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Full text of "La guerre de Sept ans [microforme] : histoire diplomatique et militaire"

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Hiotographic 

Sciences 
Corporation 


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23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  14580 

(714)  872-^  S03 


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CiHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


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CIHM/ICMH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  institutta  for  Historical  Mkritreproductions  /  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 


1982 


BB 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliographiques 


The  Institute  has  attempted  to  obtain  tha  best 
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copy  which  may  be  bibliographically  unique, 
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L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
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une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
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sont  indiqués  ci-dessous. 


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Pages  de  couleur 


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Pages  endommagées 


□    Covers  restored  »nd/or  laminated/ 
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□    Pages  restored  and/or  laminated/ 
Pages  restaurées  et/ou  pelliculées 


□    Cover  title  missing/ 
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□    Coloured  maps/ 
Certes  géographiques  en  couleur 

□    Coloured  ink  (i.e.  other  than  blue  or  black)/ 
Encre  de  couleur  (i.e.  autre  que  bleue  ou  noire) 


Q 


Pages  discoloured,  stained  or  foxed/ 
Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 


□Pages  detached/ 
Pages  détachées 

0Showthrough/ 
Transparence 


D 


Coloured  plates  and/or  illustrations/ 
Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 


□    Quality  of  print  varies/ 
Qualité  inégale  de  l'impression 


□ 

D 


□ 


Bound  with  other  matériel/ 
Relié  avec  d'autres  documents 

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hâve  been  omitted  from  filming/ 
Il  se  peut  que  certaines  pages  blanches  ajoutées 
lors  d'une  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  était  possible,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 


D 
D 
D 


Includes  supplementary  material/ 
Comprend  du  matériel  supplémentaire 


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Seule  édition  disponible 


Pages  wholly  or  partially  obscured  by  errata 
slips,  tissues,  etc.,  hâve  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Les  pages  totalement  ou  partiellement 
obscurcies  par  un  feuillet  d'errata,  une  peiure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
obtenir  la  meilleure  image  possible. 


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10X 

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7 

12X 

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20X                              24X                             28X                             32X 

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sion, and  ending  on  the  last  page  with  a  printed 
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dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
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plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  commençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
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empreinte. 

Un  des  syririboliiS  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  imaga  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — ^>  signifie  "A  SUIVRE",  ie 
symbole  y  signifie  "FIN". 


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IVIaps,  plates,  charts,  etc.,  niay  be  filmed  at 
différent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
beginning  in  the  upper  left  hand  corner,  left  to 
right  and  top  to  bottom,  as  many  frames  as 
required.  The  following  diagrams  illustrate  the 
method: 


1 

2 

3 

Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  fiSmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


1 

2 

3 

4 

5 

6 

1.A 


GUERRE  DE  SEPT  ANS 


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DU    MÊME    A  UT  h  un 


Louis  XV  et  lo  Renversement  des  Alliances. 

do  la  Guerre  do  Sept  Ans  (1754-1756).  1  vol.  in-8". 


Prélimiuttireb 


La  Guerre  de  Sept  Ans.  —  Histoire  diplomatique  et  militaire. 
Vol.  I.  Les  Débuts.  —  Vol.  II.  Crcfcld  et  Zorndorf.  —  Vol.  111. 
luiudeii,  Kunersdorf,  Quolicc. 


Droits  de  reproduction  et  de  ttaditction  réserve-t 

pour  tous  les  pays, 

If  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


TvrnGiiAi'niK  fiiim:n-didot  ti  l"    —  mesmi.  (tiiiE). 


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RICHARD   WADDINGTON 


LA 


(.UEIIUE  DE  SEPT 


IIISTOIKE  DIPLOMATIOUE  ET  MILITAIRE 


TOME  IV 


TORGAU  —  PACTE  DE  FAMILLE 


foLVHAùL   (.OLUON.NÉ    TAU    L'i.XSTITUT) 


LIBRAIRIE    DE    PARIS 

FIliMIN-DIDOT   ET   C",   IMl'KIMEUliS-EDlTEURS 
56,  RUE  JACOB,  PARIS 


M- 


I 


PREFACE 


\.(i  quatrième  volume  de  la  guerre  de  Sept  Ans  est 
consacré  aux  événements  militaires  de  ITfîO  et  du  com- 
mencement de  17(>l  ;  il  relate  la  glorieuse  agonie  de  la 
domination  française  au  Canada;  enfin,  il  contient  le 
récit  des  tentatives  infructueuses  de  Choiseul  pour  ré- 
tablir la  paix  en  Europe  et  des  longues  négociations  qui 
précédèrent  la  conclusion  du  pacte  de  famille. 

Fidèle  à  la  méthode  suivie  pour  cet  ouvrage,  je  me 
suis  efforcé  de  puiser  aux  sources  nombreuses  et  variées 
que  fournissent  les  archives  de  la  plupart  des  pays  in- 
téressés Ma  tâche  a  été  singulièrement  facilitée  par  le 
concours  des  hommes  éminents  qui  dirigent  ces  établis- 
sements ou  qui  y  travaillent.  Aux  noms  déjà  cités,  je  me 
plais  à  ajouter  ceux  de  M.  Marcel,  de  la  Bibliothèque  Na- 
tionale, du  général  Herlhaut,  directeur  du  service  géo- 
graphique, du  liculcnanl-colonel  Desbrières  et  du  com- 
mandant Colin,  de  la  section  historique  du  Ministère  de 
la  (iuerre. 

Je  suis  heureux  de  renouveler  mes  remerciements  aux 
autorités  de  Berlin  et  de  Vienne,  dont  les  renseignements 


t^m^immmvm^.^^  su» . ,  i/immwwm 


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VIII  ,  PRKFArR. 

m'ont  (H(' dos  plus  précioiix,  mais  jo  dois  imo  monlion 
spéciale  à  mon  ami  le  1)'  llans  Sdililler  qui  m'a,  conmie 
toujours,  puissammoni  aidé  dans  nios  roclierclios  et  que 
jo  suis  lioureux  do  félicitor  d'un  avancomont  bien  mé- 
rité. 

A  Londres,  les  indications  les  plus  utiles  m'ont  été 
données  par  les  fonctionnaires  du  Mccord  Oflicc  et  du 
liritisJi  Muséum,  qui  tous  (mt  mis  une  jurande  amabilité  à 
seconder  mes  elVorts  et  p  <rmi  les(|uels  je  regrette  do  ne 
p,lns  trouver  M.  Hickloy,  dont  une  mort  prématurée  a 
brisé  la  carrière  pleine  de  promesses. 

Plusieurs  de  mes  com|)iilriotes  ont  mis  à  ma  disposi- 
tion des  papiers  de  famille  ou  des  manuscrits  inédits, 
(ù'est  à  ce  titre  que  le  regretté  duc  de  Uroglie,  le  comte 
d'Kscliovannos,  M.  de  Kerallain  ont  droit  à  toute  ma 
gratitude.  iM.  Croo(;k\vid,  de  Rotterdam,  m'a  prêté 
une  corrospondance  fort  intéressante  de  réfugiés  hugue- 
nots établis  à  Berlin.  Enlin,  je  ne  saurais  oublier  la  dette 
de  reconnaissance  (jue  j'ai  contractée  à  l'égard  de  mon 
maître  respecté  M.  Sorel ,  qui  jusqu'r.  sa  dernière 
heure  n'a  cessé  de  m'assister  de  ses  conseils  et  de  mar- 
quer l'intérêt  qu'il  prenait  à  mes  travaux. 

Saint-l.i'',i!or.  le  .'S  oclolirc  l'.inr. 

Hicliard  Waudinc.ton. 


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I 


I,A 


(Ml EU  II  K  [)K  SEPT  ANS 


CHAPITUE  I 

LANDSHUT  ET  LIEGNITZ 

LAUnON  V.S  SILKSIE,  —  COMBAT  DE  LA>'USIIUT.  —  PHISE  DE 
(ll.ATZ.  —  AliniVÉE  1)1  PRINCE  IIEMU  ET  DES  RUSSES  A 
URESLAl  .  —  nOMIJARDEMENT  DE  DRESDE.  —  LEVÉE  DU 
SIÈGE.  —  MARCHE  PARALLÈLE  DK  DAUN  ET  DE  FRÉDÉRIC 
VERS  LA  SILÉSIE.  —  OPÉRATIONS  SUR  LA  KAT/RACH.  — 
RATAILLE    DE    LIEC.MT/,,    —    RECUL    DES    RUSSES. 


Les  négociations  pacifiques  de  La  Haye,  quoiqu'elles 
eussent  été  la  princij)ale  préoccupation  de  la  plupart  des 
cours  européennes  pondant  la  lin  de  l'hiver  et  le  commen- 
cement du  printemps  de  1760,  n'empêchèrent  pas  les  bel- 
ligérants de  porter  toute  leur  attention  sur  les  préparatifs 
de  la  campagne  prochaine. 

Pour  Fr-^déric,  en  particulier,  la  tâche  fut  singulière- 
ment ardue;  l'armée  prussienne,  décimée  par  les  ba- 
tailles sanglantes  livrées  aux  Russes,  réduite  par  la  ca- 
pitulation de  Maxen  et  par  l'échec  de  Meissen.  avait 
beaucoup  soutfert  de  la  prolongation  des  hostilités  en 
Saxe;  le  froid,  les  intempéries  d'une  saison  exception- 
nellement dure,  les  maladies,  avaient  diminué  des  effec- 
tifs qu'il  devenait  de  plus  en  plus  difficile  de  rétablir 
avec  les  ressources  du  contingent  national.  A  défaut  des 


liUERIlE   DE  SEl'T  ANS. 


T.    IV. 


LA  CIKHIIK  DE  8KPT  ANS. 


CHAP.  I. 


conscrits  (|uo  le  territoire  royal  ne  fournissait  plus  en 
nombre  suffisant,  on  dut  avoir  recours  aux  levées  odec- 
tuées  en  Saxe  ou  dans  le  Mecklondjourg,  aux  vf)lonlairc8 
qu'on  obtenait  par  rentreniise  d'entrepreneurs  de  recru- 
teujcnt,  dont  l'organisation  s'étendait  sur  toutes  les 
parties  de  l'Allemagne,  aux  déserteurs  des  armées  étran- 
gères, enfin,  aux  prisoiuiiers  de  guerre,  incorporj's  de 
force.  (Jrrtoe  à  ces  moyens  empiri([ues,  on  put  remplir 
les  vides  de  l'infanterie  et  reconstituer  les  cadres  perdus 
h  Maxen.  Dans  les  régiments  (le  cavalerie,  les  lacunes  ne 
furent  pas  coml)lées  aussi  rapidement  et  il  fallut  opérer 
des  réductions.  Mais  ce  fut  dans  le  coips  d'officiers  que 
le  défaut  de  bons  éléments  se  fit  le  plus  sentir;  pour  rem- 
placer les  excellents  serviteurs  des  'innées  précédentes 
que  la  mort,  les  infirmités  ou  la  captivité  avaient  fait 
disparaître,  on  fut  obligé  de  faire  appel  aux  bataillons  de 
forteresse,  et  d'introduire  dans  l'armée  active  des  sujets 
dont  la  qualité  laissait  à  désirer. 

Déduction  faite  des  garnisons  et  des  dépôts,  Frédéric 
mit  en  ligne  une  force  totale  de  126  bataillons  et  de  190  es- 
cadrons, fournissant  environ  90.000  à  100.000  combat- 
tants. Ces  troupes  auraient  à  tenir  tète  à  120.000  Aiitri- 
cliiens,  80.000  Russes,  10.000  Suédois  et  20.000  Impériaux, 
soit  à  un  ensemble  de  230.000  ennemis. 

Avec  une  disproportion  si  marquée  dans  les  effectifs, 
le  roi  de  Prusse  était  dans  la  nécessité  de  se  résigner  à 
la  défensive;  aussi,  son  armée  était-elle  distribuée  en  con- 
sécjuence.  Tandis  qu'avec  le  corps  principal,  de  VO  à 
45.000  bomnics,  il  maintiendrait  ses  |)ositions  en  Saxe, 
vis-à-vis  du  maréchal  Daun,  le  prince  Henri  et  le  général 
Fouqué,  avec  V5  à  47.000  combattants,  se  partageraient 
la  tîïcbe  (le  protéger  la  Silésie  contre  les  Autrichiens  et 
d'arrêter  l'invasion  russe;  enfin  le  général  Jung  Stutter- 
heim,  avec  une  faible  division  de  .j.OOO  hommes,  sur- 
veillerait les  agissements  des  Suédois. 


PRKPAIIATIFS  DKS  HELLIGKRANÏS.  8 

Do  leur  C(Mé,  les  cours  do  Vienne  ot  de  Pétorshourg, 
([ui  venaient  do  rossorrer  les  liens  de  leur  alliance  par 
le  traité  du  7  mars  17G0,  s'elloivuient  do  combiner  un 
plan  d'opérations.  l)vs  le  mois  de  janvier,  Daun  avait 
soumis  (1)  à  l'approbation  de  rimpénitrice-lleino  un 
[)rojet  dans  letpiel  les  rAles  étaient  ainsi  répartis  :  le 
fcid-raarôclial,  avec  ."»(). 000  liommcs,  tiendrail  tôto  au 
Uoi  en  Saxe;  le  reste  des  troupes  autrichiennes  entrerait 
en  Silésio  par  la  Lusaco  et  entreprendrait  le  siège  de 
Schweidnitz;  rainiôo  russe  n.archerait  sur  Breslau  et 
joindrait  son  action  à  la  leur.  De  ce  plan  adopté  dans 
ses  grandes  lignes,  l'exécution  fut  retardée  par  l'inror- 
pora*ion  dos  recrues  et  par  la  lenteur  haliituclle  de  la 
mobilisation  russe.  L'hiver  en  Saxe  ne  l'ut  signalé  (]ue 
par  des  oscarn'ouches  do  médiocre  importance  entre  les 
deux  armées,  dont  les  cantonnemonis  étaient  pou  éloi- 
gnés. Le  25  avril,  Frédéric  évacua  lo  poste  de  Freyberg, 
dans  leqL'"'  il  s'était  maintenu  avec  tant  de  ténacité,  et 
concentra  son  armée  derrière  la  Triebsche  et  autoui 
de  Meissen.  Daun  se  contenta  d'occuper  Freyberg  et 
NVildsi'uf  ;  Lasoy,  (jui  avait  été  élevé  au  grade  de  général 
d'infanterie,  fut  détaché  avec  un  corps  distinct  sur  la 
rive  droite  de  l'Klbc,  et  Beck,  posté  à  Zittau,  fut  chargé 
de  veiller  sur  les  communications  avec  la  Silésic.  Ces  posi- 
tions furent  conservées  jusqu'aux  premiers  jours  de  juin. 

Contrairement  à  ce  qui  avait  eu  lieu  les  années  précé- 
dentes, la  campagne  débuta  par  roffensive  des  Autrichiens, 
changement  du  à  l'initiative  laissée  à  l'entreprenant  Lau- 
don,  qui  était  investi  d'un  commandement  indépendant 
en  Silôsie.  Cet  officier,  né  en  Livonie  d'une  famille  d'ori- 
gine écossaise,  d'abord  oflicier  subalterne  dans  l'armée 
russe,  après  avoir  cherché  inutilement  à  entrer  au  service 
prussien  avait  accepté  une  compagnie  dans  le  régiment 


(1)  Monlazct  i\  Clioiseul,  Vienne.  10  janvier  I7G0.  Aftaires  Élrangèics. 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  I. 


I 


irrégulior  du  partisan  autrichien  Trenck.  Encore  lieute- 
nant-colonel au  commencement  <le  laGueire  de  Sept  ans, 
il  venait  d'être  promu  au  grade  de  général  d'infanterie 
et  mis  à  la  tète  dos  40.000  hommes  affectés  par  la  cour  de 
Vienne  à  l'invasion  de  la  Silésie  et  à  la  coopération  avec 
les  Russes.  Laudon  devait  cette  distinction  à  sa  conduite 
pondant  la  campagne  de  1759,  à  la  confiance  qu'il  avait 
su  inspirer  aux  généraux  moscovites,  et  aussi  à  la  faveur 
justifiée  dont  il  jouissait  auprès  de  l'Impératrice  etdeKau- 
nitz.  A  la  suite  d'un  voyage  à  Vienne,  où  il  avait  été  appelé 
pour  donner  sotî  avis  sur  les  opérations  à  enlreprendre  en 
Silésie,  et  après  une  conférence  avec  Daun  à  Dresde,  Lau- 
don rejoignit  son  corps  d'armée  à  Konigg-ratz;  le  30  mai, 
il  franchit  la  frontière  (1)  avec  34  bataillons  de  ligne, 
33  compagnies  de  grenadiers,  75  escadrons  et  44  canons; 
le  31 ,  il  était  à  Frankenstein,  sur  la  route  de  (ilatz  à  Bres- 
lau  ;  de  là,  il  poussa  des  détachements  sur  Reichenbachet 
Nimtsch,  où  ils  prirent  le  contact  avec  la  cavalerie  prus- 
sienne. Impressionné  par  ces  mouvements,  qui  semblaient 
indiquer  des  intentions  agressives,  soit  contre  SchweiJnitz, 
soit  contre  Breslau,  Fouqué  crut  prudent  d'évacuer  le 
poste  de  Landshut,  où  il  se  trouvait  beaucoup  trop  éloi- 
gné des  points  menacés,  et  se  retira  successivement  aux 
environs  de  Schweidnitz,  puis  k  Rommenau,  à  portée  de 
•la  capitule  de  la  Silésio.  Il  était  encore  dans  ce  camp 
lorsqu'il    apprit    que    Laudon    avait    quitté   Frankens- 
tein, le  7  juin,   qu'il  avait  marché  dans  la  direction  de 
(ilatz,  et  que  Landshut  avait  été  occupé   par  les  Autri- 
chiens. Le  général  prussien,  revenant  sur  ses  pas,  suivit 
l'adversaire  jusqn'à  Grilditz,  à  quelques   kilomètres  de 
Schweidnitz.  De  là  il  informa  (2)  le  Roi  qu'il  lui  serait 
impossible  de  rien  tentei  pour  la  défense  de  la  partie  mon- 

(1)  Pour  les  opérations  de  1«  Silésie,  de  la  Saxe  et  du  Braiidebouig,  con- 
sulter la  carte  ù  la  fin  du  volume. 

(2)  Fouqué  à  Frédéric,  (irUditz,  10  juin  1760.  Sclioning,  voi.  H,  p.  318. 


LAUDON  EN  SILÉSIE.  5 

tagneuse  de  la  province,  sans  courir  de  grands  risques, 
mais  qu'il  ferait  de  son  mieux  pour  protéger  le  pays  plat 
contre  les  incursions  de  l'ennemi.  Le  rapport  de  Fouquc 
se  croisa  avec  une  dépèche  de  Frédéric,  en  date  du  11  (1  j, 
lui  intimant  l'ordre  formel  d'^  quitter  la  banlieue  de  Bres- 
lau,  où  on  le  croyait  encore,  de  se  rendre  à  Schweidnitz, 
puis  à  Landshut,  de  chasser  l'ennemi  de  cette  ville  et 
de  s'y  établir  solidement. 

D'après  l'auteur  de  la  biographie  de  Fouqué  (2),  le 
billet  royal  aurait  contenu  (quelques  mots  indiquant  un 
mécontentement  des  plus  vifs  :  «  C'est  vous  et  le  diable 
que  je  remercie  d'avoir  abandonné  mes  montagnes.  Ren- 
dez-moi mes  montagnes,  que  cela  coûte  ce  que  cela  vou- 
dra. »  Des  considérations  d'ordre  politique  n'avaient  pas 
été  sans  influence  sur  la  décision  de  Frédéric,  en  général 
attentif  à  l'opinion  dun  do  ses  lieutenants  les  plus  écou- 
tés. Les  Autrichiens  avaient  profité  de  leur  supériorité 
pour  envahir  les  vallées  industrieuses  des  Uiesengebirge, 
et  pour  y  lever  (3)  des  contributions  très  lourdes;  la  seule 
ville  de  Ilirschbcrg  avait  eu  à  supporter  une  taxe  de 
100.000  thalers  à  laquelle  l'envahisseur  avait  ajouté  un 
supplément  de  25  %  pour  compenser  la  dépréciation  des 
monnaies  prussiennes.  De  là,  des  plaintes  dont  le  gouver- 
neur civil  Schlabrcndorf  s'était  fait  l'organe  et  qui  avaient 
fâcheusement  impressionné  le  Roi.  Reconnaissons  d'ailleurs 
que  le  prince  Henri  partageait  l'opinion  de  son  frère 
sur  l'inopportunité  de  la  reculade,  «  le  général  Fouqué, 
éi^iit  (4)  le  prince,  a  voulu  se  replier  de  Furstenstein  et 
de  Landshut,  le  V  au  soir,  quoique  Laudon  frt  encore  ce 
jonr-là  à  Frankcnsteiu  ;  je  ne  crois  pas  me  tro.rij  or  si  je 


(!)  Frédéric  à  Fouqi:é,  11  juin  1760.  Schuning,  vol.  II,  j).  320. 
(2j  Sodcnstein,  l'eldzug  von  In  Molle  l'otiqué  in  sclilcsieii,  1760.  Casse!, 
1862. 

(3)  (lestândnisse  eines Oeslerrcictiisclien  ]'J>lei(ins,\o\.  III.  Hreslaii,  1790. 

(4)  Henri  à  Frédéric,  Sagan,  G  juin  1760.  Scliitninî^,  vol.  Il,  p.  311. 


■t«.sa»'-J 


6  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I.  ; 

désapprouve  la  résolution  que  le  général  Fouqué  a  prise  ; 
j'ignore  encore,  sur  l'heure,  s'il  l'a  exécutée;  j'espère 
toujours  qu'un  heureux  instinct  l'aura  fait  changer  de  sen- 
timent ;  mais  si  cela  est  arrivé,  voilà  Laudon  maître  des 
montagnes  et  en  état  de  tout  entreprendre  ».  Enfin,  Fré- 
déric, qui  négociait  depuis  longtemps  à  Constantinople, 
était  très  disposé  (1)  à  compter  sur  une  intervention  des 
Turcs  et  à  croire  que  le  mouvement  rétrograde  de  Laudon 
était  dû  à  cette  cause.  Autant  de  motifs  pour  engager 
son  général  à  tenir  ferme,  en  attendant  que,  débarrassé 
de  Daun.  il  pût  aller  à  son  secours. 

Fouqué  était  encore  à  (iraditz  quand  la  dépêche  royale 
lui  parvint,  le  1(»  :  il  obéit  aussitôt  (2).  «  En  consé- 
quence, je  fais  mes  arrangements  pour  l'expédition  de 
Landshut,  et  partirai  cette  nuit,...  j'espère  que  la  for- 
tune nous  secondera  et  je  me  flatte  que  chacun  y  fera  son 
devoir,  quoique  le  cas  soit  fort  douteux.  «  Conformément 
à  sa  promesse,  Fouqué  manda,  le  lendemain  soir,  qu'il 
avait  marché  avec  toutes  ses  forces,  ne  laissant  que 
Zieten  avec  un  détachement  pour  maintenir  la  com- 
munication avec  Schweidnitz,  et  que  l'ennemi  s'était  re- 
tiré, sans  grande  résistance,  sur  les  hauteurs  de  Reich- 
Ilcnncrsdorf,  lui  abandonnant  la  possession  des  lignes  de 
Landshut.  C'est  dans  cette  ville  qu'il  dut  recevoir  le?  nou- 
veaux ordres  de  son  monarque,  plus  impérieux  que  les 
premiers  et  accompagnés  d'un  blâme  sévère  pour  sa  con- 
duite passée  :  <(  Je  vous  réplique,  écrivait  le  Roi  (3),  que 
par  votre  marche  et  retraite  trop  précipitée  vers  Breslau, 
vous  m'avez  perdu  les  montagnes;  il  faut  absolument 
que  vous  les  repreniez...  Vous  n'épargnerez  rien  au  monde 
pour  réoccuper  les  postes  de  Fiirstenstein  et  Landshut,  et, 
comme  vous  pouvez  disposer  de  20  bataillons,  il  faut  que 

(1)  Frédéric  àllcnii,  Meissen,  12  et  22  juin  1760.  Sduining,  vol.  II. 

(2)  Fouqué  à  Frédéric,  Grilditz.  16  juin  1760.  Schiining,  vol.  II,'  p.  328. 

(3)  Frédéric  ù  Fouqué,  Meissen,  li  juin  1760.  Corr.  l'olit.,  XIX,  p.  420. 


FOUQUE  REVIENT  A  LANDSHUT.  7 

VOUS  déloj^iez  reimcmi  de  ces  deux  postes.  »  Le  Roi 
annonçait  sa  prompte  venue  en  Silésie  ot  terminait  par  un 
post-scriplum  en  français,  très  significatif  :  <(  Mes  g-énéraux 
me  font  plus  de  tort  que  l'ennemi,  parce  qu'ils  manœu- 
vrent toujours  de  travers.  » 

Quand  Fouqué  fut  touché  par  la  missive  royale,  sa 
situation  était  devenue  critique.  Avec  les  l'i..000  hommes 
([ui  formaient  son  commandement,  il  avait  à  couvrir  les 
places  fortes  de  la  Silésie,  à  protéger  le  pays  contre  les 
incursions  autrichiennes,  à  tenir  tête  à  Laudon,  qui  ahan- 
donnait  le  blocus  de  Glatz  pour  s'en  prendre  à  lui,  et  à 
Beck,  qui  venait  de  se  porter  de  Zittau  à  Greiffenberg. 
Pour  une  besogne  aussi  étendue  qu'épineuse,  il  savait  par- 
faitement qae  ses  forces  n'étaient  ri*^n  moins  qu'adéqua- 
tes, et  cependant  la  précision  avec  laquelle  l'ordre  élait 
rédigé,  les  appréciations  blessantes  qui  le  soulignaient, 
n'admettaient  ni  explications,  ni  observations;  Fouqué 
répondit  en  soldat  <{ui  exécute  sa  consigne.  Il  fait  part 
de  (1)  la  concentration  des  Autrichiens  autour  de  sa  posi- 
tion et  des  renforts  qui  leur  parviennent  chaque  jour,  puis 
il  ajoute  :  «  Puisque  Votre  Majesté  royale  m'a  ordonné,  à 
plusieurs  reprises,  d'occuper  ce  poste,  j'y  resterai  et  je  le 
maintiendrai  jus(|u'à  la  dernière  extrémité.  »  A  ses  offi- 
ciers, il  se  sei'ait  exprimé  dans  les  mêmes  termes  (2)  : 
.'  Le  Roi  me  prend  pour  un  triste  sire,  parce  que  je  me  suis 
retiré  des  montagnes  ;  je  lui  prouverai  le  contraire  quand 
même  j'y  prévois  ma  destruction  et  celle  de  beaucoup  de 
braves  gens.  »  La  perspicacité  du  vieux  général  n'était  pas 
en  défaut;  autour  de  lui,  l'orage  grossissait  à  vue  d'oeil. 

Laudon  qui  s'attendait  à  la  réunion  du  prince  Henri  et 
de  Fouqué,  fut  surpris  du  retour  de  celui-ci  et  résolut 
de  profiter  de  l'isolement  du  corps  prussien  qui  lui  était 
fort  inférieur.  Son  adversaire  n9  pouvait  recevoir  de  se- 

(1)  Fouqué  à  Frédéric,  Landsluit,  19  juin  1760.  Schiiulng,  vol.  H,  \>.  332. 

(2)  Jaiiko,  Laudons  Lelicn,  p.  141).  Vienne,  1860. 


1 


i 


i 


LA  GlERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  I. 


cours  en  temps  utile,  car  le  Roi  était  encore  en  Saxe,  et, 
d'après  les  nouvelles  les  plus  récentes,  le  prince  Henri 
avait  passé  l'Oder  et  était  allé  au-devant  des  Russes.  Lais- 
sant 3  bataillons  d'infanterie  et  3  régiments  de  cavalerie 
pour  l'investissement  de  Glatz,  le  général  autrichien  di- 
rigea toutes  ses  troupes  sur  Landshut;  le  19,  son  avant- 
garde,  sous  les  ordres  de  Nauendorf,  eut  un  engagement 
heureux  avec  les  hussards  de  Malachowsky,  que  Fouqué 
avait  envoyés  à  la  découverte.  Le  20,  Laudon  s'établit  près 
de  Forst  et  chercha  à  couper  les  communications  des  Prus- 
siens avec  Schweidiiitz;  en  même  temps,  il  invita  Reck  à 
quitter  Friedberg  sur  la  Qucis  et  à  se  porter  à  Hirschbr rg. 
La  ville  de  Landshut,  bâtie  sur  la  rive  droite  du  Rober 
et  sur  le  promontoire  que  forme  cette  rivière  avec  son 
affluent,  le  Zieder,  est  dominée  par  un  amphithéûtre  de 
hauteurs,  dont  le  premier  étage,  le  plus  rapproché  du 
bourg,  s'étend  depuis  le  village  de  Rlasdorf,  jusqu'au 
Zieder.  De  cette  chaîne  émergent  les  mamelons  de  Rlasdorf, 
de  Hahn,  de  Galgen  et  de  Hirschberg  (1),  qui  avaient  été 
couronnés  d'ouvrages  défensifs.  A  une  distance  moyenne 
d'environ  2  kilomètres,  se  dresse  une  seconde  rangée  de 
collines,  celle  de  Rcich-Hennersdorf.  plus  élevée  que  la 
première;  son  prolongement,  au  delà  du  Zieder,  se  con- 
tinue par  une  succession  d'éminences  rocheuses,  les  unes 
nues,  les  autres  boisées,  dont  la  dernière,  le  Mummel- 
berg,  se  relie  à  la  crête  de  Forst.  Tous  ces  sommets 
avaient  été  fortifiés  au  moyen  de  flèches,  de  palissades, 
de  fossés,  et  même  de  blockhaus  construits  au  cours  de 
la  campagne  de  1759  ;  pendant  leur  courte  occupation, 
les  Autrichiens  n'avaient  rien  détruit;  aussi,  les  Prussiens 
n'eurent-ils  qu'à  reprendre  possession  des  lignes  qu'ils 
retrouvèrent  intactes.  Du  Mummel  au  Leuschnerberg,  situé 
en  aval  de  Landshut,  près  du  village  de  Vogelsdorf,  Fou- 

(I)  Dans  la  plupart  des  récits  celte  butte  porte  le  nom  de  Kirchbeig. 


DISPOSITIONS  DÉFENSIVES  DE  FOUQUÉ.  0 

que  avait  fait  creuser  une  nouvelle  tranchée  pour  protéger 
sa  gauche.  De  ce  point  jusqu'aux  retranchements  de 
Blasdorf,  la  position  prussienne  avait  une  circonférence 
de  plus  de  7  kilomètres. 

A  la  défense,  Fouqué  pouvait  allecter  15  bataillons,  15 
escadrons  et  68  canons,  soit  des  forces  dont  l'effectif  n'at- 
teignait pas  11.000  hommes;  au  lieu  de  les  concentrer  sur 
les  points  les  plus  essentiels,  il  les  éparpilla  sur  toute  la 
longueur.  A  l'extrême  droite,  les  quatre  tranchées  de  la 
colline  de  Blasdorf  furent  occupées  par  les  irréguliers  de 
Le  Noble  et  Collignon,  soutenus  par  quelques  piquets  de 
volontaires.  Le  Hahnberg,  le  Galgenberg-  et  le  Hirsch- 
herg  reçurent  une  garnison  de  5  bataillons  avec  un  6" 
et  2  escadrons  en  ïéserve.  Dans  des  retranchements  qui 
s'allongeaient  du  Rabenberg  au  Leuschnerberg,  furent 
postés  6  bataillons;  enfin,  dans  un  faubourg  de  Landshut, 
sur  la  rive  gauche  du  Bober,  un  bataillon  d 'irréguliers. 
La  cavalerie  était  formée  dans  la  plaine  de  Reich-IIen- 
nersdorf  ou  servait  de  lien  entre  les  deux  ailes,  près  du 
village  de  Nieder-Zieder.  Des  avant-postes,  fournis  par  des 
détachements  empruntés  aux  bataillons  dits  libres  (1)  ou 
irréguliers,  couvraient  le  front  de  bataille. 

Laudon  d'abord  s'était  attendu  à  une  retraite  que 
justifiait  la  supériorité  autrichienne;  quand  il  se  rendit 
compte  de  l'intention  de  Fouqué  d'attendre  l'attaque  de 
pied  ferme,  il  prit  ses  dispositions  pour  entourer  les  Prus- 
siens et  les  forcer  à  mettre  bas  les  armes. 

Il  avait  réuni,  sur  le  terrain  do  la  lutte,  des  forces  que 
les  écrivains  militaires  ont  évaluées  à  drs  chiffres  variant 
de  26  à  4.2.000  hommes.  D'après  l'Autrichien  Cogniazzo, 
qui  fut  présent  à  la  bataille,  la  proportion  des  combat- 
tants aurait  été  de  40  à  15  pour  l'infanterie,  de  70  à 
15  pour  la  cavalerie  en  faveur  de   Laudon,   calcul  qui 

(1)  Ces  Frei-BaliiiUonnc  coriespondaienl  aux  troupes  légores  de  l'armée 
trançaise  ou  aux  Croates  des  Autrichiens. 


Wp'lf"     fjlwll*^ 


10 


LA  GUERUÉ  DE  SEPT  ANS. 


CHAI'.  1. 


donnerait  àcederninr  28.000  fantassins  et  7.000  cavaliers. 
Poui'  sou  entreprise,  le  général  autrichien  distribua  .son 

'  monde  en  quatre  colonnes;  les  trcfis  premières,  fortes  de 
2V  bataillons,  avaient  pour  mission  d'enlever  la  partie 
des  ouvrages  comprise  entre  le  ruisseau  du  Ziedor  et  le 

-  Leuschnerberg,  défendue  par  la  gauche  de  Fonqué;  la 
quatrième,  conduite  par  Wolfersdorf,  était  chargée  d'une 
fausse  attaque  contre  la  droite  prussienne,  La  cavalerie 
devait  appuyer  son  infanterie  et  couper  la  retraite  à 
l'ennemi;  un  détachement  mixie  accomplirait  la  même 
besogne  sur  l'autre  rive  du  B-)bcr. 

Fouqué,  qui  ne  pouvait  s*  faire  illusion  sur  les  pro- 
jets de  Laudon,  fat  informé,  par  des  déserteurs,  de  l'as- 
saut imminent  qui  se  préparait.  Il  n'en  tint  aucun  compte 
et  poussa  l'obéissance  passive  aux  ordres  relatifs  au  main- 

'  tien  des  lignes  de  Landshut,  jusqu'à  l'envoi,  dans  la  soirée 
du  22  juin,  d'une  centaine  de  chariots,  sous  escorte,  pour 
chercher  à  Bolkenhayn  et  Schweidnitz  le  pain  qui  allait 
lui  faire  défaut.  Le  21,  il  avait  averti  le  Roi  il)  de  la  po- 
sition dangereuse  dans  laquelle  il  se  trouvait  :  «  En  front, 
j'ai  les  corps  de  Geisrugg  et  de  Jahnus;  des  deux  côtés, 
ceux  de  Wolfersdorf  et  de  Nauendorf,  qui  rec^oivent  tous 
les  jours  des  renforts  du  corps  de  Laudon.  Je  me  tiens  ici 
ferme  et  comme  cloué  à  la  place,  je  ne  pourrai  me  retirer 
parce  que  l'ennemi  est  si  près  de  moi  que  nous  échan- 
geons des  coups  de  fusil.  La  communication  avec  Schweid- 
nitz et  le  général  Zieten  sur  le  Zeiskenberg  est  coupée.  Jus- 
qu'à la  lin  du  mois,  je  seraicouvertenpain  et  en  fourrage. 
Dans  cette  situation,  j'essaierai  de  tenir  jusqu'à  l'extré- 
mité et  d'attendre  une  diversion  de  Votre  Majesté  royale.  » 
Pendant  les  cinqjours  que  prenaient  les  courriers  pour  se 
rendre  des  bords  de  l'Filbe  au  camp  de  Fouqué,  le  Roi, 
revenu  à  de  meilleurs  sentiments  à  l'égard  de  son  vieux  ser- 


(1)  Fouqué  à  Frédéric,  21  juin  1760.  Schoning,  vol.  II. 


COMBAT  DE  LANDSHUT. 


11 


viteiir,  clmnge  de  langage.  Il  explique  les  raisons  qui  re- 
tardent son  départ  pour  la  Silésie,  donne  rendez-vous  à 
Fouqué  sous  les  murs  de  Schweidnitz,  puis,  î\  la  date  des 
22  et  23  juin,  lui  envoie  l'autorisation  de  détruire  liis  ou- 
vrages de  Landshut  et  de  battre  en  retraite  sur  Breslau. 
Ces  dép^'ohes  ne  parvinrent  pas  au  destinataire. 

L'affaire  débuta  (1)  dans  la  nuit  du  23,  A  deux  heures 
du  matin,  par  un  feu  d'artillerie  des  plus  vifs,  dans  lequel 
les  Autrichiens  eurent  bientôt  le  dessus.  Sous  le  couvert 
de  la  canonnade,  la  première  colonne  de  droite,  conduite 
par  Laudon  en  personne,  ccmtourna  les  retranchements 
prussiens,  et  eu  prit  les  défenseurs  à  dos  pendant  que  les 
autres  colonnes,  dirigées  par  les  généraux  Miiftling  et 
(ieisrugg,  les  abordaient  de  front.  L'aile  gauche  prus- 
sienne, écrasée  par  le  nombre,  après  un  vaillant  mais  court 
effort,  fut  obligée  d'abandonner  ses  tranchées;  un  retour 
énergique  du  colonel  Rosen  fut  repoussé  et  les  Autri- 
chiens restèrent  maîtres  de  tout  le  Mummelberg  et  des 
hauteurs  avoisinantes.  La  résistance  se  prolongea  quel- 
que temps  à  la  redoute  du  Thiemberg,  mais  elle  fut  em- 
portée ainsi  que  le  faubourg  de  Rothkretscham.  Ces 
succès  obtenus,  les  généraux  de  l'Impératrice  s'eiforcèrent 
de  rétablir  l'ordre  dans  les  formations  et  de  préparer  l'as- 
saut du  Hirschberget  du  Galgenberg,  sur  lesquels  s'étaient 
repliés  les  bataillons,  fort  maltraités,  de  la  gauche  prus- 
sienne; la  cavalerie  autrichienne  franchit  le  Bober  pour 
interdire  àFouqué  la  retraite  surSchmiedeberg  ou  Kupfer- 
berg,  seule  voie  qui  lui  fût  encore  ouverte. 

Au  cours  du  combat  que  nous  venons  de  décrire ,  Wolfers- 
dorf,  àla  tête  de  la  gauche  autrichienne,  avait  engagé  avec 
les  Prussiens  qui  lui  faisaient  vis-à-vis,  une  action  qui,  ù 


(1)  La  descrlpUoii  ilii  combat  est  empruntée  au  volume  III  de  louvragc 
de  l'Ëtât-major  général  prussien,  publié  en  1834,  à  Cogniazzo,  à  Janko,  au 
rapport  de  Laudon  (Archives  de  Vienne)  et  à  Sodenstein,  l'cldzitij  von,  La 
Molle  Fouqué.  Voir  la  carte  à  la  fin  du  volume. 


1» 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAP.  I. 


dessein,  parait  avoir  été  assez  mollement  menée;  elle  eut 
cependant  pour  résultat  de  forcer  la  garnison  de  Blasdorf 
k  se  reporter,  avec  perte,  sur  le  Ilahnberg;  un  moment,  les 
Autrichiens  s'emparèrent  aussi  de  ce  mamelon,  mais  ils  en 
furent  cliassés  par  un  retour  ollensif  des  Prussiens  que 
Fouqué  avait  renforcés.  Wolfcrsdorf  ne  renouvela  pas  son 
attaque  et  se  borna  à  faire  passer  le  Bober  à  sa  cavalerie, 
à  l'effet  d'agir  sur  les  derrières  de  l'ennemi. 

Il  était  à  peu  près  k  heures;  de  toutes  les  lignes  qu'il 
occupait  la  veille,  il  ne  restait  à  Fouqué  que  les  mamelons 
((ui  s'étendent  du  Hahnberg  au  Ilirschberg  et  la  ville  de 
Landshut;  pour  les  défendre,  en  dehors  des  troupes  déjà 
battues  de  ses  deux  ailes,  il  ne  pouvait  disposer,  en  fait  de 
réserve,  que  de  quatre  bataillons  et  de  quelques  escadrons 
qui  n'avaient  pas  été  engagés.  Pendant  qu'on  se  préparait 
de  part  et  d'autre  pour  la  lutte  suprême,  les  batteries  au- 
trichiennes, amenées  sur  les  hauteurs  conquises  du 
Mummel,  se  joignirent  à  celles  de  Reich-llennersdorf,  pour 
couvrir  d'une  pluie  de  projectiles  les  débris  du  corps  de 
Fouqué.  Le  combat  recommença  vers  6  heures;  Laudon 
lança  deux  colonnes  contre  les  retranchements  prussiens  : 
la  première,  qui  devait  assaillir  de  front  le  Ilirschberg, 
échoua;  la  seconde  fut  plus  heureuse;  elle  prit  facile- 
ment possession  de  Landshut  qui  n'était  défendu  que  par 
un  faible  détachement,  déboucha  derrière  la  colline  et 
unit  ses  efforts  à  ceux  de  l'autre  colonne  qui  avait  renou- 
velé l'assaut  direct.  Les  Autrichiens  finirent  par  se  rendre 
maîtres  du  Ilirschberg,  malgré  la  résistance  désespérée 
des  Prussiens  et  malgré  les  renforts  envoyés  par  Fouqué 
du  Galgenberg.  Entre  temps,  Wolfersdorf  avait  repris  l'of- 
fensive et  s'était  établi  délinitivemerit  sur  le  Hahnberg. 

Ce  qui  restait  des  soldats  de  Fouqué  se  groupa  autour 
du  général  sur  le  seul  point  qui  fût  encore  à  eux,  le 
Galgenberg.  La  lutte  fut  héroïque;  au  dire  des  au- 
teurs prussiens,  trois  attaques   furent  repoussées,   deux 


iiii 


DEFAITE  DE  FOLQIIE. 


t> 


sommations  de   se   rendre  furent  rejetées;  enfin,  vers 
î>    heures    du  matin,   Fouqué   tenta  de    sauvei'   les   dé- 
bris de  son  corps  d'armée  en  franchissant  le  Bobcr  et 
(Ml  gagnant  la  route  de  Schreibendorf  (I).  Il  était  trop 
tard.  A  la  vérité,  Foufjue,  avec  quelques  centaines  de 
braves,  put  se  fray  "  un  chemin   à  travers  le  bourg  de 
I.andshut  jusqu'.ai  chemin  de  Reussendorf  ;  les  derniers 
survivants  se  formèrent  en  carré  et  tinrent  tète  aux  pre- 
mières charges;  mais,  cernés  de  tous  côtés,  fusillés  par 
un    bataillon   wallon    appartenant    au    corps    de   Beck, 
sabrés  par  les  dragons  de  Lowenstein,  ils  succombèrent 
presque  tous.  Fouqué,  blessé  et  pris  sous  son  cheval,  eût 
été  achevé  par  les  cavaliers  autrichiens  sans  le  courage  de 
son  fidèle  serviteur  Trautscke,  qui  lui  lit  un  rempart  de 
son  corps.  Enfin,  le  lieutenant  prussien  Franck  et  le  capi- 
taine autrichien  Eichbeck  le  tirèrent  des  mains  des  soldats 
et  le  remirent  au  colonel  de  Voigt,  chef  du  régiment  des 
dragons  de  Lowenstein.   Celui-ci  lui  oll'rit  son  cheval  et 
comme  Fouqué  refusait  en  disant  que   le  sang  de  ses 
blessures  tacherait  la  selle  et  le  bel  équipement  du  colonel  : 
«  Je  puis  assurer  Votre  Excellence,  répliqua-t-il,  que  mon 
harnais  gagnera  énormément  on  valeur  d'avoir  été  arrosé 
du  sang  d'un  héros.  »  Cet  épisode  fut  presque  le  dernier 
acte  de  la  bataille  qui  se  termina  vers  10  houres  du  matin. 
De  l'armée  de  Fouqué,  il  n'échappa  que  12  à  1.500 
liommes,  appartenant  à  peu  près  tous  à  la  cavalerie  qui,  au 
cours  de  la  bataille,  avait  été  envoyée  sur  la  rive  gauche 
du  Bober;   en   l'absence  d'officiers  supérieurs,    tués  ou 
pris,  le  major  Oustien  prit  le  commandement  et  les  mena 
à  Breslau.  Tout  le  reste,  plus  de  9.000  hommes,  fut  tué  ou 
fait  prisonnier;  dans    cette    dernière    catégorie,   furent 
compris,  avec  Fouqué,  les  généraux  Sclienkendorf  et  Mala- 
chowski  et  quatre  colonels.  Dans  son  rapport,  Laudon 


,t 


(1)  Village  situé  dans  la  direction  de  Sclimiedeberg, 


14 


La  GUËRUE  de  sept  ans.  —  PH  VP.  I. 


parle  (1)  de  plus  de  3.000  prisonniers,  ce  qui  laisserait 
(i.OOO  pour  le  cliilIVe  des  tués  ou  blessés  ;  toute  l'artillerie, 
68  canons,  34  drapeaux,  2  étendards  et  une  paire  de  tim- 
bales, tombèrent  entre  les  mains  des  vainqueurs.  Les 
pertes  autrichiennes  s'élevèrent,  d'après  les  documents 
ofliciels,  à  768  officieiN  et  soldats  tués  et  à  2.005  blessés. 

Frédéric  rendit  hommage  à  la  conduite  héroïque  de  son 
général  et  de  ses  soldats.  »  Cette  belle  action,  écrit-il  en 
parlant  du  combat  de  Landshut,  n'en  trouve,  dans  l'his- 
toire, qui  lui  puisse  être  comparée,  que  celle  de  Léonidas 
et  des  (Ircos  qui  défendirent  les  Thermopylesetqui  eurent 
un  sort  à  peu  prés  sendilable  au  sien.  »  (îogniazzo  et 
F^audon  lui-même,  le  pr<'mier,  en  termes  enthousiastes, 
célèbrent  la  bravoure  des  vaincus.  Mais  si  l'historien  doit 
s'associer  à  un  éloge  bien  mérité,  il  est  de  son  devoir  de 
blâmer  l'obslination  du  général  qui,  par  amour-propre  ou 
par  obéissance  passive  poussée  à  l'exagération,  sacrifia 
inutilement  son  corps  d'armée.  L'on  prétend  ([ue  Fouqué 
avait  juré,  l'expédition  de  Landshut  terminée,  de  ne  plus 
tirer  son  épée  du  fourreau.  Si  l'engagement  fut  pris,  il  fut 
rempli.  Retenu  prisonnier  à  Vienne,  puis  à  Carlstadt,  en 
Croatie,  Fouqué  ne  rentra  en  Prusse  qu'à  la  paix  ;  il  fut 
très  bien  traité  parle  Roi,  mais  no  voulut  pas  reprendre 
du  service;  il  mourut  à  l'Age  de  77  ans,  en  1774. 

Dans  la  direction  de  la  bataille  et  des  opérations 
qui  l'avaient  inunédiatement  précédée,  Laudon  montra 
du  coup  d'oeil,  de  l'activité  et  de  la  décision;  il  sut  tirer 
parti  de  sa  supériorité  en  hommes  et  en  canons.  Il  fut, 
d'ailleurs,  bien  secondé  par  ses  officiers  supérieiu's,  parmi 
lesquels  Rouvroy,  le  commandant  de  l'artillerie,  a  droit 
î\  une  mention  spéciale.  La  gloire  de  la  journée  fut 
ternie  par  les  scènes  de  pillage  et  de  meurtre  dont  la 
malheureuse  ville  de  Landshut  fut  le  théâtre.  D'après  les 

(1)  Relalion  delà  vicloiie  de  Laudon.  Kaunilz  à  Slailiemberg,  2G  mai  1700. 
Annexe.  Archives  de  Vienne. 


LK  SUCCÈS  DK  LAUDON  NA  PAS  DE  SJITES. 


Ib 


ircils  locaux,  12  hahitunls  furent  tués,  43  sérieusement 
l)lessés  el  environ  300  fort  nuiltraités;  le  dommage  rem- 
boursé plus  tard  par  le  Uoi,  aurait  dépassé  035.000  tlia- 
1ers.  Ces  excès,  d'autant  plus  impolitirpics  (pi'ils  s'exer- 
çaient sur  d'anciens  sujets  autrichiens  dont  le  recouvrement 
était  l'objet  de  la  guerre,  ne  purent  être  empécliés  par 
I.audou,  <jui  les  flétrit  dans  un  vigoureux  ordre  du  jour 
adiessé  aux  troupes. 

\ai  destruction  du  corps  d'armée  au(|uel  avait  été  con- 
fiée la  défense  de  la  Silésie  aurait  dû  avoir  pour  consé- 
rpience  logique  de  livrer  la  province  aux  Autrichiens.  Il 
n'en  fut  rien,  et  cependant  abstraction  faite  des  blessés 
et  malades,  des  troupes  afTectées  au  blocus  de  Glatz,  à 
l'escorte  des  i)risoriuiors  et  à  la  sûreté  des  communica- 
tions, Laudon  et  IJeck  pouvaient  mettre  en  ligue  prés 
de  VO.OOO  hommes  auxcpiels  les  Prussiens  n'avaient  à  op- 
poser que  les  faibles  garnisons  des  places  fortes,  les 
1.500  fuyards  du  champ  de  bataille  et  les  3.000  hommes 
de  Zieten.  Ce  dernier  ne  tenait  plus  la  cam[)agnc,  car, 
aussitôt  informé  du  désastre  de  Landshut,  il  abandonna 
la  position  du  Zeiskenbcrg  où  son  chef  l'avait  placé, 
renforça,  en  passant,  Schweidnitz  de  deux  bataillons, 
et  avec  les  deux  autres,  se  replia  sur  Breslau.  D'autre 
part,  ni  le  Roi  ni  le  prince  Henri  n'étaient  en  mesure 
d'accourir.  A  la  date  du  20  juin,  c'est-à-dire  au  mo- 
ment où  Laudon,  après  avoir  réparé  le  désordre  du 
condjat,  eût  été  à  même  de  reprendre  les  opérations, 
Frédéric,  aux  prises  avec  l'armée  supérieure  de  Daun, 
avait  son  quartier  général  à  Gross-Dobi'itz,  sur  l'Elbe, 
entre  Dresde  et  Meissen,  à  di\  ou  douze  marches  du 
centre  de  la  Silésie;  le  prince  Henri  était  encore  plus  éloi- 
gné; posté  avec  le  gros  de  ses  troupes  à  Landsberg,  sur 
laWartha,  il  surveillait  les  Russes,  incertain  s'ils  marche- 
raient sur  la  Poméranie  ou  sur  la  Silésie.  Pourquoi  Laudon 
ne  profita-t-il  pas  de  l'occasion  (|ue  lui  offrait  la  fortune, 


r 


j 


I  II 


te 


I,A  GUKRRK  UK  SKi'T  ANS.  —  rilAP.   I. 


pour  tenter,  dès  le  mais  de  juin,  siirJilogau  ou  sur  Bres- 
lau,  l'entreprise  (ju'il  essaya  six  semaines  plus  tard?  I.a 
possession  d'une  do  ces  forteresses  avait  beaucoup  plus 
d'imporlancc:  que  eellede(ilatz,  ou  même  de  Scliweidnitz, 
car  elle  assurerait  la  jonclion  avec  les  Russes,  point  ca- 
pital d'upicl  dépendaient  tous  les  projets  de  la  campagne. 
Persoiniellement,  Laudon  ne  croyait  gu^re  au  succès 
de  la  combinaison;  il  avait  écrit  (1)  à  Kauuitz  au  début 
du  mois  ([u'il  n'avait  aucune  confiance  dans  la  coopé- 
ration de  l'allié;  il  était  d'avis  ((u'il  falkit  diriger 
les  mouvements  des  armées  autrichien:"es  comme 
si  elles  devaient  agir  isolément,  et  sans  se  préoccuper 
des  Russes  qui  serviraient  à  détourner  l'attention  de 
l'ennemi,  mais  qui,  en  réalité,  ne  seraient  pas  dange-^ 
reuv  pour  lui.  Telle  n'était  pas  la  pensée  de  la  cour  de 
Vienne  qui  aurait  voulu  attendre  l'arrivée  des  Russes 
pour  entamer  les  hostilités;  Marie-Thérèse  elhî-méme 
s'inquiétait  de  l'ollensive  prise  par  sou  général  et  n'hé- 
sitait pas  à  faire  part  de  ses  craintes  (2)  au  Fran(;ais 
Montazct.  Le  cabinet  de  l'Impératrice  avait  rec^'u,  par 
l'entremise  de  son  audjassadeur  Esterhazy,  le  plan  d'opé- 
rations concerté  avec  la  cour  de  Pétersbourg,  mais  il  ne 
se  faisait  aucune  illusion  sur  les  difficultés  de  l'e.vécution  ; 
depuis  l'assentiment  donné  à  l'attribution  de  la  Prusse 
royale  à  la  puissance  du  Nord,  il  était  évident  (jue  celle- 
ci  se  désintéressait  de  plus  en  plus  des  aspirations 
autrichiennes  et  entendait  s'imposer,  »iour  les  faire 
aboutir,  le  minimum  possible  de  s'X'ilices.  «  C'est  un 
grand  malheur  pour  moi  et  pour  ma  maison,  écrivait 
Marie-Thérèse  à  Daun(3),  ainsi  que  pour  la  cause  com- 
mune que  la  dite  cour  ne  soit  pas  animée  de  meilleurs 
sentiments  et  n'y  mette  pas  plus  d'entrain.  Mais...  comme 

(1)  Laudon  à  Kaunitz,  8  juin  1760.  Lellrc  citi'e  par  Janko. 

(2)  Monlazel  à  Clioiseul,  Vienne,  21  juin  1760.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Rescrit  de  l'Impératrice  à  Daun,  13  juin  1760.  Archives  de  Vienne.    ; 


rOOPtiUATlON  AVKC  LES  HUSSES. 


IT 


mes  propres  forceps  ne  suflisent  pus  pour  m'nssurcr  la 
supériorité  sur  uion  ennemi  et  pour  terminer  la  guerre 
promptement  ri  heureusement,  je  ne  vous  cacherai  piis 
les  princii)es  (pii  doivent  diriger  notre  conduite  dans  les 
circonstances  «'nd)roui!lces  et  très  ('•pirjeus(\s  où  je  me 
trouve.  i>  Suit  un  exposé  en  cinq  points  des  procédés  à 
employer  pour  arriver  i\  l'entente ,  aussi  bien  avec  le  gou- 
vernement c|u'avec  le  général  russe,  S(^  terminant  par  cette 
conclusion  Tort  sage  :  «  De  la  nécessité  il  faut  l'aire  une 
vertu  et  cherchera  tirer  des  opérations  des  Russes  le  plus 
d'avantage  possible,  o  Ku  définitive,  sans  s'arrêter  aux 
détails,  on  s'cllorccrait  d'ellectuer  la  jonctifm  sui*  l'Oder 
et  d'obtenir  tout  au  moins  la  coopération  d'un  corps 
de  20.000  hommes,  de  manière  à  livrer  bataille  aux 
l'russiens  sur  la  rive  gauche  dn  fleuve.  Tant  pour  assurer 
l'accord  entre  les  deux  armées  que  pour  renseigner  la 
cour  de  Vienne  et  son  ambassadeur  à  l'étersbourg  sur  les 
agissements  des  alliés,  un  général  serait  accrédité  auprès 
du  iMaréchal  Soltikofi";  j)our  cette  tj\che  délicate,  en 
remplacement  du  général  Fine,  le  cabinet  avait  désigné 
le  général  IMunkett.  Quant  à  l'action  immédiate,  Daun 
était  invité  h  envoyer  une  partie  de  son  armée  vers  la 
Silésie  ou  à  retenir  le  roi  de  Prusse  en  Saxe,  en  inter- 
ceptant ou  en  inquiétant  ses  communications  avec  la  Si- 
lésie. Le  mémo  rescrit  informa  le  feld-maréchal  que 
Laudon  avait  demandé  s'il  devait  entreprendre  le  siège 
de  Glatz  ou  faire  une  incursion  dans  la  plaine  de  Silésie  ; 
ou  lui  avait  répondu  en  lui  laissant  toute  liberté  à  cet 
égard,  cependant  on  avait  suggéré  (jue  les  bataillons  de 
garnison  devant  suffire  pour  le  siège,  il  pourrait,  avec  son 
corps  d'armée,  s'avancer  dans  l'intérieur  de  la  province. 
Les  choses  en  étaient  là  quand  la  nouvelle  de  la  vic- 
toire de  Landshut  parvint  le  24  juin  (1)  à  Daun,  qui  était 


1 


fl)  MarainvLlle  à  Choiseul,  Dresde,  24  juin  17C0.  Affaires  Étrangères. 
oueiire:  de  sept  ans.  —  t.  iv.  2 


9BI 


I, 


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LA  GUEllRE  DE  SEPT  ANS.   -  CHAP.  I. 


encore  à  Dresde.  Deux  jours  après,  le  général  en  chef 
entrant  dans  les  vues  de  la  cour,  détacha  sur  Lauban  et 
Lowenberg,  c'est-à-dire  vers  la  Silésie,  une  division  de 
6.000  hommes  sous  les  ordres  de  Stampa;  il  invita  en 
môme  temps  Laudon  à  se  poster  à  Liegnitz,  de  manière 
à  barrer  la  route  au  Roi  pour  le  cas  où  il  voudrait  se  porter 
au  secours  de  sa  province.  Le  2  juillet,  Daun.  convaincu 
que  cette  hypothèse  allait  se  réaliser,  et  désireux  de  de- 
vancer son  adversaire,  leva  son  camp  sous  les  murs  de 
Dresde  et  prit  également  le  chemin  de  la  Silésie.  Malgré 
le  retour  de  Frédéric  sur  la  capitale  de  la  Saxe,  le  feld- 
maréchal  persévéra  dans  son  mouvement;  il  était,  le  10, 
à  Marienburg,  sur  la  Queiss,  et  y  resta  jusqu'au  15  juil- 
let (1),  date  à  laquelle  les  avis  alarmants  de  Dresde  le 
décidèrent  à  revenir  sur  ses  pas.  L'envoi  de  Laudon  à  Lie- 
gnitz a  .ait  été  le  résultat  d'une  conférence  (2)  teiuie  à  Vienne 
dans  laquelle  on  avait  ajourné  les  sièges  de  (ilatz  et  de 
Breslau,  le  premier  parce  qu'il  retiendrait  l'année  trop 
loin  des  Russes,  le  second  parce  qu'on  le  considérait 
comme  dangereux  avant  l'arrivée  des  alliés.  Ces  fausses 
manœuvres  firent  perdre  aux  Autrichiens,  avec  trois  se- 
maines de  temps,  presque  tout  le  fruit  qu'ils  auraient 
dû  tirer  de  leur  succès  du  23  juin. 

Revenons  maintenant  à  Laudon,  que  nous  avons  laissé 
à  Landshut.  Conformément  à  l'ordre  de  Daun,  il  quitta, 
le  'i-  juillet,  cette  ville  où  il  avait  prolongé  son  séjour 
sans  doute  dans  l'attente  des  instructions  de  Vienne.  La 
marche  sur  Liegnitz,  coupée  par  des  arrêts,  prit  5  jours 
et,  le  9  juillet,  Laudon  cantonna  ses  troupes  autour  de 
Hochkirch  (3),  sur  la  rive  droite  de  la  Katzbach.  Peu  de 
temps  après,  il  eut  avec  Daan  une  entrevue,  à  la  suite 
de  laquelle  le  feld-maréchal  retourna  à   tire  d'aile  sur 


(1)  Moi-lazet  à  Choiseul,  Oltendorf,  14  juillet  1760.  Affaires  Étiaiigères 

(2)  Comte  de  Ciioiseul  à  Bellcisie,  7  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  village  en  anionl  de  Liegnitz. 


SIEGE  DE  GLATZ. 


ftt 


Dresde,  emmenant  avec  lui  presque  toute  la  division 
Stampa,  qu'il  avait,  quelques  jours  auparavant,  mise 
à  la  disposition  de  Laudon,  et  laissant  ce  dernier  ren- 
trer à  son  quartier  général  d'EichhoUz  (1),  où  le  gros  de 
l'armf'^e  de  Silcsie  demeura  jusqu'au  2  août.  Il  est  diffi- 
cile de  saisir  la  raison  de  cette  inaction  si  longue  dans  les 
environs  de  Liegoitz;  le  Roi  était  de  retour  en  Saxe,  le 
prince  Henri  était  toujours  loin,  il  ne  pouvait  être  ques- 
tion encore  des  Russe ..  Il  est  vrai  que  Laudon  détacha 
d'Eichholtz  10  bataillons  pour  assister  le  général  Drasko- 
wich,  qui  commandait  les  troupes  chargées  du  siège  de 
Glatz,  lesquelles  se  composaient  de  21  bataillons  de  ligne, 
de  7  bataillons  de  Croates  et  de  cavalerie.  Quoique  la 
grosse  artillerie  ne  fut  pas  au  complet,  les  tranchées 
furent  ouvertes  dans  la  nuit  du  20  au  21  juillet;  le  23, 
arrivèrent  le  reste  du  parc  et  le  général  Ilarsch,  auquel 
la  cour  de  Vienne  avait  confié,  on  ne  sait  pourquoi,  la 
direction  des  opérations. 

Glatz  était  une  des  meilleures  forteresses  de  la  Silé- 
sie.  La  vieille  ville,  bâtie  sur  la  rive  gauche  de  la  Neisse, 
s'était  peu  à  peu  agrandie  de  faubourgs  qui  bordaient  la 
rivière  ou  qui  s'étageaicnt  sur  les  flancs  des  collines  ad- 
jacentes, mais  l'ancien  quartier  avait  conservé  ses  murs 
et  ses  tours,  et  se  détachait  des  bâtisses  plus  moder- 
nes qui  lui  faisaient  ceinture.  Les  portes,  assez  rares,  qui 
s'ouvraient  siir  les  faubourgs  ou  sur  la  campagne,  étaient 
protégées  par  des  cavaliers;  un  fossé,  alimenté  par  un 
petit  affluent  de  la  Neisse,  baignait  les  murs  et  les  séparait 
d'im  chemin  couvert  qui  faisait  le  tour  de  la  majeure 
partie  do  l'enceinte.  Au  nord  de  la  vieille  ville,  était 
la  citadelle  édifiée  sur  une  hauteur  qui  se  terminait  du 
côté  (le  la  rivière  par  une  falaise  escarpée  ;  le  front  nord 
de  cette  fortification  était  tracé  à  la  Vaubau,  avec  bas- 


iO  A  faible  distance  de  llociikiicli  et  de  Licgiiitz. 


20. 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


tions.  fossés  secs,  ravclins,  etc.  ;  les  ouvrages  du  front 
ouest,  quoique  moins  complets,  notaient  pas,  grâce  au 
terrain,  d'un  abord  facile.  Au  système  de  la  défense, 
depuis  la  conquête  prussienne  des  additions  importantes 
avaient  été  faites;  les  ingénieurs  royaux  avaient  construit, 
en  face  de  la  citadelle,  sur  le  Schoferberg,  de  l'autre  côté  de 
l'étroit  défilé  de  laNeisse,  un  fort  en  forme  d'étoile  auquel 
on  avait  donné  lappeilation  de  «  nouvelle  forteresse  »  et, 
sur  l'éperon  qui  prolonge  l'emplacement  de  la  citadelle, 
ils  avaient  élevé  la  redoute  de  Kranich,  reliée  au  front 
du  nord  par  un  chemin  creusé  dans  le  roc,  d'une  lou- 
gueur  de  près  de  300  mètres.  En  1760,  les  fortifications 
étaient  en  bon  état  d'entretien,  et,  au  dire  de  Gribeau- 
val  (1),  directeur  de  l'attaque,  susceptibles  d'une  résis- 
tance de  5  à  (i  semaines.  liCS  points  faibles  de  la  défense 
étaient  le  mauvais  esprit  des  soldats  et  l'insuifisance  du 
commandant.  Composée  de  5  bataillons  réguliers,  de 
300  isolés  ou  conscrits,  et  d'une  poignée  d'artilleurs, 
mineurs  et  cavaliers,  la  garnison  était  forte  de  2.400 
hommes  environ  maïs  laissait  bca'.rcoup  à  désirer  en  qua- 
lité; les  soldats  provenaient,  en  grande  partie,  du  recrute- 
ment forcé  dans  les  provinces  conquises  ou  de  l'élément  des 
prisonniers  de  guerre.  Quant  au  gouverneur,  d'O,  Pié- 
montais  d'origine,  dans  l'armée  prussienne  depuis  1727, 
invalidé  pour  blessures,  il  avait  été  nommé  major  de 
place,  puis  vice-commandant  à  Glatz;  promu  lieutenant- 
colonel  sir  la  recommandation  de  Fouqué,  il  avait  reçu 
les  félicitations  du  Roi  pour  l'intelligence  «pportée  à  son 
service  de  renseignements.  Mal  marié  à  une  femme  qui 
entretenai  une  correspondance  avec  les  généraux  autri- 
chiens, d'O  parait,  en  ce  qui  le  concerne,  avoir  été  innocent 
du  crime  de  trahison  qui  lui  fut  imputé;  par  contre,  soit 


(1)  Gribeanval  à  Laudon,  Korelau,  3  juillet  1760.  Lettre  ciliée  par  Wachler, 
Aclen  des  KriegxgeridUs  von  /7G.5,  Brcslaj,  1897. 


PRISK  DE  OLATZ. 


'21 


paresse,  soit  maladie  —  il  était  hydropique  au  dernier  degré 
—  il  ne  sut  pas  inuprimer  à  ses  subordonnés  l'activité,  l'é- 
nergie, le  courage  indispensables  pour  une  issue  heureuse. 
Laudon,  ([uoiqu'il  ne  fût  pas  responsable  du  siège, 
voulut  voir,  par  lui-même,  ce  qui  se  passait  devant  Glatz; 
il  arriva  le  25  juillet  et,  le  lendemain  de  bonne  heure, 
alla  visiter  (1)  les  tranchées  avec  le  général  iJraskowich. 
Les  batteries  des  Autrichiens  avaic.it  ouvert  le  matin 
même  contre  les  bastions  de  là  ville  et  contre  le  Iront 
ouest  de  l'ancienne  forteresse.  Le  colonel  Rouvroy,  qui 
commandait  l'artillerie,  cherchait  à  faire  brèche  dans  le 
bastion  Schellenbauer,  le  plus  voisin  de  la  ville,  et  dans 
la  courtine  qui  lui  fait  suite,  au  nord.  Le  tir  fut  des  plus 
efficaces  :  un  magasin  à  poudre  souta  dans  le  Schellen- 
bauer; les  communications,  balayées  par  l'explosion  des 
bombes  de  l'assiégeant,  devinrent  intenables;  presque 
partout,  les  canons  prussiens  furent  réduits  au  silence; 
seul,  le  ravelin  du  Feldthor  continuait  le  feu.  Laudon 
s'apercevant  du  trouble  de  l'assiégé,  lança  300  volontaires 
à  l'assaut  de  la  redoute  de  Kranich.  Ils  y  pénétrèrent  vers 
8  heures,  malgré  une  vive  résistance  des  quelques  pelotons 
prussiens  qui  y  étaient  postés.  Il  y  eut  des  retours  offen- 
sifs, mais  finalement  les  bataillons  autrichiens  envoyés 
succesbivement  des  tranchées  eurent  le  dessus;  ils  sui- 
virent le  chemin  couvert  qui  relie  la  redoute  à  l'ancienne 
forteresse,  longèrent  les  bastions  du  nord,  se  glissèrent  jus- 
<|u'à  la  porte  du  Feldthor,  et  pénétrèrent  dans  l'intérieur 
des  ouvrages.  «  Alors  la  déroute  devint  générale,  relate  (2i 
l'attaché  français  Montrozard,  l'ennemi  a  abandonné  che- 
min couvert,  enveloppe,  demi-lunes,  caps  de  place  et 
retranchement  derrière,  et  la  désertion  a  commencé  par 


(1)  Le  it'cit  de  la  surprise  de  Glatz  est  emprunté  à  Wachter.  Acteii   r^'.s 
h'riegsgenc/ils  von  17G.1.  Janko,  Cogniazzo,  etc. 

(2)  Montrozard   à   Helleisie,    Glalz.   20  juillet    au  soir.    Archives    de   la 
Guerre. 


I! 


V^- 


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LA  OLEWUE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


troupes.  Les  Impériaux  ont  gagné  les  communications, 
et  nous  sommes  entrés  pêle-mêle  avec  les  fuyards  dans  la 
place.  ') 

Entre  temps,  d'O,  qui  se  tenait  dans  la  ville,  aussitôt 
prévenu  du  désarroi  qui  régnait  dans  la  forteresse  et  de 
la  désertion  ([ui.  faisait  des  progrès  alarmants,  y  expé- 
dia, pour  rétablir  les  affaires,  deux  compagnies  du  régi- 
ment de  Quadt;  ce  renfort  était  tout  à  fait  insuffisant. 
Force  fut  au  gouverneur  de  l'appuyer  de  toute  sa  réserve; 
mais  à  peine  eut-il  débouché  du  Dom  Tlior,  qu'il  rencontra 
une  foule  de  fuyards  qui  criaient  que  l'ennemi  était  maitre 
du  chcmiu  couvert  et  de  l'enceinte  extérieure;  il  voulut  se 
rendre  au  réduit,  mais  ses  jambes  enflées  ne  lui  permirent 
pas  de  suivre  ses  troupes  qui  avaient  pris  les  devants, 
et  il  finit  par  tomber  entre  les  mains  des  Autrichiens,  avec 
le  colonel  du  génie  de  Wrede,  un  vétéran  de  40  ans  de 
service  et  quelques  soldats.  Le  commandant  de  la  réserve, 
le  major  V.  Unruh,  après  un  effort  énergique  contre  les 
assaillants,  eut  le  môme  sort;  enfin,  le  colonel  de  (juadt 
fit  battre  la  ch;\made  et  déposer  les  armes  à  ce  qui  restait 
de  la  garnison.  Pendant  ces  incidents,  les  Autrichiens 
avaient  profité  de  la  confusion  pour  se  faufiler  dans  la  ville 
qu'ils  occupèrent  sans  difficulté  :  enfin,  vers  11  heures, 
le  nouveau  fort,  dont  les  ouvrages  tournés  vers  la  cam- 
pagne n'étaient  pas  protégés  du  côté  de  la  Neisse.  ou- 
vrit ses  portes  à  l'assiégeant.  C'est  ainsi  que  la  place 
renommée  de  Glatz  fut  enlevée  sans  assaut  régulier  et 
en  quelques  heures  grâce  à  un  coup  de  main  de  Lau- 
don.  L'assertion  de  Frédéric  (1),  que  les  Autrichiens  s'en 
étaient  emparés  «  sans  savoir  comment  »,  ne  s'éloigne 
guère  de  la  vérité. 

Ce  fait  d'armes,  qui  ne  coûta  au  vainqueur  que  214  offi- 
ciers et  soldats,  lui  valut  plus  de  2.500  prisonniers,  <les 

(1)  Guerre  de  Sept  ans,  vol.  Il,  page  5i.        "  .     •     -* 


10»  nm»^f^émt0l^ 


LAUDON  ATTAQUE  BRESLAU. 


28 


drapeaux,  203  canons  et  mortiers,  des  munitions  en 
quantité  considérable  et  de  gros  approvisionnements.  Il 
fait  honneur  à  l'initiative  et  au  coup  d'œil  de  Laudon  qui, 
présent  dans  la  tranchée,  prit  la  direction  ;  non  sans  rai- 
son, la  nouvelle  gloire  qu'il  y  acquit  rehaussa  le  prestige 
et  la  faveur  dont  il  jouissait  à  la  cour.  Kaunitz  reçut  de 
son  ami  et  protégé  le  premier  avis  de  la  prise  de  Glatz; 
il  expédia  aussitôt  le  billet  à  l'Impératrice  en  la  suppliant 
de  le  renvoyer  à  sa  commodité,  «  pour  que  j'aie  le  plai- 
sir de  le  relire  ».  A  cette  prière,  il  ajouta  ces  mots  :  «  Dieu 
lui  conserve  son  Josué  !  »  Marie-Thérèse  répondit  :  «  C'est 
le  plus  grand  souhait  que  vous  pouvez  me  faire.  Je  vous 
suis  obligée  que  vous  mayez  fait  partager  si  vite  votre 
joie.  »  Quant  au  vaincu,  le  gouverneur  d'O,  que  ses  infir- 
mités auraient  dû  faire  mettre  à  la  retraite,  si  l'accusation 
de  trahison  dont  il  fut  l'objet  ne  paraît  pas  fondée,  sa  né- 
gligence et  son  indécision  contribuèrent  beaucoup  au  succès 
de  la  surprise.  Après  la  conclusion  de  la  paix,  il  passa  en 
conseil  de  guerre,  fut  condamné  à  mort,  mais  vit  sa  peine 
commuée  parle  Roi;  il  mourut  en  Italie  où  il  s'était  retiré. 
Doux  jours  après  la  conquête  de  Glrlz,  Laudon  fit  mar- 
cher sur  Breslaula  moitié  du  corps  d'investissement,  sous  h 
général  Draskovich  ;  de  sa  personne,  il  regagna  son  camp 
d'Eichholtz  et  avec  les  troupes  qui  y  étaient  restées,  so 
dirigea  sur  la  capitale  de  la  Silésie.  Durant  le  mois  de 
juillet,  un  échange  de  lettres  avait  eu  lieu  avec  le  quar- 
tier général  russe;  le  maréchal  SoltikofF,  aux  félicitations 
sur  la  victoire  de  Landshut,  avait  joint  la  nouvelle  de  sa 
présence  à  Posen  et  de  son  intention  d'entrer  en  Silésie. 
Quelques  jours  plus  tard,  il  annonçait  pour  le  G  août  son 
arrivée  probable  scus  les  murs  de  Drcslau.  Laudon,  quand 
il  reçut  cette  dépêche,  avait  déjà  pris  les  devants;  confor- 
mément à  l'invitation  de  l'empereur,  peu  soucieux  de  voir 
les  Russes  installés  dans  la  capitale  de  la  Silésie,  il  s'était 
décidé  à  en  brusquer  l'attaque  sans  les  attendre.  La  gar- 


si 


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II 


24 


I.A  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


iiison  prussienne,  forte  de  6.000  hommes,  en  partie  con- 
valescents, était  insuflisante  pour  garnir  des  fortifications 
étendues;  en  outre,  elle  avait  à  surveiller  un  nombre  égal 
de  prisonniers  autrichiens  renfermés  dans  les  murs.  Ne  se- 
rait-il pas  possible  d'arracher  au  commandant  une  capi- 
tulation qui  éviterait  à  la  population  civile  les  horreurs  d'un 
bombardement,  et  la  perspective  non  moins  redoutable 
dune  occupation  russe?  Le  colonel  Kouvroy,  chargé  d'une 
mission  à  cet  clfet,  ne  put  rien  obtenir  du  général  Tauent- 
zien,  vétéran  à  caractère  énergique.  En  vain,  dans  une  se- 
conde tentative,  l'envoyé  de  Laudon  essaya-t-il  les  me- 
naces, traita-t-il  Breslau  de  ville  ouverte,  dont  la  résistance 
injustifiable  lui  attirerait  tous  les  malheurs  qui  accom- 
pagnent la  défaite;  le  brave  Prussien  répondit  que  son 
r.ialtre  lui  avait  confié  la  garde  d'une  place  forte  et  qu'il 
remplirait  son  devoir  en  la  défendant  jusqu'au  bout. 

Laudon,  dont  les  pièces  de  siège  étaient  encore  loin, 
commença  le  bombardement  avec  son  artillerie  de  cam- 
pagne; bientôt  le  palais  du  Roi,  des  casernes,  des  cou- 
vents et  le  quartier  de  Neumarkt  furent  en  flammes; 
mais,  faute  de  munitions,  il  fallut  suspendre  le  feu  des 
batteries.  Le  lendemain,  nouvelle  démarche  auprès  de 
Tauentzien  ;  on  lui  donnait  le  choix  entre  un  arrangement 
dont  il  rédigerait  lui-même  les  articles  et  le  risque  d'un 
assaut  sans  conditions  ni  merci.  Le  gouverneur  demeura 
ferme.  Quoi  qu'en  dit  l'émissaire  autrichien,  l'escalade 
d'une  ville  munie  d'une  enceinte  régulière  avec  ouvrages 
extérieurs  et  fossés  pleins  d'eau  n'était  guère  praticable  ; 
pour  s'emparer  de  Breslau,  il  faudrait  avoir  recours  à  un 
siège  méthodique,  pour  lequel  le  temps  nécessaire  faisait 
défaut.  Les  Russes,  malgré  leurs  promesses  et  les  mes- 
sages répétés  de  Laudon,  s'étaient  laissé  devancer  par  le 
prince  Henri.  Ce  dernier  accourait  à  marches  forcées  au 
secours  de  Breslau  qu'il  atteignit  dans  la  matinée  du 
C  août.  Laudon  n'avait  pas  attendu  son  entrée  en  scène  ; 


LE  PRINCE  HENRI  MARCHE  AU  SECOURS  DE  BRESLAU. 


25 


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dès  le  4,  il  avait  levé  le  blocus  et  s'était  retiré  successive- 
ment à  Woikowitz  et  àKoischwitz,  sur  la  Katzbach,  où  il 
lit  sa  jonction  avec  Daun  venu  de  Saxe.  Il  n'avait  pas 
voulu,  écfivait-il  à  Kaunitz  d),  conserver  une  position  où 
l'ennemi  aurait  pu  le  resserrer  entre  l'Oder  et  la  Lobe  et 
le  forcer  à  livrer  une  bataille  qui,  en  cas  d'insuccès,  au- 
rait pu  tourner  en  désastre. 

Il  est  presque  superflu  de  le  dire,  les  généraux  russe  et 
autrichien  se  rejetèrent  la  responsabilité  de  la  non-réussite 
de  leurs  combinaisons.  Comme  d'usage,  la  marche  des 
Musses,  commencée  tardivement,  avait  été  1res  lente; 
entre  eux  et  le  prince  Henri  il  n'y  eut  que  des  ren- 
contres insignifiantes.  Le  prince  avait  pensé  d'abord 
profiter  de  la  division  en  colonnes  de  l'armée  moscovite 
pendant  le  parcours  de  la  Vistuleà  Posen,  pour  tomber  sur 
l'une  d'elles;  puis  il  avait  conçu  l'idée  d'intercepter  le 
général  Tottleben,  qui  rentrait  <run  raid  en  Poméranie. 
Dans  ce  but,  il  s'était  avancé,  le  19  juin,  avec  la  moitié  de 
ses  forces  jusqu'à  Landsberg  au  delà  de  l'Oder.  Les 
mauvaises  nouvelles  de  Silésie  et  la  concentration  des 
Russes  à  Posen  tirent  renoncer  à  une  opération  qui  serait 
devenue  trop  excentrique.  Le  16  juillet,  l'armée  du  prince 
Henri  quitta  Landsberg  et  Zielentzig,  pour  se  poster  à 
(ileiszen  et  Closter  Paradies.  A  Gleiszen,  le  26  juillet,  on 
apprit  que  les  Russes  s'apprêtaient  à  envahir  la  Silésie 
et  formaient  des  magasins  à  Kalisch.  Il  n'y  avait  pas  un 
moment  à  perdre  si  on  voulait  empêcher  leur  union 
avec  Laudon,  aussi  le  départ  eut-il  lieu  le  27,  et  toutes 
les  divisions  réunies,  continuant  leur  route,  s'établirent 
le  31  à  Leudcn,  derrière  l'Obra.  Quelque  avantageuse 
que  filt  cette  position,  le  prince,  mal  renseigné  sur 
les  desseins  des  Russes,  qui  se  couvraient  d'un  rideau 
de  cavalerie  légère,  ne  crut  pas  prudent  d'y  demeurer 

(\}  Laudon  à  Kaunitz,  KoischwHz,  6  août  17G0.  Lettre  citée  par  Janl»o. 


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L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


et  se  porta  sur  tilogau  où  il  traversa  l'Oder;  pendant 
le  passage,  il  fut  rejoint  par  le  major  Ovvstien,  qui  ra- 
menait de  Breslau  les  débris  de  la  cavalerie  du  corps  de 
Fouqué  et  qui  l'informa  du  danger  que  courait  la  ville. 
Henri  précipita  sa  marche;  il  ne  se  heurta  à  aucune 
opposition  :  les  retranchements  de  Parchwitz,  qui  avaient 
été  élevés  en  vue  de  l'arrêter,  furent  trouvés  évacués; 
le  détachement  du  corps  de  Laudon,  chargé  de  les  dé- 
fendre, avait,  sn  se  retirant,  mis  le  feu  aux  ponts  de 
la  Katzbach,  mais  on  éteignit  l'incendie  et  une  partie 
des  troupes  put  bivouaquer  sur  la  rive  gauche  de  la  ri- 
vière. Le  5  août,  les  Prussiens  étaient  à  Ncumarkt  et 
le  lendemain  à  Lissa;  le  6  au  soir,  leur  armée  était 
distribuée  autour  de  Breslau  de  manière  à  tenir  tête 
aux  Russes  dont  l'avant-garde  venait  de  se  présenter  de- 
vant les  faubourgs.  Il  y  eut  une  escarmouche  à  la  suite 
de  laquelle  chacun  conserva  son  bord  de  la  rivière.  Le 
9  août,  Soltikoff  re(,'ut  de  Czerniichew,  qu'il  avait  dé- 
taché vers  Auras  en  aval  de  Breslau,  l'avis  que  Laudon 
le  pressait  de  se  joindre  à  lui  et  de  jeter  à  cet  effet  un 
pont  sur  l'Oder  à  Leubus.  Le  maréchal  se  mit  en  route 
pour  rallier  son  lieutenant,  mais  ses  bonnes  dispositions 
s'évanouirent  quand  il  sut  que  le  roi  de  Prusse  était  à 
Bunzlau,  avec  toutes  ses  forces. 

Peu  de  choses  à  dire  sur  les  mouvements  de  l'armée 
moscovite  depuis  le  départ  de  Posen  qui  avait  eu  lieu  le 
26  juillet.  Scltikoff  n'était  pas  partisan  de  la  coopération 
avec  les  Autrichiens  ;  c'était  à  contre-cœur  qu'il  avait  ac- 
cepté un  programme  qui  n'était  pas  le  sien  et  au  succès 
duquel  il  ne  croyait  pas.  Dès  le  mois  de  mai,  alors  que  les 
conciliabules  se  poursuivaient  à  Pétersbourg  entre  la  con- 
férence russe  et  l'ambassadeur  Esterhazy,  il  n'avait  pas  ca- 
ché son  sentiment  intime  (1)  à  Montalembert  :  «  Il  voyait 

(1)  Montalembert  à  Clioiseul,  Pétersbourg,  7   mai  1760.  Arch.  Guerre. 


SOLTIKOFF  KT  LES  ATTACHES  ALLIES. 


27 


avec  peine  que  cette  campagne  ne  serait  pas  plus  décisive 
que  la  précédente  ;  il  prétend  qu'elle  se  passera  à  se  tâter 
de  tous  les  côtés  sans  une  enireprise  de  part  et  d'autre.  » 
Depuis  son  arrivée  à  l'armée  vers  le  milieu  de  juin,  son 
langage  (1  )  n'avait  guère  changé,  et  à  la  veille  de  ([uitter 
Posen,  il  développait  à  Montalembert  les  pronoslics  les 
plus  sombres  sur  les  résultats  des  opérations  :  «  Pour  cotte 
campagne,  m'a-t-il  dit  (2),  quelque  belles  qu'en  soient  les 
apparences,  je  ne  sçay  ce  qui  en  sera,  car  je  ne  sc^aurais 
douter  que  le  Roy  de  Prusse  ne  cherche  bientôt  à  s'unir  à 
son  frère,  ou  dans  le  Brandebourg  ou  dans  la  basse  Silésic 
alin  d'avoir  ensemble  80  à  90  mille  hommes,  alore  M,  le 
Maréchal  Daun  (qui  ne  se  trouve  jamais  trop  fort)  attirera 
à  luy  M.  de  Laudon,  et  comme  il  ne  se  meut  point  aussi 
vite  à  beaucoup  près  que  le  Roy  de  Prusse,  et  que  peut- 
être  il  ne  sera  pas  fâché  de  s'en  tenir  éloigné,  il  le  laissera 
j:asser  pour  venir  en  Silésie  me  tomber  sur  le  corps,  .le 
suis  obligé  d'obéir  auv  ordres  de  ma  souveraine,  m'a-t-il 
ajouté,  mais  je  croirais  abuser  de  sa  confiance  si  je  les 
exécutais  sans  précaution.  Il  ne  serait  pas  juste  que 
nous  supportassions  tout  le  poids  de  cette  guerre.  » 
A  regard  des  Autrichiens,  et  surtout  de  Daun ,  la  méfiance 
du  maréchal  et  de  la  plupart  de  ses  lieutenants  était 
poussée  à  l'extrême  et  se  manifestait  souvent  par  des  pro- 
pos peu  convenables.  «  M.  Plunkett,  lieutenant-général 
qui  vient  d'arriver,  écrit  Montalembert,  et  M.  Fine,  général- 
major,  résident  depuis  deux  ans  à  cette  armée  sont  à  peine 
écoutés  et  plus  on  en  enverrait,  plus  M.  le  Maréchal  crain- 
drait quelque  dessein  caché  de  lui  faire  faire  plus  qu'il  ne 
doit.  »  Plunkett,  qui  ne  parait  avoir  possédé  ni  le  tact  ni  la 
discrétion  de  son  collègue  français,  était  mal  disposé  pour 
Soltikoff  dont  il  trace  (3)  un  crayon  peu  favorable  :  «  Son 


\f 


(1)  Mesnager  à  Belleisle,  IG  juin  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

12)  Montaiemberl  à  Ciioiseul,  Molsina,  26  juillet  1760.  Arch.  Guerre. 

(3)  PlunkfiU  àKaunitz,  Posen,'22  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre,  Vienne. 


as 


LA  r.UKRRK  1)E  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


génie  n'est  en  vcritr  pas  égal  à  un  projet  même  des  plus 
faciles  ;  si  celuy  que  je  luy  ai  présenté  étoit  tant  soit  peu 
compliqué,  je  désespérerois  de  la  réussite.  Jugez  donc, 
Monseigneur,  i\  quelle  lenteur  nous  devons  nous  attendre 
puisque  le  Maréchal  avec  des  talents  aussi  bornés  veut  tout 
faire  luy  môme.  Les  généraux  en  chef  s'en  plaignent,  le 
général  Kermor  avec  beaucoup  de  retenue,  mais  le  général 
Browne  s'en  est  ouvert  avec  moy  sans  feinte,  et  m'en  a 
parlé  dans  les  termes  les  plus  vifs.  11  seroit  à  souhaiter 
que  le  maréchal  voulût  consulter  les  généraux  en  chef  et 
les  chargeât  du  soin  des  arrangements.  J'en  ai  écrit  au 
comte  d'Esterhasy,  mais  en  même  temps,  il  me  paroit  fort 
délicat  de  faire  parvenir  un  ordre  de  la  Cour  de  Péters- 
bourg  là-dessus.  ).  L'armée  russe  produit  sur  Plunkett  une 
excellente  impression;  elle  est  formée  de  73.000  combat- 
tants, belle  et  bien  pourvue  :  «  la  puissance  de  bien  faire 
n'y  manque  assurément  pas  »,  mais  de  l'action  commune, 
il  n'ospère  pas  grand  résultat  :  «  Plus  on  réfléchit  sur  la 
constitution  de  cette  armée,  l'irrésolution  du  chef,  la  c'is- 
tance  affreuse  entre  luy  et  sa  Cour,  dont  cependant  il  at- 
tendra toujours  (du  moins,  je  le  crains)  la  direction,  la 
lenteur  inséparable  de  la  composition  de  l'armée,  une 
artillerie  immense,  pesante  et  mal  attelée,  une  quantité  de 
chariots  prodigieuse,  traînant  le  pain  et  les  vivres  pour  six 
semaines  ;  quand  je  réfléchis  sur  tout  cela,  je  tremble.  Il 
faut  sais  doute  qu(;  les  opérations  de  notre  armée  soient 
relatives  à  celles  de  l'armée  russe ,  mais  je  crains  que  si 
nous  suivons  le  système  de  régler  tout  à  fait  la  manœuvre 
de  notre  armée  sur  celle-cy,  nous  ne  tirerons  pas  les 
avantages  de  cette  campagne  que  son  brillant  début 
nous  promettoit.  » 

Le  2ï  juillet,  un  officier  de  Laudon  était  arrivé  à  Posen; 
il  était  porteur  d'une  lettre  chiffrée  que  ni  Plunkett,  ni 
Fine  ne  purent  lire,  faute  de  clef,  et  d'une  dépêche  pour 
Soltikofl',  proposant  l'envoi  d'un  contingent  russe  en  Si- 


SOLTIKOFF  DKVANT  nilKSLAU. 


•IM 


lésic.  Pliinkctt  prit  sur  lui  1 1  )  de  la  supprimer  ;  jamais  Sol- 
likoir  n'accepterait  une  modification  qui  l'obligerait  à 
diviser  ses  forces.  Il  était,  pour  le  moment,  bien  disposé, 
<<  mais,  ajoute  l'Autrichien,  j'ai  déjà  éprouvé  par  une 
triste  expérience  que  sa  parole  n'est  pas  sacrée  ».  Les  ap- 
préciations de  Pluiikett  furent  bientôt  confirmées.  Le  len- 
demain du  départ  de  Poscn,  ému  par  le  bruit,  d'ailleurs 
inexact,  d'une  démonstration  du  prince  Henri  duc<Hé  de  la 
Vistule,  et  à  propos  du  projet  d'adjoindre  une  division  au 
corps  de  Laudon,  projet  dont  il  avait  été  question  dans  les 
négociations  antérieures,  Soltikolf  déclara,  en  présence  des 
attachés  étrangers,  «  qu'il  ne  pouvait  ni  ne  voulait  faire 
aucun  détachement  ni  séparation  de  son  armée  »  ;  aux 
objections  (ju'on  lui  présenta,  il  répondit  en  se  fflchant  et 
en  tenant  «  des  mauvais  propos  ».  «  J'ai  essuyé  la  bour- 
rasque, écrit  Plunkett  (2),  elle  passa  bientôt,  et  deux  minu- 
tes aprèsnous  étions  comme  auparavant.  Tel  est  le  naturel 
de  ce  seigneur.  H  prend  feu  d'abord,  tant  qu'il  dure,  il 
faut  souffrir;  il  revient  ensuite  et  quoiqu'il  ne  dise  rien,  il 
réfléchit  et  quelquefois  les  effets  sont  bons,  mais  ce  prin- 
cipe de  ne  point  séparer  aucunement  ses  forces  est  forte- 
ment gravé  dans  son  esprit,  et  j'étais  très  charmé  de  ne  lui 
avoir  pas  donné  la  lettre  du  général  baron  de  Laudon  qui 
en  demandait  une,  et  qui  lui  aurait  fourni  un  prétexte 
pour  retarder  sa  marche.  » 

Malgré  ces  discussions  de  mauvais  augure  pour  le 
succès  de  la  cause  commune,  l'armée  russe  avait  continué 
ses  étapes  sur  Breslau.  Le  4  août,  elle  était  parvenue  à 
Kobeliu,  petite  ville  du  territoire  polonais  où  elle  avait 
séjourné  doux  jours  ;  Soltikolf  y  reçut  une  lettre  de  Lau- 
don lui  annonçant  la  course  du  prince  Henri  au  secours 


yf 


(1)  PlunkeU  à  Kaunitz,  Posen,  24  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre, 
vienne. 

i'i)  rlunketlà  Kaunitz,  Moschina,  27  juillet  1700.  Archives  de  la  Guerre, 
Vienne. 


3 


1 


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LA  CLKURK  DK  SKPT  ANS. 


CIIAP.  I. 


i  V,,- 


«Ic  Hicsiau,  et  suppliant  In  général  russe  «l'activer  son 
mouvement  vers  l'Otlei".  Eu  conséquence,  l'armée  gagna 
Militsch  en  Silésie;  elle  y  fut  rejointe  par  un  nouvel 
officier  de  Laudon;  l'Autrichien  informait  ^1)  son  collè- 
gue russe  «  qu'il  n'avait  pu  t«Miir  plus  longtemps  sa  po- 
sition derrière  la  Scliweidnitz  à  Lissa,  qu'il  avait  replié 
le  pont  qu'il  avait  sur  l'Oder,  ainsi  (pie  tous  les  postes 
qu'il  tenait  à  la  rive  droite  de  ce  fleuve  et  <[u'il  était 
forcé  de  se  retirci"  à  Cauth,  pour  n'avoir  pas  à  soutenir 
seul  les  forces  du  prince  Henii;  qu'il  priait  M.  le  maréchal 
('envoyer  M.  de  Czernitchew  avec  son  corps  à  '.cubus 
et  de  se  rendre  avec  son  année  le  plus  t(U  qu'il  serait 
possible  à  Brcslau.  »  Conformément  à  cette  invitation, 
le  gros  des  Russes  atteignit  en  dev.s.  marches  (Iross 
Weigelsdorf  et  lleindsfcld  sur  la  Werda;  le  6  cf  les  jours 
suivants,  il  y  eut  des  engagements  sans  importance  entre 
leur  avant-garde  et  les  avant-postes  du  prince  Henri.  Le 
9  août,  Soltikofl' s'établit  à  Kuntzendorf  près  d' Auras  et 
se  rapprocha  de  Czernitchew  qui  avait  été  détaché  de 
ce  C('>té  quelques  jours  auparavant.  Le  lendemain  arriva 
au  ([uartier  général  un  colonel  expédié  par  Daun  avec  la  nou  • 
velle  que  le  roi  de  Prusse  était  ù  Liegnitz  et  que  la  grande 
armée  autrichienne  lui  faisait  vis-à-vis;  on  priait  les  Russes 
de  construire  des  ponts  sur  l'Oder,  ce  ([ui  fut  exécuté  le 
jour  même.  Jusque-là,  le  général  moscovite,  malgré  une 
lenteur  fâcheuse,  avait  fait  preuve  de  bonne  volonté  et 
cherché  à  coordonner  ses  manœuvres  avec  celles  de  ses 
alliés;  mais  d'après  les  rapports  des  attachés  militaires, 
il  devenait  de  plus  en  plus  évident  qu'il  n'entendait 
courir  aucun  risque  ;  imbu  de  la  conviction  que  la  cour 
de  Vienne  s'efforcerait  de  lui  faire  supporter  comme  l'an- 
née précédente  le  fardeau  de  la  campagne,  il  s'oppose- 
rait résolument  à  toute  combinaison  qui  l'exposerait  au 


(1)  Journal  de  Campagne.  Montalcmbert,  II,  p.  331. 


gUAHTIKItS  DIIIVEII  EN  SAXE. 


31 
rAlc  d'un 


promicr  combnt  et  se  renfermerait  dans  \o 
ainiliaire  très  défiant  de  son  principal. 

Laissons  le  maréchal  Soltikofl"  aux  prises  avec  l'ap- 
prôho  (sion  que  lui  occasioimait  le  voisinage  du  roi  de 
Prusse  et  reportons-nous  aux  év«'>nements  ([u:  avaient  pré- 
cédé et  causé  l'arrivée  de  celui-ci  en  Silésie.  Pour  la  clarté 
du  sujet,  il  nous  a  fallu  épuiser  les  opérations  dans  cette 
province  avant  d'aborder  le  récit  de  la  campagne  de 
Saxe  ;  il  convient  donc  de  faire  un  retour  en  arrière. 

Ainsi  que  nous  l'avons  relaté  plus  haut,  le  roi  do  Prusse 
avait  conserve  ses  cantonnements  jusqu'aux  derniers  jours 
d'avril;  la  tran([uillité  n'avait  été  troublée  que  par  des 
allaires  d'avant-postes  où  les  alliés  avaient  eu  le  dessus; 
ils  avaient  mémo  enlevé  deux  jji-énéraux  prussiens  Zeltritz 
et  Froideville  avec  quelques  centaines  de  prisonniers. 
La  saison  avait  été  dure  pour  les  belligérants,  la  maladie 
avait  sévi  dans  les  deux  camps  et  coûté  la  vie  à  de  nom- 
breux soldats.  Cependant,  quelques  divertissements  rom- 
paient parfois  la  monotonie  des  quartiers  d'hiver.  C'est 
ainsi  que  Marainville,  qui  remplissait  les  fonctions  d'atta- 
ché militaire  en  l'absence  de  Montazet,  raconte  qu'il  est  allé 
avec  ses  musiciens  trouver  Daun  à  son  camp  de  Pirna 
«  dont  le  séjour  est  aussi  triste  qu'il  soit  possible...  Je  me 
suis  mis  à  leur  tête  comme  musicien  moi-même,  jouant  du 
violon.  M.  le  duc  de  Bragancc  qui  est  grand  musicien 
s'est  joint  à  nous  et  y  a  chanté  très  bien.  Le  général  O'Don- 
nel,  le  général  Pellegrini  ont  voulu  aussi  être  de  la  partie 
et  y  ont  joué  de  la  flûte  ». 

Frédéric,  on  le  sait,  avait  également  la  passion  de  la 
musique  et  y  consacrait  une  partie  de  ses  loisirs,  tout  en  ré- 
servant à  la  poésie  et  à  la  lecture  de  ses  autours  favoris 
les  moments  que  ne  lui  prenait  pas  sa  correspondance  mi- 
litaire et  civile.  Pendant  les  mois  passés  à  Freyberg,  souf- 
frant, découragé,  maugréant  contre  la  mauvaise  fortune 
qui  le  poursuivait  depuis  Kunersdorf,  revenant  souvent  sur 


( 


fi 


!  ! 


8»  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I.  , 

les  incidents  de  Maxcn,  le  roi  de  Prusse  ne  sortit  qu'une 
seule  fois  de  ses  appartements  ;  très  rarement  prolongea- 
t-il  la  séance  après  le  repas  de  midi,  comme  il  aimait  à  le 
faire  quand  il  était  en  train  et  d'humeur  égale.  L'emploi 
de  sa  journée  tel  que  le  donne  son  lecteur  Catt  (1)  ne  varie 
guère  :  lever  à  (>  heures,  affaires  militaires  jusqu'à  9,  une 
heure  de  flûte,  travaux  littéraires  de  10  heures  jusqu'à  midi. 
Après  diner,continuationde  ces  travaux  etlecture.  «  Ulisait, 
raconte  Catt,  jusqu'à  5  et  me  faisait  appeler.  J'avais  l'hon- 
neur de  l'entendre  jusqu'à  7,  tantôt  me  parlant  de  belles- 
lettres,  tantôt  de  métaphysique  et  de  religion,  quelque- 
fois me  faisant  des  contes,  m'entretenant  de  ses  affaires, 
de  sa  position  future,  de  celle  de  son  cœur  et  assez  sou- 
vent me  parlant  de  ses  officiers  et  des  gens  de  lettres  qui 
avaient  été  à  son  service.  A  7  heures,  quelquefois  à  8  sui- 
vant qu'il  était  disposé  à  causer,  il  lisait  jusqu'à  10  et  si, 
au  lieu  de  lecture,  il  se  mettait  à  écrire,  il  lui  arrivait 
souvent  de  ne  finir  qu'à  11  ou  minuit.  »  La  mentalité 
du  Roi  se  reflète  dans  la  dernière  pièce  de  vers  qu'il 
composa  avant  la  reprise  des  hostilités  : 

Enfin,  le  triste  hiver  précipite  ses  pas, 
11  fuit,  enveloppé  de  ses  sombres  frimas. 

Vers  la  fin  de  mai,  un  mois  après  l'évacuation  de  Frey- 
berg,  les  Prussiens  étaient  concentrés  autour  de  Meissen  ; 
en  face  d'eux,  l'armée  de  Daun,  la  moitié  sous  ses  ordres 
directs  dans  la  banlieue  de  Dresde,  le  reste  en  deux  divi- 
sions, dont  l'une  à  Dippoldiswalda,  sous  Wcid,  et  l'autre, 
un  peu  plus  nombreuse  sous  Lascy,  sur  la  rive  droite 
de  l'Elbe.  D'après  Marainville  (2),  les  bataillons  pou- 
vaient être  évalués  à  une  moyenne  de  600  hommes  et  les 
escadrons  à  un  eflectif  de  110  à  120  cavaliers.  En  se  ba- 


(1)  Cal'.,  Mémoires,  p.  292. 

(2)  Marainville  au  duc  de  Cholseiil,  Dresde,  27  ruai  1760.  Arcli.  Guerre. 


f-' 


'1 


FRÉDÉRIC    ET   DAUN  EN  MARCHE  SUR  LA  SILÉSIE. 


33 


sant  sur  ces  données,  les  Autrichiens  devaient  compter 
environ  4V.000  baïonnettes  et  2V.000  sabres.  Les  etfec- 
tifs  prussiens,  un  peu  plus  étoffés,  étaient  estimés  par  Mit- 
chell  (1)  à  700  hommes  par  bataillon  et  150  par  escadron. 
L'armée  des  Cercles,  commandée  par  le  duc  de  Deux-Ponts, 
était  en  marche;  sa  première  division  forte  de  16.000  com- 
battants elFectua  sa  jonction  avec  Daun  à  la  date  du  23  juin  ; 
le  général  Lecszinki  était  resté  à  Saalfeld  avec  6 .  000  hommes . 
Depuis  quelques  jours,  les  deux  adversaires  étaient 
en  mouvement  ;  dans  la  nuit  du  14  juin,  le  roi  de  Prusse 
avait  jeté  une  division  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  il  la 
rejoignit  avec  ses  forces  au  complet  à  l'exception  de  Hill- 
sen,  laissé  à  la  garde  de  Meissen:  puis  ii  fit  mine  de  me- 
nacer les  Autrichiens  sous  Dresde.  Tout  se  passa  en  dé- 
monstrations. Lascy,  qui  avait  été  visé  par  la  manœuvre 
prussienne,  se  retira  rapidement  sur  le  camp  de  son  chef 
que  Frédéric  n'osa  pas  attaquer.  «  Je  suppose,  écrit-il  à 
son  frère  (2),  que  Daun  y  ajoutera  (à  l'armée  des  Cercles) 
à  peu  près  10.000  hommes  et  qu'alors,  avec  le  reste  de 
son  armée,  il  voudra  traverser  la  Lusace  pour  entrer  en 
Silésie.  Je  prends  lous  mes  arrangements  pour  l'y  suivre, 
si  cela  est  nécessaire,  et  pour  me  joindre  à  Fouqué.  » 
Le  2V  juin  la  nouvelle  du  désastre  de  Landshut,  que  les 
Autrichiens  venaient  de  fêter  par  des  feux  de  joie,  fut 
communiquée  aux  avant-postes  prussiens  ;  cette  défaite 
dans  laquelle  il  avait  sa  grosse  part  de  responsabilité,  et 
le  malheur  arrivé  à  un  vieil  ami,  émurent  profondément 
le  Koi.  ((  On  voit,  dans  tous  ces  événements,  mande-t-il  au 
prince  Henri  (3),  un  enchaînement  de  fatalités  qui  se  sui- 
vent, et  ropiniâtreté  de  la  fortune  à  me  persécuter.  Il  nie 
prend  des  impatiences  de  me  pendre,  comme  aux  amants 


(1)  Mitchell  à  Holdernesse,  Freyberg,  30  mars  17C0.  MilchvU  Papers. 

(2)  Frédéric  à  Henri,  Radeburg,  20  juin  1700.  Corresp.  Polit.,  XIX,  p.  i3i. 

(3)  Frédéric  à  llouii,  Gross-Dobrilz,  28  juin  1700.   Corresp.  Polit.,  XIX, 
p.  402. 

CUEBHE  DE   SEPT  ,VNS.  —  T.   IV.  8 


JSESB 


^, 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


de  revoir  leurs  maîtresses  absentes;  mais  ii  faut  pousser 
le  cinquième  acte  jusqu'au  dénouement.  Vous  n'avez  rien 
à  appréliender  ni  de  Lasey,  ni  de  Daun;  je  vous  en  tien- 
drai bon  compte.  »  De  son  côté,  Milchell  (1)  note  un  grand 
découragement  :  «  Son  langage  est  abattu  et  empreint 
de  plus  de  dureté  que  d'babitude,  phénomène  double  qui 
produit  une  mauvaise  impression  sur  l'armée.  »  Le  29  juin, 
le  Roi  se  décide  à  marcher  au  secours  de  la  Silésie;  il 
en  informe  (2)  le  ministre  Finckenstein  :  «  Comme  il  ne  faut 
pas  douter  que  Daun  me  suivra  avec  son  armée,  laissant 
celle  de  l'Empire  près  de  Dresde,  je  i  >  rai  de  tout  mon 
possible  de  l'attaquer  chemin  faisant  et  de  l'engager  à  une 
affaire  décisive.  »  En  exécution  de  ce  concept,  les  troupes 
royales,  la  division  HUlsen  toujours  exceptée,  gagnèrent,  le 
2  juillet,  les  environs  de  Konigsbriick  sur  la  route  de 
Lusace.  Le  même  jour,  Daun  qui  avait  détaché  le  général 
Stampa  avec  6.000  hommes  pour  renforcer  Laudon,  s'é- 
branla avec  le  gros,  cédant  à  Deux-Ponts  17  batail- 
lons et  3  régiments  de  cavalerie;  ce  noyau,  réuni  au  con- 
tingent de  l'Empire,  formait  un  total  de  30.000  hommes, 
bien  suffisant,  avec  la  garnison  de  Dresde,  pour  tenir 
tête  à  ce  qui  restait  dt  Prussiens  en  Saxe.  Le  5  juillet,  le 
quartier  général  autrichien  était  à  Bauizen  '  U*  lende- 
main à  Gorlitz.  On  avait  de  l'avance  sur  le  R  .  u  der- 
nier, après  une  tentative  inutile  contre  le  corps  >ie  l  ocy, 
qui  s'était  dérobé  par  un  recul  précipité  vers  RadoDtrg, 
avait  poursuivi  son  mouvement  sur  la  Silésie,  et  était 
parvenu  au  village  de  Nieder  Gierka ,  au  nord-ouest  de 
Dautzen.  Il  y  lit  un  séjour  de  deux  jours,  assez  indécis, 
semble-t-il,  sur  la  suite  à  donner  à  son  expédition.  «  Je 
continuerai  ainsi,  écrit-il  le  6  juillet  à  son  frère  (3),  mon 


(1)  Mitchell  à  Holdernesse,  très  secret,  Gross-Dobril7;  W  juin  l/OO.  Mil. 
(Il ''Il  Pnpers. 
Ci)  Frédéric  à  Finckenstein,  '29  juin  1760.  Corrcsp.  Polit.,  XI.\. 
(3)  Frédéric  il  Henri,  Nieder  Gierka,6juillel  17C0,  C'o»V(',s/>./'o/i<.,Xl.\,p.482. 


FREDERIC  REVIENT  SUR  DRESDE, 


8k 


chemin  sur  la  Silésie,  en  suivant  Daun.  Il  me  faut  faire 
demain  ici  un  jour  de  repos  pour  les  troupes  et  pour 
faire  différents  arrangements  très  nécessaires;   mais  je 
compte  d'être  le  10  en  Silésie,  aux  environs  de  Siegers- 
dorf,  où  je  réglerai  mes  démarches  en  conséquence  des 
circonstances  que  je  trouverai  devant  moi.  »  Au  cours 
de  ces   opérations  dans  lesquelles  Lascy  déploya  beau- 
coup d'habileté  et  ne  donna  pas  prise  aux  Prussiens,  Fré- 
déric poussa  des  reconnaissances  avec  une  imprudence 
qui  faillit  lui  coûter  cher;   il  n'échappa   aux  cavaliers 
autrichiens  que  grâce  à  la  présence  d'esprit  et  au  courage 
d'un  de  ses  pages.  Le  8  juillet,  changement  de  disposi- 
tions ;  il  abandonne  l'idée  de  la  course  en  Silésie  où  Daun 
l'avait  devancé  et  informe  Hulsen  (1)  de  sa  résolution  de 
faire  <*  table  rase  »  en  Saxe  avant  de  gagner  la  Silésie  ;  à 
cet  effet,  il  lui  intime  l'ordre  de  lui  envoyer  les  pontons 
pour  la  traversée  de  l'Elbe  et  de  se  porter  lui-môme  vers 
Kesselsdorf  avec  les  canons  et  mortiers  de  siège.  Confor- 
mément à  son  nouveau  plan,  Frédéric   quitta,  dans  la 
nuit  du  8  au  9,  les  parages  de  Bautzen,  ne  réussit  pas  à 
entamer  Lascy,  mais  l'obligea  à  passer  sur  la  rive  gauche 
de  l'Elbe,  poursuivit  sa  route  sur  Dresde  et  franchit  à  son 
tour  le  fleuve.  A  son  approche,  et  sur  l'avis  que  les  Prus- 
siens venaient  de  jeter  un  pont  en  aval  de  Dresde,  Lascy  et 
le  duc  de  Deux-Ponts  avaient  évacué  le  camp  retranché  de 
Plauen,  et  s'étaient  retirés  du  côté  de  Pirna.  Le  même  jour, 
le  13,  Dresde  fut  investi  par  les  Prussiens,  le  prince  d'Hols- 
teinavoc  une  division  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  le  gros 
des  forces  royales  sur  la  rive  gauche. 

Entre  temps,  l'armée  autrichienne  avait  continué  son 
mouvement  et  était  arrivée  le  10  sur  la  Quciss,  aux  envi- 
rons de  Naumburg  et  de  la  frontière  de   la  Silésie.  Ce 


(1)  Frédéric  à  lliilseii,  Nieder  Gierka,  8  juillet  17G0.    Corresp.   J>oUl., 
XIX,  [).  483. 


*r^ 


3C 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  1. 


fut  là  qu'elle  fut  rejointe  par  notre  vieille  connaissance 
Montazet.  Avant  de  rallier  le  quartier  général,  le  Français 
avait  fait  un  court  séjour  à  Vienne  où  il  avait  vu  l'Impé- 
ratrice-Reine  et  le  chancelier.  Kaunitz  attendait  «  de  gran- 
des choses  »  des  Russes  ;  mais  Montazet  était  à  cet  égard 
fort  sceptique  :  «  J'avoue  que  je  le  désire  beaucoup  plus 
que  je  ne  m'en  flatte  et  que  je  serai  bien  aise  de  voir  M.  de 
Fermor  rappelé.  » 

Bien  qu'il  eût  été  vite  informé  du  retour  de  Frédéric 
en  Saxe,  Daun  ne  le  suivit  qu'après  quelques  heures  de 
réflexion.  A'out  d'abord,  il  pensa  que  les  corps  alliés 
réunis  autour  de  Dresde  seraient  assez  forts  pour  tenir 
tète  au  Roi  et  pour  empêcher  le  siège  de  la  ville,  mais 
quand  il  apprit  (1)  l'abandon  du  camp  de  Plauen  et  la 
retraite  de  Deux-Ponts,  la  peur  de  malheurs  «  qu'on 
ne  devait  pas  craindre  naturellement,  mais  qu'il  est  sage 
cependant  de  prévenir  »,  le  décida  à  rebrousser  chemin 
et  à  courir  au  secours  de  la  capitale.  Cependant,  on  n'es- 
timail;  pas  qu'elle  fût  exposée  à  une  attaque  :  «  Je  ne 
saurais  penser,  écrit  Montazet,  que  le  Roi  ait  envie  de 
faire  le  siège  de  Dresden;  je  le  crois  trop  homme  de 
guerre  pour  se  flatter  de  le  prendre  dès  que  nous  vou- 
drons y  marcher,  mais  je  lui  soupçonne  le  désir  de  nous 
combattre  ou  de  nous  donner  un  croc-en-jambe  pour  re- 
gagner avant  nous  la  Silésie.  » 

Malgré  ses  trois  années  de  campagne  contre  les  Prus- 
siens, Montazet  ne  se  faisait  pas  encore  une  conception 
j  uste  de  la  har^Messe  de  leur  souverain.  Quand  les  têtes  de 
colonnes  autrichiennes  débouchèrent  le  17  juillet  au  soir 
à  Weissig,  dans  la  banlieue  de  Dresde,  elles  trouvèrent 
l'investissement  complet  et  les  travaux  de  siège  en  pleine 
activité.  Aussitôt  parvenu  sous  les  mui's  de  Dresde,  le  Roi 
avait  fait  sommer  la  place  :  le  général  Macguire,  dont  la 

(1)  MoiUazet  à  Choiseul,  Otteiidorf,  14  juillet  1760.  AIT.  Étrangères,  Au- 
triche. 


BOMBARDEMENT   DE  DRESDE. 


87 


garnison,  grâce    aux  renforts  laissés  par  les  alliés,   se 
montait   à  13.000  hommes,  rejeta  toute  proposition,   et 
l'attaque  commença.  En  attendant  l'arrivée  du  parc  do 
siège,  les  Prussiens  bombardèrent  la  ville  avec  leur  ar- 
tillerie de  campagne.  D'après  Eichel  (1),  ordre  avait  été 
donné  de  ne  viser  que  les  remparts,    mais  soit   déso- 
béissance, soit  désir  de  réduire  au  silence  quatre  pièces 
légères  que  les  Autrichiens  avaient  hissées  dans  la  tour 
de  la  Kreuzkirche,  les  projectiles  de  l'assiégeant  mirent 
le  feu  à  l'église  (2);    l'incendie  s'étendit   au  voisinage 
et  causa  la  ruine  d'un  grand  nombre  de  maisons;  les 
Autrichiens,  pour  dégager  l'enceinte,  brûlèrent  une  par- 
tie des  faubourgs.  Dans  la  nuit  du  17,  les  batteries  re- 
çurent leurs  mortiers   et  leurs  gros  canons  et,  tout  en 
tirant  pour  faire  brèche,  couvrirent  la  capitale  d'une  pluie 
de  boulets  et  de  bombes.  «  La  journée  du  18,  rapporte 
Montazet  (3),  fut  terrible  pour  la   malheureuse  ville  de 
Dresden,  car  le  feu  de  l'ennemi  fut  dirigé  comme  avec  la 
main  pour  porter  l'incendie  dans  les  quartiers  les  mieux 
bâtis.  »  Ce  même  18  au  soir,  Daun  lit  attaquer  le  poste  de 
Weiss  Hirsch,  que  les  Prussiens  occupaient  depuis  le  15,  et 
les  obligea  à  l'évacuer  précipitamment  avec  perte  de 
(jnelques  centaines  d'hommes.    Ce   petit  échec  força  le 
prince  d'Holstein  à  repasser  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe 
et  ouvrit  aux  Autrichiens  la  libre  communication  avec  les 
quartiers  de  la  ville  situés  sur  la  rive  droite.  Le  19,  avant 
le  jour,  un  détachement  de  troupes  légères  appartenant 
au  corps  de  Lascy  poussa  une  pointe  hardie  sur  le  camp 
du  Roi.  Au  dire  de  Montazet  (4),  l'alerte  fut  si  chaude 

(1)  Eichel  à  Finckenstein,  Gruiia,   17  juillet  I7fi0.  Corresp.  Polit.,  XIX, 
p.  497. 
i'i)  Milchell  à  Mackenzie,  Leubnitz,  25  juillet  1760.  MKchcU  Papers. 

(3)  Montazet  à  Choiseul.  Bischoffswerde.  2  août  17G0.  Affaires  Etrangères, 
Autriche. 

(4)  Montazet  à  Choiseul,  Bisthoffswerde,  2  août  1700.  Affaires  Étrangères, 
Autriche. 


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mm 


38 


L\  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


que  le  quartier  royal  fut  surpris  et  il  s'en  fallut  de  pou 
que  Frôdôric  ne  fût  enlevé.  Le  récit  d'Eicliel  (1)  qui  fait 
mention  do  l'échaulfourée,  n'attache  aucune  importance  à 
l'alfaire  qui  n'aurait  coûté  aux  Prussiens  qu'une  demi- 
douzaine  de  hussards  mis  hors  de  combat. 

En  dépit  de  ces  incidents,  le  siège  continua  ot,  avec  lui, 
le  bombardement.  Ils  furent  interrompus,  au  cours  de  la 
nuit  du  21  au  22,  par  une  vigoureuse  sortie  de  la  garnison, 
appuyée  par  Daun  ;  les  batteries  prussiennes  furent  boule- 
versées, les  canons  encloués  et  l'assaillant  subit  des  pertes 
sérieuses  que  ne  compensa  pas  la  capture  du  général  au- 
trichien Nugent.  Force  fut  au  Roi  d'abandonner  l'entre- 
prise conire  Dresde  et  de  concentrer  ses  troupes  sur  la 
rive  gauche  de  l'Elbe,  tout  en  conservant  la  possession 
du  grand  jardin  et  du  faubourg  de  Pirna. 

Aurait-il  été  possible  pour  Daun  de  tirer  parti  de  sa 
supériorité  numérique  pour  frapper  un  coup  décisif  contre 
Frédéric,  dont  la  position,  ou  tout  au  moins  celle  du  Prince 
d'Holstein,  fut  pendant  plus  de  2i  heures  singulièrement 
risquée?  La  fatigue  des  Autrichiens  après  leur  retour  à 
marches  forcées  de  la  Lusace  explique  l'inaction  de  la 
journée  du  18  juillet;  mais  l'attaque  de  Weiss  Hirch,  en- 
gagée plus  tôt,  n'eùt-elle  pu  être  poussée  à  fond  contre  le 
corps  isolé  chargé  du  blocus  de  la  Neustadt  ?  Montazet  essaya 
d'entrainer  le  maréchal  et  fait  do  ses  elforts  un  récit  (2) 
qui  met  en  lumière  le  caractère  de  cet  homme  de  guerre  : 
«  Je  ne  sais  par  quelle  raison  cette  attaque  fut  encore  dif- 
férée. M.  le  Maréchal  se  contenta  donc  le  18  d'aller  recon- 
naître le  poste,  et  vers  les  11  heures  du  matin...  il  donna 
ses  ordres  pour  qu'il  le  fût  (attaqué),  le  lendemain  19,  à 
la  pointe  du  jour.  »  Le  19,  en  guise  d'action,  se  tint  un 


(l)Eichel  à  Finckenstein,  Gruna,  20  juillet  1760.  Cnrrcsp.  Polil..  X.IX, 
p.  507. 

(2)  Montazet  à  Choiscul,  Bischoffswerde,  2  août  17G0.  Affaires  Étrangt'res> 
Autriche. 


DAUN   NE  VEUT  PAS  LIVUEU  HATAILLE. 


39 


conseil  de  guerre  où  Daun  et  ses  principaux  lieutenants  se 
prononcèrent  contre  une  bataille.  Montazct,  qui  assistait 
à  la  réunion,  et  qui  avait  soutenu  un  avis  opposé,  alla 
plaider  sa  cause  auprès  du  maréchal  et  lui  rappeler  le 
message  qu'il  lui  avait  apporté  de  la  part  de  l'Impératrice 
sur  «  la  nécessité  de  faire  de  la  besogne  décisive  dans  le 
cours  de  cette  campagne  j).  Voici  quelle  fut  la  réponse  de 
Daun  :  «  Monsieur  de  Montazet,  vous  me  faites  toujours 
très  grand  plaisir  de  me  dire  votre  sentiment.  Vous  savez 
même  que  je  vous  le  demande  avec  confiance  dans  toutes 
les  circonstances  (il  ajouta  à  cela  des  choses  honnêtes 
pour  moy),  mais  j'ai  des  principes  dont  je  ne  saurais 
me  départir,  et  les  voici  :  Quand  je  suis  dans  un  cas 
einljarrassant,  je  consulte  tous  ceux  dont  je  croispouvoir 
tirer  des  secours,  et  je  ne  demande  qu'à  être  éclairé.  Mais 
il  faut  pour  me  décider,  commencer  par  me  con- 
vaincre :  sans  cela  je  me  détermine  par  les  lumières  que 
Dieu  m'a  données.  Peut-être  ne  sont-elles  pas  les  meilleu- 
res, mais  il  faut  bien  que  je  me  contente  de  celles  que  j'ai. 
Il  peut  se  faire  que  vous  ayez  raison  de  penser  qu'il 
faudrait  combattre  le  roi  de  Prusse;  mais  comme  j'y  vcis 
(le  trop  grands  dangers,  je  ne  sauiais  prendre  ce  parti, 
d'autant  que  celui  que  prend  l'ennemi  favorise  nos  opé- 
rations en  Silésie,  et  déterminera  peut-être  les  Russes  à 
s'y  rendre  plus  tôt  qu'on  ne  l'avait  espéré.  Voilà  ma 
façon  de  voir.  » 

Cependant,  à  en  croire  les  calculs  du  bouillant  Français, 
les  circonstances  semblaient  propices  :  «  Les  troupes  de 
l'Empire  (1),  jointes  aux  corps  de  MM.lIaddick  et  de  Lascy, 
composaient  un  corps  pour  le  moins  de  35.000  hommes 
sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  la  garnison  deDresden,  forte 
de  13.000  hommes,  était  tout  entière,  et  l'armée  de  M.  le 


il! 


(1)  Montazet  à  Choiseul,  Schoenlcld,  21  juillet  1760.  Affaires  Étrangères, 
Autriche.  _   .,  , 


mimmm^iàMit'^,^,, 


M 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


Maréchal  Daim,  composée  de  près  de  40.000  hommes, 
formait  un  total  de  plus  de  60.000  combattants  (1),  ce  qui 
faisait  le  double  de  l'ennemi;  nous  étions  par  la  forme  du 
pays,  les  maitresdu  passage  de  l'Elbe,  et,  par  conséquent, 
nous  n'avions  à  redouter  que  la  difficulté  des  débouchés 
et  les  suites  d'un  événement  malheureux.  » 

Il  était  évident  que  depuis  le  retour  de  Daun  et  les 
incidents  qui  avaient  marqué  son  entrée  en  scène,  la 
prise  de  Dresde  par  le  Roi  était  devenue  de  plus  en  plus 
improbable.  «  Si  ce  n'est  pas  son  but,  s'écrie  Monta- 
zet  (2),  que  fait-il  où  il  est,  tandis  qu'on  prend  la  Silésie? 
,  S'il  persiste  à  rester  où  il  est,  il  me  parait  que  nous  sommes 
déterminés  à  rester  où  nous  sommes.  »  Le  prétexte  invoqué 
par  Daun  pour  son  inaction  était,  on  l'a  vu,  le  désir  de 
donner  aux  Russes  le  temps  d'opérer  leur  jonction  avec 
Laudon  en  Silésie.  Montazet,  qui  évidemment  reflète  l'o- 
pinion du  quartier  général  autrichien,  ne  croit  guère  à  une 
action  vigoureuse  de  leur  part  :  «  Devons-nous  nous  flat- 
ter, Monsieur,  que  le  général  Soltikoff  ira  chercher 
bon  jeu,  bon  argent,  les  Prussiens?  Pour  moi,  javoue 
que  je  n'en  ai  pas  l'idée  ;  le  général  russe  passera  donc 
la  campagne  à  manœuvrer  à  sa  façon  et  si  le  prince 
Henri  se  conduit  bien,  il  sera  défait  des  Russes  vers  le 
20  novembre.  » 

En  tout  cas,  si  l'immobilité  des  Autrichiens  peut  se  jus- 
tifier, celle  du  Roi  ne  s'explique  que  par  l'espoir  d'une 
bataille  défensive  contre  une  attaque  de  Daun.  Quoi  qu'il 
en  soit,  la  situation  se  prolongea  sans  changement  jus- 
qu'au 24  juillet;  le  soir  de  ce  jour,  l'armée  royale  leva 
définitivement  l'investissement  du  vieux  quartier  de  Dresde 
et  se  dirigea  sur  Kesseldorf,  puis  sur  Meissen,  d'où  elle 
regagna  la  rive  gauche,  à  la  date  du  l*"'  août.  «  En  cinq 


(1)  Montazet  ne  lient  pas  compte  dans  son  total  de  la  garnison  de  Dresde. 

