lui  envoya  l'ordre  de  se  retirer 
sur  la  première  crête  de  hauteurs  iï  droite  (1  )  en  descendant 
la  vallée  de  Hausdorf,  et  d'y  rejoindre  le  bataillon  do  Gra- 
bow  qui  y  était  déjà  installé.  Sur  ces  entrefaites,  on  apprit 
par  des  patrouilles  lancées  dans  la  région  de  Klein  Uohrs- 
dorf  que,  de  ce  côté  aussi,  la  division  Lrentano  se  mettait 
en  branle;  mais,  à  en  juger  par  l'attitude  des  cavaliers, 
qui  n'étaient  pas  en  selle,  l'attaque  n'était  pas  imminente, 
Finck  fit  aussitôt  monter  sur  les  collines  de  Maxen  les  cinq 
bataillons  qui  avaient  été  désignés  pour  ce  poste  ;  peu  de 
temps  après  leur  arrivée,  la  ligne  fut  renforcée  par  deux 
bataillons  et  par  la  plupart  des  escadrons  de  Platen  ap- 
pelés pour  barrer  la  route  aux  coureurs  autrichiens  qui, 
de  Hirschbach,  avaient  gagné  les  abords  de  Lungwitz. 
Pour  défendre  les  hauteurs  de  Hausdorf,  il  ne  restait  plus 
que  deux  bataillons  et  les  hussards  du  major  Haugwitz 
qui,  après  avoir  fait  le  coup  de  feu  contre  l'avant- garde 
autrichienne,  s'étaient  réunis  à  leurs  camarades  de  l'in- 
fanterie. De  Ploschwitz,  le  général  Wunsch  mandait  que 
l'armée  des  Cercles  avait  ouvert  la  canonnade  et  que  des 
partis  ennemis  dessinaient  un  mouvement  sur  Dohna,  Les 
Prussiens  allaient  être  assaillis  de  trois  côtés  à  la  fois,  au 
sud-ouest,  au  nord  et  à  l'est. 

Aussitôt  revenu  de  Plauen,  Daun  avait  pris  la  direction 


(1)  Dans  les  cartes  de  l'époque  toutes  ces  hauteurs  |iortent  le  nomd'llaus* 
dorf.  D'après  la  carie  de  l'élat-major,  le  sommet  où  Platen  prit  position 
doit  ôlre  le  lleideberg.  Voir  lu  carte  à  la  fin  du  volume. 


V  ; 


■".\  *, 


FINCK  ATTAQUÉ  DE  TROIS  COTÉS  A  LA  FOIS. 


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du  corps  (le  Sincrre  qn'il  avait  rattrape''  en  marclio.  Pen- 
dant ([uc  le  gros  franchissait  le  ravin  de  Ucinhards- 
grimina,  il  se  porta  avec  l'avant-garde  et  une  partie  de  son 
artillerie  sur  un  dos  d'âne  peu  éloigné  de  la  forôt  de  Rein- 
hardsgrimiua  et  perpendiculaire  à  la  colline  où  étaient 
postés  les  deux  bataillons  et  les  hussards  de  Platcn.  Il  y 
établit,  au  fur  et  à  mesure  de  la  venue  des  pièces,  deux 
batteries  d'obusierset  de  canons  et  fit  ouvrir  un  feu  qui  ne 
tarda  pas  à  avoir  le  dessus,  car  les  boulets  autrichiens  enfi- 
laient les  positions  de  Hausdorf  et  de  Maxen,  tandis  que  la 
nature  du  terrain  ne  permettait  pas  au  tir  prussien  d'avoir 
grande  efficacité.  L'installation  des  batteries  de  Daun 
n'avait  pu  être  accomplie  sans  de  grands  efforts  ;  le  mau- 
vais état  et  l'escarpement  des  chemins,  la  couche  de  ver- 
glas dont  ils  étaient  couverts,  les  chutes  des  chevaux  qui 
n'étaient  pas  ferrés  à  glace,  avaient  fait  douter  de  la  pos- 
sibilité d'amener  les  canons  sur  la  hauteur;  le  rapport  d'un 
officier  énergique,  le  major  Fabri,  avait  décidé  le  maré- 
chal à  en  donner  l'ordre. 

Au  bout  de  quelques  minutes,  le  tir  autrichien  obligea 
Platen  à  abandonner  son  poste  et  à  se  retirer  sur  le 
Maxernberg  où  il  vint  prendre  la  gauche  de  la  ligne.  Daun 
profita  de  cette  retraite  pour  occuper  l'emplacement  cédé 
et  pour  y  planter  une  troisième  batterie  de  26  pièces.  La 
canonnade  continua,  de  plus  en  plus  intense,  et  la  supé- 
riorité des  50  pièces  autrichiennes  sur  les  11  prussiennes 
devint  si  marquée  que  le  maréchal  crut  le  moment  propice 
pour  lancer  ses  colonnes  à  l'attaque  du  Maxernberg.  Cette 
entreprise  fut  favorisée  par  une  panicjue  qui  se  produisit 
dans  les  équipages  que  Finck  avait  réunis  dans  un  fond 
entre  iMaxen  et  Schmorsdorf;  beaucoup  de  projectiles 
dépassant  la  crête  que  visaient  les  artilleurs  de  Daun, 
tombèrent  au  milieu  du  camp  et  y  mirent  un  désordre 
qu'accrut  le  feu  du  canon  de  Brentano  et  que  le  cours 
des  événements  ne  fit  qu'aggraver  encore.  Les  obstacles 


il-lr 


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1 .1 


234 


LA  nURRUE  HE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  V. 


li 


11 


qu'avaient  rencontrés  les  Autrichiens  dans  leur  marche, 
les  difficultrs  (jui  avaient  accompagné  le  transport  de  leur 
artillerie,  ocmsionnèrent  de  tels  retards  qu'il  était  plus 
d'une  heuTii  de  l'après-midi  quand  l'assaut  fut  livré.  En 
tète  étaient  les  urenadiers  de  Sisckowitz,  soutenus  par  les 
brigades  du  marquis  d'Ainse  et  du  général  Dombasle  et 
flanqués  par  la  cavalerie.  A  la  droite  prussienne  l'attaque 
échoua;  les  défenseurs  refoulèrent  l'assaillant  et  le  pour- 
suivirent jusqu'au  pied  de  la  montée  ;  mais  accablés  par 
le  feu  des  batteries  autrichiennes,  ils  durent  reculer  jus- 
qu'au point  de  départ;  à  la  gauche,  au  contraire,  les  gre- 
nadiers de  Sisckowitz  furent  plus  heureux,  ils  percèrent  la 
ligne  de  Finck,  et,  poussant  devant  eux  les  bataillons  de 
(irabow  et  de  Zastrow,  dévalèrent  le  revers  de  la  montagne 
et  entrèrent  dans  le  village  de  Maxen.  Là,  ils  furent  rejoints 
par  un  parti  des  leurs  qui  s'y  était  glissé  en  contournant 
les  hauteurs.  Les  autres  bataillons  de  Platen,  qui  jusqu'a- 
lors avaient  victorieusement  résisté,  pris  à  dos  par  les  nou- 
veaux venus,  attaqués  de  front  par  les  troupes  fraîches 
accourues  pour  appuyer  leurs  camarades  battus,  durent 
abandonner  le  Maxernberg  et  refluer  vers  le  bourg  où  la 
lutte  continua.  Les  Autrichiens  qui  s'étaient  ainsi  avancés 
auraient  probablement  payé  cher  leur  témérité  s'ils  avaient 
été  chargés  par  les  dragons  de  Wurtemberg  que  Finck 
avait  postés  en  seconde  ligne  derrière  son  infanterie  ;  mal- 
heureusement, pour  les  abriter  du  feu  de  l'artillerie,  le 
général  Gersdorf  les  avait  éloignés  sans  prévenir  son  chef; 
aussi  le  moment  opportun  était-il  passé  quand  on  put  les 
faire  donner.  Leur  attaque  tardive  et  mal  conduite  par  suite 
de  la  blessure  mortelle  du  colonel  de  Mûnchow  ne  réussit 
pas  et  se  termina  par  une  retraite  désordonnée. 

Entre  temps,  Finck  avait  appelé  au  secours  de  sa  pre- 
mière ligne,  dont  une  fraction  occupait  encore  le  Maxern- 
i.^erg  tandis  que  le  reste  se  battait  dans  les  ruelles  de  Maxen, 
les  grenadiers  de  Willemey,  les  deux  bataillons  de  Reben- 


1 


LES  AUTRKIIIENS  KMPOUTENT  LES  IIAI  TEURS  DE  MAXE.N.     235 

tisch  et  les  dragons  de  IMaten,  qui  étaient  (  n  réserve,  l/in- 
tervontion  des  grenadiers  fut  des  plus  utiles;  elle  dégagea 
les  bataillons  Finck  et  Henkendorf  (jui  étaient  presque 
cernés,  et  fournit  l'occasion  de  recouvrer  une  partie  du 
village.  Les  fusiliers  de  Uebentisch  n'eurent  pas  la  même 
fortune;  ce  régiment,  composé  dans  une  forte  proportion 
de  prisonniers  russes  et  autrichiens,  participa  à  la  défaite 
des  bataillons  Grabow  et  Zastrow,  qu'il  devait  aider,  fut 
enfoncé  par  la  cavalerie  autrichienne,  se  laissa  prendre 
beaucoup  de  monde  et  finalement  recula,  entraînant  dans 
sa  fuite  les  dragons  de  Platon. 

Sur  ces  entrefaites,  Brentano,  qui  ne  devait  s'engager 
qu'après  l'entrée  dans  la  zone  de  feu  des  colonnes  de  Daun, 
faisait  mine  de  se  joindre  à  l'action,  en  mar<  ant  sur  les 
hauteurs  au  nord  de  .>chmorsdorf  ;  pour  arrêter  ses  pro- 
grès, Finck  ordonna  au  général  de  Bredow  de  se  mettre  à 
la  tète  des  cuirassiers  et  hussards  de  l'aile  droite  et  de  re- 
pousser les  Autrichiens  de  manière  à  donner  de  l'air  sur 
ce  flanc  et  k  permettre  l'envoi  à  Maxen  des  quatre  batail- 
lons jusqu'alors  opposés  à  Brentano.  Soit  faute  des  géné- 
raux, soit  mauvaise  conduite  des  hommes,  cette  manœuvre 
de  cavalerie  eut  le  même  sort  que  la  première;  tout  alla 
bien  d'abord,  puis  les  escadrons  prirent  une  fausse  direc- 
tion, s'empêtrèrent  dans  les  fonds  marécageux  de  Tronitz, 
furent  mis  en  désordre  par  le  canon  de  Brentano,  et  mal- 
gré les  efforts  de  leurs  officiers  pour  les  rallier,  finirent 
par  abandonner  le  champ  de  bataille  où  ils  ne  reparurent 
plus  de  la  journée. 

Pendant  que  ces  événements  se  passaient  au  nord  de 
Maxen,  à  l'ouest  de  la  bourgade  les  Prussiens  avaient  perdu 
beaucoup  de  terrain.  Les  dernières  unités  qui  se  crampon- 
naient encore  à  la  chaîne  du  Maxernberg  avaient  été  for- 
cées de  se  retirer  pour  n'être  pas  coupées.  De  leur  côté,  les 
généraux  autrichiens  avaient  rétabli  l'ordre  dans  leurs  ba- 
taillons où  l'entraînement  de  la  poursuite  avait  apporté  de 


i 


1411 


236 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


/; 


la  confusion,  les  avaient  rangés  sur  la  position  conquise 
et  les  avaient  renforcés  des  troupes  demeurées  jusqu'alors 
sur  les  HausdorfKohe.  Ces  dispositions  achevées,  toute  la 
ligne  se  porta  en  avant  pour  chasser  les  Prussiens  de  Maxeu 
où  ils  tenaient  encore.  Le  combat  reprit  de  plus  belle  dans 
le  village  qui  devint  la  proie  de  l'incendie  ;  cernés  par  le 
vainqueur,  les  bataillons  prussiens  Finck  ,  Benkendorf  et 
Willemey,  dont  nous  avons  raconté  le  retour  olfensif, 
eurent  beaucoup  de  peine  à  se  frayer  un  chemin  à  travers 
les  flammes  et  à  rejoindre  le  reste  de  l'armée.  Il  en  fut  de 
même  des  bataillons  Kleist,  BillerLeck,  Heyden  et  Schon- 
kendorf ,  qui  luttaient  au  nord  de  Maxen;  accablés  par  le 
feu  croisé  des  batteries  de  Daun  et  de  celles  de  Brentano,  qui 
avaient  profité  de  la  fuite  de  la  cavalerie  de  Bredow  pour 
se  rapprocher,  démoralisés  par  les  échecs  successifs  de  la 
journée,  ils  reculèrent  dans  la  direction  de  Schmorsdorf. 
Fmck  lit  un  dernier  effort  pour  éviter  le  désastre  qui  le 
menaçait;  il  essaya  de  rallier  sur  les  collines  de  Schmors- 
dorf les  débris  de  son  armée,  y  mit  en  batterie  tout  ce  qu'il 
put  ramasser  d'artillerie  et  y  attendit  de  pied  ferme  une 
nouvelle  attaque.  Elle  ne  tarda  pas  à  se  produire;  unis- 
sant sa  gauche  à  la  droite  de  Brentano,  le  maréchal  Daun 
exécuta  contre  les  Prussiens  un  mouvement  concentrique. 
Ce  fut  en  vain  que  Linstadt,  avec  ses  trois  bataillons  encore 
intacts,  opposa  aux  Autrichiens  un*»  résistance  acharnée  ; 
il  dut  céder  à  son  tour.  Schmorsdorf  fut  défendu  long- 
temps par  le  bataillon  de  Lehwald,  qui  tint  en  échec  par 
ses  feux  la  cavalerie  autrichienne  ;  mais  la  prise  du  village, 
qui  eut  lieu  vers  la  chute  du  jour,  couronna  la  \ictoire  de 
Daun  et  ne  laissa  d'autre  ressource  à  l'armée  battue  que 
de  se  réfugier  dans  la  plaine  de  Ploschwitz  sous  la  protec- 
tion de  Wunsch.  Ce  général,  qui  avait  eu  affaire  aux  Impé- 
riaux de  Stolberg  et  aux  Autrichiens  de  Palfy  et  de  Klec- 
feld,  avait  maintenu  son  terrain;  l'engagement  de  ce  côté 
avait  été  limité  à  une  canonnade  active  entre  les  Prussiens 


:♦:  V 


DEFAITE  ET  CAPITULATION  DE  FINCK, 


23T 


et  l'armée  des  Cercles  et  à  quelques  escarmouches  aux 
abords  de  Dohna,  à  la  suite  desquelles  les  cavaliers  de 
Palfy  et  les  Croates  de  Klefeld  avaient  franchi  le  Muglitz 
et  avaient  donné  la  main  à  Brentano  pour  poursuivre  les 
fuyards  du  corps  de  Finck, 

Les  commandants  des  deux  armées  mirent  j\  profit  la 
nuit,  Daun  pour  munir  d'artillerie  les  positions  enlevées  et 
pour  préparer  le  renouvellement  de  l'action  dès  la  matinée 
du  lendemain,  Finck  en  cherchant  un  expédient  pour  sortir 
d'une  situation  sans  issue.  Entouré  de  toutes  parts  par  des 
forces  supérieures,  dominé  par  les  bouches  à  feu  dont  l'en- 
nemi avait  garni  les  hauteurs  environnantes,  il  ne  pou- 
vait échapper  à  une  capitulation  qu'en  perçant  le  cercle 
de  ses  adversaires.  Il  y  songea  et  proposa  à  cet  effet  à  ses 
brigadiers,  réunis  en  conseil  de  guerre,  d'essayer  un  coup 
de  désespoir  pour  la  reprise  de  Schmorsdorf  et  de  sa  col- 
line ;  avant  de  s'y  décider,  on  voulut  savoir  sur  quels  effec- 
tifs on  devait  tabler.  Un  appel  fait  dans  les  régiments 
d'infanterie  du  corps  de  Finck  constata  la  présence  sous  les 
armes  de  2.836  fantassins  seulement;  en  y  ajoutant  la  bri- 
gade Wunsch,  ou  avait  7.000  hommes  d'infanterie  et  huit 
canons  à  opposer  aux  masses  autrichiennes.  Avec  de  si 
pauvres  moyens,  avec  des  soldats  sur  la  bonne  moitié  des- 
quels il  ne  fallait  pas  compter,  assaillir  un  ennemi  vic- 
torieux et  beaucoup  plus  nombreux,  c'était  tenter  une 
œuvre  irréalisable  et  sacrifier  inutilement  ce  qui  restait  de 
meilleur  dans  les  rangs;  il  fallut  donc  se  résigner  à  entrer 
en  pourparlers  avec  le  maréchal  Daun.  Cependant,  si  le 
sort  de  l'infanterie  paraissait  scellé,  peut-être  serait-il  pos- 
sible de  dérober  la  cavalerie  à  la  honte  d'une  reddition. 
Soit  sur  l'ordre  de  Finck,  soit  sur  sa  propre  initiative, 
Wunsch  reçut  mission  de  réunir  les  35  escadrons  de  l'armée, 
de  se  glisser,  à  la  faveur  de  Tobscurité,  à  travers  les  avant- 
postes  de  l'armée  des  Cercles  vers  Sirsen  et  do  gagner 
par  un  grand  détour  le  (juartier  général  royal.  Cette  en- 


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238 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


treprise,  dont  la  difficulté  était  fort  ag-gravée  par  les  défilés 
à  franchir  et  par  l'éfat  des  chemins  devenus  impraticables 
à  cause  de  la  glace  et  du  verglas,  était  d'avance  condam- 
née à  l'insuccès. 

Dès  l'aube  du  21  novembre,  les  Autrichiens  tirèrent  quel- 
ques coups  de  canon  sur  les  débris  de  l'armée  prussienne; 
ils  suffirent  pour  détruire  le  peu  d'ordre  qu'on  avait  pu  ré- 
tablir pendant  la  nuit;  les  soldats  quittèrent  les  rangs  pour 
se  réfugier  parmi  les  voitures  du  convoi.  Finck,  bien  con- 
vaincu qu'il  n'y  avait  rien  à  faire,  dépêcha  au  maréchal 
le  général  Rebentisch.  Vers  huit  heures  du  matin,  l'émis- 
saire rentra  accompagné  de  l'Autrichien  Lascy  et  de  quel- 
ques officiers  de  son  état-major;  ils  ne  voulurent  accorder 
aux  troupes  de  Finck  d'autres  conditions  que  celle  de  se 
rendre  prisonnières  de  guerre.  Quant  à  la  cavalerie,  malgré 
son  départ  nocturne,  elle  n'avait  fait  que  peu  de  progrès 
dans  sa  tentative  de  fuite  ;  il  avait  fallu  conduire  les  che- 
vaux à  la  bride,  quelquefois  un  à  un,  pour  leur  faire  tra- 
verser la  glace  qui  recouvrait  les  bas-fonds,  et  les  premiers 
escadrons  de  hussards  avaient  seuls  passé  le  ravin  quand 
Lascy  menaça  de  recommencer  la  canonnade  si  la  cava- 
iei'ic  n'était  pas  comprise  dans  l'arrangement.  Wunsch 
dut  revenir  sur  ses  pas  et  mettre  bas  les  armes  j  son 
absence  au  moment  de  la  signature  et  ses  protestations 
contre  un  acte  dont  il  se  prétendit  la  victime,  le  sauvèrent 
du  conseil  de  guerre  devant  lequel  furent  appelés  la  plu- 
part de  ses  camarades. 

A  la  suite  de  la  capitulation  ou  au  cours  du  combat  de 
Maxen,  les  Autrichiens  s'emparèrent  de  neuf  généraux,  5i9 
officiers,  environ  12.000  sous-officiers  et  soldats,  71  pièces 
de  canons,  4i  caissons,  24  étendards  et  96  drapeaux  (1). 
L'affaire  leur  avait  coûté  un  millier  de  tués  ou  blessés  et 
presque  le  double  aux  Prussiens. 


p:-;;: 


(1)  D'oprès  Tielke,  le  cliiiTrc  des  prisonniers  fut  de  14.'.t22  de  tous  rangs. 


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SUITES  DE  LA  CAPITULATION  DE  MAXEN. 


239 


A  peine  les  troupes  de  Finck  avaient-elles  déposé  les 
armes  qu'on  entendit  le  canon  dans  la  contrée  de  Dippol- 
diswalda.  C'était  le  secours  sur  lequel  avait  compté  l'in- 
fortuné général.  Le  20  novembre,  en  effet,  Frédéric,  in- 
quiet de  voir  interceptée  toute  communication  avec  son 
lieutenant,  envoya  à  la  découverte  le  général  Hulsen  avec 
une  division  de  cinq  bataillons  et  quinze  escadrons.  Parti 
de  grand  matin,  Hulsen  ramassa  en  route  le  détachement 
du  général  Schenkendorf ,  parvint  a\ec  son  avant-garde 
à  Klingenberg  et  poussa  de  là  une  reconnaissance  dans  la 
direction  de  Dippoldiswalda;  on  percevait  très  distincte- 
ment le  bruit  de  la  canonnade  qui  s'éloignait  du  côté  de 
l'Elbe.  Vers  le  soir,  il  fut  rejoint  par  le  colonel  Kleist  qui 
rentrait  de  l'incursion  en  Bohème  où  il  avait  détruit  des 
magasins  et  fait  des  prisonniers,  parmi  lesquels  deux 
généraux  qui  faisaient  une  cure  à  Teplitz.  Le  lendemain, 
Hulsen  qui  avait  réuni,  grAce  à  ces  adjonctions,  une  force 
de  huit  b  neuf  mille  hommes,  se  porta  sur  Dippoldiswalda 
où  il  se  heurta  au  corps  de  Brentano  que  Daun  y  avait 
fait  marcher;  la  rencontre  ne  donna  lieu  qu  i  l'échange 
de  quelques  coups  de  canon,  car  les  Prussiens  ayant  appris 
le  désastre  de  Maxen,  se  rabattirent  sur  Freybcrg. 

Pendant  toute  la  journée  du  21,  des  rapports  inquiétants 
se  cpandirent  au  quartier  général  de  Wilsdruf,  mais  ce 
fut  seulement  vers  le  soir  que  l'étendue  du  malheur  fut 
connue  par  le  récit  de  deux  paysans  venus  de  Maxen.  Ce 
fut  un  coup  de  massue  pour  Frédéric  qui  voyait  dans  cet 
événement  la  mauvaise  fortune  persistante  dont  il  souf- 
frait depuis  le  commencement  de  la  campagne.  S'il  faut 
en  croire  les  notes  inscrites  par  Catt  dans  son  Journal  (1), 
il  aurait  avoué  sa  part  dans  la  défaite  en  écrivant  au 
prince  Henri  :  «  Plût  au  Ciel  que  j'eusse  eu  encore  la  goutte 
cinq  ou  six  bons  jours!  »  3Iais  les  grands  capitaines  n'ai- 


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(1)  Calt,  Journal,  j).  409. 


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24(1 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


ment  guère  à  assumer  la  responsabilité  des  mésaventures 
dues  î\  une  obéissance  trop  scrupuleuse  aux  ordres  qu'ils 
ont  donnés;  Frédéric  ne  fit  pas  exception  à  la  règle.  Sur 
un  billet  de  Hulsen  qui  annonce  la  capitulation,  il  trace 
ou  fait  tracer  sous  sa  dictée  ces  mots  significatifs  :  «  C'est 
un  grand  malheur,  et  presque  sans  précédent,  mais  ce 
n'est  pas  ma  faute.  »  Deux  jours  après,  dans  une  dépê- 
che à  (1)  l'envoyé  Knyphausen,  destinée  sans  doute  à  être 
communiquée  aux  ministres  anglais,  il  parle  d'instructions 
que  Finck  n'aurait  pas  suivies  et  d'après  lesquelles  il 
aurait  dû  rétrograder  sur  Freyberg  en  cas  d'attaque  par  un 
ennemi  supérieur.  Mais  si  la  raison  d'état  explique  et  justifie 
dans  une  certaine  mesure  cette  attitude  vis-à-vis  du  public, 
nous  comprenons  moins  la  persécution  dont  le  général 
vaincu  fut  la  victime  longtemps  après  les  événements. 
Resté  comme  prisonnier  des  Autrichiens  jusqu'à  la  paix, 
Finck  fut  traduit  devant  un  conseil  de  guerre  en  1763  ; 
acquitté  de  l'accusation  de  lâcheté,  il  fut  condamné  pour 
fautes  militaires  à  être  cassé  de  son  grade  et  à  subir  un  an 
do  détention.  Aussitôt  sa  peine  linie ,  Finck  passa  au  ser- 
vice du  Danemark  où  il  mourut  en  1760.  Dans  sa  disgrâce, 
il  garda  les  sympathies  de  la  plupart  de  ses  camarades,  qui 
appréciaient  les  qualités  militaires  quïl  avait  déployées  et 
la  capacité  dont  il  avait  fait  preuve  pendant  les  campa- 
gnes précédentes.  Eichel,  le  confident  du  Roi ,  dans  une 
lettre  (2)  à  Finckenstein  datée  du  lendemain  de  la  catas- 
trophe, ne  craint  pas  de  plaider  en  sa  faveur  les  circons- 
tances atténuantes  :  «  Le  général  Finck  est  malheureux 
et  apparemment  innocent.  Sa  situation  a  été  des  plus  sca- 
breuses ».  Le  prince  Henri,  qui  l'avait  eu  souvent  sous  ses 


(1)  Frédéric  à  Knypliausen.  Wilsdruf,  23  novembre  1759.  Correspondance 
politùiue,  XVIII,  p.  6:,8. 

(2)  Eichel  à  Flncitenslein,  Wilsdruf,  26  novembre  1758.  Correspondance 
politique,  XVIII,  p.  GfiC. 


RESPONSABILITÉ  DE  FHÉUtlUC  DANS  LE  DÉSASTRE  DE  MAXEN.  2il 


ordres,  lui  conserva  son  amitié  (1)  et  le  recommanda  chau- 
dement au  gouvernement  danois. 

Certes,  les  dispositions  prises  par  Finck  pour  la  défense 
de  Ma.ven  sont  sujettes  à  critique,  et  il  faut  le  blâmer  de 
n'avoir  pas  usé  de  la  latitude  que  lui  accordait  le  billet 
royal  du  18  novembre  de  se  retirer  d'un  poste  dont  il  avait 
été  le  premier  à  signaler  les  dangers;  mais  le  caractère  im- 
pératif des  ordres  antérieurs  et  la  crainte  de  compromet- 
tre le  succès  de  l'ensemble,  par  un  mouvement  isolé  de  sa 
propre  initiative,  ne  devaient  pas  l'incliner  à  profiter  d'une 
autorisation  dont  la  rédaction  était  trop  vague  pour  le  dis- 
culper en  cas  d'échec.  D'ailleurs,  cette  autorisation,  il  n'en 
eut  connaissance  que  le  19,  date  à  laquelle  il  était  déjà 
bien  tard  pour  échapper  à  la  manœuvre  enveloppante 
des  Autrichiens.  Il  semblerait,  à  lire  la  correspondance 
échangée,  que  Finck,  tout  en  se  rendant  compte  du  risque 
qu'il  courait  sur  les  derrières  de  l'ennemi,  ait  partagé  les 
illusions  du  Uoi  sur  la  retraite  de  Daun  et  n'ait  cru  à  une 
attaque  du  maréchal  qu'au  moment  où  il  était  impossible 
de  l'éviter.  Au  surplus,  s'il  y  eut  faute  commise,  elle  in- 
combe plutôt  à  l'auteur  de  l'occupation  de  Maxen  qu'au 
lieutenant  chargé  d'exécuter  des  instructions  que,  dans 
l'état-major  prussien,  on  était  accoutumé  à  interpréter  à 
la  lettre. 

Dans  une  dépêche  (2)  où  il  s'attribue  une  large  part  dans 
la  victoire  de  Maxen,  Montazct  se  montre  sévère  pour  les 
vaincus  :  «  C'est  un  événement  (pii  doit  porter  une  atteinte 
mortelle  à  la  gloire  des  armes  de  notre  ennemi  :  1'^  parce 
que  le  plan  du  Roy  était  plus  que  téméraire;  2"  parce  que 
la  position  qu'avaient  choisie  ses  trois  généraux  de  con- 
fiance que  nous  avons  fait  prisonniers,  était  ridiculement 


(1)  Henri   à  Finck,    Rolnsberg,    14  novembre  1764.  Correspondance  du 
prince  Henri,  R.  III,  16,  Archives  de  Berlin. 

(2)  Montazet  ù  Belleisle.  Dresde,  24  novembre  ITaO.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3525. 

..  GUERRE  DE  SEPT  ANS.   —  T.    III.  16 


242 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


prise;  3"  pnrce  que  leurs  dispositions  ne  valaient  rien; 
k°  parce  qu'ils  se  sont  fort  mal  et  fort  mollement  battus; 
5"  parce  qu'ils  ont  fini  par  uiottie  bas  les  armes  et  faire 
une  action  indigne;  car  ils  étaient  encore  extrêmement 
nombreux,  et  s'ils  avaient  voulu,  ils  nous  auraient  donné 
du  fil  à  retordre.  Mais  nous  les  avons  attaqués  si  vivement 
et  suivis  si  rapidement  que  réellement  nous  leur  avons 
toui'né  la  tête;  nous  sommes  restés  d'ailleurs  pendant  la 
nuit  à  500  pas  les  uns  des  autres,  et  le  canon  a  recom- 
mencé à  tirer  avant  le  jour,  de  façon  qu'ils  n'ont  pas  eu  le 
temps  de  rasseoir  leur  t-^to.  » 

A  la  capitulation  de  Maxen  succéda,  à  quelques  jours  de 
distance,  un  autre  échec,  moins  retentissant  il  est  vrai, 
infligé  à  la  division  du  général  Diericke  qui  avait  été  îais- 
sée  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  dans  les  environs  de  Meis- 
sen.  Daun,  enhardi  par  sa  victoire,  résolut  de  profiter  de 
la  situation  fort  en  l'air  où  se  trouvait  le  détachement 
prussien  et  chargea  Beck,  qui  était  disponible  en  Lu- 
sace,  de  le  surprendre  et  d'essayer  de  l'enlever.  L'entre- 
prise ne  réussit  que  partiellement;  quelque  hésitation  de 
la  part  des  Autrichiens  permit  à  la  majorité  des  troupes  de 
Diericke  de  passer  le  fleuve  en  bateaux  et  d'échapper  à  la 
captivité;  mais  le  général  lui-même,  1.500  hommes  com- 
posant le  fond  de  trois  bataillons  et  huit  pièces  de  canon 
tombèrent  entre  les  mains  du  vainqueur.  Cette  affaire,  qui 
eut  lieu  le  3  décembre,  fut  la  dernière  de  la  saison;  à  par- 
tir de  cette  date,  la  campagne  se  transforma  en  une  lutte 
de  ténacité  entre  les  deux  généraux  en  chef,  bien  résolus 
l'un  et  l'autre  à  ne  pas  abandonner  la  partie  le  premier. 
Frédéric,  qui  au  cours  de  ses  embarras  n'avait  cessé  de  de- 
mander au  prince  Ferdinand  de  l'assistance  ou  une  diver- 
sion en  sa  faveur,  lui  adressa  un  suprême  (1)  appel  : 


(1)  Frédoiic  à  Ferdinand.  Wilsdruf, 
polUique,  XVI II,  p.  f)"6. 


décembre  1769.  Correspondance 


PRINCE  DE  UKUNSWICK  ENVOYÉ  AU  SECOUHS  DU  ROI.   2i3 


1 


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M  Vous  pénétrez  très  bien  à  quel  point  pareils  revers  doi- 
vent me  déranger,  sans  qu'il  y  ait  de  ma  faute.  Si  vous 
ôtes  à  même  de  m'aider,  c'est  à  présent  le  moment  de  le 
faire.  Cinq  ou  six  mille  hommes  de  votre  armée  que  vous 
feriez  marcher  en  Saxe  dans  le  Voigtland  me  seront  d'un 
grand  secours,  uniquement  pour  me  débarrasser  ici.  »  Fer- 
dinand se  conforma,  comme  nous  l'avons  vu,  au  désir  du 
Roi  en  lui  envoyant  12.000  hommes  sous  les  ordres  de  son 
meilleur  lieutenant,  le  prince  héréditaire  de  Brunswick. 
Ce  corps,  qui  venait  de  battre  les  Wurtembourgcois  à 
Fulde,  se  mit  en  route  le  9  décembre,  passa  par  Erfurt, 
Cera  et  Ghemnitz  et  parvint  à  Freyberg  le  28  du  même 
mois. 

Quoiqu'il  s'écoulât  plus  do  cinq  semaines  entre  la  défaite 
de  Finck  et  l'entrée  en  scène  du  corps  hanovrien,  Daun  ne 
sut  pas  profiter  de  la  supériorité  morale  et  numérique  que 
lui  avaient  valu  les  combats  de  Maxen  et  de  Meissen.  Beck, 
dont  une  pointe  vers  Torgau  avait  à  bon  droit  inquiété  (1) 
le  Roi,  se  contenta  de  longer  l'Elbe,  d'y  couler  des  barques 
et  de  détruire  des  magasins.  Le  maréchal  manifesta,  il  est 
vrai,  à  plusieurs  reprises  son  dessein  de  tenter  un  coup  de 
main  sur  Freyberg,  où  Frédéric  s'obstinait  à  se  maintenir 
malgré  les  dangers  de  cette  position  avancée  ;  mais  ces  vel- 
léités d'oll'ensive  ne  se  transformèrent  pas  en  mesures  ef- 
fectives; quant  au  camp  de  Kesseldorf  où  était  le  gros  de 
l'armée  royale,  une  attaque  eût  entraîné  trop  de  risques. 
iMontazet  ne  peut  contenir  son  impatience  :  «  Malheureu- 
sement, écrit-il  (2)  à  notre  ambassadeur,  il  y  a  dans  notre 
machine  une  lenteur  qui  fait  le  salut  de  l'ennemi  et  qui 
autorise  en  quelque  sorte  les  idées  gigantesques  du  Roi  »  ; 
il  supplie  le  comte  de  Choiseul  d'obtenir  de  la  cour  de 


(1)  Frodéricà  Finckcnstein.  Freyberg,  12  décembre  1759.  Correspondance 
politique,  XVIII,  p.  693. 

(2)  Montazel  au  comte  de  Choiseul,  Dresde,  7  décembre  175'J.  Archives  de 
la  Guerre,  vol.  3526. 


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344 


LA  GUEIIKE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


Vienne  l'ordre  de  livrer  l)alaillc  à  l'armce  prussienne  et 
l'envoi  de  Laudon  en  Lusace  avec  les  :roupes  qu'il  rame- 
nait de  Pologne. 

Kntre  temps  les  soldats,  tenus  continuellement  en  ha- 
leine, souillaient  cruellement  des  intempéries  de  la  sai- 
son :  «  La  terre  est  couverte  de  neige  ;  mandait  Montazct  (1), 
les  chemins  sont  diaboliques;  presque  toutes  les  tentes  de 
l'armée  sont  pourries  et  ne  peuvent  plus  servir....  ;  les  che- 
vaux de  l'artillerie  sont  sur  les  dents;  tous  les  environs  de 
Dresde  sont  mangés  de  façon  qu'il  n'y  reste  pas  une  paille.  » 
Quinze  jours  plus  tard,  même  langage  (2)  :  Le  froid  est 
excessif;  les  deux  armées  sont  cantonnées,  le  gros  des  Prus- 
siens à  Wilsdruf  et  Kesseldorf  avec  un  fort  détachement  A 
Freyberg,  les  Autrichiens  dans  les  faubourgs  de  Dresde 
avec  une  division  à  Dippoldiswalda  ;  quant  à  l'armée  des 
Cercles,  elle  s'était  refusée  à  continuer  les  hostilités  et  était 
en  pleine  marche  pour  prendre  ses  quartiers  d'hiver.  Daun 
n'avait  d'autre  ambition  que  de  conserver  la  possession  de 
Dresde  et  de  son  territoire  ;  peut-être  espérait-il  une  de  ces 
attaques  téméraires  dont  son  adversaire  était  coutumier  et 
partageait-il  l'opinion  de  Montazet  qui  écrivait  (3)  vers 
cette  époque  à  l'ambassadeur  Choiseul  :  «  Le  roi  de  Prusse 
est  un  homme  fait  pour  se  détruire  lui-même....  c'est  une 
tête  bouillante,  pleine  de  moyens  violents,  qui  d'ailleurs 
n'écoute  personne,  par  mépris  souverain  qu'il  a  pour  tous 
ceux  qui  ont  le  bonheur  de  l'approcher.  C'est  ce  môme 
sentiment  dont  il  nous  honore  qui  lui  a  fait  et  lui  fera  tou- 
jours entreprendre  des  choses  au-dessus  de  ses  forces  et  par 
où  naturellement  il  doit  écrouler.  »  Il  est  curieux  de  voir 


(1)  Montazet  au  comte  de  Choiseul.  Dresde,  2  décembre  l'ôS).  Arciiives  de 
la  Guerre,  vol.  3526. 

(2)  Montazet  à  Belleisle,  Dresde,  l."i  décembre  1T59.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3526. 

(3)  Montazet  au  comte  de  Choiseul.  Dresde,  4  décembre  1759.  Archives  de 
la  Guerre,  vol.  3526. 


INACTION  ET  SOUFFRANCES  DES  DEUX  ARMKKS. 


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le  prince  Henri,  sous  riuthience  de  la  maladie  et  du  pro- 
fond abattement,  émettre  sur  le  compte  de  son  frère  un  ju- 
gement presque  analogue.  Dans  les  papiers  originaux  de 
Berlin,  se  trouve  une  lettre  de  Frédéric  du  li  décembre 
sur  le  dos  de  laquelle  le  prince  avait  tracé  (1)  ces  mots  : 
«  Je  ne  me  fie  nullement  à  ces  nouvelles,  elles  sont  toujours 
contradictoires  et  incertaines  comme  son  caractère.  H  nous 
a  Jetés  dans  cette  cruelle  guerre;  la  valeur  des  généraux 
et  des  soldats  peut  seule  nous  en  tirer.  C'est  depuis  le 
Jour  où  il  a  joint  mon  armée  qu'il  y  a  mis  le  désordre  et 
le  malheur;  toutes  mes  peines  dans  cette  campagne  et  la 
fortune  qui  m'a  secondé,  tout  est  perdu  par  Frédéric,  » 

Si  Diiun  était  bien  résolu  à  rester  sur  la  défensive,  son 
adversaire  atait  obligé  de  s'avouer  à  lui-même  que  la  re- 
prise de  Dresde  devenait  de  plus  en  plus  improbable.  Sans 
doute,  dans  sa  correspondance,  le  Hoi  parle  sans  cesse  de  la 
retraite  plus  ou  moins  volontaire  des  Autrichiens  en  Bo- 
hême, mais  on  sent  à  la  lecture  que  l'espoir,  très  vivace 
d'abord,  s'évanouit  peu  à  peu  avec  le  cours  des  événe- 
ments. A  Ferdinand  qui,  inquiet  du  retour  oil'ensif  do  Br<i- 
glie,  redemandait  Ja  division  du  prince  héréditaire,  il 
écrit  (2)  :  «  Je  n'entreprendrai  rien  qui  ne  soit  praticable, 
ni  ne  commettrai  rien  à  trop  de  hasard,  mais  je  me  flatte 
de  manœuvrer  en  sorte  de  serrer  l'ennemi  et  de  le  fatiguer 
tant,  qu'il  résoudra  enfin  de  quitter  la  partie...  Si  je  vois 
que  je  ne  saurais  réussir  par  mon  plan,  je  vous  renverrai 
vos  troupes,  sans  les  plus  arrêter.  "  C'est  ce  qui  arriva.  A 
la  suite  d'une  reconnaissance  faite  de  concert  avec  le  jeune 
prince  de  Brunswick,  le  Boi  abandonna  l'idée  d'entamer  la 
position  de  Hadick  à  Dippoldiswalda  et  fit  rentrer  ses  régi- 
ments dans  leur  camp  -^ù,  malgré  la  rigueur  de  la  saison , 


(1)  Coripspondanct'  poliligue,  XVIII,  p.  C96, 

(2)  Frédéric  à  Ferdinand,  Freyberg,  2".)  décembre  1750.  Correspondance 
poUlique,  XVHI,  i».  728. 


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LA  GUEIinii  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


ils  étaient  loj^és  sous  la  Icutc.  Quant  aux  Hanovriens,  a[>rès 
un  court  séjour  à  Frcyhcrg-,  ils  roprii-cnt  le  chemin  de  la 
Hesse.  Toutefois  la  diversion  du  prince  héréditaire  ne  fut 
pas  inutile  pour  la  cause  royale  ;  sa  venue  en  Saxe  et  les  des- 
seins af^ressifs  qu'on  lui  prêtait  sur  les  magasins  de  Bohême 
alarmèrent  le  cahinetde  Vienne.  Laudon  fut  rappelé  de  Po- 
logne où  son  corps  d'armée  était  en  route  pour  gagner  la 
Moravie,  et  envoyé  en  Bohême  avec  mission  de  réunir  ce 
qu'il  y  avait  de  disponible  dans  ce  royaume  et  de  repousser 
l'incursion  prévue.  La  garnison  de  Dresde  fut  renforcée  (1) 
de  onze  bataillons  autrichiens  et  de  deux  régiments  saxons 
de  cavalerie  tirés  de  la  Silésie.  Loin  de  songer  à  évacuer  la 
Saxe,  Kaunitz  émettait  l'avis  qu'il  fallait  marcher  contre 
les  Prussiens;  mais  ces  velléités  belliqueuses  durent  céder 
aux  raisons  qui  rendaient  impraticable  la  continuation  des 
hostilités. 

De  guerre  lasse,  les  deux  armées  mirent  fin  aux  grandes 
opérations  et  se  cantonnèrent  de  leur  mieux  dans  leurs 
territoires  respectifs.  Dresde  et  sa  banlieue  furent  acquis 
aux  Autrichiens;  le  reste  de  la  Saxe  demeura  au  pouvoir 
des  Prussiens.  La  prise  et  la  conservation  de  la  capitale  de 
l'Électorat  furent  donc  le  seul  résultat,  non  sans  importance 
il  est  vrai,  de  cette  longue  campagne  où  Frédéric  avait  été 
en  deux  occasions  différentes  si  près  de  sa  perte ,  et  de  la- 
quelle il  sortit  amoindri  A  ses  propres  yeux  tout  autant 
qu'à  ceux  de  ses  compatriotes  et  de  ses  adversaires.  Sans 
doute,  par  la  hauteur  de  son  courage  moral,  par  son  in- 
domptable énergie,  il  avait  su  en  imposera  l'ennemi  vic- 
torieux, mais  la  sanglante  défaite  de  Kunersdorf,  la  désas- 
treuse capitulation  de  Maxen,  avaient  porté  au  prestige  des 
armes  prussiennes,  à  la  renommée  de  leur  chef,  des  at- 
teintes dont  il  était  impossible  de  nier  la  gravité.  La  dé- 


(1)  Moiitrozard  à  Bellcisle.  Dresde,  6  janvier  1760.  Archives  de  la  Guerre, 
vol.  3550. 


QUARTIEHS  DIIIVER. 


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route  de  Kolin  en  1757  avait  été  suivie  des  brillantes  vic- 
toires de  Rosshach  et  de  Leuthcn.  Kn  1758,  malgré  réchec 
devant  Olniûtz,  la  lutte  indécise  de  Zorndorf  et  la  surprise 
de  Ilochkirch,  le  succès  définitif  était  échu  nu  Hoi,  qui 
avait  forcé  ses  ennemis  à  repasser  la  frontière.  En  1759,  il 
n'en  avait  pas  été  de  mémo  ;  non  seulement  les  Prussiens 
avaient  été  battus,  mais  ils  avaient  perdu  du  territoire,  ils 
avaient  abandonné  aux  Autrichiens  une  ville  qui  était  à  la 
fois  le  chef-lieu  et  la  clef  stratégique  de  la  Saxo,  f/avonir 
s'annonçait  bien  sombre  ;  aussi  ne  peut-or.  s'étonner  de  voir 
le  Rf>i  et  son  frère  échanger  des  vœux  pour  la  réussite  dos 
ouvertures  pacifiques  dont  l'Angleterre,  avec  l'assentiment 
de  son  allié,  avait  pris  l'initiative  à  La  Haye. 

Rien  ne  dépeint  mieux  l'état  d'Ame  de  Frédéric  que  le 
billet  qu'il  adressait  (1)  au  prince  Henri  à  l'occasion  du 
jour  de  l'an  :  «  Les  lettres  de  la  France  sont  toutes  favora- 
bles à  la  paix,  mais  il  ne  nous  suffit  pas  qu'elle  se  fasse, 
il  faut  encore  qu'elle  soit  prompte,  ou  c'est  la  moutarde 
après  diner...  ;  mon  cœur  est  navré  de  chagrin,  et  ce  qui 
me  décourage  le  plus,  c'est  que  je  suis  à  bout  de  tous  mes 
moyens  et  que  je  ne  trouve  plus  de  ressource.  Je  ne  de- 
vrais pas  vous  attrister  le  jour  du  nouvel  an,  mais  vous 
dérober  ce  tableau  funeste,  qui  cependant  est  si  présent 
à  tous  les  yeux  qu'on  ne  saurait  se  le  voiler;  enfin,  mon 
cher  frère,  le  passé,  le  présent  et  l'avenir  me  paraissent 
également  affligeants.  »  Les  réponses  du  prince  Henri  sont 
encore  plus  démoralisées  ;  en  voici  un  spécimen  :  «  Je  ne 
saurais  nier  (2)  que  j'envisage  l'état  présent  et  l'avenir  du 
même  œil  tel  que  vous  daignez  me  confiv  r  que  vous  le 
faites;  si  la  paix  ne  se  conclut  vers  le  printemps,  je  crois 
comme  vous,  mon  très  cher  frère,  que  la  catastrophe  sera, 
du  moins  à  en  juger  suivant  les  probabilités  humaines,  iné- 


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(1)  Frédéric  à  Henri,  l"  janvier  1760.  Sclioning,  II,  p.  218. 

(2)  Henri  à  Frédéric.  Unkersdorf,  11  janvier  1760.  Scluining,  II,  p.  221. 


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3i8 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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vitahle.  Mais  pour  parler  avec  confiance...  il  me  parait  cjue 
de  pr«;voir  ce  nialliour  est  une  raison  sul'lisante  pour  faire 
tout  au  monde  pour  obtenir  cette  paix  à  temps.  Il  n'y  a 
point  de  malliour,  point  de  honte,  ni  de  misère...  plus 
grande  que  celle  de  la  perte  de  l'État  entier...  Vous  avez 
soutenu  la  guerre  quatre  années;  (juelle  que  soit  la  paix 
(pie  vous  fassiez,  elle  ne  sera  jamais  déshonorante,  et  si 
môme  elle  était  désavantageuse,  ce  serait  la  vanité  qui  en 
serait  blessée  mais  non  pas  l'honneur.  Dans  une  situation 
aussi  cruelle,  je  ne  vous  cache  pas  mes  pensées.  »  Cette 
paix,  qu'appelaient  de  leurs  souhaits  tant  de  bons  citoyens 
des  partis  opposés,  devait  être  ajournée  plus  de  trois  ans 
encore.  En  attendant  la  réalisation  de  leurs  espérances, 
les  deux  frères  s'employèrent  de  leur  mieux  à  préparer  et 
soutenir  la  campagne  prochaine. 

Pour  terminer  le  récit  des  opérations  de  1759,  il  nous 
reste  à  dire  quelques  mots  de  celles  des  Suédois,  qui  n'eu- 
rent d'ailleurs  pas  plus  d'eO'et  utile  que  leurs  mana-u- 
vres  des  années  précédentes.  Leur  entrée  en  ligne  fut 
particulièrement  tardive;  dans  les  derniers  jours  de  juil- 
let, la  mobilisation  n'était  pas  achever  (1)  et  les  troupes 
destinées  à  la  promenade  annuelle,  qui  ne  dépassaient  pas 
12.000  k  15.000  hommes,  étaient  encore  sous  les  murs  de 
Stralsund.  Quelle  serait  la  destination  de  ce  petit  corps 
d'armée?  Montalembert  qui,  de  représentant  de  France  au 
camp  suédois  était  passé  tV  l'armée  russe  avec  les  mêmes 
fonctions,  aurait  voulu  l'atrecter  au  siège  de  Stettin  et 
chercha  il  faire  prévaloir  ses  idées  à  Pétorsbourg,  puis 
auprès  de  Soltikofi'.  Ce  dernier,  qui  avait  peu  de  confiance 
dans  les  Suédois  et  qui  professait  un  dédain  justifié  pour 
leur  organisation  militaire,  repoussa  toute  pensée  de  coopé- 
ration. Peu  satisfait  d'une  indépendance  que  réduisait  sin- 
gulièrement l'obligation  de  se  conformer  aux  instructions 

(1)  Caulincourl  à  Belleisle.  Stralsund,  24  juillet  175'.».  Arcli.  Guerre,  351',i. 


CAMPAr.NE  DES  SUEDOIS. 


249 


(le  Stockholm,  le  général  I.antînghauscn  ne  voulut  rien 
entiepreiidre;  la  présence  de  la  division  prussienne  de 
Kleist,  forte  d'environ  5.000  hommes,  suffit  pour  le  tenir 
en  respect.  Mais  k  la  suite  du  départ  de  ce  général  appelé 
au  secours  du  Itoi  après  la  hataille  de  Kunersdorf,  les  Prus- 
siens ne  conserv«>rent  en  Poméranie  que  cinq  iiataillons  et 
(juelques  troupes  légères  qui  formaient  la  garnison  de 
Stettin  et  des  lies  de  WoUiu  et  d'I'sedom  à  l'endjouchure 
de  roder.  Le  champ  devenu  libre,  Lantinghausen  occupa 
sans  résistance  les  villes  de  Demmin  et  Anklam  et  s'avan<;a 
lentement  dans  la  direction  de  Berlin;  le  7  septembre,  lo 
quartier  général  était  h  Pasewalk  avec  une  avant-garde  à 
Prenzlau,  et  des  détachements  avaient  été  poussés  jusqu'à 
Zehdenick  et  Oranienburg  dans  le  but  de  lever  des  con- 
tributions. A  en  croire  Caulincourt,  qui  avait  remplacé 
Montalembert  à  l'état-major  suédois,  malgré  (1)  la  valeur 
incontestable  du  soldat,  il  était  difficile  d'obtenir  une  offen- 
sive énergique  d'une  armée  commandée  par  des  généraux 
incapables  et  par  des  colonels  trop  Agés.  Le  chef  qui  lui 
était  opposé  était  le  duc  de  Bevern;  fait  prisonnier  dans 
une  reconnaissance  après  sa  défaite  à  Breslau  vers  la  fin 
de  1757,  il  avait  recouvré  sa  liberté  et  quoique  encore  en 
disgr<\ce,  avait  été  nommé  gouverneur  de  la  forteresse  de 
Stettin.  Il  y  déploya  beaucoup  d'activité,  organisa  des  ba- 
taillons avec  les  blessés  convalescents  revenus  des  affaires 
contre  les  Russes,  repoussa  quelques  incursions  de  l'en- 
nemi dans  la  région  de  Stettin  et  créa  une  petite  flottille 
pour  lui  disputer  le  Gross-Haff.  Mais  sur  la  mer,  la  supério- 
rité des  Suédois  était  trop  grande  pour  qu'il  y  eût  chance 
de  succès;  après  un  combat  inégal  qui  eut  lieu  le  10  sep- 
tembre, presque  tous  les  bâtiments  pi'ussiens  furent  pris 
ou  détruits.  Grâce  à  cette  victoire,  le  Suédois  Fersen  s'em- 


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I         (I)  Caulincourt  à  BeîToisle,  Pasewalk,  6  spplembre  1759.  Archives  Guerre, 
3522. 


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250 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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para  de  la  ville  de  Wollin  avec  sa  garnison  et  devint  maî- 
tre des  lies  de  l'embouchure  de  l'Oder.  Le  1"  octobre, 
les  Suédois  étaient  encore  à  Pasewalk  où  ils  reçurent  de 
Vienne  une  proposition  de  coopération  avec  les  Autri- 
chiens en  Saxe;  mais  une  entreprise  qui  eût  nécessité 
la  tra^'  rsée  du  Brandebourg  fut  jugée  (1)  beaucoup  trop 
aventureuse  pour  les  faibles  moyens  dont  on  disposait.  A 
cette  époque,  d'après  les  confidences  de  Lantinghausen, 
les  ctTectifs  ne  dépassaient  guère  10,000  hommes,  l'armée 
manquait  de  fourrages  et  ne  possédait  aucun  service  de 
boulangerie.  Entre  temps,  le  général  Manteuffel,  remis  de 
ses  blessures  de  Paltzig,  vint  prendre  la  direction  des  dé- 
pôts de  recrues  et  de  convalescents  qui  constituaient  le 
fond  des  forces  opposées  aux  Suédois.  Ces  derniers  con- 
servèrent leur  position  à  Pasewalk  jusqu'à  la  fin  d'octo- 
bre sans  autre  incident  que  des  escarmouches  avec  les 
hussards  prussiens.  L'autorité  du  général  en  chef  était  pa- 
ralysée en  attendant  les  décisions  de  la  Diète  qui  allait  se 
réunir  à  Stockholm.  «  Je  crois  voir  de  jour  en  jour  plus 
clairement,  écrit  Caulincourt  (2),  que  l'armée  suédoise  ne 
sera  plus  qu'un  corps  mort  ou  mourant  d'ici  à  la  première 
Diète.  » 

Dans  les  premiers  jours  de  novembre,  la  retraite  com- 
mença, d'abord  ?ur  Anklam,  puis  sur  Greifswald.  Le  18  no- 
vembre, grAce  à  l'arrivée  do  renforts  venus  de  Suède,  l'ar- 
mée, y  compris  les  garnisons,  était  remontée  au  chilfre  de 
17.000  combattants;  malgré  sa  supériorité  sur  les  effectifs 
de  Manteuffel  et  Bevern  qui  lui  tenaient  tète,  elle  demeura 
inactive,  et  vers  la  fin  de  l'année  se  cantonna  derrière  la 
Peene  sur  une  ligne  allant  d'Anklam  à  Triebsees;  elle  y 
fut  rejointe  par  les  détachements  qui  avaient  occupé  les 

(1)  Caulincourt  à  Belleisie,   Pasewalk,  1'    et  0  octobre  1759,  Archives 
Guerre,  3524. 

(2)  Caulincourt  à  Helleislc,  Pasewalk,  26  octobre  175S).  Archives  Guerre, 
3524. 


RETOUri  DES  SUÉDOIS  A  LA  PEENE. 


251 


lies  d'Usedom  et  de  Wollin.  En  résumé,  de  leur  campagne 
les  Suédois  ne  retirèreni  d'autre  avantage  que  d(;  conser- 
ver la  possession  de  tout  leur  territoire  au  lieu  d'être  for- 
cés de  se  réfugier,  comme  les  années  précédentes,  dans  la 
place  de  Stralsund  et  l'Ile  de  Riigen. 


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CHAPITRE  VI 

QUâBEG 


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MISSION    DE    BOUGAIXVILLE     EN     IRAXCE.     —     EXPEDITION     DE. 
WOLKE   COXTRK   QUÉBEC.    —    BOMIJAHDKMKNT    DE    LA   VILLE. 

COMBAT     DU    SAUT     DE    MONTMORENCY.    —    DÉFAITE    Di: 

LIGNERIS    ET   PRISE    DE  NIAGARA.   —    REFRAITE    DE    BOURLA- 

MAOUE  A   l'Ile  aux  noix.  —   embarras  de  wolfe.  — 

BATAILLE  DABRAIIAM.  —  ABANDON    DU  CAMP    DE  BEAUPORT. 

—  TENTATIVES    DE    RAVITAILLEMENT.    —   CAPITULATION   DE 
QUÉBEC.    —   LES    ANGLAIS   MaItRES   DV  LAC  CIIAMPLAIN. 

Dans  un  chapitre  précédent  nous  avons  relaté  la  déci- 
sion prise  de  charger  Bougaiiiville  et  Doreil  d'une  mis- 
sion en  France  à  l'effet  d'exposer  la  situation  critique  du 
Canada  et  de  solliciter  les  secours  indispensables.  Doreil 
débarqua  en  Espagne  et  ne  parvint  que  tardivement  à 
Versailles.  Bougainville  fut  plus  heureux;  parti  de  Québec 
le  11  novembre,  arrivé  à  bon  port  après  une  traversée 
de  52  jours,  il  alla  directement  à  Paris  e  à  Versailles  où 
il  eut  des  audiences  du  Roi  et  des  entrevues  fréquentes 
avec  les  ministres  de  la  Marine  et  de  la  (iuerre,  et  avec 
la  toute-puissante  favorite.  «  J'ai  eu  plusieurs  fois,  écrit-il 
à  M"""  de  Montcalm  (  1),  occasion  de  peindre  à  M"""  de  Pom- 
padour  la  position,  les  efforts  et  la  bonne  conduite  de 
M.  votre  fils  et  je  crois,  autant  que  dans  ce  pays  on  peut 

(1)  Bougainvilléi\  M""  de  Montcalm.  Paris,  tC  janvier  1759.  Collection  d» 
famille.  .,>.->/ 


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irSÀt'À^^Âàiê^vA^iniù^iùài 


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BOUGAINVILLE  A  VERSAILLES. 


253 


juger  des  apparences,  qu'elle  est  très  bien  disposée  en  sa 
faveur  et  qu'elle  lui  rend  enfin  toute  la  justice  qu'il  mérite.  » 
A  l'appui  de  renseignements  verbaux  dont  ses  relations 
intimes  avec  Xontcalm  augmentaient  le  poids,  il  produisit 
de  nombreux  mémoires  sur  l'état  de  la  colonie,  ses  besoins 
en  troupes,  munitions  et  vivres,  les  mesures  proposées  pour 
sa  protection;  il  soumit  en  outre  des  projets  de  débarque- 
ment sur  les  côtes  de  la  Virginie  et  de  la  Caroline,  enfin 
de  retraite  sur  la  Louisiane  pour  le  cas  de  défaite  sur  les 
bords  du  Saiàit-F^aurent.  Ces  pièces  du  plus  haut  intérêt 
étaient  complétées  par  des  rapports  sur  les  ressources  du 
Canada,  l'organisation  des  milices,  la  possibilité  de  réduire 
les  dépenses,  les  abus  de  l'administration,  et  sur  les  dila- 
pidations systématiques  des  fonctionnaires. 

Bougainville  signale  (1)  avec  concision  et  vigueur  les 
points  vulnérables  par  lesquels  l'ennemi  pouvait  entamer 
le  Canada  et  les  moyens  dont  on  se  servirait  pour  lui  résis- 
ter :  «  Trois  frontières,  Québec,  le  lac  Champlain,  le  lac 
Ontario.  Québec  est  sans  fortifications  et  nen  est  pas  sus- 
ceptible   Carillon  (qui  couvre  l'entrée  du  lac  Cham- 
plain), fortin  de  54  toises  sur  le  plus  grand  côté,  ne  peut 

faire  une  défense  honoi    ble Saint-Frédéric,  qui  en  est 

à  5  lieues  sur  la  rive  gauche  du  lai  n'est  qu'une  mauvaise 
enceinte  de  pierres  .ivec  un  donjon  intérieur  commandé  à 
la  portée  de  fusil  et  hors  d'état  d'essuyer  deux  décharges 
de  canon.  Saint-Jean     t  Chambly  (situés  sur  la  rivière 

Sorel) ne  peuvent  ai  oter  un  ennemi  qui  marcherait 

avec  seulement  ï  pièces  <iO  canon.  »  Le  lac  Ontario  est  ac- 
cessible aux  Anglais  par  la  rivière  de  Chouagen  ou  par 
Niagara.  «  Cette  place,  la  meilleure  sans  contredit  de  tout 
le  Canada,  peut  avec  500  hommes  de  garnison,  un  com- 
mandant ferme,  intelligent  et  du  métier,  faire  une  bonne 
défense.  Mais  Niagara  pris,  il  n'est  plus  pour  nous  de  sau- 

(1)  Situation  du  Canada  en  hommes,  moyens,  positions,  29  décembre  1758, 
remis  par  M.  de  Hougainville.  Archives  des  Colonies. 


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LA  GUERIŒ  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


vages;  les  seuls  domiciliés  nous  restent  ou  peut-être  se 
sauvent.  » 

Pour  repousser  les  trois  attaques  probables,  sur  quelles 
forces  pouvait-on  compter?  Bougainville  évaluait  les  8  ba- 
taillons de  terre  à  3.500  hommes,  l'infanterie  de  marine  A 
12  ou  1.500,  les  Canadiens  A,  5  ou  6.000;  en  fait  de  sujets 
appartenant  aux  armes  spéciales,  on  ne  possédait  que  deux 
ingénieurs,  quelques  officiers  d'artillerie,  70  canonniers  ou 
bombardiers  et  pas  un  seul  mineur  ou  ouvrier  d'artillerie. 
Aux  60.000  Anglais  ou  provinciaux  qu'emploierait  l'en- 
nemi on  n'aurait  donc  à  opposer  que  10.000  hommes  man- 
quant de  munitions  de  guerre  et  de  bouche.  Un  renfort 
de  10.000  hommes  ne  rétablirait  pas  la  balance,  et  pour  le 
transporter  il  faudrait  un  armement  qui  serait  au-dessus 
des  facultés  de  la  France.  «  Il  me  parait  donc,  continue 
Bougainville,  que  la  cour  doit  traiter  aujourd'hui  le  Canada 
comme  un  malade  qu'on  soutient  par  des  cordiaux,  c'est-à- 
dire  n'y  envoyer  que  l'absolu  nécessaire  à  une  défense  plus 
longue.  Si  nous  sauvons  la  crise  de  cette  année,  on  est  en 
droit  d'espérer  des  lumières,  des  intentions  du  ministre 
actuel  de  la  Marine,  de  sa  constance  à  suivre  un  projet, 
d'espérer,  dis-je,  que  le  pays  sera  sauvé  pour  toujours.  >> 

Aprôs  avoir  justifié  en  détail  ses  demandes,  Bougainville 
les  récapitule  en  un  précis  final  :  «  La  France  ne  pouvant 
envoyer  en  Canada  des  forces  capables  d'établir,  jo  ne  dis 
pas  l'égalité,  mais  une  espèce  d'équilibre,  doit  n'y  envoyer 
que  l'absolu  nécessaire,  savoir  :  poudre  en  abondance,  fu- 
sils, cornes  à  poudre,  un  train  d'artillcrio  de  10  canons  de 
12,  10  mortiers,  le  tout  en  i^nte;  des  boulets  et  bombes  en 
grande  quantité  et  du  calibre;  150  canonniers  bombar- 
diers, ouvriers  de  tout  genre  et  mineurs  avec  des  outils  de 
leur  métier  de  rechange  pour  être  aux  ordres  des  6  offi- 
ciers du  corps  royal  déjà  en  Canada,  et  détachés  à  la  suite 
des  troupes  de  terre.  '»  ingénieurs  et  2  dessinateurs,  des 
vivres  pour  le  compte  du  Hoi,  de  la  poudre  alimentaire 


MÉMOIUES  REMIS  PAR  HOUGAINVILLE. 


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des  invalides,  des  marchandises  à  l'usage  des  sauvages; 
favoriser  le  munitionnalre  pour  que  ses  vaisseaux  aient  des 
équipages  et  examiner  ensuite  son  marché  ;  au  moins  1 .000 
hommes  de  recrues,  des  miclets  (1),  des  étrangers,  k  vais- 
seaux commandés  par  des  capitaines  marchands  dont  les 
carcasses  défendront  la  descente  à  Québec  et  les  équipages 
formeront  une  marine  nécessaire  sur  les  lacs.  » 

Il  est  à  présumer  que  la  lecture  de  ces  documents  ne 
modifia  pas  beaucoup  des  résolutions  déjà  arrêtées,  carie 
résumé  (2)  préparé  pour  le  Koi  par  le  département  de  la 
Marine  porte  la  date  du  28  décembre  et  n'est  postérieur 
que  de  huit  jours  à.  l'arrivée  à  Paris  de  Bougainville.  Dans 
cette  pièce  on  écartait  toute  idée  d'expédier  une  esca- 
dre, soit  au  Canada,  soit  en  diversion  sur  les  côtes  de  la 
Caroline.  «  L'état  présent  de  la  marine,  raisonnait-on,  ne 
permet  pas  de  songer  à  l'exécution  d'un  semblable  projet 
qui  ne  pourrait  être  rempli  qu'autant  que  les  escadres  et 
Hottes  seraient  prêtes  pour  la  fin  de  février  ou  les  premiers 
jours  de  mars  ;  et  d'un  autre  côté,  quand  même  il  serait  pos- 
sible de  réunir  les  forces  navales  du  Roi  pour  ce  temps-là, 
on  se  mettrait  dans  le  cas  de  risquer  la  marine  entière  de 
sa  Majesté  sans  certitude  de  succès,  en  laissant  les  côtes  du 
royaume  exposées  à  toutes  les  entreprises  de  l'ennemi.  » 
Le  Canada  serait  nécessairement  abandonné  à  ses  propres 
forces  et  ne  recevrait  que  des  munitions  de  guerre,  des 
armes,  et  les  vivres  que  pourraient  transporter,  pour  le 
compte  du  munitionnaire,  les  armateurs  de  Bordeaux  et 
de  Dunkerque. 

D'une  capitulation  éventuelle,  au  sujet  de  laquelle  Vau- 
dreuil  avait  sollicité  des  instructions,  il  ne  devait  pas  être 
(juestion  :  «  11  parait  donc  qu'il  convient  de  lui  marquer 
seulement  que  par  la  confiance  que  le  Roi  a  en  lui.  Sa  Ma- 

(1)  Chasseurs  recrutés  dans  les  provinces  du  midi. 

(2)  Rapport  sommaire  au  Roi,  28  décembre  1758.  Archives  des  Colonies. 
Canada,  1758. 


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LA  GUEBRE  DE  SEPT  ANS.  -  ClIAP.  VI. 


jestc  est  persuadée  qu'il  fera  en  sorte  de  conserver  une 
partie  de  la  colonie  avec  toutes  les  forces  qu'il  pourra  y 
rassembler,  se  remettant  à  lui,  suivant  îos  circonstances, 
d'étendre  ou  de  réduire  le  cercle  de  pays  dans  lequel  il 
pourra  se  maintenir  jusques  au  temps  où  i'ou  pourra,  en 
1760,  lui  faire  passer  de  nouveaux  ordres.  On  peut  lui  ob- 
server sur  l'objet  de  politique  générale,  que  dans  le  cas  où 
les  circonstances  des  affaires  en  Europe  permettraient  en 
traitan*  de  la  paix  de  demander  la  conservation  du  Canada 
à  la  France, les  conditions  de  paix  seraient  bien  dif- 
férentes, si  les  forces  du  Roi  se  maintiennent  toujours  dans 
une  partie  du  pays,  si  petite  qu'elle  soit.  » 

Comment  trancher  la  rivalité  du  gouverneur  général  et 
du  commandant  des  troupes?  Le  ministre  de  la  Marine 
se  prononçait  pour  la  solution  préconisée  par  Vaudreuil, 
la  nomination  de  Montcalm  au  grade  de  lieutenant  géné- 
ral, son  rappel  et  son  remplacement  par  Lévis  promu 
maréchal  de  camp.  Cette  conclusion  fut  modifiée  proba- 
blement en  comité,  comme  l'indique  la  note  suivante 
portée  en  marge  :  «  Tout  bien  réfléchi,  cet  arrangement 
ne  doit  pas  avoir  lieu,  M.  de  Montcalm  étant  nécessaire 
dans  la  situation  présente.  »  Le  vainqueur  de  Carillon 
fut  confirmé  dans  sa  fonction  et  en  plus  avancé  au  grade 
de  lieutenant  général  avec  augmentation  d'appointe- 
ments et  décoré  du  cordon  rouge.  Il  eut  aussi  la  satisfac- 
tion de  voir  ratifier  la  plupart  des  propositions  qu'il  avait 
faites  en  faveur  de  ses  officiers  :  Lévis  fut  promu  maré- 
chal de  camp,  Bourlamaque  et  Sénezergues  devinrent  bri- 
gadiers et  Bougainville  obtint  le  grade  de  colonel  et  la 
croix  de  Saint-Louis.  Enfin,  point  plus  essentiel,  Montcalm 
voyait  son  rôle  singulièrement  agrandi  :  «  L'intention  de 
Sa  Majesté,  écrivit  Berryer  (1),  est  que  M.  le  marquis  de 
Montcalm  soit  non  seulement  consulté  sur  toutes  les  opéra- 
it) Berryer  à  Vaudreuil  et  Bigot,  3  février  1759.  Archives  des  Colonies. 


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MOMCALM  OBTIENT  GAIN  DE  CAUCE. 


257 


lions,  mais  encore  sur  toutes  les  parties  d'administration 
([ui  auront  rapport  à  la  défense  et  à  la  conservation  de  la 
colonie.  Vous  lui  demanderez  son  avis  en  lui  communi- 
quant les  lettres  que  je  vous  écris  relativement  à  tous  ces 
objets,  et  vous  le  préviendrez  de  manière  à  gagner  sa  con- 
fiance, comme  il  cherchera  de  son  côté  à  se  concilier  la 
vôtre.  Vous  ne  devez  jamais  perdre  cette  union  de  vue,  le 
salut  de  la  colonie  en  dépend  plus  que  jamais  et  le  Roi  le 
désire  par-dessus  tout.  M.  de  Vaudreuil  recevra  une  autre 
lettre  chiffrée  de  ma  part,  commune  à  lui  et  à  M.  de  Mont- 
calm  auquel  il  communiquera  celle-ci.  » 

Dans  une  lettre  privée  à  Vaudreuil,  le  ministre  de  la 
iMarine  met  les  points  sur  les  i,  résout  en  faveur  de  iMont- 
calm  les  questions  en  litige,  donne  à  ce  dernier  la  prépon- 
dérance en  matière  militaire  et  fait  un  appel  à  la  con- 
corde :  «  Il  me  reste  à  vous  recommander  en  particulier 
la  plus  parfaite  union  avec  lui  et  d'oublier,  dans  une  cir- 
constance qui  exige  le  plus  grand  concert  entre  les  chefs, 
tous  les  petits  sujets  d'altercation  qu'il  peut  y  avoir  eu 

autrefois  entre  vous  et  lui Vous  ne  devez  paraître 

en  campagne  qu'autant  qu'il  serait  question  d'une  affaire 
absolument  décisive,  et  que  vous  seriez  obligé  de  faire 
marcher  toutes  les  milices  du  pays  pour  la  défense  géné- 
rale de  la  colonie.  Vous  le  pouvez  encore  après  avoir  con- 
sulté M.  de  Montcalm  sur  le  plus  ou  moins  de  nécessité 
qu'il  y  aura  de  vous  montrer,  l'alTection  que  les  Canadiens 
ont  pour  vous  et  pour  votre  nom  pouvant  augmenter  leur 
nombre  et  leur  courage,  en  vous  voyant  à  leur  tôte  dans 
une  occasion  qui  déciderait  du  sort  de  la  colonie;  mais 
hors  ce  cas  de  nécessité,  vous  ne  devez  pas  quitter  le  cen- 
tre de  la  colonie,  pour  être  à  portée  de  veiller  à  tout.  » 
En  guise  de  fiche  de  consolation,  Vaudreuil  reçut  le  grand 
cordon  de  l'ordre  de  Saint-Louis. 

La  lettre  commune  dont  il  s'agissait  (1)  insistait  sur 

(I)  Rerryeri\  Vaudreuil  et  Montcalm,  3  février  1769.  Archives  des  Colonies. 

GUERRE   UB  SEPT  ANS.  —  T.    III.  j; 


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L;\.  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  VI. 


l'obligation  de  concentrer  les  forces  de  la  colonie  pour  la 
protection  du  noyau  central  de  la  province  :  «  Vous  ne 
devez  point  vous  llattor  de  la  pai.x  avant  l'ouverture  de  la 
campagne  et  vous  devez  faire  toutes  vos  dispositions  pour 
la  soutenir  en  vous  tenant  à  la  plus  simple  défensive,  s'il 
n'y  a  pas  lieu  de  faire  autrement,  pour  assurer  au  Uoi  la 
conservatiou  du  Canada,  ou  du  moins  la  majeure  partie. 
Sa  Majesté  espère  que  vous  pourrez  y  parvenir  en  réunis- 
sant le  plus  que  vous  pourrez  les  forces  qui  restent  dans 
cette  colonie  et  en  repliant,  suivant  les  cas  de  nécessité  où 
vous  vous  trouverez,  tous  les  points  dont  la  conservation  ne 

sera  pas  essentielle  pour  celle  de  la  partie  principale 

En  un  mot  vous  devez  tâcher  de  vous  maintenir  encore 
cette  campagne  le  mieux  que  vous  pourrez,  pour  attendre 
l'effet  des  négociations  qui  peuvent  conserver  le  Canada, 
ou  des  opérations  qui  peuvent  le  secourir.  » 

A  la  veille  de  ^'embarquer  pour  le  retour,  liougainville 
rédigea  pour  Montcalm  une  note  ciiilfrée  (1)  dans  laquelle 
il  résume  en  style  télégraphique  les  résultats  de  sa  mission 
et  ses  impressions  de  la  cour  et  des  personnages  qu'il  avait 
fréquentés  pendant  un  séjour  de  deux  mois  bien  remplis  : 
«  Pour  vous  seul  :  L'incorporation  de  la  milice  approuvée  et 
recommandée.  Retraite  à  la  Louisiane  admirée,  non  ac- 
ceptée   Projet  contre  la  Caroline  approuvé,  non  suivi 

faute  d'argent.  La  magie  des  sauvages,  leur  caractère,  ce- 
lui des  Canadiens,  les  lYneries,  jalousies,  intérêts,  fripon- 
neries, bien  développés.  La  cour  furieuse  de  la  dépense  ; 
lettre  forte  à  M.  Bigot;  M.  Péan  déconcerté.  M.  de  Vau- 
dreuil  connu  sans  talent,  sera  soutenu  par  la  marine,  vous 
doit  la  grande  croix  de  Saint-Louis  que  j'ai  demandée  en 
votre  nom,  ce  qui  vous  a  fait  honneur;  modération.  Bat- 
tez-vous jusqu'à  extinction;  mais  si  vous  ne  perdez  pas 
tout,  prétendez  à  tout;  vous  êtes  l'homme  du  jour 

(1)  Bougainville  à  Montcalin.  Blaye,  18  mars  1759.  LeUres  de  la  cour.  Col- 
lection Lévis. 


BOUGAINVILLE  FAIT  LE  RKSUMÉ  DE  SA  MISSION. 


'2.VJ 


Lo  Roi  nul;  madame  la  marquise  toute-puissante,  premier 
ministre,  on  lui  avait  dit  que  vous  étiez  trop  vif;  j'ai  dé- 
truit l'impression;  a  toute  bonté  pour  moi.  Le  duc  de 
Choiseul  grand  crédit;  votre  ami;  frondait  système  de 
liernis;  homme  audacieux.  M.  Herryer  intègre  avec  fracas, 
dur,  bon.  Minos,  mauvais  ministre  ;  point  de  grandes  vues  ; 

je  pense  tiendra  peu M.  le  maréchal  de  Belleisle  bon 

homme,  ne  baisse  point.  Monsieur  d'Aligre,  considération; 
M.  deCrémille  sans  crédit,  tous  deux  vos  amis  feront  tout 

pour  vous M.    le  prince  de  Soubise  au  conseil  sans 

armée.  Contades  à  la  tète  des  armées  sans  considération. 
Silhouette  contrôleur-général,  hardi,  craint  par  la  nation. 
M.  le  prince  de  Conti  sans  crédit,  furieux.  M.  le  comte 
d'Argenson,  M.  le  marquis  de  Paulmy  coulés  à  fond. 
M.  de  Moras  dans  la  boue.  M.  de  Ghevert  malade,  à  la 
cour.  Les  jésuites  en  la  plus  critique  position  où  jamais 
ils  aient  été.  Kn  général  nulle  consistance  dans  le  conseil 
et  la  faveur.  Nul  crédit;  dans  les  finances  tout  au  ha- 
sard. » 

Dans  un  autre  rapport  (1)  qui  devait  être  communiqué  au 
gouverneur  général,  Bougainville  fait  le  compte  des  ren- 
forts dont  le  chiifre  n'atteignait  même  pas  celui  des  pro- 
messes du  gouvernement  :  «  Pour  toutes  troupes  300  hom- 
mes de  recrue,  V  ingénieurs,  24  canonniers  ou  ouvriers. 
Munitions  de  guerre,  vivres  dans  deux  vaisseaux  mar- 
chands partis  deBayonne  le  16  février;  20  autres  partis  de 
Bordeaux  avec  moi;  k  frégates  de  Brest  et  Rochefort  com- 
mandées par  capitaines  corsaires;  quelques  autres  parties 
d'autre  part;  nul  vaisseau  de  guerre.  Le  meilleur  secours 
est  de  pouvoir  garder  tous  b;\timenls,  équipages,  officiers 
pour  défendre  Québec  et  monter  la  marine  des  lacs.  Qué- 
bec sera  attaqué,  les  autres  frontières  aussi.  La  cour  ne 


(1)  Bou{;ainville  à  Monlcalm.  Ulaye,  18  mars  1759.  LeUies  de  la  cour  de 
Versailles.  Collection  Levis. 


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LA  nUKURE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


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veut  auciino  capitulation  de  votre  part.  Conserver  un  pied 
en  Canada  à  quclcpie  prix  que  ce  soit;  mot  sur  ce  point; 
découragerait  s'il  était  connu,  » 

Au  siir[)lus,  la  mission  de  Bougainville  eut  surtout  pour 
résultat  d'éclairer  la  cour  de  Versailles  sur  les  circonstances 
critiques  du  Canada,  sur  les  bons  services  de  iMontcalm 
et  de  ses  conipa;.^nons  d'armes  et  sur  l'injustice  qu'il  y  aurait 
■X  les  rendre  responsables  de  la  fin  imminente  de  la  Nou- 
velle France.  Le  jeune  colonel  en  jugeait  bien  ainsi;  dans 
une  lettre  (1)  déjà  citée,  à  la  mère  de  son  général,  après 
s'être  étendu  sur  les  secours  matériels  obtenus,  il  ajoute  : 
«  Malheurfiisement  il  est  bien  tard,  et  je  crois  que  c'est  le 
cas  du  médecin  après  la  mort.  Au  nioii  st-ce  une  chose 
satisfaisante  pour  M.  de  Montcalm  et  pour  ses  parents,  que 
sa  gloire  est  entièrement  à  couvert  ot  que  la  cour,  bien 
instruite  de  la  position  du  Canada  et  de  l'impuissance  où 
elle  est  d'y  établir  même  une  infériorité  moins  mons- 
trueuse, saura  uré  à  son  général  de  tous  les  instants  dont 
il  reculera  la  perte  de  celte  colonie.  » 

Laissons  Bougainville  naviguer  pour  Québec,  où  il  ar- 
riva le  1-2  mai  après  avoir  été  retenu  dans  les  glaces  pen- 
dant 22  jours,  et  reportons-nous  au  Canada  où  l'hiver  de 
1758  à  1759  ne  fut  signalé  par  aucun  fait  de  guérie  de 
quelque  importance.  Montcalm  et  Vaudreuil  échangèrent 
comme  de  coutume  des  notes  aigres-douces  (2),  le  géné- 
ral posant  des  questions  ou  faisant  des  suggestions  en 
prévision  de  la  campagne  à  venir,  et  le  gouverneur  y  ré- 
pondant par  des  assertions  empreintes  d'un  optimisme 
exagéré.  Les  deux  correspondants  étaient  d'accord  pour 
prévoir  la  principale  attf.que  du  côté  du  lac  Champlain, 
mais  tandis  que  Vaudreuil  rêvait  encore  une  diversion  vers 

(1)  Bougainville  à  M'"°  a&v^onrcalm.  Paris,  10  janvier  17.M).  CoUcclion  de 
fainillc. 

(2)  Mémoire.  Réflexions  de  Monlcalin.  Réponses  de  Vaudreuil.  Montréal, 
20  et  21  mars  175'J.  Archives  des  Colonies. 


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ON  NL  CROIT  PAS  A  UNK  ATrAQLE  CONTIIE  QUKHKC.        ÏCI 

rOhio,  Montcalm  était  d'avis  de  s'en  tenir  tout  au  plus  au 
maintien  du  fort  de  Niae^ara.  Ouant  à  Quélici ,  ni  l'un  ni 
l'autie  ne  croyait  à  la  probabilité  d'une  tentative  des  An- 
glais sur  la  capitale.  D'ailleurs  le  manque  de  vivres,  ce  mal 
chronique  de  la  colonie,  avait  empêche  de  réunir  le  per- 
sonnel dont  on  aurai  t  eu  besoin  pour  construire  les  ouvrages 
nécessaires  à  la  défense  des  rives  du  Saint-Laurent  en  aval 
de  la  ville;  on  s'était  limité  aux  fortitlcations  intérieures. 
Voici  en  quels  termes  Vaudreuil  justifie  fl)  l'omission  : 
K  Je  ne  présume  pas  que  les  Anglais  entreprennent  de  venir 
i\  Québec,  mais  quand  bien  même  j'en  serais  convaincu,  je 
ne  changerais  pas  ma  destination A  l'égard  des  tra- 
vaux de  l'extérieur  de  Québec,  le  défaut  de  vivres  no  me 
permet  pas  d'y  songer;  il  faudrait  y  employer  4.000  hom- 
mes auxquels,  n'ayant  pas  de  farine  à  donner,  jf  sorais 
obligé  de  fournir  deux  livres  de  viande  à  manger,  c  qui 
serait  une  consommation  de  1.000  à  1.200  botes  à  cornes 
pour  un  mois,  unique  ressource  que  je  réserve  pour  vivre 
si  nous  avions  le  malheur  que  tous  nos  convois  fussent 
interceptés.  Je  me  borne  donc  à  laisser  continuer  tous 
les  approvisionnements,  à  la  fermeture  des  portes  de  la 
ville,  à  travailler  A  l'enceinte,  h  l'établissement  de  bat- 
teries, enfin  à  tout  ce  que  l'on  peut  faire  sans  une  consom- 
mation extraordinaire  de  vivres,  et  à  procurer  k  l'habi- 
tant, autant  que  je  le  pourrai,  les  moyens  de  faire  les 
semences.  Sans  cela  les  secours  de  France,  quelque  grands 
(pi'ils  puissent  être,  ne  pourraient  subvenir  à  la  subsis- 
tance d'environ  90.000  Ames  qui  sont  dans  cette  colo- 
nie. » 

Contre  une  agression  par  le  Saint-bauront,  le  gouver- 
neur général  se  rassurait  en  indiquant  les  mesures  qu'il 
comptait  prendre  :  «  A  la  première  nouvelle  que  j'aurai  de 


(1)  Vaudreuil.  Plandes  opérations  de  la  rampagne  de  1759.  1"  avril  1759. 
Ministère  des  Colonies.  Canada. 


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LA  (JUKHRK  DK  SEPT  ANS,         (MAP.  VI. 


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l'ennemi  en  riviric,  Je  [)oui'voirai  à  la  sûreté  des  iVonti»^r»'S 
de  ce  i,-()uvenien»ent.  Je  ilescentliai  j)ersonnelleinent  à  Ouë- 
l)ec  avec  tons  les  liahilants  du  gouvernement  de  Montréal 
et  des  Trois  llivi^res,  tous  ceux  de  celui  de  Québec  depuis 
Sainte-Anne  jiis(|u'à  cette  ville.  Je  les  ferai  de  suite  tra- 
vailler aux  retranchements  de  lleauport  en  attendant  que 
les  troupes  et  les  milices  que  j'aurai  mandées  à  (Carillon 
aient  pu  m'y  joindre.  Alors  suivant  ce  que  j'aurai,  tant  en 
troupes,  milices,  sauvage  et  gens  de  mer,  je  fei-ai  mes 
dispositions  soit  pour  s'opposera  la  descente  de  l'ennemi, 
dés  Sainte-Anne  h.  l'Ile  d'Orléans,  ou  prmr  me  réduire  à 
l'attendre  au  i)assagc  de  la  rivière  de  Montmorency  jusqu'il 
Québec  et  depuis  Québec  jus(pi'il  la  rivière  du  Carrouge. 
M.  le  marquis  de  Monicalm  et  le  chevalier  de  l.évis  seront 
alors  f\  Québec;  j'aurai  toujours  grand  plaisir  A  leur  faire 
part  de  tous  les  mouvements  que  j'ordonnerai;  je  serai  à 
même  de  faire  usage  dos  réflexions  que  les  circonstances 
et  les  lieux  leur  suggéreront.  » 

Cette  note  dont  le  ton  prétentieux  ne  rachetait  pas  l'ina- 
nité, n'était  pas  de  nature  ii  calmer  les  iiiquiéludes  de- 
Montcalm  et  de  ses  compagnons  qui  se  plaignaient  avec 
quelque  raison  de  n'être  pas  tenus  au  courant  des  ques- 
tions relatives  à  la  défense  de  la  colonie.  Malgré  ses  bons 
rapports  avec  le  gouverneur  et  tout  en  pratiquant  la 
conciliation,  Lévis  laisse  voir  dans  sa  correspondance  les 
mêmes  griefs  que  fion  général  (1).  «  Nous  vivons  toujours 
dans  la  plus  grande  intelligence,  et  nous  maintenons  le 
plus  d'ordre  c[u'il  est  possible  dans  les  troupes  de  terre. 
Nous  ne  sommes  consultés  sur  rien  et  nous  sommes  re- 
gardés comme  des  troupes  étrangères  à  la  solde  de  la  ma- 
rine. Je  suis  encore  celui  des  trois  (2)  à  qui  on  parait  avoir 


(1)  Lê?i8  à  Argonson.  Montréal,   13  avril  1759.  Porlefnuille  île  Paulmy. 
Bibliollitque  do  l'Arsenal. 

(2)  Monteahn,  Lévis  et  noHrlama([ne. 


PI.AINTKS  DE  MONTCALM  Hl'U  LA  SITUATION  DE  LA  COLOMK.  2(,:i 


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un  pou  plus  de  c<uilianct';  je  n'en  mésuse  pas,  je  chcirlie 
il  être  làen  avec  tout  le  monde,  pensant  cpie  l'utiinn  est 
absolument  nécessaire  pour  trouver  des  ressources  dans 
l'extiémité  où  nous  sommes  réduits.  »  Montcalm  (jui  n'a- 
vait pas  le  tempérament  philosopliitpie  de  son  lieutenant 
et  ami,  juf;'eait  la  situation  en  militaire  et  était  loin  de 
partager  l'oprimisme  et  les  illusions  de  son  chef  hiérar- 
chique :  ((  A  moins  d'un  bonheur  inattendu,  écrit-il  à  Hel- 
leisle  (1),  d'une  .grande  diversion  sur  les  colonies  des  An- 
glais par  mer,  ou  de  grandes  fautes  de  l'ennemi,  le  Canada 
sera  pris  cette  camj)agne.  Les  Anglais  ont  (50. 000  hommes; 
nous,  au  plus,  de  10  à  11.000  hommes;  notre  gouverne- 
ment ne  vaut  rien;  le  prêt  et  les  vivres  manqueront.  Kaute 
de  vivres,  les  Anglais  primeront;  les  terres  <\  peine  culti- 
vées; les  bestiaux  manquent;  les  Canadiens  se  découra- 
gent; nulle  confiance  en  M.  de  Vaudreuil  ni  M.  Bigot.  » 
Probablement  sous  l'impression  des  mémoires  qu'il  venait 
d'échanger  à  propos  des  affaires  militaires,  Montcalm  re- 
vient sur  ses  démêlés  avec  le  gouverneur  et  sur  les  dila- 
pidations des  fonctionnaires  :  «  M.  de  Vaudreuil  n'est  pas 
en  étiit  de  faire  un  projet  de  guerre  ;  il  n'a  aucune  activité, 
il  donne  sa  confiance  à  des  empiriques  plutAt  (|u"au  géné- 
ral envoyé  par  le  Roi.  M.  Bigot  ne  parait  occupé  que  de 
faire  une  grande  fortune  pour  lui  et  ses  adhérents  et  com- 
plaisants. Fj'avidité  a  gagné  les  officiers,  gardes-magasins, 
commis,  qui  sont  vers  la  rivière  Saint-Jean  ou  vers  l'Ohio, 
ou  auprès  des  sauvages  dans  les  pays  d'En-Haut,  et  qui 
font  des  fortunes  étonnantes;  ce  n'est  que  certificats  faux 
admis  légalement.  Si  les  sauvages  avaient  le  quart  de  ce 
qu'on  suppose  dépensé  pour  eux,  le  Roi  aurait  tous  ceux 
de  l'Amérique  et  les  .Vnglais  aucuns.  Cet  intérêt  influe  sur 
la  guerre.  M.  de  Vaudreuil  A  qui  les  hommes  sont  égaux 


(1)  Montcalm  â  Ik-lleislo.  Montréal,  12  avril  1759.  Ministère  des  Colonies, 
Canada. 


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TiL-uuiuuni 


264 


LA  GUERRE  DE  SE!  T  ANS.  —  CHAP.  VI. 


confierait  une  grande  opération  à  son  frère  ou  à  un  autre 
oîiicier  de  la  colonie  comme  à  M.  le  chevalier  de  Lévis.  Con- 
duit par  un  secrétaire  fripon  (1)  et  des  alentours  intéres- 
sés. Le  choix  regarde  ceux  qui  partagent  le  gâteau,  aussi 
on  na  jamais  voulu  envoyer  M.  Bourlamaque  ou  M.  de  Se- 
nesergues  commandant  du  bataillon  de  la  Sarre,  au  fort 
Duquesne.  Je  l'avais  proposé,  le  Roi  y  eût  gagné  ;  mais  quels 
surveillants  dans  un  pays  dont  le  moindre  cadet  et  un  ser- 
gent, un  canonnier,  reviennent  avec  20  et  30.000  francs 
en  certificats  pour  marchandises  livrées  pour  les  sauvages 
pour  le  compte  de  Sa  Majesté  !  »  Montcalm  continue  en  pré- 
disant la  désertion  probable  des  Indiens,  la  suprématie  des 
Anslais  sur  le  lac  Ontario  où  la  flottille  française  est  en- 
core  sur  le  chantier;  il  signale  les  préparatifs  à  Lydius  et 
Orange  qui  font  prévoir  une  prompte  ent.fc(^  en  campagne 
du  cùté  du  lac  Champlain  et  termine  en  insistant  sur  les 
dangers  qui  menacent  la  capitale  :  ((  A  Québec  l'ennemi 
peut  venir  si  nous  navons  pas  d'escadre,  et  Québec  pris, 
la  colonie  est  perdue.  Cependant  nulle  précaution  ..  .lai 
fait  offre  de  mettre  de  l'ordre,  une  disposition  pour  em- 
pêcher une  fausse  manœuvre  à  la  première  alarme  ;  la  ré- 
ponse :  nous  aurons  le  temps.  » 

Dans  un  milieu  aussi  insouciant,  les  renseignements  ap- 
portés par  liougainville  sur  les  desseins  anglais  durent  pro- 
duire l'effet  d'un  coup  de  tonnerre  dans  un  ciel  serein.  Ine 
des  nombreuses  dépêches  dont  il  était  chargé  annonçait 
le  départ  d'Angleterre  du  général  Wolfe  avec  8.000  hom- 
mes pour  Halifax  où  il  devait  ramasser  le  reste  des  troupes 
destinées  à  l'expédition  contre  Québec  et  d'où  il  ferait  voile 
pour  le  Saint-Laurent.  A  cette  information  était  joint  un 
document  important  saisi  sur  une  prise  anglaise,  le  pro- 
jet d'attaque  générale  du  Canada  dressé  pour  le  gouver- 
neur général  des  colonies  britanniques,  le  général  Amherst. 


(1)  M.  de  Saint-Sauveur. 


ARUIVKE  DE  BOUG  AIN  VILLE  ET  DU  CONVOI. 


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Si  Hougaiaville  n'avait  pour  les  autorités  supérieures  que 
des  avis  alarmauts,  il  était  pour  la  populatiou  militaire  et 
civile  le  précurseur  des  navires  de  ravitaillement  si  im- 
patiemment attendus.  «  Le  12  mai  à  8  heures  du  soir,  écrit 
Folig'ny(l),  arriva  M.  de  Bougainville;  son  arrivée  causa 
tant  de  joie  que  dans  l'mstant  elle  fut  répandue  par  toute  la 
ville.  Cette  nouvelle  était  d'autant  plus  intéressante^  qu'elle 
annonçait  une  flotte,  dans  peu,  de  17  vaisseaux  venant  de 
Bordeaux  chargés  de  munitions  de  gur  ;  i  et  de  bouche... 
Jamais  joie  ne  fut  plus  générale  ;  elle  ranime  le  cœur  de 
tout  un  peuple  qui  pendant  le  cours  d'un  hiver  des  plus 
durs,  avait  été  réduit  à  un  quarteron  de  pain  et  une  demi- 
livre  de  cheval.  »  Bougainville  repartit  le  soir  môme  pour 
Montréal  où  se  trouvaient  le  itouvcrneur  général  et  le 
commandant  des  troupes.  Quatre  jours  plus  tard  Montcalm 
entrait  à  Québec  «  aux  acclamations  de  joie  de  tout  le 
peuple.  »  Dès  le  lendemain  il  alla  k  la  découverte  du  côté 
de  Beauport  ;  il  n'était  pas  de  retour  à  la  ville  quand  il 
apprit  par  un  courrier  dépêché  de  Saint-Barnabe  l'appari- 
tion de  ((  15  vaisseaux  anglais  par  le  travers  du  Bic,  lieu  di  > 
tant  de  Québec  de  60  lieues.  »  (înt  avis  fut  confirmé  par  un 
bâtiment  venant  de  Brest  qui  avait  navigué  dans  l'estuaire 
du  Saint-Laurent  en  compagnie  de  l'escadre  anglaise  sans 
la  reconnaître  et  sans  avoir  été  inquiété  par  elle.  Il  n'y 
avait  p'us  à  douter,  l'ennemi  était  à  nos  portes. 

Quetics  étaient  les  ressources  à  la  disposition  du  gouver- 
neur, et  quelles  mesures  avait-il  prescrites  pour  repousser 
l'invasion?  Contrairement  à  l'opinion  du  général,  \au- 
dreuil  n'avait  pu  se  résigner  î\  l'abandon  déliuitif  de  la  ré- 
gion de  l'Ohio.  Pouchot,  capitaine  de  Béaru ,  avoi  t  été  envoyé 
avec  un  détachement  composé  de  troupes  de  France,  de  la 
marine  et  de  Canadiens,  prendre  le  commandement  du 

(1)  Journal  du  siège  de  Qut'bec,  tenu  [lar  M.  de  Foligny,  oflicier  de  marine 
coininaiidant  la  ball.erie  de  la  droite  des  Ueuiparts.  Archives  des  Colonies, 
Canada,  l'â'.t. 


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200 


LA  r.UERUE  DE  SEPT  ANS. 


CHAr.  VI. 


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fort  de  Niagara  à  la  reconstruction  duquel  il  avait  présidé 
en  qualité  d'ingénipur  auxiliaire.  Il  avait  pourinstruciions, 
dans  le  cas  où  il  serait  tranquillisé  sur  les  mouvements  de 
Icnnemi  du  côté  de  Chouagen  (Oswego),  de  renforcer, 
avec  tout  ce  qui  no  lui  serait  pas  indispensable,  l'arniée 
en  voie  d'organisation  dans  TOuest.  Celle-ci  formée  avec 
les  contingents  des  diftérents  postes  des  pays  d'En-lIaut 
et  de  rilîinois,  se  réunirait  à  Presqu'île  sur  le  lac  Erié, 
sous  les  ordres  de  Ligneri^î  et  essaierait  de  recouvrer  la 
rég-ion  de  la  Belle  Rivière  (Ohio).  Sur  les  rives  de  l'Ontario, 
à  l'endroit  où  ce  lac  se  déverse  à  travers  un  archipel  d'ilts 
dans  le  Saint-Laurent,  le  chevalier  de  La  Corne,  avec  un 
corps  raixle  de  1.200  hommes,  surveillait  l'achèvement  de 
la  flottille  qui  devait  remplacer  les  bâtiments  d'.'tî'uits  l'au- 
tomne précédent  par  Bradstreet,  lors  de  la  ca^jture  de 
Frontenac. 

A  la  défense  de  Carillon  et  du  lac  (ïhamplain  étaient  des- 
tinés 3  bataillons  de  France,  des  piquets  des  autres  régi- 
ments quelques  coloniaux  et  des  miliciens  avec  une  cen- 
taine de  sauvages  sous  Bourlan.aque;  cet  officier  avait 
mission  de  tenir  tête  à  Amherst  le  plus  longtemps  possible, 
puis  de  se  retirer  lentement  devant  lui  en  laissant  une  ar- 
rière-garde à  Carillon  chargée  de  Taire  siiuter  les  ou- 
vrages aussitôt  que  l'investissement  semblorait  menaçant. 
En  fin  de  compte  !a  petilc  division  française  dont  l'effectif 
n'atteignait  que  3.500  hommes  devait  ab.mdonner  tout  le 
territoire  qui  bo:de  le  lac  Champlain  et  s'^  retrancher,  au 
débouché  nord  du  lac,  dans  le  nouveau- fort  de  l'île  aux 
Noix  dont  on  poussait  les  travnux  avec  activité. 

Le  reste  des  troupes  françaises  ou  canadiennes  disponi- 
bles fut  affecté  à  la  protection  de  Québec  ;  elles  consistaient 
en  5  bataillons  de  l'armée  de  terre  qui,  défalcation  faite 
des  détachements  de  Niagara  et  de  Carillon,  ne  fourni- 
raient l'un  dans  l'autre  guère  plus  de  400  hommes,  1.200 
hommes  de   la  colonie,  à  peu  près  autant  de  matelots 


DESCKIPTION  DES  ENVIRONS  DE  Ql  ÉBEC, 


;>67 


débarqués,  un  peu  plus  de  (i.OOO  Canadiens  appartenant 
aux  gouvernements  de  Québec,  Trois  Rivières  et  Montréal, 
enfin  7  à  800  sauvages,  au  total  un  efTcctif  sur  le  papier 
d'environ  11.000  rationnaires,  auxquels  s'ajoutait  la  milice 
urbaine  de  Québec,  à  laquelle  était  confiée  la  garde  de  la 
ville. 

Essayons  de  dépeindre  la  région  qui  allait  devenir  le 
théîl're  (1)  de  la  lutte  décisive.  Le  spectateur  qui  se  place  A 
la  Pointe  de  Lévis,  en  face  de  Québec,  voit  se  dérouler 
devant  lui  un  admirable  panorama  qui  ne  diil'ère  pas 
beaucoup  de  ce  qu'il  était  en  1759.  A  ses  pieds  coule  le 
Saint-Laurent  qui  dans  sa  partie  la  plus  étroite  conso"vc 
à  basse  mer  un  cbenal  d'au  moins  800  mètres  et  dont  la 
nappe,  étranglée  par  le  cap  Diamant,  s'épand  en  aval  et 
en  amont  de  cet  obstacle.  A  gauche  la  hauteur  d'Abraham 
que  termine  un  promontoire  couronné  par  la  haute  ville, 
à  200  pieds  au-dessus  du  niveau  de  l'eau.  Parmi  les  mo- 
numents qui  se  détachent  de  la  masse  des  maisons  et  des 
jardins,  on  distingue  le  chiUeau  Saint-Louis,  la  cathé- 
drale, l'hospice  et  de  noud:)reux  couvents.  Au  ras  du  fleuve, 
resserrée  entre  la  colline  et  le  rivage,  la  liasse  ville,  quar- 
tier du  peuple  et  du  commerce.  Au  delà  du  cap  Diamant, 
mais  cachée  par  cette  pointe,  la  rive  gauche  remonte  jus- 
qu'au cap  Uouge.  Ici  la  cùte  très  escarpée  est  une  succes- 
sion de  rochers  à  pic,  de  ])entes  roides  revêtues  de  bois; 
deux  ou  trois  ravins  brisent  la  ligne  des  falaises  et  donnent 
accès  à  l'intérieur.  Le  plateau ,  dont  nous  venons  de  dé- 
crire le  versant  sud  baigné  par  le  Saint-Laurent,  forme 


l'I 


(1)  Voir  la  caitt!  à  la  lin  du  volume.  Li;  récit  des  événeiuenls  l'st  tiré  de  la 
Collection  Lcvis  :  Journal  de  Mo.itrnlm,  Journal  de  l.eris.  Correspon- 
dance de  Vaudreuil,  Boui/ainville  c'c.  Journal  de  l'oligni/.  Johnslone. 
Dialogue  de  Monleahn  et  W'olfe.  Papiers  de  famille  de  HougiiinvilJe.  Ca^- 
grain,  Kiiox.  Ilislorirol  Jourmil.  Mante.  Laie  u'fir  hiAnieriro.  Parkman 
Wriglil.  Li/'e  of  yeneral  U'olfe.  Townshcnd'  manu  scripts.  Archive.s  de  la 
Guerre  et  des  Colonies.  Documents  du  Record  Office.  Rai>i>ort  de  l'amiral 
Holmes,  etc.,  etc. 


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268 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.   VI. 


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une  sorte  de  rectangle  iri'ég-ulier  s'étendant  à  l'ouest  jus- 
qu'à l'échancrure  de  la  rivière  du  cap  Rouge;  au  nord  il 
est  limité  par  la  côte  d'Abraham  qui,  à  peu  près  parallèle 
au  grand  fleuve,  se  prolonge  jusqu'à  la  ville  haute  de 
Québec;  à  la  base  du  massif  dont  il  ne  s'écarte  que  peu, 
le  cours  sinueux  de  la  rivière  Saint-Charles  sert  de  fossé  à 
cotte  forteresse  naturelle.  L'espace  compris  entre  la  rive 
du  Saint-Laurent  et  la  côte  d'Abraham  est  la  plaine  du 
môme  nom,  célèbre  par  les  batailles  qui  s'y  livrèrent  en 
175!)  et  1760.  A  cette  époque  l'extrémité  du  plateau  vers 
le  cap  Rouge  était  couverte  de  forêts  qui  entouraient  et 
dépassaient  les  villages  de  Sainte-Foy,  Saint-Michel  et 
Sillery;  dans  les  environs  immédiats  de  Québec,  le  pays 
était  on  général  cultivé  et  parsemé  d'habitations. 

Après  cette  excursion  dans  l'au  delà  dont  le  ■  j;  ra- 
mant nous  dérobe  la  vue,  revenons  à  notre  observatoire 
de  la  Pointe  de  Lévis.  Toujours  à  notre  gauche,  au  pied 
du  promontoire  do  Québec,  nous  distinguons  l'embouchure 
du  Saint-Charles,  le  faubourg  Saint-Uoch,  le  palais  de 
l'Intendance;  puis  franchissant  du  regard  la  rivière,  nous 
apercevons  les  champs  et  les  bAtiments  de  ferme  du  vil- 
lage de  Reauport  encadrés  par  la  forêt  primordiale;  enfin, 
suivant  la  riv3  gauche  qui,  plate  d'abord,  s'élève  graduel- 
lement, nous  devinons  la  rivière  et  le  Saut  de  Montmorency  ; 
à  notre  droite  enfin  la  pointe  verdoyante  de  l'île  d'Orléans 
clAt  le  panorama. 

Aux  avantages  naturels  de  la  position  l'art  de  l'ingénieur 
avait  peu  ajouté;  aussi  la  capitale  du  Canada  n'avait-elle 
guère  de  titres  à  la  qualité  de  place  fortifiée.  Voici  la  des- 
cription qu'en  fait  Foligny  :  «  La  vilie  de  Québec  est  située 
sur  uns  montagne  très  escarpée,  biUie  en  amphithéiUre, 
ayant  haute  et  basse  ville  devant  laquelle  passe  le  beau 
fleuve  Saint-Liurent,  un  des  plus  considérables  du  monde. 
Son  enceinte  peut  avoir  1.100  à  J  .200  toi  ;es  de  circonfé- 
rence, bornie  au  nord  par  la  petite  rivièir  Saint-Charles  c  >^i 


FORTIFICATIONS  DE  QUEHEC. 


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se  perd  dans  les  terres,  au  sud  par  le  fleuve  qui  |)eut  avoir 
7  à  800  toises  de  largeur  à  traverser  devant  la  ville,  à  l'est 
par  le  même  fleuve où  peuvent  mouiller  les  vais- 
seaux depuis  les  28  brasses  jusqu'à  li  avec  un  très  bon 
fond  de  sable  vaseux  ;  l'eau  est  très  claire  et  bonne  à  boire  ; 
à  l'ouest  par  la  grande  terre  et  cbemin  royal  (jui  conduit 
à  la  ville  de  Montréal  ». 

Du  cùté  de  la  plaine  d'Abraham  existait  un  mur  haut  de 
25  à  30  pieds,  sans  grande  épaisseur,  avec  «  des  espèces  de 
fossés  »,  mais  sans  ouvrages  avancés,  [.es  remparts  étaient 
garnis  de  52  canons  fort  mal  distribués.  Trois  portes  per- 
cées dans  l'enceinte  s'ouvraient  sur  la  banlieue;  la  pre- 
mière, celle  de  Saint-Louis.^  conduisait  à  la  cote  d'Abra- 
ham; la  seconde,  dite  de  Saint-Jean,  donnait  accès  au 
chemin  de  Sainte-Foy;  enfin  la  troisième,  la  porte  du  Pa- 
lais, faisait  communiquer  la  ville  avec  le  faubourg  de 
Saint-Uoch,  l'hôpital  général  et  les  paroisses  de  Beauport 
et  de  Cliarlcbourg,  éloignées  l'une  et  l'autre  de  deux  lieues. 
Les  fronts  autres  que  celui  de  terre  n'étaient  défenlus 
que  par  des  palissades  et  par  des  batteries  en  barbette,  ar- 
mées de  G(>  canons  et  8  mortiers.  La  basse  ville,  édifiée  le 
long  du  fleuve,  et  «  où  se  tient  tout  le  commerce  »,  était 
protégée  par  ï  batteries  de  gros  calibre  ayant  vue  sur  la 
rade.  Enfin  on  avait  érigé  deux  batteries  à  barbette  de 
k  canons  pour  couvrir  les  voies  qui  reliaient  la  ville  haute 
à  la  ville  basse. 

Aussitôt  arrivé  à  Québec,  Montcalm  ne  perdit  pas  de 
ten  ;>s  pour  y  appeler  les  5  bataillons  qui  étaient  encore 
dans  leurs  quartiers  d'hiver.  Il  fut  rejoint  le  23  mai  par 
Vaudreuil  et  peu  après  par  Lévis  ;  d'un  commun  accord  on 
commença  à  organiser  la  résistance.  Tout  d'abord,  on 
pensa  à  s'opposer  à  la  montée  de  la  flotte  ennemie,  me- 
sure qui  semblait  d'autant  plus  réalisable  que,  au  dire  des 
experts  de  la  rivière,  la  navip"  'ion  du  Saint- Laurent  en 
aval  de  Québec  et  notamment  à  la  Traverse,  présentait  des 


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270 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


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difficultés  sérieuses.  Ou  résolut  d'obstruer  le  passage;  il 
fut  arrêté  (1)  dans  un  conseil  où  furent  convoqués  les  offi- 
ciers de  mer,  «  que  l'on  coulerait  8  de  nos  navires  dans  la 
Traverse.  Cependant  avant  l'exécution  de  ce  premier  pro- 
jet on  voulut  auparavant  sonder  ce  qu'elle  pouvait  avoir 
au  juste  de  large.  M.  Pelegrin,  lieutenant  de  port  et  prati- 
que pour  la  rivière,  reçut  des  ordres  en  conséquence.  »  La 
reconnaissance  démontra  que  la  passe  avait  une  largeur 
de  1.000  toises,  au  lieu  de  celle  de  250  cpii  lui  avait  été 
jusqu'alors  attribuée.  Il  fallut  renoncer  à  l'entreprise.  Il  en 
fut  de  même  des  batteries  projetées  au  cap  des  Tourmentes 
qu'on  n'eut  pas  le  tei'  pi  d(  construira.  En  foit  la  flotte 
anglaise  ne  rencontra  pour  renionter  le  Saint-Laurent  que 
les  dangers  inhérents  à  un  chenal  peu  connu.  Malgré  le 
concours  de  pilotes  canadiens  qui!  s'était  procurés  par  sur- 
prise, l'ennemi  n'atteignit  que  le  27  juin  le  mouillage  entre 
l'Ile  d'Orléans  et  la  Pointe  de  Lévis.  Il  semblerait  que  pen- 
dant l'intervalle  de  5  semaines  qui  s'écoula  entre  la  venue 
de  Vaudreuil  et  l'arrivée  de  l'escadre  anglaise,  il  eût  été 
possible  d'ébaucher  quelque  chose  pour  la  protection  des 
abords  de  la  rade  de  Québec. 

Examinons  maintenant  les  dispositions  prises  et  les  élé- 
ments réunis  par  le  gouvernement  anglais  pour  la  con- 
quête du  Canada.  Comme  l'avaient  prévu  les  chefs  civils 
et  militaires  de  la  province,  l'attaque  devait  être  dirigée 
sur  trois  points  différents.  L'eti'ort  essentiel,  confié  au 
général  Amherst,  serait  tenté  par  la  voie  devenue  clas- 
sique des  lacs  George  et  Champlain  ;  à  gauche,  une  ex- 
pédition aurait  pour  objectif  In  prise  de  Niagara  et  la 
suprématie  sur  le  lac  Ontario;  elle  devait  être  secondée 
par  une  marche  en  avant  des  contingents  rassem])lés  à 
l'ancien  fort  Duquesne.  A  droite  une  opération  indépen- 
dante serait  poussée  contre  Québec.  Bornons-nous,  pour 


(1)  Jouin.il  de  Foligny  déjà  cilé. 


rUEPAIlATlFS  DES  ANGLAIS  CONTRE  LE  CANADA. 


271 


J "instant,  à  nous  occuper  do  cette  dcrnii^re  qui  d'accessoire 
devint  en  réalité  princi[)ale. 

Une  flotte  considérable  aux  ordres  de  l'amiral  Saunders, 
à  bord  de  laquelle  était  le  général  Wolfe,  avait  appareillé 
de  Portsmouth  vers  le  milieu  de  février;  elle  fit  un  séjour 
prolongé  à  Halifax  et  à  Louisbourg  où  furent  embarquées 
les  troupes  destinées  au  siège  de  Québec.  Saunders  avait 
été  précédé  par  l'escadre  du  contre-amiral  Durell  qui 
s'était  établie  en  croisière  dans  l'estuaire  du  Saint-l.aurent. 
Fort  heureusement  cet  officier,  parti  seulement  le  ï  mai  de 
Halifax,  était  arrivé  trop  tard  pour  intercepter  le  convoi 
de  France  dont  la  capture  eût  singulièrement  aggravé  les 
conditions  précaires  de  la  colonie;  il  s'empara  toutefois  de 
deux  bAtiments  retardataires  sur  lesquels  il  trouva  des 
cartes  marines  excellentes  qui  furent  utilisées  pour  la  navi- 
gation de  la  rivière. 

Au  départ  de  Louisbourg,  le  6  juin,  la  flotte  anglaise 
comptait  22  vaisseaux  de  ligne  et  5  frégates,  escortant  une 
foule  de  bâtiments  de  transport.  Le  corps  exj)éditionnairc 
était  commandé  par  le  major  général  Wolfe  qui  s'était 
distingué  au  siège  de  Louisbourg  et  que  le  ministre  Pitt 
avait  choisi  malgré  sa  jeunesse  (il  n'avait  (jue  trente-deux 
ans)  et  son  peu  d'ancienneté;  sous  lui  servaient  en  qua- 
lité de  brigadiers  Monckfon,  Townshend  et  Murray.  Les 
troupes  se  composaient  de  10  bataillons  d'infanterie  ayant 
hiverné  en  Amérique,  d'un  corps  délite  connu  sous  le 
nom  de  grenadiers  de  Louisbourg,  d'infanterie  légère,  de 
rangers,  et  d'un  fort  détachement  d'artillerie,  en  tout 
près  de  9.000  combattants.  En  outre  de  sa  division,  au 
cours  de  la  campagne  Wolfe  eut  à  sa  disposition  l'infan- 
terie de  marine  attachée  aux  vaisseaux,  V  compagnies  du 
62"  Régiment  adjointes  aux  ((  Marines  »  (1),  400  provitîciaux 
qui  rejoignirent  le  IV  juillet,  et  les  compagnies  de  débar- 

(1)  Infanterie  servant  à  hord  de  la  Motte  anglaise. 


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272 


L\  GUERRE  DE  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


quement  de  la  flotte  qui  furent  employées  comme  artil- 
leurs. 

Comme  instructions,  NVolfe  et  SauQders  avaient  reçu  de 
l'itt  la  mission  de  prendre  Québec;  ce  premier  avantage 
obtenu  et  une  gai'nison  laissée  dans  la  ville,  les  comman- 
dants des  armées  de  terre  et  mer  devaient  remonter  le 
Saint-Laurent  et  combiner  si  possible  leur  incursion  avec 
Amberstqui  assumerait  la  haute  direction  ;  avant  de  rentrer 
en  Europe,  l'amiral  devrait  tenter  quelque  chose  contre 
la  Louisiane  et  spécialement  contre  le  port  de  Mobile. 

Dans  sa  correspondance  intime,  Wolfe  se  montre  (1)  aussi 
bien  renseigné  sur  les  moyens  des  Français  que  confiant 
dans  le  succès  de  son  entreprise.  «  Les  troupes  régulières 
au  Canada  comprennent  8  bataillons  de  vieille  infanterie, 
à  peu  près  VOO  par  bataillon,  40  compagnies  de  troupes 
coloniales,  iO  hommes  par  compagnie.  Ils  peuvent  ras- 
sembler 8  à  10. 000  Canadiens  et  peut-être  1.000  Indiens. 
Comme  ils  sont  atta(piés  du  côté  de  Montréal  par  un  en- 
nemi fort  de  12.000  combattants,  il  leur  faudra  diviser 
leurs  forces.  »  Il  compte  avoir  atlaire  à  Québec  à  une  armée 
i\  peu  près  égale  à  la  sienne.  Quoique  reffeclif  dont  il  dis- 
pose soit  inférieur  à  ce  ([ui  lui  avait  été  promis,  il  a  toute 
satisfaction  au  point  de  vue  de  la  qualité,  à  re,\ce])tion  det; 
rangers,  «  les  plus  mauvais  soldats  du  monde  »,  et  des 
officiers  du  génie  qui  sont  <(  médiocres  et  n'ont  pas  d'ex- 
périence. »  Il  dépendra  de  la  marine  de  s'assurer  la  supré- 
matie sur  le  Saint-Laurent,  en  amont  et  en  aval  de  Québec. 
u  Si  je  trouve  l'ennemi  fort,  entreprenant  et  bien  com- 
mandé, j'agirai  avec  la  plus  grande  circonspection  et  pru- 
dence et  je  laisserai  à  M.  Amherst  le  temps  de  profiter  de 
sa  supériorité.  Si  l'ennemi  est  timide,  faible  et  ignorant, 
nous  le  pousserons  avec  plus  de  vivacité  pour  pouvoir  don- 
ner la  main  au  général  en  chef  avant  la  fin  de  lété.  » 

(1)  Wolfe  à  son  oncle.  Louisbourg,  19  mai  1759.  ]yri<jlit's  life  of  gêne- 
rai Wolfe. 


DÉBARQUEMENT  DES  ANGLAIS  SUR  L'ILE  D'ORLÉANS,         273 

Ce  fut,  nous  l'avons  dit,  le  27  juin  que  les  Anglais  com- 
mencèrent leurs  opérations  en  débarquant  sur  l'Ile  d'Or- 
léans qui  avait  été  al)andonnée  par  ses  habitants.  J-,e  capi- 
taine Knox,  qui  a  publié  (1)  un  récit  très  intéressant  des  faits 
et  gestes  de  l'armée  britannique,  ne  tarit  pas  en  éloges  sur 
la  beauté  du  site,  la  ferlilité  du  sol  et  la  richesse  du  pays. 
Dès  le  lendemain  de  la  mise  à  terre,  une  violente  tempête 
assaillit  l'escadre  et  les  transports  de  l'amiral  Saunders  : 
((  Beaucoup  (2)  d'embarcations  furent  brisées,  toutes  les 
baleinières  et  la  plupart  des  canots  enfoncés,  quelques  ba- 
teaux plats  détruits  et  d'autres  endommagés.  »  Pour  entra- 
ver la  montée  du  fleuve  et  pour  empêcher  la  descente  à 
terre,  aucun  ellbrt  sé:ieux  n'avait  été  tenté;  cependant 
le  mois  de   répit  qu'avait  duré  la  navigation  du  Saint- 
Laurent  n'avait  pas  été  perdu.  Dès  la  fin  de  mai,  les  V  fré- 
gates venues  de  France  comme  bâtiments  de  transport 
furent  armées  et  mises  en  état;  8  navires  de  commerce 
furent  transformés  en  brûlots.  Le  surplus  de  la  flottille 
remonta  avec  ses  cargaisons  aux  Trois  Kivières,  où  elle 
fut  utilisée,  sous  la  protection  do  deux  frégates,  comme 
dépôt  |)our  les  besoins  de  l'armée.  Deux  vaisseaux  échoués 
dans  la  rivière  de  Saint-Charles  devinrent  des  batteri^^s 
flottantes;  i  chaloupes  carcassièrcs  et  12  bateaux  servi- 
rent de  canonnières;  tous  les  matelots  de  la  marine  mar- 
chande disponibles  furent  affectés,  sous  les  ordres  de  leurs 
officiers,  aux  batteries  de  Québec.  Avec  des  hommes  d'é- 
lite empruntés  aux  milices,  on  organisa  sous  la  Uoche 
lieaumont  un  corps  de  200  cavaliers  destiné  à  porter  les 
dépêches,  à  courir  rapidement  d'une  localité  à  une  autre, 
en  un  mot  à  faire  le  métier  d'infanter-ie  montée.  Enfin  de 
nombreuses  équipes  d'ouvriers  fournies  par  les  réguliers 
et  par  les  Canadiens  travaillèrent  aux  retranchements  qui 


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(1)  Knox.  Histoiicnl  Journal. 

(2)  Wolfe  à  Holdernessc, ',)  sept.  1759.  WrUjIiVs  lifc  of  général  Wolfe. 

CIKRIIE   BE   SKIT   ANS.   —  ï.    Iir.  18 


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27'» 


LA  r.UERHE  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  M. 


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(lovaient  border  le  Saint-C.harles,  et  à  la  redoute  qui  pro- 
tégeait le  ponf  jeté  sur  cette  rivière. 

Au  sujet  de  la  position  à  prendre  par  l'armée  française 
pour  couvrir  la  capitale,  il  y  eut  quelque  hésitation  dans 
l'état-major.  Montcalm  aurait  voulu  occuper  les  hauteurs 
d'Ahraham  et  d'oisir  la  rivière  de  Saint-Charles  comme 
ligue  de  défense;  tout  au  plus  acceptait-il  d'étendre  son 
camp  jusqu'au  r.ivin  de  Heauport,  à  peu  près  à  mi-chemin 
entre  le  Saint-Cuaiîes  et  le  Saut  de  Montmorency.  I.évisau 
contraire  proposait  de  prolonger  les  lignes  jusqu'au  Saul. 
Ce  dernier  avis  fut  adopté  par  Vaudreuil  qui  commandait 
en  chef.  Lévis,  avec  les  Canadiens  du  gouvernement  de 
Montréal,  les  Indiens  et  qnel(|ues  piquets  de  réguliers,  eut 
la  garde  de  l'aile  gauche  et  s'appuya  îi  la  rivière  de  Mont- 
morency; le  centre,  sous  les  ordres  directs  de  Montcalm, 
composé  en  grande  partie  des  ô  bataillons  de  France,  campa 
autour  de  l'église  et  des  maisons  de  Beauport  ;  à  la  droite 
se  tinrent  les  miliciens  des  gouvernements  de  Québec  et 
des  Trois  Rivières.  Au  moment  de  l'arrivée  de  Wolfe, 
les  forces  du  camp  de  Beauport  s'élevaient  à  près  de 
10.000  hommes;  la  garnison  de  Québec  formée  d'éléments 
très  hétérogènes,  réguliers,  canonniers,  matelots  et  mi- 
liciens, comptait  environ  L-^OO  effectifs.  Au  cours  de  l'été, 
l'armée  canadienne  fut  rejointe  par  de  nombreux  volon- 
taires que  leur  jeunesse  ou  leur  vieillesse  exemptait  du 
service  de  la  milice,  mais  qui  avaient  tenu  à  prendre  les 
armes  pour  la  défense  de  leur  pays. 

Si,  comme  on  l'a  vu,  les  éléments  infligèrent  des  dom- 
mages à  l'envahisseur,  on  ne  saurait  en  dire  autant  des 
engins  inventés  pour  détruire  les  bâtiments  anglais.  Depuis 
plusieurs  semaines  on  travaillait  à  transformer  en  brû- 
lots les  navires  prélevés  sur  le  convoi;  l'un  d'eux  fut  in- 
cendié par  accident,  enfin  les  7  autres  furent  déclarés  prêts 
et  la  tentative  eut  lieu  pendant  la  nuit  du  27  au  28  juin, 
quelques  heures  après  le  débarquement  des  Anglais.  Elle 


INSUCCES  DES  lUlULOTS  CANADIENS. 


