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Sciences
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23 WEST MAIN STREET
WEBSTER, N.Y. 14580
(714) 872-^ S03
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CiHM/ICMH
Microfiche
Séries.
^
v\
CIHM/ICMH
Collection de
microfiches.
Canadian institutta for Historical Mkritreproductions / Institut canadien de microreproductions historiques
1982
BB
Technical and Bibliographie Notes/Notes techniques et bibliographiques
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D
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du
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sion, and ending on the last page with a printed
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rata
0
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I à
3
32:(
IVIaps, plates, charts, etc., niay be filmed at
différent réduction ratios. Those too large to be
entirely included in one exposure are filmed
beginning in the upper left hand corner, left to
right and top to bottom, as many frames as
required. The following diagrams illustrate the
method:
1
2
3
Les cartes, planches, tableaux, etc., peuvent être
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Lorsque le document est trop grand pour être
reproduit en un seul cliché, il est fiSmé à partir
de l'angle supérieur gauche, de gauche à droite,
et de haut en bas, en prenant le nombre
d'images nécessaire. Les diagrammes suivants
illustrent la méthode.
1
2
3
4
5
6
1.A
GUERRE DE SEPT ANS
■: i»
*^Hp
DU MÊME A UT h un
Louis XV et lo Renversement des Alliances.
do la Guerre do Sept Ans (1754-1756). 1 vol. in-8".
Prélimiuttireb
La Guerre de Sept Ans. — Histoire diplomatique et militaire.
Vol. I. Les Débuts. — Vol. II. Crcfcld et Zorndorf. — Vol. 111.
luiudeii, Kunersdorf, Quolicc.
Droits de reproduction et de ttaditction réserve-t
pour tous les pays,
If compris la Suède et la Norvège.
TvrnGiiAi'niK fiiim:n-didot ti l" — mesmi. (tiiiE).
■igTiit»" ■ «.fc..
^
-? u
RICHARD WADDINGTON
LA
(.UEIIUE DE SEPT
IIISTOIKE DIPLOMATIOUE ET MILITAIRE
TOME IV
TORGAU — PACTE DE FAMILLE
foLVHAùL (.OLUON.NÉ TAU L'i.XSTITUT)
LIBRAIRIE DE PARIS
FIliMIN-DIDOT ET C", IMl'KIMEUliS-EDlTEURS
56, RUE JACOB, PARIS
M-
I
PREFACE
\.(i quatrième volume de la guerre de Sept Ans est
consacré aux événements militaires de ITfîO et du com-
mencement de 17(>l ; il relate la glorieuse agonie de la
domination française au Canada; enfin, il contient le
récit des tentatives infructueuses de Choiseul pour ré-
tablir la paix en Europe et des longues négociations qui
précédèrent la conclusion du pacte de famille.
Fidèle à la méthode suivie pour cet ouvrage, je me
suis efforcé de puiser aux sources nombreuses et variées
que fournissent les archives de la plupart des pays in-
téressés Ma tâche a été singulièrement facilitée par le
concours des hommes éminents qui dirigent ces établis-
sements ou qui y travaillent. Aux noms déjà cités, je me
plais à ajouter ceux de M. Marcel, de la Bibliothèque Na-
tionale, du général Herlhaut, directeur du service géo-
graphique, du liculcnanl-colonel Desbrières et du com-
mandant Colin, de la section historique du Ministère de
la (iuerre.
Je suis heureux de renouveler mes remerciements aux
autorités de Berlin et de Vienne, dont les renseignements
t^m^immmvm^.^^ su» . , i/immwwm
r%i^~
W
VIII , PRKFArR.
m'ont (H(' dos plus précioiix, mais jo dois imo monlion
spéciale à mon ami le 1)' llans Sdililler qui m'a, conmie
toujours, puissammoni aidé dans nios roclierclios et que
jo suis lioureux do félicitor d'un avancomont bien mé-
rité.
A Londres, les indications les plus utiles m'ont été
données par les fonctionnaires du Mccord Oflicc et du
liritisJi Muséum, qui tous (mt mis une jurande amabilité à
seconder mes elVorts et p <rmi les(|uels je regrette do ne
p,lns trouver M. Hickloy, dont une mort prématurée a
brisé la carrière pleine de promesses.
Plusieurs de mes com|)iilriotes ont mis à ma disposi-
tion des papiers de famille ou des manuscrits inédits,
(ù'est à ce titre que le regretté duc de Uroglie, le comte
d'Kscliovannos, M. de Kerallain ont droit à toute ma
gratitude. iM. Croo(;k\vid, de Rotterdam, m'a prêté
une corrospondance fort intéressante de réfugiés hugue-
nots établis à Berlin. Enlin, je ne saurais oublier la dette
de reconnaissance (jue j'ai contractée à l'égard de mon
maître respecté M. Sorel , qui jusqu'r. sa dernière
heure n'a cessé de m'assister de ses conseils et de mar-
quer l'intérêt qu'il prenait à mes travaux.
Saint-l.i'',i!or. le .'S oclolirc l'.inr.
Hicliard Waudinc.ton.
''il
.1
I
I,A
(Ml EU II K [)K SEPT ANS
CHAPITUE I
LANDSHUT ET LIEGNITZ
LAUnON V.S SILKSIE, — COMBAT DE LA>'USIIUT. — PHISE DE
(ll.ATZ. — AliniVÉE 1)1 PRINCE IIEMU ET DES RUSSES A
URESLAl . — nOMIJARDEMENT DE DRESDE. — LEVÉE DU
SIÈGE. — MARCHE PARALLÈLE DK DAUN ET DE FRÉDÉRIC
VERS LA SILÉSIE. — OPÉRATIONS SUR LA KAT/RACH. —
RATAILLE DE LIEC.MT/,, — RECUL DES RUSSES.
Les négociations pacifiques de La Haye, quoiqu'elles
eussent été la princij)ale préoccupation de la plupart des
cours européennes pondant la lin de l'hiver et le commen-
cement du printemps de 1760, n'empêchèrent pas les bel-
ligérants de porter toute leur attention sur les préparatifs
de la campagne prochaine.
Pour Fr-^déric, en particulier, la tâche fut singulière-
ment ardue; l'armée prussienne, décimée par les ba-
tailles sanglantes livrées aux Russes, réduite par la ca-
pitulation de Maxen et par l'échec de Meissen. avait
beaucoup soutfert de la prolongation des hostilités en
Saxe; le froid, les intempéries d'une saison exception-
nellement dure, les maladies, avaient diminué des effec-
tifs qu'il devenait de plus en plus difficile de rétablir
avec les ressources du contingent national. A défaut des
liUERIlE DE SEl'T ANS.
T. IV.
LA CIKHIIK DE 8KPT ANS.
CHAP. I.
conscrits (|uo le territoire royal ne fournissait plus en
nombre suffisant, on dut avoir recours aux levées odec-
tuées en Saxe ou dans le Mecklondjourg, aux vf)lonlairc8
qu'on obtenait par rentreniise d'entrepreneurs de recru-
teujcnt, dont l'organisation s'étendait sur toutes les
parties de l'Allemagne, aux déserteurs des armées étran-
gères, enfin, aux prisoiuiiers de guerre, incorporj's de
force. (Jrrtoe à ces moyens empiri([ues, on put remplir
les vides de l'infanterie et reconstituer les cadres perdus
h Maxen. Dans les régiments (le cavalerie, les lacunes ne
furent pas coml)lées aussi rapidement et il fallut opérer
des réductions. Mais ce fut dans le coips d'officiers que
le défaut de bons éléments se fit le plus sentir; pour rem-
placer les excellents serviteurs des 'innées précédentes
que la mort, les infirmités ou la captivité avaient fait
disparaître, on fut obligé de faire appel aux bataillons de
forteresse, et d'introduire dans l'armée active des sujets
dont la qualité laissait à désirer.
Déduction faite des garnisons et des dépôts, Frédéric
mit en ligne une force totale de 126 bataillons et de 190 es-
cadrons, fournissant environ 90.000 à 100.000 combat-
tants. Ces troupes auraient à tenir tète à 120.000 Aiitri-
cliiens, 80.000 Russes, 10.000 Suédois et 20.000 Impériaux,
soit à un ensemble de 230.000 ennemis.
Avec une disproportion si marquée dans les effectifs,
le roi de Prusse était dans la nécessité de se résigner à
la défensive; aussi, son armée était-elle distribuée en con-
sécjuence. Tandis qu'avec le corps principal, de VO à
45.000 bomnics, il maintiendrait ses |)ositions en Saxe,
vis-à-vis du maréchal Daun, le prince Henri et le général
Fouqué, avec V5 à 47.000 combattants, se partageraient
la tîïcbe (le protéger la Silésie contre les Autrichiens et
d'arrêter l'invasion russe; enfin le général Jung Stutter-
heim, avec une faible division de .j.OOO hommes, sur-
veillerait les agissements des Suédois.
PRKPAIIATIFS DKS HELLIGKRANÏS. 8
Do leur C(Mé, les cours do Vienne ot de Pétorshourg,
([ui venaient do rossorrer les liens de leur alliance par
le traité du 7 mars 17G0, s'elloivuient do combiner un
plan d'opérations. l)vs le mois de janvier, Daun avait
soumis (1) à l'approbation de rimpénitrice-lleino un
[)rojet dans letpiel les rAles étaient ainsi répartis : le
fcid-raarôclial, avec ."»(). 000 liommcs, tiendrail tôto au
Uoi en Saxe; le reste des troupes autrichiennes entrerait
en Silésio par la Lusaco et entreprendrait le siège de
Schweidnitz; rainiôo russe n.archerait sur Breslau et
joindrait son action à la leur. De ce plan adopté dans
ses grandes lignes, l'exécution fut retardée par l'inror-
pora*ion dos recrues et par la lenteur haliituclle de la
mobilisation russe. L'hiver en Saxe ne l'ut signalé (]ue
par des oscarn'ouches do médiocre importance entre les
deux armées, dont les cantonnemonis étaient pou éloi-
gnés. Le 25 avril, Frédéric évacua lo poste de Freyberg,
dans leqL'"' il s'était maintenu avec tant de ténacité, et
concentra son armée derrière la Triebsche et autoui
de Meissen. Daun se contenta d'occuper Freyberg et
NVildsi'uf ; Lasoy, (jui avait été élevé au grade de général
d'infanterie, fut détaché avec un corps distinct sur la
rive droite de l'Klbc, et Beck, posté à Zittau, fut chargé
de veiller sur les communications avec la Silésic. Ces posi-
tions furent conservées jusqu'aux premiers jours de juin.
Contrairement à ce qui avait eu lieu les années précé-
dentes, la campagne débuta par roffensive des Autrichiens,
changement du à l'initiative laissée à l'entreprenant Lau-
don, qui était investi d'un commandement indépendant
en Silôsie. Cet officier, né en Livonie d'une famille d'ori-
gine écossaise, d'abord oflicier subalterne dans l'armée
russe, après avoir cherché inutilement à entrer au service
prussien avait accepté une compagnie dans le régiment
(1) Monlazct i\ Clioiseul, Vienne. 10 janvier I7G0. Aftaires Élrangèics.
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CIIAP. I.
I
irrégulior du partisan autrichien Trenck. Encore lieute-
nant-colonel au commencement <le laGueire de Sept ans,
il venait d'être promu au grade de général d'infanterie
et mis à la tète dos 40.000 hommes affectés par la cour de
Vienne à l'invasion de la Silésie et à la coopération avec
les Russes. Laudon devait cette distinction à sa conduite
pondant la campagne de 1759, à la confiance qu'il avait
su inspirer aux généraux moscovites, et aussi à la faveur
justifiée dont il jouissait auprès de l'Impératrice etdeKau-
nitz. A la suite d'un voyage à Vienne, où il avait été appelé
pour donner sotî avis sur les opérations à enlreprendre en
Silésie, et après une conférence avec Daun à Dresde, Lau-
don rejoignit son corps d'armée à Konigg-ratz; le 30 mai,
il franchit la frontière (1) avec 34 bataillons de ligne,
33 compagnies de grenadiers, 75 escadrons et 44 canons;
le 31 , il était à Frankenstein, sur la route de (ilatz à Bres-
lau ; de là, il poussa des détachements sur Reichenbachet
Nimtsch, où ils prirent le contact avec la cavalerie prus-
sienne. Impressionné par ces mouvements, qui semblaient
indiquer des intentions agressives, soit contre SchweiJnitz,
soit contre Breslau, Fouqué crut prudent d'évacuer le
poste de Landshut, où il se trouvait beaucoup trop éloi-
gné des points menacés, et se retira successivement aux
environs de Schweidnitz, puis k Rommenau, à portée de
•la capitule de la Silésio. Il était encore dans ce camp
lorsqu'il apprit que Laudon avait quitté Frankens-
tein, le 7 juin, qu'il avait marché dans la direction de
(ilatz, et que Landshut avait été occupé par les Autri-
chiens. Le général prussien, revenant sur ses pas, suivit
l'adversaire jusqn'à Grilditz, à quelques kilomètres de
Schweidnitz. De là il informa (2) le Roi qu'il lui serait
impossible de rien tentei pour la défense de la partie mon-
(1) Pour les opérations de 1« Silésie, de la Saxe et du Braiidebouig, con-
sulter la carte ù la fin du volume.
(2) Fouqué à Frédéric, (irUditz, 10 juin 1760. Sclioning, voi. H, p. 318.
LAUDON EN SILÉSIE. 5
tagneuse de la province, sans courir de grands risques,
mais qu'il ferait de son mieux pour protéger le pays plat
contre les incursions de l'ennemi. Le rapport de Fouquc
se croisa avec une dépèche de Frédéric, en date du 11 (1 j,
lui intimant l'ordre formel d'^ quitter la banlieue de Bres-
lau, où on le croyait encore, de se rendre à Schweidnitz,
puis à Landshut, de chasser l'ennemi de cette ville et
de s'y établir solidement.
D'après l'auteur de la biographie de Fouqué (2), le
billet royal aurait contenu (quelques mots indiquant un
mécontentement des plus vifs : « C'est vous et le diable
que je remercie d'avoir abandonné mes montagnes. Ren-
dez-moi mes montagnes, que cela coûte ce que cela vou-
dra. » Des considérations d'ordre politique n'avaient pas
été sans influence sur la décision de Frédéric, en général
attentif à l'opinion dun do ses lieutenants les plus écou-
tés. Les Autrichiens avaient profité de leur supériorité
pour envahir les vallées industrieuses des Uiesengebirge,
et pour y lever (3) des contributions très lourdes; la seule
ville de Ilirschbcrg avait eu à supporter une taxe de
100.000 thalers à laquelle l'envahisseur avait ajouté un
supplément de 25 % pour compenser la dépréciation des
monnaies prussiennes. De là, des plaintes dont le gouver-
neur civil Schlabrcndorf s'était fait l'organe et qui avaient
fâcheusement impressionné le Roi. Reconnaissons d'ailleurs
que le prince Henri partageait l'opinion de son frère
sur l'inopportunité de la reculade, « le général Fouqué,
éi^iit (4) le prince, a voulu se replier de Furstenstein et
de Landshut, le V au soir, quoique Laudon frt encore ce
jonr-là à Frankcnsteiu ; je ne crois pas me tro.rij or si je
(!) Frédéric à Fouqi:é, 11 juin 1760. Schuning, vol. II, j). 320.
(2j Sodcnstein, l'eldzug von In Molle l'otiqué in sclilcsieii, 1760. Casse!,
1862.
(3) (lestândnisse eines Oeslerrcictiisclien ]'J>lei(ins,\o\. III. Hreslaii, 1790.
(4) Henri à Frédéric, Sagan, G juin 1760. Scliitninî^, vol. Il, p. 311.
■t«.sa»'-J
6 LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I. ;
désapprouve la résolution que le général Fouqué a prise ;
j'ignore encore, sur l'heure, s'il l'a exécutée; j'espère
toujours qu'un heureux instinct l'aura fait changer de sen-
timent ; mais si cela est arrivé, voilà Laudon maître des
montagnes et en état de tout entreprendre ». Enfin, Fré-
déric, qui négociait depuis longtemps à Constantinople,
était très disposé (1) à compter sur une intervention des
Turcs et à croire que le mouvement rétrograde de Laudon
était dû à cette cause. Autant de motifs pour engager
son général à tenir ferme, en attendant que, débarrassé
de Daun. il pût aller à son secours.
Fouqué était encore à (iraditz quand la dépêche royale
lui parvint, le 1(» : il obéit aussitôt (2). « En consé-
quence, je fais mes arrangements pour l'expédition de
Landshut, et partirai cette nuit,... j'espère que la for-
tune nous secondera et je me flatte que chacun y fera son
devoir, quoique le cas soit fort douteux. « Conformément
à sa promesse, Fouqué manda, le lendemain soir, qu'il
avait marché avec toutes ses forces, ne laissant que
Zieten avec un détachement pour maintenir la com-
munication avec Schweidnitz, et que l'ennemi s'était re-
tiré, sans grande résistance, sur les hauteurs de Reich-
Ilcnncrsdorf, lui abandonnant la possession des lignes de
Landshut. C'est dans cette ville qu'il dut recevoir le? nou-
veaux ordres de son monarque, plus impérieux que les
premiers et accompagnés d'un blâme sévère pour sa con-
duite passée : <( Je vous réplique, écrivait le Roi (3), que
par votre marche et retraite trop précipitée vers Breslau,
vous m'avez perdu les montagnes; il faut absolument
que vous les repreniez... Vous n'épargnerez rien au monde
pour réoccuper les postes de Fiirstenstein et Landshut, et,
comme vous pouvez disposer de 20 bataillons, il faut que
(1) Frédéric àllcnii, Meissen, 12 et 22 juin 1760. Sduining, vol. II.
(2) Fouqué à Frédéric, Grilditz. 16 juin 1760. Schiining, vol. II,' p. 328.
(3) Frédéric ù Fouqué, Meissen, li juin 1760. Corr. l'olit., XIX, p. 420.
FOUQUE REVIENT A LANDSHUT. 7
VOUS déloj^iez reimcmi de ces deux postes. » Le Roi
annonçait sa prompte venue en Silésie ot terminait par un
post-scriplum en français, très significatif : <( Mes g-énéraux
me font plus de tort que l'ennemi, parce qu'ils manœu-
vrent toujours de travers. »
Quand Fouqué fut touché par la missive royale, sa
situation était devenue critique. Avec les l'i..000 hommes
([ui formaient son commandement, il avait à couvrir les
places fortes de la Silésie, à protéger le pays contre les
incursions autrichiennes, à tenir tête à Laudon, qui ahan-
donnait le blocus de Glatz pour s'en prendre à lui, et à
Beck, qui venait de se porter de Zittau à Greiffenberg.
Pour une besogne aussi étendue qu'épineuse, il savait par-
faitement qae ses forces n'étaient ri*^n moins qu'adéqua-
tes, et cependant la précision avec laquelle l'ordre élait
rédigé, les appréciations blessantes qui le soulignaient,
n'admettaient ni explications, ni observations; Fouqué
répondit en soldat <{ui exécute sa consigne. Il fait part
de (1) la concentration des Autrichiens autour de sa posi-
tion et des renforts qui leur parviennent chaque jour, puis
il ajoute : « Puisque Votre Majesté royale m'a ordonné, à
plusieurs reprises, d'occuper ce poste, j'y resterai et je le
maintiendrai jus(|u'à la dernière extrémité. » A ses offi-
ciers, il se sei'ait exprimé dans les mêmes termes (2) :
.' Le Roi me prend pour un triste sire, parce que je me suis
retiré des montagnes ; je lui prouverai le contraire quand
même j'y prévois ma destruction et celle de beaucoup de
braves gens. » La perspicacité du vieux général n'était pas
en défaut; autour de lui, l'orage grossissait à vue d'oeil.
Laudon qui s'attendait à la réunion du prince Henri et
de Fouqué, fut surpris du retour de celui-ci et résolut
de profiter de l'isolement du corps prussien qui lui était
fort inférieur. Son adversaire n9 pouvait recevoir de se-
(1) Fouqué à Frédéric, Landsluit, 19 juin 1760. Schiiulng, vol. H, \>. 332.
(2) Jaiiko, Laudons Lelicn, p. 141). Vienne, 1860.
1
i
i
LA GlERRE DE SEPT ANS.
CHAP. I.
cours en temps utile, car le Roi était encore en Saxe, et,
d'après les nouvelles les plus récentes, le prince Henri
avait passé l'Oder et était allé au-devant des Russes. Lais-
sant 3 bataillons d'infanterie et 3 régiments de cavalerie
pour l'investissement de Glatz, le général autrichien di-
rigea toutes ses troupes sur Landshut; le 19, son avant-
garde, sous les ordres de Nauendorf, eut un engagement
heureux avec les hussards de Malachowsky, que Fouqué
avait envoyés à la découverte. Le 20, Laudon s'établit près
de Forst et chercha à couper les communications des Prus-
siens avec Schweidiiitz; en même temps, il invita Reck à
quitter Friedberg sur la Qucis et à se porter à Hirschbr rg.
La ville de Landshut, bâtie sur la rive droite du Rober
et sur le promontoire que forme cette rivière avec son
affluent, le Zieder, est dominée par un amphithéûtre de
hauteurs, dont le premier étage, le plus rapproché du
bourg, s'étend depuis le village de Rlasdorf, jusqu'au
Zieder. De cette chaîne émergent les mamelons de Rlasdorf,
de Hahn, de Galgen et de Hirschberg (1), qui avaient été
couronnés d'ouvrages défensifs. A une distance moyenne
d'environ 2 kilomètres, se dresse une seconde rangée de
collines, celle de Rcich-Hennersdorf. plus élevée que la
première; son prolongement, au delà du Zieder, se con-
tinue par une succession d'éminences rocheuses, les unes
nues, les autres boisées, dont la dernière, le Mummel-
berg, se relie à la crête de Forst. Tous ces sommets
avaient été fortifiés au moyen de flèches, de palissades,
de fossés, et même de blockhaus construits au cours de
la campagne de 1759 ; pendant leur courte occupation,
les Autrichiens n'avaient rien détruit; aussi, les Prussiens
n'eurent-ils qu'à reprendre possession des lignes qu'ils
retrouvèrent intactes. Du Mummel au Leuschnerberg, situé
en aval de Landshut, près du village de Vogelsdorf, Fou-
(I) Dans la plupart des récits celte butte porte le nom de Kirchbeig.
DISPOSITIONS DÉFENSIVES DE FOUQUÉ. 0
que avait fait creuser une nouvelle tranchée pour protéger
sa gauche. De ce point jusqu'aux retranchements de
Blasdorf, la position prussienne avait une circonférence
de plus de 7 kilomètres.
A la défense, Fouqué pouvait allecter 15 bataillons, 15
escadrons et 68 canons, soit des forces dont l'effectif n'at-
teignait pas 11.000 hommes; au lieu de les concentrer sur
les points les plus essentiels, il les éparpilla sur toute la
longueur. A l'extrême droite, les quatre tranchées de la
colline de Blasdorf furent occupées par les irréguliers de
Le Noble et Collignon, soutenus par quelques piquets de
volontaires. Le Hahnberg, le Galgenberg- et le Hirsch-
herg reçurent une garnison de 5 bataillons avec un 6"
et 2 escadrons en ïéserve. Dans des retranchements qui
s'allongeaient du Rabenberg au Leuschnerberg, furent
postés 6 bataillons; enfin, dans un faubourg de Landshut,
sur la rive gauche du Bober, un bataillon d 'irréguliers.
La cavalerie était formée dans la plaine de Reich-IIen-
nersdorf ou servait de lien entre les deux ailes, près du
village de Nieder-Zieder. Des avant-postes, fournis par des
détachements empruntés aux bataillons dits libres (1) ou
irréguliers, couvraient le front de bataille.
Laudon d'abord s'était attendu à une retraite que
justifiait la supériorité autrichienne; quand il se rendit
compte de l'intention de Fouqué d'attendre l'attaque de
pied ferme, il prit ses dispositions pour entourer les Prus-
siens et les forcer à mettre bas les armes.
Il avait réuni, sur le terrain do la lutte, des forces que
les écrivains militaires ont évaluées à drs chiffres variant
de 26 à 4.2.000 hommes. D'après l'Autrichien Cogniazzo,
qui fut présent à la bataille, la proportion des combat-
tants aurait été de 40 à 15 pour l'infanterie, de 70 à
15 pour la cavalerie en faveur de Laudon, calcul qui
(1) Ces Frei-BaliiiUonnc coriespondaienl aux troupes légores de l'armée
trançaise ou aux Croates des Autrichiens.
Wp'lf" fjlwll*^
10
LA GUERUÉ DE SEPT ANS.
CHAI'. 1.
donnerait àcederninr 28.000 fantassins et 7.000 cavaliers.
Poui' sou entreprise, le général autrichien distribua .son
' monde en quatre colonnes; les trcfis premières, fortes de
2V bataillons, avaient pour mission d'enlever la partie
des ouvrages comprise entre le ruisseau du Ziedor et le
- Leuschnerberg, défendue par la gauche de Fonqué; la
quatrième, conduite par Wolfersdorf, était chargée d'une
fausse attaque contre la droite prussienne, La cavalerie
devait appuyer son infanterie et couper la retraite à
l'ennemi; un détachement mixie accomplirait la même
besogne sur l'autre rive du B-)bcr.
Fouqué, qui ne pouvait s* faire illusion sur les pro-
jets de Laudon, fat informé, par des déserteurs, de l'as-
saut imminent qui se préparait. Il n'en tint aucun compte
et poussa l'obéissance passive aux ordres relatifs au main-
' tien des lignes de Landshut, jusqu'à l'envoi, dans la soirée
du 22 juin, d'une centaine de chariots, sous escorte, pour
chercher à Bolkenhayn et Schweidnitz le pain qui allait
lui faire défaut. Le 21, il avait averti le Roi il) de la po-
sition dangereuse dans laquelle il se trouvait : « En front,
j'ai les corps de Geisrugg et de Jahnus; des deux côtés,
ceux de Wolfersdorf et de Nauendorf, qui rec^oivent tous
les jours des renforts du corps de Laudon. Je me tiens ici
ferme et comme cloué à la place, je ne pourrai me retirer
parce que l'ennemi est si près de moi que nous échan-
geons des coups de fusil. La communication avec Schweid-
nitz et le général Zieten sur le Zeiskenberg est coupée. Jus-
qu'à la lin du mois, je seraicouvertenpain et en fourrage.
Dans cette situation, j'essaierai de tenir jusqu'à l'extré-
mité et d'attendre une diversion de Votre Majesté royale. »
Pendant les cinqjours que prenaient les courriers pour se
rendre des bords de l'Filbe au camp de Fouqué, le Roi,
revenu à de meilleurs sentiments à l'égard de son vieux ser-
(1) Fouqué à Frédéric, 21 juin 1760. Schoning, vol. II.
COMBAT DE LANDSHUT.
11
viteiir, clmnge de langage. Il explique les raisons qui re-
tardent son départ pour la Silésie, donne rendez-vous à
Fouqué sous les murs de Schweidnitz, puis, î\ la date des
22 et 23 juin, lui envoie l'autorisation de détruire liis ou-
vrages de Landshut et de battre en retraite sur Breslau.
Ces dép^'ohes ne parvinrent pas au destinataire.
L'affaire débuta (1) dans la nuit du 23, A deux heures
du matin, par un feu d'artillerie des plus vifs, dans lequel
les Autrichiens eurent bientôt le dessus. Sous le couvert
de la canonnade, la première colonne de droite, conduite
par Laudon en personne, ccmtourna les retranchements
prussiens, et eu prit les défenseurs à dos pendant que les
autres colonnes, dirigées par les généraux Miiftling et
(ieisrugg, les abordaient de front. L'aile gauche prus-
sienne, écrasée par le nombre, après un vaillant mais court
effort, fut obligée d'abandonner ses tranchées; un retour
énergique du colonel Rosen fut repoussé et les Autri-
chiens restèrent maîtres de tout le Mummelberg et des
hauteurs avoisinantes. La résistance se prolongea quel-
que temps à la redoute du Thiemberg, mais elle fut em-
portée ainsi que le faubourg de Rothkretscham. Ces
succès obtenus, les généraux de l'Impératrice s'eiforcèrent
de rétablir l'ordre dans les formations et de préparer l'as-
saut du Hirschberget du Galgenberg, sur lesquels s'étaient
repliés les bataillons, fort maltraités, de la gauche prus-
sienne; la cavalerie autrichienne franchit le Bober pour
interdire àFouqué la retraite surSchmiedeberg ou Kupfer-
berg, seule voie qui lui fût encore ouverte.
Au cours du combat que nous venons de décrire , Wolfers-
dorf, àla tête de la gauche autrichienne, avait engagé avec
les Prussiens qui lui faisaient vis-à-vis, une action qui, ù
(1) La descrlpUoii ilii combat est empruntée au volume III de louvragc
de l'Ëtât-major général prussien, publié en 1834, à Cogniazzo, à Janko, au
rapport de Laudon (Archives de Vienne) et à Sodenstein, l'cldzitij von, La
Molle Fouqué. Voir la carte à la fin du volume.
1»
LA GUERRE DE SEPT ANS. - CHAP. I.
dessein, parait avoir été assez mollement menée; elle eut
cependant pour résultat de forcer la garnison de Blasdorf
k se reporter, avec perte, sur le Ilahnberg; un moment, les
Autrichiens s'emparèrent aussi de ce mamelon, mais ils en
furent cliassés par un retour ollensif des Prussiens que
Fouqué avait renforcés. Wolfcrsdorf ne renouvela pas son
attaque et se borna à faire passer le Bober à sa cavalerie,
à l'effet d'agir sur les derrières de l'ennemi.
Il était à peu près k heures; de toutes les lignes qu'il
occupait la veille, il ne restait à Fouqué que les mamelons
((ui s'étendent du Hahnberg au Ilirschberg et la ville de
Landshut; pour les défendre, en dehors des troupes déjà
battues de ses deux ailes, il ne pouvait disposer, en fait de
réserve, que de quatre bataillons et de quelques escadrons
qui n'avaient pas été engagés. Pendant qu'on se préparait
de part et d'autre pour la lutte suprême, les batteries au-
trichiennes, amenées sur les hauteurs conquises du
Mummel, se joignirent à celles de Reich-llennersdorf, pour
couvrir d'une pluie de projectiles les débris du corps de
Fouqué. Le combat recommença vers 6 heures; Laudon
lança deux colonnes contre les retranchements prussiens :
la première, qui devait assaillir de front le Ilirschberg,
échoua; la seconde fut plus heureuse; elle prit facile-
ment possession de Landshut qui n'était défendu que par
un faible détachement, déboucha derrière la colline et
unit ses efforts à ceux de l'autre colonne qui avait renou-
velé l'assaut direct. Les Autrichiens finirent par se rendre
maîtres du Ilirschberg, malgré la résistance désespérée
des Prussiens et malgré les renforts envoyés par Fouqué
du Galgenberg. Entre temps, Wolfersdorf avait repris l'of-
fensive et s'était établi délinitivemerit sur le Hahnberg.
Ce qui restait des soldats de Fouqué se groupa autour
du général sur le seul point qui fût encore à eux, le
Galgenberg. La lutte fut héroïque; au dire des au-
teurs prussiens, trois attaques furent repoussées, deux
iiii
DEFAITE DE FOLQIIE.
t>
sommations de se rendre furent rejetées; enfin, vers
î> heures du matin, Fouqué tenta de sauvei' les dé-
bris de son corps d'armée en franchissant le Bobcr et
(Ml gagnant la route de Schreibendorf (I). Il était trop
tard. A la vérité, Foufjue, avec quelques centaines de
braves, put se fray " un chemin à travers le bourg de
I.andshut jusqu'.ai chemin de Reussendorf ; les derniers
survivants se formèrent en carré et tinrent tète aux pre-
mières charges; mais, cernés de tous côtés, fusillés par
un bataillon wallon appartenant au corps de Beck,
sabrés par les dragons de Lowenstein, ils succombèrent
presque tous. Fouqué, blessé et pris sous son cheval, eût
été achevé par les cavaliers autrichiens sans le courage de
son fidèle serviteur Trautscke, qui lui lit un rempart de
son corps. Enfin, le lieutenant prussien Franck et le capi-
taine autrichien Eichbeck le tirèrent des mains des soldats
et le remirent au colonel de Voigt, chef du régiment des
dragons de Lowenstein. Celui-ci lui oll'rit son cheval et
comme Fouqué refusait en disant que le sang de ses
blessures tacherait la selle et le bel équipement du colonel :
« Je puis assurer Votre Excellence, répliqua-t-il, que mon
harnais gagnera énormément on valeur d'avoir été arrosé
du sang d'un héros. » Cet épisode fut presque le dernier
acte de la bataille qui se termina vers 10 houres du matin.
De l'armée de Fouqué, il n'échappa que 12 à 1.500
liommes, appartenant à peu près tous à la cavalerie qui, au
cours de la bataille, avait été envoyée sur la rive gauche
du Bober; en l'absence d'officiers supérieurs, tués ou
pris, le major Oustien prit le commandement et les mena
à Breslau. Tout le reste, plus de 9.000 hommes, fut tué ou
fait prisonnier; dans cette dernière catégorie, furent
compris, avec Fouqué, les généraux Sclienkendorf et Mala-
chowski et quatre colonels. Dans son rapport, Laudon
,t
(1) Village situé dans la direction de Sclimiedeberg,
14
La GUËRUE de sept ans. — PH VP. I.
parle (1) de plus de 3.000 prisonniers, ce qui laisserait
(i.OOO pour le cliilIVe des tués ou blessés ; toute l'artillerie,
68 canons, 34 drapeaux, 2 étendards et une paire de tim-
bales, tombèrent entre les mains des vainqueurs. Les
pertes autrichiennes s'élevèrent, d'après les documents
ofliciels, à 768 officieiN et soldats tués et à 2.005 blessés.
Frédéric rendit hommage à la conduite héroïque de son
général et de ses soldats. » Cette belle action, écrit-il en
parlant du combat de Landshut, n'en trouve, dans l'his-
toire, qui lui puisse être comparée, que celle de Léonidas
et des (Ircos qui défendirent les Thermopylesetqui eurent
un sort à peu prés sendilable au sien. » (îogniazzo et
F^audon lui-même, le pr<'mier, en termes enthousiastes,
célèbrent la bravoure des vaincus. Mais si l'historien doit
s'associer à un éloge bien mérité, il est de son devoir de
blâmer l'obslination du général qui, par amour-propre ou
par obéissance passive poussée à l'exagération, sacrifia
inutilement son corps d'armée. L'on prétend ([ue Fouqué
avait juré, l'expédition de Landshut terminée, de ne plus
tirer son épée du fourreau. Si l'engagement fut pris, il fut
rempli. Retenu prisonnier à Vienne, puis à Carlstadt, en
Croatie, Fouqué ne rentra en Prusse qu'à la paix ; il fut
très bien traité parle Roi, mais no voulut pas reprendre
du service; il mourut à l'Age de 77 ans, en 1774.
Dans la direction de la bataille et des opérations
qui l'avaient inunédiatement précédée, Laudon montra
du coup d'oeil, de l'activité et de la décision; il sut tirer
parti de sa supériorité en hommes et en canons. Il fut,
d'ailleurs, bien secondé par ses officiers supérieiu's, parmi
lesquels Rouvroy, le commandant de l'artillerie, a droit
î\ une mention spéciale. La gloire de la journée fut
ternie par les scènes de pillage et de meurtre dont la
malheureuse ville de Landshut fut le théâtre. D'après les
(1) Relalion delà vicloiie de Laudon. Kaunilz à Slailiemberg, 2G mai 1700.
Annexe. Archives de Vienne.
LK SUCCÈS DK LAUDON NA PAS DE SJITES.
Ib
ircils locaux, 12 hahitunls furent tués, 43 sérieusement
l)lessés el environ 300 fort nuiltraités; le dommage rem-
boursé plus tard par le Uoi, aurait dépassé 035.000 tlia-
1ers. Ces excès, d'autant plus impolitirpics (pi'ils s'exer-
çaient sur d'anciens sujets autrichiens dont le recouvrement
était l'objet de la guerre, ne purent être empécliés par
I.audou, <jui les flétrit dans un vigoureux ordre du jour
adiessé aux troupes.
\ai destruction du corps d'armée au(|uel avait été con-
fiée la défense de la Silésie aurait dû avoir pour consé-
rpience logique de livrer la province aux Autrichiens. Il
n'en fut rien, et cependant abstraction faite des blessés
et malades, des troupes afTectées au blocus de Glatz, à
l'escorte des i)risoriuiors et à la sûreté des communica-
tions, Laudon et IJeck pouvaient mettre en ligue prés
de VO.OOO hommes auxcpiels les Prussiens n'avaient à op-
poser que les faibles garnisons des places fortes, les
1.500 fuyards du champ de bataille et les 3.000 hommes
de Zieten. Ce dernier ne tenait plus la cam[)agnc, car,
aussitôt informé du désastre de Landshut, il abandonna
la position du Zeiskenbcrg où son chef l'avait placé,
renforça, en passant, Schweidnitz de deux bataillons,
et avec les deux autres, se replia sur Breslau. D'autre
part, ni le Roi ni le prince Henri n'étaient en mesure
d'accourir. A la date du 20 juin, c'est-à-dire au mo-
ment où Laudon, après avoir réparé le désordre du
condjat, eût été à même de reprendre les opérations,
Frédéric, aux prises avec l'armée supérieure de Daun,
avait son quartier général à Gross-Dobi'itz, sur l'Elbe,
entre Dresde et Meissen, à di\ ou douze marches du
centre de la Silésie; le prince Henri était encore plus éloi-
gné; posté avec le gros de ses troupes à Landsberg, sur
laWartha, il surveillait les Russes, incertain s'ils marche-
raient sur la Poméranie ou sur la Silésie. Pourquoi Laudon
ne profita-t-il pas de l'occasion (|ue lui offrait la fortune,
r
j
I II
te
I,A GUKRRK UK SKi'T ANS. — rilAP. I.
pour tenter, dès le mais de juin, siirJilogau ou sur Bres-
lau, l'entreprise (ju'il essaya six semaines plus tard? I.a
possession d'une do ces forteresses avait beaucoup plus
d'imporlancc: que eellede(ilatz, ou même de Scliweidnitz,
car elle assurerait la jonclion avec les Russes, point ca-
pital d'upicl dépendaient tous les projets de la campagne.
Persoiniellement, Laudon ne croyait gu^re au succès
de la combinaison; il avait écrit (1) à Kauuitz au début
du mois ([u'il n'avait aucune confiance dans la coopé-
ration de l'allié; il était d'avis ((u'il falkit diriger
les mouvements des armées autrichien:"es comme
si elles devaient agir isolément, et sans se préoccuper
des Russes qui serviraient à détourner l'attention de
l'ennemi, mais qui, en réalité, ne seraient pas dange-^
reuv pour lui. Telle n'était pas la pensée de la cour de
Vienne qui aurait voulu attendre l'arrivée des Russes
pour entamer les hostilités; Marie-Thérèse elhî-méme
s'inquiétait de l'ollensive prise par sou général et n'hé-
sitait pas à faire part de ses craintes (2) au Fran(;ais
Montazct. Le cabinet de l'Impératrice avait rec^'u, par
l'entremise de son audjassadeur Esterhazy, le plan d'opé-
rations concerté avec la cour de Pétersbourg, mais il ne
se faisait aucune illusion sur les difficultés de l'e.vécution ;
depuis l'assentiment donné à l'attribution de la Prusse
royale à la puissance du Nord, il était évident (jue celle-
ci se désintéressait de plus en plus des aspirations
autrichiennes et entendait s'imposer, »iour les faire
aboutir, le minimum possible de s'X'ilices. « C'est un
grand malheur pour moi et pour ma maison, écrivait
Marie-Thérèse à Daun(3), ainsi que pour la cause com-
mune que la dite cour ne soit pas animée de meilleurs
sentiments et n'y mette pas plus d'entrain. Mais... comme
(1) Laudon à Kaunitz, 8 juin 1760. Lellrc citi'e par Janko.
(2) Monlazel à Clioiseul, Vienne, 21 juin 1760. Affaires Étrangères.
(3) Rescrit de l'Impératrice à Daun, 13 juin 1760. Archives de Vienne. ;
rOOPtiUATlON AVKC LES HUSSES.
IT
mes propres forceps ne suflisent pus pour m'nssurcr la
supériorité sur uion ennemi et pour terminer la guerre
promptement ri heureusement, je ne vous cacherai piis
les princii)es (pii doivent diriger notre conduite dans les
circonstances «'nd)roui!lces et très ('•pirjeus(\s où je me
trouve. i> Suit un exposé en cinq points des procédés à
employer pour arriver i\ l'entente , aussi bien avec le gou-
vernement c|u'avec le général russe, S(^ terminant par cette
conclusion Tort sage : « De la nécessité il faut l'aire une
vertu et cherchera tirer des opérations des Russes le plus
d'avantage possible, o Ku définitive, sans s'arrêter aux
détails, on s'cllorccrait d'ellectuer la jonctifm sui* l'Oder
et d'obtenir tout au moins la coopération d'un corps
de 20.000 hommes, de manière à livrer bataille aux
l'russiens sur la rive gauche dn fleuve. Tant pour assurer
l'accord entre les deux armées que pour renseigner la
cour de Vienne et son ambassadeur à l'étersbourg sur les
agissements des alliés, un général serait accrédité auprès
du iMaréchal Soltikofi"; j)our cette tj\che délicate, en
remplacement du général Fine, le cabinet avait désigné
le général IMunkett. Quant à l'action immédiate, Daun
était invité h envoyer une partie de son armée vers la
Silésie ou à retenir le roi de Prusse en Saxe, en inter-
ceptant ou en inquiétant ses communications avec la Si-
lésie. Le mémo rescrit informa le feld-maréchal que
Laudon avait demandé s'il devait entreprendre le siège
de Glatz ou faire une incursion dans la plaine de Silésie ;
ou lui avait répondu en lui laissant toute liberté à cet
égard, cependant on avait suggéré (jue les bataillons de
garnison devant suffire pour le siège, il pourrait, avec son
corps d'armée, s'avancer dans l'intérieur de la province.
Les choses en étaient là quand la nouvelle de la vic-
toire de Landshut parvint le 24 juin (1) à Daun, qui était
1
fl) MarainvLlle à Choiseul, Dresde, 24 juin 17C0. Affaires Étrangères.
oueiire: de sept ans. — t. iv. 2
9BI
I,
,(!■
m
LA GUEllRE DE SEPT ANS. - CHAP. I.
encore à Dresde. Deux jours après, le général en chef
entrant dans les vues de la cour, détacha sur Lauban et
Lowenberg, c'est-à-dire vers la Silésie, une division de
6.000 hommes sous les ordres de Stampa; il invita en
môme temps Laudon à se poster à Liegnitz, de manière
à barrer la route au Roi pour le cas où il voudrait se porter
au secours de sa province. Le 2 juillet, Daun. convaincu
que cette hypothèse allait se réaliser, et désireux de de-
vancer son adversaire, leva son camp sous les murs de
Dresde et prit également le chemin de la Silésie. Malgré
le retour de Frédéric sur la capitale de la Saxe, le feld-
maréchal persévéra dans son mouvement; il était, le 10,
à Marienburg, sur la Queiss, et y resta jusqu'au 15 juil-
let (1), date à laquelle les avis alarmants de Dresde le
décidèrent à revenir sur ses pas. L'envoi de Laudon à Lie-
gnitz a .ait été le résultat d'une conférence (2) teiuie à Vienne
dans laquelle on avait ajourné les sièges de (ilatz et de
Breslau, le premier parce qu'il retiendrait l'année trop
loin des Russes, le second parce qu'on le considérait
comme dangereux avant l'arrivée des alliés. Ces fausses
manœuvres firent perdre aux Autrichiens, avec trois se-
maines de temps, presque tout le fruit qu'ils auraient
dû tirer de leur succès du 23 juin.
Revenons maintenant à Laudon, que nous avons laissé
à Landshut. Conformément à l'ordre de Daun, il quitta,
le 'i- juillet, cette ville où il avait prolongé son séjour
sans doute dans l'attente des instructions de Vienne. La
marche sur Liegnitz, coupée par des arrêts, prit 5 jours
et, le 9 juillet, Laudon cantonna ses troupes autour de
Hochkirch (3), sur la rive droite de la Katzbach. Peu de
temps après, il eut avec Daan une entrevue, à la suite
de laquelle le feld-maréchal retourna à tire d'aile sur
(1) Moi-lazet à Choiseul, Oltendorf, 14 juillet 1760. Affaires Étiaiigères
(2) Comte de Ciioiseul à Bellcisie, 7 juillet 1760. Archives de la Guerre.
(3) village en anionl de Liegnitz.
SIEGE DE GLATZ.
ftt
Dresde, emmenant avec lui presque toute la division
Stampa, qu'il avait, quelques jours auparavant, mise
à la disposition de Laudon, et laissant ce dernier ren-
trer à son quartier général d'EichhoUz (1), où le gros de
l'armf'^e de Silcsie demeura jusqu'au 2 août. Il est diffi-
cile de saisir la raison de cette inaction si longue dans les
environs de Liegoitz; le Roi était de retour en Saxe, le
prince Henri était toujours loin, il ne pouvait être ques-
tion encore des Russe .. Il est vrai que Laudon détacha
d'Eichholtz 10 bataillons pour assister le général Drasko-
wich, qui commandait les troupes chargées du siège de
Glatz, lesquelles se composaient de 21 bataillons de ligne,
de 7 bataillons de Croates et de cavalerie. Quoique la
grosse artillerie ne fut pas au complet, les tranchées
furent ouvertes dans la nuit du 20 au 21 juillet; le 23,
arrivèrent le reste du parc et le général Ilarsch, auquel
la cour de Vienne avait confié, on ne sait pourquoi, la
direction des opérations.
Glatz était une des meilleures forteresses de la Silé-
sie. La vieille ville, bâtie sur la rive gauche de la Neisse,
s'était peu à peu agrandie de faubourgs qui bordaient la
rivière ou qui s'étageaicnt sur les flancs des collines ad-
jacentes, mais l'ancien quartier avait conservé ses murs
et ses tours, et se détachait des bâtisses plus moder-
nes qui lui faisaient ceinture. Les portes, assez rares, qui
s'ouvraient siir les faubourgs ou sur la campagne, étaient
protégées par des cavaliers; un fossé, alimenté par un
petit affluent de la Neisse, baignait les murs et les séparait
d'im chemin couvert qui faisait le tour de la majeure
partie do l'enceinte. Au nord de la vieille ville, était
la citadelle édifiée sur une hauteur qui se terminait du
côté (le la rivière par une falaise escarpée ; le front nord
de cette fortification était tracé à la Vaubau, avec bas-
iO A faible distance de llociikiicli et de Licgiiitz.
20.
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
tions. fossés secs, ravclins, etc. ; les ouvrages du front
ouest, quoique moins complets, notaient pas, grâce au
terrain, d'un abord facile. Au système de la défense,
depuis la conquête prussienne des additions importantes
avaient été faites; les ingénieurs royaux avaient construit,
en face de la citadelle, sur le Schoferberg, de l'autre côté de
l'étroit défilé de laNeisse, un fort en forme d'étoile auquel
on avait donné lappeilation de « nouvelle forteresse » et,
sur l'éperon qui prolonge l'emplacement de la citadelle,
ils avaient élevé la redoute de Kranich, reliée au front
du nord par un chemin creusé dans le roc, d'une lou-
gueur de près de 300 mètres. En 1760, les fortifications
étaient en bon état d'entretien, et, au dire de Gribeau-
val (1), directeur de l'attaque, susceptibles d'une résis-
tance de 5 à (i semaines. liCS points faibles de la défense
étaient le mauvais esprit des soldats et l'insuifisance du
commandant. Composée de 5 bataillons réguliers, de
300 isolés ou conscrits, et d'une poignée d'artilleurs,
mineurs et cavaliers, la garnison était forte de 2.400
hommes environ maïs laissait bca'.rcoup à désirer en qua-
lité; les soldats provenaient, en grande partie, du recrute-
ment forcé dans les provinces conquises ou de l'élément des
prisonniers de guerre. Quant au gouverneur, d'O, Pié-
montais d'origine, dans l'armée prussienne depuis 1727,
invalidé pour blessures, il avait été nommé major de
place, puis vice-commandant à Glatz; promu lieutenant-
colonel sir la recommandation de Fouqué, il avait reçu
les félicitations du Roi pour l'intelligence «pportée à son
service de renseignements. Mal marié à une femme qui
entretenai une correspondance avec les généraux autri-
chiens, d'O parait, en ce qui le concerne, avoir été innocent
du crime de trahison qui lui fut imputé; par contre, soit
(1) Gribeanval à Laudon, Korelau, 3 juillet 1760. Lettre ciliée par Wachler,
Aclen des KriegxgeridUs von /7G.5, Brcslaj, 1897.
PRISK DE OLATZ.
'21
paresse, soit maladie — il était hydropique au dernier degré
— il ne sut pas inuprimer à ses subordonnés l'activité, l'é-
nergie, le courage indispensables pour une issue heureuse.
Laudon, ([uoiqu'il ne fût pas responsable du siège,
voulut voir, par lui-même, ce qui se passait devant Glatz;
il arriva le 25 juillet et, le lendemain de bonne heure,
alla visiter (1) les tranchées avec le général iJraskowich.
Les batteries des Autrichiens avaic.it ouvert le matin
même contre les bastions de là ville et contre le Iront
ouest de l'ancienne forteresse. Le colonel Rouvroy, qui
commandait l'artillerie, cherchait à faire brèche dans le
bastion Schellenbauer, le plus voisin de la ville, et dans
la courtine qui lui fait suite, au nord. Le tir fut des plus
efficaces : un magasin à poudre souta dans le Schellen-
bauer; les communications, balayées par l'explosion des
bombes de l'assiégeant, devinrent intenables; presque
partout, les canons prussiens furent réduits au silence;
seul, le ravelin du Feldthor continuait le feu. Laudon
s'apercevant du trouble de l'assiégé, lança 300 volontaires
à l'assaut de la redoute de Kranich. Ils y pénétrèrent vers
8 heures, malgré une vive résistance des quelques pelotons
prussiens qui y étaient postés. Il y eut des retours offen-
sifs, mais finalement les bataillons autrichiens envoyés
succesbivement des tranchées eurent le dessus; ils sui-
virent le chemin couvert qui relie la redoute à l'ancienne
forteresse, longèrent les bastions du nord, se glissèrent jus-
<|u'à la porte du Feldthor, et pénétrèrent dans l'intérieur
des ouvrages. « Alors la déroute devint générale, relate (2i
l'attaché français Montrozard, l'ennemi a abandonné che-
min couvert, enveloppe, demi-lunes, caps de place et
retranchement derrière, et la désertion a commencé par
(1) Le it'cit de la surprise de Glatz est emprunté à Wachter. Acteii r^'.s
h'riegsgenc/ils von 17G.1. Janko, Cogniazzo, etc.
(2) Montrozard à Helleisie, Glalz. 20 juillet au soir. Archives de la
Guerre.
I!
V^-
îa
LA OLEWUE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
troupes. Les Impériaux ont gagné les communications,
et nous sommes entrés pêle-mêle avec les fuyards dans la
place. ')
Entre temps, d'O, qui se tenait dans la ville, aussitôt
prévenu du désarroi qui régnait dans la forteresse et de
la désertion ([ui. faisait des progrès alarmants, y expé-
dia, pour rétablir les affaires, deux compagnies du régi-
ment de Quadt; ce renfort était tout à fait insuffisant.
Force fut au gouverneur de l'appuyer de toute sa réserve;
mais à peine eut-il débouché du Dom Tlior, qu'il rencontra
une foule de fuyards qui criaient que l'ennemi était maitre
du chcmiu couvert et de l'enceinte extérieure; il voulut se
rendre au réduit, mais ses jambes enflées ne lui permirent
pas de suivre ses troupes qui avaient pris les devants,
et il finit par tomber entre les mains des Autrichiens, avec
le colonel du génie de Wrede, un vétéran de 40 ans de
service et quelques soldats. Le commandant de la réserve,
le major V. Unruh, après un effort énergique contre les
assaillants, eut le môme sort; enfin, le colonel de (juadt
fit battre la ch;\made et déposer les armes à ce qui restait
de la garnison. Pendant ces incidents, les Autrichiens
avaient profité de la confusion pour se faufiler dans la ville
qu'ils occupèrent sans difficulté : enfin, vers 11 heures,
le nouveau fort, dont les ouvrages tournés vers la cam-
pagne n'étaient pas protégés du côté de la Neisse. ou-
vrit ses portes à l'assiégeant. C'est ainsi que la place
renommée de Glatz fut enlevée sans assaut régulier et
en quelques heures grâce à un coup de main de Lau-
don. L'assertion de Frédéric (1), que les Autrichiens s'en
étaient emparés « sans savoir comment », ne s'éloigne
guère de la vérité.
Ce fait d'armes, qui ne coûta au vainqueur que 214 offi-
ciers et soldats, lui valut plus de 2.500 prisonniers, <les
(1) Guerre de Sept ans, vol. Il, page 5i. " . • -*
10» nm»^f^émt0l^
LAUDON ATTAQUE BRESLAU.
28
drapeaux, 203 canons et mortiers, des munitions en
quantité considérable et de gros approvisionnements. Il
fait honneur à l'initiative et au coup d'œil de Laudon qui,
présent dans la tranchée, prit la direction ; non sans rai-
son, la nouvelle gloire qu'il y acquit rehaussa le prestige
et la faveur dont il jouissait à la cour. Kaunitz reçut de
son ami et protégé le premier avis de la prise de Glatz;
il expédia aussitôt le billet à l'Impératrice en la suppliant
de le renvoyer à sa commodité, « pour que j'aie le plai-
sir de le relire ». A cette prière, il ajouta ces mots : « Dieu
lui conserve son Josué ! » Marie-Thérèse répondit : « C'est
le plus grand souhait que vous pouvez me faire. Je vous
suis obligée que vous mayez fait partager si vite votre
joie. » Quant au vaincu, le gouverneur d'O, que ses infir-
mités auraient dû faire mettre à la retraite, si l'accusation
de trahison dont il fut l'objet ne paraît pas fondée, sa né-
gligence et son indécision contribuèrent beaucoup au succès
de la surprise. Après la conclusion de la paix, il passa en
conseil de guerre, fut condamné à mort, mais vit sa peine
commuée parle Roi; il mourut en Italie où il s'était retiré.
Doux jours après la conquête de Glrlz, Laudon fit mar-
cher sur Breslaula moitié du corps d'investissement, sous h
général Draskovich ; de sa personne, il regagna son camp
d'Eichholtz et avec les troupes qui y étaient restées, so
dirigea sur la capitale de la Silésie. Durant le mois de
juillet, un échange de lettres avait eu lieu avec le quar-
tier général russe; le maréchal SoltikofF, aux félicitations
sur la victoire de Landshut, avait joint la nouvelle de sa
présence à Posen et de son intention d'entrer en Silésie.
Quelques jours plus tard, il annonçait pour le G août son
arrivée probable scus les murs de Drcslau. Laudon, quand
il reçut cette dépêche, avait déjà pris les devants; confor-
mément à l'invitation de l'empereur, peu soucieux de voir
les Russes installés dans la capitale de la Silésie, il s'était
décidé à en brusquer l'attaque sans les attendre. La gar-
si
r
II
24
I.A GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
iiison prussienne, forte de 6.000 hommes, en partie con-
valescents, était insuflisante pour garnir des fortifications
étendues; en outre, elle avait à surveiller un nombre égal
de prisonniers autrichiens renfermés dans les murs. Ne se-
rait-il pas possible d'arracher au commandant une capi-
tulation qui éviterait à la population civile les horreurs d'un
bombardement, et la perspective non moins redoutable
dune occupation russe? Le colonel Kouvroy, chargé d'une
mission à cet clfet, ne put rien obtenir du général Tauent-
zien, vétéran à caractère énergique. En vain, dans une se-
conde tentative, l'envoyé de Laudon essaya-t-il les me-
naces, traita-t-il Breslau de ville ouverte, dont la résistance
injustifiable lui attirerait tous les malheurs qui accom-
pagnent la défaite; le brave Prussien répondit que son
r.ialtre lui avait confié la garde d'une place forte et qu'il
remplirait son devoir en la défendant jusqu'au bout.
Laudon, dont les pièces de siège étaient encore loin,
commença le bombardement avec son artillerie de cam-
pagne; bientôt le palais du Roi, des casernes, des cou-
vents et le quartier de Neumarkt furent en flammes;
mais, faute de munitions, il fallut suspendre le feu des
batteries. Le lendemain, nouvelle démarche auprès de
Tauentzien ; on lui donnait le choix entre un arrangement
dont il rédigerait lui-même les articles et le risque d'un
assaut sans conditions ni merci. Le gouverneur demeura
ferme. Quoi qu'en dit l'émissaire autrichien, l'escalade
d'une ville munie d'une enceinte régulière avec ouvrages
extérieurs et fossés pleins d'eau n'était guère praticable ;
pour s'emparer de Breslau, il faudrait avoir recours à un
siège méthodique, pour lequel le temps nécessaire faisait
défaut. Les Russes, malgré leurs promesses et les mes-
sages répétés de Laudon, s'étaient laissé devancer par le
prince Henri. Ce dernier accourait à marches forcées au
secours de Breslau qu'il atteignit dans la matinée du
C août. Laudon n'avait pas attendu son entrée en scène ;
LE PRINCE HENRI MARCHE AU SECOURS DE BRESLAU.
25
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dès le 4, il avait levé le blocus et s'était retiré successive-
ment à Woikowitz et àKoischwitz, sur la Katzbach, où il
lit sa jonction avec Daun venu de Saxe. Il n'avait pas
voulu, écfivait-il à Kaunitz d), conserver une position où
l'ennemi aurait pu le resserrer entre l'Oder et la Lobe et
le forcer à livrer une bataille qui, en cas d'insuccès, au-
rait pu tourner en désastre.
Il est presque superflu de le dire, les généraux russe et
autrichien se rejetèrent la responsabilité de la non-réussite
de leurs combinaisons. Comme d'usage, la marche des
Musses, commencée tardivement, avait été 1res lente;
entre eux et le prince Henri il n'y eut que des ren-
contres insignifiantes. Le prince avait pensé d'abord
profiter de la division en colonnes de l'armée moscovite
pendant le parcours de la Vistuleà Posen, pour tomber sur
l'une d'elles; puis il avait conçu l'idée d'intercepter le
général Tottleben, qui rentrait <run raid en Poméranie.
Dans ce but, il s'était avancé, le 19 juin, avec la moitié de
ses forces jusqu'à Landsberg au delà de l'Oder. Les
mauvaises nouvelles de Silésie et la concentration des
Russes à Posen tirent renoncer à une opération qui serait
devenue trop excentrique. Le 16 juillet, l'armée du prince
Henri quitta Landsberg et Zielentzig, pour se poster à
(ileiszen et Closter Paradies. A Gleiszen, le 26 juillet, on
apprit que les Russes s'apprêtaient à envahir la Silésie
et formaient des magasins à Kalisch. Il n'y avait pas un
moment à perdre si on voulait empêcher leur union
avec Laudon, aussi le départ eut-il lieu le 27, et toutes
les divisions réunies, continuant leur route, s'établirent
le 31 à Leudcn, derrière l'Obra. Quelque avantageuse
que filt cette position, le prince, mal renseigné sur
les desseins des Russes, qui se couvraient d'un rideau
de cavalerie légère, ne crut pas prudent d'y demeurer
(\} Laudon à Kaunitz, KoischwHz, 6 août 17G0. Lettre citée par Janl»o.
i
fi
a»
L\ GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
et se porta sur tilogau où il traversa l'Oder; pendant
le passage, il fut rejoint par le major Ovvstien, qui ra-
menait de Breslau les débris de la cavalerie du corps de
Fouqué et qui l'informa du danger que courait la ville.
Henri précipita sa marche; il ne se heurta à aucune
opposition : les retranchements de Parchwitz, qui avaient
été élevés en vue de l'arrêter, furent trouvés évacués;
le détachement du corps de Laudon, chargé de les dé-
fendre, avait, sn se retirant, mis le feu aux ponts de
la Katzbach, mais on éteignit l'incendie et une partie
des troupes put bivouaquer sur la rive gauche de la ri-
vière. Le 5 août, les Prussiens étaient à Ncumarkt et
le lendemain à Lissa; le 6 au soir, leur armée était
distribuée autour de Breslau de manière à tenir tête
aux Russes dont l'avant-garde venait de se présenter de-
vant les faubourgs. Il y eut une escarmouche à la suite
de laquelle chacun conserva son bord de la rivière. Le
9 août, Soltikoff re(,'ut de Czerniichew, qu'il avait dé-
taché vers Auras en aval de Breslau, l'avis que Laudon
le pressait de se joindre à lui et de jeter à cet effet un
pont sur l'Oder à Leubus. Le maréchal se mit en route
pour rallier son lieutenant, mais ses bonnes dispositions
s'évanouirent quand il sut que le roi de Prusse était à
Bunzlau, avec toutes ses forces.
Peu de choses à dire sur les mouvements de l'armée
moscovite depuis le départ de Posen qui avait eu lieu le
26 juillet. Scltikoff n'était pas partisan de la coopération
avec les Autrichiens ; c'était à contre-cœur qu'il avait ac-
cepté un programme qui n'était pas le sien et au succès
duquel il ne croyait pas. Dès le mois de mai, alors que les
conciliabules se poursuivaient à Pétersbourg entre la con-
férence russe et l'ambassadeur Esterhazy, il n'avait pas ca-
ché son sentiment intime (1) à Montalembert : « Il voyait
(1) Montalembert à Clioiseul, Pétersbourg, 7 mai 1760. Arch. Guerre.
SOLTIKOFF KT LES ATTACHES ALLIES.
27
avec peine que cette campagne ne serait pas plus décisive
que la précédente ; il prétend qu'elle se passera à se tâter
de tous les côtés sans une enireprise de part et d'autre. »
Depuis son arrivée à l'armée vers le milieu de juin, son
langage (1 ) n'avait guère changé, et à la veille de ([uitter
Posen, il développait à Montalembert les pronoslics les
plus sombres sur les résultats des opérations : « Pour cotte
campagne, m'a-t-il dit (2), quelque belles qu'en soient les
apparences, je ne sçay ce qui en sera, car je ne sc^aurais
douter que le Roy de Prusse ne cherche bientôt à s'unir à
son frère, ou dans le Brandebourg ou dans la basse Silésic
alin d'avoir ensemble 80 à 90 mille hommes, alore M, le
Maréchal Daun (qui ne se trouve jamais trop fort) attirera
à luy M. de Laudon, et comme il ne se meut point aussi
vite à beaucoup près que le Roy de Prusse, et que peut-
être il ne sera pas fâché de s'en tenir éloigné, il le laissera
j:asser pour venir en Silésie me tomber sur le corps, .le
suis obligé d'obéir auv ordres de ma souveraine, m'a-t-il
ajouté, mais je croirais abuser de sa confiance si je les
exécutais sans précaution. Il ne serait pas juste que
nous supportassions tout le poids de cette guerre. »
A regard des Autrichiens, et surtout de Daun , la méfiance
du maréchal et de la plupart de ses lieutenants était
poussée à l'extrême et se manifestait souvent par des pro-
pos peu convenables. « M. Plunkett, lieutenant-général
qui vient d'arriver, écrit Montalembert, et M. Fine, général-
major, résident depuis deux ans à cette armée sont à peine
écoutés et plus on en enverrait, plus M. le Maréchal crain-
drait quelque dessein caché de lui faire faire plus qu'il ne
doit. » Plunkett, qui ne parait avoir possédé ni le tact ni la
discrétion de son collègue français, était mal disposé pour
Soltikoff dont il trace (3) un crayon peu favorable : « Son
\f
(1) Mesnager à Belleisle, IG juin 1760. Archives de la Guerre.
12) Montaiemberl à Ciioiseul, Molsina, 26 juillet 1760. Arch. Guerre.
(3) PlunkfiU àKaunitz, Posen,'22 juillet 1760. Archives de la Guerre, Vienne.
as
LA r.UKRRK 1)E SEPT ANS. — CIIAP. I.
génie n'est en vcritr pas égal à un projet même des plus
faciles ; si celuy que je luy ai présenté étoit tant soit peu
compliqué, je désespérerois de la réussite. Jugez donc,
Monseigneur, i\ quelle lenteur nous devons nous attendre
puisque le Maréchal avec des talents aussi bornés veut tout
faire luy môme. Les généraux en chef s'en plaignent, le
général Kermor avec beaucoup de retenue, mais le général
Browne s'en est ouvert avec moy sans feinte, et m'en a
parlé dans les termes les plus vifs. 11 seroit à souhaiter
que le maréchal voulût consulter les généraux en chef et
les chargeât du soin des arrangements. J'en ai écrit au
comte d'Esterhasy, mais en même temps, il me paroit fort
délicat de faire parvenir un ordre de la Cour de Péters-
bourg là-dessus. ). L'armée russe produit sur Plunkett une
excellente impression; elle est formée de 73.000 combat-
tants, belle et bien pourvue : « la puissance de bien faire
n'y manque assurément pas », mais de l'action commune,
il n'ospère pas grand résultat : « Plus on réfléchit sur la
constitution de cette armée, l'irrésolution du chef, la c'is-
tance affreuse entre luy et sa Cour, dont cependant il at-
tendra toujours (du moins, je le crains) la direction, la
lenteur inséparable de la composition de l'armée, une
artillerie immense, pesante et mal attelée, une quantité de
chariots prodigieuse, traînant le pain et les vivres pour six
semaines ; quand je réfléchis sur tout cela, je tremble. Il
faut sais doute qu(; les opérations de notre armée soient
relatives à celles de l'armée russe , mais je crains que si
nous suivons le système de régler tout à fait la manœuvre
de notre armée sur celle-cy, nous ne tirerons pas les
avantages de cette campagne que son brillant début
nous promettoit. »
Le 2ï juillet, un officier de Laudon était arrivé à Posen;
il était porteur d'une lettre chiffrée que ni Plunkett, ni
Fine ne purent lire, faute de clef, et d'une dépêche pour
Soltikofl', proposant l'envoi d'un contingent russe en Si-
SOLTIKOFF DKVANT nilKSLAU.
•IM
lésic. Pliinkctt prit sur lui 1 1 ) de la supprimer ; jamais Sol-
likoir n'accepterait une modification qui l'obligerait à
diviser ses forces. Il était, pour le moment, bien disposé,
<< mais, ajoute l'Autrichien, j'ai déjà éprouvé par une
triste expérience que sa parole n'est pas sacrée ». Les ap-
préciations de Pluiikett furent bientôt confirmées. Le len-
demain du départ de Poscn, ému par le bruit, d'ailleurs
inexact, d'une démonstration du prince Henri duc<Hé de la
Vistule, et à propos du projet d'adjoindre une division au
corps de Laudon, projet dont il avait été question dans les
négociations antérieures, Soltikolf déclara, en présence des
attachés étrangers, « qu'il ne pouvait ni ne voulait faire
aucun détachement ni séparation de son armée » ; aux
objections (ju'on lui présenta, il répondit en se fflchant et
en tenant « des mauvais propos ». « J'ai essuyé la bour-
rasque, écrit Plunkett (2), elle passa bientôt, et deux minu-
tes aprèsnous étions comme auparavant. Tel est le naturel
de ce seigneur. H prend feu d'abord, tant qu'il dure, il
faut souffrir; il revient ensuite et quoiqu'il ne dise rien, il
réfléchit et quelquefois les effets sont bons, mais ce prin-
cipe de ne point séparer aucunement ses forces est forte-
ment gravé dans son esprit, et j'étais très charmé de ne lui
avoir pas donné la lettre du général baron de Laudon qui
en demandait une, et qui lui aurait fourni un prétexte
pour retarder sa marche. »
Malgré ces discussions de mauvais augure pour le
succès de la cause commune, l'armée russe avait continué
ses étapes sur Breslau. Le 4 août, elle était parvenue à
Kobeliu, petite ville du territoire polonais où elle avait
séjourné doux jours ; Soltikolf y reçut une lettre de Lau-
don lui annonçant la course du prince Henri au secours
yf
(1) PlunkeU à Kaunitz, Posen, 24 juillet 1760. Archives de la Guerre,
vienne.
i'i) rlunketlà Kaunitz, Moschina, 27 juillet 1700. Archives de la Guerre,
Vienne.
3
1
w
LA CLKURK DK SKPT ANS.
CIIAP. I.
i V,,-
«Ic Hicsiau, et suppliant In général russe «l'activer son
mouvement vers l'Otlei". Eu conséquence, l'armée gagna
Militsch en Silésie; elle y fut rejointe par un nouvel
officier de Laudon; l'Autrichien informait ^1) son collè-
gue russe « qu'il n'avait pu t«Miir plus longtemps sa po-
sition derrière la Scliweidnitz à Lissa, qu'il avait replié
le pont qu'il avait sur l'Oder, ainsi (pie tous les postes
qu'il tenait à la rive droite de ce fleuve et <[u'il était
forcé de se retirci" à Cauth, pour n'avoir pas à soutenir
seul les forces du prince Henii; qu'il priait M. le maréchal
('envoyer M. de Czernitchew avec son corps à '.cubus
et de se rendre avec son année le plus t(U qu'il serait
possible à Brcslau. » Conformément à cette invitation,
le gros des Russes atteignit en dev.s. marches (Iross
Weigelsdorf et lleindsfcld sur la Werda; le 6 cf les jours
suivants, il y eut des engagements sans importance entre
leur avant-garde et les avant-postes du prince Henri. Le
9 août, Soltikofl' s'établit à Kuntzendorf près d' Auras et
se rapprocha de Czernitchew qui avait été détaché de
ce C('>té quelques jours auparavant. Le lendemain arriva
au ([uartier général un colonel expédié par Daun avec la nou •
velle que le roi de Prusse était ù Liegnitz et que la grande
armée autrichienne lui faisait vis-à-vis; on priait les Russes
de construire des ponts sur l'Oder, ce ([ui fut exécuté le
jour même. Jusque-là, le général moscovite, malgré une
lenteur fâcheuse, avait fait preuve de bonne volonté et
cherché à coordonner ses manœuvres avec celles de ses
alliés; mais d'après les rapports des attachés militaires,
il devenait de plus en plus évident qu'il n'entendait
courir aucun risque ; imbu de la conviction que la cour
de Vienne s'efforcerait de lui faire supporter comme l'an-
née précédente le fardeau de la campagne, il s'oppose-
rait résolument à toute combinaison qui l'exposerait au
(1) Journal de Campagne. Montalcmbert, II, p. 331.
gUAHTIKItS DIIIVEII EN SAXE.
31
rAlc d'un
promicr combnt et se renfermerait dans \o
ainiliaire très défiant de son principal.
Laissons le maréchal Soltikofl" aux prises avec l'ap-
prôho (sion que lui occasioimait le voisinage du roi de
Prusse et reportons-nous aux év«'>nements ([u: avaient pré-
cédé et causé l'arrivée de celui-ci en Silésie. Pour la clarté
du sujet, il nous a fallu épuiser les opérations dans cette
province avant d'aborder le récit de la campagne de
Saxe ; il convient donc de faire un retour en arrière.
Ainsi que nous l'avons relaté plus haut, le roi do Prusse
avait conserve ses cantonnements jusqu'aux derniers jours
d'avril; la tran([uillité n'avait été troublée que par des
allaires d'avant-postes où les alliés avaient eu le dessus;
ils avaient mémo enlevé deux jji-énéraux prussiens Zeltritz
et Froideville avec quelques centaines de prisonniers.
La saison avait été dure pour les belligérants, la maladie
avait sévi dans les deux camps et coûté la vie à de nom-
breux soldats. Cependant, quelques divertissements rom-
paient parfois la monotonie des quartiers d'hiver. C'est
ainsi que Marainville, qui remplissait les fonctions d'atta-
ché militaire en l'absence de Montazet, raconte qu'il est allé
avec ses musiciens trouver Daun à son camp de Pirna
« dont le séjour est aussi triste qu'il soit possible... Je me
suis mis à leur tête comme musicien moi-même, jouant du
violon. M. le duc de Bragancc qui est grand musicien
s'est joint à nous et y a chanté très bien. Le général O'Don-
nel, le général Pellegrini ont voulu aussi être de la partie
et y ont joué de la flûte ».
Frédéric, on le sait, avait également la passion de la
musique et y consacrait une partie de ses loisirs, tout en ré-
servant à la poésie et à la lecture de ses autours favoris
les moments que ne lui prenait pas sa correspondance mi-
litaire et civile. Pendant les mois passés à Freyberg, souf-
frant, découragé, maugréant contre la mauvaise fortune
qui le poursuivait depuis Kunersdorf, revenant souvent sur
(
fi
! !
8» LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I. ,
les incidents de Maxcn, le roi de Prusse ne sortit qu'une
seule fois de ses appartements ; très rarement prolongea-
t-il la séance après le repas de midi, comme il aimait à le
faire quand il était en train et d'humeur égale. L'emploi
de sa journée tel que le donne son lecteur Catt (1) ne varie
guère : lever à (> heures, affaires militaires jusqu'à 9, une
heure de flûte, travaux littéraires de 10 heures jusqu'à midi.
Après diner,continuationde ces travaux etlecture. « Ulisait,
raconte Catt, jusqu'à 5 et me faisait appeler. J'avais l'hon-
neur de l'entendre jusqu'à 7, tantôt me parlant de belles-
lettres, tantôt de métaphysique et de religion, quelque-
fois me faisant des contes, m'entretenant de ses affaires,
de sa position future, de celle de son cœur et assez sou-
vent me parlant de ses officiers et des gens de lettres qui
avaient été à son service. A 7 heures, quelquefois à 8 sui-
vant qu'il était disposé à causer, il lisait jusqu'à 10 et si,
au lieu de lecture, il se mettait à écrire, il lui arrivait
souvent de ne finir qu'à 11 ou minuit. » La mentalité
du Roi se reflète dans la dernière pièce de vers qu'il
composa avant la reprise des hostilités :
Enfin, le triste hiver précipite ses pas,
11 fuit, enveloppé de ses sombres frimas.
Vers la fin de mai, un mois après l'évacuation de Frey-
berg, les Prussiens étaient concentrés autour de Meissen ;
en face d'eux, l'armée de Daun, la moitié sous ses ordres
directs dans la banlieue de Dresde, le reste en deux divi-
sions, dont l'une à Dippoldiswalda, sous Wcid, et l'autre,
un peu plus nombreuse sous Lascy, sur la rive droite
de l'Elbe. D'après Marainville (2), les bataillons pou-
vaient être évalués à une moyenne de 600 hommes et les
escadrons à un eflectif de 110 à 120 cavaliers. En se ba-
(1) Cal'., Mémoires, p. 292.
(2) Marainville au duc de Cholseiil, Dresde, 27 ruai 1760. Arcli. Guerre.
f-'
'1
FRÉDÉRIC ET DAUN EN MARCHE SUR LA SILÉSIE.
33
sant sur ces données, les Autrichiens devaient compter
environ 4V.000 baïonnettes et 2V.000 sabres. Les etfec-
tifs prussiens, un peu plus étoffés, étaient estimés par Mit-
chell (1) à 700 hommes par bataillon et 150 par escadron.
L'armée des Cercles, commandée par le duc de Deux-Ponts,
était en marche; sa première division forte de 16.000 com-
battants elFectua sa jonction avec Daun à la date du 23 juin ;
le général Lecszinki était resté à Saalfeld avec 6 . 000 hommes .
Depuis quelques jours, les deux adversaires étaient
en mouvement ; dans la nuit du 14 juin, le roi de Prusse
avait jeté une division sur la rive droite de l'Elbe, il la
rejoignit avec ses forces au complet à l'exception de Hill-
sen, laissé à la garde de Meissen: puis ii fit mine de me-
nacer les Autrichiens sous Dresde. Tout se passa en dé-
monstrations. Lascy, qui avait été visé par la manœuvre
prussienne, se retira rapidement sur le camp de son chef
que Frédéric n'osa pas attaquer. « Je suppose, écrit-il à
son frère (2), que Daun y ajoutera (à l'armée des Cercles)
à peu près 10.000 hommes et qu'alors, avec le reste de
son armée, il voudra traverser la Lusace pour entrer en
Silésie. Je prends lous mes arrangements pour l'y suivre,
si cela est nécessaire, et pour me joindre à Fouqué. »
Le 2V juin la nouvelle du désastre de Landshut, que les
Autrichiens venaient de fêter par des feux de joie, fut
communiquée aux avant-postes prussiens ; cette défaite
dans laquelle il avait sa grosse part de responsabilité, et
le malheur arrivé à un vieil ami, émurent profondément
le Koi. (( On voit, dans tous ces événements, mande-t-il au
prince Henri (3), un enchaînement de fatalités qui se sui-
vent, et ropiniâtreté de la fortune à me persécuter. Il nie
prend des impatiences de me pendre, comme aux amants
(1) Mitchell à Holdernesse, Freyberg, 30 mars 17C0. MilchvU Papers.
(2) Frédéric à Henri, Radeburg, 20 juin 1700. Corresp. Polit., XIX, p. i3i.
(3) Frédéric à llouii, Gross-Dobrilz, 28 juin 1700. Corresp. Polit., XIX,
p. 402.
CUEBHE DE SEPT ,VNS. — T. IV. 8
JSESB
^,
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
de revoir leurs maîtresses absentes; mais ii faut pousser
le cinquième acte jusqu'au dénouement. Vous n'avez rien
à appréliender ni de Lasey, ni de Daun; je vous en tien-
drai bon compte. » De son côté, Milchell (1) note un grand
découragement : « Son langage est abattu et empreint
de plus de dureté que d'babitude, phénomène double qui
produit une mauvaise impression sur l'armée. » Le 29 juin,
le Roi se décide à marcher au secours de la Silésie; il
en informe (2) le ministre Finckenstein : « Comme il ne faut
pas douter que Daun me suivra avec son armée, laissant
celle de l'Empire près de Dresde, je i > rai de tout mon
possible de l'attaquer chemin faisant et de l'engager à une
affaire décisive. » En exécution de ce concept, les troupes
royales, la division HUlsen toujours exceptée, gagnèrent, le
2 juillet, les environs de Konigsbriick sur la route de
Lusace. Le même jour, Daun qui avait détaché le général
Stampa avec 6.000 hommes pour renforcer Laudon, s'é-
branla avec le gros, cédant à Deux-Ponts 17 batail-
lons et 3 régiments de cavalerie; ce noyau, réuni au con-
tingent de l'Empire, formait un total de 30.000 hommes,
bien suffisant, avec la garnison de Dresde, pour tenir
tête à ce qui restait dt Prussiens en Saxe. Le 5 juillet, le
quartier général autrichien était à Bauizen ' U* lende-
main à Gorlitz. On avait de l'avance sur le R . u der-
nier, après une tentative inutile contre le corps >ie l ocy,
qui s'était dérobé par un recul précipité vers RadoDtrg,
avait poursuivi son mouvement sur la Silésie, et était
parvenu au village de Nieder Gierka , au nord-ouest de
Dautzen. Il y lit un séjour de deux jours, assez indécis,
semble-t-il, sur la suite à donner à son expédition. « Je
continuerai ainsi, écrit-il le 6 juillet à son frère (3), mon
(1) Mitchell à Holdernesse, très secret, Gross-Dobril7; W juin l/OO. Mil.
(Il ''Il Pnpers.
Ci) Frédéric à Finckenstein, '29 juin 1760. Corrcsp. Polit., XI.\.
(3) Frédéric il Henri, Nieder Gierka,6juillel 17C0, C'o»V(',s/>./'o/i<.,Xl.\,p.482.
FREDERIC REVIENT SUR DRESDE,
8k
chemin sur la Silésie, en suivant Daun. Il me faut faire
demain ici un jour de repos pour les troupes et pour
faire différents arrangements très nécessaires; mais je
compte d'être le 10 en Silésie, aux environs de Siegers-
dorf, où je réglerai mes démarches en conséquence des
circonstances que je trouverai devant moi. » Au cours
de ces opérations dans lesquelles Lascy déploya beau-
coup d'habileté et ne donna pas prise aux Prussiens, Fré-
déric poussa des reconnaissances avec une imprudence
qui faillit lui coûter cher; il n'échappa aux cavaliers
autrichiens que grâce à la présence d'esprit et au courage
d'un de ses pages. Le 8 juillet, changement de disposi-
tions ; il abandonne l'idée de la course en Silésie où Daun
l'avait devancé et informe Hulsen (1) de sa résolution de
faire <* table rase » en Saxe avant de gagner la Silésie ; à
cet effet, il lui intime l'ordre de lui envoyer les pontons
pour la traversée de l'Elbe et de se porter lui-môme vers
Kesselsdorf avec les canons et mortiers de siège. Confor-
mément à son nouveau plan, Frédéric quitta, dans la
nuit du 8 au 9, les parages de Bautzen, ne réussit pas à
entamer Lascy, mais l'obligea à passer sur la rive gauche
de l'Elbe, poursuivit sa route sur Dresde et franchit à son
tour le fleuve. A son approche, et sur l'avis que les Prus-
siens venaient de jeter un pont en aval de Dresde, Lascy et
le duc de Deux-Ponts avaient évacué le camp retranché de
Plauen, et s'étaient retirés du côté de Pirna. Le même jour,
le 13, Dresde fut investi par les Prussiens, le prince d'Hols-
teinavoc une division sur la rive droite de l'Elbe, le gros
des forces royales sur la rive gauche.
Entre temps, l'armée autrichienne avait continué son
mouvement et était arrivée le 10 sur la Quciss, aux envi-
rons de Naumburg et de la frontière de la Silésie. Ce
(1) Frédéric à lliilseii, Nieder Gierka, 8 juillet 17G0. Corresp. J>oUl.,
XIX, [). 483.
*r^
3C
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. 1.
fut là qu'elle fut rejointe par notre vieille connaissance
Montazet. Avant de rallier le quartier général, le Français
avait fait un court séjour à Vienne où il avait vu l'Impé-
ratrice-Reine et le chancelier. Kaunitz attendait « de gran-
des choses » des Russes ; mais Montazet était à cet égard
fort sceptique : « J'avoue que je le désire beaucoup plus
que je ne m'en flatte et que je serai bien aise de voir M. de
Fermor rappelé. »
Bien qu'il eût été vite informé du retour de Frédéric
en Saxe, Daun ne le suivit qu'après quelques heures de
réflexion. A'out d'abord, il pensa que les corps alliés
réunis autour de Dresde seraient assez forts pour tenir
tète au Roi et pour empêcher le siège de la ville, mais
quand il apprit (1) l'abandon du camp de Plauen et la
retraite de Deux-Ponts, la peur de malheurs « qu'on
ne devait pas craindre naturellement, mais qu'il est sage
cependant de prévenir », le décida à rebrousser chemin
et à courir au secours de la capitale. Cependant, on n'es-
timail; pas qu'elle fût exposée à une attaque : « Je ne
saurais penser, écrit Montazet, que le Roi ait envie de
faire le siège de Dresden; je le crois trop homme de
guerre pour se flatter de le prendre dès que nous vou-
drons y marcher, mais je lui soupçonne le désir de nous
combattre ou de nous donner un croc-en-jambe pour re-
gagner avant nous la Silésie. »
Malgré ses trois années de campagne contre les Prus-
siens, Montazet ne se faisait pas encore une conception
j uste de la har^Messe de leur souverain. Quand les têtes de
colonnes autrichiennes débouchèrent le 17 juillet au soir
à Weissig, dans la banlieue de Dresde, elles trouvèrent
l'investissement complet et les travaux de siège en pleine
activité. Aussitôt parvenu sous les mui's de Dresde, le Roi
avait fait sommer la place : le général Macguire, dont la
(1) MoiUazet à Choiseul, Otteiidorf, 14 juillet 1760. AIT. Étrangères, Au-
triche.
BOMBARDEMENT DE DRESDE.
87
garnison, grâce aux renforts laissés par les alliés, se
montait à 13.000 hommes, rejeta toute proposition, et
l'attaque commença. En attendant l'arrivée du parc do
siège, les Prussiens bombardèrent la ville avec leur ar-
tillerie de campagne. D'après Eichel (1), ordre avait été
donné de ne viser que les remparts, mais soit déso-
béissance, soit désir de réduire au silence quatre pièces
légères que les Autrichiens avaient hissées dans la tour
de la Kreuzkirche, les projectiles de l'assiégeant mirent
le feu à l'église (2); l'incendie s'étendit au voisinage
et causa la ruine d'un grand nombre de maisons; les
Autrichiens, pour dégager l'enceinte, brûlèrent une par-
tie des faubourgs. Dans la nuit du 17, les batteries re-
çurent leurs mortiers et leurs gros canons et, tout en
tirant pour faire brèche, couvrirent la capitale d'une pluie
de boulets et de bombes. « La journée du 18, rapporte
Montazet (3), fut terrible pour la malheureuse ville de
Dresden, car le feu de l'ennemi fut dirigé comme avec la
main pour porter l'incendie dans les quartiers les mieux
bâtis. » Ce même 18 au soir, Daun lit attaquer le poste de
Weiss Hirsch, que les Prussiens occupaient depuis le 15, et
les obligea à l'évacuer précipitamment avec perte de
(jnelques centaines d'hommes. Ce petit échec força le
prince d'Holstein à repasser sur la rive gauche de l'Elbe
et ouvrit aux Autrichiens la libre communication avec les
quartiers de la ville situés sur la rive droite. Le 19, avant
le jour, un détachement de troupes légères appartenant
au corps de Lascy poussa une pointe hardie sur le camp
du Roi. Au dire de Montazet (4), l'alerte fut si chaude
(1) Eichel à Finckenstein, Gruiia, 17 juillet I7fi0. Corresp. Polit., XIX,
p. 497.
i'i) Milchell à Mackenzie, Leubnitz, 25 juillet 1760. MKchcU Papers.
(3) Montazet à Choiseul. Bischoffswerde. 2 août 17G0. Affaires Etrangères,
Autriche.
(4) Montazet à Choiseul, Bisthoffswerde, 2 août 1700. Affaires Étrangères,
Autriche.
{
mm
38
L\ GUERRK DE SEPT ANS. — CIIAP. I.
que le quartier royal fut surpris et il s'en fallut de pou
que Frôdôric ne fût enlevé. Le récit d'Eicliel (1) qui fait
mention do l'échaulfourée, n'attache aucune importance à
l'alfaire qui n'aurait coûté aux Prussiens qu'une demi-
douzaine de hussards mis hors de combat.
En dépit de ces incidents, le siège continua ot, avec lui,
le bombardement. Ils furent interrompus, au cours de la
nuit du 21 au 22, par une vigoureuse sortie de la garnison,
appuyée par Daun ; les batteries prussiennes furent boule-
versées, les canons encloués et l'assaillant subit des pertes
sérieuses que ne compensa pas la capture du général au-
trichien Nugent. Force fut au Roi d'abandonner l'entre-
prise conire Dresde et de concentrer ses troupes sur la
rive gauche de l'Elbe, tout en conservant la possession
du grand jardin et du faubourg de Pirna.
Aurait-il été possible pour Daun de tirer parti de sa
supériorité numérique pour frapper un coup décisif contre
Frédéric, dont la position, ou tout au moins celle du Prince
d'Holstein, fut pendant plus de 2i heures singulièrement
risquée? La fatigue des Autrichiens après leur retour à
marches forcées de la Lusace explique l'inaction de la
journée du 18 juillet; mais l'attaque de Weiss Hirch, en-
gagée plus tôt, n'eùt-elle pu être poussée à fond contre le
corps isolé chargé du blocus de la Neustadt ? Montazet essaya
d'entrainer le maréchal et fait do ses elforts un récit (2)
qui met en lumière le caractère de cet homme de guerre :
« Je ne sais par quelle raison cette attaque fut encore dif-
férée. M. le Maréchal se contenta donc le 18 d'aller recon-
naître le poste, et vers les 11 heures du matin... il donna
ses ordres pour qu'il le fût (attaqué), le lendemain 19, à
la pointe du jour. » Le 19, en guise d'action, se tint un
(l)Eichel à Finckenstein, Gruna, 20 juillet 1760. Cnrrcsp. Polil.. X.IX,
p. 507.
(2) Montazet à Choiscul, Bischoffswerde, 2 août 17G0. Affaires Étrangt'res>
Autriche.
DAUN NE VEUT PAS LIVUEU HATAILLE.
39
conseil de guerre où Daun et ses principaux lieutenants se
prononcèrent contre une bataille. Montazct, qui assistait
à la réunion, et qui avait soutenu un avis opposé, alla
plaider sa cause auprès du maréchal et lui rappeler le
message qu'il lui avait apporté de la part de l'Impératrice
sur « la nécessité de faire de la besogne décisive dans le
cours de cette campagne j). Voici quelle fut la réponse de
Daun : « Monsieur de Montazet, vous me faites toujours
très grand plaisir de me dire votre sentiment. Vous savez
même que je vous le demande avec confiance dans toutes
les circonstances (il ajouta à cela des choses honnêtes
pour moy), mais j'ai des principes dont je ne saurais
me départir, et les voici : Quand je suis dans un cas
einljarrassant, je consulte tous ceux dont je croispouvoir
tirer des secours, et je ne demande qu'à être éclairé. Mais
il faut pour me décider, commencer par me con-
vaincre : sans cela je me détermine par les lumières que
Dieu m'a données. Peut-être ne sont-elles pas les meilleu-
res, mais il faut bien que je me contente de celles que j'ai.
Il peut se faire que vous ayez raison de penser qu'il
faudrait combattre le roi de Prusse; mais comme j'y vcis
(le trop grands dangers, je ne sauiais prendre ce parti,
d'autant que celui que prend l'ennemi favorise nos opé-
rations en Silésie, et déterminera peut-être les Russes à
s'y rendre plus tôt qu'on ne l'avait espéré. Voilà ma
façon de voir. »
Cependant, à en croire les calculs du bouillant Français,
les circonstances semblaient propices : « Les troupes de
l'Empire (1), jointes aux corps de MM.lIaddick et de Lascy,
composaient un corps pour le moins de 35.000 hommes
sur la rive gauche de l'Elbe, la garnison deDresden, forte
de 13.000 hommes, était tout entière, et l'armée de M. le
il!
(1) Montazet à Choiseul, Schoenlcld, 21 juillet 1760. Affaires Étrangères,
Autriche. _ ., ,
mimmm^iàMit'^,^,,
M
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
Maréchal Daim, composée de près de 40.000 hommes,
formait un total de plus de 60.000 combattants (1), ce qui
faisait le double de l'ennemi; nous étions par la forme du
pays, les maitresdu passage de l'Elbe, et, par conséquent,
nous n'avions à redouter que la difficulté des débouchés
et les suites d'un événement malheureux. »
Il était évident que depuis le retour de Daun et les
incidents qui avaient marqué son entrée en scène, la
prise de Dresde par le Roi était devenue de plus en plus
improbable. « Si ce n'est pas son but, s'écrie Monta-
zet (2), que fait-il où il est, tandis qu'on prend la Silésie?
, S'il persiste à rester où il est, il me parait que nous sommes
déterminés à rester où nous sommes. » Le prétexte invoqué
par Daun pour son inaction était, on l'a vu, le désir de
donner aux Russes le temps d'opérer leur jonction avec
Laudon en Silésie. Montazet, qui évidemment reflète l'o-
pinion du quartier général autrichien, ne croit guère à une
action vigoureuse de leur part : « Devons-nous nous flat-
ter, Monsieur, que le général Soltikoff ira chercher
bon jeu, bon argent, les Prussiens? Pour moi, javoue
que je n'en ai pas l'idée ; le général russe passera donc
la campagne à manœuvrer à sa façon et si le prince
Henri se conduit bien, il sera défait des Russes vers le
20 novembre. »
En tout cas, si l'immobilité des Autrichiens peut se jus-
tifier, celle du Roi ne s'explique que par l'espoir d'une
bataille défensive contre une attaque de Daun. Quoi qu'il
en soit, la situation se prolongea sans changement jus-
qu'au 24 juillet; le soir de ce jour, l'armée royale leva
définitivement l'investissement du vieux quartier de Dresde
et se dirigea sur Kesseldorf, puis sur Meissen, d'où elle
regagna la rive gauche, à la date du l*"' août. « En cinq
(1) Montazet ne lient pas compte dans son total de la garnison de Dresde.
(2) Montazet à Choiseul,Schoenfeld, 26 juillet 1760. Aflaires Étrangères.
FRÉDÉRIC LÈVE LE SIÈGE DE DRESDE.
41
jours, écrit Frédéric (1), je pense être aux frontières de la
Silésie. Il est assez vraisemblable et presque hors de doute
que le 7 ou le 8, il se passera quelque affaire décisive...
Si je reste les bras croisés, je ne changerai rien aux affaires
et mes provinces seraient en attendant envahies; et, au bout
du compte, l'ennemi m'enveloppera ensuite de telle façon
que je serai obligé de me battre contre lui, sans la moin-
dre apparence de succès, afin de ne pas me rendre A dis-
crétion. » Le départ des Prussiens fut signalé, s'il faut s'en
rapporter à Marainville (2), par des excès regrettables :
« Le roi de Prusse, en se retirant des environs de Dresde, a
mis le comble à ses procédés infîXmes, par ce qu'il a permis
ou plutôt ordonné qu'on fit au grand .lardin Royal qui est
en dehors des faubourgs de Pirna.. . Il a commandé tous les
charpentiers de son armée, la nuit qui a précédé son dé-
part, pour couper tous les arbres qui en formaient les
allées, et entre autres, celle qui formait le plu; beau mail
qu'il y eût sûrement dans l'Europe. On avait mis à couvert
dans des pavillons, au commencement de la guerre,
quantité de belles statues de marbre estimées infiniment,
on les en a sorties pour les mettre en morceaux; il en a été
lait de même de tous les beaux treillages qui étaient dans
ce jardin et jusqu'à l'orangerie a été hachée en morceaux,
.le ne croirais pas ces infamies si je ne les avais pas vues,
tant elles doivent paraître incroyables. »
Quant à la ville de Dresde, d'après le môme témoin, les
dégâts n'auraient pas été aussi sérieux qu'on aurait pu le
craindre; cependant, les détails qu'il fournit à la Dauphine
prouvent qu'ils furent considérables : « Cette belle rue
de Pirna, écrit-il (3), si bien bâtie, est brûlée de fond
en comble et par conséquent le Palais des Princes tout
(1) Frédéric à Finckenslein.DalIivitz, 1" août 1760. Corresp. Polit., XIX,
p. 533.
(2) Marainville à Choiseul, Dresde, 3 août 1760. Affaires Étrangères.
(3) Marainville à la Dauiiliine, Dresde, 2 aoi'il 1700. Archives de la Guerre.
12
LA GUERRK DK SEPT ANS. — CHAP. \.
'
meublé ainsi ([ue tous les ellets précieux de M. le comte
de Bruhl qui y avaient été anciennement transportés. Il
y avait comme vous savez, Madame, plusieurs belles mai-
sons, telles que celle de lleim, l'hùtel «arni de Saxe et
d'autres; tous ceux qui les habitaient, soit maîtres, soit
concierj^es, n'ont pas pu en sauver la moindre chose, et
ont été obligés do les abandonner en n'emportant que ce
qu'ils avaient sur le corps, moyennant quoi, tous les
meubles, les eil'ets et les nippes y ont été consommés par
les flammes. La Moritzstrasse a eu le même sort ainsi que
la Kre(Uz,i;asse, excepté le palais de Uodofski qui a souf-
fert de plusieurs bondjes qui y sont tombées et de quantité
de boulvts. Tout ce qui l'environne a été bri\lé. » Marain-
ville prévoit la vengeance que tireront de ces excès les
soldats alliés : « Il faut que la raye etla haine de ce prince
contre la maison de Saxe soit bien grande pour n'avoir
pas senti que dans les circonstances embarrassantes et
critiques, il aurait dû être contenu par la crainte des re-
présailles que les Autrichiens ou les Hus.ses pourraient
faire en son temps dans le Brandebourg et entre autres à
Berlin, et dans ses maisons de campagne; c'est, je crois, ce
qu'on ne manquera pas de faire, quoique ce soit rendre
victimes des malheureux ({ui sont innocents des cruautés
que leur souverain a exercées envers d'autres malheureux,
mais il n'y a que cette façon de se venger des actions
barbares de princes aussi cruels, » La suite prouvera que
cette prophétie devait se vérifier.
Une lettre du maréchal Daun, écrite au retour d'une ins-
pection faite dans la matinée du 25 juillet, avait déjà ras-
suré le roi de Pologne et sa famille. « Il a trouvé, rap •
porte Kaunitz (1), que jusqu'alors il n'y avait eu qu'un
fiers de la vieille ville maltraité par l'incendie, ([ue la
(1) Kaunilz ùl Fleniining, 24 juillet 1700, copie envoyée à Paris. Arcliives de
la Guerre.
MAltCHIi: PAUALLKLË DES DEUX ARMÉES.
48
ville neuve n'avait encore rien souffert du tout, (juc le
palais (lu Roi avec tous les hiVlinieuts qui en dépeiulent
dans la vieille ville ni la plupart des maisons de considé-
ration n'avaient été incendiés. »
nés le 31 juillet, Daun, se conformant au mouvement du
Roi, avait posté le gros de ses forces à Rischolfswerda,
sur la route de la Lusace; il laissait en Saxe l'armée des
Cercles et un corps autrichien de 9 bataillons et de 3 ré-
giments de cavalerie. Le duc de Deux-Ponts, qui avait le
commandement supérieur de ces troupes, aurait, sans
compter la garnison de Dresde, 2.'>.000 hommes à opposer
aux 12.000 de Hïilsen. A partir du 2 août commença, euti-e
l'armée royale et les Impériaux, une lutte de vitesse ; ce
fut i\ qui arriverait le premier sur les bords de la Katz-
bach. Ce cours d'eau, célèbre dans les annales du xvm'
et du début du xix' siècle, prend, on le sait, sa source
dans les montagnes de la frontière de Bohême, dessert
les villes de Goldberg et de Liegnitz, et se déverse dans
l'Oder en aval de Parchwitz. La jonction des Russes et
des Autrichiens devant s'effectuer dans la contrée com-
prise entre la Katzbach et le Weisbritz, et, par conséquent,
à l'est de la première, le général de Maric-ïhérèse atta-
chait laplus haute importance à prévenir son adversaire ;
grAce au point de départ initial, il avait moins de distance à
parcourir; mais Frédéric le serra de près. Depuis le 3 août
jusqu'au?, les Prussiens marchèrent sans discontinuer; le
7 au soir, ils étaient à Bunzlau; ils avaient semé du monde
en route, mais en cinq jours ils avaient franchi 1^i^3 ki-
lomètres, soit près de 30 kilomètres par jour; quel(|ue ra-
pides pour l'époque qu'eussent été les étapes, elles avaient
été ralenties par la nécessité de transporter quinze rations
de pain par soldat et de traîner un gros convoi de muni-
tions. Les Prussiens étaient distribués en trois colonnes (1),
(I) Voir à ce sujet l'arUclc du capitaine Webern. Beihefl zum MiliUlr.
Wochenhlall, Berlin, 1897. • ■
fl
m
11
Il
I
M LA GUERRK DK SKI'T ANS. — CHAI». I.
coiTcspondiinl nux deux lignes et à la réserve, forinalions
classiques d'alors; entre les colonnes étaient répartis
les batteries et le [larc d'artillerie. Toutes les dispositions
étaient prises pour le déploiement en bataille, précau-
tion nécessaire, car l'iiinérairc des Autrichiens était pour
ainsi dire parallèle à celui dos troupes royales. C'est à
propos de cette circonstance que Frédéric a écrit : « Un
profane aurait pu croire que toutes les troupes obéissaient
à un seul chef. Heck aurait été l'avant-garde, Daun et moi
le corps d'attaque, et Lascy l'arrière-garde, >> Malgré cette
proximité danf^ereuse, il n'y eut pas de rencontres sé-
rieuses, mais la vitesse de l'allure et la chaleur de la sai-
.«on augmentèrent beaucoup le nond)re des traînards et
fatiguèrent le soldat. Pondant la jcTnéc du 8 août, que
l'armée prussienne consacra à un s indispensable, les
Autrichiens reprirent ledevantetg. ...ont la rive droite «le
la Katzbach. Le lendemain 9, on se remit en marche; le
Uoi venait d'apprendre que le prince Henri avait forcé
Laudon à lever le siège de Breslau, mais qu'il avait repassé
l'Oder afin de s'opposer aux progrès des Russes qui me-
naçaient cette ville.
Le 9 au soir, les Prussiens étaient au bivouac autour du
village de lloliendorf, au bord de la Katzbach, entre Gold-
berg et Liegnitz. « L'armée de Daun, raconte Mitchell (1),
unie aux corps de Laudon et Bock, était campée sur les
hauteurs, on face de Hohendorf, n'ayant entre elle et les
Prussiens que la Katzbach, un petit ruisseau avec berges
escarpées, ressemblant à un fossé ordinaire ; les faction-
naires des deux armées étaient à portée de pistolet l'un de
l'autre. Comme nous nous attendions à être attaqués, nous
restâmes sur le qui vive toute la nuit. Sa Majesté Prussienne
me dit qu'il se battrait le lendemain matin ou qu'il conti-
nuerait sa marche sur Liegnitz, » L'intention du Roi était,
(I) Mitchell à Holdernesse, Neumarkl, tCaoùl 1760. Mitchell l'apcrs.
LES DEUX ARMÉES SIR LA KATZRACH. 4t
en effet, de francliir la petite rivière, do percer par Jauei-,
et d'occuper les hautour:; de Striegau, d'où il aurait pu
couiniuniquer avec Schweidnitz; mais rrconnaissaut (pie
la position prise par l'ennemi lui interdisait la réalisation
de ce |»rojet, il se tourna vers I.icf^nitz. I>es troupes s'é-
branlèrent le 10 août, iV5 heures du matin; ce départ fut
imité par Daim qui leva son camp et longea la rive droite
de la Katzbach. Pour le spectateur, les Autrichiens avaient
l'air de former une quatrième colonne prussienne, si ré-
duit était l'intervalle <[ui les séparait. Montazet éprouve les
mêmes impressions : « Notre marche d'aujourd'hui a été
un spectacle unique, puisque l'ennemi et nous avons che-
miné à la même haut" ir, toujours à vue, et souvent à la
petite portée du canon. Comme les deux rives de la Katz-
hach sont exhaussées et point boisées, nous avons eu de
part et d'autre le plaisir de voir nos mouvements qui
ont été parfaitement exécutés. »
Avant d'entamer le récit des manœuvres fort compli-
quées qui précédèrent la bataille de Liegnitz, essayons de
nous rendre compte de la situation respective des armées
rivales à la date du 10 août. A Liegnitz, sur la rive gauche
de la Katzbach, le roi de Prusse, à la tête de ses 38 ba-
taillons et 78 escadrons venus de Saxe, soit, défalcation
faite des malades et des traînards, environ 38.000 com-
battants; en face, sur le bord opposé, depuis Parch-
witz jusqu'à Goldberg, 80.000 Autrichiens, composés de
l'armée principale et des corps de Lascy, Laudon et Beck,
qui avaient rejoint successivement. A quelque distance, au
delà do l'Oder, la grande armée russe était campée de-
puis quelques jours, entre Protsch et Auras ; sur la môme
rive du ileuve, observant les Uusses, le prince Henri dont
les 42 bataillons et les lï escadrons étaient au bivouac,
dans la banlieue de Breslau.
En résumé, et en dépit des hésitations du général russe,
lu perspective pour les armes des Impératrices était bril-
nq
1
40
LA GUKRRK DE SF"T ANS. — CllAP. I.
lantc et Montazet le constatait (1) avec satisfaction : (( Nous
nous somiiies campés vis-à-vis de lui (le hoi) sur les débou-
chés de Liegnitz à Breslau et à Jauer. M. de Laudon qui
campe à. notre droite a été chargé de faire occuper Parche-
witz depuis hier au soir et de renforcer ce poste aujour-
d'hui. M. de Lascy doit prendre ce soir sa position entre
Goldberg- et notre gauche, par conséquent, nous voilà les
maîtres absolus de la Kaizbach et le Koi ne peut plas
se flatter de se réunir au prince Henri, puisque ce der-
nier est campé sous Breslau. » Restait la question du
concours des Russes : « A présent que nous tenons la
Katzbach et que nous couvrons leur passage, ils ne peu-
vent refuser de venir passer l'Oder à Lebus sans af-
fecter une mauvaise volonté que je ne veux pas leur
supposer. »
A Liegnitz, le Roi ne séjourna pas longtemps; rangées
sur la rive droite de la Katzbaches les forces autrichiennes
lui barraient la route de Parchwitz et de Breslau. « Les cir-
constances où je me trouve, écrit-il (2), sont toujours très
critiques; je ferai en sorte de gagner cette nuit une marche
sur l'ennemi, pour le devancer à Jauer. » Ce projet n'eut
pas plus de succès que le précédent; quand les tètes de
colonnes s'approchèrent de Hohendovf, elles a; orçurent
de l'autre côté de la Katzbach un campement ennemi;
c'était Lascy qui venait de s'y installer. Frédéric, ju-
geant impraticable le passage direct, remonta la rivière
jusqu'à Goldberg. Profitant du répit que lui procura ce
détour, le général autrichien sut tirer un tel parti du
terrain, qu'il put >e retirer sur le gros du maréchal Daun
sans être entame. Les deux armées s'établirent : celle du
Roi à Seichau, celle de Daun à Herensdorf et Schlaup.
D'après Mitcliell, ce fui îa nécessité d'attendre les ba-
(0 Montazet à Choisciil, Ykols, 10 août 1760, Aflaires Étrangôres.
{:>) Frédéric H Ferdinand, Liegnitz, 10 août 1700, Corresp. Politiq., XiX,
p. 541. . ;. - .....,..-
^1
FRÉDKIUC A SEICHAU.
«
gages et le convoi qui donna à Daun le temps de deviner
o^o
les intentions des Prussiens et de leur couper la roule
de Jauer. 11 fait de la situation le récit suivant (1) :
Voyant son plan manqué, Frédéric, après avoir tenu ses
soldats sur pied pendant 16 heures, « fixa son quar-
tier général à Seichau, un très petit village dans les mon-
tagnes, entouré de collines de tous les cAtés et éloigné
de Jauer d'environ 1 1/2 milles allemands. Au cours de
la soirée, les Autrichiens bivouaquèrent sur plusieui's des
hauteurs, très près du camp prussien, dont ils n'étaient
séparés que par un profond ravin. Pendant la matinée du
12, on apprit, vers 8 heures, que l'ennemi essayait de
nous tourner; ou abattit aussitôt les tentes, l'armée se
rangea en ordre de bataille et on expédia les bagages à
Prausnitz à un demi-mille allemand sur le chemin de Sei-
chau à (îoldberg. » Ces préparatifs avaient pour cause
les manœuvres des Autrichiens qui semblaient indiquer
le dessein « de nous déborder du côté de Goldhcrg, seule
issue qui nous restait pour sortir de ce mauvais camp.
Déjà, parmi les officiers, on commençait à dire tout bas
que si le roi de Prusse ne se mettait pas immédiate-
ment en mouvement, la suite serait un second acte de
l'atTaire de Maxen; nous n'avions alors que quatre jours de
pain pour l'armée et nous étions dans l'impossibilité de
nous en procurer tant que nous resterions dans le camp
actuel. » Les patrouilles de cavalerie, envoyées à la dé-
couverte, rapportèrent qu'il n'y avait rien de nouveau
dans les parages de (ioldherg; le Roi lit rétablir le campe-
ment et Mitchell, beaucoup moins rassuré que le monar-
que, passa son après-midi i\ détruire « tous ses chiffres
et autres documents importants ». Il s'avoue convaincu,
d'après ce qu'il avait vu, que si l'armée avait été atta-
<iuée, il eût été tout à fait impossible de sauver les ba-
1. Mitchell à HoUlernesse, leUre déjà cllée.
48 L\ GUERllK DE SEPT ANS. — CHAP. F.
gages. Vers G heures du soir, le Roi, qui ne se faisait
aucune illusion sur les dangers auxquels il était exposé
et qui avait compris combien il serait difficile de tourner
la position ennemie, poussa le général Billow vers Gold-
berg, pour ouvrir la route, et bientôt après, mit le reste
de ses troupes or branle.
« L'armée, rapporte Mitchell (1), continua sa marche
pendant toute la nuit dernière (celle du 12 au 13), et re-
passa heureusement la Katzbach vers 1 heure du matin. Il
y eut beaucoup de confusion dans la colonne que j'accom-
pagnais, mais je n'entends parler d'aucun accident grave.
Par contre, la marche a été excessivement émouvante et
fatigante, car elle a duré 16 heures, avant que la tête de
colonne n'arrivât à Liegnitz, où l'armée reprit son ancien
camp... On me rapporte que nous avons été suivis pendant
la retraite par quelques centaines de hussards qui nous
ont donné très peu de mal et que nous n'avons perdu
que quelques pièces de canon par suite des avaries sur-
venues au matériel et dues à la faute des guides qui se
sont trompés de route dans l'obscurité de la nuit. »
A Seichau, le maréchal Daun laissa échapper une occa-
sion favorable qu'il ne devait pas retrouver; au dire de
Montazet, la journée du 12, dont nous venons de relater
les incidents, se passa en reconnaissances que le général
en chef se proposait de renouveler le lendemain. Entre
temps, les Prussiens, par leur retraite de nuit, étaient
sortis du mauvais pas. 11 y a peu de doute sur le péril
couru à Seichau : « Il n'est guère possible, écritGaudi(2),
de trouver un camp plus mauvais et plus dangereux ; les
troupes étaient entourées de montagnes, séparées par des
défilés au travers desquels on ne pouvait pas ouvrir des
communications, et si enchevêtrées que, dans le cas d'une
(1) Mitchell à Iloldernesse, lellri! déjà ciléo.
(2) Journal de Gaudi. cité dans la (lesclnclile des Siebenjahrigen Kriefjs,
IV, p. 83.
CORRKSPONDANCE AVEC LE PRINCE HENRI.
19
attaque, elles n'auraient pu ni s'assembler ni s'entr' aider,
il est vrai de dire que le terrain ne permettait pas de
choisir un emplacement dillërent et, quant à rechercher
un autre local que celui de Seichau, l'extrême fatigue de
l'armée l'eût rendu impossible : hommes et chevaux
étaient à bout de forces. » L'historien Tempelhoff ne par-
tage pas, il est vrai, ces impressions pessimistes. Mais,
quand même la position de Seichau n'eût pas été assez
abordable, dans l'esprit de Daun, pour autoriser une
attaque, pourquoi n'avoir pas harassé la retraite de
l'armée royale et n'avoir pas essayé de lui infliger un
échec au passage de la Katzbach, que l'arrière-garde
n'effectua qu'à la pointe du jour du 13 août, et avec la
perte de deux canons et quelques centaines de traînards?
Aussitôt rentré à Liegnitz, Frédéric s'évertue k trouver
un moyen de sortir de ses difficultés : Il raconte (1) à son
frère son expédition manquée vers Jauer, son retour dans
son ancien camp et ajoute : « Tout ceci me fait naître une
idée que, pour réussir, il faut que nous nous joignions
et que nous agissions avec force contre un de mes enne-
mis, pour nous faire jour. » Jusqu'alors, il avait visé
Breslau ou Sclnveidnitz ; aujourd'liui, il projette de faire
sa réunion avec le prince Henri par la rive droite de
roder; pour se ravitailler il tirera un convoi de Glogau,
puis il traversera l'Oder « à un endroit qui s'appelle le
Wohlhausche Fischerhaus ». Si les Russes sont à Wohlhau
conmie il le croit, il s'efforcera de les tourner; s'ils n'y
sont pas, « je passerai tout droit à Wohlhau ; si Daun
m'arrêtait en chemin, je ne puis vous répondre de ma
marche en ce cas-là; sinon, j'emploierai tous les moyens
possibles pour me joindre à vous ».
A lire ces lignes, ou comprend que le Uoi était très
(!"> Frédéric à Henri, Liegiiilz, 13 aoùl 1760. Correspondance PolUique,
XIX, p. 542.
GUEUnE DE SEPT ANS. — T. IV. 4
80
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
imparfaitement renseigné sur l'emplacement exact do
SoltikofF et sur les probabilités do son union avec l'armée
autrichionno. Or, à la dato du 13 août, cette question, si
longtemps débattue, paraissait devoir se résoudre con-
formément au vœu do l'état-major autrichien.
Doux jours avant la rentrée de l'armée royale au camp
de Lieynitz, le quartier général des Russes était à
Kuntzendorf (1). Ce fut là que l'attaché autrichien Plunkott
remit à SoltikofF un mémoire (2) où il décrivait la situa-
tion stratégique de Daun, annonçait de sa part l'intention
d'attaquer le Roi avec toutes ses forces, y compris le corps
de Laudon, et transmettait la demande d'une active coo-
pération. « Pour cet effet, le maréchal comte de Daun
ne trouve pas de moyen plus efficace qu'en priant S. E.
le maréchal comte de SoltikofF de passer l'Oder avec
son armée, prenant sa position où elle trouvera con-
venable entre Lcubus et Auras. » Daun s'engageai*, au
nom de sa cour, à pourvoir à la nourriture des troupes
moscovites. Cette proposition ne fut pas acceptée, et à la
suite d'un conseil de guerre auquel Plunkett assista, on
y substitua les résolutions suivantes : « 1" le gros de l'ar-
mée russe cherchera un camp dans ces environs ayant
Militsch pour la subsistance ; 2° si M. le. maréchal Daun
permet au Roi de s'approcher de l'Oder, il faut que
M. de Laudon vienne au secours du maréchal SoltikofF;
autrement, ne se trouvant pas en état de résister au Roi
d'un côté et au prince Henri de l'autre, il se verra obligé
de se retirer; 3" si M. de Laudon veut venir passer l'Oder
à Leubus, il n'aura qu'à nommer son jour, S. E. poussera
un corps à Leubus pour le recevoir; 4" si M. le maréchal
Daun empêche le Roi de s'approcher de l'Oder, en ce
(1) Village à quelques kilomètres au nord de l'Oder.
(2) Mémoire de Plunkett à Soltikoff et réponse de Soitikoff, Kuntzendorf,
11 août 1760, copies annexées à la dépêche dePlunkelt à Kaunitz, Peterwilz,
17 août. Arch. de Vienne.
SITUATION CRITIQUE DU llOI.
51
cas S. E. fera la jonction entre M. de Laudoii et lo comlo
de Czernitchcw pour agir ensemble de l'autre côté de
roder contre le prince Henri; S. E. avec son armée opé-
rera de concert avec eux de ce côté-ci de l'Oder. » Le
13 août, Laudon qui, depuis la campagne de 1759, était
à peu près seul des généraux autrichiens « pe\"sona grata »
au quartier général russe, eut une entrevue avec Soltikoff.
Hien ne fut changé aux engagements conditionnels pris
par le Russe, mais grâce à la promesse d'une action éner-
gique et combinée des Autrichiens contre Frédéric, le
maréchal se décida il détacher le corps de Czernitchew
sur la rive gauche de l'Oder. A la suite de cet accord
U' divisionnaire russe franchit Je Jleuve le IV et campa
il (iross-Bresa un peu au nord du champ de bataille de
Leuthen. Le prince Henri était loin; ainsi que nous l'a-
vons dit, il avait débouché de Breslau, passé l'Oder et
s'était établi depuis le 12 août dans les environs de
Huhnern et Mahlen sur la rive droite du fleuve. Les circons-
tances de l'armée royale devenaient de plus en plus cri-
tiques; forte de 38.000 hommes, elle allait être exposées
aux coups des 80.000 combattants de Daun et de ses lieu-
tenants Lascy et Laudon ; elle n'avait plus que 3 jours ik;
pain. Impossible de tirer des vivres des magasins d*
Scliweidnitz et de Breslau, dont les accès étaient barrés
par la masse ennemie que venaient de renforcer les
•20.000 hommes de Czernitchew; seule, la communication
avec (ilogau était encore ouverte, mais se retirer sur
cette place, c'était abandonner aux Impériaux presque
toute la Silésie et renoncer à la jonction tout au moins
immédiate avec Je prince Henri.
A en juger par la lettre citée plus haut qu'écrivit
Frédéric, le 13, de Liegnitz, cette réunion était sa grande
préoccupation. En vue de l'exécution de ce projet, après
une journée consacrée à un repos que les fatigues précé-
dentes rendaient indispensable, Frédéric prit les disposi-
L
l'ii'
W
■il
M
LA GUEllRE DE SEPT ANS. — CHAP. I
'\\
lions nécessaires : il expédia son convoi sur la route de
Glogau, avec instruction de lui rapporter du pain et de le
rejoindre en marche; puis, tard dans la soirée du 14, ses
troupes défderaient, avec ordre de se poster sur le plateau
de Pfafl'endorf et d'y passer la nuit sous les armes; les ba-
«ages furent parqués à la bruyère de Kischelberg près du
village de Hummel. Le lendemain, on s'eilbrcerait de
continuer le mouvement dans la direction de Parchwitz.
Pourquoi la marche des Prussiens ne dépassa-t-elle
pas PfafTendorf, localité fort rapprochée de Liegnitz? Le
premier objectif de Frédéric qui prévoyait pour le jour
suivant une attaque de l'adversaire devait être d'échanger
le camp défectueux qu'il occupait depuis le 13 ].our un
terrain plus resserré, et 'Vune défense plus facile. L'opé-
ration ne laissait pas d'être délicate, car si une partie
de ses forces était établie dans les faubourgs de Lieg-
nitz, une autre fraction plus importante était logée dans
les villages de Schmochwitz et Schemmelwitz, sur les
bords de la Katzbach, à 7 ou 8 kilomètres en amon* de
la ville. Or, l'expérience récente de Seichau avait lé-
montré les dangers d'une manœuvre de nuit exécutée à
portée du canon de l'ennemi. 11 était donc indispensable
de retirer les troupes sans éveiller l'attention de Daun,
dont l'armée était campée de l'autre côté de la Katzbach,
en face de Schmochwitz, à Hochkirch. Enfin, et ce fut
probablement le motif déterminant, il aurait été périlleux
de prolonger la marche de nuit jusqu'à Parchwitz, avant
d'être mieux fixé sur la distribution des corps autrichiens
et sur les mouvements de Czernitchew qu'on savait avoir
traversé l'Oder, mais dont on ne connaissait pas encore
le cantonnement exact. ? \
Efforçons-nous de donner une idée du ihéâtre (1) où la
lutte allait s'engager : La première impression du touriste
(1) Voir la carte à la fin du volume. ' ' l
DESCRIPTION DU CHAMP DE BATAILLE.
53
qui parcourt les environs de Liegnitz est celle d'une plaine
presque unie, distribuée en cultures de céréales, coupée
de bois, seniéo de villages, chacun entouré d'une cciiiture
de jardins et de vergers. C'est en vain que l'œil cherche à
distinguer la position sur laquelle bivouaqua l'armée
prussienne dans la nuit du 14 août 1760. Cependant, au
fur et à mesure que l'explorateur s'éloigne du Schwarz-
Wasser, franchi en sortant de Liegnitz, et qu'il dépasse les
maisons de Pfail'endorf, il se rend compte d'une légère
montée qui aboutit à une lisière de bois. Ces bois traversés,
il débouche dans une large clairière bordée de trois côtés
par la forêt; un seul côté est ouvert : c'est celui qui dé-
vale vers la route de Pfaffendorf à Panten. Au milieu des
champs de la clairière se détachent une série de buttes à
faible relief, la plupart revêtues ou couronnées de boc-
quetaux. Sur l'une d'elles un monument commémoratif
a été élevé; une autre, aujourd'hui cachée parles bois
de 'Panten Forst, porte le nom de Rehberg; elle fut pen-
dant la bataille l'emplacement d'une batterie prussienne.
De la butte du monument et de celles qui l'avoisinent, la
vue est étendue ; elle permet de deviner, au rideau d'ar-
bres qui le dessine, le cours de la Katzbach coulant
paresseusement à un niveau de 25 mètres au-dessous du
spectateur. Au delà de la rivière, les villages de Beckern
et de Kanitz et le pays plat qui s'allonge vers le sud ;
derrière, devant et du côté opposé à la Katzbach, la
forêt de Briese et son prolongement le Panten Forst; î\
petite distance de notre point de vue et un peu en contre-
bas, le hameau de Panten. Les plantations beaucoup
plus importantes qu'en 1760 font saillie jusqu'aux abords
(le Panten et nous masquent les villages de Bienowitz et
de Pohlschildern, éloignés le premier de 2 1/2 kilomè-
tres, le second de 5 kilomètres. Ces trois localités sont
situées sur la rive gauche de la Katzbach, assez rap-
prochées du cours d'eau et à peu près à la même alti-
i
rsmmmÊmmmmmmmm.
1
4
64
LA «lUKUUE DE SEFT ANS. - CHAP. I.
tude. Entre Panten et Bienowitz, un vallonnement pro-
noncé pénètre dans le bois, remonte dans la direction de
Sciionboro et contourne le plateau supérieur, A l'époque
de la bataille, la contrée moins régulièrement boisée,
semée d'arbrisseaux et de flaques d'eau, étaiten général à
l'état de lande marécageuse ; aujourd'hui encore la dépres-
sion entre Panten et Bienowitz est imparfaitement drainée.
Les hauteurs de Pfall'endorf, si l'on peut appliquer ce
terme à des renflements peu considérables, dominent la
jonction de la Katzbach avec son affluent le Schwarz-
VVasscr et constituent une sorte de promontoire entre les
lits (le ces deux rivières. Malgré la faiblesse de leurs
débits, ces cours d'eau, en raison des cordons d'arbres
qui les frangent et du caractère bourbeux de leurs bords,
opposent à l'assaillant un obstacle sérieux. En résumé, et
en dépit de son relief médiocre, la position choisie par le
Roi, appuyée à la foret, protégée par la nature du ter-
rain d'approche et flanquée par le Schwarz-Wasser, pré-
sentait des avantages incontestables tant au point de vue
de l'observation des mouvements de l'ennemi qu'à celui
de la défense contre une attaque.
Vers V heures de l'après-midi, le 14 août, le Roi, qui
avait parcouru la contrée que nous venons de décrire,
prenait quelques instants de repos dans son logement situé
dans un faubourg de Liegnilz, quand on le réveilla pour
lui amener un déserteur autrichien qui prétendait appor-
ter des renseignements de haute valeur. C'était un Irlandais,
du nom de Wysc (1) qui avait été officier de dragons dans
l'armée autrichienne, et ([ui, malgré son renvoi pour
mauvaise conduite, avait été conservé dans l'entourage
des généraux impériaux ; il était ivre et criait très fort. A
force d'ablutions et d'absorption de tasses de thé, on lui
(1) Le traitre fut recommandé au priuce Ferdinand par le Roi et par
Mitcliell. Ce dernier dans une lettre du (> septembre dit « qu'il nous a été
d'une très grande utilité >'. , ^ .
LE BIVOUAC DK PFAFFENDORF.
5i
fit reprendre une partie de ses moyens et raconter son
histoire.
Il savait, disait-il, que Daun attaquerait le lendemain
matin et il avait euconnaissaiiC(^ du plan communiqué aux
généraux; il décrivit, avec ([uehjue apparence de vraisem-
Jjlance, les juanœuvres que devaient exécuter l'armée
principale de Daun et le cor[)S de Lascy ; interroge sur le
rôle alloué à Laudon, il déclara l'ignorer parce (jue
celui-ci ne s'était pas rendu au quartier général et avait
reçu ses instructions par écrit. Frédéric remonta à cheval
et, accompagné du déserteur, fit une nouvelle reconnais-
sance, à la suite de laquelle il maintint sans modifica-
tion les dispositions déjà arrêtées. Dès la tond)éc de la
nuit, l'armée prussienne s'ébranla et défila par la ville de
Liegnitz pour gagner le plateau de FfaH'endorl"; toutes les
mesures avaient été prises pour tromper les Autrichiens;
les grand'gardes turent laissées en place le plus longtemps
possible, les feux restèrent allumés et les factionnaires
échangèrent, jusqu'au dernier moment, leurs cris d'alerte.
Malgré toutes les précautions, l'installation de l'armée
royale sur la position choisie, ne s'effectua pas sans quel-
que désordre qu'accrurent des changements apportés, î\
la onzième heure, par Frédéric à ses formations. Les régi-
ments des deux lignes s'enchevêtrèrent et il fallut exécuter
dans l'obscurité des contre-marches et des chasses-croisés
qui, fort heureusement pour les Prussiens, ne furent trou-
l)lés par aucun ennemi ; on finit par se ranger tant bien que
mal sur les emplacements désignés. Les troupes étaient
divisées en deux fractions : l'aile droite, sous les oi'dres
du général Zieten, avait pour mission de surveiller l'aimée
d^ Daun, dont on voyait les feux sur la rive droite de la
Katzbach ; Zieten aligné parallèlement à cette rivière
commandait le passage du Schwarz-Wasser ; il avait
avec lui 17 bataillons et ^i.8 escadrons. L'aile gauche,
forte de 19 bataillons et de 30 escadrons, sous le com-
hO
1
l-A C.UKKKE DE SEPT ANS. — CHAI». I.
mandemont direct du Roi, s'allongeait sur J«'> pentes
plus éloignées do Ptallendorf et s'étendait au delà du
llehherg jusqu'à la ijautour d(! Bienowitz; elle laissait,
sur son tlanc droit, inoccupés ce village et celui de
Pantcn. Aussitôt qu'il ferait jour, le général Sclienckcn-
dorl", avec sa brigade de 5 bataillons, devait prendre
possession du village de Pohlscliild» rn et pousser des
reconnaissances dans la direction de Parchwitz; pour
le moment, on se borna à envoyer quelques bussards
<'xplorer les environs. En attendant la fin de la nuit,
les soldats prussiens se couchèrent à côté de leurs armes
et de leurs chevaux. Frédéric, roulé dans son manteau,
sommeillait près d'un feu de bivouac, quand survint le
major de Ilundt, de retour d'une découverte et deman-
dant à parler au Roi. Schenckendorf alla au-devant de
l'officier et le conduisit auprès du monarque ; au même
moment, Frédéric, encore à moitié endormi, s'écria :
« Qu'est-ce qu'il y a? » Ilundt de répondre : « Votre Ma-
jesté, l'ennemi est là. » Et comme Frédéric semblait dou-
ter, il continua : « Votre Majesté, que le Diable m'emporte,
si l'ennemi n'est pas là; je suis tombé sur son infanterie
et j'ai été à vingt-quatre pas d'elle, il a refoulé toutes mes
vedettes, et est à peine à quatre cents pas d'ici, — Tenez-
lui tête aussi longtemps que vous pourrez, ordonna le
Roi, et amenez-moi mon cheval. »
Hundt ne s'était pas trompé, c'était bien un corps en-
nemi, celui de Laudon, dont il venait de heurter les têtes
de colonnes. Daun, coiume l'avait annoncé le déserteur,
s'était enfin décidé à engager la grande action depuis
longtemps promise. Les sollicitations de son entourage,
la mise en demeure renouvelée du maréchal Soltikoff
avaient été confirmées par une invitation pressante de la
cour de Vienne. Une dépèche du cabinet (1) en date du
(I) Cabinets Schreiben, Vienne, 10 août 1760. Archives de Vienne.
PLAN D ATTAQUK DE DAUN.
M
10 aoiU contonait ce [jossagc sur le sens duquel il no pou-
vait y avoir d'équivocjuc : « Je vous donne l'ordre caté-
gorique non seulement do ne laisser rcliapper aucune
occasion de livrer une bataille, quand môme les avantages
des deux côtés no seraient qu'égaux dans la balance,
mais de la rechercher de toutes les fa(,'ons praticables. Si
rennemiévile la rencontre ou la rend impossible, je vous
ordonne de poursuivre avec le plus d'énergio possible les
opérations olFensives de toute autre manière et de faciliter
aussi la jonction deraruu'o impériale russe. » Ces instruc-
tions qui durent parvenir au quartier général le 13 août
n'admettaient pas la discussion, aussi Dauu avait-il fixé
au 15 l'effort combiné qui d(^vait aboutir k l'anéantisse-
ment do l'armée prussienne. Le corps principal, sous sa
propre direction, franchirait pendant la nuit la Katzbach
et aborderait de front les villages de Schmochwitz et
de Schemmclwitz, qu(^ les forces royales occupaient
le 14 ot où on les supposait encore. Lascy, qui était campé
jï Prausnitz, passerait également la rivière, contournerait
les lignes prussiennes, en marchant par Kothkirch et
Wohlhau, déboucherait sur le Schwarz-Wasser en amont
de Liegnitz et prendrait ainsi l'ennemi à revers. Enfin, Lau-
don partirait de Koischwitz, où il avait séjourné le IV,
traverserait la Katzbach entre Pantou et Bienowitz, se
rendrait maître des pentes au-dessus de Pfafl'endorf ot
intercepterait la route do Glogau et celle de Breslau. Postée
dans une position médiocre, cernée de tous les côtés,
la faible armée royale serait écrasée par les masses au-
trichiennes qui lui tomoeraient dessus.
Cette attaque concontri([ue, bien imaginée pour faire
profiter l'assaillant de la supériorité du nombre, avait le
défaut inhérent à toute combinaison de ce genre. Pour
être eflicace, l'ofTort devrait être simultané; étant donnés
les points de départ différents, les parcours inégaux, les
lenteurs d'une marche de nuit, était-il prudent, était-il
i •
mu •
II
H
LA OIKHRE DE SKPT ANS. — ("IIAP. I.
môme possible île c(tm[»tei' sur la précision (rexécutioii
indispensable pour le succès?
Lautlon, tout au moins, s'était ac<piitté avec conscience
du rôle ([ui lui avait été alloué. !,e corps (ju'il commandait
n'était pas au complet; il avait dû détacher sur Parcli-
witz le général Nauendorf avec 5.000 hommes pour don-
ner la main aux llusses de Czernitchew et le IV, avant
d'entreprendre le mouvement tournant (|ui lui était
confie,- il avait reulorcé l'armée de Dann (1) de 8 batail-
lons et de 2 régiments de cavalerie sous les ordres de Wol-
fersdorf. Avec un effectif ainsi réduit, qu'on peut évaluer
il 25.000 combattants (2), Laudon s'ébranla à la tombée
de la nuit et gagna, par le village do Kanitz, les bords de
la Katzbach; la rivière fut franchie aux envirctns de la
Furtlimiihle et les colonnes, aussitôt reconstituées, s'enga-
gèrent dans le pli de terrain qui se déroule entre les villages
de Panten et liicnowitz. Très ardent de tempérament,
Laudon était, dans la circonstance, stimulé par lespoir
de surprendre le convoi royal qu'on lui avait signalé
comme remisé à Ilummel, sous la garde d'une faible es-
corte de l'i jsards et de quelques fantassins. Aussi se préoc-
cupa-t-il peu de rétablir l'ordre que le passage nocturne
de la Katzbach avait nécessairement troublé et s'élauça-
t-il eu avant sans avant-garde et sans faire serrer sur
la tète les queues ([ui s'étaient allong-ées outre mesure.
L'escarmouche avec les hussards de llundt ne fut pas un
avertissement; il les prit pour les cavaliers de l'escorte
des bagages et ne fit que hAter davantage la marche.
(1) Rapport de Laudon à Daun, Uross-Uosen, 17 août 17G0.
(2) Les récits prussiens donnent à Luudon un etleclif de 35.000 hommes,
tandis que lui-même s'attribue 15.(too eouibattanl et c'est ésalement ce
ciiiiïre dont i)i)rle Montazet. Il nous a paru beau(;oiii> trop faible et ne ca-
dre pas avec une perte <]ui a dû s'élever à près d«* 7.000. Par contre les
historiens prussiens ne semblent pas avoir tenu cuMMpte des détachements
de Nauendorf et de Wolfcrsdorf.
PHOMPTK FOIIMATION DES PIll'SSIENS.
50
Ce ne fut qu'en abortliint la ligne [irussionne ((ui ooni-
mencait à se lornicf ef en essuyant son feu qu'il se
rendit compte de la situation. Kn résumé, la rencontre
entre Frédéric et Laudon n'avait été prévue ni de l'un ni
de l'autre et ils lurent tout aussi surpris l'un et l'autre i\r
se trouver en pi'ésence. Le Hoi le: reconnut avec loyauté
dans une conversation qu'il eut avec Mitchell (1) le Km-
demain (m le surlendemain de la bataille. Voici en (piels
termes il s'exprima : « .Vprès <[uelques réflexions excel-
lentes sur l'imperfection de la prévoyance humaine, il
ajouta : Vous voyez comme j'ai travaillé bien inutilement
pour provoquer l'événement qui vient de se produire par
l'eli'et du hasard et qui peut être du plus grand secours
pour mes atlaires. »
Pour le cond)at inattendu qui allait s'engager, les Prus-
siens furent admirablement servis par leurs habitudes de
discipline et par leurs qualités manœuvri«''res; elles leur
permirent de prendre leurs formations beaucoup plus ra-
pidement que leurs adversaires; d'autre part, la boinu*
étoile de Frédéric voulut qu'il fût présent au point d'at-
taque et qu'il pût, sans un moment de retard, donner les
premiers ordres et en surveiller personnellement l'exécu-
tion. Tout d'abord il se servit de son artillerie de réserve
qui accompagnait les brigades d'infanterie, pour installer
une batterie de 10 pièces de 12 sur le Rehberg, l'une des
buttes dont nous avons parlé plus haut, et commanda au
général Schenckendorf de s'y poster avec 2 bataillons de
sa brigade pour protéger les canons. La manœuvre fut
promptement achevée, mais l'ennemi était si proche que le
feu de l'artillerie ouvrit en même temps que celui de l'in-
fanterie affectée à sa garde. Les tôtes de colonnes des Au-
trichiens, après un instant d'hésitation, avaient continué
leur marche en avant. Laudon avait deviné à la vue des
( t) Milcheli à Newcastle, Neumarkt, 18 août 17fio. Newcastle Papeis.
if t
60
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
bataillons royaux que laissait découvrir le jour naissant, et
à l'intensité de la mousqueterie, qu'il avait alTaire à une
forte division sinon au corps principal des Prussiens, mais
il préféra l'otrensive à une retraite que la proximité des com-
battants eût rendue fort délicate. Il croyait d'ailleurs pou-
: voir compter sur l'appui du reste de l'armée autrichienne,
conformément au programme dont il remplissait sa part.
Pour enfoncer les lignes qui commençaient à se disposer à
droite et à gauche de la batterie centrale du Roi, Laudon
s'eiforça de déployer ses troupes, mais le rapproche-
ment et la profondeur des colonnes ne lui permirent pu»
d'aligner un front de plus de 5 bataillons à opposer aux
15 bataillons royaux. Biilow avec 5 bataillons, Wcdellavec
8 bataillons s'étaient établis le premier à gauche, le second
adroite du Rehberg. En même temps que ces mouvements
préparatoires, sur la gauche prussienne entre la butte et le
village de Schonborn avait lieu un engagement d'abord
heureux pour les Autrichiens. Le gros de la cavalerie de
Laudon avait franchi la Katzbach en aval de Bieuowitz et
poussé au delà de ce village? Grâce aux accidents d'un ter-
rain très coupé et à la demi-obscurité de l'heure matinale,
elle tourna, sans être signalée, l'extrême gauche de Tarmée
royale, culbuta les dragons de Krochow, entama le flanc
gauche de l'infanterie de Biilow et mit le desordre dans ses
bataillons à peine rangés. C'est sans doute à ce moment
qu'une partie des 72 pièces dont parle la dépêche de Laudon
tomba en son pouvoir, mais si succès il y eut, il ne fut
qu'éphémère. Les fantassins prussiens se ressaisirent et,
appuyés par 3 régiments de cuirassiers, refoulèrent la ca-
valerie inipériale qui fut contrainte de se réfugier dans les
abords marécageux de Pohlschildern. Ainsi dégagé, Bii-
low i "ta en avant sa brigade, derrière laquelle, au retour
de leur charge, vinrent se poster les cuirassiers royaux.
Pendant que se livrait ce combat, la droite prussienne
faisait vis-à-vis au village de Panten, mais par suite du
!i
INCIDENT» DE LA BATAILLE.
01
pcn d'étendue du front autrichien, n'avait en face d'elle
aucun ennemi. Au centre, les bataillons de Bulow avaient
pris l'ollensive de concert avec 1(îs défenseurs de la bat-
terie centrale, dont les pièces suivirent probablement le
mouvemeit. Après une demi-heure de fusillade à bonne
portée, les Autrichiens commencèrent à plier, les cuiras-
siers et dragons prussiens achevèrent la défaite, tombè-
rent sur les régiments Toscana, Starhemberg et Waldeck
et leur tirent beaucoup de prisonniers. Cette mêlée eut
pour résultat d'entialner en avant la gauche royale et
d'ouvrir entre elle et la droite un vide qui ne fut comblé
que par un détacbement du bataillon d'Alt Brunswick
et par des pelotons de cavalerie. Les Autrichiens qui s'é-
taient établis dans le village de Panten ne surent pas
profiter de l'occasion offerte; ils se bornèrent à capturer
les piquets d'Alt Brunswick, mais ne tirent aucune tentative
sérieuse pour déboucher du village ; bientôt assaillis à leur
tour par la droite prussienne, et notamment par un ba-
taillon de la garde royale conduit par le futur maréchal
Mollendorf, ils furent chassés de Panten et rejetés jusqu'à
la Katzbach.
Entre temps, la bataille se prolongeait entre Panten et
Bienowitz; la division du corps de Laudon qui tenait la
tète avait été renforcée de troupes fraîches et luttait
avec courage. Le Roi dut faire entrer en ligne sa réserve
de 4 bataillons et emprunter au corps de Zieten 2 ba-
taillons et 5 escadrons. De son côté, Laudon fit appel
à sa cavalerie ; celle-ci chargea avec vigueur, enfonça le
régiment du prince Ferdinand et ime partie de celui de
Bernburg, leur enleva des drapeaux cl force prisonniers,
mais les autres bataillons lui opposèrent une résistance
si énergique qu'il fallut reculer et cette fois la retraite,
grâce à l'intervention des escadrons royaux, dégénéra en
déroute. En cette occurrence, le régiment de Bernburg
racheta par sa bravoure une défaillance partielle dr-
. l
I ((\
63
LA GUERRE DE SEPT ANS. - CIIAP. I.
vant Dresde que Frédéric avait injustement ou trop sévè-
rement punie en lui enlevant ses sabres et en faisant
couper les galons de ses chapeaux. Le lendemain de la
bataille de Liegnitz, le Roi passa le régiment en revue et
révoqua la punition déshonorante à la grande joie dos of-
ficiers et soldats.
L'échec de la cavalerie impériale entraîna le recul de
l'infanterie et force fut à Laudon d'abandonner le champ
de bataille; ses troupes se retirèrent en désordre sur Bie-
nowitz et de là sur la Katzbach. Néanmoins protégé par une
forte batterie que le colonel de Rouvroy installa sur une
hauteur en arrière de Bienowitz et sous le couvert d'un
cordon de tirailleurs croates qui s'embusquèrent sur les
rives boisées de la rivière, le passage de la Katzbach fut
effectué sans nouveau désastre, et les débris du corps pu-
rent regagner leur camp de la veille. De la part des Prus-
siens , il n'y eut pas de poursuite, et il faut reconnaître
que dans la circonstance, elle eût été fort dangereuse. De
Pfaffendorf, on découvrait les colonnes de Daun et de Lascy
s'approchant de Liegiiitz ou contournant cette ville; dcyà
l'avant-garde ennemie faisait mine de déboucher et échan-
geait des coups de canon avec les troupes deZieteu. Selon
toute probabilité, l'armée royale allait avoir sur les bras
les 50.000 Autriciiiens du maiéchal Daun et de son lieute-
nant, soit un effectif presque double de celui qu'on aurait
à leur opposer La prudence la plus élémentaire imposait
au Roi l'obligation de se contenter du succès obtenu et
d'attendre les événements ultérieurs d'une Journée qui
commençait à peine.
Voyons ce qui s'était passé au quartier général autri-
chien. A la tombée de la nuit, les troupes impériales
avaient quitté leur bivouac et s'étaient portées sur Dohnau
et Klein-Schweidnitz où elles devaient franchir la Katz-
bach; seules, quelques unités appartenant aux divisions
des généraux Beck et Ried étaient passées sur l'autre
DÉMONSTRATIONS INUTILES DE DAUN.
63
rive; à leur grand étonncment, elles trouvèrent les vil-
lages de Schemmelwitz et Schmochwitz inoccupés; au-
cune trace des Prussiens que les feux de campement aban-
donnés. Le général Ried fut aussitôt prévenu, mais quoique
la première constatation du départ de l'armée royale eût
été faite à 11 heures du soir, la nouvelle ne parvint à Daun
qu'à 2 heures du matin. Il dépêcha aussitôt un officier à
Laudon, mais soit défaut de diligence de l'envoyé, soit
nécessité de faire un long détour, ce général reçut l'avis
trop tard pour rompre un combat déjà engagé. D'autre
part, le maréchal donna l'ordre d'activer le passage de
la Katzbach et de suivre les Prussiens. Il y eut des re-
lards et de la confusion, et pour comble de malheur, le
veut qui soufflait avec force dans la direction de l'Oder
empocha d'entendre le bruit de la bataille qui se livrait
il 8 kilomètres. Au lever du jour, entre 4 et 5 heures
du matin, les têtes de colonnes de Daun n'avaient guère
dépassé le village de Schmochwitz, taudis que seuls les
Croates et les hussards de l'avant-garde étaient entrés dans
la ville de Liegnitz. Daun put deviner les incidents de la
nuit et leurs conséquences; pour attaquer la division de
Zicten qu'on voyait rangée sur les pentes de Pfaffen-
dorf, il faui.iait franchir le Schwarz-Wasser et débou-
cher sous le feu de l'artillerie prussienne; de plus, les
luagcs de fumée qui montaient des bois et du village de
iMuten, incendié au cours de l'affaire, faisaient supposer
qi une rencontre avait eu lieu entre Laudon et le roi de
Prusse. De tels indices n'étaient pas de nature à diminuer
l'indécision qui était la caractéristique du maréchal ;
cependant, il résolut de continuer son mouvement. En
conséquence, l'avant-garde entama à longue portée une
canonnade contre la position de Zieten, et quelques esca-
drons furent poussés en avant de Topferberg sur la
rive gauche du Schwarz-Wasser. Ces tentatives, d'ail-
leurs mollement appuyées, ne produisirent aucun elfet.
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Hiiiiimi
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01
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHA1>. I.
1 - I
Zietcn, devançant les instructions du Roi. avait posté
ses troupes et placé ses pièces de 12 de manière à balayer
de leurs projectiles les seuls accès ouverts aux Autrichiens.
Son artillerie plus lourde prit bientôt le dessus et quant
aux escadrons impériaux exposés aux boulets prussiens,
sans soutien d'infanterie, ils repassèrent le ruisseau, lais-
sant sur place ou aux mains de l'ennemi une centaine des
leurs. De la part du corps de Daun il y eut encore quel-
ques démonstrations et quelques coups de canon éciian-
gés, mais il devint évident que de ce côté, aucune attaque
sérieuse n'était à redouter.
Dans l'opération dont il avait été chargé, Lascy ne fut pas
plus heureux. Quand ce général, après avoir dépassé le vil-
lage de Waldsee, s'approcha du Schwarz-Wasser, il fut ar-
rêté par des obstacles imprévus ; la nature marécageuse du
terrain, la nécessité d'établir une chaussée pour atteindre
les bords du ruisseau firent perdre beaucoup de temps.
Cependant quelques pelotons de hussards découvrirent un
gué, et traversant le village de Rustern, poussèrent jusqu'à
liummel où avait été parqué le convoi de l'armée royale
sous la protection d'une compagnie de la garde. Le capi-
taine prussien barricada l'entrée du village avec les voi-
tures appartenant au souverain et à la suite, et fit une
défense si énergique que les hussards abandonnèrent l'en-
treprise et rejoignirent leur corps. Un peu plus de persé-
vérance leur aurait valu une capture des plus impor-
tantes, car, à Hummel, avec les bagages de l'armée, le
trésor royal, les cartes et l'équipage de Frédéric, se trou-
vaient le conseiller Eichel et le ministre anglais Mitchell
qui en furent quittes pour la peur.
A 8 heures du matin, les velléités agressives de Daun
et de Lascy avaient pris fin, et le Roi put compter les tro-
phées de sa victoire. Le succès avait été complet. Le vain-
queur évalua les pertes de Laudon à 2.000 tués, 4.000
blessés et autant de prisonniers, soit à un total de 10.000
PKHTKS DKS DEIX ARMÉES
65
officiers et soldats mis hors de combat; 82 canons et 23
drapeaux ou étendards lui avaient été enlevés. Étant
donné rcffectif des Autrichiens et la durée du combat qui
ne dépassa guère deux heures, ces chiffres paraissent
exagérés. Montazet, quelques jours après l'action (1),
fixe à 7.52'+ hommes le déchet du corps de Laudon;
les états officiels du rapport autrichien relèvent l.'i.21
tués, 2.370 l)lessés et 2.1i0 prisonniers, en tout 5.931
hommes; le nombre de canons laissés aux mains des
Prussiens n'aurait été que de 68 ou de 7V selon Montazet;
parmi les blessés étaient compris 6 généraux autrichiens.
Les pertes prussiennes, beaucoup moins importantes,
se montèrent, d'après Gaudi, à 775 officiers et soldats
tués, 2.489 blessés et 252 prisonniers, soit un total de
3.516 hors do combat; 10 drapeaux avaient été capturés
par la cavalerie autrichienne. Bien que I^audon ait reçu
de l'Impératrice, peu de temps après la bataille, une lettre
l'assurant du maintien de sa confiance, il semblerait, d'a-
près les confidences faites au comte de Choiseul et à Mon-
tazet, qu'elle ne fut pas satisfaite de la conduite de son
général : « Elle lui impute (à Laudon) le malheur de
la journée du 15, rapporte l'ambassadeur (2), et j'ai vu
qu'elle pensait bien différemment de son ministre sur ce
général. Elle m'a présenté cette affaire sous une face toute
différente de celle où l'on nous l'avait montrée jusqu'à
présent, et m'a dit qu'on avait débité bien des mensonges
à cette occasion. Elle prétend que dans l'instruction de
M. de Laudon, il lui était expressément défendu d'attaquer
le roi de Prusse, s'il se trouvait au delà du Schwartz-
Wasser, et qu'il ne devait attaquer qu'à 7 heures; que M. de
Laudon n'a jamais mis ses troupes en bataille, ni placé
son artillerie de manière à en faire usage ; qu'il n'a com-
l
(1) Montazet à Choiseul, Conradswalde. L>1 août l'fiO. Affaires Étrangères.
(2) Comte de Clioiseiil au duc, 30 septembre 17i!0. Affaires Étrangères.
GUEIIRE DE SEPT ANS. — T. IV. Ô
V l
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L\ GUERIIE DE SEPT ANS.
CIIAP. I.
battu qu'avec son corps de réserve et que tout le reste
a été inutile ; que ses troupes ont fort mal fait, que la
confusion s'y est mise dès le commencement et qu'on
n'avait jamais pu les débrouiller; qu'une seule charge de
cavalerie faite pour favoriser sa retraite avait bien réussi,
et que cette cavalerie ayant pénétré dans l'infanterie
ennemie, avait pris les drapeaux dont on avait fait tant de
bruit; que M. de Laudon avait son corps tout entier tel
qu'on le lui avait donné au commencement de la campa-
gne et montant ce jour-là à 42.000 hommes, que les
8 bataillons que l'on avait tant reproché au maréchal de
lui avoir ôté avaient été laissés à Okirchen, pour servir
en cas de malheur à la retraite de l'armée et non pour la
renforcer, et qu'en efl'et, ils lui avaient été fort utiles
après sa défaite; enfin, que M. de Laudon n'a eu affaire
qu'à une petite partie de l'armée du roi de Prusse, tandis
que le gros de ses troupes était en bataille sur une hau-
teur faisant face au Schwarlz-Wasser et à l'armée du
maréchal; et que la perte totale a été de 9.000 hommes. »
En parlant ainsi, Marie-Thérèse se fondait évidemment
sur les informations fournies par Daun qui ne pouvaient
être favorables à son subordonné.
Au surplus, quelle que fût la perte matérielle des Au-
trichiens dans la bataille de Liegnitz, les conséquences
de l'échec eurent une portée bien autrement grande.
Aussitôt rassuré sur les intentions de Daun, le Roi re-
prit l'exécution de son projet de réunion avec l'armée du
prince Henri; il conduisit le jour même de l'affaire
5 bataillons et 30 escadrons h Parchwitz où il s'établit
sur la rive droite de la Katzbach; le reste de l'aile
gauche, après avoir exécuté les feux de rt'jouissance
pour célébrer la victoire du matin, rallia un peu plus tard
le nouveau camp. Zieten, qui venait d'être promu au
rang de général de cavalerie, passa la journée sur le
plateau de Pfaffendorf à enterrer les morts, relever les
MISSION DE COGNUZZO.
07
blessés, escorter les prisonniers et rcamasser le matériel
conquis; vers le soir, il se mit en marche et parvint vers
minuit à Parchwitz où il campa face à l'Oder et à la
position qu'on supposait occupée par les Russes sur le
bord opposé du fleuve.
Malgré son succès, Frédéric n'avait pas encore ouvert la
communication avec Breslau et avec le prince Henri.
Ne rencontrerait-il pas sur sa route les 20.000 Russes de
Czernitchew et avant d'en avoir eu raison, ne serait-il
pas abordé en queue par les 50.000 Autrichiens de Daun?
Le maréchal eut en eCFet la pensée de s'opposer à la jonc-
tion des armées prussiennes, mais il ne prit dans ce but
que des mesures tout à fait insuffisantes. Tout d'abord,
il ne sut pas conserver le contact avec le Roi. Montazet qui
écrit (l ) du quartier général de la veille où on était rentré
il k heures de l'après-midi, après avoir raconté ce qu'il
avait appris sur la défaite de Laudon, ajoute : « Le Roi a
tiré tout de suite une réjouissance, ensuite de quoi il a
disparu. Les uns disent qu'il va à Steinau, les autres à
Parchwitz. Ce dernier me parait plus vraisemblable, et
si cette marche se confirme, je ne doute pas que M. le
Maréchal ne retourne dans deux heures, quoique nous
soyons sous les armes depuis hier à 9 heures du soir et
qu'il en soit six après-midi... Si l'ennemi passe à Parch-
witz aujourd'hui, nous pourrions nous battre demain dans
les environs de Neumarkt sur le chemin de Breslau. » Cet
espoir fut déçu; au lieu de suivre l'adversaire avec toutes
ses forces, Daun se borna à détacher vers Neumarkt la
faible division de Beck avec ordre de se joindre à Nauen-
dorf et à Czernitchew. L'historien (^ogniazzo qui ser-
vait dans le corps de Beck fut chargé, au courant de la
journée du 15 (2), d'informoi' le général russe de l'ap-
(1) Montazet à Choiseul, Skols. 15 août 1760. AlTaires Ktiangères.
(2) CesUlnduisse eines œsterreichischen Vetei'ans, lil, p. 221.
.âaM«a«ni
6K
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. I.
'M !
:.
proche de ces troupes; en route, il apprit l'arrivée dos
Prussiens à Parchwitz, avertit aussitôt son yénérnl et
continua sur Neumarkt où il parvint à la tombée de la
nuit du 15 au 10; il y rencontra un hussard russe qui
lui donna connaissance du départ des Russes et de leur
retour à la rive gauche de l'Oder. Czernitchew avait été
avisé vers G heures du soir, par une patrouille cosaque,
de la bataille du matin ; sans nouvelle directe du camp
autrichien , il s'exagéra l'importance de la défaite in-
fligée à ses alliés, se vit déjà aux prises avec les deux ar-
mées royales, leva son camp de Gross-Breza (village situé
à peu de distance de l'Oder au nord de Leuthen), re-
passa le fleuve et rejoignit son chef. Cogniazzo, ainsi fixé
sur la retraite des Russes, expédia un sous-officier et deux
hommes au quartier général de Soltikofl' pour le mettre
au courant des mouvements de Beck, mais ni cet avis qui
dut être remis au destinataire dans la matinée du 16, ni les
renseignements plus complets apportés par des officiers
autrichiens (1) au camp de Peterwitz dans la même jour-
née du 16, ne purent déterminer le maréchal russe à revenir
sur la décision prise : Daun n'ayant pu remplir sa promesse
d'empêcher le roi de Prusse de se rapprocher de l'Oder, il
se refusait absolument à risquer une division de son armée
de l'autre côté du tleuve. Sans le concours de Czernitchew,
les détachements autrichiens étaient incapables de s'oppo-
ser à la marche de Frédéric, aussi Beck. et Nauendorf qui
avait été détaché dès avant la bataille, dans le même but,
n'essayèrent-ils pas de risquer un combat qui eût été trop
inégal et rallièrent-ils le gros de leur armée. On a pré-
tendu que le recul un peu précipité de Czernitchew avait
été hâté par la lecture d'un billet de Frédéric au prince
Henri, où il était question d'un passage de l'Oder et d'une
(1) Montalembert à Montazef, Kainova, 20 août 1760. Correspondance. II,
p. 244.
RETRAITE DE CZERNITCIIEW.
CO
action commune contre les Russes. Le porteur de ce
message devait faire en sorte de tomber entre les mains
des éclaireurs russes et leur livrerait la correspon-
dance royale. U^oi fju'il en fût, Daun dans une lettre à
Plunkett en date du 18 août, cherclia à rejeter sur Czcr-
nitcliew la responsabilité de la fausse manœuvre et parla
de la retraite inattendue du général russe. Co blâme
indirect, maladroitement communiqué à la personne
visée, fut pris en très mauvaise part et contribua à aug-
menter la tension qui existait déjà dans les rapports des
alliés.
Certes, Czernitcliew eût pu, sans grand danger, prolonger
de quelques heures son séjour sur la rive gauche de
roder et opérer sa réunion avec les détachements de
lieck et Nauendorf ; mais en vertu de l'accord verbal entre
I.audon et SoltikofT, il avait été stipulé que si le Roi,
échappant aux attaques combinées des Autrichiens, s'ap-
prochait (le roder, Soltikotf n'était pas tenu de l'attendre,
mais était libre de se retirer vcrsMilitsch. Rien d'extraor-
dinaire il ce que le départ annoncé ait été eilectué. La
véritable faute de Daun fut de n'avoir pas entretenu des
conmiunications régulières et suivies avec Czernitcliew,
de ne l'avoir pas prévenu dès le matin du 15 de son inten-
tion de lui donner la main et de n'avoir pas affecté à
cette opération son armée entière ou tout au moins le
gros de ses forces. En fait Soltikolf avait dépassé ses
engagements; le IG août, après l'arrivée des messagers
autrichiens, il avait « ordoimé sur-le-champ le rétablisse-
ment des ponts à Auras et a fait dire i\ M. de Laudon, par
ces mêmes officiers, qu'il tiendrait le corps du comte de
Czernitcliew à portée de se joindre à lui par le moyen de
ces ponts, selon que les circonstances l'exigeront ». Durant
la journée du 16, le bruit courut dans le camp russe que
Laudon était à Neumarkt et certainement la nouvelle de la
marche de Daun eût décidé le généi alissimc russe à rem-
70
LA OUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. I.
|)lir sa promesse. « Mais, ajoute Montalembert (Il pendant
la nuit du Ki au 17 Ton a su, à n'en pouvoir douter, que le
\\o\ occupait NeuniarUt et point M. de Laudon. Il n'ëtait
donc plus possible de jeter des pouls à Auras ni de les
soutenir. D'un autre cùfé, M. de Laudon ayant appris que
le comte de Czernitchew avait re[iass«'' l'Oder, n'a pu
exécuter le projet ([u'il avait formé de venir à NeuraarUt,
puisque cette marche n'avait que la joncti<»n pour objet.
C'est ainsi que, faute d'une communication assez Iré-
quente, on a perdu des moments précieux et que chacun
de son côté a été forcé de faire des manœuvres opposées
à celles ([u'il avait dessein de faire. »
Que Laud' i eût été en état d'exécuter le plan que
ses officiers a ..aient proposé en son nom semble plus que
douteux; au dire de Montazet, l'ordre d'une marche géné-
rale sur Neumarkt aurait été donné le 15, puis révoqué.
« .le fus chez M. le Maréchal, écrit l'attaché (2), pour lui en
demander la raison, il me répondit (juc « M. de Bota était
venu le prier en grâce, de la part de M. de Laudon, de ne
point faire ce mouvement, puisqu'il lui était impossible
de marcher tout de suite pour le suivre, après l'action vive
qu'il venait d'avoir, que par conséquent, le roi de Prusse
qui avait passé la Katzbacb à Parcliwitz, et qui était fort
près de lui, pourrait lui tombersur le corps et l'écraser ».
Voici en quels termes Montazet parle de l'envoi du déta-
chement de Beck : « La représentation de M. de Laudon
change le projet de M. le Maréchal, du moins c'est la
seule raison (ju'ilm'a donnée, mais comme il avait quelque
inquiétude sur le corps russe aux ordres de M. de Czernit-
chew qui s'était porté vers Neumarkt, il d(''tnchale corps
de réservo et les grenadiers de l'armée pour se porter vers
eux, les priant de se rejeter du côté de Jaiicr afin de lui
(1) Lettre déjà citée.
(2) Montazet à Cboiseul, Conradswalde. 17 août 1760. Affaires Étrangères.
INDknSION DE DAUN.
71
doniior le temps de Its joindre le loiubmain. Cette pré-
caution u été en pure perte puisque le corps russe était
parti sans attendre lavis de personne, et par ordre de
Âl. de Soltikoir. M. le Maréchal ayant appiis la même nuit
que les llusscs avaient passé l'Oder et môme i-oleve leurs
ponts, n'a plus souf^é A marcher sur Neumnrkt, il a au con-
traire porté 1 armée sur Strigau, et de là sur Schweid-
nitz, où nous venons d'arriver il y a um; heiu'e. » L'im-
possibilité dans laquelle se trouvait Laud«>n de marcher
isolément sur Parchwilz ou menu-! de suivre le gros de
l'armée ne constitue pas une evcuse valable pour Daun
qui, à lui seul, sans compter les 20.000 Russes de Czernit-
chew, avait presque^ le double de l'eUectif prussien. L;iu-
don, couvert par la mana'Uvie de Daun, n'aurait couru
aucun risque de la part du K(»i et auiait eu le loisir de
réorganiser ses troupes. La pointe sur Neunuirkt n'eùt-
elle pas pu être accomplie en temps utile, une poursuite
active des Prussiens aurait probablement fourni l'occasion
de recouvrer tout au moins une partie des prisonniers et
du matériel que Zieten emmena avec lui. En résumé, l'in-
décision et les hésitations de Daun transformèrent en évé-
nement capital une affaire qui n'aurait pu être qu'un inci-
<lent l'Acheux pour la cause autrichienne.
La bataille de Lieunitz a été quelquefois comparée à
celle de Hochkirch et, à ne considérer que l'action même,
la comparaison peut se soutenir, mais cond)ien différente
dans les suites! Dix jours après sa défaite de Hochkirch, le
roi de Prusse avait rc^pris le dessus et donmiit le ton à son
vainqueur. Au contraire, Frédéric tira tout le parti possible
de sa victoire de Liegnilz, non seulement il sortit d'une
situation presque inextricable en effectuant sa jonction
avec le prince Henri, mais il empêcha celle des Russes
avec les Autrichiens, sema la discorde entn; les alliés,
mit fin à toute coopération utile et sauva la Silésie. Ces
résultats, il les dut aux fautes de ses adversaires, à la
78
LA GUERRE DE SLPT ANS. — CllAi>. I.
discipline et i\ la brnvoun de ses soldats, i\ sa prôsence
d'esprit, au coii]> dd'il du général, à l'habileté du tacti-
cieu, surtout à l'iudouiplublc trempe de sou caractère.
Quant k Laudon, en dépit de sa défaite, il ne per-
dit pas son prestige militaire, et conserva môme la
confiance de Kauuitz et la laveur apparente de sa souve-
raine. Sur le terrain, il s'était montré chef énergi-
que, sachant prendre un parti et le soutenir avec uu
courage à toute épreuve, mais l'attaque impétueuse, la
course au clocher à la concniôte (h^s baj^^ages prussiens
semblent ])lutAt l'œuvre d'un officier de partisans que
celle d'un commandant d'armée. Le général Beck, qui
n'aimaitgucre ce collègue parvenu, en troisans, dugrachî
de lieutenant-colonel à celui de général d'infanterie,
avait (piehpie raison do le comparer à un bon capitaine
de grenadiers. Un peu plus de souci d'éclairer sa marche
l'eût empêché de se jeter tôte baissée sur les forces du
Roi et lui eût permis de concerter son action avec celle
du généralissime. Les difficultés du terrain, la mauvaise
disposition des colonnes, l'infériorité des Autrichiens en
qualités manœuvrières expliquent leur défaite; mais à ces
causes, il n'est pas exact d'ajouter, comme le firent Lau-
don et ses partisans, celle de la supériorité numérique de
l'armée royale. Tenant compte des détachements envoyés
à Parchwitz ou à Hochkirch, nous avons évalué l'eirectif
de Laudon à '25.000 hommes, alors que presque tous les
historiens prussiens lui en allouent 35.000 et que Flmpé-
ratrice lui en avait attribué plus de VO.OOO; mais le Roi
ne lui opposa qu'un peu plus de la moitié de son armée,
soit 18.000 à 20.000 combattants. Quoi qu'il en fût, Lau-
don profita de la légende, fit croire — et crut peut-être
lui-même — qu'il avait combattu un ennemi plus fort que
lui, que prévenu de sa marche, cet ennemi le guettait
au passage, enfin qu'il avait été, sinon trahi, tout au
moins sacrifié par son chef. Cette troisième assertion
APPUKriATIONS l»K MONTA/KTSI H LES GkNKIUUX AtTHlCIIIENS. 73
est aussi orroiu-e que les tI(Mix |H'onii^r«'s. A V heures du
matin, «[uamiran'aii'fMlt'Ijutn, Haun et Lnscy étaient encore
aux prises avec les difficultés du passaj^e de la Katzbacli
fi tournaient le dos au champ de hatailh>; à 0 heures,
alors <|ue les ti'oupcs de Laudon étaient en pleine retraite
et la bataille perdue, le yros de l'armée autrichienne
n'avait pas encore atteint les faubourgs de Liegnitz et
était beaucoup trop éloigné pour prêter un secours qui
n'eut plus été efficace. Les torts de Daun sont assez évidents
pour qu'on ne le charge pas de fautes qu'il n'a pas
connnises.
Sans doute le rapide avancement de Laudon avait fait
des jaloux, Montazet le constate, mais m.dgré la liberté
avec lacpielle il s'exprime sur le compte de Daun, jamais
il ne lui attribue de mauvais sentiments à l'égard de son
lieutenant. Son appréciation (1) sur l'état-major impérial
et sur les responsabilités de Liegnitz est à citer : c II faut
trancher le mot. Monsieur, ma conscience m'obligea dire
qu'il n'est pas possible que cette armée manœuvre avec
succès vis-à-vis l'ennemi que nous avons. Les talents de
M. le .Maréchal Daun ne sont point ceux qu'il faudrait dans
(les circonstances semblables; il n'est aidé d'ailleurs par
personne, car MM. de Lascy et de Laudon ne sont occupés
que (le leur affaire particulière... Il n'y a d'ailleurs dans
cette armée aucun généi-al dont M. le maréchal Daun fasse
cas ; il n'a donc pour toute ressource que son état-major
dont M. de Cbiskovitz est le chef, à qui je serais au dé-
sespoir de faire tort, mais qui véritablement n'entend rien
au grand de la besogne ; il a par-dessus cela un caractère
aussi froid que timide. Jugez de la nature des délibérations
entre M. le Maréchal et lui, aussi vous voyez ce qui en ré-
sulte... Je dois vous avertir d'ailleurs, Monsieur, qu'il n'y
a nulle harmonie dans cette armée. La jalousie y règne,
I i
il
(1) Montazet à Choiseul, Conrailswaldc, 5.s août 1760. Affaires Étrangères.
7t
lA Gl'ERRE DE SEPT ANS.
CHAP. I.
'//
M. le Mari'chal a beaucoup d'ennemis; M. de Lascy en a
beaucoup aussi; M. de Laadon en a bien quekjues-uns,
même de la première trempe ; et voilà ce qu'ont produit les
exaltations outrées delà cour de Vienne en sa faveur. La
vérité est ([u'il s'est, je crois, un peu trop aventuré, et que
nous n'avons rien fait pour le tirer dallaire. Il eût été
même très difficile à M. le Maréchal de le secourir parce
que son combat commença avant que nous n'eussions passé
la Katzbach et que nous étions éloignés de lui d'un mille.
Le tort que nous avons eu est de ne l'avoir pas fait avertir
de la confusion qu'il y eut dans notre mouvement pendant
la nuit, qui retarda notre arrivée au rendez-vous donné
de plus de quatre grandes heures. Une auti-e cliuse qu'il
peut nous reprocher avec justice est de lui avoir pris H ba-
taillons et 2 régiments de cavalerie, dont nous aurions pu
très bien nous passer, et qui lui auraient été très utiles. »
Que les sentiments intimes de Marie-Thérèse à l'égard
de Laudon aient été modifiés par la lecture des rapports
sur la journée du 15 août, cela est probable; toujours est-il
qu'au lendemain de la bataille, sa défaite lui valut, de la
part de la princesse et de son chancelier, des témoignages
de confiance qui n'auraient pas été déplacés à l'occasion
d'un succès éclatant. L'impératrice-Reinc écrivit au général
malheureux une lettre où elle le félicitait de sa conduite,
et complimentait les officiers et soldats sur la l)ravoure
qu'ils avaient déployée. Du cas qu'il faisait de sa valeur
militaire, le cabinet da Vienne donna une preuve tan-
gible : dans le projet d'opérations élaboré peu de jours
après la nouvelle de la bataille de Liegnitz, c'est Laudon
que Marie-Thérèse désigna (1) pour conmiander les 'i.O.OOO
Autrichiens qui, de concert avec 20.000 [lusses, devaient
couvrir le siège prévu de Glogau.
(I) Cabinets Sehrcibenan Daun, Vienne, 22 août 1760. Archives de Vienne.
CHAPIPRE H
BERLIN
MANOEUVRKS OE FRKDKniC KT DE DAUN EN SILKSIK. — EX-
PÉDITION DES RI SSES ET DE LASCV SUR BERLIN. — CAPI-
TILATION ET OCCUPATION DE UKRI.IN. — SIÈGE DE COL-
KKRG. — RETOUR DES RUSSES DERRIÈRE LA VISTULE. —
CAMPAGNE DES SUÉDOIS.
Le roi de Prusse s'était installé à Ncninarkt après sa vic-
toire; il y resta Jusqu'au 19 août, u-i de fiùvo reposer ses
soldats ([ui marchaient ou se battaient presque sans inter-
ruption depuis leur départ de Saxe. Ce fut de ce camp qu'il
adressa au marquis d'Argens un l)illet intime qui tomba en-
tre les mains de l'ennemi et qui fit aussitôt le tour des cours
d'Europe. L'écrivain royal a conscience des obstacles qui,
nidltiré son succès récent, se dressaient devant lui et ne ca-
che pas le décourag-ement qu'il éprouvait parfois en dépit de
son intrépidité morale : " Autrefois, mon cher marquis (1),
l'aU'aire du 15 aurait décidé de la campaiine; à présent,
cette action n'est qu'une éi;rati;",nure. Il faut une grande
bataille pour fixer notre sort ; nous la donnerons suivant
toutes les apparences bientôt, et alors on pourra se réjouir
si l'événement nous est avantageux... .lamais je n'ai été
de ma vie dans une situation plus scabreuse ([ue cette
(1) Frédéric à d'Argens, 27 août 17(iC. Correspondance île Montalemberl,
II, p. 278.
Il
>^v '
7ft
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAP. IF.
campagnc-ci ; croyez qu'il faut encore du miraculeux pour
nous faire siirnionter toutes les difficultés que je prévois;
je ferai sûrement mon devoir dans l'occasion, mais sou-
venez-vous toujours, moucher marquis, que je ne dispose
pas de la fortune et que je suis obligé d'admettre trop de
casuel dansmes projets, faute d'avoir les moyens d'en for-
mer de plus solides; ce sont les travaux dllorcnle que je
dois finir dans un kge où la force m'abandonne et où mes
infirmités augmentent et à vrai dire, quand l'espérance,
seule consolation des malheureux, commence à me man-
quer Je mène ici la vie d'un chartreux militaire, j'ai
beaucoup à penser à mes afiTaires ; le reste du temps je le
donne aux lettres, Je ne .sais si je survivrai à cette
guerre; mais je suis I en résolu, en cas que cela arrive,
de passer le reste de mes jours dans la retraite au sein de
la philosophie et de l'amitié. »
Pendant que Frédéric se préparait à un nouvel eiVoit
contre l'arm e autriciiienne, celle-ci s était retirée vers
Striegau et ^'ormait un cordon entre cette ville et la forte-
resse de Schweidnitz, dont elle paraissait vouloir entre-
prendre le sièi 3. Le parcours des environs de Liegnitz
au c(uartier général de Conradswalde, distant de 15 ki-
lomètres de Schweidnitz, avait été accompli avec une
hiUe qu'on ne s'explique pas : « Nous venons de mar-
cher vingt-quatre heures de suite, écrit Montazet (1),
pour prendre cette position; tout le monde est sur les
dents; et j'avoue que depuis que je fais la guerre, je n'ai
point vu de campagne aussi rude. » Ue son camp, Daun
avait expédié à Vienne le général Pellegrini avec son
rapport et une demande d'instructions fraîches. Elles
portent la date du 22 (2), mais ne seraient arrivées au
maréchal ([ae le 20, car c'est seulement dacs sa dépê-
che du 27 que Montazet en parle. L'Impératrice n'enten-
{l)Monlazel à Choiseul, Conradswalde, 17 aoiU ITCO. Afl'aires lilrangèros.
(2) Cabiiu'(s Sclireibcii an Dniin, Vienne, 'V.> aoAt ITfiO. Archives de Vienne.
NOUVEAUX PROJETS DE COOPERATION DES RUSSES
77
d.iitpas renoncer à la coopération avec les Hnsses, projet
qui avait reçu un commencement de réalisation avant la
désastreuse bataille du 15. Deux expédients s'offraient pour
le reprendre : le premier consisterait à proposer à Soltikoff,
avec tous les ménagements désirables, de se charger du
siège de Glogau pour lequel l'artillerie nécessaire serait
fournie par l'Autriche ; l'opération serait couverte par un
corps mixte de 40,000 Autrichiens et de 20.000 Russes sous
les ordres de Laudon. Daun, par des démonstrations sur
lireslau, détournerait l'attention des Prussiens et les obli-
gerait à diviser leurs force''. Au cas où les Russes refa-
scraient de participer à cette entreprise, on se rabat-
trait sur le siège de Schweidnit/. dont le principal avantage
serait d'amener la bataille que le Roi ne manquerait pas de
livrer pour secourir la ville vi sur les etl'ets de laquelle, si
elle était licureuse,on fondait d(î glandes espérances. Con-
sulté par lliuporatrice sur les deux alternatives, Montazct(l)
répondit par un mémoire où il démontrait ([ue la réussite,
possible dans l'un ou l'autre cas, serait subordonnée aux
agissements des alliés. Mais « pour huit raisons dill'érentes
dont la plus forte est l'expérience des dernières campa-
gnes », il ne croyait guère à l'action commune. D'après lui,
on n'avait le choix qu'entre deux partis : « Se livrer tout
entier aux Russes et faire dépendre d'eux entièrement le
succès (le la campagne o, ou « les prier de s'éloigner de
nous le plus tôt qu'ils pourront et d'aller vers Francfort,
Custrin et Rcrlin môme s'ils le peuvent ».
Pendant qu'on discutait à Vienne et dans le camp autri-
ciiien siH' les moyens d'assurer le concours des Russes,
ceux-ci, malgré les efforts des attachés étrangers pour les
retenir, s écartaient de plus en plus du point de contact.
Le 16 août, il est vrai, IMunkett avait obtenu de Soltikolf
un sursis des préparatifs déjà faits pour le départ : « .le
(Il "tîonlazet au comltMle ("hoiscul, Coiiradswalilc !8 août ITCiO. Affaires
Étrangères.
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M
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,-)
i:
11
78
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAP. II.
fus assez hcureu.x, écrit-il à Daun (1 ), pour engager le ma-
réchal à ne pas s'éloigner le jour 16 et môme, sur l'ar-
rivée (les officiers dépéchés par le prince de Lowenstein,
j'ai engagé lo maréchal à donner ses ordres pour le réf ablis-
sement du pont. Les pontons furent à l'eau quand un nou-
veau rapport vint de l'arrivée de l'armée prussienne à Neu-
markt; là-dessus, le travail fut arrêté, et la résolution fut
prise de s'éloigner encore un peu pour prendre la position
où noussommesactuellementàciuq milles de roder; l'igno-
rance entière où j'étais de la position de V. E. m'ôtaitles
moyens de m'opposer à ces démarches. » Cependant sur
l'avis qu'on songeait à repasser la Bartsch et à gagner
Militsch, l'attaché autrichien prit sur lui de soumettre à
Soltikoti' un mémoire dont i' rnvoya copie à Daun : « Ne
pouvant pas arrêter le te u., dit-il, je croyais bien faire
aie divertir. » Le projet de Plunkett, appuyé par Monta-
lembert (2), consistaità faire agir les Russes sur lebas Oder
où le prince Henri serait obligé de les suivre : « N'ayant
pas pu tirer parti de cette armée selon le premier plan des
opérations, il faut tAcher d'en tirer parti pour une diver-
sion d'un côté qui donnera une jalousie naturelle à l'ennemi
coumiunet où cette armée peut subsister assez de temps
pour faciliter à V. E. les opérations qu'elle voudra en-
treprendre; cette diversion ne peut être que sur lo bas
Oder, et voilà. Monseigneur, ce qui m'a déterminé à pro-
poser sans attendre vos ordres, la manœuvre en question. »
Malheureusement, cette conception fort raisonnable ne
cadrait pas avec les instructions de la cour de Vienne. Un
incident fâcheux, la maladie de Soltikoff, vint augmen-
ter l'incohérence dans les relations déjà si difliciles à entre-
tenir entre les alliés. « Une grosse fièvre, continue PI un-
it) PlurikGtl à Diiun, Cayaove, XI août 17(ju. Archives de Vienne. (Les dé-
pt^ches de Phinkell son! "n français).