(2)  Montazet  à  Choiseul,Schoenfeld,  26  juillet  1760.  Aflaires  Étrangères. 


FRÉDÉRIC  LÈVE  LE  SIÈGE  DE  DRESDE. 


41 


jours,  écrit  Frédéric  (1),  je  pense  être  aux  frontières  de  la 
Silésie.  Il  est  assez  vraisemblable  et  presque  hors  de  doute 
que  le  7  ou  le  8,  il  se  passera  quelque  affaire  décisive... 
Si  je  reste  les  bras  croisés,  je  ne  changerai  rien  aux  affaires 
et  mes  provinces  seraient  en  attendant  envahies;  et,  au  bout 
du  compte,  l'ennemi  m'enveloppera  ensuite  de  telle  façon 
que  je  serai  obligé  de  me  battre  contre  lui,  sans  la  moin- 
dre apparence  de  succès,  afin  de  ne  pas  me  rendre  A  dis- 
crétion. »  Le  départ  des  Prussiens  fut  signalé,  s'il  faut  s'en 
rapporter  à  Marainville  (2),  par  des  excès  regrettables  : 
«  Le  roi  de  Prusse,  en  se  retirant  des  environs  de  Dresde,  a 
mis  le  comble  à  ses  procédés  infîXmes,  par  ce  qu'il  a  permis 
ou  plutôt  ordonné  qu'on  fit  au  grand  .lardin  Royal  qui  est 
en  dehors  des  faubourgs  de  Pirna.. .  Il  a  commandé  tous  les 
charpentiers  de  son  armée,  la  nuit  qui  a  précédé  son  dé- 
part, pour  couper  tous  les  arbres  qui  en  formaient  les 
allées,  et  entre  autres,  celle  qui  formait  le  plu;  beau  mail 
qu'il  y  eût  sûrement  dans  l'Europe.  On  avait  mis  à  couvert 
dans  des  pavillons,  au  commencement  de   la  guerre, 
quantité  de  belles  statues  de  marbre  estimées  infiniment, 
on  les  en  a  sorties  pour  les  mettre  en  morceaux;  il  en  a  été 
lait  de  même  de  tous  les  beaux  treillages  qui  étaient  dans 
ce  jardin  et  jusqu'à  l'orangerie  a  été  hachée  en  morceaux, 
.le  ne  croirais  pas  ces  infamies  si  je  ne  les  avais  pas  vues, 
tant  elles  doivent  paraître  incroyables.  » 

Quant  à  la  ville  de  Dresde,  d'après  le  môme  témoin,  les 
dégâts  n'auraient  pas  été  aussi  sérieux  qu'on  aurait  pu  le 
craindre;  cependant,  les  détails  qu'il  fournit  à  la  Dauphine 
prouvent  qu'ils  furent  considérables  :  «  Cette  belle  rue 
de  Pirna,  écrit-il  (3),  si  bien  bâtie,  est  brûlée  de  fond 
en  comble  et  par  conséquent  le  Palais  des  Princes  tout 


(1)  Frédéric  à  Finckenslein.DalIivitz,  1"  août  1760.  Corresp.  Polit.,  XIX, 
p.  533. 

(2)  Marainville  à  Choiseul,  Dresde,  3  août  1760.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Marainville  à  la  Dauiiliine,  Dresde,  2  aoi'il  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


12 


LA  GUERRK  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  \. 


' 


meublé  ainsi  ([ue  tous  les  ellets  précieux  de  M.  le  comte 
de  Bruhl  qui  y  avaient  été  anciennement  transportés.  Il 
y  avait  comme  vous  savez,  Madame,  plusieurs  belles  mai- 
sons, telles  que  celle  de  lleim,  l'hùtel  «arni  de  Saxe  et 
d'autres;  tous  ceux  qui  les  habitaient,  soit  maîtres,  soit 
concierj^es,  n'ont  pas  pu  en  sauver  la  moindre  chose,  et 
ont  été  obligés  do  les  abandonner  en  n'emportant  que  ce 
qu'ils  avaient   sur  le  corps,  moyennant  quoi,   tous  les 
meubles,  les  eil'ets  et  les  nippes  y  ont  été  consommés  par 
les  flammes.  La  Moritzstrasse  a  eu  le  même  sort  ainsi  que 
la  Kre(Uz,i;asse,  excepté  le  palais  de  Uodofski  qui  a  souf- 
fert de  plusieurs  bondjes  qui  y  sont  tombées  et  de  quantité 
de  boulvts.  Tout  ce  qui  l'environne  a  été  bri\lé.  »  Marain- 
ville  prévoit  la  vengeance  que  tireront  de  ces  excès  les 
soldats  alliés  :  «  Il  faut  que  la  raye  etla  haine  de  ce  prince 
contre  la  maison  de  Saxe  soit  bien  grande  pour  n'avoir 
pas  senti  que  dans  les  circonstances  embarrassantes  et 
critiques,  il  aurait  dû  être  contenu  par  la  crainte  des  re- 
présailles que  les  Autrichiens  ou  les  Hus.ses  pourraient 
faire  en  son  temps  dans  le  Brandebourg  et  entre  autres  à 
Berlin,  et  dans  ses  maisons  de  campagne;  c'est,  je  crois,  ce 
qu'on  ne  manquera  pas  de  faire,  quoique  ce  soit  rendre 
victimes  des  malheureux  ({ui  sont  innocents  des  cruautés 
que  leur  souverain  a  exercées  envers  d'autres  malheureux, 
mais  il  n'y  a  que  cette  façon  de  se  venger  des  actions 
barbares  de  princes  aussi  cruels,  »  La  suite  prouvera  que 
cette  prophétie  devait  se  vérifier. 

Une  lettre  du  maréchal  Daun,  écrite  au  retour  d'une  ins- 
pection faite  dans  la  matinée  du  25  juillet,  avait  déjà  ras- 
suré le  roi  de  Pologne  et  sa  famille.  «  Il  a  trouvé,  rap  • 
porte  Kaunitz  (1),  que  jusqu'alors  il  n'y  avait  eu  qu'un 
fiers  de  la  vieille  ville  maltraité  par  l'incendie, ([ue  la 


(1)  Kaunilz  ùl  Fleniining,  24  juillet  1700,  copie  envoyée  à  Paris.  Arcliives  de 
la  Guerre. 


MAltCHIi:  PAUALLKLË  DES  DEUX  ARMÉES. 


48 


ville  neuve  n'avait  encore  rien  souffert  du  tout,  (juc  le 
palais  (lu  Roi  avec  tous  les  hiVlinieuts  qui  en  dépeiulent 
dans  la  vieille  ville  ni  la  plupart  des  maisons  de  considé- 
ration n'avaient  été  incendiés.  » 

nés  le  31  juillet,  Daun,  se  conformant  au  mouvement  du 
Roi,  avait  posté  le  gros  de  ses  forces  à  Rischolfswerda, 
sur  la  route  de  la  Lusace;  il  laissait  en  Saxe  l'armée  des 
Cercles  et  un  corps  autrichien  de  9  bataillons  et  de  3  ré- 
giments de  cavalerie.  Le  duc  de  Deux-Ponts,  qui  avait  le 
commandement  supérieur  de  ces  troupes,  aurait,  sans 
compter  la  garnison  de  Dresde,  2.'>.000  hommes  à  opposer 
aux  12.000  de  Hïilsen.  A  partir  du  2  août  commença,  euti-e 
l'armée  royale  et  les  Impériaux,  une  lutte  de  vitesse  ;  ce 
fut  i\  qui  arriverait  le  premier  sur  les  bords  de  la  Katz- 
bach.  Ce  cours  d'eau,  célèbre  dans  les  annales  du  xvm' 
et  du  début  du  xix'  siècle,  prend,  on  le  sait,  sa  source 
dans  les  montagnes  de  la  frontière  de  Bohême,  dessert 
les  villes  de  Goldberg  et  de  Liegnitz,  et  se  déverse  dans 
l'Oder  en  aval  de  Parchwitz.  La  jonction  des  Russes  et 
des  Autrichiens  devant  s'effectuer  dans  la  contrée  com- 
prise entre  la  Katzbach  et  le  Weisbritz,  et,  par  conséquent, 
à  l'est  de  la  première,  le  général  de  Maric-ïhérèse  atta- 
chait laplus  haute  importance  à  prévenir  son  adversaire  ; 
grAce  au  point  de  départ  initial,  il  avait  moins  de  distance  à 
parcourir;  mais  Frédéric  le  serra  de  près.  Depuis  le  3  août 
jusqu'au?,  les  Prussiens  marchèrent  sans  discontinuer;  le 
7  au  soir,  ils  étaient  à  Bunzlau;  ils  avaient  semé  du  monde 
en  route,  mais  en  cinq  jours  ils  avaient  franchi  1^i^3  ki- 
lomètres, soit  près  de  30  kilomètres  par  jour;  quel(|ue  ra- 
pides pour  l'époque  qu'eussent  été  les  étapes,  elles  avaient 
été  ralenties  par  la  nécessité  de  transporter  quinze  rations 
de  pain  par  soldat  et  de  traîner  un  gros  convoi  de  muni- 
tions. Les  Prussiens  étaient  distribués  en  trois  colonnes  (1), 

(I)  Voir  à  ce  sujet  l'arUclc  du  capitaine  Webern.  Beihefl  zum  MiliUlr. 
Wochenhlall,  Berlin,  1897.  •  ■ 


fl 


m 


11 


Il 

I 


M  LA  GUERRK  DK  SKI'T  ANS.  —  CHAI».  I. 

coiTcspondiinl  nux  deux  lignes  et  à  la  réserve,  forinalions 
classiques  d'alors;  entre  les  colonnes  étaient  répartis 
les  batteries  et  le  [larc  d'artillerie.  Toutes  les  dispositions 
étaient  prises  pour  le  déploiement  en  bataille,  précau- 
tion nécessaire,  car  l'iiinérairc  des  Autrichiens  était  pour 
ainsi  dire  parallèle  à  celui  dos  troupes  royales.  C'est  à 
propos  de  cette  circonstance  que  Frédéric  a  écrit  :  «  Un 
profane  aurait  pu  croire  que  toutes  les  troupes  obéissaient 
à  un  seul  chef.  Heck  aurait  été  l'avant-garde,  Daun  et  moi 
le  corps  d'attaque,  et  Lascy  l'arrière-garde,  >>  Malgré  cette 
proximité  danf^ereuse,  il  n'y  eut  pas  de  rencontres  sé- 
rieuses, mais  la  vitesse  de  l'allure  et  la  chaleur  de  la  sai- 
.«on  augmentèrent  beaucoup  le  nond)re  des  traînards  et 
fatiguèrent  le  soldat.  Pondant  la  jcTnéc  du  8  août,  que 
l'armée  prussienne  consacra  à  un  s  indispensable,  les 
Autrichiens  reprirent  ledevantetg.  ...ont  la  rive  droite  «le 
la  Katzbach.  Le  lendemain  9,  on  se  remit  en  marche;  le 
Uoi  venait  d'apprendre  que  le  prince  Henri  avait  forcé 
Laudon  à  lever  le  siège  de  Breslau,  mais  qu'il  avait  repassé 
l'Oder  afin  de  s'opposer  aux  progrès  des  Russes  qui  me- 
naçaient cette  ville. 

Le  9  au  soir,  les  Prussiens  étaient  au  bivouac  autour  du 
village  de  lloliendorf,  au  bord  de  la  Katzbach,  entre  Gold- 
berg  et  Liegnitz.  «  L'armée  de  Daun,  raconte  Mitchell  (1), 
unie  aux  corps  de  Laudon  et  Bock,  était  campée  sur  les 
hauteurs,  on  face  de  Hohendorf,  n'ayant  entre  elle  et  les 
Prussiens  que  la  Katzbach,  un  petit  ruisseau  avec  berges 
escarpées,  ressemblant  à  un  fossé  ordinaire  ;  les  faction- 
naires des  deux  armées  étaient  à  portée  de  pistolet  l'un  de 
l'autre.  Comme  nous  nous  attendions  à  être  attaqués,  nous 
restâmes  sur  le  qui  vive  toute  la  nuit.  Sa  Majesté  Prussienne 
me  dit  qu'il  se  battrait  le  lendemain  matin  ou  qu'il  conti- 
nuerait sa  marche  sur  Liegnitz,  »  L'intention  du  Roi  était, 

(I)  Mitchell  à  Holdernesse,  Neumarkl,  tCaoùl  1760.  Mitchell  l'apcrs. 


LES  DEUX  ARMÉES  SIR  LA  KATZRACH.  4t 

en  effet,  de  francliir  la  petite  rivière,  do  percer  par  Jauei-, 
et  d'occuper  les  hautour:;  de  Striegau,  d'où  il  aurait  pu 
couiniuniquer  avec  Schweidnitz;  mais  rrconnaissaut  (pie 
la  position  prise  par  l'ennemi  lui  interdisait  la  réalisation 
de  ce  |»rojet,  il  se  tourna  vers  I.icf^nitz.  I>es  troupes  s'é- 
branlèrent le  10  août,  iV5  heures  du  matin;  ce  départ  fut 
imité  par  Daim  qui  leva  son  camp  et  longea  la  rive  droite 
de  la  Katzbach.  Pour  le  spectateur,  les  Autrichiens  avaient 
l'air  de  former  une  quatrième  colonne  prussienne,  si  ré- 
duit était  l'intervalle <[ui  les  séparait.  Montazet  éprouve  les 
mêmes  impressions  :  «  Notre  marche  d'aujourd'hui  a  été 
un  spectacle  unique,  puisque  l'ennemi  et  nous  avons  che- 
miné à  la  même  haut"  ir,  toujours  à  vue,  et  souvent  à  la 
petite  portée  du  canon.  Comme  les  deux  rives  de  la  Katz- 
hach  sont  exhaussées  et  point  boisées,  nous  avons  eu  de 
part  et  d'autre  le  plaisir  de  voir  nos  mouvements  qui 
ont  été  parfaitement  exécutés.   » 

Avant  d'entamer  le  récit  des  manœuvres  fort  compli- 
quées qui  précédèrent  la  bataille  de  Liegnitz,  essayons  de 
nous  rendre  compte  de  la  situation  respective  des  armées 
rivales  à  la  date  du  10  août.  A  Liegnitz,  sur  la  rive  gauche 
de  la  Katzbach,  le  roi  de  Prusse,  à  la  tête  de  ses  38  ba- 
taillons et  78  escadrons  venus  de  Saxe,  soit,  défalcation 
faite  des  malades  et  des  traînards,  environ  38.000  com- 
battants; en  face,  sur  le  bord  opposé,  depuis  Parch- 
witz  jusqu'à  Goldberg,  80.000  Autrichiens,  composés  de 
l'armée  principale  et  des  corps  de  Lascy,  Laudon  et  Beck, 
qui  avaient  rejoint  successivement.  A  quelque  distance,  au 
delà  do  l'Oder,  la  grande  armée  russe  était  campée  de- 
puis quelques  jours,  entre  Protsch  et  Auras  ;  sur  la  môme 
rive  du  ileuve,  observant  les  Uusses,  le  prince  Henri  dont 
les  42  bataillons  et  les  lï  escadrons  étaient  au  bivouac, 
dans  la  banlieue  de  Breslau. 

En  résumé,  et  en  dépit  des  hésitations  du  général  russe, 
lu  perspective  pour  les  armes  des  Impératrices  était  bril- 


nq 


1 


40 


LA  GUKRRK  DE  SF"T  ANS.  —  CllAP.  I. 


lantc  et  Montazet  le  constatait  (1)  avec  satisfaction  :  ((  Nous 
nous  somiiies  campés  vis-à-vis  de  lui  (le  hoi)  sur  les  débou- 
chés de  Liegnitz  à  Breslau  et  à  Jauer.  M.  de  Laudon  qui 
campe  à.  notre  droite  a  été  chargé  de  faire  occuper  Parche- 
witz  depuis  hier  au  soir  et  de  renforcer  ce  poste  aujour- 
d'hui. M.  de  Lascy  doit  prendre  ce  soir  sa  position  entre 
Goldberg-  et  notre  gauche,  par  conséquent,  nous  voilà  les 
maîtres  absolus  de  la  Kaizbach  et  le  Koi  ne  peut  plas 
se  flatter  de  se  réunir  au  prince  Henri,  puisque  ce  der- 
nier est  campé  sous  Breslau.  »  Restait  la  question  du 
concours  des  Russes  :  «  A  présent  que  nous  tenons  la 
Katzbach  et  que  nous  couvrons  leur  passage,  ils  ne  peu- 
vent refuser  de  venir  passer  l'Oder  à  Lebus sans  af- 
fecter une  mauvaise  volonté  que  je  ne  veux  pas  leur 
supposer.  » 

A  Liegnitz,  le  Roi  ne  séjourna  pas  longtemps;  rangées 
sur  la  rive  droite  de  la  Katzbaches  les  forces  autrichiennes 
lui  barraient  la  route  de  Parchwitz  et  de  Breslau.  «  Les  cir- 
constances où  je  me  trouve,  écrit-il  (2),  sont  toujours  très 
critiques;  je  ferai  en  sorte  de  gagner  cette  nuit  une  marche 
sur  l'ennemi,  pour  le  devancer  à  Jauer.  »  Ce  projet  n'eut 
pas  plus  de  succès  que  le  précédent;  quand  les  tètes  de 
colonnes  s'approchèrent  de  Hohendovf,  elles  a;  orçurent 
de  l'autre  côté  de  la  Katzbach  un  campement  ennemi; 
c'était  Lascy  qui  venait  de  s'y  installer.  Frédéric,  ju- 
geant impraticable  le  passage  direct,  remonta  la  rivière 
jusqu'à  Goldberg.  Profitant  du  répit  que  lui  procura  ce 
détour,  le  général  autrichien  sut  tirer  un  tel  parti  du 
terrain,  qu'il  put  >e  retirer  sur  le  gros  du  maréchal  Daun 
sans  être  entame.  Les  deux  armées  s'établirent  :  celle  du 
Roi  à  Seichau,  celle  de  Daun  à  Herensdorf  et  Schlaup. 

D'après  Mitcliell,  ce  fui  îa  nécessité  d'attendre  les  ba- 

(0  Montazet  à  Choisciil,  Ykols,  10  août  1760,  Aflaires  Étrangôres. 

{:>)  Frédéric  H  Ferdinand,  Liegnitz,  10  août  1700,  Corresp.  Politiq.,  XiX, 

p.    541.  .    ;.      -     .....,..- 


^1 


FRÉDKIUC  A  SEICHAU. 


« 


gages  et  le  convoi  qui  donna  à  Daun  le  temps  de  deviner 


o^o 


les  intentions  des  Prussiens  et  de  leur  couper  la  roule 
de  Jauer.   11  fait  de  la  situation  le   récit  suivant  (1)    : 
Voyant  son  plan  manqué,  Frédéric,  après  avoir  tenu  ses 
soldats   sur  pied  pendant   16   heures,   «  fixa   son  quar- 
tier général  à  Seichau,  un  très  petit  village  dans  les  mon- 
tagnes, entouré  de  collines  de  tous  les  cAtés  et  éloigné 
de  Jauer  d'environ  1  1/2  milles  allemands.  Au  cours  de 
la  soirée,  les  Autrichiens  bivouaquèrent  sur  plusieui's  des 
hauteurs,  très  près  du  camp  prussien,  dont  ils  n'étaient 
séparés  que  par  un  profond  ravin.  Pendant  la  matinée  du 
12,  on  apprit,  vers   8  heures,  que  l'ennemi  essayait  de 
nous  tourner;  ou  abattit  aussitôt  les  tentes,  l'armée  se 
rangea  en  ordre  de  bataille  et  on  expédia  les  bagages  à 
Prausnitz  à  un  demi-mille  allemand  sur  le  chemin  de  Sei- 
chau à  (îoldberg.   »  Ces  préparatifs  avaient  pour  cause 
les  manœuvres  des  Autrichiens  qui  semblaient  indiquer 
le  dessein  «  de  nous  déborder  du  côté  de  Goldhcrg,  seule 
issue  qui  nous  restait  pour  sortir  de  ce  mauvais  camp. 
Déjà,  parmi  les  officiers,  on  commençait  à  dire  tout  bas 
que  si  le  roi  de  Prusse  ne   se  mettait  pas   immédiate- 
ment en  mouvement,   la  suite  serait  un  second  acte   de 
l'atTaire  de  Maxen;  nous  n'avions  alors  que  quatre  jours  de 
pain  pour  l'armée  et  nous  étions  dans  l'impossibilité  de 
nous  en  procurer  tant  que  nous  resterions  dans  le  camp 
actuel.  »  Les  patrouilles  de  cavalerie,  envoyées  à  la  dé- 
couverte, rapportèrent  qu'il   n'y  avait  rien  de  nouveau 
dans  les  parages  de  (ioldherg;  le  Roi  lit  rétablir  le  campe- 
ment et  Mitchell,  beaucoup  moins  rassuré  que  le  monar- 
que, passa  son  après-midi  i\  détruire  «  tous  ses  chiffres 
et  autres  documents  importants  ».  Il  s'avoue  convaincu, 
d'après  ce  qu'il  avait  vu,  que  si  l'armée  avait  été  atta- 
<iuée,  il  eût  été  tout  à  fait  impossible  de  sauver  les  ba- 


1.  Mitchell  à  HoUlernesse,  leUre  déjà  cllée. 


48  L\  GUERllK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  F. 

gages.  Vers  G  heures  du  soir,  le  Roi,  qui  ne  se  faisait 
aucune  illusion  sur  les  dangers  auxquels  il  était  exposé 
et  qui  avait  compris  combien  il  serait  difficile  de  tourner 
la  position  ennemie,  poussa  le  général  Billow  vers  Gold- 
berg,  pour  ouvrir  la  route,  et  bientôt  après,  mit  le  reste 
de  ses  troupes  or  branle. 

«  L'armée,  rapporte  Mitchell  (1),  continua  sa  marche 
pendant  toute  la  nuit  dernière  (celle  du  12  au  13),  et  re- 
passa heureusement  la  Katzbach  vers  1  heure  du  matin.  Il 
y  eut  beaucoup  de  confusion  dans  la  colonne  que  j'accom- 
pagnais, mais  je  n'entends  parler  d'aucun  accident  grave. 
Par  contre,  la  marche  a  été  excessivement  émouvante  et 
fatigante,  car  elle  a  duré  16  heures,  avant  que  la  tête  de 
colonne  n'arrivât  à  Liegnitz,  où  l'armée  reprit  son  ancien 
camp...  On  me  rapporte  que  nous  avons  été  suivis  pendant 
la  retraite  par  quelques  centaines  de  hussards  qui  nous 
ont  donné  très  peu  de  mal  et  que  nous  n'avons  perdu 
que  quelques  pièces  de  canon  par  suite  des  avaries  sur- 
venues au  matériel  et  dues  à  la  faute  des  guides  qui  se 
sont  trompés  de  route  dans  l'obscurité  de  la  nuit.  » 

A  Seichau,  le  maréchal  Daun  laissa  échapper  une  occa- 
sion favorable  qu'il  ne  devait  pas  retrouver;  au  dire  de 
Montazet,  la  journée  du  12,  dont  nous  venons  de  relater 
les  incidents,  se  passa  en  reconnaissances  que  le  général 
en  chef  se  proposait  de  renouveler  le  lendemain.  Entre 
temps,  les  Prussiens,  par  leur  retraite  de  nuit,  étaient 
sortis  du  mauvais  pas.  11  y  a  peu  de  doute  sur  le  péril 
couru  à  Seichau  :  «  Il  n'est  guère  possible,  écritGaudi(2), 
de  trouver  un  camp  plus  mauvais  et  plus  dangereux  ;  les 
troupes  étaient  entourées  de  montagnes,  séparées  par  des 
défilés  au  travers  desquels  on  ne  pouvait  pas  ouvrir  des 
communications,  et  si  enchevêtrées  que,  dans  le  cas  d'une 

(1)  Mitchell  à  Iloldernesse,  lellri!  déjà  ciléo. 

(2)  Journal  de  Gaudi.  cité  dans  la  (lesclnclile  des  Siebenjahrigen  Kriefjs, 
IV,  p.  83. 


CORRKSPONDANCE  AVEC  LE  PRINCE  HENRI. 


19 


attaque,  elles  n'auraient  pu  ni  s'assembler  ni  s'entr' aider, 
il  est  vrai  de  dire  que  le  terrain  ne  permettait  pas  de 
choisir  un  emplacement  dillërent  et,  quant  à  rechercher 
un  autre  local  que  celui  de  Seichau,  l'extrême  fatigue  de 
l'armée  l'eût  rendu  impossible  :  hommes  et  chevaux 
étaient  à  bout  de  forces.  »  L'historien  Tempelhoff  ne  par- 
tage pas,  il  est  vrai,  ces  impressions  pessimistes.  Mais, 
quand  même  la  position  de  Seichau  n'eût  pas  été  assez 
abordable,  dans  l'esprit  de  Daun,  pour  autoriser  une 
attaque,  pourquoi  n'avoir  pas  harassé  la  retraite  de 
l'armée  royale  et  n'avoir  pas  essayé  de  lui  infliger  un 
échec  au  passage  de  la  Katzbach,  que  l'arrière-garde 
n'effectua  qu'à  la  pointe  du  jour  du  13  août,  et  avec  la 
perte  de  deux  canons  et  quelques  centaines  de  traînards? 

Aussitôt  rentré  à  Liegnitz,  Frédéric  s'évertue  k  trouver 
un  moyen  de  sortir  de  ses  difficultés  :  Il  raconte  (1)  à  son 
frère  son  expédition  manquée  vers  Jauer,  son  retour  dans 
son  ancien  camp  et  ajoute  :  «  Tout  ceci  me  fait  naître  une 
idée  que,  pour  réussir,  il  faut  que  nous  nous  joignions 
et  que  nous  agissions  avec  force  contre  un  de  mes  enne- 
mis, pour  nous  faire  jour.  »  Jusqu'alors,  il  avait  visé 
Breslau  ou  Sclnveidnitz  ;  aujourd'liui,  il  projette  de  faire 
sa  réunion  avec  le  prince  Henri  par  la  rive  droite  de 
roder;  pour  se  ravitailler  il  tirera  un  convoi  de  Glogau, 
puis  il  traversera  l'Oder  «  à  un  endroit  qui  s'appelle  le 
Wohlhausche  Fischerhaus  ».  Si  les  Russes  sont  à  Wohlhau 
conmie  il  le  croit,  il  s'efforcera  de  les  tourner;  s'ils  n'y 
sont  pas,  «  je  passerai  tout  droit  à  Wohlhau  ;  si  Daun 
m'arrêtait  en  chemin,  je  ne  puis  vous  répondre  de  ma 
marche  en  ce  cas-là;  sinon,  j'emploierai  tous  les  moyens 
possibles  pour  me  joindre  à  vous  ». 

A  lire  ces  lignes,   ou  comprend  que  le  Uoi  était  très 


(!">  Frédéric  à  Henri,  Liegiiilz,  13  aoùl  1760.  Correspondance  PolUique, 
XIX,  p.  542. 

GUEUnE  DE   SEPT  ANS.   —  T.    IV.  4 


80 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


imparfaitement  renseigné  sur  l'emplacement  exact  do 
SoltikofF  et  sur  les  probabilités  do  son  union  avec  l'armée 
autrichionno.  Or,  à  la  dato  du  13  août,  cette  question,  si 
longtemps  débattue,  paraissait  devoir  se  résoudre  con- 
formément au  vœu  do  l'état-major  autrichien. 

Doux  jours  avant  la  rentrée  de  l'armée  royale  au  camp 
de  Lieynitz,  le  quartier  général  des  Russes  était  à 
Kuntzendorf  (1).  Ce  fut  là  que  l'attaché  autrichien  Plunkott 
remit  à  SoltikofF  un  mémoire  (2)  où  il  décrivait  la  situa- 
tion stratégique  de  Daun,  annonçait  de  sa  part  l'intention 
d'attaquer  le  Roi  avec  toutes  ses  forces,  y  compris  le  corps 
de  Laudon,  et  transmettait  la  demande  d'une  active  coo- 
pération. «  Pour  cet  effet,  le  maréchal  comte  de  Daun 
ne  trouve  pas  de  moyen  plus  efficace  qu'en  priant  S.  E. 
le  maréchal  comte  de  SoltikofF  de  passer  l'Oder  avec 
son  armée,  prenant  sa  position  où  elle  trouvera  con- 
venable entre  Lcubus  et  Auras.  »  Daun  s'engageai*,  au 
nom  de  sa  cour,  à  pourvoir  à  la  nourriture  des  troupes 
moscovites.  Cette  proposition  ne  fut  pas  acceptée,  et  à  la 
suite  d'un  conseil  de  guerre  auquel  Plunkett  assista,  on 
y  substitua  les  résolutions  suivantes  :  «  1"  le  gros  de  l'ar- 
mée russe  cherchera  un  camp  dans  ces  environs  ayant 
Militsch  pour  la  subsistance  ;  2°  si  M.  le.  maréchal  Daun 
permet  au  Roi  de  s'approcher  de  l'Oder,  il  faut  que 
M.  de  Laudon  vienne  au  secours  du  maréchal  SoltikofF; 
autrement,  ne  se  trouvant  pas  en  état  de  résister  au  Roi 
d'un  côté  et  au  prince  Henri  de  l'autre,  il  se  verra  obligé 
de  se  retirer;  3"  si  M.  de  Laudon  veut  venir  passer  l'Oder 
à  Leubus,  il  n'aura  qu'à  nommer  son  jour,  S.  E.  poussera 
un  corps  à  Leubus  pour  le  recevoir;  4"  si  M.  le  maréchal 
Daun  empêche  le  Roi  de  s'approcher  de   l'Oder,  en  ce 


(1)  Village  à  quelques  kilomètres  au  nord  de  l'Oder. 

(2)  Mémoire  de  Plunkett  à  Soltikoff  et  réponse  de  Soitikoff,  Kuntzendorf, 
11  août  1760,  copies  annexées  à  la  dépêche  dePlunkelt  à  Kaunitz,  Peterwilz, 
17  août.  Arch.  de  Vienne. 


SITUATION  CRITIQUE  DU  llOI. 


51 


cas  S.  E.  fera  la  jonction  entre  M.  de  Laudoii  et  lo  comlo 
de  Czernitchcw  pour  agir  ensemble  de  l'autre  côté  de 
roder  contre  le  prince  Henri;  S.  E.  avec  son  armée  opé- 
rera de  concert  avec  eux  de  ce    côté-ci  de  l'Oder.  »  Le 
13  août,  Laudon  qui,  depuis  la  campagne  de  1759,  était 
à  peu  près  seul  des  généraux  autrichiens  «  pe\"sona  grata  » 
au  quartier  général  russe,  eut  une  entrevue  avec  Soltikoff. 
Hien  ne  fut  changé  aux  engagements  conditionnels  pris 
par  le  Russe,  mais  grâce  à  la  promesse  d'une  action  éner- 
gique et  combinée  des   Autrichiens  contre  Frédéric,  le 
maréchal  se  décida  il  détacher  le  corps  de  Czernitchew 
sur  la  rive  gauche  de  l'Oder.  A  la  suite  de  cet  accord 
U'  divisionnaire  russe  franchit  Je  Jleuve  le  IV  et  campa 
il  (iross-Bresa  un  peu  au  nord  du  champ  de  bataille  de 
Leuthen.  Le  prince  Henri  était  loin;  ainsi  que  nous  l'a- 
vons dit,  il  avait  débouché  de  Breslau,  passé  l'Oder  et 
s'était  établi  depuis  le    12  août    dans   les  environs  de 
Huhnern  et  Mahlen  sur  la  rive  droite  du  fleuve.  Les  circons- 
tances de  l'armée  royale  devenaient  de  plus  en  plus  cri- 
tiques; forte  de  38.000  hommes,  elle  allait  être  exposées 
aux  coups  des  80.000  combattants  de  Daun  et  de  ses  lieu- 
tenants Lascy  et  Laudon  ;  elle  n'avait  plus  que  3  jours  ik; 
pain.   Impossible  de  tirer  des   vivres  des  magasins  d* 
Scliweidnitz  et  de  Breslau,  dont  les  accès  étaient  barrés 
par  la  masse   ennemie   que  venaient  de   renforcer  les 
•20.000 hommes  de  Czernitchew;  seule,  la  communication 
avec  (ilogau  était  encore    ouverte,  mais   se   retirer  sur 
cette  place,  c'était  abandonner  aux  Impériaux  presque 
toute  la  Silésie  et  renoncer  à  la  jonction  tout  au  moins 
immédiate  avec  Je  prince  Henri. 

A  en  juger  par  la  lettre  citée  plus  haut  qu'écrivit 
Frédéric,  le  13,  de  Liegnitz,  cette  réunion  était  sa  grande 
préoccupation.  En  vue  de  l'exécution  de  ce  projet,  après 
une  journée  consacrée  à  un  repos  que  les  fatigues  précé- 
dentes rendaient  indispensable,  Frédéric  prit  les  disposi- 


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LA  GUEllRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I 


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lions  nécessaires  :  il  expédia  son  convoi  sur  la  route  de 
Glogau,  avec  instruction  de  lui  rapporter  du  pain  et  de  le 
rejoindre  en  marche;  puis,  tard  dans  la  soirée  du  14,  ses 
troupes  défderaient,  avec  ordre  de  se  poster  sur  le  plateau 
de  Pfafl'endorf  et  d'y  passer  la  nuit  sous  les  armes;  les  ba- 
«ages  furent  parqués  à  la  bruyère  de  Kischelberg  près  du 
village  de  Hummel.  Le  lendemain,  on  s'eilbrcerait  de 
continuer  le  mouvement  dans  la  direction  de  Parchwitz. 

Pourquoi  la  marche  des  Prussiens  ne  dépassa-t-elle 
pas  PfafTendorf,  localité  fort  rapprochée  de  Liegnitz?  Le 
premier  objectif  de  Frédéric  qui  prévoyait  pour  le  jour 
suivant  une  attaque  de  l'adversaire  devait  être  d'échanger 
le  camp  défectueux  qu'il  occupait  depuis  le  13  ].our  un 
terrain  plus  resserré,  et  'Vune  défense  plus  facile.  L'opé- 
ration ne  laissait  pas  d'être  délicate,  car  si  une  partie 
de  ses  forces  était  établie  dans  les  faubourgs  de  Lieg- 
nitz, une  autre  fraction  plus  importante  était  logée  dans 
les  villages  de  Schmochwitz  et  Schemmelwitz,  sur  les 
bords  de  la  Katzbach,  à  7  ou  8  kilomètres  en  amon*  de 
la  ville.  Or,  l'expérience  récente  de  Seichau  avait  lé- 
montré  les  dangers  d'une  manœuvre  de  nuit  exécutée  à 
portée  du  canon  de  l'ennemi.  11  était  donc  indispensable 
de  retirer  les  troupes  sans  éveiller  l'attention  de  Daun, 
dont  l'armée  était  campée  de  l'autre  côté  de  la  Katzbach, 
en  face  de  Schmochwitz,  à  Hochkirch.  Enfin,  et  ce  fut 
probablement  le  motif  déterminant,  il  aurait  été  périlleux 
de  prolonger  la  marche  de  nuit  jusqu'à  Parchwitz,  avant 
d'être  mieux  fixé  sur  la  distribution  des  corps  autrichiens 
et  sur  les  mouvements  de  Czernitchew  qu'on  savait  avoir 
traversé  l'Oder,  mais  dont  on  ne  connaissait  pas  encore 
le  cantonnement  exact.  ?      \ 

Efforçons-nous  de  donner  une  idée  du  ihéâtre  (1)  où  la 
lutte  allait  s'engager  :  La  première  impression  du  touriste 

(1)  Voir  la  carte  à  la  fin  du  volume.  '         '  l 


DESCRIPTION  DU  CHAMP  DE  BATAILLE. 


53 


qui  parcourt  les  environs  de  Liegnitz  est  celle  d'une  plaine 
presque  unie,  distribuée  en  cultures  de  céréales,  coupée 
de  bois,  seniéo  de  villages,  chacun  entouré  d'une  cciiiture 
de  jardins  et  de  vergers.  C'est  en  vain  que  l'œil  cherche  à 
distinguer  la  position  sur  laquelle  bivouaqua  l'armée 
prussienne  dans  la  nuit  du  14  août  1760.  Cependant,  au 
fur  et  à  mesure  que  l'explorateur  s'éloigne  du  Schwarz- 
Wasser,  franchi  en  sortant  de  Liegnitz,  et  qu'il  dépasse  les 
maisons  de  Pfail'endorf,  il  se  rend  compte  d'une  légère 
montée  qui  aboutit  à  une  lisière  de  bois.  Ces  bois  traversés, 
il  débouche  dans  une  large  clairière  bordée  de  trois  côtés 
par  la  forêt;  un  seul  côté  est  ouvert  :  c'est  celui  qui  dé- 
vale vers  la  route  de  Pfaffendorf  à  Panten.  Au  milieu  des 
champs  de  la  clairière  se  détachent  une  série  de  buttes  à 
faible  relief,  la  plupart  revêtues  ou  couronnées  de  boc- 
quetaux.  Sur  l'une  d'elles  un  monument  commémoratif 
a  été  élevé;  une  autre,  aujourd'hui  cachée  parles  bois 
de  'Panten  Forst,  porte  le  nom  de  Rehberg;  elle  fut  pen- 
dant la  bataille  l'emplacement  d'une  batterie  prussienne. 
De  la  butte  du  monument  et  de  celles  qui  l'avoisinent,  la 
vue  est  étendue  ;  elle  permet  de  deviner,  au  rideau  d'ar- 
bres qui  le  dessine,  le  cours  de  la  Katzbach  coulant 
paresseusement  à  un  niveau  de  25  mètres  au-dessous  du 
spectateur.  Au  delà  de  la  rivière,  les  villages  de  Beckern 
et  de  Kanitz  et  le  pays  plat  qui  s'allonge  vers  le  sud  ; 
derrière,  devant  et  du  côté  opposé  à  la  Katzbach,  la 
forêt  de  Briese  et  son  prolongement  le  Panten  Forst;  î\ 
petite  distance  de  notre  point  de  vue  et  un  peu  en  contre- 
bas, le  hameau  de  Panten.  Les  plantations  beaucoup 
plus  importantes  qu'en  1760  font  saillie  jusqu'aux  abords 
(le  Panten  et  nous  masquent  les  villages  de  Bienowitz  et 
de  Pohlschildern,  éloignés  le  premier  de  2  1/2  kilomè- 
tres, le  second  de  5  kilomètres.  Ces  trois  localités  sont 
situées  sur  la  rive  gauche  de  la  Katzbach,  assez  rap- 
prochées du  cours  d'eau  et  à  peu  près  à  la  même  alti- 


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rsmmmÊmmmmmmmm. 


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4 


64 


LA  «lUKUUE  DE  SEFT  ANS.    -  CHAP.  I. 


tude.  Entre  Panten  et  Bienowitz,  un  vallonnement  pro- 
noncé pénètre  dans  le  bois,  remonte  dans  la  direction  de 
Sciionboro  et  contourne  le  plateau  supérieur,  A  l'époque 
de  la  bataille,  la  contrée  moins  régulièrement  boisée, 
semée  d'arbrisseaux  et  de  flaques  d'eau,  étaiten  général  à 
l'état  de  lande  marécageuse  ;  aujourd'hui  encore  la  dépres- 
sion entre  Panten  et  Bienowitz  est  imparfaitement  drainée. 

Les  hauteurs  de  Pfall'endorf,  si  l'on  peut  appliquer  ce 
terme  à  des  renflements  peu  considérables,  dominent  la 
jonction  de  la  Katzbach  avec  son  affluent  le  Schwarz- 
VVasscr  et  constituent  une  sorte  de  promontoire  entre  les 
lits  (le  ces  deux  rivières.  Malgré  la  faiblesse  de  leurs 
débits,  ces  cours  d'eau,  en  raison  des  cordons  d'arbres 
qui  les  frangent  et  du  caractère  bourbeux  de  leurs  bords, 
opposent  à  l'assaillant  un  obstacle  sérieux.  En  résumé,  et 
en  dépit  de  son  relief  médiocre,  la  position  choisie  par  le 
Roi,  appuyée  à  la  foret,  protégée  par  la  nature  du  ter- 
rain d'approche  et  flanquée  par  le  Schwarz-Wasser,  pré- 
sentait des  avantages  incontestables  tant  au  point  de  vue 
de  l'observation  des  mouvements  de  l'ennemi  qu'à  celui 
de  la  défense  contre  une  attaque. 

Vers  V  heures  de  l'après-midi,  le  14  août,  le  Roi,  qui 
avait  parcouru  la  contrée  que  nous  venons  de  décrire, 
prenait  quelques  instants  de  repos  dans  son  logement  situé 
dans  un  faubourg  de  Liegnilz,  quand  on  le  réveilla  pour 
lui  amener  un  déserteur  autrichien  qui  prétendait  appor- 
ter des  renseignements  de  haute  valeur.  C'était  un  Irlandais, 
du  nom  de  Wysc  (1)  qui  avait  été  officier  de  dragons  dans 
l'armée  autrichienne,  et  ([ui,  malgré  son  renvoi  pour 
mauvaise  conduite,  avait  été  conservé  dans  l'entourage 
des  généraux  impériaux  ;  il  était  ivre  et  criait  très  fort.  A 
force  d'ablutions  et  d'absorption  de  tasses  de  thé,  on  lui 

(1)  Le  traitre  fut  recommandé  au  priuce  Ferdinand  par  le  Roi  et  par 
Mitcliell.  Ce  dernier  dans  une  lettre  du  (>  septembre  dit  «  qu'il  nous  a  été 
d'une  très  grande  utilité  >'.  ,  ^       . 


LE  BIVOUAC  DK  PFAFFENDORF. 


5i 


fit  reprendre  une  partie  de  ses  moyens  et  raconter  son 
histoire. 

Il  savait,  disait-il,  que  Daun  attaquerait  le  lendemain 
matin  et  il  avait  euconnaissaiiC(^  du  plan  communiqué  aux 
généraux;  il  décrivit,  avec  ([uehjue  apparence  de  vraisem- 
Jjlance,  les  juanœuvres  que  devaient  exécuter  l'armée 
principale  de  Daun  et  le  cor[)S  de  Lascy  ;  interroge  sur  le 
rôle  alloué  à  Laudon,  il  déclara  l'ignorer  parce  (jue 
celui-ci  ne  s'était  pas  rendu  au  quartier  général  et  avait 
reçu  ses  instructions  par  écrit.  Frédéric  remonta  à  cheval 
et,  accompagné  du  déserteur,  fit  une  nouvelle  reconnais- 
sance, à  la  suite  de  laquelle  il  maintint  sans  modifica- 
tion les  dispositions  déjà  arrêtées.  Dès  la  tond)éc  de  la 
nuit,  l'armée  prussienne  s'ébranla  et  défila  par  la  ville  de 
Liegnitz  pour  gagner  le  plateau  de  FfaH'endorl";  toutes  les 
mesures  avaient  été  prises  pour  tromper  les  Autrichiens; 
les  grand'gardes  turent  laissées  en  place  le  plus  longtemps 
possible,  les  feux  restèrent  allumés  et  les  factionnaires 
échangèrent,  jusqu'au  dernier  moment,  leurs  cris  d'alerte. 

Malgré  toutes  les  précautions,  l'installation  de  l'armée 
royale  sur  la  position  choisie,  ne  s'effectua  pas  sans  quel- 
que désordre  qu'accrurent  des  changements  apportés,  î\ 
la  onzième  heure,  par  Frédéric  à  ses  formations.  Les  régi- 
ments des  deux  lignes  s'enchevêtrèrent  et  il  fallut  exécuter 
dans  l'obscurité  des  contre-marches  et  des  chasses-croisés 
qui,  fort  heureusement  pour  les  Prussiens,  ne  furent  trou- 
l)lés  par  aucun  ennemi  ;  on  finit  par  se  ranger  tant  bien  que 
mal  sur  les  emplacements  désignés.  Les  troupes  étaient 
divisées  en  deux  fractions  :  l'aile  droite,  sous  les  oi'dres 
du  général  Zieten,  avait  pour  mission  de  surveiller  l'aimée 
d^  Daun,  dont  on  voyait  les  feux  sur  la  rive  droite  de  la 
Katzbach  ;  Zieten  aligné  parallèlement  à  cette  rivière 
commandait  le  passage  du  Schwarz-Wasser  ;  il  avait 
avec  lui  17  bataillons  et  ^i.8  escadrons.  L'aile  gauche, 
forte  de  19  bataillons  et  de  30  escadrons,  sous  le  com- 


hO 


1 


l-A  C.UKKKE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  I. 


mandemont  direct  du  Roi,  s'allongeait  sur  J«'>  pentes 
plus  éloignées  do  Ptallendorf  et  s'étendait  au  delà  du 
llehherg  jusqu'à  la  ijautour  d(!  Bienowitz;  elle  laissait, 
sur  son  tlanc  droit,  inoccupés  ce  village  et  celui  de 
Pantcn.  Aussitôt  qu'il  ferait  jour,  le  général  Sclienckcn- 
dorl",  avec  sa  brigade  de  5  bataillons,  devait  prendre 
possession  du  village  de  Pohlscliild»  rn  et  pousser  des 
reconnaissances  dans  la  direction  de  Parchwitz;  pour 
le  moment,  on  se  borna  à  envoyer  quelques  bussards 
<'xplorer  les  environs.  En  attendant  la  fin  de  la  nuit, 
les  soldats  prussiens  se  couchèrent  à  côté  de  leurs  armes 
et  de  leurs  chevaux.  Frédéric,  roulé  dans  son  manteau, 
sommeillait  près  d'un  feu  de  bivouac,  quand  survint  le 
major  de  Ilundt,  de  retour  d'une  découverte  et  deman- 
dant à  parler  au  Roi.  Schenckendorf  alla  au-devant  de 
l'officier  et  le  conduisit  auprès  du  monarque  ;  au  même 
moment,  Frédéric,  encore  à  moitié  endormi,  s'écria  : 
«  Qu'est-ce  qu'il  y  a?  »  Ilundt  de  répondre  :  «  Votre  Ma- 
jesté, l'ennemi  est  là.  »  Et  comme  Frédéric  semblait  dou- 
ter, il  continua  :  «  Votre  Majesté,  que  le  Diable  m'emporte, 
si  l'ennemi  n'est  pas  là;  je  suis  tombé  sur  son  infanterie 
et  j'ai  été  à  vingt-quatre  pas  d'elle,  il  a  refoulé  toutes  mes 
vedettes,  et  est  à  peine  à  quatre  cents  pas  d'ici,  —  Tenez- 
lui  tête  aussi  longtemps  que  vous  pourrez,  ordonna  le 
Roi,  et  amenez-moi  mon  cheval.  » 

Hundt  ne  s'était  pas  trompé,  c'était  bien  un  corps  en- 
nemi, celui  de  Laudon,  dont  il  venait  de  heurter  les  têtes 
de  colonnes.  Daun,  coiume  l'avait  annoncé  le  déserteur, 
s'était  enfin  décidé  à  engager  la  grande  action  depuis 
longtemps  promise.  Les  sollicitations  de  son  entourage, 
la  mise  en  demeure  renouvelée  du  maréchal  Soltikoff 
avaient  été  confirmées  par  une  invitation  pressante  de  la 
cour  de  Vienne.  Une  dépèche  du  cabinet  (1)  en  date  du 

(I)  Cabinets  Schreiben,  Vienne,  10  août  1760.  Archives  de  Vienne. 


PLAN  D  ATTAQUK  DE  DAUN. 


M 


10  aoiU  contonait  ce  [jossagc  sur  le  sens  duquel  il  no  pou- 
vait y  avoir  d'équivocjuc  :  «  Je  vous  donne  l'ordre  caté- 
gorique non  seulement  do  ne  laisser  rcliapper  aucune 
occasion  de  livrer  une  bataille,  quand  môme  les  avantages 
des  deux  côtés  no  seraient  qu'égaux  dans  la  balance, 
mais  de  la  rechercher  de  toutes  les  fa(,'ons  praticables.  Si 
rennemiévile  la  rencontre  ou  la  rend  impossible,  je  vous 
ordonne  de  poursuivre  avec  le  plus  d'énergio  possible  les 
opérations  olFensives  de  toute  autre  manière  et  de  faciliter 
aussi  la  jonction  deraruu'o  impériale  russe.  »  Ces  instruc- 
tions qui  durent  parvenir  au  quartier  général  le  13  août 
n'admettaient  pas  la  discussion,  aussi  Dauu  avait-il  fixé 
au  15  l'effort  combiné  qui  d(^vait  aboutir  k  l'anéantisse- 
ment do  l'armée  prussienne.  Le  corps  principal,  sous  sa 
propre  direction,  franchirait  pendant  la  nuit  la  Katzbach 
et  aborderait  de  front  les  villages  de  Schmochwitz  et 
de  Schemmclwitz,  qu(^  les  forces  royales  occupaient 
le  14  ot  où  on  les  supposait  encore.  Lascy,  qui  était  campé 
jï  Prausnitz,  passerait  également  la  rivière,  contournerait 
les  lignes  prussiennes,  en  marchant  par  Kothkirch  et 
Wohlhau,  déboucherait  sur  le  Schwarz-Wasser  en  amont 
de  Liegnitz  et  prendrait  ainsi  l'ennemi  à  revers.  Enfin,  Lau- 
don  partirait  de  Koischwitz,  où  il  avait  séjourné  le  IV, 
traverserait  la  Katzbach  entre  Pantou  et  Bienowitz,  se 
rendrait  maître  des  pentes  au-dessus  de  Pfafl'endorf  ot 
intercepterait  la  route  do  Glogau  et  celle  de  Breslau.  Postée 
dans  une  position  médiocre,  cernée  de  tous  les  côtés, 
la  faible  armée  royale  serait  écrasée  par  les  masses  au- 
trichiennes qui  lui  tomoeraient  dessus. 

Cette  attaque  concontri([ue,  bien  imaginée  pour  faire 
profiter  l'assaillant  de  la  supériorité  du  nombre,  avait  le 
défaut  inhérent  à  toute  combinaison  de  ce  genre.  Pour 
être  eflicace,  l'ofTort  devrait  être  simultané;  étant  donnés 
les  points  de  départ  différents,  les  parcours  inégaux,  les 
lenteurs  d'une  marche  de  nuit,  était-il  prudent,  était-il 


i  • 


mu    • 

II 


H 


LA  OIKHRE  DE  SKPT  ANS.  —  ("IIAP.  I. 


môme   possible  île  c(tm[»tei'  sur  la  précision  (rexécutioii 
indispensable  pour  le  succès? 

Lautlon,  tout  au  moins,  s'était  ac<piitté  avec  conscience 
du  rôle  ([ui  lui  avait  été  alloué.  !,e  corps  (ju'il  commandait 
n'était  pas  au  complet;  il  avait  dû  détacher  sur  Parcli- 
witz  le  général  Nauendorf  avec  5.000  hommes  pour  don- 
ner la  main  aux  llusses  de  Czernitchew  et  le  IV,  avant 
d'entreprendre  le  mouvement  tournant  (|ui  lui  était 
confie,- il  avait  reulorcé  l'armée  de  Dann  (1)  de  8  batail- 
lons et  de  2  régiments  de  cavalerie  sous  les  ordres  de  Wol- 
fersdorf.  Avec  un  effectif  ainsi  réduit,  qu'on  peut  évaluer 
il  25.000  combattants  (2),  Laudon  s'ébranla  à  la  tombée 
de  la  nuit  et  gagna,  par  le  village  do  Kanitz,  les  bords  de 
la  Katzbach;  la  rivière  fut  franchie  aux  envirctns  de  la 
Furtlimiihle  et  les  colonnes,  aussitôt  reconstituées,  s'enga- 
gèrent dans  le  pli  de  terrain  qui  se  déroule  entre  les  villages 
de  Panten  et  liicnowitz.  Très  ardent  de  tempérament, 
Laudon  était,  dans  la  circonstance,  stimulé  par  lespoir 
de  surprendre  le  convoi  royal  qu'on  lui  avait  signalé 
comme  remisé  à  Ilummel,  sous  la  garde  d'une  faible  es- 
corte de  l'i  jsards  et  de  quelques  fantassins.  Aussi  se  préoc- 
cupa-t-il  peu  de  rétablir  l'ordre  que  le  passage  nocturne 
de  la  Katzbach  avait  nécessairement  troublé  et  s'élauça- 
t-il  eu  avant  sans  avant-garde  et  sans  faire  serrer  sur 
la  tète  les  queues  ([ui  s'étaient  allong-ées  outre  mesure. 
L'escarmouche  avec  les  hussards  de  llundt  ne  fut  pas  un 
avertissement;  il  les  prit  pour  les  cavaliers  de  l'escorte 
des  bagages  et  ne  fit  que  hAter  davantage  la  marche. 


(1)  Rapport  de  Laudon  à  Daun,  Uross-Uosen,  17  août  17G0. 

(2)  Les  récits  prussiens  donnent  à  Luudon  un  etleclif  de  35.000  hommes, 
tandis  que  lui-même  s'attribue  15.(too  eouibattanl  et  c'est  ésalement  ce 
ciiiiïre  dont  i)i)rle  Montazet.  Il  nous  a  paru  beau(;oiii>  trop  faible  et  ne  ca- 
dre pas  avec  une  perte  <]ui  a  dû  s'élever  à  près  d«*  7.000.  Par  contre  les 
historiens  prussiens  ne  semblent  pas  avoir  tenu  cuMMpte  des  détachements 
de  Nauendorf  et  de  Wolfcrsdorf. 


PHOMPTK  FOIIMATION  DES  PIll'SSIENS. 


50 


Ce  ne  fut  qu'en  abortliint  la  ligne  [irussionne  ((ui  ooni- 
mencait  à  se  lornicf  ef  en  essuyant  son  feu  qu'il  se 
rendit  compte  de  la  situation.  Kn  résumé,  la  rencontre 
entre  Frédéric  et  Laudon  n'avait  été  prévue  ni  de  l'un  ni 
de  l'autre  et  ils  lurent  tout  aussi  surpris  l'un  et  l'autre  i\r 
se  trouver  en  pi'ésence.  Le  Hoi  le:  reconnut  avec  loyauté 
dans  une  conversation  qu'il  eut  avec  Mitchell  (1)  le  Km- 
demain  (m  le  surlendemain  de  la  bataille.  Voici  en  (piels 
termes  il  s'exprima  :  «  .Vprès  <[uelques  réflexions  excel- 
lentes sur  l'imperfection  de  la  prévoyance  humaine,  il 
ajouta  :  Vous  voyez  comme  j'ai  travaillé  bien  inutilement 
pour  provoquer  l'événement  qui  vient  de  se  produire  par 
l'eli'et  du  hasard  et  qui  peut  être  du  plus  grand  secours 
pour  mes  atlaires.  » 

Pour  le  cond)at  inattendu  qui  allait  s'engager,  les  Prus- 
siens furent  admirablement  servis  par  leurs  habitudes  de 
discipline  et  par  leurs  qualités  manœuvri«''res;  elles  leur 
permirent  de  prendre  leurs  formations  beaucoup  plus  ra- 
pidement que  leurs  adversaires;  d'autre  part,  la  boinu* 
étoile  de  Frédéric  voulut  qu'il  fût  présent  au  point  d'at- 
taque et  qu'il  pût,  sans  un  moment  de  retard,  donner  les 
premiers  ordres  et  en  surveiller  personnellement  l'exécu- 
tion. Tout  d'abord  il  se  servit  de  son  artillerie  de  réserve 
qui  accompagnait  les  brigades  d'infanterie,  pour  installer 
une  batterie  de  10  pièces  de  12  sur  le  Rehberg,  l'une  des 
buttes  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  commanda  au 
général  Schenckendorf  de  s'y  poster  avec  2  bataillons  de 
sa  brigade  pour  protéger  les  canons.  La  manœuvre  fut 
promptement  achevée,  mais  l'ennemi  était  si  proche  que  le 
feu  de  l'artillerie  ouvrit  en  même  temps  que  celui  de  l'in- 
fanterie affectée  à  sa  garde.  Les  tôtes  de  colonnes  des  Au- 
trichiens, après  un  instant  d'hésitation,  avaient  continué 
leur  marche  en  avant.  Laudon  avait  deviné  à  la  vue  des 


(  t)  Milcheli  à  Newcastle,  Neumarkt,  18  août  17fio.  Newcastle  Papeis. 


if  t 


60 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


bataillons  royaux  que  laissait  découvrir  le  jour  naissant,  et 
à  l'intensité  de  la  mousqueterie,  qu'il  avait  alTaire  à  une 
forte  division  sinon  au  corps  principal  des  Prussiens,  mais 
il  préféra  l'otrensive  à  une  retraite  que  la  proximité  des  com- 
battants eût  rendue  fort  délicate.  Il  croyait  d'ailleurs  pou- 
:  voir  compter  sur  l'appui  du  reste  de  l'armée  autrichienne, 
conformément  au  programme  dont  il  remplissait  sa  part. 
Pour  enfoncer  les  lignes  qui  commençaient  à  se  disposer  à 
droite  et  à  gauche  de  la  batterie  centrale  du  Roi,  Laudon 
s'eiforça  de  déployer  ses  troupes,  mais  le  rapproche- 
ment et  la  profondeur  des  colonnes  ne  lui  permirent  pu» 
d'aligner  un  front  de  plus  de  5  bataillons  à  opposer  aux 
15  bataillons  royaux.  Biilow  avec  5  bataillons,  Wcdellavec 
8  bataillons  s'étaient  établis  le  premier  à  gauche,  le  second 
adroite  du  Rehberg.  En  même  temps  que  ces  mouvements 
préparatoires,  sur  la  gauche  prussienne  entre  la  butte  et  le 
village  de  Schonborn  avait  lieu  un  engagement  d'abord 
heureux  pour  les  Autrichiens.  Le  gros  de  la  cavalerie  de 
Laudon  avait  franchi  la  Katzbach  en  aval  de  Bieuowitz  et 
poussé  au  delà  de  ce  village?  Grâce  aux  accidents  d'un  ter- 
rain très  coupé  et  à  la  demi-obscurité  de  l'heure  matinale, 
elle  tourna,  sans  être  signalée,  l'extrême  gauche  de  Tarmée 
royale,  culbuta  les  dragons  de  Krochow,  entama  le  flanc 
gauche  de  l'infanterie  de  Biilow  et  mit  le  desordre  dans  ses 
bataillons  à  peine  rangés.  C'est  sans  doute  à  ce  moment 
qu'une  partie  des  72  pièces  dont  parle  la  dépêche  de  Laudon 
tomba  en  son  pouvoir,  mais  si  succès  il  y  eut,  il  ne  fut 
qu'éphémère.  Les  fantassins  prussiens  se  ressaisirent  et, 
appuyés  par  3  régiments  de  cuirassiers,  refoulèrent  la  ca- 
valerie inipériale  qui  fut  contrainte  de  se  réfugier  dans  les 
abords  marécageux  de  Pohlschildern.  Ainsi  dégagé,  Bii- 
low i  "ta  en  avant  sa  brigade,  derrière  laquelle,  au  retour 
de  leur  charge,  vinrent  se  poster  les  cuirassiers  royaux. 
Pendant  que  se  livrait  ce  combat,  la  droite  prussienne 
faisait  vis-à-vis  au  village  de  Panten,  mais  par  suite  du 


!i 


INCIDENT»  DE  LA  BATAILLE. 


01 


pcn  d'étendue  du  front  autrichien,  n'avait  en  face  d'elle 
aucun  ennemi.  Au  centre,  les  bataillons  de  Bulow  avaient 
pris  l'ollensive  de  concert  avec  1(îs  défenseurs  de  la  bat- 
terie centrale,  dont  les  pièces  suivirent  probablement  le 
mouvemeit.  Après  une  demi-heure  de  fusillade  à  bonne 
portée,  les  Autrichiens  commencèrent  à  plier,  les  cuiras- 
siers et  dragons  prussiens  achevèrent  la  défaite,  tombè- 
rent sur  les  régiments  Toscana,  Starhemberg  et  Waldeck 
et  leur  tirent  beaucoup  de  prisonniers.  Cette  mêlée  eut 
pour  résultat  d'entialner  en  avant  la  gauche  royale  et 
d'ouvrir  entre  elle  et  la  droite  un  vide  qui  ne  fut  comblé 
que  par  un  détacbement  du  bataillon  d'Alt  Brunswick 
et  par  des  pelotons  de  cavalerie.  Les  Autrichiens  qui  s'é- 
taient établis  dans  le  village  de  Panten  ne  surent  pas 
profiter  de  l'occasion  offerte;  ils  se  bornèrent  à  capturer 
les  piquets  d'Alt  Brunswick,  mais  ne  tirent  aucune  tentative 
sérieuse  pour  déboucher  du  village  ;  bientôt  assaillis  à  leur 
tour  par  la  droite  prussienne,  et  notamment  par  un  ba- 
taillon de  la  garde  royale  conduit  par  le  futur  maréchal 
Mollendorf,  ils  furent  chassés  de  Panten  et  rejetés  jusqu'à 
la  Katzbach. 

Entre  temps,  la  bataille  se  prolongeait  entre  Panten  et 
Bienowitz;  la  division  du  corps  de  Laudon  qui  tenait  la 
tète  avait  été  renforcée  de  troupes  fraîches  et  luttait 
avec  courage.  Le  Roi  dut  faire  entrer  en  ligne  sa  réserve 
de  4  bataillons  et  emprunter  au  corps  de  Zieten  2  ba- 
taillons et  5  escadrons.  De  son  côté,  Laudon  fit  appel 
à  sa  cavalerie  ;  celle-ci  chargea  avec  vigueur,  enfonça  le 
régiment  du  prince  Ferdinand  et  ime  partie  de  celui  de 
Bernburg,  leur  enleva  des  drapeaux  cl  force  prisonniers, 
mais  les  autres  bataillons  lui  opposèrent  une  résistance 
si  énergique  qu'il  fallut  reculer  et  cette  fois  la  retraite, 
grâce  à  l'intervention  des  escadrons  royaux,  dégénéra  en 
déroute.  En  cette  occurrence,  le  régiment  de  Bernburg 
racheta  par  sa  bravoure  une   défaillance  partielle  dr- 


.  l 


I  ((\ 


63 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAP.  I. 


vant  Dresde  que  Frédéric  avait  injustement  ou  trop  sévè- 
rement punie  en  lui  enlevant  ses  sabres  et  en  faisant 
couper  les  galons  de  ses  chapeaux.  Le  lendemain  de  la 
bataille  de  Liegnitz,  le  Roi  passa  le  régiment  en  revue  et 
révoqua  la  punition  déshonorante  à  la  grande  joie  dos  of- 
ficiers et  soldats. 

L'échec  de  la  cavalerie  impériale  entraîna  le  recul  de 
l'infanterie  et  force  fut  à  Laudon  d'abandonner  le  champ 
de  bataille;  ses  troupes  se  retirèrent  en  désordre  sur  Bie- 
nowitz  et  de  là  sur  la  Katzbach.  Néanmoins  protégé  par  une 
forte  batterie  que  le  colonel  de  Rouvroy  installa  sur  une 
hauteur  en  arrière  de  Bienowitz  et  sous  le  couvert  d'un 
cordon  de  tirailleurs  croates  qui  s'embusquèrent  sur  les 
rives  boisées  de  la  rivière,  le  passage  de  la  Katzbach  fut 
effectué  sans  nouveau  désastre,  et  les  débris  du  corps  pu- 
rent regagner  leur  camp  de  la  veille.  De  la  part  des  Prus- 
siens ,  il  n'y  eut  pas  de  poursuite,  et  il  faut  reconnaître 
que  dans  la  circonstance,  elle  eût  été  fort  dangereuse.  De 
Pfaffendorf,  on  découvrait  les  colonnes  de  Daun  et  de  Lascy 
s'approchant  de  Liegiiitz  ou  contournant  cette  ville;  dcyà 
l'avant-garde  ennemie  faisait  mine  de  déboucher  et  échan- 
geait des  coups  de  canon  avec  les  troupes  deZieteu.  Selon 
toute  probabilité,  l'armée  royale  allait  avoir  sur  les  bras 
les  50.000  Autriciiiens  du  maiéchal  Daun  et  de  son  lieute- 
nant, soit  un  effectif  presque  double  de  celui  qu'on  aurait 
à  leur  opposer  La  prudence  la  plus  élémentaire  imposait 
au  Roi  l'obligation  de  se  contenter  du  succès  obtenu  et 
d'attendre  les  événements  ultérieurs  d'une  Journée  qui 
commençait  à  peine. 

Voyons  ce  qui  s'était  passé  au  quartier  général  autri- 
chien. A  la  tombée  de  la  nuit,  les  troupes  impériales 
avaient  quitté  leur  bivouac  et  s'étaient  portées  sur  Dohnau 
et  Klein-Schweidnitz  où  elles  devaient  franchir  la  Katz- 
bach; seules,  quelques  unités  appartenant  aux  divisions 
des  généraux  Beck  et  Ried  étaient  passées  sur  l'autre 


DÉMONSTRATIONS  INUTILES  DE  DAUN. 


63 


rive;  à  leur  grand  étonncment,  elles  trouvèrent  les  vil- 
lages de  Schemmelwitz  et  Schmochwitz  inoccupés;  au- 
cune trace  des  Prussiens  que  les  feux  de  campement  aban- 
donnés. Le  général  Ried  fut  aussitôt  prévenu,  mais  quoique 
la  première  constatation  du  départ  de  l'armée  royale  eût 
été  faite  à  11  heures  du  soir,  la  nouvelle  ne  parvint  à  Daun 
qu'à  2  heures  du  matin.  Il  dépêcha  aussitôt  un  officier  à 
Laudon,  mais  soit  défaut  de  diligence  de  l'envoyé,  soit 
nécessité  de  faire  un  long  détour,  ce  général  reçut  l'avis 
trop  tard  pour  rompre  un  combat  déjà  engagé.  D'autre 
part,  le  maréchal  donna  l'ordre  d'activer  le  passage  de 
la  Katzbach  et  de  suivre  les  Prussiens.   Il  y  eut  des  re- 
lards et  de  la  confusion,  et  pour  comble  de  malheur,  le 
veut  qui  soufflait  avec  force  dans  la  direction  de  l'Oder 
empocha  d'entendre  le  bruit  de  la  bataille  qui  se  livrait 
il  8  kilomètres.  Au  lever  du  jour,  entre  4   et  5  heures 
du  matin,  les  têtes  de  colonnes  de  Daun  n'avaient  guère 
dépassé  le  village  de  Schmochwitz,  taudis  que  seuls  les 
Croates  et  les  hussards  de  l'avant-garde  étaient  entrés  dans 
la  ville  de  Liegnitz.  Daun  put  deviner  les  incidents  de  la 
nuit  et  leurs  conséquences;  pour  attaquer  la  division  de 
Zicten  qu'on   voyait  rangée  sur  les  pentes  de  Pfaffen- 
dorf,  il  faui.iait  franchir  le  Schwarz-Wasser  et  débou- 
cher sous  le  feu  de  l'artillerie  prussienne;  de  plus,  les 
luagcs  de  fumée  qui  montaient  des  bois  et  du  village  de 
iMuten,  incendié  au  cours  de  l'affaire,  faisaient  supposer 
qi  une  rencontre  avait  eu  lieu  entre  Laudon  et  le  roi  de 
Prusse.  De  tels  indices  n'étaient  pas  de  nature  à  diminuer 
l'indécision  qui    était  la    caractéristique    du   maréchal  ; 
cependant,  il  résolut  de  continuer  son  mouvement.    En 
conséquence,  l'avant-garde  entama  à  longue  portée  une 
canonnade  contre  la  position  de  Zieten,  et  quelques  esca- 
drons   furent   poussés   en   avant  de  Topferberg   sur   la 
rive   gauche  du  Schwarz-Wasser.    Ces  tentatives,   d'ail- 
leurs mollement  appuyées,  ne   produisirent  aucun  elfet. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


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Zietcn,  devançant  les  instructions  du  Roi.  avait  posté 
ses  troupes  et  placé  ses  pièces  de  12  de  manière  à  balayer 
de  leurs  projectiles  les  seuls  accès  ouverts  aux  Autrichiens. 
Son  artillerie  plus  lourde  prit  bientôt  le  dessus  et  quant 
aux  escadrons  impériaux  exposés  aux  boulets  prussiens, 
sans  soutien  d'infanterie,  ils  repassèrent  le  ruisseau,  lais- 
sant sur  place  ou  aux  mains  de  l'ennemi  une  centaine  des 
leurs.  De  la  part  du  corps  de  Daun  il  y  eut  encore  quel- 
ques démonstrations  et  quelques  coups  de  canon  éciian- 
gés,  mais  il  devint  évident  que  de  ce  côté,  aucune  attaque 
sérieuse  n'était  à  redouter. 

Dans  l'opération  dont  il  avait  été  chargé,  Lascy  ne  fut  pas 
plus  heureux.  Quand  ce  général,  après  avoir  dépassé  le  vil- 
lage de  Waldsee,  s'approcha  du  Schwarz-Wasser,  il  fut  ar- 
rêté par  des  obstacles  imprévus  ;  la  nature  marécageuse  du 
terrain,  la  nécessité  d'établir  une  chaussée  pour  atteindre 
les  bords  du  ruisseau  firent  perdre  beaucoup  de  temps. 
Cependant  quelques  pelotons  de  hussards  découvrirent  un 
gué,  et  traversant  le  village  de  Rustern,  poussèrent  jusqu'à 
liummel  où  avait  été  parqué  le  convoi  de  l'armée  royale 
sous  la  protection  d'une  compagnie  de  la  garde.  Le  capi- 
taine prussien  barricada  l'entrée  du  village  avec  les  voi- 
tures appartenant  au  souverain  et  à  la  suite,  et  fit  une 
défense  si  énergique  que  les  hussards  abandonnèrent  l'en- 
treprise et  rejoignirent  leur  corps.  Un  peu  plus  de  persé- 
vérance leur  aurait  valu  une  capture  des  plus  impor- 
tantes, car,  à  Hummel,  avec  les  bagages  de  l'armée,  le 
trésor  royal,  les  cartes  et  l'équipage  de  Frédéric,  se  trou- 
vaient le  conseiller  Eichel  et  le  ministre  anglais  Mitchell 
qui  en  furent  quittes  pour  la  peur. 

A  8  heures  du  matin,  les  velléités  agressives  de  Daun 
et  de  Lascy  avaient  pris  fin,  et  le  Roi  put  compter  les  tro- 
phées de  sa  victoire.  Le  succès  avait  été  complet.  Le  vain- 
queur évalua  les  pertes  de  Laudon  à  2.000  tués,  4.000 
blessés  et  autant  de  prisonniers,  soit  à  un  total  de  10.000 


PKHTKS  DKS  DEIX  ARMÉES 


65 


officiers  et  soldats  mis  hors  de  combat;  82  canons  et  23 
drapeaux  ou  étendards  lui  avaient  été  enlevés.  Étant 
donné  rcffectif  des  Autrichiens  et  la  durée  du  combat  qui 
ne  dépassa  guère  deux  heures,  ces  chiffres  paraissent 
exagérés.  Montazet,  quelques  jours  après  l'action  (1), 
fixe  à  7.52'+  hommes  le  déchet  du  corps  de  Laudon; 
les  états  officiels  du  rapport  autrichien  relèvent  l.'i.21 
tués,  2.370  l)lessés  et  2.1i0  prisonniers,  en  tout  5.931 
hommes;  le  nombre  de  canons  laissés  aux  mains  des 
Prussiens  n'aurait  été  que  de  68  ou  de  7V  selon  Montazet; 
parmi  les  blessés  étaient  compris  6  généraux  autrichiens. 
Les  pertes  prussiennes,  beaucoup  moins  importantes, 
se  montèrent,  d'après  Gaudi,  à  775  officiers  et  soldats 
tués,  2.489  blessés  et  252  prisonniers,  soit  un  total  de 
3.516  hors  do  combat;  10  drapeaux  avaient  été  capturés 
par  la  cavalerie  autrichienne.  Bien  que  I^audon  ait  reçu 
de  l'Impératrice,  peu  de  temps  après  la  bataille,  une  lettre 
l'assurant  du  maintien  de  sa  confiance,  il  semblerait,  d'a- 
près les  confidences  faites  au  comte  de  Choiseul  et  à  Mon- 
tazet, qu'elle  ne  fut  pas  satisfaite  de  la  conduite  de  son 
général  :  «  Elle  lui  impute  (à  Laudon)  le  malheur  de 
la  journée  du  15,  rapporte  l'ambassadeur  (2),  et  j'ai  vu 
qu'elle  pensait  bien  différemment  de  son  ministre  sur  ce 
général.  Elle  m'a  présenté  cette  affaire  sous  une  face  toute 
différente  de  celle  où  l'on  nous  l'avait  montrée  jusqu'à 
présent,  et  m'a  dit  qu'on  avait  débité  bien  des  mensonges 
à  cette  occasion.  Elle  prétend  que  dans  l'instruction  de 
M.  de  Laudon,  il  lui  était  expressément  défendu  d'attaquer 
le  roi  de  Prusse,  s'il  se  trouvait  au  delà  du  Schwartz- 
Wasser,  et  qu'il  ne  devait  attaquer  qu'à  7  heures;  que  M.  de 
Laudon  n'a  jamais  mis  ses  troupes  en  bataille,  ni  placé 
son  artillerie  de  manière  à  en  faire  usage  ;  qu'il  n'a  com- 


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(1)  Montazet  à  Choiseul,  Conradswalde.  L>1  août  l'fiO.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Comte  de  Clioiseiil  au  duc,  30  septembre  17i!0.  Affaires  Étrangères. 

GUEIIRE   DE   SEPT   ANS.    —   T.    IV.  Ô 


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L\  GUERIIE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  I. 


battu  qu'avec  son  corps  de  réserve  et  que  tout  le  reste 
a  été  inutile  ;  que  ses  troupes  ont  fort  mal  fait,  que  la 
confusion  s'y  est  mise  dès  le  commencement  et  qu'on 
n'avait  jamais  pu  les  débrouiller;  qu'une  seule  charge  de 
cavalerie  faite  pour  favoriser  sa  retraite  avait  bien  réussi, 
et  que  cette  cavalerie  ayant  pénétré  dans  l'infanterie 
ennemie,  avait  pris  les  drapeaux  dont  on  avait  fait  tant  de 
bruit;  que  M.  de  Laudon  avait  son  corps  tout  entier  tel 
qu'on  le  lui  avait  donné  au  commencement  de  la  campa- 
gne et  montant  ce  jour-là  à  42.000  hommes,  que  les 
8  bataillons  que  l'on  avait  tant  reproché  au  maréchal  de 
lui  avoir  ôté  avaient  été  laissés  à  Okirchen,  pour  servir 
en  cas  de  malheur  à  la  retraite  de  l'armée  et  non  pour  la 
renforcer,  et  qu'en  efl'et,  ils  lui  avaient  été  fort  utiles 
après  sa  défaite;  enfin,  que  M.  de  Laudon  n'a  eu  affaire 
qu'à  une  petite  partie  de  l'armée  du  roi  de  Prusse,  tandis 
que  le  gros  de  ses  troupes  était  en  bataille  sur  une  hau- 
teur faisant  face  au  Schwarlz-Wasser  et  à  l'armée  du 
maréchal;  et  que  la  perte  totale  a  été  de  9.000  hommes.  » 
En  parlant  ainsi,  Marie-Thérèse  se  fondait  évidemment 
sur  les  informations  fournies  par  Daun  qui  ne  pouvaient 
être  favorables  à  son  subordonné. 

Au  surplus,  quelle  que  fût  la  perte  matérielle  des  Au- 
trichiens dans  la  bataille  de  Liegnitz,  les  conséquences 
de  l'échec  eurent  une  portée  bien  autrement  grande. 
Aussitôt  rassuré  sur  les  intentions  de  Daun,  le  Roi  re- 
prit l'exécution  de  son  projet  de  réunion  avec  l'armée  du 
prince  Henri;  il  conduisit  le  jour  même  de  l'affaire 
5  bataillons  et  30  escadrons  h  Parchwitz  où  il  s'établit 
sur  la  rive  droite  de  la  Katzbach;  le  reste  de  l'aile 
gauche,  après  avoir  exécuté  les  feux  de  rt'jouissance 
pour  célébrer  la  victoire  du  matin,  rallia  un  peu  plus  tard 
le  nouveau  camp.  Zieten,  qui  venait  d'être  promu  au 
rang  de  général  de  cavalerie,  passa  la  journée  sur  le 
plateau  de  Pfaffendorf  à  enterrer  les    morts,  relever   les 


MISSION  DE  COGNUZZO. 


07 


blessés,  escorter  les  prisonniers  et  rcamasser  le  matériel 
conquis;  vers  le  soir,  il  se  mit  en  marche  et  parvint  vers 
minuit  à  Parchwitz  où  il  campa  face  à  l'Oder  et  à  la 
position  qu'on  supposait  occupée  par  les  Russes  sur  le 
bord  opposé  du  fleuve. 

Malgré  son  succès,  Frédéric  n'avait  pas  encore  ouvert  la 
communication   avec  Breslau  et  avec  le  prince  Henri. 
Ne  rencontrerait-il  pas  sur  sa  route  les  20.000  Russes  de 
Czernitchew  et  avant  d'en  avoir  eu  raison,  ne  serait-il 
pas  abordé  en  queue  par  les  50.000  Autrichiens  de  Daun? 
Le  maréchal  eut  en  eCFet  la  pensée  de  s'opposer  à  la  jonc- 
tion des  armées  prussiennes,  mais  il  ne  prit  dans  ce  but 
que  des  mesures  tout  à  fait  insuffisantes.  Tout  d'abord, 
il  ne  sut  pas  conserver  le  contact  avec  le  Roi.  Montazet  qui 
écrit  (l  )  du  quartier  général  de  la  veille  où  on  était  rentré 
il  k  heures  de  l'après-midi,  après  avoir  raconté  ce  qu'il 
avait  appris  sur  la  défaite  de  Laudon,  ajoute  :  «  Le  Roi  a 
tiré  tout  de  suite  une  réjouissance,  ensuite  de  quoi  il  a 
disparu.   Les  uns  disent  qu'il  va  à  Steinau,  les  autres  à 
Parchwitz.  Ce  dernier  me   parait  plus  vraisemblable,  et 
si  cette  marche  se  confirme,  je  ne  doute  pas  que  M.   le 
Maréchal  ne  retourne  dans  deux  heures,   quoique  nous 
soyons  sous  les  armes  depuis  hier  à  9  heures  du  soir  et 
qu'il  en  soit  six  après-midi...  Si  l'ennemi  passe  à  Parch- 
witz aujourd'hui,  nous  pourrions  nous  battre  demain  dans 
les  environs  de  Neumarkt  sur  le  chemin  de  Breslau.  »  Cet 
espoir  fut  déçu;  au  lieu  de  suivre  l'adversaire  avec  toutes 
ses  forces,  Daun  se  borna  à  détacher  vers  Neumarkt  la 
faible  division  de  Beck  avec  ordre  de  se  joindre  à  Nauen- 
dorf  et  à  Czernitchew.    L'historien  (^ogniazzo   qui  ser- 
vait dans  le  corps  de  Beck  fut  chargé,  au  courant  de  la 
journée  du   15  (2),  d'informoi'  le  général  russe  de  l'ap- 


(1)  Montazet  à  Choiseul,  Skols.  15  août  1760.  AlTaires  Ktiangères. 

(2)  CesUlnduisse  eines  œsterreichischen  Vetei'ans,  lil,  p.  221. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


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proche  de  ces  troupes;  en  route,  il  apprit  l'arrivée  dos 
Prussiens  à  Parchwitz,  avertit  aussitôt  son  yénérnl  et 
continua  sur  Neumarkt  où  il  parvint  à  la  tombée  de  la 
nuit  du  15  au  10;  il  y  rencontra  un  hussard  russe  qui 
lui  donna  connaissance  du  départ  des  Russes  et  de  leur 
retour  à  la  rive  gauche  de  l'Oder.  Czernitchew  avait  été 
avisé  vers  G  heures  du  soir,  par  une  patrouille  cosaque, 
de  la  bataille  du  matin  ;  sans  nouvelle  directe  du  camp 
autrichien ,  il  s'exagéra  l'importance  de  la  défaite  in- 
fligée à  ses  alliés,  se  vit  déjà  aux  prises  avec  les  deux  ar- 
mées royales,  leva  son  camp  de  Gross-Breza  (village  situé 
à  peu  de  distance  de  l'Oder  au  nord  de  Leuthen),  re- 
passa le  fleuve  et  rejoignit  son  chef.  Cogniazzo,  ainsi  fixé 
sur  la  retraite  des  Russes,  expédia  un  sous-officier  et  deux 
hommes  au  quartier  général  de  Soltikofl'  pour  le  mettre 
au  courant  des  mouvements  de  Beck,  mais  ni  cet  avis  qui 
dut  être  remis  au  destinataire  dans  la  matinée  du  16,  ni  les 
renseignements  plus  complets  apportés  par  des  officiers 
autrichiens  (1)  au  camp  de  Peterwitz  dans  la  même  jour- 
née du  16,  ne  purent  déterminer  le  maréchal  russe  à  revenir 
sur  la  décision  prise  :  Daun  n'ayant  pu  remplir  sa  promesse 
d'empêcher  le  roi  de  Prusse  de  se  rapprocher  de  l'Oder,  il 
se  refusait  absolument  à  risquer  une  division  de  son  armée 
de  l'autre  côté  du  tleuve.  Sans  le  concours  de  Czernitchew, 
les  détachements  autrichiens  étaient  incapables  de  s'oppo- 
ser à  la  marche  de  Frédéric,  aussi  Beck.  et  Nauendorf  qui 
avait  été  détaché  dès  avant  la  bataille,  dans  le  même  but, 
n'essayèrent-ils  pas  de  risquer  un  combat  qui  eût  été  trop 
inégal  et  rallièrent-ils  le  gros  de  leur  armée.  On  a  pré- 
tendu que  le  recul  un  peu  précipité  de  Czernitchew  avait 
été  hâté  par  la  lecture  d'un  billet  de  Frédéric  au  prince 
Henri,  où  il  était  question  d'un  passage  de  l'Oder  et  d'une 


(1)  Montalembert  à  Montazef,  Kainova,  20  août  1760.  Correspondance.  II, 
p.  244. 


RETRAITE  DE  CZERNITCIIEW. 


CO 


action  commune  contre  les  Russes.  Le  porteur  de  ce 
message  devait  faire  en  sorte  de  tomber  entre  les  mains 
des  éclaireurs  russes  et  leur  livrerait  la  correspon- 
dance royale.  U^oi  fju'il  en  fût,  Daun  dans  une  lettre  à 
Plunkett  en  date  du  18  août,  cherclia  à  rejeter  sur  Czcr- 
nitcliew  la  responsabilité  de  la  fausse  manœuvre  et  parla 
de  la  retraite  inattendue  du  général  russe.  Co  blâme 
indirect,  maladroitement  communiqué  à  la  personne 
visée,  fut  pris  en  très  mauvaise  part  et  contribua  à  aug- 
menter la  tension  qui  existait  déjà  dans  les  rapports  des 
alliés. 

Certes,  Czernitcliew  eût  pu,  sans  grand  danger,  prolonger 
de  quelques  heures  son  séjour  sur  la  rive  gauche  de 
roder  et  opérer  sa  réunion  avec  les  détachements  de 
lieck  et  Nauendorf  ;  mais  en  vertu  de  l'accord  verbal  entre 
I.audon  et  SoltikofT,  il  avait  été  stipulé  que  si  le  Roi, 
échappant  aux  attaques  combinées  des  Autrichiens,  s'ap- 
prochait (le  roder,  Soltikotf  n'était  pas  tenu  de  l'attendre, 
mais  était  libre  de  se  retirer  vcrsMilitsch.  Rien  d'extraor- 
dinaire il  ce  que  le  départ  annoncé  ait  été  eilectué.  La 
véritable  faute  de  Daun  fut  de  n'avoir  pas  entretenu  des 
conmiunications  régulières  et  suivies  avec  Czernitcliew, 
de  ne  l'avoir  pas  prévenu  dès  le  matin  du  15  de  son  inten- 
tion de  lui  donner  la  main  et  de  n'avoir  pas  affecté  à 
cette  opération  son  armée  entière  ou  tout  au  moins  le 
gros  de  ses  forces.  En  fait  Soltikolf  avait  dépassé  ses 
engagements;  le  IG  août,  après  l'arrivée  des  messagers 
autrichiens,  il  avait  «  ordoimé  sur-le-champ  le  rétablisse- 
ment des  ponts  à  Auras  et  a  fait  dire  i\  M.  de  Laudon,  par 
ces  mêmes  officiers,  qu'il  tiendrait  le  corps  du  comte  de 
Czernitcliew  à  portée  de  se  joindre  à  lui  par  le  moyen  de 
ces  ponts,  selon  que  les  circonstances  l'exigeront  ».  Durant 
la  journée  du  16,  le  bruit  courut  dans  le  camp  russe  que 
Laudon  était  à  Neumarkt  et  certainement  la  nouvelle  de  la 
marche  de  Daun  eût  décidé  le  généi  alissimc  russe  à  rem- 


70 


LA  OUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


|)lir  sa  promesse.  «  Mais,  ajoute  Montalembert  (Il  pendant 
la  nuit  du  Ki  au  17  Ton  a  su,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  le 
\\o\  occupait  NeuniarUt  et  point  M.  de  Laudon.  Il  n'ëtait 
donc  plus  possible  de  jeter  des  pouls  à  Auras  ni  de  les 
soutenir.  D'un  autre  cùfé,  M.  de  Laudon  ayant  appris  que 
le  comte  de  Czernitchew  avait  re[iass«''  l'Oder,  n'a  pu 
exécuter  le  projet  ([u'il  avait  formé  de  venir  à  NeuraarUt, 
puisque  cette  marche  n'avait  que  la  joncti<»n  pour  objet. 
C'est  ainsi  que,  faute  d'une  communication  assez  Iré- 
quente,  on  a  perdu  des  moments  précieux  et  que  chacun 
de  son  côté  a  été  forcé  de  faire  des  manœuvres  opposées 
à  celles  ([u'il  avait  dessein  de  faire.  » 

Que  Laud'  i  eût  été  en  état  d'exécuter  le  plan  que 
ses  officiers  a  ..aient  proposé  en  son  nom  semble  plus  que 
douteux;  au  dire  de  Montazet,  l'ordre  d'une  marche  géné- 
rale sur  Neumarkt  aurait  été  donné  le  15,  puis  révoqué. 
«  .le  fus  chez  M.  le  Maréchal,  écrit  l'attaché  (2),  pour  lui  en 
demander  la  raison,  il  me  répondit  (juc  «  M.  de  Bota  était 
venu  le  prier  en  grâce,  de  la  part  de  M.  de  Laudon,  de  ne 
point  faire  ce  mouvement,  puisqu'il  lui  était  impossible 
de  marcher  tout  de  suite  pour  le  suivre,  après  l'action  vive 
qu'il  venait  d'avoir,  que  par  conséquent,  le  roi  de  Prusse 
qui  avait  passé  la  Katzbacb  à  Parcliwitz,  et  qui  était  fort 
près  de  lui,  pourrait  lui  tombersur  le  corps  et  l'écraser  ». 
Voici  en  quels  termes  Montazet  parle  de  l'envoi  du  déta- 
chement de  Beck  :  «  La  représentation  de  M.  de  Laudon 
change  le  projet  de  M.  le  Maréchal,  du  moins  c'est  la 
seule  raison  (ju'ilm'a  donnée,  mais  comme  il  avait  quelque 
inquiétude  sur  le  corps  russe  aux  ordres  de  M.  de  Czernit- 
chew qui  s'était  porté  vers  Neumarkt,  il  d(''tnchale  corps 
de  réservo  et  les  grenadiers  de  l'armée  pour  se  porter  vers 
eux,  les  priant  de  se  rejeter  du  côté  de  Jaiicr  afin  de  lui 


(1)  Lettre  déjà  citée. 

(2)  Montazet  à  Cboiseul,  Conradswalde.  17  août  1760.  Affaires  Étrangères. 


INDknSION  DE  DAUN. 


71 


doniior  le  temps  de  Its  joindre  le  loiubmain.  Cette  pré- 
caution u  été  en  pure  perte  puisque  le  corps  russe  était 
parti  sans  attendre  lavis  de  personne,  et  par  ordre  de 
Âl.  de  Soltikoir.  M.  le  Maréchal  ayant  appiis  la  même  nuit 
que  les  llusscs  avaient  passé  l'Oder  et  môme  i-oleve  leurs 
ponts,  n'a  plus  souf^é  A  marcher  sur  Neumnrkt,  il  a  au  con- 
traire porté  1  armée  sur  Strigau,  et  de  là  sur  Schweid- 
nitz,  où  nous  venons  d'arriver  il  y  a  um;  heiu'e.  »  L'im- 
possibilité dans  laquelle  se  trouvait  Laud«>n  de  marcher 
isolément  sur  Parchwilz  ou  menu-!  de  suivre  le  gros  de 
l'armée  ne  constitue  pas  une  evcuse  valable  pour  Daun 
qui,  à  lui  seul,  sans  compter  les  20.000  Russes  de  Czernit- 
chew,  avait  presque^  le  double  de  l'eUectif  prussien.  L;iu- 
don,  couvert  par  la  mana'Uvie  de  Daun,  n'aurait  couru 
aucun  risque  de  la  part  du  K(»i  et  auiait  eu  le  loisir  de 
réorganiser  ses  troupes.  La  pointe  sur  Neunuirkt  n'eùt- 
elle  pas  pu  être  accomplie  en  temps  utile,  une  poursuite 
active  des  Prussiens  aurait  probablement  fourni  l'occasion 
de  recouvrer  tout  au  moins  une  partie  des  prisonniers  et 
du  matériel  que  Zieten  emmena  avec  lui.  En  résumé,  l'in- 
décision et  les  hésitations  de  Daun  transformèrent  en  évé- 
nement capital  une  affaire  qui  n'aurait  pu  être  qu'un  inci- 
<lent  l'Acheux  pour  la  cause  autrichienne. 

La  bataille  de  Lieunitz  a  été  quelquefois  comparée  à 
celle  de  Hochkirch  et,  à  ne  considérer  que  l'action  même, 
la  comparaison  peut  se  soutenir,  mais  cond)ien  différente 
dans  les  suites!  Dix  jours  après  sa  défaite  de  Hochkirch,  le 
roi  de  Prusse  avait  rc^pris  le  dessus  et  donmiit  le  ton  à  son 
vainqueur.  Au  contraire,  Frédéric  tira  tout  le  parti  possible 
de  sa  victoire  de  Liegnilz,  non  seulement  il  sortit  d'une 
situation  presque  inextricable  en  effectuant  sa  jonction 
avec  le  prince  Henri,  mais  il  empêcha  celle  des  Russes 
avec  les  Autrichiens,  sema  la  discorde  entn;  les  alliés, 
mit  fin  à  toute  coopération  utile  et  sauva  la  Silésie.  Ces 
résultats,  il  les  dut  aux  fautes  de  ses  adversaires,  à  la 


78 


LA  GUERRE  DE  SLPT  ANS.  —  CllAi>.  I. 


discipline  et  i\  la  brnvoun  de  ses  soldats,  i\  sa  prôsence 
d'esprit,  au  coii]>  dd'il  du  général,  à  l'habileté  du  tacti- 
cieu,  surtout  à  l'iudouiplublc  trempe  de  sou  caractère. 

Quant  k  Laudon,  en  dépit  de  sa  défaite,  il  ne  per- 
dit pas  son  prestige  militaire,  et  conserva  môme  la 
confiance  de  Kauuitz  et  la  laveur  apparente  de  sa  souve- 
raine. Sur  le  terrain,  il  s'était  montré  chef  énergi- 
que, sachant  prendre  un  parti  et  le  soutenir  avec  uu 
courage  à  toute  épreuve,  mais  l'attaque  impétueuse,  la 
course  au  clocher  à  la  concniôte  (h^s  baj^^ages  prussiens 
semblent  ])lutAt  l'œuvre  d'un  officier  de  partisans  que 
celle  d'un  commandant  d'armée.  Le  général  Beck,  qui 
n'aimaitgucre  ce  collègue  parvenu,  en  troisans,  dugrachî 
de  lieutenant-colonel  à  celui  de  général  d'infanterie, 
avait  (piehpie  raison  do  le  comparer  à  un  bon  capitaine 
de  grenadiers.  Un  peu  plus  de  souci  d'éclairer  sa  marche 
l'eût  empêché  de  se  jeter  tôte  baissée  sur  les  forces  du 
Roi  et  lui  eût  permis  de  concerter  son  action  avec  celle 
du  généralissime.  Les  difficultés  du  terrain,  la  mauvaise 
disposition  des  colonnes,  l'infériorité  des  Autrichiens  en 
qualités  manœuvrières  expliquent  leur  défaite;  mais  à  ces 
causes,  il  n'est  pas  exact  d'ajouter,  comme  le  firent  Lau- 
don  et  ses  partisans,  celle  de  la  supériorité  numérique  de 
l'armée  royale.  Tenant  compte  des  détachements  envoyés 
à  Parchwitz  ou  à  Hochkirch,  nous  avons  évalué  l'eirectif 
de  Laudon  à  '25.000  hommes,  alors  que  presque  tous  les 
historiens  prussiens  lui  en  allouent  35.000  et  que  Flmpé- 
ratrice  lui  en  avait  attribué  plus  de  VO.OOO;  mais  le  Roi 
ne  lui  opposa  qu'un  peu  plus  de  la  moitié  de  son  armée, 
soit  18.000  à  20.000  combattants.  Quoi  qu'il  en  fût,  Lau- 
don profita  de  la  légende,  fit  croire  —  et  crut  peut-être 
lui-même  —  qu'il  avait  combattu  un  ennemi  plus  fort  que 
lui,  que  prévenu  de  sa  marche,  cet  ennemi  le  guettait 
au  passage,  enfin  qu'il  avait  été,  sinon  trahi,  tout  au 
moins   sacrifié  par  son  chef.   Cette   troisième  assertion 


APPUKriATIONS  l»K  MONTA/KTSI  H  LES  GkNKIUUX  AtTHlCIIIENS.  73 

est  aussi  orroiu-e  que  les  tI(Mix  |H'onii^r«'s.  A  V  heures  du 
matin,  «[uamiran'aii'fMlt'Ijutn,  Haun  et  Lnscy  étaient  encore 
aux  prises  avec  les  difficultés  du  passaj^e  de  la  Katzbacli 
fi  tournaient  le  dos  au  champ  de  hatailh>;  à  0  heures, 
alors  <|ue  les  ti'oupcs  de  Laudon  étaient  en  pleine  retraite 
et  la  bataille  perdue,  le  yros  de  l'armée  autrichienne 
n'avait  pas  encore  atteint  les  faubourgs  de  Liegnitz  et 
était  beaucoup  trop  éloigné  pour  prêter  un  secours  qui 
n'eut  plus  été  efficace.  Les  torts  de  Daun  sont  assez  évidents 
pour  qu'on  ne  le  charge  pas  de  fautes  qu'il  n'a  pas 
connnises. 

Sans  doute  le  rapide  avancement  de  Laudon  avait  fait 
des  jaloux,  Montazet  le  constate,  mais  m.dgré  la  liberté 
avec  lacpielle  il  s'exprime  sur  le  compte  de  Daun,  jamais 
il  ne  lui  attribue  de  mauvais  sentiments  à  l'égard  de  son 
lieutenant.  Son  appréciation  (1)  sur  l'état-major  impérial 
et  sur  les  responsabilités  de  Liegnitz  est  à  citer  :  c  II  faut 
trancher  le  mot.  Monsieur,  ma  conscience  m'obligea  dire 
qu'il  n'est  pas  possible  que  cette  armée  manœuvre  avec 
succès  vis-à-vis  l'ennemi  que  nous  avons.  Les  talents  de 
M.  le  .Maréchal  Daun  ne  sont  point  ceux  qu'il  faudrait  dans 
(les  circonstances  semblables;  il  n'est  aidé  d'ailleurs  par 
personne,  car  MM.  de  Lascy  et  de  Laudon  ne  sont  occupés 
que  (le  leur  affaire  particulière...  Il  n'y  a  d'ailleurs  dans 
cette  armée  aucun  généi-al  dont  M.  le  maréchal  Daun  fasse 
cas  ;  il  n'a  donc  pour  toute  ressource  que  son  état-major 
dont  M.  de  Cbiskovitz  est  le  chef,  à  qui  je  serais  au  dé- 
sespoir de  faire  tort,  mais  qui  véritablement  n'entend  rien 
au  grand  de  la  besogne  ;  il  a  par-dessus  cela  un  caractère 
aussi  froid  que  timide.  Jugez  de  la  nature  des  délibérations 
entre  M.  le  Maréchal  et  lui,  aussi  vous  voyez  ce  qui  en  ré- 
sulte... Je  dois  vous  avertir  d'ailleurs,  Monsieur,  qu'il  n'y 
a  nulle  harmonie  dans  cette  armée.  La  jalousie  y  règne, 


I  i 


il 


(1)  Montazet  à  Choiseul,  Conrailswaldc,  5.s  août  1760.  Affaires  Étrangères. 


7t 


lA  Gl'ERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  I. 


'// 


M.  le  Mari'chal  a  beaucoup  d'ennemis;  M.  de  Lascy  en  a 
beaucoup  aussi;  M.  de  Laadon  en  a  bien  quekjues-uns, 
même  de  la  première  trempe  ;  et  voilà  ce  qu'ont  produit  les 
exaltations  outrées  delà  cour  de  Vienne  en  sa  faveur.  La 
vérité  est  ([u'il  s'est,  je  crois,  un  peu  trop  aventuré,  et  que 
nous  n'avons  rien  fait  pour  le  tirer  dallaire.  Il  eût  été 
même  très  difficile  à  M.  le  Maréchal  de  le  secourir  parce 
que  son  combat  commença  avant  que  nous  n'eussions  passé 
la  Katzbach  et  que  nous  étions  éloignés  de  lui  d'un  mille. 
Le  tort  que  nous  avons  eu  est  de  ne  l'avoir  pas  fait  avertir 
de  la  confusion  qu'il  y  eut  dans  notre  mouvement  pendant 
la  nuit,  qui  retarda  notre  arrivée  au  rendez-vous  donné 
de  plus  de  quatre  grandes  heures.  Une  auti-e  cliuse  qu'il 
peut  nous  reprocher  avec  justice  est  de  lui  avoir  pris  H  ba- 
taillons et  2  régiments  de  cavalerie,  dont  nous  aurions  pu 
très  bien  nous  passer,  et  qui  lui  auraient  été  très  utiles.  » 
Que  les  sentiments  intimes  de  Marie-Thérèse  à  l'égard 
de  Laudon  aient  été  modifiés  par  la  lecture  des  rapports 
sur  la  journée  du  15  août,  cela  est  probable;  toujours  est-il 
qu'au  lendemain  de  la  bataille,  sa  défaite  lui  valut,  de  la 
part  de  la  princesse  et  de  son  chancelier,  des  témoignages 
de  confiance  qui  n'auraient  pas  été  déplacés  à  l'occasion 
d'un  succès  éclatant.  L'impératrice-Reinc  écrivit  au  général 
malheureux  une  lettre  où  elle  le  félicitait  de  sa  conduite, 
et  complimentait  les  officiers  et  soldats  sur  la  l)ravoure 
qu'ils  avaient  déployée.  Du  cas  qu'il  faisait  de  sa  valeur 
militaire,  le  cabinet  da  Vienne  donna  une  preuve  tan- 
gible :  dans  le  projet  d'opérations  élaboré  peu  de  jours 
après  la  nouvelle  de  la  bataille  de  Liegnitz,  c'est  Laudon 
que  Marie-Thérèse  désigna  (1)  pour  conmiander  les  'i.O.OOO 
Autrichiens  qui,  de  concert  avec  20.000  [lusses,  devaient 
couvrir  le  siège  prévu  de  Glogau. 


(I)  Cabinets  Sehrcibenan  Daun,  Vienne,  22  août  1760.  Archives  de  Vienne. 


CHAPIPRE  H 

BERLIN 

MANOEUVRKS  OE  FRKDKniC  KT  DE  DAUN  EN  SILKSIK.  —  EX- 
PÉDITION DES  RI  SSES  ET  DE  LASCV  SUR  BERLIN.  —  CAPI- 
TILATION  ET  OCCUPATION  DE  UKRI.IN.  —  SIÈGE  DE  COL- 
KKRG.  —  RETOUR  DES  RUSSES  DERRIÈRE  LA  VISTULE.  — 
CAMPAGNE   DES    SUÉDOIS. 


Le  roi  de  Prusse  s'était  installé  à  Ncninarkt  après  sa  vic- 
toire; il  y  resta  Jusqu'au  19  août,  u-i  de  fiùvo  reposer  ses 
soldats  ([ui  marchaient  ou  se  battaient  presque  sans  inter- 
ruption depuis  leur  départ  de  Saxe.  Ce  fut  de  ce  camp  qu'il 
adressa  au  marquis  d'Argens  un  l)illet  intime  qui  tomba  en- 
tre les  mains  de  l'ennemi  et  qui  fit  aussitôt  le  tour  des  cours 
d'Europe.  L'écrivain  royal  a  conscience  des  obstacles  qui, 
nidltiré  son  succès  récent,  se  dressaient  devant  lui  et  ne  ca- 
che pas  le  décourag-ement  qu'il  éprouvait  parfois  en  dépit  de 
son  intrépidité  morale  :  "  Autrefois,  mon  cher  marquis  (1), 
l'aU'aire  du  15  aurait  décidé  de  la  campaiine;  à  présent, 
cette  action  n'est  qu'une  éi;rati;",nure.  Il  faut  une  grande 
bataille  pour  fixer  notre  sort  ;  nous  la  donnerons  suivant 
toutes  les  apparences  bientôt,  et  alors  on  pourra  se  réjouir 
si  l'événement  nous  est  avantageux...  .lamais  je  n'ai  été 
de  ma  vie  dans  une  situation  plus  scabreuse  ([ue  cette 

(1)  Frédéric  à  d'Argens,  27  août  17(iC.  Correspondance  île  Montalemberl, 
II,  p.  278. 


Il 


>^v  ' 


7ft 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IF. 


campagnc-ci  ;  croyez  qu'il  faut  encore  du  miraculeux  pour 
nous  faire  siirnionter  toutes  les  difficultés  que  je  prévois; 
je  ferai  sûrement  mon  devoir  dans  l'occasion,  mais  sou- 
venez-vous toujours,  moucher  marquis,  que  je  ne  dispose 
pas  de  la  fortune  et  que  je  suis  obligé  d'admettre  trop  de 
casuel  dansmes  projets,  faute  d'avoir  les  moyens  d'en  for- 
mer de  plus  solides;  ce  sont  les  travaux  dllorcnle  que  je 
dois  finir  dans  un  kge  où  la  force  m'abandonne  et  où  mes 
infirmités  augmentent  et  à  vrai  dire,  quand  l'espérance, 
seule  consolation  des  malheureux,  commence  à  me  man- 
quer  Je  mène  ici  la  vie  d'un  chartreux  militaire,  j'ai 

beaucoup  à  penser  à  mes  afiTaires  ;  le  reste  du  temps  je  le 

donne  aux  lettres, Je  ne  .sais  si  je  survivrai  à  cette 

guerre;  mais  je  suis  I  en  résolu,  en  cas  que  cela  arrive, 
de  passer  le  reste  de  mes  jours  dans  la  retraite  au  sein  de 
la  philosophie  et  de  l'amitié.  » 

Pendant  que  Frédéric  se  préparait  à  un  nouvel  eiVoit 
contre  l'arm  e  autriciiienne,  celle-ci  s  était  retirée  vers 
Striegau  et  ^'ormait  un  cordon  entre  cette  ville  et  la  forte- 
resse de  Schweidnitz,  dont  elle  paraissait  vouloir  entre- 
prendre le  sièi  3.  Le  parcours  des  environs  de  Liegnitz 
au  c(uartier  général  de  Conradswalde,  distant  de  15  ki- 
lomètres de  Schweidnitz,  avait  été  accompli  avec  une 
hiUe  qu'on  ne  s'explique  pas  :  «  Nous  venons  de  mar- 
cher vingt-quatre  heures  de  suite,  écrit  Montazet  (1), 
pour  prendre  cette  position;  tout  le  monde  est  sur  les 
dents;  et  j'avoue  que  depuis  que  je  fais  la  guerre,  je  n'ai 
point  vu  de  campagne  aussi  rude.  »  Ue  son  camp,  Daun 
avait  expédié  à  Vienne  le  général  Pellegrini  avec  son 
rapport  et  une  demande  d'instructions  fraîches.  Elles 
portent  la  date  du  22  (2),  mais  ne  seraient  arrivées  au 
maréchal  ([ae  le  20,  car  c'est  seulement  dacs  sa  dépê- 
che du  27  que  Montazet  en  parle.  L'Impératrice  n'enten- 

{l)Monlazel  à  Choiseul,  Conradswalde,  17  aoiU  ITCO.  Afl'aires  lilrangèros. 
(2)  Cabiiu'(s  Sclireibcii  an  Dniin,  Vienne,  'V.>  aoAt  ITfiO.  Archives  de  Vienne. 


NOUVEAUX  PROJETS  DE  COOPERATION  DES  RUSSES 


77 


d.iitpas  renoncer  à  la  coopération  avec  les  Hnsses,  projet 
qui  avait  reçu  un  commencement  de  réalisation  avant  la 
désastreuse  bataille  du  15.  Deux  expédients  s'offraient  pour 
le  reprendre  :  le  premier  consisterait  à  proposer  à  Soltikoff, 
avec  tous  les  ménagements  désirables,  de  se  charger  du 
siège  de  Glogau  pour  lequel  l'artillerie  nécessaire  serait 
fournie  par  l'Autriche  ;  l'opération  serait  couverte  par  un 
corps  mixte  de  40,000  Autrichiens  et  de  20.000  Russes  sous 
les  ordres  de  Laudon.  Daun,  par  des  démonstrations  sur 
lireslau,  détournerait  l'attention  des  Prussiens  et  les  obli- 
gerait à  diviser  leurs  force''.  Au  cas  où  les  Russes  refa- 
scraient  de  participer  à  cette  entreprise,  on  se  rabat- 
trait sur  le  siège  de  Schweidnit/.  dont  le  principal  avantage 
serait  d'amener  la  bataille  que  le  Roi  ne  manquerait  pas  de 
livrer  pour  secourir  la  ville  vi  sur  les  etl'ets  de  laquelle,  si 
elle  était  licureuse,on  fondait  d(î  glandes  espérances.  Con- 
sulté par  lliuporatrice  sur  les  deux  alternatives,  Montazct(l) 
répondit  par  un  mémoire  où  il  démontrait  ([ue  la  réussite, 
possible  dans  l'un  ou  l'autre  cas,  serait  subordonnée  aux 
agissements  des  alliés.  Mais  «  pour  huit  raisons  dill'érentes 
dont  la  plus  forte  est  l'expérience  des  dernières  campa- 
gnes »,  il  ne  croyait  guère  à  l'action  commune.  D'après  lui, 
on  n'avait  le  choix  qu'entre  deux  partis  :  «  Se  livrer  tout 
entier  aux  Russes  et  faire  dépendre  d'eux  entièrement  le 
succès  (le  la  campagne  o,  ou  «  les  prier  de  s'éloigner  de 
nous  le  plus  tôt  qu'ils  pourront  et  d'aller  vers  Francfort, 
Custrin  et  Rcrlin  môme  s'ils  le  peuvent  ». 

Pendant  qu'on  discutait  à  Vienne  et  dans  le  camp  autri- 
ciiien  siH'  les  moyens  d'assurer  le  concours  des  Russes, 
ceux-ci,  malgré  les  efforts  des  attachés  étrangers  pour  les 
retenir,  s  écartaient  de  plus  en  plus  du  point  de  contact. 
Le  16  août,  il  est  vrai,  IMunkett  avait  obtenu  de  Soltikolf 
un  sursis  des  préparatifs  déjà  faits  pour  le  départ   :  «  .le 

(Il  "tîonlazet  au  comltMle  ("hoiscul,  Coiiradswalilc    !8  août  ITCiO.  Affaires 
Étrangères. 


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11 


78 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  II. 


fus  assez  hcureu.x,  écrit-il  à  Daun  (1  ),  pour  engager  le  ma- 
réchal à  ne  pas  s'éloigner  le  jour  16  et  môme,  sur  l'ar- 
rivée (les  officiers  dépéchés  par  le  prince  de  Lowenstein, 
j'ai  engagé  lo  maréchal  à  donner  ses  ordres  pour  le  réf  ablis- 
sement  du  pont.  Les  pontons  furent  à  l'eau  quand  un  nou- 
veau rapport  vint  de  l'arrivée  de  l'armée  prussienne  à  Neu- 
markt;  là-dessus,  le  travail  fut  arrêté,  et  la  résolution  fut 
prise  de  s'éloigner  encore  un  peu  pour  prendre  la  position 
où  noussommesactuellementàciuq  milles  de  roder;  l'igno- 
rance entière  où  j'étais  de  la  position  de  V.  E.  m'ôtaitles 
moyens  de  m'opposer  à  ces  démarches.  »  Cependant  sur 
l'avis  qu'on  songeait  à  repasser  la  Bartsch  et  à  gagner 
Militsch,  l'attaché  autrichien  prit  sur  lui  de  soumettre  à 
Soltikoti'  un  mémoire  dont  i'  rnvoya  copie  à  Daun  :  «  Ne 
pouvant  pas  arrêter  le  te  u.,  dit-il,  je  croyais  bien  faire 
aie  divertir.  »  Le  projet  de  Plunkett,  appuyé  par  Monta- 
lembert  (2),  consistaità  faire  agir  les  Russes  sur  lebas  Oder 
où  le  prince  Henri  serait  obligé  de  les  suivre  :  «  N'ayant 
pas  pu  tirer  parti  de  cette  armée  selon  le  premier  plan  des 
opérations,  il  faut  tAcher  d'en  tirer  parti  pour  une  diver- 
sion d'un  côté  qui  donnera  une  jalousie  naturelle  à  l'ennemi 
coumiunet  où  cette  armée  peut  subsister  assez  de  temps 
pour  faciliter  à  V.  E.  les  opérations  qu'elle  voudra  en- 
treprendre; cette  diversion  ne  peut  être  que  sur  lo  bas 
Oder,  et  voilà.  Monseigneur,  ce  qui  m'a  déterminé  à  pro- 
poser sans  attendre  vos  ordres,  la  manœuvre  en  question.  » 
Malheureusement,  cette  conception  fort  raisonnable  ne 
cadrait  pas  avec  les  instructions  de  la  cour  de  Vienne.  Un 
incident  fâcheux,  la  maladie  de  Soltikoff,  vint  augmen- 
ter l'incohérence  dans  les  relations  déjà  si  difliciles  à  entre- 
tenir entre  les  alliés.  «  Une  grosse  fièvre,  continue  PI  un- 
it) PlurikGtl  à  Diiun,  Cayaove,  XI  août  17(ju.  Archives  de  Vienne.  (Les  dé- 
pt^ches  de  Phinkell  son!  "n  français). 

(2)  Monlalemberl  pu  ("rnte  de  Clioiseul    Kàiiowi,    '.    ^j  .  1700.  Corres- 
pondance de  Moi'tueiiiiiorl,  vol.  U,  p.  20.  (.ni".    177T. 


% 


MALADIE  DE  SOLTIKOFF 


79 


kett,  l'aattaqué  il  y  a  quatre  jours  ;  le  second  jour,  elle  était 
si  forte  qu'il  s'est  démis  du  commandement  entre  les  mains 
du  comte  de  Fermer,  et  la  résolution  était  prise  de  se  re- 
tirer à  iMilitsch  ;  j'ay  bien  trouvé  dans  cette  occasion  la  vé- 
rité du  proverbe  italien  :  «  Il  lupo  cangia  il  pelo,  ma  il 
vilio  mai  »  ;  j'ai  d'abord  entamé  une  négociation  avec  ce 
général,  je  n'en  pouvois  rien  tirer  que  des  propos  vagues 
qui  me  montroient  le  fond  de  son  caractère;  je  me  suis 
joint  avec  tous  ceux  en  qui  j'ai  découvert,  jusqu'à  cette 
heure,  une  envie  de  faire  quoique  chose  :  Czernitchew, 
Wolkonsky,  Panin.  Une  heureuse  crise  vint,  le  maréchal 
ne  part  plus,  et  a  repris  le  commandement;  je  dois  avouer 
(juc  je  regarde  cecy  comme  un  grand  bonheur;  ce  géné- 
ral malgré  tous  ses  foibles  est  encore  moins  mauvais  que 
ceux  qui  le  suivent  inmiédiatement.  » 

A  la  date  du  20  août  étaient  arrivées  au  camp  russe  des 
lettres  de  Daun  et  de  Montazet  (1)  dont  le  contenu  fut  com- 
muniqué à  Soltikolt  à  moitié  réabli,  et  qui  le  décidèrent  à 
adopter  les  suggestions  des  attachés  autrichien  et  français  : 
«  Je  descendrai,  écrit-il  à  Plunkett(2),  l'Oder  à  petites  jour- 
nées, pour  forcer  le  prince  Henri  à  me  suivre  et  à  dégager 
M.  le  comte  de  Daun  dont  je  faciliterai  par  là  les  opéra- 
tions contre  le  roi  de  Prusse;  je  tâcherai  même  d'attaquer 
le  prince  Henri  si  l'occasion  s'en  présente...  Je  prie  V.  K. 
d'informer  M.  le  comte  de  Daun  de  mes  intentions  et  de 
me  faire  parvenir  les  siennes  au  plus  tôt.  »  Kn  attendant 
l'accoidsur  l'action  future,  l'armée  russe  se  porta  à  Tra- 
chcnberg,  puis  à.  llerrnstadt  où  elle  franchit  la  Bartsch  le 
25  août  et  où  elle  demeura  inactive  jusqu'au  13  septem- 
bre. U  eiit  presque  superflu  dédire  que  les  pourparlers  se 
poursuivire'  '  entre  les  deux  quartiers  généraux,  mais  con- 
duits tantôt  par  Soltikotf,  tantôt  par  Kermor  du  côté  russe, 


'lu 


'  ui 


'Wi\ 


(1)  Monlalemlierl  au  comte  de  Clioiseul,  Kainova,  M  aortt    1700.  Corres- 
pondance, II,  p.  2i2. 
('2j  Soltikoir  à  Plunkelt,  Caynove,  21  août  1760.  Archives  de  Vienne. 


I 


Si 


1! 


80 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


dirigés  par  Daun  ou  Laudon  du  ciHé  autrichien,  gônés  par 
les  difficultés  de  transmission  à  travers  un  pays  occupé  par 
l'ennemi,  ils  ne  pouvaient  aboutir  à  un  résultat  immédiat. 
Monlazct  résume  fort  bien  la  situation  (1)  :  «  M.  le  Maré- 
chal a  proposé  à  sa  cour  de  négocier  pour  qu'on  lui  cède 
25,000  [lusses  qui  hiverneraient  en  Silésic,  au.xquels  il 
join<lrait  M.  de  Laudon  avec  une  quarantaine  de  mille 
hommes  pour  opérer  dans  ce  canton,  tandis  qu'il  irait  li- 
bérer la  Saxe  jusqu'à  Dessau,  atin  d'empêcher  l'ennemi  de 
repasser  l'Elbe,  quand  le  gros  des  Russes  serait  parti.  H  a 
proposé  en  même  temps  qu'on  travaillât  à  déterminer 
M.  di-  >ioltikoil  cH  sepoiter  vers  Francfiirt  et  en  Poméranie 
avec  le  surplus  des  25.000  hommes  qu'il  nous  laisserait,  et 
d'y  rester  jusqu'à  latin  de  la  campagne  qu'il  irait  prendre 
ses  quartiers  d'hiver  où  bon  hii  semblerait.  M.  le  Maréchal 
attend  la  réponse  de  sa  cour;  sa  cour  celle  des  Russes; 
les  Russes  attendront  celle  de  Pétersbourg;  la  lin  d'octobre 
arrivera  et  nous  ne  serons  pas  plus  avancés  que  nous  ne  le 
sommes  aujourd'hui.  Dieu  veuille  que  je  me  trompe;  mais 
j'ai  grand'peur  de  ne  voir  que  trop  clair  dans  l'avenir.  » 
Quant  i\  Frédéric,  il  interpréta  la  marche  rétrograde 
des  Russes  comme  le  prodrome  de  leur  retour  définitif  à 
la  Vistule,  aussi  rappela-t-il  à  lui  le  gros  de  l'armée  de 
son  frère,  ne  laissant  sur  la  rive  drr.ite  de  l'Oder  que 
le  générai  Goltz  avec  une  division  d'environ  1 2.000  hommes 
pour  surveiller  l'armée  de  Soltikofl".  Le  prince  Henri  était 
en  marche  sur  Herrnstadt  quand  il  fut  touché  par  la  déci- 
sion du  Roi,  il  prit  aussitôt  les  dispositions  nécessaires  pour 
s'y  conformer  et,  cela  fait,  invoqua  létat  de  sa  santé  pour 
demander  la  permission  de  quitter  l'armée.  Le  prétexte 
allégué  n'était  pas  imaginaire,  car  il  était  soutirant  depuis 
l'hiver  dernier  et  il  s'était  plaint  à  plusieurs  reprises  de 
son  indisposition,  mais  il  est  certain  que  les  causes  mo- 

(1)  Mofjtazel  à  Cboiseul,  4  septembre  17G0.  Affaires  Étrangères. 


m}-- 


LE  PRINCE   HENRI  QUITTE  L'ARMEE. 


81 


raies  influèrent  beaucoup  sur  sa  résolution.  Mali^ré  le  ton 
"énéralement  aifcctueux  d'une  part,  respectueu.v  de  l'au- 
tre, qui  règne  dans  la  correspondance  des  deux  frères,  il 
est  facile  de  deviner  le  peu  de  sympathie  qui  existait  entre 
eux.  Fier  à  bon  droit  de  ses  talents  militait  es,  Henri  sup- 
portait mal  des  critiques  qu'il  ne  croyait  pas  fondées,  se 
plaignait  de  recevoir  des  ordres  contradictoires  ou  in- 
suffisamment précisés,  dont  l'éloignciuent  ou  les  incidents 
journaliers  de  la  guerre  rendaient  l'exécution  difficile 
sinon  impossible. 

Plus  froid,  plus  méthodique  que  le  Roi,  il  reprochait  à 
ce  dernier  la  témérité  de  ses  entreprises  ;  opposé  à  la 
continuation  d'une  guerre  ([u'il  n'avait  jamais  approuvée, 
il  n'épargnait  pas  à  son  frère  des  a])j)réciations  qui  n'é- 
taient pas  pour  plaire  à  un  esprit  aussi  absolu  que  Fré- 
déric. Peut-être  dans  la  division  de  son  armée  et  dans 
la  suppression  de   son  commandement,  Henri  vit-il  un 
bl;\me  de  sa  stratégie  contre  les  Russes.  Sans  doute,  la 
promptitude  avec  laquelle  il  s'élait  porté  au  secours  de 
hreslau  lui  avait   valu   des  éloges   mérités,  mais  depuis 
l'arrivée  du   lloi  en  Silésie.  son  rôle  s'était  borné  à  cflui 
d  un  observateur  inactif  et  il  n'avait  rien  fait  pour  faciliter 
sa  jonction  avec  l'armée  royale  ni  pour  empêcher  celle 
des  Russes  et  des  Autrichiens  qui  avait  été  si  près  de  s'ac- 
complir. Il  est  vrai  que  le  Roi  ne  lui  avait  a'iressé  aucune 
semonce  à  ce  sujet. 

Mitchell,  qui  connaissait  bien  son  monde,  s'était  naguère 
félicité  (1)  de  savoir  le  prince  Henri  affecté  à  une  mission 
indépendante  :  «  Je  dois  avouer  que  je  ne  désire  pas  voir 
les  deux  frères  servir  dans  la  même  armée  ;  ma  raison  est 
qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  deux  soleils  dans  le  même  fir- 
mament. »  Pendant  l'automne  de  ITOO,  l'envoyé  britan- 
nique eut  l'occasion  de  voir  fréquemment  le  prince  et  de 


\l 


(1)  Mitcliell  à  Iloldernesse,  Friedbcrg,  20  avril  1700.  Mildiell  l'npcrs. 

OlKlilli;  DIC   Si;i'ï  ANS.    —    T.    IV.  0 


wf 


8^ 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


recevoir  ses  confidences  (1)  :  «  .le  me  suis  I)ientôt  aperçu 
que  le  défaut  de  santé  n'était  que  le  prétexte  de  sa  retraite. 
Le  motif  réel  a  été  qu'il  en  voulait  à  son  frère,  le  Roi,  de 
lui  avoir  enlevé  de  fait  son  commandement;  à  cette  occa- 
sion, il  s'était  rappelé  ce  qui  lui  était  arrivé  l'année  der- 
nière avant  l'affaire  de  Maxen;  de  ce  précédent,  il  avait 
tiré  la  conclusion  que  puisqu'il  ne  pouvait  être  utile  dans 
l'armée  à  laquelle  se  trouvait  S.  M.  Prussienne,  il  était 
bien  décidé  à  ne  jamais  servir  sous  ses  ordres.  Il  ajoutait 
que  le  sentiment  de  son  devoir  à  l'ég-ard  do  son  pays  dans 
la  triste  situation  actuelle,  était  la  seule  considération  qui 
l'eût  déterminé  à  accepter,  môme  pendant  cette  campagne, 
la  direction  d'une  armée  isolée,  car  dès  le  début  il  avait 
prévu  que  rincorapatibilité  d'bumeur  de  son  frère  lui  atti- 
rerait une  (lisgrAce  du  même  genre.  »  Après  avoir  essayé 
en  vain  de  ramener  le  prince  à  de  meilleurs  sentiments, 
Mitchell  conclut  avec  philosophie  :  «J'ai  vu  bientôt  que  la 
jalousie  et  l'ambition  ont  plus  d'action  sur  l'esprit  des 
militaires  que  la  raison  et  l'intérêt.  » 

r*endant  que  le  prince  Henri  se  retirait  sous  sa  tente  à 
Breslau,  la  dislocation  de  son  armée  s'accom[tlit.  Tandis 
que  (loltz,  avec  sa  division,  se  dirigeait  sur  Glogau  où  il 
arriva,  le  29  août,  sans  autre  aventure  qu'une  affaire  d'ar- 
rière-garde avec  Tottleben  qui  lui  coûta  200  hommes,  la 
plupart  prisonniers,  Forcade,  avec  26  bataillons  et  VO  es- 
cadrons, alla  renforcer  le  Hoi  qu'il  rejoignit,  également  le 
29,  au  quartier  général  de  llermansdorf. 

Grâce  à  la  venue  de  ces  troupes,  Frédéric  se  trouvait  à  la 
tête  de  59  bataillons  et  lli  escadrons,  soit  environ  50.000 
combattants,  et  d'une  formidable  artillerie  de  248  canons, 
y  compris  les  pièces  des  régiments.  Il  s'agissait  pour  lui 
de  lever  le  blocus  de  Schweidnitz  et  de  cbasser  les  Autri- 
chiens de  la  Silésie.  La  tâche  n'était  pas  facile,  car  en  outre 


(1)  MilchoU  à  Holdeniesse,  Glogau,  lo  novembre  (TGo.  Milcliell  Papers. 


FRÉDÉHIC  LÈVE   LK   BLOCUS  DK  SCIIWEIDNITZ. 