275 


('•clioua  compl/'tcmcnf.  «  Nos  chers  brûlots,  dit  le  journal  do 
Montcalm  (1),  cette  épithùte  convient  fort,  car  ils  coûtent 
1.500.000  à  1.800.000  livres,  sont  partis  hier  au  soir;  on  a 
mis  le  l'eu  à  trois  lieues  «Je  renncnii.  »  M.  de  Louche,  à  qui  ou 
avait  confié  la  direction,  man([ua  de  sang-froid  et  aban- 
donna trop  tôt  ses  bAtiments  dont  la  plupart  allèrent  à  la 
dérive  se  consumer  sur  la  rive  de  l'Ile  d'Orléans  où  ils  firent 
plus  de  peur  que  de  mal  aux  Anglais.  Kuo\  décrit  la  pa- 
nique produite  parmi  les  avant-posics  par  les  boulets  et  la 
mitraille  que  projetaient  les  canons  chargés  d'avance  au 
fur  et  à  mesure  que  la  chaleur  exerçait  son  action.  Les  ma- 
rins de  Saunders  se  distinguèrent  par  l'adresse  avec  laquelle 
ils  réussirent  à  saisir  et  à  remorquer  hors  de  la  zone  dan- 
gereuse les  brûlots  encore  .V  tlot.  Dans  cette  malheureuse 
atfaire  deux  officiers  de  marine,  M.M.  de  Milletière  et  son 
second,  qui  étaient  restés  courageusement  à  leur  bord, 
perdirent  la  vie.  l'ne  deuxième  tentative  du  même  genre 
faite  plus  tard  avec  des  cayeux  et  des  chaloupes  sur  les- 
quels on  avait  entassé  des  matières  intlammables,  quoique 
mieux  conduite,  n'eut  guère  plus  de  succès. 

Entre  temps,  la  mise  à  terre  du  corps  expéditionnaire  bri- 
tannique se  poursuivait  presque  sans  opposition.  Le  30  juin, 
Monckton,  qui  s'était  fait  précéder  la  veille  par  un  détache- 
ment, débarqua  avec  sa  brigade  près  de  la  pointe  de  Lévis 
et  se  rendit  maître  du  village  après  une  escarmouche  avec 
les  habitants.  Il  fit  afficher  aussitôt  à  la  porte  des  églises 
et  sur  les  maisons  une  proclamation  du  général  en  chef. 
Wolfe,  dans  le  langage  usuel  des  envahisseurs,  prévenait 
les  Can;idiens  qu'il  ne  faisait  la  guerre  qu'à  la  France,  ga- 
rantissait la  vie,  la  sécurité  et  l'exercice  de  leur  religi>jn  à 
tous  i.^ux  qui  ne  prendraient  pas  les  armes,  menaçait  les 
combat 'ants  de  toutes  les  sévérités  autorisées  par  les  lois 
de  la  gui'rre,  et  terminait  en  opposant  les  procédés  humains 

(1)  Journal  de  Montcalm,  2V<  juin  1759.  Page  361.  tollection  de  Lévis. 


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276 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VI. 


tle  SI  nation  aux  cruautés  autorisées  par  le  t,-ouvernement 
du  Canada.  Ces  belles  promesses,  disons-le  de  suite,  malgré 
la  bonne  foi  do  celui  qui  les  faisait,  furent  très  mal  tenues. 
«  Au  cours  de  l'engagement  de  ce  matin,  écrit  Kno.v  (1), 
nos  troupes  légères  s'emparèrent  d'une  grande  ferme  où  ils 
trouvèrent  beaucoup  de  provisions  et  de  rùcbilier  avec  le 
feu  brûlant  encore  dans  la  cheminée...  Entendant  les  voi.v 
de  personnes  qui  causaient,  ils  visitèrent  la  maison  sans 
rien  découvrir;  là-dessus  ils  résolurent  d'y  mettre  le  feu  et 
de  retournera  l'église.  Aussitôt  que  les  flammes  eurent  com- 
mencé à  gagner,  ils  furent  effrayés  d'entendre  les  cris  d'an- 
goisse de  femmes  et  d'enfants  qui  s'étaient  bêtement  ca- 
chés derrière  des  tas  de  bois  dans  les  caves.  Nos  gens 
avec  beaucoup  d'humanité  ont  essayé  de  secourir  ces  mal- 
heureuses gens  mais  leurs  efforts  n'aboutirent  pas;  la 
maison  fut  complètement  incendiée  et  ces  infortunés  péri- 
rent dans  les  flammes.  Tels  sont,  hélas!  les  t'^rribles  ell'ets 
de  la  guerre.  »  Ce  fut  sans  doute  sous  l'impression  de  ce 
triste  incident  que  Wolfe  fit  paraître  une  instruction  dé- 
fendant de  brûler  ou  de  détruire,,  à  moins  d'ordre  formel, 
les  églises,  habitations  ou  bâtiments  quelconques. 

Les  premiers  jours  de  juillet  s'écoulèrentsans  événement 
important  :  les  Anglais  employés  à  construire  des  batte- 
ries à  la  pointe  de  Lévis,  les  Français  à  compléter  leurs 
travaux  à  Québec  et  le  long  de  la  plage  de  Beauport.  Wolfe 
s'était  attendu  à  rencontrer  les  Français  occupant  Québec 
ou  cantonnés  sur  les  hauteurs  qui  avoisinent  la  ville.  C'était 
sur  cette  hypothèse  qu'était  basé  le  projet  d'attaque  dont 
il  avait  fait  part  à  son  oncle  (2)  :  «  La  ville  de  Québec  est 
médiocrement  fortifiée,  mais  le  terrain  qui  l'entoure  est 
escarpé.  Pour  assiéger  la  place  et  intercepter  toute  com- 
munication avec  la  colonie,  il  faudra  camper  notre  droite 

(1)  Knox.  Hisiarical  Journfil,  voi.  I. 

('2)  Wolfe  à  son  oncle.  Louisbouig,  19  mai  1759.   Wrvilil's  llj'e  of  (jenernl 
Wolfe. 


COMMENCEMENT  DL  SIEGE  DE  QUÉUEC. 


277 


à  la  riviôrc  Saint-Laurent  et  notre  gauche  à  la  rivière 
Saint-Charles.  Du  Saint-Cliarles  à  Bcauport,  la  communi- 
cation devra  ôtre  gardée  par  une  chaîne  de  postes  bien 
retranchés  et  de  redoutes,  l'ennemi  pouvant  franchir  la 
rivière  à  basse  mer.  Il  faudra  aussi  établir  des  petits  pos- 
tes forlifiés  de  la  pointe  de  Lé  vis  à  la  Chaudière.,.,  .le 
compte  que  nous  aurons  une  chaude  all'aire  au  passage  de 
la  rivière  Saint-Charles,  à  moins  que  nous  ne  puissions 
glisser  un  détachement  qui  remontera  le  Saint-Laurent  et 
débarquera  trois,  quatre  ou  cinq  milles  au  plus  au-dessus 
de  la  ville,  et  que  nous  ayons  le  temps  de  nous  retrancher 
si  fortement  que  rennemi  ne  se  souciera  pas  de  nous  at- 
taquer. »  Il  était  difficile  d'exécuter  la  descente  à  Heauport 
que  prévoyait  ce  programme,  mais  la  présence  des  Fran- 
çais sur  ce  point  n'était  pas  un  motif  suffisant  pour  aban- 
donner l'idée  d'opérer  sur  la  rive  gauche  du  Saint-Lau- 
rent. Aussi,  le  9  juillet,  le  gros  du  corps  expéditionnaire 
fut  mis  à  terre  au-dessous  du  Saut  de  Montmorency,  s'y 
installa  et  commença  une  batterie  destinée  à  prendre  à 
revers  les  lignes  françaises.  A  celte  occasion  les  sauvages 
se  jetèrent  su?.'  les  travailleurs  anglais,  leur  tuèrent  une 
cinquantaine  d'hommes,  mais  s'attardant  à  lever  les  che- 
velures, furent  repoussés  avec  une  perte  d'une  quinzaine 
des  leurs;  ils  se  vengèrent  (1)  en  égorgeant  5  prisonniers 
qu'ils  avaient  emmenés,  à  la  suite  de  l'établissement  du 
camp  anglais  au  Saut,  la  gauche  de  l'armée  de  iMontcalm 
se  trouva  fort  exposée  :  il  fallut  la  renforcer  d'une  partie  des 
réguliers  du  centre  et  élever  des  ouvrages  de  campagne 
pour  se  défder  du  feu  incessant  que  rennemi  entretenait 
de  l'autre  côté  de  la  ri\ièrc  de  Montmorency. 

Trois  jours  après  eut  lieu  une  expédition  aussi  malheu- 
reuse (|ue  ridicule  contre  le  camp  anglais  à  la  pointe  de  Lé- 
vis.  Voici  le  récit  que  fait  de  celte  équipée  le  Journal  de 


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(1)  Journal  de  Foligiiy.  Arrhivos  des  Colonies. 


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278 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


Foligny  (1)  :  «  Ce  môme  jour  12  juillet,  sur  les  9  heures  du 
matin,  tout  le  corps  tle  la  bourg-eoisie,  M.  d'Aine  juge  de 
Québec  en  tète,  vinrent  au  camp  représenter  pour  la  troi- 
sième fois  à  M.  le  général  quelle  allait  être  leur  perte,  s  il 
ne  leur  permettait  de  former  entre  eux  un  détachement  de 
12  à  1 .500  hommes  pour  passer  dans  la  nuit  prochaine  à  la 
pointe  de  Lévis,  afin  d'essayer  de  culbuter  la  batterie  des 
ennemis  qui  leur  avait  paru  ne  pas  tarder  de  jouer.  M.  le 
général  crut  devoir  accéder  à  leur  juste  demande,  vu  les 
dispositions  dans  lesquelles  ils  paraissaient  être  pour  sau- 
ver leurs  biens  en  ville.  En  conséquence  M.  Dumas,  major 
général  des  troupes  de  la  colonie,  reçut  ordre  de  prendre 
le  commandement  de  ce  détachement.  »  Montcalm  eut  la 
précaution  d'adjoindre  aux  Québécois  200  volontaires  des 
régiments  de  Sarre  et  Languedoc.  Le  tout  traversa  le  Saint  • 
Laurent  au  Cap  Rouge  et  se  mit  en  marche  en  descendant  la 
rive  droite.  La  nuit  était  des  plus  obscures;  les  miliciens, 
divisés  en  deux  colonnes,  s'égarèrent  dans  les  bois,  se  pri- 
rent mutuellement  pour  l'ennemi  et  se  tirèrent  des  coups 
de  fusil,  H  s'ensuivit  une  panique  que  Dumas  ne  put  ar- 
rêter. On  se  rembarqua  avec  précipitation  et  on  revint  à 
Québec  sans  avoir  aperçu  ombre  d'Anglais,  mais  avec 
2  tués  et  5  ou  6  blessés.  Celte  échauilburée  reçut  l'appella- 
tion du  «  coup  des  écoliers  »  ,  sans  doute  à  cause  de  la 
présence  d'un  piquet  de  30  élèves  du  séminaire  (2)  que  les 
plaisants  avaient  baptisé  du  nom  de  «  Royal  Syntaxe  ». 

Le  bombardement  qu'on  avait  voulu  empêcher  ou  tout 
au  moins  retarder  commença  dans  la  soirée  du  12  juillet 
et  continua  avec  quelques  intervalles  de  répit  pendant  le 
reste  du  siège.  (Certains  jours  et  certaines  nuits  le  tir  de  l'as- 
siégeant fut  des  plus  vifs;  de  leui's  galiotes  et  des  batteries 
de  la  Pointe  de  Lévis  les  Anglais  lancèrent  sur  les  deux 
<juartiers  de  Québec  une  pluie  de  boulets,  de  bombes  et  de 

(1)  Journal  de  Folignj".  Archives  tics  Colonies. 

(2)  Casgrain,  Montcalm  et  Lévis,  "ol.  II,  p.  105. 


nOMUAllDEMENT  DW  LA  VILLK. 

pots  à  fea  qui  n'endommagea  pas  beaucoup  les  batteries 
françaises  et  infligea  peu  de  pertes  aux  servants,  mais  qui 
détruisit  beaucoup  d'habitations  et  d'édifices  publics  (1 
«  La  cathédrale,  une  grande  partie  de  la  haute  ville  et 
toute  la  ville  basse  devinrent  la  proie  des  flammes.  On  pou- 
vait compter  les  maisons  qui  n'avaient  pas  été  trouées  par 
les  projectiles.  » 

A  ce  feu  les  Français  répondirent  avec  le  canon  de  Qué- 
bec et  celui  des  batteries  flottantes,  «  le  Dial)le  »  et  ses  deux 
compagnes  embossées  à  l'embouchure  du  Saint-Charles; 
mais  la  crainte  de  manquer  de  poudre  ou  de  munitions, 
l'infériorité  de  leurs  pièces  et  peut-être  l'inexpérience  du 
personnel,  ne  rendirent  pas  la  riposte  aussi  vigoureuse 
qu'elle  eût;  dû  l'être.  C'est  ainsi  (jiie,  grAce  à  la  négligence 
des  factionnaires  et  à  la  maladresse  des  pointeurs,  des  bA- 
timents  de  guerre  anglais  purent  remonter  en  amont  de 
Québec  :  «  Dans  la  nuit  du  18  au  19  (2),  entre  11  heures  et 
minuit,  4  navires  (de  l'escadre  de  Saunders)  dont  un  vais- 
seau de  50  canons,  ont  passé  devant  la  ville  et  ont  été  se 
mouiller  à  l'Anse  des  Mères  (près  de  Sillery),  après  avoir 
essuyé  quelques  coups  de  canon  sans  effet  pendant  une 
nuit  fort  obscure.  Plusieurs  berges  attachées  aux  vaisseaux 
ont  fait  la  même  route.  »  Aussitôt  parvenu  à  destination, 
l'ennemi  profita  de  sa  position  pour  incendier  le  dernier 
brûlot  canadien  qui  était  à  l'ancre  et  sans  garde.  Quand 
on  pense  que  la  largeur  du  fleuve,  entre  Québec  et  la  rive 
opposée,  ne  dépasse  pas  1.000  à  1 .100  mètres  dans  le  gou- 
let franchi,  le  résultat  négatif  que  nous  venons  d'enregis- 
trer ne  donne  pas  une  haute  idée  de  la  [jrécision  du  tir 
des  défenseurs  de  Québec. 

Cet  événement  était  gros  de  dangers.  Maîtres  du  Samt- 
Laurent  en  amont  et  en  aval,  les  Anglais  pourraient  couper 
la  ligne  de  ravitaillement  et  obliger  l'armée  de  Montcalni 

(1)  Casgrain,  Monlcalm  cl  Lcris,  vol.  II,  p.  107. 
("i)  Journal  de  Monlcalm,  \).  fj"8. 


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280 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VI. 


à  la  retraite  SOUS  peine  de  mourir  de  faim;  aussi  fut- il  dé- 
cidé d'envoyer  à  Sillery,  sous  les  ordres  de  Dumas,  900 
fantassins,  quelques  sauvages  et  les  200  cavaliers  de  la  Ko- 
che-Beaumont.  Dumas  arriva  fort  à  propos  pour  faire  dé- 
guerpir un  détachement  anglais  qui  avait  débarqué  à  la 
Pointe  au\  Trembles.  Son  commandant,  le  colonel  Carlo- 
ton,  eut  cependant  le  loisir  d'emmener  des  bestiaux  et  une 
centaine  de  vieillards,  d'enfants  et  de  femmes.  Parmi  ces 
dernières  se  trouvaient  quebjues  dames  de  la  société,  à  l'é- 
gard desquelles  Wolfe  se  montra  fort  galant;  il  les  invita 
à  souper  et  les  renvoya  à  Québec  avec  force  politesses  as- 
saisonnées, il  est  vrai,  de  la  promesse  \  tout  incendier 
dans  le  pays  s'il  n'obtenait  pas  une  prompte  soumission. 

En  dépit  de  ces  menaces,  l'assaillant  n'avait  fait  que  des 
progrès  insignifiants;  à  la  vérité  il  s'était  rendu  maître 
d'une  partie  du  gouvernement  de  Québec;  il  avait  dévasté 
de  nombreuses  propriétés,  capturé  beaucoup  de  femmes 
et  d'enfants,  ruiné  la  capitale  de  la  province,  mais  il  n'a- 
vait aucunement  entamé  l'armée  de  Montcalm,  et  tant  que 
celle-ci  serait  intacte,  rien  de  durable  n'aurait  été  accom- 
pli. En  effet  du  côté  du  Saut  de  Montmorency,  malgré  un 
échange  continuel  de  balles  et  de  boulets  entre  les  com- 
î)attants  qui  n'étaient  séparés  que  par  la  rivière,  les  An- 
glais n'avaient  acquis  aucun  avantage.  Aussi  Wolfe  ré- 
solut-il de  frapper  un  coup  de  vigueur. 

Le  31  juillet,  à  9  heures  du  matin,  le  vaisseau  anglais 
de  6V  canons  le  Centurion  et  3  frégates  vinrent  s'embosscr 
dans  le  chenal  entre  l'ilc  d'Orléans  et  la  rive  gauche  du 
Saint-Laurent;  ils  furent  bientôt  suivis  de  deux  transports 
armés  qui  se  rapprochèrent  le  plus  près  possible  des  re- 
tranchements, dont  le  chevalier  de  Lévis  avait  la  garde,  de 
la  rivière  de  Montmorency  à  la  Pointe  de  l'Essai.  De  l'artil- 
lerie de  ces  bâtiments  et  des  iO  canons  que  Wolfe  avait  en 
position  de  l'autre  bord  du  Saut,  les  Anglais  ouvrirent  vers 
midi  un  feu  des  plus  violents  sur  les  ouvrages  français;  ils 


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COMBAT  DU  SAl  T  DE  MONTMORENCY. 


281 


feiîçnircnt  mémo  de  vouloir  traverser  la  rivière  par  un  ,!:;ué 
en  amont  de  la  chute,  l'etidant  la  canonnade,  une  flottille 
de  plus  de  150  berges  prit,  ù  la  pointe  de  Lévis,  la  brigade 
Monckton  composée  de  .'{  bataillons  de  ligne  et  des  grena- 
diers de  Louisbourg.  Soit  hésitation  sur  le  point  do  des- 
cente, soit  désir  d'éviter  les  etlets  de  l'artillerie  française, 
ou  intention  de  tromper  le  défenseur,  les  chaloupes  an- 
glaises manœuvrèrent  pendant  plusieurs  heures  dans  la 
rade.  Enfin,  vers  5  heures  et  demie,  elles  se  dirigèrent  vers 
la  plage  à  environ  2  kilomètres  en  amont  de  l'embouchure 
de  Montmorency.  On  était  en  plein  jusant;  les  navires  an- 
glais, quoique  échoués,  continuaient  à  tirer  pour  protéger 
le  débarquement.  Les  troupes  du  camp  du  Saut,  conduites 
par  les  brigadiers  Townshend  et  Murray,  s'apprêtaient  à 
franchir  la  rivière  de  Montmorency  par  un  gué  qui  découvre 
à  basse  mer  et  à  se  joindre  aux  bataillons  de  Monckton. 
Entre  temps  les  Français  et  les  Canadiens  qui,  grAce  aux 
traverses  dont  les  tranchées  étaient  muiiies  avaient  peu 
souffert  de  la  canonnade,  à  l'approche  des  Anglais  avaient 
évacué  la  redoute  Johnstone  très  voisine  de  l'eau  ;  après 
avoir  encloué  les  canons,  ils  s'étaient  retirés  dans  les  re- 
tranchements qui  frangeaient  la  crête  du  rivage,  fort  raide 
dans  cet  endroit.  Pour  repousser  l'attaque  qui  se  dessinait, 
Lévis  avait  laissé  les  Canadiens  de  Kepentigny  en  observa- 
tion dans  le  haut  de  la  rivière  de  Montmorency,  et  garni 
les  ouvrages  établis  le  long  du  Saint-Laurent  avec  la  milice 
de  Montréal,  une  partie  des  sauvages  et  3  bataillons  de  ré- 
guliers que  Montcalm  avait  amenés  à  son  aide.  Le  général 
on  efl'et  n'avait  pas  été  déçu  par  les  démonstrations  des 
berges  et  s'était  porté  de  sa  personne  au  point  menacé  où 
il  fut  reçu  par  les  acclamations  des  soldats. 

D'après  les  ordres  de  Wolfe,  la  brigade  de  Monckton  de- 
vais débarquer  tout  entière  et  attendre  les  camarades  du 
camp  du  Saut  avant  d'aborder  les  lignes  françaises;  mais 
à  peine  mis  à  terre,  les  grenadiers  et  quelques  pelotons  du 


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282 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


Uoyal  Américain  coururent  en  avant,  occupèrent  la  redoute 
abandonnée,  et  commencèrent  à  gravir  la  pente  escarpée 
qui  faisait  suite  à  la  plage.  Ils  furent  rerus  par  une  fusil- 
lade des  plus  nourries  que  dirigèrent  contre  eux  les  hom- 
mes de  Lévis  abrités  derrière  leurs  épaulements.  Essoufflés 
par  la  course,  perdant  beaucoup  de  monde,  les  g-renadiers 
hésitèrent,  puis  reculèrent  en  désordre  jusqu'au  rivage, 
où  ils  furent  recueillis  par  les  autres  bataillons  de  Monck- 
ton  qui  avaient  débarqué  à  leur  tour.  A  ce  moment  éclata 
un  orage  épouvantable  qui  mit  fin  au  combat;  Wolfe  ne 
jugea  pas  à  propos  de  le  renouveler  et  donna  le  signal  de 
la  retraite.  Il  n'y  eut  pas  de  poursuite;  des  Anglais  les 
uns  regagnèrent  les  chaloupes,  les  autres  reprirent  le 
chemin  de  leur  camp  du  Saut  après  avoir  mis  le  feu  aux 
deux  transports  que  le  flot  en  se  retirant  avait  laissés  à  sec. 
Le  combat  du  Saut  de  Montmorency  coûta  à  l'armée 
britannique  (1)  443  tués,  blessés  ou  pris,  parmi  lesquels 
'i-  officiers  tués  et  29  blessés.  Les  i''rancais  n'accusèrent 
que  70  de  tous  rangs  hors  de  combat.  Il  semblerait  que 
malgré  la  pluie,  qui,  en  mouillant  la  poudre,  aurait  inter- 
rompu le  feu,  le  vainqueur  eût  pu  tirer  plus  de  parti  de 
son  succès  et  troubler  l'embarquement  des  vaincus.  La  tac- 
tique défensive  qu'avec  beaucoup  de  raison  les  généraux 
français  avaient  adoptée  pour  la  campagne  de  Québec, 
s'était  emparée  des  esprits  et  parait  avoir  été  étendue 
sans  motif  aux  opérations  de  détail.  Quoi  qu'il  en  fût,  les 
Anglais  ne  furent  suivis  que  par  quelques  Indiens  en  quête 
de  chevelures.  A  cette  occasion  se  possa  un  fait  (2)  à  l'hon- 
neur de  nos  troupiers.  Un  officier  du  Koyal  Américain,  dan- 
gereusement blessé,  était  aux  prises  avec  un  sauvage  qui 
voulait  l'achever;  il  fut  délivré  par  un  soldat  de  Guyenne 
qui,  au  péril  de  sa  vie,  saisit  l'Indien  à  bras  le  corps  et 


(1)  Chifl'res  donnés  par  Knox  et  Mante. 

(2)  Journal  de  Foligny  et  Casgrain.  Montcalm  et  /.vois,  vol.  Il,  |i. 
cl  141. 


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EXPKDITION  DES  ANGLAIS  CONTRE  NIAGARA. 


283 


reinpêcha  de  frapper.  L'officier  voulut  marf[uer  sa  recon- 
naissance en  ofl'rant  à  son  sauveur  une  Itourse  de  gui- 
nées  que  ce  dernier  refusa.  Wolfe,  inforni<'i  de  cette  belle 
action,  fit  remettre  à  Vaudreuil  une  somme  de  vingt  livres 
sterling  destinée  a  son  auteur;  mais  le  gouverneur  général 
la  retourna  avec  la  réponse  que  le  soldat  n'avait  fait  que 
son  devoir  en  obéissant  aux  ordres  du  commandement. 

Durant  les  premiers  jours  u  août,  rien  à  signaler  (pie  la 
reprise  du  bombardement  de  Québec  et  des  tentatives  de 
descente  à  la  pointe  aux  Trembles,  facilement  repoussées 
par  Hougainville,  qui  avait  remplacé  Dumas  ù  la  tête  du 
corps  volant  et  dans  la  surveillance  du  district  en  aniont  de 
Québec.  Le  9  août,  on  reçut  au  quartier  général  la  nou- 
velle de  la  défaite  des  contingents  français  des  pays  d'En 
Haut  et  de  la  prise  de  Niagara.  Rien  ne  paraissait  s'oppo- 
ser à  une  incursion  des  vain([ueurs  contre  les  postes  du 
Saint-Laurent  supérieur,  et  même  contre  Montréal,  aussi 
fut-il  décidé  d'y  envoyer  le  clievalicr  de  Lévis  avec  800 
bommes  dont  100  réguliers. 

Pour  apprécier  les  dangers  qui  menaçaient  la  colonie, 
il  nous  faut  suspendre  le  récit  de  la  campagne  de  Québec 
pour  relater  brièvement  les  événements  qui  s'étaient  pro- 
duits dans  les  parages  du  lac  Ontario.  Revenant  aux  projets 
élaborés  pour  la  première  fois  en  1756  par  l'un  de  ses 
prédécesseurs,  le  gouverneur  Sliirley,  le  général  en  chef 
Amherst  s'était  réservé  l'invasion  du  Canada  par  le  lac 
Champlain  avec  le  gros  des  forces  britanniques,  et  avait 
confié  à  son  subordonné,  le  brigadier  Prideaux,  l'entreprise 
contre  Niagara,  fort  important  qui  assurait  la  communica- 
tion de  la  colonie  avec  Détroit,  les  grands  lacs  et  la  région 
de  rohio.  Cet  officier  avait  quitte  Shcnectady  le  20  mai 
en  route  pour  Oswcgo  ou  Chouagen,  avec  une  division 
d'environ  5.000  combattants  composée  de  3  bataillons 
de  ligne,  2  bataillons  de  provinciaux,  un  parc  d'artillerie 
et  une  bande  de  sauvages  dont  la  plupart  avaient  servi 


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LA  GUERRE  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  M. 


iiiigiK'rc  SOUS  les  fleurs  de  lys,  et  que  rinllucncc  de  John- 
son, et  surtout  le  prestige  grandissant  des  Anglais,  avaient 
ralliés  à  la  cause  britannique.  Prideaux  laissa  le  colo- 
nel Haldeniond  à  Oswego  avec  mission  de  rétablir  les  ou- 
vrages détruits  par  Montcalni  en  1756,  et  s'end)ai"qua  le 
r"  juillet  pour  Niagara  où  il  prit  terre  à  (i  milles  à  lest 
du  fort. 

Le  nouveau  gouverneur  de  Niagara,  Pouchot,  était  ar- 
rivé le  30  avril  au  fort  qu'il  connaissait  d'autant  mieux 
qu'il  en  avait  dirigé  les  travaux  de  restauration  ;  s'ins- 
pirant  des  vues  optimistes  du  gouverneur  général  (1),  il 
crut  à  la  fidélité  des  alliés  sauvages  et  à  la  possibilité  de 
reprendre  position  sur  l'Ohio.  A  cet  effet,  il  renforça  de  ses 
soldats  disponibles  l'ancien  commandant  du  fort  Duquesne, 
1  jgneris,  qui  devait  opérer  de  ce  côté,  et  ne  garda  avec  bai 
qu'une  troupe  de  600  hommes.  Ses  illusions  duraient  en- 
core f\  la  fin  de  juin  (2),  quoiqu'il  ne  dût  pas  se  méprendre 
sur  les  mauvaises  dispositions  d'une  partie  des  Indiens  qui 
avaient  retenu  les  officiers  envoyés  chez  eux.  Il  fut  d'ail- 
leurs aussi  mal  servi  par  ses  propres  éclaireurs  que  par 
les  sauvages;  la  fiottille  dont  la  construction  venait  de 
s'achever  et  qui  avait  pris  la  place  des  bîUiments  incen- 
diés par  Bradstreet,  quoique  maîtresse  du  lac  Ontario,  ne 
sut  ni  intercepter  les  berges  qui  transportaient  les  soldats 
de  Prideaux,  ni  même  signaler  leurs  mouvements.  Pouchot 
n'apprit,  le  6  juillet,  la  venue  des  Anglais  que  par  les 
coups  de  fusil  qu'ils  tirèrent  sur  les  vedettes  de  la  garnison 
aux  environs  de  Niagara.  Dès  le  lendemain,  il  dépêcha  un 
courrier  pour  rappeler  à  son  aide  les  détachements  si  ma- 
lencontreusement expédiés  sur  l'Ohio.  Le  9,  le  siège  débuta 
par  l'ouverture  de  la  tranchée  (3)  et  fut  poursuivi  avec  ac- 

(1)  Pouchot  à  Lévis.  Niagara,  3  mai  1759.  Manuscrils  de  Lévis.  Québec, 
1894. 

(:>)  Poucliot  ù  Lévis.  Niagara,  27  juin  1759.  Manuscrits  de  Lévis.  Québec, 
18'.>i. 

(3)  llaldemond  ù  Amherst,  Oswego,  18  juillet  1759.  Record  Oftice. 


DKI'AITE  DE  LKiNKRIS  ET  PUISE  DE  NIAOAUA. 


•»85 


tivité.  Le  "20  juillet,  l*i'itleaux  fut  tué  par  une  hoinlie  qui 
éclata  en  sortant  du  mortier  et  remplacé  par  Johnson  (jue 
nous  avons  vu  commander  rarmée  coloniale  en  1755  contre 
Dieskau  et([ui,  bien  (ju  il  ne  fi\t  pas  militaire  de  profession, 
était  supérieur  en  yrade  aux  officiers  de  l'armée  régulière. 
Malgré  une  résistance  énergique,  Pouchot  commençait  A 
ôtre  réduit  aux  ahois,  quand  le  2.'J  au  matin  quelques  sau- 
vages lui  apportèrent  des  lettres  de  Ligneris  et  Auhry  an- 
non<;ant  leur  approche.  Ces  deux  officiers,  en  puisant  dans 
les  postes  de  l'Illinois  et  des  tlrands  Lacs,  avaient  réuni 
une  armée  fo  'niée  des  éléments  les  moins  homogènes  ;  dans 
les  rangs  se  confondaient  des  soldats  de  marine,  des  mili- 
ciens du  Canada,  des  colons  de  Détroit  et  de  l'Illinois,  des 
métis  tenant  plus  de  leurs  mères  indiennes  que  do  leurs 
pères  français,  enfin  des  sauvages  pur  sang'.  Pouchot  con- 
seilla aux  commandants  des  troupes  de  secours  de  traverser 
le  Niagara,  d'écraser  un  parti  anglais  de  200  hommes  ins- 
tallé sur  la  rive  droite  et  d'attendre  les  canots  qu'il  enverrait 
au-devant  d'eux.  Les  chefs  français  ne  voulurent  rien  mo- 
difier à  leurs  projets,  et  après  avoir  campé  auprès  de  la 
Chute,  reprirent  le  chemin  qui  conduisait  au  fort.  Le  lende- 
main 2V  juillet,  leur  détachement,  fort  de  12  à  1.300  hom- 
mes, y  compris  les  sauvages,  se  mit  en  route  par  le  sen- 
tier du  portage  et  malgré  toute  l'expérience  des  officiers 
en  matière  de  combats  dans  les  bois,  vint  tomber  dans  le 
piège  que  lui  avait  tendu  Johnson.  Le  général  anglais 
avait  divisé  ses  forces;  pour  repousser  une  sortie  des  as- 
siégés il  avait  laissé  une  partie  de  ses  réguliers  dissimulés 
dans  les  tranchées;  le  reste,  k  l'exception  de  quelques  hom- 
mes commis  à  la  garde  des  bateaux,  composé  de  soldats  de 
ligne,  de  provinciaux  et  d'Indiens,  fut  disposé  de  manière  à 
aborder  les  Français  en  tète  et  en  flanc  pendant  leur  mar- 
che. La  rencontre  fut  précédée  d'une  conférence  entre  les 
sauvages  des  deux  partis  qui  ne  produisit  pas  de  résultat  im- 
médiat mais  qui  semble  avoir  découragé  les  partisans  de  la 


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LA  GUElUlK  I)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


Kruncc.  (îes  derniers  prirent  peu  de  part  à  la  bataille  dont 
tout  le  poids  retomba  sur  les  blancs  ;  l'action  cjui  eut  lieu  prAs 
d'un  endroit  appelé  «  la  Belle  Famille  »  fut  courte.  I.es  sol- 
<lats  d'Aubry  et  do  Ligneris,  écrasés  par  la  sjipériorité  du 
nombre,  fusillés  à  bout  portant  par  leurs  adversaires  (|iii 
s'abritaient  derrière  les  arbres  de  la  forêt,  reculèrent  en 
désordre;  la  poursuit*'  leur  coûta  plus  cber  encore,  l'res- 
<jue  tous  les  soldats  du  détachement  de  la  marine  lurent 
tués;  sur  HO  officiers  l\  seulement  purent  s'échapper,  tous 
les  autres  furent  tués  ou  pris  et  |)armi  eux  les  deux  com- 
mandants, Ligneris  blessé  mortellement  et    Vubry,  ainsi 
que  les  capitaines  Mai'in,  de  Montigny  et  Villicrs.  Les  sau- 
vages anglais  levèrent  150  chevelures  et  firent  î)()  prison- 
niers qui  ne  furent  pas  rachetés,  ;l  l'exception  des  officiers, 
otqui  se  virent  condamnés,  selon  l'usage  féroce  (1)  du 
vainqueur,  aux  tortures,  à  la  mort  ou  à  l'esclavage.  Les 
débris  des  contingents  battus  regagnèreat  leurs  canots  et 
se  retirèrent  au  Détroit  après  avoir  brûlé  ou  fait  sauter 
les  forts  de  la  Presqu'île,  aux  Bœufs  et  .Machault.  Au  Dé- 
troit ils  restèrent  inactifs  jusqu'à  ce  que  la  capitulation  de 
Montréal,  en  septembre  1700,  eût  scellé  leur  sort.  Poucliot 
qui  avait  assisté  des  remparts  de  Niagara  à  quelques-unes 
des  péripéties  du  combat  et  qui  avait  tenté  une  .sortie  in- 
fructueu.se,  ne  voulut  pas  croire  à  la  défaite  de  ses  amis; 
pour  l'en  convaincre  il  lui  fallut  le  rapport  d'un  de  ses  of- 
ficiers qui  visita  dans  le  camp  de  Johnson  ses  camarades 
prisonniers.  Prolonger  la  résistance  n'eût   servi  à  rien, 
aussi  Pouchot  dont  la  garnison  avait  été  réduite  par  le 
feu  et  par  la  maladie  h  340  combattants,  et  qui  n'avait 
plus  que  140  fusils  en  état  de  fonctionner,  dut-il  se  rési- 

(1)  Amlierst,  dans  une  leUre  à  Wolfe  en  date  du  7  août  à  propos  de  ce 
combat,  fait  IVIo^e  de  l'humanité  des  .soldais  anglais  qu'il  oppose  aux 
cruautés  habituelles  des  l'rançais;  il  ne  parle  pas  de  ses  alliés  staivages. 
Johnson,  dans  .sa  dépêche  du'.)  août  à  Amlierst,  mentionne  le  départ  des 
Indiens  avec  leur  butin,  leurs  prisonniers  et  leurs  chevelures. 


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KCHi:(3  DE  L\  CORNE  A  CIIOUAfH'KN. 


287 


gner  i\  hattie  la  cimmade.  h'apW's  la  cnpitiiintion  sijznro 
le  25  juillet,  la  garnison  obtint  les  honneurs  de  la  guerre 
et  la  protection  contre  les  sauvages;  clic  lut  emmenée 
prisonni»''re  A  NeAV-York  et  hicntAl  échangée,  car  dès  l'hiver 
suivant.  Pouchot  avait  repris  sa  place  dans  les  rangs  de 
son  régiment.  La  défaite  de  I Jgncris  et  la  prise  de  Nia- 
gara assurèrent  non  seulement  }\  l'Anglais  la  suprématie 
sur  les  Grands  Lacs  et  sur  la  région  de  l'Ohio  dont  la  pos- 
session avait  été  la  cause  de  la  guerre,  mais  elles  ouvrirent 
à  l'envahisseur  du  Canada  les  portes  de  la  colonie. 

Pres(jue  le  même  jour  que  Prideaux  débarquait  à  Nia- 
gara, le  chevalier  de  la  Corne  (1)  prenait  terre  près  de 
(ihouaguen  avec  un  corps  de  1.20C  hommes  dont  2V0  sol- 
dats, 100  sauvages  et  le  reste  Canadiens.  Le  5  juillet  on  se 
mit  en  marche  pour  surprendre  l'ennemi  qui  n'était  pas  sur 
ses  gardes;  bientôt  les  éolaireurs  indiens  signalèrent  des 
travailleurs  occupés  k  couper  du  bois.  Il  eiU  été  facile  de  les 
enlever  sans  la  panique  de  quelques  mi'^'r  iens  qui  s'enfui- 
rent en  criant  :  Sauve!  Nous  sommes  cernés!  Quand  on  les 
rallia,  ce  qui  demanda  quelque  temps,  les  Anglais  s'étaient 
aperçus  du  voisinage  des  Français  et  s'étaient  retirés  der- 
rière les  retranchements  provisoires  que  le  colonel  llalde- 
mond  avait  fait  dresser.  La  Corne  fît  avec  quel(|ues-uns  de 
ses  officiers  une  reconnaissance  dont  le  résultat  fut  de  re- 
noncer à  l'attaque-.  Cependant,  malgré  cette  décision,  on  se 
fusilla  encore  le  lendemain;  l'engagement  coûta  aux  Fran- 
çais une  trentaine  de  tués  et  blessés  et  aux  Anglais  à  peu 
près  la  moitié  de  ce  chiffre.  La  Corne  rembarqua  son  monde, 
descendit  le  Saint-Laurent  avec  les  bAtiments  de  guerre,  et 
alla  camper  à  l'ile  des  (ialots  en  amont  des  rapides  qui 
précèdent  le  lac  Saint-François,  renonçant  ainsi  h  une  en- 
treprise qui,  bien  conduite,  eut  forcé  les  Anglaisa  lever  le 
siège  de  Niagara.  Les  avis  de  cette  place  et  l'échec  qu'il 

(1)  Relation  de  la  campagne  de  La  Corne  en  1759.  Colleclion  des  manus- 
crits Lé  vis. 


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LA  GUEimB  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VI. 


venait  de  sub'r  agircot  sur  l'pspiit  de  La  Corne  qai  s'inia- 
f;ina  «  que  l'ennemi  allait  se  pré.senter  tout  de  suite  à  hi 
tôte  des  Uapides  »,  et  qui  annonc,'a  son  intention  de  re- 
culer dans  ce  cas  jus(ju'au  coteau  du  Lac,  dernier  village 
de  la  Colonie  sur  le  Saint-Laurent  supérieur.  Aux  préoccu- 
pations causées  par  ces  graves  nouvelles  vint  s'ajouter  la 
difficulté  de  subvenir  au.v  besoins  matériels  de  l'armée. 
Ce  fut  dans  ces  conditions  que  Lévis  fut  nommé  au  com- 
mandement de  toutes  les  frontières  du  gouvernement  de 
Montréal,  il  partit  (1)  aussit(')t  pour  les  Uapides;  en  passant 
à  Montréal,  il  se  rendit  compte  que  la  question  des  vi- 
vres primait  toutes  les  autres  et  que  pour  le  pain  de  lu 
troupe  il  était  urgent  de  récolter  et  de  batti'e  la  récolte 
qui  fort  heureusement  promettait  d'être  abondante.  A  cette 
lin,  sur  les  800  hommes  qu'il  amenait  avec  lui,  il  en  mit 
'U)Q  à  la  disposition  de  la  culture  pour  rentici*  la  moisson. 
Puis  il  accomplit  sa  tournée  avec  son  activité  coutumière, 
débuta  par  les  Rapides  et  piu'  le  camp  de  La  Corne,  <'.ccé- 
lera  la  mise  à  l'eau  d'une  barque  sur  chantier  et  expédia 
les  deux  autres  en  croisière  sur  le  lac  Ontario  pour  obser- 
ver les  mouvements  des  Anglais.  Cette  besogne  achevée,  il 
poussa  jusqu'à  i^'rontenac  dont  il  évacua  l'artillerie,  redes- 
cendit le  Saint-Laurent  jusqu'à  la  mission  de  l'abbé  Piquet 
à  la  Présentation,  fit  choix  d'une  ile  pour  la  construction 
d'un  fort  qui  fut  appelé  de  son  nom,  en  surveilla  les  pre- 
miers travaux,  et  était  de  retour  à  Montréal  le  •'i  septembre 
après  une  absence  de  trois  semaines  bien  remplies.  Deux 
jours  furent  consacrés  à  organiser  le  service  de  ravitaille- 
ment de  l'armée  et  des  postes;  le  8  notre  chevalier  était  en 
route  pour  inspecter  le  corps  de  l»ourlamaque  dar.s  l'Ile 
aux  Noix  où  il  s'était  retiré;  la  visite  faite  et  l'entente  in- 
tervenue pour  la  défense  et  pour  la  subsislance,  Lévis  re- 
vint à  Mon^eal  où  il  reçut,  le  15  au  matin,  la  nouvelle  de 

(I)  Journal  des  cainpugnos  de  Lévis,  Collectibii  des  inunuscrils  Lévis. 


ENTHKE  EN  COMPAGNE  D  AMUEUST. 


289 


la  défîiitc  et  de  la  mort  de  Montcalm,  et  l'ordre  du  gou- 
verneur général  le  rappelant  à  l'armée. 

Mais  n'anticipons  pas,  et  avant  de  retourner  k  Québec 

disons  quelques  mot?  de  ce  qui  s'était  passé  du  côté  du  lac 

Cliamplain.  Hourlamaque,  chargé  de  cette  partie,  disposait 

de  3. 500  hommes  en  Iron,dont  l.VOO  Canadiens  et  Indiens, 

les  autres  réguliers.  11  av.ùt  l'ordre  de  céder  le  terrain 

aux  Anglais  dont  on  savait  les  forces  très  supérieures  aux 

siennes,  de  laisser  à  Carillon  une  garnison  qui  évacuerait  le 

fort  après  l'avoir  fait  sauter  aussitôt  «  que  l'ennemi  aurait 

établi  des  batteries  pour  le  battre  »,  d'agir  de  même  pour 

Saint  Frédéric  et  de  se  retirer  dans  une  île  de  la  rivière  de 

Uichclieu,  à  peu  de  distance  du  débouché  du  lac  Cliamplain. 

Dans  la  correspondance  échangée,  Montcalm  définissait  (1) 

dans  son  style  nerveux  et  concis  le  rôle  de  Hour'.amaque  : 

«  Votre  besogne,  dit)'    .  ite  de  la  mienne,  n'est  pas  de 

battre  mais  de  n'être  pas  battu;  ajoutez  que  votre  grande 

besogne  qui  vous  couvrira  de  gloire,  sera  de  retarder  par 

des  démonstrations,  le  plus  que  vous  pourrez,  l'ennemi... 

Aussi  ne  négligez  pas  les  travaux  inutiles  qui  souvent  en 

imposent,  et  ne  vous  retirez  que  pied  à  pied,  et  le  plus 

tard  que  vous  pourrez,  à  votre  île  aux  Noix,  puisque  ce  sera 

li\  le  dernier  point  de  défense  pour  votre  frontière  et  où  il 

faudra  vaincre  ou  périr,  et  où  il  faut  par  conséquent  arriver 

le  plus  tard  qu'il  sera  possible.  » 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut,  la  principale  atta- 
(|ue  contre  le  Canada  devait  se  faire  par  la  voie  des  lacs 
(ieorge  et  Cliamplain  ;  elle  eiuit  dirigée  par  le  général  Ani- 
lierst  devenu  commandant  en  chef  des  troupes  britanni- 
(liics  et  provinciales.  La  campagne  ne  débuta  que  tar- 
divement; le  21  juin,  Aniherst  avait  quitté  le  fort  Kdward 
(ou  Lydius)  sur  l'Iludson  avec  0.000  hommes;  mais  ce  ne 
fut  que  le  21  juillet  qu'il  s'embarqua  sur  le  lac  (leorge 

(1)  Monlcalm  à  hourlainaque.Québcc,  4  juin  1761).  LeUres  de  Hourlainariiie 
(  /llection  Lévis. 


••! 


i;UEnnK  m:  skpt  a.vs.  —  y.  iti. 


19 


290 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


pour  se  porter  à  la  rencontre  des  Français  campés  en  avant 
de  Carillon.  Son  armée  se  composait  de  6  bataillons  de 
ligne  et  d'un  détachement  de  l'artillerie  royale,  en  tout 
5.854  réguliers,  et  de .'). 279  provinciaux  ;  elle  emmenait  avec 
elle  un  parc  de  30  canons  dont  10  de  gros  calibre,  de  11 
obusiers  et  de  13  mortiers.  Le  22  au  point  du  jour,  l'avant- 
garde  anglaise  coinmandée  par  le  colonel  Gage,  débarqua 
au  Portage.  Sur  l'alerte  donnée  à  Carillon,  Bourlamaque, 
à  défaut  de  ses  sauvages  qui  refusèrent  de  marcher,  envoya 
reconnaître  l'ennemi  par  ses  volontaires  et  ses  Canadiens. 
Ceux-ci  n'arrivèrent  à  la  Chute  que  pour  voir  les  rangers 
défiler  au  pas  de  course  sur  la  passerelle  qu'on  n'avait  pas 
pris  le  soin  de  couper;  il  s'en  suivit  une  escarmouche  insi- 
gnifiante où  le  régiment  de  lîerry  perdit  4  soldats  scalpés 
sans  doute  par  les  rangers.  Dès  le  soir  de  cette  affaire  à 
minuit,  Bourlamaque,  qui  avait  déjà  commencé  à  déblayer 
le  fort,  mit  sa  division  A  bord  de  sa  flottille  et  vogua  vers 
l'embouchure  de  la  Barbue,  petit  affluent  du  lac  Chain- 
plain.  Il  laissait  à  Carillon  une  garnison  de  'lOO  hommes 
sous  le  capitaine  d'IIebécourt. 

Amherst  qui,  à  sa  grande  surprise,  avait  occupé  sans 
coup  férir  les  retranchements  derrière  lesquels,  il  y  avait 
h  peine  un  an,  Montcalm  avait  repoussé  les  assauts  répétés 
d'Abercromby,  entreprit  sans  ta^-der  le  siège  de  Carillon. 
Il  ouvrit  les  parallèles  dans  le  terrain  qui  s'étendait  entre 
le  fort  bâti  au  bord  de  l'eau  et  les  redoutes  que  l'on  avait 
construites  après  la  bataille  du  8  juillet  1758,  poussa  acti- 
vement les  terrassements  et  installa  ses  batteries.  L'achè- 
vement de  ce  travail  devait  être  le  signal  de  l'évacuation; 
aussi  dans  la  soirée  du  27  juillet,  llébécourt  embarqua  ses 
hommes,  ses  bagages  et  ses  canons,  prépara  les  mines  pour 
faire  sauteries  fortifi  itions  et  alla  rejoindre  le  camp  de 
son  général.  Au  moi     nt  du  départ  (1),  il  y  eut  du  désor- 

(1)  Dcsandrouins,  par  l'abbé  Gabriel,  cl  Manie,  Late  ivar  in  Ameriva, 
p.  213. 


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SIEGE  ET  ÉVACUATION  DE  CARILLON. 


291 


dre  ;  «  tous  les  soldats  étaient  y vres  »  ;  on  omit  d'enlever 
le  drapeau  qui  flottait  sur  le  fort  et  dont  s'emparèrent, 
le  lendemain,  malgré  l'incendie,  un  sergent  et  quelques 
Anglais  du  régiment  de  (iage;  on  faillit  oublier  un  déta- 
chement de  40  hommes  et  on  no  pensa  pas  à  prévenir  quel- 
ques découvreurs  qui,  rentrant  à  Carillon  qu'ils  croyaient 
encore  une  forteresse  française,  furent  faits  prisonniers 
par  l'ennemi. 

Le  général  britannique  avait  été  averti  (1)  par  des  dé- 
serteurs de  l'évacuation  et  de  l'explosion  imminente  ;  il  leur 
avait  môme  ofi'ert  100  guinées  pour  éteindre  la  mèche. 
Cette  proposition  ne  trouva  pas  preneur  et  les  mines  écla- 
tèrent vers  11  heures  du  soir,  quelques  moments  après 
la  sortie  du  commandant  français;  elles  renversèrent  un 
bastion  et  deux  courtines  mais  laissèrent  intacts  le  chemin 
couvert,  les  casemates,  les  murs  de  la  caserne,  et  onze 
fours  qui  furent  utilisés  par  l'envahisseur.  Le  fort  de  Carillon 
ou  de  Ticonderoga  (nom  indien  adopté  par  les  A  nglais)  était 
un  carré  '\(i  4  bastions  bâtis  de  pieux  encastrés  dans  un 
fond  de  roc  et  de  maçonnerie;  le  front  de  terre  était  pro- 
tégé par  deux  ra vélins;  ces  ouvrages  ainsi  que  la  con- 
trescarpe du  fossé  étaient  on  maçonnerie.  Au  surplus, 
Carillon  eût  été  susceptible  d'une  défense  plus  prolongée; 
les  Français,  grâce  à  leurs  trois  bâtiments  armés,  étaient 
maîtres  du  lac  et  auraient  pu  retarder  sans  grand  danger 
leur  départ  de  quelques  jours;  aussi  la  critique  que  Vau- 
drcuil  fit  à  Bourlamaque  paralt-olle  h  première  vue  lo- 
gique; mais  ce  dernier  se  justifia  en  invoquant  la  teneur 
des  instructions  qu'il  avcit  reçues  du  gouverneur  général 
lui-même.  Le  sif''ge  de  Carillon  coûta  aux  Anglais  1.")  tués 
ce  une  cinquantaine  de  blessés;  au  nombre  des  premiers 
fut  un  officier  de  mérite,  le  colonel  Roger  Tovk^nshend, 
emporté  par  un  boulet  de  canon. 

(1)  Journal  du  colonel  Aniherst,  1759.  Record  Ottice. 


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L\  GUEHHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


Très  méthodique  dans  ses  opérations,  Amhcrst  se  préoc- 
cupa avant  tout  de  consolider  la  position  acquise  et  s'ap- 
pliqua à  la  restauration  du  fort  et  à  l'achèvement  des 
ouvrages  adjacents  dont  les  Français  avaient  éhauchc  les 
fondations.  Il  était  campé  a  Carillon  et  avait  l'intention  d'y 
séjourner  encore  une  quinzaine  (1)  quand  il  apprit  l'a- 
gréable nouvelle  de  la  destruction  du  fort  Saint-Frédéric. 
Bouilamaque,  après  une  courte  station  sur  les  rives  de  la 
Barbue,  avait  gagné  Saint-Frédéric  où  il  fut  rejoint  par  la 
garnison  de  Carillon.  Le  31  juillet,  les  fourneaux  de  mines 
étaient  chargés  ;  l'armée,  embarquée  avec  ses  bagages,  mu- 
nitions et  matériel  de  tout  genre,  n'attendait  plus  «pie  la 
mise  du  feu  aux  poudres.  Le  moulin  situé  à  150  toises  du 
fort  sauta  le  premier  et  la  secousse  fit  tomber  la  dernière 
lance  de  feu;  il  fallut  rallumer  la  mèche  ;  cette  fois  l'explo- 
sion réussit  et  la  petite  flotte  s'éloigna  dans  la  direction  de 
l'Ile  aux  Noix  qu'elle  atteignit  le  2  août.  Dans  l'espace  de 
onze  jours  on  avait  abandonné  aux  Anglais  toute  la  région 
du  lac  Champlain  avec  ses  deux  forteresses.  Bourlamaque 
trouva  les  travaux  de  l'Ile  assez  avancés  mais  pas  encore 
terminés;  secondé  par  l'artilleur  Desandrouins,  il  y  em- 
ploya tout  son  monde  et  fut  bientôt  à  l'abri  d'un  coup  de 
main.  D'une  entreprise  de  ce  genre  le  prudent  Amherst 
était  d'ailleurs  incapable  ;  très  satisfait  de  ses  faciles  succès, 
il  passa  l'été  à  rétabhr  les  forts  détruits,  h  ouvrir  ou  h  per- 
fectionner les  voies  pour  le  passage  de  ses  convois,  enfin, 
œuvre  indispensable,  à  construire  des  biUiments  qui  pour- 
raient lutter  avec  la  flottille  française.  Ce  ne  fut  qu'au  mois 
d'octobre  qu'il  songea  à  reprendre  l'offensive. 

Du  côté  d'Ontario,  le  danger,  qui  au  lendemain  de  la  prise 
de  Niagara  paraissait  des  plus  imminents,  ne  répondit  pas 
aux  craintes  qui  avaient  motivé  la  mission  de  Lé  vis.  Malgré 
les  invitations  du  général  en  chef,  plus  entreprenant  pour 

(1)  Journal  du  colonel  Arnlicrsl,  1759.  Record  Oltice. 


GAGE  INACTIl-  A  OSWEGO. 


293 


1 


SCS  lieutenants  que  pour  Ini-mème,  le  brigadier  Gage,  qui 
avait  pris  la  succession  de  Johnson  à  la  tête  des  forces  bri- 
tanniques dans  ces  parages,  ne  crut  pas(l)  pouvoir  accom- 
plir d'autre  tâche  que  celle  de  la  réédificatiou  d'Osweg'o, 
et  se  déclara  dans  l'impossibilité  de  tenter  une  descente 
sur  les  bords  du  haut  Saint-baurent.  ' 

Revenons  à  Québec  oïl  nous  avons  laissé  Montcalm  vic- 
torieux dans  son  camp  de  Heauport,  mais  préoccupé  de  ses 
communications  avec  la  rivière  de  Jacques  Cartier  et  le 
haut  <lu  Canada,  Wolfc  à  cheval  sur  le  Saint-Laurent,  dé- 
sireux de  revanche  mais  incertain  sur  le  point  d'attaque. 
Après  le  départ  de  Lévis,  Montcalm  s'installa  de  sa  personne 
au  villag-e  de  l'Ange-Cardien  pour  surveiller  les  agissements 
des  Anglais  toujours  campés  de  l'autre  côté  du  Saut  de 
Montmorency;  on  se  livrait  de  part  et  d'autre  à  la  fusillade 
habituelle.  Le  19  août,  le  général  en  chef  reçoit  avis  que 
l'ennemi  avait  débarqué  à  quatorze  lieues  au-dessus  de 
Québec,  à  Deschambault  où  on  avait  mis  en  dépôt  les  ba- 
gages de  l'armée.  Grand  émoi  au  quartier  général  ;  Mont- 
calm marche  avec  les  grenadiers,  mais  en  route  il  apprend 
que  les  Anglais,  sur  la  venue  de  Bougainville,  avaient  rega-  " 
gné  le  bord  après  avoir  incendié  la  maison  qui  servait  de 
magasin.  Pendant  leur  court  séjour  à  Deschambault,  les 
olliciers  de  Wolfe  avaient  été  informés  par  les  habitants  de 
la  capitulation  ^e  Niagara  et  de  l'évacuation  de  Carillon 
et  Saint-Frédéric  qu'ils  ignoraient  encore.  Les  relations 
entre  Wolfe  et  Amherst  étaient  en  effet  des  plus  difficiles; 
deux  officiers  envoyés  par  ce  dernier,  déguisés  et  escortés 
par  quelques  Indiens,  étaient  tombés  entre  les  mains  des 
Abenaquis  de  Saint-François  et  avaient  été  conduits  au 
camp  de  lieauport. 

Vers  la  fin  d'août,  l'isolement  des  bAtiments  anglais  (un 
vaisseau  de  50  canons  et  3  frégates)  au-dessus  de  la  ville, 

(1)  Gage  à  Amherst,  11  septembre  1759.  Record  OUicc. 


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294 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VI. 


donna  l'idée  à  l'officier  Canon  de  les  enlever  à  l'abordage  ; 
c'eût  été  renouveler  l'exploit  de  la  marine  britannique  ù 
Louisbonrg;  mais  le  projet  adopté  en  principe  fut  ajourné 
sous  divers  prétextes  et  dut  être  abandonné  par  suite  de  la 
montée  de  5  vaisseaux  qui,  malgré  le  feu  des  batteries 
de  Québec,  purent  rejoindre  la  petite  escadre  d'amont.  Le 
passage  d'un  nouveau  renfort  de  4  navires,  le  31  août,  et 
l'évacuation  du  camp  de  Montmorency  accrurent  l'anxiété 
de  l'état-major  français  au  sujet  de  la  partie  au  delà  de 
Québec.  «  Enfin  le  camp  du  Sault  a  déblayé  aujourd'bui, 
écrit  Montcalm...  (1)  Si  j'avais  voulu  croire  tout  le  monde 
hier,  il  n'y  aurait  plus  que  3  ou  400  hommes  qu'il  fallait 
aller  charger.  Ce  matin  il  n'y  avait  qu'à  entrer  dans  le  re- 
tranchement; M.  Wolfe  nous  tendait  une  embuscade  avec 
2.500  hommes  qui  ont  descendu  en  bon  ordre  du  Sault.  La 
pièce  de  ik  les  a  salués  joliment,  coulé  une  berge  et  in- 
commodé une  autre,  ce  qui  était  déjà  arrivé  hier.  Dès  ce 
soir,  la  droite  est  renforcée  de  2.000  hommes;  j'y  passe  de- 
main et  Poulhariez  reste  général  depuis  le  Sault  jusqu'à 
l'église  de  Beauport.  Nous  avons  19  bâtiments  au-dessus 
de  Québec,  et  Bougainville  garde-côte  toujours  en  l'air.  Je 
m'établis  de  ma  personne  à  la  maison  de  Salaberry  pour 
être  en  belle  vue  et  à  portée  de  tout.  » 

Voici  le  résumé  que  fait  de  la  situation  le  général  (2) 
quelques  jours  plus  tard  :  «  Il  s'en  faut  que  la  campagne 
soit  finie  ici  depuis  le  départ  du  Sault.  Ainsi  au  contraire 
augmentation  de  batteries  et  de  feu  sur  la  ville.  Une  petite 
escadre  de  20  bâtiments,  50  ou  60  berges,  depuis  3  jours 
vis-à-vis  Sillery  et  le  Cap  Kouge  ;  Bougainville  côtoyant  ; 
la  ligne  très  longue.  Hier,  sur  les  10  heures  du  soir,  démons- 
tration d'attaque,  cent  berges  en  bataille  à  mi-chenal.  J'a- 
voue que  je  vous  voudrais  ici  et  que  je  voulais  que  M.  le 


(1)  Montcalm  à  Lévis.  Camp  du  Sault,  3  septembre  1769.  Collection  Lévis. 

(2)  Montcalm  à  Lévis,  8  septembre  1759.  Collection  Levis. 


I 


LES  ANGLAIS  SE  RENFORCENT  EN  AMONT  DE  QUÉBEC.       295 

marquis  de  Vaudreuil  vous  en  envoyât  un  ordre  condition- 
nel s'il  n'y  avait  rien  à  craindre  ot  que  tout  fût  bien.  »  Les 
allées  et  venues  des  bâtiments  anglais  (1)  qui  passaient  de- 
vant Québec  en  plein  jour  sans  se  soucier  des  boulets  et  des 
bombes  que  lançait  le  canon  de  la  ville,  entretenaient  l'hé- 
sitation dans  l'entourage  de  Montcalm.  Était-ce  une  feinte 
pour  détourner  l'attention  de  Québec  et  du  camp  de  lîeau- 
port?  Les  Anglais  avaient-ils  le  dessein  de  s'établir  solide- 
ment à  la  pointe  aux  Trembles,  A  Deschambault,  j\  quelque 
endroit  situé  sur  le  Saint-Laurent  pour  couper  les  commu- 
nications do  l'armée  avec  la  base  dont  elle  tirait  ses  vivres? 
Bouga inville  qui  avait  la  surveillance  du  fleuve  depuis 
les  portes  de  Québec  jusqu'à  la  rivière  de  Jacques  Cartier, 
était  sur  un  qui-vive  perpétuel.  «  Le  point  important,  mon 
cher  Bougainville,  lui  écrit  Montcalm  (2),  est  de  bien  sui- 
vre le  mouvement  des  corps  que  vous  avez  par  eau  vis- 
à-vis  de  vous.  Toutes  les  fois  que  vous  arriverez  à  temps 
pour  leur  débarquement,  j'en  ai  bonne  opinion,  quand 
même  vous  n'arriveriez  pas  avec  tout  votre  monde,  vous 
les  contraindriez  assez  pour  que  la  queue  joignit.  »  Vau- 
dreuil était  tout  aussi  perplexe  (3)  que  Montcalm  sur  le 
but  des  Anglais  :  «  L'ennemi  ne  peut  avoir  que  deux  ob- 
jets, mande-t-il  à  Bougainville,  la  diversion  ou  s'établir 
en  haut;  à  vous  dire  vrai,  je  crois  plutôt  le  premier,  et 
le  second  ne  leur  réussira  qu'autant  qu'ils  vous  prévien- 
dront. »  Le  10  septembre,  nouvelles  recomnjandations  (i) 
de  la  part  du  général  :  «  Il  est  toujours  à  craindre  qu'é- 
tant une  fois  établi  du  côté  du  sud,  si  on  a  de  fréquentes 
découvertes  par  eau,  il  (l'ennemi)  no  vous  dérobe  une 
marche  pour  se  porter  sur  Jacques  Cartier  ou  Descham- 


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(1)  Journal  de  Montcalm,  G  septembre  1759. 

(2)  Montcalm  à  Bougainville,  "  septembre  1759,  à   midi.  Papiers  de  fa- 
mille. 

(3)  Vaudreuil  à  Bougainville,  8  septembre  1759.  Papiers  de  famille. 

(4)  Montcalm  à  Bougainville,  10  septembre  1759.  Papiers  de  famille. 


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LA  OUEHUK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAIV  VI. 


bault  OÙ  ils  ont  déjA  été.  Je  ne  doute  pas  que  dans  votre 
disposition  vous  n'ayez  donné  des  ordres  pour  que  d'un 

poste  à  l'autre  on  file  diligemment  en  se  remplaçant 

Prenez  garde  à  Descliambault  quand  vous  devriez  rentbr- 
cer  Blau  de  peu,  car  d'un  autre  côté  on  craint  pour  le  Cap 
Rouge  à  cause  de  ses  vivres.  »  Le  lendemain  c'est  Remigny, 
officier  chargé  du  poste  de  Sillery,  qui  (1)  fait  part  d'une 
reconnaissance  eli'ectuée  la  veille  par  l'élat-major  anglais  et 
qui  signale  une  frégate  anglaise  qui  <(  l'offusque  beau- 
coup ».  A  Jacques  Cartier,  le  commandant,  Blau,  s'e.v- 
cuse  (2)  d'avoir  manqué  M™"  de  Vienne  qui  lui  avait  été 
recommandée  par  Bougainville  :  «  J'ai  fait  courir  après 
elle  moins  dans  l'espoir  de  réussir  à  lui  être  bon  à  quelque 
chose  que  pour  lui  marquer,  et  à  vous,  mon  cher  colonel, 
ma  bonne  volonté  et  mon  zèle  pour  le  service  des  dames, 
et  surtoi  i  de  M"""  de  Vienne  dont  le  mari  vient  de  couvrir 
le  centre  de  mon  individu  et  le  mettre  h  l'abri  du  froid... 
Hors,  mon  cher  colonel,  gardez  bien  vos  moutons  et  ne 
permettez  pas  qu'il  s'en  échappe,  car  s'ils  entreprennent 
de  venir  pâturer  chez  nous,  nous  leur  mangerons,  si 
nous  pouvons,  la  laine  sur  le  dos;  mais  ils  (les  Anglais)  res- 
pectent diablement  Jacques  Cartier,  car  ils  y  ont  passé  et 
repassé  quatre  fois  au  moins  sans  oser  y  mordre  ;  ce  sont 
des  moutons  bien  timides.  » 

Pour  garder  la  longue  ligne  du  fleuve,  Bougainville  qui 
avait  été  renforcé  successivement  de  détachements  de  ré- 
guliers, de  quelques  sauvages  et  de  2  pièces  de  canon,  avait 
250  hommes  au  Cap  Rouge,  30  à  Samos,  50  à  Saint-Michel, 
100  à  Sillery  et  100  entre  l'Anse  des  Mers  et  l'Anse  au  Fou- 
lon. Des  garnisons,  se  montant  à  570  hommes  en  tout, 
occupaient  les  villages  de  Saint-Augustin,  la  Pointe  aux 
Trembles  et  Jacques  Cartier;  enfin  un  corps  volant  formé 

(1)  Rémigny  à  Bougainville.  Sillery,  11  si-pleinbre  1759.  Papiers  de  famille. 

(2)  Rlau  à  Hougainville.  Jacques  Carlier,  11  septembre  1759.  Papiers  de 
famille. 


BOUGAINVILLE  SURVEILLIi  LE  SALNT-LAUHEM. 


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presque  en  totalité  de  1.100  grenadiers  et  vol(»ntaires  des 
bataillons  de  France  devait  se  porter  au  secours  dos  postes 
menacés.  Le  gros  do  rarmée  de  Montcalm,  amoindri  des  dé- 
tachements de  Lévis  et  Bougainville,  campait  entre  le  vil- 
lage de  lieauport  et  la  rivière  Saint-Charles.  'I  avait  été 
considérablement  diminué  par  le  départ  des  Canadiens, 
surtout  de  la  province  de  Québec,  dont  un  grand  nombre 
avaient  abandonné  les  lignes  pour  rentrer  leur  moisson. 
«  Il  n'est  pas  de  nuit,  écrit  Foligny  (Ij,  qu'il  ne  s'en  sauve 
plus  de  5iOO,  sans  que  M.  le  général  y  mit  ordre,  malgré 
les  plaintes  de  M.  le  marquis  de  Montcalm  cpii  craint  que 
les  ennemis  s'aperçoivent  de  cette  désertion  «pi'il  estime  i 
plus  de  2.000  hommes.  » 

D'autre  part,  le  manque  de  vivres  se  faisait  sentir  ;  malgré 
la  réduction  de  la  ration  de  pain,  le  munitionnaire  ne  pou- 
vait assurer  que  quelques  jours  d'approvisionnements.  De- 
jiuis  la  montée  des  navires  anglais,  les  communications  par 
eau  étaient  fort  exposées  et  il  fallait  se  servir  de  la  voie  de 
terre,  mais  ce  mode  de  ravitaillement  laissait  fort  A  désirer. 
«  Toutes  les  charrettes  sont  rompues,  écrit  Higot  (2),....  et 
les  chevaux  ruinés  depuis  qu'on  a  fait  des  transports  de 
Jacques  Cartier  k  Québec,  de  sorte  qu'il  ne  nous  est  plus 
possible  d'en  faire  faire  par  terre.  »  L'incertitude  du  len- 
demain avait  uu'^  répercussion  fiicheuse  sur  la  discipline  : 
«  Nous  avons  (3)  grand  besoin  ici  d'un  renfort  en  farine; 
car  la  troupe  n'a  ({ue  trois  quarterons  de  pain,  ce  qui  la  con- 
firme dans  le  droit  qu'elle  s'était  attribué  de  tuer  bœufs, 
vaches,  cochons  et  volailles,  et  de  prendre  les  pois  et  au- 
tres légumes.  Tout  le  voisinage  à  présent  à  deux  lieues  à  la 
ronde  est  ravagé.  »  Pas  plus  que  Montcalm,  l'intendant  ne 
se  faisait  illusion  sur  le  rembarquement  prochain  de  Wolfe 
dont  le  bruit  commençait  à  se  répandre  dans  le  camp  fran- 


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(1)  Journal  de  Foligny,  24  août  17i9.  Archives  des  Colonies. 

(2)  Bigot  à  Lévis.  Beauport,  11  septembre  1759.  Collection  Lévis. 

(3)  Bigot  à  Lévis,  8  septembre  1759.  Collection  Lévis. 


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LA  GUEHUE  I)E  SKl'T  ANS.  —  (HAP.  VI. 


çais.  <(  .le  ponse  bien  différomnicnt  que  vous  sur  le  départ 
(les  Anglais;  je  compte  qu'ils  seront  encore  ici  le  15  octo- 
bre, .l'aimerais  bien  à  me  flatter,  mais  je  ne  le  peux  •>. 

Biyot  ne  se  trompait  pas.  lUen  ({ue  découragé  par  sou 
échec  du  31  juillet,  impressionné  par  les  pertes  que  son  ar- 
mée avait  éprouvées,  souffrant  d'une  maladie  dont  il  avait 
apporté  les  germes  d'Angleterre,  Wolfe  était  bien  décidé  jI 
tenter  un  dernier  eiïort;  mais  se  défiant  de  ses  forces  phy- 
siques qui  trahissaient  son  énergie  morale ,  il  consulta  ses 
lieutenants  sur  la  direction  j^i  donner  à  l'attaque.  A  cet  ef- 
fet il  communiqua  ù  ses  brigadiers  les  instructions  confi- 
dentielles du  gouvernement  britannique  et  un  mémoire  (1) 
où  il  exposait  ses  idées  et  les  soumettait  à  leur  appréciation. 
D'après  lui,  c'était  à  l'armée  de  Montcalm  qu'il  fallait  s'at- 
tacher, parce  que  la  défaite  de  celle-ci  entraînerait  la 
chute  de  Québec  et  peut-être  de  tout  le  Canada.  Trois 
projets  s'olï'raient  au  choix,  mais  ne  différaient  que  par  le 
détail;  tous  les  trois  visaient  les  lignes  de  Beauport  qui 
seraient  abordées  soit  en  les  tournant  par  derrière,  soit  en 
les  prenant  de  flanc,  soit  en  renouvelant  l'assaut  de  front 
qui  avait  si  mal  réussi.  Le  général  insistait  en  outre  sur 
la  nécessité  de  ruiner  toutes  les  campagnes  des  environs 
de  Québec. 

A  ce  mémoire  les  trois  brigadiers,  Monckton,  Townshend 
et  Murray  répondirent  par  un  avis  motivé,  daté  du  29  août. 
Ils  étaient  adversaires  résolus  de  toute  tentîitive  nouvelle 
du  cAté  de  Montmorency,  dont  les  chances  de  succès  leur 
semblaient  plus  que  problémati^  es.  L'opération  s'accom- 
plirait-elle, que  Montcalm  serait  encore  maître  de  se  retirer 
sur  la  rivière  de  Saint-Charles  et  d'en  disputer  le  passage; 
là  il  s'appuierait  sur  la  ville  et  conserverait  ses  communi- 
cations avec  l'intérieii  '  du  pays  dont  il  tirait  ses  approvi- 
sionnements. '<  Nous  sommes  dons  d'opinion,  déclaraient- 

(1)  Mante,  Late  war  in  America,  p.  249, 


WOLFE  CONSILTK  SES  HRK'.ADIKRS. 


900 


ils,  (jiio  la  manière  la  plus  avantageuse  de  frapper  un  coup 
décisir  serait  de  transporter  les  troupes  k  la  rive  sud  du 
tlcuve  et  d'opérer  en  amont  de  la  ville.  Si  nous  prenons 
pied  sur  la  rive  nord,  le  marquis  de  Montcalm  sera  obligé 
de  nous  combattre  sur  le  terrain  que  nous  aurons  choisi; 
nous  serons  entre  lui  et  ses  provisions,  entre  lui  et  l'armée 
opposée  au  général  Amherst.  S'il  nous  livre  l)ataille  et 
que  nous  le  battions,  Québec  et  probablement  tout  le  Ca- 
nada seront  il  nous,  résultat  bien  supérieur  à  tout  avan- 
tage que  nous  pourrions  emporter  du  côté  de  Beauport. 
Par  contre,  si  l'ennemi  passe  la  rivière  Saint-Charles  et  nous 
oppose  des  forces  suffisantes  pour  faire  échouer  notre  ma- 
nœuvre, nous  serons  en  état  de  nous  rabattre  sur  le  troi- 
sième projet  du  général  (qui  d'après  nous  présente  le  plus 
de  chances  de  succès),  ou  d'entreprendre  quelque  chose 
d'autre  contre  les  lignes  de  Beauport,  nécessairement  dé- 
garnies par  l'envoi  de  détachements  contre  nous  en  amont 
de  la  ville.  » 

Avec  beaucoup  de  désintéressement,  Wolfe  se  rallia  au 
plan  de  ses  subordonnés  et  prit  aussitôt  les  mesures 
pour  en  assurer  l'exécution.  Une  partie  du  programme, 
celle  de  la  dévastation  du  pays,  avait  déjà  été  appliquée 
sur  une  vaste  échelle.  Les  lettres  des  deux  armées  sont 
remplies  de  récits  d'incendies,  de  ravages,  de  cruautés 
indignes  de  gens  civilisés.  i<  Les  ennemis  sont  présente- 
ment occupés, écrit  Bigot(l),  au  nombre  de  1.000  ou  1.100 
hommes,  suivant  le  rapport  des  prisonniers,  à  brAler  les 

paroisses  qui  sont  vis-à-vis  la  Pointe  aux  Trembles Il 

n'y  a  rien  de  nouveau  ici.  M.  Wolfe  fait  brûler  dans  plu- 
sieurs paroisses.  »  Mêmes  renseignements  dans  le  journal 
de  Montcalm  (2)  :  «  Les  Anglais,  fidèles  imitateurs  de  la  fé- 
rocité de  nos  sauvages,  ont  fait  la  chevelure  à  quelques 


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(1)  Bigot  à  Lévis,  15  et  2G  août  1759.  Collection  Lévis. 

(2)  Journal  de  Montcalm,  1"  septembre  1759.  Collection  Lévis. 


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300 


LV  ClKlinK  l)K  SEPT  ANS.  —  CIIAI».  VI. 


Iiabilants  do  la  côte  du  .sud.  (Ifoiru-l-ou  (ju'uik;  nation 
policôe  s'acluirnc  de  sang-froid  à  niutdor  dos  cadavres.' 
Oetle  barbarie  aurait  été  ab()li(î  parmi  les  sauvages,  s'il 
était  possible  de  les  corriger.  On  leur  paie  fort  cber  les 
prisonniers,  bien  peu  les  chevelures.  On  s'j  est  pris  de 
tontes  les  manières  et  sans  fruit,  mois  on  n'a  [)as  du  moins 
il  se  reprocher  d'avoir  suivi  leur  exemple.  » 

Aux  débuts  de  la  cam[)a,t,Mie,  Wolfe  s'était  opposé  aux 
procédés  inqualifiables  en  usa^e  dans  les  guerres  d'Amé- 
rique. Dans  son  premier  manifeste  aux  (Canadiens,  tout 
en  alléguant  «  (pie  les  cruautés  innommées  »  des  Français 
<(  pourraient  servir  d'excuses  aux  représailles  les  plus  sé- 
vères »,  il  avait  affirmé  que  «  l'Anglais  dédaigne  cette 
méthode  sauvage.  La  religion  lui  prêche  l'humanité  et  son 
cœur  en  suit  avec  plaisir  les  préceptes.  »  H  avait  plus  tard, 
par  un  ordre  en  date  du  2V  juillet,  interdit  <(  la  pratique 
barbai'C  de  lever  la  chevelure,  excepté  quand  l'ennemi  est 
un  Indien  ou  un  Canadien  habillé  en  sauvage.  »  Mais  en 
fait,  ces  instructions  philanthropiques  ne  furent  guère 
observées.  Le  capitaine  Knox  enregistre  plusieurs  exemples 
d'atrocités  qu'il  n'hésite  pas  à  bhlmer,  malgré  ses  préjugés 
enracinés  contre  tout  ce  qui  n'appartenait  pas  i\  sa  natio- 
nalité. Tantôt  ce  sont  des  colonnes  volantes  qui  rentrent 
avec  des  familles  entières  de  pauvres  habitants  qu'on  a  dé- 
pouillées de  toutes  leurs  possessions;  tantôt  c'est  un  prê- 
tre, le  curé  de  Portneuf,  qui  est  massacré  avec  ses  parois- 
siens. Le  malheureux  avait  écrit  à  un  officier  anglais  que 
puisque  ce  dernier  «  se  battait  pour  son  Uoi  et  pour  la 
gloire,  il  espérait  être  excusé  s'il  se  battait  pour  la  dé- 
fense de  ses  paroissiens  et  de  sa  patrie.  »  Ce  beau  langage 
ne  l'empêcha  pas  d'être  tué  et  scalpé  avec  30  de  ses  con- 
citoyens, sous  prétexte  qu'ils  étaient  déguisés  en  Indiens. 
L'historien  Parkman  (1)  cite,  entre  autres  incidents,  la 

(1)  Parkman,  Monlrnlm  et  IVoIfe,  vol.  H,  p.  201. 


IMlUCKhkS  (ilUELS  DES  ANdLAIS. 


sot 


houchcricdcs  liahitants  cloSuiiil-Joiichiin,  faits  prisonniers 
iV  la  suite  d'une  rencontre,  sur  les  ordres  d'un  cajutaine 
du  '$T  de  liijnc.  Wolfc,  il  est  vrai,  avait  sanctionné  ces 
mesures  par  une  dernière  proclamation  où  il  avertissait 
la  population  civile  qu'en  raison  «  des  cruautés  peu  chré- 
tiennes commises  en  toutes  occasions  contre  ses  trouiies, 
il  était  obligé  par  égard  pour  elhs  et  pour  lui-même  de 
les  punir  (les  Canadiens)  con)me  ils  le  méritai(Mit.  » 

l'n  des  lieutenants  de  Woit'e,  le  brigadier  Townsliend, 
dans  j<a  correspondance  intime  (1),  ne  dissimule  pas  le 
dégoût  que  lui  inspirent  les  scènes  dont  il  est  le  témoin 
involontaire  :  «  Je  n'ai  jamais  servi  dans  une  campagne 
aussi  peu  satisfaisante  que  celle-ci.  L'inégalité  de  nos 
forces  a  réduit  nos  opérations  à  des  épisodes  d'escarmou- 
ches, de  massacres  et  de  ruines.  C'est  la  guerre  sous  la  pire 
forme.  » 

Mais  laissons  ces  exécutions  aust>i  inutiles  qu'indignes 
de  la  réputation  du  général  et  de  ses  soldats,  et  revenons 
aux  événements  militaires.  Dans  une  dépêche  à  Pitt(2), 
en  date  du  •!  septembre,  Wolfe  rend  compte  de  l'état  cri- 
tique de  son  armée.  Depuis  le  débarquement  dans  l'Ile 
d'Orléans,  il  avait  perdu  parle  feu  85V  officiers  et  soldats, 
à  peu  près  le  dixième  de  son  effectif;  à  ce  déchet  s'ajoutait 
celui  des  maladies  qui  devait  être  k  peu  près  égal  au  pre- 
mier. Au  cours  des  deux  mois  qu'il  est  en  campagne,  il  n'a 
obtenu  d'autres  résultats  que  la  destruction  d'une  grande 
\  artic  de  Québec  et  la  dévastation  de  la  province  ;  mais 
quant  aiT  but  de  l'expédition,  la  prise  de  la  ville,  il  n'est 
pas  plus  avancé  qu'au  début.  Le  général  relate  la  consul- 
tation de  ses  brigadiers  et  transmet  leur  avis  qu'il  a  adopté. 
Il  est  d'accord  avec  l'amiral  et  avec  le  commandant  du 
génie  pour  considérer  comme  impraticable  l'assaut  de 


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(1)  ToNvnsliend  à  sa  femme,  6  septembre  1759.  Munuscript's  of  llie  inar- 
qucas  Toirnsliend  (Londres,  1887). 
(?)  Wolfe  à  PiU,  2  septembre  1759.  Citée  par  Mante. 


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302 


LA  GUEURi:  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


Quél)ec.  «  Aux  avantages  extraordinaires  de  la  nature  l'en- 
uemi  a  ajouté,  pour  la  défense  du  fleuve,  un  grand  nom- 
bre de  batteries  flottantes  et  de  baleaux  ;  la  bonne  garde 
de  ces  bAtimcnts  et  la  vigilance  des  Indiens  autour  de  nos 
postes  ont  rendu  toute  surprise  impossible.  La  situation 
ofl're  un  tel  cboix  de  difficultés  que  je  m'avoue  fort  em- 
barrassé sur  le  parti  à  prendre.  Les  affaires  de  la  Grande 
Bretagne  exigent,  je  le  sais,  les  partis  les  plus  résolus, 
mais  on  ne  saurait  avoir  recours  au  courage  d'une  poi- 
gnée de  braves  soldats  que  s'il  y  a  quelque  espoir  d'une 
issue  favorable.  Cependant  vous  pouvez  être  assuré  que 
j'emploierai,  (autant  que  je  le  pourrai),  le  peu  de  temps 
qui  me  reste  de  la  saison  pour  l'honneur  de  Sa  Majesté  et 
l'intér'H  de  la  Nation.  »  Le  ton  de  cette  lettre  ne  dénote 
guère  la  confiance  dans  le  succès;  toutefois  l'écrivain,  à 
moitié  guéri  de  sa  fièvre,  se  mit  énergiquement  à  l'œu- 
vre. La  première  mesure  fut  l'évacuation  du  camp  du 
Saut;  les  troupes,  débarquées  d'abord  à  la  Pointe  de  Lé- 
vis,  gagnèrent  par  la  rive  sud  la  rivière  des  Echemins  et 
furent  logées  au  nombre  de  3.G00  hommes  sur  les  22  bâ- 
timents que  le  contre-amiral  Holmes  avait  réunis  en  amont 
de  Québec.  Le  7  septembre,  il  y  eut  une  démonstration 
devant  le  Cap  Rouge  qui  fit  accourir  le  corps  volant  de 
Bougainville,  l'infanterie  montée  de  La  Roche  Beaucourt 
en  tête;  puis,  le  mauvais  temps  intervenant,  il  fallut 
mettre  à  terre  les  soldats  anglais  dont  la  santé  souffrait 
de  leur  entassement  à  bord. 

Sur  ces  entrefaites  Wolfe,  aidé  de  Stobo,  prisonnier  (1) 
échappé  de  Québec,  avait  reconnu  toute  la  côte  et  choisi 
pour  son  entreprise  un  des  endroits  entre  l'Anse  des  mers 
et  le  Cap  Diamant  où  le  falaise  n'est  pas  inaccessible.  Il 


(1)  stobo,  oriicier  colonial,  avait  été  livré  aux  Français  comme  otage  lors 
de  la  capitulation  du  fort  Nécessité  en  l"ô5  et  retenu  prisonnier  à  la  suite 
de  la  violation  de  l'arranucinent. 


DERNIERES  LETTRES  DE  WOLFE. 

rembarqua  son  monde  le  12  septeml)rc,  appela  à  lui  tout  ce 
qui  n'était  pas  strictement  nécessaire  pour  les  postes  de  la 
Poinle  de  Lévis  et  de  l'ile  d'Orléans,  et  lança  un  ordre  du 
jour  où  il  annon(;ait  son  intention  de  prendre  terre  sur  la 
rive  nord  et  de  comljattre  l'ennemi;  il  terminait  par  un  ap- 
pel au  courage  et  à  l'amour-propre  de  ses  hommes.  <(  Offi- 
ciers et  soldats  se  rappelleront  ce  que  le  pays  attend  d'eux 
et  ce  qu'un  corps  énergique  de  vétérans  est  capable  de 
faire  contre  cinq  faibles  bataillons  français  môit's  à  des 
paysans  indisciplinés.  »  Le  général  anglais  se  rendait  fort 
bien  compte  de  la  qualité  supérieure  do  ses  troupes  :  «  Le 
marquis  de  Montcalm,  avait-il  écrit  (1),  dans  sa  dernière 
lettre  à  sa  mère,  est  à  la  tête  d'un  grand  nombre  de  mau- 
vais, et  moi  à  la  tête  d'un  petit  nombre  d'excellents  soldats 
qui  ne  demandent  qu'à  se  battre  avec  lui;  mais  le  vieux 
malin  évite  un  engagement  parce  qu'il  n'est  pas  bien  sûr 
de  la  bonne  conduite  de  son  armée.  »  Wolfe,  d'ailleurs, 
rendait  justice  à  la  tactique  de  son  adversaire  :  «  Si  le 
marquis  de  Montcalm,  écrivait-il  (2)  quelques  jours  avant 
sa  mort,  s'était  renfermé  dans  la  ville  de  Québec,  nous 
en  serions  maîtres  depuis  longtemps,  parce  que  les  fortifi- 
cations n'ont  pas  grande  valeur  et  notre  artillerie  est  for- 
midable, mais  il  a  un  corps  nombreux  d'hommes  sous  les 
armes  (je  ne  puis  pas  l'appeler  une  armée)  et  le  pays  peut- 
être  le  plus  difficile  du  monde,  pour  appuyer  la  défense 
de  la  ville  et  de  la  colonie.  »  Dans  cetve  dépêche,  la  der- 
nière (ju'il  adressa  au  ministère  anglais,  il  énumère  les 
obstacles  que  rer.contrera  le  débarquement  en  amont  de 
Québec,  parmi  lesquels  la  violence  du  courant  de  jusant, 
qui  dure  sept  et  quelquefois  huit  heures,  est  peut-être  le 
plus  grave;  il  se  plaint  beaucoup  de  sa  santé  et  termine 
par  ces  mots  :  «  Ma  constitution  est  complètement  ruinée, 


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(1)  Wolfe  à  sa  mère,  31  août  1759.  Lettre  citée  par  Païkman. 

(2)  Wolfe  à  Iloldernesse,  à  hovàdiiSiitlieiiand ,'J  septembre  1759.  Wriijhl's 
life  of  gênerai  Wolfe. 


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30'i 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  vr. 


et  cela  sans  la  consolation  d'avoir  rendu  à  l'État  un  ser- 
vice considérable  et  sans  l'espoir  de  le  faire.  >> 

Malgré  ou  peut-être  à  cause  de  la  déférence  qu'il  a^ait 
montrée  à  ses  lieutenants,  Wolfe  ne  semble  pas  avoir 
fi'agné  leur  confiance;  Townshend  avait  été  jusqu'à  met- 
tre en  doute  (1)  la  capacité  de  son  chef;  Murray  s'exprime 
dans  le  même  sens.  D'après  un  projet  rédigé  par  eux  (2), 
les  brigadiers  anglais  auraient  été  partisans  d'une  des- 
cente (3)  plus  rapprochée  du  Cap  Rouge,  tandis  que  leur 
général  (4)  préférait  l'anse  du  Foulon  ;  toujours  est-il  qu'ils 
lui  adressèrent  (5)  le  12  septembre,  une  lettre  collective 
se  plaignant  du  manque  de  précision  des  instructions  re- 
çues et  demandant  un  complément  d'informations  sur  le 
point  désigné  pour  l'entreprise.  Wolfe,  sans  se  froisser  de 
ce  procédé  insolite,  répondit  aussitôt  par  un  bille!,  (G)  daté 
du  même  jour  à  8  heures  et  demie  du  soir.  Il  se  réfère  aux 
souvenirs  de  Monckton  qui  l'avait  accompagné  dans  sa  der- 
nière reconnaissance  :  <  L'endroit  se  nomme  le  Foulon;  il 
est  à  2  ou  2  et  demi  milles  de  Québec,  où  vous  devez  vous 
rappeler  un  camp  de  12  à  13  tentes  et  un  abatis  plus  bas.  » 
Monckton,  comme  le  plus  ancien,  devait  surveiller  le  dé- 
barquement de  i'avant-garde,  à  laquelle  succéderait  le 
gros  sous  Townshend  et  Murray. 

Enfm,  les  détails  ainsi  élucidés,  dans  la  soirée  du  12  sep- 
tembre, on  fit  passer  dans  les  chaloupes  de  la  flotte  1.700 


(!)  Townshend  à  s;i  femme,  Camp  Lévis,  (>  septembre  175'J;  Murray  à 
Townshend,  5  octobre  1759.  Maniiscript's  of  the.  Martjuesn  Toinishend. 

(2)  Plan  of  opérations  by  the  Brigadiers.  Newcastle  Papers,  vol.  32895. 

(3)  Rapport  de  l'amiral  Holmes,  à  bord  du  Lowesto/  ,  18  septembre  1759. 
Newcastle  Papers. 

(4)  Wolfe  à  Burton,  à  bord  du  Siillierland,  10  septembre  1759.  Wright's 
lift'  of  général  Wolfe. 

(5)  Leller  signed  by  the  Brigadiers  on  board  the  l.oirestofl,  12  septembre 
1769.  Newcastle  Papers. 

(6)  Wolfe  à  Monckton  à  bord  du  Sullicrland,  12  ."eptembre  1759.  New- 
castle Papers. 


DÉBARQUE'dENT  DES  ANGLAIS  PRÈS  DE  L'ANSE  DU  FOULON.    305 


hommes  coramamlés  par  le  colonel  llowe  et  destinés  à  mar- 
cher les  premiers.  Cette  opération  s'accomplit  devant  le 
Cap  Kouge  où  Bougainvillo  se  trouvait  en  personne;  puis, 
après  avoir  feint  de  remonter  le  fleuve,  les  berges  suivies 
à  trois  quarts  d'heure  d'intervalle  par  les  bâtiments  de 
transport  et  de  guerre,  à  l'exception  du  Siitherland  resté 
devant  le  Cap  Rouge,  se  laissèrent,  vers  2  heures  du  matin, 
dériver  dans  la  direction  de  Québec.  Uae  circonstance  im- 
pfé  'ue  favorisa  l'entreprise.  La  difficulté  des  transports 
par  terre  avait  décidé  les  Français  à  revenir  à  la  voie  d'eau 
pour  l'acheminement  des  farines  nécessaires  au  pain  de 
l'armée;  à  cet  effet  le  munitionnaire  Cadet  avait  prié  Bou- 
gainville  (1)  de  faire  partir  dans  la  nuit  du  12  au  13  sep- 
tembre les  bateaux  chargés  de  cette  denrée;  les  postes 
de  la  côte  avaient  été  prévenus  et  avaient  reçu  la  consi- 
gne de  protéger  la  manœuvre.  Le  malheur  voulut  que 
l'envoi  de  farines  fût  ajourné  sans  communication  du  con- 
tre-ordre aux  détachements  intéressés,  et  que  deux  déser- 
teurs de  ces  mêmes  détachements  allassent  porter  au  gé- 
néral Woîfe  la  nouvelle  qu'ils  avaient  tout  lieu  de  croire 
exacte  de  la  descente  d'un  convoi.  Ainsi  avertis,  les  An- 
glais, quand  leurs  embarcations,  arrivées  à  la  hauteur  de 
Samos  et  de  Sillery,  furent  hélées  par  les  factionnaires,  ré- 
pondirent en  français  :  «  Convoi  de  vivres  ;  ne  faites  pas  de 
bruit,  les  Anglais  nous  entendraient  !  »  Grâce  à  cette  ruse, 
ils  purent  continuer  leur  route  sans  recevoir  les  coups  de 
fusil  qui  auraient  éveillé  l'attention. 

Lvi  courant  très  rapide  entraîna  la  flottille  un  peu  au 
delà  de  l'endroit  où  le  débarquement  avait  été  prévu  ;  ac- 
cident heureux  pour  les  Anglais,  car  aucune  sentinelle 
n'était  là  pour  dénoncer  leur  venue.  On  jeta  à  terre  avant 
le  jour  quelques  grenadiers  nvec  ordre  de  gravir  le  sentier 


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(1)  lUgot  à  Dougainville.  Beauport,  12  septembre  1739.  Papiers  de  fairi.'lo 
de  Bougainville. 


CUERKK  DE   SEPT   ANS.    —   T.    III. 


20 


30(i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAP.  M. 


escarpé  qui  mène  au  haut  de  la  falaise  et  de  pousser  en 
avant  jusqu'à  l'ennemi.  L'ascension  ne  fut  retardée  que 
par  les  obstacles  naturels  du  terrain  ;  parvenus  au  som- 
met, ils  essuyèrent  quelques  coups  de  fusil  des  Canadiens 
de  Vergor  qui  se  gardaient  fort  mal.  Cet  officier  qui 
avait,  prétend-on  (1),  permis  à  une  partie  de  son  monde 
d'aller  faire  leur  moisson  au  village  voisin  de  Lorette,  fut 
blessé  et  pris;  ses  hommes  s'enfuirent  pour  la  plupart  vers 
le  Cap  Uouge.  Pendant  celte  escarmouche,  la  mise  à  terre 
se  poursuivait  eu  bas;  à  peine  vidées,  les  chaloupes  al- 
laient chercher  les  soldats  restés  à  bord  des  bâtiments. 
La  fusillade  d'en  haut  et  les  cris  victorieux  des  grena- 
diers anglais  furent  le  signal  qui  décida  de  la  continuation 
de  l'entreprise.  A  en  croire  certains  récils  (2),  si  l'assaut 
de  sa  petite  avant-garde  n'eût  pas  réussi,  Wolfe  eût  re- 
noncé à  une  opérdtion  sur  le  succès  de  laquelle  on  ne  ta- 
blait guère  (3)  dans  son  état-major.  Vers  5  heures  du  matin, 
quelques  centaines  de  soldats  britanniques  avaient  pris 
pied  sur  le  plateau;  il  commençait  à  faire  jour.  Wolfe  en- 
A'oya  Murray  s'emparer  des  batteries  de  Samos  et  Sillery 
qui  avaient  ouvert  le  tir  sur  la  flottille.  Le  brigadier  put 
accomplir  sp.  mission  sans  grande  opposition  des  postes 
de  Douglas  et  Ilemigny  qui  ne  comptaiek*  pas  plus  de 
150  hommes  et  qui  se  retirèrent  après  avoir  encloué  les 
pièces.  Entre  temps  les  1  'laillons  anglais,  au  fur  et  à  me- 
sure de  leurs  formations,  lirent  une  marche  de  flanc  dans 
la  direction  de  Québec  ;  puis  à  la  vue  des  Français  donl  les 
premiers  échelons  garnissaient  la  colline  des  Buttes  à  Ne- 
veu, ils  se  déployèrent  en  ligne  dans  la  plaine  d'Abraham. 
La  gauche  anglaise  était  couverte  par  l'infanterie  légère 


(1)  Johnslone.  Dialogue  (]e  Montcnlm  et  Wolfe  aux  Champs-Elysées. 
Ouvrage  manuscrit.  liibliothùque  de  la  Guerre. 

(2)  Bigot  au  ministre,  15  octol)re  l/.vj.  Archives  des  Colonies.  Bigot  ré- 
pète ce  qu'il  a  entendu  dire  au\  oniciers  anglais. 

(3)  Rapport  de  Holmes  déjà  cité. 


WOLFE  PRIÙND  POSITION  SUR  LA  PLAINE  D  AHRAIIAM. 


307 


du  colonel  Howe  embusquée  dans  les  maisons  de  Sillery 
et  dans  celles  qui  bordent  la  route  de  ce  village  à  Québec. 
A  la  droite  quelques  feux  de  pelotou  avaient  fait  rétrogra- 
der un  détachement  français  qui  faisait  mine  de  pousser 
jusqu'à  l'anse  du  Foulon.  Bientôt,  grâce  à  la  venue  des 
dernières  troupes  débarquées,  l'armée  de  Wolfe  fut  au 
complet  rangée  en  deux  lignes,  la  première  forte  de 
7  bataillons  aux  ordres  de  Monckton  et  Murray,  la  seconde 
de  '\  bataillons  sous  Townshend  ;  en  réserve  le  VS*  régi- 
ment; un  des  bataillons  de  la  seconde  ligne  replié  en  po- 
tence devait  assister  llowe  et  ses  chasseurs  dans  la  tâche  do 
protéger  le  flanc  gauche  et  les  derrières  de  l'armée.  Le» 
Anglais  avaient  sur  le  champ  de  bataille  'i..500  combat- 
tants de  tous  grades  (1)  et  deux  canons  de  campagne. 

Pendant  que  Wolfe  et  le  gros  de  ses  troupes  descendaient 
le  fleuve  et  se  préparaient  à  prendre  pied  à  l'anse  du  Fou- 
lon, l'amiral  Saunders  détournait  l'attention  des  Franc^ais 
en  canonnant  la  malheureuse  ville  de  Québec,  en  plaçant 
des  bouées  d'amarrage  et  en  faisant  manœuvrer  devant 
les  lignes  de  Beauport  de  nombreuses  embarcations  plei- 
nes de  matelots  et  de  «  marines  ».  Montcalm,  avisé  de  ces 
démonstrations,  fit  aussitôt  garnir  les  ti'anchées  du  rivage 
et  pas.>a  la  nuit  en  l'attente  des  événements.  Au  petit  jour 
il  entendit  (2)  le  canon  de  Samos  et  s'imagina  que  les  An- 
glais îivaient  enlevé  le  convoi  de  provisions  annoncé  ;  puis, 
voyant  tout  tranquille,  il  renvoya  les  troupes  à  leur 
camp,  se  restaura  en  buvant  quelques  tasses  de  thé  avec 
son  aide  de  camp  Johnstone,  et  se  porta  à  cheval  vers  le 
logement  du  gouverneur  général.  A  partir  de  ce  moment, 
le  récit  que  Johnstone  met  dans  la  bouche  de  son  héros 


(1)  L'état  de  Iroupes  engagées  donné  parKnox  fait  ressortir  ■i.SlG  présents 
sans  compter  l'artillerie.  Le  rapport  de  Townshend  donne  le  cliifFre  de  4.484 
ponr  tous  grades  et  corps. 

(2)  Johnstone.  Dialogue  de  Montculm  cl  Wol/c. 


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308 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAl».  Vl. 


dill'ère  de  celui  de  Vaudreuil.  D'après  ce  dernier  (1),  Mont- 
calm  «  fut  le  premier  informé il  ordonna  tel  mouve- 
ment qu'il  jugea  à  propos,  sans  m'en  faire  part,  ni  même 
me  voir;  un  seul  billet  que  M.  do  Bernetz  m'écrivit  do 
Québec  à  6  heures  moins  un  quart...  m'apprit  que  l'en- 
nemi était  descendu  au  Foulon.  »  Johnstone  au  contraire 
raconte  qu'ils  n'eurent  connaissance  de  l'entreprise  de 
Wolfe  qu'en  apercevant  les  habits  rouges  sur  les  hauteurs 
d'Abraham,  qu'ils  rencontrèrent  le  gouverneur  général 
sortant  de  son  logis,  et  qu'après  avoir  causé  avec  celui-ci, 
Montcalm  ordonna  à  lui,  Johnstone,  de  courir  à  Beau- 
port,  de  dire  à,  Poulhariès  qui  y  commandait  d'y  conserver 
200  hommes  et  de  faire  partir  tout  le  reste,  le  plus  vite 
possible,  pour  les  hauteurs  d'Abrahoui.  11  y  aurait  eu  quel- 
que discussion  sur  l'interprétation  de  cet  ordre  entre  Johns- 
tone, le  brigadier  Sénezergue,  Poulhariès  et  Lotbinière,  of- 
ficier d'ordonnance  de  Vaudreuil;  Poulhariès  aurait  même 
montré  un  message  signé  du  major  général  Montreuil  et 
apporté  par  Lotbinière  «  que  pas  un  homme  de  la  gauche 
ne  devait  quitter  son  camp.  »  Quelle  que  fût  la  teneur  des 
instructions  ou  la  responsabilité  engagée  pour  leur  trans- 
mission, elles  eurent  pour  résultat  de  laisser  dans  le  camp 
presque  tous  les  Canadiens  du  gouvernement  de  Montréal. 
Dans  l'état-major  français  on  fut  quelque  temps  avant  de 
comprendre  la  gravité  du  fait  qui  s'était  produit.  Dans  le 
billet  dont  parle  le  gouverneur  (2) ,  Bernetz,  tout  en  annon- 
çant la  descente  des  Anglais,  croit  qu'ils  se  sont  rembarques 
et  ne  demande  pour  la  ville  de  Québec  qu'un  renfort  de 
2  piquets,  c'est-à-dire  de  100  hommes.  Vaudreuil  dans  une 
lettre  (3)  a  Bougain ville,  expédiée  à  6  heures  trois  quarts 
du  matin,  s'exprime  dans  le  même  sens  :  «  Il  parait  bien 

(1)  Vaudreuil  au  Ministre.  Montréal,  5  octobre  1759.  Récit  de  la  campagne. 
Archives  des  Colonies.  Canada. 

(2)  Bernetz  à  Vaudreuil.  Québec,  13  septembre  17.59.  Archives  des  Colonies. 

(3)  Vaudreuil  à  Bougainville,  13  septembre  1750.  Papiers  de  famille. 


ALARME  AU  CAMP  DE  HEAUPORT. 


809 


certaiQ  que  rennemi  a  fait  un  débariiuement  à  l'Anse  au 
Foulon;  nous  avons  mis  bien  du  monde  en  mouvement; 
nous  entendons  quelques  petites  fusillades.  M.  le  marquis 
de  Montcalm  vient  de  partir  avec  100  hommes  du  gouver- 
nement des  Trois  Rivières  pour  renforcer;  sitôt  que  je  sau- 
rai posit' ,ement  ce  dont  il  sera  question,  je  vous  eu  don- 
nerai avis.  »  Montcalm  tout  d'abord  se  contenta  d'envoyer 
sur  les  hauteurs  le  régiment  de  Guyenne  qui  y  avait  été 
posté  au  commencement  du  mois  et  qui  en  avait  été  retiré 
fort  mal  à  propos  le  0  septembre.  Quand  il  parvint  lui- 
même  en  haut  et  vit  les  bataillons  anglais  en  ligne,  il  se 
rendit  compte  de  l'étendue  du  danger,  et  expédia  officier 
sur  officier  pour  lui  amener  tout  ce  qu'il  y  avait  de  trou- 
pes régulières  et  de  milices  disponibles.  Les  derniers  pe- 
lotons du  gouvernement  de  Québec  le  joignirent  vers 
dix  heures  au  moment  du  début  de  l'action. 

Depuis  déjà  plus  de  deux  heures  on  fusillait  avec  l'en- 
nemi; un  gros  détachement  de  Canadiens,  assisté  de  quel- 
ques soldats  de  la  colonie  (1),  s'était  embusqué  dans  un 
taillis  et  faisait  sur  les  rangs  serrés  des  Anglais  un  feu  de 
tirailleurs  qui  ne  laissait  pas  de  leur  coûter  du  monde.  De 
leur  côté,  les  deux  canons  anglais  tiraient  à  mitraille  sur 
les  unités  françaises  au  fur  et  à  mesure  de  leur  formation 
et  leur  causaient  de  la  perte.  Dès  son  arrivée  sur  le  champ 
de  bataille,  Montcalm  avait  demandé  (2)  au  gouverneur 
de  Québec  des  pièces  de  campagne  dont  il  y  avait  25  dans 
la  batterie  proche  du  palais.  On  ne  lui  en  fournit  que  5,  sous 
prétexte  (3)  que  les  autres  étaient  nécessaires  à  la  défense 
de  la  place;  on  les  mit  aussitôt  en  position  sur  les  ailes  de 
l'armée.  Jusqu'alors  l'engagement  n'avait  été  qu'une  af- 
faire d'avant-postes.  Pouvait-on  éviter  une  action  décisive? 
ou  était-il  impossible,  comme  l'affirme  .lohnstone,  de  se  re- 

;i)Malartic.  Campagnes  au  Canada,  \<.  284. 

(2)  Jolinstone,  Dialoguer  île  Montcalm  et  de  Wolfe. 

(3)  Foligny.  D'autres  récils  ne  parlent  «iiie  de  deux. 


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310 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  (  HAP.  VI. 


tirer  sans  bataille,  parce  que  les  deux  combattants  étaient 
trop  rapprochés?  Peut-être  le  général  français  craignit-il 
pour  sa  droite  que  les  Anglais  semblaieut  vouloir  tourner 
par  un  mouvement  dirigé  sur  la  maison  de  Borgia  et  le 
moulin  qui  domine  les  prairies  du  Saint-Charles.  Toujours 
est-il  qu'il  tint  une  sorte  de  conseil  de  guerre  improvisé 
où  la  presque  unanimité  se  prononça  pour  une  attaque 
immédiate.  Comme  raisons  à  l'appui  de  cette  opinion,  on 
soutenait  que  les  Anglais  se  renforceraient  dans  le  courant 
de  h.  journée  en  hommes  et  en  canons  et  qu'ils  achève- 
raient les  retranchements  ébau  nés.  Montreuil  seul  aurait 
fait  quelques  objections  basées  sur  le  faible  effectif  qu'on 
pouvait  mettre  en  ligne.  Montcalm  approuva  l'avis  de  ses 
officiers,  parcourut  les  rangs,  constata  la  bonne  volonté 
des  soldats  et  commanda  l'offensive. 

De  quelles  forces  disposait  le  général  français  à  la  ba- 
taille d'Abraham?  Dans  le  courant  du  mois  de  juillet,  il 
avait  eu  sous  ses  ordres  près  de  13.000  hommes,  sans  y  com- 
prendre les  2.000  de  la  garnison  de  Québec.  Sur  ce  total 
800  étaient  partis  avec  Lévis,  2.200  avaient  été  détachés 
sous  Bougainville,  3.000  étaient  morts,  malades  ou  étaient 
rentrés  chez  eux;  enfin  2.000  avaient  été  laissés  à  la  garde 
du  camp  de  Beauport.  Restaient  environ  5.000  combat- 
tants à  opposer  au  chiffre  presque  identique  des  Anglais, 
mais  l'égalité  n'était  qu'apparente  ;  tandis  que  les  hommes 
de  Wolfe  étaient  tous  des  soldats  disciplinés  et  éprouvés, 
l'armée  de  Montcalm  ne  comptait  guère  que  2.000  régu- 
liers appartenant  à  la  colonie  ou  aux  5  bataillons  de  France. 
Dans  ces  derniers,  pour  combler  le  déficit  créé  par  l'envoi 
de  détachements,  ou  de  piquets  comme  on  disait  alors,  à 
Niagara,  à  l'armée  de  Bourlamaque,  au  camp  volant  de 
Bougainville,  on  avait  versé  quelques  centaines  de  Cana- 
diens dont  les  allures  indépendantes  au  feu  s'accommo- 
daient mal  avec  les  manœuvres  compliquées  en  usage  dans 
les  troupes  de  ligne.  En  outre,  les  bataillons,  par  suite  du 


MONTCALM  SE  DECIDK  A  ATTAQUEU  LES  ANGLAIS. 


311 


prélèvement  des  grenadiers  et  des  volontaires  pour  le  corps 
de  Bougainville,  avaient  perdu  tout  autant  en  qualité  qu'en 
quantité.  Étant  données  la  composition  de  ses  forces  et  la 
prépondérance  de  l'élément  irrégulier,  il  est  étrange  que 
le  général  français  se  soit  décidé  pour  l'attaque,  en  plaine 
découverte,  d'un  adversaire  beaucoup  plus  solide  que  lui, 
au  lieu  d'utiliser  la  nature  des  lieux  et  les  accidents  de  ter- 
rain pour  mettre  en  valeur  les  aptitudes  spéciales  de  ses 
soldats,  pour  la  plupart  tireurs  de  premier  ordre.  Quels 
que  fussent  les  motifs  qui  déterminèrent  Montcalm  à  sortir 
de  sa  prudence  habituelle  et  à  abandonner  la  stratégie  dé- 
fensive appliquée  avec  succès  depuis  le  commencement 
de  la  campagne,  il  faut  ajouter  que  ses  dispositions  tac- 
tiques prêtent  fort  à  la  critique.  Il  n'essaya  pas  de  com- 
biner ses  mouvements  avec  ceux  de  Bougainville  qu'il 
savait  être  sur  les  derrières  des  Anglais  à  Sillery,  ou  à 
Sainte-Foy,  à  un  peu  plus  de  deux  lieues  de  distance  (1); 
il  n'eut  recours  ni  au  parc  d'artillerie  que  possédait  ia 
ville  de  Québec ,  ni  à  l'appoint  que  la  garnison  aurait  pu 
lui  fournir;  enfin  il  ne  constitua  aucune  réserve  pour  cou- 
vrir la  retraite  en  cas  d'échec. 

Vaudreuil  n'assista  pas  î\  la  bataille;  cependant  il  était 
au  couiantde  la  situation  dès  7  heures;  il  avait  été  informé 
que  Montcalm  avec  le  gros  était  en  face  des  Anglais;  mais 
il  fut  si  lent  à  se  mettre  en  route  qu'il  n'arriva  sur  le 
champ  de  l'action  qu'après  la  défaite.  Il  avait  néanmoins 
trouvé  le  loisir  d'écrire  îïson  général  un  billet  (2)  le  priant 
«  de  ne  rien  prématurer  »  et  de  n'agir  qu'avec  le  concours 
de  Bougainville  et  de  la  garnison  de  Québec.  Vaudreuil  af- 
firme, nous  ignorons  sur  quel  témoignage,  que  la  dépêche 
fut  remise  à  Montcalm  en  temps  utile.  Admettons  comme 
exacte  cette  assertion  faite  trois  semaines  après  les  événe- 


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(1)  Journal  tenu  à  l'armée.  Archives  des  Colonies.  Canada.  L'auteur  de  ce 
document  est  hostile  à  Montcalm. 

(2)  Récit  de  Vaudreuil.  Montréal,  5  octobre  1769.  Archives  des  Colonies. 


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313 


LA  fiUERRK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VI. 


mcnts,  alors  que  l'infortuné  Montcalm  n'était  plus  là  pour 
la  contredite; au  lieu  de  correspondre,  le  gouverneur  gé- 
néral eût  été  mieux  inspiré  en  accélérant  ses  mouvements 
et  eu  se  portant  de  sa  personne  sur  le  théâtre  du  coujbat. 
L'affaire  (1)  commença  à  10  heures,  F^es  Friinçais  for- 
maient une  ligne  irrégulière  sur  trois  rangs  de  profondeur; 
ils  avancèrent  avec  entrain,  poussant  des  cris  et  tirant  à 
volonté.  Oeux  attaques  se  dessinèrent  contre  la  gauche  de 
Wolfe,  la  troisième  contre  sa  droite.  Arrivés  à  VO  pas  des 
Anglais,  il  y  eut  du  flottement  dans  la  troupe.  Les  Cana- 
diens incorporés  dans  les  bataillons  de  France  se  couchèrent 
par  terre  selon  leur  habitude  j)our  recharger  leurs  armes, 
pendant  que  leurs  camarades  français  restaient  debou'.  La 
mitraille  des  canons  anglais  cl  une  salve  de  mousqueterie 
à  courte  distance  augmentèrent  le  désordre.  La  petite  ar- 
mée de  Montcalm  fit  volte-face  et  s'enfuit  dans  la  direction 
de  la  ville  avec  les  Anglais  à  leurs  trousses.  La  poursuite 
fut  arrêtée  par  le  canon  du  rempart  et  par  celui  dos  bat- 
teries flottantes  de  Saint-Charles.  Voici  en  quels  termes  Lé- 
vis,  qui  dut  recueillir  peu  de  jours  après  les  témoignages 
des  officiers  présents,  raconte  la  bataille  :  «  31.  le  marquis 
de  Montcalm  qui  n'avait  pas  eu  le  temps  d'avertir  M.  de 
Bougainvillc,  qui  était  au  Cap  Kouge,  comptait  qu'il  l'au- 
rait été  par  ses  postes.  Il  attendait  d'apprendre  qu'il  était 
à  portée  pour  attaquer  les  ennemis  dans  le  temps  qu'il  en 
ferait  de  même.  Mais  il  n'attendit  que  jusqu'à  10  heures,  et 
voyant  alors  que  les  troupes  montraient  beaucoup  de  fer- 
meté et  de  zèle,  lui  disant  continuellement  que  les  ennemis 
faisaient  arriver  du  canon  et  prenaient  poste  en  se  retran- 
chant, il  résolut  de  tout  tenter  malgré  la  disproportion 
des  forces.  L'ennemi  s'était  posté  derrière  de  petites  hau- 
teurs. Le  chemin  pour  aller  à  eux  était  difficile,  embar- 

(1)  Voir  pour  le  récit  de  la  bataille  la  colleclion  des  papiers  de  Lévis, 
Casgrain,  Parkman,  Knox,  Mante,  Manuscrit  Johnstone,  Journal  de  Foligny 
Wrigbt,  etc.,  etc. 


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BATAILLE  D'AnnAUAM. 


31» 


rassô,  inégal  et  rempli  de  bronssaillcs  en  certains  endroits 
ou  de  champs  de  l>lé.  Notre  armée  se  mit  en  mouvement, 
ne  consultant  que  son  ardeur  et  connaissant  peu  l'ordre, 
la  plus  ,'çrandc  partie  de  ce  qui  la  composait  étant  deri 
habitants.  Les  bataillons  mêmes  étaient  farcis  d'un  nom- 
bre d'habitants  qu'on  avait  incorporés  parmi  les  soldats. 
Le  fond  des  cinq  bataillons  était  sur  une  Hune  à  trois  do 
hauteur;  à  la  droite  était  un  corps  composé  de  peu  de 
troupes  de  la  colonie  et  de  nombre  d'habitants.  Il  est  aisé 
de  concevoir  que  cette  armée  ne  fit  pas  grand  chemin 
sans  être  en  désordre.  On  commença  k  tirer  de  loin,  ce 
qui  acheva  d'y  mettre  la  confusion  de  sorte  que,  lors- 
qu'elle arriva  à  la  demi-portée  du  fusil  des  ennemis,  elle 
n'eut  nulle  consistance.  Les  ennemis  qui,  il  notre  mouve- 
ment, avaient  gagné  la  crête  des  hauteurs,  firent  un  feu 
considérable.  Notre  droite  plia  et  fut  suivie  successive- 
ment de  toute  la  gauche  avec  la  plus  grande  confusion.  » 

Montc?>lm,  en  essayant  de  rallier  les  fuyards,  fut  blessé 
mortellement  au  bas-ventre  et  à  la  cuisse  Sénezergue  qui 
commandait  en  second  eut  le  même  sort.  Sans  chef,  sans 
direction,  les  vaincus  coururent  se  réfugier  derrière  les 
retranchements  et  le  pont  de  la  rivière  Saint-Charles.  Les 
Canadiens  furent  les  premiers  ù.  revenir  de  la  panique  ;  8  à 
900  d'entre  eux  se  maintinrent  (1)  dans  un  petit  bois  près 
de  la  porte  Saint-Jean  et  couvrirent  la  retraite;  200  autres 
miliciens,  rencontrés  près  de  la  boulangerie  parVaudreuil 
qui  venait  de  quitter  son  quartier  général ,  furent  reportés 
sur  la  hauteur  et  par  leur  belle  contenance  donnèrent  le 
temps  aux  débris  de  l'armée  de  s'écouler  vers  le  Saint- 
Charles. 

Aux  abords  de  la  rivière  et  dans  les  ouvrages  qui  dé- 
fendaient le  pont,  le  désarroi  et  la  démoralisation  étaient 
î\  leur  comble.  Des  officiers  de  l'armée  régulière  apostro- 

(1)  Bigot  au  ministre,  Montréal,  ir>  octobre  1759.  Arcliives  des  Colonies. 
Canada.  , 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAIV  VI. 


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phaient  le  gouverneur  génrral  et  s'écriftient  (1)  i\  haute 
voix  qu'il  n'y  avait  d'autre  parti  que  celui  de  capituler 
pour  toute  la  colonie.  Vaudreuil,  qui  A  défaut  d'énergie 
montra  du  sang-froid,  essaya  de  calmer  les  esprits  et  avec 
le  concours  de  Montreuil  fit  repasser  la  rivière  aivi  débris 
des  bataillons  de  France  et  de  milices  et  mettre  en  état  de 
défense  la  redoute  qui  servait  de  tôte  de  pont.  Les  trou- 
pes furent  renvoyées  dans  leur  camp,  et  les  principaux 
officiers  appelés  en  conseil  de  guerre  pour  arrêter  la  dé- 
cision k  prendre. 

Heureusement  pour  les  Français,  l'élan  des  vainqueurs 
fut  de  courte  durée  et  la  poursuite  ne  fut  pas  poussée  loin. 
De  môme  que  la  blessure  mortelle  de  Montcalm  avait  ag- 
gravé les  conséquences  de  la  défaite,  chez  les  Anglais  la 
mort  de  Wolfe  paralysa  l'action  de  leur  armée  et  mit  en 
suspens  les  ell'ets  de  leur  succès.  Leur  jeune  <'t  brillint 
général  qu'une  première  blessure  n'avait  pas  «loigné  de 
la  zone  meurtrière  fut  frappé  à  la  tète  des  grenadiers  de 
Louisbourg  pendant  le  fort  de  la  bataille;  porté  hors  de 
la  ligne  de  feu,  il  eut  le  bonheur  de  vivre  assez  longtemps 
pour  apprendre  sa  victoire.  Sa  dernière  parole  fut  une 
invitatioii  au  colonel  Burton  de  s'avancer  sans  retard  jus- 
qu'au pont  du  Saint-Charles  afin  d'intercepter  la  retraite 
des  Français.  Presque  en  même  teaiDS  que  son  chef,  le  bri- 
gadier Monckton  fut  blessé  etlt  cinmandement  dévolut  à 
Townshend.  Celui-ci  (2),  inquiet  du  désordre  que  la  course 
avait  produit  parmi  les  soldats  anglais,  ramena  en  arrière 
ses  régiments  dont  les  rangs  étaient  à  peine  reformés  quand 
on  vit  déboucher  sur  les  derrières  le  corps  de  Bougainville. 
Townshend  lui  opposa  deux  bataillons  et  ses  deu.v  canons, 
qui  suffirent  pour  couper  court  à  toute  velléité  d'attaque  ; 
rassuré  de  ce  côté,  le  nouveau  commandant  en  chef  n'eut 


(1)  Johnstonc.  Récit  de  la  fiii  de  la  campagne. 

(2)  Townshend  à  Pilt,  camp  devant  Québec,  20  septembre  1759.  Manuscripts 
oftlie  marquess  Toirnsheml.  ^ 


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MORT  DE  WOLIË. 


3t5 


d'autn'  souci  que  tlo  se  couvrir  do  retranchomonfs,  et  de 
lrans[)orter  sur  le  plateau,  des  bîVtimcuts  où  elles  étaient 
encore,  son  artillerie  et  ses  -aunitions. 

A  la  bataille  d' "ibraham,  la  perte  des  Anglais  fut  de  60  ol- 
liciers  et  5î)8  sous-officiers  et  soldats  mis  bors  do  combat; 
c<;lle  des  Français  n'a  pas  été  constatée  jiar  un  document 
officiel;  elle  ne  dut  pas  dépasser  le  cbillVe  de  1.000  A 
1.200,  dans  lequel  la  part  des  5  bataillons  do  France  fut  on 
officiers  1 1  tués  ot  23  blessés,  en  soldats  137  tués  et  environ 
300  blessés.  Kn  outre  de  200  prisonniers  faits  sur  le  champ 
de  bataille,  beaucoup  de  blessés  restèrent  entre  les  mains 
des  Anglais  qui  s'emparèrent  aussi  de  deux  pièces  de  ca- 
non. 

Quel  fut  le  rùle  de  Bougainville  dans  la  l)ataillo  d'Abra- 
ham? be  reproche  de  lenteur  qui  lui  a  été  adressé  est-il 
justifié?  Sur  ce  point  délicat  les  partisans  et  les  détrac- 
teurs du  futur  navigateur  ne  sont  pas  d'accord.  Retenu  au 
Cap  Houge  par  les  démonstrations  delà,  flottille  anglaise, 
il  dut  néanmoins  entendre  le  canon  de  Samos  et  être  averti 
de  la  descente  par  les  fuyards  des  postes  de  Saint-Michel 
et  do  Sillery.  D'autre  part,  Knox  (1)  parle  d'une  escar- 
mouche avec  la  cavalerie  canadienne  et  d'une  tentative 
contre  la  seconde  ligne  anglaise  par  le  corps  <le  Hougain- 
ville,  tentative  qui  aurait  échoué,  grAce  aux  bonnes  dis- 
positions de  Townshend;  le  premier  de  ces  incidents  se 
serait  passé  avant  l'attaque  de  Montcalm,  et  par  consé- 
quent avant  10  heures.  Au  dire  de  Mante  (2),  le  corps  de 
Bougainville  composé  de  cavalerie,  grenadiers  et  infan- 
terie légère,  s'était  formé  on  arrière  des  Anglais  et  avait 
conservé  cette  position  à  la  lin  de  la  bataille  ;  il  ne  men- 
tionne aucun  engagement.  Jolmstone  affirme  (3)  ([ue  Bou- 


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(1)  Knox,  vol.  II.  Récit  de  la  bataille  d'Abraham. 

(2)  Mp.aie.  J.ate  irar  in  America. 

(3)  Johnstone.  Dialogue  aux  Cliamps-Élijsées  de  Montcalm  cl  Ho//l?. 


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CIIAP.  VI. 