(2) Monlalemberl pu ("rnte de Clioiseul Kàiiowi, '. ^j . 1700. Corres-
pondance de Moi'tueiiiiiorl, vol. U, p. 20. (.ni". 177T.
%
MALADIE DE SOLTIKOFF
79
kett, l'aattaqué il y a quatre jours ; le second jour, elle était
si forte qu'il s'est démis du commandement entre les mains
du comte de Fermer, et la résolution était prise de se re-
tirer à iMilitsch ; j'ay bien trouvé dans cette occasion la vé-
rité du proverbe italien : « Il lupo cangia il pelo, ma il
vilio mai » ; j'ai d'abord entamé une négociation avec ce
général, je n'en pouvois rien tirer que des propos vagues
qui me montroient le fond de son caractère; je me suis
joint avec tous ceux en qui j'ai découvert, jusqu'à cette
heure, une envie de faire quoique chose : Czernitchew,
Wolkonsky, Panin. Une heureuse crise vint, le maréchal
ne part plus, et a repris le commandement; je dois avouer
(juc je regarde cecy comme un grand bonheur; ce géné-
ral malgré tous ses foibles est encore moins mauvais que
ceux qui le suivent inmiédiatement. »
A la date du 20 août étaient arrivées au camp russe des
lettres de Daun et de Montazet (1) dont le contenu fut com-
muniqué à Soltikolt à moitié réabli, et qui le décidèrent à
adopter les suggestions des attachés autrichien et français :
« Je descendrai, écrit-il à Plunkett(2), l'Oder à petites jour-
nées, pour forcer le prince Henri à me suivre et à dégager
M. le comte de Daun dont je faciliterai par là les opéra-
tions contre le roi de Prusse; je tâcherai même d'attaquer
le prince Henri si l'occasion s'en présente... Je prie V. K.
d'informer M. le comte de Daun de mes intentions et de
me faire parvenir les siennes au plus tôt. » Kn attendant
l'accoidsur l'action future, l'armée russe se porta à Tra-
chcnberg, puis à. llerrnstadt où elle franchit la Bartsch le
25 août et où elle demeura inactive jusqu'au 13 septem-
bre. U eiit presque superflu dédire que les pourparlers se
poursuivire' ' entre les deux quartiers généraux, mais con-
duits tantôt par Soltikotf, tantôt par Kermor du côté russe,
'lu
' ui
'Wi\
(1) Monlalemlierl au comte de Clioiseul, Kainova, M aortt 1700. Corres-
pondance, II, p. 2i2.
('2j Soltikoir à Plunkelt, Caynove, 21 août 1760. Archives de Vienne.
I
Si
1!
80
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. II.
dirigés par Daun ou Laudon du ciHé autrichien, gônés par
les difficultés de transmission à travers un pays occupé par
l'ennemi, ils ne pouvaient aboutir à un résultat immédiat.
Monlazct résume fort bien la situation (1) : « M. le Maré-
chal a proposé à sa cour de négocier pour qu'on lui cède
25,000 [lusses qui hiverneraient en Silésic, au.xquels il
join<lrait M. de Laudon avec une quarantaine de mille
hommes pour opérer dans ce canton, tandis qu'il irait li-
bérer la Saxe jusqu'à Dessau, atin d'empêcher l'ennemi de
repasser l'Elbe, quand le gros des Russes serait parti. H a
proposé en même temps qu'on travaillât à déterminer
M. di- >ioltikoil cH sepoiter vers Francfiirt et en Poméranie
avec le surplus des 25.000 hommes qu'il nous laisserait, et
d'y rester jusqu'à latin de la campagne qu'il irait prendre
ses quartiers d'hiver où bon hii semblerait. M. le Maréchal
attend la réponse de sa cour; sa cour celle des Russes;
les Russes attendront celle de Pétersbourg; la lin d'octobre
arrivera et nous ne serons pas plus avancés que nous ne le
sommes aujourd'hui. Dieu veuille que je me trompe; mais
j'ai grand'peur de ne voir que trop clair dans l'avenir. »
Quant i\ Frédéric, il interpréta la marche rétrograde
des Russes comme le prodrome de leur retour définitif à
la Vistule, aussi rappela-t-il à lui le gros de l'armée de
son frère, ne laissant sur la rive drr.ite de l'Oder que
le générai Goltz avec une division d'environ 1 2.000 hommes
pour surveiller l'armée de Soltikofl". Le prince Henri était
en marche sur Herrnstadt quand il fut touché par la déci-
sion du Roi, il prit aussitôt les dispositions nécessaires pour
s'y conformer et, cela fait, invoqua létat de sa santé pour
demander la permission de quitter l'armée. Le prétexte
allégué n'était pas imaginaire, car il était soutirant depuis
l'hiver dernier et il s'était plaint à plusieurs reprises de
son indisposition, mais il est certain que les causes mo-
(1) Mofjtazel à Cboiseul, 4 septembre 17G0. Affaires Étrangères.
m}--
LE PRINCE HENRI QUITTE L'ARMEE.
81
raies influèrent beaucoup sur sa résolution. Mali^ré le ton
"énéralement aifcctueux d'une part, respectueu.v de l'au-
tre, qui règne dans la correspondance des deux frères, il
est facile de deviner le peu de sympathie qui existait entre
eux. Fier à bon droit de ses talents militait es, Henri sup-
portait mal des critiques qu'il ne croyait pas fondées, se
plaignait de recevoir des ordres contradictoires ou in-
suffisamment précisés, dont l'éloignciuent ou les incidents
journaliers de la guerre rendaient l'exécution difficile
sinon impossible.
Plus froid, plus méthodique que le Roi, il reprochait à
ce dernier la témérité de ses entreprises ; opposé à la
continuation d'une guerre ([u'il n'avait jamais approuvée,
il n'épargnait pas à son frère des a])j)réciations qui n'é-
taient pas pour plaire à un esprit aussi absolu que Fré-
déric. Peut-être dans la division de son armée et dans
la suppression de son commandement, Henri vit-il un
bl;\me de sa stratégie contre les Russes. Sans doute, la
promptitude avec laquelle il s'élait porté au secours de
hreslau lui avait valu des éloges mérités, mais depuis
l'arrivée du lloi en Silésie. son rôle s'était borné à cflui
d un observateur inactif et il n'avait rien fait pour faciliter
sa jonction avec l'armée royale ni pour empêcher celle
des Russes et des Autrichiens qui avait été si près de s'ac-
complir. Il est vrai que le Roi ne lui avait a'iressé aucune
semonce à ce sujet.
Mitchell, qui connaissait bien son monde, s'était naguère
félicité (1) de savoir le prince Henri affecté à une mission
indépendante : « Je dois avouer que je ne désire pas voir
les deux frères servir dans la même armée ; ma raison est
qu'il ne peut pas y avoir deux soleils dans le même fir-
mament. » Pendant l'automne de ITOO, l'envoyé britan-
nique eut l'occasion de voir fréquemment le prince et de
\l
(1) Mitcliell à Iloldernesse, Friedbcrg, 20 avril 1700. Mildiell l'npcrs.
OlKlilli; DIC Si;i'ï ANS. — T. IV. 0
wf
8^
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. II.
recevoir ses confidences (1) : « .le me suis I)ientôt aperçu
que le défaut de santé n'était que le prétexte de sa retraite.
Le motif réel a été qu'il en voulait à son frère, le Roi, de
lui avoir enlevé de fait son commandement; à cette occa-
sion, il s'était rappelé ce qui lui était arrivé l'année der-
nière avant l'affaire de Maxen; de ce précédent, il avait
tiré la conclusion que puisqu'il ne pouvait être utile dans
l'armée à laquelle se trouvait S. M. Prussienne, il était
bien décidé à ne jamais servir sous ses ordres. Il ajoutait
que le sentiment de son devoir à l'ég-ard do son pays dans
la triste situation actuelle, était la seule considération qui
l'eût déterminé à accepter, môme pendant cette campagne,
la direction d'une armée isolée, car dès le début il avait
prévu que rincorapatibilité d'bumeur de son frère lui atti-
rerait une (lisgrAce du même genre. » Après avoir essayé
en vain de ramener le prince à de meilleurs sentiments,
Mitchell conclut avec philosophie : «J'ai vu bientôt que la
jalousie et l'ambition ont plus d'action sur l'esprit des
militaires que la raison et l'intérêt. »
r*endant que le prince Henri se retirait sous sa tente à
Breslau, la dislocation de son armée s'accom[tlit. Tandis
que (loltz, avec sa division, se dirigeait sur Glogau où il
arriva, le 29 août, sans autre aventure qu'une affaire d'ar-
rière-garde avec Tottleben qui lui coûta 200 hommes, la
plupart prisonniers, Forcade, avec 26 bataillons et VO es-
cadrons, alla renforcer le Hoi qu'il rejoignit, également le
29, au quartier général de llermansdorf.
Grâce à la venue de ces troupes, Frédéric se trouvait à la
tête de 59 bataillons et lli escadrons, soit environ 50.000
combattants, et d'une formidable artillerie de 248 canons,
y compris les pièces des régiments. Il s'agissait pour lui
de lever le blocus de Schweidnitz et de cbasser les Autri-
chiens de la Silésie. La tâche n'était pas facile, car en outre
(1) MilchoU à Holdeniesse, Glogau, lo novembre (TGo. Milcliell Papers.
FRÉDÉHIC LÈVE LK BLOCUS DK SCIIWEIDNITZ.
83
il
lui
"li'i-
tre
de leur supériorité numérique — ils cumptuieut au moins
70.000 baïonnettes et sabres — la position de Daun, bien
cboisio et fortifiée avec art, n'était guère abordable. Klle
constituait un demi-cercle dont Scbweidnitz était le
centre avec un rayon do 15 à 20 et une circonl'érence de
•28 à 32 kilomètres. Le général Brentano était à l'extrême
droite sur le Zobtenberg; Lascy prolongeait la ligne jus-
qu'au Schweidnitzor Wasser; sur la rive gaucbe de ce
ruisseau, Daun avec le gros, sa gaucbe couverte par
le Striegauer Wasser ; enfin le corps de Laudon était
campé à Stanovvitz et jusqu'au bois de Nonnenbuscb.
Frédéric manœuvra do manière à tourner les lignes
ennemies; le 30 août, il alla bivouaquer sous le nez
de son adversaires à (liunau et Prscliicdrowitz près de
la ntontagne duZobten, puis poursuivant son mouvement,
il s'établit le 31 v(n's Koltsclien et Hetmersdorf, son avant-
garde plus rapprocbée de Schweidnitz ; il s'était ainsi posté
sur les derrières do l'armée autrichienne.
Cette marche brillante dos Prussiens trompa complè-
tement Daun et son lieutenant Lascy qui s'attendaient A
voir attaquer (t) le Zobtenberg e* avaient pris leurs pré-
cautions en conséquence. Force tut au maréchal, sous
peine de perdre ses communications avec la Bohème, do
décamper pour occuper un nouvel emplacement de Bur-
korsdorf à Ilohenfriedberg, en arrière de Schweidnitz, au
pied dos montagnes. Montazet signale en termes amers
l'impunité avec la(|uellc Frédéric avait pu exécuter sa ma-
nœuvre : « Tout ce qu'on a fait dans la journée d'hier
est indicible et fait hausser les épaules. Il y a ici un esprit
diabolique surtout depuis l'aventure de Laudon près de
Liegnitz, la moitié de l'armée est déchaînée contre
M. Daun; M. de Lascy de son côté est de très mauvaise
humeur. AL Daun n'a d'autre conseil que celui de M. de
(1) Helzow, ISouveaur Mémoires sur la guerre de Sept ans, vol. Il,
p. MO.
I 1
8i
LA GUERRE DE SEPT ANS. CHAI». II.
()'
Chiskowitz, son mart-clial des logis; si la machine reste
montt'o comme elle est, non seulement il n'y a rien à es-
pérer, mais au contraire, il y a tout jV craindre, .le me
crois ohligé de vous répéter les mômes choses, atin do
faire mieux sentir une vérité que je n'ai que trop bien
annoncée cet hiver. Les principes de M. Daun sont inva-
riables, je les entrevois tous les jours de plus en plus,
c'est de ne rien donner au hasard, il croirait exposer sa
monarchie de donner une bataille. Il ne la donnera donc
jamais qu'il ne soit forcé par l'ennemi, persuadé qu'il la
perdrait premièrement parce qu'il n'a nulle conliance en
ses générau.v et très peu en lui-même. .>
Mettant î\ profit l'attitude passive de son adversaire,
le Uoi continua son offensive de manière à resserrer les
Autrichiens. « En un mot, écrit Montazet (1), elle (la po-
sition de iM'édéric, est telle ([ue nous ne pouvons remuer
de notre place que pour aller attaquer l'ennemi ou pour
entrer dans les montagnes qui sont derrière nous. »
I^es lUisses prolongeraient-ils If^ur inaction ou cherche-
raient-ils à rentrer en scène? Frcdérîc dut se poser cette
question ; en tout cas, avant de se porter ou de détacher à
leur rencontre, il fallait mettre tout en œuvre pour re-
fouler les Autrichiens sur la Bohême. Il s'y employa
de son mieux, mais dans la guerre dépositions ([ui fut pra-
tiquée, Daun, en plein dans son élément, déploya toute son
habileté de manœuvrier pour déjouer Us entreprises les
mieux combinées. « Les deux armées passèrent plusieurs
jours, nous dit Uetzow (^2), à marcher d'abord en avant,
puis en arrièie; ces mouvements occasionnèrent de petites
escarmouches et de fortes canonnades, jusqu'à ce qu'enfin
les armées s'enfoncèrent si bien dans les montagnes,
qu'elles se trouvèrent placées l'une vis-à-vis de l'autre
(1) Montazel ;\ Clioiseul, Cuntzendorf, i septembre 17G0. Affaiies Élran-
g(;res.
(2) Retzort, Xouveaux Mémoires sur la guerre de Sept ans, U, p. 321.
OPERATIONS DANS lA SIMISIK.
8ft
dans dos posles inexpugnables et où, départ etd'autro,
l'on ne jugeait pas il pi'opos de hasarder des attaques.
Elles demeupiTent durant queUpics semaines dans ces
positions, où l'art vint au secours do la natui'o pour les
fortifier. »
Si Krédéric était désireux d'une ror\rontrc décisive, son
antagoniste, l'Impératrice - Keinc, était absolument du
même avis ; elle refusait à bon droit tle se prononcer sur la
valeur techni(jue des projets d'opérations qui lui parve-
naient du quartier général de Daun, mais elle invitait
celui-ci il ne laisser échapper aucune occasion favorable
de livrer bataille. C'est pour se conformer à la volonté de
sa souveraine que le maréchal li, après le 'ctourd'Ayasaj
de Vienne, et d'accord avec ses lieutenants f.audon et
Lascy, s'était décidé à attaquer l'armée prussienne em-
pêtrée dans les montagnes, entre lielmsdorf et Baumgar-
ten, à la suite d'une tentative inutile pour pénétrer jusqu'à
liandshut. Frédéric (jui flairait le dangei' auquel il était ex-
posé, se déroba le 17 septen:bre par une cours ; Je 1 (> heures,
pendant une partie desquelles ses troupes défilèrent sous
le canon autrichien. De cette bravade, qui avait peut-
être pour but de provoquer une action, Montazet fait (2)
le récit suivant : « Bref, il a marché par sa gauche, lais-
sant llohenfriedberg h sa droite, et longeant toujours à la
petite portée du canon le pied des hauteurs que nous oc-
cupions, depuis Frcyburg jusqu'à Begendorff, où il a passé
le défilé dudit village, qui est très mauvais. Knsuite, il
est monté sur les hauteurs de Hohcngiersdorff d'où il a
fallu pour s'y établir, qu'il repoussAt le corps de M. Bitt.
et cnlbutAt trois bataillons de grenadiers que M. le Maré-
chal y avait envoyés, qui, par parenthèse, ont perdu 183
hommes et tous leurs canons. L'ennemi ne s'est pas con-
(l)Daun à Lascy, tr» cf 16 scplcmbre ITOO. Lettres citt'es par Arnelh, VI,
p. 457.
(2) Monlazot à Choiscul, Sorgau, 18 septembre. ITfiO. Affaires Étrangères.
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86
L\ GUËKKE DE SEPT ANS. — CIIAP. II.
tenté des hauteurs de Hohengiersdorff; il a passé les dé-
filés de ce nom pour pouvoir déboucher le lendemain plus
à son aise. C'est là qu'il a fini la journée la plus extraor-
dinaire qu'on ait vu depuis longtemps; car il a fait au
moins dix lieues de France sans s'arrêter, toujours sous
notre canon, ayant M. de Laudon avec son corps à la suite
de son arrière-garde, ieqnel a été joint par le corps de
M. Beck avec des troupes fraîches à la sortie des monta-
gnes au pied des hauteurs de Hohenfriedberg. De là, il a
toujours eu, à quinze cents pas de son flanc droit, notre
armée en bataille qu'il a côtoyée jusqu'aux ravins de Be-
gendorf. »
Malgré son désir d'une bataille rangée, Montazet trem-
blait pour le résultat de Taflaire qu'il prévoyait pour le
lendemain; heureusement, l'entrée en ligne de Lascy et
de Laudon vers 10 heures du matin rétablit la supério-
rité des Autrichiens. Tout se borna à une cctuonnado
d'une demi-heure. La lettre de l'attaché français se ter-
mine par une vigoureuse critique de Daun et de son état-
major : « J'avoue que je n'ai jamais été aussi impatienté
que dans ces deux dernières journées, surtout par la
marche du 17 qui esi la plus insultante, la plus folle
(ju'un ennemi puisse faire et que nous n'avons jamais
osé troubler. » L'appréciation n'est qu'à moitié justifiée :
sans doute, le 17, Daun se laissa tromper par la souplesse
de son adversaire, mais il prit sa revanche en se plaçant
de manière à couvrir ses magasins et à barrer les routes
de Friedland et de Landshut,
Ce poste et celui des Prussiens à Hohengiersdorff en
face du premier, le;i deux adversaires les conservèrent
jusqu'aux 6 et 7 octobre. Durant ce long séjour, les
plans des Russes avaient enlin pris forme. Ainsi que
nous l'avons dit, dès le 20 août, c'est-à-dire avant la
guerre de positions entre Daun et Frédéric, l'état-major
russe avait accepté le principe d'une diversion sur le bas
PROJET DUN RAID SUR BERLIN.
87
Oder, mais l'accord sur les détails d'exécution n'était pas
intervenu. Le mouvement s'arrêterait-il à (ilogau? Quels
seraient les moyens employés pour réduire cette place? Ces
questions étaient encore en suspens. Fermor(l) qui déte-
nait le commandement d'une façon intermittente et pen-
dant les crises aigur-s de la maladie de sou chef, s'était
rallié au projet du siège de (ilogau, sous la condition
formelle que les Russes seraient assistés par un corps auxi-
liaire de 40.000 Autrichiens sous les ordres de Laudou et
que l'Impératrice fournirait le parc d'artillerie. Mais le
V se^3tembre, lendemain du joui où Fcrmor avait signifié
son assentiment, un envoyé de Daun survint avec l'infor-
mation que des difficultés imprévues avaient fait ajourner
l'envoi de la grosse artillerie. C'était, à n'en pas douter,
la présence de Frédéric àSchweidnitz, c'est-à-dire entre
Glogvu et l'armée autriciiienne, qui faisait obstacle à la
coopération annoncée. Convaincu qu'il fallait modifier
un plan désormais inexécutable, Montalembert (2) en-
treprit Czernitchew, très influent auprès de SoltiUoff, sur
la possibilité d'essayer un raid sur lierlin avec Laudon
à la tête d'un corps dont l'effectif serait réduit à 25.000
hommes. Czernitcliew adopta la nouvelle combinaison
et Montalembert offrit de la porter au maréchal Daun.
Malheureusement, il trouva los counnunications coupées
et dut revenir sans avoir rempli sa mission. Il fallut se
résigner à envoyer un officier à Daun par la voie dé-
tournée de la Pologne, et en attendant la réponse, à limiter
l'action immédiate aux premières étapes communes aux
diverses directions.
Pour accomplir leur part du prograïunie, et conformé-
ment à l'invitation de la cour de i^étorsbourg, <|ui s'était
prononcée pour la diversion sur le bas Oder, les Russes
II
la
hr
(t) Kermor à Laudon, 3 septembre 1700. Archives de Vienne.
(2) Montalembert au comte de Glioiseul, Nieder \iltoline, C septembre
17<J0. Corresp., II, p. :!59.
88
LA Gl ERRE DE SEPT ANS. — CHAP. II.
J;-l'
quitteront, le If septembre, les cantonnements qu'ils oc-
cupaient depuis trois semaines et se mirent en marche
pour regagner les environs de (ilogau. En rouJc, ils
furent rejoints par un officier autrichien avec des dé-
pêches de Daun en date du 5. Ainsi que le fait observer
Montalembert (1) : « 11 a passé par la Pologne et il a mis sept
jours,., il faut donc quatorze jours de ce côté pour avoir
une réponse, ainsi pour peu qu'il en l'aille deux ou trois
avant que l'on soit d'accord de quelque opération, nous
serons au mois de novembre, sans avoir rien pu entre-
prendre. Cet officier était parti d'ici avec le consentement
de M. le maréchal de SoltikofTà tout ce qui lui avait été
proposé par le général de Laudon relativement au siège
de Gh'gau. Je ne m'attendais pas à le voir revenir avec
de nouvelles propositions; mais ce n'est plus à Caro-
lath ou à Beuthcn qu'on désire que larmée russe se porte,
c'est à Steinau pour garder la Katzbach. » Laudon de-
mandait le concours d'un corps de 25.000 Russes pour
une diversion contre la droite prussienne, mais il pré-
venait Soltikoff du risque dune contre-attaque du Roi;
il devra « dans ce cas passer cette rivière avec toute
l'armée pour soutenir son avant-garde, afin de ne pas
manquer l'objet de la jonction ».
Inutile de dire qu'une opération aussi scabreuse n'était
guère du goût de Fermor, en faveur du([uel Soltikoff ve-
nait de se démettre, tout en restant à l'armée. Aussi re-
poussa-t-il les nouvelles propositions de Daun et s'en tint-
il au siège de (ilogau sous réserve de conditions qu'il
savait impossibles à réaliser.
A en croire le rapport de Plunkett au maréchal Daun,
le général moscovite fit preuve de mauvaise volonté en
retardant la marche de ses troupes sous des prétextes
plus ou moins sérieux. Un conseil de guerre venait de
(1) Montalcmbert au comte de Choiseul, Ober Lauken, l.î septembre
1700. Corresp., II, p. 281.
1
FERMOR REMPLACE SOLTIKOFF.
8'J
(lélibéror sur la requête de F^audou quand arriva
un officier de hussards porteur de dépêches du quar-
tier général autrichien, annonc^ant la résistance heu-
reuse opposée au mouvement tenté par les Prussiens sur
] andshut : « Je leur fis les représentations nécessaires
là-dessus, écrit l'attaché (1), et tous s'écrièrent que le
général Tottleben pouvait sans difficulté aucune passer
roder; le général Fermor prit la parole et assura qu'il
ferait encore plus qu'à son arrivée ici : il ferait d'a-
bord jeter des ponts et qu'il ferait passer incessam-
ment le général Tottleben et le comte de Czornitchew
pour le soutenir. Je crois en vérité que cette promesse
n'a été faite ([ue pour éluder l'envoi immédiat du gé-
néral Tottleben. Hier au soir, trouvant que les pontons
n'étaient pas encore partis d'ici; je me suis rendu auprès
du général Fermor. Jugez, Monseigneur, de mon étonne-
iiient quand il me dit d'un air le plus dégagé ([ue l'ar-
mée avait fait une marche si forte, qu'elle devait faire
séjour ici aujourd'hui et que devant la parader demain
pour le jour de l'Impératrice, elle ne pouvait partir d'ici
que dans deux jours. » Plunkett lui rappelle sa promesse
de la veille, Fermor réplique, et la conversation dégénère
en reproches réciproques, a Voilà le commandement de
l'armée, conclut l'Autrichien, entre les mains d'un homme
dont malheureusement nous avons peu à espérer et tout
à craindre. » Il est bon d'observer en effet que la cour
de Vienne et son ambassadeur à Pétershourg- avaient
mis tout en œuvre pour empêcher le maintien à l'armée
de l'homme qui, par suite de la maladie de Soltikofl',
était appelé à la commander. Il était donc naturel de
supposer que le général qui avait eu connaissance de
ces intrigues ue devait pas être bien disposé à l'égard
des Autrichiens.
'
(1) Plunkett à Daun, Tâchepplaii, t5 seiitoinbre l'Co. Arch. de Vienne.
fisses
■WSnTîî^SHRSBffllWWH
90
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CII\P. 11.
r • M
Quoi (ju'il <Mi fût des sentiments s< crots d(^ Former, la
marche se poursuivit, lentement, il est vrai, et l'armée ar-
riva dans les environs de (ilogaii où U!^(> rciconnaissance
effectuée par le général en chef démontra l'impossibilité
d'emporter la place sans un investissement régulier; auss',
dans l'expectative de nouvelles de leurs alliés, les Russes
prirent-ils, le 18 septembre, une position d'attente à Ca-
rolath sur la rive droite de l'Oder. Tottleben avec les
troupes légères s'était établi à Beuthen, sur le bord op-
posé, pour protéger les ponts quiavaic^nt été jetés sur h'
fleuve.
Au quartier général de Oaun, on eut conneissance du
mouvement desRusbOs et de l'ultimatum de Fermor à pro-
pos de l'entreprise sur Glogau. Mais tant que l'armée royale
serait postée entre Schweidnitz et Tarmée de Daun, il ne
fallait pas songer au concours du corps de Laudon et des
canons de gros calibre promis pour le siège. Aussi quand
Montazet signale (1) la présence de Fermor à Carolath et
annonce sa résolution de n'agir qu'avec les 40.000 hommes
et la grosse artillerie, avec le commentaire : « C'est là le
dernier mot de Fermor », a-t-il quelque raison d'ajouter :
« Les Russes sont toujours venus sur l'Oder avec l'intention
de chercher des prétextes pour ne rien faire. Il est vrai que
nous les avons bien servis, mais la guerre durerait vingt
ans que ce bon esprit ne changerait pas. » l^a critique
était justifiée, mais il faut avouer que les modifications
continuelles apportées par les Autrichiens à leurs plans
primitifs servaient d'excuse aux généraux russes. Quatre
jours après, nouvelles combinaisons à l'horizon : Daun
accepte l'idée d'une participation à l'expédition sur le bas
Oder et parle d'envoyer Lascy insulter Berlin ; enfin, le
28 septembre, Montazet rapporte que, sur l'arrivée d'un
courrier de Pétersbourg, la pointe des Russes sur Berlin
(1) Monfazet à Choiseul, Sorgaii, 22, 26 et 28 septembre 1760. Affaires
Étrangères.
EXPÉDITION SUR BERLIN DÉCIDEB.
91
avait été décidée et que Lascy élait parti avec lô à
16.000 hommes pour leur prêter assistance. En fai-
sant ce détachement, Daun avjiit devancé les vues de la
cour de Vienne qui, dès la veille, avait donné son appro-
bation (1) à la mesure. Montazet est enchanté : « Cette
lin de campagne pcuit devenir très intéressante. Il faut
sans doute que la cour de Pétersbourg ait parlé clair à
ses généraux. »
Frédéric fut long- à deviner les projets de l'adversaire
contre la capitale de ses États. Dans une lettre du 29 sep-
tembre (2) îiu général HUlsenqui conmiandait les troupes
laissées à la garde de la Saxe, il localise les Russes
àBeuthen où il ne peut leur opposer que le faible corps de
Goltz, puis il explique l'impossibilité dans laquelle il se
trouve de renforcer son correspondant. « lci,j'aidevantmoi
le Daun avec le gros de l'armée autrichienne. J'ai fait tout ce
qui était possible pour l'amener à une affaire décisive ou
pour le tourner, de manière à le forcer à abandonner
les montagnes et à se retirer en Bohême. » Il résume
les opérations tentées dans ce but et ajoute : « Les dif-
ficultés horribles du terrain et la lenteur de (|uelques-uns
de mes gens m'ont empêché de le pousser aussi loin que
je l'eusse voulu... et le terrain très diflicile dans les
montagnes ne permet pas de le forcer dans sa position
sans s'exposer à un n)alheur complet. En conséquence, j'ai
fait passer un détachement sur l'autre rive de la Neisse
pour donner à Daun de la jalousfe du côté de la Moravie et
l'obliger à y envoyer du monde... lime faut attendre si
cela me réussit. » Disons de suite que la diversion dont il
est question, confiée à, une division mixte sous les ordres de
Wied, ne troubla pas la quiétude de Daun. llenfutde môme
res
(î) Cabinets Schreiben an Daun, Vienne, :>7 septembre 1700. Archives de
Vienne.
(2) Frédéric à Hiilsen, DiUraannsdorf, 29 septembre 1760. Corr. Polit.. .M,
p. fiol.
'.12
LA GUKHRE DE SEPT ANS. — C!IAP. H.
de Frédéric qui avaitcru (1 ) le corps de Lascy destinr A pro-
téficrle comté do (llatz, et ne s'était pas ému de son départ.
Le 30 septemhro, il fut averti, par une dépèche de (ioitz du
28, delà marche de Tottlebenet de Czernitchew sur Sagan
et Sorau. Il pense qu'il ne s'agit <£uc d'un raid inspiré par
Daun et que les lîusses ne seront pas longs à regagner les
bords de la Vistule (2). « Daun veut me tirer de ma position
])ar les mouvements des Russes et je veux le tirer de la
sienne par mon détachement de la liaute-Silésie; je crains
que nous ne réussissions ni les uns ni les autres dans nos
projets. » Même langage à llïilsen (3) : « .l'apprends que le
27 les g"énéraux russes Czernitchew et Tottleben se sont
étendus en trois colonnes jusqu'à Sorau en Lusace et
ont pris avec eux des provisions pour 19 jours. Je n'ai pas
pu encore pénétrer leur dessein, je suppose qu'il est ques-
tion de quelques ravages que fera Tottleben dans le pays
plat du Mark. »
Un courrier de (îoltz, parti le 30 septembre et parvenu
au quartier général le 2 octobre, éclaira le Roi sur les vé-
ritables intentions des Russes; il apportait en effet l'avis
que leur armée tout entière était en route pour Sorau,
Christianstadt, Griinberg et Ziillichau. Frédéric arrête aus-
sitôt ses dispositions : tioltz (jui était à Glogau reçoit l'ordre
de faire dilig-encc pour couvrir Rerlin ou se joindre à lliil-
sen ; Stiitterheim est rappelé de la Poméraniepour secourir
la capitale. « Voilà tout ce que j'ai pu imaginer et faire jus-
qu'à présent. écritFrédéric ('i-) à son frère... Je lais en at-
tendant du bien mauvais sang ; nos moyens sont trop ro-
gnés et trop courts pour nous opposer au prodigieu x nombre
(1) Frédéric à Gollz, Dittmannsdorf, 28 .septembre 1760. Corr. Pol.. XIX,
p. 601.
(2) Frédéric à Henri, Frédéric à Gollz, Dittmannsdorf, 30 sept. 1760.
Corr. Pol., XIX, p. 60.5, 607.
(3) Frédéric à Ilulsen, Diltmannsdorf, 1" octobre 1760. Corr. Pol., XX,
p. 1.
(4) Frédéric à Henri, Dittmannsdorf, 3 octobre 1760. Corr. Pol., XX, p. 6.
FRÉDÉRIC ET D\UN QUITTENT LA SILÉSIE.
93
'O-
(rcnneniis que nous avons vis-à-vis de nous. Si nous suc-
coml)ons, datons notre perte du jour de l'infAnie aven-
ture de Maxen. <> Ce n'rtait pas seulement du côté de Her-
lin <|ue le péril était imminent; les nouvelles de Saxe
étaient mauvaises, caronveuait d'apprendre la reddition de
Tor^au et la retraite dellalsen devant larméo des Cercles.
Le roi de J^russe se décida à aller au danger le plus pressant
et à abandonner Daun pour se porter au secours de sa capi-
tale. Cette résolution parait avoir été prise le 4 octobre,
or, dès la veille, Tottleben s'était présenté aux portes
de Berlin avec lavant-garde russe.
A l'état-major de Daun, beaucoup mieux informé des
projets réels de l'armée moscovite, on fut très surpris
de l'immobilité du roi de Prusse qui restait « collé '1 ) à
Schweidnitz » malgré la prise de Torgau et l'expédition
sur Berlin. Sans doute les préparatifs pour la marcbe et
les résolutions relatives aux garnisons de la Silésie de-
mandèrent quelque temps, mais il semblerait que le Boi
eût pu montrer plus de promptitude ; dans des circons-
tances aussi critiques, une perte de trois jours avait une
importance de premier ordre. Quoi qu'il en fût, il ne
leva son camp de Dittmannsdorf et ne quitta les mon-
tagnes pour descendre dans la plaine de Schweidnitz que
le 7 octobre au soir. Dès le lendemain, Daun imita son
exemple et s'ébranla également. Nous laisserons les deux
adversaires commencer les opérations qui devaient se ter-
miner en Saxe, et nous nous reporterons vers la capitale
où se déroulaient des incidents sérieux.
Après de longues hésitations, le général russe avaitdonné
suite au projet, depuis longtemps sur le tapis, d'une course
sur le bas Oder. Le 21 septembre, c'est-à-dire trois jours
après l'arrivée à Carolath, un conseil de guerre, réuni sur la
réception d'un courrier de Pétersbourg, avait pris les déci-
(1) Monlazet à Choiseul, Soiau, 3 octobre 1760. Affaires Éliangéres.
U4
LA GUEHIIE DK SKIT ANS. — CIIAl'. II.
m
sions suivantes : abandonner comme ini[»ratica])le le
siège de (llogau, détacliei" le général Olitz pour aider A la
prise de Colberg et affecter la division de 'lottleben ap-
puyée par celle de (izernitcbew à la tentative contre
Berlin. Tottleben, qui avait été désigné par la cour
pour cette mission, soumit à Fcrmor un mémoire sur la
direction de l'entreprise et re(;ut de celui-ci, avec l'ap-
probation de son projet, des instructions précises (1) sur
la conduite à tenir à l'égard des autorités et des babitants
de la capitale. Ce document contenait l'ordre formel de
détruire de fond en comble l'arsenal, la forderie de ca-
nons et tous les magasins d'armes et d'effets comme juste
représaille des procédés prussiens en Saxe et notamment
à Leipzig. Le 2(> septend)ie, Tottleben se mit eu route
de Schonau avec une division légère composée de 2.000 gre-
nadiers, 2 régiments de dragons, 0 de bussards ou de co-
saques et 20 pièces de canon; le 30, il était à Beeskow.
La division d'avant-garde, sous (>zernitcbew, le suivit
de près; le 29, elle était parvenue à Guben. Fermor,
avec deux divisions, leva son camp de Carolatb et des-
cendit la rive gaucbc de l'Oder, tandis que Romanzovv,
avec la troisième, se portait vers Ziillicbau et Crosscn.
Lascy, à la tête de ses lô.OOO Autrichiens, avait quitté le
camp de Cuntzendorf le 28 septembre, mais obligé de
faire un long détour, il ne put, malgré la rapidité de ses
étapes (275 kilomètres en 10 jours sans arrêt), se pré-
senter devant Berlin qu'après les détachements russes.
La marche des uns et des autres se continua sans incident
et sans obstacles. Le 3 octobre, vers midi, les éclaircurs
de Tottleben parurent sur le Rollberg à faible distance
de la porte de Cottbus.
Berlin pouvait être considéré comme ville ouvarte ; le
(piartier situé sur la rive gauche de la Sprée était entouré
(1) Masslowski, Der Sichcnjnhrige Krieg, III, p. 229.
HOMItA!(DEMKNT DE Hi^lItMN.
05
(l'un mur d'encointo, uum celui de la rive droite n'était
drfendu ([ue par une simple palissade. Le commandant
de la place, le g-énéral tiocliow, avait pour toute garnison
3 bataillons de forteresse. Aussi, ({uand il apprit l'appro-
che des Russes, était-il disposé »l capituler, mais avant
d'entrer en pourparlers, il jugea bon de convocpier le
vieux maréchal Lehwaldt, le général Seydlitz et plusieurs
autres officiers supérieurs (jui, à la suite do blessures ou
de maladies, étaient en convalescence ù Berlin. Sur l'avis
de ceux-ci, le conseil s'étant prononcé pour la résistance,
ou demanda au prince de Wurtemberg qui était àTemplin
en face des Suédois de venir à l'aide de la capitale;
en attendant son arrivée, on éleva des flèches devant
les portes, on monta des canons sur les remparts, on
construisit des banquettes nour le feu de mousqueterie,
bref, on chercha à mettre la ville en état de défense
En conformité avec ces résolutions énergiques, la som-
mation qu'apporta un messager russe fut repoussée. Tott-
leben répondit à ce refus en faisant avancer ses obusiers
et en bombardant la ville ; le feu, interrompu après
quelques heures d'activité, fut repris pendant la nuit; cette
canonnade nocturne impressionna beaucoup les habi-
tants, mais ne produisit pas grands dégâts. « Nous nous
mimes tous à la fenêtre, écrit un négociant (1), où nous
vîmes voler les bombes, ce qui faisait un spectacle aifreux. »
Entre temps, des attaques sur les flèches des portes de
Halle et de Cottbus avaient échoué. Le général russe, 'm-
pressionné par l'attitude de la garnison, prévoyant l'entrée
en scène des renforts qui viendraient l'augmenter, et préoc-
cupé de sa ligne de communication, fit rompre le combat
et se retira à Copenic. Le lendemain de cette échautlourée,
le k octobre de grand matin, la cavalerie du prince de
Ë
i
h'
(1) Lettre de M. Huiiibeit à sa sœur W" Dolprat, communiquée par
M. Croockwid, contenant le récit des événements qui se passèrent du 1" au
li octobre.
'i.
SSÊbÊ&téiàiif
or,
LA r.UEHRK DE SEPT ANS. CIIAP. II.
I
n*''
Wurtemberg se présenta aux portes, elle lut suivie de
rinfanlerie. Le prince, laissant une faible lirigade pour
contenir les Suédois, peu entreprenants, à en juger par
l'expérience des campagnes passées, avait marché jour
vt nuit pour sauver la capitale ; il am<'nait avec lui î) batail-
lons et 7 escadrons, soit un peu plus de O.UOO hounues. L'en-
trée du prince de Wurtemberg et la retraite des Uusses
lirent croire à la délivrance. « Dimanche, écrit le correspon-
dant déjà cité, tout le monde était en joie, toute lavilleétait
allées voir lours camps... l'homme de chambre de TK. .sic)
en rapporta quelque chose, des cartes, du pain, un petit sac
où ils mettent leur saint Ksjjrit. » La trêve nedurapas long-
temps ; cependant la journée du 4 ne l'ut troublée que par
une « tiraillerie » intermittente. « A la faveur de ce mas-
que, écrit (1) un autre Berlinois, les ennemis se retranchent
dans la bruvère aux Lièvres. Ils établissent aussi sur la
hauteur dite le Hobc Veinberg de nouvelles batteries près
du .lardin botanique pour recommencer de plus belle... »
Averti par Tottleben de l'échec qu'il avait éprouvé,
Czernitchew lit diligence pour le rejoindre et demanda à
Fermor, qui était parvenu à Lossow, de bii envoyer un
complément d'infanterie et d'artillerie. Montaiembert, qui
accompagnait lavant-garde, retourna au quartier général
porter cette requête au général en chef; il obtint, sur l'avis
d'un conseil de guerre réuni à cet efi'et, ([u'on expédiât
Panin avec 9 bataillons, 5 escadrons et du canon.
De leur côté, les Prussiens recevaient du secours. Hûlsen,
qui venait d'être chassé de la Saxe par le duc de Deux-
Ponts, fut avisé à Belitz du danger de Berlin; il mit
aussitôt en route la moitié de ses troupes et promit de
suivre avec l'autre moitié. Le 7 octobre, les hostilités re-
commencèrent; Czernitchew, qui était entré en ligne, en-
gagea contre les quartiers de la rive droite de la Sprée une
(1) Journal d'un Berlinois cominuni([ué par Yorke. Newcaatlc Pupers.
ATTAQUE DK HERI-IN.
97
cnnonnndo peu oflicace. Tandis (|iio Toltlohen, sur la rive
f,'auclie, se i)n''j)aiait à atfacjiu'i' la poile de Halle, on lui
signala l'apinoclio d'une colonne d'infanterie; e'étaieni
deu\ bataillons prussiens appartenant au corps de llidsen
(pii arrivaient de Potsdain. ITautre part, les liMes de co-
lonnes de Lascy étaient en vue; il y eut môme une ren-
contre de cavalerie à lacjuelle qnehpics escadrons autri-
chiens prirent part, mais les alliés ne purent empêcher les
régiments de llulsen de pénétrer en ville.
(Iràce k ce renfort, les défenseurs de Berlin comptaient
26 bataillons et VI escadrons; soit un clFcctif de 16 à
17.000 hommes à opposer aux 3i.000 Austro-ltusses dont
Toltlcben, C/^ernitchew, l*anin (;t F.ascy allaient disposer.
La journée du 8 se passa en conciliabules dans les deux
camps : Wurtemberg* était pai'lisan (l'une sortie générale
pour le 9. Lascy qui, à son tour, ,'vait fait sommer inuti-
lement la ville la veille au soir, voulut se concert " avec
Tottleben pour l'assaul du quartier situé sur la rive
gauche de la Sprée. A son grand étonnement, le lUisse lui
réponditqu'il venait d'être rappelé par Czernitchew et qu'il
allait passer la Sprée. « J'ai su depuis, rapporte Lascy (1),
que ce dernier '/rottleben) avait depuis longtemps les
ordres de repasser la Sprée à mon approche, tellement
que sa lettre n'était qu'une grimace de sa part pour ca-
cher le dessous des cartes. Enfin, tous ces flux et reflux
d'officiers dépêchés l'un sur l'autre ne fit que me jeter
successivement dans une plus grande incertitude sur ce
(picj'avais à faire. » Czernitchew était aussi embarrassé
que son collègue autrichien. En bon Uussc qu'il était, il
n'osait pas compter sur le concours de Lascy, et malgré la
venue de Panin avec ses troupes de renfort, il se croyait
trop faible pour emporter la ville défendue par un ennemi
dont il s'c.vagérait beaucoup le nombre, il consulta ses
lil
(1) Lascy à l'Empereur, près de Berlin, 9 octobre 17G0. Arcli. Vienne.
CUEimi; DE SEPT ANS. — T. IV. 7
^i
mMi
î !
1 1
{
08
LA GUERRE DE SEPT ANS. — ClIAP. .'I.
deux brigadiers qui probablement eussent été de son
avis, si la chaude intervention de Montalembert (1) n eût
pas entraîné les voix et fait revenir Czernitchew à des
sentiments plus énergiques. On décida donc une attaque
générale et combinée pour le lendemain î) octobre. Dans
son rapport du môme jour, Lascy ne parle pas de cette
entente et se borne à affirmer qu'il était résolu à marcher
seul « si les Russes ne voulaient pas coopérer ». Les Prus-
siens se chargèrent do mettre leurs adversaires d'accord
en les dispensant de l'assaut. Malgré ses velléités belli-
([ueuses, le prince de Wurtemberg avait ou, lui aussi, re-
cours k un conseil de guerre dans lequel on fut unanime
à déclarer que la résistance était inutile et exposerai' la
capitale à de grands malheurs; en conséquence, les
corps actifs évacueraient la ville, laissant au commandant
Rochow le soin de négocier la reddition au mieux des
intérêts de la population.
Cette décision était inopportune, car la discorde la plus
absolue régnait dans le camp des alliés. Voici en quels
termes Lascy relate sa part dans l'occupation de Rerlin :
(( Celte même nuit, un trompette arrivé à Tottleben a
demandé à capituler et la proposition a été acceptée à
l'insu du général Czernitchew et moi. Cependant, comme
le général Brentano m'a fait avertir ce matin avant le jour
qu^ l'ennemi 'se retirait, *e lui ai d'abord donné les ordres
d'aller avec les grenadiers occuper les hauteurs près de
la ville, et un moment après, j'y suis accouru moi-même
et ai encore trouvé des piquets prussiens aux portes ; mais
dès que les Busses ont vu approcher nos grenadiers,
leurs hussards et dragons se sont mis à courir pour ga-
gner les premiers les portes et s'en mettre en possession.
J'ai, néanmoins, fait occuper aussitôt la porte de Halle par
(I) Montalembert au comte de Choiseul, Herlin, 10 octobre 17G0. Corres-
pondance, H, p. a05.
CAPITULATION DE BERLIN.
99
une compagnie des grenadiers de H. Daun en faisant en
même temps a[)procher les deux bataillons sous mes or-
dres. Je me suis l'endu de là chez M. de Czernitchew, pour
régler au moins en «ros la façon dont la ville devait être
prise en possession et, d'après ce qui a tté convenu, je
fais ccuper les deux portes de Potsdam et de Brande-
bourg. » A en croire les récits du temps (1), ces mesures
s'effectuèrent sans désordre : « A 8 h. 1/2, ils entrèrent
par toutes les portes de la ville; les Autrichiens entrèrent
par celle de llaile, défdèrent devant chez l'E. et se logè-
rent eux-mêmes à la Friedrichstrasse et à la Ville neuve,
contre les accords de la capitulation. Les Russes entrè-
rent par les portes de Francfort et Rojale et tinrent mieux
iour capitulation, car il n'y eut que les principaux offi-
ciers qui se logèrent, le reste demeura sur les places du
vieux e^ uiu nouveau Dôme, pêle-mêle avec les chevaux,
à l'exception de quelques-uns qui firent des arcades leurs
écuries. »
Dans leur retraite sur Spandau, Wurtemberg et Hillsen
essuyèrent quelques pertes; l'arrière-garde, retardée par
la cohue des équipages, fut chargée par les cuirassiers et
les hussards russes; un bataillon de chasseurs à pied,
doux canons et beaucoup de bagages furent enlevés. D'a-
près les termes de la convention conclue entre Tottleben
et Rochow, la garnison et les militaires pr'isents à Ber-
lin, parmi lesquels furent compris les cadets de l'école
militaire, en tout plus de 3.00'J combattants, déposèrent
leurs armes; 1.5uo prisonniers de diverses nationalités
recouvrèrent la liberté. Les espèces et les effets apparte-
nant à l'État devinrent la proie du vainqueur; par contre,
la sécurité des personnes et des propriétés fut garantie
moyennant le paiement d'une contribution dont le mon-
tant, après longue discussion, fut arrêté à 1 .500.000 thalers
■ n
I
(1) Leltrv de M Ilumbert déjà citée.
i(uS.2Jifâ
100
LA GUKRHE DE SEPT ANS. — CIIAP. II.
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1 1
pour le Trésor et 200.000 sous la dénomination de Dou-
ceur-Gelder pour la troupe. Lascy réclama la moitié de
ces sommes, mais Czernilchew repoussa cette demande
sous prétexte que la cour de Vienne avait fait d'avance,
en faveur des Russes, abandon de toutes les impositions
qui seraient levées à Berlin. Sur les 200.000 thalers de
gratification, l'Autrichien n'en put obtenir que 50.000
pour ses so'dats. Il se plaint amèrement des généraux
russes et surtout de Tottleben : « Je me suis offert d'en-
voyer des détachements pour ruiner les manufactures,
le canal et autres établissements du Hoy désignés dans
la liste que le maréchal m'avoit remise; mais j'ai eu
pour réponse que cela étoit déjà ordonné et que les Cosa-
ques l'exécuteroient; je doute aussi que cela se fasse, et
crois plutùt que ces messieurs prendront de l'argent et
laisseront la besogne. En un mot, il n'est pas possible de
décrire à V. M. à quel point l'intérêt, la confusion et l'i-
gnorance régnent parmi ces gens-];> . Et je suis fort trompé
si V. M. parvient jamais à tirer le moindre parti solide
de cette alliance. Aussi n'y a-t-il que mon devoir qui m'ar-
rête auprès d'eux, sans quoi, je n'y saurais tenir pour
tous les biens de l'univers. Ce n'est qu'autant qu'on pour-
roit leur ordonner en maître, qu'on seroit en état de s'en
servir avec avantage. J'ai cependant usé avec eux de tous
les ménagements possibles et malgré tout cela, il n'y au-
roit pas eu moyen sans M. de Czernitchew de traiter .^vcc
Tottleben. C'est un homme de beaucoup de paroles, rem-
pli de confusion, de toute sortes de détours, et en un mot
sans caractère. >;
Berlin et ses environs demeurèrent au pouvoir des al-
I es pendant quatre jours, du 9 au 12 octobre, ils s'em-
parèrent de la caisse royale où ils ne trouvèrent que 00.000
ihalcrs; ils emportèrent de l'arsenal du matériel de
guerre, des effets et quoUfues drapeaux, vendirent le con-
tenu du magasin de sel, firent sauter la poudrerie, détrui-
EXACTIONS DES ALriÉS.
101
sircnt les fabriques d'armes, la fonderie et auraient fait
subir le même sort h d'autres établissements publics sans
l'intervention du négociant Gozkowski, qui avait acquis de
l'influence sur Tottleben, et devant son affirmation que les
revenus de ces manufactures étaient affectés k l'entretien
des malades et des pauvres. A en croire les rapports que
l'ambassadeur anglais Yorke reçut de Berlin (1) : « Il y eut
quelques excès, cependant en général, les Russes ont
maintenu le bon ordre dans la ville et ne sont pas entrés
dans les maisons particulières, par contre, les Autrichiens
ont fort maltraité les propriétaires chez lesquels ils étaient
logés, et il a fallu que les Russes les chassent et les obligent
à camper aux portes. » Le récit de M. Humbert est à peu
près analogue : « Toute la nuit ce fut un tapage affreux
dans la rue, car dans les maisons où on ne voulait pas ou-
vrir ils brisaient les fenêtres, donnaient des coups de sabre
dans les portes... ce train dura jusqu'au matin (ce furent
les Autrichiens qui le firent), qu'ils furent pour piller la
Hisskamer. C'était horrible de voir comme ils Sv; battaient,
les uns jetaient leurs vieilles culottes, leurs vieux cha-
peaux et tout ce qu'ils avaient qui ne valait rien et se rap-
pareillaient avec des uniformes prussiens à l'exception de
l'habit; ce qu'ils n'avaient pas besoin ils le vendaient...
ils demeurèrent tout le jour à piller ce magasin. Le samedi
ils se mirent à l'Arsenal, ils vendirent tout le sel qui y
était... Tottleben avait d'abord résolu de faire sauter la
Fonderie, mais le comte Scholfscotch et l'envoyé de Dane-
mark lui furent parler et il donna ordre qu'on ne fît qu'a-
battre les fourneaux et casser les moules. On en fit de
même à la Monnaye, mais tout cela se pourra bientôt
refaire et môme la Monnaye est déjà téparée. » En
résumé s'il y eut à Berlin des scènes de désordre regret-
tables, il n'est l'ait mention ni de violences à l'égard
(1) Yorke à Valence Jones, La Haye, 21 octobre 1760. .\ewcaslle PupciF.
TiamÊmÊmmtmmmm
102
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAP. II.
des personnes ni de vols dans les habitations privées.
Mais si la capitale fut en général épargnée, il n'en fut pas
de même de la banlieue et surtout des châteaux royaux.
Le rapport (1) officiel rédigé par le soin du gouvernement
prussien et publié à Londres et à Berlin, signale le château
de Charlottcnberg comme ayant été livré au pillage pen-
dant quatre jours par les hussards d'Kstcrhazy et par les
dragons du régiment saxon de Biuhl; les meubles, les
tapisseries, les tableaux, les statues qui appartenaient à
la collection du cardinal de Polignac, furent brisés et
saccagés. Mêmes dégâts à Schoenhausen, maison de cam-
pagne de la Heine, et à Kriedrichfeld, au château du
Margrave, avec la seule diflerence que, dans ces deux cas,
les coupables faisaient partie de l'armée moscovite. Le
document insiste enfin sur la profanation, à Wilmersdorf,
deri tombes de la famille Schwerin ; des soldats du corps
de Lascy auraient violé les sépultures et brisé les cercueils
pour en retirer les bijoux et les anneaux des morts. A ce
pamphlet imprimé en Français, en Allemand et en An-
glais, la cour de Saxe répondit en rappelant les procédés
récents des Prussiens en Saxe et pendant le siège de
Dresde.
Au surplus, tout en tenant compte de l'exagération
inhérente à une prose inspirée, il est évident qu'il y eut,
surtout du chef des Autrichiens et des Saxons, des actes de
barbarie qu'explique, sans les justifier, le traitement in-
fligé par les l*russiens à la Bohême et à la Saxe. Co-
gniazzo (2), tout en flétrissant les excès de ses compatriotes
et de leurs alliés, signale avec éloge la conduite du bri-
gadier Bachmann, commandant russe de Berlin, et du
l)rince Esterhazy à Potsdam qui tirent tout au monde
(1) Account of the hnrharoiis mannn- in whirli (lie. Russian, Auslrian
el Saxon troops laid wasic tlic March of lirandebury. J'iiblishedat Ber-
lin by atithority. Annunl liegister. 17C0, p. 210.
(2) GeslOndnisseeines œslreiclrischen Vétérans, lU, p. 'îG3.
cuNUurrr de tottlkukn.
103
pour maintcair la disciplino et empocher le pillage. Dans
cette dernière résidence, le palais et les riches collec-
tions de Sans-Souci (1) furent religieusement respectés.
« Pour qu'on ne commit point d'excès dans le château (2)
il (Esterhazy) a défendu qu'on le voie; il n'y a qu'un of-
ficier de provisions qui a demandé deux llûtes du Hoi
et les a obtenues. » ,
Quant à Tottleben (3), fort des instructions reçues de
Fermor, il se réserva la direction suprême, à l'exclusion
de Czernilchevv et de Lascy; il signa la capitulation,
néeocia les arvanyements relatifs aux habitants et à leurs
propriétés, fixa le montant et les conditions de paiement
de la contribution, en un mot, à partir du î) octobre au
matin, il fut maitre absolu de la ville de Berlin à l'ex-
ception du quartier de Friedrichstadt occupé par les
Autrichiens. Son attitude, en somme bienveillante, lui
valut les félicitations de la plupart des historiens alle-
mands; on lui sut gré d'avoir, en réponse aux instances
de Gozkowski et du ministre hollandais Verelst, remis
une proportion notable des amendes, épargné des institu-
tiv/ns publiques, réprimé les excès et surtout d'avoir inter-
dit l'accès de la cité aux bordes sauvages qui formaient une
partie de son commandement. Par contre, l'historien Mass-
loNvski accuse Tottleben et son chef d'état-major Bachmann
do n'avoir pas exécuté les ordres de leur chef, de s'être en-
tendusavec Gozkowski pour réduire le montant des imposi-
tions de guerre, d'avoir rétrocédé sous main ou vendu à
vil prix aux intéressés les armes, effets et denrées que,
d'après la capitulation, ils étaient tenus de livrer, ci Ju, de
s'être fait indemniser largement pour l'humanité appa-
rente de leur conduite.
(1) Preuss, Friedrich der Grosse, vol. Il, p. 254.
(2) LeUre déjà citée.
(3) Voir sur la conduite de Toltlebon l'appréciation de MasslowsKi, III,
p. 252 et suiv.
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104
L/i GUERRE DE SEPT ANS.— ClIAP. II.
Le 11 octobre, on apprit que le roi de Prusse était en
marche poiu secourir sa capitale, et on reçut les ordres
de rappel les plus urgents de Fcrmor. Ce fut le signal de
l'évacuation : Czernitchew alla rejoindre le gros de l'ar-
mée russe à Francfort; TottkLen suivit le 12 au soir, ne
laissant comme sauvegarde qu'un faible détachement qui
rallia le lendemain; Lascy était j)arli également le 12
dans la direction de l'Elbe. Aussitôt après l'occupation de
Berlin, le général autrichien avait dépêché à Lantings-
hausen qui, avec ses Suédois, était ù Werbelow, ua officier
portant la proposition de s'unir à lui pour un effjrt contre
le prince de Wurtemberg. Le général suédois, peu entre-
prenant comme on le sait, déclina cette offre et répondit
qu'il ne devait pas sortir de son rôle défensif.
Ainsi finit l'expédition de Berlin. Indépendamment du
dommage causé, elle aurait coûté aux Prussiens, d'après
les rapports officiels, sans comptei les prisonniers, iVS
canons, 179 drapeaux ou étendards, beaucoup d'armes et
des approvisionnements considérables en munitions et
efîets d'habillement; mais de ce gros matériel, s'il faut
croire Masslowski, une fraction seulement aurait été versée
entre les mains des services compétents de l'armée russe.
Au point de vue des hostilités générales, le raid sur
Berlin ne fut qu'un épisode de la lutte, sans répercus-
sion sur l'issue de la campagne.
Avant d'achever le récit de la retraite définitive de
l'armée de Soltikolî, il nous faut faire un pas en arrière
et rendre compte du second siège de Colberg qui n'eut
d'ailleurs qu'un lien secondaire avec les opérations prin-
cipales. Depuis le début de la guerre, les Russes cher-
chaient à s'assurer sur la Baltique un port qui leur servi-
rait de base et de dépôt pour leurs mouvements en
Poméranie. De là leur tentative contre Colberg qui avait
échoué en 1759 et qu'ils renouvelèrent en 1760. Le 5 août,
une puissante flotte de li vaisseaux de ligne sous les
SIEGE DE COLBERG.
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ordres de l'amiral Miscbukow , escortant de nombreux
transports, mit à la voile de (Kronstadt et jeta l'ancro
devant Colbcrg' où elle tut bientôt rejointe par une es-
cadre suédoise. L'entreprise débuta par un bombarde-
ment général de la forteresse ; le dél)arcpienient du corps
expéditionnaire, commencé le 28 août, lut interrompu par
le mauvais temps qui força les vaisseaux à prendre le
large, et ne se termina que le 6 septembre. Les assié-
geants, forts de 5.000 îi 6 000 hommes d'infanterie, étaient
appuyés par quelques détachements de cavalerie venus
de la Prusse royale.
Colberg, petite ville située sur la Persante, à un peu
plus d'un kilomètre de la mer, était entouré de marais
et d'un abord difficile. Les fortifications, pour la majeure
partie, consistaient en ouvrages de terre protégés par des
fossés remplis d'eau ; elles comptaient quatre fronts l)as-
tionnés couverts par des ravelins. A l'embouchure de
la rivière se trouvait le fort de Milnder Schanze, à 1 ki-
lomètre et demi de la place. La garnison, composée de
2 bataillons de milice et de 800 réguliers, avait pour
chef le colonel de Heyde, dont la vigoureuse résistance
avait sauvé la ville en 1759.
Les premières opérations des Russes furent heureuses;
dans la nuit du 8 septembre, ils enlevèrent le iMunder
Schanze; le 11, ils ouvrirent leurs travaux d'approche
contre la forteresse; le 18, ils étaient à 500 pas du che-
min couvert et tiraient avec eil'et sur l'enceinte, quand
l'intervention inattendue d'un corps de troupes prussien-
nes mit iin au siège. Sur la nouvelle de l'investissement par
les Russes, Frédéric avait donné ordre à Goltz, alors sous les
murs de Glogau, de détacher au secours de Colberg. Dans
ce but, le général Werner partit, le G septembre, avec
un faible contingent qui s'accrut en route d'un renfort
fourni par la garnison de Stettin. Il chemina si rapi-
dement qu'il était le 15 à Freienwalde, à 2V5 kilomètres
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106
L\ GLtRRK DE SKPT ANS. — CHAI». II.
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de (ilogaii; là, il apprit la détresse de (^olborg et activa
encore sa marche; le 18 septembre, il arriva .V (Jross-
.lestiii où ses hussards repousst>rent ([iiclqnes sotiiias de Co-
saques et l'orcèrent le passage de la Persanto. Werner,
profitant de son succès, pénétra dans la ville assiéf,ée,
la traversa et vint bivouaquer près d'Alstadt, au sud de
la forteresse; ra[)proche de la nuit et la fatigue extrême
de ses hommes l'obligèrent à diltorer toute action jusqu'au
lendemain. Les Ilusses no l'attendirent pas; Demidow,
qui les commandait, s'exagéra probablement l'impor-
tance du détachement de Werner dont les 5 bataillons
et 8 escadrons, après leurs longues étapes, ne devaient
pas dépasser un efFectif de 3.500 hommes; il s'embarqua
précipitamment, abandonnant aux Prussiens les 22 canons
des tranchées. Le 23 septembre, le départ de l'amiral Mi-
schukow avec sa ilotte marqua la fin de l'entreprise. Au
cours du siège, SoltikofT avait reçu, de la conférence de
Pétersbourg, l'invitalion d'envoyer à l'aide des assiégeants ;
mais le départ du général Olitz, avec une division de
11.000 hommes, n'eut lieu du camp de Carolath que le
12 octobre, soit 20 jours après la relève de la place;
il ne pouvait donc être question que d'une nouvelle opé-
ration que la saison avancée n'eût pas permise.
Revenons au gros de l'armée russe que nous avons
laissé près de Francfort sur l'Oder, dans l'expectativu du
retour des troupes expédiées sur Berlin. SoltikofT, remis
de sa maladie et fort inquiet d'une affaire avec le roi de
Prusse qu'il voyait déjà tl ses trousses, avait repris le com-
mandement. Le IV octobre, il se porta à la rencontre de
Czernitchew et Tottleben, puis la jonction efFectuée, il
eut la satisfaction de rassembler tout son monde, sauf
la division Olitz, à Drossen, où il se prépara à tenir tète
au Roi, Mais celui-ci, qui se trouvait à Lubben, était beau-
coup trop préoccupé de la tournure des événements en
Saxe et des agissements de Daun et de Laudon pour son-
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UETUAITK l)K I/AIIMEK RISSE.
107
ger à poursuivre les Uusses, dont il oscomptait (1) déjà
le retour aux rives de la Vistule. PhmkeM était du même
avis et faisait part à Kaunitz (2) des sentiments de l'état-
major à cet éaard : « (Ihacun y a un o]>)et qui l'attire
sur cette rivière; l'un y a sa femme, un autre sa mat-
tresse; les uns veulent allei îi Pétersbourg, les autres à
Moscou, et chacun, pour me servir de leur lanqagc, veut
ùter sa culotte pendant l'hiver. »
De Drossen, l'armée g'agna Landsberç où Olitz la re-
trouva et où elle fit un séjour de près de trois semaines.
Tous les mouvements depuis le départ de Berlin avaient
été exécutés avec une grande précipitation : « C'est le
11 (octobre), écrit Montalembert (3i, que nous avons su
•X Herlin que le roi de Prusse était parti le 6 au soir. On
a compté (pi'il pouvait être en sept ou huit jours au
plus devant Francfort, ce qui faisait le 13 ou le IV. Mais
le corps de Czernitchew partant le 1*2, avait 11 milles (78 ki-
lomètres) k faire pour rejoindre l'armée. Il n'y avait donc
pas un moment à perdre ; aussi les avons-nous faits en
deux jours et nous sommes arrivés le 13, écrasant de
fatigue les hommes et les chevaux. De là, il a fallu
marcher en corps d'armée de Francfort à Landsberg i)ar
une pluie continuelle. Vous pouvez juger de l'état où
nous nous trouvons, les chevaux d'artillerie surtout ne
pouvant pas mettre un pied l'un devant l'autre. Je ne
suis point étonné que les généraux russes cherchent dans
cette situation à se mettre hors de portée d'avoir une
atfaire, leur artillerie courrait de grands risques. » Le
30 octobre, Soltikolf, de plus en plus souffrant, partit pour
Pétersbourg sans attendre son successeur, le l'eld-maré-
i
(f) Frédéric à Lichnowsky, Gubcn; 15 octobre! 1760. Frédéric A Wiirtemberjj,
Liïbben, 18 octobre 17(iO. Corresp. Poliliiiue, XX, p. l'J et 21.
(2) IMiiniiett à Kaunitz, Drossen, 15 octobre 1700. Arch. de Vienne.
(3) Montalembert au comte de Choiseul, près Landsberg, 20 octobre 1760.
Corresp., II, p. 310.
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LA GUKIIUE I)E SKPT ANS. — CllAP. II.
chai Buttcrlin ({iii n'assuma le commantlemciit effectif
que le 7 novembre. L'attaché Plunkett n'espt^rc pas beau-
coup de la capacité (1) du nouveau général en chef.
« Il sera difficile de traiter les aiî'aires avec ce seigneur,
comme il ne parle d'autre langue que le russe et très
peu d'allemand, mais ce qui est le plus disfiracieux. est
que ce sciuneur n'a jamais servi et n'a aucune connais-
sance militaire. » Cependant il ne regrette pas Soltikolf
sur le compte duquel il n'avait pas conserve ses pre-
mières illusions. « Ce seigneur ne songeait à rien moins
qu'à nous faire plaisir, joint k cela une grossièreté, une
ignorance, une opinion très grande de sa propre habi-
leté; enfin le tout ensemble faisait un composé dont on
ne pouvait tirer aucun avantage, et s'il n'eût pas été ma-
lade, je suis bien assuré que je n'aurais pas pu engager
cette armée dans l'entreprise de licrlin. » On était encore
incertain sur les mouvements ultérieurs. « Il m'est impos-
sible de pénétrer les intentions des généraux de cette
armée pour les quartiers d'hiver; par le peu d'arrange-
ments que je vois prendre, il ne me semble pas qu'ils
songent à faire un long séjour de ce côté-ci; je doute
même qu'en Poméranie ils en fassent davantage; cepen-
dant, je puis bien rsmarquer qu'ils sont gênés par des
ordres de leur Cour. »
Buttcrlin avait eu en ell'et quelques velléités de se con-
former au désir de son gouvernement et d'installer ses
divisions eu Poméranie et dans le NeumarUt , mais la
vue d'un pays épuisé et la constatation du manque de
ressources le firent renoncer à toute idée de ce genre.
Le 7 novembre, il déclara, à Montalembcrt (2) qui était
allé au-devant de lui, l'impossibilité de faire hiverner l'ar-
mée dans une région où, de l'aveu de l'attaché français,
(1) PlunkeU à Kauiiitz, Landsberg, 30 octobre 1760. Archives de Vienne.
(2) Montaleinbert au comte de Choiseul, Arnswald, 8 novembre 1760. Cor-
resp., Il, it. 321.
LA CAMPAGNE DES HISSES NE PRODUIT AK IN UÉSl LT.\T. 109
« on ne trouve pas un seul habitant, pas un cheval, ni l)es-
tiaux ». Peu de jcnirs après, les troupes moscovites re-
prirent le chemin de la Visiule et s'établirent, au courant
de décembre, derrière ce fleuve dans leurs cantonnements
habituels. Le général Werner, chargé de surveiller cette
retraite, n'eut avec les irréguliers de Totticben que des
escarmouches sans portée. Vers la iiu de l'année, Werner
et le prince de Wui-temberg qui, i\ la suite do la bataille
(\o Torgau, avait été envoyé pour l'appuyer, lurent rap-
pelés et dirigés tous les deux sur la Pcene contre les
Suédois.
En résumé, l'effet utile de l'action russe pendant l'an-
née 1700 fut ù peu près nul. Deux fois, à l'époque de la
bataille de l.iegnitz et après la prise de Berlin, la jonc-
tion ou la coopération des forces russes et autrichiennes
eut pu accomplir de grandes choses. Deux fois le géné-
ralissime russe gaspilla dans l'inaction, à llerrnstadt ou
à Landsberg, un temps précieux et permit ainsi à Fré-
déric de réunir tous ses moyens contre les Autrichiens
et de considérer comme ([uantité négligeable les 70 000
excellents soldats dont la vaillance lui avait coûté si cher
lors de la campagne précédente. Dans cette faillite, les
généraux aulrichiens eurent aussi leur responsabilité ; non
seulement ils s'acquittèrent assez mal du rôle qui leur
avait été assigné dans le programme primitif, mais par
les changements continuels apportés aux projets com-
binés, ils lassèrent la patience de leurs alliés et leur four-
nirent des prétextes plausibles pour justifier leur inertie.
Timidité ou indécision do la part des chefs des deux ar-
mées, méfiance récipro([uc poussée à l'extrême, crainte
presque superstitieuse du roi de Prusse, lenteur des mou-
vements russes, eniin maladie de Soltikoff, telles sont les
raisons d'un résultat négatif qui eut sa répercussion sur
toute la guerre.
La campagne des Suédois fut aussi inefficace que celle
f'Hil
T
110
LA C.UEIUIK I)K SKl'T ANS.
CHAP. II.
(les Russes; elle avait cependant déliufé par un petit suc-
ées. liC lli) janvier, le général Manteullel avait franchi la
Pecnc, (|ni séparait les ((uartiers d'Iiivcr prussiens de ceux
(les Suédois, et avait elicrché ji refouler les avaat-postes de
ces derniers; cette tentative échoua et se termina par un
combat de nuit, le 28, dans les rues d'Anklam, au cours
du(|uel Manteullel fui fait prisonnier. Depuis cette date
jusqu'à la fin de juillet, la tran(|uillité ne fut troublée
par aucun incident. Vers le milieu d'août, Lanting-shnu-
sen prit l'olFensive ; il y eut entre lui et le Prussien Yung
StiUterheim ([ui lui étfiit opposé avec des forces très infé-
rieures, une r,érie d'ongai^ements à la suite des(juels les
Suédois s'avancèrent jus({u'à l'ITcker et s'établirent à Prenz-
low et Passewalk. Dans une des premières rencontres, une
patrouille prussienne captura le Français Caulaincourt
(jui remplissait les fonctions d'atlaché militaire auprès
de l'armce.
Dans les derniers jours de septembre, le détachement
de Sti\tterheim fut rejoint par le général Werner au retour
de sa glorieuse expédition pour la relève de Colberg. Le
prince de Wurtemberg vint prendre le commandement de
la division ainsi formée; il avait concerté avec le prince
de Bevern, gouverneur de Stettin, un projet combiné
contre les Suédois, mais l'entreprise des Austro-Russes su.
Berlin donna aux événements une autre tournure. Cepen-
dant, avant la marche du prince au secours de la capi-
tale, il y avait eu un combat sérieux entre Werner et le
général suédois Ehrensward; l'attaque de Passewalk que
tenta le premier fut repoussée, mais les perte., de part et
d'autre furent lourdes. Impressionné par cette diversion
sur ses derrières, Lantingshausen abandonna son camp
de Prenzlow et se retira c^ Brectsch, près de Passewalk;
le 6 octobre, il était à Werbelow où il reçut l'invitation
de Lascy de s'unir à lui, invitation à laquelle, on le sait,
il ne voulut pas se rendre. La situation resta inchangée
IIËHLIN.
ttl
jus(|irà l.'i lin <rocl()l)ro. Vers cette r[K)(|uc, les Suédois,
(iu()i(|irils fussent très supérieurs en nombre, rentrèrent
derrière la Peenc La petite guerre qui continua pendant
le mois de novembr(^ eut pour théâtre h; Mecklombourg"
et n'eut d'autre importance que de mettre en évidence les
([ualités de partisan du colonel prussien Beiling.
Au Commencement de janvier 1761, les deux partis
avaient repris leurs ([uartiers de riii\eri)récéd('nt et avaient
assuré par une convention leur repos respectif.
Hi
Il I
1^1
P"i i.
§
V Mi
iJs
CHAPITRE III
TORGAU
COMBAT DE STREIILA. — DEUX-PONTS MAITRE DE LA SAXE. —
RETOUR EN SAXE DE FRÉDÉRIC ET DAUN. — SÉPARATION ET
RETRAITE DE l'aRMÉE DES CERCLES. — HATAILLE DE TOR-
GAU. — FRÉDÉRIC RECONQUIERT LA SAXE. — OPÉRATIONS DE
LAUDON EN SILÉSIË.
Pour éviter les redites, nous avons épuisé le sujet acces-
soire des iiostilités dont la Poméranie et la nouvelle marche
de Brandebourg furent le théâtre; mais pendant les der-
niers mois de l'année 1760, les gros événements se passaient
en Saxe, et c'est dans cette contrée que se décida le sort de
la campagne. Lors de son départ pour la Silésie au com-
mencement d'août, le roi de Prusse n'avait pu laisser
pour la garde de la Saxe, en outre des garnisons de Tor-
gau, de Leipzig et de Wittenberg, qu'une division de
12.000 hommes sous les ordres de Ilidsen. Ce général
s'était installé dans un camp retranché derrière la
Tricbs«'he, ;\ peu de distance de Meissen. Les forces im-
périales qui lui étaient opposées se composaient, pour
l'infantcie, d'éléments mélangés appartenant, en majo-
rité, au:; contingents des Cercles, pour la cavalerie, au con-
traire, de régiments presf[ue exclusivement autrichiens ; le
tout pouvait atteindre un elTectif de 2.'}. 000 hommes (1)
commandés par le duc de Deux-Ponts. Dans ce chiffre ne
(1) Marainvillc à Clioiscul, Ilagnilz, 15 août 1700. Affaires Élrangôrcs.
COMBAT DE STREHLA.
113
sont comptées ni la garnison de Dresde ai la division in-
dépendante du général Luzinski, forte de 4.000 hommes.
Enfin, le duc de Wurtemlierg guerroyait pour son propre
compte avec8. 000 iiommes. Le 13 août, l'armée des Cercles
qui avait attendu, pour s'ébranler, que Frédéric fût hors de
portée, alla camper à Wilsdruf, et trois jours après, le
prince de Stollberg, avec le corps de réserve, se posta
sur le flanc des Prussiens. Ainsi menacé de voir couper
sa ligne de retraite, Hulsen prit le parti de se retirer le
18 dans la position de Strehla où le prince Henri avait
tenu tête aux Autrichiens en 1759.
Le général prussien était bien résolu à disputer le ter-
rain pied à pied aussi longtemps que son infériorité numé-
rique le lui permettrait. L'esprit de so s soldats venait d'être
stimulé par la nouvelle de la victoire remportée par leurs
camarades de l'armée royale à Liegnit/.; aussi eut-il la
pensée de tenter une surpris'^ de nuit contre la division
du prince de Stollberg qui paraissait en l'air. La vue des
Impériaux déjà en marche fit rentrer les Prussiens dans
leur camp. Ceux-ci (1) appuyaient leur gauche à l'Elbe
près du village de Strehla et s'étendaient sur des hauteurs
perpendiculaires au fleuve jusqu'à la colline boisée du
Dïirreberg où était rangée la droite. Deux-Ponls et son
état-major s'étaient rendu compte du peu de chance de
succès que présenterait un assaut de front contre une
position dont les avantages naturels avaient été com-
plétés par les ouvrages élevés en 1759 et restés pour
la plupart intacts ; ils adoptèrent un plan d'attaque assez
bien conçu. Les Impériaux de Stollberg, les Croates de
Kleefeld et les réguliers autrichiens de Guasco furent
dirigés contre l'aile droite des Prussiens ([ui occupait
le Dïirreberg; le reste de l'armée, déployé en avant de
Canitz, s'ciTorcerait par des démonstrations d'empêcher
(1) Voir, pour les détails du combat, le récit contradictoire des despnl-
clic im Jlekhcder Todien. 111, Frankfurlli et Leipzig, 1700.
GUEnilE DE SEPT ANS. — T. IV. 8
114
LA GUERIIE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
Iliilsen de secourir sa droite; onfui la cavalerie, par un
mouvement circulaire, se porterait sur les derrières- de l'aile
attaquée et agirait dans la direction de la ligne de retraite
sur Torgau. Vers ï heures du matin, le 20 août, Taflaire
débuta par un duel d'artillerie entre les batteries prus-
siennes du Diïrreberg' et le canon de Giiasco placé sur la
collinederottenberg qui lui fait face. Appuyées par le feu
de, leurs pièces, les troupes de Stollber^ et Kleefeld eurent
d'abord l'avantage : elles s'emparèrent d'un bois sur le
flamp des Prussiens et commencèrent à tourner les défen-
seu^du Diu'reberg. En môme temps, les grenadiers de
Gi»sco firent mine de les attaquer de front.
Mais Iliilsen ne se laissa pas tromper par les feintes
des Impériaux' contre les collines de Strehla, il comprit
que seule son aile droite était sérieusement menacée et
il y envoya le gros de sa cavalerie et deux bataillons
sous le général Linden. L'arrivée de cette infanterie
fut des plus opportunes; elle permit au général Braun,
qui commandait au Diïrreberg, de disposer d'une partie
de son monde pour repousser les Autrichiens qui dé-
bouchaient du bois et devenaient inquiétants. L'inter-
vention de la cavalerie fut encore plus efficace ; tandis
que cinq escadrons de dragons tombaient sur les troupes
qui, à peine sorties du taillis, étaient encore en désordre,
en tuaient bon nondire, en capturaient beaucoup et met-
taient fin à tout danger de ce côté, le reste, conduit par
le général Schorlemmer et le colonel Kleist, dirigea son
effort contre la cavalerie impériale dans la plaine de
Saas. Les chevau-létrere de Deux-Ponts et les hussards
de Baronicz, qui étaient en tête, furent repliés vigoureu-
sement et laissèrent entre les mains des vainqueurs de
nondjreux prisonniers, parmi lesquels le colonel prince
de iNassau-Ussingen.
Malgré l'échec de S'ollberg, le duc de Deux-Ponts
qui avait presque toute la journée devant lui, car il
IIULSEN SK RETIKE A TORGAU.
UB
n'était rpic 7 heures du matin, ne voulut pas cenoncer à
la lutte; le combat d'artillerie reprit de plus belle et une
brigade d infanterie palatine vint appuyer les fantassins
de StoUberg qui se maintenaient encore dans un ([uar-
tier du bois; enfin un nouveau mouvement hors de por-
tée des batteries prussiennes fut dessiné vers le diemin de
Torgau. ilidsen qui avait dégarni sa gauche à Strehla,
au point de n'y conserver que cinq bataillons alignés sur
un rang de profondeur, jugea prudent d'effectuer sa çe-
traite. Elle ne fut suivie que par quelques hussards im-
périaux. Deux-Ponts s'empressa d'occuper le camp^de
son adversaire où il fit tirer le lendemain un feu de joie
pour la victoire (Tu'il s'était attribuée, un peu gratuite-
ment, ce semble.
D'après les rapports officiels, la perte prussienne n'au-
rait été dans cet engagement que de 1.162 officiers et sol-
dats tués, blessés et pris; 3 canons et quelques tentes tom-
bèrent entre les mains des Impériaux. Ceux-ci auraient
eu plus de 2.000 hommes hors de combat, sans compter
40 officiers et 1.178 soldats faits prisonniers ou déserteurs;
en outre, ils s'étaient laissé enlever un canon et trois dra-
peaux ou étendards. Ij'attaché militaire Marainville, qui as-
sistait à la bataille (1), explique l'insuccès de StoUberg par
l'action tardive de l'artillerie impériale ; il rend hommage à
la bonne conduite des troupes de l'Enqiire qui, mêlées aux
Autrichiens, (i ont montré une valeur et une volonté beau-
coup au delà de ce qu'on en attendait ». Il évalue les dé-
chets des deux côtés au chiffre égal de 2.000 et aioute :
« C'est une affaire de perte où rennemi avait l'avantage
d3s bois pour faire tran([uillement et avec sûreté sa re-
traite par les chemins dont ils sont traversés, aussi ne lui
a-t-on pris quo trois pièces de canon de six. » Le général
lliilsen, dans son récit (2), fait un éloge mérité de son
(() Marainville à Choiseul, Slrehla, 20 août 1700. Affaires Élrangères.
{:!) Ilulsen à l'mléric, Toigau, 21 aoùl 17G0, Sclioiiing, II, p. i'M.
IIG
LA GL'ERRE DE SEPT ANS. — ClIAP. IIF.
personnel et mentionne d'une fa<;on spéciale les généraux
Braun et Schorlcmmer, le colonel Kleist et le major
Marschall qui s'étaient distingués dans le combat du
Diirreberg.
Pendant plus d'un mois, depuis le 20 août jusqu'au
2\ septembre, les hostilités furent virtuellement suspen-
dues. Iliilsen dans son camp retranché de Torgau, en
face de lui, Deux-Ponts n'osant l'attaquer mais essayant,
par des manœuvres répétées, de l'amener à vider la place.
Cependant la situation s'était modifiée eu faveur des Im-
périaux, et par l'arrivée de Luzinski qui, depuis les derniers
jours d'août, coopérait avec le gros, et par l'entrée en
scène du duc de Wurtemberg avec son corps de 8.000 hom-
mes. Ce prince, qui tenait à exercer un commandement
indépendant, comme nous le verrons dans un autre cha-
pitre, avait refusé de servir sous le contrôle du duc de
Broglie et guerroyait, pour son propre compte, dans les
régions inoccupées par les principaux belligérants. Il avait
levé force contributions en argent et en nature da; o les
comtés prussiens de Hohenstein et de Mansfeld et dans la
ville de Halle. En dernier lieu, il s'était porté sur Bltter-
feld et, le 23 septembre, s'était installé à Pretsch. Ce
mouvement avait été effectué sur les instances de la
cour de Vienne qui avait enjoint (1) au duc de Deux-
Ponts l'achever la conquête de la Saxe en s'emparantde
Torgau et de Wittenberg, et de s'entendre à cet effet avec
le duc de Wurtemberg. C'est en vain que Iliilsen, ému
de l'offensive concentrique dont il était menacé, avait de-
mandé du renfort au roi de Prusse et au prince Ferdinand ;
tous les deux avaient répondu qu'il leur était impos-
sible de détacher au secours de la Saxe. Quoique livré
à ses seules ressources avec les 10.000 hommes dont il
pouvait disposer, le général prussien ne redoutait pas
(1) Marainville à Choiseiil. Slichla. 18 septembre 1760. Affaires Étrangères.
PRISE DE TOROAU.
117
un assaut direct qu'il se croyait assez fort pour repous-
ser; du reste, en cas de malheur, sa retraite était assurée
par la possession de la ville de Torijau et de ses ponts
sur TElbe; mais il avait h craindre que l'ennemi ne fit
passer le fleuve à une partie de ses forces et ne le cernât
en opérant par la rive droite. Le 25 septembre, ses in-
quiétudes furent accrues par la nouvelle que Luzinsld
avait commencé à jeter un pont sur l'Elbe à Dommitsch,
que des troupes légères avaient déjà traversé en bateau
et que Wurtemberg se préparait u tenter le passage plus en
aval aux abords de Pretsch ; une reconnaissance en force
confirma ces avis, lliilsen adopta un parti énergique : il
résolut de profiter de sa position centrale pour écraser
successivement ses adversaires; par une marche de nuit
il tomberait sur Luzinski et sur Wurtemberg, les battrait,
puis reviendrait rapidement reprendre son camp dans la
banlieue de Torgau. Le départ des Impériaux qui, dans
la journée du 26, abattirent leurs tentes et s'ébranlèrent
dans la direction de Dommitsch, n'apporta aucune modifi-
cation à ce projet. Vers 2 heures de l'après-midi, Kulsen
fit défiler ses troupes sur les ponts, mais le mouvement
fut entravé par l'encombrement des bagages qui n'avaient
pas été expédiés en temps utile. Le colonel Zettwitz
et le général Kleefeld, laissés par Deux- Ponts devant
Torgau, eurent bien vite connaissance de la manœuvre
qui s'accomplissait sous leurs yeux ; ils s'approchèrent de
l'Elbe et ouvrirent sur les Prussiens un tir d'artillerie très
vif; l'un dos ponts prit feu, des arches cédèrent, le dé-
sordre se mit dans le convoi rassemblé sur la rive droite
et les pontonniers ne purent replier leur matériel. En dépit
de ces incidents et des retards qui en résultèrent, Uiilsen
continua sa route et arriva à la nuit tombante aux vil-
lages de Beltran et de Gross-Treben où il ne trouva que
quelques hussards ennemis; le lendemain, il apprii que
le peu de soldats de Luzinski et de Wurtemberg qui
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LA GUEllUE DK SEPT ANS. - CHAI». III.
avaient franchi le fleuve étaient déjà rentrés à la rive gau-
che; il avan(,'a cependant jusqu'à Jessen où il campa. C'est
dans cette localité qu'il fut informé de la prise de Toruau.
Voici ce (jui s'était passé de ce côté. I.e major Normann
commandant de la place, malgré un renfort de 1.500 con-
valescents et contrairement aux ordres formels de son chef
d'avoir à tenir ferme jusqu'à son retour, impressionné par
la rupture des ponts et par la réapparition du gros de
l'ennemi, céda à la première sommation et se rendit avec
sa garnison le 27 septembre. Dans la place, le vain-
queur s'empara (1), en outre de 2.500 prisonniers, ma-
lades et blessés compris, de 2;J canons, de 4 mortiers, de
provisions considérables de farine et d'avoine, enhn d'un
équipage de 08 pontons de cuivre.
Encouragé par Je succès, Deux-Ponts fît passer l'Elbe à
son armée, le 28 septembre, àDommitsch. Le duc de Wur-
temberg et le colonel Zettwitz restèrent sur la rive gauche.
Tous s'acheminèrent vei's Wittenbergsous les murs du<|uel
Hiilseu, conformément au vote de la majorité d'un conseil
de guerre ([u'il venait de réunir, s'était décidé à tenir bon.
Le 2 octobre eut lieu (2) une lutte acharnée pour la posses-
sion du village de Dobien (|ui coûta à chacun des adver-
saires 300 à VOO hommes hors de combat. En fin de compte,
les Prussiens reculèrent et abandonnèrent la communi-
cation avec Wiltenberg pour conserver celle de Berlin.
Dans la nuit du 2 au 3 octobre, ilûlsen leva son camp
sans tambour ni trompette et gagna iMuhlstadt, puis, sur
la nouvelle du danger que courait la capitale, Delzig
et lîeelitz, enfin Berlin aux portes duquel il se réunit, le
7 octobre, au corps du prince (3) de Wurtemberg. Les
Impériaux ne suivirent pas les Pinissiens dans leur re-
(l)Marainville à Choiseul, Wcydenhaj n, 27sepleinbre 17G0. Affaires Éliiiii-
gères.
(2) Marainville àClioisftuI. Eiiper, 4 octobre 1760. Affaires Étrangtires.
(3; Frère Uu duc cl général au service prussien.
l'IlltDltlUC MARCIIK SUR WlTTË.NBliRG.
lit)
traite, mai.» aussitôt clél)ari'assés de ll(\lson comiiieiicù-
rent le siège do Wittenberg. L'opération (1) traîna en
longueur, car il fallut tirer les munitions de Dresde;
néanmoins, les batteries ouvi'irent le feu le 12 octobre,
incendièrent une partie de la ville et tirent sauter la pou-
drerie. Après une vigoureuse résistance, le général Salen-
inon dut capituler avec sa garnison de 3 bataillons et de
VOO convalescents. Entre temps, Leipzig ayant été éva-
cué, toute la Saxe avait été recouvrée et pouvait être
restituée à son maître légitime. Ce succès devait être
aussi éphémère qu'il avait été ImportanL
Permettons, pour un moment, au duc de Deux-Ponts de
se reposer sur ses lauriers et reprenons le récit des mou-
voments de Frédéric et de Daun que nous avons vus partir
des montagnes de la Silésie et (jue nous avons laissés, le
premier marchant au secours de Berlin, le second en route
pour la Lusace, Le 10 octobre, Frédéric eiïectua sa jonc-
tion avec Goltz qu'il avait, à la suite d'ordres contradic-
toires, définitivement rappelé à lui. L'armée royale se
trouvait ainsi forte de (58 bataillons et 143 escadrons ptni-
vant fournir un peu plus de 50.000 combattants. Le 1 V. elle
avait atteint (lubcn pr^s du confluent de la Neissc et de
roder; on y apprit l'évacuation de Herlin par les Austro-
Russes. La première pensée du Uoi fut de les poursuivre,
mais les uns et les autres avaient trop d'avance; après
quelques heures d'hésitation dues au manque de renseigne-
ments ou aux fausses informations, il semble avoir pi-is
son parti. De Lubben. où il séjourna depuis le 17 jus(ju'au
20 octobre, il lança ses instructions ; (Joltz fut renvoyé en
Silésie avec 14.000 hommes pour tenir tête à Laudoii;
Hiilsen et le prince de Wurtemberg, dont les divisions
étaient réunies depuis les événements de lierlin, reçurent
l'ordre de gagner iMagdebourg, d'y franchir l'Elbe et de
(I) Marainvilli! à Clioiseul. pivs WiUenbers, 12 octobre ITtiO. Affaires
Étrangères. „ . ... ,. , ,
i
w
]'i
130
LA guer:;e de sept ans. — chap. m.
fi
se rallier à rarmée royale, Stulterheim au contraire re-
tourna s'opposer aux Suédois.
Quant aux Kusses, le Koi n'en tint pas compte, persuadé
que leur rôle était terminé pour la campagne actuclU ; « à
présent que Je me trouve débarrassé des Russes, écrit-il (1 )
au prince Ferdinand, je ne vous demanderai plus aucun
secours pour la Saxe » ; il se fîVcho contre le gouverneur
de Custrin (2) qui se croit menacé d'un siège et rassure le
prince de Hevern (3) qui se préoccupe d'un coup de main
sur Stettin. Dans une lettre à Finckenstein (4), datée du
lendemain de son départ de Lubben, il expose ses projets
et les motifs ai les ont dictés : « Mon all'aire la plus prin-
cipale à présent ici sera de passer l'Elbe, ce qui je pense
ne sera pas difficile pour y réussir. Ensuite, je serai obligé
de mener mes opérations à une all'aire décisive, ce qui
sera absolument nécessaire par la raison que si nous traî-
nons la guerre... le pain nous manquera l'hiver qui vient
et dans une campagne future nos affaires seraient plus
empirées que jusqu'ici. En second lieu, je n'ai que deux
saisons pour agir offensivemcnt, savoir le commencement
du printemps et l'arrière-saisoa, où je me vois débarrassé
d'une partie de mes ennemis; (jue, si le bonheur me
favorise et que je gagne une bien bonne bataille, je
pourrai peut-être redresser toutes nos affaires en Saxe et
môme en Silésie et inspirer des sentiments pacifiques à
la reine de Hongrie. »
En exécution de son concept, Frédéric arriva, le 23, à
Wittenberg qu'il trouva à moitié détruit et évacué par
(1) Frédéric à Ferdinand, Trajiiiin, 23 octol)re i760. Correspondance Poli-
tique, XX, p. 26.
(2) Eichel à Finckenstein, Jonilz, 20 octobre, 1760. Correspondance Poli-
tique, XX, p. 3.3.
(3) Eichel à Finckenstein, Kemberg, 28 octobre 1760. Correspondance Poli-
tique, XX, p. 40.
(4) Frédéric à Finckenstein, Oahme, 21 octobre 1760. Corresj)ondancc Poli-
tique, XX, p. 25.
DAUN AURIVE A TOHGAU.
121
les Impériaux; trois jours après, le quartier général était
près de Dessau où on reçut des nouvelles positives sur la
grande armée autrichienne.
Daun, comme nous l'avons dit plus haut, à la suite du
départ du Roi, avait levé son camp dans les montagnes
de la Silésie et s'était mis en route vers la Lusace, con-
fiant à Laudon, avec environ 40.000 lionmics, le soin de
protéger le comté de Glatz et d'entreprendre le siège
d'une des places silésiennes. La. marche du feld-maré-
chal s'accomplit sans incident; changeant de direction
selon les avis qui lui parvenaient sur les mouvements
du Uoi et de Lascy, il était arrivé, le 22 octobre, en face de
Torgau où il allait effectuer sa jonction avec son lieute-
nant; l'armée attendait, pour passer sur la rive gauche
de l'Elbe, le parc d'artillerie demeuré en arrière; Beck
avec sa division était encore en Lusace où il surveillait les
agissements de Goltz. En rapportant au duc de Choi-
seul (1) les opérations des Prussiens, Montazet souligne
l'indifférence du Roi à l'égard des Russes. « Il n'a pas
envoyé 50 hommes à la suite des uns ni des autres. Il
parait au contraire vouloir se renforcer des corps de
MM. d'Hillseu et de Schouderun (Stiitterheim) pour opérer
vis-à-vis de nous, mais encore une fois, il pourrait bien
s'y casser le nez, si l'armée de l'Empire, le corps de
M. de Wurtemberg et l'armée de M. le maréchal Daun
ne faisaient qu'une armée et qu'elle fût conduite par un
général, et non par trois. M. de Wurtemberg croit sa-
voir pour le moins autant que M. le prince de Deux-
Ponts; ce dernier regarde l'autre comme un écolier; et
j'ai jugé aujourd'hui surtout <[u'il n'y a pas entre eux
une grande harmonie. D'ailleurs le prince de Deux-Ponts
craint toujours que M. le maréchal Daun l'expose trop;
M. le maréchal Daun, de son coté, dit qu'il n'a aucun droit
h ~
(1) Montazet à Clioiseul, Trislewilz, 22 octobre 1760. Affaires Étrangères.
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:
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LA C.UKRRK DE SEPT ANS. - CHAI'. III.
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sur CCS deux corps de troupes. Je ne crois pas môme
qu'il en fasse un bien grand cas : de fa«;on que je rom-
nicMice î\ voir la crainte reprendre l(> dessus ùo;)uis (|uo
le lioi s'est retourné sur nous avec toutes ses forces; et
je ne serais pas étonné que nu^s tristes prédictions ne
s'accomplisscMit si M. de Laudon ne fait pas d'autre usage
des '»0.000 hommes qu'il a à ses ordres, et si les lUisses
ne font point rétablissement solide en Poméranie, ([u'ils
ont afliché et promis. »
Les fAclieuses prophéties de Montazct sur le manque
d'entente des alliés se réalisèrent plus vite qu'il ne le
craignait. Le 24 octobre, Daun passa l'Klbe et installa son
quartier général à (Irosswig, près de Torgau. Il y était
encore le -iC». se préparant à se porter vis-à-vis de \Vittenl)erg
où il conq)tait rejoindre l'armée de Deiix-Ponts, quand
il fut averti de la retraite de celle-ci sur Leipzig. « Hier
(le 25), vers les 11 heures du soir, relate Montazet (1), il
arriva à M. le maréchal un courrier de M. le prince de
Deux-Ponts pour lui apprendre que l'ennemi avait fait
un pont dans les environs de Dessau et qu'ils avaient
commencé à y détiler depuis 3 heures après-midi, » .
Dann répondit en donnant ordre au général Kied. qui
était à Pretsch (en aval de Torgau sur l'Klbe), daller au
secours de l'armée des Cercles, et en promettant de sui-
vre son lieutenant le plus rapidement possible. « Quatre
heures après cette réponse, ajoute le Français, il arriva
un second courrier à M. le maréchal de iM. le prince de
Deuv-Ponts pour lui apprendre que sur le nouveau rap-
port qu'il venait de recevoir ([ue l'ennemi faisait mine de
jeter un pont à Cosvig, il prenait le parti de marcher à
l)id)bcn, sur la Moldau (Mulde), d'où il se porterait sur
Leipzig où il conqitait faire tète à l'ennemi, supposé que
la chose fût possible. Voilà donc l'armée de l'empire et
(1) Moniazet à Choiseul, Grosswig, 20 octobre 17G0. Affaiii-s Étrangères.
HKTIUITK DE UKLX-PONTS ET DU DUC DE WUIlTËMIJElUi. 123
celle (le M. le duc de \Vurtcml)(M'g' «jui viennent de choi-
sir leur cham[) de hataille sous Leip/i^'', et qui n'ont pas
voulu tirer un coup de liisil pour défendre la Sala et
l'Elbe. ..
Quant aux Wurlcuihcrgeois, les choses se passèrent à
[)eu |)rès de même : « M. le duc de Wurtemberg' dont
l'armée est i\ Halle, vint ici hier (le 25) de sa personne
pour s'aboucher avec M. le maréchal Daun ; et c'est pen-
dant le dîner qu'il arriva un courrier à M. le duc de
Wurtemberg pour l'avertir ([ue les ennemis avaient passé
la Sala au-dessous de Hcrnel)Ourg. Trois heures après,
il en arriva un second pour lui dire <jue le corps de ses
troupes légères placé à Kothen, avait été obligé de se re-
ployer jus(|ues <\ Lobégin qui n'est qu'à une petite lieue
de Halle. Cela parut d'autant plus extraordinaire à nos
deux généraux (ju'ils étaient persuadés que lennemi
n'avait point encore dépassé Magdcbourg, M. le duc de
Wurtemberg partit tout de suite en assurant M. le maréchal
Daun qu'il prêterait le collet à l'ennemi, pourvu c[u"il ne
lût pas plus fort que lui, c^t «pie, dans le cas où il serait
l'orcé de quitter la position de Halle, il se reploierait sur
Leipzig où il tiendrait bon. »
La nouvelle <lu passage de la Saale était prématurée ; ce
fut seulement le 20 que Frédéric franchit la rivière sur
un pont qu'il avait jeté ii Rosslau; il y lit sa jonction
avec les corps de llidsen et du prince de Wurtemberg
venus deMagdebourg, il y reçut égalementles convois qui
lui avaient été expédiés de cette forteresse et se porta à
Kemberg le 28. Zieten, <[ui était resté pour surveiller les
mouvements de Deux-Ponts, rallia dans cette localité et
l'armée royale se trouva ainsi rassemblée : elle comptait
68 bataillons et 140 escadrons, soit environ le môme
effectif que lors do la marche au secours de Jierlin.
En vue de se rapprocher de Deux-Ponts, Daun était allé
à Eilenburg le 27 octobre, mais «[uand il eut connaissance
m
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fie la retraite du j^riiéral do Icmpirc sur LoipzijL,'- il revint
aux environs do Tori,''}»!! dont il tiehouge.i pi us. Fhitro temps,
Fréd^'ric (pii isnorait encore la reculade des Impériaux
et des Wurtendjcrgeois uiano'uvrait pour empêcher hîur
jonction avec les Autrichiens. Il se porta à Ddben sur la
Muldo, força lo passage malgiô la résistance de quelcpu's
pandours, puis remonta cette rivière dans la direction
d'Eilenburg. Très mal informé par son service de rensei-
gnenu'nfs, il croyait (1) rencontrer la grande ai'uiée do
Daun sur le chemin de Leipzig et celle des Cercles à Bit-
tcrfeld. En route, il apprit que cette dernière s'était
retirée à Leipzig et détacha à sa poursuite le général
Linden avec une division de 7.000 hommes. A l'approche
des Prussiens, les Impériaux de Kleefeld évacuèrent la
ville et rejoignirent leur gros qui déjà se hAtait de se ré-
fugier h Chemnitz. Les Wurtemhergeois avaient déjà
abandonné la partie et étaient en tiain de gagner Naum-
bourg et leurs quartiers d'hiver. Linden laissa une gar-
nison de deux bataillons à Leipzig et rallia le Roi près
d'Eilenburg. Par l'entremise de ses Croates, qui étaient des
éclaireurs de premier ordre, Daun était beaucoup plus
au courant des mouvements de son adversaire, car Mon-
tazet (2), dès le 30 octobre, rapporte la présence de Fré-
déric sur les hr'uteurs d'Eilenburg : « Par consé(|uent,
notre communie tion est coupée avec l'armée de l'Empire
et Leipzig au ■•oi de Prusse. » De la séparation, Deux-
Ponts ou tout au moins l'attaché militaire Marainville (3)
qui reflétait la pensée de son général, chercha à faire
peser la responsabilité sur le maréchal qui avait permis
à l'ennemi d'occuper Eilenburg et qui, par son retour
(1) Eichel à Finckenslein, Diiben, 29, 30 octobre 1760. Corr. Polit., XX,
41, 42.
(2) Montazet à Choiseul, Clelclien, 30 octobre 1760. Affaires Étrangères.
(3) Marainville à Choiseul, Wechselburg, 2 novembre 1760. Affaires Étran-
gères.
OnDIlK A DAUN DE CONSKUViai LA SAXE.
125
i\ Toigau, avait snciifié Lcipziff. A en juger par la ra-
pidité de la retraite des Im|)ériaux, il eiU été très difli-
cile pour Ihuia de maintenir le contact. Ouoi(|u'il ne fut
pas poursuivi, mais persuadé (juc les Prussiens étaient iï
ses trousses, Deux-Ponts avait passé la Pleisse le 30 octo-
bre i\ Connewitz, un peu au sud de Leipzig, ' t avait poussé
jusqu'à Colditz où il éluit arrivé le •> novembre, grAce
à deux marches forcées successives. Le 8 novembre, l'ar-
mée de l'Empire était à Chemnitz où on était obligé de
cantonner les troupes (1) pour empêcher la désertion
qu'aurait entraînée un séjour prolongé sous la tente.
Cette fuite précipitée, car on ne saurait donner un autre
nom au mouvement rétrograde <lu duc de Deux-Pont: , lais-
sait Daun seul aux prises avec le Uoi et le privait du
concours de -20.000 hommes, dont pres([ue moitié Au-
trichiens. Peut-être cet abandon et celui des Wurtem-
bergeois eussent-ils paru au maréchal une raison suf-
fisante pour avoir recours à sa stratégie habituelle et
pour céder le terrain le plus lentement possible, mais
il venait de recevoir de Vienne des instructions catégori-
<[ues ([ui ne lui ouvraient pas l'option de la retraite. La
dépêche de l'Impératrice (2), qui portait la date récente
du 23 octobre, insistait sur les conséquences désastreuses
de l'évacuation de la Saxe, tant au point de vue des
opérations de l'armée française en Hesse, <|ue de la livrai-
son à l'ennemi de ressources en hommes et en argent (|ui
lui permettraient de continuer la guerre, surtout de l'ell'et
moral produit sur les alliés. Ceux-ci lui feraient « les re-
proches les plus vifs, perdraient tout courage et me
contraindraient à une paix désavantageuse et ignomi-
nieuse, car ils m'ont de fait informé que si nous ne con-
I
(1) Maraiiiville à Choiseul. Chcmnilz, 8 novembre 1760. Aflaires Élrati-
gèrcs.
(2) Cabinets Schreiben an Daun, Vienne, 23 oclobre I7G0. Archives de
Vienne.
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via
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CH\P. III.
!'
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servions pas la Saxe, il ne faudrait plus compter sur leur
concours ». Tel serait, sans aucun doute, le sentiment du
maréchal, mais pour ne laisser subsister aucun<> é({uivo(jue,
l'ordre formel lui était donné « de défendre le pays de
Saxe le plus et le plus loin possible, y compris tout au
moins les villes de Torgau, Eilenburg et Leipzig et de s'y
maintenir sans faute pendant l'hiver, quand môme à cet
effet il serait nécessaire de livrer une bataille douteuse
ou ris([uer queb^ue chose de décisif d'un autre genre ». A
quelque coût f[ue ce fût, il fallait convaincre les alliés
<|u'o ' avait tout tenté pour con:3rver la Saxe. Quant
aux opérations stratégie [ues, l'Impératrice s'en rapportait
entièrement à son général, mais elle l'engageait, tout en
utilisant le concours de l'armée de l'Empire et des VVur-
tembergeois, à mettre ces auxiliaires dans les « posi-
tions moins exposées », de les pincer dans les garnisons,
mais de ne pas les envoyer à l'ennemi ot de réserver ses
propres soldats pour le choc direct.
Daun communi(|ua les instructions de la souveraine au
conseil do guerre composé de ses principaux généraux et
convoqua Montazet à la séance. Celui-ci (1) qui, à cette
occasion, avoue ne pas comprendre l'allemand malgré ses
(juatre ans de service avec les Autrichiens, rend compte
de ce ([ui s y était ])assé : I>a plupart des iTiembres du con-
seil opinèrent pour la retraite sur Mcissen ou sur Dresde,
mais le maréchal refusa d'envisager cette solution et posa
la question dans d'autres termes : Fallait-il chercher à
combattre l'ennemi ou l'attendre dans la position de Tor-
gau? L'avisa peu près uranime fut en faveur d'une bataille
défensive; le principal argument invoqué parait avoir
été la mauvaise condition des attelages. Montazet, très
pessimiste, prédit dès ce moment le retour au camp de
Plaucn dans les environs de Dresde.
(I) Montazet ù Choiseul, Grosswig, 2 novembre 17(>0. AfTaires Ëlrangèies.
'i. ■ il ' ,
mmÊÊmm
POSITION DE DAUN PRKS DE TOUGAU.
127
Le 2 novembre, le roi de Prusse se rendit d'Kilenijurgà
Schildaoùil pensait se heurter aux Autricliiens; déçu dans
cette attente, il lit obIi(|uer ses colonnes à gauche ; pendant
hi marche, son avant-garde eut un engagement avec la
cavalerie de Brentano, lui enleva des prisonniers et a[)prit
d'eux le véritable emplacement de liaun. En consé([uence,
l'armée coucha à Schilda, Probtshayn et Wildschiit^,
lavant-garde devant Langen-Reir.henbach, et se prépara
pour la grande lutte du lendemain.
Ainsi posté, grâce à sa dernière manœuvre, Frédéric
interposait ses forces non seulement entre les Autrichiens
et l'armée de l'Empire, mais aussi leur interceptait toute
communication avec Dresde par la rive gaULh? de l'Elbe.
Il ne restait à Daun, pour retraite et ravitaillement,
(|ue les ])onls de Torgau et la rive droite dont il était
maître Malgré ce désavantage, le choix de la position où
le maréchal avait résolu d'attendre l'attaipe des Prussiens
lui avait été recommandé i)ar les souvenirs de l'automne
(le 1759 et de l'impuissance dans la(|uelle il s'était trouvé
d'er l'aire sortir le prince Henri. Essayons de la déci'ire.
Observons, tout d'abord, que l'appellation de Torgau
donnée à la bataille du -i novembi-e ne se justifie pas ;
rengagement eut lieu sur le territoire des villages de
(IrossNvig, Siiptitz et Zinna, à environ ï kilomètres de la
ville. Celle-ci, alors forteresse d'ordre secondaire, avait
au point de vue stratégi([ue une valeur appréciable à
cause (le sa situation sur l'Elbe, dont elle commande le
passage. A l'ouest de Torgau, entre le fleuve et la forêt
<pii, de toutes parts, borde Ihorizon, s'étend une plaine
dont le niveau se relève par une pente des plus douces à
mesure qu'on s'éloigne de la ville dans la direction de
Zinna et de Siiplitz. Tn examen attentif des lieux fait
discerner quehpies accidents de terrain qui, insigni-
fiants en eu.x-mémes, acquièrent une importance relativ<'
dans la plate uniformité de la contrée. Arrivé à SOp-
A
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128
LA GLERRE DE SEPT ANS. — ClIAP. III.
titz, le visiteur rencontre, au milieu du village, un ruis-
seau alimenté par un étang; s'il en remonte le cours, il
parviendra à un carrefour où le chemin dit la Butter
Strasse, venu de Klitschen, se croise avec celui qu'il a par-
couru. A cet endroit se trouvent des petites mares (Schaaf-
teich) dont l'écoulement s'effectue vers Siiptitz par un
chapelet de pièces d'eau alternant avec les prairies;
à la sortie du village, ce déversoir devient le ruisseau
du Rohrgraben, coupe la plaine entre Ziima et le bois
de la Lange Furth et se jette dans le grand étang de Tor-
gau. A l'époque de la bataille, le terrain l'Ha' r>«is
drainé et les rives marécageuses du Rohrgraben ioririaieut
un obstacle sérieux. Si, à la bifurcation de la Buttci'
Strasse, près de la({uelle est située la ferme moderne de
Zietenhof, notre voyageur franchit la dépression qui sert
de lit au ruisseau et gravit la pente opposée, il arrive,
au monument commémoratif <[ui marque ce qui était
à la fois le point culminant et la gauche de la position
autrichienne. De cette butte, ou plutôt de ce renflement
du sol, car ce n'est pas autre chose, il s'aperçoit que le
vallon du ruisseau est le prolongement d'une dépression
marécageuse qui contourne le site où le monument a été
édifié et le sépare de la forêt de Dommitsch. Aujourd'hui,
les bois sont à quelque distance, mais en 1760, ils remon-
taient presque jusqu'à la crête. Du monument, le visiteur
n'aura qu'à se diriger sur les maisons de Zinna, il sera au
cœur des lignes où les bataillons de Daun étaient rangés.
La position était bonne; à la vérité, elle ne dominait
que de ({uelques mètres le pays environnant, mais cein-
turée par le fossé naturel que constituait le ruisseau, flan-
quée par le terrain détrempé où celui-ci prend sa source,
elle était protégée du côté de Nicden et jus([u'à Zinna par
l'étang du Uohrteich, le canal du Zscheits et par les ma-
rais qui couvraient le pays jus([u'à l'Elbe, ne laissant
qu'une seule approche, la chaussée de Dommitsch à Tor-
AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DE LA POSITION.
129
gau. Il ne restait à l'assaillant qui déboucherait de la forêt
de Dommitsch, qu'un front d'attaque fort étroit. Une
pente douce, sorte de glacis naturel, conduisant de l'orée
du bois à la crête, fournissait au défenseur un excellent
champ de tir et favorisait les retours offensifs. Au sud, l'a-
gresseur aurait ù, se déployer dans la plaine et se heur-
terait à l'obstacle du Rohrgraben et de ses bords mal
drainés avant d'aborder le plateau intérieur. Ajoutons
([lie les difficultés naturelles provenant des étangs et des
cours d'eau avaient été fort accrues par les pluies abon-
dantes de l'arrière-saison. Enfin, la plupart des pentes
avoisinant Suptitz et Zinna étaient plantées en vignes
(aujourd'hui disparues) et par conséquent peu accessibles
aux formations serrées de l'époque.
Par contre, la proximité des bois permettait à l'assail-
lant de s'approcher sans se découvrir trop tôt. De ce
côté la forêt de Dommitsch s'étendait fort loin depuis
Elsnig et Neidcn au nord-est jusqu'au delà de la grande
route de Leipzig à Torgau ; elle enveloppait les clairières
où étaient situés les hameaux de Wildenhayn, Weyden-
haynet Grosswig. Pendant les opérations de 1759, les Prus-
siens avaient construit quelques redoutes sur la hauteur
de Siiptitz et avaient édifié dans la forêt un abatis circu-
laire ; contrairement à ses habitudes, Daun ne fit rien pour
améliorer ces fortifications de campagne ; bien plus, soit
défaut d'ordres ou simple insouciance, les soldats autri-
chiens employèrent du bois des barricades pour leur cui-
sine et y firent des brèches dont profitèrent les Prussiens
pour leur marche à travers la forêt. Terminons notre des-
cription, en rappelant qu'au sud et à quehjue distance
de la route de Leipzig, se trouvaient les localités de Probs-
thayn, Wild;icliiltz et Langen-Rcichenbach, où les Prus-
siens avaient passé la nuit.
En résumé, la position formidable contre un ennemi
arrivant du côté des villages de Suptitz et de Grosswig,
»
(JUKHUE DE SEPT ANS. —
(i
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i^:
II
130
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
c'est-à-dire du sud, était beaucoup moins protégée contre
une attaque du nord. Le voisinage des bois, le profil
moins accentué des pentes constituaient, pour l'assaillant,
des avantages compensés, il est vrai dans une certaine me-
sure, par les difficultés du terrain aux environs de Zinna
et par l'étroitessc du front d'attaque. Ces considérations,
fondées sur la connaissance des lieux que possédaient plu-
sieurs de ses officiers, inspirèrent le plan de Frédéric. Il
divisa son armée en deux fractions inégales; à lui avec le
gros des troupes sera dévolue la tâche de tourner les
lignes autrichiennes et de les prendre à revers ; au général
Zieten avec le reste, il appartiendra de seconder l'elTort
principal, de menacer le front de l'ennemi, et de lui cou*-
per la retraite. Si la fortune se montrait propice, on pou-
vait espérer non seule m ont la défaite, mais l'anéantissement
de l'armée deDaun et avec ce résultat, la fin de la guerre.
Quels étaient les effectifs des deux armées en présence?
Déduction faite des deux bataillons laissés à Leipzig et de
quelques autres détachements dont il sera fait mention , l'ar-
mée royale se composait de 02 bataillons et de 102 esca-
drons. Si l'on tient compte des fatigues excessives que ces
troupes avaient éprouvées depuis leur entrée en campagne,
des pertes considérables subies par les corps de Hiilsen et
du prince de Wiirtemberg, il semble exagéré d'évaluer le
nombre moyen des combattants à plus de 550 par bataillon
et à 110 par escadron (1\ ce qui donnerait un total de
'1^5.000 hommes pour la journée du 3 novembre. Ces chif-
fres sont à quelques centaines près ceux des historiens prus-
siens. Pour ce qui est des Autrichiens, l'écart entre les esti-
mations des narrateurs est beaucoup plus sensible, car
l'effectif qu'ils le^r attribuent varie de 62.000 à 50.000.
Daun avait sous ses ordres 72 bataillons, 8 compagnies
indépendantes et 116 escadrons. Dès le début, les unités
(1) Avant le commencement des liostilités, Mitchell comptait 700 hommes
par bataillon et 150 par escadron.
n:
ORGAU.
131
autrichiennes avaient été un peu moins fortes que les
formations correspondantes de l'armée royale (1). Dans
l'armée de Daun, le déchet par le feu, la désertion et la ma-
ladie avait été à peu près le môme que chez les Prussiens ;
dans ces conditions, il est difficile de calculer plus de 500
par bataillon et 100 par escadron comme présents à la
bataille de Torgau,soit 'i.7.000 à VS.OOO. Quoi qu'il en soit,
adoptons les chiffres de Daniels (2j qui reposent sur un do-
cument officiel des archives de Vienne et comptons à Daun
les 50.000 à 52.000 que lui alloue ce critique distingué. La
supériorité numérique (3) des Autrichiens n'était donc
pas considérable; par contre, ceux-ci avaient une artillerie
de 400 bouches à feu à opposer aux 250 de Frédéric.
Examinons maintenant les dispositions que prit le roi de
Prusse pour l'attaque (4). L'aile gauche qui était destinée à
agir sous les ordres directs du monarque était répartie en
trois colonnes : la première éclairée par 10 escadrons de
hussards était forte de 25 bataillons dont une avant-garde
de 10 bataillons de grenadiers, les 15 autres répondant
aux deux lignes classiques du corps de bataille ; la seconde
colonne se composait des 12 bataillons de la réserve; en-
(1) Marainville les évaluait au commencement de juin à eoo hommes par.
bataillon et 120 par escadron.
(2) Zur Schlacht von Torgau, von Emil Daniels, Berlin, 1880.
(3) Le chiffre initial des forces autrichiennes avait été en 1760 de 120.000
combattants. Déduisons 20.000 pour les pertes de la cam|ia};;ne y compris
celles de Landshut et de Liegnitz. Il resterait au commencement de novem-
bre 100.000 liommes dont iO.OOO en Silésie avec Laudon et 10.000 à l'armée
de l'Empire avec Hadick. Daun ne pouvait donc avoir plus de 50.000 y com-
pris la division de Heck affectée à la garde des baj;ages sur la rive droite
de l'Elbe.
(4) Le récit de la bataille est lire .le la GescJiicfilr. des sicbenjûhrigen
AViej/s, Berlin, 183i, — Freytag Loringhoven, Beihefl zuiiiMiUlilr Woclu-n-
blalt, IV, 1897, —Emil Daniels. Zur Schlacfil von Torgau. — .Vusfurlicher
Bericht, Schlacht hci Silpliz Leipzig, s. d., - Gcsl,inclnisse eincs oeslrei-
chisclieii F«<era)i.s', — Correspondance de Montazet, — Rapport de Daun, —
Schilffer, vol. II, — Retzow, Mémoires historiques, etc., etc.. Voir la
carte à la (in du volume.
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1', I
132
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
fin la troisième fournie presque exclusivement par la ca-
valerie, comptait 38 escadrons et V bataillons. Ces trois
colonnes devaient s'ébranler successivement du camp de
Langen Reichenbach, faire un long détour en pleine forêt
de Dommitsch, par une marche concentrique, mais dis-
tincte, afin de ne pas se gêner les unes les autres, puis
la position ennemie tournée, se déployer en ligne et se
porter contre ce qui était actuellement le dos de l'armée
autrichienne. Pendant le temps que prendrait cette ma-
nœuvre, Zielen avec l'aile droite forte de 21 bataillons
et de 5V escadrons, avancerait directement contre le front
de l'ennemi; il réglerait son horaire de manière à faire
concorderautant que possible son arrivée sur le champ de-
bataille avec celle du Roi.
Le 3 novembre à 6 h. 1/2 du matin, l'aile gauche com-
mença son mouvement; la première colonne, soas le mar-
grave Charles avec laquelle se tenait Frédéric, laissa sur
sa gauche les villages de Mockrehne et Wildenhayn, dé-
passa Weydenhayn et après un grand circuit à travers les
bois et la bruyère de Dommitsch, gagna la plaine aux en-
virons d'Elsnig. En route, elle s'était heurtée aux troupes
légères de Reid qui, après une faible canonnade, recu-
lèrent sur Grosswig. Un peu plus tard, vers 11 heures,
l'avant-garde prussienne trouva devant elle près d'Elsnig
le détachement autrichien du colonel Ferrari. Cet officier
faillit être surpris, mais averti par quelques soldats qui
étaient allés chercher de l'eau, il put se retirer sans être
entamé surie village de Neiden. La seconde colonne, com-
mandée par Hiilsen, suivit au milieu de la forêt un che-
min parallèle, mais plus éloigné de l'ennemi; elle perdit
du temps pour laisser défiler la cavalerie du prince de
Ilolstein, puis continua son parcours et déboucha à la
suite de sa devancière.
Dans le principe et avant la marche des Prussiens d'Ei-
lenburg à Schilda, Daun s'était attendu à une attaque ve-
MOUVEMENT TOURNANT DU ROI.
133
nant du Nord ; aussi avait-il placé une partie de ses avant-
postes dans la forôt de Dommitsch ; ainsi qu'on l'a vu,
la plupart de ces détachements avaient pu eil'ectuer leur
retraite en temps utile, mais il n'en fut pas de mémo des
chevau-légers du général Saint-lgnon. Ce régiment qui
se gardait mal fut pris entre les colonnes du Roi et du
général IKUsen; chargé par les hussards de Zieten, fusillé
par les grenadiers prussiens, il fut capturé presque en
entier; néanmoins quelques cavaliers réussirent A s'échap-
per et portèrent l'alarme dans le camp autrichien. Ajou-
tons pour compléter les incidents préliminaires que les
bagages avaient été mis en sûreté à Eilenburg, sous une
faible escorte, et que le colonel Mohring avec les dragons
de Schorlemmer, des hussards et des iiréguliers avait
été envoyé à Doberschutz pour surveiller un détache-
ment autrichien signalé, d'ailleurs faussement, comme se
trouvant à Pretsch.
Pendant que le roi de Prusse exécutait le mouvement
tournant dont nous venons de décrire la première phase,
Zieten avec l'aile droite remplissait sa part du programme.
Parti vers 10 heures du camp de la veille, il s'achemina
à travers le bois de Klitzchnen, dans la direction de la
grande route de Leipzig à Torgau; au pont de la Rothe
Furth son avant-garde rencontra l'opposition de deux
bataillons de Croates qui se défendirent si énergique-
ment que Zieten fut obligé de faire avancer du canon
pour les débusquer; ils furent recueillis par la cavalerie
de Lascj . Cette escarmouche eut pour résultat de retarder
Zieten qui mit plus de trois heures k sortir de la foret et
à se ranger en face du corps de Lascy dont il était séparé
par le grand étang de Torgau.
Revenons à l'attaque du Roi : à 1 heure de l'après-midi,
elle commençait à se dessiner; la brigade d'avant-garde
formant tète de la première colonne se déployait dans
la partie de bois qui faisait saillie entre le Rohrteich et
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13i
LA GUERHE DE SEPT ANS. — CIIAP. III.
les lignes autrichiennes. Le Roi avait reconnu en eftet
rimpossibilité d'un assaut dans le terrain coupé aux abords
de Zinna et avait prescrit une demi-conversion ù droite
pour profiter de l'abri qu'offrait la lisière de la forôt.
Le reste de l'iiifanteiic était encore sous bois ; quant à
la cavalerie du prince de llolstein, ellç traver.sait la
bruyère de Dommitsch où elle avait été retardée par son
parcours circulaire et par la nécessité de se frayer un
passage à travers les abatis qui barraient le chemin.
Averti par les rapports de ses avant-postes qui recu-
laient au nord et au sud et se retiraient sur la position
centrale, Daun se rendit compte de la double attaque à
laquelle il était exposé; il fit aussitôt exécuter à une par-
tie de ses régiments une contre-marche de manière à faire
tête des deux côtés. Il massa le gros de son infanterie
sur le plateau, entre Silptitz et Zinna, en deux lignes se
tournant le dos; son aile droite, forte surtout en cavalerie,
était rangée près du village de Zinna sur le prolongement
de l'infanterie. Devant elle se trouvait la brigade mixte
de Ferrari qui venait d'évacuer les villages d'Ëlsnig et
de Neiden. Sur le fi'out nord, face au bois et par consé-
quent en avant et sur le flanc de la ligne de bataille furent
postés les grenadiers de Normann, les carabiniers et gre-
nadiers à cheval d'Ayasas et les Croates de Hied. Les
troupes de réserve, d'abord maintenues à Grosswig, ne
lardèrent pas à être appelées sur le théâtre de l'action
pour repousser les assauts prussiens. Le corps de Lascy
qui avait gardé son caractère autonome quoique sous la
direction supérieure du maréchal, se rapprocha et prit
une position perpendiculaire au gros, sa droite appuyée
au village de Zinna, sa cavalerie en avant, le tout couvert
par le grand étang de Torgau et par le canal du Kohr-
graben. La réserve d'artillerie, qui jusqu'alors avait été
parquée sur la route de Siiptitz à Neiden, fut répartie sur
toute la crête du plateau, partout où elle avait vue sur
PHKMIKilE ATTAQUE DES PUUSSIENS.
135
rcnnenii. Les baga^^es et les équipages de rarm«''e autii-
chicnne, relégués sur la rive droite de l'Elbe que i-eliaieut
ti'ois ponts à Torgau et à la rive gauche, furent conliés
k la garde du général Bcck arrivé le jour môme de la
Lusacc. La ville de Torgau était occupée par des piquets
prélevés sur les régiments de l'armée.
Ainsi distribués, mais encore incertains sur les mouve-
ments de l'adversaire que masquait le bois, les Autrichiens
S;' préparèrent à l'attaque qui ne fut pas longue à se pro-
duire : le Roi, soit (fue le bruit du canon de Zieten lui
fit croire que son lieutenant était sérieusement engagé,
soit que l'heure déjà, avancée d'une courte journée d'au-
tomne l'eût poussé à entamer une allairc qu'il voulait
décisive, résolut d'aborder la position autrichienne avec
ce qu'il avait sous la main, sans attendre l'arrivée du
reste. Presque tous les narrateurs sont d'accord pour fixer
vers 2 heures le début de l'action. Pour coutrebattr» 'os
canons et les obusiers autrichiens qui couvraient de leurs
projectiles le bois du Neidensche Hosgen où s'abritaient
tant bien que mal les formations prussiennes, Frédéric
lit appeler deux batteries ; elles furent littéralement pul-
vérisées avant d'avoir pu être servies; puis il lança son
avant-garde contre la ligne autrichienne, au premier rang,
la brigade de Stiitterheim appuyée par celle de Syburg.
Mais les grenadiers dont se composait cette troupe d'élite,
accueillis par un feu d'enfer, furent bien vite mis hors de
combat et obligés de chercher le couvert des arbres; ils y
turent poursuivis par les carabiniers autrichiens et fu-
sillés sur leur gauche par les Croates qui s'étaient glissés
dans les taillis et les vignes entre le plateau de Sûptitz et
la forêt. Dans cet engagement qui fut de courte durée,
l'avant-garde perdit ses deu\ brigadiers, 68 officiers et
près des deux tiers de son effectif.
Entre temps, sous le voile de la mêlée qui avait pour
théâtre le terrain découvert et la lisière du bois, les troupes
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LA GIEKRE DE SEPT ANS. — CIIAP. III.
du gros, sous le comuiandeinent du margrave Charlrs,
avaienl pu se déployer avec plus a'ordrc que leurs de-
vancières, ncshrigadosHauiinoKiahlcntzainsi que de quel-
([ues fractions de la brigade Butzke et du corps de lliilson,
on constitua une masse do 10 bataillons pour livrer le
second assaut que vinrent soutenir deux batteries de gros
canons établies à leur gauche. Le mouvement général fut
facilité par une manœuvre imprudente des Autricliiens.
Encouragés par la défaite de l'avant-gardo royale, dési-
reux de seconder la contre-attaque qui se déroulait devant
eux, quelques régiments de la première ligne, et notam-
ment ceux de Durlach, Wied et Puebla, rjuittèrent le pla-
teau, descendirent le glacis et se jetèrent dans le bois pour
achever la victoire : mal leur en prit, car ils furent vigou-
reusement ramenés par la brigade Uaniin qui était au
centre de la ligne prussienne et qui marchait droit sur
la position. Profitant de cet avantage, stimulés par la
présence et l'exemple du Roi qui se prodiguait sans souci
de sa sûreté personnelle, les Prussiens, par un énergique
effort, gravirent les pentes et s'emparèrent d'une partie
du plateau large seulement de 500 à (iOO mètres qui cou-
ronnait la chaîne des crêtes. Mais leur succès ne fut pas de
longue durée ; les généraux autrichiens tirèrent de leur
réserve des renforts d'infanterie; Daun qui payait de sa
personne et montrait son sang-froid habituel, appela de
sa droite ses cuirassiers, et les lança contre les Prussiens;
ceux-ci reculèrent à leur tour. Dans cette bagarre, les
régiments autrichiens de Savoie et de l'archiduc Léopold
se distinguèrent d'une façon spéciale; Daun y reçut une
blessure à la cuisse, qui ne l'empêcha pas cependant
de rester à la tète de ses troupes.
Il y eut sur les pentes de Siiptitz, dans l'espace décou-
vert entre elles et le bois, enfin dans l'orée de la forêt, une
lutte sanglante ; on se battit avec un acharnement qui
rappela les scènes de Zorndorf et de Cuncrsdorf; les ca-
ATTAQUES SI CCESSIVES DU HOI REPOUSSÉKS.
137
valicps autrichiens firent l)eaucoup tic prisonniers; le ré-
giment prussien de Goltz vit son ellectir diminué de moi-
tié, le bataillon de grenadiers Heilsperg, qui comptait
M)0 présents à l'appel du matin, en perdit 350; les 10
bataillons qui prirent part au second assaut eurent 137
officiers hors de combat. Aussi à partir de ce moment,
put-on les compter, ainsi «[ue les 10 de l'avant-garde,
comme inutilisables pour le reste de la journée. Pour
dégager son infanterie, Frédéric appela à lui les pre-
miers échelons de la cavalerie de llolstein, qui com-
mençaient à déboucher de la forêt. Le régiment de cui-
rassiers Spaen, sous la conduite du colonel Dalvig, par
ses charges vigoureuses et répétées, rétablit un instant
la balance en faveur des Prussiens, mais il dut céder
au choc des cavaliers de la réserve impériale qui en-
traient en scène. D'autre part, les dragons de Bayreutli
tombèrent sur le ilanc droit de la ligne autrichienne, y
mirent le désordre et enlevèrent bon nombre de prison-
niers, mais ils durent plier devant un nouveau renfort de
cuirassiers que le général Pellegrini amena fort à propos.
Il y eut également, k la droite autrichienne aux approches
de Zinna, une mêlée où les Impériaux eurent l'avantage
et où les carabiniers de O'Donnel enfoncèrent l'infanterie
accourue à la rescousse et s'emparèrent de 9 drapeaux.
Il était près de V heures. De l'aile gauche de l'armée
royale, il ne restait en ordre que 1 1 bataillons appartenant
pour la plupart au corps de llidseu et les k bataillons
qui avaient été attachés à la colonne de Holstcin, et qui
étaient encore en arrière. Sans doute, les Autrichiens
avaient beaucoup souffert, mais dégagés par la retraite de
la cavalerie prussienne, ils avaient eu le temps de repren-
dre haleine, tandis qu'il ne fallait pas songer à faire don-
ner les 11 bataillons de Hulsen; les soldats de ce général,
déjà très éprouvés par le canon et la fusillade, découra-
gés par les insuccès répétés de la journée, impressionnés
V
fit
LA GUEnUE DE SKl'T ANS.
CIIAP. III.
I , .
par Ifi dôliiitc «t par la fuite de leurs ramaïadcs, ne vou-
laient plus ({uittci' la protection de la forêt. En outre,
l'rcliec que venait d'essuyer le prince de llolstein avait dé-
couvert leur liane «auclie et les laissait fort exposés.
Kn oïïcl, tandis que ï régiments empi'untés à lu division
luttaient du c«Mé de SUptitz et ù l'ouest du llolii-teicli, le
reste, fort de 2.'{ escadrons, sous les ordres du prince, s'en-
gageait à l'est du fossé du Zschcitscliken-Graben, dans
la direction de Zinna, avec le dessein de se porter sur lo
flanc droit des Autrichiens. Ce mouvement se heurta à
l'ohstacle infranchissable du canal; entre la cavalerie en-
core en colonnes et les fantassins ennemis se livra un
combat de mousqucterie tout à l'avantage de ces derniers;
la confusion qui en résulta fut portée à son ble par
l'apparition, à l'est de Zinna, de la cavalerie ) 'lienne
appuyée de deu\ pièces régimentaires qui tiraient à mi-
traille. En fin de compte, les escadrons de llolstein furent
refoulés avec perte sur Neiden.
Ce recul et le désordre qui régnait dans le corps de
llulsen et la brigade Bulzke paraissaient trancher le
sort de la bataille. L'attaque principale des Prussiens
avait été repoussée et l'aile gauche de l'armée royale
complètement battue. Il était ï h, 1/2, la nuit tombait;
les unités désorganisées ell'ectuaient leur retraite par la
route de Dommitsch, sous la protection des V bataillons
de llolstein qui n'avaient pris aucune part à l'all'aire. Le
Koi avait été obligé d'abandonner le champ de bataille
et de céder le commandement au général Hulsen ; il avait
reçu une contusion occasionnée par une balle morte et
serait tombé de cheval sans le secours de ses officiers
d'ordonnance ; il fallut l'emporter et, faute de place
dans les maisons d'Elsnig encombrées de blessés, l'ins-
taller dans l'église de la localité.
Par une singulière coïncidence, le même accident était
arrivé au généralissime autrichien. Dans son rapport à
DAUN lU.ESSÉ SK l'AIT THANSPOHTKH A ToRl'.AU.
}.W
rimpc'ratricc (1^, Daiin r.iconte qii<\ nu\ environs do Zinna
verso 11. 1/2, ne pouvant rester à cheval i\ cause de sa
blessure et perdant heaucoui) de sang, il se fit coucher
|)ar terre; peiulant qu'on lui coupait sa botte, on entendit
la fusillade reprendre aux abords de Siiptitz; il en-
voya aux renseignements, fit appeler Kascy et lui or-
donna de porter deux brigades sur le point menacé et
d'appuyer ce mouvement avec son coi'ps entiei-. « Mon
cher ami, lui aurait-il dit, je vous prie, allez-vous y en
(sic'' vous-même, voyez <lans (pnd état les choses sont, et
faites les dispositions que vous ti'ouverez nécessaires, j'at-
tendrai ici votre réponse. )' IJientôt après, survint de la
part de Jjiscy le colonel H.iî 'igqui rapporta que tout;illail
bien et qu'il n'y avait plus de doute sur le succès. A Han-
nig succéda le général O'Donncll, le plus ancien des gé-
néraux autrichiens; Daun lui remit le commandement en
l'invitant à s'entendre avec bascy et à faire « que l'ar-
mée se range autant que possible pour être en ordre à la
pointe du jour, de même que l'artillerie soit placé(> ». A
6 h. 1/2, se sentant très faible, à la suite de la perte de sang,
rassuré sur l'issue heureuse de la journée par les rapports
([u'il venait de recevoir et par l'obscurité de plus en plus
épaisse qui semblait interdire toute reprise des hostilités,
le maréchal se fit transporter à Torgau; c'est là, après le
pansement de sa blessure, qu'il apprit le brusque revire-
ment de fortune qui transforma en défaite ce qui avait sem-
blé, deux heures auparavjint, être une victoire assurée.
Essayons de décrire les manœuvres qui décidèrent ce
résultat extraordinaire et encore presque inexplicable.
Nous avons laissé Zieten engagé dans une canonnade plus
bruyante que destructive avec le corps de I^ascy. Cepen-
dant, il ne pouvait ignorer les attaques du Roi contre le
versant nord du plateau de Siiptitz ; son devoir lui comnian-
(1) Daun à l'Impératrice, secrelîssime, Zejps, 13 novembre 1760. Arneth, VI.
Anmerkumje», p. 453. -
MA
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: \-i
140
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CIIA?, m.
dait, semble-t-il, d'intervenir dans la lutte en assaillant
sans retard les derrières de la position ennemie. A ce
propos, une longue discussion s'est poursuivie entre les
historiens allemands. Quels étaient les ordres donnés par
Frédéric à son lieutenant ? A quel stage de la bataille celui-
ci devait-il commencer son action décisive? Faute de la
connaissance d'instructions dont il ne reste pas trace et
qui paraissent avoir été verbales, il est impossible de
résoudre ces questions et il faut avoir recours h des hypo-
thèseshasées sur des témoignages souvent contradictoires.
Ces réserves posées, examinons les faits et cherchons à
en tirer les déductions les plus vraisemblables. Frédéric, le
matin de la bataille, à plus forte raison la veille, quand
il eut son entrevue avec Zieten, n'était pas exactement
renseigné sur l'emplacement qu'occuperait l'armée de
Daun, il ne connaissait pas encore celui de Lascy qui ne fut
définitif qu'autours de la matinée du 3 novembre. L'opé-
ration confiée à son lieutenant consistait à tenir en échec
une partie des Autrichiens et à leur couper la retraite sur
Torgan et les ponts de l'Elbe; le point sur lequel il aurait
à se diriger serait donc plutAt la zone comprise entre le
grand étang de Torgau et les hauteurs de Zinna que celle
plus éloignée de Silptitz. Quant à l'heure de l'intervention,
elle ne pouvait pas être déterminée d'avance, puisqu'elle
dépendrait des progrès que ferait l'attaque principale.
Fort de la confiance ([u'il avait dans la valeur de ses sol-
dats et dans les ressources de son génie, Frédéric devait
compter sur le succès de son aile gauche et rései'vait à
son subordonné le rùle ip".portant d'achever la vic-
toire et de transformer en désastre ce qui n'eût été
(|u"une défaite de l'armée impériale. Il est donc présu-
mable que Zieten se conforma à la leitre des indications
reçues, en suivant, après son combat avec les Croates,
la grande route de L(>ip/>ig à Torgau, plutôt que celle
de la Butterstrasse oui Teùt conduit au village de Siiptitz;
1
V
LUTTE AUTOUR DE SUPTITZ.
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a
IC-
îté
ju-
ins
e
iz;
la vue des bataillons et escadrons de Lascy, rangés sous les
murs de la ville et se portant îV sa rencontre, dut le con-
lii mer dans son interprétation; d'ailleurs, il ei\t été fort
imprudent, pendant qu'il s'engagerait contre le gros en-
nemi, de laisser sur son flanc ce corps dont l'effectif égalait
presque celui de ses propres forces. Un assaut repoussé
n'entralnerait-il pas la perte de la bataille? Cette impru-
dence, il la commit cependant, mais après de longues
hésitations, avec une fraction seulement de ses troupes et
probablement sur l'ordre formel de son monarque.
Vers 3 h. 1/2, Zieten l'assuré, sans doute, par l'immo-
bilité de Lascy et cédant aux représentations des officiers
de sou entourage, détacha contre le village de Siiptitz la
brigade Tettenborn, Les Prussiens s'emparèrent de la frac-
tion du village située au sud, sur la rive droite du Rohr-
grabcn, mais ne purent chasser les défenseurs de la partie
supérieure. Un ^peu plus tard, sur un avis pressant de
Frédéric, il lança à l'escalade du plateau la brigade Sol-
dcrn, composée de 5 bataillons de la garde. Ces braves
soldats, malgré un feu très vif, défilèrent le long du ruis-
seau, gagnèrent les Schaafloich et se mirent à gravir la
pente plus raide de ce côté ; mais arrivés à la crête, ils
furent accueillis par une trombe de mitraille et de balles
qui les rejeta au bas du versant.
Donc, à cette heure tardive, car il faisait déjà nuit, les
Autrichiens demeuraient encore maîtres du plateau de
Siqititz, mais en dépit de ce succès, leur moral avait été
sérieusement alfccté par la lutte sanglante de l'après-
midi; les régiments de seconde ligne qui garnissaient la
face sud et faisaient vis-à-vis, ])ar conséquent, au corps de
Zieten, avaient soufl'ert, presque autant que ceux de la
première, du tir de l'artillerie du Roi; peu à peu, et
à la suite des combats successifs (|ui avaient été livrés, soit
autour des vergers et vignes de Siq)titz, soit dans le tei'-
rain découvert avoisinant la forêt, rexlrémité ouest de la
y I:
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142
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
position s'était trouvée dôgarnie; la réserve, appelée en
soutien, avait évacué le village de Grosswig qui flanquait
là défense. Pour remédier à la confusion et pour se
mainteniren force surles emplacements qui constituaient la
clef de la position, il aurait fallu un commandement énergi-
que, une direction suprême; malheureusement Daun, et
avec lui plusieurs de ses meilleurs lieutenants, avaient
été mis hors de combat; leur absence et l'obscurité crois-
sante empêchèrent de réparer les accidents qui s'étaient
produits. Quelques officiers intelligents do l'armée prus-
sienne s'en rendirent compte et tentèrent, eu pleine nuit, un
nouvel clfort pour se rendre maîtres du point culminant.
S'il faut en croire certains récits, le lieutenant-colonel
Lestwitz (1), en revenant d'une mission auprès de Zieten,
s'aparçut que le terrain au-dessus des Schaafteich n'était
plus que faiblement occupé; il avertit aussitôt le général
Soldern, celui-ci rassembla les débris de sa brigade et,
soutenu par d'autres fractions isolées, remonta la pente,
chassa les quelques défenseurs et s'empara sans grande
peine de la partie la plus élevée et de la redoute qui
en marquait le sommet. Il y fut rejoint par des ren-
forts que Zieten, apprenant le succès inespéré de son bri-
gadier, envoya à son aide. De son côté, Lestwitz avisa
également le général Hiilsen de ce qui se passait, et tous
les deux, à la tête de deux bataillons de la colonne Hols-
tein, que vinrent appuyer quelques unités rassemblées en
hâte, gagnèrent le plateau de Siiptitz et tombèrent sur le
flanc des rares Autrichiens ({ui tenaient encore. Le retour
oflcnsif des Prussiens fut favorisé par l'incendie des mai-
sons de Siiptitz, qui avait éclaté à la suite de l'attaque
de Tettenborn ; le brasier ainsi allumé éclairait le plateau
tandis qu'il en laissait les abords dans l'ombre. La résis-
(1) Il n'est pas sur que Lestwitz ait été l'officier en question, triais il fut
certainement un des premiers à connaître l'abandon par les Autrichiens du
point culminant.
VICTOIRE DES PRUSSIENS.
143
tance des Impériaux fut courte, car c'est à peine si les
soldats de Lestwitz brûlèrent une dizaine de cartouches.
Quatre bataillons du corps de Lascy qu'avait mis en mou-
vement le dernier ordre donné par Daun avant son dé-
part pour Torgau, arrivèrent trop tard pour rétablir les
affaires et se bornèrent à recueillir les fuyards sans es-
sayer une contre-attaque.
11 était plus de 9 heures du soir quand le feu cessa.
Quelques régiments autrichiens et, en particulier, Charles
de Lorraine, Mercy, Botta, Ahrenberg et Bayreuth avaient
conservé leurs formations et occupaient encore la partie
des hauteurs la plus rapprochée de Zinna; le corps de
Lascy qui n'avait presque pas comliattu était encore
intact, mais les Prussiens de Zieten et de Lestwitz étaient
maîtres de la clef de la position et avaient décidé de la
victoire en faveur du Roi. Sur le théâtre de la lutte,
la confusion était à son comble; les combattants des
deux armées bivouaquaient à côté les uns des autres,
se reposaient autour des mémi>s feux, ignorants de l'issue
de l'affaire et attendant leur sort de la lumière du len-
demain. Des officiers se trompaient de troupes; c'est
ainsi que le général autrichien Migazzi, croyant rallier
sa brigade, tomba au milieu des Prussiens qui le reconnu-
rent à son accent et le firent prisonnier.
On peut s'imaginer la surprise douloureuse de Daun
quand il sut, par la bouche d'O'Donnell et de Lascy, le
malheur qui était survenu pendant son absence. <( J'ap-
pris vers les 8 heures du soir à Torgau, raconte Monta-
zct (1), enrejoignsnt M. le iMaréchal, que les troupes que
j'avais laissé victorieuses une demi-heure auparavant
avaient abandonné une partie du champ de bataille k
l'ennemi, .l'eus peine à croire, je l'avoue, le rapport
qui en fut fait devant moi à M. le Maréchal, mais ce gé-
î\
(1) Monlazetà Choiseul, Kasdorf, 4 novembre 1700. Affaires Élrangères.
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:t4«
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IIF.
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( M
néral m'ayant prié d'y retourner tout de suite avec
MM. de Lasey et O'Donnel, le fait fut constaté. En vérité,
il n'était pas difficile de réparer cette mésaventure,
mais une foule de raisons trop longues à détailler déter-
minèrent, malgré mes représentations, à faire des dispo-
sitions pour se retirer le matin. » Montazet attribue la
délaite des Autrichiens à la blessure de leur chef :
« Je crois même pouvoir vous assurer que le corps de
/ieten n'a resté sur le champ de bataille que parce que
M. le maréchal Daun a été blessé et qu'on avait ici
grande envie de quitter Torgau, ainsi que vous le verrez
par le conseil de guerre qui a été tenu le premier de
ce mois, dont j'ai rendu compte sur-le-champ à M. le
comte de Choiseul. » - . '
Le récit de Daun (1) est à peu près conforme à celui de
l'attaché français. Sur la demande du maréchal, O'Donnell
et Lascy, accompagnés de Montazet et du duc de Braganza
qui servait à Tétat-major en qualité de volontaire, allèrent
au plateau pour voir ce qui s'était passé. « Deux heures
après (2) tous ces mentionnés Messieurs revinrent et
dirent qu'en efîet, l'ennemi se trouvait sur la men-
tionnée hauteur, ce qu'ils ne comprenaient point comme
il s'y était glissé. Montazet a beaucoup dit ce qu'il avait
proposé, d'autres derechef le contraire, chacun criait,
mais enfin malheureusement l'ennemi y était établi et
alors il n'y avait plus de milieu ni d'autre parti à
prendre que celui de la retraite. » Elle eut lieu au cou-
rant de la nuit et s'effectua sans être inquiétée par les
Prussiens; l'armée de Daun évacua en silence le terrain
qui lui restait et passa l'Elbe; la garnison de Torgau
suivit dans la matinée et brûla les ponts sous la pro-
tection de la division de Beck qui était demeurée sur
la rive droite pendant la bataille et qui servit d'arrièrc-
(1) Daun à rimpéralrico, Zeyps, 13 novembre 1700. Arnelli, VI, p. 457.
(2) Ce passage est eu français dans lu leltrc de Daun.
PEIITES DES DEUX ARMÉES.
145
garde; Lascy fit son mouvement par la rive gauche et
rejoignit le gros sans incident. La marche nocturne et
la difficulté d'avertir ou de rassemhler des détachements
épars sur toute l'étendue du champ de bataille et
quelquefois entremêlés avec l'ennemi expliquent le
nombre considérable de prisonniers ramassés par le
vainqueur. D'après les états publiés par les Prussiens,
il aurait atteint le chiffre de 4 généraux, 215 officiers
et plus de 7.000 soldats. L'état-major autrichien fut très
éprouvé; il compta 11 officiers tués, entre autres les
généraux Ilerberstein et Walter, ce dernier comman-
dant de l'artillerie, le généralissime, 4 généraux et 26 of-
ficiers blessés. La perte totale de l'armée de Marie-
Thérèse a été évaluée à 16.000 (1) hommes de tout rang;
de son artillerie nombreuse, 40 pièces furent prises ou
abandonnées faute de moyens de transports.
Le succès fut chèrement acheté; le déchet de l'armée
royale dépassa 14.000 hommes (2), dont 420 officie 's de tous
grades. Dans ce chiffre figuraient plus de .'i.OOO i)rison-
niers parmi lesquels deux généraux, Biilow et Finckens-
tein. Les trophées furent à peu près également partagés;
les Prussiens enlevèrent 30 drapeaux et en perdirent 27.
Telle fut la fameuse bataille de Silzou ou de Torgau à
propos (le laquelle des flots d'encre ont été versés. Tout
d'abord, le succès fut revendiqué par les Autrichiens; au
moment de quitter le théAtre de l'action, Daun avait dé-
pêché un officier supérieur de son état-major, le colonel
Rothschiitz, avec la nouvelle de la victoire qu'il croyait
gagnée. Il est facile de se figurer l'enthousiasme avec le-
quel les Viennois applaudirent aux sonneries des 18 pos-
(1) Fi'evtagLoringlioveii, Beihejï zum MiUlOr Woclie.ahiall, \m~, IV. Les
chiffres officiels publiés à l'époque dontièrent 1.513 morts, :Hi6(» blessés,
5.62i pris ou disparus, en tout 10.8:!7. Hcsprilchc iin Reiclie dcr Todieii,
m, p. 411, l'ianklarlli et Leii)zig, 17G0.
(2) Ceilaius historiens l'évaluent au même chiffre que celui des Autri-
chiens. V -^
GIERIIE DE SEPT ANS. — T. IV.
10
A,
k
If
II
11'
;
149
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
tillons qui escortèrent l'heureux envoyé à son arrivée à
Schonbriin, mais la réaction n'en fut que plus vio-
lente quand, le lendemain, on apprit la fin désastreuse
de la journée et la retraite de Daun. L'Impératrice-Reine,
désireuse de connaître le fond des choses et mécontente
des réticences évidemment voulues de son général, lui
adressa une série d'interrogations sur les incidents et sur
les conséquences de l'affaire. Daun lui répondit par
une longue lettre que l'historien Arneth a reproduite
et de laquelle nous avons déjà tiré des extraits. Le ma-
réchal, tout autant par ses omissions que ])ar sa fran-
chise, jette quelque jour sur les causes de la défaite.
« Tout le monde, affirme-t-il, a fait son devoir; les régi-
ments se sont bien comportés, il y a eu du désordre,
mais à la guerre cela est inévitable. » D'après lui, l'aban-
don des hauteurs obligeait à la retraite; recommencer la
lutte et essayer de se maintenir sur le terrain eût été
« la (1) ruine totale de l'armée ». il attribue le mou-
vement rétrograde et pour ainsi dire spontané des
troupes sur Torgau à l'obscurité et à l'absence, par suite
de blessures nombreuses, d'officiers tant de l'état-major
que des corps. A la question s'il est satisfait d'O'Donnell,
la réplique est caractéristique : « Je suis satisfait de tous,
mais réellement content d'aucun, car (1) en certaines
choses je suis difficile à contenter. » Dans la lettre qui
accompagne ces réponses, Daun reconnaît que toute l'ar-
mée s'en prend à Lascy de la défaite, mais il supplie
l'Impératrice de ne pas ouvrir sur ce point une enquête
qui ne pourrait qu'aigrir les esprits, « car le mal est fait
et sans remède, et il n'y a que mon malheur qui a occa-
sionné tous ces maux... Dieu l'a voulu ainsi, sans cela il
eut été impossible que cela se fût terminé si malheureu-
sement ».
(1) Ces mots sont en français dans la lettre de Daun.
Ir,
RESPONSABILITÉ DE F.ASCY.
nr
Il est difficile d'absoudre Lascy d'une lourde respon-
sabilité dans la perte de la bataille. Son corps, qui était
foit pour le moins de 15.000 bonimcs, ne prit qu'une
fail)le part à l'action; sa cavalerie se borna à des dé-
monstrations et son infanterie se contenta de monter la
yarde sur les approches de Torgau et sur la ligne de
retraite qu'à partir de 4 heures personne ne menaçait
plus. Zieten put détacher de son corps une brigade,
puis deux et enfin de compte affectoi' toute son infanterie
à l'attaque du plateau de Siiptitz, sans que Lascy s'en
émût et sans qu'il songeât à s'opposer à cette entreprise
ou à renforcer le point attaqué. Cependant, il était eu
contact avec l'armée de Daun, il i-eçut nn^me de vive
voix les recommandations du généralissime à un moment
où il était encore possible de ravir la victoire. Si! eût
mis autant de célérité à envoyer ou à conduire ses ba-
taillons au secours des défenseurs du sommet de Siiplitz
que Zieten en déploya, à la fin de la journée, pour ap-
puyer la brigade de Soldern, la bataille eût eu peut-
être une issue tout autre. Si, de Lascy, nous passons aux
généraux en chef, nous sommes d'accord avec les cri-
tiques les plus éminents pour qualifiei' la division de;
l'armée prussienne en deux corps séparés de conception
risquée et pouvant entraîner des suites fâcheuses. Si
Frédéric l'adopta, c'est que, connaissant son tadver-
saire, il était convaincu qu'il pourrait accomplir son
mouvement tournant sans être troublé et en recueillir
les avantages sans courir gi-and danger. Sur le terrain
même, le roi de Prusse commit la faute capitale d'en-
gager le combat sans le scutien de l'artillerie, sans
l'appui de réserves et en l'absence de la cavalerie dont
l'intervention opportune avait presque toujoui's été la
cause déterminante de ses victoii'es. Il dut le succès
au hasard de la fortune, à l'initiative de ses officiei's et
sui'tout à la ténacité et à l'endurance de ses soldats.
iH
148
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. III.
!
m\
/i ••'
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Quant à Daun qui montra du coup d'œil et de l'énergie
pendant l'action, il est étrange qu'il n'ait pas pris, pour
les hauteurs de Siiptitz, les précautions dont iJ avait été
si prodigue pendant la campagne. Poui*([uoi n'eut-il
pas recours aux retranchements, auv fortilications de
campagne qui eussent facilité la défense et procuré à
ses troupes un abri partiel contre le feu de l'artil-
lerie ennemie? Comment put-il négliger la léparation,
dans la forêt de Dommitsch, des abatis qui, dans leur
état imparfait, retardèrent cependant la marche des
colonnes prussiennes et notamment de la cavalerie de
Holstein?
Malgré les excuses invoquées, il est difficile de ne pas
imputer aux généraux O'Donnell, de Sincère et autres, qui
commandaient les troupes de SUptitz, l'abandon graduel
des hauteurs et de la redoute qui en marquait le point
culminant. A part I-ascy qui, dans la circonstance, ne dé-
passa pas le niveau de la médiocrité ambiante, ils n'a-
vaient guère de titres à la capacité; braves soldats, ils
bornaient leur rôle à conduire leurs hommes au feu et
à exécuter la consigne avec plus ou moins d'intelligence
et sans une parcelle d'initiative. En cette matière quelle
différence entre les deux services ! Les uns, Uiilsen, Lestwitz,
SoldernetmôineZietcn, malgré ses hésitations, gagnent la
bataille que leur chef avait perdue; les autres, O'Don-
nell, Lascy, laissent échapper la victoire que leur géné-
ral avait aux trois quarts remportée.
Ce fut seulement le 5 novembre que l'avant-garde prus-
sienne passa l'Elbe à la poursuite de l'armée de Daun;
celle-ci, ainsi que le corps détaché de Lascy, put se re-
tirer sur Dresde sans être inquiétée ; dès le 8 novembre,
les Autrichiens étaient rassemblés dans le camp de
l*lauen; malgré leurs pertes, ils avaient recouvré la supé-
riorité numérique sur le Roi. Déjà, le jour de Torgau,Daun
avait été rallié par la division Bock qui ne participa point
ÉLOOK DE DAUN.
149
à
A l'affaire; sous Dresde, il fut rejoint par Macguire avec le
contingent presque entier des Autrichiens attachés à l'ar-
mée de Deux-Ponts, soit environ 9.500 hommes. Ces ap-
points considéraijlos et l'arrivée de ({uelques renforts
moins importants comblèrent en grande mesure les vides
causés par la bataille du 3 et portèrent de nouveau l'ef-
fectif à plus de 45.000 combattants.
Au contraire, l'armée royale s'affaiblit de V.OOO hommes
par le départ du prince de Wurtemberg qui dut reprendre
contre les Suédois sa campagne interrompue. Le i5 no-
vembre, les forces rivales se cantonnèrent, les Autrichiens
entre Dresde et Dippoldiswalda, les Prussiens entre Mois-
sen, Wilsdruf et Nosten. Rien ne troubla la lassitude géné-
rale jusqu'au 18, date à laquelle Hiilsen vint ti\ter les avant-
postes de l'armée des Cercles. Deux-Ponts, sous prétexte
de maladie, était allé aux eaux et avait cédé le commande-
ment à Hadick. Ce dernier leva son camp de Chemnitz et
prit le chemin de llof où il parvint le 24. Dans les derniers
jours du mois, les Prussiens se retirèrent dans les environs
de Neissen et au delà de la Triebsche, ne laissant à Wilsdruf
qu'une faible arrière-garde.
Pendant la retraite, Daun, malgré sa blessure, avait con-
servé la direction effective de ses troupes; Montazet, qui
s'était montré quelquefois très sévère dans ses apprécia-
tions, fait l'éloge du maréchal (1) : « Ce que je vois ici
depuis cinq jours me prouve de plus en plus que le plus
grand malheur qui puisse arriver à une armée est de per-
dre son général. M. le maréchal Daun a beau être plus
occupé de l'armée que de la blessure considérable qu'il a
reçue et delà goutte qui s'y est jointe, il ne saurait qu'or-
donner et ::^'en rapporter à ce qu'on lui mande, et quand
on lui dit qu'on ne peut faire autrement que ce qu'on fait,
il faut pourtant bien qu'il en passe par là, malgré la peine
i ;
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(1) Monlazel à Choiseul, Dresde, 9 novembre 1760. Affaires Étrangi-res.
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LA GlERRH DK SEPT ANS.
CHAP. III.
r.
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tiuecela lui cause. Je dois vous dire, Monsieur, que malpré
ce qu'on peut dire, tout ceci fait un honneur inlini h M. le
maréchal !)aun, surtoutla façon dont il s'est conduit lo jour
de la bataille. Pour moi, j'avoue que sa valeur, sa fermotc,
son hoimôtcté, son désintéressement pour sa personne et
son amour pour le bien de sa souveraine font une impres-
sion s«U' mon cœur et sur mon esprit <[uine s'effacera de ma
\ie . Il me disait encore hier au soir qu'il est absolument
nécessaire qu'on envoie ici un chef ([ui ait de l'autorité et
qui dise : « Je veux », sans quoi il ne répondiait pas que
nous ne pussions hiverner en Bohème. »
Pour l'abandon de la Saxe, les arguments, en eifet, ne fai-
saientpas défaut : « Onne nousparle (1) quedes pertes énor-
mes qu'on a faites l'année dernière dans le camp de Plauen
et de l'inhumanité qu'il y aurait il recommencer; on trouve
la ville mauvaise; en un mot, il y a ici un mauvais esprit
et un mauvais ton. Le général O'Donnell y fait ce qu'il
peut et je suis édifié de ses propos et de sa conduite, mais
c'est un début embarrassant pour quelqu'un qui n'a ja-
mais commandé. On attend avec impatience la décision
de la Cour sur le commandement de l'armée. Toat ce que
je crains est que le Hoi ne fasse à la fois plusieurs dé-
monstrations de projets, d'attaques, et qu'il n'embrouille
nos têtes par ce moyen-là. »
Il n'y a pas de doute que le démoralisation des esprits
dans le milieu militaire lit envisager comme probable l'é-
vacuation de Dresde; Frédéric l'espéra sans oser y croire :
(( Pour ce qui regarde la v'.:e de Dresde, écrit-il à Finc-
kenstein (2), il y a actuellement beaucoup d'apparence
que nous la gagnerons; malgré tout cela, il y a tant de
difficultés à surmonter A cet égard que je ne saurais vous
dire rien de positif là-dessus, ni de vous en donner des
(1) Monlazel à Choiseul, Dresde, 15 novembre 17G0. AlTaiies Étrangères.
(:>.} Frédéric àFinckenstein, Meisscn, 12 novembre 1760. Corr. Polit., XX,
p. 77.
tiil.
CHOIX DU SUCCESSEUR DK DAIN. 151
assurances certaines, avant que l'ennemi n'en soit
sorli. ')
(îrâce à la fortitude de Marie-Thérèse et de son chance-
lier, les instructions du gouvernement furent nettement
contraires à l'aliandon de la capitale de la Saxe et des •
(juelques cantons encore au pouvoir des Autrichiens. A
l'effet de répondre à la question du retoui- eu noliéine,
posée par les généraux, la conférence se réunit le IV no-
vendjre (1) : étaient présents, rKmpeieur, l'iefeld, Collo-
redo, Khevenhuller, Neiperg, Kaunitz et Wallendierg. On
leur communiqua une lettre de Lascy à l'Empeieur en
date du 10 et un rapport de Laudon daté du 11; lecture
faite de ces documents, Kaunitz, de vive voix, proposa
de se prononcer sur les deux points suivants :
« 1" L'ordre à donnei- à l'armée comportei'ait-il la dé-
fense de Dresde et de ses environs, même au risque d'une
bataille ou autoriserait-il le retour en Bohème?
2° Par qui Daun seiait-il remplacé dans le commande-
mont en chef.' »
C'est l'Empereur lui-même qui, dans son fi-ançais
bizarre, note la réponse faite aux deux questions : « On
•approuve que l'on soutienne, coûte que coûte. la position
présente et la Saxe et Dresden , ainsi ([ue l'on écrive en
conformité auxdits généraux que c'est un ordre positif. Au
second, attendre les nouvelles du maréchal Daun, savoir
à prendre le parti pour le commandement. » En réalité, la
désignation de Lascy comme général en chef à titre provi-
soii'e avaitété faite le8 novembre (^2 quel([ues heures api-ès
l'avis de la perte de la bataille et de la blessuie de Daun.
Ouelque justifiée quelle pût paraltie par les ^ci'vices an-
térieurs et les commandements indépendants exer-cés, cette
nomination ne laissa pas de soulever de grosses objections
(1) Notes de l'Empereur sur la conférence. \ortragi\ 1760. Archives de
Vienne.
(2) Arnelh, VI, p. 18I.
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153
LA GUKURE DE SEPT ANS. - CliAl». III.
doni l'int«^i'ossô ùtait le piemiei" ii rocoiinallre la force.
Dans une lettre à rimpératrlce en date du 10 novembre (1),
Daun se déclara contraire au choix <le Kascy; cet offi-
ci(îi' ('tait moins ancien (jue O'Donnell, Sincèio, Mac-
giiire, NVicd et Lowenstein, tous présents iV l'armée; son
élévation au grade suprême entraînerait leur démission
et lui ferait sup[)oiter tout le poids de la charge sans le
concours d'ofiiciers expérimentés. O'iJonnell, le plus
vieux des généraux sci-vant en Saxe, s'entendrait à mer-
veille avec Lascy, d'origine irlandaise comme lui; il en se-
rait de môme de Macguire et pou»' le môme motif. Du
reste, dans la situation actuelle, il était diflicile de prendre
d'autre parti que celui de se maintenir à Plauen et à Dip-
poldiswalda. « Le plus grand mal est que tous ces mes-
sieurs, Lascy aucunement excepté, voient fort noir. » Il est
probable (jue ce dernier, qui avait été le chef d'état-major
de Daun et qui était en excellents termes avec le généralis-
sime, dut le consulter sur l'oUVc qui lui était faite ; fût-ce le
conseil de son supérieur ou la crainte de voir sa promo-
tion occasionner la retraite de ses camarades, comme le
dit Kaunitz (2), tojj iurs est-il que Lascy refusa la propo-
sition de la coui", quoiqu'elle lui eût été renouvelée deux
fois. O'Donnell, qui remplissait les fonctions de géné-
ral en chef depuis Torgau, fut très fioissé de la préfé-
rence que son gouvernement avait marquée pour un col-
lègue plus jeune, mais une lettre que l'Impératrice lui
écrivit, à la suggestion de Daun, rétablit sa bonne humeur
et il continua à commander- avec la coopération de Lascy et
sous la surveillance de Daun, jusqu'au départ de celui-
ci pour Vienne, à la lin de novembre. .\ cette date, les hos-
tilités étaient terminées pour la saison et les deux armées
avaient repris à peu do chose près leurs cantonuements de
l'hiver précédent.
(1) Lettre déjà citt'e, Arneth. VI, Anmerhuniicn, p. 457.
(2) Kaunitz à Slailiemberg, 21 novembre l'tiU. Archives de t^MOine.
TENTATIVK DE LAUDON CONTRE KOSia,
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de
Pour achever le ri'cit de la rnmpagiu' de 17(50 entre
les l'rusMens et les Autricliieiis, il nous reste à parler des
opérations de Silésie pendant 1 autonine; elles furent pi'U
importantes. Lors(|u'il s'était décidé à suivre le Uoi dans
sa course sur Berlin, Daun avait laissé dans la province
VO.OOC lioiimes sous le commandement de Fjiudon avec
mission de s'emparer d'une des places fortes. Les cir-
constances semblaient propices, car les forces prus-
siennes ne se composaient que des f,-arnisons et de
quelques détachements à faibles elfectifs. Sur l'avis que
le gouverneur Tauentzien avait reçu un renfort de quel-
ques bataillons, le général autrichien (|ui ne pouvait
pas compter sur le concours des Russes, de plus en
plus éloignés de la Silésie, renonça à une entreprise
contre Hreslau et se pronon(;a pour le siège de la for-
teresse secondaire de Kosel. A cet effet, il chargea son
lieutenant Wolfersdorf de surveiller Schweidnitz avec
5.000 à 0,000 hommes, posta Ja cavalerie de Nauendorf
à Liegnitz pour garnir le cours de la Katzbach , déboucha
de llohenfriedberg, le 13 octobre, avec le gros de ses
troupes et parut, le 21, sous les murs de Kosel où il fut
rejoint par le général Bethleni venu de la Haute-Silésic.
lue reconnaissance eifectuée par le Fran(;ais Gribeauval,
que la cour de Versailles avait mis à la disposition de son
allié pour diriger les travaux d'approche, démontra que
l'ail'aire était beaucoup plus ardue qu'on l'avait d'abord
pensé, l'inondation qui couvrait les environs de la ville
devant retarder l'ouverture des tranchées et restreindre
le front d'atta(|ue. Cependant, en attendant la grosse
artillerie, Laudon eut des velléités de brusquer l'entre-
prise; il employa quelques jours à parfaiie l'investis-
sement, a essayer l'escalade de la tête du pont sur la
rive gauche et à bombarder la ville. L'insuccès de ces
tentatives prouva que, pour réduire Kosel, il faudrait
avoir recours à une opération régulière, pour laquelle
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154
LA r.UERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. III.
le temps man([aerait. Comme motifs de raljandon (1), le
général invoqua le mauvais état des routes et la pluie persis-
tante qui rendaient impossibles les transports de l'artil-
lerie et la construction des batteries. Le général liarscli,
qui parait avoir eu la spécialité des sièges malheureux et
que la cour avait envoyé sur les lieux, fut d'accord avec
Gribeauval en évaluant à 5 ou 6 jours le délai nécessaire
pour mettre les canons en position ou pour les retirer en
cas d'interruption. Or, on venait d'apprendre que le gé-
néral (ioltz, détaché par le roi de Prusse, était arrivé le
25 octobre à Glogau où H n'était qu'à 7 ou 8 journées de
marche de Kosel. Ce fut en effet la crainte de l'intervention
de (loltz qui lit renoncer à la conquête de Kosel. D'après
Montrozard (2) attaché à l'armée de Laudon, on attribuait
au Prussien une force de 28 bataillons et 50 escadrons,
sans compter les renforts qu'il pourrait tirer des garni-
sons do Breslau, de Schweidnitz et de Neiss, alors que
Farmée autrichienne devant Kosel n'était composée que
de 32 bataillons de ligne ou do Croates et de Vi esca-
drons y compris les hussards et que ces unités ne repré-
sentaient qu'un faible etlectif par suite des pertes essuyées
à Landshut et à Liegnitz. En réalité, Goltz, parti de Lub-
ben avec 12.000 hommes, même après les prélèvements
qu'il elfectua sur les garnisons de Breslau et Schweid-
nitz, n'en eut jamais plus de 17.000, dont un tiers de
qualité médiocre, tandis que Laudon, en appelant à lui
une partie de ses détachements, aurait pu lui opposer au
moins 25.000 combattants.
Quoi qu'il en fût, Laudon rejeta sur Ilarsch et Gribeau-
val la responsabilité de la non-réussite. Le 29 octobre,
il leva le blocus après avoir incendié les magasins de
(1) Laudon à uauailz, Krzoïiowil./, 26 octobre 17ôO. Lctlrc citée par Jaiiko,
l.audons Lebeii, p. 214.
(2) Montrozard à Choiscul, Klein Nirnbsdorf, 27 octobre 17G0. Affaires
Étrangères.
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TRftVE ENTRE LAUDON ET GOLTl.
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fourraf^o de rennemi et marcha sur Ober Glogaii où il
parvint le 30; le 3 noveuil)re, son quartier général fut
transférée Kunzensdorf, près de Nei.stadt; de là, il détaciia
Carapitelli pour renforcer Wolfersdorf, resté aux environs
de Sclnveidnit.?.
Aiu'ii que nous venons de le voir, (ioltz, rassuré parle
départ définitif des Russes, s'était porté au secours de
Kosel; on route il eut connaissance du mouvement de Lau-
dou et ga^na Breslau où il séjourna jusqu'au 1 2 novembre.
A cette date, encouragé sans doute par la victoire de Tor-
gau, il reprit l'odensive et força Wolfersdorf à battre en
retraite vers la frontière de Bohème, abandonnant aux
Plussions LandshutetHirschberg. Campitelli, qui occupait
cette dernière localité, se retira sur Lowenberg etZittau.
Laudon,, sur l'appel de ses lieutenants, (juitta le 10 no-
vembre son camp de Kunzensdorf, franchit la Neisse et
se posta p?'ès de Keichenstein et Wartha où il était à môme
de défendre les abords du comté de Glatz. Les deux adver-
saires étaient encore dans ces positions quand ils convin-
rent d'uue trêve qui resterait en vigueur jusqu'à un délai de
quatre jours après dénonciation. Los troupes de Laudon pri-
rent leurs quartiers d'hiver dans le comté de Glatz, celles de
Wolfersdorf dans le cercle de Koniggriltz en Bohême ; Goltz
resta maître de la Silésie montagneuse, y compris les petites
villes do ilirschberg, Frciburg, Landshut et Krankenstein
dont les armées rivales s'étaient disputé la possession
pendant toute l'année. Les résultats iosignitiants de cette
fin de campagne où les Autrichiens se montrèrent aussi
peu entreprenants que possible, doivent être attribués
aux instructions timorées que la défaite do Torgau avait
iîispiréesà la cour de Vienne, à la nécessité de remplacer
en Lusace les troupes qui avaient renforcé Dauri., oiifm
à la maladie (1) de Laudon.
(1) Moiilrozard à Clioiseul, Warllia, 23 novembre 1760. Affaires Étran-
sères.
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II
156
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. III.
En fin de compte, de leurs conquêtes des premiers mois,
les Autrichiens ne gardèrent que la forteresse de Glatz
et le territoire avoisinant. C'était une maigre compensa-
tion pour tant de vies sacrifiées, pour tant d'argent dé-
pensé. Encore une fois, Frédéric avait été sauvé par les
fautes de ses adversaires dont il avait su tirer le plus large
profit.
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II
I) i)
CHAPITRE IV
CAMPAGNE DE BROGLIE, 1760. — CORBACH
ET WARBURG
RAPPORTS DE BELLEISLE ET BROGLIE. CONQUÊTE DE LA
HESSE. — SUCCÈS DE CORBACH. — RENVOI DE SAINT-GER-
MAIN. — DÉFAITE DE WARBURG. — PRISE DE CASSEL.
Les hostilités s'étaient terminées en Hesse, vers le mi-
lieu de janvier 1760, par un retour offensif du maréchal
de Broglie dont le principal résultat fut de mettre fin
à l'éternelle reculade de ses prédécesseurs d'Estrées et
Contades et de dégager la place de Giessen. La retraite
de Vogué à la suite de l'échec de Dillenburg et surtout
les intempéries de lasaison avaient mis fin aux opérations;
les Français regagnèrent leurs quartiers d'hiver sur le
Mein, la Lahn et e Rhin; l'armée du prince Ferdinand
reprit ses garnisons habituelles en Westphalie, en Hesse et
dans s pays adjacents, et malgré les pourparlers paci-
fiques ) gagés à la Haye, chacun des belligérants s'em-
ploya a\ c ardeur aux travaux de réparation et de recru-
tement pour la campagne prochaine.
Par dépêche du 12 février, Relloisle qui, malgré son
grand Age, était resté à la tête du département de la
guerre, avait annoncé à Broglie son maintien comme
commandant en chef de toutes les armées du Roi en
Allemagne. Entre le ministre et son subordonné, il n'y
avait aucune sympathie ; la correspondance ([uc le premier,
conformément aux habitudes de l'époque, entretenait
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158
L\ GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP, IV,
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avec les principaux divisionnaires de l'armée, laisse percer
à chaque instant sa pensée intime ; tout en rendant justice
aux qualités militaires de Broglie, en s'efforçant de le
seconder de son mieux, il ne peut s'empêcher de se
méfier des intentions, de criti<[ut!r les actes d'un homme
dont la mentalité lui est antipathique et dont la famille
et l'entourage lui sont suspects. Ces sentiments malveil-
lants, Broglie les rend avec usure; il se sait peu en faveur
auprès du Roi et de M'"" de Pompadour, il est convaincu
que Belleisle le dessert en haut lieu, il lui on veut de
désigner, pour certains emplois qu'il eût volontiers con-
fiés à ses amis, des généraux qu'il considère à tort
ou à raison comme hostiles à sa personne. Aussi est-il
constamment en défiance et n'accueille-t-il les avances
de Belleisle qu'avec toutes sortes de réserves. A l'avis de
sa nomination au commandement en chef, il répond (1) :
<( Je ne puis donner au Roi une preuve plus assurée de
mon aveugle soumission que de m'en charger dans les cir-
constances critiques où sont les affaires et où je me trouve. »
Il ne dissimule pas le mécontentement que lui causent les
changements apportés au projet d'opérations qu'il avait
élahoré et surtout les choix des lieutenants-généraux
pour l'année en cours. Il en désapprouve quelques-
uns, mais il n'en dira rien « parce que je vois par la
façon absolue dont vous vous expliquez dans votre lettre,
que vous n'y auriez pas égard et que cela n'aboutirait
qu'à me faire inutilement des ennemis, parce qu'on aurait
grande attention que ceux que je proposerai d'exclure
en fussciit informés ». La crainte était probablement
fondée, car Belleisle c?,vait la réputation d'être fort indis-
cret, mais le langage qui traduisait ces inquiétudes
n'était pas de nature à améliorer des rapports déjà tendus,
('/est sur le môme ton que Broglie reçoit (2) les com-
(l) Broglie à Belleisle, Francfort, 22 février 1760. Archives de la Guerre.
{'!) Brojilie-d Bellei ,1e, Francfort, ').! février 1700. Archives de la Guerre.
PLAIMES DE HROGLIE SUR LE MANQUE DE FONDS
169
pliments que lui adresse le ministre de la .«uerre : « Tout
ce que vous me dites de flatteur, M. le Maréchal , sur
l'honneur qui doit me revenir de la campagne prochaine,
ne m'éJjlouit pas. Je sais que pour avoir des succès, il
faut que les troupes que l'on conduit soient disciplinées, et
que pour qu'on en puisse exiger la règle et la discipline,
il est indispensable que ce qui les compose ait le néces-
saire. »
Ce nécessaire, liroglie le réclame avec une énergie et
une ténacité qui lui font honneur. Il ne se contente pas
de promesses (1) : « Il est de fait, ohscrve-t-il dans un
mémoire, que sans argent on ne peut rétablir et faire sub-
sister une armée; il est également de fait qu'à la réserve
du prêt, on ne donne pas un sol à celle-ci. Les cent mille
écus que M. le maréchal de Belleisle me fait l'honneur de
me mander dans sa lettre du 27 avoir été envoyés pour
les dépenses extraordinaires du mois de décembre, et les
six cent mille livres pour celles de janvier ne l'ont point
été, et il n'est arrivé au Trésor que des lettres de change
payables la plupart à la fin de ce mois sur lesquelles
M. l'Intendant ne trouverait pas un écu d'avance : moyen-
nant cela, les hôpitaux sont prêts à périr, et malgré tous
les soins qu'on peut se donner, ils périront certainement
bientùt L'argent a manqué de même aux officiers en-
voyés par les régiments pour faire des recrues; moyennant
cela, ils n'ont pu travailler, et les régiments ne seront
pas complétés. La viande man((uera pour l'armée, le
boucher (|ui la fournit n'étant pas payé et étant obligé
de demeurer enfermé de peur d'être arrêté pour les dettes
qu'il a contractées de tous les côtés. Enfin, faute d'avoir
fait d'avance des magasins de fourrage et encore plus
d'avoir envoyé de l'argent, il est presque certain que
l'armée ne pourra être fournie jusqu'au moment où la
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(1) liroglie à IJelleisle, Mémoire joinl à l;i lollrc du i février ITGO.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. - CHAP, IV.