83 


il 


lui 

"li'i- 

tre 


de  leur  supériorité  numérique  —  ils  cumptuieut  au  moins 
70.000  baïonnettes  et  sabres  —  la  position  de  Daun,  bien 
cboisio  et  fortifiée  avec  art,  n'était  guère  abordable.  Klle 
constituait    un    demi-cercle    dont   Scbweidnitz    était    le 
centre  avec  un  rayon  do  15  à  20  et  une  circonl'érence  de 
•28  à  32  kilomètres.  Le  général  Brentano  était  à  l'extrême 
droite  sur  le  Zobtenberg;  Lascy  prolongeait  la  ligne  jus- 
qu'au Schweidnitzor  Wasser;  sur  la  rive  gaucbe   de  ce 
ruisseau,    Daun   avec   le  gros,   sa  gaucbe   couverte    par 
le    Striegauer  Wasser  ;  enfin  le  corps  de   Laudon   était 
campé  à  Stanovvitz   et  jusqu'au  bois  de  Nonnenbuscb. 
Frédéric    manœuvra  do    manière  à    tourner  les   lignes 
ennemies;   le  30  août,  il  alla   bivouaquer    sous    le   nez 
de  son  adversaires  à   (liunau  et   Prscliicdrowitz  près  de 
la  ntontagne  duZobten,  puis  poursuivant  son  mouvement, 
il  s'établit  le  31  v(n's  Koltsclien  et  Hetmersdorf,  son  avant- 
garde  plus  rapprocbée  de  Schweidnitz  ;  il  s'était  ainsi  posté 
sur  les  derrières  do  l'armée  autrichienne. 

Cette  marche  brillante  dos  Prussiens  trompa  complè- 
tement Daun  et  son  lieutenant  Lascy  qui  s'attendaient  A 
voir  attaquer  (t)  le  Zobtenberg  e*  avaient  pris  leurs  pré- 
cautions en  conséquence.  Force  tut  au  maréchal,  sous 
peine  de  perdre  ses  communications  avec  la  Bohème,  do 
décamper  pour  occuper  un  nouvel  emplacement  de  Bur- 
korsdorf  à  Ilohenfriedberg,  en  arrière  de  Schweidnitz,  au 
pied  dos  montagnes.  Montazet  signale  en  termes  amers 
l'impunité  avec  la(|uellc  Frédéric  avait  pu  exécuter  sa  ma- 
nœuvre :  «  Tout  ce  qu'on  a  fait  dans  la  journée  d'hier 
est  indicible  et  fait  hausser  les  épaules.  Il  y  a  ici  un  esprit 
diabolique  surtout  depuis  l'aventure  de  Laudon  près  de 
Liegnitz,  la  moitié  de  l'armée  est  déchaînée  contre 
M.  Daun;  M.  de  Lascy  de  son  côté  est  de  très  mauvaise 
humeur.  AL  Daun  n'a  d'autre  conseil  que  celui  de  M.  de 

(1)  Helzow,  ISouveaur  Mémoires   sur  la  guerre  de  Sept   ans,   vol.  Il, 
p.  MO. 


I  1 


8i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.        CHAI».  II. 


()' 


Chiskowitz,  son  mart-clial  des  logis;  si  la  machine  reste 
montt'o  comme  elle  est,  non  seulement  il  n'y  a  rien  à  es- 
pérer, mais  au  contraire,  il  y  a  tout  jV  craindre,  .le  me 
crois  ohligé  de  vous  répéter  les  mômes  choses,  atin  do 
faire  mieux  sentir  une  vérité  que  je  n'ai  que  trop  bien 
annoncée  cet  hiver.  Les  principes  de  M.  Daun  sont  inva- 
riables, je  les  entrevois  tous  les  jours  de  plus  en  plus, 
c'est  de  ne  rien  donner  au  hasard,  il  croirait  exposer  sa 
monarchie  de  donner  une  bataille.  Il  ne  la  donnera  donc 
jamais  qu'il  ne  soit  forcé  par  l'ennemi,  persuadé  qu'il  la 
perdrait  premièrement  parce  qu'il  n'a  nulle  conliance  en 
ses  générau.v  et  très  peu  en  lui-même.  .> 

Mettant  î\  profit  l'attitude  passive  de  son  adversaire, 
le  Uoi  continua  son  offensive  de  manière  à  resserrer  les 
Autrichiens.  «  En  un  mot,  écrit  Montazet  (1),  elle  (la  po- 
sition de  iM'édéric,  est  telle  ([ue  nous  ne  pouvons  remuer 
de  notre  place  que  pour  aller  attaquer  l'ennemi  ou  pour 
entrer  dans  les  montagnes  qui  sont  derrière  nous.  » 

I^es  lUisses  prolongeraient-ils  If^ur  inaction  ou  cherche- 
raient-ils à  rentrer  en  scène?  Frcdérîc  dut  se  poser  cette 
question  ;  en  tout  cas,  avant  de  se  porter  ou  de  détacher  à 
leur  rencontre,  il  fallait  mettre  tout  en  œuvre  pour  re- 
fouler les  Autrichiens  sur  la  Bohême.  Il  s'y  employa 
de  son  mieux,  mais  dans  la  guerre  dépositions  ([ui  fut  pra- 
tiquée, Daun,  en  plein  dans  son  élément,  déploya  toute  son 
habileté  de  manœuvrier  pour  déjouer  Us  entreprises  les 
mieux  combinées.  «  Les  deux  armées  passèrent  plusieurs 
jours,  nous  dit  Uetzow  (^2),  à  marcher  d'abord  en  avant, 
puis  en  arrièie;  ces  mouvements  occasionnèrent  de  petites 
escarmouches  et  de  fortes  canonnades,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
les  armées  s'enfoncèrent  si  bien  dans  les  montagnes, 
qu'elles  se  trouvèrent  placées   l'une    vis-à-vis  de  l'autre 


(1)  Montazel  ;\  Clioiseul,  Cuntzendorf,  i  septembre  17G0.  Affaiies  Élran- 
g(;res. 

(2)  Retzort,  Xouveaux  Mémoires  sur  la  guerre  de  Sept  ans,  U,  p.  321. 


OPERATIONS  DANS  lA  SIMISIK. 


8ft 


dans  dos  posles  inexpugnables  et  où,  départ  etd'autro, 
l'on  ne  jugeait  pas  il  pi'opos  de  hasarder  des  attaques. 
Elles  demeupiTent  durant  queUpics  semaines  dans  ces 
positions,  où  l'art  vint  au  secours  do  la  natui'o  pour  les 
fortifier.  » 

Si  Krédéric  était  désireux  d'une  ror\rontrc  décisive,  son 
antagoniste,  l'Impératrice  -  Keinc,  était  absolument  du 
même  avis  ;  elle  refusait  à  bon  droit  tle  se  prononcer  sur  la 
valeur  techni(jue  des  projets  d'opérations  qui  lui  parve- 
naient du  quartier  général  de  Daun,  mais  elle  invitait 
celui-ci  il  ne  laisser  échapper  aucune  occasion  favorable 
de  livrer  bataille.  C'est  pour  se  conformer  à  la  volonté  de 
sa  souveraine  que  le  maréchal  li,  après  le  'ctourd'Ayasaj 
de  Vienne,  et  d'accord  avec  ses  lieutenants  f.audon  et 
Lascy,  s'était  décidé  à  attaquer  l'armée  prussienne  em- 
pêtrée dans  les  montagnes,  entre  lielmsdorf  et  Baumgar- 
ten,  à  la  suite  d'une  tentative  inutile  pour  pénétrer  jusqu'à 
liandshut.  Frédéric  (jui  flairait  le  dangei'  auquel  il  était  ex- 
posé, se  déroba  le  17  septen:bre  par  une  cours  ;  Je  1  (>  heures, 
pendant  une  partie  desquelles  ses  troupes  défilèrent  sous 
le  canon  autrichien.  De  cette  bravade,  qui  avait  peut- 
être  pour  but  de  provoquer  une  action,  Montazet  fait  (2) 
le  récit  suivant  :  «  Bref,  il  a  marché  par  sa  gauche,  lais- 
sant llohenfriedberg  h  sa  droite,  et  longeant  toujours  à  la 
petite  portée  du  canon  le  pied  des  hauteurs  que  nous  oc- 
cupions, depuis  Frcyburg  jusqu'à  Begendorff,  où  il  a  passé 
le  défilé  dudit  village,  qui  est  très  mauvais.  Knsuite,  il 
est  monté  sur  les  hauteurs  de  Hohcngiersdorff  d'où  il  a 
fallu  pour  s'y  établir,  qu'il  repoussAt  le  corps  de  M.  Bitt. 
et  cnlbutAt  trois  bataillons  de  grenadiers  que  M.  le  Maré- 
chal y  avait  envoyés,  qui,  par  parenthèse,  ont  perdu  183 
hommes  et  tous  leurs  canons.  L'ennemi   ne  s'est  pas  con- 

(l)Daun  à  Lascy,  tr»  cf  16  scplcmbre  ITOO.  Lettres  citt'es  par  Arnelh,  VI, 
p.  457. 
(2)   Monlazot  à  Choiscul,  Sorgau,  18  septembre.  ITfiO.  Affaires  Étrangères. 


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(716)  872-4503 


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86 


L\  GUËKKE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


tenté  des  hauteurs  de  Hohengiersdorff;  il  a  passé  les  dé- 
filés de  ce  nom  pour  pouvoir  déboucher  le  lendemain  plus 
à  son  aise.  C'est  là  qu'il  a  fini  la  journée  la  plus  extraor- 
dinaire qu'on  ait  vu  depuis  longtemps;  car  il  a  fait  au 
moins  dix  lieues  de  France  sans  s'arrêter,  toujours  sous 
notre  canon,  ayant  M.  de  Laudon  avec  son  corps  à  la  suite 
de  son  arrière-garde,  ieqnel  a  été  joint  par  le  corps  de 
M.  Beck  avec  des  troupes  fraîches  à  la  sortie  des  monta- 
gnes au  pied  des  hauteurs  de  Hohenfriedberg.  De  là,  il  a 
toujours  eu,  à  quinze  cents  pas  de  son  flanc  droit,  notre 
armée  en  bataille  qu'il  a  côtoyée  jusqu'aux  ravins  de  Be- 
gendorf.  » 

Malgré  son  désir  d'une  bataille  rangée,  Montazet  trem- 
blait pour  le  résultat  de  Taflaire  qu'il  prévoyait  pour  le 
lendemain;  heureusement,  l'entrée  en  ligne  de  Lascy  et 
de  Laudon  vers  10  heures  du  matin  rétablit  la  supério- 
rité des  Autrichiens.  Tout  se  borna  à  une  cctuonnado 
d'une  demi-heure.  La  lettre  de  l'attaché  français  se  ter- 
mine par  une  vigoureuse  critique  de  Daun  et  de  son  état- 
major  :  «  J'avoue  que  je  n'ai  jamais  été  aussi  impatienté 
que  dans  ces  deux  dernières  journées,  surtout  par  la 
marche  du  17  qui  esi  la  plus  insultante,  la  plus  folle 
(ju'un  ennemi  puisse  faire  et  que  nous  n'avons  jamais 
osé  troubler.  »  L'appréciation  n'est  qu'à  moitié  justifiée  : 
sans  doute,  le  17,  Daun  se  laissa  tromper  par  la  souplesse 
de  son  adversaire,  mais  il  prit  sa  revanche  en  se  plaçant 
de  manière  à  couvrir  ses  magasins  et  à  barrer  les  routes 
de  Friedland  et  de  Landshut, 

Ce  poste  et  celui  des  Prussiens  à  Hohengiersdorff  en 
face  du  premier,  le;i  deux  adversaires  les  conservèrent 
jusqu'aux  6  et  7  octobre.  Durant  ce  long  séjour,  les 
plans  des  Russes  avaient  enlin  pris  forme.  Ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  dès  le  20  août,  c'est-à-dire  avant  la 
guerre  de  positions  entre  Daun  et  Frédéric,  l'état-major 
russe  avait  accepté  le  principe  d'une  diversion  sur  le  bas 


PROJET  DUN   RAID  SUR   BERLIN. 


87 


Oder,  mais  l'accord  sur  les  détails  d'exécution  n'était  pas 
intervenu.  Le  mouvement  s'arrêterait-il  à  (ilogau?  Quels 
seraient  les  moyens  employés  pour  réduire  cette  place?  Ces 
questions  étaient  encore  en  suspens.  Fermor(l)  qui  déte- 
nait le  commandement  d'une  façon  intermittente  et  pen- 
dant les  crises  aigur-s  de  la  maladie  de  sou  chef,  s'était 
rallié  au  projet  du  siège  de  (ilogau,  sous  la  condition 
formelle  que  les  Russes  seraient  assistés  par  un  corps  auxi- 
liaire de  40.000  Autrichiens  sous  les  ordres  de  Laudou  et 
que  l'Impératrice  fournirait  le  parc  d'artillerie.  Mais  le 
V  se^3tembre,  lendemain  du  joui  où  Fcrmor  avait  signifié 
son  assentiment,  un  envoyé  de  Daun  survint  avec  l'infor- 
mation que  des  difficultés  imprévues  avaient  fait  ajourner 
l'envoi  de  la  grosse  artillerie.  C'était,  à  n'en  pas  douter, 
la  présence  de  Frédéric  àSchweidnitz,  c'est-à-dire  entre 
Glogvu  et  l'armée  autriciiienne,  qui  faisait  obstacle  à  la 
coopération  annoncée.  Convaincu  qu'il  fallait  modifier 
un  plan  désormais  inexécutable,  Montalembert  (2)  en- 
treprit Czernitchew,  très  influent  auprès  de  SoltiUoff,  sur 
la  possibilité  d'essayer  un  raid  sur  lierlin  avec  Laudon 
à  la  tête  d'un  corps  dont  l'effectif  serait  réduit  à  25.000 
hommes.  Czernitcliew  adopta  la  nouvelle  combinaison 
et  Montalembert  offrit  de  la  porter  au  maréchal  Daun. 
Malheureusement,  il  trouva  los  counnunications  coupées 
et  dut  revenir  sans  avoir  rempli  sa  mission.  Il  fallut  se 
résigner  à  envoyer  un  officier  à  Daun  par  la  voie  dé- 
tournée de  la  Pologne,  et  en  attendant  la  réponse,  à  limiter 
l'action  immédiate  aux  premières  étapes  communes  aux 
diverses  directions. 

Pour  accomplir  leur  part  du  prograïunie,  et  conformé- 
ment à  l'invitation  de  la  cour  de  i^étorsbourg,  <|ui  s'était 
prononcée  pour  la  diversion  sur  le  bas  Oder,  les  Russes 


II 


la 
hr 


(t)  Kermor  à  Laudon,  3  septembre  1700.  Archives  de  Vienne. 
(2)  Montalembert   au  comte  de  Glioiseul,  Nieder  \iltoline,  C  septembre 
17<J0.  Corresp.,  II,  p.  :!59. 


88 


LA  Gl  ERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


J;-l' 


quitteront,  le  If  septembre,  les  cantonnements  qu'ils  oc- 
cupaient depuis  trois  semaines  et  se  mirent  en  marche 
pour  regagner  les  environs  de  (ilogau.  En  rouJc,  ils 
furent  rejoints  par  un  officier  autrichien  avec  des  dé- 
pêches de  Daun  en  date  du  5.  Ainsi  que  le  fait  observer 
Montalembert  (1)  :  «  11  a  passé  par  la  Pologne  et  il  a  mis  sept 
jours,.,  il  faut  donc  quatorze  jours  de  ce  côté  pour  avoir 
une  réponse,  ainsi  pour  peu  qu'il  en  l'aille  deux  ou  trois 
avant  que  l'on  soit  d'accord  de  quelque  opération,  nous 
serons  au  mois  de  novembre,  sans  avoir  rien  pu  entre- 
prendre. Cet  officier  était  parti  d'ici  avec  le  consentement 
de  M.  le  maréchal  de  SoltikofTà  tout  ce  qui  lui  avait  été 
proposé  par  le  général  de  Laudon  relativement  au  siège 
de  Gh'gau.  Je  ne  m'attendais  pas  à  le  voir  revenir  avec 
de  nouvelles  propositions;  mais  ce  n'est  plus  à  Caro- 
lath  ou  à  Beuthcn  qu'on  désire  que  larmée  russe  se  porte, 
c'est  à  Steinau  pour  garder  la  Katzbach.  »  Laudon  de- 
mandait le  concours  d'un  corps  de  25.000  Russes  pour 
une  diversion  contre  la  droite  prussienne,  mais  il  pré- 
venait Soltikoff  du  risque  dune  contre-attaque  du  Roi; 
il  devra  «  dans  ce  cas  passer  cette  rivière  avec  toute 
l'armée  pour  soutenir  son  avant-garde,  afin  de  ne  pas 
manquer  l'objet  de  la  jonction  ». 

Inutile  de  dire  qu'une  opération  aussi  scabreuse  n'était 
guère  du  goût  de  Fermor,  en  faveur  du([uel  Soltikoff  ve- 
nait de  se  démettre,  tout  en  restant  à  l'armée.  Aussi  re- 
poussa-t-il  les  nouvelles  propositions  de  Daun  et  s'en  tint- 
il  au  siège  de  (ilogau  sous  réserve  de  conditions  qu'il 
savait  impossibles  à  réaliser. 

A  en  croire  le  rapport  de  Plunkett  au  maréchal  Daun, 
le  général  moscovite  fit  preuve  de  mauvaise  volonté  en 
retardant  la  marche  de  ses  troupes  sous  des  prétextes 
plus  ou  moins  sérieux.  Un  conseil  de  guerre  venait  de 

(1)  Montalcmbert  au  comte  de  Choiseul,  Ober  Lauken,    l.î  septembre 
1700.  Corresp.,  II,  p.  281. 


1 


FERMOR  REMPLACE   SOLTIKOFF. 


8'J 


(lélibéror  sur  la  requête  de  F^audou  quand  arriva 
un  officier  de  hussards  porteur  de  dépêches  du  quar- 
tier général  autrichien,  annonc^ant  la  résistance  heu- 
reuse opposée  au  mouvement  tenté  par  les  Prussiens  sur 
]  andshut  :  «  Je  leur  fis  les  représentations  nécessaires 
là-dessus,  écrit  l'attaché  (1),  et  tous  s'écrièrent  que  le 
général  Tottleben  pouvait  sans  difficulté  aucune  passer 
roder;  le  général  Fermor  prit  la  parole  et  assura  qu'il 
ferait  encore  plus  qu'à  son  arrivée  ici  :  il  ferait  d'a- 
bord jeter  des  ponts  et  qu'il  ferait  passer  incessam- 
ment le  général  Tottleben  et  le  comte  de  Czornitchew 
pour  le  soutenir.  Je  crois  en  vérité  que  cette  promesse 
n'a  été  faite  ([ue  pour  éluder  l'envoi  immédiat  du  gé- 
néral Tottleben.  Hier  au  soir,  trouvant  que  les  pontons 
n'étaient  pas  encore  partis  d'ici;  je  me  suis  rendu  auprès 
du  général  Fermor.  Jugez,  Monseigneur,  de  mon  étonne- 
iiient  quand  il  me  dit  d'un  air  le  plus  dégagé  ([ue  l'ar- 
mée avait  fait  une  marche  si  forte,  qu'elle  devait  faire 
séjour  ici  aujourd'hui  et  que  devant  la  parader  demain 
pour  le  jour  de  l'Impératrice,  elle  ne  pouvait  partir  d'ici 
que  dans  deux  jours.  »  Plunkett  lui  rappelle  sa  promesse 
de  la  veille,  Fermor  réplique, et  la  conversation  dégénère 
en  reproches  réciproques,  a  Voilà  le  commandement  de 
l'armée,  conclut  l'Autrichien,  entre  les  mains  d'un  homme 
dont  malheureusement  nous  avons  peu  à  espérer  et  tout 
à  craindre.  »  Il  est  bon  d'observer  en  effet  que  la  cour 
de  Vienne  et  son  ambassadeur  à  Pétershourg-  avaient 
mis  tout  en  œuvre  pour  empêcher  le  maintien  à  l'armée 
de  l'homme  qui,  par  suite  de  la  maladie  de  Soltikofl', 
était  appelé  à  la  commander.  Il  était  donc  naturel  de 
supposer  que  le  général  qui  avait  eu  connaissance  de 
ces  intrigues  ue  devait  pas  être  bien  disposé  à  l'égard 
des  Autrichiens. 


' 


(1)  Plunkett  à  Daun,  Tâchepplaii,  t5  seiitoinbre  l'Co.  Arch.  de  Vienne. 


fisses 


■WSnTîî^SHRSBffllWWH 


90 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CII\P.  11. 


r  •  M 


Quoi  (ju'il  <Mi  fût  des  sentiments  s<  crots  d(^  Former,  la 
marche  se  poursuivit,  lentement,  il  est  vrai,  et  l'armée  ar- 
riva dans  les  environs  de  (ilogaii  où  U!^(>  rciconnaissance 
effectuée  par  le  général  en  chef  démontra  l'impossibilité 
d'emporter  la  place  sans  un  investissement  régulier;  auss', 
dans  l'expectative  de  nouvelles  de  leurs  alliés,  les  Russes 
prirent-ils,  le  18  septembre,  une  position  d'attente  à  Ca- 
rolath  sur  la  rive  droite  de  l'Oder.  Tottleben  avec  les 
troupes  légères  s'était  établi  à  Beuthen,  sur  le  bord  op- 
posé, pour  protéger  les  ponts  quiavaic^nt  été  jetés  sur  h' 
fleuve. 

Au  quartier  général  de  Oaun,  on  eut  conneissance  du 
mouvement  desRusbOs  et  de  l'ultimatum  de  Fermor  à  pro- 
pos de  l'entreprise  sur  Glogau.  Mais  tant  que  l'armée  royale 
serait  postée  entre  Schweidnitz  et  Tarmée  de  Daun,  il  ne 
fallait  pas  songer  au  concours  du  corps  de  Laudon  et  des 
canons  de  gros  calibre  promis  pour  le  siège.  Aussi  quand 
Montazet  signale  (1)  la  présence  de  Fermor  à  Carolath  et 
annonce  sa  résolution  de  n'agir  qu'avec  les  40.000  hommes 
et  la  grosse  artillerie,  avec  le  commentaire  :  «  C'est  là  le 
dernier  mot  de  Fermor  »,  a-t-il  quelque  raison  d'ajouter  : 
«  Les  Russes  sont  toujours  venus  sur  l'Oder  avec  l'intention 
de  chercher  des  prétextes  pour  ne  rien  faire.  Il  est  vrai  que 
nous  les  avons  bien  servis,  mais  la  guerre  durerait  vingt 
ans  que  ce  bon  esprit  ne  changerait  pas.  »  l^a  critique 
était  justifiée,  mais  il  faut  avouer  que  les  modifications 
continuelles  apportées  par  les  Autrichiens  à  leurs  plans 
primitifs  servaient  d'excuse  aux  généraux  russes.  Quatre 
jours  après,  nouvelles  combinaisons  à  l'horizon  :  Daun 
accepte  l'idée  d'une  participation  à  l'expédition  sur  le  bas 
Oder  et  parle  d'envoyer  Lascy  insulter  Berlin  ;  enfin,  le 
28  septembre,  Montazet  rapporte  que,  sur  l'arrivée  d'un 
courrier  de  Pétersbourg,  la  pointe  des  Russes  sur  Berlin 

(1)  Monfazet  à  Choiseul,  Sorgaii,  22,  26  et  28  septembre  1760.  Affaires 
Étrangères. 


EXPÉDITION  SUR  BERLIN  DÉCIDEB. 


91 


avait  été  décidée  et  que  Lascy  élait  parti  avec  lô  à 
16.000  hommes  pour  leur  prêter  assistance.  En  fai- 
sant ce  détachement,  Daun  avjiit  devancé  les  vues  de  la 
cour  de  Vienne  qui,  dès  la  veille,  avait  donné  son  appro- 
bation (1)  à  la  mesure.  Montazet  est  enchanté  :  «  Cette 
lin  de  campagne  pcuit  devenir  très  intéressante.  Il  faut 
sans  doute  que  la  cour  de  Pétersbourg  ait  parlé  clair  à 
ses  généraux.  » 

Frédéric  fut  long-  à  deviner  les  projets  de  l'adversaire 
contre  la  capitale  de  ses  États.  Dans  une  lettre  du  29  sep- 
tembre (2)  îiu  général  HUlsenqui  conmiandait  les  troupes 
laissées  à  la  garde  de  la  Saxe,  il  localise  les  Russes 
àBeuthen  où  il  ne  peut  leur  opposer  que  le  faible  corps  de 
Goltz,  puis  il  explique  l'impossibilité  dans  laquelle  il  se 
trouve  de  renforcer  son  correspondant.  «  lci,j'aidevantmoi 
le  Daun  avec  le  gros  de  l'armée  autrichienne.  J'ai  fait  tout  ce 
qui  était  possible  pour  l'amener  à  une  affaire  décisive  ou 
pour  le  tourner,  de  manière  à  le  forcer  à  abandonner 
les  montagnes  et  à  se  retirer  en  Bohême.  »  Il  résume 
les  opérations  tentées  dans  ce  but  et  ajoute  :  «  Les  dif- 
ficultés horribles  du  terrain  et  la  lenteur  de  (|uelques-uns 
de  mes  gens  m'ont  empêché  de  le  pousser  aussi  loin  que 
je  l'eusse  voulu...  et  le  terrain  très  diflicile  dans  les 
montagnes  ne  permet  pas  de  le  forcer  dans  sa  position 
sans  s'exposer  à  un  n)alheur  complet.  En  conséquence,  j'ai 
fait  passer  un  détachement  sur  l'autre  rive  de  la  Neisse 
pour  donner  à  Daun  de  la  jalousfe  du  côté  de  la  Moravie  et 
l'obliger  à  y  envoyer  du  monde...  lime  faut  attendre  si 
cela  me  réussit.  »  Disons  de  suite  que  la  diversion  dont  il 
est  question,  confiée  à,  une  division  mixte  sous  les  ordres  de 
Wied,  ne  troubla  pas  la  quiétude  de  Daun.  llenfutde  môme 


res 


(î)  Cabinets  Schreiben  an  Daun,  Vienne,  :>7  septembre  1700.  Archives  de 
Vienne. 

(2)  Frédéric  à  Hiilsen,  DiUraannsdorf,  29  septembre  1760.  Corr.  Polit..  .M, 
p.  fiol. 


'.12 


LA  GUKHRE  DE  SEPT  ANS.  —  C!IAP.  H. 


de  Frédéric  qui  avaitcru  (1  )  le  corps  de  Lascy  destinr  A  pro- 
téficrle  comté  do  (llatz,  et  ne  s'était  pas  ému  de  son  départ. 
Le  30  septemhro,  il  fut  averti,  par  une  dépèche  de  (ioitz  du 
28,  delà  marche  de  Tottlebenet  de  Czernitchew  sur  Sagan 
et  Sorau.  Il  pense  qu'il  ne  s'agit  <£uc  d'un  raid  inspiré  par 
Daun  et  que  les  lîusses  ne  seront  pas  longs  à  regagner  les 
bords  de  la  Vistule  (2).  «  Daun  veut  me  tirer  de  ma  position 
])ar  les  mouvements  des  Russes  et  je  veux  le  tirer  de  la 
sienne  par  mon  détachement  de  la  liaute-Silésie;  je  crains 
que  nous  ne  réussissions  ni  les  uns  ni  les  autres  dans  nos 
projets.  »  Même  langage  à  llïilsen  (3)  :  «  .l'apprends  que  le 
27  les  g"énéraux  russes  Czernitchew  et  Tottleben  se  sont 
étendus  en  trois  colonnes  jusqu'à  Sorau  en  Lusace  et 
ont  pris  avec  eux  des  provisions  pour  19  jours.  Je  n'ai  pas 
pu  encore  pénétrer  leur  dessein,  je  suppose  qu'il  est  ques- 
tion de  quelques  ravages  que  fera  Tottleben  dans  le  pays 
plat  du  Mark.  » 

Un  courrier  de  (îoltz,  parti  le  30  septembre  et  parvenu 
au  quartier  général  le  2  octobre,  éclaira  le  Roi  sur  les  vé- 
ritables intentions  des  Russes;  il  apportait  en  effet  l'avis 
que  leur  armée  tout  entière  était  en  route  pour  Sorau, 
Christianstadt,  Griinberg  et  Ziillichau.  Frédéric  arrête  aus- 
sitôt ses  dispositions  :  tioltz  (jui  était  à  Glogau  reçoit  l'ordre 
de  faire  dilig-encc  pour  couvrir  Rerlin  ou  se  joindre  à  lliil- 
sen  ;  Stiitterheim  est  rappelé  de  la  Poméraniepour  secourir 
la  capitale.  «  Voilà  tout  ce  que  j'ai  pu  imaginer  et  faire  jus- 
qu'à présent.  écritFrédéric  ('i-)  à  son  frère...  Je  lais  en  at- 
tendant du  bien  mauvais  sang  ;  nos  moyens  sont  trop  ro- 
gnés et  trop  courts  pour  nous  opposer  au  prodigieu  x  nombre 


(1)  Frédéric  à  Gollz,  Dittmannsdorf,  28  .septembre  1760.  Corr.  Pol..  XIX, 
p.  601. 

(2)  Frédéric  à   Henri,  Frédéric  à  Gollz,    Dittmannsdorf,    30  sept.    1760. 
Corr.  Pol.,  XIX,  p.  60.5,  607. 

(3)  Frédéric  à  Ilulsen,  Diltmannsdorf,  1"  octobre   1760.  Corr.  Pol.,  XX, 
p.  1. 

(4)  Frédéric  à  Henri,  Dittmannsdorf,  3  octobre  1760.  Corr.  Pol.,  XX,  p.  6. 


FRÉDÉRIC  ET  D\UN  QUITTENT  LA  SILÉSIE. 


93 


'O- 


(rcnneniis  que  nous  avons  vis-à-vis  de  nous.  Si  nous  suc- 
coml)ons,  datons  notre  perte  du  jour  de  l'infAnie  aven- 
ture de  Maxen.  <>  Ce  n'rtait  pas  seulement  du  côté  de  Her- 
lin  <|ue  le  péril  était  imminent;  les  nouvelles  de  Saxe 
étaient  mauvaises,  caronveuait  d'apprendre  la  reddition  de 
Tor^au  et  la  retraite  dellalsen  devant  larméo  des  Cercles. 
Le  roi  de  J^russe  se  décida  à  aller  au  danger  le  plus  pressant 
et  à  abandonner  Daun  pour  se  porter  au  secours  de  sa  capi- 
tale. Cette  résolution  parait  avoir  été  prise  le  4  octobre, 
or,  dès  la  veille,  Tottleben  s'était  présenté  aux  portes 
de  Berlin  avec  lavant-garde  russe. 

A  l'état-major  de  Daun,  beaucoup  mieux  informé  des 
projets  réels  de  l'armée  moscovite,  on  fut  très  surpris 
de  l'immobilité  du  roi  de  Prusse  qui  restait  «  collé  '1  )  à 
Schweidnitz  »  malgré  la  prise  de  Torgau  et  l'expédition 
sur  Berlin.  Sans  doute  les  préparatifs  pour  la  marcbe  et 
les  résolutions  relatives  aux  garnisons  de  la  Silésie  de- 
mandèrent quelque  temps,  mais  il  semblerait  que  le  Boi 
eût  pu  montrer  plus  de  promptitude  ;  dans  des  circons- 
tances aussi  critiques,  une  perte  de  trois  jours  avait  une 
importance  de  premier  ordre.  Quoi  qu'il  en  fût,  il  ne 
leva  son  camp  de  Dittmannsdorf  et  ne  quitta  les  mon- 
tagnes pour  descendre  dans  la  plaine  de  Schweidnitz  que 
le  7  octobre  au  soir.  Dès  le  lendemain,  Daun  imita  son 
exemple  et  s'ébranla  également.  Nous  laisserons  les  deux 
adversaires  commencer  les  opérations  qui  devaient  se  ter- 
miner en  Saxe,  et  nous  nous  reporterons  vers  la  capitale 
où  se  déroulaient  des  incidents  sérieux. 

Après  de  longues  hésitations,  le  général  russe  avaitdonné 
suite  au  projet,  depuis  longtemps  sur  le  tapis,  d'une  course 
sur  le  bas  Oder.  Le  21  septembre,  c'est-à-dire  trois  jours 
après  l'arrivée  à  Carolath,  un  conseil  de  guerre,  réuni  sur  la 
réception  d'un  courrier  de  Pétersbourg,  avait  pris  les  déci- 


(1)  Monlazet  à  Choiseul,  Soiau,  3  octobre  1760.  Affaires  Éliangéres. 


U4 


LA  GUEHIIE  DK  SKIT  ANS.  —  CIIAl'.  II. 


m 


sions  suivantes  :  abandonner  comme  ini[»ratica])le  le 
siège  de  (llogau,  détacliei"  le  général  Olitz  pour  aider  A  la 
prise  de  Colberg  et  affecter  la  division  de  'lottleben  ap- 
puyée par  celle  de  (izernitcbew  à  la  tentative  contre 
Berlin.  Tottleben,  qui  avait  été  désigné  par  la  cour 
pour  cette  mission,  soumit  à  Fcrmor  un  mémoire  sur  la 
direction  de  l'entreprise  et  re(;ut  de  celui-ci,  avec  l'ap- 
probation de  son  projet,  des  instructions  précises  (1)  sur 
la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des  autorités  et  des  babitants 
de  la  capitale.  Ce  document  contenait  l'ordre  formel  de 
détruire  de  fond  en  comble  l'arsenal,  la  forderie  de  ca- 
nons et  tous  les  magasins  d'armes  et  d'effets  comme  juste 
représaille  des  procédés  prussiens  en  Saxe  et  notamment 
à  Leipzig.  Le  2(>  septend)ie,  Tottleben  se  mit  eu  route 
de  Schonau  avec  une  division  légère  composée  de  2.000  gre- 
nadiers, 2  régiments  de  dragons,  0  de  bussards  ou  de  co- 
saques et  20  pièces  de  canon;  le  30,  il  était  à  Beeskow. 
La  division  d'avant-garde,  sous  (>zernitcbew,  le  suivit 
de  près;  le  29,  elle  était  parvenue  à  Guben.  Fermor, 
avec  deux  divisions,  leva  son  camp  de  Carolatb  et  des- 
cendit la  rive  gaucbc  de  l'Oder,  tandis  que  Romanzovv, 
avec  la  troisième,  se  portait  vers  Ziillicbau  et  Crosscn. 
Lascy,  à  la  tête  de  ses  lô.OOO  Autrichiens,  avait  quitté  le 
camp  de  Cuntzendorf  le  28  septembre,  mais  obligé  de 
faire  un  long  détour,  il  ne  put,  malgré  la  rapidité  de  ses 
étapes  (275  kilomètres  en  10  jours  sans  arrêt),  se  pré- 
senter devant  Berlin  qu'après  les  détachements  russes. 
La  marche  des  uns  et  des  autres  se  continua  sans  incident 
et  sans  obstacles.  Le  3  octobre,  vers  midi,  les  éclaircurs 
de  Tottleben  parurent  sur  le  Rollberg  à  faible  distance 
de  la  porte  de  Cottbus. 

Berlin  pouvait  être  considéré  comme  ville  ouvarte  ;  le 
(piartier  situé  sur  la  rive  gauche  de  la  Sprée  était  entouré 

(1)  Masslowski,  Der  Sichcnjnhrige  Krieg,  III,  p.  229. 


HOMItA!(DEMKNT  DE  Hi^lItMN. 


05 


(l'un  mur  d'encointo,  uum  celui  de  la  rive  droite  n'était 
drfendu  ([ue  par  une  simple  palissade.  Le  commandant 
de  la  place,  le  g-énéral  tiocliow,  avait  pour  toute  garnison 
3  bataillons  de  forteresse.  Aussi,  ({uand  il  apprit  l'appro- 
che des  Russes,  était-il  disposé  »l  capituler,  mais  avant 
d'entrer  en  pourparlers,  il  jugea  bon  de  convocpier  le 
vieux  maréchal  Lehwaldt,  le  général  Seydlitz  et  plusieurs 
autres  officiers  supérieurs  (jui,  à  la  suite  do  blessures  ou 
de  maladies,  étaient  en  convalescence  ù  Berlin.  Sur  l'avis 
de  ceux-ci,  le  conseil  s'étant  prononcé  pour  la  résistance, 
ou  demanda  au  prince  de  Wurtemberg  qui  était  àTemplin 
en  face  des  Suédois  de  venir  à  l'aide  de  la  capitale; 
en  attendant  son  arrivée,  on  éleva  des  flèches  devant 
les  portes,  on  monta  des  canons  sur  les  remparts,  on 
construisit  des  banquettes  nour  le  feu  de  mousqueterie, 
bref,  on  chercha  à  mettre  la  ville  en  état  de  défense 

En  conformité  avec  ces  résolutions  énergiques,  la  som- 
mation qu'apporta  un  messager  russe  fut  repoussée.  Tott- 
leben  répondit  à  ce  refus  en  faisant  avancer  ses  obusiers 
et  en  bombardant  la  ville  ;  le  feu,  interrompu  après 
quelques  heures  d'activité,  fut  repris  pendant  la  nuit;  cette 
canonnade  nocturne  impressionna  beaucoup  les  habi- 
tants, mais  ne  produisit  pas  grands  dégâts.  «  Nous  nous 
mimes  tous  à  la  fenêtre,  écrit  un  négociant  (1),  où  nous 
vîmes  voler  les  bombes,  ce  qui  faisait  un  spectacle  aifreux.  » 
Entre  temps,  des  attaques  sur  les  flèches  des  portes  de 
Halle  et  de  Cottbus avaient  échoué.  Le  général  russe,  'm- 
pressionné  par  l'attitude  de  la  garnison,  prévoyant  l'entrée 
en  scène  des  renforts  qui  viendraient  l'augmenter,  et  préoc- 
cupé de  sa  ligne  de  communication,  fit  rompre  le  combat 
et  se  retira  à  Copenic.  Le  lendemain  de  cette  échautlourée, 
le  k  octobre  de  grand  matin,  la  cavalerie  du  prince  de 


Ë 


i 


h' 


(1)  Lettre  de  M.  Huiiibeit  à  sa  sœur  W"  Dolprat,  communiquée  par 
M.  Croockwid,  contenant  le  récit  des  événements  qui  se  passèrent  du  1"  au 
li  octobre. 


'i. 


SSÊbÊ&téiàiif 


or, 


LA  r.UEHRK  DE  SEPT  ANS.        CIIAP.  II. 


I 


n*'' 


Wurtemberg  se  présenta  aux  portes,  elle  lut  suivie  de 
rinfanlerie.  Le  prince,  laissant  une  faible  lirigade  pour 
contenir  les  Suédois,  peu  entreprenants,  à  en  juger  par 
l'expérience  des  campagnes  passées,  avait  marché  jour 
vt  nuit  pour  sauver  la  capitale  ;  il  am<'nait  avec  lui  î)  batail- 
lons et  7  escadrons,  soit  un  peu  plus  de  O.UOO  hounues.  L'en- 
trée du  prince  de  Wurtemberg  et  la  retraite  des  Uusses 
lirent  croire  à  la  délivrance.  «  Dimanche,  écrit  le  correspon- 
dant déjà  cité,  tout  le  monde  était  en  joie,  toute  lavilleétait 
allées  voir  lours  camps...  l'homme  de  chambre  de  TK.  .sic) 
en  rapporta  quelque  chose,  des  cartes,  du  pain,  un  petit  sac 
où  ils  mettent  leur  saint  Ksjjrit.  »  La  trêve  nedurapas  long- 
temps ;  cependant  la  journée  du  4  ne  l'ut  troublée  que  par 
une  «  tiraillerie  »  intermittente.  «  A  la  faveur  de  ce  mas- 
que, écrit  (1)  un  autre  Berlinois,  les  ennemis  se  retranchent 
dans  la  bruvère  aux  Lièvres.  Ils  établissent  aussi  sur  la 
hauteur  dite  le  Hobc  Veinberg  de  nouvelles  batteries  près 
du  .lardin  botanique  pour  recommencer  de  plus  belle...  » 
Averti  par  Tottleben  de  l'échec  qu'il  avait  éprouvé, 
Czernitchew  lit  diligence  pour  le  rejoindre  et  demanda  à 
Fermor,  qui  était  parvenu  à  Lossow,  de  bii  envoyer  un 
complément  d'infanterie  et  d'artillerie.  Montaiembert,  qui 
accompagnait  lavant-garde,  retourna  au  quartier  général 
porter  cette  requête  au  général  en  chef;  il  obtint,  sur  l'avis 
d'un  conseil  de  guerre  réuni  à  cet  efi'et,  ([u'on  expédiât 
Panin  avec  9  bataillons,  5  escadrons  et  du  canon. 

De  leur  côté,  les  Prussiens  recevaient  du  secours.  Hûlsen, 
qui  venait  d'être  chassé  de  la  Saxe  par  le  duc  de  Deux- 
Ponts,  fut  avisé  à  Belitz  du  danger  de  Berlin;  il  mit 
aussitôt  en  route  la  moitié  de  ses  troupes  et  promit  de 
suivre  avec  l'autre  moitié.  Le  7  octobre,  les  hostilités  re- 
commencèrent; Czernitchew,  qui  était  entré  en  ligne,  en- 
gagea contre  les  quartiers  de  la  rive  droite  de  la  Sprée  une 


(1)  Journal  d'un  Berlinois  cominuni([ué  par  Yorke.  Newcaatlc  Pupers. 


ATTAQUE  DK  HERI-IN. 


97 


cnnonnndo  peu  oflicace.  Tandis  (|iio  Toltlohen,  sur  la  rive 
f,'auclie,  se  i)n''j)aiait  à  atfacjiu'i'  la  poile  de  Halle,  on  lui 
signala  l'apinoclio  d'une  colonne  d'infanterie;  e'étaieni 
deu\  bataillons  prussiens  appartenant  au  corps  de  llidsen 
(pii  arrivaient  de  Potsdain.  ITautre  part,  les  liMes  de  co- 
lonnes de  Lascy  étaient  en  vue;  il  y  eut  môme  une  ren- 
contre de  cavalerie  à  lacjuelle  qnehpics  escadrons  autri- 
chiens prirent  part,  mais  les  alliés  ne  purent  empêcher  les 
régiments  de  llulsen  de  pénétrer  en  ville. 

(Iràce  k  ce  renfort,  les  défenseurs  de  Berlin  comptaient 
26  bataillons  et  VI  escadrons;  soit  un  clFcctif  de  16  à 
17.000  hommes  à  opposer  aux  3i.000  Austro-ltusses  dont 
Toltlcben,  C/^ernitchew,  l*anin  (;t  F.ascy  allaient  disposer. 
La  journée  du  8  se  passa  en  conciliabules  dans  les  deux 
camps  :  Wurtemberg*  était  pai'lisan  (l'une  sortie  générale 
pour  le  9.  Lascy  qui,  à  son  tour,  ,'vait  fait  sommer  inuti- 
lement la  ville  la  veille  au  soir,  voulut  se  concert  "  avec 
Tottleben  pour  l'assaul  du  quartier  situé  sur  la  rive 
gauche  de  la  Sprée.  A  son  grand  étonnement,  le  lUisse  lui 
réponditqu'il  venait  d'être  rappelé  par  Czernitchew  et  qu'il 
allait  passer  la  Sprée.  «  J'ai  su  depuis,  rapporte  Lascy  (1), 
que  ce  dernier  '/rottleben)  avait  depuis  longtemps  les 
ordres  de  repasser  la  Sprée  à  mon  approche,  tellement 
que  sa  lettre  n'était  qu'une  grimace  de  sa  part  pour  ca- 
cher le  dessous  des  cartes.  Enfin,  tous  ces  flux  et  reflux 
d'officiers  dépêchés  l'un  sur  l'autre  ne  fit  que  me  jeter 
successivement  dans  une  plus  grande  incertitude  sur  ce 
(picj'avais  à  faire.  »  Czernitchew  était  aussi  embarrassé 
que  son  collègue  autrichien.  En  bon  Uussc  qu'il  était,  il 
n'osait  pas  compter  sur  le  concours  de  Lascy,  et  malgré  la 
venue  de  Panin  avec  ses  troupes  de  renfort,  il  se  croyait 
trop  faible  pour  emporter  la  ville  défendue  par  un  ennemi 
dont  il  s'c.vagérait  beaucoup  le  nombre,  il  consulta  ses 


lil 


(1)  Lascy  à  l'Empereur,  près  de  Berlin,  9  octobre  17G0.  Arcli.  Vienne. 

CUEimi;  DE  SEPT  ANS.    —  T.   IV.  7 


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08 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  .'I. 


deux  brigadiers  qui  probablement  eussent  été  de  son 
avis,  si  la  chaude  intervention  de  Montalembert  (1)  n  eût 
pas  entraîné  les  voix  et  fait  revenir  Czernitchew  à  des 
sentiments  plus  énergiques.  On  décida  donc  une  attaque 
générale  et  combinée  pour  le  lendemain  î)  octobre.  Dans 
son  rapport  du  môme  jour,  Lascy  ne  parle  pas  de  cette 
entente  et  se  borne  à  affirmer  qu'il  était  résolu  à  marcher 
seul  «  si  les  Russes  ne  voulaient  pas  coopérer  ».  Les  Prus- 
siens se  chargèrent  do  mettre  leurs  adversaires  d'accord 
en  les  dispensant  de  l'assaut.  Malgré  ses  velléités  belli- 
([ueuses,  le  prince  de  Wurtemberg  avait  ou,  lui  aussi,  re- 
cours k  un  conseil  de  guerre  dans  lequel  on  fut  unanime 
à  déclarer  que  la  résistance  était  inutile  et  exposerai'  la 
capitale  à  de  grands  malheurs;  en  conséquence,  les 
corps  actifs  évacueraient  la  ville,  laissant  au  commandant 
Rochow  le  soin  de  négocier  la  reddition  au  mieux  des 
intérêts  de  la  population. 

Cette  décision  était  inopportune,  car  la  discorde  la  plus 
absolue  régnait  dans  le  camp  des  alliés.  Voici  en  quels 
termes  Lascy  relate  sa  part  dans  l'occupation  de  Rerlin  : 
((  Celte  même  nuit,  un  trompette  arrivé  à  Tottleben  a 
demandé  à  capituler  et  la  proposition  a  été  acceptée  à 
l'insu  du  général  Czernitchew  et  moi.  Cependant,  comme 
le  général  Brentano  m'a  fait  avertir  ce  matin  avant  le  jour 
qu^  l'ennemi  'se  retirait,  *e  lui  ai  d'abord  donné  les  ordres 
d'aller  avec  les  grenadiers  occuper  les  hauteurs  près  de 
la  ville,  et  un  moment  après,  j'y  suis  accouru  moi-même 
et  ai  encore  trouvé  des  piquets  prussiens  aux  portes  ;  mais 
dès  que  les  Busses  ont  vu  approcher  nos  grenadiers, 
leurs  hussards  et  dragons  se  sont  mis  à  courir  pour  ga- 
gner les  premiers  les  portes  et  s'en  mettre  en  possession. 
J'ai,  néanmoins,  fait  occuper  aussitôt  la  porte  de  Halle  par 


(I)  Montalembert  au  comte  de  Choiseul,  Herlin,  10  octobre  17G0.  Corres- 
pondance,  H,  p.  a05. 


CAPITULATION  DE  BERLIN. 


99 


une  compagnie  des  grenadiers  de  H.  Daun  en  faisant  en 
même  temps  a[)procher  les  deux  bataillons  sous  mes  or- 
dres. Je  me  suis  l'endu  de  là  chez  M.  de  Czernitchew,  pour 
régler  au  moins  en  «ros  la  façon  dont  la  ville  devait  être 
prise  en  possession  et,  d'après  ce  qui  a  tté  convenu,  je 
fais  ccuper  les  deux  portes  de  Potsdam  et  de  Brande- 
bourg. »  A  en  croire  les  récits  du  temps (1),  ces  mesures 
s'effectuèrent  sans  désordre  :  «  A  8  h.  1/2,  ils  entrèrent 
par  toutes  les  portes  de  la  ville;  les  Autrichiens  entrèrent 
par  celle  de  llaile,  défdèrent  devant  chez  l'E.  et  se  logè- 
rent eux-mêmes  à  la  Friedrichstrasse  et  à  la  Ville  neuve, 
contre  les  accords  de  la  capitulation.  Les  Russes  entrè- 
rent par  les  portes  de  Francfort  et  Rojale  et  tinrent  mieux 
iour  capitulation,  car  il  n'y  eut  que  les  principaux  offi- 
ciers qui  se  logèrent,  le  reste  demeura  sur  les  places  du 
vieux  e^  uiu  nouveau  Dôme,  pêle-mêle  avec  les  chevaux, 
à  l'exception  de  quelques-uns  qui  firent  des  arcades  leurs 
écuries.  » 

Dans  leur  retraite  sur  Spandau,  Wurtemberg  et  Hillsen 
essuyèrent  quelques  pertes;  l'arrière-garde,  retardée  par 
la  cohue  des  équipages,  fut  chargée  par  les  cuirassiers  et 
les  hussards  russes;  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied, 
doux  canons  et  beaucoup  de  bagages  furent  enlevés.  D'a- 
près les  termes  de  la  convention  conclue  entre  Tottleben 
et  Rochow,  la  garnison  et  les  militaires  pr'isents  à  Ber- 
lin, parmi  lesquels  furent  compris  les  cadets  de  l'école 
militaire,  en  tout  plus  de  3.00'J  combattants,  déposèrent 
leurs  armes;  1.5uo  prisonniers  de  diverses  nationalités 
recouvrèrent  la  liberté.  Les  espèces  et  les  effets  apparte- 
nant à  l'État  devinrent  la  proie  du  vainqueur;  par  contre, 
la  sécurité  des  personnes  et  des  propriétés  fut  garantie 
moyennant  le  paiement  d'une  contribution  dont  le  mon- 
tant, après  longue  discussion,  fut  arrêté  à  1 .500.000  thalers 


■  n 


I 


(1)  Leltrv  de  M   Ilumbert  déjà  citée. 


i(uS.2Jifâ 


100 


LA  GUKRHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  II. 


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1 1 


pour  le  Trésor  et  200.000  sous  la  dénomination  de  Dou- 
ceur-Gelder  pour  la  troupe.  Lascy  réclama  la  moitié  de 
ces  sommes,  mais  Czernilchew  repoussa  cette  demande 
sous  prétexte  que  la   cour  de  Vienne  avait  fait  d'avance, 
en  faveur  des  Russes,  abandon  de  toutes  les  impositions 
qui  seraient  levées  à  Berlin.  Sur  les  200.000  thalers  de 
gratification,  l'Autrichien  n'en   put  obtenir  que  50.000 
pour  ses  so'dats.  Il  se  plaint  amèrement  des  généraux 
russes  et  surtout  de  Tottleben  :  «  Je  me  suis  offert  d'en- 
voyer des  détachements  pour  ruiner  les  manufactures, 
le  canal  et  autres  établissements  du  Hoy  désignés  dans 
la  liste  que  le  maréchal  m'avoit   remise;  mais  j'ai  eu 
pour  réponse  que  cela  étoit  déjà  ordonné  et  que  les  Cosa- 
ques l'exécuteroient;  je  doute  aussi  que  cela  se  fasse,  et 
crois  plutùt  que  ces  messieurs  prendront  de  l'argent  et 
laisseront  la  besogne.  En  un  mot,  il  n'est  pas  possible  de 
décrire  à  V.  M.  à  quel  point  l'intérêt,  la  confusion  et  l'i- 
gnorance régnent  parmi  ces  gens-];> .  Et  je  suis  fort  trompé 
si  V.  M.  parvient  jamais  à  tirer  le  moindre  parti  solide 
de  cette  alliance.  Aussi  n'y  a-t-il  que  mon  devoir  qui  m'ar- 
rête auprès  d'eux,  sans  quoi,  je  n'y  saurais  tenir  pour 
tous  les  biens  de  l'univers.  Ce  n'est  qu'autant  qu'on  pour- 
roit  leur  ordonner  en  maître,  qu'on  seroit  en  état  de  s'en 
servir  avec  avantage.  J'ai  cependant  usé  avec  eux  de  tous 
les  ménagements  possibles  et  malgré  tout  cela,  il  n'y  au- 
roit  pas  eu  moyen  sans  M.  de  Czernitchew  de  traiter  .^vcc 
Tottleben.  C'est  un  homme  de  beaucoup  de  paroles,  rem- 
pli de  confusion,  de  toute  sortes  de  détours,  et  en  un  mot 
sans  caractère.  >; 

Berlin  et  ses  environs  demeurèrent  au  pouvoir  des  al- 
I  es  pendant  quatre  jours,  du  9  au  12  octobre,  ils  s'em- 
parèrent de  la  caisse  royale  où  ils  ne  trouvèrent  que  00.000 
ihalcrs;  ils  emportèrent  de  l'arsenal  du  matériel  de 
guerre,  des  effets  et  quoUfues  drapeaux,  vendirent  le  con- 
tenu du  magasin  de  sel,  firent  sauter  la  poudrerie,  détrui- 


EXACTIONS  DES  ALriÉS. 


101 


sircnt  les  fabriques  d'armes,  la  fonderie  et  auraient  fait 
subir  le  même  sort  h  d'autres  établissements  publics  sans 
l'intervention  du  négociant  Gozkowski,  qui  avait  acquis  de 
l'influence  sur  Tottleben,  et  devant  son  affirmation  que  les 
revenus  de  ces  manufactures  étaient  affectés  k  l'entretien 
des  malades  et  des  pauvres.  A  en  croire  les  rapports  que 
l'ambassadeur  anglais  Yorke  reçut  de  Berlin  (1)  :  «  Il  y  eut 
quelques  excès,  cependant  en  général,  les  Russes  ont 
maintenu  le  bon  ordre  dans  la  ville  et  ne  sont  pas  entrés 
dans  les  maisons  particulières,  par  contre,  les  Autrichiens 
ont  fort  maltraité  les  propriétaires  chez  lesquels  ils  étaient 
logés,  et  il  a  fallu  que  les  Russes  les  chassent  et  les  obligent 
à  camper  aux  portes.  »  Le  récit  de  M.  Humbert  est  à  peu 
près  analogue  :  «  Toute  la  nuit  ce  fut  un  tapage  affreux 
dans  la  rue,  car  dans  les  maisons  où  on  ne  voulait  pas  ou- 
vrir ils  brisaient  les  fenêtres,  donnaient  des  coups  de  sabre 
dans  les  portes...  ce  train  dura  jusqu'au  matin  (ce  furent 
les  Autrichiens  qui  le  firent),  qu'ils  furent  pour  piller  la 
Hisskamer.  C'était  horrible  de  voir  comme  ils  Sv;  battaient, 
les  uns  jetaient  leurs  vieilles  culottes,  leurs  vieux  cha- 
peaux et  tout  ce  qu'ils  avaient  qui  ne  valait  rien  et  se  rap- 
pareillaient  avec  des  uniformes  prussiens  à  l'exception  de 
l'habit;  ce  qu'ils  n'avaient  pas  besoin  ils  le  vendaient... 
ils  demeurèrent  tout  le  jour  à  piller  ce  magasin.  Le  samedi 
ils  se  mirent  à  l'Arsenal,  ils  vendirent  tout  le  sel  qui  y 
était...  Tottleben  avait  d'abord  résolu  de  faire  sauter  la 
Fonderie,  mais  le  comte  Scholfscotch  et  l'envoyé  de  Dane- 
mark lui  furent  parler  et  il  donna  ordre  qu'on  ne  fît  qu'a- 
battre les  fourneaux  et  casser  les  moules.  On  en  fit  de 
même  à  la  Monnaye,  mais  tout  cela  se  pourra  bientôt 
refaire  et  môme  la  Monnaye  est  déjà  téparée.  »  En 
résumé  s'il  y  eut  à  Berlin  des  scènes  de  désordre  regret- 
tables, il  n'est  l'ait  mention  ni  de  violences  à  l'égard 


(1)  Yorke  à  Valence  Jones,  La  Haye,  21  octobre  1760.  .\ewcaslle  PupciF. 


TiamÊmÊmmtmmmm 


102 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  II. 


des  personnes  ni  de  vols  dans  les  habitations  privées. 
Mais  si  la  capitale  fut  en  général  épargnée,  il  n'en  fut  pas 
de  même  de  la  banlieue  et  surtout  des  châteaux  royaux. 
Le  rapport  (1)  officiel  rédigé  par  le  soin  du  gouvernement 
prussien  et  publié  à  Londres  et  à  Berlin,  signale  le  château 
de  Charlottcnberg  comme  ayant  été  livré  au  pillage  pen- 
dant quatre  jours  par  les  hussards  d'Kstcrhazy  et  par  les 
dragons  du  régiment  saxon  de  Biuhl;  les  meubles,  les 
tapisseries,  les  tableaux,  les  statues  qui  appartenaient  à 
la  collection  du  cardinal  de  Polignac,  furent  brisés  et 
saccagés.  Mêmes  dégâts  à  Schoenhausen,  maison  de  cam- 
pagne de  la  Heine,  et  à  Kriedrichfeld,  au  château  du 
Margrave,  avec  la  seule  diflerence  que,  dans  ces  deux  cas, 
les  coupables  faisaient  partie  de  l'armée  moscovite.  Le 
document  insiste  enfin  sur  la  profanation,  à  Wilmersdorf, 
deri  tombes  de  la  famille  Schwerin  ;  des  soldats  du  corps 
de  Lascy  auraient  violé  les  sépultures  et  brisé  les  cercueils 
pour  en  retirer  les  bijoux  et  les  anneaux  des  morts.  A  ce 
pamphlet  imprimé  en  Français,  en  Allemand  et  en  An- 
glais, la  cour  de  Saxe  répondit  en  rappelant  les  procédés 
récents  des  Prussiens  en  Saxe  et  pendant  le  siège  de 
Dresde. 

Au  surplus,  tout  en  tenant  compte  de  l'exagération 
inhérente  à  une  prose  inspirée,  il  est  évident  qu'il  y  eut, 
surtout  du  chef  des  Autrichiens  et  des  Saxons,  des  actes  de 
barbarie  qu'explique,  sans  les  justifier,  le  traitement  in- 
fligé par  les  l*russiens  à  la  Bohême  et  à  la  Saxe.  Co- 
gniazzo  (2),  tout  en  flétrissant  les  excès  de  ses  compatriotes 
et  de  leurs  alliés,  signale  avec  éloge  la  conduite  du  bri- 
gadier Bachmann,  commandant  russe  de  Berlin,  et  du 
l)rince  Esterhazy  à  Potsdam  qui  tirent   tout   au  monde 


(1)  Account  of  the  hnrharoiis  mannn-  in  whirli  (lie.  Russian,  Auslrian 
el  Saxon  troops  laid  wasic  tlic  March  of  lirandebury.  J'iiblishedat  Ber- 
lin by  atithority.  Annunl  liegister.  17C0,  p.  210. 

(2)  GeslOndnisseeines  œslreiclrischen  Vétérans,  lU,  p. 'îG3. 


cuNUurrr  de  tottlkukn. 


103 


pour  maintcair  la  disciplino  et  empocher  le  pillage.  Dans 
cette  dernière  résidence,  le  palais  et  les  riches  collec- 
tions de  Sans-Souci  (1)  furent  religieusement  respectés. 
«  Pour  qu'on  ne  commit  point  d'excès  dans  le  château  (2) 
il  (Esterhazy)  a  défendu  qu'on  le  voie;  il  n'y  a  qu'un  of- 
ficier de  provisions  qui  a  demandé  deux  llûtes  du  Hoi 
et  les  a  obtenues.  »  , 

Quant  à  Tottleben  (3),  fort  des  instructions  reçues  de 
Fermor,  il  se  réserva  la  direction  suprême,  à  l'exclusion 
de  Czernilchevv  et  de  Lascy;  il  signa  la  capitulation, 
néeocia  les  arvanyements  relatifs  aux  habitants  et  à  leurs 
propriétés,  fixa  le  montant  et  les  conditions  de  paiement 
de  la  contribution,  en  un  mot,  à  partir  du  î)  octobre  au 
matin,  il  fut  maitre  absolu  de  la  ville  de  Berlin  à  l'ex- 
ception du  quartier  de  Friedrichstadt  occupé  par  les 
Autrichiens.  Son  attitude,  en  somme  bienveillante,  lui 
valut  les  félicitations  de  la  plupart  des  historiens  alle- 
mands; on  lui  sut  gré  d'avoir,  en  réponse  aux  instances 
de  Gozkowski  et  du  ministre  hollandais  Verelst,  remis 
une  proportion  notable  des  amendes,  épargné  des  institu- 
tiv/ns  publiques,  réprimé  les  excès  et  surtout  d'avoir  inter- 
dit l'accès  de  la  cité  aux  bordes  sauvages  qui  formaient  une 
partie  de  son  commandement.  Par  contre,  l'historien  Mass- 
loNvski  accuse  Tottleben  et  son  chef  d'état-major  Bachmann 
do  n'avoir  pas  exécuté  les  ordres  de  leur  chef,  de  s'être  en- 
tendusavec  Gozkowski  pour  réduire  le  montant  des  imposi- 
tions de  guerre,  d'avoir  rétrocédé  sous  main  ou  vendu  à 
vil  prix  aux  intéressés  les  armes,  effets  et  denrées  que, 
d'après  la  capitulation,  ils  étaient  tenus  de  livrer,  ci  Ju,  de 
s'être  fait  indemniser  largement  pour  l'humanité  appa- 
rente de  leur  conduite. 


(1)  Preuss,  Friedrich  der  Grosse,  vol.  Il,  p.  254. 

(2)  LeUre  déjà  citée. 

(3)  Voir  sur  la  conduite  de  Toltlebon  l'appréciation  de  MasslowsKi,  III, 
p.  252  et  suiv. 


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104 


L/i  GUERRE  DE  SEPT  ANS.—  ClIAP.  II. 


Le  11  octobre,  on  apprit  que  le  roi  de  Prusse  était  en 
marche  poiu  secourir  sa  capitale,  et  on  reçut  les  ordres 
de  rappel  les  plus  urgents  de  Fcrmor.  Ce  fut  le  signal  de 
l'évacuation  :  Czernitchew  alla  rejoindre  le  gros  de  l'ar- 
mée russe  à  Francfort;  TottkLen  suivit  le  12  au  soir,  ne 
laissant  comme  sauvegarde  qu'un  faible  détachement  qui 
rallia  le  lendemain;  Lascy  était  j)arli  également  le  12 
dans  la  direction  de  l'Elbe.  Aussitôt  après  l'occupation  de 
Berlin,  le  général  autrichien  avait  dépêché  à  Lantings- 
hausen  qui,  avec  ses  Suédois,  était  ù  Werbelow,  ua  officier 
portant  la  proposition  de  s'unir  à  lui  pour  un  effjrt  contre 
le  prince  de  Wurtemberg.  Le  général  suédois,  peu  entre- 
prenant comme  on  le  sait,  déclina  cette  offre  et  répondit 
qu'il  ne  devait  pas  sortir  de  son  rôle  défensif. 

Ainsi  finit  l'expédition  de  Berlin.  Indépendamment  du 
dommage  causé,  elle  aurait  coûté  aux  Prussiens,  d'après 
les  rapports  officiels,  sans  comptei  les  prisonniers,  iVS 
canons,  179  drapeaux  ou  étendards,  beaucoup  d'armes  et 
des  approvisionnements  considérables  en  munitions  et 
efîets  d'habillement;  mais  de  ce  gros  matériel,  s'il  faut 
croire  Masslowski,  une  fraction  seulement  aurait  été  versée 
entre  les  mains  des  services  compétents  de  l'armée  russe. 
Au  point  de  vue  des  hostilités  générales,  le  raid  sur 
Berlin  ne  fut  qu'un  épisode  de  la  lutte,  sans  répercus- 
sion sur  l'issue  de  la  campagne. 

Avant  d'achever  le  récit  de  la  retraite  définitive  de 
l'armée  de  Soltikolî,  il  nous  faut  faire  un  pas  en  arrière 
et  rendre  compte  du  second  siège  de  Colberg  qui  n'eut 
d'ailleurs  qu'un  lien  secondaire  avec  les  opérations  prin- 
cipales. Depuis  le  début  de  la  guerre,  les  Russes  cher- 
chaient à  s'assurer  sur  la  Baltique  un  port  qui  leur  servi- 
rait de  base  et  de  dépôt  pour  leurs  mouvements  en 
Poméranie.  De  là  leur  tentative  contre  Colberg  qui  avait 
échoué  en  1759  et  qu'ils  renouvelèrent  en  1760.  Le  5  août, 
une  puissante  flotte  de  li  vaisseaux  de  ligne  sous  les 


SIEGE  DE  COLBERG. 


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ordres  de  l'amiral  Miscbukow ,  escortant  de  nombreux 
transports,  mit  à  la  voile  de  (Kronstadt  et  jeta  l'ancro 
devant  Colbcrg'  où  elle  tut  bientôt  rejointe  par  une  es- 
cadre suédoise.  L'entreprise  débuta  par  un  bombarde- 
ment général  de  la  forteresse  ;  le  dél)arcpienient  du  corps 
expéditionnaire,  commencé  le  28  août,  lut  interrompu  par 
le  mauvais  temps  qui  força  les  vaisseaux  à  prendre  le 
large,  et  ne  se  termina  que  le  6  septembre.  Les  assié- 
geants, forts  de  5.000  îi  6  000  hommes  d'infanterie,  étaient 
appuyés  par  quelques  détachements  de  cavalerie  venus 
de  la  Prusse  royale. 

Colberg,  petite  ville  située  sur  la  Persante,  à  un  peu 
plus  d'un  kilomètre  de  la  mer,  était  entouré  de  marais 
et  d'un  abord  difficile.  Les  fortifications,  pour  la  majeure 
partie,  consistaient  en  ouvrages  de  terre  protégés  par  des 
fossés  remplis  d'eau  ;  elles  comptaient  quatre  fronts  l)as- 
tionnés  couverts  par  des  ravelins.  A  l'embouchure  de 
la  rivière  se  trouvait  le  fort  de  Milnder  Schanze,  à  1  ki- 
lomètre et  demi  de  la  place.  La  garnison,  composée  de 
2  bataillons  de  milice  et  de  800  réguliers,  avait  pour 
chef  le  colonel  de  Heyde,  dont  la  vigoureuse  résistance 
avait  sauvé  la  ville  en  1759. 

Les  premières  opérations  des  Russes  furent  heureuses; 
dans  la  nuit  du  8  septembre,  ils  enlevèrent  le  iMunder 
Schanze;  le  11,  ils  ouvrirent  leurs  travaux  d'approche 
contre  la  forteresse;  le  18,  ils  étaient  à  500  pas  du  che- 
min couvert  et  tiraient  avec  eil'et  sur  l'enceinte,  quand 
l'intervention  inattendue  d'un  corps  de  troupes  prussien- 
nes mit  iin  au  siège.  Sur  la  nouvelle  de  l'investissement  par 
les  Russes,  Frédéric  avait  donné  ordre  à  Goltz,  alors  sous  les 
murs  de  Glogau,  de  détacher  au  secours  de  Colberg.  Dans 
ce  but,  le  général  Werner  partit,  le  G  septembre,  avec 
un  faible  contingent  qui  s'accrut  en  route  d'un  renfort 
fourni  par  la  garnison  de  Stettin.  Il  chemina  si  rapi- 
dement qu'il  était  le  15  à  Freienwalde,  à  2V5  kilomètres 


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106 


L\  GLtRRK  DE  SKPT  ANS.  —  CHAI».  II. 


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de  (ilogaii;  là,  il  apprit  la  détresse  de  (^olborg  et  activa 
encore  sa  marche;  le  18  septembre,  il  arriva  .V  (Jross- 
.lestiii  où  ses  hussards  repousst>rent  ([iiclqnes  sotiiias  de  Co- 
saques et  l'orcèrent  le  passage  de  la  Persanto.  Werner, 
profitant  de  son  succès,  pénétra  dans  la  ville  assiéf,ée, 
la  traversa  et  vint  bivouaquer  près  d'Alstadt,  au  sud  de 
la  forteresse;  ra[)proche  de  la  nuit  et  la  fatigue  extrême 
de  ses  hommes  l'obligèrent  à  diltorer  toute  action  jusqu'au 
lendemain.  Les  Ilusses  no  l'attendirent  pas;  Demidow, 
qui  les  commandait,  s'exagéra  probablement  l'impor- 
tance du  détachement  de  Werner  dont  les  5  bataillons 
et  8  escadrons,  après  leurs  longues  étapes,  ne  devaient 
pas  dépasser  un  efFectif  de  3.500  hommes;  il  s'embarqua 
précipitamment,  abandonnant  aux  Prussiens  les  22  canons 
des  tranchées.  Le  23  septembre,  le  départ  de  l'amiral  Mi- 
schukow  avec  sa  ilotte  marqua  la  fin  de  l'entreprise.  Au 
cours  du  siège,  SoltikofT  avait  reçu,  de  la  conférence  de 
Pétersbourg,  l'invitalion  d'envoyer  à  l'aide  des  assiégeants  ; 
mais  le  départ  du  général  Olitz,  avec  une  division  de 
11.000  hommes,  n'eut  lieu  du  camp  de  Carolath  que  le 
12  octobre,  soit  20  jours  après  la  relève  de  la  place; 
il  ne  pouvait  donc  être  question  que  d'une  nouvelle  opé- 
ration que  la  saison  avancée  n'eût  pas  permise. 

Revenons  au  gros  de  l'armée  russe  que  nous  avons 
laissé  près  de  Francfort  sur  l'Oder,  dans  l'expectativu  du 
retour  des  troupes  expédiées  sur  Berlin.  SoltikofT,  remis 
de  sa  maladie  et  fort  inquiet  d'une  affaire  avec  le  roi  de 
Prusse  qu'il  voyait  déjà  tl  ses  trousses,  avait  repris  le  com- 
mandement. Le  IV  octobre,  il  se  porta  à  la  rencontre  de 
Czernitchew  et  Tottleben,  puis  la  jonction  efFectuée,  il 
eut  la  satisfaction  de  rassembler  tout  son  monde,  sauf 
la  division  Olitz,  à  Drossen,  où  il  se  prépara  à  tenir  tète 
au  Roi,  Mais  celui-ci,  qui  se  trouvait  à  Lubben,  était  beau- 
coup trop  préoccupé  de  la  tournure  des  événements  en 
Saxe  et  des  agissements  de  Daun  et  de  Laudon  pour  son- 


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UETUAITK  l)K  I/AIIMEK  RISSE. 


107 


ger  à  poursuivre  les  Uusses,  dont  il  oscomptait  (1)  déjà 
le  retour  aux  rives  de  la  Vistule.  PhmkeM  était  du  même 
avis  et  faisait  part  à  Kaunitz  (2)  des  sentiments  de  l'état- 
major  à  cet  éaard  :  «  (Ihacun  y  a  un  o]>)et  qui  l'attire 
sur  cette  rivière;  l'un  y  a  sa  femme,  un  autre  sa  mat- 
tresse;  les  uns  veulent  allei  îi  Pétersbourg,  les  autres  à 
Moscou,  et  chacun,  pour  me  servir  de  leur  lanqagc,  veut 
ùter  sa  culotte  pendant  l'hiver.   » 

De  Drossen,  l'armée  g'agna  Landsberç  où  Olitz  la  re- 
trouva et  où  elle  fit  un  séjour  de  près  de  trois  semaines. 
Tous  les  mouvements  depuis  le  départ  de  Berlin  avaient 
été  exécutés  avec  une  grande  précipitation  :  «  C'est  le 
11  (octobre),  écrit  Montalembert  (3i,  que  nous  avons  su 
•X  Herlin  que  le  roi  de  Prusse  était  parti  le  6  au  soir.  On 
a  compté  (pi'il  pouvait  être  en  sept  ou  huit  jours  au 
plus  devant  Francfort,  ce  qui  faisait  le  13  ou  le  IV.  Mais 
le  corps  de  Czernitchew  partant  le  1*2,  avait  11  milles  (78  ki- 
lomètres) k  faire  pour  rejoindre  l'armée.  Il  n'y  avait  donc 
pas  un  moment  à  perdre  ;  aussi  les  avons-nous  faits  en 
deux  jours  et  nous  sommes  arrivés  le  13,  écrasant  de 
fatigue  les  hommes  et  les  chevaux.  De  là,  il  a  fallu 
marcher  en  corps  d'armée  de  Francfort  à  Landsberg  i)ar 
une  pluie  continuelle.  Vous  pouvez  juger  de  l'état  où 
nous  nous  trouvons,  les  chevaux  d'artillerie  surtout  ne 
pouvant  pas  mettre  un  pied  l'un  devant  l'autre.  Je  ne 
suis  point  étonné  que  les  généraux  russes  cherchent  dans 
cette  situation  à  se  mettre  hors  de  portée  d'avoir  une 
atfaire,  leur  artillerie  courrait  de  grands  risques.  »  Le 
30  octobre,  Soltikolf,  de  plus  en  plus  souffrant,  partit  pour 
Pétersbourg  sans  attendre  son  successeur,  le  l'eld-maré- 


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(f)  Frédéric  à  Lichnowsky,  Gubcn;  15 octobre!  1760.  Frédéric  A  Wiirtemberjj, 
Liïbben,  18  octobre  17(iO.  Corresp.  Poliliiiue,  XX,  p.  l'J  et  21. 

(2)  IMiiniiett  à  Kaunitz,  Drossen,  15  octobre  1700.  Arch.  de  Vienne. 

(3)  Montalembert  au  comte  de  Choiseul,  près  Landsberg,  20  octobre  1760. 
Corresp.,  II,  p.  310. 


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LA  GUKIIUE  I)E  SKPT  ANS.  —  CllAP.  II. 


chai  Buttcrlin  ({iii  n'assuma  le  commantlemciit  effectif 
que  le  7  novembre.  L'attaché  Plunkett  n'espt^rc  pas  beau- 
coup de  la  capacité  (1)  du  nouveau  général  en  chef. 
«  Il  sera  difficile  de  traiter  les  aiî'aires  avec  ce  seigneur, 
comme  il  ne  parle  d'autre  langue  que  le  russe  et  très 
peu  d'allemand,  mais  ce  qui  est  le  plus  disfiracieux.  est 
que  ce  sciuneur  n'a  jamais  servi  et  n'a  aucune  connais- 
sance militaire.  »  Cependant  il  ne  regrette  pas  Soltikolf 
sur  le  compte  duquel  il  n'avait  pas  conserve  ses  pre- 
mières illusions.  «  Ce  seigneur  ne  songeait  à  rien  moins 
qu'à  nous  faire  plaisir,  joint  k  cela  une  grossièreté,  une 
ignorance,  une  opinion  très  grande  de  sa  propre  habi- 
leté; enfin  le  tout  ensemble  faisait  un  composé  dont  on 
ne  pouvait  tirer  aucun  avantage,  et  s'il  n'eût  pas  été  ma- 
lade, je  suis  bien  assuré  que  je  n'aurais  pas  pu  engager 
cette  armée  dans  l'entreprise  de  licrlin.  »  On  était  encore 
incertain  sur  les  mouvements  ultérieurs.  «  Il  m'est  impos- 
sible de  pénétrer  les  intentions  des  généraux  de  cette 
armée  pour  les  quartiers  d'hiver;  par  le  peu  d'arrange- 
ments que  je  vois  prendre,  il  ne  me  semble  pas  qu'ils 
songent  à  faire  un  long  séjour  de  ce  côté-ci;  je  doute 
même  qu'en  Poméranie  ils  en  fassent  davantage;  cepen- 
dant, je  puis  bien  rsmarquer  qu'ils  sont  gênés  par  des 
ordres  de  leur  Cour.  » 

Buttcrlin  avait  eu  en  ell'et  quelques  velléités  de  se  con- 
former au  désir  de  son  gouvernement  et  d'installer  ses 
divisions  eu  Poméranie  et  dans  le  NeumarUt ,  mais  la 
vue  d'un  pays  épuisé  et  la  constatation  du  manque  de 
ressources  le  firent  renoncer  à  toute  idée  de  ce  genre. 
Le  7  novembre,  il  déclara,  à  Montalembcrt  (2)  qui  était 
allé  au-devant  de  lui,  l'impossibilité  de  faire  hiverner  l'ar- 
mée dans  une  région  où,  de  l'aveu  de  l'attaché  français, 

(1)  PlunkeU  à  Kauiiitz,  Landsberg,  30  octobre  1760.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Montaleinbert  au  comte  de  Choiseul,  Arnswald,  8  novembre  1760.  Cor- 
resp.,  Il,  it.  321. 


LA  CAMPAGNE  DES  HISSES  NE  PRODUIT  AK  IN  UÉSl  LT.\T.  109 

«  on  ne  trouve  pas  un  seul  habitant,  pas  un  cheval,  ni  l)es- 
tiaux  ».  Peu  de  jcnirs  après,  les  troupes  moscovites  re- 
prirent le  chemin  de  la  Visiule  et  s'établirent,  au  courant 
de  décembre,  derrière  ce  fleuve  dans  leurs  cantonnements 
habituels.  Le  général  Werner,  chargé  de  surveiller  cette 
retraite,  n'eut  avec  les  irréguliers  de  Totticben  que  des 
escarmouches  sans  portée.  Vers  la  iiu  de  l'année,  Werner 
et  le  prince  de  Wui-temberg  qui,  i\  la  suite  do  la  bataille 
(\o  Torgau,  avait  été  envoyé  pour  l'appuyer,  lurent  rap- 
pelés et  dirigés  tous  les  deux  sur  la  Pcene  contre  les 
Suédois. 

En  résumé,  l'effet  utile  de  l'action  russe  pendant  l'an- 
née 1700  fut  ù  peu  près  nul.  Deux  fois,  à  l'époque  de  la 
bataille  de  l.iegnitz  et  après  la  prise  de  Berlin,  la  jonc- 
tion ou  la  coopération  des  forces  russes  et  autrichiennes 
eut  pu  accomplir  de  grandes  choses.  Deux  fois  le  géné- 
ralissime russe  gaspilla  dans  l'inaction,  à  llerrnstadt  ou 
à  Landsberg,  un  temps  précieux  et  permit  ainsi  à  Fré- 
déric de  réunir  tous  ses  moyens  contre  les  Autrichiens 
et  de  considérer  comme  ([uantité  négligeable  les  70  000 
excellents  soldats  dont  la  vaillance  lui  avait  coûté  si  cher 
lors  de  la  campagne  précédente.  Dans  cette  faillite,  les 
généraux  aulrichiens  eurent  aussi  leur  responsabilité  ;  non 
seulement  ils  s'acquittèrent  assez  mal  du  rôle  qui  leur 
avait  été  assigné  dans  le  programme  primitif,  mais  par 
les  changements  continuels  apportés  aux  projets  com- 
binés, ils  lassèrent  la  patience  de  leurs  alliés  et  leur  four- 
nirent des  prétextes  plausibles  pour  justifier  leur  inertie. 
Timidité  ou  indécision  do  la  part  des  chefs  des  deux  ar- 
mées, méfiance  récipro([uc  poussée  à  l'extrême,  crainte 
presque  superstitieuse  du  roi  de  Prusse,  lenteur  des  mou- 
vements russes,  eniin  maladie  de  Soltikoff,  telles  sont  les 
raisons  d'un  résultat  négatif  qui  eut  sa  répercussion  sur 
toute  la  guerre. 

La  campagne  des  Suédois  fut  aussi  inefficace  que  celle 


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110 


LA  C.UEIUIK  I)K  SKl'T  ANS. 


CHAP.  II. 


(les  Russes;  elle  avait  cependant  déliufé  par  un  petit  suc- 
ées. liC  lli)  janvier,  le  général  Manteullel  avait  franchi  la 
Pecnc,  (|ni  séparait  les  ((uartiers  d'Iiivcr  prussiens  de  ceux 
(les  Suédois,  et  avait  elicrché  ji  refouler  les  avaat-postes  de 
ces  derniers;  cette  tentative  échoua  et  se  termina  par  un 
combat  de  nuit,  le  28,  dans  les  rues  d'Anklam,  au  cours 
du(|uel  Manteullel  fui  fait  prisonnier.  Depuis  cette  date 
jusqu'à  la  fin  de  juillet,  la  tran(|uillité  ne  fut  troublée 
par  aucun  incident.  Vers  le  milieu  d'août,  Lanting-shnu- 
sen  prit  l'olFensive  ;  il  y  eut  entre  lui  et  le  Prussien  Yung 
StiUterheim  ([ui  lui  étfiit  opposé  avec  des  forces  très  infé- 
rieures, une  r,érie  d'ongai^ements  à  la  suite  des(juels  les 
Suédois  s'avancèrent  jus({u'à  l'ITcker  et  s'établirent  à  Prenz- 
low  et  Passewalk.  Dans  une  des  premières  rencontres,  une 
patrouille  prussienne  captura  le  Français  Caulaincourt 
(jui  remplissait  les  fonctions  d'atlaché  militaire  auprès 
de  l'armce. 

Dans  les  derniers  jours  de  septembre,  le  détachement 
de  Sti\tterheim  fut  rejoint  par  le  général  Werner  au  retour 
de  sa  glorieuse  expédition  pour  la  relève  de  Colberg.  Le 
prince  de  Wurtemberg  vint  prendre  le  commandement  de 
la  division  ainsi  formée;  il  avait  concerté  avec  le  prince 
de  Bevern,  gouverneur  de  Stettin,  un  projet  combiné 
contre  les  Suédois,  mais  l'entreprise  des  Austro-Russes  su. 
Berlin  donna  aux  événements  une  autre  tournure.  Cepen- 
dant, avant  la  marche  du  prince  au  secours  de  la  capi- 
tale, il  y  avait  eu  un  combat  sérieux  entre  Werner  et  le 
général  suédois  Ehrensward;  l'attaque  de  Passewalk  que 
tenta  le  premier  fut  repoussée,  mais  les  perte.,  de  part  et 
d'autre  furent  lourdes.  Impressionné  par  cette  diversion 
sur  ses  derrières,  Lantingshausen  abandonna  son  camp 
de  Prenzlow  et  se  retira  c^  Brectsch,  près  de  Passewalk; 
le  6  octobre,  il  était  à  Werbelow  où  il  reçut  l'invitation 
de  Lascy  de  s'unir  à  lui,  invitation  à  laquelle,  on  le  sait, 
il  ne  voulut  pas  se  rendre.  La  situation  resta  inchangée 


IIËHLIN. 


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jus(|irà  l.'i  lin  <rocl()l)ro.  Vers  cette  r[K)(|uc,  les  Suédois, 
(iu()i(|irils  fussent  très  supérieurs  en  nombre,  rentrèrent 
derrière  la  Peenc  La  petite  guerre  qui  continua  pendant 
le  mois  de  novembr(^  eut  pour  théâtre  h;  Mecklombourg" 
et  n'eut  d'autre  importance  que  de  mettre  en  évidence  les 
([ualités  de  partisan  du  colonel  prussien  Beiling. 

Au  Commencement  de  janvier  1761,  les  deux  partis 
avaient  repris  leurs  ([uartiers  de  riii\eri)récéd('nt  et  avaient 
assuré  par  une  convention  leur  repos  respectif. 


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CHAPITRE  III 

TORGAU 

COMBAT  DE  STREIILA.  —  DEUX-PONTS  MAITRE  DE  LA  SAXE.  — 
RETOUR  EN  SAXE  DE  FRÉDÉRIC  ET  DAUN.  —  SÉPARATION  ET 
RETRAITE  DE  l'aRMÉE  DES  CERCLES.  —  HATAILLE  DE  TOR- 
GAU. —  FRÉDÉRIC  RECONQUIERT  LA  SAXE.  —  OPÉRATIONS  DE 
LAUDON  EN    SILÉSIË. 

Pour  éviter  les  redites,  nous  avons  épuisé  le  sujet  acces- 
soire des  iiostilités  dont  la  Poméranie  et  la  nouvelle  marche 
de  Brandebourg  furent  le  théâtre;  mais  pendant  les  der- 
niers mois  de  l'année  1760,  les  gros  événements  se  passaient 
en  Saxe,  et  c'est  dans  cette  contrée  que  se  décida  le  sort  de 
la  campagne.  Lors  de  son  départ  pour  la  Silésie  au  com- 
mencement d'août,  le  roi  de  Prusse  n'avait  pu  laisser 
pour  la  garde  de  la  Saxe,  en  outre  des  garnisons  de  Tor- 
gau,  de  Leipzig  et  de  Wittenberg,  qu'une  division  de 
12.000  hommes  sous  les  ordres  de  Ilidsen.  Ce  général 
s'était  installé  dans  un  camp  retranché  derrière  la 
Tricbs«'he,  ;\  peu  de  distance  de  Meissen.  Les  forces  im- 
périales qui  lui  étaient  opposées  se  composaient,  pour 
l'infantcie,  d'éléments  mélangés  appartenant,  en  majo- 
rité, au:;  contingents  des  Cercles,  pour  la  cavalerie,  au  con- 
traire, de  régiments  presf[ue  exclusivement  autrichiens  ;  le 
tout  pouvait  atteindre  un  elTectif  de  2.'}. 000  hommes  (1) 
commandés  par  le  duc  de  Deux-Ponts.  Dans  ce  chiffre  ne 

(1)  Marainvillc  à  Clioiscul,  Ilagnilz,  15  août  1700.  Affaires  Élrangôrcs. 


COMBAT  DE  STREHLA. 


113 


sont  comptées  ni  la  garnison  de  Dresde  ai  la  division  in- 
dépendante du  général  Luzinski,  forte  de  4.000  hommes. 
Enfin,  le  duc  de  Wurtemlierg  guerroyait  pour  son  propre 
compte avec8. 000  iiommes.  Le  13  août,  l'armée  des  Cercles 
qui  avait  attendu,  pour  s'ébranler,  que  Frédéric  fût  hors  de 
portée,  alla  camper  à  Wilsdruf,  et  trois  jours  après,  le 
prince  de  Stollberg,  avec  le  corps  de  réserve,  se  posta 
sur  le  flanc  des  Prussiens.  Ainsi  menacé  de  voir  couper 
sa  ligne  de  retraite,  Hulsen  prit  le  parti  de  se  retirer  le 
18  dans  la  position  de  Strehla  où  le  prince  Henri  avait 
tenu  tête  aux  Autrichiens  en  1759. 

Le  général  prussien  était  bien  résolu  à  disputer  le  ter- 
rain pied  à  pied  aussi  longtemps  que  son  infériorité  numé- 
rique le  lui  permettrait.  L'esprit  de  so  s  soldats  venait  d'être 
stimulé  par  la  nouvelle  de  la  victoire  remportée  par  leurs 
camarades  de  l'armée  royale  à  Liegnit/.;  aussi  eut-il  la 
pensée  de  tenter  une  surpris'^  de  nuit  contre  la  division 
du  prince  de  Stollberg  qui  paraissait  en  l'air.  La  vue  des 
Impériaux  déjà  en  marche  fit  rentrer  les  Prussiens  dans 
leur  camp.  Ceux-ci  (1)  appuyaient  leur  gauche  à  l'Elbe 
près  du  village  de  Strehla  et  s'étendaient  sur  des  hauteurs 
perpendiculaires  au  fleuve  jusqu'à  la  colline  boisée  du 
Dïirreberg  où  était  rangée  la  droite.  Deux-Ponls  et  son 
état-major  s'étaient  rendu  compte  du  peu  de  chance  de 
succès  que  présenterait  un  assaut  de  front  contre  une 
position  dont  les  avantages  naturels  avaient  été  com- 
plétés par  les  ouvrages  élevés  en  1759  et  restés  pour 
la  plupart  intacts  ;  ils  adoptèrent  un  plan  d'attaque  assez 
bien  conçu.  Les  Impériaux  de  Stollberg,  les  Croates  de 
Kleefeld  et  les  réguliers  autrichiens  de  Guasco  furent 
dirigés  contre  l'aile  droite  des  Prussiens  ([ui  occupait 
le  Dïirreberg;  le  reste  de  l'armée,  déployé  en  avant  de 
Canitz,  s'ciTorcerait  par  des  démonstrations  d'empêcher 

(1)  Voir,  pour  les  détails  du  combat,  le  récit  contradictoire  des  despnl- 
clic  im  Jlekhcder  Todien.  111,  Frankfurlli  et  Leipzig,  1700. 

GUEnilE  DE  SEPT  ANS.    —   T.   IV.  8 


114 


LA  GUERIIE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


Iliilsen  de  secourir  sa  droite;  onfui  la  cavalerie,  par  un 
mouvement  circulaire,  se  porterait  sur  les  derrières-  de  l'aile 
attaquée  et  agirait  dans  la  direction  de  la  ligne  de  retraite 
sur  Torgau.  Vers  ï  heures  du  matin,  le  20  août,  Taflaire 
débuta  par  un  duel  d'artillerie  entre  les  batteries  prus- 
siennes du  Diïrreberg'  et  le  canon  de  Giiasco  placé  sur  la 
collinederottenberg  qui  lui  fait  face.  Appuyées  par  le  feu 
de, leurs  pièces,  les  troupes  de  Stollber^  et  Kleefeld  eurent 
d'abord  l'avantage  :  elles  s'emparèrent  d'un  bois  sur  le 
flamp  des  Prussiens  et  commencèrent  à  tourner  les  défen- 
seu^du  Diu'reberg.  En  môme  temps,  les  grenadiers  de 
Gi»sco  firent  mine  de  les  attaquer  de  front. 

Mais  Iliilsen  ne  se  laissa  pas  tromper  par  les  feintes 
des  Impériaux'  contre  les  collines  de  Strehla,  il  comprit 
que  seule  son  aile  droite  était  sérieusement  menacée  et 
il  y   envoya  le  gros  de  sa  cavalerie  et  deux   bataillons 
sous  le    général   Linden.    L'arrivée    de  cette   infanterie 
fut  des  plus  opportunes;  elle  permit  au  général  Braun, 
qui  commandait  au  Diïrreberg,  de  disposer  d'une  partie 
de  son    monde  pour  repousser  les  Autrichiens  qui  dé- 
bouchaient du  bois  et  devenaient  inquiétants.   L'inter- 
vention de  la  cavalerie  fut  encore  plus  efficace  ;  tandis 
que  cinq  escadrons  de  dragons  tombaient  sur  les  troupes 
qui,  à  peine  sorties  du  taillis,  étaient  encore  en  désordre, 
en  tuaient  bon  nondire,  en  capturaient  beaucoup  et  met- 
taient fin  à  tout  danger  de  ce  côté,  le  reste,  conduit  par 
le  général  Schorlemmer  et  le  colonel  Kleist,  dirigea  son 
effort  contre  la   cavalerie   impériale   dans  la  plaine   de 
Saas.   Les  chevau-létrere  de  Deux-Ponts  et  les  hussards 
de  Baronicz,  qui  étaient  en  tête,  furent  repliés  vigoureu- 
sement et  laissèrent  entre  les  mains  des  vainqueurs  de 
nondjreux   prisonniers,  parmi  lesquels  le  colonel  prince 
de  iNassau-Ussingen. 

Malgré   l'échec    de   S'ollberg,  le  duc    de    Deux-Ponts 
qui  avait  presque  toute  la  journée   devant  lui,   car  il 


IIULSEN  SK  RETIKE  A  TORGAU. 


UB 


n'était  rpic  7  heures  du  matin,  ne  voulut  pas  cenoncer  à 
la  lutte;  le  combat  d'artillerie  reprit  de  plus  belle  et  une 
brigade  d  infanterie  palatine  vint  appuyer  les  fantassins 
de  StoUberg  qui  se  maintenaient  encore  dans  un  ([uar- 
tier  du  bois;  enfin  un  nouveau  mouvement  hors  de  por- 
tée des  batteries  prussiennes  fut  dessiné  vers  le  diemin  de 
Torgau.  ilidsen  qui  avait  dégarni  sa  gauche  à  Strehla, 
au  point  de  n'y  conserver  que  cinq  bataillons  alignés  sur 
un  rang  de  profondeur,  jugea  prudent  d'effectuer  sa  çe- 
traite.  Elle  ne  fut  suivie  que  par  quelques  hussards  im- 
périaux. Deux-Ponts  s'empressa  d'occuper  le  camp^de 
son  adversaire  où  il  fit  tirer  le  lendemain  un  feu  de  joie 
pour  la  victoire  (Tu'il  s'était  attribuée,  un  peu  gratuite- 
ment, ce  semble. 

D'après  les  rapports  officiels,  la  perte  prussienne  n'au- 
rait été  dans  cet  engagement  que  de  1.162  officiers  et  sol- 
dats tués,  blessés  et  pris;  3  canons  et  quelques  tentes  tom- 
bèrent entre  les  mains  des  Impériaux.  Ceux-ci  auraient 
eu  plus  de  2.000  hommes  hors  de  combat,  sans  compter 
40  officiers  et  1.178  soldats  faits  prisonniers  ou  déserteurs; 
en  outre,  ils  s'étaient  laissé  enlever  un  canon  et  trois  dra- 
peaux ou  étendards.  Ij'attaché  militaire  Marainville,  qui  as- 
sistait à  la  bataille  (1),  explique  l'insuccès  de  StoUberg  par 
l'action  tardive  de  l'artillerie  impériale  ;  il  rend  hommage  à 
la  bonne  conduite  des  troupes  de  l'Enqiire  qui,  mêlées  aux 
Autrichiens,  (i  ont  montré  une  valeur  et  une  volonté  beau- 
coup au  delà  de  ce  qu'on  en  attendait  ».  Il  évalue  les  dé- 
chets des  deux  côtés  au  chiffre  égal  de  2.000  et  aioute  : 
«  C'est  une  affaire  de  perte  où  rennemi  avait  l'avantage 
d3s  bois  pour  faire  tran([uillement  et  avec  sûreté  sa  re- 
traite par  les  chemins  dont  ils  sont  traversés,  aussi  ne  lui 
a-t-on  pris  quo  trois  pièces  de  canon  de  six.  »  Le  général 
lliilsen,  dans  son  récit  (2),  fait  un  éloge  mérité  de  son 

(()  Marainville  à  Choiseul,  Slrehla,  20  août  1700.  Affaires  Élrangères. 
{:!)  Ilulsen  à  l'mléric,  Toigau,  21  aoùl  17G0,  Sclioiiing,  II,  p.  i'M. 


IIG 


LA  GL'ERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  IIF. 


personnel  et  mentionne  d'une  fa<;on  spéciale  les  généraux 
Braun  et  Schorlcmmer,  le  colonel  Kleist  et  le  major 
Marschall  qui  s'étaient  distingués  dans  le  combat  du 
Diirreberg. 

Pendant  plus  d'un  mois,  depuis  le  20  août  jusqu'au 
2\  septembre,  les  hostilités  furent  virtuellement  suspen- 
dues. Iliilsen  dans  son  camp  retranché  de  Torgau,  en 
face  de  lui,  Deux-Ponts  n'osant  l'attaquer  mais  essayant, 
par  des  manœuvres  répétées,  de  l'amener  à  vider  la  place. 
Cependant  la  situation  s'était  modifiée  eu  faveur  des  Im- 
périaux, et  par  l'arrivée  de  Luzinski  qui,  depuis  les  derniers 
jours  d'août,  coopérait  avec  le  gros,  et  par  l'entrée  en 
scène  du  duc  de  Wurtemberg  avec  son  corps  de  8.000  hom- 
mes. Ce  prince,  qui  tenait  à  exercer  un  commandement 
indépendant,  comme  nous  le  verrons  dans  un  autre  cha- 
pitre, avait  refusé  de  servir  sous  le  contrôle  du  duc  de 
Broglie  et  guerroyait,  pour  son  propre  compte,  dans  les 
régions  inoccupées  par  les  principaux  belligérants.  Il  avait 
levé  force  contributions  en  argent  et  en  nature  da;  o  les 
comtés  prussiens  de  Hohenstein  et  de  Mansfeld  et  dans  la 
ville  de  Halle.  En  dernier  lieu,  il  s'était  porté  sur  Bltter- 
feld  et,  le  23  septembre,  s'était  installé  à  Pretsch.  Ce 
mouvement  avait  été  effectué  sur  les  instances  de  la 
cour  de  Vienne  qui  avait  enjoint  (1)  au  duc  de  Deux- 
Ponts  l'achever  la  conquête  de  la  Saxe  en  s'emparantde 
Torgau  et  de  Wittenberg,  et  de  s'entendre  à  cet  effet  avec 
le  duc  de  Wurtemberg.  C'est  en  vain  que  Iliilsen,  ému 
de  l'offensive  concentrique  dont  il  était  menacé,  avait  de- 
mandé du  renfort  au  roi  de  Prusse  et  au  prince  Ferdinand  ; 
tous  les  deux  avaient  répondu  qu'il  leur  était  impos- 
sible de  détacher  au  secours  de  la  Saxe.  Quoique  livré 
à  ses  seules  ressources  avec  les  10.000  hommes  dont  il 
pouvait  disposer,  le  général  prussien  ne  redoutait  pas 


(1)  Marainville  à  Choiseiil.  Slichla.  18  septembre  1760.  Affaires  Étrangères. 


PRISE  DE  TOROAU. 


117 


un  assaut  direct  qu'il  se  croyait  assez  fort  pour  repous- 
ser; du  reste,  en  cas  de  malheur,  sa  retraite  était  assurée 
par  la  possession  de  la  ville  de  Torijau  et  de  ses  ponts 
sur  TElbe;  mais  il  avait  h  craindre  que  l'ennemi  ne  fit 
passer  le  fleuve  à  une  partie  de  ses  forces  et  ne  le  cernât 
en  opérant  par  la  rive  droite.  Le  25  septembre,  ses  in- 
quiétudes furent  accrues  par  la  nouvelle  que  Luzinsld 
avait  commencé  à  jeter  un  pont  sur  l'Elbe  à  Dommitsch, 
que  des  troupes  légères  avaient  déjà  traversé  en  bateau 
et  que  Wurtemberg  se  préparait  u  tenter  le  passage  plus  en 
aval  aux  abords  de  Pretsch  ;  une  reconnaissance  en  force 
confirma  ces  avis,  lliilsen  adopta  un  parti  énergique  :  il 
résolut  de  profiter  de  sa  position  centrale  pour  écraser 
successivement  ses  adversaires;  par  une  marche  de  nuit 
il  tomberait  sur  Luzinski  et  sur  Wurtemberg,  les  battrait, 
puis  reviendrait  rapidement  reprendre  son  camp  dans  la 
banlieue  de  Torgau.  Le  départ  des  Impériaux  qui,  dans 
la  journée  du  26,  abattirent  leurs  tentes  et  s'ébranlèrent 
dans  la  direction  de  Dommitsch,  n'apporta  aucune  modifi- 
cation à  ce  projet.  Vers  2  heures  de  l'après-midi,  Kulsen 
fit  défiler  ses  troupes  sur  les  ponts,  mais  le  mouvement 
fut  entravé  par  l'encombrement  des  bagages  qui  n'avaient 
pas  été  expédiés  en  temps  utile.  Le  colonel  Zettwitz 
et  le  général  Kleefeld,  laissés  par  Deux- Ponts  devant 
Torgau,  eurent  bien  vite  connaissance  de  la  manœuvre 
qui  s'accomplissait  sous  leurs  yeux  ;  ils  s'approchèrent  de 
l'Elbe  et  ouvrirent  sur  les  Prussiens  un  tir  d'artillerie  très 
vif;  l'un  dos  ponts  prit  feu,  des  arches  cédèrent,  le  dé- 
sordre se  mit  dans  le  convoi  rassemblé  sur  la  rive  droite 
et  les  pontonniers  ne  purent  replier  leur  matériel.  En  dépit 
de  ces  incidents  et  des  retards  qui  en  résultèrent,  Uiilsen 
continua  sa  route  et  arriva  à  la  nuit  tombante  aux  vil- 
lages de  Beltran  et  de  Gross-Treben  où  il  ne  trouva  que 
quelques  hussards  ennemis;  le  lendemain,  il  apprii  que 
le  peu  de  soldats  de  Luzinski   et  de   Wurtemberg  qui 


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118 


LA  GUEllUE  DK  SEPT  ANS.    -  CHAI».  III. 


avaient  franchi  le  fleuve  étaient  déjà  rentrés  à  la  rive  gau- 
che; il  avan(,'a  cependant  jusqu'à  Jessen  où  il  campa.  C'est 
dans  cette  localité  qu'il  fut  informé  de  la  prise  de  Toruau. 

Voici  ce  (jui  s'était  passé  de  ce  côté.  I.e  major  Normann 
commandant  de  la  place,  malgré  un  renfort  de  1.500  con- 
valescents et  contrairement  aux  ordres  formels  de  son  chef 
d'avoir  à  tenir  ferme  jusqu'à  son  retour,  impressionné  par 
la  rupture  des  ponts  et  par  la  réapparition  du  gros  de 
l'ennemi,  céda  à  la  première  sommation  et  se  rendit  avec 
sa  garnison  le  27  septembre.  Dans  la  place,  le  vain- 
queur s'empara  (1),  en  outre  de  2.500  prisonniers,  ma- 
lades et  blessés  compris,  de  2;J  canons,  de  4  mortiers,  de 
provisions  considérables  de  farine  et  d'avoine,  enhn  d'un 
équipage  de  08  pontons  de  cuivre. 

Encouragé  par  Je  succès,  Deux-Ponts  fît  passer  l'Elbe  à 
son  armée,  le  28  septembre,  àDommitsch.  Le  duc  de  Wur- 
temberg et  le  colonel  Zettwitz  restèrent  sur  la  rive  gauche. 
Tous  s'acheminèrent  vei's  Wittenbergsous  les  murs  du<|uel 
Hiilseu,  conformément  au  vote  de  la  majorité  d'un  conseil 
de  guerre  ([u'il  venait  de  réunir,  s'était  décidé  à  tenir  bon. 
Le  2  octobre  eut  lieu  (2)  une  lutte  acharnée  pour  la  posses- 
sion du  village  de  Dobien  (|ui  coûta  à  chacun  des  adver- 
saires 300  à  VOO  hommes  hors  de  combat.  En  fin  de  compte, 
les  Prussiens  reculèrent  et  abandonnèrent  la  communi- 
cation avec  Wiltenberg  pour  conserver  celle  de  Berlin. 
Dans  la  nuit  du  2  au  3  octobre,  ilûlsen  leva  son  camp 
sans  tambour  ni  trompette  et  gagna  iMuhlstadt,  puis,  sur 
la  nouvelle  du  danger  que  courait  la  capitale,  Delzig 
et  lîeelitz,  enfin  Berlin  aux  portes  duquel  il  se  réunit,  le 
7  octobre,  au  corps  du  prince  (3)  de  Wurtemberg.  Les 
Impériaux  ne  suivirent  pas  les  Pinissiens  dans  leur  re- 

(l)Marainville  à  Choiseul,  Wcydenhaj n,  27sepleinbre  17G0.  Affaires  Éliiiii- 
gères. 
(2)  Marainville  àClioisftuI.  Eiiper,  4  octobre  1760.  Affaires  Étrangtires. 
(3;  Frère  Uu  duc  cl  général  au  service  prussien. 


l'IlltDltlUC  MARCIIK  SUR  WlTTË.NBliRG. 


lit) 


traite,  mai.»  aussitôt  clél)ari'assés  de  ll(\lson  comiiieiicù- 
rent  le  siège  do  Wittenberg.  L'opération  (1)  traîna  en 
longueur,  car  il  fallut  tirer  les  munitions  de  Dresde; 
néanmoins,  les  batteries  ouvi'irent  le  feu  le  12  octobre, 
incendièrent  une  partie  de  la  ville  et  tirent  sauter  la  pou- 
drerie. Après  une  vigoureuse  résistance,  le  général  Salen- 
inon  dut  capituler  avec  sa  garnison  de  3  bataillons  et  de 
VOO  convalescents.  Entre  temps,  Leipzig  ayant  été  éva- 
cué, toute  la  Saxe  avait  été  recouvrée  et  pouvait  être 
restituée  à  son  maître  légitime.  Ce  succès  devait  être 
aussi  éphémère  qu'il  avait  été  ImportanL 

Permettons,  pour  un  moment,  au  duc  de  Deux-Ponts  de 
se  reposer  sur  ses  lauriers  et  reprenons  le  récit  des  mou- 
voments  de  Frédéric  et  de  Daun  que  nous  avons  vus  partir 
des  montagnes  de  la  Silésie  et  (jue  nous  avons  laissés,  le 
premier  marchant  au  secours  de  Berlin,  le  second  en  route 
pour  la  Lusace,  Le  10  octobre,  Frédéric  eiïectua  sa  jonc- 
tion avec  Goltz  qu'il  avait,  à  la  suite  d'ordres  contradic- 
toires, définitivement  rappelé  à  lui.  L'armée  royale  se 
trouvait  ainsi  forte  de  (58  bataillons  et  143  escadrons  ptni- 
vant  fournir  un  peu  plus  de  50.000  combattants.  Le  1 V.  elle 
avait  atteint  (lubcn  pr^s  du  confluent  de  la  Neissc  et  de 
roder;  on  y  apprit  l'évacuation  de  Herlin  par  les  Austro- 
Russes.  La  première  pensée  du  Uoi  fut  de  les  poursuivre, 
mais  les  uns  et  les  autres  avaient  trop  d'avance;  après 
quelques  heures  d'hésitation  dues  au  manque  de  renseigne- 
ments ou  aux  fausses  informations,  il  semble  avoir  pi-is 
son  parti.  De  Lubben.  où  il  séjourna  depuis  le  17  jus(ju'au 
20  octobre,  il  lança  ses  instructions  ;  (Joltz  fut  renvoyé  en 
Silésie  avec  14.000  hommes  pour  tenir  tête  à  Laudoii; 
Hiilsen  et  le  prince  de  Wurtemberg,  dont  les  divisions 
étaient  réunies  depuis  les  événements  de  lierlin,  reçurent 
l'ordre  de  gagner  iMagdebourg,  d'y  franchir  l'Elbe  et  de 

(I)  Marainvilli!  à  Clioiseul.  pivs   WiUenbers,    12  octobre  ITtiO.   Affaires 
Étrangères.  „  . ...  ,.    , , 


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130 


LA  guer:;e  de  sept  ans.  —  chap.  m. 


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se  rallier  à  rarmée  royale,  Stulterheim  au  contraire  re- 
tourna s'opposer  aux  Suédois. 

Quant  aux  Kusses,  le  Koi  n'en  tint  pas  compte,  persuadé 
que  leur  rôle  était  terminé  pour  la  campagne  actuclU  ;  «  à 
présent  que  Je  me  trouve  débarrassé  des  Russes,  écrit-il  (1  ) 
au  prince  Ferdinand,  je  ne  vous  demanderai  plus  aucun 
secours  pour  la  Saxe  »  ;  il  se  fîVcho  contre  le  gouverneur 
de  Custrin  (2)  qui  se  croit  menacé  d'un  siège  et  rassure  le 
prince  de  Hevern  (3)  qui  se  préoccupe  d'un  coup  de  main 
sur  Stettin.  Dans  une  lettre  à  Finckenstein  (4),  datée  du 
lendemain  de  son  départ  de  Lubben,  il  expose  ses  projets 
et  les  motifs  ai  les  ont  dictés  :  «  Mon  all'aire  la  plus  prin- 
cipale à  présent  ici  sera  de  passer  l'Elbe,  ce  qui  je  pense 
ne  sera  pas  difficile  pour  y  réussir.  Ensuite,  je  serai  obligé 
de  mener  mes  opérations  à  une  all'aire  décisive,  ce  qui 
sera  absolument  nécessaire  par  la  raison  que  si  nous  traî- 
nons la  guerre...  le  pain  nous  manquera  l'hiver  qui  vient 
et  dans  une  campagne  future  nos  affaires  seraient  plus 
empirées  que  jusqu'ici.  En  second  lieu,  je  n'ai  que  deux 
saisons  pour  agir  offensivemcnt,  savoir  le  commencement 
du  printemps  et  l'arrière-saisoa,  où  je  me  vois  débarrassé 
d'une  partie  de  mes  ennemis;  (jue,  si  le  bonheur  me 
favorise  et  que  je  gagne  une  bien  bonne  bataille,  je 
pourrai  peut-être  redresser  toutes  nos  affaires  en  Saxe  et 
môme  en  Silésie  et  inspirer  des  sentiments  pacifiques  à 
la  reine  de  Hongrie.  » 

En  exécution  de  son  concept,  Frédéric  arriva,  le  23,  à 
Wittenberg  qu'il  trouva  à  moitié  détruit   et  évacué  par 


(1)  Frédéric  à  Ferdinand,  Trajiiiin,  23  octol)re  i760.  Correspondance  Poli- 
tique, XX,  p.  26. 

(2)  Eichel  à  Finckenstein,  Jonilz,  20  octobre,  1760.  Correspondance  Poli- 
tique,  XX,  p.  3.3. 

(3)  Eichel  à  Finckenstein,  Kemberg,  28  octobre  1760.  Correspondance  Poli- 
tique, XX,  p.  40. 

(4)  Frédéric  à  Finckenstein,  Oahme,  21  octobre  1760.  Corresj)ondancc  Poli- 
tique, XX,  p.  25. 


DAUN  AURIVE  A  TOHGAU. 


121 


les  Impériaux;  trois  jours  après,  le  quartier  général  était 
près  de  Dessau  où  on  reçut  des  nouvelles  positives  sur  la 
grande  armée  autrichienne. 

Daun,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  à  la  suite  du 
départ  du  Roi,  avait  levé  son  camp  dans  les  montagnes 
de  la  Silésie  et  s'était  mis  en  route  vers  la  Lusace,  con- 
fiant à  Laudon,  avec  environ  40.000  lionmics,  le  soin  de 
protéger  le  comté  de  Glatz  et  d'entreprendre  le  siège 
d'une  des  places  silésiennes.  La.  marche  du  feld-maré- 
chal  s'accomplit  sans  incident;  changeant  de  direction 
selon  les  avis  qui  lui  parvenaient  sur  les  mouvements 
du  Uoi  et  de  Lascy,  il  était  arrivé,  le  22  octobre,  en  face  de 
Torgau  où  il  allait  effectuer  sa  jonction  avec  son  lieute- 
nant; l'armée  attendait,  pour  passer  sur  la  rive  gauche 
de  l'Elbe,  le  parc  d'artillerie  demeuré  en  arrière;  Beck 
avec  sa  division  était  encore  en  Lusace  où  il  surveillait  les 
agissements  de  Goltz.  En  rapportant  au  duc  de  Choi- 
seul  (1)  les  opérations  des  Prussiens,  Montazet  souligne 
l'indifférence  du  Roi  à  l'égard  des  Russes.  «  Il  n'a  pas 
envoyé  50  hommes  à  la  suite  des  uns  ni  des  autres.  Il 
parait  au  contraire  vouloir  se  renforcer  des  corps  de 
MM.  d'Hillseu  et  de  Schouderun  (Stiitterheim)  pour  opérer 
vis-à-vis  de  nous,  mais  encore  une  fois,  il  pourrait  bien 
s'y  casser  le  nez,  si  l'armée  de  l'Empire,  le  corps  de 
M.  de  Wurtemberg  et  l'armée  de  M.  le  maréchal  Daun 
ne  faisaient  qu'une  armée  et  qu'elle  fût  conduite  par  un 
général,  et  non  par  trois.  M.  de  Wurtemberg  croit  sa- 
voir pour  le  moins  autant  que  M.  le  prince  de  Deux- 
Ponts;  ce  dernier  regarde  l'autre  comme  un  écolier;  et 
j'ai  jugé  aujourd'hui  surtout  <[u'il  n'y  a  pas  entre  eux 
une  grande  harmonie.  D'ailleurs  le  prince  de  Deux-Ponts 
craint  toujours  que  M.  le  maréchal  Daun  l'expose  trop; 
M.  le  maréchal  Daun,  de  son  coté,  dit  qu'il  n'a  aucun  droit 


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(1)  Montazet  à  Clioiseul,  Trislewilz,  22  octobre  1760.  Affaires  Étrangères. 


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LA  C.UKRRK  DE  SEPT  ANS.  -    CHAI'.  III. 


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sur  CCS  deux  corps  de  troupes.  Je  ne  crois  pas  môme 
qu'il  en  fasse  un  bien  grand  cas  :  de  fa«;on  que  je  rom- 
nicMice  î\  voir  la  crainte  reprendre  l(>  dessus  ùo;)uis  (|uo 
le  lioi  s'est  retourné  sur  nous  avec  toutes  ses  forces;  et 
je  ne  serais  pas  étonné  que  nu^s  tristes  prédictions  ne 
s'accomplisscMit  si  M.  de  Laudon  ne  fait  pas  d'autre  usage 
des  '»0.000  hommes  qu'il  a  à  ses  ordres,  et  si  les  lUisses 
ne  font  point  rétablissement  solide  en  Poméranie,  ([u'ils 
ont  afliché  et  promis.  » 

Les  fAclieuses  prophéties  de  Montazct  sur  le  manque 
d'entente  des  alliés  se  réalisèrent  plus  vite  qu'il  ne  le 
craignait.  Le  24  octobre,  Daun  passa  l'Klbe  et  installa  son 
quartier  général  à  (Irosswig,  près  de  Torgau.  Il  y  était 
encore  le  -iC».  se  préparant  à  se  porter  vis-à-vis  de  \Vittenl)erg 
où  il  conq)tait  rejoindre  l'armée  de  Deiix-Ponts,  quand 
il  fut  averti  de  la  retraite  de  celle-ci  sur  Leipzig.  «  Hier 
(le  25),  vers  les  11  heures  du  soir,  relate  Montazet  (1),  il 
arriva  à  M.  le  maréchal  un  courrier  de  M.  le  prince  de 
Deux-Ponts  pour  lui  apprendre  que  l'ennemi  avait  fait 
un  pont  dans  les  environs  de  Dessau  et  qu'ils  avaient 
commencé  à  y  détiler  depuis  3  heures  après-midi,  »  . 
Dann  répondit  en  donnant  ordre  au  général  Kied.  qui 
était  à  Pretsch  (en  aval  de  Torgau  sur  l'Klbe),  daller  au 
secours  de  l'armée  des  Cercles,  et  en  promettant  de  sui- 
vre son  lieutenant  le  plus  rapidement  possible.  «  Quatre 
heures  après  cette  réponse,  ajoute  le  Français,  il  arriva 
un  second  courrier  à  M.  le  maréchal  de  iM.  le  prince  de 
Deuv-Ponts  pour  lui  apprendre  que  sur  le  nouveau  rap- 
port qu'il  venait  de  recevoir  ([ue  l'ennemi  faisait  mine  de 
jeter  un  pont  à  Cosvig,  il  prenait  le  parti  de  marcher  à 
l)id)bcn,  sur  la  Moldau  (Mulde),  d'où  il  se  porterait  sur 
Leipzig  où  il  conqitait  faire  tète  à  l'ennemi,  supposé  que 
la  chose  fût  possible.  Voilà  donc  l'armée  de  l'empire  et 

(1)  Moniazet  à  Choiseul,  Grosswig,  20  octobre  17G0.  Affaiii-s  Étrangères. 


HKTIUITK  DE  UKLX-PONTS  ET  DU  DUC  DE  WUIlTËMIJElUi.    123 


celle  (le  M.  le  duc  de  \Vurtcml)(M'g' «jui  viennent  de  choi- 
sir leur  cham[)  de  hataille  sous  Leip/i^'',  et  qui  n'ont  pas 
voulu  tirer  un  coup  de  liisil  pour  défendre  la  Sala  et 
l'Elbe.  .. 

Quant  aux  Wurlcuihcrgeois,  les  choses  se  passèrent  à 
[)eu  |)rès  de  même  :  «  M.  le  duc  de  Wurtemberg'  dont 
l'armée  est  i\  Halle,  vint  ici  hier  (le  25)  de  sa  personne 
pour  s'aboucher  avec  M.  le  maréchal  Daun  ;  et  c'est  pen- 
dant le  dîner  qu'il  arriva  un  courrier  à  M.  le  duc  de 
Wurtemberg  pour  l'avertir  ([ue  les  ennemis  avaient  passé 
la  Sala  au-dessous  de  Hcrnel)Ourg.  Trois  heures  après, 
il  en  arriva  un  second  pour  lui  dire  <jue  le  corps  de  ses 
troupes  légères  placé  à  Kothen,  avait  été  obligé  de  se  re- 
ployer jus(|ues  <\  Lobégin  qui  n'est  qu'à  une  petite  lieue 
de  Halle.  Cela  parut  d'autant  plus  extraordinaire  à  nos 
deux  généraux  (ju'ils  étaient  persuadés  que  lennemi 
n'avait  point  encore  dépassé  Magdcbourg,  M.  le  duc  de 
Wurtemberg  partit  tout  de  suite  en  assurant  M.  le  maréchal 
Daun  qu'il  prêterait  le  collet  à  l'ennemi,  pourvu  c[u"il  ne 
lût  pas  plus  fort  que  lui,  c^t  «pie,  dans  le  cas  où  il  serait 
l'orcé  de  quitter  la  position  de  Halle,  il  se  reploierait  sur 
Leipzig  où  il  tiendrait  bon.  » 

La  nouvelle  <lu  passage  de  la  Saale  était  prématurée  ;  ce 
fut  seulement  le  20  que  Frédéric  franchit  la  rivière  sur 
un  pont  qu'il  avait  jeté  ii  Rosslau;  il  y  lit  sa  jonction 
avec  les  corps  de  llidsen  et  du  prince  de  Wurtemberg 
venus  deMagdebourg,  il  y  reçut  égalementles  convois  qui 
lui  avaient  été  expédiés  de  cette  forteresse  et  se  porta  à 
Kemberg  le  28.  Zieten,  <[ui  était  resté  pour  surveiller  les 
mouvements  de  Deux-Ponts,  rallia  dans  cette  localité  et 
l'armée  royale  se  trouva  ainsi  rassemblée  :  elle  comptait 
68  bataillons  et  140  escadrons,  soit  environ  le  môme 
effectif  que  lors  do  la  marche  au  secours  de  Jierlin. 

En  vue  de  se  rapprocher  de  Deux-Ponts,  Daun  était  allé 
à  Eilenburg  le  27  octobre,  mais  «[uand  il  eut  connaissance 


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fie  la  retraite  du  j^riiéral  do  Icmpirc  sur  LoipzijL,'-  il  revint 
aux  environs  do  Tori,''}»!!  dont  il  tiehouge.i  pi  us.  Fhitro  temps, 
Fréd^'ric  (pii  isnorait  encore  la  reculade  des  Impériaux 
et  des  Wurtendjcrgeois  uiano'uvrait  pour  empêcher  hîur 
jonction  avec  les  Autrichiens.  Il  se  porta  à  Ddben  sur  la 
Muldo,  força  lo  passage  malgiô  la  résistance  de  quelcpu's 
pandours,  puis  remonta  cette  rivière  dans  la  direction 
d'Eilenburg.  Très  mal  informé  par  son  service  de  rensei- 
gnenu'nfs,  il  croyait  (1)  rencontrer  la  grande  ai'uiée  do 
Daun  sur  le  chemin  de  Leipzig  et  celle  des  Cercles  à  Bit- 
tcrfeld.  En  route,  il  apprit  que  cette  dernière  s'était 
retirée  à  Leipzig  et  détacha  à  sa  poursuite  le  général 
Linden  avec  une  division  de  7.000  hommes.  A  l'approche 
des  Prussiens,  les  Impériaux  de  Kleefeld  évacuèrent  la 
ville  et  rejoignirent  leur  gros  qui  déjà  se  hAtait  de  se  ré- 
fugier h  Chemnitz.  Les  Wurtemhergeois  avaient  déjà 
abandonné  la  partie  et  étaient  en  tiain  de  gagner  Naum- 
bourg  et  leurs  quartiers  d'hiver.  Linden  laissa  une  gar- 
nison de  deux  bataillons  à  Leipzig  et  rallia  le  Roi  près 
d'Eilenburg.  Par  l'entremise  de  ses  Croates,  qui  étaient  des 
éclaireurs  de  premier  ordre,  Daun  était  beaucoup  plus 
au  courant  des  mouvements  de  son  adversaire,  car  Mon- 
tazet  (2),  dès  le  30  octobre,  rapporte  la  présence  de  Fré- 
déric sur  les  hr'uteurs  d'Eilenburg  :  «  Par  consé(|uent, 
notre  communie  tion  est  coupée  avec  l'armée  de  l'Empire 
et  Leipzig  au  ■•oi  de  Prusse.  »  De  la  séparation,  Deux- 
Ponts  ou  tout  au  moins  l'attaché  militaire  Marainville  (3) 
qui  reflétait  la  pensée  de  son  général,  chercha  à  faire 
peser  la  responsabilité  sur  le  maréchal  qui  avait  permis 
à  l'ennemi  d'occuper  Eilenburg  et  qui,  par  son  retour 


(1)  Eichel  à  Finckenslein,  Diiben,  29,  30  octobre  1760.  Corr.  Polit.,  XX, 
41,  42. 

(2)  Montazet  à  Choiseul,  Clelclien,  30  octobre  1760.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Marainville  à  Choiseul,  Wechselburg,  2  novembre  1760.  Affaires  Étran- 
gères. 


OnDIlK  A  DAUN  DE  CONSKUViai  LA  SAXE. 


125 


i\  Toigau,  avait  snciifié  Lcipziff.  A  en  juger  par  la  ra- 
pidité de  la  retraite  des  Im|)ériaux,  il  eiU  été  très  difli- 
cile  pour  Ihuia  de  maintenir  le  contact.  Ouoi(|u'il  ne  fut 
pas  poursuivi,  mais  persuadé  (juc  les  Prussiens  étaient  iï 
ses  trousses,  Deux-Ponts  avait  passé  la  Pleisse  le  30  octo- 
bre i\  Connewitz,  un  peu  au  sud  de  Leipzig,  '  t  avait  poussé 
jusqu'à  Colditz  où  il  éluit  arrivé  le  •>  novembre,  grAce 
à  deux  marches  forcées  successives.  Le  8  novembre,  l'ar- 
mée de  l'Empire  était  à  Chemnitz  où  on  était  obligé  de 
cantonner  les  troupes  (1)  pour  empêcher  la  désertion 
qu'aurait  entraînée  un  séjour  prolongé  sous  la  tente. 

Cette  fuite  précipitée,  car  on  ne  saurait  donner  un  autre 
nom  au  mouvement  rétrograde  <lu  duc  de  Deux-Pont: ,  lais- 
sait Daun  seul  aux  prises  avec  le  Uoi  et  le  privait  du 
concours  de  -20.000  hommes,  dont  pres([ue  moitié  Au- 
trichiens. Peut-être  cet  abandon  et  celui  des  Wurtem- 
bergeois  eussent-ils  paru  au  maréchal  une  raison  suf- 
fisante pour  avoir  recours  à  sa  stratégie  habituelle  et 
pour  céder  le  terrain  le  plus  lentement  possible,  mais 
il  venait  de  recevoir  de  Vienne  des  instructions  catégori- 
<[ues  ([ui  ne  lui  ouvraient  pas  l'option  de  la  retraite.  La 
dépêche  de  l'Impératrice  (2),  qui  portait  la  date  récente 
du  23  octobre,  insistait  sur  les  conséquences  désastreuses 
de  l'évacuation  de  la  Saxe,  tant  au  point  de  vue  des 
opérations  de  l'armée  française  en  Hesse,  <|ue  de  la  livrai- 
son à  l'ennemi  de  ressources  en  hommes  et  en  argent  (|ui 
lui  permettraient  de  continuer  la  guerre,  surtout  de  l'ell'et 
moral  produit  sur  les  alliés.  Ceux-ci  lui  feraient  «  les  re- 
proches les  plus  vifs,  perdraient  tout  courage  et  me 
contraindraient  à  une  paix  désavantageuse  et  ignomi- 
nieuse, car  ils  m'ont  de  fait  informé  que  si  nous  ne  con- 


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(1)  Maraiiiville  à  Choiseul.  Chcmnilz,  8  novembre  1760.  Aflaires  Élrati- 
gèrcs. 

(2)  Cabinets  Schreiben  an  Daun,  Vienne,  23  oclobre  I7G0.  Archives  de 
Vienne. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CH\P.  III. 


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servions  pas  la  Saxe,  il  ne  faudrait  plus  compter  sur  leur 
concours  ».  Tel  serait,  sans  aucun  doute,  le  sentiment  du 
maréchal,  mais  pour  ne  laisser  subsister  aucun<>  é({uivo(jue, 
l'ordre  formel  lui  était  donné  «  de  défendre  le  pays  de 
Saxe  le  plus  et  le  plus  loin  possible,  y  compris  tout  au 
moins  les  villes  de  Torgau,  Eilenburg  et  Leipzig  et  de  s'y 
maintenir  sans  faute  pendant  l'hiver,  quand  môme  à  cet 
effet  il  serait  nécessaire  de  livrer  une  bataille  douteuse 
ou  ris([uer  queb^ue  chose  de  décisif  d'un  autre  genre  ».  A 
quelque  coût  f[ue  ce  fût,  il  fallait  convaincre  les  alliés 
<|u'o  '  avait  tout  tenté  pour  con:3rver  la  Saxe.  Quant 
aux  opérations  stratégie [ues,  l'Impératrice  s'en  rapportait 
entièrement  à  son  général,  mais  elle  l'engageait,  tout  en 
utilisant  le  concours  de  l'armée  de  l'Empire  et  des  VVur- 
tembergeois,  à  mettre  ces  auxiliaires  dans  les  «  posi- 
tions moins  exposées  »,  de  les  pincer  dans  les  garnisons, 
mais  de  ne  pas  les  envoyer  à  l'ennemi  ot  de  réserver  ses 
propres  soldats  pour  le  choc  direct. 