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qainvillc,  prtU'onu  tîiitn»  7  et  8  heures,  s'éhmnla  nussitùt, 
suivit  la  foute  directe  de  Uuéhec,  vint  S(^  heurter  l'i  une 
maison  où  s'était  logé  un  détachement  anglais,  ne  put  se 
servir  de  son  canon  faute  de  munitions  oubliées  au  ('ap 
llouge,  perdit  du  temps  [>our  les  taire  venir  et  laissa  ainsi 
échapper  le  moment  propice  pour  imo  diversion  contre 
le  liane  ou  les  derrières  d(^  l'ennemi.  Le  Journal  du  Lévis  (1) 
donne  des  opérati«)ns  du  corps  volant  le  compte  rendu  sui- 
vant :  «  M.  de  llougainville,  n'ayant  été  averti  que;  tard  (2) 
du  déharquemcnt  des  ennemis,  commen(;a  k  se  mettre  en 
mouvement  avec  envi"  m  900  hommes  (.'{)  seulement,  mar- 
cha vers  la  n.tiison  de  Saint-Michel  (pi'il  trouva  occupée. 
Il  la  fit  atta«juer  par  les  volontaires  d<^  Duprat,  mais  sans 
succès,  les  ennemis  y  étant  bien  établis,  et  passa  outre.  Mais 
ayant  appris  à  une  certaine  distance  de  l'armée  ennemie 
que  ia  nôtre  avait  été  battue,  il  se  replia  vers  la  Vieille  !.o- 
rette  et  envoya  demander  ti  M.  le  marquis  de  Vaudreuil  de 
nouveaux  ordres.  » 

De  ces  dill'érenles  narrations  il  send)le  possible  de  dé- 
gager la  vraisemblance  des  faits  (V).  Informé,  probable- 
ment entre  7  et  8  heures,  de  la  gravité  de  ce  qui  se  passait 
du  côté  de  Québec,  Hougainvïlle  employa  deux  heures  A 
réunir  son  monde  et  k  francliir  les  7  on  8  kilomètres  (|ni 
le  séparaieni  de  Saint-Michel,  gaspilla  une  demi-heure  à  la 
tentative  contre  le  post(!  anglais  et  déboucha  «  sur  le  che- 
min de  Saint-Foy  (5)  k  portée  et  en  présence  »  de  l'armée 
anglaise  alors  que  l'action  se  terminait  et  que  l'interven- 
tion de  sa  poignée  (riiontmcs  eut  été  plus  dangereuse 
qu'utile. 

(Il  .lournal  dt*  F.évis,  |t.  210. 

(2)  KotiKaiiiviilc  dit  <|u'il  ni;  lui  itvei'ii  ipri^  8  linurc».  JournnI  trnu  j\  l'arn'.V. 

(:i)  Itdugaiiivillc  avail  plii.s  ti*;  S.OiXi  hoiiuiiivs  .sons  st^s  ordrt^.s,  niais  dans  ce 
total  <>taitMil  compris  dv  nondtnnix  poslcs  ijn'il  m;  pouvait  do^arnii'. 

(i)  Voir  i\  ct>  sujet  Kcraliain.  «  l.n  ji'iinrssr  de  li.vgninviUe  ». 

(5)  Monlroni!  A  Li'vis.  .lacijucs  Cartier,  15  septembre  MVi.  Collection  I.é- 
vis.  D'après  ce  récit,  llou^^ain ville  ne  serait  arrivé  qu'à  midi  ou  t  heure. 


m  CUNSKIL  DK  ('.(lËltUl::  DKCIDIi:  L  AKAMMIN  \)K.  QL'KIIKO.     3i: 


Nous  avons  laissé  les  Anglais  se  retranchant  dans  leurs 
lignes,  Hougainville  en  retraite  sur  Loretle,  le  gros  des 
Français  derrit>rc  la  rivière  Suiut-Ciliarlcs;  nous  avons  dé- 
peint  la  démoralisation  des  chcls  et  relaté  la  détermination 
de  Vaudreuil  de  convotjuer  un  conseil  de  guerre.  Il  se  tint 
dans  la  redo;ite  de  la  léte  do  pont  et  se  termina  j\  (î  heures 
du  soir.  Y  assistèrent  l'intendant  Higot,  le  major  général 
Montreuil;  Pontleroy,  conmuindant  du  génie;  hunuis,  ins- 
pecteur des  troupes  de  la  colonie;  Poulhariès,  lieut(mant- 
colon(d  du  régiment  de  Uoyal  Uoussillon;  Alcpiier,  lieute- 
nant-colonel de  IJéarn,  et  trois  capitaines  qui  représv*ntuienl 
pour  les  autres  bataillons  de  France  les  colonels  moi'ts  ou 
hlessés.  Le  gouverneur  général  consulta  le  conseil  sur  la 
possibilité  d'un  retour  oHensil"  contre  rennemi;  cet  avis, 
soutenu  par  Vaudrtuiil  etIJigot,  lut,  d'après  le  [»rocès-ver- 
bal  (1),  «  unanimement  rejeté  et  par  la  faiblesse  et  par  la 
dispersion  et  par  1«î  harassement  des  troupes.  Se  replier, 
continue  la  pièce,  a  paru  le  seul  parti  militaire  à  prendre, 
la  position  du  camp  de  Heauport  étant  insoutenable,  et  pour 
n'être  séparé  d'une  armée  victorieuse  et  supérieure  en 
force,  tant  par  le  nombre  cpie  par  l'espèce^  et  pour  n'avoir 
devant  soi  (ju'um!  rivière  guéable  prcs(|ue  partout  à  basse 
nier  et  retranchée  )\  'a  rive,  sur  la(|uelle  rennemi  pour- 
rait se  porter  dès  le  soir.  »  Du  moment  que  la  présence 
des  Anglais  sur  la  ligne  de  ravitaillement  et  de  communi- 
cation avec  le  reste  de  la  colonie  nécessitait  l'abandon 
de  Québec,  il  ne  restait  d'auti'c  solution  (jue  de  se  re- 
tirer sur  la  rivière  de  Jacques  Cartier  où  l'on  retrouverait 
avec  le  dépAt  de  vivres  une  nouvelle  base  d'opérations. 
«  Toutes  ces  raisons  combinées  ont  déterminé  a  exécuter 
dès  le  soir  môme  la  retraite,  <iuoi(iue  forcé  par  la  brièveté 
du  temps,  par  le  man(pie  de  moyens  et  de  ressources  i\ 


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(I)  Conseil  de  guerre  Itinii  le  i;t  septembre  I7.VJ.  l'iùces  aniiexî's  au   llécil 
ùc  la  campagne  par  Vaudreuil. 


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318 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -   CHAP.  VI. 


faire  quelque  abandon.  »  Le  procès-verbal  fut  signé  de 
tous  les  membres  présents  excepté  Montreuil  qui  pour  des 
causes  non  expliquées  refusa  son  adhésion.  Le  «  quelque 
abandon  »  dont  parle  la  pièce  se  traduisit  par  l'enclouage 
de  toute  l'artillerie  des  redoutes  et  batteries  de  la  côte, 
l'incendie  des  batteries  flottantes,  la  destruction  des  mu- 
nitions, la  perte  des  tentes,  des  équipages 'et  de  vivres  re- 
présentant la  nourriture  de  l'armée  pour  une  période  de 
10  jours  (1). 

Au  cours  de  l'après-midi,  Vaudreuil  avait  consulté  Mont- 
calm,  lont  il  connaissait  l'état,  surlesmesures  à  adopter.  Le 
général  était  resté  à  cheval  malgré  sa  blessure;  soutenu  par 
deux  soldats,  il  avait  pu  gagner  la  maison  du  chirurgien 
Arnoux  où  il  apprit  de  la  bouche  du  frère  de  celui-ci,  mé- 
decin lui-môme,  qu'il  n'avait  plus  que  quelques  heures  à 
vivre.  Il  reçut  l'avis  avec  beaucoup  de  courage ,  se  dé- 
clara heureux  de  ne  pas  être  témoin  de  la  reddition  de 
Québec  et  ne  voulut  donner  ni  conseils  ni  ordres  à  Ha- 
mezai,  gouverneur  de  la  ville,  qui  était  venu  en  demander. 
Cependant  il  aurait  répondu  à  Vaudreuil,  par  l'inter- 
médiaire de  son  aide  de  camp  Marcel  (2),  qu'il  y  avait  trois 
partis  ouverts  :  capituler  pour  toute  la  colonie,  attaquer 
à  nouveau  l'ennemi,  battre  en  retraite  sur  Jacques  Car- 
tier. Le  conseil  de  guerre  terminé.  Vaudreuil  prit  trois  dé- 
cisions graves  :  la  première,  la  seule  sensée,  fut  d'appeler 
Lé  vis  au  commandement  des  troupes;  la  seconde,  conforme 
d'ailleurs  au  vote  du  conseil,  de  mettre  l'armée  en  marche 
le  soir  môme  à  dix  heures.  La  troisième  avait  trait  au  sort 
de  Québec  :  une  lettre  très  brève  (3),  adressée  au  gouver- 
neur de   cette  place,  l'informait  du  départ  de  l'armée 


(1)  Bigot  au  Ministre.  Montréal,  15  octobre  175".).  Arcliives  des  Colonies. 
Collection  Moreau. 

(2)  Récit  de  la  campagne  par  Vaudreuil.  Montréal,  5  octobre  1759. 

(3)  Vaudreuil  à  Ramezai,  13  septembre   1759,  à  fi  lieures  du  .soir.  Copie 
annexée  au  récit  de  Vaudreuil. 


MOUÏ  DU  MOMCALM. 


310 


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Copie 


sans  un  détail  quelconque,  ni  sur  l'itinéraire  qu'elle  allait 
suivre,  ni  sur  les  approvisionnements  qu'elle  laissait  der- 
rière elle.  Au  billet  était  joint  «  un  mémoire  (1)  »  de  la 
plus  haute  importance  :  «  La  position  que  Tennomi  occupe 
au-dessus  de  Québec,  malgré  les  puissants  efforts  que 
nous  venons  de  faire  pour  l'eu  déposter,  devenant  de  mo- 
ment en  moment  encore  plus  inaccessible  par  les  retran- 
chements qu'il  y  a  faits,  ce  qui,  joint  à  l'échec  que  nous 
avons  eu  et  au  défaut  des  subsistances  dont  nous  manquons 
totalement,  nous  met  dans  l'absolue  nécessité  de  faire 
^  notre  retraite,  n'ayant  point  d'autre  parti  à  prendre  pour 
nous  maintenir  dans  la  colonie,  nous  prévenons  M.  de  Ra- 
mezai  qu'il  ne  doit  pas  attendre  que  l'ennemi  l'emporte 
d'assaut.  Ainsi,  sitôt  qu'il  manquera  de  vivres,  il  arborera 
le  drapeau  blanc  et  enverra  l'officier  de  sa  garnison  le  plus 
capable  et  le  plus  intelligent  pour  proposer  la  capitulation 
conformément  aux  articles  ci-après.  » 

(Iràce  à  une  prévoyance  qui  surprend,  le  projet  remis 
au  gouverneur  de  Québec  avait  été  préparé  par  le  gouver- 
neur général  et  par  Montcalm,  dès  la  première  apparition 
des  Anglais.  Vaudreuil,  qui  tenait  avant  tout  à  dégager  sa 
responsabilité  dans  les  malheurs  de  la  journée,  interrompit 
1  -Ironie  de  son  subordonné  pour  lui  rappeler  la  part  qu'il 
:C  ■,  eue  dans  la  rédaction  de  la  pièce  :  «  Je  joins  ici,  Mon- 
,,i'  0  ,  écrit-il  au  moribond  (2),  la  lettre  que  j'écris  d'après 
cela  ù  M.  de  Ilaiiiezai  avec  l'instruction  que  je  lui  adresse 
contenant  les  articles  de  la  capitulation  qu'il  doit  deman- 
der à,  l'ennemi.  Vous  verrez  qu'ils  sont  les  mêmes  dont 
j'étais  convenu  avec  vous.  Avez  la  bonté  de  lui  faire  tenir 
le  tout,  après  que  vous  l'aurez  lu.  Ménagez-vous,  je  vous 
prie,  ne  pensez  qu'à  votre  guérison.  »  A  en  croire  les  quel- 

(1)  5'émoire  pour  servir  d'inslruclioti  à  M.  ilo  Ilamcxai.  Copie  aniiext'-e  un 
récit  de  Vaudreuil. 

(2)  Vaudreuil  à  Montcalm,  13  seplcnibrc  1759,  G  iieures  du  soir.  Archives 
des  Colonies.  Collection  Morcau. 


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320 


LA  r.LElUlE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VI. 


ques  mots  d'accusé  de  réception  (1)  de  l'aide  de  camp  da- 
tés de  di.v  heures  du  soir,  Montcalm,  après  avoir  entendu 
lecture  des  lettres,  aurait  tout  approuvé.  Le  lendemain 
IV  septembre,  eurent  lieu  (2),  il  quelques  heures  d'inler- 
valle,  le  décès  et  les  obsèques  de  l'infortuné  général  :  «  A 
huit  heures  du  soir,  dans  l'église  des  Ursulines  fut  enterré, 
dans  une  fosse  faite  sous  la  chaire  parle  travail  de  la  bombe, 
M.  le  marquis  de  Montcalm  décédé  du  matin  à  quatre  heu- 
res, après  avoir  reçu  tous  les  sacrements.  .Jamais  générai 
n'avait  été  plus  aimé  de  la  troupe  et  plus  universellement 
regretté.  Il  était  d'un  esj>rit  supérieur,  généreu.v,  doux,  af- 
fable, familier  à  tout  le  monde,  ce  qui  lui  avait  fait  gagner 
la  confiance  de  toute  la  colonie,  acquiesçât  in  pacc.  »  \ 
Il  semble  que  la  mort  du  héros  qui,  depuis  plus  de 
trois  ans,  était  l'Ame  de  la  résistance,  ait  fait  perdre  la 
tète  à  tous  les  survivants  présents,  car  ils  n'eurent  d'au- 
tre pensée  que  de  se  soustraire  par  la  fuite  à  l'attaque 
qu'ils  croyaient  imminente.  D'ailleurs,  sans  exception,  ils 
étaient  au-dessous  de  la  tAche.  Vaudreuil  ne  possédait  ni 
l'expérience  militaire  ni  le  talent  que  l'intensité  de  la  crise 
fait  parfois  jaillir,  et  encore  moins  le  prestige  pour  en  im- 
poser à  des  esprits  démoralisés.  Montreuil,  d'une  médio- 
crité reconnue,  était  incapable  de  prendre  la  direction; 
Poulhariès  et  Alquier,  bons  commandants  de  bataillon,  ne 
pouvaient  aspirer  à  un  rôle  plus  important.  Dans  ces  con- 
ditions, la  retraite  conduite  sans  ordre  et  sans  méthode  de- 
vint bientôt  une  débâcle  (3)  où  chacun  cherchait  à  devancer 
son  voisin,  à  courir  au  bout  de  l'étape  pour  \\^  jîas  être  coupé 
par  l'ennemi  imaginaire  que  l'on  voyait  partout;  les  rangs 
étaient  mêlés,  les  corps  confondus.  Dans  l'évacuation  ni  soin 


(1)  Marcel  à  Vaudreuil,  13  scpleinbre  1759,  10  heures  du  soir.  Archives 
des  Colonies.  Collection  Morcau. 

(2)  Journal  de  Foligny. 

(3)  Journal  de  Johnslone.  Ministère  de  la  Guerre. 


RËTIIAITE  DE  LARMEK  JUSQU'A  JACQUES-CARTIEU 


39.1 


ni  souci  de  l'avenir;  on  se  contenta  do  distribuer  aux  hom- 
mes quatre  jours  de  vivres,  et  ou  abandonua  le  surplus  dans 
le  camp.  Du  grand  stock  qui  y  avait  été  si  péniblemeut 
amasso,  Bigot  ne  put  faire  passer  à  Québec,  dont  il  connais- 
sait le  dépourvu,  qu'une  cinquantaine  de  quarts  de  farine. 
Le  reste  fut  pillé  par  les  sauvages  et  par  les  habitants  des 
en'drons.  Ni  lui  ni  Vaudreuil  n'avaient  songé  à  avertir  le 
gouverneur  Raniezai  des  richesses  en  munitions  de  guerre 
et  provisions  de  bouche  (|u'il  avait  à  ses  portes,  et  pour  le 
transport  desquelles  il  eût  pu  utiliser,  tout  au  moins  pen- 
dant la  nuit,  les  bateaux  nombreux  attachés  au  port  de 
Québec. 

A  neuf  heures  du  soir,  la  tête  de  colonne  s'ébranla.  «  Tout 
le  monde  suivit  la  même  route  ;  lerlésordre  commença  au 
moment  du  départ,  écrit  le  rédacteur  des  dernières  pages 
du  Journal  de  Montcalm  (1);  les  divisions  et  les  équipages 
se  mêlèrent  avec  tant  de  confusion  que  50  hommes  au- 
raient détruit  tout  le  reste  de  notre  armée.  L(;  soldai  fran- 
çais ne  connaît  plus  de  discipline  et  au  lieu  d'avoir  formé 
le  Canadien,  il  en  a  pris  tous  les  défauts.....  La  plus  grande 
partie  des  Canadiens  de  Québec  profita  du  désordre  et  re- 
gagna ses  foyers,  peu  inquiète  du  maitre  auquel  elle  ap- 
partiendra désormais;  et  l'armée  n'était  plus,  le  iï  au  soir, 
en  arrivant  à  la  Pointeaux  Trembles,  qu'un  peloton  confus 
et  njêlé  des  5  bataillons  et  des  Canadiens  des  trois  gouver- 
nements. »  Le  lendemain  on  poursuivit  la  marche  jusqu'à 
.lacques-Cartiei',  à  12  lieues  de  Québec.  Hougainville  qui 
avait  repris  le  contact,  couvrit  la  retraite  en  prenant  posi- 
tion le  14  à  Saint-Augustin  et  le  15  à  la  Pointe  aux  Trem- 
bles ;  il  avait  conservé  au  Cap  Ilouge  et  k  Lorette  de«  avant- 
postes  que  l'ennemi  n'essaya  pas  d'insulter. 

Par  bonheur,  le  commandement  allait  être  ressaisi  par 
des  mains  viriles  :  Lévis  reçut  le  15  septembre,  à  G  heures 


1 


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(1)  Journal  de  Montcalm,  pa^es  G15  ot  61G.  Collection  Lévis. 

r.UEIinE   DE   SEPT    ANS.    —  T.    III. 


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8)2 


LA  (lUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  VI. 


1 


(lu  matin,  les  dépêches  de  Vaudreuil  lui  annonçant  la  perte 
de  la  bataille  d'Abraham,  la  moit  imminente  de  Montcalm, 
la  retraite  sur  Jacques-Cartier  et  le  priant  de  se  rendre 
A  Tarmée.  Trois  heures  après  il  était  en  route,  et  quoique 
attardé  par  les  mauvais  chemins,  le  17  il  rejoignit  le  gou- 
verneur général.  Durant,  le  trajet,  il  rencontra  force  fuyards 
dont  les  propos  et  plus  encore  l'attitude  lui  apprirent  l'éten- 
due du  désastre.  Il  adopta  aussitôt  des  mesures  énergiques 
pour  rétablir  la  discipline  et  fit  comprendre  k  Vaudreuil 
ravanta,::e,  voire  même  la  nécessité,  d'un  retour  ofTensif 
qui  arrêterait  la  désertion  et  entraverait  les  opérations  du 
siège  que  les  Anglais  avaient  sans  doute  commencé.  Avant 
tout,  il  fallait  révoquer  les  instructions  néfastes  laissées  au 
gouverneur  de  Québec,  ranimer  l'esprit  de  la  garnison  et 
faire  entrer  des  provisions  dans  la  ville.  D'ailleurs  Vau- 
dreuil n'avait  pas  attendu  la  venue  de  Lévis  pour  essayer 
de  ravitailler  la  capitale,  mais  ce  fut  seulement  après  l'ar- 
rivée de  celui-ci  qu'il  intima  l'ordre  à  Ramezai  de  ne  pas 
capituler  et  qu'il  l'informa  de  la  marche  de  l'armée  pour 
le  secourir. 

Passons  maintenant  du  camp  de  Jacques-Cartier  à  la 
place  assiégée.  La  garnison  de  Québec  se  composait  d'à  peu 
près  400  soldats  des  bataillons  de  terre  ou  de  la  marine, 
d'environ  800  marins  attachés  au  service  des  batteries  et  de 
la  milice  urbaine,  sorte  de  garde  nationale  sans  autre  ex- 
périence de  la  guerre  que  celle  du  bombardement  qu'elle 
venait  de  subir.  Au  découragement  produit  par  la  défaite 
et  par  la  mort  du  général  dans  lequel  on  avait  logé  toute 
sa  confiance,  s'ajoutait  la  pénurie  de  vivres  qui  menaçait 
de  se  transformer  en  famine.  En  effet,  depuis  le  13  septem- 
bre, la  population  à  nourrir  s'était  accrue  de  près  de  /i-.OOO 
réfugiés,  pour  la  plupart  femmes  et  enfants.  En  addition- 
nant le  civil  au  militaire  il  fallait  compter  6.000  rationnaires 
et  pour  faire  face  aux  besoins  de  la  consommation,  on  ne 
possédait  «  que  15  à  16.000  livres  de  farine,  pois,  fèves  ou 


DKMORALISATION  DE  LA  «lARNISON  DE  QUÉBEC. 


323 


riz,  »  La  réduction  de  la  ration  îV  un  quarteron  de  pain, 
rendue  nécessaire  par  cette  situation,  avait  soulevé  des 
protestations  unanimes  qui  impressionnèrent  au  plus  haut 
degré  le  gouverneur  Ramezai  (1).  Ce  dernier  était  un  vieil 
officier  des  troupes  coloniales;  entré  au  service  en  1720, 
il  s'était  distingué  dans  les  grades  subr  ternes  et  dans  la 
guerre  des  bois,  mais  ne  possédait  aucune  des  vertus  du 
haut  commandement.  Là  où  il  aurait  fallu  un  soldat  résolu, 
ayant  de  l'initiative,  prêt  à  tout  sacrifier  pour  remplir  son 
devoir  jusqu'au  bout,  le  sort  de  Québec,  nous  pourrions 
dire  du  Canada,  se  trouva  aux  mains  d'un  militaire  fatigué, 
timide,  effrayé  de  la  responsabilité,  esclave  de  la  consi- 
gne, incapable  de  se  mettre  au-dessus  des  criailleries  de 
son  entourage,  de  fermer  les  yeux  au  spectacle  de  la  dé- 
tresse d'une  population  éprouvée  par  le  bombardement  et 
la  disette.  Pour  comble  de  malheur,  ce  faible  était  cou- 
vert par  les  instructions  de  son  supérieur. 

Pendant  les  journées  des  IV  et  15  septembre,  les  batte- 
ries du  front  de  terre  ciierclièrent  à  entraver  les  travaux 
de  retranchement  et  d'approche  des  Anglais  ;  mais  mal- 
gré ce  semblant  de  fermeté,  l'émotion  était  grande  dans 
l'intérieur  de  la  ville.  «  Les  plaintes  et  les  murmures  contre 
l'armée  qui  nous  abandonna,  écrit  llamezai  dans  son  mé- 
moire (2),  devinrent  un  cri  public  ;  je  ne  pus  dans  un  mo- 
ment aussi  critique  empêcher  les  négociants,  tous  officiers 
des  milices  de  la  ville,  de  s'assembler  chez  M.  Daine,  lieu- 
tenant général  de  police  et  maire  de  la  ville;  là  ils  pri- 
rent le  parti  de  capituler  et  me  présentèrent  en  consé- 
quence ui.Q  requête  signée  du  dit  sieur  Daine  el  de  tous 
les  principaux  citoyens.  »  A  la  qualité  des  officiers  répon- 
dait celle  des  soldats,  «  tous  artisans  qui  n'avaient  jamais 


(1)  Ou  Remezal,  l'orthographe  du  nom  varie. 

(2)  Mémoire  de  Ramezai.  Archives  des  Colonies.  Canada,  17G0.  Le  premier 
extrait  est  reproduit  dans  Cassgrain.  Monicalm  et  Léris,  vol.  II. 


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LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VF. 


sorti  (1),  la  plupart  gens  mariés  et  sur  l'Age,  exténués 
d'ailleurs  par  le  jeune  rigoureux  qu'on  leur  faisait  obser- 
ver depuis  longtemps.  »  D'après  Uamezai,  l'élément  mari- 
time ne  valait  guère  mieux;  il  comptait  beaucoup  de  «  ma- 
telots plus  occupés  pendant  le  siège  à  piller  les  voûtes  des 
particuliers  qu'à  faire  leur  service.  » 

Sous  l'influence  des  manifestations  qui  venaient  de  se 
produire,  sans  confiance  dans  sa  garnison,  Ramezai  eut 
recours  à  la  ressource  habituelle  des  commandants  en  dé- 
tresse et  convoqua  le  15  septembre  un  conseil  de  guerre. 
Comme  entrée  en  matière,  il  lui  communiqua  les  dernières 
lettres  de  Vaudreuil  ainsi  que  le  projet  de  capitulation;  il 
eut  même  soin  d'ajouter,  k  titre  de  renseignement,  que 
cette  pièce  avait  été  rédigée  de  concert  avec  Montcalm,  au 
début  de  la  campagne,  pour  le  cas  de  la  retraite  de  l'ar- 
mée, et  qu'une  copie  lui  en  avait  été  remise  par  le  général 
lui-même.  Cette  lecture  faite,  tous  les  membres  du  conseil, 
à  l'exception  de  Fiedmont,  commandant  de  l'artillerie,  se 
prononcèrent  pour  un  arrangement  qui  assurerait  aux 
habitants  et  aux  troupes  des  conditions  satisfaisantes. 

Cependant  Ramezai,  il  faut  le  reconnaître,  ne  voulut  pas 
se  résigner  à  cette  extrémité  sans  tenter  un  dernier  effort 
pour  se  procurer  des  vivres.  Il  commença  par  conclure 
avec  les  Anglais  une  trêve  (2)  pour  permettre  le  départ 
pour  la  banlieue  des  femmes  et  enfants  réfugiés  dans  la 
ville  ;  il  fit  faire  chez  les  tonneliers  de  Québec  des  perqui- 
sitions qui  ne  rapportèrent  que  peu  de  chose,  et  ayant  en- 
fin eu  connaissance  des  approvisionnements  abandonnés 
au  camp  de  Reauport  que  l'ennemi  n'avait  pas  encore  oc- 
cupé, y  envoya  un  détachement  dans  la  nuit  du  15.  Celui- 
ci  n'y  trouva  que  les  traces  du  pillage  qui  avait  suivi  l'éva- 
cuation; mais,  en  revanche,  il  rencontra  à  la  tête  du  pont 
de  Saint-Charles,  M.  de  Rellecour  avec  une  vingtaine  de  ca- 

(1)  Journal  de  Foligny. 

(2)  Knox.  nistorical  Journal,  vol.  H. 


MISSION  DE  JOANNES. 


325 


valiers  appartenant  au  corps  de  Bougainville.  L'officier  ra- 
conta qu'il  était  chargé  par  le  gouverneur  général  d'aver- 
tir le  commandant  de  Québec  «  que  M.  le  chevalier  de 
Lévis,  ayant  gagné  un  combat  aux  Rapides,  était  de  retour 
à  Jacques-Cartier  ou  à  la  Pointe  aux  Trembles,  et  que  l'ar- 
mée était  rassemblée...  pour  tomber  sur  les  ennemis  et 
pour  dégager  la  ville.  » 

Sur  ce  rapport  et  à  la  réception  d'un  courrier  (1)  de 
Vaudreuil  promettant  le  prompt  envoi  de  secours  en  vi- 
vres, Ramezai  lui  expédia  .loannès,  capitaine  de  Langue- 
doc, qui  faisait  fonction  de  major  de  place,  pour  lui  faire 
part  de  la  situation  critique  et  pour  demander  des  ordres, 
.loannès  interrogea  d'abord  Bellecour  qui  fut  beaucoup 
moins  affirmatif  que  la  veille,  puis  continua  sa  route  sur 
la  Pointe  aux  Trembles  où  il  croyait  trouver  le  quartier 
général.  En  cours  de  route  au  village  de  Lorette,  il  apprit 
que  l'armée  avait  reculé  jusqu'à  Jacques  Cartier,  et  ta- 
lonné par  les  instructions  du  commandant  qui  lui  avait 
enjoint  de  rentrer  à  Québec  avant  la  nuit,  il  ne  poursuivit 
pas  sa  course  et  se  borna  à  écrire  (2)  de  Loretle  à  Vau- 
dreuil. Après  le  récit  de  ce  qui  s'était  passé  au  conseil  de 
guerre  et  des  propos  de  Bellecour,  il  termine  son  exposé 
par  un  appel  des  plus  pressants  :  «  Je  ne  vous  cacherai  pas 
que  si  nous  ne  recevons  pas  de  vos  nouvelles  d'ici  k  10  heu- 
res du  matin  demain,  je  crois  que  les  propositions  se  fe- 
ront; je  ne  sais  môme  si  l'on  pourra  attendre  jusqu'à  ce 
temps  et  si,  malgré  ce  que  j'ai  l'honneur  de  vous  dire, 
M.  de  Ramezai  ne  passera  pas  en  avant  pour  faire  des  pro- 
positions. Je  ferai  ce  que  je  pourrai  pour  engager  tout  le 
monde  d'attendre  une  réponse  qui  puisse  faire  savoir  vos 
intentions  et  les  remèdes  que  vous  pouvez  trouver  à  la  fa- 


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(1)  Le  mémoire  de  Ramezai  fait  menlioii  de  cette  lettre  qui  a  du  lui  par- 
venir au  plus  lût  le  IG  septembre  au  malin. 

(2)  Joannès  à  Vaudreuil,  Lorette,  16  septembre  à  midi.  Arctiives  des  Colo- 
nies. Collection  Moreau. 


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LA  GUEIIRK  DE  SEPT  ANS.  —  CMAP.  M 


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mine  qui  nous  menace.  Nous  avons  mis  la  ration  à  un  quar- 
teron de  pain.  Jugez  do  la  bonne  disposition  des  combat- 
tants; tout  est  porté  de  la  plus  mauvaise  volonté;  l'on  a 
beau  cncouraficr  et  leur  faire  voir  des  lueurs  d'espérance, 
tous  demandent  à  capituler.  M.  Daine  a  remis  au  conseil 
de  guerre  un  mémoire  en  forme  de  requête  du  peuple,  des 
notables  et  miliciens,  pour  engager  M.  de  Ramezai  A  ne 
pas  les  exposer  et  à  la  famine  et  à  l'escalade  dont  cette  ville 
est  très  susceptible.  M.  de  Pontleroy  connaît  son  état;  les 
travaux  des  ennemis  avancent  et  ils  sont  établis  sur  la 
butte  à  Neveu  où  ils  ont  une  redoute  et  une  batterie  com- 
mencée. Je  ne  finirais  pas  si  je  voulaij  vous  marquer  tous 

les  traits  du  peu  de  volonté  qui  règne Soyez  persuadé 

de  la  douleur  de  tous  les  officiers  des  troupes,  d'être 
obligés  de  se  rendre  sans  qu'on  ait  tiré  un  coup  de  canon 
sur  la  place.  Il  ne  peut  y  avoir  que  l'extrême  disette  qui 
ait  pu  les  obliger  à  un  parti  qui  serait  déshonorant  sans 
cela.  » 

Ce  même  16  septembre,  soit  à  la  réception  de  la  lettre 
de  Joannès,  soit  de  son  initiative  personnelle,  Vaudreuil  (1) 
prévint  Bougainville,  qui  était  à  la  Pointe  aux  Trembles, 
d'avoir  à  escorter  avec  sa  cavalerie  un  convoi  de  charrettes 
qu'on  réunissait  à  Saint-Augustin  pour  porter  00  quarts  de 
farine  en  ville.  A  cotte  invitation  Bougainville  répondit  eu 
proposant  de  confier  le  ravitaillement  à  La  Roche-Beau- 
cour,  qui  avec  son  escadron  était  à  Charlebourg.  «  J'ap- 
prouve fort,  lui  écrit  Vaudreuil  f2),  le  projet  que  vous  avez 
d'aller  au  camp  avec  7  à  800  hommes  pour  protéger  le 
passage  à  Québec  du  biscuit  qui  esta  Charlebourg,  dont  la 
cavalerie  se  chargera.  »  La  Roche-Beaucour,  devançant  les 
ordres  de  ses  supérieurs  (3),  avait  envoyé  son  lieutenant 


(1)  Vaudreuil  h  Kougainville,  16  septembre.  Papiers  de  famille. 

(2)  Vaudreuil  à  Bougainville,  17  septembre.  Papiers  de  fauiille. 

(3)  La  Rochc-Beaucour  à  Bougainville,  17  .«septembre,  1  heui'^  après  midi. 
Papiers  de  famille. 


TENTATIVES  POUH  RAVITAILLEII  QUÉUEC 


«27 


Bellecour  «  dire  à  M.  de  Itamczai  que  sûrement  je  lui  por- 
terais ce  soir  100  quintaux  de  biscuit.  »  Un  billet  de  IJer- 
netz(l),  commandant  en  second  de  Québec,  iVHougainville, 
confirme  la  visite  de  Bellecour  et  donne  des  détails  navrants 
sur  le  moral  de  la  garnison  :  «  Votre  arrivée  ne  |)eut  être 
trop  prompte  et  c'est  avec  la  plus  vive  douleur  que  je  vous 
appi'ends  que  tous  les  miliciens  sont  sans  courage  et  sans 
volonté;  la  plupart  ont  Jeté  leurs  armes;  les  batteries  sont 
presque  sans  servants;  une  désertion  affreuse,  plus  de  vi- 
vres à  peine  pour  quatre  jours,  le  peuple,  les  enfants  crient 
famine...  Opérez  au  plus  t(H  un  remède,  sans  quoi. M.  de 
Hamezai  ne  veut  pas  se  laisser  emporter  d'assaut  et  sacri- 
fier le  peuple.  Les  travaux  do  l'ennemi  sont  sous  la  place  et 
une  batterie  à  la  face  de  la  courtine  entre  la  porte  Saint- 
Jean  et  Saint-Louis...  Envoyez-nous  un  ingénieur  et  le  plus 
prompt  secours.  Point  un  moment  à  perdre.  La  batterie  que 
fait  l'ennemi  ne  peut  être  battue  par  notre  canon  faute 
d'embrasures  et  le  fusil  n'y  peut  rien....  J'ai  envoyé  M.  de 
Bellecour  exhorter  et  vcrtuser  {sic)  la  batterie.  » 

A  l'heure  à  laquelle  Bernetz  traçait  ces  lignes  désespé- 
rées Québec  était  perdu  pour  la  France.  Ni  la  mission  de 
Bellecour,  ni  l'entrée  promise  pour  le  soir  même  de  La  Ro- 
che-Beaucour  avec  le  premier  convoi  des  provisions  an- 
noncées, n'eurent  d'influence  sur  l'esprit  timoré  du  gou- 
verneur; il  avait  attendu  deux  jours  des  secours  qui 
n'étaient  pas  venus,  il  n'attendrait  pas  une  heure  de  plus, 
et  le  17  septembre  de  triste  mémoire,  à  3  heures  de  l'a- 
près-midi, il  dépécha  2)  Joannès  auprès  du  général  an- 
glais avec  le  projet  de  capitulation  qu'il  avait  re(,;u  quatre 
jours  auparavant  du  gouverneur  général.  Au  dire  du 
major,  il  aurait  personnellement  protesté  contre  l'idée  de 


(1)  Bernetz  à  Bougitiiiville,  Québec,  17  septembre.  Papiers  de  famiUe. 

(2)  Rainezaià  Vaudrcuil.  Québec,  18  septembre.  Archives  des  Colonies.  Col- 
lection Moreau. 


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328 


LA  (lUKUUK  DE  SKPT  ANS.  —  CHAI»,   VI. 


1. 


traiter  et  aurait  chcrclic,  sans  succès,  i\  inspirer  à  Uame^ai 
'ine  conduite  plus  virile. 

De  la  part  ùes  Anfrlais  railaire  se  conclut  vite  :  Townshend , 
trop  hcuivux  de  sortir  d'une  situation  (jui,  malgré  la  vic- 
toire d'Abraham,  ne  laissait  pas  d'ôtre  épineuse,  accepta 
tout  le  texte  qu'on  lui  soumettait,  à  l'exception  de  l'ar- 
•icle  1"  qui  stipulait  le  renvoi  de  la  garnison  à  l'armée;  il 
ne  voulut  consentir  qu'au  retour  en  France.  Joannès  qui 
ne  demandait  (ju'à  gagner  du  temps,  objecta  qu'il  n'avait 
pas  de  pouvoir  pour  introduire  des  modifications  à  la 
rédaction,  à  quoi  Townshend  répliqua  qu'il  lui  était  facile 
de  consulter  sou  chef  et  d'être  rentré  au  camp  h  11  heures 
du  soir,  «  sans  quoi  il  n'y  aurait  rien  de  fait  ». 

Kamezai  acquiesça  d'autant  plus  volontiers  aux  exigences 
anglaises  qu'il  était  fort  éinu  d'un  incident  qui  venait  de  se 
produire.  Sur  l'approche  de  ([uehpies  berges  du  côté  de  la 
basse  ville  et  sur  l'apparition  d'un  détachement  anglais 
venu  pour  débroussailler  (1)  le  voisinage  de  l'enceinte,  ou 
crut  à  une  attaque  par  mer  et  par  terre  et  on  battit  la  géné- 
rale? En  arrivant  sur  la  place,  le  commandant  fut  avisé  que 
les  miliciens  refusaient  de  se  battre.  «  Au  même  instant,  re- 
late-t-il  (2),  les  officiers  de  milice  vinrent  me  trouver  et  me 
déclarèrent  qu'ils  n'étaient  point  d'humeur  à  soutenir  un 
assaut,  qu'ils  savaient  même  que  j'avais  des  ordres  con- 
traires et  qu'ils  allaient  rapporter  leurs  armes  aux  maga- 
sins afin  que  l'ennemi  qui  allait  entreries  trouvant  sans 
armes  ne  les  passât  pas  au  fil  de  l'épée,  que  dans  ce  mo- 
ment-ci ils  ne  se  regardaient  plus  comme  soldats  mais 
comme  bourgeois,  que  si  l'armée  ne  les  avait  pas  aban- 
donnés, ils  auraient  continué  à  donner  les  témoignages  de 


(1)  Knox.  Ifisloiical  Journal,  vol.  II,  |>.  83,  etc. 

(2)  Mémoire  de  Ramezai.  Anhives  des  Colonies.  Canada,  1760.  Cet  inci- 
dent que  Kamezai,  daccoid  avec  d'autres  récits,  fixe  à  6  heures  du  soir,  fut 
postérieur  au  premier  envoi  de  Joannè.s  qui  eut  lieu  entre  2  et  4  heures. 


LA  MII.ICK  DE  QrklIEC  HKFUSE  DE  SE  ItATTUE. 


.S'il) 


zèle  (|u'ils  s\Hftiot)t  fait  un  devoir  de  montrer  |)endant  tout 
le  siège,  mais  que,  ne  voyant  plus  aucune  ressource,  ils  ne 
se  croyaient  point  obligés  à  se  faire  massacrer  en  vain, 
puisque  le  sacrifice  qu'ils  feraient  de  leur  vie  ne  retar- 
derait i)as  d'une  heures  la  prise  de  la  ville  )>.  Kamezai  no 
dit  pas  ce  qu'il  répondit  iV  ce  langage  mutin,  mais  après 
avoir  consulté  son  second,  Uornctz,  (jui,  à  en  juger  par  sa 
correspondance,  était  aussi  démoralisé  que  son  chef,  il 
renvoya  .loannès  à  10  luMU'es  et  demie,  avec  plein  pou- 
voir [)our  signer.  Ce  dernier  fut  retenu  au  camp  des  as- 
siégeants, y  passa  la  nuit  et  môme  la  journée  du  lendemain. 

Pendant  cette  même  nuit,  La  Koclie-Hoaucour,  lidèle  A 
sa  promesse,  entra  sans  encombre  dans  Un /bec  avec  ses 
100  cavaliers  portant  leurs  100  s.acs  de  bisi  tiit.  «  Mon  cher 
camarade,  maude-t-il  (1)  à  Bougainville,  je  suis  arrivé  à  la 
ville  dans  le  t(Mnps  cjue  M,  de  Joannès  faisait  signer  les  ar- 
ticles de  la  capitulation.  Quelques  espérances  (|ue  M.  de 
llamezai  m'a  données  m'ont  fait  laisser  mon  biscuit,  mais 
je  vois  bien  par  les  mouvements  de  l'ennemi  que  tout  est 
l'ait.  »  Quoique  ce  billet  ne  soit  pas  daté,  il  est  évident  qu'il 
fut  écrit  dans  la  matinée  du  18. 

Entre  temps,  soit  au  cours  de  la  nuit  ou  de  grand  ma- 
lin le  18,  le  gouverneur  recevait  une  dépèche  de  Vaudreuil 
de  la  veille,  annonçant  des  secours,  le  retour  offensif  de 
l'armée  et  lui  enjoignant  de  tenir  le  plus  longtemps  pos- 
sible. Kamezai  lui  répond  (  2)  aussitôt  ;  il  fait  le  récit  du 
conseil  de  guerre,  de  l'insubordination  des  milices,  de  la 
mission  auprès  de  Townshend,  de  l'échange  d'otages  avec 
les  Anglais.  «  11  est  à  présent  10  heures  (du  matin);  M.  ùe 
Joannès  est  encore  au  camp  britannicjue;  je  désire  de  tout 
mon  cœur  qu'il  y  ait  matière  à  nouvelle  difficulté;  j'arrè- 


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(1)  La  Roclie-Reaucourt  à  Bougainville  S.-D.  Papiers  de  famille. 
('?.)  Rainezai  à  Vaudreuil,  18  septembre   1T59.  Archives  des  Colonies.  Col- 
lection Moreau. 


N^  V\ 


330 


LA  GUKURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


tcrai  tout.  C'est  un  malheur  que  M.  de  La  Roche-Bcau- 
cour  10  soit  point  arrivé  plus  tôt;  je  n'aurais  sûrement 
point  été  de  l'avant.  »  Pour  justifier  sa  conduite,  il  invoque 
le  voisinage  de  i  ennemi  campé  à  la  Butte  à  Neveu,  les  l)at- 
teries  que  celui-ci  avait  «  formées,  une  à  la  cùte  où  était  la 
boulangerie  »,  tandis  qu'il  n'a  à  lui  opposer  «  qu'une  bat- 
terie d'aucune  utilité  »,  la  porte  Saint-Jean  sans  défense, 
une  ville  dont  l'enceinte  n'est  pas  à  l'abri  d'up  coup  de 
main  en  dillerents  endroits  où  il  n'y  a  que  des  palissades. 
Enfin,  comme  dernier  argument,  il  parle  de  «  8  gros  vais- 
seaux ([ui  venaient  de  s'embosser  à  la  rade  » . 

Le  soir  du  18  septembre,  nouveau  billet  de  Rame- 
zai  (1).  .loannès  est  rentré  à  7  heures  du  soir  «  avec  les 
réponses  parlementaires  conformes  aux  demandes  que 
vous  m'aviez  remises  avec  votre  dernier  ordre.  Sur  les  let- 
tres que  j'ai  reçues  ce  matin  j'aurais  fort  désiré  qu'il  y  eût 
trouvé  moyen  de  ne  pas  conclure  ;  mais  il  l'a  fait  et  il  a 
fallu  y  souscrire,  la  chose  était  trop  avancée  pour  pouvoir 
en  revenir.  D'ailleurs  pouvais-je  différer?  Vous  en  pouvez 
juger  par  l'état  des  munitions  de  bouche  qui  me  restaient.  » 
Suit  une  liste,  à  la  vérité  très  réduite,  des  approvisionne- 
ments. L'écrivain  termine  en  explicjuant  la  modification 
apportée  à  l'article  1  "  du  projet  de  capitulation,  en  pro- 
testant de  son  zèle  et  de  son  activité  et  en  offrant,  si  un 
gros  rhume  dont  il  est  incommodé  ne  met  obstacle  à  son 
départ,  de  se  charger  des  lettres  du  gouverneur  général 
pour  le  ministre  «  dans  lesquelles  je  vous  prie  de  ne  point 
m'oublier.  » 

Daubespy,  porteur  de  cette  dépêche,  trouv.i  l'armée 
française  en  pleine  marche  sur  Loretle  ;  elle  avait  couché 
la  nuit  (lu  18  à  la  Pointe  aux  Trembles.  Le  19,  le  corps  de 
Bougainville  (jui  faisait  avant-garde  avait  été  dirigé  sur  U 
rivière  Saint-Charles.  Sur  l'avis  de  la  signature  de  la  cap'- 

(1)  Ramezr.i  à  Vauditniil,  18  .septembre  17.VJ.  (Seconde  lellre.) 


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LÉVIS  MAKCllË  AU  SECOURS  DE  QUÉBEC. 


331 


tiilation,  il  rebroussa  chemin.  Lévis  qui  avait  pris  les  de- 
vants, apprit  à  son  tour  la  reddition  de  Québec;  il  fit  aus- 
sitôt camper  le  corps  principal  à  Saint-Augustin,  et  la 
division  de  Hougainville  au  pont  supérieur  de  la  rivière  du 
Cap  Rouge.  Ces  positions  ne  furent  conservées  que  peu  de 
temps;  l'armée,  après  un  séjour  de  deux  jours  à  la  Pointe 
aux  Trembles,  se  concentra  à  Jacques-Cartier  pour  tra- 
vailler à  la  construction  d'un  fort  destiné  à  barrer  l'accès 
du  pays  qui  restait  encore  au  pouvoir  de  la  France. 

<*  Le  17  à  midi,  deux  ou  trois  jours  avant  qu'une  seule 
de  nos  batteries  fut  en  état  de  tirer,  nous  avons  reçu  du 
gouverneur  des  propositions  de  capitulation.  »  Tels  sont 
les  termes  dans  lesquels  l'ofticier  du  génie  anglais,  Mante, 
rend  compte  de  la  chute  de  Québec.  Kn  effet,  quoique  les 
travaux  d'approche  eussent  été  poussés  avec  vigueur^  l'ar- 
mée anglaise,  au  moment  de  la  mission  de  Joannès,  était 
loin  d'avoir  achevé  ses  l)atteries  et  ne  songeait  nullement 
;\  livrer  cet  assaut  dont  la  crainte  avait  décidé  la  capitula- 
tion. Néanmoins,  dans  le  camp  britannique,  on  ne  pré- 
voyait pas  une  longue  résistance;  l'arrivée  d'un  parle- 
mentaire !e  10  septembre  fit  môme  croire  à  l'ouverture 
des  pourparlers,  mais  il  ne  s'agissait  i|ue  de  l'autorisation 
de  faire  sortir  de  Québec  les  femmes  et  les  enfants  qui  s'y 
étaient  réfugiés.  L'assiégeant  profita  de  l'armistice  pour 
s'occuper  de  ses  tranchées  et  de  ses  ouvrages,  dont  les 
travaux  étaient  entravés  par  le  feu  très  soutenu  de  l'en- 
ceinte, auquel  on  ne  pouvait  répondre.  Kn  dépit  de  la  dif- 
ficulté (1)  des  transports,  le  17  au  matin,  on  avait  amené 
sur  le  plateau,  pour  les  opéralions  du  siège,  17  canons  de 
gros  calibre,  sans  coinptei'  bon  nond)re  de  pièces  et  de 
mortiers  d'un  type  plus  faible.  Des  fortilications  de  cam- 
pagne mettaient  le  camp  à  l'abri;  une  première  batterie, 


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II 


(I)  Hiipporl  de  l'amiral  Holmes,  à  bord  du  Loircstofl,   18  seplembre  175». 
Newcaslle  Papers.  32895. 


332 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


projetée  près  de  la  redoute  la  plus  avancée,  devait  être 
commencée  dans  l'après-midi;  enfin,  l'amiral  Saunders 
promettait  d'attaquer  avec  ses  vaisseaux.  Mais  tout  était 
encore  à  l'état  de  préparatifs;. seul  le  débarquement  à  la 
ville  basse  était  peut-être  d'une  réalisation  plus  immi- 
nente, mais  la  possession  de  ce  quartier,  déjà  ruiné  par  le 
bombardement,  n'entraînait  pas  celle  de  la  haute  ville, 
complètement  isolée  grâce  aux  retranchements  élevés  pen- 
dant le  siège.  De  l'aveu  même  des  Anglais,  il  eût  été  par- 
faitement possible  de  prolonger  la  résistance  de  deux  ou 
trois  jours  et  de  gagner  ainsi  les  quelques  heures  néces- 
saires pour  l'arrivée  de  l'armée  que  ramenaient  Lévis  et 
Bougain ville.  Le  général  britannique  fut  d'ailleur's  le  pre- 
mier h  reconnaître  le  peu  d'efforts  que  lui  avait  coûté  la 
prise  de  Québec  et  à  admettre  implicitement  que  la  dé- 
fense eût  pu  être  plus  énergique.  C'est  ainsi  que,  dans  un 
rapport  (1)  à  son  gouvernement,  pour  justifier  la  libéra- 
lité des  conditions  accordées  aux  assiégés,  Townshend  in- 
voque «  la  présence  de  lenncnii  qui  se  rassemblait  sur 
ses  derrières,  et  ce  qui  est  bien  plus  inquiétant,  la  saison 
très  pluvieuse  et  très  froide  qui  aurait  pu  être  une  cause 

de  maladie  pour  les  troupes  et  d'accident  pour  la  flotte 

l'avantage  d'entrer  dans  la  ville,  alors  que  l'enceinte  est 
en  état  de  défense,  et  la  commodité  d'y  installer  une  gar- 
nison assez  forte  pour  empêcher  une  surprise.  »  Dans  un 
ordre  du  jour  (2)  adressé  à  ses  soldats  à  l'effet  d'interdire 
le  pillage  d'une  place  appartenant  désormais  à  S.  M.  Bri- 
tannique, le  chef  anglais  insiste  sur  la  facilité  de  la  con- 
quête de  Québec,  «  dont  la  prompte  soumission,  sans  qu'il 
ait  été  tiré  un  coup  de  canon,  a  évité  aux  troupes  beaucoup 
de  fatigue  et  peut-être  de  maladie.  »  Quelle  honte  durent 
éprouver  Ramezai  et  ses  officiers  en  lisant  ces  apprécia- 
tions peu  flatteuses  ! 

•    (1)  Townshend  à  Pitt,  Québec,  2(i  septembre  1769.  Newcastle  Papers. 
(2)  Ordre  du  jour  cité  par  Knox,  vol.  Il,  p.  84. 


CAPITULATION  DE  QUÉBEC. 


333 


rar- 


Les  Anglais  ne  perdirent  pas  de  temps  pour  occuper 
Québec;  dés  le  soir  du  jour  où  avait  été  signée  la  capi- 
tulation, le  18  septembre,  le  général  Townshend  entra  à  la 
tête  d'un  détachement  de  grenadiers  et  d'artilleurs  dans 
la  haute  ville,  tandis  que  des  compagnies  de  débarque- 
ment de  la  flotte  s'installaient  dans  la  basse  ville. 

La  garnison  française  déposa  les  armes.  D'après  l'état 
officiel  (1),  elle  se  composait  de  25  officiers,  3i2  soldats 
appartenant  aux  bataillons  de  ligne,  a  la  colonie  et  à  l'ar- 
tillerie, de  550  marins  et  de  9'i.2  miliciens  de  la  ville  et  de 
la  banlieue.  Les  réguliers  et  les  marins  furent  embarqués 
pour  la  France,  les  Canadiens  renvoyés  dans  leurs  foyers. 

Presque  à  la  même  heure,  se  présentaient  près  du  Pa- 
lais de  l'Intendance  deux  convois  de  vivres,  l'un  chargé 
sur  des  charrettes,  l'autre  sur  des  bateaux.  On  n'eut  que  le 
temps  de  les  faire  rétrograder  pour  éviter  qu'ils  ne  tom- 
bassent aux  mains  des  Anglais.  La  cité  était  dans  un  triste 
état  :  «  La  destruction  dépasse  l'imagination,  écrit  Knox  (2). 
Les  maisons  restées  debout  sont  plus  ou  moins  percées 
par  nos  boulets;  quant  à  la  ville  basse,  elle  est  tellement 
minée  qu'il  est  presque  impossible  de  circuler  dans  les 
rues.  La  partie  qui  a  le  moins  souffert  est  celle  des  rues  qui 
conduisent  aux  portes  Saint-Louis,  Saint-Jean  et  du  Pa- 
lai  .  »  Les  édifices  religieux,  fort  nombreux  à  Québec,  n'a- 
vaient pns  été  épargnés  :  «  L'église  cathédrale  a  été  entiè- 
rement consumée,  lit-on  dans  un  appel  (3)  fait  à  la  charité 
française.  Dans  le  séminaire  il  ne  reste  de  logeable  que  la 
cuisine  où  se  retire  le  curé  de  Québec  avec  son  vicaire... 
L'église  de  la  basse  ville  est  entièrement  détruite,  celles  des 
RécoJcts,  des  Jésuites  et  du  séminaire  sont  hors  d'état  de 
service  sans  de  très  grosses  réparations;  il  n'y  a  que  celle 


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(1)  Newcaslle  Pajters. 

(2)  Know.  Hisiorical  Journal,  vol.  II,  \t.  94. 

(3)  M*"  de  Pontbriand.  DescripUon   iinpart'ailo  de   la  misère  du  Canada. 
Montréal,  5  novembre  1759,  Archives  des  Colonies. 


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33  i 


LA  (lUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VI, 


des  Ui'sulines  où  l'on  peut  faire  l'office  avec  une  certaine 
décence.  »  La  ruine  de  tant  d'immeubles  rendait  diffi- 
cile le  logement  des  soldats  anglais  :  «  Ils  se  sont  em- 
parés des  maisons  de  la  ville  les  moins  endommagées  ;  ils 
chassent  même  tous  les  jours  de  chez  eux  les  bourgeois 
qui,  à  force  d'argent,  ont  fait  raccommoder  cpielques  ap- 
partements, ou  les  y  mettent  si  à  l'étroit  que  presque  tous 
sont  obligés  d'abandonner  cette  ville  malheureuse....  Les 
particuliers  de  la  ville  sont  sans  bois  pour  leur  hiverne- 
ment,  sans  pain,  sans  farine,  sans  viande,  et  ne  vivent  que 
du  peu  de  biscuit  et  de  lard  que  le  soldat  anglais  leur 
vend  de  sa  ration.  » 

Aux  environs  de  Québec  les  paysans  n'étaient  pas  mieux 
partagés.  Peu  de  jours  après  l'occupation  de  la  place , 
Knox  enregistre  le  retour  d'un  détachement  de  réguliers  et 
de  rangers  envoyés  en  expédition  au  bas  du  fleuve  :  «  Ils 
ont  pris  beaucoup  de  bestiaux  et  de  moutons,  ramassé 
une  quantité  énorme  d'objets  pillés,  ustensiles  de  ménage, 
livres  et  vêtements;  ils  ont  brûlé  1.100  maisons  et  détruit 
plusieurs  centaines  d'acres  de  blé  ainsi  que  quelques  pê- 
cheries. »  Dans  son  mandement  l'évoque  de  Québec  signale 
la  détresse  due  aux  ravages  des  Anglais  ;  «  Toute  la  côte  de 
Beaupré  et  l'ile  d'Orléans  ont  été  détruites  avant  la  fin  du 
siège  ;  les  granges ,  les  maisons  des  habitants,  les  presby- 
tères ont  été  incendiés,  les  bestiaux  qui  restaient  enlevés, 
ceux  qui  avaient  été  transportés  au-dessus  de  Québec  ont 
presque  tous  été  pris  pour  la  subsistance  de  notre  armée, 
de  sorte  que  le  pauvre  habitant  qui  retourne  sur  sa  terre 
avec  sa  femme  et  ses  enfants,  sera  obligé  de  se  cabancr  à 
la  façon  des  sauvages;  leur  récolte,  qu'ils  n'ont  pu  faire 
qu'en  en  donnant  la  moitié,  sera  exposée  aux  injures  de 
l'air  ainsi  que  leurs  animaux.  Les  caches  qu'on  avait  faites 
dans  les  bois  ont  été  découvertes  par  l'ennemi ,  et  par  là 
l'habitant  est  sans  bardes,  sans  meubles,  sans  charrues 
et  sans  outils  pour  travailler  la  terre  et  couper  le  bois. 


ÉTAT  DE  DÉVASTATION  DE  LA  VILLE  ET  DE  LA  PROVLNCE,      335 

Les  églises  au  nombre  de  10  ont  été.  conservées,  mais  les 
fenêtres,  les  portes,  les  autels,  les  statues,  les  tabernacles, 

ont  été  brisés De  l'autre  côté  de  la  rivière  au  sud, 

il  y  a  environ  36  lieues  de  pays  établi  qui  ont  été  à  peu 
près  également  ravagées,  et  qui  constituaient  19  parois- 
ses dont  le  plus  grand  nombre  a  été  détruit.  »  Ce  simple 
exposé  emprunté  au  journal  du  capitaine  anglais  et  au 
mandement  de  l'évêque  canadien  suffit  amplement  à  prou- 
ver qu'en  fait  de  cruautés  exercées  sur  la  population  civile, 
le  général  Wolfe  s'était  montré  le  digne  émule  du  gouver- 
neur général  Vaudreuil,  quand  il  lançait  ses  bandes  de 
sauvages  sur  les  frontières  des  colonies  anglaises. 

A  partir  de  la  prise  de  Québec,  les  généraux  qui  suc- 
cédèrent à  Wolfe  dans  le  commandement  et  les  soldats 
anglais  à  leur  exemple  se  conduisirent  d'une  façon  hu- 
maine à  l'égard  des  malheureux  habitants.  D'autre  part, 
ces  derniers,  abreuvés  de  misère,  s'empressèrent  de  rendre 
leurs  armes  et  de  jurer  fidélité  provisoire  au  nouveau 
gouvernement  qui  leur  en  sut  gré  ;  ils  furent  encouragés 
et  au  besoin  aidés  par  les  troupiers  britanniques  à  ren- 
trer ce  qui  restait  de  leurs  récoltes. 

Par  une  sorte  d'accord  tacite  entre  les  armées  il  fut  en- 
tendu qu'il  n'y  aurait  aucun  événement  de  guerre  dans  la 
région  de  Québec  pendant  l'automne.  Le  18  octobre,  la 
flotte  de  l'amiral  Saunders  qui  avait  prolongé  jusqu'u,  cette 
date  son  séjour  dans  les  eaux  du  Saint-Laurent,  leva  l'ancre, 
emportant  à  son  bord,  avec  les  généraux  Monckton  et 
Townshend,  une  fraction  du  corps  expé  litionnaire.  Après 
quelques  hésitations,  on  s'était  décidé  à  laisser  une  forte 
garnison  à  Québec;  elle  était  commandée  parle  brigadier 
Murray  et  se  composait,  à  l'exception  des  provinciaux  et 
des  grenadiers  de  Louisbourg,  de  tous  les  régiments  qui 
avaient  pris  part  à  la  campagne  ;  son  effectif  atteignait  le 
chiffre  de  7.313  de  tous  rangs.  De  leur  côté,  les  Français 
travaillaient  activement   au  fort  de  Jacques-Cartier.  Ce 


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LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.   M. 


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poste  et  celui  de  la  Pointe  aux  Trembles,  furent  munis 
de  garnisons  do  000  hommes  de  troupes  de  terre  et  de 
marine,  aux  ordres  de  Dumas  et  de  IVepcntigny.  Les  Cana- 
diens avaient  déjà  été  liceneiés,  et  les  débris  des  batail- 
lons régiiliors  furent  cantonnés  comme  d'habitude  chez 
l'habitant. 

Dans  les  parages  du  lac  Champlain,  depuis  la  retraite 
de  Bourlamaque  à  l'Ile  aux  Noix,  jusqu'au  commencement 
d'octobre,  la  tranquillité  ne  fut  troublée  que  par  le  raid 
du  partisan  Rogers  qui  alla  brûler  le  village  de  Saint- 
François,  habité  par  les  Abenakis,  sauvages  domiciliés 
et  alliés  de  la  France.  Le  but  de  l'expédition  était  de  tirer 
vengeance  des  nombreuses  incursions  fuites  sur  territoire 
anclais,  des  non  moins  nombreuses  chevelures  levé  jS  aux 
colons  de  la  nou  /elle  Angleterre,  et  en  dernierlieu,  de  la 
capture  dofficiers  porteurs  de  dépôclies  pour  Wolfe.  que 
ces  Indiens  avaient  arrêtés  et  conduits  au  quartier  géné- 
ral de  Vaudreuil.  Rogers,  avec  un  détachement  de  200  à 
250  de  ses  rangers,  partit  de  Saint-Frédéric  vers  le  milieu 
de  septembre,  traversa  le  lac,  abandonna  à  la  baie  de  Mis- 
siscoui  ses  bateaux  qui  furent  découverts  par  les  éclaireurt 
de  Bourlamaque,  et  marcha  droit  sur  la  rivière  Saint-Fran- 
çois, affluent  du  Saint-Laurent,  sur  les  bords  de  laquelle 
était  située  la  bourgade  indienne.  Déguisé  en  sauvage,  le 
partisan  alla  en  personne  reconnaître  le  village,  trouva 
tout  le  monde  en  fête,  revint  à  son  bivouac  sain  et  sauf  et 
attaqua  les  Abenakis  au  point  du  jour.  La  surprise  fut 
complète  et  le  massacre  général  (1).  Quoique  Rogers  s'en 
soit  défendu,  il  est  probable  que  des  femmes  et  des  enfants 
furent  parmi  les  victimes.  Les  rangers  qui  se  savaient  tra- 
qués et  à  qui  la  retraite  sur  le  lac  Champlain  était  fermée, 


(1)  Rogers  parle  de  200  hommes  tués  et  de  20  femmes  et  enfants  prison- 
niers. Mk'  de  Pontbriand  dit  ;{0  Indiens  tués  sur  lesquels  20  femmes  et  en- 
fants. Voir  Parkman,  vol.  II,  p.  2r)3  et  suivantes.  Casgrain,  vol.  II,  p.  302  et 
suivantes. 


1 


LES  ANGLAIS  MAITRES  DU  LAC  CHAMPLAIN. 


337 


résolurent  de  rentrer  par  la  rivière  Connecticut;  à  bout  de 
provisions  et  rédu'ts  à  vivre  de  leur  chasse,  ils  se  divisè- 
rent en  petits  pelotons  dont  quelques-uns  tombèrent  aux 
mains  des  sauvages  et  d'autres  moururent  de  faim  ou  de  fa- 
ligue.  Rogers  et  les  plus  solides  de  la  bande  gagnèrent  un 
endroit  où  un  renfort  en  hommes  et  en  vivres  devait  les 
attendre.  Ils  ne  rencontrèrent  ni  les  uns  ni  les  autres;  le 
détachement  ami  était  bien  venu  au  rendez-vous,  mais 
après  un  séjour  de  deux  jours,  était  reparti  sans  laisser  la 
moindre  victuaille.  A  force  d'énergie,  Hogers  parvint  avec 
un  seul  officier  au  premier  poste  anglais  d'où  il  envoya  au 
secours  de  ses  compagnons.  Parmi  les  captifs  faits  aux 
rangers,  10,  ramenés  à  Saint- François,  furent  livrés  aux 
femmes  indiennes  qui  leur  firent  expier  dans  les  supplices 
leur  hardi  mais  sanglant  exploit. 

Depuis  son  arrivée  à  Saint-Frédéric,  Amherst  chez  lequel 
la  hardiesse  n'était  pas  la  qualité  dominante,  s'était  em- 
ployé à  rebâtir  sur  une  plus  grande  échelle  les  forts  fran- 
0  is  du  Champlain,  et  à  construire  la  flottille  qui  devait  lui 
a   urer  la  suprématie  sur  les  eaux  du  lac.  Bourlamaque, 
retiré  à  l'Ile  aux  Noix,  dans  la  rivière  de  Richelieu,  ou  So- 
rel,  à  3  kilomètres  de  sa  sortie  du  Champlain,  avait  profité 
du  répit  pour  achever  les  ouvrages  de  campagne  et  pour 
commencer  le  fort  d'hiver.  Rassuré  par  l'inaction  des  An- 
glais, il  avait  même  congédié  pour  la  moisson  une  partie 
de  ses  Canadiens.  A  la  surprise  générale  et  malgré  la  saison 
avancée,   Amherst  embarqua  son  armée  et   fît  voile  le 
11  octobre  de  Crown  Point  ou  Saint-Frédéric.  I.es  berges 
qui  portaient  le  corps  expéditionnaire  fort  de  10  à  11.000 
hommes,  étaient  escortées  par  les  bâtiments  récemment 
lancés,  un  brigantin  armé  de  20  canons,  un  scnau  et  plu- 
sieurs chaloupes  munies  d'artillerie.  L'escadrille  française, 
sous  les  ordres  de  M.  de  Loubara,  officier  de  la  marine 
royale,  était  inférieure  tant  en  nombre  qu'en  puissance 
des  unités;  elle  se  composait  d'une  goélette  et  de  3  che- 


CUEIIRE   DE   SEPT   ANS.    —  T.    III. 


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LA  GUERRE  DE  SE1»T  ANS.  -  CIIAP.  VI. 


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becs;  la  goélette  fit  route  pour  la  baie  de  .Missiscoui;  les 
chebccs  s'emparèrent  d'abord  d'une  embarcation  remplie 
de  soldats,  puis  attaqués  par  le  brigantin  et  le  senau  an- 
glais, se  réfugièrent  dans  une  anse  où  de  LoubLra  coula  ses 
trois  navires  et  gagna  Montréal  avec  ses  équipages.  L'o- 
pération fut  si  imparfaitement  accomplie  que  les  Anglais 
purent  remettre  à  flot  l'un  des  bâtiments  dès  le  lendemain 
et  un  autre  dans  le  courant  de  l'automne;  seule  la  goélette 
française  réussit  à  descendre  la  rivière  de  Sorel.  La  con- 
duite de  Loubara  fut  jugée  sévèrement.  «  La  perte  desche- 
becs  est  une  énigme  pour  moi,  écrit  Bourlamaque  (1).  Cet 
homme,  aussi  malheureu.v  je  crois  qu'il  est  ignorant,  a 
coulé  ses  bâtiments  sans  essayer  sa  marche,  sans  avoir  es- 
suyé un  coup  de  canon,  et  sans  avoir  cheiché  à  profiter  de 
l'obscurité  pour  se  sauver.  Il  s'est  rendu  à  Montréal  et  sans 
doute  il  a  des  raisons,  puisque  M.  de  Vaudreuil  me  mande 
qu'il  n'a  pas  pu  faire  autrement.  Je  ne  lui  donnerais  pas, 
je  crois,  le  commandement  de  la  galiote  de  Saint-Cloud.  » 
Entravé  par  les  vents  contraires  et  le  mauvais  temps,  Am- 
herst  fut  obligé  de  renoncer  à  son  entreprise  et  vint  réin- 
tégrer son  camp  de  Saint-Frédéric  d'où  il  ne  bougea  plus. 
Vers  le  milieu  de  novembre,  les  deux  armées  prirent  leurs 
quartiers  d'iiiver,  laissant  des  garnisons  dans  leurs  postes 
avancés  respectifs  et  la  flottille  anglaise  maîtresse  du  lac 
Champlain. 

La  campagne  était  terminée  et  dans  pou  de  jours  les  gla- 
ces interrompraient  toute  communication  avec  la  France  ; 
heureusement  le  départ  de  la  flotte  anglaise  permettait  de 
risquer  l'envoi  de  dépèches  à  la  cour;  pour  les  porter, 
Vaudreuil  et  Lévis  firent  choix  de  l'officier  colonial  Le 
Mercier;  ils  lui  confièrent  tout  un  paquet  de  rapports.  Dans 
une  des  pièces  adressées  au  maréchal  de  Bellcisle,  Lévis 


(1)  Bourlamaque  ù  Lévis.  Ile  aux  Noix,  25  octobre  173<J.  Lctties  de  Bour- 
lamaque. Colleclion  Lévis. 


DKPKCIIES  I)K  LÉVIS  ET  VAUDREUIL  POUR  LA  COUR. 


339 


faisait  en  termes  sol)ro3  et  précis  l'historique  des  événe- 
ments depuis  la  mort  de  Montcalm  et  un  court  exposé  de 
la  situation  et  des  l)esoius  de  la  colonie.  «  Il  faut  conve- 
nir, écrit-il  (1),  que  nous  avons  été  Inen  malheureux.  Au 
moment  où  nous  devions  espérer  de  voir  finir  la  campa- 
gne avec  gloire,  tout  a  tourné  contre  nous.  Une  bataille 
perdue,  une  retraite  aussi  précipitée  que  honteuse,  nous 
ont  réduits  au  point  où  nous  en  sommes.  On  impute  à 
M.  de  Montcalm  d'avoir  trop  divisé  l'armée,  et  d'avoir  at- 
taqué trop  tôt  les  ennemis  sans  avoir  rassemblé  toutes  les 
forces  qu'il  aurait  pu  avoir.  Je  dois  à  sa  mémoire,  pour 
assurer  la  droiture  de  ses  intentions,  de  dire  qu'il  a  cru 
ne  pouvoir  faire  mieux;  mais  malheureusement  les  géné- 
raux ont  toujours  tort  quand  ils  sont  battus.  Je  ferai  cer- 
tainemeut  tous  mes  efforts,  conjointement  avec  M.  de  Vau- 
dreuil,  pour  soutenir  cet  hiver  le  reste  de  cette  malheureuse 
colonie  et  attendre  les  secours  qu'il  plaira  à  Sa  Majesté  de 
nous  envoyer  dans  les  premiers  jours  du  mois  de  mai.... 
A  l'égard  de  nos  frontières,  elles  consisteront  cet  hiver, 
au  poste  de  Jacques  Cartier,  où  il  y  aura  mille  hommes 
dans  le  fort  ou  aux  environs,  pour  observer  la  garnison  de 
Québec,  à  l'Ile  aux  Noix,  Saint-Jean  ou  Chambly  le  même 
nombre,  et  au  fort  qui  est  à  la  tète  des  Rapides  500  hom- 
mes. Nous  conserverons  trois  frégates,  pour  qu'au  prin- 
temps nous  puissions  garder  le  courant  du  Richelieu ,  pour 
empêcher  que  les  ennemis  ne  remontent  le  fleuve  avec 
leurs  berges  et  d'autres  biUimcnts  jusqu'aux  Trois  Rivières 
et  même  jusqu'à  Montréal...  Si  le  Pioi  veut  soutenir  cette 
colonie,  elle  n'est  pas  encore  sans  ressources,  et  s'il  lui 
plait  d'envoyer  au  mois  de  mai  une  escadre  qui  devance 
celle  d'Angleterre  et  qui  nous  rende  maîtres  du  fleuve  avec 
six  mille  hommes  de  troupes  de  débarquement  et  quatre 


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(1)  Lévis  à  Belleisie,  1"  novembre  1759.  Collection  de  Lévis. 


840 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VF. 


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mille  hommes  de  recrues  pour  les  bataillons  et  les  troupes 
de  la  Marine  qui  sont  ici.  Il  faudrait  aussi  un  train  de  grosse 
artillerie  avec  des  munitions  tic  toutes  espèces  comme  du 
fer,  de  l'acier,  des  outils  de  toutes  sortes  et  10.000  fusils, 
la  prise  de  Québec  nous  ayant  dépourvus  de  toutes  choses. 
I.es  troupes  de  débarquement  que  le  Roi  enverrait  pour 
prendre  Québec  pourraient  s'en  retourner  en  France  avec 
l'escadre.  Nos  forces  seront  peu  considérables  au  prin- 
temps. Les  8  bataillons  ne  feront  pas  plus  de  2.400  com- 
battants, et  les  troupes  de  la  Marine  11  à  1.200;  et  s'il  ne 
nous  arrive  pas  des  secours,  nous  ne  pouvons  compter  que 
sur  les  habitants  des  gouvernements  des  Trois  Rivières  et 
de  Montréal,  et  encore  auronc-nous  de  la  peine  à  les  ras- 
sembler. A  l'égard  des  sauvages,  nous  en  aurons  1,000  ou 
1.200,  supposé  qu'il  nous  arrive  une  escadre;  car,  sans 
cela,  nous  serons  fort  heureux  s'ils  ne  sont  pas  contre  nous. 
Si  le  Roi  ne  juge  pas  devoir  nous  donner  du  secours,  je 
dois  vous  prévenir  qu'il  ne  faut  plus  compter  sur  nous  à  la 
lin  du  mois  de  mai.  Nous  serons  obligés  de  nous  rendre  par 
misère;  manquant  de  tout,  il  nous  restera  du  courage  sans 
aucune  ressource  pour  le  mettre  en  usage.  » 

Lévis  écrivit  dans  le  même  sens  à  Rerryer,  ministre  de 
la  marine,  au  duc  de  Choiseul  et  à  M.  de  Crémille.  Quant 
h  Vaudreuil,  il  employa  ses  loisirs,  après  son  retour  de 
l'armée,  à  rédiger  un  récit  des  événements  où  il  s'attribue 
le  mérite  d'une  prévoyance  et  d'une  sagacité  à  toute 
épreuve  et  où  il  rejette  sur  xMontcalm  la  responsabilité  de 
tous  les  désastres  de  la  campagne,  (oublieux  des  égards 
dus  à  la  mémoire  du  glorieux  défunt,  il  lui  impute  (l)les 
intrigues  les  plus  mesquines  contre  son  autorité  et  le  désir 
à  peine  déguisé  de  le  remplacer  dans  ses  fonctions  de  gou- 
verneur général.  Peut-être  espéra-t-il  découvrir  dans  les 


(1)  Voir  dans  Parkman,  vol.  II,  p.  318,  l'analyse  île  la  dépêcbe  de  Vau- 
dreuil à  Berrjer, 


ii 


CANON  FORCE  LE  ULOCUS  AVKC  LES  DEPftCHKS. 


341 


%^ 


papiers  de  Montcaliii  la  prouve  de  cette  accusation  ridi- 
cule; toujours  est-il  qu'il  en  demanda  la  communication 
ô  Lévis.  Éconduit  de  ce  cAté,  il  pria  Amherst  de  lui  re- 
mettre des  pièces  que  le  f^énéral  français  aurait  contiées 
à  un  missionnaire  en  résidence  chez  les  Abenakis  et 
dont  le  partisan  Hogers  se  serait  eujparé  lors  de  son  raid 
à  Saint -François.  «  Comme  il  (Montcalm),  écrivit  Vau- 
dreuil  (1),  était  peu  instruit  de  l'administration  de  cette  co- 
lonie et  qu'il  ne  pouvait  la  connaître  que  par  des  rapports, 
je  désirerais  que  V.  K.,  si  ces  paquets  lui  sont  parvenus  par 
le  capitaine  Kouers,  voulût  bien  me  les  envoyei-.  •>  Les  do- 
cuments, ou  n'existaient  pas,  ou  ne  furent  pas  retrouvés, 
et  l'aifaire  n'eut  pas  de  suite. 

Le  dernier  messager  du  Canada  français  à  la  coin- de  Ver- 
sailles arriva  heureusement  à  destination.  F^e  22  novem- 
bre, les  navires  du  niunitionnaire  qui  retournaient  en 
France  étaient  à  l'ancre  au  cap  Rouge;  un  coup  de  vent 
qu'ils  essuyèrent  au  mouillage  jeta  à  la  côte  trois  petites 
frégates  et  un  navire  de  commerce.  Les  autres  bAtiments, 
aux  ordres  du  capitaine  Canon,  franchirent  avec  succès  le 
défilé  de  Québec,  malgré  le  canon  britannique,  et  gagnè- 
rent la  haute  mei'.  lue  tentative  faite  pour  brûler  les  na- 
vires échoués  coûta  la  vie  à  plusieurs  des  marins  anglais 
et  la  perte  d'une  goélette  dont  ils  s'étaient  servis  pour 
l'entreprise.  Ce  fut  l'ultime  incident  de  la  longue  et  dé- 
sastreuse campagne  de  1759. 

Dans  l'ancienne  et  la  nouvelle  Angleterre,  l'avis  de  la 
prise  de  la  capitale  du  Canada  donna  lieu  à  des  démons- 
trations de  joie  d'autant  plus  vives  que  les  dernières  dépè- 
ches de  Wolfe  ne  faisaient  guère  prévoir  une  issue  aussi 
brillante.  Dans  la  victoire  d'Abraham  et  dans  la  capitula- 
tion de  Québec,  les  Anglo-Saxons  des  deux  continents 
saluèrent  la  lin  des  luttes  plus  que  séculaires,  dont  l'Amé- 

(1)  Vandreuilà  Aiiiherst.  Rpcoril  olTice. 


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342 


LA  (lUERUE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


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rique  avait  été  le  théAtrc,  la  revanche  des  humiliations 
morales  et  des  dommages  matériels  <jue  les  habitants  et  les 
sauvages  de  la  Nouvelle  Franc»^  avaient  infligés  à  leurs 
colons  et  à  leurs  compatriotes.  La  mémoire  du  général  vic- 
torieux emprunta  à  sa  mort  glorieuse  sur  le  champ  de 
bataille  uoe  auréole  de  héros  qui  vint  rehausser  l'éclat  de 
son  triomphe;  aussi,  parmi  les  illustrations  militaires  de  la 
(irande-Hretagnc,  Wolfe  a-t-il  conservé  une  place  préémi- 
n(!nte  que  la  critique  serait  mal  venue  de  vouloir  lui 
disputer.  Le  plan  d'opérations  des  Anglais  contre  le  Ca- 
nada était  bien  conçu,  et,  d'après  les  probabilités,  il  de- 
vait aboutir  à  la  conquête  de  toute  la  province  dès  l'au- 
tomne de  17r>9.  Si  le  général  Amherst  et  son  lieutenant 
(iage  eussent  déployé  le  quart  de  l'énergie  et  de  la  har- 
diesse dont  Wolfe  fit  preuve,  Montréal  eût  succombé 
comme  Québec.  Sans  doute,  on  ne  peut  trop  louer  le 
courage,  la  persévérance,  l'activité  de  Lévis  et  de  ses  com- 
pagnons, qui  surent  lutter  jusqu'au  bout,  mais  il  faut  re- 
connaître que  si  le  Canada  resta  français  pendant  toute  une 
année  après  la  prise  de  Québec,  ce  i  -sultat  fut  dû  surtout 
ù  la  lenteur  et  au.v  fautes  de  l'envahisseur. 

Quant  î\  l'expédition  contre  Québec,  qui  était  partie  im- 
portante, mais  néanmoins  secondaire  de  l'entreprise  géné- 
rale, elle  fut  conduite  avec  ténacité  et  entrain.  Kiit-elle  été 
couronnée  de  succès  sans  la  résolution  funeste  de  Montcalm 
de  livrer  bataille  aux  Anglais  le  13  septembre?  Cela  est 
fort  douteux,  mais  par  contre  les  conséquences  de  la  faute 
commise  eussent  été  plus  graves  sans  la  mort  de  Wolfe  ;  ce 
général  eût  certainement  déployé,  pour  le  parti  à  tirer  de 
la  démoralisation  des  vaincus,  des  qualités  qui  firent  com- 
plètement défaut  à  son  successeur. 

Du  cAté  français,  quelles  furent  les  responsabilités  en- 
gagées? S'il  y  eut  erreur  de  jugement  de  la  part  de  iMont- 
■calm  lors  de  l'aflaire  des  plaines  d'Abraham,  elle  fut  par- 
tagée par  ses  meilleurs  officiers;  elle  s'explique  par  la 


*.^* 


REVUE  DE  LA  CAMPAGNE. 


841 


situation  critiqufi  d((  la  colonie  et  par  l'excès  de  confiance 
dû  au  souvenir  des  succrs  antérieurs.  A  la  guerre,  l'obli- 
gation de  prendre  une  décision  immédiate  entraîne  [»ar- 
fois  des  échecs  dont  il  serait  injuste  de  charg"er  la  mé- 
moire d(!  leurs  auteurs,  surtout  (|uand  ils  sont  expiés  par 
une  mort  héroïque  et  rachetés  par  un  passé  illustre 
Dans  une  période  de  platitudes  et  de  défaillances,  la 
fip-ure  loyale  et  chevaleresque  de  Monlcalm  ressort  avec 
éclat;  aussi  presque  tous  les  historiens,  à  quelque  natio- 
nalité qu'ils  appartinssent,  lui  ont-ils  conservé  la  sympa- 
thie qu'il  avait  inspirée  X  ses  frères  d'arjnes  de  France  et 
du  Canada. 

Que  dire  des  acteurs  secondaires  du  drame?  A  l'excep- 
tion du  brave  Lévis,  qui  se  révéla  homme  d'énergie 
et  de  caractère,  tous  furent  piteusement  au-dessous  de 
leur  tâche  :  Vaudreuil ,  Uamezai ,  la  plupart  des  officiers 
supérieurs  s'abandonnèrent  à  un  découragement  qui  dé- 
généra en  pusillanimité  morale  frisant  la  lAcheté;  chez 
eux,  à  peine  une  lueur  de  bon  sens  bien  vite  elfacée  par 
l'exagération  du  danger  qu'engendre  l'hésitation;  pas  une 
conception  virile,  aucun  sentiment  du  devoir  de  tout 
sacrifier  à  la  défense  du  dépôt  que  la  France  leur  avait 
confié. 

Mais  si  nous  ne  saurions  être  trop  sévères  dans  notre 
appréciation  des  hommes  auxquels  incombe  la  responsa- 
bilité immédiate  de  la  reddition  de  Québec,  il  ne  faut  pas 
oublier  la  part  cent  fois  plus  lourde  du  cabinet  de  Ver- 
sailles. Engager  par  des  agressions  irréfléchies  une  guerre 
qu'on  n'était  pas  en  état  de  soutenir,  gaspiller  en  Alle- 
magne, pour  des  avantages  illusoires,  des  forces  qui  eus- 
sent été  mieux  employ^-es  pour  la  conservation  du  Ca- 
nada, se  laisser  réduire  à  la  nécessité  de  refuser  les  deux 
ou  trois  mille  hommes  de  renfort  dont  la  présence  eût 
sauvé  la  colonie.  ^»bandonner  à  leur  sort  les  soldats,  les 
paysans  qui  avaient  sî  vaillamment  combattu,  telles  sont 


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344 


Lfi   GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


les  fautes  successives  dont  le  gouvernement  de  Louis  XV 
supporte  tout  le  poids  devant  l'histoire.  C'est  à  elles  sur- 
tout qu'il  faut  attribuer  les  douloureux  événements  que 
nous  venons  de  relater. 


CÎLVPITRE  Vil 


MARINE  ET  COLONIES 


m. 


DESCKMKS  AXJLAISES  E\  XORM AXIHE  ET  E>  HRETAGNE.  COM- 
BAT DE  SAIXT-CAST.  —  PEIITE  DU  SKXKGAL  ET  DELA  (Il  AI>K- 
LOUPE.  —  BATAILLES  NAVALES  DE  LAGOS  KT  DES  CARDINAUX. 
—  SUPRÉMATIE  MARITIME  DE  l'aNGLKTERRK.  —  CAMPA- 
GNES DE  LALLY  AUX  IXUES.  —  SES  PRF.MIEnS  SUCCÈS.  — 
ENGAGEMENTS  ENTRE  LES  ESCADRES,  —  SIÈGE  DE  MADRAS.  — 
PRISE  DE  MASSULIPATAM  PAR  LES  ANGLAIS.  —  COMBAT  NA- 
VAL DE  THANQUEBAR.  —  DÉMÊLÉS  DE  LALLY  AVEC  BUSSV  ET 
LEYRIT.  —  RÉVOLTE  DES  TROUPES. 

Dans  notre  récit  dos  proniièros  nnnôos  do  la  (inorro  de 
Sept  Ans,  nous  avons  laissé  de  côté  avec  intention  tout  ce 
(|ui  a  trait  aux  dél)arquciuents  anglais  sur  la  France  con- 
tinentale, aux  combats  entre  les  escadres  des  deux  pays, 
enfin  aux  incidents  des  Antilles  et  des  Indes  Orientales. 
l*()ur  éviter  la  confusion  (juaurait  engendrée  riiisortion, 
i\  leur  place  chronologique,  de  ces  épisodes  secondaires, 
nous  les  avons  négligés  pour  ne  nous  attacher  (juaux  faits 
j^)lus  importants  de  la  lutter  en  Allemagne  et  en  Amé- 
rique. Il  convient  de  coinhler  cette  lacune,  et  prmr  cela 
de  remonter  ([uelquo  peu  en  arrière. 

Malgré  linsuccès  <le  la  tentative  contre  le  port  de  Uijche- 
foi't  en  1757,  Pitt,  jus([u"alor!-  adversaire  résolu  do  toute 
participation  des  soldats  hritaninques  aux  hostilités  d'Al- 
lemagne, avait  obtenu  le  consentement  du  roi  (joorge  et 


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346 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VII. 


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(le  ses  collègues  du  uiiuistère  à  uue  nouvelle  descente  sur 
les  côtes  frauraises.  Vers  la  fin  de  mai  1758,  un  corj)s 
expéditionnaire  d'environ  iV.OOO  honiines,  aux  ordres  du 
duc  de  Marlborouerh,  s'embarqua  sur  une  flotte  de  plus 
de  100  transports  qui  fit  voile  le  1"'  juin  (1)  sous  l'escorte 
d'une  escadre  de  5  vaisseaux  de  lig-ne  et  de  plusieurs  fré- 
gates et  corvettes.  Le  V,  on  signala  de  Saint-Malo,  l'appa- 
rition de  115  hAtiments;  le  lendemain,  la  mise  k  terre  eut 
lieu  dans  la  l>aie  de  Cancale,  presque  sans  opposition  de 
la  part  des  Fran<;ais  qui  n'étaient  pas  en  force.  Les  7  et  8, 
les  Anglais  qui  s'étaient  approchés  de  Saint-Malo,  incen- 
dièrent à  Saint-Servan,  dans  la  rade  du  Solidor,  80  bâti- 
ments de  commerce  de  150  à  300  tonneaux  et  20  corsaires 
désarmés  ou  sur  chantier.  L'alerte  fut  des  plus  vives  dans 
la  ville  où  le  duc  d'Aiguillon,  gouverneur  de  la  Breta- 
gne, avait  réuni  un  bataillon  de  ligne,  deux  bataillons 
de  gardes-côtes,  480  miliciens  et  à  peu  près  autant  de 
volontaires,  mais  .îariborough,  satisfait  de  son  œuvre  de 
destruction,  ne  tenta  rien  contre  Saint-Malo  et  remit  ses 
troupes  à  bord  le  il.  Ce  ne  fut  que  dix  jours  plus  tard 
(jue  le  convoi,  retenu  par  les  vents  contraires,  s'éloi- 
gna délînitivement  de  la  côte.  De  part  et  d'autre,  les 
pertes  insignitiantes  n'avaient  pas  dépassé  une  trentaine 
d'hommes  hors  de  condiat.  Après  de  vaines  démonstra- 
tions devant  le  Havre  et  Cherbourg,  l'expédition  rentra 
à  Spithead  le  1°'  juillet.  Le  dommage  cuusé  aux  armateurs 
malouins  n'avait  pas  altéré  leur  bo].  esprit,  s'il  faut  en 
croire  le  maire,  M.  Le  Breton  de  la  Vieuville,  qui  écrit  à 
Belle-Isle  :  «  les  ennemis  en  nous  brùlaut  80  navires  ont 
enflammé  noti'e  zèle  ».  Il  est  vrai  qu'à  titre  de  récom- 
pense pour  la  belle  conduite  de  ses  administrés,  il  demande 
la  franchise  du  port. 


(1)  Le  récit  dos  descentes  de  Saint-Malo  et  Cherbourg  est  tiré  des  Archi- 
ves de  la  Guerre  et  des  Archives  nationales.  Marine,  de  Clowes,  Royal 
.Var//  et  de  l'Animal  lieyister,  1758,  etc. 


DESCENTE  DES  ANGLAIS  A  CHERBOURG. 


347 


Après  un  repos  d'un  mois  que  les  troupes  passèrent 
dans  l'île  de  Wiglit,  on  remit  î'i  la  voilo  dans  les  pr<>miei'S 
jours  d'août.  L'ancien  chef,  le  duc  de  Marlhoroufrh,  avec 
une  partie  (' ^s  effectifs,  était  allé  rejoindre  le  prince  Fer- 
dinand en  Allemagne;  il  avait  été  remplacé  par  Bligh,  vé- 
téran dont  l'Age  avait  amorti  l'activité  ;  le  nouveau  géné- 
ral avait  sous  ses  ordres  environ  6.000  iionimes.  A  bord 
du  vaisseau  amiral  servait,  en  qualité  d'aspirant,  le  se- 
cond fils  du  prince  de  Galles,  frère  du  futur  roi  George  111. 
Le  but  de  l'expédition  était  Cherbourg,  dont  le  port,  en- 
core très  mal  protégé  du  côté  de  la  mer,  n'avait  d'autre 
importance  que  d'offrir  un  refuge  aux  croiseurs  français. 
Quand  on  signala  les  bâtiments  anglais,  le  commandant, 
le  comte  de  Raymond,  était  sur  ses  gardes  contre  une 
atta(pie  que  la  visite  du  mois  de  juin  lui  avait  en  quel- 
que sorte  annoncée.  Pour  la  repousser  il  pouvait  disposer 
de  3  bataillons  de  ligne,  dont  2  de  formation  récente, 
de  3l)ataillons  de  gardes-côtes  et  de  250  dragons;  mais  il 
éparpilla  son  monde  le  long  des  plages  et  ne  put  empê- 
cher le  débarquement  des  Anglais  qui  s'effeciua  le  7  août, 
à  l'anse  d'Urville,  sous  la  protection  du  canon  de  la  tlotte. 

Impressionné  par  cet  échec  où  il  n'tavait  eu  que  (piel(|ues« 
hommes  atteints  par  le  feu,  Rayn.  m]  perdit  la  tète;  bien 
({ne  renforcé  par  ii  i  bataillon  du  régiment  de  Lorraine,  il 
abandonna  (Miei'boui'  sans  coup  férir,  aux  Anglais,  éva- 
cua les  forts  de  Queri^  leville  et  des  Autels,  n'essaya  pas 
d'en  retirer  l'ai'tilleric  oublia  ses  poudres  et  se  réfu- 
gia à  trois  lieues  de  la  ville  au  camp  du  mont  Espinguet, 
où  dans  la  nuit  le  duc  d'IIarcourt  vint  se  l'éunir  à  lui.  Les 
Anglais  s'instaUèrent  à  h^ur  î'ise  et  prépai'èirnt  à  loisir  des 
mines  (ju'ils  tirent  jouer  du  12  an  l.">  aont.  <<  Ces  jouiN 
furent  enq)loyés,  écrit  un  témoin  (1),  à  rend)rasement  du 


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(1)  Manuscrit  de  M.  de  Gibourj^,  coinmandunt  de  gardes-cùtes  et  lettres 
particulières.  Archives  de  la  Guerre. 


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848 


LA  GUKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VU. 


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port,  (les  portos  du  bassin  de  rÉcluse  et  des  vaissoau.x.... 
I)eu.\  jours  lurent  employés  par  les  matelots  à  piller  les 
maisons,  à  défoncer  les  magasins  et  à  enlever  tout  ce  qui 
rci^ardait  la  marine.  »  Les  troupes  de  Bligh  réintégrèrent 
]e  bord  le  10,  emportant  avec  eux  une  contril)ution  en 
argent  de  00.000  livres,  «  3  à  'i^.OOO  bœufs  ou  vaches,  7  à 
8.000  moutons,  1.000  chevaux,  l)eaucoup  de  cochons  et 
une  quantité  prodigieuse  de  toutes  espèces  de  volailles  ». 
Ilarcourt,  dont  les  forces  se  conq)osaient  en  grande  partie 
do  g-ardes-côtes  dans  les  rang's  desquels  étaient  enrôlés 
l)eaucoup  «  d'estropiés,  mendiants  et  enfants  »,  ne  lit  rien 
pour  inquiéter  le  départ  de  l'ennemi.  Kaymond,  à  la  suite 
d'une  enquête  officieuse  faite  par  le  Ministre,  fut  privé  de 
son  commandement;  il  aurait,  ce  nous  send)le,  mérité 
une  punition  plus  sévère. 

Sur  les  ordres  de  la  cour  de  Saint-James,  peu  satisfaite 
<les  minces  résultats  obtenus,  la  flotte  anglaise,  après 
une  courte  relAchc  dans  la  baie  de  Portland ,  appareilla 
cette  fois  pour  les  côtes  de  Bretagne.  L'expédition  contre 
(>her])ourg  avait  jeté  l'alarme  et  le  désarroi  partout.  A 
Brest  (1),  les  départements  do  la  (iuorrc  et  de  la  Marine  se 
disputaient  le  contrôle  et  l'armement  des  batteries  de  la 
rade.  En  Normandie,  le  duc  de  Luxeml)ourg  (2),  gouver- 
neur de  la  province,  signalait  la  mauvaise  organisation 
dos  gardes-côtes.  Ces  soldats  improvisés  n'avaient  pas  de 
chemises  et  manquaient  de  nourriture;  quoi(]u'ils  eussent 
reçu  le  ])aiu  et  la  viande,  ils  désortaient  par  centaines  à  la 
fois  et  cachaient  leurs  fusils,  dont  ils  étaient  d'ailleurs 
incapables  de  se  servir.  Le  '.i  soptondire,  les  Anglais  paru- 
rent au  large  de  Saint-Malo,  et  dès  le  lendemain  mirent 
une  division  de  leurs  troupes  à  terre  à  Saint-Briac. 

(1)  Aiguillon  à  Belleisle  et  Massiac,  "28  juil'et  1750.  Archives  de  la  Guerre, 
3i96. 

(2)  Luxembourg  à  Beaujeu  et  Belleisle,  5  septembre  1759.  Archives  de  la 
Guerre. 


EXPEDITION  DE  BRETAGNE. 


3i9 


■  Pour  la  défense  de  la  Bretagne  le  duc  d'Aiguillon  avait 
sous  ses  ordres  22  bataillons  de  ligne,  3  bataillons  de 
Uiilice,  ({uelques  compagnies  d'invalides  o\  un  régiment 
de  dragons;  déduction  laite  des  garnisons  <le  Belle-Isle, 
Lorient  et  Brest,  il  put  diriger  sur  le  point  d'atta((ue 
13  bataillons  <.e  ligne  et  de  milice,  auxquels  se  joindraient 
les  2  de  Saint-Malo;  il  partit  lui-même  le  5  septembre  de 
Brest.  Deux  jours  après,  il  est  à  Landjalle;  grrtce  à  l'eni" 
ploi  de  chariots  pour  transporter  ses  soldats,  il  compte 
réunir  le  9,  en  réguliei^,  dragons,  miliciens  et  gardes- 
côtes,  un  corps  de  10.000  honnnes  avec  un  parc  de  13  ca- 
nons. Il  ne  croit  pas  que  la  descente  à  Saint-Briac  soit  une 
feinte  destinée  à  couvrir  une  tentative  plus  sérieuse  con- 
tre Brest  ou  Lorient.  u  La  meilleure  méthode,  écrit-il  [l) 
à  Belieisle,  à  ce  que  j'ai  ouï  dire,  est  de  marcher  droit  et 
vite  aux  ennemis  lorsqu'on  les  sait  quehpie  part,  de  faire 
de  bonnes  dispositions  et  de  se  tier  un  peu  à  la  Provi- 
dence. »  Entre  temps,  les  chefs  anglais,  après  une  recon- 
naissance de  Saint-Malo  faite  des  rives  de  la  Rance,  avaient 
renoncé  à  toute  entreprise  contre  la  ville  et  avaient  dé- 
cidé le  rend)arquement  des  11.. 000  honnnes  mis  à  terre; 
sur  l'indication  du  commodore  Howe,  l'opération  devait 
avoir  lieu  dans  la  baie  de  Saint-Cast.  Les  Anglais  perdirent 
l)eaucoup  de  temps  à  gagner  le  rendez-vous;  ce  ne  fut 
((ue  le  9  au  soir,  après  avoir  passé  la  rivière  du  (iuildo, 
qu'ils  apprirent  le  proche  voisinage  d'Aiguillon.  La  jour- 
née du  10  fut  cousacrée  à  des  escarmouches  sous  le  cou- 
vert desquelles  les  troupes  franijaises  eurent  le  loisir  de  se 
concentrer. 

Voici  en  quels  termes  le  rapport  officiel  (2)  décrit  l'ac- 
tion du  lendemain  :  «  Le  11,  les  ennemis  ipii,  pen(hint  la 


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(1)  Aiguillon  à    Helleisle.  Laiiiballe,  7    .septembre    175.S.   Archives  de  la 
Guerre. 

(2)  Relation  du  combat  de  Sainl-Casl.  Archives  de   la  Marine.  H.  i,   vol. 
LXXVIU. 


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360 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VU. 


nuit,  avaient  fait  leurs  dispositions  pour  se  retirer,  coni- 
nuMieèreiit  à  se  replier  à  la  pointe  du  jour  sur  Saiut-Cast. 
M.  de  Broc  se  mit  à  leur  suite  o.l  <;u  donna  avis  à  M.  de  Bal- 
leroy,  ([ui  nuircha  sur-le-champ  pour  le  soutenir.  M.  le  duc 
d'Aiguillon  se  porta  en  avant  au  f^rand  galop  avec  1(î  régi- 
ment de  drjig'ons  de  Marheuf,  et  joignit  le  détachement 
de  M.  de  Broc,  dont  la  tète  arrivait  sur  les  hauteurs  dv 
Saint- Cast;  il  lit  mettre  sur-le-champ  pied  à  terre  aux  dra- 
gons, le  terrain  ne  permettant  pas  qu'on  en  fit  usage  à 
cheval.  Il  étoit  environ  9  heures  du  nuitin;  la  Hotte  enne- 
mie était  en  ligne,  et  les  chaloupes  commençaient  à  porter 
à  bord  les  troupes  qui  étaient  en  bataille  sur  la  plage  dans 
le  fond  de  l'anse  de  Saint-Cast,  derrière  des  dunes  et  des 
retranchements  qu'ils  avaient  faits  pour  protéger  leur 
rembarquement.  Nos  troupes  arrivaient  avec  une  vitesse 
incroyal)le  et  se  portaient  sur  la  hauteur  de  Saint-Cast; 
dès  que  les  ennemis  in  aperçurent  la  tète,  ils  commencè- 
rent à  les  canonner  et  bombarder  de  ï  ou  5  frégates  et 
d'autant  de  galliotes  à  bondées  qui  étaient  très  près  de 
terre.  Notre  <anon  arriva  et  commença  à  tirer  sur  les  dix 
heures.  M.  le  duc  d'Aiguillon  décida  sur-le-champ  son  atta- 
que, il  porta  sur  la  droite  de  la  plage  M.  le  Comte  de  Balle- 

roy, pour  se  longer  par  les  hayes  et  une  rampe  de 

sable  qui  conduisait  à  la  gauche  des  retranchements  des 
ennemis,  M.  d'Aubi^viiy,  à  la  gauche,  pour  dél)oucher  sur  la 
droite  des  ennemis  au-dessus  du  hameau  de  l'Isle,  et  M.  de 
Broc  eut  ordre  de  marcher  avec  son  détachement  droit 
au  centre  des  ennemis.  »  Deux  bataillons,  aux  (U'dres 
de  M.  de  Saint-Pcrn,  constituèrent  la  réserve.  La  colonne 
de  la  gauche,  dirigée  par  le  chevalier  <le  Bedmond, 
maréchal  général  des  logis,  qui  s'était  distingué  déjà  à 
Minorcjue  et  en  Allcnuigne,  u  déboucha  la  première  vers 
les  onz(>  heures  et  demie  avec  beaucoup  de  pronq)titude  ; 
elle  fut  bientôt  suivie  de  celle  du  centre  et  de  la  droite. 
Les  troupes  se  portèrent  avec  une  vitesse  et  une  valeur 


COMBAT  DE  SAIM-CASï. 


351 


siuffuliôrcs  nu  rotraiuliciiiciit  dos  (Miiiciiiis,  inalgiv  lo  fou 
prodigieux  do  l'artillorio  i\o  la  flotto,  taut  du  cauou  ot  dos 
hoiuhes,  ({uo  Ai'  la  uious(|ucterio  Av  leurs  huniers  et  do 
plusieurs  barques  armées,  qui  étaient  sur  lo  flanc.  Les 
ennemis  voulurent  marcher  en  avant  et  former  une  co- 
lonne par  leur  centre,  mais  le  feu  de  quelques  pièces  do 
canon  que  M.  de  Villopatour,  qui  commandait  l'artillerie, 
porta  à  la  droite,  les  dérangea  et  les  fit  bientôt  retirer; 
l'attaque  devint  iiénéralo  et  dura  une  heure  et  demie  : 
les  ennemis  furent  forcés,  notre  artillerie  leur  tua  beau- 
coup de  monde  qui  cherchait  à  rembarquer,  trois  do  leurs 
barques  chargées  de  soldats  furent  coulées  bas,  ils  en  per- 
dirent aussi  beaucoup  sur  plusieurs  autres  qui  gagnaient 
la  flotte.  Le  feu  cessa  vers  les  2  heures  après-midi  ;  les  fré- 
gates et  galliotes  commencèrent  à  s'éloigner,  soit  à  cause 
de  l'arrivée  de  n'»tre  grosse  artillerie  qu'ils  pouvaient  dé- 
couvrir sur  la  hauteur,  soit  à  cause  que  la  marée  descen- 
dait. La  grève  étoit  couverte  de  corps  morts  des  ennemis; 
il  y  en  avait  aussi  une  grande  quantité  qui  flottait  sur  l'eau. 
Il  est  resté  sur  la  plage  environ  neuf  cents  hommes  des 
leurs,  parmi  lesquels  plusieurs  officiers  de  marque,  en- 
tr'autres  le  colonel  et  le  licutenant-cijloncl  des  gardes, 
sans  ce  qui  a  été  tué  sur  les  barques  ou  noyé;  le  général 
Mury  est  du  non»bre  de  ces  derniers,  i\ous  avons  plus  de 
six  cents  prisonniers  et  30  officiers,  dont  quelques-uns  des 
premières  maisons  d'Angiotorre,  3  (ju  V  colonels,  autant 
do  lieutenants-colonels,  ot  'i^  capitaines  de  vaisseau  qui 
étaient  restés  sur  la  plage  pour  commander  la  manœuvre 
du  rend)ar((uement.  I^eur  porto  peut  aller  en  tout  à  trois 
mille  honunes;  la  nôtre  monte  à  environ  (]uatre  cents  tant 
tués  que  blessés,  colle  <h's  ol'liciers  est  par  pi-oportion  plus 
considérable  que  celle  dos  soldats.  Les  régiments  de  Brie 
et  de  Boulonnois  ont  ])eaucoup  souffert,  ayant  été  obligés 
<Io  traverser  un  terrain  difficile  sous  le  feu  <les  frégates 
des  ennemis.  >» 


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352 


LA  GUERKE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VII. 


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Ai.tiiiillon  l'ait  l'éloiro  <lo  ses  troupes  qui  (»iit  attncjué 
«  avec  une  (lilif^euco  incroyable  malgré  la  fatigue  dos 
marches  redoublées  qu'elles  avaient  faites  pour  arriver; 
la  plus  grande  partie  ayant  fait  |)rès  de  50  lieues  de  Bre- 
tagne en  quatre  jours.  »  Nous  trouvons,  dans  une  lettre 
particulière  (1)  d'un  officier  du  régiment  de  Qucrcy,  le 
même  hommage  à  la  conduite  du  militaire  :  «  La  l)onnc 
volonté  des  troupes  a  surpris  tout  le  monde,  car  il  est  rare 
de  voir  le  soldat  faire  h  lieues  à  jeun,  cond)attre,  battre 
et  revenir  encore  à  jeun  sans  se  plaindre.  » 

Si  les  chiifres  de  la  relation  d'Aiguillon  sont  probable- 
ment exagérés,  il  est  difficile  d'admettre  ceux  des  récits 
anglais  (2)  qui  n'accusent  que  8'i.7  tués,  blessés  ou  pris, 
appartenant  tant  à  l'armée  de  terre  qu'aux  équipages  de 
la  ilotte.  Les  pertes  avaient  porté  surtout  sur  les  régiments 
des  gardes,  aussi  est-il  vraisend>la])le  que  le  ministère  bri- 
tannique chercha,  en  atténuant  la  vérité,  à  échapper  aux 
reproches  que  lui  valut  l'insuccès  de  son  expédition.  New- 
castle,  qui  devait  être  bien  rciseigné,  parle  d'un  déchet 
de  1.400  officiers  et  soldats.  Conformément  aux  errements 
du  cabinet  de  Saint-James  impitoyal)le,  comme  on  l'a  vu, 
pour  ses  généraux  ou  amiraux  malheureux,  le  vieux  Bligh 
fut  disgracié  et  privé  de  ses  emplois.  A  en  croire  Ncw- 
castle  (3),  il  avait  fait  preuve  d'incapacité  :  «  Débarquer 
10.000  hommes,  décider  aussitôt  qu'il  n'y  avait  rien  à  faire, 
les  promener  dans  un  pays  ennemi  sans  but  reconnu,  aller 
à  la  recherche  de  la  flotte  pour  se  faire  rend>arquer  et,  en 
dernier  lieu,  laisser  10  ou  12  bataillons  écraser  1.V00 
hommes  de  nos  meilleures  troupes,  tuer  beaucoup  de 
braves  officiers  et  de  jeunes  gens  de  qualité  et  d'avenir, 
alors  qu'en  conservant  à  terre  tout  le  corps  d'armée,  on 


(1)  Lettres  d'un  officier  de  Quercy.  Arcliives  do  la  Guerre. 

(2)  Clowes.  Royal  Savi/,  vol.  III. 

(3)  Newcastle  à  IlaidwicUe,  18  septembre    175".).   Newcasile  Pa[iers,  vol. 
32884. 


Lpers,  vol. 


LES  ANGLAIS  S'EMPARENT  DE  SAINT-LOUIS  ET  DE  CORÉE.    353 

eût  été  eu  force  contre  rcimenii,  tout  cela  parait  bien  cx- 
traordiuaire  ». 

Les  prisonniers  auf^lais  furent  traités  avec  é^anls  et 
iinniédiatenient  échangés.  Selon  les  traditions  de  bonne 
compagnie  en  honneur  entre  les  combattants  du  dix-hui- 
tième siècle,  Aiguillon  entretint  les  ofiiciers  à  sa  table. 
<(  Us  me  portèrent,  écrit-il,  hier  à  souper  très  honnête- 
ment la  santé  du  Roi,  mais  je  vous  avoue  que  je  n'oserai 
pas  leur  rendre  la  même  politesse.  » 

Si  la  défaite  de  Saint-Cast  mit  fui  pour  quelque  temps 
aux  descentes  des  Anglais  sur  les  côtes  de  France,  elle 
donna  un  nouveau  stimulant  à   leurs   entreprises  colo- 
niales. Déjà  un   premier  succès  avait  été  remporté  en 
Afrique;  au  mois  de  mars  1758,  une  petite  escadre  de 
deux  vaisseaux   et  de   quelques  l){ltiments  légers   avait 
été  expédiée  contre  les  étal)lissements  fran<;ais  du  Séné- 
gal. Malgré  certaines  difficultés  pour  franchir  la  l)arre, 
le  Commodore  Mason  put  dél)arquer  un  détachement  de 
troupes  et  s'emparer  de  Saint-Louis   et  des  postes   en 
amont.  Une  tentative  contre  le  fort  de  Gorée  ne  fut  pas 
aussi  heureuse  ;  les  IjAtiments  anglais,  après  une  canon- 
nade de  deux  heures  et  demie,  furent  repoussés  avec  une 
perte  d'une  soixantaine  d'hommes.  Le  gouvernement  l)ri- 
tannique  ne  voulut  pas  rester  sous  le  coup  de  cet  échec  ; 
le  11  novembre  de  la  même  année,  le  commodore  Kep- 
pelfit  voile  de  Cork,  où  il  avait  end)arqué  un  corps  de 
troupes,  avec  cinq  vaisseaux  et  six  frégates  ou  corvettes; 
un  de  ses  vaisseaux  se  perdit  sur  la  côte  du  Maroc,  mais  il 
arriva  avec  les  autres  sur  la  rade  de  (iorée  et  commença 
l'attaque  le  29  décend)re.  Cette  fois,  le  canon  anglais  se 
montra  supérieur  à  celui  des  l)atteries  de  terre;  le  fort 
fut  obligé  de  capituler  avec  sa  petite  garnison  de  300  Fran- 
çais et  d'auxiliaires  nègres. 

Cette  facile  conquête  ne  fut  que  le  prélude  d'opérations 
plus  importantes.  L'infatigable  Pitt  reprit  avec  plus  d'ar- 

GUERRE   DE   SEPT  ANS.    —   T.   III.  23 


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354 


LA  C.UKHRK  DE  SEPT  ANS.  —  (IIAP.  VII. 


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Heur  ([uo  jamais  un  projet  (lu'il  carossait  dopui.s  ({uol- 
(|ue  toinps  (1)  ot  (jui  consistait  à  dirificr  contre  les  An- 
tilles françaises  une  e.xpédition  (pie  l'endait  aisée  la 
supériorité  incontestée  de  la  niarini»  Itritannique.  Le 
général  llopson,  à  peine  de  retour  du  siège  de  Louishourg, 
reçut  mission  de  tenter  un  coup  de  nuiin  sur  l'Ile  de  la 
Martini(iu«^;  il  avait  sous  ses  ordres  si.\  l>atailIons  de  lig"ne, 
sept  compagnies  dEcossaiset  un  détachement  d'artilleurs, 
en  tout  un  peu  plus  de  0.000  hommes;  son  l>nt  accouipli, 
il  devait  envoyer  ses  Écossais  dans  l'Américjue  du  Nord  et 
revenir  avec  le  reste. 

Hopson  mit  à  la  voile  de  Spithead  le  12  novembre  1758, 
sous  l'escorte  de  si.\  vaisseaux  de  lign  )arviut  le  3  jan- 
vier 1759  à  la  Barhade  où  il  rallia  l'escadre  du  Commo- 
dore Moore  et  eu  repartit  dix  joui-s  après  pour  la  Martiui- 
([ue;  le  16  jauvier,  on  eflectua  le  dél»ar([uement  à  six 
milles  de  Fort-Royal,  sous  la  protection  des  douz<!  vais- 
seaux de  ligne  de  la  flotte.  L'opération  échoua;  tout 
d'abord  les  Anglais  eurent  quel(|ue  avantage  contre  les 
forces  françaises,  composées  en  grande  partie  de  colons 
et  de  nègres,  mais  rebutés  par  la  nature  du  terrain  coupé 
{[u'ils  avaient  à  traverser  pour  s'approcher  de  la  ville, 
dans  l'impossibilité  de  faire  avanciîr  leur  artillerie,  ils 
durent  cesser  rattac[ue  et  regagner  le  bord  pendant  la 
nuit,  après  avoir  sacrifié  une  centaine  d'hommes. 

Sur  le  conseil  du  Commodore,  il  fut  décidé  de  renoncer 
à  l'entreprise  contre  la  Martinique  et  de  tàter  l'île  de  la 
(iuadeloupe,  qui  send)lait  être  de  prise  moins  difficile. 
Kn  conséquence  le  23  janvier,  huit  bîVtiments  de  la  flotte 
canonnèrent  le  fort  S.iii.t-Charles  et  la  ville  de  Basse- 
Terre  (2). 

La  résistance  fut  d'abord  énergiquement  soutenue;  le 


(1)  Newcaslle  à  Hardwicke,  4  septembre  1758.  Newca.sUe  Papers,  32883. 

(2)  Clowes.  The  Royal  Navy.  Londres,  1898,  vol.  Ill,  p.  202. 


EXPFÎDITION  CONTRE  L:;S  ANTILLES  1HANÇ;I8ES. 


353 


Imo  ;  le 


32883. 


vaifsoau  le  Hipon  se  jota  sui  un  écueil  et  son  «'M|iiipaj;(> 
soutlVit  ln-aucoup  (lu  tir  <los  hattei'ics  de  terre  ;  les  Aii- 
j^laispor<lir«Mit  une  centaine  de  matelots  mis  hors  de  com- 
bat ;  mais,  vers  ciiuj  heures,  le  feu  des  Fran(;ais  s  étei^'uit, 
et  quand  le  len<lein;nn,  après  un  homhardenicnt  inutile  de 
la  ville,  les  troupes  (h;  llopson  déhanfuèrent,  elles  trou- 
vèrent lesouvrag''s  al)andonn«''s.  Le  commandant  l"ran(;ais 
I^eroi  de  la  Polherie,  hlrtmé  pour  une  (h'feuse  ju^ée  trop 
molle  et  pour  une  év'icuation  eflectuée  eu  désordre  et 
sans  autoris.ation,  passa  en  conseil  de  guerre  et  fut  cassé 
de  sou  grade. 

A  la  suite  de  la  prise  de  Basse-Terre,  les  hostilités  dé- 
générèrent en  escarmouches  avec  la  garnison  de  l'île.  Na- 
dau-Dutreil,  gouverneur  de  la  Guadeloupe  (1),  n'.ivait  à 
sa  disposition  que  150  hommes  de  troupes  de  la  marine 
et  2.000  miliciens,  flibustiers  et  nègres;  mais  en  taisant 
une  g'uerre  de  chicane,  il  sut  prolonger  la  lutte  et  haras- 
ser les  Anglais  que  décimaient  des  fièvres  contagieuses; 
elles  emportèrent,  vei's  la  lin  de  février,  le  général  llopson. 
Son  successeur,  le  général  Barrington,  fait  une  triste  pein- 
ture (2)  de  la  situation  :  «  .l'ai  le  grand  regret  de  vous  in- 
former que  la  maladie  s'est  glissée  parmi  nous,  et  je  re- 
grette encore  plus  de  vous  dire  cjue  n.us  succond)ons  si 
vite  que  je  ne  puis  nrenq)écher  de  craindre  les  consé- 
([uences.  L'armée  ne  compte  plus  que  2.790  combattants, 
et  encore  faut-il  déduire  de  ce  cliill're  les  hommes  affectés 
à  la  garde  du  camp  et  les  250  ({u'il  faudra  envoyer  pour 
relever  les  c  marines  »  à  Fort  Saint-Louis.  Il  ne  restera  que 
bien  peu  de  chose  pour  marcher  contre  l'ennemi.  »  Afin 
de  s'abriter  contre  les  insultes  des  Fran<;ais,  il  fallut  ins- 
taller une  chahie  de  petits  postes  sur  une  longueur  de 
3  milles;  les  fatigues  de  ce  service,  la  mauvaise  qualité 

(1)  Mémoire  de  Nadau-Dutreil,  1760.  Arch.  de  la  Marine,  H.  4,  vol.  XCU. 

(2)  lîarrlngton  à  Pitt,  Basse-Terre,  2  mars  1759.  Military  Expéditions.  Re- 
cord Office. 


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368 


LA  GUERRE  DE  SEPT  AN8.  —  CIIAP.  VII. 


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(le  l'onii,  l'iiisaluhrit*'*  du  camp,  ôtaioiit  autant  «lo  motifs 
pour  tormiiKM' ic  srjour  dr  Bassc-Tcrir  <>  dont  le  pro'oii- 
^omciit,  sidoii  toute  |>rol)al)ilité  mcttriiit  hiiMitùt  l'armcM^ 
Ikjts  d'état  de  comiiattrc.  » 

Avec  rasscntinu'ut  du  commodoi'o,  Harrinf;tou  se  déter- 
mina à  chaii^ei'  le  thérttre  de  l'action  et  à  se  transporter 
sur  l'autre  versant  <le  l'Ile.  Laissant  à  Saint-dliarles  uiu' 
f^arnison  de  500  hommes,  il  s'end)ar(pia  avec  ce  «ju'il  avait 
encore  de  valide  pour  iC  Kort  Saint-Louis  de  la  (irande- 
Terre,  dont  l'escadre  s'était  emparée  «[uehjues  jours  ai 
|)aravant.  Là,   ou   apprit    la  présence,  dans  les  parages 
des  BarJtades,  d'une  escadre  lran(;aise  de  9  vaisseaux  et 
2  tVépat«>s.  Moore  se  crut  obligé  de  prendre  une  position 
d'observation  dans  la  baie  de  Saint -Kupert  à  l'Ile  Domini- 
que, et  se  sépjira  du  corps  expéditioiuiaire  a[)rès  lui  avoir 
emprunté  300  soldats  pour  compléter  ses  é(juipa,iies,  bien 
éprouvés  eux  austii  par  l'épidémie.  Barrington  mit  son 
monde  à  terre,  et  jiassale  reste  du  mois  de  nuirs  et  la  plus 
grande  partie  d'avril  à  ravager  les  plantations  et  à  ])rùler 
les  habitations,  sa.is  venir  à  bout  de  la  résistance.  Enfin, 
il  tenta  un  dernier  etl'ort;  le  brigadier  Crump  fut  cliargé, 
avec  1.300  réguliers  et  150  volontaires  recrutés  dans  l'Ile 
anglaise  d'Antigne,  d'envahir  le  toi'ritoire  encore  au  pou- 
voir des  Fram^ais.  L'incui-sion  réussit;  Petit-Bourg,  Sainte- 
Marie,  furent  successivement  eidevés,  et  les  Anglais  allaient 
pénétrer  dans  le  district  de  Cap  de  Terre,  le  plus  riche  de 
Tîle,  quand  une  déput.ation  des  principaux  planteurs  vint 
olfrir  une  capitulation.  On  fut  vite  d'accord;  entre  le  gé- 
néral anglais  et  les  liabitants  intervint  un  arrangement 
(jui,  entre  autres  avantages,  ouvrait  à  ceux-ci  pour  leurs 
produits  le  marché  de  la  Grande-Bretagne,  et  leur  assu- 
rait ainsi  des  débouchés  nouveaux  en  remplacement  de 
ceux  de  la  métropole  et  du  Canada  que  la  guerre  maritime 
avait  presque  fermés.  Le  jour  même  de  l'entente,  le  mar- 
quis de  Beauhai'nais,  gou>erneur  des  Iles  du  Vent,  arri- 


C\PITUL\TION  DR  LA  CUADELOUPE. 


357 


vait  à  Sainte -Amie  (jn<'l<[iios  Ikhitcs  ti'<tp  tard  pour  iii- 
torroiiipro  los  pourparh'rs. 

Voici  ce  (jui  s'était  j>ass(''  du  cMv  fi-aiirais  :  h»  dépai't  do 
l'oscadi'o  de  Homp.u't,  ù'ahoi'd  lixr  à  la  tlii  de  175H,  avait 
été  n'tai'dr  par  1  ai'iuciunit  de  deux  vaisseaux  supplémen- 
taires. Il  tit  \oile  de  Brest  le  il  janvier  1759  avec  huit 
vaisseaux  de  lifiiie  dont  deux  en  tlùte  et  mouilla  à  Koi-t 
Uoyal  le  8  mars.  A  eett»'  date,  los  Anglais  étaient  déjà 
maîtres  des  villes  principales  de  la  (luadeloupo;  à  la  Mar- 
tinicpie  même,  tout  était  en  désarroi.  «  Je  les  trouvai,  écrit 
Bompai't  à  Herryer(l),  dans  la  plus  jurande  disette  de 
vivres  les  plus  nécessaires,  un  peuple  «'tl'rayé.  l'ordre  et  la 
subordination  presijue  anéantis le  chef  n'était  ni  con- 
sulté ni  prévenu  sur  les  divei-s  ()l)jots  du  service  ;  lui-ménu^ 
laissait  af;ir  et  tout  faire.  »  I/escadre  demeura  à  l'ancre 
pendant  six  semaines;  onlin,  après  force  conférences  avec 
Boauharnais  et  un  conseil  de  jiuerre,  on  réunit  environ 
;i50  ré,suli<H's  des  troupes  coloniales  et  quelques  centai- 
nes de  volontaires  et  de  nègres,  et  on  appareilla  pour  la 
(iua<leloupe.  Le  déharquemeut  se  fit  le  27  avril  à  Sainte- 
Anne  (2),  sous  la  protection  des  vaisseaux  français;  le 
f.;ouvernour  général  envoya  aussitôt  un  aide  de  camp 
s'ahouclier  avec  Bcaulès,  le  conunandant  de  la  (îi'ande- 
Terre.  En  route  (3),  le  messager  rencontra  un  officier  por- 
teur du  projet  de  convention  préparé  par  Nadau  ((ue  ce 
dernier  faisait  communiquer  à  Beaulès  et  aux  habitants. 
Malgré  ce  fîlcheux  présage,  il  se  rendit  au  camp  où  Boau- 
harnais le  rejoignit  à  3  heures  du  matin.  Ils  essayèrent 
en  vain  de  prêcher  la  résistance;  on  leur  répondit  qu'on 
ne  voulait  plus  se  battre.  Découragé  par  cette  attitude, 
Bèauharnais  se  rend)ar({ua   le   29    pour   la  Martinique, 

(1)  noinpartà  Berryer,  20  mars  1759.  Arcliives  de  la  Marine,  B.  4,  vol.  XCI. 
{'}.]  Mémoire  justificatif  de  Boinpart,  janvier  1760. 

(3)  Piguereau  de  Thumisseau  au  Ministre,  17  mai  1759.  Arcliives  de  la 
Guerre  (cartons),  17.')9. 


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LA  GUERRE  DE  SEPi  ANS.  —  CHAP.  VII. 


sans  essayer  de  voii'(l)  le  gouverneur  Nadau-Dutreil  et 
sans  prévenir  Bonipart,  avec  lequel  il  parait  avoir  été  en 
mauvais  termes.  Le  jour  ii.éme  de  son  départ,  la  capitu- 
lation fut  signée. 