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terre produira. Ce ne sont point des craintes imaginaires;
elles sont aussi positives que 1 envoi d'un million pour l'a-
chat des fourrages l'a été peu : M. l'intendant n'a pas même
connaissance du temps où l'on peut compter qu'il arrivera. »
Dans une dépêche du 22 février (1), Broglie revient à la
charge : « Quand le Roi aurait un Turenne à mettre à la
tôte de ses troupes, il lui serait aussi impossible de faire
une campagne honorable et heureuse avec des moyens
aussi courts, qu'à un aigle de voler lorsqu'on lui aurait
coupé les ailes. » Les réparations n'avancent pas, les ap-
pointements ne sont pas payés : « Vous parviendrez plutôt
que moi, Monsieur le Maréchal, à persuader aux officiers
généraux et de l'état-major qu'ils peuvent servir, étant
payés en papier. Je n'ai point vu les temps malheureux de
1709 etde 1710, aussi quandilsviendront, comme plusieurs
l'ont fait déjà, me demander de leur faire payer leurs
appointements de novembre et de décembre, je leur dirai
de s'adresser en droiture à vous. »
La pénurie d'argent s'étendait au service des hôpitaux
dont « les infirmiers meurent de faim ». La compagnie
chargée de l'entretien, qui comptait parmi ses actionnaires
des puissants du jour, était fort bien en cour; Belleisle,
sans doute sous l'impression des démarches faites auprès
de lui, s'efforce de la défendre. Aussitôt Broglie de ripos-
ter : « Je ne sais qui a pu vous rendre compte que ja-
mais les malades n'ont été mieux traités que depuis
qu'elle en était chargée. Le fait est absolument faux, puis-
qu'il n'y a pas un seul hôpital où cet hiver le service n'a
pensé manquer dix fois..., je sais combien cette compa-
gnie est protégée, mais je sais encore mieux que je serais
coupable si je ne faisais pas ce qui dépend de moi pour
vous éclairer sur son compte. »
Si les extraits de la correspondance officielle de Bro-
(1) Broglie à Belleisle, Francfort, Tl février I7G0. Archives de la Guerre.
SAINT-GKRMAIN COMMANDANT DE L'AILK GALC'"-.
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glie, que nous venons de reproduire, font souvent mau-
vaise impression au point de vue du tact, de l'amabilité
et de la bonne bumeur de l'écrivain, il faut rendre Justice
au souci constant déployé pour les besoins du soldat et
pour l'efficacité de l'armée. D'autre part le désir trop
manifeste de dégager sa responsabilité et de se prémunir
contre les critiques qu'il prévoit, quelque naturel qu'il
puisse être, ne contribue pas à grandir le rôle, ni à rc-
bausser la réputation du général. Persuadé qu'en cas
d'échec de l'un de ses subordonnés, on s'en prendra à
lui, il est prêt à sacrifier l'initiative qui appartient au
chef pour s'abriter derrière les ordres qu'il sollicite. Son
attitude à propos de la composition du corps qui devait
constituer l'ai.'e droite de l'armée est caractéristique;
peut-être se ressentait-elle de la désignation, sans qu'il
eût été consulté, de Saint-Germain pour le commandement
de la réserve de gauche : « Puisque vous avez cru, iMon-
sieur le Maréchal, écrit-il (1), qu'il était utile et avanta-
geux pour le service du Hoi que le choix des officiers géné-
raux de cette réserve fût fait sans ma participation et ne
pût en aucun cas être changé par moi, pour entrer dans
vos vues, je vous prie d'en user de môme pour les troupes,
et de nommer les régiments ainsi que les brigadiers qui
devront la composer ; tout en ira certainement mieux, puis-
qu'ils conviendront à ceux qui ont inilué sur la nomination
des officiers généraux et que tout y sera d'accord ; je vous
prie aussi d'en régler vous-même la force ainsi que l'artil-
lerie qui devra y être attachée;... cela préviendra qu'on
ne puisse dire que j'y ai mis trop ou trop peu de trou-
pes. Comme il est nécessaire qu'il y ait un corps dëttiché
i\ la droite, je vous prie de même de vouloir bien eu nom-
mer le commandant, ainsi que les officiers généraux et de
l'état-major, et les troupes qui devront la composer. »
(1) Broglie i\ Belleisle, Francfort, 15 avril 1760.-Arcliivcs de la Guerre. '
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LA GUERRE DE SEPT ANS. - CJIAP. IV.
Bi'ogiie s'oU'usquc avec raison du peu de latitude ({u'oii
lui laisse pour les officiers de rétat-major : k Bcllcisle
([ui trouvait ce personnel exagéré etqui voulait le réduire,
il rappelle (1) la promesse faite par le Ministre devant le
lloi dans le cabinet de M""" de Pompadour, « que j'aurai
les aides que. je demanderai et le Uoi a bien voulu me le
confirmer » ; sans cela, il n'eût pas accepté le comman-
dement en clijpf.
Le choix de Dumesnil, que de hautes influences avaient
désigné pour être employé à l'armée et auquel son an-
cienneté assurerait la direction suprême en cas d'indispo-
nibilité du maréchal, fut l'objet d'un conflitsérieux. Le gé-
néral en chef s'en ouvrit à sou oncle l'abbé de Broglie c[ui
lui servait de confident, de correspondant et surtout d'a-
vocat à. Paris et à Versailles. Les lettres de l'abbé, dont
nous devons la communication à l'amabilité du duc de
IJroglie, descendant du maréchal, fournissent des détails
piquants sur les intrigues de la cour, sur les démarches
auprès des personnages en vue, enfin sur les usages
de l'époque. Le maréchal avait écrit (2) de Francfort :
« J'apprends, mon cher oncle, presque à n'en pouvoir
douter, que M. Dumesnil est le premier lieutenant-géné-
ral de cette arnée. On pourrait bien s'écrier : ô temps,
ô mœurs! Je ne croyais pas qu'on pût oser faire une sem-
blable chose, et choisir un homme aussi décrié et aussi
incapable. J'en ai déjà écrit une fois à M. le Dauphin,
ainsi l'acquit de nia conscience est fait; et quand l'armée
périrait entre ses mains, ce qui arriverait sûrement si
elle y tombe, je n'aurai rien à me reprocher. Toutes les
nominations des officiers généraux sont faites pour les
réserves, ainsi que des états-majors qu'on y place, sans
m'en avoir dit un mot, tant mieux. Si j'avais fait un pa-
(1) Broglie à Belleisie, Francfort, 7 mars 1760. Archives de la Guerre.
{'>) Maréchal de Broglie à l'abbé, Francfort, 8 avril 17G0. Papiers de
famille du duc de Broglie.
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DÉMARCHES DK LkWWÈ DE HROGLIE.
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reil choix, on aurait dit que je voulais mettre M. do Saint-
(iernuiin liors d'état de rien faire en lui donnant un pa-
reil ramassis. »
Le Dumesnil en question jouissait d'une déplorable ré-
putation : grand ami de Uichelieu, il avait servi sous ses
ordres à Minorque et en Allemagne où il s'était distingué
par sa rapacité et ses débauches, plutôt que par sa capa-
cité militaire; on l'accusait mémo de manquer de cou-
rage. Dans l'impossibilité d'éviter sa présence à l'armée,
Hroglie était bien décidé à le reléguer à Francfort à la
besogne de l'arrière. L'abbé se mit en campagne (1); il
commença ses visites par Paris Duverney, l'un des protec-
teurs de Dumesnil, il n'en put rien obtenir. De là, il alla
dlncr chez Montmartel, frère de Paris; il s'y trouva nez à
nez avec Dumesnil que cette rencontre gêna singulière-
ment : « Comme Montmartel prend du lait et ne se met
pas à table, il rentra dans le salon où était Dumesnil et
moi je montai en haut et me mis à table. Il était trois
iieures; Dumesnil avait renvoyé son carrosse et n'osa ja-
mais monter en haut pour se mettre à table ; ma présence
lui imposa un jeune auquel il ne s'attendait pas. Je souhaite
qu'il soit utile pour sa conversion. »
Le leidemain, l'abbé se rend à Versailles. Il débute
par M. de Saint-Florentin. « De chez lui, j'ai été chez
M. de Choiseul, qui m'a fait entrer quoiqu'il fût dans son
lit, fort vilain, fort enrhumé, le visage fort boutonné,
mais très alfectueux à mon égard ; et m'ayant embrassé
(chose dont je me serais fort bien passé) : « Eh bien, l'abbé,
vous voilà donc de retour à Versailles? — Je n'y serai
pas longtemps, ce pays ne me plaît guère. » On cause
d'abord du comte de Brogiie, puis on aborde le sujet
brûlant : « Comment êtes- vous donc avec Dumesnil? —
Comme avec un fripon, que j'ai comblé de mes bontés.
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(1) L'abbé de Brogiie au Maréchal, Paris, 4 mai 17G0. P.ipiers de famille.
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LA nUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
que j'ai tiré de la misère, et que je n'ai pas vu depuis
l'exil (lu inarrchal de llro^lie, mou fivre... — Dumes-
uil dit que vous ne l'aimez pas. — Il a raison, je ne
l'aime ni l'estime, et je tiens au-dessous de moi de
parler d'un pareil homme. — Il sera pourtant le premier
lioutenant-m'ucral du maréchal de Hroglie, et je ne con-
seille pas, nia vous, ni au maréchal de vous y opposer ; et si
c'est pour cela que vous venez à Versailles, vous pouvez
vous en retourner. — Je ne suis point étonné qu'un mal-
honnête homme trouve des protecteurs; et je crois que
le maréchal de Itroglic doit représenter fortement l'in-
décence et le risque d'nn pareil choi.v. — C'est un piège
<[u'on tend à votre ■ eu; et si vous êtes assez sots tous
deux pour y donner, vous aurez sujet de vous en repentir :
nous avons parlé de cette matière, le comte de Broglie et
moi; je pense, sur le chapitre de Dumesnil, comme toute
votre famille ; mais je lui ai conseillé d'enrayer, et il m'a
promis de le faire. Jamais Dumesnil ne consentira à res-
ter sur les derrières à Francfort; il faut qu'il soit employé
dans l'ordre de hataille, soit au centre, soit à la cavale-
rie de la droite. Il ne s'agit que d'inscrire son nom sur
cet état, et un jour de hataille de le mettre au centre ou à
droite, à l'endroit le moins exposé... Comptez que Dumesnil
sera souple comme un gant devant le maréchal. Pourquoi
le iMaréchal ne sait-il pas se plier à la nécessité? — Mon-
sieur le Duc, vous qui maniez les affaires étrangères, êtes
souvent obligé de vous servir de fripons, d'espions et de
poltrons ; mais un général d'armée doit hannir cette ver-
mine autant qu'il est en lui, et ne pas se laisser soupçonner
de les protéger. — On ne soupçonnera jamais le Maréchal
de Broglie d'avnir fait un choix si honteux. La façon de
penser sur Dumesnil est trop publique, et la honte retom-
bera sur ceux qui l'ont choisi. — Oui, Monsieur le Duc;
mais la perte de l'armée peut résulter d'un choix aussi
indigne. »
L'INCIDKNT ;tUMKSNlL.
1G5
L'abbé de lUoglio rend cnsiiito visite i» Helloislo. Le
vieux maréchiil ccoulo sa plaidoirie avec beaucoup de
patience et réplique : « Je sais l)ien tout cela, mais je
n'aipulempôcber... M. le Dauphin y a consenti; Dumesnil
a beaucoup de pi'ofections à la cour; M. de Clioiscud est
de ses amis. Comment voulez-vous que je fasse? " l/abbé
ne put en tirer rien d'autre, sinon le conseil pour son neveu
de ne pas soulever, iV propos du choix de Dumesnil, un
conilit ( ù il serait siln^ment le perdant. Une conversation
avec le Dauphin et la Dauphine au cours de laquelle
rab])é s'exprime avec sa franchise habituelle n'eut pas un
meilleur résultat. Malgré ce premier échec, l'habile né-
gociateur ne se tint pas pour battu; il revoit le Dauphin,
obtient de lui (ju'il communiquera au lloi une lettre où
le maréchal exposera tout le danger de confier à un
général aussi incapable ([uc Dumesnil un poste im-
portant, et finit par arracher î\ Helleisle une convention
établissant les conditions dans lesquelles servirait l'offi-
cier incriminé. Cette pièce, fort curieuse, mérite d'être
citée (1) : k Que M. Dumesnil aurait le nom de premier
lieutenant-général de l'armée ; qu'il n'en ferait au-
cun exercice; que M. le maréchal de Droglie est autorisé,
comme il est de raison, à laisser M. Dumesnil à Francfort,
ou partout ailleurs qu'il le jugera à propos : aux condi-
tions que M. le maréchal de Broglie n'affichera point ce
(|u'il veut faire de M. Dumesnil, et qu'il évitera de faire
confidence à personne de ce qu'il veut faire de M. Dumes-
nil pendant tout le temps de la campagne, et que si Du-
mesnil veut se plaindre à M. le maréchal de Belleisle de
la façon dont il sera employé ou ne sera pas employé
pendant la campagne, M. le maréchal de Belleisle lui
répondra pour toute réponse que le Roi, ayant confié le
(1) Coriililions arrôlées entre M. le maréchal de Belleisle cl l'abbé de Bro-
glie. Papiers de famille.
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LA OrEIlHK l)K Si;PT ANS. CIIAP IV.
coininaïKlcniciit de ses annres au iiinréclinl de Rroji^lie, il
fist en droit d'oiiiploycr les oflici' rs généraux conimo il
le jugera A propos; et ((u«> M. le chevalier du Muy fera
véritablement les fonctions de preniiei' lieutenant-j^énéral
et sera le bras droit du maréchal de hroi^lie. » 1/épisode
Dumesnil jette un joui- éclatant sur la part laite A la fa-
veur et a rintrii;ue dans lu noiuinaliou ch's yénéraux, il-
lustre l'impuissance ou l'insouciance des ministres et
expii([ue en partie nos insuccès de la î^uerrc de Sept ans*
Uien de plus vivant que la coircspuiidance intime entre
l'oncle et le neveu, l/ahhé épouse (1 avec chaleur toutes
les querelles de la famille : « M. de llelleish* est trompé
par les plus grands fripons qui soient au monde, mais
li\. de helleisle 'st encore plus fripon qu'eux tous. M. de
Choiseul ne i-espccte rien; il est aussi fripon et malhonnête
homme, mais coumie il est de la dernière indiscrétion, il
n'est pas si dan,iiereux([ue l'autre. » Et cei)endaut, malgré
la sévérité de sesappréciations, l'abbé est dans les meilleurs
termes avec ces personnages. Il discute avec Helleisle, il
lui écrit des lettres où la critique est adroitement assai-
sonnée d'éloge : « Je connais les gens à qui j'ai affaire ,
mande-t-il à son neveu 2; je ne suis nullement leur dupe;
je sais les mener sans être raide; je sais employer le miel,
mais ce sera toujours un miel de douceur et non de faus-
seté. Cette espèce de miel ne m'empêche pas de dire
toutes vérités, .le sais me faire écouter et môme me faire
craindre... iMa conduite et mes lettres ont été approuvées
par votre mère, quoiqu'elle renifle encore plus fort que
vous quand je mande des douceurs à M. le maréchal de
Helleisle. A cela, je réponds : Est-il donc si malheureux
qu'il y ait un Broglie dans le monde qui puisse se faire
écouter et éviter la roideur d'une famille vertueuse et vé-
(1) Abbé de Broglie au duc. mai nr.O. Papiers de fatniiic.
(2) Abbc de Hroglie au duc, 5 juinl7('>0. Papiers de faiiiille.
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niprriiK wv.v lk nue di: nvi miiMmiud.
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ridiquc. et copendiinf aller an bul [»ar des voies plus
douces quoupu? très véiidi([ue8. »
Un des griefs les i»liis sérieux du inaréclial avait trait
au parc (l'artillcie, <|u'il aurait voulu fort do :>()() canons,
au lieu de 150 qu'on lui promettait; « c'est aujourd'lini
lartillerio ([ui gagne les liatailles et les eiineniis eu ont
une pi'odigieuse ». IJelleisIe, tout en expliipiant (pu; la dé-
pense de chevaux (pi'entraiuerail l'attelage d'un matériel
aussi considérable, est un motif suflisunt pour s'en tenir
aux 150 pièces, cherche (1) à rassurer le maréchal : (( Je
crois que vous devez être satisfait des ellorts que le Uoi
a faits cette année, puisque vous aurez plus de 150. 000
hommes bien armés, bien é([uipés et en bon état de fous
points, leur subsistance en pain, vin, viande, hôpitaux
bien assurée ainsi ([ue le prêt et la solde, et je suis per-
suadé d'avance ([ue vous en forez le meilleur usage. » Il
faut croire que les assertions de Belleisie étaient jus-
tifiées, car elles ne donnèrent pas lieu à une de ces [)ro-
testations dont son correspondant était si coutumier.
Lhiver et le printemps de 17()0 ne furent signalés par
aucun mouvement militaire de quelque importance. Vers
la fin de mars, le prince Ferdinand envoya (2) un déta-
chement de 5 à G. 000 hommes, sous le général riilsa,dans
le pays de Fulde à l'effet d'y lever des contributions et
des recrues. Cette incursion, dont on ne pouvait prévoir
les suites, força Broglie à concentrer une partie de ses
forces, afin d'empêcher l'ennemi d'exécuter une pointe en
Franconie. Parmi les contingents cantonnés de ce côté, se
trouvaient les Wurtembcrgeois sous les ordres du gé-
néral Wolf; en l'absence du duc, Broglie lui dépêcha
comme renfort une brigade de cavalerie française et le pria
de se conformer aux instructions que lui donnerait le
général Solms, chef par intérim du corps saxon. Ce petit
(1) Bolleisle à Broglie, 10 mars 17G0. Archives de la Guerre.
(2) Ferdinand à Uoldernesse, l'aderborn, 1 7 el 2'< mars 1760. Ilecord Office.
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168
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAl». IV.
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incident mit le feu aux poudres; le duc de Wurtem-
berg protesta contre (1) la transmission d'ordres directe-
ment ^ « un corps séparé commandé par leur souverain »,
en réléra au roi de France, et, en attendant, défendit à son
monde de bouger. Peu de jours après, on sut que les
Wurtembergeois s'étaient retirés sur la rive gauche du
Mein sans même prévenir leurs alliés de leur retraite. Le
conflit se termina , du moins pour le moment, par leur
départ du théâtre de la guerre, « les prétentions (2) d'in-
dépendance de M. le duc de Wurtemberg paraissant in-
compatibles avec toute opération militaire ».
Dans les derniers jours de mai, la reprise des hostilités
semblait imminente. Broglie craint (3) d'être devancé pa:'
le prince Ferdinand at. conformément à sa tactique habi-
tuelle, cherche il dégager S6i responsabilité : Giessen, dont
les fortifications n'ont pas été compbMement réparées, est
i\ la merci de l'ennemi; l'armée française ne pourra se
rassembler sur le Nider avant le P'juin ni être à Butzbach
avant le 3; les chevaux destinés à traîner le parc sont en
retard, 1 0 escadrons de cavalerie ne sont pas encore arrivés
de France, les magasins de réserve sont à moitié vides; ce
n'est pas sa faute, il ne cesse de réclamer depuis six mois.
Si Giessen, qui ne peut résister plus de 7 à 8 jours, est
assiégé, devra-t-il livrer bataille pour secourir la place?
L'abhé de Broglie, mis au courant de la situation,
écrit (V) à son neveu qu'il sera couvert, quelque parti
qu'il prenne . « Vous allez recevoir la réponse du Boi et
de son conseil par votre courrier. Elle a été arrangée en
ma présence, par mon conseil et suivant mon désir et le
bien du service. Vous êtes le maître de donner ou de rece-
voir bataille , de sauver ou d'abandoxmer Giessen, comme
(1) Wurtcmitcrg àRrOiiUe, SUillt;art, 26 mars 1760. Archives d» la Giiorre.
(2) IJroglieà Choisciil, Francfort, 15 mai 17')0. Ardiives de la Guerre.
(3) Broglie à Clioiseul, Fraiicl'ort, 22 mai 1760. Arcliives de la Guerre.
(i) Abbé de Rroglic au due, Paris, 27 mai 1760. Papiers d j familli'.
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DISTIUBUTION DK L ARMEK FRANfAlSE.
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VOUS le jugerez ù propos. Je suis sûr que, soit en atta(|uant,
ou en défendant, vous vous tirerez bien d'allaire. Je vous
crois le plus grand guerrier qui soit au monde, le plus poli
et le plus adroit négociateur avec toutes les puissances
de l'Empire, le plus exact et le plus admirable dans toutes
vos dépêches, mais en même temps, aussi gauche et
aussi maladroit qu'un piètre normand pour vos afi'aircs
personnelles, dépendant, je vous le pardonne, mon
cher neveu, en faveur de votre candeur et de voire
vérité. » Choiseul, que l'abbé avait vu à Versailles, avait
insisté pour que carte blanche fût doniiiée au maréchal :
« On laisse votre neveu le maître d'agir; je suis de cet avis
totalement. Mais je veux <ju'il sauve (iisissen. Kcrivez-lui
sur ce ton, M. l'abbé. Il est de conséquence pour mes
affaires politiques de bien débuter et de donner le tort à
Icnnemi à l'ouverture de la campagne. >
Giessen ne fut pas attaqué, et Hioglic n'eut pas à d<^cidv'i*
s'il livrerait bataille pour conserver la place mais 1 état-
major eut une chaude alerte : « Les eiinenn.. zsonl portés,
mande le maréchal 1), ce matin à 6 heures sur Giessen
et à 10 sur Butzbach. » Dans le camp français on attri-
buait 70.000 hommes au prince Ferdinand, sans compter
les 15 à 10.000 de Westphalie, et on ne pensait pas pou-
voir lui opposer avant huit jours un nondjre égal de
combattants. Fort heureusement, il ne s'agissait c[ne d'une
simple reconnaissance, et Hroglie eut tout le temps de
mobiliser ses troupes et de préparer sa campagne.
L'armée française était divisée en trois fractions inéga-
les; l'aile gauche, sous les ordres de Saint-Germain, forte
de 3'i batailhms et 38 escadrons, était cajnpée sur la rive
gauche du Hhin ou sous les murs de Wescl et Uusseldorf;
l'aile droite, commandée par le prince Xavier de Saxe,
connu sous le nom de comte de Lusace, auquel le général
(1) Maréchal de Broglie à Uelleisle, Francfort. 9 heures du soir, 24 mai t7(K ,
Archives de !a Guerre.
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170
LA GUERRE DE SEPT ANS. - CHAI». IV.
tla Vogué était attaché en guise de conseiller, se rassemblait
entre Lohr et Gemundensur la rive du Mein; elle comptait
19 baiailloiis et 20 escadrons. Le reste, 97 bataillons et
101 escadrons, obéissait directement àBroglie (1). Défalca-
tion faite des piquets détachés pour renforcer les garni-
sons et dosquelcpies dépôts de convalescents et de recrues,
le total devait se rapprocher dv 100.000 fantassins et artil
leurs, 2'..000 cavaliers e* 5 ^ <». 000 troupes légères, soit
130.000 hommes présents w^U-^ les drapeaux. Si l'on tient
compte des garnisons ites places du Rhin et du Mein, Rel-
îcisle n'avait pas exagéré les force ■• misée ;" la disposition
de Broglie pour la campagne de 17(50.
Ouoiv{nc inférieurs aux eflectifs français, ceux du prince
Ferdinand s'étaient accrus utpuis Tannée précédente:
grAcc à de récents traités passés avec le duc de Bruns-
wick et le landgrave de Hesse, les contingents de ces
deux princes avaient été augmentés; d'autre part, plu-
sieurs bataillons de troupes légères étaient venus s'ajouter
au corps hanovrieu; enfin, le gouvernement anglais avait
onvové en Âllemayne une brisade de 1.800 dragons et
à peu près autant d'infanterie écossaise que devait suivre ^^2)
un nouveau renfuit de six régiments, soit 6.200 fantas-
sins. Par contre, après, une longue correspondance et en
dépit de l'insistimce du ministre MitchoU, il avait fallu res-
tituer au roi de Prusse ia plus grande partie de la cavalerie
qui, sous les ordres du prince de Holstein, servait avec
éclat depuis trois ans dans l'armée du prince Ferdinand.
Malgré le départ de ces 2.000 excellents cavaliers, en
comptant la division anglaise sur le point de s'embarquer
pour le continent, les confédérés pourraient opposer 80 à
85.000 combattants aux 130.000 hommes que les Français
seraient à môme de mettre eu ligne.
(1) Voir pour les op»'rations en Hesse el Westphalie la carte à la (in du
volume.
(2) Holderne.ss(! à Ferdinanil, 2 mai 1760. Record Office.
PREMIERS DEMELES AVEC SAINT-GERMAIN.
17t
Ce fut à l'occasion de laloite de Butzbacli qu'éclatèrent
les premières difficultés entre Brogiie et son lieutenant
principal Saint-(îerinain. Aussi autoritaires que suscep-
tibles l'un et l'antre, les deux personnages étaient peu faits
pour s'outendre. Quoique la correspondance officielle ne
laisse paraître aucune trace de mécontentement au sujet
de la désignation de Saint-Germain pour le conmiando-
u.ent sur le Bas-Uhin, il est évident qne le maréchal eût
préféré, pour ce poste, le chevalier Du Muy (1) « dont il
compte faire son tvi>as droit » et par lequel il avait l'in-
tention de « se faire suppléer dans ton^^s les choses qu'il
lie pourrait faire par lui-même », mais il s'inclina devant
le choix de la cour, fit bon accueil à Saint-Germain lors
de son passaiio à Francfort, et discuta avec lui lo projet
d'un mouvement combiné.
Deux jours avant ré<haufl'nurée de Butzbacli, Broglie,
prévenu par ses espions de l'installation du quartier général
des confédérés à Wavei-n près de Fritzlar, envisagea
l'hypothèse d'une ofiTensive de l'ennemi. « Si cette nou-
velle est vraie, écrit-il 2) à Saint-Germain, \o prince Ferdi-
nand peut investir Giessen à la troisième marche. « Il 1(> [nie
en conséquence de faire diversionen débouchant, le 20 mai,
par Dusseldorf le plus lestement possible et en poussant
jusqu'à la Roer près de Zwierde : » -le suis persuadé,
ajoute-t-il, que vous n'y perdrez pas de temps; je n'entre
dans aucun détail avec vous, n sai)ieuti pauca ». Cette dé-
pêche, écrite le ±1 et conliéo à Clialio, fut remise le S'i
au soir à Saiut-tiermain. Celui-ci, dont les troupes n'é-
taient pas plus moiulisables que celles du général en chef,
n'était pas en état d'agir dans le court délai qui lui était
assigné; d'autrt pt rt, esprit aussi méthodique <|ue poin-
tilleux, il admettait difficilement un changement i)rusquc
Il tin (lu
( Ij Broglie à Hel:eisle, l.") mai 1700. Archives de lu Guerre.
(2) Broglie i\ Saint-Germain, Ti mai 1700. Archives de la Guerre.
172
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
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des projets arrêtés; jusqu'alors, il avait été question de
prendre Wesel pour point de départ; lui substituer Dus-
scldorf n'était pas pour lui plaire. La dépêche du 25 (1) à
Broglie laisse percer ce sentiment : « ,1e pense inutile de
vous faire le détail de toutes les raisons qui m'empêchent
invinciblement de marcher le 20 avec la réserve. J'aurai
l'honneur de vous envoyer ce détail, si vous l'ordonnez...
je l'ai cru, en attendant, aussi ennuyeux pour vous qu'inu-
tile; je ne puis marcher avant le 1" juin, j'y ai grand re-
gret assurément, mais nous y trouverons au moins cet
avantage de ne pas marcher par pièces et par morceaux. »
Saint-Germain eut grand soin de mettre Bellcisle au cou-
rant de ce petit incident.
Quand il reçut la réponse di s»,; 'cabordonné, liroglie
était mieux édifié sur les intentions de l'ennemi : « Il y
a actuellement apparence (2) que le prince Ferdinand ne
songe pas au siège dcGiessen, puisqu'il nous donne le
temps de nous rassembler, et si d'ici k deux fois 24 heures,
il ne vient pas se poster une deuxième fois à liutzbach
avec son armée, il ne le fera sûrement plus. En ce cas, il
sera nécessaire que vous suspendiez votre marche et que,
sans perdre de vue la sûreté du Bas-Khin, vous restiez
toujours en état de pouvoir en 24 heures avoir votre ré-
serve sur la rive droite du llhin et prête à déboucher par
Dusseldorf. »
A cette lettre, Saint-Germain ne fait aucune l'éplique,
mais il n'eu regrette pas moins le premier plan qui prenait
Wesel comme base et il fait ses confidences i3i au ministre
de la Guerre. Loin de lui de songer à revendiquer l'indé-
pendance pour son commandement; il obéira aux ordres de
son chef, mais pour sa justitication, il tient à exposer les
(1) Saint-Germain à R.Ofilie Dusseldorf, 25 mai X'iiO. Arcliives de la
Guerre.
('>) IJroglie à Sainl-Ormaiii, 2i mai 1700. Ar h.v ' < io Gilt»"',
(3; Sainl-Germaiii à lJe!l('i')li', i'J inui ITtiO, Avcluve.s .1" 1» i^uene.
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RECOMMANDATIONS DK L'ABBE DE UROGLIE AU DUC.
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faits; aussi lui adresse-t-il copie de la correspondance avec
Ui'oglie tout en le suppliant de laisser ignorer à celui-ci la
communication, Kn bon parent, l'abbé de Hroglie prévoit
le conflit naissant et prend les devanis : « Si par hasard,
mande-t-il au maréchal i^l), quelque fat vous accusait de
précipitation dans cette circonstance, ce fat ne pourra
s'empôcher d'admirer le flegme de M. le comte de St-
(lermain. Je crois que cet homme ne prendra pas de pleu-
résie. Au premier voyage que je ferai à la cour, je ne
manquerai pas de placer en bon lieu, quoique très modes-
tement, mes réflexions sur la conduite de ce grand géné-
ral Conservez toujours votre stile avec M. de Saint-Ger-
main ; je vous le répète, il a toute mon approbation. Laissez
i\ ce docteur son stile de pédant. Laissez-lui sa paresse et
son ignorance. Ne mettez pas un mot dans vos réponses
(pii tienne de la réprimande aigre et despotique. Vous
aurez occasion dans toute la campagne de vous servir de
toute votre modération. Et ce grand moutardier du Pape
vous en donnera beaucoup de sujet Employez les
mêmes "^pressions et laissez-moi faire les commentaires,
.lui fait et je ferai les remarques convenables a M. le Dau-
phin, à M. de Bellcisle et autres ministres, et je touche-
rai bien les passages et noterai parfaitement bien cette
musique; j'en ferai remarquer les accords et les disson-
nances. »
Jusqu'au milieu de juin, les deux armées restèrent en
repos. Ferdinand ne voulait pas engager les hostilités
avant l'arrivée des premiers renforts anglais et l'incor-
poration des nouvelles recrues allemandes. Dans une
lettre 2) au roi de Prusse consacrée presque entièrement à
des protestations cou'ic le rappel des dragons prussiens,
il dit incidemment : « Je compte de marcher en avant le
(I) Abl)é (!(■ IJroglie au duc, Paris, :)ii mai ITCO. Papiers de famille.
(!!i Ferdinand à Frédéric, Wavern. 1" juin l7C(i. Westphalen. vol. IV,
I>. 2'JO.
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LA r.UEUIlE I)K SKPT ANS. — CIIAP. IV.
8 OU 10 de ce nifùs juin) pour m'approchcr des corps dé-
tachés que j'ai aux environs de iMarbourg- et de ilirsch-
feld. »
Broglie mit à profit le répit que lui laissait son adver-
saire pour suggérer à Versailles une modilication radicale
du plan d'invasion directe de la liesse, élaboré de con-
cert avec la cour. Son ménioire (1) énumère les cau-
ses générales et locales, telles que : retard des récoltes,
manque de fourrages secs, mortalité du bétail, ([ui re-
tarderont l'entrée en pays ennemi jusqu'au !■'» juillet.
La pi! mièri; onératioA devra s'efl'cctuer du côté de llom-
bourg ; si la Ugne de l'Ohm est forcée, l'ennemi se reti-
rera sur celle de l'Eder où il sera à portée des gros ma-
gasins de Cassel ; il prendra sur la rive gauche de la
rivière, une excellente position dans laquelle il serait
impossible de forcer uu corps de 50.000 hommes, à
plus forte raison, les 70.000 hommes dont l'armée con-
fédérée se compose. Le prince Ferdinand sera couvert
par les places de Munster à droite, Lippstadt et ^iameln
au centre, Cassel à gauche. - Nous ferons toujours l'arc
pendant (|u'il fera la corde. Depuis le 16 janvier que
j'ai envoyé à la Cour le projet de pénétrer par la Hessc,
les choses ont b'en changé de face; les ennemis ont aug-
menté de beaucouj) leurs armées ; les Anglais ont triplé les
troupes (ju'ils y avaient; les llanovriens, Hessois et trou-
pes de Brunswick y ont fait des augmentations très con-
sidérables, et il est certain que l'armée est rétablie et com-
plète. L artillcrir est très nombreuse; il y en a au moins
deux cents pièces de parc, sans compter deux par batail-
lon; ainsi ce qui était possible et faisable vis-à-vis de
l'armée qu'avait rannée passée M. le prince Ferdinand
peut devenir au moins très difticile à présent. » Pour la
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(1) Mémoire et ietlre de Broglie à Belleisle, 1" juin 1760. Archives de lii
Guerre, vol. 355.5.
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liHOGLFE PROPOSE LA MODIFICATION DU l'LAN DE CAMPAGNE. 175
double raison de considéra tiens stratégiqiics et do manque
de fourrages, Broglie se demande s'il n'y a pas lieu do
changer la base d'opérations, d'agir par lo pays de MarcU
et par conséquent d'y transférer le gros de rarméc. « C'est
précisément le contraire de ce q".i a été fait l'année der-
nière. On devait opérer par le Bas-Rhin, les ennemis en
étaient instruits et s'étaient disposés à s'y opposer, ce qui
lit qu'ils furent surpris et qu'on pénétra sans obstacles
jusqu'à Buren et Paderborn. Il est sûr que les ennemis
savent notre projet cette année, et ils font ce qu'il faut
pour nous en rendre l'exécution la plus difficile qu'il sera
possible, en se portant aux e. trémités de la liesse et prô-
nant les mesures qui peuvent iiiuU[uer qu'ils veulent dé-
fendre l'Ohm. » Broglio compare les bénéfices et les in-
convénients quofl'rent les deux lignes d'oft'ensive et con-
clut en se prononçant pour celle de la Marck. « Il semble
trois avantages ù prendre ce parti. Le premier de pouvoir
entrer près d'un mois plus tôt en campagne, le second do
trouver occasion d'aita(|uor les ennemis avec moins de dé-
savantage dans le pays de la Marck que dans les positions
qu'ils prendraient en Hesso, et lo titnsième de profiter
plus facilement des avantages qu'on pourrait remporter,
lo pays étant plus ouvert, et de commencer plus tôt lo
siège de Lippstadt, si le sort des armes nous était heu-
reux. » .
Le projet fut envoyé à Bellcisle et à l'abbé de Broglio.
L'indiscrétion du ministre de la Guerre était proverbiale,
aussi l'abbé lui rccommande-t-il (1) le silence le plus ah-
solu : « Si vous donnez communication des idées de mon
neveu à X..., il vaudrait autant que vous le fissiez mettre
dans la Gazette de Hollande. En ce cas, je dirais X... sait
mon secret, c'est un enfant qui ne pourra se taire. Faites
comme il vous plaira, mais si j'étais à votre place, il n'y
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(1) Abbé de Broglicà Delleisle, 4 juin 17G0. Papiers de famille.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAV. IV,
aurait que vous et le Roi qui liriez le mémoire et J'ordonne-
rais en conséquence. » Nous ignorons si l'excellent conseil
fut suivi, toujours est-il que le nouveau plan d'opérations
ne reçut pas un accueil favorable. Belleisle observa, non
sans quelque sens (1), qu'il <( était bien tard pour changer
les dispositions prises au sujet des magasins et des appro-
visionnements de vivres et de fourrages, que l'armée ren-
contrerait des difficultés sérieuses pour le passage de la
Roer et de la Lippe, que d'ailleurs Broglic était à même
plus que personne de se rendre compte de la portée de ces
objections, et qu'en conséquence, le Roi le laisse maître
absolu (le prendre lo parti qu'il propose ou tel autre qu'il
jugera le plus praticable ». Pour le cas de l'adoption
du programme modifié , Relleisle conseille d'élever i\
40.000 hommes l'effectif du corps laissé sur le Mein, d'en
donner le commandement à Saint-Germain, et termine sa
dépêche par des réserves : « Vous ne devez prendre ce
(jue je viens vous dire que comme de simples obser-
vations de bons et fidèles serviteurs du Roi qui savent
bien qu'à Versailles on ne peut voir aussi bien que lo
général sur qui la besogne roule, et qui est sur les lieux. »
On ne saurait tenir un langage plus sage.
Malgré la liberté entière qui lui était ainsi octroyée,
Broglie répond^ i%\ ipi'en présence de l'opposUiou ëvl-
dentc du conseil (lu Roi, il renon(,'ait A to\Ue modilicatiou
(lu plan primitif. Il a un mol aimable pour Snint-Oer-
main : u Je crois que M. de Saint-Germain fera bien
partout où on le mettra et je voudrais pnuvnli Tu-
voir en plusieurs endroUs il la |'ois. » Constatons que ,
soit effet des exhortations de son oncle, soit crainte de
démêlés qui eussent nui au succès des opérations.
dnni sa correspondance avec son subordonné, le ma-
(1) Belleisle <\ Broglie, fi juin 17(10. Archives de la (juerre,
(2) Broglie à Belleisle, 10 juin ITtlO. Archives de la Guerre, vol. 3.">55.
RKGLEMENT POUU I.A DISCII'LINE HE l/MiMEE
'177
réchal fait de sou mieux pour ontrctcnir la bonne intel-
liecncc. En r<''[)onse à Saint-(Jermain, qui, adversaire du
mouvement par lo comté de la Marck, s'était cependant
incliné en disant qu'il devait avoir tort vis-à-vis de son
juénéral, il prend le ton le plus conciliant (1) : « Je crois
qu'il est arrivé souvent que le général eût tort lui-même
et en cas qu'ils eussent été jusqu'ici aussi infailliMcs que
les Italiens croient le pape, je serais très capable de leur
on faire perdre le privilège. »
Durant le mois de juin, la pénurie de fourrages (pii
expliquait l'ajournement de la mobilisation donna lieu à
des réclimations très vives delà part des divisionnaires :
« J'ai écrit hier à iM. le comte de lU'oglie, relate (îuer-
cliy (2), une lettre noire comme l'encre sur rarticle du
fourrage; je ne suis guère plus blanc aujourd'liui. »
Néanmoins, et en déj)it de ces causes de retard, les troupes
commençaient à se rassembler. Cornillon, qui avait repris
ses fonctions de major général, s'appliquait à maintenir
la discipline : « M. le Maréchal, écrit-il (3), vient d'ordon-
ner un petit détachement ((ui ne sera pas cher au lloi.
€c sont douze grands et gros Allemands qui ont tous
serv;, qui seront alUvchés à la prévùté, lesquels seront
(h'sHués rt donner des coups de bAton sur le cul à tous
les soldats et valets i\\\\ eiMlll'|i\ il'lldl'iilll II l'iil'ill'o i|lli Ntil'il
preserll. » (IVmI i» \\\\ olijei auuli»gl|e ||||e no |'(iH»e||e
m\ règleinetït relailt' aiiv l'onuues i||i| siijvalehf ('((t'Illée :
i Nous faisons, rcOato (cornillon [ï) , une guerre conli-
nuelle aux tilles de mauvais(i v|i', el nu lieu (jn ||iH fiillnlldr
ainsi que cela s'est pratiqué jusqu'à présent, ce ([ui iie
les empêchait pas ch^ revenir (juatre jours après, on leur
noircit le visage avec une drogiui, cpion m'a assuré, (jUl
(1) Hioglio à Saint-liormaiii, •> juin 17G0. Arcliivcs de la C.iierie, vol. ;i55ri.
(2) Guerchy à Broglle, HacKciiboui;', ;il mai riii). Archives ((« |a l!(<6l't'''-
('.)) Cornillon à Bi>lloisl(>, 3 juin 1700. Archives de la Guofrt',
(/i) Cornillon à Helleislc, Coihach, Kl juiliel i7(iO. Arcjiivi'S delà (iuerre.
ClEllIlE II SUl'T VNS. — l. IV 12
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17S
l.A faKIlIlK DE SEPT VNS. CIIAP. IV.
durait plus d<* six mois. Si cela est vrai, il est certain
(ju'eiles no ropaïaîtront pas, cai- cela fait jjorveur à voir,
sans Icuf l'aire anruii mal. v Les témoignages français
sur la tenue de la troupo sont confirmés par les rap])orts
anglais; c'est ainsi que York signale (1) une améliorîUion
sensible dans le rang et ii l'état nuijor : « Les deux géné-
raux sur le Mein et le Bas-Hhin tionnent en mains avec
l)lus de rigueur leurs hommes; ils observent aussi mieux
le secret (jue par le passé. »
Aussitôt lixé sur les vues de la cour, lU'oulie lança ses
instructions. Lusace, qui était encore sur les bords du Mein,
entre Loin- et (îemundeu, avec la réserve de droite,
recrut [2) ordre de se porter à Saltzmunster sur la route
de llanau à Kulde. Le rôle qui incombait à Saint-Germain,
à la réserve de gauche, était des plus importants, aussi
les indicatioiis données à ce général sont-elles très pré-
cises : « Comme le premier objet de M. de Saint-iiermain
semble devoir être de favoriser par vme diversion les
opérations de la Grande Armée, il est nécessaire que le
commencement des siennes précède de quelques jours
celui où l'armée campera en front de bandière. Il est
donc indispensable (jue la réserve de M. de Saint-Gei'main
ait passé le Hhin et fait une marche en avant le lY, atin
<[ue les nouvelles que M. le prince Ferdinand aura de
ce mouvement, pendant trois jours consécutifs avant
d'apprendi'e que la gi-ande armée est l'assemblée, le
tiennent au moins dans l'incertitude dans son camp de
Fritziar et l'empêchent de maicher avec toute son armée
sur rohni pour défendre cette rivière. » Wescl, dont la
garnison a été augmentée, peut être abandonné à ses
j)ropres forces; le pays de Clèves appartenant à la Prusse,
il n'y a pas de motif pour le protéger contre les incur-
(1) York à Newcasllo, 27 juin 1700. NewcasUe l'apers.
(2) Broglie à l.usace, 10 juin 17(')0. Arciiivcs de la Guerre.
SAINT-GERMAIN DKhorCIIK PAU DUSSELDORF
17fl
sîons possibles de renneini. C'est donc par Dusscldorf
(jii'il faudra déboucher. Doux p(»infs sont essentiels : « <;t
Je prie M. de Saint-(ierinain de ne rien négiif^er pour les
exécuter : le premier (pTil se mette en mouvement le
17 avec toute sa réserve, et fasse en sorte que ce même jour
il soit au moins à une marche de Dusscldorf sur h' débouché
([u'il préférera... Le second d'avoir pour but fixe de gagner
le plus promptemeut possible Dortmund et de s'y placer
de manière ù mas([ner les débouchés de buynen et de
llamm, à tenir hortmund et de s'assuier du passage <le
la Uoer, ;\ NVestotfen. Les moyens île parvenir à cet objc^t
lorment la seconde partie du mémoire; je n'ai fait qu'in-
diquer ceux que j'imagine; M. de Saint-dermain est [)lus
capable que personne de juger de leur possibilité ou
d'en trouver de meilleurs; je ne puis lA-dessus c[ue lui
laissci' toute liberté, et pourvu qu'il arrive promptement
au but, je ne pourrai qu'approuver tout ce qu'il aura
jugé à propos de faire ».
Dans la lettre (1) ([ui accom[)agnaitlesinsti'Uctions, F^ro-
glie avait ajouté un commentaire flatteur, où il faisait
appel au zèle et à l'initiative do son lieutenant : « Toutes
les roues d'une machine devant agir de concert , et
vous êtes une des principales et des meilleures de celle-
ci, à l'égard des moyens que vous emploierez, ils sont
à votre disposition et doivent changer suivant les circons-
tances; un général devant agir comme un voyageur
qui, lorsqu'il trouve son chemin barré par quelque
obstacle qu'il ne peut franchir, prend à côté dans les
chanq)s à côté du chemin dans le([acl il rentre le plus tôt
qu'il lui est possible et qu'il continue ensuite h; plus exac-
tement qu'il le peut afin d'arriver à son but. »
Conformément à ces indications, Saint-(Jermain fit pas-
ser le Rhin à son corps d'nrmée les 15 et Ki juin, fran-
(1,1 Broglie à Sainl-Gcrniain, Fianctorl. 1 1 juin 17G0. Arctiivcs de la Giierre.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. IV.
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chit If, Roer à Mulheim et parvint sans accident, le 20, à
Uoi'trnund avec le gros; Fischer avec les troupes légères
occupa Bruckel et Swirt ; Leydc avec sa brigade était
en ari'ière, et ne rejoindrait que le 22 ou le 23. A en juger
par un rapport de Castries qui remplissait les l'onctions
d'inspecteur de cavalerie, l'état de cette arme n'était pas
satisfaisant; il y avaitdansle rang beaucoupde jeunes che-
vaux incapables de résister aux fatigues de la campagne :
« J'ai fait, mande-t-il à Beilcisle (1), divisercn trois cîasses
les chevaux de ce régiment (Clermont prince) ; la première
composée des anciens chevaux du temps do Mindcn, monte
à 87 ; la seconde classe à 83 et est formée de la première
remonte qui a été faite en 1759, et dont les chevaux ont
V ans. La 3'' classe a monté k liO et est formée de la
seconde remonte faite cette année dont les chevaux n'ont
que 3 ans; il en est mort 10 depuis leur départ de Bour-
gogne, et qui faisait le complet de ce régiment. . . En consé-
quence du compte que j'ai rendu de ce corps à M. le Comte
de Saint-Gi^rmain, il s'est déterminé à ne faire marcher ce
régiment qu'à un escadron forme par 20 hommes par
compagnie. »
En annonçant son arrivée à Dortmund, Saint-Germain
avait écrit à Broglie (2) qu'il allait « s'établir sur la Roer
de façon que des forces supérieures ne puissent m'en
chasser ». Cette dépêche se croisa avec une du maréchal
lui demandant de faire remonter la rivière à son avant-
garde. Saint-Germain trouve (3) à ce mouvement de gros
dangers : Sporcken, qui commande le^ confédérés en
Weslphalie, est à Dulmen et à Haltern; Ilardenberg est
campé à Wernc avec un contingent important; l'ennemi
(1) Cas'ries à Relleisle, Dussoldorf, 14 juin 1760. Archives de la Guerre.
(2) Sainl-Geimaiii à hroglie, Dortmund, 2() juiu I7G0. Archives de la
Guerre.
(3j Saint-Germain à Broglie, Uorlmund, 25 juin 1760. Archives de la
Guerre.
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PASSAGE DE L'OHM.
181
a des détachements tout le long de la Flippe : « Tant que
Spoi'cken restera où il est, je ne puis pas m'ctendre du
côtéd'lînna et de Wcrle; ma communication serait trop
éiendue et serait vraisemblablement coupée. D'ailleurs,
les càemins sont mauvais, les chevaux des vivres trop fai-
bles et 1 artillerie n'a pas assez de chariots pour mener
les munitions, de sorte qu'on ne peut aller que pas à pas
et qu'il faudra y mettre beaucoup de précaution. » Cette
circonspection extrême ne s'harmonisait guère avec les
projets du général en chef, qui venait de prendre l'offen-
sive contre le prince Ferdinand.
Le 21 juin, Broglic avait fait ses adieux à la maréchale
qui avait passé l'hiver à Francfort, et s'était mis à la tête
de l'armée; le 23, le fi^ros était '.assemblé à Griinberg;
les Saxons du comte de Lusace occupaient le village voisin
de Merlau ; Guerchy, avec sa division venue des canton-
nements du haut Rhin, était posté aux environs de
(iiessen. 11 s'agissait, pour les Français, de forcer le pas-
sage de l'Ohm que Broglie s'attendait à voir vigoureu-
sement défendu par le prince Ferdinand dont on lui si-
gnalait la présence à Neustadt. Il informe (1) Belleisle
qu'il se portera, dès l'après-midi du 23, entre Amoneburg
et Homburg, localités de la rive gauche de l'Ohm, avec
toutes les troupes légères, les grenadiers de France, 12 ba-
taillons d'infanterie, les carabiniers et les dragons; le
reste de l'armée, réparti en .'> colonnes, le rejoindra par
une marche de nuit.
Malgré les inquiétudes manifestées, il n'y eut pas de
combat, tout se borna à qucdques escarmouches entre les
éclaireurs des deux partis; Homburg fut évacué sans
opposition; ù. midi on commenc^a à jeter les ponts, ei à
6 heures, l'armée française était établie de l'autre côté de
la rivière, sur une petite hauteur en avant de Schweins-
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(1) Broglie à Belleisle, (jninl>Lrg, 23 juin 17G0. Archives de la Guerre.
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182
LA GUKU1\E DK SEPT ANS. — CHAP. IV.
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bcrg. « Il est heureux, écrit iJroglic (1), que le prince
Ferdinand ne soit pas arrivé à temps pour disputer le
passage qui n'a été achevé que ce matin (le 'S.') au jour. »
Le 20, les reconnaissances firent savoir que les confédé-
rés s'étaient retirés sur la forteresse de Ziegenliayn et à
llolsdorf, village entre Marburg et Fritzlar.
Comment expliquer cette retraite inattendue? Que s'é-
tait-il passé dans l'arniée hanovrienne?Dans une dépèche
à Iloîderuesse en date du 17 juin (2), Ferdinand avait
exposé la situation et fait part de ses projets : Il n'est pas
fixé sur le rôle alloué à Saint-Germain , mais (juel
qu'il soit, Sporcken lui tiendra tête. Il récapitule les
effectifs français et ajoul'' : « Je suis pour le moment
présent un peu faible en cavalerie; il me parait néan-
moins que je dois avancer sans attendre l'arrivée des
renforts, j)our ne perdre pas trop de temps, et laisser à
l'ennemi celui de gagner du terrain. M. le Prince hérédi-
taire est avec 10.000 hommes à Schlitz (près de Fulde) et
M. d'Imhoff avec un corps de pareille importance aux en-
virons de Marbourg. J'attire à moi 8 bataillons et k esca-
drons delaWestphalie, ils traverseront le pays de .Valdeck
et me joindront sur la Lahne, ou ils se porteront sur lîi
Dille, selon que les circonstances l'exigeront. L'armée
même se mettra en marche le 24 et arrivera le 27 sur
l'Ohm. Si M. de Firoglie vient au-devant de moi, proba-
blement la bataille s'ensuivra; s'il reste sur la Nidder ou
aux environs de Friedberg, je mettrai le siège devant
Giessen. Je ne me flatte pas qu'il me laissera prendre cette
ville, sans livrer bataille. Si la fortune se déclare pour
nous, le reste de la campagne ira sans difficulté. L'artil-
lerie de siège est arrivée on partie à Ziegenliayn, le reste
y arrivera le 21. »
(1) Broglie à UeJleisIe, Scliweinsbor}<, 'iS juin 17G(). Archives <le la Guerre.
(2) Ferdinand à.IIoldornesse, Wavern, 17 juin 1700. Itecor-d Ol'/ice.
FERDINAND SE LAISSE PREVENIR PAR RROGLIE.
Le 23 juin, Ferdinand est encore àWavcrn ; il informe (1)
Iloldernesse de la concentration des Français entre Mer-
lan et Laubacli près le Griinberg. l.e lendemain, il
compte se rendre à Fullendorf, et le surlendemain à
Ncustadt, où le général Waldegrave le précédera avec
0 bataillons. Du contenu de ces dépêches, de celui des
billets échai gés (2) avec son secrétaire Westplialen, qu'il
consulte sur l'envoi du prince héréditaire dans la di-
rection de Fuldc et au sujet du siège projeté de (liesseîi,
il ressort que le prince et son conseiller furent complè-
tement trompés par la manœuvre de liroglie et qu'ils
ne s'attendaient nullement à le voir déboucher, avec
toutes ses forces, du côté de Ilomburg. Ce n'est que le
23 au soir que Ferdinand se rend compte du danger;
un second billet de cette date à Wcstphalen le prouve :
« Maintenant, il me jjarait qu'il n'y a plus de doute qu*
toute l'armée française ne soit aux environs de (irùningen.
Ou en doutez-vous encore? » Nous ne connaissons pas la
réponse do Westplialen, mais ce même soir, l'armée con-
fédérée s'ébranla; elle marcha tout le jour suivant ot par-
vint, dans la nuit du lï au 2ô, à Neustadt, trop tard pour
empêcher le mouvement des Français.
Ferdinand rejeta la faute de ce fAcheux résultat, dans le-
quel il avait sa part de responsabilité, sur le général Indiofl'
dont les hésitations, à roccasi<jn du blocus do Munster
pendant l'automne précédent, avaient molivé les critiques
sarcastiqucs de \Vestphalen. Le -lï au matin, la situation
était la suivante : Imholl' était campé avec 10.000 hommes
à Kirchain au confluent d'un petit cours d'eau (jui se jette
dans l'Ohm et sur la rive droite de cette rivière ; le prince
héréditaire, avec un corps d'égale force, avait été rappelé
de Schlitz, dans le comté de Fulde; on route, il avait
(1) rerdinand à Iloldorncsse, Wavorn. 23 juin ITCO. lifcord Office
(2) Westphalen, vol. IV, p. 3u7et suivantes.
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LA OUKUHK DK SKPT ANS. — CIIAP. IV.
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surpris au fourrage et mis en déroute les Imssards de
Berclîiny et était venu occuper les hauteurs en face
d'Ilomburg; enfin Liickner, avec ses irréguliers, était
établi à Ainoneburg, sur la rive gauche de l'Ohm, vis-
à-vis d'Imholf.
Ces divisions réunies formaient un total de 25.000 hom-
mes au.xqucls, dans la nuit du '2'p, eussent pu se joindre
les 9.000 de Wahlegrave. Auraient-ils pu maintenir bur
position contre les 70,000 de Broglie? Cela est d'autant
plus problématique que la traversée de l'Ohm avait
commencé dès la matinée du 2'i-. Quoi qu'il en soit, voici
l'explication de Ferdinand (1) : « Ma marche sur Hom-
bourg n'a |)as réussi par une fatalit''^ particulière.
M, d'Indioff ([ui campait à Kirchayn devait aller joindre
le prince héréditaire à Hombourg de même que le géné-
ral Waldegrave pour occuper ce poste avantageux ;
c'étaient mes ordres positifs... Et ayant recula nouvelle
du prince héréditaire qu'il était arrivé à Hombourg après
avoir défait et dispersé chemin faisant le régiment de
llerchiny, je ne doutais point que le poste ne fût à nous,
M. d'Imhoff n'en étant éloigné que de trois heures de
marche et l<) général Waldegrave à même portée du coté
de Ncuistadt, de façon ([uc ces trois corps n'avaient qu'à se
joindre pour occuper en force les hauteurs de Hombourg.
M. d'Imholf me marque par un billet que je re(;us le2V au
matin en marche, qu'il avait fait ses dispositions pour
exécuter mes ordres et qu'il allait se rendre de sa personne
à Hombourg, pour concerter tout avec le prince hérédi-
taire. Je fus donc bien surpris d'apprendre à mon arrivée
à Neustadt et où j'entrais dans la nuit du 2'i. au 25, ([ue
M. d'Imhoff, au lieu de faire marcher ses troupes à Hom-
bourg, avait attiré vers lui le général Waldegrave et per-
suadé au prince héréditaire d'abandonner les hauteurs de
(!) Ferdinand à Holdernesse, DiUershausen, 29 juin 1760. Record Office.
DISGRACE DIMLOFF.
185
llombourg pour aller se joindre de môme à lui îV Kirchayn.
Cette faute, quelque grande qu'elle fût, aurait été à re-
dresser, s'il n'en ei\t pas fait en même temps une seconde,
savoir d'ordonner au général Liickner d'abandonner le
camp d'Anionehourg-. L'ennemi en profita d'abord pour
occuper les bauteurs et pour faire défiler du monde dans
le dessein de l'envelopper dans son camp de Kircbnyn. Ce
projet de l'ennemi échoua par la jonction du prince héré-
ditaire et par l'arrivée de l'armée à Neustadt, mais j'eus
le chagrin de voir l'ennemi maître de tous les postes que
nous avions abandonnés, où il se trouvait hors d'insulte...
Le plus grand mal est qu'il faudra actuellement beaucoup
de temps et de persévérance pour regagner les avantages
perdus. Trouvant le nid occupé, j'ai pris le parti de
prendre mon camp à Ziegenhayn, où j'ai fait entrer l'ar-
mée le 2G courant. »
Sur l'ordre formel du roi Georges, qui ne pardonnait
guère aux généraux malheureux, ImhofF fut privé de son
commandement et renvoyé en disgrâce à Brunswick. Il
avait été gouverneur (1) du prince héréditaire et lin-
fluence qu'il avait gardée sur son élè^e aurait expliqué
l'adhésion de ce dernier à une retraite qui n'était gière
dans SCS habitudes. Lors de la traversée de l'Ohm, les Fran-
çais ramassèrent des traînards, des équipages et quelques
approvisionnements, mais le résultat capital fut la pr se
(le possession de la ligne de l'Ohm; elle jonstitua pour
eux un succès stratégique de grande importance.
Presque sans coup férir, Broglic avait porté ses avant-
postes de Friedberg et de Hutzbach, c'est-à-dire delà ban-
lieue de Francfort, jusqu'à moitié route de Cassel; au
lieu de s'in<{uiéter du sort de Giessen, il était à même
d'entreprendre le siège de Marburg et bientôt celui de
Ziegenhayn; il disposait des ressources d'une région
(1) Yorkeù Ncwcaslle, La Haye, 11 juillet 1760. Nrwcasllc Papers.
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186
LA GUKUHK DK SKI'T ANS. — CHAP. IV.
M
étendue; enfin, et c'était licaucoup an point de vur
moral, il avait gauné la preniièro manche et imposé .son
initiative dès le début de la campagne. Il s'agissait main-
tenant de poursuivre ces heureux résultats en forçant le
passage de la Schwalm et de l'Eder et en refoulant lo
prince Ferdinand sur le Weser. Pour réaliser ce pro-
gramme, le général en chef comptait sur le concours de
Saint-(Jermain, qu'il allait appeler à lui, et avec lequel il
espéraiteiléctuer sa jonction dans les parages de Corbach.
Le 27 Juin, Jiroglie, avec le gros de ses troupes, occupa
le camp de Neustadt que Ferdinand avait évacué pour se
retirer derrière la Schwalm ; Chabo fut chargé du siège
du château de Marburg, que la retraite des confédérés lais-
sait isolé dans la zone française. L'opération ne fut ni
longue ni coûteuse. Le 30 (1), le maréchal annonce la ca-
pitulation de Marburg qui s'était rendu « avant d'avoir
attendu une bombe ni un coup de canon ». A la dépèche
qui contenait cette nouvelle était jointe une copie des ins-
tructions données à Saint-(Jermain : « Connue par ses
lettres des 23 et 25, il m'a paru désirer des ordres clairs
et précis, j'ai cru devoir le satisfaire et lui en envoyer de
positifs; j'ai toujours aimé à en recevoir de tels. » Dès le
25, c'est-à-dire au lendemain delà traver.sée de l'Ohm, Bro-
glie avait écrit à son lieutenant : u Je ne doute pas que
vous ne poussiez avec toute la rapidité possible vers Lipps-
tadt et avanciez vos troupes légères jusqu'à Warburg et
même plus loin pendant que les ennemis n'ont rien dans
cette partie. »
Une telle hâte ne s'accordait guère, ni avec les habi-
tudes de l'époque ni avec le tempérament méthodique
de Saint-Germain. Il se plaint à Belleisle des e.vigences du
général en chef (2) : Il y a dix jours, Brogiie se conten-
(t) Bioglie à IJelleisle, Ncusladt, 30 juin 1700. Archivcsde la Guerro.
(2) Sainl-Geiinaiii à Belleisle, Doitmund, 28 juin 17G0. Archives de la
Guerre.
COIIRESPONDANCK DE IIROGLIE AVEC SAINT-OERMAIN.
i«:
tait de le voir à Dortniund et maître de la Uoer; aujour-
d'hui, il lui demande de se porter sur Lippstadt. < Il n'est
pas possible de concilier autant de variations, et qui sont
si peu combinées, sans connaissance de la position des
ennemis, des mouvements continuels ([u'ils l'ont, de la
raison des subsistances. Nul homme ne peut commander
despotiquemont un corps d'armée à quarante ou cinquante
lieues de lui, La marche (]ue l'on m'a forcé de faire, et
la position que l'on m'a fait prendre ne mènent à rien,
mais au contraire seraient très dangereuses si je n'avais
pas la supériorité, et malgré cette supériorité, je crains
bien d'être forcé dans peu de retourner sur le Uhin, et
(le recommencer par où j'aurai dû le faire d'abord. » In
pas en avant de Spcircken peut l'obliger à se replier sur
Essen. « Je vois avec douleur, conclut-il, plus poui' l'hon-
neur des armes du Roy que pour moi, que je suis con-
damné à faire une malheureuse et inutile campagne. »
Kn lisant ces extraits, l'on devine que Saint-ticrmain,
beaucoup plus préoccupé de son rôle particulier que de
l'ensemble des opérations, n'avait pas renoncé au dé-
bouché par Wesel. A une lettre dans laquelle le comman-
dant de la réserve avait exposé les mêmes objections qu'au
ministre, Broglic réplique d'une façon péremptoire (1) :
Sans doute il a indiqué à son correspondant comme pre-
miers objectifs, de ne pas s'éloigner de la Uoer et de créer
un établissement solide X Dortniund : « Mais je pense que
vous n'avez jamais pu imaginer que mon objet se bornât
là, et puisque je vous recommandais de prendre un point
d'appui fixe à Dortmund qui vous mit en état de vous y
retirer à tout événement, il est clair que je comptais que
vous en sortiriez pour agir, car on n'a pas besoin de se
retirer dans un poste lorsqu'on n'en est pas sorti, lien
est de même de ce ((ue je vous ai mandé que, pourvu que
(1) Broglie à Saint-Germain, Neusladl, 28 juin 17(iO. Arcliivesde la Guerre.
IV!:
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LA r.UKUUK DK SEI>T ANS. — CIIAP. IV.
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vous no vous ('loignassicz pas do la Roer, vous établissiez
votre communication pour tirer vos convois de Oussol-
dorf, monol)jet seiait rempli. Il est si'lr qu'il l'a été pour
le premier moment et qu'il fallait commencer par là,
mais je ne pense pas que vous ayez pu imajçincr un
instant que. je bornasse lu mes vœux pour la campagne.
Le -iV, lorsque j'étais derrière l'Olini, tous mes souhaits
tendaient à la passer heureusement avec l'armée et ti y
prendre un poste qui pût me mettre A l'abri de recevoir
un échec. Ensuite, j'ai désiré de faire repasser la Schwalni
à l'ennemi; hier, j'ai marché pour tAcler de la lui fain^
([uitter, et dès qu'il l'aura abandonnée, je souhaiterai
d'être derrière l'Eder, et je travaillerai à y arriver. Il en
doit être de môme de vous, Monsieur; vous savoz le but
principal où vous devez tendre, et sans vouloir entrer en
discussion des forces que l'ennemi a devant vous, je crois
que vous, ne pensez pas qu'il vous soit supérieur. Cela
étant et accordant même qu'il vous soit égal en forces,
c'est à A'os manœuvres à l'obliger de prendre la direction
que vous penserez vous être la plus favorable pour rem-
plir votre principal objet qui est de chercher à vous
mettre à portée de me joindre, et de me faciliter les
moyens d'oblig-er le prince Ferdinand d'abandonner
l'Eder. Quant aux moyens, c'est à vous de les prendre,
et je sais que vous en êtes très capalile. »
Le 29, autre dépèche plus explicite (1) : Broglie
vient d'apprendre qu'un détachement de 8.000 hom-
mes, tiré de Westphalie, a rejoint le prince Ferdinand le
26; il n'y a donc pas de temps à perdre : « Pour ne vous
laisser aucun doute sur ce que je demande de vous, voici
quelles sont mes intentions : que vous partiez, s'il se peut,
le lendemain que vous aurez reçu ma lettre et au plus
tard le surlendemain, et que par des marches de six lieues
(1) Broglie à Saint-Germain, Ncusladl, a*.) juin l'GO. Archives de la Guerre.
SAINT-(iEIlM\IN DKMANDK SON llAPPia.
I8'.t
au moins, vous vous rendiez sut' lUulcn et Iti-illou el
même Corbacii. » Saint-Gcrniain devra se l'aire précéder
par les troupes léf^tM'cs et pourra laisser 10.000 lioninics
pour
ffarder le débouché de Westoll'en et as.^uror ses
derrières. « Si nous faisons notre jonction, le prince
Ferdinand est perdu et pendant que Je le contiendrai
dans le parti qu'il prendra, vous prendrez Lippstadt et
Munster; après quoi, nous pourrons le forcer à repasser le
Weser. »
Malgré le compliment de la fin, l'argumentation sar-
castique du général en chef jeta Saint-(Jermain hors des
gonds. Il oublia toute mesure et mit les torts de son côté :
« J'ai fait, répliqua-t-il, jusqu'ici (1) tout ce que j'ai pu pour
exécuter ponctuellement vos ordres et pour m'accoutumer
au style amer ironique ci piein de mépris (jui caractérise
toutes vos lettres. Quant au premier article, je n'ai rien
à me reprocher du côté de la volonté et de l'activité et je
suis en état de le prouver ;' toute la terre. Quant au se-
cond, j'y ai travaillé en vain, cela est plus fort que moi,
et je n'y réussirai pas; j'éprouve d'ailleurs depuis long-
temps que cela porte sur la personne. Je pense. Monsei-
gneur, d'après cela, (pi'il serait très contraire au bien
du service du Roi, qu'une réserve telle que celle-ci fût
aux ordres d'un général odieux à celui qui commande
l'armée et, en conséquence, j'écris à la cour pour de-
mander mon rappel; si vous vouliez m'accorder de me
retirer, cela serait plus prompt et les chose; n'en iraient
que mieux. En attendant les ordres de la cour ou les vô-
tres, je ferai de mon mieux et je n'ai pas besoin pour
cela d'être aiguillonné, mais je ne ferai jamais l'impos-
sible quelque volonté que j'aie do bien servir le Roi et de
contribuer à vos succès. » Le reste de la dépêche a trait
(1) Sainl-Gcimain à Bioglic, DortmiinJ, 1" juillet 17C0. Archives de la
Guerre, vol. 355G.
100
LA GUKIUIK OK SKPT ANS.
riIAl». IV.
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aux mouvements de son corps : « Je compte <l(* pouvoir
l'îiire partir d'ici le V une l)iif;ado d'infanterie et qucl(|ues
drafçons pour aller occuper Areiisperi;' et je pourrai la
suivre U) 8 ou le {>, si hîs subsistances, comme je l'espère,
peuveut arriver; je fais tous les elforts possiMes pour en
ramasser le plus qu'il se pourra et nous marcliej-ons (mi
caravane; si les «'unemis restent i\ j>eu pW's où ils sont,
il n'est plus (|uestion de soutenir la communication avec
husscldorf, mais comme je compte de pouvoir m'appro-
visionner pour un temps, j'aurai celui de faire venir de
(iologne et d'«''tal)lir une» communication avec cette vi'le
autant «ju'il se pourra. -> Au ministre de la (lucrrc, Saint-
(Jermaiu contlrme et motive sa démission (1) : « Je ne
puis regai'de.' M. le maréchal de Broi^lie que comme le
plus mortel ennemi que j'aie jamais eu; c'est en consé-
qivmce et plus pour le bien du service du Koi que pour
moi que je prends lalil erté de vous demander mon rappel
avec la plus vive instance. Jusqu'à ce que je reçoive vos
ordres, Monseigneur, je ferai de mon mieux, mais tout
sera mal aux yeux de M. le Maréchal duc de Hroglie,
puis([uc ce qu'il a eu la bonté d'approuver un jour, il le
condamne deux jours après. J'avoue, Monseigneur, ingé-
nument que la commission que l'on me doime de me
porter rapidement sur Corbach mr fait trembler. »
Suit uu tableau pessimiste des périls qu'il courra, des
difficultés de transports, de la pauvreté du pays et du
manque de vivres qui en résultera. La conclusion est du
noir le plus foncé : (( Le danger d'aller flairer un ennemi
avec des troupes harassées et peut-être mortes de faim,
l'éloignemcnt de tout point d'appui, l'incertitude de
pouvoir être secouru par l'armée, tout cela ne présente
pas des points de vue agréables. »
1
(1) Sainl-Germain à Bellcislo, Dortinuntl, 2 juillet 17C0. Archives de la
Guerre, vol. 3530.
MAUriIK DE SAINT-r.EUMAIN.
101
Kii (h'pit tlu ton insiiltordoniit'' ((u'il avait pris vis-à-vis
de sou chef, Saint-dermain, il faut le rcconnnltre, exécuta
do son mieux les ordres re<;us; le 2 juillet, il avait dirigé (1)
le régiment de la Tour du l'iii sur Arensperg; le V, il
quitta Dortmund avec le gros de la réserve, laissant au géné-
ral Dauvct la liVche de couvrir, avec trois brigades, les foiu's
de llagen (;t d'éelaii'er le cours de la llocr. La première
étape, de Dortmund à Meldeu, fut péiiildc A cause de la cha-
leur excessive; fort heureusement S|)6rcken ne lit rien
pour la troubler; « Je souhaite bien <[ue la fantaisie no
lui vienne pas d'occuper ([uehjues points sur la Uocr;
s'il le faisait, je ne sais pus trop ce ([uc nctu.s devien-
drions ».
Malgré ses sombres pronostics. Saint-dermain continua
fja marche; le G, il était à Meschedc {•!) et allait eu partir
le 7 pour Brillon, ([uai 1 il apprit l'arrivée à Werle. le
5 au soir, d'un corps ennemi de 5 à 6.000 hommes; in-
quiet pour ses communications et pour ses magasins, il
renvoie une brigade h. Arensperg et deux à Frieiiohl (:?) ; il
n'a du pain que jusqu'au 10, jour pour lequel Hroglie lui
avait fixé i-endez-vous à Corbach; il y aurait été le *.) sans
le mouvement de l'ennemi ; dans les circonstances actuelles
il ne pourra guère y être rendu avant le iï ou le 1.'). En
même tenqjs qu'il communiquait ces détails à Helleisle.
Saint-Germain eut soin d'informer le commandant en chef
de l'obligation dans laquelle il se trouvait do s'arrêter
provisoirement à Meschedc. Broglio lui répondit aussi-
tôt (/i.). Ainsi qu'il le lui avait écrit la veille, toutes ses mesu-
res avaient été combinées pour ell'ectuer la jonction le î> à
Corbach, « où vous m'aviez mandé que vous arriveriez ce
i V
(1) Saiiil-Gcrmaiii àHroglie, Molden, i juillet 17Gii. Arthives de la Guerre.
(2) Sainl-Gerinaia ABeileisle, Mescliede, 7 juillet tTiiO. Archives de la Guerre.
(;{) Village entre Arensperg et Mcscliode.
(it llroglie à Saint-Germain, l'"rancUenberg, s juillet ITHO, 5 heures soir.
Archives de la Guerre.
tt •
192
LA CUEHRE DK SEPT ANS.
ClIAP. IV.
jour-là » ; par crainte d'être prévenu par l'ennenii, il allait
se mettre en route le 8, et en conséquence il le priait « de
marcher, quoi qu'il en pût arriver, pour vous rendre le 9
ou au plus tard le 10 de l)onne heure à Corbach, cela étant
delà plus yrande importance ». Il poursMit : « Je ne puis
que vous répéter la même chose et quoique j 'aie évité
jusqu'if'i de me servir du mot d'ordre, je ne balance point
dans cettu occasion, vu son importance pour le service
du Roi à quoi toute considération doit céder, à vous en
donner un positif d'être le 10 au plus tard avec le plus de
troupes ({u'il vous sera possible à Corbach, et de vous y
faire précéder, dès le 9, par un régiment de troupes légères
qui y annonce votre arrivée avec tout votre corps pour le
même jour. A l'égard de votre pain, si vous ne pouvez
le tirer de vos derrières, M. de Peyre vous en fournira,
et il y est préparé; je vois par le mémoire de M. de Lisle
que vous êtes payé en pain jusqu' lu 11 inclus. Quant
à la fatigue des troupes, il est des cas où elle est néce>
saire, et celui-ci en est un. L'armée entière a fait aujv^ur-
d'hui sept lieues par le temps le plus mauvais, sans que per-
sonne murmure, parce qu'on sait que cette célérité peut
seule procurer le succès de notre opération. Je marche-
rai demain pour déboucher par Sachsenberg dans le bas-
sin de Corbach, et je compte que vous m'y joindrez au
plus tard après-demain supposé que sur ma lettre d'hier
vous n'ayez pas marché aujourd'hui. »
Les ordres du maréchal furent exécutéo ; Saint-Germain
écrit (1) de Giershagen, localité située entre Brillon et
Corbach, qu'il vient d'y entrer avec deux brigades d'in-
fanterie , et qu'il repart pour Corbach où la cavalerie ne
parviendra que dans l'après-midi; quant à l'artillerie
et aux deux autres brigades d'infanterie, « elles auront
(1) Saint-Geimaiti à Broglie, Gicrsliageii, a juilict 1760, 8 h. 3/i soir. Ai-
cliives de la Guerre.
"Cf
.1 Jv*-- '^>
PLAINTES DE SAINT-GERMAIN.
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bien de la peine à arriver demain (1) à moins que l'on
m'envoie des ciievaux )>. Il va sans dire que le comman-
dant de la réserve est outré de la marche forcée qu'on
lui a imposée et du ton de Rrogiie à son égard. Auprès
du ministre, il se répand en jérémiades (2) : « Je reçus
hier 8, à 11 heures avant iiiidi, l'ordre de M. le maréchal
. . . . *
de partir tout de suite... Je partis hier à 1 heure après
midi, il en est déjà aujourd'hui 9 heures du matin, et
l'artillerie ni les équipages ne sont point arrivés. Tous les
chevaux sont rendus, parce qu'il n'a pas été possible de-
puis six jours de trouver un brin d'avoine ; je marcherai
encore cependant cette après-dinée et tâcherai de faire
trois» lieues alm de n'en avoir plus que cinq à faire dans
la journée de demain. » Suit ane énumération des diffi-
cultés qu'il rencontre : pluies continuelles, insuffisance
d'attelages, chemins détestaj^-^es... « Je ne vous dissimule
pas, Monseigneur, que je n'y puis f^lus tenir et j'insiste
à vous démancher mon rappel; je suis si déterminé à
ne point servir sous M. de Broglie, parce que cela m'est
impossible, que je déserterais plutôt que de continuer. Je
sens. Monseigneur, l'indécence du terme, je vous en de-
mande pardon, mais je ne puis pas vous exprimer autre-
ment et vous rendre la situation de mon âme et certaine-
ment j'agirais en conséquence coûte que coûte. »
Pour la compréliension du sujet, il a fallu accompagner
Saint'Germ.un jusqu'à la veille de son arrivée à Corbach;
retournons maintenant à Broglie que nous avonr laissé
dans son camp de Ncustadt. Le repos qu'il y fit prendre
se prolongea jusqu'au 7 juillet et ne fut interrompu par
f'ucun incident important. Un raid exécuté par le briga-
dier Nordmann sur Fritzlar où étaient remisés les équi-
(1) Ces dci-nières lrou])PS rejoignirent le 10, trop tard pour participer i
i'.ictiou : Vologny (chef d'étal-inajor de la réserve) à Bolleisle, Corbach, tl
juin 1760. Archives de hi Guerre.
(2)Sain'-cermain à Bellcisle. Urillr-ii, 9 ju ilet 1760. Archives delà Guerre.
Cl'EllIC, DE SEPT ANS. — T. IV. 13
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LA GUKRRE DK SEPT ANS.
CIIAP. IV.
pages des confé(16r«^s n'eut qu'un succès partiel. Les Fran-
çuis s'y montrèrent le 30 juin au point du jour, détruisirent
un magasin, capturèrent quelques voitures et rendirent la
liberté à une centaine de hussards de Berchiny, mais l'en-
trée en scène de Lïickner les força à un retour précipité.
Le maréchal, qui avait fait occuper Franckenberg par une
avant-garde, y marcua, dans la nuit du 7 au 8, avec le
gros de l'armée. Il y parvint le 8, après une étape de sept
lieues par la pluie battante. Le 9, l'Eder fut franchi sans
opposition et Tavant-garde, sous le brigadier Clausen,
allait dresser ses tentes près d'Imminghausen sur la rive
gauche, quand les éclaireurs furent reçus à coups de fusil,
lîroglie les rejoignit, s'assura que l'ennemi était en force
et n'ayant pas encore assez de monde avec lui, ajourna
toute rencontre jusqu'au lendemain.
Pendant les premiers jours de juillet, Ferdinand était
resté à deux lieues du quartier général français, au village
de Diedershausen, tout près de Ziegenhayn, où les pre-
miers renforts anglais le rallièrent. Au cours de son
séjour, il avait appris le mouvement de Saint-Germain sur
Arensperg, et grâce à une lettre interceptée, il était informé
de la jonction projetée dans les environs de Corbach; lo
départ de Broglie pour Franckenberg confirma ces avis,
aussi n'hésita-t-il pas à diriger son armée sur Corbach
pour s'opposer à la réunion des deux fractions dec forces
françaises : « .le me mis en marche le 8, écrit-il (t), à
;j heures après midi, et arrivai le î), au matin, sur les
hauteurs de Braunau, non loin de Wildungen; la queue de
l'armée n arriva que tard au camp. Je poussai le corps
de Kielmansegge qui avait campé sur les hauteurs de Brau-
nau en avant jusqu'à Sfichsenhausen, et je le renforçais
par quelques bataillons t escadrons aux ordres du gé-
néral Griffin, confiant s deux corps réunis aux ordres
(1) Ferdinand à lloldcrnessc, Sachsenhausen, 11 juillet 17G0.Becord Oflice-
TSTsuk
COMBAT DE CORBACH.
i95
du prince héréditaire de Brunswick. L'armée se remit en
marche le 10, à 2 iieures du matin; je la fis précéder
par un détachement de six bataillons et de six escadrons
aux ordres du lieutenant-général Ohcim, afin de renfor-
cer encore le corps du prince héréditaire, mais ce corps
n'arriva que vers la fin de l'action. Comme les Français
pouvaient arriver avec le gros de leur armée au même
moment à Corbach, que je pouvais arriver à Sachsenhau-
sen, je jugeai très nécessaire d'y avoir un corps tout prêt
pour protéger la formation de l'armée, d'autant plus que
M. de Saint-Germain était arrivé selon mes nouvelles le 9
à Corbach, et que M. de Broglic avait poussé son avant-
garde de même jusqu'aux environs de cette ville. »
Le prince héréditaire, dont les troupes se composaient
de 14 bataillons et IV escadrons appartenant aux divisions
Kielmansegge et (iriffin et à la brigade Liickner, soit 10 à
17.000 hommes, était parvenu le 9 dans l'après-midi à
Sachsenhausen ; il s'y heurta à un détachement de cava-
lerie française qu'il repoussa, posta un bataillon dans les
bois, au-dessus du village de Strothe, et appuya cetle
avant-garde avec l'intention d'attaquer, le lendemain, les
Français qu'on apercevait aux abords de Sachsenberg.
Le 10 juillet, au lever du jour (1), les troupes du prince
occupaient en nombre la crête qui sépare le plateau de
Corbach de la vallée de la Werba. Averti par Clausen,
qui commandait les avant-postes, Broglie se rendit à
la justice de Corbach, petite hauteur en avant de la
ville; de là il put reconnaître la position ennemie. Les
confédérés s'étaient établis sur les contreforts boisés qui
se détachent de la plaine ouverte en avant de Corbach,
dans la d* ection de Strotbe et du vallon de la Werba;
i I
(1) Le récit du combat de Corbacli est tiré du Bulletin des opérations de
l'armée, du rapport de Broglie, de celui du prince Ferdinand et des corres-
pondances des ofliciers français et anglais Chabo, Hoyd et l'eirson. (Voir la
carte à la fin du volume).
IM
106
LA GUERRK DE SEPT ANS. — CllAP. IV.
I
on discernait leur infanterie garnissant l'orée du bois et
derrière la forêt les reconnaissances signalaient un corps
de 7 à 8.000 hommes formant réserve. A ce moment,
Broglie n'avait encore à sa disposition, en outre des
troupes légères de Clausen, que deux brigades d'infan-
terie, les carabiniers et huit pièces de gros canon. Il fut
rejoint, vers 5 heures du matin, d'après la version de Saint-
Germain, parce général avec les volontaires de Flandre
et les deux brigades de la Tour du Pin et de la Couronne.
Les nouveaux venus furent aussitôt dirigés vers les dos
d'i\ne boisés où se tenaient les ennemis : « Je ne pus pas,
écrit Saint-Germain (1), les chasser de ce bois où ils étaient
déjà, mais nous les contînmes pendant plus de 4 heures. »
D'après le croquis annexé au journal des opérations de
larmée , les soldats de Saint-Germain auraient pris pos-
session d'une partie du promontoire de gauche, mais
auraient été impuissants à s'emparer complètement de
la foret. Peu à peu, l'affaire dégénéra en canonnade;
il y eut en tout cas dans l'offensive française, un moment
d'arrêt causé psv l'apparition de deux colonnes enne-
mies qui paraissaient considérables : « Je crus, écrit Bro-
glie, que c'était l'armée du prince Ferdinand, et effec-
tivement, il y avait lieu de le penser; cela m'engagea à
suspendie l'attaque des bois, et même à faire arrêter au
delà de Corbach les brigades de cavalerie, parce qu'il n'y
avait encore aucun débouché fait pour la retirer en cas
de nécessité, mais ayant vu la queue des colonnes des
ennemis et ayant lieu de croire que ce n'était pas l'armée
entière, j'envoyai ordre à toutes les troupes qui étaient en
marche de me joindre. » Les colonnes aperçues étaient
probablement la cavalerie et l'infanterie du général Oheini
que le prince Ferdinand, de son camp de Wildungen,
•
(1) Sainl-Germain à Belleisie, Berndorr, U juillet 17GU. Archives de la
Guerre.
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PUISE DES nOIS PAR SAINT-GERMAIN ET GUERCHY.
I'.l7
avait détachées en avant; quant au gros des confédérés, il
était encore trop loin pour cire visible du cliamp de ba-
taille.
Rassuré sur le nombre des ennemis qu'il avait devant
lui, Broglie fit entrer en ligne son infanterie et son artillerie
au fur et ù mesure de leur apparition. Au feu des batteries
<{ui reprit avec plus d'intensité, se mêla celui de la fusil-
lade. Saint-Germain fut renforcé des brigades de Royal
Suédois et de Castella; ces troupes joignirent leurs efforts
à ceux de leurs camarades de la Tour du Pin et de la
Couronne, s'emparèrent définitivement du premier contre-
fort et se retournèrent contre le reste de la position, « pre-
nant à revers l'endroit du bois ])ar où les ennemis y en-
traient et qui voyait la plaine ». Le rapport de Broglie, à
qui nous empruntons ce détail, continue ainsi : <■ .le ils
avancer alors 2V pièces de canon du parc qui arrivaient,
et je les plaçais sur le haut du bois pour attacpier une
batterie que les ennemis avaient à la pointe droite, et
d'où ils nous incommodaient beaucoup y ayant sept pièces
de canon et trois obusiers. En môme temps, je fis marcher
M. de (lucrchy avec les brigades du Roi et de Navarre sur
la droite de M. de Saint-Germain pour entrer dans le bois
et attaquer cette batterie, et je fis avancer à l'entrée du
bois celles d'Auvergne et d'Orléans pour servir de réserve
et être portées où on en aurait besoin. La brigade de Na-
varre se porta à la batterie, et celle du Roi entra dans le
bois entre Navarre et M. de Saint-Germain. Le feu fut
alors très vif, et les ennemis entièrement chassés du bois.
Alors, la brigade de Navarre qui, à la faveur d'un fond,
s'était portée jusqu'à cinquante pas de la batterie sans en
être aperçue, l'attaqua avec beaucoup de vivacité, s'en
empara et chassa les troupes qui la gardaient, dont il y
en eut même un assez grand nombre tué à coups de
baïonnette par les grenadiers et chasseurs de cette bri-
gade qui en avaient la tète. Les ennemis sortirent du bois
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198
I.A GUEUm-: DK SKPT ANS. — CIIAI». IV.
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en très grand désordre, mais ils furent reçus par leur ca-
valerie qui était en bataille derrière, et qui enqjôcha
notre infanterie de les suivre. »
Consultons maintenant sur cet épisode le récit du
prince Ferdinand qui as.sistait h la bataille depuis le ma-
tin : après avoir relaté les attaques répétées des Français,
il ajoute : « Il n'était pas nécessaire de soutenir le poste
que le prince occupait, dès que l'armée fut arrivée, et il
n'était possible de venir avec l'armée à temps de Sachsen-
hauscn audit poste pour le secourir; c'est pourquoi, j'or-
donnais au prince de se replier sur l'armée, dont une
partie était alors formée. Le prince fit eu conséquence sa
disposition pour la retraite; quelques bataillons et quelques
escadrons perdirent la contenance et se retirèrent avec
quelque confusion. L'ennemi en profita, et pressant nos
troupes fort vivement par un grand feu de canon et par
beaucoup de cavalerie, nous aurions perdu plusieurs ba-
taillons sans la valeur du prince héréditaire, (|ui se met-
tant à la tète d'un escadron de Jîland et du régiment de
Howard, chargea l'ennemi avec tant de violence que notre
infanterie eut le temps de se reconnaître et de faire sa
retraite. » Le commissaire anglais Hoyd 1' ([ui était égale-
ment présent, rend compte de la reculade désordonnée des
défenseurs des bois de Corbach et en particulier de cinq
bataillons qui avaient beaucoup souffert. Un gros corps de
cavalerie française qui, jusqu'alors, avait été posté près de
la ville de Corbach, s'avança au grand galop et fit mine
de tomber sur les fuyards. Pour les protéger, le prince
héréditaire fit charger deux escadrons anglais; très infé-
rieurs en nombre, ils furent entourés par les Français et
subirent de lourdes pertes, mais leur dévouement ne fut
pas inutile, car il donna le temps à l'infanterie battue
d'éviter un désastre. Voici en quels termes Broglie ra-
(1) Boyd à lloldernesse, Sachscuhausen, 12 juillet 17Go. Record OHico,
SUCCKS DES FRANÇAIS
199
conte cet incident : (( Je fis marclier sur leur flanc droit
(d'un corps d'infanterie anglaise qui cliercliait à recou-
vrer la batterie dont la brigade de Navarre tétait em-
parée) 4 ou 5(M> ciievaux de troupes légères que j'avais à
la justice de Corbach aux ordres de MM. de Cliabo et de
Vioinenil, et je les fis soutenir par !() escadrons aux ordres
de M. le prince Camille. Cela détermina les ennemis à se
retiier, ainsi que quelques coups de canou que l'on lira ;
nos hussards joignirent un régiment de dragons anglais
qu'ils tuèrent ou prirent presque tout entier ; le reste entra
dans un bois que nos troupes légères, soutenues des dra-
gons de Beaufremont, tournèrent. » 11 n'y eut pas d'autre
poursuite, et l'action se termina vers 5 heures par la re-
traite des confédérés à Sachsenhausen où ils campèrent.
En outre de la batterie prise par Navarre, les vain(|ueurs
capturèrent quatre pièces de parc et trois pièces régimen-
taires.
Pendant la mêlée, le prince héréditaire, toujours au
premier rang, fut atteint par une balle ; malgré sa bles-
sure, il resta à cheval jus([u'à la fin de l'action. Il n'en ré-
sulta pour le jeune général qu'une indisposition de quel((u<'S
jours, mais elle fournit l'occasion à Broglie de faire mon-
tre de courtoisie en demandant des nouvelles du blessé et
en proposant les services de ses chirurgiens : « Comme
les chirurgiens français, écrit-il au prince Ferdinand (1),
passent pour les meilleurs de l'Europe, je prends la liberté
de lui en offrir des nôtres et nous en avons ici d'excel-
lents, »
Au combat de Corbach, les Fran^^ais perdirent 58 offi-
ciers tués ou blessés et 761 soldats, soit en tout 819, dont
une centaine par suite de l'explosion de caissons de muni-
tions dans les lignes françaises; l'état officiel de l'armée
confédérée accuse 82'i. officiers et soldats mis hors de com-
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(t) Broglie à Ferdinand, Corbacli, r> juillet 17(iO. Wesiphalen, IV, 3;u>.
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LA GlERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV
biit; dans ce chifîi'C, les prisonniers non blessés fignrent
pour 179. Du côté des Français, les régiments de la Tour
du Pin, Royal Suédois et Auvergne furent les plus éprou-
vés; la cavalerie n'eut que î) tués et 10 blessés. Broglie ter-
mine sadépô(;he par l'éloge de ses principaux lieutenants :
« MM. de Saint-derniain et de (iuerchy ont manœuvré à
merveille et conmie on peut l'attendre d'eux. » Les forces
présentes îl l'alfaire sous les ordres du maréchal se mon-
tèrent à 8 brigades, soit 32 bataillons et 15 escadrons avec
un contingent de troupes légères. Le prince Ferdinand
leur opposa 24 bataillons, sur lesquels 5 ne furent pour
ainsi dire pas engagés, et 23 escadrons, dont la plu-
part ne prirent pas part à l'action; il n'est pas fait men-
tion des irréguliers, mais il est probable que le corps de
Liickner fut à portée du cbamp de bataille. D'après ces
données, si nous tenons compte de l'eUeclif supérieur
des bataillons confédérés, nous pouvons estimer les com-
battants à 2'i. ou 25.000 Français et 20.000 Hanovriens.
En résumé, le succès de Corbach couronnait fort heu-
reusement un début de campagne qui faisait honneur à
Broglie et à ses soldats. (irAce à des manœuvres habiles,
grâce aussi aux fautes de l'adversaire, l'armée avait passé
successivement l'Ohm et l'Eder; alors que quelques jours
auparavant il tremblait pour Giessen, aujourd'hui le ma-
réchal était maître de Marburg et allait l'être de Dillen-
burg, dont le siège se poursuivait activement; il avait dé-
logé l'ennemi d'une grande partie de la liesse et par suite
de sa jonction avec Saint-Germain, il avait acquis la supé-
riorité du nombre et du moral.
Ne fallait-il pas en protiter pour continuer l'offensive
avant l'arrivée de Sporcken que Ferdinand allait certai-
nement appeler à son secours? Le général hanovrien, qui
avait sous ses ordres 17 bataillons, 18 escadrons et 30 piè-
ces de canon, était encore le 9 à Hamm; dès le lende-
main du combat de Corbach, le 11 juillet, le prince lui
fvV
SPORfKEN UEJOINT LE PHINCE TERDINAND.
201
manda I) : « de faire toute la diligence possible pour ar-
river », il craignait que le défile de Stadtberg ne fût
tombé au pouvoir des Français et conseillait de passer la
Dymel à VVarburg. Aucune tentative ne fut faite pour em-
pêcher ou retarder la marche de Sporckcn (jui franchit, le
12, les défilés de Stadtberg- sans se soucier du voisinage le
Saint-Germain et vint former la droite des confédérés à
Landau.
En faisant son rapport à la cour de Londres, Ferdinand
prit prétexte de l'échec qu'il venait d'essuyer, pour de-
mander l'augmentation du contingent britannique; il ob-
tint gain de cause et reçut avis que, sur la proposition de
Pitt, 3 bataillons de gardes seraient envoyés en Allema-
gne sous les ordres d'un général qui portait le nom de
Cœsar (2). A la suite du combat de Corbach, les deux ar-
mées restèrent campées à une lieue l'une de l'autre : Ferdi-
nand sur les hauteurs de Sachsenhausen, l'armée française
sur le champ de bataille. Broglic ne prévoyait pas la
possibilité de reprendre les opérations avant le 13, à cause
de la fatigue des hommes qu'avait épuisés une étape de
iï lieues, accomplie par mauvais temps, et parce que la
nouvelle distribution de pain ne pourrait se faire qu'à cette
date. En efl'et, le ik juillet, le gros du corps de Saint-Ger-
main fut posté à Gembeck, ses troupeb légères à Iled-
(ùnghausen ; le lendemain, il s'établit à Canstein, près du
défilé de Stadlberg. Le prince Ferdinand avait conservé à
Sachsenhausen une position que Broglie (3) jugeait inat-
taquable, mais qu'il espérait tourner par Stadtberg en
portant ses forces au delà de la Dymel. Toutefois, cette
(l) Ferdinand à Spoicken, Sachsciiliauseii, 11 juillet 17(io. Westiilialen, IV,
1». ;!32.
(:>) La famille Adelmère. à laquelle appailenail le général, avait abandonné
ce nom pour celui de Cœsar , surnom d'un ancêtre illustre, sir Julius Adel-
mère alias Cœsar.
(3) Broglie à Belleislo, Corbach, 17 juillet 17G0. Arcliives de la Guerre.
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l.A GUKHUK I)K SKPT ANS. — CllAP. IV.
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opération, qui éloig-nait rai'mre de .Marburj^ et do (lorhacli,
nécessiterait un changement de la base de ravitaillement.
Déjà Saint-dcimain se trouvait fort exposé : u Le poste
de StadtbtM'g, écrit-il il lli'oglie (1 , n'est honni pour nous,
ni pour les ennemis; je le ferai cependant occuper puis-
que vous l'ordonnez. » La réplique du maréchal (2) ne se
fit pas attendre : >< Je ne vous ai pas ordonné d'occuper le
poste de Stadtberg- s'il est mauvais, et vous n'avez qu'à
relire ma lettre; je m'empresse de vous prier de songer
que nous devons aller au bien de la chose. C'est là ce ([ui
doit uniquement nous conduire tous. »
Ainsi qu'on le voit par ce spécimen de la correspondance,
les rapports entre le maréchal et le commandant do son
aile gauche étaient aussi tendus que jamais. Hroglie, dans
son accusé de réception du billet injurieux que Saint-Ger-
main lui avait adressé le 1'" juillet de Dortmund, s'était
servi de ternies très mesurés, mais il avait soumis le cas au
Uoi et envoyé à Belleisle copie de toutes les lettres échan-
gées. Malgré toute sa sympathie pour Saint-Germain, et
en dépit du sentiment opposé qu'il nourrissait à l'égard de
son chef, le ministre n'avait pu s'empêcher de donner rai-
son à ce dernier. Une cherche pas à cacher ses impressions
à Saint-Germain; il a pris connaissance (3) de la réplique
de Broglie, « dont on ne peut trop louer la sagesse et la
modération; c'est l'effet que la lecture de cette réponse
a opéré sur l'esprit du Roi et de tout son conseil, et je
puis ajouter sur celui de tous vos amis les plus intimes,
car quelque volonté que l'on puisse avoir de vous excu-
ser, il est impossible de le faire en considérant le mou-
vement d'humeur qui vous a pris comme une vapeur pen-
(I) Saint-Germain à Broijlie, Canslcin, 17 juillet 17G0. Archives de la
Guerre.
{■>) Bro};lie à Saint-Germain, Coibach, 17 juillet 1700, 9 h. 1/2 soir. Archi-
ves de la Guerre.
(3) Belleisle à Saint-Germain, 11 juillet 1700. Archives de la Guerre.
DISOUACK l)K SAINT OEHMAIN.
203
dnnt laquelle vous avez écrit, comme vous l'avez fait, à
M. le maréchal de Hroyiie ». Il ne lui reste d'autre |)arti
<|ue de faire des excuses et d'exprimer ses regrets au
commandant en chef. Helhùsln ajoute qu'il a écrit î\
celui-ci (1) dans le munie sens : « Si M. de Saint-Ciermainne
reconnaît pas son tort, comme il le doit, en vous priant
d'oublier la démarche <iu'un mouvement involontaire et
trop prompt lui a fait faire >, le maréchal est autorisé
par le Roi ii lui donner un passeport pour rentrer en
f'rance. A la cour, les amis de Broylie s'étaient rais eu
campagne; l'ahhé de Hroglie avait adressé au Dauphin,
à M'"" de Pompadour, à Soubise, à Choiscul, ainsi (|u'i"l
Belleisle, un mémoire (2) constatant l'impossibilité de con-
server Saint-(Jermain à l'armée et demandant son renvoi.
Belleisle fit savoir (ju'il s'en tenait à sa dépèche de la
veille.
Depuis la jonction de la réserve avec la grande armée,
les relations s'étaient encore envenimées; Saint-dermain
était convaincu que Broglic n'avait pas fait valoir suffisam-
ment la part qu'il avait eue au succès d(> Corbach. Il ne
dissimula pas son mécontentement à tout son état-major et
s'en plaignit même à Broglie. Celui-ci se justifia : « Je
n'ai pas vu un mot qui blessAt la vérité la plus exacte,
ni. Monsieur, qui put vous attaquer en aucune sorte de
manière, et qui ne vous rendit toute la justice ([uc vous
méritiez. » Il s'agissait du retard apporté à l'arrivée de la
réserve qui aurait été promise par Saint-Germain lui-
même pour le 9, et qui n'aurait été effectuée que le 10
juillet. Pour un esprit prévenu, tout incident est mal
interprété; aussi nul doute que le malheureux général
se crût sous le coup d'une nouvelle humiliation. Voyer,
qui servait sous ses ordres et qui était de ses intimes,
(I) Belleisle à Broglic, 11 juillet 1760. Archives de la Guerre.
('?.) Abbé de Broglio à Belleisle, l'i juillet ITCO. Archives de la Guerre.
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I.A (lUKUHK Di; SKPT ANS. - CIIAIV IV.
trace (le .sou chef (1) le cro(jui.s suivant : « Je me ci'ois
obligé de vous inlormcr que M. de Sainl-dcrmain n'est
pas d'un caractère i\ vivo mené par la lisière, qu'il sait
obéir ot couuuander, (ju'il l'a prouvé; mais (|u'il est sur
la forme d'une sensibilité (|u'ou ne saurait a;iprécier,
que cette sensibilité augmente encore par la connaissance
qu'il a de sa supériorité dans les véritables parties du
métier de la (luerre, qu'il ne fera aucune démarche pour
rapprocher les esprits, qu'il no conviendra d'aucun tort,
et qu'il serait peui-étre dangereu.v de vouloir le changer
ou le corriger sur sa façon d'être, par la raison que ce
qu'on pourrait aujourd'hui taxer d'imperfection, chan-
gera de nom et s'appellera vertu et supériorité, lorsqu'il
sera arrivé à la place où il doit p.irvenir... M. de Saint-
Germain vient de me parler de la lettre qu'il a reçue; le
résultat de ce qu'il m'a dit à ce sujet est qu'il finira la
campagne avec résignation, à condition ([ueM. le Maréchal
aura pour lui un peu moins de rigidité et de sécheresse...
Il a plus que jamais le bulletin ou la relation sur le cœur;
en vérité, Monseigneur, il a raison sur cet article. »
D'im personnage aussi susceptible et aussi entiché de son
propre mérite, il ne fallait pas attendre les excuses qui,
seules, eussent rendu possible son maintien à l'armée. Elles
ne se produisirent pas, et le 19 juillet, Hroglie lui adressa
l'ordre de remettre son commandement au chevalier Du
Muy et un passeport pour rentrer en France. I.a lettre ri)
du maréchal est à citer : « M. le maréchal de lîeileislc
m'a mandé. Monsieur, par sa lettre du 11 de ce mois qu'il
vous dépêchait un courrier qui arriverait avec le mien
pour vous faire connaître les intentions du Roi, consé-
quemment a la conduite que vous aviez tenue vis-à-vis
de moi et à celle que Sa Majesté vous prescrivait pour la
(1) Voyer à Bellei.sle, Canslein, IG et 17 juillet 1760. Archives de la Guerre.
(2) Broglie à Saint-Germain, Corbach, H» juillet) 8 heures du soir. Archives
de la Guerre.
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])V MUV REMPLACE SAINTOEIIMAIN.
305
rt''|>aief. J'ai atteiitlu <|uatro jours pour vous donner le
temps (le l'aire vos réflexions là -dessus, et je désirais
avec l'empressenient le plus gi-and et le plus siiic«'M'e (|ue,
revenu de l'humeur qui vous avait dicté la première dé-
uiarclie, vous voulussiez me uu»ttrc dans le cas d'espérer
qu'il n'en serait plus question, et recommencer avec vous
le commerce de confiance que j'ai toujours eu pour objet
d'établir avec vous. Mais ayant pris le parti de renvoyer
le courrier à M. le maréchal de Belieisle sans m'avoir
parlé, et les lettres que j'ai re<;ues de vous depuis étant
pleines du même esprit ([ui avait dicté les premières, je
me vois obligé bien malgré moi d'user de la permission
que le Uoi m'en a donné, en vous envoyant un passeport
pour retourner en France. » Hroglie terminait en expri-
mant ses regrets « d'avoir été réduit à une pareille dé-
marche )) et déclarait qu'il ne s'y serait « jamais résolu
sans la nécessité absolue dont elle est pour le service de
Sa Majesté ».
Saint-(Jermain répondit par un simple accusé de ré-
ception, quitta son quartier général de bonne heure le
lendemain et se retira aux eaux d'Aix-la-Chapelle où il
lit une cure de plusieurs mois. Belieisle, Uuverney et Cre-
mille mirent tout en œuvre pour le retenir au service
du Roi; il y eut de longs pourparlers; Cremille lit le
voyage d'Aix-la-Chapelle pour s'entretenir avec lui; mais
soit que les offres ne lui parussent pas en rapport avec
S'^j prétentions, soit que l'opposition des amis do Bro-
glie à une rentrée en faveur fût trop puissante, la né-
gociation n'aboutit pas, et Saint-Germain, las d'attendre,
accepta le commandement de l'armée danoise, et renonça
à toutes ses fonctions et distinctions franc^'aises. Il fut vi-
vement regretté dans son entourage; à en croire Doreil,
que nous avons connu au Canada et qui renq)lis3ait l'em-
ploi de commissaire des guerres de la réserve, si son
départ n'avait pas eu lieu pendant la nuit, il y aurait
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LA GUKUUK I)K SKPT ANS. — CHAP. IV.
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eu des clémonstiaîions de la part de roflicior et du soldat.
« Vous ne pouvez jamais vous imaginer, éci'it-il à Bel-
leisle (1), jusqu'il quel point était la coniiance et l'amoni'
des officiers et des troupes pour M. de Saint-Gevniain et
combien il mi'srite ces sentiments, avec les plus grands
talents d'un général, doux, humain, poli, prévenant, pro-
bité, droiture, vérité, toujours égal, la tète la plus froide
(jue j'aie jamais vue et aussi froide au combat que dans
son cabinet; il réunit toutes les vertus. »> Castries s'ex-
prime sur le même ton (2) : « Il avait acquis noti-e con-
fiance; toutes les troupes se croyaient en silreté avec lui
et nous étions sûrs d'apprendre notre métier sous ses or-
dres. »
No is épr uvons quelque peine à comprendre ces ap-
préciations enthousiastes ; nous avons suivi Sa nt-Germaiu
dans les campagnes d'Allemagne, depuis la bataille de
Rosbach jusqu'au combat de Corbach; pendant cette
période il exerça des commandements importants; sur le
terrain, notani'Mcnt à Crefeld, il montra du coup d'oeil et
sut tirer bon ^ .u'ti de sa division, mais sa capacité, selon
nous, ne s'éleva pas au degré supérieur. Au point de vue
stratégi(iue, la prudence dégénérant en timidité, la crainte
perpétuelle d'être tourné ou co'ipé, ia superstition de la
supériorité numérlcjuc de l'ennemi, l'exagération des diffi-
cultés d'approvisionnement, se reproduisent trop souvent
dans l'action militaire de Saint-Germain pour que nous
puissions nous associer aux éloges que lui décernaient ses
admirateurs et qu'il acceptai", si volontiers quand il ne les
revendiquait pas.
Pour en finir avec l'incident Saint-Germain, disons tout
d'abord que Brogiie rendit compte à Louis XV de sa con-
duite dans une lettre (^ui ne iait que répéter les cxplica-
(1) Doreil à lldleisle, Canstein, 20 juillet l/OO. Archives de la Guerre.
(2) Castries à Belleisle, Canstein, 21 juillet 176o. Archives de la Guerre,
LES ARMEES SEPAREES PAR LA WERTHA.
207
tions déjà données à lielleisle. Il ne se contenta pas de
sévir contre celui qui paraissait être le chef des mécon-
tents; persuadé qu'un mauvais esprit régnait parmi les
lieutenants-généraux de la réserve, mal disposé à l'égard
d'hommes qui avaient été choisis sans son approbation,
Broglie prit des mesures pour renouveler l'état-major su-
périeur. Voyer, avec lequel il avait eu maille à partir k
propos de la surprise de Paravicini à Dillenburg, et du l.uc
furent déplacés et n'ommés à des emplois inférieurs dar.s
la gi-ande armée; tous les deux, furieux de cette dis-
grâce, obtinrent leur congé et rentrèrent en France.
Broglie fut moins dur pour Castries, qui était aussi dévx)ué
que ses camarades à son ancien général ; la parenté de
Castries avec Belleisle, dont il était le neveu, ne fut pro-
bablement pas étrangère à cette modération. Aussitôt après
le départ de Saint-Germain, le maréchal réunit tous les
lieutenants-généj'aux et leur lut sa correspondance avec
le disgracié. Castries, disons-le en passant, donne toit à
Broglie, et croit qu'il était impossible, pour le comman-
dant de la réserve, de présenter les excuses qu'on lui im-
posait • « Après cette lecture, écrit-il (1), M. de Broglie a
parle de cabales et d'esprit d'insubordination; il nous a
dit que c'était depuis que la réserve s'était approchée de
l'armée qu'il y en avait eu. Ce propos n'était pas flatteur
pour nous, il n'est pas même juste; nous espérons que
M. le chevalier de Muy nous rendra justice auprès de
lui quand il nous connaîtra davantage. La démarche
que M. de Broglie a bie^i voulu faire en mécrivant prouve
qu'il ne me confond pas dans ce nombre. » Dans un en-
tretien particulier avec le général en chef, Castries re-
connut qn'il avait toujours bUVmé sa conduite ;\ Minden,
mais affirma que cette critique n'avait pas pris la forme in-
jurieuse qu'on lui avait attribuée. « Il m'a répondu bonne-
.
il
(1) Castries à Uellcislc, Caiisloin, ;il juillet 1700. Archives de lu Guerre.
msiBBim
JHUU.
an
208
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
"I
1
tement sur tous ces points, et je vais m'occiiper du soin
(le bien faire la place qu'il vient de me confier. » L'atti-
tude subséquente de Broglie vis-à-vis de Castries, les mis-
sions importantes dont il le chargea, prouvent qu'il ne lui
garda pas rancune de sa franchise.
Revenons aux événements. Les deux armées postées en
face l'une de l'autre, offraient un spectacle imposant :
« Notre camp, écrit un correspondant français (1), s'étend
à près d'une lieue et demie, quoique l'infanterie n'ait que
60 pas par bataillons et la cavalerie 25 par escadrons. Les
curieux montent journellement à une tour d'où l'on dé-
couvre tout le pays ; et comme les ennemis ne sont qu'à une
lieue de nous, on aperçoit aisément toute leur armée qui
est sur une hauteur au pied de laquelle coule la Wertha.
Le coup d'oeil est magnifique : on voit d'un côté nos deux
corps d'armée faisant ensemble plus de 136.000 hommes,
et de l'autre les ennemis au nombre d'environ 90.000. »
Cependant, en dépit de sa supériorité numérique, Broglie
n'était pas sans inquiétude sur la sécurité de son ravitail-
lement; la pointe qu'il avait poussée sur Corbach et dans
la direction de Paderborn, menaçante pour le prince Fer-
dinand, ne laissait pas d'offrir quelques dangers. Les con-
fédérés, campés à Sachsenhausen, encore maîtres de Zie-
genhayn, étaient presque aussi rapprochés que ceux-ci de
Marburg, base d'approvisionnement des Français; aussi
Broglie devait-il avoir le souci de défendre sa longue ligne
de communication contre les agressions d'un ennemi que
l'on savait entreprenant. A cet effet, il confia la surveillance
del'arrière au frère de Choiseul, le comte de Stain ville, qui
venait de quitter le service de l'Impératrice pour celui du
Roi et qui arrivait précédé d'une réputation acquise sous
les ordres de Laudon. Le nouveau commandant reçut pour
instruction d'assurer les relations entre Franckcnberg et
(1) Le Courrier, 29 juillet 17G0. Newcaslle Papers.
SURPRISE DES FRANÇAIS A EMSDORF
200
2ne
Marburg, d'expulser les partis ennemis du pays conquis
entre TEder et la Schwalm et do préparer le siège de Zie-
genhayn; Glaubitz, placé soas sa direction, devait prendre
position avec sa brigade allemande de cinq bataillons ô.
Jesberg, à moitié roule entre Marburg et Fritzlar.
Aussitôt qu'il eut connaissance de ces dispositions, le
prince Ferdinand résolut de tenter un coup de main contre
le corps isolé de Glaubitz, et si possible, contre la garni-
son de Marburg ; il chargea de cette expédition son neveu
à peine remis de sa blessure de Corbach et brûlant du
désir de venger sa récente défaite. En conséquence, le
jeune général (1) prit à Fritzlar le commandement de
0 bataillons qui y avaient été envoyés la veille, fut rejoint
à Zwesten par Lilckner avec ses hussards et un régiment de
cavalerie venu en droite ligne de l'Angleterre, coucha à
Treysa et poursuivit son chemin le lendemain 16 Juillet
jusqu'à Speckwinkel où il ramassa les chasseurs de
Friedrichs et les irréguliers de Freytag; son infanterie ne
rallia qu'à 11 heures. Le prince se porta en avant pour
reconnaître le pa^'ti français dont on lui avait signalé le
'oisinage; « il trouva leur camp placé à une gorge de
montagne, ap[» ayant leur gauche à un bois devant Ems-
dorf et ayant le village d Erksdorf devant leur droite;
il prit chiq bataillons, mit les chasseur? à pied et une bri-
gade à cheval à leur tête pour faire l'avant-garde, fai-
sant un détour de près de deux lieues au travers des bois,
des montagnes ot du village de WoHfskuler pour gagner
la gauche do l'ennemi qui, ne se doutant de rien, fut sur-
pris dans son camp ». Le rapport de Glaubitz confirme
celui de son adversaire, A un ordre de Stainville de se
rendre le 16 tV Gilseberg ou Gersberg, il avait répondu
qu'il se mettrait en route d'Emsdorf, aussitôt son pain et sa
(1) Le récit du combat dErnsclorf est tiré du rapport du prince hérédi-
taire (Weslphalon et Record Olfice) et de celui de Glaubitz (Archives de la
Guerre).
Ct'EUilE UE REl'T ANS. — T. IV. 14
mm
310
L\ GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. IV.
(i
'i
viande reçus. « J'attendais le pain qui n'arriva que sur le
midi et je comptais de partir à une heure, lorsque le
poste d'infanterie qui était à la gauche du camp dans un
bois et qui avait mal fait sa patrouille fut attacpié tout
d'un coup, culbuté, l'officier tué, et marchant en colonne
sur mon camp. Le régiment de Royal Havière dont il ne
restait plus que deux bataillons, en ayant envoyé un à
Marbourg- par ordre de M. le maréchal, était iV la distri-
bution du pain ; mais averti par les coups de fusil du
poste, jeta son pain, courut aux armes et se porta dans
le bois contre ces gens; il y eut un feu de mousqueterie
et de canon qu'ils soutinrent avec valeur; on croyait que
c(^ n'était que ce corps de 800 chasseurs quand, tout d'un
coup, nous vîmes sortir du bois une colonne d'infanterie
de toutes couleurs qui, par un quart de conversion, se
trouva vis-à-vis de nous en l)ataille; il est certain qu'en
moiasdc trois minutes, toute la brigade fut en bataille. »
Après une courte lutte, les deux bataillons de Hoyal Ba-
vière furent chassc.s du bois avec perte de leurs canons.
Au même moment, les trois bataillons d'Anhalt se virent
menacés sur leurs deux flancs par le corps de Liickner,
les chasseurs de Freytag et les dragons anglais d'Elliot.
Enfin, le prince héréditaire fit tirer son artillerie sur le
camp français et déboucha du bois avec ses cinq ba-
taillons. Assailli de tous côlés, coupé de Marburg dont
le chemin était tombé au ]i iivoir de l'ennemi, (ilaubitz
n'avait d'autre parti que celui de la retraite; il essaya de
l'efrectuer en franchissant les taillis dont il ne put se tirer
qu'en abandonnant deux des pièces ([ui lui restaient en-
core ; il gagna ainsi le village de Langestcin où il repoussa
une charge des dragons anglais. De ce village, il se dirigea
sur Nieder Klein dans l'espoir d'atteindre Marburg j)ar un
grand détour; mais le vainqueur ne lui en laissa pas le
temps. Le rapport allemand décrit la poursuite : « Étant
impossible à notre infanterie de suivre, M*"'' le Prince
■m
GLAUBITZ lAlT PRISONNIKR PAR LES CONFÉDÉRÉS.
211
prit le rég-iment d'Elliot, dragons légers, ramassa quel-
([ues hussards et traversa après eux le bois (jii'ils avaient
gagné an delù de l'Ohm et les trouvant derechef en
marche dans la plaine pour gagner Nicdcr Kloin, il donna
plusieurs fols sur eux, les perça quatre ou cinq fois, en
sépara enfin 500 hommes, les entoura et leur fit mettre
l)as les armes. Non content de cela, il marcha de nou-
veau sur le reste de l'infanterie ennemie qui s'était jeté
dans Nicdor Klein et qui s'était accollé à un bois, la frt
environner et sommer de se rendre, ce qu'elle fit. »
De ce récit, celu: de Glaubitz ne difl'ère que dans les
détails. 11 raconte qu'à la sortie des bois, il n'était
plus qu'à 2.000 pas de Nieder Klein, « mais M. de Luc-
ker qui connaissait tous les sentiers du pays tourna le
bois et je le trouvai en bataille dans la plaine pour me
couper le village; j'avais déjà alors perdu beaucoup de
monde, tant par les attaques que de la lassitude par la
chaleur qu'il faisait; je pris alors le parti de former
' "S bataillons en colonnes serrées et chercher h percer ».
La tentative ne réussit pas. Les débris de la brigade furent
obligés de mettre bas les armes. « Le soldat, relate Glau-
hitz, était rendu et exténué de fatigue, n'ayant pas eu de
viande depuis ^rois jours et point de pain, et presque
sans poudre. Il était près de 6 heures du soir, nous avions
fait plus de trois lieues de chemin par une grande cha-
leur, toujours en combattant. L'infanterie ennemie était
alors à une demi-lieue de moi derrière le bois que je
venais de traverser, les dragons, Imssards et chasseurs
à cheval et à pied qui n'étaient pas vis-à-vis de moi m'a-
vaient tourné de droite et de gauche. » Glaubitz se ren-
dit sans avoir consulté ses principaux ofliciers, ce qui
lui fut plus tard reproché. Berchiuy, avec une partie de ses
hussards, se réfugia à Marburg, d'où il écrivait trois jours
après : « De 900 hommes, il ne m'en reste plus que 2(»2
en état de service, il ne nous reste ni chemise, ni mar-
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
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mite, ni d'autre cheval que celui que chacun montait. »
Le raid d'Emsdorf est à l'honneur du prince héréditaire
et de ses soldats qui firent (1) « au moins 20 lieues en deux
fois 24 heures, les quatre dernières Tinfanterie en veste,
sans havresacs ». Dans la journée du 16, les confédérés
s'emparèrent du maréchal de camp Glaubitz, du brigadier
prince d'Anhalt et de 2.661 officiers et soldats (2) dont 5 ou
600 blessés (.'{), de 5 canons et, de 9 drapeaux. Du côté
des Français, en outre des blessés tombés au pouvoir de
l'ennemi, il y eut, au dire de Glaubitz, un peu plus de
300 tués. Les vainqueurs n'accusèrent qu'une perte de
186 [k] mis hors de combat, dont 125 pour le seul ré-
giment des dragons anglais. Ainsi que le démontrent
l'aveu de Glaubitz et les lettres d'officiers présents (5),
les Français furent complètement surpris et n'eurent
connaissance de l'approche de l'ennemi que par les
coups de feu qu'ils reçurent d'un bois qui dominait le
camp, pendant qu'ils étaient occupés à la distribution
du pain ; le général hanovrien ne leur laissa pas le temps
de se ressaisir. Malheureusement, dans notre histoire
récente et notamment pendant la guerre de 1870, nous
avons à enregistrer des incidents du môr j genre. Peu
important au point de vue général, le fait d'armes du
16 juillet vint consoler le prince héréditaire de l'échec
de Corbach et relever le moral des confédérés, un peu
déprimé par le fâcheux début de leur campagne.
Par bonheur pour le service de l'approvisionnement
de l'armée française, la fatigue des troupes empêcha
le prince héréditaire de pousser jusqu'à Marburg, car
(1) Glaubitz à Belleisle, 10 juillet 1760. Archives de la Guerre.
(2) Un assez grand nombre put s'échapper après la reddition.
(3) Courvoisier, qui assistait au combat, rapporte que le régiment d'Anhalt
eut 20 officiers et 335 soldais l)les.sés.
(4) Westphalen, IV, 347; le journal anglais des opérations du prince Fer-
dinand (London. 1764) donne le chiffre de 320 pour les perles des confédérés.
(5) Courvoisier à Belleisle, Biilzbach, 22 juillet 1760. Archives de la Guerre.
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mamm.
POSITION DES DEUX ARMEES.
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iicnl d'Anlialt
il n'y avait qu'un faible détacher lent dans cette ville et
l'îs renforts ne le rejoignirent <[u'au cours de la journée
du 17. La capitulation de Dillcnburg dont la garnison,
après une belle résistance de 15 jours, se rendit le
15 juillet, fut une légère compensation à la surprise
d'Emsdorf.
Depuis le combat de Corbach, Ferdinand n'avait pas
bougé. Voici en quels termes il décrit (1) la position des
belligérants : « J'occupe encore mon camp de Sachsen-
hausen. Le général de Spoerken en occupe un à Volck-
missen, avec la petite armée; elle est éloignée de moi
de cinq heures de chemin; mais j'ai établi des corps entre
Spoerken et l'armée, pour entretenir la communication,
et pour défendre les débouchés par lesquels l'ennemi
pourrait percer entre nous. J'ai sur ma gauche un corps
de six bataillons et de quatre escadrons, pour observer
le prince Xavier de Saxe. Le gros de l'armée française
est à Corbach; la réserve de Saint-Germain à Massen-
hausen (2), à trois heures de chemin de Corbach, sur sa
gauche; un corps de 10.000 hommes entre Corbach
et Massenhausen; un autre corps, de 8.000 hommes à
peu près, est sur sa droite, près de Voehle, à deux
heures de chemin de Corbach. M. le Prince Xavier est
marché, depuis l'affaire du 16, avec 16 bataillons et
14 escadrons outre les troupes légères à Rosenthal, à
neuf heures de chemin de Corbach. Il menace, par sa po-
sition, Ziegenhayn, et couvre en môme temps les trans-
ports qui vont à l'armée française, avec la boulangerie
de Marburg. Le pays de Waldeck est un composé de
montagnes, de défilés et de ravins; on n'y peut pas
choisir les positions à son gré. Il faut s'accommoder de
celle qui a le moins de défauts. Nous sommes si près l'un
(1) Ferdinand à llold-irnesse, SachsonUauseii, 21 juillet 1700. Reconi Office.
(i) Village voisin de Cunslcin.
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214
LA r.UKUUK DK SKPT ANS. - CII>?. IV.
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de l'autre que nos batteries portent mutuellement dans
le camp de l'un et de l'autre. Je ne puis attaqucn- les
corps postés sur les flancs, sans engager nue allaire gé-
nérale; et je ne crois pas pouvoir faire cela avec succès,
autant que j'en puis juger encore. L'ennemi ayant près
de GO.OOO chevaux à nourrir dans ses diilerents
camps
le fourrage doit bientôt commencer à lui manquer; ce
■ ([ui l'obligera à prendre un parti qui sera celui de m'at-
taquer, soit l'armée, soit un de mes corps, ou do passer eu
Westplialie ou de reculer jusqu'à Franckenberg, peut-être
pour 60 porter de là sur Ziegenliayn, ou sur Fritzlar. »
Conformément à l'une des prt sions du prince Ferdi-
nand, Broglie avait combiné, pour le 2V juillet, une at-
taque concentrée contre Spôrcken qui, depuis son arrivée
de Westphalie, était au bivouac à VVolkmisscn. Pendant
que des démonstrations vigoureuses du gros de l'armée
tiendraient en respect le prince Ferdinand et l'empêche-
raient de secourir son lieutenant, Chabo avec ses troupes
légères, Muy avec l'ancienne réserve de Saint-Germain et
le comte de Broglie avec deux brigades d'infanterie et de
la cavalerie devaient manœuvrer contre Spcircken. Le
mouvement stratégique réussit à souhait; le général luino-
vrien, après un engagement peu important, évacua Wolk-
missen et Ferdinand, le 25, à 1 heure du n)atin, leva le
camp de Sachsenhausen et se retira à Wolfhagen, puis le
jour suivant à llohenkirchon. Au cours de la retraite, il
y eut plusieurs escarmouches d'infanterie et de cavalerie,
dont l'une coûta la vie à un partisan français de distinc-
tion, le comte de Vair.
Le 28, F'erdinand avait installé son quartier général
à Kalle, près d'Immerhausen, à distance égale de Cassel
et de Liebenau sur laDymel; sur sa droite, aux environs
de cette petite ville, était posté Spôrcken qui fut renforcé
le lendemain par le prince héréditaire. En face des con-
fédérés, Broglie était campé près de Zicrenberg avec la
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FEIWMN.VND DIITACIIE CONTllE LA UKSEUVE DE DU MI;Y. 2ir.
partie principale, à sa gauche Fischer et Saint-Victor,
(pii remplat.ait Vair, à la tête de leurs volontaires,
marchaient sur Warburg, Muy se dirigeait sur Stadt-
berg; le comte de Lusace avec la réserve de droite était
établi à iîreitenbach ; il se rapprocha ensuite de Cassel,
tandis <|iu' Muy se réunit à l'avant-garde à Warburg.
La situation devenait embarrassante pour Ferdinand;
le colonel anglais Boyd l'avait averti (1) que l'état ina-
chevé des fortifications de Cassel laissait cette ville à la
merci d'un coup <l<' main, à moins d'en augmenter sé-
rieusement la garnison. Sur le conseil conforme de NVest-
phalen, qui continuait son rôle d'Egérie, le prince y
envoya le général Kielmansegge avec une division de
lO.OOO hommes. Restaient les dispositions du côté de la
Dymel. Westplialen expose (2) ses vues sur la conduite
à tenir : Les divisions du prince héréditaire et de Spor-
cken étaient menacées d'avoir à lutter contre le corps de
Muy que Broglie pouvait renforcer ou rejoindi'c en pei-
sonne : « Mon avis est donc que V. A. S. passe avec son
armée le Dymel, car si V'. A. S. le fait avant M. le Ma-
réchal, il est bien sur que V. A. S. se trouvant à portée
de soutenir le prince héréditaire, M. de Muy sera engagé
dans un combat inégal... Si V. A. S. réussit à Lattre de
cette façon le chevalier de Muy, rien ne l'empêchera de
repasser le Dymel et reprendre son camp ici ou une
autre position ({ui convienne davantage à la situation
des choses. »
Ferdinand se rangea à l'opinion de son secrétaire : « Je
pris sur cela, écrit-il (3), le parti de laisser le général de
(1) Boyd à Ferdinand, Cassel, 25 juillet 17Co, Westphalen, IV, 3CG.
(2) Westplialen à 1-^erdinand, ;iO juillet I76o. Westplialen, IV, 3(19.
(3) Ferdinand à Georges, Warburg, 1" août 1760. ilecord Ollice. Le récit
•lu combatde Warburg est tiré des rapports de Du Muy etdu prince Ferdinand,
de la correspondance de Broglie, de Castries, et d'officiers français, de rela-
tions anonymes, de la lettre du colonel Peirson, etc.. Voir la carte à la fui
du volume.
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Kielmanscgge avec un corps de troupes h Cnsscl, pour
soutenir cette ville, et de marcher avec l'année, la nuit
du 30 au.'Jl, pour passer le Dymel entre Liehenau et Drin-
gelbourg, ce qui s'exécuta fort heureusement. Le prince
héréditaire, qui avait passé le Dymel le 29 pour aller ren-
forcer le général de Sporcke posté depuis le 28 entre
Liehenau et Corheck, fit reconnaître la position du cheva-
lier Du Mu y. qui occupe dés le matin du .'JO un camp fort
avantageux entre Warbourg et Ochsendorfl', On convint
que le prince et M. de Sporcken tourneraient la gauche
de Tennemi, pendant que j'avancerais avec l'armée sur
son front. »
Voyons quels avaient été les mouvements des corps
français contre lesquels cette entreprise était dirigée : 'a
réserve de gauche éta t parvenue à Warburg le 29 au soir
après une marche fatigante; depuis le 27, à îl heures de
l'après-midi, elle avait elfectué un parcours de 16 lieues;
elle se composait de 28 bataillons de ligne, deux de mi-
lices, 31 escadrons de cavalerie et de dragons et des
troupes légères de Fischer. D'après le rapport de Du Muy,
CCS troupes n'auraient fourni que 18.000 combattants,
mais nous serons probablement plus près de la vérité en
les évaluant à 20.000 réguliers et 1.500 irréguliers. Sporc-
ken et le prince héréditaire avaient, à eux deux, 2i ba-
taillons et 22 escadrons auxquels se joignirent les 22 es-
cadrons (le Lord Granby, soit, en y ajoutant la h'gion
britannique (i) et les chasseurs, 23 à 2'i..000 effectifs (2).
Du Muy s'attendait à une attaque ; il savait que Sporcken
avait franchi la Dymel le 30 à Liehenau et qu'il avait reçu
un gros renfort le même soir. Les Français avaient établi
(1) Corps irrégulier à la solde de l'Anglelerre, formé en grande partie de
déserteurs français, allemands et suisses.
('^) La relation ollicielle allemande ne compte les 24 bataillons et '.>.'> esca-
drons qu'à 14.000 hommes, ce qui supposerait moins de 500 hommes par ba-
taillon.
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POSITION DKS IRANfAIS A WARIIURG.
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leur camp sur des hauteurs de la rive gaucho de la ri-
vière, la droite appuyée à la ville de Warburj^-, la gauche
vis-à-vis des villages de Menne et d'Osscndorf. Cette posi-
tion, forte en apparence, avait de graves inconvénients
que la description des lieux fera ressortir. La vallée de
la Dymel, étroile et encaissée, est bordée de collines à
relief accusé; de la rive gauche remontent des vallons
qui pénètrent irrégulièrement dans le plateau et qui
en détachent des mamelons parallèles pour la plupart au
cours de l'eau. Au bord de la rivière, le profil est eu géné-
ral escarpé ; au nord de Warburg et dans la direction du
hameau de Menne, le plateau, dont la crête est assez
haute pour dominer le pays environnant, se termine par
une pente eu glacis et à faible déclivité. Deux points atti-
rent l'attention; le premier, une butte au nord de la route
de Warburg à Ossendorf, éloignée d'un peu plus d'un
kilomètre de ce village et faisant face à iMenne; le second,
de quelques mètres plus élevé, en arrière du premier au-
quel il se relie par un petit col que traverse la route. Ce
piton couronné par une vieille tour, très accessible par
le versant nord, l'est beaucoup moins si on l'aborde du
côté de la route d'Ossendorf à Germete et de la Dymel; le
flanc du coteau qui descend à la rivière est couvert de
bois. La ligne française dont la droite s'appuyait à la
ville de Warburg, garnissait les crêtes en bordure sur la
plaine de Menne et finissait au premier mamelon, non
loin d'Ossendorf. La butte de la tour avait été laissée en
dehors; pour protéger son flanc gauche, le général fran-
çais s'était contenté de replier en potence deux bataillons.
Cette omission coûta cher à Du Muy; elle compromit sa
retraite que la nature du terrain et la Dymel à dos ren-
daient déjà fort délicate.
Le 31 au matin, Castries reçut ordre de reconnaître
l'ennemi avec les compagnies de grenadiers et chasseurs
de tous les régiments de la réserve, deux régiments de
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1,4 (lUKnRK DE SKPT ANS. - CIIAP. IV.
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clriif;ons el les Fischer. IJno hruino <''i)aisse qui couvrait
tout le pays ne s«; dissipa qu'iV 5) heures, aussi no fut-ce
qu'à ce moment (pie (]asl ries put s'accpiittor de sa mission ;
(( J'ai marche assez vivement, écril-il A un ami (1, j'ai at-
taqué hi h'îgiou hri(anni(]ue. je l'ai poussé<î et me suis
emparé de la hauteur; comme le J)rouillard linissrtit de
tomher, j'ai découvert alors toutes les colonnes des en-
nemis qui avaient passé la Dymel (pii marchaient par leur
droite. M. lUi Mtiy est arrivé alors, il a vu de quoi il s'a-
gissait et s'en est retourné mettre sa réserve en hataille.
J'ai reculé mon détachement pour le i.pprocher du camp
et n'ai i)lus tenu la hauteur (|ue par mon arrièro-garde;
j'y suis resté le plus longtemps que j'ai pu afin de décou-
vrir les mouvements des ennemis; à 2 heures, j'ai pris
le parti de rentrer i)arce que j ai vu qu'on aurait besoin
de mes troupes; j'ai jeté l'infanterie de Fischer à War-
bourg où ma droite appuyait, et j'ai gagné la gauche oîi
on commcn(;ait à canonner. Les ennemis qui des la veille
avaient allongé des troupes sur PecUelsheim se sont re-
pliés sur la gauche et, à un signal, différentes colonnes
ont marché pour attaquer une hauteur où notre gauche
appuyait, pendant que d'autres tournaient pour s'emparer
d'une seconde hauteur qui était derrière la première, qui
la commandait et qui coupait notre communication avec
une partie des ponts (]ue nous avi» m sur la Dymel au-
dessus de l'embouchure de la Ti y.'e. En conséquence,
tout s'est dirigé sur cette dernière hauteur; c'est dans ce
moinent-lîi qu'arrivant au galop,... je me suis mis k la tête
de l'infanterie. »
Des colonnes ennemies ({ue Castries avaient signalées,
celle de droite, dirigée par Sporcken, composée d'é-
léments de toutes les armes, défilait par Borgentreich et
Grossen Edor et avait pour objectif Ossendorf ; elle devait
(I) Castries à Boutleville, Wolfhagcn, 1' aoilt 17G0. Archives de la Guerre.
MOUVKMENT TOIUNANT DES CONlKDKRliS.
•no
se (It-ployor entre ce village et le piton de la tour à l'ex-
Irôine f^auclie dont nous avons parlé. La colonne de gau-
che, conduite par le générai Zaslrow. décrirait un<^
courh»! intérieure et se placerait i\ j^auctie de la première
entre Ossendorf et Mcnnc;. Les deux divisions prendraient
les Français ou (lanc et à dos pendant «jiie l'armée du
princcî Ferdinand, dont on espérait la prompte entrée en
ligne;, était destiné»; iV les aborder de front; en allemlant,
pour détourner leur attention, la légion britannique des-
sinerait un(; fausse attacjue contre la ville de Warburg.
Aussitôt avisé de l'approche des confédérés, Du Muy
avait pris ses dispositions : V brigades d'iidanterieet 2 bat-
teries sous les ordres de Ségur prirent position sur la
chaîne des hauteurs à cpn'lqne distance de Warburg; Mau-
péou, avec deux brigades, fut posté à la droite en deçà de
la ville ; la cavalerie, sous les généraux de Lutzelbourg et
l)auvet,futmasséeaucentre,vis-à-visde la plaine (piis'étend
de iMenne à Warburg; les dragons de Fronsac se formèrent
entre l'infanterie de Ségur et la grosse cavalerie; enfin,
derrière la gauche de cette dernière, la brigade de Uouer-
gue constitua la réserve ; le corps de Fischer l'ut chargé de
défendre la ville et la tour de Warburg; l'artillerie fut
distribuée entre le centre et la droite. Par mesure de pré-
caution, les gros bagages et les équipages avaient été
renvoyés sur l'autre bord de la Oymel. Il est évident que
Du Muy ne s'était pas rendu compte du plan d'attaque
de son adversaire. Comme le dit fort bien un corres-
pondant anonyme (1) : « Tout notre objet fut celui de
défendre le front du camp, d'occuper la ville avec de
l'infanterie et de laisser en avant de cette droite les com-
pagnies de chasseurs, les grenadiers, la cavalerie et l'in-
fanterie de Fischer ; malheureusement, on prit le contre-
pied de l'objet du prince Ferdinand (|ui porta toutes
(1) Détail de l'affaire de Warburg, Arcliives de la Guerre, 3.>58.
220
LA GUKRRK DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
ses forces sur notre gauclie en nous prenant par nos der-
rières; on n'eut pas le moindre scupçon de son projet,
ses manœuvres étant couvertes par les bois. A midi, ne
pouvant jdus douter du dessein de l'ennemi qui montait
le mamelon de montagne derrière notre gauche au haut
duquel il y a une tour, on fit marcher les brigades de
Bourbonnais, la Couronne, Rouergue et les brigades
suisses, lesquelles marchant à tire d'aile y arrivèrent
essoutflées, mais avec cette valeur qu'on ne peut bien ex-
primer qu'en les voyant agir; le feu commença un peu
après midi. »
Revenons au camp des confédérés où on attendait avec
impatience la venue du corps principal ; « Les têtes de
colonnes de l'armée (1) débouchèrent vers les G iieuresdu
matin sur les hauteurs de Corbeck (2) ; le passage du Dy-
mel avait un peu retardé sa marche ; on la pressa, mais
avec toute la bonne volonté que le soldat marquait, il
était impossible d'arriver aussitôt qu'on l'aurait souhaité;
pour ne pas perdre de temps, la réserve de M. de Spor-
cken s'ébranla à 7 heures du matin et marcha selon sa des-
tination pour tourner l'ennemi... Un brouillard épais qui
nous couvrit à l'ennemi, nous empêcha de notre côté de
voir ce qui en était. On n'en pressa que plus la marche,
quoique qu'un ruisseau qu'il fallait passer et un marais
qu'il fallait tourner la rendit plus longue et la retarda
davantage. »
D'après cette relation, le combat n'aurait débuté qu'à
1 h. 1/2. En tout cas, le mouvement tournant des con-
fédérés était déjà fort avancé quand le général français
comprit que la possession du mamelon de la tour déci-
derait du gain delà bataille. Le narrateur allemand donne
des détails intéressants sur la lutte qui s'engagea sur
(1) Relation oflick'Ue du prince Ferainaml. Record Ofllce.
(2) Village près de Liebenaii qu'il ne faut pas confondre avec Corbucli où
eut lieu le combat de ce nom.
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COMBAT POUR LA POSSESSION DU MAMELON DE LA TOUR. (M
ce point : « A 1 h. 1/2, M. le prince héréditaire com-
mença l'attaque avec la réserve de M. Sporcke, Le colonel
Huth, commandant l'artillerie de cette réserve, établit
une batterie de V pièces de 12 livres à la droite du vil-
lage de Menne, une autre de la même force à la gau-
che du village d'Ocbsendorf ; pour faciliter le débouche-
ment par ce village, une troisième batterie fut placée
en deçà du village d'Ocbsendorf (1), derrière une butte de
terre, tout attenante au village. Les deux premières bat-
teries battaient le tlanc de l'ennemi, et la dernière prenait
la ligne ennemie à travers. Tout allait h point nommé, et
les batteries commencèrent à tirer au moment que la tète
de la colonne de la droite outrait au village d'Ocbsendorf.
Les troupes que l'ennemi y avait postées se repliè»'ent à
notre arrivée sans lâcher leurs coups. 11 avait posté
quelques bataillons sur sa gauche qui s'y étaient formés
en potence, et dès qu'il s'aperçut que nou? portions nos
forces les plus considérables sur une hauteur escarpée
qui était sur ses derrières, il y fit marcher le régiment de
Bourbonnais pour s'en emparer. M. le colonel Beckwitli,
commandant la brigade des grenadiers anglais qui avaient
la tête de la colonne avec M. Wargot, aide-majoide ladite
brigade, se portèrent en avant avec une dizaine de grena-
diers; ils donnèrent avis à M. le prince héréditaire que
l'ennemi poussait vivement vers ladite hauteur, sur quoi,
le prince poussa lui-même avec un peloton de 30 grena-
diers sur la hauteur (2) pour s'en emparer. Les Français
qui étaient sur la pente de la montagne ne purent dis-
tinguer si le peloton était soutenu ou non, et ils se virent
arrêtés près de 10 minutes, ce qui donna le temps aux ba-
taillons de grenadiers de Doulhat d'arriver ; le feu de-
vint alors très vif. »
(1) Osseiulorf dans les cartes mofiernes. ^
(2) L'ïssaul anglais se lit évidetnmeni par la penle du colc de la Dymel
que, de leur posilion, les Français ne pouvaienl découvi ir.
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222
I.A (;UEUIU>: DE SEPT ANS. - CHAP. IV.
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A en croire le correspondant anonyme dont nous avons
dôjà cite la lettre, les bataillons de Bourbonnais étaient très
faibles, le régiment étant de service et ayant à fournir les
gardes et les corvées; en outre, les compagnies de gre-
nadiers et de chasseur.", qui avaient été détachées sous
Castrics, ne purent rejoindre leurs corps qu'au cours de
la mêlée. La lutte pour la possession du mamelon dura
1 1/2 heure, au cours de laquelle les combattants reçurent
des renforts; du côté des confédérés, les grenadiers an-
glais de Maxwell, puis des bataillons de ligne anglais et
hanovriens, enfin 10 pièces de canon qu'on mit en position
avec beaucoup de j)eine. Du côté des Franrais, le régiment
(le Bourbonnais fut appuyé successivement par la brigade
de la Couronne, par la brigade suisse d'Yenner, et enfin
par Kouerguo qui constituait la réserve et par Touraine
qu'on tira de la droite. Cinq fois notre infanterie, con-
duite par Castries et Scgur, revint à la charge et refoula
l'ennemi à plusieurs reprises; cependant, celui-ci gagnait
peu à peu du terrain, et tirait bon parti de la supério-
rité de son canon. Pour secourir les bataillons engagés
sur le pLateau contre la cavalerie de Sporcken, Du Muy
appela deux brigades de cette arme.
A ce moment, on vit « déboucher dans la plaine vis-à-
vis de la nôtre » le reste des escadrons ennemis, « et(l)
une autre colonne s'avam-a contre nôtres droite; tant de
forces vis-à-vis d'un front aussi peu garni firent craindre
d'être bientôt enfoncés et enveloppés ». C'était l'entrée en
scène de l'avant-garde de la grande armée. Voyant que
son infanterie, épuisée par une longue marche, n'arrive-
rait pas à temps, Ferdinand fit prendre les devants aux 22
escadrons de l-,or(l (iranby et à l'artillerie anglaise. Ces
troupes, après un parcours de 8 kilomètres au trot al-
(1) Mouvements de la réserve depuis le 17 jusqu'au 31 juillet. Archivas de
la Guerre.
, • DÉFAITE DES FRANPAIS 23i
lonç'^ vinrent se mettre en bataille en face de la cava-
lerie française, ranyée au centre de la position.
D'après le rapport allemand et le récit de l'Anglais
Peirson, l'intervention de Granhy fut décisive ; elle pro-
tégea le déploiement, en avant de Menne, de la colonne
Zastrow et lit reculer la cavalerie française, avec laquelle
il n'y eut. qu'un choc partiel sur lequel nous reviendrons;
<; elle donna ensuite si h propos que l'ennemi se voyant
pressé de tous c<^tés à la fois ne tint plus nulle part, et se
retira en grande confusion, la plus grande partie de l'in-
mteric aussi bien que de la cavalerie se précipitant dans
ia Dymel, qu'elle passa non sur des ponts, mais à gué en
jetant en grande partie ses armes pour s'alléger. M. de
Bttlow ayant attaqué avec la légion la ville de Warburg, en
débusqua le corps de Fischer, qui, tombant ensuite sous
les sabres de lacavalerie britannique, fut presque anéanti » .
Dans la bagarre, au dire des correspondants anglais,
Granby se distingua par la vigueur avec laquelle il enleva
ses escadrons; il avait perdu son chapeau et chargea nu-
tête. L'attaque fut puissamment secondée par l'artillerie
anglaise qui se mit on batterie sur les hauteurs domi-
nant la rivière et couvrit de ses projectiles les Français au
A t : j ilation, opposons la pièce dans laquelle Du
Muv e\f. j ' s circonstances qui l'amenèrent à battre en
retraite ei ' i manière dont cette manœuvre fut accom-
plie : « On s'aperçut que l'infanterie ennemie qui con-
servait son avantage à la gauche, sans que la nôtre, achar-
née contre elle, se retirAt, faisait couler dos troupes vers
les ponts que nous avions sur la Dymel pour nous couper
toute voie de retraite. Lo danger était instant, M. le cheva-
lier Du Muy, pour lo provenir, lit marcher M. do lioquepine,
maréchal de camp, avec la brigade de Tourainc vers le
poiil et les bois, qui sont au delà de la rivière, pour les
tenir, il manda à M. Maupcou, lieutenant- général, de
y 11
iij
234
LA GUEUUK DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
•',n
s'y porter aussi avec la brigade de la Tour du Pin qui était
à la droite. Il ordonna à la cavalerie et aux dragons de
repasser la rivière qui est guéable (1) dans toute cette par-
tie et lit retirer en même temps l'infanterie de la gauche ;
la brigade de Planta, composée de ce régiment et de celui
deLochmann, couvrit la retraite du canon de cette gauche
avec constance Toutes ces troupes se mirent en bataille
sur les hauteurs et les bois de la rive droite ; on y établit
des batteries qui en imposèrent à celles de l'ennemi et les
empêchèrent de passer la rivière en face. »
Comme le laissent voir les documents cités, noire cava-
lerie ne fut guère engagée et borna son rôle à protéger
l'infanterie ; il y eut cependant i:n choc entre la brigade
de Bourbon, composée de ce régiment et de ceux de
Beauvilliers et d'Archiac, et les régiments anglais Brand
et des Horse Guards. Le maréchal de camp de Lugeac,
voyant quelques bataillons de notre gauche fort empê-
trés, repassa la rivière, remonta la pente, et vint donner
dans le flanc des cavaliers britanniques. « Ce brave
général, écrit notre officier, resta une demi-heure pêle-
mêle avec les ennemis et ne se retira qu'après s'être
fait jour tout seul et leur avoir fait sentir la pesanteur
de son bras ; le reste de notre cavalerie et les dragons ne
furent point de cette afl'aire. » Le tableau qu'il trace de
la fin de la bataille est beaucoup plus noir et proba-
blement plus véridique que celui de Du Muy : « Comme
nous étions délabrés à la droite et à la gauche, on or-
donna la retraite; nous n'avions que des gués devant le
délîouché de la montagne par où on se retira ; 1 infanterie
passa dans l'eau jusqu'au genou, d'autres de nos troupes
passèrent au pont de la gauche. Le 1°' bataillon du
régiment de Planta suisse qui n'eut pas le temps de gagner
la rivière fut écharpé par la cavalerie anglaise et pris
(1) La Dymel est large de 20 à 25 mètres.
PERTES DES DEUX l'AHTIS.
2li
prisonnier avec ses drapeaux. Les ennemis ne firent aucun
mouvement de poursuite, ils se contentèrent de canonner
r arrière-garde ii laquelle ils ne firent pas grand mal. »
En effet, ce fut seulement vers la fin de la journée que
Ferdinand fit franchir la Dymel à Granby avec 10 bataillons
et 12 escadrons qui avaient rejoint; les Français, après
avoir rétabli un peu d'ordre dans leurs formations, recu-
lèrent jusqu'à Wolkmissen ; Granby campa sur la rive
droite et le reste des confédérés sur le champ de bataille.
La relation allemande accuse 8 officiers et 194 soldats
tués, 56 officiers et 979 hommes blessés ou disparus,
soit en tout 1.237 (1) hors de combat; par contre, elle
exagère beaucoup le déficit français : « Il est difficile
d'évaluer au juste la perte qu'il (l'ennemi) a fait en
hommes; on croit, en attendant, ne vlire trop en assu-
rant qu'il a laissé 1.500 hommes de tués sur la place; le
nombre des blessés qu'il a emportés ne saurait être petit;
il est impossible d'évaluer au juste ce qui s'est noyé au
passage du Dymel, et nous ne pouvons pas même déter-
miner avec précision le nombre des prisonniers. Nous
en avons fait beaucoup, mais comme grand nombre en
a pris parti parmi nos troupes légères, avant que les
listes en aient été dressées, on ne peut marquer que le
nombre de ceux qui ont été renvoyés à l'armée ennemie,
en suite de la convention faite pour l'échange réciproque
des prisonniers; ce nombre monte à 1.818 parmi lesquels
se trouvent 66 officiers, de façon qu'il y a tout lieu de sup-
poser que la perte de l'ennemi ne saurait être moindre
(le 6.000 hommes, perte très considérable à la vérité,
mais qui serait devenue tout autre, si l'action avait seu-
lement duré une demi-heure plus longtemps. » Le déchet
français dépassa 4.000 honmies; Du Muy, treize jours plus
(1) La relation conservée aux archives du Record Office donne un chiffre
plus élevé, celui de 1.673 pour les sous-ofliciers et soldats mis hors de combat.
CLEIlIlt; DE Slil'T ANS, — T. IV. 15
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IV.
tard, après avoir reçu tous les rapports des corps, le chiffre
à 4.203. « Je n'en garantis pas, ajoute-t-il (1), l'exagéra-
tion que lalésine et le mauvais sens des Français regardent
comme une ressource pour la réparation de leurs
pertes. » La cavalerie, à l'exception du régiment d'Ar-
chiac, souffrit peu; par contre, quelques régiments
d'infanterie furent très éprouvés, notamment ceux du
Bourlionnais, de la Couronne, de Rouergue, de Rohan,
Rochefort, Aumont, Planta et Yenner. Chabo attribue (2)
la défaite à la faute de n'avoir pas compris le mamelon
de la tour dans la position à défendre; « ({uelques points
intéressants trop distants pour être occupés en campant
dont le principal était derrière notre gauche, n'ont pu
l'être à temps; l'ennemi nous a prévenus, s'y est maintenu
et dès lors la retraite est devenue aussi nécessaire que
difficile. Bref, nous en sommes quittes pour i.OOO tant
tués que blessés ou prisonniers, dont 240 officiers et je
crois G pièces de canon; par abonnement, nous aurions
donné plus cher ». Le chiffre exact des canons pris fut de
8, dont 6 de parc.
L'échec de Warburg, qui suivait de près celui d'Ems-
dorf, produisit une mauvaise impression à Versailles. Bel-
eisle, qui se faisait volontiers le critique d'un général qui
lui déplaisait, reprocha à Broglie (3) de n'avoir pas eu
connaissance en temps utile de la marche de Ferdinand
sur la Dymel et de n'avoir pas « prévenu un combat aussi
inégal qui fait beaucoup d'honneur aux troupes et à M. le
chevalier Du Muy, mais qui en môme temps a un coup
d'oeil infiniment désagréable, qu'avec des forces aussi su-
périeures (de notre côté) l'ennemi trouve le moyen, pour
la seconde fois en quinze jours de temps, d'attaquer deux
corps de votre armée avec autant d'avantage. Il en résulte
(1) Muy à Belleisle, Erliuckhausen, 13 août 1760. Archives de la Guerre.
(2) Cliabo à Belleisle. Wolfhagen, 2 août 17C0.
(3) Delleisle à Broglie, 8 aoùl 17G0. Archives de la Guerre.
BROGLIE TROMPE PAR LE BROUILLARD.
227
une perte très réelle de plusieurs corps, tandis que l'en-
nemi n'en a encore éprouvé aucune », Broglie se disculpa
en accusant Fischer et La Morlière de n'avoir pas exécuté
ses ordres qui leur prescrivaient des démonstrations sur
Liebenau à l'effet d'empêcher la jonction de Spôrcken et
du prince héréditaire. La Morlière, avec deur brigades
d'infanterie, et Saint-Pern, avec les grenadiers royaux
de France, étaient à Wolkmissen le 29 juillet et, par con-
séquent, à portée de Du Muy, mais Broglie, trompé par
le brouillard et se croyant encore vis-à-vis le gros de
l'armée confédérée, avait rappelé à lui ces deux divi-
sions : « Ce môme jour 29, écrit-il (1), je passai toute
la journée sur la montagne de Durenberg à observer
l'armée des ennemis qu'on voyait aussi parfaitement que
des fenêtres du Roi dans la cour de marbre, et à faire
reconnaître et ouvrir des marches pour se porter sur eux.
Tout fut tranquille dans leur camp jusqu'à 5 ou 6 heures
du soir que nous vîmes détendre et ensuite marcher un
corps d'environ 12.000 hommes qui se dirigea sur sa
droite. J'en avertis M. le chevalier Du Muy de qui je reçus
dans la nuit la nouvelle qu'il était arrivé à Warburg. »
Le 30 juillet, il n'y eut aucun mouvement chez l'ennemi
qui était encore dans son camp le soir « où je l'ai vu » ;
sur le tard, parvint un avis de Du Muy signalant la pré-
sence de 15.000 Hanovriens entre Liebenau et le village
voisin de Corbeck. Broglie manda au chevalier de faire
passer ses bagages sur la rive droite de la Djmel, d'assu-
rer sa retraite et de se tenir en contact avec Saint-Pern qui
se trouvait à M^'^îberg, à égale distance entre Liebenau et
Zierenberg. Pendant la matinée du 31,1e brouillard épais
dont nous avons pa."lé rendit invisible l'emplaconicnt oc-
cupé la veille par le prince Ferdinand; aussitôt qu'on
s'aperçut du départ d'une partie des confédérés, Broglie
(1) Broglie à Rellelsle, 1«' et 13 août 1760.
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ait
TA GlîEHRE DE SEPT ANS.
CHAP. IV.
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donna l'ordre successivement à Guerchy et à Saint-Pern
de se porter au secours de Du Muy; enfin, ce ne fut qu'à
7 heures du soir qu'un officier, parti de Warburg à
10 heures, annon<;a au quartier général la probabilité
d'une rencontre au cours de la journée.
Au demeurant, la responsabilité directe du malheur
de Warburg semble incomber au chevalier Du Muy dont
les dispositions furent des plus défectueuses et qui ne sut
pas discerner le plan d'attaque de l'adversaire ni se
servir de sa cavalerie pour couvrir une retraite devenue
inévitable. Du côté des confédérés, le prince héréditaire
montra du coup d'oeil, de la hardiesse et sa bravoure ha-
bituelle; à titre de récompense, il reçut un don de 5.000
livres sterling qui lui fut remis par Granby au nom du
roi Georges. ■ •
Fort heureusement pour la réputation du général en
chef français, la journée du 31 juillet, si elle fut attristée
par la défaite de son lieutenant, fut marquée par un
avantage des plus sérieux. Nous avons déjà relaté l'état
défectueux, au point de vue de la défense, dans lequel avait
été laissée la ville de Cassel, et l'envoi tardif du général
Kielmansegge avec une division pour en renforcer la gar-
nison. Broglie, qui avait poussé son aile droite dans la
banlieue de la capitale de la Hesse et dont le corps prin-
cipal en était peu éloigné, fit tàter la place ou plutôt le
camp retranché qui en constituait l'ouvrage essentiel
par le comte de Lusacc avec la réserve de droite et marcha
lui-môme avec 4 brigades d'infanterie, les grenadiers do
l'armée, les gendarmes et les carabiniers sur Wolfhagen,
village situé au bord de la Fulde, pour couper la route
au corps de Kielmansegge. Celui-ci n'attendit pas le con-
tact, mais évacua, presque sans combat, la ville et le
camp retranché, abandonnant aux Français 500 prison-
niers valides, de gros magasins et un hôpital d'un mil-
lier de soldats blessés ou malades. La retraite se lit avec
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PRISE DE CASSEL PAR RROf.UE.
92(9
tant de hAte que Broglie ne put rattraper que le lon-
deniain les confédérés qui s'étai«^nt retirés à Sandcr-
hausen.
Dans sa correspondance avec Holdcrnesse, le prince
Ferdinand (t) ne cherche pas à dissimuler l'importance
de l'événement de (^assel : « Je suis au désespoir, niilord,
de vous annoncer la perte de la ville de Cassol, au mo-
ment que je mande à Sa iMajesté la nouvelle de la dé-
faite de M. Du Muy qui naturellement devait produire un
effet bien contraire. Il faut que je vous dise que la forti-
fication de la ville n'a pu être achevée, au point à soutenir
un siège ; mais, ayant laissé le général Kielmanseggc avec
12 bataillons dr.ns la ville et dans ses retranchcmenis,
je me llattais qu'il serait en état de se soutenir contre un
corps médiocre, tel qu'est celui du prince Xavier, et qui
ne saurait passer 10.000 hommes. H est vrai que dans
uu pays tel que la liesse, on se trouve presque toujours
dans l'impossibilité déjuger avec précision de la force de
l'ennemi ; et je dois avouer que le général Kielmansegge
ne pouvait trop bien juger de celle qui l'attaquerait. »
Ferdinand soupçonne le landgrave de Hesse, peu soucieux
d'exposer sa capitale aux risques d'un bombardement,
d'avoir entravé les travaux en cours d'exécution mais il
ne se serait pas arrêté à cette opposition, si la place avait
été en état de défense : « J'avais, ajoute-t-il, ordonné, au
comte Kielmansegge qu'en cas qu'il eut lieu de craindre
d'être enveloppé par une force trop supérieure, il de-
vait se retirer de la ville avec le gros de son détache-
ment jusques à Sanderhausen, d'y attendre l'événement
et d'y soutenir la ville ou d'attirer à lui la garnison,
selon les circonstances. Il a pris le parti de sortir de la
ville hier à midi, en prenant d'abord tout son monde avec
lui. Il s'est retiré jusques à Munden, et a été vivement
(l) Ferdinand à Holdernesse, Warburg, l" août 17G0. Record Oflice.
2;io
LA GUERRE DE SEPT *NS. - CHAP. IV.
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poursuivi par les ennemis. Il m'assure, cependant, que
sa perte n'est pas considérable. Vous voyez, niilord, que
la fortune s'opiniâtre à nous être contraire. La perte de
Cassel est une plaie bien profonde qu'il sera ti'ès difficile
de fermer, mais je ne désespère pas. »
Kielmansegge fut mené tambour battant par les vain-
queurs; la ville de Munden, où une arrière- garde était
restée, fut emportée d'assaut par (îrandmaison et Vignolles
à la tête de leurs volontaires. Ils y firent :}00 prisonniers
et s'emparèrent de quelques canons et de magasins très
importants. Kielmansegge se retii*a vers Beverungen sur
le Weser, à peu de distance du confluent de ce fleuve
avec la Dymel. Durant la première quin.'aine d'août, les
avant-gardes frani^aises, qui s'étaient avancées au dehï
d'Esbecke, sur la route de Munden à Eimbeck, eurent des
rencontres avec les bussards de Liickner qui battaient
l'estrade sur la rive droite du Weser; dans l'une de ces
escarmouches, un officier de réputation, le major hano-
vrien Frederichs, fut blessé et pris ; dans une autre, 300 Sa-
xons fui'ent surpris et enlevés le 10 août à Northeim, dont
ils venaient de se rendre maîtres, et pendant qu'ils étaient
en train de faire la soupe.
Dans la réserve du comte de Lusace, à en croire les té-
moignages français, la discipline aurait laissé fort à dé-
sirer; à la prise de Munden, il y eut beaucoup de désordre.
Wimplfen. qid commandait un régiment suisse attaché au
corps saxon, ne cache pas (1) ses impressions : « Je vous
exprimerai difficilement. Monseigneur, ma douleur d'être
le seul régiment d'infanterie du Koi à cette réserve ; l'af-
freuse indiscipline qui règne parmi les troupes saxonnes
est d'un exemple bien dangereux pour le régiment que je
commande; je suis cependant parvenu jusqu'ici à l'em-
pêcher de s'en écarter, mais je sais que le soldat qui voit
(1) Wimpfl'en à Belleisle, Esbecke, 7 août 1760. Archives de la Guerre.
■I
14
INDISCII'LINK DU COUPS SAXON.
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piller, ravaycr et saccayer à ses c(Més en murmure, et je
crains bien ([ue cela rie m'occasionne licaucoup de dé-
sertion. » Le commandement n'était pas à la hauteur :
« Comme vous m'avez permis, Monseigneur, de penser tout
haut avec vous, je ne dois pas vous laisser ignorer que
nous ne manœuvrons pas trop militairement, et je crains
bien que, faute de précaution et de prudence, nous ne
recevions à la lin ({ueique échec. Notre conduite ressemble
beaucoup à celle cpie nous avons tenue dans la campagne
de Itosbach; nous n'avons que deux généraux français ici
qu'on ne consulte pas; le reste des généiaux et de i'état-
major est composé de sujets ineptes (|ui n'ont pas la moin-
dre notion militaire. » Cette fAcheuse appréciation est
confirmée par une note de Montchenu, attaché à l'état-
major du comte de Lusacc; cet officier nous apprend (1)
que, sur les UOO prisonniers saxons faits à Northeim,
13(i avaient refusé l'échange qui leur avait été oll'ert con-
formément au cartel en vigueur et n'avaient pas voulu
réintégrer leurs régiments.
Sur la rive opposée du Weser il y eut aussi des coml)ats
malheureux; dans la petite guerre qui' se poursuivait
entre les avant-postes, les Fran<;ais éprouvèrent un nouvel
échec ; Saint- Victor qui avait été envoyé avec des troupes
légères et quelques dragons sur la rive gauche pour éta-
blir la communication entre l'armée principale et la ré-
serve de Lusacc fut chassé de la foret de Sababorg, le
11 août, avec perte de 200 hommes et 3 canons légers.
Cependant, l'ensemble des opérations avait été favora-
ble à Broglie; aussitôt après la prise de Cassel, ce général
avait reporté en avant la réserve de Du Muy, occupé Stadt-
berg et contraint les confédérés à regagner la rive gauche
de la Dymel. D'autre part, la forteresse de Ziegenhayn, à la
(1) Montchenu au comlu de Broglie, Millenliausen, 14 août 1760. Archives
de la Guerre.
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33?
LA OLKURK DK SKPT ANS. — CIIAP. IV.
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suite d'un siège de quelques jours, avait capitulé lelOaoïU
avec sa garnison forte d'environ 8(M) hommes. (( Il est heu-
reu.., rapporte Bi'oglie 1 1 ), que le chiVteau ait jugé fi propos
de se rendre, car nos 5 pièces étaient prêtes à se taire tout
k fait, et je ne sais quand on aurait pu avoir des chevau.r:
pour y en conduire d'autres, ainsi ([ue des munitions. »
A partir des premiers jours d'aoïU jus([u*au 22 de ce
mois, les belligérants restèrent séparés par la Dyniel,
Broglie sur la rive droite, son extrême gauche à Corhach,
Du Muy à Krlinghausen, le quartier général k Oher Ustin-
gen à quelques kilomètres de la rivière et à égale distance
de Warburg, Liebenau et Wolkmissen; sur la rive droite
du Weser, entre iMunden et (iiittingcn le corps de Lusace.
En l'ace des Français, le prince Ferdinand campait sur le
bord opposé de la Dymel, son quartier général ù Meerholl'
entre Corbeck et \Yarburg, sa gauche à Scheil'eldo, War-
burg et Liebenau; Wangenheim qui avait remplacé Kiel-
mansegge, à cheval sur le Weser dans les environs de Be-
verungen ; Liickner, avec un détachement, siu' la rive
droite du tleuve, tenant tcte au comte de Lusace.
Comment continuer le mouvement en avant; quels
moyens employer pour forcer le prince Ferdinand à aban-
donner sa position derrière la Dymel? Broglie se montre
très endjarrassé (2) à cet égard : « La nature du pays
dans lequel se fait cette campagne est telle que celui qui
est sur la défensive trouve à chaque pas des postes à se
placer. Depuis la prodigieuse quantité d'artillerie qu'on
a dans les armées, l'attaquant a un grand désavan-
tage. » L'insuffisance de chariots et de chevaux pour le
transport journalier de 1.200 sacs de farine, la longueur
de la ligne de ravitaillement dont la base, Francfort,
est k 44 lieues de l'armée, s'opposent à la reprise de l'of-
(1) Broglie à Belleisie, Ober Uslingen, .1 1 août 176o. Archives de la Guerre.
(2) Broglie k Belleisie, Ober Uslingen, 17 août 17G0. Archives de la Guerre.
EMKAHHAS DKS GK.NEKAUX lUVAUX.
9M
fcnsivn : « I.a ([iinntité de troupes que je suis ol)lig<'> de
plucci' en comnniuicalions, à mesure (jue j'avance dans le
pays, la nécessité où je suis do laisser un corps consi-
dérable près (lassel pour assurer mes subsistances et la
diCliculté A, cause do la nature du pays de m'en Taire
rejoindre proniptement, pendant que le prince Ferdinand
peut aisément tirera lui le corps qu'il laissera sur la rive
gauche du Weser, les maladies ([ui commencent à peu-
pler beaucoup les bôpitaux, enfin, l'arrivé» de 7. 00(> An-
glais (1) dont la tôte a débar([ué le 7 i\ Brenierthé, tout
cela l'ait (ju'on ne peut pas regarder avec vérité l'armée
du Roi ([ui opérera dans le pays d'Hanovre comme supé-
rieure iï celle des ennemis. » Aussi, avant de prendre
un parti définitif, veut-il consulter la cour au su, 't des
« ordres qu'elle jugera à propos de me donner ainsi ([uo
pour les mesures qu'elle jugera à propos de prendre en
conséquence ».
Dans son camp sur la rive gauche de lalJymel, le prince
Ferdinand était tout aussi perplexe que son adversaire ;
fort inquiet des progrès du comte de Lusace, dont les pa-
trouilles avaient dépassé la ville de (iottingen, il venait
d'apprendre la marche du duc de Wurtemberg, qui était
rentré eu scène avec un corps de 10.000 hommes et se di-
rigeait sur Mciningen; il n'a personne à lui opposer; lo
Hanovre et le Brunswick sont ouverts à l'invasion. Pour sau-
ver ces contrées du danger qui les menace, il ne voit d'au-
tre remède que l'envoi d'Angleterre de nouveaux ren-
forts en hommes et en chevaux. C'est dans ce sens qu'il
adressa (2) au cabinet anglais un ardent appel, qui fut
d'ailleurs assez mal reçu. Le ministère anglais avait été
défavorablement impressionné par la tournure générale
de la campagne et surtout par la perte de Cassel. Ilard-
(1) 11 s'agit deâ :) bataillons des gardes, dont l'cfTectil' ne dé|>assail pas au
maximum 3.50U coinbaltauts.
(2) Ferdinand à Iloldeinesse, Warbur}^, il août 17G0. Hecord Oflice.
Ih
23i
LA GUKUUK DK SEPT ANS. — CHAP. IV.
wicke était bien l'interprète de l'opinion publique quand
il disait (1) à son ami Newcastle : « Je ne vois pas encore
en quelle mesure ce? actions partielles contribuent aux
« sumnia rerum ». Elles peuvent couvrir de gloire quel({ues
officiers ot certains régiments, ce qui est fort bien en soi ;
mais pour servir la cause nationale, il nous faudrait un
beau succès gagné dans une afl'aire d'ensemble, et je m'i-
magine <]u'on ne se soucie guère de la livrer. » De son
C(Mé, Newcastle (2) se plaiht amèrement que l'accroisse-
ment considérable du contingent anglais en Allemagne
et l'augmentation énorme de ia dépense n'aient abouti
(jo'à une campagne défensive sans espoir de résultat.
Étant donné cet état d'esprit, il n'e«t pas surprenant
que lloldernesse ait été chargé de répoiidre (3) à la re-
quête de Ferdinand par une fin de non-recevoir : Il allé-
gua la faiblesse des elfectifs en Angleterre et la difficulté
de lever des recrues qui ne pouvaient s'obtenir que par
voie d'engagements volontaires, comme raisons péremp-
toires pour refuser tout renforcement des troupes bri-
tanniques affectées à la guerre du continent. Force fut à
Ferdinand de chercher une autre combinaison.
• (1) Haidwicke à Newcaslle, 10 août 1760. Newcastle Papers.
(>) Newcastle à Yorke, 12 août 17(10. NewcasUe Papers.
(3) Holdernesse à Ferdinand, 20 aoiU 17G0. Record Of.ice.
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CHAPITRE V
;
GLOSTERGAMP
SI BI'RISE 1)E ZIERKMIEKG. — (COMBATS I)E FRANCKENAU ET DE
DRAUNSFELI). — IHVERSION DU PRIXCE IIÉRÉHITAIRE EX
WESTPIIALIE. — CASTRIES SUR LE BAS-R1IL\. — BATAILLE
DE CLOSTERCAMI». — I ERDINAND EXVAIIIT LA IIESSE. —
DÉFAITE DES SAXONS. — SIÈOE DE CASSEL. — RETOIR OF-
FENSIF DE BROULIE. — COMBAT DE GRUNBERG. — RETRAITE
DE FERDL\AND.
Depuis le combat de Warbui'g jusqu'au 22 août, c'cst-à-
dirc pendant trois semaines, Brogiie conserva sa position
d'observation sur la rive droite de la Dynicl. De son quar-
tier général d'Ober Ustingen, il entretint avec le maré-
chal de Bellcisic une correspondance active dont b? con-
tenu dévoile les sentiments peu sympathiques, pour
ne pas dire antipathiques, que les écrivains éprouvaient
l'un à l'égard de l'autre. Le ministre, tout en cherchant
loyalement àsubvenir aux besoins de l'armée, ne ménage
pas SCS critiques, pose des questions embarrassantes,
chicane sur les (lét;;ils, intervient dans la composition des
états- majors, se plaint d'être insuffisamment renseigné, de
voir la primeur des nouvelles passer par dos mains étran-
gères avant do parvenir au Ministère; il fait volontiers
des confidences à ses amis de l'armée et, dans ses lettres
intimes, ne dissimule en aucune façon son opinion sur la
conduite et le caractère de leur chef. Aux épitres offi-
cielles, Broglie, autoritaire, susceptible, réplique sur un
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236
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CIIAP. V.
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ton sarcastiquc qui n'était pas pour plaire ; se croyant ou
se sentant en butte à l'hostilité de la cour, il ne veut rien
entreprendre de sa propre initiative et insiste pour
abriter sa responsabilité derrière l'autorisation royale.
Belleisle, malgré les résultats acquis, n'est pas sa-
tisfait des incidents de la campag^ne. A bon droit, il sou-
ligne les surprises dont nos détachements étaient trop
souvent les victimes, et les captures en hommes que l'en-
nemi nous infligeait malgré son infériorité numérique. Il
n'ose pas s'expliquer à ce sujet avec Broglic et c'est tV
Castrics, son neveu, qu'il s'adresse (1) : « J'apprends cha-
que jour des pertes et fort peu de revanches; aussi, par
l'état que m'envoie le commissaire Lasalle, nous sommes
furieusement en arrière sur l'article des prisonniers, et
sans les trois garnisons que nous avons prises avec l'hô-
pital de Cassel, ce serait bien pire, » Quelques jours
après, au même correspondant (2) : « Le nombre des
officiers prisonniers qui sont entre les mains des ennemis
est bien différent de ceux que nous avons faits chez eux.
Il est bien malheureux de perdre sans cesse et de voir
qu'indépendamment des grandes actions, le journalier
nous coûte cha([ue mois presque le double de ce que les
ennemis perdent. » Belleisle s'en prend à Broglie (3) qui
s'était efforcé d'excuser ses lieutenants : « Si vous ne
vous mettez pas en peine de savoir autre chose que ce
qui concerne le courage des officiers généraux et des
troupes, sans chercher à connaître les raisons qui ont pu
procurer le succès ou le malheur d'une opération qui se
passe si près de vous et pour ainsi dire sous vos yeux,
comment le Roi qui est à 150 lieues peut-il espérer de
savoir le vrai? Comment S. M. peut-elle connaître qui elle
doit récompenser ou blAmer? )>
(1) Belleisle à Castries, 19 août 1760. Archives de la Guerre.
(2) Belleisle à Caslries, .!3 août 1700. Archives Oc la Guerre.
(3) Belleisle à Broglie, 23 août 1760. Archives delà Guerre.
CRITIQUES DE BELLEISLE ET RÉPONSES DE UROGLIE. 237
La iéponse de Broglie (1) est un spécimen caractéristi-
(|ue de sa manière épistolaire : « Je n'ai rien à ajouter à
tous les détails qui étaient contenus dans la mienne
du 13... Us sont si clairs que ceux auxquels ils ne prou-
vent pas que les raisons que j'ai eues de me conduire
comme je l'ai fait étaient justes et conséquentes aux mou-
vements des ennemis, ne seraient pas persuadés par des
volumes d'écritures auxquels je n'ai paj le temps de me
livrer, et qui seraient même très inutiles puisqu'on ne
voudrait pas les entendre davantage... Lorsqu'e'le (Sa
Majesté) jugera à propos de m'interroger elle-même sur
le mérite de ceux qui la servent, je l'en instruirai avec la
vérité la plus exacte, parce que je la lui dois; mais je
me garderai bien de donner matière à des commentaires
qui n'aboutissent qu'à me faire mander que ceux que je
dis s'être mal conduits ont bien fait, à les voir protégés,
soutenus et souvent récompensés, et à me faire des enne-
mis de leurs parents et protecteurs. » Un nouvel inci-
dent fâcheux, la surprise de Zierenberg dans lu nuit du
5 au 6 septembre, vint appuyer les observations du mi-
nistre ; dans son rapport (2) Broglie reconnaît que les com-
mandants détachés laissent souvent à désirer : « Croye?
que cette inquiétude perpétuelle, sur ceux qu'on emploie,
fait passer bien de mauvaises nuits et n'a pas besoin d'être
augmentée par des reproches aussi continuels, j'ose dire,
que peu mérités. Vous avez approuvé le choix que j'ai fait
de M, de Nordmann pour l'employer à commander une
brigade des troupes légères; vous m'en avez parlé avec
éloges ainsi que M. de Viomesnil, et M. de Comeyras ne
leur cède pas en courage et en volonté. Cependant, vous
verrez par la lettre ci-jointe de M. de Viomesnil, qu'ils
t ' . Il
li \ fi
(i) Broglie à Bclleisin, Immcnliausen, l " septembre 1760. Archives de la
Guerre.
(i) Broglie à Uelleifîe, Immenliausen, 7 sepleinbre ITOo. Archives de la
Guerre.
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238
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. V. -
ont été surpris la nuit du 5 au 6 dans Zieremberg à une
petite dcmi-lieue du camp de M. de Muy, et à la vue des
postes avancés, et ils y ont perdu aux environs de
400 hommes et 36 officiers. A qui se peut-on fier après
cela? Il n'est pas étonnant que le nombre des prisonniers
augmente pendant les campagnes. Nos officiers ne savent
que se battre, souvent avec désavantage, ignorant la mé-
thode de faire la guerre en troupes légères, sont très né-
gligents pour la plupart et ont contre eux tous gens du
pays. Tout ce que je puis faire, c'est de ne les point
aventurer, de leur donner de bonnes instructions, lorsque
je les détache, de les exhorter à être de la plus grande
vigilance, et il n'y a pas de jour que je ne le fasse. Je
les visite très souvent ; voilà tout ce qui dépend de moi
et je ne crains pas que vous puissiez en disconvenir. »
Néanmoins dans l'ensemble, en dépit de quelques dé-
faillances regrettables, l'esprit de l'armée était bon. Cor-
nillon, le major général de l'infanterie qui n'avait pas fait
la campagne dernière, se plaît à proclamer (1) les progrès
accomphs : « L'infanterie n'est pas reconnaissable depuis
la campagne de 1757, tant pour la discipline que pour la
propreté et l'intelligence du mouvement qu'elle fait. »
Il constate également l'amélioration du tir : « Le dernier
soldat d'un régiment tire mieux que ne faisaient autre-
fois les grenadiers. »
A signaler un autre changement dont le mérite revient
au général en chef. Contrairement aux errements du passé,
le silence le plus absolu était observé au quartier général
sur les ordres à donner. Cette discrétion inaccoutumée n'é-
tait pas agréable à tous : « Le grand mécontentement des
officiers généraux, écrit l'officier d'état-major Keralio (2),
vient de ce qu'ils ne sont instruits des mouvements de
leurs divisions qu'au moment de l'exécution. Dans les
(1) Cornillon à Helleisie, Ober Ustingen, 18 août 1 700. Archives de la Guerre.