Daun  communi(|ua  les  instructions  de  la  souveraine  au 
conseil  do  guerre  composé  de  ses  principaux  généraux  et 
convoqua  Montazet  à  la  séance.  Celui-ci  (1)  qui,  à  cette 
occasion,  avoue  ne  pas  comprendre  l'allemand  malgré  ses 
(juatre  ans  de  service  avec  les  Autrichiens,  rend  compte 
de  ce  ([ui  s  y  était  ])assé  :  I>a  plupart  des  iTiembres  du  con- 
seil opinèrent  pour  la  retraite  sur  Mcissen  ou  sur  Dresde, 
mais  le  maréchal  refusa  d'envisager  cette  solution  et  posa 
la  question  dans  d'autres  termes  :  Fallait-il  chercher  à 
combattre  l'ennemi  ou  l'attendre  dans  la  position  de  Tor- 
gau?  L'avisa  peu  près  uranime  fut  en  faveur  d'une  bataille 
défensive;  le  principal  argument  invoqué  parait  avoir 
été  la  mauvaise  condition  des  attelages.  Montazet,  très 
pessimiste,  prédit  dès  ce  moment  le  retour  au  camp  de 
Plaucn  dans  les  environs  de  Dresde. 

(I)  Montazet  ù  Choiseul,  Grosswig,  2  novembre  17(>0.  AfTaires  Ëlrangèies. 


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POSITION  DE  DAUN  PRKS  DE  TOUGAU. 


127 


Le  2  novembre,  le  roi  de  Prusse  se  rendit  d'Kilenijurgà 
Schildaoùil  pensait  se  heurter  aux  Autricliiens;  déçu  dans 
cette  attente,  il  lit  obIi(|uer  ses  colonnes  à  gauche  ;  pendant 
hi  marche,  son  avant-garde  eut  un  engagement  avec  la 
cavalerie  de  Brentano,  lui  enleva  des  prisonniers  et  a[)prit 
d'eux  le  véritable  emplacement  de  liaun.  En  consé([uence, 
l'armée  coucha  à  Schilda,  Probtshayn  et  Wildschiit^, 
lavant-garde  devant  Langen-Reir.henbach,  et  se  prépara 
pour  la  grande  lutte  du  lendemain. 

Ainsi  posté,  grâce  à  sa  dernière  manœuvre,   Frédéric 
interposait  ses  forces  non  seulement  entre  les  Autrichiens 
et  l'armée  de  l'Empire,  mais  aussi  leur  interceptait  toute 
communication  avec  Dresde  par  la  rive  gaULh?  de  l'Elbe. 
Il  ne  restait  à  Daun,    pour    retraite    et  ravitaillement, 
(|ue  les  ])onls  de  Torgau   et  la  rive  droite  dont  il  était 
maître  Malgré  ce  désavantage,  le  choix  de  la  position  où 
le  maréchal  avait  résolu  d'attendre  l'attaipe  des  Prussiens 
lui  avait  été  recommandé  i)ar  les  souvenirs  de  l'automne 
(le  1759  et  de  l'impuissance  dans  la(|uelle  il  s'était  trouvé 
d'er  l'aire  sortir  le  prince  Henri.  Essayons  de  la  déci'ire. 
Observons,  tout  d'abord,  que  l'appellation  de  Torgau 
donnée  à  la  bataille  du  -i  novembi-e  ne  se  justifie  pas  ; 
rengagement  eut  lieu  sur  le   territoire  des  villages  de 
(IrossNvig,  Siiptitz  et  Zinna,  à  environ  ï  kilomètres  de  la 
ville.  Celle-ci,  alors  forteresse  d'ordre  secondaire,  avait 
au  point  de  vue  stratégi([ue   une  valeur  appréciable  à 
cause  (le  sa  situation  sur  l'Elbe,  dont  elle  commande  le 
passage.  A  l'ouest  de  Torgau,  entre  le  fleuve  et  la  forêt 
<pii,  de  toutes  parts,  borde  Ihorizon,  s'étend  une  plaine 
dont  le  niveau  se  relève  par  une  pente  des  plus  douces  à 
mesure  qu'on  s'éloigne  de  la  ville  dans  la  direction  de 
Zinna  et  de  Siiplitz.  Tn  examen  attentif  des  lieux   fait 
discerner   quehpies   accidents    de   terrain   qui,    insigni- 
fiants en  eu.x-mémes,  acquièrent  une  importance  relativ<' 
dans  la  plate   uniformité  de  la  contrée.  Arrivé  à  SOp- 


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LA  GLERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  III. 


titz,  le  visiteur  rencontre,  au  milieu  du  village,  un  ruis- 
seau alimenté  par  un  étang;  s'il  en  remonte  le  cours,  il 
parviendra  à  un  carrefour  où  le  chemin  dit  la  Butter 
Strasse,  venu  de  Klitschen,  se  croise  avec  celui  qu'il  a  par- 
couru. A  cet  endroit  se  trouvent  des  petites  mares  (Schaaf- 
teich)  dont  l'écoulement  s'effectue  vers  Siiptitz  par  un 
chapelet  de  pièces  d'eau  alternant  avec  les  prairies; 
à  la  sortie  du  village,  ce  déversoir  devient  le  ruisseau 
du  Rohrgraben,  coupe  la  plaine  entre  Ziima  et  le  bois 
de  la  Lange  Furth  et  se  jette  dans  le  grand  étang  de  Tor- 
gau.  A  l'époque  de  la  bataille,  le  terrain  l'Ha'  r>«is 
drainé  et  les  rives  marécageuses  du  Rohrgraben  ioririaieut 
un  obstacle  sérieux.  Si,  à  la  bifurcation  de  la  Buttci' 
Strasse,  près  de  la({uelle  est  située  la  ferme  moderne  de 
Zietenhof,  notre  voyageur  franchit  la  dépression  qui  sert 
de  lit  au  ruisseau  et  gravit  la  pente  opposée,  il  arrive, 
au  monument  commémoratif  <[ui  marque  ce  qui  était 
à  la  fois  le  point  culminant  et  la  gauche  de  la  position 
autrichienne.  De  cette  butte,  ou  plutôt  de  ce  renflement 
du  sol,  car  ce  n'est  pas  autre  chose,  il  s'aperçoit  que  le 
vallon  du  ruisseau  est  le  prolongement  d'une  dépression 
marécageuse  qui  contourne  le  site  où  le  monument  a  été 
édifié  et  le  sépare  de  la  forêt  de  Dommitsch.  Aujourd'hui, 
les  bois  sont  à  quelque  distance,  mais  en  1760,  ils  remon- 
taient presque  jusqu'à  la  crête.  Du  monument,  le  visiteur 
n'aura  qu'à  se  diriger  sur  les  maisons  de  Zinna,  il  sera  au 
cœur  des  lignes  où  les  bataillons  de  Daun  étaient  rangés. 
La  position  était  bonne;  à  la  vérité,  elle  ne  dominait 
que  de  ({uelques  mètres  le  pays  environnant,  mais  cein- 
turée par  le  fossé  naturel  que  constituait  le  ruisseau,  flan- 
quée par  le  terrain  détrempé  où  celui-ci  prend  sa  source, 
elle  était  protégée  du  côté  de  Nicden  et  jus([u'à  Zinna  par 
l'étang  du  Uohrteich,  le  canal  du  Zscheits  et  par  les  ma- 
rais qui  couvraient  le  pays  jus([u'à  l'Elbe,  ne  laissant 
qu'une  seule  approche,  la  chaussée  de  Dommitsch  à  Tor- 


AVANTAGES  ET  INCONVÉNIENTS  DE  LA  POSITION. 


129 


gau.  Il  ne  restait  à  l'assaillant  qui  déboucherait  de  la  forêt 
de  Dommitsch,  qu'un  front  d'attaque   fort    étroit.    Une 
pente  douce,  sorte  de  glacis  naturel,  conduisant  de  l'orée 
du  bois  à  la  crête,  fournissait  au  défenseur  un  excellent 
champ  de  tir  et  favorisait  les  retours  offensifs.  Au  sud,  l'a- 
gresseur  aurait  ù,  se  déployer  dans  la  plaine  et  se  heur- 
terait à  l'obstacle  du  Rohrgraben  et  de  ses  bords  mal 
drainés  avant  d'aborder  le   plateau  intérieur.   Ajoutons 
([lie  les  difficultés  naturelles  provenant  des  étangs  et  des 
cours  d'eau  avaient  été  fort  accrues  par  les  pluies  abon- 
dantes de  l'arrière-saison.  Enfin,  la  plupart  des  pentes 
avoisinant  Suptitz   et  Zinna  étaient  plantées   en  vignes 
(aujourd'hui  disparues)  et  par  conséquent  peu  accessibles 
aux  formations  serrées  de  l'époque. 

Par  contre,  la  proximité  des  bois  permettait  à  l'assail- 
lant de   s'approcher  sans  se  découvrir  trop   tôt.  De   ce 
côté  la  forêt  de  Dommitsch  s'étendait  fort  loin    depuis 
Elsnig  et  Neidcn  au  nord-est  jusqu'au  delà  de  la  grande 
route  de  Leipzig  à  Torgau  ;  elle  enveloppait  les  clairières 
où  étaient  situés  les  hameaux  de  Wildenhayn,  Weyden- 
haynet  Grosswig.  Pendant  les  opérations  de  1759,  les  Prus- 
siens avaient  construit  quelques  redoutes  sur  la  hauteur 
de  Siiptitz  et  avaient  édifié  dans  la  forêt  un  abatis  circu- 
laire ;  contrairement  à  ses  habitudes,  Daun  ne  fit  rien  pour 
améliorer  ces  fortifications  de  campagne  ;  bien  plus,  soit 
défaut  d'ordres  ou  simple  insouciance,  les  soldats  autri- 
chiens employèrent  du  bois  des  barricades  pour  leur  cui- 
sine et  y  firent  des  brèches  dont  profitèrent  les  Prussiens 
pour  leur  marche  à  travers  la  forêt.  Terminons  notre  des- 
cription, en  rappelant  qu'au  sud  et  à  quehjue  distance 
de  la  route  de  Leipzig,  se  trouvaient  les  localités  de  Probs- 
thayn,  Wild;icliiltz  et  Langen-Rcichenbach,  où  les  Prus- 
siens avaient  passé  la  nuit. 

En  résumé,  la  position  formidable  contre  un  ennemi 
arrivant  du  côté  des  villages  de  Suptitz  et  de  Grosswig, 

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(JUKHUE  DE  SEPT   ANS.  — 


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II 


130 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


c'est-à-dire  du  sud,  était  beaucoup  moins  protégée  contre 
une  attaque  du  nord.  Le  voisinage  des  bois,  le  profil 
moins  accentué  des  pentes  constituaient,  pour  l'assaillant, 
des  avantages  compensés,  il  est  vrai  dans  une  certaine  me- 
sure, par  les  difficultés  du  terrain  aux  environs  de  Zinna 
et  par  l'étroitessc  du  front  d'attaque.  Ces  considérations, 
fondées  sur  la  connaissance  des  lieux  que  possédaient  plu- 
sieurs de  ses  officiers,  inspirèrent  le  plan  de  Frédéric.  Il 
divisa  son  armée  en  deux  fractions  inégales;  à  lui  avec  le 
gros  des  troupes  sera  dévolue  la  tâche  de  tourner  les 
lignes  autrichiennes  et  de  les  prendre  à  revers  ;  au  général 
Zieten  avec  le  reste,  il  appartiendra  de  seconder  l'elTort 
principal,  de  menacer  le  front  de  l'ennemi,  et  de  lui  cou*- 
per  la  retraite.  Si  la  fortune  se  montrait  propice,  on  pou- 
vait espérer  non  seule  m  ont  la  défaite,  mais  l'anéantissement 
de  l'armée  deDaun  et  avec  ce  résultat,  la  fin  de  la  guerre. 
Quels  étaient  les  effectifs  des  deux  armées  en  présence? 
Déduction  faite  des  deux  bataillons  laissés  à  Leipzig  et  de 
quelques  autres  détachements  dont  il  sera  fait  mention ,  l'ar- 
mée royale  se  composait  de  02  bataillons  et  de  102  esca- 
drons. Si  l'on  tient  compte  des  fatigues  excessives  que  ces 
troupes  avaient  éprouvées  depuis  leur  entrée  en  campagne, 
des  pertes  considérables  subies  par  les  corps  de  Hiilsen  et 
du  prince  de  Wiirtemberg,  il  semble  exagéré  d'évaluer  le 
nombre  moyen  des  combattants  à  plus  de  550  par  bataillon 
et  à  110  par  escadron  (1\  ce  qui  donnerait  un  total  de 
'1^5.000  hommes  pour  la  journée  du  3  novembre.  Ces  chif- 
fres sont  à  quelques  centaines  près  ceux  des  historiens  prus- 
siens. Pour  ce  qui  est  des  Autrichiens,  l'écart  entre  les  esti- 
mations des  narrateurs  est  beaucoup  plus  sensible,  car 
l'effectif  qu'ils  le^r  attribuent  varie  de  62.000  à  50.000. 
Daun  avait  sous  ses  ordres  72  bataillons,  8  compagnies 
indépendantes  et  116  escadrons.   Dès  le  début,  les  unités 

(1)  Avant  le  commencement  des  liostilités,  Mitchell  comptait  700  hommes 
par  bataillon  et  150  par  escadron. 


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ORGAU. 


131 


autrichiennes  avaient  été  un  peu  moins  fortes  que  les 
formations  correspondantes  de  l'armée  royale (1).  Dans 
l'armée  de  Daun,  le  déchet  par  le  feu,  la  désertion  et  la  ma- 
ladie avait  été  à  peu  près  le  môme  que  chez  les  Prussiens  ; 
dans  ces  conditions,  il  est  difficile  de  calculer  plus  de  500 
par  bataillon  et  100  par  escadron  comme  présents  à  la 
bataille  de  Torgau,soit  'i.7.000  à  VS.OOO.  Quoi  qu'il  en  soit, 
adoptons  les  chiffres  de  Daniels  (2j  qui  reposent  sur  un  do- 
cument officiel  des  archives  de  Vienne  et  comptons  à  Daun 
les  50.000  à  52.000  que  lui  alloue  ce  critique  distingué.  La 
supériorité  numérique  (3)  des  Autrichiens  n'était  donc 
pas  considérable;  par  contre,  ceux-ci  avaient  une  artillerie 
de  400  bouches  à  feu  à  opposer  aux  250  de  Frédéric. 

Examinons  maintenant  les  dispositions  que  prit  le  roi  de 
Prusse  pour  l'attaque  (4).  L'aile  gauche  qui  était  destinée  à 
agir  sous  les  ordres  directs  du  monarque  était  répartie  en 
trois  colonnes  :  la  première  éclairée  par  10  escadrons  de 
hussards  était  forte  de  25  bataillons  dont  une  avant-garde 
de  10  bataillons  de  grenadiers,  les  15  autres  répondant 
aux  deux  lignes  classiques  du  corps  de  bataille  ;  la  seconde 
colonne  se  composait  des  12  bataillons  de  la  réserve;  en- 


(1)  Marainville  les  évaluait  au  commencement  de  juin  à  eoo  hommes  par. 
bataillon  et  120  par  escadron. 

(2)  Zur  Schlacht  von  Torgau,  von  Emil  Daniels,  Berlin,  1880. 

(3)  Le  chiffre  initial  des  forces  autrichiennes  avait  été  en  1760  de  120.000 
combattants.  Déduisons  20.000  pour  les  pertes  de  la  cam|ia};;ne  y  compris 
celles  de  Landshut  et  de  Liegnitz.  Il  resterait  au  commencement  de  novem- 
bre 100.000  liommes  dont  iO.OOO  en  Silésie  avec  Laudon  et  10.000  à  l'armée 
de  l'Empire  avec  Hadick.  Daun  ne  pouvait  donc  avoir  plus  de  50.000  y  com- 
pris la  division  de  Heck  affectée  à  la  garde  des  baj;ages  sur  la  rive  droite 
de  l'Elbe. 

(4)  Le  récit  de  la  bataille  est  lire  .le  la  GescJiicfilr.  des  sicbenjûhrigen 
AViej/s,  Berlin,  183i,  —  Freytag  Loringhoven,  Beihefl  zuiiiMiUlilr  Woclu-n- 
blalt,  IV,  1897,  —Emil Daniels.  Zur  Schlacfil  von  Torgau.  —  .Vusfurlicher 
Bericht,  Schlacht  hci  Silpliz  Leipzig,  s.  d.,  -  Gcsl,inclnisse  eincs  oeslrei- 
chisclieii  F«<era)i.s',  —  Correspondance  de  Montazet,  —  Rapport  de  Daun,  — 
Schilffer,  vol.  II,  —  Retzow,  Mémoires  historiques,  etc.,  etc..  Voir  la 
carte  à  la  (in  du  volume. 


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132 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


fin  la  troisième  fournie  presque  exclusivement  par  la  ca- 
valerie, comptait  38  escadrons  et  V  bataillons.  Ces  trois 
colonnes  devaient  s'ébranler  successivement  du  camp  de 
Langen  Reichenbach,  faire  un  long  détour  en  pleine  forêt 
de  Dommitsch,  par  une  marche  concentrique,  mais  dis- 
tincte, afin  de  ne  pas  se  gêner  les  unes  les  autres,  puis 
la  position  ennemie  tournée,  se  déployer  en  ligne  et  se 
porter  contre  ce  qui  était  actuellement  le  dos  de  l'armée 
autrichienne.  Pendant  le  temps  que  prendrait  cette  ma- 
nœuvre, Zielen  avec  l'aile  droite  forte  de  21  bataillons 
et  de  5V  escadrons,  avancerait  directement  contre  le  front 
de  l'ennemi;  il  réglerait  son  horaire  de  manière  à  faire 
concorderautant  que  possible  son  arrivée  sur  le  champ  de- 
bataille  avec  celle  du  Roi. 

Le  3  novembre  à  6  h.  1/2  du  matin,  l'aile  gauche  com- 
mença son  mouvement;  la  première  colonne,  soas  le  mar- 
grave Charles  avec  laquelle  se  tenait  Frédéric,  laissa  sur 
sa  gauche  les  villages  de  Mockrehne  et  Wildenhayn,  dé- 
passa Weydenhayn  et  après  un  grand  circuit  à  travers  les 
bois  et  la  bruyère  de  Dommitsch,  gagna  la  plaine  aux  en- 
virons d'Elsnig.  En  route,  elle  s'était  heurtée  aux  troupes 
légères  de  Reid  qui,  après  une  faible  canonnade,  recu- 
lèrent sur  Grosswig.  Un  peu  plus  tard,  vers  11  heures, 
l'avant-garde  prussienne  trouva  devant  elle  près  d'Elsnig 
le  détachement  autrichien  du  colonel  Ferrari.  Cet  officier 
faillit  être  surpris,  mais  averti  par  quelques  soldats  qui 
étaient  allés  chercher  de  l'eau,  il  put  se  retirer  sans  être 
entamé  surie  village  de  Neiden.  La  seconde  colonne,  com- 
mandée par  Hiilsen,  suivit  au  milieu  de  la  forêt  un  che- 
min parallèle,  mais  plus  éloigné  de  l'ennemi;  elle  perdit 
du  temps  pour  laisser  défiler  la  cavalerie  du  prince  de 
Ilolstein,  puis  continua  son  parcours  et  déboucha  à  la 
suite  de  sa  devancière. 

Dans  le  principe  et  avant  la  marche  des  Prussiens  d'Ei- 
lenburg  à  Schilda,  Daun  s'était  attendu  à  une  attaque  ve- 


MOUVEMENT  TOURNANT  DU  ROI. 


133 


nant  du  Nord  ;  aussi  avait-il  placé  une  partie  de  ses  avant- 
postes  dans  la  forôt  de  Dommitsch  ;  ainsi  qu'on  l'a  vu, 
la  plupart  de  ces  détachements  avaient  pu  eil'ectuer  leur 
retraite  en  temps  utile,  mais  il  n'en  fut  pas  de  mémo  des 
chevau-légers  du  général  Saint-lgnon.  Ce  régiment  qui 
se  gardait  mal  fut  pris  entre  les  colonnes  du  Roi  et  du 
général  IKUsen;  chargé  par  les  hussards  de  Zieten,  fusillé 
par  les  grenadiers  prussiens,  il  fut  capturé  presque  en 
entier;  néanmoins  quelques  cavaliers  réussirent  A  s'échap- 
per et  portèrent  l'alarme  dans  le  camp  autrichien.  Ajou- 
tons pour  compléter  les  incidents  préliminaires  que  les 
bagages  avaient  été  mis  en  sûreté  à  Eilenburg,  sous  une 
faible  escorte,  et  que  le  colonel  Mohring  avec  les  dragons 
de  Schorlemmer,  des  hussards  et  des  iiréguliers  avait 
été  envoyé  à  Doberschutz  pour  surveiller  un  détache- 
ment autrichien  signalé,  d'ailleurs  faussement,  comme  se 
trouvant  à  Pretsch. 

Pendant  que  le  roi  de  Prusse  exécutait  le  mouvement 
tournant  dont  nous  venons  de  décrire  la  première  phase, 
Zieten  avec  l'aile  droite  remplissait  sa  part  du  programme. 
Parti  vers  10  heures  du  camp  de  la  veille,  il  s'achemina 
à  travers  le  bois  de  Klitzchnen,  dans  la  direction  de  la 
grande  route  de  Leipzig  à  Torgau;  au  pont  de  la  Rothe 
Furth  son  avant-garde  rencontra  l'opposition  de  deux 
bataillons  de  Croates  qui  se  défendirent  si  énergique- 
ment  que  Zieten  fut  obligé  de  faire  avancer  du  canon 
pour  les  débusquer;  ils  furent  recueillis  par  la  cavalerie 
de  Lascj .  Cette  escarmouche  eut  pour  résultat  de  retarder 
Zieten  qui  mit  plus  de  trois  heures  k  sortir  de  la  foret  et 
à  se  ranger  en  face  du  corps  de  Lascy  dont  il  était  séparé 
par  le  grand  étang  de  Torgau. 

Revenons  à  l'attaque  du  Roi  :  à  1  heure  de  l'après-midi, 
elle  commençait  à  se  dessiner;  la  brigade  d'avant-garde 
formant  tète  de  la  première  colonne  se  déployait  dans 
la  partie  de  bois  qui  faisait  saillie  entre  le  Rohrteich  et 


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LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


les  lignes  autrichiennes.  Le  Roi  avait  reconnu  en  eftet 
rimpossibilité  d'un  assaut  dans  le  terrain  coupé  aux  abords 
de  Zinna  et  avait  prescrit  une  demi-conversion  ù  droite 
pour  profiter  de  l'abri  qu'offrait  la  lisière  de  la  forôt. 
Le  reste  de  l'iiifanteiic  était  encore  sous  bois  ;  quant  à 
la  cavalerie  du  prince  de  llolstein,  ellç  traver.sait  la 
bruyère  de  Dommitsch  où  elle  avait  été  retardée  par  son 
parcours  circulaire  et  par  la  nécessité  de  se  frayer  un 
passage  à  travers  les  abatis  qui  barraient  le   chemin. 

Averti  par  les  rapports  de  ses  avant-postes  qui  recu- 
laient au  nord  et  au  sud  et  se  retiraient  sur  la  position 
centrale,  Daun  se  rendit  compte  de  la  double  attaque  à 
laquelle  il  était  exposé;  il  fit  aussitôt  exécuter  à  une  par- 
tie de  ses  régiments  une  contre-marche  de  manière  à  faire 
tête  des  deux  côtés.  Il  massa  le  gros  de  son  infanterie 
sur  le  plateau,  entre  Silptitz  et  Zinna,  en  deux  lignes  se 
tournant  le  dos;  son  aile  droite,  forte  surtout  en  cavalerie, 
était  rangée  près  du  village  de  Zinna  sur  le  prolongement 
de  l'infanterie.  Devant  elle  se  trouvait  la  brigade  mixte 
de  Ferrari  qui  venait  d'évacuer  les  villages  d'Ëlsnig  et 
de  Neiden.  Sur  le  fi'out  nord,  face  au  bois  et  par  consé- 
quent en  avant  et  sur  le  flanc  de  la  ligne  de  bataille  furent 
postés  les  grenadiers  de  Normann,  les  carabiniers  et  gre- 
nadiers à  cheval  d'Ayasas  et  les  Croates  de  Hied.  Les 
troupes  de  réserve,  d'abord  maintenues  à  Grosswig,  ne 
lardèrent  pas  à  être  appelées  sur  le  théâtre  de  l'action 
pour  repousser  les  assauts  prussiens.  Le  corps  de  Lascy 
qui  avait  gardé  son  caractère  autonome  quoique  sous  la 
direction  supérieure  du  maréchal,  se  rapprocha  et  prit 
une  position  perpendiculaire  au  gros,  sa  droite  appuyée 
au  village  de  Zinna,  sa  cavalerie  en  avant,  le  tout  couvert 
par  le  grand  étang  de  Torgau  et  par  le  canal  du  Kohr- 
graben.  La  réserve  d'artillerie,  qui  jusqu'alors  avait  été 
parquée  sur  la  route  de  Siiptitz  à  Neiden,  fut  répartie  sur 
toute  la  crête  du  plateau,  partout  où  elle  avait  vue  sur 


PHKMIKilE  ATTAQUE  DES  PUUSSIENS. 


135 


rcnnenii.  Les  baga^^es  et  les  équipages  de  rarm«''e  autii- 
chicnne,  relégués  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  que  i-eliaieut 
ti'ois  ponts  à  Torgau  et  à  la  rive  gauche,  furent  conliés 
k  la  garde  du  général  Bcck  arrivé  le  jour  môme  de  la 
Lusacc.  La  ville  de  Torgau  était  occupée  par  des  piquets 
prélevés  sur  les  régiments  de  l'armée. 

Ainsi  distribués,  mais  encore  incertains  sur  les  mouve- 
ments de  l'adversaire  que  masquait  le  bois,  les  Autrichiens 
S;'  préparèrent  à  l'attaque  qui  ne  fut  pas  longue  à  se  pro- 
duire :  le  Roi,  soit  (fue   le  bruit  du  canon  de  Zieten  lui 
fit  croire  que  son  lieutenant  était  sérieusement  engagé, 
soit  que  l'heure  déjà,  avancée  d'une  courte  journée  d'au- 
tomne l'eût  poussé  à  entamer  une    allairc  qu'il  voulait 
décisive,  résolut  d'aborder  la  position  autrichienne  avec 
ce  qu'il  avait  sous  la  main,  sans   attendre  l'arrivée  du 
reste.  Presque  tous  les  narrateurs  sont  d'accord  pour  fixer 
vers  2  heures  le  début  de  l'action.  Pour  coutrebattr»    'os 
canons  et  les  obusiers  autrichiens  qui  couvraient  de  leurs 
projectiles  le  bois  du  Neidensche  Hosgen  où  s'abritaient 
tant  bien  que  mal  les  formations  prussiennes,  Frédéric 
lit  appeler  deux  batteries  ;  elles  furent  littéralement  pul- 
vérisées avant  d'avoir  pu  être  servies;  puis  il   lança  son 
avant-garde  contre  la  ligne  autrichienne,  au  premier  rang, 
la  brigade  de  Stiitterheim  appuyée  par  celle  de  Syburg. 
Mais  les  grenadiers  dont  se  composait  cette  troupe  d'élite, 
accueillis  par  un  feu  d'enfer,  furent  bien  vite  mis  hors  de 
combat  et  obligés  de  chercher  le  couvert  des  arbres;  ils  y 
turent  poursuivis  par  les  carabiniers  autrichiens  et  fu- 
sillés sur  leur  gauche  par  les  Croates  qui  s'étaient  glissés 
dans  les  taillis  et  les  vignes  entre  le  plateau  de  Sûptitz  et 
la  forêt.  Dans  cet  engagement  qui  fut  de   courte  durée, 
l'avant-garde  perdit  ses  deu\  brigadiers,  68  officiers  et 
près  des  deux  tiers  de  son  effectif. 

Entre  temps,  sous  le  voile  de  la  mêlée  qui  avait  pour 
théâtre  le  terrain  découvert  et  la  lisière  du  bois,  les  troupes 


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LA  GIEKRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


du  gros,  sous  le  comuiandeinent  du  margrave  Charlrs, 
avaienl  pu  se  déployer  avec  plus  a'ordrc  que  leurs  de- 
vancières, ncshrigadosHauiinoKiahlcntzainsi  que  de  quel- 
([ues  fractions  de  la  brigade  Butzke  et  du  corps  de  lliilson, 
on  constitua  une  masse  do  10  bataillons  pour  livrer  le 
second  assaut  que  vinrent  soutenir  deux  batteries  de  gros 
canons  établies  à  leur  gauche.  Le  mouvement  général  fut 
facilité  par  une  manœuvre  imprudente  des  Autricliiens. 
Encouragés  par  la  défaite  de  l'avant-gardo  royale,  dési- 
reux de  seconder  la  contre-attaque  qui  se  déroulait  devant 
eux,  quelques  régiments  de  la  première  ligne,  et  notam- 
ment ceux  de  Durlach,  Wied  et  Puebla,  rjuittèrent  le  pla- 
teau, descendirent  le  glacis  et  se  jetèrent  dans  le  bois  pour 
achever  la  victoire  :  mal  leur  en  prit,  car  ils  furent  vigou- 
reusement ramenés  par  la  brigade  Uaniin  qui  était  au 
centre  de  la  ligne  prussienne  et  qui  marchait  droit  sur 
la  position.  Profitant  de  cet  avantage,  stimulés  par  la 
présence  et  l'exemple  du  Roi  qui  se  prodiguait  sans  souci 
de  sa  sûreté  personnelle,  les  Prussiens,  par  un  énergique 
effort,  gravirent  les  pentes  et  s'emparèrent  d'une  partie 
du  plateau  large  seulement  de  500  à  (iOO  mètres  qui  cou- 
ronnait la  chaîne  des  crêtes.  Mais  leur  succès  ne  fut  pas  de 
longue  durée  ;  les  généraux  autrichiens  tirèrent  de  leur 
réserve  des  renforts  d'infanterie;  Daun  qui  payait  de  sa 
personne  et  montrait  son  sang-froid  habituel,  appela  de 
sa  droite  ses  cuirassiers,  et  les  lança  contre  les  Prussiens; 
ceux-ci  reculèrent  à  leur  tour.  Dans  cette  bagarre,  les 
régiments  autrichiens  de  Savoie  et  de  l'archiduc  Léopold 
se  distinguèrent  d'une  façon  spéciale;  Daun  y  reçut  une 
blessure  à  la  cuisse,  qui  ne  l'empêcha  pas  cependant 
de  rester  à  la  tète  de  ses  troupes. 

Il  y  eut  sur  les  pentes  de  Siiptitz,  dans  l'espace  décou- 
vert entre  elles  et  le  bois,  enfin  dans  l'orée  de  la  forêt,  une 
lutte  sanglante  ;  on  se  battit  avec  un  acharnement  qui 
rappela  les  scènes  de  Zorndorf  et  de  Cuncrsdorf;  les  ca- 


ATTAQUES  SI  CCESSIVES  DU  HOI  REPOUSSÉKS. 


137 


valicps  autrichiens  firent  l)eaucoup  tic  prisonniers;  le  ré- 
giment prussien  de  Goltz  vit  son  ellectir  diminué  de  moi- 
tié, le  bataillon  de  grenadiers  Heilsperg,  qui  comptait 
M)0  présents  à  l'appel  du  matin,  en  perdit  350;  les  10 
bataillons  qui  prirent  part  au  second  assaut  eurent  137 
officiers  hors  de  combat.  Aussi  à  partir  de  ce  moment, 
put-on  les  compter,  ainsi  «[ue  les  10  de  l'avant-garde, 
comme  inutilisables  pour  le  reste  de  la  journée.  Pour 
dégager  son  infanterie,  Frédéric  appela  à  lui  les  pre- 
miers échelons  de  la  cavalerie  de  llolstein,  qui  com- 
mençaient à  déboucher  de  la  forêt.  Le  régiment  de  cui- 
rassiers  Spaen,  sous  la  conduite  du  colonel  Dalvig,  par 
ses  charges  vigoureuses  et  répétées,  rétablit  un  instant 
la  balance  en  faveur  des  Prussiens,  mais  il  dut  céder 
au  choc  des  cavaliers  de  la  réserve  impériale  qui  en- 
traient en  scène.  D'autre  part,  les  dragons  de  Bayreutli 
tombèrent  sur  le  ilanc  droit  de  la  ligne  autrichienne,  y 
mirent  le  désordre  et  enlevèrent  bon  nombre  de  prison- 
niers, mais  ils  durent  plier  devant  un  nouveau  renfort  de 
cuirassiers  que  le  général  Pellegrini  amena  fort  à  propos. 
Il  y  eut  également,  k  la  droite  autrichienne  aux  approches 
de  Zinna,  une  mêlée  où  les  Impériaux  eurent  l'avantage 
et  où  les  carabiniers  de  O'Donnel  enfoncèrent  l'infanterie 
accourue  à  la  rescousse  et  s'emparèrent  de  9  drapeaux. 

Il  était  près  de  V  heures.  De  l'aile  gauche  de  l'armée 
royale,  il  ne  restait  en  ordre  que  1 1  bataillons  appartenant 
pour  la  plupart  au  corps  de  llidseu  et  les  k  bataillons 
qui  avaient  été  attachés  à  la  colonne  de  Holstcin,  et  qui 
étaient  encore  en  arrière.  Sans  doute,  les  Autrichiens 
avaient  beaucoup  souffert,  mais  dégagés  par  la  retraite  de 
la  cavalerie  prussienne,  ils  avaient  eu  le  temps  de  repren- 
dre haleine,  tandis  qu'il  ne  fallait  pas  songer  à  faire  don- 
ner les  11  bataillons  de  Hulsen;  les  soldats  de  ce  général, 
déjà  très  éprouvés  par  le  canon  et  la  fusillade,  découra- 
gés par  les  insuccès  répétés  de  la  journée,  impressionnés 


V 


fit 


LA  GUEnUE  DE  SKl'T  ANS. 


CIIAP.  III. 


I     ,   . 


par  Ifi  dôliiitc  «t  par  la  fuite  de  leurs  ramaïadcs,  ne  vou- 
laient plus  ({uittci'  la  protection  de  la  forêt.  En  outre, 
l'rcliec  que  venait  d'essuyer  le  prince  de  llolstein  avait  dé- 
couvert leur  liane  «auclie  et  les  laissait  fort  exposés. 

Kn  oïïcl,  tandis  que  ï  régiments  empi'untés  à  lu  division 
luttaient  du  c«Mé  de  SUptitz  et  ù  l'ouest  du  llolii-teicli,  le 
reste,  fort  de  2.'{  escadrons,  sous  les  ordres  du  prince,  s'en- 
gageait à  l'est  du  fossé  du  Zschcitscliken-Graben,  dans 
la  direction  de  Zinna,  avec  le  dessein  de  se  porter  sur  lo 
flanc  droit  des  Autrichiens.  Ce  mouvement  se  heurta  à 
l'ohstacle  infranchissable  du  canal;  entre  la  cavalerie  en- 
core en  colonnes  et  les  fantassins  ennemis  se  livra  un 
combat  de  mousqucterie  tout  à  l'avantage  de  ces  derniers; 
la  confusion  qui  en  résulta  fut  portée  à  son  ble  par 

l'apparition,  à  l'est  de  Zinna,  de  la  cavalerie  )  'lienne 

appuyée  de  deu\  pièces  régimentaires  qui  tiraient  à  mi- 
traille. En  fin  de  compte,  les  escadrons  de  llolstein  furent 
refoulés  avec  perte  sur  Neiden. 

Ce  recul  et  le  désordre  qui  régnait  dans  le  corps  de 
llulsen  et  la  brigade  Bulzke  paraissaient  trancher  le 
sort  de  la  bataille.  L'attaque  principale  des  Prussiens 
avait  été  repoussée  et  l'aile  gauche  de  l'armée  royale 
complètement  battue.  Il  était  ï  h,  1/2,  la  nuit  tombait; 
les  unités  désorganisées  ell'ectuaient  leur  retraite  par  la 
route  de  Dommitsch,  sous  la  protection  des  V  bataillons 
de  llolstein  qui  n'avaient  pris  aucune  part  à  l'all'aire.  Le 
Koi  avait  été  obligé  d'abandonner  le  champ  de  bataille 
et  de  céder  le  commandement  au  général  Hulsen  ;  il  avait 
reçu  une  contusion  occasionnée  par  une  balle  morte  et 
serait  tombé  de  cheval  sans  le  secours  de  ses  officiers 
d'ordonnance  ;  il  fallut  l'emporter  et,  faute  de  place 
dans  les  maisons  d'Elsnig  encombrées  de  blessés,  l'ins- 
taller dans  l'église  de  la  localité. 

Par  une  singulière  coïncidence,  le  même  accident  était 
arrivé  au  généralissime  autrichien.  Dans  son  rapport  à 


DAUN  lU.ESSÉ  SK  l'AIT  THANSPOHTKH  A  ToRl'.AU. 


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rimpc'ratricc  (1^,  Daiin  r.iconte  qii<\  nu\  environs  do  Zinna 
verso  11.  1/2,  ne  pouvant  rester  à  cheval  i\  cause  de  sa 
blessure  et  perdant  heaucoui)  de  sang,  il  se  fit  coucher 
|)ar  terre;  peiulant  qu'on  lui  coupait  sa  botte, on  entendit 
la  fusillade  reprendre  aux  abords  de  Siiptitz;  il  en- 
voya aux  renseignements,  fit  appeler  Kascy  et  lui  or- 
donna de  porter  deux  brigades  sur  le  point  menacé  et 
d'appuyer  ce  mouvement  avec  son  coi'ps  entiei-.  «  Mon 
cher  ami,  lui  aurait-il  dit,  je  vous  prie,  allez-vous  y  en 
(sic''  vous-même,  voyez  <lans  (pnd  état  les  choses  sont,  et 
faites  les  dispositions  que  vous  ti'ouverez  nécessaires,  j'at- 
tendrai ici  votre  réponse.  )'  IJientôt  après,  survint  de  la 
part  de  Jjiscy  le  colonel  H.iî  'igqui  rapporta  que  tout;illail 
bien  et  qu'il  n'y  avait  plus  de  doute  sur  le  succès.  A  Han- 
nig  succéda  le  général  O'Donncll,  le  plus  ancien  des  gé- 
néraux autrichiens;  Daun  lui  remit  le  commandement  en 
l'invitant  à  s'entendre  avec  bascy  et  à  faire  «  que  l'ar- 
mée se  range  autant  que  possible  pour  être  en  ordre  à  la 
pointe  du  jour,  de  même  que  l'artillerie  soit  placé(>  ».  A 
6  h.  1/2,  se  sentant  très  faible,  à  la  suite  de  la  perte  de  sang, 
rassuré  sur  l'issue  heureuse  de  la  journée  par  les  rapports 
([u'il  venait  de  recevoir  et  par  l'obscurité  de  plus  en  plus 
épaisse  qui  semblait  interdire  toute  reprise  des  hostilités, 
le  maréchal  se  fit  transporter  à  Torgau;  c'est  là,  après  le 
pansement  de  sa  blessure,  qu'il  apprit  le  brusque  revire- 
ment de  fortune  qui  transforma  en  défaite  ce  qui  avait  sem- 
blé, deux  heures  auparavjint,  être  une  victoire  assurée. 

Essayons  de  décrire  les  manœuvres  qui  décidèrent  ce 
résultat  extraordinaire  et  encore  presque  inexplicable. 
Nous  avons  laissé  Zieten  engagé  dans  une  canonnade  plus 
bruyante  que  destructive  avec  le  corps  de  I^ascy.  Cepen- 
dant, il  ne  pouvait  ignorer  les  attaques  du  Roi  contre  le 
versant  nord  du  plateau  de  Siiptitz  ;  son  devoir  lui  comnian- 

(1)  Daun  à  l'Impératrice,  secrelîssime,  Zejps,  13  novembre  1760.  Arneth,  VI. 
Anmerkumje»,  p.  453.  - 


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140 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


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dait,  semble-t-il,  d'intervenir  dans  la  lutte  en  assaillant 
sans  retard  les  derrières  de  la  position  ennemie.  A  ce 
propos,  une  longue  discussion  s'est  poursuivie  entre  les 
historiens  allemands.  Quels  étaient  les  ordres  donnés  par 
Frédéric  à  son  lieutenant  ?  A  quel  stage  de  la  bataille  celui- 
ci  devait-il  commencer  son  action  décisive?  Faute  de  la 
connaissance  d'instructions  dont  il  ne  reste  pas  trace  et 
qui  paraissent  avoir  été  verbales,  il  est  impossible  de 
résoudre  ces  questions  et  il  faut  avoir  recours  h  des  hypo- 
thèseshasées  sur  des  témoignages  souvent  contradictoires. 
Ces  réserves  posées,  examinons  les  faits  et  cherchons  à 
en  tirer  les  déductions  les  plus  vraisemblables.  Frédéric,  le 
matin  de  la  bataille,  à  plus  forte  raison  la  veille,  quand 
il  eut  son  entrevue  avec  Zieten,  n'était  pas  exactement 
renseigné  sur  l'emplacement  qu'occuperait  l'armée  de 
Daun,  il  ne  connaissait  pas  encore  celui  de  Lascy  qui  ne  fut 
définitif  qu'autours  de  la  matinée  du  3  novembre.  L'opé- 
ration confiée  à  son  lieutenant  consistait  à  tenir  en  échec 
une  partie  des  Autrichiens  et  à  leur  couper  la  retraite  sur 
Torgan  et  les  ponts  de  l'Elbe;  le  point  sur  lequel  il  aurait 
à  se  diriger  serait  donc  plutAt  la  zone  comprise  entre  le 
grand  étang  de  Torgau  et  les  hauteurs  de  Zinna  que  celle 
plus  éloignée  de  Silptitz.  Quant  à  l'heure  de  l'intervention, 
elle  ne  pouvait  pas  être  déterminée  d'avance,  puisqu'elle 
dépendrait  des  progrès  que  ferait  l'attaque  principale. 
Fort  de  la  confiance  ([u'il  avait  dans  la  valeur  de  ses  sol- 
dats et  dans  les  ressources  de  son  génie,  Frédéric  devait 
compter  sur  le  succès  de  son  aile  gauche  et  rései'vait  à 
son  subordonné  le  rùle  ip".portant  d'achever  la  vic- 
toire et  de  transformer  en  désastre  ce  qui  n'eût  été 
(|u"une  défaite  de  l'armée  impériale.  Il  est  donc  présu- 
mable  que  Zieten  se  conforma  à  la  leitre  des  indications 
reçues,  en  suivant,  après  son  combat  avec  les  Croates, 
la  grande  route  de  L(>ip/>ig  à  Torgau,  plutôt  que  celle 
de  la  Butterstrasse  oui  Teùt  conduit  au  village  de  Siiptitz; 


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LUTTE  AUTOUR  DE  SUPTITZ. 


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la  vue  des  bataillons  et  escadrons  de  Lascy,  rangés  sous  les 
murs  de  la  ville  et  se  portant  îV  sa  rencontre,  dut  le  con- 
lii mer  dans  son  interprétation;  d'ailleurs,  il  ei\t  été  fort 
imprudent,  pendant  qu'il  s'engagerait  contre  le  gros  en- 
nemi, de  laisser  sur  son  flanc  ce  corps  dont  l'effectif  égalait 
presque  celui  de  ses  propres  forces.  Un  assaut  repoussé 
n'entralnerait-il  pas  la  perte  de  la  bataille?  Cette  impru- 
dence, il  la  commit  cependant,  mais  après  de  longues 
hésitations,  avec  une  fraction  seulement  de  ses  troupes  et 
probablement  sur  l'ordre  formel  de  son  monarque. 

Vers  3  h.  1/2,  Zieten  l'assuré,  sans  doute,  par  l'immo- 
bilité de  Lascy  et  cédant  aux  représentations  des  officiers 
de  sou  entourage,  détacha  contre  le  village  de  Siiptitz  la 
brigade  Tettenborn,  Les  Prussiens  s'emparèrent  de  la  frac- 
tion du  village  située  au  sud,  sur  la  rive  droite  du  Rohr- 
grabcn,  mais  ne  purent  chasser  les  défenseurs  de  la  partie 
supérieure.  Un  ^peu  plus  tard,  sur  un  avis  pressant  de 
Frédéric,  il  lança  à  l'escalade  du  plateau  la  brigade  Sol- 
dcrn,  composée  de  5  bataillons  de  la  garde.  Ces  braves 
soldats,  malgré  un  feu  très  vif,  défilèrent  le  long  du  ruis- 
seau, gagnèrent  les  Schaafloich  et  se  mirent  à  gravir  la 
pente  plus  raide  de  ce  côté  ;  mais  arrivés  à  la  crête,  ils 
furent  accueillis  par  une  trombe  de  mitraille  et  de  balles 
qui  les  rejeta  au  bas  du  versant. 

Donc,  à  cette  heure  tardive,  car  il  faisait  déjà  nuit,  les 
Autrichiens  demeuraient  encore  maîtres  du  plateau  de 
Siqititz,  mais  en  dépit  de  ce  succès,  leur  moral  avait  été 
sérieusement  alfccté  par  la  lutte  sanglante  de  l'après- 
midi;  les  régiments  de  seconde  ligne  qui  garnissaient  la 
face  sud  et  faisaient  vis-à-vis,  ])ar  conséquent,  au  corps  de 
Zieten,  avaient  soufl'ert,  presque  autant  que  ceux  de  la 
première,  du  tir  de  l'artillerie  du  Roi;  peu  à  peu,  et 
à  la  suite  des  combats  successifs  (|ui  avaient  été  livrés,  soit 
autour  des  vergers  et  vignes  de  Siq)titz,  soit  dans  le  tei'- 
rain  découvert  avoisinant  la  forêt,  rexlrémité  ouest  de  la 


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142 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


position  s'était  trouvée  dôgarnie;  la  réserve,  appelée  en 
soutien,  avait  évacué  le  village  de  Grosswig  qui  flanquait 
là  défense.  Pour  remédier  à  la  confusion  et  pour  se 
mainteniren  force  surles  emplacements  qui  constituaient  la 
clef  de  la  position,  il  aurait  fallu  un  commandement  énergi- 
que, une  direction  suprême;  malheureusement  Daun,  et 
avec  lui  plusieurs  de  ses  meilleurs  lieutenants,  avaient 
été  mis  hors  de  combat;  leur  absence  et  l'obscurité  crois- 
sante empêchèrent  de  réparer  les  accidents  qui  s'étaient 
produits.  Quelques  officiers  intelligents  do  l'armée  prus- 
sienne s'en  rendirent  compte  et  tentèrent,  eu  pleine  nuit,  un 
nouvel  clfort  pour  se  rendre  maîtres  du  point  culminant. 
S'il  faut  en  croire  certains  récits,  le  lieutenant-colonel 
Lestwitz  (1),  en  revenant  d'une  mission  auprès  de  Zieten, 
s'aparçut  que  le  terrain  au-dessus  des  Schaafteich  n'était 
plus  que  faiblement  occupé;  il  avertit  aussitôt  le  général 
Soldern,  celui-ci  rassembla  les  débris  de  sa  brigade  et, 
soutenu  par  d'autres  fractions  isolées,  remonta  la  pente, 
chassa  les  quelques  défenseurs  et  s'empara  sans  grande 
peine  de  la  partie  la  plus  élevée  et  de  la  redoute  qui 
en  marquait  le  sommet.  Il  y  fut  rejoint  par  des  ren- 
forts que  Zieten,  apprenant  le  succès  inespéré  de  son  bri- 
gadier, envoya  à  son  aide.  De  son  côté,  Lestwitz  avisa 
également  le  général  Hiilsen  de  ce  qui  se  passait,  et  tous 
les  deux,  à  la  tête  de  deux  bataillons  de  la  colonne  Hols- 
tein,  que  vinrent  appuyer  quelques  unités  rassemblées  en 
hâte,  gagnèrent  le  plateau  de  Siiptitz  et  tombèrent  sur  le 
flanc  des  rares  Autrichiens  ({ui  tenaient  encore.  Le  retour 
oflcnsif  des  Prussiens  fut  favorisé  par  l'incendie  des  mai- 
sons de  Siiptitz,  qui  avait  éclaté  à  la  suite  de  l'attaque 
de  Tettenborn  ;  le  brasier  ainsi  allumé  éclairait  le  plateau 
tandis  qu'il  en  laissait  les  abords  dans  l'ombre.  La  résis- 

(1)  Il  n'est  pas  sur  que  Lestwitz  ait  été  l'officier  en  question,  triais  il  fut 
certainement  un  des  premiers  à  connaître  l'abandon  par  les  Autrichiens  du 
point  culminant. 


VICTOIRE  DES  PRUSSIENS. 


143 


tance  des  Impériaux  fut  courte,  car  c'est  à  peine  si  les 
soldats  de  Lestwitz  brûlèrent  une  dizaine  de  cartouches. 
Quatre  bataillons  du  corps  de  Lascy  qu'avait  mis  en  mou- 
vement le  dernier  ordre  donné  par  Daun  avant  son  dé- 
part pour  Torgau,  arrivèrent  trop  tard  pour  rétablir  les 
affaires  et  se  bornèrent  à  recueillir  les  fuyards  sans  es- 
sayer une  contre-attaque. 

11  était  plus  de  9  heures  du  soir  quand  le  feu  cessa. 
Quelques  régiments  autrichiens  et,  en  particulier,  Charles 
de  Lorraine,  Mercy,  Botta,  Ahrenberg  et  Bayreuth  avaient 
conservé  leurs  formations  et  occupaient  encore  la  partie 
des  hauteurs  la  plus  rapprochée  de  Zinna;  le  corps  de 
Lascy  qui  n'avait  presque  pas  comliattu  était  encore 
intact,  mais  les  Prussiens  de  Zieten  et  de  Lestwitz  étaient 
maîtres  de  la  clef  de  la  position  et  avaient  décidé  de  la 
victoire  en  faveur  du  Roi.  Sur  le  théâtre  de  la  lutte, 
la  confusion  était  à  son  comble;  les  combattants  des 
deux  armées  bivouaquaient  à  côté  les  uns  des  autres, 
se  reposaient  autour  des  mémi>s  feux,  ignorants  de  l'issue 
de  l'affaire  et  attendant  leur  sort  de  la  lumière  du  len- 
demain. Des  officiers  se  trompaient  de  troupes;  c'est 
ainsi  que  le  général  autrichien  Migazzi,  croyant  rallier 
sa  brigade,  tomba  au  milieu  des  Prussiens  qui  le  reconnu- 
rent à  son  accent  et  le  firent  prisonnier. 

On  peut  s'imaginer  la  surprise  douloureuse  de  Daun 
quand  il  sut,  par  la  bouche  d'O'Donnell  et  de  Lascy,  le 
malheur  qui  était  survenu  pendant  son  absence.  <(  J'ap- 
pris vers  les  8  heures  du  soir  à  Torgau,  raconte  Monta- 
zct  (1),  enrejoignsnt  M.  le  iMaréchal,  que  les  troupes  que 
j'avais  laissé  victorieuses  une  demi-heure  auparavant 
avaient  abandonné  une  partie  du  champ  de  bataille  k 
l'ennemi,  .l'eus  peine  à  croire,  je  l'avoue,  le  rapport 
qui  en  fut  fait  devant  moi  à  M.  le  Maréchal,  mais  ce  gé- 


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(1)  Monlazetà  Choiseul,  Kasdorf,  4  novembre  1700.  Affaires  Élrangères. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IIF. 


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néral  m'ayant  prié  d'y  retourner  tout  de  suite  avec 
MM.  de  Lasey  et  O'Donnel,  le  fait  fut  constaté.  En  vérité, 
il  n'était  pas  difficile  de  réparer  cette  mésaventure, 
mais  une  foule  de  raisons  trop  longues  à  détailler  déter- 
minèrent, malgré  mes  représentations,  à  faire  des  dispo- 
sitions pour  se  retirer  le  matin.  »  Montazet  attribue  la 
délaite  des  Autrichiens  à  la  blessure  de  leur  chef  : 
«  Je  crois  même  pouvoir  vous  assurer  que  le  corps  de 
/ieten  n'a  resté  sur  le  champ  de  bataille  que  parce  que 
M.  le  maréchal  Daun  a  été  blessé  et  qu'on  avait  ici 
grande  envie  de  quitter  Torgau,  ainsi  que  vous  le  verrez 
par  le  conseil  de  guerre  qui  a  été  tenu  le  premier  de 
ce  mois,  dont  j'ai  rendu  compte  sur-le-champ  à  M.  le 
comte  de  Choiseul.  »  -  .   ' 

Le  récit  de  Daun  (1)  est  à  peu  près  conforme  à  celui  de 
l'attaché  français.  Sur  la  demande  du  maréchal,  O'Donnell 
et  Lascy,  accompagnés  de  Montazet  et  du  duc  de  Braganza 
qui  servait  à  Tétat-major  en  qualité  de  volontaire,  allèrent 
au  plateau  pour  voir  ce  qui  s'était  passé.  «  Deux  heures 
après  (2)  tous  ces  mentionnés  Messieurs  revinrent  et 
dirent  qu'en  efîet,  l'ennemi  se  trouvait  sur  la  men- 
tionnée hauteur,  ce  qu'ils  ne  comprenaient  point  comme 
il  s'y  était  glissé.  Montazet  a  beaucoup  dit  ce  qu'il  avait 
proposé,  d'autres  derechef  le  contraire,  chacun  criait, 
mais  enfin  malheureusement  l'ennemi  y  était  établi  et 
alors  il  n'y  avait  plus  de  milieu  ni  d'autre  parti  à 
prendre  que  celui  de  la  retraite.  »  Elle  eut  lieu  au  cou- 
rant de  la  nuit  et  s'effectua  sans  être  inquiétée  par  les 
Prussiens;  l'armée  de  Daun  évacua  en  silence  le  terrain 
qui  lui  restait  et  passa  l'Elbe;  la  garnison  de  Torgau 
suivit  dans  la  matinée  et  brûla  les  ponts  sous  la  pro- 
tection de  la  division  de  Beck  qui  était  demeurée  sur 
la  rive  droite  pendant  la  bataille  et  qui  servit  d'arrièrc- 

(1)  Daun  à  rimpéralrico,  Zeyps,  13  novembre  1700.  Arnelli,  VI,  p.  457. 

(2)  Ce  passage  est  eu  français  dans  lu  leltrc  de  Daun. 


PEIITES  DES  DEUX  ARMÉES. 


145 


garde;  Lascy  fit  son  mouvement  par  la  rive  gauche  et 
rejoignit  le  gros  sans  incident.  La  marche  nocturne  et 
la  difficulté  d'avertir  ou  de  rassemhler  des  détachements 
épars    sur    toute    l'étendue    du    champ   de    bataille    et 
quelquefois    entremêlés    avec     l'ennemi    expliquent     le 
nombre    considérable    de   prisonniers   ramassés    par   le 
vainqueur.    D'après  les   états  publiés  par  les  Prussiens, 
il  aurait  atteint  le    chiffre  de   4   généraux,  215  officiers 
et  plus  de  7.000  soldats.  L'état-major  autrichien  fut  très 
éprouvé;  il  compta  11   officiers    tués,    entre    autres    les 
généraux    Ilerberstein  et    Walter,    ce   dernier  comman- 
dant de  l'artillerie,  le  généralissime,  4  généraux  et  26  of- 
ficiers blessés.    La  perte   totale    de  l'armée    de    Marie- 
Thérèse  a  été  évaluée  à  16.000  (1)  hommes  de  tout  rang; 
de  son  artillerie  nombreuse,  40  pièces  furent  prises  ou 
abandonnées  faute  de  moyens  de  transports. 

Le  succès  fut  chèrement  acheté;  le  déchet  de  l'armée 
royale  dépassa  14.000  hommes  (2),  dont  420  officie 's  de  tous 
grades.  Dans  ce  chiffre  figuraient  plus  de  .'i.OOO  i)rison- 
niers  parmi  lesquels  deux  généraux,  Biilow  et  Finckens- 
tein.  Les  trophées  furent  à  peu  près  également  partagés; 
les  Prussiens  enlevèrent  30  drapeaux  et  en  perdirent  27. 
Telle  fut  la  fameuse  bataille  de  Silzou  ou  de  Torgau  à 
propos  (le  laquelle  des  flots  d'encre  ont  été  versés.  Tout 
d'abord,  le  succès  fut  revendiqué  par  les  Autrichiens;  au 
moment  de  quitter  le  théAtre  de  l'action,  Daun  avait  dé- 
pêché un  officier  supérieur  de  son  état-major,  le  colonel 
Rothschiitz,  avec  la  nouvelle  de  la  victoire  qu'il  croyait 
gagnée.  Il  est  facile  de  se  figurer  l'enthousiasme  avec  le- 
quel les  Viennois  applaudirent  aux  sonneries  des  18  pos- 

(1)  Fi'evtagLoringlioveii,  Beihejï  zum  MiUlOr  Woclie.ahiall,  \m~,  IV.  Les 
chiffres  officiels  publiés  à  l'époque  dontièrent  1.513  morts,  :Hi6(»  blessés, 
5.62i  pris  ou  disparus,  en  tout  10.8:!7.  Hcsprilchc  iin  Reiclie  dcr  Todieii, 
m,  p.  411,  l'ianklarlli  et  Leii)zig,  17G0. 

(2)  Ceilaius  historiens  l'évaluent  au  même  chiffre  que  celui  des  Autri- 
chiens. V       -^ 


GIERIIE  DE  SEPT  ANS.   —   T.    IV. 


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149 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


tillons  qui  escortèrent  l'heureux  envoyé  à  son  arrivée  à 
Schonbriin,  mais  la  réaction  n'en  fut  que  plus  vio- 
lente quand,  le  lendemain,  on  apprit  la  fin  désastreuse 
de  la  journée  et  la  retraite  de  Daun.  L'Impératrice-Reine, 
désireuse  de  connaître  le  fond  des  choses  et  mécontente 
des  réticences  évidemment  voulues  de  son  général,  lui 
adressa  une  série  d'interrogations  sur  les  incidents  et  sur 
les  conséquences  de  l'affaire.  Daun  lui  répondit  par 
une  longue  lettre  que  l'historien  Arneth  a  reproduite 
et  de  laquelle  nous  avons  déjà  tiré  des  extraits.  Le  ma- 
réchal, tout  autant  par  ses  omissions  que  ])ar  sa  fran- 
chise, jette  quelque  jour  sur  les  causes  de  la  défaite. 
«  Tout  le  monde,  affirme-t-il,  a  fait  son  devoir;  les  régi- 
ments se  sont  bien  comportés,  il  y  a  eu  du  désordre, 
mais  à  la  guerre  cela  est  inévitable.  »  D'après  lui,  l'aban- 
don des  hauteurs  obligeait  à  la  retraite;  recommencer  la 
lutte  et  essayer  de  se  maintenir  sur  le  terrain  eût  été 
«  la  (1)  ruine  totale  de  l'armée  ».  il  attribue  le  mou- 
vement rétrograde  et  pour  ainsi  dire  spontané  des 
troupes  sur  Torgau  à  l'obscurité  et  à  l'absence,  par  suite 
de  blessures  nombreuses,  d'officiers  tant  de  l'état-major 
que  des  corps.  A  la  question  s'il  est  satisfait  d'O'Donnell, 
la  réplique  est  caractéristique  :  «  Je  suis  satisfait  de  tous, 
mais  réellement  content  d'aucun,  car  (1)  en  certaines 
choses  je  suis  difficile  à  contenter.  »  Dans  la  lettre  qui 
accompagne  ces  réponses,  Daun  reconnaît  que  toute  l'ar- 
mée s'en  prend  à  Lascy  de  la  défaite,  mais  il  supplie 
l'Impératrice  de  ne  pas  ouvrir  sur  ce  point  une  enquête 
qui  ne  pourrait  qu'aigrir  les  esprits,  «  car  le  mal  est  fait 
et  sans  remède,  et  il  n'y  a  que  mon  malheur  qui  a  occa- 
sionné tous  ces  maux...  Dieu  l'a  voulu  ainsi,  sans  cela  il 
eut  été  impossible  que  cela  se  fût  terminé  si  malheureu- 
sement ». 

(1)  Ces  mots  sont  en  français  dans  la  lettre  de  Daun. 


Ir, 


RESPONSABILITÉ  DE  F.ASCY. 


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Il  est  difficile  d'absoudre  Lascy  d'une  lourde  respon- 
sabilité dans  la  perte  de  la  bataille.  Son  corps,  qui  était 
foit  pour  le  moins  de   15.000  bonimcs,  ne   prit  qu'une 
fail)le  part  à  l'action;  sa  cavalerie  se  borna   à  des  dé- 
monstrations et  son  infanterie  se  contenta  de  monter  la 
yarde  sur  les   approches  de  Torgau  et  sur  la  ligne  de 
retraite  qu'à  partir  de  4  heures  personne    ne  menaçait 
plus.   Zieten    put   détacher  de  son  corps  une   brigade, 
puis  deux  et  enfin  de  compte  affectoi' toute  son  infanterie 
à  l'attaque  du  plateau  de  Siiptitz,  sans  que  Lascy  s'en 
émût  et  sans  qu'il  songeât  à  s'opposer  à  cette  entreprise 
ou  à  renforcer  le  point  attaqué.  Cependant,  il  était  eu 
contact  avec  l'armée  de  Daun,  il  i-eçut  nn^me    de  vive 
voix  les  recommandations  du  généralissime  à  un  moment 
où  il  était  encore   possible   de  ravir  la  victoire.  Si!  eût 
mis  autant  de  célérité  à  envoyer  ou  à  conduire  ses  ba- 
taillons au  secours  des  défenseurs  du  sommet  de  Siiplitz 
que  Zieten  en  déploya,  à  la  fin  de  la  journée,  pour  ap- 
puyer  la  brigade   de  Soldern,  la  bataille  eût  eu  peut- 
être  une  issue  tout  autre.  Si,  de  Lascy,  nous  passons  aux 
généraux  en  chef,  nous  sommes  d'accord  avec  les  cri- 
tiques  les    plus  éminents  pour  qualifiei'  la  division   de; 
l'armée  prussienne  en  deux  corps  séparés  de  conception 
risquée    et  pouvant  entraîner  des  suites   fâcheuses.   Si 
Frédéric  l'adopta,    c'est    que,    connaissant    son   tadver- 
saire,    il  était    convaincu  qu'il  pourrait  accomplir  son 
mouvement  tournant  sans  être  troublé  et  en  recueillir 
les  avantages  sans  courir  gi-and  danger.  Sur  le  terrain 
même,  le  roi  de  Prusse  commit  la  faute  capitale  d'en- 
gager le   combat  sans   le    scutien    de   l'artillerie,   sans 
l'appui  de  réserves  et  en  l'absence  de  la  cavalerie  dont 
l'intervention  opportune  avait  presque    toujoui's  été  la 
cause   déterminante   de   ses    victoii'es.    Il  dut  le  succès 
au  hasard  de  la  fortune,  à  l'initiative  de  ses  officiei's  et 
sui'tout  à  la  ténacité  et  à  l'endurance  de  ses  soldats. 


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148 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


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Quant  à  Daun  qui  montra  du  coup  d'œil  et  de  l'énergie 
pendant  l'action,  il  est  étrange  qu'il  n'ait  pas  pris,  pour 
les  hauteurs  de  Siiptitz,  les  précautions  dont  iJ  avait  été 
si  prodigue  pendant  la  campagne.  Poui*([uoi  n'eut-il 
pas  recours  aux  retranchements,  auv  fortilications  de 
campagne  qui  eussent  facilité  la  défense  et  procuré  à 
ses  troupes  un  abri  partiel  contre  le  feu  de  l'artil- 
lerie ennemie?  Comment  put-il  négliger  la  léparation, 
dans  la  forêt  de  Dommitsch,  des  abatis  qui,  dans  leur 
état  imparfait,  retardèrent  cependant  la  marche  des 
colonnes  prussiennes  et  notamment  de  la  cavalerie  de 
Holstein? 

Malgré  les  excuses  invoquées,  il  est  difficile  de  ne  pas 
imputer  aux  généraux  O'Donnell,  de  Sincère  et  autres,  qui 
commandaient  les  troupes  de  SUptitz,  l'abandon  graduel 
des  hauteurs  et  de  la  redoute  qui  en  marquait  le  point 
culminant.  A  part  I-ascy  qui,  dans  la  circonstance,  ne  dé- 
passa pas  le  niveau  de  la  médiocrité  ambiante,  ils  n'a- 
vaient guère  de  titres  à  la  capacité;  braves  soldats,  ils 
bornaient  leur  rôle  à  conduire  leurs  hommes  au  feu  et 
à  exécuter  la  consigne  avec  plus  ou  moins  d'intelligence 
et  sans  une  parcelle  d'initiative.  En  cette  matière  quelle 
différence  entre  les  deux  services  !  Les  uns,  Uiilsen,  Lestwitz, 
SoldernetmôineZietcn,  malgré  ses  hésitations,  gagnent  la 
bataille  que  leur  chef  avait  perdue;  les  autres,  O'Don- 
nell, Lascy,  laissent  échapper  la  victoire  que  leur  géné- 
ral avait  aux  trois  quarts  remportée. 

Ce  fut  seulement  le  5  novembre  que  l'avant-garde  prus- 
sienne passa  l'Elbe  à  la  poursuite  de  l'armée  de  Daun; 
celle-ci,  ainsi  que  le  corps  détaché  de  Lascy,  put  se  re- 
tirer sur  Dresde  sans  être  inquiétée  ;  dès  le  8  novembre, 
les  Autrichiens  étaient  rassemblés  dans  le  camp  de 
l*lauen;  malgré  leurs  pertes,  ils  avaient  recouvré  la  supé- 
riorité numérique  sur  le  Roi.  Déjà,  le  jour  de  Torgau,Daun 
avait  été  rallié  par  la  division  Bock  qui  ne  participa  point 


ÉLOOK  DE  DAUN. 


149 


à 


A  l'affaire;  sous  Dresde,  il  fut  rejoint  par  Macguire  avec  le 
contingent  presque  entier  des  Autrichiens  attachés  à  l'ar- 
mée de  Deux-Ponts,  soit  environ  9.500  hommes.  Ces  ap- 
points considéraijlos  et  l'arrivée  de  ({uelques  renforts 
moins  importants  comblèrent  en  grande  mesure  les  vides 
causés  par  la  bataille  du  3  et  portèrent  de  nouveau  l'ef- 
fectif à  plus  de  45.000  combattants. 

Au  contraire,  l'armée  royale  s'affaiblit  de  V.OOO  hommes 
par  le  départ  du  prince  de  Wurtemberg  qui  dut  reprendre 
contre  les  Suédois  sa  campagne  interrompue.  Le  i5  no- 
vembre, les  forces  rivales  se  cantonnèrent,  les  Autrichiens 
entre  Dresde  et  Dippoldiswalda,  les  Prussiens  entre  Mois- 
sen,  Wilsdruf  et  Nosten.  Rien  ne  troubla  la  lassitude  géné- 
rale jusqu'au  18,  date  à  laquelle  Hiilsen  vint  ti\ter  les  avant- 
postes  de  l'armée  des  Cercles.  Deux-Ponts,  sous  prétexte 
de  maladie,  était  allé  aux  eaux  et  avait  cédé  le  commande- 
ment à  Hadick.  Ce  dernier  leva  son  camp  de  Chemnitz  et 
prit  le  chemin  de  llof  où  il  parvint  le  24.  Dans  les  derniers 
jours  du  mois,  les  Prussiens  se  retirèrent  dans  les  environs 
de  Neissen  et  au  delà  de  la  Triebsche,  ne  laissant  à  Wilsdruf 
qu'une  faible  arrière-garde. 

Pendant  la  retraite,  Daun,  malgré  sa  blessure,  avait  con- 
servé la  direction  effective  de  ses  troupes;  Montazet,  qui 
s'était  montré  quelquefois  très  sévère  dans  ses  apprécia- 
tions, fait  l'éloge  du  maréchal  (1)  :  «  Ce  que  je  vois  ici 
depuis  cinq  jours  me  prouve  de  plus  en  plus  que  le  plus 
grand  malheur  qui  puisse  arriver  à  une  armée  est  de  per- 
dre son  général.  M.  le  maréchal  Daun  a  beau  être  plus 
occupé  de  l'armée  que  de  la  blessure  considérable  qu'il  a 
reçue  et  delà  goutte  qui  s'y  est  jointe,  il  ne  saurait  qu'or- 
donner et  ::^'en  rapporter  à  ce  qu'on  lui  mande,  et  quand 
on  lui  dit  qu'on  ne  peut  faire  autrement  que  ce  qu'on  fait, 
il  faut  pourtant  bien  qu'il  en  passe  par  là,  malgré  la  peine 


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(1)  Monlazel  à  Choiseul,  Dresde,  9  novembre  1760.  Affaires  Étrangi-res. 


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LA  GlERRH  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  III. 


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tiuecela  lui  cause.  Je  dois  vous  dire,  Monsieur,  que  malpré 
ce  qu'on  peut  dire,  tout  ceci  fait  un  honneur  inlini  h  M.  le 
maréchal  !)aun,  surtoutla  façon  dont  il  s'est  conduit  lo  jour 
de  la  bataille.  Pour  moi,  j'avoue  que  sa  valeur,  sa  fermotc, 
son  hoimôtcté,  son  désintéressement  pour  sa  personne  et 
son  amour  pour  le  bien  de  sa  souveraine  font  une  impres- 
sion s«U'  mon  cœur  et  sur  mon  esprit  <[uine  s'effacera  de  ma 
\ie  .  Il  me  disait  encore  hier  au  soir  qu'il  est  absolument 
nécessaire  qu'on  envoie  ici  un  chef  ([ui  ait  de  l'autorité  et 
qui  dise  :  «  Je  veux  »,  sans  quoi  il  ne  répondiait  pas  que 
nous  ne  pussions  hiverner  en  Bohème.  » 

Pour  l'abandon  de  la  Saxe,  les  arguments,  en  eifet,  ne  fai- 
saientpas  défaut  :  «  Onne  nousparle  (1)  quedes  pertes  énor- 
mes qu'on  a  faites  l'année  dernière  dans  le  camp  de  Plauen 
et  de  l'inhumanité  qu'il  y  aurait  il  recommencer;  on  trouve 
la  ville  mauvaise;  en  un  mot,  il  y  a  ici  un  mauvais  esprit 
et  un  mauvais  ton.  Le  général  O'Donnell  y  fait  ce  qu'il 
peut  et  je  suis  édifié  de  ses  propos  et  de  sa  conduite,  mais 
c'est  un  début  embarrassant  pour  quelqu'un  qui  n'a  ja- 
mais commandé.  On  attend  avec  impatience  la  décision 
de  la  Cour  sur  le  commandement  de  l'armée.  Toat  ce  que 
je  crains  est  que  le  Hoi  ne  fasse  à  la  fois  plusieurs  dé- 
monstrations de  projets,  d'attaques,  et  qu'il  n'embrouille 
nos  têtes  par  ce  moyen-là.  » 

Il  n'y  a  pas  de  doute  que  le  démoralisation  des  esprits 
dans  le  milieu  militaire  lit  envisager  comme  probable  l'é- 
vacuation de  Dresde;  Frédéric  l'espéra  sans  oser  y  croire  : 
((  Pour  ce  qui  regarde  la  v'.:e  de  Dresde,  écrit-il  à  Finc- 
kenstein  (2),  il  y  a  actuellement  beaucoup  d'apparence 
que  nous  la  gagnerons;  malgré  tout  cela,  il  y  a  tant  de 
difficultés  à  surmonter  A  cet  égard  que  je  ne  saurais  vous 
dire  rien  de  positif  là-dessus,  ni  de  vous  en  donner  des 


(1)  Monlazel  à  Choiseul,  Dresde,  15  novembre  17G0.  AlTaiies  Étrangères. 
(:>.}  Frédéric  àFinckenstein,  Meisscn,  12  novembre  1760.  Corr.  Polit.,  XX, 
p.  77. 


tiil. 


CHOIX  DU  SUCCESSEUR  DK  DAIN.  151 

assurances    certaines,    avant    que     l'ennemi     n'en    soit 
sorli.  ') 

(îrâce  à  la  fortitude  de  Marie-Thérèse  et  de  son  chance- 
lier, les  instructions  du  gouvernement  furent  nettement 
contraires  à  l'aliandon  de  la  capitale  de  la  Saxe  et  des  • 
(juelques  cantons  encore  au  pouvoir  des  Autrichiens.  A 
l'effet  de  répondre  à  la  question  du  retoui-  eu  noliéine, 
posée  par  les  généraux,  la  conférence  se  réunit  le  IV  no- 
vendjre  (1)  :  étaient  présents,  rKmpeieur,  l'iefeld,  Collo- 
redo,  Khevenhuller,  Neiperg,  Kaunitz  et  Wallendierg.  On 
leur  communiqua  une  lettre  de  Lascy  à  l'Empeieur  en 
date  du  10  et  un  rapport  de  Laudon  daté  du  11;  lecture 
faite  de  ces  documents,  Kaunitz,  de  vive  voix,  proposa 
de  se  prononcer  sur  les  deux  points  suivants  : 

«  1"  L'ordre  à  donnei-  à  l'armée  comportei'ait-il  la  dé- 
fense de  Dresde  et  de  ses  environs,  même  au  risque  d'une 
bataille  ou  autoriserait-il  le  retour  en  Bohème? 

2°  Par  qui  Daun  seiait-il  remplacé  dans  le  commande- 
mont  en  chef.'  » 

C'est  l'Empereur  lui-même  qui,  dans  son  fi-ançais 
bizarre,  note  la  réponse  faite  aux  deux  questions  :  «  On 
•approuve  que  l'on  soutienne,  coûte  que  coûte.  la  position 
présente  et  la  Saxe  et  Dresden ,  ainsi  ([ue  l'on  écrive  en 
conformité  auxdits  généraux  que  c'est  un  ordre  positif.  Au 
second,  attendre  les  nouvelles  du  maréchal  Daun,  savoir 
à  prendre  le  parti  pour  le  commandement.  »  En  réalité,  la 
désignation  de  Lascy  comme  général  en  chef  à  titre  provi- 
soii'e  avaitété faite  le8  novembre (^2  quel([ues  heures api-ès 
l'avis  de  la  perte  de  la  bataille  et  de  la  blessuie  de  Daun. 
Ouelque  justifiée  quelle  pût  paraltie  par  les  ^ci'vices  an- 
térieurs et  les  commandements  indépendants  exer-cés,  cette 
nomination  ne  laissa  pas  de  soulever  de  grosses  objections 

(1)  Notes  de  l'Empereur  sur  la  conférence.    \ortragi\  1760.  Archives  de 
Vienne. 

(2)  Arnelh,  VI,  p.  18I. 


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153 


LA  GUKURE  DE  SEPT  ANS.  -  CliAl».  III. 


doni  l'int«^i'ossô  ùtait  le  piemiei"  ii   rocoiinallre  la  force. 
Dans  une  lettre  à  rimpératrlce  en  date  du  10  novembre  (1), 
Daun  se   déclara  contraire  au  choix  <le   Kascy;  cet   offi- 
ci(îi'    ('tait    moins   ancien  (jue   O'Donnell,  Sincèio,    Mac- 
giiire,  NVicd  et  Lowenstein,  tous  présents  iV  l'armée;  son 
élévation  au  grade  suprême  entraînerait  leur  démission 
et  lui  ferait  sup[)oiter  tout  le  poids  de  la  charge  sans  le 
concours    d'ofiiciers    expérimentés.    O'iJonnell,    le   plus 
vieux  des  généraux  sci-vant  en  Saxe,  s'entendrait  à  mer- 
veille avec  Lascy,  d'origine  irlandaise  comme  lui;  il  en  se- 
rait de  môme  de  Macguire   et  pou»'  le  môme  motif.  Du 
reste,  dans  la  situation  actuelle,  il  était  diflicile  de  prendre 
d'autre  parti  que  celui  de  se  maintenir  à  Plauen  et  à  Dip- 
poldiswalda.  «  Le  plus  grand  mal  est  que  tous  ces  mes- 
sieurs, Lascy  aucunement  excepté,  voient  fort  noir.  »  Il  est 
probable  (jue  ce  dernier,  qui  avait  été  le  chef  d'état-major 
de  Daun  et  qui  était  en  excellents  termes  avec  le  généralis- 
sime, dut  le  consulter  sur  l'oUVc  qui  lui  était  faite  ;  fût-ce  le 
conseil  de  son  supérieur  ou  la  crainte  de  voir  sa  promo- 
tion occasionner  la  retraite  de  ses  camarades,  comme  le 
dit  Kaunitz  (2),  tojj  iurs  est-il  que  Lascy  refusa  la  propo- 
sition de  la  coui",  quoiqu'elle  lui  eût  été  renouvelée  deux 
fois.   O'Donnell,  qui  remplissait  les   fonctions   de   géné- 
ral en  chef  depuis  Torgau,  fut  très  fioissé  de  la  préfé- 
rence que  son  gouvernement  avait  marquée  pour  un  col- 
lègue plus  jeune,  mais  une  lettre  que  l'Impératrice  lui 
écrivit,  à  la  suggestion  de  Daun,  rétablit  sa  bonne  humeur 
et  il  continua  à  commander-  avec  la  coopération  de  Lascy  et 
sous  la  surveillance  de  Daun,  jusqu'au  départ  de  celui- 
ci  pour  Vienne,  à  la  lin  de  novembre.  .\  cette  date,  les  hos- 
tilités étaient  terminées  pour  la  saison  et  les  deux  armées 
avaient  repris  à  peu  do  chose  près  leurs  cantonuements  de 
l'hiver  précédent. 

(1)  Lettre  déjà  citt'e,  Arneth.  VI,  Anmerhuniicn,  p.  457. 

(2)  Kaunitz  à  Slailiemberg,  21  novembre  l'tiU.  Archives  de  t^MOine. 


TENTATIVK  DE  LAUDON  CONTRE  KOSia, 


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Pour  achever  le  ri'cit  de  la  rnmpagiu'  de  17(50  entre 
les  l'rusMens  et  les  Autricliieiis,  il  nous  reste  à  parler  des 
opérations  de  Silésie  pendant  1  autonine;  elles  furent  pi'U 
importantes.  Lors(|u'il  s'était  décidé  à  suivre  le  Uoi  dans 
sa  course  sur  Berlin,  Daun  avait  laissé  dans  la  province 
VO.OOC  lioiimes  sous  le  commandement  de  Fjiudon  avec 
mission  de  s'emparer  d'une  des  places  fortes.  Les  cir- 
constances semblaient  propices,  car  les  forces  prus- 
siennes ne  se  composaient  que  des  f,-arnisons  et  de 
quelques  détachements  à  faibles  elfectifs.  Sur  l'avis  que 
le  gouverneur  Tauentzien  avait  reçu  un  renfort  de  quel- 
ques bataillons,  le  général  autrichien  (|ui  ne  pouvait 
pas  compter  sur  le  concours  des  Russes,  de  plus  en 
plus  éloignés  de  la  Silésie,  renonça  à  une  entreprise 
contre  Hreslau  et  se  pronon(;a  pour  le  siège  de  la  for- 
teresse secondaire  de  Kosel.  A  cet  effet,  il  chargea  son 
lieutenant  Wolfersdorf  de  surveiller  Schweidnitz  avec 
5.000  à  0,000  hommes,  posta  Ja  cavalerie  de  Nauendorf 
à  Liegnitz  pour  garnir  le  cours  de  la  Katzbach ,  déboucha 
de  llohenfriedberg,  le  13  octobre,  avec  le  gros  de  ses 
troupes  et  parut,  le  21,  sous  les  murs  de  Kosel  où  il  fut 
rejoint  par  le  général  Bethleni  venu  de  la  Haute-Silésic. 
lue  reconnaissance  eifectuée  par  le  Fran(;ais  Gribeauval, 
que  la  cour  de  Versailles  avait  mis  à  la  disposition  de  son 
allié  pour  diriger  les  travaux  d'approche,  démontra  que 
l'ail'aire  était  beaucoup  plus  ardue  qu'on  l'avait  d'abord 
pensé,  l'inondation  qui  couvrait  les  environs  de  la  ville 
devant  retarder  l'ouverture  des  tranchées  et  restreindre 
le  front  d'atta(|ue.  Cependant,  en  attendant  la  grosse 
artillerie,  Laudon  eut  des  velléités  de  brusquer  l'entre- 
prise; il  employa  quelques  jours  à  parfaiie  l'investis- 
sement, a  essayer  l'escalade  de  la  tête  du  pont  sur  la 
rive  gauche  et  à  bombarder  la  ville.  L'insuccès  de  ces 
tentatives  prouva  que,  pour  réduire  Kosel,  il  faudrait 
avoir  recours  à  une  opération  régulière,  pour  laquelle 


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154 


LA  r.UERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


le  temps  man([aerait.  Comme  motifs  de  raljandon  (1),  le 
général  invoqua  le  mauvais  état  des  routes  et  la  pluie  persis- 
tante qui  rendaient  impossibles  les  transports  de  l'artil- 
lerie et  la  construction  des  batteries.  Le  général  liarscli, 
qui  parait  avoir  eu  la  spécialité  des  sièges  malheureux  et 
que  la  cour  avait  envoyé  sur  les  lieux,  fut  d'accord  avec 
Gribeauval  en  évaluant  à  5  ou  6  jours  le  délai  nécessaire 
pour  mettre  les  canons  en  position  ou  pour  les  retirer  en 
cas  d'interruption.  Or,  on  venait  d'apprendre  que  le  gé- 
néral (ioltz,  détaché  par  le  roi  de  Prusse,  était  arrivé  le 
25  octobre  à  Glogau  où  H  n'était  qu'à  7  ou  8  journées  de 
marche  de  Kosel.  Ce  fut  en  effet  la  crainte  de  l'intervention 
de  (loltz  qui  lit  renoncer  à  la  conquête  de  Kosel.  D'après 
Montrozard  (2)  attaché  à  l'armée  de  Laudon,  on  attribuait 
au  Prussien  une  force  de  28  bataillons  et  50  escadrons, 
sans  compter  les  renforts  qu'il  pourrait  tirer  des  garni- 
sons do  Breslau,  de  Schweidnitz  et  de  Neiss,  alors  que 
Farmée  autrichienne  devant  Kosel  n'était  composée  que 
de  32  bataillons  de  ligne  ou  do  Croates  et  de  Vi  esca- 
drons y  compris  les  hussards  et  que  ces  unités  ne  repré- 
sentaient qu'un  faible  etlectif  par  suite  des  pertes  essuyées 
à  Landshut  et  à  Liegnitz.  En  réalité,  Goltz,  parti  de  Lub- 
ben  avec  12.000  hommes,  même  après  les  prélèvements 
qu'il  elfectua  sur  les  garnisons  de  Breslau  et  Schweid- 
nitz, n'en  eut  jamais  plus  de  17.000,  dont  un  tiers  de 
qualité  médiocre,  tandis  que  Laudon,  en  appelant  à  lui 
une  partie  de  ses  détachements,  aurait  pu  lui  opposer  au 
moins  25.000  combattants. 

Quoi  qu'il  en  fût,  Laudon  rejeta  sur  Ilarsch  et  Gribeau- 
val la  responsabilité  de  la  non-réussite.  Le  29  octobre, 
il  leva  le  blocus  après  avoir  incendié   les  magasins  de 

(1)  Laudon  à  uauailz,  Krzoïiowil./,  26  octobre  17ôO.  Lctlrc  citée  par  Jaiiko, 
l.audons  Lebeii,  p.  214. 

(2)  Montrozard  à  Choiscul,  Klein  Nirnbsdorf,  27  octobre   17G0.  Affaires 
Étrangères. 


P.  ■' 


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TRftVE  ENTRE  LAUDON  ET  GOLTl. 


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fourraf^o  de  rennemi  et  marcha  sur  Ober  Glogaii  où  il 
parvint  le  30;  le  3  noveuil)re,  son  quartier  général  fut 
transférée  Kunzensdorf,  près  de  Nei.stadt;  de  là,  il  détaciia 
Carapitelli  pour  renforcer  Wolfersdorf,  resté  aux  environs 
de  Sclnveidnit.?. 

Aiu'ii  que  nous  venons  de  le  voir,  (ioltz,  rassuré  parle 
départ  définitif  des  Russes,  s'était  porté  au   secours  de 
Kosel;  on  route  il  eut  connaissance  du  mouvement  de  Lau- 
dou  et  ga^na  Breslau  où  il  séjourna  jusqu'au  1 2  novembre. 
A  cette  date,  encouragé  sans  doute  par  la  victoire  de  Tor- 
gau,  il  reprit  l'odensive  et  força  Wolfersdorf  à  battre  en 
retraite  vers  la  frontière  de  Bohème,   abandonnant  aux 
Plussions  LandshutetHirschberg.  Campitelli,  qui  occupait 
cette  dernière  localité,  se  retira  sur  Lowenberg  etZittau. 
Laudon,,  sur  l'appel  de  ses  lieutenants,  (juitta  le  10  no- 
vembre son  camp  de  Kunzensdorf,  franchit  la  Neisse  et 
se  posta  p?'ès  de  Keichenstein  et  Wartha  où  il  était  à  môme 
de  défendre  les  abords  du  comté  de  Glatz.  Les  deux  adver- 
saires étaient  encore  dans  ces  positions  quand  ils  convin- 
rent d'uue  trêve  qui  resterait  en  vigueur  jusqu'à  un  délai  de 
quatre  jours  après  dénonciation.  Los  troupes  de  Laudon  pri- 
rent leurs  quartiers  d'hiver  dans  le  comté  de  Glatz,  celles  de 
Wolfersdorf  dans  le  cercle  de  Koniggriltz  en  Bohême  ;  Goltz 
resta  maître  de  la  Silésie  montagneuse,  y  compris  les  petites 
villes  do  ilirschberg,  Frciburg,  Landshut  et  Krankenstein 
dont  les  armées   rivales  s'étaient  disputé    la  possession 
pendant  toute  l'année.  Les  résultats  iosignitiants  de  cette 
fin  de  campagne  où  les  Autrichiens  se  montrèrent  aussi 
peu  entreprenants  que  possible,  doivent  être  attribués 
aux  instructions  timorées  que  la  défaite  do  Torgau  avait 
iîispiréesà  la  cour  de  Vienne,  à  la  nécessité  de  remplacer 
en  Lusace  les  troupes  qui  avaient  renforcé  Dauri.,  oiifm 
à  la  maladie  (1)  de  Laudon. 

(1)  Moiilrozard  à  Clioiseul,  Warllia,  23  novembre  1760.  Affaires  Étran- 

sères. 


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156 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


En  fin  de  compte,  de  leurs  conquêtes  des  premiers  mois, 
les  Autrichiens  ne  gardèrent  que  la  forteresse  de  Glatz 
et  le  territoire  avoisinant.  C'était  une  maigre  compensa- 
tion pour  tant  de  vies  sacrifiées,  pour  tant  d'argent  dé- 
pensé. Encore  une  fois,  Frédéric  avait  été  sauvé  par  les 
fautes  de  ses  adversaires  dont  il  avait  su  tirer  le  plus  large 
profit. 


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CHAPITRE  IV 

CAMPAGNE  DE  BROGLIE,  1760.  —  CORBACH 
ET  WARBURG 

RAPPORTS    DE    BELLEISLE    ET    BROGLIE.     CONQUÊTE     DE    LA 

HESSE.   —    SUCCÈS  DE    CORBACH.   —   RENVOI  DE   SAINT-GER- 
MAIN.   —   DÉFAITE    DE    WARBURG.    —    PRISE    DE    CASSEL. 

Les  hostilités  s'étaient  terminées  en  Hesse,  vers  le  mi- 
lieu de  janvier  1760,  par  un  retour  offensif  du  maréchal 
de  Broglie  dont  le  principal  résultat  fut  de  mettre  fin 
à  l'éternelle  reculade  de  ses  prédécesseurs  d'Estrées  et 
Contades  et  de  dégager  la  place  de  Giessen.  La  retraite 
de  Vogué  à  la  suite  de  l'échec  de  Dillenburg  et  surtout 
les  intempéries  de  lasaison  avaient  mis  fin  aux  opérations; 
les  Français  regagnèrent  leurs  quartiers  d'hiver  sur  le 
Mein,  la  Lahn  et  e  Rhin;  l'armée  du  prince  Ferdinand 
reprit  ses  garnisons  habituelles  en  Westphalie,  en  Hesse  et 
dans  s  pays  adjacents,  et  malgré  les  pourparlers  paci- 
fiques ) gagés  à  la  Haye,  chacun  des  belligérants  s'em- 
ploya a\  c  ardeur  aux  travaux  de  réparation  et  de  recru- 
tement pour  la  campagne  prochaine. 

Par  dépêche  du  12  février,  Relloisle  qui,  malgré  son 
grand  Age,  était  resté  à  la  tête  du  département  de  la 
guerre,  avait  annoncé  à  Broglie  son  maintien  comme 
commandant  en  chef  de  toutes  les  armées  du  Roi  en 
Allemagne.  Entre  le  ministre  et  son  subordonné,  il  n'y 
avait  aucune  sympathie  ;  la  correspondance  ([uc  le  premier, 
conformément   aux  habitudes    de   l'époque,  entretenait 


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158 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP,  IV, 


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avec  les  principaux  divisionnaires  de  l'armée,  laisse  percer 
à  chaque  instant  sa  pensée  intime  ;  tout  en  rendant  justice 
aux  qualités  militaires  de  Broglie,  en  s'efforçant  de  le 
seconder    de   son   mieux,  il  ne   peut  s'empêcher  de    se 
méfier  des  intentions,  de  criti<[ut!r  les  actes  d'un  homme 
dont  la  mentalité  lui  est  antipathique  et  dont  la  famille 
et  l'entourage  lui  sont  suspects.  Ces  sentiments  malveil- 
lants, Broglie  les  rend  avec  usure;  il  se  sait  peu  en  faveur 
auprès  du  Roi  et  de   M'""  de  Pompadour,  il  est  convaincu 
que  Belleisle  le  dessert  en  haut  lieu,  il  lui  on  veut  de 
désigner,  pour  certains  emplois  qu'il  eût  volontiers  con- 
fiés  à    ses  amis,   des    généraux   qu'il    considère    à    tort 
ou  à  raison  comme  hostiles  à  sa  personne.  Aussi  est-il 
constamment  en  défiance  et  n'accueille-t-il  les  avances 
de  Belleisle  qu'avec  toutes  sortes  de  réserves.   A  l'avis  de 
sa  nomination  au  commandement  en  chef,  il  répond  (1)  : 
<(  Je  ne  puis  donner  au  Roi  une  preuve  plus  assurée  de 
mon  aveugle  soumission  que  de  m'en  charger  dans  les  cir- 
constances critiques  où  sont  les  affaires  et  où  je  me  trouve.  » 
Il  ne  dissimule  pas  le  mécontentement  que  lui  causent  les 
changements  apportés  au  projet  d'opérations  qu'il  avait 
élahoré    et   surtout   les    choix    des   lieutenants-généraux 
pour  l'année  en    cours.    Il    en   désapprouve    quelques- 
uns,    mais  il   n'en  dira  rien  «  parce  que  je  vois  par  la 
façon  absolue  dont  vous  vous  expliquez  dans  votre  lettre, 
que  vous  n'y  auriez  pas  égard  et  que  cela  n'aboutirait 
qu'à  me  faire  inutilement  des  ennemis,  parce  qu'on  aurait 
grande  attention  que   ceux  que  je  proposerai  d'exclure 
en  fussciit  informés   ».   La  crainte  était  probablement 
fondée,  car  Belleisle  c?,vait  la  réputation  d'être  fort  indis- 
cret,   mais  le   langage  qui    traduisait    ces   inquiétudes 
n'était  pas  de  nature  à  améliorer  des  rapports  déjà  tendus, 
('/est   sur  le   môme  ton  que  Broglie  reçoit  (2)  les  com- 

(l)  Broglie  à  Belleisle,  Francfort,  22  février  1760.  Archives  de  la  Guerre. 
{'!)  Brojilie-d  Bellei  ,1e,  Francfort,  ').!  février  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


PLAIMES  DE  HROGLIE  SUR  LE  MANQUE  DE  FONDS 


169 


pliments  que  lui  adresse  le  ministre  de  la  .«uerre  :  «  Tout 
ce  que  vous  me  dites  de  flatteur,  M.  le  Maréchal ,  sur 
l'honneur  qui  doit  me  revenir  de  la  campagne  prochaine, 
ne  m'éJjlouit  pas.  Je  sais  que  pour  avoir  des  succès,  il 
faut  que  les  troupes  que  l'on  conduit  soient  disciplinées,  et 
que  pour  qu'on  en  puisse  exiger  la  règle  et  la  discipline, 
il  est  indispensable  que  ce  qui  les  compose  ait  le  néces- 
saire. » 

Ce  nécessaire,  liroglie  le  réclame  avec  une  énergie  et 
une  ténacité  qui  lui  font  honneur.  Il  ne  se  contente  pas 
de  promesses  (1)  :  «  Il  est  de  fait,  ohscrve-t-il  dans  un 
mémoire,  que  sans  argent  on  ne  peut  rétablir  et  faire  sub- 
sister une  armée;  il  est  également  de  fait  qu'à  la  réserve 
du  prêt,  on  ne  donne  pas  un  sol  à  celle-ci.  Les  cent  mille 
écus  que  M.  le  maréchal  de  Belleisle  me  fait  l'honneur  de 
me  mander  dans  sa  lettre  du  27  avoir  été  envoyés  pour 
les  dépenses  extraordinaires  du  mois  de  décembre,  et  les 
six  cent  mille  livres  pour  celles  de  janvier  ne  l'ont  point 
été,  et  il  n'est  arrivé  au  Trésor  que  des  lettres  de  change 
payables  la  plupart  à  la  fin  de  ce  mois  sur  lesquelles 
M.  l'Intendant  ne  trouverait  pas  un  écu  d'avance  :  moyen- 
nant cela,  les  hôpitaux  sont  prêts  à  périr,  et  malgré  tous 
les  soins  qu'on  peut  se  donner,  ils  périront  certainement 
bientùt L'argent  a  manqué  de  même  aux  officiers  en- 
voyés par  les  régiments  pour  faire  des  recrues;  moyennant 
cela,  ils  n'ont  pu  travailler,  et  les  régiments  ne  seront 
pas  complétés.  La  viande  man((uera  pour  l'armée,  le 
boucher  (|ui  la  fournit  n'étant  pas  payé  et  étant  obligé 
de  demeurer  enfermé  de  peur  d'être  arrêté  pour  les  dettes 
qu'il  a  contractées  de  tous  les  côtés.  Enfin,  faute  d'avoir 
fait  d'avance  des  magasins  de  fourrage  et  encore  plus 
d'avoir  envoyé  de  l'argent,  il  est  presque  certain  que 
l'armée  ne  pourra  être  fournie  jusqu'au  moment  où  la 


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(1)  liroglie  à  IJelleisle,  Mémoire  joinl  à  l;i  lollrc  du  i  février  ITGO. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP,  IV. 


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terre  produira.  Ce  ne  sont  point  des  craintes  imaginaires; 
elles  sont  aussi  positives  que  1  envoi  d'un  million  pour  l'a- 
chat des  fourrages  l'a  été  peu  :  M.  l'intendant  n'a  pas  même 
connaissance  du  temps  où  l'on  peut  compter  qu'il  arrivera.  » 

Dans  une  dépêche  du  22  février  (1),  Broglie  revient  à  la 
charge  :  «  Quand  le  Roi  aurait  un  Turenne  à  mettre  à  la 
tôte  de  ses  troupes,  il  lui  serait  aussi  impossible  de  faire 
une  campagne  honorable  et  heureuse  avec  des  moyens 
aussi  courts,  qu'à  un  aigle  de  voler  lorsqu'on  lui  aurait 
coupé  les  ailes.  »  Les  réparations  n'avancent  pas,  les  ap- 
pointements ne  sont  pas  payés  :  «  Vous  parviendrez  plutôt 
que  moi,  Monsieur  le  Maréchal,  à  persuader  aux  officiers 
généraux  et  de  l'état-major  qu'ils  peuvent  servir,  étant 
payés  en  papier.  Je  n'ai  point  vu  les  temps  malheureux  de 
1709  etde  1710, aussi  quandilsviendront,  comme  plusieurs 
l'ont  fait  déjà,  me  demander  de  leur  faire  payer  leurs 
appointements  de  novembre  et  de  décembre,  je  leur  dirai 
de  s'adresser  en  droiture  à  vous.  » 

La  pénurie  d'argent  s'étendait  au  service  des  hôpitaux 
dont  «  les  infirmiers  meurent  de  faim  ».  La  compagnie 
chargée  de  l'entretien,  qui  comptait  parmi  ses  actionnaires 
des  puissants  du  jour,  était  fort  bien  en  cour;  Belleisle, 
sans  doute  sous  l'impression  des  démarches  faites  auprès 
de  lui,  s'efforce  de  la  défendre.  Aussitôt  Broglie  de  ripos- 
ter :  «  Je  ne  sais  qui  a  pu  vous  rendre  compte  que  ja- 
mais les  malades  n'ont  été  mieux  traités  que  depuis 
qu'elle  en  était  chargée.  Le  fait  est  absolument  faux,  puis- 
qu'il n'y  a  pas  un  seul  hôpital  où  cet  hiver  le  service  n'a 
pensé  manquer  dix  fois...,  je  sais  combien  cette  compa- 
gnie est  protégée,  mais  je  sais  encore  mieux  que  je  serais 
coupable  si  je  ne  faisais  pas  ce  qui  dépend  de  moi  pour 
vous  éclairer  sur  son  compte.  » 

Si  les  extraits  de  la  correspondance  officielle  de  Bro- 


(1)  Broglie  à  Belleisle,  Francfort,  Tl  février  I7G0.  Archives  de  la  Guerre. 


SAINT-GKRMAIN  COMMANDANT  DE  L'AILK  GALC'"-. 


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glie,  que  nous  venons  de  reproduire,  font  souvent  mau- 
vaise impression  au  point  de  vue  du  tact,  de  l'amabilité 
et  de  la  bonne  bumeur  de  l'écrivain,  il  faut  rendre  Justice 
au  souci  constant  déployé  pour  les  besoins  du  soldat  et 
pour  l'efficacité  de  l'armée.  D'autre  part  le  désir  trop 
manifeste  de  dégager  sa  responsabilité  et  de  se  prémunir 
contre  les  critiques  qu'il  prévoit,  quelque  naturel  qu'il 
puisse  être,  ne  contribue  pas  à  grandir  le  rôle,  ni  à  rc- 
bausser  la  réputation  du  général.   Persuadé  qu'en    cas 
d'échec  de  l'un  de  ses  subordonnés,  on  s'en  prendra  à 
lui,  il  est  prêt  à  sacrifier  l'initiative  qui  appartient  au 
chef  pour  s'abriter  derrière  les  ordres  qu'il  sollicite.  Son 
attitude  à  propos  de  la  composition  du  corps  qui  devait 
constituer  l'ai.'e    droite   de   l'armée    est  caractéristique; 
peut-être  se  ressentait-elle  de  la  désignation,  sans  qu'il 
eût  été  consulté,  de  Saint-Germain  pour  le  commandement 
de  la  réserve  de  gauche  :  «  Puisque  vous  avez  cru,  iMon- 
sieur  le  Maréchal,  écrit-il  (1),  qu'il  était  utile  et  avanta- 
geux pour  le  service  du  Hoi  que  le  choix  des  officiers  géné- 
raux de  cette  réserve  fût  fait  sans  ma  participation  et  ne 
pût  en  aucun  cas  être  changé  par  moi,  pour  entrer  dans 
vos  vues,  je  vous  prie  d'en  user  de  môme  pour  les  troupes, 
et  de  nommer  les  régiments  ainsi  que  les  brigadiers  qui 
devront  la  composer  ;  tout  en  ira  certainement  mieux,  puis- 
qu'ils conviendront  à  ceux  qui  ont  inilué  sur  la  nomination 
des  officiers  généraux  et  que  tout  y  sera  d'accord  ;  je  vous 
prie  aussi  d'en  régler  vous-même  la  force  ainsi  que  l'artil- 
lerie qui  devra  y  être  attachée;...  cela  préviendra  qu'on 
ne  puisse  dire  que  j'y  ai  mis  trop  ou  trop  peu  de  trou- 
pes. Comme  il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  un  corps  dëttiché 
i\  la  droite,  je  vous  prie  de  même  de  vouloir  bien  eu  nom- 
mer le  commandant,  ainsi  que  les  officiers  généraux  et  de 
l'état-major,  et  les  troupes  qui  devront  la  composer.  » 

(1)  Broglie  i\  Belleisle,  Francfort,  15  avril  1760.-Arcliivcs  de  la  Guerre.    ' 

GLEUlti:   DE   SKPT   ANS,   —   IV.  Il 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.   -  CJIAP.  IV. 


Bi'ogiie  s'oU'usquc  avec  raison  du  peu  de  latitude  ({u'oii 
lui  laisse  pour  les  officiers  de  rétat-major  :  k  Bcllcisle 
([ui  trouvait  ce  personnel  exagéré  etqui  voulait  le  réduire, 
il  rappelle  (1)  la  promesse  faite  par  le  Ministre  devant  le 
lloi  dans  le  cabinet  de  M"""  de  Pompadour,  «  que  j'aurai 
les  aides  que. je  demanderai  et  le  Uoi  a  bien  voulu  me  le 
confirmer  »  ;  sans  cela,  il  n'eût  pas  accepté  le  comman- 
dement en  clijpf. 

Le  choix  de  Dumesnil,  que  de  hautes  influences  avaient 
désigné  pour  être  employé  à  l'armée  et  auquel  son  an- 
cienneté assurerait  la  direction  suprême  en  cas  d'indispo- 
nibilité du  maréchal,  fut  l'objet  d'un  conflitsérieux.  Le  gé- 
néral en  chef  s'en  ouvrit  à  sou  oncle  l'abbé  de  Broglie  c[ui 
lui  servait  de  confident,  de  correspondant  et  surtout  d'a- 
vocat à.  Paris  et  à  Versailles.  Les  lettres  de  l'abbé,  dont 
nous  devons  la  communication  à  l'amabilité  du  duc  de 
IJroglie,  descendant  du  maréchal,  fournissent  des  détails 
piquants  sur  les  intrigues  de  la  cour,  sur  les  démarches 
auprès  des  personnages  en  vue,  enfin  sur  les  usages 
de  l'époque.  Le  maréchal  avait  écrit  (2)  de  Francfort  : 
«  J'apprends,  mon  cher  oncle,  presque  à  n'en  pouvoir 
douter,  que  M.  Dumesnil  est  le  premier  lieutenant-géné- 
ral de  cette  arnée.  On  pourrait  bien  s'écrier  :  ô  temps, 
ô  mœurs!  Je  ne  croyais  pas  qu'on  pût  oser  faire  une  sem- 
blable chose,  et  choisir  un  homme  aussi  décrié  et  aussi 
incapable.  J'en  ai  déjà  écrit  une  fois  à  M.  le  Dauphin, 
ainsi  l'acquit  de  nia  conscience  est  fait;  et  quand  l'armée 
périrait  entre  ses  mains,  ce  qui  arriverait  sûrement  si 
elle  y  tombe,  je  n'aurai  rien  à  me  reprocher.  Toutes  les 
nominations  des  officiers  généraux  sont  faites  pour  les 
réserves,  ainsi  que  des  états-majors  qu'on  y  place,  sans 
m'en  avoir  dit  un  mot,  tant  mieux.  Si  j'avais  fait  un  pa- 

(1)  Broglie  à  Belleisie,  Francfort,  7  mars  1760.  Archives  de  la  Guerre. 
{'>)  Maréchal  de  Broglie  à  l'abbé,  Francfort,   8  avril   17G0.  Papiers  de 
famille  du  duc  de  Broglie. 


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DÉMARCHES  DK  LkWWÈ  DE  HROGLIE. 


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reil  choix,  on  aurait  dit  que  je  voulais  mettre  M.  do  Saint- 
(iernuiin  liors  d'état  de  rien  faire  en  lui  donnant  un  pa- 
reil ramassis.  » 

Le  Dumesnil  en  question  jouissait  d'une  déplorable  ré- 
putation :  grand  ami  de  Uichelieu,  il  avait  servi  sous  ses 
ordres  à  Minorque  et  en  Allemagne  où  il  s'était  distingué 
par  sa  rapacité  et  ses  débauches,  plutôt  que  par  sa  capa- 
cité militaire;  on  l'accusait  mémo  de  manquer  de  cou- 
rage. Dans  l'impossibilité  d'éviter  sa  présence  à  l'armée, 
Hroglie  était  bien  décidé  à  le  reléguer  à  Francfort  à  la 
besogne  de  l'arrière.  L'abbé  se  mit  en  campagne  (1);  il 
commença  ses  visites  par  Paris  Duverney,  l'un  des  protec- 
teurs de  Dumesnil,  il  n'en  put  rien  obtenir.  De  là,  il  alla 
dlncr  chez  Montmartel,  frère  de  Paris;  il  s'y  trouva  nez  à 
nez  avec  Dumesnil  que  cette  rencontre  gêna  singulière- 
ment :  «  Comme  Montmartel  prend  du  lait  et  ne  se  met 
pas  à  table,  il  rentra  dans  le  salon  où  était  Dumesnil  et 
moi  je  montai  en  haut  et  me  mis  à  table.  Il  était  trois 
iieures;  Dumesnil  avait  renvoyé  son  carrosse  et  n'osa  ja- 
mais monter  en  haut  pour  se  mettre  à  table  ;  ma  présence 
lui  imposa  un  jeune  auquel  il  ne  s'attendait  pas.  Je  souhaite 
qu'il  soit  utile  pour  sa  conversion.   » 

Le  leidemain,  l'abbé  se  rend  à  Versailles.  Il  débute 
par  M.  de  Saint-Florentin.  «  De  chez  lui,  j'ai  été  chez 
M.  de  Choiseul,  qui  m'a  fait  entrer  quoiqu'il  fût  dans  son 
lit,  fort  vilain,  fort  enrhumé,  le  visage  fort  boutonné, 
mais  très  alfectueux  à  mon  égard  ;  et  m'ayant  embrassé 
(chose  dont  je  me  serais  fort  bien  passé)  :  «  Eh  bien,  l'abbé, 
vous  voilà  donc  de  retour  à  Versailles?  —  Je  n'y  serai 
pas  longtemps,  ce  pays  ne  me  plaît  guère.  »  On  cause 
d'abord  du  comte  de  Brogiie,  puis  on  aborde  le  sujet 
brûlant  :  «  Comment  êtes- vous  donc  avec  Dumesnil?  — 
Comme  avec  un  fripon,  que  j'ai  comblé  de  mes  bontés. 


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(1)  L'abbé  de  Brogiie  au  Maréchal,  Paris,  4  mai  17G0.  P.ipiers  de  famille. 


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LA  nUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


que  j'ai  tiré  de  la  misère,  et  que  je  n'ai  pas  vu  depuis 
l'exil  (lu  inarrchal  de  llro^lie,  mou  fivre...  —  Dumes- 
uil  dit  que  vous  ne  l'aimez  pas.  —  Il  a  raison,  je  ne 
l'aime   ni    l'estime,   et  je   tiens  au-dessous  de   moi   de 
parler  d'un  pareil  homme.  —  Il  sera  pourtant  le  premier 
lioutenant-m'ucral  du  maréchal  de  Hroglie,  et  je  ne  con- 
seille pas,  nia  vous,  ni  au  maréchal  de  vous  y  opposer  ;  et  si 
c'est  pour  cela  que  vous  venez   à  Versailles,  vous  pouvez 
vous  en  retourner.  — Je  ne  suis  point  étonné  qu'un  mal- 
honnête homme  trouve  des  protecteurs;  et  je  crois  que 
le  maréchal  de  Itroglic  doit  représenter  fortement  l'in- 
décence et  le  risque  d'nn  pareil  choi.v.  —  C'est  un  piège 
<[u'on  tend  à  votre  ■      eu;  et  si  vous  êtes  assez  sots  tous 
deux  pour  y  donner,  vous  aurez  sujet  de  vous  en  repentir  : 
nous  avons  parlé  de  cette  matière,  le  comte  de  Broglie  et 
moi;  je  pense,  sur  le  chapitre  de  Dumesnil,  comme  toute 
votre  famille  ;  mais  je  lui  ai  conseillé  d'enrayer,  et  il  m'a 
promis  de  le  faire.  Jamais  Dumesnil  ne  consentira  à  res- 
ter sur  les  derrières  à  Francfort;  il  faut  qu'il  soit  employé 
dans  l'ordre  de  hataille,  soit  au  centre,  soit  à  la  cavale- 
rie de  la  droite.  Il  ne  s'agit  que  d'inscrire  son  nom  sur 
cet  état,  et  un  jour  de  hataille  de  le  mettre  au  centre  ou  à 
droite,  à  l'endroit  le  moins  exposé...  Comptez  que  Dumesnil 
sera  souple  comme  un  gant  devant  le  maréchal.  Pourquoi 
le  iMaréchal  ne  sait-il  pas  se  plier  à  la  nécessité?  —  Mon- 
sieur le  Duc,  vous  qui  maniez  les  affaires  étrangères,  êtes 
souvent  obligé  de  vous  servir  de  fripons,  d'espions  et  de 
poltrons  ;  mais  un  général  d'armée  doit  hannir  cette  ver- 
mine autant  qu'il  est  en  lui,  et  ne  pas  se  laisser  soupçonner 
de  les  protéger.  —  On  ne  soupçonnera  jamais  le  Maréchal 
de  Broglie  d'avnir  fait  un  choix  si  honteux.  La  façon  de 
penser  sur  Dumesnil  est  trop  publique,  et  la  honte  retom- 
bera sur  ceux  qui  l'ont  choisi.  —  Oui,  Monsieur  le  Duc; 
mais  la  perte  de  l'armée  peut  résulter  d'un  choix  aussi 
indigne.  » 


L'INCIDKNT  ;tUMKSNlL. 


1G5 


L'abbé  de  lUoglio  rend  cnsiiito  visite  i»  Helloislo.  Le 
vieux  maréchiil  ccoulo  sa  plaidoirie  avec  beaucoup  de 
patience  et  réplique  :  «  Je  sais  l)ien  tout  cela,  mais  je 
n'aipulempôcber...  M.  le  Dauphin  y  a  consenti;  Dumesnil 
a  beaucoup  de  pi'ofections  à  la  cour;  M.  de  Clioiscud  est 
de  ses  amis.  Comment  voulez-vous  que  je  fasse?  "  l/abbé 
ne  put  en  tirer  rien  d'autre,  sinon  le  conseil  pour  son  neveu 
de  ne  pas  soulever,  iV  propos  du  choix  de  Dumesnil,  un 
conilit  (  ù  il  serait  siln^ment  le  perdant.  Une  conversation 
avec  le  Dauphin  et  la  Dauphine  au  cours  de  laquelle 
rab])é  s'exprime  avec  sa  franchise  habituelle  n'eut  pas  un 
meilleur  résultat.  Malgré  ce  premier  échec,  l'habile  né- 
gociateur ne  se  tint  pas  pour  battu;  il  revoit  le  Dauphin, 
obtient  de  lui  (ju'il  communiquera  au  lloi  une  lettre  où 
le  maréchal  exposera  tout  le  danger  de  confier  à  un 
général  aussi  incapable  ([uc  Dumesnil  un  poste  im- 
portant, et  finit  par  arracher  î\  Helleisle  une  convention 
établissant  les  conditions  dans  lesquelles  servirait  l'offi- 
cier incriminé.  Cette  pièce,  fort  curieuse,  mérite  d'être 
citée  (1)  :  k  Que  M.  Dumesnil  aurait  le  nom  de  premier 
lieutenant-général  de  l'armée  ;  qu'il  n'en  ferait  au- 
cun exercice;  que  M.  le  maréchal  de  Droglie  est  autorisé, 
comme  il  est  de  raison,  à  laisser  M.  Dumesnil  à  Francfort, 
ou  partout  ailleurs  qu'il  le  jugera  à  propos  :  aux  condi- 
tions que  M.  le  maréchal  de  Broglie  n'affichera  point  ce 
(|u'il  veut  faire  de  M.  Dumesnil,  et  qu'il  évitera  de  faire 
confidence  à  personne  de  ce  qu'il  veut  faire  de  M.  Dumes- 
nil pendant  tout  le  temps  de  la  campagne,  et  que  si  Du- 
mesnil veut  se  plaindre  à  M.  le  maréchal  de  Belleisle  de 
la  façon  dont  il  sera  employé  ou  ne  sera  pas  employé 
pendant  la  campagne,  M.  le  maréchal  de  Belleisle  lui 
répondra  pour  toute  réponse  que  le  Roi,  ayant  confié  le 


(1)  Coriililions  arrôlées  entre  M.  le  maréchal  de  Belleisle  cl  l'abbé  de  Bro- 
glie. Papiers  de  famille. 


.'iféfc&te 


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IM 


LA  OrEIlHK  l)K  Si;PT  ANS.        CIIAP    IV. 


coininaïKlcniciit  de  ses  annres  au  iiinréclinl  de  Rroji^lie,  il 
fist  en  droit  d'oiiiploycr  les  oflici'  rs  généraux  conimo  il 
le  jugera  A  propos;  et  ((u«>  M.  le  chevalier  du  Muy  fera 
véritablement  les  fonctions  de  preniiei'  lieutenant-j^énéral 
et  sera  le  bras  droit  du  maréchal  de  hroi^lie.  »  1/épisode 
Dumesnil  jette  un  joui-  éclatant  sur  la  part  laite  A  la  fa- 
veur et  a  rintrii;ue  dans  lu  noiuinaliou  ch's  yénéraux,  il- 
lustre l'impuissance  ou  l'insouciance  des  ministres  et 
expii([ue  en  partie  nos  insuccès  de  la  î^uerrc  de  Sept  ans* 
Uien  de  plus  vivant  que  la  coircspuiidance  intime  entre 
l'oncle  et  le  neveu,  l/ahhé  épouse  (1  avec  chaleur  toutes 
les  querelles  de  la  famille  :  «  M.  de  llelleish*  est  trompé 
par  les  plus  grands  fripons  qui  soient  au  monde,  mais 
li\.  de  helleisle  'st  encore  plus  fripon  qu'eux  tous.  M.  de 
Choiseul  ne  i-espccte  rien;  il  est  aussi  fripon  et  malhonnête 
homme,  mais  coumie  il  est  de  la  dernière  indiscrétion,  il 
n'est  pas  si  dan,iiereux([ue  l'autre.  »  Et  cei)endaut,  malgré 
la  sévérité  de  sesappréciations,  l'abbé  est  dans  les  meilleurs 
termes  avec  ces  personnages.  Il  discute  avec  Helleisle,  il 
lui  écrit  des  lettres  où  la  critique  est  adroitement  assai- 
sonnée d'éloge  :  «  Je  connais  les  gens  à  qui  j'ai  affaire , 
mande-t-il  à  son  neveu  2;  je  ne  suis  nullement  leur  dupe; 
je  sais  les  mener  sans  être  raide;  je  sais  employer  le  miel, 
mais  ce  sera  toujours  un  miel  de  douceur  et  non  de  faus- 
seté. Cette  espèce  de  miel  ne  m'empêche  pas  de  dire 
toutes  vérités,  .le  sais  me  faire  écouter  et  môme  me  faire 
craindre...  iMa  conduite  et  mes  lettres  ont  été  approuvées 
par  votre  mère,  quoiqu'elle  renifle  encore  plus  fort  que 
vous  quand  je  mande  des  douceurs  à  M.  le  maréchal  de 
Helleisle.  A  cela,  je  réponds  :  Est-il  donc  si  malheureux 
qu'il  y  ait  un  Broglie  dans  le  monde  qui  puisse  se  faire 
écouter  et  éviter  la  roideur  d'une  famille  vertueuse  et  vé- 


(1)  Abbé  de  Broglie  au  duc.  mai  nr.O.  Papiers  de  fatniiic. 

(2)  Abbc  de  Hroglie  au  duc,  5  juinl7('>0.  Papiers  de  faiiiille. 


V- 


niprriiK  wv.v  lk  nue  di:  nvi miiMmiud. 


1f.7 


ridiquc.    et  copendiinf   aller  an  bul   [»ar  des   voies  plus 
douces  quoupu?  très  véiidi([ue8.  » 

Un  des  griefs  les  i»liis  sérieux  du  inaréclial  avait  trait 
au  parc  (l'artillcie,  <|u'il  aurait  voulu  fort  do  :>()()  canons, 
au  lieu  de  150  qu'on  lui  promettait;  «  c'est  aujourd'lini 
lartillerio  ([ui  gagne  les  liatailles  et  les  eiineniis  eu  ont 
une  pi'odigieuse  ».  IJelleisIe,  tout  en  expliipiant  (pu;  la  dé- 
pense de  chevaux  (pi'entraiuerail  l'attelage  d'un  matériel 
aussi  considérable,  est  un  motif  suflisunt  pour  s'en  tenir 
aux  150  pièces,  cherche  (1)  à  rassurer  le  maréchal  :  ((  Je 
crois  que  vous  devez  être  satisfait  des  ellorts  que  le  Uoi 
a  faits  cette  année,  puisque  vous  aurez  plus  de  150. 000 
hommes  bien  armés,  bien  é([uipés  et  en  bon  état  de  fous 
points,  leur  subsistance  en  pain,  vin,  viande,  hôpitaux 
bien  assurée  ainsi  ([ue  le  prêt  et  la  solde,  et  je  suis  per- 
suadé d'avance  ([ue  vous  en  forez  le  meilleur  usage.  »  Il 
faut  croire  que  les  assertions  de  Belleisie  étaient  jus- 
tifiées, car  elles  ne  donnèrent  pas  lieu  à  une  de  ces  [)ro- 
testations  dont  son  correspondant  était  si  coutumier. 

Lhiver  et  le  printemps  de  17()0  ne  furent  signalés  par 
aucun  mouvement  militaire  de  quelque  importance.  Vers 
la  fin  de  mars,  le  prince  Ferdinand  envoya  (2)  un  déta- 
chement de  5  à  G. 000  hommes,  sous  le  général  riilsa,dans 
le  pays  de  Fulde  à  l'effet  d'y  lever  des  contributions  et 
des  recrues.  Cette  incursion,  dont  on  ne  pouvait  prévoir 
les  suites,  força  Broglie  à  concentrer  une  partie  de  ses 
forces,  afin  d'empêcher  l'ennemi  d'exécuter  une  pointe  en 
Franconie.  Parmi  les  contingents  cantonnés  de  ce  côté,  se 
trouvaient  les  Wurtembcrgeois  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Wolf;  en  l'absence  du  duc,  Broglie  lui  dépêcha 
comme  renfort  une  brigade  de  cavalerie  française  et  le  pria 
de  se  conformer  aux  instructions  que  lui  donnerait  le 
général  Solms,  chef  par  intérim  du  corps  saxon.  Ce  petit 

(1)  Bolleisle  à  Broglie,  10  mars  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Ferdinand  à  Uoldernesse,  l'aderborn,  1 7  el  2'<  mars  1760.  Ilecord  Office. 


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168 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAl».  IV. 


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incident  mit  le  feu  aux  poudres;  le  duc  de  Wurtem- 
berg protesta  contre  (1)  la  transmission  d'ordres  directe- 
ment ^  «  un  corps  séparé  commandé  par  leur  souverain  », 
en  réléra  au  roi  de  France,  et,  en  attendant,  défendit  à  son 
monde  de  bouger.  Peu  de  jours  après,  on  sut  que  les 
Wurtembergeois  s'étaient  retirés  sur  la  rive  gauche  du 
Mein  sans  même  prévenir  leurs  alliés  de  leur  retraite.  Le 
conflit  se  termina ,  du  moins  pour  le  moment,  par  leur 
départ  du  théâtre  de  la  guerre,  «  les  prétentions  (2)  d'in- 
dépendance de  M.  le  duc  de  Wurtemberg  paraissant  in- 
compatibles avec  toute  opération  militaire  ». 

Dans  les  derniers  jours  de  mai,  la  reprise  des  hostilités 
semblait  imminente.  Broglie  craint  (3)  d'être  devancé  pa:' 
le  prince  Ferdinand  at.  conformément  à  sa  tactique  habi- 
tuelle, cherche  il  dégager  S6i  responsabilité  :  Giessen,  dont 
les  fortifications  n'ont  pas  été  compbMement  réparées,  est 
i\  la  merci  de  l'ennemi;  l'armée  française  ne  pourra  se 
rassembler  sur  le  Nider  avant  le  P'juin  ni  être  à  Butzbach 
avant  le  3;  les  chevaux  destinés  à  traîner  le  parc  sont  en 
retard,  1 0  escadrons  de  cavalerie  ne  sont  pas  encore  arrivés 
de  France,  les  magasins  de  réserve  sont  à  moitié  vides;  ce 
n'est  pas  sa  faute,  il  ne  cesse  de  réclamer  depuis  six  mois. 
Si  Giessen,  qui  ne  peut  résister  plus  de  7  à  8  jours,  est 
assiégé,  devra-t-il  livrer  bataille  pour  secourir  la  place? 

L'abhé  de  Broglie,  mis  au  courant  de  la  situation, 
écrit  (V)  à  son  neveu  qu'il  sera  couvert,  quelque  parti 
qu'il  prenne  .  «  Vous  allez  recevoir  la  réponse  du  Boi  et 
de  son  conseil  par  votre  courrier.  Elle  a  été  arrangée  en 
ma  présence,  par  mon  conseil  et  suivant  mon  désir  et  le 
bien  du  service.  Vous  êtes  le  maître  de  donner  ou  de  rece- 
voir bataille ,  de  sauver  ou  d'abandoxmer  Giessen,  comme 

(1)  Wurtcmitcrg  àRrOiiUe,  SUillt;art,  26  mars  1760.  Archives  d»  la  Giiorre. 

(2)  IJroglieà  Choisciil,  Francfort,  15  mai  17')0.  Ardiives  de  la  Guerre. 

(3)  Broglie  à  Clioiseul,  Fraiicl'ort,  22  mai  1760.  Arcliives  de  la  Guerre. 
(i)  Abbé  de  Rroglic  au  due,  Paris,  27  mai  1760.  Papiers  d j  familli'. 


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DISTIUBUTION  DK  L  ARMEK  FRANfAlSE. 


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VOUS  le  jugerez  ù  propos.  Je  suis  sûr  que,  soit  en  atta(|uant, 
ou  en  défendant,  vous  vous  tirerez  bien  d'allaire.  Je  vous 
crois  le  plus  grand  guerrier  qui  soit  au  monde,  le  plus  poli 
et  le  plus  adroit  négociateur  avec  toutes  les  puissances 
de  l'Empire,  le  plus  exact  et  le  plus  admirable  dans  toutes 
vos  dépêches,  mais  en  même  temps,  aussi  gauche  et 
aussi  maladroit  qu'un  piètre  normand  pour  vos  afi'aircs 
personnelles,  dépendant,  je  vous  le  pardonne,  mon 
cher  neveu,  en  faveur  de  votre  candeur  et  de  voire 
vérité.  »  Choiseul,  que  l'abbé  avait  vu  à  Versailles,  avait 
insisté  pour  que  carte  blanche  fût  doniiiée  au  maréchal  : 
«  On  laisse  votre  neveu  le  maître  d'agir;  je  suis  de  cet  avis 
totalement.  Mais  je  veux  <ju'il  sauve  (iisissen.  Kcrivez-lui 
sur  ce  ton,  M.  l'abbé.  Il  est  de  conséquence  pour  mes 
affaires  politiques  de  bien  débuter  et  de  donner  le  tort  à 
Icnnemi  à  l'ouverture  de  la  campagne.    > 

Giessen  ne  fut  pas  attaqué,  et  Hioglic  n'eut  pas  à  d<^cidv'i* 
s'il  livrerait  bataille  pour  conserver  la  place  mais  1  état- 
major  eut  une  chaude  alerte  :  «  Les  eiinenn..  zsonl  portés, 
mande  le  maréchal  1),  ce  matin  à  6  heures  sur  Giessen 
et  à  10  sur  Butzbach.  »  Dans  le  camp  français  on  attri- 
buait 70.000  hommes  au  prince  Ferdinand,  sans  compter 
les  15  à  10.000  de  Westphalie,  et  on  ne  pensait  pas  pou- 
voir lui  opposer  avant  huit  jours  un  nondjre  égal  de 
combattants.  Fort  heureusement,  il  ne  s'agissait  c[ne  d'une 
simple  reconnaissance,  et  Hroglie  eut  tout  le  temps  de 
mobiliser  ses  troupes  et  de  préparer  sa  campagne. 