Un  peu  d'entente  entre  les  deux  chefs  et  un  peu  plus 
d'énergie  de  la  part  de  Beauharnais,  eussent  probable- 
ment sauvé  l'île.  Les  Anglais  étaient  à  bout.  <(  J'espère 
(jue  vous  approuverez  l'arrangement,  écrit  Barrington  (2), 
car  je  puis  vous  assurer  que  par  force  je  n'aurais  pu  me 
rendre  maître  de  ces  îles,  ni  même  garder  le  fort  Saint- 
Louis  ([ue  j'aurais  été  ol)ligé  de  faire  sauter  après  en  avoir 
retiré  la  garnison  ;  ainsi,  pas  un  pouce  du  pays  ne  serait 
resté  à  S.  M.  excepté  le  territoire  de  Fort-Royal  (Basse 

Terre)  et  cette  place aurait  succoml)é  aussitôt  l'armée 

partie.  »  Que  Nadau  fut  d'accord  avec  les  planteurs,  comme 
l'aftirma  Beauharniais,  (pi'il  voulût  au  contraire  proloîi- 
ger  la  lutte  comme  il  le  prétendit  lui-même,  toujoui*s  est-il 
qu'il  porte  la  responsal)ilité  dune  convention  datée  du 
i"  mai,  qui  remettait  aux  et.vahisseurs  la  Guadeloupe 
et  ses  dépendances,  tout  en  assurant  la  liberté  de  ce  qui 
.Tstait  de  troupes  régulières.  Le  26  mai,  un  traité  du 
même  genre  livra  aux  Anglais  l'île  de  Marie-Galante. 
Barrington,  ses  conquêtes  achevées,  rentra  en  Angleterre 
avec  3  bataillons  réduits  à  un  eifectif  total  de  600  hom- 
mes; il  laissait  à  la  Guadeloupe  le  surplus  de  sonconnnan- 
dement,  dont  il  avait  détaché  pour  l'Améritpie  350  Écos- 
sais fort  affaiblis  par  les  maladies  qui  avaient  fait  tant  de 
victimes  dans  le  corps  expéditionnaire. 

Bompart  fît  reUVche  à  la  Martiràque  pendant  le  mois  de 
mai,  puis,  après  avoir  pris  tf>utes  sortes  de  précautions 
pour  tromper  la  vigilance  de  Moorc,  mit  à  la  voile  le 
G  juin,  alla  se  ravitailler  à  lo  Grenade,  et  termina  sa  cam- 


(1)  Mémoire  de  Nadau-Dutreil  adressé  au  Roi  en  1780.  Archives  de  la 
Marine. 

(2)  Barrington  à  Pilt,  Guadeloupe,  9  mai  1759.  Record  OfTice. 


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DIFFICULTÉS  DES  PLANTEURS  DES  ILES  FRANÇAISES.        359 

pagiic  à  Saint-Domingue  d'où  il  revint  en  France  avec  des 
cargaisons  de  denrées  coloniales  en  guise  de  lest.  Il  eut 
la  bonne  fortune  d'arriver  sans  encombre,  le  7  noveml)re, 
à  Brest. 

D'après  le  rapport  de  ce  marin  (1),  qui  connaissait  bien 
les  Antilles,  dont  il  avait  été  gouverneur,  les  colons 
étaient  très  mal  disposés  pour  le  gouv(  inement  de  la  nié 
tropolc  :  «  La  Dominique  s'est  soustraite  à  l'autorité  du 
Roi  et  a  signé  une  neutralité  avec  les  ._.  j;lais.  A  ce  moyen, 
les  Français  qui  bal)itent  cette  île  jouissent  d'un  bien-être 
réel;  ils  vendent  à  nos  ennemis  leurs  denrées  au  mieux  et 

ne  manquent  d'aucune  provision La  faveur  dont  la 

Guadeloupe  est  traitée  fait  fermenter  les  têtes  qui  habi- 
tent la  Martinique.  Ces  derniers  n'ont  aucun  dél)ouché  de 
leurs  denrées  et  manquent  de  provisions  nécessaires.  La 
(irenade  est  surchargée  de  sucre.  »  La  situation  économi- 
que était,  en  effet,  devenue  critique;  les  exportations  au 
Canada  et  au  Cap  Breton  avaient  cessé  avec  la  perte  de 
Louisbourg",  il  ne  restait  pour  le  sucre  et  le  café  de  t  '  •; 
planteurs  d'autre  marché  que  celui  de  la  France,  aVv.c 
laquelle  les  conuuunications  ne  pouvaient  avoir  lieu  la 
plupart  du  temps  que  par  vaisseaux  hollandais  ou  danois. 
Mais  le  pavillon  neutre  ne  protégeait  guère  ces  l)i\tiinents 
de  commerce  que  les  navires  de  guerre  et  surtout  les 
corsaires  anglais  amarinaient  sans  scrupule,  et  <{ue  Icstri- 
l)unaux  l)ritanniques  n'hésitaient  pas  à  déclarer  de  bonne 
prise.  Aussi,  dans  de  pareilles  conditions,  faut-il  rendre 
Justice  au  patriotisme  des  ha])itants  de  la  Guadeloupe  qui 
résistèrent  pendant  deux  mois  et  demi  aux  forces  impo- 
santes de  la  Grande-Bretagne. 

Beauharnais,  qui  ne  s'était  guère  distingué  dans  les 
événements  survenus  aux  Antilhis,  en  rejeta  la  respon- 
sabilité sur  Nadau-Dutreil  et  sur  ses  sul)ordonnés,  de  la 

(1)  Boinpart  à  Beiryer,  22  mai  1759.  Archives  nationales. 


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360 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VU. 


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Polhcl'ie  et  Baulès.  Si  la  culpal)ilitô  de  ces  derniers  paraît 
évidente,  il  n'en  est  pas  de  môme  de  celle  du  gouverneur 
de  la  {Juadeloupe.  Les  accusés  furent  condanniés  par  un 
conseil   de  guerre  (1),  comme  coupables  de  lAcheté  et 
d'incapacité,  à  être  cassés,  dégradés  et  emprisonnés  à  per- 
pétuité. Pour  une  fois  que  la  cour  do  Versailles  se  décidait 
à  sévir,  il  semblerait  qu'elle  ait  eu  la  main  malheureuse. 
C'était  grâce  à  leur  supériorité  navale  que  les  Anglais 
avaient  pu  faire  aboutir,  ,ii  dépit  de  fautes  nond)reuses 
et  d'échecs  répétés,  leur  entreprise  contre  la  Guadeloupe 
et  ses  dépendances.  Toutefois,  au  cours  de  l'année  1758, 
cette  supériorité;  quoique  démontrée  parles  événements 
de  Loui  .bourg,  ne  s'était  traduite  sur  l'Océan  que  par  la 
prise  de  ])î\timents  de  gurrre  isolés,  succomb.ir't  sous  le 
nombre,  et  par  la  capture  de  navires  marchan»ls.  Il  en 
fut  autrement  en  1759;  l'année  fut  nwnr(pu\e  par  deux 
actions  navales  dans  les  mers  d'Europe  qui  établirent  dé- 
finitivement la  suprématie  de  la  marin-  anglaise.  La  pre- 
mière eut  lieu  sur  les  côtes  de  Portugal.  Dès  le  dél)ut  du 
printemps,  le  ministère  britannique,  ému  des  armements 
([u'on  lui  annonçait  de  Touloi»,  envoya  l'amiral  Boscawen 
avec  6  vaisseaux  de  ligne  et  quelques  ]>Atiments  légei-s 
renforcer  l'escadre  de  la  Méditerranée  et  en  prendre  le 
commandement.  Boscawen  effectua  sa  jonction  avec  son 
collègue,  Broderick,  devant  Toulon  le  IG  mai  et  maintini 
le   blocus   jus([u'au  commencement  de   juillet;  mais,  à 
cette  épojjue,  le  mnn([ue  d'eau  et  de  livres  l'obligea  à 
l(>ver  la  croisière  et  à  rallier  Gibraltar.  Les  Fram^ais  lais- 
sèrent s'écouler  un  mois  avant  de  profiter  de  ce  départ. 
Cependant  le  chef  d'escadre,  La  Clue,  avait  eu  le  loisir 
de  faire  ses  préparatifs;  bloqué  longtenqis  dans  le  port  de 
Carthagène,  il  avait  réussi  à  regagner  Toulon,  vers  la  fin 


(1)  Proci's  fait  à  Natlau-Dulieil,  Polherie  et  IJaulès.  Archives  de  la  Marine. 
n.  4,  vol.  XCH. 


SORTIE  DE  L'ESCADRE  DE  TOULON. 


3G1 


(le  mai  1758.  Il  en  sortit  le  5  août  de  l'année  suivante,  avec 
12  vaisseaux  de  ligne  et  3  frégates;  «l'après  les  ordres 
de  la  cour,  il  devait  se  joindre  à  la  grande  flotte  qui  s'ar- 
mait à  Brest  en  vue  de  l'expédition  contre  l'Angleterre  ; 
il  était  autorisé  à  faire  relAche  à  Cadix  et  à  y  prendre  des 
provisions  (1),  La  navigation  se  fit  sans  incident  jusqu'au 
détroit  de  (iihraltar.  «  Le  16  août  à  huit  heures  du  soir, 
éci  t  La  Clue  (2),  je  nie  trouvois  à  portée  de  donner  dans 
le  détroit;  l'escadre  niarchoit  sur  deux  colonnes,  le  vent 
u  l'est  et  à  l'est  nord-est  (jui  augnientoit  à  niesure  que 
nous  entrions;  j'avois  mes  trois  fanaux  de  poupe  et  chaque 
chef  de  division  en  avoit  un,  nous  nous  conservâmes  bien 
jusques  à  deux  heures  après  minuit,  que  nous  eûmes 
passé  le  cap  Espartel,  l'on  compta  tous  les  vaisseaux  et 
frégates.  »  Les  vents  étant  contraires  pour  entrer  à  Cadix 
et  les  voiles  fram^aises  ayant  été  signalées  par  les  coups 
de  canon  de  la  frégate  le  Gibraltar  qui  servait  d'éclai- 
reuraux  Anglais,  La  Clue  ne  crut  pas  prudent  de  louvoyer 
dans  les  parages  du  détroit,  éteignit  ses  fanaux,  et  tint 
pendant  le  reste  de  la  nuit  <(  la  bordée  au  large  ».  (irande 
fut  sa  surprise  au  petit  jour  de  ne  plus  apercevoir  (|ue  six 
de  ses  vaisseaux.  A  six  heures  du  matin,  ((  les  gardes  d'en 
haut  (3)  l'avertirent  ([u'on  voyoit  au  vent  à  luy  huit  vais- 
seaux ([u'il  prit  pour  les  siens;  il  les  r.ttendit  au  plus  près 
du  vent  avec  ses  basses  voiles,  mais  voyant  de  moment  à 
autre  (jue  leur  nond)re  augmentoit  et  que  Ton  eu  comptoit 
jusqu'à  dix-huit,  il  ne  douta  plus  que  ce  ne  fussent  les  en- 
nemis; il  prit  le  parti  d'arriver  vent  arrière  en  forçant  de 
voiles  et  il  lit  le  signal  aux  vaisseaux  qui  étoient  avec  luy, 
mais  il  fut  obligé  d'attendre  le  ^ aisseau  le  Souverain  qui 

(1)  Piij^abry,  consul  de  France  à  Cadix,  au  Ministre,  15  août  1759.  Arciii- 
ves  de  la  Marine. 

(2)  Rapport  de  La  Clue  au  Minisire,  21   décembre   1750.   Archives  de  la 
Marine.  B.  4.  XC. 

(3)  Journal  de  l'escadre.  Lagon,  27  aoiU  1759.  Archives  de  la  Marine. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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ne  marchoit  piis,  ce  qui  fut  cause  que  les  enucniis  le  joigni- 
rent plus  tôt.  »  Laniiral  Boscawen  (1),  averti  dès  la  veille, 
était  sorti  de  la  rade  de  Gibraltar  avec  il  vaisseaux  de 
ligne  et  2  ])rûlots;  aussitôt  l'escadre  de  La  Clue  recon- 
nue, il  lui  donna  la  chasse.  ((  A  deux  heures  et  demie,  le 
vaisseau  fran(;ais,  le  Centaure,  qui  faisoit  l'arrière-garde, 
fut  attaqué  par  deux  Anglais,  l'un  à  ])!l])ord,  l'autre  à  tri- 
bord, le  Guerrier  le  fut  après,  ensuite  ÏOce'an  et  le  Sou- 
verain. Tout  le  fort  du  conil)at  s'est  passé  entre  ces  qua- 
tre vaisseaux,  qui  se  sont  ])attus,  bâbord  et  tribord,  sans 
rchlche.  L'amiral  Boscawen,  qui  venoit  en  toutes  voiles 
sur  y  Océan,  le  joignit  par  son  travers  à  la  portée  du  fusil 
sur  les  quatre  heures;  il  Llcha  le  premier  sa  l)ordée  qui 
fut  si  violente,  que  (hms  peu  de  temps  Y  Océan  "■.•'>    u— 
gréé,  mais  il  riposta  avec  tant  de  justesse,  que  i  .ui^iral 
anglois  fut  démâté  de  son  mât  d'artimon,  »  et  subit  de 
graves  avaries.  Boscawen  dut  transférer  son  j>avillou  sur 
le  Newark.  Cet  incident  ralentit  le  condwit,  qui,  cepen- 
dant, se  prolongea  jusqu'à  la  tond)ée  de  la  nuit.  Le  Cen- 
taure, successivement   engagé  par  quatre  Anglais,    dut 
amener  son  pavillon   après  une  belle  résistance  qui  lit 
honneur  à  sou  commandant,  M.  de  Sabran-Grammont.  Il 
avait  perdu  200  honnnestués  ou  l)lessés  et  reçu  80  boulets 
«  à  Feau    •,  aussi  les  Anglais  eurent-ils  quelque  peine  à 
ramener  leur  prise  à  Gibraltar.  V Océan,  que   montait  le 
chef  d'escadre,  avait  été  également  fort  abîmé;  La  Glue 
lui-même  fut  grièNicment  blessé  et  dut  remettre  le  com- 
mandement à  son  capitaine,  M.  de  Carné, 

Pendant  la  nuit,  deux  vaisseaux  francuiis,  le  Guerrier  et 
le  Souverain,  se  séparèrent  de  leur  amiral  et,  après  une 
tentative  infructueuse  pour  entrer  à  Cadix,  gag  lièrent  le 
large  et  purent  éventuellement  rallier  le  port  de  Boche- 
fort.  Le  l'iidemain,  10  août,  Tamiral  anglais  ne  découvrit 

(1)  Boscawen  à  Clevland  à  bord  du  \amur,  20  août  1759.  Record  C  "icr 


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COMBAT  DE  LaGOS. 


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plus  que  quatre  vaisseaux  français  qui  essayaient  de  dou- 
bler le  cap  Saint-Vincent.  Vere  9  heures,  YOcéan  talla  s'é- 
chouer dans  les  rochers  qui  avoisinent  le  cap  Lagos;  le 
Redoutable  en  lit  autant  ;  les  deux  autres,  le  Téméraire  et  le 
Modeste,  jetèrent  l'ancre  dans  les  eaux  portugaises  et  sous 
le  canon  d'un  fort.  Les  Anglais,  sans  le  moindre  souci  de 
la  neutralité  du  Portugal,  se  liant  (railleui-s  aux  relations 
intimes  qui  existaient  entre  cette  cour  et  la  leur,  ouvri- 
rent le  feu  sur  les  l){\timents  français.  V Océan  et  le  Redou- 
table, qu'on  ne  put  remettre  à  flot,  furent  brûlés;  leurs 
équipages,  à  l'exception  de  quelques  hommes  et  de  quel- 
ques officiers  de  ÏOcean,  pour  la  plupart  blessés,  avaient 
pu  se  réfugier  à  terre;  Sull'ren,  le  futur  héros  des  guerres 
des  Indes,  fut  de  ceux  qui  restèrent  à  l)ord;  La  Clue 
avait  été  déljarqué  l'un  des  premiers,  (juant  au  Téméraire 
et  au  Modeste,  qui  n'avaient  pris  qu'une  part  insignifiante 
au  cond)at  de  la  veille,  ils  furent  amarinés  presque  sans 
résistance  et  leurs  équipages  faits  prisonniers,  sauf  qurl- 
(jues  matelots  qui  s'étaient  échappés. 

Tel  fut  le  coml)at  de  Lagos  ;  il  coûta  à  la  France  5  vais- 
seaux de  ligne,  dont  '.)  aller'  nt  grossir  les  états  de  la  ma- 
rine lu'itannique  et  2  furent  détruits.  La  perte  des  Fran- 
çais se  monta  k  près  de  500  tués  et  blessés;  Boscawen 
n'eut  que  252  hommes  mis  hors  de  coml)at.  La  séparation 
de  l'escadre,  cause  première  du  désastre,  donna  lieu  à  une 
longue  polémique  entre  le  Ministre,  La  Clue  et  les  capi- 
taines qui  avaient  abandonné  leur  chef  et  s'étaient  réfu- 
giés à  Cadix.  Ces  derniers  se  justifièrent  en  alléguant  le 
rendez-vous  fixé  pour  ce  port,  tant  par  écrit  que  par  ins- 
truction verbale;  leur  chef  répli([ua  en  les  accusant  d'a- 
voir changé  de  route  sans  ordre,  et  de  n'avoir  tenu  aucun 
comj)te  des  coups  de  canon  et  des  fusées  qu'il  avait  fait 
tirer  au  cours  de  la  nuit.  Quoi  (p-'il  en  soit  (h*  la  valeur 
de  ces  arguments,  5  vaisseaux  dei  escach'e,  après  être  res- 
tés mouillés  pendant  quelques  heures  à  la  Hotée,  étaient 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VII. 


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ontirs  à  Cadi.v  lo  19  août.  Ils  y  r(M;uront  rinjoiirtion  do  ral- 
lier Brest  à  la  promièro  occasion  favorable,  mais  surveillés 
par  lo  vice-amiral  Broderick,  ils  ne  purent  obéir  et  fini- 
rent par  faire  voile  pour  Toulon  où  ils  arrivèrent  en  sû- 
reté au  conunencement  de  1760.  Conformément  aux  inten- 
tions de  son  g'ouvcrnement,  Boseawen  était  reparti  pour 
la  Grande-Bretagne  peu  de  temps  après  sa  facile  vic- 
toire (1). 

La  cour  de  Versailles,  fort  indulgente  poiu'  ses  officiers 
malheureux,  ne  tint  rigueur  ni  au  chef,  ni  aux  comman- 
dants de  l'escadre  battue.  La  Clue,  qui  fut  longtemps  à  se 
remettre  de  ses  bles.sures,  fnt  retraité  en  ITCV  avec  les 
provisions  de  lieutenant  général.  Castillon,  le  plus  ancien 
des  capitaines  qui  s'étaient  mis  en  sûreté  à  Cadix,  fut 
promu  l)rigadier  en  17()5.  Le  marquis  de  Saint-Aignan, 
commandant  du  Redoutable,  qui  n'avait  guère  brillé  dans 
l'aflaire,  parvint  aux  grades  les  plus  élevés  de  la  marine. 

Malgré  la  mauvaise  impression  causée  par  lo  condîat  de 
Lagos,  le  cabinet  de  Louis  XV  n'interrompit  pas  les  pré- 
paratifs de  rciitreprise  qui,  sous  lo  titi^e  mystérieux  «  d'ex- 
pédition particulière  >;  (2)  était  dirigée  contre  l'Angle- 
terre. l>'après  la  c<rnception  primitive,  le  départ  initiai 
devait  avoir  lieu  des  ports  do  la  Bretagne  ;  un  corps  expé- 
ditionnaire do  i()  bataillons,  \  escadrons,  avec  parc  d'ar- 
tillerie, d'un  effectif  do  20.(>(M)  honmies,  aux  ordres  du  duc 
d'Aiguillon,  le  vainqueur  de  Saint-Cast,  devait  s'embar- 
([uor  sur  90  navires  de  200  à  'i.OO  tonneaux  et  faire  voile 
sous  l'escorte  d'une  division  de  0  vaisseaux  ;  le  projet  était 
de  contoUi'iior  l'irlando  et  do  prer.dre  terre  en  Ecosse, 

(1)  En  réalito,  l'action  eut  lieu  entre  7  vaisi^eau.x  f'ran'jais,  dont  2  furent 
à  peine  engagés,  et  15  vaisseaux  anglais  sur  lesquels  4  ne  prirent  pas  part  à 
l'affaire.  NV.  L.  Ciowes.  The  noyai  Savy,\o\.  (II,  p.  212. 

(2)  Voir  pour  les  événements  maritimes  de  17."<8- IT.'iO.  Vie  privée  de 
Louis  XV.  Londres,  1781.  La  marine  militaire  de  la  France  sous  le  règne 
de  louis  XV,  par  Lacour  Gajel.  Tlie  Royal  Xavy,  by  W.  L.  Clowes, 
vol.  Iir  tlistnire  maritime  de  In  France,  Guérin,  vol.  IV,  etc. 


L'EXPÉDITION  PARTICULIÈRE. 


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365 


dans  Ja  l)aio  lo  laClydc.  Kiitre  temps,  on  espérait  rénnir 
à  Brest,  grûcc  à  la  jonction  avec  l'escadre  de  la  Méditer- 
ranée, nne  flotte  de  28  vaisseaux  de  ligne  assez  forte  pour 
en  imposer  aux  Anglais  ou  tout  au  moins  pour  détourner 
leur  attention  du  convoi.  Aussitôt  débarqué.  Aiguillon 
marcherait  sur  Edimbourg  (1)  et  s'enjparerait  du  chAteau 
de  cette  ville;  on  comptait  sur  le  concours  d'une  fraction 
de  la  nation  écossaise  et  on  estimait  qu'il  pourrait  lever 
dans  le  pays  ï.OOO  recrues  qui  grossiraient  les  régiments 
étrangers  de  son  corps,  il  était  autorisé  à  entamer  des 
pourparlers  avec  le  gouvernement  bi-itannique,  mais 
il  lui  était  défendu  de  se  lier  par  aucun  engagement  avec 
les  partisans  de  la  maison  de  Stuart.  D'autre  part,  Choiscul 
avait  ouvert  des  négociations  à  Stockliolm  pour  l'envoi 
de  10  à  12.000  Suédois  qui  viendraient  rejoindre  le  corps 
expéditionnaire  en  Ecosse.  Le  commandant  de  la  divi.sion 
d'escorte.  Bigot  de  Morogues  (2),  avait  la  latitude  de  relâ- 
cher en  Irlande,  juais  de  cette  île  il  devait  gagner  l'Ecosse, 
mettre  les  troupes  à  terre  sur  la  côte  occidentale  ou,  en 
cas  d'impossibilité,  sur  la  côte  orientale  de  ce  royaume. 

Deux  autres  corps  d'armée,  commandés  par  Soubise  et 
(Ihevert,  seraient  expédiés,  le  premier,  des  ports  de  la 
Normandie,  le  second  de  ceux  de  Flainlre  ;  destinés  à  une 
descente  en  Angleterre,  ils  devaient  traverser  la  Manche 
dans  des  flottilles  de  bateaux  plats  dont  la  construction  se 
poursuivait  avec  activité  dans  les  chantiers  de  la  côte. 

Pour  la  réussite  de  ces  projets  audacieux,  il  eût  fallu 
une  prom])te  exécution  qui  n'était  guère  conqiatible  avec 
la  faiblesse  de  notre  marine,  la  j)énuri(^  de  ses  ressources, 
la  timidité  de  ses  officiers  et  surtout  le  man([ue  de  fonds. 
La  coiu'  de  Saint-James,  mise  eu  éveil  par  des  préparatifs 


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(1)  Instructions  pour  Aiguillon.  Juillet  1759,  Arcliives  'le  la  Marine  H.  4. 
L.XXXV. 

(2)  Instructions  pour  Bigot  de  Morogues.  Archives  de  la  Marine  lî.    i. 
LXXXVI. 


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36C 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


(ju'il  ôtait  impossihlo  de  tenir  secrets,  eu)  tout  le  loisir  de 
concerter  ses  mesures  de  défense. 

Nous  avons  déjà  relaté  la  croisière  de  Boscawen  dans  la 
Méditerranée  et  les  événements  (jui  empêchèrent  la  jonc- 
tion de  l'escadre  de  Toulon  avec  celle  de  Brest.  Le  contre- 
amiral  Kodney,  avec  une  division  légère,  fut  chargé  d'un 
coup  <le  main  sur  les  biUiments  réunis  au  Havre  et  sur  les 
chantiei's  de  cette  ville.  Le  ï  juillet  (1),  4  bombardes  et 
2  dogres,  armés  chacun  de  2  mortiei's,  ouvrirent  le  feu  à 
•2.800  toises;  on  ne  put  y  répondre  d'une  façon  efficace, 
le  canon  des  batteries  de  terre  n'ayant  qu'une  portée  de 
1.800  toises.  Au  surplus,  le  bombardement  n'eut  d'autre 
résultat  que  la  destruction  plus  ou  moins  complète  d'une 
trentaine  de  inaisons,  de  trois  corderies,  de  (pielques  ba- 
teaux et  d'une  grande  ((uantité  de  planches;  une  tentative 
des  Anglais  pour  pénétrer  en  Seine  fut  repoussée,  et  dès 
le  7  juillet,  le  travail  avait  repris  dans  les  cales  du  Havre. 

Mais  c'était  du  côté  de  Brest  que  le  danger  paraissait  le 
j)lus  imminent,  aussi  l'amiral  Haw  ke  eut-il  mission,  avec 
24  vaisseaux,  de  surveiller  les  côtes  de  Bretagne,  le  gros 
devant  Brest,  ([uelqucs  bâtiments  détachés  aux  abords 
d'Audierne  et  de  Lorient,  et  une  réserve  à  Plymouth  pour 
faciliter  le  ravitaillement  successif.  Avec  la  confiance 
qu'engendre  le  succès,  Hawke  écrivait  (2)  à  l'amirauté  : 
'<■  Cela  m'est  indifférent  d'avoir  à  combattre  l'ennemi,  s'il 
sort,  à  nombre  égal  ou  avec  un  vaisseau  de  plus  ou  on 
moins.  » 

Pendant  l'automne,  le  cal)inet  de  Versailles  activa  de 
son  mieux  les  préliminaires  de  l'expédition.  La  première 
difficulté  fut  de  rasseml)ler  le  con\oi  à  Port-Louis,  où  le 
rendez-vous  avait  été  douné  ;  vei's  le  milieu  de  septendire, 
00  uavires  expédiés  de  Bordeaux  et  de  Nîintes  étaient  arri- 

(1)  Récit  du  bombardement  du  Havre  et  lettre  de  Rouen.  Archives  de  la 
Marine.  B.  4.  XC. 

(2)  Hawke  à  Cievland,  i  août  1759.  Record  Office. 


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PÉNURIE  DB  MATKLOTS  POUR  LA  FLOTTE  DE  BREST.   3«7 

vés;  ou  attendait  encore  ceux  de  La  Rochelle  et  de  Brest. 
La  fçraude  escadre  de  Hrest,  dont  le  couiinaudeuuMït  avait 
été  coutié  au  maréchal  de  Coiiflans,  ne  |)()uvait  compléter 
son  personnel,  n  .V  l'exception  <le  (juehjues  pécheurs,  écri- 
vait le  ministre  Berryer  (1),  fiens  Agés  ou  enfants  la  plu- 
part, et  des  faibles  des  équipages  des  l)ar(|ue  cahotage, 
tous  les  g'ens  de  mer  du  royaume  sont  actuellement  em- 
ployés au  service  du  Hoi.  »>  Ce  maïupie  d'hommes  n'em- 
pêchait cependant  pas  le  conflit  traditionnel  entre  les 
départements  do.  la  (Juerre  et  de  la  Marine  pour  le  partage 
des  batteries  de  la  rade  de  Brest.  Enlin,  au  dernier  mo- 
ment, une  discussion  s'engagea  sur  la  répartition  des  ca- 
bines entre  les  ofliciers  de  terre  et  de  mer.  Aiguillon,  dont 
il  faut  reconnaître  le  zèle  et  l'énergie,  s'impatienti^  :  >»  J'é- 
tais si  éloigné  rî)  de  vouloir  donner  iitteinte  aux  droits 
de  MM.  les  officiei's  de  la  Marine  et  les  incommoder  que 
j'irais  coucher  à  la  Sainte-Barbe  ou  à  la  fosse  aux  Lions 
s'il  (Conflansj  le  jugeait  à  propos,  pour  donner  l'exemple.  » 
(Mioiscul,  de  son  côté,  s'inquiète  du  retard  :  «  Vous  êtes 
aussi  nerveux  que  bon  citoyen,  maude-t-il  à  Aiguillon  (3). 
liU  Suède  nous  attend,  je  crains  (ju'elle  ne  nous  attende 
longtenqts  et  <{ue  le  moment  ne  s(tit  passé,  si  vous  ne  par- 
t(>z  |)as  à  la  lin  de  ce  mois.  Les  [jcames  se  font,  les  bateaux 
plats  sont  pres(pie  tinis.  » 

('ette  lettre  du  ministre  des  -Pilaires  étrangères  se  croisa 
avec  une  dépèche  de  Contlans  (ï)  qui  proposait  une  mo- 
ditication  profonde  du  projet.  (Mi  renoncerait  à  renq)loi 
isolé  do  la  division  de  Bigot  de  Morogues;  la  flotte  tout 
entière  attaquerait  Uawke  av(>c  2-2  vaisseaux,  puis  se  ra- 
battrait sur  Belle-lsle  et  détruirait  ce  (pi  on  pourrait  y  ren- 


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(1)  Berr.yer  à  Conllans,  1 1  juillet  1750.  Archives  de  la  Marine.  B.  4.  LXX.VVII. 

(2)  Aiguillon   au  Ministre,  13  octobre  17.")9.  Archives  de  la  Marine.  B.  4. 
LXXXVL 

(3)  Choiseul  à  Aiguillon,  3  octobre  1759.  Arciiives  de  la  Marine.  B.  4.  LXXXVI 
(4;Conflans  à  Berryer,  3  octobre  1759.  Archives  de  la  Marine.  B. 4.  LXXXVI. 


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368 


LA  GUERUE  DE  SEPT  ANS.  —  (  IIAIV  VII. 


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contrer  de  vaisseaux  ennemis.  «  Faire  le  tour  de  l'isle,  pas- 
ser en  dedans  de  lledic  et  de  llouat...  les  passafi'cs  lii)i>cs, 
conduire  avec  succès  la  tlotte  du  Morliiiian  à  sa  destination 
et  aider  la  rentrée  de  nos  vaisseauv  soit  de  (ladix  (  I  ,  soit  do 
rAn)éi'it[ue.  »  Tel  était  le  j)ro,arainnie  de  l'amiral;  il  fut 
communiqué  à  Ai,i;uillon  et  appi'ouvé  par  le  lloi  en  conseil. 

Au  commencemeni  de  noveiuhi'*',  le  mauvais  t<'mps 
obligea  Hawke  à  lever  le  blocus  et  àse  réfujuier  dans  la  rade 
de  Tori)ay  ;  gnlce  ;\  ce  départ,  l^a  Maruière,  de  retour  d'une 
croisière  dans  l'Océan  Paciticfue.  put  rallier  1(>  port  <le  Brest 
avec  1  vaisseau  et  1  frégate,  le  5  novendire  ;  il  fut  bient<^t 
suivi  de  llompart  (jui  revenait  de  Saint-Domingue  avec 
7  vaisseaux  dont  1  en  tlùtc  et  1  frégate,  ('/étaient  là  des 
rcidorts  importants  et  il  send)lerait  (piil  eût  été  possible 
d'adjoimlre  aux  forces  de  Conflans,  tout  au  moins  pour  le 
premier  eil'ort  contre  les  Anglais,  quelques-uns  de  ces  bA- 
timents.  il  n'en  fut  rien  et  tout  le  concours  prêté  fut  l'en- 
rôlement de  500  matelots  des  deux  divisions  qui,  moyen- 
nant la  prime  d'une  pistole,  servirent  à  compléter  les 
équipages. 

Déjà  Conflans  avait  perdu  de  son  assurance;  il  attribuait 
à  l'ennemi  28  vaisseaux  de  ligne  dont  6  à  trois  ponts,  aussi 
évitera-t-il  un  engagement.  «  Le  but  principal,  écrit-il  à 
Aiguillon  (2),  est  la  sortie  de  notre  flotte  lor.s({ue  la  jonc- 
tion sera  faite  et  de  la  conduire  avec  toute  la  sécurité  que 
je  pourrai  vous  procurer.  » 

Cutin,  le  IV  novembre,  Conflans  appareilla  de  Brest 
avec  21  vaisseaux  et  5  frégates  ou  corvettes.  Malgré  le  nom- 
bre respectable  des  unités,  l'escadre  manquait  de  cobé- 
sion  et  d'expérience  ;  les  officiers  éloignés  de  la  nier  de- 


(1)  L'escadre  de  Cadix  se  composait  de.s  vaisseaux  de  l'escadre  La  Clue  ré- 
fugiée dans  ce  port;  celle  d'Amérique  était  la  division  Uompart,  attendue 
journellement. 

(2)  Conllans  à  Aiguillon,  10  novembre  1759.  Archives  de  la  Marine.  B.  4. 
LXXXVI. 


LA  FLOriK  DE  CONILANS  SOUi   I)K  HKEST. 


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Brest 

llOlll- 

cohé- 
or  de- 


puis loii^ttMiips  II  <ivai(>lii  plus  rililliitlldr  de  la  llUlIKriIvrr 
<'t  IK'  coiitiiiissainit  pus  1rs  ipialités  ou  l<>s  déraiils  des  liA- 
tiuicnts  (pi'il^  coiiiiii/uidairiit  ;  l<>  persoiiiirl   du    Itoi'd,  re- 
cruté eu  m'iiiide  partie  p.ii'iui  les  ouvriers  de  la  culture  et 
les  uardes-cAtes.  ne  jiossédait  iii  pi'aticpie  de  la.  uavif;a- 
tiou,   ni   instruction    (mi   iiiatièi-e   de   tir;  l'ainiral,  arrivé 
prescpie  au  tenue  de  sa  carrière,  n'avait  ni  l'éner^i»",  ni  la 
couipétence  nécessaires  pour  tirer  (pielcpie  parti  des  élé- 
ments disparates  <pii   lui  avaient  été  conliés.  Le  plan  de 
rexpédilion.  ou  |dutôt  la  |)arf  (pie  Conllans  s'y  était  tracée, 
consistait  à  se   rendre    dii'ecteiueiit    à   lîelle-lsie,  chasser 
ou  détruire  la  tlottille  du  coniuiodore   lUilt'qui  surveillait 
les  déhoucliés  du  Morluhan,  délivrei-  le  convoi  sur  lecpud 
seraient    eiul»ai'<piés   Aiuuillon   et  ses  troupes,  le    uieltre 
en  route  vers  l'Kcosse  et   veilh'r  à  sa  sùn'té  pendant   le 
voyaiîc  en  l'accoiupai^'iiniit  avec  toutes  ses  forces  ou  avec 
la  division  Hiiz'ot  de  Morouues.  Au  lieu  de  prendrez  1(^  clie- 
iiiiii  le  plus  court,  (lontlans  f;a,i;iia  la  jdeine  mer  et  ne  se 
rapprocha  de  la  terre  <[ue  le  19  novemlu'e.  Le  'iO,  i.u  point 
du  .j<»ur.  on  aper(;ut  ((uehpies  voiles;  c'étaient  les  l'réf^ates 
de  Dutl';  on  leur  d(tniui  la  chasse  et  on  était  sur  le  point 
de  les  atteindre  (piaud  les  vi.uies  si.mialèreut  une  escadre 
einiemie  dans  laquelle  on  distingua  "  au  moins  'l'A  \ais- 
seau\  de  li.iiiw   dont   |>lusieurs  i)ai'aissaieiif  à  .'{  ponts    ". 
(lontlans  (1),  (]ui  jus(ju"alors  ■'   re.uardait  coiuiik^  impos- 
sible que  les  ennemis  eussent  dans  ces  parafes  des  forces 
supérieures,  ni  même  éiiales  ».  comprit  (ju'il  était  en  juv- 
seiice  de  toute  la  flotte  aiiîilaise. 

Ku  etl'ef.  Ilawke,  après  une  courte  rcdAche  à  Torhay.  en 
était  reparti  le  \'t  novemhre,  Ir  Joiir  niéiiK^  de  la  sortie 
de  ('.ontlans;  le  17,  au  lariic   d'Oiiessanf.  il  appriMid  i-l 

(Il  Ua|)[)oil  'le  Conllaiis.  Cioiiic,  24  novembre  1759.  Aicliives  de  lit  Ma- 
rine II.  4.  LXXXVI.  VoIrOuérin,  vol.  IV.  Notes. 

('2J  llavvkc  à  Clevland  au  larj;e  d'OuessanI,  17  nu\  inbre  175'.).  Record 
Oincp. 


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370 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VU. 


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<|un  l;s  Franrais  étaient  on  nier;  sans  nn  instant  d'hé- 
sitation, il  se  dirige  sur  le  Mor])ihan.  «  J'ai  fait  forces 
de  voiles  toute  la  nuit,  vent  très  violent,  à  lu  poursuite 
<le  l'ennemi,  et  je  ne  doute  pas  que  je  le  rattraperai  ou 
en  mer  ou  dans  la  baie  de  Quil)eron...  Mon  escadre  est 
forte  de  2.'l  vaisseaux  et  d'une  frégate  ».  Ix  20  noveni- 
l)i'e,  vei's  neuf  heures,  on  décou  /i'it  la  flotte  fran(;aise  ;  l'a- 
miral anglais  donna  l'ordre  (1)  aux  7  vaisseaux  les  plus 
avancés  de  se  mettre  en  ligne  et  «  d'essayer  d'arrêtc  r  les 
Fran(;ais  jusqu'à  l'arrivée  du  reste  de  l'escadre,  qui  se 
formerait  tout  en  continuant  la  chasse,  de  fa(;on  à  ne  pas 
perdre  un  moment  pour  la  poursuite...  Toute  la  journée, 
nous  efimes  une  l)rise  très  forte  avec  gros  grains.  M.  de 
Ointlans  s'éloignait  avec  toutes  les  voiles  que  son  escadre 
pouvait  porter  sans  se  séparer;  quant  à  nous,  nous  cou- 
rions aj)rès  lui  avec  toute  la  toile  que  nos  vaisseaux 
étaient  capables  de  supporter.  A  2  heures  et  d?niie,  le  feu 
a  commencé,  je  fis  le  signal  de  condiat  ;  nous  étions  alore 
au  sud  de  P'îUe-ïsle  et  l'amiral  français  en  tôte;  peu  de 
temps  après,  il  doubla  les  Cardinaux,  pendant  que  son 
arrière-garde  était  engagée.  » 

Ecoutons  maintenant  le  général  français  (2)  :  <(  Le  vent 
était  alors  à  l'ouest  nord-ouest  très  A'iolent,  la  mer  fort 
grosse  avec  toutes  les  apparences  d'un  très  gros  temps.  Ces 
circonstances,  jointes  à  l'objet  que  toutes  vos  lettres  indi- 
(piaient  et  la  supériorité  décidée  des  ennemis. ..  tout  enfin 
me  détermina  à  prendre  la  route  du  Morl)ihan .le  n'a- 
vais pas  lieu  de  croii'e  que  si  j'y  entrais  h  premiei-  avec 
21  vaijseaux,  les  ennemis  osassent  m'y  suivre  malgré  leur 
supériorité  qui  devait  elle-même  eml)arrasscr  leurs  mou- 
venuMits  dans  un  endroit  aussi  resserré....  Alrn  de  mar 
quer  la  l'oute,  j'avais  choisi  l'ordre  de  marche  sur  une 


(1;  Hawke  à  CIcvland,  2i  novembre  1759.  Record  Oflicp. 
(ï)  Rapport  lie  Conllans  déjà  ci'.é. 


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COMBAT  DES  CARDINAUX. 


371 


ligne  ;  dans  cet  ordre  je  marchais  à  la  tôte  et  pour  former 
l'ordre  naturel  de  ha  taille,  je  n'avais  qu'à  me  mettre  an 
centre  de  la  ligne,  ce  ([ue  je  comptais  faire  sur  le  second 
I)(  rd  unssitAt  qu'elle  serait  tout  entière  dans  la  haie.  » 
Cionlhins  tenta,  en  effet,  d'exécuter  la  manœuvre  prcrnie 
et  de  se  porter  au  secours  de  son  arrière-garde  fortement 
enjïï^ajïée  ;  il  ne  réussit  qu'à  augmenter  la  confusion  qui 
existait  déjà  dans  son  escadre  ;  le -So/e//  fioj/al  qui  hat- 
tait  son  pavillon,  ahorda  deux  de  tes  propres  matelots, 
échangea  quelques  l)ordées  avec  l'ennemi,  chercha  inuti- 
lement à  sortir  de  la  haie  et  finit  par  jeter  l'ancre  au  large 
(hi  Croisic.  «  Ce  fut  un  désordre  affreux,  écrit  un  oïR- 
clcv  {i)  (loi' In/lexibie,  navire  qui  avait  suivi  de  près  le 
Soleil  Hoyal,  quand  l'avant-garde  dont  j'étais  voulut  virer 
de  hord,  une  partie  ne  le  put;  nous  étions  connue  dans 
un  entonnoir  tous  les  uns  sur  les  autres,  des  rochers  d'un 
côté,  des  vaisseaux  de  l'autre,  nous  avons  mouillé.  » 

A  j)roprement  parler,  pet:  de  vaisseaux  prirent  part  au 
cumhat;  ils  appartenaient  pour  la  plupart  à  la  3"  division 
<jui  constituait  l'arrière-garde.  Le  Héros,  le  Juste,  le  Ma- 
gnifique^ le  Formidable  surtout  (jui  hattait  la  cornette  du 
chef  d'escadre,  Saint-André  du  Verger,  eurent  fort  à  souf- 
frir; ce  dernier  vaisseau  dut  se  rendre,  après  une  lutte 
héroïque  où  succomhèrent  Saint-André  et  son  frère,  qui 
commandait  en  second.  Le  Héros,  conq)lètement  dénu\té, 
fut  forcé  d'en  faire  autant,  mais  l'état  de  la  mer  enq)êcha 
les  Anglais  de  l'anuiriner  ;  un  retour  offensif  le  dégagea  et 
son  capitaine,  M.  de  Sanzay,  en  profita  j)our  aller  s'écliouer 
sur  la  jdage  du  C^roisic,  où  il  <h''har(jua  ce  qui  restait  de 
son  é(fuipage,  parmi  les(|uels  1 VO  hlessés.  Le  Juste,  dont 
les  deux  commandants  avaient  été  mortellement  atteints, 
essaya  en  vain  (l'entrer  dans  le  port  de  Saint-Nazaire;  il 
se  perdit  à  1  end)ouchure  de  la  Loire  avec  une  homu^  par- 


à 


(1)  LeUre  d'un  officier.  Archives  de  la  Marine.  B.  4.  LXXXVI, 


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372 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  OlIAP.  VII. 


tic  (le  son  monde.  Le  Magni/îqiie,  côivmmulv:  par  Bigot 
<le  Morogues,  iiit  plus  heureux;  il  refiauna  Ja  pleine  nier 
et  !>e  réfugia  à  Rochefort.  Mais  le  désastre  ne  fut  pas  li- 
mité à  Tarrière-garde.  Deux  vaisseaux  de  la  division  du 
centre,  le  Thés/Je  monté  par  un  officier  distingué,  Kei*saint 
de  Coëtnempreu,  et  XoSupei'be,  furent  surpris  par  un  grain 
avec  leurs  sabords  ouverts  et  coulèrent  à  pic  avec  tous 
leurs  équipages,  à  l'exception  de  'Î'I  honnnes  du  Thésée 
(]ui  furent  sauvés. 

Il  était  un  ])eu  j)lns  de  cincj  heures  quand  l'obscurité  mit 
lin  à  la  mêlée.  «  Il  faisait  nuit,  écrit  Hawke  (1),  nous  nous 
trouvions  sans  pilote  parmi  des  iles  et  des  bas-fonds  dont 
nous  n'avions  pas  la  moindre  connaissance,  le  vent  pous- 
sait à  la  cùte,  je  lis  le  signal  de  jeter  l'ancre  et  nous  monil- 

lAmes  à  une  profondeur  de  15  brasses Le  21,  à  la 

pointe  du  jour,  nous  aperçûmes  un  de  nos  vaisseaux  dé- 
niîlté  et  échoué  au  Four,  de  mênïc  que  le  Héros ,  vaisseau 
français.  Le  Soleil  Honal,  qui,  à  la  faveur  de  la  nuit,  avait 
jeté  l'ancre  au  milieu  de  nous,  coupa  ses  câbles  et  alla 
s'échouer  à  l'ouest  de  ('roisic.  Au  mouvement  de  ce  vais- 
seau, je  lis  signal  à  VEssex  de  le  poursuivre,  mais  il  donna 
malheureusement  sur  le  Four  et  se  perdit  sans  ressources. 
Il  en  est  de  même  de  la  Bésolulion,  en  (h'^pit  du  secours 
<[ue  le  mauvais  temps  nous  permit  de  leur  envoyer.  » 
Les  équipages  des  navires  anglais  furent  recueillis  sauf 
80  hommes,  (pii  avec  des  prisonniers  français  transfé- 
rés du  Formidable,  s'étaient  embarqués  sur  un  radeau. 
Entraînés  à  la  mer,  ils  périrent  pour  la  plupart. 

A  la  suite  des  avaries  que  lui  avaient  valu  ses  aborda- 
ges successifs,  le  Soleil  Royal  s'était  trouvé  ramené  du  côté 
des  Cardinaux.  Contlansfit  mouiller  sur  place  et,  le  lende- 
main, fut  très  étonm''  de  se  voir,  comme  le  constate  Ilawke, 
entouré  des  vaisseaux  anglais  et  séparé  des  siens;  il  alla  se 


(1)  Ilawlie  à  Clcvlantl,  2i  novembre  1759,  déjà' cité. 


DEFAITE  ET  DISPERSION  DE  LA  FLOTTE  FRANÇAISE. 


373 


mettre  à  la  côte  près  du  Héros  et  dans  les  paraii^es  du  Croi- 
sic.  I^a  flotte  fran(;aiso  était  coniplètoMunit  dispersi'o.  Huit 
vaisseaux,  au  cours  de  la  nuit  ou  au  petit  jour,  s'étaient  dé- 
gagés de  la  baie  et  avaient  fait  route  pour  Kochefort  où  ils 
arrivèrent  le  soir  du  21  novend)re.  Le  prince  de  Beauffre- 
inont,  chef  d'escadre,  qui  avec  son  vaisseau  le  Tonnant  ap- 
partenait à  ce  groupe,  fut  accusé  d'avoir  abandonné  son 
amiral  et  de  n'avoir  pas  ohéi  aux  signaux  <1<^  ralliement; 
il  protesta  vivement  contre  ces  allégations  et  justifia  sa 
conduite.  Nous  devons  reconnaître  (jue  plusieurs  vaisseaux 
anglais  firent  de  même  et  gagnèrent  sans  ordres  la  mer, 
pour  échapper  aux  dangers  de  la  l)aie.  llawke,  qui  men- 
tionne le  faitdansson  rapport,  ne  h  iir  inflige  aucun  hlîlme. 
Au  surplus,  il  est  inutile  de  rechercher  dans  cette  honteuse 
affaire  les  responsal)ilités  individuelles  et  nous  ne  pouvons 
mieux  faire  qui  de  nous  approprier  le  jugement  sévère 
d'un  spectateur  (t).  «  imbécillité,  ineptie,  maladresse, 
ignorance  de  la  maïueuvre  et  de  toute  tactique  de  mer, 
sont  les  seules  c  uses  (U>  notre  perte.  » 

Dans  la  soirét^  du  jour  qui  succéda  à  cehii  du  cond)at, 
7  vaisseaux  et  4  'régates  ou  corvettes  jetèrent  l'ancre  à  l'em- 
bouchure de  .a  Vilaine,  et  îiprès  s'être  allégés  d'une  partie 
de  leur  a  •♦"'erie,  frandiirent  la  barre  à  la  marée  suivante. 
Hawke  voulut  les  pour.suivre  mais((  le  vent  «pii  soufflait  en 
tenq)ête  l'en  empêcha,  et  au  lieu  «h'  démarrer  il  fut  obligé 
d'amener  les  perroquets.  »  Le  22  novendn'e,  la  mers'étant 
un  peu  calmée,  les  Anglais  s'occupèrent  du  Héros  et  du 
Soleil  Royal,  échoués  près  du  Croisic.  A  leur  approche,  les 
Fram^ais  mirent  le  feu  au  vaisseau  amiral,  ([u'ils  avaient 
évacué  la  veille  :  «  J'ai  fait  ce  matin,  à  mon  Age,  écrivait 
Conflans  (2j,  un  prodige  de  force  en  débar([uant  le  long  de 


\  \ 


I 


11 


% 


(1)  Correspondance  de  Vannes,  24  novembre  1759.  Porleteuille  d'Argcn- 
son.  Bibl.  de  l'ArscnaL 

(2)  Conilaiis  à  Aiguillon.  Croisic,  21  novembre  1759.  Archives  de  la  Ma- 
rine. B.  4.  LXXXVI.  ' 


Vi 


"H 


«74t 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  VII. 


l'étravo.  »  Quant  au  Héros,  il  fut  incendié  parles  Anglais. 

Le  l)ilan  des  journées  désastreuses  des  20  et  22  se  tra- 
duisit, pour  la  marine  française,  par  la  perte  <le  (>  vais- 
seaux, dont  1  pris,  '.i  naufragés  et  2  détruits,  et  d'environ 
2.500  hommes,  dont  la  grande  majorité  noyés.  Les  Anglais 
eurent  2  vaisseaux  naufragés  et,  d'après  leur  relation  of- 
ficielle, 300  hommes  hoi-s  de  cond)at  auxquels  il  convient 
d'ajouter  une  centaine  de  noyés  ou  de  débarqués  sur  la 
cùte  fran<;aise  et  par  conséquent  prisonniei-s.  Ilawke,  après 
reconnaissance  de  l'entrée  de  la  Vilaine,  fit  transformer 
quelques-unes  de  ses  chaloupes  en  brûlots  destinés  à 
mettre  le  feu  aux  bAtiments  français  qui  s'j  .'iaient  retirés, 
mais  il  dut  renoncer  à  une  entreprise  <{ue  la  saison  ren- 
dait fort  dang-ereuse  et  se  contenter  d'établir  un  blocus 
rigoureux.  Les  vaisseaux  réfugiés  <lans  la  Vilaine  y  furent 
détenus  pendant  de  longs  mois;  ils  n'en  sortirent  qu'en 
17G1  et  1702,  gnVce  à  l'énergie  et  à  l'intelligence  de  deux 
lieutenants  de  vaisseau,  MM.  Hector  et  de  Terray.  (jui  ob- 
tinrent comme  réconqiense  le  grade  de  capitaine  de  vais- 
seau. 

Entre  Hawke  et  Aiguillon,  les  premiei's  rapports  après 
la  bataille  furent  des  plus  courtois;  un  échange  de  prison- 
niers j)ermit  de  renvoyer  les  survivants  de  l'équipage  du 
Fortnidabic,  dont  (piehiues-uns,  transférés  sur  la  Réso- 
lution, avaient  péri  avec  ce  vaisseau.  Mais  bientôt  l'a* 
mirai  anglais,  grisé  par  sa  victoire,  émit  des  prétentions 
inacceptables.  Il  revendiqua  comme  prisonniers  les  gens 
du  Héros,  sous  prétexte  ({ue  ce  vaisseau  avait  amené  son 
pavillon  et  voulut  s'emparer  des  canoiis  du  Soleil  Royal. 
Repoussé  par  les  batteries  de  terre,  il  écrivit  à  Aiguillon  (1) 
une  lettre  pleine  de  menaces  :  «  Je  me  vengerai  sur  tout  le 
littoral  avec  la  dernière  sévérité...  Je  suis  venu  il  v  a  huit 


(I)  Hawke  à  Aiguillon,  12  décembre  1759.  Archives  de  la  Marine.  B.  4, 
vol.  LXXXVl. 


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VAISSEAUX  FRANÇAIS  RKKLGIES  DANS  LA  VILAINE.  STr. 

mois  dans  l'infcMitioii  de  trancher  le  sort  dos  doux  nations 
avoc  M.  do  Conflans  en  pleine  nier;  il  n'a  pas  voulu  ni'at- 
tendre....  et  in'oi)lige  à  avoir  recours  à  dos  moyens  fjui 
répugnent  à  mes  sentiments  naturels  et  à  mettre  la  contrée 
à  l'eu  et  à  san;^'.  »  La  controverse  se  termina  pai*  le  refus 
de  remettre  aux  Aniilais  les  matelots  du  Héros  et  par  le 
lionihardemont  inutile  du  hourfj-  du  Croisic. 

En  Aiif^leterre,  l'émoi  avait  été  faraud  (piand  on  appi'it 
la  sortie  de  l'escadre  de  Brest,  aussi  dopècha-t-on  A  Ilawke 
des  renforts  (fui  n'arriv«îrent  d'ailleurs  qu'après  l'action. 
Ace  propos,  le  zèle  déployé  par  les  commandants  anglais 
fait  ressortir  rexcellont  esprit  ([ui  existait  dans  lotj  rangs 
supérieurs  de  leur  mari?io.  C'est  ainsi  que  l'amiral  Saun- 
ders  qui  revenait  du  siège  de  Québec  avec  une  partie  de 
son  commandement,  mis  au  courant  do  ce  qui  se  passait 
sur  les  côtes  <le  Bretagne,  aloi's  cpi'il  nitrait  en  Manche, 
n'hésita  pas  à  faire  route,  sans  relâche  préalable,  pour 
rejoindre  l'amiral  Hawke,  dont  il  rallia  la  flotte  le  26  no- 
vend)re,  cinq  jours  après  le  cond)at.  Il  est  impossible  lU^ 
ne  pas  contraster  cette  initiative  heureuse  avec  l'inertie 
flegniaticjue  de  Bonq)art,  dont  les  G  vaisseaux,  rentrés  à 
Brest  le  7  novend)re,  auraient  pu  par  leur  présence  chan- 
ger en  victoire  le  désastre  du  20. 

En  résumé,  le  combat  des  (cardinaux,  ou  la  bataille  de 
iM.  de  Conflans,  comme  on  l'appela  à  l'époque,  fit  peu 
d'honneur  à  la  marine  do  Louis  XV.  C'est  à  bon  droit  <pie 
l'historion  Mahan  parle  de  rnfl'airo  comme  du  Tr.iialgar 
de  la  g-uerre  de  Sept  ans.  L'amiral  français,  s'il  ne  méritii 
pas  l'accusation  de  hVcheté  (jui  a.  été  (]uol([uof(tis  lancée 
contre  lui,  justilia  le  verdict  d'incapacité  <{ue  lui  a  <lé- 
cerné  l'histoire.  Bien  ([u'infériour  de  ({uehjnes  unités  aux 
Anglais,  il  aurait  moins  souffert  dans  un  engagement  au 
large  de  Bolle-Isle  que  dans  l'entonnoir  f)îi  il  entraîna  son 
escadre.  Hawke,  qui  avait  27  vaisseaux  (l),  dont  ï  de 
(1)  Clowes.  Koi/al  .\(ivij,  vol.  III,  p.  218. 


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37r. 


L\  ci;k«rk  i»k  sept  ans. 


CHAI».  VII. 


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r>()  Cillions,  à  opposer  <iu\  '1\  ii<>  CiOiitlaiis,  sut  tirer  |)ui'ti  <i<' 
sa  supériorité;  il  luontni  liciiucoup  (l'audace  en  jjoursui- 
vunt  son  adversaire  ef  en  pénétrant  avec  lui,  par  f^ros 
temps,  sans  pilotes  et  avec,  le  vent  soiirtlant  à  tern*,  dans 
des  parafées  inconnus  et  semés  de  récil's.  De  c(Mé  <ît  d'au- 
tre, peu  de  vaisseaux  prirent  réelN'nient  part  à  l'allaire; 
dans  l'escadre  française,  seuls,  le  Formidabtr,  h»  Maf/ni- 
fiquc,  \v.  livras,  le  Juste,  l<'  Thésée,  aiiparteuant  pres- 
{\W{\  tous  à  l'arrièie-iiarde  <lu  brave  Du  Verj^^er,  furent 
successiviuiiont  en^apés.  La  plupart  des  liAtiments  réfu- 
giés à  Hocliefort  n'eurent  (pie  des  pertes  insiiiiiiliaiifes; 
ceux(|ui  étaient  eiiti'és  dans  la  Vilaim^  furent  encoi'e  iintiiis 
éprouvés,  (lomment.  en  l'occurrence,  explitpier  l'isole- 
nienl  dans  lequel  se  trouva  l'amiral  fraii(;ais  dans  la  niati- 
né(î  du  21  novembre?  La  cour  de  Versailles,  bénif^ne  selon 
son  babitude,  ne  soumit  à  aucune  enquête  les  capitaines 
(|ui  avaient  abaudoiiné  leur  clief;  elle  scî  contenta  (1«^ 
laisser  sans  commandement  le  pauvre  (>)nflans  et  de 
faire  attendnî  à  HeaufVremont  et  à  Villars  de  la  Brosse  (1) 
leur  promotion  au  .«rade  supérieur.  L'opinion  des  cou 
temporains  fut  plus  sévère  :  «  Les  circonstances  de  cett(ï 
jouraée,  écrivait  un  officier  (1(>  l'escadre  (2),  sont  à  la 
boute  de  notn^  marine  et  ne  prouvent  que  trop  qu'elle  a 
|)eu  d'officiers  (|ui  aient  de  la  volonté,  du  courage  et  du 
talent,  et  (pi'il  est  impossible  de  s'en  servir  à  moins  de  la 
refou(lr(î  (Mitièrement  et  de  lui  donner  des  cbefs  capalilcs 
de  la  conduire.  »  Quaid  aux  matelots,  en  majorité  iiretons, 
des  navires  «pii  avaient  combattu,  ils  n'eurent  i;uère  à 
se  louer  (le  radministratioii  ;  le  commissaire  L(^  Brun  se 
|)laiut  amèrement  (3)  de  n'avoir  pas  de  fonds  «  pour  payer 

11)  Villars  ilc  la  brosse  était  le  plus  uiicien  capitaine  des  vaisseaux 
réfugiés  en  Vilaine. 

(:!)  Rapport  sur  le  combat  du  20  novembre.  Archives  de  la  Marine.  B.  4, 
vol.  LXXXVll. 

(3)  Le  IJrun  au  Ministre.  59  novembre  1759.  Archives  de  la  Marine.  B.  i, 
vol.  L.XX.W. 


MISÈRE  DKS  ÉQUIPAGES  CONOÉDIKS. 


377 


au  moins  aux  luutilrs unr  conduite  (jui  Icuc  est  duo 

et  qui.  par  leur  trist<'  riat,  leur  (h'viciit  ui'MM'ssaii'c  <'t(|u'il 
serait  hctnteux  pour  l'Ktat  de  ne  leur  point  accoi'der,  alin 
do  les  empêcher,  ajirès  l'avoir  si  vaillannnent  servi,  de 
d<Mnandei'  raumôue  le  lou^°  des  cliemius,  ainsi  ((ue  le  font 
leurs  camai'ades  <|ue  j'ai  c(»n,i:é(liés  hier  et  tous  ceux  du 
Hrros  (|ui  s'en  retournent  <'hez  ux.  »>  Aucun  document  ne 
nous  apprend  si  Le  Urun.  (pii  avait  été  <d»liiié  d'emprun- 
ter ;{.()()0  livres  pour  donner  une  avance  de  vin,t;t  sols  aux 
érpiipa^es  du  Ihb'os  et  du  Soleil  lioi/aL  tut  à  même  de 
n:'^ux  traiter  les  Messes  du  Formidable. 

La  défaite  de  ('onflans  et  la  dispeision  de  la  seule  tlottc 
(pii  restAt  à  Louis  XV  détennim'-rent  la  cour  à  aWandoniier 
l'expédition  particulière.  Le  corps  d'armée  d'Aiguillon 
fut  ré|)arti  dans  les  irai'nisons  de  la  Hi'eta,t;ne  et  des  côtes 
de  la  Mancli(\ 

A  l'occasion  de  la  victoire,  le  ,i?ouvernement  lu'itanni<pH' 
se  montra  aussi  fténéreux  «[u'il  avait  été  imi)itoyal)le  jiour 
les  défaillances  ou  les  erreurs  du  passé;  les  amiraux  Hos- 
cawen,  Haxvke  et  Saunders  reçurent  ravancement  et  les 
honneurs  (pi'ils  avaient  hien  mérités. 

Aux  tentatives  (1(>  descente  dans  les  Iles  Uritanni(iues. 
se  rattache  l'entreprise  ili  du  capitaine  Tliurot.  (let  olli- 
cier,  qui  s'était  siiiualé  dans  la  ,nuerre  de  courses,  fut 
chargé  d'une  diversion  en  Irlande.  On  lui  contia,  dans  c(^ 
hut,  trois  frégates  et  trois  corvettes  sur  lescpielles  était 
eml)ar(pu'  un  détachement  <le  l.-iOO  hommes  commandé 
par  le  brigadier  Flohert  et  fourni  en  |)arlie  par  les  gard(»s 
françaises  et  suisses.  Thurot  s'échappa  de  hunkei'(|ue  le 
15  octobre;  dés  sa  première  relAclie  à  (JotluMuhonrg.  un 
contlit  s'éleva  entre  lui  et  son  jK-rsonnel.  Très  brave, 
jeune,  —  il  n'avait  qu<'  32  ans  —  autoritaire,  violent  de 
tempérament,  le  chef  de  l'expédition  n'admettait  ni  répli- 


:;  Mi?i 


1 


(1)  Arcliivps  de  la  Marine,  B.  i,  vol.  XO. 


378 


LA  GUEIUIE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VII. 


«|u«',  ni  lirsitation  <le  la  part  «l<"  ses  suhonlorinrs;  rotui'ici* 
(roi'i^'iiio,  irappartonniit  pas  à  la.  iiiariiir  royale,  il  lui 
l)i('iit(M  dans  les  plus  mauvais  tenues  avee  les  oflicieis 
(1(5  l'année  de  terre.  De  (iotlieinhoui'i:,  la  tlottille  tça^-^na 
BerfACP.  puis  les  îles  Krroc'.  où  elle  mouilla  le  *28  décem- 
bre. An  <-unrs  de  er'tf<'navij;ation,  la  (juerelle  éclata  de  plus 
belle  eiiti'c  Tliurot  et  Klobei't  à  propos  de  détails  de  sei'- 
vice;  les  capitaines  <le  rleux  i'réjLiates,  las  d'une  croisièiu* 
des  plus  fatigantes  peruiani  la(|uelle  mat<'lots  et  soldats 
avaient  été  fort  éprouvés,  prirent  parti  contre  leur  chef  et 
manifestèrent  leur  inti'ntion  de  rentrer  en  France;  l'un  de 
ces  bîHiments,  VAmarant/ic,  se  sépai'.i  en  eti'el  et  rallia  le 
port  de  Saint-Malo.  Thui'ot,  après  uiuï  démonstration  sans 
utilité  contre  Londonderry  et  un  court  sé)(,ur  à  l'ile 
(TlsLiy,  dél)ar(|ua  ses  troupes  en  Irlande  dans  la  baie  de 
(^arrickl'erj;us,  où  elles  s'emp.irèrent  de  la  ville  de  ce 
nom  et  de  sa  garnison;  elles  y  levèrent  des  récpiisitions 
en  nature  et  en  arjient,  mais  (|Uiind  Tliurot  proposa  d'îil- 
ta<pier  In  ville  importante  de  Helfast,  Flobert  s'y  refusii 
catéfi()ri(|nement.  L'escîidrille.  réduite  à  ."{  frégates,  appa- 
reilla le  'Ht  lévrier  17()0;  deux  ,j(»ui's  après,  elle  rencontrii 
près  de  l'ile  de  .Man  :l  frégates  anglaises  <jui  avaient  été  en- 
voyées à  sa  ptinrsuite.  Le  bîHiment  de  Thurot  (1)  le  Marr- 
chal  de  lie/lc-h/e,  dont  une  partie  de  l'artillerie  avait  été 
démontée  pour  alléger  sa  marche,  engagea  deux  anglais 
l'un  a])rès  l'autre;  un  essai  d'ahordage  échoua  par  suite 
(In  bris  du  beaupré;  Thurot  fut  tué  et,  après  une  lutte  de 
deux  heures,  la  frégate,  (|ui  avait  5  pieds  d'eau  dans  la 
cale  et  avait  beaucoup  souliert,  dut  amener  son  pavillon. 
Les  compagnons  du  Maréchal  de  Delle-lsle,  qui  avaient  fui 
d'abord  et  mal  niaïueuvré  ensuit*',  succombèrent  tous  les 
d(  ux  après  une  faible  résistance.  Dans  cette  action,  les 
Anglais  eurent  une  perte  de  5  tués  et  31  blessés.  Celle  des 


(1)  Journal  de  Bragelonne,  major  du  corps  d'expédilioii. 


FIN  DK  L'EXPKDITION  DK  TIIUHOT. 


379 


Kraiiriiis  l'ut  de  90  lioiniiirs  lii»rs  (i(>  conih.-it,  poui'  le  seul 
Man'cluil  de  Belle- fs/f. 

Ainsi  Huit  iiiio  expédition  ({iii  avilit  ciiiisé  lrsalariii<>s  l«>s 
[)Iiis  vives  dans  l<'  Uoyaunie-rni  et  dont  les  ju'oiiioteni's 
s'étiiient  promis  des  résultats  hoi-s  <le  propoilion  avec'les 
moyens  <re.\éeution.  Sou  elicf,  l'intrépide  Tliurot,  eût 
mérité  une  meilleure  fortuiu'. 

A  p.'irlir  de  la  défaite  de  (^ontlans,  la  suprématie  na- 
vale de  l'Auiilelei're  fut  incontestée  ;  les  désastres  sueces- 
sifs  de  Louisl)our^',  de  La^os,  des  Cardinaux  avaient  sinon 
anéanti,  tout  ar.  moins  sin,uulièrenu'nt  réduit  la  puissance 
inai'itime<|e  la  France.  Kn  dehors  des  reuc(»ntres  d'escadre 
<]ue  nous  avons  relatées,  la  balance  des  j)rises  à  l'occasion 
d'euiiajienu'uts  isolés  faisait  ressortir  un(«  lounh*  dillé- 
rence  iiu  préjudice  de  la  marine  de  Louis  XV.  Dans  ce 
i^enre  d'allaires,  [)endant  les  <|uatre  années  <|ui  s'étaient 
écoulées  depuis  175H,  les  Aufilais  avaient  capturé  8  vais- 
seaux de  ligne  et  2'2  fréjiates,  taudis  (jue  uous  ne  leur 
avions  enlevé  cpu;  '1  vaisseaux  et  ('»  lultiments  lé,'^ers.  Kn 
175(>,  nf)us  avons  vu  La  (Jalissoiinière  vaimpieur  de  Byn.u 
et  maitrt!  de  la  Méditerranée;  eu  1757,  Duhois  de  la  Motte 
l'éuuit  à  Louisjjouri;'  une  Hotte  imposante  et  la  ramène 
eu  France  sans  pcu'te  ;  au  commencement  de  1758,  les 
<'scadres  de  d'Aché  et  de  Frogier-rKguille  sortent  libre- 
ment de  nos  ports  et  vofjuent  sans  op])osition  vers  TKx- 
trème-Orient;  H<'aussieret  Duchallault  se  rendent  à  Louis- 
Ixmrji;'  sans  accident.  D'autre  part,  il  est  vrai,  Toulon 
est  l)lo(pu''  et  La  (Hue  n'eu  écliaj>pe  ((ue  ])our  aller  sv. 
renfermer  à  Cartlia^éne.  Ku  1759,  la  situation  s'aiivyrave  : 
nos  escadres  ne  liaiiueut  la  pleiiu'  mer  <|ue  pour  livrei' 
des  combats  où  elb's  succombent  devant  la  supériorité 
(lu  iiond)re,  et  il  faut  le  recounaitre,  devant  l'énergie  et 
la  hardiesse  des  chefs  ennemis.  Enlin,  l'année  se  termine 
sur  le  triste  spectacle  de  nos  vaisseaux  éparpillés,  réfu- 
,iiiés  dans  des  rivières  df)nt  ils  ne    [)euvent  déboucpier, 


aapf» 


3M0 


LA  GUKURK  OE  SEPT  AN3.    -  CHAI»    Ml 


14 


*>t  iiiciipiihlt's  d'iiiM'  .'irtioii  cniiild'iirc  Nos  cdIoiik's,  pi'i- 
V(>os  «lo  sccoui's,  ('I)|||m'<(>s  (I(>  tonte  coiniiuiiiiriitioii  avec  lu 
inétropolc.  sont  à  la  merci  de  l'Aiiulais.  I,a  ^nerre  maritime 
est  achevée  e(  laif   place  à  <'elle  du  hlocils. 

l*oiir  ciimplétei'  la  l'eviie  des  événements  lioi-s  d'Kn- 
l'ope  ipii  peséi'cnt  d'nn  |>i>i<ls  apprécialtle  dans  le  conflit 
enuafi,^é  eidre  l'Anfilelerre  et  la  Krance,  il  convient  de 
porter  le  reuard  snr  les  Indes  Orientales  on  se  ponrsnivait 
depnis  1<>  délnit  des  hostilités  une  lutte  des  plus  mouve- 
mentées entre  les  dcMix  coinpafiiiii's  ipii  repivsentaient  Ifi- 
l»as  les  pavillons  ri\au\.  l/arraniicincnt  de  fin  17."»V.  con- 
clu entre  les  liouNccneurs  de  Pondichéry  et  de  Madras, 
n  avait  été  («ujum'  tir\('  assez  mal  ol(ser\ée  par  les  helli- 
li'éi'ants.  hèsTautonme  de  I7.')(>,  la  cour  de  Versailles  avait 
(!''-('idé  d'envoyer  dans  l'extrême  Orient  une  force  navale  et 
Uii  coi'ps  de  troupes  destinés  à  soutenir  la  (Icunpajiuie  des 
Indes  et  à  repousser  les  ell'orts  ([U(^  les  Anglais  tentei'aii'ut 
confi'e  les  postes  et  t'actoi'cries  de  la  Société.  Le  choix  du 
ministère  et  d-i  conseil  <le  la  (lon^taunie  tond)a  sur  le  lieu- 
tenant i^énéral  d<'  Kally  Tollendal;  il  ne  tut  pas  heureux. 
Le  nouveau  commissaire  i^'énéral  n'avait  aucune  ex|)érience 
du  milieu  où  allait  s'exercer  son  autorité.  Urave  s(»ldat, 
actif,  ph'in  de  zélé  pour  le  service»,  mais  imj)atient,  iras- 
cii)le  jusepi'à  perdre  tout  confrùh'  de  lui-même,  dépourvu 
de  ju.uement,  avec  cela  fantasipie,  nn'*luint,  Iku's  des  .yonds 
(piand  il  aurait  fallu  du  san,u-froid.  plaisaidant  sans  mé- 
na,ii«Muent  et  hors  de  saison,  Lally  n'avait  pas  les  <pialités 
\(»uliu's  pour  le  poste  diflicile  ancpud  il  était  a[)pelé.  Les 
instructions  (juil  emp(»rtait  avec  lui  n'étaient  pas  de  nature 
à  faciliter  sa  tAche;  inspirées  par  les  préoccupations  linan- 
cières  des  administrateurs,  elles  étaient  faites  pour  Im" 
rendre  suspects  la  i)lup(irt  de  ses  futurs  collalxtrateurs.  Il 
lui  était  enjoint  de  (1)  «  mettre  la  (^ompaynio  en  état  de 

(I)  Instructions  de  Lally,  tl  dpcombrc  l'ôC.  Archives  de  la  Guerre.  Indes 
Orientales,  vol.  S'iTiS. 


■#Œ^tr 


LALLV  NOMMÉ  COMMISSAIRE  nKNKHAL  AI  X  (NI)KS 


;iHi 


M 


|HI- 


Ici'iiiiiM'i'  les  Irouhics  ci  de  sr.  i-clin'r  «les  «MiHJi^*'iii('iits  où 
elle  «'sf  «Mitiro  jivi'r  les  piiissaïK'i's  ilii  piiVM,  (|iii,  coiniiir 
lii  friKM'i'c,  sont  rKiiNMiD'iit  iMiiiK'iix  *'\  |i!vjiiili('i<il>|<'s  ;iii 
«'oiiiincrrc.  »  Octtc  invitation  à  <i|i|ili(|un'  inir  |)oliti(|n)' 
alisoliMiMMit  o|)|)osri>  aux  itiros  «l'expansion  ipi'avaicnt 
snivi»-;,  |)nj)l('ix  rf  son  lieutenant  llussy.  était  eoniplétée 
par  la  latitinle  de  maintenir  <<■  deniier  dans  le  llecan,  de 
le  i-appelei*  on  de  le  reniplaeei*.  Kntin  Lally  anrait  à  sé\ir 
(■(!ntr(>  lu  vénalité  des  t'onetionnaires  loean.x.  «  (lonnne  les 
trnnides  <!<>  l'Inde  ont  été  la  soni'ee  d'nn  uivind  nond>re 
de  lortiines  pai'li<"nlièi'«'s  proni|ites  et  snliit<'s.  le  nnMiie 
système  vènne  lonjoni's  <lans  l'ondicdn'ry  où  eeiix  <pii 
n'oid  point  encore  l'ait  fortune  espèiv-iil  la  faire  pai'  les 
inèuM's  moyens...  Le  sieni'  de  Lally  aura  Iteaueoup  de 
peine  à  y  déi-aeiner  cet  espi'it  de  cupidité,  et  ce  serait  un 
(l<'s  |)lus  liniiMJs  services  cpi'il  j.ourrait  rendi-e  à  la  (loin- 
pa.i^nie.  »  Comme  ohjectit'  militaire,  on  lui  indiijuait  la 
prise  <lc  (londeloui'  et  «lu  fort  Saint-David;  \l  devait  ou- 
Idiei'  pour  un  ti'inps  «pie  les  Anglais  |)ossè(|ent  au«Mine 
place  dans  lintérienr;  tout  son  ohjet  doit  être  de  s'em- 
parer des  places  mai'itinu'S.  " 

Le  <-oi'ps  e.\[)éditionnaire,  d'ahord  lixé  à  un  cliilIVe  plus 
élevé,  fut  réduit  aux  <leux  réuimeids  «le  L«»rraine  et  de 
Lally.  chacun  fort  «le  i  Lataillons  «le  ÔIO  hommes,  et  à  un 
déta«h«'menl  «le  l'A)  aitilh'Urs.  Ces  unités,  «pii  devaient  se 
join«lr«>  aux  forc«'s  c«)l«»niales  de  la  C«)m|)a,iini«'.  fuivnt  em- 
hanjuées  sur  un«'  «'s«-a«lre  «lont  le  command«Mnent  fut 
«•!)ntié  à  M.  «l'Aché.  La  |)reniièr«'  «livisi«)n  lit  voih'  le  'M)  dé- 
cemhro  175t),  s«\journa  à  l'île  de  Kranc«>.  à  .Madai:as«'ar,  «•! 
l>arvint  à  Pondichéry  le  8  se[)t<Mnl)re  ll'û.  Le  ch«'valier 
de  Soupire  qui  était  à  la  tét<*  (l«>s  troup«'s.  aussit«"»t  «léhai-- 
<pn''.  entreprit  le  si«\!.:e  «le  ('ihilonp<'t.  «|u'il  emp«ii'la  après 
17  i«)urs  de  tranché*'.  Il  avait  fallu  remplir  les  vi«les  dans 
le  r«''fiimeut  «le  Lorrain«\  dus  à  la  l«)nt;ue  travei-sée  et  aux 
maladies  (pii  en  étaient  raccom[)a,i;n(Mnent.  «>n  faisant  des 


^^     ^ 


ri 


382 


LA  GUERUE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VU. 


ii 


pr'lèvonionis  sur  los  soMats  oolouiaiix;  Sonpiro  ho  plaint 
ilu  physiquo  de  ces  recrues,  dont  la  taille  ne  dépass*» 
jiuère  cin«j  pieds  un  i:iiuce. 

On  iTpr(»ciia  avec  raison  au  gouverneur  fiV'uéral  Leyrit 
de  s'être  contenté  de  ce  premier  succès  ef  d'avoir  perdu 
}r(»is  mois  pendant  les(juels  il  aurait  pu  proiiter  de  la  su- 
périorité de  ses  forces  de  terre.  A  cette  <late,  «mi  ellV't,  les 
Aniilais  (1)  n'avaient  (pie  peu  de  troupes  l>ianclies  daijs 
leurs  places  de  la  côte  de  Coromandel.  S'il  faut  s'en  rap- 
porter à  la  correspondance  de  Soupire,  l'inactioti  avait  été 
causée  par  le  maïupu*  d'argent;  à  son  arrivée  il  n'avait 
pas  trouvé  (2)  une  roupie  dans  la  caisse  et  n'aurait  pu 
entrer  en  campagne  sans  les  l.OOO.OOO  livres  apportées  de 
l^'rance.  Os  espèces  furent  l)ient<M  épuisées  :  «  Si  j'eusse 
eu  des  fonds,  écrit-il  au  nnnistre  (3),  et  des  muniti(nis... 
J'eusse  abrégé  hien  de  la  hesogne  à  M.  de  Lally  :  non  seu- 
lement je  ne  puis  sortir,  mais  tous  les  ouvrages  et  ])répa- 
ratifs  pour  les  opérations  de  guerre  sont  suspendus;...  les 
dépenses  excèdent  de  moitié  les  recettes.  Si  l'oi»  n'envoie 
pas  de  France  dix  millions  par  an,  toutes  les  dépenses  de 
l'armement  pour  le  transport  des  troupes  seront  infruc- 
tueuses. » 

D'Aché,  avec  le  reste  du  corj)s  expéditiomiaire,  avait 
(piitté  Lorient  dans  les  premievs  jours  de  mai  1757;  après 
une  interminalde  navig.dion  ([ui  coûta  la  vie  a  19  officiei's 
et  307  matelots  et  soldais,  il  iit  relAche  à  l'de  de  France, 
n'en  repartit  (pu*  le  -28  janvier  175S  et  r..ouilla  le  20  avril 
à  Kai'ikal;  deux  jours  après,  il  était  au  large  de  (londe- 
lour  ou  Cuddalore,  avec  son  escadre  de  9  vaisseaux,  d<<nt  1 


(1)  Sou|)iie  à  Paulmy,  Poiidichéry,  28  janvier  1758.  .Arcliives  de  la  Guerre, 
vol.  3541. 

(il  Soiiinre  à  d'Argenson,  Valdivore,  l.>  octobre  1757.  Hibliolhèquc  de 
l'Arsenal 

(3)  Sou|iire  à  d'Argenson,  Pondicliéry,  15  février  175h.  Bibliothèque  de 
l'Arsenal. 


H  0 


COMBAT  NAVAL  DE  CUDDALOKE. 


383 


(le  liiniariiid  l'oyalo,  v\  los  autres  appart(Miaiit  à  la  (^oinpa- 
iinie.  Il  (Irlmta  licurousonuMit  ou  coupant  la  rotraitc  à  deux 
i'iryatcs  anglaises  (\m  furent  ohlii'ées  de  s'échouer,  et 
brûlées  par  leurs  écpnpanes;  mais  il  dut  aU'aihlir  ses 
forces  en  détachant  le  vaisseau  le  Comte  do  Provence  et  la 
fréi:ate  la  Diligente,  p..ui'  déposer  Lally  à  Pondichéry. 
Le  "29,  on  apen-ut  l'escadre  anglaise  de  lauiiral  Pocock, 
forte  de  7  vaisseaux:  celui-ci  avait  été  rejoint  depuis  cincj 
jours  seulement  parle  coimnodore  Stevens,  (jni  lui  ame- 
nait d'Auiileterre  et  en  dei'uierlieu  de  Hond)ay,  un  renfort 
<le  V  vaisseaux.  Cn  peu  plus  de  dilig-ence  de  la  part  de  d'A- 
<  hé  lui  eût  permis  de  «apiiersur  les  onze  mois  qu'il  avait 
cMiployés  à  faire  le  voyaiie  (l'Europe;  parvenu  (ju<d([ues 
jouis  plus  \(\\  sur  la  cùte,  il  >ùt  pu  empêcher  !a  réunion 
<le  ses  advei-saii'es,  ou  peut-être  battre  Pocock  avant  la 
venue  de  Stevens.  Les  tlott  ne  ciierchèrent  pas  à  s'éviter, 
et  ractioiis'eniiaiiea  pres(jue  aussitôt;  eUe  dui'a  'X  heures  et 
demie  "t  fut  chaude  sans  être  décisive;  il  y  eut  des  dé- 
faillances de  part  et  d'autre  :  le  Duc  de  lioiirgojne  «  ne 
i;arda(l)  ni  ne  fut  jamais  à  s(/n  poste;  au  contraire,  dès  le 
commenccMuent  de  l'action,  il  arriva  et  ne  combattit  (ju'à 
travers  les  niAts  de  nos  vaisseaux,  (huit  il  s'était  mis  à  l'a- 
l)ri.  "  n'Aché  mit  à  i)ie(l  le  commandant  La  Préede  Manne- 
villette,  navii;ateur  distiiiîiué,  mais  pauvre  mano'uvrier; 
de  son  côté,  Pocock  lit  passer  en  conseil  de  ,nuerre  trois  d« 
ses  capitaim^s  (jui  n'avaient  pas  obéi  à  ses  signaux.  Les  An- 
glais accusèrent  une  perte  de  118  honnnes.  tués  (>•  blessés; 
['"scadre  française,  dont  les  ponts  cl  les  batteries  étaient 
encondirésde  soldats,  eut  VOV  hommes  atteints,  i.es  vais- 
seaux le  Zodiaque ,  le  liien-Aimé  et  le  Moras  furen*  les 
l»lus  épi'ouvés.  Vers  le  soir,  les  Français  cpii.  après  le  com- 


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(t)  D'.\(:htt.  llapport  sur  la  campagne.  Port-Louis,  30  octolne  1758.  Ar- 
chives de  la  Guerre,  vol.  3541. 
CIowc.  Royal  l^avi/,  vol.  IIL  Cainbiidge.  Uur  in  Initia.  Londres.  17(>1. 


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384 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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bat ,  avaient  «''t«^  ralliés  par  les  b{\timents  envoyés  à 
Pondichéry,  allèrent  mouiller  à  Lani[)ravy,  tandis  qucrad- 
vei'saire  iiafina  Sadras  dans  le  nord.  Pen<Iant  la  nuit  (jui 
suivit  l'eupanenient,  le  Bien- Aimé  ((ni  avait  beaucoup 
d'avaries,  se  mit  à  la  cùte  et  fut  perdu;  on  put  en  reti- 
rer l'écpiipaee  et  les  canons.  I.e  7  mai,  d'Acbé  était  en 
rade  de  l*on<licliéiy  et  eonuncneait  le  (bdiarquemcnt  des 
U'oupes. 

Avant  de  parler  des  opérations  de  terre,  il  importe  de 
jeter  un  coup  d'teil  sur  la  position  des  deux  compagnies 
rivales,  ((ui  depuis  un  «piart  <b'  siècle  se  disputaient  la 
dominiition  (b'  la  iirande  j)éninsule.  I^a  trêve  <hi  31  <b''- 
cembre  175V,  sifrnéepiir  les  (bnix  conunissaires,  (iodeheu, 
successeur  <b»  Dupleix,  et  Saunders,  n'av.ait  pas  été  de 
longue  durée;  les  bostilités  avaient  repris  au  printemps 
de  1757.  Les  Anglais,  qui  venaient  de  s'enqiarcr  (bî  Cal- 
cutta, attaquèrent  le  poste  français  <le  (^landernagore 
et  le  forcèrent  à  capituler  le  2.'l  mars,  (le  succès  fut  con- 
lirmé  par  la  victoire  décisive  de  Cdive  à  Pifissey  (jui  assura 
la  suprématie  bi'itanni({u<^  cbuis  tout  le  Bengale.  Sur  la 
cùte  de  Coronuuub'l,  il  n'y  avait  eu  ([ue  des  affaires  insi- 
gnifiantes; diins  le  sud,  Auteuil.  <{ui  commandait  à  She- 
riî:gbam,  près  (b^  ïricbinopoli,  avait  évacué  ce  poste  et 
était  renti'é  à  Pon(ncliéry.  Eu  plus  de  la  capitale,  les  Fran- 
çais étaient  maîtres  de  Kiirikal  <'t  de  Masulipatam,  que 
Siu.ssy  iivait  «'ulevé  aux  Anglais  le  -iV  juin  1757.  Les  princi- 
paux postes  de  la  compagnie  britaniii({ue  étaient  Madras, 
(ion<b'lour,  avec  b'  fort  adjoint  de  Saint-David,  à  peu  de 
(bstance  au  sud  (bi  Pondicbéry.  En  debors  de  ces  villes  et 
(b's  territoires  «pii  en  (b''pendaient,  les  sociétés  rivales  ne 
possé(biient  (|ue  (juebjiies  factoreries  (buis  l'intérieur  ou 
au  bord  de  In  mer.  I)  us  la  gramb'  province  du  Decan, 
grfh'e  au  prestige  de  1'  ssy,  l'influence  fran(;aise  était  pré- 
pondérnute  au  moins  pour  le  moment.  D'ailleurs  rien  de 
plus  difficile  à  démêler  ({ue  ce  tissu  d'intrigues  où  nous 


LALLY  DKn.VRQUE  A  POiNDICHÉRY. 


385 


oyes  a 
lie  l'ad- 
luit  qui 
aucoup 
Ml  l'eti- 
l'tait  on 
icut  dos 

^oi'to  (le 
pagnios 
aient  la 
31  (lé- 
fKlohou, 
i  été  (le 
intonips 
(le  Cal- 
rnaproi'o 
fut  con- 
li  assura 
Sur  la 
ros  insi- 
t  à  Sho- 
[)()ste  et 
os  Fran- 
ni,  ({ue 
is  princi- 
M  ad  ras, 
peu  de 
villes  et 
aies  ne 
lour  ou 
hocan, 
ait  pr('- 
ieii  de 
)U  nxHis 


voyous  les  princes  uialionM''tans,  les  aventuriers  nialirattos 
et  les  partisans  paians  s'associer  tant(\t  à  l'une,  tant(')t  à 
l'autre  conipaf^nie,  au  fin'*  dos  (''V(''noniouts  et  do  lour  in- 
t(''irt  iniin(''(liat.  A  la  date  do  la  mise  a  terre  du  corps  ox- 
p('ditionuaire,  les  forces  an,i,"laises  sur  la  cùlv  ne  (h'pas- 
saient  giu're  1.800  n'f^'uliers  europ(''ens  et  un  nombre 
considcM'aldo,  mais  variai)lo,  do  cipayos  ou  d'auxiliaires 
plu»  ou  moins  (lisciplin('s. 

Lally  avait  d('d)ar(pi(''  à  l*on(li(li(''ry  le  jour  in('''nio  du 
combat  naval;  il  fut  ro('U  avec  les  bonnours  dus  à  sabauto 
situation.  Le  salut  tin'*  à  cette  occasion  fut  siuiiab''  pai' 
un  accident  sin,i;ulier;  les  artilleui's  dos  batteries  du  front 
do  mer  avaient  oublié  dans  l'Ame  de  leurs  pièces  dos  bou- 
lots ({ui  vinrent  frapper  le  vaisseau  le  Comte  de  Provence, 
à  J)ord  du(|uol  ('tait  le  fién(''ral.  Sans  s'arivter  à  ce  fAclunix 
pivscïiio,  Lally  dès  le  loiuiomain  partit  jiour  le  camj)  de- 
vant (londelour,  où  il  avait  été  i>i'écé(b''  [)ai'  une  avant- 
.uardo  sous  les  ordres  du  briiiadior  d'Ksfaini;'.  Le  sièi^'o  ra- 
l)ideniont  mené  aboutit,  le  V  mai,  à  la  capitulation  do  la 
liarnison  auiilaiso.  (k^tto  opération  n'avait  été  (]iie  le  pré- 
lude d'une  entreprise  contre  le  fort  Saint-David,  «  réta- 
blissement européen  le  plus  important  do  la  côte  ».  Vn 
premier  combat  beureux  rendit  les  Krau(;ais  maîtres  des 
ouvrages  extérieurs,  dcint  ilscbassèi'(>nt  le  défenseur  avec 
une  perte  do  «  150  blancs  ou  noirs.  •!  ofliciors  anglais  et 
80  cipayes  prisonniers.  »  Le  jour  suivant,  on  ouvrit  les 
trancbées  et  on  se  mit  à  bombarcb'r  le  fort;  le  *2(>  mai  (1), 
«six pièces  tirant  à  ricocbet  sur  le  ro\(M's  do  ratta(|ue  se- 
condèrent les  moi'tiors.  Leur  feu  intorniittont  (b'pondait 
de  l'arrivée  dos  munitions.  Trois  batteries,  dont  une  do 
8  pièces  de  canon  et  doux  do  V,  connnoncèi'ont  onllii  le  V 
à  détruii'o   constamment  les  délcnsos  do  la   place.  Kilos 


(1)  Joluni»!  des  opérations  depuis  le  '20  janvier  jiisijiraii  4  aoûl  175S.  Indes 
orieulales.  Archives  de  lu  Guerre,  vol.  3ri4). 

(ÏUEnilE   DE   SEPT   ANS.   —   T.    III.  26 


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386 


LA  GLEKUE  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  VII. 


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tiW'iviit  avant  d'otn^  achevées;  1*2  do  ces  pirces  l)jitfai('iif 
en  ln'ôchc  la   face  ^auclio  du  ]>astion  do  la  luor;  (juatt'o 
dimiiiuaioiit  lo   fou  do  r<)iivraf;'o  A   conio.  On  apprit  !<• 
niôino  joui'  ((110  i'oscadi'o  aufilaiso,  après  avoir  rôjiarô  uiio 
parlio  d.'  sos  [)ortos  à  trois  lioiios  <lo  Madras,  l'oiiioiitait 
vorsPoiidicliôry.  La  iiAtro  votait  ond)ossôo  :  cotto  position, 
la  plus  sùro  ot  la  plus  lunnhlo  (pio  puisse  pnMidro  uno 
tlotto  (pii  n'a  j)oint  été  hattuo,  avait  été  dô(i(|ô(>  par  un 
oonsoil  d(»  niarino.  Lo  urand  noinl)ro  dos  malades  «mi  était 
cause  ».  Lally  courut  à  Pondicliéry  o1  usa  do  son  autorité 
pour  contraindre  d'.Kché  à  roiiaicnoi'  1«'  large  moyennant 
U'i   renfort  d<'  VOO  soldats  ot  la  distrihution  do  cpiolipios 
roupies  aux  matelots.  «  L'ariicnt  donné,  les  convalesci'nts 
oublièrent  ((u'ils  l'étai(Mit  :  ils  se  crurent  ,yuéris;  lo  Zo- 
diaque fut  armé  de  pli's  de  700  liommes  et  la  flotte  mit  à 
la  voile  le  surlondemaiîi.  Les  l>att<M'ies  du  sièp*  faisaient 
effet;  colle  des  mortiers  avait  été  ra})prochée  {\q  la  place; 
lo  feu  avait  pris  dans  lo  fort  à  un  dé])At  considérahlo  de 
poudn»  ot  de  l)ond>(>s.  Le  premier  chonun  couvert  était 
abandonné,   nos  travaux  avançaient;  M.  Winch,  t^ouvor- 
neur  j)acifi(pio.  ot  .M.  l*olior,  commandant  d<'s  troui)es,  se 
trouvèrent  suflisammont  i>ris  et  demandèrent  (le  2  Juin)  à 
capituler.  Trop  mat:nili({uos  dans  leur  début,  ot  prodi- 
t;uos  do  leur  poudre,  il  no  leur  i^w  restait  j)lus  (juo  "20.000 
(piartauts;  cette  (piantité  aurait  à  poim*  suffi  à  la  consom- 
mation do  deux  jours,  houx  capitaines  des  vaisseaux  du 
roi  d'Angieferre  et  tous  les  Aniiiais  ont  été  faits  prison- 
niers de  g'uerre.  »  La  liarnison  fut  écliantiéo  contn^  '»00 
!<'rançais  détonus  depuis  loniitomps  à   Tricliino|>oli,  (|ui 
vinrent  combler  les  vides  dos  bataillons  i\o  Lally. 

Au  cours  dos  opérations,  les  troupes  avaient  été  très 
éprouvées  par  la  température  et  la  mauvaise  <[ualité  des 
vivres;  «  des  veids  brûlants  ot  périodicpios  enlevaient  un 
sable  pulvérisé  par  roxirème  chaleur;  ils  détruisaient 
pondant  h»  jour  l'ouvraiio  i\v   la  nuit  et  coud)laient  la 


l'RISE  DU  FORT  SAINT-DAVID  PAU  LALLY. 


387 


te  tl'ÔS 
[t»';  dos 
Mit  un 
IsaiiMit 
l(M\t  la 


traiicliro.  >'  Dixna  le  journal  du  siè,u<5  nous  i'elov<Mis  (|U(*1- 
<|ucs  détails  curioux  :  «  La  nourritui'o  <los  troupes  ne  con- 
sistait ((ue  dans  du  l)isci:it  sans  léiiunies,  avec  une  [lortiou 
nulleiuent  attrayante  d'un  animal  appelé  ein'eii  marron; 
ee  mets  révoltait  les  soldats;  ils  regrettaient  encore  le 
pain  d'Kurope  et  le  Itiscuit  dos  vaisseauv.  Ati'aiWlis,  ton 
tinuellement  de  service,  on  no  pouvait  exi.U'or  d'eux  pen- 
dant la  nuit  (ju'uii  travail  jnédioci-e;  ils  étaient  dans  l'im- 
possibilité ih\  rien  faire  pendant  le  jour,  l^es  coups  «U^ 
soleil  produisaient  le  jnéme  ell'et  (jue  ceux  du  (.•uion;ils 
tuaient  aussi  sultitemcMit.  (lot  étrani:,e  ficnn;  de  mort  a 
souvent  eidevé  plusieurs  soldats  dans  la  même  tr'ancliée; 
ceux  <(ui,  frappés  à  moitié,  ne  succombaient  pas  entière- 
ment, étaient  fuiieux  ou  sans  connaissance.  » 

Conformément  aux  instructions  de  la  cour,  la  dénndi- 
tion  du  fort  Saint-David  fut  décidée;  ])endant  (pu*  l'ar- 
mée était  employée  à  ce  travail,  le  j^énéral,  de  retour 
à  Pondichéry,  [)roposa  (I)  de  faire  le  sièu-e  de  Madras. 
De  l'aven  des  bistoriens  aniilais.  l'entreprise  eut  eu  de 
iirandes  cbances  de  ;, accès  ['î],  la  place  étant  en  mauvais 
état  et  la  .narnison  faible.  MalbeurinisenuMit,  tout  le  con- 
seil s'y  opposa  en  prétendant  (jue  l'expéib'tion  était  im- 
praticable. Par  contre,  il  fut  résolu  de  mener  l'armée 
contre  le  prince  de  Tanjore  k  pour  lui  faire  payer  un  bil- 
let de  55lakbs  (3)  (ju'il  devait  à  la  Compagnie  »  <>t  pour 
faire  vivre  l'arnuM;  aux  dépcMis  d(>  ce  potentat.  On  partit 
de  Pondicbéry  voi-s  la  mi- juin. 

Itès  son  arrivée  aux  Indes,  l.,ally  avait  onti'otenu  les 
rapjjorts  les  plus  aigres  avec  le  i^onverneuruéiiéral  Leyrit 
et  ses  fonctionnaires,  (pi'il  accusait  de  n'av<tir  rien  pré- 


(1}  Mdinnire  sur  le  choix  d'un  commandant  dans  l'Inde.  Arcldves  de  la 
Giierre,  vol.  ;{.5it. 

'2)  LeUro  du  gouverneur  l'igott,  mentionné  par  le  mémoire.  Voir  aussi 
Cambridge.  Tlic  war  in  India,  p.  13G.  Londres,  17(51. 

(3)  Le  iakii  valait  à  citle  époque  environ  :{l?.()00  livres. 


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388 


LA  GUEURE  UE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VII. 


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pair  pour  los  opérations  iiiilifairos  (lf^|)uis  le  (Irharquc- 
iiicnt  <l('  Soupire,  et  (!«'  né^Huor  los  besoins  do  sos  trou- 
pes. F.<e  1.')  niai,  huit  Jours  après  leur  première  rencon- 
tre, il  rej)i"oclie  à  Leyrit  (I)  son  «  indillerence  létliarijicjuo 
pour  le  sucrés  de  cette  e.xpédition  »,  et  la  perte  des  liuit 
mois  liasses  à  «  disjiuter  de  ses  prérofiatives  avec  M.  do 
Soupire;...  il   lui  ahamlonnera  toutes  les  siennes  et  lui 
oll'ro  son  amitié  pourvu  ({u'il  lui  donuo  sa  couliauce  et  cpril 
concoure   au   hien  du  service.  »  Ainsi  amorcé,  le  com- 
merce épistolaire  continue,  mélaufio  de  vivacités,  de  ré- 
primandes, (piehpielois   de    plaisanteries;  il   indicpie   un 
liouime  (pii  désire  vivre  eu  honiie  intolli,i;'ouce  avec  son 
coi'respondanf ,    mais   dont    l'impatience  se    traduit   par 
i<  des  propos  <[ui  dépassent  los  liornos  de  la  déceuco.  » 
Pondant  le  sièg-e  de  Saint-David,  furieux  (pi'oii  le  laisse 
mancpuM-  de  munitions,  Lally  «  nuniace  de  sévir  avo<'  la 
|)lus  grande  riiiueur  et  déclare  qu'il  houlevei'sera  la  (îom- 
patinio  avant  de  sortir  de  l'Inde  ou  «prolh'  n'emploiera 
(|ue  d'honnêtes  gens.  »  il  n'en  fallait  pas  plus  pour  faire 
de  Leyrit,  caraclère    froid,   sournois,    huroaucrate   <lans 
l'i^me,  un   ennemi    irrécom'iiiahlo.  Il  en  sera  bientôt  do 
nuMue  de  Hussy,  dont  le  coucours  eût  été  dos  plus  utiles. 
grAce  à  l'habileté  (pi'il  avait  déployée  dans  los  e.vpédi- 
tions  contre   et   surtout  dans  les   uégociations  avec   les 
princes  indigènes. 

(i'est  ainsi  (|ue  le  commissaii'o  généi-al.  peu  au  courant 
des  afi'airo  intéi-ioures  et  bien  déterminé  à  nécoulor 
d'autres  avir  quo  los  siens,  au  moment  do  son  départ 
pour  h'  Tanjore.  écrivit  à  Hussy,  alors  dans  le  IJocan,  de 
venir  le  rojoin<lr(>  avec  ce  qu'il  avait  de  troupes.  Dans 
cette  lettre  (2),  il  e.\posc  son  programme  :  «  Ko  Uoi  et  la 
(lompag'uio  m'ont  envoyé  dans  l'Inde  pour  en  chasser  los 

(1)  Le  mémoire  ci-dessus  cilé  contient  des  extraits  dos  lettres  de  Lally 
à  Leyrit. 

(2)  Lally  h  Biissy.  rondichéry,  Ul  juin  1758.  Archives  de  la  Guerre.  Indes 
Orientales,  vol.  35il. 


LEITUK  DK  LALLV  A  HLSSY. 


381) 


Aiifi'lais,  ot  c'osf  l'ivoc  les  Aii,i:Iai.s  (|uo  nous  avons  la 
guoi'i'c.  Tout  autre  intérêt  m'est  éti-anfier;  il  ni'inipoife 
peu  (|u'un  cadet  dispute  le  Decan  ù  S(tn  aine  on  ((ue  tel  el 
tel  raja  se  disputent  telle  ou  telle  iuil)al)ie.  Uuand  J'aurai 
externiiiu''  les  Anfilais  de  toute  cett**  cAte,  Je  s(>rai  en  état 
<lc  faire,  et  sans  sortir  de  mon  <  al)in<'t,  et  à  peu  de  Irais, 


(les  o 


pérati 


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ions  l)oaucoup  plus  sures  cjue  celles  (pu  o 


ni 


(•oùt('' Jus(|u'ici  tant  de  sujets  an  Uoi  et  tant  de  rou|)ies  à 
la  C-ompa.tiiiie.  »  Suit  un  ('doiic  (l(>s  services  rendus  par 
liussy  et  un  appel  à  son  |)atriotisme  et  à  son  aide  p(»ur 
les  ojitrepi'ises  proJet(''es  :  «  l^es  Anglais  se  sont  concen- 
trés à  Madras,  c'est  là  (ju'il  l'aut  les  atta((nei'  a\('c  toutes 
les  l'orces  l'ran(;aises  réunies;  le  ])eu  dariicnt,  le  |mmi 
(riiommes  et  le  peu  de  ci'édit  J'el)uteraient  peut-être  un 
autre  (pie  moi;  mais  puis(pie  Je  suis  venu  (1(^  si  loin.  Je  ne 
l'eculerai  certainement  j)as,  et  Je  m'y   prépare   d;uis    la 


('( 


)]dlan 


ce  que   je  ^rouNcrai  en   \<»us  des  ressijuices  ( 


loiit 


vou:î  savez  (pie  l.i  (lompa,:;nie  ici  est  Icttalement  dénuée, 
c'est-à-dire  liom  nés,  clievaux  et  ar.iiciit.  »  Madras  pris,  il 
se  port(M'a  sur  1(  (ian.uc  soit  [>ar  terre,  soit  par  mer.  "  ("/est 
là  où  vos  lumières  me  sont  absolument  nécessaires,  c'est 
là  où  vous  parta,j;(M'ez  avec  moi  les  uloires  de  la  réussite, 

elle  intluerait  ])eiit-étre  sur  la,  Irampiillité  du  Decan 

Il  ne  me  convient  ])as  de  \(>ns  rien  presci'ire  sur  une  poli- 
ti(pie  (pie  vous  |)ossé(lrz  si  s(tuverainemenl  cl  Je  nw  i»orne 
seulement  à  V(jus  retracer  toute  la  mienne  dans  ces  Irois 
mots;  ils  sont  sacramentaux  :  |)lus  d'Aniilais  d.ins  la  pé- 
ninsule. >> 

Kn  parlant  ainsi,  I^illy,  il  l'aul  le  reconnaîti-e,  ne  faisait 
(pi'ohéir  aux  instruclions  de  la  coui' et  de  la  (',ompa,i:nie. 
hostiles  toutes  les  deux  au  système  d'expansion  dont 
Hussy  s'était  montré  le  pnrtisan  convaincu  et  revéciitenr 
heureux.  Tout  an  plus  [)oiivons-nous  reprocher  au  i;éné- 
ral  de  ne  s'être  |)as  inspiré,  pour  l'a|)plicution  i\\\  |>ro- 
itrainme,  de  la  situation  locale.  Dans  l'espèce,  le  moment 


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LA  C.I'ERHK  DK  SI'.I'T  ANS.  —  CHAI».  VII. 


(lu  ra|>)K'l  (le  Hiissy  rfiiit  (U's  plus  inni  «'iioisis.  (Ici  oHi- 
cici'.  «|ii'  sci'vait  (l('|>iiis  plus  de  \ii\ii\  îiiis  ;ui\  Indes,  s'r- 
l.'iil  liiillr  lin  rôl<'  tout  à  l'iiit  s|M'>(-i.'il  <i<ins  les  iiltairos 
imli.m'iics.  Il  venait  de  l'élahlii'  (1),  auprès  du  vico-roi 
<lu  hecan,  Salahel-Sini:.  rinfluence  IVaiicaise  un  instant 
conipruinise  à  la  suite  d'intri.mies  de  palais  aiix(|iielles  les 
.\n,i:iais  n'avaient  |)as  été  étrangers.  Salahel  avait,  il  est 
vrai,  conservé  s(»n  titre  de  soiihal),  mais  il  avait  été  dé- 
pouillé de  tout  pouvoir  ellectit'.  au  ju'olit  de  ses  frères 
Nizaïu-Ali  et  Hassalet-Sinu-.  Russy  accourut  au  secours  du 
souverain,  étroitement  sui'veillé  danssttn  palais  dWurun- 
,i:al>ad,  l'orca  i\'izam-Ali  à  |)ren(li'e  la  l'uite.  lia.una  la  fa- 
veur de  liassalot  et  redevint,  ce  (pi'ii  avait  été  jjendant 
plusieurs  aimées,  le  maître  virtuel  i\n  Decaii.  Il  était 
en  route  pour  lly(leral)a(l  avec  Salaltet  ipiand  il  reçut 
de  Lally  invitation  de  le  rejoi:idre  avec  le  tiros  de  ses 
troupes,  de  ne  laisser  dans  la  province  ([lie  1(^  nombre 
iii(lispensal)lo  de  soldats  pour  y  maintenir  l'ordre,  et  iVvn 
lUMiiettre  le  coiniuandement  au  marcpiis  de  CiOntlans, 
jeune  officier  fraîchement  d(''l»ai'((ué  (rKuro[)e,  (pii  avait 
été  expédié  à  sa  reiicoiiti'e. 

liussy  s'inclina  de  l>oiiiie  ,uri\ce  ci),  tout  en  faisant  valoir 
le  daiiiU'er  d'ahaudonner  Salabet  et  lo  Decan  :  «  CiOmme 
je  n'iiiiiore  point  la  détresse  où  l'on  vous  laisse  à  Pondi- 
cliéry  pour  l'arj^eut,  je  m'exécute  pour  vous  aider.  Si  ma 
fortune  (pie  l'envie  au.îiinente  si  considéraMement  et  avec 
des  circonstances  (fui  nroiitraiient,  si  cette  fortune,  dis-je. 
était  ici,  je  la  sacrifierais  du  meilleur  de  mon  coMir,  mais 

elle  est  en  France  ou  en  chemin.  N'importe je  vends, 

j'en,ua,t;e.  je  i)rio,  je  menace;  enfin  je  vous  envoie  ci-joint 
uiw  lettre  de  channc  de  cent  mille  roupies,  et  je  vous  en 

(1)  Mallesson.  Tlic  Frencli  in  India,  1807.  Traduit  en  français  par  M™'  Le 
Page,  1874. 

(2)  Bussy  à  Lally.  l.">  jnillcl  1758.  Aiciiives  de  la  Guerre.  Indes  Orienlale.s, 
vol.  3541. 


± 


IJUSSV  RAPPKLK  DU  DKCAN. 


391 


|M»i'(<M'.ii  pnit-rfi'c  (Micdfc  deux  cnil  inillc,  iiwiis  sùi-cMiiciit 
(■(Mil  ('iii(|ii<iiil(>  inillc.  Je  me  vciidi'iiis  nioi-iiHMiic  si  je 
|M>inais  ti-niivcr  (|ii(>l({ii(M-|i()S(>  de  lion  siii- (-cttc  niiii'ch.-in- 
(lisc.  Voilii,  nioiisiciii'.  ce  (|ii('  je  |Miis  l'aii'c  pour  le  um- 
MKMit.  Mil  \i(>,  ni!)  l'oi'fiiiic  son!  an  |{(>y.  »  Cii  ("•drc  de 
l'appel  idi>iiti(pio  fut  traiisinis  à  Moranciii  (|iii  «'tait  a  Masiili- 
pataii)  avec  (pichpK^s  Fraii(;ais  cl  d(>s  auxiliaires  iiidip'iies. 

L'exp(''(lili(ni  du  Tanjorc»  ne  donna  pas  de  n'«snllals; 
l'aniK-e  mil  plus  d'un  mois  à  arriici-  devant  la  capilale 
du  |»ays.  On  mVocia  à  rellel  d'oMeiiir  le  l'emhourse- 
iiieiil  des  sommes  dues  à  la  (l(MiH)a,i:nie  ;  Lally  se  sérail 
contente''  d'un  acompte,  mais  les  pourparlers  rureiil  l'om- 
pus  par  renti'(''e  en  sc(''ne  diin  corps  de  Maliraltes,  fort 
sup(''rieur  en  nombre  aux  troupes  l'ram.'aises,  (pii  JneiihM 
rni'ent  l>lo([ii<''es  dans  le.ir  camp.  (Cependant  les  op(''ra- 
lioiis  aAaienI  cominenc(''  et  une  hn'clie  avait  ('>t(''  prati- 
(|uée.  mais  sur  l'avis  du  p(''ril  ((ne  le  (h'part  prochain 
de  Tescadro  fraïK'aise  allait  l'aire  coui'ir  à  l*ondicli(''ry  et 
surtout  par  (h'faut  de  vivres  et  de  pi>udres.  I.ally  lut 
oldiiié  de  le\ cr  le  si(\ii(\  laissant  derri(''re  lui  î)  pi(''ces  de 
canon  tante  de  moyens  de  transport. 

\n  cours  de  rinvestisseinent  de  Tanjore,  l'irascilde  ijé- 
U(''ral  avait  indisj)os(''  ses  ot'ticiers  par  son  inampie  de  iih'-- 
tliode  et  [)ar  le  peu  de  mesure  (pi'il  apportait  dans  ses 
rapj)orts  (\)  avec  ses  sul)or(lonn(''s.  l'n  Jour,  il  lait  ai-n'-ter 
le  chef  du  .«éuie  par  une  escouade  de  soldats;  dans  une 
autre  circonstance,  à  la  suite  d'une  sortie  où  lesMahrattes 
avaient  enlev(''  deux  (''l(''phants  à  cùiv  de  sa  tente.  «  il  mit 
tous  les  ofticiers  d'artillerie  aux  arrêts,  chacun  à  une  pit'ce 
de  campagne,  pour  vous  a|)preiidre.  dit-il.  à  ne  jamais 
ahîindoiiner  nos  pièces.  »  *<  Quand  on  (h'cida  la  retraite, 
('crit  de  Theil.  il  y  avait  trois  jours  ({ue  je  ne  inauficais 


(l)  A.  Bnauinont  de  Tiieil  à  son  frère.  Pondichéry,  20  fioùl  1758.  Raron  de 
Tlieil,  Une  famille  militaire  au  di.r-liuilicme  xii-cle.  Paris,  tS'JG. 


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LA  r.MERRK  DE  SKI'T  AXS.        CIIAP.  VII. 


<|m'iiii  pni  (le  hisciiit  tn>iii|)<'>  (l.iiis  de  r(iri'a(|ii<'  (|ui  est 
lliK*  rs|)<'>r(>  (l(>  l)()iss()ii;  l(>  soldiit  lir  liiiiiipriiit  (juc  le  cd'Ul' 

«les  <-(>c()ti(M's,  il  n'aviiit  ni  ri;^.  ni  pain,  ni  viando L<>s 

soldats  sont  |)i('ds  nus  et  point  haliillrs.  on  dit  pour  l'iiison 
(|n'il  fait  tropc  iiand  «  Kn  irsnnir,  r<>\|)('>dition  <!<>  Tanjoi'r, 
mal  conduite,  conta  aux  Français  près  de  .'lOO  hommes  (I  ) 
(^t  lit  perdre  à  I.ally  le  prestifio  (|ue  ses  premiers  succès 
lui  avaient  valu. 

A  Pondichéi'v ,  l'année  retrouva  l'escailre.  Aju-ès  avoir 
participé  an,\  opérations  contre  le  fort  Saint-David  et  em- 
pêché l'amiral  l'ocock  de  secourir  la  |)la('e,  d'Aché  avait 
(jesceiulu  la  côle  juscpi'à  Néiiapatam,  ci'oisé  dans  les  pa- 
rafes de  (leylan,  puis  sur  les  instances  i\u  Conseil  supé- 
l'ieur.  il  était  revenu  à  INnidichéry  où  il  mom'lla  le  17  juil- 
let. ni\  jours  plus  lard,  on  vit  paraître  à  Thori/^on  la  (lotte 
anglaise  (|ui  avait  ré])aré  lesdommaii'es  du  comhat  de  (ion- 
delonr.  Le  lendemain,  d'.\ché  appareilla  avec  ses  8  vais- 
seaux; l'amiral  l'ocock  n'en  avait  i\{W  7,  mais  son  ai'lille- 
rie,  (|ni  com]>tait  hon  nond)re  de  piéc<>s  du  calihre  <|e 
li'2  livres,  était  supérieure,  et  ses  écpiipa.ues  (pii  appar- 
tenaient tous  à  la  mai'ine  royale,  étai<Mit  plus  homofiènes. 
Le  :}  août.  d'Aché  [■■>)  atta<pui  l'ennemi  au  larye  de  Porto- 
Novo.  INMidanl  l'allaire.  à  hord  du  Coiùlo  iU'  Provence  et 
du  vaiss(>au  amiral  le  Zodiaque  éclatèi-ent  des  incendies 
([u'on  eut  Iteaucoup  de  mal  à  éteindre.  Les  navires  de  la 
(lomi)a,i;nie.  le  Condé  et  le  Morns,  à  la  suite  d«>  i;rav<'S 
avaries,  durent  (piitter  la  liiiiie  de  condtat.  L<^  Zodiaque, 
à  peine  remis  de  l'alerte  du  feu,  eut  son  pouvcrnail  brisé, 


(I)  Lally  ne  parla  que  d'uni!  perle  de  100  hommes.  De  Tlieil  l'évalue  i\  500 
en  Uips,  l)les8é.s  et  déserteurs;  ([uelques-uns  de  ces  derniers  allèrent  renfor- 
cer la  garnison  de  Madras. 

(21  D'Aché.  Ilapport  sur  la  Cc  npafçne  de  l".')».  30  oclohie  1758.  Archives 
de  la  Guerre.  Indes  Orientales,  vol.  3541.  Voir  aussi  W.  Clowes,  Koynt 
Nnvi),  vol.  III.  Clowes  donne  ^O'i  canons  à  l'ocock  et  4!i(>  à  d'Aché;  celui-ci, 
d'après  son  ra|iporl,  n'en  aurait  eu  (|ue  436. 


COMHAT  NAVAL  DK  FORTO-NOVO. 


:j9:» 


nhonlîi  le  Dur  d' Grimas  o\  l'osta.  (|U('l(Hi('  t(Mii])S  en  hulfc 
jni\  coups  (le  l'Aiiulîtis  siiiis  puinoii'  y  rrnoiidrc.  n'Achr 
al>aM(lt)[iii<i  lii  partir,  assrx  iiioIltMiiciit  poiii'snivi  par  l*o- 
••ock  cl  alla  se  rcparcr  à  INmdiclicrx .  Mans  cet.  (Mifia.uciiicnf 
(pii  dura  deux  lnMires  et  demie,  les  Kraiicais  acciisèrenf 
WH  tués  et  Messes  dont  lî)V  à  hord  t\\\  Zodiai/tw.  l-es 
Anfilais  n'eui'cnt  (|ue  VM  lioinnies  mis  lioi's  {\i\  r(»ml)al. 
Les  deux  amiraux  furent  Idessés.  (lonlormément  aux  mé- 


th 


odes  a 


loi-s 


en  usa 


i;e  d 


ans  cliacune  des  mannes,  le 


l'eu 


dc:- 


Aniilais  était  diri.yésur  le  [)()nt  et  la  co<jue,  tainlis  <|ueJes 
français  visaient  surt<»ut  à  dénnUer  l'adversaire;;  aussi 
dans  pres(pie  toutes  les  rencontres  sui' mer-  de  répo([ue. 
voyons-nous  les  pertes  d«>  ces  dei'niers  dépasser  de  Ix-au- 
coup  celles  des  premi<M'S. 

Aussit(M  l'escadre  revenu*'  à  l'ondicliéry  où  les  Anglais 
ne  vinrent  j)as  l'incpiiétei',  les  dénudés  déjà  latents  entre 
le  commandant  des  troupes  et  le  chef  d'escadre  repi'irenf 
de  |)lus  helle.  l)"A(dié  donnait,  il  faut  l'aNouer,  d'assez 
itonnes  raisons  ]>i>ur  ramener  son  escadre  à  llle  de  France. 
i<  l.a  |)lus  urande  pai'tie  de  mes  mattdots,  écrivait-il  au 
Conseil  supéi'ieur  de  la  (lompaiiiiie  (  Ij,  sont  tués,  Idessés 
ou  atta((ués  du  scorliut  et  flux  de  sani;',  sans  mat(dots  on 
ne  peut  manoînvrei'  ni  se  hattre;  toutes  mes  niîUures  sont 
totalement  endommagées  [)ar  leshoulets  (|ui  les  perc(>nt. 
toutes  mes  mameuvres  épissées  et  dans  un  triste  état  ;  plu- 
sieurs (le  mes  vaisseaux,  dont  le  u'ouvernail  est  offensé  et 

d'autres  (pii  font  beaucoup  d'eau mon  parti  est  pris 

d'aller  à  l'Ile  de  France  radoul>ei>  mes  vaisseaux  et  me 
mettre  en  état  d'attendre  les  secours  d'Kurope.  i  Lally  cl 
le  (lonsoil,  avec  le(ju(d  il  était  cette  fois  d'accoi'd,  récda- 
niaient  (2),  au  contraire,  le  maintien  de  l'escadre  sur  les 


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(1)  DAché  au  Conseil  siii>ériciir,   IS  aoùl    17r>8.  Archives  de  la  Marine. 
Indes  Orientales,  vol.  LX.V.VI. 

(2)  Lally  au  Conseil  supérieur,  31   août  17.">S.  Avis  adopté  par  le  Conseil. 
Archives  de  la  Marine.  Indes  Oiienlaies,  vol.  LX.X.XI. 


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l.\  (lUKUllK  l>K  SKI'T  ANS.  —  CIIAl».  VII. 


cùfcs  (le  rindc.  Sîiiis  rllr.  IStiMlicliri'y  sfniit  oxposr  aux 
iiisiihcs  (l<'s  .\ii,til.'iis;  avrc  clic,  il  se  l'aisnil  l'orl  iW  s'oiii- 
|)iir(>i' <lc  Miitlfiis.  Pour  lui  pcniicltrc  un  Iroisicuu' couiluit 
(|ui  l'orcci'ail  l'ucurk  à  s'cloiu'iicr,  il  oitVail  LTiOd  liuuiuics, 
cin|>i'. Mites  à  1  armée  «le  tern*.  I.e  -2  se|itcinl)i'c.  nouvelle 
insislance  pour  eouserver  la  flotte  Jus  ;u'au  lô  (Mf<»l»re; 
ui>uveau  relus  de  (IWclié.  après  consultation  de  ses  capi- 
I  liucs.  Les  cvéïu'inents  prouvèrent  «pu*,  dans  la  eircous- 
tauc«\  Lally  a\ail  eu  le  sens  de  la  situation. 

h'.Xclic  mil  à  la  voile  le  \\  septend)r<>   cl   parvint  sans 
cucouilu'e,  le  CJ  oetolu'c.  à  l'Ile  de  Ki'ancc,  où  il  trouva  le 
rcnlort  (pii  lui  avait  été  annoncé  et  entre  autres  une  l'ré- 
iiate  (pi'il  expédia  à  j'ondicliéry   avec  1   million  de  livres 
en  numéraii-e.  Ile  l'Ile  de  Trauce,  d'Aclié  lit  un  i"ap|>ort  il) 
où  il  se  plaignit  tics  "  pro|>os  in<lé<'ents  et  des  eniporte- 
uieiits  du  cdunnissaire  tîénéi'al  »  ;  ce  derni«'r  ne  lui  a  pas 
l'ait  rendre  les  honneurs,  n'a  pas  l'ait  mctti'c  de  sentinelle  à 
sa  porte  ;  c'était  une  faute  d'avoir  ^  tant  de  pouvoirs  réu- 
uis  dans  un  seul  liomme.  despote,  passionné  et  viol«>nt.  » 
.V  eu  croire  le  clici'd'esc'adre.  ses  blessés  auraient  été  k  lais- 
sés sans  secours  siu'  le  Word  de  la  m<'r;  <pnd«pu's-uns  sont 
inoi'ts,  faute  d'assistauce.  LeyofUciers  l)l«'ssés  ont   niancpu'^ 
de  palan(piins  pour  les  porter  à  la  ville...  M.  d<'  Lally,  dé- 
festaid  la  marine,  la  croyant  inutile  ou  du  moins  désirant 
(pi 'elle  le  fût.  n'a  cessé  de  uie  croiser  dans  nu's  opéra- 
tions et  d(^  me  contrarier.   »  l)'.\c!ié  accuse  Lally  d'avoir 
<'ssayé  ((  de  le  retenir  à  la  cote  et  de  la  (l'escadre)  faire 
ris<puM"  d'y  suecoiulxM' sous  les  forces  des  ennemis  ou  d"y 
périr....  Il  assend)le  un  conseil,  il  Uicuace,  il  tonne,  il  dit 
(|u'il  <'st  le  maître,  «pi'il  empêchera  les  capitaines  <le  m'o- 
héir.  Je  les  assemhle,  je  leur  fais  voir  l'autorité  dont  Je 
suis  rî'vétu  dans  uics  instrurtioni>.  dette  démarche,  humi- 


ll)  D'Achéà  Mi>ras.  Ile  dn  Frant^n.  30  octobre,   0  novembre  1758.  Archives 
(le  la  Guerre.  Indes  Orientales,  vol.  35il. 


se  aux 
s'oiii- 
'(>iiil>at 
milles, 
nivelle 
•(f»l)!'e; 
•8  capi- 
•ircons- 

iit  s;iiis 
■oiiva  l<» 
me  f'ré- 
0  livres 

iiiporte- 
iii  il  piis 
tiiielle  il 
)irs  l'éii- 
ioleiit.  » 
té  »  liiis- 

IIIIS   SDIlt 

iMiiiupié 
lly,  (ié- 
ésiriuit 
(tpéi'ii- 
<riiv(»ii' 
(M  la  ire 

s  ou  (1  y 

,  il  (lit 

(le  iii'o- 

(loiit  je 

,  huiui- 

r>8.  Archives 


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DKPAKT  DK  L'KSCADHK  IIË  I)  ACIIK  POUIt  LII.E  DK  l'IlANl  K      3'.)5 

liiiiile  il  lit  vérité  pitiir  moi.  les  rassure  coiilre  riinineiise 
puinoii-  el  le  eréilit  éiioniie  ([lie  s'iiltriliiiiiit  le  (-(itiKiiis- 
saire  (In  Itoy,  eoiiiiiiaïKlaiit  iiii\  Indes.  «  Déeidéiiieiil,  L;i!ly 
ii<'  liiisiiil  rien  p(nir  vivre  en  hoiiiie  iiilelli.i:<>iM'e  fivec  ses 
eollétiiies  on  fiiiniier  leur  conlianee.  (î'est  avec  riiis(»n  (piini 
oriicier  (lueorps  expéditioiiiiiiire  disiiit  de  lui  (1)  :  "  Notre 
.nénérjil  est  plein  d'activité.  niiiisjiis(|iri"i  présent  il  ne  s'est 
pi!S  lissez  attiîclié  i"i  ^imner  les  c(eurs.  •> 

L'iiccord  entre  le  lirnncriienr  et  le  c<tininissiiire  du  Koi 
il  propos  de  lii  rétention  de  l'esciidre,  ne  s'étendit  piis 
iiu\  opéi-iitioiis  militaires.  (irtU-(>  à  une  iiépx-iiition  liiiln'le 
on  avait  pris  possession  d'Arcot ;  S(»iipire.  pendiiiit  l'iili- 
seiice  de  l'année,  iiviiit  enlevé  ipielipies  postes.  I.iilly  voii- 
lilit  pojisser  ces  iiviintiiii'es  et  tenter  le  siéuc  de  Miidi'iis, 
tiindis  <pie  Leyrit  étiiit  piirlisan  d'une  eqtéditioii  contre 
Tricliinopoli.  diiiis  le  Sud.  Le  conseil  se  prononça  pour 
renfre|)rise  de  Madi'iis;  il  y  l'nt  déterminé  piir  l'ivposé 
des  emliiirras  tiiiiniciers  on  se  ti'ouvait  lii  c(donie.  Ikms 
d'étiit  de  payer  la  sctide  des  troupes  «>t  même  de  les  fiiire 
sulisister.  <>  Il  Viiliiit  mieux,  s'étiiit  écrié  (2)  le  commissiiin^ 
(In  l{oi.  i)érir  en  détruisant  rennemi  <pi"expirer  de  Ite- 
soin.  .. 