(2) Keralio à Belleisle, Immenhausen, 20 août 1760. Archives de la Guerre.
BROGLIB SE RAPPROCHE DE CASSEL.
•J3«
campagnes précédentes, il n'y avait pas un polisson dans
l'armée qui ne sût deux ou trois jours à l'avance ce qu'elle
devait faire; il n'en est pas de même aujourd'hui, on ne
sait qu'en arrivant dans un nouveau camp l'objet de la
marche, et c'est en quoi M. le maréchal de Broglie mérite
les plus grands éloges, le secret étant un des principaux
ressorts des opérations. »
Que le nouveau généralissime fi\t très supérieur à ses
.prédécesseurs, que le personnel de l'armée, généraux,
officiers et soldats eussent acquis une expérience de la
guerre qui faisait défaut dans les premières campagnes,
cela est incontestable; et cependant l'armée française, pen-
dant la seconde période des opérations, n'obtint pas les
succès que les débuts eussent fait espérer. L'épuisement
des ressources locales, le manque de fourrages pour sa
nombreuse cavalerie, décidèrent enfin Broglie à aban-
donne»* ies rives de la Dymel et à se rapprocher de Cassel ;
le 22 aoiU, en une marche , il gagna le village d'Immenhau-
son où il conserva sou quartier général jusqu'au 13 sep-
tcmljrc. Ferdinand ne quitta pas Warburg et se contenta
de faire inquiéter l'arrière-garde française par le corps
du prince héréditaire ; il y eut un condiat assez vif entre
la cavalerie anglaise et les dragons français, au cours du-
quel les régiments Royal Dragons et Thianges subirent des
pertes sérieuses compensées dans une certaine mesure par
la capture des deux partisans Scheiter.
La prolongation du séjour du général hanovrien à War-
burg déjouait les projets de son adversaire : « De tous
les partis que se prince pouvait prendre, écrit Brogllc (1),
celui de demeurer à Warburg est celui qui me déplaît le
plus, puisqu'il me force à faire rester sur la rive gauche
de la Fulda la plus grande partie de l'armée, de pour que,
si je la faisais passer de l'autre coté, il ne se portât sur
(1) UiogHeà Belleisle, Immenhausen, 23 août 1760. Archives de la Guerre.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
Cassel, m'intei'ceptîït le transport des farines de Zieg-en-
liaynet Marburg, ne m'oblig-cftt parla à revenir bien vite,
et lie me rendit peut-être très difficile le passage de la
Fulda pour remettre l'armée sur la rive gauche. Cepen-
dant, comme il est impossible de demeurer longtemps
ici à cause des fourrages qui nous manqueraient incessam-
ment, je ferai partir demain au soir quatre brigades d'in-
fanterie, trois de cavalerie et 12 pièces de gros canon
pour aller joindre après-demain M. le comte de Lusace,
Cela le mettra en état, si les ennemis n'ont pas fait passer
le Weser à un plus grand nombre de troupes, de se porter
sur le camp d'Uslar où il a grande envie d'entreprendre,
et voir si cela ne déterminera pas le prince Ferdinand à
prendre un parti. »
Malhoureusement, cette importante dépêche tomba en-
tre les mains des hussards prussiens et son contenu ne fit
([ue confirmer le prince Ferdinand dans son intention de
se maintenir sur la Dymel. La divulgation du mouvement
sur Uslar, le mauvais état des chemins et les difficultés de
ravitaillement firent renoncera la pointe vers le Hanovre.
Parmi les correspondances enlevées, il s'en trouva
v{uelques-unes qui durent édifier les ministres et généraux
anglais sur le ton des rapports entre le maréchal de
Broglie et son chef hiérarchique. Le même courrier con-
tenait un billet (1) à la duchesse : « Je vous envoie une
lettre du maréchal, il faut en faire une copie pour mon
oncle et en garder précieusement l'original. » Les lignes
qui terminaient cette épître nous révèlent la nature affec-
tueuse du maréchal, l'intimité des relations qu'il entrete-
nait avec sa femme, et le sentiment du devoir auquel il
obéissait : « Vous avez grande raison de penser que l'eau
en vient à la bouche lorsqu'on parle de Broglie, mais je
chasse cela comme une mauvaise pensée. Nous irons
(1) Broglie à la Duchesse, Immenhauscn, Vi août 17C0. Record Office.
MKMOIRKS DE BROGLIE A LA COIH.
241
quand il plaira à Dieu, à qui il faut se remettre de tout ce
que je ferai bien véritablement. »
Le 31 août, Broglie, toujours à Immenhausen, adressa
à la cour un mémoire sur les opérations à entreprendre.
Étant donné l'impossibilité d'attaquer avec chances de
succès les ennemis derrière la Dymel, il no restait ([u'à
choisir entre trois partis :
1" Se retirer lentement vers Marburg et Ziegenhayn eu
consommant les ressources du pays;
2" Mettre dans Casscl une garnison de 7 à 8.000 hom-
mes, couvrir avec un petit corps les communications entre
cette ville et Ziegenhayn, et avec le reste de l'armée en-
vahir le Hanovre ;
3° Laisser de gros détachements à Cassel, à Munden et sur
la ligne de ravitaillement, renforcer avec le gros des trou-
pes la réserve du comte de Lusace, porter ces forces vers
Moringen, créer un établissement sérieux à Gottingen,
constituer des magasins dans cette ville, sur la Werra et
à Cass-^l, de manière à gagner l'automne, prendre les quar-
tiers 'hiver pour l'infanterie entre l'Eder et la Werra,
pour la cavalerie derrière l'Eder, et maintenir 10.000 hom-
mes pendant la mauvaise saison dans la place de Cassel.
Cette troisième solution semblait préférable et cependant
elle offrait des dangers évidents : « Ce qu'il y aurait de plus
à craindre (1) serait, que le prince Ferdinand ne passât le
Weser avec la totalité de son armée et ne vint tomber
sur la partie de la nôtre qui sera près de Moringen ; il
est même difficile de parer à cet inconvénient, mais alors,
on reculera et on s'approchera de la Werra, et en même
temos on fera avancer diligemment le reste de l'armée...
Le pays est fait entièrement pour la défensive, et on ne peut
y faire une guerre offensive qu'avec des moyens puissants
et une supériorité de forces infinie. » Suit une comparai-
\ I
(1) Mémoire «lis Hroglie, linmenliauscn, ',i
Guerre.
tilElini: DE SEPT ANS
aoùl 17(10. Archives de la
1«
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Ils' 1 I
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3)2
LA (lUERIlE DE SEPT ANS.
CIIAP. V.
son de la situation des deux combattants : du côté français,
nécessité de l'emploi de 25.000 hommes pour une ligne de
ravitaillement de kO à 50 lieues, diminution constante des
combattants par la maladie et par l'obligation de renvoyer
en France (1) les prisonniers rendus, alors que l'ennemi
peut faire rentrer les siens dans le rang deux jours après
leur retour. Chez les confédérés au contraire, l'arrivée
d'Angleterre de nombreuses recrues et de 7.000 hommes
de troupes fraîches, la facilité et la brièveté des commu-
nications qui n'absorbent que peu ou point de monde
rétablissent l'équilibre en leur faveur.
Tout en attribuant quelque exagération à l'assertion
de Broglie, il est impossible de n'être pas frappé par la
réduction rapide des effectifs français de cette époque.
L'imperfection des rouages administratifs, la médiocrité
du personnel et du matériel des hôpitaux étaient pour
beaucoup dans cet état de choses, mais entre autres
raisons du déchet, il est intéressant de citer l'appré-
ciation de Keralio (2), à Ja correspondance duquel nous
avons déjà emprunté des renseignements utiles. A l'en
croire, beaucoup de généraux multipliaient outre mesure
les avant-postes. « Ils ne veulent pas entendre que c'est
la vigilance avec la([uelle ces postes se gardent, qui fait
la sûreté de l'armée; au contraire on entasse gardes sur
gardes, les soldais .servent mal et sont excédés, et les hô-
pitaux se multiplient. » D'autre part les unités ne sont pas
assez étoli'ées, les compagnies sont trop faibles pour les pré-
lèvements qu'on leur impose. « Une des autres causes,
Monseigneur, de la diminution qu'a déjà éprouvée l'ar-
mée, est la mauvaise constitution de notre infanterie. Une
(1) En vertu du cartel les prisonniers étaient restitués de part et d'autre
dans un délai de 15 jours, mais les confédérés, étant en avance sur les Fran-
çais, pouvaient faire rentrer les leurs dans le rang, tandis que les soldats fran-
çais rendus étaient renvoyés en France, en attendant leur tour d'é"Jiange.
(2) Keralio à Uelleisle, Immenhausen, 2G août 1760. Archives de la Guerre.
.ii£iàiiii.£Èiïik.
LKS EFFECTIFS FUAN( .VIS.
t4S
compagnie d'infanterie a 40 lionimcs au complet ; il faut
en déduire deux sergents, trois caporaux, le premier am-
pesade, un tambour, un volontaire pour former le corps
aux ordres de M. de Saint- Victor qui était cy-devant à ceux
de M. de Vair, et trois chasseurs qui ne font point le ser-
vice de fusiliers; ainsi à l'ouverture de la campagne il n y
a ([ue 28 fusiliers pour faire le service. Pour peu que la
campagne soit vive, les maladies, la désertion, les morts
en tous genres, les postiches à fournir aux grenadiers, ont
réduit cette compagnie à 20 hommes; alors pour peu qu'il
y ait de gardcfi, elle est excessivement fatiguée et finit par
être réduite à Tien, «
De la comparaison des eîfectifs, Brogiie passe (Ij à celle
des facilités do rei: eignements : « Quant aux moyens, ils
ont l'argent <"i pleines mains, et pour eu donner une
idée, le princo Ferdinand a par mois quatre mille guinées
pour employ/}r eu espions. Tout le pays est pour lui
comme de raison; il a emmené tous les chariots de la
liesse et du duché de Westphalie; enfin, il a le VVeser
pour lui apporter toutes ses subsistances et trois places de
dépôt qui lui donnent le moyen de se retourner sans être
embarrassé pour son pain. Nous, au contraire, nous ne
pouvons nous écarter de Cassel sans courir risque de
manquer de pain; enfin, tout le pays est contre nous; et
ce n'est qu'avec la plus grande peine qu'on parvient à
faire exécuter les ordres qu'on donne. A l'égard de l'ar-
gent pour les circonstances inopinées, on sait qu'à peine
on en a pour le service ordinaire et indispensable. Si on
veut comparer sans prévention la situation des deux gé-
néraux, il sera bien difficile de ne pas convenir qu'il a
fallu beaucoup de bonheur, et peut-être quelque bien
joué pour parvenir à s'emparer de la Hesse et à vaincre
les obstacles très grands qui s'y opposaient. »
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iJ
(I) Mémoire de Brogiie déjà cité.
244'
LA GUERRE DE SEPT ANS. - CHAI'. V,
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(I
Le mémoire de Broglie se croisa avec une (l<5p<>clio de
llelloisie (1) où celui-ci annonçait le désir du Hoi défaire
liiverucr son année à Cassel. A partir de ce moment um*
lonyue correspondance s'engage.» entre le quartier géné-
ral et le ministère sur les avantages et les périls de la con-
servation de la Hesse et surtout de sa capitale. Au point
de vue politique et en raison des négociations pacifiques
(pi'on commençait à prévoir pour les premiers mois de
17G1, il était de la plus haute importance de ne pas éva-
cuer le territoire conquis. Aussi Louis XV se prononce-
t-il (2) pour le troisième parti rais en avant par Broglie,
et approuve-t-il le maintien, pendant la mauvaise saison,
d'une garnison de 40 bataillons à Cassel ; cependant, mal-
gré cette indication de ses préférences, le monarque laisse
au général toute liberté pour la solution du problème.
« il s'agit donc, Monsieur le Maréchal, que vous décidiez
définitivement, si vous croyez pouvoir tenir Cassel en
toute sécurité pendant l'hiver; et si vous déterminez l'af-
firmative, car le Roi s'en rapporte entièrement à vous,
vous donnerez sur-le-champ tous les ordres relatifs en
tout genre pour qu'il n'y ait pas un moment de perdu, car
il n'est déjà que trop tard, »
Au cours du séjour de l'armée au camp d'Immenhau-
sen, eut lieu la surprise des avant-postes français, à la-
quelle nous avons fait allusion plus haut. Le prince héré-
ditaire ayant appris par ses espions que le détachement
du brigadier Nordmann , logé dans la petite ville de
Zierenberg, se gardait mal, résolut de l'enlever; l'opéra-
tion était délicate, car le bourg, entouré de muis, en
fort mauvais état, il est vrai, était susceptible de quelque
défense et les autres cantonnements français (.3) étaient k
portée. Le prince prit ses dispositions avec tant d'habileté
(1) Helleisle à Broglie, 1"' septembre IZiio. Archives de la Guerre.
(2) Belleisle à Broglie, 8 septembre 1760. Archives de la Guerre.
(3) Le corps de Du Muy n'était ({u'ù une petite lieue de Zierenberg.
SL'RPIUSE UE /IKIIEXIIERC.
2«
que SOS soldats pénétrèrent dans la looîilité à 3 heures
<lu matin le 6 sejitembre (1), par trois l»rèclips non répa-
rées, sans rencontrer d'autre résistance que celle d'une
patrouille qui donna l'alitime, s'emparèrent d'une des
portos sans tirer un coup de fusil et déhoucliérent sur la
grand'placo. Les ofticiers français, réveillés en sursaut,
coururent çà et là pour retrouver leurs compagnies; les
hommes, dont quel([Uos-uns sans armes, cherchèrent i\ se
rassembler dans lo cimetière, désigné d'avance comme
point de ralliement ; le désordre fut accru par l'entrée
en scène du régiment anglais des Dragons gris, qui par-
courut les rues en sabrant les fuyards, A en croire le récit
de Peirson (2), la mêlée aurait eu plutôt le caractère d'une
boucherie que celui d'un combat : « D'après tous les racon-
tars raffairc aurait été très réussie, mais des détails horri-
bles », beaucoup de Français auraient été tués dans leurs
lits. Le brigadier Nordinann, le colonel Comeyras, com-
mandant des Vohmtaires du Dauphiné, furent pris avec
une quarantaine d'officiers et 3 à 400 hommes apparte-
nant aux Volontaires du Dauphiné, de (Mermont et aux
Dragons. Après avoir occupé la ville pendant une heure,
les confédérés réintégrèrent leur camp, suivis par Vio-
mesnil qui avait rallié du monde et recouvra quelques
prisonniers. Dans cette bagarre, les Français laissèrent
sur le terrain 125 tués et blessés; les confédérés, pour la
plupart Anglais ou Écossais, en furent quittes pour une
perte insigniliante.
Fn raid du même genre, entrepris peu après par Ferson
et Hiïlow, fut beaucoup moins heureux. Ces deux ofnciers
atteignirent Marburg, y détruisirent des fours de bou-
langerie, y capturèrent des isolés et quelque butin, entre
autres objets, dos effets d'habillement destinés aux régi-
',
(l)ViomosnilàBroglie,Zieicnberf;, 6 septembre 17G0. Archives de la Guerre.
iTince héréditaire à l-"erdinand, Warburg, G septembre 1760. Record Ofticc.
(2) Peirson à Newcastle, y septembre 1760. Newcastle Pa|ierô!.
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346
LA r.UEURK DK SEPT ANS. - CIIAP. V.
menis do l'arméo; mais pondant le rotonr, ils lurent
rattrapés pai'Stainvillc aux environs (lo Kr.inckonau, ot fort
malmenés. Forson, en ossayant de rallier sa cavalerie, fut
iiiortellemoiit hlcssô et pris; rinlantcrie confédérée lit une
reti'aitc précipitée et no put s'écliappcr sans laisser aux
mains des poursuivants huit canons et hon nombre de
prisonniers. I.e prince héréditaire, accouru au secours do
SCS subordonnés, ne put que recueillir les débris du déta-
chement, [.a défaite de Korsen eut pour résultat de modi-
iier les projets du prince Ferdinand : «' (let échec, écrit-
il (1), a en <piol([ue façon dérangé le plan que j'avais
formé do tourner reiniomi par sa fiaucho. vu (|no le dé-
tachement fut dispersé dans les montagnes et ne s'est
rassemblé que plusieurs jours après. »
Entre temps, Hroglie avait quitté Immenhausen le
13 septembre et était venu s'établir avec 00 bataillons
et 3*2 escadrons dans la banlieue de Cassel, sa droite
appuyée à la ville, sa gauche à la cascade; le prince de
(^roy. à la tète de 18 bataillons, s'était replié à Munden
et le comte de Lusace, avec 25 bataillons et 40 escadrons,
était campé entre (lottingen et Fried.'.; id. Y compris les
deu.v réserves, et déduction faite de la division do Stain-
ville et des détachements chargés do survoilier la ligne de
communication, le général français avait réuni autour
de Cassel ou en avant de cette ville, 127 bataillons, IVO
escadrons ot des troupes légères, soit au moins 80.000
combattants. Il voulut profiter de la concentration de son
armée pour tenter un coup de main contre le général
Wangenheim qui était opposé au comte de Lusace sur la
rive droite du Weser. Il renforça ce dernier des grena-
diers de France, de 8 bataillons sous les ordres de Rongé,
des carabiniers et de la cavalerie du prince de Robecq et
le rejoignit lui-même, le 10 septembre, à .") heures du ma-
(1) Ferdinand à Iloldcrnessc, Geismar, 20 se|)tcinbre 176l». Record Office.
ii^'\'^V
COMIIAT l)K DRAUNSl-KLD.
247
lin. Sur rnuti'o riv(! du Wescr, (Mialio Jivait mi^si()ll do
faire drs déinonstratioiis sur Wolfliagou et Wolkuiisseu
et de détoiirnei' rattcnliou de l'cnnenii. Ail tieures, les
l'rant'ais dél)ouclièreMt sur (juatre colonnes, mais le retard
de l'artillerie et les obstacles naturels du i)ays ne permi-
rent d iu iiver(ju'à '\ heures àDraunsfeld, où Wanyenheim
s'était retiré. Il y eut nu cond»at assez vif et f;rand
(''('haut;e de mous(iueterie, mais les confédérés, malgi'é
leur infériorité numéri([ue, g-rAce à l'obscurité naissante
et à l'abri des bois, purent repasser le Weser sans autre
sacritic;' que ô canons, quelques prisonniers et la perte
de leurs bag-a.^es. A la gauche de I^isace, le prince de
('roy s'enipai-a du pont de Wasbeck. Kn résumé, cette
opération dont on avait espéré un gros résultat, n'aboutit
qu'i\ forcer l'erdinand à abandonner pendant quel(|ues
jours la rive droite du Weser. Une semaine plus tard,
Wangenheim y était revenu et avait repris [)osition près
d'U.slar.
Quant au plan de campag'ne pour la fin de la saison et
aux quartiers d'hiver, ils n'étaient pas encore délinitive-
meiit arrêtés. Hroglie était prêt à obtempérer auv or-
dres que la cour lui transmettrait pour la garde de
Cassel, mais se souciait peu d'assumer la responsabilité
de cette importante décision. Il trouvait à cette mesure
de graves dangers et se demandait si les inconvénients
qu'elle entraînerait ne l'enqjorleraient pas sur le profit
qu'on pouvait eu attendre. « Aussi, écrit-il (1), en met-
tant dans une balance l'avantage que la •politi([ue peut
tirer pour la paiv de la conservation de Cassel et le tort
que lui fera la perte de l'armée, je crois qu'il est difficile
de disconvenir que la pai.v sera plus aisée à, faire avec une
armée en bon état sans Cassel qu'avec Cassel et une ar-
mée détruite. » Castries, qui disaif volontiers son mot,
N (1) IJrotçUe à Belleisle, CasseL, iSMytetnbre 17G0. Archives de la Guerre.
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LA r.lERRE DE SEPT ANS. — CHAP. V.
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adressa égaleincntau ministre de la (Jiicrre un rapport dans
lequel il soutenait une thèse identique à celle de son chef.
La discussion eût pu continuer longtemps sur le même
ton, mais un incident nouveau survint sur io théâtre de
la guerre et détourna l'attention de la liesse et de sa
capitale.
Dès le 27 août, Westphalen avait préparé, sur les opé-
rations lu turcs, un mémoire où il étudiait les moyens
de faire échouer les visées de Broglie sur le Hanovre
et d'obliger les Franc^ais à évacuer la liesse : « V. A. S.,
conseille-t-il (1), ayant ici eu tout 99 bataillons et 80 esca-
drons, ne marcherait sur Fritzlar qu'avec 63 bataillons et
52 escadrons; elle détacherait le prince héréditaire avec
36 bataillons et 28 escadrons pour la Westphalic. » Ce
corps se renforcerait des 4 bataillons et 2 escadrons
déjà dans cette province et suffirait pour assiéger Wesel,
« ce ([ui pourrait arriver vers le milieu du mois d'octo-
bre ». Comme arguments à l'appui des chances de succès,
Westphalen invoquait la faiblesse extrême de la garni-
son de Wesel, la possibilité d'employer les troupes déjà en
Westphalie pour faire, dès à présent, le !>locus de la place
et pour empêcher les secours d'y entrer; enfin, l'avance
de huit ou dix jours qu'il serait facile de prendre pour le
commencement du ciège. « La réussite, concluait le mé-
moire, dépendra beaucoup delà combinaison, du secret et
de la célérité que tout s'exécutera. «Jusqu à la dernière dé-
cade de septembre, aucune suite ne fut donnée à ce projet.
Vers cette épo((ue, cest-A-dire au lendemain de la
retraite de Wangenheim devant l'ollensive de Hroglie et
de Liisace, les forces rivales étaient distribuées de la fa-
(;on suivante : le gros des Français et la réserve de Du Mny
campés autour de Casse!, répartis eu groupes à portée
les uns des autres, de manière à pouvoir s'entr'aider à
(l) Mémoire de; Wcslphaliii, :!7 aoùl 1700. Westplmlcn, IV, p. Vîo.
î I
SOUKFRANCKS DU CONTINGENT ANGLAIS.
349
la première attaquo, les tro* a brii^ados de Croy ôclie-
lonuées sur les l)or(ls de la Kulda entre Cassel ot Mundcn,
les 16.000 11 ouïmes du prince Xavier à Friedland, au
delà de la Werra, avec une avar;t-i;arde k (îottinjien;
enfin Stainville à \Vilduni;<ni avec H h 9.000 homnios
surveillant les communications avec la base. Les confé-
dérés occupaient la ligne de la Dymcl depuis Stadthcri^'
jusqu'à llerstall, à lombouchure de celte rivière dans le
Weser; sur la rive droite du fleuve, Wanyenlieim en
face des Saxons. Durant le séjour des deux armées sur la
Dymel, les confédérés, et surtout les Anglais, avaient peut-
être plus soullert que les Français; l'intendance britan-
nique, contiée à des mains inexpérimentées ou malhon-
nêtes, ne donnait que de piètres résultats; en dépit d'une
dépense considérable en argent, les corps manquaient
souvent des provisions nécessaires; les soldats n'avaient
pas de pain, les chevaux étaient obligés de se passer d'a-
voine. Les plaintes de l'armée parvinrent à Londres pres-
que en même temps que les traites sur le trésor; Newcastle
qui avait à acquitter celles-ci, demanda des explications
îV (îranby cl à Pcirson. Ce dernier, qui remplissait, bien
malgré lui, les fonctions d'intendant général et qui aurait
voulu reprendre le commandement de son bataillon des
gardes, avoua (1) que, pendant plus de douze jours, les
régiments avaient été privés d'avoine et mal se "vis en
pain; il atti'ibuail la crise à réloigncment des fours et
aux lenteurs do la voi'i d'eau. En effet le pays entre
la Dymel, l'Kder et la Fulda avait été ravagé de fond en
comble et était devcmu un véritable désert n'offrant aux
belligérants aucun*' ressource, ni en paille, ni en foin,
ni on céréales et conq)lètement dépourvu de moyens de
transport. Si l'on voulait poursuivre la campagne, il deve-
nait indispensable de changer le IhéAtre des opérations.
(1) Peirsoii à Newcaslle, Gcisinar, ;?3 septembre 1760. Newcaslle Paiicrs.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
Dans une dépêche à Holdcrnessc (1), le prince Ferdi-
nand expose k la fois ses eml)arras et ses projets pour les
surmonter. Broylie est maître de toute la région entre la
Fulda et la Werra ainsi que de tout ce qui est au delà de
l'Eder. « Il n'y a que trois moyens de l'eu faire sortir :
1" de le combattre, 2" de lui couper la communication
avec Francfort, et '.)" d'attendre l'effet du manque de
fourra pe. Le premier ne ni'a point paru ni praticable, ni
avantageux, ni convenable; j'ai tenté le second, sans y
réussira mon gré; le troisième est infaillible, mais d'un
elfet lent. Je puis ajouter que, si l'ennemi se retire, il
ne le feia qu'après avoir achevé le désert militaire, par
([uoi il m'empêcherait seul de le suivre, vu qu'on ne peut
plus com[)ter de trouver au pays un charriage suffisant
pour traverser un pareil désert. Ces considérations jointes
A celles que le Bas-Rhin se trouve actuellement très dé-
garni de troupes m'ont fait concevoir le projet d'y
transférer la g-uerre c suppose que M. de Broglie ne
voudra ni ne pourra souffrir que je m'empare de Wesel
et de Dusseldorf; et que si je fais une démarche pour
parvenir à ce but, il en fera une autre pour s'y oppo-
ser. Il me semble qu'il n'a d'autre parti à prendre que
1» de revenir brusquement sur le Dymel pour me com-
battre, afin de profiter de mon affaiblissement, après le
détachement fait, pour tenter de pénétrer en Westpha-
lio par les gorges du Dymel ; ou 2" de se port;n' avec un gros
de troupes sur Hanovre afin de m'obliger par une di-
version de cette nature à rappeler mon détachement, ou
:}° de détacher lui-môme vers le Bas-Rhin. Quant au pre-
mier parti, je me suis préparé à le recevoir » : Ferdi-
nand compte sur répuisement du pays entre la Dymel,
la Fulda et l'Kder. et sur l'impossibilité dans laquelle
l'eiinemi se trouvera d'y subsister pour résister, môme
(l) FerduianJ à Uoldeniesse, Ovelgunne, '>' sept. 17G0. Record Office.
PROJET DE niVERSION EN WESTPIIALIE.
251
avec SCS efiectifs réduits, h une attaque directe. « Si le
maréclial preud le second parti, c'est-à-dire s'il se
porte sur Ilannovre, il me semble que. malgré l'affai'
blisscment où i ion détachement m'a mis, il doit tou-
jours craindre qu'aussi longtemps que je me tiens sur
le Dymcl, je ne marche sur ses communications, dès
qu'il détacherait trop vers llannovre. Mais s'il n'y dé-
tache qu'un corps médiocre, tel que la réserve du
comte de Lusuce. je me tlattc de l'empêcher de pénétrer
bien avant dans le pays de la même manière que je
l'ai fait jus(fu'à présent. Si l'ennemi prend le troi-
sième parti de détacher vers le Bas-Rliin, je détache-
rai encore de mon coté, et comme cela doit continuer
de deux côtés, la guerre sera transférée au Bas-Rhin,
par quoi la Hesse et le pays d'IIannovre seront dé-
gagés. »
Ferdinand ajoute que, s'il entre dans tous ces détails,
c'est dans la crainte qu'une opération « qui n'est peut-être
que hardie ne paraisse pas téméraire. Les troupes dési-
gnées au nombre de 20.000 hommes, se sont mises en
marche le 23 en plusieurs (divisions; elles arriveront le 30
devant Wesel. La ville n'a que 1.500 honmies de garni-
son, et n'est pourvue ni de canonnii l's ni d'ingénieurs.
Mon projet est donc, en gros, de l'investir de faron à
en couper les renforts ( i lui pourraient venir de Dus-
seldorf et de Clôves, et ti tenter d'abord de prendre la
ville par surprise, mais d employer la force si la ruse
reste sans effet; c'est pour(iuoi je fais suivre les troupes
par un train de siège et par tout ce (|ui y appartient ».
Constatons en passant cpie Ferdinand prend l'initiative de
l'entreprise, acculant ainsi sa cour au fait accompli,
tandis que Broglie commence par consulter avant d'agir.
Cette diil'érence do méthode explique, dans une large
mesure, la supériorité qu'acquiert, au cours de la cam-
pagne, le prince sur le nuiréchal.
l'Ui
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LA GUKRRE DE SEPT ANS, — CHAP. V.
D'après un état dressé par Ferdinand lui-même (1), les
forces mises à la disposition du prince héréditaire se mon-
taient à un total de 2V.000 hommes. Un parc de 15 canons
et de 12 mortiers, tirés des places fortes de la Westphalic,
était affecté au siège de Wesel dont le comte de Lippc-
Buckeburg devait assumer la direction. Les premières co-
lonnes arrivèrent à Ilamm le 25 septembre, et le 30 sous
les murs de Wesel; le même jour, on établit le blocus
de la forteresse.
Pour les Français, la situation était des plus critiques;
depuis la jonction du corps de Saint-Germain avec la
grande armée, le Bas-Khin était presque dégarni. Sans
doute, en vue de la relève des bataillons les plus éprou-
vés, Belleisle avait dirigé sur l'Allemagne 18 bataillons
et quelque cavalerie pi élevés sur les garnisons de la
Flandre, de la Normandie et même de la Bretagne, mais
la plupart de ces détachements étaient encore en route
et c'est à peine «i les échelons de tète étaient signalés
à Liège. Grâce au secret admirablement gardé, la marche
du prince héréditaire ne fut connue au quartier géné-
ral franc^'ais que plusieurs jours après son départ; cepen-
dant, préoccupé de l'état d'abandon de la région du
Rhin, Broglie avait, dès le 25 septembre, désigné le
marquis de Castries pour le commandement des trou-
pes du Bas-Rhin, mais les instructions (2) qu'il lui donna
ne dénotent aucune inquiétude immédiate : « Le mo-
ment le j)lus critique à passer, si le prince Ferdi-
nand envoie réellement des *''oupes dans cette partie,
c'est d'ici à l'arrivée des troupes venant de France; il
est impossible que les ennemis entreprennent de sièges,
ni songent à faire d'entreprises considérables ni d'établis-
sements de l'autre côté du Rhin, mais avec des troupes
(t) Wosiphalcn. IV, p. 459.
('!) Insliiiclions de Caslries, :i5 s('i)leinbrt! iTiiO. Archives de la Guerre.
ni
CASTRIES ENVOYE SUR LE RAS-RHIN.
2:.:?
légères, ils pourraient pénétrer entre le Rhin et la Meuse
et chercher à brûler quelqu'un de nos magasins. « La
nomination de Castries, qui n'avait que .'13 ans et était
encore très jeune dans le grade de lieutenant général,
n'était d'ailleurs que provisoire ; aussitôt que les renforts
de France seraient rendus, il devait passer sous les ordres
de Du Muy et être chargé plus spécialement de la défense
extérieure de Wesel.
Le doute sur la diversion de Westphalie ne persista
pas longtemps; le 29 septembre, Broglie, mis au courant
des mouvements importants qui se faisaient du camp
confédéré, envoya successivement sur le Bas-Rhin le ré-
giment de la Couronne, la brigade de Rouergue, la gen-
darmerie, une brigade de cavalerie et 8 canons, le tout
sous le marquis d'Auvet. Il eut soin de prévenir Belleislc
des bruits qui lui parvenaient et de la précaution qu'il
prenait, mais il ajouta qu'il n'avait pas encore la certi-
tude absolue de l'entreprise ennemie.
A partir de ce moment, les avis devinrent de plus en
plus alarmants, et les départs de troupes de la grande
armée se suivirent de jour en jour. Le 1" octobre, d'Auvet
fut invité à brûler les étapes : il devra être le 5 oc-
tobre à Ilackenberg où il sera rejoint par d'Aubigny
avec 6 bataillons et 2 régiments de cavalerie, le 8 par
Chabo qui lui amènera deux régiments de dragons. Dans
la vallée du Rhin , les événements se précipitaient : le
30 septembre, Beausobre, ({ui commandait à Gueldres (1),
rapporte le passage du Rhin par des partis allemands
à Ruhrort et à Rces, et l'arrivée de fuyards du corps
<lc Fischer que l'envahisseur avait chassés de Rheinberg ;
il cherche à rallier les garnisons éparpillées de la rive
gauche et rappelle à lui celle de Clèves. Soit rettird
1 '!(
(1) Reausobre
Uuerie.
Relieislc, Guolilies, 30 septembre 17G0. Archives de la
254
LA GLERRE DE SU.PT ANS. — CrAP. v.
l,
Jt'
,.' !
.IM
dans la transmission des ordres, soit plutôt indécision
personnelle, Barrail, commandant de cette ville, se crut
cerné avant de l'être, resta à Clèves, y fut attaqué pra*
un détachement hanovrien venu de Munster et finit par
se rendre, le 3 octobre, avec le bataillon de milice qu'il
avait avec lui.
D'autre part une grande activité avait été imprimée à
la marciie des renforts en route tant de France que de la
liesse ; les expéditions de nouvelles unités se succédaient
chaque jour, mais les tètes de colonnes étaient loin.
D'Andlau écrivait de Liège que les six premiers ba-
taillons de France n'atteindraient cette ville que le î);
Ségur, qui était parti avec une fraction de la réserve de
Du Muy, s'annonce pour le 6 à Dillenburg ; il en repartira
le lendemain. Castries était à Cologne le 2 octobre et
le 3 à Dusseldorf, « mais sans troupes, écrit Fischer (1),
point de cavalerie, ce qui est la chose la plus importante
pour ces pays-ci. 11 est embarqué dans une très mauvaise
affaire ».
Comme on devait s'y attendre, Belleisle ne laissa pas
échapper \2) l'occasion de blâmer l'imprévoyance du gé-
néral en chef, à laquelle il aurait pu, en toute équité, as-
socier la sienne : « M. le Maréchal de Broglie est inex-
cusable d'avoir laissé toute cette partie à l'abandon...
il faut croire qu'il sera sorti de son indifférence et
qu'il vous aura envoyé de la cavalerie et des dragons, o
Le vieux ministre se montrait injuste, car Broglie fai-
sait de son mieux pour réparer l'erreur dans laquelle
il était tombé au sujet des projets de l'adversaire. D'a-
près ses calculs i3), Castries aura pu rassembler 16 ba-
taillons à Cologne le 8 octobre; deux jours après, il
sera rejoint par Ségur avec 12 autres, enfin le 11 ou
(1) Fischer à Helleisle, Dusseldorf,;} octobre I/flo. Archives de la Guerre.
(2) Relleisle à Castries, ;î octobre 1700. Archives de la Guerre.
(3) Broglie à Castries, Cassel, 4 et 7 octobre 17G0. Archives de la Guerre.
m\
WESEL EN DANGER,
265
12 du mois par Maupeou avec un second échelon de
12 bataillons. En y comprenant les unités en route de
France, Castries aura bienuM 55 bataillons, 42 escadrons
et quelques troupes légères, soit 32 à 33.000 combat-
tants à mettre en campagne; j)our soutenir son lieute-
nant, Broglie s'était ailaibli de 30 Lutaillons, 42 esca-
drons et 28 canons.
Il faut d'ailleurs reconnaître que le prince Ferdinand
en avait fait autant : il renforça le prince héréditaire de
manière à ce qu'il eût, pour le 15 octobre, 49 bataillons
et 30 escadrons (1) à sa disposition. A cet effet, les divi-
sions Waldegrave, Howard et Kielmansegge furent suc-
cessivement dirigées sur la Westphalie. En attendant,
les nouvelles de Wesel et de la rive gauche du Rhin
étaient bonnes. On avait refoulé les avant-postes fran-
çais ; la garnison de Wesel ne se composait que d'un
régiment suisse et de deux bataillons de milice, de
80 canonniers et 120 ouvriers d'artillerie, on avait bon
espoir d'une prompte reddition. A la date du 3 oc-
tobre, le prince héréditaire (2) n'avait pas connais-
sance de renforts français : « Nos patrouilles vont jus-
qu'aux portes de Dusseldorf, sur la rive gauche du
Rhin jusqu'à Sousbcck et Yssum. iMais jusqu'ici, l'on
ne voit et entend rien des» ennemis de ces côtés. De la
grande armée, ils n'ont aussi pas détaché. » A la con-
fiance du général confédéré repond l'inquiétude des chefs
français; Fischer exprime ses émotions à Belleisle (3) : « Je
crains une escalade pour Wesel; la place est très vaste...
cependant, il y a encore du bonheur que les ennemis
ne se soient point jetés sur Cologne ou Dusseldorf, car ils
' »i,
Si ," I
(1) Manners, Life of tlii: marquis ofGranby, Londres, 1899.
(2) Prince liéréditaire à Iloldernesse, Camp devant Wesel, 3 octobre l'OO.
Record Office.
(3) Fischer à Belleisle, sur le chemin d'Urdingcn, ."i octobre 17G0, Archives
de la Guerre.
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356
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
auraiont pris les deux ])laccs d'emblée... Il est parti un
détachement des oimemis sur la Meuse, ce qui me fait
craindre [)our llurcmonde. »
Les premiers détachements de l'armée de liroglie n'en-
trèrent à Cologne que le 8 octobre. Casiries mande (1) que
la division d'Auvet était arrivée harassée, sans avoir fait
séjour depuis le départ de Cassel; il va réunir des chariots
pour charger les havrcsaes de l'infanterie, et il ne perdra
pas un moment pour marcher, aussitôt les troupes rassem-
])lées. Le 18 (2j, il espère avoir dans 5 jours 24 bataillons et
36 escadrons en ligne sur l'Erfft, mais il prévoit le passage
tlu Rhin par le prince héréditaire : « Les ennemis retran-
chent le poste de Burick, mais s'ils veulent continuer leur
siège, il faudra qu'ils se portent en avant et qu'ils me
préviennent à Rheinberg ou sur les bruyères d'Alpen.
Dans ce cas, selon la position de leur camp, je manœu-
vrerai pour les déposter Ils doivent tout risquer pour
continuer ce siège et ils ne le peuvent qu'autant qu'ils
m'ôteront les moyens d'y jeter du secours. » En etfet la
relève de Wesel était la grande préoccupation; chaque
dépèche de Broglie, et elles étaient pour ainsi dire quoti-
diennes, insistait sur l'urgence d'y porter aide. Castries,
qui avait transféré son quartier général à Dusse Idorf, s'était
décidé (3) <( à marcher en force p ..r la rive gauche »,
il essaierait de gagner Rheinberg et d'exécuter u l'embar-
quement projeté pour descendre le Rhin pendant la nuit, »
ou il fera « passer ce fleuve aux troupes pour les faire
entrer dans Wesel par la redoute de la Lippe ». Le gou-
verneur, Castella, venait de faire parvenir à ses collègues
français quel([uos mots (ï) tracés sur un bouton décrivant
les progrès du siège et réclamant un prompt secours.
(1) Casiries à Belleisle, Cologne, 8 octobre 1700. Archives de la Guerre.
(2) Castries ai Broglie, Cologne, 8 octobre 1700. Archives de la Guerre.
(3) Castries à Broglie, Dusseldorf, 10 octobre 1700. Archives de la Guerre.
(4) Castella à Beausobre, Wesel, Il octobre 1760. Archives de la Guerre.
CASTIUES A lUIKINBKIlG.
357
Enlin, le 13 octobre, une concentration partielle s'ef-
fectue : « J'ai réuni, mande Castries (I , mes divisions
àNcuss afin de gagner du terrain et pouvoir diriger les
troupes qui viennent de France sur ce point; vous m'avez
paru désirer que nous commencions le \1 à faire un
mouvement en avant; les troupes étant rassendjlées au-
jourd'hui 13, à 8 lieues de Cologne, j'ai à peu [)rès r('m[)li
votre attente... Par l'état actuel des combattants que j'ai
ici, les 31 bataillons de l'infanterie vont à 15 mille V ou
500 combattants et la cavalerie, la gendarmerie, les dra-
gons à environ 3.500, ce qui fait en tout 19 000 hom-
mes. Vous savez. Monseigneur, que tous les régiments de
cavalerie que vous avez envoyés ici sont les plus délabrés
ou ceux à qui il manque des compagnies morveuses, ce
qui fait que la plupart ne pourront former qu'un esca-
dron. » F^'artillerie était encore en ariière.
Sans attendre la division Maupeou et les derniers régi-
ments en route de France, Castries continua sa marche;
il était précédé d'une avant-garde commandée par Chabo
et formée de 5 bataillons, de deux régiments de dragons
et du corps de Fischer. Cette avant-garde arriva, le IV à
l'entrée de la nuit, aux environs de Rheinberg qui était
occupé par un millier de 'confédérés. Quoique le poste
fût très défendable, les Fischer en débusquèrent l'en-
nemi, qui, à la suite d'une action assez vive, se retira avec
une pertb d'une centaine d'hommes.
a II était 5 heures du soir, rapporte Castries i2), lorsque
nous entrihnes dans Rheinberg, la nuit commençait alors,
et les troupes harassées ne me permirent pas k penser
à autre chose qu'à les laisser reposer. J'appris en même
temps que l'armée pourrait tout au plus arriver à Mœurs,
<{u'un coup de vent avait brisé une partie des bateaux qui
(I) Casiriosà Broglie, Neuss, 13 octobre 17t>0. Archives de la Guerre.
i'i) Castries à Helleisie, Wescl, :>() octobre I7(j0. Archives de la Guerre.
GUEllUi; Dli Slil'T ANS. — ï. IV. 17
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I.A <;i ERHK DK SEPT ANS. CIIAP. V.
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descendaient le Khin et qu'il avait fait échouer l'autre;
cette circonstance malheureuse empocha que, dès le 1 V au
soir, l'embarquement qui devait se taire à Orsoy pût
s'exécuter », et donna le temps au prince héréditaire de
former une estacade sur le lUiin au-dessus de Wesel. « Il
eût été à désirer de pouvoir marcher de lUieinherg sur
Uurick dès le 15 A la pointe du jour, mais les ennemis
avaient fait passer le Uhin pendant la nuit à la tète
de leur armée, de manière que dès que le jour eut permis
d'apercevoir ce qui se passait dans la plaine de l'autre
côté du canal, on découvrit un corps de troupes fort su-
périeur à celui que j'aurais pu faire débouciier. Je fus
donc oblijué de borner les mouvements dn 15, 1" à porter
l'armée (|ui n'était arrivée ([ue le IV à i heures du soir
prèsde Mœurs, sur le canal de Rheinbery; 2° à envoyer le
corps de Fischer à l'abbaye de Canq)s pour masquer ce
passage principal; et couvrir l'armée qui arrivait par
cette direction; 3" à rassembler des bateaux A Orsoy pcnir
faire passer dès cette nuit un secours dans Wesel. Je par-
vins à en rassembler assez pour embarquer, dans la nuit
du 15 au H), 600 grenadiers ou chnsseurs avec 100 hom-
mes d'artillerie; M. de Boisclaireau les commandait, et
M. de Sionville, officier de la plus grande fermeté et de
la plus grande intelligence pour ce genre d'opérations,
fut cliargéde la direction du convoi et de toutes les choses
nécessaires pour rompre l'estacade des ennemis et com-
battre avec avantage les bAtiments armés qui devaient la
défendre. »
Disons de suite que l'expédition de Boisclaireau eut
une pleine réussite. Le seul obstacle qu'elle rencontra
fut « une estacade de 15 grosses bar([ues ([ui barrait le
Uhin dans son entier. Ces barques, relate Hoisclaireaud ,
étaient liées par un gros cAble qui traversait tout le tleuve ;
(1) Boisclaireau (rtapporl de), Wesel, 20 octobre I7C0. Archives delà Giieirc.
SIKCK DK WESIIL.
330
le cAble n'était pas, liourouscmciit, assoz tendu pourôter
h nos h<u'(|ues Li liberté <lc passer. » Les assiô^-eants tiiè-
reiit snr les Fiançais quehjues coups de canon et de (nsll
qui ne Jour tirent pas grand mal et Uoisclaireau et son
détachement parvinrent à bon port, à la grande joie de
de la gai'nison de Wesel et sans autre perte (ju'un lieu-
tenant noyé en débarquant.
Empruntons au récit de Castries l'emploi des der-
nières heures de la journée du 15 octobre : » dette dispo-
sition I rembarquement! arrêtée, je lus au-devant de l'ar-
mée pour déterminer son camp, il était trop tard pour
lui faire passer le canal, et ne le passant pas, je lus forcé
de la reculer hors de la portée du canon que les ennemis
pouvaient établir de leur côté avec avantage. L'armée
campa donc, à un quart de lieue de (lamps, à cheval sur le
chemin qui conduit de cette abbaye à Ncuss, je prévins
Fischer ([ue dans le cas où il serait attaqué et forcé pen-
dant la nuit, il serait reçu par un bataillon de grena-
diers qui aurait l'ordre de se porter au premier coup de
fusil à la tête des haies pour protéger sa retraite ; j'or-
donnai aussi de construire des ponts sur le canal, et à
l'officier général de jour d'en faire protéger les travaux
par les gardes qu'il y placerait. Après cette disposition,
je fus obligé de retourner à llheinberg pour ordonner
rembarquement et je ne pus revenir (]u'à la nuit fermée
au quartier (jui m'avait été marqué derrière la ligne, je
sus en arrivant que l'on avait trouvé le bord du canal
trop éloigné pour y placer les gardes, qu'on les avait
placées en arrière, et, quoique cela fiU essentiel, je crus
qu'il était trop tard pour les y reporter. »
Que s'était-il passé chez les confédérés [)envlant la pre-
mière quinzaine d'octobre? Nous avons laissé le prince hé-
réditaire occupé à l'investissement de Wesel et attendant
a 'ec impatience son parc d'artillerie pour en commencer
le siège. Il est toujours plein de confiance dans l'issue de
''.^-f"
960
LA OUKRRK DK SEPT ANS. — CIIAP. V.
)".
Il y
ïi\i
l)
son entreprises : ■< M, de Bro^Iie, cci'it-il i\ ll()l(k'rnesse''1 i,
d'apivs nos dernières nouvelles, onvoicra tout au plu»
20.(M)0 honmics contre nous afin de nous faire aban-
donner la partie, mais S. A. Ut IMinc»^ Feidinand me
renforce à proportion, in'ayant (Mivoyé le lieutenant-
général Waldegrave avec 8 bataillons et fi escadrons
qui se trouvent aujourd'bui déji\ à Dorsten, et j'attends
encore avec fi autres bataillons le général Howard de
sorte que je ne crains r» n de ces ctMés ; du moins ai-je
l'honneur de vous assurer que si l'ennemi vient, que
nous ferons de notre mieux. Pour ce qui est des troupes
qui pourraient venir par le Brabant et dont 12 l)ataillons
se trouvent déjà à ce qu'on m'assure, prés de I^iiège, l'on
prétend que le reste a fait une iialte; et qu'on balance à
le faire marcher craignant pour les c(^tés de la Flandre.
Il serait admirable de les entretenir dans cette idée, du
moins jusqu'à la fin de ce mois. » Trois jours après (2), il
annonce l'ouverture de la tranchée qui s'est elFectuéc si
heureusement dans la nuit du 10 octobre, « qu'on fit
3.000 toises d'ouvrage sans qtie M. de Castella s'en aper-
çût; nous travaillons actuellement à l'emplacement de nos
batteries; notre première parallèle a des endroits qui ne
sont qu'à 100 toises du glacis... Une sortie de la garnison
a été repoussée; Waldegrave est arrivé, et Howard rejoin-
dra dans deux jours; toute notre artillerie de siège est
arrivée cette nuit ». Toutefois, le prince s'était rendu
compte ([ue, pour s'emparer de \Vesel,il était indispensable
d'être maître de la rive gauche du Rhin, aussi s'était-il
attaché à se procurer les moyens de franchir le tleuve. Dans
un rapport détaillé au prince Ferdinand (.'$>, il fait le récit
des opérations qui précédèrent la bataille du Ifi : « Mon
pont sur le Rhin ne fut achevé que le 13 et quoicjuo mal
(1) Prince à Holdernesse. devant Wesel, lo octobre 1700. Record Oflice.
(2) Prince à Holdernesse, devant Wesel, l't octobre 17C0. Record OHice.
(3) Prince iiércdilaire à Ferdinand, Rrunen, l'J octobre. Record Ofticc.
■ ^i
( IIAMP DE HATAILUI UE CLOSTERCAMl'
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assiir»' ciicore contro les caprices do la saison, je (is passer
le soir tlu l.'l, oiii(| haltcrics ot huit escadrons sous les or-
dres de M. de Bock. Contre tous mes avis de la Haye, de
Colof^ne, etc.. M. d»» Castrios parut le 14 avec 5 hatleries,
8 escadrons et les Fischer, l'après-dlnée à k heures, aux
portes de Hiicinheig-; je n'y étais c|u'j»vec les volontaires
et les hussards, je m'enferniais dans la ville avec l'infan-
terie, mais prévoyant y être forcé au hout d'une heure,
je me repliais en ordre sur Ossenherg' où j'avais donné
ordre à M. de Hock de marcher; j'avais également averti
le général Waldegrave et Howard de marcher d(î lleins à
tire-d'aile, pour me joindre. Les Fischer à cheval nous sui-
virent vers Ossenherg, je les fis rechasser, et mon cheval
reçut une contusion à cette afl'airc, qui fut assez vive. M. de
Bock ne me joignit que le 1,') au matin, et le pont qui
s'était rompu deux à trois fois arrêtait tellement la marche
du général Waldegrave, de Howard et des hataillons que
j'avais tirés du siège, que le tout n'arriva que le 15 au
soir A 8 heures. »
Le terrain où allait se livrer le sanglant combat de
(^lostercamp (1) ne nécessite pas une longue description.
Du Rhin, à faible distance de la petite ville de Bheiuberg,
se détache, presque à angle droit, un canal dans la direc-
tion de Gueldres; sur la rive gauche, et à 3 kilomètres en-
viron de ce cours d'eau, s'élève le plateau d'Alpen; sur
la rive droite s'étend une plaine en cultures et en bruyères
coupée par des marais et des bouquets de bois parmi
les([uels quelques-uns d'une certaine superficie. Les che-
mins qui desservaient les hameaux de la contrée étaient,
en général, bordés de haies. Au centre, le village de
(1) Le récit de In bataille est tiré des rapports et lettres de Castriez), de
Hochambeau et d'Auvel ; du bulletin des opérations de ce qui s'est passé à la
brigade de Normandie, Archives de la Guerre; des Mémoires de Hesenval,
Paris, 1 821; de la correspondance du prince héréditaire, de Granlty et de Peirson,
Record Office; deWnstphalcn, vol. IV; deManners, IJfeof lord (IranOy. etc.
Voir la carte à la M du volume.
i; V
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262
LA GUEllKE DL: SEPT \NS. — CIIAP. V.
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Campesbrocckflontla plupart des maisons, isolées les unes
des autres, étaient ceinturées de taillis ou de vergers; en
amont et sur la rive gauche du canal, le couvent de Clos-
tercamp; en aval, et sur l'autre bord, la ville de Rliein-
berg; le cours d'eau était guéable en plusieurs endroits.
Le soir du 15 octobre, l'armée française était campée
dans la plaine, aunord-ouestdu villagede Rosenradt, ayant
devant elle les maisons et les J)ois de Campesbroeck et l(^
hameau de Iloldopel. Le corps de Fischer était posté à
droite et en avant du couvent de Clostercamp ; Tavant-
garde de Chabo était établie à Uheinbcrg. Les troupes du
prince héréditaire étaient réunies au village d'Ossenberg,
sur la route de Rheinberg au pont de R.urick, ou eu marche
pour rejoindre.
Castries eut un instant la pensée de faii •; franchir lé
canal au gros de ses troupes, mais la fatigue des hommes,
épuisés par leurs marches forcées, et les démonstrations
des confédérés tirent remettre le passage au lendemain ;
on se borna à ouvrir des débouchés dans les bois, à amé-
liorer les gués it cà préparer des ponts. La première ligne
des Français était formée par les brigades de Normandie,
de la Tour du Pin, d'Alsace et d'Auvergne, les trois der
nières composées des régiments du môme nom ; celle de
Normandie, en outi'e des V bataillons du régiment, com-
prenait les •! bataillons de Rriqueville. Ainsi qu'on le
verra, les 18 bataillons de cette première ligne furent les
seuls qui prirent une part sérieuse à la bataille ; ils étaient
commnndés par les lieutenants généraux d'Aiivet et de
Ségur et les maréchaux de camp Wurmser et Resenval
Kn seconde ligne étaient rangées deux brigades de ca-
valerie aux ordres des généraux de Cursay et de Thiard;
la gendarmerie, sous Lugeac, était en réserve à Rhein-
berg et au chiUeau de Stromniers, par conséquent sui-
les derrières ou à l'extrême droite. Gaistries avait laissé à
Rheinberg et à Strommers sous la direction de Roquepine
MARCHE DE FLANT DU PRINCE IIKREDITAIUE.
•>.r,3
et de Chabo les trois )>rigados de la Couronne, deRoiior-
guc et de Bouillon, en tout 11 bataillons, ainsi que 8 es-
cadrons de dragons; un bataillon de milice était resté à
iMeurs pour garder les bagages.
La rencontre était beaucoup plus imminente que b-
pensait Castries; le prince héréditaire sentant qu'une
bataille était inévitable, ne voulut pas la livrer sur les
boi'ds du Rhin, dont la traversée, en cas de malheur, eût
pu devenir une cause de désastre; au lieu d'attendre
l'attaque qui se dessinait de Rheinberg, il se décida à
prendre l'otî'ensive et à porter son eilbrt principal sur
la gauche des Français; une marche de nuit permettrait
de tomber à l'improviste sur un adversaire ([ui n'avait
pas la réputation de se garder avec toute la vigilance
nécessaire. A cet ell'et, il mit ses troupes en route à
10 heures du soir, le 15 octobre; la colonne de droite
eut pour mission de chasser les Fischer de l'abbaye et
de la position de Clostercamp; la colonne de gauche
devait franchir le canal par l(>s ponts et les gués que les
Franeais avaient aménagés la veille, et s'emparer des
maisons et des jardins de Campesbroeck; ces deux divi-
sions étaient fortes (1 1 de 17 bataillon; et 18 escadrons.
Enfin, le général de Rock, avec ,'J bataillons et V esca-
drons, surveillerait Rheinberg et les abordsdu canal entre
cette ville et le hameau de lloldopel; si l'opération prin-
cipale réussissait, il la seconderait de son mieux.
Ainsi qu'on l'avait prévu, les Fischer fuient surpris;
abordés vers 2 heures du matin, ils furent expulsés avec
perte de leur camp et se retirèrent en désordre sur
Gueldres « abandonnant (2) la direction et le débouché
qu'ils devaient couvrir ». Cette fuite excentrique eut pour
■■t
(I) Chiiïres doriiK'S pai le iirince hon-ilitairo dans son rapport du l'.i i\
Ferdinand.
('!) Mois ajoiit.is (II! la main de Castries, dans son rapport à IJelieisie du
20 octobre.
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l,\ GUERRE DE SEPT ANS
<IIAP. V.
oirel de couper les commimicatious outre eux et le
gros de l'aimée français*; ; uéauinoins, les coups do fusil
auxquels donna lieu la bag'arro, ji'ttNront l'alarme dans
le cantonncmont ; les régiments prirent les armes et
les généraux coururent rejoindre leurs divisions et leurs
brigades. La première fusillade ne dura guère, et
Castrics, t|ui avait envoyé aux nouvelles, conimeneait
à ne croire qu'à une afi'aire davant-postes, quand la
mousqucterie éclata à nouv^oau avec plus d'intensité,
accompagnée de quelques coups de canon. C'était l'en-
nemi qui s'était heurté aux grenadiers d'Auvergne que,
dès la première alerte, leur lieutenant-colonel, La Bartet,
avait portés, selon la consigne donnée . au débouché du
chemin de Meurs. Dans U confusion qui siiivi* ÇB^ie
rencontre, le général de Ségur et le brigadier de Wan-
gen, qui s'étaient avancés dans les ruiilles du village do
Campesbroeck pour reconnaître, tombèrent sur les têtes
de colonnes de l'assaillant et furent fr'tr^ prisonniers.
C'est ég ilement à cette phase de l'alfaire que se rattache
l'épisode bien connu du capitaine d'Assas(l) sacrifiant
(1) lU'iulanl lon^lemps l'acliou d'éclat du chevalier d'Assasîut ignorée du
public; la (irenilère mention d.i capitaine se trouve dans la deu.iènie édition
du .sirrle (le Louis W de Voltaire, pul)liée en 17<i9 et dans le Mcrcuri' du
mois de mars de la même annév . Des soldats du régiment d'Auver^^ne,
notamment le seraient Dubois elle caporal Charpentier, revendi(|Uèrent l'hon-
neur d'avoir fait partie du pi(|uet commandé par d'Assas et se virent attri-
buer par quelques auletrs le mérite du propos : « Auvergne, c'est l'ennemi ».
Quoi qu'il en lût de ces prétentions rivales, en 1777 une pension de ÎOOO li-
vres réversible sur les aînés de la famille, fi't atcoidée au frèie et aux
neveux du capitaine qui n'avait pas laissé d<<nfants. 11 y a peu d'années
M. Dominique Casanova d'Aracciani réclama pour son a'ieul, lieutenani au
<orps de Fischer, la gloire d'avoiraverti lannée française du péril qui la me-
naçait. Une enquête minutieuse, faite au ministère, établit que les coups de
fusil tirés par l'oHicier de Fischer ou jtar les homnu's di; son peloton n'a-
vaient rien de comnuin avec ce qui s'étail passé aux avant-postes du réf^i-
ment d'Auvergne et en conséquence la méînoire de d'Assas fut confirmée
dans les honneurs dont elle avail joui depuis I5i) ans. Une slalui' lui a été
l'ievée au Vigan, ville à laquelle appartenait sa famille.
ItVTAILLE I)K CLOSTERCAMP.
205
sa vie pour prévenir ses camarades d'Auvergne du pro-
che voisinage dos Ilanovriens. La résistance opiniâtre des
grenadiers et ciiasseurs d'Auvergne arrêta l'élan des
confédérés et donna le temps an reste du régiment d'ac-
covirir.
Castries était encore dans son logement, au village de
^{osenradt, (juand il fut averti par l'officier d'état-major
àaint-Sti'iveUr 4^^ i*^^ canon commençait à se faire en-
tenare aux ai)ords du canal; il monta aussitôt à cheval et
se boita sur la ligne de feu; i\ y rencontra |U)cluiraheau,
colonel du régiment d'Auvergne. Sur les ordres du gé-
néi'al en chef, les 4 bataillons d'Auvergne furent posté-:,
la gauche à un marais cpii touchait à la bruyère de Camp,
la droite au chemin de Meurs. I.a Jjrigado d'Alsace vint
s'appuyer à la droite d'Auvergne et celle de la Tour du
Pin, encore plus à droite, fut chargée de pousser une ài-
taque de tlanc contre les colonnes ennemies; les 6 ba-
taillons de la brigade de Normandie dameurèrent provi-
soirement en réserve, derrière les combattants. Il était
alors '* heures du matin et l'obscuiité presque com-
plète.
Dans une lettre intime à Belleisle, ie générai français
raconte les péripéties de l'affaire : « Les deux premières
brigades (Auvergne et Alsace) ne furent pas plutôt pla-
cées qu'elles furent attaquées avec furie par les ennemis,
leurs eft'orts se dirigeaient sur le chemin de Meurs pour
parvenir à tourner le ilanc gauche de ma ligne; leurs
attaques se succédèrent avec tant de vivacité qu'Alsace
souffrit au point que son front, en se resserrant, se trouva
si diminué qu'il se forma un vide entre cette brigade et
celle d'Auvergne, qu'il était très pressant de fermer, j'y
portais les deux bataillons de Briqueville. Mon front,
malgré son feu, était pressé par celui dos onncmis et je
ne m'apercevais pas du soulagement (pie l'alfrioi"^ do la
brigade de la Tour du l'in devait me procur. r. ,1e vouius
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
deux fois m'y porter pour la faire charger, mais deux
fois je fus ramcué à la gauche par les efforts que les
ennemis y faisaient. (]ette gauche était le point principal
de ma position, et je devais tout y sacrifier pour m'y
maintenir avant de penser à attaquer celle de l'ennemi.
J'appris alors que M. de la Tour du Pin blessé, sa brigade
était restée dîins la positiou où il l'avait laissée sans dé-
boucher; son inaction ])crmit donc au.v ennemis de réunir
toutes leurs attaques vers le chemin de Meurs, la gauche
de la brigade d'Alsace le défendait et s'y soutenait, qvioi-
que presque entièrement détruile. H fallut la faire sou-
tenir et remplir le vide ([ue sa perte avait occasionné pour
la seconde fois, je me trouvai donc forcé à employer les
4 bataillons de Normandie sur les troupes qui me ro-
tassent en réserve. »
La situation devenait critique : les grenadiers et clias-
seurs d'Auvergne qui avaient essuyé le premier choc,
<f ayant tous leurs officiers tués ou blessés c» réduits à
10 iionunes par troupe », avaient abandonné le village
de Campesbroeck; il avait été repris par leui's camarades
du régiment dont les unités se logèrent derrière les haies,
dans les vergers et dans les maisons. Alsace engagé depuis
longtenqjs, et Not niandie qui venait d'entrer en ligne pro-
longeaient la défense dans la direction du canal. Tout en
perdant beaucoup de monde, les régiments anglais, qui
constituaient le principal élément de l'armée confédérée,
avaient gagné du terrain. Castries, dont le sang-froid fut
admirable, prit des dispositions pour le renvoi des équi-
pages et de l'hôpital, et appela à lui Chabo avec la bri-
gade de Kouer^ue. Il y eut de part et d'autre une série
d'engagements avec des succès alternatifs; les fermes, les
haies, les fossés furent eidevés, perdus, puis reconquis pur
les combattants. iNormandic, dont les soldats, nouveaux
venus de France, exposés au feu pour la piemière fois,
commençaient à plier, fut ramené par Cas^ti.^s, d'Auvet et
PÉRIPÉTIES DU COMll.VT.
207
son colonel Pcrusse. Le lieutenant-colonel Bienassis, à la
tête du 1" bataillon, s'empara d'une maison d'où il expulsa
un détachement anglais (ju'il repoussa jusqu'à la lisière
de la bruyère. Encouragé par ce petit avantage, et voyant
que le tir de l'adversaire paraissait mollir, Castries or-
donna aux défenseurs de Campesbroeck de faire un dernier
effort pour chasser l'assaillant de la partie des haies et
des vergers dont il était encore maître, et conduisit en
personne un bataillon de la Tour du Pin contre le flanc
des colonnes anglaises. Ce mouvement, secondé par un
retour offensif de ce qui restait des bataillons d'Auvergne,
conduits par Besenval, fit reculer les Anglais... '( Lr. pre-
mière atta(|ue réussit, écrit le prince héréditaire; nous
chassâmes l'ennemi d'un enclos à l'autre, mais comme
malheureusement le soldat se débande à la poursuite et
ne résiste guère aux forces nouvelles ([u'on lui oppose,
j'eus le chagrin de voir que tout mon monde fut rechassé;
les Anglais ont plié les premiers et n'ont nullement fait
comme je devais m'y attendre. » La lutte pour la posses-
sion des bois et des maisons de Campesbroeck avait
duré au moins trois heures et le jour s'était levé.
A la vue des confédérés <{ui se retiraient en désordre
dans la bruyère, le gros du régiment de Normandie et plu-
sieurs fractions de ses voisins d'Alsace et d'Auvergne se
précipitèrent à leur suite, malgré les cris des généiiaux,et
sans reconstituer les formations que la lutte derrière les
haies avait désorganisées. Mal leur en prit; le général
Klliot lam a sur cette masse confuse quelques escadrons
que l'obscurité et la nature du terrain avaient retenus
jusqu'alors inactifs. Les fantassins français furent vive-
ment refoulés jusqu'au cordoi: les haies, perdirent du
monde et laissèrent aux mains des cavaliers anglais un
drapeau et deux canons appartenant à Normandie; le
colonel du régiment, le marciuis de l*erusse, fut renversé
ot blessé; il ne dut son salut qu'à la bravoure de trois de
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LA GIKRRE DE SEPT ANS. — CHAP. V.
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ses hommes qui rarrachèrent à l'ennemi. Fort heureu-
sement un Ijataillon de Briqueville, qui avait conservé sa
position, arrêta cette charge par son feu soutenu;
quelques pelotons qui avaient percé la ligne des haies
furent sabrés par trois escadrons de Royal Piedmont et
de Balincourt que le comte de Thiard jeta sur eux avec
beaucoup d'à propos. Les Anglais abandonnèrent au vain-
queur quelques prisonniers et un étendard.
Quoiqu'elle eût été, en définitive, repoussée, la charge
d'Elliot, en donnant un répit à l'armée confédérée, la
sauva d'une déroute complète. La seconde retraite à tra-
vers la brujère s'était elicctuéi dans un grand désarroi
qu'augmentait le tir d'une batterie de 4 pièces avan-
tageusement placées par M, de Lugeac. Les rangs anglais
étaient confondus; beaucoup d'officiers avaient été tués
ou blessés; le prince héréditaire, qui se prodiguait avec
son intrépidité habituelle, en essayant de rallier les fuyards
avait eu son cheval tué sous lui et avait reçu une contu-
sion qui gênait sa marche. Ce fut grAce à l'aide de
Lord Lennox qu'il put se traîner hors du bois et rega-
gner le bord du canal dont il organisa de son mieux le
passage.
Les Français avaient trop souffert pour songera pour-
suivre, et les soldats du prince rentrèrent dans leur
camp de Burick sans être molestés autrement que par
quelques coups de canon et une démonstration de la
division de Chabo. Ce général, appelé, comme on l'a vu,
à renforcer le gros, n'avait laissé à Rheinberg que
200 hommes du corps de Fischer et avait marché dans la
direction de Campesbroeck ; en route, r.issuré sur l'issue
de laction principale et ému de la fusillade qui semblait
s'engager du côté d(^ Rheinberg, il revint sur ses pas,
ff'prit son poste sous les i cmparts de la ville, et lança
quelque cavalerie à la poursuite de Bock qui, après une
démonstiation vaine, se voyait o))ligé de suivre la re-
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INACTION DUNE PARTIE DE L'AUMÉE FRANÇAISE.
traite générale des siens. En fait, Cliabo ne participa pas
à l'affaire; il en fut de même de Roqucpine dont les
troupes, et notamment la brigade de la Couronne, ne
parurent sur le champ de bataille qu'après la fin du
combat. La gendarmei'ie ne chargea pas, mais la canon-
nade lui coûta un officier et quelques honunes.
En résumé, sauf l'intervention d'Elliot et la charge
des 3 escadrons de Thiard, la bataille de Closfercamp
fut une rencontre sanglante et bien disputée entre 18 ba-
taillons français et 16 bataillons confédérés en grande
majorité anglais. De part et d'autre, le nombre engagé fut
A peu près égal, soit d'environ 12.000 fantassi'.s. Sans
la malheureuse sortie en plaine qui ne fait pas l'éloge
de la discipline des régiments français, ceux-ci auraiDut
pu remporter un succès absolu, surtout si les renforts
l'éclamés par Castries au cours de l'action fussent arrivés
en temps utile. On peut à la rigueur comprendre les
hésitations de Chabo qui l'empêchèrent de tirer parti de
sa troupe, mais il est difficile de saisir les motifs de
l'inaction des G bataillons de Roquepine pendant tout
le combat. D'autre part si, malgré les difficultés du ter-
rain, la charge d'Elliot fut si efficace contre l'infanferie
française dans les bruyères do Camp, on peut s'étonner
qu'un officier de cavalerie comme Castrics ne se soit pas
servi du reste de ses deux Jjrigades et des 10 escadrons de
la gendarmerie contre les bataillons confédérés dont le dé-
sordre était au moins aussi grand que celui des Français.
(rri\ce sans doute au défaut de poursuite, la perte du
vainqueur aurait dépassé celle du vaincu : Les Français
comptèrent 185 officiers, 2.V59 soldats tués et blessés
appartenant aux régiments engagés, soit, en y ajoutant
les Fischer et quelques cavaliers atteints, près de
3.000 hommes. Le rapport officiel du prince liéréditaire
ne porte son déchet qu'à un total de 1.012 officiers et sol-
dats parmi lesquels environ ."300 prisonniers. Dans Tarmée
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LA c.ijerhe dk sept ans.
CHAP V.
1 1
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de Casti'ies, les régiments d'Alsace, d'Auvei'f^rie et de Nor-
mandie furent tcrribloment éprouvés; ils accusèrent un
déficit respectif do 9iiï, 7711 et 097 officiers et soldats
hors (le combat, soit près dos 5/6 du total de la perte
française et ï't "/<■ do leur effectif. Ces chiffres, pour un
combattant resté maître du terrain de la lutte, paraissent
élevés et il est permis do se demander si, d'après la cou-
tume de l'époque (1), les capitaines n'avaient pas enflé leur
nian(juant en y comprenant toutes les non-valeurs de
leurs compagnies.
Ainsi que nous l'avons dit, Tarmée du prince hérédi-
taire eut tout io h)isir do se retirera Burick ; l'avant-garde
française ne franchit le canal que deux heures après la
fin de la mêlée; elle s'établit à une lieue do Buriclv et fut
rejointe par le gros vers la nuit. La journée suivante, le
17 octobre, se passa on escarmouches; Castries fit ta ter
l'ennemi par ses troupes légères à Elverich et (ieit, mais
il remit l'attaque au lendemain et se borna à se rappro-
cher de la position ennemie, dont il resta éloigné d'im
quart de lieue. La situation du prince héréditaire ne lais-
sait pas d'être critique : en face do lui, un ennemi vain-
queur; à son dos un fleuve à traverser; pour comble
de malheur, le pont unique qui assurait la retraite avait
été rompu dans la soirée par une inondati»»u. Il fallut
le rétablir un pou en aval, mais l'opéVrttion ne fut ache-
vée que le 18, à 5 heures du malin.
Tout d'aboid, le prince héréditaire chercha à en im-
poser aux Français en faisant prendre l'ollcusive à sa
cavalerie dans la direction de (lelt; il garnit d'artiUo^jo
la tête du pont abandonné et engagea une vigoureuse
canonnade. La manœuvre réussit : « tantôt au pont (2 ,
If!
fl) Les lettres de Cornilloi\ i\ Ut'lldsle du 4 août, et de Du Muy à Belleisle
du 13 août, à la suite du (tunbttl de Wurhurg, expriment le in(>me doute.
(2) Lettre du »|uailier général du prince, Bruynen, 1" octobre. l'Oo. Uecord
LES CONFÉDliUÉS HEPASSKNT LE RHIN.
•^71
tantôt à raiTiôro-gardo, le prince portait son attention et
ses soins sur tous les points; il l'ut averti à 9 lieuros du
matin que l artillerie et toutes les troupes, à l'arrièrc-garde
près, avaient passé heureusement le Hhin; il ordonna au\
hussards de gagner imperceptiblement par pelotons le
pont. 11 y fît marcher les troupes qui garnissaient la tôte
du pont par la digue, tout en détachant des patrouilles
qui continuèrent à tirailler avec l'ennemi ». Les Français
ouvrirent le feu de leurs canons au moment du passage
du dernier bataillon, « mais M. le comte de Hiickebourg,
qui avait passé avec notre artillerie et (jui lui avait
dahord donné un emplacement sur l'autre bord du Uhin,
lit commencer à la faire jouer avec tant de vivacité, que
les ennemis n'y eurent plus un petit mot à répliquer. On
leur abandonna quelques vieu.\ chariots et (pielques
charrettes de paysans, remplies do foin, qu'on alluma et
on rompit le pont tout de suite ». La traversée fut com-
plètement terminée à 11 heures, et l'armée confédérée alla
camper à Bruynen, où elle fut ralliée, le même jour, par la
division llardenbcrg laissée devant Wcsel et par la divi-
sion Kilmansegge <[ue la rupture du pont avait empêché
de suivre le gros sur la rive gauche,
La retraite sur Rurick et le passage dii llhin foid hou-
neuv nw |iv(lli!i! htil'iUlUalre; malgré la proximité des
l'I'aili^ulH il n'y eut pus do fausse manœuvre et la peito
en matériel fui insignilianto. {]m I'ôhiiKhIs hiltlil t|Mi4
en grande jku'Ur à lu mullcssc de la jMJursuile et h \i\
j)ruclenon P^UHiHM^o (le l'atlversairo.
tln«ll'les se rendit parfaitement compte qu'il n'aviiit
pus tiré parti des embarras du prince, et s'en accusa
très franchement dans sa correspondance privée avec
Belleisle (1) : « On ne doit pas être entièrement satisfait
de soi, Monseigneur, lorsqu'on n'a pas fait à son ennend
(t) Casliles à IJelleisle, '.w octobre 1700. Aichives de la Guerre.
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272
LA GUERIŒ DK SEPT ANS. — CHAI». V.
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tout le mJil qu'on pouvjiit lui lain^ et je me reproche par
cette raison : fde n'avoir pas suivi les ennemis le 10 avec
plus (le vivacité; 2" de n'avoir pas marché droit sur Uurick
pour les euipéchcr de prendre; la position (pi'ils ont tenue
le Icndcniaiu, et 3" de n'avoii- pas prévu le parti ([ue les
ennemis prirent et dès la pointe du jour de n'avoir pas
fait marcher l'armée, pour être à même d3 les attaquer
dès ce jour-là ai: lieu d aUendre au lendemain, ce que
j'aurais été forcé de faire. Il serait vraisend)lal)lemcnt
résulté de ces trois choses des avantages plus considéra-
bles que ceux que j'avais remportés, mais je crai,t;nis de
mettre trop légèrement au hasard les succès que j'avais
eus. »
A Versailles et à Cassel, l'alerte avait été chaude, aussi
les félicitations ne manquèrent pas au jeune général :
« Je joins ici la lettre que le Roi vous a écrite, lui annonce
Helleisle (1), il n'en a pas tant fait encore pour le maré-
chal de Broglie. Voilà aussi une lettre de M"" de Pompa-
dour qui a été presque aussi contente que moi. » Puis, il
ajoute de sa main : « Je vous aim(î bien véritablement et
aussi tendrement que j'ai pu faire mon frère ou mon
iils. » De leur côté, le maréchal de Broglie et son frère le
comte envoyèrent aussi leurs congratulations. Castries lit
preuve de modestie et repassa à ses subordonnés une bonne
part des compliments reçus; il se montra surtout fort
élogieux pour Besenval et Wurniser et pour les brigades
d'Auvergne et d'Alsace que ces officiers avaient menées
au feu. Castries ne perdit pas de temps pour se rendre
à Wesel ; il y entra le 18 à 11 heures, au moment où
s'achevait le passage des confédérés; il eut des velléités
de sortie, mais l'assiégeant ne l'attendit pas, et évacua les
tranchées le 19 à midi. Castella, gouverneur de la place,
qui, pendant le siège, avait eu une excellente attitude, ne
(1) Belleisle à CssUies, 2 i octobre 17G0. Archives delà Guerre.
!|(,'! ï^l' •
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HKLEVE DE \vi;si;r,.
•>73
dissimula pas (1) les angoisses ({u'il avait t''prouv«'!Cs :
(( S'ils lies oiineiuis) avaient attatiiio de vive l'oree, j(^ ne
sais pas ce qu'il eu serait arrivé, la garnisou n'étant «jue
de 2.600 lionimes. » A en croiir Castries (2), le moral de
cette troupe n'aurait pas été satisfaisant : « l'état de la
garnison devait tout faire craindre ».
En Anju le terre, la défaite du [)rince héréditaire et les
pet'ies du contingent national produisirent une forte im-
pression ; deux généraux anglais, Griffln et Elliot, plu-
sieurs officiers supérieurs avaient été blessés, [)cirmi eux
Lord Downe qui mourut de ses Messures; d'autres avaient
été pris ; deux régiments, les fusiliers gallois et les dragons
de Conway, avaient été fort maltraités. Mais en dépit de
ces incidents fâcheux, la réputation du jeune général ne
subit aucune atteinte dans l'opinion ; loin de le rendre
responsable de son insuccès, toutes les voix furent d'accord
pour louer les qualités i.iilitaires qu'il avait déployées.
Ferdinand ne se laissa pas décourager par l'échec de son
neveu. Aussitôt averti, il s'évertua à imaginer d'autr'^s
procédés pour obliger Broglie à évacuer la Hesse : (( Il
faut maintenant (3) changer de batterie; si je réussis à
faire sortir M, de Hroglie de la liesse et ù conserver la
Westphalie, c'est tout ce <{ueje puis espérer; quoique je
n'espère pas de pouvoir l'effectuer sans une campagne
d'hiver. » Il commença par rappeler à lui les derniers
renforts envoyés au prince héréditaire. Devinant ce des-
sein, Broglie invita ('i.) Castries à faire des démonstra-
tions, voire même des préparatifs pour le siège de
Munster, qui retiendraient dans ces parages le prince
héréditaire ; mais Castries ne se souciait guère de quitter la
protection de la forteresse de Wcsel; il allègue des ex-
".»'!
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(1) Caslella il FclIciMi', West'l, 18 octobre 1700. Archives de la Guerre.
(2) Castries à Helleisle, Wesel, 2a octobre 1760. Ar< liives de la Guerre.
(3) Ferdinand à Holdernesse, Ovelgûnne, Ti octobre 1760. Il" ord Ollice.
('i) Broglie à Castries, 23 octobre, 27 octobre, 13 et 14 novembre 1700.
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cuses, son armée est latii^uée, les bataillons venus de
France no sont pa» en état de faire campagne, la cavalerie
est à bout, c'est tout au plus s'il peut disposer d'une divi-
sion active de 12.000 combattants, nuxqu<ds l'adversaire
pourra opposer le double. Au fond, il désire rentrer en
France (1) pour y cueillir les lauriers qui. l'attendent. Bro-
,t:lie \w veut pus lui accorder le con,i;é qu'il avait sollicité
et insiste pour qu'il reste cji Westphalie sous l'ordre supé-
rieur de Du Muy. Il fallut s'exécuter, et le 10 novembre,
Castrict prit position près de Devenick, où il .s'efforça,
en maugréant, « de ri^tenir sur le Bas-Rhin le plus
d'ennemis possible ».
L'inaction des mois de septembre et d'octobre, la dis-
cussion au sujet de la conservation de Cassel et de Gottin-
i;en, linquiélude causée par les événements du Bas-
Rhin, peut-être ([uelque jalousie des succès de son lieu-
tenant, enfin les propos indiacrets de Belleisle, rapportés
avec usure par les amis de Paris, paiaissent avoir a^i sur
l'humeur de Bro,i:lie, fort mal disposé, on le sait, à l'égard
du ministre de la Guerre. Toujours est-il qu'à la date
du 25 octobre, le généralissime demande 2) à être
relevé de son commandement. Dans une lettre au Roi, il
récapitule ses griefs contre Saint-Germain et son éîat-
major, se plaint des insinuations et des critiques voilées
que contient la correspondance du ministre dans le but
évident de dénigrer ses hauts faits et d'e.va.gérer ies in-
succès. C'est ainsi « ([u'on relève h'S moindres échecs avec
une alVectation qui paraîtrait, j'ose dire, outrée et ridi-
cule, dans le gazetier le plus vendu aux ennemis de
V. M. On a refusé à votre capitale, !>irc, la satisfaction
d'entendre tirer le canon pour le ccjubat de Corbach,...
mais la haine du général aveugle : et pourvu qu'on le
(1) Casliies à Broglic, 2ii octobie, ? et 10 noveinbie. Aiciiives de la
Oiiarre.
(2) Broglie au Roi, Cassel, 25 octobre I7G0. Archives de la Guerre.
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UROGLIE DEMANDE SON UAPPEL.
275
desserve tiuprès de V. M. et qu'on le dôcrédite dans le
puljlic, on cj'oit tous les objets remplis. Tous ces inconvé-
nients n'arriveront pas, Sire, lorsque V. M. aura bien
voulu nie donner un successeur qui soit agréable au
ministre, son amitié lui procurera alors des secours presque
aussi réels que le nombre des boinmes, et les autres
moyens qu'on ne peut se dispenser de fournir lorsqu'elle
l'a ordonné, et n'étant pas occupé forcément à des discus-
sions aussi fAcbeusesque continuelles avec lui, il pourra
employer tout son temps à songer à ce qui peut être
avantageux au service do V. M. ; d'ailleurs sa faveur
étant connue, les obstacles se lèveront devant lui, et tout
ce qui composera son armée craindra de lui déplaire
et s'ellbrcera de le seconder». Sans le vouloir, il rend
justice à Belleisle, en proclamant l'exceliente condition
des troupes, résultat auquel le ministre avait contribué
en répondant aux besoins signalés : « Ce ne sera pas
non plus avec une médiocre satisfaction que je remet-
trai à mon successeur une armée dont le bon état, sur-
tout celui de l'infanterie, aura de quoi l'étonner; i\
l'exception d'une trentaine de bataillons qui ont onifl'ert
dans les alïaires de Warburg et Cambrock (Clostercamp\
tout le reste de l'infanterie se trouvera presque conqdet
à la lin de cette campagne, dont la vivacité ne cède à
aucunes de celles qui l'ont précédée. » Broglie termine
en ajoutant que, dans sa correspondance officielle, il
n'a fait aucune allusion à la requête qu'il vient de pré-
senter au Roi : « J'écris aujourd'lmi à M. le marécbal de
Uelleisle de manière à ne pas lui laisser pressentir la
grAce que je prends la liberté de demander à V. M., j "ai
voulu éviter des explications dont linutilité augmente
encore beaucoup le désagrément, je parle... toujours dans
les arrangements que je lui propose: du seul objet (pie
j'ai, qui est du bien de son service. »
Deux jours après l'envoi de sa démission, Broglie col-
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276
LA GIEIUIE DE SEPT ANS.
CIIAP. V.
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licite (1) un congé d'un moisi pour se rendre en France.
Il n'en profitera que quand les circonstances le permet-
tront, mais dès à présent, il désigne les généraux qui
pourront le remplacer durant son absence : Du Muy sur
le Bas-Rhin avec Castries et d'Auvet comme subordon-
nés; Guerchy à Cassel avec Saint-Pern et Stainville pour
le seconder; Bougé à Marburg, et de Vault sur la Werra.
Il dresse la liste des sujets à conserver pendant l'hiver
et profite de l'occasion pour exposer ses vues sur la né-
cessité d un bon choix : « Rien n'est si pernicieux dans
les armées que d'y employer des officiers généraux
incapables. 11 est rare que les hommes se rendent jus-
tice sur ce qu'ils valent; ainsi les préférences qu'ils
voient obtenir à d'autres, pour commander des corps, et
être chargés d'expéditions importantes, leur paraissent
des injustices criantes dont ils sont blessés et dont ils
témoignent leur chagrin par des propos très mauvais et
très contraires au service du Roi. Si le général les em-
ployait, le service en souffrirait beaucoup, et il eu résulte-
rait les plus grands inconvénients : leurs cris et leurs
plaintes dans le cas contraire, ne laissent pas que de faire
un mal très réel qu'il serait, je ne crains pas de le dire,
très nécessaire d'éviter. Je joins ici, monsieur le Maréchal,
une liste de MM. les officiers généraux que je demande
pour l'hiver, parce que je les crois bons et que des affaires
indispensables ne les rappellent pas chez eux cet hiver,
comme MM. les duc de Duras, comte de Mailly, duc d'IIa-
vré, prince Camille, etc.. »
Les requêtes de Broglie n'eurent aucun succès : la dé-
mission l'ut repoussée, et quant au congé, Belleisle fit ré-
ponse (2) que le Boi ne voulait pas autoriser Broglie à
quitter l'armée « pour quelque peu de temps que ce puisse
(1) lUoglie à Helleisic, Caisel, :<7 oclolire 17C0. Archives de la Guerre.
(2) Belleisle à Broglie, 8 novembre 1760. Archives de la Guerre.
«ai"
PROBLEME DE LA CONSERVATION DE LA HESSE.
277
être » ; plus heureux, Castries fut avisé qu'il pourrait re-
venir aussitôt la campagne terminée. Le désir quasi uni-
versel de rentrer à Paris, malgré l'inconvénient qui en
découlait au point de vue militaire, s'explique par la mo-
notonie de la guerre dont les opérations éta'cnt nulles et
par conséquent l'intérêt des plus médiocres.
Depuis les envois de rentorts en Westphalie, il n'y avait
eu en liesse d'autre incident qu'un raid que Stainville avec
2.300 hommes de cavalerie avait poussé dans le comté
d'Halberstadt et qui avait rapporté 80.000 écus à la caisse
de l'armée. Le mauvais temps et les difficultés de trans-
port qui en résultaient, rendair ■ 1 1 des plus pénibles les mou-
vements de troupes et surtout ceux de l'artillerie. « Nous
sommes dans un pays mangé, écrira vers la fin de l'au-
tomne (1) Ferdinand à Holdernesse, et devant tirer de lui
nos subsistances, les chemins rendus pres([ue impratica-
bles par une pluie qui a continué deux mois de suite,
influent infiniment sur toutes nos mesures. » Broglie
tient (2) absolument le môme langage; il signale la « di-
sette de bois, de fourrages et de farines; à moins d'un
miracle, il sera impossible qu'on ne périsse pas d'ici au
printemps par quelqu'un de ces besoins ».
Au moment où il traçait ces lignes, le général français
commençait à. être très inquiet des suites de la victoire
de Frédéric à Torgau; tant que son flanc droit avait été
couvert par les armées de Daun et de Deux-Ponts, et que
la Saxe était au pouvoir des alliés, il avait cru relative-
ment aisé de se maintenir à Cassel et à Gottingen contre
le prince Ferdinand, dont une partie des troupes était rete-
nue en Westphalie par la présence de Castries en avant de
Wesel. Depuis la défaite de Daun et la retraite de Deux-
Ponts, la situation avait empiré. N'était-il pas à craindre
(1) Ferdinand à Iloidornesse, Ilardegsen, 24 novembre 1700. Record Office.
(2) IWoglie à Belleisle, Cassel, a novembre 1700. Archives de la Guerre.
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278
LA GL'EHRK DK SEPT ANS.
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que le roi de Prusse d«''tacherait au secours du prince Fer-
dinand et lui prêterait son aide pour chasser les Fr'anc^ais
de la liesse? « Le prince est à Warburg (1) à iiuit pe-
tites lieues d'ici, ayant, ainsf que vous le remarquez,
la facilité de nourrir sa cavalerie des fourrages qu'il re-
çoit par le Weser. Il peut donc rassembler son armée le
jour que je séparerai celle du Koi, et s'il s'est procuré
des moyens d'opérer sur l'une ou l'autre rive du Weser,
en faire au moins la démonstration. Que devrai-je faire
alors? Me rassembler de nouveau? Mais la cavalerie sera
fort éloignée, et je n'ai aucun m^^-asin pour faire vivre
l'armée réunie. Resterai-je dans les quartiers? 11 en atta-
quera quelques-uns avec beaucoup de supériorité de
forces, et me percera peut-être. Si on veut examiner ce
que je vous expose avec des yeux non prévenus, on ne
pourra disconvenir qu'il est plus délicat que vous ne pa-
raissez le penser, de séparer le premier l'armée, et qu'il
n'est rien moins que certain que lorsque je la ferai entrer
dans ses quartiers, le prince Ferdinand en fasse autant
de ia sienne. »
Voici les dispositions qu'il compte prendre : Aussitôt
que Gottingen sera en état de défense, c'est-à-dire vers le
18 novembre, il ramènera le corps de réserve du comte
de Lusace en deçà de la Werra et concentrera l'infanterie
de l'armée autour de Casscl avec la cavalerie en arrière,
à portée d'accourir si les circonstances l'exigent; mais il
ne pourra se maintenir dans ces positions sans appro-
visionnements : « Si j'avais un gros magasin ici et un à
NVitzenhausen, je ne serais pas inquiet, .le vous ai tou-
jours mandé que j'étais persuadé que le prince Ferdinand
ne me chasserait pas de la liesse par la force, et loi-squc
Gottingen sera achevé, cela lui sera encore plus difiicile ;
mais je n'ai jamais espéré de venir à bout de surmonter
(1} Broglie à Belleisle, Cassel, 9 novembre l/fiO. Archives de la Guerre.
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I>R0JKTS DE rEUDINANI).
un ennemi lieaucoup plus dangereux, (jui est la faim. La
conservation de (lottinj^en nous resserrant moins sur la
Werra. nous fera partager au moins avec les ennemis ce
qui peut 'rester en fourrage dans le pays d'Eiclifeld, et
étendra un peu le cercle de nos subsistances. J'espère
que Sa Majesté aura approuvé (jue j'aie pris le parti de
garder cette place, mais je vous prie de vous rappeler
(jue je m'y suis déterminé à la fin d'octobre et avant le
cbangement qui est arrivé dauL. les affaires en Saxe. Il
est important pour moi de vous faire faire cette réflexion,
à cause des suites que la journée du trois peut avoir..
Ferdinand n'avait pas perdu de temps, nous l'avons
vu, pour annoncer au gouvernement de Londres sa ferme
intention de poursuivre le recouvrement de la liesse;
dans les derniers jours d'octobre, il confie (1; au roi de
Prusse son nouveau plan d'opérations : « Mon projet est
donc, au cas que le maréchal de Broglie n'ait pas quitté
de son plein gré la ville de Cassel, vers le 14 de novem-
bre, de me mettre ce jour-là en marche pour Wolfshagen
où l'armée sera rassemblée le io. De Wolfshagen, je conqite
déboucher sur le Weissenstein, c'est-à-dire sur le flanc
gauche de l'armée ennemie, campée entre Cassel et le
Weissenstein... .le ferai en même temps entamer les corps
postés en communication à Lohn, WMldungen et Mar-
bourg, et je pousserai une partie des troupes lég-ères en-
tre Ziegenhayn, Cassel, afin d'interrompre les convois
qui tiennent cette route... Comme cette besogne est tro[)
grande pour kï bataillons et 38 escadrons, que j'ai ici
sur la Dymel, je compte attirer à moi 13 bataillons et
G escadrons du pays de Munster et je ferai nasser le We-
ser au corps de troupes qui est à Uslar et ù Moringen, de
fa<;on que j'aurai en tout 60 bataillons et 5S escadrons,
outre les troupes légères, pour exécuter cette opération. »
(1) Ferdinand à Fn'déric, OvelgOnnc. 27 octobre ITGO. Weslphalen, IV, 4%.
280
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. V
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A la date fixée, le 15 novembre, Ferdinand quitta son
quartier général d'Ovelgilnne et se mit à la tète des trou-
pes au delà du Weser, qui se composaient de la brigade de
Liickner et des divisions Wangenbeim et Kielniansegge,
C(^tte dernière revenue de la Wcstphalie où elle était
arrivée trop tard pour participer à la bataille de Closter-
camp. Par une lettre interceptée que Frédéric lui avait
envoyée et grûce à son service de renseignements, il avait
eu connaissance des efforts des Français pour mettre la
ville de (lottingeii en état de soutenir un siège. D'Uslar, il
écrivit (1) au roi de Prusse qu'il va essayer de s'emparer
deGcUtingen, qu'il combattra le comte de F^usacc si celui-ci
cherche à secourir la ville, que vers la fin du mois, il
repassera le Weser et qu'aussitôt ses magasins constitués,
il reprendra ses combinaisons contre Cassel. Conmie on
le verra, ces projets furent modifiés à la suite du rappel
à la rive gauche de la Werra de la réserve de l.usace et
du corps volant de Stainville.
Sur ces entrefaites, on avait reru au quartier général
français la décision de la cour (2) sur le maintien de
l'armée en liesse : « Voici donc, monsieur le Maréchal,
mandait Belleisle, à quoi se réduit le vœu du Conseil et la
volonté de S. M. :
« i° La conservation de l'armée et des troupes qui la
composent est un objet si essentiel qu'il n'est pas néces-
saire de vous rappeler l'attention et la préférence qu'elle
exige;
« 2° La conservation de Cassel et de la liesse : mais sur
les impossibilités que vous démontrez, S. M. se restreint
à vous demander de conserver Cassel au moins jusques
au commencement de janvier; ce que vous pourrez pro-
longer par delà sera infiniment agréable à S. M. qui vous
en saura gré.
(0 Ferdinand à Frédéric, Uslar, 18 novembre 1760. Weslphalen, 577.
(2) Belleisle à Broglie, 17 novembre 1760. Archives de la Guerre.
BF-OCUS DE GOTTINT.EN.
281
(( Vous n'aurez donc plus i\ pourvoir qu'aux moyens do
faire subsister à Casscl les troupes que vous jugerez à
propos de laisser dans cette place ou dans les environs
jusqu'à ce que vous soyez obligé de l'abandonner. »
A la dépêcbe, Belleisle avait ajouté quebpies mots de
sa main, insistant surlan' "essitéde faire croire au prince
Ferdinand « que votre projet est de la conserver (la ville
de Cassel) à quelque prix que ce soit », et sur l'utilité
de constituer des magasins à Gottingen, de façon à tromper
l'enneuii et de « tenir la liesse et Cassel au delà de ce
terme (courant janvier) le plus longtemps possible ». Bro-
glie répondit (1) qu'il espérait remplir les intentions du
Roi; seule l'intervention d'un corps prussien, d'ailleurs
peu probable, Frédéric devant être trop occupé en Saxe,
rendrait embarrassante la position de l'armée en liesse.
Gottingen était '< pour ainsi dire investi », mais le temps
afi'reux empêcherait l'ennemi de transformer le blocus en
siège. Du reste, les fortifications qui ceinturaient la ville,
la forte garnison qui y était établie, les approvisionne-
ments qu'on y avait réunis, les 40 fours qu'on y avait
créés en assureraient la défense.
La mise en étatdeGiUtingen fut achevée juste à temps. Le
18 novembre, les magasins avaient été complétés, le 2'|. l'in-
vestissement commenea. Dans une lettre de cette date (2),
Ferdinand annonce qu'il se portera jusqu'à Essebcck, il
11 kilomètres de la ville et qu'il poussera une avant-
garde de 6.000 hommes à Witzenhausen sur la Werra.
Quoiqu'il ait prudemment ajouté : « Tout ce que je pourrai
entreprendre dépendra de la possibilité de faire enlin
mes dépôts et do pouvoir avancer sans craindre la faim »,
il se montre plein de confiance dans l'issue de son en-
treprise : « Il faut que (3) le maréchal de Broglie compte
(1) Broglie à Belleisle, Cassel, 23 novembre 1700. Archives de la Guerre.
(2) Ferdinand à Holdernesse, Hardegsen, 2i novembre 1700. Record Office.
(3) Ferdinand à Frédéric, Harsle, 25 novembre 17G0. Weslphalen, IV, .'>20.
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LA GUERRE DK SEPT ANS. — CIIAP. V.
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beaucoup sur la saison, les chemins rompus et sur la dif-
licultc d'avaucor dans un pays man^é et ruiné, car il a
fait quiltcr la toile à toutes ses troupes, il s'est lo^é lui-
nième au cluVteaii du landgrave h Cassel et ses troupes
sont mises en (piartier le louy de la Kuldc et de la Werra.
Il y a une garnison de ô.OOO hommes à (iottingen; cette
garnison sera perdue s'il ne rassemble pas de nouveau ses
troupes, pour la dégager. »
A partir de fin novembre, il y eut une série de petits en-
gagements où les confédérés eurent presque toujours le
<lessous; le 28, ils attaquèrent les postes français de
Ileddemunden et d'Arnstein sur ou à proximité de la rive
<lroito de la NVerra. La résistance énergique d'une p(;i-
gnée de voloutaires, dans la tète de pont de cette
première localité, arrêta net le général Ibeitenbach qui
dut abandonner l'entreprise après une perte de plus
de 150 officiers et soldats. Liickner ne fut pas plus heu-
reux le même jour contre le cluUeau d'Arnstein, situé
en face de Witzcnbausen; il fut repoussé par le com-
mandant Verteuil et forcé de rétrogi'ader jusqu'à Drauns-
leld. Quelques sorties de la garnison de (i(>ttingen, bien
conduites par lielsunce, procurèrent aux Français des
prisonniers et des suppléments de vivres. Force fut à
Ferdinand de renoncer à l'espoir de réduire la place;
1 leva le blocus les 11 et 12 décembre et rentra dans
son ancienne position d'Uslar. Voici en quels ternies il
donne les raisons de cette reculade (1) : « C'est une im
possilùlité absolue d'agir, avant qu'une forte gelée n'ait
rendu les chemins un peu praticables et avant que je ne
sois parvenu à former mes dépots sur la Dymel. Je trouve
en cela tant d'obstacles et tant de difticultés, que, sans
le désir que j'ai de faire un dernier eifort pour retirer
la liesse des mains des ennemis, je renoncerais à toute
(1) Ferdinand à Frédéric, Uslar, 12 décembre 17C0. Weslplialen, IV, 528.
imoGLIE UKCLAMi; L'APPUI D'IIADICK.
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campagne d'Iiiver et ne songerais qn'à mettre l'armée en
(juartiers d'hiver et à la faire reposer des fatigues indi-
cibles qu'elle a essuyées, par la saison .'t par le man({ue
de toutes subsistances. La navigation du Wescr <»st de-
puis 15 jours tout à fait interrompue par la crue prodi-
gieuse des eaux; et la pluie a tellement rompu les che-
mins que les transports de terre n'arrivent non plus. »
Le blocus de (iottingen avait duré vingt et un jours;
[)endant ce laps de temi)s. la garnison, sous l'impulsion
du gouverneur de Vault et de son adjoint, le brigadier
IJelsunce, avait été employée sans relAche à l'achèvement
des fortifications et avait fait six sorties, toutes couronnées
de succès.
Aussitôt les communications rouvertes avec Gr)ttingen,
Broglie se préoccupa de compléter les approvisionne-
ments, afin de pouvoir soutenir un siège de plusieurs mois.
On y affecta (1) ne i seulement les chevaux de la ca-
valerie, mais aussi ceux de l'état-major, de l'intendance,
et des équipages des officiers généraux. L'opération, pro-
tégée par un cordon de patrouilles fut vivement menée
et réussit il souhait.
Les craintes d'une diversion prussienne avaient été ra-
vivées par le mouvement du prince Ferdinand contre
Gottingen ; les informations sur l'état de lavmée des Cer-
cles étaient peu rassurantes, aussi le généralissime s'a-
dressa-t-il (2) au comte de Choiseul, ambassadeur de France
à. Vienne, à l'ell'et de faire renforcer le général autrichien
Hadick qui avait remplacé le duc de Deux-Ponts à la tète
des Impériaux. Pour couvrir son flanc droit contre un
corps prussien, il ne peut compter que sur l'armée des
Cercles qui est cantonnée à llofl"; mais d'après les dires de
ses correspondants, elle serait réduite à G ou 7.000 com-
battants; « elle n'existe plus depuis qu'on lui a retiré les
(1) Broglie à Choiseul, Cassel, 14 janvier 17(il . Archives de la Guerre.
(2) Broglie au comte de Choiseul, 3 décembre 1700. Archives de la Guerre.
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LA CUEIUU: DE SKPT ANS. - CHAP. V.
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Iroupes impri'i.'iles qui lui donnaient (|uel((ue consis-
hinr-e » ; l'arlillerie de ce corps ost rentrée dans ses (|uar-
fiers d'hiver, et (jiiant aux Wurteniberg-eois, (( 3.000 Prus-
siens les feront fuir ». La recjuOte, appuyée par l'am-
hassadour, fut accuoillie favorablement, ot une division
de il bataillons il) scms les ordres du général (iuasco
partit <le Dresde pour Ef^i'a où elle fut mise à la disposition
«le lladiek. Du reste, on ne croyait ni à Vienne, ni à
Dresde (2) que le roi de Prusse eût assez de monde poui'
faire un détachement important contre les Français. En
attendant, et malgré ces avis encourageants, roccuj)ation
de (iottingen pendant l'hiver restait encore une question
ouverte ; la cour avait laissé au maréchal liberté entière
à cet égard; il y eut môme, à la demande des autorités
municipales et universitaires, une négociation (3) visant
la neutralisation delà ville et de ses environs; elle échoua,
il est vrai, par suite des exigences des Allemands qui
ne voulaient accepter que l'abandon pur et simple. Les
termes du problème furent posés par une des dernières
dépêches (4) qu'écrivit Belleisle avant sa maladie et sa
mort, et dans laquelle il fonnulait les volontés du Roi :
conservation de (iottingen s'il était possible d'approvi-
sionner la place jusqu'au i" juillet; si le ravitaillement
ne pouvait s'efl'ectuer, pourparlers pour la neutralité;
enfin, évacuation si cette dernière proposition était re-
poussée. Quant à Cassel, aucun doute sur la nécessité de
fortifier cette ville et d'y hiverner. La réussite du ravi-
taillement trancha le débat en faveui' du maintien défi-
nitif de Gottingen.
Rassuré sur les intentions de l'adversaire, Broglie crut
(1) Montrozard à Broglie, Dresde. 16 décembre l'fiO. Archives de la Guerre.
(2) O'Donnel à Hroglie. Dresde, 12 décembre 17(10. Archives de la Guerre.
(3) Correspondance entre La Salle etMalorlie, décembre I7G0. Archives de
la Guerre.
(4) Belleisle à Broglie, 2 janvier l/Ul. Archives de la Guerre.
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IIROOMK FAIT HEPLIKU SA CAVALaIUC.
285
la campa^'^nc fiDiect renvoya à Francfort, llaiiauctLiiuhurf;
une partie <Ie sa cavalerie. Les opérations de l'année 17()()
se terminèrent par un petit combat à lleiligenstadt. le
'i.'l décembre, lue attaque cond)inée, dirigée parlecoml<!
de Hroglie contre Liickner, n'i'ut aucun succès : le parti-
san allemand, sur le point d'èlre cerné par un as.;aillanl
très supérieui en nombre, trompa les Kiancais en pre-
nant pour ligne; de retraite la route d(^ Witzenhausen, par
lacpielle venait de déboucher une de leurs colonnes, et
réussit à se tirer d'allaire, sans auti-e perte qu'un poste
de 25 hommes.
Pendant (jue Ferdinand échouait dans son expédition
contre Gctttin/^cn et que Brof;lie, dans le but de ménager
ses troupes, faisait cantonner son infanterie et repliait sa
cavalerie sui' les derrières, Gastries attendait avec impa-
tience l'ordre de repasser sur la rive gauche du Rhin ; il se
plaignait de l'état de ses chevaux dont 1' moitié étaient in-
disponibles et recevait en échange des conseils excellents de
Belleisle au sujet des fortifications de campagne. Le vieux
maréchal (1) était partisan d'habituer les troupes à « re-
muer la terre où cette précaution est nécessaire. Quand
elle est rare, elle peut inspirer une sorte de timidité, au
lieu que quand on remue de la terre partout, on s'y accou-
tume. Il n'en peut jamais arriver aucun mal et souvent
de l'utilité ». Entre les deux correspondants, il était aussi
question du généralissime dont Gastries était mécontent :
« A l'égard de M. le maréchal de Broglie, écrit le mi-
nistre, vous ne devez pas être étonné de ses variations;
vous ne sauriez trop vous renfermer dans les détails abso-
lument nécessaires tout simplement et éviter tout raison-
nement. Il a un aspic auprès de lui qui répand son venin
sur tout le monde indistinctement. » Cette boutade visait
le comte de Broglie, [)Our lequel liclleisle avait encore
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(1) Belleisle à Caslrles, liG iiovembie 1700. Archives de la Guerre.
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\.\ (;i EUUK DK SKPT ANS. OHM». V,
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plus trjiiili[);illiic (juo [xiiir le duc. Nous trouvons une nou-
velle preuve de ses senlitneuls jIuus uue lettre poslé-
rieiii'3 (1) : « Vous voyez par l'expérieuee (jue vous faites
ipie je vous ai parlé vrai et «pie ee ucst pas saus raison
tpu^ je vous ai nïand<'' de vous reulermer dans les bornes
des laits, sans raisonner, parce «pi'il ^le nuiréchal) n'est
pr.iut du nond)re de ceux avec (pii on puisse parler natu-
rclleuieut; outre les défauts essenti;:ls tjue je lui connais,
il est encore t^Até par son frère qui est le plus dannereux
lioinnuMpic j'aie encore vu et dont riuiperlincuce révolte
i;éu«'M'alenient tout 1<^ monde et cela est au point (|uc plus
d(> moitié des officiers !;éuérauv de sou armée peiis»^ tout
comme vous et mont dit ou écrit (pi'ils ne pouv;ueut ni
ne voulaient sei'vir sous ses ordres. »
Vers la tin d(^ noveud)i'e, Castries put, i\ sa ^l'^nde satis-
facîion. cantonner ses troupes sur la rive .gauche du lUiin,
avec quelcpu's avanS-postes sur la rive droite; le 6 décem-
hvo., il i-Muit le conunandement à l>u Muy et peu de temps
après r<Mitr'a en France. Il laissait à son successeur une
armé(! cl) qui comptait, avec les i^arnisons des places du
lUiin et la cav-derie en «puirtiers sur la Meuse, (il{ batail
Ions ct;{8 escadrons; (|uelques-uiK^s de ces unités, très dé-
labrées à la cuite de îa campagne, devaient faire route
pour liî France.
Y com|)ris les régiments d'artillei'ie, llroglie avait sous
S(»s ordres directs 0(> batîiillons de ligne, ï de milices et
ll(i escaili'(»ns; la majeure partie île sa cavalerie, ponr la
facilité des transports de foun-ages et pour le '-élablisse-
UMMil des clievaux, était cantonnée en arrière A plusieurs
étapes de la première lig-^iie. Au i" janvier I7(»l, A peu
près la moitié de l'infanlerie régulière et [ilus de l.i
(I) Itelleisloi^ roshio*. 5 tWceiiibic •T(ii). Anliives ilc la duciro.
('.'.) Situalioii joiiilc à la IcUrc. de '"asUios a l»n)j;lio, Wesel. '.<8 nuveiubro
7ti(l.
ll«i
MonT nr, i»i:i.leisi,k.
387
inoilir i\o h\ cavalorie de raniUM» Iranraiso sorvaionl ci»
AlU'inai;'!!)'.
1.0 mois (le janvi'^r ne l'ut siynalc i\\\o \y,\v dos expô-
(liiions (les FraïK.ais, (Hii cliciTl.'îiont A ôlai\i;ir leurs
rayons (rapju'ovisi'^nnoinout. (liions l'ollonsivo <lo Slain-
villo ol le îiiisac 0 qui (lit pour oonscMjuonoo la priso d'un
balaîllon irr(\t;uli<M" pi'ussiou ot l'ocoupatiou do Mulliau-
8cn olliUUi^'onsaitza ; oollo pi'oiuiôre villo dovait consfituoi*
un posti^ l'orlilio sur lo iiiodtMo do (loiliu,i;on. Du C(Mô
de la Hyr,i'>l, les »()l(»ntairos do Sainl-Viotor ot do Nar-
honiio siu'pri!-(Mit la ville do C.or'wach ol liront prisonnier
halailloii do la It'^yion Urilanniquo. Ilroulio no orovait
un
pas (\ une reprise <les hostilités avant I épocpio tradilion-
nello du printemps; il était d'ailleurs imi)ressionué par
les rameurs do paix (7 '< 'ommen(,'aicnt('» se répandre dans
le pnniie : c Je voudrais, éerit-il 1) au duo do C-lioisoul
cpii faisait l'intérim d'i ministère do la Ciuorro pondant la
nn.ladie do l{(>lloislo, cpiil vint un l)on déi^ol qui rtMoit
!i)ut lo moud,' dans ses quartioi's et nous laissât lran<fuillcs
dans les ncMros... Mais faites la i)aix, M. lo Duc, vv.hi
pan
vau-
l.k
îUc
ura mieuv qu une c:5nq)a,i,;;iui ([ueU|ue honorahie (|u e
pût être pour les j^énéraux. »
Mémo oalme durant la première déonde do février.
Le vieux pr.trioto Hellcislo venait de terminer sa belle
carrière; il était mort lo -it» janvier et avait été remplaeé
par lo duo i\c Choisoul cpii diris^oa pendant (luoiquos mois
les doux dé|)artemonfs ù," VHairos KtranL,èi'cs et de la
(iuerre. Lo no.jveau titulaire inaugura son administration
ou adressant f2>à llroglie (l(>s félieitalions (jui furent fans
tlouto danlaut plus gontées cpio son pi'édécessenr ne l'a-
vuityuèro lialiitué à ;'otlo forme épislolair»' : «' Vous amo/,
procuré, iM. lo Maréchal, un i;riind bien à la pnlilicpu*
;i^ Mi'onlio au ihn- de Clioiseii: li jiuiv'n'i' 17(11. Arcliivci tif Li Giii'irc.
f>) Choisoul i\ Uioglic,' févrU-r I7('.0. Aicliivcs do la (luenv.
liîi!
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. \.
et par conséquent à l'État par la conservation de Got-
tingen et de Cassel, et outre le mérite militaire, vous
avez dans cette conservation du mérite, du courage, de
rintelligence et du travail qui vous font grand homme.
Ce ne sont pas des compliments, monsieur le Maréchal,
c'est la vériti {ue je sens que je vous mande très naturel-
lement. » Cette lettre se croisa avec une dépêche du Maré-
chal relative aux opérations de la campagne prochaine. 11
revient au p."qjet de séjour en France : « Si je dois y aller,
il faut que ce soit incessamment et prendre le temps du
dégel qui rendra les chemins impraticables pour une
armée, et il faut que je sois remplacé ici. J'ajouterai seu-
lement que je pourrais l'être par M. le chevalier Du Muy,
en la place duquel M. le maréchal de Soubise (1) en-
volerait un des lieutenants généraux qui doivent servir
sous lui. » Dans la même dépêche (2) et dans celle du
3 février, il résume la situation : Les travaux de Cassel
avancent rapidement, la ville est approvisionnée pour
quatre mois, Gottingen l'est jusqu'au 1*'' juillet, les Prus-
siens n'ont pas repassé la Saale, le prince Ferdinand n'a
pas bougé d'Uslar. Il ne prévoit pas « qu'il y ait rien à
appréhender d ici le 1" avril ^ ; ie dégel et les inonda-
tions assurent six semaines de tranquillité.
Broglie comptait sans son hôte. Le prince Ferdinand,
stimulé par le roi de Prusse qui lui reprochait son inac-
tion depuis la tentative manquée du mois de novem-
bre, avait repris son dessein d'expulser les Français de
la Hesse. Dans une lettre du 28 janvier, il expose son
plan (3) à son royal correspondant. « Le 9 de février,
les troupes que je fais venir de Munster , au nombre de
(1) Le maréchal de oubise avait été désigné pour le commandement de
l'une des deux aimée> qui opéreraient en Allemagne en 17G1.
(2) Broglie à Choiseul. Cassel, 2 et 3 février 1760. Archives de la Guerre.
(3) Ferdinand à Frédéric, Uslar, 28 janvier 17Gt. Westphalen, V, p. 3i et
SUIT.
CAMPAGNE D'HIVER DE FERDINAND.
289
20 bataillons et 22 escadrons aux ordres du prince hé-
réditaire, arrivent à Brillon et à Stadbergen; le même
jour, 9 de février, le gros de l'armée consistant en 50 ba-
taillons et 38 escadrons, sera assemblé sur la Dymel,
où je me trouverai en personne, et M. de Spcircken ,
général d'infanterie, assemblera encore le même joui',
9 de février, 17 bataillons, 20 escadrons, 24 pièces de
gros canon, un régiment de hussards et deux brigades
de chasseurs aux environs de Duderstadt, entre cette
ville et Mulbausen. » Le débouché général se ferait
le 11 : Breitenbach avec 7 bataillons, 10 escadrons, un
parc de siège et des troupes légères, marcherait sur
Marburg et chercherait à se rendre maître du château;
le prince héréditaire, renforcé de manière à avoir sous son
commandement 20 bataillons et 2'i' escadrons, attaquerait
les quartiers français le long de l'Eder. Ferdinand, avec 43
bataillons, et 20 escadrons, se porterait par Wolfhagen
sur Cassel et agirait selon les circonstances; si l'ennemi
reculait en laissant une garnison dans la ville, un parc
d'artillerie réuni sur la Dymel était tout prêt pour le
siège. Enfin, Sporcken était chargé de chasser les Saxons
et le corps de Stainville de Mulhauscn, Langensaltza et
Eisenach; ensuite, il devait passer la Werra du côté de
Vacha et s'emparer du grand magasin français de Hirsch-
feld. Ferdinand terminait sou exposé en se plaignant de
la faiblesse de ses bataillons, dont (fuelques-uns n'avaient
<[ue cent combattants, et dont les plus étoiles ne dépas-
saient pas cin([ cents présents sous les drapeaux : « V. M.
jugera par là combien je dois souhaiter qu'il lui fût pos-
sible de renforcer ie colonel do L»»lhr)ffel (1) par quehpies
bataillons et par quelques escadrons et do lui ordonner
de se joindre le 12 février près de Langeiisalza à M. do
Sporcken ou d'agir du moins de concert avec lui, en
il",
(1) Commandant d'un délachemenl prussien opérant en Tliuiinge.
GlEBUE I)i; SEI'Ï ANS. — T. IV. 19
:>90
LA (UKIUU': DK SKPT ANS. — CFIAP. V.
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tombant sur le corps du comte do Staiiiville à Gotha. »
Jusqu'alors le roi de Prusse s'était montré peu disposé
à sntislairc aux demandes de concours que Ferdinand ne
cessait de lui adresser depuis la victoire de Torgau; cette
l'ois, il s'exécuta très libéralement en adjoignant aux 5 ba-
taillons de Lolluillel, les 15 à 20 escadrons du g-énéral
de Syburii. Toutefois, d'après les instructions (1) données
à son adjudant d'Anhalt, chargé de surveiller l'opéra-
tion, les troupes prussiennes ne devaient pas dépasser
Eisenach.
Comme on le voit, le concept de Ferdinand consistait
à attaquer, détruire ou refouler les deux ailes de l'ar-
mée française et à Forcer ainsi Broiilie à abandonner
Cassel et (lottingen à leurs propres ressources. Le secret
fut admirablement .';ardé; (juelques heures avant la date
fixée par Ferdinand pour la reprise des hostilités, le
8 février, le comte de Lusace avait quitté la réserve do
droite dont il avait la direction pour se rendre à Versailles ;
du reste ce fut seulement le 10 au matin que Broglie
eut connaissance (21 du rassemblement opéré à Diiderstadt
l'avant-veille et de la marche de 16.00() confédérés avec
:J0 canons sur Stadt Warbis et Mulhausen. Peu de temps
après, il eut avis de l'approche de troupes ennemies ve-
nues di la Westphalie et de la concentration qui se fai-
sait sur la Dyniel. Broglie lança (3) aussitôt ses ordres :
Du Muy fut invité k appuyer Maupeou qui avait mis-
sion d'éclairer en avant de la Sieg et Torcy à envoyer
1.000 honunes pour remplacer Maupeou à Siegburg-;
Rougé, qui commandait les troupes de communication,
dut réunir son monde à Marburg- et renforcer la garnison
de Giessen. « Il faut opposer la résistance la plus grande,
! I
(1) Frédéric à Anlialt, Leipzig,'. ! février 1701. Coircsp. Polit. .\K. :(0',».
(9.) Sainl-Pern à Hroglie, Eschwege, 10 lévri(M- 1761. Arcliives de la (liu'ire.
(3) llroglie à Muy, Torcy, Rou.i;é et Saint-Pern, Cassel, 11 février 17(;i.
Archives de la Guerre.
COM'IANCK 1)1'; llUOr.LIK.
294
lui écrit le généralissime, et en gagnant du tomps, xious
gagnerons tout. » Enfin, àSaint-Pcrnquiétnit à Ksch^vege,
sur la Werra, liroglie indiqua comme ligne de retraite, en
cas de nécessité, la direction d'Eisonacli et de (iotha. C'était
autoriser l'évacuation de Mulhausen et du pays qu'on venait
d'occuper le mois précédent. Les journées des 11 et 12 se
passèrent de ce côté sans incident notable; il n'y eut que
des escarmouches et des canonnades assez inoilensives.
liroglie se plaint (1) d'être mal renseigné par Saint-Pern.
« Vous verrez qu'il ne me mande point ce qu'il a fait pour
abandonner ou protéger Mulhausen ; si c'est le corp^ de M.
de Solms qu'il destine à retirer ou soutenir ce poste ; où est
ce corps et celui de M. de Stainville, et s'il a des nouvelles
des mouvements des Prussiens, .l'aurais beaucoup désiré
d'avoir des détails sur tous ces objets qui sont fort inté-
ressants, surtout sur les Prussiens dont on assure <jue
20.000 étaient déjà le 11 arrivés jusqu'à Sachsenbourg
et Buttelstatt avec beaucoup d'artillerie. La marche en
avant qu'a fait aujourd'hui M. de Sporcke me fait conjec-
turer que le projet des ennemis est sérieux, qu'il est
combiné par la droite et par la gauche, et qu'ils seront
joints par des Prussiens. »
En effet la situation se corsait d'heure en heure : Le
12 février, Broglie. alors qu'il relate (2) à Choiseul les
précautions prises, est presque rassuré sur les consé-
quences de roflcnsive des confédérés. Il ne croit pas
que l'ennemi « puisse faire d'autre chose qu'une course;
rien ne sera surpris; tous les postes sont avertis et j'en
ai nouvelle. Il y a des subsistances on pain et en four-
rages dans tous les endroits où on peut avoir besoin de
rassembler les troupes. Il n'en est pas de même des en-
nemis, qui devront les tirer de loin; il est vrai <pie la
(1) Broglie à Clioiseul, Casscl, 13 février 17G1. Ardiivcsde la (Jiienc.
(2) Broglie à Ciiolscul, Casse), r> février 17r>l. Archives de la Guerre.
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•'.'.)•»
LA (ÎUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
g'clée qui est très forte les lavorise, mais le temps peut
chantier, et comme il fait très froitUeurs troupes ne peu-
vent manquer de soull'rir beaucoup ». Le lendemain, le
ton optimiste a disparu (1); on avait reçu des détails
alarmants sur les proférés de l'ennemi. Le 9 février, le
prince Ferdinand avait transporté son quartier général
.îGeismar; le 11, les confédérés débouchaient en quatre
colonnes; le 12, le gros était à Zierenberg ; Granby, avec
l'avant-garde, avait occupé Weissensteiu, position avan-
tageuse dans la banlieue de Cassel, sans rencontrer, à
sa surprise (2i , aucune opposition. Le même jour, le
prince héréditaire avait essayé de s'emparer de la ville
(le Fritzlar, mais avait échoué devant la résistance vigou-
reuse du comte de Narbonne. Les Hanovriens, au nombre
de 6.000, avaient paru vers 3 heures de l'après-midi;
ils avaient aussitôt engagé le combat qui avait duré jus-
qu'à 5 heures; le prince s'était alors avancé et avait
entamé avec le commandant français des pourparlers que
celui-ci avait été obligé de rompre en priant S. A. S.
de se retirer, puis en la menaçant de faire tirer sur
elle; la fusillade avait alors repris; en fin de compte,
les assaillants étaient partis on laissant sur place plus
de 150 morts et 2 pièces de canon. Le 13 février, Brei-
tenbach, avec sa division de 7 bataillons et 10 escadrons,
après avoir enlevé un petit magasin à Rosenthal, poussa
jusqu'à Marburg (3) dans l'espoir de se rendre maître de
la ville. Il se heurta à l'énergique défense des régiments
écossais et irlandais au service de la France, commandés
par le brigadier lord Drnmmond ; l'attaque fut mal con-
duite, Breitcnbach tué, et sa division battit en retraite
abandonnant 3 canons derrière elle.
Les échecs du prince héréditaire et de Breitenbach
(Ij Broslie à Choiseiil, Cassel, 13 février 17(il. Archives de la Guerre.
(".!) Granby à NewcasUe, lOfi-vrier t7GI. Newcaslle Papers.
(3) Rougé i\ Broglie, li février 17G1. Archives de la Guerre.
CRAINTKS POUK LK MAGASIN DE HIRSCIIFKLD.
•>ltS
arrêtèrent momentanément les progrès des confédérés;
Ferdinand fit reposer son armée le 14 ot se borna à
jeter quelques bombes dans Fritzlar qui tenait encore. De
son côté, de plus en plus préoccupé des mouvements tour-
nants qui se dessinaient autour de lui, désireux de cou-
vrir son magasin de Ilirschfeld (1), Broglie avait quitté
Casse! où il avait son quartier général depuis r> mois et
s'était rendu à Melzungen, localité située sur la rive
gauche de la Fulda, à 18 kilom';tres au sud de la capi-
tale. Dans une dépoche (2) datée de ce bourg, il décrit la
situation en sombres couleurs : « La journée d'hier (celle
du 14) a été critique, monsieur le duc, les premières nou-
velles que je reçus le matin par un volontaire de Dau-
phiné envoyé par M. de Jerain, commandant à Gunters-
berg, furent que les ennemis s'avançaient surFritzlar avec
au moins 15.000 hommes et qu'ils allaient commencer à
l'attaquer. » Le messager apportait en outre le bruit que
des troupes se dirigeaient sur le pont de Feltzberg ; pour
les éviter, il avait dû passer à. gué l'Eder et la Fulda.
M Ce nombre de troupes, continue Broglie, etlamarche
de cette colonne sur Feltzberg qui est le grand chemin de
Melzungen me firent croire que les ennemis avaient un
projet sur Hirschfeld ; je crus alors qu'il fallait me déter-
miner à les empêcher d'y venir brûler nos magasins, et
rassembler la plus grande partie des troupes à Hirschfeld
pour ne pas courir les risques de les voir séparées les unes
des autres, et exposées à être battues en détail, soit par
le corps d'armée des alliés joint aux Prussiens du côté de
la Werra, soit par le prince Ferdinand du côté de la
Fulda. J'envoyai donc des ordres h tous les quartiers qui
étaient sur la Werra d'en partir ce matin et de marcher
sur Hirschfeld; je donnai le môme ordre aux Saxons, et
(1) Hersfeld dans les cartes modernes.
(2) Broglie à Choiseul, Melzungen, 15 février 17G1. Archives de la
Guerre.
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LA ni'KHUK DK SKI'T ANS.
CIIAI». V.
je mandai à M. de Slainville de se retire!' à Vaclia pour
couvrir le pays de Kulda. J'avoue que c'était avec un retîret
l)ien grand que je me décidais à abandonner la Werra,
mais le danger de faire battre l'armée en détail me parais-
sait le plus grand des malbeurs. Je m'y étais déteiniiné
d'autant plus que je savais à n'en pouvoir douter «piil y
avait un gros corps des alliés qui avait marcbé sur Mar-
l)urg. » Afin de surveiller ces mouvements, le marécbal
a quitté Cassel où il serait exposé à être bloqué et coupé
de son armée; avant de partir, il avait nommé gouver-
neur de la place, son frère, le comte de Broglie, comme
étant « au fait de tous les ordres ot détails concernant le
commandement, les subsistances et la défense ».
Sur l'avis que l'ennemi n'avait pas franchi l'Eder, Broglie
suspend l'exécution des instructions de la veille, se con-
tente de ramènera Sontra, sur la route d'Escliwege à Hirsch-
leld, le régiment do Picardie et les grenadiers de France
qui appartenaient au corps do Saint-I*ern, et de placer à
Melzungea 11 régiment de Provence. Aux Saxons de
Solms(l) et à la division de Stainvillo, il enjoint de limiter
leur retraite aux bor<ls do la Werra. Le 15, les nouvelles
sont meilleures; décidément l'ennemi n'a pas encore
passé l'Eder; Fritzlar résiste toujours comme le prouve la
canonnade qu'on a entendue toute la matinée. « Quant à
la tléfensc de Fritzlar, elle est la plus surprenante qu'on
ait jamais pu voir à la guerre, tous ceux qui ont été dans
cette ville savent qu'elle est détestable et j'en étais si per-
suadé... que j'étais convenu avec M. de Narbonne qu'il ne
la défendrait pas, et se retirerait avant d'être attaqué.
Cependant, il y a été attaqué avec la plus grande vivacité
jeudi, y a tué 200 hommes aux ennemis, et blessé beau-
coup davantage, et pris deux pièces de canon; il a été
(1) Le général Solms avait remplacé àla télé des Saxons, le prince Xavier,
comte de Lusace, parti pour Paris.
CAPITULATION DK lUlTZLAU.
!21)S
canonné hier et aujourd'hui pendant plusieurs heures
avec au moins lô pièces de canon, et nos oriiciers d'artil-
lerie ont compté qu'ils tiraient M) coups par minute.
Malgré cela, il y a tout lieu de croire qu'il n'est pas rendu,
et réchec que les ennemis ont reçu à Marb "g', quatre
jours qu'ils ont perdu à attaquer inutilement Fritzlar, et
le dégel complet qui fait déborder toutes les rivières et
défonce les chemins, semblent pouvoir faire croire qu'ils
ne passeront pas l'Eder, et se retireront peut-être sans
avoir pris Fritzlar ; cela serait bien à désirer pour conserver
en activité un officier du mérite de iM. de Narbonne. »
Jusqu'àce qu'ilsoit fixé sur le partidu prince Ferdinand,
le maréchal a l'intention de rester à Mclzungen, mais ne
dissimule (1) pas ses cvaiiiles : « S. iM. peut voir ((ue ma
situation dans ce moment-ci est assez difficile, je suis me-
nacé à la droite et à la gauche par des forces considérables
et égales chacune en infanterie à la totalité de ce que je
puis en rassembler entre la Fulda et la Werra. Si j'aban-
donne la position qu'occupe l'armée entre ces deux
rivières, je donne aux ennemis l'avantage qu'ils font tanf
d'efforts pour se procurer; si je ne me rassemble pas, il
peut arriver ([ue les ennemis me dérobent un mouvement
et que je n'y sois plus à temps. »
Le séjour de Broglio à Melzungen ne fut pas de longue
durée; le 17 février, il date ses dépêches de llirschfeld;
ce recul, que sa lettre du 15 faisait prévoir, avait pour
cause les progrès que faisait l'ennemi sur les deux flancs
de la ligne française. La garnison de Fritzlar, forte seule-
ment de 900 hommes, avait capitulé dans l'après-midi
du 15; elle obtint sa liberté à la condition de ne pas ser-
vir en Allemagne pendant un an; cette reddition entraîna
celle du château de Gundersbcrg sur les mêmes bases. A
la suite de ces succès, Ferdinand, après avoir affecté une
i {
(1) llro^lie à Choiseul, Melzungen, 15 février 1761. Lellre déjà citce.
mv
2'JC.
L\ OUKUHK DK SEPT ANS. — CIIAP. V.
•)'■
V )
partie (le sou îii'm«''C à l'investissement de Cassel, avait
franctii l'Eder avec le reste en route pour llomburg. Les
nouvelles de l'aile droite française étaient encore plus
graves : on n'en avait pas de directes, l'officier expédié
par Solms ayant été enlevé par une patrouille ennemie,
mais, par une voie indirecte, on venait d'apprendre la dé-
laite des Saxons t\ Langensaltza.
Voici les incidents <jui avaient eu lieu dans la vallée de
ri'nstrutt : Après une canonnade échangée à Eisherg, le
13 lévrier, avec les corps de Saint-Pern et de Stainville, le
llanovrien Sporcken, ne pouvant percer de ce c<Hé, avait
pris le parti de descendre le cours de i'Unstrutt et de com-
biner avec le Prussien Syburg-, la traversée de la rivière et
la prise de Langensaltza qui étaitoccupé par 3.000 Saxons.
Il fut entendu que les Prussiens opéreraient à Merxleben ,
les confédérés à Thomasbrugge, et Liickner avec sestroupes
légères à Bolsted, « Le 15, à 7 heures du matin, raconte
Sporcken (1), toutes les troupes bordèrent la rivière pour
la passer ; mais le dégel avait tellement augmenté les eaux
depuis deux fois "iï heures, qu'il y avait une inondation
de mille pas depuis Mulhausen jusque vers Langensaltza. »
La cavalerie de Syburg franchit l'Unstrutt à Merxleben,
tandis que son canon battait la ville de Langensaltza : « Huit
escadrons de la première ligne du corps de M. de Sporcken
passèrent à Thomasbrugge, avec une brigade de chas-
seurs et un escadron de Liickner, dont le corps ne put
passer, les eaux ayant continué à s'augmenter pendant
ioute la journée. » L'apparition de ce détachement fut une
surprise (2) pour les Saxons de Solnis qui, d'après le rap-
port de leurs éclaireurs, croyaient le pont de Thomas ruiné
et infranchissable. Vu même moment survint de la part
(1) Relation de lexpédilion du corps de Sporcken. Westphalen, V, p. 81
et suivantes.
(2) Inventaire sommaire des l'onds de Saxe, rédigé par Vernier, archiviste
et par le comm' Veling, vol. 1, p. 179, Trojes, 1903.
> I
COMBAT DK LANGKNSALTZA,
ÎW
(le Stainvillo l'ordre de « marcher sur Kirchhoffeld sans
pcrdie de temps ». Au lieu de rassembler son m(jnd<î dans
une position où il lui aurait été facilcde tenir tête k la ca-
valerie ennemie, qui seule avait traversé la rivière, le gé-
néral saxon voulut commencer de suite sa retraite ; il ne
put retl'ectiier sans une confusion et un désordre dont
profitèrent les escadrons confédérés; un bataillon entier,
séparé du gros, fut fait prisonnier au ravin de la Salza;
dans le combat d'arrière-garde ({ui suivit, le bataillon
Prince Charles et 7 compagnies de grenadiers mirent bas
les armes. Le reste de la colonne, encore fort de .'l batail-
lons, poursuivit sa marche vers le chemin d'Eisenach, à
travers un pays complètement plat. Harcelée par la ca-
valeri(; de Syburg et de Sporcken, cette infanterie eût
été complètement détruite sans l'arrivée fort opportune
des dragons de la Ferronnays que Solnis avait appelés
à son secours. L'ennemi qui venait dNmfoncer un des
3 bataillons saxons fut repoussé et laissa au pouvoir des
Français le général hanovricn lludenberg, 5 officiers
et 30 hommes. Près du village de Ueichenbach, les débris
des Saxons rejoignirent les troupes de Stainville et les
deux divisions continuèrent leur route sur Eisenach où
la tête parvint vers 7 heures du soir. « Les fatigues suppor-
tées par les hommes furent immenses, et les corps laissè-
rent tant de traînards que les cavaliers ennemis qui avaient
suivi les divisions jusqu'à un mille d'Eisenach ramassèrent
plus de 600 hommes appartenant au corps saxon. Cette
affaire coûta au corps 2 bataillons de grenadiers et 2 ba-
taillons de campagne, plus 7 canons. »
Sporcken, dans son rapport au prince Ferdinand, ne
consacre que quelques lignes à la description du combat :
« A peine la cavalerie prussienne avait-elle passé la rivière
qu'elle se jeta sur l'ennemi qui sortit de Langensaltza ;
tandis que les susdits 8 escadrons du corps de Sporcken
tombèrent sur ceux qui descendirent les hauteurs pour
.1
à
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n<
99S
\.K r.LKlUU'; l)K SKPT ANS.
OII.VP. V.
!i:
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venir an sccdurs. Trois n'!f,àment.s saxons, savoir Garde-
(irenadiors, prince Xavier, et prince Krcdéric, se rendi-
rent aux Prussiens ctlesdeux rcgimcnts C.liarleset Antoine
furent forcés par les H escadrons du corps de M. Sp(">rrken
de niettri; bas les armes. Le nombre des prisonniers s'est
accru dans la poursuite, et si notre infanterie eiU pu passer
la rivière, loul le corps saxon aurait couru ris()ue d'ôtre
coupé. La perle de l'ennemi peut être évaluée sans exa-
gération ù 5.000 hommes; la nôtre ne surpasse pas
100 hommes. » D'après le prince Ferdinand, les vain-
queurs s'emparèrent de 13 canons, y compris les pièces
régimentaires, et de 7 drapeaux ou étendards,
A en juger par ceschlifres, l'aHaire ne fait pas honneur
à l'infanterie saxonne qui se laissa disperser par une ca-
\alerie dont l'eirectif atteignait à peine une trentaine des-
cadrons. Le commandement fut aussi en défaut : Stainville
et Solms paraissent responsables du manque d'entente,
de la précipitation et de la mauvaise conduite de la re-
traite.
Pour en finir avec l'entreprise combinée de Sp()rcken et
do ses auxiliaires, disons de suite ([uc le lendemain du
combat, rinf;interie confédérée franchit l'IJnstrutt et prit
possession de Mulhauseu; le 17, Liickner parvint à Eisc-
nach où il fut rejoint par le gros du corps hanovrien. Mal-
gré une nuirche forcée, on ne put pas rattraper les Saxo-
Français qui gagnèrent Fulde sans autre perte que celle
de déserteurs assez nombreux, tant Saxons ([ue soldats
des régiments suisses; de leur côté, SporcUen et Liickner
rallièrent, le -2*2 févriei". à Hirschfeld, l'armée du prince
Ferdinand. Quant aux Prusaiens, leur concours n'avait été
que précaire ; sous prétexte d'iui mouvement en avant des
Impériaux de Iladick et confovmément aux instructions
de leur souverain, ils ne dépasseront pas Eisenacli; le 22,
ils avaient gagné Gotha et s'étaient par conséquent éloi-
gnés de leurs alliés.
HItOGLIi: APPKLLK L'AU.Mi:)': IJI HAS UIIIN.
3M
hésnsti'cux en lui-mônw', lo combat de Laiigensalt/.;i le
lut plus encore pour l'ensemble des opérations, car il en-
trniiia tout au inoins nionuMitanénient la peitc delà Messe.
.Mais revenons à Hrojçlie qui venait d'apprendre le mal-
heureux événement du 1."» et (pii écrivait, le 17 (1) : (( C.e
qui rend la position où je me trouve pins délicate, r'est
que les llanovriens et Prussiens qui viennent par Kise-
nacb et (iotha se trouvent sur mou ilanc droit, pendant
qutî le |)rincc ht-réditaire est sur la gauche et (jue je n'ai
pas encore de cavalerie d'arrivée, ni n'en aurai de plu-
sieurs jours. Mais si nous parvenons à rejoindre riut'an-
terie et ([uelques dragons, j'espère «[n'étant aussi bien
secondé «[ue je le serai pai' le peu d'ofliciers .généraux «(ui
sont il l'arniée, elle se tirera d'allaire et (pi'il ne lui ar-
rivera [)oiut de grands accidents, .l'ai écrit à MM. de
Kougé, Dessalles, de Zuckmantel et Domgeruiain (2) tout
ce ((u'ilsont à l'aire dans cette circonstance, [.c chAteau
de Marburg, Giessen, Ziegenliayn et Ilanau, sont appro-
visionnés et ont des garnisons suffisantes pour une trt'-s
bonne défense. Francfort aura 8 bataillons pour sa gar-
nison quand M. Dessales y aura l'ait entrer, ainsi que je
le lui mande, le régiment de Koyal Suédois; Cottingen est
pourvu jus((u'au 1" juillet enfarinés, et Casscl l'est aussi
pour le même temps. »
Dans un P. -S. du 18 février (3), Rroglie est à même
d'annoncer que la concentration s'avance : Saint-Pern a
re(;u les ordres de retraite, il a un détachement à Uotheni-
burg sur la Fulda en aval; le gros de sa division sera, le
18 au soir, à Kriedwaid à peu de distance de llirschfeld ;
Stainville est à Vacha ; « lui et Solms me mandent que
(1) Broglic à Ciioiseul, niischfeld, 17 février 1701. Archives de la Guerro.
(2) Ces ofTicicrs coinmaiiduienl à Marburg, FruiuTort, Ziegenliayn et
Hanan.
(3) P.-S. Hrogiie à Ciioiseul, Ilirsclifeld, 18 février 1701. Archives de la
Guerre.
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LA GUKHUK DK SEPT ANS. — CHAP. V.
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les Saxons sont absolument crevés et ne pourraient pas
arriver iiujourd'hui ici »; en conséquence, Solms a été
autorisé à « rester jusqu'à nouvel ordre à Manshacli où
je lui enverrais des ordres dans la journée, et j'ai écrit
h M. de Stain ville de rester à Vacha, tant qu'il le pourrait,
pour masquer le pont de pierre et de se replier à M.ans-
bach sur M. de Solms, si les ennemis s'avançaient, et de
là, suivant les circonstances, sur Hirschfeld >>. Broglie
énumére les troupes ennemies dont il exag'ère le chiffre
et parmi lesquelles il compte 10.000 hommes de troupes
prussiennes « très belles et très bien réparées Vous
jugerez aisément, conclut-il, que je ne suis pas partie
battan 8 pour me commettre contre des forces aussi
disproportionnées. Je n'attends que M de Saint-Pern,
le corps saxon et celui de M. le comte de Stainville pour
songer à me retirer sur Fulde; je n'y perdrai pas un
moment dès que je serai réuni afin de n'être pas séparé,
s'il est p'ssible, de Francfort ». De Hirschfeld, Broglie
intima ordre à Du Muy (1) qui commandait, comme
on le sait, sur le bas Rhin, « de faire une diversion par
Cologne en se portant sur Hackenburg, pour aller de là
sur Marburg ou F^imbourg, suivant les instructions ou le
besoin ». Du Muy devait affecter 10.000 hommes à cette
opération et la diriger lui-même.
Entre temps, le prince Ferdinand continuait sa mar-
che en avant; le 18, il avait franchi (-2) l'Eder et poussé
le prince héréditaire sur la route de Hirschfeld, tandis
que Granby s'apprêtait à faire le blocus de Ziegenhayn.
Le même jour, le général Oheim qui avait remplacé
Breitenbach, tué devant Marburg, eut une rencontre (3)
(1) Brofçlie à Du Muy, Hirschfeld, 17 février 1761. Archives de la Guerre.
(2) Ferdlnaud a Iloldernessc, Ober Aula, 'il lë'rier 1701. Record Office.
(3) Valence à Uroglie, Urumshausen, 18 février 17GI. Archives de la Guerre.
Winlzingerode à Ferdinand, Franckenberg, 18 février 1761. Weslphalen,
V, p. 70.
EVACUATION DE HIRSCHFELIJ.
30t
aved'avant-garde de Maupeou. Ce dernier, en exécution
de ses instructions, s'était porté de Siegen vers Corbacii
avec l'intention d'agir sur le flanc et les derrières des
confédérés ; désireux de reconnaître l'ennemi, il prit les
devants avec IpOO hommes, dont une centaine de hus-
sards, et engagea maladroitement, près de Sachscnl)crg,
une affaire dans laquelle il fut fait prisonnier avec trois
de ses officiers et une cinquantaine de soldats. A la suite
de cet incident, la division de Maupeou, privée de son
chef, recula jusqu'à Ilallenberg, tandis qu'Oheim, lais-
sant quelques troupes légères à Corbach, vint avec son
détachement participer au siège de Marburg. Le 19 au
soir, le gros de l'armée hanovrienne avait atteint Schwar-
zenborn et le prince héréditaire était campé à une lieue
de Hirschfeld. Broglie qui avait envoyé Lameth surveiller
le prince était édifié sur son proche voisinage; d'autre
part, il avait été prévenu par Stainville que Sporcken et
Lttckner étaient devant \acha, et qu'il serait obligé d'é-
vacuer le poste au cours de la nuit. Ces différents avis
confirmèrent Broglie dans sa résolution de continuer sa
retraite sur Fulde.
Pour l'effectuer il eut recours à une étape de nuit : « Je
chargeai M. de Diesbach, écrit-il (1), de faire l'arrière-garde
des troupes qai étaient à Hirsclifeld, de brùhîr et détruire
les magasins de fourrages et de fai'ines que nous y
avions, ce qui a été exécuté avant mon départ, en sorte
que les ennemi? n'auront pas profité d'une ration. La
marche fut pénible, le temps étant affreux, et les chemins
plus mauvais qu'on ne peut le dire. Tout arriva cepen-
dant à Hiinfcld et environs, et MM. de Saint-Pern et de
Solms m'y joignirent. M. de Stainville s'arrêta au village
de Mittelaspach, Après (juelques heures de repos, je fis
partir les Saxons et le corps de M. de Sainl-Pern pour
(1) Broglie à Clioiseul, Fulde, .il février 1761. Archives de la Guerre.
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W GUEUllK DE SEPT ANS. — CIIM». V.
aller à Fulde et enviions pour y avoir une iète si les en-
nemis y avaient marché par la rive gauche. » Le lende-
main la retraite fut poursuivie sur Fulde. Broglie ne dis-
simule pas l'étonnemcnt que lui occasionne la vigoureuse
offensive de son adversaire : « Je vous avoue que cela
me parait si difficile que j'ai peine à me le figurer, et je
ne vois aucune possibilité à ce qu'il puisse conduire par
cette saison le canon et encore Ijieaucoup moins les
munitions nécessaires peur faire des sièges, vu Tétat des
cliemins qui sont si mauvais que nos pièces de régiment
ne peuvent s'en tirer, ainsi que 6 pièces de quatre longues
qui font toute mon artillerie de parc, quoiqu'elles aient
double attelage. » Cependant, il ne voit d'autre parti à
prendre que de hfVter sa marche rétrograde : « La pre-
mière chose et qui me parait la plus urgente, c'est de
ramener près de Francfort et Ilanau la partie de l'armée
qui est ici, afin qu'elle puisse se rejoindre avec le corps
de cavalerie qui s'assemble sous Giessen, avec celui de
M. Rougé, et avec les secours que M. Du Muy pourra au
besoin amener du Bas-Rhin... Je laisserai une forte
arrière-garde à M. votre frère qui fermera la marche; et
aussitôt que je ne verrai plus de danger que les ennemis
puissent ou veuillent nous attaquer, je me rendrai à
Hauau et de là, où ma personne me paraîtra le plus néces-
saire. »
L'abandon de Hirschfold et la destructii^n des magasins
dont la formation avait coûté tant d'argent furent un
lourd sacrifice pour l'armée française. Au dire du colo-
nel Peirson 1) qui remplissait les fonctions d'intendant
du contingent anglais, les dépôts brûlés contenaient
80.000 sacs de farine, 50.000 sacs d avoine et 400.000
rations de fourrages. La perte de llirschfeld fut bientôt
suivie de celle des approvisionnements de Fulde. ^"ur
(1) Peirson àNevvcaslle, Neukirchen, 21 février 17G1. Newcaslle Papers.
LA HETHAITE DE DROGLIE CONTINUE.
809
le rapport que l'ennemi s'était montré à Schlitz et h
Grebenau, sur la rive gauche de la Fulde, à lliinfeld et
jusqu'à Marbuch. à deux lieues de la ville de Fulde sur
la rive droite de la rivière, Broglie ordonna (1) le départ
pour le 23; il ne fut pas inquiété : « Je me décidai ;V
marcher avec la totalité des troupes en droiture sur
Birstein. Nous quittâmes Fulde à 9 heures du matin, et
aussitôt après, quelques hussards qui nous observaient
depuis le matin, y ontrèreat; il parut ensuite sur la
hauteur environ 500 chevaux, ils ne passèrent pas la
rivière et notre marche se fit fort tranquillement, mais
par le temps le plus affreux ; il en a été de môme hier et
aujourd'hui nous séjournons, » Cette fois, la reculade avait
été forte, car les Saxons devaient être le 25 à Geln-
hausen et Stainville à Salmimstcr, localités situées dans
la vallée de la Kinsig et dans le comté de Hanau. Kroglie
se montre très préoccupé du sort de Rongé : « Je crains
toujours que M. de Rougé ne se laisse joindre par des
forces supérieures et n'essuie un échec; je lui ai cepen-
dant envoyé plusieurs courriers pour lui mander de se
replier sur Giessen. .. Dès que le mouvement de demain
sera fait, je compte me porter plus près de Friodberg
pour être plus au centre et pouvoir donner plus promp-
temcnt mes ordres des deux côtés. »
A lire la prose du général eu chef, on s'aperçoit ((uo
les avis décourageants de ses subordonnés et la retraite
continuelle des derniers jours avaient influé sur son
moral; il fait des effectifs confédérés et des siens un ta-
bleau comparatif qui lui aurait valu des critiques justi-
liées de la part du maréchal de Relleisle, si celui-ci avait
été encore là pour les formuler : (( Par les nouvelles
que j'ai de la force des ennumis, il parait certain que
M. le prince héréditaire et M. le général Spôrcken ont
(1) Droglie à Choiseul, Birslcin, 25 i'évrior 17G1. Archives de la Guerre.
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LA GUERRE DE SEPT ANS.
ClIAP. V.
25.000 hommes, et que le prince Ferdinand joint au
corps qui a attaqué Marbourg en a autant; cela fait
50.000 hommes composés de tout ce qu'il y avait de
plus en état de leur armée. Vous sentirez aisément qu'il
s'en faut beaucoup que je n'aie des forces égales; le
corps saxon, par l'échec (ju'il a reçu et une grande quan-
tité de soldats qui après cette affaire, ont pris tout de
suite le chemin de Wurtzburg, n'a pas actuellement
3.000 hommes ensemble. Les 20 bataillons français que
j'ai avec moi n'en composent pas plus de 8.000. Les 12
qui sont à Hanau, Francfort et Friedberg peuvent en
faire 5. M. de Rougé me mande avoir 7.000 hommes
d'infanterie et les 8 bataillons de M. de Valence en font
à peu près 2.V00, ce qui compose un total de 24.000
hommes d'infanterie et environ 6.000 ou 7.000 chevaux;
sur quoi il faut déduire 'i-.OOO hommes pour les garni-
sons de Hanau et de Francfort ; ainsi, il faut compter que
je puis mettre ensemble 27.000 ou 28.000 hommes. »
Pour le commandement des corps détachés, il manque
de sujets capables, beaucoup de généraux sont absents;
<( il n'y a presque aucun colonel ni lieutenant-colonel,
ni brigadier et fort peu de capitaines ».
En ce qui concerne les effectifs de l'armée de Ferdi-
nand, les calculs de Broglie étaient très exagérés; au
24 février, date de la . ttre du maréchal, le prince avait
distribué (1) ses forces actives en plusieurs groupes aux
ordres de Granby, Spiircken, le prince héréditaire et Lii-
ckner; elles comprenaient en tout 54 bataillons, 73 esca-
drons et un complément d'irréguliers, tant à pied qu'à
cheval. C'est à peine si en supposant 400 par bataillon
et 100 par escadron — chiffres certainement supérieurs à
la vérité — on peut évaluera 34.000 combattants le total
(1) Dislribulion de Tarinéet H mars 17G1. NVesliihalen, V, p. liO et sui-
vaiiles.
t .
MARCHE DES RENFORTS DU BAS-RHIN.
305
des troupes affoctées aux opérations en rase campagne
le reste était en garnison à Munster, en route de VVesl-
phalie, occupé aux sièges de Cassel et Ziegenhayn, ou
employé à la garde des communications. Il est probable
que les ressources en personnel dont les deux généraux
pouvaient disposer étaient à peu près égales, mais Fer-
dinand n'avait, pour toute réserve, que les l.OOO hommes
de 11 division d'IIardenberg appelés de Westphalic, et
dont le départ laisserait cette province dégarnie. Quant
au roi de Prusse, s'il couvrait Ferdinand de fleurs, s'il
exaltait son mérite stratégique, il demeurait sourd (1) à ses
prières désespérées, refusait absolument de lui continuer
le concours de Syburg et envoyait ce général guerroyer
contre l'armée des Cercles en Thuringe.
Pour les Français, au contraire, les perspectives s'a-
mélioraient rapidement : le 21 février. Du Muy (2), en
réponse à l'invitation que Broglie lui avait expédiée le 17
de Hirschfcld, lui annonce un renfort de 12.000 hommes
en deux divisions : la premièic s'ébranlera de Cologne le
1""^ mars et sera, le ^, à Hackenburg, la deuxième suivra
à deux jours de distance; les unités seront réglées à
iOO fusils par bataillon, h 75 sabres par escadron. A la
même date, Chevert écrit de Liège (3) à Broglie qu'il a été
désigné pour le commandement des troupes du Bas-Rhin
en attendant la venue de Soubise, et qu'il se met à sa
disposition. Le 25, il est à Cologne et se concerte avec
Du Muy {\) pour activer la mobilisation des renforts. Ce
dernier mande qu'il espère être rendu , le ï mars, ù Lim-
burg, où il compte trouver la division Roqucpinc et
(1) Voir la coiTcspondancc entre le Roi et le [)iince à la lin de février cl
au commencement de mars. Westphalen, V.
(2) Du Muy i\ Hro<;lie, 22 février 17G1. Archives de la Ctierre.
(3) Chevert à Brofj;lie, 22 février 17GI. Archives delà Guerre.
(4) Chevert et Du Muy à Uroglie, Cologne, 27 février 17G1. Archives de la
Guerre.
GLliRlIE Dli SEPT ANS. — T. IV. 20
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309
LA GUKRP.E DE SEPT ANS.
CIIAP. V.
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l'ancienne division Maupeou, dont Valence avait pris le
commandement; l'inondation de la Sicg le forcera à
passer par Andernach et Cobicntz et retardera de deux
jours son arrivée à Limburg. Une fois la réunion des co-
lonnes effectuée, il aura 17.000 hommes à sa disposition.
Ces nouvelles réconfortantes n'étaient pas encore par-
venues h Broglie quand il expédia à Paris sa dépêche
du 28 février (1). Son quartier général était à Budingen
depuis le 26; un cordon de troupes légères, étendu de-
puis Iluugcn jusqu'à Birstein et Salmimster, le séparait
de l'ennemi; le corps de Stainville, fort de 12 ])ataillons
et 3 lu'igadcs de cavalerie, bouchait la trouée entre Ge-
Icnhausen et Budingen, il n'a plus d'inquiétude sur le
compte de Bougé qui est parti de Marburg le 2k, et s'est
arrêté, le 25, à Butzbach. Les confédérés avancent; on les
évalue à 50 ou 60.000 hommes. D'après les délais que
Du Muy prévoit pour sa marche, « il y a toujours appa-
rence que si les ennemis se déterminent à venir sur
Francfort, ils y arriveront avant qu'aucun secours du
Bas-Rhin eût pu me rejoindre ». Il faut l'avouer, le
désarroi qui régnait dans l'état-major de Francfort jus-
tifiait, jusqu'à un certain point, ce sombre pronostic.
Dessalles, le gouverneur de la ville, sous le coup de la
retraite générale , avait donné au commandant de Fricd-
berg des instructions pour la destruction éventuelle des
importants magasins de cette localité. Le subordonné,
plus frappé encore que son chef, perdit la tète, traduisit
en ordre comportant une exécution immédiate ce qui
n'était que précaution pour un cas possible, et fit incen-
dier un gros stock de provisions et d'effets.
11 est superflu de dire que, dans les milieux militaires,
la conduite de Broglie fut sévèrement jugée; on lui
reprocha la forte garnison laissée à Cassel, la lenteur
(1) Broglie à Choiseul, Budingen, 28 février 17C1. Archives de la Guerre.
CRITIQUES DE LA CONDUITE DE imOGLIE.
307
!Ul'
mise à rassembler l'armée, la retraite prt'cipitée de
Hirschfeld. Une femme (1 ), évidemment parente d'officiers
supérieurs, se fait l'interprète de ces critiques malveil-
lantes : « Tout prouve que le maréchal a perdu la tête
à Melzungen, et qr3 dans ce malheureux moment, il a
été trompé par de faux avis et a tout mal vu, car il est
certain qu'on ne pouvait conserver la liesse dès ({u'clle
était attaquée avec vigueur, mais on aurait pu faire une
retraite plus honorable et moins coûteuse que n'est celle-
ci. C'est bien pis (pie celle de la Westphalie, personne
à l'armée ne sait encore la force des ennemis qui les
suivent ; on fait des marches de nuit, on ne s'arrête nulle
part; les hôpitaux ont tous été pris, beaucoup de canon
est resté embourbé, les traînards sont immenses; de
40 bataillons que le maréchal avait rassemblés à Hirsch-
feld, je suis sûre qu'il n'en ramènera pas la moitié. Il a
fait venir la cavalerie et ne l'a point attendue ; un corps
de 8.000 Impériaux était le 16 à Erfurt, devait se joindre
le 17 à Stainville qu'on a rappelé le 16 sans lui laisser
attendre ce secours; ces pauvres Impériaux auront de la
peine à se retirer sans être coupés; les magasins tous
brûlés ôtent la possibilité de rentrer pour dégager Cassel.
Personne ne conçoit pourquoi on a mis tant de monde
dans cette place; si ces 10.000 hommes qui y sont avaient
joint le maréchal comme ils en ont eu le temps, grâce
à la belle défense de M, de Narbonne à Fritzlar, il est
certain qu'avec cette augmentation de troupes, le ma-
réchal aurait pu tenir ferme à Hirschfeld et y attendre
la cavalerie et les Impériaux, je pense que son grand
malheur est de n'avoir eu personne avec lui, sa tète s'est
trop échauffée. L'échec des Saxons est absolument un
effet de l'imprudence du comte Solms, qui, au lieu de
prendre la route que lui avait dictée Stainville, s'est
(1) Lettre d'une inconnue, 26 février 1761. Archives de la Guerre.
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308
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
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allé embarquer dans une plaine; ce corps est presque
détruit. Hougé s'était tiré d'aflaireà Marburg, les ennemis
ne paraissaient plus, mais il a eu ordre d'en partir pour
Butzbach où il est avec IV. 000 hommes. Quand cela sera
joint ici au maréchal, peut-être tiendra-t-on ferme. » La
lettre raconte l'incendie des magasins de Friedberg et men-
tionne les bruits sur Casscl : « Imaginez-vous quelle
ridicule prétention on forme? C'est de faire une seconde
Troie de cette place, elle doit tenir six mois, mais comme
les vieux temps sont passés, on l'aura bientôt rendue...
On a menacé les ennemis de brûler Cassel s'ils en appro-
chent, le petit comte en est très capable, mais cela ne
les arrêtera pas : 10.000 hommes à prendre les consolera
de la ruine d'une ville. » L'épltre se termine par un vœu
pour le rétablissement de la paix ; « Adieu, voilà de vilaines
nouvelles, personne d'entre eux n'ose écrire les vérités ; je
suis curieuse quel parti prendra le maréchal, la paix me
semble le seul remède à tout ceci. La confusion de ma
lettre ressemble à celle de l'armée; on voit des fuyards
passer ici à 10 et 12 de différents régiments tout pêle-
mêle, c'est ainsi que marche toute l'armée. »
Une retraite précipitée entraine des désordres, et il se-
rait puéril de les nier; mais au témoignage, peut-être hos-
tile, que nous venons de citer, il convient d'opposer celui
du prince Ferdinand qui consacre dans un rapport (1) au
Roi, quelques lignes à l'éloge de son adversaire : « M. de
Broglie fît cette longue retraite avec un ordre qui lui fait
beaucoup d'honneur ; l'affection que le soldat et l'officier
lui portent également le seconda, et quoique marchant
tous les jours et dans la fange jusqu'aux genoux, son
armée ne laissa que peu de traînards après elle. »
Pendant la première décade de mars, il y eut une période
(1) Rapport (le Ferdinand au roi de Prusse, Wesel, juin 1763. Westplialen,
V,p. 4-.
^mm^sm
DIFFICULTÉS DE FERDINAND.
309
d'accalmie très favorable aux Fraiicjais. Kii faits de guerre,
rieu à signaler (juc des rencontres de peu d'iniportiince;
beaucoup d'officiers généraux, Lusace, Houfflers, Clauson
rejoignent l'armée; les détacliements du Bas-Khin pour-
suivent leur route sans interruption. Du Muy espère être h
Francfort, le 8, conformément au désir du maréchal : <• Je
vous prie, écrit-il (1), pour leur sûreté (Uoqucpineet Cur-
say) (2) et pour la mienne, de veiller sur la droite des en-
nemis comme sur du lait qui est au feu. » Le 7 mars, le
chevalier mande de Langensclnvalbach qu'il se dirige sur
Hoclist. En effet, le lendemain, il annonce (3) sa jonc-
tion avec la grande armée; la deuxième colonne est d'une
journée en arrière ; Hoquepine est près de Limburg. Les
étapes depuis Cologne jusqu'à Hochst se sont effectuées
en huit jours.
Pourquoi le prince Ferdinand n"avait-il rien fait pour
troubler la marche des renforts du Bas-Rhin? Pour-
quoi le mouvement offensif des confédérés, si vigou-
reux au début, s'était-il ralenti pour en venir à une
immobilité presque absolue? La correspondance du prince
et de ses lieutenants nous permettra de répondre à ces
questions. Tout d'abord, il était impossible de ne pas
éprouver quelque inquiétude au sujet de la Westphalie
qui, depuis le départ d'Hardenberg, appelé en liesse, était
presque dénuée de troupes. Le 20 février, La Chevalerie,
commandant allemand de Munster, mandait (4) qu'il n'a-
vait, pourdéfeiidrc la ville, que 5 bataillons à faibles effec-
tifs : « Il y a des bataillons qui font à peine une compagnie
complète. » Fortheurcusementpour les confédérés, Chevert
v«l
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il
(1) Du Muy à Brof^lie, Coblenlz, 4mais I7C0. Archives de la Guerre.
(2) Le général de Cursa^ commandait l'une des colonnes en marche du
Bas-Rhin.
(3) Du Muy à Clioiseul, Hochst, 8 mars 1760. Archives de la Guerre.
(i) Chevalerie à IJehr, leUre interceptée, Munster, 2<> lévrier 17C0. Archi-
.vesdela Guerre.
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310
LA orEIinK DK SEPT ANS. — CIIAP. V.
;
qui avaif conserva dans les places du Kliin et à Liège près
de 13.000 hommes, était absorbé par les mesures à pren-
die à la suite de la mort de rèlecteur de Cologne, décédé
le G février; il avait même ajourné la mise en route do (liir-
say et l'avait envoyé à lîonn avec mission de désarmer les
régiments électoraux. D'autre part, l'armée confédérée
opérant eu Hesse soutirait beaucoup de la maladie, de la fa-
tigue et du mnnque de vivres. Le contingent anglais était
déjà fort délabré avant la reprise des hostilités : (( Nous con-
tinuons, rapporte Granby (l),àper(lre beaucoup de monde
dans l'infanterie et dernièrement dans la cavalerie aussi. »
Des marches souvent forcées en plein hiver n'avaient fait
qu'aggraver le mal; hî service de l'intendance anglaise,
mal organisé, dii igé par des hommes incompétents ou
malhonnêtes, aux prises avec des diflicultés inouïes de
transport, fut tout à fait au-dessous de sa tAche; les Alle-
mands, quoique mieux ravitaillés, étaient aussi très éprou-
vés. Sans les magasins français de llirschfeld et surtout
de Fulde, où on trouva intacts de gros stocks de farines
et d'avoines, sans les petits dépôts de fourrages abandon-
nés par l'armée de liroglie dans sa reculade précipitée,
hommes et chevaux seraient morts de faim. A défaut de
leurs propres elfets, les soldats de Ferdinand utilisèrent
ceux des Français, les souliers (2) par exemple, dont un
approvisionnement pris à Alsfeld remplaça fort à propos
des chaussures hors d'usage.
Au surplus, quand même les confédérés eussent été en
état d(> poursuivre leur otfensive, il ei\t été imprudent
d'avancer plus loin avant d'être maîtres de Cassel, de
Ziegenhayn et des autres places de la Hl'ssc. Dans une
dépêche adressée à la cour de Saint-James (3), Ferdinand
fait le résumé de la situation et expose ses endiarras :
(I) Granby à Limonier, 2'? janvier 17G1. RiilluntlPapers. Record OITlce.
(:>) Hoyd à Holdernesse, Grevenau,25 février 17G1. Record Oflice.
(3) Ferdinand à Holdernesse, Schweinsberg, 8 mars 17G1. Record Oirice.
80UITRANCKS DKS CONIKDh'UKS.
3tt
« Quant aux o[)<''ratioiis(le sou année, tous les succès ulté-
riours dcpciulent absolument de la prise de Casscd; je ne
dois pas cacher à S. M. ([ue c'est une chose dilïlcih' et (jui
coiUora hien du saii,i;'. Nous luttons il la l'ois contre la
saison, contre la l'aim (ît contre l'ennemi. Les troupes cpii
l'ont le sièi^e d(^ Cassel n'ont d'autres ressoui'ces (pie les
dépôts de la Uyniel; ci-ux-ci sont peu de chose; et si le
Weser ne devient pas l)ientôt navigable, 11 sera impossible
de les l'aire subsister dans un pays (|ui est devenu un dé-
sert aiïreux, sans ressources, sans chai'iots et presque sans
hommes, .le devrais compter, en cette occasion, sur les
transports de fourrages et de vivres des Ktats de Hanovre
et de Brunswick, mais ils n'arrivent point comme ils de-
vaient. En commençant mon expédition, j'avais l'ait mes
calculs sur ces transports, et en partie sur la navigation
du Weser; mais l'un et l'autre m'ayant mancjué, je dois
l'attribuer à la fortune qui accompagne les armes de S. M.,
que j'aie pu traverser assez vite le désert de la liesse, de
m'euiparer de plusieurs dé[ ùts appartenant à l'ennemi,
et de sauver des restes de magasins où il avait mis le l'eu
en les abandonnant; et enfin, d'avoir pu pénétrer jusque
dans une contrée où il y a encore des subsistances. Mais
V. E. ne cachera point à S. M. ([ue ces avantages ne
sont point sans inconvénients, .l'ai (irdtingen , Cassel,
Waldeck et Ziegenhayn A dos; Marbourg et Uillenbourg
sur mon flanc; des places que je ne puis prendre ([ue
l'une après l'autre et qui demandent toutes des formali-
tés. J'ai, avec cela, un désert affreux derrière moi et par
conséquent des difllcultés presque insurmontables pour
faire suivre mes convois, ce qui est cependant nécessaire,
vu que le pays que j'occupe ne saurait suffire longtemps
à fournir aux besoins de l'armée, .l'ai l'armée de France
devant moi, qui se rassemble à force, pendant que j'ai un
gros corps en arrière pour assiéger Cassel, un détache-
ment pour bloquer Waldeck, un second pour bloquer
m
3n
I.A CI KHIU-; DK SKPT ANS. — ClIAI'. V.
Zicfj;cnhnyii et un tioisi^iiio pour en faire autant avec
M.irhour^. Il n'rst pas douteux que le maréchal de Hro-
glie ne lasse; ses derniers ell'orts pour dégaf^er CiUSsel; il
est viai (|ii'il a de grands obstacles i\ vaincre pour y par-
venir ; mais, autant que je puis voir, il est le maître de
m'obliger à livrer hafaille, de façon que tout dépendra
du sort et de la fortune. »)
Pour riieur<uise issue de la campagne, la prise de Cassel
était nécessaire; tout le monde était d'accord sur ce point;
mais le siège ne progressait pas, au grand désespoir de
Ferdinand qui ne cessait de stimnlei- le comte d«' Scliaum-
l)urg-Lippe, chargé de l'opération. Supplications d'activer
les travaux d'approche, invitations à pousseiles tranchées,
îi ouvrir le feu des batterie», tout échouait devant la ré-
sistance opiniAtre de la garnison, l'inexpérience des assié-
geants et les lenteurs des transports.
L'investissement de Cassel avait conimen( <• le 18 fé-
vrier; à cet elfet le comte de Schaumburg-Lippe avait
sous ses ordres 21 bataillons et quehjucs escadrons. « Il
est à présent, lui mandait (1) Ferdinand, d'une nécessité
indispensable d'attaquer Cassel. Je conjure V. E. de faire
sans perte de temps avec ce qu'elle a d'artillerie et de
munitions. Il s'agit non seulement de prendre Cassel, mais
d'étourdir l'ennemi en le pressai ;i de tous côtés à la fois. »
Une telle hâte n'était pas f \j«ylière à Lippe qui, pour
expliquer ses retards (2), se rejjtte sur le maïKiue defour-
rages qui cause la ruine du service de transports, et
sur les soutTrances de ses hommes, campés « dans de mau-
vaises huttes, sans paille, n'ayant guère de bois pour le
chaull'age ». Trois jours plus tard, c'est l'inqiossibilité d'a-
mener le parc d'artillerie et les munitions qu'il invoque.
(1) Ferdinand à Schaumburg-Lippc, Ober-Vorschulz, 17 février l'Gt. Wesl-
piialcn. V, p. fil.
(2) Schaumburg-Lippe à Ferdinand, 23 et 2Gféviier 1761. Weslphalen, V,
94 et 95.
SIKOE DE CASSEL.
3i:)
Ferdinand lui envoya un renfort de 8 liataillons et pesa
^mi rgi(|uernent sur la rrgence du Hanovre pour obtenir
plus de chevaux et plus de voilures. Enlin, la trancliéjî
l'ut ouverte dans la soirée du 1" mars; mais les travaux
lurent interrompus dans la nuit du (» au 7 par un vigou-
reux (iU'ort de laj^arniion : « L'ennemia l'ait, écrit Li|)pe (1 ,,
une ;;randc sortie ce nîatin, i\ la pointe du ,iour; il a atta-
<{ué la tranchée sur tout son Iront, il a percé au plus fort,
c'est-à-dire sur la doulile place d'armes; il a culbuté h's
régiments (|ui y étaient, et chassé généralement toutes les
troupes de la tranchée; il a emmené en ville les V mor-
tiers et encloué un canon de la batterie des 0 pièces de 12.
J'ai rassemblé deux bataillons débandés c'était Leib-Uegi-
ment des llessois et les (Irenadiers de NVangenheimi. J'ai
repris avec eux la tranchée que l'ennemi allait combler
totalement et faisant en même temps avancer des troupes
du comp, l'ennemi s'est retiré laissant une mèche allumée
dans le dépAt de nos bombes, qui a sauté en l'air et causé
un désordre affreux. L'ennemi a ruiné tout à fait la grande
batterie près du jardin de Du Kosoy, c'est-à-dire le tra-
vail, car les pièces n'y étaient pas encore. Les troupes qui
devaient détendre cette partie ont lâché honteusement
le pied sans avoir presque souffert; ceux qui étaient dans
la place d'armes avancée n'ont pas mieux fait Nous
sommes bien faibles et fort neufs en fait de siège, et nous
avons en tête les ennemis les plus redoutables du monde
dans cette partie de la guerre : nous sommes après à nous
rapiécer et à raccommoder J'ai donné ordre à la réserve
de faire feu sur ceux qui abandonneront la parallèle. Je
crois qu'il n'y a eu que trop de monde de tués et blessés
de notre part, les revers de la tranchée étaient parsemés
de nos morts, et l'on ne voit que bras, jambes et corps
sans tôte, et têtes sans corps, à l'endroit où le dépôt a
n
ni4
(1) Lippe à Ferdinand, 7 mars 1761. Record Oflice
m
LA GUEKRK DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
ÏÉ. '
sauté. » .luL;é rcsp.onsal)le de cette affaire qui coûta aux
confédérés, d'après l'état officiel, liïï officiers et soldats,
le général Drevcs fut traduit devant un conseil de guerre.
En réponse à un appel de son lieutenant, Ferdinand lui
expédia nn nouveau renfort d'officiers d'artillerie et de
h 1/2 bataillons, nui porta à .'J3 1/2 jjataillons l'effectif des
assiégeants; la construction des batteries fut reprise avec
un regain d'activité mais, dans l'ensemble, le siège de
Cassel ne faisait pas grands progrès. Il en était de môme
de celui de Ziegenha^ n, oùZuckmantel, commandant de la
place, se soutenait avec courage contre le général Schlei-
ter. A Marburg, le chûteau était bloqué, mais les belli-
gérants avaient conclu une convention de neutralité pour
la ville. Des autres postes, aucun n'était encore tombé aux
mains des confédérés.
Telle était la situation quand Broglie revint à l'offen-
sive, quoique à ce sujet il ne semble pas avoir reçu grand
encouragement de la part de sa cour. Dans sa corres-
pondance, Cboiseul paraît plus occupé des préparatifs
do la campagne procbaine, qu'on désirait ouvrir le 1 "■ mai,
que de continuer les bostilités pour recouvrer la liesse; le
4 marS; il invite Chevert (1) à ne pas augmenter les déta-
chements déjà en route pour la grande armée ; le 8, il
exprime l'espoir (2) que Broglie pourra renvoyer les régi-
ments venus (lu Bas-Uhin dans un délai de 15 jours, afin
qu'ils aient le temps d'effectuer leurs réparations. En
effet, le maréchal promet (3) de les restituer le plus tôl
possible, 'X mais, ajoute-t-il, il faut commencer par
tAcher de sauver le château de Marburg et Ziogenhayn
et engager les ennemis à se borner à garder l'Eder >;. Lcj:
garnisons de liesse et de Irancfort absorbint un total de
23.54-': homme?, il ne disposera, pour tenir la campagne,
(t) Choiseul à Chevert, 4 mars l"Ot. Archives de la Guerre.
(2) Choiseul à Broglie, 8 mars 17(il. Archives de la Guerre.
(3) Broglie à Choiseul, Wilbel, Il mars l/Ul. Archives de la Guerre.
BROGLIE IlEPHEND L'OFFENSIVE.
91&;
il
si-
que d'une quarantaine de mille coml)attants. Quant à
Cassel, il ne songe pas à eu faire lever le sirge et sou-
met au ministre le projet d'une convention pour l'évacua-
tion de cette place et de celle de (îottingen.
Aux VO.OOO Français, le prince Ferdinand, défalcation
faite des troupes employées aux sièges et l)locus, pou-
vait (1) à peine en opposer îiO. 000. Aussitôt qu'il se rendit
compte des intentions agressives de lirogiie dont le
quartier général avait été transféré d'abord à Friedberg',
ensuite à Ruizbach, il rappela sur les rives de l'Ohm ses
divisions cantonnées depuis (îruningen et Licli j^isqu'à
llungen et Schotten. Le 13, cette ligne de postes, qui
couvrait le blocus de Giessen, fut repliée et remplacée par
l'avant-garde française sous les ordres de Clausen et de
Kochambeau; les communications avec Giessen se trou-
vèrent ainsi rouvertes. Le 1(» mars, il y eut une petite
affaire entre le corps de Sfainvillc etcelui du prince hérédi-
taire aux portes de GrOnberg-; ce dernier se retii'a sur Hom-
l)urg' et sur l'Ohm: Kochambeau et les Fischer, appuyés
par Poyannes, s'avahcèrentsans opposition jus([u'à Allen-
dorf ; enfin, le poste de Kohesolms. villagr au nord de la
Lahn et de Giessen, abandonné par le partisan Scheiter,
tomba au pouvoir de Cursay, soutenu par le chevalier Du
Muy : <( Les nouvelles que j'ai eues aujourd'hui, écrit
Broglie (2i de Giessen où il venait de se transporter,
tant par les espions que par les postes avancés, sont
que les ennemis (|ui étaient entre la Lahn et l'Olim ont
repassé cette dernière rivière, et qu'ils n'ont plus en deçà
qu'un poste considérable de grenadiers sur la hauteui"
d'Amonobourg'. On dit qu'ils font beaucoup de redoutes
sur les hauteurs de la rive droite de l'Ohm , et qu'ils
y ont placé beaucoup de canons; cela est très vraisem-
M
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(1) 58 bataillons à :?00 liomntes, et IDO escadrons à 100. Weslplialen, V.
('■>.) Ui'oglie à Choiseul, Giessen, 17 mars 17t>l. Archives Un la Guerre.
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LA GUERRE DE SEPT AXS. — CHAP. V.
blable, mais c'est un travail assez inutile, la nature du
terrain étant plus que suffisante pour empêcher qu'on
ne puisse forcer le passage de cette rivière depuis
Liniburg jusqu'à son embouchure dans la Lahn, dès qu'il
sera défendu. » Le maréchal annonce, pour le lende-
main 18, un mouvement général en avant sur les deux
rives de la Lahn et vers l'Ohm. Comme le prince Fer-
dinand, il signale le manque de foin et les défectuosités
des moyens de transport pour le pain qu'il lui faut tirer
de Francfort : « La disette de fourrage est extrême, je
ne néglige rien pour nous procurer tout ce qui en reste
dans le pays ot pour le faire ménager. » A Gicssen,
Broglic reçut de bonnes nouvelles de Gottingen et de Cas-
sel. Autour de la première place (1 ), Belzunce « continuait
ses promenades à quatre lieues à la ronde, ramassant des
subsistances en avoines et en bestiaux », et enlevant des
partis ennemis. Le siège de Cassel ne progressait ([ue
lentement : « J'espère, écrivait le comte (2) de Broglie,
que M. de Zuckmantel et moi, nous vous donnerons le
temps d'arriver. Quant à moi, jo crois pouvoir vous en
répondre, surtout si M. de Buckeburg (3) ne va pas plus
vite. Il est cependant venu à bout d'achever sa seconde
parallèle. Ils ont aussi construit des batteries et tirent de-
puis le 10 avec treize pièces de canon et deux mortiers.