L'armée  française  était  divisée  en  trois  fractions  inéga- 
les; l'aile  gauche,  sous  les  ordres  de  Saint-Germain,  forte 
de  3'i  batailhms  et  38  escadrons,  était  cajnpée  sur  la  rive 
gauche  du  Hhin  ou  sous  les  murs  de  Wescl  et  Uusseldorf; 
l'aile  droite,  commandée  par  le  prince  Xavier  de  Saxe, 
connu  sous  le  nom  de  comte  de  Lusace,  auquel  le  général 

(1)  Maréchal  de  Broglie  à  Uelleisle,  Francfort.  9  heures  du  soir,  24  mai  t7(K  , 
Archives  de  !a  Guerre. 


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170 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CHAI».  IV. 


tla  Vogué  était  attaché  en  guise  de  conseiller,  se  rassemblait 
entre  Lohr  et  Gemundensur  la  rive  du  Mein;  elle  comptait 
19  baiailloiis  et  20  escadrons.  Le  reste,  97  bataillons  et 
101  escadrons,  obéissait  directement  àBroglie  (1).  Défalca- 
tion faite  des  piquets  détachés  pour  renforcer  les  garni- 
sons et  dosquelcpies  dépôts  de  convalescents  et  de  recrues, 
le  total  devait  se  rapprocher  dv  100.000  fantassins  et  artil 
leurs,  2'..000  cavaliers  e*  5  ^  <». 000  troupes  légères,  soit 
130.000  hommes  présents  w^U-^  les  drapeaux.  Si  l'on  tient 
compte  des  garnisons  ites  places  du  Rhin  et  du  Mein,  Rel- 
îcisle  n'avait  pas  exagéré  les  force  ■•  misée  ;"  la  disposition 
de  Broglie  pour  la  campagne  de  17(50. 

Ouoiv{nc  inférieurs  aux  eflectifs  français,  ceux  du  prince 
Ferdinand  s'étaient  accrus  utpuis  Tannée  précédente: 
grAcc  à  de  récents  traités  passés  avec  le  duc  de  Bruns- 
wick et  le  landgrave  de  Hesse,  les  contingents  de  ces 
deux  princes  avaient  été  augmentés;  d'autre  part,  plu- 
sieurs bataillons  de  troupes  légères  étaient  venus  s'ajouter 
au  corps  hanovrieu;  enfin,  le  gouvernement  anglais  avait 
onvové  en  Âllemayne  une  brisade  de  1.800  dragons  et 
à  peu  près  autant  d'infanterie  écossaise  que  devait  suivre  ^^2) 
un  nouveau  renfuit  de  six  régiments,  soit  6.200  fantas- 
sins. Par  contre,  après,  une  longue  correspondance  et  en 
dépit  de  l'insistimce  du  ministre  MitchoU,  il  avait  fallu  res- 
tituer au  roi  de  Prusse  ia  plus  grande  partie  de  la  cavalerie 
qui,  sous  les  ordres  du  prince  de  Holstein,  servait  avec 
éclat  depuis  trois  ans  dans  l'armée  du  prince  Ferdinand. 
Malgré  le  départ  de  ces  2.000  excellents  cavaliers,  en 
comptant  la  division  anglaise  sur  le  point  de  s'embarquer 
pour  le  continent,  les  confédérés  pourraient  opposer  80  à 
85.000  combattants  aux  130.000  hommes  que  les  Français 
seraient  à  môme  de  mettre  eu  ligne. 

(1)  Voir  pour  les  op»'rations  en  Hesse  el  Westphalie  la  carte   à  la  (in  du 
volume. 

(2)  Holderne.ss(!  à  Ferdinanil,  2  mai  1760.  Record  Office. 


PREMIERS  DEMELES  AVEC  SAINT-GERMAIN. 


17t 


Ce  fut  à  l'occasion  de  laloite  de  Butzbacli  qu'éclatèrent 
les  premières  difficultés  entre  Brogiie  et  son  lieutenant 
principal  Saint-(îerinain.  Aussi  autoritaires  que  suscep- 
tibles l'un  et  l'antre,  les  deux  personnages  étaient  peu  faits 
pour  s'outendre.  Quoique  la  correspondance  officielle  ne 
laisse  paraître  aucune  trace  de  mécontentement  au  sujet 
de  la  désignation  de  Saint-Germain  pour  le  conmiando- 
u.ent  sur  le  Bas-Uhin,  il  est  évident  qne  le  maréchal  eût 
préféré,  pour  ce  poste,  le  chevalier  Du  Muy  (1)  «  dont  il 
compte  faire  son  tvi>as  droit  »  et  par  lequel  il  avait  l'in- 
tention de  «  se  faire  suppléer  dans  ton^^s  les  choses  qu'il 
lie  pourrait  faire  par  lui-même  »,  mais  il  s'inclina  devant 
le  choix  de  la  cour,  fit  bon  accueil  à  Saint-Germain  lors 
de  son  passaiio  à  Francfort,  et  discuta  avec  lui  lo  projet 
d'un  mouvement  combiné. 

Deux  jours  avant  ré<haufl'nurée  de  Butzbacli,  Broglie, 
prévenu  par  ses  espions  de  l'installation  du  quartier  général 
des  confédérés  à  Wavei-n  près  de  Fritzlar,  envisagea 
l'hypothèse  d'une  ofiTensive  de  l'ennemi.  «  Si  cette  nou- 
velle est  vraie,  écrit-il  2)  à  Saint-Germain,  \o  prince  Ferdi- 
nand peut  investir  Giessen  à  la  troisième  marche.  «  Il  1(>  [nie 
en  conséquence  de  faire  diversionen débouchant,  le 20  mai, 
par  Dusseldorf  le  plus  lestement  possible  et  en  poussant 
jusqu'à  la  Roer  près  de  Zwierde  :  »  -le  suis  persuadé, 
ajoute-t-il,  que  vous  n'y  perdrez  pas  de  temps;  je  n'entre 
dans  aucun  détail  avec  vous,  n  sai)ieuti  pauca  ».  Cette  dé- 
pêche, écrite  le  ±1  et  conliéo  à  Clialio,  fut  remise  le  S'i 
au  soir  à  Saiut-tiermain.  Celui-ci,  dont  les  troupes  n'é- 
taient pas  plus  moiulisables  que  celles  du  général  en  chef, 
n'était  pas  en  état  d'agir  dans  le  court  délai  qui  lui  était 
assigné;  d'autrt  pt rt,  esprit  aussi  méthodique  <|ue  poin- 
tilleux, il  admettait  difficilement  un  changement  i)rusquc 


Il  tin  (lu 


(  Ij  Broglie  à  Hel:eisle,  l.")  mai  1700.  Archives  de  lu  Guerre. 

(2)  Broglie  i\  Saint-Germain,  Ti  mai  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


172 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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des  projets  arrêtés;  jusqu'alors,  il  avait  été  question  de 
prendre  Wesel  pour  point  de  départ;  lui  substituer  Dus- 
scldorf  n'était  pas  pour  lui  plaire.  La  dépêche  du  25  (1)  à 
Broglie  laisse  percer  ce  sentiment  :  «  ,1e  pense  inutile  de 
vous  faire  le  détail  de  toutes  les  raisons  qui  m'empêchent 
invinciblement  de  marcher  le  20  avec  la  réserve.  J'aurai 
l'honneur  de  vous  envoyer  ce  détail,  si  vous  l'ordonnez... 
je  l'ai  cru,  en  attendant,  aussi  ennuyeux  pour  vous  qu'inu- 
tile; je  ne  puis  marcher  avant  le  1"  juin,  j'y  ai  grand  re- 
gret assurément,  mais  nous  y  trouverons  au  moins  cet 
avantage  de  ne  pas  marcher  par  pièces  et  par  morceaux.  » 
Saint-Germain  eut  grand  soin  de  mettre  Bellcisle  au  cou- 
rant de  ce  petit  incident. 

Quand  il  reçut  la  réponse  di  s»,;  'cabordonné,  liroglie 
était  mieux  édifié  sur  les  intentions  de  l'ennemi  :  «  Il  y 
a  actuellement  apparence  (2)  que  le  prince  Ferdinand  ne 
songe  pas  au  siège  dcGiessen,  puisqu'il  nous  donne  le 
temps  de  nous  rassembler,  et  si  d'ici  k  deux  fois  24  heures, 
il  ne  vient  pas  se  poster  une  deuxième  fois  à  liutzbach 
avec  son  armée,  il  ne  le  fera  sûrement  plus.  En  ce  cas,  il 
sera  nécessaire  que  vous  suspendiez  votre  marche  et  que, 
sans  perdre  de  vue  la  sûreté  du  Bas-Khin,  vous  restiez 
toujours  en  état  de  pouvoir  en  24  heures  avoir  votre  ré- 
serve sur  la  rive  droite  du  llhin  et  prête  à  déboucher  par 
Dusseldorf.  » 

A  cette  lettre,  Saint-Germain  ne  fait  aucune  l'éplique, 
mais  il  n'eu  regrette  pas  moins  le  premier  plan  qui  prenait 
Wesel  comme  base  et  il  fait  ses  confidences  i3i  au  ministre 
de  la  Guerre.  Loin  de  lui  de  songer  à  revendiquer  l'indé- 
pendance pour  son  commandement;  il  obéira  aux  ordres  de 
son  chef,  mais  pour  sa  justitication,  il  tient  à  exposer  les 

(1)  Saint-Germain   à  R.Ofilie    Dusseldorf,   25   mai  X'iiO.   Arcliives   de  la 
Guerre. 

('>)  IJroglie  à  Sainl-Ormaiii,  2i  mai  1700.  Ar  h.v '  <  io  Gilt»"', 

(3;  Sainl-Germaiii  à  lJe!l('i')li',  i'J  inui  ITtiO,  Avcluve.s  .1"  1»  i^uene. 


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RECOMMANDATIONS  DK  L'ABBE  DE  UROGLIE  AU  DUC. 


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faits;  aussi  lui  adresse-t-il  copie  de  la  correspondance  avec 
Ui'oglie  tout  en  le  suppliant  de  laisser  ignorer  à  celui-ci  la 
communication,  Kn  bon  parent,  l'abbé  de  Hroglie  prévoit 
le  conflit  naissant  et  prend  les  devanis  :  «  Si  par  hasard, 
mande-t-il  au  maréchal  i^l),  quelque  fat  vous  accusait  de 
précipitation  dans  cette  circonstance,  ce  fat  ne  pourra 
s'empôcher  d'admirer  le  flegme  de  M.  le  comte  de  St- 
(lermain.  Je  crois  que  cet  homme  ne  prendra  pas  de  pleu- 
résie. Au  premier  voyage  que  je  ferai  à  la  cour,  je  ne 
manquerai  pas  de  placer  en  bon  lieu,  quoique  très  modes- 
tement, mes  réflexions  sur  la  conduite  de  ce  grand  géné- 
ral  Conservez  toujours  votre  stile  avec  M.  de  Saint-Ger- 
main ;  je  vous  le  répète,  il  a  toute  mon  approbation.  Laissez 
i\  ce  docteur  son  stile  de  pédant.  Laissez-lui  sa  paresse  et 
son  ignorance.  Ne  mettez  pas  un  mot  dans  vos  réponses 
(pii  tienne  de  la  réprimande  aigre  et  despotique.  Vous 
aurez  occasion  dans  toute  la  campagne  de  vous  servir  de 
toute  votre  modération.  Et  ce  grand  moutardier  du  Pape 

vous   en  donnera    beaucoup  de  sujet Employez   les 

mêmes  "^pressions  et  laissez-moi  faire  les  commentaires, 
.lui  fait  et  je  ferai  les  remarques  convenables  a  M.  le  Dau- 
phin, à  M.  de  Bellcisle  et  autres  ministres,  et  je  touche- 
rai bien  les  passages  et  noterai  parfaitement  bien  cette 
musique;  j'en  ferai  remarquer  les  accords  et  les  disson- 
nances.  » 

Jusqu'au  milieu  de  juin,  les  deux  armées  restèrent  en 
repos.  Ferdinand  ne  voulait  pas  engager  les  hostilités 
avant  l'arrivée  des  premiers  renforts  anglais  et  l'incor- 
poration des  nouvelles  recrues  allemandes.  Dans  une 
lettre  2)  au  roi  de  Prusse  consacrée  presque  entièrement  à 
des  protestations  cou'ic  le  rappel  des  dragons  prussiens, 
il  dit  incidemment  :  «  Je  compte  de  marcher  en  avant  le 

(I)  Abl)é  (!(■  IJroglie  au  duc,  Paris,  :)ii  mai  ITCO.  Papiers  de  famille. 
(!!i  Ferdinand  à  Frédéric,  Wavern.  1"   juin  l7C(i.   Westphalen.  vol.  IV, 
I>.  2'JO. 


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LA  r.UEUIlE  I)K  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


8  OU  10  de  ce  nifùs  juin)  pour  m'approchcr  des  corps  dé- 
tachés que  j'ai  aux  environs  de  iMarbourg-  et  de  ilirsch- 
feld.   » 

Broglie  mit  à  profit  le  répit  que  lui  laissait  son  adver- 
saire pour  suggérer  à  Versailles  une  modilication  radicale 
du  plan  d'invasion  directe  de  la  liesse,  élaboré  de  con- 
cert avec  la  cour.  Son  ménioire  (1)  énumère  les  cau- 
ses générales  et  locales,  telles  que  :  retard  des  récoltes, 
manque  de  fourrages  secs,  mortalité  du  bétail,  ([ui  re- 
tarderont l'entrée  en  pays  ennemi  jusqu'au  !■'»  juillet. 
La  pi!  mièri;  onératioA  devra  s'efl'cctuer  du  côté  de  llom- 
bourg  ;  si  la  Ugne  de  l'Ohm  est  forcée,  l'ennemi  se  reti- 
rera sur  celle  de  l'Eder  où  il  sera  à  portée  des  gros  ma- 
gasins de  Cassel  ;  il  prendra  sur  la  rive  gauche  de  la 
rivière,  une  excellente  position  dans  laquelle  il  serait 
impossible  de  forcer  uu  corps  de  50.000  hommes,  à 
plus  forte  raison,  les  70.000  hommes  dont  l'armée  con- 
fédérée se  compose.  Le  prince  Ferdinand  sera  couvert 
par  les  places  de  Munster  à  droite,  Lippstadt  et  ^iameln 
au  centre,  Cassel  à  gauche.  -  Nous  ferons  toujours  l'arc 
pendant  (|u'il  fera  la  corde.  Depuis  le  16  janvier  que 
j'ai  envoyé  à  la  Cour  le  projet  de  pénétrer  par  la  Hessc, 
les  choses  ont  b'en  changé  de  face;  les  ennemis  ont  aug- 
menté de  beaucouj)  leurs  armées  ;  les  Anglais  ont  triplé  les 
troupes  (ju'ils  y  avaient;  les  llanovriens,  Hessois  et  trou- 
pes de  Brunswick  y  ont  fait  des  augmentations  très  con- 
sidérables, et  il  est  certain  que  l'armée  est  rétablie  et  com- 
plète. L  artillcrir  est  très  nombreuse;  il  y  en  a  au  moins 
deux  cents  pièces  de  parc,  sans  compter  deux  par  batail- 
lon; ainsi  ce  qui  était  possible  et  faisable  vis-à-vis  de 
l'armée  qu'avait  rannée  passée  M.  le  prince  Ferdinand 
peut  devenir  au  moins  très  difticile  à  présent.  »  Pour  la 


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(1)  Mémoire  et  ietlre  de  Broglie  à  Belleisle,  1"  juin  1760.  Archives  de  lii 
Guerre,  vol.  355.5. 


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liHOGLFE  PROPOSE  LA  MODIFICATION  DU  l'LAN  DE  CAMPAGNE.  175 

double  raison  de  considéra  tiens  stratégiqiics  et  do  manque 
de  fourrages,  Broglie  se  demande  s'il  n'y  a  pas  lieu  do 
changer  la  base  d'opérations,  d'agir  par  lo  pays  de  MarcU 
et  par  conséquent  d'y  transférer  le  gros  de  rarméc.  «  C'est 
précisément  le  contraire  de  ce  q".i  a  été  fait  l'année  der- 
nière. On  devait  opérer  par  le  Bas-Rhin,  les  ennemis  en 
étaient  instruits  et  s'étaient  disposés  à  s'y  opposer,  ce  qui 
lit  qu'ils  furent  surpris  et  qu'on  pénétra  sans  obstacles 
jusqu'à  Buren  et  Paderborn.  Il  est  sûr  que  les  ennemis 
savent  notre  projet  cette  année,  et  ils  font  ce  qu'il  faut 
pour  nous  en  rendre  l'exécution  la  plus  difficile  qu'il  sera 
possible,  en  se  portant  aux  e.  trémités  de  la  liesse  et  prô- 
nant les  mesures  qui  peuvent  iiiuU[uer  qu'ils  veulent  dé- 
fendre l'Ohm.  »  Broglio  compare  les  bénéfices  et  les  in- 
convénients quofl'rent  les  deux  lignes  d'oft'ensive  et  con- 
clut en  se  prononçant  pour  celle  de  la  Marck.  «  Il  semble 
trois  avantages  ù  prendre  ce  parti.  Le  premier  de  pouvoir 
entrer  près  d'un  mois  plus  tôt  en  campagne,  le  second  do 
trouver  occasion  d'aita(|uor  les  ennemis  avec  moins  de  dé- 
savantage dans  le  pays  de  la  Marck  que  dans  les  positions 
qu'ils  prendraient  en  Hesso,  et  lo  titnsième  de  profiter 
plus  facilement  des  avantages  qu'on  pourrait  remporter, 
lo  pays  étant  plus  ouvert,  et  de  commencer  plus  tôt  lo 
siège  de  Lippstadt,  si  le  sort  des  armes  nous  était  heu- 
reux. »  . 

Le  projet  fut  envoyé  à  Bellcisle  et  à  l'abbé  de  Broglio. 
L'indiscrétion  du  ministre  de  la  Guerre  était  proverbiale, 
aussi  l'abbé  lui  rccommande-t-il  (1)  le  silence  le  plus  ah- 
solu  :  «  Si  vous  donnez  communication  des  idées  de  mon 
neveu  à  X...,  il  vaudrait  autant  que  vous  le  fissiez  mettre 
dans  la  Gazette  de  Hollande.  En  ce  cas,  je  dirais  X...  sait 
mon  secret,  c'est  un  enfant  qui  ne  pourra  se  taire.  Faites 
comme  il  vous  plaira,  mais  si  j'étais  à  votre  place,  il  n'y 


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(1)  Abbé  de  Broglicà  Delleisle,  4  juin  17G0.  Papiers  de  famille. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAV.  IV, 


aurait  que  vous  et  le  Roi  qui  liriez  le  mémoire  et  J'ordonne- 
rais en  conséquence.  »  Nous  ignorons  si  l'excellent  conseil 
fut  suivi,  toujours  est-il  que  le  nouveau  plan  d'opérations 
ne  reçut  pas  un  accueil  favorable.  Belleisle  observa,  non 
sans  quelque  sens  (1),  qu'il  <(  était  bien  tard  pour  changer 
les  dispositions  prises  au  sujet  des  magasins  et  des  appro- 
visionnements de  vivres  et  de  fourrages,  que  l'armée  ren- 
contrerait des  difficultés  sérieuses  pour  le  passage  de  la 
Roer  et  de  la  Lippe,  que  d'ailleurs  Broglic  était  à  même 
plus  que  personne  de  se  rendre  compte  de  la  portée  de  ces 
objections,  et  qu'en  conséquence,  le  Roi  le  laisse  maître 
absolu  (le  prendre  lo  parti  qu'il  propose  ou  tel  autre  qu'il 
jugera  le  plus  praticable  ».  Pour  le  cas  de  l'adoption 
du  programme  modifié ,  Relleisle  conseille  d'élever  i\ 
40.000  hommes  l'effectif  du  corps  laissé  sur  le  Mein,  d'en 
donner  le  commandement  à  Saint-Germain,  et  termine  sa 
dépêche  par  des  réserves  :  «  Vous  ne  devez  prendre  ce 
(jue  je  viens  vous  dire  que  comme  de  simples  obser- 
vations de  bons  et  fidèles  serviteurs  du  Roi  qui  savent 
bien  qu'à  Versailles  on  ne  peut  voir  aussi  bien  que  lo 
général  sur  qui  la  besogne  roule,  et  qui  est  sur  les  lieux.  » 
On  ne  saurait  tenir  un  langage  plus  sage. 

Malgré  la  liberté  entière  qui  lui  était  ainsi  octroyée, 
Broglie  répond^  i%\  ipi'en  présence  de  l'opposUiou  ëvl- 
dentc  du  conseil  (lu  Roi,  il  renon(,'ait  A  to\Ue  modilicatiou 
(lu  plan  primitif.  Il  a  un  mol  aimable  pour  Snint-Oer- 
main  :  u  Je  crois  que  M.  de  Saint-Germain  fera  bien 
partout  où  on  le  mettra  et  je  voudrais  pnuvnli  Tu- 
voir  en  plusieurs  endroUs  il  la  |'ois.  »  Constatons  que , 
soit  effet  des  exhortations  de  son  oncle,  soit  crainte  de 
démêlés  qui  eussent  nui  au  succès  des  opérations. 
dnni  sa    correspondance   avec  son  subordonné,   le  ma- 


(1)  Belleisle  <\  Broglie,  fi  juin  17(10.  Archives  de  la  (juerre, 

(2)  Broglie  à  Belleisle,  10  juin  ITtlO.  Archives  de  la  Guerre,  vol.  3.">55. 


RKGLEMENT  POUU  I.A  DISCII'LINE  HE  l/MiMEE 


'177 


réchal  fait  de  sou  mieux  pour  ontrctcnir  la  bonne  intel- 
liecncc.  En  r<''[)onse  à  Saint-(Jermain,  qui,  adversaire  du 
mouvement  par  lo  comté  de  la  Marck,  s'était  cependant 
incliné  en  disant  qu'il  devait  avoir  tort  vis-à-vis  de  son 
juénéral,  il  prend  le  ton  le  plus  conciliant  (1)  :  «  Je  crois 
qu'il  est  arrivé  souvent  que  le  général  eût  tort  lui-même 
et  en  cas  qu'ils  eussent  été  jusqu'ici  aussi  infailliMcs  que 
les  Italiens  croient  le  pape,  je  serais  très  capable  de  leur 
on  faire  perdre  le  privilège.   » 

Durant  le  mois  de  juin,  la  pénurie  de  fourrages  (pii 
expliquait  l'ajournement  de  la  mobilisation  donna  lieu  à 
des  réclimations  très  vives  delà  part  des  divisionnaires  : 
«  J'ai  écrit  hier  à  iM.  le  comte  de  lU'oglie,  relate  (îuer- 
cliy  (2),  une  lettre  noire  comme  l'encre  sur  rarticle  du 
fourrage;  je  ne  suis  guère  plus  blanc  aujourd'liui.  » 
Néanmoins,  et  en  déj)it  de  ces  causes  de  retard,  les  troupes 
commençaient  à  se  rassembler.  Cornillon,  qui  avait  repris 
ses  fonctions  de  major  général,  s'appliquait  à  maintenir 
la  discipline  :  «  M.  le  Maréchal,  écrit-il  (3),  vient  d'ordon- 
ner un  petit  détachement  ((ui  ne  sera  pas  cher  au  lloi. 
€c  sont  douze  grands  et  gros  Allemands  qui  ont  tous 
serv;,  qui  seront  alUvchés  à  la  prévùté,  lesquels  seront 
(h'sHués  rt  donner  des  coups  de  bAton  sur  le  cul  à  tous 
les  soldats  et  valets  i\\\\  eiMlll'|i\  il'lldl'iilll  II  l'iil'ill'o  i|lli  Ntil'il 
preserll.  »  (IVmI  i»  \\\\  olijei  auuli»gl|e  ||||e  no  |'(iH»e||e 
m\  règleinetït  relailt'  aiiv  l'onuues  i||i|  siijvalehf  ('((t'Illée  : 
i  Nous  faisons,  rcOato  (cornillon  [ï) ,  une  guerre  conli- 
nuelle  aux  tilles  de  mauvais(i  v|i',  el  nu  lieu  (jn  ||iH  fiillnlldr 
ainsi  que  cela  s'est  pratiqué  jusqu'à  présent,  ce  ([ui  iie 
les  empêchait  pas  ch^  revenir  (juatre  jours  après,  on  leur 
noircit  le  visage  avec  une  drogiui,  cpion  m'a  assuré,  (jUl 

(1)  Hioglio  à  Saint-liormaiii,  •>  juin  17G0.  Arcliivcs  de  la  C.iierie,  vol.  ;i55ri. 

(2)  Guerchy  à  Broglle,  HacKciiboui;',  ;il    mai  riii).  Archives  ((«  |a  l!(<6l't'''- 
('.))  Cornillon  à  Bi>lloisl(>,  3  juin  1700.  Archives  de  la  Guofrt', 

(/i)  Cornillon  à  Helleislc,  Coihach,  Kl  juiliel  i7(iO.  Arcjiivi'S  delà  (iuerre. 

ClEllIlE   II    SUl'T    VNS.    —    l.    IV  12 


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l.A  faKIlIlK  DE  SEPT   VNS.         CIIAP.  IV. 


durait  plus  d<*  six  mois.  Si  cela  est  vrai,  il  est  certain 
(ju'eiles  no  ropaïaîtront  pas,  cai-  cela  fait  jjorveur  à  voir, 
sans  Icuf  l'aire  anruii  mal.  v  Les  témoignages  français 
sur  la  tenue  de  la  troupo  sont  confirmés  par  les  rap])orts 
anglais;  c'est  ainsi  que  York  signale  (1)  une  améliorîUion 
sensible  dans  le  rang  et  ii  l'état  nuijor  :  «  Les  deux  géné- 
raux sur  le  Mein  et  le  Bas-Hhin  tionnent  en  mains  avec 
l)lus  de  rigueur  leurs  hommes;  ils  observent  aussi  mieux 
le  secret  (jue  par  le  passé.  » 

Aussitôt  lixé  sur  les  vues  de  la  cour,  lU'oulie  lança  ses 
instructions.  Lusace,  qui  était  encore  sur  les  bords  du  Mein, 
entre  Loin-  et  (îemundeu,  avec  la  réserve  de  droite, 
recrut  [2)  ordre  de  se  porter  à  Saltzmunster  sur  la  route 
de  llanau  à  Kulde.  Le  rôle  qui  incombait  à  Saint-Germain, 
à  la  réserve  de  gauche,  était  des  plus  importants,  aussi 
les  indicatioiis  données  à  ce  général  sont-elles  très  pré- 
cises :  «  Comme  le  premier  objet  de  M.  de  Saint-iiermain 
semble  devoir  être  de  favoriser  par  vme  diversion  les 
opérations  de  la  Grande  Armée,  il  est  nécessaire  que  le 
commencement  des  siennes  précède  de  quelques  jours 
celui  où  l'armée  campera  en  front  de  bandière.  Il  est 
donc  indispensable  (jue  la  réserve  de  M.  de  Saint-Gei'main 
ait  passé  le  Hhin  et  fait  une  marche  en  avant  le  lY,  atin 
<[ue  les  nouvelles  que  M.  le  prince  Ferdinand  aura  de 
ce  mouvement,  pendant  trois  jours  consécutifs  avant 
d'apprendi'e  que  la  gi-ande  armée  est  l'assemblée,  le 
tiennent  au  moins  dans  l'incertitude  dans  son  camp  de 
Fritziar  et  l'empêchent  de  maicher  avec  toute  son  armée 
sur  rohni  pour  défendre  cette  rivière.  »  Wescl,  dont  la 
garnison  a  été  augmentée,  peut  être  abandonné  à  ses 
j)ropres  forces;  le  pays  de  Clèves  appartenant  à  la  Prusse, 
il  n'y  a  pas  de  motif  pour  le  protéger  contre  les  incur- 


(1)  York  à  Newcasllo,  27  juin  1700.  NewcasUe  l'apers. 

(2)  Broglie  à  l.usace,  10  juin  17(')0.  Arciiivcs  de  la  Guerre. 


SAINT-GERMAIN  DKhorCIIK  PAU  DUSSELDORF 


17fl 


sîons  possibles  de  renneini.  C'est  donc  par  Dusscldorf 
(jii'il  faudra  déboucher.  Doux  p(»infs  sont  essentiels  :  «  <;t 
Je  prie  M.  de  Saint-(ierinain  de  ne  rien  négiif^er  pour  les 
exécuter  :  le  premier  (pTil  se  mette  en  mouvement  le 
17  avec  toute  sa  réserve,  et  fasse  en  sorte  que  ce  même  jour 
il  soit  au  moins  à  une  marche  de  Dusscldorf  sur  h'  débouché 
([u'il  préférera...  Le  second  d'avoir  pour  but  fixe  de  gagner 
le  plus  promptemeut  possible  Dortmund  et  de  s'y  placer 
de  manière  ù  mas([ner  les  débouchés  de  buynen  et  de 
llamm,  à  tenir  hortmund  et  de  s'assuier  du  passage  <le 
la  Uoer,  ;\  NVestotfen.  Les  moyens  île  parvenir  à  cet  objc^t 
lorment  la  seconde  partie  du  mémoire;  je  n'ai  fait  qu'in- 
diquer ceux  que  j'imagine;  M.  de  Saint-dermain  est  [)lus 
capable  que  personne  de  juger  de  leur  possibilité  ou 
d'en  trouver  de  meilleurs;  je  ne  puis  lA-dessus  c[ue  lui 
laissci'  toute  liberté,  et  pourvu  qu'il  arrive  promptement 
au  but,  je  ne  pourrai  qu'approuver  tout  ce  qu'il  aura 
jugé  à  propos  de  faire  ». 

Dans  la  lettre  (1)  ([ui  accom[)agnaitlesinsti'Uctions,  F^ro- 
glie  avait  ajouté  un  commentaire  flatteur,  où  il  faisait 
appel  au  zèle  et  à  l'initiative  do  son  lieutenant  :  «  Toutes 
les  roues  d'une  machine  devant  agir  de  concert ,  et 
vous  êtes  une  des  principales  et  des  meilleures  de  celle- 
ci,  à  l'égard  des  moyens  que  vous  emploierez,  ils  sont 
à  votre  disposition  et  doivent  changer  suivant  les  circons- 
tances; un  général  devant  agir  comme  un  voyageur 
qui,  lorsqu'il  trouve  son  chemin  barré  par  quelque 
obstacle  qu'il  ne  peut  franchir,  prend  à  côté  dans  les 
chanq)s  à  côté  du  chemin  dans  le([acl  il  rentre  le  plus  tôt 
qu'il  lui  est  possible  et  qu'il  continue  ensuite  h;  plus  exac- 
tement qu'il  le  peut  afin  d'arriver  à  son  but.  » 

Conformément  à  ces  indications,  Saint-(Jermain  fit  pas- 
ser le  Rhin  à  son  corps  d'nrmée  les  15  et  Ki  juin,  fran- 

(1,1  Broglie à  Sainl-Gcrniain, Fianctorl.  1 1  juin  17G0.  Arctiivcs  de  la  Giierre. 


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Corporation 


23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  14580 

(716)  872-4503 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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chit  If,  Roer  à  Mulheim  et  parvint  sans  accident,  le  20,  à 
Uoi'trnund  avec  le  gros;  Fischer  avec  les  troupes  légères 
occupa  Bruckel  et  Swirt  ;  Leydc  avec  sa  brigade  était 
en  ari'ière,  et  ne  rejoindrait  que  le  22  ou  le  23.  A  en  juger 
par  un  rapport  de  Castries  qui  remplissait  les  l'onctions 
d'inspecteur  de  cavalerie,  l'état  de  cette  arme  n'était  pas 
satisfaisant;  il  y  avaitdansle  rang  beaucoupde jeunes  che- 
vaux incapables  de  résister  aux  fatigues  de  la  campagne  : 
«  J'ai  fait,  mande-t-il  à  Beilcisle  (1),  divisercn  trois  cîasses 
les  chevaux  de  ce  régiment  (Clermont  prince)  ;  la  première 
composée  des  anciens  chevaux  du  temps  do  Mindcn,  monte 
à  87  ;  la  seconde  classe  à  83  et  est  formée  de  la  première 
remonte  qui  a  été  faite  en  1759,  et  dont  les  chevaux  ont 
V  ans.  La  3''  classe  a  monté  k  liO  et  est  formée  de  la 
seconde  remonte  faite  cette  année  dont  les  chevaux  n'ont 
que  3  ans;  il  en  est  mort  10  depuis  leur  départ  de  Bour- 
gogne, et  qui  faisait  le  complet  de  ce  régiment. . .  En  consé- 
quence du  compte  que  j'ai  rendu  de  ce  corps  à  M.  le  Comte 
de  Saint-Gi^rmain,  il  s'est  déterminé  à  ne  faire  marcher  ce 
régiment  qu'à  un  escadron  forme  par  20  hommes  par 
compagnie.  » 

En  annonçant  son  arrivée  à  Dortmund,  Saint-Germain 
avait  écrit  à  Broglie  (2)  qu'il  allait  «  s'établir  sur  la  Roer 
de  façon  que  des  forces  supérieures  ne  puissent  m'en 
chasser  ».  Cette  dépêche  se  croisa  avec  une  du  maréchal 
lui  demandant  de  faire  remonter  la  rivière  à  son  avant- 
garde.  Saint-Germain  trouve  (3)  à  ce  mouvement  de  gros 
dangers  :  Sporcken,  qui  commande  le^  confédérés  en 
Weslphalie,  est  à  Dulmen  et  à  Haltern;  Ilardenberg  est 
campé  à  Wernc  avec  un  contingent  important;  l'ennemi 


(1)  Cas'ries  à  Relleisle,  Dussoldorf,  14  juin  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Sainl-Geimaiii  à   hroglie,    Dortmund,  2()  juiu    I7G0.    Archives  de  la 
Guerre. 

(3j   Saint-Germain    à  Broglie,  Uorlmund,  25  juin  1760.    Archives  de  la 
Guerre. 


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PASSAGE  DE  L'OHM. 


181 


a  des  détachements  tout  le  long  de  la  Flippe  :  «  Tant  que 
Spoi'cken  restera  où  il  est,  je  ne  puis  pas  m'ctendre  du 
côtéd'lînna  et  de  Wcrle;  ma  communication  serait  trop 
éiendue  et  serait  vraisemblablement  coupée.  D'ailleurs, 
les  càemins  sont  mauvais,  les  chevaux  des  vivres  trop  fai- 
bles et  1  artillerie  n'a  pas  assez  de  chariots  pour  mener 
les  munitions,  de  sorte  qu'on  ne  peut  aller  que  pas  à  pas 
et  qu'il  faudra  y  mettre  beaucoup  de  précaution.  »  Cette 
circonspection  extrême  ne  s'harmonisait  guère  avec  les 
projets  du  général  en  chef,  qui  venait  de  prendre  l'offen- 
sive contre  le  prince  Ferdinand. 

Le  21  juin,  Broglic  avait  fait  ses  adieux  à  la  maréchale 
qui  avait  passé  l'hiver  à  Francfort,  et  s'était  mis  à  la  tête 
de  l'armée;  le  23,  le  fi^ros  était  '.assemblé  à  Griinberg; 
les  Saxons  du  comte  de  Lusace  occupaient  le  village  voisin 
de  Merlau  ;  Guerchy,  avec  sa  division  venue  des  canton- 
nements du  haut  Rhin,  était  posté  aux  environs  de 
(iiessen.  11  s'agissait,  pour  les  Français,  de  forcer  le  pas- 
sage de  l'Ohm  que  Broglie  s'attendait  à  voir  vigoureu- 
sement défendu  par  le  prince  Ferdinand  dont  on  lui  si- 
gnalait la  présence  à  Neustadt.  Il  informe  (1)  Belleisle 
qu'il  se  portera,  dès  l'après-midi  du  23,  entre  Amoneburg 
et  Homburg,  localités  de  la  rive  gauche  de  l'Ohm,  avec 
toutes  les  troupes  légères,  les  grenadiers  de  France,  12  ba- 
taillons d'infanterie,  les  carabiniers  et  les  dragons;  le 
reste  de  l'armée,  réparti  en  .'>  colonnes,  le  rejoindra  par 
une  marche  de  nuit. 

Malgré  les  inquiétudes  manifestées,  il  n'y  eut  pas  de 
combat,  tout  se  borna  à  qucdques  escarmouches  entre  les 
éclaireurs  des  deux  partis;  Homburg  fut  évacué  sans 
opposition;  ù.  midi  on  commenc^a  à  jeter  les  ponts,  ei  à 
6  heures,  l'armée  française  était  établie  de  l'autre  côté  de 
la  rivière,  sur  une  petite  hauteur  en  avant  de  Schweins- 


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(1)  Broglie  à  Belleisle,  (jninl>Lrg,  23  juin  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


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182 


LA  GUKU1\E  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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bcrg.  «  Il  est  heureux,  écrit  iJroglic  (1),  que  le  prince 
Ferdinand  ne  soit  pas  arrivé  à  temps  pour  disputer  le 
passage  qui  n'a  été  achevé  que  ce  matin  (le  'S.')  au  jour.  » 
Le  20,  les  reconnaissances  firent  savoir  que  les  confédé- 
rés s'étaient  retirés  sur  la  forteresse  de  Ziegenliayn  et  à 
llolsdorf,  village  entre  Marburg  et  Fritzlar. 

Comment  expliquer  cette  retraite  inattendue?  Que  s'é- 
tait-il passé  dans  l'arniée  hanovrienne?Dans  une  dépèche 
à  Iloîderuesse   en  date    du  17  juin  (2),  Ferdinand  avait 
exposé  la  situation  et  fait  part  de  ses  projets  :  Il  n'est  pas 
fixé    sur   le    rôle   alloué    à    Saint-Germain ,    mais    (juel 
qu'il   soit,  Sporcken  lui  tiendra  tête.   Il   récapitule    les 
effectifs  français  et  ajoul''  :  «  Je  suis  pour  le  moment 
présent  un  peu  faible  en  cavalerie;  il  me  parait  néan- 
moins  que  je  dois  avancer   sans  attendre  l'arrivée   des 
renforts,  j)our  ne  perdre  pas  trop  de  temps,  et  laisser  à 
l'ennemi  celui  de  gagner  du  terrain.  M.  le  Prince  hérédi- 
taire est  avec  10.000  hommes  à  Schlitz  (près  de  Fulde)  et 
M.  d'Imhoff  avec  un  corps  de  pareille  importance  aux  en- 
virons de  Marbourg.  J'attire  à  moi  8  bataillons  et  k  esca- 
drons delaWestphalie,  ils  traverseront  le  pays  de  .Valdeck 
et  me  joindront  sur  la  Lahne,  ou  ils  se  porteront  sur  lîi 
Dille,   selon  que   les  circonstances  l'exigeront.  L'armée 
même  se  mettra  en  marche  le   24  et  arrivera  le  27  sur 
l'Ohm.  Si  M.  de  Firoglie  vient  au-devant  de  moi,  proba- 
blement la  bataille  s'ensuivra;  s'il  reste  sur  la  Nidder  ou 
aux  environs  de  Friedberg,  je  mettrai  le   siège  devant 
Giessen.  Je  ne  me  flatte  pas  qu'il  me  laissera  prendre  cette 
ville,  sans  livrer  bataille.  Si  la  fortune  se  déclare  pour 
nous,  le  reste  de  la  campagne  ira  sans  difficulté.  L'artil- 
lerie de  siège  est  arrivée  on  partie  à  Ziegenliayn,  le  reste 
y  arrivera  le  21.  » 


(1)  Broglie  à  UeJleisIe,  Scliweinsbor}<,  'iS  juin  17G().  Archives  <le  la  Guerre. 

(2)  Ferdinand  à.IIoldornesse,  Wavern,  17  juin  1700.  Itecor-d  Ol'/ice. 


FERDINAND  SE  LAISSE  PREVENIR  PAR  RROGLIE. 

Le  23  juin,  Ferdinand  est  encore  àWavcrn  ;  il  informe  (1) 
Iloldernesse  de  la  concentration  des  Français  entre  Mer- 
lan et  Laubacli  près  le  Griinberg.  l.e  lendemain,  il 
compte  se  rendre  à  Fullendorf,  et  le  surlendemain  à 
Ncustadt,  où  le  général  Waldegrave  le  précédera  avec 
0  bataillons.  Du  contenu  de  ces  dépêches,  de  celui  des 
billets  échai  gés  (2)  avec  son  secrétaire  Westplialen,  qu'il 
consulte  sur  l'envoi  du  prince  héréditaire  dans  la  di- 
rection de  Fuldc  et  au  sujet  du  siège  projeté  de  (liesseîi, 
il  ressort  que  le  prince  et  son  conseiller  furent  complè- 
tement trompés  par  la  manœuvre  de  liroglie  et  qu'ils 
ne  s'attendaient  nullement  à  le  voir  déboucher,  avec 
toutes  ses  forces,  du  côté  de  Ilomburg.  Ce  n'est  que  le 
23  au  soir  que  Ferdinand  se  rend  compte  du  danger; 
un  second  billet  de  cette  date  à  Wcstphalen  le  prouve  : 
«  Maintenant,  il  me  jjarait  qu'il  n'y  a  plus  de  doute  qu* 
toute  l'armée  française  ne  soit  aux  environs  de  (irùningen. 
Ou  en  doutez-vous  encore?  »  Nous  ne  connaissons  pas  la 
réponse  do  Westplialen,  mais  ce  même  soir,  l'armée  con- 
fédérée s'ébranla;  elle  marcha  tout  le  jour  suivant  ot  par- 
vint, dans  la  nuit  du  lï  au  2ô,  à  Neustadt,  trop  tard  pour 
empêcher  le  mouvement  des  Français. 

Ferdinand  rejeta  la  faute  de  ce  fAcheux  résultat,  dans  le- 
quel il  avait  sa  part  de  responsabilité, sur  le  général  Indiofl' 
dont  les  hésitations,  à  roccasi<jn  du  blocus  do  Munster 
pendant  l'automne  précédent,  avaient  molivé  les  critiques 
sarcastiqucs  de  \Vestphalen.  Le  -lï  au  matin,  la  situation 
était  la  suivante  :  Imholl' était  campé  avec  10.000  hommes 
à  Kirchain  au  confluent  d'un  petit  cours  d'eau  (jui  se  jette 
dans  l'Ohm  et  sur  la  rive  droite  de  cette  rivière  ;  le  prince 
héréditaire,  avec  un  corps  d'égale  force,  avait  été  rappelé 
de  Schlitz,  dans  le  comté  de  Fulde;   on  route,  il   avait 


(1)  rerdinand  à  Iloldorncsse,  Wavorn.  23  juin  ITCO.  lifcord  Office 

(2)  Westphalen,  vol.  IV,  p.  3u7et  suivantes. 


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LA  OUKUHK  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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surpris  au  fourrage  et  mis  en  déroute  les  Imssards  de 
Berclîiny  et  était  venu  occuper  les  hauteurs  en  face 
d'Ilomburg;  enfin  Liickner,  avec  ses  irréguliers,  était 
établi  à  Ainoneburg,  sur  la  rive  gauche  de  l'Ohm,  vis- 
à-vis  d'Imholf. 

Ces  divisions  réunies  formaient  un  total  de  25.000  hom- 
mes au.xqucls,  dans  la  nuit  du  '2'p,  eussent  pu  se  joindre 
les  9.000  de  Wahlegrave.  Auraient-ils  pu  maintenir  bur 
position  contre  les  70,000  de  Broglie?  Cela  est  d'autant 
plus  problématique  que  la  traversée  de  l'Ohm  avait 
commencé  dès  la  matinée  du  2'i-.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici 
l'explication  de  Ferdinand  (1)  :  «  Ma  marche  sur  Hom- 
bourg  n'a  |)as  réussi  par  une  fatalit''^  particulière. 
M,  d'Indioff  ([ui  campait  à  Kirchayn  devait  aller  joindre 
le  prince  héréditaire  à  Hombourg  de  même  que  le  géné- 
ral Waldegrave  pour  occuper  ce  poste  avantageux  ; 
c'étaient  mes  ordres  positifs...  Et  ayant  recula  nouvelle 
du  prince  héréditaire  qu'il  était  arrivé  à  Hombourg  après 
avoir  défait  et  dispersé  chemin  faisant  le  régiment  de 
llerchiny,  je  ne  doutais  point  que  le  poste  ne  fût  à  nous, 
M.  d'Imhoff  n'en  étant  éloigné  que  de  trois  heures  de 
marche  et  l<)  général  Waldegrave  à  même  portée  du  coté 
de  Ncuistadt,  de  façon  ([uc  ces  trois  corps  n'avaient  qu'à  se 
joindre  pour  occuper  en  force  les  hauteurs  de  Hombourg. 
M.  d'Imholf  me  marque  par  un  billet  que  je  re(;us  le2V  au 
matin  en  marche,  qu'il  avait  fait  ses  dispositions  pour 
exécuter  mes  ordres  et  qu'il  allait  se  rendre  de  sa  personne 
à  Hombourg,  pour  concerter  tout  avec  le  prince  hérédi- 
taire. Je  fus  donc  bien  surpris  d'apprendre  à  mon  arrivée 
à  Neustadt  et  où  j'entrais  dans  la  nuit  du  2'i.  au  25,  ([ue 
M.  d'Imhoff,  au  lieu  de  faire  marcher  ses  troupes  à  Hom- 
bourg, avait  attiré  vers  lui  le  général  Waldegrave  et  per- 
suadé au  prince  héréditaire  d'abandonner  les  hauteurs  de 


(!)  Ferdinand  à  Holdernesse,  DiUershausen,  29  juin  1760.  Record  Office. 


DISGRACE  DIMLOFF. 


185 


llombourg  pour  aller  se  joindre  de  môme  à  lui  îV  Kirchayn. 
Cette  faute,  quelque  grande  qu'elle  fût,  aurait  été  à  re- 
dresser, s'il  n'en  ei\t  pas  fait  en  même  temps  une  seconde, 
savoir  d'ordonner  au  général  Liickner  d'abandonner  le 
camp  d'Anionehourg-.  L'ennemi  en  profita  d'abord  pour 
occuper  les  bauteurs  et  pour  faire  défiler  du  monde  dans 
le  dessein  de  l'envelopper  dans  son  camp  de  Kircbnyn.  Ce 
projet  de  l'ennemi  échoua  par  la  jonction  du  prince  héré- 
ditaire et  par  l'arrivée  de  l'armée  à  Neustadt,  mais  j'eus 
le  chagrin  de  voir  l'ennemi  maître  de  tous  les  postes  que 
nous  avions  abandonnés,  où  il  se  trouvait  hors  d'insulte... 
Le  plus  grand  mal  est  qu'il  faudra  actuellement  beaucoup 
de  temps  et  de  persévérance  pour  regagner  les  avantages 
perdus.  Trouvant  le  nid  occupé,  j'ai  pris  le  parti  de 
prendre  mon  camp  à  Ziegenhayn,  où  j'ai  fait  entrer  l'ar- 
mée le  2G  courant.  » 

Sur  l'ordre  formel  du  roi  Georges,  qui  ne  pardonnait 
guère  aux  généraux  malheureux,  ImhofF  fut  privé  de  son 
commandement  et  renvoyé  en  disgrâce  à  Brunswick.  Il 
avait  été  gouverneur  (1)  du  prince  héréditaire  et  lin- 
fluence  qu'il  avait  gardée  sur  son  élè^e  aurait  expliqué 
l'adhésion  de  ce  dernier  à  une  retraite  qui  n'était  gière 
dans  SCS  habitudes.  Lors  de  la  traversée  de  l'Ohm,  les  Fran- 
çais ramassèrent  des  traînards,  des  équipages  et  quelques 
approvisionnements,  mais  le  résultat  capital  fut  la  pr  se 
(le  possession  de  la  ligne  de  l'Ohm;  elle  jonstitua  pour 
eux  un  succès  stratégique  de  grande  importance. 

Presque  sans  coup  férir,  Broglic  avait  porté  ses  avant- 
postes  de  Friedberg  et  de  Hutzbach,  c'est-à-dire  delà  ban- 
lieue de  Francfort,  jusqu'à  moitié  route  de  Cassel;  au 
lieu  de  s'in<{uiéter  du  sort  de  Giessen,  il  était  à  même 
d'entreprendre  le  siège  de  Marburg  et  bientôt  celui  de 
Ziegenhayn;    il   disposait   des  ressources   d'une    région 

(1)  Yorkeù  Ncwcaslle,  La  Haye,  11  juillet  1760.  Nrwcasllc  Papers. 


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186 


LA  GUKUHK  DK  SKI'T  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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étendue;  enfin,  et  c'était  licaucoup  an  point  de  vur 
moral,  il  avait  gauné  la  preniièro  manche  et  imposé  .son 
initiative  dès  le  début  de  la  campagne.  Il  s'agissait  main- 
tenant de  poursuivre  ces  heureux  résultats  en  forçant  le 
passage  de  la  Schwalm  et  de  l'Eder  et  en  refoulant  lo 
prince  Ferdinand  sur  le  Weser.  Pour  réaliser  ce  pro- 
gramme, le  général  en  chef  comptait  sur  le  concours  de 
Saint-(Jermain,  qu'il  allait  appeler  à  lui,  et  avec  lequel  il 
espéraiteiléctuer  sa  jonction  dans  les  parages  de  Corbach. 

Le  27  Juin,  Jiroglie,  avec  le  gros  de  ses  troupes,  occupa 
le  camp  de  Neustadt  que  Ferdinand  avait  évacué  pour  se 
retirer  derrière  la  Schwalm  ;  Chabo  fut  chargé  du  siège 
du  château  de  Marburg,  que  la  retraite  des  confédérés  lais- 
sait isolé  dans  la  zone  française.  L'opération  ne  fut  ni 
longue  ni  coûteuse.  Le  30  (1),  le  maréchal  annonce  la  ca- 
pitulation de  Marburg  qui  s'était  rendu  «  avant  d'avoir 
attendu  une  bombe  ni  un  coup  de  canon  ».  A  la  dépèche 
qui  contenait  cette  nouvelle  était  jointe  une  copie  des  ins- 
tructions données  à  Saint-(Jermain  :  «  Connue  par  ses 
lettres  des  23  et  25,  il  m'a  paru  désirer  des  ordres  clairs 
et  précis,  j'ai  cru  devoir  le  satisfaire  et  lui  en  envoyer  de 
positifs;  j'ai  toujours  aimé  à  en  recevoir  de  tels.  »  Dès  le 
25,  c'est-à-dire  au  lendemain  delà  traver.sée  de  l'Ohm,  Bro- 
glie  avait  écrit  à  son  lieutenant  :  u  Je  ne  doute  pas  que 
vous  ne  poussiez  avec  toute  la  rapidité  possible  vers  Lipps- 
tadt  et  avanciez  vos  troupes  légères  jusqu'à  Warburg  et 
même  plus  loin  pendant  que  les  ennemis  n'ont  rien  dans 
cette  partie.  » 

Une  telle  hâte  ne  s'accordait  guère,  ni  avec  les  habi- 
tudes de  l'époque  ni  avec  le  tempérament  méthodique 
de  Saint-Germain.  Il  se  plaint  à  Belleisle  des  e.vigences  du 
général  en  chef  (2)  :  Il  y  a  dix  jours,  Brogiie  se  conten- 


(t)  Bioglie  à  IJelleisle,  Ncusladt, 30  juin  1700.  Archivcsde  la  Guerro. 
(2)  Sainl-Geiinaiii  à  Belleisle,   Doitmund,   28  juin   17G0.  Archives  de  la 
Guerre. 


COIIRESPONDANCK  DE  IIROGLIE  AVEC  SAINT-OERMAIN. 


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tait  de  le  voir  à  Dortniund  et  maître  de  la  Uoer;  aujour- 
d'hui, il  lui  demande  de  se  porter  sur  Lippstadt.  <  Il  n'est 
pas  possible  de  concilier  autant  de  variations,  et  qui  sont 
si  peu  combinées,  sans  connaissance  de  la  position  des 
ennemis,  des  mouvements  continuels  ([u'ils  l'ont,  de  la 
raison  des  subsistances.  Nul  homme  ne  peut  commander 
despotiquemont  un  corps  d'armée  à  quarante  ou  cinquante 
lieues  de  lui,  La  marche  (]ue  l'on  m'a  forcé  de  faire,  et 
la  position  que  l'on  m'a  fait  prendre  ne  mènent  à  rien, 
mais  au  contraire  seraient  très  dangereuses  si  je  n'avais 
pas  la  supériorité,  et  malgré  cette  supériorité,  je  crains 
bien  d'être  forcé  dans  peu  de  retourner  sur  le  Uhin,  et 
(le  recommencer  par  où  j'aurai  dû  le  faire  d'abord.  »  In 
pas  en  avant  de  Spcircken  peut  l'obliger  à  se  replier  sur 
Essen.  «  Je  vois  avec  douleur,  conclut-il,  plus  poui'  l'hon- 
neur des  armes  du  Roy  que  pour  moi,  que  je  suis  con- 
damné à  faire  une  malheureuse  et  inutile  campagne.  » 

Kn  lisant  ces  extraits,  l'on  devine  que  Saint-ticrmain, 
beaucoup  plus  préoccupé  de  son  rôle  particulier  que  de 
l'ensemble  des  opérations,  n'avait  pas  renoncé  au  dé- 
bouché par  Wesel.  A  une  lettre  dans  laquelle  le  comman- 
dant de  la  réserve  avait  exposé  les  mêmes  objections  qu'au 
ministre,  Broglic  réplique  d'une  façon  péremptoire  (1)  : 
Sans  doute  il  a  indiqué  à  son  correspondant  comme  pre- 
miers objectifs,  de  ne  pas  s'éloigner  de  la  Uoer  et  de  créer 
un  établissement  solide  X  Dortniund  :  «  Mais  je  pense  que 
vous  n'avez  jamais  pu  imaginer  que  mon  objet  se  bornât 
là,  et  puisque  je  vous  recommandais  de  prendre  un  point 
d'appui  fixe  à  Dortmund  qui  vous  mit  en  état  de  vous  y 
retirer  à  tout  événement,  il  est  clair  que  je  comptais  que 
vous  en  sortiriez  pour  agir,  car  on  n'a  pas  besoin  de  se 
retirer  dans  un  poste  lorsqu'on  n'en  est  pas  sorti,  lien 
est  de  même  de  ce  ((ue  je  vous  ai  mandé  que,  pourvu  que 

(1)  Broglie  à  Saint-Germain,  Neusladl,  28  juin  17(iO.  Arcliivesde  la  Guerre. 


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LA  r.UKUUK  DK  SEI>T  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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vous  no  vous  ('loignassicz  pas  do  la  Roer,  vous  établissiez 
votre  communication  pour  tirer  vos  convois  de  Oussol- 
dorf,  monol)jet  seiait  rempli.  Il  est  si'lr  qu'il  l'a  été  pour 
le  premier  moment  et  qu'il  fallait  commencer  par  là, 
mais  je  ne  pense  pas  que  vous  ayez  pu  imajçincr  un 
instant  que. je  bornasse  lu  mes  vœux  pour  la  campagne. 
Le  -iV,  lorsque  j'étais  derrière  l'Olini,  tous  mes  souhaits 
tendaient  à  la  passer  heureusement  avec  l'armée  et  ti  y 
prendre  un  poste  qui  pût  me  mettre  A  l'abri  de  recevoir 
un  échec.  Ensuite,  j'ai  désiré  de  faire  repasser  la  Schwalni 
à  l'ennemi;  hier,  j'ai  marché  pour  tAcler  de  la  lui  fain^ 
([uitter,  et  dès  qu'il  l'aura  abandonnée,  je  souhaiterai 
d'être  derrière  l'Eder,  et  je  travaillerai  à  y  arriver.  Il  en 
doit  être  de  môme  de  vous,  Monsieur;  vous  savoz  le  but 
principal  où  vous  devez  tendre,  et  sans  vouloir  entrer  en 
discussion  des  forces  que  l'ennemi  a  devant  vous,  je  crois 
que  vous,  ne  pensez  pas  qu'il  vous  soit  supérieur.  Cela 
étant  et  accordant  même  qu'il  vous  soit  égal  en  forces, 
c'est  à  A'os  manœuvres  à  l'obliger  de  prendre  la  direction 
que  vous  penserez  vous  être  la  plus  favorable  pour  rem- 
plir votre  principal  objet  qui  est  de  chercher  à  vous 
mettre  à  portée  de  me  joindre,  et  de  me  faciliter  les 
moyens  d'oblig-er  le  prince  Ferdinand  d'abandonner 
l'Eder.  Quant  aux  moyens,  c'est  à  vous  de  les  prendre, 
et  je  sais  que  vous  en  êtes  très  capalile.  » 

Le  29,  autre  dépèche  plus  explicite  (1)  :  Broglie 
vient  d'apprendre  qu'un  détachement  de  8.000  hom- 
mes, tiré  de  Westphalie,  a  rejoint  le  prince  Ferdinand  le 
26;  il  n'y  a  donc  pas  de  temps  à  perdre  :  «  Pour  ne  vous 
laisser  aucun  doute  sur  ce  que  je  demande  de  vous,  voici 
quelles  sont  mes  intentions  :  que  vous  partiez,  s'il  se  peut, 
le  lendemain  que  vous  aurez  reçu  ma  lettre  et  au  plus 
tard  le  surlendemain,  et  que  par  des  marches  de  six  lieues 


(1)  Broglie  à  Saint-Germain,  Ncusladl,  a*.)  juin  l'GO.  Archives  de  la  Guerre. 


SAINT-(iEIlM\IN  DKMANDK  SON  llAPPia. 


I8'.t 


au  moins,  vous  vous  rendiez  sut'  lUulcn  et  Iti-illou  el 
même  Corbacii.  »  Saint-Gcrniain  devra  se  l'aire  précéder 
par  les  troupes  léf^tM'cs  et  pourra  laisser  10.000  lioninics 


pour 


ffarder  le  débouché  de   Westoll'en  et  as.^uror  ses 


derrières.  «  Si  nous  faisons  notre  jonction,  le  prince 
Ferdinand  est  perdu  et  pendant  que  Je  le  contiendrai 
dans  le  parti  qu'il  prendra,  vous  prendrez  Lippstadt  et 
Munster;  après  quoi,  nous  pourrons  le  forcer  à  repasser  le 
Weser.  » 

Malgré  le  compliment  de  la  fin,  l'argumentation  sar- 
castique  du  général  en  chef  jeta  Saint-(Jermain  hors  des 
gonds.  Il  oublia  toute  mesure  et  mit  les  torts  de  son  côté  : 
«  J'ai  fait,  répliqua-t-il,  jusqu'ici  (1)  tout  ce  que  j'ai  pu  pour 
exécuter  ponctuellement  vos  ordres  et  pour  m'accoutumer 
au  style  amer   ironique  ci  piein  de  mépris  (jui  caractérise 
toutes  vos  lettres.  Quant  au  premier  article,  je  n'ai  rien 
à  me  reprocher  du  côté  de  la  volonté  et  de  l'activité  et  je 
suis  en  état  de  le  prouver  ;'   toute  la  terre.  Quant  au  se- 
cond, j'y  ai  travaillé  en  vain,  cela  est  plus  fort  que  moi, 
et  je  n'y  réussirai  pas;  j'éprouve  d'ailleurs  depuis  long- 
temps que  cela  porte  sur  la  personne.  Je  pense.  Monsei- 
gneur,  d'après  cela,  (pi'il  serait  très  contraire  au  bien 
du  service  du  Roi,  qu'une  réserve  telle  que   celle-ci  fût 
aux  ordres  d'un  général  odieux  à  celui  qui  commande 
l'armée  et,   en  conséquence,  j'écris  à  la  cour  pour  de- 
mander mon  rappel;  si  vous  vouliez  m'accorder  de  me 
retirer,  cela  serait  plus  prompt  et  les  chose;  n'en  iraient 
que  mieux.  En  attendant  les  ordres  de  la  cour  ou  les  vô- 
tres, je  ferai  de  mon   mieux  et  je  n'ai   pas  besoin  pour 
cela  d'être  aiguillonné,  mais  je  ne  ferai  jamais  l'impos- 
sible quelque  volonté  que  j'aie  do  bien  servir  le  Roi  et  de 
contribuer  à  vos  succès.  »  Le  reste  de  la  dépêche  a  trait 


(1)  Sainl-Gcimain  à  Bioglic,  DortmiinJ,  1"  juillet  17C0.  Archives  de  la 
Guerre,  vol.  355G. 


100 


LA  GUKIUIK  OK  SKPT  ANS. 


riIAl».  IV. 


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aux  mouvements  de  son  corps  :  «  Je  compte  <l(*  pouvoir 
l'îiire  partir  d'ici  le  V  une  l)iif;ado  d'infanterie  et  qucl(|ues 
drafçons  pour  aller  occuper  Areiisperi;'  et  je  pourrai  la 
suivre  U)  8  ou  le  {>,  si  hîs  subsistances,  comme  je  l'espère, 
peuveut  arriver;  je  fais  tous  les  elforts  possiMes  pour  en 
ramasser  le  plus  qu'il  se  pourra  et  nous  marcliej-ons  (mi 
caravane;  si  les  «'unemis  restent  i\  j>eu  pW's  où  ils  sont, 
il  n'est  plus  (|uestion  de  soutenir  la  communication  avec 
husscldorf,  mais  comme  je  compte  de  pouvoir  m'appro- 
visionner  pour  un  temps,  j'aurai  celui  de  faire  venir  de 
(iologne  et  d'«''tal)lir  une»  communication  avec  cette  vi'le 
autant  «ju'il  se  pourra.  ->  Au  ministre  de  la  (lucrrc,  Saint- 
(Jermaiu  contlrme  et  motive  sa  démission  (1)  :  «  Je  ne 
puis  regai'de.' M.  le  maréchal  de  Broi^lie  que  comme  le 
plus  mortel  ennemi  que  j'aie  jamais  eu;  c'est  en  consé- 
qivmce  et  plus  pour  le  bien  du  service  du  Koi  que  pour 
moi  que  je  prends  lalil  erté  de  vous  demander  mon  rappel 
avec  la  plus  vive  instance.  Jusqu'à  ce  que  je  reçoive  vos 
ordres,  Monseigneur,  je  ferai  de  mon  mieux,  mais  tout 
sera  mal  aux  yeux  de  M.  le  Maréchal  duc  de  Hroglie, 
puis([uc  ce  qu'il  a  eu  la  bonté  d'approuver  un  jour,  il  le 
condamne  deux  jours  après.  J'avoue,  Monseigneur,  ingé- 
nument que  la  commission  que  l'on  me  doime  de  me 
porter  rapidement  sur  Corbach  mr  fait  trembler.  » 

Suit  uu  tableau  pessimiste  des  périls  qu'il  courra,  des 
difficultés  de  transports,  de  la  pauvreté  du  pays  et  du 
manque  de  vivres  qui  en  résultera.  La  conclusion  est  du 
noir  le  plus  foncé  :  ((  Le  danger  d'aller  flairer  un  ennemi 
avec  des  troupes  harassées  et  peut-être  mortes  de  faim, 
l'éloignemcnt  de  tout  point  d'appui,  l'incertitude  de 
pouvoir  être  secouru  par  l'armée,  tout  cela  ne  présente 
pas  des  points  de  vue  agréables.  » 


1 


(1)  Sainl-Germain  à  Bellcislo,  Dortinuntl,  2  juillet  17C0.    Archives  de  la 
Guerre,  vol.  3530. 


MAUriIK  DE  SAINT-r.EUMAIN. 


101 


Kii  (h'pit  tlu  ton  insiiltordoniit''  ((u'il  avait  pris  vis-à-vis 
de  sou  chef,  Saint-dermain,  il  faut  le  rcconnnltre,  exécuta 
do  son  mieux  les  ordres  re<;us;  le  2  juillet,  il  avait  dirigé  (1) 
le  régiment  de  la  Tour  du  l'iii  sur  Arensperg;  le  V,  il 
quitta  Dortmund  avec  le  gros  de  la  réserve,  laissant  au  géné- 
ral Dauvct  la  liVche  de  couvrir,  avec  trois  brigades,  les  foiu's 
de  llagen  (;t  d'éelaii'er  le  cours  de  la  llocr.  La  première 
étape,  de  Dortmund  à  Meldeu,  fut  péiiildc  A  cause  de  la  cha- 
leur excessive;  fort  heureusement  S|)6rcken  ne  lit  rien 
pour  la  troubler;  «  Je  souhaite  bien  <[ue  la  fantaisie  no 
lui  vienne  pas  d'occuper  ([uehjues  points  sur  la  Uocr; 
s'il  le  faisait,  je  ne  sais  pus  trop  ce  ([uc  nctu.s  devien- 
drions ». 

Malgré  ses  sombres  pronostics.  Saint-dermain  continua 
fja  marche;  le  G,  il  était  à  Meschedc  {•!)  et  allait  eu  partir 
le  7  pour  Brillon,  ([uai  1  il  apprit  l'arrivée  à  Werle.  le 
5  au  soir,  d'un  corps  ennemi  de  5  à  6.000  hommes;  in- 
quiet pour  ses  communications  et  pour  ses  magasins,  il 
renvoie  une  brigade  h.  Arensperg  et  deux  à  Frieiiohl  (:?)  ;  il 
n'a  du  pain  que  jusqu'au  10,  jour  pour  lequel  Hroglie  lui 
avait  fixé  i-endez-vous  à  Corbach;  il  y  aurait  été  le  *.)  sans 
le  mouvement  de  l'ennemi  ;  dans  les  circonstances  actuelles 
il  ne  pourra  guère  y  être  rendu  avant  le  iï  ou  le  1.').  En 
même  tenqjs  qu'il  communiquait  ces  détails  à  Helleisle. 
Saint-Germain  eut  soin  d'informer  le  commandant  en  chef 
de  l'obligation  dans  laquelle  il  se  trouvait  do  s'arrêter 
provisoirement  à  Meschedc.  Broglio  lui  répondit  aussi- 
tôt (/i.).  Ainsi  qu'il  le  lui  avait  écrit  la  veille,  toutes  ses  mesu- 
res avaient  été  combinées  pour  ell'ectuer  la  jonction  le  î>  à 
Corbach,  «  où  vous  m'aviez  mandé  que  vous  arriveriez  ce 


i     V 


(1)  Saiiil-Gcrmaiii  àHroglie,  Molden,  i  juillet  17Gii.  Arthives  de  la  Guerre. 

(2)  Sainl-Gerinaia  ABeileisle,  Mescliede,  7  juillet  tTiiO.  Archives  de  la  Guerre. 
(;{)  Village  entre  Arensperg  et  Mcscliode. 

(it  llroglie  à  Saint-Germain,  l'"rancUenberg,  s  juillet  ITHO,  5  heures  soir. 
Archives  de  la  Guerre. 


tt  • 


192 


LA  CUEHRE  DK  SEPT  ANS. 


ClIAP.  IV. 


jour-là  »  ;  par  crainte  d'être  prévenu  par  l'ennenii,  il  allait 
se  mettre  en  route  le  8,  et  en  conséquence  il  le  priait  «  de 
marcher,  quoi  qu'il  en  pût  arriver,  pour  vous  rendre  le  9 
ou  au  plus  tard  le  10  de  l)onne  heure  à  Corbach,  cela  étant 
delà  plus  yrande  importance  ».  Il  poursMit  :  «  Je  ne  puis 
que  vous  répéter  la  même  chose  et  quoique  j 'aie  évité 
jusqu'if'i  de  me  servir  du  mot  d'ordre,  je  ne  balance  point 
dans  cettu  occasion,  vu  son  importance  pour  le  service 
du  Roi  à  quoi  toute  considération  doit  céder,  à  vous  en 
donner  un  positif  d'être  le  10  au  plus  tard  avec  le  plus  de 
troupes  ({u'il  vous  sera  possible  à  Corbach,  et  de  vous  y 
faire  précéder,  dès  le  9,  par  un  régiment  de  troupes  légères 
qui  y  annonce  votre  arrivée  avec  tout  votre  corps  pour  le 
même  jour.  A  l'égard  de  votre  pain,  si  vous  ne  pouvez 
le  tirer  de  vos  derrières,  M.  de  Peyre  vous  en  fournira, 
et  il  y  est  préparé;  je  vois  par  le  mémoire  de  M.  de  Lisle 
que  vous  êtes  payé  en  pain  jusqu'  lu  11  inclus.  Quant 
à  la  fatigue  des  troupes,  il  est  des  cas  où  elle  est  néce> 
saire,  et  celui-ci  en  est  un.  L'armée  entière  a  fait  aujv^ur- 
d'hui  sept  lieues  par  le  temps  le  plus  mauvais,  sans  que  per- 
sonne murmure,  parce  qu'on  sait  que  cette  célérité  peut 
seule  procurer  le  succès  de  notre  opération.  Je  marche- 
rai demain  pour  déboucher  par  Sachsenberg  dans  le  bas- 
sin de  Corbach,  et  je  compte  que  vous  m'y  joindrez  au 
plus  tard  après-demain  supposé  que  sur  ma  lettre  d'hier 
vous  n'ayez  pas  marché  aujourd'hui.  » 

Les  ordres  du  maréchal  furent  exécutéo  ;  Saint-Germain 
écrit  (1)  de  Giershagen,  localité  située  entre  Brillon  et 
Corbach,  qu'il  vient  d'y  entrer  avec  deux  brigades  d'in- 
fanterie ,  et  qu'il  repart  pour  Corbach  où  la  cavalerie  ne 
parviendra  que  dans  l'après-midi;  quant  à  l'artillerie 
et  aux  deux  autres  brigades  d'infanterie,  «  elles  auront 


(1)  Saint-Geimaiti  à  Broglie,  Gicrsliageii,  a  juilict  1760,  8  h.  3/i  soir.  Ai- 
cliives  de  la  Guerre. 


"Cf 


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PLAINTES  DE  SAINT-GERMAIN. 


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bien  de  la  peine  à  arriver  demain  (1)  à  moins  que  l'on 
m'envoie  des  ciievaux  )>.  Il  va  sans  dire  que  le  comman- 
dant de  la  réserve  est  outré  de  la  marche  forcée  qu'on 
lui  a  imposée  et  du  ton  de  Rrogiie  à  son  égard.  Auprès 
du  ministre,  il  se  répand  en  jérémiades  (2)  :  «  Je  reçus 

hier  8,  à  11  heures  avant  iiiidi,  l'ordre  de  M.  le  maréchal 

.  .  .       .  * 

de  partir  tout  de  suite...  Je  partis  hier  à  1  heure  après 

midi,  il  en  est  déjà  aujourd'hui  9  heures  du  matin,  et 
l'artillerie  ni  les  équipages  ne  sont  point  arrivés.  Tous  les 
chevaux  sont  rendus,  parce  qu'il  n'a  pas  été  possible  de- 
puis six  jours  de  trouver  un  brin  d'avoine  ;  je  marcherai 
encore  cependant  cette  après-dinée  et  tâcherai  de  faire 
trois»  lieues  alm  de  n'en  avoir  plus  que  cinq  à  faire  dans 
la  journée  de  demain.  »  Suit  ane  énumération  des  diffi- 
cultés qu'il  rencontre  :  pluies  continuelles,  insuffisance 
d'attelages,  chemins  détestaj^-^es...  «  Je  ne  vous  dissimule 
pas,  Monseigneur,  que  je  n'y  puis  f^lus  tenir  et  j'insiste 
à  vous  démancher  mon  rappel;  je  suis  si  déterminé  à 
ne  point  servir  sous  M.  de  Broglie,  parce  que  cela  m'est 
impossible,  que  je  déserterais  plutôt  que  de  continuer.  Je 
sens.  Monseigneur,  l'indécence  du  terme,  je  vous  en  de- 
mande pardon,  mais  je  ne  puis  pas  vous  exprimer  autre- 
ment et  vous  rendre  la  situation  de  mon  âme  et  certaine- 
ment j'agirais  en  conséquence  coûte  que  coûte.  » 

Pour  la  compréliension  du  sujet,  il  a  fallu  accompagner 
Saint'Germ.un  jusqu'à  la  veille  de  son  arrivée  à  Corbach; 
retournons  maintenant  à  Broglie  que  nous  avonr  laissé 
dans  son  camp  de  Ncustadt.  Le  repos  qu'il  y  fit  prendre 
se  prolongea  jusqu'au  7  juillet  et  ne  fut  interrompu  par 
f'ucun  incident  important.  Un  raid  exécuté  par  le  briga- 
dier Nordmann  sur  Fritzlar  où  étaient  remisés  les  équi- 

(1)  Ces  dci-nières  lrou])PS  rejoignirent  le  10,  trop  tard  pour  participer  i 
i'.ictiou  :  Vologny  (chef  d'étal-inajor  de  la  réserve)  à  Bolleisle,  Corbach,  tl 
juin  1760.  Archives  de  hi  Guerre. 

(2)Sain'-cermain  à  Bellcisle.  Urillr-ii,  9  ju  ilet  1760.  Archives  delà  Guerre. 

Cl'EllIC,     DE   SEPT  ANS.    —   T.    IV.  13 


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LA  GUKRRE  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


pages  des  confé(16r«^s  n'eut  qu'un  succès  partiel.  Les  Fran- 
çuis  s'y  montrèrent  le  30  juin  au  point  du  jour,  détruisirent 
un  magasin,  capturèrent  quelques  voitures  et  rendirent  la 
liberté  à  une  centaine  de  hussards  de  Berchiny,  mais  l'en- 
trée en  scène  de  Lïickner  les  força  à  un  retour  précipité. 
Le  maréchal,  qui  avait  fait  occuper  Franckenberg  par  une 
avant-garde,  y  marcua,  dans  la  nuit  du  7  au  8,  avec  le 
gros  de  l'armée.  Il  y  parvint  le  8,  après  une  étape  de  sept 
lieues  par  la  pluie  battante.  Le  9,  l'Eder  fut  franchi  sans 
opposition  et  Tavant-garde,  sous  le  brigadier  Clausen, 
allait  dresser  ses  tentes  près  d'Imminghausen  sur  la  rive 
gauche,  quand  les  éclaireurs furent  reçus  à  coups  de  fusil, 
lîroglie  les  rejoignit,  s'assura  que  l'ennemi  était  en  force 
et  n'ayant  pas  encore  assez  de  monde  avec  lui,  ajourna 
toute  rencontre  jusqu'au  lendemain. 

Pendant  les  premiers  jours  de  juillet,  Ferdinand  était 
resté  à  deux  lieues  du  quartier  général  français,  au  village 
de  Diedershausen,  tout  près  de  Ziegenhayn,  où  les  pre- 
miers renforts  anglais  le  rallièrent.  Au  cours  de  son 
séjour,  il  avait  appris  le  mouvement  de  Saint-Germain  sur 
Arensperg,  et  grâce  à  une  lettre  interceptée,  il  était  informé 
de  la  jonction  projetée  dans  les  environs  de  Corbach;  lo 
départ  de  Broglie  pour  Franckenberg  confirma  ces  avis, 
aussi  n'hésita-t-il  pas  à  diriger  son  armée  sur  Corbach 
pour  s'opposer  à  la  réunion  des  deux  fractions  dec  forces 
françaises  :  «  .le  me  mis  en  marche  le  8,  écrit-il  (t),  à 
;j  heures  après  midi,  et  arrivai  le  î),  au  matin,  sur  les 
hauteurs  de  Braunau,  non  loin  de  Wildungen;  la  queue  de 
l'armée  n  arriva  que  tard  au  camp.  Je  poussai  le  corps 
de  Kielmansegge  qui  avait  campé  sur  les  hauteurs  de  Brau- 
nau en  avant  jusqu'à  Sfichsenhausen,  et  je  le  renforçais 
par  quelques  bataillons  t  escadrons  aux  ordres  du  gé- 
néral Griffin,  confiant      s  deux  corps  réunis  aux  ordres 

(1)  Ferdinand  à  lloldcrnessc,  Sachsenhausen,  11  juillet  17G0.Becord  Oflice- 


TSTsuk 


COMBAT  DE  CORBACH. 


i95 


du  prince  héréditaire  de  Brunswick.  L'armée  se  remit  en 
marche  le  10,  à  2  iieures  du  matin;  je  la  fis  précéder 
par  un  détachement  de  six  bataillons  et  de  six  escadrons 
aux  ordres  du  lieutenant-général  Ohcim,  afin  de  renfor- 
cer encore  le  corps  du  prince  héréditaire,  mais  ce  corps 
n'arriva  que  vers  la  fin  de  l'action.  Comme  les  Français 
pouvaient  arriver  avec  le  gros  de  leur  armée  au  même 
moment  à  Corbach,  que  je  pouvais  arriver  à  Sachsenhau- 
sen,  je  jugeai  très  nécessaire  d'y  avoir  un  corps  tout  prêt 
pour  protéger  la  formation  de  l'armée,  d'autant  plus  que 
M.  de  Saint-Germain  était  arrivé  selon  mes  nouvelles  le  9 
à  Corbach,  et  que  M.  de  Broglic  avait  poussé  son  avant- 
garde  de  même  jusqu'aux  environs  de  cette  ville.  » 

Le  prince  héréditaire,  dont  les  troupes  se  composaient 
de  14  bataillons  et  IV  escadrons  appartenant  aux  divisions 
Kielmansegge  et  (iriffin  et  à  la  brigade  Liickner,  soit  10  à 
17.000  hommes,  était  parvenu  le  9  dans  l'après-midi  à 
Sachsenhausen  ;  il  s'y  heurta  à  un  détachement  de  cava- 
lerie française  qu'il  repoussa,  posta  un  bataillon  dans  les 
bois,  au-dessus  du  village  de  Strothe,  et  appuya  cetle 
avant-garde  avec  l'intention  d'attaquer,  le  lendemain,  les 
Français   qu'on  apercevait  aux   abords  de  Sachsenberg. 

Le  10  juillet,  au  lever  du  jour  (1),  les  troupes  du  prince 
occupaient  en  nombre  la  crête  qui  sépare  le  plateau  de 
Corbach  de  la  vallée  de  la  Werba.  Averti  par  Clausen, 
qui  commandait  les  avant-postes,  Broglie  se  rendit  à 
la  justice  de  Corbach,  petite  hauteur  en  avant  de  la 
ville;  de  là  il  put  reconnaître  la  position  ennemie.  Les 
confédérés  s'étaient  établis  sur  les  contreforts  boisés  qui 
se  détachent  de  la  plaine  ouverte  en  avant  de  Corbach, 
dans  la  d*  ection  de  Strotbe  et  du  vallon  de  la  Werba; 


i  I 


(1)  Le  récit  du  combat  de  Corbacli  est  tiré  du  Bulletin  des  opérations  de 
l'armée,  du  rapport  de  Broglie,  de  celui  du  prince  Ferdinand  et  des  corres- 
pondances des  ofliciers  français  et  anglais  Chabo,  Hoyd  et  l'eirson.  (Voir  la 
carte  à  la  fin  du  volume). 


IM 


106 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  IV. 


I 


on  discernait  leur  infanterie  garnissant  l'orée  du  bois  et 
derrière  la  forêt  les  reconnaissances  signalaient  un  corps 
de  7  à  8.000  hommes  formant  réserve.  A  ce  moment, 
Broglie  n'avait  encore  à  sa  disposition,  en  outre  des 
troupes  légères  de  Clausen,  que  deux  brigades  d'infan- 
terie, les  carabiniers  et  huit  pièces  de  gros  canon.  Il  fut 
rejoint,  vers  5  heures  du  matin,  d'après  la  version  de  Saint- 
Germain,  parce  général  avec  les  volontaires  de  Flandre 
et  les  deux  brigades  de  la  Tour  du  Pin  et  de  la  Couronne. 
Les  nouveaux  venus  furent  aussitôt  dirigés  vers  les  dos 
d'i\ne  boisés  où  se  tenaient  les  ennemis  :  «  Je  ne  pus  pas, 
écrit  Saint-Germain  (1),  les  chasser  de  ce  bois  où  ils  étaient 
déjà,  mais  nous  les  contînmes  pendant  plus  de  4  heures.  » 
D'après  le  croquis  annexé  au  journal  des  opérations  de 
larmée ,  les  soldats  de  Saint-Germain  auraient  pris  pos- 
session d'une  partie  du  promontoire  de  gauche,  mais 
auraient  été  impuissants  à  s'emparer  complètement  de 
la  foret.  Peu  à  peu,  l'affaire  dégénéra  en  canonnade; 
il  y  eut  en  tout  cas  dans  l'offensive  française,  un  moment 
d'arrêt  causé  psv  l'apparition  de  deux  colonnes  enne- 
mies qui  paraissaient  considérables  :  «  Je  crus,  écrit  Bro- 
glie, que  c'était  l'armée  du  prince  Ferdinand,  et  effec- 
tivement, il  y  avait  lieu  de  le  penser;  cela  m'engagea  à 
suspendie  l'attaque  des  bois,  et  même  à  faire  arrêter  au 
delà  de  Corbach  les  brigades  de  cavalerie,  parce  qu'il  n'y 
avait  encore  aucun  débouché  fait  pour  la  retirer  en  cas 
de  nécessité,  mais  ayant  vu  la  queue  des  colonnes  des 
ennemis  et  ayant  lieu  de  croire  que  ce  n'était  pas  l'armée 
entière,  j'envoyai  ordre  à  toutes  les  troupes  qui  étaient  en 
marche  de  me  joindre.  »  Les  colonnes  aperçues  étaient 
probablement  la  cavalerie  et  l'infanterie  du  général  Oheini 
que   le  prince  Ferdinand,  de  son  camp  de  Wildungen, 


• 


(1)  Sainl-Germain  à  Belleisie,  Berndorr,  U  juillet  17GU.  Archives  de  la 
Guerre. 


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PUISE  DES  nOIS  PAR  SAINT-GERMAIN  ET  GUERCHY. 


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avait  détachées  en  avant;  quant  au  gros  des  confédérés,  il 
était  encore  trop  loin  pour  cire  visible  du  cliamp  de  ba- 
taille. 

Rassuré  sur  le  nombre  des  ennemis  qu'il  avait  devant 
lui,  Broglie  fit  entrer  en  ligne  son  infanterie  et  son  artillerie 
au  fur  et  ù  mesure  de  leur  apparition.  Au  feu  des  batteries 
<{ui  reprit  avec  plus  d'intensité,  se  mêla  celui  de  la  fusil- 
lade. Saint-Germain  fut  renforcé  des  brigades  de  Royal 
Suédois  et  de  Castella;  ces  troupes  joignirent  leurs  efforts 
à  ceux  de  leurs  camarades  de  la  Tour  du  Pin  et  de  la 
Couronne,  s'emparèrent  définitivement  du  premier  contre- 
fort et  se  retournèrent  contre  le  reste  de  la  position,  «  pre- 
nant à  revers  l'endroit  du  bois  ])ar  où  les  ennemis  y  en- 
traient et  qui  voyait  la  plaine  ».  Le  rapport  de  Broglie,  à 
qui  nous  empruntons  ce  détail,  continue  ainsi  :  <■  .le  ils 
avancer  alors  2V  pièces  de  canon  du  parc  qui  arrivaient, 
et  je  les  plaçais  sur  le  haut  du  bois  pour  attacpier  une 
batterie  que  les  ennemis  avaient  à  la  pointe  droite,  et 
d'où  ils  nous  incommodaient  beaucoup  y  ayant  sept  pièces 
de  canon  et  trois  obusiers.  En  môme  temps,  je  fis  marcher 
M.  de  (lucrchy  avec  les  brigades  du  Roi  et  de  Navarre  sur 
la  droite  de  M.  de  Saint-Germain  pour  entrer  dans  le  bois 
et  attaquer  cette  batterie,  et  je  fis  avancer  à  l'entrée  du 
bois  celles  d'Auvergne  et  d'Orléans  pour  servir  de  réserve 
et  être  portées  où  on  en  aurait  besoin.  La  brigade  de  Na- 
varre se  porta  à  la  batterie,  et  celle  du  Roi  entra  dans  le 
bois  entre  Navarre  et  M.  de  Saint-Germain.  Le  feu  fut 
alors  très  vif,  et  les  ennemis  entièrement  chassés  du  bois. 
Alors,  la  brigade  de  Navarre  qui,  à  la  faveur  d'un  fond, 
s'était  portée  jusqu'à  cinquante  pas  de  la  batterie  sans  en 
être  aperçue,  l'attaqua  avec  beaucoup  de  vivacité,  s'en 
empara  et  chassa  les  troupes  qui  la  gardaient,  dont  il  y 
en  eut  même  un  assez  grand  nombre  tué  à  coups  de 
baïonnette  par  les  grenadiers  et  chasseurs  de  cette  bri- 
gade qui  en  avaient  la  tète.  Les  ennemis  sortirent  du  bois 


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198 


I.A  GUEUm-:  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAI».  IV. 


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en  très  grand  désordre,  mais  ils  furent  reçus  par  leur  ca- 
valerie qui  était  en  bataille  derrière,  et  qui  enqjôcha 
notre  infanterie  de  les  suivre.  » 

Consultons  maintenant  sur  cet  épisode  le  récit  du 
prince  Ferdinand  qui  as.sistait  h  la  bataille  depuis  le  ma- 
tin :  après  avoir  relaté  les  attaques  répétées  des  Français, 
il  ajoute  :  «  Il  n'était  pas  nécessaire  de  soutenir  le  poste 
que  le  prince  occupait,  dès  que  l'armée  fut  arrivée,  et  il 
n'était  possible  de  venir  avec  l'armée  à  temps  de  Sachsen- 
hauscn  audit  poste  pour  le  secourir;  c'est  pourquoi,  j'or- 
donnais au  prince  de  se  replier  sur  l'armée,  dont  une 
partie  était  alors  formée.  Le  prince  fit  eu  conséquence  sa 
disposition  pour  la  retraite;  quelques  bataillons  et  quelques 
escadrons  perdirent  la  contenance  et  se  retirèrent  avec 
quelque  confusion.  L'ennemi  en  profita,  et  pressant  nos 
troupes  fort  vivement  par  un  grand  feu  de  canon  et  par 
beaucoup  de  cavalerie,  nous  aurions  perdu  plusieurs  ba- 
taillons sans  la  valeur  du  prince  héréditaire,  (|ui  se  met- 
tant à  la  tète  d'un  escadron  de  Jîland  et  du  régiment  de 
Howard,  chargea  l'ennemi  avec  tant  de  violence  que  notre 
infanterie  eut  le  temps  de  se  reconnaître  et  de  faire  sa 
retraite.  »  Le  commissaire  anglais  Hoyd  1'  ([ui  était  égale- 
ment présent,  rend  compte  de  la  reculade  désordonnée  des 
défenseurs  des  bois  de  Corbach  et  en  particulier  de  cinq 
bataillons  qui  avaient  beaucoup  souffert.  Un  gros  corps  de 
cavalerie  française  qui,  jusqu'alors,  avait  été  posté  près  de 
la  ville  de  Corbach,  s'avança  au  grand  galop  et  fit  mine 
de  tomber  sur  les  fuyards.  Pour  les  protéger,  le  prince 
héréditaire  fit  charger  deux  escadrons  anglais;  très  infé- 
rieurs en  nombre,  ils  furent  entourés  par  les  Français  et 
subirent  de  lourdes  pertes,  mais  leur  dévouement  ne  fut 
pas  inutile,  car  il  donna  le  temps  à  l'infanterie  battue 
d'éviter  un  désastre.   Voici  en  quels  termes  Broglie  ra- 


(1)  Boyd  à  lloldernesse,  Sachscuhausen,  12  juillet  17Go.  Record  OHico, 


SUCCKS  DES  FRANÇAIS 


199 


conte  cet  incident  :  ((  Je  fis  marclier  sur  leur  flanc  droit 
(d'un  corps  d'infanterie  anglaise  qui  cliercliait  à  recou- 
vrer la  batterie  dont  la  brigade  de  Navarre  tétait  em- 
parée) 4  ou  5(M>  ciievaux  de  troupes  légères  que  j'avais  à 
la  justice  de  Corbach  aux  ordres  de  MM.  de  Cliabo  et  de 
Vioinenil,  et  je  les  fis  soutenir  par  !()  escadrons  aux  ordres 
de  M.  le  prince  Camille.  Cela  détermina  les  ennemis  à  se 
retiier,  ainsi  que  quelques  coups  de  canou  que  l'on  lira  ; 
nos  hussards  joignirent  un  régiment  de  dragons  anglais 
qu'ils  tuèrent  ou  prirent  presque  tout  entier  ;  le  reste  entra 
dans  un  bois  que  nos  troupes  légères,  soutenues  des  dra- 
gons de  Beaufremont,  tournèrent.  »  11  n'y  eut  pas  d'autre 
poursuite,  et  l'action  se  termina  vers  5  heures  par  la  re- 
traite des  confédérés  à  Sachsenhausen  où  ils  campèrent. 
En  outre  de  la  batterie  prise  par  Navarre,  les  vain(|ueurs 
capturèrent  quatre  pièces  de  parc  et  trois  pièces  régimen- 
taires. 

Pendant  la  mêlée,  le  prince  héréditaire,  toujours  au 
premier  rang,  fut  atteint  par  une  balle  ;  malgré  sa  bles- 
sure, il  resta  à  cheval  jus([u'à  la  fin  de  l'action.  Il  n'en  ré- 
sulta pour  le  jeune  général  qu'une  indisposition  de  quel((u<'S 
jours,  mais  elle  fournit  l'occasion  à  Broglie  de  faire  mon- 
tre de  courtoisie  en  demandant  des  nouvelles  du  blessé  et 
en  proposant  les  services  de  ses  chirurgiens  :  «  Comme 
les  chirurgiens  français,  écrit-il  au  prince  Ferdinand  (1), 
passent  pour  les  meilleurs  de  l'Europe,  je  prends  la  liberté 
de  lui  en  offrir  des  nôtres  et  nous  en  avons  ici  d'excel- 
lents,  » 

Au  combat  de  Corbach,  les  Fran^^ais  perdirent  58  offi- 
ciers tués  ou  blessés  et  761  soldats,  soit  en  tout  819,  dont 
une  centaine  par  suite  de  l'explosion  de  caissons  de  muni- 
tions dans  les  lignes  françaises;  l'état  officiel  de  l'armée 
confédérée  accuse  82'i.  officiers  et  soldats  mis  hors  de  com- 


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(t)  Broglie  à  Ferdinand,  Corbacli,  r>  juillet  17(iO.  Wesiphalen,  IV,  3;u>. 


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300 


LA  GlERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV 


biit;  dans  ce  chifîi'C,  les  prisonniers  non  blessés  fignrent 
pour  179.  Du  côté  des  Français,  les  régiments  de  la  Tour 
du  Pin,  Royal  Suédois  et  Auvergne  furent  les  plus  éprou- 
vés; la  cavalerie  n'eut  que  î)  tués  et  10  blessés.  Broglie  ter- 
mine sadépô(;he  par  l'éloge  de  ses  principaux  lieutenants  : 
«  MM.  de  Saint-derniain  et  de  (iuerchy  ont  manœuvré  à 
merveille  et  conmie  on  peut  l'attendre  d'eux.  »  Les  forces 
présentes  îl  l'alfaire  sous  les  ordres  du  maréchal  se  mon- 
tèrent à  8  brigades,  soit  32  bataillons  et  15  escadrons  avec 
un  contingent  de  troupes  légères.  Le  prince  Ferdinand 
leur  opposa  24  bataillons,  sur  lesquels  5  ne  furent  pour 
ainsi  dire  pas  engagés,  et  23  escadrons,  dont  la  plu- 
part ne  prirent  pas  part  à  l'action;  il  n'est  pas  fait  men- 
tion des  irréguliers,  mais  il  est  probable  que  le  corps  de 
Liickner  fut  à  portée  du  cbamp  de  bataille.  D'après  ces 
données,  si  nous  tenons  compte  de  l'eUeclif  supérieur 
des  bataillons  confédérés,  nous  pouvons  estimer  les  com- 
battants à  2'i.  ou  25.000  Français  et  20.000  Hanovriens. 

En  résumé,  le  succès  de  Corbach  couronnait  fort  heu- 
reusement un  début  de  campagne  qui  faisait  honneur  à 
Broglie  et  à  ses  soldats.  (irAce  à  des  manœuvres  habiles, 
grâce  aussi  aux  fautes  de  l'adversaire,  l'armée  avait  passé 
successivement  l'Ohm  et  l'Eder;  alors  que  quelques  jours 
auparavant  il  tremblait  pour  Giessen,  aujourd'hui  le  ma- 
réchal était  maître  de  Marburg  et  allait  l'être  de  Dillen- 
burg,  dont  le  siège  se  poursuivait  activement;  il  avait  dé- 
logé l'ennemi  d'une  grande  partie  de  la  liesse  et  par  suite 
de  sa  jonction  avec  Saint-Germain,  il  avait  acquis  la  supé- 
riorité du  nombre  et  du  moral. 

Ne  fallait-il  pas  en  protiter  pour  continuer  l'offensive 
avant  l'arrivée  de  Sporcken  que  Ferdinand  allait  certai- 
nement appeler  à  son  secours?  Le  général  hanovrien,  qui 
avait  sous  ses  ordres  17  bataillons,  18  escadrons  et  30  piè- 
ces de  canon,  était  encore  le  9  à  Hamm;  dès  le  lende- 
main du  combat  de  Corbach,  le  11  juillet,  le  prince  lui 


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SPORfKEN  UEJOINT  LE  PHINCE  TERDINAND. 


201 


manda  I)  :  «  de  faire  toute  la  diligence  possible  pour  ar- 
river »,  il  craignait  que  le  défile  de  Stadtberg  ne  fût 
tombé  au  pouvoir  des  Français  et  conseillait  de  passer  la 
Dymel  à  VVarburg.  Aucune  tentative  ne  fut  faite  pour  em- 
pêcher ou  retarder  la  marche  de  Sporckcn  (jui  franchit,  le 
12,  les  défilés  de  Stadtberg-  sans  se  soucier  du  voisinage  le 
Saint-Germain  et  vint  former  la  droite  des  confédérés  à 
Landau. 

En  faisant  son  rapport  à  la  cour  de  Londres,  Ferdinand 
prit  prétexte  de  l'échec  qu'il  venait  d'essuyer,  pour  de- 
mander l'augmentation  du  contingent  britannique;  il  ob- 
tint gain  de  cause  et  reçut  avis  que,  sur  la  proposition  de 
Pitt,  3  bataillons  de  gardes  seraient  envoyés  en  Allema- 
gne sous  les  ordres  d'un  général  qui  portait  le  nom  de 
Cœsar  (2).  A  la  suite  du  combat  de  Corbach,  les  deux  ar- 
mées restèrent  campées  à  une  lieue  l'une  de  l'autre  :  Ferdi- 
nand sur  les  hauteurs  de  Sachsenhausen,  l'armée  française 
sur  le  champ  de  bataille.  Broglic  ne  prévoyait  pas  la 
possibilité  de  reprendre  les  opérations  avant  le  13,  à  cause 
de  la  fatigue  des  hommes  qu'avait  épuisés  une  étape  de 
iï  lieues,  accomplie  par  mauvais  temps,  et  parce  que  la 
nouvelle  distribution  de  pain  ne  pourrait  se  faire  qu'à  cette 
date.  En  efl'et,  le  ik  juillet,  le  gros  du  corps  de  Saint-Ger- 
main fut  posté  à  Gembeck,  ses  troupeb  légères  à  Iled- 
(ùnghausen  ;  le  lendemain,  il  s'établit  à  Canstein,  près  du 
défilé  de  Stadlberg.  Le  prince  Ferdinand  avait  conservé  à 
Sachsenhausen  une  position  que  Broglie  (3)  jugeait  inat- 
taquable, mais  qu'il  espérait  tourner  par  Stadtberg  en 
portant  ses  forces  au  delà  de  la  Dymel.  Toutefois,  cette 


(l)  Ferdinand  à  Spoicken,  Sachsciiliauseii,  11  juillet  17(io.  Westiilialen,  IV, 
1».  ;!32. 

(:>)  La  famille  Adelmère.  à  laquelle  appailenail  le  général,  avait  abandonné 
ce  nom  pour  celui  de  Cœsar ,  surnom  d'un  ancêtre  illustre,  sir  Julius  Adel- 
mère alias  Cœsar. 

(3)  Broglie  à  Belleislo,  Corbach,  17  juillet  17G0.  Arcliives  de  la  Guerre. 


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202 


l.A  GUKHUK  I)K  SKPT  ANS.  —  CllAP.  IV. 


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opération,  qui  éloig-nait  rai'mre  de  .Marburj^  et  do  (lorhacli, 
nécessiterait  un  changement  de  la  base  de  ravitaillement. 
Déjà  Saint-dcimain  se  trouvait  fort  exposé  :  u  Le  poste 
de  StadtbtM'g,  écrit-il  il  lli'oglie  (1  ,  n'est  honni  pour  nous, 
ni  pour  les  ennemis;  je  le  ferai  cependant  occuper  puis- 
que vous  l'ordonnez.  »  La  réplique  du  maréchal  (2)  ne  se 
fit  pas  attendre  :  ><  Je  ne  vous  ai  pas  ordonné  d'occuper  le 
poste  de  Stadtberg-  s'il  est  mauvais,  et  vous  n'avez  qu'à 
relire  ma  lettre;  je  m'empresse  de  vous  prier  de  songer 
que  nous  devons  aller  au  bien  de  la  chose.  C'est  là  ce  ([ui 
doit  uniquement  nous  conduire  tous.  » 

Ainsi  qu'on  le  voit  par  ce  spécimen  de  la  correspondance, 
les  rapports  entre  le  maréchal  et  le  commandant  do  son 
aile  gauche  étaient  aussi  tendus  que  jamais.  Hroglie,  dans 
son  accusé  de  réception  du  billet  injurieux  que  Saint-Ger- 
main lui  avait  adressé  le  1'"  juillet  de  Dortmund,  s'était 
servi  de  ternies  très  mesurés,  mais  il  avait  soumis  le  cas  au 
Uoi  et  envoyé  à  Belleisle  copie  de  toutes  les  lettres  échan- 
gées. Malgré  toute  sa  sympathie  pour  Saint-Germain,  et 
en  dépit  du  sentiment  opposé  qu'il  nourrissait  à  l'égard  de 
son  chef,  le  ministre  n'avait  pu  s'empêcher  de  donner  rai- 
son à  ce  dernier.  Une  cherche  pas  à  cacher  ses  impressions 
à  Saint-Germain;  il  a  pris  connaissance  (3)  de  la  réplique 
de  Broglie,  «  dont  on  ne  peut  trop  louer  la  sagesse  et  la 
modération;  c'est  l'effet  que  la  lecture  de  cette  réponse 
a  opéré  sur  l'esprit  du  Roi  et  de  tout  son  conseil,  et  je 
puis  ajouter  sur  celui  de  tous  vos  amis  les  plus  intimes, 
car  quelque  volonté  que  l'on  puisse  avoir  de  vous  excu- 
ser, il  est  impossible  de  le  faire  en  considérant  le  mou- 
vement d'humeur  qui  vous  a  pris  comme  une  vapeur  pen- 


(I)  Saint-Germain  à  Broijlie,  Canslcin,  17  juillet  17G0.  Archives  de  la 
Guerre. 

{■>)  Bro};lie  à  Saint-Germain,  Coibach,  17  juillet  1700,  9  h.  1/2  soir.  Archi- 
ves de  la  Guerre. 

(3)  Belleisle  à  Saint-Germain,  11  juillet  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


DISOUACK  l)K  SAINT  OEHMAIN. 


203 


dnnt  laquelle  vous  avez  écrit,  comme  vous  l'avez  fait,  à 
M.  le  maréchal  de  Hroyiie  ».  Il  ne  lui  reste  d'autre  |)arti 
<|ue  de  faire  des  excuses  et  d'exprimer  ses  regrets  au 
commandant  en  chef.  Helhùsln  ajoute  qu'il  a  écrit  î\ 
celui-ci  (1)  dans  le  munie  sens  :  «  Si  M.  de  Saint-Ciermainne 
reconnaît  pas  son  tort,  comme  il  le  doit,  en  vous  priant 
d'oublier  la  démarche  <iu'un  mouvement  involontaire  et 
trop  prompt  lui  a  fait  faire  >,  le  maréchal  est  autorisé 
par  le  Roi  ii  lui  donner  un  passeport  pour  rentrer  en 
f'rance.  A  la  cour,  les  amis  de  Broylie  s'étaient  rais  eu 
campagne;  l'ahhé  de  Hroglie  avait  adressé  au  Dauphin, 
à  M'""  de  Pompadour,  à  Soubise,  à  Choiscul,  ainsi  (|u'i"l 
Belleisle,  un  mémoire  (2)  constatant  l'impossibilité  de  con- 
server Saint-(Jermain  à  l'armée  et  demandant  son  renvoi. 
Belleisle  fit  savoir  (ju'il  s'en  tenait  à  sa  dépèche  de  la 
veille. 

Depuis  la  jonction  de  la  réserve  avec  la  grande  armée, 
les  relations  s'étaient  encore  envenimées;  Saint-dermain 
était  convaincu  que  Broglic  n'avait  pas  fait  valoir  suffisam- 
ment la  part  qu'il  avait  eue  au  succès  d(>  Corbach.  Il  ne 
dissimula  pas  son  mécontentement  à  tout  son  état-major  et 
s'en  plaignit  même  à  Broglie.  Celui-ci  se  justifia  :  «  Je 
n'ai  pas  vu  un  mot  qui  blessAt  la  vérité  la  plus  exacte, 
ni.  Monsieur,  qui  put  vous  attaquer  en  aucune  sorte  de 
manière,  et  qui  ne  vous  rendit  toute  la  justice  ([uc  vous 
méritiez.  »  Il  s'agissait  du  retard  apporté  à  l'arrivée  de  la 
réserve  qui  aurait  été  promise  par  Saint-Germain  lui- 
même  pour  le  9,  et  qui  n'aurait  été  effectuée  que  le  10 
juillet.  Pour  un  esprit  prévenu,  tout  incident  est  mal 
interprété;  aussi  nul  doute  que  le  malheureux  général 
se  crût  sous  le  coup  d'une  nouvelle  humiliation.  Voyer, 
qui  servait  sous  ses  ordres  et  qui  était  de  ses  intimes, 


(I)  Belleisle  à  Broglic,  11  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

('?.)  Abbé  de  Broglio  à  Belleisle,  l'i  juillet  ITCO.  Archives  de  la  Guerre. 


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trace  (le  .sou  chef  (1)  le  cro(jui.s  suivant  :  «  Je  me  ci'ois 
obligé  de  vous  inlormcr  que  M.  de  Sainl-dcrmain  n'est 
pas  d'un  caractère  i\  vivo  mené  par  la  lisière,  qu'il  sait 
obéir  ot  couuuander,  (ju'il  l'a  prouvé;  mais  (|u'il  est  sur 
la  forme  d'une  sensibilité  (|u'ou  ne  saurait  a;iprécier, 
que  cette  sensibilité  augmente  encore  par  la  connaissance 
qu'il  a  de  sa  supériorité  dans  les  véritables  parties  du 
métier  de  la  (luerre,  qu'il  ne  fera  aucune  démarche  pour 
rapprocher  les  esprits,  qu'il  no  conviendra  d'aucun  tort, 
et  qu'il  serait  peui-étre  dangereu.v  de  vouloir  le  changer 
ou  le  corriger  sur  sa  façon  d'être,  par  la  raison  que  ce 
qu'on  pourrait  aujourd'hui  taxer  d'imperfection,  chan- 
gera de  nom  et  s'appellera  vertu  et  supériorité,  lorsqu'il 
sera  arrivé  à  la  place  où  il  doit  p.irvenir...  M.  de  Saint- 
Germain  vient  de  me  parler  de  la  lettre  qu'il  a  reçue;  le 
résultat  de  ce  qu'il  m'a  dit  à  ce  sujet  est  qu'il  finira  la 
campagne  avec  résignation,  à  condition  ([ueM.  le  Maréchal 
aura  pour  lui  un  peu  moins  de  rigidité  et  de  sécheresse... 
Il  a  plus  que  jamais  le  bulletin  ou  la  relation  sur  le  cœur; 
en  vérité,  Monseigneur,  il  a  raison  sur  cet  article.  » 

D'im  personnage  aussi  susceptible  et  aussi  entiché  de  son 
propre  mérite,  il  ne  fallait  pas  attendre  les  excuses  qui, 
seules,  eussent  rendu  possible  son  maintien  à  l'armée.  Elles 
ne  se  produisirent  pas,  et  le  19  juillet,  Hroglie  lui  adressa 
l'ordre  de  remettre  son  commandement  au  chevalier  Du 
Muy  et  un  passeport  pour  rentrer  en  France.  I.a  lettre  ri) 
du  maréchal  est  à  citer  :  «  M.  le  maréchal  de  lîeileislc 
m'a  mandé.  Monsieur,  par  sa  lettre  du  11  de  ce  mois  qu'il 
vous  dépêchait  un  courrier  qui  arriverait  avec  le  mien 
pour  vous  faire  connaître  les  intentions  du  Roi,  consé- 
quemment  a  la  conduite  que  vous  aviez  tenue  vis-à-vis 
de  moi  et  à  celle  que  Sa  Majesté  vous  prescrivait  pour  la 


(1)  Voyer  à  Bellei.sle,  Canslein,  IG  et  17  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Broglie  à  Saint-Germain,  Corbach,  H»  juillet)  8  heures  du  soir.  Archives 
de  la  Guerre. 


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])V  MUV  REMPLACE  SAINTOEIIMAIN. 


305 


rt''|>aief.  J'ai  atteiitlu  <|uatro  jours  pour  vous  donner  le 
temps  (le  l'aire  vos  réflexions  là -dessus,  et  je  désirais 
avec  l'empressenient  le  plus  gi-and  et  le  plus  siiic«'M'e  (|ue, 
revenu  de  l'humeur  qui  vous  avait  dicté  la  première  dé- 
uiarclie,  vous  voulussiez  me  uu»ttrc  dans  le  cas  d'espérer 
qu'il  n'en  serait  plus  question,  et  recommencer  avec  vous 
le  commerce  de  confiance  que  j'ai  toujours  eu  pour  objet 
d'établir  avec  vous.  Mais  ayant  pris  le  parti  de  renvoyer 
le  courrier  à  M.  le  maréchal  de  Belieisle  sans  m'avoir 
parlé,  et  les  lettres  que  j'ai  re<;ues  de  vous  depuis  étant 
pleines  du  même  esprit  ([ui  avait  dicté  les  premières,  je 
me  vois  obligé  bien  malgré  moi  d'user  de  la  permission 
que  le  Uoi  m'en  a  donné,  en  vous  envoyant  un  passeport 
pour  retourner  en  France.  »  Hroglie  terminait  en  expri- 
mant ses  regrets  «  d'avoir  été  réduit  à  une  pareille  dé- 
marche ))  et  déclarait  qu'il  ne  s'y  serait  «  jamais  résolu 
sans  la  nécessité  absolue  dont  elle  est  pour  le  service  de 
Sa  Majesté  ». 

Saint-(Jermain  répondit  par  un  simple  accusé  de  ré- 
ception, quitta  son  quartier  général  de  bonne  heure  le 
lendemain  et  se  retira  aux  eaux  d'Aix-la-Chapelle  où  il 
lit  une  cure  de  plusieurs  mois.  Belieisle,  Uuverney  et  Cre- 
mille  mirent  tout  en  œuvre  pour  le  retenir  au  service 
du  Roi;  il  y  eut  de  longs  pourparlers;  Cremille  lit  le 
voyage  d'Aix-la-Chapelle  pour  s'entretenir  avec  lui;  mais 
soit  que  les  offres  ne  lui  parussent  pas  en  rapport  avec 
S'^j  prétentions,  soit  que  l'opposition  des  amis  do  Bro- 
glie  à  une  rentrée  en  faveur  fût  trop  puissante,  la  né- 
gociation n'aboutit  pas,  et  Saint-Germain,  las  d'attendre, 
accepta  le  commandement  de  l'armée  danoise,  et  renonça 
à  toutes  ses  fonctions  et  distinctions  franc^'aises.  Il  fut  vi- 
vement regretté  dans  son  entourage;  à  en  croire  Doreil, 
que  nous  avons  connu  au  Canada  et  qui  renq)lis3ait  l'em- 
ploi de  commissaire  des  guerres  de  la  réserve,  si  son 
départ  n'avait  pas  eu  lieu  pendant  la  nuit,  il  y  aurait 


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LA  GUKUUK  I)K  SKPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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eu  des  clémonstiaîions  de  la  part  de  roflicior  et  du  soldat. 
«  Vous  ne  pouvez  jamais  vous  imaginer,  éci'it-il  à  Bel- 
leisle  (1),  jusqu'il  quel  point  était  la  coniiance  et  l'amoni' 
des  officiers  et  des  troupes  pour  M.  de  Saint-Gevniain  et 
combien  il  mi'srite  ces  sentiments,  avec  les  plus  grands 
talents  d'un  général,  doux,  humain,  poli,  prévenant,  pro- 
bité, droiture,  vérité,  toujours  égal,  la  tète  la  plus  froide 
(jue  j'aie  jamais  vue  et  aussi  froide  au  combat  que  dans 
son  cabinet;  il  réunit  toutes  les  vertus.  »>  Castries  s'ex- 
prime sur  le  même  ton  (2)  :  «  Il  avait  acquis  noti-e  con- 
fiance; toutes  les  troupes  se  croyaient  en  silreté  avec  lui 
et  nous  étions  sûrs  d'apprendre  notre  métier  sous  ses  or- 
dres. » 

No  is  épr  uvons  quelque  peine  à  comprendre  ces  ap- 
préciations enthousiastes  ;  nous  avons  suivi  Sa  nt-Germaiu 
dans  les  campagnes  d'Allemagne,  depuis  la  bataille  de 
Rosbach  jusqu'au  combat  de  Corbach;  pendant  cette 
période  il  exerça  des  commandements  importants;  sur  le 
terrain,  notani'Mcnt  à  Crefeld,  il  montra  du  coup  d'oeil  et 
sut  tirer  bon  ^  .u'ti  de  sa  division,  mais  sa  capacité,  selon 
nous,  ne  s'éleva  pas  au  degré  supérieur.  Au  point  de  vue 
stratégi(iue,  la  prudence  dégénérant  en  timidité,  la  crainte 
perpétuelle  d'être  tourné  ou  co'ipé,  ia  superstition  de  la 
supériorité  numérlcjuc  de  l'ennemi,  l'exagération  des  diffi- 
cultés d'approvisionnement,  se  reproduisent  trop  souvent 
dans  l'action  militaire  de  Saint-Germain  pour  que  nous 
puissions  nous  associer  aux  éloges  que  lui  décernaient  ses 
admirateurs  et  qu'il  acceptai",  si  volontiers  quand  il  ne  les 
revendiquait  pas. 

Pour  en  finir  avec  l'incident  Saint-Germain,  disons  tout 
d'abord  que  Brogiie  rendit  compte  à  Louis  XV  de  sa  con- 
duite dans  une  lettre  (^ui  ne  iait  que  répéter  les  cxplica- 


(1)  Doreil  à  lldleisle,  Canstein,  20  juillet  l/OO.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Castries  à  Belleisle,  Canstein,  21  juillet  176o.  Archives  de  la   Guerre, 


LES  ARMEES  SEPAREES  PAR  LA  WERTHA. 


207 


tions  déjà  données  à  lielleisle.  Il  ne  se  contenta  pas  de 
sévir  contre  celui  qui  paraissait  être  le  chef  des  mécon- 
tents; persuadé  qu'un  mauvais  esprit  régnait  parmi  les 
lieutenants-généraux  de  la  réserve,  mal  disposé  à  l'égard 
d'hommes  qui  avaient  été  choisis  sans  son  approbation, 
Broglie  prit  des  mesures  pour  renouveler  l'état-major  su- 
périeur. Voyer,  avec  lequel  il  avait  eu  maille  à  partir  k 
propos  de  la  surprise  de  Paravicini  à  Dillenburg,  et  du  l.uc 
furent  déplacés  et  n'ommés  à  des  emplois  inférieurs  dar.s 
la  gi-ande  armée;  tous  les  deux,   furieux  de   cette  dis- 
grâce, obtinrent  leur   congé   et  rentrèrent   en  France. 
Broglie  fut  moins  dur  pour  Castries,  qui  était  aussi  dévx)ué 
que  ses  camarades  à  son  ancien  général  ;  la  parenté  de 
Castries  avec  Belleisle,  dont  il  était  le  neveu,  ne  fut  pro- 
bablement pas  étrangère  à  cette  modération.  Aussitôt  après 
le  départ  de  Saint-Germain,  le  maréchal  réunit  tous  les 
lieutenants-généj'aux  et  leur  lut  sa  correspondance  avec 
le  disgracié.  Castries,  disons-le  en  passant,  donne  toit  à 
Broglie,  et  croit  qu'il  était  impossible,  pour  le  comman- 
dant de  la  réserve,  de  présenter  les  excuses  qu'on  lui  im- 
posait •  «  Après  cette  lecture,  écrit-il  (1),  M.  de  Broglie  a 
parle  de  cabales  et  d'esprit  d'insubordination;  il  nous  a 
dit  que  c'était  depuis  que  la  réserve  s'était  approchée  de 
l'armée  qu'il  y  en  avait  eu.  Ce  propos  n'était  pas  flatteur 
pour  nous,  il  n'est  pas  même  juste;    nous  espérons  que 
M.  le  chevalier  de  Muy  nous  rendra   justice  auprès  de 
lui  quand  il   nous    connaîtra  davantage.   La   démarche 
que  M.  de  Broglie  a  bie^i  voulu  faire  en  mécrivant  prouve 
qu'il  ne  me  confond  pas  dans  ce  nombre.  »  Dans  un  en- 
tretien particulier  avec  le  général  en  chef,  Castries  re- 
connut qn'il  avait  toujours  bUVmé  sa  conduite  ;\  Minden, 
mais  affirma  que  cette  critique  n'avait  pas  pris  la  forme  in- 
jurieuse qu'on  lui  avait  attribuée.  «  Il  m'a  répondu  bonne- 


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(1)  Castries  à  Uellcislc,  Caiisloin,  ;il  juillet  1700.  Archives  de  lu  Guerre. 


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208 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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tement  sur  tous  ces  points,  et  je  vais  m'occiiper  du  soin 
(le  bien  faire  la  place  qu'il  vient  de  me  confier.  »  L'atti- 
tude subséquente  de  Broglie  vis-à-vis  de  Castries,  les  mis- 
sions importantes  dont  il  le  chargea,  prouvent  qu'il  ne  lui 
garda  pas  rancune  de  sa  franchise. 

Revenons  aux  événements.  Les  deux  armées  postées  en 
face  l'une  de  l'autre,  offraient  un  spectacle  imposant  : 
«  Notre  camp,  écrit  un  correspondant  français  (1),  s'étend 
à  près  d'une  lieue  et  demie,  quoique  l'infanterie  n'ait  que 
60  pas  par  bataillons  et  la  cavalerie  25  par  escadrons.  Les 
curieux  montent  journellement  à  une  tour  d'où  l'on  dé- 
couvre tout  le  pays  ;  et  comme  les  ennemis  ne  sont  qu'à  une 
lieue  de  nous,  on  aperçoit  aisément  toute  leur  armée  qui 
est  sur  une  hauteur  au  pied  de  laquelle  coule  la  Wertha. 
Le  coup  d'oeil  est  magnifique  :  on  voit  d'un  côté  nos  deux 
corps  d'armée  faisant  ensemble  plus  de  136.000  hommes, 
et  de  l'autre  les  ennemis  au  nombre  d'environ  90.000.  » 
Cependant,  en  dépit  de  sa  supériorité  numérique,  Broglie 
n'était  pas  sans  inquiétude  sur  la  sécurité  de  son  ravitail- 
lement; la  pointe  qu'il  avait  poussée  sur  Corbach  et  dans 
la  direction  de  Paderborn,  menaçante  pour  le  prince  Fer- 
dinand, ne  laissait  pas  d'offrir  quelques  dangers.  Les  con- 
fédérés, campés  à  Sachsenhausen,  encore  maîtres  de  Zie- 
genhayn,  étaient  presque  aussi  rapprochés  que  ceux-ci  de 
Marburg,  base  d'approvisionnement  des  Français;  aussi 
Broglie  devait-il  avoir  le  souci  de  défendre  sa  longue  ligne 
de  communication  contre  les  agressions  d'un  ennemi  que 
l'on  savait  entreprenant.  A  cet  effet,  il  confia  la  surveillance 
del'arrière  au  frère  de  Choiseul,  le  comte  de  Stain ville,  qui 
venait  de  quitter  le  service  de  l'Impératrice  pour  celui  du 
Roi  et  qui  arrivait  précédé  d'une  réputation  acquise  sous 
les  ordres  de  Laudon.  Le  nouveau  commandant  reçut  pour 
instruction  d'assurer  les  relations  entre  Franckcnberg  et 


(1)  Le  Courrier,  29  juillet  17G0.  Newcaslle  Papers. 


SURPRISE  DES  FRANÇAIS  A  EMSDORF 


200 


2ne 


Marburg,  d'expulser  les  partis  ennemis  du  pays  conquis 
entre  TEder  et  la  Schwalm  et  do  préparer  le  siège  de  Zie- 
genhayn;  Glaubitz,  placé  soas  sa  direction,  devait  prendre 
position  avec  sa  brigade  allemande  de  cinq  bataillons  ô. 
Jesberg,   à  moitié  roule  entre  Marburg  et  Fritzlar. 

Aussitôt  qu'il  eut  connaissance  de  ces  dispositions,  le 
prince  Ferdinand  résolut  de  tenter  un  coup  de  main  contre 
le  corps  isolé  de  Glaubitz,  et  si  possible,  contre  la  garni- 
son de  Marburg  ;  il  chargea  de  cette  expédition  son  neveu 
à  peine  remis  de  sa  blessure  de  Corbach  et  brûlant  du 
désir  de  venger  sa  récente  défaite.  En  conséquence,  le 
jeune  général  (1)  prit  à  Fritzlar  le  commandement  de 
0  bataillons  qui  y  avaient  été  envoyés  la  veille,  fut  rejoint 
à  Zwesten  par  Lilckner  avec  ses  hussards  et  un  régiment  de 
cavalerie  venu  en  droite  ligne  de  l'Angleterre,  coucha  à 
Treysa  et  poursuivit  son  chemin  le  lendemain  16  Juillet 
jusqu'à    Speckwinkel   où  il   ramassa   les   chasseurs  de 
Friedrichs  et  les  irréguliers  de  Freytag;  son  infanterie  ne 
rallia  qu'à  11  heures.  Le  prince  se  porta  en  avant  pour 
reconnaître  le  pa^'ti  français  dont  on  lui  avait  signalé  le 
'oisinage;  «  il  trouva  leur  camp  placé  à  une  gorge  de 
montagne,  ap[» ayant  leur  gauche  à  un  bois  devant  Ems- 
dorf  et  ayant  le  village  d  Erksdorf  devant  leur  droite; 
il  prit  chiq  bataillons,  mit  les  chasseur?  à  pied  et  une  bri- 
gade à  cheval  à  leur  tête  pour  faire  l'avant-garde,  fai- 
sant un  détour  de  près  de  deux  lieues  au  travers  des  bois, 
des  montagnes  ot  du  village  de  WoHfskuler  pour  gagner 
la  gauche  do  l'ennemi  qui,  ne  se  doutant  de  rien,  fut  sur- 
pris dans  son  camp  ».  Le  rapport  de  Glaubitz  confirme 
celui  de  son  adversaire,  A  un  ordre  de  Stainville  de  se 
rendre  le  16  tV  Gilseberg  ou  Gersberg,  il  avait  répondu 
qu'il  se  mettrait  en  route  d'Emsdorf,  aussitôt  son  pain  et  sa 


(1)  Le  récit  du  combat  dErnsclorf  est  tiré  du  rapport  du  prince  hérédi- 
taire (Weslphalon  et  Record  Olfice)  et  de  celui  de  Glaubitz  (Archives  de  la 
Guerre). 

Ct'EUilE   UE    REl'T    ANS.    —    T.    IV.  14 


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310 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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viande  reçus.  «  J'attendais  le  pain  qui  n'arriva  que  sur  le 
midi  et  je   comptais  de  partir  à  une  heure,    lorsque  le 
poste  d'infanterie  qui  était  à  la  gauche  du  camp  dans  un 
bois  et  qui  avait  mal  fait  sa  patrouille  fut  attacpié  tout 
d'un  coup,  culbuté,  l'officier  tué,  et  marchant  en  colonne 
sur  mon  camp.  Le  régiment  de  Royal  Havière  dont  il  ne 
restait  plus  que  deux  bataillons,  en  ayant  envoyé  un  à 
Marbourg-  par  ordre  de  M.  le  maréchal,   était  iV  la  distri- 
bution du    pain  ;  mais  averti  par  les  coups  de  fusil  du 
poste,  jeta  son  pain,  courut  aux  armes  et  se  porta  dans 
le  bois  contre  ces  gens;  il  y  eut  un  feu  de  mousqueterie 
et  de  canon  qu'ils  soutinrent  avec  valeur;  on  croyait  que 
c(^  n'était  que  ce  corps  de  800  chasseurs  quand,  tout  d'un 
coup,  nous  vîmes  sortir  du  bois  une  colonne  d'infanterie 
de   toutes  couleurs  qui,  par  un  quart  de  conversion,  se 
trouva  vis-à-vis  de  nous  en  l)ataille;   il  est  certain  qu'en 
moiasdc  trois  minutes,  toute  la  brigade  fut  en  bataille.  » 
Après  une  courte  lutte,  les  deux  bataillons  de  Hoyal  Ba- 
vière furent  chassc.s  du  bois  avec  perte  de  leurs  canons. 
Au  même  moment,  les  trois  bataillons  d'Anhalt  se  virent 
menacés  sur  leurs  deux  flancs  par  le  corps  de  Liickner, 
les  chasseurs  de  Freytag  et  les  dragons  anglais  d'Elliot. 
Enfin,  le  prince  héréditaire  fit  tirer  son  artillerie  sur  le 
camp  français  et  déboucha  du  bois  avec  ses  cinq  ba- 
taillons. Assailli  de  tous  côlés,  coupé   de   Marburg  dont 
le  chemin  était  tombé  au  ]i   iivoir  de  l'ennemi,  (ilaubitz 
n'avait  d'autre  parti  que  celui  de  la  retraite;  il  essaya  de 
l'efrectuer  en  franchissant  les  taillis  dont  il  ne  put  se  tirer 
qu'en  abandonnant  deux  des  pièces  ([ui  lui  restaient  en- 
core ;  il  gagna  ainsi  le  village  de  Langestcin  où  il  repoussa 
une  charge  des  dragons  anglais.  De  ce  village,  il  se  dirigea 
sur  Nieder  Klein  dans  l'espoir  d'atteindre  Marburg  j)ar  un 
grand  détour;  mais  le  vainqueur  ne  lui  en  laissa  pas  le 
temps.  Le  rapport  allemand  décrit  la  poursuite  :  «  Étant 
impossible  à  notre  infanterie  de  suivre,    M*"''    le   Prince 


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GLAUBITZ  lAlT  PRISONNIKR  PAR  LES  CONFÉDÉRÉS. 