Peu  de  temjis  iiprès  cette  décision,  l'armée  destinée  i'i 
ii.tïir  contre  Miidriis  fut  concentrée  iï  Conjevei'iim;  elle  se 
composait  de  îJ.itiO  Kuropéeus,  environ  V.(M)0  indii;éi>.'S 
et  d'un  parc.  d(  20  canons  de  siè.^o  et  10  mortiers;  elle 
sr  .nit  eu  marche  le  29  novembre.  Dèii  le  délnit  de  la  ciim- 
piiiiiie,  on  fit  lii  l'iiute  de  ne  pjis  s'assui'er  de  lii  \'\\lr.  de 
('-liinf^el[)ut  ;  Lîilly.  i"i  lii  suite  (rniie  visite  des  lieux,  renoncii 
il  une  îittiKjne  (pii  eût  nécessité  l'ouverture  de  triincliées 
et,  partiint,  une  pertes  de  temps.  Il  laissii  iiinsi  jiux  Aiiiilîiis 

(t)  I.eUii!  d'un  oflicier,  :>  seplenibn;  1758.  Archives  de  la  Guerre.  Indes 
Orientales,  vol.  3541. 

('.?)  Mémoire  sur  le  choix  d'un  commandant.  Archives  de  la  Guorre.  Indes 
Oricnlalcn,  vol.  .'J541. 


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LA  gi;kiuU':  dk  skpt  ans.  —  ciiap.  vu. 


lit.  f.iriliff  (Ir  l'oiifnlTci'  ce  |K)str  <'l  dr  sVmi  sci'vir  |)!»lll' 
liarcclcr  sos  Iroupos  ])OTi(laiil  Ir  siôiic  cl  .yriicr  Iciii'  ravi- 
lailIciiKMit.  I.c  t'i  (l('M-('inl»r<>,  les  rlicfs  IVaiirais  puront  it- 
coiniaiirc  la.  |>lar(>  de  Madras.  Landivisiau  (1),  qui  coin- 
inaiidail  la  hriiiadr  d<v;  lr<»ii|)cs  dos  Indes,  «mi  l'ait  la 
(lcs('ri|)li«»ii  siiivaiil<*  :  <<  Madras  est  coiiijKtsrc  de  doii.v  villes. 
\o  lort  '".aint-dcorti'c^,  aiilrcmonl  dit  la  vilN'  hIanclH*,  n'est 
haliilée  (|iM'  par  des  Imii'ojx'mmis;  c'est  celle-là  (|iii  esl  l'orti  • 
liée.  L'autre,  iioininée  la  ville  ii(»ii'e,  est  (ruiie  étciidtu^  iiu- 
ineiise,  luiltitée  par  j»liis  de  ôO.OOO  Indiens,  sans  l'oi'tilica- 
tion  ci  séparée  i\i\  la  vilh*  Manche  par  un  es|tace  d'environ 
MW  à  VOO  luises  aiil(»ur  de  la(jn(dle  elle  l'oi'ine  un  denii- 
(•ercle  doni  les  <lenx  exlréniités  ioiiclient  à  la.  niei'.  » 

Le  ccdonel  Laurence  élail  cantonné  av(>c  le  yros  des  for- 
(  es  anglaises  à.  San-Tonn''  (Saint-Tiioinas  Monnl  ,  où  élaienl 
situés  le  palais  du  ,U(Miv<M'ncur  cl  les  villas  des  l'onclion- 
naires  ef  employés;  à  ra|»proclie  des  léles  de  colonnes  de 
Lidl\  .  il  se  retira  dans  le  l'ai-l  Saint-deorycs.  Deu.v  .liiuis 
après,  le  \ï  (lécend>re,  les  |<'ran(;ais  entrèrent  sans  coup 
l"érir<lans  la  \ille  noir<'  et  |)énéli'èrent  pres(|ue  sans  résis- 
tance jnscpi'à  failde  distance  de  renceinle.  Mallieureuse- 
nient.  les  soldats  se  Mn  l'èi'cnt  ai;  pillage  et  donnèi'cnt  le 
temps  aux  .\n,i;'lais  de  se  l'cssaisir ;  une  sortie  de  la  narnis(»n 
l'ut  d'al)ord  victorieuse,  et  l>ien  ([wo  délinitivem«>nt  l'cpons- 
sée  avec  une  perte  de  .'100  hommes  hoi'S  de  condiaf,  coula 
pres(|ne  autant  aux  assiéyeauts;  plusieu'"s  (dliciers  de  Lor- 
raine turent  tués  ou  hiessés,  et  parmi  eux  Soultinet,  un 
desmeillenrs  servitenrsde  la  (lompaiinie,  hiessé  mortelle- 
nn-nt,  et  le  colonel  du  ré,i:i;nent.  d'Lstaini:',  le  l'ntur  amiral 
des  jiiierres  de  Louis  \VI,  «pii  l'ut  hlessc  et  l'ait  prisitu- 
nier. 

Maluré   les  premiers  succès,  la  tAch(>  à   la(|nelle  Lally 


(I)  Landivisiaii   au  MiriLshi',  Ponilicliéry,  iVi  aviil    I7.VJ.   Aiciiivcs  de  la 
OiieiTO,  liuit's  Oiiciilalcs. 


II'  pnui' 
ir  ravi- 
•oiil  vv- 
li  roin- 
l'ail  lii 
^  villes . 
n\  u'j'sl 
«si  foi'li 
(liin  iiii- 
ortilifîi- 
(Miviroii 
Il  <loiui- 

dos  l'or- 
i  rtaionl 
"onclion- 
>i!nos  (le 
u.v  j(.urs 
MIS  <on|> 
lis  rvsis- 
•iinMisc- 

KM'Cnl    1*' 

i;jirnis(»ii 
n>|)oiis- 
I,  «'oùtn 
(\o  \a>\- 
invl,  un 
Ktrlcll»'- 
r  amiral 
trisoii- 

!<«  Kally 

livRS  de  la 


SIKOE  DE  MADRAS. 

s'ôtait  aftclô  ôlaif  lurl  rpinciisc.  DcjHiis  la  prise  d*'  la  vilî<* 
par  La.  Itoiirdoiiiiais  pondant  la  i^iiorro  do  Siiccossion  .  los 
forlilicalions  t\o  Madi'as  avaioid  ôtô  aiiiiinoiilôos.  Lo  l'nri 
Sain(-(;o()ri;<>s.  prosipio  (tiivoi-l  vers  la  uiorsui"  laipiollo  il 
s'appiiyaif,  ôlaif  |)i-otô,i;o  du  oolô  ^]o  la  lori'<'  par  u:io  sôrio 
(\o  hastions  avoc  i-avolins,  lusses,  controsoarpos,  ojioinins 
(••;uvorts  ol  f;la('is;  sur  lo  IVoid  1"  |)lus  l'ajjproohô  do  la 
villo  noirn  où  lo  l'ossô  était  à  sor,  los  hasilons  oxtôriouis 
ôtaiont  douldôs  «l'un  mur  intôriour  qui  pormottait  de  |>i'<»- 
l<>nf;;('r  la  dérenso.  lia  t;'ariiisi)ii,  rentoreée  <le|)uis  le  mois 
do  soj)foiiil)ro  i\('  la  moitié  du  réiiimont  d<'  Mraper,  comp- 
tait, avant  la  sortie  de  \ï  déeomJ)rc,  I.HOO  blancs  et  :>.()()() 
ou  U.OOO  cij>ayos;  les  soldats,  stimulés  par  la  promesse 
d'une  ,nratiticatioii  de  .'»(). 000  roupies  vn  cas  d"écliec  dos 
Français,  étaient  prêts  à   l'aire  leur  di'voir;  ù  leur  tète 
étaient  dos  ol'liciers  éneri;i(pios,  Laurence,  Draper,  l'iii.ué- 
nieur  (lall,  admirahlomoiil  secondés  par  le  tiouveriieur  <i- 
vil  l'ipott.  ho  (;liin,i;(*l|uil,  où  ils  s'étaiou!  établis  on  force, 
les  Ai,i;-lais  iiKpiiétaient  les  comniuiiicatioiis,  cou|iaient  l(>s 
vivrosauv  assié.ii-oants  et  interceptaient  parfois  les  convois; 
des  expéditions  fait(>s  ou  viu^  do  les  délmsipior  no  furent 
pas  poussées  à  fond  (ît  ils  conservèrent  leur  |)osto  juscpi'à 
la  k-véc  du  sièj^c.  Lo  ravitaillement  en  [)oudr(>  et  on  mu- 
nitions et  l'évacuatiou  dos  blessés  et  ib's  malades  fin'ont 
assurés,  très  irré,i;ulièr<MiM'nt  il  est  vrai,  par  I;),  V(»io  <lo 
moi".  Kn  oU'ot,  PococU,  dont  b^s  vaisseaux  avaient  bo-'.u- 
cou])  souH'oi't  dans  los  combats  dv  (iondelour  et  de  Porto- 
No  vo  et  n'auraient  pu  rester  sui- la  cAte  sans  daniior  |)en- 
dant  la  mauvaise  saison,  était  allé  se  ré|>aror  à  Uoiniiay; 
la   mer  était  donc  libre  ou  [)liilot,  par  suite  Av   la   |»i'é- 
sence  i.-  diMix  petites  fréi;atos,  au  pouvoir  des  Krancais. 
Tout  alla  bicMi  d'abord;  on  cli(»isil  pour  point  d'attacpie 
le  <iemi-bastion  <pii  termine  le  Iront  do  teire  du  côté  do 
la  mer,  et  on  travailla  vijuourousomout   aux  apjn'ocjies. 
(irAceau  dévouement  du  cor[)s  r(»ynl  (d'artillerie '.  on  [tut, 


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LA  GIJKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VII. 


I(^  ()  jîiiivi'>i'  1759,  ouvririez  feu;  W  11  de  i(;  iî'ois,  los  Jxit- 
tcrios  iii'iiK'cs  (le  IJ2  pièces  iii'ai<Mit  sur  reiieeinte  pendant 
(|ue  les  luoi'tiers  écrasiiieut  la  ville  de  leurs  bombes; 
enfin  le  25,  on  elFectua  un  c  loii'enient  de  20  toises  qui 
aclieva  d^Mubrasser  l'angle  saillant  et  (jui  le  couronna.  » 
l^e  progrès  était  satisfaisant,  mais  le  feu  de  l'assiégé  était 
encore  soutenu  ;  i'  les  défenseurs  (1),  uni(piement  occupés 
du  côté  de  la  véritable  attaque,  rétablissoient  les  «M)d)ra- 
sui'<'set  remplac'oient  les  canons  démontés  avec  une  j)roinp- 
titude  iiK-royable.  I.,e  repos  funeste  dans  lecjuel  les  ncMres 
passoient  toutes  b's  nuits,  leur  rendoit  ces  opérations  fa- 
ciles; dix  ou  douze  lieures  d'obscurité  sembloient  trop 
courtes  pour  réparer  nos  i)ropres  dommages,  et  l'on  avoit 
souvent  pendîint  le  jour  plus  de  tenq)s  ([u'il  n  en  falloit 
pour  consommer  nos  munitions.  Nos  soblats,  accablés  d(? 
service,  travailloient  avec  répugnance;  l'ivresse  couduisoit 
à  l'indiscipline;  le  pillag<'  (ju'ils  avoient  fait  ou  vu  faire 
rendoit  méprisable  l'argent  (pi'on  leur  otfroit  pour  les 
animer.  Plusieui's  nn>is  de  solde  étoi(Mit  <lus;  ce  prétexte 
leur  paroissoit  suflisaiit  [)our  se  plaindi'e  et  j)our  déserter; 
<'ent  cinquîinte  ou  <leux  cents  déserteurs,  refusant  ]'ain- 
nistie  cpi'on  leur  prodiguoit,  étaient  les  plus  zélés  défen- 
seurs d'   Mach'as.  » 

>lalgré  tout,  on  pouvait  espérer  un  bourenx  dénoue- 
ment, ([uand  le  :{()  janvier,  on  vit  au  large  un  navire  <le 
laconq)agnie  anglaise.  Il  réussit  à  forcer  le  blocus,  à  dé- 
bai'cjuer  de  l'argent,  (piebpu's  soldats  et  des  jnunitions; 
il  ap|)ortait  surtout  la  nouvelle  de  la  venue  procbaine 
d'une  escadre  anglaise  avec  des  troupes  l(^  la  métro- 
pole. Kn  dépit  de  cet  incifb'nt  (pii  servit  à  relevei'  b' 
moral  de  la  garnison,  le  sièg'e  se  poursuivait  avec  vigueur  : 
«  l'ne  partie  (b'  la  contrescarpe  (2)  avoit  sauté,  le  bas- 
tion   d'attacpuî   étoit    déti'iiit    <'t    la   bi'èclie   ouverte;;   les 

(t)  .lounial  des  opéialions  déjà  cité. 

(2)  Aléiiioirt!  sur  le  choix  d'mi  coininiiiidaiit,  déjà  cité. 


^S  l)ilt- 

nnhcs; 
SOS  qui 
mua.  » 
;r  ('^tait 
iccupôi 
iMiibra- 
[)i'(»ini)- 
i  nôtres 
i:)ns  fa- 
ut  trop 
)ii  avoit 
1  lalloit 
ihlôs  (le 
iidiiisoit 
vu  faire 
^)()ur  les 

)réte\te 
éscrter; 

t  î'am- 
s  (léfeii- 

éiioue- 
virc  (!«' 
à  dé- 
litions; 
)eliaine 
niétro- 
ever   le 
liueur  : 
le  l»as- 
l'te;  les 


ly 


LEVEE  DU  SIEGE. 


3U9 


Ijonilx's  <|ue  l'on  avoit  jetées  dans  la  ville  y  avoient  mis 
le  feu  pres([ue  tous  les  jours,  eu  sorte  (pu'  tous  les  édillces 
étoient  lu'ùléset  détruits  et  cpie  la  ville  n'étoit  plus  (ju'un 
uioueeau  d(^  ruines.  M.  de  Lally  assembla  les  principaux 
ofliriers  et  j)rit  l'avis  de  ceux  de  l'artilleri*'  p<uu"  savoir  si 
on  donneriiit  l'assaut.  Ils  déelarèrent  (pie  la  hrèelie  étoit 
])rati('al)le,  mais  (pio  les  feux  de  la  jilaci»  (pic  l'on  n'avoit 
pu  éteindre,  en  rendroient  race('s  impossible;  on  s"et!'or(;a 
(rétein(ire  ces  feux;  mais  nos  haitei-ies.  aussit<M  ^léuîontées 
((u'étaldies.  U''  faisoient  aueun  etl'et;  les  es|)éran(es  du 
suecès  s'évancuiissoient  et  le  déeoura.ucnuMit  s'éloit  ré- 
pandu ])!U'mi  les  soldats  et  mènu'  les  officiers,  lors(pie 
()  vaisseaux  vinrent  mouiller  dans  la  ra  le  et  y  déj>îir(piè- 
ront  un  renfort  de  troupes  considérable  et  de  secours  de 
toute  esj)èce.  L'arrivée  de  ces  vaisseaux  fournit  un  pré- 
texte lionnéte  pour  lever  le  sii'^e;  mais  l'impossihilité  du 
succès  étoif  alors  pi'es(pie  démontrée.  «  L'ai-mée  battit  en 
retraite  sans  être  in(piiétée,  emmenant  ses  blessés,  son  ar- 
tillerie de  canipat;ne  et  tout  ce  qu'on  put  atteler  de  son 
parc.  Soupire,  avec  le  i;ros,  s'installa  dans  une  des  pa- 
godes (le  C.onjeverain  ;  Lally,  avec  sou  ivaiment  et  la  cava- 
lerie euroj)éenue,  se  retira  à  Arcot.  Le  siège  de  Madras 
avait  c(u'ité  au  corps  exj)éditionnaire  82  officiels  tués  ou 
blessés  sur  un  total  de  2L");  la  [)erte  des  soldats  européens 
se  monta  à,  11  ou  l.'iOO  morts,  blessés,  j)ris  ou  désertés. 
Surî)  offiders  du  cor[)s  royal  et  17  de  l'artillerie  de:  rFnde, 
les  j.M'emiers  eurent  :j  tués  et  2  bless('s,  les  seconds  I  tue  et 
.'{  blessés.  Les  volontaires  de  l'île  l'ourbon  'aissèrent  de- 
vant Madras  Vî  des  leurs  sur  un  effectif  de  (>0. 

Kn  résumé,  l'entrepi'ise  n'avait  pas  été  bien  menée.  La 
possession  de  (Miingcdput  aurait  facilité  le  ravitaillement 
et  rappi'ovisionnenient  des  battei'ie;-.,  (jui  durent  à  maintes 
reprises  interrom|)re  leur  tir,  faute  de  mmn'Iions;  le  ren- 
dement des  soldats  cmploy(''s  aux  travaux  ne  fut  pas  tel 
(pi'on  pouvait  l'attendre  ;  mais  il  semble  surtout  (pie  la  di- 


•  I 


y 


i 


Ui 


lipfii  nifciirniiii  ^m«iiir"'B 


400 


LA  GUKUUE  DE  Si:PT  ANS. 


CHAP.  VII. 


M 


I  ■' 


ii: 


roction  de  ratt.'ujuo,  ('((iitiéc  au  cliovalicr  d'Urro,  coiu- 
luaiKlniit  (lo  rartillerio,  ait  fourni  niatiôrc  à  critique.  Si 
»»ii  parcourt  le  journal  de  l'iuiiénieur  anglais  ('ail  (1),  on 
est  obligé  de  reconnaître  que  la  construction  des  hattcries 
françaises  fut  imparfaite,  l'orientation  des  embrasures  dé- 
fectueuse, le  tir  inférieur  à  ce  (ju'il  aurait  <lù  être.  Dans  les 
dei'niers  jours  du  siège,  ou  fut  forcé  de  cesser  le  feu  de 
la  hattericî  de  brèche,  établie  sur  le  chemin  couvert,  pour 
reprendre  celui  de  la  grande  batterie  située  en  arrière; 
le  fourneau  de  mine  ((u*<»n  lit  éclater,  près  du  bastion 
attaqué,  ne  produisit  pas  letl'et  voulu,  et,  pai'  contre,  on 
n'empêcha  [)as  le  mineur  ennemi  de  boulevei-ser  les  tra- 
vaux de  sape. 

(Connue  on  doit  le  penser,  étant  données  les  dispositions 
du  personnel  militaire  et  civil,  réchec  que  Lally  venait 
de  subir  devant  Madras  porta  une  nouvelle  atteinte  à  son 
prestig'c;  on  laccusa  d'avoir  compromis  h\  succès  par  son 
ingérence  dans  les  détails  du  service  de  l'artillerie,  par 
l'ordre  prématuré  de  comnienccr  le  tir  des  batteries  (2'l 
avant  que  I«Mir  installation  fut  conq)létée,  ou  leur  approvi- 
sionnement assuré.  Il  ne  lut  pas  atl'ecté  par  ces  allég-ations. 
<(  N'allez  pas  croire.  Monseigneur  (3),  écrivait-il  (piel(|ue 
tem])s  après  à  Helleisle,  que  je  suis  honteux  d'uvcjir  man- 
(pié  Madras;  c'est  l'entreprise  hi  plus  hardie  (£ui  ait  jamais 
été  faite;  j'ai  gagné  (piati  batailles  pendant  ce  siège  et 
j'ai  écrasé  une  ville  qui  ne  s'en  relèvera  de  15  ans.  »  Il  est 
vrai  que,  vers  la  tin  des  opérations,  il  tenait  un  tout  autre 
langag-e,  où  perçait  à  la  fois  son  découragement  et  sou 
dégoût  des  hommes  et  du  pays.  «  Nous  sommes  toujours 
dans  la  même  position,  mandait-il  à  Leyrit  ('i-),  la  brèche 


(1)  Call.  Joiiniiil  (lu  sivijc  du  fort  Snint-Gcoff/Ps.  Cambridge,  p.  155. 

(2)  Conespondaricii  de  Theil  et  de  lUissy. 

(3)  Lally  à   Helleisle.  Pondicliéry,  !<"  aoilt    175'J,  Archives  de  la  Guerre. 
Uide.s  Oriuntale.s. 

(4)  Lally  à  Leyrit,  camp  devant  Madras,  14  février  1759.  Cambridge,  p.  150. 


N 


DKCOURAtiEMENT  DE  LALLY. 


4ni 


|.  155. 

Guerre. 
I.',  l).  150. 


faite  (lepiiii»  «|uin/o  jours,  toujours  à  ({uiuzo  toisos  du  uiur 
(lo  laplaop,  ot  jnuiais  uc  lovant  la  tôt»'  |)our  la  rcf^ardoi'.  Jo 
couipto  (|uVu  arrivant  à  Pondiclirry  nousclioi'cJKU'ons  tous 
à  nppnMidr»'  (iu<'l<|Uo  autre  nirtic!',  car  t-olui  do  la  ,i:u<'rr(' 

oxifTo  trop  (1(1  ]>ati(Mico Vous  u'iuiaj^'iuorez  jamais  (juc 

ce  sout  cin<[uaute  (h'-serteui-s  trau(;ais  et  uuo  ceutaiiK;  de 
Suisses  (|ui  tiennent  eu  arn^'t  deux  mille  liouinies  des  trou- 
pes du  Hoi  et  de  la  Couipai^uie et  vous  serez  encore 

plus  surpris  si  je  V(jus  disais,  ({ue  sans  les  deux  coi.diats 
et  les  (piah'e  batailles  (|ue  nous  avons  essuy(''s  et  sans  les 
deux  l)atteries  qui  ont  (''t(''  iMan({U(''es  ou  faites  de  travers, 
pour  parler  plus  elaireuieiit,  nous  n'aurions  pas  pei'du 
ciucjuaute    hommes  depuis  le  eonnneneem(Mit  du   sièf^e, 

jus(|u'aujour(rhui le  renonce,  connue  je  vous  eu  ai 

d(''jà  pr(''venu  il  y  a  plus  d'un  mois,  à  nie  nuder  directe- 
ment ni  indirectement  de  t(t>it  ce  (pii  peut  avoir  rapport 
à  voti'e  administration,  soit  civile  soit  militair(\  J'irai  |)lu- 
tôt  connn;nider  les  (Satires  de  Madai^ascar  (|ue  do  rester 
dans  cette  Sodome,  (ju'il  n'est  pas  possible  que  le  feu  des 
An,alais  ne  di'truise  tôt  ou  tard  au  (h'd'aut  de  celui  du 
l>iel.  —  P.  S.  .le  suis  obligé'  de  vous  pn'^venir  (|ue  M.  de  Sou- 
pire ayant  refus('' de  prendre  le  commandement  do  cotte 

arnu'Mi  (jue  je  lui  ai  oll'ert ,  il  faudra  (]ue  malien;  vous, 

îivec  le  conseil,  vous  vous  en  cliariiiez.  .le  lu'en.^ii.^e  scîule- 
ment  à  vous  la  ramener  soit  à  Arcatte,  soit  à  Sadrass;  (en- 
voyez-y vos  ordres,  ou  portez-vous  y  vous-nuMne  pour  la 
connnander,  car  je  la  (juitte  en  arrivant.  »  (letto  lettre 
tomba  entr(>  les  mains  des  Anglais,  (]ui  durent  «''tre  (uli- 
ti(''s  sur  le  temp('rament  de  Lally  et  sur  les  aptitudes  (|u'il 
poss(''dait  pour  la  haute  direction. 

Certes  le  moment  ('tait  mal  choisi  pour  abandonn(M' son 
poste  ;  raruK'o  l'îtait  dans  un  ti'iste  ('-tat.  «  La  caisse  est  vide, 
l'crivait  Landivisiau  (1),  toutes  les  ressources  sont  (''puis(3es, 


(1)  Landivisiau  au  ministre,  24  avril  1759,  ûv]\  cil»'. 

(iUEltllE   IIE   SI:PT  ans.    —   T.    III. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VU. 


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les  rcvoims  do  la  (;()mj)ii,:;nio  sont  inaii,ti(''s  (Invaiico.  Il  est 
<lù  (l('|)iiis  six  mois  le  |)i'(M  au  soldat,  les  appoiiitcniciits  à 
rollicicr  cl  la  paie  à  ce  jmmi  (riioiiimcs  <|iii  nous  l'csiont... 
Nous  n'avons  plus  (le  ressource  cpu'  dans  l'an'ivéc  de  l'es- 
cadre, et  encore  (pielle  ressource!  nous  n'avons  point  de 
vivres  pour  nous,  nous  n'en  aurons  point  pour  elle.  » 

Pour  condile  de  niallieurs,  on  venait  d'apprendre  la 
défaite  d<'  (lonllans.  (jui  avait  l'cniplacé  Hussy  à  la  tète 
«les  troupes  du  Decan.  J)«''ci(lénu'nt  le  rapj)el  de  Hussy 
avait  et»'  une  lourde  f'ante.  (let  officier,  roin[)u  aux  j)rocé- 
dés  des  princes  indiens  dont  il  connaissait  le  fort  et  le 
faible,  très  au  courant  de  ce  qu'il  a])pelait  la  nn''tho(le 
asiati([ue,  était  passé  maître  dans  l'art  d'exploiter,  à  l'a- 
vantaji'e  de  la  cause  fi'an»;aise,  les  rivalités  et  les  passions 
du  milieu  oriental.  Sans  «loute,  tout  en  servant  avec  zèle 
et  intelligence  la  (lompatinie  dont  il  était  remployé,  il 
n'avait  pas  ouldié  ses  propres  intérêts;  mais  la  fortune 
({u'il  avait  ainsi  iic(piise,  et  dont  lepul)lic  se  plaisait  à  exa- 
jU'érer  le  chiifre.  n'était  j)as  le  facteur  le  moins  iujportant 
de  l'autorité  qu'il  exerçait  autour  de  lui  et  du  prestiye 
dont  il  jouissait  dans  la  ])lus  t;raiule  partie  de  l'Iiule. 
Transforjner  ce  diphnnate  de  premier  ordre  en  brigadier 
de  l'arnuM»  européenne,  l'enlever  aux  affaires  indigènes 
pour  lui  donner  un  commandenuMit  actif  auquel  son 
passé  l'avait  peu  préparé,  fut  une  erreur  qui  coûta  cher  à 
la  France. 

Aussitôt  le  départ  <le  Hussy  comiu,  l'édifice  si  pénible- 
ment élevé  de  l'intluence  française  dans  le  Decan  s'écroula 
«•ounne  un  chilteau  de  cartes.  Un  rajali  local  se  révolta 
contre  Salabet  Sinti',  s'enqiara.  de  la  pei-sonne  du  résident 
traînais  à  Visagapatam  (1),  bissa  les  couleurs  britanni<pH's 
sur  la  factorerie  et  sollicita  l'appui  des  Anglais.  A  cet  appel, 


(l}Caiiil)ritlgc.   Udr  in  Iiidia  helweenlhv  English  and  tlie  Frencli.  Lon- 
dres,  1701. 


DÉFAITE  DE  CONFLANS. 


iO'd 


■e.  Il  est 

llKMlts  à 

i'stout...  . 
(le  IVs- 
^K)iut  (le 
>.  » 

h  la  i»Mr 
le  Bussy 
IX  procé- 
foi't  ot  le. 
niôiliode 

[or,  à  Ta- 
s  passions 
avec  zèle 
iiployé,  il 
.a  foi'tune 
sait  à  exa- 
iinpoi'tant 
Il  prestige 
,lo  l'Inde, 
hriii'adier 
indigènes 
lupud  son 
ùta  elier  à 

Il  pènil)le- 

i\  s'éeronla 

se  révolta 

u  résident 

[itannicpies 

cet  appel, 

Frencli.  Lon- 


lo  .uouvernour  (lliv(M'èp(»ii(Iit  on  envoyant  de  (ïalcntta  pai' 
la  voie  Ao  nior  lo  colonel  Kordo  avec  500  Kuropéons,  (jncl- 
((iios  artillcni's,  l.iîOO  cipaycs  organisés  cl   nn  parc  de 
siège.  Fordè  déharcpia  le  iO  octobre  1758  à,  Visagapatain, 
s<'  renforça  dn  contingent  iinligéne  dn  rajah  et  marcha 
à  la  rencontvc  do  Contlaiis  dont  le  camp  était  situé  près 
<h' la  rivière  i\o  Uajanmndry  (1).  Los  forces  de  ce  dernier 
étaient  à  j)ou  près  égales  en  Knropéens,  mais  supérieures 
<'u  artillerie  <'t  eu  anxiliaii'es  indiens.  L'action,  livrée  à  Ta- 
laj)olo  le  3  décembre,  débuta  par  une  canonnade  <|ui  jeta 
on  <lésordro  les  trou|)es  <lu  rajah;  les  Anglais  accoururent 
à  leur  aide;  Conflaus  lan(;a  ses  blancs  contre  les  cipayesde 
Korde,  ([u'il  prit  pour  dos  Anglais  à  cause  de  leurs  unifor- 
mes rouges;  mais  pendant  cette  charge,  d'abord  couronnée 
do  succès,  les  Français  furent  assaillis  à  leur  tour  ])ar  les 
soldats  européens  de  l'adversaire  et  mis  en  déroute.  Dans 
cette  ail'airo,  C.ontlans  [>erdit  environ  150  do  ses  hommes, 
son  bagage  et  toute  sa  grosse  artillerie  '[ni,  très  mal  att(i- 
léo,  n'était  pas  arrivée  à  temps  pour  prendre  i)art  au  com- 
bat; il  se  réfugia  à  Masnlipatam  avec  les  débris  de  sa  pe- 
tite armée.  Le  (i  mars  1759,  connnon«;a  le  siège  do  cette 
ville;  après  nn  mois  passé  sans  résultat  en  travaux  d"a[>- 
procho  ot  en  boud)ardoment,  Forde,  ({ui  avait  épuisé  ses 
nuniitious  et  dont  loscommum'catious  étaient  interceptées 
par  nn  détachement  fran(;ais  posté  sur  lo  Hajauumdry, 
fut  iidbrnn''  dos  préparatifs  pour  secourir  la  place,  et  se 
décida  en  consé([uonce  à  tenter  contre  elle  une  surprise 
de  nuit.  A  cet  effet,  il  distribua  son  monde  en  plusioni's 
fractions;  pondant (|ue  les  auxiliaires  attiraient  l'attention 
dos  assiégés  par  do  fausses  atta([uos,  deux  colonnes  com- 
posées de  réguliers  anglais  ot  de  cipayes  s'emparèrent  à 
l'escalade  iW  deux  bastions  et  j)énétrèrent  dans  l'enceinte. 
Après  une  mêlée  qui  dura  une  partie  de  la  nuit,  (li/uflans 

(I)  Goilaveri  des  caries  modernes. 


i.n 


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f\*imr 


40t 


LA  OLEIIRE  DE  SEPT  ANS.  -  -  CIIAP.  Vil. 


(l<Miian(la  à  ('npiliilcr  et  mit  Itns  los  Jiniios  avec  sa  froupc, 
({ui  ctait  oiicoi'o  l'oi'lc  de   V()î>  lioiiimcs  sans  coiniitcr  1rs 
iiidiiiriics.  La  prise  do  Masulipatain  ne  fut  à  ['('lo.cc,  ni  du 
coniniandant  IVanrais  ni  de  ses  soldats,  (|iii  se   laisseront 
surprondro  o\  onlovor  par  un  oinnMni  à  poino  supôriour  '  1  i 
en  n()nd)ro.  Klh'  ont  dos  snitos  dôsastrousos  :  Lo  vio<>-r<)i 
du  Docan,  Salaliot  Sinii'.  (pii  s'ôtait  avancé  avec  uno  ai'- 
inôo  à  l'aido  dv  (lontlans  ot  <pii,  dôjà  ôltrardô  par  I'ôoIum- 
de  Lally  <lovant  Madras,  attendait,  on  vôritahlo  Oriental, 
los  v'vénenionts  avant  d'afiir,  s'inclina  devant  le  succès 
des  Aniilais  «'t  si.yna  avec  on      lo  IV  mai,  un  traité  par 
locpiol  il  s'on.nati'oait  à  chasser  les  Kranrais  de  s<>s  états, 
à  leur  retirer  los  territoires  do  Visauapatani  ot  do  Masuli- 
j)atam,  «pii  leur  avaient  été  attribués,  ot  à  on  transférer 
la  propriété  à  la  conipajinio  rivale.  In  pou  plus  d'énoi-uio 
de  la  part  do  (lontlans  eût  évité  ce  malheur;  lo  15  avril, 
sept  joui-s  après  la  reddition  do  Masulij)atam,  arrivèrent 
sur  la  rade  doux  navires  do  Pondichéry  avec  VOO  honinu's, 
sous  les  ordres  de  Morancin,  destinés  à  r<'nforcer  la  garni- 
son. Mis  au  courant  de  la  situation,  los  Franc^ais,  qui  no 
pouvaient  routrer  à  Pondichéry  à  cause  <lo  la  mousson, 
allèrent  déhanpier  à  (loujam  où  ils  restèrent  jusfpi'à  la 
lin  do  rannéo. 

IVndant  cpio  ces  événements  se  passaient  dans  lo  nord, 
Hussy,  dont  rintluonce  eût  été  si  utile  au[)rès  do  Salahet 
Sing  ot  dont  la  présence  eût  sans  doute  sufti  pour  arrê- 
ter les  progrès  des  Anglais,  avait  rejoint  Lal]y  à  Arcot. 
D'abord  bien  accueilli,  puis  écarté  des  conseils  du  com- 
missaire général,  il  avait  servi  au  siège  de  Madras,  en 
premier  lieu  connue  volontaire,  ensuite  connue  rempla- 
(;ant  d'Kstaing'  à  la  tête  du  réginuMit  de  Lorraine;  tombé 


(1)  Cambridge,  p.  212,  donne  à  Forde,  la  nuit  de  l'assaut,  un  efl'ectif  do 
37'2  An(;lai$  ou  blancs  et  de  700  Cipayes.  Confiant,  en  plus  de  ses  Européens, 
aurait  eu  2.039  indigènes.  Les  Indiens  des  rajalis  qui  accompagnaient  Forde 
n'entrèrent  pas  dans  la  ville. 


PRISE  DE  MASILIPATAM  PAU  LES  ANGLAIS. 


'i05 


malade  vci-s  la  fin  du  si«>,tio.  il  avait  dû  sr>  rotiror  à  l»oii- 
dicliér) .  Ses  i'a|)pi)rts  avec  lo  i:riM''i'al  eu  clicl'  «'laiciit 
devenus  de  plus  en  [)lus  tendus.  Hussy,  loi't  de  son  expé- 
rience des  princes  indiens,  voyait  de  très  mauvais  o^il 
toute  incursion  de  l.atly  sur  un  terrain  <|u'il  considérait 
comme  le  sien  propre;  tout  au  plus  aurait-il  consenti  ù 
être  rinsj»irateui'  de  son  chef.  Ijilly,  au  contraire,  très  ja- 
loux de  son  subordonné,  ne  pouvait  entendre  son  élo^e 
sans  se  mettrci  en  colère  et  sans  tenir  sur  son  compte  des 
|)ropos([ue  <les  tiers  s'einpressai«'nt  d'exajiérei'.  De  là,  des 
tiraillements  (|ui  déj;énérèrent  bien  vite  en  dissentiments 
publics.  Au  reçu  des  nouvelles  de  la  délaite  de  (lontlans, 
le  général  en  chef  eut  recours  à  Hussy;  il  parait  avoir 
eu  le  désir  sincère  de  l'employer,  soit  dans  le  llecan,  au- 
près de  Salabet  Sint;',  soit  à  l'armée  ((iii  était  alors  ras- 
send)lée  à  Arcot,  mais  il  s'y  prit  si  mal,  il  l'indisjjosa  de 
telle  façon,  (|ue  d'un  frondeur  il  lit  un  adversaire  inli'ai- 
table.  Kn  écrivant  au  Ministre  (  Ij,  Bussy  parle:  de  l'affront 
((ue  lui  a  infligé  Lally,  en  envoyant  Morancin  à  Masulipa- 
tam  en  son  lieu  et  place,  et  cependant,  (ra[)rès  son  aveu, 
ce  serait  lui  (jui  aurait  décliné  les  propositions  du  géné- 
ral :  «  Il  vient  de  m'offrir  !<■  commandement  de  son 
année  entièrement  délabrée,  mourant  de  faim,  sans  paie 
depuis  (i  mois,  méc!)ntente  à  l'excès  et  en  face  de  l'en- 
nemi. «)  (^est  un  piège  ([u'on  lui  tend,  aussi  a-t-il  refusé 
sous  prétexte  de  santé.  Un  post-scriptum  annonce  la  chute 
de  Masulipatam  :  «  Nous  voilà  donc  entièrement  expulsés 
du  Nord  ainsi  ((ue  du  Rengale.  D'un  autre  ccMé,  nous  ve- 
nons de  perdre  Surate,  dont  les  Anglais  se  sont  aussi  em- 
parés depuis  peu  de  temps.  Ainsi  de  tant  de  riches  posses- 
sions, il  ne  nous  reste  |)lus  (|ue  nos  établissenuMits  à  la 
côte  de  Coromandel,  encore  sont-ils  dans  le  plus  pitoya- 
ble état.  C'est,  Monseigneur,  à  quoi  se  réduit  le  fruit  de 

(1)  Ilussy  à  Belleislc.  Pondicliéry,  22  avril  1759.  Archives  de  la  Guerre. 
Indes  Orientales. 


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LA  GLElUnî  [)K  SKPT  ANS. 


CHAI'.  VII. 


I     •■ 


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finit  (Ir  travaux,  <li'  (Irpciiscs  et  de  saiif^"  ir|iaii(lii  depuis 
15  ans.  » 

Les  mois  Ac  mai  et  de  juin  se  passèrent  sans  événenieni 
iin[>()i'taiit  ;  les  .\n;;lais.  satisf'ails  de  l(Mirs  |H'<)i;rès  dans  le 
Nord,  se  eonteiifèi-eiif  de  surveiller  l'armée  IVam-aise  |k»s- 
tée  dans  les  environs  d'Ai'eot;  Lally,  api'ès  mi  eonrt  sé- 
jour au  camp,  revint  sctutlVant  à  l'oiuiichéix .  «l'on  il  expé- 
dia à  l'Ile  de  {''raïu-e  un  liiHiment  cliariié  de  réclamer  le 
prom])t  retour  de  l'escadre.  (letfe  précaution  |>rise,  le  gé- 
néral en  chef  l'ut  saisi  d'un  de  <"es  accès  de  déc(»ui''i,i;-emenl 
dont  il  était  coutumier.  «■  Il  a  résolu  de  clianiicr  d'aii-,  écrit 
Soupire  (1),  et  d'aller  à  Clialenihron,  à  1  V  lieues  d'ici;  il 
me  dit  (|u'il  ne  veuf  plusse  mêler  de  rien  et  me  renuittre 
toutes  les  opérations  et  ;^énéralement  toute  la  l>eso,"ue, 
comme  s'il  était  parti,  disant  (ju'il  sv.  dispose  à  partii'  au 
mois  d'ocl(d)re.  Si  c<da  est,  il  me  laissera  les  atl'aii'es  de 
rind(>  dans  un  état  l)ien  criti(pie.   > 

dépendant  l'indisposition  de  Lally  ne  l'empêchait  pas 
de  plaisanter  Bussy  sur  les  maladies  successives  <|ui  sov- 
vaient  à  celui-ci  de  l'aison  ou  de  prétexte  pour  ne  pas  s<' 
plier  à  toutes  les  exifiences  de  sou  chef  :  «  Vous  êtes  heu- 
reux (:i),  ^lonsicur,  dans  votre  malheur;  vous  avez  fait  le 
tour  entier  de  la  houssole  des  maux;  la  tîoutte  en  <»st  tou- 
joui-s  le  dei-nier  rhumh.  Pour  moi,  j'essuie  le  premier  et 
lo.  cercle  sera  lou.ii'  à  parc(»urir.  Si  vous  désirez  de  voir  le 
sol  Jiatal.  je  ne  le  désire  ])as  moins  et  c'est  là  où  nous  nous 
trouverons  l'un  et  l'autre  Ikm's  de  cour  et  de  peines.  Dieu 
merci.  »  Peu  do  temps  après  cotte  étrange  épître,  Lally 
t'ait  dire  à  Bussy  do  ne  plus  se  présenter  chez  lui;  à  cette 
injonction,  ce  dernier  réplicpio  (3) en  demandant  un  «'oniié 
pour  rentrer  en  Franco  :  «  Cet  ordre  inouï  cpie  je  viens  do 


J( 


(1)  Soupire  à  Rclleisle,  28  juillet  1759.  Archives  de  la  (liicrrc.  Indes  Orien- 
tales. 

(2)  Lally  à  Bussy,  :M  mai  1759.  Mémoire  de  Bussy.  Pièces  justificatives. 

(3)  Bussy  à  Lally,  25  juin  1759.  Mémoire  de  Bussy.  Pièrns  justilicatives. 


imoL'ILMi;  EMIIK  nUSSV  ET  LA  LIA. 


4117 


i'('(M'V(»ir cil  me  n'-diiisiiiit  à  Trlfit  de  Ituiiriicois    I     de 

l'oiidirlirry  me  iiirt  iiii  lnvjn'  |>i)iii'  iiisistci*  sur  iiioii  (|r|i.irl 
polir  rKiir(>|t(>.  »  La  (|iiim-<'II<>  ciiti'c  deux  lioiiinirs  dont 
l'union  <>ùt  rtr  indis|M>iis<il>l(>  pour  le  siilut  d<-  lu  colonie 
s'cnvcniiiH'  de  jour  en  jour.  Hiins  sa  (  oi-rcspondaiirc  ol- 
licicUc  (2),  Lally  ne  uardc  auciiiH-  mesure  :  "  l/oii  a  été 
Itieii  la  An\u'  en  KuiNtpe  de  tons  ees  hauts  laits  et  gestes 
de  M.  de  Kiissy  ;  (|nand  nous  l'aurez,  vu  <>t  entendu,  vous 
le  ju^ei'ez;  car  il  ne  peut  être  plus  utile  à  la  ('.ouipaiiiiic 
à  Paris  (pi'il  ne  lui  u  été  dans  le  Decan;  il  !i  dévalisé  le 
pauvre  Salaltet  Siufi';  il  a  coûté  «piatre  inilli(*iis  à  la  (loin- 
pau'iiie  depuis  cinq  ans;  voilà  tout  ce  (pie  j'ai  |)ii  recueillir 
depuis  ((ue  je  suis  dans  le  pays.  »  Haiis  une  autre  dé- 
pêche i:{i  F^ally  n'hésite  pas  à  rendre  son  siiltordoniié 
responsahle  de  tous  les  revers  dans  les  piMtviiices  du  .Nord  : 
"  U'iii'd  aux  noirceiii'set  ahoniin.itioiis  <pie  j'ai  éprouvées 
de  la  part  du  sieur  de  Hussy.  depuis  <|ue  je  l'ai  raj)pelé 
du  iJecaii  et  qu'il  a  refusé  de  in'oliéir  en  se  poi-taiit  à  Ma- 
siilipatain,  (  Cst  un  procès  criminel  dans  les  règles ((ue  je 
soumettrai  au  Ministr*'  etaucpiel  aous  me  permettrez  de 
vous  référer.  Si  je  vous  avois  envoyé,  il  y  a  huit  mois, 
M.  de  liussy,  |)ieds  et  |)niii,!:s  liés  à  l'ai'is.  cette  colonie  se- 

roit  aujourd'hui  eu  état  de  défense U'iîtid  à  M.  d<' 

lUissy  (|ui  savoit  (|ue  .M.  do  Clontlaiis  devoit  livrer  hataille. 
<{uoi(|ue  je  lui  eusse  défendu,  et  ([ui  savoit  <|ue  Masulipa- 
taui  sei'oit  pris,  puiscpi'il  av<»it  pris  la  précaution  <le  se 
munir  d'un  passe-port  de  M.  l'iyott  ('n.  pour  <'ii  faire  sor- 
tir tousses  elfets  et  les  faire  conduire»  à  Ti-aïKpieliar,  j'ai 
pris  le  ])ai'ti  de  ïo  laisser  là.  Tous  <'es  faits  s'éclairciront 
avec  le  teins.  Au  reste,  je  n<'  neux  savoir  <'xactemeut  ce 


Jéui 


J« 


pe 


(1)  Allusion  il  un  passage  d'une  leUrc  de  Lally. 

(2)  Lally  à  HcHeisIe,  1"  août  1759.  Archives  de  la  Guerro.  Indes  Orientales. 

(3)  Lally  à  la  Compagnie  des  Indes,  1'"'  août   17.")9.  Archives  de  la  Guerre. 
Indes  Orientales. 

(i)  Gouverneur  de  Madras. 


Jl, 


4IIH 


LA  (lUKUHK  I)i:  SI:PT  ans.  -  CHAI'.  VII. 


(|ui  s'est  piissé  dans  le  Nortl.  mi   <|iir  M.  <lr   Itiissy  nvoil 
«IrlriKlii  il  M.  (I<>  (loiitlniis  dr  in'ni  i-oiidrc  (-(iiii|dr.  » 

l'ii  ordiw  de  lii  iiir'(i'(i|iMl(\  .-i|)|)i)i-|t''  par  la  t'irL'atr  la 
iUorirtisp,  (ddiuca  Lally  à  iiindilicr  son  altitiid*'  à  réiiai'd 
de  son  licMitcnaiif .  Sur  les  n'|in''s('iilali(>iis  du  roidrAlcui' 
SillioiicMc,  (|iii  se  itlaiuiiait  des  drpriiscs  rxa^rit'cs  de 
l'Inde,  la.  coiir  de  Versailles  avait  déeidé  le  rappel  d(>  la 
plus  ]L:r<'inde  partie  du  hi-illaiit  mais  <-(>ùteu\  état-niajoi- 
•  jue  Lally  a\ait  eiuniené  a\ee  lui  et  la  ré<lu<'tM>n  des  ca- 
dres des  ré.uinieids  eni|d<>yés  au\  Indes.  Hussn.  au  eou- 
Iraii'e,  était  nonnué  coinniandant  <>ii  seeoml  et  désigné 
par  eonsérpient  pour  reniplaeer,  le  «-as  érhéant.  le  etini- 
niissaire  .iiénéral. 

lùdlii.  le  15  août,  l'eseadn  l'raut-aise.  dont  le  retour 
«'tait  attendu  aveetaid  d'inipatieuee. mouilla  devant  l'<»ndi- 
chéry.  .\«»us  avons  reconduit  <r.\<'lié  à  l'Ile  de  Fi-ance  où  il 
était  arrivé  le  .'{  octidire  IT.IS.  et  où  il  avait  tn)U\é  :{  vais- 
seaux <lu  lioi.  (pii.  api'ès  une  longue  traversée  et  une  re- 
lilclie  à  l{io-de-.laneii'o.  pour  cause  de  maladies,  étaient  par- 
M'uusà  destination  sous  les  ordi-esde  !•' rosier  de  l'Kiiiiille. 
.V  c«dte  é|)(Mpn».  l'Ile  de  Kram-e,  tpii  dépendait  de  la  (lom- 
pa.niiie  des  Indes.  oH'i'ait  peu  de  ressources,  aussi  l'allut-il 
se  préoccupei-  «les  moyens  «U'  nourrir,  eu  plus  de  la  i;arui- 
son  et  «le  la  population  civile,  soit  î),9.Vt)  l»ou«di«'s,  l<'sé«pii- 
pap's  «les  vaiss«>au.\'  «l«'  (rA«'lié,  a;i>',i  hieu  «pie  c«mi\  «pii 
\<>naient  «le  France.  A  la  suite  dw  rec«Mis«'ment  des  vi- 
M'csen  maf.;asin  (l),  il  l'ut  résolu  d'eMvoy«*r  une  l'i-action  de 
la  tlolle  hiverner  à  la  «•oloni«'  liolIandais«>  du  cap  de  lionne- 
Kspérance,  et  s'y  procurer  «l«'s  approvisi«)nnon»ents  pour 
la  campaj;ne  procliain«'.  (le  v«)yai;e  s'accomplit  heureuse- 
uH'nt.  mais  il  entraîna  des  retards  et  co  ne  fut  que  le 
17  juill«>t  175!)  «(ue  res<'a«lre  r«'constituée  put  ap|)areiller 
de  l*(trt-Louis.  Kll«>  se  composait  de  V  vaisseau.v  de  la  marin«î 


(1)  Métnoirn  pour  lo  comte  d'Aclié.  Paris,  1760. 


IIKTOI'U  AUX  INDKS  \)E  LKSCAIIHI::  I)K  I)  ACIIK. 


409 


i(Aii!('  (le  7V  et  (>V  tiiiiniis.  de  7  Viiisscniix  <•!  «le  •>  ln"j.i\\r:. 
.-)|)|>iit'l('iiiitit  il  lii  ('.<)iii|)jiL:iiii>.  li'.ii'iiiciiii'iit  lie  ces  «Icniin-s 
fixait  (''t<''  iui.uiiiciilr  (U'  (|ii('l(jiu's  |)i<"M\  s;  io  Comfr  i/r  Pro- 
venu', <|iii  .'iiitri-i<>iin>innit  iir  |>iii'(jiit  (|ii<<  .'>8  cjnions.  m 
avait  moiitt"  7V;  \v  Vvnyour,  aiilrclois  dr  .'iV.  m  aNait  JiV 
ni  liatliM'ir.  Smi*  la  cAti*  ilr  Ooroiiiaiidi'l.  d'AcIi)'-  retruma 
rescadrc  di*  l'aiiiiral  IN»c(ick,  son  aihcrsain-  «le  laiiiM'c 
IXTcrdiMitc.  I^<>  10  s<>|»t<>iiil>n>.  au  lariir  dr  riiiii(|iichar, 
eut  lii'ii  iiiic  liataillc  saii.::laiit4>  i|iii  ne  l'ut  i|ui>  la  n'|M'o- 
ijiictioii  dos  rciiroiitn's  de  17r)H.  l/avaiifa,i;<'  rfail  du  vC\U\ 
iTAclir,  (|iii  avaif  1 1  vaissi'aiix  à  «»|»|»os<'i'  aii\  \)  de  Pocock. 
Il  non  sut  |tas  tinM*  parti. 

L'avaiit-uardc  rram-nisc  <!(•  5  vaissrauv  n'eut  à  lutter 
([lie  contre  :{  vaisseaux  ennemis,  tandis  (|ue  l'aiTière- 
liiii'di!,  eoniniandée  pai*  M.  de  Unis,  sui'  V Illustre,  de  la 
marine  l'oyale,  l'ut  enuauée  avec;  le  rest<'  de  la  fhtlte  aii- 
.ulaise.  «  A  *i  heui'es.  écrit  d'Aché  (1),  je  lis  le  signal  de 
commencor  le  coinhat ;  au  même  instant,  l'atraire  <le>iiit 
liénéi'ale,  et  ce  ne  l'ut  |)lns  de  jjai'f  l't  dautre  (|u'un  l'eu 
li'ès  vil'et  très  animé.  Les  premiers  coups  ne  l'ui'ent  pas  à 
l'avantage  des  ennemis,  surttnit  à  la  tète  de  la  li,i:ne  où 
il  ét(»it  évident  ipi'ils  alloient  être  écrasés,  mais  il  n  en  l'ut 
pas  <le  même  de  l'arrière-aarde,  <juel(ju<'  su|)éri<»i'ité  ipie 
nos  vaisseaux  y  «Missent  sur  ceux  des  Antilois.  ((uelipie  peu 
maltraités  (ju'ils  pussent  être;  le  Furluni:  {{U^  (>V),  ipii  en 
Taisait  en  partie  la  plus  f;ran<le  l'orco,  arriva  luinteuse- 
inent  une  demi-heure  aju'ès.  sans  avoii'  reçu  le  moindre 
domma^'e;  il  n'est  sortes  de  moyens  (pie  M.  de  Moiiteil, 
commandant  la  fréiiale,  u'em[>loyiU  p(tur  ramener  M.  de 
Heauliou;  ni  paroles,  ni  uuMiaces.  pas  même  les<Mnips  de 
canon,  rien  ne  put  l'arracher  au  <léslionii«>ur  et  à  une 
i'iiite  criminelle,  puisiju'elle  l'ut  la  source  dos  plus  i;rands 
malheurs.  (^epoïKlant,  nous  avions  décidément  le  dessus  à 

(1)  D'Aclié.  Rapport  au  Ministre.  Port-Louis,  15  décembre  1759.  Archives 
de  la  Marinfi.  H.  4,  U'î. 


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410 


LA  GL'EURE  DK  SKPT  ANS. 


CHAI».  VH. 


i; 


l'avaiM-jAJinlc;  apirs  uik'  Immu'c  de  coinltat,  le  Iroisiriiic 
vaisseau  do  la  liiiiic  (Miiiciuii^  J'iit  driiiAlr  d(   son  iiiAI  «l'ar- 
UiiK.ii,  et  |)r('S((iU'  aiissifùt,  son  Jirand  \iu\l  l'iit  couix'-  au- 
dessus  de  la  hune;  relui  (|ui  le  pivrédoit  éfoit  aussi  aliso- 
luuient  hors  Ao  conihat,  <'t,  cnlhi.  (|Uoi(|ue  nous  eussions 
un  vaisseau  de  moins,  tout  nous  [u-oniettoit  un  avantaiïc 
considérahle  ;  mais  la  contaiîion  avctit  lia.uiié  les  \  aisseaux 
de  la  (jueue  :  le  Centaure,  sans  ètie  heaueoup  plus  mal- 
traité que  le  Fortuné,  ne  tarda  pas  à  arriver;  le  Duc  de 
Ifourr/of/ne  en  lit  autant,  et,  en  un  moment,  toute  l'arrij're- 
.H'arde  s'éclipsa,  (le  fut  alors  (pu-  j'admirai  j)lus  «pie  ja- 
mais la   hraviiure  et  la  fermeté  du  chevalier  de  Unis  <pii 
la  <'omniandoit  ;  se  voyant  en  proye  à  renneini  parla  lA- 
cheté  ou  la  mauvaise  manceuvre  de  ceux  cpii  l'ein  ii"on- 
noient,  il  s'avança  seul  sous  le  l'eu  de  la  nntitié  de  la  li^ne 
an.ylaise.  et  serra  sur  moy.  Mais  malhenreusiMiienl  il  était 
hien  tard;  la  défection  de  j)res(pi<'  toute  l'arrièi'e-.uarde  et 
dernièrement  du  Comte  de  Provence  avoit  donné  heau  jeu 
à  i'ennemy.  Le  Graweton  [(iraflon)  aloi's  étant  venu  se 
mettre  |)ar  mon  travei-s.  î'amii'al  (pii  le  suivoit  prit  sa  place 
et  l(^  Ti(/re  (pii  s'étoit  laissé  culer  sui'  moi,  me  tirait   de 
l'avant.  <le  façon  (pi'en  fort  peu  de  teins,  je  fus  déu'rayé  au 
point  de  ne  pouvoir  orientei*  a.icune  voih^  et  mon  vais- 
seau ne  ti'ouvernant  plus,  je    lépassai  mali^i'é  moi  h'  Ven- 
geur. Pendant  ce  teins,  je  me  luVtois  de  l'emplacer  (piehpii's 
maineuvres;  je  tentai  par  <lifférents  siiiiiaux  de  ramenei-au 
comL>at  ceux  (|ui  nous  avoient  ahandonnés,  mais  inutile- 
uient...  Il  étoil  alors  envii'oii  .">  iieures  du  ;;;)ir  :  les  A  ni;  lais. 
<pii,  dans  le  fond,  étoient   plus   maltraités  (pi<>  nous,  te- 
noient  le   vent  autant    (pie    leur  état   le  leur  permettoit. 
l*oni'  nous,  en  attendant  (pie  la  nuit  vînt  cacher  nos  mal- 
heurs, nous  inhiK^s  en  panne,  et  travaillAines  à  nous  rr.c- 
commoder;  uu  orayc  (pii  survint  à  six  heures  du  soir  imuis 
lit  perdre  de  vue  les  ennenii.->,  et  nous  ne  les  l'evimes  «pie 
le  l<>ii(lemaiii  courant  un   hord  opposé  au  luMre.  .le  me  lis 


COMBAT  NAVAL  DE  TRANQUËIUR. 


iil 


roiidr*'  compte  alors  de  l'état  où  étoit  rescadro,  ot  je  vis 
<|U(' <|ii('l(|ii<'s-niis  (le  nos  viiissoaux  rtoiciit  en  tort  mau- 
vais état,  cîitrr  autres  Vlllustrr;  j'appris  en  même  teins 
jivee  <l«)uleur  «pw  le  ehevali(M'  de  Unis,  <pii  eomniandoit. 
avoii  reeii  une  hlessui-e  très  dantîerense,  et  <pii  le  mettoil 
id)Solnmenl  hors  de  service.  Pour  moi.  avant  la  lin  du  com- 
bat. jav(»is  été  IVappé  d'un  c()n|)  au  jarret  <pii  m'avoil 
pensé  cîisser  la  cuisse;  ci'pendant.  maliii'é  mou  ac«'jd»le- 
ineut.  et  l<i  triste  situation  on  j'étois  alors,  je  vis  hieii  «pie 
le  seul  parfy  que  j'eusse  à  prendi'e  étoit  de  m<*  rendre  à 
INtndichéi'V  ;  j(^  donnai  les  ordres  eu  conséipuMice  et  y 
mouillai,  en  ed'et,  le  lô  du  mois.  » 

.\iusi  (pie  riu(li<pi(>  c*  récit,  d'Aclié  se  plaint  en  termes 
amers  de  la  conduite  de  plusieurs  de  ses  cajnîaines  au 
service  de  la  (loinpa.iiiiie  des  Indes.  Trehouart  de  Heanlieii. 
commandant  du  Fortuné,  se  jnstilia  en  alléguant  des  ava- 
ries dans  sa  niîltuiu^  et  dans  ses  voiles  (pii  lui  avaient  l'ail 
|»er(lre  sa  place  dans  la  Ii,i:ne  et  (pii  reinpéchérent  de 
la  reprendre  avant  la  fin  de  l'action.  i<  Tro|>  de  préci|>i- 
tation,  écrit-. I  dj,  trop  d'éloinuemeiit  de  rarrière-j-arde 
lors  du  cominoncement  (lu  comltat.  et  notre  lii^ue  tr(»p  ser- 
rée (pii  ne  nous  p(M'mettait  pas  de  mameuvrer,  tontes  ces 
cliosesont  orcasioiiné  notre  l'aute.  »  Uuelle  (pie  l'ut  la  raison 
de  l'écliec.  (pi'il  fût  dû  aux  défaillances  de  certains  olli- 
■iers  ou  à  la  mauvaise  direction  de  la  hataille,  il  eut  pour 
la  domination  rran(;ais(^  aux  Indes  des  suites  rnin(;uses. 

Dans  la  ItatailN^  du  10  septeiiiltre.  les  Anglais  (2),  dont 
se|>f  vaisseaux  avaient  été  sérieusement  en,^at;és,  eurent 
•">(;!>  hommes  tués<ni  hiessés.  |>arnii  les(pi(ds  plusieurs  (»!'- 


fl)  Tiéliouiirl  (Itî  llcaulioii  à  la  CDinpjif'iiii'  des  Imlcs,  18  déci'iiiltic  175',». 
Archives  du  la  Mariiut.  H.  4,  \('II.  L(;  lécil  du  ini'inoir);  du  d'Aclié,  |)ul)lié 
sepl  ans  api-ù.s  lus  (Hci)uin(>nts,  diflùru  l)(>aucou|)  du  celui  d(t  son  ia|i|i()rl;  il 
nu  fait  pas  incnlion  du  1  ùpisodu  du  Forlinir. 

(2)  Camhridge.  War  in  liulia,  Loadre-s,  1701;  Clowes.  Royal  .\nvtj, 
vol.  ni. 


-■'1- 


412 


l.\  GIKUIU;  DK  SKI'T  ANS. 


CIIAIV  VII. 


'Il 


liciers;  trois  «le  Iciii's  v.'iissofUi.\,  \o  Nrivcas/lr,  Ir  Tlgcr,  l<; 
(/unihcrlanil,  iivjiicnt  fcllciMciif  soiill'ci-t,  (|iril  l'alliii  leur 
(l(»iiiM'r  lji  rciiioiNnic;  .iiissi  PococU  liil-il  dans  l'iiii|K)ssi- 
liilitr  <l(' poursuivre  rt  im^  lit-il  rien  pour  (•mpèchcr  r«'sca- 
(li'c  fraïK-aisc  de  iia;;ii('r  l*oii(li('li('M'y  ;  le  15,  il  était  <'U  radn 
(le  N(\!;apataiii,  <»ii  il  s'«'m|d(>ya  juscpi'au  2(»  à  rcuictti'c  sos 
\aiss(>au.\  en  état  de  tenir  la  mer.  L(>  leiideiiiaiii,  il  était  au 
lai'.ye  d<'  l'oiidiehéry,  olIVant  à  dAelié  une  occasion  de  re- 
vanche d(tnt  c<'  dei'iii»'!'  ne  pi'olita  pas;  puis,  après  cette 
hravado,  sui'  lavis  de  ses  capitaines,  il  i-enonça  à  l'idée 
d'une  seconde  affaire  et  vint  inonillei'  à  Madras,  d'où  il  lit 
V(»ile  le  17  octobre  piMir  hiverner  à  Itoinhay.  t>ès  le  Jour 
a|irés  son  dépai't.  il  rencontra  l'aniiral  (lornish,  venu 
d'An.iileterre  avec  une  escadre  de  sept  hAtinuMits,  dont 
(piatr*'  de  liiîne,  et  un   renl'ort  considérahie  «le  troupes. 

Du  cAté  <les  Kran«;ais,  les  pertes  furent  très  lourdes; 
elles  se  montèrent  (1  )  à  un  total  de  21î>  tués  dont  M  oi- 
licierset  (i(i7  hiessés  dont  "M)  officiers.  A  eux  seuls,  les(|ua- 
tre  vaisseaux  {\\\  l'oi  axaient  eu  '•■">()  atteints;  |)ai'iniceu.v  de 
la  (lom|)a,iinie,  le  Fortiinv  ne  liyiire  (jue  |>(tni'  IT»  Idessés, 
perte  trop  légère  pour  \\v  pas  confirmer  h's  accusations  de 
d  Aché.  Comme  dans  les  eniï'aii'cmeuts  de  1758.  le  Zodia- 
(/Uf;  (jui  hattait  le  pavillon  du  clwf  d'escadre,  fut  fort 
éprouvé  :  sur  un  é(piipa,iie  (|ui  ne  devait  pas  dépasser  700 
hommes  de  tous  ran,u's,  il  en  eut  l(i(>  mis  hors  de  comhat. 
Si  l'amiral  iVançais  ne  parait  axoir  été(|u'un  tacticien  mé- 
diocre, il  faut  reconnaitre  «pi'nne  fois  la  hataille  com- 
mencée, il  sa\ait  payer  de  sa  personne  et  montrer  à  ses 
subordonnés  un  exemple  ([ui  ne  fut  pas  toujours  imité. 

D'Aclié.  aussitôt  à  l'ondichéry.  y  déharcpia  "  les  secours 
dont  il  était  char,!^é  en  |)oudre,  hoiilets  et  différentes  muni- 
lions  de  guerre...  la  |dnsi;rande   partie  des  noirs  de  \\)s- 


(i)  D'AcIh'!  à  Henyfiv,  l'oil-Loiiis,  l.'i  di'cornltnî  175'.!.  Aicliivcs  de  la  Ma- 
rinp,  Indos  Oiicnlalcs. 


OPPOSITION  DU  OONSKIL  AU  DH^ART  DK  D'ACIII': 


'ils 


ciidrc,  1H0  soldats  (|iril  avait  à  honi,  <>t  ciiliii,  siii- los 
i-i'|>irs<Mitati<>iis  (|iii  lui  i'ui-<Mit  lait(>s...  (|ii<>l(|ii**s  raisscs  «le 
piastres.  >>  (Ida  l'ait,  il  annonça  son  intention  de  re|>rendre 
le  lend<>inain  le  clieinin  de  l'Ile  de  Krance.  On  jtent  s'inia- 
.u'iner  réinotion  (|ne  souleva  cette  coniiniiiiication  ;  le  (loii- 
seil  supérieur  se  réunit  et  cette  lois,  F^ally,  L<'yrit  et  ses 
collet; lies,  oubliant  leurs  dissentiments,  se  ti'ouvèi'ent  d'a<-- 
cord  pour  l'aii-e  revenir  d'Aclié  sur  sa  décision.  Ilans  une 
lettre  signée  de  tous(l)  on  <'xposait  le  dan.ucr  d'ahan- 
donner  la  uiei-  aux  .Xn^lais  et  les  consé(|uences  de  cette 
«lésertion.  <»ii  rassurait  le  clie}"  d'escadre  sur  les  ris(pies 
d'une  nouvelle  bataille  (jiie  l'enneiui,  à  moitié  écrasé, 
serait  inca|)al)le  de  livrer;  on  lui  |M'oiuettait  tout  ce  dont 
il  avait  besoin  pour  réparer  ses  vaisseaux,  on  l't'u^a.U'eait 
à  liivei-ner  sur  la  cùte  de  l'Kst  (probablement  (leylan)ou 
encore  mi«Mix  d<ins  le  (ianpc  au  lieu  (b^  s'exposer  à  mourir 
de  l'aim  à  l'Ile  de  Kraiice.  L'on  faisait  app<d  à  son  patrio- 
tisme ])our  le  salut  de  la  nation;  enlin,  on  le  décbai-u'eail 
de  «  tout  accident,  inconvénient  ou  malheur  (|ni  pour- 
raient résnit.'r  |)our  sa  flotte  de  son  séj(»ui' à  celte  côte  «. 

D'Aché  ne  voulut  rien  entendi-e  et.  après  avoir  consulté 
ses  capitaines,  mit  à  la  voile  le  17  se|)tend)re,  deux  Jours 
apt  -MM  arrivée.  Si  l'on  doit  en  croire  les  explications 
<•<»!  '  s  au  mémoire  (pi'il  ju'oduisit  au  pi'ocès  de  Lally, 

\i  ai;  .1  '.  I  le  dessein  de  remonter  la  côte  et  de  faire  une 
lenlati\(  pour  l'ecouvi'er  Masulipatam.  <pii  n'était  occupé 
<pie  par  une  faible  K<ii'>>i^<*<)  Jinulaise.  Toutefois  il  ne  parait 
pas  avoir  soumis  ce  proj<>l  aux  antoi-itésde  la  colonie. 

A  l'(»ndicbéry ,  (»n  essaya  un  dernier  ell'ort  p  inr  retenir 
la  tiotte;  le  Jour  même  de  son  a|>pareilla,!.:e.  un  "  conseil 
national,  »  foi-mé  du  commissaire  du  Itoi,  du  .gouverneur, 
(b'S  oflieiei-s  su|)érieurs  de  l'aiMuée,  des  pi-incipanx  ecclé- 


M>Hi 


(1)  llcpit'scnlalions  faites  par  le  Conseil  supéiieiir,  10   sepleinbre  17.V.t. 
Meinoiic  de  tl'Aché.  Pières  jiislilicalives. 


).• 


414 


LA  GUEHRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


siasti(|uo.s  ot  notJil>los  do  la  ville,  irdi^f'îi  à  l'adrossf  ^\o 
<rAcliô  ot  dos  oapitainos  (lo  l'osoadro  iiiio  protostatioii  (1) 
K  coiitro  votro  dôpai't  prôoipitô,  vous  dôolarant  soiil  ros 
poiisahlo  do  la  poi'to  i\c  cotto  colonio.  Il  a  ôfô  dôlihôrô  ou 
oousô([uoiK'o,  ([u'il  on  sorait  porto  dos  plaintos  au  Hoi  ot  au 
Miuistro  pour  ou  douiandor  justico.  la  (lonipafiiiio  n'ayant 
jamais  ou  d'autros  ohjots  ou  doinaudant  dos  vaissoau.x  au 
IU)i,  quo  colui  do  sauvor  cos  ôtahlissoiuouts  au  riscpio  do 
oos  luôuies  vaissoauK.  » 

h'Achô  était  dôjà  à  12  ou  13  liouos  au  larpo  quand  il 
l'oout  la  noto  du  (lousol!  :  il  u'osa  pas  onoourir  la  rosponsa- 
hilitô  d'un  rot'us  ot  rovint  -i  sou  uiouilla.yo  qu'il  ([uitta  pou 
(U'^  Jours  aprôs  pour  rôpoudro  ;';  la  bravade  do  Pocftok.  Au 
fond,  ni  colui-oi,  ni  lo  Kranoais  u'avaiout  graiulo  ouvio 
<\o  rououvolor  l'o.vpôi'ionoo  du  10;  aussi  se  séparèrent-ils 
hioutùt  pour  gagner  lo  premier  Madras,  le  second  Pondi- 
chéry.  Lo  28  septoud)ro,  d'Aché  descendit  à  terre  malgré 
sa  blessure  «  pour  savoir  une  bonne  fois  pour  Joutes  ce 
dout  M.  de  Lally  avait  besoiu  »  ;  il  y  coûtera  aussi  avec 
Loyrit  et  Bussy  et,  après  quelque  résistance,  consentit  à 
débarquer  un  sui)plénieut  do  uiunitions  ot  un  renfort  de 
500  blancs.  Le  1"  octobre,  l'escadre  mit  détinitivemout  à 
la  voile  pour  l'Ile  do  France  où  elle  parvint  sans  accident  ; 
elle  emportait  avvc  elle  le  chevalier  de  Soupire  ot  (pud- 
<[Uos  ofticiers  rappelés  on  Franco  par  ordre  do  la  cour  ot 
par  uiosure  d'économie.  Au  moment  de  lever  l'ancre,  ces 
derniers  eurent  la  satisfaction  d'apprendre  l'un  dos  dor- 
nioi's  succès  reuq)ortés  aux  Indes  pendant  b"  fîuorro. 

I>uraut  l'été  de  1759,  les  deux  arnu''es  étaient  restées 
ou  observation  :  les  Frau<;ais  à  Arcf)t.  Oinnée  ot  Vauda- 
vachy  (Wandewash),  les  Ang'lais  à  Conjoverani.  Tue  des 
causes  do  cotte  inactivité  était  l'absence  des  chefs;  Lallv, 


(I)  Lellio  du  Conspil  national  à  il'Acht".  Pondicliéry,  17  septembre  1759. 
Mémoire  de  d'Aché.  Pièces  justificatives. 


>iS;:; 


LES  ANGLAIS  REPOUSSES  A  VANDAVACHV. 


415 


iiiiilndo,  (''tait,  allr  so  roposcr  à  (Ihalomln'oii;  son  rniipla- 
(•aiit  Soiipiro  avait  à  son  tour  <{uitt«''  lo  camp  pour  prendre 
passnij'e  à  ht-vA  dv  l'oscadi'e;  de  leur  eAté,  les  coninian- 
dants  auiiliiis  Lawrence,  puis  Draper,  indisposés  tous  les 
deux,  aA'aient  dû  partir  j»our  l'An.iileteri'e,  laissant  la  di- 
rection <les  opérations  au  major  Brei'eton.  (îet  ol'licier.  dé- 
sireux <le  se  distiniiuer,  voulut  profiter  d'un  l'enfort  de 
;J00  réi^uliers  (pii  venaient  d<'  déhanpier  à  >fa(lras  pour 
entreprendre!  <iuel([ue  chose  contre  les  postes  français;  il 
essaya  d'enlever  la  ville  de  Vandavaclix ,  défendue  par  une 
ijarnison  de  (iOO  Français.  I^e  capitaine  (ieoiilieiian  ({ui,  à 
défaut  d'officier  supérieur,  était  à  la  tète  du  détachement, 
informé  des  projets  de  l'Anylais,  fit  appel  aux  canton- 
iH'mcnts  voisins  et  rassend)la  à  Vandavachy  un  effectif  de 
1.500  Idancs  (  l.)  sanscomptei'  les  indisiènes.  Brereton,  (jui 
avait  réuni  environ  1.700  Européens,  atta<jua  dans  la  nuit 
du  2(>  septomhre;  il  eut  d'aliord  «piehjui'  succès,  s'empara 
de  «  l'aidée  »  ou  (piartier  des  noii's,  mais  il  ne  put  rien 
coidre  le  fort.  Au  jour,  l'action  reprit;  après  deux  heur'. .-( 
de  lutte,  les  Aniilais  furent  chassés  du  villaite  et  se  reti- 
rèrent à  (lonreveram,  ahandonnant  au  vainqueur  V  canons 
et  «piel((ues  [irisonniei-s;  leur  perte  totale,  (jue  Lally  éva- 
lue à  (100  réguliers,  aurait  été,  d'après  les  récits  hritan- 
ni(pies,  un  p(ui  supérieure  à  200  ou  à  peu  près  éj-ale  à 
celle  de»' Fram;ais.  Otte  petite  victoire  vint  fort  à  propos 
remonter  le  moral  de  Lally  et  de  ses  soldats.  <■  Si  j'avais 
en,  écrit  le  j^énéral  (2),  il  y  a  luiit  jours,  les  VVO  hlancs 
((ue  .M.  d'Aché  me  promet,  l'ennemi  serait  actuellement 
de  l'autre  côté  du  Paléar  et  il  ne  serait  plus  <|uestion  de 
lui  d'ici  à  l'arrivée  des  2.000  liommescpi'il  attend.  J'espère 


!■■♦! 


(t)  Lally  il  Soupiro,  1"  octobre  1750.  Aicliivcs  de  la  Guerre.  Indes  Oricn- 
tale.s. 

{2)  Lally  à  Soupire,  1  "  octobre  1759.  Arcbives  de  la  Guerre.  Indes  Orien- 
tales. Lally  s'exprime  presque  dans  les  Huâmes  termes  dans  une  dép<^clie  de 
môme  dale  à  liclli>lsle. 


^TBr*^ 


416 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIF. 


I      I 


que  roii  (lira  dans  Paris  que  c'est  M.  «I'AcIk''  ({ui  n  l)attu 
l'emicini  à  Vaiidavachy  ot  ([uo  cVst  Jiioi  (jiii  ai  perdu  le 
e()iid)at  naval.  ><  C/étiiit,  il  tant  ravoucr,  se  panT  des  plumes 
(In  paon,  puis(iu'il  n'avait  pris  aucune  ])ai'l  à  la,  Itataille. 

Lally,  on  le  voit,  savait  (jue  les  Antilais  (hîvaient  reee- 
V(»ir  de  Jour  en  jour  des  renforts  dont  les  preniiei-s  avaient 
(l(\jà  rejoint  leur  nrnu'e;  il  est  ('•tran^-'e  (pi'il  ait  choisi  ce 
nionient  pour  df' tacher  dans  le  sud,  sous  les  ordres  de 
Crillon,  une  homu'  nioitii;  de  ses  troupes  hlanches.  Cette 
exp(''(lition,  (|ui  ahoutit  à  la  capture  du  poste  de  Serini^ani, 
pr('s  de  Trichinoj)oli,  (''tait  tout  à  l'ait  excentri(|ue  et  n'eut 
d'autre  r(''sultat  (pw  d'afl'aihlir  les  forces  françaises  du  C(M('' 
de  Madrj's  et  de  j)erniettre  au  colonel  (!oote  de  s'emparer 
successivement  des  villes  de  Vandavachy  où  la  petite 
iiarnison  de  00  Krain;ais,  ahandoum'^e  par  les  auxiliaires 
indiiiènes,  dut  se  rendre  à  merci,  et  de  ('aran.^oly  où  le 
commandant  O'Kennely  obtint  les  honneuis  de  la  g'ucrre 
et  la  lihertt'  pour  ses  hommes. 

Kntre  temps,  le  ii('Mi(''ral  en  chef  s'(''tait  r(''coucili('i  avec 
lUissy  et  l'avait  chart;('î  d'une  mission  (h'dicate  auprès  de 
Bassalet  Sinji'.  (^e  prince,  frère  de  notre  ancien  allié  Sala- 
het  Siui:',  faisait  des  offres  de  concours  et  s'i'tait  mis  en 
canq)agiie  avec  un  corps  consid(''ral)le  de  troupes;  pour 
prix  de  ses  services,  il  demandait  des  avances  en  argent 
et  la  nahahie  d'Arcot.  Malheureusement  Lally,  à  bout 
de  ressources,  avait  promis  cette  seigneurie  à  un  autre 
potentat  indigène,  Kaja-Saeb,  (pii  lui  avait  prêté  une 
somme  de  120.000  rou])ies  (t).  Il  s'agissait  de  donner  sa- 
tisfaction à  Bassalet  Sing,  sans  aliéner  Raja-Saeb,  et  tout 
en  nu''nageant  Nisam-Aly,  autre  frère  et  rival  du  Souba  du 
Decan;  Bussy  devait  prendre  avec  lui  le  gros  de  la  ca- 
valerie ap})uyé  d'un  détachement  d'infanterie  et  njarcher 
à  la  rencontre  de  Bassalet-Sing.  Soit  lenteur  ou  duplicité 


(1)  Méinoiic  de  Bussy,  p.  92. 


MISSION  DE  HUSSY  DANS  LE  DECAN. 


417 


poiii' 
argent 


<lc  la  part  du  néuociatour,  cnimuo  l'affirmo  Laliy,  soit, 
coimiuï  le   prétend  Bussy,  nialiidresse    du  .général  dont 
la  mobilité  et   le   décousu  auraient  irrité  le  prince  in- 
dien, les  pourparlers  n'ahoutirent  pas.  liussy  vint  camper 
aui)rés  de  Hassalct  le  10  novend)re,  mais  il  ne  put  le  déci- 
der à  épouser  la  cause  franc-aise  et  dut  se  •  ontcnter  de 
ramener  avec  son  proj)re  détachement  ce  cpii  restait  de 
Français  au  Decan,  300  Catl'res  (1),  2.000  cipayes  qu'il  avait 
organisés  lors  de  son  séjour  dans  cette  province  et  ({uel- 
qucs  cavaliers  patans.  A  Arcot,  où  il  arriva  le  10  décem- 
bre, Bussy  trouva  une  lettre  qui  dépeint  bien  l'incohé- 
rence de  son  chef:  u  Si  je  ne  reçois  point  de  vos  nouvelles, 
lui  écrivait  Lally  (2),  d'ici  à  deux  ou  trois  jours,  mon  parti 
est  pris  d'aller  m'étal)lir  dans  le  sud  et  de  vous  abandon- 
ner les  trois  cpiarts  de  l'enqjire  pour  en  disposer  à  votre 
gré.  Une  ne  puis-je  vous  céder  le  tout!  » 

Un  événement  des  plus  extraordinaires  avait  singulière- 
ment entravé  Bussy  dans  sa  mission  diplomaticpie.  L'armée 
française,  dont  la  solde  était  en  arrière  de  dix  mois,  s'était 
révoltée.  Le  17  octobre,  le  régiment  de  I^orraine,  assem- 
blé à  l'insu  (le  ses  ofticiei's,  sortit  du  canq>  avec  armes  et 
l)agages  et  dressa  ses  tentes  à  une  denii-lieuc  de  distance. 
Ordres,  menaces,  supplications  furent  prodigués  en  vain. 
Lorraine  fut  bientôt  rejoint  par  les  autres  bataillons 
d'infanterie,  parla  cavalerie  et  l'artillerie;  les  drapeaux 
furent  laissés  à  la  garde  des  officiers.  Ce  que  voulaient  les 
soldats,  c'était  leur  solde;  :  «  Nous  attendrons  ici  quatre 
jours,  disaient-ils  à  leurs  chefs  (;{  ,  pour  voir  si  on  nous 
satisfera.  Ils  j".î'<Mit  ({u'ilsne  prench'ont  ni  «piatre ni  six  mois, 
qu'il  leur  faut  h  tout.  Tantôt  ils  menacent  de  prench'c  le 
fort  et  tantôt  d'aller  à  Pondichéry.  Nous  ne  les  quittons  ni 


(1)  Nom  donné  aux  nègres  recrutés  sur  la  côte  de  Zanzibar  ou  à  Mada- 
gascar. 

(2)  Lally  à  Ilussy.  Pondichéry,  15  novembre  1759.  Mémoire  de  Bussy. 

(3)  Allier  à  liussy.  Vandavacby,  18  octobre  17ô9.  Mémoire  do  IJussy. 

(.Li:iiiii;  iiK  sr.i'T  ans.  —  t.  m.  27 


ml  f. 


418 


LA  GUEP.Ri:  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  VII. 


\in 


ï   i: 


(le  Jour  ni  (le  nuit,  ('"cnvail  Allier,  nuijor  du  irf^inu'nt 
(lo  LalK .  Les  Aiij^lais  ont  déjà  vent  de  tout  eeci  et  tfklie- 
ront  d'en  ])i'olitei',  surtout  les  rivières  lo  permettant.  J'ai 
touché  sur  eette  corde;  ils  ont  tous  crié  :  Nous  vous  de- 
uianderons.  Messieurs,  et  nous  vous  suivrons  pai-lout.  ■)  Il 
faut  ajout<M'(|ue  les  iusurijés.  (|ui  avaient  élu  deux  ser- 
i;ents  pour  leurs  chefs,  ohservèrent  Tordre  le  plus  exact 
et  (pi'il  n'y  eut  ui  })illajie,  ui  dései'fir>n. 

Instruit  de  la  situation  par  les  rapjxjrts  oraux  et  écrits 
des  ofticiers,  Lally  convocpia  aussitôt  le  conseil,  en  obtint 
(juehjue  arasent,  y  ajouta  le  sien  et  ce  (pi'il  put  enipi'unter. 
H  expédia  au  camp  le  tout  avec  une  lettre  (1)  où  il  s'at- 
tachait à  l'él'uter  les  calomnies  (jui  circulaient  à  son  sujet 
j)armi  le   militaire,  en  chariieant   le    iiouverueur   et    les 
conseillers  de  Pondichéry  :  <«  Je  n'ai  pas  encore  touché  un 
sol  de  la  (iompagnie  depuis  que  je  suis  aux  Indes.  Ce  que 
j'ai  payé  aux  troupes  depuis  trois  uiois,  je  ne  l'ai  arraché 
que  des  valets  noirs  du  tiouverneur  et  des  conseillers,  qui 
ont  fait  passer  tous  leurs  fonds  en  Europe  et  que  je  viens 
d'ohli.iicr  d'envoyer  leur  vaisselle  à  la  Monnaie.  Je  vous 
ordonne  donc.  Monsieur,  sitôt  lu  j)résente  re(;ue,  de  faire 
battre  l'ordre  et  de  la  lire  en  plein  cercle.  J'ai  fait  partir 
tout  ce  que  j'ai  pu  ranuisser  d'argent   dans  la  ville  ce 
matin,  montant  à  près  de  50.000  roupies  ({ui  sufliseut  à 
payer  le  demi-mois  à  l'ofticicr  et  tout  le  uiois  au  soldat, 
si  l'on  ne  donne  rien  à  l'officier.  »  Lally  consent  à  laisser 
vérifier  par    des   délégués    des  révoltés  le   compte  des 
sommes  ajjportées  j)ar  la  flotte  ainsi  (jue  le  produit  des 
côtes;  il  fait  aussi  appel  au  concours  de  l'armée  ((  pour 
ni'aider  à   contraindre  les   habitants  à  se  cotiser,  pour 
fournira  la  paie  des  troupes,  d'ici  à  la  récolte  de  janvier, 
car  je  suis  tout  aussi  prêt  à  me  soulever  que  le  soldat, 
puis({u'il  m'est  dû  ])ien  plus  qu'à  lui.  Voilà,  Monsieur,  tout 


(1)  LeUro  citée  dans  le  inémoiic  du  fils  de  Lally,  p.  195. 


nÉVDLTE  DE  L'ARMÉE  IHANCAISE. 


419 


ce  quo  je  peux  faire  pour  siitisfaii'e  le  siildat,  dont  je  con- 
damne la  conduite,  sans  pouvoir  hlrtnier  tout  à  t'ait  les 
motifs.  »  Le  porteur  de  la  lettre,  M.  de  Fresncl,  n'eut  j)as 
l'occasion  de  comniuni([uer  à  la  troupe  la  pièce  extraor- 
dinaire dont  nous  venons  de  citer  «juelques  extraits.  .V 
peine  eut-il  ouvert  la  bouche,  que  sa  voix  fut  couverte  de 
huées.  Un  second  messager  mieux  choisi,  le  chevalier  de 
Grillon,  eut  plus  de  réussite;  il  était  chargé  d'une  seconde 
proclamation  d'un  ton  plus  so])i'c  et  d'une  rédacticju  plus 
militaire.  Lally  parlait  des  mutins  «  qui  ont  entraîné 
rarméc  malgré  elle  dans  cette  faute  énorme  d'insubordi- 
nation »  ;  il  ne  pouvait  <(  imaginer  que  des  soldats  sensés 
renoncent  de  sang-froid  à  leur  devoir  envers  le  Roi,  à 
leur  patrie,  à  leurs  femmes  et  enfants.  » 

Fut-ce  l'elfet  de  cet  appel,  le  résultat  de  la  rétlexion,  ou 
le  nouvel  appoint  de  18.000  roupies  dont  (Irillon  était 
numi,  toujours  est-il  qu'un  arrangement  fut  ennclu. 
((  L'armée,  était-il  <lit,  réunie  en  une  seule  voix,  accorde 
de  recevoir  six  mois  à  compte  de  la  paie,  en  attendant  jus- 
qu'au 10  du  mois  prochain,  pour  Unir  le  reste.  L'argent 
sera  délivré  à  l'aidée  où  nous  sommes  et  ensuite  on  se 
mettra  ei  marche  pour  Vandavachy,  nos  officiers  à  notre 
tète.  »  Ainsi  fut  fait  et  de  cette  façon  se  termina  cette 
étrange  aventure. 

Quelques  jours  plus  tard,  on  alla  canq)er  sous  les  murs 
(i'Arcot  et  il  est  possible  que  le  désir  d'éloigner  des 
troupes  royales  l'élément  le  plus  insubordonné  ne  fut  pas 
étranger  à  l'envoi  dans  le  Sud  du  bataillon  colonial  des 
Indes  sous  les  ordres  de  (Grillon.  Le  27  décend)re,  n])rès 
une  abseiice  de  plusieurs  mois,  Lnlly  vint  rej)rendre  le 
commandement.  Avant  de  (juittcr  Pondichéry,  il  avait  eu 
de  nouveaux  démêlés  avec  le  gouverneur  à  (]ui  il  repro- 
chait, peut-être  non  sans  raison,  les  désordres  de  l'admi- 
nistration et  la  pénurie  d'espèces  dont  soutfrait  la  co- 
lonie. A  la  suite  d'une  scène  violente  où  il  avait  été  fort 


il 


■11' 


"•'"■«■RW 


420 


LA  GL'KnUE  DE  SKPT  ANS.  —  CHAI».  VII. 


mnliiKMK'.  Lcyi'it  rcrivit  au  prnrral  eu  cher  une  Icllrc  (1) 
i)ii  il  afiirait  son  altciiJion  sur  les  daiipors  de  la  position  : 
<(  Les  oxct's  aiix(jii('ls  vous  vous  «Mos  poi'tr  contre'  moi  le  V 
«le  ce  niiois  ne  me  peruiettont  pas  «le  me  pirsenter  «levaut 
vous  et  me  meltcnf  anjounllini  dans  le  cas  «le  vous  «'crire 
pour  vous  faire  parvenir  les  craintes  et  les  in([ui<''tudes  «le 
la  (!()loni«\  «'tl'ravi'e  des  pi'oifrès  des  ennemis.  »  La  ré- 
pfjnse  (le  Lally  iii  est  caract«'>i'isti([ue  :  «  Qu"«'st-c«>  «jue 
tout  ce  i-adotaiie,  !\lonsi<'Ui'  de  Leyi'it?  Il  n'y  a  point  encore 
«le  mal  lait.  Voulez-vous  «{ue  je  vous  aime?  V'oulez-vous 
«[uc  je  vous  embrasse?  Voulez-vous  que  je  vous  fasse  des 
excuses?  Voulez-vous  enlin  vous  battre  avec  moi?  Finis- 
sons et  s<tyons  bons  amis.  Votre  fortune  ainsi  que  la 
mienne,  sont  actuellenuMit  entre  les  mains  de  la  (lompa- 

unie La  pert(>  de  ce  comptoir  n'entrainera-t-ellc  j)as 

notre  ruine  comnume.  Je  veux  «{ue  l'on  m'improuve  de 
vous  parl«>r  durenuMit,  ne  vous  improuvera-t-on  pas  de 
ne  me  pas  parler  du  tout?....  Encore  une  fois,  mon  cher 
Monsieur  de  Leyrit,  r(''unissons-nous;  oublions  le  passé, 
•le  ne  vous  ai  encore  rien  refusé;  vous  ne  m'avez  encore 
rien  demandt'.  Ordonnez,  disposez  de  moi;  dites-moi  ce 
(\\w,  vous  voulez,  j'y  souscris.  iN"«>tes-vous  pas  assez  vengé? 
Sauvons  la  (ilompagnie  et  nous  nous  sauverons  tous  deux.  » 

Arrêtons-nous  à  cette  citation;  elle  fait  ressortir  les 
défauts  et  les  qualités  de  notre  homme.  Primesautier,  in- 
capable «le  retenir  sa  langue,  toujours  ])r«>t  à  dire  ou  à 
écrire  les  boutades  «pie  lui  suggérait  une  pensée  aussi  vive 
«[u'irréflléchie,  Lally  ne  connaissait  pas  la  rancune,  ne  de- 
mandait pas  mieux  «|ue  «le  pardonner  à  ceux  «{u'il  avait 
«)lfensés  et  s'étonnait  «le  ne  pas  les  trouver  aussi  oublieux 
qu'il  l'était  lui-même. 

A  la  lin  «le  1759,  la  situation  «le  l'hnle  fram;aise  était  cri- 


(1)  Leyrit  à  Lally,  8  décembre  1759.  Mémoire  de  Bussy. 

(2)  Lally  à  Leyrit,  9  décembre  1759.  Mémoire  de  Bussy. 


(  , 


SITUATION  curriout:  mais  non  désespkrée. 


121 


fi([Uo  sniis  rtro  (Irscspri-rc  Malmr  (ni<'l(|U(>s  ('•cliccs,  le 
|)i'('sli,i:('  <los  (•irmcs  rlail  ciicoi-c  ;i  peu  |H'('s  iiilad;  sans 
(loiitc  on  avait  perdu  le  Dccan  et  Masulipatani.  mais  cot 
ahandon  rcnli'ait  tr()|>  dans  les  vues  du  (Conseil  de  hircc- 
tion  de  la  (lonipaiinic,  pour  (ju'il  lût  un  sujet  de  i-curcts; 
par  ('«Mitre,  sur  la  côte  do  Coroinandel,  le  l«'rrit(»ir('  de  la 
(!oni[)a,i;nii>  avait  été  accru  <>t  la  domination  IVancaisc 
consolidée  par  la  destruction  de  Saint-David  et  |»ar  l'occu- 
}»ation  d'Arcot  <'t  des  postes  avoisinants  ;  les  forces  de 
ferre,  pres(|ue  égales  à  c«dles  de  renneini,  sultiraient  pour 
maintenir  le  statu  quo.  Le  retour  de  la  flotte  au  ju'intemps 
prochain,  l'arrivée  de  «pielcpies  renforts,  pernu'ttraieni 
de  reprendre  l'ollensive  et  de  retrouver  le  «-oncours  des 
j)rinces  indigènes  toujours  enclins  à  se  mettre  <lu  cAté  du 
plus  loi't  ;  seuls  le  nian«[ue  d'arpent  et  l'impossibilité  de 
subvenir  i'é,i;ulièi'<Mnent  aux  besoins  de  l'armée»  étaient 
une  source  d'incfuiélude.  A  celle-ci,  nous  devons  en  ajou- 
ter une  antre,  la  plus  f;ravo  de  toutes,  la  désunion  pro- 
fonde (|ni  existait  entre  le  commissaire  du  ISoi  et  la 
j)res(iue  unanimité  de  ses  collaborateurs  tant  civils  (|ue 
militair<»s. 


I 


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CIIAPITUE  VIII 

LES  COURS  D'EUROPE  PENDANT  LANNÉE   1759 

Dl^MKI.KS   l)K   I.'aXII.KTKURK   AVKC    LA    IIOIJ.ANDK    Kl     LK    DANK- 

MAllK.    r.K    KOI    l)().\   CAIILOS.    —    OHUKS    DK    MKIIIATION 

FAITHS  PAU    LKSPACiM-:.  —  LK  TIIAITK  1)1    30  ni:(.I.MIIHK   1758. 
LK  CO.MTi;  l)K  CIlOISKUr  A  VIKXXi:.  UKI.ATI()>S  DKS  COURS 

i)K  vii;>m:  i:r  m:  vkusaillks.  —  la  cour  dk  i'ktkiisbolkc;. 
—  «Ai'i'om.s  i;miu:  la  klssik  et  la  ihanck. 


Au  cours  do  l'aniir»?  1759,  il  n'y  eut  ni  d;ins  la  vie  inté- 
rieure des  cahinels  européens  ni  dans  les  rapports  inter- 
nationauv  aucun  événement  qui  fi\t  de  nature  à  modifier 
la  balance  dos  partis.  I^e  décos,  au  mois  de  janvier,  de  la 
princesse  d'Oranue,  fille  du  roi  (loorcic  et  régente  des  Pays- 
Bas  pendant  la  minorité  de  son  fils,  napporta  aucun  chan- 
gemont  à  l'orientation  de  la  politi(|ue  étraug'ére  de  la  Hé- 
publiqne.  Dans  les  Provinces-Unies,  l'opinion,  en  majorité 
bien  disposée  pour  la  cause  anglo-prussienne,  était  trop 
influencée  j)ar  le  voisinage  de  la  I*'rance,  et  trop  irritée  des 
agissements  de  la  marine  anglaise  pour  permettre  au  gou- 
vernement de  s'engager  dans  la  lutte  et  pour  ne  pas  l'o- 
bliger à  conserver  les  avantages  de  la  neutralité.  Toute 
la  diplomatie  du  général  Yorke,  ministre  britanni(|ueî\  La 
Haye,  s'exerçait  depuis  longtemps  à  éviter  un  conflit  à 
propos  de  la  détention  des  navires  marchands  que  les 
croiseurs,  et  surtout  les  corsaires  anglais,  capturaient  sous 
piétextc  de  commerce  illicite  avec  les  belligérants,  et  que 
les  tribunaux  royaux  déclaraient  presque  invariablement 


TUAITKMKM'  UE  LA  MAItlNE:   IIOLLAMDAISK  PAU  LUS  ANGLAIS.    4'.>3 

(lo  honiic  prise,  l'arfois  mùm«',  les  rares  hAlimonls  iclAchés 
il  la  suite  de  juuciiKMits  favorables  étaient  saisis  à  pouvenu 
à  la  sortie  des  ports  anglais  :  «  J'ai  le  regret  de  voiîs 
iiilornier,  écrit  llolderncsse  (li,  (jue  les  vaisseaux  «le  Suri- 
nam ont  été  repris  pendant  leur  traversée  de  iMymoutli; 
j'ai  écrit  iinniédiatenient  au  docleur  llay  (jui,  je  l'espère, 
inventera  ipiehpie  movi'ii  d'eniprcluM'  d'infliger  au  Uoi  un 
allront  aussi  scandaleux (>el  incident  mettra  avec  rai- 
son les  Hollandais  hors  des  gonds.  »  l>enx  mois  avant  sa 
mort,  la  princesse  d'Orange  avait  adressé  (2)  h  son  père 
un  ardent  ajjpel  le  suppliant  de  faire  cesser  ces  mesures 
arbitraires.  I.e  Uoi  gratifia  sa  fille  de  quehjnes  mots  ainia- 
l»les,  mais  lloldernesse,  sans  doute  sous  la  pression  des 
armateurs  anglais,  loin  de  se  montrer  conciliant,  mit  à 
l)rofit  (3)  l'occasion  pour  insister  sur  la  nécessité  de  rendre 
plus  sévère  îa  visite  des  navires  hollandais.  (Irand  désap- 
pointement de  la  princesse  ((ui  s'était  attendue  à  mieux  : 
«  Vous  savez  aussi  bien  ([ue  moi  [k],  mon  bon  Yorke,  com- 
bien sont  déraisonnables  les  gens  avec  (pii  nous  avons  A 
faire;  la  semaine  prochaine,  tous  nos  ennemis  sei'ont  prêts 
à  prendre  feu,  si  l'on  n'offre  pas  quehiue  csj)oir  de  répa- 
ration. )' 

Au  sUi'plus,  la  Hollande  n'était  pas  la  seub;  puissance  à 
souffrir  des  procédés  anglais,  l'ne  lettre  du  premier  minis- 
tre danois  llernstorf  (5)indi{iue  à  quel  diapason  les  esprits 
étaient  montés  :  «  Depuis  plus  de  deux  ans,  vous  le  savez, 
Monsieur,  et  vous  le  voyez  même  de  pi'ès,  le  pavillon  du 
Uoi  se  trouve  exposé  aux  insultes  et  aux  vexations  les  plus 
dures  de  la  part  des  Anglais...  Ce  principe  orgueilleux 


î!i 


-:!» 


(1)  IIoldciDcsso  il  N'ewcasllo,  li  sept.  17ri8.  Newcastle  Papcrs,  vol.  32883. 

(2)  l'iinct'^se  d'Orange  à  George,  9  nov.  1758.  NewcasUe  l'aper.s,  vol.  32885. 

(3)  lloldernesse  à  Yorke.  '.iS  novembre  1758.  NewcaNlie  Papers,  32886. 

(i)  Princesse  d'Oranj-e  à  Yorkf,  îi  décembre  1758.  Ncwcaslle  Papers,  2;{88(i. 
(5)  licrnslorf  àClieii.sse,  Copenhague,  30  décembre  1758.  Newcaslle  Papers. 
32880. 


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424 


LA  C.UKHUE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  Mil. 


et  tyrapniqiio  de  ne  consulter  que  ses  propres  intérêts  et  de 
ruiner  le  commerce  de  tout  le  reste  de  l'Europe,  soit  par 
des  visilations  et  des  enlèvements  illégitimes,  exercés  par 
ses  armateurs,  soit  par  les  sentences  plus  injustes  encore 

prononcées  par  ses  iniques  tribunaux,  l'a  emporté 

Aucun  navigateur,  de  quelque  pays  (ju'il  soit,  et  (|uelque 
innocent  (ju'ait  pu  être  son  négoce,  n'a  jamais  obtenu  une 
sentence  équitable  devant  ces  Docteurs  Gommons  dont  le 
nom  va  descendre  en  horreur  k  la  postérité.  Pas  un  seul, 
Monsieur!  La  sentence  la  plus  favorable  est  toujours  ac- 
compagnée u'ime  condamnation  aux  frais  et  dépens,  qui, 
par  un  nouveau  trait  d'injustice,  montent  si  haut  qu'ils 
absorjjent  presque  ordinairement  la  valeur  de  la  charye 

du  navire Cette  môme  nation  britannique,  qui  se  dit 

armée  pour  la  liberté  de  l'Europe  et  qui  n'a  ({ue  ce  mot 
sacré  il  la  bouche,  ne  répand  ainsi  partout  que  ruine  et 
destruction,  et  s'airoge  un  despotisme  plus  dur  mille  fois 
et  moins  tolérable  que  celui  auquel  elle  prétend  s'oppo- 
ser... Douze  navires  revenant  des  Indes  danoises  de  l'A- 
mérique sont  devenus  leur  proie  dans  cet  automne.  Tous, 
quoi(iue  munis  des  papiers  les  plus  authentiques  faisant 
foi  qu'ils  appartiennent  à  des  Danois  et  qu'ils  ont  été 
chargés  à  Saint-Thomas  et  à  Sainte-Croix,  ont  été  traînés 
dans  les  ports  anglais.  Tous  y  éprouvent  les  lenteurs  et  les 
chicanes  les  plus  odieuses,  et  lorsque  le  comte  de  lioth.mer 
a  fait  contre  un  procédé  si  cruel  qui  porte  un  préjudice 
mortel  au  commerce  national  du  Itanemark,  par  ordre 
exprés  (lu  Roi  et  en  son  nom,  des  remontrances  aussi 
mesurées  que  sérieuses,  il  n'a  reçu  du  comte  Holdernesse 
qu'une  réponse  dont  la  dureté  et  la  hauteur  ajoutent  en- 
core A  l'injustice  et  à  la  vexation.  » 

Pour  mettre  fm  à  ces  abus  de  pouvoir,  l'entente  des 
puissances  (Il  était  indiquée  ;  aussi  Bernstorf  engage-t-il 

(1)  Voir  à  c«>  sujet  Boiirgin-l.  Duc  de  Clioiseul  et  la  Hitlhinilv.  tleviie 
llislorique,  l'JO.î. 


PROTESTATIONS  DANOISES  CONTRE  LES  PROCEDES  ANGLAIS.     425 

Clieiisse,  sou  ministre  i\  La  Haye,  à  sonder  les  sentiments 
des  magistrats  de  la  Ilépublique,  de  la  province  de  Hol- 
lande et  des  négociants  des  villes  d'Amsterdam  et  de  Rot- 
terdam, et  à  se  renseigner  discrètement  sur  la  possiijilité 
d'une  action  commune.  La  dépèche  danoise  l'ut  prohahle- 
Mient  communiquée  à  Yorke  par  son  collègue  qui  avait  or- 
dre de  l'enf retenir  de  la  cpiestion;  toujours  est-il  ([u'elle 
passa  sous  les  yeux  des  principaux  ministres  anglais  et 
qu'elle  contribua  certainement,  avec  l'avis  désarmements 
(|ue  faisaient  la  Hollande  et  le  Danemark,  à  amener  un 
changement  dans  la  politique  du  cabinet  de  Saint-James. 
Cielui-ci,  comprenant  (pi'il  était  allé  trop  loin,  fit  voler  au 
parlement,  malgré  une  vive  opposition  des  armateurs, 
une  loi  punissant  les  excès  des  corsaires  et  permettant  aux 
propriétaires  des  navires  saisis  d'obtenir  leur  libération 
moyennant  le  dépAt  d'une  caution  en  argent.  Celte  mesure 
et  quelques  jugements  en  faveur  des  neutres  produisirent 
une  détente  dans  le  monde  commercial.  Sur  ces  entrefai- 
tes, une  commission  composée  de  délég;;és  hollandais 
était  venue  à  Londres  négocier  un  arrangement  définitif, 
mais  les  pourparlers  traînèrent  en  longueur,  et  nous  ap- 
prenons par  une  note  de  Newcastle  (t)  qu'au  commence- 
ment de  juillet,  il  y  avait  encore  en  détenti(«n  provisoire 
110  bùtimeuts.sur  lesquels  50  avaient  été  arrêtés  au  cours 
d'une  navigation  dont  le  point  de  départ  était  un  port  des 
colonies  hollandaises. 

Ce  conflit  n'était  p.is  apaisé  que  des  diflicullés  surgirent 
à  l'occasion  du  'ransit  d(!  canons  que  le  ministère  français 
avait  achetés  en  Suède  et  fait  débartpier  à  Amsterdam; 
une  main-mise  sur  ce  jnatériel,  elfectuée  à  la  re(|uète  de 
Yoïke  (*2),  fut  l'objet  dune  protestation  de  l'ambassadeur 


II! 


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Ut'viie 


(1)  Enlievue  des  (lopulos  liollanJais  avec  llardwiclvc,  5  juilkl  17511.  Ncw- 
cixMii  l'apcrs,  vol.  32892. 

(2)  Méuioiro  iirésciilé  aux  Liais  gciiérau.v  par  le  général  Yorke,  28  sept. 
t7r)"J.  Annual  Regisfer. 


I 


AU 


L\  GLI'RHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  Mil. 


français.  Dan.s  son  méinoii'e  (1)  aux  Hautes  Puissances, 
Alfry  invoquait  à  l'appui  de  sa  plainte  les  précédents  de 
l'évacuation  en  1757,  par  la  Hollande,  do  l'artillerie  prus- 
sienne de  la  place  de  >Vescl,  et  la  violation  du  territoire 
néerlandais  par  le  prince  Ferdinand,  lors  de  son  passage 
du  Jlhin  en  1758.  Malgré  ces  raisons  qui  no  manquaient 
pas  d'à-propos,  les  Hautes  Puissances  résistèrent  ei  le  litige 
s'envenima  au  point  de  devenir  menaçant;  Choiseul  alla 
jusqu'à  parler  i2  d'cmpioyor  la  voie  des  armes  pour  se 
l'aire  livrer  les  canons,  dont  on  ne  pouvait  se  passer  pour 
les  opérations  en  Allemagne.  En  iin  de  compte,  la  Ré- 
publique se  lira  d'afTaire  très  habilement  par  une  décla- 
ration (3)  où  on  priait  Sa  Majesté  Britanni(jue  «  de  ne 
point  prendre  mauvais  que  les  Hautes  Puissances,  en  con- 
sidération do  leur  situation  qui  ne  leur  .saurait  permettre 
de  favoriser  l'une  des  puissances  en  guerre  plus  que  l'au- 
tre, ou  de  refuser  à  celle-ci  ce  qui  a  été  permis  à  celle- 
lA,  fassent  dil'liculté  de  donner  qucl(|ue  ordre  contre  le 
transport  de  l'artillerie  que  M.  le  conito  d'AUry  déclare 
appartenir  en  propriété  à  la  couronne  de  France  et  qui  est 
entrée  ici  à  rexemple  de  plusieurs  transports  semblables 
faits  pour  les  alliés  de  Sa  Majesté  Britannique.  »  H  était  dif- 
licile  de  l'éfuter  cette  argumentation  ;  aussi  Yorkc  n'in- 
sista-t-il  pas  (V)  et  la  cour  de  Versailles  put  prendre  livrai- 
son de  ses  canons,  non  sans  de  nouveaux  retards,  dus 
cette  fois  à  la  nécessité  de  trouver  les  fonds  pour  l'acquit- 
tement des  factures. 

En  dépit  de  la  satisfaction  donnée,  les  rapports  restèrent 
fort  tendus  entre  la  Hollande  et  la  France;  un  moment, 
le  langage  de  Choiseul  à  l'envové  Herkenrode  et  l'attitude 


(1)  Mémoire  présenté  par  le  comte  d'Affry,  19  oct()l)rc  1750.  Annual  lie- 
gister. 

(2)  Slarhemberg  à  Kaunitz,  30  novembre  175!».  Archives  de  Vienne. 

(3)  Réponse  des  Étals  sénérauv  à  Yorke,  ît  novembre  1750.  Record  Oflice. 

(4)  Yoïke  à  Holdernosse,  27  novembre  1750.  Record  Olïice. 


RAPPORTS  TENDUS  ENTRE  LA  FRANCE  ET  LA  HOLLANDE.  427 


d'AUVy  ;l  La  Haye  firent  croire  que  la  cour  de  Versailles 
cherchait  un  prétexte  de  rupture;  la  proposition  d'un 
congrès  formulée  par  les  rois  d'Angletei-re  et  de  Prusse 
et  surtout  les  sages  conseils  de  l'Impératrice-Reine,  (jui 
(lisait  avec  raison  ne  pas  vouloir  augmenter  le  nombre 
de  ses  ennemis,  empêchèrent  l'orage  d'éclater. 

En  résumé,  iiiali^ré  le  penchant  incontestable  des  chefs 
de  la  faction  orangiste  pour  ce  qu'ils  appelaient  la  cause 
protestante,  la  République  maintint  assez  correctement  la 
neutralité  t\  lacjuclle  elle  s'était  engagée.  Il  en  fut  de  môme 
du  Danemark  qui,  bien  que  sollicité  des  deux  côtés,  refusa 
de  prendre  parti  et  se  contenta  de  former  une  armée  d'ob- 
servation à  l'entretien  de  laquelle  le  cabinet  de  Versailles 
contribua  par  des  subsides  consentis  en  vertu  du  traité 
du  ï  mai  1758. 

Les  incidents  d'Espagne  eurent  une  tout  autre  impor- 
tance j)our  la  suite  des  événements.  Le  décès  du  roi  Ferdi- 
nand, (jui  eut  lieu  le  iO  août  1759,  en  faisant  monter  sur 
le  trône  un  ami  dévoué  de  la  France,  devait  avoir  phis  tard 
une  répercussion  capitale  sur  le  groupement  des  [)uissan- 
ces.  Pendant  la  (in  du  règne,  le  ministre  ^Vall,  qui  jouissait 
de  la  confiance  absolue  de  son  maître,  avait  dirigé  la  poli- 
tique extérieure  de  son  pays  dans  un  sens  favorable  ;l  la 
wraudc-  'îretagne  ;  aussi,  ajjrès  avoir  essayé  en  vain  d'entraî- 
ner les  Bourbons  d'Espagne  dans  la  querelle  de  la  branche 
aînée,  le  cabinet  de  Versailles  avait-il  dû  reconnaître  l'ina- 
nité de  ses  efforts  et  laisser  son  ambassadeur  à  Madrid  jouer 
un  rôle  effacé.  Pendant  l'automne  de  1758,  il  est  vrai,  le 
cardinal  de  P»ernis  avait  songé  à  recourir  aux  bons  offices 
de  l'Espagne  pour  entamer  avec  l'Angleterre  les  négocia- 
tions pacilicpies  qu'il  avait  en  vue;  mais  sa  disgrîYce  et  l'a- 
vènement de  Choiseul  avaient  interromj)u  ces  pourparlers 
que  l'état  de  sanlé  de  Sa  Maj(>sté  Catholi(iue  n'aurait  d'ail- 
leurs pas  permis  de  continuer. 

Durant  les  derniers  mois  de  son  existence,  le  roi  Ferdi- 


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428 


LA  01  ERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


nand  était  tombé  dans  une  espèce  de  folie  coupée  par  de 
rares  intervalles  de  lucidité;  il  abandonna  la  direction  dos 
affaires  à  ses  ministres  avec  lesquels  il  n'entretint  plus  de 
rapports,  et  comme  il  n'y  avait  entre  eu.\  aucune  solida- 
rité, l'Kspagnc  fut  livrée  à  lanarcliie.  Chaque  ministre 
conduisait  à  sa  guise  la  besogne  de  son  département  :  Val- 
paraiso  administrait  les  finances  sans  contrôle;  ((  M.  Araga, 
le  secrétaire  d'Klat  pour  la  marine,  écrit  l'ambassadeur 
anglais  (1),  passe  beaucoup  de  temps  en  prières  comme 
d'habitude,  il  ne  fait  rien  aujourd'hui  et  ne  s'est  jamais 
beaucoup  occupé  d'afl'aiies,  car  ses  dévotions  ne  lui  lais- 
sent que  peu  de  loisir.  »  Seul  le  minisire  des  Affaires 
Étrangères,  pour  sauver  les  apparences,  faisait  toutes  les 
semaines  un  séjour  à  Villaviciosa  auprès  du  souverain, 
mais  il  ne  l'avait  pas  vu  depuis  le  mois  de  novembre.  En 
attendant,  il  était  aussi  dévoué  que  jamais  au  système 
britannique;  quelques  jours  avant  la  mort  du  Koi,  Lord 
Bristol  avait  recueilli  (2  de  la  bouche  de  Wall  les  assertions 
les  plus  rassurantes  :  «  S'il  voyait  quelque  chance  pour  la 
France  de  reconquérir  son  ancien  crédit  dans  les  conseils 
de  l'Espagne,  il  abandonnerait  toute  participation  au  gou- 
vernement du  pays;  mais  il  ne  se  retirerait  pas  avant  d'a- 
voir essayé  de  convaincre  les  partisans  d'une  subordina- 
tion servile  à  la  cour  de  Versailles,  que  le  seul  moyen 
qu'eût  Sa  Majesté  Catholique  de  prendre  la  situation  qui 
lui  appartenait  en  Europe  consistait  à  repous.ser  toute 
coopération  avec  la  France,  et  à  unir  fermement  les  inté- 
rêts de  sa  couronne  à  ceux  de  l'Angleterre.  » 

l*our  maintenir  cette  entente  cordiale,  la  cour  de  Saint- 
.lamcs  n'avait  que  dcu.x  choses  à  faire  :  donner  quelques 
satisfactions  aux  réclamations  constantes  du  gouvernement 
de   Madrid  au   sujet   des    agissements  des   vaisseaux   do 


(1)  ririslol  à  PiU,  4  juin  1759.  Ri^cord  Oriice.  Spaiii. 

(2)  Bristol  à  Pilt,  18  juillet  175<>.  Ilecord  Oflice. 


1  in 


l'OLlE  DE  TERUlNAiNl),  UOl  DESPAO.NE. 


429 


guerre  et  des  corsaires  britanniques  et  avoir  recours,  en 
cas  de  négociations  pour  la  paix,  à  la  médiation  du  roi  de 
iNaplcs  qui  succéderait  l>ientùt  au  trône  d'Espagne.  «  Ce 
nest  qu'un  compliment  que  vous  lui  ferez,  disait  Wall  (1), 

mais  cela  lui  causera  le  plaisir  le  plus  sensible il  est 

honnête  bomme,  et  tout  ce  qu'il  faut,  c'est  de  le  persua- 
der que  voire  confiance  et  la  loi  que  vous  avez  dans  sa 
discrétion  sont  égales  à  celles  que  vous  avez  toujours  mon- 
trées à  son  frère  Ferdinand L'Espagne  est  en  ce  mo- 
ment séparée  de  la  France;  elle  le  restera  tant  que  j'au- 
rai ici  de  l'influence,  si  vous  voulez  bien  m'aidcr.  Prenez 
garde  par  de  la  négligence  de  nous  rejeter  entre  les 
mains  de  nos  voisins.  » 

Ces  avis,  que  Bristol  s'empressa  de  transmettre  à  son 
chef  hiérarchique  Pitt,  ne  furent  guère  écoutés  à  Londres, 
i^cs  procédés  des  marins  anglais,  que  nous  avons  déjà 
signalés  à  propos  des  Pays-Iîas  et  du  Danemark,  faisaient 
naiirc  avec  l'Espagne  des  incidents  d'autant  plus  nom- 
breux que  le  contact  était  plus  fréquent  ;  la  correspondance 
d'Abreu,  ambassadeur  espagnol  à  Londres,  avec  Pitt  n'est 
(ju'une  longue  énumération  de  captures  de  bâtiments 
espagnols  dans  toutes  les  mers  des  deux  mondes,  de  prises 
françaises  enlevées  dans  la  zone  côtière,  d'insultes  au  pa- 
villon, de  brutalités  et  de  rapines. 

Tout  anglophile  qu'il  s'affirmAt,  tout  sensible  qu'il  fut 
aux  compliments  du  Vnn  et  des  ministres  britanniques, 
Wall  savait  insister  pour  obtenir  des  réparations  tangi- 
bles. A  Abreu  qui  venait  de  lui  envoyer  le  récit  d'une 
conversation  avec  le  duc  de  Kcwcastle,  il  réplique  (2i  avec 
aigreur  :  «  J'aurais  souhaité  que  vous  nous  fassiez  rendre 
compte  si  M.  Pitt  (qui  est  en  fait  le  ministre)  pense  de 


.  ,  î 


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Cl)  Bristol  à  Pilt,  30  juillet  1759.  Record  Or(ice. 

(2)  Wall  à  Abreu,  9  juillet  1759  (Lettre  inlorceptéc).  Miscellancous  Papers, 
"Jl.  Record  Office. 


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430 


LA  GUEimE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


\  ; 


môme  que  le  duc.  Si  vraiment  ils  veulent  vivre  en  bon 
accord  avec  nous,  ils  ont  bien  assez  d'occasions  de  mani- 
fester leur  amitié,  au  lieu  des  bonnes  paroles  dont  ils  sont 
si  prodigues,  en  nous  rendant  le  grand  nombre  de  navires 
qu'ils  détiennent  indignement  dans  leurs  ports  au  grand 
détriment  de  nos  nationaux.  »  Mais  le  cabinet  de  Saint- 
James,  à  cheval  sur  les  prétendus  droits  que  lui  assurait 
sa  suprématie  maritime,  n'entendait  racheter  par  aucune 
concession  les  bénéfices  qu'il  tirait  de  la  neutralité  espa- 
gnole; aux  plaintes  qui  lui  étaient  transmises,  il  répondait 
la  plupart  du  temps  en  opposant  les  jugements  de  ses  tri- 
bunaux, qui  donnaient  presque  toujours  gain  de  cause  à 
leurs  concitoyens.  Au  cours  de  ces  discussions  intermina- 
bles, il  se  produisit  un  incident  d'un  caractère  ph  s  fâ- 
cheux que  d'habitude.  Une  frégate  anglaise  avait  amariné 
en  pleine  mer  un  bâtiment  français  qu'un  vaisseau  es- 
pagnol, le  Guerrero,  avait  pris  sous  sa  protection,  et  la- 
vait  enlevé  pendant  la  nuit  malgré  les  vives  protestations 
du  commandant.  Au  lieu  de  saisir  l'occasion  de  flatter 
l'amour-propre  castillan,  Pitt  refusa  (1)  toute  satisfaction 
en  s'appuyant  sur  l'inconvénient  de  créer  un  précédent  an 
profit  du  pavillon  neutre.  Le  môme  procédé  fut  appliqué, 
comme  nous  le  verrons,  aux  oli'res  de  médiation  que  le  mi- 
nistre anglais  déclina  en  phrases  dont  la  politesse  cherchée 
dissimulait  à  peine  la  sécheresse  orgueilleuse  qui  lui  était 
familière. 

Peu  de  jours  après  les  entretiens  entre  Wall  ctP>ristol  que 
nous  venons  de  relater,  l'interrègne  se  termina  par  la  mort 
du  roi  Ferdinand.  La  cour  de  Versailles  pouvait-elle  at- 
tendre du  nouveau  souverain  un  revirement  favorable  à  sa 
fortune?  Don  Carlos,  roi  des  Deux-Siciles,  frère  et  succes- 
seur de  Ferdinand,  avait  la  réputation  de  vouloir  se  rap- 
procher de  son  cousin  de  France,  et  passait  pour  n'avoir 


(1)  PiU  à  nrislol,  31  août  1759.  Ilccord  Oflice. 


MORT  DE  FEIIDINAND. 


«1 


pas  pardonné  aux  Anglais  l'humiliation  (juils  lui  avaient 
infligée  pendant  la  guerre  do  Succession  en  l'obligeant, 
sous  menace  de  bombardement,  à  retirer  de  la  haute 
Italie  les  troupes  napolitaines.  Les  rapports  du  inanjuis 
d'Ossun,  ministre  français  k  la  ccur  de  Naples,  étaient 
encourageants;  il  trac^Niit  (1)  de  ce  prince  auquel  il  était 
dévoué  un  portrait  élogienx  :  «  11  a  des  lumières,  de  la 
pénétration,  beaucoup  de  justesse  dans  le  raisonnement  et 
dans  les  combiuaisons.  Il  est  instruit  à  fond  des  phis  petits 

détails  et  jaloux  de  son  autorité S,  M.  Catholique  parait 

à  présent  revenir  aux  vrais  principes  qui  sont  l'intime  union 
des  dill'érentes  branches  de  l'auguste  maison  de  France.  » 

L'expression  de  ces  sentiments  devait  être  d'autant  mieux 
accueillie  à  Versailles  que  l'on  s'y  demandciit  avec  quelque 
inquiétude,  si  le  mécontentement  hautement  manifesté 
contre  l'impératrice-lieine,  k  la  suite  de  la  rupture  du  ma- 
riage de  l'archiduc  Joseph  avec  une  princesse  de  iXaples,  ne 
s'étendrait  pas  à  la  personne  de  Louis  XV,  dont  la  petite-iîlle 
allait  remplacer  sa  cousine  comme  future  épouse  du  fils 
de  '  u'ie-Thérèse.  D'autre  part,  depuis  quelque  temps,  il 
n'étaii  plus  question  d'un  projet  d'après  lequel  Don  Carlos 
traverserait  le  midi  de  la  France  pour  se  rendre  à  Madrid, 
et  profiterait  du  voyage  pour  avoir  une  entrevue  avec  le 
chef  de  la  famille  de  Bourbon.  Enfin,  à  s'en  rapporter  aux 
dires  de  la  cour  de  Vienne,  il  fallait  se  délier  de  Tannucci, 
premier  ministre  de  Naples,  qu'on  dépeignait  comme  hos- 
tile à  l'alliance. 