Jusqu'à présent, ils font plus de mal à la ville qu'aux
fortifications et à nos troupes. Les plus habiles ignorent
le but qu'a son artillerie; la nôtre (]ue je ménage avec
soin fait assez d'effet, et j'ai des munitions pour tirer en-
core pendant 30 jours à mille coups par jour, ce qui est
beaucoup plus que je n'en tire ordinairement. » Ces bons
avis décidèrent le maréchal à ne pas renouveler les pour-
(1) Vault à Broglie, Gottingen, Il mars 1761. Archives de la Guerre.
(2) Comte de Uroglie au inarcclial, Cassel, 14 mars 17(11. Archives de la
Guerre.
(3) Autre litre du comte de Schuumburg-Lippe.
COMBAT DE GRUNBEHG.
811
parlers qu'il avait été autorisé à ouvrir pour l'évacuation
des deux forteresses. Cependant, il ne croit pas possible
d'efFectuer la traversée de i'Olim par une attaque de front ;
])eut-être atteindra-t-il son objectif par un mouvement
tournant, mais (1) : « Si d'ici à quatre jours les ennemis
ne s'en vont pas, nous serons obligés de faire rétro-
grader notre droite. »
Le 19 mars, Broglie visita le château de Marburg dont
l'investissement avait été levé. Le même jour, l'aide de
camp de la Rozière, avec une patrouille de Fischers,
faillit surprendre le prince Ferdinand; une décharge
dispersa l'escorte ; sur place on ramassa « plusieurs cha-
peaux bordés d'or et des sabres d'officiers » ; entre autres
trophées on rapporta la lunette (2j du prince que Broglie
lui renvoya fort gracieusement le soir même. Une ren-
contre plus sérieuse eut lieu le 21 : Stainville avait
reçu ordre de se porter sur Laubach et Griinberg, pen-
dant que Clausen se dirigerait sur Stangenroth pour
inquiéter les confédérés qu'on savait postés dans les en-
virons de Griinberg. D'autre part , Ferdinand (3) se sen-
tant menacé sur sa droite, s'était décidé à riposter par
Uîc contre-attaque sur le centre de la ligne française;
t -.el effet, le prince héréditaire avec « 12 des meilleurs
' l .i' plus forts bataillons et avec 27 escadrons de ca-
vaici-i^ » fut chargé de pousser une pointe sur Griinberg
pour se rendre compte de « la véritable position des
quartiers ennemis et de faciliter au reste de l'armée les
moyens de déboucher sur eux ». Le prince en était
encore à sa reconnaissance du terrain quand le canon
se fit entendre du côté de Laubach; on apprit bientôt
que la division de Liickner, ([ui occupait cette localité,
était en pleine retraite. Il n'y avait pas un instant à
(1) Broglie à Choiseul, Giessen, 20 mars ITiîl. Archives de la Guerre.
('2) Manners, Life of Lord Granby, p. 189.
(3) Ferdinand à Iloldernessf, Tlialeni, 30 mars 1701. Record Office.
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318
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. V.
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perdre pour rasscml)ler les troupes et pour se retirer de-
vant les Français évidemment supérieurs en nombre,
liroglie ne laissa pas à son adversaire le temps d'achever
la concentration. Nous emprunterons (1) à son récit, d'ail-
leurs conforme à la version allemande, les détails du
combat : « Je joignis M. de Stainville en deçà de Griin-
berg sur la hauteur d'où je vis déboucher ses quatre
colonnes (des confédérés) qui arrivèrent en môme temps
en très bon ordre... Qi'elques coups de canon et de fusil
que nous entendîmes sur notre droite, et qui se rap-
prochaient toujours de noiib, nous firent connaître que
les ennemis avaient abandonné Laubach, et que M. de
Diesbach qui était chargé de cette attaque les suivait.
M. de Stainville fit avancer par la droite le régiment de
Scliomberg soutenu de la brigade de cavalerie allemande
pour monter sur la hauteur et couper la retraite au.v
troupes que M. de Diesbach poussait devant lui. L'infan-
terie marcha droit sur Griinberg, et M. de Scey qui s'é-
tait porté sur (a hauteur de la gauche avec les dragons
du Roy et de La Ferronnaye, eut ordre de s'avancer jus-
qu'à la hauteur de Stangenroth. »
Clauscn se montra en même temps sur la gauche avec
deux régiments de dragons et bon nombre de troupes
légères. Le prince héréditaire était posté au village d'At-
zenhain « qui est couvert par un étang et beaucoup de
ravins ». Menacés sur leurs deu.t tlancs, les confédérés
ne défendirent pas leur position. « De ^.e village nous
vîmes sortir un gros corps d'infanterie en colonne et quel-
ques escadrons qui prirent le chemin du bois qui en était
très proche. M. de Ciozen se mit i. la tête des deux esca-
drons qui formaient le régiment de Caraman, et suivi des
deux d'Orléans et des volontaires à cheval, marcha à la ca-
valerie qui gagna le bois sans l'attendre, et se rabattant
(1) Broglie à Choiseul, Giessea, 22 mars 17GI. Archives de la Guerre.
DÉFAITE DU PRINCE HÉRÉDITAIRE.
319
ensuite sur sa gauche, il attaqua avec tant d'audace et de
vivacité ia colonne d'infanterie, malgré Je feu qu'elle
faisait, qu'il la perça et la longeant ensuite de la queue ù
la tête, y mit le plus furieux désordre et y fit beaucoup
de prisonniers. Les dragons de la brigade du Roy les joi-
gnirent alors, et tous ensemble poussèrent avec la môme
vivacité les ennemis jusques au delà d'un bois clair. En
arrivant dans la plaine, ils furent re<;us par la cavalerie
ennemie qui les chargea et comme ils étaient assez en
désordre, ils turent repoussés jusqu'au second escadron
de La Ferronnaye qui fit ferme et la chargea à son tour,
favorisé par une décharge de mousquctcrie des volon-
taires de Saint-Victor. Les ennemis plièrent; tous les vo-
lontaires et dragons se mirent à leur suite et les pous-
sèrent jusqu'au village de Burgemunde où ils repassèrent
l'Ohm en très grande confusion. »
L'attitude énergique de Liickner et une faute de la bri-
gade de Uoyal Allemand sauvèrent les confédérés d un dé-
sastre. Royal Allemand avait reçu l'ordre de tourner le
bois et de prendre position dans la plaine que l'ennemi avait
à traverser pour gagner Burgemunde; mais il se laissa
arrêter par le feu d'une batterie que Liïckner avait
établie sur les hauteurs du village de Niedcr-Ohmen, et
devant laquelle il aurait fallu défiler.
D'après le rapport de Ferdinand, son neveu aurait été
surpris et « enveloppé de tous côtés à la fois par des
gros de cavalerie et par des colonnes d'infanterie. 11 aurait
pu, malgré leur nombre, se débarrasser de leurs mains,
du moins sans aucune perte considérable, si l'infanterie
oiit fait tout ce qu'elle devait faire, et si la cavalerie
ne l'eût lâchement abandonné ». De l'aveu du prince,
la déroute fut complète : « Deux bataillons d'Iiiiholf, un
bataillon du régiment du corps, le régiment de Roedcn
et une partie de ceux d'IIalberstadt et de LafTert, furent
forcés de mettre les armes bas. » Deux mille prison-
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830
LA GUE:I.Œ de sept ans. — CHAP. V.
niers, 11 canons, 19 drapeaux restèrent au pouvoir des
vainqueurs. Ceux-ci n'eurent qu'environ 200 liommes
hors de combat. Parmi les confédérés tués et blessés,
beaucoup plus nombreux, fut compris le g-énéral Roeden
qui refusa de se rendre et fut tué par un dragon de Ca-
raman.
Comme conséquence de la défaite du prince hérédi-
taire, Ferdinand s'était attendu (1) à une attaque géné-
rale de la part de Broglie; celle-ci ne s'étant pas pro-
duite au cours des deux jours qui suivirent l'aifaire, il se
décida à continuer sa retraite. Dans une letlre au roi de
Prusse (2), il expose les raisons qui l'ont amené à cette
résolution : « Ce n'est pas cette perte (le combat de Grun-
berg) seule qui m'accable; le manque de subsistances s'y
joint, et l'ennemi étant parvenu à me couper les seules res-
sources que j'avais, il ne me reste d'autre parti qu'à opter
entre l'alternative de me replier ou d'attaquer l'armée en-
nemie. En me repliant, je dois le faire jusqu'à me mettre à
portée du Weser, sans quoi tout doit périr de faim, vu que
j'entre dans cette partie de la Hesse qui n'est plus qu'un
désert affreux. En attaquant l'ennemi, je ne puis le faire
qu'en sortant de mes avantages, pour l'attaquer dans les
siens. Il faut passer l'Ohm pour marcher sur GrOnberg et
Giessen oîi le gros de l'armée française se trouve encore;
pendant que j'exécute ce mouvement, je me mets les troupes
du Bas-Rhin qui sont à Marburg et à Wetter à dos; si je
marche sur celles-ci, le maréchal passe l'Ohm et se met
sur mon flanc. Si je suis battu, nous sommes absolument
perdus sans ressource. Je n'aime pas à grossir les ob-
jets, mais je crois pouvoir évaluer l'armée française à
40.000 combattants. J'ai tout au i)lus 16.000 hommes
d'infanterie et 5.000 chevaux. C'est en quoi toute l'armée
(1) Ferdinand à Holdernesse, Thalcm (Dalheiin). 30 mars 17G1. Record
Office.
(2) Ferdinand à Frédéric, Maulbacii, 23 marsl'Gl. Wcstplialcn, V, p. 220.
COMBAT DE LEINSFELD.
^•>.\
consiste, exclusivement 8 ou 10.000 hommes qui sont
devant Cassel. » Ferdinand dépeint le délabrement de
ses forces, surtout du contingent anglais : 8 bataillons
anglais qui sont îivec lui ne font pas effectivement 700 boin-
mes quoiqu'ils n'aient pas été au feu : « Dans cette situa-
tion, conclut-il, je pense ([ue le meilleur est de nie repliei-
à petits pas; peut-être gagnerais-je encore 8 jours avant
que l'ennemi puisse s'approcher avec le gros de son
armée de Cassel. Si en attendant la ville tombe, je
pourrai me relever, si elle ne tombe pas, mon expédi-
tion est manquée... S'il me reste un rayon d'espérance,
c'est celui de voir promptement reparaître sur la Werra
un corps de troupes prussiennes; si V. M. me refuse ce
secours, je dois tout abandonner à mon étoile. »
Conformément au parti adopté, le gros des confédérés
leva son camp daus la nuit du 23 au 2ï mars et gagna
en deux marches les environs de Ziegenhayn, où il ne
séjourna qu'un jour; le 26, Ferdinand avait son quartier
général à Braunau, près de Wildungen; le lendemain,
son armée franchit l'Eder enire Fritzlar et Weden et,
le 30 mars, lavant-garde était contonné'î sur la rive gau-
che de la Dymel; de Braunau, le prince avait écrit au
comte de Lippe de préparer la levée du siège de Cassel.
Au cours de ce recul de huit jours qui avait conduit les
confédérés des bords de l'Ohm à ceux de la Dymel, il y eut
des rencontres, toutes à l'avantage des Français. Soit
manque de vivres, soit prudence stratégique, Broglie
n'essaya pas de profiter du succès de Grimb^rg pour
entamer l'adversaire; il se borna à pousser un détache-
ment sous Lorigny, dans la direction de Corbach, avec
ordre de détruire ses magasins et d'inquiéter son flanc
droit. Aussitôt prévenu du départ dos confédérés, il les
lit suivre par Rochambeau et Montchenu (qui remplaçait
Clozen blessé à Griinberg) avec les troupes légères et un
contingent de cavalerie.
(iUEllRE DE SKI'T ANS. — T. IV.
21
M
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322
LA GUERRK DK SKI'T ANS. — CHAP. V.
Le 25 mars (1), Montchenu arriva à Zicgenhayn, em-
prunta à la garnison deux canons et quelques piquets
d'infanterie, et se mit à la poursuite du corps de Schleiter
qui venait d'abîindonner l'entreprise contre la place et
qui était en route pour rallier l'armée de Ferdinand. Il
rejoignit les confédérés, « les chassa du village de Leins-
feld où ils s'étaient arrêtés, quoiqu'on ne piU y abor-
der que par une digue entre deux marais; et les ayant
suivis au delà de ce village, M. de VignoUes attaqua
si vivement, avec les volontaires soutenus des dragons,
une colonne d'infanterie qui se retirait dans le meil-
leur ordre, que s'étaiit jeté lui sixième au milieu du
bataillon <pie faisait l'arrière-garde, il y prit lui-même
un drapeau et un de ses volontaires un autre, et mit un si
grand désordre dans la colonne que l'on prit encore un
troisième drapeau, deux pièces de canon, les généraux
majors de Zastrow et de Schleiter, une douzaine d'officiers
et au delà de 300 prisonniers ». Broglie, de la relation
duquel nous avons tiré ce récit, ajoute certains détails
sur le siège : « Cette affaire finissait comme j'arrivais
au delà de Ziegenhayn, et j'y vis rentrer les drapeaux,
le canon, les généraux et les prisonniers. M. le marquis
de Poyannes et M. de Rochambeau vinrent m'y joindre,
et y couchèrent ainsi que moi; le gîte ne fût pas bon,
les bombes ayant presque entièrement détruit les maisons,
et il on reste à peine quelqu'unes d'habitables. Les
ennemis n'ont presque pas tiré contre les fortifications,
et ils ont paru n'en vouloir qu'au dedans, et espérer par
là de faire rendre la place. M. de Zuckmantel est très
content de sa garnison et sa garnison de lui; elle a
témoigné beaucoup de courage et de gaieté, quoique très
incommodée des bombes et des boulets rouges. »
Le 26, il y eut une petite escarmouche entre le prince
(1) BrogUe à Choiseul, Tieyza, 27 mars 1761. Archives de la Gui'irc.
FERDINAND SE RETIRE SUR L\ DYMEL.
8!i3
;e
héréditaire, qui faisait rarrière-garde des confédérés, et le
général de Poyannes. A noter un incident qui illustre les
mœurs militaires de l'époque. « Peu de moments aupa-
ravant, écrit Broglie, M. le Prince s'était avancé à son
ordinaire pour parler et avait eu une conversation avec
M. de Rochamheau; M. de Poyannes y était aussi venu sur
la fin. » L'entretien à peine achevé, le combat com-
mença; il se termina par la capture d'un aide de camp
du prince, le colonel Jeanneret, commandant des hus-
sards de Malakowsky et d'une soixantaine de hussards;
les cavaliers français s'étaient emparés de 4 canons, dont
ils ne pureni emmener qu'un seul. Au passage de la
Schwalm, Broglie, qui s'était joint à son avant-garde,
chercha sans succès à entamer la division de Lûckner.
Ce général « a très bien manœuvré toute la journée, et
il faut que son infanterie ait presque toujours couru pour
avoir pu s'éloigner avec la rapidité qu'elle a fait la
vivacité de cette reconduite encourage nos troupes et
ne donne pas sûrement de l'audace aux leurs. Tous les
prisonniers et déserteurs disent qu'il y a quinze jours
qu'ils couchent au bivouac, sans entrer dans les vil-
lages; ils sont très déguenillés et paraissent soulfrir beau-
coup ».
Malgré la démoralisation qu'il constate chez les en-
nemis, Broglie ne peut croire (1) qu'ils abandonnent la
ligne de l'Eder; cependant dans l'espoir de les déter-
miner à un nouveau recul, « il fera marcher une grande
partie de l'armée pour se rapprocher de Ziegenliayn dans la
journée du 29. Comme M. de l'Isle, faute de caissons, ne
peut pas me fournir du pain, plus loin que cette place, je
serai obligé d'attendre la distribution du 31 pour faire un
mouvement en avant sur la Schwalm, qui ne peut être de
durée, dont je n'espère pas le succès que j'en désire,
(1) Broglie à Choiseul, Treyza, 28 mars 1761. Archives de la Guerre.
iS
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834
LA GUKRIIK DK SKl»T ANS.
CHAI». V.
mais que je serais, je crois, coudamiuiblc de ne pas teuter,
vu qu'il ne me compromettra point, et que s'il y a un
moyen de faire retirer reiinemi, c'est de lui faire crain-
dre d'ôtrc attaqué, ((uoique dans le poste qu'il occupe
cela soit aussi impossible que dans celui derrière la
Dymel ». Dans une lettre auto^^raphe écrite le lendemain
à Choiseul, il revient sur son projet de la veille et le
confirme. « Si Cassel était muni de magasins de vivres
et de fourrages pour pouvoir nourrir l'armée seulement
pendant deux ou trois distributions, je vous répondrais,
je crois, d'y pénétrer soit par Ja rive droite de la Fuide,
soit par l'Eder, mais si nous approchions de cette place,
nous l'alfamerions dans un moment, et l'armée ne pourrait
séjourner à portée, aussi longtemps qu'il serait nécessaire
pour y faire parvenir un convoi de farines suffisant pour la
ravitailler. Il faut donc se borner à ce que je vous marque
dans ma dépêche : avancer l'armée jusqu'aux environs
de Ziegenhayn et Treyza, y prendre notre pain le 31,
nous avancer ensuite par notre droite vers la Fulde et
l'Kder, faire mine de vouloir attaquer les ennemis, cher-
cher à le leur faire craindre, et voir si cela les engagera
à quitter Fritzlar; ils ne le feront certainement pas pour
cela, à moins qu'ils n'y soient forcés par la faim, ou
qu'une terreur panique ne se soit emparée d'eux, ce qui
n'est nullement croyable »
Quelques heures après avoir tracé ces lignes, Broglie
apprit à la fois un succès d'un de ses subordonnés et
la levée du siège de Cassel. I^e premier fait n'avait
qu'une importance très relative : Dorigny, qui avait été
dépêché pour inquiéter les derrières de l'armée confé-
dérée, avait cerné et fait prisonnier un bataillon de la lé-
gion britannique détaché au blocus de Waldeck; il fut
grièvement blessé dans l'action.
Les incidents qui terminèrent le siège de Cassel néces-
sitent quelques développements : En dépit de l'échec du
LEVEK DU SIKGE DE CASSEL.
:J25
7 mars, les travaux d'approche avaient (Hé repris; une
nouvelle sortie de la garnison, effectuée dans la matinée
du 17, avait été repousséc, mais malgré ces résultats pm-
liels Lippe se montre (1) peu confiant diiiis l'issue
finale, « Il est fort incertain si je prendrai la place avec les
forces qu'il y a ici.,. COO hommes de ce corps sont péris
au siège, sans ce qui est mort de maladie, et je ne vois
arriver ni recrues, ni reconvalescents. »
Au contraire, le comte de Hroglie était plein d'espoir,
Kn rendant compte à son frère, il donne (2) son avis sur
la rédaction du projet de capitulation que la cour de Ver-
SJiilles avait autorisé, mais il ne croit pas l'instant venu
d'entrer en pourparlers, car il a encore des munitions
pour un mois; il avait consommé 4,355 coups de canon
et 82.000 cartouches, alors (ju'il reste .'}0,000 des premiers
et 1 million des secondes. Cependant, s'il est obligé de né-
gocier, il préviendra le comte de Lippe (ju'il a pour ins-
truction de brûler la ville neuve, l'orangerie et générale-
ment tous les faubourgs ou entours de la ville au moment
où le siège commencerait à. prendre une forme sérieuse,
« S'il vient à consentir à la capitulation, de rendre la ville
en sortant avec tout, ce sera à vous de décider, étant instruit
de notre situation. S'il m'otfre cette capitulation sans me
permettre d'envoyer prendre vos ordres, je l'accepterai
et la ferai en même temps pour Gottingen comme vous
me le prescrivez; je compte que cet article ne souffrira
pas beaucoup de difficultés de leur part. Si enfin ils ne
veulent m'accorder d'autre capitulation que prisonniers
de guerre, je ferai brûler orangerie, ville neuve, fau-
bourgs, etc. Nous nous défendrons ensuite jusqu'à la der-
nière extrémité , souiiaita nt ardemment que cela vous donne
ou à l'armée du Bas-Rhin, le temps de nous secourir »
(1) Scliaumburg-Lippe à Fenlinaiul. Wolfsan^er, 17 mars l/fll. Weslpha-
leii, V, p. 190.
(!?) Comte de Broglie au Mairchal, 21 mais 17G1. Archives de la Guerre.
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LA GlIKHRK DK SKPT ANS. — CHAP. V.
En aftcndant. les opérations cootinuaiont : le 2.'î, los
Ilanovi'iens enlovèront une limette faisant partie des
ouvr.iges extérieurs, mais elle fut presque aussitôt re-
prise par deux bataillons de Belsunce. Le 25, Lippe, en
ré[)oiise (1) à l'avis le prévenant de la retraite des
confédérés sur l'Eder, prie le prince Ferdinand de
veiller îV la couverture du siège , dont les travaux
absorberont tout ce qu'il y a de disponible; plusieurs
de ses pièces sont hors de service, deux pièces de 2ï
sont crevées, les servants font défaut; « l'artillerie de la
place a trop de Jeu; le nombre de pièces de batteiie
que nous avons ici est trop petit pour faire taire en peu
de temps l'artillerie de la place ».
A la réception de cette dépêche, Ferdinand renonça à
tout espoir de s'emparer de Cassel, ne pensa plus qu'il
lever le siège sans perdre ses canons et sans être entamé
par l'ennemi; il donna des instructions en conséquence.
L'évacuation des tranchées s'accomplit (2), le 28, à six
heures du matin, sans autre opposition qu'une canon-
nade plus bruyante qu'efficace; les canons et mortiers
furent embarqués sur les bateaux qui les avaient appor-
tés, la troupe sortit « tambour battant et enseignes dé-
ployées » et alla s'établir sur les hauteurs de Wolfsanger.
Dans la nuit du 28 au 29, le maréchal de Broglie fut
avisé du départ de Lippe; il annonce (3) aussitôt à
Choiseul son intention de se rendre à Cassel et ajoute :
« .l'envoie des ordres aux troupes qui étaient en marche,
pour s'arrêter où elles sont, et dès demain, je ferai une
disposition pour un emplacement général de quartiers et
pour renvoyer les troupes du Bas-Rhin. » Broglie fit son
(1) Schaumburg-Lippc à Ferdinand, Wolfsanger, '25 mars 1761. Westplia-
len, V, p. '2'25.
{'i) Schaumburg-Lippe à Ferdinand, liiringshausen, 28 mars 1761. Westplia-
Ien,V, p. 241.
(;i) Broglie à Choiseul, Treyza, 29 mars 176*. Arcfiives de la Guerre.
imoc.UK RKISTRK A CASSKL.
327
entrée à Cnssel le -2!), escorté de 'i.'iO chevaux de la légio» ;
il lit poursuivre les confédérés et leur enleva 2(H) ti'ai-
nards. « dette armée, écrit-il (1) d propos de l'adversaire,
•'st dans le délabrement le [)lus .^rand et man(|ue absolu-
ment de tout. " Aussi est-il complètement rassuré sur la
tran(piillité dont jouiront ses soldats, qu'il va installer
dans leurs quartiers d'hiver : « Comme le pays est totale-
ment mangé et que les troupes que j'aurais fait venir jus-
qu'ici n'auraient pu y subsister que du petit magasin ([ui
est dans cette place qui aurait été bientôt épuisé, je les ai
fait demeurer dans leurs cantonnements, en sorte qu'il
n'y a pas ï.OUO hommes ([ui aient passé la Schwalm, et
que 250 chevaux de la légion sont les se t;s troupes qui
soient venues à Cassel. J'ai fait aujourd'hui l'arrangement
général pour le renvoi des troupes du Itas-Khin à
Cologne, et de celles qui restent à mes ordres pour aller
dans leurs quartiers. Comme il est certain que les ennemis
ne repasseront ni la Dymel ni l'Kder pour venir nous
rattaquer, je n'ai eu égard dans la disposition que j'en
ai faite qu'à la commodité des subsistances et des répara-
tions, et j'espère moyennant cela que l'armée sera réparée
avant que les subsistances permettent que la campagne
s'ouvre. » En ce qui le concerne personnellement :
« Je resterai à (ïassel encore 8 ou 10 jours pour me re-
poser un peu, en ayant grand besoin; je visiterai, si je
puis, Gbttingen et Waldeck, et je me rendrai à Franc-
fort vers le 15 du mois prochain. »
F^a défense de Cassel fait honneur au comte de Broglie ;
livré à ses propres ressources depuis le 14 février jus([u'au
28 mars, il s'employa activement à compléter les forti-
fications de la ville, effectua plusieurs sorties heureuses et
répondit victorieusement au feu de l'assiégeant; sur un
ell'ectif de 7.718 fantassins et 375 cavaliers, il perdit
(1) Broglie à Choiseul, Cassel, 31 mars 17G1. ArchiTCS de la Guerre.
i;
1 1
!
II
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338
I.A C.llKRUK 1)K Si:i»T ANS.
CIIAl». V.
655 tués et l)lessés. Il avjiif nirecté les Icniples protes-
tants (le la ville au service iles ambulances et, pour inti-
niidor la popiiJation, avait fait dresser wnvt [)otence sur
la place. « (Vest le seul ac(«! de sévérité, écrit-il (1) à
(llioiseul, au([uel j'ai été ol»li,yé. » Comme récompense, il
obtint le gouvernement de (^assel, aux appointements de
12.000 livres avec promesse d'équivalent à la paix.
Le commandant de (iliittingen, le comte de Vault, avait
é.nalement droil h des éloges; profitant de la liberté rela-
tive (juelui laissèrent les détachements confédérés chargés
de surveiller la j)lace, la garnison exécuta des excursions
brillamment menées, dont la dernière eut lieu le 27.
Vault, dans sa lettre (2) de félicitations au gouverneur de
Cassel, en fait la relation : « M. le vicomte de Belsunce et
M. de Durfort ont battu le 27 M. (îolignon, le Prussien, à
Northeim, où il faisait le fanfaron depuis plusieurs jours.
On l"i a taé 00 hommes, fait prisonniers llk soldats et
H ofliciers <'t pris deux pièces de canon. M. de Hclsunce
est retourné à la chasse hier au soir, et il ne reviendra
pas, suivant les apparences, les mains vides. J'espère qm*
la con.munication de (lottingen à Cassel sera ouverte de-
main, si elle ne l'est pas déjA. J'ai ici huit cents prison-
niers dont je voudiais fort être débarrassé; je vous prie
d(^ rae faire l'honneur de me rnand* r s'il est temps «pie je
les renvoie. » Kn ce qui regarde le compte des prison-
niers, la campagne d'hivei' de Ferdinand avaiteu pour ell'et
de diminuer, dans une large mesure, le compte juscpi'alors
favorable aux confédérés. Dans une de ses premières
lettres de Cassel, le maréchal d( Hroglie mande à Choi-
seul qu'il vient de rappeler de l'Alsace 3.000 hommes ((ui
attendaient leur échange; il désire donner un tour de
(1) Coinlc tic Itro^-lic <\ (îhoi.seul, Ca.sscl, .t avril IVC)!. Airliivcs ili' la
r.ucrrc.
(:>) Vaul! au comte de hroj^iie, ndtlingoii, 30 mars 17(11. Archives de la
Guerre
■■*;v. -r
PERTES DKS CONKÉDKRÉS.
3'.^.»
choix aux soldats dos troupes légères et aux dragons d<'
Schombertr. ' ' i
Broglic évalua iï 18.000 hommes la perte de rarnu'e
du prince Kordinaïul pendant les mois de février et de
mars 1701, Cv calcul parait exagéré, mais jI en juger par
la réduction des ed'octifs que signale Ferdinand (1) dans
sa correspondance avec la cour de Londres et le roi de
Prusse, le déchet dut être important : « Tout le fruit de
cette expédition, écvit-il à Iloldernesse, se réduit à la prise
et à la destruction des magasins que l'ennemi avait sur la
Fulde et sur la Werra ; ce qui ne saurait manquer de re-
tarder sa campagne. Si je gagne six semaines de temps,
j'espère (jue les tr()up<'s lianovrieitnes se pourront refaire,
à moins que les maladies ne continuent A faire des ra-
vages. Le duc, mon frère, vient de ni'assurer que ses
troupes, qui ont le plus souffert, tant dans cette expédi-
tion que précédemment, par les maladies, seront remises
en état de servir k la lin du mois d'avril. Mais les troupes
hessoises ne pourront point se c(»m|déter; et si môme les
maladies, qui régnent encore, cessent, je crains heau-
c<)U[> qu'il y reste nn vide considérable. Onanl aux
troupes britanniques, il faut de nond)ienses recrues, et
je ne saurais m'empècher de témoigner i^i V. Kxcellence
que, si Ton ne nous en envoyait de boime heure et ù
temps, il ne faut point espérer d'en tirer le service cpi'il
serait à souhaiter d'en pouvoir tirei'. Avec tout ceci, je
ne <lois pas cacher à V. K. (|uc, (pioi(pi(' le pied de l'armée
passe les 90.000 hommes, je n'ai jamais pu disposer en-
core de 70.000 condjaltanis, même dans le temps on
l'armée était dans l'état le plus (lorissanl. Il n'y a pas
moyen de se flatter (pu», (piehpie peine cpie je me donne,
je puisse parvenir à remettre un pareil nombre sous les
(1; FtMdinand fi lloldoriiossc, Tlmloiii. .10 mars 17(;i. Ilocord OITko.
Fi'rdin.iiul ù Fit'idcrir, llriiniu% :tl mais I7<»l. NVt'sl|ilialcii, V, p. (52.
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LA GUERRE DK SEPT ANS.
CHAP. V.
armes, surtout si la campagne dût s'ouvrir pendant le
cours du mois de mai. Les ennemis ont eu très peu de
malades on comparaison des nAtres. »
A partir du l^"" avril, les hostilités cessèrent de part et
d'autre. Ferdinand conserva un cordon de troupes sur la
Dymel, dont la défense fut assurée par la coustruction de
nombreuses redoutes ; le reste de l'armée alla se reposer
et se réparer en Westphalie, dans l'éveclié de Padcrborn
et le long- du Weser. Du côté français, les garnisons de
Gottingen et des places de la liesse furent relevées et rem-
placées par des etfectifs plus réduits ; une vingtaine de
bataillons cantonnèrent à Hirschfeld et dans la vallée de la
Fulde; les régiments venus du Rhin furent restitués au
corps de Soubise qui se réunissait sur ce fleuve ; ceux qui
devaient faire partie du commandement de Broglie refluè-
rent sur Francfort, Hanau et les vallées de la Lahu et du
Mein. Le maréchal de Broglie, accompagné de son frère,
s'établit de nouveau à Francfort et s'occupa activement
des préparatifs pour les opérations de l'été.
En résumé, la campagne de 1760 avait duré 9 mois;
marquée au début, comme celle de 1759, par de brillants
succès pour la cause française, elle avait traîné en lon-
gueur depuis la prise de Cassel. Les deux adversaires n'a-
vaient obtenu d'autre résultat que de se tenir mutuelle-
ment en échec. Si Ferdinand avait empêché Broglie
d'envahir le Hanovre, par contre il n'avait pu le chasser
de la Hcsse; sa diversion sur Wesel et la rive gauche
du Rhin avait échoué et malgré le vigoureux elfort
de février 1761, il s'était vu obligé d'abandonner aux
Français la Hesse un moment reconquise. Rien à critiquer
dans l'expédition qui se termina par la défaite de Closter-
camp. Quant à la seconde tentative, peut-être le prince
n'aurait-il pas dû essayer une entreprise pour laquelle
il ne disposait pas de moyens adéquats; mais il serait
injuste de ne pas reconnaître la hardiesse de la concep-
RÉSUMÉ DE LA CAMPAGNE.
331
tion, le secret, la promptitude do rexéciition. A n'en
pas douter, Broglie fut surpris : le renvoi d'une grande
partie de ses troupes dans leurs quartiers d'hiver, son
ignorance du retour de Westphalie du prince héréditaire,
surtout son projet de voyage à Paris sur le point de
s'accomplir, l'ensemble de ses dispositions, suffisent am-
plement <à le démontrer. La retraite rendue nécessaire
par la défaite des Saxons et par la crainte justifiée de voir
les Prussiens poursuivie leurs avantages jusqu'à la
Werra, parait trop précipitée à partir de Fulda où il au-
rait été possible de se maintenir plus longtemps. L'appel
des renforts du Bas-Rhin, la reprise immédiate de
l'otfensive aussitôt ces renforts arrivés, sont à son éloge,
mais on peut relever quel([ue lenteur dans ses mouvements
et trop de prudence après le succès de (irïmberg. Au sur-
plus, c'est à la belle défense de Cassel, facilitée par l'in-
capacité du comte de Lippe, qu'il faut attribuer la faillite
du prince Ferdinand. Malgi'é des fautes de détail, le ma-
réchal de Broglie fit preuve de talents milit ires incontes-
tables, conserva, ce qui n'avait pas eu lieu jusqu'alors,
les territoires conquis pendant la campagne, et, dans le
commandement des armées françaises, se montra fort su-
périeur à ses prédécesseurs.
t
CHAPITRE VI
PERTE DU CANADA
SITl'ATlOV AU COMMENCKMENr DK 1760. — BATAILLE I)K
SAlNTE-hOY. SIKGK l)E yi'ÉBKC PAR LKVIS. ~ ARRIVÉE
l)E LA FLOTTE ANGLAISE. — ÉVACUATION «E l'iLE AUX
NOIX. — PRISE DU FORT LKVIS. CAPITULATION DE
MONTRÉAL. PROCÈS DE BIGOT ET DE SES ASSOCIÉS.
Le dernier hiver de la domination française au Canada,
celui de 1759 à 1760, fut singulièrement sombre. Depuis
de longs mois, aucune nouvelle directe de la métropole :
Le chevalier Le Mercier, qui était parti en novembre avec
une mission pour la cour, avait-il pu échapper aux croi-
sières anglaises? En supposant une traversée heureuse,
pouvait-on espérer que le cri de détresse de la colonie se-
rait entendu, que le gouvernement de Louis XV risquerait
renvoi de renforts qu'il avait refusés, l'an passé, au plai-
doyer de Bougainville? Alors la province était à peu près
intacte; mais au cours de la campagne de 1759, la situa-
tion avait bien empiré. Les Anglais, maîtres de Québec et
de tout le bas Saint-Laurent, étaient à même d'intercepter
les secours de France; la portion du territoire encore
française s'était rétrécie ; Niagara, la meilleure forteresse
du Canada, avait été prise; perdues les communications
avec l'immense région qui s'étend de la Monanguehela
jusqu'aux grands bois et jusqu'au Mississipi; les comp-
toirs du pays d'En Haut, toni])és aux mains des Anglais ou
complètement coupés du Canada , privés de débouchés
MISSION DE LE MERCIER.
33.1
tout autant que de marchandises, attendaient la fin de
la guerre pour connaître le sort qui leur serait réservé.
Trois attaques étaient à prévoir ; Québec, le lac Ontario,
le lac Champlain, seraient les points de départ des expé-
ditions convergentes que l'ennemi dirigerait sur Montréal
et qui auraient pour objectif d'acculer et d'anéantir,
sous les murs de cette ville, la poignée de défenseurs qui
auraient survécu aux premiers combats. A l'invasion, quels
obstacles pouvait-on opposer? De places fortes, il n'y en
avait plus depuis la reddition de Québec, de Niagara et
la destruction de Carillon, car il eût été ridicule d'hono-
rer de ce titre les forts de pieux, simples ouvrages de
campagne, dont les remparts, faits de terre et de troncs
d'arbres et couronnés de palissades, étaient incapables de
résister à l'artillerie. En fait de soldats, on n'avait que
i.COO hommes tant d'infanterie de ligne que de troupes
coloniales et à peu près 8.000 miliciens. D'autre part, les
accessoires indispensables pour la guerre, canons, muni-
tions, habillements, souliers, provisions de tous genres,
faisaient complètement défaut ou étaient en quantité déri-
soire. Cet état (le choses avait été exposé dans les dépê-
ches dont Le Mercier fut le porteur. Il se résume dans
les derniers mots de la lettre du chevalier de Lévis au
maréchal de Belleisle : « Si le Roi ne juge pas devoir nous
donner du secours, je dois vous prévenir qu'il ne faut plus
compter sur ne us à la fin du mois de mai. »
Le Mercier, peu de jours après son arrivée en France,
avait remis à la cour un mémoire (1) dans lequel il rap-
pelait les maux et les souffrances que ses compatriotes
avaient supportés : « Ils se flattent encore que si leur
sensibilité peut parvenir au pied du trône, que S. M.
n'abandonnera pas des sujets qui n'ont cessé do donner
des preuves <le zèle, d'amour et de soumission. L'escla-
(1) MOnioire de Le Mercier, Versailles, 7 janvier 17G0. Archives des Colo
nies.
33 i
LA GUERHE DE SEPT ANS. — CHAP. VI.
l
vage leur sera d'autant plus douloureux qu'ils ue con-
naissaient que la victoire. » La pifjcc se terminait en sou-
mettant à l'appréciation royale les alternatives suivantes :
« 1° Que de tous les avantages le plus giand pour la co-
lonie serait la paix;
2° Que si S. M. ne veut ou ne peut faire la paix, il faut
envoyer des secours de toutes espèces desquels on puisse
s*» pfcmetire de prendre Québec en arrivant, et pouvoir
ensuite se soutenir contre les* différentes tentatives de
l'ennemi;
3° Que si le Roi ne peut envoyer des secours suffisants
pour s'emparer de Québec, que la colonie ne pourra se
défendre pendant l'été, et qu'il serait à désirer que S. M.
onvoy.^t des ordres à son gouverneur général, afin qu'il
puisse obtenir une capitulation pour la colonie, relative à
ses vues;
ï° Quelque parti que S. M. prenne, il serait avantageux
que l'on en informât de suite le gouverneur général, afin
qu'il se préparât à l'exécution. »
Malgré la précision de ces conclusions, malgré l'insis-
tance avec laquelle Vaudreuil et Lévis étaient revenus sur
la nécessité de recevoir de l'aide dans les tout premiers
jours de mai, la petite flottille fraui^'aise chargée du maté-
riel et des munitions indispensables au salut du Canada ne
débouqua de la Gironde que le 10 avril et n'arriva dans
l'estuaire du Saint-Laurent que le 14 mai. L'escadre an-
glaise l'avait précédée de six jours et avait déjà remonté le
fleuve ; M . d'Anjac, commandant du convoi français, qui n'a-
vait pour escorte que 3 petits bâtiments de guerre, fut obligé
de se réfugiei' dans la rivière de Ristigouche, en Acadie,
où il demeura inactif jusqu'au mois de juillet, époque â
laquelle ses navires lurent attaqués et détruits par les An-
glais. Le Canada ollait donc être réduit à ses propres forces.
La mauvaise saison s'était écoulée sans événement im-
portant. Depuis la prise de Québec, la ligne de démarca-
}{
POSITION DES BELLIGERANTS PENDANT L'HIVER.
335
tion restait fixée à la rivière du Cap Uouge, à 3 lieues
de la ville; les avant-postes français avaient pour point
d'appui un fort de pieux construit pendant l'automne
à l'embouchure de la rivière Jacques-dartier ; le général
Murray, gouverneur britannique de Québec, avait établi les
siens dans les villages de Saintc-Foy et de Vieille Lorettc.
Au débouclié du lac Ghamplain, on conservait de part
et d'autre les positions de l'automne, les Frani^ais à leur
nouveau fort, dans l'Ile aux Noix, barrant le passage entre
le lac et le Saint-Laurent; les Anglais dans l'ancien fort
Saint-Frédéric qu'ils avaient rebîUi et considérablement
augmenté. Vers le lac Ontario, le premier poste fran-
çais était également une fortification en pieux, le fort L^vis,
récemment élevé dans une lie du Saint-Laurent, à peu
de distance de la Providence, mission indienne de l'abbé
Piquet. Le lac était au pouvoir de l'ennemi qui avait
réédifié le fort de Ghouaguen ou Oswego et qui depuis
1759 était maitre du fort Niagara. Pour épargner les vi-
v es, et conformément à la coutume des dernières années,
k l)ataillons de ligne avaient été cantonnés dans les vil-
lages et logés chez l'habitant.
Au cours de l'hiver, les effets de la prise de Québec com-
mencèrent à se faire sentir, non seulement dans la pro-
vince de ce nom, mais aussi dans l'Acadie. Le gouverneur
Murray inonda le pays (raffichcs remplies de promesses
et de menaces. Il encouragea les habitants à apporter
des provisions en promettant le paiement en argent
comptant et envoya des colonnes volantes réquisitionner
du bois de chaufTage et brûler les maisons des paysans
restés fidèles aux autorités françaises. Ces mesures entraî-
nèrent la soumission de onze paroisses des environs de la
capitale et amenèc^t la neutralité de nondireux mili-
ciens. Cependant, le contact ne fut pas perdu ; malgré la
défense de Murray, les communications demeurèrent ou-
vertes, le trafic entre Québec et Montréal se maintint et prit
lUr
^i I
88«
LA GUERRK DK SEPT ANS. — CHAP. VF.
même plus d'activité, grâce à l'apnort des marchandises
anglaises qu'on échangeait contre les pelleteries de l'inté-
rieur. Au surplus, beaucoup des habitants de la province
inférieure, lors du retour de Lévis et du second siège de
Québec, répondirent à l'appel de Vaudreuil et oublièrent
les engagements imposés pour se rallier au vieux drapeau.
11 n'en pouvait pas être de même pour les Acadiens,
dont les rapports avec le Canada français, toujours diffi-
ciles, étaient devenus presque impossibles depuis que
les Anglais étaient maîtres du bas Saint-Laurent. Dans la
correspondance de Vaudreuil, nous relevons une longue
dépêche au sujet des Acadiens; les débris de cette mal-
heureuse population qui avaient échappé à la dépor-
tation décrétée contre eux par les représentants du pou-
voir britannique, s'étaient réfugiés dans quelques localités
de la baio des Chaleurs, de la rivière Saint-Jean et aux
environs de Beauséjour, devenu fort Cumberland ; jusqu'à
la chute de Québec, ils avaient reçu du gouverneur géné-
ral des secours en vivres et en effets, et étaient restés en
relations avec le Canada. Les événements de la fin de 1759
modifièrent leur situation qui s'aggrava de jour en jour;
aussi commencèrent-ils à prêter l'oreille aux ouvertures
des autorités anglaises de Louisbourg. Ces fonctionnaires
firent répan Ire parmi eux (1) des proclamations les invitant
à la soumission et pleines de bonnes paroles : « Je suis com-
mandé de vous assurer par S. M. que vous jouirez de tous vos
biens, vos libertés et propriétés avec un exercice libre de
votre religion, comme vous verrez par le manifeste que j'ai
l'honneur de vous envoyer... Si vous doutez de la sincérité
de mon cœur, je suis prêt à échanger des otages. » Par
contre, le refus d'obéissance entraînerait les peines les
plus sévères et exposerait les récalcitrants à être passés au
til de l'épée. Soit conviction qu'il n'y avait plus rien à
(1) Commandant Schomberg au nom du général Whitemore, 2G oclobie 1759.
Archives des Colonie.*.
SOI MISSION DES PUKTRKS ACADIENS.
337
attendre de la cour de Versailles, soit désir de sauver leurs
ouailles de nouvelles pcrsccutions, soit cajolerie des mes-
sagers anglais, plusieurs des prêtres qui desservaient les
paroisses acadiennes exercèrent leur inthience en faveur
de la pacificalion. Vaudreuil fut avisé que l'abbé Mannacli
s'était rendu au fort Cumberland avec quntre délégués le-
présentant les villages de Miraniichi, (ïhibouctou, Boukloc
et Memenrenconick et avait entamé des pourparlers avec le
colonel Fraye, commandant du poste. L'abbé Coquart était
parti de Québec, sans permission de sonévêque, avec un
passeport du général Murray; aussitôt arrivé à la rivière
Saint-Jeaii, il avait fait sa soumission au commandant du
fort Latour 'es agissements de l'abbé Maillard et du père
Germain étaient suspects. Ces rapports, transmis par les
agents fran<;ais encore en Acadie, mirent le gouverneur
général en fureur : « A l'égard des missionnaires, écrit-il
au ministre (1), je n'éclaterai que lorsque nous serons
dans des circonstances moins critiques. » Boishébert qui,
depuis plusieurs années, commandait les quelques troupes
détachées en Acadie, se montre très sévère (2) vis-à-vis
des ecclésiastiques : « Qui est-ce qui peut vous autoriser
à engager les Acadiens à faire l'aveu aux Anglais qu'ils
sont leurs sujets, en se soumettant à eux? Vous voudriez
présentement qu'ils fissent leur paix particulière, parce
que vous y trouvez votre intérêt, ce n'était point autrefois
de même, car si nous avons la guerre et si les Acadiens
sont misérables, souvenez-vous que ce sont les prêtres
qui en sont la cause l'ai été envoyé sur cette côte poui'
les engager à persévérer dans l'attachement qu'ils ont té-
moigné jusqu'à présent pour la France, et j'ai le cha-
grin de voir que ceux qui devraient le plus les y entretenir
sont les premiers à les en éloigner ; il semble même que
vous vous êtes tous entendus pour cela. »
(1) Vaudreuil au Ministre, Montréal, (! mai Hfio. Arcliives «les Colonies.
(2) Boishébert à Mannach, Il février 17(iO. ^^rchives des Colonies.
<;UERKE I»E SEPT ANS. — T. l\ . 22
..-r
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LA OUKIIUK DK SKPT ANS.
(IIAP. VI.
Il est difficile de part<agcr la colère de Vaudreuil et
de son lieutenant qui avaient leur part de responsaNililé
dans les soull'rances des Acadiens ; sans doute l'accep-
tation des ollVes de l'ennemi n'était pas pour plaire, mais
quand on se rappelle lenduraiice sublime (juo ces infor-
tunés avaient déployée, les maux qu'ils avaient bravés pour
conserver leur nationalité, l'on ne saurait leur reprocher
qu'abandonnés de tous, sans espoir de secours, ils se
fussent résignés à écouter, malgré la défiance (1) (jne
l'expérience du passé leur inspirait, les propositions du
vainc^ueur, plutôt que de mourir de faim et de misère.
En fait d'hostilités, il n'y eut, durant la mauvaise sai-
son, que des escarmouches dont la plus importante, celle
de Lorette, fut un petit succès pour les Anglais qui chas-
sèrent, le 18 mars, d'une redoute où il était retranché, un
détacliement commandé par Herbier avec perte d'une cen-
taine d'hommes. D'après Knox (2), les soldats liritanniques
n'auraient eu que G blessés, mais près de 100 des leurs
furent à un tel point atteints par le froid, qu'il fallut les
ramener en traîneau, à moitié gelés. Pendant l'hiver, la
garnison de Québec fut décimée par la sévérité du cli-
mat, par les maladies, et surtout par le scorbut; la mor-
talité fut excessive, et les hôpitaux, tant permanents que
provisoires; furent tout à fait insuffisants. De 7.300 com-
battants au moment du départ de la Hotte anglaise, les
effectifs tombèrent à 4.800 à la date du l" mars et ne
dépassaient guère V.OOO à la fin d'avril.
Cet état de choses, bien coimu à Montréal, était de na-
ture à encourager les projets offensifs des Français; en
effet, en dépit de la tranquillité apparente, Vaudreuil et
Lévis étaient bien d'accord pour risquer un effort déses-
péré contre Québec; ils n'ignoraient pas les attaques
(1) Lettres des habitants de Pekontiak au colonel Fraye, 13 février 17G0.
Archives des Colonies.
(2) Knox, llistorical journal, IT, "il'i.
^ssmmmmBm
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fllKPAUATlIS DE VAUDKKUII. KT LKVIS.
xv.\
concentri'fues «(ui seraient poussées contre la province au
cours (le l'été de 1700, mais de toutes, la plus dange-
reuse serait celle qui prendrait l'ancienne capitale coniuK;
base et pénétrerait au cirur de la colonie en se ser-
vant de la grande voie du Saint-Laurent; la reprise de
Québec par le défenseur du Canada décuplerait les
diflicultés d'une opération de ce genre, si même elle ne
la rendait pas irréalisable. Mais la tentative contre tjuébec,
pour présenter (juelcjues chances de succt>s, devait être
elf'ectuce au printemps, avant l'ouverture du Saint-Lau-
rent aux renforts (|ue le gouvernement anglais expé-
, dierait certainement à sa garnison; ces renforts, on
l'espérait du moins, seraient précédés par ceux qu'on avait
réclamés à la cour de Versailles et pour lesfjuels celle-ci
comprendrait, k coup sur, la nécessité impérieuse d'un
prompt départ. Néanmoins, tout en comptant sur le con-
cours de la métropole, les autorités canadiennes firent,
de leur propre initiative, tout ce qui était humainement
possible pour mener à bonne fin leur audacieuse entre-
])rise. Kn premier lieu, elles conçurent le projet d'une
surprise en plein hiver; des préparatifs furent faits, des
échelles en quantité furent réunies, mais le manque de
vivres et surtout l'imjiosjiibilité de nourrir, à cette époque
de l'année, l'armée une fois assemblée, firent remettre
l'exécution au printemps.
Afin de rétablir lefl'ectif des troupes régulières (|ui n'a-
vaient pas reçu de recrues (1) depuis 1758 et qui avaient
été fort éj)rouvées par la campagne de 1759, on adjoignit
à chaque bataillon de ligne ou de marine trois compa-
, gnies de miliciens choisis, autant que possible, dans les
paroisses où le régiment avait eu ses quartiers d'hiver; les
unités étaient commandées par un capitaine spéciale-
ment détaché à cet effet et étaient astreintes au môme scr-
(1) A l'exceplion des 3 ou 400 hommes amenés par Hougainville.
I
' 1
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840
LA GUKUIU; DK SKPT ANS.
CIIAI». VI.
vice et soumises au môme n-giine (|ue les réguliers. (irAce
à ces mesures, Lévis put disposer de 3.900 ofliciers et sol-
dats appartcnaut aux 8 hataillous de Frauce ou à la n)arine,
de 2..'>00 luiliciens iucorpoiésdans l'infanterie ou indépen-
dants, de 200 cavaliers empruntes aux éléments locaux et
d'c'nviron 300 sauvages domiciliés. A ce noyau d'hommes
solides, on espérait ajouter les miliciens de la |)rovince de
Québec que le premier succès ferait accourir aux dra-
peaux, mais auxquels il faudrait distribuer des fusils, les
leurs ayant été, eu grande partie, confisqués par les an-
glais. Le côté faible de l'expédition était celui du matériel
et des nmnitions d'artillerie, dont la qualité laissait tout
autant à désirer que la (juantité.
Dans une circulaire aux commandants de bataillons, Lé-
vis (1) no, fait pas mystère des dil'ticultés de l'entreprise et
fait appel k leur énergie et k leur patriotisme : « Notre
départ dépend delà fonte des glaces pour profiter de l'ins-
tant où la navigation sera libre ; car il est très important
que l'armée soit rendue devant Qu'hec avant que les en-
nemis aient pu travaillera des ouv; âges extérieurs... Je
vous prie de les prévenir (les soldats et miliciens ((ui com-
posent votre bataillon) qu'ils doivent s'attendre à faire une
campagne dure. Je ne vois la subsistance bien assurée
qu'en pain, et lorsque nous serons devant Québec, nous ne
mangerons, soit en cheval, soit en bœuf, que la viande
que nous pourrons avoir. » Les officiers n'auront à compter
c[ue sur « la même ration du soldat et leur eau-de-vie
qu'ils recevront en nature ». La discipline la plus exacte
devra être appliquée : « Nous avons à combattre des
troupes qui l'observent et pour les vaincre, il ne faut pas
s'écarter de ce principe. »
Après avoir parlé du « salut de la colonie » et de la
gloire « desarmes du Roi», Lévis touche une note heureuse
(t) Lévis aux commandants, 29 mare 1760. Lettres de Lévis, p. 28G.
EXPÉDITION POUR LA HKPHISK DK gUKDKC.
3tl
en rappelant la sympathie ((ui «'xistait entro los soldatH et
leurs luttes : « Nous devons aussi, pai- une entreprise auda-
cieuse, înart[uer la reconnaissance que nous devons h la
colonie (jui nous nourrit depuis le temps que nous y som-
Hies. Les habitants ont reçu nos soldats comme leurs en-
fants, et nous ne pouvons <jue nous louer de l'amitié et de
l'attachement que nous avons reçu tant en .«énéi-al qu'en
particulier tle tous les Canadiens. »
De leur cAté, le gouverneur Vaudreuil et l'intendant
Bigot avaient mis tout en œuvre pour seconder les ellorts
du général, le premier, en lançant des ordonnances et des
lettres circulaires adressées aux autorités civiles et ecclé-
siastiques de la province et en rédigeant des instructions
pour Lcvis auquel il avait remis la direction des opéra-
tions militaires, le second, en tirant d'un pays épuisé
des ressources pour l'approvisionnement du corps expédi-
tionnaire. Le mémoire de Vaudreuil prévoyait la mau-
vaise volonté de certains habitants (1) et déléguait à
Lé vis pleins pouvoirs pour sévir contre les dissidents :
« Comme le zèle des Canadiens pourrait être susceptible
de quelque ralentissement, étant intimidés par les me-
naces du général Murray, M. le chevalier de Lévis accom-
pagnera nos lettres circulaires d'un manifeste rigide par
lequel il relèvera ces Canadiens de leur crainte et les assu-
jettira à se joindre h lui sous peine de la vie, » Contraire-
ment à ses habitudes, le gouverneur général ne semble
guère optimiste : « Quoique le succès du siège de Québec
paraisse incertain, et par le peu de moyens que nous
avons en munitions, artillerie et vivres, et par nos forces
mêmes vis-à-vis de celles de l'ennemi qu'il est de notre
prudence de supposer d'environ Ip.OOO combattants, qui
pourront augmenter en nombre par les secours que les
Anglais attendent d'un instant à l'autre, nous avons néan-
(1) Lettres etpii'(¥'- «HUtires. p. 2t3. Collection Lévis.
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LA GIKHUK DK SKPT ANS. - CIIAP. VI.
moins mûrement réfléchi et déterminé, M. le Chevalier,
que tous ces obstacles ne sauraient nous arrêter, que
l'expédition de Québec est l'unicfue parti à prendre et
pour conserver encore la colonie an Hoi et pour nous
iiettre à portée de recevoir librement les secours qu'il
aura plu à S. M. de nous faire passer. » Knfîn en don-
nant à Lévis l'autorisation nécessaire pour négocier la
capitulation de Québec, le gouverneur lui fait observer
que les circonstances empêchent de se montrer difficile
sur les conditions qui seraient accordées à l'ennemi.
L'embarquement commen«;a le 20 avril: la flottille des-
cendit le Saint-Laurent, escortée par douv petites frégates
et par quelques bâtiments armés qui avaient liiverné dans
le haut du fleuve. Les eaux étaient encore |)risesdans beau-
coup d'endroits, et ce ne fut pas sans perte considérable
de bateaux, de vivres et de munitions que le matériel put
être mis à terre à la Pointe-aux-Trembles, où la majeure
partie des troupes s'était assemblée.
Sur l'avis de la Pause, aide-maréchal général des logis,
([ui avait été envoyé en reconnaissance, on résolut de
Cranchir la rivière du Cap-fiouge à deux lieues de son
embouchure, et de gagner Sainte-Foy en traversant les
marais de la Suctte. Le iiO, Hourlama(iiie, qui commandait
l'avant-garde, accomplit ce {)rogranmîe et se posta dans
des maisons à un ([uart de lieue des hauteurs de Sainte-
Foy où se tenaient les Anglais. Lévis le rejoignit avec le
gros : ;< Il fit, écril-il dans son journal (1), une nuit (les
plus affreuses, un orage et un froid terribles, ce qui fit
beaucoup souffrir l'armée ({ui ne put finir de passer que
bien avant dans la nuit. Les ponts s'étant roinpus, les
soldais passaient dans l'eau. Les ouvriers avaient peine à
les réparer dans l'obscurité, et sans les éclairs, on eût été
forcé des'ari'êter. On dispersa l'a.. .lée dans les habitations
(1) Journal du chevalier de Lévis, p. 2i30. Manuscrits Lévis.
tm
LES FllA^CO-CANADIE^'S ARRIVENT A SAINTE-FOV.
3V?
pour se gari^ulir 'le la !)luio et raccouuuodci' les armes,
poui' être en état do marcher au. j)oint du jour, M. le che-
valier de L«''vis ayant résolu d'altaqucr. » Mais il l'ullut
attendre les 3 pièces dont se composait l'arlillcrie de cam-
pagne et qui étaient indispen;>ahles pour battre l'église
et les maisons fortifiées de Sainte-l'oy.
Le rapport du général Murray (1) diffère peu de la re-
lation française. D'après ce document, les Ang:lais comp-
taient sur un retour offensif des Français aussitôt que le
dégel surviendrait. C'était, <;n effet, seulement après l'ou-
verture du printemps (pi'il serait possible de travailler sur le
plateau d'Abraham aux retranchements quieonstitueraient
le facteur essentiel de la défense. Même à ladatedu 25 avril,
on pouvait h peine enfoncer les premiers picpiets, le dégel
n'ayant pas pénétré à ])lus de 9 pouces de la surface.
Dans des conditions pareilles, Tassailhint avait tout avan-
tagea lu'usqucr l'attaque. Pour se protéger contre l'armée
canadienne, Muri-ay avait pris des mesures tant militaires
(|ue civiles : dès le 18 avril, il avait fait occuper l'emliou-
chure de la, rivière du Cap llouge. I^e iil avril, les habi-
tants de Québec trouvèrent affichée sur les murs une pro-
clamation leur intimant l'ordre de vider les lieux avec leurs
familles et leurs effets dans un délai de trois jours. C'est
en vain que la population protesta contre un arrêté qui
était en contradiction avec la capitulation de l'autonme
l)récé(lent; force l'ut de déguerpir; l'élément féminin se
vengea en criant bleu liant ([ue lesAnglaisavaient toujours
eu la réputation d'être des gens sans foi, et que mainte-
nant, il n'y avait plus de doute sur la. vérité du re-
proche.
Jusqu'au malin du 11 avril, Murray, <[uoi(pic sur ses
gardes contre une agression qu'il avait prévue, ne paraît
pas avoir été exactement renseigné sur les premiers niou-
(1) Murray ùl Amiier.st, Québec, 30 avril 17G0. Record Oflirc.
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LA GUEllRE DE SEPT ANS. — CHAP. VI.
vcmcuts qui suivirent le débarquement des Français. L'n
incident curieux le mit au courant. Un artilleur de l'armée
de Lévis, embarqué sur une chaloupe qui avait chaviré, se
réfugia sur ungla<;on et fut emporté à la dérive jusqu'à
la rade de Québec. Le 27, à 2 heures du matin, des mate-
lots anglais, attirés par ses cris, le ramassèrent plus mort
que vif et apprirent de sa bouche, avec ses aventures,
l'approche des Français. Murray, aussitôt averti, appuya,
avec les grenadiers, des piquets fournis par chaque régi-
ment et 10 canons, l'infanterie légère et les rangers
chargés du service des avant-postes.
La journée du 27 se passa en escarmouches et en recon-
naissances ; Lévis, toujours sans canon, avec des soldats fa-
tigués et éparpillés, remit prudemment l'alTaire au lende-
main. Les Anglais firent rentrer la plupart do leurs trou-
pes, ne laissant qu'un détachement k la maison Dumont
et dans une redou à la limite de la plaine; ils avaient
évacué l'église de >3ainte-Foy après y avoir mis le feu.
Disons un mot de l'emplacement qui servit de théAtre
à la bataille (1) que nous allons décrire. Uuébec, ou plu-
tôt le quartier principal appelé la ville haute, est édifié
sur l'extrémité d'un promontoire baigné au sud par le
Saint-Laurent, au nord par son affluent, le Saint-Charles;
ces hauteurs, qui portent le nom de côte d'Abraham,
parallèles au grand fleuve, remontent son cours en s'élar-
gissant au fur et ù mesure qu'elles s'éIoif,nent de l'enceinte
de la ville.
A l'époque de l'ailaire, le terrain, moitié en friches,
moitié en cultures, était jalonné de bosquets et coupé de
de bas-fonds niarécageu.v ; deux chemins conduisaient
(1) Le récit de la bataille de Sainle-Foy et du siège de Québec est tiré du
Journal de la correspondance de Lévis et de Uourlamaciue, du Journal de
Malarlic, Cassgrain, Monicaliiiet Apw.s; Mante, Lntc warin America ; Knox,
Hisiorical Journal; Dépéchesde Anilierstet de Murray, Record Office, etc...,
etc.. Voir la carte de la bataille d'Abraham, vol. III.
MUKUAY ATTAQUE LES FRANÇAIS.
84S
des portes de Québec aux villages de Saintc-Foy et de Sil-
lery qu'entouraient de grands bois courant jusqu'aux fa-
laises du Sain'-Laurent. Le long de ces routes s'égrenaient
alors les maisons des habitants, la plupart isolées et sé-
parées les unes des autres, nous dit un narrateur, par des
clos de 3 ou k arpents. Le combat allait se livrer à proxi-
mité du plateau (1) oùWolfe et Montcalm avaient rencon-
tré quelques mois auparavant une mort glorieuse. Sur
le môme terrain, les mêmes adversaires se retrouvaient en
présence; d'un côté les 4.000 réguliers de Murray, bien
reposés, vétérans éprouvés, liers de leur victoire récente,
appuyés par une artillerie nombreuse; de l'autre, les
6.000 hommes de Lévis, presqu: sans artillerie, moitié
troupiers en guenilles, moitié paysans sans uniformes,
mal armés, mal chaussés, ceux-ci comme ceux-là fatigués
de leur longue étape et de leurs tristes bivouacs.
Au cours de la nuit du 27 au 28 avril, le général bri-
tannique fit évacuer la maison Dumont, située sur la chaus-
sée de Sainte-Foy à Québec; elle fut occupée au point du
jour par les Français. La retraite de Murray fit croire
que l'ennemi ne risquei ùt pas un engagement et qu'Use
bornerait à tenir derrière les mur de Québec ; aussi les
premières heures do la journée du 28 furent-elles consa-
crées par Lévis à rechercher un endroit convenable pour
y faire camper son arm ■ et à préparer l'installation d'un
dépôt de vivres à l'Anse u-Foulon où Wolfe avait opéré
son débarquement l'anm précédente. Quant aux Cana-
diens, ils s'attendaient si peu à une bataille qu'ils s'em-
ployèrent pour la plupart à nettoyer leurs fusils et à reti-
rer les charges que la pluie de la nuit avait mouillées.
1*
(1) Le théâtre delà bataille de Sainle-Foy est un peu au nord de celui de
la bataille d'Abraham, de nombreuses constructions nouvelles ont modifié
l'aspect des lieux que nous avons parcourus avec l'honorable M. Doine qui
a bien voulu nous servir de cicérone. Le monument commémoralif a été
élevé sur l'emplacement d'une des rencontres de la journée.
■ 1
3ir.
LA ClKllllK DE SEPT ANS. — CllAP. VI.
l\ï
i \M
Tout à coup, on vit Tarmée anglaise, qui avait débouché
de Québec vers 7 heures du malin et qui, à en jugei' par la
quantité d'outils emportés, paraissait vouloir se retrancher
à faible distance de l'enceinte, prendre ses formations de
combat, descendre des hauteurs, et marcher sur les can-
tonnements français.
Le général Murray , officier énergique, plein de confiance
dans la supériorité morale de ses troupes, désireux peut-
être de se distinguer par une victoire dont l'honneur lui
reviendrait tout entier, s'était décidé à assumer l'olfensive.
Voici les motifs qu'il fournit pour justifier sa conduite: « La
place n'est pas fortifiée et est commandée partout du côté
de la terre ; ma garnison dont l'etrectif s'est effondré à la
suite du scorbut rnû a sévi avec persistance jus([u'à ne
compter (jue 3.000 combattants, s'alfaiblissait de jour en
jour; il m'était devenu impossible de me retrancher sur les
hauteurs d'Abraham, quoique nous nous fussions munis
depuis longtemps de fascines et de tout le matériel néces-
saire : je ne pouvais donc hésiter un instant sur la conve-
nance de livrer bataille à l'ennemi Comme chacun
sait, la place n'est pas tenable contre une armée maîtresse
des hauteurs. En conséquence, j'ai donné les ordres néces-
saires au cours de la nuit, et à 7 heures le lendemain
matin, je suis sorti avec toutes les forces que j'ai pu réu-
nir et j'ai rangé ma petite armée sur les hauteurs. » Les
troupes britanni([ues étaient réparties en deux brigades,
chacune de 4 bataillons, celle do droite commandée par
le colonel Burton, celle de gauche aux ordres du colonel
Fraser; 2 bataillons étaient en réserve. L'inlanterie légère
du major Dalling couvrait le flanc droit, et un détachement
de rangers et de volontaires le flanc «^i-auche de l'armée ;
chaque bataillon était accompagné de ses deux pièces de
campagne.
Aussitôt qu'il se rendit compte des intentions de l'ad-
versaire , Lévis fit hâter le déploiement de ses troupes, posta
u
BATAILLE DE SAINTE-FOY.
847
cinq compagnies de grenadiers dans la maison Dûment
pour y appuyer sa gauche et porta cinq autres compagnie^
sur une petite cminence ([ui devait masquer la droite de
la ligne. « Los deux brigades (1) de la droite étaient pla-
cées et la troisième débouchait lors([ue les ennemis, ((ui
étaient formés, se mirent on mouvement pour les ch.irger
et lirent usage de 2'* bouches à feu qu'ils avaient et même
de leur mousqueterie, lorsqu'ils furent plus près. » Lévis
s'apercevant du danger auquel allaient être exposées les
deux brigades de droite, encore en l'air, les fit « retirer à
l'entrée du bois qui était derrière, pour attendre que les
autres fussent formées et pussent les protéger ».
L'affaire s'engageait fâcheusement pour les Franco-
Canadiens. Les voltigeurs anglais reprirent possession de
la maison Dumont que les grenadiers fran(.'ais, se con-
formant au recul de leur droite, avaient évacuée. Pour
comble de malheur, le brave Bourlamaque, qui surveillait
ce mouvement, fut blessé pour la troisième fois depuis son
arrivée au Canada et forcé <le quitter le champ de ba-
taille.
Ala droite, la retraite commandée par Lévis fut mise cà
profit par les troupes légères de Murray qui s'emparè-
rent du terrain abandonné. Encouragée par ces avantages,
toute la ligne anglaise prit l'olfensivo, précédée par son
artillerie qui déversait sur les Français une pluie de pro-
jectiles. Cette manœuvre, en faisant descendre les bataillons
de Murray des hauteurs où ils étaient rangés au début de
l'action, lut la cause de leur perte. Les Français revenus de
leur surprise s'étaient ressaisis ; à la gauche, les grena-
diers d'Aiguebelle se sentant soutenus, .se lancèrent à l'as-
saut de la maison Dumont et chassèrent l'infanterie légère
britannique de cette bâtisse, ainsi ([ue du moulin voisin;
à leur suite, la brigade de la Sarre composée du bataillon
(J) Journal des campagnes de Lévis, p. Mi.
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348
LA GUEURK DE SEPT ANS. — CHAP. VI.
tl 1
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de ce nom et de celui de Béarn marcha en '.vant sans
tirer et sans se laisser arrêter par la mitraille.
Ici se place un épisode glorieux décrit par deux offi-
ciers français, Malartic et Johnstone, dont l'un fut acteur et
dont l'autre reproduit le récit de ses compagnons d'armes,
l'our aborder les Anglais, la brigade de la Sarre avait à
traverser un bas-fonds recouvert de deux pieds de neige à
moitié fondue. Le chevalier de Lévis la voyant fort em-
pêtrée dans ce bourbier, lui fit dire de gagner l'abri de
quelques maisons peu éloignées. L'officier porteur de cet
ordre le traduisit en criant sans explication : « Demi-tour
à droite ». Aussitôt un flottement et un commencement
d'hésitation qui aurait pu mal tourner, les Anglais n'étant
qu'à 50 pas. Malartic, majorde la brigade, au lieu de faire
face en arrière, comme l'aurait voulu le commandement,
courut se placer à 15 pas en avant ; le vieux colonel d'Al-
([uier, commandant de la brigade, se mit à côté de lui et,
lui disant tout bas : « Major, je prends tout sur moi »,
s'écria à forte voix : « En avant, mes enfants, ce n'est pas
le moment de reculer quand on est à 20 pas de l'ennemi ;
en avant et à la baïonnette. » Électrisés par les paroles et
par la vue do leur colonel ruisselant du sang d'une bles-
sure qu'il venait de recevoir, les hommes s'élancèrent à
la charge et, par un choc irrésistible, enfoncèrent la ligne
anglaise.
Entre temps, la maison et le moulin Dumont étaient le
théâtre d'une lutte sanglante entre les grenadiers d'Aigue-
belle et les Highlanders qui étaient accourus à l'aide de
leurs camarades; les bâtiments finirent par rester au pou-
voir des grenadiers, mais, au prix de sacrifices terribles; à
la fin de la bataille, les compagnies, d'un effectif normal
de 45 hommes, étaient réduites à ik.
Cependant, malgré ces heureux incidents, le gros des
Anglais tenait bon; Murray avait fait appel à sa réserve
et envoyé un bataillon au secours de sa droite. Lévis qui,
DÉFAITE DES ANC.LAIS.
849
des
pendant cette journée, se montra partout au premier rang
et échappa aux balles par miracle, vola à l'endroit oïl se
trouvait la Sarre et loua d'Alquier de sa désobéissance :
« Vous avez rendu au Hoi le plus grand service en refusant
de faire demi-tour. Tenez encore cinq minutes, et je ré-
ponds de la victoire. » Puis il retourna à sa droite où le
combat prenait une tournure favorable. L'avant-garde an-
glaise, après son premier succès, avait été mise en échec
par les Canadiens de Montréal qui, excellents tireurs,
s étaient embusqués à l'orée du bois de Sillery. Sous la
protection de leur mousqueterie, les bataillons de ligne
et de la marine se formèrent rapidement et, se portant
en avant, recouvrèrent le terrain perdu. On se fusilla de
part et d'autre à bonne portée; mais les premiers échelons
battus de l'armée britannique, dans leur recul désor-
donné, s'étaient répandus sur tout le front de bataille ;
non seulement, ils gênaient le tir de leur infanterie, mais
ils masquaient l'artillerie et l'empéchaieitt de continuer
un feu qui avait été jusqu'alors très meurtrier pour les
Français. En vain Murray et ses brigadiers essayèrent-ils
de rallier les fuyards, tous leurs efforts ne firent qu'aug-
menter la confusion.
Ce fut une attaque de flanc qui détermina la victoire.
Lévis avait affecté deux brigades à ce mouvement; Tune,
celle de la Reine, par suite d'un ordre mal compris ou mal
transmis, se trompa de direction et resta inactive; mais la
brigade de Royal Roussillon, sous la conduite du brave
Poulhariès, suivie d'un détachement canadien, profita des
accidents de terrain pour se glisser entre les falaises du
Saint-Laurent et la gauche anglaise qui, descendue de ses
hauteurs, se débattait dans la neige et la boue des bas-
fonds. La ligne ennemie dépassée, Poulhariès fit faire à
gauche à ses hommes et chargea à fond. Cet assaut im-
prévu eut une pleine réussite. Les Anglais, déjà ébranlés
par la pluie de balles et par les boulets des trois canons,
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LA GL'EHRE DK SKPT ANS. — CIIAP. VI.
que Lévis avait fait mettre en batterie, se crurent coupés
(le Québec et s'enfuirent en désordre s'abriter autour des
blockhaus construits pendant l'hiver en avant de l'en-
ceinte. Vainement les derniers bataillons de la réserve
tentèrent d'arrêter la déroute; leur intervention tardive
ne put rétal>lir la balance. La défaite de la gauche entraîna
celle de la droite ; sauf deu.K bataillons qui gardèrent leurs
formations et couvrirent de leur mieux le recul, toute
l'armée britannic[ue ne devint plus (ju'une masse confuse
dont la rentrée à Québec, au dire de l'historien anglais,
Mante, ressembla bien plus à une fuite qu'à une retraite.
La bataille, qui dura deu.\ heures, fut beaucoup plus
longue et plus sanglante que celle du 13 septembre
1759; elle se termina par une victoire complète des
Frant^ais ({ui eût été encore plus décisive sans l'erreur
qui inmiobilisa la brigade de la Reine. Elle coûta cher aux
deu.K parties : les pertes françaises totales, d'après
les états officiels, se montèrerit à 833 hommes dont une
forte proportion d'officiers. Les vaincus furent encore plus
éprouvés; leur déficit atteignit le chifi're de 1.100 tués,
blessés ou pris; toute leur artillerie, composée de 22 ca-
nons, resta entre les mains des Français. Bref, la bataille
de Sainte-Foy où ces derniers eurent ik 0/0 et les Anglais
27 1/2 0/0 de leurs effectifs mis hors de combat, fut pro-
portionnellement aussi meurtrière que les grandes actions
européennes de la guerre de Sept tins et, à cet égard,
peut être comparée aux batailles de iMandchourie entre les
niasses russes et japonaises.
Quant aux 200 ou 300 sauvages <|ui suivaient les trou-
pes de Lévis, ils démontrèrent une fois de plus leur inu-
tilité dans un engagement en rase campagne ; pendant la
mêlée, ils ne bougèrent pas malgré les efforts que
firent les officiers coloniaux pour les entraîner; eu revan-
che, aussitôt l'affaire finie, ils s'acharnèrent sur les cada-
vres et parfois sur les blessés, sans distinction de natio-
1»EI\TES DES DEUX AUMEES.
351
'. ï
nalité, pour enlevor les chevelures et s'en fain* trophée,
confortnéincnt à leur hideuse coutume.
A Sainte-Foy, les deux armées rivales firent preuve de
courage et de ténacité, mais la palme appartient sans
conteste à cette poignée de soldats frun(;ais, à ces
paysans canadiens qui se battirent en héros qui, pres-
que sans canon, mal armés, mal équi[)és, surent prendre
leur revanche sur les vétérans de Murray. C'est {\ hon
droit que les descendants des combattants d'alors ont
élevé, sans opposition de la part du gouvernement britan-
nique — on pourrait dire sous son œil l)ienveiliant —
un monument commémoratif destiné à. rappeler la fî\(^v:c
de leurs ancêtres et le souvenir de l'ancienne patrie.
Parmi les officiers supérieurs qui succombèrent ou furent
blessés figurent les lieutenants-colonels Trivio et Trécesson,
des bataillons de Berry, tous les deux blessés, le second
mortellement, et le lieutenant-colonel dAlquier dont nous
avons raconté la conduite héroïque; les deux comman-
dants des coloniaux, F^a Corne et Vassau, furent bles-
sés tous les deux à la tète de leurs hommes. Au surplus,
tout le monde fît son devoir; une mention spéciale est
due aux Montréalais de Repentigny et aux Canadiens du
régiment de la Reine. Ces derniers avaient été affectés à la
défense de la redoute et du bois à l'extrémité droite de la
ligne française; ils furent, comme le relate Murray, dépos-
tés par la gauche anglaise, mais sous la conduite énergique
du capitaine Laas du régiment de la Reine, ils se ressai-
sirent, reconquirent le terrain peidu et participèrent à
la charge de Royal-Roussillon contre le flanc de l'armée
britannique.
Si l'on étudie avec soin les différents récits de l'action,
on constate que l'armée française fut attaquée avant d'a-
voir pu se déployer, que le recul commandé par Lévis
faillit tout compromettre, et que le succès définitif fut dû
à l'initiative du colonel d'Alquier et à l'offensive pour
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i.A niKniu-: de skpt ans. — ciiap. vi.
ainsi dire .spontanée, prise par sa brigade. Ce inouve-
nient se coiiununiqua au c(!nlre, arrrta net l'élan des
Anglais et donna le temps à Lévis d'exécuter la manœu-
vre de flanc <}ui décida du gain de la joui'iiée.
Bourlania(|ue écrivit (l) de son lit lï Bougainville une re-
lation dont le résumé est à citer : « Le cluîvalier est bien
heureux; on ne peut pas s'exposer davantage. 11 fait bon
être parent de la Vierge (2) , cela vaut mieux que de faire
ses pâques. Quoique les troupes aient remis l'affaire d'elles-
mêmes et par leur courage, il a bien de l'honneur de son
fait ; cependant les troupes en ont encore plus. »
Telle fut la bataille de Saiide-F qui reproduisit, h
queUiues mois d'intervalle, les incid» ats et presque le dé-
cor de celle d'Abraham. Les rôles sont renversés : les
Franco-Canadiens de Montcalm sont remplacés par les
soldats britanni(|ues deMurray; même terrain à quelques
centaines de mètres près, mêmes dispositions, et môme
offensive aboutissant au même résultat, la déroute totale
de l'assaillant. Là finit la comparaison, car les deux com-
bats, malgré leur similarité, n'exercèrent pas, il s'en faut
de beaucoup, une influence correspondante sur les événe-
ments contemporains. Tandis que la défaite de Montcalm
eut pour conséquence la perte de Québec et infligea une
blessure presque mortelle à toute la colonie, la victoire
de Sainte-Foy ne fut qu'un épisode brillant, qu'un dernier
rayon de gloire dans une lutte sans espoir.
Comme le prouvent les extraits de sa dépêche écrite le
surlendemain de l'action, Murray ne chercha pas à dégui-
ser la défaite, dont il avait "été le premier surpris : « Nous
avons été malheureux, nous serons donc blâmés par tout
le monde en Angleterre, mais je prends à témoin chaque
(1) Bourlamaque à Hougainville, Sainle-Foy, 3 mai 1760. Papiers de fa-
mille de Hougainville.
(2) La famille de Lévis prétendait descendre de la famille de la Vierge.
SIKGE im QUICIIEC.
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îS'Ul-
dc fa-
MKC.
oriicic-r qui a pris [)art à l.i bataille vl je lui cleinaiulc s'il
y a (Ml faute dans mes (lis[)()sili()ns, ou si je n'ai pas fait
tous les cHorts possibles pour stimuler les bommes pen-
dant l«' combat. La supériorité ac([uise par nos troupes sur
l'ennemi depuis la dernière canipaj^ue et la belle artillerie
(le campagne dont nous étions munis m'auraient amené
à livrer bal.iille, (piaud même je n'aurais pas été convaincu
(pi'elle s'imposait. »
AussitiM lii lutte acbevée, les Fran(;ais occupèrent la
eréte des liauteurs (pii « ne scMit (ju'à 300 toises au plus
de la place » et s'installèrent sur le revers où ils passèrent
la nuit. La journée fut employée à ramasser les blessés
e» k les transporter à l'bùpital général dont on prit
possession.
Dès le lendemain commença le siè^e de Québec. In as-
saut immédiat aurait piobablenumt mis la ville entre les
mains de Lévis. La garnison anglaise était réduite à un ef-
fectif de 2.100 hommes; leur moral avail été très allecté
par la défaite; le désarroi était partout et la discipline
complètement relAcliée. « Nos soldats, érrit deux jours
après le capitaine Knox, (]ui servait dans les rangs brifan-
ni(pies, se livrent à cbar|ue instant à une foule d'excès;
ils pénètrent de force dans les magasins et les maisons
particulières pour se procurer du rK]uide. Cela provient
de la panique et de la démoralisation aggravée par
l'ivresse. On a pendu ce soir un homme sans jugement
poui- ell'raycr les autres. Espérons que cet exemple sera
suffisant pour arrêter la continuation du désordre et pour
inspirer aux soldats le sentiment de leur devoir. »
Malheureusement, Lévis ne fut pas renseigné sur l'état
d'esprit de l'ennemi et n'osa pas entreprendre, sur l'en-
ceinte fortifiée et armée de (juébec, une tentative (jue
le succès seul eût justiliéc aux yeux des juilitaires de l'épo-
que, Miupuleux obsersateurs de la procédure régulière.
Knox estime qu'une escalade eût réussi : « Si l'ennemi
GUBRAE DE SKI'T ANS. — CIIAl'. VI. '^3
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LA Gl KIUU-: l)K SKI'T ANS. - CllAl». M.
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avait (loniH- suite le 29 ou le .lO au coup ([u'il avait Irappé
le 28, avant que nos soldats se lussent ressaisis, je suis
lortenient enclin h croire qu'en dépit du zèle actif et du
courage du p)uverneur et d(î la plupart des oKiciers, Uué-
hec serait retombé au pouvoir de ses anciens maîtres. »
L'occasion nianquéc ne se retrouva pas. Murray était un
autre homme que Uamezay, son piédécesseiir français de
17ôî>. Autant ce de .lier avait été laible, timoré, peu sou-
cieux de prolonger la résistance des quelques heure ([ui
eussent permis à l'armée française de venir à son aide,
autant Murray se montra conscient de l'importance de
son rôle, énergique dans sa conduite. L'escadre de secours,
qu'on lui avait promise et dont il avait réclamé l'envoi dès
la fonte des glaces, devait partir de Halifax dans la Nou-
velle-Ecosse; elle était donc plus proche ([ue les vaisseaux
de France et devait arriver avant eux. Il s'agissait de tenir
jus([ue-là. Murray. s'y employa avec intelligence; pour
avoir ses troupes sous la main, il leslitsortirde leurs ([uar-
iiers et hivouacjuer à portée des murs; sur le front
d'attaque, il tvccumula tous les canons que possédait la
place i't s'attacha, par un feu soutenu, h entraver les tra-
vaux d'approche et à inquiéter le campement français.
Empruntons au Journal de Lévis la courte description
de la ville et du front de terre ([u'il fallait entamer :
« Québec forme une espèce de triangle qui occupe une
pointe de terre fort élevée sur la rive gauche du fleuve
Saint-Laurent. Le fleuve défend un des deux cAtés qui
sont vers la campagne, l'un qui suit l'escarpement de la
côte d'Abraham commande avec beaucoup de supériorité
une plaine basse où serpente la rivière Saint-Charles; cette
côte d'Abraham règne presque parallèlement au fleuve
Saint-Laurent et va s'y réunir à l'embouchure de la ri-
vière du cap Rouge. Le côté de Québec qui est terminé
par cette côte et par l'escarpement du fleuve est le seul
accessible ; la distance en est d'environ sept cents toises.
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W"VWV<W^"»W»«
DII-i'iri)LTi;S DES IHAVAUX I) AI'l'UOlllK.
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Il t^st (léiVnilii pnr une enceinte de six l)aslions rcvi^his et
presque sur un(' lii;n<- droite, l'n fossr, peu piofond, dont
l'excavation en (pK'Wpics endivoils n'est (juc de cin(i i\ six
pieds, quidques terres rai)porl(''es sur la eontrcscarj»',
six A sept redoutes de bois construites par les Anglois
couvroieni cette enceinte. Le terrain pour les approches
est pierreux; il devient presque roc en approchant de la
place, et les hauteurs mènu's dont nous nous étions em-
parés ont à pcùne six pouces de (erre. Il l'ut décidé, après
avoir nîconnu la place, (|u'on couronnei-oil par une pa-
rallèle les hauteurs (pii sont devant le front des bastions
Saint-Louis, de la (Jlacière, et du cap au Oianiant, et
qu'on y élabliroit des batteries, d'où on espéroit, nialtçré
l'éloignenuMit et la faiblesse du calibre de nos pièces,
qu'elles pourroient faire brèche, le r(;vètement étant
dans cett(î partie. »
Le id avril, les opérations du siéfjc; débutèrent sous
la dir(>ction de Pontleroy, commandant du jL^énie, et de
Montbeillard, commandant de l'artillerie. Le camp fut
re[>orté îY un quart de lieue en arrière et on amorça
la prcMuière parallèle. Le T'uiai, «on commença trois
Jiatleries, l'une de six [)ièces devait battre un peu en
écharpe la face du bastion de la (llacière; une autre
de ([uatrc pièces, i»lacéc sur la iJiauche, battait direc-
tement cette! partie; la troisième de trois pièces était
dirigée sur le flanc du bastion Saint-Louis opposé i\ celui
de la Glacière. On y joignit une batterie de deux mortiers.
On ne pouvait construire la parallèle et ses batteries
qu'avec des difficultés incroyables. On cheminait sur le
roc, et il fallait porter la terre dans des sacs d'une fort
grande distance. Les ennemis cpii ;l tous moments démas-
(|uaient des [»ièces, nous retardai(!nt beaucou[) [)ar des
précautions qn'il fallait prendre; les boulets plongeant
derrière les hauteurs, il y avait peu d'endroits oii l'on fût
à couvert, l'on fut même obligé d'éloigner le camp ».
iV
I
356
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAI', VI.
ni|,
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Malgré l'activité déployée par l'assiégeant, Murray no
s'était pas laissé décoiuager; reconnaissons d'ailleurs
qu'îY plusieurs points de vue sa situation était meilleure
que celle du gouverneur français de 1759. Une gar-
nison de plus de 2.000 officiers et soldats, encore sous
le coup de leur défaite, mais homogène, composée d'ex-
cellents éléments et capable de se ressaisir rapidement,
pas de population civile à ménager, aucune crainte d'une
entreprise navale ou d'un bombardement énervant, espoir
d'un prompt secours; à tous ces avantages allait s'ajouter
l'inefficacité de l'attaque, entravée par l'insuffisance du
matériel et le manque de munitions. Dès le îiO avril,
Murray manifestait (1) sa confiance : « 'Is (les Français)
ont déjà achevé leur première parallèle, mais j'espère
que nous ne serons pas réduits aux extrémités avant l'ar-
rivée de l'escadre que nous attendons tous les jours. S'il
en était autrement, je me retirerai au pis aller avec ce
que je pourrai dans l'ile d'Orléans et tiendrai là jusqu'à
la venue des renforts. Si nous avions été maîtres
du fleuve, où il est évident que des vaisseaux peuvent
hiverner, ils n'auraient jamais osé faire leur tenta-
tive. »
Une fois de plus, la suprématie sur mer allait trancher
le sort de la colonie. L'escadrille française ne se compo-
sait que de deux petites frégates, la Pomonc et YAta-
lanle, cette dernière commandée par le brave Vauquelin
que nous avons vu se distinguer pendant le siège de
Louisbourg en 1758, et de quelques bâtiments de faible
échantillon. Les Anglais n'avaient eu à leur opposer en pre-
mier lieu que deux frégates qui étaient restées à Québec
et encore l'une d'elles avait fait voile le l" mai, sans doute
pour cherchei" du secours. Lévis voulut profiter dj cette
supériorité momentanée pour faire passer Vauquelin au-
(I) Murray à Ainlierst, (Iqu^clie déjà citée.
ysçr^Tv-ç*; • ■ *w^
ARRIVÉE DUNE FRÉGATE ANGLAISE.
357
dessous de Québec à la rencontre des vaisseaux attendus
de France; l'arrivée d'une nouvelle frégate anglaise fit
renoncer à ce projet.
Depuis 10 jours lesiège suivait son cours quand, le 9 mai,
on vit entrer dans la rade un bAtiment de guerre. Était-
il français ou anglais? l/incertitude ne dura pas long-
temps, [.a frégate jeta l'ancre devant la ville, assura son
pavillon aux couleurs britanniques par un salut de 21
coups de canon et détacha son canot à teri'e. La joie
de la garnison se manifesta par une explosion de cris et
de vivats; officiers et soldats, oublieux, pour une fois, du
flegme national, montèrent sur les parapets en face des
assiégeants, jetant leurs chapeaux en l'air, hurlant, ges-
ticulant à qui mieux niieux; les artilleurs prirent leur
part de l'allégresse générale en faisant un feu des plus
soutenus sur les tranchées et sur le camp fran(;ais. Quel-
que déçus ([u'ils eussent été par l'aj^parition du bAtiment
anglais, les Français tirent bonne contenance et répon-
diient aux bourrahs de la garnison par des cris répéter
de « Vive le Roy ».
La partie n'était pas encore pcdue; la venue isolée
d'un navire de médiocre importance ne prouvait qu'une
chose : que le Saint-Laurent était ouvert à la navigation;
on pouvait encore espérer la montée du convoi de France,
ou tout au moins d'un vaisseau chargé de munitions ([u'on
savait bloqué dans les glaces à Gaspé. Néanmoins, ui vue
du Lowestoft ranima complètement le moral des soldats de
Murray; ce bâtiment ap[)artenait à l'escadre du Commodore
Swan qui avait apparcùllé d'Angleterre au mois de mars;
en route, il avait échangé des signaux avec lord Colville
et savait que cet officiel avait désigné à ses vaisseaux
comme rendez-vous l'ile de Bic dans l'estuaire du Saint-
l^aurent. Quant au navire qui avait hiverné à Gaspé, il
apportait 2V canons de 2V, 300 barils de poudre, des fu-
sils, des boulets et toutes sortes de provisions, maisaban-
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CIIAI». VI.
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donné par son (''(juipnuc, en majorité étranger, il n'était
pas en état do naviguer; Swan, en passant, s'en empara
sans résistance.
Jusqu'alors les mauvais avis n'étaient pas encore connus
et les soldats de Lévis poussaient les travaux du siège
avec énergie, malgré la gravité des obstacles à surmon-
ter : '( La parallèle et les batteries (1) ne purent s'a-
chever qu'avec des difliciUés incroyables L'ennemi eut
bientôt dénuisqué 60 pièces de canon sur les t'ionts at-
taqués. Cette artillerie servie avec la plus grande vivacité,
non seulement retardait la construction des batteries,
mais aussi empêchait les travailleurs de faire les trans-
ports. Los boulets plongeant derrière les hauteurs, il
n'y avait aucun endi'oit qui en fût à couvert.
En dépit de ses efforts, Lévis sava't bien fpie tout détien-
drait des premiers secours : « Nous ne sommes point encore
au bout de nos desseins, avait-il répondu, la veille de
l'arrivée du Loivestoft, aux félicitations do liougaiiiville (2),
je crains autant le pavillon rouge que je désire le blanc. »
Enïin, le H mai, les liatlerios commencèrent h tirer et
malgré la grande supériorité des Anglais, leur action aurait
été efficace si notre petite artillciie eût été de meil-
leure espèce. Dans une déj)éche à Vau(:reuil, Lévis rend
compte (3) de ses déceptions : « Nos batteries sont en
mauvais état, nous avons eu hier au soir deux pièces de
18 <|ui oui crevé et la pièce de 24 qui a été mise hors
de service par une bomi)e; elle était déjà fendue. Avec
le peu de grosses pièces qui nous restent et la ([iialité
n'en étant pas bonne, nous sommes hors d'état do faire
brèche. Les officiers d'artillerie se plaignent aussi (juc la
poudre est éventée, et n'a pas la force qu'elle devrait
(I) Rplalions cl journaux, p. :»il. MaiiuscrUs Lévis.
('.!) Lt'vis a HoMsaiiivillf, cauiiule Qui'lmc, S inailTGO. Paiiicrs ilc !5ougain-
villo.
Ci) Li'vis à VauJnmil, l'rès Québec, i:t mai ITHii. LcUies di; Livi>.
KAILLITË DK I/AUTILLERIE DE SIÈGE.
359
la
ftvr)ir. Sans toiiS tkk ftrcidnnls, nous aurions f/iif hrèclie,
nélant (fti'à H)0 tojso.s (Je la placo, eu allaquaut le bas-
(ion qui est luiivi' cc.liil do in tuinilvepip. el co)(iJ de la
porte Saint-Louis, oh est i|ne /(fusse pHiB. tfjitii ces cir-
constances fâclieijses, je suis obligé de (empolî^lse^ et cher-
cher à gagner du tein|)S, |6^ ffth /eftant eW flfjesure do
pouvoir recevoij- les socoiii'S i^Ul j^lullppnJli OoïiS «('river
de France. Ef si nous en frr0\ffU^ on oaï(////s' ht |/////dres,
la place sera bionf61 prise; c/J/', s/^/js avoir fait brècjio, il
n'est pas possiMe i)f' lonlor une escalade, la garnison
étant encore d envilott 2.500 hommes combattants les
remparts étant bordés d'artillerie, et occupant encore les
blockhaus, et nos troupes étant trop harassées et afFai-
l)lies poui" pouvoir tenter une attaque désespérée. Je
compte soutenir toujours les batteries en état .ivoc du
canon do 12 et quehjues bombes, alin de ménager la
poudre, pour maintenir plus longtemps le siège et être
en mesure do profiter des secours, no faisant brûler qu'en-
viron 2 milliers de poudre par jour. C'est le seul parti
à prendre dans les circonstances où nous nous trouvons
et je me flatte que vous l'approuvez. » Dans un conseil
tenu le 13 (1) chez Bourlamaque encore au lit dos suites
(le sa blessure, il avait élé décidé (pie (( les pièces no tire-
raient chacune (pie 20 coups par jour et qu'on attendrait
les secours d'Kiirope ».
Lévis s'eiïorce d'entretenir le moral en établissant do
l'autre c(Mé de la rivière Saint-Charles une nouvelle
batterie qui devait prendre les défenseurs à revers, mais
il commence il prévoir réchec do l'expédition et désespère
de recevoir les renforts de Franco : « Je crains bien que
la Franco ne nous ait abandonnis, écrit-il à Bigot (2), car
il vente nord-est depuis longtemps, nous sommes dans les
(1) Bourlamaque à Ilougainville. Deschambt^aiix, 23 mai 1760. Papiers de
I{ougainvill(\
li) l.évis à Hi^ol, 15 mai 17(10. Lcllrcs de L<'vi.<.
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LA r.rEHHE UE SEPT ANS.
CIIAP. VI.
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grandes mors et rien n'arrive. Nous avons fait et faisons
ce que nous pouvons. ]c juge la colonie perdue sans res-
source, s'il ne vient du secours. »
Quelques heures après, le secours si ardemment atten-
du arriva, mais c'était celui des Anglais. Le 15 mai,
à 10 heures du soir, on apprit que deux vaisseaux de
guerre venaient de mouiller derrière la pointe de Lévis.
Le général fi'an(;ais «jugea qu'ils étaient anglais, n'ayant
mis personne à terre à la rive du sud pour faire avertir ».
Il ordonna aussitôt le dé|)art des bâtiments qui servaient
de dépùt et le déblaiement de l'artillerie des tranchées;
les frégates furent prévenues et invitées k se tenir sur
leurs gaides et à faire leurs préparatifs pour mettra» * la
voile. Le mauvais temps ne permit pas, paraît-i'. jfti-
cier chargé de ce dernier ordre de le faire passer à bord ;
cependant, il n'empêcha pas les vaisseaux anglais de re-
monter le fleuve.
Voici en quels termes le journal de l'expédition raconte
le désastre de la flottille : « A 5 heures du matin (le
16 mai'), on vint lui dire (à Lévis) que nos bâtiments ap-
pareillaient, (|ue ceux des Anglais étaient près d'eux,
('ne frégate parut, étant suivie de peu de distance d'une
autre; et, à environ un ((uart de lieue et demi, il parut
un vaisseau de soixante canons. Tous nos navires cou-
pèrent leurs cAbles. La Pomono en appareillant abattit
trop du côté <lc la terre du nord et échoua. Les deux
frégates ennemies continuèrent à poursuivre VAlaîante.
Elle (celle-ci) joignit les bâtiments de transports â hau-
teur du Cap llouge et, voyant ([uils allaient être joints
par l'ennemi, leur ordonna de s'échouer. Klle fut forcée
d'en faire autant à 5 lieues plus haut, vis-à-vis la Pointe-
aux-Trembles, où elle essuya pendant ileux heures le feu
des deux frégates. Le commandant (V^uquelin) après
avoir consommé toutes ses munition'^ "^i avoir fort - 1;
dommage les vaisseaux ennemis, fut fait prisonnier sans
LEVÉE DU SiftGE DE QIÉHEC.
301
avoir amené pavillon; les ennemis voyant qu'il ne
tirait plus, y envoyèrent un canot auquel il se rendit. Il
avait fait évader tout l'équipage qui était en état de ser-
vir, et perdit beaucoup de monde et eut un grand nombre
de blessés, dont plusieurs officiers. »
A en croire Bourlamaque (1), la retraite fut L'occasion
de désordres multiples : « Le 10 au matin, M. de Lévis
ordonna (]ue les pièces de siège, les vivres, les muni-
tions et les bagages des troupes fussent embarqués
dans des petits bateaux qui étaient au Foulon. Le vent
était fort, le fleuve agité, le vaisseau de 5^» canon-
nait, les CanadicMis se sauvaient. Le magasin où étaient
les boissons fut abandonné, les soldats furent bientôt
ivres. D'ailleurs, peu de chefs, peu de majors, moins de
discipline que vous n'en avez jamais vu. Plusieurs ba-
taillons perdirent presque tous leurs bagages, le canon
fut jeté en bas de la côte et y resta. Quand le départ du
vaisseau eut laissé cette partie un peu plus calme, on < in-
barqua quelques munitions, vivres et bagages dont une
partie périt à la Pointe-au\-Trembles; d'autres furent
canonnés par les frégates, et abandonnèrent leurs ba-
teaux; d'autres sont montés je ne sais où, on les cherche
et un petit nombre s'est rendu à Jacques-Cartier. Les
bataillons restèrent à la tranchée comme à l'ordinaire
toute la journée du 10. M. le chevalier de Lévis se re-
plia la nuit suivante avec son artillerie légère et les
troupes, derrière la rivière du cap Rouge et y resta tout le
17 à faire décharger (sur des bateaux de rivière) les bâ-
timents échoués. La Mario, s'étant trouvé en état [)nssa la
nuit devant les frégates ar- 'aises et se sauva, les autres
furent brûlés. »
Sur l'avis de l'apparition à Québec du complément de
l'escadre de Colville, Lévis fit continuer la retraite sur
'I) Rourlaniariiit' à Bouj^ainvillc. LcMio déjà cilic.
3():>
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. VI.
) ;i^
Jacques-Cartier, après avoir laissé VOO hommes de ligne
et de marine à la Pointe-aux-Treml)les. Le 19, l'armée
franchit la rivière de Jacques-Cartier, non sans de longs
retards dus au manque d'emharcations. Croyant que les
vaisseaux anglais avaient des soldats à bord, l.évis eut
d'îibord l'intention (l)de replier ce poste, mais ayant ap-
pris, par des officiers convalescents sortis de l'hopilal géné-
ral, qu'aucun renfort n'avait débarqué, il en conclut que
les Anglais n'étaient pas en état d'agir et résolut de se
maintenir à la Pointe-au.v-Trenibles. A partir du 21 com-
mença la dislocation; l"S vivras faisaient défaut; la plupart
des Canadiens étaient lenties chez eux; l'ennemi, à moins
d'être rejoint par des troupes fraîches, ne songerait pas à
la poursuite; il n'y avait aucune raison d'imposer aux
débris de l'armée la fatigue de tenir campagne. On se
borna à détacher sur la frontière 1.800 hommes sous les
ordres de Dumas et repartis entre les postes de la Pointe-
aux-Trembles, Jacques-Cartier et Deschambcaux. Le reste
des bataillons regagna ses quartiers d'hiver.
A en juger par le récit de Boui'iamaque, la perle de
l'artillerie de siège et des munitions aurait pu être évitée
ou tout au moins diminuée si l'on avait procédé, dans les
services d'arrière, avec le sang-froid et la méthode qu'on
déploya pour l'évacuation des tranchées. « J'arrivai sur
mon brancard, écrit Bourlamaque, au cap Kouge à 8 h.
du matin, fort étonné d'y voir tous nos bAtimenls que je
croyais bien loin. Tous les Canadiens fuyaient; je fis gar-
der le pont par des officiers de bord ; ils s'échappèrent
par Lorette et par les ponts du haut de la rivière; fort
peu restèrent avec les troupes; je trouvai 120 bateaux,
pas une garde, pas une rame, seul avec quelques blessés,
je rassemblai une trentaine de Canadiens et avec les
équipages, je commençai ii faire décharger les poudres et
(I) BoiiilaiiitV|MC ù ilougainville, LelUc déjà dire.
ir?f!fV:i.,
KW^W
DÉSORDRES DE LA RKTRAITE.
363
les farinos. Heureusement, le vaisseau de 5V que j'atten-
dais à toute heure retourna à Québec. Je demandai en
vain toute la journée un détachement et les rames qui
étaient au Foulon, on ne put m'en envoyer. Je fis faire
quelques rames, et je partis à l'entrée de la nuit avec une
goélette chargée de farine et 5 bateaux où j'avais fait
mettre les poudres pour passer de nuit par le sud devant
les frégaîcis anglaises. Le vent devint si violent lorsque je
fus au delà de ces frégates, (|ue mes bateau.\ et plusieurs
autres, pa'.'tis du Foulon, qui avaient pris la même route
furent dispersés. Trois chargés de poudre périrent ainsi
que plusieurs des autres. » Quel ([uo fût l'ofilcier respon-
sable de ce désordre, ces abandons de muniu'ms et de
provisions eurent une répercussion déplorable sur la fin
de la campagne défensive.
Pendant le mois de juin, il y eut un intervalle de ré-
pit, mais la situation de la colonie était désespérée, ainsi
que le fait ressortir le résumé suivant emprunté au jour-
nal de l.évis : « La levée du siège, la retraite et les
mauvais temps en se retirant de ce siège, où Ion avait
porté en poudre, vivres et artillerie toutes les l'essources
de la colonie, nous mirent au dépourvu de toute espèce.
Les bataillons étaient réduits à deux cent cinquante et au
tiers des officiers, ayant laissé un détachement à Dcs-
chambeaux et un second à llle aux Noix. Ils manquaient
de fusils et de baïonnettes. Toute notre artillerie con-
sistait dans les pièces de campagne (|ue nous avions prises
aux ennemis le 28 et à (|uarante boulets j)ar pièce. Point
de navire de guerre, que la flûte la Marie sur la(juelle on
mit (|uelques mauvais canons de fer. Nous avions deux
derai-galères construites depuis peu à Montréal, deux bA-
timents sur le lac Ontario, une goélette et deux petites
tartanes sur la rivièie Saint-Jean, le tout assez mal
pourvu d'éfiuipages, la plupart des matelots s'étant
retirés dans les paroisses. Nous n'avions pas la moitié
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LA GUEnUK DK SKPT ANS. — CHAP. VI,
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de bateaux qu'il fallait pour le transport des troupes.
Nulle espérance de secours, le lleuve étant couvert do
vaisseaux de guerre anglais. Nous apprîmes dans le
mois de juin que des biUiiuents ([u'on avait envoyés de
France, les ayant fait partir trop fard, les uns avaient été
pris et les autres s'étaient réfugiés dans la Baie des Cha-
leurs. »
Ces derniers faisaient partie du convoi accompagné par
trois petites frégates sous le pavillon de M. d'Angeac.
Sortie, comme nous l'avons dit plus haut, de la (lironde
le 10 avril, la flottille parvint sans encombre à la hauteur
de lile Anticosti le IV mai; dans ces parages on sut,
par une banpie dont on s'enqiara, que l'escadre britan-
nique était dans le golfe depuis G jours; D'Angeîic fit voile
pour la baie des Chaleurs où il amarina 5 navires anglais
a\ec des cargaisons de valeur, puis il s'abiifa dans la ri-
vière de Ristigouche sur les confins derAcadie,oii lestrans-
porfset leur escorte demeurèrent, sans être inquiétés (1).
jusqu'à lafindejuin, Recommandant avait expédié à Mont-
réal les dépêches de la cour et « établi un camp pour rafraî-
chir les troupes et leséquipagcs. Il y avait, mande-t-il, plus
de 1.500 habitants réfugiés dans cette partie, mourant de
faim, ayant eu des castors pour toute muirviluro pendant
l'hiver. Nous leur avons fourni \\ç» \\\\vs et nous avons
mis des chaloupes en ptH'l\e. >
Les 2'i. et il juin, on eut connaissance de plusieurs
■'^'dsseaux anglais <|ui cherchaient à pénétrer dans l'ein-
bouchure; cela « nous engagea à remonter les nôtres |e
plus avant qu'il serait possible dans la l'i\h'n'0 ul i|e \\'ix-
vailler à décharger les vivres et autres efVefs; on coula
quelques biltiments pour boucher le chenal; retl(> chaln(!
était soutenue par deux batteries, mais n'ayant que de
,'i: ;,
(I) Relation H<» la n.ivij^ation Je la petite flotte (tartie de Bordeaux. Record
uKirc.
ttx-i^---
DESTRUCTION DU CONVOI A UISTK.OUCllE.
305
petits calibres, elles n'ont fait face ((u'autant qu'elles ont
été battues par les frégates, mais un vaifseau deT'i- canons
les ayant prises en flanc, il fallut les abandonner après
avoir crevé le canon ». liC combat dura Irois heures;
écrasés par la supériorité de l'artillerie anglaise, les
Français furent obligés de mettre le feu à deux de leurs
frégates et à abandonner la troisième à bord de laquelle
étaient détenus G2 prisonniers anglais. Le coinmodore
liyron (1), qui était à la tète de lexpédition, avait sous ses
ordres trois vaisseaux de ligne et deux frégates, dont l'une
dut être renvoyée k Halifax j)our réparer ses avaries; il
détruisit 22 bfVtiments de commerce appartenant au con-
voi, et 200 maisons du village, mais il no put rien entre-
prendre contre les troupes de terre qui s'étaient retirées
dans l'intérieur. Après le départ de IWron, les Fran-
eais réannèrent cpielcpies barques, firent des prises
aux Anglais, et se maintinrent jusqu'à la capitulation
de Montréal, dans laquelle ils furent conq)ris. D'après
une lettre du commissaire Haziigier (2), leireclif em-
barqué pour la France se conqiosa de 7 officiers et do
199 soldats. Ils laissèrent derrière eux une population
de 1.;100 Acadiens privés de touliî ressource, à en juger
p!U l'csIliiU suivant do la correspondance : « Les liabi-
timls des trois postes de Miramichi, de relui lie li|iipilf.!lll|i
des trois de C-araipiiH, élni(\nl l'ui'i A plaindre eu ,|llll|i4.
Ils se plaiMn'iicnt ùtre dans je môme é(at ililHlN quelques
nttUlMUi omix i|u l^istigouclie sortaient de diverses côtes
Mans doute aussi malheureux. Ils sont t^lis <|(||'oi|H, iiuiii!l
naresseux "I imhqiendants s'ils ne sont gouvernés. Les
Normands de la partie de (iaspay, Pabos, Parpédial, la
(Irande-Uivière n'étaient [)as mieux cet été. Lors de la
capitulation, les Anglais ont bri'ilé deux bâtiments à canon
(1) Byron A Colvilli-, 14 juillel ITCO. N. America. Hor.oiil OITice.
('.?) UappoiLs de Hazagier, 17 seiiltMiibio, 28 (iclobit; cl ;M ilcc.ciuliic 1760,
Archives 'les Colonies.
ïiA
il!
I il
tM
LA GUKUUE DK SKI»! ANS. — CUAl'. VI.
qui postaient encloués, roiiipii des canons et di'Mnoli les
deux premières l)atteries. Il a resté sept petits bâtiments
pour la pùclie des iiabitanls. » De ees détails, il apparaît
que, jusqu'à roccupati(manj;iaise. ces Aoadieusse livraient
»'i la tç-uerre do course et faisaient un tort considérable au
commerce britanni<[ue. Un des plus renommés de ces
marins, Jos« pi) Leblanc, originaire du canton dos Mines,
avait été nu'dé à plusieurs incidents des cami)!ignes d'Amé-
ri([U(' ; réfugié à, Miramiclii après la prise de Louisbourg, il
tombait, pour la seconde l'ois, aux mains des Anglais (1)
qui linternèrent à Halifax.
Des trois expéditions que le gouvernenu'ut britannique
allait diriger contre Montréal et les hunbeaux des posses-
sions françaises, la première [irôte fut celle qui devait partir
de Québec. Aussilùt le siège levé, Murray s'était veng-é
des angoisses endurées en sévissant contre les malheureux
Canadiens de la province de Québec qui, malgré leur
soumission, avaient repris les armes ou aidé les Français; à
titre d'exemple, il fit pendre, le 29 mai, devant sa porte (3),
le capitaine de la milice de la paroisse de Saint-Michel
<[ui avait conduit qiiel(|ues-uns de ses honmies au camp
de l.évis. L'exécution de ce patriote avait été précédée
d'une proclamation datée du 22 mai ['.h, à peine une se-
maine après le départ des Français : « Nous avons donné
aux habitants le temps nécessaire de rentrer en eux-mêmes
et de réfléchir mûrement sur l;i folie de leurs démarches;
ils ont négligé nos avis salutaires et se fient à des espé-
rances trompeuses; ils ont attiré sur eux de nouveaux
malheurs. Si nous n'écoutons que le juste ressentiment
d'un i)rocédé si inique, ils méritent le châtiment le plus
rigoureux, mais guidé par des sentiments plus humains,
(1) Leblanc revint en Fiance et devint titulaire, le l" août 1767, d'une pen-
sion de Geo livres en récompense de ses services.
(2) Knox, HisloricalJoiir nul, 11, p. 330.
(3) Manifeste de Murray, Québec, 22 mai 17«0. Papiers de Hougninville.
Cil
l'HOCLAMATlONS UE MUUUAY.
367
nous voulons tenter <lo les retirer de l'ahlnie dans lequel
ils se sontploni^és. Nous n'ignorons [)as U's ruses et les ar-
tifices dont ou a usé pour Ns attirer dans le i)'u'^g'e, et cela
en (|uel(iue manière tait leur excuse. Kuliu, le peuple le
plus j^Y'néreux du monde leur tend les bras une seconde
l'ois et l(!ur oll're «les secours puissants et infaillibles... Le
lloy, mon MaUre, résolu de posséder le Canada, ne désire
pas régner sur une province dépeuplée, il veut conserver
les babitants, la religion <(u'ils cbérissent et les prêtres
qui l'exercent; il veut maintenir les communautés et les
particuliers dans tous leurs biens, leurs lois et coutumes,
pourvu que contents de sentiments si généreux, ils se
soumettent de bonne grA,ce et promptement ù ses or-
dres. »
Suit un tableau des défaites de la France sur mer et de
l'impuissance dans laquelle elle se trouve de venir en.'ùde
î\ la colonie. Le document se termine par un appel aux
sentiments pacifistes de ses lecteurs: « Canadiens, l'etirez-
vous de l'armée, mettez bas les armes, restez dans vos
habitations et ne donnez aucun secours à nos ennemis. A
ces conditions votre tranquillité ne sera pas interrompue,
vous ferez vos labours en sûreté, le soldat sera contenu
et ne fera point le dégûtdes campagnes, vous serez encore
k temps pour éviter la famine et la peste, fléaux plus dé-
vorants encore ([ue celui de la guerre, et qui à présont
menacent le Canada d'une ruine totale et irrépara-
ble. »
Dans une autre proclamation en date du 27 juin (1),
l'habile gouverneur exploite la nouvelle récemment
re(,'ue de la répudiation ou dc^ l'ajournement du paie-
ment des lettres de change ou des billets tirés sur
la métropole. Une circulaire signée de Vaudreuil et de
(1) Murruy aux capilaines des Milices. Qui-bec, 21 juin l/tiO. Archives dis
Colonies.
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368
LA UUKIUIK UE SKPT ANS. — CIIAP. VI.
Ititiot avail cherclu'' ii atténuer l'impression désastreuse
occasionnée par cette mesure. Murray s'efforce de ré-
futer l'argumentation des autorités de Montréal; tout d'a-
l)()rd il s'étonne de les voir s'adresser « aux Canadiens,
sujets de S. M. Britannique » ; il discute leurs assertions,
d'ailleurs optimistes, et sur un ton sarcastiqu(î, démontre
leur peu de valeur : « Il est à présumer que la letire cir-
culaire parle pîus véritablement quand elle dit que les
hillets de caisses ordonnancés seront retirés et bien payés
dès ([ue les circonstances le pernu'ttront, parce que les
circonstances ne le permettront jamais. S. M., à ce qu'il
nous parait, semble croire que les malversations de ses
ministres ont bien contribué à la banqueroute qu'il est
obligé (le faire. » A retenir enfin les précautions prises
pour obtenir la publicité voulue : « Vous lirez cette lettre
à la porte de l'église, à l'issue de la messe un jor.r de
fête, et vous la ferez bien comprendre aux habitants,
après quoi vous la ferez afficher à ladite porte, et pren-
drez soin ([u'on ne l'Ate, sous prétexte que ce puisse
être. »
F^e terrain politique ainsi préparé, Murray s'apprèla .i
remonter le Saint-Laurent; avec 'es meilleurs éléments de
chaque régiment de sa garnison, il constitua un petit corps
expéditionnaire de 2.4^50 combattants qui s'embarqua k
Québec, le IV juillet, sur une tlotte de 75 transports ou
berges escortée par 3 petites frégates. A cette date, lo
col()n(>l Haviland <>t le général en chef Amhcrst étaient
"iicore occupés à réunir ieur monde, Je premier à Saint-
Frédéric sur le lac Champlain, le second à Oswego sur
le lac Ontario. Les progrès d<> Murray furent lents; il
mit 12 jours à atteindre et à franchir les rapides de
Richelieu ; il eut à cette occasion avec le corps de Dumas
une escarmouche qui coûta quehpies hommes aux deux
partis. Au fur et à mesure de sa navig'ation, le général
anglais imposait aux habitants le serment de neutra-
il
MURRAY REMONTE LE SAINT-LAURENT.
:!(•.<)
litr. Knox décrit (1) la côrrmonie; on réiiuissait en cer-
cle les paysans, on l<Hir faisait lever la main dioite,
puisa tour de rôle chacun, en prononçant son nom, ré-
citait les paroles réglementaires : k En la présence du
Dieu tout-puissant, je jure que je ne porterai pas les
armes contre (ieorges II, roi de la Grande-Bretagne,
ni contre ses troupes et ses sujets; je ue fournirai à
ses ennemis aucun avis direct ou indirect. Que Dieu
me soit en aide ! »
Il n'est pas surprenant que la pression ainsi exercée
ait agi sur des pauvres gens qui se rendaient lùeii
compte que la partie était perdue. Aussi les colons de la
rive sud que les troupes françaises avaient déjà éva-
cuée, ne tirent-ils pas de difliculté pour apporter A bord
de la tlottille des volailles, des légumes, des œufs et
d'autres denrées qu'ils échangeaient contre le sel, le porc
et le bœuf qui leur faisaient défaut.
A la hauteur des Trois lUvières, le convoi de Murray
défila devant les troupes françaiî^es qui étaient rangées en
bataille pour s'opposer à un débarquement possible.
Knox dépcunt le .spectacle en (2) termes enthousiastes :
c Les Français, appnremment au nombre de 2.000. gar-
nissaient leurs ouvrages, ils étaient en général habillés
en uniformes sauf très [)eu de Canadiens et environ
50 sauvages, le corps peint en couleur rougeAtre, le vi-
sage de nuances diverses; je les voyais distinctement avec
ma lun(>tte, défigurés par des dessins fantastiques destinés
à frapper l'ennemi de terreur. La cavalerie légère qui
caracolait sur la [)lage m'a paru bien équipée; elle était
habillée en bleu avec des parements rouges; leurs offi-
ciers étaient eu uniformes blancs. Kn résumé, ces troupes,
les batteries, les maisons ayant bon air, tout cela réuni
(1) Knox, Ili.iloricnl Journal, H, |i. .(5'«.
(•}.} Knox, lliilorical Journal, II, p. \\M.
GLICIIHK l»i: Si;i>T ANS. — T. IV.
24
•:'« I
f^
M"i.
II
fv
370
LA GUERRE DE SEPT ANS.
niAP. VI.
sur la rive d'un ll<;uve .superho, notre flottille à la voile
(lôlilant trioinplialeuiont, les bateaux rangés en bataille,
de chaque côté le paysage égayé eà et lA par des habita-
tions bien entretenues, le tapis vert des champs, le feuil-
lage des arbres, cnlin un temps clair et agréable, tout
cet ensemble constituait un tableau aussi charmant que
rimagination la plus fertile pourrait se le tracer. » Pour
des raisons inconnues, les Français laissèrent passer le
convoi sans un coup de canon et se contentèrent de le
suivre en amont. Sans doute cette inaction était due j^i la
mauvaise qualité ou au manque des nmnitions nécessaires :
« Je mène mon canon, écrit vers cette époque Bourla-
ma({ue (1 ), mais ce n'est pas sans peine. .le n'ai pas encore
fait tirer un coup sur les bâtiments, persuadé que, quand
j'en incommoderai quelques-uns, je ne ferai pas manquer
l'expédition, mais votre poudre. »
Tandis que Dumas remontait la rive gauche après avoir
mis un détachement dans le fort de .lacques-Cartier, Bour-
lamaque avait été posté à Sorel à la jonction de la rivière
de ce nom et du Saint-Laurent avec 700 hommes, dont
la moitié ;< miliciens de mauvaise volonté ». Du 12 au
26 août, il reste à Sorel ou à Saint-Ours, surveillant les pro-
grès de Murray, et échange avec Lévis des lettres presque
journalières dans lesquelles il rend compte d'une situa-
tion <levenue chaque jour plus désespérée. [| eût été
peut-être possible d'infliger un échec à Murray avant l'en-
trée en scène des deux autres expéditions, le gouverneur
de Québec, jusqu'à l'arrivée de Lord Kollo qui le rallia
le 17 août avec deux bataillons venus de Louisbourg,
n'ayant que des forces inférieures à celles de Lévis. Mais
sans nouvelles d'Amherst, on ignorait encore si l'attaque
du général en chef se produirait par le lac Champlain
ou par le Saint-Laurent. Quant à Murray, depuis la des-
^1) Bouilamaque à Lévis, Sorel, 14 aoùl 17G0. Manuscrits Lévis.
PROCÉDÉS DE Ml'RRAY POUR OBTENIR LA SOUMISSION. :'w I
ti'uction de:' frégatoH, on no pouvait lo combattre par
eau, car on n'avait d'autre artillerie que les pièces
de campagne capturées à Sainte-Foy; les armes et les
munitions faisaient défaut, et pour comble de malheur,
la désertion gagnait de plus en plus la milice. Lies lettres
de Bourlamaquc (1) reviennent à chacjuc instant sur ce
sujet : i< J'envoie cette lettre par un officier de milices
que tous ses gens ont abandonné et qui me proj)ose
de les aller chercher... Je n'écris pas à M. de Vaudreuil
sur la désertion des Canadiens parce que j'en sens
l'inntiUté Ceu.v-ci (les miliciens) désertent par ban-
des et la [)luie d'hier a activé de les dégoûter. J'en per-
drai beaucoup aujourd'hui, il m'en a déjà déserté plus
de 200. »
Malgré lout, des habitants eu bon nom!)re et notamment
ceux de Sorel, demeuraient fidèles. Pour surmonter leur
résistance, Murray fit débarquer dans la nuit du 22 août
les deux régiments de RoUo et quelques rangers avec
mission de sévir contre les récalcitrants; ils brûlèrent
beaucoup de maisons et dévastèrent la plus grande partie
de la paroisse. Knox est tout ému (2) du chagrin qu'é-
prouve son chef d'avoir recours à des mesures de ri-
gueur; à sa décharge il cile les termes de la dépêche
que le général envoie à Pitt : « J'ai constaté fjue les ha-
bitants de la paroisse de Sorel avaient déserté leurs habi-
tations et pris les armes. Je me suis trouvé par suite
dans la cruelle nécessité de brûler la plupart des maisons
de ces malheureux. Je prie Dieu que cet exmnple suffise,
car ma nature se révolte contre l'acconqjlisscment d'un
devoir cependant nécessaire. »
Les cruautés de Murray, car il est difficile de donner
un autre nom à ces agissements, avaient été précédées de
i?J
(1) Iloui'lainaqiieà Lévi», Son>l, 1.5 août 17G0. Manusciils Lévis.
2) Knox, HistoricalJournal, II, \>. 37.5.
I' :
\i
37a
LA GUERRE DE SEPT ANS. — HHAP. VI.
deux luanifesi^s (IV le preiuier, en date du 23 juillet,
était ainsi conçv: : « Séduits par des promesses qui n'ont
jamais eu delTet, Canadiens, vous avez toujours fermé les
oreilles à nos remontrances et à nos avertissements.
Aveugles iV vos propres intérêts, vous êtes les victimes de
vos préjugés. Les aflaires du Canada fendent k présent à
leur fin. Vous êtes encore, pour un instant, maîtres de
votre sort. Cet instant passé, une vengeance sanglante
punira ceu\ qui oseront avoir recours aux armes. Le ra-
vage de leurs terres, l'incendie de leurs maisons, seront
les moindres de leurs mal'" "irs. Les sages coKms, au
contraire, qui profitant de rexpéiience passée resteront
tranquilles chez eux, jouiront de leur religion, de leurs
biens, et sous les auspices d'un prince, père de ses sujets,
soutenus et protégés par un bras si puissant, deviendront
ricbes et florissants. »
Cet appel à la lâcheté et à l'intérêt n'ayant eu qu'un
succès relatif, Murray le fit suivre par une seconde pro-
clamation, le 21 août, quelques heures avant l'incendie
du village de Sorel et par conséquent trop tard pour
que la population fût prévenue : « Votre entêtement con-
tinue; vous me forcez, malgré mon humanité, à mettre
k exécution les menaces que je vous ai faites. Il est temps
de commencer. Je vous avertis que dorénavant je trai-
terai à la rigueur les Canadiens que je prendrai les ar-
mes à la main, et que je brûlerai tous les villages ([ue
je trouverai abandonnés. »
Quoi qu'il en soit, et quel que soit le verdict de la pos-
térité sur des procédés qu'on a vus se renouveler dans
notre histoire contemporaine, ils produisirent l'effet visé
Bourlamaque le constate (2) avec amertume. « L'ennemi
ayant brûlé les maisons du bas de Sorel, dont les ha-
(1) Lettres et pièces mililaires, p. 28'i et '.^85. Manuscrits Lévis.
('?) nourlamaque à Lévis, Saint-Ours, 2,iaoiil 1700. Lettres de Uourianiaipii',
p. 101 et 102.
SOUMISSION DKS CANADIENS.
bitants étaient avec l'armée, et épargné colles des fuyards,
qui étaient chez eux, s'est lembarqué Les habitants
de Sorel qui avaient très bien ser'i Jusqu'à cette lieure,
sont tous retournés chez eux. Ceux ae Saint-Ours, que
j'avais jzardés chez eux pour le service de l'armée, re-
fusent tout service, et je sui;s obligé d'envoyer un déta-
chement de soldats dans cette paroisse pour en tirer
quelque secours. J'ai fait à main armée une levée dans
Maska et les autres paroisses; ils désertent tous. Agréable
besogne! On mandera sans doute à la cour que j'avais
2 ou 3.000 Canadiens qui ont fait merveille.
Quelques jours après, Knox relate une petite rencontre
à Varennes, où trois Canadiens furent tués et scalpés par
les rangf^rs, puis il enregistre la reddition do plusieurs
villages : « Toute la paroisse de Varennes s'est rendue, a
livré ses armes, et a pris le serment de neutralité ; leurs
combattants formaient un total de cinq compagnies de
milices; deux autres paroisses aussi peuplées ont annoncé
l'intention de faire leur soumission demain. » L<i fin du
d.'anie avançait à grands pas, car les deux autres co-
lonnes britanniques, enfin entrées en jeu, s'approchaient
rapidement de Montréal et allaient se donner la main.
Au cours de l'été de 1759, on se le rappelle, Hourla-
maque, qui avait été chargé de cette partie de la fron-
tière, avait évacué et détruit les forts du lac Champlain
et s'était retiré dans une ile de la rivière de Chambly ou
Hichclieu, nommée Ile aux Noix et située en aval du lac
et à environ 3 kilomètres de son embouchure. l*our la
campagne présente, Bougainville avait remplacé son i)ri-
gadier; investi de son conimandemei/ dès le printemps,
il avait profité du répit que lui laissaient les Anglais et
de la bonne volonté de sa petite garnison de V50 hommes
pour achever et améliorer les fortifications du poste.
L'Ile aux Noix, longue de 2 ij\ kilomètres, et d'une lar-
geur variable de 100 à 300 mètres, occupait le milieu
37i
LA GIJKURR DE SEPT ANS.
ClIAP. VI.
(lu chenal; au bord du hi'as ^iuichc ('fait construit le
foi'tiu (1) avec cnc(Mut(; en pieu.x munie do bonnes palis-
sades et dune artillerie assez nond)reusc, mais de faible
calibre; aucun abri pour la garnison (pii serait exposcie
au.\ projectiles ennemis. Peu\ chaînes, l'abri(jU(''es « avec
un gros cAble cncadr(3 dans des pi('ces de cèdre », reliaient
liie A la terre ferme et formaient un barrage destiné
à empocher les Anglais de descend i-e leurs bar(]ues en
aval du fort.
Au conunencement d'aoi\t, Bouga inville vpc^ul des ren-
forts importants, et au d(''but du siège il avait sous ses
ordres deu.\ faibles bataillons de ligne (Guyenne (2) et
Berry), six piquets prélevés sur les autres régiments un
peu plus de ïOO miliciens, une poignée d'artilleurs, des em-
ployés, des commis, des matelots, en tout l.'*53 hommes,
sur lesquels un peu plus de 1.200 combattants. La flot-
tille attachée au poste se composait d'une goidette, dune
gabarre et de deux tartanes, le tout armé de deux pièces
de 6, douze pièces de fp et de pierriers. Jusqu'au 10 août,
la quiétude des Fran(,'ais ne fut troublée par aucun inci-
dent sérieux. Ilaviland qui avait été mis à la tête des trou-
pes régulières et provinciales assemblées à Crown-Point
(St-Frédéric), devait quitter ce poste le môme jour
qu'Amherst partirait d'Oswego. Vax exécution de ces ins-
tructions, il mit à la voile le 11 août avec 3.200 régu-
liers et provinciaux escortés par deux bâtiments à voiles
et trois galères à rames; il emmenait avec lui un parc
formidable d'artillerie. Le IG août la flottille fit son
apparition devant l'Ile aux Noix; malgré une canon-
nade assez vive, on effectua le débarquement du per-
sonnel et du matériel en amont et à peu de distance de
l'ile. Les opérations furent poussées avec vigueur : « Ils
(t) Le fort actuel de l'Ile aux Noix est de construction plus récente.
(2) L'état du 1 1 août donne pour ce régiment 250 sous-olficiers et soldats.
Paiiiers de Bougainville.
-sint-fr^^^-'
DÉFKNSK ET ÉVACUATION DE LILE AUX NOIX.
;i75
(les Anglais) ont éri.^é, écrit .Fohnstonc (1), cinq Wjittc-
l'ies de canon sur la rive sud de la rivière ef une batterie
^ mortiers, dont le feu plongeait dans nos trancixes.
Us nous voyaient de paitoul, à flos, de front et de
C(^t.'^ et ils étaient si près qu'à IVstacado du sud, ils
nous tuèrent plusi'^urs de nos soldats h coups de fusil.
Le sol sablonneux nous a préservés des clFets de l'écla-
tement de leurs obus qu'ils nous envoyèrent en grand
nombre. » Tout alla bien jusqu'au 25 août; ftougainvillc,
en communication avec (2) Koqnemaure qui commandait
à Saint-.lean, évacuait sans difficulté ses blessés ou malades
et se procurait les munitions dont il avait besoin. Le moral
était bon : « Nous sommes à la belle étoile, manrlait-il,
pour toute nourriture la bombe et les boulets labourent
toutes les barafjucs. »
Le 25, au matin, un accident f.Vcheux se produisit :
les Anglais dirigèrent le feu de quelques pièces de cam-
pagne qu'ils avaient amenées à bras, sur une tartane
et une barque françaises; celles-ci en cberchant à
échapper s'échouèrent et furent amarinées. Haviland
profita (le cet avantage pour transporter une partie de
sa tlottille au delà du fort et pour i-avir aux Français la
maîtrise de la rivière de Chand)ly. Privé de son ravi-
taillement, réduit à deux jours de vivres, presque cerné
par l'assiégeant, Bougainville se vit dans des circons-
tances fort criti(|ues. Il avait reçu, par l'entremise d'uu
officier venu de Saint-.lean, une lettre de Vaudreuil (3)
l'autorisant à évacuer l'Ile aux Noix « lorsque les
ennemis seraient en situation, avec le secours de la
marine qu'ils nous avaient prise et le nombre de berges
qu'ils pourraient avoir passées, de descendre avec toute
leur armée, ou lorsque je me verrai forcé de me rendre
(1) Jolinslone, War in Canada, manuscrit. Archives de la Guerre.
(2) Bougainville à Lévis, lettres de divers à Lévis. Manuscrits Lévis.
(3) Vaudreuil à Bougainville, Montréal, 26 août 1760. Manuscrils Lévis.
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376
LA r.lJKHUK DE SEPT ANS.
CIIAP. VI.
OU ;ni iiiomcnl d'cMi'c emporté do vive Corcc ». hautrc
part, le ine,ssiif;ei' lui avait tfansiuis l'ordre verbal de La
l'anse, aide-inaréclial f^énéial des logis, de iic pas ohlcni-
pércr aux instructions du gouverneur général et de se
défendre jusqu'à la dci'iiièrc extrémité. Le cas était d'au-
tant plus embarrassant que l'invitation de La Pause, on le
savait de l)onne source, étail conforme il la vohmté de Lé-
vis, lîougainville convoqua un conseil de guerre (1), lui
soumit les communications contradictoires qui lui étaie-it
I)arvenues et exposa les moyens de défense (]ui restaient
encore. Le conseil se pronon(;a à l'unanimité pour l'aban-
don du fort. L'évacuation s'elfcctua le '11 aoiU, à 10 heu-
res du soir; toule la garnison, à l'exception do V() honmics
destinés à retenir l'attention de l'ennemi, passa sur la rive
gauche de la rivière et se mit en mai'che à travers la
forêt dans la direction de la Prairie, village sur le Saint-
Laurent, enlace dCiMontréal. Malheureusement, les guides
se méprirent sur le chemin, la colonne s'égara, et se
retrouva à midi le lendemain, à faible distance du point de
départ, ('/est avec la plus grande peine qu'on gagna le
fort Saint-Jean sur la rivière Sorel, à \ lieues de l'Ile aux
Noix, (^ettc retraite coûta aux troupes de Hougainvillc
environ 80 hommes qui, pour la plupart, furent tués
et scalpés par les sauvages attachés au corps d'Havi-
land. Le siège, qui avait duré à peine quinze jours, oc-
casionna à la garnison une perte à peu près égale. Le
27, à 1 heure, le capitaine Leborgne, commandant les
40 .soldats laissés à la garde du fort, hissa le drapeau
blanc et se rendit aux Anglais qui furent très étonnés
d'apprendre les événements qui s'étaient passés à leur
insu.
Peu de temps après, Ilaviland prit le contact avec
(1) Conseil de guerre tenu à l'Ile aux Noix, 27 août 1760. Papiers de Bou-
gainvillc.
OI'KRATIONS I» AMHKHST.
;<77
Miiiray en lui onvoyanf un ol'ficier déguisé avec quatre
ran^pi's; ils a|)portai(Mil l'avis ([uc la division était vn
rnairho pour rejoindre li'S autres fractions des Ibroes
l>riliinni(|ues et ([uelle comptait airiver à la Prairie dans
deux ou trois jours, c'est-à-dire vers le V ou 5 septembre.
I>a chute de l'Ile aux Noix entraîna celles des forts Saint-
Jean et Chamhly ((ui furent évacués les 29 et 'M) août; les
détachements français ((ui avaient occupé ces postes, ainsi
(jU(> celui de Sorel, relluèrent sur la Prairie, Vareiinrs
et l.ongueil, où nous les laisserons momentanément [)our
accompagner la grande armée ([ui, sous le conunande-
ment du général en chef Amherst, envahissait la colonie
par le sud.
Amherst était à Alhany quand il reçut la dépèche de
Murray, du 30 avril, lui faisant part de sa défaite et lui
demandant des r<'nforts. Il lui répondit à la date du
1!) mai, en \ii annonçant l'envoi de 2 régiments de la
garnison de Louisbourg", seules troupes dont il put dis-
poser. Cette brigade, sous les ordres de lord HoUo, fit
voile de Louisbourg le 1" juillet et ne rejoignit Murray
que le 17 août au méridien de Sorel.
Le 28 mai, les Anglais apprirent, par des déserteurs
français, la levée du siège de Québec. Amherst poussa avec
activité les préparatifs pour la double invasion du Canada,
contia, comme nous venons de le voir, au colonel lla-
viland la mission d'atta(|uer l'Ile aux Noix et se dirigea
lui-même sur Choucguen qui avait repris son nom britan-
nique d'Oswego. Il s'y installa le 9 juillet (1) et employa
un mois à rassembler ses troupes et à organiser les
moyens de traverser le lac Ontario et de descendre le Saint-
Laurent. Enfin il s"cml)arqua, le 10 août, avec ses régu-
liers, suivis le lendemain par les provinciaux commandés
(1) Atnherst à PiU, William Augustiis, 26 aoûl, Journal o[ Opérations.
Record Office, N. America.
k:
!'
!,
ff
. "£.
378
i.A (juKUui; m: skpt ans. chai», vi.
.A ;i
pnr nage. L'ox|ir(liti()ti se c<)iii|iosnil «h; 10 bataillons
fie ligne, i> C(»mj)agni»'s de r;ingers et (riiii cantiiigcnt
d'artilIcMirs, soil on l«»ul ô.ôSli r(''guliors, V.'i.7î» provinciauv,
70H sanvag(!S ot lîK) inatrlnls. (lollc IVn-midaMc année
était ti'ansportée sur 050 berges et balcinii^res. Johnson,
grâce îi lin subside de 125.000 livres sterling, avait réuni
\.'VM) Indiens dont beaucoup avaient servi dans les cam-
pagnes précédentes sous le drapeau français, niais pen-
dant \v séjour à ()sw«'go, un grand nombre de ces
auxiliaires ébiient retournés chez eux. Le IT iioùl, il y eut
une rencontre avec les deux [»etits bâfimculs de guerre
que les Kranc^ais pos.sédaient sur le lac; l'un s'échoua et
lut capturé ; le second, armé de 10 pièces de 12, prit chasse,
mais le vent tombant, fut enlevé à l'abordage par les ga-
lères k rames après un combat (jui coûta à l'équipage
français l.» hommes tués ou blessés et 2 seulement aux
Anglais.
Le 18 août, Amherst (1) était à la hauteur du nouveau fort
Lcvis, construit dans uni; ile du Saint-Laurent, vis-à-vis
de la colonie indienne de la Providence, l'nc fraction des
forces britannicjue s'installa en aval, l'autre en amont, et
la troisième en face des Français; pendant l'opération, le
feu de la garnison mit du monde hors do combat et coula
une galère armée. Le 23, trois bntteries anglaises com-
mencèrent à tirer. Malgré r.ictivité d(''ployée, il devint
bient/)t évident que la prise du fort Lévis, qui n'était d'ail-
leurs qu'une fortification en pieux comme celle de l'Ile aux
Noix, demanderait quelques Jours. Pour brusquer l'entre-
prise, Amherst donna l'ordre au commandant Loring de
descendre le bras principal du Saint-Laurent et de s'em-
bosser à faible portée du fort avec ses deux bAtiments,
auxquels était joint le brick français capturé le 17 et
(1) Le récit du siège est tire des rapports d'Amherst, du lieutTiant Lo-
ring Chatham papers). Mante, Late war in America. Poncliot, Guerre
d Aiiitrirjue. Kno\, Ilistorival Journal, etc..
im»inmu'i;iiifl/j'8«g
siÊr.K im FOiii (.lîvis.
370
(|U(' |p vain(|UPiir avait rebiiptisr W illiatasoH, i\u nn\\\ (\i\
cotniiiiuidant «It; rarlillcrib brilaiitiiquc. Sui* la flottille de
l-orini;, on avaii placé (|»s soldats «lestinés à l'aii'c le coup
de fusil coiili'»' les ar*ii leurs français et à les enipècher io
servir leurs pièces. Aussitôt les Imttcries de Lévis lëduites
aw silenre, des détachements de gi-enadiiTS et de volti-
i^eurs, eml»ar(pu''s sur des ber;:^tîs, devaient prendre pied
sur l'ile et monter à l'assaut des remparts. D'après le récit
de Mante, deux des bateaux anj^lais le Muhawl, et le
Willkimmn s'acquittèrent de leur lAcbe ; VOnonrtaf/a,
comuiandé par Lorini;, échoua |»ar suite iPunc fausse ma-
nœuvre et, devenu la cible des canons l'rau(,'ais, fut obli.^é
d'amener son pavillon et d'envoyer au fort son second
pour faire cesser le feu. A l'une des batteries de la rive,
l'on s'aperçut de l'incident et l'on diris^ea le tir de ma-
nière à empêcher le canot de retourner à bord. D'a-
près l.oring- lui-même, il n'?;ivait pas été .soutenu par
ses deux compagnons qui auraient (piitlé la partie; em-
bossé à portée de pistolet des end)rasures ennemies, apiès
avoir tiré 892 fois , voyant son navire « presque tota-
lement détruit » et 8 de ses canons démontés, il avait
fait des signaux de dctres.se auxquels on n'avait pas ré-
pondu. FjU désespoir de cause, il avait cherché à lever
l'ancre, et en essayant cette manœuvre, s'était échoué ;
alors blessé et sur les piières de son équipage , il s'était
rendu, mais les Français n'avaient pas pu amariner son
bâtiment.
Kn tin de compte, il fallut abandonner Y Onondaga
après avoir mis A terre le commandant Loring et ses
hommes et renoncer au projet de débarquement.
Aniherst, dans sa dépêche à Pitt (I), passe très légère-
ment sur son échec et se borne à remarquer que « lap-
(l) Amherst à Pitl, Fort William Augustus, 2G août 1760. Record Office, N.
America.
^jiiaaiBJiiL!!
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LA r.UKnUK DE SKPT ANS. - CHAP. VI.
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proche des vaisseaux contre le fort ne scst pas eiToctuée
coinnie ^e l'ousse dôsiré, et je me suis décidé k ne pas
poursuivre mou [)lan ce jour ; le fort a tiré beaucoup de
munitions sans grand elfet, et nos batteries ont graduel-
lement démonte leurs canons et leur ont fait apprécier le
danger de servir leurs batteries ».
Le lendemain '25, la canonnade iccommemjH avec bou-
lets rouges et ne prit fin (lu'avoc la capitulation. Le capi-
taine Poucbot, que nous avons déjà vu à Niagara et qui,
échangé depuis, avait été appelé au commandemcntdu fort
Lévis, demandai traiter. Amherstne voulut accorder d'au-
tres conditions que la reddilion pure et simple dans un
délai (le 10 minutes, La rail)l(>sse de la garnison, qui ne se
composait nue de 12î) régulierset 116 miliciens et ouvriers,
et la mort de l'unique officier d'artillerie, tué parle pre-
mier boulet des batteries anglaises, forcèrent Pouchot
k s'incliner. Si l'on considère l'intmense sunériorité ties
An;^lais par terre et par eau et la nature des fortifica-
tions qu'il s'agissait de défendre, il faut reconnaître que
la résistance du capitaine de Béarn avait été fort ho-
norable, k siège avait coûté une quarantaine d'hommes
aux Français et un peu plus de 60 aux Anglais. Le gé-
néral britaunicpie, qui aimait à changer les noms des pla-
ces dont il s'emparait et qui, à l'occasion des nouvelles ap-
pellations, savait faire acte de courtisan, donna au fort
Lévis le nom de William Auguste, en l'honneur d'un
prince de la famille royale.
Fidèle .'i ses habitudes de prudence, Amherst employa
cinq jours à remettre en état le fort et la llottiîîe. Le 1" sep-
tembre, il rembarqua son monde et poursuivit sa naviga-
tion. A propos de la prise de possession de Lévif», en-
registrons un in.^ident (1) à l'éloge du général anglais :
« Les Indiens qui suivaient l'armée, conformément à
(I) Mante, J.ate irar in America, p. 30i.
AMUKRST DEVANT MONTRRAI..
381
leurs ooutuiiies sanguinaires en temps de guei-re, se dis-
posaient à pénétrer dans le fort atin d'y massacrer la
garnison. » Amherst eut vnt de leurs intentions et leur
sif^nitia, par leur commandant spécial Johnson, vléfense
formelle d'entrer dans l'enceinte; par contre, il leur
fit cadeau du contenu des magasins capturés. Une res-
triction pareille n'était pas du goût des indigènes, aussi
leur fureur fut-elle exti'ônie, et Johnson fit part k Amherst
de ST craint" do les voir déserter. L'Anglais répondit qu'il
pouvait se passer de leui'concoui's, et << que tout en désirant
conserver leur amitié, il ne pouvait se contraindre à l'a-
cheter iin autorisant les cruautés horrihles (qu'ils avaient
en vue ». F^a plupart des sauvages quittèrent l'arnu^e; il
n'en resta (pie ^"0 que le gouvernement britannique ré-
ccHupensa de leur bonne coniluite eu Imir distribuant
de.s médailles.
Jusqu'au V septembre, la navigation se continua (J)
sans encombre. Ce jour, l'avant-garde aborda vers midi
les rapides des Cèdres, considérés à bon droit comme la
partie la plus dangereuse du fleuve. Faute d'observer les
distances entre les canots et de prendre les précautions
nécessaires, il y eut une véritable catastrophes '^9 berges,
17 baleinières, 17 l)ateaux chargés de matériel, 1 galère
furent brisés et coulés avec perte de 88 homm4's; une
portion seulement du corps e.\péditionnair<> put franchir
le défiié et débarq.:'»»* h l'Ile Perrot; le reste rejoignit le
lendemain sans autre accident. Le 6, Amherst, avec tout
son monde réuni, mit pied à terre •'t La Chine, sur l'Ile
de .Montréal ; il refoula (juelques postes français aurapiels
il se heurta, et vers ii< tond)ée du jour, ^'int camj)er dans
une plaine, près de Montréal, où les troupes passèrent la
nuit sous les armes. Le 7, au matin, il reçut la visite de
Bougainville et du capitaine de Las envoyés par Vau-
(1) Ainliersl iPill. Montival, « st'|ile;itl>if ITCo. Uccord oriiri". N. A.
^mamr
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382
LA OUERRE DE SEPT ANS. — ("HAP. VI.
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dreuil pour traiter de la reddition de Montréal et de la
colonie. La veille au soir, Murray avait pris position en
aval de la ville, et ilaviland annonçait son arrivée, pour le
lendemain 8, sur la rive sud, en face de Montréal. La con-
centratiou des Anglais sous les murs de la capitale était
un fait accompli.
Peu de cliose à dire sur la dernière semaine qui pré-
céda la capitulatir^n. Tout le monde avait conscience que
la fin approchait; on était prêt à faire son devoir jusqu'au
bout, mais sans la moindre illusion sur l'issue finale.
Il n'y eut pas de rencontres, tout au plus quelques coups
de fusil échangés entre les arrière-gardes françaises et les
partis que Murray débarquait pour recueillir les soumis-
sions et brûler les maisons de ceux qui résistaient encore.
La désertion, presque générale chez les miliciens, s'étendait
de jour en jour aux réguliers, dont plusieurs étaient mariés
aux femmes du pays et, par conséquent, tout aussi inté-
ressés à la conservation des propriétés que les habitants
eux-mêmes. « Quatorze grenadiers ont déserté cette nuit,
écrit (1) Bourlamaque le 2 septembre, mauvais exemple
pour les autres; quelques soldats l'ont déjà suivi et les
officiers assurent tous qu'il y en a un grand nombre dans
les mêmes dispositions... La maraude se joint à la dé-
sertion, je viens de faire passer par les verges, mais il
faudrait bientôt fouetter toute la troupe. »
Quant aux sauvages, ils ne voulaient plus servir, même
pour les découvertes. Pendant l'été, Vaudreuil, qui avait
gardé sa confiance dans ces auxiliaires, en expédia à plu-
sieurs reprises à l'Ile aux Noix. Fort mal renseigné sur les
mouvements >"Amherst qu'il croyait à Crown Point, et très
désireux de ■ procurer des prisonniers, dont il pourrait
tirer des inlormalions utiles, il revient à chaque instant
sur ce sujet dans sa correspondance avec Bougainville. Le
(1) Ro'iiiainaque à Lévit;, Longueil, 2 septembre 1700. Manuscrits Lévis.
DERNIÈRES HEURES DE LA DOMINATION FRANÇAISE. 3S:{
il
résultat fut nul; les Indiens quittaient Montréal bien
équipés et bien ravitaillés; arrivés à l'Ile aux Noix, il fal-
lait renouveler les vivres et les effets, et quand ils ne dé-
sertaient pas aussitôt la distribution faite, c'était tout au
plus si on pouvait obtenir d'eux une course de quelques
jours dont ils rentraient les mains vides. A l'armée de La
Corne, à qui le gouverneur avait conlié lagarde des rapides
du Saint-Laurent, ils ne voulurent pas se battre et ne bou-
gèrent pas pendant le naufrage des bateaux qui portaient
lavant-garde d'Aniherst.
Le 6 septembre, à 8 beures du soir, Vaudreuil avait réuni
cbez lui un conseil de guerre pour le consulter sur le parti
à prendre. A cette réunion assistaient Bigot, Lévis, Bourla-
maque, Roquemaure, brigadier et lieutenant-colonel du
régiment de la Kcine, Rigaud, gouverneur de la ville de
Montréal, Bougainville, Pontleroy, ingénieur en chef, et
Montbeillard, commandant de l'artillerie. Le procès- verbal
énumère les considérations militaires qui rendaient im-
possible la continuation de la lutte : la plupart ont déjà
été exposées; citons cependant le passage relatif à l'islot
Sainte-IIélùne dont il sera question plus loin : « Cette île,
seul poste k pouvoir défendre pendant quelques jours,
n'empêchera pas de prendre la ville de Montréal d'emblée
et même en déterminera la perte, devant être défendue
par la totalité des troupes. » Les conclusions furent les
suivantes : Les membres du conseil « sont convenus una-
nimement qu'il n'était pas à propos d'attendre l'entière
réunion des troupes ennemies pour entrer en pourparlers
avec le g'énéral anglais ni que l'ai'méo campée près de la
ville ait fait ses approches, étant à craindre alors qu'un
peuple nombreux ne fût la victime d'une défense qui ne
pourrait que retarder de peu de jours la perte du pays.
En conséquence, qu'il était ;\ propos de députer actuel-
lement au général ennemi pour lui proposer ime sus-
pension d'arnics jusqu'au 1 " octobre à charge de lui re-
I |.:
i'^'
I
38 i
LA GUERRE DE SEPT ANS. - CHAI'. M.
' ;i
mettre la colonie alors si la paix n'était pas conclue ».
Cette formalité accomplie, le conseil prit connaissance
d'un projet préparé par le gouverneur. « Si, comme il
est apparent, le général anglais refuse d'entendre à au-
cune suspension d'armes, il est à propos de proposer des
articles. Lecture a été faite d'un projet de capitulation et
ces Messieurs en ayant mûrement examiné tous les arti-
cles, ont jugé unanimement qu'elle était convenable aux
intérêts du pays et à l'honneur des troupes. M. le marquis
de Vaudreuil, assuré du consentement unanime de ces
Messieurs, a dit qu'il députait M. de Bougainville pour
porter les premières propositions au général ennemi, et
ces Messieurs ont signé le présent procès-verbal. »
BougainvMle et Las arrivèrent au quartier général an-
glais dans la matinée du 7 septembre; on convint aussitôt
d un armistice, et on aborda la discussion de la pièce ré-
digée par Vaudreuil. Il n'y eut de débat que sur un point :
Amherst exigeait que les troupes françaises missent bas les
armes et ne servissent pas pendant le cours de la présente
guerre. Il y eut de vives réclamations des délégués fran-
çais et échange de lettres entre Vaudreuil et Lévis d'une
part et \mlierst de l'autre ; ce dernier demeura inflexible.
A quelle cause faut-il attribuer l'intransigeance du géné-
ral anglais? Dans sa dépèche à Pitt (1), il allègue pour
unique raison l'avantage qu'il voyait h priver la France,
jusqu'à la fin des hostilités, des 8 bataillons de troupes,
plutôt que d'encombrer les prisons d'Angleterre des sol-
dais qui composaient ces imités. Dans la protestation qu'il
adressa à Vaudreuil, Lévis s'élève avec énergie contre
une clause qui enlevait à ses camarades et à lui la possi-
bilité d'un échange et partant tout espoir d'un em[)l<»i
actif ju.squ'à la paix. Dans le cas où satisfaction ne lui se-
rait pas donnée, il demandait au gouverneur l'autorisation
(,1) Amlierst ù PiU, devant Montréal, 8 septcinbit' I7(i0. Record Ol'licc,
AMIIERST REF. LES IIONN. DK LA GUERRE A L ARMEE DE LEVIS. 385
se-
lon
(le transporter ses soldats à l'iln Saintc-llélènc et d'y con-
tinuer une résistance dont il ne dissimulait pas d'ailleurs
l'insuccès certain. Vaudrcuil lui lit la réponse qu'il devait
prévoir : « Attendu que l'intérêt de la colonie ne nous
permet pas de refuser les conditions proposées par le
général anglais, lesquelles sont avantageuses pour un
pays qui m'est confié, j'ordonne à M. le chevalier de
Lévis de se conformer à la capitulation et de faire mettre
bas les armes aux troupes. '>
Knox (1) explique tout autrement les motifs de la con-
duite de sou général. Au chef d'état-major L^ Pause qui
lui apportait une lettre de Lévis réclamant contre une sti-
pulation qu'il considérait comme une indignité, \mherst
aurait répli(|ué avec véhémence : « que l'infAme rôle joué
par les troupes de France en encourageant les sauvages
à commettre au cours de la guerre les cruautés les plus
horribles jusqu'alors inconnues, leurs trahisons avouées,
leurs manquements à la parole donnée, l'avaient décidé
à manifester par les termes de la capitulation, son aver-
sion pour des procédés aussi peu généreux et sa condam-
nation de leur conduite ; pour ces raisons, il se refusait à
accepter des objections de la clause visée ». Lévis, dans son
rapport of(ici(d, fait également allusion aux raisons qui
Huraientété invoquées par Amherst pour justifier son refus.
Dans la circonstance, l'attitude du général anglais
constituait un abus des droits du vainqueur. Sans doute,
il n'avait rien à se reprocher personnellement; comme
il a soin de le dire à Pitt, depuis qu'il était entré dans le
territoire ennemi, aucun paysan, femme ou enfant, n'avait
été blessé par les Indiens, ni aucune maison brûlée par
eux. Mais il est à remarquer que, depuis son départ
d'Oswego, il n'avait traversé que deux ou trois paroisses
et n'avait été en contact avec les habitants que pendant
(I) Knox, /listorical Journal, II, p. il8.
«lERIU: DE SEPT ANS. — T. IV.
381-,
LA (.UEUni' l)K Sia'T ANS.
CHAP. VI.
fi M
les deux derniers jours de sou e.xpéditiou. En admettant
qu'il fût à l'abri de tout hlAme, il n'en (Mait certes pas
de même de ses lieutenants, Wolfe et Murray, qui avaient
mi s à feu et à sang' la province de Uurbec, et de Johnson,
le chef des au.xiliaires indiens, qui n'avait rien fait pour
réprimer les excès de ses sauvage.-i après la bataille de la
Belle Prairie et la capitulation de Niagara. Amherst,
comme aide de camp du duc de Cumberland, avait assist''^
à la capitulation de Closter Severn. Après la chute ce
Louisbourg, il avait sanctionné et môme édicté les décrets
d'expulsion pris contre les Acadiens des îles du Cap Breton
et de Saint-Jean; peut-être le souvenir de ces honteuses
transactions et du man([ue de bonne foi qui les avaient
caractérisées, le rendit- il si sévère à l'égard des Fran(;ais.
Au surplus, le ton pharisaïque du chef britannique était
tout à fait déplacé quand il s'appliquait au chevalier de
Lévis lequel n'avait jamais été mêlé aux cruautés qui avaient
quelquefois souillé les champs de bataille du Canada, et
dont la réputation d'humanité et de générosité était bien
assise dans les deux armées. D'ailleurs, le gouvernement
de la métropole, sans désavouer son représentant, répara,
dans une certaine mesure, l'injustice commise en relevant
Lévis et quelques-uns de ses ofticiers de leur parole et en
leur permettant de participer aux campagnes d'Allemagne.
Réserve faite de la clause spéciale à l'armée française,
l'arrangement conclu à Montréal était libéral dans l'en-
semble : Le libre exercice de la religion catholique était
garanti; les séminaires et les communautés de fenunes
étaient maintenus dans la possession de leurs biens et pri-
vilèges. Le peuple conservait la jouissance de ses pro-
priétés, les seigneurs gardaient celle de leurs droits féo-
daux. Tous les officiers civils et militaires, les soldats et
les matelots étaient renvoyés en France sur transports
anglais, les miliciens prisonniers en Améri((ue étaient
libérés et autorisés à rentrer chez eux. Seuls, les pauvres
■SP
CAPITULATION DE MONTHEAL.
387
iaisf,
'en-
étail
mes
l.ii-
pi'o-
féo-
ts et
)orth
aient
uvres
Acadiens étaient exclus du l)i'né;.cc de cette laveur, ((uo
Vaudreuil avait inutilement réclaméi^ pour eux. La capi-
tulation s'étendait à tous les postes encore aux mains des
Français tels que Jacques-Cartier, l'île Sainte-Thérèse,
Détroit et les postes des pays d'Eu Haut; en un mot, elle
supprimait la domination fran(;aise au Canada et dans
ses dépendances.
Le 8 septembre au r-oir, le colonel Haldiman occu|)a
la ville de Montréal au nom des Anglais; le 9, les troupes
françaises mirent bas les armes sans honneurs militaires.
Lévis avait fait brûler les drapeaux. l*our expliquer leur
absence, on déclara (1) : « que les bataillons les avaient
apportés au Canada, mais (ju'ils avaient été déchirés et
finalement détruits comme inutiles pour la guerre des
bois ». Malgré la dureté d"Andi«*rst, il y eut l'échanae
habituel de politesses; le 11, Vaudreuil reçut chez lui à
diner le général en chef et le lendemain celui-ci invita à
son tour le gouverneur liénéral. Pas un officier des troupes
de terre ne voulut assister à ces réceptions. D'après les
chiffres officiels anglais, au moment de la reddition, rellec-
tif des troupes de Lévis se montait à 201 officiers, 2.210
sous-officiers et soldats appartenant aux 8 bataillons de
France, à 120 ofticiers et 1.052 hommes composant les
hO compagnies de la Marine; en y ajoutant les quelques
artilleurs, les matelots, les femmes, les enfants et les
domestiques, le total atteignait 3.963 personnes. L'effectif
des forces britanniques, déduction faite des corps et déta-
chements laissés en arrière, n'était pas inférieur à 11. 000
combattants. L'embaniuement dos Français s'effectua dans
le courant du mois de septembre; la descente du Saint-
Laurent fut longue et fatigante à cause du manque de
vivres, des échouâmes fréquents et de l'encombrement des
bateaux. A Québec, ils furent pour la plu])art transférés
(1) Ainherst àPilt, Québec, 4 octobre 17G0. Record Ollice. Norlh America.
mimm
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sur d'autres hiUiments et rapatriés eu France, non sans
aventures de mer et quelques naufr.aj^es.
\insi que le récit des événements Ta démontré, la prin-
cipr.le cause de la i)erte du Canada fut la difliculté d'as-
surer l'arrivée à bon port des secouis annuels en hommes
et en matériel indispensables à la défense. Cet état de
choses s'iieg'rava avec l;i durée de la f^nerrc; iiu début
des hostilités de I75G et 1757, le pavillon français était re-
présenté par des forces imposantes ([ui pouvaient lutter
presque k égalité avec les Hottes anglaises; en 1758, ce
ne sont plus ((ue des escadres inférieures en unités à celles
(le l'ennemi; à la suite de la prise de Louisbourg les com-
munications sont devenues hasardeuses; la métropole est
réduite, en 175!), à envoyer des bâtiments isolés ou des
convois sans escorte suffisante. En 171)0, la suprématie
maritime de la Grande-Bretagne est définitivement éta-
blie; pour les expéditions de France plus nécessaires que
jamais, il faut avoir recours à l'initiative privée, se lier
au hasard des vents et des glaces dans l'espoir d'échap-
per aux croiseurs ennemis et d'accomplir le trajet en
temps utile.
La cour de Versailles, responsable de l'erreur capitale
([ui avait gretl'é sur la lutte maritime avec l'Angleterre la
guerre épuisante de l'Allemagne, chercha à se dégager
en alléguant l'énormité des charges canadiennes et l'im-
possibilité de supporter un fardeau dont le poids était
hors de proportion avec la valeur de la colonie. Que les
dépenses effectuées au Canada fussent très exagérées, que
l'administration de la colonie et la gestion des affaires
militaires fussent grevées par des escroqueries et par un
gaspillage fâcheux, cela est incontestable. En temps
normal de paix, pour 1750 par exemple, les dépenses
de l'exercice avaient été liquidées à la somme de
2.131.000 livres, très exactement payée en fin d'année par
la métropole. A ])artir de cette époque, nous les voyons
mm
•il- h
1 1 1..' Il
1 .-'f-
FINANCES DU CANADA.
889
gi'ossir chaque exercice o\ atteindre en 175V, dernière
année de la paix, le cliillVe de V.VGU.OOO livres rembour-
sables il des échéan( es «juise prolongeaient jusqu'en 1757.
En 1755, commencement de la guerre, l'on relève une
augmentation ffnt e.vplicable de l.i '5.000 livres, mais
dorénavant la prf)gression sei'a ellVayante : pour la pé-
riode de 175G à 175i) et pour les huit [)remiers mois de
1760, le débit total s'élève ù l'i».V55.000 livres sur les-
quelles le trésor n'avait acquitté que 2(5. 312. 000 livres
de traites, y compris l'arriéré de 1754; le sohle, soit plus
de 81 millions, était en souilrance. L'impossibilité de
faire face à cette dette, tout en trouvant les fonds pour la
continuation de la guerre continentale, occasionna la
suspension de paiements de l'automne de 1759. Nous
avons constaté l'effet désastreux que produisit au Canada
la connaissance de cette mesure et le parti que tirèrent
les Anglais de la banqueroute du gouvernement fran-
çais.
Jusqu'en 175V, les cartes et les billets d'ordonnance, qui
constituaient pour ainsi dire la seule monnaie du pays,
étaient échangeables chez le trésorier de la colonie qui
fournissait tous les ans, au mois d'octobre, des lettres de
change sur les trésoriers généraux en Trancc, payables
dans le premier semestre de l'année nouvelle. Kn 175V,
l'intendant liigot retarda les échéances de ces clfets et à
partir de 1755 en échelonna le remboursement qui fut
lixé : le premier quart à l'année qui suivait le tirage, la
moitié à la seconde année et le derniei- ([uart à la troi-
sième. Il en résulta une aui^mentation du change (jui se
traduisit par un renchérissement immédiat de 20 "/(> sur
les prix de toutes les marchandises et denrées locales.
Au moment de la cfniquête. il y avait en circulation quatre
sortes de billets au Canada, lettres de change, récépissés,
cartes et ordonnances. Ces liois derniers (pii représentaient
le papier non transformé, subirent le contrecoup de la
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w 1
if
300
LA GUKRUK DK SKPT A>S. - CHAP. VI.
suspension df paiement. L'écart entre ces valeurs et les
lettres de change fut tel que, pendant l'été de 1760, la
vette d"eau-de-vie se vendit à Montréal aa prix de 500 li-
vres en ordonnances, alors qu'elle n'en valait que 80 en
ti-aites. Un rapport (1) présenté à l'occasion de ren(|uêtc
sur la légitimité du papier canadien donne un curieux
exemple de la dépréciation de la monnaie fiduciaire. Vn.
charretier, employé du munitionnaire Cadet, aurait ga-
gné, pour travaux elFectués depuis le mois de no-
vembre 1759 jusqu'à la reddition de Montréal, une
somme de .•{5 A VO.OOO livres. « il est, affirme le même
rapport, des gens actuellement en France venant de
Canada qui y ont gagné des lettres de change avec tant
de facilité et pour des sommes si prodigieuses qu'ils en
sont embarrassés; ils ont cherché à s'en défaire à tel prix
([ue ce fût, parce qu'ils étaient sûrs qu'à tel prix qu'ils les
escomptassent, ce qu'ils recevraient leur provenait de
zéro ; ils ont trouvé des personnes assez hardies ou assez
peu consciencieuses pour en prendre à 75 jusqu'à 85 % de
perte. J'en connais quelques parties qui ont été vendues à.
ces prix-là, et entres autre une de 2:30 à 240.000 livres par
un seul particulier. Ses acquéreurs se présenteront sans
doute à la vérification connue légitimes porteurs. »
L'examen des dépenses du Canada donna lieu à deux
procédures, lune criminelle, l'autre financière. Aussitôt
rentrés en France, l'intendant Bigot, le munitionnaire
Cadet et plusieurs fonctionnaires de la colonie furent
l'objet de poursuites ainsi (pie 1q gouverneur général et
(|uelques officiers qui avaient été commandants de postes.
Vaudreuil et ces derniers bénéficièrent d'ordonnances de
non-lieu ou furent acquittés; les premiers au contraire,
après une instruction qui dura près de trois ans, furent
(1) Gleinet, Mémoire pour servir à iL-xamen Je la lét;itiinité des lettres de
change et billets d'ordonnance provenant des dépenses du Canada, '> jan-
vier 17C2. Archives des Colonies.
il
S.m-rm^
PROCES DE lUiKtT ET DE SES COMPLICES.
801
condamnés par jutioiiKMit souverain du Cliatelet en date
(lu 10 décend>io 17(».'i. Quelques-uns des coupables s'é
♦ aient déi'obés par la fuite. Parmi les sentences l(>s plus
lourdes, citons celles de Bigot : bannissement perpétuel,
conliscation de ses biens, 1.000 livr«>s d'amende et restitu-
tion de 1 .500.000 livres; de Varin, même bannissement et
restitution de 80(K000 livres; de Hréard, Penisseault, Mau-
rice et Cadet, bannissement de neuf ans de la ville, prévôté
et vicomte de Paris et restitutions variant de <} millions
de livres pour Cadet à 000.000 et 300.000 livres pour les
autres.
Quant k la liquidation de la dette dont le montant,
d'après les réclamations des intéressés, atteignait la somme
de 90 millions, elle ne fut terminée, en ce qui concer-
nait les créances des sujets français, (|ue [)ai' les arrêts
royaux des 15 décembre 170V et 9 février 1705. Le rè-
glement dû aux détenteurs restés au Canada nécessita de
longues et difficiles négociations avec le gouvernement
britannique et fut enfin arrêté par la convention du
29 mars 1766. Il serait trop long d'entrer dans les détails
d'une opération financière qui avait été confiée à une
commission de la cour des Comptes et qui fit l'objet d'un
rapport (1) circonstancié et intéressant. Il nous suffira de
dire que la somme primitive subit des réductions impor-
tantes et qu'en fin de compte le U<n eut à prendre à sa
charge un total de 37.506.000 livres portant intérêt à ï %.
iNous voici arrivés au terme des cinq années de lutte
qui aboutirent à la capitulation de Montréal et ([ui mar-
quèrent la lin de la Nouvelle France. Il serait injuîte d'at-
tribuer la défaite finale aux dilapidations de quelques
fonctionnaires et aux fraudes de quebjues employés; les
coupables le plus en vue, l'intendant Higot, le munition-
naire Cadet, tout en volant le Roi, déployèrent pour la
(IJ Rf'sumé de la liquidalion de la doUe du Koi pour le Canada. Archives
des Colonies.
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LA C.UKHHK Di: HKPT ANS
CHAP. VI.
doreuse de ses possessions une intelligence, une nctivitt'>
que n'auiaient pu dépasser des adniinistrateuri» |»lus hon-
nêtes. Il faut le pntclanier à titre de véiité absolue : la
responsabilité de la iteife de notn* eolonie ineombe tout
entière à l'incurie, à la ué^li.uence. disons le mot piopie,
à l'iiubécillité de Louis XV et de ses conseillers. Kntre-
prendre h la léi.;ère une politique d'expansion (pion n'a-
vait ni le pouvoir, ni la volonté ferme <le mener i\ bonne
iin, se jeter dans la yuerre continentale ()oiir une ques-
tion d'amour-proprr et sans espoir d'avantages apprécia-
J)lcs, alors ([u'on avait à cond)attr<' sur mer la première
puissance maritime du monde, se traîner à la remorque
de l'alliance autrichienne, sacrifier l'essentiel, la conser-
vation du domaine d'outre-mer, pour l'accessoire, lac-
([uisition de quelques cantons en Flandre, telles furent
les fautes dont les principaux auteurs : le Uoi, la Pom-
padour, l'abbé de Hernis porteront devant l'histoire le
poids accablant. Tout autre est l'impression que donne
le tableau de la guerre du Canada; si douloureux que
soit le récit des luttes suprêmes, il n'en laisse pas moins
un sentiment de fierté légitime. Notre cœur bat à l'unisson
de ces héros qui, depuis Montcalm et Lévis jusqu'au der-
nier paysan du Canada, illustrèrent la vieille et la nou-
velle France par leur bravoure à foute épreuve, par leur
fortitude dans l'adversité, par leur esprit de sacrifice,
par leur amour de la patrie.
riM,/
■^*ip
CIIAPITRK VII
POLITIQUE INTÉRIEURE DE L ANGLETERRE
MOHT 1)1, (iKOlUiKS II. — IMM Kl'Alll.KUS KMIIK L V IIIANCK
KT I.'kSI»\(1NK.
Au vouva (le l'été do 17(i0, la politique intcriouie de
l'Aunletorre ne fut trou!)léo par aucun événement im-
portant; l'animosité lat'înte qui existait entre Pitt, dont
le prestige grandissait à vue d'u'il, et Newcastle et ses
amis (|ui jalousaient et craignaient i\ la t'ois leur iras-
cible collègue, était loin d'être éteinte; elle était même
entretenue par le Koi, aussi attaché au duc que mal dis-
posé pour Pitt. Néanmoins, grAce à une entente tacite, on
avait fini par se répaitir les rôles : au dernier, la poli-
tique extérieure, la défense des mesures gouvernemen-
tales devant la Chambre des Communes; au premier, ce
que nous appellerions aujourd'hui la cuisine électorale,
les intrigues de couloir, la feuille des bénéfices, les rap-
ports intimes avec le monarque. Tous les membres du
cabinet étaient d'accord avec (Jeorges II pour donner la
plus vive impulsion aux hostilités de terre et d<' moi';
aussi n'avaient-ils pas attendu la rupture des négociations
de la Haye ])our renforcer le prince Ferdinand, soit en
prenant à la solde anglaise des c( ntingents allemands,
soit en augmentant l'élément britannique de son armée.
Pitt, naguère adversaire résolu de l'action directe sur
le continent, était maintenant le plus zélé à appuyer
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304
LA GUERRi: Di: SKPT ANS. — CHAP. Vil.
les demandes d'argent et d'hommes qui venaient du
quartier général des Confédérés. La levée du siège de
Québec, la perspective de la conquête complète du Ca-
nada, avaient grisé les esprits ; on ne parlait plus de
jiaix; on rêvait de nouvelles victoires, de nouvelles
ac((uisition)-' aux dépens de l ennemi héréditaire humilié
et meurtri. Obéissant à ce courant d'opinion, !a cor-
poration de la cité de Londres avait voté (1) une adresse
au Roi lui promettant contre « une puissance plus dan-
gereuse en temps de paix qu'en état de guerre », son
appui jusqu'à ce que S. M. pût lui dicter les conditions
du traité éventuel.
Il y avait cependant une ombre au tableau . le flot
montant de la dépense ^grossissait à chaque exercice; la
g'uerrc d'Allemagne absorbait des sommes énormes sans
espoir de compensations palpables. Resté llanovrien dans
ses sentiments et dans ses sympathies, le vieux roi était
peut-être seul à entrevoir, sur le continent, des accroisse-
7 nts de territoire auxquels ses sujets britanniques res-
taient indifférents et souvent hostiles. Lady Yarmouth
indiquait à. Newcastle, comme véritable raison de l'aver-
sion du souverain pour Pitt, le refus de celui-ci de
se prêter au désir royal d'agrandir l'électorat du Ha-
novre au moyen de la sécularisation des trois évêchés
voisins.
Quoique les deux chefs du gouvernement s'entendis-
sent assez mal, ils étaient d'accord pour se plaindre des
agissements du monarque. Pitt avait sur le cœur (2) un
manque d'égards qui se traduisait par des dénis de satis-
faction à ses amis : Dans l'espèce, il s'agissait d'un pro-
tégé que le Roi ne voulait pas nommer au poste de gou-
verneur de la Guadeloupe : « C'était cependant lui, Pitt,
(1) Newcaslle à Yorke, IV octobre i7fio. NewcasUe Papers.
(2) Newcastlt' à llardwicke, 16 aoùtl7C0. Newcaslle Papers.
l!w.
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DIFFICULTES FINANCIERES DE NHWCASTLE.
395
<[ui avait réussi à faire accepter par la nation dos me-
sures et (les (i«';penses que personne avant lui n'avait pu
soutenir avec succès; il avait acquis dans la nation un
crédit tel, que S. M. pourrait un jour en sentir les ef-
fets. » D'après Newcastle, le propos du collègue était une
affirmation de l'impossibilité dans laquelle ou se trouve-
rait (le conduire les affaires du pays sans son concours.
Cuoique fort attaché à son maître, Newcistlc lui repro-
chait une parcimonie qui ne faisait (jue croître avec
l'âge. En dépit de l'état florissant de la liste civile qui
fournissait un revenu de 27 millions de francs, sans
compter 7 millions en caisse, Georges insistait pour
laisser à la charge des contribuables britanniques des
paiements (pii auraient dû être prélevés sur la cassette
royale. Aux sollicitations du ministre, qui réclamait un
don de 250.000 francs pour le prince héréditaire de Bruns-
wick et un subside de 500.000 francs pour la landgrave
de Hesse, fille du Roi, le monarque répondait par dos
refus ou des fins do non-recevoir.
En sa qualité de ministre des Finances, Newcastle était,
à bon droit, préoccupé (l) du budget de 1761; pour faire
lace aux frais de la marine, il avait été obligé d'allecter
au compte de l'exercice 1760 les intérêts acquis au fond
d'amortissement pour les neuf premiers mois de 1761. Aux
1.500.000 livres sterling ainsi avancées, il fallait ajouter
8.000.000 pour le budget de la guerre, 6.000.000 pour
celui de la marine, 600.000 pour l'artillerie, soit en tout
16.100.000 livres sterling ou 402.500.000 livras de France,
et « cela sans compter \u\ six pence pour les autres dépenses
ordinaires ». Le vieux politique serait enclin à considérer
un tel ell'ort commis irréalistable , mais il se console en
pensant qu'il y a beaucoup d'argent dans le pays. <( Si
nous pouvions présenter de bonnes garanties, je ne déses-
(Ij Newcastle à Uaidwicke. 27 septembre 17G0. Newcastle Papcrs.
!. i
M
L\ GUEKRE DK SEPT ANS. - CHAP. VII.
lî),
1 .^
pèlerai pas de pouvoir obtenir au moins 10 millions de
livres sterling, mais l'énorme accroissement de la dette
publique peut soulever des considérations troublantes. »
Des embiirras de la tr«>sorerie, Pitt n'avait cure; il exi-
geait les 16 millions nécessaires pour la guerre, mais il
laissait à son collègue le souci de les trouver.
Par un enchaînement logique, l'étude des voies et moyens,
l'examen des nouveaux impôts auxquels il faudrait avoir
recours, ramenaient constamment sur le tapis la question
de la paix. Ne conviendrait-il pas de terminer cette
guerre d'Allemagne à la fois coûteuse et impopulaire ?
L'heure n'était-elle pas venue de consolider, par un traité,
les conquêtes coloniales arrachées à la France? Sur ce
point, les avis des ministres étaient partages; Newcastle
et ses amis, tout en penchant pour mettre fin aux hostilités,
craignaient l'opinion et n'osaient prendre d'initiative;
Holdernessc, aussi paresseux que nul, mais intrigant de
premier ordre, faisait sa cour tantôt à Pitt, tantôt à lord
Bute, le confident de l'héritier de la couronne. Pitt re-
connaissait, à In vérité, dans ses entretiens particuliers,
soit avec les membres du cabinet, soit avec l'envoyé
prussien Knyphausen (1), la nécessité éventuelle de la
paix, mais, en nttondant, restait aussi partisan que
par le passé d'entreprises contre les possessions d'outre-
mer ou mênie contre le territoire métropolitain de la
France.
Au dél)ut d'octobre 1700, l'expédition du prince héré-
ditaire de Brunswick sur le Bas-Bhin battait son plein ;
le siège de Wesel était commence; le prince Ferdinand
avait prié la cour de Londres d'exécuter, sur la côte des
Pavs-Bas, une diversion à l'etlet d'arrêter la marche des
renforts destinés au corps de Castries. Pour répoudre à
cet appel. Pitt proposa une opération contre l'ile de
(1) Newcastle à Ilardwicke, 17 septembre ITGO. Newcastle Papeis.
:;'«■
I:
AJOURNEMENT DE LEXI'EDITIUN CONTRE «ELLEISLE.
397
•1i
. )>
il
BcUoisle ; déjà le commandant du ccrps expéditionnaire,
les régiments qui devaient en faire imrtie avaient été
désignés et les transports demandés à la marine, enfin
l'assentiment du Uoi avait été obtenu. Au conseil intime
tenu le 2 octobre, Pitt (1) défendit son concept; ses col-
lègues lui tirent une foule d'objections : la saison avancée,
le danger de laisser l'Angleterre dégarnie de troupes, le
temps qu'exigeraient les prépa"atifs. Le 1 1 , seconde réu-
nion (2); le Commodore Keppel qu'on avait appelé à
cause de son expérience de la localité, se prononça
contre la tentative : les abords de l'ile manquaient de
profondeur, les fortifications avaient été augmentées, de
nouvelles batteries érigées; bref, à une époque de l'an-
née aussi tardive, le débarquement et le siège présen-
teraient des difficultés sérieuses. Sur la motion de Pitt,
il fut décidé d'en référer à l'amiral Hawke qui comman-
dait l'escadre de blocus dans les parages du Morbihan.