211 


prit  le  rég-iment  d'Elliot,  dragons  légers,  ramassa  quel- 
([ues  hussards  et  traversa  après  eux  le  bois  (jii'ils  avaient 
gagné  an  delù  de  l'Ohm  et  les  trouvant  derechef  en 
marche  dans  la  plaine  pour  gagner  Nicdcr  Kloin,  il  donna 
plusieurs  fols  sur  eux,  les  perça  quatre  ou  cinq  fois,  en 
sépara  enfin  500  hommes,  les  entoura  et  leur  fit  mettre 
l)as  les  armes.  Non  content  de  cela,  il  marcha  de  nou- 
veau sur  le  reste  de  l'infanterie  ennemie  qui  s'était  jeté 
dans  Nicdor  Klein  et  qui  s'était  accollé  à  un  bois,  la  frt 
environner  et  sommer  de  se  rendre,  ce  qu'elle  fit.  » 

De  ce   récit,  celu:  de  Glaubitz  ne  difl'ère  que  dans  les 
détails.  11   raconte  qu'à  la  sortie    des    bois,    il    n'était 
plus  qu'à  2.000  pas  de  Nieder  Klein,  «  mais  M.  de  Luc- 
ker  qui  connaissait  tous  les  sentiers  du  pays   tourna  le 
bois  et  je  le  trouvai  en  bataille  dans  la  plaine  pour  me 
couper  le  village;  j'avais  déjà  alors  perdu  beaucoup  de 
monde,  tant  par  les  attaques  que  de  la  lassitude  par  la 
chaleur  qu'il  faisait;  je  pris  alors   le  parti   de   former 
'  "S  bataillons  en  colonnes  serrées  et  chercher  h  percer  ». 
La  tentative  ne  réussit  pas.  Les  débris  de  la  brigade  furent 
obligés  de  mettre  bas  les  armes.  «  Le  soldat,  relate  Glau- 
hitz,  était  rendu  et  exténué  de  fatigue,  n'ayant  pas  eu  de 
viande  depuis  ^rois  jours  et   point   de   pain,  et  presque 
sans  poudre.  Il  était  près  de  6  heures  du  soir,  nous  avions 
fait  plus  de  trois  lieues  de  chemin  par  une  grande  cha- 
leur, toujours  en  combattant.  L'infanterie  ennemie  était 
alors  à  une  demi-lieue   de   moi  derrière  le  bois  que  je 
venais  de  traverser,  les  dragons,   Imssards  et  chasseurs 
à  cheval  et  à  pied  qui  n'étaient  pas  vis-à-vis  de  moi  m'a- 
vaient tourné  de  droite  et  de  gauche.  »  Glaubitz  se  ren- 
dit sans  avoir  consulté  ses  principaux  ofliciers,  ce  qui 
lui  fut  plus  tard  reproché.  Berchiuy,  avec  une  partie  de  ses 
hussards,  se  réfugia  à  Marburg,  d'où  il  écrivait  trois  jours 
après  :  «  De  900  hommes,  il  ne  m'en  reste  plus  que  2(»2 
en  état  de  service,  il  ne  nous  reste  ni  chemise,  ni  mar- 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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mite,  ni  d'autre  cheval  que  celui  que  chacun  montait.  » 
Le  raid  d'Emsdorf  est  à  l'honneur  du  prince  héréditaire 
et  de  ses  soldats  qui  firent  (1)  «  au  moins  20  lieues  en  deux 
fois  24  heures,  les  quatre  dernières  Tinfanterie  en  veste, 
sans  havresacs  ».  Dans  la  journée  du  16,  les  confédérés 
s'emparèrent  du  maréchal  de  camp  Glaubitz,  du  brigadier 
prince  d'Anhalt  et  de  2.661  officiers  et  soldats  (2)  dont  5  ou 
600  blessés  (.'{),  de  5  canons  et, de  9  drapeaux.  Du  côté 
des  Français,  en  outre  des  blessés  tombés  au  pouvoir  de 
l'ennemi,  il  y  eut,  au  dire  de  Glaubitz,  un  peu  plus  de 
300  tués.  Les  vainqueurs  n'accusèrent  qu'une  perte  de 
186  [k]  mis  hors  de  combat,  dont  125  pour  le  seul  ré- 
giment des  dragons  anglais.  Ainsi  que  le  démontrent 
l'aveu  de  Glaubitz  et  les  lettres  d'officiers  présents  (5), 
les  Français  furent  complètement  surpris  et  n'eurent 
connaissance  de  l'approche  de  l'ennemi  que  par  les 
coups  de  feu  qu'ils  reçurent  d'un  bois  qui  dominait  le 
camp,  pendant  qu'ils  étaient  occupés  à  la  distribution 
du  pain  ;  le  général  hanovrien  ne  leur  laissa  pas  le  temps 
de  se  ressaisir.  Malheureusement,  dans  notre  histoire 
récente  et  notamment  pendant  la  guerre  de  1870,  nous 
avons  à  enregistrer  des  incidents  du  môr  j  genre.  Peu 
important  au  point  de  vue  général,  le  fait  d'armes  du 
16  juillet  vint  consoler  le  prince  héréditaire  de  l'échec 
de  Corbach  et  relever  le  moral  des  confédérés,  un  peu 
déprimé  par  le  fâcheux  début  de  leur  campagne. 

Par  bonheur  pour  le  service  de  l'approvisionnement 
de  l'armée  française,  la  fatigue  des  troupes  empêcha 
le  prince   héréditaire  de  pousser  jusqu'à   Marburg,  car 

(1)  Glaubitz  à  Belleisle,  10  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Un  assez  grand  nombre  put  s'échapper  après  la  reddition. 

(3)  Courvoisier,  qui  assistait  au  combat,  rapporte  que  le  régiment  d'Anhalt 
eut  20  officiers  et  335  soldais  l)les.sés. 

(4)  Westphalen,  IV,  347;  le  journal  anglais  des  opérations  du  prince  Fer- 
dinand (London.  1764)  donne  le  chiffre  de  320  pour  les  perles  des  confédérés. 

(5)  Courvoisier  à  Belleisle,  Biilzbach,  22  juillet  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


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POSITION  DES  DEUX  ARMEES. 


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iicnl  d'Anlialt 


il  n'y  avait  qu'un  faible  détacher  lent  dans  cette  ville  et 
l'îs  renforts  ne  le  rejoignirent  <[u'au  cours  de  la  journée 
du  17.  La  capitulation  de  Dillcnburg  dont  la  garnison, 
après  une  belle  résistance  de  15  jours,  se  rendit  le 
15  juillet,  fut  une  légère  compensation  à  la  surprise 
d'Emsdorf. 

Depuis  le  combat  de  Corbach,  Ferdinand  n'avait  pas 
bougé.  Voici  en  quels  termes  il  décrit  (1)  la  position  des 
belligérants  :  «  J'occupe  encore  mon  camp  de  Sachsen- 
hausen.  Le  général  de  Spoerken  en  occupe  un  à  Volck- 
missen,  avec  la  petite  armée;  elle  est  éloignée  de  moi 
de  cinq  heures  de  chemin;  mais  j'ai  établi  des  corps  entre 
Spoerken  et  l'armée,  pour  entretenir  la  communication, 
et  pour  défendre  les  débouchés  par  lesquels  l'ennemi 
pourrait  percer  entre  nous.  J'ai  sur  ma  gauche  un  corps 
de  six  bataillons  et  de  quatre  escadrons,  pour  observer 
le  prince  Xavier  de  Saxe.  Le  gros  de  l'armée  française 
est  à  Corbach;  la  réserve  de  Saint-Germain  à  Massen- 
hausen  (2),  à  trois  heures  de  chemin  de  Corbach,  sur  sa 
gauche;  un  corps  de  10.000  hommes  entre  Corbach 
et  Massenhausen;  un  autre  corps,  de  8.000  hommes  à 
peu  près,  est  sur  sa  droite,  près  de  Voehle,  à  deux 
heures  de  chemin  de  Corbach.  M.  le  Prince  Xavier  est 
marché,  depuis  l'affaire  du  16,  avec  16  bataillons  et 
14  escadrons  outre  les  troupes  légères  à  Rosenthal,  à 
neuf  heures  de  chemin  de  Corbach.  Il  menace,  par  sa  po- 
sition, Ziegenhayn,  et  couvre  en  môme  temps  les  trans- 
ports qui  vont  à  l'armée  française,  avec  la  boulangerie 
de  Marburg.  Le  pays  de  Waldeck  est  un  composé  de 
montagnes,  de  défilés  et  de  ravins;  on  n'y  peut  pas 
choisir  les  positions  à  son  gré.  Il  faut  s'accommoder  de 
celle  qui  a  le  moins  de  défauts.  Nous  sommes  si  près  l'un 


(1)  Ferdinand  à  llold-irnesse,  SachsonUauseii,  21  juillet  1700.  Reconi  Office. 
(i)  Village  voisin  de  Cunslcin. 


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214 


LA  r.UKUUK  DK  SKPT  ANS.  -   CII>?.  IV. 


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de  l'autre  que  nos  batteries  portent  mutuellement  dans 
le  camp  de  l'un  et  de  l'autre.  Je  ne  puis  attaqucn-  les 
corps  postés  sur  les  flancs,  sans  engager  nue  allaire  gé- 
nérale; et  je  ne  crois  pas  pouvoir  faire  cela  avec  succès, 
autant  que  j'en  puis  juger  encore.  L'ennemi  ayant  près 


de  GO.OOO  chevaux  à  nourrir  dans  ses  diilerents 


camps 


le  fourrage  doit  bientôt  commencer  à  lui  manquer;  ce 
■  ([ui  l'obligera  à  prendre  un  parti  qui  sera  celui  de  m'at- 
taquer,  soit  l'armée,  soit  un  de  mes  corps,  ou  do  passer  eu 
Westplialie  ou  de  reculer  jusqu'à  Franckenberg,  peut-être 
pour  60  porter  de  là  sur  Ziegenliayn,  ou  sur  Fritzlar.  » 

Conformément  à  l'une  des  prt  sions  du  prince  Ferdi- 
nand, Broglie  avait  combiné,  pour  le  2V  juillet,  une  at- 
taque concentrée  contre  Spôrcken  qui,  depuis  son  arrivée 
de  Westphalie,  était  au  bivouac  à  VVolkmisscn.  Pendant 
que  des  démonstrations  vigoureuses  du  gros  de  l'armée 
tiendraient  en  respect  le  prince  Ferdinand  et  l'empêche- 
raient de  secourir  son  lieutenant,  Chabo  avec  ses  troupes 
légères,  Muy  avec  l'ancienne  réserve  de  Saint-Germain  et 
le  comte  de  Broglie  avec  deux  brigades  d'infanterie  et  de 
la  cavalerie  devaient  manœuvrer  contre  Spcircken.  Le 
mouvement  stratégique  réussit  à  souhait;  le  général  luino- 
vrien,  après  un  engagement  peu  important,  évacua  Wolk- 
missen  et  Ferdinand,  le  25,  à  1  heure  du  n)atin,  leva  le 
camp  de  Sachsenhausen  et  se  retira  à  Wolfhagen,  puis  le 
jour  suivant  à  llohenkirchon.  Au  cours  de  la  retraite,  il 
y  eut  plusieurs  escarmouches  d'infanterie  et  de  cavalerie, 
dont  l'une  coûta  la  vie  à  un  partisan  français  de  distinc- 
tion, le  comte  de  Vair. 

Le  28,  F'erdinand  avait  installé  son  quartier  général 
à  Kalle,  près  d'Immerhausen,  à  distance  égale  de  Cassel 
et  de  Liebenau  sur  laDymel;  sur  sa  droite,  aux  environs 
de  cette  petite  ville,  était  posté  Spôrcken  qui  fut  renforcé 
le  lendemain  par  le  prince  héréditaire.  En  face  des  con- 
fédérés, Broglie  était  campé  près  de  Zicrenberg  avec  la 


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FEIWMN.VND  DIITACIIE  CONTllE  LA  UKSEUVE  DE  DU  MI;Y.       2ir. 

partie  principale,  à  sa  gauche  Fischer  et  Saint-Victor, 
(pii  remplat.ait  Vair,  à  la  tête  de  leurs  volontaires, 
marchaient  sur  Warburg,  Muy  se  dirigeait  sur  Stadt- 
berg;  le  comte  de  Lusace  avec  la  réserve  de  droite  était 
établi  à  iîreitenbach  ;  il  se  rapprocha  ensuite  de  Cassel, 
tandis  <|iu'  Muy  se  réunit  à  l'avant-garde  à  Warburg. 
La  situation  devenait  embarrassante  pour  Ferdinand; 
le  colonel  anglais  Boyd  l'avait  averti  (1)  que  l'état  ina- 
chevé des  fortifications  de  Cassel  laissait  cette  ville  à  la 
merci  d'un  coup  <l<'  main,  à  moins  d'en  augmenter  sé- 
rieusement la  garnison.  Sur  le  conseil  conforme  de  NVest- 
phalen,  qui  continuait  son  rôle  d'Egérie,  le  prince  y 
envoya  le  général  Kielmansegge  avec  une  division  de 
lO.OOO  hommes.  Restaient  les  dispositions  du  côté  de  la 
Dymel.  Westplialen  expose  (2)  ses  vues  sur  la  conduite 
à  tenir  :  Les  divisions  du  prince  héréditaire  et  de  Spor- 
cken  étaient  menacées  d'avoir  à  lutter  contre  le  corps  de 
Muy  que  Broglie  pouvait  renforcer  ou  rejoindi'c  en  pei- 
sonne  :  «  Mon  avis  est  donc  que  V.  A.  S.  passe  avec  son 
armée  le  Dymel,  car  si  V'.  A.  S.  le  fait  avant  M.  le  Ma- 
réchal, il  est  bien  sur  que  V.  A.  S.  se  trouvant  à  portée 
de  soutenir  le  prince  héréditaire,  M.  de  Muy  sera  engagé 
dans  un  combat  inégal...  Si  V.  A.  S.  réussit  à  Lattre  de 
cette  façon  le  chevalier  de  Muy,  rien  ne  l'empêchera  de 
repasser  le  Dymel  et  reprendre  son  camp  ici  ou  une 
autre  position  ({ui  convienne  davantage  à  la  situation 
des  choses.   » 

Ferdinand  se  rangea  à  l'opinion  de  son  secrétaire  :  «  Je 
pris  sur  cela,  écrit-il  (3),  le  parti  de  laisser  le  général  de 

(1)  Boyd  à  Ferdinand,  Cassel,  25  juillet  17Co,  Westphalen,  IV,  3CG. 

(2)  Westplialen  à  1-^erdinand,  ;iO  juillet  I76o.  Westplialen,  IV,  3(19. 

(3)  Ferdinand  à  Georges,  Warburg,  1"  août  1760.  ilecord  Ollice.  Le  récit 
•lu  combatde  Warburg  est  tiré  des  rapports  de  Du  Muy  etdu  prince  Ferdinand, 
de  la  correspondance  de  Broglie,  de  Castries,  et  d'officiers  français,  de  rela- 
tions anonymes,  de  la  lettre  du  colonel  Peirson,  etc..  Voir  la  carte  à  la  fui 
du  volume. 


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l.A  GLKUUK  1)K  SKPT  ANS.  —  CHAI'.  IV. 


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Kielmanscgge  avec  un  corps  de  troupes  h  Cnsscl,  pour 
soutenir  cette  ville,  et  de  marcher  avec  l'année,  la  nuit 
du  30  au.'Jl,  pour  passer  le  Dymel  entre  Liehenau  et  Drin- 
gelbourg,  ce  qui  s'exécuta  fort  heureusement.  Le  prince 
héréditaire,  qui  avait  passé  le  Dymel  le  29  pour  aller  ren- 
forcer le  général  de  Sporcke  posté  depuis  le  28  entre 
Liehenau  et  Corheck,  fit  reconnaître  la  position  du  cheva- 
lier Du  Mu  y.  qui  occupe  dés  le  matin  du  .'JO  un  camp  fort 
avantageux  entre  Warbourg  et  Ochsendorfl',  On  convint 
que  le  prince  et  M.  de  Sporcken  tourneraient  la  gauche 
de  Tennemi,  pendant  que  j'avancerais  avec  l'armée  sur 
son  front.  » 

Voyons  quels  avaient  été  les  mouvements  des  corps 
français  contre  lesquels  cette  entreprise  était  dirigée  :  'a 
réserve  de  gauche  éta  t  parvenue  à  Warburg  le  29  au  soir 
après  une  marche  fatigante;  depuis  le  27,  à  îl  heures  de 
l'après-midi,  elle  avait  elfectué  un  parcours  de  16  lieues; 
elle  se  composait  de  28  bataillons  de  ligne,  deux  de  mi- 
lices, 31  escadrons  de  cavalerie  et  de  dragons  et  des 
troupes  légères  de  Fischer.  D'après  le  rapport  de  Du  Muy, 
CCS  troupes  n'auraient  fourni  que  18.000  combattants, 
mais  nous  serons  probablement  plus  près  de  la  vérité  en 
les  évaluant  à  20.000  réguliers  et  1.500  irréguliers.  Sporc- 
ken et  le  prince  héréditaire  avaient,  à  eux  deux,  2i  ba- 
taillons et  22  escadrons  auxquels  se  joignirent  les  22  es- 
cadrons (le  Lord  Granby,  soit,  en  y  ajoutant  la  h'gion 
britannique  (i)  et  les  chasseurs,  23  à  2'i..000  effectifs  (2). 

Du  Muy  s'attendait  à  une  attaque  ;  il  savait  que  Sporcken 
avait  franchi  la  Dymel  le  30  à  Liehenau  et  qu'il  avait  reçu 
un  gros  renfort  le  même  soir.  Les  Français  avaient  établi 


(1)  Corps  irrégulier  à  la  solde  de  l'Anglelerre,  formé  en  grande  partie  de 
déserteurs  français,  allemands  et  suisses. 

('^)  La  relation  ollicielle  allemande  ne  compte  les  24  bataillons  et  '.>.'>  esca- 
drons qu'à  14.000  hommes,  ce  qui  supposerait  moins  de  500  hommes  par  ba- 
taillon. 


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POSITION  DKS  IRANfAIS  A  WARIIURG. 


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leur  camp  sur  des  hauteurs  de  la  rive  gaucho  de  la  ri- 
vière, la  droite  appuyée  à  la  ville  de  Warburj^-,  la  gauche 
vis-à-vis  des  villages  de  Menne  et  d'Osscndorf.  Cette  posi- 
tion, forte  en  apparence,  avait  de  graves  inconvénients 
que  la  description  des  lieux  fera  ressortir.  La  vallée  de 
la  Dymel,  étroile  et  encaissée,  est  bordée  de  collines  à 
relief  accusé;  de  la  rive  gauche  remontent  des  vallons 
qui  pénètrent  irrégulièrement  dans  le  plateau  et  qui 
en  détachent  des  mamelons  parallèles  pour  la  plupart  au 
cours  de  l'eau.  Au  bord  de  la  rivière,  le  profil  est  eu  géné- 
ral escarpé  ;  au  nord  de  Warburg  et  dans  la  direction  du 
hameau  de  Menne,  le  plateau,  dont  la  crête  est  assez 
haute  pour  dominer  le  pays  environnant,  se  termine  par 
une  pente  eu  glacis  et  à  faible  déclivité.  Deux  points  atti- 
rent l'attention;  le  premier,  une  butte  au  nord  de  la  route 
de  Warburg  à  Ossendorf,  éloignée  d'un  peu  plus  d'un 
kilomètre  de  ce  village  et  faisant  face  à  iMenne;  le  second, 
de  quelques  mètres  plus  élevé,  en  arrière  du  premier  au- 
quel il  se  relie  par  un  petit  col  que  traverse  la  route.  Ce 
piton  couronné  par  une  vieille  tour,  très  accessible  par 
le  versant  nord,  l'est  beaucoup  moins  si  on  l'aborde  du 
côté  de  la  route  d'Ossendorf  à  Germete  et  de  la  Dymel;  le 
flanc  du  coteau  qui  descend  à  la  rivière  est  couvert  de 
bois.  La  ligne  française  dont  la  droite  s'appuyait  à  la 
ville  de  Warburg,  garnissait  les  crêtes  en  bordure  sur  la 
plaine  de  Menne  et  finissait  au  premier  mamelon,  non 
loin  d'Ossendorf.  La  butte  de  la  tour  avait  été  laissée  en 
dehors;  pour  protéger  son  flanc  gauche,  le  général  fran- 
çais s'était  contenté  de  replier  en  potence  deux  bataillons. 
Cette  omission  coûta  cher  à  Du  Muy;  elle  compromit  sa 
retraite  que  la  nature  du  terrain  et  la  Dymel  à  dos  ren- 
daient déjà  fort  délicate. 

Le  31  au  matin,  Castries  reçut  ordre  de  reconnaître 
l'ennemi  avec  les  compagnies  de  grenadiers  et  chasseurs 
de  tous  les  régiments  de  la  réserve,  deux  régiments  de 


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1,4  (lUKnRK  DE  SKPT  ANS.    -  CIIAP.  IV. 


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clriif;ons  el  les  Fischer.  IJno  hruino  <''i)aisse  qui  couvrait 
tout  le  pays  ne  s«;  dissipa  qu'iV  5)  heures,  aussi  no  fut-ce 
qu'à  ce  moment  (pie  (]asl  ries  put  s'accpiittor  de  sa  mission  ; 
((  J'ai  marche  assez  vivement,  écril-il  A  un  ami  (1,  j'ai  at- 
taqué hi  h'îgiou  hri(anni(]ue.  je  l'ai  poussé<î  et  me  suis 
emparé  de  la  hauteur;  comme  le  J)rouillard  linissrtit  de 
tomher,  j'ai  découvert  alors  toutes  les  colonnes  des  en- 
nemis qui  avaient  passé  la  Dymel  (pii  marchaient  par  leur 
droite.  M.  lUi  Mtiy  est  arrivé  alors,  il  a  vu  de  quoi  il  s'a- 
gissait et  s'en  est  retourné  mettre  sa  réserve  en  hataille. 
J'ai  reculé  mon  détachement  pour  le  i.pprocher  du  camp 
et  n'ai  i)lus  tenu  la  hauteur  (|ue  par  mon  arrièro-garde; 
j'y  suis  resté  le  plus  longtemps  que  j'ai  pu  afin  de  décou- 
vrir les  mouvements  des  ennemis;  à  2  heures,  j'ai  pris 
le  parti  de  rentrer  i)arce  que  j  ai  vu  qu'on  aurait  besoin 
de  mes  troupes;  j'ai  jeté  l'infanterie  de  Fischer  à  War- 
bourg  où  ma  droite  appuyait,  et  j'ai  gagné  la  gauche  oîi 
on  commcn(;ait  à  canonner.  Les  ennemis  qui  des  la  veille 
avaient  allongé  des  troupes  sur  PecUelsheim  se  sont  re- 
pliés sur  la  gauche  et,  à  un  signal,  différentes  colonnes 
ont  marché  pour  attaquer  une  hauteur  où  notre  gauche 
appuyait,  pendant  que  d'autres  tournaient  pour  s'emparer 
d'une  seconde  hauteur  qui  était  derrière  la  première,  qui 
la  commandait  et  qui  coupait  notre  communication  avec 
une  partie  des  ponts  (]ue  nous  avi» m  sur  la  Dymel  au- 
dessus  de  l'embouchure  de  la  Ti  y.'e.  En  conséquence, 
tout  s'est  dirigé  sur  cette  dernière  hauteur;  c'est  dans  ce 
moinent-lîi  qu'arrivant  au  galop,...  je  me  suis  mis  k  la  tête 
de  l'infanterie.  » 

Des  colonnes  ennemies  ({ue  Castries  avaient  signalées, 
celle  de  droite,  dirigée  par  Sporcken,  composée  d'é- 
léments de  toutes  les  armes,  défilait  par  Borgentreich  et 
Grossen  Edor  et  avait  pour  objectif  Ossendorf  ;  elle  devait 


(I)  Castries  à  Boutleville,  Wolfhagcn,  1'  aoilt  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


MOUVKMENT  TOIUNANT  DES  CONlKDKRliS. 


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se  (It-ployor  entre  ce  village  et  le  piton  de  la  tour  à  l'ex- 
Irôine  f^auclie  dont  nous  avons  parlé.  La  colonne  de  gau- 
che, conduite  par  le  générai  Zaslrow.  décrirait  un<^ 
courh»!  intérieure  et  se  placerait  i\  j^auctie  de  la  première 
entre  Ossendorf  et  Mcnnc;.  Les  deux  divisions  prendraient 
les  Français  ou  (lanc  et  à  dos  pendant  «jiie  l'armée  du 
princcî  Ferdinand,  dont  on  espérait  la  prompte  entrée  en 
ligne;,  était  destiné»;  iV  les  aborder  de  front;  en  allemlant, 
pour  détourner  leur  attention,  la  légion  britannique  des- 
sinerait un(;  fausse  attacjue  contre  la  ville  de  Warburg. 
Aussitôt  avisé  de  l'approche  des  confédérés,  Du  Muy 
avait  pris  ses  dispositions  :  V  brigades  d'iidanterieet  2  bat- 
teries sous  les  ordres  de  Ségur  prirent  position  sur  la 
chaîne  des  hauteurs  à  cpn'lqne  distance  de  Warburg;  Mau- 
péou,  avec  deux  brigades,  fut  posté  à  la  droite  en  deçà  de 
la  ville  ;  la  cavalerie,  sous  les  généraux  de  Lutzelbourg  et 
l)auvet,futmasséeaucentre,vis-à-visde  la  plaine  (piis'étend 
de  iMenne  à  Warburg;  les  dragons  de  Fronsac  se  formèrent 
entre  l'infanterie  de  Ségur  et  la  grosse  cavalerie;  enfin, 
derrière  la  gauche  de  cette  dernière,  la  brigade  de  Uouer- 
gue  constitua  la  réserve  ;  le  corps  de  Fischer  l'ut  chargé  de 
défendre  la  ville  et  la  tour  de  Warburg;  l'artillerie  fut 
distribuée  entre  le  centre  et  la  droite.  Par  mesure  de  pré- 
caution, les  gros  bagages  et  les  équipages  avaient  été 
renvoyés  sur  l'autre  bord  de  la  Oymel.  Il  est  évident  que 
Du  Muy  ne  s'était  pas  rendu  compte  du  plan  d'attaque 
de  son  adversaire.  Comme  le  dit  fort  bien  un  corres- 
pondant anonyme  (1)  :  «  Tout  notre  objet  fut  celui  de 
défendre  le  front  du  camp,  d'occuper  la  ville  avec  de 
l'infanterie  et  de  laisser  en  avant  de  cette  droite  les  com- 
pagnies de  chasseurs,  les  grenadiers,  la  cavalerie  et  l'in- 
fanterie de  Fischer  ;  malheureusement,  on  prit  le  contre- 
pied  de  l'objet  du  prince  Ferdinand  (|ui    porta  toutes 


(1)  Détail  de  l'affaire  de  Warburg,  Arcliives  de  la  Guerre,  3.>58. 


220 


LA  GUKRRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


ses  forces  sur  notre  gauclie  en  nous  prenant  par  nos  der- 
rières; on  n'eut  pas  le  moindre  scupçon  de  son  projet, 
ses  manœuvres  étant  couvertes  par  les  bois.  A  midi,  ne 
pouvant  jdus  douter  du  dessein  de  l'ennemi  qui  montait 
le  mamelon  de  montagne  derrière  notre  gauche  au  haut 
duquel  il  y  a  une  tour,  on  fit  marcher  les  brigades  de 
Bourbonnais,  la  Couronne,  Rouergue  et  les  brigades 
suisses,  lesquelles  marchant  à  tire  d'aile  y  arrivèrent 
essoutflées,  mais  avec  cette  valeur  qu'on  ne  peut  bien  ex- 
primer qu'en  les  voyant  agir;  le  feu  commença  un  peu 
après  midi.  » 

Revenons  au  camp  des  confédérés  où  on  attendait  avec 
impatience  la  venue  du  corps  principal  ;  «  Les  têtes  de 
colonnes  de  l'armée  (1)  débouchèrent  vers  les  G  iieuresdu 
matin  sur  les  hauteurs  de  Corbeck  (2)  ;  le  passage  du  Dy- 
mel  avait  un  peu  retardé  sa  marche  ;  on  la  pressa,  mais 
avec  toute  la  bonne  volonté  que  le  soldat  marquait,  il 
était  impossible  d'arriver  aussitôt  qu'on  l'aurait  souhaité; 
pour  ne  pas  perdre  de  temps,  la  réserve  de  M.  de  Spor- 
cken  s'ébranla  à  7  heures  du  matin  et  marcha  selon  sa  des- 
tination pour  tourner  l'ennemi...  Un  brouillard  épais  qui 
nous  couvrit  à  l'ennemi,  nous  empêcha  de  notre  côté  de 
voir  ce  qui  en  était.  On  n'en  pressa  que  plus  la  marche, 
quoique  qu'un  ruisseau  qu'il  fallait  passer  et  un  marais 
qu'il  fallait  tourner  la  rendit  plus  longue  et  la  retarda 
davantage.  » 

D'après  cette  relation,  le  combat  n'aurait  débuté  qu'à 
1  h.  1/2.  En  tout  cas,  le  mouvement  tournant  des  con- 
fédérés était  déjà  fort  avancé  quand  le  général  français 
comprit  que  la  possession  du  mamelon  de  la  tour  déci- 
derait du  gain  delà  bataille.  Le  narrateur  allemand  donne 
des  détails  intéressants   sur  la  lutte  qui  s'engagea  sur 

(1)  Relation  oflick'Ue  du  prince  Ferainaml.  Record  Ofllce. 

(2)  Village  près  de  Liebenaii  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Corbucli  où 
eut  lieu  le  combat  de  ce  nom. 


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COMBAT  POUR  LA  POSSESSION  DU   MAMELON  DE  LA  TOUR.    (M 

ce  point  :  «  A  1  h.  1/2,  M.  le  prince  héréditaire  com- 
mença l'attaque  avec  la  réserve  de  M.  Sporcke,  Le  colonel 
Huth,  commandant  l'artillerie  de  cette  réserve,  établit 
une  batterie  de  V  pièces  de  12  livres  à  la  droite  du  vil- 
lage de  Menne,  une  autre  de  la  même  force  à  la  gau- 
che du  village  d'Ocbsendorf  ;  pour  faciliter  le  débouche- 
ment  par  ce  village,  une  troisième  batterie  fut  placée 
en  deçà  du  village  d'Ocbsendorf  (1),  derrière  une  butte  de 
terre,  tout  attenante  au  village.  Les  deux  premières  bat- 
teries battaient  le  tlanc  de  l'ennemi,  et  la  dernière  prenait 
la  ligne  ennemie  à  travers.  Tout  allait  h  point  nommé,  et 
les  batteries  commencèrent  à  tirer  au  moment  que  la  tète 
de  la  colonne  de  la  droite  outrait  au  village  d'Ocbsendorf. 
Les  troupes  que  l'ennemi  y  avait  postées  se  repliè»'ent  à 
notre  arrivée  sans  lâcher  leurs  coups.  11  avait  posté 
quelques  bataillons  sur  sa  gauche  qui  s'y  étaient  formés 
en  potence,  et  dès  qu'il  s'aperçut  que  nou?  portions  nos 
forces  les  plus  considérables  sur  une  hauteur  escarpée 
qui  était  sur  ses  derrières,  il  y  fit  marcher  le  régiment  de 
Bourbonnais  pour  s'en  emparer.  M.  le  colonel  Beckwitli, 
commandant  la  brigade  des  grenadiers  anglais  qui  avaient 
la  tête  de  la  colonne  avec  M.  Wargot,  aide-majoide  ladite 
brigade,  se  portèrent  en  avant  avec  une  dizaine  de  grena- 
diers; ils  donnèrent  avis  à  M.  le  prince  héréditaire  que 
l'ennemi  poussait  vivement  vers  ladite  hauteur,  sur  quoi, 
le  prince  poussa  lui-même  avec  un  peloton  de  30  grena- 
diers sur  la  hauteur  (2)  pour  s'en  emparer.  Les  Français 
qui  étaient  sur  la  pente  de  la  montagne  ne  purent  dis- 
tinguer si  le  peloton  était  soutenu  ou  non,  et  ils  se  virent 
arrêtés  près  de  10  minutes,  ce  qui  donna  le  temps  aux  ba- 
taillons de  grenadiers  de  Doulhat  d'arriver  ;  le  feu  de- 
vint alors  très  vif.  » 

(1)  Osseiulorf  dans  les  cartes  mofiernes.  ^ 

(2)  L'ïssaul  anglais  se  lit  évidetnmeni    par  la  penle  du  colc  de  la  Dymel 
que,  de  leur  posilion,  les  Français  ne  pouvaienl  découvi  ir. 


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222 


I.A  (;UEUIU>:  DE  SEPT  ANS.  -    CHAP.  IV. 


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A  en  croire  le  correspondant  anonyme  dont  nous  avons 
dôjà  cite  la  lettre,  les  bataillons  de  Bourbonnais  étaient  très 
faibles,  le  régiment  étant  de  service  et  ayant  à  fournir  les 
gardes  et  les  corvées;  en  outre,  les  compagnies  de  gre- 
nadiers et  de  chasseur.",  qui  avaient  été  détachées  sous 
Castrics,  ne  purent  rejoindre  leurs  corps  qu'au  cours  de 
la  mêlée.  La  lutte  pour  la  possession  du  mamelon  dura 
1  1/2  heure,  au  cours  de  laquelle  les  combattants  reçurent 
des  renforts;  du  côté  des  confédérés,  les  grenadiers  an- 
glais de  Maxwell,  puis  des  bataillons  de  ligne  anglais  et 
hanovriens,  enfin  10  pièces  de  canon  qu'on  mit  en  position 
avec  beaucoup  de  j)eine.  Du  côté  des  Franrais,  le  régiment 
(le  Bourbonnais  fut  appuyé  successivement  par  la  brigade 
de  la  Couronne,  par  la  brigade  suisse  d'Yenner,  et  enfin 
par  Kouerguo  qui  constituait  la  réserve  et  par  Touraine 
qu'on  tira  de  la  droite.  Cinq  fois  notre  infanterie,  con- 
duite par  Castries  et  Scgur,  revint  à  la  charge  et  refoula 
l'ennemi  à  plusieurs  reprises;  cependant,  celui-ci  gagnait 
peu  à  peu  du  terrain,  et  tirait  bon  parti  de  la  supério- 
rité de  son  canon.  Pour  secourir  les  bataillons  engagés 
sur  le  pLateau  contre  la  cavalerie  de  Sporcken,  Du  Muy 
appela  deux  brigades  de  cette  arme. 

A  ce  moment,  on  vit  «  déboucher  dans  la  plaine  vis-à- 
vis  de  la  nôtre  »  le  reste  des  escadrons  ennemis,  «  et(l) 
une  autre  colonne  s'avam-a  contre  nôtres  droite;  tant  de 
forces  vis-à-vis  d'un  front  aussi  peu  garni  firent  craindre 
d'être  bientôt  enfoncés  et  enveloppés  ».  C'était  l'entrée  en 
scène  de  l'avant-garde  de  la  grande  armée.  Voyant  que 
son  infanterie,  épuisée  par  une  longue  marche,  n'arrive- 
rait pas  à  temps,  Ferdinand  fit  prendre  les  devants  aux  22 
escadrons  de  l-,or(l  (iranby  et  à  l'artillerie  anglaise.  Ces 
troupes,  après  un  parcours  de  8  kilomètres  au  trot  al- 


(1)  Mouvements  de  la  réserve  depuis  le  17  jusqu'au  31  juillet.  Archivas  de 
la  Guerre. 


,    •        DÉFAITE  DES  FRANPAIS  23i 

lonç'^  vinrent  se  mettre  en  bataille  en  face  de  la  cava- 
lerie française,  ranyée  au  centre  de  la  position. 

D'après  le  rapport  allemand  et  le  récit  de  l'Anglais 
Peirson,  l'intervention  de  Granhy  fut  décisive  ;  elle  pro- 
tégea le  déploiement,  en  avant  de  Menne,  de  la  colonne 
Zastrow  et  lit  reculer  la  cavalerie  française,  avec  laquelle 
il  n'y  eut.  qu'un  choc  partiel  sur  lequel  nous  reviendrons; 
<;  elle  donna  ensuite  si  h  propos  que  l'ennemi  se  voyant 
pressé  de  tous  c<^tés  à  la  fois  ne  tint  plus  nulle  part,  et  se 
retira  en  grande  confusion,  la  plus  grande  partie  de  l'in- 
mteric  aussi  bien  que  de  la  cavalerie  se  précipitant  dans 
ia  Dymel,  qu'elle  passa  non  sur  des  ponts,  mais  à  gué  en 
jetant  en  grande  partie  ses  armes  pour  s'alléger.  M.  de 
Bttlow  ayant  attaqué  avec  la  légion  la  ville  de  Warburg,  en 
débusqua  le  corps  de  Fischer,  qui,  tombant  ensuite  sous 
les  sabres  de  lacavalerie  britannique,  fut  presque  anéanti  » . 
Dans  la  bagarre,  au  dire  des  correspondants  anglais, 
Granby  se  distingua  par  la  vigueur  avec  laquelle  il  enleva 
ses  escadrons;  il  avait  perdu  son  chapeau  et  chargea  nu- 
tête.  L'attaque  fut  puissamment  secondée  par  l'artillerie 
anglaise  qui  se  mit  on  batterie  sur  les  hauteurs  domi- 
nant la  rivière  et  couvrit  de  ses  projectiles  les  Français  au 


A  t  :  j  ilation,  opposons  la  pièce  dans  laquelle  Du 
Muv  e\f.  j  '  s  circonstances  qui  l'amenèrent  à  battre  en 
retraite  ei  '  i  manière  dont  cette  manœuvre  fut  accom- 
plie :  «  On  s'aperçut  que  l'infanterie  ennemie  qui  con- 
servait son  avantage  à  la  gauche,  sans  que  la  nôtre,  achar- 
née contre  elle,  se  retirAt,  faisait  couler  dos  troupes  vers 
les  ponts  que  nous  avions  sur  la  Dymel  pour  nous  couper 
toute  voie  de  retraite.  Lo  danger  était  instant,  M.  le  cheva- 
lier Du  Muy,  pour  lo  provenir,  lit  marcher  M.  do  lioquepine, 
maréchal  de  camp,  avec  la  brigade  de  Tourainc  vers  le 
poiil  et  les  bois,  qui  sont  au  delà  de  la  rivière,  pour  les 
tenir,  il    manda    à  M.   Maupcou,    lieutenant- général,  de 


y  11 


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234 


LA  GUEUUK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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s'y  porter  aussi  avec  la  brigade  de  la  Tour  du  Pin  qui  était 
à  la  droite.  Il  ordonna  à  la  cavalerie  et  aux  dragons  de 
repasser  la  rivière  qui  est  guéable  (1)  dans  toute  cette  par- 
tie et  lit  retirer  en  même  temps  l'infanterie  de  la  gauche  ; 
la  brigade  de  Planta,  composée  de  ce  régiment  et  de  celui 
deLochmann,  couvrit  la  retraite  du  canon  de  cette  gauche 

avec  constance Toutes  ces  troupes  se  mirent  en  bataille 

sur  les  hauteurs  et  les  bois  de  la  rive  droite  ;  on  y  établit 
des  batteries  qui  en  imposèrent  à  celles  de  l'ennemi  et  les 
empêchèrent  de  passer  la  rivière  en  face.  » 

Comme  le  laissent  voir  les  documents  cités,  noire  cava- 
lerie ne  fut  guère  engagée  et  borna  son  rôle  à  protéger 
l'infanterie  ;  il  y  eut  cependant  i:n  choc  entre  la  brigade 
de  Bourbon,  composée  de  ce  régiment  et  de  ceux  de 
Beauvilliers  et  d'Archiac,  et  les  régiments  anglais  Brand 
et  des  Horse  Guards.  Le  maréchal  de  camp  de  Lugeac, 
voyant  quelques  bataillons  de  notre  gauche  fort  empê- 
trés, repassa  la  rivière,  remonta  la  pente,  et  vint  donner 
dans  le  flanc  des  cavaliers  britanniques.  «  Ce  brave 
général,  écrit  notre  officier,  resta  une  demi-heure  pêle- 
mêle  avec  les  ennemis  et  ne  se  retira  qu'après  s'être 
fait  jour  tout  seul  et  leur  avoir  fait  sentir  la  pesanteur 
de  son  bras  ;  le  reste  de  notre  cavalerie  et  les  dragons  ne 
furent  point  de  cette  afl'aire.  »  Le  tableau  qu'il  trace  de 
la  fin  de  la  bataille  est  beaucoup  plus  noir  et  proba- 
blement plus  véridique  que  celui  de  Du  Muy  :  «  Comme 
nous  étions  délabrés  à  la  droite  et  à  la  gauche,  on  or- 
donna la  retraite;  nous  n'avions  que  des  gués  devant  le 
délîouché  de  la  montagne  par  où  on  se  retira  ;  1  infanterie 
passa  dans  l'eau  jusqu'au  genou,  d'autres  de  nos  troupes 
passèrent  au  pont  de  la  gauche.  Le  1°'  bataillon  du 
régiment  de  Planta  suisse  qui  n'eut  pas  le  temps  de  gagner 
la  rivière  fut  écharpé  par  la  cavalerie  anglaise  et  pris 


(1)  La  Dymel  est  large  de  20  à  25  mètres. 


PERTES  DES  DEUX  l'AHTIS. 


2li 


prisonnier  avec  ses  drapeaux.  Les  ennemis  ne  firent  aucun 
mouvement  de  poursuite,  ils  se  contentèrent  de  canonner 
r arrière-garde  ii  laquelle  ils  ne  firent  pas  grand  mal.  » 

En  effet,  ce  fut  seulement  vers  la  fin  de  la  journée  que 
Ferdinand  fit  franchir  la  Dymel  à  Granby  avec  10  bataillons 
et  12  escadrons  qui  avaient  rejoint;  les  Français,  après 
avoir  rétabli  un  peu  d'ordre  dans  leurs  formations,  recu- 
lèrent jusqu'à  Wolkmissen  ;  Granby  campa  sur  la  rive 
droite  et  le  reste  des  confédérés  sur  le  champ  de  bataille. 

La  relation  allemande  accuse  8  officiers  et  194  soldats 
tués,  56  officiers  et  979  hommes  blessés  ou  disparus, 
soit  en  tout  1.237  (1)  hors  de  combat;  par  contre,  elle 
exagère  beaucoup  le  déficit  français  :  «  Il  est  difficile 
d'évaluer  au  juste  la  perte  qu'il  (l'ennemi)  a  fait  en 
hommes;  on  croit,  en  attendant,  ne  vlire  trop  en  assu- 
rant qu'il  a  laissé  1.500  hommes  de  tués  sur  la  place;  le 
nombre  des  blessés  qu'il  a  emportés  ne  saurait  être  petit; 
il  est  impossible  d'évaluer  au  juste  ce  qui  s'est  noyé  au 
passage  du  Dymel,  et  nous  ne  pouvons  pas  même  déter- 
miner avec  précision  le  nombre  des  prisonniers.  Nous 
en  avons  fait  beaucoup,  mais  comme  grand  nombre  en 
a  pris  parti  parmi  nos  troupes  légères,  avant  que  les 
listes  en  aient  été  dressées,  on  ne  peut  marquer  que  le 
nombre  de  ceux  qui  ont  été  renvoyés  à  l'armée  ennemie, 
en  suite  de  la  convention  faite  pour  l'échange  réciproque 
des  prisonniers;  ce  nombre  monte  à  1.818  parmi  lesquels 
se  trouvent  66  officiers,  de  façon  qu'il  y  a  tout  lieu  de  sup- 
poser que  la  perte  de  l'ennemi  ne  saurait  être  moindre 
(le  6.000  hommes,  perte  très  considérable  à  la  vérité, 
mais  qui  serait  devenue  tout  autre,  si  l'action  avait  seu- 
lement duré  une  demi-heure  plus  longtemps.  »  Le  déchet 
français  dépassa  4.000  honmies;  Du  Muy,  treize  jours  plus 


(1)  La  relation  conservée  aux  archives  du  Record  Office  donne  un  chiffre 
plus  élevé,  celui  de  1.673  pour  les  sous-ofliciers  et  soldats  mis  hors  de  combat. 

CLEIlIlt;   DE   Slil'T   ANS,   —  T.    IV.  15 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


tard,  après  avoir  reçu  tous  les  rapports  des  corps,  le  chiffre 
à  4.203.  «  Je  n'en  garantis  pas,  ajoute-t-il  (1),  l'exagéra- 
tion que  lalésine  et  le  mauvais  sens  des  Français  regardent 
comme  une  ressource  pour  la  réparation  de  leurs 
pertes.  »  La  cavalerie,  à  l'exception  du  régiment  d'Ar- 
chiac,  souffrit  peu;  par  contre,  quelques  régiments 
d'infanterie  furent  très  éprouvés,  notamment  ceux  du 
Bourlionnais,  de  la  Couronne,  de  Rouergue,  de  Rohan, 
Rochefort,  Aumont,  Planta  et  Yenner.  Chabo  attribue  (2) 
la  défaite  à  la  faute  de  n'avoir  pas  compris  le  mamelon 
de  la  tour  dans  la  position  à  défendre;  «  ({uelques  points 
intéressants  trop  distants  pour  être  occupés  en  campant 
dont  le  principal  était  derrière  notre  gauche,  n'ont  pu 
l'être  à  temps;  l'ennemi  nous  a  prévenus,  s'y  est  maintenu 
et  dès  lors  la  retraite  est  devenue  aussi  nécessaire  que 
difficile.  Bref,  nous  en  sommes  quittes  pour  i.OOO  tant 
tués  que  blessés  ou  prisonniers,  dont  240  officiers  et  je 
crois  G  pièces  de  canon;  par  abonnement,  nous  aurions 
donné  plus  cher  ».  Le  chiffre  exact  des  canons  pris  fut  de 
8,  dont  6  de  parc. 

L'échec  de  Warburg,  qui  suivait  de  près  celui  d'Ems- 
dorf,  produisit  une  mauvaise  impression  à  Versailles.  Bel- 
eisle,  qui  se  faisait  volontiers  le  critique  d'un  général  qui 
lui  déplaisait,  reprocha  à  Broglie  (3)  de  n'avoir  pas  eu 
connaissance  en  temps  utile  de  la  marche  de  Ferdinand 
sur  la  Dymel  et  de  n'avoir  pas  «  prévenu  un  combat  aussi 
inégal  qui  fait  beaucoup  d'honneur  aux  troupes  et  à  M.  le 
chevalier  Du  Muy,  mais  qui  en  môme  temps  a  un  coup 
d'oeil  infiniment  désagréable,  qu'avec  des  forces  aussi  su- 
périeures (de  notre  côté)  l'ennemi  trouve  le  moyen,  pour 
la  seconde  fois  en  quinze  jours  de  temps,  d'attaquer  deux 
corps  de  votre  armée  avec  autant  d'avantage.  Il  en  résulte 

(1)  Muy  à  Belleisle,  Erliuckhausen,  13  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Cliabo  à  Belleisle.  Wolfhagen,  2  août  17C0. 

(3)  Delleisle  à  Broglie,  8  aoùl  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


BROGLIE  TROMPE  PAR  LE  BROUILLARD. 


227 


une  perte  très  réelle  de  plusieurs  corps,  tandis  que  l'en- 
nemi n'en  a  encore  éprouvé  aucune  »,  Broglie  se  disculpa 
en  accusant  Fischer  et  La  Morlière  de  n'avoir  pas  exécuté 
ses  ordres  qui  leur  prescrivaient  des  démonstrations  sur 
Liebenau  à  l'effet  d'empêcher  la  jonction  de  Spôrcken  et 
du  prince  héréditaire.  La  Morlière,  avec  deur  brigades 
d'infanterie,  et  Saint-Pern,  avec   les   grenadiers  royaux 
de  France,  étaient  à  Wolkmissen  le  29  juillet  et,  par  con- 
séquent, à  portée  de  Du  Muy,  mais  Broglie,  trompé  par 
le  brouillard  et  se  croyant  encore  vis-à-vis  le  gros    de 
l'armée  confédérée,  avait  rappelé  à  lui  ces  deux  divi- 
sions :  «  Ce  môme  jour  29,  écrit-il  (1),  je  passai  toute 
la  journée  sur  la  montagne  de  Durenberg  à  observer 
l'armée  des  ennemis  qu'on  voyait  aussi  parfaitement  que 
des  fenêtres  du  Roi  dans  la  cour  de  marbre,  et  à  faire 
reconnaître  et  ouvrir  des  marches  pour  se  porter  sur  eux. 
Tout  fut  tranquille  dans  leur  camp  jusqu'à  5  ou  6  heures 
du  soir  que  nous  vîmes  détendre  et  ensuite  marcher  un 
corps  d'environ  12.000    hommes  qui  se  dirigea  sur  sa 
droite.  J'en  avertis  M.  le  chevalier  Du  Muy  de  qui  je  reçus 
dans  la  nuit  la  nouvelle  qu'il  était  arrivé  à  Warburg.  » 
Le  30  juillet,  il  n'y  eut  aucun  mouvement  chez  l'ennemi 
qui  était  encore  dans  son  camp  le  soir  «  où  je  l'ai  vu  »  ; 
sur  le  tard,  parvint  un  avis  de  Du  Muy  signalant  la  pré- 
sence de  15.000  Hanovriens  entre  Liebenau  et  le  village 
voisin  de   Corbeck.  Broglie  manda  au  chevalier  de  faire 
passer  ses  bagages  sur  la  rive  droite  de  la  Djmel,  d'assu- 
rer sa  retraite  et  de  se  tenir  en  contact  avec  Saint-Pern  qui 
se  trouvait  à  M^'^îberg,  à  égale  distance  entre  Liebenau  et 
Zierenberg.  Pendant  la  matinée  du  31,1e  brouillard  épais 
dont  nous  avons  pa."lé  rendit  invisible  l'emplaconicnt  oc- 
cupé la  veille  par  le  prince  Ferdinand;  aussitôt   qu'on 
s'aperçut  du  départ  d'une  partie  des  confédérés,  Broglie 

(1)  Broglie  à  Rellelsle,  1«'  et  13  août  1760. 


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TA  GlîEHRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IV. 


I  • 


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donna  l'ordre  successivement  à  Guerchy  et  à  Saint-Pern 
de  se  porter  au  secours  de  Du  Muy;  enfin,  ce  ne  fut  qu'à 
7  heures  du  soir  qu'un  officier,  parti  de  Warburg  à 
10  heures,  annon<;a  au  quartier  général  la  probabilité 
d'une  rencontre  au  cours  de  la  journée. 

Au  demeurant,  la  responsabilité  directe  du  malheur 
de  Warburg  semble  incomber  au  chevalier  Du  Muy  dont 
les  dispositions  furent  des  plus  défectueuses  et  qui  ne  sut 
pas  discerner  le  plan  d'attaque  de  l'adversaire  ni  se 
servir  de  sa  cavalerie  pour  couvrir  une  retraite  devenue 
inévitable.  Du  côté  des  confédérés,  le  prince  héréditaire 
montra  du  coup  d'oeil,  de  la  hardiesse  et  sa  bravoure  ha- 
bituelle; à  titre  de  récompense,  il  reçut  un  don  de  5.000 
livres  sterling  qui  lui  fut  remis  par  Granby  au  nom  du 
roi  Georges.  ■  • 

Fort  heureusement  pour  la  réputation  du  général  en 
chef  français,  la  journée  du  31  juillet,  si  elle  fut  attristée 
par  la  défaite  de  son  lieutenant,  fut  marquée  par  un 
avantage  des  plus  sérieux.  Nous  avons  déjà  relaté  l'état 
défectueux,  au  point  de  vue  de  la  défense,  dans  lequel  avait 
été  laissée  la  ville  de  Cassel,  et  l'envoi  tardif  du  général 
Kielmansegge  avec  une  division  pour  en  renforcer  la  gar- 
nison. Broglie,  qui  avait  poussé  son  aile  droite  dans  la 
banlieue  de  la  capitale  de  la  Hesse  et  dont  le  corps  prin- 
cipal en  était  peu  éloigné,  fit  tàter  la  place  ou  plutôt  le 
camp  retranché  qui  en  constituait  l'ouvrage  essentiel 
par  le  comte  de  Lusacc  avec  la  réserve  de  droite  et  marcha 
lui-môme  avec  4  brigades  d'infanterie,  les  grenadiers  do 
l'armée,  les  gendarmes  et  les  carabiniers  sur  Wolfhagen, 
village  situé  au  bord  de  la  Fulde,  pour  couper  la  route 
au  corps  de  Kielmansegge.  Celui-ci  n'attendit  pas  le  con- 
tact, mais  évacua,  presque  sans  combat,  la  ville  et  le 
camp  retranché,  abandonnant  aux  Français  500  prison- 
niers valides,  de  gros  magasins  et  un  hôpital  d'un  mil- 
lier de  soldats  blessés  ou  malades.  La  retraite  se  lit  avec 


■ ,    i 


PRISE  DE  CASSEL  PAR  RROf.UE. 


92(9 


tant  de  hAte  que  Broglie  ne  put  rattraper  que  le  lon- 
deniain  les  confédérés  qui  s'étai«^nt  retirés  à  Sandcr- 
hausen. 

Dans  sa  correspondance  avec  Holdcrnesse,  le  prince 
Ferdinand  (t)  ne  cherche  pas  à  dissimuler  l'importance 
de  l'événement  de  (^assel  :  «  Je  suis  au  désespoir,  niilord, 
de  vous  annoncer  la  perte  de  la  ville  de  Cassol,  au  mo- 
ment que  je  mande  à  Sa  iMajesté  la  nouvelle  de  la  dé- 
faite de  M.  Du  Muy  qui  naturellement  devait  produire  un 
effet  bien  contraire.  Il  faut  que  je  vous  dise  que  la  forti- 
fication de  la  ville  n'a  pu  être  achevée,  au  point  à  soutenir 
un  siège  ;  mais,  ayant  laissé  le  général  Kielmanseggc  avec 
12  bataillons  dr.ns  la  ville  et  dans  ses  retranchcmenis, 
je  me  llattais  qu'il  serait  en  état  de  se  soutenir  contre  un 
corps  médiocre,  tel  qu'est  celui  du  prince  Xavier,  et  qui 
ne  saurait  passer  10.000  hommes.  H  est  vrai  que  dans 
uu  pays  tel  que  la  liesse,  on  se  trouve  presque  toujours 
dans  l'impossibilité  déjuger  avec  précision  de  la  force  de 
l'ennemi  ;  et  je  dois  avouer  que  le  général  Kielmansegge 
ne  pouvait  trop  bien  juger  de  celle  qui  l'attaquerait.  » 

Ferdinand  soupçonne  le  landgrave  de  Hesse,  peu  soucieux 
d'exposer  sa  capitale  aux  risques  d'un  bombardement, 
d'avoir  entravé  les  travaux  en  cours  d'exécution  mais  il 
ne  se  serait  pas  arrêté  à  cette  opposition,  si  la  place  avait 
été  en  état  de  défense  :  «  J'avais,  ajoute-t-il,  ordonné,  au 
comte  Kielmansegge  qu'en  cas  qu'il  eut  lieu  de  craindre 
d'être  enveloppé  par  une  force  trop  supérieure,  il  de- 
vait se  retirer  de  la  ville  avec  le  gros  de  son  détache- 
ment jusques  à  Sanderhausen,  d'y  attendre  l'événement 
et  d'y  soutenir  la  ville  ou  d'attirer  à  lui  la  garnison, 
selon  les  circonstances.  Il  a  pris  le  parti  de  sortir  de  la 
ville  hier  à  midi,  en  prenant  d'abord  tout  son  monde  avec 
lui.  Il  s'est  retiré  jusques  à  Munden,  et  a  été  vivement 


(l)  Ferdinand  à  Holdernesse,  Warburg,  l"  août  17G0.  Record  Oflice. 


2;io 


LA  GUERRE  DE  SEPT  *NS.  -  CHAP.  IV. 


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poursuivi  par  les  ennemis.  Il  m'assure,  cependant,  que 
sa  perte  n'est  pas  considérable.  Vous  voyez,  niilord,  que 
la  fortune  s'opiniâtre  à  nous  être  contraire.  La  perte  de 
Cassel  est  une  plaie  bien  profonde  qu'il  sera  ti'ès  difficile 
de  fermer,  mais  je  ne  désespère  pas.  » 

Kielmansegge  fut  mené  tambour  battant  par  les  vain- 
queurs; la  ville  de  Munden,  où  une  arrière- garde  était 
restée,  fut  emportée  d'assaut  par  (îrandmaison  et  Vignolles 
à  la  tête  de  leurs  volontaires.  Ils  y  firent  :}00  prisonniers 
et  s'emparèrent  de  quelques  canons  et  de  magasins  très 
importants.  Kielmansegge  se  retii*a  vers  Beverungen  sur 
le  Weser,  à  peu  de  distance  du  confluent  de  ce  fleuve 
avec  la  Dymel.  Durant  la  première  quin.'aine  d'août,  les 
avant-gardes  frani^aises,  qui  s'étaient  avancées  au  dehï 
d'Esbecke,  sur  la  route  de  Munden  à  Eimbeck,  eurent  des 
rencontres  avec  les  bussards  de  Liickner  qui  battaient 
l'estrade  sur  la  rive  droite  du  Weser;  dans  l'une  de  ces 
escarmouches,  un  officier  de  réputation,  le  major  hano- 
vrien  Frederichs,  fut  blessé  et  pris  ;  dans  une  autre,  300  Sa- 
xons fui'ent  surpris  et  enlevés  le  10  août  à  Northeim,  dont 
ils  venaient  de  se  rendre  maîtres,  et  pendant  qu'ils  étaient 
en  train  de  faire  la  soupe. 

Dans  la  réserve  du  comte  de  Lusace,  à  en  croire  les  té- 
moignages français,  la  discipline  aurait  laissé  fort  à  dé- 
sirer; à  la  prise  de  Munden,  il  y  eut  beaucoup  de  désordre. 
Wimplfen.  qid  commandait  un  régiment  suisse  attaché  au 
corps  saxon,  ne  cache  pas  (1)  ses  impressions  :  «  Je  vous 
exprimerai  difficilement.  Monseigneur,  ma  douleur  d'être 
le  seul  régiment  d'infanterie  du  Koi  à  cette  réserve  ;  l'af- 
freuse indiscipline  qui  règne  parmi  les  troupes  saxonnes 
est  d'un  exemple  bien  dangereux  pour  le  régiment  que  je 
commande;  je  suis  cependant  parvenu  jusqu'ici  à  l'em- 
pêcher de  s'en  écarter,  mais  je  sais  que  le  soldat  qui  voit 


(1)  Wimpfl'en  à  Belleisle,  Esbecke,  7  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


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14 


INDISCII'LINK  DU  COUPS  SAXON. 


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piller,  ravaycr  et  saccayer  à  ses  c(Més  en  murmure,  et  je 
crains  bien  ([ue  cela  rie  m'occasionne  licaucoup  de  dé- 
sertion. »  Le  commandement  n'était  pas  à  la  hauteur  : 
«  Comme  vous  m'avez  permis,  Monseigneur,  de  penser  tout 
haut  avec  vous,  je  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer  que 
nous  ne  manœuvrons  pas  trop  militairement,  et  je  crains 
bien  que,  faute  de  précaution  et  de  prudence,  nous  ne 
recevions  à  la  lin  ({ueique  échec.  Notre  conduite  ressemble 
beaucoup  à  celle  cpie  nous  avons  tenue  dans  la  campagne 
de  Itosbach;  nous  n'avons  que  deux  généraux  français  ici 
qu'on  ne  consulte  pas;  le  reste  des  généiaux  et  de  i'état- 
major  est  composé  de  sujets  ineptes  (|ui  n'ont  pas  la  moin- 
dre notion  militaire.  »  Cette  fAcheuse  appréciation  est 
confirmée  par  une  note  de  Montchenu,  attaché  à  l'état- 
major  du  comte  de  Lusacc;  cet  officier  nous  apprend  (1) 
que,  sur  les  UOO  prisonniers  saxons  faits  à  Northeim, 
13(i  avaient  refusé  l'échange  qui  leur  avait  été  oll'ert  con- 
formément au  cartel  en  vigueur  et  n'avaient  pas  voulu 
réintégrer  leurs  régiments. 

Sur  la  rive  opposée  du  Weser  il  y  eut  aussi  des  coml)ats 
malheureux;  dans  la  petite  guerre  qui' se  poursuivait 
entre  les  avant-postes,  les  Fran<;ais  éprouvèrent  un  nouvel 
échec  ;  Saint- Victor  qui  avait  été  envoyé  avec  des  troupes 
légères  et  quelques  dragons  sur  la  rive  gauche  pour  éta- 
blir la  communication  entre  l'armée  principale  et  la  ré- 
serve de  Lusacc  fut  chassé  de  la  foret  de  Sababorg,  le 
11  août,  avec  perte  de  200  hommes  et  3  canons  légers. 

Cependant,  l'ensemble  des  opérations  avait  été  favora- 
ble à  Broglie;  aussitôt  après  la  prise  de  Cassel,  ce  général 
avait  reporté  en  avant  la  réserve  de  Du  Muy,  occupé  Stadt- 
berg  et  contraint  les  confédérés  à  regagner  la  rive  gauche 
de  la  Dymel.  D'autre  part,  la  forteresse  de  Ziegenhayn,  à  la 


(1)  Montchenu  au  comlu  de  Broglie,  Millenliausen,  14  août  1760.  Archives 
de  la  Guerre. 


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33? 


LA  OLKURK  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


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suite  d'un  siège  de  quelques  jours,  avait  capitulé  lelOaoïU 
avec  sa  garnison  forte  d'environ  8(M)  hommes.  ((  Il  est  heu- 
reu..,  rapporte  Bi'oglie  1 1  ),  que  le  chiVteau  ait  jugé  fi  propos 
de  se  rendre,  car  nos  5  pièces  étaient  prêtes  à  se  taire  tout 
k  fait,  et  je  ne  sais  quand  on  aurait  pu  avoir  des  chevau.r: 
pour  y  en  conduire  d'autres,  ainsi  ([ue  des  munitions.  » 

A  partir  des  premiers  jours  d'aoïU  jus([u*au  22  de  ce 
mois,  les  belligérants  restèrent  séparés  par  la  Dyniel, 
Broglie  sur  la  rive  droite,  son  extrême  gauche  à  Corhach, 
Du  Muy  à  Krlinghausen,  le  quartier  général  k  Oher  Ustin- 
gen  à  quelques  kilomètres  de  la  rivière  et  à  égale  distance 
de  Warburg,  Liebenau  et  Wolkmissen;  sur  la  rive  droite 
du  Weser,  entre  iMunden  et  (iiittingcn  le  corps  de  Lusace. 
En  l'ace  des  Français,  le  prince  Ferdinand  campait  sur  le 
bord  opposé  de  la  Dymel,  son  quartier  général  ù  Meerholl' 
entre  Corbeck  et  \Yarburg,  sa  gauche  à Scheil'eldo,  War- 
burg  et  Liebenau;  Wangenheim  qui  avait  remplacé  Kiel- 
mansegge,  à  cheval  sur  le  Weser  dans  les  environs  de  Be- 
verungen  ;  Liickner,  avec  un  détachement,  siu'  la  rive 
droite  du  tleuve,  tenant  tcte  au  comte  de  Lusace. 

Comment  continuer  le  mouvement  en  avant;  quels 
moyens  employer  pour  forcer  le  prince  Ferdinand  à  aban- 
donner sa  position  derrière  la  Dymel?  Broglie  se  montre 
très  endjarrassé  (2)  à  cet  égard  :  «  La  nature  du  pays 
dans  lequel  se  fait  cette  campagne  est  telle  que  celui  qui 
est  sur  la  défensive  trouve  à  chaque  pas  des  postes  à  se 
placer.  Depuis  la  prodigieuse  quantité  d'artillerie  qu'on 
a  dans  les  armées,  l'attaquant  a  un  grand  désavan- 
tage. »  L'insuffisance  de  chariots  et  de  chevaux  pour  le 
transport  journalier  de  1.200  sacs  de  farine,  la  longueur 
de  la  ligne  de  ravitaillement  dont  la  base,  Francfort, 
est  k  44  lieues  de  l'armée,  s'opposent  à  la  reprise  de  l'of- 


(1)  Broglie  à  Belleisie,  Ober  Uslingen,  .1 1  août  176o.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Broglie  k  Belleisie,  Ober  Uslingen,  17  août  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


EMKAHHAS  DKS  GK.NEKAUX  lUVAUX. 


9M 


fcnsivn  :  «  I.a  ([iinntité  de  troupes  que  je  suis  ol)lig<'>  de 
plucci'  en  comnniuicalions,  à  mesure  (jue  j'avance  dans  le 
pays,  la  nécessité  où  je  suis  do  laisser  un  corps  consi- 
dérable près  (lassel  pour  assurer  mes  subsistances  et  la 
diCliculté  A,  cause  do  la  nature  du  pays  de  m'en  Taire 
rejoindre  proniptement,  pendant  que  le  prince  Ferdinand 
peut  aisément  tirera  lui  le  corps  qu'il  laissera  sur  la  rive 
gauche  du  Weser,  les  maladies  ([ui  commencent  à  peu- 
pler beaucoup  les  bôpitaux,  enfin,  l'arrivé»  de  7. 00(>  An- 
glais (1)  dont  la  tôte  a  débar([ué  le  7  i\  Brenierthé,  tout 
cela  l'ait  (ju'on  ne  peut  pas  regarder  avec  vérité  l'armée 
du  Roi  ([ui  opérera  dans  le  pays  d'Hanovre  comme  supé- 
rieure iï  celle  des  ennemis.  »  Aussi,  avant  de  prendre 
un  parti  définitif,  veut-il  consulter  la  cour  au  su, 't  des 
«  ordres  qu'elle  jugera  à  propos  de  me  donner  ainsi  ([uo 
pour  les  mesures  qu'elle  jugera  à  propos  de  prendre  en 
conséquence  ». 

Dans  son  camp  sur  la  rive  gauche  de  lalJymel,  le  prince 
Ferdinand  était  tout  aussi  perplexe  que  son  adversaire  ; 
fort  inquiet  des  progrès  du  comte  de  Lusace,  dont  les  pa- 
trouilles avaient  dépassé  la  ville  de  (iottingen,  il  venait 
d'apprendre  la  marche  du  duc  de  Wurtemberg,  qui  était 
rentré  eu  scène  avec  un  corps  de  10.000  hommes  et  se  di- 
rigeait sur  Mciningen;  il  n'a  personne  à  lui  opposer;  lo 
Hanovre  et  le  Brunswick  sont  ouverts  à  l'invasion.  Pour  sau- 
ver ces  contrées  du  danger  qui  les  menace,  il  ne  voit  d'au- 
tre remède  que  l'envoi  d'Angleterre  de  nouveaux  ren- 
forts  en  hommes  et  en  chevaux.  C'est  dans  ce  sens  qu'il 
adressa  (2)  au  cabinet  anglais  un  ardent  appel,  qui  fut 
d'ailleurs  assez  mal  reçu.  Le  ministère  anglais  avait  été 
défavorablement  impressionné  par  la  tournure  générale 
de  la  campagne  et  surtout  par  la  perte  de  Cassel.  Ilard- 

(1)  11  s'agit  deâ  :)  bataillons  des  gardes,  dont  l'cfTectil'  ne  dé|>assail  pas  au 
maximum  3.50U  coinbaltauts. 

(2)  Ferdinand  à  Iloldeinesse,  Warbur}^,  il  août  17G0.  Hecord  Oflice. 


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23i 


LA  GUKUUK  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


wicke  était  bien  l'interprète  de  l'opinion  publique  quand 
il  disait  (1)  à  son  ami  Newcastle  :  «  Je  ne  vois  pas  encore 
en  quelle  mesure  ce?  actions  partielles  contribuent  aux 
«  sumnia  rerum  ».  Elles  peuvent  couvrir  de  gloire  quel({ues 
officiers  ot  certains  régiments,  ce  qui  est  fort  bien  en  soi  ; 
mais  pour  servir  la  cause  nationale,  il  nous  faudrait  un 
beau  succès  gagné  dans  une  afl'aire  d'ensemble,  et  je  m'i- 
magine <]u'on  ne  se  soucie  guère  de  la  livrer.  »  De  son 
C(Mé,  Newcastle  (2)  se  plaiht  amèrement  que  l'accroisse- 
ment considérable  du  contingent  anglais  en  Allemagne 
et  l'augmentation  énorme  de  ia  dépense  n'aient  abouti 
(jo'à  une  campagne  défensive  sans  espoir  de  résultat. 

Étant  donné  cet  état  d'esprit,  il  n'e«t  pas  surprenant 
que  lloldernesse  ait  été  chargé  de  répoiidre  (3)  à  la  re- 
quête de  Ferdinand  par  une  fin  de  non-recevoir  :  Il  allé- 
gua la  faiblesse  des  elfectifs  en  Angleterre  et  la  difficulté 
de  lever  des  recrues  qui  ne  pouvaient  s'obtenir  que  par 
voie  d'engagements  volontaires,  comme  raisons  péremp- 
toires  pour  refuser  tout  renforcement  des  troupes  bri- 
tanniques affectées  à  la  guerre  du  continent.  Force  fut  à 
Ferdinand  de  chercher  une  autre  combinaison. 

•   (1)  Haidwicke  à  Newcaslle,  10  août  1760.  Newcastle  Papers. 
(>)  Newcastle  à  Yorke,  12  août  17(10.  NewcasUe  Papers. 
(3)  Holdernesse  à  Ferdinand,  20  aoiU  17G0.  Record  Of.ice. 


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CHAPITRE  V 


; 


GLOSTERGAMP 

SI  BI'RISE  1)E  ZIERKMIEKG.  —  (COMBATS  I)E  FRANCKENAU  ET  DE 
DRAUNSFELI).  —  IHVERSION  DU  PRIXCE  IIÉRÉHITAIRE  EX 
WESTPIIALIE.  —  CASTRIES  SUR  LE  BAS-R1IL\.  —  BATAILLE 
DE  CLOSTERCAMI».  —  I  ERDINAND  EXVAIIIT  LA  IIESSE.  — 
DÉFAITE  DES  SAXONS.  —  SIÈOE  DE  CASSEL.  —  RETOIR  OF- 
FENSIF DE  BROULIE.  —  COMBAT  DE  GRUNBERG.  —  RETRAITE 
DE  FERDL\AND. 

Depuis  le  combat  de  Warbui'g  jusqu'au  22  août,  c'cst-à- 
dirc  pendant  trois  semaines,  Brogiie  conserva  sa  position 
d'observation  sur  la  rive  droite  de  la  Dynicl.  De  son  quar- 
tier général  d'Ober  Ustingen,  il  entretint  avec  le  maré- 
chal de  Bellcisic  une  correspondance  active  dont  b?  con- 
tenu dévoile  les  sentiments  peu  sympathiques,  pour 
ne  pas  dire  antipathiques,  que  les  écrivains  éprouvaient 
l'un  à  l'égard  de  l'autre.  Le  ministre,  tout  en  cherchant 
loyalement  àsubvenir  aux  besoins  de  l'armée,  ne  ménage 
pas  SCS  critiques,  pose  des  questions  embarrassantes, 
chicane  sur  les  (lét;;ils,  intervient  dans  la  composition  des 
états-  majors,  se  plaint  d'être  insuffisamment  renseigné,  de 
voir  la  primeur  des  nouvelles  passer  par  dos  mains  étran- 
gères avant  do  parvenir  au  Ministère;  il  fait  volontiers 
des  confidences  à  ses  amis  de  l'armée  et,  dans  ses  lettres 
intimes,  ne  dissimule  en  aucune  façon  son  opinion  sur  la 
conduite  et  le  caractère  de  leur  chef.  Aux  épitres  offi- 
cielles, Broglie,  autoritaire,  susceptible,  réplique  sur  un 


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236 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


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ton  sarcastiquc  qui  n'était  pas  pour  plaire  ;  se  croyant  ou 
se  sentant  en  butte  à  l'hostilité  de  la  cour,  il  ne  veut  rien 
entreprendre  de  sa  propre  initiative  et  insiste  pour 
abriter  sa  responsabilité  derrière  l'autorisation  royale. 

Belleisle,  malgré  les  résultats  acquis,  n'est  pas  sa- 
tisfait des  incidents  de  la  campag^ne.  A  bon  droit,  il  sou- 
ligne les  surprises  dont  nos  détachements  étaient  trop 
souvent  les  victimes,  et  les  captures  en  hommes  que  l'en- 
nemi nous  infligeait  malgré  son  infériorité  numérique.  Il 
n'ose  pas  s'expliquer  à  ce  sujet  avec  Broglic  et  c'est  tV 
Castrics,  son  neveu,  qu'il  s'adresse  (1)  :  «  J'apprends  cha- 
que jour  des  pertes  et  fort  peu  de  revanches;  aussi,  par 
l'état  que  m'envoie  le  commissaire  Lasalle,  nous  sommes 
furieusement  en  arrière  sur  l'article  des  prisonniers,  et 
sans  les  trois  garnisons  que  nous  avons  prises  avec  l'hô- 
pital de  Cassel,  ce  serait  bien  pire,  »  Quelques  jours 
après,  au  même  correspondant  (2)  :  «  Le  nombre  des 
officiers  prisonniers  qui  sont  entre  les  mains  des  ennemis 
est  bien  différent  de  ceux  que  nous  avons  faits  chez  eux. 
Il  est  bien  malheureux  de  perdre  sans  cesse  et  de  voir 
qu'indépendamment  des  grandes  actions,  le  journalier 
nous  coûte  cha([ue  mois  presque  le  double  de  ce  que  les 
ennemis  perdent.  »  Belleisle  s'en  prend  à  Broglie  (3)  qui 
s'était  efforcé  d'excuser  ses  lieutenants  :  «  Si  vous  ne 
vous  mettez  pas  en  peine  de  savoir  autre  chose  que  ce 
qui  concerne  le  courage  des  officiers  généraux  et  des 
troupes,  sans  chercher  à  connaître  les  raisons  qui  ont  pu 
procurer  le  succès  ou  le  malheur  d'une  opération  qui  se 
passe  si  près  de  vous  et  pour  ainsi  dire  sous  vos  yeux, 
comment  le  Roi  qui  est  à  150  lieues  peut-il  espérer  de 
savoir  le  vrai?  Comment  S.  M.  peut-elle  connaître  qui  elle 
doit  récompenser  ou  blAmer?  )> 

(1)  Belleisle  à  Castries,  19  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Belleisle  à  Caslries,  .!3  août  1700.  Archives  Oc  la  Guerre. 

(3)  Belleisle  à  Broglie,  23  août  1760.  Archives  delà  Guerre. 


CRITIQUES  DE  BELLEISLE  ET  RÉPONSES  DE  UROGLIE.       237 

La  iéponse  de  Broglie  (1)  est  un  spécimen  caractéristi- 
(|ue  de  sa  manière  épistolaire  :  «  Je  n'ai  rien  à  ajouter  à 
tous  les  détails  qui  étaient  contenus  dans  la  mienne 
du  13...  Us  sont  si  clairs  que  ceux  auxquels  ils  ne  prou- 
vent pas  que  les  raisons  que  j'ai  eues  de  me  conduire 
comme  je  l'ai  fait  étaient  justes  et  conséquentes  aux  mou- 
vements des  ennemis,  ne  seraient  pas  persuadés  par  des 
volumes  d'écritures  auxquels  je  n'ai  paj  le  temps  de  me 
livrer,  et  qui  seraient  même  très  inutiles  puisqu'on  ne 
voudrait  pas  les  entendre  davantage...  Lorsqu'e'le  (Sa 
Majesté)  jugera  à  propos  de  m'interroger  elle-même  sur 
le  mérite  de  ceux  qui  la  servent,  je  l'en  instruirai  avec  la 
vérité  la  plus  exacte,  parce  que  je  la  lui  dois;  mais  je 
me  garderai  bien  de  donner  matière  à  des  commentaires 
qui  n'aboutissent  qu'à  me  faire  mander  que  ceux  que  je 
dis  s'être  mal  conduits  ont  bien  fait,  à  les  voir  protégés, 
soutenus  et  souvent  récompensés,  et  à  me  faire  des  enne- 
mis de  leurs  parents  et  protecteurs.  »  Un  nouvel  inci- 
dent fâcheux,  la  surprise  de  Zierenberg  dans  lu  nuit  du 
5  au  6  septembre,  vint  appuyer  les  observations  du  mi- 
nistre ;  dans  son  rapport  (2)  Broglie  reconnaît  que  les  com- 
mandants détachés  laissent  souvent  à  désirer  :  «  Croye? 
que  cette  inquiétude  perpétuelle,  sur  ceux  qu'on  emploie, 
fait  passer  bien  de  mauvaises  nuits  et  n'a  pas  besoin  d'être 
augmentée  par  des  reproches  aussi  continuels,  j'ose  dire, 
que  peu  mérités.  Vous  avez  approuvé  le  choix  que  j'ai  fait 
de  M,  de  Nordmann  pour  l'employer  à  commander  une 
brigade  des  troupes  légères;  vous  m'en  avez  parlé  avec 
éloges  ainsi  que  M.  de  Viomesnil,  et  M.  de  Comeyras  ne 
leur  cède  pas  en  courage  et  en  volonté.  Cependant,  vous 
verrez  par  la  lettre   ci-jointe  de  M.  de  Viomesnil,  qu'ils 


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(i)  Broglie  à  Bclleisin,  Immcnliausen,  l  "  septembre  1760.  Archives  de  la 
Guerre. 

(i)  Broglie  à  Uelleifîe,  Immenliausen,  7  sepleinbre  ITOo.  Archives  de  la 
Guerre. 


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238 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V.    - 


ont  été  surpris  la  nuit  du  5  au  6  dans  Zieremberg  à  une 
petite  dcmi-lieue  du  camp  de  M.  de  Muy,  et  à  la  vue  des 
postes  avancés,  et  ils  y  ont  perdu  aux  environs  de 
400  hommes  et  36  officiers.  A  qui  se  peut-on  fier  après 
cela?  Il  n'est  pas  étonnant  que  le  nombre  des  prisonniers 
augmente  pendant  les  campagnes.  Nos  officiers  ne  savent 
que  se  battre,  souvent  avec  désavantage,  ignorant  la  mé- 
thode de  faire  la  guerre  en  troupes  légères,  sont  très  né- 
gligents pour  la  plupart  et  ont  contre  eux  tous  gens  du 
pays.  Tout  ce  que  je  puis  faire,  c'est  de  ne  les  point 
aventurer,  de  leur  donner  de  bonnes  instructions,  lorsque 
je  les  détache,  de  les  exhorter  à  être  de  la  plus  grande 
vigilance,  et  il  n'y  a  pas  de  jour  que  je  ne  le  fasse.  Je 
les  visite  très  souvent  ;  voilà  tout  ce  qui  dépend  de  moi 
et  je  ne  crains  pas  que  vous  puissiez  en  disconvenir.  » 

Néanmoins  dans  l'ensemble,  en  dépit  de  quelques  dé- 
faillances regrettables,  l'esprit  de  l'armée  était  bon.  Cor- 
nillon,  le  major  général  de  l'infanterie  qui  n'avait  pas  fait 
la  campagne  dernière,  se  plaît  à  proclamer  (1)  les  progrès 
accomphs  :  «  L'infanterie  n'est  pas  reconnaissable  depuis 
la  campagne  de  1757,  tant  pour  la  discipline  que  pour  la 
propreté  et  l'intelligence  du  mouvement  qu'elle  fait.  » 
Il  constate  également  l'amélioration  du  tir  :  «  Le  dernier 
soldat  d'un  régiment  tire  mieux  que  ne  faisaient  autre- 
fois les  grenadiers.  » 

A  signaler  un  autre  changement  dont  le  mérite  revient 
au  général  en  chef.  Contrairement  aux  errements  du  passé, 
le  silence  le  plus  absolu  était  observé  au  quartier  général 
sur  les  ordres  à  donner.  Cette  discrétion  inaccoutumée  n'é- 
tait pas  agréable  à  tous  :  «  Le  grand  mécontentement  des 
officiers  généraux,  écrit  l'officier  d'état-major  Keralio  (2), 
vient  de  ce  qu'ils  ne  sont  instruits  des  mouvements  de 
leurs  divisions  qu'au  moment  de  l'exécution.  Dans    les 

(1)  Cornillon  à  Helleisie,  Ober  Ustingen,  18  août  1 700.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Keralio  à  Belleisle,  Immenhausen,  20  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


BROGLIB  SE  RAPPROCHE  DE  CASSEL. 


•J3« 


campagnes  précédentes,  il  n'y  avait  pas  un  polisson  dans 
l'armée  qui  ne  sût  deux  ou  trois  jours  à  l'avance  ce  qu'elle 
devait  faire;  il  n'en  est  pas  de  même  aujourd'hui,  on  ne 
sait  qu'en  arrivant  dans  un  nouveau  camp  l'objet  de  la 
marche,  et  c'est  en  quoi  M.  le  maréchal  de  Broglie  mérite 
les  plus  grands  éloges,  le  secret  étant  un  des  principaux 
ressorts  des  opérations.  » 

Que  le  nouveau  généralissime  fi\t  très  supérieur  à  ses 
.prédécesseurs,  que  le  personnel  de  l'armée,  généraux, 
officiers  et  soldats  eussent  acquis  une  expérience  de  la 
guerre  qui  faisait  défaut  dans  les  premières  campagnes, 
cela  est  incontestable;  et  cependant  l'armée  française,  pen- 
dant la  seconde  période  des  opérations,  n'obtint  pas  les 
succès  que  les  débuts  eussent  fait  espérer.  L'épuisement 
des  ressources  locales,  le  manque  de  fourrages  pour  sa 
nombreuse  cavalerie,  décidèrent  enfin  Broglie  à  aban- 
donne»* ies  rives  de  la  Dymel  et  à  se  rapprocher  de  Cassel  ; 
le  22  aoiU,  en  une  marche ,  il  gagna  le  village  d'Immenhau- 
son  où  il  conserva  sou  quartier  général  jusqu'au  13  sep- 
tcmljrc.  Ferdinand  ne  quitta  pas  Warburg  et  se  contenta 
de  faire  inquiéter  l'arrière-garde  française  par  le  corps 
du  prince  héréditaire  ;  il  y  eut  un  condiat  assez  vif  entre 
la  cavalerie  anglaise  et  les  dragons  français,  au  cours  du- 
quel les  régiments  Royal  Dragons  et  Thianges  subirent  des 
pertes  sérieuses  compensées  dans  une  certaine  mesure  par 
la  capture  des  deux  partisans  Scheiter. 

La  prolongation  du  séjour  du  général  hanovrien  à  War- 
burg déjouait  les  projets  de  son  adversaire  :  «  De  tous 
les  partis  que  se  prince  pouvait  prendre,  écrit  Brogllc  (1), 
celui  de  demeurer  à  Warburg  est  celui  qui  me  déplaît  le 
plus,  puisqu'il  me  force  à  faire  rester  sur  la  rive  gauche 
de  la  Fulda  la  plus  grande  partie  de  l'armée,  de  pour  que, 
si  je  la  faisais  passer  de  l'autre  coté,  il  ne  se  portât  sur 

(1)  UiogHeà  Belleisle,  Immenhausen,  23  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


Cassel,  m'intei'ceptîït  le  transport  des  farines  de  Zieg-en- 
liaynet  Marburg,  ne  m'oblig-cftt  parla  à  revenir  bien  vite, 
et  lie  me  rendit  peut-être  très  difficile  le  passage  de  la 
Fulda  pour  remettre  l'armée  sur  la  rive  gauche.  Cepen- 
dant, comme  il  est  impossible  de  demeurer  longtemps 
ici  à  cause  des  fourrages  qui  nous  manqueraient  incessam- 
ment, je  ferai  partir  demain  au  soir  quatre  brigades  d'in- 
fanterie, trois  de  cavalerie  et  12  pièces  de  gros  canon 
pour  aller  joindre  après-demain  M.  le  comte  de  Lusace, 
Cela  le  mettra  en  état,  si  les  ennemis  n'ont  pas  fait  passer 
le  Weser  à  un  plus  grand  nombre  de  troupes,  de  se  porter 
sur  le  camp  d'Uslar  où  il  a  grande  envie  d'entreprendre, 
et  voir  si  cela  ne  déterminera  pas  le  prince  Ferdinand  à 
prendre  un  parti.  » 

Malhoureusement,  cette  importante  dépêche  tomba  en- 
tre les  mains  des  hussards  prussiens  et  son  contenu  ne  fit 
([ue  confirmer  le  prince  Ferdinand  dans  son  intention  de 
se  maintenir  sur  la  Dymel.  La  divulgation  du  mouvement 
sur  Uslar,  le  mauvais  état  des  chemins  et  les  difficultés  de 
ravitaillement  firent  renoncera  la  pointe  vers  le  Hanovre. 

Parmi  les  correspondances  enlevées,  il  s'en  trouva 
v{uelques-unes  qui  durent  édifier  les  ministres  et  généraux 
anglais  sur  le  ton  des  rapports  entre  le  maréchal  de 
Broglie  et  son  chef  hiérarchique.  Le  même  courrier  con- 
tenait un  billet  (1)  à  la  duchesse  :  «  Je  vous  envoie  une 
lettre  du  maréchal,  il  faut  en  faire  une  copie  pour  mon 
oncle  et  en  garder  précieusement  l'original.  »  Les  lignes 
qui  terminaient  cette  épître  nous  révèlent  la  nature  affec- 
tueuse du  maréchal,  l'intimité  des  relations  qu'il  entrete- 
nait avec  sa  femme,  et  le  sentiment  du  devoir  auquel  il 
obéissait  :  «  Vous  avez  grande  raison  de  penser  que  l'eau 
en  vient  à  la  bouche  lorsqu'on  parle  de  Broglie,  mais  je 
chasse   cela    comme  une  mauvaise   pensée.  Nous  irons 

(1)  Broglie  à  la  Duchesse,  Immenhauscn,  Vi  août  17C0.  Record  Office. 


MKMOIRKS  DE  BROGLIE  A  LA  COIH. 


241 


quand  il  plaira  à  Dieu,  à  qui  il  faut  se  remettre  de  tout  ce 
que  je  ferai  bien  véritablement.  » 

Le  31  août,  Broglie,  toujours  à  Immenhausen,  adressa 
à  la  cour  un  mémoire  sur  les  opérations  à  entreprendre. 
Étant  donné  l'impossibilité  d'attaquer  avec  chances  de 
succès  les  ennemis  derrière  la  Dymel,  il  no  restait  ([u'à 
choisir  entre  trois  partis  : 

1"  Se  retirer  lentement  vers  Marburg  et  Ziegenhayn  eu 
consommant  les  ressources  du  pays; 

2"  Mettre  dans  Casscl  une  garnison  de  7  à  8.000  hom- 
mes, couvrir  avec  un  petit  corps  les  communications  entre 
cette  ville  et  Ziegenhayn,  et  avec  le  reste  de  l'armée  en- 
vahir le  Hanovre  ; 

3°  Laisser  de  gros  détachements  à  Cassel,  à  Munden  et  sur 
la  ligne  de  ravitaillement,  renforcer  avec  le  gros  des  trou- 
pes la  réserve  du  comte  de  Lusace,  porter  ces  forces  vers 
Moringen,  créer  un  établissement  sérieux  à  Gottingen, 
constituer  des  magasins  dans  cette  ville,  sur  la  Werra  et 
à  Cass-^l,  de  manière  à  gagner  l'automne,  prendre  les  quar- 
tiers 'hiver  pour  l'infanterie  entre  l'Eder  et  la  Werra, 
pour  la  cavalerie  derrière  l'Eder,  et  maintenir  10.000  hom- 
mes pendant  la  mauvaise  saison  dans  la  place  de  Cassel. 

Cette  troisième  solution  semblait  préférable  et  cependant 
elle  offrait  des  dangers  évidents  :  «  Ce  qu'il  y  aurait  de  plus 
à  craindre  (1)  serait,  que  le  prince  Ferdinand  ne  passât  le 
Weser  avec  la  totalité  de  son  armée  et  ne  vint  tomber 
sur  la  partie  de  la  nôtre  qui  sera  près  de  Moringen  ;  il 
est  même  difficile  de  parer  à  cet  inconvénient,  mais  alors, 
on  reculera  et  on  s'approchera  de  la  Werra,  et  en  même 
temos  on  fera  avancer  diligemment  le  reste  de  l'armée... 
Le  pays  est  fait  entièrement  pour  la  défensive,  et  on  ne  peut 
y  faire  une  guerre  offensive  qu'avec  des  moyens  puissants 
et  une  supériorité  de  forces  infinie.  »  Suit  une  comparai- 


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(1)  Mémoire   «lis    Hroglie,   linmenliauscn,    ',i 
Guerre. 


tilElini:    DE   SEPT   ANS 


aoùl   17(10.   Archives  de  la 
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LA  (lUERIlE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


son  de  la  situation  des  deux  combattants  :  du  côté  français, 
nécessité  de  l'emploi  de  25.000  hommes  pour  une  ligne  de 
ravitaillement  de  kO  à  50  lieues,  diminution  constante  des 
combattants  par  la  maladie  et  par  l'obligation  de  renvoyer 
en  France  (1)  les  prisonniers  rendus,  alors  que  l'ennemi 
peut  faire  rentrer  les  siens  dans  le  rang  deux  jours  après 
leur  retour.  Chez  les  confédérés  au  contraire,  l'arrivée 
d'Angleterre  de  nombreuses  recrues  et  de  7.000  hommes 
de  troupes  fraîches,  la  facilité  et  la  brièveté  des  commu- 
nications qui  n'absorbent  que  peu  ou  point  de  monde 
rétablissent  l'équilibre  en  leur  faveur. 

Tout  en  attribuant  quelque  exagération  à  l'assertion 
de  Broglie,  il  est  impossible  de  n'être  pas  frappé  par  la 
réduction  rapide  des  effectifs  français  de  cette  époque. 
L'imperfection  des  rouages  administratifs,  la  médiocrité 
du  personnel  et  du  matériel  des  hôpitaux  étaient  pour 
beaucoup  dans  cet  état  de  choses,  mais  entre  autres 
raisons  du  déchet,  il  est  intéressant  de  citer  l'appré- 
ciation de  Keralio  (2),  à  Ja  correspondance  duquel  nous 
avons  déjà  emprunté  des  renseignements  utiles.  A  l'en 
croire,  beaucoup  de  généraux  multipliaient  outre  mesure 
les  avant-postes.  «  Ils  ne  veulent  pas  entendre  que  c'est 
la  vigilance  avec  la([uelle  ces  postes  se  gardent,  qui  fait 
la  sûreté  de  l'armée;  au  contraire  on  entasse  gardes  sur 
gardes,  les  soldais  .servent  mal  et  sont  excédés,  et  les  hô- 
pitaux se  multiplient.  »  D'autre  part  les  unités  ne  sont  pas 
assez  étoli'ées,  les  compagnies  sont  trop  faibles  pour  les  pré- 
lèvements qu'on  leur  impose.  «  Une  des  autres  causes, 
Monseigneur,  de  la  diminution  qu'a  déjà  éprouvée  l'ar- 
mée, est  la  mauvaise  constitution  de  notre  infanterie.  Une 


(1)  En  vertu  du  cartel  les  prisonniers  étaient  restitués  de  part  et  d'autre 
dans  un  délai  de  15  jours,  mais  les  confédérés,  étant  en  avance  sur  les  Fran- 
çais, pouvaient  faire  rentrer  les  leurs  dans  le  rang,  tandis  que  les  soldats  fran- 
çais rendus  étaient  renvoyés  en  France,  en  attendant  leur  tour  d'é"Jiange. 

(2)  Keralio  à  Uelleisle,  Immenhausen,  2G  août  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


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LKS  EFFECTIFS  FUAN(  .VIS. 


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compagnie  d'infanterie  a  40  lionimcs  au  complet  ;  il  faut 
en  déduire  deux  sergents,  trois  caporaux,  le  premier  am- 
pesade,  un  tambour,  un  volontaire  pour  former  le  corps 
aux  ordres  de  M.  de  Saint- Victor  qui  était  cy-devant  à  ceux 
de  M.  de  Vair,  et  trois  chasseurs  qui  ne  font  point  le  ser- 
vice de  fusiliers;  ainsi  à  l'ouverture  de  la  campagne  il  n  y 
a  ([ue  28  fusiliers  pour  faire  le  service.  Pour  peu  que  la 
campagne  soit  vive,  les  maladies,  la  désertion,  les  morts 
en  tous  genres,  les  postiches  à  fournir  aux  grenadiers,  ont 
réduit  cette  compagnie  à  20  hommes;  alors  pour  peu  qu'il 
y  ait  de  gardcfi,  elle  est  excessivement  fatiguée  et  finit  par 
être  réduite  à  Tien,   « 

De  la  comparaison  des  eîfectifs,  Brogiie  passe  (Ij  à  celle 
des  facilités  do  rei:  eignements  :  «  Quant  aux  moyens,  ils 
ont  l'argent  <"i   pleines  mains,  et  pour  eu   donner    une 
idée,  le  princo  Ferdinand  a  par  mois  quatre  mille  guinées 
pour  employ/}r  eu  espions.  Tout   le  pays  est   pour  lui 
comme  de  raison;  il  a  emmené  tous  les  chariots  de   la 
liesse  et  du  duché  de  Westphalie;  enfin,  il  a  le  VVeser 
pour  lui  apporter  toutes  ses  subsistances  et  trois  places  de 
dépôt  qui  lui  donnent  le  moyen  de  se  retourner  sans  être 
embarrassé  pour  son  pain.  Nous,  au  contraire,  nous  ne 
pouvons  nous  écarter  de  Cassel  sans  courir   risque   de 
manquer  de  pain;  enfin,  tout  le  pays  est  contre  nous;  et 
ce  n'est  qu'avec  la  plus  grande  peine  qu'on  parvient  à 
faire  exécuter  les  ordres  qu'on  donne.  A  l'égard  de  l'ar- 
gent pour  les  circonstances  inopinées,  on  sait  qu'à  peine 
on  en  a  pour  le  service  ordinaire    et  indispensable.  Si  on 
veut  comparer  sans  prévention  la  situation  des  deux  gé- 
néraux, il  sera  bien  difficile  de  ne  pas  convenir  qu'il  a 
fallu  beaucoup  de  bonheur,   et  peut-être  quelque  bien 
joué  pour  parvenir  à  s'emparer  de  la  Hesse  et  à  vaincre 
les  obstacles  très  grands  qui  s'y  opposaient.  » 


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(I)  Mémoire  de  Brogiie  déjà  cité. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAI'.  V, 


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Le  mémoire  de  Broglie  se  croisa  avec  une  (l<5p<>clio  de 
llelloisie  (1)  où  celui-ci  annonçait  le  désir  du  Hoi  défaire 
liiverucr  son  année  à  Cassel.  A  partir  de  ce  moment  um* 
lonyue  correspondance  s'engage.»  entre  le  quartier  géné- 
ral et  le  ministère  sur  les  avantages  et  les  périls  de  la  con- 
servation de  la  Hesse  et  surtout  de  sa  capitale.  Au  point 
de  vue  politique  et  en  raison  des  négociations  pacifiques 
(pi'on  commençait  à  prévoir  pour  les  premiers  mois  de 
17G1,  il  était  de  la  plus  haute  importance  de  ne  pas  éva- 
cuer le  territoire  conquis.  Aussi  Louis  XV  se  prononce- 
t-il  (2)  pour  le  troisième  parti  rais  en  avant  par  Broglie, 
et  approuve-t-il  le  maintien,  pendant  la  mauvaise  saison, 
d'une  garnison  de  40  bataillons  à  Cassel  ;  cependant,  mal- 
gré cette  indication  de  ses  préférences,  le  monarque  laisse 
au  général  toute  liberté  pour  la  solution  du  problème. 
«  il  s'agit  donc,  Monsieur  le  Maréchal,  que  vous  décidiez 
définitivement,  si  vous   croyez   pouvoir  tenir   Cassel  en 
toute  sécurité  pendant  l'hiver;  et  si  vous  déterminez  l'af- 
firmative, car  le  Roi  s'en  rapporte  entièrement  à  vous, 
vous   donnerez  sur-le-champ  tous  les  ordres  relatifs  en 
tout  genre  pour  qu'il  n'y  ait  pas  un  moment  de  perdu,  car 
il  n'est  déjà  que  trop  tard,  » 

Au  cours  du  séjour  de  l'armée  au  camp  d'Immenhau- 
sen,  eut  lieu  la  surprise  des  avant-postes  français,  à  la- 
quelle nous  avons  fait  allusion  plus  haut.  Le  prince  héré- 
ditaire ayant  appris  par  ses  espions  que  le  détachement 
du  brigadier  Nordmann ,  logé  dans  la  petite  ville  de 
Zierenberg,  se  gardait  mal,  résolut  de  l'enlever;  l'opéra- 
tion était  délicate,  car  le  bourg,  entouré  de  muis,  en 
fort  mauvais  état,  il  est  vrai,  était  susceptible  de  quelque 
défense  et  les  autres  cantonnements  français  (.3)  étaient  k 
portée.  Le  prince  prit  ses  dispositions  avec  tant  d'habileté 

(1)  Helleisle  à  Broglie,  1"'  septembre  IZiio.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Belleisle  à  Broglie,  8  septembre  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Le  corps  de  Du  Muy  n'était  ({u'ù  une  petite  lieue  de  Zierenberg. 


SL'RPIUSE  UE  /IKIIEXIIERC. 


2« 


que  SOS  soldats  pénétrèrent  dans  la  looîilité  à  3  heures 
<lu  matin  le  6  sejitembre  (1),  par  trois  l»rèclips  non  répa- 
rées, sans  rencontrer  d'autre  résistance  que  celle  d'une 
patrouille  qui  donna  l'alitime,  s'emparèrent  d'une  des 
portos  sans  tirer  un  coup  de  fusil  et  déhoucliérent  sur  la 
grand'placo.  Les  ofticiers  français,  réveillés  en  sursaut, 
coururent  çà  et  là  pour  retrouver  leurs  compagnies;  les 
hommes,  dont  quel([Uos-uns  sans  armes,  cherchèrent  i\  se 
rassembler  dans  lo  cimetière,  désigné  d'avance  comme 
point  de  ralliement  ;  le  désordre  fut  accru  par  l'entrée 
en  scène  du  régiment  anglais  des  Dragons  gris,  qui  par- 
courut les  rues  en  sabrant  les  fuyards,  A  en  croire  le  récit 
de  Peirson  (2),  la  mêlée  aurait  eu  plutôt  le  caractère  d'une 
boucherie  que  celui  d'un  combat  :  «  D'après  tous  les  racon- 
tars raffairc  aurait  été  très  réussie,  mais  des  détails  horri- 
bles »,  beaucoup  de  Français  auraient  été  tués  dans  leurs 
lits.  Le  brigadier  Nordinann,  le  colonel  Comeyras,  com- 
mandant des  Vohmtaires  du  Dauphiné,  furent  pris  avec 
une  quarantaine  d'officiers  et  3  à  400  hommes  apparte- 
nant aux  Volontaires  du  Dauphiné,  de  (Mermont  et  aux 
Dragons.  Après  avoir  occupé  la  ville  pendant  une  heure, 
les  confédérés  réintégrèrent  leur  camp,  suivis  par  Vio- 
mesnil  qui  avait  rallié  du  monde  et  recouvra  quelques 
prisonniers.  Dans  cette  bagarre,  les  Français  laissèrent 
sur  le  terrain  125  tués  et  blessés;  les  confédérés,  pour  la 
plupart  Anglais  ou  Écossais,  en  furent  quittes  pour  une 
perte  insigniliante. 

Fn  raid  du  même  genre,  entrepris  peu  après  par  Ferson 
et  Hiïlow,  fut  beaucoup  moins  heureux.  Ces  deux  ofnciers 
atteignirent  Marburg,  y  détruisirent  des  fours  de  bou- 
langerie, y  capturèrent  des  isolés  et  quelque  butin,  entre 
autres  objets,  dos  effets  d'habillement  destinés  aux  régi- 


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(l)ViomosnilàBroglie,Zieicnberf;,  6  septembre  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 
iTince  héréditaire  à  l-"erdinand,  Warburg,  G  septembre  1760.  Record  Ofticc. 
(2)  Peirson  à  Newcastle,  y  septembre  1760.  Newcastle  Pa|ierô!. 


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346 


LA  r.UEURK  DK  SEPT  ANS.  -    CIIAP.  V. 


menis  do  l'arméo;  mais  pondant  le  rotonr,  ils  lurent 
rattrapés  pai'Stainvillc  aux  environs  (lo  Kr.inckonau,  ot  fort 
malmenés.  Forson,  en  ossayant  de  rallier  sa  cavalerie,  fut 
iiiortellemoiit  hlcssô  et  pris;  rinlantcrie  confédérée  lit  une 
reti'aitc  précipitée  et  no  put  s'écliappcr  sans  laisser  aux 
mains  des  poursuivants  huit  canons  et  hon  nombre  de 
prisonniers.  I.e  prince  héréditaire,  accouru  au  secours  do 
SCS  subordonnés,  ne  put  que  recueillir  les  débris  du  déta- 
chement, [.a  défaite  de  Korsen  eut  pour  résultat  de  modi- 
iier  les  projets  du  prince  Ferdinand  :  «'  (let  échec,  écrit- 
il  (1),  a  en  <piol([ue  façon  dérangé  le  plan  que  j'avais 
formé  do  tourner  reiniomi  par  sa  fiaucho.  vu  (|no  le  dé- 
tachement fut  dispersé  dans  les  montagnes  et  ne  s'est 
rassemblé  que  plusieurs  jours  après.  » 

Entre  temps,  Hroglie  avait  quitté  Immenhausen  le 
13  septembre  et  était  venu  s'établir  avec  00  bataillons 
et  3*2  escadrons  dans  la  banlieue  de  Cassel,  sa  droite 
appuyée  à  la  ville,  sa  gauche  à  la  cascade;  le  prince  de 
(^roy.  à  la  tète  de  18  bataillons,  s'était  replié  à  Munden 
et  le  comte  de  Lusace,  avec  25  bataillons  et  40  escadrons, 
était  campé  entre  (lottingen  et  Fried.'.;  id.  Y  compris  les 
deu.v  réserves,  et  déduction  faite  de  la  division  do  Stain- 
ville  et  des  détachements  chargés  do  survoilier  la  ligne  de 
communication,  le  général  français  avait  réuni  autour 
de  Cassel  ou  en  avant  de  cette  ville,  127  bataillons,  IVO 
escadrons  ot  des  troupes  légères,  soit  au  moins  80.000 
combattants.  Il  voulut  profiter  de  la  concentration  de  son 
armée  pour  tenter  un  coup  de  main  contre  le  général 
Wangenheim  qui  était  opposé  au  comte  de  Lusace  sur  la 
rive  droite  du  Weser.  Il  renforça  ce  dernier  des  grena- 
diers de  France,  de  8  bataillons  sous  les  ordres  de  Rongé, 
des  carabiniers  et  de  la  cavalerie  du  prince  de  Robecq  et 
le  rejoignit  lui-même,  le  10  septembre,  à  .")  heures  du  ma- 

(1)  Ferdinand  à  Iloldcrnessc,  Geismar,  20  se|)tcinbre  176l».  Record  Office. 


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COMIIAT  l)K  DRAUNSl-KLD. 


247 


lin.  Sur  rnuti'o  riv(!  du  Wescr,  (Mialio  Jivait  mi^si()ll  do 
faire  drs  déinonstratioiis  sur  Wolfliagou  et  Wolkuiisseu 
et  de  détoiirnei'  rattcnliou  de  l'cnnenii.  Ail  tieures,  les 
l'rant'ais  dél)ouclièreMt  sur  (juatre  colonnes,  mais  le  retard 
de  l'artillerie  et  les  obstacles  naturels  du  i)ays  ne  permi- 
rent d  iu  iiver(ju'à  '\  heures  àDraunsfeld,  où  Wanyenheim 
s'était  retiré.  Il  y  eut  nu  cond»at  assez  vif  et  f;rand 
(''('haut;e  de  mous(iueterie,  mais  les  confédérés,  malgi'é 
leur  infériorité  numéri([ue,  g-rAce  à  l'obscurité  naissante 
et  à  l'abri  des  bois,  purent  repasser  le  Weser  sans  autre 
sacritic;'  que  ô  canons,  quelques  prisonniers  et  la  perte 
de  leurs  bag-a.^es.  A  la  gauche  de  I^isace,  le  prince  de 
('roy  s'enipai-a  du  pont  de  Wasbeck.  Kn  résumé,  cette 
opération  dont  on  avait  espéré  un  gros  résultat,  n'aboutit 
qu'i\  forcer  l'erdinand  à  abandonner  pendant  quel(|ues 
jours  la  rive  droite  du  Weser.  Une  semaine  plus  tard, 
Wangenheim  y  était  revenu  et  avait  repris  [)osition  près 
d'U.slar. 

Quant  au  plan  de  campag'ne  pour  la  fin  de  la  saison  et 
aux  quartiers  d'hiver,  ils  n'étaient  pas  encore  délinitive- 
meiit  arrêtés.  Hroglie  était  prêt  à  obtempérer  auv  or- 
dres que  la  cour  lui  transmettrait  pour  la  garde  de 
Cassel,  mais  se  souciait  peu  d'assumer  la  responsabilité 
de  cette  importante  décision.  Il  trouvait  à  cette  mesure 
de  graves  dangers  et  se  demandait  si  les  inconvénients 
qu'elle  entraînerait  ne  l'enqjorleraient  pas  sur  le  profit 
qu'on  pouvait  eu  attendre.  «  Aussi,  écrit-il  (1),  en  met- 
tant dans  une  balance  l'avantage  que  la  •politi([ue  peut 
tirer  pour  la  paiv  de  la  conservation  de  Cassel  et  le  tort 
que  lui  fera  la  perte  de  l'armée,  je  crois  qu'il  est  difficile 
de  disconvenir  que  la  pai.v  sera  plus  aisée  à,  faire  avec  une 
armée  en  bon  état  sans  Cassel  qu'avec  Cassel  et  une  ar- 
mée détruite.  »  Castries,  qui  disaif   volontiers  son  mot, 

N    (1)  IJrotçUe  à  Belleisle,  CasseL,  iSMytetnbre  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  r.lERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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adressa  égaleincntau  ministre  de  la  (Jiicrre  un  rapport  dans 
lequel  il  soutenait  une  thèse  identique  à  celle  de  son  chef. 
La  discussion  eût  pu  continuer  longtemps  sur  le  même 
ton,  mais  un  incident  nouveau  survint  sur  io  théâtre  de 
la  guerre  et  détourna  l'attention  de  la  liesse  et  de  sa 
capitale. 

Dès  le  27  août,  Westphalen  avait  préparé,  sur  les  opé- 
rations lu  turcs,  un  mémoire  où  il  étudiait  les  moyens 
de  faire  échouer  les  visées  de  Broglie  sur  le  Hanovre 
et  d'obliger  les  Franc^ais  à  évacuer  la  liesse  :  «  V.  A.  S., 
conseille-t-il  (1),  ayant  ici  eu  tout  99  bataillons  et  80  esca- 
drons, ne  marcherait  sur  Fritzlar  qu'avec  63  bataillons  et 
52  escadrons;  elle  détacherait  le  prince  héréditaire  avec 
36  bataillons  et  28  escadrons  pour  la  Westphalic.  »  Ce 
corps  se  renforcerait  des  4  bataillons  et  2  escadrons 
déjà  dans  cette  province  et  suffirait  pour  assiéger  Wesel, 
«  ce  ([ui  pourrait  arriver  vers  le  milieu  du  mois  d'octo- 
bre ».  Comme  arguments  à  l'appui  des  chances  de  succès, 
Westphalen  invoquait  la  faiblesse  extrême  de  la  garni- 
son de  Wesel,  la  possibilité  d'employer  les  troupes  déjà  en 
Westphalie  pour  faire,  dès  à  présent,  le  !>locus  de  la  place 
et  pour  empêcher  les  secours  d'y  entrer;  enfin,  l'avance 
de  huit  ou  dix  jours  qu'il  serait  facile  de  prendre  pour  le 
commencement  du  ciège.  «  La  réussite,  concluait  le  mé- 
moire, dépendra  beaucoup  delà  combinaison,  du  secret  et 
de  la  célérité  que  tout  s'exécutera.  «Jusqu  à  la  dernière  dé- 
cade de  septembre,  aucune  suite  ne  fut  donnée  à  ce  projet. 
Vers  cette  épo((ue,  cest-A-dire  au  lendemain  de  la 
retraite  de  Wangenheim  devant  l'ollensive  de  Hroglie  et 
de  Liisace,  les  forces  rivales  étaient  distribuées  de  la  fa- 
(;on  suivante  :  le  gros  des  Français  et  la  réserve  de  Du  Mny 
campés  autour  de  Casse!,  répartis  eu  groupes  à  portée 
les  uns  des  autres,  de  manière  à  pouvoir  s'entr'aider  à 

(l)  Mémoire  de;  Wcslphaliii,  :!7  aoùl  1700.  Westplmlcn,  IV,  p.  Vîo. 


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SOUKFRANCKS  DU  CONTINGENT  ANGLAIS. 


349 


la  première  attaquo,    les  tro* a  brii^ados  de  Croy   ôclie- 
lonuées  sur  les  l)or(ls  de  la  Kulda  entre  Cassel  ot  Mundcn, 
les   16.000  11  ouïmes   du    prince  Xavier  à  Friedland,   au 
delà  de  la  Werra,   avec  une   avar;t-i;arde  k  (îottinjien; 
enfin  Stainville   à    \Vilduni;<ni  avec  H  h  9.000  homnios 
surveillant  les  communications  avec  la  base.  Les  confé- 
dérés occupaient  la  ligne  de  la  Dymcl  depuis  Stadthcri^' 
jusqu'à  llerstall,  à  lombouchure  de  celte  rivière  dans  le 
Weser;  sur  la    rive   droite  du   fleuve,   Wanyenlieim  en 
face  des  Saxons.  Durant  le  séjour  des  deux  armées  sur  la 
Dymel,  les  confédérés,  et  surtout  les  Anglais,  avaient  peut- 
être  plus  soullert  que  les  Français;  l'intendance  britan- 
nique, contiée  à  des  mains  inexpérimentées  ou  malhon- 
nêtes, ne  donnait  que  de  piètres  résultats;  en  dépit  d'une 
dépense   considérable  en  argent,   les  corps  manquaient 
souvent  des  provisions  nécessaires;  les  soldats  n'avaient 
pas  de  pain,  les  chevaux  étaient  obligés  de  se  passer  d'a- 
voine. Les  plaintes  de  l'armée  parvinrent  à  Londres  pres- 
que en  même  temps  que  les  traites  sur  le  trésor;  Newcastle 
qui  avait  à  acquitter  celles-ci,  demanda  des  explications 
îV  (îranby  cl  à  Pcirson.  Ce  dernier,  qui  remplissait,  bien 
malgré  lui,  les  fonctions  d'intendant  général  et  qui  aurait 
voulu  reprendre  le  commandement  de  son  bataillon  des 
gardes,  avoua  (1)  que,  pendant  plus  de  douze  jours,  les 
régiments  avaient  été  privés  d'avoine  et  mal  se  "vis  en 
pain;   il  atti'ibuail   la  crise  à  réloigncment  des  fours  et 
aux    lenteurs  do    la  voi'i   d'eau.   En  effet  le  pays   entre 
la  Dymel,  l'Kder  et  la  Fulda  avait  été  ravagé  de  fond  en 
comble  et  était  devcmu  un  véritable  désert  n'offrant  aux 
belligérants  aucun*'  ressource,  ni  en  paille,  ni  en   foin, 
ni  on  céréales  et  conq)lètement  dépourvu  de  moyens  de 
transport.  Si  l'on  voulait  poursuivre  la  campagne,  il  deve- 
nait indispensable  de  changer  le  IhéAtre  des  opérations. 

(1)  Peirsoii  à  Newcaslle,  Gcisinar,  ;?3  septembre  1760.  Newcaslle  Paiicrs. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


Dans  une  dépêche  à  Holdcrnessc  (1),  le  prince  Ferdi- 
nand expose  k  la  fois  ses  eml)arras  et  ses  projets  pour  les 
surmonter.   Broylie  est  maître  de  toute  la  région  entre  la 
Fulda  et  la  Werra  ainsi  que  de  tout  ce  qui  est  au  delà  de 
l'Eder.  «   Il  n'y  a  que  trois  moyens  de  l'eu  faire  sortir  : 
1"  de  le  combattre,   2"  de  lui  couper  la  communication 
avec  Francfort,    et    '.)"  d'attendre  l'effet  du  manque  de 
fourra pe.  Le  premier  ne  ni'a  point  paru  ni  praticable,  ni 
avantageux,  ni  convenable;  j'ai  tenté  le  second,  sans  y 
réussira  mon  gré;  le  troisième  est  infaillible,  mais  d'un 
elfet  lent.  Je  puis  ajouter  que,  si  l'ennemi  se  retire,  il 
ne  le  feia  qu'après  avoir  achevé  le  désert  militaire,  par 
([uoi  il  m'empêcherait  seul  de  le  suivre,  vu  qu'on  ne  peut 
plus  com[)ter  de  trouver  au  pays  un  charriage  suffisant 
pour  traverser  un  pareil  désert.  Ces  considérations  jointes 
A  celles  que  le  Bas-Rhin  se  trouve  actuellement  très  dé- 
garni   de   troupes    m'ont   fait   concevoir    le    projet    d'y 
transférer  la  g-uerre     c  suppose  que   M.  de  Broglie  ne 
voudra  ni  ne  pourra  souffrir  que  je  m'empare  de  Wesel 
et  de  Dusseldorf;   et  que   si  je  fais  une  démarche  pour 
parvenir  à  ce  but,  il  en  fera  une  autre  pour  s'y  oppo- 
ser. Il  me  semble   qu'il  n'a  d'autre  parti   à  prendre  que 
1»  de  revenir  brusquement  sur  le  Dymel  pour  me  com- 
battre, afin  de  profiter  de  mon  affaiblissement,  après  le 
détachement  fait,  pour  tenter  de    pénétrer  en  Westpha- 
lio  par  les  gorges  du  Dymel  ;  ou  2"  de  se  port;n'  avec  un  gros 
de  troupes  sur  Hanovre  afin  de   m'obliger  par  une  di- 
version de  cette  nature  à  rappeler  mon  détachement,  ou 
:}°  de  détacher  lui-môme  vers  le  Bas-Rhin.  Quant  au  pre- 
mier parti,  je  me  suis  préparé  à  le  recevoir  »  :  Ferdi- 
nand compte  sur  répuisement  du  pays  entre  la  Dymel, 
la  Fulda  et  l'Kder.   et  sur  l'impossibilité  dans   laquelle 
l'eiinemi  se  trouvera  d'y  subsister  pour  résister,  môme 

(l)  FerduianJ  à  Uoldeniesse,  Ovelgunne,  '>'  sept.  17G0.   Record  Office. 


PROJET  DE  niVERSION  EN  WESTPIIALIE. 


251 


avec  SCS  efiectifs  réduits,  h  une  attaque  directe.  «  Si  le 
maréclial  preud  le  second  parti,  c'est-à-dire  s'il  se 
porte  sur  Ilannovre,  il  me  semble  que.  malgré  l'affai' 
blisscment  où  i  ion  détachement  m'a  mis,  il  doit  tou- 
jours craindre  qu'aussi  longtemps  que  je  me  tiens  sur 
le  Dymcl,  je  ne  marche  sur  ses  communications,  dès 
qu'il  détacherait  trop  vers  llannovre.  Mais  s'il  n'y  dé- 
tache qu'un  corps  médiocre,  tel  que  la  réserve  du 
comte  de  Lusuce.  je  me  tlattc  de  l'empêcher  de  pénétrer 
bien  avant  dans  le  pays  de  la  même  manière  que  je 
l'ai  fait  jus(fu'à  présent.  Si  l'ennemi  prend  le  troi- 
sième parti  de  détacher  vers  le  Bas-Rliin,  je  détache- 
rai encore  de  mon  coté,  et  comme  cela  doit  continuer 
de  deux  côtés,  la  guerre  sera  transférée  au  Bas-Rhin, 
par  quoi  la  Hesse  et  le  pays  d'IIannovre  seront  dé- 
gagés. » 

Ferdinand  ajoute  que,  s'il  entre  dans  tous  ces  détails, 
c'est  dans  la  crainte  qu'une  opération  «  qui  n'est  peut-être 
que  hardie  ne  paraisse  pas  téméraire.  Les  troupes  dési- 
gnées au  nombre  de  20.000  hommes,  se  sont  mises  en 
marche  le  23  en  plusieurs  (divisions;  elles  arriveront  le  30 
devant  Wesel.  La  ville  n'a  que  1.500  honmies  de  garni- 
son, et  n'est  pourvue  ni  de  canonnii  l's  ni  d'ingénieurs. 
Mon  projet  est  donc,  en  gros,  de  l'investir  de  faron  à 
en  couper  les  renforts  (  i  lui  pourraient  venir  de  Dus- 
seldorf  et  de  Clôves,  et  ti  tenter  d'abord  de  prendre  la 
ville  par  surprise,  mais  d  employer  la  force  si  la  ruse 
reste  sans  effet;  c'est  pour(iuoi  je  fais  suivre  les  troupes 
par  un  train  de  siège  et  par  tout  ce  (|ui  y  appartient  ». 
Constatons  en  passant  cpie  Ferdinand  prend  l'initiative  de 
l'entreprise,  acculant  ainsi  sa  cour  au  fait  accompli, 
tandis  que  Broglie  commence  par  consulter  avant  d'agir. 
Cette  diil'érence  do  méthode  explique,  dans  une  large 
mesure,  la  supériorité  qu'acquiert,  au  cours  de  la  cam- 
pagne, le  prince  sur  le  nuiréchal. 


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LA  GUKRRE  DE  SEPT  ANS,  —  CHAP.  V. 


D'après  un  état  dressé  par  Ferdinand  lui-même  (1),  les 
forces  mises  à  la  disposition  du  prince  héréditaire  se  mon- 
taient à  un  total  de  2V.000  hommes.  Un  parc  de  15  canons 
et  de  12  mortiers,  tirés  des  places  fortes  de  la  Westphalic, 
était  affecté  au  siège  de  Wesel  dont  le  comte  de  Lippc- 
Buckeburg  devait  assumer  la  direction.  Les  premières  co- 
lonnes arrivèrent  à  Ilamm  le  25  septembre,  et  le  30  sous 
les  murs  de  Wesel;  le  même  jour,  on  établit  le  blocus 
de  la  forteresse. 

Pour  les  Français,  la  situation  était  des  plus  critiques; 
depuis  la  jonction  du  corps  de  Saint-Germain  avec  la 
grande  armée,  le  Bas-Khin  était  presque  dégarni.  Sans 
doute,  en  vue  de  la  relève  des  bataillons  les  plus  éprou- 
vés, Belleisle  avait  dirigé  sur  l'Allemagne  18  bataillons 
et  quelque  cavalerie  pi  élevés  sur  les  garnisons  de  la 
Flandre,  de  la  Normandie  et  même  de  la  Bretagne,  mais 
la  plupart  de  ces  détachements  étaient  encore  en  route 
et  c'est  à  peine  «i  les  échelons  de  tète  étaient  signalés 
à  Liège.  Grâce  au  secret  admirablement  gardé,  la  marche 
du  prince  héréditaire  ne  fut  connue  au  quartier  géné- 
ral franc^'ais  que  plusieurs  jours  après  son  départ;  cepen- 
dant, préoccupé  de  l'état  d'abandon  de  la  région  du 
Rhin,  Broglie  avait,  dès  le  25  septembre,  désigné  le 
marquis  de  Castries  pour  le  commandement  des  trou- 
pes du  Bas-Rhin,  mais  les  instructions  (2)  qu'il  lui  donna 
ne  dénotent  aucune  inquiétude  immédiate  :  «  Le  mo- 
ment le  j)lus  critique  à  passer,  si  le  prince  Ferdi- 
nand envoie  réellement  des  *''oupes  dans  cette  partie, 
c'est  d'ici  à  l'arrivée  des  troupes  venant  de  France;  il 
est  impossible  que  les  ennemis  entreprennent  de  sièges, 
ni  songent  à  faire  d'entreprises  considérables  ni  d'établis- 
sements de  l'autre  côté  du  Rhin,  mais  avec  des  troupes 


(t)  Wosiphalcn.  IV,  p.  459. 

('!)  Insliiiclions  de  Caslries,  :i5  s('i)leinbrt!  iTiiO.  Archives  de  la  Guerre. 


ni 


CASTRIES  ENVOYE  SUR  LE  RAS-RHIN. 


2:.:? 


légères,  ils  pourraient  pénétrer  entre  le  Rhin  et  la  Meuse 
et  chercher  à  brûler  quelqu'un  de  nos  magasins.  «  La 
nomination  de  Castries,  qui  n'avait  que  .'13  ans  et  était 
encore  très  jeune  dans  le  grade  de  lieutenant  général, 
n'était  d'ailleurs  que  provisoire  ;  aussitôt  que  les  renforts 
de  France  seraient  rendus,  il  devait  passer  sous  les  ordres 
de  Du  Muy  et  être  chargé  plus  spécialement  de  la  défense 
extérieure  de  Wesel. 

Le  doute  sur  la  diversion  de  Westphalie  ne  persista 
pas  longtemps;  le  29  septembre,  Broglie,  mis  au  courant 
des  mouvements  importants  qui  se  faisaient  du  camp 
confédéré,  envoya  successivement  sur  le  Bas-Rhin  le  ré- 
giment de  la  Couronne,  la  brigade  de  Rouergue,  la  gen- 
darmerie, une  brigade  de  cavalerie  et  8  canons,  le  tout 
sous  le  marquis  d'Auvet.  Il  eut  soin  de  prévenir  Belleislc 
des  bruits  qui  lui  parvenaient  et  de  la  précaution  qu'il 
prenait,  mais  il  ajouta  qu'il  n'avait  pas  encore  la  certi- 
tude absolue  de  l'entreprise  ennemie. 

A  partir  de  ce  moment,  les  avis  devinrent  de  plus  en 
plus  alarmants,  et  les  départs  de  troupes  de  la  grande 
armée  se  suivirent  de  jour  en  jour.  Le  1"  octobre,  d'Auvet 
fut  invité  à  brûler  les  étapes  :  il  devra  être  le  5  oc- 
tobre à  Ilackenberg  où  il  sera  rejoint  par  d'Aubigny 
avec  6  bataillons  et  2  régiments  de  cavalerie,  le  8  par 
Chabo  qui  lui  amènera  deux  régiments  de  dragons.  Dans 
la  vallée  du  Rhin ,  les  événements  se  précipitaient  :  le 
30  septembre,  Beausobre,  ({ui  commandait  à  Gueldres  (1), 
rapporte  le  passage  du  Rhin  par  des  partis  allemands 
à  Ruhrort  et  à  Rces,  et  l'arrivée  de  fuyards  du  corps 
<lc  Fischer  que  l'envahisseur  avait  chassés  de  Rheinberg  ; 
il  cherche  à  rallier  les  garnisons  éparpillées  de  la  rive 
gauche  et   rappelle  à   lui  celle  de    Clèves.    Soit    rettird 


1  '!( 


(1)  Reausobre 
Uuerie. 


Relieislc,  Guolilies,  30  septembre  17G0.   Archives  de  la 


254 


LA  GLERRE  DE  SU.PT  ANS.  —  CrAP.  v. 


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dans  la  transmission  des  ordres,  soit  plutôt  indécision 
personnelle,  Barrail,  commandant  de  cette  ville,  se  crut 
cerné  avant  de  l'être,  resta  à  Clèves,  y  fut  attaqué  pra* 
un  détachement  hanovrien  venu  de  Munster  et  finit  par 
se  rendre,  le  3  octobre,  avec  le  bataillon  de  milice  qu'il 
avait  avec  lui. 

D'autre  part  une  grande  activité  avait  été  imprimée  à 
la  marciie  des  renforts  en  route  tant  de  France  que  de  la 
liesse  ;  les  expéditions  de  nouvelles  unités  se  succédaient 
chaque  jour,  mais  les  tètes  de  colonnes  étaient  loin. 
D'Andlau  écrivait  de  Liège  que  les  six  premiers  ba- 
taillons de  France  n'atteindraient  cette  ville  que  le  î); 
Ségur,  qui  était  parti  avec  une  fraction  de  la  réserve  de 
Du  Muy,  s'annonce  pour  le  6  à  Dillenburg  ;  il  en  repartira 
le  lendemain.  Castries  était  à  Cologne  le  2  octobre  et 
le  3  à  Dusseldorf,  «  mais  sans  troupes,  écrit  Fischer  (1), 
point  de  cavalerie,  ce  qui  est  la  chose  la  plus  importante 
pour  ces  pays-ci.  11  est  embarqué  dans  une  très  mauvaise 
affaire  ». 