Si,  au  moment  de  la  succession,  le  cabinet  français  con- 
servait encore  des  doutes  sur  l'attitude  du  nouveau  roi 
d'Espagne,  ils  s'évanouirent  bientôt  devant  la  franchise  de 
ses  déclarations,  et  devant  l'empressement  qu'il  mit  à  ac- 
tiver les  négociations  avec  l'Angleterre.  Conformément 
ai,x  instructions  de  son  souverain,  l'envoyé  na[)olitain,  le 
prince  de  San  Severino,  avait  sondé   le  terrain  en   vue 

(1)  Ossiin  à  Clioiseiil,  10  scpliMiibro  17.VJ.  Atliiires  Etrangères,  Xaples. 


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432 


I.A  C.UEURE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


d'une  intervention  entre  les  belligérants,  et  avait  eu  à  cet 
effet  avec  Pitt,  vers  la  fin  d'aoïU,  deux  conversations  dont 
le  compte  rendu  (1)  fut  aussitôt  transmis  à  Versailles. 
Comme  San  Scverino  avait  débuté  en  parlant  d'une  dé- 
marche faite  à  Madrid,  au  nom  du  roi  de  Prusse,  par  le 
lord  Maréchal ,  Pitt  de  répliquer  «  qu'il  ne  pouvait  pas 
croire  que  le  roi  de  Prusse  eût  autorisé  son  ministre  à 

faire  une  pareille  ouverture sans  en  avoir  informé 

son  allié,  et  que  ce  préalable  ne  se  trouvant  pas  rempli, 
il  ne  pouvait  s'agir  que  de  l'c-xprcssion  d'idées  particu- 
lières au  Maréchal.  »  L'envoyé,  sans  se  laisser  démonter 
par  cette  rebull'ade,  explicjua  «  qu'il  était  expressément 
chargé  de  savoir  comment  lui,  M.  Pitt,  penserait  person- 
nellement sur  l'offre  »  d'intervention.  A  cette  question, 
l'Anglais  répondit  qu'il  «  avait  constamment  regardé 
comme  un  principe  fondamental  de  la  monarchie  anglaise 
jon  union  intime  et  inébranlable  avec  l'E-spagne;  lui,  Pitt, 
inclinait  entièrement  à  accepter  la  médiation  de  S.  M,  Ca- 
tholique, »  mais  (ju'étant  donnée  la  situation  avantageuse 
où  se  trouvait  le  roi  d'Angleterre  vis-à-vis  de  la  France, 
ce  n'était  pas  à  ce  prince  «  à  rechercher  le  premier  une 
médiation;  enfin  il  ne  pourrait  jamais  accepter  une  pro- 
position de  ce  genre  sans  en  avoir  prévenu  ses  alliés.  » 
IJ'un  commun  assentiment,  il  fut  entendu  que  le  roi 
(ieorge  serait  informé  des  intentions  conciliatrices  du  roi 
Carlos. 

Dans  le  second  entretien,  Pitt  annonça  que  son  maître 
était  d'accord  avec  lui  sur  la  nécessité  de  transmettre  à  ses 
alliés  le  projet  espagnol,  et  sur  la  confiance  dans  <(  l'im- 
partialité, l'équité,  les  lumières  »  de  S.  M.  Catholique,  dont 
on  «  désire  de  cultiver  l'amitié  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles. )'  H  convenait  d'ailleurs  d'attendre  les  nouvelles  du 
Canada  avant  d'entamer  une  négociation  quelconque.  Le 

(1)  Ossun  à  Clioiscul,  18  spplcnibre  1759.  Afl'aircs  Étrangères,  Naples. 


CONVEIISATION  Dh  SAN  SEVKRINO  AVKC  l'I  II . 


i,13 


liés.  » 

e   roi 

du  roi 

maître 
•e  A  ses 
l'iin- 
c,  dont 
is  pos- 
illes  du 
uc.  Le 

les. 


récit  que  faitPift  de  la  conversation  (1)  no  diflÏTo  guère 
d<>  celui  do  son  interlocuteur.  Il  qualifie  les  ouvertuies  de 
San  Severino  «  d'extrèinemcnt  délicates  pour  le  fond  et 
encore  plus  embarrassantes  par  leur  caractère  mal  défini, 
tenant  à  moitié  de  la  communication  officielle  et  d'un  en- 
tretien privé.  »  Quand  Bristol  soiunit  (2)  le  contenu  de  la 
lettre  de  son  chef  à  Wall,  ce  dernier  chercha  h  atténuer 
la  gravité  de  la  démarche  faite  à  Londres  :  Le  roi  de;  Naples 
ne  s'élait  pas  présenté  en  médiateur,  ne  sachant  pas  si  en 
assumant  ce  rôle,  il  entrerait  dans  les  vues  du  roi  (ieorge, 
il  avait  voulu  seulement  rinforinor  que,  le  cas  échéant  et 
sur  la  demande  des  parties,  il  ne  se  refuserait  pas  tV 
essayer  de  réconcilier  les  helligérants. 

Eu  fait,  le  roi  'utholiquo  s'était  avancé  beaucoup  plus 
que  ne  le  croyait  son  ministre  dos  affaires  étrangères. 
Déjà,  sans  é'.rc  fixé  sur  le  résultat  des  entrevues  de  Lon- 
dres, il  avait  proposé  son  concours  ii  son  cousin  Louis  XV 
et  celui-ci  l'avait  accepté  dans  les  termes  suivants  (.'{)  :  «  Le 
Uoi  mon  maitro  ne  demande  pas  que  V.  M.  se  déclare  pour 
la  France,  mais  il  saisit  avec  empressement  la  médiation 
(jue  V.  M.  lui  a  offerte...  surtout  si  V.  M.,  après  avoir  em- 
ployé inutilement  le  langage  do  la  douceur  et  de  l'amitié, 
([u'Ello  parait  préférer  dans  ce  moment,  fait  signifier  à  la 
l''ranco  et  à  l'Angleterre  qu'elle  se  charge  do  la  médiation; 
qu'Elle  entend  que  cette  médiation  soit  armée,  et  que  vu  le 
préjudice  que  le  commerce  de  l'Espagne  et  les  possessions 
espagnoles  peuvent  souffrir  de  la  continuation  do  la  guerre 
entre  ces  deux  couronnes,  et  considérant  aussi  combien  il 
est  essentiel  à  l'I^^spagne  que  l'ôijuilibre  dos  possessions 
on  Amérique  établi  par  le  traité  d'Utrecht  no  soit  point 
altéré,  S.  M.  se  verra  obligée  de  se  déclarer  contre  la  pat- 

(l)  PiU  à  nrislol,  li  s(<iilembrc  l'.M).  Record  Olllcc. 
[•.i)  ISiistol  il  l'iU,  !•■■  octobre  17VJ.  Rpcoril  Omce. 

(3)  Mémoire  délivré  au  roi  d'Espagne  [lar  Ossuii,  'il  sept.   175',».  Afl'aires 
Etranf;ères.  Naples. 

(.IIEIIUF,   DE   SEI'T    ANS.    —   T.    III.  28 


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LA  CUEHHK  DE  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


fie  hoUimér.intc  qui  refuserait  de  souscrire  aux  proposi- 
lioiis  rnisonuabU's  qu'elle  aura  suggérées  pour  h;  rétablis- 
sement de  la  pai.v.  ))  Suivent  les  condilionsqui  constituaient 
rultiniatuni  de  la  Kranre.  Ueniise  de  la  délimitation  des 
teii'îtoires  de  l'Acadie  et  de  l'Ohio  à  l'arbitrage  du  roi 
d'Kspagne.  Restitution  de  l'Ile  de  Minorfjue  en  échange  du 
droit  d<^  rétablir  les  fortilications  de  Dunkerque...  Démo- 
lilion  de  Louisbour.u  et  engagement  de  ne  pas  rééditier 
de  forteresse  dans  le  même  endroit...  évacuation  des  villes 
et  contrées  occupées  en  Allemagne  par  les  Français.  Dis- 
location des  armées  confédérées  et  interdiction  de  les  em- 
ployer contre  les  alliés  de  la  France.  Liberté  prtur  les  deux 
puissances  d'accorder  dos  subsides  eu  argent  à  rimpéra- 
trice-Ucine  et  au  roi  de  Prusse.  Abandon  de  toute  réclama- 
tion relative  aux  navires  marchands  confisqués  avant  la 
déclaration  de  guerre.  Kestitution  do  toutes  les  conquêtes 
faites  sur  la  France  par  les  Anglais  en  Améri(jue  ou  ail- 
leurs. Le  mémoire  qui  contenait  ces  bases  de  pacification 
fut  remis  au  roi  d'Espagne  lo  21  septembre,  et  six  jours 
après,  Ossun  annonçait  (1)  à  Choiseul  que  Tannucci  avait 
écrit  à  Londres  «  pour  oll'rir  formellement  la  médiation 
du  lloi  son  maître,  et  il  le  fait  dans  les  termes  de  l'amitié, 
mais  en  faisant  sentir  on  mémo  temps  que  le  roi  d'Espagne 
se  flatte  de  ne  pas  éprouver  un  refus.  » 

Ce  fut  seulement  deux  mois  après,  qu'Ossun  pût  trans- 
mettre (2)  à  Choiseul  le  résultat  de  cette  nouvelle  dé- 
marche. S'il  faut  croire  le  récit  que  Don  Carlos  fit  à  l'am- 
bassadeur, voici  ce  (jui  s'était  passé  :  Pitt  «  avait  témoigné 
avec  assez  de  liauteur,  qu'il  n'était  pas  temps  tie  songer 
à  la  paix,  que  les  grands  succès  de  l'Angletorrc;  exi- 
geaient (lu  roi  britannique  qu'il  s'occupât  uniquement  du 


(1)  Ossun  à  Choiseul,  27  sept.  1".')9.  Aflaires  Élrangères.  Naplos. 

(2)  Ossun  à  Choiseul.  Saragosse,  2i  novcm'ue  1759.  AlVairt's  Étrangt'res. 
Es])agnc. 


NOUVEL  KMTUETIKN  DE  SAN  SEVEUINO  AVEC  PITT. 


W, 


spagne 


ti-ans- 
llc  dé- 
à  Tam- 
moigné 
songer 


soin  (l(«  les  conserver,  et  môinc  de  les  augmenter.  »  Kii 
réjionse,  Sun  Séverine,  tout  eu  aflirniant  (\uo  la  proposiliou 
de  sou  uialtre  <  avait  eu  pour  prlucip.il  ohjcl  de  convaincre 
S.  M.  Hritanni(jue  (|ue  son  auiilié  pour  KUe  n'était  ni  moins 
solide,  ni  moins  sincère  que  celles  (pi'il  avait  pour  le  lUii 
son  cousin,  »  ajouta  «  que  S,  M.  (ïatlioli(pic  ne  pouvait  [ins 
voir  avec  indillerencc  les  progrès  considérables  des  An- 
glais en  Amérique,  ni  soull'rir  tranquillement  que  i'écpiili- 
hre  des  possessions  établi  par  le  traité  dTtrecht  dans  ce 
continent  fût  altéré  ou  renversé.  »  l*itt  parut  «  fra[>pé  de 
cette  déci.'iri'tion,  et  après  avoir  resté  un  instant  avec  un  iiii- 
décontenancé,  il  avait  dit  que  lintention  de  rAnglcterre 
n'était  pas  de  garder  toutes  les  concpiôtes  qu'elle  avait 
faites,  et  qu'il  s'en  fallait  bien  <jue  le  Uoi  son  maître  fût 
éloigné  de  conclure  une  paix  solide  et  raisonnable,  que 
S.  M.  Ih'itannique  mettrait  incessamment  Milord  Iliristol  eu 
état  de  conférer  sur  cette  matière  avec  les  ministres  de 
S.  M.  Catlioliipie,  et  môme  de  donner  de  grandes  facilités 
pour  parvenir  à  une  conciliation  avec  la  France.  »  Ainsi 
qu'on  le  voit,  tout  en  restant  parfaitement  C(»urtoise,  l'at- 
titude du  cabinet  de  Saint-.lames  avait  [cbangé  depuis  la 
première  entrevue  avec  l'envoyé  napolitain.  Dans  rintei*i« 
valle,  on  avait  reçu  à  Londres  l'avis  de  la  capitulation  de 
Uuébec,  et  on  cscompait  l'occupation  procliaine  de  tout  le 
(Canada,  (^boiseul  lui  aussi  comprenait  bi<Mi  la  portée  de 
ces  événements  quand  il  esquissait  la  situation  à  Ossun  (1). 
«  Voilà  donc,  Monsieur,  la  perte  du  Canada  constatée,  et 
nous  avons  des  craintes  bien  fondées  qu'elle  ne  soit  bientôt 
suivie  de  celle  de  la  Louisiane  et  de  la  Martinique.  »  Ce 
n'était  pas  tout;  des  Indes,  on  venait  d'apprendre  ll'écbec 
de  Lally  devant  Madras;  en  Afrique,  les  établissements 
du  Sénégal  étaient  tombés  entre  les  mains  des  Anglais. 
Heureusement,  au  fur  et  à  mesure  des  malbeurs  qui 

(I)  Choiseul  à  Ossun,  22  octobre  1759.  Affaires  Etrangères.  Espagne. 


4 


43C 


LA  CJUERHK  l»K  SKPT  ANS.        CIIAP.  Mil. 


s'appesantissaient  .sur  |ji  Kraiice,  plus  le  Ion  du  roi  (larlos 
se  montrait  syinpatliicpn'  et  s'atlirniait  énergicpie.  Le  nou- 
veau souverain,  (prune  escadre  cspaj,Miolc  était  allée  cher- 
cher à  Naples,  avait  d«'!bai([ue  à  Barcelone  et  s'acheminait 
lentement  vers  la  capitale;  dans  ce  voyaj^e,  il  avait  été 
acconipuiiiié'par  Ossuii,  dési.yné  comme  «  pcr.sona  grata  » 
pour  remplacer  !\  Madrid  le  manpiis  d'Auhoterre.  Kn  cours 
de  route,  il  y  eut  de  iioinhnMix  enireliens  entre  le  lloi  et 
l'ambassadeur;  à  pro|)os  de  la  prise  de  Québec,  Carlos  dé- 
clai'a  II  ((ue  cette  nouvelle  "  lui  avait  glacé  U'  sang; 
convaincu  (juc  si  la  France  succombait  vis-à-vis  de  l'Angle- 
terre, l'Kspa.yne  aurait  bientôt  son  tour...  il  était  très  dis- 
posé à  venir  à  notre  secours  le  plus  promptement  et  le 
plus  efficacement  qu'il  lui  serait  possible;  »  mais  il  lui 
fallait  le  temps  d'agir,  de  se  rendre  compte  du  budget  du 
royaume,  de  rétablir  son  armée  et  sa  flotte,  de  restaurer 
les  fortifications  coloniales.  Quelques  jours  après,  le  l\oi 
fait  part  à  Ossun  (2)  des  instructions  expédiées  à  Abreu. 
«  Si  les  Anglais  ne  veulent  pas  so  prêtera  un  accommode- 
ment raisonnable  vis-à-vis  de  la  I<i  ince,  il  prendra  son 
parti.  »  Déjà,  il  s'occupe  de  metti-e  la  marine  sur  un  pied 
respectable  et  a  donné  oidre  d'armer  VO  vaisseaux  de 
guerre  pour  le  printemps. 

Le  cortège  royal  était  arrêté  par  la  pluie  et  la  neige  à 
Torija,  quand  arriva  un  rapport  de  Wall  i'.i)  relatant  la 
communication  ([ue  Bristol,  conformément  à  la  promesse  de 
Pitt,  venait  de  lui|faire.  L'envoyé  anglais  avait  été  chargé 
d'informer  S.  M.  Catholique  que  les  difficultés  inhérentes 
à  une  médiation  «  lorsqu'il  y  a  des  alliés  »,  avaient  décidé 


(1)  Ossun   à  ClioLseul,  Saragosso,  6  novembre  17J9.  AlVaircs  F.lrangères 
Espaj^iie. 

(2)  Ossiiu  à  Clioiscul,  Sal•agos^:e,  li   novembre  t/.TJ.  AlVaires  Klrangères. 
£.S|iagne. 

(3)  Ossun  à   Choiseul,  Torija,  7  décembre  1759,  Affaires  Étrangères.  Es- 
pagne. 


.  Carlos 
iO  noii- 
e  cluM'- 
ciniuait 
.ait  été 
g rata  » 
',Q  cours 
D  Uoi  «'t 
rlos  dé- 
•  sang; 
l'Angle- 
li'és  dis- 
!nt  et  le 
is  il  lui 
idget  du 
estaurer 
i,  le  Uoi 
.  Abreu. 
inmode- 
idra  son 
un  pied 
leaux  de 

neige  à 
itant  la 
messe  de 
chargé 
lérentes 
it  décidé 


Uraiigcrps 
Clraiigéres. 
inuères.  Ls- 


IlONNES  DISPOSITIONS  DU  HOI  CAHLOS  POUR  LA  IRANCi:     437 

le  roi  (leorgcî  à  faire,  par  r(Mifr<'inise  du  |)rincc  Louis  do 
Urunswick,  des  propositions  directes  aux  puissances  helli- 
géi-antcs  en  vued'un  congrès  où  serait  discutée  la  pacilica- 
tion  générale.  Le  cabinet  l)ritainii(pu'  se  plaisait  à  croire 
que  S.  M.  (1.  <<  n'entendra  en  aucune  uianièi-e  ipu)  ses  bons 
offices  n'eussent  pas  mérité  la  plus  amph;  acceptation  de 
la  part  de  S.  M.  IL  »>  Nous  reviendions  plus  loin  sur  la 
genèse  et  l'historicpie  de  la  déclaration  anglo-prussienne; 
pour  le  moment,  envisageons-la  au  point  de  vue  espagnol 
et  bornons-nous  il  constater  (jue  cette  procédure  constituait 
vis-îï-vis  du  roi  (larlos  une  véritable  fin  de  non-recevoir  et 
n'était  pas  pour  lui  plaire;  aussi  afiirma-t-il  îi  l'ambassa- 
deur français  son  dessein  de  passer  outre  et  de  persister  i\ 
servir  d'intermédiaire  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

En  s'cxprimant  ainsi,  Carlos  était  en  contradiction  lla- 
grante  avec  la  politi(jue  de  Wall  (pii,  retenu  auprès  de  la 
Ueine-Mére,  n'avait  pu  se  rendre  au-devant  de  son  nouveau 
maître.  Les  instructions  datées  de  Saragosse  portaient  la 
signature  de  S(piillacci,  Napolitain  (pic  le  Koi  avait  amené 
avec  lui  et  auquel  il  destinait  le  portefeuille  des  finances; 
la  dépêche,  rédigée  sur  un  ton  très  diH'th'ent  de  celui  de 
Wall  ou  même  de  San  Severino,  était  adressée  à  Abreu, 
le  représentant  officiel  de  Sa  Majesté  Catholiijue  à  Londres, 
(ic  diplomate,  dont  la  correspondance  interceptée  avait  fait 
connaître  les  sentiments  peu  favorables  à  la  cause  britan- 
nique, était  mal  vu  à  la  cour  de  Saint-.lames;  aussi  la  déli- 
cate proposition  qui  lui  était  confié(;  ne  gagnait-elle  guère 
à  être  transmise  par  son  canal.  Il  remit  à  Pitt  une  note 
écrite  (Il  dans  laquelle  le  désir  de  son  souverain  était  for- 
mulé dans  les  termes  les  plus  explicites  :  «  Tous  les  sou- 
haits du  Koy  se  bornent  A  ce  (ju'oii  ajuste  de  bonne  foi  les 
différends  qui  ont  causé  une  i;uerre  si  cruelle  entre  l'An- 
gleterre et  la  France,  toutes  deux  alliées  et  toutes  deux 

(1)  Abreu  à  Pill,  5  déc(!inb*e  IT3«.  Record  Oflice. 


1^^ 


438 


LA  OUEllRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  Mil. 


I 


Ib'J 


V 


amies  de  Sa  Majesté,  et  ([u'on  vienne  à  une  paix  raisonna- 
ble. A  cet  efl'et  le  Koy  s'offre  avec  candeur  et  l'iulention  la 
l)lus  pure  h  y  travailler  de  la  manière  qu'on  croira  la  plus 
convenable.  »  A  tilrc  de  préambule,  l'ambassadeur  avait 
fait  suivre  ses  protestations  d'ainilié  et  ses  félicitations, 
sur  le  succès  récents  des  armes  anglaises  en  .\mérique 
et  aux  Indes,  d'une  pbrase  empruntée  à  la  piume  de  Cboi- 
Sl;u1  et  qui  devait  éveiller  la  susceptibilité  britannique  : 
«  Le  Hoy  ne  peut  pas  regarder  avec  indifférence  le  déran- 
gement que  ces  conquêtes  portent  à  ré(juilibre  établi  par 
le  traité  d'I'trecht.  »  Dans  sa  réponse  (1),  l*ift,  pour  se 
dérober  à  une  ouverture  qu'il  ne  se  souciait  pas  d'en- 
courager, invoqua  la  raison,  du  reste  plausible,  de  la  dé- 
claration relative  au  congrès  qu'on  venait  de  faire  :  <-  La 
démarcbe  publique  que  le  Uoi  vient  de  faire,  conjointement 
avec  Sa  Majesté  Prussienne  et  dont  la  cour  d'Kspagne  aura 
eu  d'avance  la  communication  confidentielle,  <i  fait  voir 
d'une  manière  si  insigne  la  disposition  de  Sa  Majesté  à 
entrer  en  négociation  pour  parvenir  au  but  salutaire  de 
la  paix,  que  jusqu'il  ce  que  les  autres  puissances  belligé- 
rantes aient  de  leur  côté  fait  savoir  clairement  leurs  inten- 
tions à  cet  égard.  Sa  Majesté  se  trouve  dans  l'impossibilité 
de  rien  ajoutera  ce  sujet,  sinon  (prelle  mettra  toujours  au 
plus  baut  prix  les  désirs  pui's  de  Sa  Majesté  (^Ttlioliciue 
pour  le  rétablissement  de  la  ti'an(|uillité  publique  et  parti- 
culièi'ement  pour  le  maintien  de  la  bonne  barnionie  entre 
la  (irande-Hretagneet  l'Espagne.  »  Le  ministre  anglaisent 
soin  de  relever  le  passage  sur  la  balance  de  pouvoir  créée 
en  Améri((ue  par  le  traité  d'IUreclit  :  «  i)n  observera  sim- 
plement là-dessus  combien  il  est  évident,  par  les  circons- 
tances oîi  la  monarcbic  française  se  trouva  lors  dudit  traité, 
qu'il  n'y  fut  nullement  (juestion  alors  d'établir,  dans  l'A- 
mérique septentrionale,  l'équilibre  entre   la  lirande-Bre- 


(1)  Pitt  à  Abrcu,  13  décembre  176,t.  Uecord  ol'(i(n   S|uiin. 


m 


4 


'    '■'. 


'lligé- 


LANdLETKUHE  SE  Di^UUHE  A  LA  MÉDIATION  ESPAGNOLE.    43'J 

tagnc  et  la  Fraiice,  que  d'ailleurs  il  n'a  tcnucju'à  la  Krance 
que  les  droits  respectifs  des  Jeux  nations,  dans  cette  partie 
du  monde,  ne  tussent  constaninieut  demeurés  sans  at- 
teinte, sur  le  pied  dudit  traite,  qui  les  avait  si  claii-enient 
énoncés  et  dont  les  infractions  perpétuelles  et  si  criantes 
peuplant  une  longue  suite  d  années  ont  été  l'unique  cause 
de  la  guerre  présente  entre  les  deu\  couronnes.  »  Kn  en- 
voyant à  Hristol  copie  de  la  note  d'Ahreu  et  de  sa  ré- 
ponse, Pitt  demande  [i;  des  explications  sur  la  contradic- 
tion entre  le  langage  de  Wall  et  le  ton  de  la  dépèche  de 
Saragosse.  Pourquoi  était-elle  signée  de  Squillacci  et  pour 
quel  motif  avait-elle  été  expédiée  avant  que  le  roi  (lliarlos 
eût  pris  contact  avec  son  ministre  des  affaires  étrangè- 
res? Il  invite  Bristol  à  faire  la  lumière  et  à  surveiller  le 
nouvel  ambassadeur  français,  dont  il  sou[)ronne  l'ingé- 
rence. Interrogé  sur  ce  point  délicat  ('2),  Wall  ne  put  dis- 
simuler son  embarras  et  laissa  entendre  qu'il  dégageait  sa 
responsabilité  de  l'incident. 

Entre  temps,  des  relations  en  apparence  amicales  s'é- 
taient nouées  entre  le  ministre  espagnol  et  le  représen- 
tant de  Louis  XV.  Aussitùt  ari'ivé  i\  Madrid,  Ossun  tint  sa 
[)remièrc  conversation  avec  Wall  (.'i).  ('omme  il  fallait  s'y 
attendre,  celui-ci  ne  s<^  déclara  pas  partisan  de  l'inter- 
vention; il  estimait  que  l'Angleterre  ne  traiterait  pas  uiu; 
paix  distincte  avec  la  France,  mais  insisterait  pour  faire 
participer  aux  négociations  le  roi  de  Prusse;  il  se  montrait 
indifférent  à  la  question  du  Canada,  dont  la  conquête  par 
les  Anglais  n'atfecterail  (|ue  peu  «  la  sûreté  des  posses- 
sions de  l'Kspagne  »  ;  au  surplus,  celte  puissance  n'avait 
|)ns  un  intérêt  suffisant  eu  jeu  pour  «-iierclier  à  imposer  à 
l'Ar  leterre  une  médiation  <(ui  sûrement  ne  serait  pas  ac- 
ceptée. Peu  de  temps  après  cet  échange  de  vues,  Wall  eut 


U 


ià 


i\ 


{{]  put  il  Uiis'ol,  î i  dtveinbiv  17.V.t.  Hecord  Oïïwv.  S|paiii. 

(2)  llristol  à  PitI,  7  janvier  17(>0.  |{<;coid  Office. 

(3j  Ossun  à  Citoiseul,  15  déceinl)rft  175».  Affaires  Élraiigùres.  Esi)a;înt'. 


.'■      H 


•iiO 


LA  r.Ui:iUlE  Dli  SEPT  ANS. 


CIIAP.  Mil. 


■  r''  '■ 


de  son  nouveau  souvorain  uno  audience  qui  parait  avoir 
nioilifié  SCS  idées  :  S.  M.  Catholique  avait  déelaré,  dit-il  à 
0.ssnn,  vouloir  persister  «  dans  le  dessein  de  presser  le  roi 
d'An.ulcterre  d'accepter  ses  bons  onicos  »,  mais  il  eut  soin 
d'ajouter  (pic,  d'après  son  propre  sentimc:it,  «  on  ne  pour- 
rait pas  employer,  de  la  part  de  lEspiiirne,  des  expres- 
sions trop  modérées  et  que  les  menaces  pourraient  pro- 
duire un  Tort  mauvais  ell'et;  qu'il  était  toujours  persuadé 
({ue  l'Angleterre  ne  conscnlirait  jamais  à  séparer  les  inté- 
rêts du  roi  de  Prusse  des  siens.  »  L'année  1750  finit  par  une 
entrevue  entre  Wall  et  Hristol  (1),  où  l'Anglais  aurait  re- 
connu que  les  échecs  essuyés  par  Frédéric  étaient  un  sé- 
rieux obstacle  à  la  conclusion  de  la  paix:  [)eut-ètre  met- 
trait-on les  parties  d'accord  en  indemnisant  l'Impératrice 
de  la  perte  de  la  Silésie  par  l'acquisition  de  l'évèché  de 
Salzhourg-.  A  l'entendre,  Wall  aurait  plaidé  avec  l'ardeur 
d'un  néophyte  la  thèse  de  la  pacification  maritime  et  co- 
loniale. 

Sur  les  avantage.;  de  la  médiation  espagnole  ^-2) ,  (Mioiseul 
rédigea  à  cette  époipieun  véritable  cours  de  politique  con- 
temporaine à  l'usage  de  la  diplomatie  h'ançaise.  Nous  y  re- 
levons, exposés  tout  au  long,  les  inconvéïdentsde  l'alliance 
autrichienne,  le  danger  pour  l'écpiilibre  euroi)éen  de  l'é- 
crasement de  la  Prusse,  une  plaidoirie  pour  la  paix  sé- 
parée avec  l'Angleterre  comme  seul  moyen  d'arriver  tV  une 
entente  générale  et  équitable,  enfin  la  nécessité,  pour  at- 
teindre ces  résultats,  d'une  union  intime  avec  l'Espagne. 
«  Il  est  certain  que  nous  ne  voulons  pas  manquer  à  l'al- 
liance de  Vienne  pendant  le  cours  de  cette  guerre  ;  nous 
sommes  persuadés  de  la  sûreté  des  sentiments  de  l'Impé- 
ratrice, mais  nous  connaissons  que  notre  alliance  avec 
la  cour  de  Vienne  ne  peut  pas  «Hre  regardée  comme  une 
alliance   de  famille,  qui  doit  être  sans  nulle  variation 

(1)  O.ssun  à  Choi.seul,  31  dpccinhie  IT.iSt.  Aflaires  Klninnirrs.  K.spa^nc. 
(!>)  Choiseul  à  Ossiin,  :i\  décembre  IT.VJ.  Allaiies  Klian;5('rfs.  Ks|iayni'. 


\    i 


w 


1) 


EXPJSÉ  I)K  LA  POLITIQI  E  DIC  CIIOISKI  L. 


441 


pormancnto.  Llnipih'atrico  peut  mourir,  ses  enfiinls  peu- 
vent penser  dillere minent  d'elle,  au  lieu  (jue  la  maison 
de  France  régnera,  j'espère,  toujours  eu  l'rauce  en  Espa- 
gne et  k  Napie  ,  et  son  intérêt  v«h'itable  ne  sera  jamais  de 
se  désunir.  Nous  connaissons  <pie  la  cour  de  Vienne,  n'a 
ni  d'autre  but,  d'autre  pensée,  d'autre  pression  que  celle 
d'écraser  le  roi  de  Prusse  et  qu'elle  saurait  trancpiillement 
sacrifier  à  cet  objet  toutes  les  possessions  de  ses  alliés. 
Nous  sentcms  qu'après  celte  guerre,  le  roi  de  Prusse 
étant  écrasé,  la  maison  d'Autriche  [)ourrait  reprendre  ses 
liaisons  avec  l'Angleterre  et  un  ton  avec  les  puissances 
de  l'Europe,  qui  ne  nous  conviendrait  pas  plus  qu'ù.  l'Es- 
pagne. C'est  d'après  toutes  ces  réilexions  qui  auraient 
été  aussi  bonnes  il  y  a  trois  ans  <,a'à  présent,  mais  aux- 
((uelles  il  faut  revenir,  que  nous  connaissons  parfaitement 
que  le  roi  de  Prusse  est  assez  abaissé  et  qu'il  n'est  pas 
de  notre  intérêt  que  ce  prince  le  soit  totalement.  »  Pour 
le  sauver  d'une  ruine  complète,  «  il  n'y  a  pas  d'autre  moyeu 
que  celui  d'engager  l'Angleterre  à  l'aire  sa  paix  séparée 
avec  la  France  par  la  médiation  de  l'Espagne.  »  A  l'ap- 
pui de  cette  assertion,  Clioiseul  tient  le  raiscmnement  sui- 
vant :  «  Lorsque  l'on  coni.  lit  l'esprit  (jui  gouverne  la  coui' 
de  Vienne,  ce  serait  s'abuser  d'imagier  que  l'Impératrice 
mettra  bas  les  armes  volontairement  avant  l'entière  des- 
truction du  roi  de  Prus-o.  Il  serait  dangereux  en  même 
temps  pour  la  France  di  vouloir  forcer  cette  princesse  à 
la  paix.  »  Ces  prémisse>  posées,  voici  la  conclusion  : 
«  Après  avoir  étudié  touto  les  façons  possibles  de  parve- 
nir à  réconcilier  la  Prusse  et  l'Autriche,  nous  avons  cru 
que  notre  paix  avecrAuyleterre  une  fois  faite,  ou  les  pi'é- 
liminaires  arrôlés  à  Madrid,  le  Koi  et  le  roi  d'Angleterre^ 
unis  à  l'Espagne  dans  un  congrès,  auraient  une  force 
coactive  pour  déterminer  l'accommodement  de  l'Allema- 
gne, d'autant  plus  facilement  que...  le  Uoi  consentait,  dès 
que  les  préliminaires  avec  l'Angleterre  seraient  signés,  à 


11 


I 


"fT 


442 


LA  GIEUUE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAP.  Mil. 


m 


retirer  toutes  ses  troupes  d'Allemagne.  Dans  cette  situa- 
tion, le  roi  de  Prusse  sans  doute  ne  se  refusera  pas  à  la 
paix.  Il  ne  restera  que  l'Impératrice  à  persuader,  et  elh* 
ne  pourra  pas  résister  à  l'influence  de  l'Espagne,  de  la 
France  et  de  l'.Vngleterre,  qui  s'uniraient  pour  procurer  la 
paix  à  l'Allemagne.  »  Au  contraire,  le  congrès  proposé 
par  l'Angleterre  et  la  Prusse  serait  nuisible  aux  intérêts 
de  la  France  (|ui,  durant  les  négociations,  perdrait  le  reste 
de  ses  colonies,  tandis  que  l'Autriche  poursuivrait  sur  le 
continent  ses  succès  sans  se  soucier  du  sort  de  son  allié, 

A  la  lecture:  de  cette  dépêche,  où  se  révèle  la  pensée 
intime  de  Choisoul,  on  découvre  le  germe  du  pacte  de 
famille  et  la  volonté  de  recouvrer,  vis-à-vis  de  l'Autriche, 
une  indépendance  que  ses  prédécesseurs  avaient  sacrifiée 
en  signant  les  traites  de  1756  et  de  1757,  et  que  restrei- 
gnait encorô  la  convention  plus  récente,  dont  il  était  lui- 
même  responsable. 

Aucune  réplique  ne  fut  faite  par  la  cour  de  Madrid  à  la 
note  déclinatoire  de  Pitt,  et  il  ne  fut  plus  question,  tout 
au  moins  à  Londres,  de  l'intervention  pendant  les  premiers 
mois  de  1760.  Par  contre,  Choiseul  eut  grand  soin  de  com- 
muni<|uer  au  roi  Carlos  toutes  les  phases  des  pourparlers 
de  La  Haye,  de  le  consulter  sur  la  suite  à  donner  aux  ou- 
vertures ang-laises,  et  de  lui  soumettre  le  projet  de  réponse 
des  puissances  alliées  à  la  déclaration  pacifique  des  rois 
d'Angleterre  et  de  Prusse.  Conséquent  avec  le  système  dont 
il  avait  fait  l'exposé  à  Ossun,  le  ministre  de  Louis  XV  ne 
manque  pas  une  occasion  de  cultiver  les  bonnes  disposi- 
tions du  nouveau  souverain,  et  d'envenimer  la  blessure 
qu'inflig'ent  il  l'amour-propre  royal  les  mauvais  procédés 
de  la  marine  britannique  et  le  refus  mal  déguisé  de  ses 
bons  offices  pour  le  rétablissement  de  la  tranquillité  mon- 
diale. 

Selon  toute  probabilité,  les  sentiments  de  suspicion  ma- 
nifestés par  la  cour  de  Vienne  au  sujet  de  la  médiation 


^, 


1 


\'ïï 


KALMTZ  PEU  FAVORABLE  A  LA  MEDIATION. 


ii:! 


espagnole  et  la  crainte  de  voir  la  politique  française  de 
plus  en  plus  subordonnée  îY  l'objectif  spécial  de  rAutriclic, 
n'avaient  pas  peu  contribué  au  désir  d'une  liaison  étroite 
des  deux  l>raucbes  de  la  maison  de  liourbon.  Pour  se  con- 
former au  devoir  d'un  associé  loyal,  Choiseul  avait  rensei- 
gné le  cabinet  de  Marie-Tliérèsc  sur  les  oll'rcs  de  la  cour 
de  Madrid  et  sur  leur  accueil  par  celle  de  Versaillci.  Le 
compte  rendu  de  l'audience  où  l'Impératrice  reçut  la  com- 
munication et  des  commentaires  auxquels  elle  donna  lieu, 
montre  à  quel  point  la  cour  de  Vienne  était  jalouse  de 
toute  initiative  prise  par  son  allié  :  «  L'Impératrice  m'a 
écouté,  raconte  l'ambassadeur  français  (1),  sans  rien  dire 
et  avec  l'air  peu  satisfait.  Il  faut,  reprit-elle  dans  le  cou- 
rant de  l'entrevue,  que  je  compte  beaucoup  sui  les  senti- 
ments du  Roi  pour  n'avoir  point  d'inquiétude,  car  je  vous 
avoue  que  je  suis  fort  sensible  et  fort  délicate  sur  tout  ce 
qui  a  rapport  à  la  paix.  »  Quelques  jours  après,  Kaunitz 
se  plaint  (2)  que  sa  cour  n'ait  pas  été  consultée  avant  l'ac- 
ceptation de  l'intervention  espagnole.  Le  Français  se  jus- 
tifie en  invoquant  la  distinction  entre  la  guerre  maritime 
avec  l'Angleterre,  particulière  à  la  France  et  étrangère  à 
l'Autriche,  et  la  guerre  contre  la  Prusse  où  «  le  Iloi,  par 
l'etTet  de  son  amitié  pour  l'Impératrice,  s'était  rendu  partie 
belligérante  »;  il  rappelle  «  que  les  traités  avaient  pour 
objet  cette  même  guerre  et  non  celle  de  mer  qui  en  était 
exceptée.  »  L'entente  entre  les  deux  puissances,  indispen- 
sable dans  un  cas,  ne  l'est  donc  pas  dans  l'autre.  Kaunitz 
l'interrompt  :  <  M.  l'ambassadeur,  je  vous  donne  ma  pa 
rôle  d'honneur,  que  tant  que  je  vivrai,  puis  se  reprenant, 
tant  que  Leurs  Majestés  existeront,  les  plus  grands  malheurs 
arriveraient  à  cette  monarchie,  le  roi  de  Prusse  serait  aux 


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(1  Comte  (le  Choispiil  au  Dur,  G  octobre  17"iO.  Affaires  Étrangères, 
Autriche. 

(2)  Comte  de  Clioiseiil  au  Duc,  ti  octobre  lT"i'.>.  AlVaires  Ltrantjères, 
Autriche. 


444 


LA  Gi :eu»e  de  sept  ans. 


(  IIAI'.  Mil. 


fâ' 


.     : 


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ï    . 


portes  de  Vienne,  qu'on  n'écoutera  rien  sans  la  parlicipa- 
tion  (le  la  France,  et  que  nous  péririons  plutôt  cpie  l'avoir 
un  procédé  qui  fût  tant  soit  peu  louche  "t  suspect.  »  Mais 
bientôt  Kaunitz.  en  homme  pratique  qu'il  était,  abandonne 
celte  note  pour  en  prendre  une  autre  de  meillenr  aloi  en 
insistant  sur  la  nécessité  de  prouvera  la  cour  d'Espagne 
et  k  toute  l'Kurope  «  ([ue  nous  sommes  unis  par  des  liens 
indissolubles  et  de  faire  tomber  par  là  les  artifices  de  nos 
ennemis,  qui  ne  cherchent  qu'à  semer  entre  nous  la  dé- 
fiance et  les  soup(;ons.  » 

Pour  calmer  les  susceptibilités  et  répondre  aux  insinua- 
tions de  Marie-Thérèse  et  de  son  chancelier,  le  duc  de 
Choiseul  rédigea  une  longue  dépêche  (li  destinée  à  être 
mise  sous  les  yeux  des  hauts  personnages.  Il  débute  par 
l'historique  complet  des  phases  de  la  négociation  avec  Don 
Carlos  avant  et  depuis  son  avènement  au  trône  d'Kspagne, 
rappelle  (jue  Slarhemberg  avait  été  religieusement  tenu 
au  courant  de  ces  incidents;  puis*,  élargissant  le  débat,  il 
fait  l'apologie  à  la  fois  des  agissements  de  la  cour  de  Ver- 
sailles et  de  sa  conduite  personnelle.  Il  se  défend  d'avoii' 
fait  mention  de  la  paix  tout  en  se  demandant  «  pourquoi  il 
n'aurait  pas  été  permis  au  Roi  de  parler  à  l'Impératrice  de 
la  paix,  si  S.  M.  était  dans  l'impossibilité  de  continuer  la 

guerre M.  le  comte  de  Kaunitz  ne  regarde  que  ce  qui 

touche  sa  maîtresse,  mais  s'il  jette  les  yeux  sur  ce  qui  s'est 
passé  depuis  que  je  s'iis  entré  en  place,  il  conviendra  que 
mon  courage  mérite  quelques  éloges.  M.  do  Kaunitz  sait 
quelle  était  la  situation  du  royaume  à  la  fin  de  l'année 
1758,  et  le  désir  qu'on  avait  de  la  paix.  Je  crois  que  j'a- 
vais changé  le  t(m  à  cet  égard  en  arrivant  ici,  que  les 
dispositions  pour  la  campagne  1759  étaient  telles,  que  nous 
devions  nous  promettre  des  succès.  Nous  avions  calculé 
que  c'était  à  nous,  dans  l'alliance,  tl  agir  puissamment; 

(t)  Duc  de  Clioiseiil  au  ("omle,  JO  octolire  1751).  Affaires  Étrangères. 
Aulriche. 


:¥. 


CIIOISEI'L  DKFENl)  SA  CONDUITE  VIS-A-VIS  DE  LVL'TRIOIIE.     iir. 

cette  année  nous  avions  t'ormé  un  plan  oflensif  dans  toutes 
les  parties.  Qu'est-il  arrivé?  »  Ici  (Mioiscul  passe  eu  revue 
les  infortunes  récentes  :  la  perte  de  la  (Guadeloupe  et  des 
établissements  du  Sénégal,  la  défaite  de  Minden,  la  dis- 
persion de  l'escadre  de  La  Clue,  les  échecs  de  l'Inde,  la 
capitulation  de  Québec.  «  Voilà  nos  malheurs  militaires, 
je  crois  qu'il  est  dilficile,  dans  toutes  les  parties,  qu'ils 
puissent  être  plus  grands.  Nous  avons  des  alliés  puissants; 
en  jetant  les  yeux  sur  les  événements  (jui  les  concernent, 
nous  ne  trouvons  pas  qu'ils  nous  aient  procuré  de  dédom- 
magements à  nos  peines,  et  nous  en  sommes  d'autant  plus 
aftligés  que  nous  avons  pu  espérer  que  leurs  succès  met- 
traient des  poids  dans  la  balance.  »  L'interruption  du 
commerce,  suite  de  la  perte  des  colonies,  a  anéanti  le 
crédit  et  conduit  à  «  une  espèce  de  bancjueronte.  D'après 
ce  tabl<>au,  continue  le  ministre,  vous  conviendrez  que  je 
dois  être  blessé  que  l'on  me  soupçonne  de  faiblesse  comme 
le  cardinal  de  Bernis.  Vous  pouvez  dire  à  M.  de  Kaunitz 
que  je  ne  mérite  pas  celte  comparaison  et  que  je  crois 
en  avoir  donné  des  preuves.  Malgré  cette  situation,  .M.  le 
duc  de  Brogiie  tiendra  la  campagne  aussi  longtemps  que 
M.  le  prince  Ferdinand.  M.  de  Contlans  va  sortir  et  risquer 
une  bataille  navfile  pour  aller  prendre  les  20.000  hommes 
que  commande  M.  d'Aiguillon  et  les  conduire  en  Kcosse.  » 
Si  l'expédition  échoue,  «  sans  perte  de  temps  nous  assem- 
blerons une  seconde  armée  sur  le  Bas-Rhin  et  nous  ferons 
un  projet  de  campagne  d'hiver  pour  cette  armée,  en  ris- 
quant la  destruction  de  nos  troupes,  tandis  que  M.  de 
Brogiie  s'avancera  en  liesse  et  contiendra  la  partie  de  l'Al- 
lemagne (jue  protège  son  armée;  mais  en  même  temps  si 
les  malheurs  continuent  à  persécuter  nos  opérations,  je  ne 
peu.\  pas  me  cacher,  malgré  ma  volonté,  (jue  le  royaume 
sera  dans  un  état  très  dangereux.  » 

Jusqu'à  ces  dernières  lignes,  le  document  devait  être  lu 
au  chancelier;  la  iin,  d'un  caractère  conlidentiel,  contient 


iil'l . 


^^ 


"l^T 


4iG 


LA  niERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAI>.  VIII. 


la  constatation  de  la  position  sans  issue  dans  Ia4|ucllc  se 
trouve  la  France  :  «  Nous  ne  ferons  pas  la  pai\  de  terre 
sans  Elle  (rimpératrice),  nous  nous  détruirons  d'année  en 
année  en  sa  faveur,  mais  il  faut  prévoir  que  nous  serons 
forcés  par  les  circonstances  à  faire  notre  pai.v  d'Anglel..  rrc, 
dès  qu'elle  sera  possible,  et  que  quant  à  la  guerre,  'îi  les 
ellbrts  que  nous  allons  faire  manquent,  nous  la  soutien- 
drons comme  nous  pourrons,  en  défendant  nos  fronti»''rcs 
et  en  payant  nos  subsides  à  nos  alliés.  Ce  n'est  pas  tout 
d'avoir  du  courage,  il  faut  avoir  le  moyen  de  le  soutenir, 
et  ce  serait  tromper  nos  alliés  que  de  ne  leur  pas  parler 
clairement  sur  notre  situation,  » 

En  guise  de  réponse  à  l'exposé  du  ministre  français, 
Kaunitz  ne  trouva  d'autre  conseil  à  donner  au  Uoi  (1)  que 
celui  d'abandonner  la  guerre  maritime  «  en  déclarant 
à  l'Espagne  que  je  ne  suis  plus  en  état  de  soutenir  le  reste 
de  mes  colonies,  et  que  c'est  à  elle  de  les  délendre  si  elle 
veut  se  sauver  du  péril  de  perdre  les  siennes.  »>  Non  sans 
raison ,  le  comte  de  Choiseul  formule  sur  les  dires  de 
Kaunitz  l'appréciation  suivante  :  «  Soit  dissimulation,  soit 
fermeté,  soit  paresse  ou  indifférence,  et  peut-être  par  tous 
ces  motifs  réunis,  il  ne  m'a  pas  paru  ell'rayé  de  nos  mal- 
heurs. »  Peu  de  temps  après  cette  conversation,  la  propo- 
sition de  congrès,  dont  les  rois  d'A  igleteri'e  et  de  Prusse 
prirent  l'initiative,  vint  imprimer  un  nouveau  tour  aux 
discussions  diplomatiques. 

Afin  de  ne  pas  interrompre  le  récit  des  pourparlers  rela- 
tifs à  la  médiation  espagnole,  force  nous  a  été  d'extraire 
des  relations  entre  les  cours  de  Vienne  et  de  Versailles, 
pendant  l'année  1759,  tout  ce  qui  avait  trait  à  cette  ques- 
tion. Revenons  aux  rapports  courants  dont,  pendant  les  pre- 
miers mois,  aucun  dissentiment  sérieux  ne  vint  troubler 
l'harmonie  apparente.  Ni   Kaunitz,  ni  Starhemberg   ne 


(1)   Comle  de  Choiseul  au  Duc,  12  novembre  1759.  .Vffaiies  Klrangéres, 
Autriche. 


lŒLATIONS  I)i:S  coins  DE  VIENNE  ET  DE  VEHSAILLES.      4i: 


semblent  avoir  éprouvé  heaiicoup  de  sympathie  pour  le 
nouveau  titulaire  du  Département  des  Allaires  Etrangères. 
H  suffit  de  parcourir  la  correspondance  de  l'ambassadeur 
pour  deviner  que,  malgré  les  attentions  dont  il  était  lob- 
jet  de  sa  part,  il  regrettait  son  prédécesseur.  Accoutumé  à 
l'esprit  ondoyant,  au\  maniî  res  caressantes,  ji  la  grAce  un 
peu  féminine  de  Hernis,  il  eut  quelque  peine  à  se  faire  à 
la  brusquerie  primesautière,  au  ton  hautain  et  parfois 
rogue  de  son  successeur. 

Choiseul,  dès  son  avènement  au  pouvoir,  était  bien  dé- 
cidé à  prendre  le  rôle,  sinon  la  position  de  premier  minis- 
tre; il  possédait  les  talents  de  l'emploi.  Travailleur  infati- 
gable autant  qu'homme  de  sahm,  il  savait  concilier  le 
plaisir  avec  les  all'aires,  regardant  l'un  comme  l;i  distrac- 
tion nécessaire  pour  permettre  l'assiduité  aux  autres.  A  la 
fois  autoritaire  et  courtisan  délié,  il  était  aussi  expert  à 
tlatter  l'amour-proprc  du  souverain,  i\  se  plier  devant  les 
caprices  de  la  favorite,  qu'à  assumer  l'allure  du  maitie 
vis-à-vis  de  ses  inférieurs.  Soutenu  par  la  confiance  de 
Louis  XV,  qui  venait  d'ajouter  à  son  titre  de  duc  la  dignité 
de  pair,  en  communion  étroite  avec  la  l'ompadour,  dont 
il  devint  en  quelque  sorte  le  directeur  de  conscience,  il 
put  braver  le  verdict  en  général  peu  favorable  de  la 
cour  et  de  la  ville.  Si  peu  nationaliste  qu'on  fût  à  cette 
époque,  on  se  fiait  médiocrement  aux  sentiments  patrio- 
tiques d'un  homme  dont  la  nationalité  était  de  fraîche 
date;  on  rappelait  ses  origines  lorraines,  on  invoquait  le 
souvenir  d'un  père  qui  avait  été  longtemps  à  Paris  repré- 
sentant de  l'Kmpereur  (1)  en  sa  qualité  de  grand-duc  de 
Toscane,  on  citait  un  frère  encore  général  au  service  autri- 
chien. Cette  parenté  ne  le  rendait-elle  pas  suspect  d'at- 
tachement à  l'Impératrice?  n'intluerait-elle  pas  sur  ses 
opinions  quand  il  aurait  à  défendre,  contn'  l'allié,  les 
intérêts  de  la  France?  Enfin  n'était-il  pas  partisan  avéré 

(1)  Erizzo  au  Sénat  de  Venise,  12  novembre  1738.  Archives  de  Vienne. 


j-i 


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LA  CUElUli:  DE  SEPT  ANS. 


CIIAI».  VIII. 


l!    -^ 


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(l'une  guci-re  contiiienlale  qui  jamais  n'avait  été  populaire 
et  dont  la  poursuite  ruinerait  le  pays? 

Cette  lioslililr  du  dedans,  comme  la  mauvaise  volonté  du 
dehors,  Clioiseul  les  surmonta,  urAce  i\  de  solides  appuis, 
iii'Ace  surtout  j\  la  vigoureuse  imi)ulsion  (pi'il  sut  donner  aux 
rouages  du  gouvernement.  Que  dans  sa  conduite  on  pui>se 
relever  des  déraillances  fréquentes,  des  inconséquences 
nombreuses,  cela  est  évident,  mais  on  serait  mal  venu 
de  lui  refuser  le  mérite  d'une  suite  dans  les  conceptions, 
d'une  persévérance  dans  l'application,  dont  on  ne  trouve 
guère  trace  chez  ses  prédécesseurs.  Si  les  combinaisons 
échouèrent,  si  les  tours  de  force  accomplis  pour  continuer 
la  guerre  ihoulirent  au  traité  dés.istreiM  de  1763,  il  serait 
injuste  de  faire  peser  sur  lui  la  respon  )ilité  d'une  situa- 
tion dont  il  n'était  pas  l'auteur  et  qui  était  plus  que  com- 
promise quand  il  fut  appelé  au  ministère. 

fermons  cette  parenthèse,  qui  nous  entraînerait  trop 
loin,  et  revenons  aux  rapports  de  Choiseul  avec  le  repré- 
sentant de  Marie-Thérèse;  peu  à  peu,  ils  .s'établirent  sur  le 
pied  de  rintimité  et  [)rirent,  tout  au  moins  de  la  part  du 
premier,  le  ton  de  sincérité  et  d'abandon  qui  avait  ca- 
ractérisé les  entretiens  de  Hernis.  I/Autrichien,  il  est  su- 
pertlu  de  le  dire,  tout  en  accueillant  les  confidences,  avait 
soin  de  rapporter  à  Vienne  les  boutades  et  les  pro[)os  ir- 
rélléchis  qui  échappaient  parfois  à  la  vivacité  de  son  inter- 
locuteur. De  là  des  malentendus  :  la  cour  de  Vienne  aurait 
souhaité  obtenir  du  gouvernement  français,  dans  les  af- 
faires intérieures  de  rAUemagnc,  un  concours  absolu  qui 
s'accommodait  mal  avec  la  politique  traditionnelle  de  la 
maison  de  Bourbon.  Choiseul  ne  l'entend  pas  ainsi,  et  ex- 
pose (1),  avec  un  franc  jjarler  qui  n'était  pas  pour  plaire,  les 
inconvénients  ([ue  présenterait  dans  TKmpire  une  extension 
trop  grande  du  [)ouvoir  des  Habsbourg.  Souvent  c'est  au 


(1;  SlarheinlK'rg  à  Kaunitz,  14  sciilembrc  175'J.  Arcliivesde  Vienne. 


•^ 


RAl'I'UUTS  l)K  STArUlKMhKIU;  AVKC  (  ll(»l    l.ll,. 


tv.» 


M   A 


pillai  rc 

onté  (lu 
iippuis, 
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fjucnccs 
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épiions, 
3  trouve 
maisons 
mtinucr 
il  serait 
le  situa- 
ue  com- 

•ait  trop 
c  repré- 
int  sur  le 
part  tlu 
,vait  ca- 
l  est  su- 
cs, avait 
ropos  ir- 
on  inter- 
le  aurait 
s  les  af- 
solu  qui 
le  (le  la 
Isi,  et  cx- 
llaire ,  les 
xtension 
c'est  au 

Inné. 


sujet  (les  droits  et  [jrivilèycs  de  la  minorité  protestante  «le 
l'Knipiie,  sur  lescpicls  la  maison  d'Aulriclie  (Hait  toujours 
prtHeà  empi('!ter,  (pie  surgissent  les  dissentimt'iits  enti-e  les 
lieux  gouvernements.  Fidî'le  sur  ce  point  s[)(icial  aux  eiie- 
ments  d(;  Hiclielieu  cl  de  ses  successeurs,  le  cabinet  de  Ver- 
sailles rcven(li(pu'  à  fout  propos  sa  position  comme  puis- 
sance garante  du  trait(''  de  NVeslpIialie.  AussihM  l'ambas- 
sadeur de  dt|>lorer  cet  esprit  (piil  attribue  à  la  roulin(ules 
bui'eaux  et  aux  notions  puis(jes  dans  le  comnuMce  des  di- 
plomates prolestants  ou  dans  les  c'crivains  de  droit  public 
;H)part(Miantà  la  rc'forme.  Pour  Starliemberg,  on  n'est  par- 
tisan du  nouveau  syslc'Mne  ([u'à  la  condition  (l'(5pouscr  sans 
r(''serves  toutes  les  visées  et  tous  les  préjugés  de  sa  ('(Uir, 
à  ses  veux,  l'adhésion  à  l'alliance  est  ail'aire  de  sentiment 
plut(M  (jue  d'intéi'clit  :  aussi,  d'apn'-s  lui,  son  ap[)ui  le  plus 
ferme  serait  l'aireclion  personnelle  et  l'estime  du  Koi  Très 
(Chrétien  pour  leurs  majestés  impériales. 

Chez  Louis  XV  et  surtout  chez  la  l'ompadour,  auprc's  de 
latpielle  Starlicnd)erg  avait  repris  so[i  intluence  un  moment 
ébranlée  pendant  le  ministère  Hernis,  il  n'y  avait  pas  à 
craindre  les  allusions  à  la  nécessité  de  mettre  iin  aux  hosti- 
lités fjuarrachaicnt  A,  Clioiseul  les  endjarras  linanciei's  uu 
les  défaites  des  armées  de  terre  et  de  mer.  Aussi  se  coni- 
plait-il  à  racontei-  ses  conversations  avec  la  favorite  (1), 
■'  Elle  est  si  éloignée  de  penser  à  la  paix,  (pie  jamais  je  ne 

l'ai  trouvée  aussi  résolue  et  aussi  bien  pensante Klle  est 

toujours  ferme  dans  l'opinion,  qu'il  n'y  a  pas  de  paix  sûre 
et  durable  il  espérer  sans  l'amoindrissement  du  roi  de 
Prusse;  sa  haine  pour  ce  prince  égale  son  sincère  atta- 
chement pour  notre  cour;  elle  regarde  l'alliance  des  deux 
cours  ((Mimie  le  fondement  le  plus  solide  du  système  po- 
liti(|ue,  et  prélererait  la  continuation  pour  toujours  de 
la   guerre  à   une  paix   f[ui  serait  conclue   contre   notre 

(1)  Staili('iiil)('r}?  à  Kaunilz,  26  sfiileinjjrc  1739.  Archives  de  Vienne.     ..i, 

GlEIlKli   l)i;   SF.l'T    VNS.    —   T.    III.  2\l 


i 


4:>o 


LA  (ILEIIHK  l)K  SKI'T  ANS.  -    CIIAIV  Mil. 


volonté,  et  «jui  dclriiirait  l'cntoiile  entre  les  deux  <  ours. 
Kn  un  mot,  sa  manière  de  voir  est  si  liorincHc,  si  favo- 
i'al)le  et  si  fniiiclu;  (|ue  nous  ne  pourrions  désir<!r  mieux, 
et  qu'eu  vérité  Je  ne  puis  faire  d'elle  un  élo^e  suffi- 
sant. "  Kntre  Clioiseul  et  la  l*oni|)a(loiu',  malgré  la  dilfë- 
rence  de  langage,  il  est  forcé  de  reconnaître  que  l'accord 
semble  parfait.  «  Klle  débute  toujours  par  me  demander 
si  je  suis  satisfait  de  lui,  et  sur  ma  réponse  aflirmative, 
elle  a  toujours  coutu'  le  de  faire  de  lui  le  plus  grand  éloge, 
et  de  célébrer  son  jugement,  son  activité  et  sa  droit  ire. 
11  serait  diflicile  et  dangereux  d'essayer  de  diminuer  le 
crédit  dont  il  jouit  auprès  d'elle....  car  en  dehors  de  la 
base  essentielle  de  notre  système  })oIiti(jue  elle  n'y  com- 
prend rien  et  il  pourrait  lui  présenter  l(!s  affaires  sous  un 
aspect  (|ui  l'éblouirait  ou  la  tromperait  complètement.  » 
Constatons  en  passant  (pic  la  grande  dame  se  plaint 
l)eaucoup  de  l'injustice  du  public  à  son  égard,  dévoile  le 
peu  de  cas  qu'iille  fait  du  maréchal  d'Kstrécs,  plus  res- 
ponsable à  son  avis  (|ue  Contades  des  malheurs  de  la  tin 
de  campagne,  et  ne  dissimule  pas  son  aversion  pour  le 
duc  de  liroglie,  tout  en  avouant  «  qu'il  était  le  seul  qu'on 
pût  charger  du  eominandement  avec  (juelqne  confiance  », 
Mais  l'ami  de  co'ur  était  Soubisc,  et  pour  faire  sa  cour  en 
haut  lieu  il  fallait  «  l'élever  bien  au-dessus  de  ses  mé- 
rites »,  obligiition  dont  l'Autrichien  a  .soin  de  s'acquitter 
de  son  mieux, 

Le  dévouement  absolu  et  la  fidélité  à  toute  épreuve  de 
la  favorite  avaient  droit  à  une  récompense  éclatante  ;  aussi 
le  cadeau  depuis  si  longtemps  annoncé  avait-il  été  enfin 
remis  à  la  destinataire  au  commencement  de  l'année.  Il 
consistait  en  une  table  à  ouvrage,  ornée  du  portrait  de 
l'Impératrice,  avec  garniture  de  diamants;  Starhemberg 
nous  apprend  qu'il  avait  coûte  77.278  livres,  dont  600 
seulement  furent  versées  au  peintre.  Inutile  de  dire  que 
M"""  de  Pompadour  se  confondit  en  remerciements,  et  de- 


:  cours. 
ii  favo- 
niieux, 
e  suffi- 
la  ai  11e- 
i'accord 
iiuiudcr 
•inative, 
(l  éloge, 
li'oil  'irc. 
iniu'r  lo 
r«  tic  la 
l'y  com- 
sous  un 
emcnt.  » 
e   plaint 
ôvoile  le 
[)lus  res- 
cie la  lin 

pour  le 
ul  qu'on 

ianec  ». 

cour  eu 

SOS  mé- 
Licquitter 

cuve  (le 
ite  ;  aussi 

té  entiu 
année.  U 

trait  de 
iiiemberg 

ont  600 
dire  que 
s,  et  de- 


CADEAU  DE  LA  COUR  DK  VIENNE  A  M'""  DK  POMPADOm.      4M 

mnnda  i\  les  exprimer  par  lettrfî  A  Maric-Tliér«>se.  L'ani- 
hassftdeur  est  un  peu  embairassA  :  ((  Je  n'ai  (1),  mandc-t-il 
A  Kaunitsc,  (pri\  nie  cliai-ger  de  faire  pai-venii-  la  Icltn^ 
(pii  est  contenue  dans  vcnf-oi,  jointe  <V  (•<'1!('  cprelle  écrit 
i\  Votre  Kxcellencc.  »  Le  Uoi.  présent  iV  la  n^rnise  du  cm- 
dcau,  ((  m'a  fait  connaître  combien  il  était  personnellem(»nt 
sensi))le  à  cette  mai-rpie  d'attention  que  S.  M.  avait  bien 
voulu  lui  donner.  » 

Le  témoignage  de  satisfaction  octroyé  à  la  maltresse  de- 
vait-il  être  accordé  nu  ministre  de  Louis  W?  (lonsulté  sur 
ce  point  délicat,  Sfarhemherg  (2)  ne  le  croit  pas  indispen- 
sable; cependant  si  on  se  décide  «  î\  faire  chose  particulière 
pour  ce  ministre  duquel  nous  avons  en  gros  encore  tou- 
jours lieu  d'être  contents  »,  il  suggérerait  une  belle  agrafe 
de  chapeau  de  la  valeur  de  15  k  20.000  tlorins.  Ce  fut  à 
l'occasion  de  la  conclusion  du  nouveau  traité  entre  les  deux 
cours  qu(!  fut  foi-niulée  cette  demande  de  renseignemenls. 
Ku  ellet  les  ratilications  venaient  d'être  échangées  vers  la 
iin  de  mai,ai)rês  de  longues  négociations  qui  roulèrent  sur 
des  (juestions  accessoires. 

Pendant  les  pourparlers,  le  roi  de  Sardaigne  trouva  le 
moment  op[)ortun  pour  réclamer  l'exécution  des  promes- 
ses d'accroissement  territorial  qui  lui  avaient  été  faites  lors 
de  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  l'n  instant,  on  j)ut  craindre 
que  la  guerre  no  s'allumAt  en  Italie  à  propos  du  règle- 
ment qui  suivrait  la  mort  du  roi  d'Espagne  prévue  de 
jour  en  jour  ;  le  cabinet  britannique  poussait  la  cour  de 
Turin  iY  s'entendre  avec  celle  de  Naples  poui'  un  partage  de 
la  haute  Italie,  d'après  nu  arrangement  qui  aurait  mis  le 
Piémont  en  possession  des  duchés  de  Parme  et  du  Mila- 
nais, et  alloué  la  Toscane  comme  indemnité  à  l'infant  hoii 
Philippe.  Le  roi  de  Prusse  s'était  tout  naturellement  mêlé 


fl)  Slarhembeig  à  Kaunilz,  9  février  1759.  Archives  de  Vienne. 
(2)  Slarhemberg  à  Kannitz,  13  juin  1759.  Arcliives  de  Vienne. 


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L.V  (lUEURE  DE  SF^'T  ANS.         CIIAP.  VIII. 


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do  l'inli'iguo  et  avcait  envoyé  il)  j\  Turin  un  officier  de  con- 
fiance pour  soutenir  les  eflbrts  du  niinisfi-c  anglais.  Con- 
formément au.v  traditions  de  famille,  le  roi  de  Sardaigne 
sut  profiter  des  in(|uiétudes  soulevées  pour  obtenir  d(î  Ver- 
sailles la  cession  du  Plaisantin  à  défaut  d'autre  accpiisition 
et,  en  attendant  l'annexion  effective  qui  vien<lrait  lors  de 
la  paix,  la  bonification  des  revenus  provisoirement  tou- 
chés par  l'infant.  I. 'Autriche  consentit  à  sanctionner  cette 
clause  et  à  l'introduire  dans  la  l'utui-e  convention  sous  la 
réserve  que  la  garantie  n'entra hierait  aucun  sacrifice  ù  ses 
dépens. 

Un  autre  point  qui  souleva  de  longs  débats  fut  la  fixa- 
tion du  taux  de  change  des  monnaies  à  verser  au  titre  de 
subvention  par  la  France.  Choiseul  ne  voulait  compter  le 
florin  qu'à  50  sols  tandis  que  le  chanc*  ^.3r  et  son  repré- 
sentant entendaient  l'évaluer  à  52  sols.  Knfin,  sur  la  plu- 
part des  conditions  en  suspens,  la  ténacité  de  Starhem- 
berg  prévalut  et  il  eut  la  satisfaction  de  faire  adopter  un 
arrangement  presque  aussi  avantageux  pour  sa  cour  que 
les  deux  piemiers. 

Comme  toujours,  il  y  eut  traité  ostensible  et  traité  secret  : 
ils  ]>ortaient  les  dates  officielles  des  ;}0  et  ;{1  décembre 
175S,  quoi(|ue  les  signatures  n'eussent  été  apposées  qu'eu 
mars  et  les  ratifications  échang-ées  qu'en  mai  1759.  Les 
articles  les  plus  importants  des  deux  pièces  contenaient 
les  stipulations  suivantes  (-2  :  Uenouvellement  et  confir- 
mation à  perpétuité  du  traité  défensif  du  1"  mai  175(>; 
abrogation  et  anéantissement  du  traité  secret  du  1''  mai 
1757;  conversio'i  de  la  fourniture  du  corps  auxiliaire  de 
2'i.000  homnu's  en  subside  financier,  et  fixation  de  ce  sub- 
side ;\  la  somme  mensuelle  de  2S8.000  florins ,  payables 


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(1)  l'ivJéric  à  Fiiickenstt'in.  Rn'.slàU,  13  mars  1751).  Coire.spondanrc  poli- 
tique, XVIII,  |i.  3. 

(•J)  Traité  des  Z»  et  .il  di'ccinbro  1758,  AÛ'aircs  Elrarigùrcs.  Autriche.  Sup- 
plémenl  18. 


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TRAITKS  DES  30  ET  31  DKCKMIIUE  li:>». 


45:< 


chaque  année  à  raison  de  625.000  livres  seulement;,  et  le 
reliquat  après  la  paix;  liniitatioc  du  solde  des  arréranes, 
encore  dus  en  vertu  du  traité  secret,  de  ITô?,  î\  la  somme 
de  7.500.000  llorins  exigible  après  la  guerre;  mise  à  la 
charge  exclusive  de  la  France  des  subventions  accpiises  à  la 
Suède,  au  Danemark  etde  l'entreticMi  du  contingent  saxon; 
promesse  du  Uoi  de  maintenir  une  armée  de  100.000 
hommes  en  Allemagne;  altiibution  à  l'Init'jratrice  du  du- 
ché de  Silésie  et  du  comté  de  (ilatz;  garantie  des  conquê- 
tes réciproques;  concert  stipulé  sur  les»  avantages  que 
l'Impératrice  accordera  au  Koi,  au  cas  où  la  paix  lui  en 
procurerait  de  considérables  aux  dépens  du  roi  d(î  Prusse; 
occupation  par  les  Fran(;ais,  pendant  la  durée  dos  hostili- 
tés, des  villes  d'Ostendc  et  de  Newport;  bons  ol'lices  de 
l'Autriche  pour  la  suppression  de  l'interdiction  de  for- 
titier  Dunkerque;  engagement  de  ne  l'aire  ni  paix  ni  trêve 
sans  accord  préalable;  renonciation  par  rinqïératrice,  en 
faveur  de  l'inlant  Philippe  et  de  sa  postérité  masculine  et 
féminine,  à  la  réversion  des  duchés  italiens;  garantie  au 
roi  de  Sardaigne  d'une  indemnité  territoriale  (|ui  ne  sera 
pas  au  préjndicede  l'Autriche;  succession  de  Modène  assu- 
rée cl  rarchidnc  Pierre  Léopold.  Kn  outre  de  ces  disposi- 
tions, nous  trouvons  reproduites  dans  la  convention  les 
clauses  relatives  aux  royaumes  et  principautés  d'Italie,  à 
la  communication  à  faire  aux  puissances  alliées  et  au 
secret  à  observer. 

A  la  lecture  des  (piarante  articles  des  deux  traités,  on  se 
demande  quels  bénétlces  la  France  espéiait  en  tirer.  A  vrai 
dire,  ils  ne  pouvaient  être  que  négatifs,  car  le  seul  gain 
consistait  à  s'aîTranchir  d'une  partie  des  subsides  écra- 
sants (jue  le  négociateur  de  1757  avait  si  légèrement  pris 
à  son  compte:  mais  cet  allégement  serait-il  suffisant?  Sans 
doute  les  versements  mensuels  dusii  l'Impératrice  étaient 
sensiblement  diminués,  sans  doute  le  cabinet  d(î  Versailles 
renonçai»  à  son  rùle  de  principal  dans  la  guerre  d'Allc- 


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454 


LA  GUEIUIE  DK  SEPT  ANS.         CHAP.  VIII. 


magne  pour  reprendre  celui  dauxiliaire,  mais  il  promet- 
tiit  d'y  participer  avec  une  armée  de  100.000  hommes,  et 
il  consentait  des  sacrifices  linanciers  dont  le  montant  se- 
rait, comme  par  le  passé,  trop  lourd  pour  son  trésor  et 
pour  son  crédit.  Des  acquisitions  territoriales  sur  la  fron- 
tière du  nord,  (îe  l'établissement  de  liiitant  dans  les  Puys- 
IJas,  il  n'était  plus  question;  Clioiseul  s'était  inspiré  de  la 
dignité  de  son  maître  en  déclinant  les  quehpies  kilomètres 
carrés  que  lui  oll'iait  la  cour  de  Vienne,  et  s'était  contenté 
do  faire  insérer  une  clause  des  plus  vagues  destinée  bien 
plus  à  cou  vrii-  la  responsabilité  des  négociateurs,  qu'àgrati- 
tierla  France  d'une  extension  quelconipie  des(jn  domaine. 
En  s'engageant  i;  continuer  la  lutte  sans  profit  pour 
l'avenir  et  au  détriment  des  forces  de  la  nation,  Louis  XV 
et  ses  ministres  obéirent  avant  tout  aux  obligai.  «ns  qui  les 
liaient  vis-A-vis  des  alliés  et  qu'ils  ne  pouvaient  modifier 
(pi'avec  leur  conscntemeut,  mais  ils  se  laissèrent  aussi  en- 
l rainer  par  leurs  sentiments  personnels  à  l'égard  du  rcù 
de  Prusse.  Ce  monarque,  aust;i  médic^re  poète  que  bril- 
lant capitaine,  avait  coutume  de  s'i  reposer  des  soucis 
de  la  guerre  en  écrivant  des  pièces  de  vers,  qu'il  aurait 
voulu  satiii(|ues  et  tjui  n'étaient  que  grossiers.  C'est  ainsi 
qu'il  composa ,  en  l'honneur  du  prince  Ferdinand ,  une 
ode  où  les  Français  étaient  fort  mal  traités,  et  où  le  mo- 
nanpu!  et  la  l'aNorile  n'étaient  pas  plus  épargnés  que;  leurs 
généraux  et  leurs  ministres.  Kn  voici  un  échantillon  : 

O  iiation  (!)  toile  et  vaine, 

Quoi! 

Je  vois  leur  vil  assemblage 
Aussi  vaillant  au  pillage 
Que  làclie  dans  les  combats. 

Quoi  !  voire  faible  monarque 
.Touet  de  la  Pompadour 

(1)  Mvinoircs  ilc  Vollniic.  (Lunes  complites.  t.  LXX,  j).   3.(8,   ôdilion 
iU\  1789. 


8,   édition. 


(1)  Voir  à  ce  sujel  Calmcltos.  Choiseiil  et  Voltaire.  Paris.  lOO'?. 
^2)  Slarliemberg  à  Kaunitz,  V.\  juir.  175'.t.  Arrliiviîs  de  Vienne. 


if 


promct- 
lunies,  et 
ntant  se- 
trésor  et 
*  la  fron- 
Ics  Pays- 
liré  de  la 
ilomètres 
contenté 
née  bien 
u'àgrati- 
l()n\aiue. 
afit  pour 
Louis  XV 
is  qui  les 
modifier 
aussi  en- 
d  du  roi 
|ue  bril- 
s  soucis 
il  aurait 
est  ainsi 
nd,  une 
Li  le  mo- 
ue leurs 
Ion  : 


ODE  SATIRIQUE  DE  lUKDKRIC.  155 

Flétri  par  plus  d'une  miirquc 
Des  opprobres  de  Tainour, 
LnU  qui,  détestiint  les  peines 
Au  hasard  remet  les  rênes 
i)e  son  empire  aux  abois, 
Cet  esclave  parle  en  maître  ! 
Ce  Céladon  sous  un  liétre 
{'roit  dicter  le  sort  des  rois. 

Ces  vers,  qui  furent  suivis  d'autres  épii^rammes  d'un 
style  similaire,  pi^rvinrent  par  l'entremise  de  Voltaire  (Ij 
aux  mains  de  Clioiseul  dont  elles  soulevèrent  la  colère;  le 
ministre  aurait  désiré  répondre  par  une  œuvre  de  môme 
acabit,  et  faire  naître  une  sorte  de  procès  où  le  ta^'>nt 
du  royal  écrivit  in,  tout  nutant  que  son  bon  goût,  serait 
passé  au  crible  de  l'opinion  publicpie.  I.e  procédé  était  de 
bonne  guerre,  mais  Clioiseul  ne  s'en  tint  [>as  là;  dans  un 
entretien  avec  Starhemberg  (2)  qu'il  avait  mis  au  courant 
de  l'incident,  il  alla  jusqu'à  s'écrier  à  prf;pos  de  Frédéric  : 
«  Nous  l'en  ferons  certainement  repentir,  et  si  nous  trou- 
vons une  bonne  occasion  de  faire  la  paix  avec  l'Angleterre, 
nous  ne  manquerons  pas  d'en  proiiter  et  n'aurons  ensuite 
point  de  repos  que  nous  ne  .soyons  parvenus  à  nous  ven- 
ger de  son  insolence.  »  L'ambassadeur,  qui  rapporte  aus- 
sitôt la  boutade  se  garde  bien  de  la  commenter,  trop  beu- 
reu.K  d'enregistrer  l'adhésion  à  la  politique  de  la  maisoi\ 
d'Autriche,  pour  critiquer  la  cause  quelque  peu  triviale 
de  cette  déclaration  de  principes.  Malheureusement  pour 
les  hommes  qui  dirigeaient  les  all'aires  extérieures  de  la 
France,  ni  les  événements  militaires  ni  la  situation  inté- 
rieure du  pays  n'autorisaient  la  menace  si  légèrement 
exprimée. 

De  tous  les  soucis  du  cabinet  de  Louis  XV,  le  plus  grave 
était  le  mauvais  état  des  linances  du  rovaume;  aussi  re- 


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456 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS. 


CIIAl».  VIII. 


vient-il  sans  cesse  dans  les  conversations  de  Choisenl  avec 
l'envoyé  de  Marie-Thérèse  et  dans  les  déprciies  de  ce  der- 
nier. Au  cours  (lu  printemps,  La  Borde  av.iit  été  remplacé 
dans  les  fonctions  de  contrôleur  géné»'aî  par  Silhouette  ; 
il  entraîna  dans  sa  refrailc  le  hanquiei'  Paris-Montmartol, 
(jui  jusqu'alors  avait  été  le  bailleur  de  fonds  du  gouverne- 
ment. La  tâche  qu'alhiit  entreprendre  le  nouveau  ministre 
des  Finances  était  des  plus  lourdes;  le  trésor  était  vide,  le 
crédit  épuisé,  et  malgré  les  plaisanteries  do  Choiseul  (1) 
qui  prétendait  <(  que  (juand  on  n'aurait  plus'  rien,  on  ferait 
la  guerre  sans  argent  »,  il  fallait  faire  face  aux  nécessités 
des  départements  intéressés.  Silhouette  fut  d'abord  porté 
aux  nues  (2)  par  l'opinion:  il  réalisa  quehpuîs  économies 
et  émit  sans  difficulté  un  emprunt  de  72  millions;  mais  ce 
n'était  là  qu'une  goutte  dans  l'océan.  Peu  de  temp.  .!«<'("^ 
iMinden,  Starhemberg  fait  une  revue  do  la  situatioi»  i.iidu- 
cièrc  :  les  dépenses  de  la  guerre  se  montaient  déjà  pour 
l'année  à  KJO  millions,  celles  de  la  marine  et  des  colonies 
iV  100  millions;  le  budget  des  affaires  étrangères  en  avait 
absorbé  25;  le  service  de  la  dette  et  des  emprunts  cou- 
rants en  exigeait  un  peu  plus  de  140.  En  ajoutant  à  ce"  soni- 
nies  le  coût  de  la  nuiison  du  Roi  et  l'imprévu  jusqu  i  la 
fin  de  l'exercice,  Starhemberg  évaluait  (3)  à  5(t0  millions 
les  sorties  de  fonds  pour  1759;  les  rentrées  ne  devant  pas 
dépasser  300  millions,  il  en  résulterait  un  déficit  de  200 
millions.  Pour  combler  le  trou  il  fallait  de  nouvelles  émis- 
sions de  rentes,  et  j)our  les  gager  le  contrôleur  général 
proposait  un  accroissement  de  contributions  de  50  mil- 
lions; il  se  heurta,  comme  ses  prédécesseurs,  <\  l'opposition 
du  parlement.  La  compagnie  reconnaissait  bien  la  néces- 
sité d'augmeuîer  les  revenus,  mais  crilicpiait  les  taxes  aux- 

(1)  Slarlioinherg  à  Kaiinitz,  '.>â  février  ITj'.i.  Archivfs  de  Vienne. 
('21  Voir  Gléiiienl  ei  Lrnioine,  M.  de  .silhunetle.  Paris,  187;>. 
(3)  Starlienil  erj-  à  Kaunil/,    10    aoùl,    14  .septciul»re    t'iM.   Arcliives  de 
Vienne. 


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Mi 


EMBARIUS  FIN'ANCIEIIS  l>E  LA  FlUNCE. 


4r.7 


"■.  (le 


M/. 


quelles  on  avait  recours.  Le  pulilic,  d'aboid  très  favora- 
ble jI  Silhouette,  tourna  contre  lui;  on  lui  lit  le  reproche 
(le  suivre  les  errements  connus  et  de  surcharjL;er  la  matière 
imposable.  Enfin  les  pourparlers  et  les  remontrances  abou- 
tirent à  lacccptation  des  nouveaux  impôts  les  moins  im- 
portants tels  <]ue  les  droits  sur  les  cuirs,  et  ceux  concernant 
les  toiles  peintes.  Il  fallut  un  lit  de  justice,  tenu  le  -iO  sep- 
tembre, pour  obtenir  l'enreg-istrement  de  taxes  d'un  ca- 
ractère somptuaire  sur  l'or  et  l'argent,  de  20  livres  par 
cheval,  de  50  livres  par  valet  de  chambre  ou  domcstiqi'.c, 
de  droits  de  j)atente  pour  «  boutique  ouverte,  enseigne 
ou  bouchon  »,  de  l'allectation  i^  l'Ktat  du  produit  des  och'ois 
loraux,  et  du  rachat  des  offices  sur  les  postes.  La  contri- 
bution dont  le  rendement  était  A  la  fois  le  plus  sûr  et  le 
meilleur  était  celle  des  ï  sols  par  livre  sur  les  objets  de 
consommation  soumis  il  la  ferme  générale.  Silhouette  à  qui 
ses  projets  de  réforme  avaient  suscité  de  nombreux  en- 
nemis dut  abandonner  ses  fonctions  veis  la  fin  de  l'année. 
Ainsi  qu'on  devait  s'y  attendre,  les  ex[)édicnts  dont  nous 
avons  rendu  compte  n'empêchèrent  pas  la  crise  financière 
d'éclater.  Choiscul,  dans  son  cx[)osé  du  29  octobre  (1),  cpii 
devait  être  communiqué  à  Kaunifz,  le  reconnaît  avec  une 
loyauté  parfaite  :  «  Notre  crédit  qui  faisait  la  grande  bran- 
che de  notre  puissance  est  anéanti,  nous  sonunes  obligés 
de  nous  soutenir  par  les  revenus  seuls,  mais  comme  ils 
étaient  mangés  par  anticipation,  il  a  fallu  que  le  Roi  fasse 
une  espèce  de  banqueroute  comme  vous  le  verrez  par  les 
arrêtés  que  je  vous  adresse.  Les  nouveaux  impôts  n'ont 
pas  produit  un  soulagement  actuel;  il  ne  s'est  pas  trouvé 
de  compagnie  qui  ait  pu  faire  les  avances  de  ces  imposi- 
tions; l'on  est  donc  réduit  aujourd'hui  à  agiter  dans  le 
conseil,  poui'  payer  les  troupes  au  mois  de  novembre, 
d'envoyer  la  vaisselle  du  Uoi  et  des  particuliers  à  la  Mor.- 

(1)  Duc  do  Clioiscul  au  Coiale,  î'J  nclobre  IT.V.I.  di-jà  cité. 


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LA  (HKKRK  DE  SKPT  ANS.    -  CHAP.  VIII. 


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naie,  et  do  donner  en  échange  des  billets  qui,  vous  ju- 

j^ez  bien,  ne  seront  pas  fort  recherchas I.c  Roi  ne 

paye  plus  rien  aljsolument  que  ses  troupes  qui  sont  au 
moment  de  manquer,  ainsi  que  les  subsides  convenus 
par  les  traités.  »  La  [)énurie  de  fonds  so  faisait  sentir  à  un 
tel  point,  que  Choiseul  (1),  par  lettre  du  même  29  octo- 
bre, chargea  Ossun  de  solliciter  du  roi  d'Kspagne  un  prêt 
de  20  millions,  que  ce  monarque,  malgré  toute  sa  bonne 
volonté,  ne  se  crut  pas  en  état  de  consentir. 

Jusqu'ici  pour  la  revue  dos  rapports  des  doux  cours,  nous 
avons  puisé  dans  la  correspondance  de  Starhomberg.  Ce 
tut  en  effet  presque  excl's.îvern'^nt  entre  'ui  et  le  duc  de 
Choiseul  que  so  traitèrent  les  ;.  Taires  de  lalliance  du- 
rant les  sept  premiers  mois  de  1759.  Quoique  désigné  et 
agréé  dôs  le  mois  de  janvier,  le  successeur  du  duc  à  l'am- 
bassade de  Vienne,  son  cousin  le  comte  de  Choiseul,  ne  prit 
possession  de  son  poste  que  le  28  juin  ITôO.  Pendant  l'in- 
térim qui  avait  duré  8  mois,  la  représentation  de  la  France 
avait  été  confiée  au  secrétaire  Boyer  qui,  à  on  juger  [)ar  la 
forrespondanco,  s'acquitta  très  honorablement  de  la  beso- 
gne courante,  ruais  resta  étranger  aux  grosses  (piestions 
et  notamment  au  renouvellement  du  traité.  Le  comte  de 
Choiseul  ne  fut  pas  long  à  se  pénétrer  du  nMe  important 
que  devait  jouer,  auprès  du  gouvernement  autrichien, 
l'envoyé  de  la  puissance  amie;  à  piùne  un  mois  s'était-il 
écoulé  depuis  son  arrivée,  ([uo  nous  le  voyous  donner  son 
avis  sur  les  opérations  militaires,  critiquer  le  maréchal 
Daun,  tenir  tête  à  Kaunitz,  discuter  avec  l'Impératrice.  Plus 
maître  de  lui  que  son  prédécesseur,  plus  réservé  dans  le 
dialogue  diplomatique,  il  apporta  plus  de  souplesse  et  tout 
autant  de  franchise  dans  ses  relations  avec  le  chancelier  et 
avec  les  ministres.  Tout  d'abord,  l'accueil  gracieux  do  Kau- 
nitz ne  laisse  pas  de  surprendre  agréablement  le  nouvel 


(1)  Choiseul  à  OsAiin.  .!<.)  octobre  1759.  Affairos  Éfrangèrcs.  Espagne. 


I 


COMTK  DE  CIIOISEUL  AMIUSSADELU  A  VIENNE. 


45'.» 


nmliassadcui',  qui  sans  doute  d'après  les  renseignements 
du  duc  de  Clioiseul,  s'attendait  à  plus  de  morgue  :  «  Je  ne 
l'ai  pas  trouvé  (1)  froid,  haut,  dominant,  vain  ni  all'ectant 
la  supériorité;  j'ai  bien  remarqué  dans  ses  propos  qu'il 
avait  bonne  opinion  de  lui,  de  ses  idées,  de  son  esprit  et 
de  ses  talents,  mais  d'ailleurs  il  s'est  montré  vis-à-vis  de 
moi  avec  des  manières  simples,  aisées  et  obligeantes;  il  a 
mis  beaucoup  de  grâce,  d'ouverture  et  de  gaieté  même 
dans  les  trois  conversations  que  j'ai  eues  avec  lui.  » 

A  l'égard  du  nouveau  venu,  Marie-Thérèse  déploya  la 
condescendance  amicale,  l'amabilité  et  l'abandon  plein  de 
charme  donl  elle  possédait  le  secret  ;  elle  lui  parla  (2)  de  son 
allection  pour  Louis  XV,  du  plaisir  qu'elle  [)renait  au  ma- 
riage de  leurs  petits-enfanis,  se  déclara  ((  enthousiasmée 
pour  le  personnel  de  l'Infante  Isabelle  »,  s'encpiil  des  mem- 
bres de  la  famille  royale  et  de  plusieu;'sdes  ministres;  elle 
eut  soin  de  ne  pas  oublier  M"''  de  Pompadour  "  pour  qui 
elle  m'a  témoigné  une  estime  et  une  amitié  véritables.  » 
Elle  a  ajouté,  après  avoir  fait  son  éloge  :  «  Ce  n'est  pas  à 
cause  de  l'ohligation  que  je  lui  ai  d'avoir  contribué  i'i 
votre  alliance,  c'est  une  justice  que  je  rends  à  son  mé- 
rite. »  La  série  des  compliments  épuisée,  on  passa  aux  af- 
faires: L'Impératrice  avoue  peu  de  foi  dans  le  succès  de  l'ex- 
pédition quOn  préparait  dans  les  ports  fran(;ais  contre  les 
Iles  britanniques;  elle  craint  (ju'un  échec  de  ce  côté  nuise 
îV  l'entivprise  contre  la  Prusse  qui  lui  tient  an  conir  : 
»(  Vous  haïssez  bien  les  Anglais,  dit-elk'  à  Clioiseul,  mais 
je  veux  (]ue  vous  haïssicic  encore  plus  le  roi  de  Prusse.  » 

bans  sa  première  audience,  le  Français  avait  heaucoup 
insisté  sur  le  désir  de  son  maître  de  rendre  publique  l'u- 
nion projetée  entre  sa  petite-fille  et  l'archiduc  .Joseph: 
il  obtint  sur  ce  point  prompte  satisfaction;  la  demande  <>f- 


^■' 


I 


i 


(1)  Comle  de  Clioiseul  au  Duc,  T' juillet   ITM'    Afl'aircs  Élrangèrcs.  Au- 
triche. 

(2)  Conilc  de  Cliois^jul  au  Roi,  3  juillet  17.V.).  AU'aires  Etrangères.  Aulrichi'. 


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7^ 


(    !, 


400 


LA  r.UERUE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAI».  Vlll. 


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licicUe  de  la  main  de  la  jeune  princesse  fut  expédiée  de 
Vienne  le  29  juillet,  et  acceptée  par  le  Uoi  Très  Chrétien  <V 
la  date  du  20  août.  Ce  premier  résultat  a('([uis,  (îhoiseul 
s'ingénie  à  l'aire  rapprocher  l'époque  du  mariat^e,  que  la 
cour  de  Vienne,  pour  des  motifs  d'économie,  iiurait  voulu 
remettre  jus(ju'après  la  paix.  Une  cérémonie  à  la  cour  lui 
fournit  (1)  l'occasion  de  plaider  sa  cause  :  <(  L'Impéra- 
trice étant  au  milieu  de  sa  famille,  j'ai  pris  la  liberté  de- 
là féliciter  d'avoir  des  enfants  si  jolis,  si  aimables  et  si  bien 
portants.  Klle  m'a  répondu  :  «  Il  est  vrai  qu'ils  se  portent 
tous  à  merveille;  j'en  avais  ce  matin  treize  à  la  chnpelle.  » 
.le  lui  ai  dit  que  c'était  un  vilain  noml>re  et  que  je  voudrais 
(ju'il  y  en  eût  quatorze;  elle  ne  m'a  pas  entendu  et  s'est 
récriée  (ju'elle  avait  accouché  seize  fois,  que  c'en  était 
assez  et  qu'elle  s'était  bien  promis  de  ne  plus  faire  den- 
l'ants.  J'ai  repris  :  «  Si  Votre  Majesté  ne  veut  plus  en  pren- 
dre 1(1  peine  elle-même,  il  y  a  un  autre  moyen  d'en  aug- 
menter le  nondn'e.  »  Vonv  lors,  elle  m'a  compris;  elle 
s'est  mise  à  rire  et  m'a  dit  :  «  Vous  savez  bien  que  la  bonne 
volonté  ne  me  man(|ue  pas.  »  Malheureusement,  le  décès 
subit  de  la  duchesse  de  Parme,  mère  de  riufant<>  Isabelle, 
survenu  vers  la  fin  de  l'année,  lit  ajourner  le  mariage 
pendant  quoique  temps  encore. 

Si  les  cours  de  Vienne  et  de  Versailles  étaient  d  accord 
pour  voir  dans  l'union  des  familles  régnantes  un  événe- 
ment qui  devait  consolider  l'alliance,  il  s'en  fallait  de 
beaucoup  que  cette  entente  s'étendit  aux  questions  multi- 
ples que  soulevait  la  conduite  des  opérations  militaires  ou 
la  direction  des  alFaires  d'ordre  diplomatique.  Nous  avons 
déjà  relaté  la  correspondance  aigre-douce  échangée  à  pro- 
pos de  la  médiation  espagnole,  les  divergences  de  vues  au 
sujet  de  la  politi(|ue  intérieure  de  l'Allemagne;  plus  en- 
core les  incidents  de  la  guerre,  presque  quotidiens,  don- 

(1)  Comte  de  Ciioisniil  au  Duc,  5  septembre  17.V.».  Affaires  Étrangères.  Au- 
triche. 


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LE  DANKMAHK  OMRE  SES  BONS  OFFICES. 


4G1 


Aii- 


nrront  lieu  à  dos  récriminations  r(''ciprofjUPs  où  cliacnne 
des  parties  épanchai!  sa  l)ilo  sur  le  voisin,  et  so  consolait 
doses  propres  défaillances  en  soulignant  celles  de  l'allié. 
Quand  Starliemberg  se  plaint  de  la  retraite  de  Contades, 
qui  découvre  les  provinces  de  rErn|)ire,  Choiseul  riposte  (1  ) 
«  que  nous  aurions  les  plus  mauvais  généraux  de  l'Eu- 
rope, si  ceux  de  l'Impératrice  n'existaient  pas.  »  Cette  bou- 
tade, rapportée  à  Vienne,  ne  laisse  pas  d'y  produire  une 
fAclieuse  impression.  .V  l'occasion  des  fautes  d(î  la  campagne 
de  Saxo,  le  comte  de  Choiseul  ne  tarit  pas  en  critiques  (ii) 
sur  la  lenteur  de  Daun  :  «  J'ai  cru  qu'il  était  à  propos  de 
leur  faire  .sentir  qu'ils  se  conduisaient  encore  plus  mal  que 

nous M.  le  comte  de  ]\îuuiitz  a  été  doux  comme  un 

mouton  dans  toute  cette  conversation.  »  Il  est  vrai  ((uil  sut 
prendre  sa  revanche  en  conseillant  à  I-ouis  \V,  comme 
nous  l'avons  vu,  de  i)rier  l'Espagne  de  défendre  à  sa  place 
00  qui  restait  des  colonies  françaises. 

Comment  mettre  tin  à  une  guerre  dont  la  France  avait 
A  supporter  les  charges  et  à  subir  les  ell'ets  de  plus  en 
plus  ruineux  pour  sa  marine  et  ses  colonies,  sans  manquer 
aux  engagements  qui  la  liaient  vis-à-vis  de  la  maison 
d  Autriche?  ('e  pioblème  pour  ainsi  dire  insoluble  fut  la 
préoccupation  constante  du  duc  de  Choiseul.  Convaincu 
que  la  seule  voie  pour  sortir  d'une  situation  inextricable 
était  un  traité  séparé  avec  l'Angleterre,  il  s'ingénia  li  ti'ou- 
ver  le  moyen  de  s'aboucher  avec  cette  puissance.  A  cet 
effet,  sans  négliger  la  négociation  ofticiello  entanu-e  avec 
l'Espagne,  il  chercha  à  renouer  avec  le  Danemark  les  pour- 
parlers secrets  commencés  par  son  prédécesseur  lîernis  et 
si  catégori(piemenl  désavoués  par  lui-mèine  après  la  chute 
de  ce  dernier.  La  coui-  de  Co[ienhaguc  était  très  émue  du 

(1)  Dans  une  (l<'i)t^(lip  du  :>.'.)  octobre  175',»,  le  duc  de  Choiseul  reconnail 
avoir  tenu  le  propos  »  on  plaisaiitaiil  v. 

(a)  Comli!  do  Choiseul  au  Duc,  is  novembre  175!».  Atlaires  Klranaèrcs. 
Autriche. 


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.  ».     '115 


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»f.2 


LA  OUElUli;  DE  SKPT  ANS.  -  CIIAP.  Vill. 


désir  manifesté  par  les  ministres  de  la  Tzarino  d'annexer 
définitivement  la  Prusse  royale  et  se  montrait  encline  i\ 
faciliter  tout  arrangement  qui  serait  de  nature  à  entraver 
les  progrès  de  la  lUissic^;  aussi  conscntil-elle  <\  s'entremet- 
tre auprc;;  du  cahinet  de  Londres  pour  un  accord  entre 
l'Angleterre  et  la  France.  Le  ministre  hanovricn  Steinberg 
conimuniijua  (1)  par  le  canal  de  Munchliauscnune  conver- 
sation avec  Herostorf ,  dims  hupu^ile  celui-ci  avait  oU'et't 
ses  bons  offices  et  proposé  de  transmettre  à  Versailles  les 
conditions  <|ue  le  roi  (ieorge,  en  sa  double  capacité  royale 
et  électorale,  serait  disposé,  de  concert  îivec  la  Prusse,  à 
accepter  de  la  part  de  la  France.  Quoique  Bernstorf  pré- 
tendit s'inspirer  de  sa  propre  initiative,  le  contenu  d'ime 
lettre  interceptée  (2)  de  Wedelfries,  résident  danois  à  Paris, 
laissait  supposer  (|ue  Clioiseul  n'était  pas  étranger  à  celte 
(tiiverture.  Quand  le  billet  de  Steinberg"  parvint  h  Londies, 
le  cabinet  britannique  s'était  arrêté  au  ])arti  d'une  dé- 
claration pacifiipie  au  nom  des  rois  d'Angleterre  et  de 
Prusse,  qui  serait  adressée  aux  puissances  belligérantes; 
aussi  lit-il  mauvais  accueil  (3)  à  l'intervention  danoise. 
Toute  négociation,  l'épondit-on,  serait  «  prématurée  et  té- 
méraire... avant  la  tin  de  la  canq)agne.  »  Quant  aux  pre- 
miers pourparlers,  lorsqu'il  y  aurait  lieu  de  les  entamer, 
«  Sa  Majesté  croit  de  sa  prudence  et  de  sa  dignité  de  ne  pas 
se  servir  de  voies  secrètes  pour  faire  connaître  il  la  France 
et  à  l'Europe  ses  équitables  intentions.  »  Pitt  et  ses  col- 
lègues étaient  d'autant  plus  opposés  à  la  médiation  du 
banemark  que  l'atl'aire  avait  été  conduite  par  le  conseil 
de  régence  du  Hanovre  et  ([u'il  avait  été  question,  sans 
doute  dans  le  but  d'exploiter  le  faible  souvent  constaté  du 
roi  (Jeorge,  d'agrandissements  de  son  donuiine  électoral 

(1)  SU'iiil)eis  à  Munclihaiisen,  9  ocloitre  l"."i9.  Newcasile  Papers,  32896. 

(2)  Wedeinies  à  nernstoiT,  18  septembre  1759.  Ncwcastle  raj)ers,  32S95. 

(3)  Procès-verbal  de  lo  conférence  du  29  octobre  1739.  Newcasile  l'apers, 
a2897. 


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CIIOISELL  SONCK  A  LA  Ul  SSIK  COMME  MEUIVTHICE. 


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dont,  en  leur  quiililé  de  lions  Anglais,  ils  liaient  l(!s  ad- 
viM'saii'cs  lésolus. 

Au  (M)iii's  de  VrW'.  Choisoul  avait  songé  aussi  il  faire  dv 
la  l\ussi(!  U)  [noinolciir  de  la  paix  générale,  car  il  s'agis- 
sait cette  fois  non  plus  du  conilit  paiticulier  avec  l'Angle- 
terre, mais  de  lout  Ir  continent.  I>ans  une  dépèche  con- 
lidentielle  (1)  A  Mi(*>pilal,  nous  trouvons  tracé  de  main  de 
maître  l'exposé  des  embarras  de  la  cour  de  Versailles  et 
l'indication  de  la  porte  de  sortie  qu'il  entrevoit  :  ((  .le  crois 
(fu'il  seiait  possible  de  terminer  honorablement  et  promp- 
Icment  cette  guerre,  si  nous  n'étions  engagés,  l'Angleterre 
et  nous,  dans  la  querelle  de  nos  alliés;  mais  nos  engage- 
ments sont  (lillV'rents  de  ceux  des  Anglais,  en  ce  (|ue  les 
alliés  de  l'Angleterre  seraient  satisfaits  si  l'on  voulait  les 
laisser  tels  (ju'ils  étaient  avant  la  guerre,  au  lieu  que  nous, 
iKHis  sommes  engagés  avec  les  nôtres  de  leur  procurer  des 
dédommagements  v,t  des  conquêtes.  Voilà   la  vraie  difli- 
culté  qui  refarde  lii  paix.  )>  C.hoiseul  rap|)elle  les  tentatives 
faites  sous  le  ministère   Bernis  pour  amener  la  cour  de 
Vienne  à  des  vues  conciliîitrices.  Elles  ne  pouvaient  abou- 
tir, parce  (]ue  l'alliance  autrichi(mne  était  trop  récente  et 
le  souvenir  des  anciennes  n-lations  de  la  France  et  de  la 
Prusse  encore  trop  vivace  pour  permettre  <\  la  cour  de  Ver- 
sailles d'assumer  l'office  de  médiateur.  Le  dernier  traitf' 
signé  devient  u  la  loi  de  notre  conduite;  aussi  nous  som- 
mes hors  de  mesure  pour  faire  aucune  insinuation  de  paix 
àl'lmpératrice-Reine,  à  moins  qu'elle  ne  soit  en  possession 
tranquille  de  la  Silésie,  et  comme  il  est  fort  à  présumer 
que  ce  cas  n'arrivera  pas,  nous  sommes  dans  la  nécessité 
de  continuer  la  guerr(î  de  terre,  comme  nos  traites  l'exi- 
gent, aussi  longtemps  que  la  cour  de  Vienne  voudra  me- 
surer ses  forces  contre  celles  du  Koi  de  Prusse.  »  I_,e  mi- 
nistre croit  néanmoins  aux  bénélices  ultérieurs  de  l'accord 


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(1)  Clioisoul  à  Lhùj)ital,  H  juillet  1750.  Aflaires  KlrangÙK»,  Russie. 


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461 


LA  GUKIUIE  DE  SEPT  ANS.         CHAI».  Mil. 


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avec  la  maison  dAutrichc  :  «  I/alliauco  avec  l'Irapératrico. 
qui  iious  a  coûté  tant  (riiommes  et  tant  d'argent,  ne  peut 
devenir  utile;  à  la  Franco  qu'autant  qu'elle  sera  durable  et 
solide  à  la  paix  ;  et  elle  ne  peut  ùtre  durable  à  cette  époque 
qu'autant  qu'en  évitant  de  donner   aucun    soupçon  sur 
notre  bonne  foi,  nous  aurons  maintenu  nos  traités  avec 
exactitude,  il  faut  que  nous  son^^ions  que  le  roi  de  Prusse 
mourra  et  avec  lui  la  puissance  prussienne;  mais  la  puis- 
sance autricbiennc  n'est  pas  prête  à  s'éteindre,  et  si  nous  ne 
la  ménagions  pas,  sans  cependant  lui  laisser  prendre  trop 
d'empire,  elle  pourrait  aisément  reprendre  ses  anciennes 
liaisons  et  devenir  notre  plus  cruelle  ennemie.  »  Comment 
travailler  A  la  pacitication  de  l'Europe  sans  froisser  Ma- 
rie-Tbéi'èse?  Voici  la  solution  inventée  par  le  ministre  de 
Louis  XV  :  «  La  lUissie  n'a  point  ces  inconvénients  à  crain- 
dre. Je  me  suis  aperçu ,  pendant  mon  ambassade  auprès  de 
l'Impératrice ,  que  la  cour  de  Vienne  lui  est  entièrement  su- 
bordonnée. La  raison  en  est  simple  :  La  maison  d'Autricl-e 
a  beaucoup  à  espérer  de  la  cour  de  Pétersbourg-,  et  la 
Russie  n'a  rien  à  craindre  et  peu  de  chose  à  espérer  de  la 
cour  de  Vienne.  C'est  dans  cet  état,  Monsieur,  que  l'Impé- 
ratrice de  Russie  peut  entreprendre,  si  réellement  elle  dé- 
sire la  paix,  de  jouer  le  rôle  de  médiatrice  armée  entre 
l'Impératrice-Ueine  et  le  roi  de  Prusse.  C'est  elle  qui  peut 
sans  crainte  faire  connaiti-e  à  Vienne  ses  dispositions  pour 
la  paix,  en  même  temps  qu'en  mcnac^'ant  de  ses  armes  elle 
ferait  parvenir  ses  sentiments  au  roi  de  Prusse.  Elle  seule 
peut  s'acquérii',  dans  cotte  médiation,  et  en  faisant  con- 
clure la  paix  sous  ses  auspices,  la  gloire  la  plus  convenable 
à  sa  dignité.  » 

Cette  conceplion  ingénieuse  qui  fait  lioimour  à  la  fer- 
tilité d'imagination  de  l'homme  d'Etat,  avait  le  grave  dé- 
faut d'être  fondée  sur  deux  erreurs  capitales.  Trompé  par 
le  bruit  de  prétendus  pourparlers  engagés  entre  Péters- 
bourg el    Londres  par  l'intermédiaire  de  Copenhague, 


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LA  COUR  DE  PETERSIiOURG. 


'i65 


Choiseiilj  cioyait  \1)  la  llussic  encline  à  metti'o  fin  à  la 
yuciTc.  Or,  il  n'en  était  rien;  la  Tzarine,  encore  maîtresse 
absolue  de  sa  polilique  étrangère  ,  était  aussi  opposée  aux 
notions  de  paix  que  l'Impératrice  Marie -Thérèse,  et  son 
premier  ministre,  le  chancelier  Woronzow,  malgré  des  vel- 
léités pacifiques,  (2)  n'avait  ni  l'autorité  ni  les  qualités 
voulues  pour  jouer  le  rôle  délicat  qui  lui  serait  revenu 
dans  la  négociation. 

Jetons  un  coup  dœil  sur  cette  cour  de  llussi(î  du  milieu 
dn   dix-huitième   siècle,  à  la  description  de   laquelle  nn 
écrivain  de  mérite  (3)  a  consacré  des  ouvrag-es  récents,  et 
dont  Lhopital  disait  avec  raison  {'i.)  :  «  Il  est  difficile,  lors- 
qu'on n'a  pas  vu  par  soi-même  ce  pays-ci  et  les  gens  qui 
l'habitent,  de  se  faire  une  idée  juste  de  leur  façon  de  pen- 
ser, depuis  la  souveraine  jus([u'au  dernier  Uusse.  Nos  idées, 
nos  principes,  nos  maximes  sont  si  différents  des  leui's, 
qu  il  m'a  fallu  du  temps  et  beaucoup  de  patience  et  d'étude 
pour  les  connaître  et  m'y  accoutumer.  »  Sans  partager  les 
illusions  que  l'ambassadeur  se  faisait  sur  sa  perspicacité  et 
sur  l'inHuence  qu'il  pensait  avoir  acquise,  nous  acceptons 
volontiers  l'exactitude  du  croquis  qu'il  trace  des  princi- 
paux personnages  de  la  cour.  A  sa  tête,  l'Impératrice  Kli- 
sabeth,  aussi  fantasque  que  jamais,  sous  la  coupe  de  ses 
favoris  des  deux  sexes,  en  butte  aux  intrigues  et  aux  tra- 
casseries de  son  entourage,  malade,  en  proie  à  la  mélan- 
colie, indolente  au  point  de  laisser  en  souffrance  les  af- 
faires les  plus  importantes,  sachant  néanmoins  s'affirmer 
à  l'occasion  et  reprendre  parfois  ses  grâces  d'autan.  «  Son 
palais,  écrit  Lhùpital  (5),  est  une  espèce  de  sérail,  dont  le 


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ler- 
dé- 
par 
ers- 
;uo , 


(t)  Clioiseul  i\  Lhôpilal,  8  mai,  8  juillet,  2i  iiilllct,  n  aui'il   175'.».  AU'aircs 
ÉlranBèics,  Russie. 

(2)  Keitii  à  Uoldernt'sse,  i  septembre  175',».  Record  OfTicc. 

(3)  Waliszewski  :  i.a  dernière  des  Uoiuanoir,  Paris,  lîKi'i. 

(i)  Lhùpital  à  Clioiseul,  10  juin  1/59.  Afl'aires  Étrangères,  Russie. 
(.">)  Lhùpital  à  Clioiseul,  U  tlécembre  175'j.  Adaires  Klrangèrcs.  Russie. 
CLEiuu:  ni:  sept  ans.  —  t.  m.  ;jo 


46n 


L\  GUERIU':  1)1,  SEIT  AXS. 


CIIAP.  VIII. 


chelcst  luu!  l'einnie.  Il  y  vî'gac,  au  lien  de  plaisirs,  des  fac- 
tions, dos  haines  et  des  vues  anihitieuses  de  ses  l'avoris. 
Les  femmes  d(>  chambre  y  jouent  leur  rùlc.  »  Llinpéra- 
tiice  ne  sort  presque  plus,  cependant  «  le  dernier  jour 
(|u'clle  a  paru,  elle  était  fraîche  et  belle  même  à  travers 
les  secours  de  lart  et  de  la  toilette.  »  Un  état  de  santé  dé- 
labré, sur  lequel  le  médecin  fraoeais  Poissonier,  att.iché  à 
sa  personne,  transmettait  î\  Paris  un  rapport  hebdoma- 
daire, les  accidents  déjà  survenus,  pronostiquaient  une  fin 
prochaine  et  iaisaieut  tremblera  la  pensée  du  sucresseiir. 
Ce  dernier,  fou  k  lier,  imitateur  ridicule  des  usages  prus- 
siens, admirateur  servile  de  la  politique  de  Frédéric, 
brouillé  avec  sa  femme  et  méprisé  de  tous;  la  grande-du- 
chesse Catherine  dévouée  à  l'Angleterre,  dont  elle  avait 
reçu  et  passait  pour  recevoii-  encore  les  subsides,  sans  cré- 
dit auprès  de  laTzarine  et  plus  occupée,  à  en  croire  les  de- 
hors, de  ses  amours  que  de  la  chose  publique. 

Depuis  la  chute  de  Bestuschew,  Woronzow,  promu  au 
premier  rang,  était  chargé  tantôt  seul,  tantôt  en  collabo- 
ration avec  ditférents  personnages,  de  'a  conduite  des  re- 
lations extérieures.  Lhôpital  le  dépeint  (li  covnme  «  plus 
htmnôte  homme  (|u'aucim  autre  de  la  nation,  de  mœurs 
douces  et  d'humeur  égale.  Il  est  froid  en  apparence,  mais 
il  rétléchit  beaucoup  quoi(pr assez  lentement;  il  mérite  le 
titre  de  bon  homme ,  étant  réellement  hou  sans  être  sot. 
L'esprit  du  chancelier,  sans  être  étendu  ni  nerveux,  est 
cependant  accompagné  de  beaucoup  de  sens;  mais  il  est 
peu  instruit,  il  travaille  beaucoup  et  lit  exactement  tout 
ce  qui  lui  est  présenté.  Use  conforme,  comme  il  le  doit,  au 
caractère  et  aux  volontés  de  sa  souveraine,  ce  qui  le  fait 
passer  pour  lent,  irrésolu  et  incapable  de  prendre  des  partis 
promi)ts  et  nerveux.  »  De  Woronzow,  intelligence  bornée, 
bureaucrate  consciencieux,  exécuteur  fidèle  des  déciriions 

(î)  Méinoiio  de  Lhôpilal,  1.3  dt''cenibr('  ITo'.t.  Aflaires  Étrangères,  Russie. 


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AITITUDE  gi  K  CIIOISKUL  SLT.r.KKE  A  L  HOPITAL. 


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du  conseil,  il  ne  fallait  pas  attendre  l'initiative  d'un  Kaunitz 
ou  d'un  Choi;^eul  qui,  bien  «jue  représentants  d'uuc  monar- 
chie despotique,  savaient  imprimer  le  cachet  de  leur  pei- 
sonnalité  à  la  politique  de  leurs  pays.  Depuis  quelque 
temps  et  pour  les  négociations  capitales,  sur  la  demande 
du  chanceliei-,  la  ïzarine  lui  avait  adjoint  son  favori,  le 
chambellan  Schuwalow  Ce  courtisan  servait  de  Irait  d'u- 
nion entre  sa  maîtresse  et  ce  qu'où  appelait  la  jeune  cour; 
sans  expérience  des  all'aircs,  il  ne  comptait  que  })ar  la 
conliance  (pie  lui  marquait  Klisabeth  et  riniluence  qu'on 
lui  attribuait  siu'  la  capricieuse  souveraine. 

Dans  le  milieu  que  nous  venons  de  décrire,  dans  un  ca- 
binet dont  l'orientation  dépendait  de  la  santé  d'une  femme 
usée  et  malade,  il  n'y  avait  pas  place  pour  les  savantes 
combinaisons  de  Clioiseul.  D'autre  part,  Lhù[;ital.  soit  (ju'il 
se  rend  t  compte  plus  exactement  que  son  ministre  de  ce 
qui  était  possible  à  l'étersboury,  soit  <ju'il  ne  partai^cAt  pas 
ses  vuei!  aurait  été  parlisan  d'une  entent<>  plus  intime  de  lii 
France»  t  de  la  Kussic,  ait'ranchie  de  Faction  autrichienne, 
et  dans  .'o  but,  affectait  vis-à-vis  de  l'ambassadeur  Kstei'- 
hazy  .ne  liberté  d'allures  dont  la  cour  de  Vienne  et  son 
port  ..-parole  Starhemberji'  ne  tardèrent  pas  à  se  plaindre. 

*  ne  attitude  pareille  ne  cadrait  pas  avec  les  desseins  de 
Clioiseul  qui  lui  adressa  (1)  une  semonce  amicale  et  lui 
exposa  très  franchement  les  ressorts  de  son  système  : 
<(  Permettez-moi  de  vous  dire  que  vous  vous  amusez  un 
peu  trop  à  l'apparence  de  l'ambassade,  et  que  vous  ne  vous 
occupez  pas  assez  de  la  solidité.  Vous  croyez  que  l'empire 
de  Russie  peut  être  notre  allié,  indépendaiiimcnt  de  la 
cour  de  Vienne;  nous  ne  pensons  pas  de  même,  et,  je 
crois,  moi,  que  la  Russie  n'est  notre  alliée  (|ue  par  acci- 
dent, et  que  nous  devons  nous  borner  à  ne  la  point  mé- 
contenter pendant  notre  alliance,  sans  faire  aucun  fonds 

(1)  Clioiseul  ù  LUûpitiil  (particulière),  i  octobre  17.")'.i.  Allaires  Étran- 
gères, Russie. 


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l.A  (iUKUKK  DK  SKPT  ANS.    -  CII.VP    VIII. 


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sur  une  union  permanente  avec  cet  Empire.  Héfléchissez 
que  le  Turc,  la  Suède  et  le  Danemark  sont  nos  alliés  et  les 
ennemis  naturels  de  la  lUissie;  que  nous  n'avons  rien  A 
attendre  personnellement  d(;  cette  puissance;   (pie  nous 
avons  à  craindre  (prclle  n'étende  son  despolisme  dans  le 
Nord  et  qu'elle  ne  prenne  trop  d'influence  en  Allemagne, 
et  (pie  les  Anglais  au  contraire,  en  possession  du  com- 
merce de  Ilnssie,  seront  par  les  liaisons  nécessaires  les  al- 
liés de  cet  Kmpire.  »  Ce  principe  posé,  l'écrivain  examine 
les  conséquences  (jui  découlent  de  l'accord  avec  la  cour  tle 
Vienne  :  <i  Cette  alliance  est  solide,  intime  et  aussi  désirable 
(pi'utile  pour  les  deuv  Couronnes;  mais  en  même  temps 
nous  ne   prétendons    pas   adopter  tous  les  systèmes  de 
Vienne.  Cependant,  il  est  de  la  dernière  importance   de 
ne   pas  paraître  les   entraver,  surtout  en   Kussie.   C'est 
l'Impératrice-Ueine  qui  a  été  le  no'ud  de  notre  réunion 
avec  la  Russie.  »  Dans  ces  conditions  lJu')pital  devra  ap- 
puyer (le  bonne  grâce  les  demandes  (jue  formulera  Ester- 
liazy,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  opérations  de  la 
guerre,  et  réserver  son  initiative  pour  les  affaires  spéciales  i'i 
la  France.  Cette  façon  d'agir  ne  pourra  que  faciliter  le  projet 
de  médiation.  «  Plus  nous  désirons  que  la  Kussie  fasse  faire 
promptement  et  cet  hiver  la  paix  de  Prusse  et  d'Autriche, 
plus  nous  devons  montrer  à  la  cour  de  Vienne  que  nous 
nous  portons  avec  vivacité  âi  la  seconder  à  Pétersbourg  ;  et 
moins  nous  lui  confions  nos  vues  sur  la  paix,  plus  nous 
devons  avoir  l'air  de  la  servir  pour  la  guerre.  »  La  dé- 
fiance d'Esterhazy  et  de  son  gouvernement  ainsi  assoupie, 
en  cas  que  la  Russie  se  decidîYt  à  la  paix,  «  vous  vous 
trouveriez  le  médiateur  entre  les  deux  cours  impériales 
pour  parvenu'  à  ce  but  désirable,  et  vous  feriez  jouer  à 
votre  maître   le  rôle  vraiment  digne  et  utile  qu'il  doit 
jouer.  Voilà,  mon  cher  marquis,  mes  idées;  voilà  selon 
moi  le  seul  but  de  votre  ambassade.  Il  est  assez  beau. 
Tout  autre  est  chimère  et  vent.  Uéfléchissez-y  mûrement  ; 


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L,V  IIUSSIE  REVENDIQLK  LA  l'IU  SSU  HUYALE. 


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je  vous  parle  en  ami,  je  vous  drvoile  notre  système.  » 
(^hoiseul  [U'évoit  l'hypothèse  d'après  laquelle  ctitte  ligne 
de  conduite  serait  incompafihlo  avec  les  opinions  person- 
nelles de  son  corrcsi)ondant  et  ajoute  :  «  Il  vaudrait  mieu:; 
que,  sous  pr<^tcxte  de  maladie,  vous  quittassiez  l'ambas- 
sade que  d'y  être  employé  à  une  besogne  de  la  l)onté  de 
laquelle  vous  ne  seriez  pas  persuadé.  » 

Le  motif  des  avances  que  Lhôpital,  au  gré  de  son  chef, 
se  montrait  trop  pressé  d'accueillir  fut  bientôt  apparent. 
Les  gouvernemeuts   de   Vienne  et  de  Versailles  avaient 
communiqué  à  la  Tzarine  leur  dernier  traité,  ratitié  en 
mai  1759  quoi(ju'il  portât  la  date  du  -iO  décembre  1758, 
et  demandé  l'adhésion  de  la  Russie  à.  cet  instrument  diplo- 
niati(pie.  Ce  qui,  pour  les  deux  puissances  contractantes, 
n'était  (pi'une  formalité,  devint  pour  la  Hussie  une  occa- 
sion défaire  valoir  ses  droits  à  une  indemnité  territoriale. 
Tout  d'abord  Woronxow  avait  parlé  d'une  rectification  de  la 
frontière  polonaise;  plus  tard,  c'est  Schuwalow  qui  met 
sur  le  tapis  l'annexion  de  la  Prusse  royale;  enfin,  un  mé- 
moire signé  des  deux  ministres  russes  est  remis  aux  repré- 
sentants de  l'Autriche  et  de  la  France.  Dans  cette  pièce  (1), 
la  Tzarine  se  déclarait  prête  à  accéder  au  traité  du  30  dé- 
cembre, mais  sollicitait  de  ses  alliés  la  promesse  «  de  faire 
pendant  la  guerre  tous  leurs  efforts  et  d'employer  aux 
conférences  pour  la  paix  tous  'es  soins  possibles  pour  que 
le  royaume  de  Prusse,  qui  est  déjà  conquis  par  les  armes 
de  S.  M.  Impériale  et  dont  les  habitants  lui  ont  volontai- 
rement prêté  serment  de  fidélité,  soit  cédé  à  S.  M.  »  Une 
semblable  requôto  était  trop  contraire  à  la  politique  tra- 
ditionnelle de  la  Franco  et  aux  principes  récemment  déve- 
loppés au  nom  du  Uoi  pour  être  bien  rc(;ue  à  Versailles. 
On  se  tira  d'affaire  (2)  en  se  déchargeant  sur  la  cour  de 

(1)  Méinoiio  de  Woroiizow  el  Schuwalow,  26  octol)r(;  175'.t.  Aflaircs  Etran- 
gères. Russie. 

(2)  Choiseul  à  Lhôpital,  li  décembre  1759.  Allaires  Élrangéres.  Russie. 


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LA  (llIEimii  DK  SKPl  ANS. 


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Vienne  dn  soin  de  clcl>alti'e  une  (]uestion  (jui  Ifi  toucliail 
(le  plus  près,  et  en  muni  l'estant  le  désir  de  répondre  au\ 
avances  de  la  iUissie  (hi  négociant  "  un  traité  pai'ticulier 
auquel  nous  serons  toujours  dis^iosés  à  travailler  avec 
zèle  et  avec  suite  pour  la  gloiie  commune  et  l'avantage 
réciproque  des  deux  monarchies.  » 

Kn  résumé,  vers  la  lin  de  ITôO  et  au  moment  des  pro- 
positions anglo-prussiennes,  malgré  'es  dissentiments  de 
leurs  généraux,  en  dépit  des  récriminations  échangées 
entre  Pétershourg  et  Vienne  sur  la  conduite  des  opérations 
militaires,  l'entente  entre  les  Impératrices  était  aussi  vivace 
que  jamais.  Les  deux  souveraines,  animées  d'un  achar- 
nement égal  contre  le  roi  de  Prusse,  étaient  résolues  à 
continuer  l'œuvre  commencée  et  à  ne  se  laisser  détour- 
ner de  ce  qu'elles  considéraient  comme  leur  proie  par  au- 
cune intervention  étrangère.  En  cas  de  succès,  l'accord 
persisterait-il  jusqu'au  partage  des  dépouilles  du  vaincu? 
Certains  propos  de  Kaunitz  au  comte  de  Choiseul  (1)  indi- 
quent bien  les  sentiments  autrichiens  :  «  Nous  n'avons  au- 
cun intérêt  et  aucune  envie  de  procurer  une  augmentation 
de  puissance  h  la  Uussie  dans  le  voisinage  de  l'Allemagne 
et  de  la  Pologne,  mais  nous  avons  aussi  besoin  d'elle  pour 
la  guerre  et  la  paix,  aussi  il  faut  tenter  de  la  retenir  au 
meilleur  marché  que  nous  pourrons,  »  Le  chancelier  n'ad- 
mettait pas  d'ailleurs  que  l'acquisition  de  la  Prusse  royale 
et  celle  de  la  Silésie  fussent  mises  sur  le  môme  pied  :  «  Cela 
n'est  pas  juste  ;  il  faut  regarder  la  Silésie  comme  une  es- 
pèce de  préciput  qui  doit  être  prélevé  avant  tout  et  qui  ne 
doit  entrer  en  balance  :ivec  aucun  autre  dédommage- 
ment. »  Le  comte  de  Choiseul,  en  rapportant  cette  préten- 
tion, d'ijouter  non  sans  ironie  :  «  Je  n'ai  eu  garde  de  con- 
tester ce  principe....  je  n'ignorais  pas  que  la  Silésie  était 


(1)  Comte  de  Clioiseul  au  Duc,  25  et  28  décembre  1759.  Affaires  Étrangères. 
Autriche. 