Newcastle, il est presque superflu de le dire, avait com-
batîu le projet qu'il trouvait déraisonnable, mais il hé-
sitait sur le vote définitif : « Quand M. Pitt s'est butté à
une mesure, comme il l'a fait dans le cas présent, il ne
vous fera pas quartier, si on se met en travers. >> L'attente
de l'avis de Hawke fit perdre quelques jours; il fut nette-
ment défavorable; aussi, après en avoir pris connaissance,
la majorité du cabinet se déclara-t-elle (3) contre l'exé-
cution immédiate de l'entreprise qui fut en conséquence
ajournée à un moment plus propice.
A peine cette résolution avait-elle été prise, que la
mort subite de Georges II et les suites qu'elle entraîna
donnèrent d'autres préoccupations aux hommes d'Etat
de la Grande-Bretagne. Nous extrayons de la (lazette
(1) Newcastle à Hardwicke, 3 ociobre ITfio. Ncwcasllf Paper?
('.!) Newcastle à Hardwicke, il octobre 1760. Newcastle l'apers.
(3) Newcastle à Hardwicke, 18 octobre l/CO. Newcastle l'apers.
l^
n
398
LA GUERKK DE SEPT ANS. - CHAP. VU.
des Pays-Bas (1) le récit de l'ôvénoment qui eut lieu le
25 octobre, entre 7 (;t 8 heures du matin : « Après avoir
pris son chocolat, il (le Roii demanda quel était le vent
et témoigna do l'inquiétude sur la lenteur des troupes
et de3 vaisseaux qui avaient leur rendez-vous à Ports-
niouth. Il ouvrit la fenêtre et voyant qu'il faisait beau,
il parla de se promener au jardin. L'homme d'office
qui avait servi le chocolat et qui était sorti, entend
un bruit... il rebroussa et trouva le Roi tombé de sa
chaise et dans l'attitude à tirer le cordon de la sonnette.
Il appela; on visita le monarque et on s'aperçut qu'il
s'était blessé à la tempe; on le mit au lit, on lui ouvrit la
veine, mais il ne vint pas de sang". Il a expiré sans retour
de connaissance. »
Au moment de sa mort, Georges II était âgé de 77 ans
et comptait 34 années de règne. En dépit de son éduca-
tion, de ses habitudes et de ses préférences foncièrement
allemandes, il avait exercé une influence incoutestal)le sur
les destinées du pays au trône duquel i! avait été appelé.
La bravoure dont il avait fait preuve sur les champs de ba-
taille de la guerre de succession, le sang-froid qu'il avait
montré lors de la rébellion <!(' 17V5, sa dévotion à la
cause protestante, dont il seproclamait volontiers le cham-
pion, lui avaient valu, de la part de ses sujets britanni-
ques, un attachement raisonné tenant plus du respect que
de l'affection. Tenace jusqu'à l'entêtement, économe au
point de friser l'avarice, dur et parfois cruel à l'égard
de ses ennemis, rancunier pour ceux qui l'avaient olTensé,
il ne possédait aucune des qualités qui attirent la sym-
pathie ou engendrent la popularité ; et cependant, parmi
les hommes d'Ktat qui le servirent, il conqita des amis
dévoués. GrAce à un fonds réel de bon sens, il sut à maintes
(1) Gazelle des /'«2/A-i5fl.sSu|»iiléineiit du lundi, 3 novembre 17G0. Newcaslle
Papers.
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MORT DE OEORGES II.
3'.»'.»
reprises surmonter, au moins momcntanrmcnt, des antipa-
tliies profondes, s'incliner devant des nécessités t;ouverne-
mentales contre lesquelles il était le premier à protester
dans les causeries avec ses intimes. Autoritaire, opposé an
régime parlementaire, dont il n'avait jamais compris
le fonctionnement, il régna en monarque constitutionnel.
Malgré ses défauts de caractère, peut-être à cause d'eux,
il inspira à ses ministres un sentiment mélangé de dé-
vouem(;nt et de crainte et imprima maintes fois sa note
indi'iduelle à la politique de la Grande-Bretagne.
F^e cadavre du souverain était à peine dans le cercueil
que déjà les intrigues reprirent de plus belle dans !<■
personnel de la cour et du cabinet. On se demandait avec
une curiosité mêlée d'inquiétude quelle serait l'attitude du
successeur. Petit-fils du roi défunt, (leorges III repré-
sentait, pour la plupart, une valeur inconnue. Anglais de
naissance et d'éducation, il n'aurait riiMi des préjugés et des
goûts étrangers d«^ ses prédécesseurs; de cela on était sûr;
mais entretiendrait-il la note de défiance que la prin-
cesse de Galles, sa mère, avait professée à l'égard de l'en-
tourage du vieux roi, garderait-il rancune aux ministres
actuels clt; l'éloiguement des affaires dans leqmd il avait
été tenu du vivant de son grand-père? Dans quelle mesure
continuerait-il à subir l'autorité maternelle, jusqu'alors
prépondérante, et à se conformer aux conseils de lordBule,
son précepteur, devenu son confident et ami? Ces ques-
tions ne devaient pas recevoir une solution immédiate.
Deux jours après la mort deCieorges II, Newcastle eut une
entrevue (1) avec Bute qui commença l'entretien enlui fai-
sant part du désir du jeune roi de conserver les .services
de son interlocuteur; celui-ci se répandit en remercîments.
mais prétexta son Age avancé pour décliner l'offre , il finit
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(1) Valence Jones à la duchesse de Newcastle. 28 octobre I7('.o. Newcasll'.-
Papeis.
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4C0
LA GUKHIIK DK SEPT ANS. — CHAP. VII.
néanmoins par réserver sa réponse jusqu'après consulta-
tion de ses amis. L'audience royale quisuivitne fut qu'une
seconde «klition de la conversation avec le favori. Des
lidèles de i\ewcastle,les uns furent d'avis qu'il ne devait
pas abandonner son portefeuille, les autres opinèrent
pour la démission ou n'admirent l'acceptation que sous
certaines conditions qui assureraient la dignité de l'homme
d'État, et procureraient des avantages aux whigs dont
il était le chef. Comme toujours, Hardwicke s'entremit en
faveur de son vieil associé, tint de longues conféren-
ces (1) avec Pitt et avec Bute, obtint d'eu.x des satisfac-
tions pour le présent et des promesses pour l'avenir;
elles permirent à Ncnvcastlc de suivre le conseil qui avait
ses préférences secrètes et de rester au pouvoir. Lady
Yarmouth l'en félicita chaudement (2) : « .le suis con-
vaincue, lui écrivit-elle, que si dans l'autre monde l'on
puisse savoir ce qui se passe dans celui-ci, feu le Roi
approuverait ce que vous faites. »
Ce replâtrag'e, car l'arrangement ne méritait pas un
autre nom, n'était guère durable. Newcastle qui avait
atteint l'âge de 67 ans, enter lait maintenir intact
son prestige parlementaire; très versé dans la stratégie
de couloir et dans l'art de triturer la pâte électorale,
il se réservait, à l'exclusion de tout autre, ce qu'il appe-
lait « le choix du nouveau parlement ». Pitt quoique assez
indifférent en la matière, aurait voulu profiter des élec-
tions pour renforcer dans la Chambre des conmmnes l'é-
lément tory auquel il appartenait. Enfin Bute estimait
qu'un changement de monarque devait entraîner quel-
ques modifications dans le personnel gouvernant. Ces
divergences d'opinion suscitèrent des jalousies qui se
traduisirent bientôt en manœuvres et en hostilités la-
(1) Hardwicke à Newcastle, 20 octobre 17C0. Newcastle Papcrs.
(■?) Lady Yarmouth à Newcastle, 30 octobre 1 760. .Newcastle Papers.
DEBUTS DU NOUVEAU REGNE.
''lOl
tentes très préjudiciables à la bonne marche des affaires.
Quant au jeune souverain, il partageait les idées de son
confident et manifestait la volonté d'inaugurer un régime
nouveau; dans la proclamation adressée à ses sujets de la
Grande-Bretpgnc, il avait inséré, de son propre chef (1),
des mots sur la portée desquels il était impossible de se
méprendre : « Né et élevé dans ce pays, je suis fier du
nom de la Grande-Bretagne (2). Le principal bonheur de
mon existence sera de contribuer à la prospérité d'un peu-
ple dont l'attachement loyal et la chaude affection sont à
mes yeux 1 appui le plus fort et le plus durable de mon
trône. »
Malgré le prolongement d'existence du ministère, New-
castle s'agite, il est inquiet, il ne se sent pas les coudées
franches, il soupçonne Pitt et Bute de seconcerteren arrière
de lui. Ce dernier tient, à propos des intentions royales, un
langage étrange : « Le Boi désire que pour le moment tout
se passe comme du temps de son grand-père et jusqu'à la
nomination des nouveaux fonctionnaires de la cour qui
aura lieu après un délai de 6 mois. Quand les désignations
nouvelles auront été faites, le Boi décidera alors quels
personnages il appellera à faire partie de son conseil de
cabinet. Il faut donc se concerter, ajoute Newcastle (3) qui
rapporte le propos de Bute, à un nouveau cabinet et à
des changements tous les jours... Quant à moi, je suis le
zéro le plus insignifiant qui ait jamais paru à la cour. Le
jeune roi est à peine poli pour moi, il ne me parle de
rien, et ne me répond guère quand je l'entretiens de mes
affaires de finance. »
Peu à peu la mauvaise humeur du vieux politicien
(1) Bute à Newcastle, 15 novembre 1760. Newcaslle Papcrs.
('2) Dans le texte anglais « Brltaln ». Quelques versions disent « Brilon ;>,
citoyen de la Grande-Bretagne. Voir Political hislorij of England, vol. X,
by Hunt, p. 12.
(3) Newcaslle à Ilardwicke, " novembre 1760. Newcaslle Papers.
CUEnUE DE SEI'T A>S. — T. IV. 26
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402
LA CUERIIE DK SF':PT ANS.
CIIAP. VU.
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augmente; il accuse (1) Bute et Pitt d'essayer de lui
nuire « non pcr astutias sed per aperta mendacia ». De
son côté, Pitt se plaint de la réserve de Georges III
avec lequel il n'a de rapports ni directs ni indirects :
(i Autrefois, Milord, dit-il à Newcastle, si je n'avais
pas l'occasion de voir le Uoi, vous me disiez que vous
répondriez de son consentement, et cela me suffisait;
j'étais satisfait. Où voulez-vous que je trouve cette satis-
faction aujourd'hui? » Les mois de décembre 1760, de
janvier et février 1"<)1, se passèrent en conversations et
conférences auxquels participeront, en outre des princi-
paux intéressés, Hardwicke et le comte Viry, ministre du
roi de Sardaignc. Ce diplomate, accrédité depuis long-
temps à la cour de Saint-James, en relations intimes avec
la plupart des personnag-cs politiques de l'Angleterre,
prenait volontiers le rôle de nég-ociateur entre les coteries
rivales et s'acquittait avec habileté et souvent avec succès
d'une besogne pour laquelle il avait beaucoup de goût.
En attendant la reconstitution du cabinet qui ne s'elTec-
tua qu'au mois d'avril, les ministres en exercice, Pitt tout
le premier, rétléchissaient aux moyens de mettre fin à
une guerre dont les résultats avaient été brillants, mais
qui ne laissait pas d'être fort onéreuse pour les tinances
nationales. L'opiniou, encore très favorable aux entreprises
maritimes et coloniales, dont elle appréciait les avantages
immédiats, commencjait à se fatiguer des interminables
campagnes de l'Allemagne ; la confiance dans le prince
Ferdinand avait baissé considérablement depuis la prise de
Cassel et l'échec de Clostercamp; quant au roi Frédéric,
dont la popularité avait aussi décliné, on se demandait
si la limite des sacrifices jusqu'alors si libéralement con-
sentis, ne serait pas bientôt atteinte. « Le roi de Prusse,
écrivait Chesterlield (2), n'abandonnera pas de bon gré un
(1) Newcastle il Hardwicke, 3 décembre 17(iO. Newcaslle Papcis.
Cl) Chesterlield à Newcastle, 30 novembre 1760. Newcaslle Papers,
LKTTttC DE FREDERIC A PITT.
403
acre du territoire qu'il possédait avant la guerre, mais
peut-il équit»l)lenieiit s'attendre à ce que nous nous rui-
nions totalement pour lui conserver quelques bailliages?
Quand nous en viendrons là, nous aurons raison d'exiger
qu'il fasse les concessions que l'état de ses affaires et des
nôtres rendra nécessaires. »
Certes, comme Chesterfîeld le pensait, Frédéric était
bien résolu à ne rien céder de ses possessions, mais sous
le bénéfice de cette réserve, il était partisan convaincu
de la paix européenne, l'eu de jours après sa victoire de
Torgau et à l'occasion de la mort de Georges II, il avait
manifesté à Pitt sa manière de voir (Ij : « Je mets ma
confiance en vous. Monsieur, et dans ce caractère d'un
vrai Romain dont vous avez donné des marques si écla-
tantes durant votre ministère... Nous avons eu des succès
d'un côté, mais à parler franchement, ils ont été contre-
balancés par des événements favorables à nos ennemis.
Leur nombre nous est trop supérieur pour que nous puis-
sions nous flatter de pouvoir remporter sur eux des
avantages décisifs... Vous êtes peut-être le seul homme
en Europe qui, par vos sages mesures, pourrez trouver
un tempérament propre à finir d'une manière glorieuse
une guerre ruineuse et funeste à toutes les parties belli-
gérantes également. Je le répète, je mets toute ma con-
fiance en vous. » Cet appel aussi direct que flatteur
embarrassa fort notre homme d'Etat ; il s'en ouvrit à
Newcastle que malgré leurs dissentiments, il consultait
volontiers dans les grandes occasions. Après des hésita-
tions qui durèrent plus d'un Jour, il s'était décidé à confier
la lettre à Bute pour qu'il la montrât au Roi. Bute la lui
avait rendue avec le commentaire banal que les déclara-
tions du roi de Prusse avaient un caractère bien général.
Peu satisfait de cette réponse énigmatique, Pitt avait cher-
Ci) Frédéric à Pitt, Meissen, 7 novembri" 1760. Correspondance Politique ,
XX, p. G3.
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ché auprès de Knyphausen dos informations précises sur les
conditions de paix que son maître accepterait. « M. Vhi
a dit, raconte Newcastle ils si je l'ai bien compris, qu'il y
avait trois points sur lesquels il désirait connaître la pen-
sée du roi de Prusse : 1° en ce qui regarde une décla-
ration générale de notre désir de paix qui serait adressée
à tous les belligérants; 2" si le roi de Prusse était prêt à
un sacrifice pour détacher la Russie de Talliance; et
3" si le roi de Prusse était renseigné sur les dispositions
de la France à l'égard d'un arrangement et si S. M. Prus-
sienne consentirait ou désirerait que nous fissions notre
paix séparée avec la France, question que M. Pitt avait
toujours regardée comme indépendante des affaires du
continer t. M. Pitt a abordé avec plus de précision que
jamais 1 examen des conditions de paix avec la France.
Il a posé pour point de départ que nous devions faire
des concessions importantes, tout en gardant beaucoup
pour nous. 11 a formulé ses propositions comme suit : con-
server le Canada, le Cap Breton, exclure les Français de
la poche de Terre-Neuve et leur rendre la Guadeloupe
et Corée, ou garder ces deux colonies, retirer le droit
de pêche et rendre une partie du Canada et nous contenter
des limites des lacs. » Newcastle s'était tenu sur la réserve
et s'était borné à faire remarquer qu'il serait très difficile
d'arracher aux Français l'abandon de leurs droits de
pêche. En répondant à la lettre de son ami, Hardvvicke
souligne (2) avec quelque méchanceté les compliments de
Frédéric k l'adresse de Pitt : « Knyphausen lui aura dit
que nous aimons un plat de ce genre et que le prince
Ferdinand a gagné à se servir du procédé. »
Peu de jours après, Pitt eut avec les ministres prus-
siens Knyphausen et iMichel une conversation dont le ré-
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(1) Newcastle à Hardwicke, 3 décembre 1760. LeUre déjà citée.
(2) Hardwicke à Newcastle, 4 décembre 1760. Newcastle Papers.
NÉGOCIATION AVKC IHhDÉRlC
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sumé (1) fut expédié à Fi^déric. On s'était mis d'accord sui'
les points suivants : 1" Uenouvolicmcnt de la déclaration
pacifique du 19 novembre 1759; 2 " déniarclies à faire de
concert à Pétershourg « tendant à un dédommagement
pécuniaii'e », ce qui n'empêcherait pas <( de tàter le poulx
à la cour de Vienne et à celle de Saxe ». La clause re-
lative aux négociations avec la France était rédigée en
termes bien définis : <( T Qu'une paix particulière entre
l'Angleterre et la France se trouvât praticable, de manière
que la guerre d'Allemagne pût clu'inger par Ifi de nature
à l'avantage de V. M. On voudrait savoir avec précision
à quelles conditions. Sire, vous désireriez un pareil ar-
rangement et quels secours pécuniaires, y compris le
subside actuel, pourraient vous suffire, pour vous aider
à entretenir les troupes allemandes qui pourraient passer
à votre solde. »
Le courrier portant le précis de la conférence de Pitt
et des envoyés prussiens se croisa avec une lettre de Fré-
déric (2) qui répondait d'avance au:: suggestions de Londres.
Pour arriver à une paix générale, il fallait diviser les alliés
et rompre leur union; dans ce but, il avait fait verser des
sommes considérables en Suède pour agir dans la Diète
contre le parti franc^ais; en Russie, il avait fait offrir un
million au favori Schuwalow pour le gagner à la cause
anglo-prussienne. En France, il n'avait pas de crédit au-
près des puissants du jour; le Dauphin, la Pompadour et
Choiseul étaient hostiles à sa personne; aussi croyait-il
que l'Angleterre devrait entamer directement les pour-
parlers par la voie de la Haye pour une paix particulière
à laquelle il ne ferait aucune opposition, se reposant « sur
les assurances que le roi d'Angleterre a bien voulu me
(f) Précis de la dépôcbe des ministres de Prusse, 12 décembre 17P0. New-
casllc Papers.
(2) Frédéric à Knypliausen, Leipzig, 19 décembre IT611. Correspondance
J'olUique, X\,i). iôC).
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CHAP. VII.
donner de ne point ni'nbandonncr, m«^m<* de m'ussistcr
de SCS troupes allemandes ». Après réception de cette let-
tre, Knyphauson et son «roilègiie se considi'rèrent comme
autorisés à accepter l'ouverlure immédiate d'une négocia-
tion avec la France. Restait cependant à déterminer la
nature et l'étendue des secours au maintien desquels
Frédéric subordonnait sou ac<[uiescemcnt à un arrange-
ment entre l'Angleterre et la France. Une dépêche du
Uoi (1) élucida la question : Il se prêterait volontiers aux
vues de l'Angleterre : ( Quant aux conditions que l'An-
gleterre pourrait stipuler pour mes intérêts, elles pour-
raient contenir ; 1" que les Fran<;ais évacueraient toutes
mes possessions d' nt ils sont nantis, qu'ils se borneraient
scrupuleusement à leurs corps de 2V.000 hommes cju'ils
doivent fournir selon leur alliance et qu'ils ne paieraient
plus de subsides ni aux Russes, ni en Suède, ni aux princes
de l'Empire pour me faire la guerre. Si avec cela le roi
d'Angleterre veut bien s'engager à me fournir ses troupes
allemandes, l)ien loin de regarder cette paix séparée avec
la France comme un abandon, je la regarderai comme le
plus grand service «[u'il pourra me rendre, parce que cer-
tainement la guerre ne tardera pas de finir et la cour de
Vienne privée d'un aus?;? puissant appui, sera obligée de
se prêter à la paix. >>
Cette réponse, ou io^t au moins le passage relatif aux
troupes allemandes au service anglais, ne cadrait pas avec
les idées de Pitt ; celui-ci ne voulait se lier qu'au point
de vue financier et fit écrire par Holdernesse (2) dans
ce sens à Mitchell qui, après une longue séparation, avait
repris ses fonctions auprès du roi de Prusse à Leipzig. La
tâche de l'envoyé était d'autant plus délicate que Mitchell
connaissait les sentiments de Frédéric et dans une certaine
(1) Frédéric à Knyphausen, Leipzig, 28 décembre i'QO. Correspondance
Politique, XX, p. 167.
(2) t]olderne,sse à Mitchell, 16 janvier l'Gl. Record Office.
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nBBH
DEMANDES DE FMEDH^IUC EN CAS DE PAIX PARTICULIÈnE. 407
inosuie les partageait. Il comiiiciu;» l'ciitrotien en rappe-
lant au roi de IMus.se que l'Angleterre n'avait jamais
pris l'initiative (le propositions de paix, (|uc la «[iicstion
(le la paix séparée avait été soulevée à sa demande; il
s'appnya sur cette constatation pour en,i;amu', à propos
de divergences entre les textes du résnmé du 12 décembre
et de la ril'ponse royale du 28 décond)re, une querelle de
mots (1) à laquelle Frédéric mit tin eu qualifiant les
observations de « critiques grammaticales » sur lesquelles
il ue voulait pas « chicaner ». Une autre objection for-
mub'e par Mitchell ne put c^tre écartée aussi facilement :
F-,e précis du 12 décembre avait pailé (2) de < l'aider (le
roi de Prusse) à entretenir les troupes allemandes qui pour-
raient passer à sa solde », tandis que dans la réponse,
le roi (le Prusse demandait à l'Angleterre si elle « vou-
lait s'engager à fournir tontes les troupes allemandes
qui se trouvaient à l'armée alliée ». A ce sujet, Mitchell
déclara, au nom de son gouvernement, « (jue l'intention
de S. M. n'avait jamais été que tout ou partie des
troupes étrangères composant l'armée du Roi en Alle-
magne restAt, après la paix avec la France, à la solde de
l'Angleterre et pût agir comme soldats de la Grande-Bre-
tagne; d'ailleurs, il n'était pas au pouvoir de l'Angleterre
de décider que des troupes relevant d'autres princes en-
trassent au service du roi de Prusse; S. M. n'avait aucun
droit (le les passer au service d'un autre prince; le vérita-
ble sens du précis se restreignait à un secours pécuniaire
dans lequel serait compris le subside actuel ». Aussitôt
l'accord intervenu sur le chiffre de la subvention, « le
Roi en sa qualité d'électeur, permettrait à un contingent
de ses troupes électorales, proportionné aux subsides
(1) MilchcHàHoldcrnesso, Leipzig, :J1 janvier I7(il. Secret. MilchellPapers.
(2) Ces mots ne se trouvent pas dans le texte de la Correspondance l'o-
litique, peut-être avaient-ils été introduits par Knyphausen dans les a ex-
traits » communiqués.
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408
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. VII.
votés, (l'entrera la solde et au service de la Prusse; en
outre, le Roi emploierait tous ses efforts à obtenir du
landgrave de liesse et du duc de Brunswick une auto-
risation du même genre ». Mitchell termina en deman-
dant à être fi.vé le plus tôt possible sur la somme que
réclamerait le roi de Prusse, car « S. M, Britannique ne
ferait aucun pas dans la voie des négociations pacifiques
tant que le secours accordé au roi de Prusse, pour le
cas d'une paix séparée avec l'Angleterre, ne serait pas
mis en avant et fixé » .
A !a surprise de Mitchell, le renseignement attendu ne
lui fut pas fourni; au lieu de répondre à l'interrogation
de la cour de Saint-James, Frédéric en formula une
autre en écrivant à Knyphausen (1) qu'il ne pourra mettre
en avant un chiffre, tant qu'il ne connaîtra pas le nom-
bre de soldats allemands que l'Angleterre voudra mettre
à sa disposition. A son tour le cabinet britannique fit
la sourde oreille; Pitt (2) était peu favorable aux exi-
gences prussiennes : si le ministère anglais, disait-il,
avait retardé le renouvellement (3) du subside annuel,
le roi de Prusse aurait été plus accouiniodant. Après
tout, ne serait-il pas préférable de continuer la guerre
générale, malgré sts charges, que de s'imposer 11/2 ou
2 n)illions de livres sterling pour des hostilités partielles
sur le continent?
Depuis quelque temps, le grand ministre était aussi mé-
content de la situation intérieure que de la politique
extérieurCo « Personne ne sait rien, s'était-il écrié (4) ;
personne ne sait à qui s'adresser » ; ces paroles conto-
(I) Frédéric à Knypliausen, Leipzig, 11 et 14 févilT 1761, Correspondance
Politique, XX, p. :>17.
(a) Newcastie à HardwicKe, 24 janvie' 1761. Newcasilc Papers.
Ci) Le Pailemeat. dans sa session d'automne, avait volé le renouvelloiiu'iit
du subside annuel accordé au loi de Prusse.
(i) Newcastie à Ilardwicke, 3 janvier 1761. Ncwcasllc Papers.
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DIVISIONS DANS LE CABINET.
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naient une allusion transparente à rinfluence occulte de
Bute. II n'y avait pas de doute sur la faveur spéciale dont
jouissait le seigneur écossais auprès du souverain; un de
ses compatriotes, le duc d'Argyle, en avait fourni la preuve
irréfutable : Dans une visite à Newcastle, il avait répété
à ce dernier les propres paroles de Georges IH sur le
compte de son ancien précepteur: « Quiconque parle contre
lord Bute, avait dit le Roi, j'estimerai qu'il parle contre
moi. » Il était difficile de porter à un plus haut degré l'af-
firmation des sentiments d'affection du monarque pour
l'un de ses sujets.
Dans de pareilles conditions, la position devenait de
plus en plus intenable pour les ministres qui, à l'occasion
des affaires les plus importantes, étaient obligés d'avoir re-
cours à un intermédiaire irresponsable pour accéder au
trône. Pitt se plaint d'un accès de goutte et parle de
donner sa démission : « Mon état de santé, écrit-il à
Newcastle (1), me fait sentir, comme beaucoup d'autres
circonstances l'ont fait depuis longtemps, combien peu je
suis apte à remplir les grandes fonctions dont S M. a
daigné m'iionorer. » Quelques jours après, il dit à New-
castle (2) « que c'est probablement la dernière fois qu'il
lui tiendra des propos désagréables. Il a parlé à nouveau
de sa démission et m'a prié de lui procurer une retraite
honorable. Il serait reconnaissant au Roi de la lui assurer.
Si le Roi ne le voulait pas, il se tirerait d'affaires comme
il pourrait, mais il ne resterait pas au gouvernement, tant
qu'il serait impossible d'avoir de rapports avec le Roi
([uc par le canal de Milord Bute ». Ces velléités de dé-
mission étaient parvenues aux oreilles du favori ; dès le
mois de janvier, ce dernier avait confié (3) à son ami
Doddington que Pitt songeait à se retirer, l'ne autre fois,
(1) Plu à Newcastle, 8 février 1761. Newcaslle Papors.
(2) Conférence de Newcaslle avec Pitt, 12 février 1761. Newcastle Papers.
(3) Voir Ilufihes, Hislory ofEnyland. vol. I, p. 17:> ; Malion, vol. IV, p. 216.
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LA GUKUUE DE SEPT ANS.
ClIAP. VII.
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c'est de la retraite de Newcastlc dont il est question :
« Il serait facile de lui faire quitter son poste, mais
([ui prendrait sa place ? » En résumé, Bute avait soif du
pouvoir, mais en redoutait le poids.
Entre temps, les intrigues suivaient leur cours et les
conversations politiques se succédaient de jour en jour;
Viry (1), qui était de tous les conciliabules, proposait
d'oii'rir le portefeuille de Holdernesse à Bute. Il n'y avait
aucune difficulté à propos du renvoi du titulaire actuel,
dont la médiocrité était notoire et qui n'était aimé d'aucun
de ses collègues, mais l'introduction de Bute dans le mi-
nistère était une besogne autrement délicate. Celui-ci se
contenterait-il du poste de simple ministre, alors que son
crédit auprès du Roi l'autorisait à aspirer à la place de
président du conseil ? Comment la nomination serait-elle
accueillie par Pi tt, dont la collaboration était indispensable
pour les débats de la Chambre des Communes? Comment
enfin résister aux prétentions de Bute d'avoir sa part
dans les choix des fonctionnaires et dans les élections?
Ces questions donnèrent lieu à de longues discussions. Au
dire de Viry (2), l'Écossais était tout disposé à marcher
d'accord avec Newcastle et souhaitait aussi le maintien
de Pitt. Au commencement de février, deux nouveaux
entretiensontlicuavec Viry (3) qui désirerait que l'initiative
vint des amis de Newcastle; s'ils tardent trop, elle sera prise
par les fidèles de Pilt. Quelques jours après (4), entrevue
de Lord Temple, beau-frère de Pitt, avec Bute ; échanges
de politesses et assurances de concours dont Viry s'em-
presse de faire le rapport à Newcastle. Enfin, Bute, tou-
jours par l'entremise du ministre do Sardaigne, fait
/
(1) Lettres ou notes de Newcastle, 9 novembre 17(10, 21, 27 janvier, 15, 2C,
27 février 1761, etc.. Newcastle Papers.
(2) Conversation avec G. V., 21 janvier 1761. Newcastle Papers.
(3) Newcastle à Hardwicke, 7 février 17(51.
(4) Conversation avec C. V., 26 février 17C1.
26,
CONVERSATION DE NEWCASTLE AVEC LE ROI.
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savoir (1) à Devonshire que « S. M. avait eu la bonté de
lui en parler (de son entrée au cabinet) fort souvent, et
que comme il avait toujours éludé d'accepter, il ne
saurait l'en entretenir, mais que si le duc de Newcastle de
concert avec vous, milord, et milord Hardwicke, voulait
à présent parler de cette afFaire au Hoi, lui lord Bute
le verrait comme une marque de retour de la cordialité
avec laquelle il agit, et veut toujours agir avec vous,
milord, le duc de Newcastle et milord Hardwicke ».
Après des hésitations inspirées par l'obligation de mé-
nager les susceptibilités de Pitt et de ses partisans,
Newcastle cède à la crainte de voir ceu.v-ci prendre les
devants et se décide à parler au Roi. L'audience eut
lieu le 6 mars. D'après le résumé que Newcastle rédi-
gea (2) pour ses amis, le Roi était évidemment au cou-
rant des ouvertures qui lui seraient faites ; il donna son
assentiment, sans chaleur d'ailleurs, à l'éloge de Pitt
et à la nécessité de le conserver, et sourit (juand il fut
question de lloldernesse. Puis l'exposé fini, il interrogea
son interlocuteur : « Qu'est-ce que vous proposez? » et
attendit. Newcastle répondit qu'en entrant chez le Roi, il
n'avait pas eu l'intention d'aller plus loin. « iMais, Hivc,
vous avez le droit de connaître toute ma pensée, si V. M.
croyait bon (je ne fais que le suggérer) de nommer mi-
lord Bute secrétaire d'État, cela produirait le meilleur
eifet. En l'introduisant dans le cabinet, V. M. aurait un
ministre qui possède sa confiance, un homme à la fois ca-
pable, ferme et actif. Voilà mon sentiment, et il est celui
du duc de Devonshire et de lord Hardwicke avec lesquels
j'agis eu tout dans un accord absolu. » Le Roi me remercia
avec beaucoup d'amabilité et dit : «C'est bien ma propre
pensée, je l'ai proposé moi-môme ù milord Bute le jour
(1) Note (lu comte Viry au duc de Devonshire reçue 3 mars l 'fil. Newcastle
Papers.
(2) Conversation de Newcastle avec le Roi, (J mars 17G1. Newcastle Papers.
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412
LA r.L'KHKE DK SEPT ANS. — CHAP. VU.
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(le la mort du feu roi... mais tout ce que j'ai pu dire n'a
eu aucun succès. Milord Bute dit qu'il n'avait pas le désir
d'assumer un tel fardeau et qu'il ne savait pas quel
accueil les ministres de S. M. pourraient faire à sa nomi-
nation. Mais aujourd'hui, milord, après ce que vous avez
dit, je me mettrai à l'œuvre de nouveau, cela pourra
changer l'afTaire. » Newcastle, avant de se retirer, insista
sur les ménagements à garder vis-à-vis de Pitt dont, il le
répétait au roi actuel comme il l'avait fait souvent à son
grand-père, on ne pouvait se passer pour la conduite de
l'administration.
Ce grand pas accompli, il fallait s'entendre avec le
principal intéressé. Dans ce but, Newcastle et Bute
eurent une longue conférence (1). Bute s'inquiétait du
tempérament et des agissements autoritaires du grand
ministre. « En conséquence, avant de s'engager, il vou-
lait savoir de ma bouche si dans le cas d'un différend
entre lui et Pitt causé par l'attitude de ce dernier, il (Lord
Bute) pouvait compter sur l'appui du duc de Newcastle et
de ses amis. » Comme bien on pense, Newcastle répondit
affirmativement. Au cours de l'entretien, le favori, tout
en affirmant son désir d'entente et de bonnes relations,
laissa voir ses sentiments intimes à l'égard de Pitt. Il ne le
considérait pas comme indispensable; « sa popularité, son
crédit avaient beaucoup baissé » ; son départ n'aurait pas
les conséquences qu'on redoutait, jamais il ne voudrait
jouer un rôle dans l'opposition ; s'il se relirait, il se con-
tenterait « d'un dédommagement honorable n. Userait très
difficile, sinon impossible pour Pitt, de s'assurer les bonnes
grâces du Roi; du reste, il ne s'entendait pas à gagner
l'affection d'un prince; pour une tentative de ce genre au-
près du souverain actuel, il aurait à rattraper beaucoup
de temps perdu ; au surplus, lui (Lord Bute) s'y emploie-
( 1) Uésuiné de la coiiveiÂalion avec Bute, 10 mars 1761. Newcastle Papers.
BUTE ENTRE DANS LE CABINET.
413
rait de son mieux. En résumé, Buie se chargerait d'un
pi^rtefeuille et offrait à Newcastle une alliance défensive
contre les exigences de leur impérieux collègue. Mais
comment mettre ce dernier au courant de l'aifaire.
Bute (1) s'acquitta de la commission, mais se garda
bien de révéler les intrigues qui avaient précédé sa nomi-
nation. Pitt reçut la nouvelle assez froidement, et dit
d'un ton sec : « La chose est faite ; j'offre au Roi ma
soumission respectueuse et à votre seigneurie l'assurance
de mon estime. Du moment que telle est la volonté du Roi
et que Lord Bute consent maintenant à accepter, en ce
qui me concerne, je me déclare très content. » Après
cette entrée en matière, les deux hommes d'état causèrent
des rapports directs avec le monarque, de la paix, des
vues royales à ce sujet, enfin des attaques lancées contre
Pitt, qui, dans certains milieux, était traité de ministre
allemand. Les deux interlocuteurs se séparèrent en for-
mulant des promesses d'entente et d'amiÎLé.
Le ministère fut définitivement reconstitué par l'en-
trée de Bute au sous-secrétariat du département nord
des affaires étrangères en remplacement de Holdernesse;
Barrington échangea les fonctions de secrétaire du dépar-
tement de la guerre contre celles de chancelier de l'échi-
quier aux lieu et place de Legge; les anciens titulaires
furent investis, à titre de dédommagement, de fonctions
honorifiques largement rémunérées.
Aussitôt installé aux affaires, le nouveau cabinet eut à
s'occuper des questions étrangères, fort négligées pendant
l'intérim. Pas d'embarras à l'intérieur; à la chambre
dissoute, le corps électoral était en train de donner comme
successeur, grâce sans doute aux manœuvres habiles de
Newcastle, « un parlement (2) aussi bon, sinon meilleur
(1) Newcastle à Devonsliire. Récit par Bute de la conversation avec Pitt,
13 mars 17G1. Newcastle Papers.
(2) Newcastle à Devonshire, 2 avril 1761. Newcastle Papers.
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LA. GUEUUE Dli SKPT ANS. - CliAP. VII.
que l'ancien ». Mais à l'extérieur, le problème de la paix
exigeait une prompte solution. La négociation avec le roi
de Prusse traînait en longueur : Frédéric avait enfin com-
muniqué ses demandes à Mitchell (1); il estimait un
corps de 30.000 auxiliaires comme indispensable pour lui
permettre de se maintenir en Allemagne; l'entretien de
ce contingent exigerait une dépense annuelle de 9 mil-
lions de couronnes; c'était donc 4 ce chiiTre, avec lequel
le subside déjà reçu se conlondrait, que devrait être
tixée la subvention accordée par l'Angleterre. 11 prenait
acte de l'offre gracieuse de Georges III de faire passer à
son service une partie des forces électorales et d'en-
gager ses alliés à en faire autant. En plus de ces 30.000
hommes, il croyait nécessaire de laisser en activité
assez de troupes pour mettre le Hanovre, le Brunswick
et la liesse à l'abri d'une incursion de l'armée de l'em-
pire. Ces propositions, transmises à la cour de Londres
et soumises à l'examen de Pitt, parurent excessives
et donnèrent lieu à explications. Tout en prenant ses
précautions pour la continuation de la guerre, Frédéric
n'en restait pas moins favorable à la paix, et convaincu
qu'elle ne pouvait se généraliser qu'après un arrange-
ment entre la France et l'Angleterre dans lequel la
Prusse serait comprise. A l'occasion d'un projet de dé-
claration que Choiseul avait fait parvenir à la cour de
Stockholm et dont une copie lui avait été envoyée, le
Roi prit les devants [2) : « Je suis bien aise de vous dire
que, selon mon sentiment, cette déclaration ne sera pas
à refuser, mais qu'un congrès solennel tel qu'on le pro->
pose à assembler à Augsbourg, ne ferait que de trahier
éternellement la négociation et la rendre aussi difficile
qu'épineuse, que plutôt toute cette affaire devait être
(1) Mitchell à Holdernesse. Secret. Leipzifj, 11 mars 1761. Mitchell Papers.
(2) Frédéric à Knyphausen, Meissen, 27 mars 1761. Correspondance Poli-
tique, XX, p. 287.
FRÉDÉRIC CONSEILLE DES OUVERTURES A LA FRANCE.
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traitée seule entre l'Angleterre et la France, ce qui en
rendrait le succès d'autant plus prompt et presque im-
manquable ; que quant à l'article de la suspension d'armes
et que tout reste en attendant en statu quo,ie crois qu'il
conviendra à toutes les parties intéressées de l'accepter. »
Ainsi que la suite le démontrera, le monarque se serait
entendu avec Choiseul, qu'il n'aurait pas tenu un autre
langage. A partir de ce moment, les dépêches pour Lon-
dres se succèdent à courts intervalles; Frédéric craint (1)
les menées de la cour de Vienne qu'il sait hostile à la
paix et l effet des succès de Broglie en liesse; il conseille
aux ministres anglais de sonder les intentions du cabinet
de Versailles et d'insinuer que des ouvertures pacifiques
seraient bien accueillies. Comme on le voit, du c«">té du prin-
cipal allié de la Grande-Bretagne, le terrain était on ne peut
mieux préparé pour la négociation qui allait se nouer.
Mais avant d'entamer le récit des pourparlers impor-
tants qui occupèrent le printemps et l'été de 1761, il con-
vient de préciser la situation respective des cours de Ma-
drid et de Londres. Dans un volume précédent, nous
avons esquissé l'jittitude du roi Carlos, son rapproche-
ment de la France, ses revendications énergiques au su-
jet des empiétements du commerce britannique sur les
côtes du Honduras et de la capture irrégulière de bâti-
ments espagnols. Le nouvel ambassadeur A la cour de Saint-
James, le comte do Fuentes, àla date du 20 juin 1760, peu
de jours après la présentation de ses lettres de créance,
r.voit soumis à Pitt une longue liste des g?iefs de sa cou-
ronne. Au mémoire qui accompagnait ces plaintes. Pitt ne
répondit officiellement que le 1*"^ septembre (2); très con-
ciliante en paroles, cette réponse dut paraître, aux yeux
de l'Espagnol, une véritable fin de non-recevoir; elle invo-
\l
I '
(1) Frédéric à Knyphausen, Meissen, 4 avril 17G1. Correspondance Poli-
tique, XX, p. 306.
(2) Pilt à Fuentes, 1"' septembre 1760. Record Offic ■.
416
LA GUERHK DE SEPT ANS. — CHAP. VII.
"\
!ii;
lî
quait la constitution anglaise pour démontrer qu'en
matière de prises, les tribunaux chargés de décider leur
validité étaient omnipotents. Le pouvoir exécutif, dé-
sarmé devant eux, n'avait d'autorité que sur les comman-
dants de vaisseaux de guerre, auxquels il avait enjoint
la plus grande modération. D'ailleurs, ces tribunaux qu'on
accusait de partialité, avaient en maintes circonstances
jugé en faveur des parties espagnoles et fait relâcher
leurs navires. Fuentes, huit jours après la réception de
la pièce anglaise, répliqua (1) par l'envoi de deux mé-
moires qui lui avaient été expédiés de Madrid; le
premier s'étendait longuement sur les droits de l'Es-
pagne à la pêche de la morue sur les côtes de Terre-
Neuve et justifiait la demande de restitution des bâti-
ments saisis et de réparations pour le préjudice causé;
le second exposait les réclamations de la cour de Ma-
drid à propos du commerce illicite des bois de cam-
pêche. L'ambassadeur prévenait le cabinet britannique
qu'une copie de ces documents avait été adressée au gou-
vernement français. Cette fois, la réplique ne se fit pas
attendre : Pitt dans sa « réponse verbale » (2) se montra
très offensé de la communication faite à la cour de Ver-
sailles; « ce qui est certain, c'est que la façon de penser
de cette puissance ennemie... ne saurait jamais ajouter
plus de poids auprès de S. M. que ses sentiments d'amitié
lui en donnent aux représentations de S. M. Catholique )>.
La dépêche (3) adressée à lord Bristol, ambassadeur k
Madrid, avec ordre de la lire à Wall autant de fois qu'il
plairait à celui-ci de l'entendre, sans toutefois en laisser
copie, était aussi intransigeante dans le fond qu'aigre dans
la forme : « Jamais on ne laisserait diminuer, tailler ou
diviser dans une mesure quelconque un intérêt aussi os-
(1) Fuentes à Pitt, 9 septembre 1760. Record Office.
(2) Pitt à Fuentes, 16 septembre 1760. Réponse verbale. Record Office.
(3) Pitt à Bristol, 26 septembre 1760. Record Office.
Vl. ^
COURESPONDANCE SLR LKS GRIEFS ESPAGNOLS.
417
seiitiel ({uo la pt-cherio de Tcnc-Neuvc, la grande pépi-
nière de nos marins et une des bases principales de la
puissance maritime de la (Jrande-Bretagne. Faites com-
prendre ù M. Wall l'absolue impossibilité d'une conces-
sion sur ce point. » Au sujet du droit des commerçants
anglais de couper les bois de campêche, Pitt signalait le
« ton péremptoirc et arbitraire » du mémoire délivré
par Fuentes, qui ne se bornait pas il nier ces droits, mais
demandait au roi de la (irande-Bretagne « l'envoi immé-
diat d'ordres positifs pour l'évacuation sans exception de
foutes les côtes ». Enfin, dernier grief, « la pièce espa-
gnole ferme la porte à toute discussion, exige sur un ton
impérieux satisfaction sur tous les points et réclame une
réponse inniiédiate par écrit ». Le ministre anglais esti-
mait au contraire qu'il fallait répondre à loisir; « on don-
nerait ainsi à Madrid le temps de revenir à une poli-
tique plus saine et d'adopter des conseils plus sages. Si
rell'et souhaité se produit, la conclusion pourra être
heureuse pour les deux pays; dans l'autre alternative,
l'Angleterre n'îiura rien à se reprocher ». Dans les der-
nières ligues de sa dépêche, Pitt, malgré l'apparence agres-
sive de ses prémisses, manifestait quel([ue désir de conti-
nuer la négociation. Il se déclarait prêt à régler l'exercice
« d'un privilège non sans inconvénients peut-être pour
l'Espagne sur le pied actuel, mais sous une forme ou une
autre indispensable à la (irande-Bretagne ».
La mort d'Amélie de Saxe, reine d'Espagne, survenue
le "27 septembre 1760, fit suspendre pendant quelque
temps les conversations diplomatiques. Le (I novembre (1)
seulement, l'ambassadeur britannique eut l'occasion de
donner lecture à Wall de la lettre de Pitt. Le ministre
espagnol en demanda un exemplaire, qui lui fut remis,
à titre officieux, avec mention que la susdite dépèche
(1) Bristol à Pitt, C novembre 1700. Record Oflicc.
GtEBHE DE SEI'T ANS. — T. IV.
27
: Mi ;
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4IH
LA (iUKUllK Ui: SKPT A>S.
CHAI'. VII.
J!l
1 I
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devait être coiisidérro coiuruc répli((Uf' aux nir-iuoires de
Kuenles. Kiilin, le 10 jauvior 17U1, Wall lut »'U pos-
session du précieux docuuient et à même de réfuter les
arguuienls anglais en niainfen.int les siens. Entre temps,
il avait luit i)arf à Bristol des appréciations de sou
maître : « Le Koi avait constaté avec regret la tour-
nure hautaine que la cour britannique avait donnée à ses
communications; il voyait avec chagrin combien peu les
Anglais étaient disposés ;\ tenir compte des complaisances
dues à l'Espagne pour sa conduite pendant la présente
guerre (1). »
En dépit du mécontentement que laissaient apercevoir les
paroles royales, dans sa réponse (2) à la fameuse dépêche
du 20 septembre, Wall avait employé un langage des plus
modérés. Des prétentions contradictoires et de la manié le
dont elles étaient envisagées, il trace une comparaison sai-
sissante : '( Les Anglais ont besoin de bois de canipêche
pour leuis manufactures ; les F^spagnols en avaient chez
eux; ils ont commencé à laisser les Anglais les enlever, et
aujourd'hui on leur défendrait d'une fa(;on absolue de
portei' des restrictions à ce trafic; d'autre part, les Espa-
gnols ont besoin de morue pour la manger, ce sont eux
(|ui ont découvert autrefois les côtes où on la trouve, eux
et d'autres ont pris possession de ces côtes; puis ils ont pris
l'habitude d'acheter ce pois.son aux Anglais et aujourd'hui
on veut rendre leurs achats obligatoires, qu'ils le veulent
ou qu'ils ne le veulent pas, jiarce que, prétend-on, ils n'ont
aucun droit d'aller la pêcher pour leur propre com[>te.
Dans le traitement de cas aussi pareils, peut-on constate!^
l'échange de procédés généreux desquels deux amis doi-
vent user entre eux. alors ([ue l'un a besoin de l'autre? »
L'offre de négocier que fait l'Angleterre, à première vue,
(1) ISiistol à l'iU, 19 janvier 17G1. Uecoid Oflice.
(2) Wall à Itrislol. 24 janvier 1701. NeweasUe Pu|>eis.
GIUEFS KSPAGNOLS.
4IU
peut paraître raisonnable : n Mais elle est tout le contraire
si ion réfléchit qu'avant rouverlure des [)Ourparlers, l'An-
gleterre pose des principes que rKs[)a;;ne ne pourra jamais
consentir, soit que les Anglais eouliinieront leur exploita-
lion des hois et qu'on ne démolira pas leurs étahlisseineuts,
alors (ju'on reconnaît qu'ils ont été créés sur un territoire
étranger et partant par voie d'usurpation... Ne serait-il pas
plus juste et plus rationnel <le commencer [)ar réparer le
dommage causé et avoué en évacuant les postes et en dé-
tendant d'en créer de nouveaux comme le demande l'Ks-
pagne? [)uis de déterminer, dans une conversation amicale,
le moyen de permettre aux Anglais de se procurer les bois
qui leur sont nécessaires pour leur industrie et aux Espa-
gnols de chercher la morue qu'il leur faut poui' leurs jours
de maigre? » Ceci pour le fond des arguments de Pitt;
quant à sa prose. Wall affirmait n'avoir p.as voulu lametti-e
sous les yeux du Uoi de peur d'envenimer le débat : « Il est
donc teuqis encore d'envoyer une réponse (au mémoire de
Fuentes) ; S. M. Britanni([ue aura donc le loisir de pren-
dre une détermination qui mettra nos affaires sous un
meilleur jour. »> Cette impression sur le man((uedetact du
gouvernement anglais, Wall la reproduit dans un entre-
tien (1) avec Bristol : « Il n'avait aucun désir de voir l'Es-
pagne eu guerre avec l'Angleterre; mais la cour de Lon-
dres paraissait faire son possible pour y arriver. »
Peu à peu, grAce à l'intimité croissante des deux bran-
ches de la famille de Bourbon, la querelle qui couvait
entre l'Angleterre et l'Espagne, et dont nous venons de
passer en revue les phases récentes, allait être soutenue
par la France et se trouver mêlée aux négociations de l'été
de 1701. Mais avant d'aborder ce sujet, il est indispensable
d'étudier l'état des relations entre la France et l'Espagne
au printemps delà même année, et pour cela, il nous faut
(I) Brislol à Pill. MudiUI. iS janvier ITGl. Record Oflice.
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i.A r.i i:niu. m: skpt ans. - chaf». mi.
[H'cndro (•oiinaissiiiu*! (h's conversations <liplomati(ju<'s
(jui aboutirent au pacte de l'aniille et à ses c(»nsé(|uences.
Au cours (les pourparlers de la Haye, qui avaient été
engagés dans les premiers mois de 1760, le cabinet fran-
çais avait sugfî'éiv la médiation do l'Kspagne pour ter-
miner la guerre entre la France et l'Aufileterre. Cette
idée, fort mal accueillie par la cour de Saiïit-James et
surtout par IMtt, fut reprise par l' iientes et fit l'objet d'un
débat (1) avec le ministre britannicpie. Ce (iernier avait
repoussé l'ouverture, S. M. Catholique étant « absolument
partiale pour la France » ; nuùs il n'eu serait pas do même
s'il s'agissait de la paix générale, pour faciliter lacjuelle
on accepterait volontiers les bons oftices de rKspagne.
Choiseul, (pii avait i)révu l'échec, avait espéré un
ment que le roi Don Carlos assumerait une attitude énergi-
(jue vis-à-vis du cabinet anglais ; il prescrit à l'ambassadeur
Ossun de prolitcr du pied d'intimité sui' lequel il était auprès
du monarque pour sonder ses dispositions réelles. Afin de
lui préparer la besogne il lui evpose les principes qui doi-
vent guider la politique française (2) : « Nous attendons
quel sorale résultatde votie audience; je ne crois pas qu'elle
puisse rien changer au système immuable de l'Espagne de
ne point se mêler dans la guerre et d'être fort peu utile à
la paix. Il y a longtemps et très longtemps que j'ai prévu
ce dénouement à toutes les avances que le Roi par inclina-
tion a faites au roi son cousin; mais quoi qu'il en soit, quel-
que peu de secours que l'on nous donne, l'intention du
Roi, et je l'y maintiendrai tant que j'aurai l'honneur d'être
son ministre, est d'avoir pour principe invariable de poli-
tique d'être uni avec la couronne d'Espagne; je pousse ce
principe si loin que je crois qu'il ne faudrait pas s'en dé-
partir quand même (ce qui est impossible) l'Espagne ferait
(1) Récil (le Wall. Ossun à Choiseul, 4 juillet 1760. Affaires Étrangères.
(2) Choiseul à Ossun, 2 juin 1760. Affaires Étrangères, vol. 57 i.
AVANCES UK CIIOISKUL A L KSl'AONK.
421
la guerre A la Franco. Il n'y aura de grandeur <laus la mai-
son de France, de yloin?, de vraie siMcté et de vraie tran-
(juillité que litrs(|ue les deux couronnes ne cesseront d'avoir
pour guides de leur conduite le système nécessaire lï leur
j^randeur; ainsi, Monsieur, les ministres d'Kspaj^ne (jui
nous sont contraires passeront, mais la vérité de l'intérêt
«les monarchies ne passera pas. »
Il n'y avait pas de doute à avoir sur les sentiments du
roi I>on (larlos; car il ne perdait pas une occasion de
manifester sa sympathie [)our la France, (l'est ainsi «pi'à
la nouvelle de la victoire c\r Sainte-Foy sous les murs
de Uuébec, il avait dit à Ossun : « I s Français ont cntin
battu les Anglais; je ne les reconiÉjiissais plus, mais j'es-
pérais toujours ([u'ils reprendraient leur supéiioiité ordi-
naire. » Vn autre jour, à l'auihassadeur qui l'engageait à
faire des préparatifs de guerre contre les Anglais, le Koi
répéta (1) plusieurs fois : « Laissez-moi faire tout à la
sourdine, je les mettrai à la raison. » Ce langage, si satis-
faisant (ju'il fut, ne faisait pas l'atlaire de Clioiseul qui
aurait voulu voir l'action se substituer à la ,;arole. Il se
méfie de l'EsiJagnc qui, tout en professant pour la
France une grande amitié, ne cherche qu'à pousser ses
propres intérêts. Vous « devez en conséquence. Mon-
sieur, écrit-il à Ossun (2) continuer d'avoir l'air de la con-
liance la plus entière et de vous renfermer dans les bornes
de la plus grande circonspection sur tout ce qui peut avou'
rapport à la paix et aux moyens de la faire ».
Cette réserve fut d'autant plus facile à garder que la
maladie et la mort de la Keine interrompirent le cours des
audiences royales. Le 19 septendire, la princesse était au
plus mal. « Le Koi a priscougéde sa digne compagne, écrit
Ossun (3), il est décidé qu'il ne la verra plus. » L'agonie dura
(1) Ossun à Choisoul, 17 juillet 17fio. Aflfaiios Étrangères.
(2) Choiseul à Ossun, 1!» août 17G0. Aiïiiires Ktrangères.
(8) Ossun à Choiseul, l'J septembre 17(io. Affaires Étrangères.
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V V
Vv)
L\ c.uKiuU': Di: sept ans.
CHAP. VII.
encore huit jours et (]uoi([U(' la pauvre malade, ([ui avait
toute sa connaissance, exprimât le drsir de revoir son
épciix, rimpifoyable «Uiquettc espafi'nole, par l'organe du
faraud sommelier, le duc de Losada, interdit une suprême
entrevue.
I.a reine défunte, Amélie de Saxe, sœur de la Daupliine,
avait exercé une influence considérable surlVsprit de son
mari et partant sur les relations extérieures. Lord Hristol
îa dépeint conmic dévouée à la cause française et l'accuse
d'avoir inspiré la comn'unication des mémoires espagnols
i'i la cour de Versailles, procédé qui avait si fort déplu à
Londres; Ossun affirme, aucontraii-e, (lu'elle était d'accord
avec Wall pour doimer des conseils de timidité et d'a-
termoiement. LaUeine était !Ïpeiuemorte(|UC la diplomatie
européenne se mit en tête de renuirier son époux. Choiseul
passe en revue (1) les candidates ; en première ligne, une
princesse française. Il cite les propres expressions de
Louis XV : « Je désirerais que le roi d'Kspagne me dc-
mamle amicalement une de mes filles, mais il ne me con-
vient pas de jeter nies filles A la tète de personne. » S'il
ne voulait pas d'une Française, « le mieux serait qu'il ne
se remariât pasdu tout, ('ne ai'chiducliesse <lans la circons-
tance actuelle pourrait nousétre utile, et nous l'aimerions
mieux que les autres; aprèo elle une princess(^ de Savoie;
la bavaroise est horrible de figure et l'on n'y songera pas;
pour la Portugaise, elle est celle qui nous conviendrait le
moins ». Au surplus, Don Carlos affirmait (2) il ses intimes
<[u'il ne convolerait pas en secondes noces ; mais Ossun, ([ui
le savait trop religieux pour chercher des distractions
irrégulières, prend des « mesures pour tirer du confesseur
de S. 3L Catholi(|ue les lumières possibles sir cet objet ».
En attendant, le Uoi se consolait de la perte de sa com-
pagne en s'adonnant de plus en plus aux affaires de son
(I) Clioiseul à Cssiin, ;I0 septembre ITiiO. Affaires Klrangères.
(!) Ossun à Clioiseul, 17 octobre 17r>0. Affaires Klmngéres.
MOUT 1)K LA REINE DESPACNE.
423
royaunu' ot en suivaiittle près les évriicmonts à rétraiiger.
FiCS ministres, qui ne se réunissaient pas en conseil et qui
travaillaient individuellement avec le souverain, se ral-
liaient peu A, peu î'i l'alliance française. Wall, (jue nous
avons connu au début de cette histoire accpiis corps et i\me
il la cause brif<inni(|U(;, avait modifié son attitude ; soit défé-
rence pour un maître dont il cherchait à «agiuîr la con-
liance en adoptant ses vues, soit révolte contre lingrati-
tude de la cour de Londres ([ui oubliait les services rendus
pai' rKspaf;ne pour ne soni^er (|u'auv exigences de ses
pi'opres sujets, il s'expi'iniait en termes sympathiques sur
le compte de la France, se plaignait à Ossuu des procédés
«le ses anciens amis, mais il était encore l'adversaire de
mesures énergiques. « Que voulez-vous ([ue fasse le roi
d'Kspagne seul (1)? disait-il à Ossun. S'il se déclare, il
verra bientôt sa marine; naissante écrasée. Lui convient-
il aussi de sonner le tocsin? Les Hollandais, les Danois
sont certainement alarmés, mais ([ui est-ce i[u\ ameutera
toutes ces puissances? Pour moi, a-t-il ajouté, je ne sais
<|uel parti prendi'e. Le roi d'Espagne est sage, éclairé,
jeune, nerveux, c'est à lui de se déterminer. »
Tout en restant sur l'expectative ({iie commandait la situa-
lion, Choiseul avait profité (2) de toutes les occasions pour
resserrer les liens qui existaient entre les deux couronnes.
Il avait fait au roi Catholique la conlidence des ouvertures
■X l'Autriche A reillet de terminei* la guerre, il lui avait
conjmuni([ué le traité des Impératrices auquel la France
venait d'adhérer sous ». 'serve de l'exclusion d<' l'Espagne
et des Bourbons d'Italie. Knfin, il lituii pas de i>lus; il mit
la cour de Madrid au pied du mur .'{) : « Si le roi d'Kspagne
(1) Ossun i\ Ctioisciil. :iit octobre (TCO. Aft'aircs K Iran gères.
(2) Voir sur la |iolili<iiuî <lf Choiseul à l'cf^anl il<* i'Esiiague Alfred Bour-
guel : Le duc de Choiseul et l'alliance espagnole. Paris, 190»;.
(;{) Choiseul à Ossun, li novembre I7t'i0. Affaires Étrangères.
ii,
I.A GUERRE DE SEPT ANS.
CHAI'. Vil.
'iJ'*
ïr
I
ne peut pas .se drclaror efticacement, le Roi sera obligé
de suivre, coûte que coûte, la négociation de la pai.x. »
A cette paix il y a i)ien des objections, « aussi le Roi n'y
penserait-il pas cet hiver, si l'Espagne voulait se décider »>.
Envisageant Ihypothèsc de la continuation de la guerre,
le ministre français donne libre cariiôre à son imagination
et esquisse à grands trails les moyens qui lui semblent les
meilleurs de combattre l'ennemi commun. La France,
malgré un suc.ès pour le moins incertain, « appuierait vo-
lontiers le projet d'un embarquement pour les lies Bri-
tanniques », dont on avait parlé à Ossun, mais il en préfé-
rerait un autre « qui serait plus aisé et porterait à l'An-
gleterre un coup plus sûr : c'est l'attaque du Portugal. Ce
royaume peut être regardé comme une colonie anglaise ;
à ce titre seul, il est l'ennemi de la France, et de plus le
Roi a les sujets les plus violents de mécontentement du roi
de Portugal qui, au mépris des droits des gens et des at-
tentions dues aux tètes couronnées, a eu des procédés pour
la France (pii autorisent une guerre ouverte. En partant
de ces pinncipes et de la nécessité de faire une diversion
considérable aux projets de l'Angleterre, nous proposons
dans le plus grand secret à S. M. Catholique de nous
confier si elle veut contribuer à la conquête du Portu-
gal et du Ri'ésil, et au dessein d'anéantir entièrement
cette puissance, et de la réunir aux domaines d'Espagne ».
Clioiseul étudie les détails d'exécution de ce projet, fixe h'
chiffre du contingent ([ue la France pourrait fournir, puis
il passe à un concept différent. Il consisterait à « déclarer,
conjointement avec l'Espagne, aux Hollandais que la li-
berté des mers est menacée par l'ambition de l'Angleterre,
qu'ils sont invités à se joindre aux deux puissances^ soit
pour moyenner une paix juste et convenable au commerce
des nations, entre la France et l'Angleterre, soit pour s'u-
nir à la France et à l'Espagne pour réprimer les vues me-
naçantes des Anglais, et que si la République d'Hollaude
!SffîV',:s?r\msm*m^:i
CHOISEUL PROPOSE UNE PRESSION SUR LA HOLLANDE. 425
ne s'unit pas aux deux couronnes pour parvenir à un but
aussi utile à l'humanité, le Koi et le roi d'Espagne la re-
garderont comme participant à la conduite insoutenable
des Anglais, et lui déclareront la guerre ; alors le Roi as-
semblera une armée considérable sur le Bas-Rhin, indé-
pendamment de celle qu'il conservera en Allemagne, et avec
cette armée qui sera de 100.000 hommes, S. M. entrera en
Hollande et forcera par ses conquêtes de terre les puis-
sances maritimes a se réduire à la paix. Voilà deux projets
qui sont nerveux ; ils paraîtront peut-êti'e téméraires, mais
en les examinant de sang-froid, jeme flatte que l'on jugera
qu'ils sont d'une plus facile exécution que ne le serait une
descente en Angleterre. Ils supposent tous deux que l'Ks-
pagne veut faire la guerre, car si cette puissance n'a pas
l'intention do se déclarer positivement et ouvertement,
tous projets sont inutiles à condjiner avec elle, et comme
je vous l'ai déjà mandé, le Roi suivra le plan de paix qu'il
s'est formé, et engagera ses alliés de gré ou de forcé d'y
concourir. »
Les propositions de Choiseul furent soumises, par l'en-
voyé français il), au roi Carlos. Celui-ci reconnut qu'il était
de son intérêt de combiner une action immédiate avec son
cousin Louis XV, car « aussitôt que la France aurait fait
une paix avantageuse, les Anglais lui tomberaient sur le
corps... malheureusement il n'était pas encore prêt, il
avait trouvé toutes choses en xVniérique et en Espagne
dans un dépérissement et dans un délabrement incroya-
bles, quoiqu'il eût pris toutes les mesures qui avaient dé-
pendu de lui depuis un an pour mettre ses possessions
en Amérique à l'abii d'une invasion; cependant si les An-
glais se présentaient encore actuellement à la Havane et
au Mexique, il leur serait plus facile d'en faire la conquête
que de la plus petite colonie française,... la plupait des
. k
(I) Ossun à Choîspul, 28 novembre lT(iO. Affaires Élranijères.
IHi
1<
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«si
I;
i2tî
LA (iUEKKi; Di: SKPT ANS. - CHAP. VU.
vaisseauv étaient pourris... les arsenaux étaient vides; il
n'y avait ni canons, ni fusils, ni munitions. On travaillait
rie toutes parts conséqueniment à ses ordres, il fallait beau-
coup plus de temps en Espagne (jue dans les autres pays
pour exécuter les moindres choses ». En résumé, S. M.
Catholique, pleine de bonne volonté pour l'avenir, « ne
voulait pas engager la France à reculer la conclusion de
la paix ni à continuer toute seule une guerre qui l'expose-
lait à de nouvelles pertes ». A la suite de confidences
pareilles, il n'y avait qu'à remercier le roi d'Espagne de
sa franchise et à poursuivre résolument les démarches
pacifiques commencées auprès des deux Impératrices,
C'est le parti auquel s'arrêta (1) le ministre de Louis XV.
Vers le milieu de décembre 1760, Massones, ambassa-
deur espagnol à la cour de Versailles, fut remplacé par
Grimaldi dont nous avons relevé l'activité remuante au
poste de La Haye. Choiseul n'avait pas été étranger au
rappel de Alassones; dès le mois de juin, il écrivait (2) à
Ossun, au sujet de ce diplomate : « Le roi Catholique ne
doit point persister à laisser ici pour son ambassadeur le
meilleur homme du monde, mais le plus inepte ministre
qu'il y ait jamais ou. Il est impossible de parler d'alfaires
à iVL de Massones, ni d'entendre ce (pi'il dit quand il
parle... .le vous confie le peu de fonds qu'il y a à faire sur
cet ambassadeur, dont les relations sont certainement, s'il
les fait, dénuées de bon sens, et s'il ne les fait pas, ne
peuvent pointètre jïistes, car il lui est de toute impossibilité
de rendre compte de ce que je lui dis. Je vais me borner
dorénavant à lui faire des plaisanteries, ce qui est plus
son genre que la politique. » (irimaldi, ainsi qu'on le
verra, donna une impulsion vigoureuse aux pi'ojcts d'union
des deux couroimes.
(1) Choiseul à Ossun, '.t dccenibre l'GO. Affaires Élrangf-rps.
(2) Choiseul à Ossun, J juin l'Oo. Affaires Étrangères, vol. .'i71
ENVOI DE HENIOUTS EN AMERIQUE.
457
Vers la fin de 1700 « le ton de hauteur insupporta-
ble » (pii était la caractéristique de la prose ministérielle
du cabinet de Saint-James et les avis transmis parFuentes
tirent croire à une rupture prochaine. Le Roi activa les
préparatifs, expédia aux Indes occidentales des renforts
et des munitions et rétablit en Amérique la milice re-
crutée parmi les 9 millions de sujets que TKspagne y pos
sédait; cette force comptait « environ (H). 000 hommes tan
infanterie que cavalerie qui n'existaient plus que sur les
rôles des trésoriers et dans la poche de tous ceux qui
partageaient le cadeau ». L'alerte n'eut pas de suites im-
médiates. Fuentcs eut beau écrire à Wall, dans une lettre (1)
interceptée par le gouvernement anglais, que la cour de
I>ondres, bien décidée h ne pas donner satisfaction à l'Es-
pagne et craignant les conséquences d'une nouvelle
guerre, pourrait bien boucler la paix avec la France en lui
oli'rant des conditions plus avantageuses qu'elle n'en ob-
tiendrait de l'intervention espagnole, et peut-être cette
{juissance les accepterait-elle « par dépit et piquée de
notre indifférence ». A écouter Fuentes, il fallait s'engager
avec la France, car ce serait un aveu de faiblesse indigne
d(^ la monarchie espagnole que de reprendre le fil des
pourparlers après l'accueil fait aux mémoires, \yall envi-
sageait les choses avec beaucoup plus de sang-froid : « il
a déclamé, rapporte Ossun (2), assez vivement contre la
hauteur de M. Pitt ; il l'a comparé aux Gracques de l'an-
cienne Rome, mais il m'a dit aussi qu'il ne pouvait pas
croire que les Anglais rompraient avec l'Espagne. »
En effet, tout en étant fort mécontentes l'une de l'autre,
les deux couronnes ne se souciaient pas d'un éclat que
la reprise des conversations diplomatiques aurait amené
dans un délai plus ou moins éloigné; aussi gardèrent-elles
îm
(1) Fuentes à Wall, 30 janvier 1701. Chatham Papers, Spain.
{'>) Ossun à Choiseul, 2 IVtv. l'Ol. Aflaires Étrangères.
.:i
4'?8
LA C.UKKUK Di: SKPT ANS.
CFIAl». vir.
:
le silence pendant les proniieis mois de ITOl . NVall, quoi-
que beaucoup moins anglais que sous le dernier rèf;'ne, ne
s'était pas encore détaché complètement de son ancien prin-
cipe d'entente avec la puissance insulaire; dans ses entre-
tiens avec Bristol, il se montra conciliant et donna un dé-
menti formel aux bruits qui coui'aient sur les armements
espagnols. A ces assurances pacifiques, Hristol put répou-
dre en annonçant le relâchement de quelques prises; en-
lin, Pitt, soit maladie, soit manque de confiance dans
la stabilité ministérielle n'envenima pas par de nou-
velles dépêches des relations déjà tendues. La trêve
dura jusqu'au M avril, trois semaines après les ouvertures
de Choiseul à l'Angleterre.
Pend.tnt cette accalmie, le rapprochement des deux mo-
narchies- de liourbon progressait à pas de géant. Choiseul
avait mis sur le tapis (1) un projet de traité de commerce
et d'alliance défensive ; il le discute à Versailles avec Gri-
maldi qu'il trouve « aimable, insinuant et fort adroit » ;
les gouvernements échangent des mémoires. Afin de se
renseigner sur les intérêts qui seraient on jeu, le
cabinet français prend l'excellent parti de consulter
« les négociants les plus instruits et les plus accrédités,
sauf à l'homme d'état de rabattre des prétentions exces-
sives des marchands ». A cet effet, Ossun propose (2) d'a-
voir recours aux lumières de commerçants u habitant
l'Espagne, de la Chand)re de Commerce de Bayonne qui
possède les négociants les plus habiles du royaume, de
Jlarseille, Saint-Malo, Bouenet Lyon ».
La préparafiond'uneconvention commerciale demandant
évidemment quelque tenq^s, ne serait-il pas possible de
le faire précéder d'un arrangement politique? La cour
de Madrid, sans vouloir s'opposer à la conclusion de la
(1) Choiseul à Ossun. 27 janvier 1761. Affaires Étrangères.
(2) Ossun à Choiseul, 2 mars 17C1. Affaires Étrangères,
GRIMALDI AMUASSADEUU EN IRANCK.
429
paix entre l'Angleterre et la France, s'elfray.iit, comme
nous l'avons vu, de l'isolement dans lequel elle se trou-
verait après la réconciliation des deux belligérants; elle
suivait d'un œil jalouv les pourparlers qu'elle croyait
déjà amorcés à lA)ndres. Choiseul s'en explique avec Gri-
maldi : « Il ne m'a pas été difficile, Monsieur, mande- t-il (1)
à Ossun, de pénétrer dans les premières conversations que
j'ai eues avec M. le marcjuis de (Irimaldi, que cette fausse
idée où Tou est à sa cour, a été le principal motif de sa
mission en France; et il n'a pas môme cherché à me
dissimuler que son véritable objet était de découvrir l'état
actuel de notre prétendue négociation, et nos disposi-
tions par rapport k l'Angleterre. Il a sans doute regardé,
comme un moyen snr de me faire expliquer sur ce sujet,
l'oifrc qu'il m'a faite, par ordre du Uoi son maître, de con-
clure dès à, présent un traité oft'ensif entre la France et
l'Espagne pour le soutien de leurs intérêts communs
contre les Anglais. » Choiseul assura son interlocuteui-
qu'aucune ouverture n'avait été faite au cabinet britan-
nique et c(u'aussitôt qu'il y en aurait une, la cour de Ma-
drid en serait informée. « Enfin, continue le Français, sur
la proposition de conclure actuellement un traité offensif
entre les deux cours, j'ai demandé à cet ambassadeur si,
dans le cas où nos ennemis se refuseraient aux ouvertures
que nous leur ferons... le roi d'Espagne serait disposé
à déclarer aux Anglais qu'il ne peut pas souffrir plus
longtemps leurs entreprises en Amérique, qui ne sont
pas moins préjudiciables aux intérêts de sa monar-
chie qu'à la navigation et au commerce libre de toutes
les autres nations, et que S. M. Catholique est détermi-
née à unir ses forces contre celle des deux puissances
(soit la France ou l'Angleterre) qui ne voudra pas se
prêter sans aucun délai aux conditions d'une paix juste
i' L '
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(1) Choiseul à Ossun, 17 février I7G1. Affaires Étrangères.
t; '-
l:{o
LA <;UK»KK DE SKPT ANS.
CHAI*. MI.
et convenable. M. de drimaldi m'a dit (jii'il igno-
rait quelles sont à cet égard les intentions du roi son
maître. » , ,
D'après Choiseul, l'initiative du iraité d'alliance devait
venir du cAté de l'Espagne; aussi Ossun, quoique mis au
courant, roçut-il ordre de n'en parler ni au Roi ni à
Wall. Ce fut en effet le Roi qui s'en ouvrit le [)remier : « Ce
prince, Monsieur, rapporte Ossun (1), m'a répondu ((ue pour
la défensive, il n'y avait aucune espèce de difficulté,
mais que l'offensive l'oniharrasiait à cause de nos guerres
d'Allemagne, qu'il fallait qu'il examinât ce qu'il pouvait
faire; (jue je savais qu'il ne voulait jamais prendre d'en-
gagements sans être bien sûr d'être en état de les fcm-
plir; qu'au surplus, il faudrait beaucoup de temps pour
discuter et convenir des conditions d'un traité de com-
merce. » A la suite de cet entretien, et avec l'autori-
sation du roi Carlos, l'ambassadeur français aborda le
sujet du traité avec Wall (|ui se montra favorable au
principe de l'alliance.
Fidèle à sa promesse, Choiseul envoya copie à Madrid
des déclarations relatives au congrès futur et à la paix ainsi
que des pièces diverses remises par Galitzin au cabinet an-
glais. La cour de Madrid ne fit aucune observation sur le
conf-^nu de ces documents, mais quelques jours aju'ès la
communication, Wall tint un propos qui éclaire à la fois sur
la nouvelle orientaticm de l'Espagne et sur la modification
profonde qui s'était produite dans ses .sentiments person-
nels. « Ce ministre m'a dit, relate Ossun (2), que la France
avait les plus justes motifs de désirer unt^ paix décente ; que
la tournure {[uelle avait donnéoàses premières ouvertures
était remplie do dignité et mettait les A'^tglais dans la néces-
sité absolue de s'expliquer clairement sur leurs véri'.a-
(1) Ossun à Choiseul, 16 mars 1701. Affaires KUan^^t'ies.
(2) Ossun à Choiseul, 20 avril 1701. Aflaires Étrangt'ies.
GIUMALDI PRODUIT UN PROJET DK TKAITt:.
i3t
blcs intentions. S'ils se refusaiouf aux vues modérées de
la France, il faudrait que S. M. Cafholicjue joignit sans
hésiter ses forces à celles du roi son cousin. » Wall
ajouta que si les alliés de l'AngleJerre étaient représen-
tés au congrès, <( S. M. Catholique était déterminée à se
déclarer publiquement l'alliée inséparable de la Fiance
et à demander en conséquence que ses ministres y fus-
sent également reçus ».
Les négociations qui se tinrent entre Versailles et Londres
pendant les mois d'avril et de mai n'empêchèrent pas les
pourparlers entre Choiseulet (irimaldi an sujet du traité
d'p.Uiance de suivre leur cours, (^e derniei' avait rédigé
un brouillon (pi'il soumit au ministre. D'autre part, Wall
informa Ossun (1 ) que S. AI. Catholique avait exigé <|ue les
irticles du projet « ne continssent rien qui pût gêner la
France pour la conclusion prochaine de sa paix particu-
lière avec l'Angleterre;... que d'ailleurs le roi Catholique
ne croyait pas que les Anglais commençassent les pre-
miers la guerre, qu'il saurait de son côté retarder ou
accélérer selon les circonstances les justes poursuites de
ses prétentions; enfin que ce prhice n'était point du tout
intimidé par les forces des Anglais, et ({u'il espérait de
se trouver bientôt en état de leur causer plus de dom-
mages qu'il n'en pourrait recevoir deux ».
Choiseul trouva le texte de Grimaldi « trop vague »
et se mit à l'œuvre pour y substituer sa propre rédac-
tion : « Je compte en conséquence, écrit-il à Ossun (2),
lui donner incessamment un contre-projet divisé en deux
parties qui formeront le plan de deux différents traités.
L'un sera un pacte de famille à stipuler et à constater
à perpétuité entre tous les souverains de la Maison de
France et qui n'étant relatif qu'aux intérêts des branches
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1 I. I
(1) Oâsun à Clioiseiil, :>' avril ITtit. Aflaims Ktiangèies.
{'>.) Choiseul à Ossun, li mai I7(il. AflFaires Etrangères.
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L.V GUKHHK I)i; SKPT ANS. ClIAP. Vil.
(lui lii coinposent sera cxtlusif pour toute autre [)uis-
sance. Le second traité au<juei d'autres [)uissanccs pour-
l'ont ôtre appelées à accéder, roulera sur les objets qui,
regardant principalement le lloi et le roi d'Kspagne, ont
aussi des rap|)orts plus ou moins directs avec d'autres
lois ou répuhlitpies. » La lettre se termine par un mot
aimable pour « M. Wall, rainistiii éclairé etlidèle du Koi
son maille ».
Quelques articles du projet de Grimaldi (1) avaient
soulevé des objections de la part du cabinet français.
On accepterait pour l'avenir l'engagement « de ne
faire ni écouter aucune proposition d'accommodement que
d'un commun accord et consentement », mais donner à
cette clause un effet rétroactif, ce serait renoncer à tout es-
poir de la paix avec l'Angleterre. L'objection visait une dis-
j)osition dueà la plume de l'ambassadeur d'après laquelle,
dans la paix à intervenir, « soit quelle se traite dans le con-
grès, ou à Londres par le moyen de ministres particuliers,
les deux monar(|ues concourront également dans la négo-
ciation, et qu'en même temps on y agitera les deux points
de discussion que le lloi Catholique a avec l'Angleterre...
do façon ([ue l'accommodenK-nt des dépendances de la
couronne de France ne se décidera point sans que celles
de la couronne d'Espagne soient réglées ». Comme le
faisait remarquer Choiseul avec beaucoup de justesse,
« cette dernière couronne qui a absolument refusé toute
espèce de secours au Roi pendant le cours de la guerre,
voudrait se rendre la maîtresse des cojiditions de la paix
de la France et les faire dépendre de la convenance per-
soimcUe de S. M. Catholique ». Une abdication pareille
était inadmissible. D'autre part, la France ne pouvait
admettre un article secret qui stipulait, pour le cas de
(l) Projet (le Giimaldi annexé h la lettre de C'Iioiseul à Ossun, 2G mai
17G1.
PROJKT DU PAPTK DK I AMIM.E.
433
la
es
e
f^'uerre, la remise en di^pAt A l'Uspagne de l'ile de Mi-
non | ne.
Au texte de (iriinaldi, le niiiiistre fraix-ais substitua
un ducunient (1) qui p^itait le titnî de pacte de famille.
Comnu^ contractants, n"j seraient e()ni[)ris (pic les princes
de la famille <le Roiirlxju, les rois de France, d'Kspasne
et des Dcux-Siciles; l'alliance serait absolue sur la base
de « qui atta(jue une couronne attaque l'autie ». (ihaipie
monanjue jouirait de la garantie des possessions lui ap-
partenant « suivant l'élat actuel où elb^s seront au pie-
mier moment où l'une ou l'autre couronne se trouverait
en paiv avec tv)utes les autres puissances ». Enfin, chacun
des alliés devrait fournir, trois mois apr(>s réfjuisition,
douze vaisseaux de ligne, six frégates et iïMH) hommes
de troupes de terre; le traité général serait complété par
un ariangenKmt applicable aux circonstances présentes.
Comme point de départ de cette seconde convention,
Louis XV demandait (2) au roi son cousin « de se déterminer,
en cas que la paix ne soit pas faite, le 1" mai 17()2, entre la
France et l'Angleterre, à déclarer ouvertement la guerre
h cette dernière couronne ». Moyennant cet engagement
de S. M. Catholique, le roi Très Chrétien s'olfrait de
(( comprendre dans l(;s négociations de la paix qui va se
traiter à f.ondres, les intérêts du roi d'Kspagiie, rela-
tivement à la pèche, aux prises et aux établissements
dans la baie d'Honduras, de sorte que les intérêts de la
France ne pourront pas être terminés, que ceux de l'Ks-
pagne lelativemeut à ces trois objets ^^e le soient aussi,
à la satisfaction de S. M. Catholique ». De Minorque, il
n'était plus question, « cette conquête étant une vraie et
unique compensation à celle des ennemis sur la France ».
Il était bien entendu que la nouvelle proposition ne
m
%
(1) Mémoire particulier de Clioiseiil, 2 juin ITfil. Afl'aires E Iran itères.
^ (2) Mémoire particulier de Clioiseui, 2 juin 17til. Afl'aires Élranj^iTes.
CLEUBE DE SEl'T ANS. — T. IV.
28
i.lt
U r.UKRRE DK SKPT ANS. - CHAI». VII.
1/
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retarderait pas la conclusion du traité « qui est indt^-
pcndant de cette situation particulière, mais elle demande
une réponse prompte, afin que l'on puisse diriger la
conduite du ministre du Roi à Londres relativement aux
intentions connues dp S. M. Catholiqu(î ». Si l'on compare
les deux rédactions, on voit que (Mioiseul, tout <'n accor-
dant Tappui sollicité pour le litige anglo-espagnol, su-
hordonnait ce concours à la promesse que prendrait
l'Kspagne de déclarer éventuellemeni la guei-re fi l'Angle-
terre.
Malgré la hâte de tlrimaldi qui était prêt à signer sans
en référei' à Madrid, la négociation traina pendant tout le
mois de juin et la première ([uinzaine de juillet. U'acoord
sur les clauses essentielles, on dillerait sur Jeux points
qui tenaient fort à cœur au roi Charles : la préséance
des ambassadeurs, et une indenmité pour l'infant Philippe
en échange du Plaisantin qui faisait retour au roi de Sar-
daigne. A partir de cette époque, les pourparlers avec Ma-
drid s'enchevêtrent à un tel degré avec ceux qui se pour-
suivaient avec l'Angletei' (|u'il est impossible de rendre
compte des uns sans suivre les autres. La correspondance
échangée, les entretiens à L(mdres et à Paris avaient une
répercussion si directe sur les dépèches expédiées h Madrid
ou sur les conversations avec Urimaldi qu'il nous faut con-
fondre le récit afin de maintenir la connexité.
En réalité, Choiseul ne fut pas fâché des divergences
de détail qui lui permirent de gagner du temps et de se
faire une opinion sur les chances de succès des négocia-
tions entamées à Londres. Bien qu'averti par Afl'ry, lors
des tentatives de rapprochement de La Haye, de la jalou-
sie que le cabinet anglais éprouvait contre toute im-
mixtion de la cour de Versailles dans le conflit espagnol,
Choiseul ne se rendit pas compte que l'ingérence (\^■ la
France dans le débat, loin de faciliter l'entente, indis|»"^^-
rait le gouvernement britannique au point de faire échuutr
CIIOISKLL LAISSK TRAINKR U NKdOCIATION.
1:»:,
liince
Il no
atli'id
con-
ences
de se
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Ol'S
alou-
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ISTlol,
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KlUtl*
H"
h\ |»nfifiration. K\ng«^i'nnt. \oh moyens d'arfion de l'Ks-
paunr, sur lescjucls l'ifl rliiit l»eaucon|> mieux lenseigné
que lui, (îhoiseul s'inuiginail avoir entre les mains une
carte maltresse et voulait en jouer pour arracher au ca-
binet de Saint-Jamesih'scnndilions plus l'avorahles et pour
satisfaire au désir de son futur allié. D'ailleurs, peu au
courant des (d)jets du liti^'^e, méconnaissant l'Apreté que
déploient les Anglais quand les intérêts de leur commerce
ou de leur navigation sont en jeu, il ne croyait pas «piun
compromis entre les deux couronnes fût diflicile à ellec-
tuer. Cependant, les symptAmiîs n'étaient pas rassurants :
I»itt, peut-être en vue de bien poser le principe de la sépa-
ration entre les griefs espagnols (^t lesatl'aires (pii seraient
disculées au congrès, avait repris (1 i la c<trrcspondance
interrompue et réclamait une solution à Madrid; Kueutes
n'espéi-ait pas un arrangcMiient amiable : « Je suis absolu-
ment convaincu, écrivait-il (2), (jue seules la force et la
peur les amèneront à nous rendre justice. » L'empresse-
ment de (Irimaldi k faire int«îrvenir la France était éga-
lement significatif.
Il faut en convenir, la situation de Clioiscul était
embarrassante; les difficultés, les obstacles l'entouraient
de tous les côtés et constituaient autant d'écueils contre
lesquels la barque de sa politique riscjuait de se briser. A
la fin de mai, au moment où nous l'avons vu substituer
ses projets à ceux que (Irimaldi avait préparés, alors que
les deux négociateurs venaient de partir pour Londres et
Paris, le ministre de Louis XV avait à cœur la conclusion
■ de la paix particulière de la France et de l'Angleteri'e,
mais il se savait lié par nos engagements avec l'Autriche.
H pouvait se faiif illusion sur l'étendue des prétentions
britanniques, mais il devait se demander avec inquiétude
(1) put à Brisloi. n avril 1761. Record Olïice,
(2] Fuentes 4 Ikiauldi, 10 mars 1761. Newcastle Papers.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. VII.
si l'accord avec l'Angleterre h propos des territoires
d'outre-mer lui ouvrirait l'issue du labyrinthe des ques-
tions allemandes et du congrès général où elles seraient
débattues. Devant la perspective d'un horizon aussi chargé
n'était-il pas prudent, en cas de rupture, de se réserver
l'alliance espagnole? Ajoutons en.ln à ces préoccupations
si naturelles l'effet que produisirent, sur un esprit mobile
et soupçonneux , les rapports plus ou moins fondés de ses
propres envoyés et des ambassadeurs étrangers sur l'in-
transigeance de Pitt, sur le désir de l'Angleterre de semer
la méfiance entre les alliés, sur le danger d'éveiller la sus-
ceptibilité du roi d'Espagne par des ajournemerts suc-
cessifs, et nous pourrons imaginer l'état d'esprit du di-
recteur de la politique française pendant l'été de 1761.
Les négociations entre les cours de Saint-James et de Ver-
sailles, quoiqu'elles n'aient pas abouti, sont intéressantes
parce qu'elles mettent en scène deux hommes d'état de
premier ordre, Pitt et Choiseul, qui tinrent eux-mêmes
les fils conducteurs. L'un et l'autre étaient doués, mais de
qualités très différentes; tenaces (!t résolus tous les deux,
mais celui-ci aussi souple que celui-là l'était peu ; chez le
premier, plus de persévérance et de précision; chez le
second, plus d'imagination et de facilité, chacun incarnant
l'esprit de sa race et la méthode de son milieu social, mais
au point de vue de l'acquis et des moyens, dignes de se
mesurer l'un avec l'autre. Cela dit, avouons que la lutte
n'était pas égale. Pitt représentait la partie victorieuse;
soutenu par l'opinion, fière de succès dont elle lui attribuait
l'initiative, il n'eut à compter qu'avec ses collègues du
cabinet, qui avaient trop peur de lui pour ne pas s'incliner
devant sa volonté. Sans doute, il ne pouvait négliger les
exigences du roi de Prusse, mais l'attitude de ce prince, la
carte blanche qu'il la' x au ministre anglais contras-
tent avec la surveillance tracassière, méfiante, de tous
les instants, qu'exercèrent Kaunilz et Starhemberg sur
SITUATION DIFFICILE DE CHOISEUL.
4il
les agissements de Choiseul. En fait, Pitt jouit d'une li-
berté d'allures que son rival, enchaîné par les attaches de
l'alliance autrichienne, ne posséda janaais. Au surplus, le
récit des débats nous p^rmetlra de passer un jugement
définitif sur les faits etgcjtes des deux négociateurs, et sur
la part de responsabilité qui leur incombe dans l'échec
de la tentative de pacification.
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CHAPITRE VIFI
NÉGOCIATIONS AVEC L'AUTRICHE
ET AVEC LA RUSSIE
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OUVKUrURKS PACllinUES l>K CIIOISKIL A V1KN>K. — RESIS-
TANCH: I)K KAL'MIZ K f l>K MARIE-TIIKKKSI.. RÉPONSE I)E
LAUTRICIIE. — CHANGEMKM DATTITUDE A VIENNE. —
HRETEIIL ET WORONZOW. — KAUNITZ PROPOSE UN CON-
GRÈS r > QUE. — VARIATIONS DE LA R'JSSIE. DISCUSSIONS
MOLE.rES A VERSAILLES ET A VIENNE. — ACCORD DÉFI-
NITIF SIR LA DÉCLARATION COLLECTIVE ET SUR LA LETTRE
1»E CIIOISEUL A PUT.
■M
Pendant l'été de ITGO et malgré les [)reniiei'S succès de
Broglie, le duc de Ciioiseul ne renonça pas à l'espoir de
renouer les nég-ociations de La Haye dont la rupture
était due à l'intransigeance de la cour de Londres et à la
nature des liens de cette dernière avec la Prusse. Il eût
volontiers consenti à adinetti'c le roi de Pru:sse aux pour-
parlers, niciis sous peine de détruire ralliaucc, il ne pou-
vait risquer cette concession sans l'autorisation de l'Im-
pératrice-Reinc, et cet acquiescement était si contraire
aux vues bien connues de la souveraine (ju'il n'osait pas
le solliciter. Restait la voie de l'Espagne, mais la média-
tion de cette puissance, sur laquelle il avait fondé des
espérances, avait été écartée par la cour de Londres. Force
donc était de revenir aux démarches directes si on vou-
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• Il
TRAITE ENTKE LES DEUX IMPERATRICES.
43'J
lait conclure une paix dont la nécessité s'imposait tous les
jours davantage.
K'' attendant, il était essentiel de ne pas cU'aroucher la
cour de Vienne qui avait suivi d'un œil jaloux les conver-
sations de La Haye et la velléité de rapprochement que
Frédéric avait esquissée par le canal du bailli de Froulay.
Aussi le comte de Choiseul crut-il prudent de ne pas don-
ner suite à une suggestion de son ministre qui aurait
voulu sonder l'Impératrice sur le maintien de ses préten-
tions sur la Silésie : « .le craignais, écrit-il (1), de réveiller
les soupçons par une proposition inutile qui serait
sûrement rejctéc et qui ne servirait qu'à confirmer le désir
que nous avons de la pal.v. Vous savez, Monsieur, combieu
le mot est teri-ihle à prononcer ici, quoique je ne sois oc-
cupé qu'à y accoutumer les oreilles. » La victoire de Lau-
don à Landshut avait contribué à rendre plus belliqueuse
l'attitude de la cour de Vienne ; pour la ramener à des
vues plus conciliantes, il fallut un incident diplomatique
dont elle eut à supporter les conséquences l'Acheuses.
Depuis quel{|uetempsdéjà, les deux impératrices avaient
mis sur le tapih le renouvellement du traité d'alliance de
1746 et une convention rei tive aux dédommagements que
la Russie d sirait se voir attribuer à la paix. Esterhazy,
représentant itrichien à Pétersbourg, venait de signer
ces deux pièct au nom de son gouvernement et s'était
porté garant de assentiment de la France. Cette initiative
était d'autant plus insolite que son collègue fram^-ais, le
marquis de Lhopital, avait été laissé dans l'ignorance de
l'arrangement (|ui se préparait. Reconnaissons d'ailleurs
que l'anarchie la plus absolue présidait aux relations de
la cour de Versailles avec la puissance du iVord. Louis XV
était représenté par deux personnages; le premier, le
marquis de Lhopital, ambassadeur en titre, agissait à sa
(1) Comte de Choiseul au duc, 16 mai 1760. Affaires Etrangères.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. VIII.
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guise et rtsluit quelquefois six semaines saus écrire à son
ministre; le second, le baron de Breteuil, envoyé pour
suppléer à Tinsuffisance de Lhopital, était fort embarrassé
entre les instructions secrètes de Clioiseul et celles qu'il re-
cevait directement (1) du Roi. Un extrait d'une dépêche du
duc de Choiseul (2) permettra d'apprécier les inconvénients
de cette dualité : « Il est nécessaire, écrivait le ministre à
Breteuil, (juc nous sachions sur ces objets importants plus
que n'a dit jusqu'à présent M. de Lhopital. Vous aurez la
bonté de vous entretenir sérieusement sur ces objets avec
les ministres de l'Impératrice de Uussie, de vouloir bien en
faire sentir à M. de Lhopital la conséquence, et d'engager
cet ambassadeur d'y conformer son langage. Si par hasard,
il se refi'sait aux insinuations que vous lui ferez à ce sujet,
vous aurez la bonté de dire à iM. de Woronzow que vous
avez seul les instructions de votre cour à cet égard et que
S. Tii. vous a chargé directement de lui rendre compte de
cette ail'aire. » La question était en eflet très compliquée.
La cour de Vienne, tout en comnuiniquant à Versailles les
deux conventions signées par Esterhazy, avait désavoué
ce diplomate comme ayant agi contrairement à ses injonc-
tions. Kaunitz était allé jusqu'à dire au comte de Choiseul,
c( qu'il ne pouvait répondre d'un ministre aussi inepte et
aussi étourdi ». De cette explication, ni le duc, ni le comte
ne croyaient un traître mot ; tous les deux, quoique d'accord
sur la nécessité de clore l'incident, étaient convaincus que
Kaunitz était le vrai coupable. « L'ambassadeur impérial
(Starhendjcrg), écrit le duc (3), rendra à M. de Kaunitz ce
que je lui ai dit depuis sur cet objet, que nous pouvons
(1) Louis XV élail en correspondance lircctc et secrète dvecla Tzarine par
l'entremise de Woroazow. Breteuil était initié à la politique personnelle du
roi. Liiopital ne l'était pas. VoirBoutarie, Correspondance secrète de Loui.s
XV, Paris, 1800.
(2) Choiseul a Breteuil. 21 juillet 1760. Affuires Étrangères.
(3) Duc de Choiseul au comte, 11 août ITOt». Affaires Étrangères.
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OUVERTURES PACIFIQUES DE CIIOISËUL A LAUTHICIIE. VU
laisser tomber, en assurant la cour de Vienne que nous
sommes les seuls dans l'Europe qui croient de bonne foi que
M. Esterhazy n'a pas été autorise par sa cour dans toutes les
démarches qu'il a faites depuis six mois à celle de'Pétei;;-
bourg. » (le compromis n'avait pas été obtenu sans peine, car
le quiproquo de Pétersbourg avait donné Hju à des séances
desplus orageuses entre Choiseul et Starhemberg. Le pre-
mier s'indignait des soupoonsquelquefois fondés qu'émettait
Kaunitz sur la loyauté des procédés français ; il ne pouvait
supporter le ton et la morgue du cabinet de Vienne, aussi
était- il enchanté de le trouver en défaut. L'occasion était
trop favorable pour la laisser échapper; Choiseul avait ac-
cablé de reproches l'envoyé de Marie-Thérèse (1) ; il s'était
servi des mots de « tromperie, cachotterie, finesses et dé-
tours » pour qualifier la conduite de l'Autriche et avait
demandé que celle-ci se justifiât en produisant les co-
pies de la correspondance avec Esterhazy. Sur le refus do
l'Autrichien de subir une humiliation pareille, Choiseul
avait reconquis le sang-froid qu'il n'avait probablement
jamais perdu, et s'était contenté d'un désaveu offi-
cieux. A en croire le dire d'Esterhazy lui-même à Lhopi-
tal(2), l'auteur responsable était bien Kaunitz qui l'avait
informé que les changements et les modifications signés
par l'Impératricc-Reine « avaient été faits et conseillés par
le Roi et que S. M. y accéderait ». La clause à laquelle on
faisait adhérer la France, sans avoir obtenu son assenti-
ment, stipulait que (( les deux Impératrices se garantissent
d'une part la Silésie et le comté de Glatz et de l'autre que
l'Impératrice de Russie aura à la paix, aux dépens du Roi
de Prusse, les dédommagements qu'elle est en di'oit de de-
mander ». Aucun avantage n'était assuré à la France pour
prix de son consentement, et aucune mention n'était faite ni
de la Suède ni de la Pologne.
(1) starhemberg à Kaunitz, 17 juillet t760. Archives de Vienne.
'2) Lhojtital au comte de Choiseul, 1.^ juillet 1760. Affaires Étrangères.
■>A
II'
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442
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. VIII.
S ; il
L'incident du traité austro-viisse se iorniina par l'acces-
sion de la France, sous certaines réserves, et la conversa-
tion sur la p;ii.\ reprit de plus belle. M"'°de Pompadour qui,
d'après' Starhemberg, reproduisait exactement les vues de
Choiseul, s'était étendue (1), dans une causerie récente,
sur les dil'licultés qu'éprouvait le ministre, sur l'opposition
qu'il rencontrait au sein du conseil, de la part du marquis
de Puysieul.v et du mavécliald'Kstrécs, tous deux adversai-
res de l'alliance autrichienne, sur les embarras financiers
du royaume, sur la nécessité d'une prompte pacification. Les
échecs de Liegnitz et de Warburg et la demande de renforts
formulée par Broglie donnèrent une nouvelle force aux
représentations de la France. Choiseul informa Starhem-
berg" (2) qu'on était hors d'état de poursuivre les hostilités,
qu'il fallait l'egarder cette campagne comme la dernière,
qu'il avait reçu les ordres du Roi de penser bientôt à la paix
et d'en prévenir la cour de Vienne. Le ministre avait ajouté
qu'il n'aurait recours à l'intervention ni du Danemark, ni de
l'Espagne et qu'il traiterait directement avec Fitt. A l'am-
bassadeur qui lui reprochait son découragement, Choiseul
avait répondu : « Que voulez-vous que je fasse? Nous
n'avons ni argent, ni ressources, ni marine, ni soldats, ni
généi'aux, ni tètes, ni ministres. Je défie qu'on puisse con
tinuer la guerre de cette manière et vous pouvez compter
que je v«is employer tous les moyens possibles pour faire
la paix le plus tôt que je pourrai. »
Un rapprochement avec la Russie servirait-il à faciliter
la solution visée? Sur ce sujet, les deux Choiseuls échan-
gent leurs idées. L'ambassadeur rédige un mémoire (3j
où il expose le pour et le contre de ce procédé; le mi-
nistre envoie au baron de Breteuil des instructions dé-
(1) Slarheinberg à Kaunilz, 17 juillet 1760. Archives devienne.
(2) Starheinbergà Kaunitz, ''.S août noo. Archives de Vienne.
(3) Mémoire sur lalliance avec la Russie, 28 août 176U. Affaires Etran-
gères.
CHOISEUL CHERCHE A SE RAPPROCHER DE LA RUSSIE. 4'"
taillées (1) sur le langage à tenir au chancelier Woron-
zovv. 11 se plaindra de voir les négociations avec la Rus-
sie passer par le canal de Vienne au lieu de faire l'objet
de pourparlers directs; il fera valoir le désintéressement
de la France, son désir de venir en aide, par des subsides
financiers, à son alliée du Nord et ses craintes de ne pouvoir
le faire si la guerre se prolonge. « Je crois, continue
Choiseul, que de très bonne foi, la cour de Pétersbourg
serait fort aise de faire la paix, en conservant la Prusse,
avec l'espérance de conclure directement avec la France
un traité de subsides qui ne l'empêcherait pas dans l'oc-
casion de recevoir en secrei de l'argent de la cour de
Londres ; car malgré l'ostentation des grands sentiments
dont on se pare à Pétersbourg, il me parait que l'argent
est le vrai mobile qui fait agir cette cour. Or, comme
nous ne varions pas dans notre système de chercher à
faire notre paix particulière avec l'Angleterre et de dé-
sirer que la (lour de Vienne se pr^ite à la paix d'Alle-
magne par les conseils de la Kussic, je crois quil n'est
pas hors de propos de faire envisager des avantages de
notre part à cette puissance, si elle parvient à cet ob-
jet aussi promptement qu'il serait à désirer. Cependant,
il est important de le lui présenter avec délicatesse, car en
même temps que nous souhaitons que ce soit l'Impéra-
trice de Russie qui prenne la charge de persuader à l'Im-
pératrice Heine la nécessité et le désir de la paix, il est
important que l'on soit convaincu à Pétersbourg que nous
sommes invariables dans nos engagements avec la cour
de Vienne et que ce ne sera que du consentement de l'Im-
pératrice Reine ou entraînés par l'Impératrice de Russie
que nous nous déterminerons sans hésiter k la paix d'Al-
lemagne. En un mot, il faut faire croire à M. de NVoronzow
que, quoique nous pensions pour le bien de l'Impéra-
0 ) '1
(1) Choiseul à Hreteuil, 24 aoiit 176o. Affaires Étrangères.
444
LA (.UEIIHE DE SEl'T ANS.
ciiAP. vm.
^
trice de Russie qu'il serait à propos que cetto campagne
fût la dernière, nous sommes encore cependant plus at-
tachés aux liens qui nous unissent avec la Cour de
Vienne qu'aux besoins de la paix. »
En attendant le résultat de ces ouvertures, trop vagues
pour qu'on pût on retirer un eflct immédiat, le comte
de Choiseul reçut ordre d'insister cnergiquement à Vienne
sur la nécessité d'envisager la cessation des hostilités.
Le moment n'était guère propice; malgré la défaite
de Liegnitz, l'Impératrice et son chancelier n'avaient
pas renoncé à l'espoir d'une fin de campagne heureuse.
Marie-Thérèse marquait sa foi en Daun et parlait de sa
confiance dans « la main de Dieu ». Sur quoi, le comte
de Choiseul d'observer à son cousin : (( A cette réflexion
chrétienne, on serait tenté de répondre par un mot du
roi Ce Prusse à M. de Sechclles qu'avec de pareils senti-
ments, on gagne le royaume des cieux, mais non ceux
delà terre. » Cependant le diplomate français ne déses-
père pas de ramener l'Impératrice et son conseiller à des
vues plus pacifiques. Dans une dépêche du 6 septembre,
il relate (1) sa dernière conversation avec Kaunitz; ja-
mais il n'a vu le chancelier aussi affecte. On cause des opé-
rations de la campagne, de la maladie de Soltikofl", de la
timidité de Daun (|ui ne voulait pas livrer bataille malgré
les ordres reçus : « M. le comte de Kaunitz m'a répliqué
qu'il était fâcheux d'être toujours réduit à attendre des
miracles, et que s'il était Dieu, il s'ennuierait d'en faire.
Ce propos là semble prouver qu'il commence à déses-
pérer du succès de ses desseins. Il me parait plus abattu
et découragé que l'année passée avant l'affaire de Maxen,
quand il craignait que le Maréchal n'abandonnât la Saxe.
Les" illusions me semblent dissipées. Il est vrai qu'un
moment de fortune les ferait bientôt renaître; mais si la
(\) Comte de Choiseul au duc, 6 septembre 1760. Affaires Étransères.
f ' 1 'M
MKMOIRE DE CHOISEUL EN FAVEUR DE LA PAIX.
'liri
campagne linit aussi [ilatcmcut que nous avons lieu de le
coDJeclui'cr et qu'il n'airive point d'événement qui relève
les espérances de la Cour de Vienne, je persiste à croire
qu'elle sera plus docile et ([u'en lui parlant sur un ton
amical et ali'ectueu.v, mais en mémo temps forme ot
décidé, nous pourrions tirer parti de sa honte et do son
abattement pour lui faire sentir l'inutilité de la guerre
et la nécessité de la paix. »
Le mois do septembre se passa sans événement mili-
taire de quelque importance ; Uaun restait sourd aux in-
vitations pressantes que l'Impératrice lui adressait de sa
propre main et se refusait à toute action décisive ; les
communications avec les Russes étaient coupées, la corres-
pondance entre les généraux alliés ne s'effectuait que par
voies détournées et ne permettait pas de faire aboutir des
projets devenus irréalisables avant l'accord des parties.
Enfin, las de cette situation sans issue, et conformé-
mont aux intentions annoncées à Starbemberg , Choiseul
mit la cour impériale en demeure de s'expliquer par un
mémoire daté du 9 septembre (1) et remis à Kaunitz le
17 du môme mois. Le ministre de Louis XV, après une re-
vue du passé et la constatation du peu de résultats ob-
tenus, priait l'Impératrice de lui faire part de ses vues
pour l'avenir. Il esquissait à grands traits les embarras
de la France, les charges énormes qui grevaient son
budget, les 150 millions que coûtait par an l'armée de
Broglie, les 25 millions de subsides aux pays étrangers,
l'impossibilité de trouver 50 millions pour entretenir une
seconde armée en Westphalie, la crainte de ne pouvoir se
maintenir en liesse, \vant tout, pour relever le crédit
national, il fallait mettre fin à la guerre aussi malheu-
reuse qu'onéreuse engagée avec l'Angleterre : « Le Roi,
vis-à-vis de l'Angleterre, écrivait Choiseul, n'a d'autre
(t) Choiseul au comlP,9 septembre 17C0. Affaires Etrangères.
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LA nUERRR DR SEPT ANS. - CIIAP. VHF.
«lésir quo pohii de ferniiiuir l.i giHu-re hoiuMviMcmenl ot
il serait parvenu i"i ce but sans les engagements qui le
liaient ù la guerre d'Allemagne. Sur le continent, S. M.
lie demande autre chose (jue rall'ermissement de l'alliance
contractée avec l'Impératrice Heine... Le Koi a un ti-oisiènie
objet dans la guerre, qui est le même que celui de llmpé-
ratrice Ueine, et (pii est conforme aux traités, c'est l'allai-
biissemeut du roi de Prusse et les avantages qui peuvent
résulter de cet allaiblissement en laveur de S. M. Impé-
riale. La prolongation de la guerre funeste pour le royaume
ne produira pas au Koi de dédommagements propoi'tionnés
aux pertes (ju'il [xuil faire 'iv ([uels (jue soituit les évé-
nemcnls, il est certain que ii Hoi n'acqiu'rra aucun béné-
fice ni en Améri([ue, ni dans le conlinent; mais il est éga-
lement certain qu'il aggravera le poids de ses dettes, et
rendi'a plus difficiles par la durée de la guerre les
moyens de soulager ses peuples et de faire revivre le com-
merce. •) Le mémoire aflirmait à nouveau le désintéresse-
ment de la France, son <lésir et son intérêt de mettre fin
aux hostilités et sa volonté d'alfermir le système de l'al-
liance. En conséquence, le Koi, faisant appcd h l'amitié
de son alliée, « propose à Sa Majesté Inipé.riale de déclarer
ù la fin de la campagnfî aux (îunemis qu'elle veut bien se
porter h faire la paix avec le roi de Prusse, à condition
que l'Angleterre fera la paix avec la France ».
Choiseul ne se fait auciiiic illusion sur l'accueil réservé
îV une démarche aussi opposée aux desseins de la cour de
Vienne que blessante pour i'amour-pro|)re de la souverain*';
aussi a-t-il soii> de qualifier sa proposition en lui donnant
une tournure hypothéti(|ue : « Le Koi sait bien que l'Im-
pératrice serait peinée d'une pareille demande de sa part;
elle serait cependant juste, car le premier princiije de
toute confédération devrait être de regarder et de sou-
lager les malheurs de son allié comme les siens propres. »
Après quelques mots sur la situation dans laquelle se
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LANGAr.K DE MARIE TIIKHr.SE.
447
trouveraient la France of rAulriclio cii 17(51 si, i nnmn
cela paraissait prohahic, elles ne recevaient aucun se-
cours efficace de la Kussie et de la Suède, la pièce finissait
par une prière à Tlmpératrice de « communiquer au Roi
avec la même confiance, ses moyens, ses vues et ses dé-
terminations pour l'année 17(51 ».
Ainsi (pi il était facile d(î le prévoir, le mémoire de Choi
seul fut très mal accu(ulli par Marie-Thérèse etKaunilz. Ce
dernier, «lans s.i première entrevue avec l'ambassadeur
français (1), se renferma dans un silence [nesque absolu ;
dans une sectmde séance (2), il ne dissimula pas la mau-
vaise impression de sa souveraine : « Il semble cpie le
Hoi impute à l'Impératrice les malbeurs de cette f^ucrre,
qu'il les lui reprocbe, qu'il veuille lui faire >entir que son
alliance lui est A charge, enlin cpiil est en repentir de
s'être uni avec elle. » Puis on paila de la Hussie; le Français
ayant réclamé pour son mémoire le .secret à l'égard de ce
gouvernement, Kaunitz refuse de s'engager et réplique :
« Êtes- vous si^r qu'il n'ait pas été remis à la cour de Rus-
sie? » Avec sa finesse habituelle, le comte de Choiseul ne
se laisse pas démonter par le ton du chanceliei'; il est
persuadé que la cour de Vienne cherche surtout à gagner
du temps : « Elle se plaint des expressions et de la forme,
mais c'est le fond (jui la blesse; elle s'attache îY l'é-
corce parce qu'elle ne peut pas contester sur l'essentiel. »
Après avoir tàté le ministre, notre andiassadeur
alla chez l'Impératrice; la conversation qu'il eut avec
elle (3), nous montre la souveraine mécontente, sarcas-
tique, et, contre son babitude, peu aimable : K!le énu-
mère et souligne toutes les difficultés que rencontrerait
la négociation pour la paix : mauvaise volonté de l'An-
gleterre qui n'en voulait pas, satisfactions à obtenir pour
(1) Conitede Ciioiseul auduc, 18 septembre 1700. Afl-iires Klran^i-res.
(>) Comte de Clioiseiil auduc, :>;i seplembic 17(10. Affaires ftlraugères. .
(3) Comte de Choiseul au duc, 30 septembre 1 7(50. Affaires Étrangères.
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LA Cl'ERRK Di: SKPT ANS. — fFIAP VIIF.
la SuJ^de et pour lo roi de Polofin»', exigences de la Itiissie
([u'eile avait <« des raisons essendelles le ménager plus
dans ce moment-ci que jamais », danger, dans un avenir
procliain, d'une agiession duïurccpu' soulicndrait le loi de
IM'iissc. Au cotnle ([ui objectait cpie ce piince serait hop
all'aihli pour re[»rendre les aimes, la princesse réplupia
cprdle ne partageait pas cet avis, « «pi'elle ne pouvait
Jamais ôtre en re|)os avec un pareil voisin, i\ moins, a-t-elle
dit, de me lier avec lui ». [^'envoyé se garda bien de relever
cette houtade. « Klle me l'avait apparenimenl dit j\ dessein,
car quelque temps après, elle a trouvé moyen de revenir sur
le môme sujet, et (h; me répéter le même propos. Alors j'ai
répondu : Cela est impossible, et je ne crains pas de voir
jamais cette union, .le pense en efl'et (juc le l'eu et l'eau sont
moins incompatibles quû ces deux cours, et que leur ca-
ractère est encore plus opposé (|ue leurs intérêts. Ce n'est
qu'une menace et l'Impéiatrice croit par là nous faire
peur. Elle m'a répliqué : .le n'y ai assurément pas de
penchant, mais si j'y étais forcée, il le faudrait bien. » L'am-
bassadeur fit rouler l'entretien sur l'union avec la France
« qu'idle devait regarder comme perpétuelle et fonda-
nieutile ». Klle m'a répondu : « .le n'en sais rien; je vois
qu'on est léger en France et qu'on se dégoûte aisément. »
De l'alliance, on passa aux chiffres du mémoire que l'Impé-
ratri.e trouvait exagérés : « .le ne comprends pas([ue votre
armée vous conte 150 millions, indépendamment de tout
ce que vous prenez à crédit dans l'Kmpire; il faut que le
Roi soit bien volé. »
Un peu piqué par les critiques de Marie-Thérèse, le
comte de Choiseul affirma « qu'il était si vrai que l'état
de nos finances était la seule raison qui nous faisait
penser à la paix, que si l'impératrice pouvait procurer
au Roi les moyens de trouver non pas gratuitement, mais
seulement par forme d'emprunt une ressource de 200 mil-
lions, j'étais prêt A signer comme M. d'Esterhazy, c'est-à-
ATKKMUIKMENTS DK K\UNITZ.
kiO
dire sans pleins pouvoirs ot sans instructions <Ic ma coui-,
une convention par hupiolle l'engagerais le lloi à l'aire la
cam|)agne |)i'^tehaine, et que je no craignais pas d'être ni
réprimandé, ni désavoué; (juc je répondais de môme que
si l'Impérutrice jiouvait iioyenner notre pai\ part ici ilitM'e
avec r\ngletorrc i\ des conditions lionnétcs, je ré-pondais
encore <(ue le Uoi laisserait aller la guerre d'Allemagne
aussi loin (pie l'Impéiatrice voudrait, .le ne [>ouvais ri<in
dire de plus fort ni de plus i-assurant ». De sa longue au-
<li<Mice, l(! Français se déclare peu satisfait : Auv pro-
testations sur les sentiments du Koi, sur sa volonté de
maintenir l'accord, l'Impératrice n'a pas prêté l'attention
alfectueuse ((u'il était en droit d'attendre: il a cru s'aper-
cevoir que « l'andiition avait plus d'empire sui' son àme
que le sentiment ».
Marie Thérèse avait t«*rminé l'entretien en promettant
une réponse au mémoire de Clioiseul, mais elle s'était
plainte de l'indiscrétion avec laquelle on parlait de la paix
en France et à l'armée et av.iit appuyé sur la nécessité de
faire « à tout événement toutes les démonstrations et les
préparatifs de la campagne prochaine ». Dans sa dépêche
k son cousin, le comte reconnaît le bien-fondé de ces de-
mandes : Kn échange des assurances qu'on lui donnerait
il cet égard, il voudrait exiger de l'Autriche <■ un engage-
ment formel... et une parole positive de consentir à en-
tamer une négociation pour la paix. Elle ne s'y refusera
pas, dans l'espérance de faire échouer cette négociation,
mais étant une fois autorisés par l'aveu de nos alliés à
traiter Iji paix générale, il nous sera facile de la conclure,
et de les forcer à accepter les conditions qui nous auront
paru raisonnables et qui nous conviendront ».
Aux impressions de l'ambassadeur il est intéressant
de comparer celles de Kaunitz telles qu'elles ressor-
tent de sa correspondance l) de lin septembre avec
(I KauniU à Starhemborg, 20, 2'i el 29 so|)l()inl)io. Archives de Vienne.
<;ii;uiu; w. sept A?is. — t. iv. 21)
.1 1;
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'i50
LA (.Ui:UKK DK SIIPT ANS.
CHAI'. Mil.
Starlicnibery. Tout d abord, il manifeste !<• raéconten-
tcmciit que lui a causé le mémoire de Choiseal : sans
doute la situation est critique; la France commence à
être épuisée, la Hussie a besoin d'argent, lAutriche plie
sous le fardeau de la guerre et éprouve des difficultés
à faire rentrer les contributions actuelles et ne sait où fn
trouver de nouvelles; la Suède, le roi de Pologne, les états
de TEmpire sont des quantités négligeables; il n"y a rien
à espérer de lEspagne. Peut-être faudra-t-il diminuer les
eflorts, mais ce serait une faute d'interrompre les hosti-
lités et d'improviser une paix qui ne serait ni profitable,
ni durable.
A cet exposé de principes, succède, dans une seconde
lettre, une série de <{ucsiions qi:'il importe d'élucider avant
de répondre à la pièce française : La cour de Versailles
aurait-elle fait des ouvertures pacifiques à celle de Péters-
bourg? lui aurait-elle communiqué le mémoire adressé
à Vienne? Très jaloux de toute immixtion dans les rap-
ports de rimpératri.e avec la Russie, le chancelier tient à
être renseigné sur la nature des relations de la Cour de Ver-
sailles avec cette puissance, au sujet desquelles le langage'
embarrassé du comte de Choiseul n"a pas laissé d'éveiller ses
soupçons. Enfin, dans uiu' troisièuie dépêche, Kaunitz
prie son envoyé d'attirer 1 attention du duc de (choiseul
sur les points suivants : Y a-t-il avantage à mettre les
autres membres de l'alliance au courant des difficultés
de la France? Le respect des traités n'exige-t-il pas l'a-
journement de toute déclaration pacifique jusqu'à entente
avec toutes les puissances alliées? Il se préoccupe en-
suite des moyens d'amorcer la négociation, de la con-
duite à tenir dans le cas où l'ennemi refuserait de traitei
à des conditions lionorables, du parti que celui-ci pourra
tirer des dissentiments des alliés et ucs précautions ii
prendre contre un pareil danger. Il insiste enfin sur
la nécessité des préparatifs pour la prochaine campagne.
MAIUACK DISAHEI.LK Dli l'AKMK.
'i5l
Une dépêtlie (1) du duc do Clioiseul au comte, quo
ce dernier lut au chancelier le 8 octobre, vint à la lois
calmer ({uelques-unes des inquiétudes de la cour do Vienne
et en soulever d'autres ou (out au moins renforcei' les
doutes qu'elle ne cessait d'entretenir sur la fidélité de la
France. C'est avec plaisir que Kaunitz enregistra laiTir-
mation, (|Uo Clioiseul n'avait « de près ni de loin com-
muniqué à Pétershourg la lettre qu'il lui écrit... qu'il
ne pouvait être question de paix en linssie que par l'étour
derie de M. de Lhopital, mais certainement pas par ordre
du lloi, qu'au reste M. de Kaunitz était le maître de com-
muniquer le mémoire à l'étersbourg ». Les protestations
de loyauté et d'attachement î\ l'alliance, dont Clioiseul se
montrait prodigue, produisirent probablement peu d'im-
piession sur l'esprit sceptique du ministre de l'Impératrice,
mais il n'en fut pas de môme de la réplique à la <[uestion
sur les moyens de faire la paix : <( Les nôtres sont siniplc?^^
avait écrit le duc, ils cimsistont à faire rentrer no«"< armée
en France et à ne plus nous mêler de la guerre i conti-
nent au moment oii nous signerons notre paix avec l'An-
gleterre. » Cette solution, très simpliste en effet, avait le
tort d'être en contradiction avec le famouv article \:i
du traité du .'Il décemlire 1758.
La réponse officielle au mémoire de Clioiseul se lit at-
tendre pendant plus d'un mois et ne fut remise que le
22 octobre. Pour ce retard évidemment volontaire, on in-
voqua comme excuse les fêtes du mariage de laichiduc
.loseph avec l'infante Isabelle de Parme, jielite-lîîle de
Louis XV. Malgré la misère du pays, la cénuonie
fut célébrée avec beaucoup d'éclat : « La richesse des
é([uipag'es, écrit le comte de Clioiseul 2), des livrées,
des habits, de tout ce (|ui éblouissait hier pendant tout le
cours de la journée ne se ressent point du tout des nial-
(1) Duc de Clioiseul au comte. 5 octobre 170". Arcliivcs di' Vienne.
['}.) Comte de Ciioiseulau duc. s oclobie ITiio. All'aireN KIrangères.
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heurs du tinnps et n'annonce rien moins qu'un état et des
sujets épuisi's par les dépenses de la guerre. » Conformé-
ment à ]'éti((uette rii^oureuse de la cour d'Autiùche, au
bal masqué donné à l'occasion du marifigo, les invités
turent répartis en deu.v séries : les uns, de Ja première no-
l>lessc, en dominos blancs, les autres, de la deuxième, eu
dominos roses. A son grand déplaisir, le comte fut re-
légué d ;ns ce lit. dernière catégorie et s'en plaignit amère-
ment; le grand maître des cérémonies, irréductible sur le
fond, se tira d'alfaire en n'adressant aucune invitation au
corps diplomatique.
Ces réjouissances n'empêchèrent pas le chancelier et
son interloi'utci r fran<;ais d'échanj^er leurs vues et môme
de se poser l'un à l'autre des questions embarrassantes.
Un récit très vivant do 1 ambassadeur li nous fait passer
sous les yeux un des épisodes du duel diplomatique. Il
s'agit de la lettre de Choiseiil que le comte venait de lire
à Kaunitz : « .l'ai ajouté, parlons vrai, Monsieur le Comte,
la paix sera faite le jour qu il plaira à l'hnpératrice de
renoncer à ses projets de conquêtes. Nous savons le mot
de la guerre, c'est la Silésie. et eo mot-là n'est pas un se-
cret, il est su de toute la terre, et les quatre parties du
monde seront eu paix <|uand l'Impératrice voudra bien
s'en désister. J'ai vu c[ue ce discours ne plaisait pas à M. de
Kaunitz, il n'y a rien répoiulu et après un moment de
silence il ma dit d un air grave et ministériel : J'entends
tout ce que vous me faites l'honneur de me dire. J'ai noté
les quatre articles de la lettre de M. le duc de Choiseul et
je suis en état de faire un rapport exact i\ l'Impératrice. Il
me reste seulenumi une question à vous faire. Je ne sais
pas si vous êtes en état d'y satisfaire, la voici : « C'est do
savoir dans le cas où les alliés du Koi ne pourraient ou ne
vou<lraient pas faire la paix, si S. M. les abandonnerait et
'1) Comte de Choiseul au duc, 12 octobre 17t;0. Affaiics KtrangiTes.
QUESTION DE KAUNITZ Sr H LES INTENTIONS pE LA FRANCE, /...a
l'ctiroiait ses lioiipfiN df 1 Allemagne Vous sentez do
quello iinnortîime il est do savoir les véritables inten-
tions du Aoi et 4'avujf sif. lépnnsa à ^i'iib question. Je
ne sais si vous R|'avez Ittuti c0^/m//$ ui sj j»- me suis ex-
pliqué assez pcUnincïii', je vais wjjs la ^''^rieltre sous les
yeux. » En «ffe^, || ifj'fi. pépéléia quesUoft clans les mêmes
termes. J'ai lôpondii, {i/)//s(//< |//di( fnt^UllIii de réflexion :
« Monsieur, je vous ijjji'tuh f/'/s lill'tf: Innk je vous
avoue (jue je ne suis Ijuf/é/nent autorisé à vous répondre.
Mes jpNtri?p||/'OS W vont pas jusque-là. Ce cas n'est pas
pt'évti et il he devait pas l'être. Le Roi f"oit (|ue ses
alliés sont animés des mêmes sentiments ({uc lui, qu'ils
ne sont pas unifjuement occupés de leurs intérêts, que
les siens ne leur sont pas indilléronts. » Le comte do
Choiseul, ayant ainsi paré de son mieux le coup droit
de Kaunitz, so réfugia dans des considérations personnelles
sur la distinction entre la « possibilité et la volonté » ;
autre chose était « abandonner ses alliés dans l'adversité,
ou refuser de suivre aveuglément leurs projets d'agran-
dissement aux dépens de ses intérêts les plus cbers. L'un
est un procédé adroit, l'autre <'st un acte de sagesse ou
de nécessité ». A la suite de ce dialogue, le Français
observe un peu naïvement, co nous semble : « .b; ne me
suis pas trompé en remarquant que l'amitié est un mot à
Vienne et non un sentiment et ([ue ce nu)t n'est que le
voilé do l'intérêt. »
L'ami qui demande ù être relevé d'engagements qu'il
a librement consentis est en fort mauvaise posture pour
faire appel à la sympathie do celui auquel il va porter un
[)réjudice. Choiseul ava:t parfaitement conscience de la
fausse situation de sa cour et, s'il l'avait oubliée, l'Impé-
ratrice .se chargerait de la lui rappeler. Dans sa réponse
ofliciello 1), cette princesse, tout en exprimant Iî! part
(M Mémoire de la roiir do Vienne, '>'. octobre ITfio. AfI'aires Étrangèies.
l' i
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454
LA r.UEHHF, DE SEPT ANS.
CHAP. VIII.
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(qu'elle prend aii.\ nialhcuis do la Franco, n'accepte pas lo
ceprochc d'en avoir été la cause, attendu «■ que le Roi était
en guerre avec TAiigleterre avant qu'elle ne fût son al-
liée ; que le traité de Whitehall a précédé celui de Versail-
les; que, quoiqu'elle ait été attaquée par le roi de Prusse
dès le mois d'août 17.j(i, elle n'a point [)ressé indiscrète-
ment le Koi de la secourir ; qu'elle n'a pointexigé la guerre
d'Hanovre ni que le Uoi lafit en Allemagne dès la première
canqmgne de la façon dont il a lui-même jugé à propos
de la faire ». Au surplus, l'Impératrice se prêterait volon-
tiers au désir manifesté par la France do terminer la
guerre; elle demeurait partisane do la paix comme elle
l'avait été en 1757 ot 1758, mais d'un'> -taix « équi-
table, solide et digne de l'alliance > \ .at de faire la
déclaration ([ue lui suggérait le Hoi, il était indispen-
sable de s'assurer le « concours ou au moins le consen-
tement des alliés des deux couronnes ». Le premier pas
à faire dans ce but serait de leur communiquer les
propositions françaises : « l'Impératrice ne peut donc
qu'attendre que le Roi veuille bien lui faire savoir s'il ]>or-
siste à,])enser qu'il est temps do faire cette communica-
tion, et quelles bornes ou quelle étendue il croit qu'il peut
convenir de lui dcmner, après quoi et aussitôt qu'Elle aura
reçu sa réponse, il peut compter qu'Elle fera à cet égard
tout ce qu'il faudra. Mais comme on ne saurait trop poser
un parti aussi décisif que l'est celui dont il s'agit, l'Impé-
ratrice croirait manquer à ce qu'Ello doit au Roi et à ce
([u'Elle se doit à elle-même, si Elle ne le priait pas en même
temps instamment de vouloir bien faire encore les plus
sérieuses rétlexions sur ce sujet ».
Suit une énuméi-ation des objections qu'on pîut oppo-
ser au j)rojet de Clioissul : Atleinto portée au prestige do
l'alliance, accroissement de ceîui de lAngleterr'^ o* k 'a
Prusse; erreur d'abandonné^.- la partie à w\ r^onu'ui .ii
le roi Fi'édéric est all'aibli par la perte ue 1. i'nijb»'
i "
■,. .f^,^^'.
RÉPONSE AITIUCHIENNK BIEN ACCL'EILLIK. 4:,r,
ducale, des élals de (élèves, <le Marck et de (iueldros « con-
quis au nom de llmpératrice », du «oiuté de (ilalz et
par le recouvrement de presque toute la Saxe. La pièce
se terminait par les assertions habituelles sur la fidélité
à l'union des deux couronnes, le désir dune paix <' géné-
rale, solide et durable » sur les avantages à retirer d'une
dernière campagne. <■ Quelle que soit leur opinion (celle
des alliés) cependant, Elle ne s'en séparera point. L'Im-
pératrice en assure le Roi et Elle se flatte (£ue son ér[uité
et son amitié pour Elle lui feront trouver que ce qu'Elle
lui répond par ce mémoire est tout ce que les circons-
tances peuvent lui permettre de dire (|uant A présent, »
C'est à bon droit que le comte de Choiseul, après avoir
reçu le document des mains de Kaunitz, pouvait écrire (1)
à son cousin : ^ Le princi[)e favori de la cour de Vienne est
que le bonh(>ur du monde et l'équilibre de l'Europe dé-
pendent de la destruction du roi de Prusse. » A Versailles,
l'impression ministérielle fut bien meilleure qu'on au-
rait pu le supposer; à en croire le récit de Starlieni-
berg (2), Choiseul qui avait parcouru devant lui les
pièces autrichiennes, n'avait fait d'observation qu'au pas-
sage concernant les territoires [trussiens du Rhin : > Il
n'y a que la France — s"était-il écrié — qui n'aurait au-
cune part dans les conquêtes. » L ambassadeur se borna à
lui rappeler letextedes traités des. 10 et 31 décembre 1758.
Sauf sur ce point, Choiseul se déclara content de la ré-
ponse ; il s'(';tait attendu à ce (ju'elle serait « aigre et va-
gue », au contraire, il devait reconnaître « quelle était
aussi mesurée, pi'évoyante, raisonuée, favorable, amicale
et conciliante qu'on eut pu l'espérer; son cousin lui
avait fait prévoir un document d'un style tout différent ».
Ce verdict satisfaisant, confirmé par quel(|ues lignes du
ministre français à son envoyé de Vienne, fit d'autant plus
(() Coinle (le (Jioiseul au duc. 2i octobre ITCO. Allaiies Étrariijcrcs.
(2i Starhemberg à Kaunitz. s novembre Cfio. Arclùvcs de Vienne.
: m
î
'
1}
)
i".
'M^i)
m
ilf-
450
l.A (.Lir.RlŒ DE Si:i>T ANS.
CKAl'. MM.
(le plaisir ([ii<'. dans la conférence du 22 octobre (1),
à laquelle le mémoire avait été lu et a[)prouvé, Kannitz
avait escompté un mauvais accueil à Versailles et obtenu
pour l'ambassadeur impérial l'autorisation de déclarer,
si cela était nécessaire pour tranipiiiliser la France, que sa
cour se prêterait sans difficulté u à un congrès, mais oii
tous les pays seraient traités également », Starhemberg
n'eut j)as besoin de se servir du post-scriptuni; il rap-
porta même k Vienne son espoir de voir la France par-
ticiper i\ la campagne de 17()1,
Il y avait er en et" L dans l'esprit par trop versatile de
Cboiseul, un revirement subit. Uuelques jours avant la
remise du mémoire autricliien, l'envoyé de Marie-Thérèse
avait été fort mal reçu (2) ; le ministre fram.ais s'était
plaintde l'Iinmiliation infligée à son cousin à l'occasion du
bal donné aux jeunes archiducs; il lui avait fait une véri-
table scène au sujet de l'interrogation de Kaunitz sur la
conduite que tiendrait la France dans le cas oîi l'entente
pour amorcer des négociations pacifiques ne s'étal)]irait
pas; le soupc^um qu'impliquait cette demande était un»'
insulte qu'il était obligé de relever. Slarhemberg eut
i)eau lui faire observer cjue la question avait été suggérée
par le passage de la lettre du duc que nous avons cité
plus haut, et dont la communication au chancelier avait
été faite d'après ses propres ordres. C.hoiseul répliqua
qu'il ne so rappelait pas les termes employés, mais que,
bien certainement, rien dans sa lettre ne justitiait ni le
fond, ni la forme, du proj)os de Kaunitz.
Fendant que l'on cherchait à se mettre d'accord sur le
terrain diplomatique, les nouvelles militaires devenaient
de plii»^ en plus inquiétantes. Depuis le succès de Closter-
Camp on était rassuré sur le Ras-Hhin, mais la disette tle
(1) Pièces delà coiil'ércnci^ du " octobre de la main de l'Empereur. Ai-
( hivesde Vienne.
{> Slarbcinbera à kaunitz. ''.C oilobre 1700. Archives de Vienne.
M
CHANGEMENT I)K TON DE L IMPÉIIATUK'K /,r,7
vivres cl la difficulté des transports ne forceraient-olles
pas Broglic à évacuer la liesse? La défaite de Torgau
n'cntrainerait-elle pas la perte de la Saxe et même
de Dresde? Choiseul prévient Starliemberg qu'il vu ex-
pédier à Vienne, à Pétcrsbourg-, à Stockholm un cour-
rier porteur d'un mémoire préconisant l'action commune
des alliés en faveur de la paix. L'Autrichien obtient
avec peine l'ajournement de cette communication 1:
« De cette façon on gagnera du temps, ajoute-t-il, et prc-
bablement les hostilités reprendront avant qu'on ne soit
d'accord. »
Que Marie-Thérèse et son consei''''r se fussent résignés
à la seule paix réalisable, c'est-à-dire au sacrifice des espé-
rances qui avaient motivé la guerre, cela parait incroyable,
mais, soit découragement à la suite des événements de
Saxe i2i, soit désir de paraître se prêter aux vues de
la France, un changement notable d'attitude est à re-
lever chez eux. C'est maintenant Kaunitz qui nbordr h-
sujet (3) avec le comt»> do Choiseul : " Il est important de
nous bien entendre et d'agir dans le plus grand concert
|)onr faire au moins la moins mauvaise paix qu'il sera
possible. » Il ne fait pas d'objection de principe au Fran-
çais quand ce dernier revendique l'initiative des ouvei-
tures pour sa cour, dont le penchant pacifique est bien
connu, tandis ([u« le secret serait gardé sur le consente-
ment de l'Autriche dont les sentiments contraires f)nt été
souvent exprimés. A peu près à la même époque, dans
une audience accordée à Moniazet, qui avait toujours été
dans ses bonnes giAces, Marie-Thérèse fut très explicite
dans ses déclarations (V : la conversation porta d'abord
sur le choix du commandant en chef: l.i souveraine s'ex-
(1) Slarhemherg it kannifz., IS novcinbri! l"(;o. Arrliivcs df Vienne.
(2) La balailli' de Torf;au avaii ou lieu le 3 novembre.
(•?) Comte de Choiseul au duc, 1« novembre ITCo. Affaires Étrangère-^.
(i) Comte de Choiseul an dur, C décembre 17(i(i. Affaires Etrangères.
458
LA CL'EHHi; DE SI-PT ANS.
ciiAP. vrii.
i.A
* i
pi-iina IW's libiemeut sur le compte de ses yénéraiix; elle
ju'évoyait qu'on lui lerait prcudre L.uidon, <• elle on serait
au désespoir, car elle était sûre (ju'il se ferait battre » ;
puis après avoir témoin né son <légoùt pour la guerre :
« Vous me trouvez bien eliangce aujourd'hui, dit-elle,
et dans des dispositions bien dilférentcs de celles où vous
m'avez vue, car je vous assure du fond de mon cœur (jue
j'ai pei'du toute espérance de parvenir au but <[ue je
m'étais proposé, cpie je suis entièrement déchue de mes
projets d'agrandissement, que j'en sens toute l'impos-
sibilité, que je suis résignée à la paix et que je ne dé-
sire aujoui'd'hui que d'y parvenir et d'en faire une qui
Suit honnête, décente, qui convienne il mes alliés, qui
puisse rétablir le Hoi dans ses possessions qu'il a perdue^
et qui maintieime notre alliance et le système actuel a ec
la considération qui convient à de grandes puissances.
Ces sentiments sont si sincères, et j'ai tollenient renoncé
;Y la conquête de la Silésie et aux illusions de l'ambition,
(fue je sacrifierai le comté de <ilalz, s'il le faut, pour
obtenir une paix ([ui soit honorable sur les autres points,
(jui satisfasse mes alliés et principalement la France.
Mais ([uelque désir que j'en aie, je cj'i\ius bien (jue nous
ne puissions y réussir, et (lue votre cour ne se trompe
dans l'espérance qw'eUo i\ »Vy parvenir, quand j'y aurai
dount'^ mou lousenlement . »
Le comte de Choiseul, eu transmettant le récit de l^loii-
tazet, ajoute (juil croit à la sincérité du langage de l'Im-
pératrice; il attribue son découragement \] Mlle convël'-
sation de deux heures qu'elle avait eue \a veille avec
Daun; le maréchal, (|ui n'avait jamais compté siu' h-
succès, ne faisait pas mystère de son opinion sur la néces-
sité d'entrer en pourparlers avec les ennemis. Autre
symptôme signiticatif, la princesse avait manifesté son
1 1 R*-|)liquc à la réponse d'Aiilrkhe, k <]/•< <'mbi« i'flO. Atlaires Etrangères.
hki'Liqle au mkmoihk ai rm(:iiii:N'.
4&0
désir tlo recevoir le plus \nl possible le mémoire; (ju'ou
annonçait de Versailles sur la procr<lui'c à adopter pour
amoi'cer la négociation.
Vers le 15 décembre, les pièces (1 , arrivèrent de France ;
elles se composaient d'une réplique du Hoi à la réponse
d<' l'Autriche, d'un projet de déclaration etd'uue lettre ex-
j)licative et particulière du ministre. Le mémoire débutait
en reproduisant la théorie bien connue de la distinction
des deux guerres : «elle de la P'rance et de l'Angleterre
M sur laquelle la modération du Uoi se fera connaître
lorsque l'Angleterre paraîtra vouloir entrer dans des
moyens raisonnables de conciliation; la seconde, la
guerre d'AlliMuagne, est celle sur laquelle le Roi veut
principalement s'expliquer avec ses fidèles alliés, tant en
vertu de sa qualité de garant des traités de Weslphalie
conjointement avec la couronne de Suède, i\\ui relative-
ment aux traités et aux eugagements ([ue S. M. a con-
tractés avec l'Impératrice Heine, l'Inqiératrice de Uussie
et le roi de Suède ". Suit un exposé des devoirs des
puissances garantes, des résrdtats obtenus par elles et
de ceux qui restent à réaliser. I.e duc se ait appro-
prié ],\ thèse philosopliitjue de son cousin : « Les
(tliligalionH (pi(^ le Uoi a contractées par des traités ne
août pas moins sacrées ))our S. M (|iliH'o|lnH du iiiiiiiiijnn
(te la pitJN do WeMltiIntlIii, \\u\\h coh oblignljutlH m^^i sou-
mises à la loi ualurelji; ()e |i| nosHiliJlJié ; ce qtlj éfail
pl'ullcable et taisait le loudeincnt d'un trall(^ dans telb'
circonstance et singulièrement an coniiiiijn emenf d'une
guerre, dimiiiur souvent de probabilité selon les cvélie-
ments de celte même guerre et linit |iar devenir impos-
sible. )) Le projet de déclaration visait s|)écial(îmenl lit
Uussie qui était invitée ù sa<'rili»M" < même ses intérêts
r
I!
(I) Duo de Clioiseul au cqmlc, inirlkulièn;, i (li'(:i!tn(iifi ITdO. Adall-es
Eliaiii't'rcs.
l'i! ' "
Kl
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I.A CUHRHi; DK SKl'T ANS.
CIIAP. VIII,
[X'rsoiiocls, coiiiiiic le Uoi est dans riiitontion de sacrifier
les siens au i)onlicur do IKurope ».
Choiseul, en efl'ef. avait repris son concept do se servir
de la llussie connue uiessnyei' de la paix. Il explique ses
motifs 11) à son envoyé. Le Koi, tout en persistant
à revendiquer l'initiative pour la France, avait estimé
(ju'il serait trop tôt pour en parler et avait adopté une
procédure qui cn.uaiçerait « la négociation de faeon <pu^
la cour de Kussie pai- vanité se chargeAt des détails
de la pacification et eu eut les mérites ainsi que les
démérites et que nous, nous bornassions aux premières
ouvertures et à écliauHer les démarches de l'impératrictr
de lUissie ». Kn attribuant ce rùlo A la cour de l'étcrs-
bourtf, on éviteiait une brouille avec l'Autriche, « car
(|uelques espérances qu'elle vous donne, je doute très
fort que M. de Kaunilz soit de bonne foi avec vous. Si
vous parvenez, comme il y a lieu de l'espérer, par vos
relations à ramener l'Impératrice et M. de Kaunitz
à dos vues de pacilieation raisonnables, non -<mlement
vous rendrez un service important au Koi, mais par la
connaissance que je crois avoir de l.i Cour de Vienne,
ou je me suis bien trompé dans roi)inion que je m'en suis
formé, il faut convenir que vous aurez opéré un miracle.
Dans tous les cas, la volonté de la Russie aplanira beau-
coup de difllcultés à Vienne; j'uimerais mieux querohli-
gation de faire la paix y fût imputée à la (lour de Péters-
bourg- qu'à la France », Ueste la question de la province
de Prusse qui peut devenir <« la pierre d'achoppement de
la paix » ; mais « la vanité de pacifier l'Eiuope peut
entrer en compensation de conscrvei' une conquête, sur-
tout quand on élagera cette vanité par <les moyens (fui
pourront satisfaire la cupidité des ministres russes w.
D'ailleurs, le projet de pousser la Hussie en avant n'était
.' i
(l) Duc de ChoisL'ul au comte i décembre 17C0. Affaires ÉUangères.
■p
CII0I8EIII. VEUT lAIRE INTKUVENIU LA UUSSIE.
4)11
qu'une conception provisoii'c qui pourrait être modifiée
selon lappui ou l'opposition qu'elle rencontrerait à Pé-
tershourg- et m Vienne. Dans le mémoire français, ù
peine (pielques lignes étairîiil-elles consacrées au traité
particulier entre la France et l'Angleterre : « Ce
n'est pas, écrit Choiseul au comte, <jue je ne sent*' fort
bien ({ue nous pouvons tirer quelques avantages vis-
à-vis des Anglais de la position des armées du Uoi en
Allemagne, mais j'ai cru ne pas faire sentir d'avance
aux alliés nos justes prétentions à cet égard. »
Le comte de Choiseul, ([ui avait été autorisé à « pro-
poser telle modilîcatiou (jue sa connaissance du milieu
pourra lui suggérer », ne releva aucun (diangcment à lair*:
au\ documents exp(>diés de Paris et les communitjua tels
(juels (1) à Kaunitz. Celui-ci n'avait pas oublié les com-
pliments de Choiseul; aussi trouva-t-il la déclaration
« très honnête, très onctueuse et pleine d'imc réci-
procité d'amitié ». Kn fait de critique, il se borna à
remartpier <|u'il s'était attendu à plus de détails a sur
les moyens de parvenir à la })acification ). Quant h
l'Impératrice, elle était devenue chaude partisane de
la paix : « L'année passée, avait-elle dit à Montazet, le
mot de paix me blessait l'oreille, je n'osais moi-même
le prononcer; aujourd'hui, je la désire autant que je la
craignais alors; c'est ainsi (jue va le monde. » Elle allait
jusqu'à traiter de chimère la con([uète de Silésie. Favora-
blement impressionné par le changement qui s'opère
autour de lui, l'ambassadeur arrange tout à sa façon :
l'Autriche se désistera de la Silésie et, en dernier lieu, du
comté deGlatz; la llussie abandonnei'a la Prusse royale.
La Suède, en amie désintéressée, ne réclamera rien ; le roi
de Pologne devra se contenter de recouvrer son électorat.
Beaucoup moins optimiste, le duc de Choiseul doute fort
f
<■ I-
(1) Comte de Choiseul au dur, \:, décoinbre 17G0. Affaires Étiangères.
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LA aUERHK DK SEPT ANS. CIIAl'. Mil.
(le la co'.i version de Marie-Thérèse et de son cliancelieii';
quoi qu'il en soit, il fa ut avoir l'air d y croire; pour l'heure,
il a préparé, à l'usage de Breteuil, des instructions se-
crètes (1) dont il confie le contenu au représentant de lu
France à Vienne. Le maintien des deux and)!issadeurs à
Pétershoui'f;, l'un officiel, l'autre officieux, compliquait
singulièrement la manœuvre sitvant'e que Chois(!ul voulait
tenter auprès du gouvernement moscovite. Les r(Mes
avaient été répartis de la manière suivante : Lhopital,
qui n'avait pas été mis au jourant, présenterait aux mi-
nistres russes la déclaration dont le texte avait été c-om-
niuniqué à l'Impératrice-Reine; il ferait valoir les raisons
en faveur de la paix et insisterait pour une prompte ré-
ponse. La démarche officielle accomplie, Hreteuil entrerait
en scène, « il remettra une lettre de moi (ju'il trouvera
ci-jointe à M. de Woronzo>v, où je lui mande que le Roi
a chargé M. le marquis de Lhopital de lui remet'.re
pour rinij)ératrice sa maitressù une déclaration qui ins-
truira S. M. Impériale des sentiments du Koi relative-
ment à la paix, mais qu'en même temps, comme la
santé de M. de Lhopital pourrait l'empêcher de vaqtier
à tous les détails d'une négociaii(m aussi instante et en
même temps aussi intéressante pour l'union des deux
Couronnes, le Roi a envoyé à M. le baron de Breteuil
des instructions particulières pour traiter cet objet vis-à-
vis M. le Chancelier et en accélérer l'heureuse cimclu-
sion. Alors M. de Breteuil approfondira le matière avei
M. le chancelier de Russie ; il lui contiera que le Roi a
bien senti que la cour de Pétersbouig portée à accélérer
la conclusion de la paix, était retenue par la crainte de
désobliger la cour de Vienne; que S. M. est entrée,
comme elle le fera toujours, dans les embarras que pou-
(1) Inslnictioii poiii' le haroii de Rreleuii. is ilëc»Mnl>re 17(10. AlTairo
Élrangère.s.
^..-•t-.,>..
]U3
1NSTIU;CTI0NS DE BUETEUIL.
4r,:{
vait avoir riiupératrice de Russie, et ([ii'elle a' généreu-
senieiit, pour le l)icn coiumiui, voulu affronter le danger
qu'il y avait pour la France dêtie la j)reiuière à donner
une déclaration pacitique à chaque niendjre de l'alliance » .
lireteuil s'étendrait ensuite sur l'impossibilité de con-
ijuérir la Silésie, sur les inconvénients de continuer une
guerre qui épuisera les alliés sans aboutir au succès, sur
la résistance opiniâtre ([u'opposera le roi de Prusse à la
cession de la province donf il tire son titre royal. Aussit»'>t
d'occord sur l'intérêt d'une prompte conclusion de la paix,
Breteuil d'inandera verlialement « que l'Impératrioe de
Russie se charge des intérêts" de i'alliance et lasse con-
naître aux rois d'Anghîterre et de Prusse... quelle est
à portée de traiter la paix générale pour toute l'alliance
à des condition'' raisonnables ». Jusqu'alors, rien de
contradictoire avec les instructions officielles, mais ici
commence la divergence : « Après avoir fait cette pro-
position à la Russie et lui avoir marqué notre défé-
rence et notre confiance, il serait très utile ([ue M. le
baron de Breteuil lui suggérât de proposer au R(!i de se
charger lui-même des intérêts des alliés dans la confec-
tion de la paix, sous prétexte que le Roi, intéressé
comme les autres puissances dans la guerre d'Allemagne,
a de plus à arranger avec l'Angleterre des intérêts consi-
dérables et étrangers à l'Allemagne. »
En résumé, Rreteuil devait poursuivre les trois ob-
jectifs suivants : convaincre la Cour de Pétersbourg de la
nécessité de terminei- la guei-i-e; lui faire accepter lidée
d'une solution rapide, l'amener à renoncer à la cam-
pagne prochaine, enfin, « après avoir od'ert à la (lour
de Russie d'être chargée de la négociation de la paix,
de lui faire désirer et demander que ce soit le Roi
qui entame cette négociation, et pour marcher d'un
pas sûr et peu sujet à inconvénient, d'obtenii' du mi-
nistre russe un [>lan de pacification relativemenf à l'Al-
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LA GUERI'!. !)'■ Si:PT ANS. CHAP. VIII.
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1:. I
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leinapnc (mi léponse à la déclaration (|ui lui sera pré-
sentée par M. (lo Lliopital ».
Pour fournil- à lîrotcnil les moyens do « séduction »
indispensdbles k la réussite, le Roi faisait remise au chan-
celier Woronzow cie la « sonnne considérable » qui lui
avait été avancée et mettait à la disposition de son en-
voyé un million de livres « à partager entre les difl'é-
rents mend)res du ministère qu'il jugera nécessaire de
séduire »; ces gTatitic.itions seront versées « dès que
nous aurons entre les mains, signé de la main de l'Impé-
ratrice, un instrumi.nt qui nous autorise à traiter ouver-
tement de In paix et h la conclure cet hiver ». Enlin,
Breteuil devait « faire espérer » (ju'aussitùt la paix faite,
la France se prêterait à un traité de commerce et de
subsides avec la Russie et que la négociation serait l'oc-
casion de nouveaux cadeaux. Favier, («ui portait les ins-
tructions dont nous venons de donner l'analyse, fei-ait un
séjour à Pétersbourg, assisterait I.hopital de ses conseils et
serait chargé pins spécialement des pourparlers relatifs
au futnr traité de conmierce; l'ambassadeur en titre
ignorait le concert ((ui existerait entre Favior et Breteuil.
Choiseul ne lit pas mystère de la mission de Favier, ([ui
serait nécessairement connue à Vienne; il en paria à
Starhendjerg (1) qui en rendit compte de suite à Kaunitz.
Il y eut quelque retard dans la transmission des pièces
françaises; Favier tomba malade à Strasbourg, et le cour-
rier pour Pétersbourg ne partit de Vienne que le 3 jan-
vier. L'Impératrice-Reine regretta cette perte de temps :
« .le vois que cela ira bien lentement et que nous ferons
encore la campagne prochaine; cela est bien fâcheux,
car quand on a pris son parti, le plus tôt vaut le mieux. »
Elle ajoutait, en guise de commentaire : « On doit être
bien étonné de me voir dans de pareils sentiments au-
(ij Starheinbei'g \ Kaunilz, ;ji) cléceinbre 1700. Archives de Vienne.
LA couu UI-: viKNNi!; l'uoi'osi'; un iongui.s umquk. -ic:.
nul.
lui
a il
initz.
icc<>s
oui'-
jan-
nps :
rons
ux. >'
(Hre
■) au-
jourd'hui; ic pensais bien ditréromniciit il y a trois mois.
Voilà comme sont les femmes ! »
Entre temps, la conférence présidée par la souveraine
avait examiné les propositious fran(;aises du V décembre
et avait élaboré, de son côté, une varirnte du projet de
déclaration (1) : Deux questions y étaient traitées : sur la
première, celle du principe de la paix. Leurs Majestés Im-
périales faisaient observer qu'elles avaient toutes les rai-
sons de désirer la continuation de la guerre, mais prenant
à cœur les circonstances de la France, elles étaient prêtes
à faciliter, par tous les procédés possibles, et avec le con-
sentement de tous les allié une paix satisfaisante et solide.
La seconde question avait trait aux moyens d'atteindre ce
but : le projet de pacification n>is en avant par Choiseul
« n'était pas pratique parce qu'on ignorait encore les vues
des adversaires; il était dangereux parce qu'il produirait
des malentendus entre les alliés, et fâcheux parce que le dé-
sir exprimé parla France de poussera la paix le plus pos-
sible était en conq)lète contradiction avec l'alfirmation que
le temps devait être consacré au plan de pacification ».
Dès à présent l'Impératrice faisait des réserves sur l'é-
tendue des sacrifices qu'elle pourrait être amenée à con-
sentir : Quand même, pour le cas de la terminaison des
hostilités avant la prochaine campagne, elle se résigne-
rait à ne pas se prévaloir des articles de traités stiprlaut
l'acquisition de la Silésie et du comté de Glatz pour se
contenter d'une partie de ces provinces, il serait entendu
que, si la guerre se poursuivait, cette concession ne serait
pas maintenue et n'aurait aucune valeur. Les conclusions
(le Choiseul ainsi écartées, la conférence se prononçait pour
la réunion d'un congrès où seraient traitées séparément
les questions des deux guerres. La France serait chargée,
au nom des alliés et avec leur assentiment, de faire part de
(1) F-^unitz à Slarliemberg, ;!l (If'ccinbre 17(10. Archives de Vienne.
(;i lîiiKL lii: SËi'T ANS. — 1, IV. 30
11
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LA GLEUHl': DK SKl'T ANS. — <:11AI». V!'l.
',!-i| •
' ,ïi';.
I
'■;:
K.!^
CCS résolutiom au «abiact anglais, soit par riiitcrinédiairo
d'une autre pui.oance, soit parle prince Louis de Bruns-
wick. En terminant sa dépêche, Kaunitz résumait les
avantages que présentait son système et exprimait la
conviction que Choiseul s'y rallierait comme au mode le
plus expéditif d'arriver à ses fins.
A partir de ce moment, le débat allait porter sur le
congrès dont Kaunitz était partisan et sur lequel il venait,
conformément à la décision de la conférence, de consulter
la Hussie, et le projet de Choiseul qui désirait réserver
à la I^'rance la conduite de 1" négociation et qui qualiiiait
le congrès de procédure dilatoire. Par contre, le comte de
Chois(ml croyait impossible d'y échapper et avait écrit (1)
dans ce sens au duc et à Breteuil.
La réponse de l'Autriche aux suggestions françaises du
'i- décembre se croisa avec un nouveau mémoire de Ver-
sailles (2). Dans cette pièce, Choiseul revendiquait pour
la France le rôle de représentant des intérêts de l'alliaiue.
« Le Koi, sous la condition de ne rien transiger sur la guerre
d'Allemagne sans le consentement des alliés, proposerait
de se charger de la négociation et de faire les démarches
convenables à cet égard, avec la dignité et la mesure qui
lui convient ainsi qu'à ses hauts alliés. » Jusqu'alors au-
cune ouverture n'avait été tentée : aussi un démenti for-
mel était-il opposé au bruit qui courait de la reprise des
pourparlers à La Haye ; l'on avait même refusé des
passeports à mylord Maréchal, qui voulait traverser la
France pour se rendre i'» Londres, dans la crainte que ce
voyage ne donnât lieu à des rapports fâcheux. « Mais si
les alliés y consentent et après qu'ils lui auront confié les
conditions ^ai servent de base au traité de paix »,le Uoi fe-
rait part au roi d'Angleterre de la mission qu'il a acceptée.
(1) Comte de Choiseul au duc, 3 janvier 1761. Affaiivs Étrangères. Coinlc
de Choiseul à IJreleuil, .{janvier 17GI. Affaires Etrangères.
{'>-) Mémoire de Choiseul pour KauuiU, 5 janvier 1 "Cl. Affaires Élrangèros.
■■;^»'"!ii.'|,ii'ii
JiliiH
- ^i-ft jcaA..j,0t'^
CONTUK-IUOJET DE CIIOISEUL.
•i(î?
Suit une rapide esquisse des stipulations qui sendjlent
raisonnables; mais Choiseul prévoit des difficultés ou tout
au moins des lenteurs, aussi estinie-t-"l préiërable d'olïrir
aux ennemis « de rester en statu quo à l'exception de la
Saxe qu'il est indispensable de réclamer pour son souve-
rain légitime «. Quel que fût le soit réservé à celte pro-
position, elle servirait de base à la discussion; « la né-
gociation sera en règle et clieminera d'un pas certain ».
Pour ojjtenir l'abandon dos prétentions que chaque allié
ne manquerait pas de produire, le ministre français, ou-
blieux de l'état de ban([uei'oute dans lequel son pays
était plongé, se montrait prodigue de libéralités : à la
Russie un traité de subsides et de connnerce, ù la Suède
le remboursement du coût de la guerre, à l'Autriche, (|ui
se contenterait du comté do Olatz, un traité oU'ensif et
défensif et, en plus de l'arriéré, de nouveaux secours
linanciers pour lui permettre de fortifier ses frontières
silésiennes.
Après avoir soigneusement sui)primé ou atténué les pa-
r-igraphes relatifs aux subventions, le comte de Choiseul
remit la pièce à Kaunitz. Il trouva celui-ci peu enclin ii
discuter avant l'arrivée de la réponse à son propre mé-
moire, plus convaincu que jamais de la nécessité du cou-
grès, fort sceptique à l'égard des promesses d'argent
et adversaire d'une suspension d'hostilités qui ne profi-
terait qu'à la France et serait préjudiciable aux autres
alliés.
De son cùté, à Paris, le duc do Choiseul avait ado[)lé
une partie des conclusions de la conférence do Vienne; il
admettait le principe du congrès, mais il en voulait deux.
L'exposé qu'il fait à llavrincour J\ l'envoyé fran»;ais eu
Suède, nous renseignera sur les vues do la cour de Ver-
sailles : « La cour de Vienne propose une invitation à un
(1) Choiseul ;\ Ilavriiicour, 17 janvier 17G1. Affaires Élrangèros.
. i:'|.if
si/^-<-ww[5p«isp!^îsaHs
•iCH
LA GUiniUi; Dl'] SKPT ANS. — (Jll.U'. Mil.
.)' i»
conférés, et lo congrès tout de suite, poiu' discutci' les dil-
féi'culs iutérèts. CoUc foruu; outre sa Icuteuf [uirail au lloi
sujette aux plus grands inconvénients... En eflct, (juand
même la cour de Londres accepterait la proposition du
congrès, que de difficultés n'aurions-nous pas à surmonter
sur l'admission des dill'érents ministres des princes qui
prétendraient y en envoyer pour discuter leurs droits ou
leurs dédonmiagements.' Unelle complication d'intérêts
n'aurions-nous pas à débrouiller dans ce Congrès? L'on
peut ajouter que les intrigues des ministres ennemis
pourraient ébrmler l'union que nous avons tant de désir
de consolider. »
Afin d'éviter ces dangers, le |{oi conseillait de subs-
tituer, à une seule réunion, deux congrès dans les([uels
les puissances alliées seraient représeniées à Paris par
leurs ministres résidents auprès de S. M., tandis que les
puissances ennemies délégueraient leurs pouvoirs à leurs
ministres accrédités à Londres; « le \Un, de concert avec
les ministres alliés, traitera directement pour la paix gé-
nérale vis-à-vis du roi d'Angleterre (jui aura à sa Cour
les ministres de son alliance et parlera pour eux ; ce moyen
nous semble le plus simple de tous >-. Cependant, si la
majorité des alliés se prononçait pour le congrès général,
la cour de Versailles s'inclinerait, tout en dégageant sa
responsabilité au sujet des complications qui pourraient
en résulter. La question fort importante de l'armistice est
soulevée oflicicUement pour la première fois : « Il me
reste à vous parler d'un article qui n'a pas encore été
traite ministériellement ni à Vienne ni Pétersbourg; c'est
celui de la suspension d'armes. S. M. pense ({ue de quel-
que façon que la négociation de la paix aoit entamée, il
est désirable que la suspension d'armes dans toutes les
parties en soit un préliminaire. »
Copie de cette dépêche fut envoyée à Vienne pour être
communiquée à Kaunitz. D'autre part,Choiseui avait exa-
1 »
mÊtmim
CJIOISKUL DKFRNI) LIDÉE D'UN ARMISTICE.
469
miné avec Starliemlxn'^' (1) les ((M-iiics de rannistice et la
nianit'rc d'enlror en ra|)port avec ic rabiiK't l)i'itaiini(Hie.
L'Autrichien avait sniif^éré, comme [H'emier iiitci'médiîiire,
le (iénois Sorba (2) qui se rendait eu Angleterre, mais
(llioiseul pencliait pour une ouverture plus directe : « Au
surplus, écrivait-'' (3), cpiand les alliés seront d'accord,
tous les moyens seront bons pour l'aire parvenir à Londres
notre détermination, et une lettre de ma part à M. Pitt
remise par le miiiistie de Uussie à Londres serait encore
m<>illcure que la voie de M. d'Yorck et du prince de
Hrunswick. Nous avons une petite raison pour exclure
dans ce moment la Haye, outre que nous no nous en
sommes pas bien trouvés l'année dernière. C'est que les
démarches sont connues en Hollande au moment où elles
se t'ont, que chacun y laisse aller son imagination sur la
politicjue comme dans un café. )• Le ministre français re-
vient encore sur la suspension d'hostilités : a 11 est fort à
craindre (|ue l'Angleterre n'ac(|uiesce point à cette de-
mande et pour lors, il est inutile de la discuter. .Mais je ne
peu.x pas présumer que les alliés de S. M. s'y refusent. La
France a dans les deux guerres un avantage réel îi la sus-
pension d'armes; elle est aussi avantageuse à la Russie;
la Suède est dans un état passif, soit (|ue la suspension ait
lieu ou non; il ne lestc donc que la Cour de Viiinnc qui:
1" selon les règles de la justic(! doit se prêter ad vomi
commun de l'alliance; 2" dans son propre intérêt. En
effet, la hussie et la Suède prendront prétexte des négo-
ciations pour ne rien faire; la France restera sur la dé-
fensive. L'.Xutriche sera seule aux prises avec h; roi de
Prusse », et en cas de malheur « il serait à craindre
'' ,(
'.^i
(1) Slaflit'inbfirf^ à Kauiiitz, '.!'.) janvier ITiil. Archives de Viciinc.
('!) SlaihiMiibcrj:; ne nie pas le [iropo.s. mais lui conteste tonte signifiration
ofliciello. Sorl)a ne lit pas le voyage.
(3) Duc (le Choiseni an comte, 18 janvier I7(il. Aflfaires Étrangères
\*hm
y. ! k-.'M
470
LA ClIlllinK l)K SKPT ANS. - CHAI'. Mil.
< ,] I
il
|!i
(Iu'pIIc n'eût pas môme le comté do Ci'utz pour dédom-
iîia,i4<'iuent de la jçiiene présente ».
A la grande satisfaction do l'envoyé français, Kaunitz,
sans attendre Tarrivée du courrier (jui lui apportait la
dernière argumentation de (>lioiseul, accej)ta (I) le prin-
cipe d'un armistice de si\ mois, mais par contre, il se
refusa absolument (-2) A admettre le conce[)t des deux
congrès ou plutôt des pourparlers simultanés à Paris et
à Londres : « .l'ai éludé etadouci, écrit l'umbassadenr, tout
ce (jui poiîvait présenter l'idée d'ime négociation coiuluite
par S. M. et le roi d'Anglet<Mre. Mais M. le comte de
Kaunitz a regardé ces deux congi'ès comme une fiction;
il a cru (]ue c'était un masque po'ir faire passer notre
projet de négociation particulière; et (]ue dans l'appa-
rence et la réalité il n'eu serait pas moins vrai ([ue les
cours do Versailles et de Londres sei'aicnt les arbitres de
la paix, et qu'elles en dicteraient les conditions à leurs
alliés. Je crois, Monsieur, avoir employé toute l'adresse
possible pour éloigner ce point (b; vue et pour endormir
la vanité de ce ministre, mais elle est trop vigilante et
trop éclairée pour se laisser abuser. »
Néanmoins, de part et d'autre, on était entré dans la
voie des concessions; travaillé par Starbemberg qui sou-
tenait la tbèse de son gouvei-nemont, ohoiseul se l'allia
à « nu projet de déclaration (:i) à faire à nos ennemis où les
deux idées seront exprimées et où on leur laisserait lecboix
du congrès général ou des deux congrès particuliers »,
A l'olfre de l'alternative était jointe la proposition d'une
suspension d'armes dans toutes les parties du monde.
Pour les conditions do l'armistice le ministre fran(;aiss'en
rapportait aux puissances ennemies : « laquelle suspension
(1) Comte lie Choiseul au duc. l'.t janvier 1701. AlVaires Étrangères.
i'i) Comte de Choiseul au duc. 'J8 janvier 1701. AHaires Etrangères.
(3) Projet de Uéclaration. 'tl janvier 17(11. Alïaires Etrangères.
l^SâS*
r.-mmaiÊsmmsa
COLKRK DE (JIOISKIIL.
471
d'armes scia limitée, illiiuitéc ou ncxistcra pas au choix
(le L. M. Hritanni(|ue et Prussienne ». (]es lons"uos discus-
sions et l'opposition de Kauiiitz aux propositions rëdip-ées
A Versailles avaient fini par lasser la patience de Clioi-
seul , qui d'ailleurs n'en possédait qu'une dose très ré-
duite. Il s'emporte contre Kaunitz, l'accuse d'intrigues
contre la France, « d'astuce grossière »; il refuse de
croire A la sincérité des professions pacifiques rapportées
de Vienne : « Je ne dois [)as vous dissimuler, Monsieur,
écrit-il (Il à son cousin, que M. le comte de Starhem-
berg n'avoue ni par son air, ni par ses proi)os, les désirs
]>acili(pies ((ui vous sont montres à. Vienne. Je sais h
n'en pouvoir douter que M. de Kaunitz fait passer dans
toutes les coins que nous désirons la paix, et que nous
voulons forcer l'Impératrice à faire nue paix à la([nelle
elle se refuse. » l^a lettre se tei'mine par les nu;naces
dont Clioiseul était coutiuuier, sauf à les oublier le len-
demain : « Nous vous prévenons qu'après avoir fait les
avanc(>s d'amitié et d'union dont vous avez été l'organe,
le Uoi ne croira pas manquer à ce qu'il doit ji ses alliés
lors(|u'il suivra les moyens qu'il jugera les plus propres,
selon les circonstances, aux intérêts de son royaume, et
S. M. manquerait à sa dignité si elle s'astreignait servi-
lement à la volonté des puissances (pii lui sont alliées. »
Décidément l'entente entre les cours semblait bien com
promise; elle ne ar rétablit qu'après de longues et pé-
nibles discussions.
Pas plus que ses devanciers, le projet de déclaration
du .11 janviei" n'eut de succès à Vienne. Kaunitz se montra
intransigeant : « 11 ne prendrait pas de détour, relate
l'envoyé français (2), pour me dire que cette déclaration
lui paraissait inadmissible. » Il préparerait un contre-
(1) Duc de Choist'iil au comte, G lévrier 17(il. All'aires Etrangères.
Ci) Comte (le Ohoisenl au duc, l'> février ITCil. All'aires Étrangères.
,"ji..
vm
J
1 IV
47a
i.A <ii;i:iim: ni'; skpt ans.
CIIAI' Mil.
|H'«»j('| (lu'il (Miv(M'r.'iit (1(> suite A Paris ot f\ IN-torshouc^-.
Cvl\{' munièn; de procédei' avail U) ^ravc incotivéïiicuit
d'«'d('ii(lrc i\ cotte (iiM'iii^rc ciH)itiil(î le déhal (\m se pour-
suivait !Ï VifMine; los n'|)iéseutauts des deux couronnes
au|)i'(''s de la Tzarine, luunis d'iustiuclions dillV'rentes, ne
pourraient ai^ir de coneerl et nietti'aient les uiiuistres
russes dans rend)ai'ras. Fi'a|)pé de ces cousidéi'alions
dév(d()pj>écs |)ar h; comte de Clioiseul, Kauiiitz demanda
s'il ne serait pas possible de moditie" le document de
Versailles avant de le transnxUtre à Pétershourf^'. I.ecrmtc
répli(pia ([u'il n'était pas « autorisé à faire des change-
ments f[ui allaient jus(|irà dénaturer entièrement l'ou-
vrage; il n'était pas si hardi et si entreprenant (jue M. d'Ks-
teihazy ». (lettc; flèche de pai'the décochée, il prit congé.
D'après lui, c'était une (pieslion d'amour-propre (jui
causait l'opposition de Kaunilz; <( il croit que la dignité
de sa cour serait compromise, (jue lui-même serait exposé
au blAme et il ne veut pas f[ue la paix se fasse sans cpi'il
s'en mêle ». La convcrsafioa avait eu lieu le 7 février.
Le U), le comte de (Ihoiseul avait connaissance de la
contre-proposition autrichienne; elle repoussait et l'alter-
native et la susj)ension illimih''e, se prononçait ])our un
congrès général qui s'assend)lerail à Angshourg ei oH'rait
un armislici; de six mois, à partir du 1 " février, lircteuil
fut aussitôt avisé du désaccord et invité à le traiter
comme un incident de procédure sans répercussion sur
le principe des ouvertures pacifiques : « H est de notre
intérêt, lui écrivit le comte de Choiseul (1), que la Kussie
prenne un parti net et décidé, de manière (jue sur sa
réponse nous puissions aller de l'avant sans être obligés
de lui demander de nouveaux éclaircissements. »
Malheureusement, à Pétersboui'g la situation était
tout aussi embrouillée qu'à Vienne; au point de vue
(l) Coirtodc Choiseul n Bietciiil. 10 fcviicr 17f>(. Affaires lîlrnng{>ics.
am
(ONVKHSATIONS UK nHKTEUIl, AVKC WOHONZONV
473
(1(> In rc|)"és('nlatioi> française, tillo s'élait siinplilién par
le (l<'-|)ai't do Lliopilal (|iii céda défiiiilivomcnt la place à
son coadjuleiii' {{idouil. A ce dernier incomba la lAeiie
d'exécuter les insti'ucn«ms quehpie peu divei'y<'iil(îS de
son chel'cl de surni(»idei' les ohs'acies iidiérenls A Tineo-
héi'cncc do la polititpu; i'nss(!. La conduites su[)i'ènio des
allairos cxfôrieiiros appartenait à la T/arino Klisabelh.
(lollo-ci malade, plus allectéo an moral (pi'au physique,
s'cmlermait dans son [>alais, relusail toute audience aux
diplomates étraugei-s et restait invisible, mémo pour ses
niinisli'os, pendant des semaines entières; maison <lé|)it
de déraillancesde plus en |dus i'réfpu'utes, elle n'entendait
pas abdi(|uer et faisait senlu* son autorité do temps en
temjjs. Deux hommes d'état étaient A la tôle du gouverne-
ment : l'un, le chancelier Woronzow, timoré, faible,
vénal jusqu'à recevoK' les subsides des cours les plus
opposées, ayant du bon sens, de l'expérience, et jouissant,
S'rAce à l'habitude plus qu'ù la c: tiancc, de quelcpie iu-
flu(!i)ce auprès de sa souveraine; le second, le chambellan
Schouvalow, favori de rim[)ératrice, riche au point d'éti-e
MiCi>rrupliblc, vaniteux, mais fort dos facilités que lui
procuraient sa fonction et son intimité. En dernier res-
sort, les afFaires étaient soumises à la conférence ([ue
présidait parfois la Tzarine et (]ui était composée en ma-
jorité d'amis du favori.
Aussitôt la communication officielle, faite le iV janvier
par bhopilal, des propositions françaises, Breteuil (1)
s'élait abouché avec Woi'ouzow et s'était conformé au
programme que lui avail tracé Cboiseul. Il s'ai^issait
d'amenei' la Russie à prendre linitialive d'une invitation
adressée à la France d'avoir à se charger de l'ouverture
et de îa direction des premières négociations en vue de la
paix. Pour s'assurer le concours du chancelier, Hreteiiil
(l) Hreleuil au duc de Choiseul, :io janvier 17ill. AtVaires Etrangères.
i Si'
K ^ 1:
^^
47i
LA GUEimK DK SKPT ANS. — CIIAP. Mil.
¥ l
m
eut l'ccours au.x inoyons de corruption qui avaient été mis
il sri disposition.
La scène est ty|)ique : « Je lui ai donc dit, après un
grand préambule sur les sentiments et l'estime du Hoi
pour lui, que j'avais ordre de le prier d'accepter la re-
mise en entier de la somme que le Roi lui avait prêtée.
1,0 chancelier a été un peu déconcerté de cette propo-
sition, .le vous avoue que je l'éiais beaucoup plus que lui.
C'est la première proposition que je l'ais de cette nature,
et je craignais qu'il n'en fût blessé, quoique j'y eusse
mis toute la politesse que je croyais nécessaire; cepen-
dant, connue il s'est contenté de me balbutiei' (|uel([ues
mots qui ne signifiaient point un refus, je n»e suis remis
de mon enibarras, et je lui ai dit que le Uoi attendait de
son attachement qu'il reçût cette 'aible mar<|ue de sa
satisfaction, ((ue Sa Majest<'' connaissait troj) sa délicatesse
et son extrême probité |)our Ja lui faire proposer, s'il
s'a^.'issait de l'engager dans quelcjue démai'chc, mais que
le Uoi n'ayant rien à exiger de son zèle que le maintien
et l'accroissement de son union avocTlmpératrice, Sa Ma-
jesté se trouverait offensée s'il se faisait un faux scrupule
sur cet objet. Le chancelier s'est i\ peu près laissé aller à
cette démonstration; il m'a parlé de sa reconnaissance, de
sa fidélité, de son zèle, de son respect, de son amour pour
le Uoi, et il m'a prié de le rnettre aux pieds de Sa Ma-
jesté; mais qu'il la sujjpliail de ne pas lui faire des grâ-
ces aussi considérables; qu'il s;*rait tenq)S à la paix si
elle se concluait d'une façon (jui lui fût agréable, et
qu'il fut assez heureux pour y ccutribue^'. ()uaud j'ai vu,
Monseigneur, qu'il ne se débattait que sur l'épocjue.
j'ai cru pouvoir, et même devoir lui faire envisager sans
de trop grandes précautions, de j>lus grands l)ienfaits si
tout ce ((ui dépendait de lui se trouvait terminé promp-
temcnt et à la satislaction de Sa Majesté. Je ne me suis
pas expliqué clairement sur la sonune; j'ai parlé seule-
LA CONIÉUKNCK SE l'UONONCI': POl U LK PROJET AUTRICHIEN. 475
mont en général, mais cependant d'une façon positive. »
De NVoroiizow qu'il croyait acquis, Jiroteuil courut chez
Scliouvalow; il le trouva très poli dans la forme, mais
peu sensible à ses arguments. La séance de la conffc''enco
eut lieu le Icudemain. Au dire du chancelier, dont le
témoignage semble sujet à caution, en dépit de ses clForts
la solution autrichi(Mmc, tavoral)le à la réunion d'un con-
grès et contraire à une suspension d'armes, eut le dessus.
Notre Fran(;ais ne se tient pas pour battu ; il accuse d) \Vo-
ron/ow de faiblesse; il lui fait conq>i*ondre que 300. 000
livres seraient la récompense do ses ellbrts pour décider
l'Impératrice à entrer dans le seul plan utile à sou em|)ire
et au repos général. « Lcchancolier, ajoute-t-il, ne les a
pas acceptées, mais il ne les a pas refusées et je crois
quo cet espoir p.n lera poiu' nous, » Deux jours après, il
fallut on rabattre : « .le désespère, écrit-il à Paris [9,^, de
pouvoir amener ces gens-ci à inviter le Uoi a faire au
nom de l'allianco les premières ouvertures de paix à n(xs
ennemis. J'ai tout employé pour parvenir à ce but, mais
je crois avec douleur que c'est en vain que je nie flatterai
plus longtemps. » Le chambellan est arcbifaux ; Woronzow
ne voit pas l'Impératrice, Scliouva^-,\v la voit : « Lu ré-
ponse de la Uussio, au sacrifice do la Prusse près, ne roi!i-
plira aucune des intentions du Roi; j'en suis désespéré.
Les premiers moments m'avaient donné plus d'espérance
et mes moyens pécuniaires qui étaient, do SOO.OOO livres
les avaient soutenues, mais tout ti'omble et cède à l'opi-
nion du chambellan surfout do[)uis (pie rinipératricc d(>-
vient invisible au reste do ses ministres ou courtisans. »
La réponse officielle de la cour de Pétersbouig, qui
porte la date du 2/13 février (3), constituait on eli'et un
échec pour les premières idées do Clioisoul, mais à peine
(1) Rreleuil au diu; de t'iioiscul, i février 1701. AlVaiics Kliaiigèjes.
(2) Ureteuil au duc de Choiseul, fi l'éviier 17f)l. Aflaires Etraiifièrcs.
r?) Réponse de la Russie, '\\3 IVviier I7i)l. Afl'aiies Klianjiéres.
-Ik^sj^'Sï.