Comme  on  devait  s'y  attendre,  Belleisle  ne  laissa  pas 
échapper  \2)  l'occasion  de  blâmer  l'imprévoyance  du  gé- 
néral en  chef,  à  laquelle  il  aurait  pu,  en  toute  équité,  as- 
socier la  sienne  :  «  M.  le  Maréchal  de  Broglie  est  inex- 
cusable d'avoir  laissé  toute  cette  partie  à  l'abandon... 
il  faut  croire  qu'il  sera  sorti  de  son  indifférence  et 
qu'il  vous  aura  envoyé  de  la  cavalerie  et  des  dragons,  o 
Le  vieux  ministre  se  montrait  injuste,  car  Broglie  fai- 
sait de  son  mieux  pour  réparer  l'erreur  dans  laquelle 
il  était  tombé  au  sujet  des  projets  de  l'adversaire.  D'a- 
près ses  calculs  i3),  Castries  aura  pu  rassembler  16  ba- 
taillons à  Cologne  le  8  octobre;  deux  jours  après,  il 
sera  rejoint   par  Ségur  avec  12  autres,  enfin  le  11  ou 


(1)  Fischer  à  Helleisle,  Dusseldorf,;}  octobre  I/flo.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Relleisle  à  Castries,  ;î  octobre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Broglie  à  Castries,  Cassel,  4  et  7  octobre  17G0.  Archives  de  la  Guerre. 


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WESEL  EN  DANGER, 


265 


12  du  mois  par  Maupeou  avec  un  second  échelon  de 
12  bataillons.  En  y  comprenant  les  unités  en  route  de 
France,  Castries  aura  bienuM  55  bataillons,  42  escadrons 
et  quelques  troupes  légères,  soit  32  à  33.000  combat- 
tants à  mettre  en  campagne;  j)our  soutenir  son  lieute- 
nant, Broglie  s'était  ailaibli  de  30  Lutaillons,  42  esca- 
drons et  28  canons. 

Il  faut  d'ailleurs  reconnaître  que  le  prince  Ferdinand 
en  avait  fait  autant  :  il  renforça  le  prince  héréditaire  de 
manière  à  ce  qu'il  eût,  pour  le  15  octobre,  49  bataillons 
et  30  escadrons  (1)  à  sa  disposition.  A  cet  effet,  les  divi- 
sions Waldegrave,  Howard  et  Kielmansegge  furent  suc- 
cessivement dirigées  sur  la  Westphalie.  En  attendant, 
les  nouvelles  de  Wesel  et  de  la  rive  gauche  du  Rhin 
étaient  bonnes.  On  avait  refoulé  les  avant-postes  fran- 
çais ;  la  garnison  de  Wesel  ne  se  composait  que  d'un 
régiment  suisse  et  de  deux  bataillons  de  milice,  de 
80  canonniers  et  120  ouvriers  d'artillerie,  on  avait  bon 
espoir  d'une  prompte  reddition.  A  la  date  du  3  oc- 
tobre, le  prince  héréditaire  (2)  n'avait  pas  connais- 
sance de  renforts  français  :  «  Nos  patrouilles  vont  jus- 
qu'aux portes  de  Dusseldorf,  sur  la  rive  gauche  du 
Rhin  jusqu'à  Sousbcck  et  Yssum.  iMais  jusqu'ici,  l'on 
ne  voit  et  entend  rien  des»  ennemis  de  ces  côtés.  De  la 
grande  armée,  ils  n'ont  aussi  pas  détaché.  »  A  la  con- 
fiance du  général  confédéré  repond  l'inquiétude  des  chefs 
français;  Fischer  exprime  ses  émotions  à  Belleisle  (3)  :  «  Je 
crains  une  escalade  pour  Wesel;  la  place  est  très  vaste... 
cependant,  il  y  a  encore  du  bonheur  que  les  ennemis 
ne  se  soient  point  jetés  sur  Cologne  ou  Dusseldorf,  car  ils 


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(1)  Manners,  Life  of  tlii:  marquis  ofGranby,  Londres,  1899. 

(2)  Prince  liéréditaire  à  Iloldernesse,  Camp  devant  Wesel,  3  octobre  l'OO. 
Record  Office. 

(3)  Fischer  à  Belleisle,  sur  le  chemin  d'Urdingcn,  ."i  octobre  17G0,  Archives 
de  la  Guerre. 


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356 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


auraiont  pris  les  deux  ])laccs  d'emblée...  Il  est  parti  un 
détachement  des  oimemis  sur  la  Meuse,  ce  qui  me  fait 
craindre  [)our  llurcmonde.  » 

Les  premiers  détachements  de  l'armée  de  liroglie  n'en- 
trèrent à  Cologne  que  le  8  octobre.  Casiries  mande  (1)  que 
la  division  d'Auvet  était  arrivée  harassée,  sans  avoir  fait 
séjour  depuis  le  départ  de  Cassel;  il  va  réunir  des  chariots 
pour  charger  les  havrcsaes  de  l'infanterie,  et  il  ne  perdra 
pas  un  moment  pour  marcher,  aussitôt  les  troupes  rassem- 
])lées.  Le  18  (2j,  il  espère  avoir  dans  5  jours  24  bataillons  et 
36  escadrons  en  ligne  sur  l'Erfft,  mais  il  prévoit  le  passage 
tlu  Rhin  par  le  prince  héréditaire  :  «  Les  ennemis  retran- 
chent le  poste  de  Burick,  mais  s'ils  veulent  continuer  leur 
siège,  il  faudra  qu'ils  se  portent  en  avant  et  qu'ils  me 
préviennent  à  Rheinberg  ou  sur  les  bruyères  d'Alpen. 
Dans  ce  cas,  selon  la  position  de  leur  camp,  je  manœu- 
vrerai pour  les  déposter Ils  doivent  tout  risquer  pour 

continuer  ce  siège  et  ils  ne  le  peuvent  qu'autant  qu'ils 
m'ôteront  les  moyens  d'y  jeter  du  secours.  »  En  etfet  la 
relève  de  Wesel  était  la  grande  préoccupation;  chaque 
dépèche  de  Broglie,  et  elles  étaient  pour  ainsi  dire  quoti- 
diennes, insistait  sur  l'urgence  d'y  porter  aide.  Castries, 
qui  avait  transféré  son  quartier  général  à  Dusse  Idorf,  s'était 
décidé  (3)  <(  à  marcher  en  force  p  ..r  la  rive  gauche  », 
il  essaierait  de  gagner  Rheinberg  et  d'exécuter  u  l'embar- 
quement projeté  pour  descendre  le  Rhin  pendant  la  nuit,  » 
ou  il  fera  «  passer  ce  fleuve  aux  troupes  pour  les  faire 
entrer  dans  Wesel  par  la  redoute  de  la  Lippe  ».  Le  gou- 
verneur, Castella,  venait  de  faire  parvenir  à  ses  collègues 
français  quel([uos  mots  (ï)  tracés  sur  un  bouton  décrivant 
les  progrès  du  siège  et  réclamant  un  prompt  secours. 

(1)  Casiries  à  Belleisle,  Cologne,  8  octobre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Castries  ai  Broglie,  Cologne,  8   octobre   1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Castries  à  Broglie,  Dusseldorf,  10  octobre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(4)  Castella  à  Beausobre,  Wesel,  Il  octobre  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


CASTIUES  A  lUIKINBKIlG. 


357 


Enlin,  le  13  octobre,  une  concentration  partielle  s'ef- 
fectue :  «  J'ai  réuni,  mande  Castries  (I  ,  mes  divisions 
àNcuss  afin  de  gagner  du  terrain  et  pouvoir  diriger  les 
troupes  qui  viennent  de  France  sur  ce  point;  vous  m'avez 
paru  désirer  que  nous  commencions  le  \1  à  faire  un 
mouvement  en  avant;  les  troupes  étant  rassendjlées  au- 
jourd'hui 13,  à  8  lieues  de  Cologne,  j'ai  à  peu  [)rès  r('m[)li 
votre  attente...  Par  l'état  actuel  des  combattants  que  j'ai 
ici,  les  31  bataillons  de  l'infanterie  vont  à  15  mille  V  ou 
500  combattants  et  la  cavalerie,  la  gendarmerie,  les  dra- 
gons à  environ  3.500,  ce  qui  fait  en  tout  19  000  hom- 
mes. Vous  savez.  Monseigneur,  que  tous  les  régiments  de 
cavalerie  que  vous  avez  envoyés  ici  sont  les  plus  délabrés 
ou  ceux  à  qui  il  manque  des  compagnies  morveuses,  ce 
qui  fait  que  la  plupart  ne  pourront  former  qu'un  esca- 
dron. »  F^'artillerie  était  encore  en  ariière. 

Sans  attendre  la  division  Maupeou  et  les  derniers  régi- 
ments en  route  de  France,  Castries  continua  sa  marche; 
il  était  précédé  d'une  avant-garde  commandée  par  Chabo 
et  formée  de  5  bataillons,  de  deux  régiments  de  dragons 
et  du  corps  de  Fischer.  Cette  avant-garde  arriva,  le  IV  à 
l'entrée  de  la  nuit,  aux  environs  de  Rheinberg  qui  était 
occupé  par  un  millier  de 'confédérés.  Quoique  le  poste 
fût  très  défendable,  les  Fischer  en  débusquèrent  l'en- 
nemi, qui,  à  la  suite  d'une  action  assez  vive,  se  retira  avec 
une  pertb  d'une  centaine  d'hommes. 

a  II  était  5  heures  du  soir,  rapporte  Castries  i2),  lorsque 
nous  entrihnes  dans  Rheinberg,  la  nuit  commençait  alors, 
et  les  troupes  harassées  ne  me  permirent  pas  k  penser 
à  autre  chose  qu'à  les  laisser  reposer.  J'appris  en  même 
temps  que  l'armée  pourrait  tout  au  plus  arriver  à  Mœurs, 
<{u'un  coup  de  vent  avait  brisé  une  partie  des  bateaux  qui 


(I)  Casiriosà  Broglie,  Neuss,  13  octobre  17t>0.  Archives  de  la  Guerre. 
i'i)  Castries  à  Helleisie,  Wescl,  :>()  octobre  I7(j0.  Archives  de  la  Guerre. 

GUEllUi;    Dli   Slil'T   ANS.   —  ï.    IV.  17 


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descendaient  le  Khin  et  qu'il  avait  fait  échouer  l'autre; 
cette  circonstance  malheureuse  empocha  que,  dès  le  1  V  au 
soir,  l'embarquement  qui  devait  se  taire  à  Orsoy  pût 
s'exécuter  »,  et  donna  le  temps  au  prince  héréditaire  de 
former  une  estacade  sur  le  lUiin  au-dessus  de  Wesel.  «  Il 
eût  été  à  désirer  de  pouvoir  marcher  de  lUieinherg  sur 
Uurick  dès  le  15  A  la  pointe  du  jour,  mais  les  ennemis 
avaient  fait  passer  le  Uhin  pendant  la  nuit  à  la  tète 
de  leur  armée,  de  manière  que  dès  que  le  jour  eut  permis 
d'apercevoir  ce  qui  se  passait  dans  la  plaine  de  l'autre 
côté  du  canal,  on  découvrit  un  corps  de  troupes  fort  su- 
périeur à  celui  que  j'aurais  pu  faire  débouciier.  Je  fus 
donc  oblijué  de  borner  les  mouvements  dn  15,  1"  à  porter 
l'armée  (|ui  n'était  arrivée  ([ue  le  IV  à  i  heures  du  soir 
prèsde  Mœurs,  sur  le  canal  de  Rheinbery;  2°  à  envoyer  le 
corps  de  Fischer  à  l'abbaye  de  Canq)s  pour  masquer  ce 
passage  principal;  et  couvrir  l'armée  qui  arrivait  par 
cette  direction;  3"  à  rassembler  des  bateaux  A  Orsoy  pcnir 
faire  passer  dès  cette  nuit  un  secours  dans  Wesel.  Je  par- 
vins à  en  rassembler  assez  pour  embarquer,  dans  la  nuit 
du  15  au  H),  600  grenadiers  ou  chnsseurs  avec  100  hom- 
mes d'artillerie;  M.  de  Boisclaireau  les  commandait,  et 
M.  de  Sionville,  officier  de  la  plus  grande  fermeté  et  de 
la  plus  grande  intelligence  pour  ce  genre  d'opérations, 
fut  cliargéde  la  direction  du  convoi  et  de  toutes  les  choses 
nécessaires  pour  rompre  l'estacade  des  ennemis  et  com- 
battre avec  avantage  les  bAtiments  armés  qui  devaient  la 
défendre.  » 

Disons  de  suite  que  l'expédition  de  Boisclaireau  eut 
une  pleine  réussite.  Le  seul  obstacle  qu'elle  rencontra 
fut  «  une  estacade  de  15  grosses  bar([ues  ([ui  barrait  le 
Uhin  dans  son  entier.  Ces  barques,  relate  Hoisclaireaud  , 
étaient  liées  par  un  gros  cAble  qui  traversait  tout  le  tleuve  ; 


(1)  Boisclaireau (rtapporl de),  Wesel, 20 octobre  I7C0.  Archives  delà  Giieirc. 


SIKCK  DK  WESIIL. 


330 


le  cAble  n'était  pas,  liourouscmciit,  assoz  tendu  pourôter 
h  nos  h<u'(|ues  Li  liberté  <lc  passer.  »  Les  assiô^-eants  tiiè- 
reiit  snr  les  Fiançais  quehjues  coups  de  canon  et  de  (nsll 
qui  ne  Jour  tirent  pas  grand  mal  et  Uoisclaireau  et  son 
détachement  parvinrent  à  bon  port,  à  la  grande  joie  de 
de  la  gai'nison  de  Wesel  et  sans  autre  perte  (ju'un  lieu- 
tenant noyé  en  débarquant. 

Empruntons  au  récit  de  Castries  l'emploi  des  der- 
nières heures  de  la  journée  du  15  octobre  :  »  dette  dispo- 
sition I rembarquement!  arrêtée,  je  lus  au-devant  de  l'ar- 
mée pour  déterminer  son  camp,  il  était  trop  tard  pour 
lui  faire  passer  le  canal,  et  ne  le  passant  pas,  je  lus  forcé 
de  la  reculer  hors  de  la  portée  du  canon  que  les  ennemis 
pouvaient  établir  de  leur  côté  avec  avantage.  L'armée 
campa  donc,  à  un  quart  de  lieue  de  (lamps,  à  cheval  sur  le 
chemin  qui  conduit  de  cette  abbaye  à  Ncuss,  je  prévins 
Fischer  ([ue  dans  le  cas  où  il  serait  attaqué  et  forcé  pen- 
dant la  nuit,  il  serait  reçu  par  un  bataillon  de  grena- 
diers qui  aurait  l'ordre  de  se  porter  au  premier  coup  de 
fusil  à  la  tête  des  haies  pour  protéger  sa  retraite  ;  j'or- 
donnai aussi  de  construire  des  ponts  sur  le  canal,  et  à 
l'officier  général  de  jour  d'en  faire  protéger  les  travaux 
par  les  gardes  qu'il  y  placerait.  Après  cette  disposition, 
je  fus  obligé  de  retourner  à  llheinberg  pour  ordonner 
rembarquement  et  je  ne  pus  revenir  (]u'à  la  nuit  fermée 
au  quartier  (jui  m'avait  été  marqué  derrière  la  ligne,  je 
sus  en  arrivant  que  l'on  avait  trouvé  le  bord  du  canal 
trop  éloigné  pour  y  placer  les  gardes,  qu'on  les  avait 
placées  en  arrière,  et,  quoique  cela  fiU  essentiel,  je  crus 
qu'il  était  trop  tard  pour  les  y  reporter.  » 

Que  s'était-il  passé  chez  les  confédérés  [)envlant  la  pre- 
mière quinzaine  d'octobre?  Nous  avons  laissé  le  prince  hé- 
réditaire occupé  à  l'investissement  de  Wesel  et  attendant 
a  'ec  impatience  son  parc  d'artillerie  pour  en  commencer 
le  siège.  Il  est  toujours  plein  de  confiance  dans  l'issue  de 


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960 


LA  OUKRRK  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


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son  entreprises  :  ■<  M,  de  Bro^Iie,  cci'it-il  i\  ll()l(k'rnesse''1  i, 
d'apivs  nos  dernières  nouvelles,  onvoicra  tout  au  plu» 
20.(M)0  honmics  contre  nous  afin  de  nous  faire  aban- 
donner la  partie,  mais  S.  A.  Ut  IMinc»^  Feidinand  me 
renforce  à  proportion,  in'ayant  (Mivoyé  le  lieutenant- 
général  Waldegrave  avec  8  bataillons  et  fi  escadrons 
qui  se  trouvent  aujourd'bui  déji\  à  Dorsten,  et  j'attends 
encore  avec  fi  autres  bataillons  le  général  Howard  de 
sorte  que  je  ne  crains  r»  n  de  ces  ctMés  ;  du  moins  ai-je 
l'honneur  de  vous  assurer  que  si  l'ennemi  vient,  que 
nous  ferons  de  notre  mieux.  Pour  ce  qui  est  des  troupes 
qui  pourraient  venir  par  le  Brabant  et  dont  12  l)ataillons 
se  trouvent  déjà  à  ce  qu'on  m'assure,  prés  de  I^iiège,  l'on 
prétend  que  le  reste  a  fait  une  iialte;  et  qu'on  balance  à 
le  faire  marcher  craignant  pour  les  c(^tés  de  la  Flandre. 
Il  serait  admirable  de  les  entretenir  dans  cette  idée,  du 
moins  jusqu'à  la  fin  de  ce  mois.  »  Trois  jours  après  (2),  il 
annonce  l'ouverture  de  la  tranchée  qui  s'est  elFectuéc  si 
heureusement  dans  la  nuit  du  10  octobre,  «  qu'on  fit 
3.000  toises  d'ouvrage  sans  qtie  M.  de  Castella  s'en  aper- 
çût; nous  travaillons  actuellement  à  l'emplacement  de  nos 
batteries;  notre  première  parallèle  a  des  endroits  qui  ne 
sont  qu'à  100  toises  du  glacis...  Une  sortie  de  la  garnison 
a  été  repoussée;  Waldegrave  est  arrivé,  et  Howard  rejoin- 
dra dans  deux  jours;  toute  notre  artillerie  de  siège  est 
arrivée  cette  nuit  ».  Toutefois,  le  prince  s'était  rendu 
compte  ([ue,  pour  s'emparer  de  \Vesel,il  était  indispensable 
d'être  maître  de  la  rive  gauche  du  Rhin,  aussi  s'était-il 
attaché  à  se  procurer  les  moyens  de  franchir  le  tleuve.  Dans 
un  rapport  détaillé  au  prince  Ferdinand  (.'$>,  il  fait  le  récit 
des  opérations  qui  précédèrent  la  bataille  du  Ifi  :  «  Mon 
pont  sur  le  Rhin  ne  fut  achevé  que  le  13  et  quoicjuo  mal 


(1)  Prince  à  Holdernesse.  devant  Wesel,  lo  octobre  1700.  Record  Oflice. 

(2)  Prince  à  Holdernesse,  devant  Wesel,  l't  octobre  17C0.  Record  OHice. 

(3)  Prince  iiércdilaire  à  Ferdinand,  Rrunen,  l'J  octobre.  Record  Ofticc. 


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(  IIAMP  DE  HATAILUI  UE  CLOSTERCAMl' 


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assiir»'  ciicore  contro  les  caprices  do  la  saison,  je  (is  passer 
le  soir  tlu  l.'l,  oiii(|  haltcrics  ot  huit  escadrons  sous  les  or- 
dres de  M.  de  Bock.  Contre  tous  mes  avis  de  la  Haye,  de 
Colof^ne,  etc..  M.  d»»  Castrios  parut  le  14  avec  5  hatleries, 
8  escadrons  et  les  Fischer,  l'après-dlnée  à  k  heures,  aux 
portes  de  Hiicinheig-;  je  n'y  étais  c|u'j»vec  les  volontaires 
et  les  hussards,  je  m'enferniais  dans  la  ville  avec  l'infan- 
terie, mais  prévoyant  y  être  forcé  au  hout  d'une  heure, 
je  me  repliais  en  ordre  sur  Ossenherg'  où  j'avais  donné 
ordre  à  M.  de  Hock  de  marcher;  j'avais  également  averti 
le  général  Waldegrave  et  Howard  de  marcher  d(î  lleins  à 
tire-d'aile,  pour  me  joindre.  Les  Fischer  à  cheval  nous  sui- 
virent vers  Ossenherg,  je  les  fis  rechasser,  et  mon  cheval 
reçut  une  contusion  à  cette  afl'airc,  qui  fut  assez  vive.  M.  de 
Bock  ne  me  joignit  que  le  1,')  au  matin,  et  le  pont  qui 
s'était  rompu  deux  à  trois  fois  arrêtait  tellement  la  marche 
du  général  Waldegrave,  de  Howard  et  des  hataillons  que 
j'avais  tirés  du  siège,  que  le  tout  n'arriva  que  le  15  au 
soir  A  8  heures.  » 

Le  terrain  où  allait  se  livrer  le  sanglant  combat  de 
(^lostercamp  (1)  ne  nécessite  pas  une  longue  description. 
Du  Rhin,  à  faible  distance  de  la  petite  ville  de  Bheiuberg, 
se  détache,  presque  à  angle  droit,  un  canal  dans  la  direc- 
tion de  Gueldres;  sur  la  rive  gauche,  et  à  3  kilomètres  en- 
viron de  ce  cours  d'eau,  s'élève  le  plateau  d'Alpen;  sur 
la  rive  droite  s'étend  une  plaine  en  cultures  et  en  bruyères 
coupée  par  des  marais  et  des  bouquets  de  bois  parmi 
les([uels  quelques-uns  d'une  certaine  superficie.  Les  che- 
mins qui  desservaient  les  hameaux  de  la  contrée  étaient, 
en  général,  bordés  de  haies.  Au  centre,   le  village  de 

(1)  Le  récit  de  In  bataille  est  tiré  des  rapports  et  lettres  de  Castriez),  de 
Hochambeau  et  d'Auvel  ;  du  bulletin  des  opérations  de  ce  qui  s'est  passé  à  la 
brigade  de  Normandie,  Archives  de  la  Guerre;  des  Mémoires  de  Hesenval, 
Paris,  1 821;  de  la  correspondance  du  prince  héréditaire,  de  Granlty  et  de  Peirson, 
Record  Office;  deWnstphalcn,  vol.  IV;  deManners,  IJfeof  lord  (IranOy.  etc. 
Voir  la  carte  à  la  M  du  volume. 


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262 


LA  GUEllKE  DL:  SEPT   \NS.  —  CIIAP.  V. 


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Campesbrocckflontla  plupart  des  maisons,  isolées  les  unes 
des  autres,  étaient  ceinturées  de  taillis  ou  de  vergers;  en 
amont  et  sur  la  rive  gauche  du  canal,  le  couvent  de  Clos- 
tercamp;  en  aval,  et  sur  l'autre  bord,  la  ville  de  Rliein- 
berg;  le  cours  d'eau  était  guéable  en  plusieurs  endroits. 

Le  soir  du  15  octobre,  l'armée  française  était  campée 
dans  la  plaine,  aunord-ouestdu  villagede  Rosenradt,  ayant 
devant  elle  les  maisons  et  les  J)ois  de  Campesbroeck  et  l(^ 
hameau  de  Iloldopel.  Le  corps  de  Fischer  était  posté  à 
droite  et  en  avant  du  couvent  de  Clostercamp  ;  Tavant- 
garde  de  Chabo  était  établie  à  Uheinbcrg.  Les  troupes  du 
prince  héréditaire  étaient  réunies  au  village  d'Ossenberg, 
sur  la  route  de  Rheinberg  au  pont  de  R.urick,  ou  eu  marche 
pour  rejoindre. 

Castries  eut  un  instant  la  pensée  de  faii  •;  franchir  lé 
canal  au  gros  de  ses  troupes,  mais  la  fatigue  des  hommes, 
épuisés  par  leurs  marches  forcées,  et  les  démonstrations 
des  confédérés  tirent  remettre  le  passage  au  lendemain  ; 
on  se  borna  à  ouvrir  des  débouchés  dans  les  bois,  à  amé- 
liorer les  gués  it  cà  préparer  des  ponts.  La  première  ligne 
des  Français  était  formée  par  les  brigades  de  Normandie, 
de  la  Tour  du  Pin,  d'Alsace  et  d'Auvergne,  les  trois  der 
nières  composées  des  régiments  du  môme  nom  ;  celle  de 
Normandie,  en  outi'e  des  V  bataillons  du  régiment,  com- 
prenait les  •!  bataillons  de  Rriqueville.  Ainsi  qu'on  le 
verra,  les  18  bataillons  de  cette  première  ligne  furent  les 
seuls  qui  prirent  une  part  sérieuse  à  la  bataille  ;  ils  étaient 
commnndés  par  les  lieutenants  généraux  d'Aiivet  et  de 
Ségur  et  les  maréchaux  de  camp  Wurmser  et  Resenval 
Kn  seconde  ligne  étaient  rangées  deux  brigades  de  ca- 
valerie aux  ordres  des  généraux  de  Cursay  et  de  Thiard; 
la  gendarmerie,  sous  Lugeac,  était  en  réserve  à  Rhein- 
berg et  au  chiUeau  de  Stromniers,  par  conséquent  sui- 
les  derrières  ou  à  l'extrême  droite.  Gaistries  avait  laissé  à 
Rheinberg  et  à  Strommers  sous  la  direction  de  Roquepine 


MARCHE  DE  FLANT  DU  PRINCE  IIKREDITAIUE. 


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et  de  Chabo  les  trois  )>rigados  de  la  Couronne,  deRoiior- 
guc  et  de  Bouillon,  en  tout  11  bataillons,  ainsi  que  8  es- 
cadrons de  dragons;  un  bataillon  de  milice  était  resté  à 
iMeurs  pour  garder  les  bagages. 

La  rencontre  était  beaucoup  plus  imminente  que  b- 
pensait  Castries;  le  prince  héréditaire  sentant  qu'une 
bataille  était  inévitable,  ne  voulut  pas  la  livrer  sur  les 
boi'ds  du  Rhin,  dont  la  traversée,  en  cas  de  malheur,  eût 
pu  devenir  une  cause  de  désastre;  au  lieu  d'attendre 
l'attaque  qui  se  dessinait  de  Rheinberg,  il  se  décida  à 
prendre  l'otî'ensive  et  à  porter  son  eilbrt  principal  sur 
la  gauche  des  Français;  une  marche  de  nuit  permettrait 
de  tomber  à  l'improviste  sur  un  adversaire  ([ui  n'avait 
pas  la  réputation  de  se  garder  avec  toute  la  vigilance 
nécessaire.  A  cet  ell'et,  il  mit  ses  troupes  en  route  à 
10  heures  du  soir,  le  15  octobre;  la  colonne  de  droite 
eut  pour  mission  de  chasser  les  Fischer  de  l'abbaye  et 
de  la  position  de  Clostercamp;  la  colonne  de  gauche 
devait  franchir  le  canal  par  l(>s  ponts  et  les  gués  que  les 
Franeais  avaient  aménagés  la  veille,  et  s'emparer  des 
maisons  et  des  jardins  de  Campesbroeck;  ces  deux  divi- 
sions étaient  fortes  (1 1  de  17  bataillon;  et  18  escadrons. 
Enfin,  le  général  de  Rock,  avec  ,'J  bataillons  et  V  esca- 
drons, surveillerait  Rheinberg  et  les  abordsdu  canal  entre 
cette  ville  et  le  hameau  de  lloldopel;  si  l'opération  prin- 
cipale réussissait,  il  la  seconderait  de  son  mieux. 

Ainsi  qu'on  l'avait  prévu,  les  Fischer  fuient  surpris; 
abordés  vers  2  heures  du  matin,  ils  furent  expulsés  avec 
perte  de  leur  camp  et  se  retirèrent  en  désordre  sur 
Gueldres  «  abandonnant  (2)  la  direction  et  le  débouché 
qu'ils  devaient  couvrir  ».  Cette  fuite  excentrique  eut  pour 


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(I)  Chiiïres  doriiK'S  pai  le  iirince  hon-ilitairo  dans  son  rapport  du  l'.i  i\ 
Ferdinand. 

('!)  Mois  ajoiit.is  (II!  la  main  de  Castries,  dans  son  rapport  à  IJelieisie  du 
20  octobre. 


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l,\  GUERRE  DE  SEPT  ANS 


<IIAP.  V. 


oirel  de  couper  les  commimicatious  outre  eux  et  le 
gros  de  l'aimée  français*;  ;  uéauinoins,  les  coups  do  fusil 
auxquels  donna  lieu  la  bag'arro,  ji'ttNront  l'alarme  dans 
le  cantonncmont  ;  les  régiments  prirent  les  armes  et 
les  généraux  coururent  rejoindre  leurs  divisions  et  leurs 
brigades.  La  première  fusillade  ne  dura  guère,  et 
Castrics,  t|ui  avait  envoyé  aux  nouvelles,  conimeneait 
à  ne  croire  qu'à  une  afi'aire  davant-postes,  quand  la 
mousqucterie  éclata  à  nouv^oau  avec  plus  d'intensité, 
accompagnée  de  quelques  coups  de  canon.  C'était  l'en- 
nemi qui  s'était  heurté  aux  grenadiers  d'Auvergne  que, 
dès  la  première  alerte,  leur  lieutenant-colonel,  La  Bartet, 
avait  portés,  selon  la  consigne  donnée  .  au  débouché  du 
chemin  de  Meurs.  Dans  U  confusion  qui  siiivi*  ÇB^ie 
rencontre,  le  général  de  Ségur  et  le  brigadier  de  Wan- 
gen,  qui  s'étaient  avancés  dans  les  ruiilles  du  village  do 
Campesbroeck  pour  reconnaître,  tombèrent  sur  les  têtes 
de  colonnes  de  l'assaillant  et  furent  fr'tr^  prisonniers. 
C'est  ég  ilement  à  cette  phase  de  l'alfaire  que  se  rattache 
l'épisode  bien  connu  du  capitaine  d'Assas(l)  sacrifiant 


(1)  lU'iulanl  lon^lemps  l'acliou  d'éclat  du  chevalier  d'Assasîut  ignorée  du 
public;  la  (irenilère  mention  d.i  capitaine  se  trouve  dans  la  deu.iènie  édition 
du  .sirrle  (le  Louis  W  de  Voltaire,  pul)liée  en  17<i9  et  dans  le  Mcrcuri'  du 
mois  de  mars  de  la  même  annév .  Des  soldats  du  régiment  d'Auver^^ne, 
notamment  le  seraient  Dubois  elle  caporal  Charpentier,  revendi(|Uèrent  l'hon- 
neur d'avoir  fait  partie  du  pi(|uet  commandé  par  d'Assas  et  se  virent  attri- 
buer par  quelques  auletrs  le  mérite  du  propos  :  «  Auvergne, c'est  l'ennemi  ». 
Quoi  qu'il  en  lût  de  ces  prétentions  rivales,  en  1777  une  pension  de  ÎOOO  li- 
vres réversible  sur  les  aînés  de  la  famille,  fi't  atcoidée  au  frèie  et  aux 
neveux  du  capitaine  qui  n'avait  pas  laissé  d<<nfants.  11  y  a  peu  d'années 
M.  Dominique  Casanova  d'Aracciani  réclama  pour  son  a'ieul,  lieutenani  au 
<orps  de  Fischer,  la  gloire  d'avoiraverti  lannée  française  du  péril  qui  la  me- 
naçait. Une  enquête  minutieuse,  faite  au  ministère,  établit  que  les  coups  de 
fusil  tirés  par  l'oHicier  de  Fischer  ou  jtar  les  homnu's  di;  son  peloton  n'a- 
vaient rien  de  comnuin  avec  ce  qui  s'étail  passé  aux  avant-postes  du  réf^i- 
ment  d'Auvergne  et  en  conséquence  la  méînoire  de  d'Assas  fut  confirmée 
dans  les  honneurs  dont  elle  avail  joui  depuis  I5i)  ans.  Une  slalui'  lui  a  été 
l'ievée  au  Vigan,  ville  à  laquelle  appartenait  sa  famille. 


ItVTAILLE  I)K  CLOSTERCAMP. 


205 


sa  vie  pour  prévenir  ses  camarades  d'Auvergne  du  pro- 
che voisinage  dos  Ilanovriens.  La  résistance  opiniâtre  des 
grenadiers  et  ciiasseurs  d'Auvergne  arrêta  l'élan  des 
confédérés  et  donna  le  temps  an  reste  du  régiment  d'ac- 
covirir. 

Castries  était  encore  dans  son  logement,  au  village  de 
^{osenradt,  (juand  il  fut  averti  par  l'officier  d'état-major 
àaint-Sti'iveUr  4^^  i*^^  canon  commençait  à  se  faire  en- 
tenare  aux  ai)ords  du  canal;  il  monta  aussitôt  à  cheval  et 
se  boita  sur  la  ligne  de  feu;  i\  y  rencontra  |U)cluiraheau, 
colonel  du  régiment  d'Auvergne.  Sur  les  ordres  du  gé- 
néi'al  en  chef,  les  4  bataillons  d'Auvergne  furent  posté-:, 
la  gauche  à  un  marais  cpii  touchait  à  la  bruyère  de  Camp, 
la  droite  au  chemin  de  Meurs.  I.a  Jjrigado  d'Alsace  vint 
s'appuyer  à  la  droite  d'Auvergne  et  celle  de  la  Tour  du 
Pin,  encore  plus  à  droite,  fut  chargée  de  pousser  une  ài- 
taque  de  tlanc  contre  les  colonnes  ennemies;  les  6  ba- 
taillons de  la  brigade  de  Normandie  dameurèrent  provi- 
soirement en  réserve,  derrière  les  combattants.  Il  était 
alors  '*  heures  du  matin  et  l'obscuiité  presque  com- 
plète. 

Dans  une  lettre  intime  à  Belleisle,  ie  générai  français 
raconte  les  péripéties  de  l'affaire  :  «  Les  deux  premières 
brigades  (Auvergne  et  Alsace)  ne  furent  pas  plutôt  pla- 
cées qu'elles  furent  attaquées  avec  furie  par  les  ennemis, 
leurs  eft'orts  se  dirigeaient  sur  le  chemin  de  Meurs  pour 
parvenir  à  tourner  le  ilanc  gauche  de  ma  ligne;  leurs 
attaques  se  succédèrent  avec  tant  de  vivacité  qu'Alsace 
souffrit  au  point  que  son  front,  en  se  resserrant,  se  trouva 
si  diminué  qu'il  se  forma  un  vide  entre  cette  brigade  et 
celle  d'Auvergne,  qu'il  était  très  pressant  de  fermer,  j'y 
portais  les  deux  bataillons  de  Briqueville.  Mon  front, 
malgré  son  feu,  était  pressé  par  celui  dos  onncmis  et  je 
ne  m'apercevais  pas  du  soulagement  (pie  l'alfrioi"^  do  la 
brigade  de  la  Tour  du  l'in  devait  me  procur. r.  ,1e  vouius 


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LA  GUERRE  DE     SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


deux  fois  m'y  porter  pour  la  faire  charger,  mais  deux 
fois  je  fus  ramcué  à  la  gauche  par  les  efforts  que  les 
ennemis  y  faisaient.  (]ette  gauche  était  le  point  principal 
de  ma  position,  et  je  devais  tout  y  sacrifier  pour  m'y 
maintenir  avant  de  penser  à  attaquer  celle  de  l'ennemi. 
J'appris  alors  que  M.  de  la  Tour  du  Pin  blessé,  sa  brigade 
était  restée  dîins  la  positiou  où  il  l'avait  laissée  sans  dé- 
boucher; son  inaction  ])crmit  donc  au.v  ennemis  de  réunir 
toutes  leurs  attaques  vers  le  chemin  de  Meurs,  la  gauche 
de  la  brigade  d'Alsace  le  défendait  et  s'y  soutenait,  qvioi- 
que  presque  entièrement  détruile.  H  fallut  la  faire  sou- 
tenir et  remplir  le  vide  ([ue  sa  perte  avait  occasionné  pour 
la  seconde  fois,  je  me  trouvai  donc  forcé  à  employer  les 
4  bataillons  de  Normandie  sur  les  troupes  qui  me  ro- 
tassent en  réserve.  » 

La  situation  devenait  critique  :  les  grenadiers  et  clias- 
seurs  d'Auvergne  qui  avaient  essuyé  le  premier  choc, 
<f  ayant  tous  leurs  officiers  tués  ou  blessés  c»  réduits  à 
10  iionunes  par  troupe  »,  avaient  abandonné  le  village 
de  Campesbroeck;  il  avait  été  repris  par  leui's  camarades 
du  régiment  dont  les  unités  se  logèrent  derrière  les  haies, 
dans  les  vergers  et  dans  les  maisons.  Alsace  engagé  depuis 
longtenqjs,  et  Not  niandie  qui  venait  d'entrer  en  ligne  pro- 
longeaient la  défense  dans  la  direction  du  canal.  Tout  en 
perdant  beaucoup  de  monde,  les  régiments  anglais,  qui 
constituaient  le  principal  élément  de  l'armée  confédérée, 
avaient  gagné  du  terrain.  Castries,  dont  le  sang-froid  fut 
admirable,  prit  des  dispositions  pour  le  renvoi  des  équi- 
pages et  de  l'hôpital,  et  appela  à  lui  Chabo  avec  la  bri- 
gade de  Kouer^ue.  Il  y  eut  de  part  et  d'autre  une  série 
d'engagements  avec  des  succès  alternatifs;  les  fermes,  les 
haies,  les  fossés  furent  eidevés,  perdus,  puis  reconquis  pur 
les  combattants.  iNormandic,  dont  les  soldats,  nouveaux 
venus  de  France,  exposés  au  feu  pour  la  piemière  fois, 
commençaient  à  plier,  fut  ramené  par  Cas^ti.^s,  d'Auvet  et 


PÉRIPÉTIES  DU  COMll.VT. 


207 


son  colonel  Pcrusse.  Le  lieutenant-colonel  Bienassis,  à  la 
tête  du  1"  bataillon,  s'empara  d'une  maison  d'où  il  expulsa 
un  détachement  anglais  (ju'il  repoussa  jusqu'à  la  lisière 
de  la  bruyère.  Encouragé  par  ce  petit  avantage,  et  voyant 
que  le  tir  de  l'adversaire  paraissait  mollir,  Castries  or- 
donna aux  défenseurs  de  Campesbroeck  de  faire  un  dernier 
effort  pour  chasser  l'assaillant  de  la  partie  des  haies  et 
des  vergers  dont  il  était  encore  maître,  et  conduisit  en 
personne  un  bataillon  de  la  Tour  du  Pin  contre  le  flanc 
des  colonnes  anglaises.  Ce  mouvement,  secondé  par  un 
retour  offensif  de  ce  qui  restait  des  bataillons  d'Auvergne, 
conduits  par  Besenval,  fit  reculer  les  Anglais...  '(  Lr.  pre- 
mière atta(|ue  réussit,  écrit  le  prince  héréditaire;  nous 
chassâmes  l'ennemi  d'un  enclos  à  l'autre,  mais  comme 
malheureusement  le  soldat  se  débande  à  la  poursuite  et 
ne  résiste  guère  aux  forces  nouvelles  ([u'on  lui  oppose, 
j'eus  le  chagrin  de  voir  que  tout  mon  monde  fut  rechassé; 
les  Anglais  ont  plié  les  premiers  et  n'ont  nullement  fait 
comme  je  devais  m'y  attendre.  »  La  lutte  pour  la  posses- 
sion des  bois  et  des  maisons  de  Campesbroeck  avait 
duré  au  moins  trois  heures  et  le  jour  s'était  levé. 

A  la  vue  des  confédérés  <{ui  se  retiraient  en  désordre 
dans  la  bruyère,  le  gros  du  régiment  de  Normandie  et  plu- 
sieurs fractions  de  ses  voisins  d'Alsace  et  d'Auvergne  se 
précipitèrent  à  leur  suite,  malgré  les  cris  des  généiiaux,et 
sans  reconstituer  les  formations  que  la  lutte  derrière  les 
haies  avait  désorganisées.  Mal  leur  en  prit;  le  général 
Klliot  lam  a  sur  cette  masse  confuse  quelques  escadrons 
que  l'obscurité  et  la  nature  du  terrain  avaient  retenus 
jusqu'alors  inactifs.  Les  fantassins  français  furent  vive- 
ment refoulés  jusqu'au  cordoi:  les  haies,  perdirent  du 
monde  et  laissèrent  aux  mains  des  cavaliers  anglais  un 
drapeau  et  deux  canons  appartenant  à  Normandie;  le 
colonel  du  régiment,  le  marciuis  de  l*erusse,  fut  renversé 
ot  blessé;  il  ne  dut  son  salut  qu'à  la  bravoure  de  trois  de 


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LA  GIKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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ses  hommes  qui  rarrachèrent  à  l'ennemi.  Fort  heureu- 
sement un  Ijataillon  de  Briqueville,  qui  avait  conservé  sa 
position,  arrêta  cette  charge  par  son  feu  soutenu; 
quelques  pelotons  qui  avaient  percé  la  ligne  des  haies 
furent  sabrés  par  trois  escadrons  de  Royal  Piedmont  et 
de  Balincourt  que  le  comte  de  Thiard  jeta  sur  eux  avec 
beaucoup  d'à  propos.  Les  Anglais  abandonnèrent  au  vain- 
queur quelques  prisonniers  et  un  étendard. 

Quoiqu'elle  eût  été,  en  définitive,  repoussée,  la  charge 
d'Elliot,  en  donnant  un  répit  à  l'armée  confédérée,  la 
sauva  d'une  déroute  complète.  La  seconde  retraite  à  tra- 
vers la  brujère  s'était  elicctuéi  dans  un  grand  désarroi 
qu'augmentait  le  tir  d'une  batterie  de  4  pièces  avan- 
tageusement placées  par  M,  de  Lugeac.  Les  rangs  anglais 
étaient  confondus;  beaucoup  d'officiers  avaient  été  tués 
ou  blessés;  le  prince  héréditaire,  qui  se  prodiguait  avec 
son  intrépidité  habituelle,  en  essayant  de  rallier  les  fuyards 
avait  eu  son  cheval  tué  sous  lui  et  avait  reçu  une  contu- 
sion  qui  gênait  sa  marche.  Ce  fut  grAce  à  l'aide  de 
Lord  Lennox  qu'il  put  se  traîner  hors  du  bois  et  rega- 
gner le  bord  du  canal  dont  il  organisa  de  son  mieux  le 
passage. 

Les  Français  avaient  trop  souffert  pour  songera  pour- 
suivre, et  les  soldats  du  prince  rentrèrent  dans  leur 
camp  de  Burick  sans  être  molestés  autrement  que  par 
quelques  coups  de  canon  et  une  démonstration  de  la 
division  de  Chabo.  Ce  général,  appelé,  comme  on  l'a  vu, 
à  renforcer  le  gros,  n'avait  laissé  à  Rheinberg  que 
200  hommes  du  corps  de  Fischer  et  avait  marché  dans  la 
direction  de  Campesbroeck  ;  en  route,  r.issuré  sur  l'issue 
de  laction  principale  et  ému  de  la  fusillade  qui  semblait 
s'engager  du  côté  d(^  Rheinberg,  il  revint  sur  ses  pas, 
ff'prit  son  poste  sous  les  i  cmparts  de  la  ville,  et  lança 
quelque  cavalerie  à  la  poursuite  de  Bock  qui,  après  une 
démonstiation  vaine,  se  voyait  o))ligé  de  suivre  la  re- 


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INACTION  DUNE  PARTIE  DE  L'AUMÉE  FRANÇAISE. 

traite  générale  des  siens.  En  fait,  Cliabo  ne  participa  pas 
à  l'affaire;  il  en  fut  de  même  de  Roqucpine  dont  les 
troupes,  et  notamment  la  brigade  de  la  Couronne,  ne 
parurent  sur  le  champ  de  bataille  qu'après  la  fin  du 
combat.  La  gendarmei'ie  ne  chargea  pas,  mais  la  canon- 
nade lui  coûta  un  officier  et  quelques  honunes. 

En    résumé,  sauf  l'intervention   d'Elliot  et  la  charge 
des  3  escadrons  de  Thiard,   la  bataille   de  Closfercamp 
fut  une  rencontre  sanglante  et  bien  disputée  entre  18  ba- 
taillons  français  et  16  bataillons  confédérés  en  grande 
majorité  anglais.  De  part  et  d'autre,  le  nombre  engagé  fut 
A  peu  près  égal,  soit  d'environ   12.000  fantassi'.s.  Sans 
la  malheureuse  sortie  en  plaine  qui  ne  fait  pas  l'éloge 
de  la  discipline  des  régiments  français,  ceux-ci  auraiDut 
pu  remporter  un  succès   absolu,  surtout  si  les  renforts 
l'éclamés  par  Castries  au  cours  de  l'action  fussent  arrivés 
en  temps  utile.  On  peut   à  la  rigueur  comprendre    les 
hésitations  de  Chabo  qui  l'empêchèrent  de  tirer  parti  de 
sa  troupe,    mais  il  est  difficile    de  saisir  les   motifs  de 
l'inaction  des  G  bataillons  de  Roquepine  pendant  tout 
le  combat.  D'autre  part  si,  malgré  les  difficultés  du  ter- 
rain, la  charge  d'Elliot  fut  si  efficace  contre  l'infanferie 
française  dans  les  bruyères  do  Camp,  on  peut  s'étonner 
qu'un  officier  de  cavalerie  comme  Castrics  ne  se  soit  pas 
servi  du  reste  de  ses  deux  Jjrigades  et  des  10  escadrons  de 
la  gendarmerie  contre  les  bataillons  confédérés  dont  le  dé- 
sordre était  au  moins  aussi  grand  que  celui  des  Français. 
(rri\ce  sans  doute  au  défaut  de  poursuite,  la   perte  du 
vainqueur  aurait  dépassé  celle  du  vaincu  :  Les  Français 
comptèrent  185  officiers,  2.V59  soldats    tués  et  blessés 
appartenant  aux  régiments  engagés,  soit,  en  y  ajoutant 
les    Fischer    et    quelques     cavaliers    atteints,    près    de 
3.000  hommes.    Le  rapport  officiel  du  prince  liéréditaire 
ne  porte  son  déchet  qu'à  un  total  de  1.012  officiers  et  sol- 
dats parmi  lesquels  environ  ."300  prisonniers.  Dans  Tarmée 


sin-  f  i-iJ 


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LA  c.ijerhe  dk  sept  ans. 


CHAP    V. 


1 1 


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de  Casti'ies,  les  régiments  d'Alsace,  d'Auvei'f^rie  et  de  Nor- 
mandie furent  tcrribloment  éprouvés;  ils  accusèrent  un 
déficit  respectif  do  9iiï,  7711  et  097  officiers  et  soldats 
hors  (le  combat,  soit  près  dos  5/6  du  total  de  la  perte 
française  et  ï't  "/<■  do  leur  effectif.  Ces  chiffres,  pour  un 
combattant  resté  maître  du  terrain  de  la  lutte,  paraissent 
élevés  et  il  est  permis  do  se  demander  si,  d'après  la  cou- 
tume de  l'époque  (1),  les  capitaines  n'avaient  pas  enflé  leur 
nian(juant  en  y  comprenant  toutes  les  non-valeurs  de 
leurs  compagnies. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  Tarmée  du  prince  hérédi- 
taire eut  tout  io  h)isir  do  se  retirera  Burick  ;  l'avant-garde 
française  ne  franchit  le  canal  que  deux  heures  après  la 
fin  de  la  mêlée;  elle  s'établit  à  une  lieue  do  Buriclv  et  fut 
rejointe  par  le  gros  vers  la  nuit.  La  journée  suivante,  le 
17  octobre,  se  passa  on  escarmouches;  Castries  fit  ta  ter 
l'ennemi  par  ses  troupes  légères  à  Elverich  et  (ieit,  mais 
il  remit  l'attaque  au  lendemain  et  se  borna  à  se  rappro- 
cher de  la  position  ennemie,  dont  il  resta  éloigné  d'im 
quart  de  lieue.  La  situation  du  prince  héréditaire  ne  lais- 
sait pas  d'être  critique  :  en  face  do  lui,  un  ennemi  vain- 
queur; à  son  dos  un  fleuve  à  traverser;  pour  comble 
de  malheur,  le  pont  unique  qui  assurait  la  retraite  avait 
été  rompu  dans  la  soirée  par  une  inondati»»u.  Il  fallut 
le  rétablir  un  pou  en  aval,  mais  l'opéVrttion  ne  fut  ache- 
vée que  le  18,  à  5  heures  du  malin. 

Tout  d'aboid,  le  prince  héréditaire  chercha  à  en  im- 
poser aux  Français  en  faisant  prendre  l'ollcusive  à  sa 
cavalerie  dans  la  direction  de  (lelt;  il  garnit  d'artiUo^jo 
la  tête  du  pont  abandonné  et  engagea  une  vigoureuse 
canonnade.  La  manœuvre  réussit  :  «  tantôt  au  pont  (2  , 


If! 


fl)  Les  lettres  de  Cornilloi\  i\  Ut'lldsle  du  4  août,  et  de  Du  Muy  à  Belleisle 
du  13  août,  à  la  suite  du  (tunbttl  de  Wurhurg,  expriment  le  in(>me  doute. 
(2)  Lettre  du  »|uailier  général  du  prince,  Bruynen,  1"  octobre.  l'Oo.  Uecord 


LES  CONFÉDliUÉS  HEPASSKNT  LE  RHIN. 


•^71 


tantôt  à  raiTiôro-gardo,  le  prince  portait  son  attention  et 
ses  soins  sur  tous  les  points;  il  l'ut  averti  à  9  lieuros  du 
matin  que  l  artillerie  et  toutes  les  troupes,  à  l'arrièrc-garde 
près,  avaient  passé  heureusement  le  Hhin;  il  ordonna  au\ 
hussards  de  gagner  imperceptiblement  par  pelotons  le 
pont.  11  y  fît  marcher  les  troupes  qui  garnissaient  la  tôte 
du  pont  par  la  digue,  tout  en  détachant  des  patrouilles 
qui  continuèrent  à  tirailler  avec  l'ennemi  ».  Les  Français 
ouvrirent  le  feu  de  leurs  canons  au  moment  du  passage 
du  dernier  bataillon,  «  mais  M.  le  comte  de  Hiickebourg, 
qui  avait  passé  avec  notre  artillerie  et  (jui  lui  avait 
dahord  donné  un  emplacement  sur  l'autre  bord  du  Uhin, 
lit  commencer  à  la  faire  jouer  avec  tant  de  vivacité,  que 
les  ennemis  n'y  eurent  plus  un  petit  mot  à  répliquer.  On 
leur  abandonna  quelques  vieu.\  chariots  et  (pielques 
charrettes  de  paysans,  remplies  do  foin,  qu'on  alluma  et 
on  rompit  le  pont  tout  de  suite  ».  La  traversée  fut  com- 
plètement terminée  à  11  heures,  et  l'armée  confédérée  alla 
camper  à  Bruynen,  où  elle  fut  ralliée,  le  même  jour,  par  la 
division  llardenbcrg  laissée  devant  Wcsel  et  par  la  divi- 
sion Kilmansegge  <[ue  la  rupture  du  pont  avait  empêché 
de  suivre  le  gros  sur  la  rive  gauche, 

La  retraite  sur  Rurick  et  le  passage  dii  llhin  foid  hou- 
neuv  nw  |iv(lli!i!  htil'iUlUalre;  malgré  la  proximité  des 
l'I'aili^ulH  il  n'y  eut  pus  do  fausse  manœuvre  et  la  peito 
en  matériel  fui  insignilianto.  {]m  I'ôhiiKhIs  hiltlil  t|Mi4 
en  grande  jku'Ur  à  lu  mullcssc  de  la  jMJursuile  et  h  \i\ 
j)ruclenon  P^UHiHM^o  (le  l'atlversairo. 

tln«ll'les  se  rendit  parfaitement  compte  qu'il  n'aviiit 
pus  tiré  parti  des  embarras  du  prince,  et  s'en  accusa 
très  franchement  dans  sa  correspondance  privée  avec 
Belleisle  (1)  :  «  On  ne  doit  pas  être  entièrement  satisfait 
de  soi,  Monseigneur,  lorsqu'on  n'a  pas  fait  à  son  ennend 

(t)  Casliles  à  IJelleisle,  '.w  octobre  1700.  Aichives  de  la  Guerre. 


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272 


LA  GUERIŒ  DK  SEPT  ANS.  —  CHAI».  V. 


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tout  le  mJil  qu'on  pouvjiit  lui  lain^  et  je  me  reproche  par 
cette  raison  :  fde  n'avoir  pas  suivi  les  ennemis  le  10  avec 
plus  (le  vivacité;  2"  de  n'avoir  pas  marché  droit  sur  Uurick 
pour  les  euipéchcr  de  prendre;  la  position  (pi'ils  ont  tenue 
le  Icndcniaiu,  et  3"  de  n'avoii-  pas  prévu  le  parti  ([ue  les 
ennemis  prirent  et  dès  la  pointe  du  jour  de  n'avoir  pas 
fait  marcher  l'armée,  pour  être  à  même  d3  les  attaquer 
dès  ce  jour-là  ai:  lieu  d  aUendre  au  lendemain,  ce  que 
j'aurais  été  forcé  de  faire.  Il  serait  vraisend)lal)lemcnt 
résulté  de  ces  trois  choses  des  avantages  plus  considéra- 
bles que  ceux  que  j'avais  remportés,  mais  je  crai,t;nis  de 
mettre  trop  légèrement  au  hasard  les  succès  que  j'avais 
eus.  » 

A  Versailles  et  à  Cassel,  l'alerte  avait  été  chaude,  aussi 
les  félicitations  ne  manquèrent  pas  au  jeune  général  : 
«  Je  joins  ici  la  lettre  que  le  Roi  vous  a  écrite,  lui  annonce 
Helleisle  (1),  il  n'en  a  pas  tant  fait  encore  pour  le  maré- 
chal de  Broglie.  Voilà  aussi  une  lettre  de  M""  de  Pompa- 
dour  qui  a  été  presque  aussi  contente  que  moi.  »  Puis,  il 
ajoute  de  sa  main  :  «  Je  vous  aim(î  bien  véritablement  et 
aussi  tendrement  que  j'ai  pu  faire  mon  frère  ou  mon 
iils.  »  De  leur  côté,  le  maréchal  de  Broglie  et  son  frère  le 
comte  envoyèrent  aussi  leurs  congratulations.  Castries  lit 
preuve  de  modestie  et  repassa  à  ses  subordonnés  une  bonne 
part  des  compliments  reçus;  il  se  montra  surtout  fort 
élogieux  pour  Besenval  et  Wurniser  et  pour  les  brigades 
d'Auvergne  et  d'Alsace  que  ces  officiers  avaient  menées 
au  feu.  Castries  ne  perdit  pas  de  temps  pour  se  rendre 
à  Wesel  ;  il  y  entra  le  18  à  11  heures,  au  moment  où 
s'achevait  le  passage  des  confédérés;  il  eut  des  velléités 
de  sortie,  mais  l'assiégeant  ne  l'attendit  pas,  et  évacua  les 
tranchées  le  19  à  midi.  Castella,  gouverneur  de  la  place, 
qui,  pendant  le  siège,  avait  eu  une  excellente  attitude,  ne 

(1)  Belleisle  à  CssUies,  2  i  octobre  17G0.  Archives  delà  Guerre. 


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HKLEVE  DE  \vi;si;r,. 


•>73 


dissimula  pas  (1)  les  angoisses  ({u'il  avait  t''prouv«'!Cs  : 
((  S'ils  lies  oiineiuis)  avaient  attatiiio  de  vive  l'oree,  j(^  ne 
sais  pas  ce  qu'il  eu  serait  arrivé,  la  garnisou  n'étant  «jue 
de  2.600  lionimes.  »  A  en  croiir  Castries  (2),  le  moral  de 
cette  troupe  n'aurait  pas  été  satisfaisant  :  «  l'état  de  la 
garnison  devait  tout  faire  craindre  ». 

En  Anju  le  terre,  la  défaite  du  [)rince  héréditaire  et  les 
pet'ies  du  contingent  national  produisirent  une  forte  im- 
pression ;  deux  généraux  anglais,  Griffln  et  Elliot,  plu- 
sieurs officiers  supérieurs  avaient  été  blessés,  [)cirmi  eux 
Lord  Downe  qui  mourut  de  ses  Messures;  d'autres  avaient 
été  pris  ;  deux  régiments,  les  fusiliers  gallois  et  les  dragons 
de  Conway,  avaient  été  fort  maltraités.  Mais  en  dépit  de 
ces  incidents  fâcheux,  la  réputation  du  jeune  général  ne 
subit  aucune  atteinte  dans  l'opinion  ;  loin  de  le  rendre 
responsable  de  son  insuccès,  toutes  les  voix  furent  d'accord 
pour  louer  les  qualités  i.iilitaires  qu'il  avait  déployées. 

Ferdinand  ne  se  laissa  pas  décourager  par  l'échec  de  son 
neveu.  Aussitôt  averti,  il  s'évertua  à  imaginer  d'autr'^s 
procédés  pour  obliger  Broglie  à  évacuer  la  Hesse  :  ((  Il 
faut  maintenant  (3)  changer  de  batterie;  si  je  réussis  à 
faire  sortir  M,  de  Hroglie  de  la  liesse  et  ù  conserver  la 
Westphalie,  c'est  tout  ce  <{ueje  puis  espérer;  quoique  je 
n'espère  pas  de  pouvoir  l'effectuer  sans  une  campagne 
d'hiver.  »  Il  commença  par  rappeler  à  lui  les  derniers 
renforts  envoyés  au  prince  héréditaire.  Devinant  ce  des- 
sein, Broglie  invita  ('i.)  Castries  à  faire  des  démonstra- 
tions, voire  même  des  préparatifs  pour  le  siège  de 
Munster,  qui  retiendraient  dans  ces  parages  le  prince 
héréditaire  ;  mais  Castries  ne  se  souciait  guère  de  quitter  la 
protection  de  la  forteresse  de  Wcsel;  il  allègue  des   ex- 


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(1)  Caslella  il  FclIciMi',  West'l,  18  octobre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Castries  à  Helleisle,  Wesel,  2a  octobre  1760.  Ar<  liives  de  la  Guerre. 

(3)  Ferdinand  à  Holdernesse,  Ovelgûnne,  Ti  octobre  1760.  Il"  ord  Ollice. 
('i)  Broglie  à  Castries,  23  octobre,  27  octobre,  13  et  14  novembre  1700. 

(iLlïRUE   un   Slil'T  ANS.   —   T.    I\  .  18 


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cuses,  son  armée  est  latii^uée,  les  bataillons  venus  de 
France  no  sont  pa»  en  état  de  faire  campagne,  la  cavalerie 
est  à  bout,  c'est  tout  au  plus  s'il  peut  disposer  d'une  divi- 
sion active  de  12.000  combattants,  nuxqu<ds  l'adversaire 
pourra  opposer  le  double.  Au  fond,  il  désire  rentrer  en 
France  (1)  pour  y  cueillir  les  lauriers  qui.  l'attendent.  Bro- 
,t:lie  \w  veut  pus  lui  accorder  le  con,i;é  qu'il  avait  sollicité 
et  insiste  pour  qu'il  reste  cji  Westphalie  sous  l'ordre  supé- 
rieur de  Du  Muy.  Il  fallut  s'exécuter,  et  le  10  novembre, 
Castrict  prit  position  près  de  Devenick,  où  il  .s'efforça, 
en  maugréant,  «  de  ri^tenir  sur  le  Bas-Rhin  le  plus 
d'ennemis  possible  ». 

L'inaction  des  mois  de  septembre  et  d'octobre,  la  dis- 
cussion au  sujet  de  la  conservation  de  Cassel  et  de  Gottin- 
i;en,  linquiélude  causée  par  les  événements  du  Bas- 
Rhin,  peut-être  ([uelque  jalousie  des  succès  de  son  lieu- 
tenant, enfin  les  propos  indiacrets  de  Belleisle,  rapportés 
avec  usure  par  les  amis  de  Paris,  paiaissent  avoir  a^i  sur 
l'humeur  de  Bro,i:lie,  fort  mal  disposé,  on  le  sait,  à  l'égard 
du  ministre  de  la  Guerre.  Toujours  est-il  qu'à  la  date 
du  25  octobre,  le  généralissime  demande  2)  à  être 
relevé  de  son  commandement.  Dans  une  lettre  au  Roi,  il 
récapitule  ses  griefs  contre  Saint-Germain  et  son  éîat- 
major,  se  plaint  des  insinuations  et  des  critiques  voilées 
que  contient  la  correspondance  du  ministre  dans  le  but 
évident  de  dénigrer  ses  hauts  faits  et  d'e.va.gérer  ies  in- 
succès. C'est  ainsi  «  ([u'on  relève  h'S  moindres  échecs  avec 
une  alVectation  qui  paraîtrait,  j'ose  dire,  outrée  et  ridi- 
cule, dans  le  gazetier  le  plus  vendu  aux  ennemis  de 
V.  M.  On  a  refusé  à  votre  capitale,  !>irc,  la  satisfaction 
d'entendre  tirer  le  canon  pour  le  ccjubat  de  Corbach,... 
mais  la  haine  du    général  aveugle  :  et  pourvu  qu'on  le 


(1)  Casliies  à  Broglic,    2ii  octobie,    ?    et  10   noveinbie.   Aiciiives    de   la 
Oiiarre. 

(2)  Broglie  au  Roi,  Cassel,  25  octobre  I7G0.  Archives  de  la  Guerre. 


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UROGLIE  DEMANDE  SON  UAPPEL. 


275 


desserve  tiuprès  de  V.  M.  et  qu'on  le  dôcrédite  dans  le 
puljlic,  on  cj'oit  tous  les  objets  remplis.  Tous  ces  inconvé- 
nients n'arriveront  pas,  Sire,  lorsque  V.  M.  aura  bien 
voulu  nie  donner  un  successeur  qui  soit  agréable  au 
ministre,  son  amitié  lui  procurera  alors  des  secours  presque 
aussi  réels  que  le  nombre  des  boinmes,  et  les  autres 
moyens  qu'on  ne  peut  se  dispenser  de  fournir  lorsqu'elle 
l'a  ordonné,  et  n'étant  pas  occupé  forcément  à  des  discus- 
sions aussi  fAcbeusesque  continuelles  avec  lui,  il  pourra 
employer  tout  son  temps  à  songer  à  ce  qui  peut  être 
avantageux  au  service  do  V.  M.  ;  d'ailleurs  sa  faveur 
étant  connue,  les  obstacles  se  lèveront  devant  lui,  et  tout 
ce  qui  composera  son  armée  craindra  de  lui  déplaire 
et  s'ellbrcera  de  le  seconder».  Sans  le  vouloir,  il  rend 
justice  à  Belleisle,  en  proclamant  l'exceliente  condition 
des  troupes,  résultat  auquel  le  ministre  avait  contribué 
en  répondant  aux  besoins  signalés  :  «  Ce  ne  sera  pas 
non  plus  avec  une  médiocre  satisfaction  que  je  remet- 
trai à  mon  successeur  une  armée  dont  le  bon  état,  sur- 
tout celui  de  l'infanterie,  aura  de  quoi  l'étonner;  i\ 
l'exception  d'une  trentaine  de  bataillons  qui  ont  onifl'ert 
dans  les  alïaires  de  Warburg  et  Cambrock  (Clostercamp\ 
tout  le  reste  de  l'infanterie  se  trouvera  presque  conqdet 
à  la  lin  de  cette  campagne,  dont  la  vivacité  ne  cède  à 
aucunes  de  celles  qui  l'ont  précédée.  »  Broglie  termine 
en  ajoutant  que,  dans  sa  correspondance  officielle,  il 
n'a  fait  aucune  allusion  à  la  requête  qu'il  vient  de  pré- 
senter au  Roi  :  «  J'écris  aujourd'lmi  à  M.  le  marécbal  de 
Uelleisle  de  manière  à  ne  pas  lui  laisser  pressentir  la 
grAce  que  je  prends  la  liberté  de  demander  à  V.  M.,  j "ai 
voulu  éviter  des  explications  dont  linutilité  augmente 
encore  beaucoup  le  désagrément,  je  parle...  toujours  dans 
les  arrangements  que  je  lui  propose:  du  seul  objet  (pie 
j'ai,  qui  est  du  bien  de  son  service.  » 

Deux  jours  après  l'envoi  de  sa  démission,  Broglie  col- 


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276 


LA  GIEIUIE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


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licite  (1)  un  congé  d'un  moisi  pour  se  rendre  en  France. 
Il  n'en  profitera  que  quand  les  circonstances  le  permet- 
tront, mais  dès  à  présent,  il  désigne  les  généraux  qui 
pourront  le  remplacer  durant  son  absence  :  Du  Muy  sur 
le  Bas-Rhin  avec  Castries  et  d'Auvet  comme  subordon- 
nés; Guerchy  à  Cassel  avec  Saint-Pern  et  Stainville  pour 
le  seconder;  Bougé  à  Marburg,  et  de  Vault  sur  la  Werra. 
Il  dresse  la  liste  des  sujets  à  conserver  pendant  l'hiver 
et  profite  de  l'occasion  pour  exposer  ses  vues  sur  la  né- 
cessité d  un  bon  choix  :  «  Rien  n'est  si  pernicieux  dans 
les   armées    que  d'y    employer   des    officiers   généraux 
incapables.  11  est  rare  que  les  hommes  se  rendent  jus- 
tice sur  ce  qu'ils    valent;   ainsi   les   préférences   qu'ils 
voient  obtenir  à  d'autres,  pour  commander  des  corps,  et 
être  chargés  d'expéditions  importantes,  leur  paraissent 
des  injustices  criantes  dont  ils  sont  blessés  et  dont  ils 
témoignent  leur  chagrin  par  des  propos  très  mauvais  et 
très  contraires  au  service  du  Roi.  Si  le  général  les  em- 
ployait, le  service  en  souffrirait  beaucoup,  et  il  eu  résulte- 
rait les  plus  grands  inconvénients  :   leurs  cris  et  leurs 
plaintes  dans  le  cas  contraire,  ne  laissent  pas  que  de  faire 
un  mal  très  réel  qu'il  serait,  je  ne  crains  pas  de  le  dire, 
très  nécessaire  d'éviter.  Je  joins  ici,  monsieur  le  Maréchal, 
une  liste  de  MM.  les  officiers  généraux  que  je  demande 
pour  l'hiver,  parce  que  je  les  crois  bons  et  que  des  affaires 
indispensables  ne  les  rappellent  pas  chez  eux  cet  hiver, 
comme  MM.  les  duc  de  Duras,  comte  de  Mailly,  duc  d'IIa- 
vré,  prince  Camille,  etc..  » 

Les  requêtes  de  Broglie  n'eurent  aucun  succès  :  la  dé- 
mission l'ut  repoussée,  et  quant  au  congé,  Belleisle  fit  ré- 
ponse (2)  que  le  Boi  ne  voulait  pas  autoriser  Broglie  à 
quitter  l'armée  «  pour  quelque  peu  de  temps  que  ce  puisse 


(1)  lUoglie  à  Helleisic,  Caisel,  :<7  oclolire  17C0.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Belleisle  à  Broglie,  8  novembre  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


«ai" 


PROBLEME  DE  LA  CONSERVATION  DE  LA  HESSE. 


277 


être  »  ;  plus  heureux,  Castries  fut  avisé  qu'il  pourrait  re- 
venir aussitôt  la  campagne  terminée.  Le  désir  quasi  uni- 
versel de  rentrer  à  Paris,  malgré  l'inconvénient  qui  en 
découlait  au  point  de  vue  militaire,  s'explique  par  la  mo- 
notonie de  la  guerre  dont  les  opérations  éta'cnt  nulles  et 
par  conséquent  l'intérêt  des  plus  médiocres. 

Depuis  les  envois  de  rentorts  en  Westphalie,  il  n'y  avait 
eu  en  liesse  d'autre  incident  qu'un  raid  que  Stainville  avec 
2.300  hommes  de  cavalerie  avait  poussé  dans  le  comté 
d'Halberstadt  et  qui  avait  rapporté  80.000  écus  à  la  caisse 
de  l'armée.  Le  mauvais  temps  et  les  difficultés  de  trans- 
port qui  en  résultaient,  rendair  ■  1 1  des  plus  pénibles  les  mou- 
vements de  troupes  et  surtout  ceux  de  l'artillerie.  «  Nous 
sommes  dans  un  pays  mangé,  écrira  vers  la  fin  de  l'au- 
tomne (1)  Ferdinand  à  Holdernesse,  et  devant  tirer  de  lui 
nos  subsistances,  les  chemins  rendus  pres([ue  impratica- 
bles par  une  pluie  qui  a  continué  deux  mois  de  suite, 
influent  infiniment  sur  toutes  nos  mesures.  »  Broglie 
tient  (2)  absolument  le  môme  langage;  il  signale  la  «  di- 
sette de  bois,  de  fourrages  et  de  farines;  à  moins  d'un 
miracle,  il  sera  impossible  qu'on  ne  périsse  pas  d'ici  au 
printemps  par  quelqu'un  de  ces  besoins  ». 

Au  moment  où  il  traçait  ces  lignes,  le  général  français 
commençait  à.  être  très  inquiet  des  suites  de  la  victoire 
de  Frédéric  à  Torgau;  tant  que  son  flanc  droit  avait  été 
couvert  par  les  armées  de  Daun  et  de  Deux-Ponts,  et  que 
la  Saxe  était  au  pouvoir  des  alliés,  il  avait  cru  relative- 
ment aisé  de  se  maintenir  à  Cassel  et  à  Gottingen  contre 
le  prince  Ferdinand,  dont  une  partie  des  troupes  était  rete- 
nue en  Westphalie  par  la  présence  de  Castries  en  avant  de 
Wesel.  Depuis  la  défaite  de  Daun  et  la  retraite  de  Deux- 
Ponts,  la  situation  avait  empiré.  N'était-il  pas  à  craindre 


(1)  Ferdinand  à  Iloidornesse,  Ilardegsen,  24  novembre  1700.  Record  Office. 

(2)  IWoglie  à  Belleisle,  Cassel,  a  novembre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GL'EHRK  DK  SEPT  ANS. 


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que  le  roi  de  Prusse  d«''tacherait  au  secours  du  prince  Fer- 
dinand et  lui  prêterait  son  aide  pour  chasser  les  Fr'anc^ais 
de  la  liesse?  «  Le  prince  est  à  Warburg  (1)  à  iiuit  pe- 
tites lieues  d'ici,  ayant,  ainsf  que  vous  le  remarquez, 
la  facilité  de  nourrir  sa  cavalerie  des  fourrages  qu'il  re- 
çoit par  le  Weser.  Il  peut  donc  rassembler  son  armée  le 
jour  que  je  séparerai  celle  du  Koi,  et  s'il  s'est  procuré 
des  moyens  d'opérer  sur  l'une  ou  l'autre  rive  du  Weser, 
en  faire  au  moins  la  démonstration.  Que  devrai-je  faire 
alors?  Me  rassembler  de  nouveau?  Mais  la  cavalerie  sera 
fort  éloignée,  et  je  n'ai  aucun  m^^-asin  pour  faire  vivre 
l'armée  réunie.  Resterai-je  dans  les  quartiers?  11  en  atta- 
quera quelques-uns  avec  beaucoup  de  supériorité  de 
forces,  et  me  percera  peut-être.  Si  on  veut  examiner  ce 
que  je  vous  expose  avec  des  yeux  non  prévenus,  on  ne 
pourra  disconvenir  qu'il  est  plus  délicat  que  vous  ne  pa- 
raissez le  penser,  de  séparer  le  premier  l'armée,  et  qu'il 
n'est  rien  moins  que  certain  que  lorsque  je  la  ferai  entrer 
dans  ses  quartiers,  le  prince  Ferdinand  en  fasse  autant 
de  ia  sienne.  » 

Voici  les  dispositions  qu'il  compte  prendre  :  Aussitôt 
que  Gottingen  sera  en  état  de  défense,  c'est-à-dire  vers  le 
18  novembre,  il  ramènera  le  corps  de  réserve  du  comte 
de  Lusace  en  deçà  de  la  Werra  et  concentrera  l'infanterie 
de  l'armée  autour  de  Casscl  avec  la  cavalerie  en  arrière, 
à  portée  d'accourir  si  les  circonstances  l'exigent;  mais  il 
ne  pourra  se  maintenir  dans  ces  positions  sans  appro- 
visionnements :  «  Si  j'avais  un  gros  magasin  ici  et  un  à 
NVitzenhausen,  je  ne  serais  pas  inquiet,  .le  vous  ai  tou- 
jours mandé  que  j'étais  persuadé  que  le  prince  Ferdinand 
ne  me  chasserait  pas  de  la  liesse  par  la  force,  et  loi-squc 
Gottingen  sera  achevé,  cela  lui  sera  encore  plus  difiicile  ; 
mais  je  n'ai  jamais  espéré  de  venir  à  bout  de  surmonter 


(1}  Broglie  à  Belleisle,  Cassel,  9  novembre  l/fiO.  Archives  de  la  Guerre. 


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I>R0JKTS  DE  rEUDINANI). 

un  ennemi  lieaucoup  plus  dangereux,  (jui  est  la  faim.  La 
conservation  de  (lottinj^en  nous  resserrant  moins  sur  la 
Werra.  nous  fera  partager  au  moins  avec  les  ennemis  ce 
qui  peut 'rester  en  fourrage  dans  le  pays  d'Eiclifeld,  et 
étendra  un  peu  le  cercle  de  nos  subsistances.  J'espère 
que  Sa  Majesté  aura  approuvé  (jue  j'aie  pris  le  parti  de 
garder  cette  place,  mais  je  vous  prie  de  vous  rappeler 
(jue  je  m'y  suis  déterminé  à  la  fin  d'octobre  et  avant  le 
cbangement  qui  est  arrivé  dauL.  les  affaires  en  Saxe.  Il 
est  important  pour  moi  de  vous  faire  faire  cette  réflexion, 
à  cause  des  suites  que  la  journée  du  trois  peut  avoir.. 

Ferdinand  n'avait  pas  perdu  de  temps,  nous  l'avons 
vu,  pour  annoncer  au  gouvernement  de  Londres  sa  ferme 
intention  de  poursuivre  le  recouvrement  de  la  liesse; 
dans  les  derniers  jours  d'octobre,  il  confie  (1;  au  roi  de 
Prusse  son  nouveau  plan  d'opérations  :  «  Mon  projet  est 
donc,  au  cas  que  le  maréchal  de  Broglie  n'ait  pas  quitté 
de  son  plein  gré  la  ville  de  Cassel,  vers  le  14  de  novem- 
bre, de  me  mettre  ce  jour-là  en  marche  pour  Wolfshagen 
où  l'armée  sera  rassemblée  le  io.  De  Wolfshagen,  je  conqite 
déboucher  sur  le  Weissenstein,  c'est-à-dire  sur  le  flanc 
gauche  de  l'armée  ennemie,  campée  entre  Cassel  et  le 
Weissenstein...  .le  ferai  en  même  temps  entamer  les  corps 
postés  en  communication  à  Lohn,  WMldungen  et  Mar- 
bourg,  et  je  pousserai  une  partie  des  troupes  lég-ères  en- 
tre Ziegenhayn,  Cassel,  afin  d'interrompre  les  convois 
qui  tiennent  cette  route...  Comme  cette  besogne  est  tro[) 
grande  pour  kï  bataillons  et  38  escadrons,  que  j'ai  ici 
sur  la  Dymel,  je  compte  attirer  à  moi  13  bataillons  et 
G  escadrons  du  pays  de  Munster  et  je  ferai  nasser  le  We- 
ser  au  corps  de  troupes  qui  est  à  Uslar  et  ù  Moringen,  de 
fa<;on  que  j'aurai  en  tout  60  bataillons  et  5S  escadrons, 
outre  les  troupes  légères,  pour  exécuter  cette  opération.  » 

(1)  Ferdinand  à  Fn'déric,  OvelgOnnc.  27  octobre  ITGO.  Weslphalen,  IV,  4%. 


280 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V 


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A  la  date  fixée,  le  15  novembre,  Ferdinand  quitta  son 
quartier  général  d'Ovelgilnne  et  se  mit  à  la  tète  des  trou- 
pes au  delà  du  Weser,  qui  se  composaient  de  la  brigade  de 
Liickner  et  des  divisions  Wangenbeim  et  Kielniansegge, 
C(^tte  dernière  revenue  de  la  Wcstphalie  où  elle  était 
arrivée  trop  tard  pour  participer  à  la  bataille  de  Closter- 
camp.  Par  une  lettre  interceptée  que  Frédéric  lui  avait 
envoyée  et  grûce  à  son  service  de  renseignements,  il  avait 
eu  connaissance  des  efforts  des  Français  pour  mettre  la 
ville  de  (lottingeii  en  état  de  soutenir  un  siège.  D'Uslar,  il 
écrivit  (1)  au  roi  de  Prusse  qu'il  va  essayer  de  s'emparer 
deGcUtingen,  qu'il  combattra  le  comte  de  F^usacc  si  celui-ci 
cherche  à  secourir  la  ville,  que  vers  la  fin  du  mois,  il 
repassera  le  Weser  et  qu'aussitôt  ses  magasins  constitués, 
il  reprendra  ses  combinaisons  contre  Cassel.  Conmie  on 
le  verra,  ces  projets  furent  modifiés  à  la  suite  du  rappel 
à  la  rive  gauche  de  la  Werra  de  la  réserve  de  l.usace  et 
du  corps  volant  de  Stainville. 

Sur  ces  entrefaites,  on  avait  reru  au  quartier  général 
français  la  décision  de  la  cour  (2)  sur  le  maintien  de 
l'armée  en  liesse  :  «  Voici  donc,  monsieur  le  Maréchal, 
mandait  Belleisle,  à  quoi  se  réduit  le  vœu  du  Conseil  et  la 
volonté  de  S.  M.  : 

«  i°  La  conservation  de  l'armée  et  des  troupes  qui  la 
composent  est  un  objet  si  essentiel  qu'il  n'est  pas  néces- 
saire de  vous  rappeler  l'attention  et  la  préférence  qu'elle 
exige; 

«  2°  La  conservation  de  Cassel  et  de  la  liesse  :  mais  sur 
les  impossibilités  que  vous  démontrez,  S.  M.  se  restreint 
à  vous  demander  de  conserver  Cassel  au  moins  jusques 
au  commencement  de  janvier;  ce  que  vous  pourrez  pro- 
longer par  delà  sera  infiniment  agréable  à  S.  M.  qui  vous 
en  saura  gré. 

(0  Ferdinand  à  Frédéric,  Uslar,  18  novembre  1760.  Weslphalen,  577. 
(2)  Belleisle  à  Broglie,  17  novembre  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


BF-OCUS  DE  GOTTINT.EN. 


281 


((  Vous  n'aurez  donc  plus  i\  pourvoir  qu'aux  moyens  do 
faire  subsister  à  Casscl  les  troupes  que  vous  jugerez  à 
propos  de  laisser  dans  cette  place  ou  dans  les  environs 
jusqu'à  ce  que  vous  soyez  obligé  de  l'abandonner.  » 

A  la  dépêcbe,  Belleisle  avait  ajouté  quebpies  mots  de 
sa  main,  insistant  surlan'  "essitéde  faire  croire  au  prince 
Ferdinand  «  que  votre  projet  est  de  la  conserver  (la  ville 
de  Cassel)  à  quelque  prix  que  ce  soit  »,  et  sur  l'utilité 
de  constituer  des  magasins  à  Gottingen,  de  façon  à  tromper 
l'enneuii  et  de  «  tenir  la  liesse  et  Cassel  au  delà  de  ce 
terme  (courant  janvier)  le  plus  longtemps  possible  ».  Bro- 
glie  répondit  (1)  qu'il  espérait  remplir  les  intentions  du 
Roi;  seule  l'intervention  d'un  corps  prussien,  d'ailleurs 
peu  probable,  Frédéric  devant  être  trop  occupé  en  Saxe, 
rendrait  embarrassante  la  position  de  l'armée  en  liesse. 
Gottingen  était  '<  pour  ainsi  dire  investi  »,  mais  le  temps 
afi'reux  empêcherait  l'ennemi  de  transformer  le  blocus  en 
siège.  Du  reste,  les  fortifications  qui  ceinturaient  la  ville, 
la  forte  garnison  qui  y  était  établie,  les  approvisionne- 
ments qu'on  y  avait  réunis,  les  40  fours  qu'on  y  avait 
créés  en  assureraient  la  défense. 

La  mise  en  étatdeGiUtingen  fut  achevée  juste  à  temps.  Le 
18  novembre,  les  magasins  avaient  été  complétés,  le  2'|.  l'in- 
vestissement commenea.  Dans  une  lettre  de  cette  date  (2), 
Ferdinand  annonce  qu'il  se  portera  jusqu'à  Essebcck,  il 
11  kilomètres  de  la  ville  et  qu'il  poussera  une  avant- 
garde  de  6.000  hommes  à  Witzenhausen  sur  la  Werra. 
Quoiqu'il  ait  prudemment  ajouté  :  «  Tout  ce  que  je  pourrai 
entreprendre  dépendra  de  la  possibilité  de  faire  enlin 
mes  dépôts  et  do  pouvoir  avancer  sans  craindre  la  faim  », 
il  se  montre  plein  de  confiance  dans  l'issue  de  son  en- 
treprise :  «  Il  faut  que  (3)  le  maréchal  de  Broglie  compte 

(1)  Broglie  à  Belleisle,  Cassel,  23  novembre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Ferdinand  à  Holdernesse,  Hardegsen,  2i  novembre  1700.  Record  Office. 

(3)  Ferdinand  à  Frédéric,  Harsle,  25  novembre  17G0.  Weslphalen,  IV,  .'>20. 


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LA  GUERRE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


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beaucoup  sur  la  saison,  les  chemins  rompus  et  sur  la  dif- 
licultc  d'avaucor  dans  un  pays  man^é  et  ruiné,  car  il  a 
fait  quiltcr  la  toile  à  toutes  ses  troupes,  il  s'est  lo^é  lui- 
nième  au  cluVteaii  du  landgrave  h  Cassel  et  ses  troupes 
sont  mises  en  (piartier  le  louy  de  la  Kuldc  et  de  la  Werra. 
Il  y  a  une  garnison  de  ô.OOO  hommes  à  (iottingen;  cette 
garnison  sera  perdue  s'il  ne  rassemble  pas  de  nouveau  ses 
troupes,  pour  la  dégager.  » 

A  partir  de  fin  novembre,  il  y  eut  une  série  de  petits  en- 
gagements où  les  confédérés  eurent  presque  toujours  le 
<lessous;  le  28,  ils  attaquèrent  les  postes  français  de 
Ileddemunden  et  d'Arnstein  sur  ou  à  proximité  de  la  rive 
<lroito  de  la  NVerra.  La  résistance  énergique  d'une  p(;i- 
gnée  de  voloutaires,  dans  la  tète  de  pont  de  cette 
première  localité,  arrêta  net  le  général  Ibeitenbach  qui 
dut  abandonner  l'entreprise  après  une  perte  de  plus 
de  150  officiers  et  soldats.  Liickner  ne  fut  pas  plus  heu- 
reux le  même  jour  contre  le  cluUeau  d'Arnstein,  situé 
en  face  de  Witzcnbausen;  il  fut  repoussé  par  le  com- 
mandant Verteuil  et  forcé  de  rétrogi'ader  jusqu'à  Drauns- 
leld.  Quelques  sorties  de  la  garnison  de  (i(>ttingen,  bien 
conduites  par  lielsunce,  procurèrent   aux  Français  des 

prisonniers  et  des  suppléments  de  vivres.  Force  fut  à 
Ferdinand    de  renoncer  à  l'espoir  de   réduire  la  place; 

1  leva  le  blocus  les  11  et  12  décembre  et  rentra  dans 
son  ancienne  position  d'Uslar.  Voici  en  quels  ternies  il 
donne  les  raisons  de  cette  reculade  (1)  :  «  C'est  une  im 
possilùlité  absolue  d'agir,  avant  qu'une  forte  gelée  n'ait 
rendu  les  chemins  un  peu  praticables  et  avant  que  je  ne 
sois  parvenu  à  former  mes  dépots  sur  la  Dymel.  Je  trouve 
en  cela  tant  d'obstacles  et  tant  de  difticultés,  que,  sans 
le  désir  que  j'ai  de  faire  un  dernier  eifort  pour  retirer 
la  liesse  des  mains  des  ennemis,  je  renoncerais  à  toute 


(1)  Ferdinand  à  Frédéric,  Uslar,  12  décembre  17C0.  Weslplialen,  IV,  528. 


imoGLIE  UKCLAMi;  L'APPUI  D'IIADICK. 


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campagne  d'Iiiver  et  ne  songerais  qn'à  mettre  l'armée  en 
(juartiers  d'hiver  et  à  la  faire  reposer  des  fatigues  indi- 
cibles qu'elle  a  essuyées,  par  la  saison  .'t  par  le  man({ue 
de  toutes  subsistances.  La  navigation  du  Wescr  <»st  de- 
puis 15  jours  tout  à  fait  interrompue  par  la  crue  prodi- 
gieuse des  eaux;  et  la  pluie  a  tellement  rompu  les  che- 
mins que  les  transports  de  terre  n'arrivent  non  plus.  » 
Le  blocus  de  (iottingen  avait  duré  vingt  et  un  jours; 
[)endant  ce  laps  de  temi)s.  la  garnison,  sous  l'impulsion 
du  gouverneur  de  Vault  et  de  son  adjoint,  le  brigadier 
IJelsunce,  avait  été  employée  sans  relAche  à  l'achèvement 
des  fortifications  et  avait  fait  six  sorties,  toutes  couronnées 
de  succès. 

Aussitôt  les  communications  rouvertes  avec  Gr)ttingen, 
Broglie  se  préoccupa  de  compléter  les  approvisionne- 
ments, afin  de  pouvoir  soutenir  un  siège  de  plusieurs  mois. 
On  y  affecta  (1)  ne  i  seulement  les  chevaux  de  la  ca- 
valerie, mais  aussi  ceux  de  l'état-major,  de  l'intendance, 
et  des  équipages  des  officiers  généraux.  L'opération,  pro- 
tégée par  un  cordon  de  patrouilles  fut  vivement  menée 
et  réussit  il  souhait. 

Les  craintes  d'une  diversion  prussienne  avaient  été  ra- 
vivées par  le  mouvement  du  prince  Ferdinand  contre 
Gottingen ;  les  informations  sur  l'état  de  lavmée  des  Cer- 
cles étaient  peu  rassurantes,  aussi  le  généralissime  s'a- 
dressa-t-il  (2)  au  comte  de  Choiseul,  ambassadeur  de  France 
à.  Vienne,  à  l'ell'et  de  faire  renforcer  le  général  autrichien 
Hadick  qui  avait  remplacé  le  duc  de  Deux-Ponts  à  la  tète 
des  Impériaux.  Pour  couvrir  son  flanc  droit  contre  un 
corps  prussien,  il  ne  peut  compter  que  sur  l'armée  des 
Cercles  qui  est  cantonnée  à  llofl";  mais  d'après  les  dires  de 
ses  correspondants,  elle  serait  réduite  à  G  ou  7.000  com- 
battants; «  elle  n'existe  plus  depuis  qu'on  lui  a  retiré  les 

(1)  Broglie  à  Choiseul,  Cassel,  14  janvier  17(il .  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Broglie  au  comte  de  Choiseul,  3  décembre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  CUEIUU:  DE  SKPT  ANS.  -  CHAP.  V. 


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Iroupes    impri'i.'iles   qui    lui  donnaient  (|uel((ue  consis- 
hinr-e  »  ;  l'arlillerie  de  ce  corps  ost  rentrée  dans  ses  (|uar- 
fiers  d'hiver,  et  (jiiant  aux  Wurteniberg-eois,  ((  3.000  Prus- 
siens les  feront  fuir  ».  La  recjuOte,  appuyée   par  l'am- 
hassadour,  fut  accuoillie  favorablement,  ot  une  division 
de   il  bataillons  il)  scms  les  ordres  du  général  (iuasco 
partit  <le  Dresde  pour  Ef^i'a  où  elle  fut  mise  à  la  disposition 
«le   lladiek.  Du  reste,  on  ne  croyait    ni  à  Vienne,   ni  à 
Dresde  (2)  que  le  roi  de  Prusse  eût  assez  de  monde  poui' 
faire  un  détachement  important  contre  les  Français.  En 
attendant,  et  malgré  ces  avis  encourageants,  roccuj)ation 
de  (iottingen  pendant  l'hiver  restait  encore  une  question 
ouverte  ;  la  cour  avait  laissé  au  maréchal  liberté  entière 
à  cet  égard;  il  y  eut  môme,  à  la  demande  des  autorités 
municipales  et  universitaires,  une  négociation  (3)  visant 
la  neutralisation  delà  ville  et  de  ses  environs;  elle  échoua, 
il   est  vrai,  par  suite  des  exigences  des  Allemands  qui 
ne  voulaient  accepter  que  l'abandon  pur  et  simple.  Les 
termes  du  problème  furent  posés  par  une  des  dernières 
dépêches  (4)  qu'écrivit  Belleisle  avant  sa  maladie   et   sa 
mort,  et  dans  laquelle  il  fonnulait  les  volontés  du  Roi  : 
conservation  de  (iottingen  s'il   était  possible  d'approvi- 
sionner la  place  jusqu'au  i"  juillet;  si  le  ravitaillement 
ne  pouvait  s'efl'ectuer,  pourparlers  pour  la   neutralité; 
enfin,  évacuation  si  cette  dernière  proposition  était  re- 
poussée. Quant  à  Cassel,  aucun  doute  sur  la  nécessité  de 
fortifier  cette  ville  et  d'y  hiverner.  La  réussite  du  ravi- 
taillement trancha  le  débat  en  faveui'  du  maintien  défi- 
nitif de  Gottingen. 

Rassuré  sur  les  intentions  de  l'adversaire,  Broglie  crut 


(1)  Montrozard  à  Broglie,  Dresde.  16  décembre  l'fiO.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  O'Donnel  à  Hroglie.  Dresde,  12  décembre  17(10.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Correspondance  entre  La  Salle  etMalorlie,  décembre  I7G0.  Archives  de 
la  Guerre. 

(4)  Belleisle  à  Broglie,  2  janvier  l/Ul.  Archives  de  la  Guerre. 


i   ii.!' 


IIROOMK  FAIT  HEPLIKU  SA  CAVALaIUC. 


285 


la  campa^'^nc  fiDiect  renvoya  à  Francfort,  llaiiauctLiiuhurf; 
une  partie  <Ie  sa  cavalerie.  Les  opérations  de  l'année  17()() 
se  terminèrent  par  un  petit  combat  à  lleiligenstadt.  le 
'i.'l  décembre,  lue  attaque  cond)inée,  dirigée  parlecoml<! 
de  Hroglie  contre  Liickner,  n'i'ut  aucun  succès  :  le  parti- 
san allemand,  sur  le  point  d'èlre  cerné  par  un  as.;aillanl 
très  supérieui  en  nombre,  trompa  les  Kiancais  en  pre- 
nant pour  ligne;  de  retraite  la  route  d(^  Witzenhausen,  par 
lacpielle  venait  de  déboucher  une  de  leurs  colonnes,  et 
réussit  à  se  tirer  d'allaire,  sans  auti-e  perte  qu'un  poste 
de  25  hommes. 

Pendant  (jue  Ferdinand  échouait  dans  son  expédition 
contre  Gctttin/^cn  et  que  Brof;lie,  dans  le  but  de  ménager 
ses  troupes,  faisait  cantonner  son  infanterie  et  repliait  sa 
cavalerie  sui'  les  derrières,  Gastries  attendait  avec  impa- 
tience l'ordre  de  repasser  sur  la  rive  gauche  du  Rhin  ;  il  se 
plaignait  de  l'état  de  ses  chevaux  dont  1'  moitié  étaient  in- 
disponibles et  recevait  en  échange  des  conseils  excellents  de 
Belleisle  au  sujet  des  fortifications  de  campagne.  Le  vieux 
maréchal  (1)  était  partisan  d'habituer  les  troupes  à  «  re- 
muer la  terre  où  cette  précaution  est  nécessaire.  Quand 
elle  est  rare,  elle  peut  inspirer  une  sorte  de  timidité,  au 
lieu  que  quand  on  remue  de  la  terre  partout,  on  s'y  accou- 
tume. Il  n'en  peut  jamais  arriver  aucun  mal  et  souvent 
de  l'utilité  ».  Entre  les  deux  correspondants,  il  était  aussi 
question  du  généralissime  dont  Gastries  était  mécontent  : 
«  A  l'égard  de  M.  le  maréchal  de  Broglie,  écrit  le  mi- 
nistre, vous  ne  devez  pas  être  étonné  de  ses  variations; 
vous  ne  sauriez  trop  vous  renfermer  dans  les  détails  abso- 
lument nécessaires  tout  simplement  et  éviter  tout  raison- 
nement. Il  a  un  aspic  auprès  de  lui  qui  répand  son  venin 
sur  tout  le  monde  indistinctement.  »  Cette  boutade  visait 
le  comte  de   Broglie,  [)Our  lequel  liclleisle  avait  encore 


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(1)  Belleisle  à  Caslrles,  liG  iiovembie  1700.  Archives  de  la  Guerre. 


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\.\  (;i  EUUK  DK  SKPT  ANS.         OHM».  V, 


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plus  trjiiili[);illiic  (juo  [xiiir  le  duc.  Nous  trouvons  une  nou- 
velle preuve  de  ses  senlitneuls  jIuus  uue  lettre  poslé- 
rieiii'3  (1)  :  «  Vous  voyez  par  l'expérieuee  (jue  vous  faites 
ipie  je  vous  ai  parlé  vrai  et  «pie  ee  ucst  pas  saus  raison 
tpu^  je  vous  ai  nïand<''  de  vous  reulermer  dans  les  bornes 
des  laits,  sans  raisonner,  parce  «pi'il  ^le  nuiréchal)  n'est 
pr.iut  du  nond)re  de  ceux  avec  (pii  on  puisse  parler  natu- 
rclleuieut;  outre  les  défauts  essenti;:ls  tjue  je  lui  connais, 
il  est  encore  t^Até  par  son  frère  qui  est  le  plus  dannereux 
lioinnuMpic  j'aie  encore  vu  et  dont  riuiperlincuce  révolte 
i;éu«'M'alenient  tout  1<^  monde  et  cela  est  au  point  (|uc  plus 
d(>  moitié  des  officiers  !;éuérauv  de  sou  armée  peiis»^  tout 
comme  vous  et  mont  dit  ou  écrit  (pi'ils  ne  pouv;ueut  ni 
ne  voulaient  sei'vir  sous  ses  ordres.  » 

Vers  la  tin  d(^  noveud)i'e,  Castries  put,  i\  sa  ^l'^nde  satis- 
facîion.  cantonner  ses  troupes  sur  la  rive  .gauche  du  lUiin, 
avec  quelcpu's  avanS-postes  sur  la  rive  droite;  le  6  décem- 
hvo.,  il  i-Muit  le  conunandement  à  l>u  Muy  et  peu  de  temps 
après  r<Mitr'a  en  France.  Il  laissait  à  son  successeur  une 
armé(!  cl)  qui  comptait,  avec  les  i^arnisons  des  places  du 
lUiin  et  la  cav-derie  en  «puirtiers  sur  la  Meuse,  (il{  batail 
Ions  ct;{8  escadrons;  (|uelques-uiK^s  de  ces  unités,  très  dé- 
labrées à  la  cuite  de  îa  campagne,  devaient  faire  route 
pour  liî  France. 

Y  com|)ris  les  régiments  d'artillei'ie,  llroglie  avait  sous 
S(»s  ordres  directs  0(>  batîiillons  de  ligne,  ï  de  milices  et 
ll(i  escaili'(»ns;  la  majeure  partie  île  sa  cavalerie,  ponr  la 
facilité  des  transports  de  foun-ages  et  pour  le  '-élablisse- 
UMMil  des  clievaux,  était  cantonnée  en  arrière  A  plusieurs 
étapes  de  la  première  lig-^iie.  Au  i"  janvier  I7(»l,  A  peu 
près   la    moitié    de    l'infanlerie   régulière    et   [ilus  de   l.i 


(I)  Itelleisloi^  roshio*.  5  tWceiiibic  •T(ii).  Anliives  ilc  la  duciro. 

('.'.)  Situalioii  joiiilc  à  la  IcUrc.  de  '"asUios  a  l»n)j;lio,  Wesel.  '.<8  nuveiubro 

7ti(l. 


ll«i 


MonT  nr,  i»i:i.leisi,k. 


387 


inoilir  i\o  h\  cavalorie  de  raniUM»  Iranraiso  sorvaionl  ci» 
AlU'inai;'!!)'. 

1.0  mois  (le  janvi'^r  ne  l'ut  siynalc  i\\\o  \y,\v  dos  expô- 
(liiions  (les  FraïK.ais,  (Hii  cliciTl.'îiont  A  ôlai\i;ir  leurs 
rayons  (rapju'ovisi'^nnoinout.  (liions  l'ollonsivo  <lo  Slain- 
villo  ol  le  îiiisac  0  qui  (lit  pour  oonscMjuonoo  la  priso  d'un 
balaîllon  irr(\t;uli<M"  pi'ussiou  ot  l'ocoupatiou  do  Mulliau- 
8cn  olliUUi^'onsaitza  ;  oollo  pi'oiuiôre  villo  dovait  consfituoi* 
un  posti^  l'orlilio  sur  lo  iiiodtMo  do  (loiliu,i;on.  Du  C(Mô 
de  la  Hyr,i'>l,  les  »()l(»ntairos  do  Sainl-Viotor  ot  do  Nar- 
honiio  siu'pri!-(Mit  la  ville  do  C.or'wach  ol  liront  prisonnier 

halailloii  do  la  It'^yion  Urilanniquo.  Ilroulio  no  orovait 


un 


pas  (\  une  reprise  <les  hostilités  avant  I  épocpio  tradilion- 
nello  du  printemps;  il  était  d'ailleurs  imi)ressionué  par 
les  rameurs  do  paix  (7  '<  'ommen(,'aicnt('»  se  répandre  dans 
le  pnniie  :  c  Je  voudrais,  éerit-il  1)  au  duo  do  C-lioisoul 
cpii  faisait  l'intérim  d'i  ministère  do  la  Ciuorro  pondant  la 
nn.ladie  do  l{(>lloislo,  cpiil  vint  un  l)on  déi^ol  qui  rtMoit 
!i)ut  lo  moud,' dans  ses  quartioi's  et  nous  laissât  lran<fuillcs 
dans  les  ncMros...  Mais  faites  la  i)aix,  M.  lo  Duc,  vv.hi 


pan 


vau- 


l.k 


îUc 


ura  mieuv  qu  une  c:5nq)a,i,;;iui  ([ueU|ue  honorahie  (|u  e 
pût  être  pour  les  j^énéraux.  » 

Mémo  oalme  durant  la  première  déonde  do  février. 
Le  vieux  pr.trioto  Hellcislo  venait  de  terminer  sa  belle 
carrière;  il  était  mort  lo  -it»  janvier  et  avait  été  remplaeé 
par  lo  duo  i\c  Choisoul  cpii  diris^oa  pendant  (luoiquos  mois 
les  doux  dé|)artemonfs  ù,"  VHairos  KtranL,èi'cs  et  de  la 
(iuerre.  Lo  no.jveau  titulaire  inaugura  son  administration 
ou  adressant  f2>à  llroglie  (l(>s  félieitalions  (jui  furent  fans 
tlouto  danlaut  plus  gontées  cpio  son  pi'édécessenr  ne  l'a- 
vuityuèro  lialiitué  à  ;'otlo  forme  épislolair»'  :  «'  Vous  amo/, 
procuré,  iM.  lo  Maréchal,  un  i;riind  bien   à  la  pnlilicpu* 


;i^  Mi'onlio  au  ihn-  de  Clioiseii:    li  jiuiv'n'i'  17(11.  Arcliivci  tif  Li  Giii'irc. 
f>)  Choisoul  i\  Uioglic,'  févrU-r  I7('.0.  Aicliivcs  do  la  (luenv. 


liîi! 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  \. 


et  par  conséquent  à  l'État  par  la  conservation  de  Got- 
tingen  et  de  Cassel,  et  outre  le  mérite  militaire,  vous 
avez  dans  cette  conservation  du  mérite,  du  courage,  de 
rintelligence  et  du  travail  qui  vous  font  grand  homme. 
Ce  ne  sont  pas  des  compliments,  monsieur  le  Maréchal, 
c'est  la  vériti  {ue  je  sens  que  je  vous  mande  très  naturel- 
lement. »  Cette  lettre  se  croisa  avec  une  dépêche  du  Maré- 
chal relative  aux  opérations  de  la  campagne  prochaine.  11 
revient  au  p."qjet  de  séjour  en  France  :  «  Si  je  dois  y  aller, 
il  faut  que  ce  soit  incessamment  et  prendre  le  temps  du 
dégel  qui  rendra  les  chemins  impraticables  pour  une 
armée,  et  il  faut  que  je  sois  remplacé  ici.  J'ajouterai  seu- 
lement que  je  pourrais  l'être  par  M.  le  chevalier  Du  Muy, 
en  la  place  duquel  M.  le  maréchal  de  Soubise  (1)  en- 
volerait un  des  lieutenants  généraux  qui  doivent  servir 
sous  lui.  »  Dans  la  même  dépêche  (2)  et  dans  celle  du 
3  février,  il  résume  la  situation  :  Les  travaux  de  Cassel 
avancent  rapidement,  la  ville  est  approvisionnée  pour 
quatre  mois,  Gottingen  l'est  jusqu'au  1*''  juillet,  les  Prus- 
siens n'ont  pas  repassé  la  Saale,  le  prince  Ferdinand  n'a 
pas  bougé  d'Uslar.  Il  ne  prévoit  pas  «  qu'il  y  ait  rien  à 
appréhender  d  ici  le  1"  avril  ^  ;  ie  dégel  et  les  inonda- 
tions assurent  six  semaines  de  tranquillité. 

Broglie  comptait  sans  son  hôte.  Le  prince  Ferdinand, 
stimulé  par  le  roi  de  Prusse  qui  lui  reprochait  son  inac- 
tion depuis  la  tentative  manquée  du  mois  de  novem- 
bre, avait  repris  son  dessein  d'expulser  les  Français  de 
la  Hesse.  Dans  une  lettre  du  28  janvier,  il  expose  son 
plan  (3)  à  son  royal  correspondant.  «  Le  9  de  février, 
les  troupes  que  je  fais  venir  de  Munster ,  au  nombre  de 


(1)  Le  maréchal  de     oubise  avait  été  désigné  pour  le  commandement  de 
l'une  des  deux  aimée>  qui  opéreraient  en  Allemagne  en  17G1. 

(2)  Broglie  à  Choiseul.  Cassel,  2  et  3  février  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Ferdinand  à  Frédéric,  Uslar,  28  janvier  17Gt.  Westphalen,  V,  p.  3i  et 

SUIT. 


CAMPAGNE  D'HIVER  DE  FERDINAND. 


289 


20  bataillons  et  22  escadrons  aux  ordres  du  prince  hé- 
réditaire, arrivent  à  Brillon  et  à  Stadbergen;  le  même 
jour,  9  de  février,  le  gros  de  l'armée  consistant  en  50  ba- 
taillons et  38  escadrons,  sera  assemblé  sur  la  Dymel, 
où  je  me  trouverai  en  personne,  et  M.  de  Spcircken , 
général  d'infanterie,  assemblera  encore  le  même  joui', 
9  de  février,  17  bataillons,  20  escadrons,  24  pièces  de 
gros  canon,  un  régiment  de  hussards  et  deux  brigades 
de  chasseurs  aux  environs  de  Duderstadt,  entre  cette 
ville  et  Mulbausen.  »  Le  débouché  général  se  ferait 
le  11  :  Breitenbach  avec  7  bataillons,  10  escadrons,  un 
parc  de  siège  et  des  troupes  légères,  marcherait  sur 
Marburg  et  chercherait  à  se  rendre  maître  du  château; 
le  prince  héréditaire,  renforcé  de  manière  à  avoir  sous  son 
commandement  20  bataillons  et  2'i'  escadrons,  attaquerait 
les  quartiers  français  le  long  de  l'Eder.  Ferdinand,  avec  43 
bataillons,  et  20  escadrons,  se  porterait  par  Wolfhagen 
sur  Cassel  et  agirait  selon  les  circonstances;  si  l'ennemi 
reculait  en  laissant  une  garnison  dans  la  ville,  un  parc 
d'artillerie  réuni  sur  la  Dymel  était  tout  prêt  pour  le 
siège.  Enfin,  Sporcken  était  chargé  de  chasser  les  Saxons 
et  le  corps  de  Stainville  de  Mulhauscn,  Langensaltza  et 
Eisenach;  ensuite,  il  devait  passer  la  Werra  du  côté  de 
Vacha  et  s'emparer  du  grand  magasin  français  de  Hirsch- 
feld.  Ferdinand  terminait  sou  exposé  en  se  plaignant  de 
la  faiblesse  de  ses  bataillons,  dont  (fuelques-uns  n'avaient 
<[ue  cent  combattants,  et  dont  les  plus  étoiles  ne  dépas- 
saient pas  cin([  cents  présents  sous  les  drapeaux  :  «  V.  M. 
jugera  par  là  combien  je  dois  souhaiter  qu'il  lui  fût  pos- 
sible de  renforcer  ie  colonel  do  L»»lhr)ffel  (1)  par  quehpies 
bataillons  et  par  quelques  escadrons  et  do  lui  ordonner 
de  se  joindre  le  12  février  près  de  Langeiisalza  à  M.  do 
Sporcken  ou  d'agir  du  moins   de   concert  avec  lui,  en 


il", 


(1)  Commandant  d'un  délachemenl  prussien  opérant  en  Tliuiinge. 

GlEBUE   I)i;   SEI'Ï   ANS.    —   T.    IV.  19 


:>90 


LA  (UKIUU':  DK  SKPT  ANS.  —  CFIAP.  V. 


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tombant  sur  le  corps  du  comte  do  Staiiiville  à  Gotha.  » 
Jusqu'alors  le  roi  de  Prusse  s'était  montré  peu  disposé 
à  sntislairc  aux  demandes  de  concours  que  Ferdinand  ne 
cessait  de  lui  adresser  depuis  la  victoire  de  Torgau;  cette 
l'ois,  il  s'exécuta  très  libéralement  en  adjoignant  aux  5  ba- 
taillons de  Lolluillel,  les  15  à  20  escadrons  du  g-énéral 
de  Syburii.  Toutefois,  d'après  les  instructions  (1)  données 
à  son  adjudant  d'Anhalt,  chargé  de  surveiller  l'opéra- 
tion, les  troupes  prussiennes  ne  devaient  pas  dépasser 
Eisenach. 

Comme  on  le  voit,  le  concept  de  Ferdinand  consistait 
à  attaquer,  détruire  ou  refouler  les  deux  ailes  de   l'ar- 
mée  française  et  à  Forcer  ainsi  Broiilie   à   abandonner 
Cassel  et  (lottingen  à  leurs  propres  ressources.  Le  secret 
fut  admirablement  .';ardé;  (juelques  heures  avant  la  date 
fixée   par  Ferdinand  pour   la  reprise   des  hostilités,   le 
8  février,  le  comte  de  Lusace  avait  quitté  la  réserve  do 
droite  dont  il  avait  la  direction  pour  se  rendre  à  Versailles  ; 
du  reste  ce    fut  seulement  le  10  au  matin  que  Broglie 
eut  connaissance  (21  du  rassemblement  opéré  à  Diiderstadt 
l'avant-veille  et  de  la  marche  de  16.00()  confédérés  avec 
:J0  canons  sur  Stadt  Warbis  et  Mulhausen.  Peu  de  temps 
après,  il  eut  avis  de  l'approche  de  troupes  ennemies  ve- 
nues di  la  Westphalie  et  de  la  concentration  qui  se  fai- 
sait sur  la  Dyniel.  Broglie  lança  (3)  aussitôt  ses  ordres  : 
Du  Muy  fut  invité  k  appuyer  Maupeou   qui  avait  mis- 
sion d'éclairer  en  avant  de  la  Sieg  et  Torcy  à  envoyer 
1.000   honunes  pour   remplacer  Maupeou  à    Siegburg-; 
Rougé,  qui  commandait  les  troupes  de  communication, 
dut  réunir  son  monde  à  Marburg-  et  renforcer  la  garnison 
de  Giessen.  «  Il  faut  opposer  la  résistance  la  plus  grande, 


!    I 


(1)  Frédéric  à  Anlialt,  Leipzig,'.  !  février  1701.  Coircsp.  Polit. .\K.  :(0',». 
(9.)  Sainl-Pern  à  Hroglie,  Eschwege,  10  lévri(M- 1761.  Arcliives  de  la  (liu'ire. 
(3)  llroglie  à  Muy,  Torcy,  Rou.i;é  et   Saint-Pern,  Cassel,  11   février  17(;i. 
Archives  de  la  Guerre. 


COM'IANCK  1)1';  llUOr.LIK. 


294 


lui  écrit  le  généralissime,  et  en  gagnant  du  tomps,  xious 
gagnerons  tout.  »  Enfin,  àSaint-Pcrnquiétnit  à  Ksch^vege, 
sur  la  Werra,  liroglie  indiqua  comme  ligne  de  retraite,  en 
cas  de  nécessité,  la  direction  d'Eisonacli  et  de  (iotha.  C'était 
autoriser  l'évacuation  de  Mulhausen  et  du  pays  qu'on  venait 
d'occuper  le  mois  précédent.  Les  journées  des  11  et  12  se 
passèrent  de  ce  côté  sans  incident  notable;  il  n'y  eut  que 
des  escarmouches  et  des  canonnades  assez  inoilensives. 
liroglie  se  plaint  (1)  d'être  mal  renseigné  par  Saint-Pern. 
«  Vous  verrez  qu'il  ne  me  mande  point  ce  qu'il  a  fait  pour 
abandonner  ou  protéger  Mulhausen  ;  si  c'est  le  corp^  de  M. 
de  Solms  qu'il  destine  à  retirer  ou  soutenir  ce  poste  ;  où  est 
ce  corps  et  celui  de  M.  de  Stainville,  et  s'il  a  des  nouvelles 
des  mouvements  des  Prussiens,  .l'aurais  beaucoup  désiré 
d'avoir  des  détails  sur  tous  ces  objets  qui  sont  fort  inté- 
ressants, surtout  sur  les  Prussiens  dont  on  assure  <jue 
20.000  étaient  déjà  le  11  arrivés  jusqu'à  Sachsenbourg 
et  Buttelstatt  avec  beaucoup  d'artillerie.  La  marche  en 
avant  qu'a  fait  aujourd'hui  M.  de  Sporcke  me  fait  conjec- 
turer que  le  projet  des  ennemis  est  sérieux,  qu'il  est 
combiné  par  la  droite  et  par  la  gauche,  et  qu'ils  seront 
joints  par  des  Prussiens.  » 

En  effet  la  situation  se  corsait  d'heure  en  heure  :  Le 
12  février,  Broglie.  alors  qu'il  relate  (2)  à  Choiseul  les 
précautions  prises,  est  presque  rassuré  sur  les  consé- 
quences de  roflcnsive  des  confédérés.  Il  ne  croit  pas 
que  l'ennemi  «  puisse  faire  d'autre  chose  qu'une  course; 
rien  ne  sera  surpris;  tous  les  postes  sont  avertis  et  j'en 
ai  nouvelle.  Il  y  a  des  subsistances  on  pain  et  en  four- 
rages dans  tous  les  endroits  où  on  peut  avoir  besoin  de 
rassembler  les  troupes.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  en- 
nemis, qui  devront  les  tirer  de  loin;  il  est  vrai  <pie  la 


(1)  Broglie  à  Clioiseul,  Casscl,  13  février  17G1.  Ardiivcsde  la  (Jiienc. 

(2)  Broglie  à  Ciiolscul,  Casse),  r>  février  17r>l.  Archives  de  la  Guerre. 


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Û 


•'.'.)•» 


LA  (ÎUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


g'clée  qui  est  très  forte  les  lavorise,  mais  le  temps  peut 
chantier,  et  comme  il  fait  très  froitUeurs  troupes  ne  peu- 
vent manquer  de  soull'rir  beaucoup  ».  Le  lendemain,  le 
ton  optimiste  a  disparu  (1);  on  avait   reçu  des  détails 
alarmants  sur  les  proférés  de  l'ennemi.  Le  9  février,  le 
prince  Ferdinand  avait  transporté  son  quartier  général 
.îGeismar;  le  11,  les  confédérés  débouchaient  en  quatre 
colonnes;  le  12,  le  gros  était  à  Zierenberg  ;  Granby,  avec 
l'avant-garde,   avait  occupé  Weissensteiu,  position  avan- 
tageuse dans  la  banlieue  de  Cassel,   sans  rencontrer,  à 
sa  surprise   (2i ,   aucune  opposition.  Le  même  jour,  le 
prince  héréditaire  avait  essayé  de  s'emparer  de  la  ville 
(le  Fritzlar,  mais  avait  échoué  devant  la  résistance  vigou- 
reuse du  comte  de  Narbonne.  Les  Hanovriens,  au  nombre 
de  6.000,  avaient  paru    vers   3  heures  de  l'après-midi; 
ils  avaient  aussitôt  engagé  le  combat  qui  avait  duré  jus- 
qu'à 5  heures;   le  prince   s'était  alors  avancé  et   avait 
entamé  avec  le  commandant  français  des  pourparlers  que 
celui-ci  avait  été  obligé  de  rompre  en  priant  S.  A.   S. 
de  se  retirer,  puis  en  la  menaçant   de    faire  tirer   sur 
elle;  la  fusillade  avait  alors  repris;  en  fin  de  compte, 
les  assaillants  étaient  partis  on  laissant  sur  place  plus 
de  150  morts  et  2  pièces  de  canon.  Le  13  février,  Brei- 
tenbach,  avec  sa  division  de  7  bataillons  et  10  escadrons, 
après  avoir  enlevé  un  petit  magasin  à  Rosenthal,  poussa 
jusqu'à  Marburg  (3)  dans  l'espoir  de  se  rendre  maître  de 
la  ville.  Il  se  heurta  à  l'énergique  défense  des  régiments 
écossais  et  irlandais  au  service  de  la  France,  commandés 
par  le  brigadier  lord  Drnmmond  ;  l'attaque  fut  mal  con- 
duite, Breitcnbach  tué,  et  sa  division  battit  en  retraite 
abandonnant  3  canons  derrière  elle. 
Les  échecs   du  prince    héréditaire   et  de  Breitenbach 


(Ij  Broslie  à  Choiseiil,  Cassel,  13  février  17(il.  Archives  de  la  Guerre. 
(".!)  Granby  à  NewcasUe,  lOfi-vrier  t7GI.  Newcaslle  Papers. 
(3)  Rougé  i\  Broglie,  li  février  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 


CRAINTKS  POUK  LK  MAGASIN  DE  HIRSCIIFKLD. 


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arrêtèrent  momentanément  les  progrès  des  confédérés; 
Ferdinand  fit  reposer  son  armée  le  14  ot  se  borna  à 
jeter  quelques  bombes  dans  Fritzlar  qui  tenait  encore.  De 
son  côté,  de  plus  en  plus  préoccupé  des  mouvements  tour- 
nants qui  se  dessinaient  autour  de  lui,  désireux  de  cou- 
vrir son  magasin  de  Ilirschfeld  (1),  Broglie  avait  quitté 
Casse!  où  il  avait  son  quartier  général  depuis  r>  mois  et 
s'était  rendu  à  Melzungen,  localité  située  sur  la  rive 
gauche  de  la  Fulda,  à  18  kilom';tres  au  sud  de  la  capi- 
tale. Dans  une  dépoche  (2)  datée  de  ce  bourg,  il  décrit  la 
situation  en  sombres  couleurs  :  «  La  journée  d'hier  (celle 
du  14)  a  été  critique,  monsieur  le  duc,  les  premières  nou- 
velles que  je  reçus  le  matin  par  un  volontaire  de  Dau- 
phiné  envoyé  par  M.  de  Jerain,  commandant  à  Gunters- 
berg,  furent  que  les  ennemis  s'avançaient  surFritzlar  avec 
au  moins  15.000  hommes  et  qu'ils  allaient  commencer  à 
l'attaquer.  »  Le  messager  apportait  en  outre  le  bruit  que 
des  troupes  se  dirigeaient  sur  le  pont  de  Feltzberg  ;  pour 
les  éviter,  il  avait  dû  passer  à.  gué  l'Eder  et  la  Fulda. 

M  Ce  nombre  de  troupes,  continue  Broglie,  etlamarche 
de  cette  colonne  sur  Feltzberg  qui  est  le  grand  chemin  de 
Melzungen  me  firent  croire  que  les  ennemis  avaient  un 
projet  sur  Hirschfeld  ;  je  crus  alors  qu'il  fallait  me  déter- 
miner à  les  empêcher  d'y  venir  brûler  nos  magasins,  et 
rassembler  la  plus  grande  partie  des  troupes  à  Hirschfeld 
pour  ne  pas  courir  les  risques  de  les  voir  séparées  les  unes 
des  autres,  et  exposées  à  être  battues  en  détail,  soit  par 
le  corps  d'armée  des  alliés  joint  aux  Prussiens  du  côté  de 
la  Werra,  soit  par  le  prince  Ferdinand  du  côté  de  la 
Fulda.  J'envoyai  donc  des  ordres  h  tous  les  quartiers  qui 
étaient  sur  la  Werra  d'en  partir  ce  matin  et  de  marcher 
sur  Hirschfeld;  je  donnai  le  môme  ordre  aux  Saxons,  et 

(1)  Hersfeld  dans  les  cartes  modernes. 

(2)  Broglie    à   Choiseul,   Melzungen,   15   février   17G1.    Archives  de  la 
Guerre. 


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20t 


LA  ni'KHUK  DK  SKI'T  ANS. 


CIIAI».  V. 


je  mandai  à  M.  de  Slainville  de  se  retire!'  à  Vaclia  pour 
couvrir  le  pays  de  Kulda.  J'avoue  que  c'était  avec  un  retîret 
l)ien  grand  que  je  me  décidais  à  abandonner  la  Werra, 
mais  le  danger  de  faire  battre  l'armée  en  détail  me  parais- 
sait le  plus  grand  des  malbeurs.  Je  m'y  étais  déteiniiné 
d'autant  plus  que  je  savais  à  n'en  pouvoir  douter  «piil  y 
avait  un  gros  corps  des  alliés  qui  avait  marcbé  sur  Mar- 
l)urg.  »  Afin  de  surveiller  ces  mouvements,  le  marécbal 
a  quitté  Cassel  où  il  serait  exposé  à  être  bloqué  et  coupé 
de  son  armée;  avant  de  partir,  il  avait  nommé  gouver- 
neur de  la  place,  son  frère,  le  comte  de  Broglie,  comme 
étant  «  au  fait  de  tous  les  ordres  ot  détails  concernant  le 
commandement,  les  subsistances  et  la  défense  ». 

Sur  l'avis  que  l'ennemi  n'avait  pas  franchi  l'Eder,  Broglie 
suspend  l'exécution  des  instructions  de  la  veille,  se  con- 
tente de  ramènera  Sontra,  sur  la  route  d'Escliwege  à  Hirsch- 
leld,  le  régiment  do  Picardie  et  les  grenadiers  de  France 
qui  appartenaient  au  corps  do  Saint-I*ern,  et  de  placer  à 
Melzungea  11  régiment  de  Provence.  Aux  Saxons  de 
Solms(l)  et  à  la  division  de  Stainvillo,  il  enjoint  de  limiter 
leur  retraite  aux  bor<ls  do  la  Werra.  Le  15,  les  nouvelles 
sont  meilleures;  décidément  l'ennemi  n'a  pas  encore 
passé  l'Eder;  Fritzlar  résiste  toujours  comme  le  prouve  la 
canonnade  qu'on  a  entendue  toute  la  matinée.  «  Quant  à 
la  tléfensc  de  Fritzlar,  elle  est  la  plus  surprenante  qu'on 
ait  jamais  pu  voir  à  la  guerre,  tous  ceux  qui  ont  été  dans 
cette  ville  savent  qu'elle  est  détestable  et  j'en  étais  si  per- 
suadé... que  j'étais  convenu  avec  M.  de  Narbonne  qu'il  ne 
la  défendrait  pas,  et  se  retirerait  avant  d'être  attaqué. 
Cependant,  il  y  a  été  attaqué  avec  la  plus  grande  vivacité 
jeudi,  y  a  tué  200  hommes  aux  ennemis,  et  blessé  beau- 
coup davantage,  et  pris  deux  pièces  de  canon;   il  a  été 


(1)  Le  général  Solms  avait  remplacé  àla  télé  des  Saxons,  le  prince  Xavier, 
comte  de  Lusace,  parti  pour  Paris. 


CAPITULATION  DK  lUlTZLAU. 


!21)S 


canonné  hier  et  aujourd'hui  pendant  plusieurs  heures 
avec  au  moins  lô  pièces  de  canon,  et  nos  oriiciers  d'artil- 
lerie ont  compté  qu'ils  tiraient  M)  coups  par  minute. 
Malgré  cela,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  n'est  pas  rendu, 
et  réchec  que  les  ennemis  ont  reçu  à  Marb  "g',  quatre 
jours  qu'ils  ont  perdu  à  attaquer  inutilement  Fritzlar,  et 
le  dégel  complet  qui  fait  déborder  toutes  les  rivières  et 
défonce  les  chemins,  semblent  pouvoir  faire  croire  qu'ils 
ne  passeront  pas  l'Eder,  et  se  retireront  peut-être  sans 
avoir  pris  Fritzlar  ;  cela  serait  bien  à  désirer  pour  conserver 
en  activité  un  officier  du  mérite  de  iM.  de  Narbonne.  » 

Jusqu'àce  qu'ilsoit  fixé  sur  le  partidu  prince  Ferdinand, 
le  maréchal  a  l'intention  de  rester  à  Mclzungen,  mais  ne 
dissimule  (1)  pas  ses  cvaiiiles  :  «  S.  iM.  peut  voir  ((ue  ma 
situation  dans  ce  moment-ci  est  assez  difficile,  je  suis  me- 
nacé à  la  droite  et  à  la  gauche  par  des  forces  considérables 
et  égales  chacune  en  infanterie  à  la  totalité  de  ce  que  je 
puis  en  rassembler  entre  la  Fulda  et  la  Werra.  Si  j'aban- 
donne la  position  qu'occupe  l'armée  entre  ces  deux 
rivières,  je  donne  aux  ennemis  l'avantage  qu'ils  font  tanf 
d'efforts  pour  se  procurer;  si  je  ne  me  rassemble  pas,  il 
peut  arriver  ([ue  les  ennemis  me  dérobent  un  mouvement 
et  que  je  n'y  sois  plus  à  temps.  » 

Le  séjour  de  Broglio  à  Melzungen  ne  fut  pas  de  longue 
durée;  le  17  février,  il  date  ses  dépêches  de  llirschfeld; 
ce  recul,  que  sa  lettre  du  15  faisait  prévoir,  avait  pour 
cause  les  progrès  que  faisait  l'ennemi  sur  les  deux  flancs 
de  la  ligne  française.  La  garnison  de  Fritzlar,  forte  seule- 
ment de  900  hommes,  avait  capitulé  dans  l'après-midi 
du  15;  elle  obtint  sa  liberté  à  la  condition  de  ne  pas  ser- 
vir en  Allemagne  pendant  un  an;  cette  reddition  entraîna 
celle  du  château  de  Gundersbcrg  sur  les  mêmes  bases.  A 
la  suite  de  ces  succès,  Ferdinand,  après  avoir  affecté  une 


i  { 


(1)  llro^lie  à  Choiseul,  Melzungen,  15  février  1761.  Lellre  déjà  citce. 