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(MON  INTIMi:  DES  DKUX  l.MPKUATRICKS  CoNTHE  FIlÉnUUK;.    -iTl 

son  objet  unique  exclusivement  du  reste  do  l'univers.  » 
Uuunt  i\  la  France,  désintéressée  dans  ce  débat  dont 
elle  s'était  interdit  de  tirer  aucun  profit,  la  vive  intelli- 
gence de  (Ihoiseul  s'évertuait  i\  clore  le  bilan  des  pertes  pas- 
sées ou  futures  en  obtenant,  par  l'intervention  des  tiers,  la 
pacification  générale  ou  |)ai'tielle  dont  il  ne  pouvait  pren- 
dre l'initiative.  Eùt-il  eu  plus  de  cbances  de  l'aire  îiboutir 
ce  (|ui  semble  avoir  été  un  désir  sincère  de  terminer  la 
guerre,  en  acceptant  franchement  et  sans  arricre-pensé(î 
les  ouvertures  des  rois  d'Angleterre  et  de  Prusse?  Le  récit 
des  préliminaires  de  cette  négociation  et  l'examen  des 
obstacles  qu'elle  rencontra  dès  son  origine  permettront 
de  répondre  à  la  question. 


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CIlAlMlKli  IX 

PROPOSITION  D'UN  CONGRÈS  DE  PAIX 

DKCLAUATIOXS  l»HS    ROIS    n'A>(ir.KTKUIlK  F.T    l>K    PIIUSSK.  —  i\K- 
r.OCIATI()>S    KNTIIK    I.KS    COUliS     l>K    VKUSAII.I.KS,    VIKNNK    Kl 

PKTr.iisi»)UR(i  AU   siJKT   hk  la   hki'onsi:.  —  contuk-dk- 

r.LAKATION     DKS     l'IlSSANCKS     Al.LIKKS.     —     «lONVKRSATIONS 

DE     LA      ILVVi:.    DKMAUCIIK    HK     KHOILLAV.    —    HUI'Tl'UK 

DF.S   POLKPARLKRS.  —    POLITKJUK    IIK    CIIOISKLL. 


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Avant  d'aliorder  le  récit  de  l'appel  pacifique  dont  les 
rois  de  la  (îiandc-Bretagne  et  de  IM'usse  prii-ent  l'initiative 
vers  la  tin  de  17.')î)  auprès  des  cours  belligérantes,  il 
convient  de  jiasser  une  revue  rapide  de  la  situation  inté- 
rieure de  l'Angleterre  et  d'examiner  les  raisons  (jui  déter- 
minèrent l'action  commune  des  deux  puissances. 

Si  nous  traversons  la  Manche,  nous  trouvons,  à  un  moin- 
dre degré  d'intensité  qu'en  France,  les  mêmes  préoccupa- 
tions linancières  et,  au  moins  dans  une  fraction  du  cabinet 
britannique,  la  même  envie  de  mettre  fin  à  la  lutte.  Pitt 
dont  l'autorité  grandissait  chacjue  jour,  tout  à  la  poursuite 
de  la  guerre,  se  réservait  l'organisation  et  la  sui'veillance 
des  expéditions  qu'il  aimait  à  lancer  contre  le  territoire  ou 
contre  les  colonies  de  la  France;  il  s'en  remettait  volontiers 
!\  ses  collègues  du  soin  de  lui  fournir  les  fonds  nécessaires 
pour  ses  entreprises.  Très  longtemps  adversaire  invétéré 
de  la  coopération  des  troupes  anglaises  en  Allemagne,  il 
avait  fini  par  se  laisser  convaincre  et  était  devenu  peu  à 
peu,  au  sein  du  gouvernement,  l'avocat  le  plus  zélé  des 


IMTT  l'UOTESTE  CONTUK  LES  CRKillTS  VinW  LE  IIAN'OVIU:    471 


rc(|U(Hos  du  prince  Kfidinand.  !><•  Ictiips  en  temps,  à  l'oc- 
casion de  dernîindes  qui  lui  paraissaient  excessives,  le  \  ieil 
esprit  anti-lianovrien  se  réveillait  et  il  s'en  prenait  alors 
au  malheureux  Newcastle. 

C'est  ainsi  qu'à  pro[)os  de  la  pré[)ai'ation  du  hudg-et  (!•• 
175!),  nous  assistons  )\  une  vérilahle  explosion  de  la  part 
de  l'irascible  liommcMlKlaf.  La  prévision  inscrite  en  ITôS 
pour  la  solde  et  l'entretien  des  troupes  hanovriennes  et 
hrunswickoises  avait  été  très  ini'éricure  fl  la  dépense;  aussi 
le  vieux  lUn  qui,  pour  combler  le  délicit,  avait  été  obligé 
de  p.iiseï'  dans  sa  caisse  et  même  d'emprunter  poui  son 
propre  compte,  était-il  fort  mécontent.  Il  comment.a  par 
faire  une  scène  (1  >  A  Newcastle  :  "  Les  Fran<;ais  avaient 
ruiné  son  pays  avant  de  le  (|uitter;  à  ia  fin  de  la  guerre, 
lui  qui  était  un  grand  électeur  ne  serait  plus  qu'un  petit 
prince....  Au  sur[)lus,  milord,  vous  ne  voulez  pas  me  don- 
ner de  l'argent;  il  faudra  que  vous  augmentiez  mes  pos- 
sessions aux  dépens  de  celles  de  nos  ennemis....  "  Il  s'est 
exprimé  en  très  mauvais  termes  au  sujet  du  prince  Ferdi- 
nand, «  qui  pouvait  é(re  (a-t-il  dit)  un  bon  général,  mais 
il  le  ruinait,  montait  les  chevaux  d'autrui  et,  ce  (jui  était 
pire,  n'était  pas  son  serviteur,  mais  celui  d'un  autre 
prince.  »  Entin,  au  ministre  qui  le  félicite  des  bonnes  ren- 
trées du  trésor  anglais,  le  Uoi  réplique  :  "  Quel  bien  cela 
me  fera-t-il?  Cela  ne  remboursera  pas  mes  pertes  ni  celles 
de  mes  sujets.  » 

In  peu  troublé  par  les  jérémiades  de  sou  souverain, 
Newcastle  s'en  ouvre  à  l*itt  (2)  et  lui  représente  la  nécessité 
de  relever  les  crédits  allectés  aux  llanovriens  et  auv  confé- 
dérés, dont  l'insuftisance  était  démontrée.  Pitt  répond  que, 
si  cela  était  vrai,  la  moitié  de  l'argent  voté  devait  entrer 
dans  la  caisse  électorale,  et,  sur  l'assurance  de  son  int(M'lo- 
cuteur  que  cela  était  impossible  :  ■<  VA\  bien,  il  tant  aban- 

(1)  Nc'.vcaslle  à  llardwicko,  .".  oclobrc  17.">8.  NewcasUe  PajuTs,  vol.  3288i. 

(2)  NewcasUe  à  IlardwicUc,  l'.i  octobre  17.")8.  Newcastle  Papers.  vol.  ;i'2884. 


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\.\  r.UKURE  DK  SKl'T  ANS    —  rilAIV  IX 


donuoi"  le  coiiliruMit,  lapin'lcr  nus  troiipis,  nous  honior 
iV  lii  mioriT  iiiiviilo  v\  employer  n(»s  l'orces  n  luire  des  expé- 
iiliotis.  » 

S;ms  renoncer  ;iux  dédoiniiia.^enuMits  ('•vciiliiels.  (leorfic 
leniiil  h  rentrer  d.nis  ses  avanees;  en  conséijnence  il  lit 
dresser  pur  son  lidèlo  Muncliliaiis(;n  nn  mémoire  (1)  pré- 
voyant une  «lépeiise  de  V7  millions  '»t  demandant  par  con- 
sé(pi(Mil  au  l'arlemcnt  de  douhler  ses  sîicrilices.  l'ii  ac- 
croissemenl  de  •!'.)  millions  de  l'ranes  pour  la  défense  de 
rKhictoral  n'était  pas  pour  plaire  au  pulilic  aii.t;lais;  aussi 
PitI  se  l;ive-(-il  l(!s  mains  -2)  (\o  toute  V('S[)onsal)ilit(''.  «  Je 
dois  avouer  ipif,  dans  ma  carrière,  je  n'ai  [)as  v\i  d'ailaire 

(jui  m'ait  causé  plus  de  surpris(«  et  d'émolion le  n'exa- 

niiie  pus  l'énormité  de  la  l'ecjuètc,  mais  je  supplie  votre 
(IrAce  de  réduire  sans  lardei"  la  proposition  à  des  limites 
raisonnables,  ou  tout  ira  A  la  déhandade.  Quant  iï  votre 
Innuble  serviteur,  il  déses[)èi'e  de  rendre  <(uel<[ue  service 
sur  un  pied  pareil.  » 

Sans  attendi'f!  l'eiret  du  premier  billet,  I*itt  en  lance  A 
son  collègue  un  second;  il  a  découvert  (pie  la  surélévation 
provient  surtout  de  l'augmentaiion  des  ellcctils  :  «  Dans 
l'état,  il  est  (piesliou  de  plusieurs  milliers  d'hommes  en 
plus  des  .'18. 000  votés  l'année  derniéie.  Au  nom  de  Dieu, 
milord,  comment  a-t-on  pu  mettre  sur  le  papier  une  pa- 
reille idée?  Votre  (irAce  a-t-elle  jamais  imcouragé  l'espoir 
(jue  l'Angleterre  pourrait  voter  plus  de  troupes  <[ue  les 
50.000  hommes,  lle.ssois  compris,  [)révus  l'année  dernière? 
ou  est-ce  l'avis  de  Votre  (IrAce  que  l'Klectorat  peut  être  dé- 
fendu sans  quelques  ell'orts  pour  son  propre  compte?  Je 
regrette  d'être  obligé  de  réclamer  une  réponse  catégori- 
que au  sujet  des  opinions  et  des  intentions  de  Votre  (IrAce, 
mais  je  trouve  la  question  si  niodiliée,  et  cela  A  la  veille 

I)  Mémoire    de    Miinchhauseii ,  'io   novembre    175S.   Newcastle   Papcrs, 
vol.  3'.>885. 
(•>.)  Pilt  à  Newcaslle,  22  novembre  1758.  Ncwcaslle  l'apers,  vol.  :i288."i. 


DII'FICUI/rKS  MNANriKUES  DE  I/ANCLKTKItUK 


v: 


(le  I Ouvrr'ure  «le  lu  session,  ([uW  moins  d  rho  lixr  de  suite 
et  d'une  façon  complète,  je  [ne  sens  dans  l'inipossibililé  ab- 
solue d(;  rendre  U'.  mctindre  service.  »  A  la  missive  de  son 
impérieux  collègue,  Newcastle  l'épTupii'  en  ruiirnissanl  des 
e\|)li<'ations  (Muharrassées  (pii  indiipient  surtout  l(^  désir 
ilécliappei' A  lu  respoiisaMIité  d'un  vole  impupulaiic.  l'ill 
ne  le  tient  pas  (piilte  et  lui  inllii^e  une;  vertt;  s(MUonce  pour 
ne  l'avoir  pas  mieux  rensei,^n^'  :  «  INu-nuiltez-moi,  Milord- 
l>uc,  d'avouei"  ma  surprise  extrême  et  mon  désappointe- 
ment  inlini  (piaud  Je  constate  (pie  des  all'aires,  aussi  imp;"- 
lautes  (pu;  la  |)ris»!  à  notre  solde  d'un  nouveau  corps  de 
troupes,  puiss(mt  se  i;liss(!r  dans  notre  programme  sans  (pie 
Votre  (Jrâce,  (pii  est  à  la  t(He  de  la  TrésortM'ie,  (ippuie  la 
mesure  ou  la  porte  A  :na  connaissance.  » 

dette  hrouille  de  ménaj^e  ne  parait  pas  avoir  eu  de 
vuitcs,  car  Newcastle  (  î),  peu  de  jours  ai)r('s,  se  déclare  sa- 
tisfait (l«î  la  liesogne  [)arleraentaire;  il  n'y  a  (pi'uni;  ombre 
au  tableau  :  "  Nous  sommes  uni  nnnos  à  v<Miloi"  doiuKM' 
plus  (jue  nous  avons;  eu  un  mot,  nos  dépcuscîs  cette  année 
dépasseront  12  millions  de  livres  sterling',  ce  (pii  ne  s'est 
Jamais  vu  chez  nous  ni  prcs(|ue  dans  aucun  pays;  :{  mil- 
lions et  |)lus  auront  ùié  all'ectés  il  l'Allema.yue.  »  Lt;  bud- 
f;et  adopté  par  le  Parlement  anglais  [xtur  l'exercice  ITâî) 
s'éleva,  en  cU'ct,  à  plus  de  ;J27  millions  de  francs  (2),  sur 
lesquels  le  Département  de  la  (luerre  en  absorbait  (mvi- 
ronHO,  celui  de  la  Marine  120,  l'entretien  et  la  solder  des 
llessois,  llanovriens  et  autres  confédérés  plus  de  V(),  le 
subside  payé  au  roi  de  Prusse  pres(]ue  17,  celui  des  colo- 
nies américaines  5;  et  encore,  à  en  Juger  [lar  l'arriéré 
de  1758  rpi'il  avait  fallu  ac(]uitter  sur  les  crédits  de  l'an- 
née en  cours,  il  y  avait  tout  lieu  de  supposer  (]uc  les  pré- 
visions seraient  insuffisantes. 


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(1)  Newcastle  à  Yorlve,  1"  tlcceinbre  IT.VS.  Newc.islle  Papcrs,  vol.  .{2886. 

(2)  Annual  Iteyister,  1759.  "  Crédil.s  votés  \)i\\  le  Parleinciil,  «p.  171. 


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V-'UV  piul'airc  ces  s.»imin's.  on  a»;iit  rtc  rt-diiil  A  pir- 
IcvtM'  MIT  la  i;(isst'  (raïuortisscnuMit  1rs  l'oiuls  l'oiii-  lo  .scr- 
viiT  lie  la  (lotie  o(  tîc  lairr  un  tMui>riint  de  hi(»  millions,  (|iii 
avait  l'It'  (l'aillfiirs  t'acilcnuMit  soiisorit.  ('.cl  état  tlo  rhoscs 
ne  laissait  [>as  (l'intiuiftcf  li"  «•aliiiict  l)ritanni(|U«*  ;  l'itt, 
phis  autoritaire  avec  le  sueoès.  repn>ehait  à  NeweHslle 
tle  Mt>  pas  lui  to'iniir  l'aryenl  néeessaire  iiotu-  ilélVayer  le 
eoùt  (le  la  uuerre;  N(n\easfle  accusait  l'itt,  t|u'il  jalousait 
(le  jilus  eu  plus,  d'ai^ir  sans  cousultci'  ses  .H)ll^i;iies  ;  u  La 
cause  r(H'lle  de  nos  einlian-as,  écrit  il  dans  un  nieuioire  [i) 
adresst^  j»  st>s  iutiu\(>s,  est  (|ue  nous  avons  engagé  des  (jé- 
penses  supt'rieurcs  de  beaucoup  à  nos  moyens  et  «pi'on 
n'en  voit  pas  la  tin;  e\pedilioii  sur  (>\peditiou  ,  campagne 
;îpics  cauïpai;ne.  Il  n'y  a  d'aucun  ciNté  a(ijour(riini  nu(> 
ouvei'lur(>  pour  la  |>aiv;  an  contraire,  on  ne  trouve  i\\\v  do 
"a  repidsion  pour  cet  o!>jef  et  du  hlAmc  pour  ceux  (pii  y 
souvent  ou  «pii  parlent  d  ■  la  Mi'>ct>ssit<>  d'y  ariiver.  L  état 
V('Milal)le  de  nos  tinances  (>t  de  nt)tre  crédit,  1 1  détresse  du 
royanm(>  n'ont  jamais  élc  dissimulés  a  M.  l'itt  ,  (>t  il  a  éie 
souvent  int'i>rmé  dr  l'impossibilité  dt'  continiu'r  sur  cette 
écUeIN»  pendant  un(>  autre  aunét>;  m;iis  (picl  tpi'ait  été  son 
senlim.nt  réel,  il  n  a  jamais  \oulu  avouer  cpi'il  envisai;'efU 
rav(Miii'  à  ce  point  d»'  vue.  » 

Pour  conjurer  les  périls  de  la  situation,  \('v»castle  sui;~ 
yère  les  l'cmèdes  sui\  auts  :  obtenir  nu  peu  d'entente  dans 
le  sein  du  caluuet  ;  ne  pas  gaspiller  '.es  l'ori-es  nationales 
sur  terre  et  .^ur  mer  en  entreprises  inutiles  et  coi\t«Mises; 
réunir  tout  ce  dont  on  pouvait  disposer  pour  la  défense 
des  Iles  |»ritanni(pu's;  u  oltlii;('r  1(>  général  en  clierde  l'ar- 
mée et  \c  secrétaire  d«'  la  uu.erre  ;\  nous  teaii'  uu  courant  des 
opérations,  et  de  même  pi»ur  la  marine...  et  surtout  nous 
pénétrer  (au  nu)ius  entre  nous'  de  rim[>ossil»dité  de  soutenir 


(Il  Ni'\Ma,slli'.   Ml  iitoire    >i(r   itttit  itit   (idiiirinrinciit.  l'.i   aviil    {'.M. 


mu  ITS  i);  NK  |)i:siM':m1':  i  uancmsI': 


477 


jvMithmt  mit*  aiilrc  ;uinre  la  t;iuMTO   {nvsoiilo  sur  le  \\'hh\ 

iii'fut>l Il  tiiul  t'vaiuiiuM"  si  nous  no  dovDiis  pas  avistM' 

roiili»lt'uli<'lUM«UMit  lt>  loi  <lf  IMiissc  d»'  l'iinpossilùlilt'  pour 
*•»>  pays  (rcntrt'lfiiir  les  lit>siilitt's  uuc  auuôo  onror(>.  -  l.c 
soiu'i  »!i:  luiuisti'c  s'cxplitpiail  d'aiitaul  uiitMix  ipio  t  t\uj;(\ 
le  cliaiu'fiior  do  l'Ki'liiipiicr,  ;\  la  suilt>  di>  diriicullcs  r.vor 
la  Uanipu*  d".\n,i;l»'t('i'i".',  parlait  d'ajounuM'  les  paiements. 
Nowi-asllt  lui  avait  dit  [V ,  non  sans  i-aisou,  (prtiuo  roso- 
liition  de  et*  yciiro  serait  »  uni"  soîtt>  do  déclaration  i\c 
l'ailli»f  '.  r»o  noinoauK  pourparlers  et  rémission  heureuse 
de  reiii|M'Uiit  periuirent  d'é'viîer  une  pareille  ealastroplie. 
AuK  einl>arras  liiiaiieii-rs  vinrent  liieniôt  s'ajouter  la 
erainte  t!u  del)ar(pieinent  l'raneais  t't  la  mauvaise  imprt>s- 
siou  causée  par  la  retraite  persistante  du  |»riiic(>  l'erdi 
nand.  hans  liniiM-ieur  tlu  caltiuet,  l'aicoitl  que  préconi- 
sait Neweastle  u  x  tait  pas  intervenu.  -  Persouiie  ne  s(Mill're 
plus  (pu  moi  dans  le  unuvenuMueu*,  ét'rit-il  >  •J'i .  i'isnlte 
tous  les  jours  par  et»  i;anrm  de  miliu'd  llolderm>sso.  en  rap- 
ports plus  ou  îuoins  agréables  avec  M.  IMlt  tpii  ne  me 
montre  nuére  d'éuards,  et  toutefois  si  liieii  traite  par  le  lloi 
(pu\ie  ne  puis  pas  l'ahamlonner.  ••  Cependant,  les  prépa- 
ratifs tpii  se  taisaient  dans  les  poits  Iraneais  commen- 
çaitMit  ;^  frappei'  les  esprits,  jusipialtM-s  très  seepliipi(>s  sur 
le  dan,L;cr  ;\  redoutei-  de  ce  ciMé.  Admiralilement  rensei- 
gne par  son  servit-e  despionnaj^t'  (H),  PitI  lui-méint>.  «pii 
tieit  d'aliord  avait  refusé  de  croire  aux  menaces  d'inva- 
sion, fut  l)ien  oldii';i''  de  se  reiulre  ;"»  l'évidoneo.  Kn  i;uiso  de 
mesure  dt'fensive,  il  lit  «lecider  la  convocation  des  iiiilit'es, 
mais  l'apitel  qui  fui  adresse  en  constMpuMice  aux  autorites 
locali's  «>ut  [>eu  de  succès;  on  se  detiait  de  ces  trtuipt's  iin- 
[H'ovisées  :  »  Je  suis  heureux,  écrit  llardwicke  (V),  (pie  nous 


fil 


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(1)  Nt^wcastlc  A  l.t'fji;»',  '.W  a\ril  IT.v.).  NcwcaslU'  rainTs.  m>1.  ;!'>,s'io, 

('il  Nowr.isllt'  à   Maii>li(>UI,  S  juin  I7:>'.i.  Ncwcasllt'  l'apcrs,  \o\.  W'iS'.H . 

i;i>  Ua|>|<oi-|s  (II-  l'iaii'f  I7.'>7  ,1  i:(U,  l'Iialli.iin  l'apcrs  M.  Ili-cnid  Ollicc. 

[i)  ll.ii\lwirk(>  ii  Nfwii  s|lt>,  K!  juin  i:..;i.  N.'wcaslli'  l'apcis,  m.1    SiH'.r.>.. 


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478 


Ï.A  (;UERIIE  DK  SEPT  ANS.  —  CliAP.  I\. 


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ayons  VO.OOO  hommes  en  (Îrande-Brelagne  et  en  Irlande, 
mais  je  ne  peux  pas  arriver  à  ce  cliitFre  Siins  y  comprendre 
la  milice,  sur  laquelle  je  ne  veux  pas  compter,  car  A  un 
pareil  moment  non  lali  auxilio  non,  do/cnsoinhus  istis.  » 
L'agitation  du  pui)lic  gagna  le  cercle  de  la  princesse  de 
Oalles;  s  n  (ils,  le  futur  (Icorge  III,  sollicita  de  son  grand- 
père  un  emploi  dans  l'armée.  Le  vieux  roi  consulta  (1) 
Newcastle  sur  une  recjuete  (|uc,  venant  de  son  successeur 
désigné,  il  regarde  comme  indiscrète  et  (pfil  voudrait 
ajourner.  L'émotion  causée  par  la  perspective  d'une  des- 
cente; des  Français  et  par  les  dépêches  du  Hanovre  hattait 
son  plein,  quand  une  lettre  du  roi  de  Prusse  suggérant  la 
l'éunion  d'un  congrès  en  vue  du  rétahlissoment  de  la  paix 
vint  augmenter  le  trouhle  des  esprits. 

Il  est  intéressant  de  suivre  dans  la  correspondance 
royale  la  genèse  de  cette  proposition,  dont  le  concept  ne 
revient  jias  A  Frédéric,  mais  à  Knyphausen.  In  rapport 
contidentiel  (2),  signé  de  ce  dernier  et  de  son  collègue 
Michel,  esquisse  le  tahlcau  des  dissentiments  du  cahinet 
anglais,  de  la  jalousie  de  Newcastle  et  de  son  désir  de 
ruiner  lintluencc  de  Pitt  en  terminant  une  guci  rc  dont  les 
succès  g r indissent  son  rival.  La  paix  à  laquelle  aspii'c 
Newcastle  piiverait  la  Prusse  d'un  allié  précieux;  en  outre, 
il  y  a  danger  que  ce  ministre  «  ne  réussisse  î\  la  fin  k  faire 
condescendre  le  Hoi  aune  négociation  séparée  et  secrète 
dont  les  conséquences  seraient  bien  jilus  dangereuses  en- 
core. "  Pour  une  entente  de  cette  nature  la  voie  est  pré- 
])arée  par  les  lamentations  des  ministres  hanovrions  au 
sujet  des  malheurs  de  l'Klectorat  «  pour  lequel  son  attache- 
ment extrême  est  connu  »,  et  par  les  mauo'uvres  de  la  cour 
de  Copenhai  ic.  Alin  de  parer  au  perd,  Knyphausen  en- 
gage son  m    trc  à  prier  le  roi  George  de  prendre  de  con- 

(1)  Ncwcasllt'  à  llardwirke, 'H)  jiiillcl  IT.V.t.  Ncwcaslle  Pa|ier.s.  vol.  a^S'.tJ, 
{•>.,   Kiiyiiliauseii    il    Micliol   au   Uoi  seul,  8  juin    iT.V.».  Coiiisjiondanrc 
politique.  XVllI.  i'.  337. 


PROJET  Ui:  CO.SGHKS. 


47'.» 


cert  avec  lui  l'initiative  criin  congirs  où  seraient  posées  les 
bases  d'une  pacification  généralo.  Les  raisons  ([ue  donne 
l'écrivain  en  laveur  de  son  projet  sont  à  citer  :  «  Une 
pareille  démarche,  à  la(|uelle  nous  sommes  assurés  qu'on 
se  prêterait  ici  avec  plaisir,  empêcherait  non  seulemeit 
des  ouvertures  de  paix  précipitées  et  mal  dirigées,  mais 
elle  barrerait  aussi  le  chemin  à  toute  négociation  clan- 
destine, en  établissant  un  congrès  formel  ([ui  s'ouvrirait 
d'un  commun  accord  avec  Votre  Majesté,  ri  qui  serait, 
Sire,  une  preuve  manifeste  de  la  continuation  de  votre 
intimité  avec  l'Angleterre.  Toutes  les  propositions  (pii 
seraient  faites  dans  une  pareille  assemblée  seraient  pesées 
mûrement  et  résolues  dans  le  conseil  du  J{oi,  et  le  cheva- 
lier Pitt,,  dont  la  droiture  et  le  zèle  pour  les  intérêts  de 
Votre  Majesté  se  sont  manifestés  en  tant  d'occasions,  joue- 
rait dans  une  pareille  négociation  le  rôle  <|ue  la  supério- 
rité de  ses  talents  et  la  confiance  que  la  niitiou  a  placée 

eu  lui,  doivent  nécessairement  lui  assurer Le  duc  de 

iNewca^tle,  voyant  ses  vœux  remplis,  n'aurait  aussi  aucun 
motif  pour  renouveler  son  manège  et  ses  intrigues,  et  il  y 
a  apparence  qu'il  y  aurait  alors  dans  le  ministère  la  plus 
grande  unanimité.  Un  pareil  événement  disculperait  aussi 
le  chevalier  Pitt  du  reproche  <|u"on  lui  fait  d'être  le  pro- 
moteur de  la  guerre,  et,  pour  peu  que  les  propositions 
des  cours  opposées  fussent  déraisonnables  et  contraires  au 
génie  de  la  nation,  elle  en  deviendrait  plus  ardente  que 
jamais  pour  le  soutien  de  la  guerre.  » 

Frédéric  sut  apprécier  l'opportunité  du  respectueux 
conseil  de  ses  représentants,  cl  rédigea  pour  son  oncle  un 
billet  (1)  où  il  prenait  texte  des  considérations  dictées  par 
«  l'humanité  ei  le  bien  du  genre  humain  »  (>t  du  désir  de 
mettre  lin  à  »  une  guerre  onéreuse  et  sanglante  »  pour  ap- 


(1)  Frédt'ric  à  Gccrfçe,  Rcicli-Monnersdorf,    20   juin  1759.  (.oncsiiondtnicc 
politique.  XVIII,  p.  a'il. 


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480 


LA  G(  ERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


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puycr  l'idôe  do  Knyphaiisen;  il  s'agirait  de  «  déclarer 
conjointcMiient  aux  puissances  ennemies  qu'on  était  dis- 
posé à  Londres  et  à  licrlin  à  l'ouverture  d'un  congrès  dans 
lequel  on  pourrait  se  concerter  sur  les  moyens  les  plus 
propres  à  établir  une  [)aix  honorable  et  ulilc  à  toutes 
les  parties  belligérantes.  »  Le  roi  George  n'était  partisan 
([ue  d'une  solution  qui  lui  procurerait  des  avantages  ter- 
ritoriaux; aussi  sa  réponse  (1)  fut-elle  conçue  en  ternies 
dilatoires  :  «  Je  souhaite  avec  impatience  «pie  des  succès 
heureux  et  assez  considérables  nous  mettent  en  état  d'of- 
frir la  paix  à  nos  ennemis,  mais  une  paix  sûre  et  hono- 
rable qui  fasse  oublier  à  nos  sujets  leuis  souffrances.  » 
Le  -10  juillet,  un  conciliabule  eut  lieu  entre  les  princi- 
paux membres  du  cabinet  de  Saint-James  et  les  envoyés 
prussiens  Knyphausen  et  Michel.  Ces  derniers  dévelojipè- 
rent  au  nom  de  leur  maître  le  pi^ojet  suivant  :  des  lettres 
signées  des  deux  souverains,  dans  lesquelles  ils  se  procla- 
meraient favorables  à  la  réunion  d'un  congrès,  seraient 
expédiées  au  général  Yorke  et  à  llellen,  résident  prussien  à 
La,  Haye,  qui  seraient  chargés  de  les  remettre  aux  ministres 
de  France,  d'Autriche  et  de  Russie;  mais  le  paquet  con- 
tenant ces  communications  ne  serait  ouvert  que  sur  l'or- 
dre des  cours  d'Angleterre  et  de  Prusse.  Après  discussion, 
et  sans  se  prononcer  sur  le  fond,  on  convint  d'ajourner  la 
décision.  Newcastle,  qui  rend  compte  (2)  de  la  conférence 
à  son  ami  llardwicke,  s'était  attendu  à  des  objections  de 
Pitt  et  à  une  opposition  sérieuse  du  roi  George.  Le  pre- 
mier avait  probablement  concerté  l'allaire  avec  Knyphau- 
s3n,  aussi  se  borna-t-il  à  quelques  observations  sur  le  texte 
de  la  déclaration.  Quant  au  monarque,  (jui  n'était  pas  dans 
le  secret,  Une  dissimula  passa  manière  de  voir  :  «  Sa  Majesté 
a  traité  notre  entretien  avec  les  ministres  prussiens,  à  l'ef- 


(1)  George  à  Frédéric  3  juillcl  17.V,».  Nowca.sUc  Paper.s,  vol.  3'>89'.!. 

;2)  NewcasUe  à  Iluidwicke,  :!t  juilli'l  i::.",».  Ne\v.a.slle  l'a[iers,  vol,  328'J3. 


IREDEUIC  PAHTISAN  DL  ('0NG1U;S. 


48 1 


fet  d'élaborer  un  projet  de  ce  genre,  comme  la  chose  la 
plus  absurde  qu'on  puisse  imaginer....  Sa  Majesté  m'a  dit  : 
«  Il  nous  faut  une  autre  campag;nc  ;>  et,  voyant  de  l'hési- 
tation de  ma  part,  il  ajouta  :  «  car  nous  ne  pouvons  pas 
faire  la  paix.  »  A  cela,  je  réplirpiai  :  beaucoup  de  ceux  avec 
qui  j'ai  causé  estiment  que  la  première  question  est  plutôt  : 
'.<  Pouvons-nous  continuer  la  guerre?  » 

Quehiucs  jours  après  le  conciliabule,  Pitt  semble  (1)  se 
prononcer  en  faveur  des  ouvertures  pacifiques;  «  il  parle 
de  Louisbourg-  et  la  (Guadeloupe  comme  les  meilleurs  plé- 
nipotentiaires (jue  nous  puissions  avoir  à  un  congrès;  il 
cite  le  Sénégal  et  (Jorée  comme  pouvant  servir  à  la  paix  »  ; 
cependant,  il  obtient  des  ministres  prussiens  «  de  sus- 
pendre la  négociation  pendant  quelque  temps  et  de  bien 
se  garder  d'en  liAter  la  discussion.  »  F^e  jour  même  d(! 
cette  conversation  se  livrait  la  bataille  de  Minden  ;  l'avis 
de  la  victoire  releva  les  prétentions  du  parli  belliqueux  : 
«  Le  Hoi  (2)  et  Mtt  sont  au  comble  de  la  bonne  humeur; 
Pitt  parle  de  terminer  cette  guerre  avec  honneur  et  gloire. 
Newcastle  d'interrompre  :  «  Mais  en  tout  cas  terminer.  » 
A  celail  répondit  avec  emphase.  «  Mais  avant,  il  nous  fau- 
dra encore  une  campagne.  »  La  défaite  de  Kunersdorf  fit 
remettre  sur  le  tapis  la  notion  du  congi'ès.  Dans  une  lettre 
du  1"'  septenil)re  (;J),  Frédéric,  encore  sous  le  coup  du 
désastre,  l'ait  i\  Knyphausen  une  peinture  des  plus  som- 
bres de  sa  situation  et  l'invite  à  reprendre  les  pourpar- 
lers :  «  Je  mets  toute  ma  confiance  dans  le  sieur  Pitt,  et 
je  me  tlatte  que  vu  les  grands  avantages  que  les  Anglais 
ont  cette  année,  il  pourra  peut-être  y  avoir  des  proposi- 
tions ([ui  pourront  mener  à  la  paix Travaillez  en  bon 

citoyen  pour  voir  s'il  n'y  aura  pas  moyen  de  lier  quelque 


Il  à  M 


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(1)  Newcaslle  à  Stone,  1"  aoill  175',t.  Newtastlc  Papors,  vol.  29M'i. 

(2)  Newcaslle  à  Oevonsliirp,  19  août  1759.  Newcaslle  Pa|iois,  vol.  3.?89i. 

(3)  Frédéric  il  Kiiyphau.sen.  Waldow,  l  ""siïpteinbre  1759.  Correspoiidancc 
poliliiiiic,  .\VII1,  p.  511. 

titKiiiu;  i)i;  stPT  \Ns.  —  T.  III.  31 


Î82 


LA  GL'KURK  DK  SEPT  ANS. 


Cil  A  P.  I.\. 


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I 


négociation  entre  les  Anglais  et  les  Français.  Coin  me  je 
me  flatte  que  les  Anglais  auront  sous  peu  de  bonnes  nou- 
velles de  rAméri(jue,  ce  serait  le  moment  favorable  où  les 
Anglais  pourraient  donner  la  loi.  » 

Ces  instructions  produisirent  l'ellet  désiré  :  le  2(5  sep- 
tembre, les  envoyés  prussiens  eurent  avec  les  ministres 
britannicjues  une  seconde  séance  où  l'on  se  mit  d'accord 
sur  le  texte  de  ia  déclaration  à  faire  au\  puissances  belli- 
gérantes. On  convint  cependant  de  retarder  la  remise  du 
document  jusqu'à  l'arrivée  d'un  courrier  de  Québec,  sur  la 
conquête  duquel  on  croyait  pouvoir  compter.  Frédéric  se 
préoccupe  aussitôt  des  conditions  à  obtenir  (1)  :  pour 
l'Angleterre,  le  Canada  et  la  Cuadeloupe;  pour  lui,  la 
basse  Lusace  ou  la  garantie  de  la  Prusse  polonaise  après 
la  mort  du  roi  de  Pologne.  Eicbel,  moins  ambitieuY,  se 
contenterait  (2)  du  rétablissement  du  «  statu  quo  »  de 
l'année  17.')(i. 

En  attendant  les  nouvelles  d'Américiue,  ([ui  ne  parvin- 
rent à  bondrcs  (pic  vers  le  milieu  d'octobre,  les  tiraille- 
ments entre  les  membres  du  cabinet  britannique  reprirent 
de  plus  belle  :  Xewcastle,  tiVtiilou,  petit  esprit,  intrigant, 
mais  serviable,  très  apprécié  du  Koi,  suppléant  au  talent 
par  une  grande  expérience  des  hommes  et  des  choses,  ja- 
lousait le  rôle  prépondérant  do  son  collègue  Pitt,  dont  il 
supportait  mal  la  morgue  souvent  brutale,  tout  en  re- 
connaissant sa  valeur  el  en  avouant  l'impossibilité  de  le 
remplacer.  Il  s'en  fallut  de  peu  qu'à  pr()[>os  d'une  nomina- 
tion dans  l'ordre  de  la  Jarretière  le  ministère  ne  se  dislo- 
quât. Pitt  sollicitait  cette  faveur,  très  cotée  dans  le  monde 
aristocrati(|ue,  pour  son  beau-frère,  Lord  Temple,  qui' 
renq)lissait  les  fonctions  honorifiques  de  gardien  du  sceau 


(1)  Fi-i'iléric  à  Kiiypliaiisen.  Sopliienllial,  12  oclohn;  i'i)\).  Cdnes/nmdnncr 
poUllqnc,  XVIIL  p.  .V.l'î. 

(2i  Eicliel  à  ['"iiickeiisti'in,  Tornaii,  19  octobre  17.")'.».  Corrcspoiultnice  poli- 
tique, p.  5U5.  ] 


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COLKUK  DK  l'ITT  A  PROPOS  DlNi:  I.ETTIIE  I)  \  OUKI.. 


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royal.  Le  vieux  Gcoi'S'c,  qui  irnimait  g-uère  Pitt  et  détcs- 
tail  Temple,  s'y  refusa  (1)  nel.  Vax  vain  l.ady  Yarraoutli, 
Hardwickc,  Newcastle  lui-môme  se  mirent-ils  de  la  partie; 
à  ce  dcinier  (jui  le  menace  d'une  hor.derie  du  grand 
homme,  le  l{oi  léplique  avec  philosophie  :  «  Eh  bien, 
tant  mieuv  si  M.  Pitt  se  montre  rarement  à  la  (]our,  je  ne 
tiens  pas  à  l'y  voir.  » 

Sur  cette  première  difficulté  vint  hicnlùt  s'en  greH'cr 
une  seconde.  Newcastlc  entretenait  une  correspondance 
des  plus  suivies  avec  le  général  Yorke,  fils  de  son  grand 
ami  Harchvicke  et  ministre  !\  La  Haye.  Il  prit  fantaisie  à  la 
princesse  de  Zerbst,  mère  de  la  (Irande-Duchesse  Cathe- 
rine, de  lui  adresser  sous  un  nom  de  guerre  une  épitre  con- 
tenant un  appel  on  faveur  de  la  paix  et  suggérant  une 
négociation  secrète.  Yorke  ne  prit  pas  l'invitation  au  sé- 
rieux et  répondit  dans  son  français  le  plus  pur  par  un  bil- 
let assez  bien  tourné;  fier  de  sa  prose,  il  s'ompressa  de  la 
communiquer  il  Newcastle  qui,  sans  penser  à  mal,  la  fit 
voir  au  Roi.  D'infortune,  l'ailaire  vint  aux  oreilles  du  chef 
hiérarcliicpie  de  Yorke,  de  Iloldcrnesse,  qui,  enclianté  de 
jouer  un  mauvais  tour  à  Newcastle  av(>c  lequel  il  èîait  plus 
ou  moins  brouillé,  la  rapporta  (2)  aussitôt  à  Pitt.  Ce- 
lui-ci prit  la  chose  au  tragique  et  foudroya  le  malheureux 
Newcastle  des  phrases  à  grand  eflct  dont  il  était  coutu- 
mier.  Le  morceau  (;J)  est  typique  :  «  Je  crois  savoir  (pie 
voire  Grâce  a  reçu  il  y  a  quelques  jours  une  lettre  de 
M.  Yorke  racontant  certains  tripotages  en  vue  de  la  paix  de 
la  part  d'une  dame,  ainsi  (jue  les  réponses  que  M.  Yorke  lui 
a  faites.  Or  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  sni'  le  droit  d'un 
secrétaire  d'Etat  d'être  renseigné  à  l'instant  même  sur  toute 
transaction  de  cette  nature,  et  d'autre  p;irt  il  est  niani- 


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;i)  Newcaslle  à  Ilardwickc,  27  st'pteinbro  1739.  NewcasUi;  Papers,  ;i2S',)G. 
VI)  NewcasUe  à  UarJwicke,  22  octobre  17.")9.  Newcastle  Papers,  32897. 
(3)  PiU  à  Newcaslle,  23  oiitobrc  1759.  .Ncwcaslle  Papcrs,  .32S97. 


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LA  ilUKIUlE  DK  SKl'T  ANS. 


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leste  que  lit  su[)pressioii  d'un  document  pareil  peut  causer 
au  service  du  Koi  et  h.  la  nation  un  préjudice  essentiel  et 
sans  icuïède,  surtout  dans  une  époque  de  crise  où  toute 
fausse  manœuvre  pourrait  entraîner  des  conséquences  fa- 
tales. (]ela  étant,  je  me  vois  obligé  d'entretenir  voire  (Ji'Ace 
de  cet  incident,  .le  ne  sais  pas  dans  (juelle  mesure  cette  pro- 
cédui't!  clandestine  a  été  sanctionnée  par  les  ordres  du  Uoi  ; 
si  tel  a  été  le  bon  plaisir  de  Sa  Majesté,  il  est  de  mon  de- 
voir de  m'incliner  avec  tout  le  respect  que  je  lui  dois.  Mais 
de  ce  fait  je  me  trouverai  dans  l'impossibilité  de  rendre 
service  à  Sa  Majesté;  aussi  prierai-je  votre  (IrîYce  de  me 
faire  la  faveur  de  me  mettre  aux  pieds  du  Hoi  et  d'infor- 
mer Sa  Majesté  (pie  ma  santé  a  besoin  de  l'air  de  la  cam- 
pagne pendant  deux  ou  trois  jours.  » 

Newcastle  se  courba  devant  l'orage  et  s'excusa  de  son 
mieux  en  alléguant  (pi'il  avait  envisagé  la  cliose  comme 
une  plaisanterie.  Il  s'attira  une  seconde  (1)  pbilippique  : 
«  Je  trouve  très  jolie  la  lettre  de  M.  Yorke...  mais  j'estime 
qu'une   lettre,  si   agréablement   quelle    soit  tournée   et 
quand  même  elle  aurait  le  sexe  aimable  pour  destinataire, 
ne  doit  pas  être  considérée  comme  un  sujet  d'amusement, 
alors  qu'elle  a  trait  à  la  grosse  question  de  la  paix.  Je  ne 
suis  pas  du  toutsurpris  (pie  .M.  Yorke  puisse  manier  la  plume 
avec  autant  d'élégance  que  Voiture,  mais  j'avoue  que  je 
le  suis  beaucoup  qu'une  lettre  sur  un  objet  aussi  sérieux 
ait  été  écrite  sans  notre  permission,  puis  supprimée  et  dé- 
robée ti  la  connaissance  des  hommes  auxquels  leur  fonc- 
tion confère  le  droit  absolu  d'être  mis  au  courant  les  pre- 
miers d'atfaires  d'une  nature  aussi  grave  et,  je  le  crains, 
aussi  dangereuse.  Je  reconnais  mon  peu  d'aptitude  pour 
le  poste  élevé  auquel  il  a  plu  à  Sa  Majesté  de  m'appeler, 
mais  tant  ([ue  le  Koi  daignera  m'y  maintenir,  j'espère 
qu'il  ne  trouvera  pas  outrecuidant  de  ma  part  de   me 


(1)  Pill  à  Newcastle,  23  oclobie  I75'J.  Newcaslle  Papers,  2U\r, 


ill 


KNVOI  DE  LA  DKCLAIUTIO.N  ANCLO-PUUSSIKNM-;. 


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mettre  à  ses  pieds  et  de  solliciter  avec  toute  luimilité  sa 
gracieuse  peruiission  de  me  retirer,  chaque  fois  (|ue  Sa 
Majesté  jugera  bon  d'em[)loyer  pour  une  négociation  de 
pai\  le  canal  de  lettres  dont  le  but  est  d'aiiiuser,  et  d'or- 
donner à  ses  serviteurs  de  dissimuler  sous  un  voile  aussi 
transparent  les  premières  lueurs  d'info. .nation  sur  un 
sujet  aussi  élevé  et  aussi  délicat.  » 

Des  amis  communs  s'interposèrent  (>t  tirent  ajourner 
l'éclat.  Il  se  produisit  du  fait  de  Temple  (1)  qui,  deux 
jours  après  la  réunion  du  Parlement,  résigna  ses  fonc- 
tions sous  prétexte  de  l'otlense  que  le  lloi  lui  faisait  en 
lui  refusant  la  Jarretière.  Pitt  suivrait-il  l'exemple  de  son 
beau-frère?  La  retraite  du  grand  orateur  au  début  de  la 
session  eût  été  un  désastre  <(u'il  fallait  éviter  à  tout  prix. 
La  favorite,  Novcastle,  le  duc  de  Devonshire,  le  firent 
comprendre  à  (ieorge  II,  qui  céda  d'assez  mauvaise  grAce; 
Temple,  sur  la  promesse  de  la  Jarretière  convoitée,  revint 
sur  sa  démission;  l*itt  se  déclara  satisf.iit  et  se  montra 
très  aimable  à  l'égard  de  Newcastle,  qui  lui  en  sut  le 
plus  grand  gré. 

Ces  brouilles  intestines  n'empêchèrent  pas  le  projet  de 
congrès  de  suivre  son  cours.  Les  ouvertures  de  la  part  du 
Danemark,  auxquelles  nous  avons  fait  allusion  dans  un 
chapitre  précédent,  et  la  dernière  démarche  de  l'envoyé 
na[)olitain  ne  semblent  pas  avoir  été  étrangères  à  ce 
résultat.  On  se  méfiîût  de  la  cour  danoise,  <|ue  llard- 
wicke  traitait  de  «  fausse,  scélérate  et  vendue  A  la  France  ». 
Quant  à  l'Espagne,  dont  Pitt  avait  jusqu'alors  accueilli 
les  offres  avec  amabilité,  les  propos  de  San  Severino  (2) 
sur  la  nécessité  de  maintenir  dans  le  nouveau  monde  la 
balance  entre  la  France  et  l'Angleterre,  avaient  déplu; 
depuis  les  succès  remportés  en  Amérique,  surtout  depuis 


11, 


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(1)  Ncwcaslle  à  Hiinlwicke,  li  noveinlire  I7ri9.  Ncwcastle  Papers,  32S',)S, 

(2)  Ncwcaslle  à  llardwicUe,  Tî  octobre  17.".'.).  New.aslle  l'ai)er.s,  3';,897. 


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481'. 


LA  GIKUnK  l)K  SKPT  ANS. 


CHAI'.  IX. 


la  prise  «le  (juéhcc  dont  l'avis  venait  de  parvenir  à  F.on- 
drcs,  on  élait  pou  enclin  à  reslifniir  les  territoires  eoncpiis 
et  on  tronvait  tn'-s  déplacées  <lans  la  IxhicIm^  dn  futur 
médiateur  les  allusions  faites  au  traité  d'L'trecht. 

Dans  ces  conditions,  le  cabinet  anglais  était  tout  disposé 
à  se  ranger  au  vœu  des  ministres  prussiens  qui  deman- 
daient une  nouvelle  réunion.  Elle  eut  lieu  le  2!>  octobre 
avec  Newcastie,  lloldernesse  et  Pitl;  d'un  commun  accord 
on  s'arrêta  aux  résolutions  suivantes  :  La  déclaration  des 
deux  rois,  dont  le  texte  avait  reçu  les  dernières  retouches, 
serait  adressée  (1)  au  prince  F^onis  de  Brunswick,  frère  de 
Ferdinand  et  commandant  en  chef  des  troupes  hollan- 
daises, avec  (lenuuide  de  la  remettre  aux  ambassadeurs  iW 
Krance  et  de  Uussic  et  au  ministre  de  rim[>ératrice-lieine. 
A  Keith,  qui  avait  transmis  des  observations  du  chancelier 
Woronzow  sur  l'avantage  d'un  rapprochenient  avec  la 
Prusse,  on  expédia  une  copie  du  document  avec  ordre  de 
la  placer  entre  les  mains  des  ministres  russes;  on  fit  éga- 
lement une  communication  directe  aux  cours  de  Madrid  et 
de  Turin.  Quant  aux  suggestions  de  Copenhague,  elles 
furent  repoussées  très  sèchement.  Enfin,  le  ])rince  Ferdi- 
nand fut  avisé  ('2)  de  la  démarche  dont  on  espérait  que 
son  frère  voudrait  bien  se  cliarger. 

Le  prince  Louis  accepta  la  mission  qui  lui  élait  confiée, 
mais  l'arrivée  de  sa  réponse  en  date  du  (>  novembre  fut 
retardée  par  l'élat  de  la  mer,  et  ce  fut  seulement  le  19  que 
put  se  tenir  une  conférence  à  laquelle  furent  convoqués 
cette  fois  plusieurs  autres  membres  du  cabinet  ainsi  que 
Lord  Ligonier,  commandant  en  chef  de  l'armée  britanni- 
que; la  déclaration  définitivement  adoptée  fut  aussitôt 
réexpédiée  au  prince  Louis  avec  prière  d'en  faire  la  remise 

(1)  Procès-veiL  1  de  la  conférence  du  20  octobre  1759.  NcwcasUe  Tapers, 
328'.»7. 

(2)  Holdernesse  à  Ferdinand,  Keilh  et  autress,  30  octobre  1759.  Ncwcaslle 
Papers,  32897. 


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AIUUMEMS  1)K  KNUMIADSKN  EN  l'AVEIR  DU  CONÇUES.      iH7 


lui-inriin',  mais  d'agir  de  concert  avec  le  général  Yorke 
(jue  Holdcrnesse,  jaloux  de  ce  (|u'il  appelait  (I)  «  certaine 
lettre  femelle  »  et  de  sa  «  correspondance  à  la  soui'dine  » 
avec  Ncwcastle,  avait  longtemps  laissé  en  dehors  du  secret. 
Kn  dernier  lieu,  l'adaire  avait  été  menée  si  rondement 
qu'il  avait  été  impossible  de  consulter  le  roi  do  Prusse 
sur  les  décisions  cpi'on  venait  de  prendre.  Il  ne  fut  touché 
<jue  tardivement  [)ar  la  dépêche  de  Knypliausenciui  le  ren- 
seignait. Héharrassé  des  Kusses,  ù,  la  tôte  de  l'armée  vic- 
torieuse du  prince?  Henri,  presque  assuré  du  recouvrement 
de  Dresde,  Frédéric  n'était  plus  aussi  chaud  partisan  de 
la  paix  qui  lui  avait  paru  si  désirable  au  lendemain  de 
Kuncrsdorf;  aussi  lit-il  mauvais  accueil  (2)  A  yuw  initia- 
tive» qui  ne  lui  semble  plus  de  circonstance  :  «  dette  ligue, 
si  redoutable  .1  la  liberté  de  l'Kurope,  est  sur  le  point  de 
se  dissoudre.  D'un  côté,  la  France  a  fait  des  propositions 
de  paix,  et  de  l'autre  la  Cour  de  Russie  commence  à  par- 
lementer. Pour  moi,  j'ai  déji\  fait  faii'e  des  insinuations  en 
France  et  lui  ai  fait  (mtrcvoir  que  la  Russie  était  au  point 
de  s'accorder,  et  par  le  général  Wylich  j'ai  fait  faire  des 
insinuations  au  général  russe  pour  qu'il  donne  le  réveil- 
lon !\  sa  cour  au  sujet  de  la  France Il  faut  dire  à  Kny- 

phausen  que  je  me  moque  de  l'amitié  de  l'Angleterre,  si 
elle  ne  m'est  point  utile,  et  que  ma  situation  n'est  pas 
aussi  désespérée  (|u'il  s'imagine.  »  Sur  ces  entrefaites, 
survint  une  nouvelle  lettre  de  Londres  où  [Kuyphausen 
faisait  valoir  les  raisons  qui  l'avaient  décidé  à  se  rallier  à 
l'envoi  immédiat  de  la  proposition  de  congrès  :  «  Nous  sa- 
vons de  science  certaine,  écrivait  le  Prussien  (3),  que  la  cour 
de  France  a  fait  faire  depuis  peu,  par  dill'érents  canaux, 

(1)  lIoId(Mnesse  à  Yorke,  23  octobre  17j'.».  Newcastle  Papcrs,  3'îii'J'. 

(2)  Frciléric  à  Finckeiislein.  Elslerwerda,  12  novembre  1759.  Corrcsiiim- 
dance  polilii/uc.  XVIll,  p.  G2'J. 

(3)  KiiypIiausiMi  et  Michel  au  Roi  seul,  Londres,  G  novembre  17.V.».  Cor- 
respondance politique,  .WllI,  p.  614. 


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LA  (Il  l'IUlK  DE  SKPT  ANS,         CHAI'    IX. 


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toutes  sortes  d'acnccries  à  S.  M.  |{iilamu(iu(!  pour  la  déter- 
uiiDcr  i\  ontamor  une  néj^ociation  de  |)ai.\.  »  Au  sujet  de 
ces  ouvertures,  dont  les  intermédiaires  auraient  été  Miincli- 
liausen  et  peut-iMre  Newcastle,  une  vive  altcrealion  avait 
eu  lieu  entr»;  eelui-ei  et  Pitt;  le  roi  (Je(  rf;e  !ui-uiême,  tout 
en  aflirniant  sa  lidélité  A  son    dlié,  avait   recoiniu   (|uc 
«  des  insinuations  de  pai\  lui  avaient  élu  laites  de  bien  des 
côtés.  »  Dans  ces  conditions,  persuadés  k  qu'une  négocia- 
tion secrète  de  paix  serait  dangereuse  pour  ses  intérêts 
(de  S.  M.),  iï  cause  de  la  faiblesse  du  roi  (leorge  et  de  son 
envie  de  s'agrandir  en  Allemagne,  à  (pioi  le  chevalier  Pitt 
ne  veut  point  se  prèler,  et  (înlin  à  cause  de  la  mauvaise 
foi  du  duc  de  Newcastle  et  du  ministre  lianovrien,  nous 
avons avec  le  chevalier  IMtt,  pris  la  résolution  d»;  pro- 
céder sans  délai  h  l'exécution  de  la  déclaralion  «jui  avait 
été   convenue,  (le  dernier,  en   communiquant  cette   dé- 
mîirchean  Parlement,  rendra  par  liV  la  négociation  de  paix 
nationale  et  s'en  «'mparera  de  manière  que  personne  n'o- 
sera ris([uer  d'intervenir  eu  secret  sans  sa  |)articipation.  » 
Les  accusations  que  Knyphausen  laneait  un  peu  légè- 
rement contre  Newcastle  n'étaient  pas  justifiées;  soit  con- 
viction personnelle,  soit  crainte  de  se  séparer  de  Pilt  sur 
une  question  où  son  collègue  était  soutenu  par  l'opinion 
publique,   le  duc  lefusa  de  se  prêter  aux  désirs  de  son 
maître  (|ui  visaient  d'ailleurs  beaucoup  plus  les  ac(piisi- 
tions  territoriales  à  espérer  du  congrès  que  le  mode  d'en- 
gager les  pourparlers.  Mais  (pielque  peu  fondés  (jue  fus- 
sent certains  des  motifs  invoqués  par  le  diplomate  prussien, 
son  argumentation  produisit  son  ed'et  sur  Frédéric,  qui 
n'avait  pas  oublié  la   franchise    et  l'indépendance  dont 
Knyphausen  avait  fait  preuve  pendant  les  derniers  mois 
de  son  séjour  A  Paris;  aussi  donna-t-il  son  entière  appro- 
bation (1)  à  la  conduite  de  ses  représentants  à  Londres. 

(1)  I-rédéric  à  Knyphausen,  Linibacl».  1"  novembre  175'.).  Correspondance 
politique,  XVIII,  p.  64r>. 


IIKMISK  IIK  LA  DKCI.AUMK»  AI  X  MIMSTUKS  AI.LIIiS. 


480 


Aussitôt  saisi  do  la  déclaratidii  an;;l<»-piiissieiin«'  ([ui 
arriva  à  I,a  llayo  lo  25  novembre,  le  prince  Louis  I  entra 
en  rapi>orts  avec  les  envoyés  des  puissances  belligérantes; 
le  jour  nn'^nie,  il  leur  lit  une  visite  individuelle,  les  con- 
vo(jua  le  soir  cbez  leur  eollèg-ne  russe  retenu  par  la  ma- 
ladie dans  sa  maison  de  Kyswick  et  leur  remit  la  pièee 
contre  aceusé  de  lécepliop.  Les  trois  ministr^'s  manifestè- 
rent leur  satisfaction  de  la  démarcln;  <'t,  tant  en  réservant 
lavis  de  leurs  gonvernenuMits,  firent  espérer  une  solution 
favorable.  De  tous,  l'ambassadeur  français  Alfrv  se  mon- 
tra  le  plus  content;  il  alla  même  jusijuà  informer  le 
prince  «  «[ue  sa  cour  avait  tirand  besoin  de  la  paix;  (juil 
ne  dirait  pas  que  la  sortie  du  marécbal  de  (lontlans  était 
leur  dernier  elfort,  mais(|u'il  devait  avouer  (pu*  c'était  l'un 
de  leurs  derniers,  il  était  conv;ùncu  (pic  In  [>it)posili(»n 
plairait  et  serait  considérée  c<»mme  acceptable.  »  Peu  de 
jours  après,  une  lettre  de  Clioiseul  en  date  du  1"'  décem- 
bre apprenait  au   prince  Louis  (2)  <(  que  S.  M.  allait  se 

concerter  avec  ses  alliés  sur  les  termes  de  la  réponse, 

que  d'avance  Klle  croit  pouxoir  assurer  (pi'ils  ne  seront 
pas  moins  sincèrement  disi)osés,  que  S.  M.  l'est  elle-même, 
i\  se  prêter  aux  moyens  (pii  seront  convenables  pour  par- 
venir au  rétal)lissement  dn  repos  public  >\  La  dépèche  de 
Vienne,  qui  ne  parvint  à  La  Maye  qu'après  un  intervalle 
de  trois  semaines,  fut  beaucou|)  plus  sèche  (3);  pas  une 
phraso  polie,  pas  un  mot  de  Kaunitz,  un  sim[)l«'  reçu  sipné 
d'un  chef  de  bureau  annonçant  que  le  cabinet  de  Vienne 
^i'entendrait  avec  celui  de  Pétersbourg. 

En   fait,  la   teneur  de  ces   notes   retlétait    assez  exac- 
tement les  sentiments   des  gouvernements  à  l'égard  de 


(1)  Yoikeà  Holdernesso,  La  Uayp,  27  noveiuhre  17.">9.  Rrcord  OfCicr. 
Prince  Louis  à  lloldernesso,  '.!r»  novembre  l'5'J.  Record  Oflicc. 

(2)  Note  écrite  par  le  prince  Louis  en  présence  d'AflVy,  4  décembre  1759. 
Record  Oflice. 

(3)  Yorke  à  NewcasUe,  21  décembre  1759.  Nevvcastle  Papors,  32900. 


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la  proposition  iiiiittendu*»  (|ui  huit'  était  faite.  Clioiscul, 
malgré  les  réserves  dont  il  aura  soin  d'entourer  son  ad- 
hésion, devait  accueillir  avec  plaisir  tout  moyen  de  sortir 
de  l'impasse  dans  laquelle  était cngaii^éc  la  France;  au  con- 
traire, rimpératrice-Ueine  ot  son  alliée  la  Tzarine,  (ières 
de  leurs  derniers  succès,  i)lus  acharnées  que  jamais  à  la 
ruine  du  ï'<»i  de  IM-usse,  voyaient  d'un  1res  mauvais  (pII 
toute  teufativc  j)our  interrompre  une  guerre  dont  Lt  pour- 
suite devait  leur  permettre  de  récolter  le  fruit  de  leurs 
elloi'ts  passés 

Toutefois,  il  était  impossible  d'opposer  aux  ouvertures 
de  l.a  Haye  un  refus  que  l'opinion  pid)liqu(^  eût  jugé  ti'ès 
sévèrement.  Avec  une  rapidité  (pii  n'était  guère  dans  ses 
hnhiludes,  la  chancellerie  de  Vienne  prépara  un  projet  de 
contre-déclaration  (1)  (ju'elle  communi(pia.  aussitôt  aux 
gouvernements  amis  en  commençant  par  celui  de  Péters- 
hourg.  Dans  cette  pièce,  les  puissances  alliées  exprimaient 
leur  désir  de  «  terminer  les  guerres  qui  subsistent  déjà 
depuis  quehpies  années  entre  l'Angleterre  et  la  France, 

un  côté,  et  S.  M.  Prussienne,  la  maison  d'\utiiche  et 
S.  iM.  l'Impératrice  de  IJussie,  d'auti'e  part  »,  et  s;'  décla- 
raient prêtes  à  envoyer  des  plénipotentiaires  au  congrès 
proposé.  A  cette  acceptation  était  attachée  la  seule  restric- 
tion (jueles  hostilités  ne  seraient  pas  suspendues  «  pendant 
toute  la  durée  des  négociations.  »  l.e  comte  de  (ilioiscul 
fut  un  des  premiers  A  avoir  connaissance  du  document; 
sa  correspondance  manifeste  (juelque  surprise  d<^  l'adhé- 
sion si  prompte  d'un  gouvernement  <pii  s'est  toujours  mon- 
tré partisan  <le  la  guerre  à  outrance  :  «  Il  ne  m'a  pas  été 
possible  (2)  de  démêler  au  juste  si  M.  de  Kaunitz  est  bien 
aise  ou  fiVché  de  la  proposition  de  nos  ennemis,  ou  plutôt 


(1  )  Projet  (le  coiilie-déclaialioii  de  riiiiiiéralric.e-lîeine.  Allaires  ÉUan^ères, 
Aulriclie. 

(?)  Coiiile  (le  Clioiseiil  au  Duc,  H  d(''ceiiil)re  1759.  Affaires  Élrang('Tes.  Au- 
triche. 


H1 


MEMoiur.  ni:  nioisiaiL  si.»  i.k  conc.uks. 


■l'.ii 


il  est  l'im  <*t  rautrc,  mais  je  ne  sais  quel  est  le  scnliinonl 
(|ui  domine  en  Ini.  .le  crois  qu'il  l'iynorc  Ini-nièine.  h'iin 
côté,  toute  ouverture  de  paix  le  hiesse,  parce  (pi'il  ne  croit 
pas  les  allaires  assez  avancées  pour  parvenir  à  Taccoinplis- 
senient  entier  de  ses  projets,  et  j'ai  vu  clairement  dans  uia 
conversation  avec  l'Impératrice  que  cette  princesse  est 
dans  les  mêmes  principes,  et  (pioiqu'elle  ne  m'ait  pai-lé 
cjue  de  la  cami)ai;ne  prochaine,  il  est  évident  qu'KlIe  et 
Sun  ministre  n'ont  d'autre  épcxpie  déteriniv  ée  pour  la  paix 
([uc  celle  de  rabaissement  du  roi  de  Prusse.  D'autre  part, 
M.  de  Kaunitz  rej^ardc  cette  dénuirclie  des  cours  de  Londres 
et  de  Herlin  comme  la  preuve  du  mauvais  état  où  sont  les 
a.'l'aires  du  roi  de;  Prusse,  et  l'cU'et  de  ses  sollicitations  au- 
j)rès  des  .\ni;lais  cpii  n'ont  pu  lui  refuse  cet  acte  de  com- 
plaisance. Sous  ce  point  de  vue,  la  déclaration  le  llatte  et 
le  touche  par  son  «uidroit  sensihle,  car  ou  rapporte  tout 
ici  au  roi  de  Prusse.  Je  pense  cpi'il  y  a  du  vrai  dans  cette 
conjecture,  mais  je  suis  persuadé  (juc  i  Angleterre  a  prin- 
(•i[>alement  eu  en  vue  d'éludei*  lu  médiation  de  l'Kspag'ne. 
Ouoi  qu'il  eu  soit,  M.  le  couite  de  Kaunitz  pense,  ainsi  <[ue 
vous,  Monsieur,  ({u'on  ne  peut  refuser  une  proposition 
aussi  authentique  qne  celle-ci,  il  me  l'a  dit  dans  le  premier 
moment,  avant  d'avoir  vu  votre  mémoire,  en  iijoutant  : 
Après  tout,  un  con^m'ès  n'est  pas  une  [)aix,  on  a  hien  vu 
des  congrès  se  ronqire.  » 

Contraireuient  à  ce  qu'on  aurait  pu  supposer  d'après  les 
circonslances  de  la  France,  soit  dépit  de  voir  conti'cearrer 
son  [)roj(  t  favori  de  l'intervention  espagnole,  soit  calcul 
de  l'eirel  qu(^  produirait  son  attitude  sur  ladour  de  Vicîune, 
soit  désir  d'arracher  à  ses  alliés  leur  consenteiuent  à  la 
paix  séparée  avec  l'Angleterre  en  aU'ectant  l'indillérence 
à  l'égard  de  la  pacilicalion  générale,  Choiseul  iit  à  la 
déclaration  anglo-prussiemie  un  accueil  en  apparence 
plus  froid.  A  peine  l'invitation  était- elle  parvenue  il  Ver- 
sailles et  avait-elle  été  soumise  à  I^cuiis  XV,  que  le  ministre 


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LA  Gl  KKllE  DE  SEPT  ANS. 


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(les  allaircs  (';trangr;rcs,  avant  iin'^mc  d'en  coininuni([iior  le 
texte  à  ses  collègues  du  Conseil,  appela  St.irluîmhery'  à  en 
conférer  avec  lui.  Tous  deux  tombôr(;nt  d'accord  (1)  pour 
considérer  l'ouverture  comme  une  comédie  et  un  piège 
{f//iissf  Verslcllnng  mid  /winitiilir  Finesse);  il  était  impos- 
sible de  la  repousser,  mais  il  ne  fallait  pas  s'y  laisser  pren- 
dre; surtout  était-il  indispensable  de  ne  pas  mêler,  à  la 
discussion  (jui  allait  s'eng-auer,  la  question  bien  distincte 
de  la  médiation.  Dans  un  mémoire  rédigé  de  la  main  du 
ministre,  daté  du  2  décembre  et  postérieur  par  conséquent 
de  deux  jours  k  la  conversation  dont  Starhemberg  rend 
compte,  nous  trouvons  exposées  les  raisons  qui  ont  dicté 
la  conduite  du  Uoi.  L'auteur  du  docu:nent  débute  en  se 
demandant  |2)  quelles  considérations  avaient  inspiré  l'ini- 
tiative inattendue  pricx  par  l'ennemi  et  répond  en  énu- 
mérant  quatre  motifs  probables  :  crainte  d'une  interven- 
tion armée  de  l'Espagne;  nécessité  de  délivrer  du  poids  de 
la  guerre  les  princes  protestants  de  l'Allemagne;  satisfac- 
tion à  donner  à  une  fraction  de  l'opinion  en  Angleterre; 
désir  sincère  de  mettre  fin  aux  hostilités.  Selon  les  vrai- 
semblances, l'invention  d'une  conférence  dont  on  offrirait 
sans  doute  la  présidence  au  roi  d'Kspagne  n'avait  d'autre 
but  (pie  de  traîner  les  affaires  en  longueur.  «  On  sait  (ju'un 
congrès  n'est  pas  toujours  un  acheminement  à  la  jiaix, 
mais  l'on  connaît  par  expérience  qu'il  est  bien  difficile 
qu'il  ne  soit  pas  un  sujet  de  refroidissement  entre  les  alliés 
et  d'éloignementpour  les  médiateurs.  I.a  guerre  continue- 
rait sui'  terre  et  sur  mer  pendant  le  congrès;  les  Anglais 
se  flattent  que  ce  sera  avec  succès  contre  les  possessions 
fran(;;uses;  le  roi  de  Prusse  espère  que  du  moins  il  la  sou- 
tiendra avec  l'armée  d'Hanovre  sans  perte,  et  que  le  Hoi 


(1)  SlnrhpmJK'ifç  i\  Kaiinilz,  SO  novoinlut!  175'J.  Archives  tin  ^icniie. 
(',()  Méinoin;  icdigRtic  la  main  du  Duc  poui  rinipcratrice,  2  dcceiiilnc  l"r)9. 
Afl'aires  Etraniièrcs. 


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L'AI TRICIIK  SK  UALUE  AU  PHOJKT  l)K  (  IlOISKUL. 


493 


et  l'Impératrice  l'atiiiiiés,  ensemble  ou  l'im  (rcux  sépiiré- 
ment,  plieraient  définitivement  sons  le  jon^-  cpii  leur  sera 
impos;;,  sans  tirer  des.  ressources  de  l'Kspa.^'ne.  »  Comme 
conclusion  ,  la  cour  de  Versailles  se  disait  disposée  à  con- 
sentir au  coni^rAs  «  pour  les  seuls  diiréieiuis  (jui  agitent 
rMlemai^ne  »,  sous  la  réserve  que,  seules,  les  puissances 
en  guerre  pourront  y  envoyer  leurs  représentants.  Parmi 
ces  puissances,  il  était  indispensable  de  comprendre  1"» 
Suède  et  la  Pologne  luxcjuelles  'a  déclaration  n'avait  pas 
été  adressée. 

C'est  à  bon  droit  (jue  Starhemberg  se  félicite  de  l'atti- 
tude de  Clioiseul,  qu'il  ne  s'attendait  pns  à  trouver  aussi 
ferme  :  «  Si  les  négociations  pour  la  paix,  écrit-il  (1)  à 
Kaunitz,  sont  soumises  h  un  congrès,  il  n'en  restera  plus 
maître,  et  ii  serait  l'orl  à  craindre  que  les  autres  ministres 
(|ui,avec  tout  le  public  d'ici,  soupii'cnt  après  la  [)aix,  ne 
lui  forcent  la  main.  » 

A  l'assentiment  conditionnel  de  la  cour  de  Versailles, 
Kaunitz  et  sa  souveraine  ne  lirent  aucune  difficulté  de  se 
rallier,  tout  en  exprimant  leur  scepticisme  à  pro[)os  de 
l'adhésion  des  Anglais  au  principe  d'un  traité  séparé  :  «  .le 
ne  saurais  croire,  avait  dit  Marie-Thérèse  {'1),  qu'ils  aban- 
donnent le  roi  de  Prusse  et  qu'ils  acceptent  la  médiation  de 
l'Espagne  dans  leur  guerre  maritime;  cela  serait  très  heu- 
reux, mais  j'en  doute  beaucoup.  » 

Au  fond,  la  cour  de  Vienne  était  ojjposéc  A,  toute  pensée 
de  p'iix  continentale;  encouraiiée  par  le  succès  de  ses 
armes  en  Saxe,  assurée  de  l'atl'aiblissement  de  son  adver- 
saire, encline  à  ne  voir  dans  les  pr(»posilions  do  la  Haye 
que  le  sy.nptAme  précurseur  de  ré|)uis(Mn(!iit  total,  elle 
était  résolue  h  pousser  vigoureusement  la  campagne  pro- 
chaine et  fl  mettre  tout  eu  o'uvre  jîour  la  luine  du  roi  de 

^l)  StfulionilMTjj  à  Kaiiiiit/.,  :î()  novcioltre  17.'i9.  Di'iirclic  dt-jà  cilt'c. 
(2j  Cornle  de  Choisciil  au  Duc,   li  dt'ioiiibro  I7."i'.>.   AHaires   Klrangins, 
Aulriclic. 


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LA  r.UKURE  DE  SEI'T  ANS. 


CHAI».  IX. 


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Prusse.  Si  elle  s'associa  à  la  rédacliou  de  Clioiseul,  si  con- 
ti'aiiTinent  à  sa  première  inspiration,  elle  accueillit  l'idée 
de  l'intervention  espagnole  et  de  la  paix  avec  l' Angleterre, 
ce  fut  parce  qu'elle  était  persuadée  du  relus  de  cette  puis- 
sance de  se  prêter  \  un  arrangement  partiel  et  convaincue 
que  ce  relus  obligerait  la  France  à  continuer  la  lutte  et 
entraînerait  peut-être  l'Espagne  il  y  prendre  part.  Au  pis 
allei',  dans  le  cas  improbable  de  la  conclusion  d'un  ac- 
cord entre  rAiigleterreet  la  France,  le  roi  de  Prusse,  privé 
du  secours  des  contingents  allemands  et  anglais  (|ui  com- 
posaient l'armée  du  prince  Ferdinand,  serait  incapable  de 
résister  longtemps  aux  ellbrts  combinés  de  l'Autricbe  et 
de  la  Russie.  De  ce  côté,  en  ellct,  il  n'y  avait,  tout  au 
moins,  tant  que  vivrait  rimpératricc  Élisabelb,  aucune 
défaillance  ù  craindre. 

Entre  la  (Irande-lîrotagnc  et  la  lUissic,  on  le  sait,  il  n'y 
avait  pas  eu  rupture  do  relations  diplomatiques;  aussi  la 
cour  de  Saint-James  mit-olle  à  profit  la  présence  à  Péters- 
bourg  de  son  ambassadeur  Keith  pour  communiquer 
directement  aux  ministres  russes  la  déclaralion  qu'on 
se  proposait  de  faire  à  I^a  Haye.  A  cette  occasion,  l'en- 
voyé britannique  avait  fait  part  du  vo'u  non  seulement  de 
son  niaitrc,  mais  aussi  du  roi  de  Prusse  :  «  do  renouveler 
avec  S.  M.  Impériale  l'ancienne  bonne  harmonie  ».  La  ré- 
ponse (1)  fut  nette  et  catégorique  :  Après  quchpics  phrases 
banales  sur  les  aspirations  hunumitaires  de  laTzarinc,  on 
afiirmait  «  que  la  paix  désirée  est  encore  très  éloignée,  si 
l'espérance  qu'on  met  dans  les  sentiments  pacifiques  de 
Sa  Majesté  eu  est  l'unique  fondement.  Sa  Majesté  Impé- 
riale étant  constamment  résolue  d'exécuter  religieusement 
ses  déclarations  solennelles,  de  procurer  aux  parties  lésées 
une  satisl'acfion  juste  et  suflisaute,  de  ne  couclnrc  aucune 


(1)  Noie  remise  ù  M.  de  Ki'iUi,  1/12  décembi'o  17."i',).  Afl'aiios  EliaiigiTOs, 
Russie. 


PIIOJET  DE  DKCLAKATION  PROPOSK  PAR  LA  RUSSIi:. 


i95 


paix  <[u'à  des  conditions  honorables,  solides  cl  avanta- 
geuses et  de  concert  avec  ses  lidèies  alliés,  et  enfin  de  ne 
jamais  permettre  que  pour  un  prétendu  ménai;ement  du 
san::?  innocent  pendant  un  court  espace  de  temps,  le  repos 
de  l'Europe  reste  exposé  a.ix  dangers  précédents  ».  Comme 
le  fait  remar(|ucr  Keitli  (1)  av^c  pliilosophie  :  «  La  léponse 
russe  ne  nous  laisse  aucune  illusion  sur  les  sentiments  de 
leur  cour,  ni  partant  sur  le  concours  (jue  nous  pourrons 
en  espérer.  » 

Une  note  remise  le  même  jour  (2'  àLhùpiîal  était  plus 
détaillée  et,  si  possible,  plus  explicite.  On  y  relevait  des 
propos  tenus  par  l'ambassadeur  brilannique  visant  un 
rapprochement  avec  l'Anulolerre  et  la  Prusse,  dos  allusions 
transparentes  du  généial  prussien  Willich  à  l'occasion 
de  l'échange  des  prisonniers,  puis  on  examinait  la  pièce 
ofliciclle  que  Keith  venait  de  présenter.  Rejeter  d'une 
façon  absolue  toute  ouverture  pacificjue  serait  écarter 
«  pour  ainsi  dire  à  jamais  »  les  offres  des  cours  de  Londres 
et  de  Uerlin,  môme  les  plus  équitables  et  les  plus  accepta- 
bles, mais  Sa  Majesté  Inpériale  juge  :  «  1"  que  la  célèbre 
alliancD  des  plus  grandes  Puissances  de  l'univers  n'aura 
pas  l'effet  désiré,  et  ne  sera  pas  stable,  si  elles  n'obtiennent 
pas  le  but  qu'elles  se  sont  proposé,  et  que,  dans  la  pacifica- 
tion pr(»chaine,  leui'S  intérêts  mutuels  se  seront  pas  égale- 
ment observés;  2"  ([u'on  no  saurait  parvenir  à  ceci,  à  moins 
que  tons  les  alliés,  et  chacun  à  part,  conviennent  unani- 
mement, coûte  (jue  coûte,  de  ne  faire  aucune  paix  qui  ne 
soit  honoiable,  solide  et  agréable  à  tous  ;  3"  ({ue,  pour  le 
moins,  une  telle  paix  ne  peut  s'en  suivre  bientôt,  si  les 
cours  de  Londres  et  de  Ilerlin  se  flattent,  quoiqu'eu  vain, 
de  pouvoir  semer  la  méfiance  entre  les  alliés,  et  persuader 
quebiuun  d'entre  eux  à  donner  les  mains  a  une  paix  sépa- 


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(1)  Ki'illi  il  IloUIornessc,  i/l5  décniiibre  175'.».  Ni'wcustle  Papors,  ;{2'.ino. 

(2)  Nol(!   reinisn  à  Llioiiilai,  1/1'.!   di'ci^mbre    IT.V.t.   AU'aiics    laïaiinèrcs, 
Russie. 


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496 


LA  GUEUUE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


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l'ée.  »  Pour  ces  raisons,  dans  la  réponse  on  devrait  se  lK>r- 
ner  h  accepter  la  désignation  d'un  «<  lieu  propre  pour  y 
traiter  »  et  à  promettre  d'y  envoyer  des  plénipotentiaires 
«  aussitôt  qu'on  se  sera  expliqué  plus  claircmeut  de  (juelle 
mani«*re  on  entend  obtenir  une  paix  solide.  » 

Cette  adhésion  éventuelle  au  principe  du  conirrès  de- 
vrait être  «  indispensablement  »  suivie  d'une  <(  déclaration 
à  part,  tant  à  la  Diète  de  l'Empire  qu'au  Danemark  et  à  la 
Hollande,  »  du  contenu  suivant  :  «  Que  les  Hauts  Alliés  ont 
appris  avec  beaucoup  de  déplaisir  que  leurs  ennemis  leur 
attribuent  gratuitement,  à  chacun  à  part,  des  mouvements 
pour  parvenir  à  une  paix  séparée;  qu'au  contraire  les 
Hauts  Alliés   cherchent  maintenant  plus    (|ue  jamais   à 
rendre  leur  alliance  indissoluble  ot  inviolable,  et  qu'ayant 
été  tous  également  forcés  de  prendre  les  armes  pour  se  dé- 
fendre eux  et  leurs  alliés,  et  ayant  jusqu'ici  fait  la  guerre 
de  concert,  ils  persisteront,  à  la  future  pacification  avec  une 
unanimité  encore  plus  forte,  à  n'accepter  aucune  paix  qui 
ne  soit  honorable,  solide  et  avantageuse,  et  à  procurer 
îY  toutes  les  parties  lésées  une  satisfaction  juste  et  suffi- 
sante. »  Pour  instant,  le  parti  qui  s'impose,  «  c'est  de  se 
préparer  avec  vigueur  et  vivacité  pour  la  campagne  pro- 
chaine. »  Dans   la   pensée  du  gouvernement  moscovite, 
la  fermeté   de   cette   attitude  provoquerait  de  nouvelles 
ouvertures  des  puissances  ennemies;  il  serait  donc  «  très 
nécessaire...  que  les  Hauts  Allies  conviennent  dès  à  pré- 
sent et  le  plus  tôt  possible  avec  S.  M.  Impériale   d'une 
façon  délinitive  sur  leurs  avantages  réciproques  et  sur 
toutes  les  conditions  de  la  paix  future.  »  Grûce  à  cette  pré- 
caution, on  éviterait  les  lenteurs  et  les  dissentiments  que 
l'adversaire   chercherait  à  faire  naître.  Le  second  motif 
invoqué  en  laveur  de  l'accord  préalable,  si  ingénieux  qu'il 
fût,  supposait  une  loyauté  et  une  confiance  réciproque  sur 
laquelle  il  eût  été  peut-être  dangereux  de  tabler  :  «  L'en- 
gagement que  les  alliés  ont  pris  entre  eux  de  ne  faire 


...ij-,...mu>i-».iiiimn 


CONTRE-DECLAIWTION  DES  TROIS  COURS. 


497 


avec  rennemi  commu  i  ni  paix  ni  trôve,  et  de  nVcouter 
de  sa  part  aucune  proposition  A  linsu  et  sans  le  consen- 
tement l'un  de  l'autre,  exige  lo  présent  concert  préalable 
et  formel,  puisque  l'observation  exacte  et  scrupuleuse  du- 
dit  engagement  rendrait  la  paix  pour  toujours  difficile  ; 
mais  si  les  alliés  seront  convenus  d'avance,  entre  eux,  des 
conr'itions  de  la  paix,  chacun  d'entre  eux  pourra,  du  su  et 
du  consentement  des  autres,  écouter  les  propositions  et 
les  leur  communiquer,  en  cas  qu'elles  fussent  raisonna- 
bles, ou  les  rejeter  tout  de  suite  si  elles  ne  sont  point  com- 
patibles avec  leurs  vues  communes.  » 

Ce  désir  si  ardemment  manifesté  d'une  entente  sur  les 
avantages  réciproques,  n'était  autre  chose  qu'une  allusion 
transparente  à  la  prétention  récemment  émise  par  la  Kussic; 
de  conserver,  à  titre  permanent,  la  Prusse  royale  qu'elle 
occupait  depuis  deux  ans. 

Malgré  l'accord  intervenu  à  Vienne  sur  les  grandes 
lignes  de  la  réponse  ou  contre-déclaration,  plus  de  trois 
mois  s'écoulèrent  avant  l'adoption  d'un  texte  définitif.  L'as- 
sentiment de  la  cour  de  Pétersbourg  parvint  à  Vienne  (1) 
dans  la  seconde  moitié  du  mois  de  janvier,  mais  il  s'appli- 
quait au  projet  de  la  première  heure  que  Kauuitz  avait 
expédié  à  la  Tzarine  sans  avoir  consulté  le  cabinet  de  Ver- 
sailles. La  rédaction  modifiée  de  Choiseul  établissant  la  dis- 
tinction entre  la  querelle  particulière  de  la  Franco  avec 
l'Angleterre  et  la  guerre  générale  du  continent  européen, 
par  suite  de  retards  divers,  n'était  arrivée  à  Pétersbourg 
que  vers  le  milieu  de  janvier.  Entre  temps,  le  gouverne- 
ment français  avait  apporté  quelques  changements  de  mo- 
dique importance,  il  est  vrai,  à  la  seconde  édition  revue  et 
corrigée  de  Vienne.  Que  l'on  ajoute  aux  lenteurs  dues  à  l'é- 
loignement  et  aux  difficultés  de  communication  le  dessein 


1^1)  Comte  de  Choiseul  au  Duc,  26  janvier  17G0.  A.Taires  Ét^ang^l■c5.  Au- 
triclie. 

GUEIIRE  DE   SEPT   \>S.   —   T.    III.  32 


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LA  GUERIIE  DK  SFPT  ANS.  -  CIIAP.  I.\. 


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avéré  de  Kaunitz  (1)  de  traîner  les  choses  en  longueur  et 
la  mort  de  Bcstuscliew,  ambassadeur  russe  à  l'.iris,  et  l'on 
comprendra  pourquoi  la  note  collective  des  alliés  ne  fut 
délivrée  au  prince  Louis  de  lirunswick  (2)  que  le  .{  avril, 
c'est-à-dire  plus  de  quatre  mois  après  la  remise  du  ma- 
nifeste anglo-prussien. 

Le  document  dont  la  préparation  avait  pris  si  longtemps 
et  coûté  tant  d'efforts  n'était  pas  fait  {'.))  pour  encourager 
les  partisans  sincères  de  la  pacification  générale  :  Après 
un  préambule  rappelant  la  proposition  du  congrès,  les 
trois  puissances  belligérantes  se  proclamaient  «  également 
animées  du  désir  d  contribuer  au  rétablissement  de  la 
tranquillité  publique  sur  un  pied  solide  et  équitable  »,  et 
déclaraient  que  «  S.  M.  le  Koi  Catholique  ayant  bien  voulu 
offrir  sa  médiation  pour  la  guerre  qui  subsiste  depuis  quel- 
ques années  entre  la  France  et  l'Angleterre,  et  cette  guerre 
n'jiyant  d'ailleurs  rien  de  commun  avec  celle  que  soutien- 
nent également  depuis  quelques  années  les  deux  Impératri- 
ces avec  leurs  alliés  contre  le  roi  de  Prusse,  Sa  Majesté  Très 
Chrétienne  est  prête  à  traiter  de  sa  paix  personnelle  avec 
l'Angleterre  par  les  bons  offices  de  Sa  Majesté  Catholique, 
dont  elle  s'est  fait  un  plaisir  d'accepter  la  médiation.  » 

«  Quant  à  la  guerre,  qui  regarde  directement  Sa  Majesté 

Prussienne,  Leurs  Majestés sont  disposées  à  donner  les 

mains  à  l'établissement  du  congrès  proposé  ;  mais  comme 
en  vertu  de  leurs  traités,  elles  ne  peuvent  prendre  aucun 
engagement  relatif  à  la  paix,  que  conjointement  avec  leurs 
alliés,  il  sera  nécessaire,  pour  qu'elles  puissent  s'expliquer 
définitivement  sur  ce  sujet,  qu'avant  tout  il  plaise  à  Leurs 
Majestés  Britannique  et  Prussienne  de  faire  parvenir  leur 
invitation  à  un  congrès  à  toutes  celles  des  puissances  qui  se 


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(1)  Comte  de  Choiseul  au  Duc,  20  janvier  et  7  février  1760.  Affaires  Étran- 
gères. Autriche. 

(2)  Yorke  à  Iloldernessc,  i  avril  1760.  Record  OflTuc.  Hollande. 

(3)  Annexe  à  la  dépêche  d'Yorke  du  4  avril  1700.  Record  Office.  Hollande. 


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OItJKCTIONS  DE  PITT  A  LA  PAIX  SÉPARÉE  AVEC  LA  FRANCE.    i'J'.i 

(rouvcnt  directement  en  guerre  contre  le  roi  de  Prusse, 
notamment  Sa  Majesté  le  roi  de  l*oIogne,  Kiccteur  de  Saxe, 
ainsi  que  Sa  Majesté  le  roi  de  Suède,  lesquels  spécialement 
doivent  ôtre  invités  au  futur  con,i;rés.  » 

Avant  de  relater  l'accueil  que  reçut  cette  pièce  de  la 
part  du  cabinet  anglais  et  des  représentants  du  roi  de 
Prusse,  il  est  indispensable  de  rendre  compte  des  pourpar- 
lers qui  se  nouèrent  k  La  Haye  en  attendant  la  réponse 
des  belligérants.  Pendant  les  mois  de  décembre  et  de  jan- 
vier, chacun  resta  sur  la  réserve  et  il  n'y  eut  aucun  essai  <le 
rapprochement  entre  les  ministres  des  cours  rivales.  Ce- 
pendant, malgré  ce  silence  officiel,  il  était  impossible  qu'il 
ne  se  produisit  pas  à  Londres,  et  surtout  à  La  Haye,  des 
échanges  de  vues  sur  les  intentions  et  sur  la  pensée  se- 
crète des  gouvernements  appelés  à  participer  au  congrès. 
Comment  fallait-il  comprendre  le  projet  de  paix  particu- 
lière entre  la  France  et  l'Angleterre  dont  parlait  Alfry 
avec  une  indiscrétion  peut-être  voulue?  On  mettait  enelfet 
dans  la  bouche  de  cet  ambassadeur  un  langage  très  si- 
gnificatif. Il  aurait  dit  il  Yorke  :  <>  Il  faut  pourtant  séparer 
la  négociation  en  deux  et  traiter  nos  aifaires  seules  et  sans 
les  autres,  et  ensuite  obliger  les  autres  de  s'accommoder, 
sans  quoi  nous  ne  ferons  jamais  rien.  »  En  causant  avec  le 
prince  Louis,  il  se  serait  écrié  :  «  Qu'avec  un  tas  d'alliés  à 
leur  suite,  ils  n'en  viendraient  jamais  à  bout.  »  Quelle 
portée  devait-on  donner  à  ces  paroles?  iN'étaient-elles 
que  des  boutades  d'un  diplomate  bavard  ou  reflétaient- 
elles  l'opinion  autorisée  de  son  chef  hiérarchique?  Dans 
le  cercle  intime  du  cabinet  de  Saint  James,  la  curiosité  à 
ce  sujet  fut  d'autant  plus  vive  que  les  bruits  de  Hollande 
se  trouvèrent  confirmés  par  les  })ropos  qu'avait  tenus  le 
duc  d'Aiguillon  à  un  parlementaire  anglais.  Ce  dernier, 
Lord  Howe,  avait  fait  à  ce  sujet  un  rapport  qui  fut  com- 
muniqué (1)  aux  principaux  ministres.  Au  cours  d'une 

(1)  Anson  à  NewcasUe,  27  décembre  1759.  Newcastlc  Papers,  3'i900. 


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LA  r.L'KUKE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAI».  IX. 


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conférence  dont  le  prétexte  avait  été  un  échange  de  pri- 
sonniers. Aiguillon  n'avait  pas  caché  son  désir  de  voir 
aboutir  la  pai.\  séparée  avec  l'Anyleterrc,  en  dehors  de 
Madame  d'Hongrie,  comme  il  appelait  l'Impératrice,  et 
s'était  lait  fort  d'obtenir  dans  ce  but  le  renouvellement  des 
pouvoirs  qui  lui  avaient  été  donnés  pour  le  cas  d'une  né- 
gociation îiprès  le  débarqu(Miient  en  An,i?leterrc.  En  pré- 
sence de  ces  avis,  Newcastle  et  Pitt  eurent  un  entretien  (1) 
sur  les  avantages  et  les  inconvénients  d'un  arrangement 
particulier  avec  la  France.  D'après  celui-ci,  la  conclusion 
d'une  convention  de  ce  genre,  rarme  si  le  roi  de  l'russe  y 
était  compris ,  laisserait  ce  prince  dans  des  circonstances 
critiques  où  il  aurait  besoin  de  secours  que  le  cabinet  an- 
glais, une  fois  son  traité  signé,  serait  en  peine  de  lui  faire 
voter.  Newcastle,  beaucoup  plus  partisan  Je  la  pacifica- 
tion <(ue  son  collègue,  estimait  non  sans  raison  que  si  on 
ne  s'abouchait  pas  d'abord  avec  la  France,  on  n'arriverait 
pas  à  la  pai.v,  peut-être  pas  môme  au  congrès.  Mis  au  cou- 
rant de  ce  dissentiment,  Hardwicke  (2)  se  rallie  à  l'opi- 
nion de  Pitt;  l'intervention  de  l'Espagne  dans  les  ditlë- 
rends  maritimes  et  coloniaux  avec  la  France,  qu'elle 
s'intitule  médintion  ou  interlocution  (3),  ne  lui  dit  rien  de 
bon;  le  projet  d'un  congrès  t^énéral  est  le  meilleur  moyen 
de  parer  le  coup  sans  oil'enser  S.  M.  Catholique;  aussi 
faut-il  s'y  tenir  plutôt  que  d'avoir  recours  à  l'expédient 
de  l'accord  distinct  avec  Louis  XV.  Si  ou  traite  avec  la 
France,  on  lui  demandera  de  garder  la  neutralité  dans  le 
contlit  allemand,  mais  elle  exigera  du  Roi  «  un  engage- 
ment réciproque  que  nous  observerons  de  notre  côté  et 
qu'ils  n'exécuteront  pas  du  leur.  »  D'autre  part,  des  objec- 
tions sont  à  prévoira  la  Chambre  des  Communes  contre 


(1)  Newcastle  à  Haidwicke,  2  janvier  1760.  Newcastle  Papers,  32901. 

(2)  Hardwicke  à  Newcastle,  3  janvier  1760.  Newcastle  Papers,  32901. 

(3)  En  dernier  lieu,  San  Séverine  s'était  servi  de  cet(e  esprcssion  pour 
définir  l'action  du  Roi  Catholique. 


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SITUATION  CRITIQI  E  DU  HOl  DE  IMIUSSE.  SOI 

le  maintien  des  subsides,  car  «  il  no  s'agira  plus  que  d'une 
guerre  sur  le  continent,  et  pour  le  déhat  vous  n'aurez  plus 
l'argument  de  la  divcu'sion  et  de  l'avantage  de  pouvoir  dé- 
tourner de  rAméri(|ue  les  ellorts  et  l'attention  de  la 
France.  »  Opposé  à  un  armistice  spécial  à  la  lutte  navale, 
Hardwicke  ne  verrait  aucun  inconvénient  à  une  suspen- 
sion générale  des  hostilités  pendant  la  réunion  du  con- 
grès, mais  il  doute  fort  que  les  gouvernemenls  de  Vienne 
et  de  Versailles  et  surtout  le  premier,  consentent  il  une 
entente  de  cette  nature. 

Peu  à  peu,  les  avis  des  cabinets  européens  vinrent  atté- 
nuer l'intransigeance  de  la  cour  de  Saint-James.  Ce  fut 
d'abord  la  réponse  russe  qui  détruisit  les  espérances  dont 
on  s'était  leurré  sur  la  possibilité  d'un  accommodement 
avec  la  puissance  du  Nord.  Puis  se  succédèrent  de  tous 
côtés  des  renseignements  alarmants  sur  la  situation  pré- 
caire du  roi  de  Prusse,  l'épuisement  de  ses  ressources  et 
la  difficulté  qu'il  éprouverait  à  se  soutenir  pendant  la 
nouvelle  année  contre  les  armées  des  deux  Impératrices. 
En  particulier,  une  lettre  de  Ferdinand  à  Pitt  (1)  avait 
causé  la  plus  mauvaise  impression  ;  «  La  confiance  que 
je  mets  en  vous,  Monsieur,  m'engage  à  m'ouvrir  à  V.  E. 

sans  réserve  sur  les  affaires  de  ce  prince L'armée  du 

roi  de  Prusse  est  fondue  jusqu'à  la  moitié  de  ce  qu'elle 
étoit  au  commencement  de  la  campagne  ;  je  doute  avec 
raison  qu'il  puisse  parvenir  à  recruter  ses  régiments  et 
à  faire  toutes  les  réparations  avant  la  campagne  prochaine. 
Si  r.\utriche  ne  lui  rend  ni  les  officiers  ni  les  soldats  pris 
à  Mexan  et  k  Meissen,  comme  il  y  a  toute  apparence  qu'elle 
ne  le  fera  pas,  cela  produira  une  diminution  trop  grande 
dans  son  armée  pour  n'influer  pas  sur  le  tout,  (^e  qui  plus 
est,  les  ennemis  restant  maîtres  de  Dresde  pourront  ouvrir 
la  campagne,  quand  ils  voudront,  cette  ville  leur  servant 

(1)  Ferdinand  à  Pitt  (most  secret  and  privnte),  Marburg,  11  janvier  17C0. 
Chatham  Papeis.  Record  Ofdce. 


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L\  (;i:kriu:  m:  sept  ans.  —  ciiap.  ix. 


d^'  [diicc  <r<iriiM's  et  d'appui.  Si  los  Itusscs  rcp.iroissont 
alors  cil  nn'iiie  toinps.  je  ne  suis  ce  (pii  en  ai'rivcra,  mais  il 
me  paroit  évident  <jne  S.  .M.  doit  perdi-e  du  t(;rrain.  Cela 

influera  infiniment  sui*  nous  autres  ici le  sais  (|ue 

vous  ne  pouvez  regarder,  Moiisi(;ur,  d'un  môme  [)oint  de 
vue  l'Angleterre  et  l'Allemagne.  Mais  i!  y  a  ce[)endant  des 

intéri^ts  communs Si  l'on  peuf  faire  la  paix  avec  la 

l*'rance  avant  l'ouverture  de  la  campagne,  je  suis  persuadé 
<|ue  l'Aulriclic;  plit^ra,  si  non,  l'état  des  all'aires  en  Alle- 
magne sera  le  plus  critique  du  monde Mais  comme 

j'ignore  si  les  inténHsde  l  Angleterre  n'exigent  pas  de  con- 
tinuer la  guerre  avec  la  Trance,  il  seroit  A  souhaiter  (ju'on 
put  l'aire  une  diversion  à  la  maison  d'Autriche,  sans(|uoi 
il  sera  d'une  impossibilité  absolue,  je  ne  dis  pas  de  con- 
server les  avantages  qu'on  a  eus  jusqu'à  présent  de  ces 
cofés-ci,  mais  de  se  soutenir  seulement  contre  toutes  ces 
grandes  puissances  liées  ensendile.  »  l^resqiio  à  la  môme 
date  Mitchell  (1)  faisait  de  la  situation  de  la  l*russe  un  rap- 
port qui  dépassait  en  pessimisme  tout  ce  qu'il  avait  écrit  : 
«  Une  campagne  de  dix  mois,  deux  batailles  perdues;  les 
troupes  très  fatiguées  et  éprouvées  par  la  longueur  des 
marches  et  par  la  dureté  du  service;  une  saison  aux  ri- 
gueurs de  laciuellc  l'humanité  ne  pourra  plus  résister,  la 
prise  de  21  bataillons  et  k7i  escadrons  dans  les  affaires  mal- 
heureuses de  Direcke  et  'io  Finck!  Quand  j'énumère  toutes 
ces  considérations,  je  U''  peux  pas  m'empccher  de  faire  re- 
marquer à  votre  Seigneurie  le  peu  de  vraisendilancc  que 
cette  armée-ci  soit  en  état  pour  le  printemps,  et  à  plus  forte 
raison  que  Sa  Majesté  Prussienne  puisse  mettre  en  campa- 
gne deux  armées  pour  cette  saison;  et  cependant  elles  sont 
indispensables.  Le  roi  de  Prusse  fera  tout  ce  qu'un  homme 
peut  faire,  mais  son  pays  est  épuisé,  les  moyens  d'action 


(1)  Mitchell  à  Iloidcrnesse  (prirate  and  very  secret),  Freyberg,  16  janvier 
1700.  Mitchell  Papers.  nritish  Muséum. 


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l'UKMIKRK  ENTUKVIJE  UK  YOHKE  KT  I)  AM  IIV 


503 


l'ont  défaut,  ses  incillours  ofllciers  sont  tués  ou  prison- 
iiieis,  et,  je  dois  l'avouer  avec  la  plus  grande  anxiété,  un 
découragement  général  rè^-nc  dans  toute  l'armée  et  Sa 
Majesté  IM'Ussienne  est  peut-être  le  seul  à  ne  pas  suhir  l'in- 
(luence  fAckunise  qui  en  résulte.  »  Du  sombre  tableau  qu'il 
vient  de  tracer,  Mitcliell  tirs;  la  conclusion  suivante  : 
«  D'après  les  connaissances  imparfaites  (pie  je  possède  .sur 
l'état  actuel  de  l'Europe,  j'ajoute  qu')  si  l'Angleterre  ne 
trouve  pas  d'ici  i\  peu  le  moyen  de  détnclier  la  Krance  de 
l'alliance  et  de  restreindre  ainsi  la  puissance  des  Kusses, 
la  seule  occasion  de  sauver  le  roi  de  Prusse  aura  été,  je  le 
crains,  perdue  sans  remède.  »  Un  langage  aussi  catégori- 
«[ue  était  de  nature  à  faire  rélléchir,  d'autant  plus  qu'il  était 
corroboré  par  celui  de  Frédéric  lui-même;  ce  monarque 
avait  exposé  (  1  )  à  Knyphausen  sa  position  critique  et  n'avait 
pas  caché  son  espoir  de  voir  un  accord  entre  la  France  et 
l'Angleterre  préparer  les  voies  pour  la  paix  générale. 
Pour  résister  à  l'eflort  considérable  que  les  belligérants 
annonçaient  en  Allemagne,  il  ei\t  été  nécessaire,  non  seu- 
lement de  recruter  et  d'augmenter  les  contingents  alle- 
mands du  prince  Ferdinand,  mais  môme  d'accroître  les 
efFcctifs  anglais  ([ui  servaient  sous  ses  ordres.  Par  mal- 
heur, des  propositions  de  ce  genre  seraient  impopulaires, 
aussi  les  chefs  du  gouvernement,  Newcastle  tout  autant 
que  Pitt,  y  étaient-ils  opposés;  il  ne  restait  donc  d'autre 
alternative  que  d'essayer  de  s'entendre  avec  le  cabinet 
de  Versailles.  Knyphausen  était  si  presse  de  mettre  l'af- 
faire en  train  qu'il  s'otl'rit  pour  aller  k  La  Haye  et  pour 
aider  Yorke  à  entamer  les  pourparlers.  On  préféra  confier 
la  besogne  au  seul  représentant  de  la  Grande-Bretagne,  et, 
en  conséquence,  lloldernesse  (2)  invita  Yorke  à  entrer  en 
contact  avec  l'ambassadeur  français,  à  lui  demander  l'ex- 

(1)  Frédéric  à  Knypliatisen,  Prelzscliendorf,  l"  janvier  17C0.  Correspon- 
dance politique,  XIX. 

(2)  lloldernesse  à  Yorke,  25  janvier  17(!(i.  Record  Oflice,  Hoiland. 


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LA  r.UEIlKE  I)K  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  IX. 


|)lication  de  ses  «lliisiotis  î\  uiio  paix  séparée  ot  à  clu'rchei' 
ii  savoir  si  la  France  serait  disposée  j\  tniiter  isolément 
avec  l'Angleterre  et  la  l'russe,  Ku  cas  de  renseignement 
conforme  à  celte  liypolliése,  YorUe  était  autorisé  îV  trms- 
nief trc  les  ouvertures  ou  suggestions  que  la  coui'  de  France 
jugerait  convenable  de  faire. 

Ine  indisposition  d'AllVy  lit  retarder  l'entrevue  des 
deux  diplomates  jusqu'au  milieu  de  février.  Très  méliants 
l'un  et  l'autre,  dans  ce  premier  entretien  ils  se  bornèrent 
à  rompre  la  glace.  A  en  croin»  le  rapport  de  YorUe  (1),  le 
Français  aurait  aflirmé  que  »  le  seul  moyen  d'arriver  à  la 
paix  serait  |_ur  leurs  deux  souverains  de  terminer  leur 
«pierelle,  sans  pour  cela  abandonner  leurs  alliés.  (Vest 
aussi,  aurait-il  ajouté,  le  meilleur  moyen  d'éviter  la  média- 
tion de  rKspagne  (pie  je  su[)[»os«'  avoir  été  proposée  par 
M.  d'Abreu.  »  D'après  Alfry,  jatnais  Yorke  ne  s'était  montré 
«  aussi  prévenant  et  aussi  poli  ».  Serait-ce  le  motif  qui  fait 
panser  k  l'ambassadeur  français  «  qu'on  veut  nous  tendre 
un  piège  et  nons  faire  nue  tracasserie  avec  l'Kspagne  dont 
on  redoute  plus  que  jamais  la  médiation?  »  Il  va  sans  dire 
(jue  les  deux  interlocuteurs  relatèrent  ce  qui  venait  de 
se  passer  iV  leurs  chefs  de  service,  ba  réponse  de  Choi- 
seul  [i]  fut  la  première  qui  parvint  A  La  Haye;  !e  ministre 
des  atl'aires  étrangères  justitiait  la  distinction  qu'il  voulait 
établir  entre  la  guerre  confineutale  et  le  conflit  maiitime; 
pour  mettre  tin  à  ce  dernier,  la  France  avait  accepté  l'arbi- 
trage de  l'Kspagne;  «  Sa  Majesté  s'en  est  rapportée  abso- 
lument A  Sa  Majesté  Catholicpie  sur  les  conditions  de  la 
paix  de  mer  ot  sur  la  décision  des  contestations  de  l'Amé- 
ricjue.  »  Cependant,  elle  adopterait  tout  autre  procédé  de 
négociation  i\m  pourrait  convenir  à  l'Angleterre,  sous  la 
seule  réserve  de  tenir  l'Kspagne  au  courant  des  pourpar- 


(1)  Yorkc  i\  noltloni'sse  et  Aflfiy  i\  Clioiseiil,  15  ftWrior  17C0.  llotoid  Oflice 
AtVaircs  Éliaii^èros. 

(2)  Choisoul  à  AHïy,   îi  ft'vru'r  1700.  AtVaiics  Klranj^iMos.  Hollande. 


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CONVKUSATIONS  0  Al'I-UY  AVKC  YOKKK  ET  IIKU-KN. 


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liM's.  Peu  (l<^  Icinps  iiprt's  la  réception  de  cette  dépêche.  Al- 
iVy  eut  avec  llellcii  ^l"),et  à  la  requête  de  celui-ci,  une 
entrevue  au  cours  de  la(|uelle  l'envoyé  prussien  lui  dicta 
ces  mots  :  «  M.  de  Mellen  comnie  particidier  a  dit  (piil 
croyait  pouvoir  assurer  M.  le  comte  dAH'ry  que,  si  la  France 
veut  faire  des  propositions  il  rAni;letcrre  où  S.  M.  I*rus- 
sienne  soit  comprise,  ou  serait  prêt  k  écouter  ces  pror)osi- 
tions.  »  Le  lendemain  eut  lieu  un  long  entrelien  entre  Allry 
et  Yorkc  {2)  ilans  la  voiture  de  celui-ci,  sur  la  route  de 
llyswick;  le  Krnn(;ais  commença  par  lui  lire  la  lettre  de 
(-hoiseul;  puis  on  causa  de  la  séparation  des  deux  querel- 
les, de  rinicrvention  espagnole,  sur  les  phases  de  laquelle 
Yorke  n'était  pas  renseigné,  enlin  des  liens  de  rallifuice 
autrichienne  qui  entravaient  la  liberté  d'action  ur  '•< 
Krance,  Cette  l'ois,  les  discours  de  ses  collègues  anglais  et 
prussien  avaient  convaincu  All'ry  de  la  sincérité  des  senti- 
ments paciii({ues  de  leurs  gouvernements  :  «  Tout  com- 
biné me  persuade  ([ue  le  roi  d'Angleterre  désire  vivement 
la  paix  et  (]ue  le  roi  de  Prusse  en  a  le  plus  grand  besoin  ». 
be  diagnostic  était  parfaitement  exact. 

Il  est  pres»|U(>  superllu  de  le  rappeler,  l'idée  d'un  traité 
de  paix  distinct  entre  la  Krance  et  rAiiglelerre  était  un 
souci  continuel  pour  la  cour  de  Vienne,  be  seul  moyeu  d'a- 
paiser les  spupc'ons  toujours  en  éveil  de  l'bnpératrice- 
Ueine  et  de  son  chancelier  était  de  leur  communi<pu>r 
tout  ce  (pli  avait  trait  jV  la  (piestion.  Pour  obéir  à  c<'lte 
règle,  le  comte  de  C.hoiseul  avait  mis  sous  les  yeux  de 
Kaunity.  [W)  les  conditions  préliminaires  préparées  par  la 
Friince  pour  son  médiateur,  Sa  Majesté  Catholiipu'.  Kaunitz 
n'avait  pas  dissinudé  sou  |)eu  de  goût  pom*  un  document  de? 
cette  nature  :  «  Savez-vous,  avait-il  dit  îi  landiassadeur, 
ce  qui  m'en  déplaît  le  plus?  C'est  l'article  1 1  et  le  t(m  (pii 


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(1)  Affry  A  Clioiscul,  i   mars  iTCiO.  Afl'airi's  Klrangi'iTs. 

(2)  Yorke  h  Nr.vcasUi',  i  mais  1700.    Iti'iord  Ot'lict'.  llollandc. 

1,3)  Conilc  de  Cboiseiil  au  Duc,  26  janvier  17(10.  AlTaiios  Kliaiincres. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  ClIAP.   I.\. 


règne  dans  tout  cet  écrit;  il  semble  que  vous  vouliez  faire 
entendre  aux  Anglais  qu'après  votre  réconciliation,  vous 
vous  unirez  avec  eux  pour  faire  la  loi  à  vos  alliés  respec- 
tifs et  les  forcer  à  la  paix.  »  C'était  bien  en  effet  la  pensée 
du  ministre  de  Louis  W,  mais  elle  n'était  guère  avoua- 
ble. En  vain,  le  comte  de  Choiseul  chercha-t-il  à  atté- 
nuer l'importance  du  malencontreux  article  qu'il  regar- 
dait «  comme  un  compliment  que  nous  faisons  au  genre 
humain  »  ;  en  vain  renouvela-t-il  ses  elforts  auprès  de 
Marie-Thérèse.  Il  est  obligé  de  reconnaître  qu'il  a  parlé 
«  sans  avoir  rien  gagné  sur  son  esprit  et  sans  que  n^^s 
malheurs,  dont  je  la  crois  véritablement  touchée,  Iv 
fassent  abandonner  une  ligne  de  ses  prétentions.  »  Et 
cependant  l'ambassadeur  avait  bien  précisé  les  positions 
de  chacun  des  souverains  :  «  Le  Roi,  avait-il  dit,  est  en 
perte  d'une  partie  de  ses  colonies  et  celles  qui  lui  restent 
sont  en  grand  danger.  Votre  Majesté,  au  contraire,  ne 
craint  rien  pour  ses  possessions;  elle  joue,  comme  on 
dit,  sur  le  velours,  et  tout  le  risque  qu'elle  court  est 
de  gagner  plus  ou  moins.  » 

Le  résultat  de  cet  échange  de  vues  fut  l'envoi  à  Versail- 
les d'un  mémoire  rédigé  par  Kaunitz  (1),  sous  le  titre  de 
«  Réflexions  impartiales  sur  l'état  des  circonstances  présen- 
tes ».  Le  chancelier  y  développe  sa  thèse  favorite  de  la 
nécessité  de  poursuivre  l'abaissement  de  la  Prusse  et  dé- 
montre, à  sa  satisfaction,  la  menace  que  constituait  pour  la 
France  l'agrandissement  du  pouvoir  de  Frédéric  ;  il  ne  dis- 
simule pas  son  désir  de  faire  échouer  le  congrès.  Pour  Its 
négociations  auxquelles  on  ne  pouvait  se  dérober,  il  envi- 
sage deux  solutions  :  <(  Ou  le  refus  absolu  de  traiter  sé- 
parément et  autrement  que  de  la  paix  générale,  ou  bien 
un  contre-projet  de  préliminaires  et  le  consentement  de 
l'Angleterre  à  traiter  séparément  de  sa  paix  particulière 

(1)  Mémoire  de  Kaunitz  adressé  à  Clioiseul,  30  janvier  1760.  Archives  de 
Vienne. 


•V-îsi-i_ 


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MEMOIRE  Dli  KaUMTZ  SUR  LA  SITUATION. 


507 


avec  la  Franco,  mais  sous  la  rôserve  sine  (pin  non  du  main- 
tien du  roi  de  Prusse.  »  bans  la  première  hypothèse,  il 
conviendrait  de  traîner  les  ail'aires  en  longueur.  «  Dans  la 
seconde,  le  Roy  Très  Chrétien  doit  naturellement  être  en- 
gagé pour  la  considération  de  son  propre  intérêt  et  la  na- 
ture de  ses  engagements  avec  ses  alliés  à  se  refuser  pure- 
ment et  simplement  à  la  proposition  de  l'Angleterre...  Et 
enfin  s'il  arrivait,  ce  qui  néanmoins  n'est  nullement  vrai- 
semblable, que  l'Angleterre  se  prêtAt  à  conclure  purement 
et  simplement  avec  la  France  sur  le  pied  du  projet  d'arti- 
cles préliminaires  actuellement  entre  les  mains  du  Roy 
Catholique  »,  on  demanderait  au  Roi  Très  Chrétien  «  qu'il 
contribuât  par  la  voie  des  négociations  à  leur  (à  ses  alliés) 
faire  gagner  du  temps  au  congrès,  et  que  sous  main  en 
même  temps  par  tous  les  moyens  qui  pourront  dépendre 
de  lui,  il  contribuAt  à  les  mettre  en  état  de  pouvoir  soute- 
nir et  pousser  la  guerre  avec  la  plus  grande  vigueur.  » 

Il  fallut  donner  satisfaction  aux  exigences  de  la  cour 
de  Vienne  en  faisant  disparaître  des  conditions  prélimi- 
naires l'article  incriminé,  d'après  lequel  l'Angleterre 
resterait  libre  de  continuer  ses  subsides  au  roi  de  Prusse, 
concession  dont  Kaunitz  avait  signalé  la  contradiction  avec 
les  dispositions  du  dernier  traité  d'alliance  entre  la  France 
et  l'Autriche.  «  Le  Roi,  écrivait  Choiseul  (1),  en  voulant  évi- 
ter tout  ce  qui  pourrait  occasionner  le  plus  léger  soupçon 
contre  l'uniformité  de  ses  sentiments  et  ceux  de  l'Impéra- 
trice-Reine,  promet  à  Sa  Majesté  Impériale  de  retrancher 
l'article  11.  »  On  ajoutait  que  «  le?  engagements  de  Sa 
Majesté  avec  Sa  Majesté  Impériale  ne  seraient  point  affai- 
blis par  la  cessation  des  hostilités  contre  l'Angleterre  »  ; 
on  laissait  même  espérer  que  l'on  entrerait  «  dans  la 
voie  d'augmentation  des  subsides  »  qui  seraient  portés 
à    quinze    millions   (2)  de    livres   par  an,   dont    huit    à 

(1)  Réponse  à  la  noie  du  30  janvier,  ir»  février  1760.  Affaires  Ktrangùres. 

(2)  Duc  de  Choiseul  au  Comte,  15  février  17Co.  Affaires  Ktran^ères. 


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508 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAI».  I.\. 


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titre  de  subvention  annuelle  et  sept  à  compte  sui*  l'améré. 

Kvi  présence  d'un  allié  aussi  chatouilleux,  il  était  bon 
de  surveiller  de  près  son  jeu;  Choiseul  dut  se  le  dire  à 
propos  de  la  correspondance  d'All'ry.  Dans  un  esprit  de 
loyauté  qui  dans  la  circonstance  ne  manquait  pas  d'habi- 
leté, le  ministre  de  Louis  XV  avait  lait  mettre  sous  les  yeux 
du  chancelier  les  lettres  dej  La  Haye  et  les  répliques  du 
département.  En  ell'et  Kaunitz  se  montra  très  content  de  la 
communication,  mais  il  ne  put  s'empêcher  (1)  de  suspecter 
la  prose  et  encore  plus  les  agissements  d'AlTry  vis-à-vis  de 
ses  collègues  anglais  et  prussien  :  «  La  manière  dont  cette 
conversation  s'est  engagée  avait  quelque  chose  de  roma- 
nesque qui  n'avait  pas  bon  air.  » 

Du  côté  de  l'Espagne,  ou  ne  se  heurta  pas  à  des  dif- 
ficultés du  même  genre.  Quand  Choiseul  fit  soumettre  à 
Madrid  son  projet  de  réponse  à  la  déclaration  de  La  Haye, 
le  paragraphe  relatif  à  la  médiation  souleva  chez  Wall 
des  objections  qu'il  fit  appuyer  par  son  maitre.  H  y  eut 
à  ce  sujet  un  entretien  (a^i  entre  Ossun  et  le  ministre  :  «  Ce 
dernier  demanda,  au  nom  de  Sa  iMajesté  Catholique,  la 
suppression  du  paragraphe  où  il  était  question  de  la  mé- 
diation espagnole  et  des  obstacles  qu'elle  rencontrait  de  la 
part  du  cabinet  de  Saint-James;  »  il  affirma  la  sincérité 
des  motifs  qui  avaient  inspiré  la  démarche  de  l'Angleterre  ; 
celle-ci,  très  inquièle  du  sort  du  roi  de  Prusse,  ferait  de 
grands  sacrifices  pour  le  sauver.  Comme  Ossun  exprimait 
ses  doutes  sur  le  désintéressement  britannique  et  citait  le 
langage  de  Yorke  rapporté  par  Alt'ry  comme  indiquant 
«  assez  clairement  que  les  Anglais  abandonneraient  le  roi 
de  Prusse  »,  Wall  de  répliquer  :  «  Oh!  dès  le  moment  que 
vous  pensez  ainsi,  je  n'ai  plus  rien  à  vous  dire.  »  Du  mi- 
nistre, Ossun  en  appela  au  roi   Carlos,  qu'il  trouva  du 


(1)  Comte  (le  Choiseul  au  Duc,  '2i  mars  1760.  Aflaires  Etrangères. 

(2)  Ossun  à  Choiseul,  5  mars  1760.  Afl^ires  Étrangères. 


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ENTRETIEN  D'OSSLN  AVEC  WALL  ET  AVEC  CARLOS. 


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même  avis,  quoique  plein  de  sympathie  pour  la  cause 
française.  «  Nos  intérêts  sont  intimement  lies;  les  Anglais 
me  croient  partial  ;  ils  ont  raison  dans  le  fond,  mais  ils  ont 
tort  dans  la  forme,  puisque  je  ne  leur  ai  pas  encore  donné 
yujet  de  le  présumer.  »  Ossun  défendit  le  passage  incriminé 
du  texte  de  Choiseul  et  finit  par  déterminer  le  Roi  à  s'en 
rapporter  à  la  décision  de  son  cousin  Louis  XV.  Vers  la  fin 
de  l'audience,  la  reine  qui  était,  ne  l'oublions  pas,  prin- 
cesse de  Saxe  et  sœur  de  la  dauphine,  entra  chez  le  Hoi 
et  se  mêla  à  la  conversation.  On  parla  de  presser  le  départ 
de  Fuentes,  désigné  pour  remplacer  Abreu  à  Londres,  et 
de  le  charger  d'obtenir  de  la  cour  de  Saint-James  une  ré- 
ponse catégorique  sur  l'article  de  la  médiation.  Puis  on 
en  vint  aux  procédés  de  la  marine  anglaise  et  aux  plaintes 
de  TEspagne;  Carlos  tint  un  propos  suggestif  :  «  Les  an- 
ciens griefs  qui  ont  eu  lieu  sous  le  règne  du  roi  mon  frère 
peuvent  se  tolérer  et  se  dissimuler,  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  de  ceux  qui  se  passeront  sous  mon  règne.  »  Wall, 
qui  avait  déjà  écrit  à  Paris  (1)  pour  demander  qu'il  ne  fi\t 
pas  fait  mention  de  l'intervention  de  sa  cour,  fut  obligé 
d'ajouter  au  courrier  un  second  billet  contenant  les  ins- 
tructions rectifiées. 

Comme  on  aurait  pu  le  deviner,  (Choiseul,  dont  la  tac- 
tique consistait  à  compromettre  le  plus  possible  la  monar- 
chie espagnole,  profita  de  la  latitude  qu'on  lui  laissait 
pour  faire  maintenir  par  le  Conseil  du  Roi  {'2)  le  paragraphe 
critiqué,  sous  prétexte  que  les  cours  alliées  en  avaient  déjà 
connaissance,  et  que  sa  disparition  ferait  le  plus  mauvais 
elfet.  Le  gouvernement  français  avait  également  consulté 
Sa  Majesté  Catholique  sur  la  suite  à  donner  aux  ouver- 
tures de  Yorke  et  sur  la  manière  do  conduire  l'alfaire. 
Sur  ce  point,  le  Roi  et  Wall  (3)  furent  d'accord  pour  en- 


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(1)  Wall  à  Massones,  3  et  !>  mars  17(10  (Copies).  Affaires  Élranfît-re? 

(2)  Ciioiseul  à  Ossun,  19  mars  1760.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Ossun  à  Choiseul,  21  mars  17C0.  Affaires  Étrangères. 


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LA  GUKURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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courapcr  Choiscul  h  continuer  des  essais  de  rapprochement 
dont  ils  ne  seraient  aucunement  jaloux.  Wall,  qui  venait 
de  recevoir  communication  des  conditions  préliminaires 
de  la  paix  maritime  rédigées  à  Paris  et  revisées  comme  on 
l'a  vu  à  Vienne,  s'oii'rit  même  à  les  faire  remettre  à  Pitt 
par  l'intermédiaire  du  Napolitain  San  Severino  décidé- 
ment mieux  en  cour  que  son  collègue  Abreu ,  mais  le  roi 
Carlos  estima  que  «  les  procédés  de  l'Ang-leterre  étaient 
trop  désobligeants  »  pour  autoriser  pareille  démarche. 