1
i76
LA GUERRE DE SEPT ANS. — Cil A P. VIII.
;i i
avait-elle été communiquée à Rrcteuil que co dcrnior
reçut (i) une dépêche de son chef, lui donnant ordre de
soutenir le système des deux congrès combinés avec un
armistice. La lutte s'engagea à nouveau eutro les représen-
tants des cours de Vienne et de Versailles. Esterhazy, con-
formém'^ntaux instructions de Kaunitz, préconisait le con-
grès unique, repoussait la négociation double à Londres
et à Paris et n'admettait qu'une suspension de six mois à
partir de (in janvier. lireteuil recommence ses intrigues; il
croit être sûr de Woronzow; ([uant à Schouvalow qui as-
pire à être le mécène de laRussie, ilespèrerentrainer parla
promesse d'une « place dans l'une de nos académies des
Sciences ou des Helles-Lettres ». Cette fois, le succès cou-
ronna, au moins partiellement (2), les efforts de l'infatigable
diplomate. La conférence accepta les deux congrès comuic
moyens de négociation préliminaire avec renvoi au con-
grès définitif. Point important, l'ambassadeur de Fiussie
à Londres, le prince Galitzin, serait invité (3) à servir
d'intermédiaire pour les ouvertures pacifiques que Choi-
seul devait faire à la cour britannique. Quant à l'armis-
tice, la Russie maintenait sou opposition à cette me-
sure.
Breteuil exulte (4) et constate avec satisfaction le mé-
contentement d'Esterhazy; il fait l'éloge de Woronzow
qui s'est liien conduit, mais qui pourra attendre son ca-
deau jusqu'à la paix. 11 en sera de même pour Wolkoll',
secrétaire de la conférence. « Si le premier plan de négo-
ciation |)articnlière confiée au Roi avait eu lieu, je lui
aurais domié -iOO.OOO livres, mais il n'est |)as question
décela aujourd'hui; il n'est pas même nécessaire de lui
rien donner ncore. Il met une sorte de décence dans son
(1) Hreleuil ;iii duc de Clioiseul, 15 février 1761. Affaires Étrangères.
(2) deuxième réponse de la Russie, !t,20 février 1761. Affaires Klrangères.
(3) Woronzow à Galitzin, '.):W ftivrier 1761. Affaires Étranseres.
(4) Hreleuil au duc de t'hoiseul, '!2 lévrier 1701. Affaires Etrangères.
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:*i4J
rsH
SECONDE DÉCISION l'LL'S I-AVOIIAULE A LA MlANCE. 477
avidité qui me mot cii étiit de soutenir et d'augmenter sa
bonne volonté par des espérances. »
Pendant qu'on discutait encore à Pétersbourg sur le
principe do la suspension d'armes, on reçut de Vienne (1)
avis du consentement de l'Impératrice-Reine à la rédac-
tion « limitée, illimitée, ou n'existera pas au choix de L.
M. Britannique et Prussienne )). S'il faut en croire iîreteuil,
malg-ré l'adhésion de sa cour, Esterhazy aurait agi au-
près des ministres russes pour les déterminer à rejeter
la clause, mais l'influence française l'emporta. L'accord
paraissait établi (juand arriva de Paris (2) un troisième
projet de Choiseul, daté du 22 février, et insistant sur un
armistice de six mois. Breteuil prit sur lui de ne pas se
servir de ce document qui ne pouvait que brouiller les
cartes. Fort heureusement pour les bons rapports des
deux puissances, le même sort fut réservé à une lettre
furibonde de Choisoul en date du 18 mars. Le minisire
venail^ d';q)prcndrc la première décision de la [\ussie ■
il avait chargé son cousin (3) d'informer Kaunitz (( ({u'il
nous faudra le temps d'un congrès pour labourer la
réponse de la cour de Russie, que nous avons remarqué
dans ce fatras immense plusieurs asserticms aussi fausses
que captieuses... qu'en tout cela nous a paru un ouvrage
détestable... et que nous prenons le parti de n'y point
répondre ». A Breteuil, il s'était exprimé (4) avec une
verdeur égale : La pièce était <( aussi confuse que
dilfuse; elle marque en même temps le peu de boune
foi sur laquelle on doit compter de la part de la cour de
Russie ».
Neuf jours après, Ciioiseul a en mains la dépêche de
*l
(1) Breteuil au duc de ClioiseuI, 11 mars 1701. Afl'aires Étrangères.
(2) Breteuil au duc de Ciioiseul, 18 mars 17(il. Alliiires Etrangères.
(3) Duc de Ciioiseul au comte, 18 mars 1701. Aliaires Etrangères.
(■i) Duc de Choiseul à Breteuil, 18 mars 1761 Aftaires Étrangères.
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LA GUKUUI': I)K SEPT ANS. — CllAP. Vllf.
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Bretcuil du 22 février et la seconde décision de la confé-
rence; le ton change (i) du tout au tout : « Ceite réponse
nous a été d'autant plus agréable que la contre-déclaration
qui l'avait précédée de la part de la cour de Pétersbourg
ne nous avait pas préparés à voir un changement aussi
prompitct aussi favorable dans les dispositions du minis-
tère russe. » L'ellet désastreux qu'aurait produit la pre-
mière missive de Choiseul avait été corrigé par une lettre
de l'ambassadeur de France à Vienne apprenant à son col-
lègue l'accord délinitif des deux cours. « En conséquence
de cette dernière, écrit notre envoyé (2), je n'ai marqué
que satisfaction et contentement à MM. de Woronzow
et de Schouvalow. »
Alin d'éviter les confusions, il nous a fallu anticiper sur
le cours des événements pour relater le rôle que joua la
Russie dans les pourparlers engagés entre les puissances
alliées ; nous avons vu la cour du Nord hésitante, bal-
lottée entre les influences rivales, se rallier, tout au moins
en partie, aux propositions françaises et accepter, de
gut-rre lasse, le compromis intervenu à Vienne. Il nous
reste à examiner les incidents diplomatiques qui ame-
nèrent l'entente entre Kaunitz et Choiseul.
A notre époque de dépêches télégraphiques et de trains
rapides, il est difficile de se l'cndrc compte des entraves
qu'apportait, à une négociation entre Paris, Vienne et Pé-
tersbourg, la lenteur des communications. Pour le trajet
entre Paris et Vienne, il fallait compter de 8 à 10 jours;
un peu plus de Vienne à Pétersbourg. Ne perdons pas de
vue l'impatience du duc de Choiseul, dont l'esprit mobile
ne savait pas attendre l'accueil fait à un premier projet
avant d'en lancer un second, et nous comprendrons les
perplexités et les embarras de nos diplomates en présence
(1) Duc de Choiseul à Hreteuil, '.^7 mars I7fil. Affaires Étrangères.
(2) Hreleuil autlucde Ciioiseul, 11 avril 1701. Affaires Étraugères.
I V
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ENTUKVLE UUAGEUSE DU COMTE DE CHUISEUL AVEC KAUNITZ. '.7'.»
d'instructions souvent contradictoires ot néanmoins obli-
gés d'assumer une initiative qui n'incombe plus à leurs
successeurs modernes.
Le comte de Clioiseul dut éprouver ces sentiments en
lisant la lettre fulminante ([ue son ministre lui avait écrite
le 6 février. Les soupçons exprimés étaient-ils fondés, les
intrigues et les noirceurs dont Kaunitz serait le fauteur
étaient-elles exactes ; lui-même avait-il été trompé parce
ministre dont il avait loué la droiture et la iïancbise? Il
voulut en avoir le eu'ui' net, et dès le soir môme, il eut
avec le cbancelier (1) une conversation des dIus animées
dans la(]u<'lle, à l'en croire, il eut la part du lion, tandis
que « M. de Kaunitz a été fort laconique et assez interdit.
Ou le prenait pour dupe », avait dit le Français, quand il
transmettait à Versailles des assurances pacifiques que
démentaient le ton et les propos de Starliemberg-, alors
qu'Ksterliazy, eu défendant le congrès, disait ouvertement
«[u'on ne pouvait pas regarder comme possible de faire la
paix avant la canq)agne, et qu'il serait honteux pour l'al-
liance de poser les armes au moment où le roi de
« Prusse était prêt à succomber », langage d'autant plus
déplacé qu'il était en contradiction avec l'opinion de tous
les militaires autrichiens. Le comte de Choiseul épuisa
tous les griefs de sa cour, accusa le gouvernement de
l'Impératrice de sacrilier ses alliés et émit la crainte « que
nous ne vinssions à nous brouiller sur les moyens de pro-
céder à la paix et avant d'y avoir travaillé ».
Durant ce long monologue, le chancelier ne sourcilla
pas. « Il avait le visage fort altéré, ses joues étaient très
rouges et il paraissait fort peiné. Il a gardé le .silence pen-
dant quelque temps, et puis il m'a dit : « .le vous avoue,
M. l'ambassadeur, que je suis confondu de ce que je
viens d'entendre; je ne m'attendais pas ([ue la conduite
(l)Coinle (le ClioUtuil au duc, 1.") février 17C1. Ailaircs Élrangôrcs.
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LA ULKHRK DK SKI'T ANS. — CIIAI'. VIll.
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que rimpératrice a tvimc depuis trois mois dût lui attirer
des reproches. Je croyais au contraire qu'on serait étonné
(le la facilité avec laquelle elle s'est prêtée aux différentes
pro[)ositions qui lui ont été faites, mali^ré la répugnance
qu'on devait lui supposer pour la paix et pour une sus-
j)ension d'armes. J'ai pour f)rincipe que la grande finesse
est de n'en point avoir. L'Impératrice et moi nous ne vou-
lons tromper personne; elle s'est prêtée avec franchise et
de bonne foi aux ouvertures que le Uoi lui a faites sur la
paix, et n'a démenti aucune de ses promesses; elle '.
rejeté avec la môme droiture et sans détour la proposi-
tion d'une négociation particulière et celle des deux con-
grès, (pii est la même, parce que cette forme lui a paru
inusitée, peu convenable et sujette à de grands inconvé-
nients et elle en a proposé une autre qui est ordinaire,
décente et dont persoinie ne peut se plaindio. >) L'entre-
tien porta ensuite sur les sujets rebattus, ICo coii:;rès,
l'alternative, la suspension d'hostilités, la réponse de
Pétersbourgqui, d'api-ès Kaunitz, serait peu favorable aux
vues française';, sur les divergences dans les instructions
des envoyés accrédités auprès de la Tzarii:o, sur les intri-
gues attribuées à la diplomatie impériale :. « Je vois bien,
sécria Kaunitz, que M. le duc de Choiseul ayant de l'hu-
meur contre nous, sans savoir pourquoi, a rassemblé toutes
ses pièces pour nous faire une querelle d'allemand... il
croit qu'en nous disant alternativement des injures et des
douceurs, il nous fera faire ce (ju'il veut, mais il n'y a
que la raison, la justice et l'amilié (jui fassent eil'et sur
rhnpératrice. » La conversation finit sur cet axiome, mais
elle reprit le lendemain sans apporter aucun élément nou-
veau au dé]>at. Puis Kaunitz vint à l'ambassade annoncer
que la conférence avait repoussé l'alternative, et qu'elle
accepterait la rédaction d'après laquelle la suspension se-
rait « limitée, illimitée ou n'existerait pas, au choix do
nos ennemis »,
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SCKNES MOUVEMKNTliKS KNTRE CIIOISKUL ET STAlUIEMBERf.. '»8t
Si l'insistance de la coiii' de Vienne en faveui- dn con-
f;rès général s'explique par res[)oir .'.'y jouer un rAle pré-
pondérant, il est malaisé de comprendre les motifs de sa ré-
sistance aux termes proposés pour rarniistice. Kn eflét,
contrairement à ce ({ui avait eu lieu les années précé-
dentes, les préparatifs pour la prochaine campagne s'ef-
fectuaient avec une lenteur que venait do souligner la
nomination au commandement en chef du maréchal
Daun, dont les opinions pacifiques n'étaient un secret pour
personne. « On ne me croit pas apparemment, avait dit
l'impératrice à Montazet (1), l'esprit assez inconséquent
ni la tête assez mauvaise pour choisir un général qui ne
me laisse aucun espoir do succès et qui m'a déclaré qu'il
ne voyait rien de bon à faire, si j'avais encore la prétention
de faire des concjuôtes. »
Ainsi que l'avaient prévu, chacun de son ctUé, le comte
de Choiseul (2) et le comte de Starhemberg(3), le cabinet
de Versailles céda sur l'alternative : « Sans entrer davan-
tage, écrit le duc V), sur la convenance d'un congrès
général ou do deux congrès, le Roi, pour marquer sa défé-
rence à l'Impératrice Reine, accepte le projet de déclara-
tion qui vous a été remis par M. de Kaunitz à l'exception de
la suspension d'armes » qu'on propose de limiter à un an
à partir du l"^"" avril. L'adoption du congrès général de-
vrait être subordonnée (5) à « la condition que pendant
l'armistice, les puissances en guerre seraient libres d'en-
voyer des ministres comme étant une suite et naturelle et
nécessaire du congrès» , à l'eifet de permettre aux cours « do
se communiquer directement leurs véritables intentions ».
(1) Comte de Choiseul au duc, 15 février 1701. Affaires Étrangères.
(2) Comte de Choiseul àBreteuii, 15 février I7(il. Affaires Étrangères.
(3) Starhemberg à Kaunitz, 0 et 13 février 1761. Archives de Vienne.
(4) Duc de Choiseul au comte, 22 février 1761. Affaires Étrangères.
(5) Note particulière du duc de Choiseul, 22 février 1761. Affaires Étran-
gères.
lU'Kniu; nE sept ans. — t. iv. 3t
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I.V (iUKHRK l)K SKPT ANS.
CIIAIV VIII.
Ces concessions n'avaiiint étr consenties qu'après des
discussions des plus aigres; car le diapason des conversa-
tions du duc de Choiseul avec Starhemberg ne dillérait
gu^re de celui des entretiens de Kaunitz avec l'anibassa-
deur français. La scène entre ces derniers, relatée dans
la dépèche du 15 février, eut son contre-coup dans le ca-
binet (lu ministre des affaires étrangères. Dans son rap-
port (1 1, Stariiemberg- se fait un mérite delà patience, du
sany-froid et du flegme un peu dédaign<'u.\ qu'il opposa
aux emportements de langage, aux accusations outra-
geantes, aux sorties violentes de son interlocuteur. Que
Choiseul eût donné à ses griefs vis-t\-vis de la cour de
Vienne une forme outrée et môme blessante, ce que nous
savons de ses procédés de discussion et d'un tempérament
qu'il savait exagérer à l'occasion nous porte à le croire,
mais la plainte en elle-même était fondée. On venait
de recevoir les dépêches de Broglie annonçant réchec
(!<' I.iingensaltza et la retraite sur Francfort; le générfil
français attribuait ces fâcheux événements au mouve-
ment des I*russiens et à l'inaction de l'armée autrichienne
de lladick. Le second grief du ministre français avait
trait aux refus répétés que Kaunitz avait opposés à
ses propositions et à l'attitude hostile de celui-ci à
son égard. Avec quelque raison, Starhomberg reprochait
il son collègue français de Vienne de reproduire tr()|)
exactement les propos de son chef et d'envenimer ainsi
inutilement le débat; l'insinuation est peut-être justifiée,
mais il suffit de parcourir les longues dépèches expédiées
de Paris par l'Autrichien pour voir qu'elles n'étaient pas
non plus rédigées de façon à dissiper les conflits inévita-
bles entre deux hommes d'État qui, très différents de ca-
ractère et de tempérament, étaient aussi volontaires et
susceptibles l'un que l'autre.
(1) Slaiheiiibt'i';; à Kaunitz. ?. mars ITfil. Archives de Vieiinp.
mmÊ.
CONCKSSIONS l)l<: CMOISEUL.
bans le cas actuel, il faut roconnaltrc ([uc Slarlieniberf^
ti«'nt à son chef le langage du bon sens; il conseille
(le « pardonner de notre côté au duc ses eniportementsj
(|uelque déraiscjnnahles et insupportables ((u'ils soient,
ainsi que ses expressions menaçantes et neu consistantes.
Il faut bien prendre les choses comme (?lles sont et non
comme; elles devraient ôtre; il est bien sûr ([ue tant que
nous voudrons conserver notre alliance avec la cour d'ici,
il sera indispensable de supporter patiemment la légèreté
de cet homme extraordinaire et de tirer le meilleur parti
de ses ([ualités d'esprit si mélangées de bien et de mal ».
Slarhemberg connaissait bien son homme; malgré la
chaleur des explications échangées, on reveniiit à la
discussion des points contestés, et peu à peu <m se rap-
prochait l'un de Tautrc. (l'est ainsi ([ue Choiseul re-
nonça à précisci" les époques de l'armistice, qu'il avait
d'abord défendues avec tant d'énergie; il se demanda s'il
fallait se contenterde la rédaction « limitée, illimitée », ré-
clamer une durée d'un an, ou laisser la question en dehors
de la déclaration, puis, de concession en concession, il se
rallia à l'idée de ne pas faire mention dans la pièce de la
suspension des hostilités.
En ce moment, c'est-à-dire au commencement de mars,
le débat était encore très confus. Seule parmi les alliés,
la Suède s'assimilait le programme français; la Russie, fa-
vorable à la paix, ne voulait pas mécontenter rimpératricc-
Ueine et avait fait aux ouvertures du Roi une réponse dans
laquelle le comte de Choiseul croyait reconnaître l'espril
et môme les expressions de Kaunitz, puis, comme nous l'a-
vons vu, se ravisant sans doute sous l'influence des argu-
ments persuasifs de Rreteuil, avait accepté les deux ccnigrès.
Woronzow était môme entré dans les vues de Choiseul au
point d'autoriser son ambassadeur à i.ondres, le prince
(ialitzin, à servir d'intermédiaire auprès de Pitt.
Ce fut l'assentiment donné par la Russie -X l'ouverture
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(les ruîgooifitions par la Krancc ot à l'oinploi du prince (ia-
litzin qui (Mitrailla lit cour de Vienne. Le chancelier nedissi-
nml<î pas le clépit (|uc lui occasionne le changement d'at-
titude à Pétersbourg, mais il ne veut, à îiucun prix, se sépa-
rer de ralli«''e du Nord. Aussi n'oppose-t-il qu'une courte
résistance aux instances du conite de Choiseul pour obtenir
l'adhésion de l'Impérali-icc-Ucine A la lettre que le cabinet
de Versailles voulait adresser à Pitt : «Je luiai dit, mande
le diplomate ij, que l'Impératrice de Russie ayant adopté
l'idée des deux congrès et trouvant bon que le Hoi se char-
geât des premières ouvertures vis-à-vis de l'Angleterre,
j'espérais que l'Impératrice Heine n'en ferait pas plus de
difficultés et que je demandais ({ue cette princesse consentit
également à ce que vous écrivissiez, Monsieur, une lettre à
M. Pitt pour sonder les dispositions des Anglais, et pour lui
annoncer la déclaration qui doit être incessamment remise
au nom de toute l'alliance. M. de Kaunitz a secoué la tète
à ma proposition et m'a dit : « Ce n'est pas là ce qu'il faut
faire : Tout le monde est d'accord de donner conjoin-
tement une déclaration dont l'objet est de parvenir à
la paix par le moyen d'un congrès. Il faut partir (h; ces
points convenus et faire remettre cette déclaration sim-
j)le à l'yVngleterre en attendant que l'article de la suspen-
sion soit décidé entre nous. » Le Français lui object*' qu il
faudra en référer à nouveau à Pétersbourg; « que IM. de
(Jalitzin avait un ordre formel de sa cour de remettre ;i
M. Pitt la lettre qui lui serait adressée par le ministère
du Hoi, et qu'en suivant cette méthode, nous étions sûrs
de ne pas perdre du temps, dans une circonstance où il
(^st si important démettre tous les moa^.ents à profit. M. (h'
Kaunitz pressé par ce raisonnement, n'a pu me cacher la
ré])ugnanct qu'il avait de vous voir écrire une lettre di-
rectement à M. Pitt. .lamais la défiance du Ministre ne
(1) Ooirtle dt? Choiseiil au dur, 1> mais ITiil. Aflaircs Kliaiif^t'iM.
KAUNITZ ACrEPTK I.A r.KTTUE A IMTT.
4H.S
s'f'lait manifestée si OU vertemont «. Après un écluiuf^e des
récriminations imhiluclics, ramltassadoui" lui fait cn-
t(Mulro <(ue « s'il s'opiniiVtrait à rerus(U' son consentenjcnt
à la démarche <|ue Je lui proposais, j'étais persuadé, Mon-
sieur, que vous passeriez outre, parce <pic nous étions dans
une position (|ui ne nous permettait pas d'avoir égard à
d'aussi mauvaises dil'licultés. Je vous observerai. Mon-
sieur, que M. de Kaunitz ne s'est point fAclié, qu'il était
assez doux, et qu'il avait l'air de; clierclier des expédients
pour nous satisfaire, mais toujours en éludant cette lettre
(pii le blessait sensiblement ».
Longtemps, la conversation se poursuivit sans résul-
tat. Enfin, notre envoyé se décida à mettre sous les
yeux du chancelier la copie (1) de la lettre de Woronzow
à (lalitzin (pie venait de lui apporter le courrier de son col-
lègue Hreteuil. Le coup porta. Kaunitz « a encore bataillé
pendant ([uel([ue tcm[)s, mais l'aibliMuent, et il a Uni par
nu' dire qu'il ne pouvait pas me donner une réponse posi-
tive sur une afFaire de cette importance sans en parler à
l'Impératrice..., il ne m'a pas caché alors qu'il o[)inerait
pour donner le consentement à la lettre; nous avons dis-
cuté ensemble la manière dont elle pourrait être tour-
née et il est convenu cpic la substance devait être la même
que celle de la déclaration simple, c'est-à-dire la proposi-
tion d'un congrès, sans parler d'une suspension d'armes.
Je ne sais, Monsieur, si vous approuverez tout ce ([ue j'ai
fait dans cette occasion, mais j'ai cru entrer dans vos vues
et vous faire gagner un temps précieux en obtenant (pic
l'Impératrice vous autoristU à écrire <àM. I*itt. .le compte
que nous n'aurons la réponse de la Russie sur le projet de
déclaration (!2i que dans lô jours, et 15 jours gagnés dans
(1) Le ciiinlo de Choiseul, coniinc on l'a vii.t'Iail tenu au courant, par son
collègue Hrclouil. de la inaiclie des ni';tO(;ialions à Pétersliourj;.
('l) Projet sur les termes duquel les cours de Vienne et de Versailles étaient
d'accord et qui avait élé envoyé à Pélersbourj;.
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^/>.
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,A (iUKHUK I)K SKI'T ANS.
niAIV VIII.
les circonslanccs présentes no in'onl pas paru inditlV--
irnh. Je pense <rHilleui'S(pi'in(lépen(laiimierif de ce profit,
c'est un g'raïKl avantage d'entamer une eorrespoiidance
avec l'.Vn^letcrre, de l'aveu de nos alliés, et de prouver à
M. de Kaunit/, (pie ses idées ne ioni pas loi et «pic sa
déliauce et ses soupçons ne forment pas une l)arri(''re
insurmontaljl4> »,
F.e lendemain, Kaunit/ vint dire A l'ambassadeur ( 1 que
« l'Impératrice était d'avis, pour no pas retarder les négo-
ciations do la paix, ([ue M. deStarhemherg et vous. Mon-
sieur, envoyassiez chacun de votre cAté, mais en mémo
temps, le projet de déclaration dont nous sommes d'ac-
cord, à M. le Prince (Jalit/in, en lui martpiant (|ue, s'il est
autorisé pai' sa (]our, nous l'invitons à remettre au minis-
tre anglais nos deux déclarations avec une pareille au
nom de sa souveraine... !/lnipératrice pense aussi (pie
votre lettre, Monsieur, doit contenir toute la substance de
notre déclaration, en retranclianl seulement l'article de la
suspension ».
Un courrier partit io, soir même pour informer Starhem-
berg' ("2) de r(>ntente intervenue, tandis qu'une nouvelle
édition de la déclaration, revue et corrigée par Kaunitz et
le comte de Choiseul, reprit le chemin de Pétershourg-.
Dans cette longue négociation dont les phases nous
fournissent des aperçus intéressants sur les deux princi-
paux acteurs, Choiseul, malgré les concessions qu'il avait
été obligé de consentir, avait ou gain de cause. Il était
parvenu, en dépit de Kaunitz, au but (£u'il avait recherché ;
avec l'assentiment tout au moins tacite des deux cours
impériales, il s'était approprié le r('>lo essentiel dans les
pourparlers qui allaient s'engager ; c'est lui qui serait le
porte-paroles des puissf.nces alliées, qui tiendrait les fils.
(1) Comte de Choiseul ail iluc. 13 inurs 17(11. Allaires Ktrangères.
(2) KauniUà StarhemberK. lii mars l"fil. Arciiivcs de Vienne.
^^MiéÉ^^^
mm
HonTADKS ni; nioisKix.
417
sauf il rendre compte, il ost vrai, ii un critique dont il
n'i^nmait ni l'esprit soupçonneux, ni la blessure d'nuiour-
propre. Kauiiitz, en ell'et, dans sa correspondanco avec
StarluMuherg (I), ne dissimule pas smu éeliec, qu'il at-
tribue n la poliliipie russe (|ui s'inspiie de la « fausseté la
|)lus noire et des intérêts les plus (''fi;()ïsles.... ([ui sacri-
fie au désir d'être agréable à la l-'rance et (pii l'ail utu;
fausse position à l'Autriche (pii est laissée en dehors
des premiers pourparlers pacifiques ».
Il était temps ([uc le consentement de la cour de Vienne
arrivAt à VersailbîS, car (Ihoiseul (2), furieux du con-
tenu de la première réponse de la c(Uir de Hussie, mé-
content de l'atlitude des dtuix hnpératiices, « l'cfuse de sv
soumettre en esclave et au détriment de la puissance Iran-
t,'aise aux volontés de nos al'iés ». Il a conseillé au Koi
d'ayir par lui-même et « nos alliés prévenus, d(! suivre de
concert avec la Suède les dispositions cpic Sa Majeslé croira
les meilleures pour parvenir à la négociation de la paix et
forcGi'les Impératrices par le fait iiyac([uiescer, puisque le
raisonnement et la confiance ne peuvent rien sur elles ni
sur leur conduite ».
L'irritation du ministre de Louis XV s'était de nouveau
traduite par des boutades, des accusations de mauvaise foi,
des injures à l'adresse de la cour de Vienne. En pareille
occurrence, Choiseul, à en juger par les rapports de
Sturhemberg, ne cherchait pas à se maîtriser, il se laissait
aller, peut-être par tactique et à bon escient, A des accès de
colère qui n'avaient rien de diplomatique et desffuels il
était le premier à s'excuser le lendemain, l'ne anecdote
relatée par Starhembcrgi3 est caractéristique à cet égard :
Lors d'une de ces interminablesdiscussions. Choiseul s'était
(1) Kaunilz à Sliiiliembcrt;, l:t inarsiTtil. Aicliives de Vienne.
(2) Duc <le ("lioiseul au comte, 18 mars 17(11. All'aires Klran^tTes.
(3) Slarlieuibeig à Kaunilz, "J février 1761. Aiciiives de Vienne.
4H8
LA GUKHHK DK SKPT ANS. — CHAI». Mil.
écrié : (( Puisque vous voiilez continuer la ijuerrc, nous
traiterons séparément notre [)aix avec l'Angleterre... Vous
n'avez donc qu'à vous regarder comme prévenus dès à
présent, car Je vous jiréviens que c'est lA notre intention ;
nui, je vous préviens. » Starboniherg aurait répondu eu
riant : « .le ne crois pas (pie vous me disiez cela, pour que
je rende compte à ma cour... mais si pourtant vous le
voulez absolument, je le lui manderai. — Oh! non, ré-
j>li<[ua (ihoiseul en riant aussi, n'en faites rien. Nous n'en
sommes pas là, et je ne me suis fâché qu'entre nous. »
Il va de soi que tous les propos du ministre français étaient
tidèlemcnt rapportés A Vienne et qu'ils n'étaient guère de
nature A plaireàKaunitz qui, peu enclinàdes emportements
de môme genre, leur ( lierclie une raison tout autre que
le tempérament (le Clioiseul : « L« duc dépasse, (crit-il (1),
toutes les bornes de la convenance et de la discrétion ; cela
me porte A croire (ju'il doit avoir conc.u A nouveau l'espoir
de remettre sur |)ied son grand [)r()jet de se rendre mai-
tii' de toute la négociation pour la paix et de réaliser sa
proposition monstrueuse du double congrès. »
Pour se rendre compte du degré de tension auquel
étaient arrivés les rapports entre les cabinets de Vienne et
de Versailles, il faut se rappeler que la prose de Kaunitz ré-
pondait au langage que Choiseul avait tenu à Starhemberg-
([uelques jours auparavant 2;. Les deu.v hommes d'état
s'entendaient sur un seul point : la dénonciation des pro-
cédés russes; Choiseul ne trouvait pas d'expressions trop
dures pour qualitier la conduite de la Russie; il était aussi
sévère pour elle (juc Kauuitz. L'accusation de fausseté
(|u'ils étaient d'accord pour lancer, était, il faut l'avouer,
justifiée, car les uaroles de VVoronzow variaient selon la
nationalité de l'audjassadeur avec lequel il s'entretenait.
(I) Kaiinit/ à SlailioinbL'ig, .>0 mars 17(!l. Arrliives de Vienne.
C*) Slarheniberg à Kaunitz, 20 inai-s I7GI. Arciiives de Vienne.
î):\i
■ ACCOUD DÉFINITIF DES ALMKS.
Trf's lavorableavec Brcteuil aux propositions <le C'ioiseul,
lo chancelier russe, avec Esterliazy. était tout prêt à écou-
ter les suggestions de Kaunitz. Le ministre français alla
jns(|u'fï parler de laisser la Kussie en dehors des négo-
ciations; Staihcmherg, plus prudent, aflirnia la solidarité
entre les deux Impératrices. Choiseul de lui répliquer en
demandant à quel allié la cour de Vienne accorderait
la préférence en cas de conllit. L'Autr-chien se garda
bien de donner inie réponse précise à une ([uestion aussi
embarrassante.
Entln, dans la conférence qui fait l'objet de sa dépêche
du 26 mars fi , l'ambassadeur de Marie-Thérèse se mit d'ac-
cord avec le ministre de Louis XV. Sous prétexte (pie la
Uussie avait adhéré à la procédure (pi'il avait imaginée
Choiseul voulait insérer, dans la lettre adressée à Pitt,
la menti<ui « qu<' la France était autorisc-e à entrer en
pourparlers avec l'Angleterre, à négocier et ii arrêter les
préliminaires en son nom et en celui de ses alliés ». De-
vant la résistance de Starhemberg (pii combattit avec
adresse une addition inacceptable pour sa souveraine, on
revint au principe d'une déclaration commune relative au
congrès. A ce document seraitajoutée uni; lettie de lacoui-
de Versailles contenant les ouvertures pour un arrange-
ment spécial entre la France et l'Angleterre; cette pièce,
préalablement connnuniquée aix représentants des alliés,
ne traiterait que des conditions de paix entre les deux
[»uissances à l'exclusion de toute autre matière.
Quani à la question de l'armistice (pii avai! donné lien
à de si gros débats, il fut entendu, après qucl<[u<'s ob-
jections delà part de Starhemberg, qu'elle ne serait po-
sée ([ue pour les hostilités entre la France et l'Angleterre,
et sous la réserve que, pendant la durée de la suspension,
ni l'Angleterre, ni ses alliés ne foui'niraienl de secours
(I) StaiiiPinlicrg ù Kauiitlz, W mars I7(ll. Archives de Vienne.
VM)
LA GUEHRK DF, SEPT ANS.
CIIAP. VIII.
I
il :.
j
directs ou indirects à ia Prusse. Ces points dûment fixés,
les ambassadeurs des cours alliées, on collaboration avec le
ministre fran<'ais, s'attelèrent ù la rédaction des textes. La
besogne fut rapidement accomplie, et dès le lendemain
27 mars, le duc de Choiseul put annoncer à son cousin (1 1
que les déclarations, signées séparément et collectivement
par tous les diplomntes intéressés, avaient été expédiées
au prince de Galitzin; Choiseul y avait joint uac lettre
pour Pitt et un mémoire particulier du Roi au roi de la
Grande-Bretagne. « Peut-être vous dira-t-on, ajoute-t-il,
que nos propositions à l'Angleterre sont trop désavan-
tageuses pour nous ; ce dé^iavantage regarde uniquement
le Roi et S. M. pense au contraire qu'il serait intéressant
pour elle que S. M. Rritannique acceptât purement et sim-
plement ce qu'elle lui propose. »
L'Impératrice était-elle réellement aussi opposée à la
pacification que le laisseraient supposer les entraves ap-
portées par la cour de Vienne aux tentatives de Choiseul?
Ses ])ropos au cours d'un entretien ([u'elle eut vers cette
époque avec l'envoyé de Louis XV seraient en contradiction
avec cette liypolhèse. La conversation (2) avait porté d'a-
bord sur l'attitude delà cour de Russie au sujet de laquelle
la princesse partageait les sentiments de son chancelier :
« Elle m'a beaucoup parlé de la Russie, des différents mé-
moires qu'elle nous a donnés, du caractère de ses minis-
tres, de la difficulté de traiter avec cette cour, et de la
malheureuse nécessité où elle se trouvait de la ménager
pour ses intérêts politiques à cause des Turcs et du roi de
Prusse. Elle m'a paru très mécontente de sa manière
d'agir dans cette occasion-ci, de la duplicité de sa con-
duite, de ses variations, et de la diversité du langage
qu'elle tient h nos ambassudeurs. Elle m'a dit que le
(t) Duc (le Choiseul au roinlc, '>' mars 17(11. Affaires Etrangères.
(2) Coinle de Choiseul au duc, l'^avril 17G1. Affaires Étrangères.
mmmmmm
API'HKCIATIONS DK MARIE-TIIEHISE SUU 1-A UUSSIK.
i'Jl
chancelier Woroîizow était celui qui valait le mieux ,
et qu'il passfiit pour lionnôtc homme, mais qu'il était
russe et qu'on ne pouvait pas compter sur lui. Nous
sommes entrés clans la définition du caractère de cette
nation, elle la regarde conime fausse, défiante, vaine,
fourbe, ignorante et intéressée. » L'Impératrice se dit tout
H fait étrauiièi'e à la première réponse de Pétersbourg- :
« ()n nous soupçonne à Versailles de l'avoir dictée et cela est
bien injuste. Je vous assure que nous n'y avons aucune
part. » Elle ajouta : « Dans le temps qu'on nous accuse à
Versailles d'avoi" dicté la première réponse de la Russie et
d'entretenir cette cour dans des idées guerrières, elle
nous reproche (1) de nous être entendus avec vous et
d'avoir fait un arrangement ensemble à son insu... Les
Russes déliants et jaloux ont été fort choqués de ce que
la cour de Vienne ne leur avait pas fait part de notre
première ouverture. » Puis on causa des démarches qu'on
avait faites ou qu'on allait faire auprès du cabinet an-
g'iais. Le comte de Choiseul déclara qu'il lui paraissait
impossihle que nos ennemis osassent refuser un congrès.
La souveraine reprit : « Oh, pour cela, je ne le crois
pas, mais c'est une voie bien lente et si l'on n'a pas
d'autres moyens d'arrivé»' à la paix, je crains bien que
nous ne l'ayons pas sitôt et que nous ne soyons obligés de
faire encore cette campagne. » Cel.ingagene cadraitguère
avec celui de M. dr Kaunitz, mais au dire de l'ambassadeur,
il correspondait au sentiment réel de l'Impératrice qui
n'avait jamais eu de goût pour le congrès et qui, dans
la circonstance, avait cédé aux vues de son chancelier. L(.'
comte de Choiseul fit observer que ce n'était pas la faute
de la France, si on avait choisi la voie la plus longue, et
que sa cour avait proposé des procédés plus expéditifs,
(I) CeUc accusation iMait loiidce. Sslerhazy. par iiiadvcilancc. >vail iiiélt-
dans d'aulrcs papiers communiqués à Woronzow une copie de !a réponse
de la cour de Vienne au premier mémoire français,
■ t'
!' 'Mi
■ 'fi.
492
l,A nUKURK DE SEPT ANS.
ClIAP. VIII.
■ I
mi! k
qui avaient été repoussés, I/Impératrice est alors revenue
à la thèse de son ministre, et m'a dit : « Il est vrai
(|u'iln'y avait pas un moyen plus décent et plus conve-
nable qu'un congrès, mais il est bien lent, et je vous as-
sure que je désire la paix avec la plus grande impatience.
Je me flatte quelquefois que nous l'aurons incessamment
et puis je crains que nos ennemis no la veuillent pas :
ainsi tour à tour, j'espère et je désespère. » L'ambassa-
deur termine son rapport en affirmant sa confiance dans
la sincérité des déclarations de la souveraine.
La négociation ainsi amorcée se poursuivra pendant
les mois d'été, mais, par la force des choses, elle se trans-
formera. Le principe d'un congrès unique sur lequel les
puissances alliées avaient eu tant de peine à se mettre
d'accord, sera accepté d'emblée par l'Angleterre et la
Prusse ; les plénipotentiaires seront désignés et feront leurs
préparatifs pour se réunir à Augsbourg vers le mois de
juillet. Peu à peu, l'opinion se modifiera, les pourparlers
directs entamés à Londres et A Paris absorberont l'atten-
tion et feront comprendre à tous que bon gré, mal gré,
de l'entente préalable entre la France et l'Angleterre dé-
pendra la pacification générale de l'Europe, Choiseul et
Pitt deviendront les acteurs principaux de la pièce diplo-
matique ; Kaunitz échangera son rôle d'initiative contre
celui d'observatt tu* et de critique. A chaque communica-
tion des pièces qui se transmettront entre Paris et Lon-
dres, nous le verrons, soit de vive voix avec les chargés
d'affaires ou les ministres qui succédèrent au comte do
Choiseul, soit par l'entremise du vigilant Starhemberg,
surveiller d'un œil jaloux les conversations anglo-fran-
çaises, mais son action sera liée d'une façon si intime au
sujet lui-môme qu'il sera impossible de la traiter à part;
elle trouvera sa place au cours du récit. Quant à son in-
terlocuteur habituel le comte de Choiseul, nonmié plé-
nipotentiaire de la France au congrès d'Augsbourg, il fut
mmmmBmmmmmmm
mmmmmmmmmmmmm
DÉSIGNATION DES PLKNIl'OTENT. AU CONGRÈS D'Al'GSROURG. ^93
rappelé à Paris dans les premiers jours de mai, travailla
au ministère des affaires étrangères, dont il devait bientôt
prendre la direction, et ne revint pas à Vienne. Starhem-
l)er4i, très avisé, devina dès le début que le véritable
centre de l'action diplr matique serait à Paris et que l'in-
térêt de sa souveraine exigeait son maintien auprès du
duc de Choiseul ; il fit entrer Kaunitz dans ses vues et
refusa l'offre de représenter l'Autriche â Augsbourg où il
fut remplacé j)ar le comte Seilern.
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CHAPITRE IX
NÉGOCIATIONS
ENTRE LA FRANGE ET L'ANGLETERRE
rrmisf: uks dkclarations. — l'kxpkiution dk brlleislk.
— l uti possioetis. — corrkspondanck de pitt et de
choiseul. — missions de stanlev et blssy. — leurs
instrk'.tioxs. — role de choiseul. — mémoire sir
les grieis espagnols. — portraits de put et (.iioi-
SEUL.
La cour de Versailles n'avait pas attendu lo consen-
tement (le ses alliés au principe des ouvertures pacifi-
ques pour étudier les moyens d'approcher le cabinet
britannique. Il fut d'abord question de charger le (îé-
nois Sorba d'une mission occulte; puis, vers la fin de
février, Newcastle ( J; reçut une lettre du banquier hol-
landais Van Eck le sondant sur l'accueil qui serait fait
au financier La Borde dans le cas où ce dernier vien-
drait passer une quinzaine de jours à Londres. Le per-
sonnage désigné était trop en évidence, son intimité avec
Choiseul trop connue, pour qu'on n'attachîU pas quelque
importance à l'annonce de cette visite. Newcastle, selon
ses habitudes, consulta llardwicke; celui-ci engagea son
ami à ne pas négliger la piste ainsi découverte et à prêter
l'oreille à ce que La Borde aurait à dire. Newcastle ré-
pondit dans ce sens à Van Eck et s'apprêtait à entretenir
(1) Nowcasllc i\ Hardwicke, :>"> févriiM- l"(il. Newcastle Papers.^
I I
REMISE DES DÉCLARATIONS PAR CALITZIN.
4i)r>
(le l'aflaire le Roi et ses collègues du cabinet : la crise
ministérielle no lui en laissa pas le temps.
Il n'y avait rien à objecter à l'emploi crbommes d'aussi
bonne renommée que Van Eck et La Borde, mais le cabi-
net de Versailles n'était pas toujours aussi beureuxdans le
choix de ses «gents. C'est ainsi que Bute, dans l'entrevue
qu'il eut avec (ialitzin A l'occasion do la remise des dé-
clarations, se plaignit des intrigues d'un aventurier du
nom de Tall", qui se prétendait autorisé par Choiseul. Cet
incident, rapporté par l'ambassadeur russe dans une dé-
pêche communiquée à Starhembcrg ili, donna lieu à un
interrogatoire de Choiseul dont ce dernier se tira de son
mieux : D'après sa version, Tali', dont les services avaient
été utilisés par le maréchal de Belleisle, aurait produit
des lettres de Fox, invoqué ses bonnes relations avec
Bute et se serait fait fort de gagner la princesse de dalles
à la cause de la paix moyennant un cadeau de C 150.000;
il était d'ailleurs très déconsidéré, et jamais lui, Choi-
seul, n'avait eu affaire directement avec le personnage.
Quelque peu d'importance qu'eussent ces agissements
secrets, il était grand temps d'y substituer la démarcln»
officielle dont les coui-s alliées avaient chargé le repré-
sentant de la Russie à la cour de Saint-James.
Le 31 mars, le prince Galitzin remit aux deux secré-
taires des affaires étrangères, Bute et Pitt, les pièces di-
plomatiques dont la rédaction avait donné lieu aux lon-
gues discussions que nous avons exposées dans lo cha-
pitre précédent : la première était une déclaration 2 au
nom des deux Impératrices, des rois de France ot de
Suède, et du roi de Pologne, en sa qualité d'électeur
de Saxe; elle offrait î\ l'Angleterre et à la Prusse de re-
nouer les négociations pour la tranquillité générale de
(1) Starhemberg à Kaunit/, 10 avril 17(51. Arcliivt'j de Vienne.
CÀ) Affaires Étrangères. Annual Register ITCl. p. '!7'!. La déclaration élait
datée de Paris le '>X> mars 17(11.
;:' ri
/l'.»(>
LA OUKURK DK SKPT ANS.
CIIAP. iX.
l'Europe ol, dans ce l)ut, suggérait la réunion d'un congrès
à Augsijourg ou dans une autre ville d'Allemagne, Les
hautes puissances signataires avaient déjà nommé leurs re-
présentants et priaient Leurs Majestés britannique et prus-
sienne d'en faire autant. Cinq copies de ce document, si-
gnées [)!ir chacun des and)assadcurs ou envoyés en résidence
à Paris, furent données à Pilt et aux ministres prussiens
à Londres. Un accueil sympathique ne pouvait faire doute.
Dans un précédent chapitre, nous avons relaté l'opinion
manifestée par le roi de Prusse en faveur de la paix, son
impatience d'ouvrir les pourparlers et le conseil donné
au cabinet britanm jue d'en assumer au besoin l'initia-
tive. L'Angleterre, dont les alfaires étaient en bien meil-
leure situation que celles de son allié, était également
désireuse de terminer la guerre d'Allemagne ; depuis l'avè-
nement du jeune souverain, depuis l'introduction de Bute
dans le cabinet, les idées de paix avaient gagné du terrain;
Pitt lui-même ne faisait plus d'opposition à la poussée
pacifique ([u'on sentait dans l'air. Il eût été d'ailleurs
dangereux, pour ne pas dire impossible, de repousser
des ouvertures qui n'étaient, en quelque sorte, (jue la
réponse tardive à celles que l'Angleterre et la Prusse
avaient formulées vers la fin de 1759. Quatre jours après
la remise des documents confiés à (ialitzin, le nouveau
sous-secrétaire pour le département du Nord, Bute, ré-
j)ondit en acceptant la proposition des cinq cabinets de
l'Europe et en s'engagcant, tant au nom de l'Angleterre
que de la Prusse, à désigner leurs plénipotentiaires au
futur congrès. Les choix lurent faits, et l'on parla va-
guement d'une réunion pour la première quinzaine de
juillet, mais, en fait, le congrès ne s'assembla pas; par
entente tacite, et à partir surtout de la mission de Bussy
et de Stanley, les gouvernements intéressés ajournèrent le
gros problème des arrangements européens jusqu'après
solution de la négociation entamée entre les .cours de
44i
1
L'UTI POSSIDETIS DU MEMOIRE FRANÇAIS.
49 :
Versailles et de Londres pour leur accord particulier.
A la déclaration des puissances alliées étaient joints une
lettre de Choiseul 1 1 1 à Pitt et un mémoire portant la même
date du 26 mars. F^a lettre adressée à Pitt, après quelcjuos
mots affirmant l'union de la France avec ses alliés, abordait
la question d'un traité entre les deux cours : « Le Roi, mon
maître... m'a autorisé d'envoyer à V. K. le mémoire ci-joint
qui concerne uniquement les intérêts de la France et de
l'Angleterre relalivement à la guerre particulière des deux
couronnes. » Le Roi espérait que « la manière franche avec
laquelle il propose de traiter avec S. M. Britannique, 6tera
toute méfiance dans le cours de la négociation, si elle a lieu » .
Le mémoire qui avait été rédigé par Choiseul en personne
et qui fut le point de départ de toute les conversations,
mérite d'être cité presque en entier : « Le roi Très Chré-
tien désire que la paix particulière de la France avec
l'Angleterre soit unie à la paix générale de l'Europe,
pour laquelle S. M. fait les vœux les plus sincères, mais
comme la nature des objets qui ont occasionné la guerre
entre la France et l'Angleterre, est totalement étrangère
aux contestations de l'Allemagne, S. M. Très Chrétienne a
pensé qu'il était nécessaire de convenir avec S. M. Bri-
tannique des points principaux qui formeront la base de
leurs négociations particulières pour accélérer d'autant
plus la conclusion générale de la paix. » En vue d'écar-
ter (( les discussions de nations sur leurs conquêtes ré-
ciproques..., source de méfiance. Je difficultés et de lon-
gueurs, et... pour prouver la franchise de ses procédés...
le roi Très Chrétien propose à S. M. Britannique de con-
venir que relativement à ki guerre particulière de la
France et de l'Angleterre, les deux couronnes resteront
en possession de ce qu'elles ont conquis l'une sur l'autre,
et que la situation où elles se trouveront au premier de
Ifi
(1) Choiseul à Pilt, 26 mars 1761. Affaires Étrangères. Record Oftice.
CUEBRE DE SEPT ANS. — T. IV. 32
I fIJ
•i'.m
LA OUKURK UK SKPT ANS. Cil AP. IX,
septembre de l'année 1701 aux Indes Orientales, au pre-
mier de juillet do ladito année aux Indrs Occidentales et
en Afri(|ue, et au premier d<; mai prochain en Europo
sera la position ([ui servira de base au traité qui peut
être négocié entre les deux puissances. Ce qui veut dire
que le roi TrJ^s Chrétien pour donner un exemple d'hu-
manité et contribuer au rétablissement de la tninquillité
générale, fera le sacrifice des restitutions qu'il a lieu
de prétendre, en même temps cju'il conservera ce qu'il
a ac(|uis sur l'Angleterre pendant le cours de cette guerre.
Cependant, comme S. M. Britannique pourrait penser
que les termes proposés des mois de septembre, juillet
et mai seraient ou trop rapprochés ou trop éloignés pour
les avantages de la couronne britannique, ou que S. M.
Britanni |ue croirait devoir faire des compensations de
la totaliié ou de partie des conquêtes réciproques dos
deux couronnes, sur ces deux objets, le roi Très Chrétien
entrera volontiers en négociations avec S. M. Britannique
lorsqu'il connaîtra ses intentions ».
Le cabinet anglais, ou plutôt le petit cénacle qui en in-
carnait la pensée directrice, ne perdit pas de temps pour
examiner le document français et pour en peser avec soin
les expressions. Quel était le sens des mots « conquêtes ré-
ciproques »? Il était difficile de supposer que le rédacteur
français n'eût visé que les territoires conquis de part et
d'autre sur les possessions propres des deux couronnes. Une
pareille interprétation laisserait à l'Angleterre le Canada,
la Guadeloupe, le Sénégal avec leurs dépendances en
échange de Minorque qui constituait la seule acquisition
de la France. D'après Pitt (1), la proposition de Choiseul
devait comprendre, quoique cela ne fût pas dit on
mots précis, au titre de conquêtes, les pays occupés en
Allemagne, tels que la Hesse et le canton de Gottingen
^i) Newcaslle à Devonshire, 2 avril 1761. Newcastle Papers.
DISCUSSION DK l/UTI l'OSSIDETIS AVKC KAUNITZ
499
(jui dépondait de l'électoi'at du Hanovre. Mais alors,
la rédaction était l)ien l'-xiitivc, car Cassel et (lottin^cn
n'avaient rien à faire avec la couronne d'An^lotcrro. Les
termes ambigus dont Clioiseul s'était servi donnèrent lieu
à des observations analogues à Vienne où copie des docu-
ments expédiés à Londres avait été remise à Kannitz par
l'ambassadeur français (1). Le ehancelier « parut content
de la manière dont cette importante expédition s'est faite
et du concert qui a régné entre tous les ministres de l'al-
liance ». A propos de la clause de ïuti possùlel/s, « il a été
un peu étonné des grands sacrilices (|ue nous avons l'air de
vouloir frire, en proposant que les deux couronnes reste-
ront en possession de ce ((u'elles ont conquis l'une et l'autre.
Il n'entendait par les acquisition faites sur l'Angleterre que
l'Ile de Minorque et le rétablissement de Dunkerque, qui pa-
raissent un médiocre dédommagement de toutes les colo-
nies que nous avons perdues ». Le terrain était délicat; le
comte de Choiseul reste sur la réserve : « Je n'ai pas cru , Mon-
s'eur, devoir ni le laisser dans cette erreur, ni lui dévelop-
per le sens caché et le mystère que je suppose dans cette
clause ; car si je vous ai bien compris, l'explication complète
n'en doit pas être confiée à nos alliés. Je me suis donc con-
tenté de lui dire que la liesse et le comté d'Hanau devaient
être compris au nombre des conquêtes faites sur l'Angle-
terre, puisque dans la vérité, elles ont été faites sur son ar-'
mée, et que le landgrave de Hesse n'a perdu ses Ktats que
pour la guerre propre et pour la cause de cette couronne.
J'ai ajouté que votre intention, Monsieur, en faisant aux An-
glais cette proposition qu'ils ne sauraient admettre, était
d'en tirer contre eux une conséquence avantageuse pour
nous, savoir : que mal à propos, ils se glorifiaient de leurs
succèîs et de leurs conquêtes, et que leur situation n'était
pas si brillante qu'ils affectaient de le croire, puisqu'ils ne
i
(1) Comte de Clioiseul au duc. Vienne, 5 avril ITOI. Vtraircs ÉlrangiTes.
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1.
tr.1
1^ Il I
1 I
iEi
r.oo
LA f;UKi\ni; dk skpt ans. chap. i.\.
pouvaient accepter la proposition de demeurer danf l'étal
où nous nous trouvons respectivemcînt. M. de Kaunitz a
adopté cette explication et a tiouvé cette tournure fort ingé-
nieuse et fort adroite. Mais il pense, et je suis de son avis,
que les Anf;lais ne réjjondroiit point à notre mémoire, et
«ju'en acceptant le contrés, ils diront qu'il faut y renvoyer
la discussion de tout ce qui a rapport aux deux paix. » Ce
pronostic était erroné comme la suite le démontrera.
Si la rédaction de Choiseul avait man([ué de précision, il
en fut de même, à dessein sans doute, de celle de la ré-
ponse anglaise : Riei» à dire sur la lettre de Pitt qui, à
part une phrase sur l'intention de soutenir les intérêts de
S. M. l*russieniie, ne contenait que des banalités. Le mé-
moire qui accom[ agnait le billet avait été préparé avec
soin; il reproduisait les passages du texte de Choiseul
relatifs à l'union des deux paix dont l'une, la générale, ne
devait pas être retardée par les débats engagés ù propos
de l'autre, la particulière. Pour cette dernière, on admettait
les principes posés et, pour éviter tout malentendu, on ré-
pétait ici encore les expressions du document français :
(( 1" les deux couronnes resteront en possession de ce
qu'elles ont conquis l'une sur l'autre; 2" la situation oii
elles se trouveront à certaines époques proposées sera la
position qui servira de h-^se au traité qui peut être négocié
entre les deux puissam i- .. Quant à la première branche de
la susdite proposition. S. M. Britannique se fait un plaisir
de rendre ce qui est dû à la grandeur d'àme de S. iM. Très
Chrétienne qui, par des motifs d'humanité, fera le sacrifice
à l'amour de la patrie, des restitutions qu'elle croit avoir
lieu de prétendre, conservant en même temps ce qu'elle a
acquis sur l'Angleterre pendant le cours de cette guerre. »
Sur le second point, relatif aux époques à fixer pour l'ap-
plication de la clause de Viiti posside/is, Pitt présentait des
arguments tirés des retards à prévoir dans la transmission
des ordres, de l'éloignement des lieux, des variations de
OPIMON DK IMTT SUR LES TONDITIONS DK PAIX.
501
c:e
saisons et terminait par une phrase enihronillée (I) cpii
ne fait pas l'éiog-c des connaissances du rédacteur en
langue française : « Il en résulte nécessairement (|ue la
nature de [lareilles opérations ne se trouve g'uère suscep-
tible, sans trop <le préjudice à la partie qui les emploie,
<rautresépo((ues pour la lixation des conquêtes réci[)ro(pies,
que celles (pii aient rapport au jour de la signature du
traité de paix. Cependant, comme cette; considération ainsi
que celle (jui regarde des compensations... renfenne la
matière la plus intéressante et capitale du traité même...,
le roi de la (Irande-Hretagne... pour démontrer avec plus
d'authenticité l'étendue de la franchise de son procédé »,
serait disposé il recevoir à Londres « une personne sufli-
sauuuent autorisée par un pouvoir du roi Très Chrétien >.
et à discuter avec cette personne les points soulevés par le
mémoire du 20 mars.
Il est intéressant de connaître, dès le début des confé-
rences, le sentiment de Pitt sur les concessions essentielles
à exiger de la France. Dans une conversation avec New-
castle (2). il les résume avec sa netteté habituelle : « Ne
pas tenir compte de la position du Hanovre dans hi calcul
des compensations; exiger la cession du Canada et refuser
le renouvellement du droit de pêche sur la côte de Terre-
Neuve. » Sur ces points, son opinion est faite, mais il désire
être renseigné snr celle de ses collègues avant l'arrivée de
l'envoyé franc^ais. Quant au Hanovre et aux territoires des
alliés allemands, il semble s'en désintéresser (.1) en invo-
(juant la dépense exagérée de la guerre continentale. Au
contraire, il continuerait la guerre d'Amérique pendant
six ou sept ans, s'il le fallait, pour imposer ses conditions
à la France. Pitt termine l'entretien en affirmant « que s'il
(1) Pilt à Choiseul, 8 avril 1761. Record Office.
(2) Conversation de Newcastle avec Pitt, 10 avril 1701. Newcastle Papers.
(3) On venait de recevoir la nouxelle de la retraite désastreuse du prince
Ferdinand.
rrsa^:^HBCTiwr!T^wi!B
l«lï.lU,iL.!lJ II M
'il
ir
50:?
i.A C.UKRRK DK SEPT ANS.
CIIAP. IX.
était en désaccord avec les autres membres du cabinet
sur les conditions de paix ou sur un autre point, il deman-
derait à se retirer ». Ce langage volontaire répété au Roi
n'était pas pour plaire à celui-ci ni aux collègues du ca-
binet, dont plusieurs étaient partisans d'un arrangement
plus raisonnable.
Avant de rendre compio de la réponse do Choiseul, re-
cueillons les premières impressions du roi de Prusse.
Conformément aux arrangements intervenus, le roi de
Prusse, alors en Saxe, reçut communication immédiate
de» ouvertures françaises et des pièces diverses qui cons-
tituaient l'entrée en matières. Il constate (1) avec quelque
regret que la déclaration des ])nissances hostiles difl'ère
de celle d<mt le projet avait été envoyé à Stockholm,
« surtout par rapport à l'otlre d'une suspension d'armes,
et il aurait toujours mieux valu <|uc les atï'aires d'une pa-
cification générale eussent été traitées principalement
entre les cours de Londres et de Versailles » . Malgré ces
réserves, il est heureux « que le premier pas soit fait ».
Deux points le préoccupent : la conclusion d'un armistice
moyennant lequel « les négociations de paix au congrès
proposé auraient des apparences de succès au lieu que
si les opérations de guerre vont leur train.,, le sort
journalier des événements de la guerre changerait tout
du jour au lendemain et que les difficultés pour convenii'
sur quelque chose se multiplieraient inliniiuent ». Le se-
cond point prend le caractère d'un ultimatum : « Il faut
que vous inspiriez à présent a ux ministres anglais. . . que je
ne me prêterai de ma vie à céàer môme jusqu'à un vil-
lage... et que ma ferme résolution est prise de ne signer
pas aucun traité de paix, à moins qu'il n'y fût n is pour base
que je garderai toutes mes possessions en terres et en pro-
vinces, toutes comme elles ont été possédées de moi l'an
(I) Frédéric à Kiiyphausen et Michel, Meissen, Il avril nai.Correspcn-
dance PolUiquc, .\X, 323.
CIIOISEUL ACCEPTE LENVOI DUN PLENIPOT. \ LONDRES. 50;i
1756, avant le coinmencoinont do la présente guerre. »
Cette condition « sine qua non » fut lîi, pensée mal-
tresse et unique de Frédéric; car, tout en donnant des
conseils sur la conduite de la négociation, il laissa carte
blanche ù Pitt et n'intervint que pour rappeler, en termes
énergiques, le principe de l'intégrité de son royaunio au-
quel il n'admettait pas qu'il iïit porté atteinte.
A la lettre el au mémoire de Pitt du 8 avril, Choiseul
répondit le 19. D'après la manière de voir de la cour
de Versailles (1), l'entente sur la paix particulière ne se-
rait qu'un acheminement vers la paix générale : « S. Ma-
jesté Très Chrétienne, était-il dit, compte assez sur ses
alliés pour être certaine qu'ils ne concluront ni paix ni
trêve sans son consentement; elle n'a donc point en-
tendu que la paix d'Allemagne pût être conclue séparé-
ment de celle de la France et de l'Angleterre ; et elle n'a
proposé au roi de la Grande-Bretagne que la séparation
de la discussion des deux guerres pour parvenir à une
paix générale pour toutes les parties. » La question des
époques étaii traitée dans des termes qui pouvaient prêter
à l'équivoque : « Le Roi Très Chré,l.ien renouvelle la pro-
position qu'il a fait faire dans le premier mémoire, que
les deux puissances restassent in statu quo de leurs pos-
sessions et de leurs conquêtes selon les époques indiquées
dans ledit mémoire. Mais S. M. observe que le fond de la
proposition est nécessairement lié avec les époques pro-
posées, car on sentira qu'il pourrait arriver tels événe-
ments de part ou d'autre qui empêcheraient absolument
l'acquiescement à ïuti possidetis si les époques s'éloi-
gnaient; et S. M. Très Chrétienne est d'autant plus fondée
à réclamer sur le fond de la proposition, si le roi d'Angle-
teri'e n'acquiesce pas aux époques qui y ét.uent jointes,
que l'on ne peut pas douter que ces épo<[ues ont été pro-
r W
(t) Choiseulà Pitt, 19 avril 1701. Atlaiics Étrargores. Uecord Oflice.
50i-
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. IX.
posées dans un temps qui n'était pas avantageux à la
France. Il est certain que les conquêtes réciproquesne peu-
vent être iixées que le jour de la signature de la paix ; mais
il n'est pas moins certain que l'on peut prendre pour base
de la négociation de cette paix la situation où les parties
belligérantes se sont trouvées à telle ou telle époque de
la guerre; c'est ainsi que le Roi de France a entendu la
proposition qu'il a faite au Koi d'Angleterre et c'est d'a-
près ce principe, si S. M. Britannique l'adopte, que S. M.
Très Chrétienne enverra un ministre accrédité à Londres,
chargé de pleins pouvoirs suffisants pour traiter avec le?
ministres du Roi de la Grande-Rretagne, soit sur le fond
de la question, soit sur les compensations qui convien-
dront aux deux couronnes, ainsi que sur les intérêts de
leur commerce et de leurs colonies. » Le mémoire annon-
çait la désignation de M. de Russy pour cette mission et
manifestait l'espoir que S. M. Rritannique déléguerait à
Paris un diplomate muni de pouvoirs analogues.
L'envoi d'un plénipotentiaire français à Londres avait
été soumis par Choiseul à la conférence des ministres des
puissances belligérantes. Seul, Starhemberg (1), faible-
ment appuyé par son collègue de Russie, avait fait à cette
proposition une opposition qu'il n'osa pas maintenir de
peur d'être accusé d'entraver la marche de la négociation,
il dut se contenter d'enregistrer la promesse formelle du
ministre français qu'il ne serait question k Londres d'aucun
point relatif à la guerre avec la Prusse et que tous les inci-
dents de la procédure seraient fidèlement communiqués à
chacun des alliés. Malgré ce langage rassurant, l'ambassa-
deut' ne dissimule pas ses inquiétudes; pour les justifier, il
cite un propos d'un membre du conseil, le maréchal d'Es-
trées : « Une fois l'Angleterre et la France d'accord, le con-
grès n'aurait besoin que de 8 jours pour finir sa besogne. »
(1) Slarheiuberg àKaunitz, 18 aviil i;(il. Archives de Vienne.
^"-'m
L'EXPÉDITION DE BELLEISLE FAIT VOILE LE 2'.) MAUS. 505
A son tour, Kaunitz ne crut pas opportun de soulever
une objection. Mis au courant par le comte de Choiseul de
la réponse du cabinet de Saint-James et de la réplique
française, il trouva l'écrit anglais du 8 avril « entortillé,
captieux, sophistique et obscur » et donna sou entière
approbation au langage de Choiseul. Mais comment ac-
cepterait-il la double mission à Versailles et à Londres,
expédient pour lequel il avait toujours marqué le plus
grand éloignement? « Je ne puis vous dire, Monsieur,
rapporte le comte de Choiseul (1), s'il est à cet égard
de bonne foi, ou s'il veut cacher les soupçons dont je
lui ai fait si souvent des reproches. Il avait été préparé
(lès la veille à cette proposition par une lettre de M. de
Starhemberg, venue par la poste, et je n'ai pas remarqué
aucune altération sur son visage, quand il a lu cette clause
de votre réplique. )>
Ainsi qu'on le voit d'après ce qui précède, la discussion
s'ouvrait sur la portée et le sens de Vutipossidetis. A ce prin-
cipe, Choiseul, dans son premier mémoin-, avait attri-
bué, un peu imprudemment, le caractère de base du traité
futur sans le rattacher d'une façon expresse à l'adoption
des époques suggérées pour l'armistice; il avait môme
admis, comme matière à débattre, la fixation définitive de
ces époques. Un événement nouveau avait fait toucher du
doigt le danger d'une élasticité trop grande sur ce point.
Le 29 mars, c'est-à-dire V8 heures avant la remise A,
Pitt des déclarations et du mémoire du 26, la Hotte, avec
les troupes destinées à la tentative contre Belleisle. avait
fait voile de Spithead. Le cabinet britannique, s'il pou-
vait ignorer l'expédition des documents eu route, savait,
à n'en pas douter (2), que la Franco était sur le point de
lui faire des ouvertures pacifiques; il aur.ùt pu retarder
(1) Comle de Choiseul an duc, .>8 avril I7<il. Affaires Étrangères.
(2) Knypliausen à Frédéric, 17 et 2Q mars 17C1. Correspondance Politique,
\\, p. V)».
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LA GLKRRK DK SKPT ANS. — CHAP. IX.
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rappareillagc du coinmodore Keppel ; tout au moins au
reçu des déclarations du 26 mars, il lui eilt été facile
d'arrêter l'escadre en Manche; il n'en lit rien.
Bien plus, d'après le langage (1) qu'il tint à Georges IIF,
il est évident que Pitt comptait sur la réussite de son en-
treprise pour arracher un sacrifice additionnel à la France
et qu'il se prévalait du manque de précision des proposi-
tions de Choiseul pour gagner le temps nécessaire à une
conquête nouvelle qui ferait pencher, en faveur de l'Angle-
terre, une halance déjà inégale.
Dans le débat auquel donna lieu la lecture du cour-
rier de Paris, Ne\vca«tle et Hardwicke opinèrent (2)
pour l'acceptation pure et simple des dates françaises;
le premier était partisan d'une suspension d'hostilités
pendant six mois, comme le demandait le roi de Prusse :
« Le sort de notre expédition de Belleisle sera décidé et
quant à la perspective de s'emparer de Martinique ou de
la Louisiane, elle est tW^s incertaine, peut-être un succès
de ces côtés nous embarrasserait-il plus qu'il nous aide-
rait à conclure la paix? » Pitt, au contraire, trouvait
la prose (3) de Choiseul obscure et était d'avis d'en-
tamer le plus tôt possible les explications verbales et
de laisser aux représentants des deux pays, dont le voyage
serait activé, le soin de discuter les points litigieux. Le
cabinet, y compris Newcastle, se rallia, selon son habitude,
à l'opinion du grand ministre.
En fait de verbiage inutile, le texte de Pitt (4) n'avait
rien à envier à celui de Choiseul. Après les banalités
d'usage, le secrétaire d'État s'exprimait comme suit :
« Aussi ne peut-il échapper aux lumières de V. E, que
dans un commencement de rapprochement, des varia-
(1) Newcasllc à Hardwicke, 17 avril 1761. Newcastle Papers.
('2) Newcastle à Hardwicke, '25 avril 1761. Newcastle Papers.
(3) Hardwicke à Newcastle, '.i't avril 1761. Newcastle Papers.
(4) Pitt à Choiseul, :>8 avril 1761. Chatham Papers.
DESIGNATION DE STANLEY COMME PLENIPOTENTIAIHE A PARIS. 507
tions inattendues ont naturellement l'efFet de répandre
plutôt de l'obscurité et de l'incertitude dans les ouver-
tures que d'y mettre cette netteté et cette assurance si
indispensables dans une négociation. » Pour obvier à cet
inconvénient, il serait désirable d'avoir recours à des
entreliens dans lesquels « l'éclaircissement suit de près le
doute ». Le mémoire qui accompagnait la lettre annonçait
la nomination de Hans Stanley comme plénipotentiaire
à Paris, et spéciflait que les instructions des deux envoyés
devaient les mettre à même « de traiter de bouche, tant
sur le tond de la question que sur les époques aussi bien
que relativement aux compensations qui conviendront
aux deux couronnes ». C'était substituer aux ouvertures
précises bien qu'incomplètes du 26 mars des conversations
dans lesquelles tout serait remis sur le tapis et dont la con-
clusion se ferait d'autant plus attendre que les pourpar-
lers seraient en partie double et auraient pour scène deux
capitales éloignées l'une de l'autre. Il y avait peu à es-
pérer d'un pareil mode de procéder.
Cependant, Choiseul se montra content du contenu de
la communication anglaise; il lui était impossible de ne
pas voir sans satisfaction l'affaire prendre la tournure
qu'il avait toujours préconisée et l'Angleterre lui attribuer
le rôle prépondérant que ses propres alliés étaient peu
enclins à lui abandonner. En politique avisé, il eut grand
soin de laisser au cabinet de Saint-James toute la respon-
sabilité de cette innovation. Dans une lettre à son cou-
sin (1) destinée à passer sous les yeux de Kaunitz, il
souligne le silence de Pitt au sujet du concert des «lliés et
de la paix générale dontil avait été fait montion dans la
pièce française. « Cette omission de la cour de Londres
sur des objets aussi intéressants me ferait penser, comme
le prince Galitzin me le mande, que le ministère britan-
(1) Duc de Choiseul au comte, 1" mai 1701. Affaires Étrangères.
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LA C.LERRK DK SKPT AlNS. — CHAP. IX.
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nique aurait dessein de terminer la guerre d'Allemagne
séparément de celle de France. Ce projet est contraire
aux intentions du Uoi et aux intérêts de S. M... Dans ce
moment-ci, la cessation de la guerre de terre ne nous
mettrait pas en état de remonter notre marine, de plu-
sieurs années, et n'empêcherait pas que celle d'An-
gleterre qui est dans la plus grande activité, ne nous
fit supporter des pertes considérables. Vous conclurez de
là, Monsieur, que nous ne pouvons nous prêter à la
paix d'Allemagne sans que celle de la France et de l'An-
gleterre soit arrêtée, de même que l'Angleterre ne se
prêtera pas à la paix de mer sans que celle de terre ne
soit constatée, d'où il résulte, Monsieur, que l'intérêt
véritable et actuel du Roi est que les deux paix marchent
d'un pas égal, afin que la conclusion en arrive en même
temps. » Il s'eflbrce de tranquilliser le cabinet de Vienne
dont il prévoit les questions insidieuses : « Sur cet article.
Monsieur, vous donnerez les assurances les plus fortes à
M. de Kaunitz qu'il ne sera rien traité à Londres rela-
tivement aux intérêts de l'alliance générale, dont M. de
Starhemberg ne soit instruit. Vous direz à l'Impératrice
que le Roi serait blessé si elle pouvait imaginer qu'il put,
dans aucun cas, manquer aux paroles qu'il lui a don-
nées et au concert qui est établi entre les deux puissan-
ces. » Il explique pourquoi il lui a paru impossible de
décliner la proposition anglaise. « Au surplus. Monsieur,
malgré les soupçons que nous avons que le ministère
anglais a la vue de mettre la discorde entre les alliés,
malgré la finesse avec laquelle M. Pitt élude les diffi-
cultés des époques et des compensations relativement à
la France, le mémoire britannique est si simple et si
honnête et l'avance que fait la cour de Londres d'en-
voyer le passeport pour M. de Bussyest si raisonnable,
que j'ai cru devoir y faire la réponse que vous trouverez
ici, en y joignant les passeports nécessaires pour M. Stan-
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ON REVIENT A LIDÉE DKS DEUX NÉGOCIATIONS.
509
ley. Le Koi compte que l'Impératrice Reine approuvera
cette démarche dont vous voudrez bien lui faire part. »
Choiseul ne peut se refuser le plaisir de constater le
triomphe de sa politique : (( Je crains que M. do Kaunitz
ne vous marque quelque humeur sur l'envoi des mi-
nistres réciproques à Londres c* à Paris, non pas que
j'imagine que le ministère de l'Impératrice puisse, après
les déclarations que vous lui ferez, avoir des inquiétudes
sur la franchise et la probité des démarches du Roi, mais
parce que M. de Kaunit:^ sentira que l'idée des deux congrès
a été adoptée généralement des amis et des ennemis,
hors de sa part et que sa résistance n'y a apporté ([u'un
changement de forme. Ce ministre l'a senti d'avance, car
il faut toujours en revenir au vrai, puisqu'il laisse ici
M. de Starhemberg, au lieu de l'envoyer à Augsbourg. »
Jusqu'alors, c'était nécessairement le prince Galitzin
qui avait été à Londres l'intermédiaire des puissances al-
liées. Avant de nous séparer de lui, retraçons le tableau
qu'il esquisse du gouvernement d) auprès duquel il était
accrédité : « Les ministres sur lesquels les allaires de la
nation britannique roulent actuellement sont deux secré-
taires d'État et le duc de Newcasile. La position des deux
premiers étant tout à fait dilï'érente, leur conduite ne l'est
pas moins. M. Pitt étant le ministre du peuple ne peut se
soutenir que tant (ju'il en possède la faveur, et par consé-
quent, il ne peut que vouloir, ou la continuation de la
guerre, ou une paix extrêmement avantageuse à la nation,
sachant que l'un ou l'autre lui servira de moyen sûr pour
ije .outenir en crédit, se rendre nécessaire et se conserver
dans le ministère. Le comte Bute, au contraire, à peine
connu autrefois à la nation, ayant actuellement toute la
confiance du Roi, et étant sûr de la conserver entièrement
et sans partage, ne cherche qu'à rétablir la tranquillité et
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(1) Galitzin à Ciioiseul, 28 avril 1701. AfTatres Ëlrangères.
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lA GUKHRE DE SEPT ANS. — CHAP. IX.
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par là rendre son ministère permanent, en devenant
l'homme tout-puissant en temps de paix, où il lui est plus
facile de se passer des autres. Les circonstances du duc
de Newcastlc étant d'un côté trrs dillerentes de celles de
mylord Bute, d'où il ne serait pas contre la raison de con-
clure que M. Pitt aura non seulement contre lui ces deux
autres ministres, mais aussi la plus saine partie de la na-
tion, au cas qu'il voulût s'opiniîVtrer k insister sur des
conditions plus avantageuses à la paix future, que la
France ne saurait et ne voudrait les donner, » Comme on
le voit, Galitzin estime que le sentiment public en Angle-
terre est favorable à la paix et conseille à Choiseul de ne
pas laisser (( entrevoir trop de facilité après l'envoi réci-
proque des ministres »; enfin, il le met eu garde contre
la pensée secrète de Pitt et de quelques-uns de ses collè-
gues qui chercheraient, en procurant une paix glorieuse
au roi de Prusse, de « dégoûter (mtièrement par là les
cours impériales de l'alliance de la France ».
Après s'être avancé comme on l'avait fait, il eût été en
effet difficile de ne pas accepter la proposition anglaise;
d'ailleurs, Choiseul y était tout disposé ; aussi répon-
dit-il (1) très polimenf à la lettre de Pilt et lui exprima-
t-il tous ses regrets de ne pouvoir traiter en personne
avec lui : « J'aurais cependant été bien flatté d'avoir
l'honneur de négocier directement avec V. E. une
affaire aussi importante. Personne n'a plus que moi de
confiance dans la probité et les rares talents de V. F].,
et j'ose présumer que la volonté des rois nos maîtres
une fois décidée pour la paix, les lumières de V. E.,
unies à mon zèle pour un bien si précieux, en auraient
aplani les difficultés. » Dans l'impossibilité de se rendre à
Londres, il lui recommande M. de Bussy qui est « accou-
tumé à travailler » avec lui. Le voyage des deux envoyés
(i) Choiseul à Pilt, 4 mai 1761. Affaires Étrangères.
QUESTION DES CONQUÊTES FRANrAlSKS EN ALLEMAGNE. 5tl
devra être concerté de manière qu'ils puissent se croiser
à Calais. D'autre part, il écrit (1) à Galitzin quelques
mots de remerciments auxquels il ajoute son appréciation
sur l'issue des pourparlers : « Je suis bien éloigne, Mon-
sieur, de penser que M. Pitt veuille sincèrement la paix,
mais le Roi a cru ([u'il ne lui était pas convenable... do
ne pas faire de son côté et selon saditinité tout ce qui était
convenable pour prouver la bonne foi et la vérité de ses
sentiments » ; cependant il a peur que la prise probable
de Belleisle ne devienne un obstacle insurmontable, « car
je doute quti le Hoi soit dans l'intention de traiter avant
que Belleisle lui soit remis ».
A Londres, la nouvelle de la mission de; Bnssy fut l)ien
accueillie. D'après Galitzin (2), ni Pitt ni Bute n'osaient
l'espérer; les termes du mémoire franc ais du 19 avril et
la raïauvaise impression que devait causer l'expédition de
Belleisle leur avaient fait craindre que la France ne revint
sur ses premières ouvertures. A la suite d'une nouvelle
correspondance entre les deux cours, il fut décidé que
Stanley et Bussy se rencontreraient le 25 mai à Calais. Si
l'on compare cette date à celle du 26 mars, l'on remar-
quera que deux mois avaient été perdus en préliminaires
et que la cessation des bostilités subirait forcément un
retard à peu près équivalent.
Avant de laisser partir nos diplomates, il convient de
relever une conversation de Choiseul i3i avec Starbem-
berg au cours de laquelle fut soulevée, pour la pre-
mière fois, un point dont l'importance deviendra capitale :
celui des conquêtes françaises eu Allomamie. La France
pouvait-elle considérer ces territoires comme monnaie
d'échange pour obtenir la i-estitution des colonies perdues?
Interrogé à ce sujet, Starhemberg répondit qu'il lui était
(1) Choiseul àGalitzin, 4 mai 1761. Affaires Étrangères.
(2) Galitzin à Choiseul, Il mai 1761. Affaires Étrantieres. ^
(3) Starhemberg à Kaunitz, '28 mai 17G1. Archives île Vienne.
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■,v>.
L,V ('.UKRUI-; I)K SKPT ANS. - CIIAP. IX.
iiupossil)lc de trancher un sujet aussi délicat; il était
persuadé toutefois ([uc Jamais sa cour ne consentirait à
mettre ii la disposition de la France les pays coD([uis sur
la Piusse par les armées royales; le cas était tout dilférent
pour les contrées appartenant à l'Angleterre. Choiseul de
répond r«! : « Vous convenez donc que toutes les conquêtes
((ue nous avons faites ou que nous ferons en Allemagne sur
l'Angleterre et ses alliés doivent être pour notre compte? —
Sur l'Angleterre, oui, répliqua l'Autrichien, mais non celles
que vous avez faites ou pcjurriez faire sur le roi de Prusse
qui doivent être pour le compte de l'Impératrice. » H
serait prématuré de rappo"ter le débat qui suivit ces décla-
rations; il nous suffit de constater que la question fut clai-
rement posée de part et d'autre. Puis on passa aux pièces
préparées pour Bussy qui devaient être soumises à Star-
homherg; Choiseul lut à son interlocuteur un précis qu'il
avait rédigé, dont il omit cependant certains passages et
dont il altéra, à la lecture, (fuelques expressions. Starhem-
berg ne trouva pas grand'chose à critiquer dans l'édition
revue et corrigée qui lui avait été communiquée. Ue sou
côté, Choiseul s'engagea à mettre sous les yeux de l'ambas-
sadeur les originaux des dépêches qu'il recevrait de son en-
voyé, et le chargea d'exprimer à Vienne toute sa reconnais-
sance pour le consentement donné à la mission de Bussy.
Examinons maintenant les instructions (1) dont ce diplo-
mate était muni et qui portent la date du 23 mai. Le
mémoire débute par l'historique des propositions : La
cour de Versailles s'était prononcée pour deux congrès,
l'un à Paris, l'autre à Londres, mais la cour de Vienne
s'était opposée à ce projet; « et quoique dans le fond il
lui soit impossible de ne pas sentir que des alliés subsi-
diaires sont tenus, à la paix, de suivre l'influence des
alliés qui paient, l'Impératrice Heine a persisté dans le
(I) Instructions de Uussy. Marly, 23 mai 17G1. Affaires Étrangères.
INSTRUCTIONS DE HUSSV.
.■.l;t
(It'sir (le Congrès fiéiiéral, ot Sa Majesté a acquiescé Ji la
«Iclicatcsso de cotte princesse avec la modification juste
de pouvoir traiter séparément sa paix particulière avec
l'Angleterre. Cette détermination a produit le congrès
d'Augsbourg, la demande de la [)art de l'Angleterre de
s'envoyer des ministres respectifs à Londres et à Paris,
enliu l'envoi en Angleterre du sieur de Bussy, dont les
talents, l'expérience et le zèle ont déterminé le choix de
Sa Majesté.
« Le premier principe que le sièur de Bussy doit avoir
sans cesse devant les yeux, dans le cours de la négocia-
tion, est (jue le Boi désire parvenir à la conclusion d'un<'
paix raisoimable avec l'Angleterre, mais sans se séparer
de ses alliés, et sans leur faire aucun mystère des objets
que Sa Majesté jugera à propos de traiter et d'arrêter à
Londres. Il faut que le ministre du Hoi saisisse bien le plan
qui a dirigé la conduite de Sa Majesté depuis deux ans. Le
Boi ne veut mériter aucun juste rej)roche de la part de s<'S
alliés; il ne veut pas en même temps sacrifier les intérêts
de sa couronne aux idées ambitieuses et souvent cliiméri-
«|ues des Cours Impéi'iales. Pour concilier ces deux réso-
lutions. SaMajestéapris le partidefaireconnaitre à chaque
occasion la vérité de la chose, et de sa volonté aux deux
Impératrices. On a tîlché de les ramener à cette vérité,
et quand il n'a pas été possible de les faire revenir de
leurs prétt^ntions, on ne leur a pas dissimulé l'intérêt du
lloi et de sa détermination sui' les ])artis qu'il pourrait
prendre. Cette méthod<' a réussi jus([u'à présent au delà
de toute espérance. »
Suit une revue des sentiments <|ui inspirent les autres
signataires d(i la d)''claration du 20 mars. La Suède se
conformera fidèlement aux visées de la France ; le roi de
Pologne a obéi au désir d'être agréable à S. M. Très Chré-
tienne ; quant à son ministre saxon, le comte de Briihl, « les
seules vues politiques qu'on ait pu lui découvrir sont
GlERRE Di: SKI'T ANS. — T. IV. 33
i '.-r
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LA (lUICIlUi: DK SKI'T ANS.
CIIAI». IX.
l 'À
pouf luire servir la cour «le Saxe de aœiid aux liai.>oii.s
(le la cour de Kussic avec («'Iles de Londres. » A lY'yai'd
de la Russie, la France est indépendante, mais vis-A-vis dr
l'Iiupéiatrice-Ileine, (die cstengag(je « pai rarticle 13 du
tiaitc' du 30 d(''ceml>re I75H «[ui porte la promesse léci-
proque de ne t'aiie ni paix ni fr(''ve avec leurs ennemis
communs et respectifs que d'un parfair concert et conmiun
consentement ». En consi^iueiicc, « tous les objets con-
cluants » traitt's à Londres devront ("^tre commnniqut's
au prince (ialitzin et à la cour de Vi(Mme, « mais ces
communications n'altérei uit point le fond de la n«''g<>-
ciation relativement aux inté-rôts du commerce et des
colonies de la France vis-à-vis de l'Anj^leterre, c'est-à-
dire à la guerre maritime proprement dite ».
Le passage suivant concerne l'Kspagne (1); i
sans dire que Starhemberg n'en eut pas connaissance ;
« Le sieur du Bussy doit aussi marquer de la confiance
à M, le comte de Fuentes, ambassadeur d'Espagne. La
cour de Madrid a pro[>os(!' à Sa Majesté de conclure un traité
oll'ensif et défensif. Le projet de ce traité tel qu'il a été
communiqué par le marquis de Grimaldi, serait sujet à
de grands inconvénients dans les circonstances prés(>nte>.
Le Uoi a jugé à propos de diviser en deux parties le
projet espagnol et de proposer à Sa Majesté Catholique un
traité damitié, de garantie, purement défensif, le([uel
serait une espèce de pacte de famille. Il est à présumer
que la négociation de ce traité ([ui est si analogue à
l'intérêt et aux sentiments des deux souverains, aura
le succ(;s que l'on en doit attendre. De plus, le Koi
qui a communiqué à Sa Majesté Catholique sa position
actuelle politique, vis-à-vis de l'Angleterre, proposer;)
à ce prince de dili'érer les engagements ollensifs contre
u'
(I) Les instructions de Itnssy luronl coinrnuniciuées à Griuiaidi, probu-
blcmenl avec réser>cs, comme à Stailicmberg. Choiseiil à Ossiin, 2 juin
17C1.
I ':■
KXCOSI'; DE LA SITLATION VIS A-VIS DK LKSI'AC.NK.
.1.-.
proba
2 juin
\i\ (Iriinde-hretu^rK* jusqu'il ce »|u'il soit instruit du
<li'gré de volonté que le Koi et le ministre l)ritiinni<|ues
ont pour la p.iix en ,::énéral, et les conditions défini-
tives que, relativeuK^nt à la France, ils voudront mettre
au rétablissement de la pai.v entre les deux royaumes.
Si les Anglais se prêtaient à une paix raisonnaldc, il se-
rait oonti'aire à l'objet du Roi, de signer un traité
ollensif contre l'Angleterre, le([uel traité ranimerait cer-
tainement le l'eu de la guerre. Si, au contraire, le minis-
tère bi'itannicjue porte ses prétentions i\ un degré insou-
tenable, nous lAclierons de conserver, en ce cas, la bonn«'
volonté de l'Espagne, pour (ju'elle se joigne à nous dans
le seul parti qui restera de se faire ndn; justice par les
armes. Il est vraisendjlable (jue l< comte de Fuentes est
instruit de la négociation qui est entamée entre le lloi et
le roi Catholique, et dans tous les cas, les dispositions de
cet ambassadeur pour la France, son rang distingué en
Kspagne, et son crédit personnel auprès de Sa Majesté Catho-
lique exigent que le sieur de Bussy s'applique à captiver
par tous les égards possibles, pai- la coidiance la plus
apparente, la liaison et les attentions les pias assidues,
la bienveillance de l'ambassadeur espagnol. Eu môme
temps, il est bon do lui faire observer que le comte de
Fuentes écrit journellement à sa cour pour l'animer
contre l'Angleterre, et l'engager à déclarer la guerre ; (jue
cet ambassadeur désapprouve les démarches pacifiques
de la France, et que certainement il cherchera par ses
conseils au sieur de Bussy à détourner toutes conclusions
pacifiques. Le sieur de Bussy profitera de l'animosité du
comte de Fuentes dans les occasions où il aura à se
plaindre du ministère anglais, eu égard à la négociation
de la paix. Mais s'il tiouvait le ministère britanni<[ue aussi
conciliant ([u'il devrait l'être, il ne perdrait pas de vue,
que le premier objet de sa mission est de parvenir à une
paix raisonnable et ([ue ce ne [)eut être que lorsque nous
!< i.
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r.ic
L\ flL'EHUK DI-: SKPT ANS.
CHAP. I.\.
ec perdrons l'espérance, (jue nous serons obligés de nous
livrer aux idées de l'Espagne, dans tous les cas très
embarrassantes. » Cet exposé, nous le reconnaissons,
correspondait très exactement à la position que Choiseul
avait prise vis-à-vis de l'Espagne.
Cette parenthèse instructive fermée, le mémoire cher-
che à déterminer quelles puissances seront appelées
à participer au congrès d'Augsbourg. Bussy soutiendra
la demande que l'Empereur a l'ornnilée dans ce sens, mais
il s'opposera à l'admission du Danemark qui voudrait
profiter de l'occasion « pour jouer un rôle ». La France
est désintéressée dans le débat continental, elle ne recherche
aucune augmentation de territoire on Europe ; elle ne
compte garder ni Ostende ni Nieuporî. En résumé, Bussy
n'est pas autorisé « à traiter de la paix d'Allemagne mais
seulement à en converser ». Dans le cas où le ministre an-
glais insisterait sur la nécessité de la paix g-énérale, l'envoyé
fran^-ais se défendrait « en proposant la jiaix séparée
maritime, laquelle il dira être autorisé de conclure toutes
les fois que l'Angleterre le voudra » .
La seconde partie du mémoire avait trait aux condi-
tions de la paix particulière : (* La proposition du « statu
quo » n'a point été adoptée selon les époques du pre-
mier mémoire du duc de Choiseul, ni par rapport à la
conclusion relative des deux paix. Le ministre britan-
nique en a pris ce qui pouvait lui convenir, et tout de
suite a mis en activité son entreprise sur Belleisle, pour
ajouter une nouvelle conquête au <> statu quo ». Mais ni
Belleisle, ni ce que les Anglais pourraient conquérir de
plus sur nos côtes ne pourront entrer en compense tion
<jue vis-à-vis la démolition de Dunkerque tout au plus.
Au reste, avant que de laisser échapper ce mot, il faudra
soutenir très longtemps que les conquêtes sur nos c6tes
seront restituées pour rien dans l'arrangement ([ui se fera
pour la paix maritime, et le sieur de Bussy ne cédera
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(1) Newcastle a ilardwicke, 14 mai 1701. Newcastle l'apcrs.
lu
INSTRUCTIONS DE STANLFY.
517
pas sur cet article sans avoir préalablement reçu les
ordres de sa (iOur. » En ce qui concerne les acquisitions
de l'Angleterre en Amérique et en Afri([uc, on prévoyait
l'échanae de Minorque contre la Guadeloupe, Marie-Ga-
lante et Gorée, et l'attribution à la France des iles neutres
de Sainte-Lucie et Taba,50. Le Canada et l'ile Hoyale et
nommément F^ouisbourg seraient rendus en compensa-
tion « de la restitution que lo Roi ellectuera de ce que
ses années ont conquis sur l'Électeur d'Hanovre et sur
les alliés en Allemagne ». L'attitude à prendre sur ces
points ne serait pas d'ailleurs définitive; Bussy ne formu-
lerait rien sur papier et s'appliquerait à obtenir de l'An-
«leterre des (( propositions catégoriques et par écrit ». F,n
outre, il reclamerait la restitution des prises faites par
la mai'ine anglaise avant la déclaration de guerre ou
Toctroi d'une indemnité équivalente. Enfin, si le repré-
sentant de la France « s'aperçoit que les Anglais veulent
l'amuser et ne sont pas sérieux », il n'hésitera pas il de-
mander ses passeports pour rentrer en France.
Aux instructions de Bussy, opposons maintenant celles
de Stanley. Ces <lernières, préparées par Pitt, furent sou-
luises à un conseil de cabinet dont Newcastle nous donne
en quelque sorte le procès-verbal (1) : On se mit bien
vite d'accord sur le principe d'une paix particulière avec
la France; en effet, depuis l'année dernière, le roi de
Prusse étant revenu sur le veto cjni avait arrêté les pour-
parlers de La Haye, il n'y avait plus d'objections à un
arrangement entre les deux couronnes. Sur l'interpré-
tation de Vi(ti possù/f'tis, Pitt pria le conseil de se pro-
noncer. Deux solutions se présentaient : « Si vous limitez
l'application de la clause aux conquêtes faites sur cha(jue
monarchie, vous renvoyez vos alliés, le landgrave de
liesse, le duc de Brunswick et l'électeur d'Hanovre au
1^ I
?^ !l
518
LA GUERRE DK SEPT ANS. — CHAP. IX.
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M
congrès, pour qu'il leur soit fait justice, .lo n'ai pas, dit
M. Pitt, (l'objection A faire k cette procédure. Dans l'autic
hypothèse, vous admettez les pertes de vos allies comme
devant entrer on liiine dans l'examen des compensations
proposées |)ar ia France; choisissez, mylords, je no don-
nerai pas d'avis, je me laisserai diriger par vous, mais
encore faut-il qu'il y ait une direction. > Bute opina qu'il
était trop tôt pour trancher une jnatière aussi délicate, sur-
tout avant d'avoir entendu Bussy. Le duc de Devonshire et
lord Granvillo exprimèrent une opinion semblable. New-
oastle parla dans le même sens; d'après lui, admettre l'ex-
tension des compensations aux conquêtes dos Français eu
Allemagne serait encourager leurs prétentions « au point
de laisser s'évanouir (l)une à une nos acquisitions territo-
riales ». A ce mot, Pitt prit feu et accusa Newcastle d'être
prêt à signer un traité dont lui ne voudrait pas. Le duc de
Bodford estima qu'il serait prématuré de poser la question
avant que les négociations fussent plus avancées. La
discussion, après avoir occupé deux longues séances,
nboutit à l'adoption k l'unanimité de la formule suivante :
« Que les pertes de nos alliés en Allemagne seraient
prises en considération k la paix et au moment de la
tixation définitive de nos conquêtes. » La rédaction man-
quait de clarté, mais le principe avait été accepté quoicjue
son application fût ajournée. En tout cas cette politique rai-
sonnable s'éloignait beaucoup, conmie Newcastle le fit
remarquer au Roi, d(^ celle qu'avait préconisée Pitt ([uand
il s'écriait dans une boutade « (|u'il forait la guerre pour
le Hanovre aussi longtemps qu'on voudra, mais que ja-
mais il ne ferait la paix pour le Hanovre ». En atten-
dant, le refus du grand ministre do donn<>r son avis per-
sonnel fut très critiqué; on l'attribua à la crainte de se
(1) Le mot an}{lais « moulder » veut dire ruin<r par l'humidité, pourrir,
se gjUor.
ill
PRINCIPE DK LA PAIX PARTICULIER K ACCEPTÉ.
519
compromettre en appuyant une solution qui, tout im-
posée (|u'elle fût par les faits, ne serait pas bien accueillie
dans le public, mal disposé pour la ,::uerrc du continent
et peu soucieux du sort des alliés.
En définitive, Stanley reçut pour instructions (1) de ne
prendre aucune initiative relativement à V uti posside-
tis. Il se maintiendrait sur le terrain du mémoire français
du 26 mars; S. M. Très Chrétienne avait fait une olire;
l'Angleterre l'avait acceptée; on ne pouvait, sous aucun
prétexte, lui demander une contre-olï're, iMalgré le vague
dans lequel on avait laissé la question des compensa-
tions allemandes, l'envoyé se prononcerait pour l'en-
tente séparée et préalable avec la France : « Vous avi-
serez le duc de Choiseul que nous tenons à éviter l'at-
teinte aux bénéfices réciproques de la paix entre les
deux couronnes que pourrait entraîner le rattache-
ment de cette paix au succès éventuel d'objets dont la
nature, on le reconnaît, est absolument étrangère aux
causes de notre guerre particulière; qu'à aotre estime,
rien ne hAterait davantage la pacification générale des
autres puissances belligérantes que la prompte conclu-
sion de la paix entre la Grande-Bretagne et la France au
m >yen d'une négociation sincère et efficace. Cela étant,
notre intention est de rendre contractuel, définitif et va-
lable sans avoir égard à l'issue des négociations d'Augs-
bourg, tout point relatif à la guerre particulière entre
les deux couronnes, sur lequel nous et S. M. Très Chré-
tienne nous serions heureusement mis d'accord. » Malgré,
ou peut-être à cause de la séparation des deux paix,
Stanley devra saisir toutes les occasions d'affirmer < la
fidélité de l'Angleterre aux engagements qu'elle avait pris
comme auxiliaire de la Prusse ». Quant aux acquisitions
et aux compensations, l'envoyé ne devait accepter les
i I
(1) Instructions (le Stanley, is mai 17fil. Chalhain Papers, etc.
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LA GLEUUK DE SEPT ANS. — CHAI». IX.
su,egestions ou les propositions qui lui seraient faites
qu'avec la réserve « ad référendum »; il n'était auto-
risé à rien signer; enfin, il lui était recommandé de
surveiller le langage et l'attitude de l'ambassadeur d'Es-
pagne à la cour de Versailles.
Quoique dans les conseils britanniques on eût évité de
s'expliquer sur les conditions de la paix, plusieurs des hom-
mes d'État avaient formulé leurs idées. Parmi elles, il est
intéressant de signaler la thèse du duc de Bcdford(l) qui
était vraiment prophétique : « Je ne crois pas qu'il soit ponr
l'avantage de l'Angleterre d'être si chargée de possessions
étrangères, (comme ce serait le cas) si on nous cédait tout
le Canada et Guadeloupe, A vous dire vrai, Milord, je ne
sais pas si le voisinage des Fran(;ais à nos colonies de
l'Amérique du Noi'd n'était pas la meilleure garantie de
leur <lépendance sur la mère patrie, dont elles se soucie-
ront peu quand elles seront débarrassées de leurs craintes
du côté des Français. » Il énumère les acquisitions dont
il est partisan, et conclut : « Si nous nous rendons justice
A nous-mêmes, soyonsjustes envers les autres et n'essayons
pas d'imposer à la France des conditions qu'elle ne subira
pas longtemps, nous le savons, et contre lesquelles elle
se soulèvera, aussitôt qu'elle aura recouvré la respira-
tion. » Malheureusement, Bedford n'eut pas assez de
crédit auprès des autres ministres pour les l'allier A ses
vues modérées.
Avant d'entamer le récit des entretiens diplomatiques,
faisons connaissance avec les deux personnages qui
allaient entrer en scène.
Bussy avait débuté comnu^ secrétaire particulier du
maréchal de Richelieu; puis il avait été attaché à l'am-
bassade française à Lomlres et avait même reçu à cette
époque (2), du cabinet anglais, des subsides réguliers;
(1) Bedford à Newcastle, 9 mai 1761. Newcaslle Paper.s.
(■>) Voir Louis XV, le rcnver-sement des alliances, p. loi.
iiil
PASSK ET CARACTKRE DE BUSSY.
521
depuis son retour en France, sauf une courte mission
auprès du roi Georges II à Hanovre en 1755, il avait étr
employé au Ministère eu qualité de premier commis. Sa
correspondance nous indique un travailleur rompu aux
affaires, qui savait écouter et au besoin riposter, trop
bureaucrate pour montrer une initiative que d'ailleurs
Choiseul ne lui demandait pas; sans prestige personnel
et de position sociale médiocre, il fut sans doute ému à
la pensée des discussions qu'il aurait à soutenir avec le
terrible Pitt et gêné par le souvenir de ses anciennes
transactions avec la trésorerie britanni(|ue. Toujours est-
il qu'à en croire les boutades échappées à Choiseul, l'en-
voyé français eût volontiers décliné la tAche qui lui fut
confiée. Dès le début de son séjour à Londres, Choiseul ex-
pliquait quelques contradictions dansles rapports de Bnssy
p.T le trouble qu'il éprouvait devant Pitt. « Cela n'était
pas surprenant, dit-il un jour à Stanley (1), car le pauvre
diable tremblait de peur en partant. » Un jour à Marly,
en présence <le Louis W et de l'Anglais, Choiseul ouviit
un courrier de Londres dont une partie en chift'res qu'il
ne put lire en l'absence de son secrétaire. Le Roi s'euquit
de quoi il pouvait être question; Choiseul de répondre :
« Apparemment, Sire, qu'il a déplu à M. Pitt, qui l'aura
fait sauter par les fenêtres. » Stanley qui ne perd;iit pas
le nord s'empressa de dire : « Je n'aurais pas trouvé bon,
dans ce cas, de faire la même gambade par manière de
représailles. »
Cette réplique qui illustre tout au moins l'aplond) de
son auteur et dont la lOproduction, dans une dépêche
ofticielle, n'est rien moins qu'une preuve de modestie,
nous servira d'introduction auprès de l'envoyé britan-
nique.
Stanley, petit-fds du fondateur du nuisée britannique,
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(t) Stanley à PiU, 'iSjuin 1761. Newcaslle Pajiers.
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LA Gl KRUK Di: SKPT ANS.
CIIAP. IX.
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ne posst'dait pas un bagage politique bien lourd; il rem-
plissait à Tadministration de la Marine la fonction do « ju-
nior lord » quand Pitf, dont il était le protêt; <•, lui confia
l'importante tAche de négocier avec Choiscul. Sans expé-
rience diplùmati<|ue, très sensible aux bons procédés et
aux déuionstrations de sympathie réelle ou simulée, Stan-
ley subit le charme de Choiscul et de son entourage, mais
tout en plaidant de son mieux pour la personnalité du
ministre français, il n'oublia jamais l'intérêt national
dont il avait la garde, et ap])orta à cette défense l'in-
transigeance de son i)atron, sans y mettre le ton rogue
et la morgue caractéristique des lettres de ce dernier.
En "ésumé, à part la vanité et la note du moi tr' p en
vue, Stanley coniuisit bien la négociation, consacra tous
ses efforts à la faire réussir, renseigna bien sa cour et
s'acquitta, comme nous le verrons, très convenablement
de sa besogne. Parmi ses amis et connaissances, sa nomina-
tion fut accueillie avec plus de surprise (|ue d'approba-
tion : « Après avoir fait de Hans Stanley un ministre à la
cour de France, écrit le général Mostyn (1), je ne vois pas
de difficultés à une fabrication quelconque; après tout,
pourquoi ne pas improviser une paix tout aussi bien
qu'autre chose?... Madame la marquise sans aucun doute
se moquera de nous et de notre ministre. » D'autres ap-
préciations sont plus flatteuses ; une grande dame de l'épo-
que, Lady Hervey (2), lui accorde « du savoir-faire, du bon
sens, des connaissances et de l'honnêteté ». Starhem-
berg (3) le dépeint comme un homme modeste, habile,
expérimenté, qui aura bientôt fait de prendre la mesure
de Choiseul et qui saura découvrir le fort et le faible du
ministre. « Pour un Anglais, je le trouve a.ssez ali'ablc ».
(1) Moslvn à Newcasllc, Alverdissen. 2.") mai 176t. NewcasUe Papers.
(2; I.ellrc citée par lord iMalioii, Hislanj of EnijUtnil. IV, p. 2'.U.
{i) Slarlieinljergà Kaunilz, 15 juin 17C1. Aicliives de Vienne.
DKTAILS SUR STAM.KV,
829
Le verdict de Hussy 1) (|iii, retenu |)ar le mauvais temps,
passa trois jours avec lui à Calais, est également favo-
rable : « M. Stanley a beaucoup d'esprit et de connais-
sances. Il s'exprime trts bien en franc'ais, mais lentement;
il parait qu'il aime la douceur de la société française,
mais sans dépouiller la fierté de sa nation, quoique sous
un extérieur simple et modeste. Il est ombrageux, inquiet,
et le peu d'expérience qu'il a des all'aires peut le conlirmer
dans ce caractère. 11 cberchera à tirer avantage du
moindre mot, qu'on laissera échapper, en faveur de sa
commission, et si on lui fait la moindre promesse il en
fera un contrat dont il exigera l'exécution j'i la rigueur.
Il est vif sous les deb.ors de la tranquillité ; il a même de
la disposition à la causticité, quand une fois il s'échauffe.
S'il croyait s'apercevoir de quelque manque d'égards
pour sa cour ou pour sa personne, il est à présumer qu'il
exprimerait son mécontentement avec dureté; mais en
revanche, il parait avoir le camr droit et noble; il est
It •• sensible aux attentions et aux prévenances, et je crois,
Monseigneur, <[ue par là vous en tirerez bon parti. »
Stanley arriva à Calais le 25 mai, jour fixé pour le ren-
dez-vous; il n'y trouva pas Bussy qui, retenu à Paris,
ne parut que le 27. Ce retard, rapporté à Pitt par son repré-
sentant, faillit être la cause d'une rupture. Bussy présenta
des excuses, Choiseul fournit des explications qui convain-
quirent jusqu'au susceptible Pitt. et on put se mettre à
l'œuvre de part et d'autre. Stanley s'était annoncé à
Choiseul par nn billet bien tourné, daté de Sentis où il
comptait recevoir les ordres de sa cour au sujet de l'incident
Bussy. Rassuré par une réponse courtoise de Choiseul, il
entra à Paris le V juin, alla droit chez M'"" .lotfrin, et par
ses soins fut conduit chez Gallaud, baigneur, rue .lacob,
où il s'installa. Le 7, il eut 1 2) sa première audieiic(\ Choi-
(I) Bussy à Choiseul, Calais, 30 mai 1701. AHaireskliangôres.
(:>.) Stanley à PitI, Paris, 8 juin 17G1. Record Ol'lice.
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i\'n
624
I.A GUKHUi; i)K SICl'T ANS. CHAP. IX.
seul cominenfa par af'lirmcr la réiLolution t'iiergiquo et
personnelle de Sa Majesté Très Chrétienne de mettre fin à la
guerre si possible; puis il insista sur les difficultés qu'il
avait rencontrées de la part des Impératrices et qu'il avait
fallu surmonter avant d'aniorcor la négociation. Après
ce préambule, il laissa l'Anglais développer les instruc-
tions dont il était muni. Avec une facilité que la con-
naissance des sentiments avoués de Choiseul faisait pré-
voir, on se mit d'accord sur la distinction des deux
guerres, sous réserve des engagements réciproques vis-
à-vis des alliés et sur la possibilité de conclure la paix
• particulière sans attendre les résultats du congrès d'Augs-
bourg. Le débat se poursuivit sur la clause de Vuti possi-
detis intimement liée, selon le ministre français, à la
question desdates; pour le casoù celles qui avaient été sug-
gérées par le mémoire du 26 mars ne seraient pas ac-
ceptées, Choiseul demanda si son interlocuteur en avait
d'autres à y substituer. Stanley répliqua qu'il n'avait
pas d'indications sur ce point, et qu'il en référerait à son
gouvernement; il en fut de même quand le Français
voulut aborder le chapitre des compensations et celui do
la restitution des prises. Dans la dépêche à Bussy (1)
qui relate l'entrevue, Choiseul résume en quelques mots
son appréciation : « Tel a été le précis d'une conversation
de plusieurs heures qui a abouti, comme vous voyez, à
très peu de choses et qui me fait craindre que nous ne res-
tions longtemps à nous voir venir. « Il ajoute un propos
sur Belleisle dont le rapport de Stanley ne fait pas men-
tion : « Les nouvelles de Belleisle sont mauvaises; je
crains que la citadelle ne soit prise le 10 de ce mois. J'iù
dit à M. Stanley qu'ils cassaient les vitres de leur voisin,
en parlant de se raccommoder avec lui; mais que j'es-
pérais que le Boi ne paierait pas les vitres cassées
et qu'elles n'entreraient dans aucune compensation. »
(1) Choiseul à Bussy, 7 juin 17G1. Aftaire* Étrangères.
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7
PRKMIKRKS ENTIIEVUKS.
:.2r.
L<' ton et la manière du ministre firent bonne impres-
sion sur l'Anglais : « Je dois avouer que, pendant tout le
cours de notre entretien, le due de (Ihoiseul s'est exprimé
avec des apparences très engageantes de franchise. Je le
regarde comme doué de facultés naturelles d'un haut
degré; j'ai trouvé beaucoup plus de sérieux et de suite
dans sa conversation qu'on ne lui en attribue ici en général.
Quand il lui a plu de mêler aux all'aires une plaisanterie
quelconque, je me suis prêté à sa fantaisie et je me llatte
que cela ne lui a pas déplu. »
Sta^aley, qui connaissait déjà son Paris et qui avait noué
ou renoué des velations avec divers personnages de la cour
ou de la ville, d/nne à Pitt, dans un billet chiffré (1), quel-
<|ues notes sur Choiseul : « Le ministre est un homme de
vive intelligence, mais peu préparé pour la pratique,
franc dans ses propos, souvent sincère au moment même
où il parle, mais volage et très indiscret. 11 traite toutes les
affaires, même avec les gens les plus haut placés, comme
matière h plaisanteries. Il a sur le Roi une influence qui
ne dépend en aucune façon de la dame. Pour celle-ci il n'a
guère d'égards, ([uelquefois, il se montre brutal; quand
elle veut parler affaires, il lui répond qu'elle est belle
comme un ange ; l'autre jour, il lui a dit de jeter au feu un
mémoire; il est tout à fait étranger à l'alliance autri-
chienne ([ui est l'ouvrage de Bcrnis. »
Passons maintenant la Manche et rendons compte du
premier entretien de Bussy (2) avec Pitt. L'envoyé français
était arrivé le 31 mai à Londres où il s'était logé chez un
aubergiste demeurant dans Suffolk Street, près de Charing
Cross ; les visites commenoèrent le 3 juin. 11 eut avec Pitt
deux entrevues dont il fit son rapport (3) à Choiseul. Inti-
II
(1) Stanley à PiU, en chiffres, 8 juin 1761. Cliathain Papers.
(2) Voir sur la ncgocialion de Londres Lawson Grant, « La mission de
M. Bussy », Paris, l'JUiî.
(3) Bussy à Clioiseul, Il juin I7»ll. Affaires Étra(i;^»;res.
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52G
1,A GUKIUU'; DU SEPT ANS.
CIIAl'. IX.
midé par l'homme dctut cinglais, convaincu que ce dernier
profiterait de la moindre concession de la France pour dé-
noncer celte puissance ii ses propres alliés, peu coulianl,
par consé([uent, dans le résultat des négociations, Bussy
resta sur la plus grande réserve ; l*itt, au contraire, s'expli-
qua sans restrictions. A. son interlocuteur (|ui soutenait que
la clause du « statu quo » deviendrait cadu(|ue si l'Angle-
terre n'acceptait pas les dates du premier mémoire, Pill
de répliquer : « Si la cour de France se tient à sa parole,
la conclusion de la paix est une affaire de huit jours de
tenq)s. Nous ne voulons pas étendre nos conquêtes au delà
de ce qu'elles sont ; nous nous contentons de celles que
nous avons. Vous ne nous avez [)oint demandé d'armistice,
et je présume que vous ne le pouviez pas à cause de vos
alliés; mais quand vous l'auriez demandé, nous n'aurions
pu vous l'accorder. La raison en est simple, il serait tout
à votre avantage et à notre préjudice La paix définitive
serait retardée par mille embarras qu'on ne peut prévoir,
et <{ui peuvent aisément faire dilférer la paix trois ou
quatre mois, et plus encore, si la conclusion était liée à
celle de la paix d'Allemagne. Pendant ce temps, vous
pouri'iez rétablir une partie de votre marine, envoyer des
secours à vos colonies, nous faire perdre la saison des
expéditions à faire contre vous, et vous fortifier de façon à
nous mettre en danger; par conséquent, la fixation des
époques devient absolument nécessaire, mais il n'est pas
possible qu'elle ait lieu autrement que du jour de la signa-
ture du traité, ainsi qu'il est porté par le mémoire de
l'Angleterre du 28 avril. En ce qui concerne les com-
pensations, vous voudrez sans doute faire valoir ce que
vous pourrez conquérir en Allemagne appartenant au roi
d'Angleterre, comme électeur d'Hanovre? » Bussy répon-
dit qu'il ne pouvait y avoir doute à cet égard, « puis-
que c'était en partie l'occupation que cette guerre nous
avait donnée, qui nous avait causé la perte de nos
PREMIKR HAPPORT DK IJL'SSV
527
colonies, .le ne vous tlissimulcrai pas. me dit-il, que du
temps (lu feu Koi cela aurait fait ici une praude impres-
sion; mais aujourd'hui, cela n'en fera que très peu ».
D'ailleurs, il serait impossible pour la Krancc de faire des
établissements permanents; « les constitutions d'Allom.i-
gne vous le défendent; l'Empire même sera contre vous
si vous entreprenez d'y rester ». A [)ropos(le Helleisle dont
Bussy escomptait la prise et la restitution sans compen-
sation : « Vous pouvez être assuré, répli(jua l'itt, que nous
n'avons pas envie de garder Belleisle, mais il faudra bien
cpi'il entre en ligne de conq)te. »
J/euvoyé français fut évidemment impressionné par la
valeur de son adversaire : « Ce ministre. Monseigneur,
me parait avoir de grands talents, une fermeté singulière,
beaucoup de métbode et de suite dans l'esprit. Quoiqu'on
le dise haut et dur, j'ai éprouvé qu'il est maître de
lui-même quand il veut et qu'il sait mettre toute la poli-
tesse imaginable dans les all'aires... Il m'a dit ((u'il était
fort éloigné de vouloir blesser la délicatesse de ma cour et
qu'il me priait de l'avertir, s'il lui échappait qur'lque
expression trop vive, pour qu'il la corrige<^t sur-le-champ. »
Terminons ces extraits par l'esquisse de la politique
intérieure de l'Angleterre; son exactitude prou\e que
notre diplomate avait puisé ses renseignements à bonne
source ; « Les anciens ministres ont perdu de leur consi-
dération. Beaucoup de gens crient à la vérité contre la
dureté de 51. Pitt, mais tous s'accordent à dire que l'An-
gleterre était avilie ci-devant, et que ce n'est que depuis
son entrée danjj le ministère qu'elle a joué un rôle hono-
rable dans le monde. Il n'y a plus ici, en effet, de parti de
l'opposition. Ceux qui pourraient en être les chefs sont
dans le conseil, et M. Pitt a pris l'ascendant sur tous les
esprits par la force de son génie, par son éloquence, par
son courage et son désintéressement. Comme il a 1<^ crédit
populaire et que le comte de Bute a le crédit auprès du
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I,\ f;iîEKUK DE SKPT ANS. CIIAP. IX.
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Koi, ces «Unix ministios sont obligés do s'unir et de se sou-
tenir riiii l'autre. D'iiilleurs, le comte de Itiitc est un jeune
homme <le 1.1 plus grande ospéi'ance, A la vérité, mais (jui
n'a pas l'expérience des allaircs comme son collègue, et
il parait «ju'il faudra (pi'il soit ««ncore longfem[»s lié avec
lui pour pouvoir voler de ses pro|)res ailes. Quant au sys-
tème (pje M. I»itt a pris sur les all'aires avec la France, il
n'a pds voulu en être resj)onsal)le. Il s'c'st tenu un grand
conseil ici avant mou arrivée; le Chancelier, chef de la
Justice, a été consulté sur l'interprétation du mémoire du
20 mars; M. l'itt a réuni tous les mendircs du Conseil à son
opinion, et il s'est fait assurer, pour ainsi dire, sa conduite
et son système par ses collègues. »
hussv avait reçu la visite des ministres i)russiens. mais
s'était excusé de ne pas la rendre, les relations entre
1( s deux cours étant rompues. La conclusion de sa dépêche
est pessimiste : « Comme je prévois, Monseigneur, que
vous pourrez m'envoyer incessanunent Tordre de quitter
l'Angleterre, je vous supplie de bien vouloir m'adresser
mes passe-ports. » Dans un bille' ntime, l'envoyé fait
allusion aux commissions féminines dont il avait été
chargé. Il avait compté acheter « des belles moires et des
damas mascarades » pourles deux duchesses (M""" deChoi-
seul et de Gramont), mais ces tissus ne sont plus de mode ;
« les dames ne portent presque que de nos étoffes de
France qui passent par la Hollande et sont réputées hol-
landaises )).
Trois jours après l'envoi de la lettre de laquelle nous
avons tiré les citations ci-dessus, la ville de Londres fut
mise en émoi par la nouvelle de la capitulation de Bel-
leisle; de tous côtés, on fit des prépai'atifs pour une fête
populaire et pour des illuminations. Bussy, très inquiet
de la fausse position dans laquelle il allait se trouver,
courut chez Pitt solliciter la protection de la police etpré-
senta une demande de restitution pure et simple de la
iaN."
"ssse
^^SË^ÙsSi*
NorvKU.K m: la puisr nr, iiFM.Krsr.K
RM
iiouvolhî coiujiirl»'. La i'0((ii«M(' ainsi inlrodiiilo lUait iiiop-
pofliiiic, si on se pliiinil .ni point <lo vik' «I'uik; prompte
issue <les n<\i;()ciations, mais elle avait des partisans parmi
les hommes d'Ktat an^'lais. Itedford ili comparait itell(>isle
à l'ilc de Wif^'ht : « hemaiide/ à n'impoi-te rpiel citoyen
ant^'lnis de mollre la main sur* son l'o'nr et de dire si,
<|nel(|n«i jurande (jne puisse ètn* la détresse de son pays, il
pourrait collaborer h un<i i)aix (pii céd<M"ait l'ilc de Wiglit
à la France? Si le cas est paicil, traitons les auti'es comme
nous Voudrions ôtre traités par eux. »
Disons de suite que Clioiseul i2) n'attacha d'importance
ni aux scrupides ni aux craintes de son envoyé : " Stanley a
dîné chez Starlienihcri^ ; cela nous a paru trèssimjde, aussi
le lloi vous ordonne de rendre la visite aux minislies prus-
siens... Vous leur répondrez (jue vous ij.;iiorez absolument
ce (]ui sera traité à Aui^sbourf,", et de bonne loi je l'ignore
connue vous, les Impératrices ne nous ayant pas fait con-
fidence de leui's vues etencoi'e moins de leurs prétentions,
dont Je u(^ suis pas cui-ieux, parce que si nous nous accom-
modons avec l'Angbîterre, toute cette; dispute allemande
sera bientùt linie de fait. » Il ne pouvait être question du
retour : « Ne songez pas à revenir que je ne vous le mande,
mais si ce cas arrivait qu'il ne faut pas précipiter pour
éviter les torts et les reproches », les instructions néces-
saires seraient données en temps utile, a J'espère, ajoute-
t-il, que vous aurez illuminé depuis la cave jusqu'au
grenier pour la prise de Helleislc, afin d'éviter d'être
déchiré par la populace. Votre illumination nous fait ici
un peu moins que la prise de cette île. »
Le 10 juin, nouvelle; conversation de Pitt et de Bussy (3).
Le ministre anglais, qui avait pris les ordres de (Jeorges III,
commença par refuser net la lestitufion de Belleisle sans
(1) nedford i\ Bute, 1;{ j«ni» 1761. Newcastle Papers.
(2) Clioiseul à Itiissy. Ojmi tTtii. Affaires K(ran};ères.
(3) Bussy à CiioiseuU 19 jaWi TSti. Affaires Klraiigèie».
(îlERnE nR SEPT A'S-. - T. IV 34
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T,A GUERRE DE SEPT ANS. - CIIAP. !X.
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compensation. Puis on reprit la discussion des époques; à
cette occasion, Pitt constata que le langage de Choiseul à
Stanley était beaucoup plus précis que celui dont se
servait Bussy; à. l'appui de son observation, il lut des
extraits de la corresoondance de l'envoyé britannique.
Il est à remarquer, en ell'et, que le ton de Choiseul, no-
tamment sur la conclusion de la paix particulière et
sur la question des dates, avait été fort ditl'érent de celui
qu'imposaient à Hussy ses instructions. Pitt, en termi-
nant l'entretien, lui laissa « un papier pro memoria »
mais non pas comme écrit ministériel. Pour répondre
au vœu émis par Ciioiseul, le cabinet anglais |)roj)Osait (1)
de lixer les dates, pour l'application de Viifi pussidelis,
aux premiers juillet, septembre et novembre; mais dans
l'intérêt de la pai.v et pour éviter que la tixation ne de-
vint « dans la suite une source de discussions embrouillées
et d'altercations captieuses et dangereuses », Sa Majesté
Britannique ne conviendrait «■ desdites époques qu'unique-
ment aux deux conditions suivantes :
1 " Que tout ce ([ui sera heureusement arrêté entre les
deux couronnes relativement à leur guerre particulière,
soit r-endii obligatoire, linal et ccmclusif, indépendamment
du sort des négociations d'Augsbourg pour ajuster et ter-
miner les contestations d'Allemagne, et pour en rétablir
la paix générale;
2" Que ledit traité dètinitif de paix entre la (Jrande-Bre-
tagnc et la France soit conclu, signé et ratifié ou des arti-
cles prélimin.aircs à cette fin, entre ci et le 1"' d'août pro-
chain. » Kn outre, Sa Majesté Britannique déclarait t\n:\
l'égard de Belleisie, elle consentirait « dans le traité futur
d'entrer en conqiensatiou sur cette importante concjuôfe ».
Quant aux autres échanges, « Sa Majesté se réserve d'ap-
II
(I) Pro Memoria remis par PiU, 17 juin 1761. Affaires Etraiii^èrcs et Rf
cord uriiee.
.
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NOTE niCTKE PAR CnOISKUL A STANLRV.
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prcndro quels pourr;ti(^nl rti'o los désiis do Sa M. Très
(Ml rétienne sur ce poinf, en suite de quoi Sa Majesté s'ou-
vrira avec toute sincérité et bonne foi ».
Bussy prit en mauvaise part îi note do Pitt : « Il pa-
rait eortain, Monsoigricur, quo ce ministre est déterminé
à continuer la guerre ou à nous faire acheter la [)aix
an prix le plus déraisonnable... Il fait dos confidences
aux ministres étrangers et nous accuse de ne pas tenir
notre parole. )i Malgré ces sombres pronostics qui s'ins-
piraient évidemment de ro[nnion do Fuentes et de (Ja-
lilzin, hostiles tous les deux A la politique et à la per-
sonne do Pitt, cet homme d'hltat avait réellement fait
un pas en avant dans la voie de l'ontento. Le même jour,
(Ihoiseul {n\ lit un plus grand dans une entrevue qu'il
eut avec Stanley. Ce dernier fait un récit dramatique (1 1 do
leur con\<'rsation : Kn réponse à un apj)ol radjurant de
prendre l'initiative et do formuler les dosid(U*ata do la
cour do Versailles, Choisoul, fort ému, exigea (pie, sui- la
communication qu'il allait faire, le secret le plus coin[)let
fût gardé vis-à-vis dos ambassadeurs étrangers et môme
de liussy; seuls, Pitt ot ses collègues du conseil intime de-
vraient on connaître. Puis il parla dans les ternies sui-
vants : « La nécessité de la [)aix avait fait l'impression la
l)lus profonde sur le Uoison maître; seule, Sa Majesté était
au courant du langage qu'il allait me tenir... La raison (pii
le poussait à désirer quo l'alTaire fût traitée par mon en-
tremise dans le secret le plus absolu était due à l'obliga-
tion de mettre MM. Starhomberg, (irimaldi et (Izorni-
chew (2) au c()Ui'a"t do toute la correspondance échangée
avec M. de Bussy, lef|uol avait également ordre de ren-
seigner cxacteuKMit le prince (Jalitzin ot M. do Fuontes
Il avait été conquis par mes arguments et [)ar mes pro-
(I) Slanlny à Pit(., (S juin 1701. Ni-wcasUc Papois. lliTonl oriicc. Voir l.i
liailuclion iIoiiiii'm\ par (.awsoii (iraiil.
{D Aiiibassadeur île Russie ;> la eour <le Versailles.
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LA GlERRK DK SEPT ANS. - riIAP. IX.
testations; car jusqu'alors il s'était grandement méfié de
la sincérité de notre cour ; il n'avait pas osé s'exprimer
l)lus clairement parce que, si ses offres étaient repous-
sées sans résultat pour son pays et sans la satisfaction
d'avoir rendu la tranquillité à son maître, il se serait
attiré l'animadversion générale des Fran(,;ais et encouru
le discrédit de la part des alliés. »
Ces prémisses posées, Choiseul énuméra de vive voix
les conditions (]uc la France accepterait pour la conclu-
sion de la paix. Stanley dit qu'il ne pouvait les prendre
qu' « ad référendum »; mais pria le ministre, pour éviter
les erreurs ou les oublis (jue lui, Stanley, serait capable
de faire, de les lui remettre par écrit. « Là-dessus,
nous passâmes de la galerie dans son cabinet, et là il
me dicta la note incluse qui est la pièce originale écrite
pai' moi, puis 't'.ue et revue avec soin ptr lui. Pen-
dant la dictée, il marchait de long en large dans la
pièce et était en proie à une émotion très vive. Il me
demanda ensuite d'un ton qui indiquait beaucoup d'in-
quiétude si je pensais que ce précis pût servir de base
iV un traité. » A la suite de cette question, la conversation
s'engagea : Stanley, ayant soin de déclaior qu'il no par-
lait qu'en son nom personnel, présenta à certainc^s
clauses des objections que Choiseul réfuta en défendan!
son projet. A signaler une concession imprudente du
ministre français relative aux conquêtes e.i Allemagne,
« leurs troupes évacueraient de suite non seulement la
liesse, mais aussi >Vesel et les territoires appartenant au
roi de Prusse lesquels il considérait comme rattachés à
la guerre britannique ».
En ce qui concerne Belleisle, dont on venait d'apprendre
la prise, Choiseul dit qu'il ne l'avait pas comprise dans
les compensations, parce qu'il ne s'en souciait guère et
que nous pouvions la garder, si nous le voulions. Stanley
en relatant cette boutade prétend qu'elle ne s'harmonisait
:.0.U
liiiiilliiRiiP
IHjl jti_"_ ,1|,„^nt jWjnJ»iiWai»ii- 1 .
CHOISEUL MET HUSSY AU COURANT.
533
guère avec l'expression des traits de son auteur. « Je
ne suis pas du tout convaincu, conclut Stanley, que ces
conditions oient les meilleures que nous puissions ob-
tenir de la France. Elles sont ses premières ofl'res.
J'estime cependant que S. E. combattra ferme pour les
pêcheries et sacrifierait plutôt tout autre point. Ces pro-
positions semblent prouver tout au moins que la France
agit en personne sérieuse. »
La note dictée par Cboiscul (1) porte la date du
17 juin; elle est conçue dans les termes suivants : « M. le
duc de Choiseul propose à M. Stanley : il demande
la restitution de la (Guadeloupe et de Marie-Galante,
ainsi que celle de Gorée pour l'Ile de Minorque ; il pro-
pose la cession entière du Canada à l'exception de l'Ile
Royale, où il ne sera point établi do fortifications,
et pour cette cession, la France demande la conserva-
tion de la pèche à la morue, telle qu'elle est établie
dans le traité d'Utrecht ; et une fixation des limites du
Canada dans la partie de l'Ohio déterminée par l.^s eaux
pendantes, et fixée s'" clairement par le traité, qu'il ne
puisse plus y avoir aucune contestation entre les deux
nations par rapport aux dites liinites. La France rendra
ce que ses armée» ont conquis en Allemagne sur les
alliés britanniques. >
Dans le mystère do. ' le ministre avait entouré sa coni
munication, dans les c ifidences qui lui avaient servi de
préface, dans le secret ([u'il avait exigé vis-à-vis de lUissy
lui-même, il y avait beaucoup de mise en scèm\ (Choi-
seul s'était comporté en actuur accompli et, pour impres-
sionner l'impassible Stanley, avait eu largement recours
à son esprit d'invention, il n'eut jamais l'intention de
cacher à Bussy les conditions qu'il venait d'esquisser
ou s'il eut cette pensée, il ne la conserva pas longtemps,
(\) Proposilior. de Phoiseul. 17 juin, Newcaslle Papers et Record Office.
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534
LA GUERHK DK SKPT ANS.
CIIAP. IX.
car deu.v jours ne s'étaient pas écoules qu'il mit son en-
voyé au courant de ce qui s'était passé : « Dans une
conversation, écrit-il (1), que j'ai eue avec M. Stanley,
après avoir discuté longuement les compensations, nous
sommes venus au point de l'îiii-e des propositions et je
lui ai laissé entrevoir ([uc le Koi rendrait Port-Mahon
pour la Guadeloupe, Marie-dalante et Gorée; que les
Conqiagnies s'accommoderaient aux Indes; que les eaux
pendantes serviraient de limite au Canada du côté de la
rivière de l'Oliio et de la Louisiane; que nous g-arderions
l'ile Royale sans fortifications et la liberté de la pêche,
et céderions la totalité du Canada; nous n'avons point
parlé de l)unkei(|ue ni de Belleisle, mais j'ai ajouté
qu'aux conditions (juc je venais de lui dire, je ci'oyais
que le Koi ferait rentrer ses armées d'Allemagne en
France, sauf 'c licenciement i)areil de l'armée hano-
vrienne. M. Stanley non seulement a bien entendu le
système de pacilication que je lui proposais, mais il l'a
même écrit dans mon cabinet et a envoyé un courrier eu
Ang'lelei're; il m'a demandé si je vous en éci'ivais, je lui
ai (lit que je vous répondrais fort en détail sur le « statu
(juo » ; et qu'il était inutile quant à présent de vous en-
voyer un projet qui n'était pas encore constaté par la
volonté précise du Uoi, qu'il fallait attendre quelle serait
la réponse quo l'on lui ferait, et qu'alors je vous ins-
truirais; ainsi vous ne devez faire aucun semblant que
je vous aie rien mandé des idées qui ont été commu-
niquées à M. Stanley, et laisser venir sur cet objet
M. Pin. » La comparaison de ce compte rendu avec le
texte dicté à Stanley laisse apercevoir quelques diver-
gences. A en croire le récit de l'Angidis, et si l'on con-
sulte la note, les déclarations de Choiseul à propos de
l'évacuation de r.Vllemagnc auraient été plus catégo-
(1) Clioisi'iil a lliissy, |t;u'licuii('re, l'J juin 17(11. Affaires Etrangères.
UUSSY DOIT IGNORER I.A NOTE DICTEE A STANLEY. f.35
l'iques et la réciprocité de l'action anglaise, quoique pro-
bablement sous-entendue, n'aurait pas fait l'objet d'une
mention spéciale.
Ainsi qu'il l'avait dit à Stanley, la dépêche officielle (1)
de Choiseul p Bussy insistait sur la nécessité de s'entendre
sur les dates et faisait à peine allusion aux conditions. « Il
faut qu'elle (l'Angleterre) nous fasse connaître si elle
adopte nos époques; si elle ne les adopte pas, qu'elle en
propose d'autres, car ce ne serait ni négocier, ni rai-
sonner que de dire : Nous acceptons Vuti possidelis, et
l'époque que nous assignons est la paix. Cette manière de
traiter ressomblcrait à celle d'un homme à qui un mar-
chand proposerait un diamant pour mille louis, qui di-
rait au marchand : vous m'avez proposé un diamant, je
l'accepte, et quant au prix, je verrai ce qui me con-
viendra. Je doute qu'il y eût beaucoup de marchands
qui adoptassent un pareil raisonnement. » Si l'occasion
se présentait « dentamer plus avant la proposition de la
paix », lîussy était autorisé à offrir de signer « un acte
quelconque par lequel il sera convenu entre les deux
puissances :
1" Que Yuli possidelis est la base de la négociation,
2" Que les États des alliés de la Gi'ande-Bretagne en
Allemagne sont compris dans Vuti possidelis ;
3" Que les deux couronnes se garantiront récipioque-
ment les possessions nouvelles qu'elles auront acquises
pendant la gueri-e dans toutes les parties du monde, et
dont la possession leur sera confirmée par la paix;
4° Que l'Angleterre nommera dès à présent, les époques
qui constateront 1'//// possidelis, pourvu que ces épo-
ques ne soient pas plus éloignées (jue le terme de six
mois.
« Si M. Pitt vous fait des difficultés sur le second ar-
; (
(1) Choiseul à Bussy, Maily, 19 juin 1761. Allaiit's Etrangères.
%
536
I.A OUKRRE DE SEPT AINS.
CHM'. IX.
ticle, VOUS lui direz positivement que sana doute il n'a
pas imaginé que la France, en proposant le « statu <]Uo »,
ait voulu proposer simplement d'accordcM' tous les avan-
tages qu'avait l'Angleterre, et d'abandonner ceux ({uc
les armes du Roi lui ont procures en Allemagne. S. M.
regarde l'armée britanni(|ue et les princes dont les
troupes la composent comme une armée agissant pour la
cause de l'Angleterre contre la France, et dans ce sens
G<»ttingen n'est pas le seul pays que possède le Roi ap-
partenant ou sous la protection de la cause anglaise. La
Hessc, par exemple, doit intéresser, dans cette circons-
tance, autant l'Angleterre que l'élcctorat d'Hanovre, le
landgrave étant, comme l'électeur d'Hanovre, armé pour
la cause britannitjue. » (Citons enfin la conclusion de la
lettre que Russy devait lire comme de son propre mou-
vement à Pitt : « Au surplus, si le ministère britannique
veut la paix, les propositions chronologiques feront bien-
tôt place aux propositions géographiques et catégoriques. . .
Le Roi me parait trop grand, ainsi que le roi d'Angle-
terre, pour tiVtonner comme anciennement sur leur déter-
mination... S. M. a déterminé le prix qu'elle voulait mettre
cà la paix. Il ne sera ni plus considérable ni moindre que
ce qu'il dira dès la première fois; et si ce prix n'est pas
accepté par l'Angletcire, il faudivi continuer la guerre jus-
qu'au temps où la Francejugcra pour son intérêt qu'elle doit
faire de plus grands sacrifices, ou l'Angleterre qu'elle doit
se procurer de moindres avantages. Quoi qu'il en soit, je
n'en serai pas moins le sincère admirateur de M. Pitt, et le
serviteur de M. Stanley qui me convient on ne peut pas da-
vantage, C'est un honune d'esprit, simple dans ses maniè-
res, et qui me paraît un honnête homme et très véii-
dicjue. »
Dans l'entrevue (1) du 23 qui suivit l'arrivée du cour-
(1) Hussy a Choiseul, M.iuin t/Oi. Affaires EU'anj^oi'Ps.
BONNE IMPRESSION A LONDUES.
687
ricr, Pitt se, déclara satisfait de la lettre; de Choiseul et
d accord avec lui sur le maintien de ïiiti possidetis et
sur la connexité de cette clause avec celle des époques;
d'ailleurs, il avait déjà proposé les siennes. Puis il de-
manda si Bussy avait quelque chose à dire sur les
conditions. Le Français, lidèle à sa consigne, répondit
qu'il n'avait pas encore reçu les instructions de sa cour
à ce sujet. Pitt qui avait en mains le papier de Choi-
seul, et qui ne croyait pas au mystère gardé à l'égard de
son interlocuteur, insista à plusieurs reprises maiSv'in vain
sur ce point. Néanmoins, on effleura plusieurs questions :
les conquêtes françaises en Allemagne, les limites du
Canada, la démolition des fortifications de Dunkerque,
l'attribution des Antilles neutres, liussy se dit presque
rassuré sur renvoi de nouvelles expéditions contre les
possessions françaises : « Il parait qu'il (Pitt) n'en fera
aucune de sérieuse jusqu'à ce qu'il sache décisivement
s'il y a moyen de rétablir ou non la paix avec la
France. „
Malgré les réticences de Bussy, qui paraissaient sus-
pectes à Pitt, la note de Choiseul et les explications de
Stanley qui l'accompagnaient, produisirent une excellente
impression à Londres. Décidément, la France était de
bonne foi et on pouvait entretenir l'espoir fondé d'une
entente prochaine. Bute \i) se félicite avec Newcastle >c de
la première ouverture de la France; elle n'est pas telle
que nous l'aurions désirée, et cependant, je me flatte
cju'elle ne s'en éloigne pas beaucoup ». Hardwicke i 2) est
dans les mêmes sentiments; il craint des difficuilés à
propos du droit de pèche et n'est pas rassuré sur les ré-
serves de l'envoyé anglais : « Stanley a flatté son pa-
tron... en disant (ju'il ne fallait pas considéi-er la note
(1) Bute à Nowcaslle, 22 juin 1761. Newcastle Papers.
{■>.) Hanlwickeà Newcastle, 23 juin 1701. Newcastle Papers.
i
538
LA GDKRKK DP, SKPT ANS. — ('Il VP. IX.
" '
comme un ullimalum de la France, mais comme leur
première proposition. Lord Bute s'est plaint de ce que la
négociation avait été ti'ansportéc à Paris et m'a dit que
si on avait pu prévoir que cela se passerait ainsi, il au-
rait fallu donner au Roi plus de temps et plus de loisii-
pour choisir le négociateur. Quant à moi, pourvu qu'on
fasse une bonne paix, je me soucie très peu de celui qui
la bouclera. »
Le conseil consacra deux séauces à l'examen des offres
de Choiseul et à la préparation des contre-oH'i'es anglai-
ses. Newcastle (1) nous donne un résumé des débats.
Pitt déliuta en manifestant la satisfaction que lui avait
causée la lecture de la pièce française, (juelque incom-
plète qu'elle fût. Il se prononça en faveur de l'admission
descon(|uètes françaises d'Allemagne au compte des com-
pensations. Tout le monde partagea cette manière do voir.
Ce point acquis, Pitt passa en revue la note dictée par
Choiseul, qui « malgré l'obscurité, la duplicité et le peu
d'importance de l'ensemble », devait servir de base de dis-
cussion. Le conseil fut unanime à exiger la cession du Ca-
nada en entier sans fixation de limites, ainsi que de l'ile
du cap Breton. F^a question des pé^'heries donna lieu à une
longue discussion. Pitt se déclara nettement hostile à tout
renouvellement des droits de pèche accordés par le traité
d'Utrecht; l'exclusion des Français devait être une condi-
tion « sine qua non ». A l'en croire, plutôt que céder sur
cet objet, mieux vaudrait rompre la négociation et risquer la
continuation de la guerre pendant la campagne actuelle et
même en recommencer une autre. Tel était son avis per-
soimel, mais il s'inclinerait devant le vote de la majo-
rité. Le vieux Granvillo combattit une pareille intransi-
geance; nous y perdrions la paix et mettrions contre nous
toutes les puissances maritimes de l'Europe. Bute ne de-
(1) Newcastle à Devonshiie, 28 juin 1761. Newcastic Papers.
DÉHAT SUR LA QUESTION DES DHOITS DE riCHIv
5.19
maiulail pas mioux([U(Mrc'Ss<iyer(rim[)()S(irrex('lusioii, mais
il n'eu forait pas une cause de rejet. Ilardwicko fit reniar-
(|uei' que si on refusait de renouveler un article du traité
d'IItrocfit favorable à la France, on ne pourrait plus
exiger la démolition des fortifications de DunUcrcpie rpie
stipulait ce môme traité. Bedford, llalilax et Newcastle
s'élevèrent énergiquenient contre l'exclusion, et «pioique
Temple appuyAt la thèse de l*itt son beau-frère, le con-
seil, à une forte majorité, vota le maintien des clauses
du traité d'Iltrecht. Mais Icsmembics de la minoi'ifé profitè-
rent de l'intervalle qui s'écoula entre la première séance
et celle dans laquelle Pitt devait donner au comité con-
naissance des nouvelles instructions destinées à Stanley,
pour apporter un changement à ce qui avait été adopté.
Après lecture de la pièce, le débat reprit; il y eut une
altercation assez vive entre Bute et Pitt. (îc dernier avait
(jualifiéde « puérile et illusoire » toute attitude qui ne po-
serait pas le « sine qua non ». Bute qui, tout en souhai-
tant le refus , ne voulait pas en faire une occasion de
ruptuie, protesta avec humeur. Kn lin de couqite, sur
sa proposition, on inséra dans la dépêche un paragraphe
déclarant que les droits de pèche ne seraient maintenus
([ue si on obtenait sur un autre point quelque concession
sérieuse. Le passage de la réponse anglaiserelatif aux pê-
cheries fut rédigé dans les termes suivants (1) : » Knce qui
concerne le privilège spécial qui, en vertu de l'art. i;J du
traité d'Utrecht, autorise dans certaines limites et sous cer-
taines conditions les sujets de France à pécher le poisson
et à le sécher sur les côtes d'une partie de Terre-Neuve,
j'ai à remarquer qu'une demande de ce gros avantage basée
sur un traité qui n'existe plus, ne peut que rencontrer
de sérieuses objections et ne sera jamais accordée qu'en
échange d'une forte et importante compensation. D'ail-
U
^
(t) Pitt à Stanley, 26 juin t7r.l. Uecord Ol'lice. Newcastle Papers.
r.io
LA (UF.UHK DE SKl'T ANS. - CHAP IX.
lours, (|iu'||(' quo soit la décision liiiale do S. iM. sui-
cette question, ce point épinru.v ne peut être examine
convenablement qu'au moment où on étudiera le re-
nouvellement dudit traité otd<'S aiticlos relatifs à d'autres
allaires essentielles et plus parliculièrenu'nt la démolition
de l)uiikei'<puî. »
Dans le préambule de la lettre à laquelle nous venons
d'emprunter le paraj^raphe spécial aux pêcheries, Pitt re-
produisait ses critiques à propos des Ijicuneset d«* l'insufli-
sance de la note deChoiseul, se moquait de l'air de mystère
dont s'était entouré l'auteur, mais admettait la sincérité des
ouvertures. Il répondiaitàla|)ropositi française, non par
une contre-proposition officielle, nifiis pardes observations
successives. Sans nier le devoir de lAnpleterre de stipulei'
pour ses alliés la restitution des acquisitions allemandes, il
en contestait la valeur; puis passant au Canada, il repoussait
des prétentiojis qui n'avaient d'autre but que d'augmenter
la F.ouisiane aux dépens de la province cédée. Quant aux
autres compensations, Belleisle était plus que l'équivalent
de Minorque ; Guadeloupe ne pourrait être rendue qu'il près
l'évacuation immédiate de r,Vllemaf;ne par les armées
franf;aises. L'arrauf^ement relatif aux Indes Orientales était
inacceptable. Dès à présent, le cabinet de Versailles aurait
à considérer « comme |)oints fixes et non soumis à chan-
gements sans lesquels S. M. Britannique ne consentirait
pas à la paix :
1" Cession absolue, sans détermination de nouvelles
limites, du Canada tout entier, ainsi que du Cap Breton
et des autres lies situées dans le golfe et le fleuve du
Saint-Laurent ;
2" Cession du Sénégal et de Tile de Corée ;
3" Démolition des fortifications de Dunkerque et retour
aux conditions appliquées à cette ville par le traité
d'Utrecht;
4" Partage équitable des Antilles neutres;
.'i-«— LJ
CONDITION.H ANGI.AISrS.
641
5 itcslitution de Minorque et de Ueuevoleii [\j dans nie
de Sumatra;
6" Heslitution iiniufidiatc des cutkjuMcs françaises en
Allemagne, y compris VVesel. »
Les autres dilléreuds resteraient matière à discussion
entre los deux rouivtnnos.
bis le 29 juin, c csl-îi-dire dans un délai de Irois jours,
exceptionneilemenl court pour les communications diU'ëpo-
que, Stanley eut en mains les conditions anglaises formulées
dans la dépêche du 20. Il eut aussitôt avec Choiseul plu-
sieurs conversations dont il transmet le résumé (2) à l*itt :
On tond)a d'accord sans grande difficulté sur le principe
de la cession du Canada tout entier, tel qu'il ;ivail été
délimité du temps de la possession française. La lutte
pour le (]ap Breton fut dure : « .l'ai cru que nous rom-
prions sur ce point; enfin, il (Choiseul) a suggéré que
l'Angleterre désigne un port à son choix, sans moyens
de défense, partant toujours à sa merci, sans établisse-
ment militaire d'aucune sorte, ayant une juridiction
civile pour trancher les litiges ([ui pourraient naître; en
un mot, cette localité à usage de port de refuge ou d'ahri
j>our les barques des pécheurs français... En fait de con-
cession, il ira jusque-là, mais plutôt «[ue d'aller plus
loin, je crois qu'il se jettera dans les bras de l'^Vutriche. »
La clause dès fortilicalions de Dunkenjuc rencontra la
même résistance : « Mieux vaudrait nous abandonner la
possession de la ville que de se soumettre aux visites
d'un commissaire anglais aussi bien tpi'à des plaintes
perpétuelles et à des complications chaque fois qu'on
raccommoderait une écluse ou qu'on réparerait un«'
digue. » Les pêcheries de Terre-Neuve et les fortifica-
tions de Dunkerque tenaient fort à cœur à Choiseul qui lui
avait dit à plusieurs reprises : « La pêche est ma folie. »
(t) CoïKiuiUe de d'Estaing au cours d'une croisière.
(2) Stanley à Pilt, ao juin, 1" juillet 17C1. Record Office.
il
( m
I
&43
l,\ r.UKHRK l)K SKPT ANS. - CIIAP. IX.
/ I
«. ^
Lors (In IViilicIi»'!! liiial (1) ses (lri'ni«'rs iiiofs avnieul éf«^ :
« Donnez-nous de la péclH; et siuivc/ nous le point tllion-
neur pour DunUerquo, car ce n'est «pu' cela, et la paix
est faite. » Les conversations entie les denx négocia-
teurs n'étaient d'ailleurs cpie le prélude de la réponse
(tl'flcielle (|ue la cour de Versailles avait l'intenlion de
l'aire et d'ap[)uyer d'un mémoire lu au Conseil et ap-
prouvé par lui.
Pour la première l'ois, il est question de i'Espapne :
« Le duc de Choiseul, après m'avoir assuré avec insis-
tance combien il préférait une paix acccptahle, m'a dit
d'une fa<,'on claire et explicite, ce (jue je savais déji"i,
que des ouvertuiu's avaient été laites à la France pour le
cas où elle voudrait continuer îa i^ucrre; il a également
insinué ({u'ils auraient do nouveaux alliés, faisant allu-
sion à iKspagne... Nos informations de bonne source
m'inclinent JÏ croire (juo ce qu'il dit est tout à fait vrai.
Je sais que les mauvais agissements de M. de (Irimaldi
en vue d'em|)éclier le présent traité, (juoicpie moins appa-
rents (|ue ceu:i de M. de Starliemberg, ont été beaucoup
plus perlides et tie mauvaise foi. Je présume qu'ils ont
été inspirés par les conllils (jui existent entre sa cour et
la notre. » Le conlemi des lettres de Slanley fut mal in-
terprété par les membres du cabinet britannique (2). Le
relard que cotnporteraient la rédaction et l'adoption de la
réponse oflicielle et du mémoire annoncés ne serait-il
pas un moyen dilatoire? f^a cour de Versailles ne laisserait-
elle pas tiainer les négociations dans l'espoir d'un événe-
ment Iicuroux en Allemagne où les hcjstilités venaient de re-
prendre.' Ces interrogations se posèrent et eurent pour eil'el
de remettre vn suspicion la bonne foi du cabinet français.
Keportons-nous maintenant à la correspondance avec
Hussy (jui nous renseignera sur les sentiments réels du
(1) Stanley à PiU, P. S., r, juillet 17iil. Record Office.
{'!) Harilvvicke a Nowcastle, 8 juillet i7Gt. Newcaslle Papers.
h
!T
IMPORTVNCK DES PlîrHKRIES VL" POINT DE VUK l'HANÇAlS. 543
ministre friuK^ais: llhoiseul, dont In loltrc ostpostéi'iciiredo
peu de jours à la tliscussion avec Stanley, constate (1) que
le désaccord existe sur trois points : Caj) Hi-eton, Dunker-
que et le Sénégal. Après avoir Insisté sur l'inqiortance d<'s
pôcluM'ies i\v Terro-Neuve et de la traite des nè^i-ps, et sur
la nécessité de conserver h la marine les ports d'attache
indispensables pour cesdeux branches de commei'ce, il ré-
sumer le débat : k Vous aun;/- attention de manpjeri'i M. I*itt
un éloignement absolu sur ces tiois points, afin de connaî-
tre à quel point ils tiennent, chacun en particulier, à cd'ur
j\ ce ministre. Mais pour votre instruction, je dois vous pré-
venir <jue nous j)ensonsici, cpic celui de la pèche est d'une
nécessité absolue, et sera une condition « sine qua non ».
Celle de la cAte d'Afrique peut être négociée alin de cher-
cher entre les deux cours des tempéraments pour se conci-
lier; celui de Dunkeiupie peut aussi se négocier, c'est-à-dire
que l'on stipule que DunUerque reste dans l'état où il
est à présent, sans l'obligation de démolition, ([ui serait
déshonorante; mais avant de négocier sur les deux der-
niers points, il faut les soutenir, comme je vous Tni dit,
avec acharnement, jusqu'à ce (jue nous connaissions par-
faitement le degré de tenue de M. Pitt sur ces objets.
Quant aux armées d'Allemagne, nous prendrons les pré-
cautions les plus justes pour (jue nos alliés n'aient
pas à se plaindre; le meilleur moyen sera ([ue les armées
du Roi restent sur le Mein et sur le Khin. jusqu'à la con-
clusion de la paix d'Allemagne, à laquelle la France et
l'Angleterre contribueront de tout leur pouvoir, dés que
les différends des deux couronnes seront ajustés. » A si-
gnaler, de la part de Choiseul, la suggestion d'un
échange de la Guyane contre T«n're-Neuve (pie Filt re-
poussera en affirmant « que les Anglais étaient des peu-
pies septentrionaux et qu'ils ne voulaient pas d'établisse-
.1:1
/ i
(1) Choiseul à Bussy, 4 juillet 17C1. Aflaircs Klrangères.
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Ï<i4
LA nUERRE DE SEPT ANS.
fFIAP. IX.
(- )
1|
•1 i
ments méridionaux ». Bussy (|iu avait reçu raiitorisatioii
do parler de la note de Choiseul du 17 juin, aussitôt la
dép«;clie arrivée, eut nue entrevue (1) avec Pitt. Ce deinier
se montra intransigeant sur toute la ligne; d'ailleurs, il
ne parlait ([n'en son nom personnel et devait attendre
la communication oflicielle qu'annon(;ait la cour de Ver-
sailles. Au cours du débat, à pr(»pos des Antilles neutres,
Bussy dit incidemment « ([ue nous ne pouriions traiter cet
objet (jue conjointement avec rKspagne,à cause des [)ré-
tentions » de S. M. v^iatboliquc. « Oh, mon Dieu, s'écriaPitt,
j'espère bien que cela n'arrivera pas; l'Espagne n'a rien à
voir dans la négociation entre les deux couronnes, et l'An-
gleterre ne permettra janiais qu'elle y soit admise. «
Ce fut précisément ce point scabreux de l'intervention
en faveur de l'Espagne que souleva Clioiseul dans s?, let-
tre (2) du 15 juillet : Il prévoit le refus de l'Angleterre
d'accorder une satisfaction quelconque en m;>tière de pèche
et se préoccupe de la ruplu'e qui suivra; « mais, ajoute-
t-il, il ne faut pas presser votre retour et même il est né-
cessaire de g'agner du temps, alin de suspendre les arme-
ments anglais contre nos côtes et d'approcher de la saison
où ils ne sont plus à craindre. Voilà le motif qui m'a fait
différer de 15 jours l'envoi du mémoire que je vous
adresse ». Pour l'échange de notes, il faudra compter
deux mois. Cela nous conduii-a au mois de septembre :
« C'est alors que si nous ne pouvons pas nous accom-
moder avec la cour de Londres, nous rompi'ons avec
éclat la négociation. En la rompant, nous nous engage-
rons dans une nouvelle guerre de concert avec l'Es-
pagne. Pour ne pas perdre l'instant de déterminer la
cour de Madrid à se déclarer contre l'Angleterre, nous
sommes convenus qu'en réciprocité de cette "^.surance,
(1) Hiissy à Choiseul. !» juillol 17CI. Affaires '"^liangères.
(•2) Choiseul à Bussy, 15 juillet 1701. All'aiios Elrunsères.
luai'-i Ju — j. I"-. aiiu — jv.^
MEMOIRE SI R LES GRIKFS ESPAGNOLS. 5'i5
si nos propositions de paix n'étaient pas acceptées de la
cour de Londres, nous joindrions dans ces propositions
les différends de l'Espagne avec l'Angleterre, Quelque op-
posé (jue M. Pitt ait paru à cette union des intérêts des deux
couronnes, il est essentiel pour leur avantage réciproque
qu'elle ne soit pas dissimulée au niiiistcre britannique.
Ce que j'ai pu faire de mieux a été de ne le pas com-
prendre dans le mémoire des propositions positives, et
d'en faire un mémoire séparé, qui est tourné de façon que
<juoi(iu'il dise les mots essentiels, il ne peut pas choquer
la cour britannique; au contraire, il peut être envisagé
comme une preuve de notre bonne foi. »
Avant de remettre les deux pièces iV Pitt, Bussy devait
les communiquer à Fucntes et se concerter avec lui sur le
moment de la présentation de celle relative aux griefs
espagnols. Choiseul était d'avis de « ne faire usage du
mémoire particulier » qu'après avoir reçu la réponse an-
glaise aux conditions françaises. Une remise préi.)
turée entraînerait le danger « d'annoncer la déclaration
de guerre de l'Espagne qu'au contraire, il ffiut ilissimuler
d'autant plus qu'elle sera plus prochaine ». Choiseul se
place dans l'hypothèse de rajournement et continue :
« Si les Anglais, contre notre attente, acceptaient notre
« ultimatum », vous diriez à M. Pitt que ce n'est plus
comme ennemi de l'Angleterre, mais conmie son ami,
(jue le Roi veut conller à S. M. Britannique ses engage-
ments avec l'Espagne; vous lui confieriez l'article de la
convention, vous lui demanderiez conseil sur cet article,
vous lui feriez sentir notre embarras, embarras que nous
ne pouvions éviter, vu l'incertitude de la paix, et que
nous ne pouvons pas éluder à [)résent pour deux motifs :
celui de la fidélité à la parole donnée, et celui du désir
de la solidité de la paix; vous ajouteriez que nous ne pou-
vons pas croire que pour des différends t'ariles à ajuster et
par une espèce de pointillé de vanité, le roi d'Angleterre
(Hiaiiii; m: fRi'T ans. — t. iv. S."»
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LA GUERRE DE SKI'T ANS.
CIIAP. IX.
veuille continuer le malheur de IKurope. » Au .surplus,
le Roi s'en ra|)porterait au jugement de Fuentes sur le uio-
Dient de produire le mémoire franco-espaguol.
Kn ce qui concerne les conditions de paix adoptées par
le coîiseil et jointes à la dépêche, elles étaient plu" com-
plètes que la note de Choiseul du 17 juin, mais elles difle-
raient de celle-ci sur >|uel(tues clauses dont la plus essen-
tielle avait trait à l'évacuation de l'Allemagne. Dans le
papier dicté à Stanley, Choiseul avait promis fort légère-
ment la restitution des conquêtes faites en Allemagne sui
les alliés britanniques, ce qui comprenait implicitemenl
Wesel et les possessions du roi de Prusse sur les deux
rives du Rhin. Les otfres approuvées par '■> Roi eu
son conseil ne parlaient que du Hanovre, de la liesse
et de Hanau. I.,e mémoire .mnexé fais-"it de cet article uu
couimentaire [\) détaillé : « Comms le Uoi est engagé
par un traité avec l'iuipératrico Reine de ne rien stipuler
dans son traité de paix avec l' Angleterre qui puisse être
déjavantageux à S. M. Impériale , le Roi, fidèle à ses
engagements envers ses alliés, et fori éloigné de rien
statuer qui puisse leur nuire, propose au loi d'Angle-
terre qu'il soit convenu que S. .M. liritannique s'engagera
qu'aucune partie des troupes qui oonqiosent l'armée du
prince Ferdinand, sous quelque prétexte que ce puisse
être, ni sous aucune dénomination, ne joindra l'armée
de S. M. Prussienne et n'agira olfensivement contre le^
troupes de l'Impératrice Reine et de ses .illiés, de même
(piaucune troupe française, sous aucun prétexte, ne join-
dra l'armée Impériale et ne pourra servir contre les alliée
de la (Iraudc-Rretagne. Pour constater les positions, il
sera de plus arrêté qu'apiès les évacuations, l'armée di:
Itaut-Rliin connnandée par le maréchal de RrogJie se re-
tirera sur le Mein. le Necker et le Rhin, occupant Frauc-
(1) l'io]iositions do Choispiil. i:t juillet 17<i|. Newcaslk' Papers.
. ;.-T 1 <.tt rrtii rTV - -^ ,
UIVERfiENOES SUU l/ÉVACUATION DE L'AIJ.EMAGNK. 547
foif; et celle du Bas-IUiiii coiiimundée par la maréchal
de Souhise se i-eiliavii jium ih «on c6t«' huv le lljiin, occu-
pant Wosel et lu (liioldre. ^es /)ays dii pal tjp /^ri^sse, sur
le Bas-Rhin, ont été cori(|uis et sont gonve/'ûés flctricHe-
nienl au nom dr l'Ii/ipéi/itpjce |ieine. Le Un} ^p vpudrait
pas s'en.yager à les évacue/' sa||s )p ponseu(e///eftf de S.
M. Impériale et avant le snccès f|es tié^ni'hlijntt^ ijn con-
grès dÂugsbourg. >» Kn nfii'tujtllji )a paix, et dans Je but
d'éviter une dépensa Inutile, Il serait stipulé qu'au fur et
à mesure du (l'ilUti tiji Angleterre du contingent britanni-
que, un nond)re double de troupes françaises rentrerait
en France.
Quelques Jours avant l'envoi de sa dépêche officielle,
Choiseul avait communiqué le brouillon de sou mémoire
à Stanley ; il l'avait inforuié et informa Bussy qu'en place
du Cap Breton, la France accepterait une lie de moindre
importance, Canseau (1) par exemple; il n'insisterait pas
sur la restitution de dorée si le gouvernement britannique
préférait substituer une autre rade; enfin, en réponse à
une interrogation de Pitt, dont Stanley avait adouci le ton
impérieux, le ministre français al'tirmîi ipie la F'rance
n'avait aucune intention de conserver Ostende ou Nien-
port: (( Quant à l'évacuation de Wesel, écrit Stanley (2i,
vous remarquerez une ditrérenct^ radicale entre la propo-
sition actuelle et ce que je vous ai écrit... Le duc uf
désavoue rien de ce <|ui sest passé à cet égard, mais il
dit qu'il ne savait réellement pas que la possession de ce
territoire, ainsi (jue son adminii,tratiou civile, fussent déjà
entre les mains de l'hapératrice Heine, <[uoique ce fût la
France qui encaiss.U les cottributions, etc.. Il reconnaît
qu'il a commis une grosse erreur. » Il va sans dire que cette
explication est inadmissible, car elle supposerait, de la part
il
(1) Petite île S'..r les côtes de lu l'^ouvcUe-Écosse dans les parages du dé-
troit qui sépare la Nouvelle-Ecosse de l'ile du Cap Itieton.
(2. Stanley a Pill, ii juillet iTnl. Record Oflice.
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548
LA (M KRHK m: SKPT ANS. — CIIAP. l.\.
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ue Cl'iOiseul, l'oubli des discussions récentes entre Starheni-
btii'gct lui à propos de Wesel et des districts adjacents, dis-
cussionsdont la première remontait au mois de mai et qui,
depuis lors, avaient donné lieu à une correspondance suivie
avec la cour de Vienne. Une clause garantissant la succession
protestante au trône de la Grande-Bretagne fut déclarée
inutile par Stanley, mais maintenue par Choiseul qui
prit occasion d'affirmer qu'il n'avait jamais donné auv
Stuarts le moindre encouragement.
Puis on aborda la grosse question des réclamations de
l'Espagne qui avait été ajoutée au projet élaboré par le
Conseil. Sur la prière de l'Anglais, Choiseul consentit à
rayer cet article; il est vrai qu'il en fit, cor.- ùous
l'avons vu, l'objet d'une pièce spéciale. Lors a une con-
v(>rsation un peu antérieure, le ministre français avait
fourni à l'envoyé britannique quelques renseignements
sur les engagements existant entre les couronnes de
France et d'Espagne. « 11 y a déjà (fuelque temps, mande
Stanley, avant qu'on ne pensât à la paix, sur la demande de
l'Espagne, la cour de France avait consenti à se lier avec
elle sur trois points : les prises, les bois de teinture et la
pêche à la morue; il lui avait sendilé loyal, étant donné
les chances de paix avec nous, de me dire où en étaient
]es affaires. Il me parut embarrassé de ces engagements
et désireux de voir le litige espagnol terminé en même
temps que la paix entre nos deux couronnes. »
Le résumé que fait Stanley de l'état des négociations
est intéressant : c Le mémoire inclus, écrit- il (1), n'est ni
l'ultimatum de la Franco, ni une réponse ù vos propo-
sitions verbales; il est susceptible de plusieurs alterna-
tives on modifications; les discours que M, de Bussy vous
adressera et les explications que M. de Choiseul me four-
nira en formeront le meilleur commontaire. C'est d'aw» ,
(1) Stanley à Pilt, H juillet 1701. Ncwcasllo PapTS.
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SUCCES DE STANLEY A PARIS.
")40
leur teneur que S. M. dcVidora jusqu'îi quoi point et pour
combien de temps le projet de traité mérite son attention
royale. » Il énumére les concessions qui pourront résulter
des discussions ultérieures, parmi lesquelles le passage
relatif à l'évacuation de rAlleniagne est à citer : « La
France retirera ses troupes do la Wostphalio aussi vite
qu'elle le pourra; elle donnera à ses roprésontants l'ordro
de se concerter et d'agir avec les nôtres à Augshourg dans
l'intérêt de la paix générale en Allemagne ; si on se mot
d'accord d'abord sur ces points, elle se contentera de
mettre ses bons offices au service de l'Kspagne. Je suis
fermement convaincu que si nous lui refusons touto parti-
cipation aux pêcheries américaines, elle renforcei-a ses
alliances actuelles sur le continent et s'en formera de nou-
velles, basées sur des acquisitions dans les Pays-Bas. .le
doute très fort quelle consente à la démolition de
Dunkorque. Telle sera, d'après mon humble opinion,
la situation entre les deux nations et telles seront les
dispositions de la France quand S. M. prendra sa déter-
mination finale entre la paix et la guerr-o. »
A cette heure des débats, l'opinion de Stanley avait
une véritable valeur; très bien accueilli à Paris, il s'était
créé des relations nombreuses dans les meilleurs cercles.
Sans doute, il fait dans sa correspondancr' une part trop
large à ses succès mondains, mais si les impressions sont
exagérées, les faits n'eu restent pas moins acquis. Il est
certain que Choiseul et sa sœur, la duchesse de (iramont,
furent dos plus aimables à son égard. Soit syini)athie pour
un étranger bien élevé, cultivé, intelligent, parlant admi-
rablement leur langue, soit désir de gagner lo plus pos-
sible à leur cause lami et le protégé du grand ministre
qui était le véritable arbitre de la situation, les Choiseul
admirent Stanley 1) dans leur intimité, <'t, dans leur
(1) Stanley a l'ilt, :!8-2'.i juin 1701. Newcastle l'aiiers.
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55(1
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAP. !X.
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commerce journalier, lui montrèrent une confiance qui
paraîtrait excessive si elle n'avait pas été raisonnée. C'est
ainsi que M"*'^ de (Jramont, chaque fois qu'elle rencontre
l'Anglais, l'entretient de sa haine et de son mépris pour les
Allen)an(ls; elle tourne en ridicule Starliemberg et Gri-
maldi ; un jour, après un dîner diplojnatique, elle all'ecte
de faire asseoir Stanley à côté d'elle, de lui parler à voix
basse etde faire durer le tète-à-tète plus d'une heure, alors
qu'elle est presque impolie pour les ambassadeurs autri-
chien et espagnol.
Le public, très favorable ;. 'a paix, accusait la cour de
Vienne d'apporter des entraves à l'entente avec l'Angle-
terre et de souhaiter, dans son seul intérêt, ia continuation
(le la guerre. A l'appui de cette assertion, Starliemberg
rapporte (1) la sortie d'une grande dame, amie intime
de la duchesse de Gramont, à une époque critique des
négociations : « Que ce serait un grand bonheur si les
Autrichiens pouvaient en ce moment perdre deux bonnes
batailles en Silésie, puisque ce serait le seul moyen de
lever les obstacles que la cour de Vienne met à la con-
clusion de la paix. »
Quant îi Choiseul, il lit à Stanley les lettres de Bussy,
lui communique les instructions qu'il mande à Londres,
se moque de son envoyé, rit de la frayeur que Pitt lui
inspire. De son côté l'Anglais, malgré la réserve qu'il
prétend avoir gardée, ne semble pas avoir été d'une
discrétion parfaite. Lors d'un dîner auquel il assistait à
l'hôtel de la Trémoille, la duchesse porta un toast à
la paix; Stanley s'y associa en vidant son verre et ajouta,
en matière de pbiisanterie, qu'il avait eu l'intention de
porter le même toast, à In réception du duc de Choiseul,
mais en regardant ses voisins de table (Starliemberg et
(irimaldi) « je m'étais demandé si je ferais plaisir à toute
(1) Slarlu'iiiberg à Kaunitz. i5 août iTtj!. Cité par Scl.aiîler. vol, 2. p. 375.
\'i:
PORTRAITS DK STARIlEMBER(i ET (HUMAl.Dl.
r)ôi
la société ». M"" de Graïuont lavait averti que ce propos
courait les salons.
De ses deu.\ rivaux, l'Anglais trace (1) un crayon peu flat-
teur : « Starhemberg' est trop préoccupé de ce qu'il ima-
gine être la politesse pour ne pas enlever à sa conver-
sation l'aisance qu'elle devrait avoir; en un mol, c'est un
Allemand qui a voyagé en France; ses moyens sont clas-
sés comme étant d'ordre inférieur. Je n'ai entendu au-
cune attaque contre son honorabilité ou sa probité, mais
ses manières pincées et les airs de pédant qu'il apporte
aux atTaires, lui ont valu l'antipathie bien tranchée du duc
de Choiseul. M. (Irimaldiest plus déplissant et beaucoup
moins « gentleman ». D'après les renseigneniMits les plus
sûrs, sa capacité ne serait que do la ruse et de l'astuce de
bas étage; grâce à cette appréciation très répandue ici,
le sujet est aussi peu dangereux que vous puissiez le sou-
haiter, quand on tient compte de ses mauvaises dispo-
sitions et de l'influence de sa cour.... Ces deux person-
nages sont mal vus des Frant,'ais, auxquels la vanité ne
fait pas défaut, mais qui ne sont ni tiers ni cérémonieux, o
Si Stanley est dur pour ses adversaires, par contre il ne
cache pas son admiration pour Choiseul : « Le duc, si on
l'envisage comme homme d'État, peutêtre inférieur à d'au-
tres en expérience des affaires, en profondeur de vues, en
délicatesse, mais en fait de hardiesse et de courage il ne le
cède à per>onnc ni dans son pays ni dans le notre. Au
cours de s.i carrièie militaire il s'est toujours dis-
tingué. Dans la politique il a toujours eu pour maxime
de jouer le tout pour le tout... M"" de Pompadour avait
toujours été considérée par les courtisans et les ministres
précédents comme une divinité tutélaire indispensable à
leur existence, qui planait au-dessu> d'eux, comme si elle
avait appartenu à un ordre supérieur; mais Choiseul. loin
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H II
(1) Slauiey à l'itl, f. aoiH I7(ii. Newcasth' Papti-^ <;t Record Office.
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552
L.\ GUEHRE DE SKPT ANS. - CHAP. IX.
1' M
de supporter le joug de la subordination, a saisi la pre-
mière occasion de lui ravir, non seulement le partage,
mais même une part quelconque du [)Ouvoir; il l'a ré-
duite à l'obligation d'avoir recours à lui pour les faveurs
dont elle a besoin pour elle-même et pour ses protégés.
Cette révolution (fue l'on aurait cru impossible dans l'in-
térieur (le la cour, il Va effectuée non au moyen d'in-
trigue, de courtisanerie et d'adresse, mais de haute lutte
avec accompagnement de railleries et de moqueries sar-
castiques (|ui eussent perdu tout autre ; en un mot, grâce
à la supériorité évidente de son esprit et de sa volonté.
La seule personne qui possède quelque influence sur lui
est sa sd'Ui', la duchesse de (Iramont. » Suit un éloge de
l'intelligence, de l'indépendance, de la franchise, de lélé-
vation de sentinientet de caiactère de la duchesse, de son
mépris de la convention, de son indifférence pour les
rites et les honneurs de la cour.
Sur la méthode de travail de Choiseul, l'.Vnglais donne
de curieux détails : « Je l'ai souvent vu écrire sur les sujets
les plus sérieux, il manie la plume avec une rapidité
étonnante (1) mais avec peu d'attention ou souci d'exac-
titude; il entreprend plus d'alfaires qu'un iiouime ne
pourrait mener à bonne tui; en outre, il aime beaucoup
le monde et ses plaisirs; no\ir n^i^UeUir son crédit, il es!
obligé d'assister couslummenf aux réunions privées «lu
Roi. Dans ces conditions, les brouillons (ju'il écrit passent
avec leurs fautes initiales dans les mains des secrétaires,
et très souvent il ne les revf.it pas avec un soin snffisaut "
De là des erreurs, des obscurités qui occasionnent (Jio.a
malentendus fâcheux. Stanley cite quelques exemples des
contradictions qu'il a relevées dans les dépêches destinées
à Bussy, lors de la communication que Choiseul lui en avait
(1) Likrilii"- di' Choiseul très (inc, a lettres mal tracée», «•< souvenl di
ficile à di««lMftrer.
DETAILS SriJ CIIOISEUL.
663
I
faite, et que ce dernier a corrigées devant lui. D'après
notre auteur, les retards apportés à l'expédition dos ré-
ponses aux notes de la cour de Londres tenaient à la difti-
culté que le ministre trouvait à entretenir d'alfaircs le Uoi.
« Pendant ses séjours de plus en plus fréquents k Saint-
Hubert, Choisy, Bellevue, etc.. Louis XV ne voulait ni
donner audience à ses ministres (excepté à titre personnel)
ni lire ni signer aucune pièce. »
Notre excursion dans la vie privée terminée, revenons
des négociateurs à la négociation. Dans les propositions
que Choiseul venait de soumettre ministériellenient à la
cour de Londres et qui revêtaient pour la première fols un
caractère officiel, les points les plus épineux étaient en tni-
tre de la pêcherie révacuation de l'AlliMiiagne et l'appui
donné aux revendications espagnoles.
Au moment de l'envoi de ces pièces, c'est-à-dire vers le
milieu de juillet, Choiseul, en dépit des prédictions pes-
simistes de sa correspondance, conserve eniore l'espoir
d'une solution pacifique. Tout en continuant la discussion
amicale sur les détails du futur pacte de famille, il en
retarde la signature. Le 7 juillol, il mande à Ossun i') :
« Vous ne cacherez pas au l'oi d'Espagne cl à son ministre
1(110 ttiuli tiVulliS besoin do la paix dans ce moment-ci; c(
c|uo noUH (iumplons que les engagements fjue nous prenons
n'éloigneront pas celle pa|v tti^t'ttBBilIlH, H\ \\m o(|H(!|ll|s
deviennent liallables slU' les conilitiohs. (le U'esl |hih lu
BUtil'ln proprement dile qui l'ail désiror au Kol lu jinlv; il
serait peul èUe même avantageux, vu la liaison e| l'in-
timité de la France et de rLspagne, de colltllltler lagUerfe,
nuils nous avons des troubles intérieurs 2) (jui fatiguent
le Roi à l'excès, qui mettent de l'amertume dans sa vje
et ([ui ne peuvent être ré[»rimés que par l.i p;ii\. Voilà
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(I) Choiseul à Ossun, 7 juillet 1701. Aflaircs Étrangères.
Ci) AUu.sionuui conllils uvfc le l'arleinenl.
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554
LA GUKIUU; DE SEPT ANS. Cil M'. IX.
](' véritable inolil' du désii- qu'a S. M. de conclure la paix
avec lAnglelerre. » Le IV, nu billet tracé de la main
du ministre (I) indique [)lus de lermefc' et moins d'espoir
d'une solution j)acifi([uc : « Il faut attendre la réponse de
cette Cour (l'Aiigleteri-e) pour signer ladite convention,
car il serait messéanl de transiger en môme temps, et d'une
manière opposée, avec l'Espagne et l'Angleterre. J'espère
que S. M. Catholique <'l son ministère approuveront cette
délicatesse de la part du lloi. » C'était demander un
désintéressement qui n'entre que rarement dans les consi-
dérations de politique extérieuie ; aussi ne serons-nous pas
étonnés de voir Ossun parler du mécontentement ([u'au-
rait manifesté S. M. Catholique ù propos des lenteurs
apportées à la conclusion des traités franco- espagnols.
Les choses en étaient là (piand les préoccupations de
rimpératricc-Ueine se manifestèrent par l'introduction
de réserves dont la teneur n'était pas de nature à faciliter
les tentatives de rapprochement.
(1) Clioiseul ù Ossun. ti juillet 17(11. Affaires Kliangèrt's.
^^^s^
CHAI»ITKE X
RUPTURE DES NÉGOCIATIONS POUR LA
PAIX PARTICULIÈRE
INTERVENTION l)E l'aUTRICHE. — MAUVAISE liUMEIR I)K KAT-
MT/. — PRÉSENTATION KES MÉMOIRES SDR LES (iRIEKS ES-
PAGNOLS ET SIR LES CON^LÉTES ALLEMANDES. — COLÈRE
DE PUT. — RENVOI A Bl SSV DES MÉMOIRES. — ULTI-
MATUM ANGLAIS. — INDHiNATION DE CUOISEUL. — SIGNA-
TURE DU PACTE DE lAMILLE ET DE LA CONVENTION AVEC.
LKSPAGNE. — NOUVEL ÉCHANGE Dl LTIMATUMS. - RAP-
PEL DE STANLEY ET DE HUSSV.
:
J,
hepuis le début des pourparlers ouverts à I.ondres et à
Paris, c'est-à-dire à partir des premiers jours de juin,
Starlunberg- avait rempli avec conscieuce son rôle de
surveillant vigilant. En vertu des promesses de Choiseul,
il devait recevoir communication de la correspondance
échangée avec Bussy et être tenu au courant des con-
versations avec Stanley. Plein de soupçons à l'égard du
ministre fran(;ais, n'ajoutant qu'une toi relative à ses
al'Iirmations, l'Autrichien interroge, cherche à lire lui-
même les dépèches do Londres au lieu d'en écouter le
résurM^, les copie quand il en trouve le moyen, combat
les concessions (ju'il croit nuisibles aux intérêts de sa
souveriàne et rappelle atout instant tel article des traités
de t7'j<) et 1758 <|ui soumet l'action française à l'ac-
quiescement de son allié. Lié par le ,issé, Choiseul est
forcé de discuter avec FAutrichien le sens et la portée
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dos textes auxquels il se heurte. De là des débals in-
cessants sut' l'étendue du consentement de principe que
la cour de Vienne avait donné à la paix particulière
et Rotaniment sur la faculté pour la France de faire
entrer dans le compte de compensation les territoires
conquis sur le roi de Prusse. Starhemberg' est en mé-
tiance (1); il craint que les négociations ne soient beau-
coup pl'is avancées que ne Favoue Choiseul ; il se préoc-
cupe des réticences de ce dernier au sujet de ses lon-
gues et fréquentes entrevues avec Stanley. Quelciues mots
échappés à son interlocuteur l'inquiètent : « Quand ma
paix avec l'Angleterre sera faite, avait dit le ministre,
je vous avertirai que nous allons évacuer les pays du roi
de Prusse et vous y enverrez des trou])es ou n'en enverrez
pas, comme vous le jugerez à propos. » C'était en vérité
tenir peu compte des stipulations de 1758 et des accords
intervenus lors de l'occupation des provinces rhénanes.