Fermons  cette  parenthèse  nécessaire  et  revenons  à  nos 
négociateurs  de  La  Haye.  Peu  de  jours  après  l'entrevue  sur 
la  route  de  Uyswick,  il  en  parut  un  nouveau  sous  la  forme 
inattendue  de  l'aventurier  Saint-Germain.  Ce  personnage 
avait  débarqué  à  La  Haye  où  il  avait  reçu  le  meilleur  ac- 
cueil; il  rendit  visite  à  Yorke  et  eut  avec  ce  diplomate  un 
long  entretien  (1)  dont  le  résultai  fut  d'embrouiller  des 
pourparlers  déjà  fort  délicats.  Saint-Germain  débuta  par 
des  généralités  sur  le  désir  de  la  paix  qui  se  manifestait 
en  France,  sur  ses  sympathies  pour  l'Angleterre  et  la 
l^russe  et  son  espoir  de  contril)uer  à  l'entente  avec  ces 
puissances,  puis  il  produisit  en  guise  de  pouvoirs  deux  let- 
tres de  Belleisle  du  mois  de  février  et  un  passeport  en 
blanc  que  le  maréchal  lui  avait  expédié.  Interrogé  sur  le 
but  do  la  mission  que  semblaient  indiquer  ces  pièces, 
Saint-Germain  décrivit  ce  qui  était,  d'après  lui,  l'état  des 
esprits  :  «  Le  Roi,  le  dauphin.  M™"  de  Pompadour,  toute 
la  cour  et  la  nation,  à  l'exception  du  duc  de  Choiscul  et 
de  M.  lierryer,  étaient  en  faveur  de  la  paix  avec  l'Angle- 
terre. Ils  ne  peuvent  pas  faire  autrement,  car  la  situation 
intérieure  l'exige  ;  ils  désirent  connaître  les  sentiments 
réels  de  l'Angleterre  avec  laquelle  ils  seraient  heureux  de 
se  réconcilier  dans  des  conditions  qui  sauvegarderaient 
l'honneur.  M.  d'Alfry  n'est  pas  dans  le  secret  et  le  duc  de 
Choiscul  est  si  autrichien  qu'il  ne  raconte  pas  tous  les  avis 

(1)  Yorlte  à  Hoidernesso,  14  mars  17G0.  Record  Oflice. 


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SAINT-GERMAIN  SE  MI.LE  A  LA  NÉGOCIATION  DE  LA  HAYE.      .Ml 


qu'il  l'cçoit;  mais  cela  n'a  pas  d'iiuportanco,  car  il  sera 
disgracié.  M'""  de  Pompadour  n'est  pas  autrichienne,  mais 

n'est  pas  encore  sûre elle  le  deviendra  si  la  paix  est 

assurée.  C'est  elle  et  le  maréchal  Belloisie  qui  avec  la  con- 
naissance du  roi  de  France  ont  envoyé  lui,  Saint-(Jer- 
main,  en  enfant  perdu.  On  n'a  aucune  confiance  dans  l'Fs- 
pagne.  »  YorUe  laissa  causer  son  v'siteur  et  se  contenta  de 
lui  confirmer  les  intentions  pacifiques  du  roi  George  et  sa 
résolution  ferme  de  ne  pas  se  séparer  de  la  Prusse.  Dans 
le  feu  de  la  conversation,  Saint-Germain,  à  une  question 
de  son  interlocuteur  sur  les  pertes  coloniales  qui  étaient 
les  plus  sensibles  à  la  France,  fit  des  réponses  singu- 
lières. i<  Était-ce  le  Canada?  Non,  ce  pays  leur  avait  coûté 
36  millions  sans  rien  rapporter.  La  Guadeloupe?  Jamais 
on  ne  renoncerait  à  la  paix  pour  cette  ile;  on  avait  bien 
assez  de  sucre  sans  elle.  Les  Indes  orientales?  Voilà  le 
point  sensible,  car  cette  possession  était  liée  à  toute  leur 
finance.  Que  dites-vous  de  Dunkerque?  On  ne  ferait  au- 
cune difficulté  d'en  détruire  les  fortifications;  je  pouvais 
compter  là-dessus.  »  Saint-Germain  à  son  tour  voulut  in- 
terroger sur  iMinorque,  et  Yorke,  en  diplomate  avisé,  de 
lui  répliquer  :  «  Nous  l'avons  oubliée  ou  tout  au  moins 
personne  n'en  parle.  »  <(  Je  le  lear  ai  dit  bien  des  fois, 
s'écrie  Saint-Germain,  ils  sont  embarrassés  de  la  dépense 
de  l'île.  » 

Tout  en  faisant  des  réserves  sur  le  caractère  du  mes- 
sager, Yorke  crut  à  l'authenticité  du  message.  Lui  et  le 
cabinet  anglais,  sur  son  rappon,  attachèrent  une  impor- 
tance exagérée  aux  appréciations  de  Saint-Germain  sur 
le  compte  de  Choiseul,  qu'on  se  figura  (1)  comme  inféodé 
à  la  c.oiw  de  Vienne  et  hostile  à  toute  idée  de  paix.  In- 
fluences par  cette  conviction,  les  ministres  anglais  et  Fré- 


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(1)  Newcastle  à  Yorke,  25  mars  17G0.  Yorke  à  Ilolderne;  je,  28  mars  1700. 
Newcaslle  Papers,  32904. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAIV  IX. 


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déric  lui-même  prirent  au  sérieux  le  plénipotentiaire  ama- 
teur et  voulurent  lui  réserver  un  rôle  dans  la  suite  des 
pourparlers.  Choiseul,  mis  au  courant  des  inti'iguesdeSaint- 
(iermain  par  une  lettre  que  ce  dernier  avait  adressée  à 
M""  de  Pompadour,  se  montra  à  bon  droit  furieux  de  l'in- 
cursion faite  si  mal  à  propos  sur  son  domaine  :  «  C'est 
un  aventurier  du  premier  ordre,  écrit-il  à  Affry  (1),  qui, 
de  plus,  par  ce  que  j'en  ai  vu,  est  fort  hôte...  Vous  avez 
ordre  de  le  prévenir  que  si  j'apprends  que  de  près  ou 
de  loin,  en  petit  ou  en  grand,  il  s'avise  de  se  mô]3r  de 
politique,  jo  l'assure  que  j'obtiendrai  l'ordre  du  Roi 
pour  qu'à  sa  rentrée  en  France  il  soit  mis  le  reste  de  ses 
jours  dans  im  cul  de  basse-fosse.  »  Une  demande  d'ex- 
tradition qui  intervint  trois  semaines  plus  tard  fit  dispa- 
raître le  négociateur  improvisé  et  mit  fin  à  la  mission 
qu'il  s'était  attribuée.  Saint-Germain  fut  obligé  de  quitter 
la  Hollande  et  de  se  réfugier  en  Angleterre ,  puis  en  Al- 
lemagne. 

Nous  avons  relaté  plus  haut  les  conférences  qu'Ati'ry 
avait  eues  au  commencement  de  mars  avec  Ilellen  et  Yorke  ; 
elles  furent  suivies  d'un  rendez-vous  qu' Affry  donna  à 
celui-ci  (2),  cette  fois  dans  le  bois  de  La  Haye.  Il  lui  fit 
part  des  dernières  instructions  venues  de  Paris  :  Choiseul 
avait  reconnu  qu'il  était  impossible  d'exclure  du  traité  de 
paix  le  roi  George  en  sa  capacité  d'Électeur,  et  ses  alliés 
le  duc  de  Brunswick  et  le  landgrave  de  Hesse  Cassel.  Quant 
au  roi  de  Prusse,  le  cabinet  de  Versailles  serait  très  heu- 
reux, une  fois  l'arrangement  avec  l'Angleterre  conclu,  de 
travailler  à  un  accord  entre  ce  prince  et  l'Impératrice,  mais 
n'étant  pas  en  guerre  avec  lui,  il  n'était  guère  possible  de  le 
comprendre  dans  le  traité  spécial  avec  l'Angleterre.  Yorke 
répéta  au  Français  ce  qu'il  lui  avait  déjà  dit ,  que  l'Anglc- 


(1)  ClioisiHil  à  All'ry,  19  mars  1760.  Affaires  Étrangères,  Hollande. 

(2)  Yorke  à  Holilernesse,  21  mars  1760.  Record  Office,  Hollande. 


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L'AN{;Li:Ti:imE  iNsisrii  suu  la  i'auticii'ation  dk  la  puisse,  r.is 

terre  iio  tniitcrait  [)as  .sans  ses  alliés  et  spéciulenient  sans 
le  roi  (le  l*russc;  il  alfirma  à  nouveau  le  désir  sincère  de 
sa  cour  de  l'établir  la  paix  et  dé[)lora  (jue  celle  de  France 
ne  voulût  pas  s'exi)li(]uer  d'une  façon  plus  claire  sur  les 
moyens  d'obtenir  la   pacilicalion.  générale;  il  ne  voyait 
d'ailleurs  aucune  objection  à  mettre  le  roi  d'Kspag-ne  au 
courant  des  détails  de  la  négociation.  Là-dessus,  All'ry  lut 
un  extrait  d'une  lettre  de  Choiseul,  où  celui-ci  parlait  de 
l'envoi  à  Londres  d'une  personne  de  confiance  «pii  serait 
accréditée  auprès  des  ministres  britanniijues  et  chargée  de 
débattre  avec  eux  les  affaires  d'Amérique  en  vue  dune  en- 
tente satisfaisante  pour  les  deux  parties.  Il  s'agissait  de  sa- 
voir, par  l'intermédiaire  de  Vorke,  si  l'idée  dn  la  mission 
serait  agj'éée  en  haut  lieu;  dans  l'allirniative,  l'agent  se- 
cret pourrait  accompagner  Fuenlès,  le  nouvel  ambassa- 
deur espagnol,  qui  allait  se  rendre  incessanunent  à  Lon- 
dres. Pour  ces  délicates  fonctions,  Choiseul  avait  jeté  les 
yeux  su'l  un  de  ses  amis  nommé  O'Dunn,  ne  il  est  vrai  sujet 
britannique,  mais  qui  n'avait  été  mêlé  à  aucun  complot 
contre    le  roi  d'Angleterre.  Toute   celte   communication 
n'était  pas  ministérielle  et  était  supposée  émaner  de  l'ini- 
tiative propre  d'All'ry.  La  réponse   de    Vorke  fut  sur  le 
même  ton,  mais  il  prit  soin  d'informer  son  collègue  Inin- 
çais  que  O'Dunn  ou  Dunn,  pour  lui  restituer  son  vrai  nom. 
passait  pour  être  à  Paris  l'agent  du  Prétendant  et  ne  sau- 
rait être  accepté  par  les  ministres  du  roi  George.  Yorke 
résume  son  récit  en  disant  qu'  «>  AH'ry  avait  avoué  assez 
franchement  que  son  gouvernement  était  très  endjarrassé 
sur  la  conduite  à  tenir  pour  sortir  de  la  situation  où  il  se 
trouvait.  » 

Le  rapport  de  Yorke  se  croisa  avec  une  dépêche  de  llol- 
derncsse  (1)  contcûant  les  instructions  précises  que  le 
cabinet  de  Saint-James  se  décidait  enfin  à  donner  à  son 


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(1)  Iloldeinesso  à  YoiKp,  :>1  mais  ITGO.  Rccoid  Office,  Ilollaiid. 
iiiEnni:  de  mcpt  ans.  —  t.  m.  .33 


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LA  (lUKHHK  l»K  SKl'T  ANS.         CIIAI».  I\. 


repiTsentunt  :  «  1/Anylcterre  était  prête  à  s'ouvrir  sur  les 
conditions  de  la  paix,  si  la  France  voulait  désigner  un  né- 
gociateur avec  pouvoirs  nécessaires,  sous  la  réserve  cons- 
tante (ju'il  serait  expliqué  et  entendu,  au  cas  où  les  deux 
couronnes  se  mettraient  d'accord  sur  les  clauses  de  leur 
paix,  que  la  cour  de  France  accueillerait,  d'une  l'acon  for- 
melle et  confidentielle,  la  participation  à,  raccommode- 
ment à  l'aire  des  alliés  de  Sa  Majesté  et  nommément  du 
loi  de  iMusse.  Inutile  d'ajouter  (jue  rAngleterre  ne  vou- 
(li'ait  même  pas  écouter  des  pourparlers  pacifiques  dans 
les(]uels  Sa  iMajesté  ne  sernil  pas  comprise  à  son  titre  d'É- 
lecteur. »  Celte  instruction  avait  été  rédigée  de  concert 
avec  les  ministres  prussiens  et  t\  la  suite  d'une  note  (1)  oiî 
«  ils  déclaraient  au  nom  de  leur  maître  consentir  à  une 
négociation  séparée  entre  le  roi  d'Angleterre  et  la  cour 
de  France  îl  la  condition  que  le  roi  leur  maître  serait  com- 
j)ris  dans  la  paix  distincte  à  conclure  avec  la  France.  Toute 
autr<!  solution  serait  considérée  comme  une  contravention 
au  traité  existant  entre  Sa  iMajesté  et  le  roi  de  Prusse.  Ils 
sont  fermement  persuadés,  d'après  le  langage  tenu  par 
M.  d'Aiïry  à  M.  de  Ilellen,  et  en  particulier  d'après  l'expres- 
sion :  «  Vous  y  trouverez  votre  compte  »,  que  la  cour  de 
France  l'entend  ainsi,  et  ils  proposent  que  M.  Yorkc  soit 
autorisé  à  continuer  les  pourparlers  avec  M.  d'Affry  de  la 
manière  qu'on  jugera  être  la  plus  convenable.  Bien  en- 
tendu que  la  base  de  toutes  ces  démarclu^s  sera  toujours 
fondée  sur  ce  principe,  que  le  roi  de  Prusse  doit  être  com- 
pris dans  la  négociation  dont  il  est  question.  » 

Dans  une  lettre  subséquente,  écrite  après  réception 
des  derniers  avis  de  La  Haye  (2),  Iloldernesse  prenait  acte 
de  la  concession  faite  au  sujet  de  l'Électorat  et  des  alliés 
allemands  du  roi  George,  acceptait  la  mission  secrète  à 


(1)  Noie  remise  par  Knyphausen,  13  mars  1760.  Newcasile  Papers,  Jf.iOOS. 

(2)  Holdernesse  à  Yorke,  28  mars  1700.  Record  Oftice.  Ilolland. 


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HlKDKmc  PllKNI)  PAKT  A  LA  NKdOCIATIO.M. 


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Lontlrcs,  affirmai!  A  nouveau  que  le  monarque  an^l-iis  ne 
consentirait  i\  aucun  airan,i;emenl  au(|ucl  le  mi  do  l'i'usse 
ne  participerait   pas,  et   répétait,  à  cet  ell'et  <'t  dans  les 
uiémes  termes,  les  réserves  déjà  l'oruuilées.  I,c  contenu 
d'un   billet  particulier  qui  accompagna  la  dépêche  offi- 
cielle nous  apprend  (jue  la  cour  de  Londres  se  défiait  de 
Choiseul,  qu'elle  le   soupçonnait   de  travailler  contre  la 
paix  en  désignant  pour  le  voyage  de  Londres  un  person- 
nage inacceptable  et  en  dillérant  son  départ  sous  prétexte 
d'attendre  celui  de  Kuentès.  Si  le  ministre  de  Louis  XV 
avait  autorisé  les  déclarations  conciliantes  d'All'ry,  c'est 
qu'il  n'avait  dû  céder  au  courant  pacilicpie  et  (pi'il  tenait 
avant  tout  à  avoir  voix  au  chapitre,  soit  pour  diriger,  soit 
pour  entraver  la  négociation.  Toutefois,  malgré  la  mau- 
vaise opinion  qu'il  avait  des  sentiments  réels  de  (îlioiscnl, 
le  Roi  ne  voulait  pas  décourager  les  ouveiturcs  faites  par 
Ail'ry   et   accueillerait   volontiers   tout   envoyé    français, 
pourvu  que  ce  ne  fût  [)iis  un  de  ses  sujets  et  surtout  M.  Ihuin 
«  qui  serait  absolument  impropre  à  une  besogne  de  ce 
genre  et  très  mal  vu  à  la  cour.  » 

Dans  les  conversalions  de  La  Haye,  le  cabinet  anglais  et 
son  représentant  Yorke  avaient  eu  et  eurent  jusqu'A  la  fin 
un  rôle  prépondérant.  Cependant  on  peut  s'imaginer,  d'a- 
pn'^s  ce  que  l'on  sait  de  l'esprit  remuant  de  Frédéric,  que  ce 
[)rince  n'était  pas  resté  étranger  A  une  campagne  dipl.)- 
mati([ue  dont  il  avait  été  le  promoteur  et  dont  sa  situation 
presque  désespérée  avait  été  la  cause  initiale.  Au  début, 
très  sincèrement  désireux  de  mettre  fin  à  la  guerre,  nous 
le  voyons  modilierson  attitude  selon  rim[)ression  du  mo- 
ment et  donner  à  ses  ministres  de  Londres  des  instruc- 
tions qui,  sans  être  absolument  contradictoires,  dill'èrent 
sensiblement  A  quelques  jours  de  distance.  Frédéric,  tout 
d'abord,  s'inquiète  du  silence  prolongé  des  belligérants  et 
s'émeut  des  bruits  qui  circulent  sur  leurs  intentions  et  qui 
lui  parviennent  de  toutes  les  capitales  d'Europe;  en  atten- 


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6M) 


LA  (U;EU«E  de  sept  ans.  —  CIIAP.  IX. 


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daiit  niioiix,  il  enjoint  à  Kiiypliiuisen  (1)  de  siiuvog-ardoi- 
ses  intérêts  en  cas  de  [jourpaiiers  et  à  Ilellcn  de  surveiller 
|ev  entrevues  (|ue  Yorke  doit  avoir  avec  AllVy.  Il  étudie 
les  conditions  de  lu  [laix  (2),  découvre  pour  l'Autriclie  une 
compensation  en  Haviérc  en  échange  de  la  Silésie,  croit 
yagiier  les  houues  grAces  de  la  Uussic  en  ollVant  au  roi  de 
Pologne,  en  guise  de  dédoniuiageiuent,  la  ville  et  le  terri- 
toire d'Krfurt  <[ui  appartenaient  à  IKlecteur  de  Maycnce, 
car  de  son  propres  domaine  il  ne  consent  pas  à  céder  un 
pouce. 

In  peu  plus  tard,  il  lait  l'inventaire  (3)  de  ses  ressources 
et  le  calcul  des  cU'ectils  ennemis  au.\(|uels  il  aura  à  tenir 
tète.  Cet  e.xamen  l'aniéne  à  se  prononcer  pour  un  arran- 
gement avec  la  France  :  les  cours  de  Vienne  et  de  Péters- 
hourg  «  se  roidissent  orgueilleusement  contre  toute  p 
lication  et  déclinent  le  congrès;  elles  nous  tracent  [ti 
le  chemin  que  nous  devons  suivre  et  nous  indiquent  que 

c'est  au.v  Français  que  nous  devons  nous  attacher Lîi 

résolution  prise  par  les  ministres  anglais,  d'ordonner  au 
général  Yorke  de  s'expli(|iicr  dune  façon  certaine  avec  le 
comte  d'Ad'ry,  est  très  sensée  et  bien  pensée,  pour  enten- 
dre au  moins  ce  que  ces  gens  diront,  »  Mais  l'aflaire  ne 
marche  pas  assez  vite  au  gré  de  l'impatient  monarque  : 
((  l.es  Anglais  {k)  biaisent  avec  leur  négociation,  de  sorte 
que,  quoique  la  France  marque  assez  d'inclination  à  l'aire 
la  paix,  elle  ne  trouvera  personne  pour  l'écouter,  »  Il  se 
décide  à  prendre  la  direction  de  l'ailaire;  déjà  il  avait  or- 
donné à  Uellen  de  se  mettre  en  rapports  avec  Alfry,  mais 


(1)  l'n'déiic  à  Knypliauscn,  12  et  l'i  janvier  17G0.  Cdnesjiondancc  poli- 
t'nimu  MX. 

(2)  rieileric  à  Knyphau.sen,  20  et  23  janvier  17C0.  Correspondance  j)oli- 
tU/KC,  .XIX. 

(3)  rréiiérie,  à  Knyitiiausen,  i  février   17C0.   Correspondance  politique, 
XIX. 

(4)  Frédéric  à  Knypiiansen,  IG  lévrier  17G0.  Correspondance  politique, 
XIX. 


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MISSION  SEtniTK  D  i:i»K[,SIIEIM  A  VKUSAILI.ES. 


517 


cela  ne  lui  suffit  pas  et  il  va  s'adresser  A  Choiseul  avec  le- 
(jucl  il  ('.Uni  <léj)ï  en  commerce  épistolaire. 

Malgré  les  démêlés  célèbres  rjui  suivirent  le  dé[)art  do  "^\ 
Voltaire  de  l'olsdatn,  Frédéric  n'avait  cessé  de  corres- 
pondre avec  celui  ([u'il  considéi-ait  coninie  son  inalire  dans 
le  royaume  des  lettres;  il  le  consultait  sur  ses  poésies  et 
recevait  de  lui  des  épUres  où  des  allusions  aux  événements 
contcm[»orains  se  mêlaient  jV  la  criti(|ue  ou  à  reloue  «les 
œuvres  royales.  Kn  dernier  lieu  (1),  l'illustre  écrivain  (pii 
avait  toujours  ambitionné  un  rAle  diplomalicpic,  avait  servi 
d'intermédiaire,  de«  bureau  d'adresse  »  comme  il  le  disait, 
iV  un  éciian^e  <le  lettres  entre  (llioiseul  et  le  roi  de  Prusse. 
De  part  et  d'autre,  les  billets  avaient  pour  destinataire 
Voltaire,  mais  grAce  à  une  indiscrétion  tacitement  auto- 
risée, leur  contenu  ou  du  moins  de^  extraits  importants 
étaient  communiqués  aux  deux  intéressés.  A  en  juger  par 
les  spécimens  (pii  fif.;iirent  dans  une  publication  (2)  récente, 
les  élucubrations  du  ministre  et  du  Koi  ont  un  caractère 
trop  mar(pié  de  polémique  personnelle  pour  mériter  le 
titre  d'ouvertures  pacifiques.  Dans  ce  duel  épistolairc, 
c'est  à  qui  décocbera  A  son  adversaire  le  trait  le  plus 
envenimé.  Frédéric  affectait  de  ne  pas  prendre  Cboiseul 
au  sérieux,  et  celui-ci,  piqué  au  vif,  répliquait  (3)  par  des 
vantardises  :  «  Mandez-lui  que  malgré  nos  échecs  et  d'a- 
près les  siens,  le  Koi  pourra  perdre  pour  un  temps  .ses 
possessions  d'Amérique,  mais  qu'il  est  encore  le  nuiltre 
d'anéantir,  s'il  le  voulait,  la  puissance  prussienne.  »  Par- 
fois, la  réponse  ('i.)  était  injurieuse  :  «  Luc  (5)  sans  géné- 
raux, sans  vertus,  sans  conduite,  cédera  tôt  ou  tai'd  à  la 


\ 


(1)  Mémoires  doVoltaiie,  Œuvres  complètes  dr  Vollaiie,  vol.  LXX.  Paris, 
1789. 

(2)  CaliiiftUes,  Clinisenl  et  Voltaire,  Paris,  190:>. 

(3)  Clioiseul  à  Vollaiie,  20  décembre  1759.  Calinntles. 

(4)  Choiseul  à  Voltaire,  li  janvier  17fiO.  Oaliiiclti's. 

(5)  Nom  de  guerre  dont  se  servait  Voltaire  i)our  désigner  le  Roi. 


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LA  ClIKHIII';  l)K  SVA'Ï  ANS.         ClIAP.  IX 


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loqui'  l)énil<'(l)  et  quand  cola sora  fait,  (|ui  le  rol»*vera?.... 
Il  faut  <|Uo  liUc  soit  fol  i\  uu'llrc  auv  petites  maisons  de 
Vienne  s'il  ne  l'ail  |)as  l'inipos^^ihle  pour  engager  l'Angle- 
terre à  faire  la  paix  cet  hiver.   • 

A  côté  (ré|>igraiinnies  plus  ou  moins  spirituels,  les  billots 
iU\  C.lioiseul  coutenai(Mit,  il  faut,  le  reconnalli-e,  des  oltser- 
vatious  foi't  sensées  sur  le  désinléressenieut  de  la  Krance 
H  sou  désir  d»*  traiter  :  <(  Kntin,  mou  cher  solitaire  (2), 
nous  ne  voulons  point  d'avantages  pour  nous,  ci  nous  con- 
venons (pie  h>s  battus  doivent,  payer  l'anieude.  ,1e  doute 
(|ue  nos  ennemis  aient  des  principes  aussi  modérés;  s'ils 
etaicnl  de  bonne  foi,  ils  protiteraient  de  notre  volonté 
pacilicpie;  la  route  est  in<li(puHi;  je  suis  très  convaincu 
que  le  roi  do  l'russe  en  connaît  huite  l'étendue;  c'est  A  lui 
i'i  la  faire  siiivre  si  <dle  lui  conviiMit.  »  be  Ion  b('aucou[) 
plus  pondéré  du  ministre  IVancais  coïiu'idait  avec  nue 
démarche  cpie  Frédéric  s'était  décidé  A  faire  auprès  du 
cabinet  de  V(>rsailics  à  peu  piès  au  moment  de  la  lettre 
adressée  au  solitaire  de  Kerney. 

Kn  dehors  de  la  correspoiulance  (pi'il  entretenait  avec 
Voltaire,  le  Iloi  avait  occasion  de  se  renseigner  sur  l'état 
de  l'opinion  en  France  par  le  canal  de  la  duchesse  de 
Saxe-(iotha,  so>ur  de  la  ])rincesse  de  dalles.  Il  crut  le  mo- 
ment venu  d'euvoyer  un  émissaire  à  Paris  et  demanda 
A  la  duchesse  de  lui  i:uli(pier  un  i)ersonnage  d(>  couliauce. 
!,e  plan  fut  vite  con^bin;'  et  le  messager  choisi  en  la 
personne  du  baron  d'Fdj'lsheim,  attaché  i\  la  cour  d(Hiotha. 
(lonune  intermédiaire  aupi'ès  de  Louis  XV  et  de  son  minis- 
tre, Frédé'ric  s'adressa  au  bailli  dc^Froullay,  représeulant  île 
l'ordre  de  Malte  à  la  cour  de  V(>rsaillcs.a\ec  leipu^l  il  avait 
eu  des  relations  amicales;  dans  l'hypothèse  où  Froullay  m^ 
voudrait  pas  se  charger  de  la  couimissiou,  Kdelshcim  de- 

(II  Allusion  à  l'envoi  (J'inic  to(|uo  cl  (riiiic  t';i(''('  liénilcs  doiil  le  l'apo  Clé- 
lui'iil  XIII  iivaiL  l'ail  iloii  à  Daim  après  la  victoin-  tl  lloclikircli. 
(2)  Choiscul  il  Vollaiifl,  13  mars  iTc.o.  Culniellt's. 


KMIlKVtlK  DU  HAII.LI  I>K  IT.OI  LLAY  AVKC  (  lltMSKI't, 


.-.Ht 


vail  so  |)iTsonl(M'  à  C.lioistMil.  La  Ictli-c  <jiic  lo  Uoi  ««crivit  (1) 
iiii  bailli  (Hait  aussi  nrflc  dans  le  fond  <ju'liîil»il(>  dans  la 
forme  :  «  .l'on  viens  au  l'ail  sansantn^  paralouisino.  Ils'at;it 
donc  de  savoir  si  on  a  che/,  vous  le  désir  sincère  «le  i-éta- 
Idir  la  paix  (|u'on  vous  su|i|K)se;  et  en  ec  cas,  je  vous  pro- 
pose U)  moyen  le  plus  in\v,  \o  plus  (îrileaee,  et  le  plus  avan- 
lat;eu\  d'y  parvenii".  I^a  France  peut  se  tirer  en  lionnenr 
de  la  situation  l'Acheuse  où  elle  se  trouve,  si  elle  vent  une 
paix  séparée  av(H'  nous,  l'Anyleterre  et  nos  alliés.  Si  la 
Krauc(^  constMit  à  mainlenir  l'écpiililire  {\o  rAllema^ne  (>t 
à  obliger  ses  alliés  d'y  souscrire,  en  Taisant  caus«>  commune 
avec  l'Ani^leterrr,  «dh;  pourra  s'allendi-e  d'ohienir  des  «-on- 
ditious  heiiucoup  plus  favorables  «prelle  n'en  pourra  a  voir 
eu  tout  aulr(>  cas.  .le  vous  prie  d(>  savoir  si  ces  idées  pour'- 
l'oient  li'ouver  faveur  dans  le  pays  (»ù  vous  vivez,  et  ipielle 
est  la  façon  de  penser  du  Iloy  <'t  de  sou  ministèi-e.  l'our 
moy,  j(ï  fais  le  volontaire;  j(>  cours  faire  le  <'oii[)  de  pisto- 
let pou:' savoir  ce  (pii  en  résullei'a;  car  vous  cl  les  Auylois, 
vous  ave/,  envie  de  parler,  et  pci-sonne  ne  veut  cire  le  pre- 
mier. Kh  bien,  nuui  cber  chevalier,  soyons  les  entans  per- 
dus <1(^  la  polilitpie;  Iravaillons  j\  laconconbi  cl  voyous  s'il 
n'y  aiu'a  |)as  moyen  par  «pu'hpies  traits  de  plume,  de  ter- 
miner inu\  discorde  si  funeste  iV  toute  rKuro|)(>.  Ces  propo- 
sitions, A  la  vérité,  sont  vii^nes,  mais  ([u'on  s'expliipic; 
elles  pourront  servir  <Ie  canevas  des  préliminaires.  La 
premiéi'c  <'bosc  ost  de  se  parler,  la  principale  de  s'accor- 
der, cl  la  paiv  eu  sera  vue  suite  ualurcdle.  «  Min  de  bien 
afIirnuM'  sa  volonté  de  luainteuir  une  (Mitcide  parfaite  avec 
l'Angleterre,  Frédéric  eut  soin  de  mctti'c  Mitchell  au  cou- 
rant du  voyage  d'Kdelslieim  cl  d'envoyei"  A  Knypliansen 
copie  du  billet  adressé  à  Kroidlay  avec  ordre  d'en  l'aire 
part  au  cabinet  de  Saiut-.lames, 


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(I)  l'i'oiU^iii",  .1  l'ioiilliiy,  l'ii'ilicin,  17  rcviiiT  lT(io.  Ncwcasllc  Pa|M'rs  cl 
CorrcsfuiiKltincf  pulUitiuv.  XIX. 


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520 


LA  CIERRE  DE  SEPT  AXS.     -  CHAP.  IX. 


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Edelsheim  arriva  à  Paris  le  9  mars  et  lit  visite  sans  re- 
tard au  bailli;  celui-ci  accepta  le  rôle  d'intermédiaire  et 
pour  s'en  acquitter  alla  le  lendemain  à  Versailles.  Louis  XV 
lut  la  lettre  de  Fr<kléric,  lit  bon  accueil  î\  IrcjUay  et  l'as- 
sura de  son  souhait  de  voir  la  pai.x  rétablie.  Voici  en  quels 
termes  (1)  le  bailli  rend  compte  du  langage  de  Choiseul 
dont  il  obtint  une  entrevue  après  l'audience  royale  :  «  Le 
Koy  son  maître  pensoit  que  le  moyen  le  plus  certain  pour 
faire  la  paix  générale  ctoit  de  traiter  et  de  conclure  sépa- 
rément la  paix  de  la  France  avec  l'Angleterre,  qu'il  n'étoit 
pas  possible  que  Votre  Majesté  ne  comprit  que  cette  voye 
étoit  la  plus  sûre,  comme  la  plus  courte;  qu'enfin  le  Koy 
son  maître  pouvoit,  sans  manquer  à  ses  alliés,  ow  recevoir 
les  propositions  de  l'Angleterre  ou  lui  en  faire.  Ce  ministre 
en  est  resté  là,  et  en  s'interrompant  lui-même  il  m'a  dit  : 
Si  le  roy  de  Prusse,  comme  il  vous  le  paroit,  désire  la 
paix,  et  (pi'il  n'ait  pas  l'intention  de  communicjuer  la  ré- 
ponse jV  sa  lettre  aux  différentes  cours  de  l'Europe,  il  peut 
prendre  la  voye  d'Angleterre  pour  parvenir  au  but  qu'il 
se  propose,  et  nous  lui  ferons  connoltre  la  bonne  opinion 
qu'il  doit  avoir  de  notre  probité  et  de  notre  franchise;  car 
à  la  première  apparence  de  réussite  de  paix  avec  l'Angle- 
terre, autant  sommes-nous  mesurés  à  présent,  autant  nous 
avancerons-nous  pour  conclure  un  ouvrage  si  salutaire.  » 

Au  rapport  deFrouUay  était  annexée  une  note  résumant 
les  points  sur  lesquels  Choiseul  avait  insisté  : 

«  1°  Si  Sa  Majesté  Prussienne  souhaite  (]ue  l'ouverture 
do  la  campagne  prochaine  ne  se  fasse  point,  il  faut  qu'il 
y  ait  des  préliminaires  convenus  ou  à  peu  près  convenus 
avec  l'Angleterre  avant  le  mois  de  juin; 

«  2°  Dès  qu'il  y  aura  une  apparence  de  paix  avec  l'Angle- 
terre, la  France  fera  de  son  mieux  pour  conclure  le  reste; 


(i)  Froullay  il  Fri'dt'iir,  ir.  cl  19  mars  17(10.  Newcaslle  Papers  et  Corres- 
jioïKlancf  poliliqiit',  XIX. 


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IMPRESSION  FAVOKABLK  DE  FIIÉDEIUC. 


521 


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«  3°  Le  mîillieur  des  circonstances  ne  pennet  point 
que  l'on  s'explique,  actuellement,  d'une  autre  façon,  et  que 
l'on  se  serve  d'une  autre  voye  ; 

«  V"  Dès  qu'on  verra  que  Ton  se  fie  un  peu  à  nous, 
nous  serons  moins  mesurés  que  nous  le  paroissoiis  à  pré- 
sent. » 

A  ces  renseignements  quasi  officiels  le  bailli  ajoutait  ses 
propres  impressions  : 

«  5°  M.  de  Choiseiil  paroit  être  fort  porté  pour  nos  idées  ; 
il  m'a  dit  en  particulier  :  «  Nous  savez  bien  que  ce  n'est 
pas  moi  qui  ai  fait  le  traité  de  Vienne;  » 

«  6"  L'on  craint  qu'on  ne  fasse  un  mauvais  usage  des 
ouvertures  qu'on  pourroit  faire,  c'est  pourquoi  l'on  n'ose 
s'avancer  d'avantage; 

«  7°  Les  cours  de  Russie  et  de  Vienne  ont  fait  le  lî)  de  ce 
mois  de  nouvelles  protestations  à  la  France,  pour  l'enga- 
ger iV  entrer  de  bonne  heure  en  campagne,  et  en  abandon- 
nant tout  à  fait  la  marine,  à  se  dédommager  amplement  en 
Allemagne,  ou  il  paroit  que  le  sort  et  les  forces  décideront 
cette  année  en  faveur  des  vœux  et  des  désirs  des  Impéra- 
trices ; 

«  8"  C'est  un  motif  de  plus  à  engager  la  France  de  hAter 
la  paix  avec  les  partis  proposés,  parce  que  son  intention 
n'est  nullement  de  déranger  l'équilibre  en  Allemagne  et 
en  particulier  d'épuiser  le  roy  de  Prusse  (si  l'on  peut  se 
servir  de  ce  terme)... 

«  ...  il"  Nous  imaginons  qu'aucun  parti  ne  gagnera 
grand'chose  dans  cette  guerre-ci,  A  nous-mêmes  quoi(|U(! 

nous  ayons  Port-Mahon, nous  sentons  très  bien  qu'en 

faisant  la  paix,  nous  perdrons  quelque  chose  tout  comme 
les  autres.  » 

L'accueil  que  Choiseul  fit  au  bailli  de  Froullay  semble 
dénoter  un  véritable  désir  d'arriver  à  un  accommodement. 
D'ailleurs,  en  s'ellbrcant  de  faire  aboutir  les  négociations 
entamées,  il  ne  faisait  que  se  conformer  au  sentiment  gé- 


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LA  (lUKUIlE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAP.  IX. 


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néral  de  son  pnys.  Starheniberg  le  constate  (1)  et  fait  part 
i\  Kaunitz  de  ses  inquiétudes  pour  l'avenir;  à  l'en  croire,  il 
ne  faudrait  pas  avoir  confiance  dans  la  cour  de  Versailles, 
et  surtout  «  dans  le  cas  d'ouverture  d'un  congrès,  être  sur 
ses  gardes  contre  elle  et  spécialement  contre  la  personne 
du  duc  de  Choiseul,  »  Reconnaissons  que  l'appréciation 
du  soupçonneu.v  Autrichien  aurait  été  plus  sévère  s'il  eût 
été  au  courant  de  l'entretien  que  le  ministre  avait  accordé 
à  Edelsheim.  La  mission  de  l'envoyé  secret  (i2)  échappa  à 
la  perspicacité  habituelle  de  Starhemberg;  et  cependant 
il  y  avait  eu  rencontre  des  deu.v  personnages  dans  des 
circonstances  assez  singulières.  Edelsheim,  à  son  passage  à 
Francfort,  s'était  procuré  une  lettre  du  duc  de  Brogliequi 
lui  servit  d'introduction  auprès  de  Choiseul.  En  sortant  du 
cabinet  de  celui-ci,  il  se  croisa  avec  Starhemberg,  fut 
présenté  à  ce  dernier  en  sa  qualité  d'Allemand  et,  après 
échange  des  courtoisies  usuelles,  reçut  une  invitation  à  dî- 
ner que,  pressé  de  repartir  pour  Berlin,  il  ne  put  accepter. 
Conformément  à  sa  promesse,  Frédéric  expédia  à  Kny- 
phauscn,  pour  l'édilication  de  la  cour  de  Londres,  la  lettre 
et  les  notes  apportées  de  Versailles;  il  ne  dissimule  pas  (3) 
la  bonne  impression  qu'elles  lui  ont  produite  :  «  Vous  ver- 
rez par  là  que  la  France  est  déterminée  à  faire  sa  paix  avec 
l'Angleterre,  pour  avoir  l'occasion  par  là  à  ne  pas  faire 
cette  campagne.  Si  le  ministère  britannique  saura  convenir 
avec  la  France  des  préliminaires  de  paix,  je  crois  l'alfaire 
faite  et  bientôt  conclue.  Pour  sauver  les  apparences  de  de- 
hors, les  Français  voudront  se  stipuler  la  liberté  de  donner 
en  auxiliaires  'iV.OOO  hommes  à  l'Impératrice-Reine,  et  on 
m'assure  qu'on  trouverait  moyen  de  décliner  encore  ce 
secours,  quand  il  en  sera  (juestion  de  l'exécution;  de  sorte 


(1)  Slarlictnbei^  à  Kaiinitz,  11  mars  1760.  Aicliive.s  de  Vienne. 
(!)  Sliu'lipmberj;  à  Kaiinit/,  25  juin  i75i».  Voir  à  ce  sujet  Scliaefl'er,  vol.  11 
1,  |).  480. 
(3)  Frédéric  ùKnypiiausen,  28  mars  1760.  Correspondance  pclitiqiie,  XIX. 


■; 


(!' 


FRÉDÉRIC  CONFIE  SES  INTÉRÊTS  Ai:  CABINET  ANGLAIS 


que  la  pnix  avec  la  France  ne  dépendra  que  do  la  façon 
dont  les  Anglais  sauront  convenir  avec  la  France,  pour  ter- 
miner leurs  querelles  de  mer.  »  Knyphausen  est  invité  à 
voir  Pitt  et  il  lui  dire  «  que  pour  peu  que  cette  négociation 
fût  poussée,  on  en  conviendrait  (des  préliminaires)  en  peu 
de  temps...  Quant  à  mon  sort,  je  le  remettrais  aux  mains 
de  l'Angleterre...  je  me  flattais  cependant  qu'en  convenant 
avec  la  Franco  sur  les  préliminaires  de  paix  avec  l'Angle- 
terre, on  eu  conviendrait  aussi  avec  la  premii'ire  à  mon 
sujet  pour  que  j'eusse  mes  sûretés  vis-à-vis  de  la  France, 
ne  dût  cela  se  faire  on  tout  cas  que  par  des  articles  secrets 
des  préliminaires.  A  ce  que  vous  verrez  par  la  lettre  du 
bailli  de  Froullay  et  les  éclaircissements  joints,  il  répugne 
un  peu  à  la  France  de  négocier  et  de  conclure  directement 
la  paix  avec  moi,  comme  principal  ennemi  de  l'Impératrici; 
son  alliée,  à  l'égard  de  laquelle  elle  voudrait  du  moins 
quelque  dehors  pour  l'apparence,  mais  bien  par  l'Angle- 
terre. Pour  donc  n'obvier  pas  au  grand  ouvrage  salutaire, 
je  veux  bici.  passer  sur  cette  formalité  et  remettre  mes  in- 
térêts à  l'Angleterre,  étant  persuadé  que  je  ne  saurais  les 
mettre  dans  de  meilleures  mains,  et  qu'elle  voudra  bien 
prendre  les  précautions  requises  à  ce  que  la  France  ne 
saurait  pas  nous  duper  à  mon  égard.  » 

Il  est  à  observer  que  Choiseul  laissa  écouler  quelque 
temps  avant  de  donner  connaissance  au  cabinet  de  Vienne 
de  la  mission  d'Edclsheim  et  de  la  démarche  de  FrouUav; 
quoique  l'entrevue  avec  le  bailli  remontât  au  10  mars, 
ce  fut  seulement  clans  une  lettre  du  25  avril  (1)  que  le 
ministre  des  Affiiires  Etrangères  envoya  à  son  cousin  le 
récit  de  la  conversation  et  la  réponse  d'ailleurs  très  cor- 
recte du  cabinet  de  Versailles.  Au  dire  du  duc,  la  fermeté 
de  son  langage  aurait  irrité  le  roi  de  Prusse,  «  car  il  a  écrit 
contre  moi  une  lettre  pleine  d'invectives;  mais,  ajoute  Choi- 


i 


i 


(1)  Duc  de  Choiseul  au  Comte,  25  avril  1760.  Allaiios  Étrangères. 


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52  i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I.\. 


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seul,  vous  pouvez  assurer  M.  le  comte  de  Kauuitz  que  les 
hauteurs  ou  douceurs  de  ce  prince,  ses  invectives  ou  ses 
louanges  n'intlueront  eu  rien  sur  le  système  du  Uoi  qui  est 
invariable.  »  Que  Kaunitz  ait  reçu  cette  communication 
avec  satisfaction,  cela  n'est  pas  surprenant,  mais  il  est  per- 
mis de  se  demander  si  la  lettre  ofi'ensante  de  Frôdéric  ne 
lut  pas  pour  ([uelque  chose  dans  la  confidence  un  peu  tar- 
dive de  Choiscul. 

Depuis  le  retour  d'Edelsheim  et  jusqu'à  la  fin  do  mars, 
Frédéric  travaille  activement  à  faciliter  les  négociations. 
De  temps  en  temps ,  il  est  vrai ,  sa  nature  défiante  re- 
prend le  dessus  :  il  doute  (1)  fort  que  «  les  Français  char- 
rient droit  »  ;  le  délai  pour  obtenir  la  réponse  de  Fétors- 
bourg  n'est  (2)  «  qu'une  défaite  toute  pure  pour  amuser  ». 
Tantôt  la  mobilité  d'esprit,  dont  nous  avons  eu  des  preu- 
ves si  fréquentes,  pousse  le  Roi  à  fournir  de  l'argent  ^3i 
pour  une  tentative  de  corruption  des  ministres  russes,  ou 
à  intriguer  avec  le  Grand  Vizir  pour  décider  la  Porte  à 
prendre  part  au  conflit  en  envahissant  le  territoire  autri- 
chien. Mais  ces  diversions  ne  l'empêchent  pas,  comme  l'in- 
diquent les  instructions  envoyées  à  Knyphausen  [ï)  après 
la  mission  d'Kdelshcim,  de  donner  son  plein  assentiment 
aux  pourparlers  de  La  Haye,  et,  ce  qui  était  le  point  es- 
sentiel, de  laisser  au  cabinet  de  Londres  toute  liberté  sur 
le  mode  et  le  moment  de  l'admission  de  la  Prusse  aux  pré- 
liminaires de  paix. 

Peu  à  pou  cette  attitude  change.  La  confiance  absolue 
dans  «  le  digne  M.  Pitt  »  a-t-elle  été  ébranlée?  Frédéric 
a-t-il  eu  peur  de  se  voir  arracher  quelques  lambeaux  de 
ses  territoires  du  Rhin,  comme  paraissait  le  suggérer  une 


(1)  Frédéric  à  llellen,  18  mars  1760.  Correspondance  poliliq ne,  XIX. 

(2)  Frédéric  à  Kiij'pliaiisen,20  mars  1760.  Correspondance polilique,  XIX. 
(:J)  Frédéric  à  Knypiiausen,  '2'>  février  1760.  Correspondance  politique, 

XIX. 
(i)  Frédéric  à  Kiiyphsusen,  30  mars  1760.  Correspondance pr)litique,\lX. 


! 


EXIGENCES  DE  FIIEDEIUC. 


525 


lettre  de  Choisoul  à  Voltaire  (1),  antérieure,  il  osl  vrai,  à 
la  démarche  de  FrouUay,  et  de  [»ayer  ainsi  la  rançon  des 
ac([uisitions  coloniales  (jue  l'Angleterre  se  serait  assurées 
dans  sa  négociation  séparée?  Toujours  est-il  que  les  dépê- 
ches qui  suivirent  celle  du  28  mars  montrent  plus  de  souci 
de  n'être  pas  compris  et  plus  de  désir  de  poser  ses  condi- 
tions pour  les  négociations  qui  s'engageront  à  Londres  avec 
le  plénipotentiaire  lran(;ais  :  «  Il  faudra,  écrit-il  [i],  qu'il 
soit  stipulé  une  parfaite  neutralité  de  la  part  de  la  France, 
de  ne  participer  en  aucune  faron  à  la  guerre  que  les  deux 
Impératrices  sont  lésolues  de  pousser  absolument,  et  que, 
d'un  autre  C(Mé,  la  (iraiide-Bretagne  garde  les  mains  libres 
pour  maintenir  Sa  Majesté  Britannique  et  ses  alliés  en  Al- 
lemagne dans  leurs  possessions  respectives  et  m'aider  à 
me  défendre  contre  les  deux  Impératrices.  >>  Au  prince 
Ferdinand  (3),  il  annonce  la  conclusion  probable  de  la 
paix  entre  la  France  et  l'Angleterre  et  exprime  l'espoir  de 
recevoir  de  l'armée  confédérée  un  renfort  de  VO.OOO  hom- 
mes «  du  côté  vers  Leipzig  pour  couvrir  mon  flanc  contre 
l'armée  de  l'Empire.  »  Nous  voilà  loin  de  Tacceptatiou  dos 
2'i-.000  auxiliaires  que  la  France  devra  fournir,  tout  au 
moins  sur  le  papier,  à  rimpéralrice-Reine  et  des  ména- 
gements indispensables  pour  permettre  à  la  cour  de  Ver- 
sailles de  sortir  des  embarras  que  lui  cause  l'alliance 
autrichienne. 

Le  10  avril,  la  contre -déclaration  des  puissances  est 
remise  au  roi  de  Prusse  par  les  soins  du  prince  Louis  de 
Brunswick.  «  Ou  je  suis  bien  trompé,  écrit-il  au  prince  (V  . 
ou  cet  écrit  a  été  dicté  par  Kaunitz.  Ces  gens  sont  enflés 
de  leurs  succès  et  ils  ne  veulent  pas  la  paix.  Tous  ces  délais 
ne  sont  amenés  que  pour  avoir  le  temps  de  m'écraser, 

(l)FréJéricà  Knypliausen,  27  mars  1760.  Correspondance  polilique,  XIX. 

(2)  Frédéric  à  Knypliuusoii,  3  avril  17G0.  Corresiioiidonce  politique.  XIX. 

(3)  Frédéric  à  Ferdinand,  2  avril  \1(>0.  Correspondance  politique,  Xl\. 
(i)  Frédî'ric  à  Louis  de  Brunswick,  tO  avril  1760.  Correspondance  poli- 
lique. XIX. 


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i26 


LA  GUKRHL'  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAP.  I.\. 


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11,  il 


mais  j'espère  qu'ils  en  seront  les  dupes.  »  Dans  sa  dépôclic 
du  lendemain  à  Knyphausen  (1),  il  parle  des  prétextes 
frivoles  que  prennent  le:  cabinets  pour  éluder  le  congrès 
et  revient  sur  la  question  délicate  de  la  participation  de 
la  Prusse  au  traité  particulier  :  «  Mon  intention...  n'a  ja- 
mais été...  que  l'Angleterre  dût  faire  sa  paix  avec  la  France 
ou  en  constater  les  points  préliminaires  à  mon  exclusion, 
ou  seulement  par  une  inclusion  générale  et  vague,  sans 
que  les  conditions  de  mon  accommodement  y  fussent  ex- 
pressément stipulées...  de  sorte  que,  comme  vous  vous  en 
exprimez  très  bien,  ma  paix  soit  fixée  et  réglée  d'un  pas 
égal  avec  l'Angleterre  et  que  celle-ci  saurait,  d'ailleurs, 
convenir  avec  la  France  d'une  suspension  d'armes  ou  de 
neutralité  parfaite  de  la  part  de  la  France  jusqu'à  la  pa- 
cification générale.  )> 

Ces  explications  étaient  indispensables  pour  apprécier 
l'attitude  du  roi  de  Prusse  et  l'influence  que  la  teneur  de 
ses  instructions  exerçait  sur  les  esprits  justju'alors  très 
hésitants  du  cabinet  anglais.  Cela  dit,  reprenons  notre  ré- 
cit :  Le  ;J  avril,  à  La  Hâve,  eut  lieu  la  remise  de  la  note  des 
trois  cours;  aussitôt  après  la  cérémonie,  Affry  eut  avec 
Vorkc  un  entretien  (2)  où  il  communiqua  à  ce  dernier  ce 
(]u"il  appela  le  «  correctif  »  du  document  officiel  et  qui 
n'était  autre  chose  que  la  réponse  de  Choiseul  (3)  aux 
questions  soulevées  par  Yorke.  «  Quoique  la  séparation  des 
de  IX  guerres,  écrivait  le  ministre,  s'y  trouve  [)ositivement 
énoncée  par  l'acceptation  que  nous  avons  faite  de  la  mé- 
diation et  des  bons  offices  de  l'Espagne,  le  Uoi  n'entend 
pas  pour  cela  n'être  pas  libre  de  traiter  séparément  et  di- 
rectement sa  paix  avec  l'Angleterre,  si  les  deux  couronnes 
belligérantes  jugent  à  propos  de  préférer  cette  voye  de 
réconciliation.  L'Espagne  est  convenue  avec  nous  que  la 


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(i)  Frédt'ricàKnvphaiisen,  Il  avril  1760.  Correspondance politiqiK   XIX. 
(i)  Yoi'kc  à  Holdernesse,  1  avril  17C0.  Mecord  OfTlcr. 
(3)  Choiseul  à  Affry,  31  mars  1760.  Record  Ollice. 


lŒPONSE  FRANÇAISE  AlX  l'UOPOSrilO.NS  ANGLAISES. 


5'.!  7 


proposition  de  su  médiation  ne  devoit  et  ne  pouvoit  pas 
nous  lier  sur  la  forme  de  traiter  notre  paix  particulif-re, 
mais  le  Iloy  a  jugé  à  propos  trexplicpicr  dans  sa  réponse 
la  séparation  des  deux  guerres,  afin  que  ses  alliés  ne  puis- 
sent mettre  aucun  doute  sur  cette  séparation,  si  nécessaire 
d'établir  pour  le  bien  général.  Vous  ajouterez  ensuite, 
Monsieur,  à  M.  le  (Jénéral  Yorlie,  qu'il  doit  mander  î\  sa 
cour  que  le  Roi,  en  séparant  sa  guerre  personnelle  de  celle 
de  ses  alliés,  comprend  dans  cette  séparation  la  guerre 
contre  l'Électeur  d'Hanovre  de  môme  qu^,  celle  que  Sa 
iMajesté  soutient  contre  l'Angleterre,  de  sorte  que  la  piiix 
entre  la  France  et  la  Grande-Bretagne  ne  compiendroit 
pas  moins  la  conciliation  entre  les  deux  couronnes  sur  \o 
continent  de  l'Europe  que  sur  mer  et  dans  les  autres  par- 
ties (!i    monde.  » 

Peu  de  jours  après  cette  communication,  AfFry  demanda 
i>.  Yorke  (t)  si  le  roi  de  Prusse  devait  être  inclus  dans 
l'accommodement  futur  avant  l'envoi  de  la  personne  cpii 
aurait  à  négocier  en  Angleterre;  dans  le  cas  d'une  exi- 
gence pareille  du  gouvernement  anglais,  il  pn'voyail  des 
difficultés  insurmontables.  Yorke  répondit  en  son  nom 
persounel  qu'il  ne  prétait  pas  une  signification  aussi  res- 
trictive à  la  note  de  son  ministre.  «  Il  ne  croyait  pas  qu'il 
s'agit  d'un  manifeste  à  faire  par  la  France  avant  les  pour- 
parlers, mais  qu'on  avait  voulu  inculquer  l'inutilité  de 
négocier  si  le  roi  de  Prusse  ne  devait  pas  être  admis  et 
que  nous  ne  nous  mettrons  pas  d'accord  sans  sa  parti- 
cipation. »  Affry  répondit  qu'il  l'avait  bien  interprété 
dans  ce  sens.  «  Il  m'a  donné  à  entendre,  continue  Yorke, 
qu'avant  de  s'avancer  aussi  loin,  il  leur  faudrait  savoir 
quelles  conditions  nous  leur  accorderions;  il  ne  m'a  pas 
dissimulé  les  obstacles  qu'ils  rencontraient  de  la  part  de 
la  cour  de  Vienne  et  qu'ils  ne  pouvaient  décemment  faire 


I 


(1)  Yorke  à  lloldernesse,  8  avril  1760.  Record  Oflicf'. 


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528 


LA  (Il  KUHIi  DK  SKl'T  ANS.  —  (IIAIV  IX. 


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une  (léclaijilioii  [iréalahlo  oxclunnl  la  reine  de  Hongrie. 
La  manière  dont  il  est  revenu  sur  ee  point  et  l'insi.stance 
qu'il  y  a  mise  sont  à  noter  et  indi(juent  manifestement  le 
désir  de  traiter  suns  la  cour  de  Vienne,  sous  réserve  que 
cela  pût  être  fait  avec  décence.  » 

Nouvelle  entrevue  des  deux  ambassadeui-s  le  IV  avril; 
cette  fois,  le  Franeais  iipporte  il  son  collèi;ne  l;i  réponse  de 
son  ministre  aux  propositions  formulées  par  Holdeiiicsse 
à  la  date  du  iH  mars.  Dans  sa  lettre  (1),  Clioiscnl  expli- 
quait, pour  l'édilication  personnelle  d'All'ry,  que  les  propos 
échangés  t\  La  Haye,  ainsi  (|u'une  analyse  des  dépêches  du 
cabinet  IVançais,  avaient  été  communiqués  à  Vienne,  qu'il 
était  donc  impossible  de  n^odilier  l'attitude  prise  vis-à-vis 
de  l'Angleterre,  que  d'ailleurs  celte  attitude  était  approu- 
vée par  l'Kspagne  .  «  Sa  iMajesté  Catholique  a  senti  (jue  sa 
médiation  pouvait  presser  l'accommodement  particulier 
de  la  France  et  lui  donnait  le  temps  pour  <[ue,  si  cet  ac- 
commodement n'avait  pas  lieu,  .sa  médiation,  soutenue  de 
forces  en  état  d'agir,  fût  plus  puissante  qu'elle  ne  l'était 
lors  de  l'arrivée  de  ce  prince  à  Madrid.  » 

Ainsi  stylé  sur  les  sentiments  intimes  de  sa  cour,  All'ry 
dicta  à  Vorke  le  passage  (2)  qui  constituait  la  prose  offi- 
cielle de  Versailles  :  «  Le  Uoi  Très  Chrétien  avait  pris  con- 
naissance de  l'exposé  du  ministre  anglais  ;  il  avait  olfert,  dès 
le  début  de  la  négociation,  de  comprendre  dans  l'ar.'angc- 
ment  à  intervenir  les  États  Klecloraux  de  Sa  Majesté  et  ceux 
du  landgrave  de  liesse  et  du  duc  de  Brunswick.  Sa  Majesté 
espérait  ([ue  le  roi  de  la  (irande-IJretagnc  voudra  bien  ne 
pas  confondre  la  guerre  allumée  eu  ^'estphalie  et  sur  la 
frontière  de  la  liesse,  avec  celle  que  le  roi  de  Prusse  sou- 
tient contre  les  deux  Impératrices,  la  Suède,  et  le  roi  de 
Pologne,  Électeur  de  Saxe.  Cette  guerre  est  totalement  dis- 


(1)  Choiseul  à  AllVy,  11  avril  17(iO.  AHaires  Kliangcres.  Hollande. 
(•>)  Extrait  de  la  lellrL'  de  Choiseul  à  AfTry,  H  avril  ITGO;  dicté  à  Vorke 
par  All'ry  le  l'i  avril  17G0.  Record  Ollicc. 


niOISKUL  PllOPOSK  D  KNVdVKU  DIIKROUMLLK  A  LONDRKS    r.  !9 

tincte  de  colle  de  la  Knuice  contre  rAn^leterre  et  rontiiî 
rKlecteiii'  (le  llauovrc,  et  il  u'esf  pas  absolument  possible  à 
Sa  Majesté  de  traiter  seule  sur  un  objet,  dans  l«'(|U(U  elb^ 
n'entre  que  comme  auxiliaire,  et  sur  lequel  les  parti«'S  bel- 
lif^érantcs  sont  sur  le  point  de  convenir  d'assembler  un 
congrès.  Mais Sa  Majesté   est   jiréte  A  traiter  directe- 
ment avec  Sa  Majesté'  |{ritanni(|ue  sur  les  objets  qui    la 
concernr'nt  personnellement,  et  seroit  très  al'lliyée  si  le 
bien  de  l'humanité  et  l'espérance  du  rétablissement  de  la 
tran(pullité  générale  ne  pouvoit  pas  vaincre  la  dil'licullé 
que  trouveroit  le  roi  d'Angleterre   à  traiter  de  sa  paiv 
particulière  avec  la  France,  sans  y  comprendre  le  roi  de 
Prusse;  coniition  j)réalable  (pii  au  grand  regret  du  l»oi 
romproit  toute  négociation  (1)  et  obligeroit  la  France  ainsi 
que  l'AngliUcrre  à  suivre  absolument  les  impulsions  de 
leurs  alliés,  au  lieu  que  l'accommodement  de  denv  aussi 
grandes  Puissances  doit  produire  naturellement  un  cU'et 
général  et  salutaire  à  l'humanité.  »  Après  avoir  entendu 
lecture  de  la  pièce ,  Yorke  ne  cacha  pas  ['2)  son  désap- 
pointement  du    refus  de    l'inclusion   de   la  Prusse    qui, 
pour  sa  cour,  était  le  prodrome  indispensable  de  tout  ac- 
cord. A  cela,  AH'ry  répliqua  (jue  (c  c'était  le  seul  moyen 
de  sauver  le  roi  de  Prusse  qu'ils  étaient  aussi  désireux 
que  nous  de  secourir;  je  me  trompais  fort  si  je  leur  croyais 
l'envie  de  riscpier  une  autre  campagne  à  moins  d'y  être 
contraints;  peisonnellement,  il  ne  voyait  aucun  empê- 
chement i\  la  cessation  des  hostilités  en  Allemagne  avant 
le  1"'  juin,  quoiqu'il  envisageât  la  campagne  entre  le  roi 
de  Prusse  et  les  deux  Impératrices  comme  inévitable.  »  Vers 
la  fin  de  l'entretien,  AU'ry,  comme  preuve  des  bonnes  dis- 
positions de  son  gouvernement,  annonça  qu'on  renonçait 
au  choix  de  Dunn  comme  émissaire  secret  et  qu'on  avait 

(1)  Le  passage  à  partir  des  mots  i>  et  obligetail  »  itc  lui  pas  coiiirktuni(|ué 
à  Kaunitz. 
('2)  Yorke  à  Ilolilernesse,  15  avril  17G0.  Ui'cord  OlTice. 

CLKlUii;   DE   Si:i'T   ANS.   —   T.    111,  34 


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680 


LA  CL'EIUU:  l)i:  SEPT  ANS.  —  CIIAP    l.\. 


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j«!té  If  s  yeux  pour  le  voyau^e  do  Londres  sur  le  comte  d'IIr- 
l'ouville  1). lieutenant  ^énéial  et  insi)ccteui'  de  1  infante- 
rie, bien  au  courant  dos  ad'aires  coloniales,  leijuei  serait 
ucconi[)ayn«''  d'un  néf^ociant  non  encore  désigné,  (Cepen- 
dant, M.  d'Ht'rouville  ne  partirait  (pi'après  réception  de  la 
réponse  de  la  cour  de  Saint-.lanics;  si  elle  étail  favorahl»;, 
il  viendrait  en  Hollande,  conférerait  avec  Allry  et  Yorke, 
puis  se  r(Midrait  à  i^oiidrcs  où,  tout  en  conservant  le  plus 
strict  incognito,  il  se  mettrait  en  rapports  avec  les  minis- 
tres anglais,  tandis  ([ue  les  pourparlers  politiques  se  pr)ur- 
suivraient  à  la  Haye.  En  cas  d'entente  sur  la  mission  se- 
crète, Allry  irait  passer  (pielrpies  jours  à  la  cour,  prendre 
langue  au  Ministère  et  rencontrer  (Irinialdi,  ministre  es- 
pagnol d(!  La  Haye,  qui  faisait  un  séjour  à  Paris  avant  de 
réintégrer  son  poste.  Inutile  d'ajouter  que  cette  interven- 
tion du  diplomate  espagnol  parut  louche  à  l'ambassadeur 
britannicjue.  (lelui-ci  résume  ses  impressions  en  informant 
son  chef  qu'All'ry  «  et  sa  cour  sont  fort  embarrassés,  car  il 
a  admis  tout  ce  j'ai  dit  sur  le  danger  que  présenterait  pour 
la  France  l'augmentation  de  puissance  des  cours  de  Vienne 
et  de  l*ctersl)ourg  et  a  reconnu  que  la  campagne  qu'ils 
allaient  faire,  si  notre  négc(  ation  n'aboutissait  pas,  serait 
au  seul  bénéticc  de  leurs  alliés.  » 

Si  l'envoyé  fiançais  avait  pu  lire  i\  son  <'<»|lègue  tout  le 
contenu  de  la  dépêche  ministérielle  (2),  il  est  probable 
que  cette  lecture  eût  dissipé  les  doutes  qui  existaient  en- 
core dans  l'esprit  de  Yorke  sur  la  sincérité  des  intentions 
de  Choiseul.  Voici  en  quels  termes  s'exprimait  ce  dernier  : 
«  Nous  ne  pouvons  être  utiles  même  au  salut  du  roi  de 
Prusse  (pic  dans  la  forme  de  la  séparation  des  deux  guerres 


m 


(t)  UtTouville  avait  des  relations  en  An;;lel('iTe;  il  avait  <''j)ousé  sccn-l»'- 
inent  la  lllalll•<^sio  il'Albi'rinaile,  anci<'ti  amhassadiMir  anf;lais  à  la  cour  <lo 
l'iance,  mort  vers  la  fiti  de  175i.  Starhember;;  à  Kauiiilz,  ?.  mai  176:).  vr- 
cliive.s  de  Vienne. 

(2)  Choisenl  à  Aft'ry,  U  avril  17G0.  Aflaires  Étrangères. 


ULTIMATUM  AN(.L\IS. 


sai 


fit  la  conclusion  de  notre  paiv  parliculicrc.  Tout  aulro 
nioNCM  csl  inutile  à  tenter  vis-A-vis  d'alliés  aussi  acharnés 
<[ue  les  nôtres  i\  l'ahaisseinent  total  de  la  maison  de  Hran- 

deliour'i; (hi  le  ministère  anglais  est  de  honuc  loi,  et 

alors  iorscjuil  com[)rendra  la  sûreté  et  la  v<''rité  de  la 
marcluî  (|ue  nous  proposons,  il  la  jireudia;  ou  il  est  de 
mauvaise  foi  et  veut  se  servir  du  désir  ipie  nous  avons  de  la 
paix  p(MU'  nous  désunir  de  nos  alliés;  mais  dans  les  deiiv 
cas  nous  ne  devons  pas  nous  départir  de  ne  l'aire  aucune 
mention  ilu  roi  de  IM'usse  tians  les  premières  ouvertures 

de  paix  vais  l'An^'leterre ce  (jui  ne  veut  pas  dire  i\nî\ 

la  suite  de  la  négociation,  nous  ne  nous  prétentns  conjoin- 
tement avec  l'Angleterre  i\  chercher  les  moyens  de  termi- 
ner les  dill'érends  de  nos  alliés  réeipro(|ues.  »  i*uis  (^hoiseul 
manil'este  sa  ciainte  de  voir  rAni^Iclerre  <(  communi(iuer 
nos  eonlideuces  relativement  au  roi  de  IM'usse  aux  cours  de 
Pétcrshoury  et  de  Vienne.  Ce  soupçon  subsistera  toujours 
de  notre  côté,  jus({u'à  ce  que  Sa  Majesté  l>ritaiini(iuc  ait  si- 
gné les  préliminaires  relatifs  A  notre  |)aL\  particulière » 

Ici  vient  le  passage  déjà  reproduit  et  destiné  à  être  mis 
sons  les.  yeux  d'Vorke,  après  quoi  (Ihoiseul  ajoute  :  «  Vous 
conviendrez,  Monsieur,  (|ue  Ton  ne  peut  pas  parler  plus 
clairement  et  que  si  l'Angleterre  ne  nous  entend  pas,  c'est 
qu'elle  ne  voudra  pas  nous  entendre  ». 

Dans  un  billet  àNewcastlefl;,  Yorke  prend  soin  de  i)réci- 
ser  la  situation  :  c  A  vous  de  décider  si  vous  voulez  courir  le 
risque  (de  rompre  les  pourparlers),  ou  si  vous  voulez  rece- 
voir M.  dllérouville  en  faisant  en  même  temps  une  décla- 
ration foi-mulaut  vos  réserves.  J'ai  laissé  la  ([uestion  ou- 
verte tout  en  me  tenant  sur  le  terrain  de  mes  premières 
instructions  que  rien  ne  se  traiterait  si  le  roi  de  Prusse  n'é- 
tait pas  compris  dans  V<  accommodement  à  faire...  »  .le 
puis  «  donc  exécuter  sans  la  moindre  difficulté  les  ordres 
que  je  recevrai  pour  l'acceptation  ou  le  refus.  » 

(i;  York»  »  Ne%^caslk',  ir.  avril  Î7G0.  Newcaslle  Papers. 


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533 


LA  r.lMÎHUli  DE  SEPT  ANS.  —  CII.VP.  IX. 


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Au.v  imin'ossions  du  diplomate  anglais,  il  est  intéressant 
de  coniparci"  celles  de  son  interlocuteur.  All'ry,  j'i  la  suite 
de  l'entretien  du  V  avril  il),  avait  l'ait  part  A  Versailles  de 
sa  conviction  «  que  les  Aiîg"lais,  malg'ré  leur  désir  de  tirer 
Sa  Majesté  l'russienne  de  l'état  critique  dans  lequel  Klle  se 
trouve,  se  serviront  de  la  médiation  de  l'Espagne  et  du 
danger  (pi'il  y  aurait  pour  eux  à  s'y  soumettre,  pour  prou- 
ver A  ce  prince  qu'il  leur  est  absolument  nécessaire  de  ter- 
miner la  guerre  Ici  plus  avantageusement  qui!  leur  sera  pos- 
.siblc,  mais  de  la  terminer.  Cela  me  l'ait  croire,  <''vait-il 
conclu,  (pi'ils  songeront  bienti')t  à  établir  ici  .sérieusement 
une  négociation  directe  et  particulière  entre  nous  et  eu.v.  » 
Après  l'entrevue  du  15,  l'envoyé  français  est  beaucoup 
moins  afllrmatif  :  «  Vous  les  avez  mis,  écrit-il  à  son  chef  (2), 
dans  la  nécessité  de  traiter  avec  nous  au  plus  tAt  parti- 
culièrement, ou  de  souscrire  aux  conditions  que  l'Espagne 
dictera  ou  de  déterminer  cette  puissance  à  faire  cause 
commune  avec  nous.   ■ 

Cette  l'ois,  la  réponse  du  cabinet  de  Londres  ne  fut  pas 
longue  A  venir  (.'i  i  ;  elle  était  catégorique  :  La  cour  de  Lon- 
dres s'en  tenait  à  son  langage  du  28  mars;  le  choix  de 
M.  d'ilérouville  n(>  pouvait  (jue  lui  être  agréable,  mais  son 
voyage  était  sans  objet,  du  moment  que  la  France  refusait 
de  se  conformer  A  la  condition  (|ue  Sa  Majesté  avait  tou- 
jours posée  conune  «  sine  (|uA  non  »  d'une  négociation  jmi- 
cifique.  En  guise  de  motifs  de  rupture,  lloldernesse  allé- 
guait les  expressions  intransigeantes  dont  se  servait  la 
cour  de  Versailles  dans  sa  note  du  11  avril  à  propos  dti 
l'exclusion  du  roi  de  Prusse  :  «  Il  n'existe,  ajoutait-il,  au- 
cune dilférence  essentielle  entre  les  extraits  des  lettres  de 
M.  de  Clioiseul  et  les  déclarations  publi(}ues  remises  au 
prince  Louis,  par  lcs([uelles  les  trois  puissances  belligé- 

(1)  .MlVv  à  Clioispul,  4  avril  ITfio.  AiVairt's  Étianj^èii'.s.  nollaiide. 

(2)  Affiy  à  Clioiseul,  I,")  avril  ITGO.  Aliaircs  Éhaiigèros.  llollando. 
(;J)  lloldernesse  a  Y'okie,  25  avril  ITGO,  UecorJ  Oflice. 


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PITT  HOSTILE  ATX  PROPOSITIONS  I  RANÇAISKS. 


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r<antos  consentent  à  la  séparation  des  deux  guerres si 

bien  que  le  traité  distinct,  dans  la  forme  que  propose  le 
duc  de  Choiseui,  sera  discuté,  on  ne  pout  pas  le  mécon- 
naître, avec  l'asscntimont  des  alliés  de  la  France.  »  (!ela 
étant,  «  le  mérite  qu'AllVy  tire  des  ordres  qu'il  aurait  reçus 
de  vous  entretenir  de  ce  sujet  Sîins  ententti  avec  les  minis- 
tres de  Vienne  et  Pétersbourg,  n'est,  aux  yeux  du  Hoi, 
que  l'utilité  et  tromperie.  Vous  avez  eu  raison  de  dire  h 
M.  d'Atfry  que  seul  le  désir  de  terminer  la  guerre  dans 
son  ensemble  et  de  couvrir  nos  alliés  en  les  mettant  sur  le 
même  pied  que  nous-mêmes  avait  pu  déterminer  la  cour 
d'Angleterre  à  s'avancer  aussi  loin  qu'elle  l'avait  lait.  Mais 
chaque  degré  de  la  négociation  a  été  franchi  sous  la  ré- 
serve expresse  que,  dans  le  cas  d'un  accord  des  deux  cou- 
ronnes sur  les  conditions  de  la  paix,  la  cour  de  France 
consentira  formellement  et  confidentiellement  à  l'inclusion 
des  alliés  de  Sa  Majesté  et  nommément  du  roi  de  Prusse 
dans  l'accommodement  à  faire.  » 

Le  texte  anglais  avait  été  examiné  et  adopté  dans  un  con- 
ciliabule dont  nous  trouvons  le  compte  rendu  détaillé 
dans  une  dépêche  de  Knyphausen  (1).  Ce  fui  Pitt  (jui  fit 
tout  échouer  en  refusant  de  se  prêter  à  réquivo(pie  qui 
eût  permis  il  la  France  de  poui'suivrc  les  pourparlers  sans 
se  brouiller  avec  les  Impératrices.  Le  grand  Anglais  crai- 
gnait (pi'cn  cherchant  à  obtenir  de  la  (irande-Hn^tagne  un 
traité  de  paix  séparé  et  indépend;int  de  la  guerre  d'Alle- 
magne, la  cour  de  Versailles  n'eût  l'espoir  de  semer  la 
division  entre  la  [)uissanco  insulaire  et  le  roi  de  l*russc.  «  .le 
veux  dire,  avait-il  observé,  que  si  nous  ne  commençons  pas 
préalablement  et  avant  toute  autre  chose  par  nous  mettre 
d'accord  avec  la  France  sur  ce  qui  concerne  Sa  Mnjcslé  Prus- 
sienne, il  arrivera  peut-être  ([u'elle  nous  fera  des  ollVes  très 
éblouissantes  pour  la  décision  de  nos  dill'éreuds,  sans  vou- 


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(t)  Knyphausen  à  Krcdi'iic,  tl  avril  1700.  Schacfer,  vol.  Il,  1"  |iarlif. 


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53  i 


LA  r.UERRK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IX. 


loir  ensuite  pourvoir  à  ce  premier  olijet  avec  l'efficacité 

néressaire Si  nous  r>)mpions  avec  la  France  pour  un 

motif  de  cette  espèce,  (ju'en  arriverait-il?  Klle  publierait 
sans  cloute  les  offres  qu'elle  nous  aurait  faites  et  en  ferait 
tropli  ée,  en  les  représentant  dans  l'étranger  comme  des  mar- 
ques de  notre  extrême  cupidité,  et  en  Angleterre  comme 
des  symptômes  évidents  d'une  prédilection  outrée  on  fa- 
veur du  roi  de  Prusse,  à  l'opinicVtreté  duquel  on  aurait  sa- 
crilié  les  intérêts  les  plus  précieu.x  delà  nation.  Je  vous  laisse 
à  considérer  combien  ma  situation  par  rapport  à  votre  cour 
et  i\  la  paix  en  général  deviendrait  délicate  et  épineuse,  si 
un  pareil  soupçon  venait  à  se  répandre  et  à  s'accréditer. 
La  confiance  de  la  nation  à  mon  égard  commencerait  sans 
doute  à  chanceler  et  je  deviendrais  peut-être  un  serviteur 
inutile  à  ma  cour  et  surtout  à  ses  alliés.  »  Pitt  se  résuma 
en  déclarant"  qu'il  lui  paraissait  donc  indispensable  que 
l'inclusion  de  Votre  Majesté  ne  fut  point  traitée  comme  un 
accessoire  des  préliminaires  à  négocier  entre  l'Angleterre 
et  la  Fra  .'e,  mais  quelle  en  forraiVl  la  base  et  le  pre- 
mier article.  »  Le  raisonnement  était  de  nature  à  influen- 
cer l'esprit  mobile  et  défiant  du  prince  autjuel  il  était 
adressé,  mais  on  peut  se  demander  si  la  crainte  de  com- 
promettre l'alliance  prussienne  fut  le  seul  motif  qui  dé- 
termina Pitt  et  des  collègues  à  repousser  la  proposition 
française. 

Kn  effet,  avant  la  conférence  dont  nous  venons  de 
parler,  le  cabinet  de  Londres  avait  pris  connaissance  de 
la  réponse  de  Choiseul  aux  o'.ivertures  que  Frédéric  lui 
avait  faites  par  le  canal  de  Froullay  et  les  ministres  avaient 
eu  l'occasion  d'entendre  le  rapport  verbal  d'Edelsheim 
que  le  Uoi  avait  envoyé  en  Angleterre.  Tandis  (jue  New- 
castle(l)  et  les  diplomates  prussiens  se  montrent  favora- 
blement impressionnés  par  le  langage  du  ministre  de 

(l)  Newcasllc  à  llardwicke,  9  avril  1760.  Newcaslic  Papers,  32904. 


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DISCUSSION  DANS  LE  CABINET  ANGLAIS. 


535 


Louis  XV,  le  roi  George,  Lacly  Yarmoutli,  Pitt  et  même 
llardwicke  l'interprètent  dans  un  sens  opposé.  Le  propos 
de  Choiseul  »  qu'aucun  parti  ne  gagnera  grand'chose 
dans  cette  guerre,  »  avait  offusqué  Pitt;  il  en  avait  tiré  In 
coT.clusiou  «  que  la  Prusse  traiterait  pour  nous  et  ferait 
novi-e  paix;  en  autres  mots  que  nos  conquêtes  seraient  à 
la  discrétion  du  roi  de  Prusse,  comme  moyens  de  mai- 
chandage  pour  ses  propres  intérêts.  »  Il  y  eut  entre  i\ew- 
castle  et  son  irascible  collègue  une  discussion  des  plus 
vives.  Au  duc,  qui  insistait  sur  les  embarras  financiers 
de  '/Angleterre,  l'autre  de  répliquer  :  «  que  nous  pouvions 
avoir  des  difficultés,  mais  que  nous  étions  cent  fois  plus 
en  état  que  les  Français  de  continuer  la  guerre.  Xons 
n'avions  pas  besoin  de  paix,  mais  par  égards  pour  le 
roi  de  Prusse,  nous  consentions  à  renoncer  aux  grands 
avantages  ([ue  nous  pouvions  nous  promettre  dans  toutes 
les  parties  du  monde  de  la  campagne  actuelle.  En  un  mot, 
conclut  Newcastle,  il  n'y  a  pas  eu  moyen  de  raisonner 
avec  lui.  »  llardwicke  (1),  généralement  peu  partisan  des 
idées  de  Pitt,  en  l'occurrence  appuya  son  avis  en  attribuant 
au  gouvernement  français  le  désir  «  de  se  servir  de  la 
Prusse  pour  obtenir  des  conditions  plus  favorables  de 
l'Angleterre.  Il  y  avait  probablement  beaucoup  le  vr.ù 
dans  son  jugement  sur  Pitt  :  «Je  n'ai  jamais  dit  qu'il  ne 
souliait.iil  pas  la  paix,  mais  j'ai  dit  et  je  crois  qu'il  ne  sait 
comment  s'v  prendie  pour  l'obtenir.  Il  se  rend  compte 
qu'il  faudr;i  restituer  bon  nombre  de  nos  conquêtes  et 
que  la  popul..  e,  dont  on  a  surchauffé  l'esprit  à  un  degré 
excessif  et  au[  rès  de  laquelle  il  ne  veut  pas  perdre  son 
prestige,  en  sera  fort  désappointée;  aussi  la  perspective 
prochaine  d'un  arrangement  n'est  pas  sans  l'émouvoir,  i 
Quels  que  furent  les  motifs  de  Pitt,  son  opinion  l'emporta 
dans  les  conseils  du  Uoi.  Holdernesse,  Newcastle  lui-même 

(1)  Harchvicko  à  Ncwcaslle,  10  avril  1700.  Newcasllo  Papcrs,  .T!%4. 


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536 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CII.VP.  I.\. 


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so  laissèrent  convaincre,  et  Knyphansen  écrivit  à  son 
souverain  dans  le  inôme  sens.  Frédéric,  comme  il  fallait 
s'y  attendre,  ,yoùta  fort  les  arguments  du  ministre  bri- 
tannique et  chargea  (1)  son  représenlant  de  lui  faire  «  un 
compliment  des  plus  onctueux  et  des  plus  polis  de  ma  part 
que  vous  saurez  imaginer.  »  Les  restrictions  A  introduire 
dans  les  préliminaires  deviennent  plus  noudjreuses  et  plus 
précises  :  «  11  faut  qu'il  n'y  soit  seulement  compris  l'Angle- 
terre, mais  aussi,  d'une  façon  qui  n'admette  point  de  che- 
villes, tous  les  alliés  de  l'Angleterre,  moi,  le  Hanovre,  etc.. 
Que  la  France  s'engage  d'ailleurs  de  ne  prêter  plus  aucun 
secours,  ni  directement,  ni  indirectement,  aux  puissances 
et  princes  «|ui  préféreraient  la  continuation  de  l.i  guerre... 
qu'au  reste,  elle  me  garantirait,  conjointement  avec  l'An- 
gleterre, tous  mes  Ktats  dont  j'ai  été  en  possession  avant  ia 
guerre  présente et  qu'en  conséquence  l'on  ne  me  de- 
manderait ni  cessions  ni  indemnisations,  et  que  la  France, 
dès  la  signature  des  préliminaires,  retirerait  ses  troupes  de 
mes  forteresses  et  provinces  dont  elle  est  actuellement  en- 
core en  posses'iion.  »  Quel  changement  de  ton  depuis  les 
instructions  vieilles  à  poine  de  trois  semaines  données  au 
même  Knyphansen  après  le  retour  d'Edelsheim  de  son 
voyage  à  Paris!  Sans  doute  les  craintes  formulées  par  Pitt 
sur  le  danger  que  présenterait  une  négociation  séparée 
pour  la  stabilité  de  l'alliance,  étaient  pour  beaucoup  dans 
la  modification  de  la  pensée  royale  ;  mais  il  est  à  présumer 
que  l'espoir  de  voir  la  Porte  Ottomane  (-2)  prendre  les 
armes  contre  lAntriche  et  la  Russie  ne  fut  pas  étranger 
à  la  nouvelle  orientation  de  la  politique  prussienne.  Les 
avis  de  Hexin,  é;.".issaire  secret  de  Frédéric  A  Constanti- 
nople,  faisaient  prévoir  la  signature  prochaine  d'un  traité 
d'alliance  entre  son  maître  et  le  Sultan,  et  l'entrée  encam- 


(1)  Fmiéric  à  Knyitliausen,  22  avril  ITvO.  Correspoud'ince  poliliquc,  XIX. 
(•>)  Frédéric  à  Resin,  30  mars  ot  23  avril  1760,  Cone.spoinlance  poli- 
tique, XIX. 


À'^ 


RUPTURE  [)ES  NKGOCIATIONS  DE  LA  HAYK 


537 


pagne  vers  la  fin  du  printemps  d'une  armée  turtjue  en 
Hongrie.  Frédéric  avait  reçu  ces  ouvertures  avec  enthou- 
siasme, s'était  mis  aussit(*)t  à  escompter  les  avantages  mili- 
taires qu'il  tirerait  de  cette  diversion  et  avait  relevé  en 
proportion  la  cote  de  ses  prétentions  vis-à-vis  de  la  France. 
Mitchell,  qui  connaissait  bien  le  roi  de  Prusse,  ne  se  trom- 
j)ait  guère  quand  il  écrivait  (1)  à  propos  de  son  héros  : 
«  Quidr/uùl  vult.  rnldf  mit.  C'est  la  clef  de  tout  son  sys- 
tème. Bien  souvent  j'ai  eu  de  gros  soucis  en  pensant  à  la 
difllculté  que  Votre  Grâce  et  d'autres  ministres  du  lloi  trou- 
veriez k  diriger  et  à  endiguer  dans  des  limites  raisonna- 
bles cette  imagination  à  nature  torrentielle.  » 

Peu  de  chose  à  dire  sur  la  fin  des  pourparlers  de  La 
Haye.  Le  k  mai,  Yorke  lut  à  Afl'ry  (2)  l'ulfimatum  de  la 
cour  de  Londres  ;  il  chercha  à  en  atténuer  la  dureté  en  af- 
firmant que  «  lorsque  S.  M.  B.  insiste  sur  ce  que  le  roi  de 
Prusse  soit  compris  dans  la  paix  particulière.  Elle  a  tou- 
jours entendu  (|ue  ce  serait  confidentiellement  et  sans  de- 
mander rien  à  S.  M.  T.  C.  qui  fût  contraire  à  sa  dignité  et  à 
ses  engagements.  »  L'envoyé  français  se  borna  à  exprimer 
ses  regrets:  il  était  impossible  pour  la  France  de  modifier 
ses  récentes  propositions;  elle  avait  fait  preuve  de  son  désir 
de  conclure  la  paix  et  se  résignait  non  sans  désappointe- 
ment A  entreprendre  une  nouvelle  campagne.  Après  le 
délai  d'une  semaine,  Aft'ry  communiqua  (3)  à  Yorke  la  der- 
nière dépèche  de  Choiscul(V).  H  lui  dicta  un  extrait  où  il 
était  dit  ((  (]ue  le  lloi  voit  avec  peine  que  les  sincères  dis- 
positions à  la  paix  no  sont  point  entendues  on  Angleterre 
aussi  favorablement  qu'elles  méritent  de  l'être;  (|ueSa  Ma- 
jesté ne  regarde  pas  cependant  la  négociation  de  La  Haye 
comme  rompue  et  qu'elle  espère  que  le  roi  de  la  (irande- 


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(1)  Milclu'll  à  Newcaslli',  le  "M  mars  ITfiO.  Newcaslle  Papers,  321)01. 
(2'  Afl'rv  à  Clioist'ul,  5  mai  1700,  Affaires  Etrangères. 
(3i  Affry  à  Clioismil,  14  mai  17(10.  Ail'aircs  Etrant^èrcs.  Hollaridp. 
(4)  Choiseui  à  Aiïry,  10  mai  1760.  Aftaircs  Élrangèros.  Hollande. 


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53« 


LA  GUEIUIE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  l.V. 


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Bretagne,  animé  des  mômes  sentiments trouvera  con- 
jointement avec  le  Uoi  les  moyciih-  de  rendre  à  l'Europe  J!" 
tranquillité  désirable.  »  Puis  il  ajouta  '^e  vive  voix  «  que  le 
Uoi  ne  demanderait  pas  mieux,  en  concluant  sa  paix  parti- 
culière avec  l'Angleterre,  que  de  travailler  de  concert 
avec  cette  couronne  au  rétablissement  de  la  paix  géné- 
rale, et  que  Sa  Majesté  ne  serait  j)as  éloignée  de  consentir 
<pu»  ce  point  fût  un  des  articles  préliminaires  qu'elle  si- 
gnerait avec  Sa  Majesté  Britannique.  •  A  cet  ell'et,  Hérou- 
ville,  dans  le  cas  où  son  voyage  de  bondres  serait  décidé, 
serait  muni  des  pouvoirs  nécessaires.  La  lettre  de  Clioiseul, 
conçue  en  termes  très  polis,  se  terminait  par  l'espoir  «  (jue 
M.  Yorke  sera  content,  ainsi  que  sa  cour,  du  ton  modéré 
et  de  la  douceur  de  nos  réponses  qui  n'ont  pas  la  sé- 
cheresse de  celles  du  ministère  anglais.  »  Yorke  ne  put  que 
s'en  référer  h  ses  instructions,  et  l'on  se  sépara  en  déplo- 
rant l'insuccès  des  tentatives  de  rapprochement.  L'entre- 
vue du  V  mai,  où  Yorke  fit  connaître  l'ultimatum  de  son 
gouvernement,  mar((ue  la  fin  des  conversations  diploma- 
tiques. Choiseul  ne  s'y  méprit  pas;  dans  une  dépêche  en 
date  du  8  (1)  adressée  à  Vienne,  il  annonce  la  rupture 
virtuelle  et  explique  que  si  elle  n'est  pas  encore  devenue 
officielle,  c'est  qu'une  reconnaissance  publicjue  du  fait 
pourrait  avoir  un  contre-coup  fâcheux  sur  le  crédit  déjà 
chancelant  de  la  France. 

Conformément  à  l'autorisation  qui  lui  avait  été  donnée, 
Affry  se  rendit  à  Versailles,  où  pendant  un  congé  de  six 
semaines,  il  eut  l'occasion  de  faire  un  rapport  a  son  chef 
sur  les  détails  de  la  négociation.  On  peut  juger  de  la  ligne 
de  conduite  <[ui  lui  avait  été  dictée  par  le  langage  tenu  à 
son  retour  :  «  Il  n'était  revenu,  avait-il  dit  à  Grimaldi  (2), 
que  pour  jouer,  aller  aux  spectacles,  dîner  et  souper  au- 
tant que  sa  santé  le  permettrait,  que  j'élais  prêt  à  écouter 

(1)  Duc  (le  Clioiseul  au  Comte,  s  mai  1760.  Affaires  Élrangèrcs.  AuUiche. 

(2)  All'r\  il  Ciioi.seul,  11  juillet  1760.  AUaires  Étrangcies.  Hollande. 


RAISONS  DE  L'KCHEC  DES  I'OURPAULEHS. 


539 


tout  co  qu'on  me  dirait,  mais  que  je  ne  parlerai  certaine- 
ment pas  le  premier.  »  Les  pourparlers  pacifuiues  étaient 
définitivement  rompus  et  les  hostilités  allaient  repren- 
dre de  plus  belle. 

Pourquoi  la  bonne  volonté  que  la  majorité  des  belligé- 
rants avait  manifestée  ne  s'était-elle  pas  traduite  en  résul- 
tats pratiques?  A  vrai  dire,  elle  avait  été  plutôt  successive 
que  simultanée;  sur  les  cinq  puissances  engagées  dans  la 
lutte,  trois,  pour  des  raisons  diverses,  étaient  enclines  à 
la  paix,  mais  prêtes  à  accueillir  des  offres;  elles  étaient 
beaucoup  moins  disposées  à  faire  acte  d'initiative.  C'est 
ainsi  qu'après  la  déclaration  de  l'Angleterre  et  de  la  Prusse, 
il  s'écoula  deuv  mois  et  demi  avant  l'entrevue  de  Yojke 
et  d'Affry  où,  pour  la  première  fois,  on  aborda  sérieuse- 
ment la  discussion  des  moyens  d'arriver  à  la  pacification. 
Une  fois  amorcée,  la  négociation  prend  corps;  Clioiseul, 
d'abord  très  défiant,  l'entretient  de  son  mieux;  il  accueille 
les  ouvertures  de  Frédéric,  propose  d'envoyer  un  repré- 
sentant à  l^ondres,  et  malgré  quelques  maladresses,  fait 
tous  ses  efforts,  môme  au  point  de  se  compromettre,  pour 
lier  la  partie.  Mais  au  fur  et  à  mesure  que  (llioiseul  avance, 
son  grand  antagonists  Pitt  recule;  il  repousse  la  mission 
secrète  d'Héi'ouville,  entraîne  ses  collègues  hésitants  et 
rompt  sur  une  question  qui  aurait  pu  être  considérée 
comme  un  point  de  procédure.  Exiger  de  la  France  un  ac- 
quiescement formel  qui  eût  été  une  humiliation,  la  forcer 
à  déserter  ouvertement  et  brutalement  ses  alliés,  se  refu- 
ser à  faciliter  une  conversion  politi({ue  dts  plus  délicates 
à  justifier,  n'était-ce  pas  implicitement  se  prononcer  pour 
la  continuation  des  hostilités?  Il  est  naturel  de  croire  que 
l'intransigeance  de  Pitt  lui  fût  inspirée  par  le  désir  d'a- 
chever les  entreprises  commencées  et  de  consolider,  au 
prix  d'une  guerre  à  outrance,  avec  sa  gloire  personnelle, 
la  suprématie  maritime  et  coloniale  de  sa  patrie.  Les  vues 
du  ministre  britannique  furent  secondées  par  le  revire- 


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540 


LA  r.lElUlE  DE  SEPT  ANS. 


(MAI'.   IX. 


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ment  de  Frédéric  dont  le  découragement  de  jadis  avait 
fait  place  ;\  la  conliîince  habituelle  dans  son  génie  c(  dans 
son  étoile.  Kt  cependant,  à  un  moment,  le  ministre  ang-lais 
parait  avoir  été  partisan  sincère  de  la  [)ai.\.  In  mé- 
moire (1)  préparé  pour  lui  vers  la  fin  d'octobre,  c'est-à- 
dire  après  l'avis  de  la  prise  de  Québec,  nous  donne  quel- 
que notion  des  prétentions  britanniques  A  cette  date.  A 
défaut  de  l'annexion  de  tout  le  Canada  sur  laquelle  on 
n'osait  compter,  l'Angleterre  se  croyait  autorisée  à  récla- 
mer tout  le  territoire  au  sud  du  Saint-Laurent  jusqu'à 
Montréal,  la  libre  navigation  de  ce  fleuve  et  la  démolition 
de  Louisbourg.  De  Montréal,  la  frontière  suivrait  la  rivière 
Ottawa  jusqu'au  V7'  degré  de  latitude,  gagnerait  le  lac 
Huron  et  longerait  le  lac  Michigan  et  les  rivières  d" Illi- 
nois et  Mississipi  jusqu'à  l'Océan.  Kn  Afrique,  on  espérait 
conserver  le  Sénégal  et  Tile  (Jorée  ou,  si  cela  ne  pouvait  se 
faire,  obtenir  le  droit  de  commercer  à  conditions  égales 
avec  ces  contrées.  Au.v  Antilles,  on  revendiquerait  la  pos- 
session de  la  (Guadeloupe  et  l'attribution  à  la  Grande-Bre- 
tagne des  îles  neutres  de  Dominique  et  de  Tobago.  Quant  à 
Minorque  dont  l'occupation  entraînait  pour  le  budget  mé- 
tropolitain des  charges  très  lourdes,  il  était  douteux  que 
sa  restitution  constituât  un  avantage.  Au  surplus,  peut-être 
vaudrail-il  mieux  s'en  tenir  au  principe  de  l'  «  uti  possi- 
detis  ».  Ln  extrait  d'une  lettre  adressée  (*2)  à  Newcastle 
indique  que  ce  document  reproduisait  les  idées  ministé- 
rielles :  «  Je  vois,  écrivait  le  correspondant  du  duc,  d'après 
un  mémoire  confidentiel  que  j'ai  lu  avec  la  plus  grande 
satisfaction,  que  M.  Pitt  a  des  notions  très  raisonnables 
au  sujet  des  conditions  de  la  paix.  » 

Le  cabinet  de  Versailles  aurait-il  pu  accepter  l'article 
préliminaire  que  celui  de  Londres  voulait  lui  imposer? 


(1)  Considérations  sur  lnp<iix.  NewcasUe  Papers,  32897. 

(2)  Kinnoul  à  Newcastle,  30  octobre  1759.  Newcastle  Papers,  32897 


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I 


CONDUITE  UE  CIIOISEUL. 


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Kvidcmmcnt  non,  car  une  soumission  aussi  plate  aux  exi- 
gences de  l'ennemi  aurait  |)r(»vo(jué  la  brouille  avec  l'Ini- 
pératrice-Ucine  et  renversé  du  coup  l'édifice  si  pénible- 
ment élevé  (le  rciitente  cordiale  des  maisons  d'Habsbourg 
et  d(!  Uourbon.  Parjure  A  ses  engagements,  déshonoré,  le 
gouverneuïent  de  Louis  XV  serait  resté  isolé  en  Europe, 
sans  alliés,  sans  amis,  et  aurait  perdu  le  peu  de  prestige 
(|u"il  possédait  encore.  Pour  débarrasser  son  pays  de  la 
robe  de  Nessus  (pu;  représentaient  pour  la  France  les  liens 
de  l'accord  autrichien,  sans  blesser  les  suscej)tibilités  de 
Marie-Thérèse,  (Ihoiseul  avait  plaidé  la  distinction  des  deux 
guerres  et  la  paix  séparée  avec  l'Angleterre;  inallieureuse- 
ment,  pour  taire  aboutir  ces  conceptions  (pii  font  honneur 
à  l'imagination  de  l'homme  d'F.lat,  il  fallait  (|ue  la  puis- 
sance insulaire,  et  surtout  son  chatouilleux  ministre,  con- 
sentissent à  jouer  le  rùle  de  compères,  ([u'ils  se  prêtassent 
à  une  procédure  permettant  de  faire  partici[)er  le  roi  de 
l'russe,  sans  le  nommer  pour  ainsi  dire,  aux  arrangements 
pacitiques.  l'ne  combinaison  d'un  caractère  aussi  épineux 
ne  pouvait  convenir  ni  à.  la  morgue  haineuse  de  Pitt,  ni 
à  la  mobilité  soupçonneuse  de  Frédéric;  elle  s'adaptait 
encore  moins  aux  obligations  d'un  gouvernement  parle- 
mentaire; aussi  était-elle  condamnée  d'avance  à  l'insuccès. 
Malgré  l'échec  final,  dont  il  ne  saurait  du  reste  être 
rendu  responsable,  Choiseul  déploya,  dans  les  pourpar- 
lers de  l^a  Haye,  beaucoup  de  tact  et  d'habileté.  On  ne 
saurait  trop  louer  l'adresse  avec  laquelle  il  se  comporta 
vis-à-vis  de  la  cour  de  Vienne.  Un  diplomate;  moins  clair- 
voyant eût  été  tenté  de  garder  le  silence  sur  les  réponses 
faites  aux  dernières  ouvertures  de  Vorke  et  sur  la  dé- 
marche de  FrouUay;  (Ihoiseul  agit  autrement;  tout  d'a- 
bord il  fait  lire  à  Kaunitz  sa  correspondance  échangée 
avec  Ali'ry  et  quand  il  apprend  les  commentaires  désobli- 
geants qu'entraîne  cette  lecture,  loin  de  se  fAcher  et  tout 
en  maintenant  la  communication,  il  se  contente  de  près- 


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5t2 


LA  C.UEIllVK  l>E  SKl'T  ANS. 


CIIAIV  IX. 


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crirf  !\  son  cotisiii  i  1 1  rntnhiissadeiii'  la  pr('!c;uili()n  de  ro- 
tranclicr  •<  toiil  co  cjui  [jouirait  hlesser  la  dclicalesso  cl  la 
ni(''liaiic(!  aiilrirliicniie.  »  La  drprclie  qui  contient  cette  lé- 
.serve  fait  Téloi^c  de  la  perspicacité,  et  jette  un  Jour  [tvè- 
cieux  sur  la  pensée  intime  du  ministre.  l'our  lui.  la  jalou- 
sie que  nïanifeste  le  chancelier  au  sujet  des  conversations 
de  l.,a  Haye  n'a  rien  ([ue  de  très  naturel.  «  Il  pré\oit,  non 
sans  raison.  (|ue  nos  intérêts  étant  arran.iiés,  il   pourrait 
arriver  (jue  nous  lussions  un  peu  plus  froids  sur  ceu.\  de 
la  nuiison  d'Autriche.  Ce  point  rinijuiètc  dautanl  plus  (pie 
contre  son  attente  il  commence  à  craindre   que  l'Angle- 
terre ne  veuille  de  bonne  foi  la  paix,  car  ne  vous  y  trompez 
pas,  .Monsieur,  M.  le  comte  de  kaunitz  n'avait  jamais  ima- 
giné (jue  le  ministèn;  am-'Iais,  enllé  de  ses  succi'S,  voulût 
séparer  les  deux  guerres,       ce  ministre  n'appuyait  sur  la 
séparation  de  notre  part  que  pour  que  nos  pertes  ne  fus- 
sent [las  mises  en  compensation,  lors  de  la  paix  générale, 
avec  les  avantages  que  se  promettait  la  maison  d  Autri- 
che. »  Ue  l'examen  de  l'état  d'Ame  du  chancelier,  Choiseul 
passe  à  l'appréciation  de  la  mesure  dans  laquelle  la  France 
esl  engagée  h  l'égard  de  son  alliée.  1.,'arlifle  l.'l  du  traité 
du  30  décembre  1758  est  formel  :  «i  Les  deux  parties  con- 
tractantes ne  feront  ni  paix  ni  trêve  avec  leurs  ennemis 
communs  et  respectifs  que  d'un  parfait  accord  et  com- 
mun consentement.  »  Cette  clause  qui  ue  lie  que  la  France, 
r.\utriche  «  n'étant  en  guerre  ni  de  fiiit,  ni  de  volonté  avec 
l'Angleterre  »,  est   enqiruntée  au  traité  secret;  il  avait 
songé  à  ne  pas  la  reproduire,  mais  «  n*  us  ne  pouvions  pas 
honnf'tement  le  rejeter   l'article;  dans  le  moment  où  nous 
voulions  absolument  anéantir  ledit  traité.  "  Du  reste  ,  il 
n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  à    cette  disposition  ,  puis(pie 
l'assentiment  de  l'Autriche  aux  pourparler.s  a  été  obtenu. 
«  Par  consé(pient,  c'est  une  alfairc  linie  et  une  condition 


(1)  Choiseul  au  (;omle  de  Choiseul,  18  avril  170CI.  Affaires  Élriingt-res. 


CIIOISKIL  SI  I»  LtS  ENfJACEME.NTS  DK  L'ALMANCl;. 


r>43 


remplie,  car  nous  n'nvons  ])as  ontr>nflu  qno  cli.iqiio  fois 
(jiiolchoi  voudiMilouvctycr  un  coiiirici- ;;  La  ll.iye,  il  t'alliU 
(irmaiidci'  une  iioiivollc  |)('rnii.s?.iuri  \  lu  cour  de  VicriMO.  » 
Clioiseul  se  rend  compt»'  de  la  faiblesse  do  son  argumen- 
tation, car  il  njouto  :  «  Cependant pour  reniplii'ce  cpril 

doit  au  procéilé  et  à  la  couliance,  »  le  Uoi  vous  autorise*  à 
informer  M.  de  Kaunitz  (jue  i<  si  la  ué,i;<»oialinn  de  La  Haye 
se  suit,  il  fera  iiisti'uire  evacteinent  l'Impt'i'atriccî  de  ses  dif- 
férents détails,  »  L'ambassadeur  i)eut  d'ailleurs  répéter 
les  propos  que  lui,  Choiseul,  a  tenus  à  Starlieiuberç-  et  à 
(Jalitzin  (1).  «  Si  malbeureusement  le  Koi  était  dans  le  eas 
de  faire  sa  paix,  même  la  générale,  et  que  l'imitossibilité 
le  forcAt  A  ne  plus  secourir  les  efforts  de  ses  alliés,  Sa 
Majesté,  sans  user  d'aucun  détour,  le  leur  décian'rait 
très  franchement.  » 

Que  r.ittitudi;  de  la  cour  de  Versailles  fiU  aussi  eoriecte 
que  le  laugaiie  de  Clioiseul  vondrnit  nous  le  faire  croiro, 
nous  l'admettrons  diflieilement;  mais  nous  ne  pouvons 
refuser  nos  sympathies  à  Thommc  d'État  qui  s'efforçait  de 
tirer  son  maître  et  son  pays  du  mauvais  pas  où  des  eng-a- 
gemetits  si  légèrement  contractés  les  avaient  conduits. 
Continuer  la  guerre  maritime  contre  l'Angleterre,  alors 
(ju'ou  se  savait  et  (pi'on  s'avouait  vaincu  et  incapable  de 
reprendre  une  revanche  immédiate,  c'était  se  résignera  la 
perte  do  ce  qui  restait  des  colonies,  c'était  activer  la  ruine 
commerciale  du  royaume.  Et  en  compensation  de  tels 
sacrifices,  qi'.els  résultats  devait-on  espérer?  I/abaissement 
du  roi  de  l'russe,  c'est-à-dire  la  rupture  au  profit  de  l'Au- 
triche de  la  balance  des  pouvoirs  en  Allem.igoe.  A  un  pa- 
reil métier  de  dupes  1(>  moment  u'était-il  pas  venu  do. 
mettre  fin?  La  parole  d'un  souverain  avait-elle  assez  de 
poids  pour  prévaloir  contre  l'intérêt  de  toute  la  nation? 
Ces  (juestions  durent  surgir  A  maintes  reprises  dans  le  cer- 


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(1)  Successeur  de  Bestuscliew  à  l'ambassade  russe. 


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LA  GtKItmi:  DE  SEPT  ANS. 


CHAI'.  IX. 


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veau  (le  ('lioiseiil  et  nous  ne  saurions  le  hliUner  d'avoir 
clierclié  à  les  résoudre  dans  le  sens  (|ue  lui  iiidiijuaif  sou 
patriolisuic. 

Mais  «juel  (jue  pùJ  ôtre  son  elia.i^rin  d'  voir  échouer  une 
né.iiocialion  (|u'il  avait  travaillé  de  son  niieu.v  à  faire  réus- 
sir, le  ministre  de  Louis  XV  n'était  pas  homme  à  |)erdre 
sou  temps  en  inutih^s  rej^rets.  Aussitôt  persuadé  (jue  de 
rAn,qleteri'e  il  n'y  avait  rien  à  espérer,  il  se  retourna  vers 
la  |)lauclit!  de  salut  (|u'il  croyait  rencontrer  dans  la  média- 
liou  ou  éventuellement  dans  l'alliaiicc  espagnole.  D'infor- 
tune, les  dllaires  ne  prenaient  i)as  de  C(^  côté  la  tournure 
décidée  qu'il  eiU  souhaitée.  Dans  une  letue  particulière 
au  c<»mte  de  Choiseul  (1),  nous  relevons  à  la  fois  le  rapport 
d'un  entretien  avec  Fuentès,  le  nouvel  ambassadeur  dé- 
signé pour  la  four  de  Londres  qui  était  venu  prendre 
langue  A  Versailles,  ci  l'exposé  des  vues  du  ministre.  Le 
diplomate  espagnol  s'était  étendu  sur  «  les  dispositions 
in<'l)ranlal(lcs  du  roi  d'Kspagnc  de  nous  procurer  la  paix; 
mais  quand  je  lui  demande,  ajoute  Choiseul,  par  quel 
moyen  Sa  .Majesté  Catholique  parviendra  à  ce  but,  il  me 
répond  des  i)hrascs  ainsi  (pie  M.  d'Ossun  m'en  mande,  et 
nous  nou.'^  Irouvous  sans  succès  abandonnés,  pour  toute 
nourriture  politique  et  pour  toute  ressource,  aux  compli- 
ments sans  eil'et  de  l'Espagne.  H  ne  me  soucie  point  du 
tout  que  cette  puissance  entre  en  guerre,  mais  en  même 
temps  je  désire  fort  que  ses  préparatifs  et  ses  discours 
soient  assez  imposants  pour  nous  procurer  la  paix..,  de 
sorte,  mon  cher  cousin,  (jue  je  vais  continuer  avec  plus 
de  forces  que  jamais  à  me  servir  de  l'Kspagne,  » 

Kn  attendant  le  développement  de  ce  programme,  (]ui 
ai)outira  au  pacte  de  famille,  il  fallut  se  résigner  à  recom- 
mencer les  hostilités  dont  louverture  avait  été  retardée 


(1)  Duc  de  Choiseul  au  Comte.  Particulicie,  10  mai  1700.  Afl'aires  ÉUaii- 
aère.s. 


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RKPRISK  DES  HOSTILITÉS. 


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par  les  bruits  pacifiques  (jui  circulaient  dans  toutes  les 
cours  (l't^nrope  et  jusque  dans  les  camps  des  armées  ri- 
vales. .(  I'ins(|u'ils  veulent  l'aire  la  campagne,  avait  dit 
Clioiseul  (1),  il  faut  bien  lu  faire;  peut-être  seront-ils  plus 
traitables  dans  quelques  mois.  »  C'est  par  ce  propos,  dont 
la  philosophie  est  empreinte  d'amertume,  que  nous  ter- 
minerons le  récit  des  premières  tentatives  sérieuses  pour 
mettre  tin  à  la  (luerre  de  Sept  Ans. 


1| 


(1)  Sturlicniberg  à  Kaunil?,,  10  mai  170(i.  Arcliivcs  de  Vienne. 


; 


CLKIIIIK    DE   SEPT  AN.S.    — 


36 


TABLE  DES  MATIÈRES 


M 


CILUMTH'-  -'REMIEH 
Bergen. 

Incursion  dos  Ilanovricns  ou  Francouio.  —  FcrdiiiarKl  marche  sur 
l'i'aïu'l'oit.  —  [{ataillo  de  Hitucii.  —  I.c  pi'iuce  Henri  de  Prusse 
à  Haïuijoi'ir 


Pn^i's, 


CIIAl'ITia'  II 
Minden. 

l-'anu(''c  do  f'outades  dobouclio  par  la  liesse.  —  Retraite  de  Fer- 
dinand. —  Sur[)rise  d(  Minden.  —Capitulation  de  Munster.— 
Bataillii  lie  Minden.  —  Combat  de  Coeleld 


Cll.Vl'lTIiE  111 
Fin  de  la  campagne  de  1759  en  Allemagne. 

llctraile  de  Contadi's.  —  .Abandon  de  Cassel.  —  Mission  à  raruii'e 
du  mar('>chal  d'Estréos.  —  Long  séjoiu"  des  arnii-es  ri  sales  sur  la 
Laliri.  —  Xouiination  do  Hro^lie  au  coinniaiidiMnont  (mi  eliol'.  — 
Capilidation  do  Munster.  —  Mouvenionl  nironsil  de   liroglio.  — 


Quai'liers  d'hiver. 


CIIAI'ITHE  IV 

Kiinersdorf. 

riau  do  campagne  coml)in(''  pai'  les  liussos  ot  les  Autrichiens.  — 
(!oni.iioucei;ient  tardiC  <les  hostilités.  —  F'ermor  n-mplaci''  par 
SoUikolT.  —  Hatailh;  do  l'alt/.ifj:.  —  Jonction  de  Laodon  avec  les 
Russes.  —  liataillo  do  Kiinersdorf.  —  Détresse  de  Frédé'ric.  — 
Iiiactiviti'  et  défaut  d'ontonto  dos  f;'('"n('raii.\  alliés.  —  Sc'paration 
des  deux  aruK'es.  —  li.iiin  (>n  Lnsaco  et  en  Saxe.  —  Russes  on 
Silésie.  —  Repris(>  dos  (juartiers  d'hi\or  sur  la  Vistulo 1  lu 


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TABLE  DES  MATIERES. 


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CIIAI'ITHE  \' 


Maxen. 


Vaea: 


Invasion  do  la  Saxe  par  l'arniéc  dos  Cm-clcs.  —  l'iiso  d(^  Diosdc. 
—  Sui:<"ès  do  Wunsch  ot  do  Finck.  —  l'rinco  llonri  oî  Daun  on 
Saxe.  —  Hotrailo  do  Daun  sur  Drosdo.  —  Arriv(''o  dn  roi  do 
Prusse.  —  Capitulation  do  Maxen.  —  iK'faito  de  Dioiioke.  —  Inac- 
tion (U'  Daun.  —  Arrivée  du  prince  de  Brunswick.  —  Drosdo 
reste  aux  Autridiions.  —  Décourafreiaent  de  Fn-déric.  —  (,'ain- 
pa(.'no  inutile  dos  Sui'dois :^(is 


CHAI'ITKF  VI 
Québec. 

.Missio.'i  de  Hougainville  on  France.  —  Expédition  dit  VVolfo  contre 
Quc'lioc.  —  Rombardoinonl  de  la  ville.  —  Combat  du  Saut  de 
Montnioroncy.  —  Défait.'  ?lo  î.ipneris  et  prise  (\o  Niagara.  —  Re- 
traite de  Hourlai.iaquo  à  l'Ile  aux  Noix.  '".mbarras  do  Wolfe. 
—  Ilataillo  d'.Vbraliani.  —  Abandon  du  can;p  de  Beauport.  — 
Tentatives  do  ravitailloinenl  —  Cajjitulation  de  Quôti(>c.  —  Les 
Anglais  maîtres  du  lac  Champlain -J.r.' 


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(.'IIAITTiE  Vil 
Marine  et  colonies 

Doscontos  anglaises  on  .Norinaiidi-'  et  on  Bretagne,  -  Combat  de 
Saint-Cast.  --  Perle  d-i  Sénégal  et  de  la  Giiadolcin{)o.  lîalaiilos 
navales  de  Lagos  et  des  Cardinaux.  —  Suprématie  maritime  do 
l'Angleterre.  —  Campagnes  do  Lally  aux  Indos  —  Ses  premiers 
succès.  -~  Engagements  entre  les  oscadro>.  —  Siège  do  Madras.  - 
Pviso  do  Massulipatani  par  les  Anglais.  —  Coiabal  naval  de  Tran- 
i|iiobar.  —  Dé.nêlés  do  Lally  avec  Bussy  ot  Leyrit.  —  Ki'volto  dos 
tioui)es :l|." 

CHAPITRE  VIII 
Les  cours  d'Europe  pendant  l'année  1759. 

Démêlés  de  l'Angleterre  a\ec  la  Hollande  et  le  Danemark.  -  Le 
l'oi  Don  Carlos.  —  Ofl'rcs  do  nii'dialion  faites  par  l'Espagne.  - 
Traité  du  :!0  décombn;  175S.  -  -  Le  comte  de  Cliois(Mil  à  Vierme. 
—  Relations  dos  cours  de  Vii-nne  et  de  Vei'sailles.  —  La  cour  do 
l'étersbourg.  —  Rapports  entrj  la  llussie  ot  la  France \ti 


TABLE  DES  MATIERES. 


649 


CHAPITRE  IX 
Proposition  d'un  congrès  de  paix. 


r.ifoi 


Déclarations  des  rois  d'AngloteiTC  ot  do  Prusse.  —  Négociations 
ontrc  los  cours  do  Vcfsailles,  Vienne  et  i'étersbourf,'  au  sujet  do 
la  réponse.  —  Conti-e-déclaration  des  puissances  alliées.  —  Con- 
versations de  La  Haye.  —  Démarche  de  Fronilay.  —  Rupture  des 
pourparlers.  —  Politique  de  Choiseul .j;-^ 


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LISTE  DES  CARTES 


GONTENUKS    DANS    LK    III"    VOLUME 


Bataille  de  Bergen. 

Bataille  de  Minden. 

Bataille  de  Pallzig  ou  de  Kay. 

Champ  de  bataille  de  Kunersdorf. 

Combat  de  Maxen. 

Bataille  de  Québec. 


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Corporation 


23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  14580 

(716)  872-4503 


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;    Gagnée    par  M. le  Duc  de  Broôjie  Ltea.  Grrà  des  Ai>ni<»Vis^ 


A.  Colonne  deU^aucite  dléir  £nneini5  composée  des  Grem.djei^  de  {'• 
/"  .    l>f'Js  Je.  Daj'felii.  Ces  colonnes  virirent  attaquer  de  Suit« 


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es  auPlaii. 
iai«t  par  BichotsKeuT!  «e,  marcKatrt. 


(^uei-  ae  suiie  pjTârfivalrtLle  villa|e  de  Bergen  e*i  C.  Undis  aue  \ 
_  6i'»s  Grunaii  SavanccajA  ijoiir  soÛLsnir  cette  aftAoue.»  E.  Podtioii  «le f Armée  Françoise  «  F.  les  Saxons  *  C 
L-t  Bergen  «  I.Puinze  aulres  B>ttajiions  er»  coHoiries   po»J'  les  loûtenir  »  K-furaiilerfe  enneirae  dui  s'etan 
Ci-  i-rpou^lVe  avec  beawcoup  de  valeur  dans  trois  dt<Fei*en+.e8  aUaciv.ej  »c  surtout  ala  dernière  par  los  iS.l 
fuccessrveinent  a  lAtUauie   partie   na/îanile  village  8cpaiUe  par  les  verôer*  delà  droife^  ces  Iroupt 
N. Cavalerie  enriemie   S'avançeanl  pour  empêcher  îe  propres  de  uds  Irouujes  aui  se  retireront  ensi 
Ber^eu.k     Nôtre  Infante  rie  i*  étant  retire  les  ennemis  avajicernl  leur  ôaucKe  enO.  ce  qui  faisant 
f     aUaque   M.leDuc  de  BrOOIiefji  alors  avancer  par  orecaiiiioii  les  onr.p  BiHlaiHons  efi  refervi 
j^  qu'il  portât  en  avant  du  cSemin  creux  C.  Les  ennemis  dans  leur  flernier**   ponUon  O.  firent  1 
~    quelque  Infanterie  !'ati.a.que  de  ieurg  chasseius  JLpar  les  bois  do  W^ilhel  qui  n'eid  aucun  Si 
—    des   Savons  F'   «  l-'CÇ  ennemis  :»pre.  avoir  iJ«  la  |'»flboiï  de  Rerôen  paj' leur  6aucke  ït  leur 
"V    looMneâ  Jispofilions  an  General  s'en  tuu'cnt  aU  <   .riona<le  de  leurs  baltene  S  qui  dura  jusqi 


même  «Kemin   qu'ils  eloient  vtiin  5 


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ERGEN    près 

,^«iurl.oy  Se  Commandant  J  Armée  du.  M.ein,fii 
Ferdinand  le  l3.Avi'»l  U^^J- 
es  auPlaii. 

choisneur»  te  mafcKani  a-mteme  nautfeur  aue  celles  du  centre  i5. 
^en  en  C.  ♦a.ndis  aue  les  coloiines  die  la  fircilc.  P.  débouchant  1 
>e  4  F.  les  Saxons  «  G.  Balieries*  H.huil  battaillons  dellioee  pou. 
e  enner;jie  dui  s'etant  a^'ancee  avec  succès  prés  du  cnemm 

dernière  nar  lc;s  i5- Battailiohs  en  colonne  derrière  le  viHa^< 
ila  droite^  ces  troupes  poursuivirent  les  ennemis  lusâue&en  J^.  a 
li  se  retireront  ensuite  pat'  orJre  de  M.  le  Du-C  deOrOQlie 

enO.  ce  qui  faisaiii  présumer  que  leur  objet  poun-oit  elre 
.Htilons  efi  rpfervc  y.  dans  les  poinU  P  ainsi  ctuc  10. Es* 

ponUon  O.  firent  aueltj,Aes  mouvement»  aleur  droile 
|Ui  n'eujt  aucun  Succès  parla  dépense  des  voloniaîrea 
ir  êaucne  fe  leur  droile  fcirouvanl  une  ferme    resisfaince 

S.  qui  dura  jusdu'a.  la  nu^ba  îafaveuj^  de  laaiiene  ils  se 


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Hrtnul  dim  /ilah  de  l't'hU-M<ijov  allemand. 


RTT'        "■   -  ■'*^m-' 


Aufifi'iuiniiiicn   ooti  H  njniann  Afixfor  im  Preits.f.  (rériémLrUibc  i86Ô. 


Maasstal)  vo 


0  100        200       500       l»00       50O 

feii    liai  haiiMT^  Irartâri 


aufo-enoimiicii  ift58  imd  luit  Eintra(riin<r  der 
Sitnatioii  zm^Zcil  der  Schlajchl(i2ÂugTista759)aaclidtui 
Planen  A^onPetii^v.Baj-scAvisch  xmdv.Gaudy,  sowle  nacJi 

Orio'iruil  Actcn. 

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Renvoi 

'AEr,(iv.B(ttU'fie^rptclhtn^Ucr-IWiis.rcn  I  J^'<'f>tim^dcrt>enirnjlucktenPl-cussC,ii',tn^'\ttat/. 

(a)  TtncJi  Pétri  ^^JhvitestvOeffrwnifiierJittssVerjchari  zuiiif.rhun 
D  Xiix'ite  huilerie  :Aiif3-lelbinQ  derJ'rens.fcn  ^  fiij'FuTtrmerk 

0  I>ritte        „  „  „  1  Siin.rrstÏ4>r^  Miuh  ■AhiMf, 

(C)  nachretri.  'i^Russiche.  Balii-rien  <je<fi-n  dieMeth-r-uuif 

*X7Uc},ti,ru,,{J.ati,l,msch:i  ('•loall  Att(pi/paitf\\^^i/iiclrl%iiJ:JiiriLnl>iU^f.d,^lirt,'n 
dJWujM-  In/ritt  freuss  CaoaHeric 

e  0'cd^n<Ut'  SteU4;f4r<i.fjt-,ijAtiaif.dIHnxWiiii.'>0Aïis^an4fj-punktilaFraij-sJhHtntafrrde'' 

1  Gutes Défilé  dtirr/i  dieSuirififiitiic  V^^'^i^rJurKhiàmei-JJfi/rtm 
JcJdachl-l.ùuc  dcrOi'Stfrrt'irJt  -Rn.y,rischeri  j 

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Maasslab  von  1:12. 5oo 


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COMBAT   DE   I 


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ErtriMi  'lu  j,l>ii(  du  imn/itil  ilr  Ma.rcii  dvpotii}  aux  Archives  du  Mintstère  ilv  la  Guerre. 


>^X       ■■■  Burckcrdlsw^lde 


Erklàrung  derer  in  diesen  Pla 


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BEFINDLICHEN    BUCHSTABEN 


A.  Cnmit  iiccuih'  imr  k  corps  imjin-iul  du    l'j  nu  :V/  .Vorcwi/y/v,  à  7  heures 
ilu  malin. 

U«  Marche  de  ce  corji.i  contre  Maxen. 

<  •  Houle  suivie  par  les  grenadiers  autrichiens  sur  la  colline  de  llausdorf. 

I*»  linlieries  qui  onl  hombardc  l'ennemi. 

!■'•  houle  suivie  par  l'infanterie  et  par  les  colonnes  de  cavalerie. 

■'•  Attaque  des  r/renadiers  ainsi  que  des  autres  colonnes. 

"•  Formation  du  corps  impérial  sur  la  hauteur  d'où  il  a  tiélogé  l'ennemi. 

11.  Posilion  occupée  éi   la  tombée  de  In  nuit  par  la  Autrichiens,  une  fois 
les  Prussiens  délogés  de  toutes  les  hauteurs. 


'•  Allant-garde  prn.ssicnuc  qui  s'i'sl  retirée  n  l'upprnche  du  corjf  imjieri'il. 

Ii«  Position  du  gros  du  corps  de  Fiuck  près  île  Ma.ren, 

!••  Formation  des  Prussiens  derrière  Ma.ren,  après  leur  premier  renerx. 

yi'   Dernière  position  ilans  laquelle  les  troupes  de  Finck  ont  clé  réduites  a 

passer  la  nuit,  et  on  elles  ont  capitulé  le  21  au  matin. 
V.  Marche  du  corps  Rrentano  eenant  de  Lockowitz. 
O.  Position  du  général  Urenlano. 
!*•  Camp  des  Prussiens  près  .Ma.ven. 
y.   Troupes  impériales  au  moment  de  la  capitulation. 
!*•  Hauteurs  desquelles  l'armée  des  Cercles  a  bombardé  l'ennemi. 


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\  I  (  K  A  1>  M  1  K  A  I  ,    S  A  r  N  1)  K  R  s  , 

M  A.r  o  H  (  ;  K  N  I  :  iiA  L  W  ()  L  Y  E 

Hhkjadiku  (;km  haï,  MONC'KTON, 

Aii.j  inu(.Ai)ii:ii  (;kn  i;kai.  TOWNSIIKNJ) 

1'^  1)ra/vn/r.m  '/i.Ohuuxai.  Si  mt:^  S^tdrn  h/ thr EyarJ^^jiKus  ,ft/u'Armi/ . 
K  iigravoH  hv  Tll  ()  MA  S  J  E  F  F  JC  R  Y  S  , 
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