Cependant, il fallait aboutir. Choiseul prépara une note
relatant les réserves auxquelles serait subordonnée l'ad-
hésion de l'Autriche n un traité particulier entre la
France et l'Angleterre. Cette pièce (2), destinée à être
communiquée à Pitt, était ainsi conçue :
« Depuis que le mémoire des propositions de la France
a été formé, et au moment que le courrier allait partir
pour Londres, le Roi a rei^^u le consentement de l'impé-
ratrice-Reine à sa paix particulière avec l'Angleterre,
mais à deux conditions :
« La première ([ue l'on conserverait la possession des
pays appartenant au roi de Prusse;
« La deuxième qu'il soit stipulé (jue le roi de la (irande-
Bretagne, tant en sa qualité de Roi qu'en celle d'Electeur,
ne donnera aucun secours ni en troupes ni de quelque
autre espèce que ce soit au roi de Prusse, et que S. M.
(1) starhemberg h Kaunit/, i juillet ITOI. \rciiives de Vienne.
(2) Mémoire remis par Bnssy à Pitt, '.>M juillet 17GI. Chatham Papers.
I
UËSKRVES AUTUICIIIENNKS.
557
Britannique s'engage à ce quo les troupes hanovriennes,
hessoises et brunswickoiscs et autres auxiliaires unies
aux Ilanovrieus ne se joignent point aux troupes du roi
de Prusse, de même que la France s'engagera à ne don-
ner aucun secours d'aucune espèce à l'Impératrice-Reine
ni à ses alliés.
(( Ces deux conditions paraissent si naturelles et si justes
par elles-mêmes ({ue S. M. n'a pu qu'y acquiescer et
([u'clle espère que le roi de la Grande-Bretagne voudra
liien les adopter. »
Il était impossible de revenir sur le texte d'un document
que Choiseul reconnaissait (1) avoir déjà montré h Stanley,
mais le contenu de cette pièce était loin de répondre aux
exigences de la cour de Vienne ; aussi Starhembcrg remit-il
au cabiUvt français un mémoire (2) énumérant les clauses
exigées pour l'acceptation du traité délinitif. Au lieu des
deux réserves de la note expédiée à Londres, le facîum de
Starhembcrg en contenait six : la première visait l'assen-
timent de la Russie ; la seconde renvoyait au congrès
d'Augsbourg et excluait des négociations en cours tout
ce qui aurait trait à la guerre et à la paix avec le roi
de Prusse. La troisième déclarait : « qu'en conséquence,
il ne sera fait aucune stipulation ou arrangement pré-
liminaire, concernant les pays conquis sur le roi de
Prusse au nom de S. M. l' Impératrice-Reine ». La qua-
trième disait : <( (|u'en conformité de l'art. 13 du traité
de 1758, il sera formellement stipulé que dans le cours
de la présente guerre, les parties contractantes ne four-
niront plus à leurs alliés, ni directement ni indirecte-
mont, aucune espèce de secours de quelque nature qu'il
puisse être. Si cependant l'Angleterre refusait absolu-
ment, et invinciblement de souscrire entièrement à cette
(1) S'aiheinberg à Kaunitz, 16 juillet ITill. Archives de Vienne.
(2) Mémoire remis par Slarliembery, Paris, 19 juillfl 17G1. Affaires
Étrangères.
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:,:>» LA GUERUE DE SEPT ANS. — CHAP. X.
condition au point de rompre plutôt la négociation que
de ne pas se réserver la liberté de continuer au roi de
Prusse les subsides en ari;ent, S. M. rinipératrice-Reine
par les motifs ci-dessus rapportés, consentira encore à la
continuation du paiement des subsides, pourvu que le
Roi d'Ant^leterre promette de ne fournir aucune autre
espèce de secours au roi de Prusse; et que S. M. Très
Chrétienne veuille s'eng-ager non seulement à continuer
pareillement à S. M. i'Impératrice-Reine le subside courant,
mais aussi à le parifier à celui que le roi d'Angleterre
paiera au roi de Prusse ». Les 5'' et 6" réserves avaient
trait à l;i communication avant signature « d'un traité
dont S, M. l'Inipératiice-Reinc ignore encore le contenu »
et au retrait du consentement au cas où les négociations
n'aboutiraient pas. T.hoiseul répondit (1) avec habileté à
cette pièce embarrassante : Il renouvelle sa plaidoirie sur
la distinction entre les deux guerres; il analyse le fameux
art. i;J de l'acte de décembre 1758, l'interprète à sa fa-
çon, proclame la loyauté du cabinet français qui avait tenu
Starhemberg au courant de toute la conversation diplo-
matique avec l'Angleterre et prend au nom du Roi les
engagements suivants : 1° Il ne sera fait aucune mention
de la guerre de S. M. l'Impératrice contre le Roi de Prusse
dans le traité qui pourra être négocié avec l'Angleterre re-
lativement à la guerre particulière avec cette couronne.
2" Le Roi ne peut pas promettre que le ministère anglais
ne pei>>istera pas à favoriser les intérêts du roi de Prusse;
il a proposé des arrangements sur les pays conquis sur ce
prince en Westplialie, mais ils ne seront définitifs qu'apiès
examen et approbation de S. M. l'Impératrice; 3" « le Roi
fera tout ce qu'il pourra pour empêcher que S. M. Rritan-
niquc ne donne aucune espèce de secours au roi de Prusse.
Mais il faut distinguer les secours ». Si l'Angleterre per-
(1) Réponse ;. la noie de Starhemberg, iS juillet 17GI.
MAUVAISE HUMEUR DE KAINITZ.
■559
sistait à fournir des troupes à S. M. Prussienne, il y aurait
à choisir entre deu\ partis : ou envoyer on Saxe une armée
de force correspondante, ou subordonner la conclusion de
la paix à une promesse du cabinet de Londres de ne mettre
à la disposition des « ennemis des alliés de l'Inipératrict
aucunes troupes ni nationales ni subsidiaires ». Au gou-
vernement impérial, il aj)partiendrait d'opter entre les
deux alternatives. Quant aux subsides, la France s'enga-
gerait vis-à-vis de la cour de Vienne pour la même somme
que l'Angleterre accorderait au roi de Prusse. V" Le comte
de Starhemberg recevrait comme par le passé « com-
munication de toutes les lettres et réponses reçues et
envoyées à Londres <>. Enfin Choiseul, comme conclusion,
pose le dilemme ci-après. « Ainsi, ou la séparation des
deux g'uerres, après la rupture de la nég'ociation actuello,
n'aura plus lieu, et les avantages ou désavantages de
toutes les puissances bellig-érantes seront mêlés, ce qui
rendra toute la force à l'art. 13; ou bien, si l'Impératrice
est d'accord que la séparation subsistera toujours, son
consentememt pour la paix séparée doit subsister avec
elle. » Le document français se terminait par les pro-
testations habituelles d'amitié et de fidélité à l'alliance.
La réponse de Choiseul à la note de Starhemberg fnf
remise à Kaunitz (1) par le successeur du comte de (Ihoi-
scul. Le nouveau ministre, le comte de Chatelet Lomont,
était arrivé à Vienne le 2'i. juillet, après un intérim de
deux mois, pendant lesquels les affaires de rand)assade
avaient été gérées parSainte-Foyet Gérard, secrétaires des
titulaires ancien et nouveau. Ainsi qu'il fallait s'y at-
tendre, Kaunitz ne se rangea pas à l'argumentation du
ministre de Louis XV; il critiqua l;i rédaction, trop polie
scion lui, des dernières propositions faites à l'Angle-
terre; il accusa Stanley d'avoir beaucoup contribut^ ù
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(1) Chatelet à Choiseul. 5 août l'Gl.
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560
I.A GUURRE Di; SKPT ANS. — CHAP. X.
brouillet les cartes. Quant à Tari. 13, il ne pouvait ad-
mettre ri. ♦'^ip relation de Clioiseul : « Il fallait s'en tenir
au texte. C'est avant de faire un traité qu'il faut faire
toutes ces réflexions et on peser toutes les conséquences,
mais dès (ju'il est signé et ratilié, il fait loi quand même
il y aurait des stipulations qui seraient contraires à l'in-
térêt direct ou éloigné dune des parties... L'Impératrice
ne conviendra jamais que les engagements du Roi avec
elle et vice versa ne soient relatifs qu'à la guerre d'Alle-
magne; l'alliance n'est pas bornée à cette guerre seule-
ment; elle est faite pour s'étendre à tout le système des
deux cours et pour s aiiirmer de plus en plus soit dans
la continuation de la guerre, soit pendant la paix. « Pen-
dant tout l'entretien, le chancelier se montra d'humeur
massacrante. « Après le diner, raconte Chatelet, il est parti
pour Schoubriin, sans dire mot à personne, et n'en est
revenu que très tard. J'ai été exprès à la Comédie pour
l'examiner; je l'ai trouvé aussi froid, aussi silencieux; il
ne m'a pas été possible d'en tirer une seule parole; entin,
à 10 heures du soir, il est sorti à l'ordinaire de son cabinet,
et après (|uel((ues moments fort courts de conversation
générale, il m'a tiré à part avec un visage fort ouvert et
la joie peinte dans les yeux, et m'a dit : « La réponse
de l'Angleterre à vos propositions est arrivée, et M. le
duc de Choiseul, qui n'en a encore communication que
par les dépèches de M. de Bussy, a mandé à M. de Star-
hemberg qu'elle était indécente , insoutenable, insolente
et inacceptable en tout point. « La satisfaction de Kaunitz
était fondée. Mais i/anticipons pas.
A partir du 20 juillet, date de la réception à Londres du
courrier de Stanley, et avant la remise du mémoire sur
les gnefs espagnols, les événements prirent une tour-
nure in([uiétante pour les partisans de la paix. Le jour
même, Pitt envoya à Amherst, gouverneur des colonies
de l'Amérique du Nord, l'ordre de rassembler le corps
:.Ù^:^^ ' ■ vi»kr.,VfâÉ52ki
PRKSENTATIUN DU MÉMOIRE SUR LES PLAINTES ESPAGiNOLES. 5GI
expéclitioniinii'c destiné à la conquête de la Mfii'tinicjnc,
Le 21 se tint un conseil de cabinet où il fut décidé (jue
toute intervention de la France dans les litiges espa-
g'uols serait considérée comme attentatoire A, la diynité de
l'Angleterre. Autre circonstance défavorable, les avis des
théâtres de la guerre étaient de nature à encourager les
vues belliqueuses de Pitt; le 22 on apprit la nouvelle de
la reddition de Pondichéry, de la prise de la l>oinini(|ue et
du cttrnbat de Fillinghausen : « Jamais victoire, écrit
llardwicke (1 •. ne fut aussi glorieuse ni aussi opportune.
Klle est vraiment providentielle, .respère, et en ce mo-
ment je ne veux pas douter, ([u'elle nous procurera une
jjonne paix. » Ce même 22, Hussy '2) eut une conférence
de trois heures avec Fuentes au sujet du mémoire relatif
aux allaires espagnoles. L'ambassadeur était au courant,
car dès le 17, il avait prévenu son collègue IVançais qu'ils
devaient faire ensemble une démarche auprès du cabinet
de Saint-.lames. Conformément aux indications de son chef,
Hussy penchait pour rajoiirnenient, mais Fuentes objecta
t|ue, d'a[)rès ce que (irimaldi lui pvait écrit, Choiseul avait
parlé à Stanley de l'appui promis à l'Espagne; la cour de
Londres était donc avertie ; dans ces conditions, et surtout
en présence des bruits qui couraient d'une déclarât' )n
de guerre par S. M. Catholique, tout retard serait mal inter-
prété et les rendrait, Bussy et lui, suspects de « linesse ».
On se sépara sans avoir adopté un [)arti. Sur l'insistance
de Fuentes qui revint à la charge le 2.'{, Bussy prit son cou-
rage à deux mains et se rendit chez Pitt avec lequel il avait
rendez-vous à 10 h. 1/2. Fuentes avait eu raison, car ce
fut le ministre anglais qui aborda le premier la ({uestion
espagnole; il se plaignit delà lenteur apportée à l'envoi de
la réponse française, puis il « reprit : (jue ce n'était pas
là le plus grand obstacle à la négociation, que M. Stanley
(\) Uardwicke à Newcastle, '!2 juillfit 1761. Newcastlc Papors.
(.!) Bussy i\ Choiseul, 21 el m juiiint 17G1. Affiiires Etranscies.
(.tHUUi; DE Mil'T ANS. — T. IV, 36
i.i
502
LA (IL'EUUK Dt SEPT ANS. CIlAl'. X.
Il
leur avait maadé (lu'cn vertu creuyagcmciits de la Franco
avec rKspa^iio, antérieurs au mémoire du 20 mars
dernier, vous demandiez que iKspagne fût appelée à
la garantie du traité à faire entre la France et l'Angle-
terre, (|ue la France fût la médiatrice des diftérends de
l'Angleterre avec l'Espagne, et ({ue même vous mena-
ciez de faire la guerre pour l'Espagne, si ces ditférends
n'étaient point ajustés; que vous n'aviez pas parlé de ces
engagements j)endant tout le cours de la négociation, et
qu'il était surprenant que vous n'en lissiez mention ([u'au
moment où il s'agissait de prendre une résolution défi-
nitive; qu'il n'était pas difficile de connaître par cet in-
cident, par le délai de l'arrivée des propositions et par
leur nature, que l'on voulait gagnev du temps et forcer
les Anglaisa faire la paix par la crainte d'une nouvelle
guerre, mais ([ue S. M. Britannique ne se laisserait pas
intimider; qu'il fallait finir; que la nature des opéra-
tions, ainsi qu'il vous l'avait mandé dans sa lettre du
8 avril, ne pouvait s'accorder avec la lenteur des négo-
ciations, ot que l'on vous enverrait une dernière résolu-
lion ou ultimatum ». Il ajouta « qu'à ce sujet, il avait
à me faire une déclaration mais qu'il me priait de ne pas
croire qu'elle fût l'etlet du succès dont la cour d'Angle-
terre avait reçu la nouvelle la veille; que cette déclara-
tion avait été arrêtée dans le conseil tenu le mardi 21
et unanimement adoptée, et qu'elle portait ((uo le roi
d'Angleterre ne souffrirait pas que les disputes de l'Es-
pagne fussent mêlées dans la négociation de la paix de la
France avec l'Angleterre, et qu'il serait regardé comme
olfensant pour la dignité de S. M. Britannique et inoonipa-
tibleaveccette négociation que l'oninsistàtsircetarticle. »
Bussy se défendit de son mieux, sortit son mémoire
et pria son interlocuteur d'en prendre connaissance. Pitt
commen(,'a à parcourir le document tout en s'interrom-
pant pour réfuter quelques-uns des arguments de Choi-
^*»i»i«ni<wMw**«^<Sr;M
PITT REFUSK DACCEPTEK LE MKMOIUK.
56S
•\ V
seul; quand il ai riva à la seconde dos réclamations espa-
j,'noles, celle (|ui concernait la pèche à la morue, Pitt qui
s'était échaulle au fur et à mesure de sa lecture, «( ne
put s'cnipôcher d'éclater ». H s'écria " (|ue l'Angleterre
ferait expliquer 1 Kspagne avant qu'il fût peu de temps et
que l'on saui Jt à quoi s'en tenir ».
De l'Espagne on passa à l'Allemagne. Voici le récit que
fait Bussy de cette phase de la discussion: " Selon lui
(Pitt) le projet de garder Wesel. la (Jucldre et Francfort,
est celui d'avoir deux sentinelles sur Hanovre qui met-
traient l'Electeur et ses alliés dans la nécessité de rester
dans un état continuel de guerre ; et par conséquent l'An-
gleterre ne peut que le rejeter. Je lui dis qu'au moment
que le courrier allait partir, le Koi avait reçu le consen-
tement de l'Impératrice Heine à sa paix particulière avec
l'Angleterre; mais que c'était à deux conditions : l'une,
la conservation les Pays du roi de Prusse, l'autre de ne
donner aucun secours, de quelque espèce que ce fût, aux
alliés respectifs, et que j'avais rassemblé le détail de ces
conditions dans une note que je lui donnai, et dont je
joins ici copie. Il la lut et m'assura que le roi d'Angle-
terre serait très mécontent de pareilles conditions; (jue
ses engagements le mettaient en état de donner un se-
cours illimité au roi de Prusse, et qu'il serait contre sou
honneur de s'chliger à ne lui donner des secours d'aucune
espèce; que d'ailleurs S. M. Britanni([ue ne pouvait se
désister de l;i demande d'évacuer Wesel et Gueldre. et
que si la Fraace ne pouvait y consentir, il ne pouvait y
avoir de paix, »
Fort mal <;omniencé, comme on le voit, l'entretien se
termina par le rejet de la plupart des propositions de
la cour de Versailles. Pour en finir avec le mémoire ap-
puyant les revendications espagnoles, Bussy reçut, le iï,
de Pitt, une lettre refusant d'accepter la pièce : « Vous
verrez, Mon ieigneur. écrit-il à ce propos, que pour en
SM
i5','
Mii
L\ (lUERUi: DK SKIT ANS.
CIIAP. X.
1" : j
pai'loi' modestement, elle est (''crUo d'un stylo impérieux.
Si je n'avais consnltr que mon zèle pour la diguilé du
Koi, je l'aurais renvoyée sur-le-champ f'i ce ministre;
mais j'ai rraint que sa mauvaise volonté n'en prit oc-
casion de se porter peut-être à rompre la négociation,
et comme votre intention est au contraire de gagner
du temps, je me suis contenté de ne i)as accusiu* la récep-
tion de cet écrit et de vous l'envoyer pour ([ue vous me
prescriviez la conduite que je devrai tenir k cet égard...
J'ai instruit M. l'anibassadeur d'Kspagne de tout ce (pie
j'ai l'honneur de vous mander ici. Il a été tiès [)iqué de
ce qui regarde sa cour; il a envoyé vendredi demander
un entretien à M. l'itt, qui lui a répondu qu'il allait à la
campagne, et que les [)romiers monumts de son retour
seraient destinés à le voir. )> Cependant, à en croire le Fran-
(•ais, le cahinct de Londres ne serait pas aussi intraitable
que son porte-parole : « Ce que je puis conj<'cturer, Monsei-
gneur, de ce que m'ont dit ceux des ministres du cabinet
que j'ai viis à la luUe, parce (juc la [)lupart. au sortir du
Conseil, sont allés à la campagne, c'est que si nous con-
sentons à laisser Dunkerque, non pas dans l'état où il est,
mais dans un état ;\ ne pas donner d'inquiétude à la na-
tion anglaise, et ([ue nous puissions nous entendre sur les
évacuations en Allemagne, la Cour de Londres accordera
non seulement la pèche sur le banc de Terre-Neuve mais
encore quelques îles pour la retraite donos pècheurset des
arrangements jiour les Indes et pour la traite des nègres. »
Les extraits que nous venons de faire du rapport de
Hussy nous dispensent de rendre compte des réunions
du cabinet anglais des 21 et iï juillet. Il nous suftira de
dire que les ministres furent d'accord avec Pitt sur la fin
de non-recevoir opposée au mémoire relatif aux affaires es-
pagnoles et sur l'attitude à piendre au sujet de l'Allema-
gne; par contre, ainsi que nous le verrons plus tard, l*itt
fut mis en minorité sur la ({uestion des pêcheries qui lui
IIJIMATUM ANGLAIS.
ri(i:.
ton;«it fï cœur. La (Irprchc dîtiis IjkjuoIIo il rZ-suinc les dô-
lilK'rations de sou goiiveriieinent est courue dans ce lan-
gage rofj;ue et jdeiu de uiorgue (jui lui était j)i'oj)re.
Sans doute, le texte anglais ne passerait pas sous les yeux
de (Ihoiseul, mais s'il devait oi-agner à la traduction,
il n'en influencerait pas moins l'interprète de la pensée
l)ritanni([ue dans les explications ipiil aurait k fouinii- :
« Le conseil a été unanime, écrit l'itt ( I), à juger ([ue les
conditions du mémoire (propositions liançaises du l.'l
juillet) ne donnent aucune satisfaction ; de plus, quand
il a eu connaissance de la rétractation flagrante de ce (pii
s'était passé dans votre conférence, par rapport à une
clause de compensation aussi indispensable et aussi im-
portante que celle de la restitution et évacuation immé-
diate des places et territoires conquis i)ar la France aux
dépens des alliés de S. M. en Allemagne et notamment
ceux du roi de Prusse, il lui a paru que le mémoire entier
a été rédigé par le ministère français dans le hut, non
d'activer, mais de retarder la conclusion de la paix. Kn
outre, ([uant à la couce[)tion étrange de la garantie pro-
posée de l'Kspagne, dont vous avez parlé dans votre lettre,
aussi bien que quant aux engagements pris avec l'Espagne
au sujefde nos litiges avec cette couronne, cngagemenis
que le duc de Clioiseul reconnaît aujourd'hui avoir con-
tractés avant les i)rennères ouvertures de la France en
vue de la paix particulière avec l'Angleterre et (pii par
conséquent ont été depuis cette époque dissimulés avec
un manijue d'honnêteté égal à l'insfdencc ([u'on met <V
les afficher aujourd'hui. » La fin de la phrase est restée
au bout de la plume du bouillant écrivain (|ui passe, sans
liaison grammaticale, à la résolution remise à lUissy.
A la dépêche de Pitt était annexée une note intitulée :
Points à comnmniquer au duc de Choiseul comme conte-
nant l'ultimatum de la cour de la (irande-Bretagne, Ces
(1) Pilt il Stanley, •>5 jiiillel 1701. Record Oflice.
' 1
.'lOli
T,\ (.UERRE DE SEPT ANS. - CHAP. X.
I P:
points étuieiit au nombre do iV: Uien de nouveau à pro-
pos de la cession du (Canada lout entier, des limites entre
cette province et la Louisiane, du Cap Breton ou du
Sénégal et de (iorée, sauf l'emploi i'é|)élé des expres-
sions : « Jamais i'\ngleterre ne leviendra sur cette
clause » « Il faut que la France cède. » Les stipula-
tions en elles-mêmes étaient des plus dures, et il était
très inutile d'en augmenter l'amertume en prenant le (on
du vaincpuMir qui impose sa loi au vaincu. Citons, comme
spécimen de rédaction, l'art. V forr.ulaiit compensation
entre le démantcllemenl de Dunkercpie et le droit de
pèche, et accordant, par conséquent, une concession im-
portante à la France : « Il faut que Dunkerque .soit re-
[tlacé dans les termes du traité d'IItrecht; sans cela om
n'admettra aucune paix. C'est à, cette condition et à
cett( condition seule que S. M. Iiritainii(|ue [)ouria ja-
nuiis consentir à |>rendre en considération la demande
de la France tendant m recouvrer le privilège ((ui, en
vertu de ",'art. 13 du même traité, permet dans certaines
limites et sous certaines restrictions, aux sujets français
de pocher le poisson et de h; sécher îi la côtr, dans une
partie de Terre-Neuve. » Voici encore l'art. 7 qui a trait k
l'Allemagne : (( La France procédera A, la restitution im-
médiate et à l'évacuation des conquêtes qu'elle a etfec-
tuées sur les alliés de S. M. en Allemagne, c'est-à-dire de
tous les états et localités appartenant au landgrave de
liesse, au duc de Brunswick et à l'électorat de Hanovre;
aussi de Wesel et des territoires du roi de Prusse occupés
par les armées françaises ; et une évacuation générale de
toutes ses con<[uétes du coté de la liesse, de Westphalie
et dans toutes ces régions. » L'art. 13 est relativement
libéral : « Le Uoi ayant, dès les premières ouvertures
faites par la France, déclaré explicitement et sans varia-
tion que, dans le cas de la conclusion d'une paix parti-
culière entre les deux couronnes, S. M. continuerait
INDKlNAilON DE ( IlOISia L.
567
rousIaiiiiiK'tit il soutenir, à litre criuixlliairc, son alliô le
nti de Prusse d'iinr façon efficace et de honne foi, alin
d obtenir le grand l>rnéfice d'uiu' [lacilication de l'Alle-
inagne, tonte lilx'rté sera maintenu<; i\ la (Jfande-Hrt>-
tagne et à la Fiance de soutenir leurs alliés respectifs
dans leur lutte [)articulit''re piMii- le lecouvreiuent de la
Silésie, dans la mesure des engagements pris par clia(jue
couronne. » Les autres points avaient trait i\ l'écliange
df Minorque d'une part, de la (Guadeloupe, Marie-(ialantc
et Belle-lsie de l'autre, au partage égal des \iitilles neu-
tres; (înliu au r(;nvoi, ît la décision tles compagnies inté-
ressées, de la délimitation de leuis possessions dans les
Indes (U'ientales. La restitution des prises faites avant la
déclaration d<' guerre était i'e[)oussée et la demande du
port d'abri pour les bAtiments d(; ])écbe était passée sous
silence. Cette omission, qui équivalait i'i un refus, et la
persistance k réclamer ré"acuation immédiate de W'esel
et des territoires prussien^ furent les écueils sur lesquels
la barque, d'ailleurs très fragile, des tentatives de paix
allait sombrei'.
Stanley (1) reçut la lettre et la note de l*itt le 28 juil-
let : le lendemain, après avoir échangé quelques mots
fivec Choiseul, il transmit ses premières impressions à Lon-
dres; le ministre français paraissjut bien résolu à continuer
la guerre s'il n'obtenait pas satisfaction sur la question du
port de refuge pour les pécheurs français; il ne céderait
pas non plus à propos de l'Allemagne. « Jamais le cabi-
net français ne se décidera à faire une déclaration qui
les détachera de leurs alliés, tant qu'il ne sera pas sûr
d'un accord sur son conilit particulier. Cela étant, jai
beau discuter ces questions, pour obéir h mes instructions,
mais (|uant à faire des progrès réels... je pouriai tout
aussi bien péroi'er sur un événement (|ui se passe au
Japon. »
(\j Slanley àPill, :tO juillet, tj août ITCl. Record ÛHice, NewcasUePaiiers.
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JllfetJ«a,tAjjlJUiUjjJi»»''''';'>Jijy'»';;''»^i;Hjyi^^
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LA GUKimK DE SEPT ANS. — CiîAP. X.
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Comme il était facile de le prévoir, la lecture de lu note
de Pitt, ou pluti'kt de la traduction que Star.ley eu avait
laite, souleva la colère de Clioiseul. Comme son rival
anglais à la lecture du mémoire sur les allaires espa-
gnoles, (^lioiseul montra î\ chaque instant de l'impatience
et s'iaferrompit à plusieurs reprises pour se plaindie
avec chaleur du ton autoiitaire de la lettre et du senti-
m.'nt de supéricti'ité dictatoriale qui s(Mnl)lait l'avoir
inspirée, « A la lire, il paraîtrait que ni le temps ni les
événements ne pourraient chauiiei' notre fortune et que
nous voulions traiter la France en puissance dont le rani.'
et la dignité seraient inférieurs à ceux de la Grande-
Bretagne. Quoique moins expert que vous en matière
de rédaction, ajouta-t-il, il aurai* pu facilement tiouviM'
des termes moins déplaisarts pour exprimer avec la
môme précision les mêmes idées. Le fait (|uo vous aviez
choisi la méthode opposée était une preuve éviueiite que
personnellement vous n'aviez Jamais eu l'intention réelle
de signer la paix; du reste il s'en était douté dès le début,
ec on le lui avait souvent affirmé. » Les protestations de
Stanley, qui aftirmait les vues pacificjues de son patron,
n'eurent pas grand succès. Il en fut de même de l'appel
ému (jue Choiseul adressa à l'Anglais pour ari'acher l'oc-
troi d' :n port de refuge, coiollaire indispensable du droit
de pêche. Stanley répliqua <{ue les instructions reeues
et ce qu'il savait des convictions du Koi et du ministre
n'autorisaieiit aucun es[»oir d'obtenir, sur ce point, une
eoacession «{uelconque. Choiseul n)it lin à l'entretien en
déclarant que « la France ne pourr'ut pas, sans laisser
souiller son honneur d'une tache ineffaçable de perfidie,
accepter une paix qui donnerait toute liberté à l'ai-niéc
du prince Ferdinand <le courir sus à rimj)ératrice Heine >,
mais qui', ne s'opposeraitni aux secours financiers, ni à un
arrangement dont les conséquences .seraient égales pour
les deux auxiliaires. Tel n'était pas le cas, puisque d'après
T. -.-M.^itiyiU ■■:^-.;.':»f* i^..^
CIIOISELL ABANDONNA TOUT ESPOIH OK I.A l'AIX.
r.c".i
les prétentions anglaises, il ne serait pas loisible aux
troupes française:; crarrivei' sur le théâtre probable de la
guerre. La long-ue lettre de Stanley (init par un exposé
de la mentalité qu'il prête à Louis XV : ( S'il reste en-
core une lueur d'espoir ((ue la France d'ici à quelque
temps se soumette aux demandes de l'Ang-leterr* , je nie
base pour le dire uniquement sur les dispositions du
Hoi. Je suis convaincu que les propositions actuelles de
paix prennent leur point de départ dans son initiative
persGiinelIe et dans ses sentiments intimes et (|ue son
antipathie pour la guerre dépasse celle de ses ministres
ot celle de la plu|)art de ses sujets; si je suis bien in-
formé, il est très peiné de la tournure que notre négo-
ciation a prise en dernier lieu. »
Il y u .out lieu de croire que l'Anglais se fîiitîait illusion
sur la pensée de Louis XV, que (ihoiseul avait dû mettre
en avant pour les besoins de sa cause. Le fond et la forme
de la note anglaise, le renvoi presque brutal du mémoire
sur les griefs de l'Espagne, durent intligcr à l'amour-
propre du monarque une blessure égale k celle dont avait
souilert la fierté de son ministre. A partir de ce moment,
ce dernier semble avoir i, loncé à tout espoir d'entente
avec l'Angleterre. Le soir même de sa conversation avec
l'envoyé anglais, Ghoiseul mettait Starhemberg i i) au
courant de la réponse de Pitt : « Klle est aussi insultî'nte
pour votre cour et pour l'Espagne ffue pour le lîoi; je
n'ai jamais rien vu d'aussi insultant... .le dissimulerai
vis-à-vis du ministre anglais ju.>qu'ji ce()ue je sois parfai-
tement instruit des intentions de l'Kspagne. » Il s'ex-
prime (2) ù peu près dans des termes identi([ues avec l'am-
bassadeur français en Suède : « .!(> recois dans le moment
U\
n
II
!■;■ »
(1) Choiseul à Slarliciiibeif;. 29 juillet 17(il. Uillei cité par Arnelh. VI,
p. ■i73.
{'>.) Choiseul à Havrincour, :t(t juillet 1701. Dépéciie interceptée. Newcastle
Pa|)er9.
I
<ï!
r.7o
LA (.UERUE DE SEPT ANS. - CIIAP. X.
les rôponses d'Angleterre, elles sont de nature que le
Roi s'est déterminé à les refuser absolument. Elles pè-
chent premièrement par la forme et par le fond. Les
prétentions d'Angleterre sont insoutenables, et S. M. s'est
déterminée à continuer la guerre. Mais comme il est
important de cacher encore un mois cette résolution à
la cour de Lond''es, nous entretiendrons encore quelques
semaines la négociation avant de la rompre. Vous voudrez
bien confier cette résolution à M. de Eckeblate, en lui
disant que c'est pour lui seul. »
La probabilité de la rupture des pourparlers avec l'An-
gleterre entraînait nécessairement la conclusion de ceux
qui avaient été entamés avec l'Espagne. A la suite de la
réunion du conseil où on avait examiné l'ultimatum
anglais, Choiseul i-emit à l'ambassadeur (irimaldi, avec
prière de le transmettre à son maître, un mémoire (1) sur
l'état de la négociation avec la cour do Londres : Dans
l'intérêt de ses sujets, le Roi « se serait prêté au sacrifice
des points qui intéressent uniquement les territoires de sa
puissance, tels que les articles relatifs aux Indes, à TA-
fri((ue et même à Dunkcrque si les propositions anglaises
avaient été dénuées de ce ton impérieux, inadmissible
dans tous les cas, pour la couronne de France, mais il y
a trois points auxquels le Roi ne pourra jamais acquiescer :
Le, premier intéresse les deux couronnes de France et
d'Espagne; le Roi sans l'aveu du roi son cousin, ne coîi-
viendra pas avec l'Angleterre de l'assertion contenue
dans la lettre de M. Pitt qui dit : qu'en aucun temps,
on n'entend pas que la France ait droit de se mêler
des dis< ussions de l'Espagne avec l'Angleterre. Tant que
l'Espar le l'approuvera, la France aura ce droit sans
qu'au me puissance de l'univers puisse l'en empêcher....
« Le second point qui intéresse l'honneur du Roi est
(1) Mémoire de Choiseiil adressé à Griinaldi, juillet 1761 (probablemenl
30). Atl'alres Étrangères.
CIIOISEIJL DEMANDE A LESPAGNE DE SE DÉCLARER.
:>7i
ra'udndon des alliés de la France proposé par l'Angle terir,
tant par les articles en réponse au mémoire de la France
que par la lettre de M. Pitt... Rien ne pourra déter-
miner le Roi à manquer à ses alliés et à s'écarteî" du plan
concerté avec eux de ne rien stipuler relativement à l'Alle-
magne que de leur consentement.
« Le troisième point, moins essentiel que les deu i
autres, mais qui intéresse une partie des sujets du Uoi,
est l'article de la pèche dans le golfe Saint-Laurent.
Le Roi ne peut renoncer à la liberté . de la pêche dans le
golfe, à celle de la sècherie sur les côtes de Terre-Neuve
et à un port quelconque pour servir d'abri aux biVliments
français employés à la pèche.
« Dans cette situation, et surtout relativement au pre-
mier article, le Roi est très impatient de connaître les
intentions du roi son cousin ; l'insulte éprouvée relative-
ment au mémoire de l'Espagne demande un acte de res-
sentiment de la part de S. M. Catholique, sanj quoi la
cour de France serait taxée à la face de l'Europe de s'être
avancée dans une démarche indiscrète et imprudente à
une affirmative qui aurait l'air de la fausseté.
« Le temps de l'union des deux couronnes est arrivé ;
si S. M. Catholique est aussi touchée de l'orgueil et du
despotisme à craindre de l'x^ngleterre que l'est h' Roi,
S. M. vous ordonne de dire il ce prince qu'elle regarde
le traité et la convention comme conclus entre elle et le
roi son cousin; qu'en conséquence, elle l'invite à lui con-
fier quelles sont ses intentions relativement à la décla m-
tion Je guerre contre l'Angleterre... Nous demandons à
l'Espagne de se déclarer plus tôt que plus tard. Au
moment de la déclaration, nous lui remettrons selon la
convention, l'île de Minorque et nous lui proposerons des
arrangements relativement à la Louisiane. » Dans un
billet (1) daté du 30 juillet, Choiseul envoie à Ossuu
(1) Choiseul à Ossun, 3»i juillot 1701. AlVaires Étrangères.
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— I f w
572
LA GUEUIU-: DE SEPT ANS. — CHAP. X.
copie (lu méiuoiro remis à ranihassfideur espagnol et lui
annonce la rupture inévitable : <« Ainsi, Monsieur, voilà
la guerre qui va reconnnencer de nouveau et avec plus
d'acharnement que jamais. »>
l'eu de jours après, pendant que Bussy et l*itt prolon-
f^caient une discussion devenue aigre-douce, Choiseul et
drimaldi arrêtaient les termes définitifs du traité connu
sous le nom de pacte de famille et de la convention spé-
ciale relative à la coopération active de rEspagne. Quoique
les signatures n'aient été apposées que le 15 août, dès le
10 de ce mois, Choiseul (1) communiqua à Bussy le texte
de l'article 2 qui était des plus explicites : « De son côté, le
roi Très Chrétien s'engage et promet au roi Catholique
de comprendre dès à présent dans ses négociations de
paix à Londres les intérêts de l'Espagne qui se traitent
aussi actuellement à la Cour Britannique » ; la pièce éuu-
mère les trois chefs de réclamations de la cour de Madi'id
et continue : « En sorte que les affaires de la France et
de l'Espagne soient parfaitement unies et marchent d'un
pas égal dans le cours de la négociation; et S. M. Très
Chrétienne s'engage à n'admettre aucune condition d'ac-
commodement, et à ne point suspendre les hostilités contre
l'Angleterre, jusqu'à ce que S. M. Catholique se déclare
contente de la conclusion et du succès de ses intérêts par-
ticuliers. »
Aussitôt l'accord assuré avec l'Espagne, c'est A la cour
de Vienne que (Choiseul s'adresse (2) ; il s'agissait de con-
firmer les premières confidences faites à Starhemberg
après l'arrivée du courrier de Londres, lesquelles, on se le
rappelle, avaient été aussitôt transmises à Vienne et avaient
dissipé la mauvaise humeur de Kaunitz. La dépèche, A
laquelle étaient annexées les copies des propositions an-
(1) Choiseul à Uussy, 10 août 1701.
(2) Choiseul à Chatelot. 3 août 17G1. Affaires Élrangères.
STARIIEMBERG SUR LES TRAITES ESPAGNOLS.
r)73
glaises el de la lettre de Bussy, ne fait que reproduire ce
([ui avait été dit à la Suède et à l'Espagne : « Nous re-
gardons en conséquence notre négociation comme abso-
lument rompue, et nous n<uious occupons que des moyens
de continuer la guerre avec la plus grande vigueur, et
de concert avec les puissances amies et alliées de la
France; mais comme il est important pour nous que la
Cour de Londres ne soit pas instruite actuellement de la
résolution que le Roi a prise, nous entretiendrons encore
pendant quelques semaines la négociation, afin de faire
en sorte qu'elle soit rompue par l'iVngleterre. C'est en
conséquence que nous envoyons h L.ndres l'ultimatum
ci-joint. Quelque désavantageux qu'il soit à la France,
l'Angleterre rie l'acceptera pas; cependant, comme le
Roi est dans l'intention de publier toute la suite de la
négociation au moment de la rupture, nous avons cru
ne pouvoir trop montrer le désir évident de S. M. pour
la paix. Vous voudrez bien confier à M. le comte de
Kaunitz les instructions du Roi sur ce sujet. »
DaiiS les communications envoyées à Kaunitz par l'en-
tremise de Du Chatelet, aucune mention n'avait été faite
du projet de tiailéavec la cour de Madrid; à ce sujet, si
nous devons en croire Starhemberg, le secret aurait été
admirablement gardé :• « Le duc de Choiseul m'a de-
mandé, écrit-il le 5 août (l), si j'avais quelque connais-
sance du désir de la cour espagnole de constituer une
grande alliance avec nous aussi bien <[u'avec les cours
d'ici, de Pologne, de Russie et de Suède. Je lui ai ré-
pondu que Wall, il y a trois mois environ, avait tait
quelques ouvertures en son nom personnel au comte de
Rosemberg (2) », mais depuis, il n'avait entendu parler
de rien. Choiseul se contenta d'observer que si l'Espagne
■( !■■
1" ,i
(1) Staihcmberj; à Kauaitz, 5 août 17(U. Arcliives de Vienne.
(2) Représentant de l'Autriche à Madrid.
574
LA GUEUUIÎ 1)1'; SEPT ANS.
CHAI*. X.
devait prendre part au conflit, il faudrait la convo-
quer au congrès d'Aus^sbourg-. Quelques jours plus tard,
Starhemberg (1), qui avait été mis en éveil par la conver-
sation précédente, interrogea adroitement le ministre
français et apprit do lui, non sans surprise, (jue si le pacte
de famille et la convention militaire n'étaient pas encore
signés, les deux gouvernements étaient d'accord sur les
points essentiels. Choiseul en fit le résumé et ajouta que
c'était à la requête de l'Kspagne que le silence sur la tran-
saction avait été conservé vis-à-vis de l'hnpératrice, réserve
d'autant moins intelligible que les projets ne contenaient
rien de préjudiciel pour les intérêts de cette princesse. Star-
hemberg, peu satisfait du mystère dont l'aftaire avait
été entourée et du refus d'une comnmnication immédiate
des pièces, termina l'entretien en rappelant les ternies
des traités entre la France et l'Autriche, qui obligeait
les parties à s'entendre avant de contracter de nouvelles
obligations. Bien décidé à savoir le fond des choses,
il profita de la première occasion (2) pour revenir à la
charge. Cette fois, Choiseul déclara, à la stupéfaction do
l'ambassadeur, que les traités avaient été signés le malin
môme, mais qu'il ne pourrait lui faire connaître les
textes qu'après le retour du courrier de Madrid. Starhem-
berg se plaignit amèrement do cette infraction apportée
aux conventions. Pour l'apaiser, Choiseul se défendit de
son mieux, puis, tout en exigeant le secret vis-à-vis de
Grimaldi, lui lut le document presque en entier et le sup-
plia d'empêcher sa cour de soulever un incident de procé-
dure à propos d'un événement dont les conséquences ne
pouvaient être qu'avantageuses pour la cause commune.
De cet ensemble do pièces et de faits, la conclusion est
facile à tirer. Le 29 juillet au matin, Choiseul croyait
i
(1) Starheiuber}^ à KaiiniU, l."> août 1701. Archives de Vienne.
(2) Slarhenibeig à Kaiinilz, 16 août 170t. Archives de Vienne.
ULTIMATUM FRANÇAIS.
67R
à la possibilité de la paix, puisque sa réponse au mé-
moire de Stai'homberi; est aatée de ce jour. Au cours
de la journée, il reçoit le courrier de Bussy et piend
connaissance de la note de Pitt (jue Stanley lui apporte
Dès le 30, la résolution de Louis XV et de sou ministre est
arrêtée : l'alliance avec l'Espagne, décidée en principe,
produira ses eflets immédiats ; la guerre continuera avec le
concours du nouvel allié ; la négociation avec l'Angleterre
ne sera poursuivie que dans l'intention de gagner du
temps ; si, par impossible, cette puissance accueille favora-
blement l'ultimatum français, la paix ne sera conclue qu'à
la condition d'y comprendre les dill'érends espagnols et
d'en faire agréer les stipulations par l'Impératrice-Reine.
Malgré le peu de probabilité d'une solution pacifique,
certains diplomates et des mieux informés, l'estimaient en-
core possible. C'est ainsi que (irimaldi étril (l)àClioiseul :
<' M. de Fuentes juge et il me parait avec assez de fonde-
ment, que lorsque le ministère anglais verra par les ré-
ponses de Bristol que les sentiments du Koi sont confoinies
à votre mémoire, et fermes en môme temps, la cour bri-
tannique acceptera la paix sans délai. Il est convaincu
et les indices sont constatés, que la nation anglaise crainf
beaucoup une nouvelle guerre avec l'Espagne. 31. de
Fuentes s'explique dans ces propres termes dans sa dé-
pêche à M. V>'all. » Kaunitz était du même avis; il mani-
festait à Du Chatelet la peur que les Anglais ne consen-
tissent à l'ultimatum fran(,'ais.
Revenons à la stérile besogne qui se traitait à Lon-
dres. Comme réplique au billet que Pitt avait adressé
à Bussy en lui renvoyant ses mémoires, Choiseul prépara
un brouillon qu'il expédia à Londres avec le nouvel ulti-
matum de la France : « Voici les intentions du Roi, lui
mande-t-il (2), si vous êtes dans le cas de négocier; si au
(1) Grimaldi à Clioiseiil, r. août 1761. Aflfaiit's Kliangt-res.
('2) Choiseul à Bussj,"5 aoùl 1701. Affaires KIraiigères. Les détails Ue
11
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LA GUEIIRK DI-: SI PT ANS. - ClIAP. X.
i>:if:
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contmii'*' M. Pilt no vous répfJiid pas, vous ne cherche-
rez pas jW»l)tc ni ru ru; réponse ; eta[)rès huit jours d'attente,
vous me dépôciierez un courrier pour recevoir les der-
niers ordres de S. M. Si le Secrétaire d'Ktat anglais vous
disait ou vous faisait dire (|ue nos pro[)ositionssont inad-
missililes, vous lui répondriez ({u'elles vous paraissent jus-
tes, et luènic faibles ; mais que ce (pi'il y a de certain, c'rst
qu'elles ne changeront pas, et vous chercherez le moyen
de voir chacpie minisire d'Ktat à Londres, de leur expli-
quer la solidité de nos raisons, l'immensité de nos sacri-
fices et les pertes que les deux couronnes feront par la
continuation de la i^uerre. Si après avoir fait ces démar-
cIh's, vous jugez qu'il n'est [)as possihie de dompter
M. Pitt, vous lui demandei'ez un passeport pour revenir en
France et vous partirez sur-le-champ. » Choiseul se félicite
de la démarche de Fuentes qui, de son côté, avait présenté
son exemplaire du mémoire avec un insuccès égal à celui
de son collègue français et conclut : « Vous lui coniierez
notre ultimatum ; je vous adresse celui de l'Angleterre
que M, Stanley m'a remis, dont le nôtre est la réponse.
La matière est actuellement si fort entendue des deux
cours (ju'elle ne demande plus qu'un oui ou un non, et je
vous avoue que je serais fort embarrassé de décide,
lequel des deux est le plus désirable pour la France, en
même temps que j'aurais bien mauvaise opinion de la po-
litique du ministère britannique si elle refuse la paix dans
ce moment-ci à des conditions si avantageuses pour l'An-
gleterre. Mais comme il faut prévoir les événements les
plus apparents, si M. Pitt acceptait nos conditions, il ne
faudrait pas se départir de la confiance que le Roi a
promise à l'Espagne, et de l'union convenue d'ajuster les
dilférends de cette couronne en même temps que les nô-
riilliiiiaUim franrais sont exposôs à pro|)os de la discussion à laquelle ils
donnèreiil lieu de la part du cabinet anglais.
KCHANGE DK LKTTRES KNTIIE PUT ET BUSSY.
577
très. Vous vous concerteriez alors sur cet objet avec M. le
comte de Fuentes, et ti\ciierioz de gagner du temps, ce
qui sprait aisé avant la signature définitive jusqu'à ce
(|ue vdus eussiez nouvelle de votre cour, et que nous con-
nussions les intentions du roi Cat'")li(juc, »
Quelques extraits des lettres échangées entre Hussy et Pitt
indiqueront le degré de tension auquel on était arrivé.
Comnien(;ons par la réponse au billet de i'itt qui avait
accompagné le renvoi des pièces françaises : « Il n'y a,
écrit Choiseul sous la signature de son représentant (1),
dans le mémoire que V. E. m'a renvoyé, ni ofl're de mé-
diation, ni menace; on ne peut en inférer d'autre senti-
ment que celui du désir sincère qu'avait S, M. (jue la paix
projetée entre la France et l'Angleterre pût être aussi so-
lide <{ue durable. Au surplus, le Koi s'en rapporte au roi
Catholique sur la forme dans laquelle ce mémoire a été
reçu et renvoyé; mais S. M. m'a chargé de déclarer X
V. E. que tant que l'Espagne l'approuvera, le ftoi se mê-
lera des intérêts de cette couronne, sans s'arrêter aux
refus de la puissance qui s'y opposerait.
« Pour ce ([ui est de la note renvoyée de même par
V. E. et qui regarde les deux conditions nécessaires à
l'arrangement prop'^sé de l'évacuation des pays conquis
par les armes de S. M., le Roi s'explique clairement sur
cet article dans l'ultimatum en réponse à celui de la cour
de Londres. S. M. m'a ordonné de plus, Monsieur, de
déclarer par écrit à V. E. qu'elle sacrifierait la puissance
f[ue Dieu lui a donnée, plutôt que de rien arrêter avec ses
ennemis qui puisse être contraire aux engagements qu'elle
a contractés et à la fidélité dont elle se fait gloire. » Quant
au ton des communications et des notes émanant du
cabinet anglais, « il me reste. Monsieur, à marquer
à V. E. la surprise de ma cour sur la forme tant de la
i
V t
i
i
1 i'f'
(1} Bussy à put, 10 août 1761. Record Oflice. Le texte était de Choiseul.
CUEIUIE DE SEPT ANS. — T. IV. 37
I
r.78
LA OUERRE DE SEPT ANS. - CIIAP. X.
Irttrc (|u'olle m'a ('-critr ({iic de rulliinaluin de l'An-
gleterre. Celte forme si peu correspondnnfc aux propo-
sitions de la France «lévoile l'opposition de la cour de
Londres à la paix. Le Uoi, (pii est bien éloigné de s'ar-
léter aux formes quand il est question du bonheur de
l'Europe, a cherché dans la réponse de i'idtiiuatum tous
les moyens cpii, sans mnncjuer à l'honneur de sa cou-
ronne, ont été jugés possibles pour ramener la cour bri-
tanni({ue à îles sentiments paci(i(iues. V. K. jugera par
rultimatum de la France que j'ai ordre de lui adresseï-,
avec (juelle facilité, en oubliant le ton impératif et peu
fait pour la négociation dont l'Angleterre sr sert dans s(îs
réponses, le Roi se prête aux vues de la cour britannique
et cberclu' par des sacritices à lui faire adopter les stipu-
lations d'une paix raisonnable ». Le billet se terminait
par rolfre d'une conférence verbale.
La réplique de Pitt (1) est tout aussi raide mais beau-
coup moins bien tournée'. « J'ai rendu compte au Uoi
de la battre dont vous avez accompagné, par ordre de
S. M. Très Chrétienne, l'ultimatum de; la cour de France.
S. M. a vu par ces deux pièces, avec le regret que l'a-
mour de la paix lui inspire, que l'heureux moment
de mettre fin à tant de maux parait n'être pas encore
venu.
(( Pour ce qui regarde la forme de l'ultimatum de l'An-
gleterre, ... ainsi que celle de la letti-e que je vous ai
adressée par ordre du Roi, ... le Roi m'ordonne de vous
dire, Monsieur, que S. M. s'en tient tant à la forme qu'à la
substance de ces deux pièces, où sa dignité a conspiié
avec sa justice et sa bonne foi, laissant à toute la terre A
juger laquelle des deux cours a dévoilé son opposition
à la .aix dans le cours de la négociation. » Suit une com-
paraison des agissements des deux gouvernements,
(1) PiU à nussy, 15 août 1761. Record Oflice.
I/ULTIMATISSIMlJM.
S79
tout h i'avanlai;", cela va sans diro, de lu (irandc-Hio-
tagne. Le porte-parole de cette puissauci; se jilaint
des lenteurs, des variations de la France (( (|ni, de plus,
non contente de mettre tant d'ojjstacles invincibles à la
paix, n'a pas répuyné d'interposer de nouvelles entraves
ù un bien si précieux pour lequel les nations soupirent,
en y mêlant, a[)rès coup, des choses aussi étrangères A la
présente négociation des deux couronnes ([ne le sont les
discussions entre la Grande-llreta.une et l'Kspagne, » Le
ministre anglais accepte cependant de nouvelles confé-
rences à la condition qu'elles [»ortei'ont (( sur les deux
ultimatums de nos cours à la lois ».
Malgré l'acerhité des dcmx écrivains, leurs entrevues se
passèrent avec beaucoup de courtoisie (1 ) de part et d'autre .
On commença par les réclamations espagnoles : Pitt recon-
nut que « nous nous étions écrit des choses qui n'étaient ])as
fort douces ; ((u'à la vérité, vous aviez menacé l'Angleterre
très habilement et très honnêtement de continuer la guerre
si la cour britannique ne satisfaisait pas celle de Madrid sur
ses demandes ; ((u'iln'y avait que MM. les Français capables
de blesser poliment; ([ue cependant, s'il lui avait été
permis de s'expliquer en anglais, il aurait tiVché d'imiter
votre style ; mais qu'il ne savait pas assez bien le français
pour y mettre des tours élégants ». Bussy de répondre :
« que ma propre expérience m'empêchait d'être de son
sentiment; que je pouvais assurer qu'il parlait très bien
français; que les termes choisis venaient se placer sur
sa langue à son commandement, et ([u'il avait tellement
accoutumé ses expressions à respecter sa pensée que,
dans les alfaires les plus désagréables à traiter, il ne lui
échappait, quand il le voulait, aucun terme qui pût bles-
ser la délicatesse de personne. Il reprit qu'il serait fort
heureux de mériter un pareil éloge ; que pour revenir
(1) Buâsy à Choiseul, 18, 25 et 30 août 1701. Affaires Étrangères.
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LA r.UKHRE DE SEPT ANS. — Cil AP. X.
à son discours, jamais i'Aiif^'lcIeri'C irndiucltrail rciittc-
mise de son ennemi dans ses allaires personnelles avec
la coui' d'Ks|)a,i;iie ). A un moment, on plaisanln snr
l'expnîssion nilimatum qui r(;venait si soiiveni dans l«'
déliât : « Ali! M. de lUissy, s écria Pitl en lianl, ne nous
sei'vons plus de ce teisne-là, je vous en prie; je l'ai rayé
de mon dictionnaii'e puisqu'il est sujet h tant de varia-
tions, il faut en employer d'autres, — C'est le sort de
tous les ultimatums du monde, répliquai-jc. — Ou m'a
assuré, dit I*itt, (pj'il y a en Allemagne des ultimatissi-
mum. — Cela est vrai, re[»ris-je, et même (|ui ne se termi-
nent pas là, parce ([u'ou les termine par la l'oi'mule
protestando cl ulteriora ri'sorvando ; «;l jusqu'A ce que
l'on ait signé des [iréliminaiies ou autre acte, ii est tou-
jours pcimis de changer. — Je me confirme donc, répli-
qua-t-il, dans le dessein de ne plus me servir du mot
ultimatum, et ce sera sous le titre de réponse que nous
ferons savoir nos dernières intentions à votre cour. »
Au récit de sa conversation avec Pitt qui avait eu
lieu le 20 août, l'envoyé français ajoute un nouvel
exposé de la situation intérieure de l'Angleterre et un
portrait du graad ministre : « M. Pitt joint à la i-éputation
de la supériorité d'esprit et de talents celle de la [irobité
la plus exacte et du plus singulier désintéressement, et
il en a donné des preuves non équivoques dans toutes les
places qu'il a occupées. Il n'est pas riche et ne se donne
aucun mouvement pour l'être. Simple dans ses mœurs rï
dans sa représentation, il ne cherche ni le faste ni l'os-
tentation. Il ne fait sa cour ni ne la reçoit de personne,
(irands et petits, si l'on n'a point à l'entretenir d'affaires,
on n'est point admis à le voir chez lui. Il est très éloquent,
il a de la suite et de la méthode, mais captieux, entortillé
et possédant toute la chicane d'un habile procureur. Il est
courageux jusqu'à la témérité ; il soutient ses idées avec
feu et avec une opiniâtreté invincible, voulant subjuguer
.';*«ïMtt:p"Ta^;
POIITRAIT l)i: PUT l'Ail mssY.
:a\
tuiit le inoiule par la tyrannie de ses opinions. M. Pilt
I parait n'avoir crautrc anihilion (|nc d'élever sa nation au
^ plus haut point «le la gloire et «l'abaisser la l''ifnu(! un
plus lias dcf^fé de l'Iiunuliation. Voilà les fondements d«î
ridoliVti'ie du peuple pour lui. Dans le lonseil, il a peu
«l'omis; mais il ne s'y ti-ouve personne ni assez f«)rt ni
assez hardi i)Our entrc[)r<'udre de le déplacer, et il n'est
possible de le renverser «[ue par l«>s revers «[ue la nation
pouirait éprouver par la continuation de la ;^uerre avec
la Franc<^ et radditi(»rï d'une nouvelle g-uerre avec l'Ks-
pagne, «'ausées par ro[)iniAtret«'' de c«' Ministre i\ rcfuseï
des conditions raisonnables il la France. Pour développer-
un p<'U plus le système de M. I*i(t, Je «lirai qu'il parait
consister à vous force? à faire avec l'Anf^lcterre, non une
paix solide et durable, mais une trêve nuil assurée, qui
nous empêche de réparer nos pertes et de remonter
notre marine à aucun degré qui puisse causer le moindre
ombrag<^ à l'Angleterre. »
L'ultimatum qu«i Uussy venait de transmettre fut l'objet,
delapartdes conseillers intinu'S de S. M. Hritanni(|ue, de
longues discussions dont la conclusion se traduisit par une
pièce intitulée : « Képouse de la cour liritannique A
l'ultimatum de la cour de France remis 1«; 10 d'août i)ar
M. de liussy. » La comparaison sommaire «les deux docu-
ments permettra «le saisir les points de dissentiment entre
les gouvernements rivaux.
Sur le principe de la cession du Canada, du Cap Breton
et des lies du golfe Saint-Laurent l'accord était complet,
mais l'Angleterre repoussait le projet IraïK'aisde limitation
entre la province conquise et la Louisiane, réclamait
les grands lacs comme dép«mdant du Cann«Ia, et traçait
la frontière d'après les couis des rivières Wabash, Ohio
et Mississipi. Pour justifier leur prétention, les Anglais
s'appuyaient sur une carte remise à Amherst, par le gou-
verneur Vaudreuil, quelf{ues jours après la capitu-
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682
LA GUEUUE DE SEPT ANS.
CHAI-. X.
lation de Montréal (1). La profession pul)li(|uc et l'exercico
de la religion catholique ainsi que la liberté d'éniigration
demandés par la cour de Versailles étaient acceptés, mais
le délai pour la sortie des émigrants était réduit ,'n
18 mois à un an.
En ce qui concerne le droit de péch % la cour de
Londres faisait observer ([u'ellc n'avait jamais refucé le
rétablissement du privilège dont la France jouissait en
vertu de l'art. 13 du traité d'Utrccht, mais qu'elle l'avait
rattaché à la démolition des fortifications de Dun-
kerque; « c'est donc à condition que la ville et le port
de Dunkerque soient remis aux termes où ils devaient
l'être par le dernier traité d'Aix-la-Chapelle que S. M.
consentira à renouveler à la France, par le futur traité de
paix, le privilège de pécher et de sécher en vertu du traité
d'[Itrecht ?ur le dit district do Terre-Neuve ». En outre,
on admettait les pêcheurs franc^ais dans le golfe Saint-
Laurent, mais non sur les côtes api)artenant à l'Angleterre,
à l'exception, bien entendu, de la partie de Terre-Neuve
(jui leur était réservée. Pour servir de port d'abri, S. M.
Britannique accordait l'ile de Saint-Pierre à la condition
expresse que la France n'y élèverait aucune fortification
et n y entretiendrait aucune garnison, qu'elle en exclu-
rait toute autre nationalité que la sienne, qu'un commis-
saire anglais résiderait dans l'ile et que le comman-
dant de l'escadre britannique de Terre-Neuve pourrait
(( visiter de temps en temps ladite ile et ledit port de
Saint-Pierre ». La cession de Saiut-Pierre avait été votée
par le conseil malgré l'opposition de Pitt; elle répondait
en grande mesure aux desiderata de l'ultimatum français
qui visaient « l'ile du Cap Breton, ou celh^ de Saint-Jean,
ou tel autre i)ort sans fortification dans le golfe ou h
{\] Vaudreuil protesta conlre celte assertion. Vaudreiiil à Choisoul, 10
octobre l/tîl. Annual Kegister, l'Hit. Slate papen.
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DERNIER ULTIMATUM ANGLAIS.
583
portée uu golfe, qui puisse servir d'abri aux Français et
conserver à la France la liberté de la pêciic dont S. M.
n'a pas l'intention de se départir ». En outre, la cour
de Versailles avait olï'ert « de négocier sur l'état de Dun-
kerque lorsque l'on sera convenu du port dans le golfo
Saint-Laurent ou à portée du golfe ». L'entente pouvait
donc être considérée comme acquise sur ce point ca-
l)ital.
Il en était de môme du Sénégal et de Corée, dont l'aban-
don avait été consenti par Cbciseul, sauf à se mettre d'ac-
cord sur l'attribution à la France d'un comptoir sur la cAte
occidentale d'Afrique pour faciliter la traite des nègres.
La réponse contenait une phrase signifiant l'acquiesce-
ment du cabinet britannique à la prise en considération
de cette demande.
D'après le premier ultimatuj'» anglais, Belleisle devait
être écliangée contre Minorque; la cour de France avait
repoussé cotte clause et avait maintenu à chaque couronne
sa conquête; par contre, elle avait offeit l'évacuation de
l'Allemagne contre la restitution de la Guadeloupe et do
Marie-Galante. La dernière note de Londres réunissait les
compensations territoriales dans un seul article qui sti-
pulait, la restitution de Belleisle et des Antilles d'une
part, de Minorque de Tautro.
Sur la question des conquêtes françaises en Allemagne,
le désaccord restait grave. Choiseul, on se le rappelle,
avait été obligé de revenir sur la concession trop légè-
rement accordée dans la note qu'il avait dictée à Stanley.
Aussi le 7° crticledc l'ultimatum français du 10 août
excluait-il des territoires à évacuer « Wesel, Gueldrcs et
autres pays en Wesfphalie appartenant au roi de Prusse
qui sont actuellement possédés par l'impératrice et où la
justice se rend au nom de S. M. Imp. Le Roi ne peut pas,
avec toutes les apparences de la logique, stipuler qu'il
cédera les conquêtes de son alliée et pareille évacua-
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r)84
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. X.
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tiou de droit ni de fait ne peut avoir lieu que du consen-
tement de l'Impératrice-Ueine au congrès d'Augsbourg ».
Dans ses conversations avec l'envoyé de la cour de
Versailles, Pitt avait essayé de réfuter le raisonnement
français; dans la réponse écrite, il se borna à maintenir
la condition primitivement posée de i évacuation com-
plète.
La même divergence se retrouve à propos de l'exécution
des engagements pris par les puissances contractantes
vis-à-vis de leurs alliés respectifs. Choiseul avait formulé
une solution qui lui paraissait équitable : u Le Roi, du
consentement de ses alliés, veut bien stipuler (ju'il ne
fournira aucun secours dans aucun genre à ses alliés,
pour la continuation de leur guerre contre le roi de Prusse ;
mais S. M. ne peut ni ne veut prendre cet engagement
qu'autant que S. M. Britannique en prendra un pareil
relativement au roi de Prusse. Tout ce qui pourrait être
négocié sur ces points serait la liberté de fournir des
secours en argent aux alliés réciproques. » La réponse
du cabinet de Saint-James revendiquait le droit de « se-
courir son allié le roi de Prusse avec efficace et bonne foi »,
rappelait que les subsides devaient être limités aux arran-
gements déjà en vigueur et ajoutait « que S. M. n'a ni
l'intention, ni la faculté de se cbarger d'interdire et
d'inhiber à aucunes troup is d'entrer au service et à la
solde du roi de Prusse, quelque disposée que S. M. pour-
rait être cl consentir de ne fournir (j[u'en subsides seule-
ment les secours, que la Grande-Bretagne jugera conve-
nable, conformément à ses engagements, d'accorder à
S. M. Prussienne ». C'était dire qu'on n'entendait pas en-
voyer directement des troupes au roi de Prusse, mais
qu'on n'empêcherait pas les princes alleniandr- de mettre
leurs contingents à la solde prussienne.
Au fond, le cabinet de Londres désirait, tout autant
que celui de Versailles, restreindre à un concours financier
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PROTESTATIONS DE FREDERIC.
586
l'aide qu'il prêterait à la Prusse, mais l'insertion d'une
clause à cet efl'et dans lo traité lui eût attiré les foudres d'un
allié dont oïi connaissait la suceptihilité et qui venait
d'en donner une preuve récente. Pitt, mécontent des résul-
tats de la guerre d'Allemagne qui traînait en longueur,
tout en coûtant fort cher, était beaucoup moins enclin que
jadis à se plier aux exigences de Frédéric; il avait eu même
la malencontreuse idée de sonder les ministres prussiens à
Londres sur les sacrifices aux(|uels leur monarque pourrait
se résigner dans l'intérêt de la paix. On peut se figurer la
fureur du Roi : « Vous direz (1) au sieur Pitt que je ne me
serais jamais imaginé qu'il aurait voulu vous tenir un
pareil discours... que si je désirais la paix, il était tout à
fait naturel que je la désirasse, que tout l)on citoyen devait
la désirer... mais que je la désirais lionne et honorable et
non pas flétrissante ou humiliante et quoique j'avais été
dans bien des occasions malheureux, je ne manquerai
pas de m'exposer au plus grand hasard et à la plus
grande vicissitude de la fortune, avant de commettre une
action dont j'aurai honte à penser. » Quelques jours plus
tard, i! écrit une lettre personnelle (2) à Pitt : « Le roi
d'Angleterre n'a qu'à choisir, il en est le maitre; deux
partis se présentent à lui : l'un, que dans la négociation
de la paix, il ne pense qu'aux intérêts de l'Angleterre
et oublie ceux de ses alliés, l'autre, qu'en consultant
ses engagements, sa bonne foi, et sa gloire, il joigne,
aux soins qu'il prendra d3s intérêts do sa nation, celui de
pourvoir au bien de ses alliés. S'il prend le premier, je
ne me ressouviendrai pas moins avec reconnaissance que
la nation anglaise m'a généreusement assisté pendant
cette guerre, quoiqu'il ino sera douloureux de penser que
j'ai fait des acquisitions étant l'allié de la France et que
(1) Frédéric à Knypliausen cl Michel, Kunzentloif, 'l.i juin 17CI. Corr.
Poi., XX, m.
(2) F'rédéric à PiU, Kunzendorf, 3 juillet ITGl. Corr. l'ol., XX, 507.
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Lk GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. X.
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l'étant de l'Angleterre, j'ai été dépouillé par mes enne-
mis. Si le Roi prend le second parti, j'ajouterai, aux obli-
gations que je lui dois, une vive reconnaissance de sa re-
ligion et de sa bonne foi à remplir ses engagements et
de sa persévérance à soutenir ses fidèles alliés. » Il est à
peine besoin de dire que le cabinet de Londres avait
répondu à cet appel, dont on ne saurait nier l'habile
fierté, par les assurances les plus formelles.
Il n'est pas nécessaire d'insister sur les autres articles
de la réplique anglaise. Les deux puissances étaient
d'accord pour renvoyer à la décision des Compagnies la
délimitation de leurs possessions aux Indes Orientales.
Quant aux prises faites avant la déclaration de guerre,
l'Angleterre s'en tenait k son refus de toute restitution
et de toute indemnité. Elle prenait acte de la déclaration
de la France relative à l'évacuation des places d'Os-
tende et de Nieuport.
La lettre de Pitt (1) à Stanley, qui accompagnait le rc-
sumé de la cour de Londres et lui servait de commen-
taire, était rédigée dans le style habituel de cet homme
d'État : il y était question « des fortes concessions de
l'Angleterre », des « soupçons trop justifiés sur la bonne
foi de fa France ». Pitt récapitulait avec un soin jaloux
les van t ions de Clioiseul, citait les paroles échappées
à ce ministre dans les entretiens avec Stanley et s'en
emparait pour appuyer sa thèse ; oubliant les menaces
dont sa propre correspondance était farcie, il rappelait
celles de son adversaire et traitait « d'effronterie sans
pareille » le projet de tracé des frontières de la Loui-
siane et du Canada. « Après une telle série d'agisse-
ments, écrit-il, je ne vous cacherai pas que nous n'atten-
dons d'autre résultat de nos offres quelque importantes
et essentielles qu'elles soient, relatives à la faculté de
(1) Pitt à Stanley, 27 août 1701. Record Office.
STANLEY SUR LA SITUATION DE CIIOISEUL.
587
pêche dans le golfe et du port d'abri, que de mettre
la France dans son tort au cas où elle repousserait des
conditions de paix aussi favorables, .l'emploie le mot re-
pousser, car nou ne laisserons plus à la Franco le pou-
voir d'équivoqucr. S. M. est bien décidée aujourd'hui. »
Si la cour de France n'acceptait pas les principaux points
de l'ultimatum anglais : la cession pleine et entière
du Canada et des ilcs du golfe, l'arrangement pour la
pêche et le port d'abri, la limitation de la Louisiane, la
restitution sans exception des conquêtes françaises en
Allemagns et la clause relative aux secours à fournir
aux alliés après la paix, Stanley, sans attendre de nou-
velles indications, avait ordre de rentrer sans prendre
congé. « Dès votre première conférence, lui mandait
Pitt, vous ferez compi'endre au duc de Choiseul que ce
dernier ordre fait partie de vos instructions, mais vous
vous y prendrez d'une façon assez détournée et assez
indirecte, pour ne pas entraver par le moindre signe do
menace, la complète réussite de notre suprême tentative, »
Pendant que la discussion suivait son cours à Lorlres,
Stanley remplit (1) sa correspondance avec Pitt de détails
sur les affaires intérieures de la France, sur les difficultés
que Choiseul avait à surmonter, sur l'influence grandis-
sante des ambassadeurs d'Autriche et d'Espagne opposés
tous les deux au rapprochement avec l'Angleterre, sur
l'appui qu'ils rencontraient auprès de la Pompadour, enfin
sur les démêlés de cette dernière avec Choiseul à propos
du conflit entre Broglie et Soubisc. Stanley, qui savait la
marquise dévouée à la cause autrichienne et en rapports
suivis avec Starhemberg, n'avait pas cheiclié à nouer
des relations avec elle et s'était borné à une visite de
politesse ; cette réserve lui avait été inspirée par les con-
seils du ministre et de sa sœur. Comment se terminerait
(1) Stanley à Pitt, 20 et 22 août 1761. Record Office.
r>8S
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CllAP. X.
la lutte engagée entre celui-ci et la favorite ? Si Choiseul
succombait, il serait sûrement remplacé par un partisan
de l'Autriche, adversaire de la paix avec la Grande-Bre-
tagne. Quant à Choiseul, « maints propos tenus dans l'in-
timité illustraient ses véritables sentiments au sujet de
l'alliance avec l'Impératrice Reine, et démontraient son
désir sincère de traiter avec la cour de Londres... Il est
certain que l'état précaire de nos négociations lui fait
du tort; les objections de Starhemberg et de Grimaldi
se trouvent confirmées et leur crédit croit en proportion
que baisse celui de l'initiateur des négociations avec
l'Angleterre, c'est-à-dire le sien. Je suis donc amené h
me demander si l'introduction des affaires espagnoles a
été un acte volontaire de la part du duc de Choiseul;
peut-être a-t-il été forcé par les exigences de sa position
actuelle à prendre un parti que, d'après moi, lui personnel-
lement n'aurait pas pris avant votre lettre du 20 juin (1).
Quand il a vu diminuer les chances d'une réconciliation
avec l'Angleterre, il s'est peut-être vu dans l'impossibilité
d'agir autrement. Cela expliquerait aussi ses grandes
préoccupations quand il ., abordé avec moi la question des
compensations et son désir de garderie secret vis-à-vis des
ministres, des alliés et même vis-à-vis de M. de Bussy ».
Cet exposé démontre l'attachement de Stanley pour la per-
sonne du duc et la valeur qu'il accordait à ses déclarations.
L'ultimatum anglais, dont nous avons donné l'analyse
plus haut, fut remis à Choiseul par Stanley le l*"*" sep-
tembre. Dès le soir, il y eut une première conférence (2)
suivie, le lendemain, d'une seconde (3) qui dura six heures
et d'une troisième qui se passa le 'i-. Dans sa dépêche
du G (4), l'envoyé anglais rend compte des trois séances
(1) Réponse de Pitt aux conditions dictées par Ciioiseul à Stanley.
(2) Stanley à Pitt, 2 septembre 1761. Record Oflice.
(3) Ibid., 4 septembre 1761. Record Office.
(4) ibid., 6 septembre 1761. Record Office.
DERNIERS ENTRETIFNS DE STANLEY AVEC CHOISEUL. 589
et en fait le résumé : Sur cin([ points essetitiels dont
le rejet devait entraîner la rupture, on était d'accord sur
deux; sur celui du droit de pêche et du port d'abri, on
était à la veille de s'entendre. Restaient en suspens la
question de l'évacuation complète des conquêtes fran-
çaises en Allemagne et celle de la faculté, pour chaque
puissance, de remplir après la paix les engagements
pris avec ses alliés. (( En conséquence, conclut Stanley,
quoique je sois fermement persuadé que la paix ne se
fera pas dans l'occurrence préseute, il me semble évident
et manifeste que je ne suis pas autorisé lï rentrer en An-
gleterre jusqu'à ce que vous me disiez quelle conduite
je dois tenir au sujet des trois points non encore tran-
chés. » Au cours de la discussion, l'envoyé britannique
avait observé un changement appréciable dans l'altitude
de Choiseul : « Autant que je puis juger d'après des dé-
tails infimes, sa tenue et sa conduite, <[u'elles fassent na-
turelles ou affectées, indiquaient plus d'indifférence au
sujet de la paix qu'il n'en avait montré dans les en-
trevues précédentes. »
Dans sa récapitulation, Stanley ne mentionne pas les af-
faires espagnoles ; il n'y fait allusion que dans son récit dé-
taillé des entretiens : « L'examen de la réponse à l'ultima-
tum français achevé, le duc do Choiseul me dit qu'il persis-
tait à revendiquer le droit qui appartenait à la France de
parler et d'intervenir à propos des litiges qui pouvaient exis-
ter entre notre cour et celle de l'Espagne. Je répondis que
ma cour maintenait qu'il n'avait aucun droit de la sorte,
que toute tentative dans ce sens serait considérée comme
une offense et une insulte à l'égard de S. M. Britannique.
Si Choiseul présentait un mémoire et faisait une dé-
marche officielle à l'appui de son dire, lui Stanley deman-
derait immédiatement ses passeports. Cette conversa-
tion qui m'a paru avoir été introduite uniquement pour
prendre acte qu'il (Choiseulj avait parlé de l'Espagne,
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LA GUEIIRE DE SEPT ANS.
CHAI». X.
s'est tcrminôo par ct^ mot <lo S. E. : « nous avons assez
de disputes nous appartenant en propre, sans abordei-
celles des tiers. » Comme nous le verrons plus loin,
Choiseul donne à cet incident une physionomie dillérente.
Dans une lettre particulière, Stanley fait part à Pitt de
ses découvertes et de ses préoccupations à propos de l'ac-
tion de l'Fspagne : « J'aurais vivement souhaité que la
cession de l'Ile Saint-Pierre, si on l'envisage comme de-
vant être accordée aujourd'hui, eût été consentie plus
tAt. L'on m'a montré en secret un article rédigé entre la
France et Y ipagne, dans lequel la première s'engage à
soutenir les intérêts de celle-ci sur un pied d'égalité avec
les siens dans la négociation pour la paix avec l'Angle-
terre... Je crois cette pièce très récente, car elle était com-
muniquée à M. de Bussy dans une lettre datée du 10 août.
Il avait ordre de ne pas signer la paix de suite... peut-
être dans le but de se dégager de l'Espagne avec plus de
convenance. Je doute que cet article ait été signé ou qu'on
l'iU absolument d'accord, mais il lui était prescrit de ne
pas se mettre en contradiction avec son contenu... J'ai vu
quelques lettres de M, de Bussy; il en sait plus qu'il ne
devrait le faire... M. de (Ihoiseul m'a dit en confidence
que si d'autres points peuvent être arrangés, il croit
qu'il pourra se dégager de l'Espagne et qu'il l'essaiera.
Il m'a également dit dans l'intimité que, plus que n'im-
porte ([ui en Angleterre ou en France, il avait depuis peu
de temps intérêt à terminer l'alliance autrichienne. »
Des confidences de l'homme privé, de la sincérité des-
quelles nous n'oserions pas nous porter garants, passons
à l'exposé officiel de la politique suivie par le cabinet de
Louis XV, tel que nous le relevons dans un mémoire de Choi-
seul (1), lu au conseil du 6 septembre : « Il aurait été im-
prudent de manquer l'occasion de terminer la négociation
(1) Mémoire pour le conseil du C septembre 1761. Affaires Étrangères.
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KXPOSÉ DE CIlOISEl L AU CONSEIL.
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crEspaguc, tandis que nous étions instruits de la mauvaise
volonté personnelle pour la paix du minisire prépon-
dérant en An,qlcterre, (jue nous avions sous les yeux la
première réponse de l'Angleterre aux propositions avan-
tageuses de la France, et que nous ne pouvions pas
ignorer que la cour de Londres était déterminée à la
continuation de la guerre, ou à. forcer la France à une
paix ignomiuieuse quant aux concessions et aux mancjues
de fidélité exigés par rapport aux alliés; paix d'ailleurs
qui n'aurait point été solide, et qui, sans procurer aucun
soulagement au royaume, aurait anéanti fout système
politique en France. D'un autre côté, il n'aurait pas été
séant que la cour de Madrid piU croire ([ue nous ne
prenions d'intérêt à ses diflerends avec l'Angleterre que
lorsque nous aurions été certains que notre négociation
avec l'Angleterre ne pouvait pas réussir, et que nous
n'avions d'autre parti à prendre que de l'engager dans
notre querelle. Elle avait déjà marqué quelques soupçons
sur cet objet, ce qui a engagé le duc de Choiseul de
proposer au Roi de l'autoriser à signer le traité et la
convention d'Espagne le 15 du mois d'août dernier, se
réservant l'espérance que si l'Angleterre en suivant la
raison ou par crainte de l'Espagne, se prétait aux con-
ditions acceptables qui lui étaient proposées, elle ne re-
fuserait pas... de terminer en même temps les différends
de bien moindre importance qu'elle aurait avec l'Espa-
gne; ou si l'Angleterre s'y refusait, l'on pourrait conjec-
turer avec vraisemblance que le roi d'Espagne et son
ministère acquiesceraient à notre paix particulière et
consentii-aient à la nullité de l'article second de la con-
vention.
« D'après ce système, la négociation de l'Espagne soit
à Madrid, soit à Londres, devait être suivie avec beaucou[)
d'art pour remplir deux objets essentiels : Le premier
afin qu'elle ne fût pas un motif de rupture à la négo-
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l-A CUKRUK l)K SEPT ANS. - CHAP. X.
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ciation de paix de lAn^letetTC avec la France; le second
afin que si la paix n'avait pas lieu, l'Kspagne devint une
ressource (\ la continuation de la guerre.
<> Kn consé(|U('nce, avant que d'entamer avec M. Stanley
la disjcussion sur les articles envoyés par sa cour, le duc
d(^ Clioi.seul lui a déclaré que le Iloi, persistant dans la
réponse de M. de Bussy... se réservait, dans le cours de
la négociation, la faculté de traiter les intérêts de l'Es-
pagne selon le mémoire remis h Londres par ledit M. de
Bussy et renvoyé par M. l'itt.
« M. de Stanley s'échauU'a beaucoup sur cette déclara-
tion; toutes les fois qu'il avança que sa cour ne soufl'ri-
rait jamais une pareille union dans la négociation, le
dac de Choiseul ne lui lit aucune réponse, mais lorsqu'il
ciit que cette union avait été arrêtée entre la France et
l'Espagne depuis le commencement des négociations de
la paix et que c'était une nouveauté contraire à la bonne
foi, le duc de Choiseul lui repartit en invoquant les
précédents du traité de garantie signé à Fontainebleau
en 17V3, de l'offre de médiation formulée par le roi
d'Espagne dans sa lettre de Saragosse en 1759 et rap-
pelée lors des pourparlers de la Haye en 1760. Au sur-
plus, il n'admettrait pas l'accusation de mauvaise foi
imputée à la France, quand bien même elle aurait pris
quelques engagements plus directs avec l'Espagne depuis
le commencement de la négociation d'Angleterre; il se-
rait étonnant que la cour de Londres osât mettre de la
délicatesse dans les dates. » A l'accusation de Stanley,
il opposait les agissements de l'Angleterre qui avait re-
tardé sa réponse définitive sur ïuti possidetis jusqu'à la
prise de Belleisle, « ce qui mérite une imputation d(^
mauvaise foi plus réelle qu'une négociation qui ne con-
courrait qu'à l'établissement d'une paix générale et so-
lide ».
« Le lendemain, M. de Stanley commença la conférence
UEIINIKII MK.MOIUK DE LA COVR DE VKHSAILLKS.
Vi:\
en disant au duc do Choiseul (ju'il était chargé do con-
férer avec lui sur la réponse de sa cour, et (ju'il prônait
ad référendum la déclaration (juo le duc d(; Choiseul lui
avait faite, la veille, sur l'Espagne. »
Le mémoire conclut sur ce point on expli([uant que les
pourparlers eussent été arrêtés <( sur une réponse aussi
peu satisfaisante », sans la crainte de voir mal interpréter
le refus de continuer les négociations propres à la France,
si on rompait « uniquement sur les alfaires d'Espagne ».
II est inutile d'insister sur les différences outre ce récit
et celui du diplomate anglais; elles sont d'ailleurs de peu
d'importance, puisqu'elles n'affectent en aucune façon le
dénouement.
La réplique (1) que Choiseul remit à Stanley ot qu'il
expédia à Bussy était surtout une plaidoirie destinée à
prouver la sincérité, la loyauté de la France et à rejeter
sur l'Angleterre la responsabilité d'une rupture jugée
inévitable ; elle reproduisait les résultats tant négatifs
qu'afiirmatifs de la discussion verbale avec le plénipoten-
tiaire anglais. La position prise à propos de l'évacuation de
l'Allemagne et de la réglementation des secours aux alliés
n'avait pas subi de modification ; par contre il n'était pas
fait mention des plaintes espagnoles. Cette omission pour
laquelle l'autorisation de l'ambassadeur de S. iM. Catho-
lique avait été obtenue, confirme, ce nous semble, l'exac-
titude du rapport de Stanley.
Voici en quels termes Grimaldi (2) rend compte des rai-
sons qui l'avaient déterminé k accéder au désir exprimé
par le cabinet de Versailles : « Choiseul a envoyé à Bussy
sa réponse au mémoire anglais, V. K. verra qu'ici ils aban-
donnent tout ; ils ne restent fermes qu'en ce qui regarde
leurs alliés; il s'ensuit que le système du ministère est
(1) Mémoire de la France, 9 septembre 1761. Affaires Élrangcres.
(2) Grimaldi à Fuentes, 13 septembre 1701. DépOclie interceptée. Chatliam
Papers.
GUERRE DE SEPT ANS. — T. IV. 38
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504
LA CUKHMK DE SEPT ANS. CHAI». X.
de nous rostoi- lidèlf. Choiscul in'fi tlciiianilc s'il dcviiit
répôtcr dans cette dernière [ni'xc que rarrangement de
nos allaires était une condition sinr gua non. Il me
semble ^\\\r notre (thjectif doit èti'e de ne pas laisser la
France l'aire la paix, sans (|uo nous y soyons compris;
mais (il mi^me tem|)s, nous devons éviter, si cela est
possible, que ce sont nos dillicultés avec l'Anj^leterre qui
ont ompécbé la paix. En consé<|nence j'ai réjiondn i\
(llioiseul (ju'il n'était pas nécessaire de parler de l'Ks-
pagne dans le mé.doire et ([u'il snflirait de confirmer à
Bussy l'ordre (in 10 aoiU de ne rien signer sans l'arran-
genicnt simultané des litiges espagnols, conformément au
traité entre les deux couronnes qui est déjà ratifié. Chol
seul m'a écrit de sa main qu'il s'était conformé à cette
suggestion. »
l*ar le courrier du 9 septembre, Hussy (i) reçut, avec
le dernier mémoire fran(;ais, ses instructions pour l'atti-
tude ù garder vis-à-vis de la cour de Saint-James : « .le
vous adresse, Monsieur, un mémoire qui scvira de ré-
ponse à celle d'Angleterre. Vous le remettrez de la part
du Koi au ministère britannique, en déclarant à M. l^ilt
que si ce mémoire n'était pas agréé par S. M. liritanniquo,
le Koi verrait avec un sensible déplaisir que le moment
bcùreux de rét; l,\ir la paix et l'union entre les deux
nations n'est ^«n- arrivé; que S. iM. se console du retar-
dement de ce ijonheur, en considérant les sacrifices
({u'elle était déterminée à faire pour y parvenir Après
avoir fait cette déclaration à M. Pitt, vous lui direz que
votre séjour devenant désormais inutile à Londres, et vos
affaires vous obligeant de revenir en France, vous le priez
de vous donner un passeport, et (|ue vous serez toujours
prêt à retourner en Angleterre dès que S. M. Britannique
jugera que vous pourrez y être utile au bien de la paix. »
(1) Choiseul à Bussy, 9 septembre 1761. Aflfaircs Étrangères.
IMTT DKCIDK A HOMPIIK LA NKUOCIATION.
505
La (OUI" tic Versailles croyait le cabinet anglais enclin
jI prolonger les conv. rsatioiis « pour des motifs <pii, (piels
qu'ils soient, ne sontciu'au désavantage de la France... et
comme l'objet du ciédil est vraisemblablement le motif
qui détermine la conduite du ministère anglais, le lloi
vous ordonne de fixer votre départ au moment <[ue vous
[)ensere/. élre le plus désavantageux au crédit anglais ».
Cboiscul s'excuse des concessions considérables cons(m-
ties : S'il s'était montré si joulunt sur certains articles
et notanunent .sur celui de hunkerque, c'était qu'on
n'espérait plus une solution pacili(jue et qu'on avait
voulu « faire connîiitre à l'Europe et au peuple anglais
la disposition de la France et l'éloignement de l'Angle-
terre par rapport à la paix », La pièce française fut
remise à Pitt le 15 septembre. Le même jour, le cabinet
britannique avait été convoqué pour se prononcer sur la
rupture ou la continuation des négociations.
Au sein du gouvernement i'barmonie apparente qui
avait suivi l'introduction de Bute et la reconstitution du
printemps n'avait jamais été durable. Les dissentiments
entre Pitt et Nexvcastle, entre ces deux bommes d'état et
leur nouveau collègue avaient déjà été sur le point d'a-
mener une dislocation ([ue pour des rais(jn diUercntes
aucun d'entre eux ne souhaitait, tout au moins avant la
conclusion de la paix. Le mariage du jeune roi avec
une princesse de Mecklembourg Strelitz qui avait été
célébré le 9 septembre et b's fêtes qui avaient accom-
pagné la cérémonie avaient retardé et retardaient encore
la crise. Ce ne fut d'ailleurs qu'un répit momentané, car
provoquée par l'humeur intransigeante de celui qui était
le chef virtuel du ministère, elle éclatera à propos des li-
tiges espagnols.
Dès la réception des dépêches de Stanley, qui parvin-
rent à Londres avant ou vers le 10 septembre, le parti
de Pitt avait été arrêté : il était décidé à proposer à ses
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f^nm^m^immwr^m
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ri9()
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CKAP. X.
collègues le rappel de l'envoyé britannique et la décla-
ration de guerre à l'Espagne. Depuis longtemps des ren-
seigncmonls puisés (1) à diil'érentes sources, la lecture des
dépêches échangées entre les ambassadeurs espagnols
de Londres et de Paris et régulièrement ouvertes en cours
déroute avaient é\oillé chez Pitt, sur les desseins secrets
de la cour de Madrid, des soupçons qui furent transformés
en certitudes par les derniers avis de Stanley et surtout
par l'i connaissance d'une lettre interceptée de Gri-
maldi(2) à Fuentes. L'ambassadeur espagnol à Paris ras-
surait son collègue de Londres qui avait exprimé la
peur dune reculade possible de la France : « Aujour-
d'hui, il n'y a plus lieu d'avoir cette crainte, car les
deux instruments ont été signés le 15 (août) et j'attends
d'ici à peu la ratification. D'après l'article que j'ai en-
voyé à V. E., il est évident que la France ne peut ter-
miner la guerre sans que nos affaires soient arrangées,
Bussy a eu aussi communication de ce texte avec ordre
de s'y conformer. J'ai reçu une lettre de M. Wall du 17;
par le même courrier, il a informé V. E. de l'entière
approbation dont le Roi honorait votre sage conduite. Ils
n'avaient pas encore donné à lord Bristol une réponse
écrite, mais d'après ce qu'ils disent, elle sera conforme
au langage de V. E. La crainte de notre cour, qui n'est
pas sans fondement, est pour la flotte. Elle cherche à
gagner du temps jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à Cadix
et on expédie en secret 12 vaisseaux pour lui servir d'es-
corte. »
La délibération du conseil auquel le Roi avait dé-
claré s'en rapporter fut courte; les ministres se laissè-
(1) Voira ce s-ijel Quarterly Rcview, iv 190. P/W (nullité Family com-
pact.\o\\ Ruvillc, William Viil, vol. II, p. 470, etc. Herlin l'.)05. D'aprùs cel
auteur les pièces reçues jiar Dutetns, secrétaire anglais à Turin, auraient été
antérieures à l'année 17G1.
(2) Griinaldi à Fuentes, 31 août. Ncwcast'e Papcrs.
■^
(1) Newcaslle à HedCord, l.< so|)l«inI)r« 17(11. NiMvcasIle l'apers.
(2) IJetlfoni à Newcastlc, 14 seplcinlue 1"(>I. Nftwrasllc' Papers.
(3) Slanley à Clioiscnl, .iO snplpinliro 17(>l. AU'aiios Eltanj;èi<'s.
(4) Newcaslle i IFardwickc, 18 scplciiibn; 17(;i. Nr^vcaslle Papers.
'l
RAPPEL DE STANLEY ET BUSSY.
597
rent entraîner par Pitt qui iiieiiaça de se retirer si
ses collègues ne se rangeaient pas à son avis. Bute,
Devonshire et Hardwicke (1) se déclarèrent partisans du
rappel de Stanley; ils tirent remarquer que ce diplomate
avait beaucoup varié dans ses appréciations, <[u'il ne
paraissait garantir ni la sincérité de Choiseul, ni des
chances sérieuses d'une solution pacifique. Newcastle lui-
même, plutôt favorable à la continuation des pourparlers,
mais peu désireux de fournira Pitt un prétexte pour la dé-
mission qu'il méditait, n'osa pas se séparer de lui sur cette
(|uestiou. Bedford, le futur négociateur de la paix de 1702,
écrivit (2) qu'il aurait consenti (quelques uouv^nes con-
cessions, mais (ju'il n'assisterait pas à la réuniou. « Tant
que M. Pitt aurait du crédit, même tant qu'il tiendrait la
plume, lui (Bedford) était convaincu qu'il n'y aurait pas
de paix. »
A l'unanimité des membres présents, le conseil du
15 septembre se prononça pour le retour immédiat de
l'envoyé. Le soir même, Pitt expédia à Stanley son ordre
de rentrer. Ce dernier était en villégiature chez le prince
de Conti quand la lettre lui parvint. Il exprima aussitôt
à Choi«eul (3) ses regrets de l'échec de sa mission et prit
congé de lui en termes auxquels il s'efforça de donniM' une
tournure spirituelle : « C'est A présent que l'ombre errante
de feu le négociateur va véritablement passer le Styx; je
vous prierai, Monsieur, d'ajouter au passej)ort de mes niAnes
deux autres pour des courriers avec des ordres pour mon
bagage. »
Bussy eut sa dernière audience de Pitt le 17, et cjuitta
Londres peu de jours après; dans une visite d'adieu à
Newcastle, il attribua (V) la rupture à l'expédition de
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — ClIAP. X.
Belleisle et à rintroduction dos plaintes de l'F^spagne.
A cette appréciation, opposons celle de Newcastle : « Nous
avions, écrit-il à Yorke (1), ou nous prétendions avoir au
début une telle défiance de la bonne foi de Choiseul que
nous lui avons inspiré un sentiment réciproque et qu'il
s'est trouvé obligé d'adopter un système qui lui niénageAt
une retraite. Ce système qui consistait à se rapprocher
de l'Espagne, et peut-être à prendre de nouveaux engage-
ments vis-à-vis des deux Impératrices, a gêné M. de Choi-
seul à un tel point que, quand nous sommes devenus p! ■
raisonnables et que nous avons fait les concessions que
nous devions, il était lié si étroitement par ses noiïvelles
disposition!» qu'il a été forcé d'envoyer son dernier mé-
moire conçu en termes équivoques. De notre côté, il nous
a été impossible d'accepter cette pièce qui revenait sur
des accords déjà consentis. »
Le vieil homme d'État n'était pas loin de la vérité. Au
premier abord, Choiseul et Pitt étaient tous les deux fran-
chement partisans de la paix, mais pour la faire aboutir
en dépit du mauvais vouloir des alliés de la France, il
aurait falhi pousser les pourparlers le plus activement
possible, établir un accord sur les points essentiels et
mettre la cour de Vienne en présence du fait accompli.
Tel fut le concept de Choiseul, mais il lui était impossible
de donner la précision indispensable à une correspon-
dance dont tous les détails étaient soumis à l'inspection de
Starhemberg. De là, un vague dans les premières pro-
positions de la cour de France qui éveilla la méfiance de
Pitt et fit perdre un temps précieux.
Avec le voyage de Stanley, la conversation prit un tour
sérieux, mais ce diplomate improvisé ne possédait ni
l'expérience ni le prestige nécessaires; lié par les instruc-
tions impérieuses de son patron, il crut bien faire en les
(1) Newcastle à Yoïke, 18 septembre 17(51. Newcastle Papers.
FREDERIC SE FELICITE DE LA RUPTURE.
599
suivant à la lettre et en laissant espérer de la part de la
France plus de concessions qu'il n'en pouvait obtenir,
liussy ne joua dans lafl'aire qu'un rôle effacé ; intimidé
par Pitt, influencé par Fuentes, il ne crut jamais à une
solution et desservit, inconsciemment, la cause de la paix.
Choiscul commit deux fautes g-raves : cédant sans doute
au désir d'en finir, il lit, au sujet de Wesel et des posses-
sions prussiennes, une offre qu'il savait irréalisable, et
fournit ainsi à son adversaire une arme dont celui-ci usa
sans merci; en second lieu, quoique dûment averti, il ne
se rendit pas compte de l'effet que produirait sur le ca-
binet anglais l'immixtion de la France dans le litige
espagnol.
Au cours de notre récit, nous n'avons fait que de
courtes allusions au roi de Prusse ; dans les négociations,
Frédéric se tint presque toujours au second plan. Sa cor-
respondance avec ses envoyés à la cour de Saint-James
nous le montre, au début, ardent avocat de l'entente, très
soucieux d'un armistice qui s'étendrait au continent, con-
vaincu de la possibilité d'un prompt arrangement entre
la France et l'Angleterre, seul moyen, selon lui, de mettre
fin à la guerre d'Allemagne, enfin, plein de confiance
dans la fermeté de Pitt. Les pourparlers entamés, ses
soupçons se réveillent, il n'est qu'à demi rassuré par les
protestations qu'on lui transmet de Londres, il se fi-
gure (1) les négociateurs anglais enclins à sacrifier les
desiderata de la Prusse à ceux de l'Angleterre. La lenteur
de discussions qui durent plusieurs mois sans aboutir
augmente son inquiétude ; c'est avec un véritable soula-
gement qu'il apprend le conflit soulevé à propos des griefs
espagnols et des réserves autrichieuiios. Il s'indigne (2)
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(1) Frédi'iic à Knyphausen et Michel, 3 et 10 juillet l/HI. Cnrresp. Polit.,
XX, p. 50G et 520.
(2) Frédéric à Knyphausen et Michel, Slrehlen, 7 aoi'it 17(il. Corr. PoL,
XX, p. 591.
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LA GUERRE DE SEPT ANS.
CIIAP. X.
des(( mauvaises procédures » de la cour de Versailles; il ne
sait « assez admirer ni applaudir la fermeté avec la-
quelle les ministres anglais se sont conduits dans cette
occasion, et la fa(,'on noble et énergique avec laquelle ils
ont répondu aux Français » ; il est « véritablement touché et
pénétré des témoignages éclatants qu'ils m'ont donné dans
cette conjoncture de leur bonne foi et de leur sincérité ».
Frédéric était encore en Silésie quand il fut informé de la
rupture que ses correspondants de Londres attribuaient à
« l'inconséquence » de Choiseul; il félicite (1) le minis-
tère britannique de sa « résolution tout à fait digne de
sa prudence et de ^à fermeté », Cependant il prévoit que
les pourparlers seront repris sous une forme secrète et
il ordonne à ses envoyés de veiller à ce que ses intérêts
ne soient pas délaissés et à obtenir du cabinet de Londres
l'engagement d'exiger la restitution des territoires prus-
siens occupés par la France avant de mettre cette puis-
sance en possession « de quelques iles ou de quelques con-
quêtes » qui lui seraient rendues. En résumé, le roi de
Prusse restait acquis à la paix; il la souhaitait mémo avec
ardeur, mais il en subordonnait la conclusion au principe
immuable qu'elle ne lui coûterait pas un pouce de ses
territoires.
A notre avis, c'est bien à Pitt qu'incombe la respon-
sabilité de l'échec. Comme conditions de paix, il était
bien déterminé à n'accorder que celles qui imposent au
vaincu la loi du vainqueur. Humilier la France, ruiner
son commerce, lui enlever ses colonies, et détruire sa
marine, il n'ont pas d'autre but et ne le cacha pas. Il
lit ajourner les concessions qui, accordées dès le début,
eussent assuré la signature des préliminaires, les com-
battit avec énergie, et quand elles lui furent arrachées pai
(I) Frédéric à Knypliausen cl Micliel, Slrclilen, 10 octobre l'fil. Corr.
PoL, XXI 11. 18.
PITT VÉRITABLE AUTEUR DE LA RUPTURE.
tJOl
ses collègues moins intraitables, il les transmit avec des
expressions, des commentaires et des restrictions qui en
atténuèrent beaucoup la portée. Le rejet du mémoire de
Choiseul sur les griefs espagnols peut s'expliquer, mais
ni le fond ni la forme de cette pic"e n'autorisaient la
réponse sèche et blessante que Pitt remit à Bussy. La
tentative de pacification était entourée de tels pièges et de
tels obstacles qu'elle était presque condamnée d'avance,
mais il est évident que la raideur du ministre anglais et le
ton de sa correspondance contribuèrent beaucoup à l'in-
succès. A partir de cet incident. Choiseul travailla à l'al-
liance espagnole avec autant d'ardeur qu'il avait mis de
réserve jusqu'alors; il ne continua à négocier que pour
donner au nouvel allié le temps de faire ses préparatifs de
guerre. Pitt eut le mérite de deviner le jeu de son adver-
saire et fit preuve de clairvoyance en rompant avec la
France et en préconisant l'attaque immédiate contre
l'Espagne. S'il ne réussit pas à faire adopter par ses col-
lègues du cabinet la seconde partie de son programme,
c'est qu'il se servit à leur égard des procédés dictatoriaux
et de la manière autoritaire qui avaient si vivement irrité
le roi Louis XV et son ministre.
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I)
CHAPITKE XI
PACTE DE FAMILLE. — DÉMISSION DE PITT.
RUPTURE ENTRE L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE
Ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre précédent,
c'est le 30 juillet, et à la suite des incidents qui s'é-
taient passés à Londres quelques jours auparavant, que
la cour de Versailles changea d'attitude vis-à-vis de
celle de Madrid. Autant elle s'était montrée jusqu'alors
peu soucieuse de précipiter les événements et de brus-
quer une signature qui en accélérerait la marche, autant
elle était devenue anxieuse d'en terminer et d'engager le
roi Carlos à déclarer la guerre. Par contre, ce dernier et
Wall, froissés dos atermoiements de Choiseul, soulevaient
des objections de détail et ne se pressaient pas d'abou-
tir. Ossun ne dissimule (1) pas à son chef la contradic-
tion que le rji Catholique a remarquée entre les offres
récontes de la France et les condescendances de cette puis-
sance à l'égard de l'Angleterre. Aucune mention n'a été
faite, dans l'ultimatum français, des griefs de l'Espagne ; « à
la vérité, on a autorisé M. de Bussy à remettre à M. Pitt un
mémoire dont les expressions sont obligeantes pour l'Es-
pagne, maisnéanmoinsménagées de façon à faire connaître
au ministère britannique que la France ne suspendra pas la
(1) Ossua à Choiseul, 31 juillet 17G1. Affaires Éliangères.
CONVERSATIONS DOSSUN ET DE imiSTOL AVEC WALL. cm
conclusion de la paix, quand bien même l'Angleterre re-
fuserait de satisfaire S. M. Catholique. Cette inconsé-
quence, Monsieur, et le refus (]ue vous avez fait de signer
la convention jusqu'à ce qu'on eût reçu la réponse des
Anglais à votre dernier ménoire, sont relevés avec force,
et même si j'ose le dire, avec un peu de dureté ». Tout
en critiquant le procédé, Wall se plaisait A approuver
la prudence dont Choiseul avait fait preuve ; il voyait
même quelque avantage à ajourner l'aventure : « 1,'Es-
pagne n'aurait la guerre avec l'Angleterre qu'autant
qu elle le jugerait à propos, puisque c'était elle qui se
trouvait lésée. Il a môme ajouté que le roi d'Espagne
connaissant le besoin qu'avait la France de quelques
années de repos, aurait bien su dissimuler encore pour
un temps ses justes griefs, et se serait prêté aux circons-
tances de la France autant qu'il l'aurait fallu, quand
môme la convention aurait été signée. »
.. Des raisonnements de cet ordre n'étaient pas pour
plaire à Ossun, chaud partisan de l'action immédiate;
aussi fut-ce avec joie (ju'il accueillit la lettre de Choiseul
qui tranchait la question. Il fit part aussitôt (1) de son
contenu au Roi et prit sur lui de dire « que si S. M. Catho-
lique pouvait se déclarer avant l'automne prochain, cela
porterait un coup décisif au conmierce de l'Angleterre,
surtout si l'insinuation à faire au Portugal avait lieu en
môme temps S. M. Catholique, Monsieur, me lit ob-
server qu'il n'était pas possible qu'elle se déclarât si
promptement à cause du retour dî la flotte des Indes
qu'on attendait à Cadix, vers les premiers jours d'octobre,
et parce qu'il y avait encore bien des m(>sures à prendre,
soit aux Indes, soit en Europe, pour se mettre en état
d'agir avec efficacité ». A la sortie de l'audience royale,
Ossun se rendit auprès de Wall : « Il m'a paru choqué
>! 'i
. *
1 1 !
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(1) Ossun à Choiseul, 10 aoùl 1761. Affains Élrangùres.
l'W !
C04
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAI'. XI.
au dehli de toute expression de la hauteur de M. Pitt. Il
m'a répété à peu près les mêmes choses ([ue S. M, Ca-
tholique m'avait fait l'honneur de me dire, il m'a cepen-
dant fait comprendre qu'on attendrait ici le résultat de
la conférence que M. de Fuentes a dû avoir avec M. Pitt. »
Entre temps, la conversation diplomatique continuait
entre Wall et lord Bristol. Conformément à ses instruc-
tions, l'Anglais avait demandé quelles règles l'Espagne
était disposée ù adopter pour régulariser le commerce des
bois de campôche et pour fournir à l'Angleterre les quan-
tités de matières premières dont elle avait besoin. L'Espa-
gnol avait répliqué en réclamant l'évacuation préalable
des factoreries illégalement établies sur la côte de Hon-
duras. Il avait été également question de l'appui donné
par la France aux revendications espagnoles : <( La réponse
au second point, écrit Ossun (1), a été plus entortillée; elle
ne dit ni oui ni non... elle porte seulement que S. M. Ca-
tholique a été informée par la France des mesures déjà
prises pour parvenir à la paix, que ce monarque désire
qu'elle se fasse promptement et à des conditions raison-
nables et qu'il se flatte en môme temps que les Anglais
ne lui refuseront pas la juste satisfaction qui lui est due. »
L'incident avait eu plus de gravité que ne lui en attribue
l'ambassadeur français. Le cabinet de Madrid s'étant en-
tendu avec celui de Versailles au sujet de la présenta-
tion, au nom des deux couronnes, du mémoire relatif aux
griefs espagnols, Bristol serait certainement informé de la
démarche simultanée de Bussy et de Fuentes à Londres;
aussi était-il de bonne politique de prendre les devants
auprès de l'envoyé britannique. Cédons donc la parole à
ce dernier qui nous rendra compte (2) de l'entretien :
« Le général Wall m'apprit que le roi Catholique voyant
(1) Ossun à Choiseul, 17 août 1701. Affaires Élr.ingères.
(2) BrisloI à Pill, Segovie, G août 1761. Record Office.
EXPLICATIONS DE WALL SLIl LE MEMOIRE.
cor.
qu'il ne faisait aucun progrès avec la cour de la Graudc-
Brefagne, en traitant nos litiges directement avec notre
gouvernement, s'est résolu à accepter les ofl'res renou-
velées de S. M. Très Chrétienne de faire intervenir ses
bons offices pour l'arrangement d(^ tous les dillérends
américains entre l'Angleterre et l'Espagne. Il espérait
([ue la paix aujourd'hui en discussion serait d'autant
plus permanente et durable qu'il s'agirait non seulement
de mettre fin à nos conflits avec la France ot de concilier
les prétentions de toutes les autres puissances belligé-
rantes, mais aussi de faire dispar.iitre tout danger pour
l'avenir d'une interruption des bons rapports existant
entre Leurs Majestés Britannique ot Catholique. »
Très ému de cette communication inattendue, Bristol
demanda à son interlocuteur si c'était l'Espagne ou la
France qui avait pris l'initiative de cette proposition. Sur
la réponse de Wall que c'était la France, Bristol rappela
le préambule du traité de 1750, négocié par Carvajal et
Keene, d'après lequel les deux cours s'étaient engagées à
traiter directement sans intervention ni participation d'au-
cune tierce partie. « Je lui lis observer combien différait la
conduite actuelle de l'Espagne de celle qu'elle avait pra-
tiquée alors... J'étais peiné de voir un monarque espagnol
prêter l'oreille aux menées sourdes du ministère fran-
çais. »
L'incident du mémoire fut la cause immédiate de la crise
qui devait amener la rupture. Aussi l'occasionnons semble
propice d'introduire dans notre récit le crayon que Bristol
trace (1) des principaux personnages du gouvernement es-
pagnol. Il commence par Don Carlos : « Le Boi est doué de
grands talents ; il possède une mémoire heureuse et beau-
coup de sang-froid; tout en conservant beaucoup de douceur
dans ses manières, il sait inspirer une crainte excessive à
(1) Bristol à PiU, M août 1761. Record Oflice.
006
LA GL'EUUE DE SEPT ANS.
riIAP. XI.
son ministère et à sou entourage. Wall qui <i très peur de son
maître, pour s'assurer rindépeiulanco de vues k laquelle
il aspire est amené à afficher et à défendre des opinions,
qui semblent le metti'c en opposition absolue- avec nos
intérêts. Squillacci est homme d'afl'aires. Losada est nul,
mais fort honnête. Comme Wall n'écrit pas très correc-
tement l'espagnol, c'est le premier secrétaire M. de Llano
qui lient la plume quand il s'agit de dépêches ou de
mémoires importants. Wall, S([uillacci, Losada et Ariaga
ministre de la marine s'entendent assez bien, mais leurs
déparlements sont complètement séparés. Tous les mi-
nistres étrangers à l'exception de Sylva, représentant du
Portugal, sont du parti français. » Ainsi qu'on le voit,
l'ambassadeur britannique ne voulait pas accepter comme
sincères les vues nouvelles ([ue professaient la plupart des
membres du cabinet de Madrid et plaidait les circons-
tances atténuantes pour un changement de politi(juo
auquel il ne croyait pas. Ces appréciations optimistes
lui valurent de la part de son chef le reproche de se
montrer trop partial à l'égard de S. M. Catholique et de
ses cO'nseillers. Le rapport de Bristol sur les déclarations
de W^all se croisa avec la dépêche de Pitt du 28 juillet,
écrite peu de jours après la remise et le rejet du mémoire
concerté par les cabinets de Madrid et de Versailles.
Mais avant d'examiner la mise en demeure qui fai-
sait route de Londres, il convient de suivre l'ordre
chronologique et d'analyser les traités avec la Franco
qui avaient été signés à Paris le 15 août et ratifiés à
Saint-lldefonse le 25 du môme mois. Le premier de ces
instruments portait le titre de pacte de famille ; il consti-
tuait, ainsi que l'expliquait le préambule, un arrange-
ment intime contracté entre les deux souverains, on
vue « de perpétuer dans leur postérité les sentiments de
Louis XIV, leur commun bisaïeul, et de faire subsister
à jamais un monument solennel de l'intérêt réciproque
1 ;>
^^
PACTE DE FAMILLE. KH^
qui doit vive la base dos désirs de leurs cœurs et de la
prospérité de leurs l'amiUes royales ». La convention com-
prenait 28 articles : Les trois premiers prenaient pour
point de départ le principe d'une union étroite, repro-
duisaient les clauses déjà citées, en vertu desquelles était
déclaré ennemi comniiui « toute puissance qui le deviendra
de l'une ou l'autre des deux couronnes », et accordaient la
garantie réciproque de leurs possessions, « suivant l'état
actuel où elles seront au premier moment où l'une et
l'autre couronne se trouveront en paix avec toutes les
autres puissances »; en outre, ils étendaient le bénéfice
de cette protection au roi des Deux-Siciles et à l'infant don
Philippe, duc de Parme.
Les articles ï à 7 fixaient les secours à fournir par
chaque partie à 12 vaisseaux de ligne et 6 frégates el au
contingent de 18.000 fantassins et de 6.000 cavaliers que
l'Espagne, dans certaines circonstances, pouvait réduire
à 10.000 hommes d'infanterie et à 2.000 de cavalerie.
La coopération ainsi stipulée ne comportait qu'une
exception : celle « des guerres dans lesquelles S. M. Très
Chrétienne pourrait entrer ou prendre part, en consé-
quence des engagements qu'elle a contractés par les
traités de VVestphalie et autres alliances avec les puis-
sances d'Allemagne et du Nord... qui ne peuvent in-
téresser en rien la couronne d'Espagne ». Les articles
9 à 16 réglaient tous les détails de réquisition, d'en-
tretien (1 eifectifs et de solde afférents aux contingents.
Sous les numéros 17 et 18 étaient inscrites les dispositions
relatives à la défense de tiviiter de la paix « ([ue d'un
accord et consentement mutuel et commun », et à la
compensation des gains et des pertes, « de manière que
sur les conditions de la paix, ainsi que sur les opéra-
tions de la guerre, les deux monarchies de France et
d'Espagne, dans toute l'étendue de leur domination, se-
ront regardées et agiront comme si elles ne formaient
•<
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608
L.\ OUERHK I)E SEPT ANS. — CIIAP. XI.
(|ii'imo seule et mémo piiissjinco ». La dernière partie
(lu traité visait les avantages accordés aux sujets des
deux couronnes. « Nulle autre puissance ([ue celles qui
seront de cette maison (celle de Kourhon) ne pourra être
invité<> ni adn>ise à y accéder. » Les Espagnols et Napo-
litains « ne seront plus réputés aiibains en France... ils
pourront disposer par testament, «lonation ou autrement
de tous les biens » qu'ils posséderont en France ; « leurs
héritiers pourront recueillir leurs successions même nb in-
trstat ». Les Français profiteront de privilèges équivalents,
« de sorte que les sujet, des deux couronnes seront g-énérale-
ment traités en tout et pour tout ce ((ui regarde cet article
(le 23) dans les pays des deux dominations, comme '"S pro-
pres et naturels sujets de la puissance dans les s de
laquelle ils résideront ». En vertu de l'article 24, ^-lité
de traitement était assurée dans les trois monarchies, tant
au point de vue du commerce et des impôts que de la
navigation ; « le pavillon espagnol jouira en France des
mômes droits et prérogatives que le pavillon français et
pareillement le pavillon français sera traité en Espagne
avec la même faveur «fue le pavillon espagnol ». Liberté
d'importation et d'exportation <( pour les uns et les autres
comme aux sujets naturels » ; de part et d'autre « il n'y
aura des droits à payer que ceux qui seront perçus sur les
propres sujets du souverain, ni de matières sujettes à con-
fiscation que celles ([ui seront prohibées aux nationaux eux-
mêmes ». Enfin, en cas d'un traité de commerce accordant
le « traitement de la nation la plus favorisée à un autre
État, les puissances seront prévenues que le traitement
des Espagnols en France et dans les Deux-Siciles et des
Français en Espagne et pareillement dans les Deux-Siciles
et des Napolitains Bt Siciliens en France et en Espagne,
sur le même objet, est excepté à cet égard et ne doit point
être cité ni servir d'exemple ». Les deux derniers articles
enjoignaient l'union et l'entente des représentants des
1 r I
CONVKINTION HECKKTK KNTRE LA l-RANCE ET LESPAGNK. (i09
deux couronnes nin»['<'S dos cours étrang'ôn's, et réglaient
la question de leur préséance.
Cette courte analyse suffira à démontrer juscjuà quel
point les négociateurs, Choiseul et Grimaldi, obéissant
d'ailleurs aux désirs de leurs souverains respectifs, avaient
poussé la note d'intimité et de cordialité qui [irésiderait
à l'alliance.
Au pacte de famille était jointe la convention secrète (1)
(jui portait la même date du 15 août. Les deux premiers
articles reproduisaient les propositions que Choiseul avait
faites au conmioncement de juillet, et d'après lescjuelles
l'Espagne s'engagerait à déclarer la guerre le l" mai
1762, si la paix n'était pas < iiclue avant cette date; en
échange de ce concours évculuel, la France incorporait
dès à présenties griefs espagnols dans les conditions ;l né-
gocier avec l'Angleterre et s'engageait à unir ses aû'aires
« à celles de l'Espagne, de telle façon que S. M. Très
Chrétienne n'admettra aucun accommodement ni ne sus-
pendra la guerre sans que le roi Catholique se déclare
content de l'issue et de la conclusion des siennes ». Les
troisième et quatrième articles contenaient les obligations
habituelles pour la guerre ou pour la paix. L'article 5
stipulait la remise en dépôt de l'Ile Minorque et sa ces-
sion ultérieure « à l'Espagne, si Dieu bénissait les armes
combinées de façon qu'elles ne fussent point obligées à la
restituer ». Par l'article 6, les contractants affirmaient leur
intention d'amener, même par la force, le Portugal j\ épouser
leur cause. Rien à relever dans les autres clauses, sinon
la mise en vigueur de la convention dans le cas où les hos-
tilités éclateraient entre l'Angleterre et l'Espagne avant le
1" mai 17(i2 et la promesse d'une indemnité à l'infant
Don Philippe en échange du Plaisantin. Les deux traités
(1) Traduction littérale de la convention secrète du 15 août 1761. Affaires
Étrangères.
GUERRE BE SEPT ANS. — T. IV. .30
iSilllliW
eio
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. XI.
il .
avaient été définitivement ratifiés au cours de septembre.
Une des grandes préoccupations des deux puissances
était l'arrivée en sûreté de la tlottille des Indes qui appor-
tait au trésor espagnol le gros appoint des contributions
d'Amérique. Les finances françaises y étaient également
intéressées, car Os.sun négociait, depuis quelque temps,
avec le ministre Squiilacci, un emprunt dont le montant
dépendrait de l'importance des espèces à recevoir. Enfin,
raml)assadcur put annoncer (1) l'heureuse entrée à Cadix
des vaisseaux attendus; malheureusement, ils n'avaient
abord que 10 millions de piastres, dont 2.100.000 pour le
compte du Uoi. Oss"n ne se décourar^e pas. <; Il y a un
argent immense en Espagne [-2) que la méfiance et '.'igno-
rance retiennent enfoui. « .
Peu de jours après la ratificaf ion des traités, malgré la
concession à laquelle (irimaldi, au nom de sa cour, s'était
prêté avec beaucoup d'obligeance, les négociations paci-
fiques avaient été définitivement rompues- (3) et il n'exis-
tait plus de raison pour que l'Espagne ne fit pas sa <lé-
claration de guerre. Choiseul invita Ossun (4) à agir dans
ce sens; car de nouveaux retards produiraient un mau-
vais effet sur l'opinion publique. Il s'en fallut de peu que
cette rupture, cfue la France désirait mais que l'Espagne
cherchait à ajouii^pr, ne fût provoquée par l'Angleterre.
Aussitôt la décision prise par le cabinet de Saint-James
au sujet de rinimixtion de la France dans le litige espa-
gnol, Pitt en avait informé (5) son envoyé à Madrid. Bris-
tol avait reçu ordre de mettre sous les yeux de Wall le
mémoire français ainsi que la réponse de la cour de Lon-
(1) Ossii 11 à Choiseul, 17 septninbre I7()l. Affaires i^lrangères.
(2) Ossun à Choiseul, 21 sepleinhre 17*11. Afl'aires Ktrangères.
(3) Choiseul à Ossun, 22 se|)leiiihre 1761. Affaires Étrangères.
(i) Choiseul à Ossun, ?M septembre 1701. Affaires Etrangères.
(5) Pitt à r.vistol, 28 juillet 17G1. Papiers sur la rupture avec l'Espagne,
Londres 1762.
i
MISE EN DEMEURE ADRESSEE A L'ESPAGNE.
611
dres et de lui demander si cette démarclie considéivo
comme injurieuse avait été faite de l'aveu et avec le con-
sentement de S. M. Catholique. Quant aux trois points sou-
levés, son g-ouverncmcmt refusait tout autre recours ({ue
celui des tribunaux anglais sur la question des prises,
et repoussait d'une façon absolue « les surannées et inad-
missibles prétentions des habitants de Biscaye et de Gui-
puzcoa (le pocher sur les côtes de Terre-Neuve » ; au con-
traire, il se déclarait prêt A, rechercher, sous la réserve que
la France n'interviendrait pas au débat, pour le trafic des
bois de campeche, une solution équitable pour les deux
couronnes. Enfin, l'ambassadeur solliciterait des explica-
tions amicales sur les armements importants qui se prépa-
raient dans les arsenaux espagnols. La mise en demeure
formulée par Pitt ne parvint à Ségovie, où Bristol avait
suivi la cour, que vers le 10 août. Comme nous l'avons dit,
Wall avait pris les devants; quelques jours avant l'arrivée
du courrier d'Angleterro, il avait fait savoir à Bristol (1)
que le roi son maître, las de l'insuccès des efforts tentés
pour obtenir satisfaction de la cour de Londres, avait fini
par accepter les offres répétées de la France d'appuyer les
demandes espagnoles et de les comprendre dans les négo-
ciations entamées en vue de la paix. Aussi quand l'am-
bassadeur communiqua au ministre espagnol le contenu
de la dépèche de Pitt, devait-il s'attendre à la réponse
qui lui fut faite. Il eut avec Wall cinq conférences dont
il adressa le résumé à son chef (-2) : Le ministre du roi
Carlos était au courant de l'incident de Londres; il re-
connaissait que le texte du mémoire était bien mot pour
mot celui qui avait été rédigé après entente des deux cours,
assurait « que leur intention, en se prêtant ii cette propo-
sition, était entièrement exempte de tout dessein de re-
(1) Biislol à PiU, (> août I7til. Record Oflicc
{•}.) Bristol à Pitt, Ségovie, 31 août 17G1. Papiers sur la rupture.
II
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612
LA GUERRE DE SEPT ANS.
CHAP. XI.
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tarder la paix et tout à fait éloignée de la moindre idée
ollensante pour S. M., quoi<ju'il parût que cette démarche
avait produit des elTets tout différents ». Il enregistrait
avec plaisir les intentions conciliantes de l'Angleterre à
l'égard de l'Espagne, admettait que cette puissance
fût « maîtresse de rejeter toute proposition qui venait du
ministère de France », mais maintenait pour le roi d'Es-
pagne le droit de « communi({uer toutes les mesures qu'il
croyait utiles à ses intérêts, au Roi Très Chrétien, l'ami,
l'aUié et le proche parent de S. M. Catholique ». C'est dans
cet esprit qu'il avait accueilli l'offre spontanée de la
France « d'unir ses forces avec celles de l'Espagne, pour
prévenir toute invasion des Anglais sur les territoires de
S. M. Catholique en Amérique ». A l'interrogation sur
les armements, Wall répondit que les vingt vaisseaux
de ligne en état de naviguer suffisaient h peine aux be-
soins courants et que l'Espagne, loin de songer à une
agression, n'entretenait que des sentiments d'amitié pour
la Grande-Bretagne. En ce qui a trait aux griefs qui
constituaient le fond du débat, il est superflu d'ajouter
qu'on avait argumenté longuement de part et d'autre, sans
faire un pas vers une solution.
Le courrier de Bristol qui emportait la copie des notes
échangées avec Wall, arriva à Londres le 11 septembre;
son contenu provoqua une crise ministérielle ou tout au
moins en fut le prétexte. Le cabinet se réunit le 15 sep-
tembre et se prononça, comme nous l'avons vu, à l'unani-
mité pour le rappel de Stanley et la clôture des négo-
ciations pacifiques avec la France ; rien ne fut décidé
à l'égard de l'Espagne. Le 18, nouveau conseil; Pitt
présenta en son nom et au nom de son beau-frère Temple
une résolution (1) concluant à la déclaration de guerre
à l'Espagne. Les signataires de cette pièce qui avait été
(1) Déclaration de PiU cl TpmDle, 18 septembre 1761. Newcaslle Papcrs.
___E* "■«•>«««*•
RESOLUTION DE PITT ET TEMPLE.
618
communiquée avant la séance à leurs principaux collè-
gues, insistaient sur l'aveu de Wall que le mémoire
français avait été préparé avec « le consentement, l'ap-
probation et le bon plaisir de S. M. Catholique »; ils
rappelaient que cette pièce concernait les trois points du
litige et promettait le concours de la France pour le cas
où le conflit entraînerait la guerre entre les deux
pays. « Le procédé injuste et yans exemple de la cour
d'Espagne d'avoir recours à l'intervention et à la pression
d'une puissance ennemie pour obtenir satisfaction de
l'Angleterre, la menace d'une guerre éventuelle, alors
que l'Espagne prodiguait ses professions de bonne en-
lente et d'amitié à l'égard de la Grande-Bretagne, l'aveu
formel et l'affirmation que le ministère espagnol venait
de faire d'une union absolue de conseils et d'intérêts
entre les deux monarchies de la maison de Bourbon,
tous ces faits d'une nature si grave et si urgente appel-
lent sans conteste, sans ref ird, de la paît de S. M. telles
mesures nécessaires et opportunes que Dieu l'a mise à
môme de prendre pour la défense de l'honneur de
sa couronne et pour les intérêts essentiels des sujets
de S. M. » En conséquence, les soussignés « proposent très
humblement à la sagesse de S. M. de donner ordre im-
médiat au comte de Bristol de remettre une déclaration
signée par S. E. et rédigée comme ci-dessus, puis de re-
venir de suite en Angleterre sans prendre congé ».
Bute, qui était hostile à la guerre espagnole, prit l'initia-
tive d'un conciliabule fixé au 19(1) et auquel il convoqua
Newcastle, Mansfîeld et Devonshire. Il leur annonça
que malgré ses instances et celles de Mansfield, Pitt avait
refusé de retirer la pièce. « Si nous avions été partisans
de la paix, ajouta-t-il, il se préoccuperait à un moindre
degré de l'action de M. Pitt, mais la continuation de la
l\
(I) Newcastle à Hardwicke, 20 septembre t"Cl. Newcastle Papers.
614
LA GUEHIIE DE SEPT ANS. — CHAP. XI.
guerre paraissant impossible à éviter, il croyait que nous
(levions faire tous nos eli'orts pour empocher M. Pitt de
donner sa démission et de laisser à notre charge la direc-
tion si difficile d'une guerre qu'il avait toujours reven-
di(|uée comme sienne. » Après échange d'obsf^rvations,
on se rallia à l'idée d'une contre-proposition opposée à
celle de Pitt. Le duc de Devonshire prit la plume, et
Mansfîeld lui dicta un texte sur lequel on se mit d'accord
et auquel on espérait que Pitt se rallierait. Ce dernier fut
intraitable; il était partisan d'une rupture immédiate ({ui
permettrait d'intercepter les galions attendus d'Amé-
rique et de faire face aux frais des nouvelles hostilités
avec les tré.sors dont on les savait porteurs. Eulin, dans
une dernière séance qui eut lieu dans les premiers jours
d'octobre on procéda au vote; la majorité se prononça
avec Bute et Newcastle en faveur de la poursuite des
négociations avec l'Espagne; Pitt et Temple, mis en mi-
norité, donnèrent leur démission qui fut acceptée le 5 oc-
tobre. La discussion avait été orageuse (1) ; Pitt s'était écrié
que c'était l'occasion d'humilier la maison de Bourbon tout
f ûtièro et que si on la laissait échapper, elle ne se re-
trouverait peut-être jamais. Il termina sou discours en
adressant ses remerciments aux ministres du feu Roi pour
le concours qu'ils lui avaient prêté; quant à lui, il avait
été appelé au pouvoir par la voix du peuple auquel
il devait rendre compte de sa conduite; aussi n'entendait-
il pas conserver une fonction où il serait tenu responsable
d'une politique qu'il ne lui était plus permis de diriger.
Un pareil langage n'était pas pour plaire à ses collè-
gues; il lui valut une verte réplique du président du
conseil, le vieux lord Granville : « Je vois que le « gent-
leman » est bien décidé à nous lâcher; je n'en suis pas
(1) Annual Regisler, IIGI. p. 43. Passages cités par Mahoii, IV, 2il, qui
en attribue la i)aternité à Burlvc.
i
DEMISSION DE PITT.
G15
autrement fâché, car sans cela c'est nous qu'il aurait
obligés à le lAcher. En cilet, s'il est bien résolu à s'ap-
proprier le droit do conseiller S. M. et de présider aux
opérations de la guerre, je me'demande dans quel but
nous sommes convoqnés à cette réunion. Quand il parle
de sa responsabilité devant le peuple, il tient le langage
de la Chambre des Communes et oublie que dans notre
comité il ne doit des comptes qu'au Roi. Au surplus, s'il
est possible qu'il soit convaincu de sa propre infaillibi-
lité, encore faudrait-il que nous partagions cette convic-
tion avant de lui remettre la direction de nos facultés ou
de nous associer aux mesures qu'il propose. »
Le départ du favori de l'opinion souleva dans les rangs
du public une émotion profonde, lîule, Newcastle et leurs
amis furent dénoncés comme partisans de la paix à tout
prix, tandis que Pitt fut acclamé le champion de l'honneur
national. Peu à peu, grâce à une meilleure connaissance
des faits, grAcc surtout à l'attitude de Geoi^ges III, on revint
à des appréciations plus modérées. Le jeune roi très imbu
du sentiment de sa prérogative royale, très résolu à exercer
les droits qu'il réclamait pour la personnalité du monar-
([ue, n'hésita pas à soutenir la décision de son cabinet. Entre
lui et Pitt eut lieu une entrevue dont le récit (1) ne releva
guère le prestige de l'ancien ministre, Georges reçut le dé-
missionraire avec beaucoup d'amabilité, le remercia poul-
ies services rendus, exprima les regrets que lui causait le
départ d'un serviteur aussi éminent, lui offrit le choix
des récompenses que la couronne avait à sa disposition,
mais non seulement il ne fit pas la moindre tentative pour
le faire revenir sur sa détermination, mais il lui déclara
franchement qu'il partageait l'opinion de la majorité du
conseil. Pitt se montra très ému: « .le l'avoue, sire, j'avais
trop de raisons pour m'attendre au mécontentement de
f'i
j
(1) Annual Register. I7('>î. Ilistonjof tlic présent war,\). iietc.
(il G
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. XI.
V. M. ; je n'étais pas préparé de votre part, à cette bienveil-
lance extrême; excusez-moi, sire, elle me confond, elle
m'accable » ; puis il fondit en larmes. Pitt fit preuve d'un
désintéressement relatif : il se contenta d'un titre pour sa
femme et d'une pension viagère de£ 3.000 pour lui, avec
réversion sur son lils aine. Un instant obscurcie par les cri-
tiques qu'occasionna l'acceptation des libéralités royales,
la popularité de l'bomme d'État, à la suite d'explications
contenues dans une correspondance avec un ami et livrée?
h la publicité, brilla bientôt à nouveau du plus vif éclat.
La cité de Londres lui vota des félicitations et le jour de la
fête du lord Mayor, la populace n'eut d'yeux que pour
lui et lui fît une ovation triomphale,
Au sein du parlement, Pitt prit la parole à plusieurs
reprises pour défendre sa conduite; il s'abstint d'ailleurs
d'attaquer le ministère et ne chercha pas à lui créer des
embarras. Fuentes trace (1) de son principal discours
une courte analyse : « M. Pitt a parlé vendredi... 11 a
fait voir combien il était indispensable de continuer la
guerre et d'en fournir les moyens au tloi. Il a insisté
pareillement sur la nécessité de la guerre d'Allemagne.
Il a exposé les motifs de sa retraite et l'opposition qu'avait
toujours trouvé son avis dans lequel il n'avait été secondé
que par son beau-frère, le comte Temple. Il a déclaré que
la lettre (2) qui a été rendue publique était de lui. Il a dit
aussi que jusqu'à la moitié de juillet, la France avait été
de bonne foi dans la négociation, et que depuis elle avait
changé de langage, lorsqu'elle avait été sûre de l'union
de l'Espagne. » Il exposa « que comme on ne pouvait pas
douter, d'après les préparatifs qui se faisaient en Espagne
et d'après la réponse faite à mylord Bristol (par le courrier
qui lui avait été dépêché aussitôt pour l'informer de nos
(1) Fuentes à Griinaldi, 17 novembre 1761. Affaires Étrangères.
(2) Letter from a right honorable person (Alderman Heckford). Animal
Register, 1761, vol. V, p. 300.
wm
EXPLICATIONS DE PIT T A LA CHAMBRE.
6tr
intentions), de la résolution que nous (les Espagnols) avions
prise, son avis, dans lequel il n'avait été soutenu que
par niylord Temple, avait été de nous prévenir en dé-
truisant notre marine, ce qui était alors très facile, en
ne nous laissant point le temps de nous préparer, les évé-
nements de la guerre pouvant rendre cette mesure plus
difficile et diminuer la sûreté des avantages de la paix
avec la France. Il a ajouté encore que suivant son sen-
timent, on ne devait en aucun cas céder la pôciie à la
France, non plus qu'à nous, la force de la nation britan-
nique consistant dans la conservation de sa marine ; que
quand il resterait seul à son sentiment dans la Chambre,
il croyait avoir assez de courag-e et de force pour dé-
fendre et soutenir la nécessité qu'il avait établie de con-
tinuer la guerre, avec la plus grande vigueur, pour
l'honneur de la couronne et de la nation ; qu'il avait la
plus grande satisfaction de voir que son système était
adopté par le ministère et que l'on avait pris la résolution
de poursuivre avec la même activité et vigueur l'exécution
des engagements de la couronne, et d'apporter la même
attention aux intérêts de l'État ». Il termina en citant le
mot de Scipion : Utere sine me consilio meo patria.
Il est peut-être difficile pour un étranger d'expliquer
et de justifier la renommée extraordinaire que Pitt acquit
auprès de ses contemporains et dont sa mémoire reste
entourée jusqu'à nos jours chez ses compatriotes. Certes,
il serait injuste de lui refuser les dons de j)erspicacité,
de clairvoyance, de décision qu'il montra au pouvoir;
entouré de médiocrités, il se révéla homme d'État et do-
mina ses collègues de toute la hauteur de son talent
et de la vigueur de sa volonté. Mais combien d'ombres
au tableau! Est-il possible d'oublier les variations, pour
ne pas dire les contradictions, de sa politique étrangère,
la mesquinerie de ses procédés, la raideur de son main-
tien, la susceptibilité du collègue, le style pompeux et
•il
k%
018
LA UUERRK DE SEPT ANS.
CHAP. XI.
cassant de l'écrivain, les fanfaronnades dn tribun alter-
nant avec l'obséquiosité du courtisan? Travers de l'épo-
que, nous dira-t-on. Cela est vrai; mais ils n'en portent
pas moins atteinte au prestig-e du grand homme. D'après
nous, le véritable secret de la popularité de Pitt, c'est la
coïncidence de son exercice du pouvoir avec une période
qui marqua les débuts et les progrès de la puissance et
de la grandeur britannique. Insulilsantes, mal préparées,
battues en maintes rencontres, humiliées à la l'ois sur
mer et sur terre, l'armée et la marine anglaises se relevè-
rent rapidement et se signalèrent par leurs succès sur
tous les points du globe. Les victoires de leurs armes, la
prospérité du commerce, le développement delà naviga-
tion furent autant de faits heureux dont le peuple anglais at-
tribua le mérite presque exclusif au ministre qui était sans
conteste le chef effectif du gouvernement. Au surplus,
Pitt, dans ses qualités ej ses défauts, incarnait la person-
nalité de ses concitoyens du xviii" siècle : conliance inouïe
en leur propre supériorité, mépris souvent haineux des
nations voisines, fierté de race dégénérant dans l'égoïsme
le plus pur et parfois le plus naïf, politique des résul-
tats sans ombre de générosité et sans souci du sentiment,
toutes ces caractéristiques essentiellement britanniques
ne sont après tout que l'exagération des vertus corres-
pondantes, le courage civil et militaire, la discipline du
devoir, le sang-froid en temps de crise, la persévérance
poussée jusqu'au sacrifice, le dévouement absolu à la chose
publique. Les unes et les autres, Pitt les possédait au plus
haut degré ; ainsi, en le portant aux nues, le citoyen anglais
se grandissait lui-même et célébrait la gloire de sa patrie.
Cette orientation de l'opinion a persisté jusqu'à nos jours.
De même que Frédéric est resté pour tout bon Allemand
le fondateur de l'unité germani({ue, de même la mémoire
de Pitt bénéliciera toujours de la transformation de sa
patrie, puissance secondaire en 1750, en l'orgueilleuse
ip
ÉLOGE DE l'ITT PAU HUIIKE.
«to
conquérante qui, en 1763, dicta ses lois tiu mondo civi-
lisé et affirma sa suprématie sur les mers et aux colo-
nies.
Nous no pouvons mieux illustrer les sentiments qu(^
j)rofessaioiit à l'éfiard do leur grand compatriote ses
admirateurs contomj)orains, (|u'on citant un article (1)
de l'époquo dû, assuro-t-on, à la plume de Bnrko. aloi*s
jeune écrivain : « Personne n'a ét<' plus apte (juo M. l'itt à
renqdir la position de ministre d'une grnnde et ])nissaute
nation, ni mieux qualifié pour pousser juscju'aux limites
extrêmes la manifestation do la puissance et de la gran-
deur nationales. Toutes ses conceptions sont enq)rointes
d'un cachet d'ampleur et d'étendue qui les met presque
hors de ])ortée de toutes les intelligences, et seul le succès
(|ui les a couronnées leur donne un air de raison... Jouis-
sant de très peu d'influence au Parlement et de moins
encore à la cour, il a dirigé l'un et l'autre avec une auto-
rité inconnue jusqu'alors chez les ministres les plus ap-
puyés. Il fut appelé au pouvoir par la voix du peuple et,
cliose plus rare, il y fut soutenu par la sympathie du peu-
ple. Avec lui, pour la première fois, le gouvernement et
la popularité se rencontrent sur la ménie tète. Sous sa
conduite, la (irande-Bretagne soutint, seule et sans aide
extérieure, la guerre la plus lourde à laquelle elle iiit pris
part, avec plus d'éclat et plus de succès qu'elle on a Ja-
mais recueilli, alors qu'elle était à la tète des alliances les
plus fortes. Seule, notre lie a send)lé luttera armes égales
contre le reste do l'Europe. >■
Le successeur de Pitt au département du Sud des
Affaires étrangères, lord Egremont, sans modifier les
principes qui avaient inspiré la politique anglaise vis-
à-vis de l'Espagne, se montra dans la forme aussi cour-
tois et conciliant que son prédécesseur avait été rogue et
f
I
(«) Anmial Register, 17C1, vol. IV, p. 47.
)i2(i
LA r.UEIlRK DK SKI'T ANS.
CHAI». XI,
':'!
I \
hautain. Sa première lettre à Bristol en date du 28 oc-
tobre (1) débute par l'expression de la satisfaction avec
laquelle on avait accueilli à Londres un propos de Wall
« que jamais le roi Catholique n'avait été plus désireux
d'entretenir de bonnes relations avec S. M. Britanni((uo
que dans les circonstances actuelles ». Il en était de môme
du dire de ce ministre « que notre évacuation des derniers
établissements sur la c»Me de Honduras leur fournirait un
moyen de sauver le « pundonor » espagnol. Tels étant les
sentiments du Roi, S. M. ne saurait s'imaginer que la cour
d'Espagne puisse trouver déraisonnable ([u'nvant que d'en-
trer dans une négociation ultérieure sur les points en dis-
pute entre les deux couronnes, on demande la communica-
tion du traité qu'on reconnaît avoir été depuis peu conclu
entre les cours de iMadrid et de Versailles ou de ceux des
articles de ce traité qui pourraient avoir un rapport
immédiat aux intérêts de la Grande-Bretagne par des en-
gagements particuliers ou exprès, ou dans un point de
vue plus généi'al et plus éloigné, être de quelque manière
interprétés comme ail'ectant ces intérêts dans la conjonc-
ture présente ». Le roi d'Angleterre, confiant dans les
assurances amicales si souvent répétées de l'Espagne, se
refusjùt à croire qu'un traité émanant de cette puis-
sance put contenir quelque chose de préjudiciel pour la
Grande-Bretagne, mais les bruits répandus par la France
dans toutes les cours d'Europe sur les inlenticjns belli-
queuses de l'Espagne l'obligeai'^nt à demander de fran-
ches explications avant d'aborder les négociations à
propos des conflits. Bristol devait avoir recours à tous les
moyens de pression amicale pour obtenir la communi-
cation désirée : dans le cas (2) où Wall proposerait d'y
(1) Egremonl à Uristol. 28 octobre 1761. Papiers sur la rupture. Tra-
duction Irançaiso.
(2) Egreinont à Bristol, séparé, secret, 28 octobre 17G1. Papiers sur la
rupture.
PHEMlkHb: DKPËCilk: I> E(.REMUNT.
•lit
substituer une affirmation formelle de « riiinocenco tlu
traité en question par rapport aux intérêts du Hoi »,
l'amliassadeur était autorisé à en référer à sa cour. Une
fois ce point éclairci, le gouvernement ))ritanni([iie ac-
cueillerait volontiers toute ouverture sur les moyens do
procurer aux Anglais leurs approvisionnements de bois de
campôclie et s'engagerait à évacuer toute factorerie du la
côte établi»! en opposition avec les droits territoriaux de
l'Espagne. Egremont avait soin d'ajouter que le départ
de Pitt ne changeait en rien la [lolitique extérieure; le
cabinet était résolu à « poursuivre la guerre avec vi-
gueur, tout eu étant prêt pour la paix » à des conditions
sauvegardant l'honneur de S. M. et répondant suffî-
sanmient aux succès de ses armes.
Avant d'avoir été touché par la prose ministérielle, Uris-
tol avait eu de nouveaux entretiens avec Wall. F^e ton de
l'Espagnol avait complètement changé (i); à une inter-
rogation sur le traité d'alliance avec la France que l'An-
glais, de sa propre initiative, lui avait posée, Wall avait
répliqué par une sortie violente sur les agissements britan-
niques. Le rejet des propositions raisonnables <le Chuisenl
indiquait le dessein de ruiner la France, de tondjcr ensuite
sur l'Espagne et d'arracher à cette dernière ses possessions
cnAméi'ique. Devant une perspective pareilhî, il conseille-
rait à son maître de défendre ses sujets les armes à la
main, et d'abandonner le rôle de « victime passive » (ju'il
avait joué jusqu'ici aux yeux de l'univers. L'and)assadeur,
resté impassible, avait renouvelé sa demande, n)ais n'a-
vait obtenu en guise d'éclaircissement qu'une énumération
passionnée des griefs espagnols. Le récit de liristol pro-
duisit au sein du cabinet de Saint-James une vive émotion
qui se traduisit par une dépêche d'Egremont (2), en date
(1) Bristol à Egremont, 2 novembre 1761. Papiers sur la rupture.
(2) Egremont à Dristol, 19 novembre 17C1. Papiers sur la rupture.
iPi
022
LA GUKIIUE nK SKPT ANS. — CHAP. XF.
/'/(
il
li
!.'
du 19 novemhre, approuvant la rondiiitc de l'ambassa-
deur l't lui prescrivant de rédanuM' de la cour de Madrid
une « répoiist! iininédiatc, claire et caté,y(U'i((iie à la
([uestioii posre ». Il avait (irdrc d'infornier Wall que
« l(tut(î remise, amhiguité ou évasion sci-a regardée
comme un fondement plus que suffisant pour autoriser
S. M. à recourir aux voies que sa sagesse royale lui dic-
tera poiu' riionneur et la dignité de sa couronne et pour
la protection et la silreté de son peuple. Mais en mémo
temps (|ue V. E. ne saurait être trop ferme et trop
précise sur cette question, vous aurez un soin parliculier
d'éviter de mettre rien de dur dans la manière ou (h;
mêler dans la conversation avec le ministre espagnol
aucun mot qui puisse tendre le moins du monde h. l'in-
disposer ou à l'irriter ».
Dans le cas (I) où satisfaction ne serait pas doimée h.
Itt demande britannique, Hristol devait quitter Madrid
sans prendre congé et se rendre en toute diligence A
Lisbonne, d'où il avertirait de suite les amiraux anglais
et le gouverneur de libraltar de la rupture entre les
deux couronnes. - - -
La première dépèche d'Egremont fut remise à Bristol le
10 novembre, mais la rentrée de la cour à Madrid retarda
de quelques jours les conversations diplomatiques et ce
ne fut que le *23 que rand)assadeur put rendre compte (*2)
de ses démarches. Le gouvernement de Madrid n'avait pas
encore rédigé sa réponse oflicielle, mais l'impression de
Bristol était meilleure : Wall était revenu à son attitude
normale, et on s'était séparé « avec des protestations
réciproques de notre désir sincère de maintenir la paix ».
Jusqu'au 5 décembre, rien de nouveau; ce jour-là, à
.") heures du soir, Bristol re(,'ut les instruction^ expé-
(1) Egreinont à Bristol, 19 novembre 1761. très secrol, st'i)aré <■ «rret.
(2; Bristol à Eyreinont, 23 novembre 1761. Papiers sur la ruptur
HUISTOL PRKSKNTE SON CLTIMATUM.
«23
<1ir(;s(l(> Londres lo 1!) noviMiiliro (1). Le loïKlciiiain il nit
imc luiiniir (■((iirciriico avec Wall : a|n'rs des |)rrliiiii-
iiaii'os vorheii.vcJ avec lorc»' précauliotisoratoircs, l'Aiiulais
nhoi'da le siijcl délicat des rxpiicafioiis à cxiyoi- an sujet
du fraitr Jivcc la Fi-aiicc; do j)act cl d'autre la c()u\('rsa-
tiou l'ut courtoise, prcscjuc cordiale, età la re(|uètedu mi-
nistre espa/i'uol, les dév<doppenients de l'andjassadeur
furent n''suniés dans une note destinée à S. M. (lallioli(|Uc.
Le 8, nouvelle entrevue : Wall retenu par ini mal à la
jand)e n'avait pas pu consulter Ncrbalement s(»n maître.
Dans un Inllcl lacouirpn' le iSoi, tout en se dcciai'aiil
très sensible au lanj^aj.;'*' concili;'nt du ministère britan-
nique que l'envoyé avait re[)roduit, s'en tenait pour la
réponse sollicitée au contenu d'une dépécbe (2) adressée
t\ Fuentes, dont une copie avait été remise aidérieure-
nient à Bristol. L'«'xtrait de l.i dépèche visée relatif au
traité n'était rien moins ([n'explicite : " Votre Kxcel-
lence, avait écrit Wall, sait cond)ien il serait aisé au lloi
<le faire une réponse directe, mais sa pro])re disiiiilé l'en
empoche, par la considération (pie cette demande est
faite comme une condition compulsive pour eidamei' une
négociation avec l'Espagne sur les ditlérends (pi'on avoue
avoir subsisté si longtemps. »
En présence de la tin de non-recevoir qui lui était op-
posée, Hi'istol se crut obligé de produire son nlfimaluni
dont il n'avait pas encore fait mention. Enq)rniitoiis à
son récit la fin de l'entretien : (( .l'avais ordre de déclarer
à S. E., dit-il à Wall, que ma cour s'attendait à avoir une
réponse catégorique aux questions suivantes : Si le roi
Catholique avait intention de se Joindre aux Français
'ir
(1, Brislol à Egreinonl. 7, '.(et 11 déceinbie IT'il. Ces dt-pi^clics iic l'ii-
lent expédiées que I»- 'O décembre et ne parvinrent à Londres (|iie le ".t
jaanwr !"(>'*. — Papiers relatifs à la rupture.
(2} Wall à Fuentes, fin novembre 1761, communiquée à Bristol, 3 décem-
bre. V^^ier^ relatifs à la rupture.
62 i
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CHAP. XI.
I
nos oiiiKMuis, ou se proposait d'agir hostileinont ? ou s'il
voulait de (juelquo manière se dôpartir <le la neutra-
lité? J'ajoutai que le refus de l'Espagne de consentir à
donner cette satisfaction serait censé une agression de la
part de lo. cour de Madrid et une déclaration de guerre.
Je ne saurais décrire la surprise qu'exprima M. Wall en
entendant ceci. Il proféra seulement ces inots : « Que
doit-il suivre ? Vous avez donc ordre de vous retirer d'ici? »
Je lui dis ([u'il pouvait aisément concevoir ce qui s'en-
suivrait, si l'Espagne ne désavouait pas toute intention
de prendre part avec nos ennemis déclarés, car J'avais
ordre de signilier qu'un tel refus ne serait envisagé
par S. M., sans aucun autre point de vue, queconmie une
déclaration absolue de guerre. Il me dit ([ue la réponse
catégorique, qu'il m'était ordonné de demander, était une
telle attaque de la dignité du roi Catholique, qu'il lui était
impossible de donner aucun avis à son souverain sur un
sujet aussi délicat. »
Wall, après avoir écouté en silence un dernier appel à
la conciliation que lui adress.". son interlocuteur, terinina
la séance en priant celui-ci de reproduire par écrit le texte
de l'ultimatum formulé. Bristol s'exécuta, laissa l'écrit
entre les mains du ministre espagnol, et prit congé. La
réponse de la cour de iMadrid ne se fit pas attendre ; elle
était datée du 10 décembre et ne contenait que quelqu<'S
mots : La demande anglaise était considérée conmie l'é-
quivalent d'une déclaration de guerre, a V. E. peut son-
ger à se retirer quand, et de la manière t[u'il vous con-
viendra, ce qui est la seule réponse que, sans vous
retenir, S. M. m'a ordonné de vous faire. » A ce congé un
peu sec était joint un billet de la main de Wall témoignant
de son estime et de son respect pour la personne de l'am-
bassadeur. Malgré ics facilités promises pour le voyage,
Bristol ne put quitter Madrid que le 17 décembre; on lui
refusa des chevaux de poste, et on ne lui permit pas d'ex-
RUPTURE ENTRE LANGLETERRE ET LESPACxNE.
625
S'
pédier un courrier spécial. Ce ne fut qu'à sou arrivée à
Elva.s, en Portr.gal, le 20 décembre, qu'il put envoyer à
Londres le récit de ses entrevues avec Wall et les copies
des notes échangées.
En réalité, le roi Charles avait pris son parti depuis
longtemps et n'avait retardé l'ouverture des hostilités qixe
pour des raisons financières et militaires. Avant d'agir,
il désirait placer en lieu si'ir les espèces et le trésor que
lui apportaient les vaisseaux attendus à Cadix et il voulait
avoir le temps de mettre ses forteresses d'Amérique îl
l'abri d'un coup de main des Anglais. Wall, pendant
longtemps adversaire d'une politique qui lui avait été en
quelque sorte imposée, ne demandait pas mieux que de
seconder les vues prudentes de son souverain.
Par suite des entraves apportées au départ de Bristol,
les détails de la rupture furent communiqués A la cour de
Londres par Fuentes qui remit à Egremont la demande de
ses passeports accompagnée d'un mémoire justificatif ré-
digé à Madrid et destiné à la publicité. Une lettre de
Wall à Grimaldi relate le subterfuge auquel avait eu
recours le roi Catholique pour expliquer une attitude
que la cour de Londres aurait pu «jualifier avec raison
d'équivoque : « il sera facile à V. E.. écrit Wall (J), et au
ministère de Versailles de rer.onnaitre dans (piel esprit
ont été dictés les termes du mémoire que l'on ordonne au
com*,e de Fuentes de donner et de publier, et il est heu-
reux que l'on puisse assurer, sans risque, ([uil n'existe
point d'autre traité (|iie le pacte de famille signé le
ir> août, puisque nous sommes convenus de postdater la
convention, de sorte qu'elle paraisse avoir éîé faite après
la rupture de la négociation des Français et des Anglais. »
Wall fait valoir l'avantage de la manœuvre qui rejette
dans l'ombre « le traité d'union pour la guerre » et égare
(1) Wall à (Irimaldi, « décembn 1701. AlVaiics LIrangcres.
GL'EllUli I)i: SEPT ANS. — T. l\. 40
-^i:
t.
')
626
r.A GUEURE DE SEPT ANS. — CHAP. XI.
l'opinion aiiplaise. (IcUo-ci fera, retoiubor sur le ministère
anglais et particulièrement le ministère Pitt, « son
ressentiment de ce que par un soupçon mal fondé, il
nous a forcés de devenir ses ennemis... Si nous eus-
sions nié absolument qu'il y eût un traité, et que nous
nous fussions engagés dans la guerre, on en aurait tiré
cette conséquence <[ue, quoique nous eussions gardé le
silence sur le traité, il existait néanmoins, puisque nous
ne nous serions pas ex^xisés, sans avoir pris nos mesures
au{)aravant, et cela ferait triompher l'avis que Pitt a
donné dans le conseil, que i)uisque au fond l'Espagne était
déterminée à faire la guerre à l'Angleterre, il fallait l'en
empêcher ». Wall conclut ainsi : « D'un autre cùté, pour
venger la grandeur du Roi offensée par la démarche
du niylord Bristol, il parait (jue la manière la plus noble
et la plus fière est de lui refuser la réponse en lui
signifiant de sortir de la cour, et en ordonnant la même
chose au comte de Fuentes, et de rendre public ensuite
de son propre mouvement, ce que l'on n'a pas voulu
dire lorsque l'on en a été requis avec arrogance et
menace. Le Roi désire que ce plan soit approuvé du roi
son cousin et de son ministère. »
Le mémoire présenté par Fuentes (1) porte la date du
•25 décembre; il se plaint des procédés britanniques, « de
la façon insultante avec laquelle les affaires de l'Espagne
ont été traitées pendant le r inistère de M. Pitt... du ton
fier et impérieux avec lequel on lui a demandé le contenu
du traité. Si on avait ménagé le respect dû à la Majesté
royale, on en aurait eu des éclaircissements sans aucune
difficulté. Les ministres d'Espagne auraient pu dire fran-
chement à ceux d'Angleterre ce que le comte de Fuentes,
par un ordre exprès du Roi, déclare publiquement, sa-
(1) Noie remise par Fuentes à Égremonl, 25 décembre 1701. Papiers sur la
rupture.
■f
IMPATIENCE DE CIIOISEUL.
621
voir : que ledit traité n'est qu'une convention entre la
famille de Hourbon, où il n'y a rien qui ait rapport ù la
présente guerre, qu'il y a un article pour la garantie
mutuelle des États des deux souverains ; mais il y est spé-
cifié que cette ijarantie ne doit s'entendre que des États
qui resteront à la France après (pie la guerre présente
sera finie ». Enfin, la pièce, comme preuve des intentions
conciliantes de l'Espagne, rappelait la démarche du l'oi
Catholique auprès du roi de France, consentant à séparer
les intérêts des deux pays, « si l'union de ces intérêts re-
tardait en quelque façon la paix avec l'Angleterre ».
Au mémoire de Fuentes, le ministère britannique ré-
pliqua (1) par un document où il s'ell'orçait de justifier
son action, relevait le refus de l'Espagne de s'expliquer
sur sa conduite future et faisait appel au verdict de
l'opinion publique. Ea déclaration de guerre fut pro-
clamée à la date du deux janvier 1762 et portée le 19 du
même mois à la connaissance du Parlement par un mes-
sage du l'oi Georges. S. M. Catholique suivit cet exemple
en piil)liant une pièce similaire qui porte la date du
18 janvier.
Comme bien n pense, pendant les derniers mois de
ITTil, le but de Choiseul fut d'obtenir de S. M. Catlioli(|ue
la I ipture officielle dont l'ajournement ne laissait pas
d'im iéter la cour de Versailles. Dans une lettre 2)
dont . ibjet apparent était d'exprimer sa gratitude pour
l'octroi de la Toison dOr qui venait de lui être décernée
et de porter à la connaissance de la cour de Madrid les
modiiications ministérielles dans la réi)artition des porte-
feuilles français, Choiseul confie ses préoccupations à Os-
sun : " Enfin, pour ne rien vous cacher de ce que j'ai sur
le cœur, je vous avoue f[ue je crains encore un peu <|ue
(l) Réponse remise à Fiienles par Egrenionl, ;u déceinlire 1701. l'apicrs sur
la ru|>Uire.
{'?.] Clioisful à Ossiiii, 8 octobre 1701. .Vfl'aires Etranj^ères.
ni
""■5.V1-W.
M
«2 s
LA GUERRE DE SKPT ANS. — CHAP. XI.
l'Espagne ne diffère à se déclarer, et je vois avec peine
qu'elle laisse à Londres son ambassadeur; vous sentez
combien la dignité du lioi souffrirait s'il nous arrivait dans
cette occasion la même cbose qui nous est arrivée en 1750
à Saragosse; les lenteurs de l'Espagne font tenir des
mauvais propos. Je ne crois pas que la probité du roi Ca-
tholique puisse être soupçonnée, mais je ne peux pas ne
pas voir avec peine le discrédit qu'une lenteur déplacée
pourrait produire; mes réflexions h cet égard sont pour
vous seul. Faites revenir M. de Fuentes, engagez que l'on
coupe décisivementle nœud gordien, ce qui renversera le
crédit anglais et augmentera le nôIre ». Quelque- jours
ap^'ès, il prévoit (1) la réunion éventuelle du congrès
d'Augsbourg et se demai.dc à quel titre l'Espagne pourra
y figurer, si elle n'est pas encore puissance belligérante.
La démission âe Pitt l'ut une .surprise ponr tout le
monde, et notamment pour Choiseul qui craignit évidem-
ment un revirement pacifî([ue de l'Angleterre : « La re-
traite de M. Pitt, mande-t-il (2) à Ossun, causera sûre-
ment à Madrid, Monsieur, le même étonnement qu'il a
produit ici. M. le marcjuis de Grimaldi m'a montré ce
que lui mandait M. le comte de Fuentes à cet égard, et
les j)ropos amiables que Milord liu\lo.(sic) avait tenus à
cet ambassadeur relativement aux différends de l'Espagne
avec l'Angleterre. Je ne doute pas que la rupture de no-
tre négociation avec la Cour de Londres n'ait été un des
motifs de ""i changement dans le ministère britanni(jue,
ou du moins le prétexte plausible qu'ont saisi les ennemis
de M. Pitt pour l'obliger à se retirer, et conséquemment,
je pense que Milord Butte va s'attacher par toutes sortes
de moyens à conjurer 1 orage qui était prêt à fondre sur
son pays par l'union de la France et de l'Espagne. Mais
(1) Clioiseul à Os^an, 13 octobre 1701. Affaires Étranfjf'res.
('.!) Choiseul à Ossun, 19 octobre l"(il. Affaires Étrangères.
w^
l.
— «Bff
m
SURPRISE CAUSEE PAU LA UUPTl KE.
6^9
les ministres anglais peuvent changer, je suis bien sur
que la volonté du Roi et du roi dEsp.igne ne cliangeront
pas... voilà le véritable moment d'arrêter les progrès de
l'ennemi commun! Le trouble de son intérieui, les em-
barras qu'il rencontre dans ses moyens doivent nous
faire augurer que la déclaraticn de l'Espagne réduira
l'Angleterre à un système pacifique et modéré, tel qu'il
convient aux intérêts et à l'honneur des deux cou-
ronnes. »
La dépêche de Fuentcsfut bientôt suivie d'une autre (1)
contenant le récit d'une conversation avec le nouveau
secrétaire d'État, lord Egremont. D'après ce ministre, le
cabinet britannique serait enclin à renouer les négocia-
tions ; mais de l'avis unanime de ses membres, se refuse-
rait à en prendre l'initiative. L'on ne croyait pas au
retour de Pitt au pouvoir : « cà cause de l'opposition qui
s'y est formée contre lui, et de l'empire absolu ((u'il
usurperait s'il venait à y rentrer, cela ne pouvnnt arriver
que par quelque coup d'éclat qui n'est prévu ni dans la
nation, ni dans la ville. Mais comme le motif de sa re-
traite, ainsi qu'il l'a publié lui-même, est qu'il voulait
nous prévenir, à cause de la certitude qu'il avait de notre
union avec la France pour faire la guerre à l'Angleterre,
si les assurances cpiil a données à ce sujet se réalisent,
ses affaires deviendront meilleures et c'est le moment
qu'attendent ceux de son parti ([ui se llattent (pie les
réponses que rapporteront les courriers dépêchés à Mylord
Bristol, justifieront sa conduite ».
Quoique décidée en principe depuis longtemps par la
cour (le Madrid, la rupture elléctive .ivec l'Angleterre
parait avoir surpris les hommes politiques le plus au cou-
rant de la situation. Dans une dépêche du 7 décembre i 2),
<!
(1) Fuentes à Griinaldi, 17 novembre 17(;i. Affaires Klrangèics.
(2) Ossiin il Clioiseiil, 7 déceiiibif 17(Ji. An'airos Ktrangères.
mmmmm
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«30
LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. XI.
m
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lendeiniiin de la première entrevue rie Wall et de Bristol
et veille de la remise de rullimatum anglais, Ossun parle
des bonnes intentions de Bristol, de son ail'ection pour
S. M. Catholique, des reproclies de partialité encourus
de Londres, de la demande de rappel adressée en con-
séquence <V son Gouvernement, entin des larmes versées
pendimt son entrelien avec Wall. Ce dernier « m'a dit que
le ministère britanni(jue reconnaissait que M. Pitt avait
trahi les véritables intérêts de sa patrie en n'acceptant pas
les conditions de paix que la France avait oflertes, et en
opinant pour déclarer la guerre à l'Espagne. M. Wall a
ajouté que ce môme ministère venait de rendre justice à
la conduite de mylord Brislol, et do lui refuser la ])er-
mission de quitter son andjassade. Il m'a paru, iMonsieur,
que S. iM. Catholique regardait toutes ces nouvelles ma-
nœuvres comme un arlifice que les Anglais emploient
pour endormir l'Espagne et avoir le temps de préparer
quelque coup contre cette couronne. Bien ne sera donc
retardé ici sur les préparatifs d'une guerre offensive et
défensive. Tout ce qui pourra résulter de pis, sera d'éloi-
gner encore la déclai-ation de l'Espagne. Je no snurais
même vous dissimuler que les vues de M. Wall me parais-
sent toujours tournées à différer, sans que je puisse pé-
nétrer quel est le motif solide qui l'y détermine ». Il est
})r()))able, en effet, que sans l'ultimatum anglais, la cou!'
de Madrid eût ajourné encore une rupture que ses mi-
nistres et Wall tout le premier eussent voulu remettre au
printemps suivant.
Avec la signature des traités franco-espagnols et l'ou-
verture des hostilités entre l'Espagne et la Grande-Breta-
gne commence la dernière phase de la lutte cpii avait mis
aux prises les piincipales monarchies de la vieille Europe.
Dans l'esprit des fondateurs de la nouvelle alliance, Choi-
scul et le roi Don i^larlos, il s'agissait d'un suprême etfort
pour disputer à l'Angleterre la suprématie maritime qui
I
«'■■^IP"*'
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FORCES DE L'ESPAGNE.
68i
lui î vait permis de porter de si rudes coups à l'empire
colonial de la France et qui devenait une menace per-
manente et grandissante pour les possessions espagnoles
d'ontre-nicr. Malheureusement, l'épocpie clioisie pour
l'exécution d'une conception à la ibis hardie et logi(juo
était beaucoup trop tardive; les auteurs du projet ne te-
naient compte ni de l'épuisement de la marine française,
ni de la faiblesse des armements que l'Esjjagnc pouri-ait
opposer à sa puissante rivale. A la fin de 1761 (1), l'An-
gleterre possédait une force navale de 105 vaisseaux de
ligne et 111 frégates; la France ne pouvait mettre en ligne
que V8 vaisseaux aux(|uels se joindraient 57 espagnols (2).
Mais si l'égalité semblait exister sur le papier, il y avait
infériorité marquée au })oint de vue de la valeur du per-
sonnel, tant officiers que matelots : Tandis que les Hottes
alliées, à de rares exceptions près, étaient montées par
des équipages mal recrutés, inconq)lets, sans pratique
de la navigation, les escadi-es britanniques jouissaient
de tous les avantages qu'assurent le prestige de chefs
liabitués à la victoire , l'expérience de longues cam-
pagnes à la mer et la forte discipline des subor-
donnés.
L'armée de terre espagnole, peu nombreuse — en 17(50
elle lie comptait que Ol.îJll hommes et n'avait reçu de-
puis cette époque que des augmentations sans grande
importance — était à peine exercée, médiocrement entre-
tenue et mal commandée. Seules, les finances étaient
prospères. Le budget de 1760 (Ui comportait environ 136
millions do livres en recettes contre 90 millions de dé-
penses et faisait ressortir un boni de V6 millions auquel
(1) Annual liegister, vol. IV, lytJl, p. 1"J0. Hiiiit, l'olilical llistorij df
England, vol. X, p. .<9.
(2) Sur ce nombre, i9 soulcineni étaient en état d<! prendre la mer. Rous-
seau, Replie de Charles III, vol. I, p. 8.'!.
(3) Bristol à l'itt, 11 février 1760. Retord Ollice.
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LA GUERRE DE SEPT ANS. — CIIAP. XI.
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sajoutaiont les remises des Aim riques et des Pliilippinos,
évaluées à 73 millions dc^ livres. Les richesses ainsi
accumulées, ([ui eussent permis le maintien d'nn état
militaire imposant, avaient été gaspillées en construc-
tions somptueuses et inutiles. Beaucoup mieux renseigné
que son rival français, Pitt s'était rendu compte de la fai-
blesse du colosse aux pieds d'argent, image véridique
de l'Espagne d'alors; aussi n'avait-il pas hésité à affronter
une guerre de laquelle il espérait tirer de nouveaux
avantages pour son pays. L'histoire îlémoutra que son
pronostic reposai! sur des bases exact<!s et sur ties infor-
mations correctes.
y t\
NOTES
Les c.irtcs de région ont élé calquées sut- des cartes autographiées
du dépôt de la Section historique du ministère de la Guerre.
A. Carte de la Saxe et de la basse Silésie.
B. Carte de la liesse et d'une partie de la Westphalie.
Les plans de batailles joints à ce volume sont la reproduction de
six plans, manuscrits ou gravés, conservés aux Archives de la Guerre.
1" Combat de Landshut. — l'ian lithographie, sans nom d'auteur,
dressé vers IHilO et, serable-t-il, à l'état-major prussien.
2" Combat de Corbach. — Plan levé par le S'' Fossé, sergent au régi-
ment du Uoi-Infanterie, et gravé par M"'« Maugein (de l'époque).
3" Combat de Warburg — Plan dessiné par C. C. de Pflueg, aide de
camp du chevalier du Muy, et gravé par Mavr, à (>assel (de l'é-
poque).
4" lîataille de Liegnitz (ou Hanten), plan manuscrit 1 1 en couleurs,
sans nom d'auteur (de l'époque).
;i" Combat de Clostercamp. — Plan manuscrit dressé par les ingé-
nieurs géographes du Roi (de l'époque).
6" Bataille de Torgau. — Plan dessiné par le capitaine saxon Aster,
et gravé à Dresde à la fin du xviu'' siècle.
(1) Les villages de SciiiHiborn et de l'olilscliildcrn iio sont pas compris 4lans
ce plan. Ils se trouveraient un pou en dehors du cadre, le premier au nord de
l'anteu, et le second au nord-csl de liicnowii/.
I.
i
1
I]
,i ■
TABLE DES MATIERES
(•IIAI'ITUR I
Landshut et Llegniti.
I.aiidon ou Sil«^sio. — Coinhat de Landshut. — Priso do (ilatz. —
Ari'ivôo du princo Henri et des Russes à lii vslau. — Bonibai'de-
nient de Dresde. — Levée du siège. — Marche parallèle de Dauu
et de l'rédérii- vers la Sllésie. - Opérations sur la Katzbach. —
Bataille de Liognitz. — Recul des Russes
riiffi"".
CHAPITRE II
Berlin.
Manœuvres de Frédéric et de Daun en Silésie. — Expédition das
Russes et de Lascy sur Herlin. — Capituliitiou et occupation de
Berlin. — Siège de Colberg. — Retour des Russes derrière la
Vistule. — Campagne des S"édois 75
CHAPITRE III
Torgau.
Combat de Streida. — Deux-Ponts maître de la Saxe. — Retour en
Saxe de Krédérie et Daun. — Séparation et i'etrait(> de l'armée
des Cercles. — Bataille de Torgau. — Frédéric reconquiert la
Saxo. — Opération de Laudou en Silésie 112
CHAPITRE IV
Campagne de Broglie, 1760. Corbach et AVarburg.
Rapports de Belleisle et Broglie. — Conqurtc de la liesse. — Succès
de Corbach. —Renvoi de Saint-Germain. — D(;l'aite de Warburg.
— Prise de Cassel : l^î
II
k
s ■
«86
TABLE DES MATIEHE».
t.
CIIAl'ITIU'; V
Clostercamp.
P»»p«.
Surprise do Ziorcribcrg. — Combats do Franckenau ot de Drauiis-
('('1(1. — Iiiversioii du priuco hcrd'ditairo eu VV'pstjihalic — Cas-
liios sur 1(> HaslUiiu. — Ilataillo do Clostorcauip. — l'ordluand
(Mivaliil lu llc.ss(>. — l)(''faito des Saxons. — Si('!Ko do Casscl. —
Kotour nlTcnsif de KroKlio. - Combat do Orlinlterj;. — Ilotiaitc
d(! l'fc.dinaud »îir»
1 >
CIIAI'ITUE VI
Perte du Canada.
Situation au common'"pment de KtJO. — Ilataillo do Sainto-Koy. —
Siège de Qu(''])ec par Lc'vis. — Arrivée de la (lott(? anglaise. —
Éraeualion de l'Ile aux Xoi.x. — Prise du fort I.i'vis. — Capitida-
tioii de Montréal. - l'rod-s de Higot et de ses assoeit'S 332
1 \.
CIIAI'ITUE Vil
Politique intérieure de l'Angleterre.
Jlorl de Georges 11. — Pourparlers entre la Franco et l'Espagne. . . 393
' ,11
'■ M
CIIAPITHE Vlll
Négociations avec l'Autriche et avec la Russie.
Ouvertures paeiliquos de Choisoul à Vienne. — Kosistanco de Kau-
iiitz et do Marie-Tli('r(''se. — Réponse do l'Autriche. — Change-
ment d'attitude à Vienne. — Uroteuil ot Worou/.ow. — Kaunitz
propose un congrès unique. — Variations de la Kussio. — Discus-
sions violentes à Vorsailh'S et ii Vienne. — Accord di-finitil' sur
la déclaration collective et sur la lettre de Choisoul à Pitt 538
CHAPlTKi: IX
Négociations entre la France et l'Angleterre.
Remise dos déclarations. — 1,'oxpédition de Rolleisle. — L'uti pos-
sid(nis. — Correspondance de Pitt et de Clioiscul. — Missions de
Stanle}' et Russy. — Leurs instructions. — Rùle de Choiseul. —
Mémoii'o sur les griefs espagnols. — Portraits de Pitt et Choi-
soul 194
TAIW.E I)K8 MATIKUES. 637
( IIAI'ITIIM X
Rupture des négoolatlona pour la paix particulière.
P«fM.
Intorvvnlion de l'Aiitrl 'lu'. — Mauvaise Iminciii' de Kaiiiiitz. —
P^-*'iitatioii ili's Mt'inoin.'s Mir les Ki'iefs i'S|)a«iiols et sur les
coii(|UiHos allciiiaiidos. — Colère de l'itt. — Id-iivoi h Itiissy des
Mémoires. — ritiiuiitimi au^'lais. - Indi^ciiation de Clioiseiil. —
SiKiiatiire du l'arte de laiiiiile et de la ('onveiitioii avec l'Kspa-
gno. — Nouvel »!cliau),'0 irultinmtums. - llappel do Stanley et
do Bussy ô."»
CIIAPITHI' XI
Pacte de taïuille. — Démission de Pitl. ~ Kuplure entre l'Es-
pagne et l'Aiif-'Ieterre 602
Notes 63H
Typographie Kirmiii-Didot et C». — Mesnil (Euro.
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1^). Ca. Bricfiu^ i/f Sentit! f .
rofry>,xiee c^ r^ JU^tm^nt
et Uf ca/tu <ét GL/uri^ft .
rt i^e celttt r/m/oe^ftvann
G Le Keat iée 7)myonj c/e Tfuanije
H. Lu Bn^aUt. U* /Uya/ f>tt<£rrii'/ti
corrifia/ee cée ce JUaimenl , ef
(/eceux J'£-recu-j et W£r^uAal,
l. £•! hri^udf. de S/'Urf'ai,
tifmjoauee cJit ce Jtaoirnent et «2e
ceuK. lie BeaufMtM-^ etcl'clrefucic.
K- La Brt^a<ic </e fa Aetrie ,
eornparee <jfe ce /^aiment et ife
ceux cii» Crujj^vi et cie Atfinccuirt ■
L. Ltf Brr'^fiUe U4i R4jt/a/Ttarttfer,r
i'c^nKfojfX tfe ae /feytmemâ^e.e
</e eeùtc </e Furn^/ , er oT un
M. La BrtOftife </>. T.-"riitrte
cofntjo.'ee f/* «--^ Ke^tment.ec
,/e rr.iui >/' i, rttféiien -
N LaUn^ide cfr /../. T.w t^fu ^>in
comfxyjee ^e ce Âe^mefU
O. tu Brt^aife , cfe Rcuer^ie
cornftc'jée ufc ce deytmvruet
<jU ceàui cée. /ic/ian tlocfieffre
V. ButtertAit i/e ^tzn47ru
1. 1 Dtu.t. C'fmn^ (/e /'./nfa^tcrtr £,nnemie, tfui
ai/arit tourne (^<fau/A£ i/u Cj, /Y'Jr.^orterent
ver:' /<v /itut£eur Q.-/"^ ta/:^rnf^ cfe fa yue/fe
ifyu une ùd>u^ a/orj /,e ('Xe" Du Muu <'n^"'i'>'J
Ltl c^^UJCtCfie pc'jttfort
O. Lu 4^ru/cicfe t^' ffn/cmte rte </,e A^ur/rfittota
i . . ' . . . . r^ f<t fourtmiie-
c - . ~ cfe Koueff^UM:
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|f /.u 3nyade <ife Cztia/fgreK ««<■ fltHtrfxtt
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m . Tntj fiutuM >rij de fu firry ^ Ue f.u Touitfi//>tn
Jcrufe attafrterne ôuttiii •.femeuru. /ova ife
hfitrfnay fe Coryar cfe fircfier 4far\J,'ir cette IVée .
ft Jet Ènvirom ■
in La Brrytzcfe £^ Tourœtite en rnue^ne pour
fe porter vêtu f-u tour- •
BaSertS) aSf Canoru .
5 Vêf frouppe^ ennemiAi <fui fx>n^>f>ient iu
Rtr I ère. /aour Je porter verr ru?j frcnt^' Jr4r
/ ' l't/rttef ■
f* Lt t'ofiiffefre ennemie oui nymmrn/-e ■' ■/!•,
fmtcfur c/a/f'i fa/yfuirfe ft^r/ nu <fe fu nvfre f^^y
fffr/.' apn'j ff' <'<v)9ffrence/7y éft/tfe fu fiuZiuff-
rtfs. l. itrrnee tfeM'. fe J'nnAV fenAruarJ.x// m irrAr
u fa Jvùe ifecetii Cuviifferte
Titnt <-fc fu^vetiinte <ÀtC>te ^/t^ti'nrtmu" et fu
< nnri/e ife/n' tnt'C'tttj ifeat^erettu/^r.'.'O/: in/nf<fttnr.i
vifcttntt.'t*tfiiu£rr.<t/frefuyjv i
La t ro t<f te,rru. pojttton
\r> Li/ Srt^u^-fe <f*Jn/hetfsne Je fnuruuie r^ut t'u
' -iH/tv/r /e.' /:hyru''f fX occu*M»^fet ntuiteiirj e/ /ejA.>^j/^>ur
J^a'orr/er fufU^'UCÉyU£.M^LifÀ£v'. /fu M.UL- cnJ,nrU2. !
jttrfe cA^xrwuuz Dna^et.* ef ff fiitK2fferti», et en ft-ttt' n
ftXi/f f Jnfanterot
a L'i.Brt&^<ffl^X'vr,fii^oen/irtce& cfeT^'unarieptirfe
I mt/ne of'vr
Y /.,i Bnif^ i/e (iu'Lifitr B,>urf;- "i^a cfui/yefu fài'uf^Arzh
U't>jffi>ije jL^roeÂ^ .elavjtrr ^u retraite Je f'Jn/U^Zgrte . e^
f*u.t fn/tftte JM^tfr/At /^rt^'^t^ <.<Wfif JeJ(i<uuf^eA^ruJtti
I \rnere^irife JeùvUuu fKuJa^i&fufit/rnet
s fttttcj /<v Trfv/:^^*' Jm fu. flrjert/f rrtfjat en fu/mf/e
fur ffj futMteurj au Je fit Je CaDt/mef mi effej etu ■
i/i/jenc Jéj f>,itterieà Jef.ivun^.eterrY.>exf>eeit fa
Ifinrfiu Jt /aajfi f,i /iltierr rnj.ynr
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