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2'JC. 


L\  OUKUHK  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


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V     ) 


partie  (le  sou  îii'm«''C  à  l'investissement  de  Cassel,  avait 
franctii  l'Eder  avec  le  reste  en  route  pour  llomburg.  Les 
nouvelles  de  l'aile  droite  française  étaient  encore  plus 
graves  :  on  n'en  avait  pas  de  directes,  l'officier  expédié 
par  Solms  ayant  été  enlevé  par  une  patrouille  ennemie, 
mais,  par  une  voie  indirecte,  on  venait  d'apprendre  la  dé- 
laite  des  Saxons  t\  Langensaltza. 

Voici  les  incidents  <jui  avaient  eu  lieu  dans  la  vallée  de 
ri'nstrutt  :  Après  une  canonnade  échangée  à  Eisherg,  le 
13  lévrier,  avec  les  corps  de  Saint-Pern  et  de  Stainville,  le 
llanovrien  Sporcken,  ne  pouvant  percer  de  ce  c<Hé,  avait 
pris  le  parti  de  descendre  le  cours  de  i'Unstrutt  et  de  com- 
biner avec  le  Prussien  Syburg-,  la  traversée  de  la  rivière  et 
la  prise  de  Langensaltza  qui  étaitoccupé  par  3.000  Saxons. 
Il  fut  entendu  que  les  Prussiens  opéreraient  à  Merxleben , 
les  confédérés  à  Thomasbrugge,  et  Liickner  avec  sestroupes 
légères  à  Bolsted,  «  Le  15,  à  7  heures  du  matin,  raconte 
Sporcken  (1),  toutes  les  troupes  bordèrent  la  rivière  pour 
la  passer  ;  mais  le  dégel  avait  tellement  augmenté  les  eaux 
depuis  deux  fois  "iï  heures,  qu'il  y  avait  une  inondation 
de  mille  pas  depuis  Mulhausen  jusque  vers  Langensaltza.  » 
La  cavalerie  de  Syburg  franchit  l'Unstrutt  à  Merxleben, 
tandis  que  son  canon  battait  la  ville  de  Langensaltza  :  «  Huit 
escadrons  de  la  première  ligne  du  corps  de  M.  de  Sporcken 
passèrent  à  Thomasbrugge,  avec  une  brigade  de  chas- 
seurs et  un  escadron  de  Liickner,  dont  le  corps  ne  put 
passer,  les  eaux  ayant  continué  à  s'augmenter  pendant 
ioute  la  journée.  »  L'apparition  de  ce  détachement  fut  une 
surprise  (2)  pour  les  Saxons  de  Solnis  qui,  d'après  le  rap- 
port de  leurs  éclaireurs,  croyaient  le  pont  de  Thomas  ruiné 
et  infranchissable.   Vu  même  moment  survint  de  la  part 


(1)  Relation  de  lexpédilion  du  corps  de  Sporcken.  Westphalen,  V,  p.  81 
et  suivantes. 

(2)  Inventaire  sommaire  des  l'onds  de  Saxe,  rédigé  par  Vernier,  archiviste 
et  par  le  comm'  Veling,  vol.  1,  p.  179,  Trojes,  1903. 


>  I 


COMBAT  DK  LANGKNSALTZA, 


ÎW 


(le  Stainvillo  l'ordre  de  «  marcher  sur  Kirchhoffeld  sans 
pcrdie  de  temps  ».  Au  lieu  de  rassembler  son  m(jnd<î  dans 
une  position  où  il  lui  aurait  été  facilcde  tenir  tête  k  la  ca- 
valerie ennemie,  qui  seule  avait  traversé  la  rivière,  le  gé- 
néral saxon  voulut  commencer  de  suite  sa  retraite  ;  il  ne 
put  retl'ectiier  sans  une  confusion  et  un  désordre  dont 
profitèrent  les  escadrons  confédérés;  un  bataillon  entier, 
séparé  du  gros,  fut  fait  prisonnier  au  ravin  de  la  Salza; 
dans  le  combat  d'arrière-garde  ({ui  suivit,  le  bataillon 
Prince  Charles  et  7  compagnies  de  grenadiers  mirent  bas 
les  armes.  Le  reste  de  la  colonne,  encore  fort  de  .'l  batail- 
lons, poursuivit  sa  marche  vers  le  chemin  d'Eisenach,  à 
travers  un  pays  complètement  plat.  Harcelée  par  la  ca- 
valeri(;  de  Syburg  et  de  Sporcken,  cette  infanterie  eût 
été  complètement  détruite  sans  l'arrivée  fort  opportune 
des  dragons  de  la  Ferronnays  que  Solnis  avait  appelés 
à  son  secours.  L'ennemi  qui  venait  dNmfoncer  un  des 
3  bataillons  saxons  fut  repoussé  et  laissa  au  pouvoir  des 
Français  le  général  hanovricn  lludenberg,  5  officiers 
et  30  hommes.  Près  du  village  de  Ueichenbach,  les  débris 
des  Saxons  rejoignirent  les  troupes  de  Stainville  et  les 
deux  divisions  continuèrent  leur  route  sur  Eisenach  où 
la  tête  parvint  vers  7  heures  du  soir.  «  Les  fatigues  suppor- 
tées par  les  hommes  furent  immenses,  et  les  corps  laissè- 
rent tant  de  traînards  que  les  cavaliers  ennemis  qui  avaient 
suivi  les  divisions  jusqu'à  un  mille  d'Eisenach  ramassèrent 
plus  de  600  hommes  appartenant  au  corps  saxon.  Cette 
affaire  coûta  au  corps  2  bataillons  de  grenadiers  et  2  ba- 
taillons de  campagne,  plus  7  canons.  » 

Sporcken,  dans  son  rapport  au  prince  Ferdinand,  ne 
consacre  que  quelques  lignes  à  la  description  du  combat  : 
«  A  peine  la  cavalerie  prussienne  avait-elle  passé  la  rivière 
qu'elle  se  jeta  sur  l'ennemi  qui  sortit  de  Langensaltza  ; 
tandis  que  les  susdits  8  escadrons  du  corps  de  Sporcken 
tombèrent  sur  ceux  qui  descendirent  les  hauteurs  pour 


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\.K  r.LKlUU';  l)K  SKPT  ANS. 


OII.VP.  V. 


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venir  an  sccdurs.  Trois  n'!f,àment.s  saxons,  savoir  Garde- 
(irenadiors,  prince  Xavier,  et  prince  Krcdéric,  se  rendi- 
rent aux  Prussiens  ctlesdeux  rcgimcnts  C.liarleset  Antoine 
furent  forcés  par  les  H  escadrons  du  corps  de  M.  Sp(">rrken 
de  niettri;  bas  les  armes.  Le  nombre  des  prisonniers  s'est 
accru  dans  la  poursuite,  et  si  notre  infanterie  eiU  pu  passer 
la  rivière,  loul  le  corps  saxon  aurait  couru  ris()ue  d'ôtre 
coupé.  La  perle  de  l'ennemi  peut  être  évaluée  sans  exa- 
gération ù  5.000  hommes;  la  nôtre  ne  surpasse  pas 
100  hommes.  »  D'après  le  prince  Ferdinand,  les  vain- 
queurs s'emparèrent  de  13  canons,  y  compris  les  pièces 
régimentaires,  et  de  7  drapeaux  ou  étendards, 

A  en  juger  par  ceschlifres,  l'aHaire  ne  fait  pas  honneur 
à  l'infanterie  saxonne  qui  se  laissa  disperser  par  une  ca- 
\alerie  dont  l'eirectif  atteignait  à  peine  une  trentaine  des- 
cadrons.  Le  commandement  fut  aussi  en  défaut  :  Stainville 
et  Solms  paraissent  responsables  du  manque  d'entente, 
de  la  précipitation  et  de  la  mauvaise  conduite  de  la  re- 
traite. 

Pour  en  finir  avec  l'entreprise  combinée  de  Sp()rcken  et 
do  ses  auxiliaires,  disons  de  suite  ([uc  le  lendemain  du 
combat,  rinf;interie  confédérée  franchit  l'IJnstrutt  et  prit 
possession  de  Mulhauseu;  le  17,  Liickner  parvint  à  Eisc- 
nach  où  il  fut  rejoint  par  le  gros  du  corps  hanovrien.  Mal- 
gré une  nuirche  forcée,  on  ne  put  pas  rattraper  les  Saxo- 
Français  qui  gagnèrent  Fulde  sans  autre  perte  que  celle 
de  déserteurs  assez  nombreux,  tant  Saxons  ([ue  soldats 
des  régiments  suisses;  de  leur  côté,  SporcUen  et  Liickner 
rallièrent,  le  -2*2  févriei".  à  Hirschfeld,  l'armée  du  prince 
Ferdinand.  Quant  aux  Prusaiens,  leur  concours  n'avait  été 
que  précaire  ;  sous  prétexte  d'iui  mouvement  en  avant  des 
Impériaux  de  Iladick  et  confovmément  aux  instructions 
de  leur  souverain,  ils  ne  dépasseront  pas  Eisenacli;  le  22, 
ils  avaient  gagné  Gotha  et  s'étaient  par  conséquent  éloi- 
gnés de  leurs  alliés. 


HItOGLIi:  APPKLLK  L'AU.Mi:)':  IJI    HAS  UIIIN. 


3M 


hésnsti'cux  en  lui-mônw',  lo  combat  de  Laiigensalt/.;i  le 
lut  plus  encore  pour  l'ensemble  des  opérations,  car  il  en- 
trniiia  tout  au  inoins nionuMitanénient  la  peitc  delà  Messe. 
.Mais  revenons  à  Hrojçlie  qui  venait  d'apprendre  le  mal- 
heureux événement  du  1."»  et  (pii  écrivait,  le  17  (1)  :  ((  C.e 
qui  rend  la  position  où  je  me  trouve  pins  délicate,  r'est 
que  les  llanovriens  et  Prussiens  qui  viennent  par  Kise- 
nacb  et  (iotha  se  trouvent  sur  mou  ilanc  droit,  pendant 
qutî  le  |)rincc  ht-réditaire  est  sur  la  gauche  et  (jue  je  n'ai 
pas  encore  de  cavalerie  d'arrivée,  ni  n'en  aurai  de  plu- 
sieurs jours.  Mais  si  nous  parvenons  à  rejoindre  riut'an- 
terie  et  ([uelques  dragons,  j'espère  «[n'étant  aussi  bien 
secondé  «[ue  je  le  serai  pai'  le  peu  d'ofliciers  .généraux  «(ui 
sont  il  l'arniée,  elle  se  tirera  d'allaire  et  (pi'il  ne  lui  ar- 
rivera [)oiut  de  grands  accidents,  .l'ai  écrit  à  MM.  de 
Kougé,  Dessalles,  de  Zuckmantel  et  Domgeruiain  (2)  tout 
ce  ((u'ilsont  à  l'aire  dans  cette  circonstance,  [.c  chAteau 
de  Marburg,  Giessen,  Ziegenliayn  et  Ilanau,  sont  appro- 
visionnés et  ont  des  garnisons  suffisantes  pour  une  trt'-s 
bonne  défense.  Francfort  aura  8  bataillons  pour  sa  gar- 
nison quand  M.  Dessales  y  aura  l'ait  entrer,  ainsi  que  je 
le  lui  mande,  le  régiment  de  Koyal  Suédois;  Cottingen  est 
pourvu  jus((u'au  1"  juillet  enfarinés,  et  Casscl  l'est  aussi 
pour  le  même  temps.  » 

Dans  un  P. -S.  du  18  février  (3),  Rroglie  est  à  même 
d'annoncer  que  la  concentration  s'avance  :  Saint-Pern  a 
re(;u  les  ordres  de  retraite,  il  a  un  détachement  à  Uotheni- 
burg  sur  la  Fulda  en  aval;  le  gros  de  sa  division  sera,  le 
18  au  soir,  à  Kriedwaid  à  peu  de  distance  de  llirschfeld  ; 
Stainville  est  à  Vacha  ;  «  lui  et  Solms  me  mandent  que 


(1)  Broglic  à  Ciioiseul,  niischfeld,  17  février  1701.  Archives  de  la  Guerro. 

(2)  Ces   ofTicicrs    coinmaiiduienl   à    Marburg,    FruiuTort,    Ziegenliayn  et 
Hanan. 

(3)  P.-S.  Hrogiie  à  Ciioiseul,  Ilirsclifeld,  18  février  1701.  Archives  de  la 
Guerre. 


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LA  GUKHUK  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


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les  Saxons  sont  absolument  crevés  et  ne  pourraient  pas 
arriver  iiujourd'hui  ici  »;  en  conséquence,  Solms  a  été 
autorisé  à  «  rester  jusqu'à  nouvel  ordre  à  Manshacli  où 
je  lui  enverrais  des  ordres  dans  la  journée,  et  j'ai  écrit 
h  M.  de  Stain ville  de  rester  à  Vacha,  tant  qu'il  le  pourrait, 
pour  masquer  le  pont  de  pierre  et  de  se  replier  à  M.ans- 
bach  sur  M.  de  Solms,  si  les  ennemis  s'avançaient,  et  de 
là,  suivant  les  circonstances,  sur  Hirschfeld  >>.  Broglie 
énumére  les  troupes  ennemies  dont  il  exag'ère  le  chiffre 
et  parmi  lesquelles  il  compte  10.000  hommes  de  troupes 

prussiennes  «  très  belles  et  très  bien   réparées Vous 

jugerez  aisément,  conclut-il,  que  je  ne  suis  pas  partie 
battan  8  pour  me  commettre  contre  des  forces  aussi 
disproportionnées.  Je  n'attends  que  M  de  Saint-Pern, 
le  corps  saxon  et  celui  de  M.  le  comte  de  Stainville  pour 
songer  à  me  retirer  sur  Fulde;  je  n'y  perdrai  pas  un 
moment  dès  que  je  serai  réuni  afin  de  n'être  pas  séparé, 
s'il  est  p'ssible,  de  Francfort  ».  De  Hirschfeld,  Broglie 
intima  ordre  à  Du  Muy  (1)  qui  commandait,  comme 
on  le  sait,  sur  le  bas  Rhin,  «  de  faire  une  diversion  par 
Cologne  en  se  portant  sur  Hackenburg,  pour  aller  de  là 
sur  Marburg  ou  F^imbourg,  suivant  les  instructions  ou  le 
besoin  ».  Du  Muy  devait  affecter  10.000  hommes  à  cette 
opération  et  la  diriger  lui-même. 

Entre  temps,  le  prince  Ferdinand  continuait  sa  mar- 
che en  avant;  le  18,  il  avait  franchi  (-2)  l'Eder  et  poussé 
le  prince  héréditaire  sur  la  route  de  Hirschfeld,  tandis 
que  Granby  s'apprêtait  à  faire  le  blocus  de  Ziegenhayn. 
Le  même  jour,  le  général  Oheim  qui  avait  remplacé 
Breitenbach,  tué  devant  Marburg,  eut  une  rencontre  (3) 


(1)  Brofçlie  à  Du  Muy,  Hirschfeld,  17  février  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Ferdlnaud  a  Iloldernessc,  Ober  Aula,  'il  lë'rier  1701.  Record  Office. 

(3)  Valence  à  Uroglie,  Urumshausen,  18  février  17GI.  Archives  de  la  Guerre. 
Winlzingerode  à  Ferdinand,  Franckenberg,  18  février  1761.  Weslphalen, 
V,  p.  70. 


EVACUATION  DE  HIRSCHFELIJ. 


30t 


aved'avant-garde  de  Maupeou.  Ce  dernier,  en  exécution 
de  ses  instructions,  s'était  porté  de  Siegen  vers  Corbacii 
avec  l'intention  d'agir  sur  le  flanc  et  les  derrières  des 
confédérés  ;  désireux  de  reconnaître  l'ennemi,  il  prit  les 
devants  avec  IpOO  hommes,  dont  une  centaine  de  hus- 
sards, et  engagea  maladroitement,  près  de  Sachscnl)crg, 
une  affaire  dans  laquelle  il  fut  fait  prisonnier  avec  trois 
de  ses  officiers  et  une  cinquantaine  de  soldats.  A  la  suite 
de  cet  incident,  la  division  de  Maupeou,  privée  de  son 
chef,  recula  jusqu'à  Ilallenberg,  tandis  qu'Oheim,  lais- 
sant quelques  troupes  légères  à  Corbach,  vint  avec  son 
détachement  participer  au  siège  de  Marburg.  Le  19  au 
soir,  le  gros  de  l'armée  hanovrienne  avait  atteint  Schwar- 
zenborn  et  le  prince  héréditaire  était  campé  à  une  lieue 
de  Hirschfeld.  Broglie  qui  avait  envoyé  Lameth  surveiller 
le  prince  était  édifié  sur  son  proche  voisinage;  d'autre 
part,  il  avait  été  prévenu  par  Stainville  que  Sporcken  et 
Lttckner  étaient  devant  \acha,  et  qu'il  serait  obligé  d'é- 
vacuer le  poste  au  cours  de  la  nuit.  Ces  différents  avis 
confirmèrent  Broglie  dans  sa  résolution  de  continuer  sa 
retraite  sur  Fulde. 

Pour  l'effectuer  il  eut  recours  à  une  étape  de  nuit  :  «  Je 
chargeai  M. de  Diesbach,  écrit-il  (1), de  faire  l'arrière-garde 
des  troupes  qai  étaient  à  Hirsclifeld,  de  brùhîr  et  détruire 
les  magasins  de  fourrages  et  de  fai'ines  que  nous  y 
avions,  ce  qui  a  été  exécuté  avant  mon  départ,  en  sorte 
que  les  ennemi?  n'auront  pas  profité  d'une  ration.  La 
marche  fut  pénible,  le  temps  étant  affreux,  et  les  chemins 
plus  mauvais  qu'on  ne  peut  le  dire.  Tout  arriva  cepen- 
dant à  Hiinfcld  et  environs,  et  MM.  de  Saint-Pern  et  de 
Solms  m'y  joignirent.  M.  de  Stainville  s'arrêta  au  village 
de  Mittelaspach,  Après  (juelques  heures  de  repos,  je  fis 
partir  les  Saxons  et   le  corps  de  M.  de   Sainl-Pern  pour 

(1)  Broglie  à  Clioiseul,  Fulde,  .il  février  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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W  GUEUllK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIM».  V. 


aller  à  Fulde  et  enviions  pour  y  avoir  une  iète  si  les  en- 
nemis y  avaient  marché  par  la  rive  gauche.  »  Le  lende- 
main la  retraite  fut  poursuivie  sur  Fulde.  Broglie  ne  dis- 
simule pas  l'étonnemcnt  que  lui  occasionne  la  vigoureuse 
offensive  de  son  adversaire  :  «  Je  vous  avoue  que  cela 
me  parait  si  difficile  que  j'ai  peine  à  me  le  figurer,  et  je 
ne  vois  aucune  possibilité  à  ce  qu'il  puisse  conduire  par 
cette  saison  le  canon  et  encore  Ijieaucoup  moins  les 
munitions  nécessaires  peur  faire  des  sièges,  vu  Tétat  des 
cliemins  qui  sont  si  mauvais  que  nos  pièces  de  régiment 
ne  peuvent  s'en  tirer,  ainsi  que  6  pièces  de  quatre  longues 
qui  font  toute  mon  artillerie  de  parc,  quoiqu'elles  aient 
double  attelage.  »  Cependant,  il  ne  voit  d'autre  parti  à 
prendre  que  de  hfVter  sa  marche  rétrograde  :  «  La  pre- 
mière chose  et  qui  me  parait  la  plus  urgente,  c'est  de 
ramener  près  de  Francfort  et  Ilanau  la  partie  de  l'armée 
qui  est  ici,  afin  qu'elle  puisse  se  rejoindre  avec  le  corps 
de  cavalerie  qui  s'assemble  sous  Giessen,  avec  celui  de 
M.  Rougé,  et  avec  les  secours  que  M.  Du  Muy  pourra  au 
besoin  amener  du  Bas-Rhin...  Je  laisserai  une  forte 
arrière-garde  à  M.  votre  frère  qui  fermera  la  marche;  et 
aussitôt  que  je  ne  verrai  plus  de  danger  que  les  ennemis 
puissent  ou  veuillent  nous  attaquer,  je  me  rendrai  à 
Hauau  et  de  là,  où  ma  personne  me  paraîtra  le  plus  néces- 
saire. » 

L'abandon  de  Hirschfold  et  la  destructii^n  des  magasins 
dont  la  formation  avait  coûté  tant  d'argent  furent  un 
lourd  sacrifice  pour  l'armée  française.  Au  dire  du  colo- 
nel Peirson  1)  qui  remplissait  les  fonctions  d'intendant 
du  contingent  anglais,  les  dépôts  brûlés  contenaient 
80.000  sacs  de  farine,  50.000  sacs  d  avoine  et  400.000 
rations  de  fourrages.  La  perte  de  llirschfeld  fut  bientôt 
suivie  de  celle   des  approvisionnements  de  Fulde.   ^"ur 


(1)  Peirson  àNevvcaslle,  Neukirchen,  21  février  17G1.  Newcaslle  Papers. 


LA  HETHAITE  DE  DROGLIE  CONTINUE. 


809 


le  rapport  que  l'ennemi  s'était  montré  à  Schlitz  et  h 
Grebenau,  sur  la  rive  gauche  de  la  Fulde,  à  lliinfeld  et 
jusqu'à  Marbuch.  à  deux  lieues  de  la  ville  de  Fulde  sur 
la  rive  droite  de  la  rivière,  Broglie  ordonna  (1)  le  départ 
pour  le  23;  il  ne  fut  pas  inquiété  :  «  Je  me  décidai  ;V 
marcher  avec  la  totalité  des  troupes  en  droiture  sur 
Birstein.  Nous  quittâmes  Fulde  à  9  heures  du  matin,  et 
aussitôt  après,  quelques  hussards  qui  nous  observaient 
depuis  le  matin,  y  ontrèreat;  il  parut  ensuite  sur  la 
hauteur  environ  500  chevaux,  ils  ne  passèrent  pas  la 
rivière  et  notre  marche  se  fit  fort  tranquillement,  mais 
par  le  temps  le  plus  affreux  ;  il  en  a  été  de  môme  hier  et 
aujourd'hui  nous  séjournons,  »  Cette  fois,  la  reculade  avait 
été  forte,  car  les  Saxons  devaient  être  le  25  à  Geln- 
hausen  et  Stainville  à  Salmimstcr,  localités  situées  dans 
la  vallée  de  la  Kinsig  et  dans  le  comté  de  Hanau.  Kroglie 
se  montre  très  préoccupé  du  sort  de  Rongé  :  «  Je  crains 
toujours  que  M.  de  Rougé  ne  se  laisse  joindre  par  des 
forces  supérieures  et  n'essuie  un  échec;  je  lui  ai  cepen- 
dant envoyé  plusieurs  courriers  pour  lui  mander  de  se 
replier  sur  Giessen. ..  Dès  que  le  mouvement  de  demain 
sera  fait,  je  compte  me  porter  plus  près  de  Friodberg 
pour  être  plus  au  centre  et  pouvoir  donner  plus  promp- 
temcnt  mes  ordres  des  deux  côtés.  » 

A  lire  la  prose  du  général  eu  chef,  on  s'aperçoit  ((uo 
les  avis  décourageants  de  ses  subordonnés  et  la  retraite 
continuelle  des  derniers  jours  avaient  influé  sur  son 
moral;  il  fait  des  effectifs  confédérés  et  des  siens  un  ta- 
bleau comparatif  qui  lui  aurait  valu  des  critiques  justi- 
liées  de  la  part  du  maréchal  de  Relleisle,  si  celui-ci  avait 
été  encore  là  pour  les  formuler  :  ((  Par  les  nouvelles 
que  j'ai  de  la  force  des  ennumis,  il  parait  certain  que 
M.  le  prince  héréditaire  et  M.  le   général   Spôrcken  ont 

(1)  Droglie  à  Choiseul,  Birslcin,  25  i'évrior  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  V. 


25.000  hommes,  et  que  le  prince  Ferdinand  joint  au 
corps  qui  a  attaqué  Marbourg  en  a  autant;  cela  fait 
50.000  hommes  composés  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  en  état  de  leur  armée.  Vous  sentirez  aisément  qu'il 
s'en  faut  beaucoup  que  je  n'aie  des  forces  égales;  le 
corps  saxon,  par  l'échec  (ju'il  a  reçu  et  une  grande  quan- 
tité de  soldats  qui  après  cette  affaire,  ont  pris  tout  de 
suite  le  chemin  de  Wurtzburg,  n'a  pas  actuellement 
3.000  hommes  ensemble.  Les  20  bataillons  français  que 
j'ai  avec  moi  n'en  composent  pas  plus  de  8.000.  Les  12 
qui  sont  à  Hanau,  Francfort  et  Friedberg  peuvent  en 
faire  5.  M.  de  Rougé  me  mande  avoir  7.000  hommes 
d'infanterie  et  les  8  bataillons  de  M.  de  Valence  en  font 
à  peu  près  2.V00,  ce  qui  compose  un  total  de  24.000 
hommes  d'infanterie  et  environ  6.000  ou  7.000  chevaux; 
sur  quoi  il  faut  déduire  'i-.OOO  hommes  pour  les  garni- 
sons de  Hanau  et  de  Francfort  ;  ainsi,  il  faut  compter  que 
je  puis  mettre  ensemble  27.000  ou  28.000  hommes.  » 
Pour  le  commandement  des  corps  détachés,  il  manque 
de  sujets  capables,  beaucoup  de  généraux  sont  absents; 
<(  il  n'y  a  presque  aucun  colonel  ni  lieutenant-colonel, 
ni  brigadier  et  fort  peu  de  capitaines  ». 

En  ce  qui  concerne  les  effectifs  de  l'armée  de  Ferdi- 
nand, les  calculs  de  Broglie  étaient  très  exagérés;  au 
24  février,  date  de  la  .  ttre  du  maréchal,  le  prince  avait 
distribué  (1)  ses  forces  actives  en  plusieurs  groupes  aux 
ordres  de  Granby,  Spiircken,  le  prince  héréditaire  et  Lii- 
ckner;  elles  comprenaient  en  tout  54  bataillons,  73  esca- 
drons et  un  complément  d'irréguliers,  tant  à  pied  qu'à 
cheval.  C'est  à  peine  si  en  supposant  400  par  bataillon 
et  100  par  escadron  —  chiffres  certainement  supérieurs  à 
la  vérité  —  on  peut  évaluera  34.000  combattants  le  total 


(1)  Dislribulion  de  Tarinéet  H  mars  17G1.  NVesliihalen,  V,  p.  liO  et  sui- 
vaiiles. 


t  . 


MARCHE  DES  RENFORTS  DU  BAS-RHIN. 


305 


des  troupes  affoctées  aux  opérations  en  rase  campagne 
le  reste  était  en  garnison  à  Munster,  en  route  de  VVesl- 
phalie,  occupé  aux  sièges  de  Cassel  et  Ziegenhayn,  ou 
employé  à  la  garde  des  communications.  Il  est  probable 
que  les  ressources  en  personnel  dont  les  deux  généraux 
pouvaient  disposer  étaient  à  peu  près  égales,  mais  Fer- 
dinand n'avait,  pour  toute  réserve,  que  les  l.OOO  hommes 
de  11  division  d'IIardenberg  appelés  de  Westphalic,  et 
dont  le  départ  laisserait  cette  province  dégarnie.  Quant 
au  roi  de  Prusse,  s'il  couvrait  Ferdinand  de  fleurs,  s'il 
exaltait  son  mérite  stratégique,  il  demeurait  sourd  (1)  à  ses 
prières  désespérées,  refusait  absolument  de  lui  continuer 
le  concours  de  Syburg  et  envoyait  ce  général  guerroyer 
contre  l'armée  des  Cercles  en  Thuringe. 

Pour  les  Français,  au  contraire,  les  perspectives  s'a- 
mélioraient rapidement  :  le  21  février.  Du  Muy  (2),  en 
réponse  à  l'invitation  que  Broglie  lui  avait  expédiée  le  17 
de  Hirschfcld,  lui  annonce  un  renfort  de  12.000  hommes 
en  deux  divisions  :  la  premièic  s'ébranlera  de  Cologne  le 
1""^  mars  et  sera,  le  ^,  à  Hackenburg,  la  deuxième  suivra 
à  deux  jours  de  distance;  les  unités  seront  réglées  à 
iOO  fusils  par  bataillon,  h  75  sabres  par  escadron.  A  la 
même  date,  Chevert  écrit  de  Liège  (3)  à  Broglie  qu'il  a  été 
désigné  pour  le  commandement  des  troupes  du  Bas-Rhin 
en  attendant  la  venue  de  Soubise,  et  qu'il  se  met  à  sa 
disposition.  Le  25,  il  est  à  Cologne  et  se  concerte  avec 
Du  Muy  {\)  pour  activer  la  mobilisation  des  renforts.  Ce 
dernier  mande  qu'il  espère  être  rendu ,  le  ï  mars,  ù  Lim- 
burg,  où  il  compte  trouver  la   division    Roqucpinc  et 


(1)  Voir  la  coiTcspondancc  entre  le  Roi  et  le  [)iince  à  la  lin  de  février  cl 
au  commencement  de  mars.  Westphalen,  V. 

(2)  Du  Muy  i\  Hro<;lie,  22  février  17G1.  Archives  de  la  Ctierre. 

(3)  Chevert  à  Brofj;lie,  22  février  17GI.  Archives  delà  Guerre. 

(4)  Chevert  et  Du  Muy  à  Uroglie,  Cologne,  27  février  17G1.  Archives  de  la 
Guerre. 

GLliRlIE   Dli   SEPT   ANS.    —  T.    IV.  20 


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309 


LA  GUKRP.E  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


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l'ancienne  division  Maupeou,  dont  Valence  avait  pris  le 
commandement;  l'inondation  de  la  Sicg  le  forcera  à 
passer  par  Andernach  et  Cobicntz  et  retardera  de  deux 
jours  son  arrivée  à  Limburg.  Une  fois  la  réunion  des  co- 
lonnes effectuée,  il  aura  17.000  hommes  à  sa  disposition. 

Ces  nouvelles  réconfortantes  n'étaient  pas  encore  par- 
venues h  Broglie  quand  il  expédia  à  Paris  sa  dépêche 
du  28  février  (1).  Son  quartier  général  était  à  Budingen 
depuis  le  26;  un  cordon  de  troupes  légères,  étendu  de- 
puis Iluugcn  jusqu'à  Birstein  et  Salmimster,  le  séparait 
de  l'ennemi;  le  corps  de  Stainville,  fort  de  12  ])ataillons 
et  3  lu'igadcs  de  cavalerie,  bouchait  la  trouée  entre  Ge- 
Icnhausen  et  Budingen,  il  n'a  plus  d'inquiétude  sur  le 
compte  de  Bougé  qui  est  parti  de  Marburg  le  2k,  et  s'est 
arrêté,  le 25,  à Butzbach.  Les  confédérés  avancent;  on  les 
évalue  à  50  ou  60.000  hommes.  D'après  les  délais  que 
Du  Muy  prévoit  pour  sa  marche,  «  il  y  a  toujours  appa- 
rence que  si  les  ennemis  se  déterminent  à  venir  sur 
Francfort,  ils  y  arriveront  avant  qu'aucun  secours  du 
Bas-Rhin  eût  pu  me  rejoindre  ».  Il  faut  l'avouer,  le 
désarroi  qui  régnait  dans  l'état-major  de  Francfort  jus- 
tifiait, jusqu'à  un  certain  point,  ce  sombre  pronostic. 
Dessalles,  le  gouverneur  de  la  ville,  sous  le  coup  de  la 
retraite  générale ,  avait  donné  au  commandant  de  Fricd- 
berg  des  instructions  pour  la  destruction  éventuelle  des 
importants  magasins  de  cette  localité.  Le  subordonné, 
plus  frappé  encore  que  son  chef,  perdit  la  tète,  traduisit 
en  ordre  comportant  une  exécution  immédiate  ce  qui 
n'était  que  précaution  pour  un  cas  possible,  et  fit  incen- 
dier un  gros  stock  de  provisions  et  d'effets. 

11  est  superflu  de  dire  que,  dans  les  milieux  militaires, 
la  conduite  de  Broglie  fut  sévèrement  jugée;  on  lui 
reprocha   la  forte  garnison  laissée  à  Cassel,  la  lenteur 


(1)  Broglie  à  Choiseul,  Budingen,  28  février  17C1.  Archives  de  la  Guerre. 


CRITIQUES  DE  LA  CONDUITE  DE  imOGLIE. 


307 


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mise    à   rassembler  l'armée,    la  retraite    prt'cipitée    de 
Hirschfeld.  Une  femme  (1  ),  évidemment  parente  d'officiers 
supérieurs,  se  fait  l'interprète  de  ces  critiques  malveil- 
lantes :  «  Tout  prouve  que  le  maréchal  a  perdu  la  tête 
à  Melzungen,  et  qr3  dans  ce  malheureux  moment,  il  a 
été  trompé  par  de  faux  avis  et  a  tout  mal  vu,  car  il  est 
certain  qu'on  ne  pouvait  conserver  la  liesse  dès  ({u'clle 
était  attaquée  avec  vigueur,  mais  on  aurait  pu  faire  une 
retraite  plus  honorable  et  moins  coûteuse  que  n'est  celle- 
ci.  C'est  bien  pis  (pie  celle  de  la  Westphalie,  personne 
à  l'armée  ne   sait  encore  la  force  des  ennemis  qui  les 
suivent  ;  on  fait  des  marches  de  nuit,  on  ne  s'arrête  nulle 
part;  les  hôpitaux  ont  tous  été  pris,  beaucoup  de  canon 
est  resté   embourbé,   les   traînards  sont   immenses;    de 
40  bataillons  que  le  maréchal  avait  rassemblés  à  Hirsch- 
feld, je  suis  sûre  qu'il  n'en  ramènera  pas  la  moitié.  Il  a 
fait  venir  la  cavalerie  et  ne  l'a  point  attendue  ;  un  corps 
de  8.000  Impériaux  était  le  16  à  Erfurt,  devait  se  joindre 
le  17  à  Stainville  qu'on  a  rappelé  le  16  sans  lui  laisser 
attendre  ce  secours;  ces  pauvres  Impériaux  auront  de  la 
peine  à  se  retirer  sans  être  coupés;  les  magasins  tous 
brûlés  ôtent  la  possibilité  de  rentrer  pour  dégager  Cassel. 
Personne  ne  conçoit  pourquoi  on  a  mis  tant  de  monde 
dans  cette  place;  si  ces  10.000  hommes  qui  y  sont  avaient 
joint  le  maréchal  comme  ils  en  ont  eu  le  temps,  grâce 
à  la  belle  défense  de  M,  de  Narbonne  à  Fritzlar,  il  est 
certain  qu'avec    cette  augmentation  de  troupes,  le  ma- 
réchal aurait  pu  tenir  ferme  à  Hirschfeld  et  y  attendre 
la  cavalerie  et  les  Impériaux,  je  pense  que  son  grand 
malheur  est  de  n'avoir  eu  personne  avec  lui,  sa  tète  s'est 
trop  échauffée.   L'échec  des  Saxons   est   absolument  un 
effet  de  l'imprudence  du   comte  Solms,   qui,  au  lieu  de 
prendre   la  route  que   lui   avait   dictée   Stainville,  s'est 

(1)  Lettre  d'une  inconnue,  26  février  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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308 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


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allé  embarquer  dans  une  plaine;  ce  corps  est  presque 
détruit.  Hougé  s'était  tiré  d'aflaireà  Marburg,  les  ennemis 
ne  paraissaient  plus,  mais  il  a  eu  ordre  d'en  partir  pour 
Butzbach  où  il  est  avec  IV. 000  hommes.  Quand  cela  sera 
joint  ici  au  maréchal,  peut-être  tiendra-t-on  ferme.  »  La 
lettre  raconte  l'incendie  des  magasins  de  Friedberg  et  men- 
tionne les  bruits  sur  Casscl  :  «  Imaginez-vous  quelle 
ridicule  prétention  on  forme?  C'est  de  faire  une  seconde 
Troie  de  cette  place,  elle  doit  tenir  six  mois,  mais  comme 
les  vieux  temps  sont  passés,  on  l'aura  bientôt  rendue... 
On  a  menacé  les  ennemis  de  brûler  Cassel  s'ils  en  appro- 
chent, le  petit  comte  en  est  très  capable,  mais  cela  ne 
les  arrêtera  pas  :  10.000  hommes  à  prendre  les  consolera 
de  la  ruine  d'une  ville.  »  L'épltre  se  termine  par  un  vœu 
pour  le  rétablissement  de  la  paix  ;  «  Adieu,  voilà  de  vilaines 
nouvelles,  personne  d'entre  eux  n'ose  écrire  les  vérités  ;  je 
suis  curieuse  quel  parti  prendra  le  maréchal,  la  paix  me 
semble  le  seul  remède  à  tout  ceci.  La  confusion  de  ma 
lettre  ressemble  à  celle  de  l'armée;  on  voit  des  fuyards 
passer  ici  à  10  et  12  de  différents  régiments  tout  pêle- 
mêle,  c'est  ainsi  que  marche  toute  l'armée.  » 

Une  retraite  précipitée  entraine  des  désordres,  et  il  se- 
rait puéril  de  les  nier;  mais  au  témoignage,  peut-être  hos- 
tile, que  nous  venons  de  citer,  il  convient  d'opposer  celui 
du  prince  Ferdinand  qui  consacre  dans  un  rapport  (1)  au 
Roi,  quelques  lignes  à  l'éloge  de  son  adversaire  :  «  M.  de 
Broglie  fît  cette  longue  retraite  avec  un  ordre  qui  lui  fait 
beaucoup  d'honneur  ;  l'affection  que  le  soldat  et  l'officier 
lui  portent  également  le  seconda,  et  quoique  marchant 
tous  les  jours  et  dans  la  fange  jusqu'aux  genoux,  son 
armée  ne  laissa  que  peu  de  traînards  après  elle.  » 

Pendant  la  première  décade  de  mars,  il  y  eut  une  période 


(1)  Rapport  (le  Ferdinand  au  roi  de  Prusse,  Wesel,  juin  1763.  Westplialen, 
V,p.  4-. 


^mm^sm 


DIFFICULTÉS  DE  FERDINAND. 


309 


d'accalmie  très  favorable  aux  Fraiicjais.  Kii  faits  de  guerre, 
rieu  à  signaler  (juc  des  rencontres  de  peu  d'iniportiince; 
beaucoup  d'officiers  généraux,  Lusace,  Houfflers,  Clauson 
rejoignent  l'armée;  les  détacliements  du  Bas-Khin  pour- 
suivent leur  route  sans  interruption.  Du  Muy  espère  être  h 
Francfort,  le  8,  conformément  au  désir  du  maréchal  :  <•  Je 
vous  prie,  écrit-il  (1),  pour  leur  sûreté  (Uoqucpineet  Cur- 
say)  (2)  et  pour  la  mienne,  de  veiller  sur  la  droite  des  en- 
nemis comme  sur  du  lait  qui  est  au  feu.  »  Le  7  mars,  le 
chevalier  mande  de  Langensclnvalbach  qu'il  se  dirige  sur 
Hoclist.  En  effet,  le  lendemain,  il  annonce  (3)  sa  jonc- 
tion avec  la  grande  armée;  la  deuxième  colonne  est  d'une 
journée  en  arrière  ;  Hoquepine  est  près  de  Limburg.  Les 
étapes  depuis  Cologne  jusqu'à  Hochst  se  sont  effectuées 
en  huit  jours. 

Pourquoi  le  prince  Ferdinand  n"avait-il  rien  fait  pour 
troubler  la  marche  des  renforts  du  Bas-Rhin?  Pour- 
quoi le  mouvement  offensif  des  confédérés,  si  vigou- 
reux au  début,  s'était-il  ralenti  pour  en  venir  à  une 
immobilité  presque  absolue? La  correspondance  du  prince 
et  de  ses  lieutenants  nous  permettra  de  répondre  à  ces 
questions.  Tout  d'abord,  il  était  impossible  de  ne  pas 
éprouver  quelque  inquiétude  au  sujet  de  la  Westphalie 
qui,  depuis  le  départ  d'Hardenberg,  appelé  en  liesse,  était 
presque  dénuée  de  troupes.  Le  20  février,  La  Chevalerie, 
commandant  allemand  de  Munster,  mandait  (4)  qu'il  n'a- 
vait, pourdéfeiidrc  la  ville,  que  5  bataillons  à  faibles  effec- 
tifs :  «  Il  y  a  des  bataillons  qui  font  à  peine  une  compagnie 
complète.  »  Fortheurcusementpour  les  confédérés,  Chevert 


v«l 


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il 


(1)  Du  Muy  à  Brof^lie,  Coblenlz,  4mais  I7C0.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Le  général  de  Cursa^  commandait  l'une  des  colonnes  en  marche  du 
Bas-Rhin. 

(3)  Du  Muy  à  Clioiseul,  Hochst,  8  mars  1760.  Archives  de  la  Guerre. 

(i)  Chevalerie  à  IJehr,  leUre  interceptée,  Munster,  2<>  lévrier  17C0.  Archi- 
.vesdela  Guerre. 


fW 


310 


LA  orEIinK  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


; 


qui  avaif  conserva  dans  les  places  du  Kliin  et  à  Liège  près 
de  13.000  hommes,  était  absorbé  par  les  mesures  à  pren- 
die  à  la  suite  de  la  mort  de  rèlecteur  de  Cologne,  décédé 
le  G  février;  il  avait  même  ajourné  la  mise  en  route  do  (liir- 
say  et  l'avait  envoyé  à  lîonn  avec  mission  de  désarmer  les 
régiments  électoraux.    D'autre  part,   l'armée  confédérée 
opérant  eu  Hesse  soutirait  beaucoup  de  la  maladie,  de  la  fa- 
tigue et  du  mnnque  de  vivres.  Le  contingent  anglais  était 
déjà  fort  délabré  avant  la  reprise  des  hostilités  :  ((  Nous  con- 
tinuons, rapporte Granby  (l),àper(lre beaucoup  de  monde 
dans  l'infanterie  et  dernièrement  dans  la  cavalerie  aussi.  » 
Des  marches  souvent  forcées  en  plein  hiver  n'avaient  fait 
qu'aggraver  le  mal;  hî  service  de  l'intendance  anglaise, 
mal  organisé,  dii  igé   par  des  hommes  incompétents  ou 
malhonnêtes,  aux  prises  avec  des  diflicultés  inouïes  de 
transport,  fut  tout  à  fait  au-dessous  de  sa  tAche;  les  Alle- 
mands, quoique  mieux  ravitaillés,  étaient  aussi  très  éprou- 
vés. Sans  les  magasins  français  de  llirschfeld  et  surtout 
de  Fulde,  où  on  trouva  intacts  de  gros  stocks  de  farines 
et  d'avoines,  sans  les  petits  dépôts  de  fourrages  abandon- 
nés par  l'armée  de  liroglie  dans  sa  reculade  précipitée, 
hommes  et  chevaux  seraient  morts  de  faim.  A  défaut  de 
leurs  propres  elfets,  les  soldats  de  Ferdinand  utilisèrent 
ceux  des  Français,  les  souliers  (2)  par  exemple,  dont  un 
approvisionnement  pris  à  Alsfeld  remplaça  fort  à  propos 
des  chaussures  hors  d'usage. 

Au  surplus,  quand  même  les  confédérés  eussent  été  en 
état  d(>  poursuivre  leur  otfensive,  il  ei\t  été  imprudent 
d'avancer  plus  loin  avant  d'être  maîtres  de  Cassel,  de 
Ziegenhayn  et  des  autres  places  de  la  Hl'ssc.  Dans  une 
dépêche  adressée  à  la  cour  de  Saint-James  (3),  Ferdinand 
fait  le  résumé  de  la  situation  et  expose  ses  endiarras  : 

(I)  Granby  à  Limonier,  2'?  janvier  17G1.  RiilluntlPapers.  Record  OITlce. 

(:>)  Hoyd  à  Holdernesse,  Grevenau,25  février  17G1.  Record  Oflice. 

(3)  Ferdinand  à  Holdernesse,  Schweinsberg,  8  mars  17G1.  Record  Oirice. 


80UITRANCKS  DKS  CONIKDh'UKS. 


3tt 


«  Quant  aux  o[)<''ratioiis(le  sou  année,  tous  les  succès  ulté- 
riours  dcpciulent  absolument  de  la  prise  de  Casscd;  je  ne 
dois  pas  cacher  à  S.  M.  ([ue  c'est  une  chose  dilïlcih'  et  (jui 
coiUora  hien  du  saii,i;'.  Nous  luttons  il  la  l'ois   contre  la 
saison,  contre  la  l'aim  (ît  contre  l'ennemi.  Les  troupes  cpii 
l'ont  le  sièi^e  d(^  Cassel  n'ont  d'autres  ressoui'ces  (pie  les 
dépôts  de  la  Uyniel;  ci-ux-ci  sont  peu  de  chose;  et  si  le 
Weser  ne  devient  pas  l)ientôt  navigable,  11  sera  impossible 
de  les  l'aire  subsister  dans  un  pays  (|ui  est  devenu  un  dé- 
sert aiïreux,  sans  ressources,  sans  chai'iots  et  presque  sans 
hommes,  .le  devrais  compter,  en  cette  occasion,  sur  les 
transports  de  fourrages  et  de  vivres  des  Ktats  de  Hanovre 
et  de  Brunswick,  mais  ils  n'arrivent  point  comme  ils  de- 
vaient. En  commençant  mon  expédition,  j'avais  l'ait  mes 
calculs  sur  ces  transports,  et  en  partie  sur  la  navigation 
du  Weser;  mais  l'un  et  l'autre  m'ayant  mancjué,  je  dois 
l'attribuer  à  la  fortune  qui  accompagne  les  armes  de  S.  M., 
que  j'aie  pu  traverser  assez  vite  le  désert  de  la  liesse,  de 
m'euiparer  de  plusieurs  dé[  ùts  appartenant  à  l'ennemi, 
et  de  sauver  des  restes  de  magasins  où  il  avait  mis  le  l'eu 
en  les  abandonnant;  et  enfin,  d'avoir  pu  pénétrer  jusque 
dans  une  contrée  où  il  y  a  encore  des  subsistances.  Mais 
V.  E.   ne  cachera  point  à  S.  M.  ([ue  ces  avantages  ne 
sont  point  sans  inconvénients,   .l'ai   (irdtingen ,  Cassel, 
Waldeck  et  Ziegenhayn  A  dos;  Marbourg  et  Uillenbourg 
sur  mon  flanc;  des  places  que  je  ne  puis  prendre  ([ue 
l'une  après  l'autre  et  qui  demandent  toutes  des  formali- 
tés. J'ai,  avec  cela,  un  désert  affreux  derrière  moi  et  par 
conséquent  des  difllcultés  presque  insurmontables  pour 
faire  suivre  mes  convois,  ce  qui  est  cependant  nécessaire, 
vu  que  le  pays  que  j'occupe  ne  saurait  suffire  longtemps 
à  fournir  aux  besoins  de  l'armée,  .l'ai  l'armée  de  France 
devant  moi,  qui  se  rassemble  à  force,  pendant  que  j'ai  un 
gros  corps  en  arrière  pour  assiéger  Cassel,  un  détache- 
ment pour  bloquer  Waldeck,   un  second   pour  bloquer 


m 


3n 


I.A  CI  KHIU-;  DK  SKPT  ANS.  —  ClIAI'.  V. 


Zicfj;cnhnyii  et  un  tioisi^iiio  pour  en  faire  autant  avec 
M.irhour^.  Il  n'rst  pas  douteux  que  le  maréchal  de  Hro- 
glie  ne  lasse;  ses  derniers  ell'orts  pour  dégaf^er  CiUSsel;  il 
est  viai  (|ii'il  a  de  grands  obstacles  i\  vaincre  pour  y  par- 
venir ;  mais,  autant  que  je  puis  voir,  il  est  le  maître  de 
m'obliger  à  livrer  hafaille,  de  façon  que  tout  dépendra 
du  sort  et  de  la  fortune.  ») 

Pour  riieur<uise  issue  de  la  campagne,  la  prise  de  Cassel 
était  nécessaire;  tout  le  monde  était  d'accord  sur  ce  point; 
mais  le  siège  ne  progressait  pas,  au  grand  désespoir  de 
Ferdinand  qui  ne  cessait  de  stimnlei-  le  comte  d«'  Scliaum- 
l)urg-Lippe,  chargé  de  l'opération.  Supplications  d'activer 
les  travaux  d'approche,  invitations  à  pousseiles  tranchées, 
îi  ouvrir  le  feu  des  batterie»,  tout  échouait  devant  la  ré- 
sistance opiniAtre  de  la  garnison,  l'inexpérience  des  assié- 
geants et  les  lenteurs  des  transports. 

L'investissement  de  Cassel  avait  conimen(  <•  le  18  fé- 
vrier; à  cet  elfet  le  comte  de  Schaumburg-Lippe  avait 
sous  ses  ordres  21  bataillons  et  quehjucs  escadrons.  «  Il 
est  à  présent,  lui  mandait  (1)  Ferdinand,  d'une  nécessité 
indispensable  d'attaquer  Cassel.  Je  conjure  V.  E.  de  faire 
sans  perte  de  temps  avec  ce  qu'elle  a  d'artillerie  et  de 
munitions.  Il  s'agit  non  seulement  de  prendre  Cassel,  mais 
d'étourdir  l'ennemi  en  le  pressai ;i  de  tous  côtés  à  la  fois.  » 
Une  telle  hâte  n'était  pas  f  \j«ylière  à  Lippe  qui,  pour 
expliquer  ses  retards  (2),  se  rejjtte  sur  le  maïKiue  defour- 
rages  qui  cause  la  ruine  du  service  de  transports,  et 
sur  les  soutTrances  de  ses  hommes,  campés  «  dans  de  mau- 
vaises huttes,  sans  paille,  n'ayant  guère  de  bois  pour  le 
chaull'age  ».  Trois  jours  plus  tard,  c'est  l'inqiossibilité  d'a- 
mener le  parc  d'artillerie  et  les  munitions  qu'il  invoque. 


(1)  Ferdinand  à  Schaumburg-Lippc,  Ober-Vorschulz,  17  février  l'Gt.  Wesl- 
piialcn.  V,  p.  fil. 

(2)  Schaumburg-Lippe  à  Ferdinand,  23  et  2Gféviier  1761.  Weslphalen,  V, 
94  et  95. 


SIKOE  DE  CASSEL. 


3i:) 


Ferdinand  lui  envoya  un  renfort  de  8  liataillons  et  pesa 
^mi  rgi(|uernent  sur  la  rrgence  du  Hanovre  pour  obtenir 
plus  de  chevaux  et  plus  de  voilures.  Enlin,  la  trancliéjî 
l'ut  ouverte  dans  la  soirée  du  1"  mars;  mais  les  travaux 
lurent  interrompus  dans  la  nuit  du  (»  au  7  par  un  vigou- 
reux (iU'ort  de  laj^arniion  :  «  L'ennemia  l'ait,  écrit  Li|)pe  (1  ,, 
une  ;;randc  sortie  ce  nîatin,  i\  la  pointe  du  ,iour;  il  a  atta- 
<{ué  la  tranchée  sur  tout  son  Iront,  il  a  percé  au  plus  fort, 
c'est-à-dire  sur  la  doulile  place  d'armes;  il  a  culbuté  h's 
régiments  (|ui  y  étaient,  et  chassé  généralement  toutes  les 
troupes  de  la  tranchée;  il  a  emmené  en  ville  les  V  mor- 
tiers et  encloué  un  canon  de  la  batterie  des  0  pièces  de  12. 
J'ai  rassemblé  deux  bataillons  débandés  c'était  Leib-Uegi- 
ment  des  llessois  et  les  (Irenadiers  de  NVangenheimi.  J'ai 
repris  avec  eux  la  tranchée  que  l'ennemi  allait  combler 
totalement  et  faisant  en  même  temps  avancer  des  troupes 
du  comp,  l'ennemi  s'est  retiré  laissant  une  mèche  allumée 
dans  le  dépAt  de  nos  bombes,  qui  a  sauté  en  l'air  et  causé 
un  désordre  affreux.  L'ennemi  a  ruiné  tout  à  fait  la  grande 
batterie  près  du  jardin  de  Du  Kosoy,  c'est-à-dire  le  tra- 
vail, car  les  pièces  n'y  étaient  pas  encore.  Les  troupes  qui 
devaient  détendre  cette  partie  ont  lâché  honteusement 
le  pied  sans  avoir  presque  souffert;  ceux  qui  étaient  dans 

la  place  d'armes  avancée  n'ont  pas  mieux  fait Nous 

sommes  bien  faibles  et  fort  neufs  en  fait  de  siège,  et  nous 
avons  en  tête  les  ennemis  les  plus  redoutables  du  monde 
dans  cette  partie  de  la  guerre  :  nous  sommes  après  à  nous 

rapiécer  et  à  raccommoder J'ai  donné  ordre  à  la  réserve 

de  faire  feu  sur  ceux  qui  abandonneront  la  parallèle.  Je 
crois  qu'il  n'y  a  eu  que  trop  de  monde  de  tués  et  blessés 
de  notre  part,  les  revers  de  la  tranchée  étaient  parsemés 
de  nos  morts,  et  l'on  ne  voit  que  bras,  jambes  et  corps 
sans  tôte,  et  têtes  sans  corps,  à  l'endroit  où  le  dépôt  a 


n 


ni4 


(1)  Lippe  à  Ferdinand,  7  mars  1761.  Record  Oflice 


m 


LA  GUEKRK  DE    SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


ÏÉ.  ' 


sauté.  »  .luL;é  rcsp.onsal)le  de  cette  affaire  qui  coûta  aux 
confédérés,  d'après  l'état  officiel,  liïï  officiers  et  soldats, 
le  général  Drevcs  fut  traduit  devant  un  conseil  de  guerre. 

En  réponse  à  un  appel  de  son  lieutenant,  Ferdinand  lui 
expédia  nn  nouveau  renfort  d'officiers  d'artillerie  et  de 
h  1/2  bataillons,  nui  porta  à  .'J3  1/2  jjataillons  l'effectif  des 
assiégeants;  la  construction  des  batteries  fut  reprise  avec 
un  regain  d'activité  mais,  dans  l'ensemble,  le  siège  de 
Cassel  ne  faisait  pas  grands  progrès.  Il  en  était  de  môme 
de  celui  de  Ziegenha^  n,  oùZuckmantel,  commandant  de  la 
place,  se  soutenait  avec  courage  contre  le  général  Schlei- 
ter.  A  Marburg,  le  chûteau  était  bloqué,  mais  les  belli- 
gérants avaient  conclu  une  convention  de  neutralité  pour 
la  ville.  Des  autres  postes,  aucun  n'était  encore  tombé  aux 
mains  des  confédérés. 

Telle  était  la  situation  quand  Broglie  revint  à  l'offen- 
sive, quoique  à  ce  sujet  il  ne  semble  pas  avoir  reçu  grand 
encouragement  de  la  part  de  sa  cour.  Dans  sa  corres- 
pondance, Cboiseul  paraît  plus  occupé  des  préparatifs 
do  la  campagne  procbaine,  qu'on  désirait  ouvrir  le  1  "■  mai, 
que  de  continuer  les  bostilités  pour  recouvrer  la  liesse;  le 
4  marS;  il  invite  Chevert  (1)  à  ne  pas  augmenter  les  déta- 
chements déjà  en  route  pour  la  grande  armée  ;  le  8,  il 
exprime  l'espoir  (2)  que  Broglie  pourra  renvoyer  les  régi- 
ments venus  (lu  Bas-Uhin  dans  un  délai  de  15  jours,  afin 
qu'ils  aient  le  temps  d'effectuer  leurs  réparations.  En 
effet,  le  maréchal  promet  (3)  de  les  restituer  le  plus  tôl 
possible,  'X  mais,  ajoute-t-il,  il  faut  commencer  par 
tAcher  de  sauver  le  château  de  Marburg  et  Ziogenhayn 
et  engager  les  ennemis  à  se  borner  à  garder  l'Eder  >;.  Lcj: 
garnisons  de  liesse  et  de  Irancfort  absorbint  un  total  de 
23.54-':  homme?,  il  ne  disposera,  pour  tenir  la  campagne, 

(t)  Choiseul  à  Chevert,  4  mars  l"Ot.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Choiseul  à  Broglie,  8  mars  17(il.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Broglie  à  Choiseul,  Wilbel,  Il  mars  l/Ul.  Archives  de  la  Guerre. 


BROGLIE  IlEPHEND  L'OFFENSIVE. 


91&; 


il 
si- 


que  d'une  quarantaine  de  mille  coml)attants.  Quant  à 
Cassel,  il  ne  songe  pas  à  eu  faire  lever  le  sirge  et  sou- 
met au  ministre  le  projet  d'une  convention  pour  l'évacua- 
tion  de  cette  place  et  de  celle  de  (îottingen. 

Aux  VO.OOO  Français,  le  prince  Ferdinand,  défalcation 
faite  des  troupes  employées  aux  sièges  et  l)locus,  pou- 
vait (1)  à  peine  en  opposer  îiO. 000.  Aussitôt  qu'il  se  rendit 
compte  des  intentions  agressives  de  lirogiie  dont  le 
quartier  général  avait  été  transféré  d'abord  à  Friedberg', 
ensuite  à  Ruizbach,  il  rappela  sur  les  rives  de  l'Ohm  ses 
divisions  cantonnées  depuis  (îruningen  et  Licli  j^isqu'à 
llungen  et  Schotten.  Le  13,  cette  ligne  de  postes,  qui 
couvrait  le  blocus  de  Giessen,  fut  repliée  et  remplacée  par 
l'avant-garde  française  sous  les  ordres  de  Clausen  et  de 
Kochambeau;  les  communications  avec  Giessen  se  trou- 
vèrent ainsi  rouvertes.  Le  1(»  mars,  il  y  eut  une  petite 
affaire  entre  le  corps  de  Sfainvillc  etcelui  du  prince  hérédi- 
taire aux  portes  de  GrOnberg-;  ce  dernier  se  retii'a  sur  Hom- 
l)urg' et  sur  l'Ohm:  Kochambeau  et  les  Fischer,  appuyés 
par  Poyannes,  s'avahcèrentsans  opposition  jus([u'à  Allen- 
dorf  ;  enfin,  le  poste  de  Kohesolms.  villagr  au  nord  de  la 
Lahn  et  de  Giessen,  abandonné  par  le  partisan  Scheiter, 
tomba  au  pouvoir  de  Cursay,  soutenu  par  le  chevalier  Du 
Muy  :  <(  Les  nouvelles  que  j'ai  eues  aujourd'hui,  écrit 
Broglie  (2i  de  Giessen  où  il  venait  de  se  transporter, 
tant  par  les  espions  que  par  les  postes  avancés,  sont 
que  les  ennemis  (|ui  étaient  entre  la  Lahn  et  l'Olim  ont 
repassé  cette  dernière  rivière,  et  qu'ils  n'ont  plus  en  deçà 
qu'un  poste  considérable  de  grenadiers  sur  la  hauteui" 
d'Amonobourg'.  On  dit  qu'ils  font  beaucoup  de  redoutes 
sur  les  hauteurs  de  la  rive  droite  de  l'Ohm ,  et  qu'ils 
y  ont  placé  beaucoup  de  canons;  cela  est  très  vraisem- 


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(1)  58  bataillons  à  :?00  liomntes,  et  IDO  escadrons  à  100.  Weslplialen,  V. 
('■>.)  Ui'oglie  à  Choiseul,  Giessen,  17  mars  17t>l.  Archives  Un  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  AXS.  —  CHAP.  V. 


blable,  mais  c'est  un  travail  assez  inutile,  la  nature  du 
terrain  étant  plus  que  suffisante  pour  empêcher  qu'on 
ne  puisse  forcer  le  passage  de  cette  rivière  depuis 
Liniburg  jusqu'à  son  embouchure  dans  la  Lahn,  dès  qu'il 
sera  défendu.  »  Le  maréchal  annonce,  pour  le  lende- 
main 18,  un  mouvement  général  en  avant  sur  les  deux 
rives  de  la  Lahn  et  vers  l'Ohm.  Comme  le  prince  Fer- 
dinand, il  signale  le  manque  de  foin  et  les  défectuosités 
des  moyens  de  transport  pour  le  pain  qu'il  lui  faut  tirer 
de  Francfort  :  «  La  disette  de  fourrage  est  extrême,  je 
ne  néglige  rien  pour  nous  procurer  tout  ce  qui  en  reste 
dans  le  pays  ot  pour  le  faire  ménager.  »  A  Gicssen, 
Broglic  reçut  de  bonnes  nouvelles  de  Gottingen  et  de  Cas- 
sel.  Autour  de  la  première  place  (1  ),  Belzunce  «  continuait 
ses  promenades  à  quatre  lieues  à  la  ronde,  ramassant  des 
subsistances  en  avoines  et  en  bestiaux  »,  et  enlevant  des 
partis  ennemis.  Le  siège  de  Cassel  ne  progressait  ([ue 
lentement  :  «  J'espère,  écrivait  le  comte  (2)  de  Broglie, 
que  M.  de  Zuckmantel  et  moi,  nous  vous  donnerons  le 
temps  d'arriver.  Quant  à  moi,  jo  crois  pouvoir  vous  en 
répondre,  surtout  si  M.  de  Buckeburg  (3)  ne  va  pas  plus 
vite.  Il  est  cependant  venu  à  bout  d'achever  sa  seconde 
parallèle.  Ils  ont  aussi  construit  des  batteries  et  tirent  de- 
puis le  10  avec  treize  pièces  de  canon  et  deux  mortiers. 
Jusqu'à  présent,  ils  font  plus  de  mal  à  la  ville  qu'aux 
fortifications  et  à  nos  troupes.  Les  plus  habiles  ignorent 
le  but  qu'a  son  artillerie;  la  nôtre  (]ue  je  ménage  avec 
soin  fait  assez  d'effet,  et  j'ai  des  munitions  pour  tirer  en- 
core pendant  30  jours  à  mille  coups  par  jour,  ce  qui  est 
beaucoup  plus  que  je  n'en  tire  ordinairement.  »  Ces  bons 
avis  décidèrent  le  maréchal  à  ne  pas  renouveler  les  pour- 

(1)  Vault  à  Broglie,  Gottingen,  Il  mars  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Comte  de  Uroglie  au  inarcclial,  Cassel,  14  mars   17(11.  Archives  de  la 
Guerre. 

(3)  Autre  litre  du  comte  de  Schuumburg-Lippe. 


COMBAT  DE  GRUNBEHG. 


811 


parlers  qu'il  avait  été  autorisé  à  ouvrir  pour  l'évacuation 
des  deux  forteresses.  Cependant,  il  ne  croit  pas  possible 
d'efFectuer  la  traversée  de  i'Olim  par  une  attaque  de  front  ; 
])eut-être  atteindra-t-il  son  objectif  par  un  mouvement 
tournant,  mais  (1)  :  «  Si  d'ici  à  quatre  jours  les  ennemis 
ne  s'en  vont  pas,  nous  serons  obligés  de  faire  rétro- 
grader notre  droite.  » 

Le  19  mars,  Broglie  visita  le  château  de  Marburg  dont 
l'investissement  avait  été  levé.  Le  même  jour,  l'aide  de 
camp  de  la  Rozière,  avec  une  patrouille  de  Fischers, 
faillit  surprendre  le  prince  Ferdinand;  une  décharge 
dispersa  l'escorte  ;  sur  place  on  ramassa  «  plusieurs  cha- 
peaux bordés  d'or  et  des  sabres  d'officiers  »  ;  entre  autres 
trophées  on  rapporta  la  lunette  (2j  du  prince  que  Broglie 
lui  renvoya  fort  gracieusement  le  soir  même.  Une  ren- 
contre plus  sérieuse  eut  lieu  le  21  :  Stainville  avait 
reçu  ordre  de  se  porter  sur  Laubach  et  Griinberg,  pen- 
dant que  Clausen  se  dirigerait  sur  Stangenroth  pour 
inquiéter  les  confédérés  qu'on  savait  postés  dans  les  en- 
virons de  Griinberg.  D'autre  part ,  Ferdinand  (3)  se  sen- 
tant menacé  sur  sa  droite,  s'était  décidé  à  riposter  par 
Uîc  contre-attaque  sur  le  centre  de  la  ligne  française; 
t  -.el  effet,  le  prince  héréditaire  avec  «  12  des  meilleurs 
'  l  .i'  plus  forts  bataillons  et  avec  27  escadrons  de  ca- 
vaici-i^  »  fut  chargé  de  pousser  une  pointe  sur  Griinberg 
pour  se  rendre  compte  de  «  la  véritable  position  des 
quartiers  ennemis  et  de  faciliter  au  reste  de  l'armée  les 
moyens  de  déboucher  sur  eux  ».  Le  prince  en  était 
encore  à  sa  reconnaissance  du  terrain  quand  le  canon 
se  fit  entendre  du  côté  de  Laubach;  on  apprit  bientôt 
que  la  division  de  Liickner,  ([ui  occupait  cette  localité, 
était  en  pleine   retraite.    Il  n'y   avait  pas  un  instant  à 

(1)  Broglie  à  Choiseul,  Giessen,  20  mars  ITiîl.  Archives  de  la  Guerre. 

('2)  Manners,  Life  of  Lord  Granby,  p.  189. 

(3)  Ferdinand  à  Iloldernessf,  Tlialeni,  30  mars  1701.  Record  Office. 


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318 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


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perdre  pour  rasscml)ler  les  troupes  et  pour  se  retirer  de- 
vant les  Français  évidemment  supérieurs  en  nombre, 
liroglie  ne  laissa  pas  à  son  adversaire  le  temps  d'achever 
la  concentration.  Nous  emprunterons  (1)  à  son  récit,  d'ail- 
leurs conforme  à  la  version  allemande,  les  détails  du 
combat  :  «  Je  joignis  M.  de  Stainville  en  deçà  de  Griin- 
berg  sur  la  hauteur  d'où  je  vis  déboucher  ses  quatre 
colonnes  (des  confédérés)  qui  arrivèrent  en  môme  temps 
en  très  bon  ordre...  Qi'elques  coups  de  canon  et  de  fusil 
que  nous  entendîmes  sur  notre  droite,  et  qui  se  rap- 
prochaient toujours  de  noiib,  nous  firent  connaître  que 
les  ennemis  avaient  abandonné  Laubach,  et  que  M.  de 
Diesbach  qui  était  chargé  de  cette  attaque  les  suivait. 
M.  de  Stainville  fit  avancer  par  la  droite  le  régiment  de 
Scliomberg  soutenu  de  la  brigade  de  cavalerie  allemande 
pour  monter  sur  la  hauteur  et  couper  la  retraite  au.v 
troupes  que  M.  de  Diesbach  poussait  devant  lui.  L'infan- 
terie marcha  droit  sur  Griinberg,  et  M.  de  Scey  qui  s'é- 
tait porté  sur  (a  hauteur  de  la  gauche  avec  les  dragons 
du  Roy  et  de  La  Ferronnaye,  eut  ordre  de  s'avancer  jus- 
qu'à la  hauteur  de  Stangenroth.  » 

Clauscn  se  montra  en  même  temps  sur  la  gauche  avec 
deux  régiments  de  dragons  et  bon  nombre  de  troupes 
légères.  Le  prince  héréditaire  était  posté  au  village  d'At- 
zenhain  «  qui  est  couvert  par  un  étang  et  beaucoup  de 
ravins  ».  Menacés  sur  leurs  deu.t  tlancs,  les  confédérés 
ne  défendirent  pas  leur  position.  «  De  ^.e  village  nous 
vîmes  sortir  un  gros  corps  d'infanterie  en  colonne  et  quel- 
ques escadrons  qui  prirent  le  chemin  du  bois  qui  en  était 
très  proche.  M.  de  Ciozen  se  mit  i.  la  tête  des  deux  esca- 
drons qui  formaient  le  régiment  de  Caraman,  et  suivi  des 
deux  d'Orléans  et  des  volontaires  à  cheval,  marcha  à  la  ca- 
valerie qui  gagna  le  bois  sans  l'attendre,  et  se  rabattant 

(1)  Broglie  à  Choiseul,  Giessea,  22  mars  17GI.  Archives  de  la  Guerre. 


DÉFAITE  DU  PRINCE  HÉRÉDITAIRE. 


319 


ensuite  sur  sa  gauche,  il  attaqua  avec  tant  d'audace  et  de 
vivacité  ia  colonne  d'infanterie,  malgré  Je  feu  qu'elle 
faisait,  qu'il  la  perça  et  la  longeant  ensuite  de  la  queue  ù 
la  tête,  y  mit  le  plus  furieux  désordre  et  y  fit  beaucoup 
de  prisonniers.  Les  dragons  de  la  brigade  du  Roy  les  joi- 
gnirent alors,  et  tous  ensemble  poussèrent  avec  la  môme 
vivacité  les  ennemis  jusques  au  delà  d'un  bois  clair.  En 
arrivant  dans  la  plaine,  ils  furent  re<;us  par  la  cavalerie 
ennemie  qui  les  chargea  et  comme  ils  étaient  assez  en 
désordre,  ils  turent  repoussés  jusqu'au  second  escadron 
de  La  Ferronnaye  qui  fit  ferme  et  la  chargea  à  son  tour, 
favorisé  par  une  décharge  de  mousquctcrie  des  volon- 
taires de  Saint-Victor.  Les  ennemis  plièrent;  tous  les  vo- 
lontaires et  dragons  se  mirent  à  leur  suite  et  les  pous- 
sèrent jusqu'au  village  de  Burgemunde  où  ils  repassèrent 
l'Ohm  en  très  grande  confusion.  » 

L'attitude  énergique  de  Liickner  et  une  faute  de  la  bri- 
gade de  Uoyal  Allemand  sauvèrent  les  confédérés  d  un  dé- 
sastre. Royal  Allemand  avait  reçu  l'ordre  de  tourner  le 
bois  et  de  prendre  position  dans  la  plaine  que  l'ennemi  avait 
à  traverser  pour  gagner  Burgemunde;  mais  il  se  laissa 
arrêter  par  le  feu  d'une  batterie  que  Liïckner  avait 
établie  sur  les  hauteurs  du  village  de  Niedcr-Ohmen,  et 
devant  laquelle  il  aurait  fallu  défiler. 

D'après  le  rapport  de  Ferdinand,  son  neveu  aurait  été 
surpris  et  «  enveloppé  de  tous  côtés  à  la  fois  par  des 
gros  de  cavalerie  et  par  des  colonnes  d'infanterie.  11  aurait 
pu,  malgré  leur  nombre,  se  débarrasser  de  leurs  mains, 
du  moins  sans  aucune  perte  considérable,  si  l'infanterie 
oiit  fait  tout  ce  qu'elle  devait  faire,  et  si  la  cavalerie 
ne  l'eût  lâchement  abandonné  ».  De  l'aveu  du  prince, 
la  déroute  fut  complète  :  «  Deux  bataillons  d'Iiiiholf,  un 
bataillon  du  régiment  du  corps,  le  régiment  de  Roedcn 
et  une  partie  de  ceux  d'IIalberstadt  et  de  LafTert,  furent 
forcés  de  mettre  les  armes  bas.   »  Deux  mille  prison- 


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830 


LA  GUE:I.Œ  de  sept  ans.  —  CHAP.  V. 


niers,  11  canons,  19  drapeaux  restèrent  au  pouvoir  des 
vainqueurs.  Ceux-ci  n'eurent  qu'environ  200  liommes 
hors  de  combat.  Parmi  les  confédérés  tués  et  blessés, 
beaucoup  plus  nombreux,  fut  compris  le  g-énéral  Roeden 
qui  refusa  de  se  rendre  et  fut  tué  par  un  dragon  de  Ca- 
raman. 

Comme  conséquence  de  la  défaite  du  prince  hérédi- 
taire, Ferdinand  s'était  attendu  (1)  à  une  attaque  géné- 
rale de  la  part  de  Broglie;  celle-ci  ne  s'étant  pas  pro- 
duite au  cours  des  deux  jours  qui  suivirent  l'aifaire,  il  se 
décida  à  continuer  sa  retraite.  Dans  une  letlre  au  roi  de 
Prusse  (2),  il  expose  les  raisons  qui  l'ont  amené  à  cette 
résolution  :  «  Ce  n'est  pas  cette  perte  (le  combat  de  Grun- 
berg)  seule  qui  m'accable;  le  manque  de  subsistances  s'y 
joint,  et  l'ennemi  étant  parvenu  à  me  couper  les  seules  res- 
sources que  j'avais,  il  ne  me  reste  d'autre  parti  qu'à  opter 
entre  l'alternative  de  me  replier  ou  d'attaquer  l'armée  en- 
nemie. En  me  repliant,  je  dois  le  faire  jusqu'à  me  mettre  à 
portée  du  Weser,  sans  quoi  tout  doit  périr  de  faim,  vu  que 
j'entre  dans  cette  partie  de  la  Hesse  qui  n'est  plus  qu'un 
désert  affreux.  En  attaquant  l'ennemi,  je  ne  puis  le  faire 
qu'en  sortant  de  mes  avantages,  pour  l'attaquer  dans  les 
siens.  Il  faut  passer  l'Ohm  pour  marcher  sur  GrOnberg  et 
Giessen  oîi  le  gros  de  l'armée  française  se  trouve  encore; 
pendant  que  j'exécute  ce  mouvement,  je  me  mets  les  troupes 
du  Bas-Rhin  qui  sont  à  Marburg  et  à  Wetter  à  dos;  si  je 
marche  sur  celles-ci,  le  maréchal  passe  l'Ohm  et  se  met 
sur  mon  flanc.  Si  je  suis  battu,  nous  sommes  absolument 
perdus  sans  ressource.  Je  n'aime  pas  à  grossir  les  ob- 
jets, mais  je  crois  pouvoir  évaluer  l'armée  française  à 
40.000  combattants.  J'ai  tout  au  i)lus  16.000  hommes 
d'infanterie  et  5.000  chevaux.  C'est  en  quoi  toute  l'armée 

(1)  Ferdinand  à  Holdernesse,  Thalcm  (Dalheiin).  30  mars  17G1.  Record 
Office. 

(2)  Ferdinand  à  Frédéric,  Maulbacii,  23  marsl'Gl.  Wcstplialcn,  V,  p.  220. 


COMBAT  DE  LEINSFELD. 


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consiste,  exclusivement  8  ou  10.000  hommes  qui  sont 
devant  Cassel.  »  Ferdinand  dépeint  le  délabrement  de 
ses  forces,  surtout  du  contingent  anglais  :  8  bataillons 
anglais  qui  sont  îivec  lui  ne  font  pas  effectivement  700  boin- 
mes  quoiqu'ils  n'aient  pas  été  au  feu  :  «  Dans  cette  situa- 
tion, conclut-il,  je  pense  ([ue  le  meilleur  est  de  nie  repliei- 
à  petits  pas;  peut-être  gagnerais-je  encore  8  jours  avant 
que  l'ennemi  puisse  s'approcher  avec  le  gros  de  son 
armée  de  Cassel.  Si  en  attendant  la  ville  tombe,  je 
pourrai  me  relever,  si  elle  ne  tombe  pas,  mon  expédi- 
tion est  manquée...  S'il  me  reste  un  rayon  d'espérance, 
c'est  celui  de  voir  promptement  reparaître  sur  la  Werra 
un  corps  de  troupes  prussiennes;  si  V.  M.  me  refuse  ce 
secours,  je  dois  tout  abandonner  à  mon  étoile.  » 

Conformément  au  parti  adopté,  le  gros  des  confédérés 
leva  son  camp  daus  la  nuit  du  23  au  2ï  mars  et  gagna 
en  deux  marches  les  environs  de  Ziegenhayn,  où  il  ne 
séjourna  qu'un  jour;  le  26,  Ferdinand  avait  son  quartier 
général  à  Braunau,  près  de  Wildungen;  le  lendemain, 
son  armée  franchit  l'Eder  enire  Fritzlar  et  Weden  et, 
le  30  mars,  lavant-garde  était  contonné'î  sur  la  rive  gau- 
che de  la  Dymel;  de  Braunau,  le  prince  avait  écrit  au 
comte  de  Lippe  de  préparer  la  levée  du  siège  de  Cassel. 

Au  cours  de  ce  recul  de  huit  jours  qui  avait  conduit  les 
confédérés  des  bords  de  l'Ohm  à  ceux  de  la  Dymel,  il  y  eut 
des  rencontres,  toutes  à  l'avantage  des  Français.  Soit 
manque  de  vivres,  soit  prudence  stratégique,  Broglie 
n'essaya  pas  de  profiter  du  succès  de  Grimb^rg  pour 
entamer  l'adversaire;  il  se  borna  à  pousser  un  détache- 
ment sous  Lorigny,  dans  la  direction  de  Corbach,  avec 
ordre  de  détruire  ses  magasins  et  d'inquiéter  son  flanc 
droit.  Aussitôt  prévenu  du  départ  dos  confédérés,  il  les 
lit  suivre  par  Rochambeau  et  Montchenu  (qui  remplaçait 
Clozen  blessé  à  Griinberg)  avec  les  troupes  légères  et  un 
contingent  de  cavalerie. 


(iUEllRE    DE   SKI'T    ANS.    —    T.    IV. 


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322 


LA  GUERRK  DK  SKI'T  ANS.  —  CHAP.  V. 


Le  25  mars  (1),  Montchenu  arriva  à  Zicgenhayn,  em- 
prunta à  la  garnison  deux  canons  et  quelques  piquets 
d'infanterie,  et  se  mit  à  la  poursuite  du  corps  de  Schleiter 
qui  venait  d'abîindonner  l'entreprise  contre  la  place  et 
qui  était  en  route  pour  rallier  l'armée  de  Ferdinand.  Il 
rejoignit  les  confédérés,  «  les  chassa  du  village  de  Leins- 
feld  où  ils  s'étaient  arrêtés,  quoiqu'on  ne  piU  y  abor- 
der que  par  une  digue  entre  deux  marais;  et  les  ayant 
suivis  au  delà  de  ce  village,  M.  de  VignoUes  attaqua 
si  vivement,  avec  les  volontaires  soutenus  des  dragons, 
une  colonne  d'infanterie  qui  se  retirait  dans  le  meil- 
leur ordre,  que  s'étaiit  jeté  lui  sixième  au  milieu  du 
bataillon  <pie  faisait  l'arrière-garde,  il  y  prit  lui-même 
un  drapeau  et  un  de  ses  volontaires  un  autre,  et  mit  un  si 
grand  désordre  dans  la  colonne  que  l'on  prit  encore  un 
troisième  drapeau,  deux  pièces  de  canon,  les  généraux 
majors  de  Zastrow  et  de  Schleiter,  une  douzaine  d'officiers 
et  au  delà  de  300  prisonniers  ».  Broglie,  de  la  relation 
duquel  nous  avons  tiré  ce  récit,  ajoute  certains  détails 
sur  le  siège  :  «  Cette  affaire  finissait  comme  j'arrivais 
au  delà  de  Ziegenhayn,  et  j'y  vis  rentrer  les  drapeaux, 
le  canon,  les  généraux  et  les  prisonniers.  M.  le  marquis 
de  Poyannes  et  M.  de  Rochambeau  vinrent  m'y  joindre, 
et  y  couchèrent  ainsi  que  moi;  le  gîte  ne  fût  pas  bon, 
les  bombes  ayant  presque  entièrement  détruit  les  maisons, 
et  il  on  reste  à  peine  quelqu'unes  d'habitables.  Les 
ennemis  n'ont  presque  pas  tiré  contre  les  fortifications, 
et  ils  ont  paru  n'en  vouloir  qu'au  dedans,  et  espérer  par 
là  de  faire  rendre  la  place.  M.  de  Zuckmantel  est  très 
content  de  sa  garnison  et  sa  garnison  de  lui;  elle  a 
témoigné  beaucoup  de  courage  et  de  gaieté,  quoique  très 
incommodée  des  bombes  et  des  boulets  rouges.  » 

Le  26,  il  y  eut  une  petite  escarmouche  entre  le  prince 

(1)  BrogUe  à  Choiseul,  Tieyza,  27  mars  1761.  Archives  de  la  Gui'irc. 


FERDINAND  SE  RETIRE  SUR  L\  DYMEL. 


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héréditaire,  qui  faisait  rarrière-garde  des  confédérés,  et  le 
général  de  Poyannes.  A  noter  un  incident  qui  illustre  les 
mœurs  militaires  de  l'époque.  «  Peu  de  moments  aupa- 
ravant, écrit  Broglie,  M.  le  Prince  s'était  avancé  à  son 
ordinaire  pour  parler  et  avait  eu  une  conversation  avec 
M.  de  Rochamheau;  M.  de  Poyannes  y  était  aussi  venu  sur 
la  fin.  »  L'entretien  à  peine  achevé,  le  combat  com- 
mença; il  se  termina  par  la  capture  d'un  aide  de  camp 
du  prince,  le  colonel  Jeanneret,  commandant  des  hus- 
sards de  Malakowsky  et  d'une  soixantaine  de  hussards; 
les  cavaliers  français  s'étaient  emparés  de  4  canons,  dont 
ils  ne  pureni  emmener  qu'un  seul.  Au  passage  de  la 
Schwalm,  Broglie,  qui  s'était  joint  à  son  avant-garde, 
chercha  sans  succès  à  entamer  la  division  de  Lûckner. 
Ce  général  «  a  très  bien  manœuvré  toute  la  journée,  et 
il  faut  que  son  infanterie  ait  presque  toujours  couru  pour 

avoir  pu  s'éloigner  avec  la  rapidité  qu'elle  a  fait la 

vivacité  de  cette  reconduite  encourage  nos  troupes  et 
ne  donne  pas  sûrement  de  l'audace  aux  leurs.  Tous  les 
prisonniers  et  déserteurs  disent  qu'il  y  a  quinze  jours 
qu'ils  couchent  au  bivouac,  sans  entrer  dans  les  vil- 
lages; ils  sont  très  déguenillés  et  paraissent  soulfrir  beau- 
coup ». 

Malgré  la  démoralisation  qu'il  constate  chez  les  en- 
nemis, Broglie  ne  peut  croire  (1)  qu'ils  abandonnent  la 
ligne  de  l'Eder;  cependant  dans  l'espoir  de  les  déter- 
miner à  un  nouveau  recul,  «  il  fera  marcher  une  grande 
partie  de  l'armée  pour  se  rapprocher  de  Ziegenliayn  dans  la 
journée  du  29.  Comme  M.  de  l'Isle,  faute  de  caissons,  ne 
peut  pas  me  fournir  du  pain,  plus  loin  que  cette  place,  je 
serai  obligé  d'attendre  la  distribution  du  31  pour  faire  un 
mouvement  en  avant  sur  la  Schwalm,  qui  ne  peut  être  de 
durée,  dont  je  n'espère  pas  le  succès  que  j'en  désire, 

(1)  Broglie  à  Choiseul,  Treyza,  28  mars  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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834 


LA  GUKRIIK  DK  SKl»T  ANS. 


CHAI».  V. 


mais  que  je  serais,  je  crois,  coudamiuiblc  de  ne  pas  teuter, 
vu  qu'il  ne  me  compromettra  point,  et  que  s'il  y  a  un 
moyen  de  faire  retirer  reiinemi,  c'est  de  lui  faire  crain- 
dre d'ôtrc  attaqué,  ((uoique  dans  le  poste  qu'il  occupe 
cela  soit  aussi  impossible   que   dans    celui  derrière    la 
Dymel  ».  Dans  une  lettre  auto^^raphe  écrite  le  lendemain 
à  Choiseul,  il  revient  sur  son   projet  de  la  veille  et    le 
confirme.  «  Si  Cassel  était  muni  de  magasins  de  vivres 
et  de  fourrages  pour  pouvoir  nourrir  l'armée  seulement 
pendant  deux  ou  trois  distributions,  je  vous  répondrais, 
je  crois,  d'y  pénétrer  soit  par  Ja  rive  droite  de  la  Fuide, 
soit  par  l'Eder,  mais  si  nous  approchions  de  cette  place, 
nous  l'alfamerions  dans  un  moment,  et  l'armée  ne  pourrait 
séjourner  à  portée,  aussi  longtemps  qu'il  serait  nécessaire 
pour  y  faire  parvenir  un  convoi  de  farines  suffisant  pour  la 
ravitailler.  Il  faut  donc  se  borner  à  ce  que  je  vous  marque 
dans  ma  dépêche  :  avancer  l'armée  jusqu'aux  environs 
de  Ziegenhayn  et  Treyza,  y  prendre  notre   pain  le  31, 
nous  avancer  ensuite  par  notre  droite   vers  la  Fulde  et 
l'Kder,  faire  mine  de  vouloir  attaquer  les  ennemis,  cher- 
cher à  le  leur  faire  craindre,  et  voir  si  cela  les  engagera 
à  quitter  Fritzlar;  ils  ne  le  feront  certainement  pas  pour 
cela,    à  moins  qu'ils  n'y  soient  forcés  par  la  faim,  ou 
qu'une  terreur  panique  ne  se  soit  emparée  d'eux,  ce  qui 
n'est  nullement  croyable » 

Quelques  heures  après  avoir  tracé  ces  lignes,  Broglie 
apprit  à  la  fois  un  succès  d'un  de  ses  subordonnés  et 
la  levée  du  siège  de  Cassel.  I^e  premier  fait  n'avait 
qu'une  importance  très  relative  :  Dorigny,  qui  avait  été 
dépêché  pour  inquiéter  les  derrières  de  l'armée  confé- 
dérée, avait  cerné  et  fait  prisonnier  un  bataillon  de  la  lé- 
gion britannique  détaché  au  blocus  de  Waldeck;  il  fut 
grièvement  blessé  dans  l'action. 

Les  incidents  qui  terminèrent  le  siège  de  Cassel  néces- 
sitent quelques  développements  :  En  dépit  de  l'échec  du 


LEVEK  DU  SIKGE  DE  CASSEL. 


:J25 


7  mars,  les  travaux  d'approche  avaient  (Hé  repris;  une 
nouvelle  sortie  de  la  garnison,  effectuée  dans  la  matinée 
du  17,  avait  été  repousséc,  mais  malgré  ces  résultats  pm- 
liels  Lippe  se  montre  (1)  peu  confiant  diiiis  l'issue 
finale,  «  Il  est  fort  incertain  si  je  prendrai  la  place  avec  les 
forces  qu'il  y  a  ici.,.  COO  hommes  de  ce  corps  sont  péris 
au  siège,  sans  ce  qui  est  mort  de  maladie,  et  je  ne  vois 
arriver  ni  recrues,  ni  reconvalescents.  » 

Au  contraire,  le  comte  de  Hroglie  était  plein  d'espoir, 
Kn  rendant  compte  à  son  frère,  il  donne  (2)  son  avis  sur 
la  rédaction  du  projet  de  capitulation  que  la  cour  de  Ver- 
SJiilles  avait  autorisé,  mais  il  ne  croit  pas  l'instant  venu 
d'entrer  en  pourparlers,  car  il  a  encore  des  munitions 
pour  un  mois;  il  avait  consommé  4,355  coups  de  canon 
et  82.000  cartouches,  alors  (ju'il  reste  .'}0,000  des  premiers 
et  1  million  des  secondes.  Cependant,  s'il  est  obligé  de  né- 
gocier, il  préviendra  le  comte  de  Lippe  (ju'il  a  pour  ins- 
truction de  brûler  la  ville  neuve,  l'orangerie  et  générale- 
ment tous  les  faubourgs  ou  entours  de  la  ville  au  moment 
où  le  siège  commencerait  à.  prendre  une  forme  sérieuse, 
«  S'il  vient  à  consentir  à  la  capitulation,  de  rendre  la  ville 
en  sortant  avec  tout,  ce  sera  à  vous  de  décider,  étant  instruit 
de  notre  situation.  S'il  m'otfre  cette  capitulation  sans  me 
permettre  d'envoyer  prendre  vos  ordres,  je  l'accepterai 
et  la  ferai  en  même  temps  pour  Gottingen  comme  vous 
me  le  prescrivez;  je  compte  que  cet  article  ne  souffrira 
pas  beaucoup  de  difficultés  de  leur  part.  Si  enfin  ils  ne 
veulent  m'accorder  d'autre  capitulation  que  prisonniers 
de  guerre,  je  ferai  brûler  orangerie,  ville  neuve,  fau- 
bourgs, etc.  Nous  nous  défendrons  ensuite  jusqu'à  la  der- 
nière extrémité ,  souiiaita  nt  ardemment  que  cela  vous  donne 
ou  à  l'armée  du  Bas-Rhin,  le  temps  de  nous  secourir    » 


(1)  Scliaumburg-Lippe  à  Fenlinaiul.  Wolfsan^er,  17  mars  l/fll.  Weslpha- 
leii,  V,  p.  190. 
(!?)  Comte  de  Broglie  au  Mairchal,  21  mais  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GlIKHRK  DK  SKPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


En  aftcndant.  les  opérations  cootinuaiont  :  le  2.'î,  los 
Ilanovi'iens  enlovèront  une  limette  faisant  partie  des 
ouvr.iges  extérieurs,  mais  elle  fut  presque  aussitôt  re- 
prise par  deux  bataillons  de  Belsunce.  Le  25,  Lippe,  en 
ré[)oiise  (1)  à  l'avis  le  prévenant  de  la  retraite  des 
confédérés  sur  l'Eder,  prie  le  prince  Ferdinand  de 
veiller  îV  la  couverture  du  siège ,  dont  les  travaux 
absorberont  tout  ce  qu'il  y  a  de  disponible;  plusieurs 
de  ses  pièces  sont  hors  de  service,  deux  pièces  de  2ï 
sont  crevées,  les  servants  font  défaut;  «  l'artillerie  de  la 
place  a  trop  de  Jeu;  le  nombre  de  pièces  de  batteiie 
que  nous  avons  ici  est  trop  petit  pour  faire  taire  en  peu 
de  temps  l'artillerie  de  la  place  ». 

A  la  réception  de  cette  dépêche,  Ferdinand  renonça  à 
tout  espoir  de  s'emparer  de  Cassel,  ne  pensa  plus  qu'il 
lever  le  siège  sans  perdre  ses  canons  et  sans  être  entamé 
par  l'ennemi;  il  donna  des  instructions  en  conséquence. 
L'évacuation  des  tranchées  s'accomplit  (2),  le  28,  à  six 
heures  du  matin,  sans  autre  opposition  qu'une  canon- 
nade plus  bruyante  qu'efficace;  les  canons  et  mortiers 
furent  embarqués  sur  les  bateaux  qui  les  avaient  appor- 
tés, la  troupe  sortit  «  tambour  battant  et  enseignes  dé- 
ployées »  et  alla  s'établir  sur  les  hauteurs  de  Wolfsanger. 

Dans  la  nuit  du  28  au  29,  le  maréchal  de  Broglie  fut 
avisé  du  départ  de  Lippe;  il  annonce  (3)  aussitôt  à 
Choiseul  son  intention  de  se  rendre  à  Cassel  et  ajoute  : 
«  .l'envoie  des  ordres  aux  troupes  qui  étaient  en  marche, 
pour  s'arrêter  où  elles  sont,  et  dès  demain,  je  ferai  une 
disposition  pour  un  emplacement  général  de  quartiers  et 
pour  renvoyer  les  troupes  du  Bas-Rhin.  »  Broglie  fit  son 


(1)  Schaumburg-Lippc  à  Ferdinand,  Wolfsanger,  '25  mars  1761.  Westplia- 
len,  V,  p.  '2'25. 

{'i)  Schaumburg-Lippe  à  Ferdinand,  liiringshausen,  28  mars  1761.  Westplia- 
Ien,V,  p.  241. 

(;i)  Broglie  à  Choiseul,  Treyza,  29  mars  176*.  Arcfiives  de  la  Guerre. 


imoc.UK  RKISTRK  A  CASSKL. 


327 


entrée  à  Cnssel  le  -2!),  escorté  de  'i.'iO  chevaux  de  la  légio»  ; 
il  lit  poursuivre  les  confédérés  et  leur  enleva  2(H)  ti'ai- 
nards.  «  dette  armée,  écrit-il  (1)  d  propos  de  l'adversaire, 
•'st  dans  le  délabrement  le  [)lus  .^rand  et  man(|ue  absolu- 
ment de  tout.  "  Aussi  est-il  complètement  rassuré  sur  la 
tran(piillité  dont  jouiront  ses  soldats,  qu'il  va  installer 
dans  leurs  quartiers  d'hiver  :  «  Comme  le  pays  est  totale- 
ment mangé  et  que  les  troupes  que  j'aurais  fait  venir  jus- 
qu'ici n'auraient  pu  y  subsister  que  du  petit  magasin  ([ui 
est  dans  cette  place  qui  aurait  été  bientôt  épuisé,  je  les  ai 
fait  demeurer  dans  leurs  cantonnements,  en  sorte  qu'il 
n'y  a  pas  ï.OUO  hommes  ([ui  aient  passé  la  Schwalm,  et 
que  250  chevaux  de  la  légion  sont  les  se  t;s  troupes  qui 
soient  venues  à  Cassel.  J'ai  fait  aujourd'hui  l'arrangement 
général  pour  le  renvoi  des  troupes  du  Itas-Khin  à 
Cologne,  et  de  celles  qui  restent  à  mes  ordres  pour  aller 
dans  leurs  quartiers.  Comme  il  est  certain  que  les  ennemis 
ne  repasseront  ni  la  Dymel  ni  l'Kder  pour  venir  nous 
rattaquer,  je  n'ai  eu  égard  dans  la  disposition  que  j'en 
ai  faite  qu'à  la  commodité  des  subsistances  et  des  répara- 
tions, et  j'espère  moyennant  cela  que  l'armée  sera  réparée 
avant  que  les  subsistances  permettent  que  la  campagne 
s'ouvre.  »  En  ce  qui  le  concerne  personnellement  : 
«  Je  resterai  à  (ïassel  encore  8  ou  10  jours  pour  me  re- 
poser un  peu,  en  ayant  grand  besoin;  je  visiterai,  si  je 
puis,  Gbttingen  et  Waldeck,  et  je  me  rendrai  à  Franc- 
fort vers  le  15  du  mois  prochain.  » 

F^a  défense  de  Cassel  fait  honneur  au  comte  de  Broglie  ; 
livré  à  ses  propres  ressources  depuis  le  14  février  jus([u'au 
28  mars,  il  s'employa  activement  à  compléter  les  forti- 
fications de  la  ville,  effectua  plusieurs  sorties  heureuses  et 
répondit  victorieusement  au  feu  de  l'assiégeant;  sur  un 
ell'ectif  de    7.718    fantassins  et  375  cavaliers,   il   perdit 


(1)  Broglie  à  Choiseul,  Cassel,  31  mars  17G1.  ArchiTCS  de  la  Guerre. 


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II 


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338 


I.A  C.llKRUK  1)K  Si:i»T  ANS. 


CIIAl».  V. 


655  tués  et  l)lessés.  Il  avjiif  nirecté  les  Icniples  protes- 
tants (le  la  ville  au  service  iles  ambulances  et,  pour  inti- 
niidor  la  popiiJation,  avait  fait  dresser  wnvt  [)otence  sur 
la  place.  «  (Vest  le  seul  ac(«!  de  sévérité,  écrit-il  (1)  à 
(llioiseul,  au([uel  j'ai  été  ol»li,yé.  »  Comme  récompense,  il 
obtint  le  gouvernement  de  (^assel,  aux  appointements  de 
12.000  livres  avec  promesse  d'équivalent  à  la  paix. 

Le  commandant  de  (iliittingen,  le  comte  de  Vault,  avait 
é.nalement  droil  h  des  éloges;  profitant  de  la  liberté  rela- 
tive (juelui  laissèrent  les  détachements  confédérés  chargés 
de  surveiller  la  j)lace,  la  garnison  exécuta  des  excursions 
brillamment  menées,  dont  la  dernière  eut  lieu  le  27. 
Vault,  dans  sa  lettre  (2)  de  félicitations  au  gouverneur  de 
Cassel,  en  fait  la  relation  :  «  M.  le  vicomte  de  Belsunce  et 
M.  de  Durfort  ont  battu  le  27  M.  (îolignon,  le  Prussien,  à 
Northeim,  où  il  faisait  le  fanfaron  depuis  plusieurs  jours. 
On  l"i  a  taé  00  hommes,  fait  prisonniers  llk  soldats  et 
H  ofliciers  <'t  pris  deux  pièces  de  canon.  M.  de  Hclsunce 
est  retourné  à  la  chasse  hier  au  soir,  et  il  ne  reviendra 
pas,  suivant  les  apparences,  les  mains  vides.  J'espère  qm* 
la  con.munication  de  (lottingen  à  Cassel  sera  ouverte  de- 
main, si  elle  ne  l'est  pas  déjA.  J'ai  ici  huit  cents  prison- 
niers dont  je  voudiais  fort  être  débarrassé;  je  vous  prie 
d(^  rae  faire  l'honneur  de  me  rnand*  r  s'il  est  temps  «pie  je 
les  renvoie.  »  Kn  ce  qui  regarde  le  compte  des  prison- 
niers, la  campagne d'hivei'  de  Ferdinand  avaiteu  pour  ell'et 
de  diminuer,  dans  une  large  mesure,  le  compte  juscpi'alors 
favorable  aux  confédérés.  Dans  une  de  ses  premières 
lettres  de  Cassel,  le  maréchal  d(  Hroglie  mande  à  Choi- 
seul  qu'il  vient  de  rappeler  de  l'Alsace  3.000  hommes  ((ui 
attendaient  leur  échange;  il  désire  donner   un    tour  de 

(1)  Coinlc   tic  Itro^-lic   <\  (îhoi.seul,  Ca.sscl,  .t  avril    IVC)!.   Airliivcs    ili'  la 
r.ucrrc. 

(:>)  Vaul!  au  comte  de  hroj^iie,  ndtlingoii,  30  mars    17(11.  Archives   de  la 
Guerre 


■■*;v.  -r 


PERTES  DKS  CONKÉDKRÉS. 


3'.^.» 


choix  aux  soldats  dos  troupes  légères  et  aux  dragons  d<' 
Schombertr.  '  '  i 

Broglic  évalua  iï  18.000  hommes  la  perte  de  rarnu'e 
du  prince  Kordinaïul  pendant  les  mois  de  février  et  de 
mars  1701,  Cv  calcul  parait  exagéré,  mais  jI  en  juger  par 
la  réduction  des  ed'octifs  que  signale  Ferdinand  (1)  dans 
sa  correspondance  avec  la  cour  de  Londres  et  le  roi  de 
Prusse,  le  déchet  dut  être  important  :  «  Tout  le  fruit  de 
cette  expédition,  écvit-il  à  Iloldernesse,  se  réduit  à  la  prise 
et  à  la  destruction  des  magasins  que  l'ennemi  avait  sur  la 
Fulde  et  sur  la  Werra  ;  ce  qui  ne  saurait  manquer  de  re- 
tarder sa  campagne.  Si  je  gagne  six  semaines  de  temps, 
j'espère  (jue  les  tr()up<'s  lianovrieitnes  se  pourront  refaire, 
à  moins  que  les  maladies  ne  continuent  A  faire  des  ra- 
vages. Le  duc,  mon  frère,  vient  de  ni'assurer  que  ses 
troupes,  qui  ont  le  plus  souffert,  tant  dans  cette  expédi- 
tion que  précédemment,  par  les  maladies,  seront  remises 
en  état  de  servir  k  la  lin  du  mois  d'avril.  Mais  les  troupes 
hessoises  ne  pourront  point  se  c(»m|déter;  et  si  môme  les 
maladies,  qui  régnent  encore,  cessent,  je  crains  heau- 
c<)U[>  qu'il  y  reste  nn  vide  considérable.  Onanl  aux 
troupes  britanniques,  il  faut  de  nond)ienses  recrues,  et 
je  ne  saurais  m'empècher  de  témoigner  i^i  V.  Kxcellence 
que,  si  Ton  ne  nous  en  envoyait  de  boime  heure  et  ù 
temps,  il  ne  faut  point  espérer  d'en  tirer  le  service  cpi'il 
serait  à  souhaiter  d'en  pouvoir  tirei'.  Avec  tout  ceci,  je 
ne  <lois  pas  cacher  à  V.  K.  (|uc,  (pioi(pi('  le  pied  de  l'armée 
passe  les  90.000  hommes,  je  n'ai  jamais  pu  disposer  en- 
core de  70.000  condjaltanis,  même  dans  le  temps  on 
l'armée  était  dans  l'état  le  plus  (lorissanl.  Il  n'y  a  pas 
moyen  de  se  flatter  (pu»,  (piehpie  peine  cpie  je  me  donne, 
je  puisse  parvenir  à  remettre  un  pareil  nombre  sous  les 


(1;  FtMdinand  fi  lloldoriiossc,  Tlmloiii.  .10  mars  17(;i.  Ilocord  OITko. 
Fi'rdin.iiul  ù  Fit'idcrir,  llriiniu%  :tl  mais  I7<»l.  NVt'sl|ilialcii,  V,  p.   (52. 


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LA  GUERRE  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  V. 


armes,  surtout  si  la  campagne  dût  s'ouvrir  pendant  le 
cours  du  mois  de  mai.  Les  ennemis  ont  eu  très  peu  de 
malades  on  comparaison  des  nAtres.   » 

A  partir  du  l^""  avril,  les  hostilités  cessèrent  de  part  et 
d'autre.  Ferdinand  conserva  un  cordon  de  troupes  sur  la 
Dymel,  dont  la  défense  fut  assurée  par  la  coustruction  de 
nombreuses  redoutes  ;  le  reste  de  l'armée  alla  se  reposer 
et  se  réparer  en  Westphalie,  dans  l'éveclié  de  Padcrborn 
et  le  long-  du  Weser.  Du  côté  français,  les  garnisons  de 
Gottingen  et  des  places  de  la  liesse  furent  relevées  et  rem- 
placées par  des  etfectifs  plus  réduits  ;  une  vingtaine  de 
bataillons  cantonnèrent  à  Hirschfeld  et  dans  la  vallée  de  la 
Fulde;  les  régiments  venus  du  Rhin  furent  restitués  au 
corps  de  Soubise  qui  se  réunissait  sur  ce  fleuve  ;  ceux  qui 
devaient  faire  partie  du  commandement  de  Broglie  refluè- 
rent sur  Francfort,  Hanau  et  les  vallées  de  la  Lahu  et  du 
Mein.  Le  maréchal  de  Broglie,  accompagné  de  son  frère, 
s'établit  de  nouveau  à  Francfort  et  s'occupa  activement 
des  préparatifs  pour  les  opérations  de  l'été. 

En  résumé,  la  campagne  de  1760  avait  duré  9  mois; 
marquée  au  début,  comme  celle  de  1759,  par  de  brillants 
succès  pour  la  cause  française,  elle  avait  traîné  en  lon- 
gueur depuis  la  prise  de  Cassel.  Les  deux  adversaires  n'a- 
vaient obtenu  d'autre  résultat  que  de  se  tenir  mutuelle- 
ment en  échec.  Si  Ferdinand  avait  empêché  Broglie 
d'envahir  le  Hanovre,  par  contre  il  n'avait  pu  le  chasser 
de  la  Hcsse;  sa  diversion  sur  Wesel  et  la  rive  gauche 
du  Rhin  avait  échoué  et  malgré  le  vigoureux  elfort 
de  février  1761,  il  s'était  vu  obligé  d'abandonner  aux 
Français  la  Hesse  un  moment  reconquise.  Rien  à  critiquer 
dans  l'expédition  qui  se  termina  par  la  défaite  de  Closter- 
camp.  Quant  à  la  seconde  tentative,  peut-être  le  prince 
n'aurait-il  pas  dû  essayer  une  entreprise  pour  laquelle 
il  ne  disposait  pas  de  moyens  adéquats;  mais  il  serait 
injuste  de  ne  pas  reconnaître  la  hardiesse  de  la  concep- 


RÉSUMÉ  DE  LA  CAMPAGNE. 


331 


tion,  le  secret,  la  promptitude  do  rexéciition.  A  n'en 
pas  douter,  Broglie  fut  surpris  :  le  renvoi  d'une  grande 
partie  de  ses  troupes  dans  leurs  quartiers  d'hiver,  son 
ignorance  du  retour  de  Westphalie  du  prince  héréditaire, 
surtout  son  projet  de  voyage  à  Paris  sur  le  point  de 
s'accomplir,  l'ensemble  de  ses  dispositions,  suffisent  am- 
plement <à  le  démontrer.  La  retraite  rendue  nécessaire 
par  la  défaite  des  Saxons  et  par  la  crainte  justifiée  de  voir 
les  Prussiens  poursuivie  leurs  avantages  jusqu'à  la 
Werra,  parait  trop  précipitée  à  partir  de  Fulda  où  il  au- 
rait été  possible  de  se  maintenir  plus  longtemps.  L'appel 
des  renforts  du  Bas-Rhin,  la  reprise  immédiate  de 
l'otfensive  aussitôt  ces  renforts  arrivés,  sont  à  son  éloge, 
mais  on  peut  relever  quel([ue  lenteur  dans  ses  mouvements 
et  trop  de  prudence  après  le  succès  de  (irïmberg.  Au  sur- 
plus, c'est  à  la  belle  défense  de  Cassel,  facilitée  par  l'in- 
capacité du  comte  de  Lippe,  qu'il  faut  attribuer  la  faillite 
du  prince  Ferdinand.  Malgi'é  des  fautes  de  détail,  le  ma- 
réchal de  Broglie  fit  preuve  de  talents  milit  ires  incontes- 
tables, conserva,  ce  qui  n'avait  pas  eu  lieu  jusqu'alors, 
les  territoires  conquis  pendant  la  campagne,  et,  dans  le 
commandement  des  armées  françaises,  se  montra  fort  su- 
périeur  à  ses  prédécesseurs. 


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CHAPITRE  VI 

PERTE  DU  CANADA 

SITl'ATlOV     AU     COMMENCKMENr     DK     1760.     —    BATAILLE    I)K 

SAlNTE-hOY.    SIKGK    l)E    yi'ÉBKC    PAR    LKVIS.    ~  ARRIVÉE 

l)E    LA     FLOTTE    ANGLAISE.    —    ÉVACUATION    «E    l'iLE    AUX 

NOIX.     —     PRISE     DU    FORT    LKVIS.     CAPITULATION     DE 

MONTRÉAL.    PROCÈS    DE   BIGOT  ET    DE    SES   ASSOCIÉS. 


Le  dernier  hiver  de  la  domination  française  au  Canada, 
celui  de  1759  à  1760,  fut  singulièrement  sombre.  Depuis 
de  longs  mois,  aucune  nouvelle  directe  de  la  métropole  : 
Le  chevalier  Le  Mercier,  qui  était  parti  en  novembre  avec 
une  mission  pour  la  cour,  avait-il  pu  échapper  aux  croi- 
sières anglaises?  En  supposant  une  traversée  heureuse, 
pouvait-on  espérer  que  le  cri  de  détresse  de  la  colonie  se- 
rait entendu,  que  le  gouvernement  de  Louis  XV  risquerait 
renvoi  de  renforts  qu'il  avait  refusés,  l'an  passé,  au  plai- 
doyer de  Bougainville?  Alors  la  province  était  à  peu  près 
intacte;  mais  au  cours  de  la  campagne  de  1759,  la  situa- 
tion avait  bien  empiré.  Les  Anglais,  maîtres  de  Québec  et 
de  tout  le  bas  Saint-Laurent,  étaient  à  même  d'intercepter 
les  secours  de  France;  la  portion  du  territoire  encore 
française  s'était  rétrécie  ;  Niagara,  la  meilleure  forteresse 
du  Canada,  avait  été  prise;  perdues  les  communications 
avec  l'immense  région  qui  s'étend  de  la  Monanguehela 
jusqu'aux  grands  bois  et  jusqu'au  Mississipi;  les  comp- 
toirs du  pays  d'En  Haut,  toni])és  aux  mains  des  Anglais  ou 
complètement  coupés  du  Canada ,  privés  de  débouchés 


MISSION  DE  LE  MERCIER. 


33.1 


tout  autant  que  de  marchandises,  attendaient  la  fin  de 
la  guerre  pour  connaître  le  sort  qui  leur  serait  réservé. 
Trois  attaques  étaient  à  prévoir  ;  Québec,  le  lac  Ontario, 
le  lac  Champlain,  seraient  les  points  de  départ  des  expé- 
ditions convergentes  que  l'ennemi  dirigerait  sur  Montréal 
et  qui  auraient  pour  objectif  d'acculer  et  d'anéantir, 
sous  les  murs  de  cette  ville,  la  poignée  de  défenseurs  qui 
auraient  survécu  aux  premiers  combats.  A  l'invasion,  quels 
obstacles  pouvait-on  opposer?  De  places  fortes,  il  n'y  en 
avait  plus  depuis  la  reddition  de  Québec,  de  Niagara  et 
la  destruction  de  Carillon,  car  il  eût  été  ridicule  d'hono- 
rer de  ce  titre  les  forts  de  pieux,  simples  ouvrages  de 
campagne,  dont  les  remparts,  faits  de  terre  et  de  troncs 
d'arbres  et  couronnés  de  palissades,  étaient  incapables  de 
résister  à  l'artillerie.  En  fait  de  soldats,  on  n'avait  que 
i.COO  hommes  tant  d'infanterie  de  ligne  que  de  troupes 
coloniales  et  à  peu  près  8.000  miliciens.  D'autre  part,  les 
accessoires  indispensables  pour  la  guerre,  canons,  muni- 
tions, habillements,  souliers,  provisions  de  tous  genres, 
faisaient  complètement  défaut  ou  étaient  en  quantité  déri- 
soire. Cet  état  (le  choses  avait  été  exposé  dans  les  dépê- 
ches dont  Le  Mercier  fut  le  porteur.  Il  se  résume  dans 
les  derniers  mots  de  la  lettre  du  chevalier  de  Lévis  au 
maréchal  de  Belleisle  :  «  Si  le  Roi  ne  juge  pas  devoir  nous 
donner  du  secours,  je  dois  vous  prévenir  qu'il  ne  faut  plus 
compter  sur  ne  us  à  la  fin  du  mois  de  mai.  » 

Le  Mercier,  peu  de  jours  après  son  arrivée  en  France, 
avait  remis  à  la  cour  un  mémoire  (1)  dans  lequel  il  rap- 
pelait les  maux  et  les  souffrances  que  ses  compatriotes 
avaient  supportés  :  «  Ils  se  flattent  encore  que  si  leur 
sensibilité  peut  parvenir  au  pied  du  trône,  que  S.  M. 
n'abandonnera  pas  des  sujets  qui  n'ont  cessé  do  donner 
des  preuves  <le  zèle,  d'amour  et  de  soumission.  L'escla- 

(1)  MOnioire  de  Le  Mercier,  Versailles,  7  janvier  17G0.  Archives  des  Colo 
nies. 


33  i 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


l 


vage  leur  sera  d'autant  plus  douloureux  qu'ils  ue  con- 
naissaient que  la  victoire.  »  La  pifjcc  se  terminait  en  sou- 
mettant à  l'appréciation  royale  les  alternatives  suivantes  : 

«  1°  Que  de  tous  les  avantages  le  plus  giand  pour  la  co- 
lonie serait  la  paix; 

2°  Que  si  S.  M.  ne  veut  ou  ne  peut  faire  la  paix,  il  faut 
envoyer  des  secours  de  toutes  espèces  desquels  on  puisse 
s*»  pfcmetire  de  prendre  Québec  en  arrivant,  et  pouvoir 
ensuite  se  soutenir  contre  les*  différentes  tentatives  de 
l'ennemi; 

3°  Que  si  le  Roi  ne  peut  envoyer  des  secours  suffisants 
pour  s'emparer  de  Québec,  que  la  colonie  ne  pourra  se 
défendre  pendant  l'été,  et  qu'il  serait  à  désirer  que  S.  M. 
onvoy.^t  des  ordres  à  son  gouverneur  général,  afin  qu'il 
puisse  obtenir  une  capitulation  pour  la  colonie,  relative  à 
ses  vues; 

ï°  Quelque  parti  que  S.  M.  prenne,  il  serait  avantageux 
que  l'on  en  informât  de  suite  le  gouverneur  général,  afin 
qu'il  se  préparât  à  l'exécution.  » 

Malgré  la  précision  de  ces  conclusions,  malgré  l'insis- 
tance avec  laquelle  Vaudreuil  et  Lévis  étaient  revenus  sur 
la  nécessité  de  recevoir  de  l'aide  dans  les  tout  premiers 
jours  de  mai,  la  petite  flottille  fraui^'aise  chargée  du  maté- 
riel et  des  munitions  indispensables  au  salut  du  Canada  ne 
débouqua  de  la  Gironde  que  le  10  avril  et  n'arriva  dans 
l'estuaire  du  Saint-Laurent  que  le  14  mai.  L'escadre  an- 
glaise l'avait  précédée  de  six  jours  et  avait  déjà  remonté  le 
fleuve  ;  M .  d'Anjac,  commandant  du  convoi  français,  qui  n'a- 
vait pour  escorte  que  3  petits  bâtiments  de  guerre,  fut  obligé 
de  se  réfugiei'  dans  la  rivière  de  Ristigouche,  en  Acadie, 
où  il  demeura  inactif  jusqu'au  mois  de  juillet,  époque  â 
laquelle  ses  navires  lurent  attaqués  et  détruits  par  les  An- 
glais. Le  Canada  ollait  donc  être  réduit  à  ses  propres  forces. 
La  mauvaise  saison  s'était  écoulée  sans  événement  im- 
portant. Depuis  la  prise  de  Québec,  la  ligne  de  démarca- 


}{ 


POSITION  DES  BELLIGERANTS  PENDANT  L'HIVER. 


335 


tion  restait  fixée  à  la  rivière  du  Cap  Uouge,  à  3  lieues 
de  la  ville;  les  avant-postes  français  avaient  pour  point 
d'appui  un  fort  de  pieux  construit  pendant  l'automne 
à  l'embouchure  de  la  rivière  Jacques-dartier  ;  le  général 
Murray,  gouverneur  britannique  de  Québec,  avait  établi  les 
siens  dans  les  villages  de  Saintc-Foy  et  de  Vieille  Lorettc. 
Au  débouclié  du  lac  Ghamplain,  on  conservait  de  part 
et  d'autre  les  positions  de  l'automne,  les  Frani^ais  à  leur 
nouveau  fort,  dans  l'Ile  aux  Noix,  barrant  le  passage  entre 
le  lac  et  le  Saint-Laurent;  les  Anglais  dans  l'ancien  fort 
Saint-Frédéric  qu'ils  avaient  rebîUi  et  considérablement 
augmenté.  Vers  le  lac  Ontario,  le  premier  poste  fran- 
çais était  également  une  fortification  en  pieux,  le  fort  L^vis, 
récemment  élevé  dans  une  lie  du  Saint-Laurent,  à  peu 
de  distance  de  la  Providence,  mission  indienne  de  l'abbé 
Piquet.  Le  lac  était  au  pouvoir  de  l'ennemi  qui  avait 
réédifié  le  fort  de  Ghouaguen  ou  Oswego  et  qui  depuis 
1759  était  maitre  du  fort  Niagara.  Pour  épargner  les  vi- 
v  es,  et  conformément  à  la  coutume  des  dernières  années, 
k  l)ataillons  de  ligne  avaient  été  cantonnés  dans  les  vil- 
lages et  logés  chez  l'habitant. 

Au  cours  de  l'hiver,  les  effets  de  la  prise  de  Québec  com- 
mencèrent à  se  faire  sentir,  non  seulement  dans  la  pro- 
vince de  ce  nom,  mais  aussi  dans  l'Acadie.  Le  gouverneur 
Murray  inonda  le  pays  (raffichcs  remplies  de  promesses 
et  de  menaces.  Il  encouragea  les  habitants  à  apporter 
des  provisions  en  promettant  le  paiement  en  argent 
comptant  et  envoya  des  colonnes  volantes  réquisitionner 
du  bois  de  chaufTage  et  brûler  les  maisons  des  paysans 
restés  fidèles  aux  autorités  françaises.  Ces  mesures  entraî- 
nèrent la  soumission  de  onze  paroisses  des  environs  de  la 
capitale  et  amenèc^t  la  neutralité  de  nondireux  mili- 
ciens. Cependant,  le  contact  ne  fut  pas  perdu  ;  malgré  la 
défense  de  Murray,  les  communications  demeurèrent  ou- 
vertes, le  trafic  entre  Québec  et  Montréal  se  maintint  et  prit 


lUr 


^i  I 


88« 


LA  GUERRK  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VF. 


même  plus  d'activité,  grâce  à  l'apnort  des  marchandises 
anglaises  qu'on  échangeait  contre  les  pelleteries  de  l'inté- 
rieur. Au  surplus,  beaucoup  des  habitants  de  la  province 
inférieure,  lors  du  retour  de  Lévis  et  du  second  siège  de 
Québec,  répondirent  à  l'appel  de  Vaudreuil  et  oublièrent 
les  engagements  imposés  pour  se  rallier  au  vieux  drapeau. 
11  n'en  pouvait  pas  être  de  même  pour  les  Acadiens, 
dont  les  rapports  avec  le  Canada  français,  toujours  diffi- 
ciles, étaient  devenus  presque  impossibles  depuis  que 
les  Anglais  étaient  maîtres  du  bas  Saint-Laurent.  Dans  la 
correspondance  de  Vaudreuil,  nous  relevons  une  longue 
dépêche  au  sujet  des  Acadiens;  les  débris  de  cette  mal- 
heureuse population  qui  avaient  échappé  à  la  dépor- 
tation décrétée  contre  eux  par  les  représentants  du  pou- 
voir britannique,  s'étaient  réfugiés  dans  quelques  localités 
de  la  baio  des  Chaleurs,  de  la  rivière  Saint-Jean  et  aux 
environs  de  Beauséjour,  devenu  fort  Cumberland  ;  jusqu'à 
la  chute  de  Québec,  ils  avaient  reçu  du  gouverneur  géné- 
ral des  secours  en  vivres  et  en  effets,  et  étaient  restés  en 
relations  avec  le  Canada.  Les  événements  de  la  fin  de  1759 
modifièrent  leur  situation  qui  s'aggrava  de  jour  en  jour; 
aussi  commencèrent-ils  à  prêter  l'oreille  aux  ouvertures 
des  autorités  anglaises  de  Louisbourg.  Ces  fonctionnaires 
firent  répan  Ire  parmi  eux  (1)  des  proclamations  les  invitant 
à  la  soumission  et  pleines  de  bonnes  paroles  :  «  Je  suis  com- 
mandé de  vous  assurer  par  S.  M.  que  vous  jouirez  de  tous  vos 
biens,  vos  libertés  et  propriétés  avec  un  exercice  libre  de 
votre  religion,  comme  vous  verrez  par  le  manifeste  que  j'ai 
l'honneur  de  vous  envoyer...  Si  vous  doutez  de  la  sincérité 
de  mon  cœur,  je  suis  prêt  à  échanger  des  otages.  »  Par 
contre,  le  refus  d'obéissance  entraînerait  les  peines  les 
plus  sévères  et  exposerait  les  récalcitrants  à  être  passés  au 
til  de  l'épée.   Soit  conviction  qu'il  n'y  avait  plus  rien  à 

(1)  Commandant  Schomberg  au  nom  du  général  Whitemore,  2G  oclobie  1759. 
Archives  des  Colonie.*. 


SOI  MISSION  DES  PUKTRKS  ACADIENS. 


337 


attendre  de  la  cour  de  Versailles,  soit  désir  de  sauver  leurs 
ouailles  de  nouvelles  pcrsccutions,  soit  cajolerie  des  mes- 
sagers anglais,  plusieurs  des  prêtres  qui  desservaient  les 
paroisses  acadiennes  exercèrent  leur  inthience  en  faveur 
de  la  pacificalion.  Vaudreuil  fut  avisé  que  l'abbé  Mannacli 
s'était  rendu  au  fort  Cumberland  avec  quntre  délégués  le- 
présentant  les  villages  de  Miraniichi,  (ïhibouctou,  Boukloc 
et  Memenrenconick  et  avait  entamé  des  pourparlers  avec  le 
colonel  Fraye,  commandant  du  poste.  L'abbé  Coquart  était 
parti  de  Québec,  sans  permission  de  sonévêque,  avec  un 
passeport  du  général  Murray;  aussitôt  arrivé  à  la  rivière 
Saint-Jeaii,  il  avait  fait  sa  soumission  au  commandant  du 
fort  Latour  'es  agissements  de  l'abbé  Maillard  et  du  père 
Germain  étaient  suspects.  Ces  rapports,  transmis  par  les 
agents  fran<;ais  encore  en  Acadie,  mirent  le  gouverneur 
général  en  fureur  :  «  A  l'égard  des  missionnaires,  écrit-il 
au  ministre  (1),  je  n'éclaterai    que  lorsque  nous  serons 
dans  des  circonstances  moins  critiques.  »  Boishébert  qui, 
depuis  plusieurs  années,  commandait  les  quelques  troupes 
détachées  en  Acadie,  se  montre  très  sévère  (2)  vis-à-vis 
des  ecclésiastiques  :  «  Qui  est-ce  qui  peut  vous  autoriser 
à  engager  les  Acadiens  à  faire  l'aveu  aux  Anglais  qu'ils 
sont  leurs  sujets,  en  se  soumettant  à  eux?  Vous  voudriez 
présentement  qu'ils  fissent  leur  paix  particulière,  parce 
que  vous  y  trouvez  votre  intérêt,  ce  n'était  point  autrefois 
de  même,  car  si  nous  avons  la  guerre  et  si  les  Acadiens 
sont  misérables,  souvenez-vous  que  ce  sont  les  prêtres 

qui  en  sont  la  cause l'ai  été  envoyé  sur  cette  côte  poui' 

les  engager  à  persévérer  dans  l'attachement  qu'ils  ont  té- 
moigné jusqu'à  présent  pour  la  France,  et  j'ai  le  cha- 
grin de  voir  que  ceux  qui  devraient  le  plus  les  y  entretenir 
sont  les  premiers  à  les  en  éloigner  ;  il  semble  même  que 
vous  vous  êtes  tous  entendus  pour  cela.  » 

(1)  Vaudreuil  au  Ministre,  Montréal,  (!  mai  Hfio.  Arcliives  «les  Colonies. 

(2)  Boishébert  à  Mannach,  Il  février  17(iO.  ^^rchives  des  Colonies. 

<;UERKE   I»E    SEPT   ANS.    —   T.    l\ .  22 


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LA  OUKIIUK  DK  SKPT  ANS. 


(IIAP.  VI. 


Il  est  difficile  de  part<agcr  la  colère  de  Vaudreuil  et 
de  son  lieutenant  qui  avaient  leur  part  de  responsaNililé 
dans  les  soull'rances  des  Acadiens  ;  sans  doute  l'accep- 
tation des  ollVes  de  l'ennemi  n'était  pas  pour  plaire,  mais 
quand  on  se  rappelle  lenduraiice  sublime  (juo  ces  infor- 
tunés avaient  déployée, les  maux  qu'ils  avaient  bravés  pour 
conserver  leur  nationalité,  l'on  ne  saurait  leur  reprocher 
qu'abandonnés  de   tous,   sans   espoir  de  secours,  ils   se 
fussent  résignés  à  écouter,  malgré  la  défiance  (1)  (jne 
l'expérience  du  passé  leur  inspirait,  les  propositions  du 
vainc^ueur,  plutôt  que  de  mourir  de  faim  et  de  misère. 
En  fait  d'hostilités,  il  n'y  eut,  durant  la  mauvaise  sai- 
son, que  des  escarmouches  dont  la  plus  importante,  celle 
de  Lorette,  fut  un  petit  succès  pour  les  Anglais  qui  chas- 
sèrent, le  18  mars,  d'une  redoute  où  il  était  retranché,  un 
détacliement  commandé  par  Herbier  avec  perte  d'une  cen- 
taine d'hommes.  D'après  Knox  (2),  les  soldats  liritanniques 
n'auraient  eu  que  G  blessés,  mais  près  de  100  des  leurs 
furent  à  un  tel  point  atteints  par  le  froid,  qu'il  fallut  les 
ramener  en  traîneau,  à  moitié  gelés.  Pendant  l'hiver,  la 
garnison  de  Québec  fut  décimée  par  la  sévérité  du  cli- 
mat, par  les  maladies,  et  surtout  par  le  scorbut;  la  mor- 
talité fut  excessive,  et  les  hôpitaux,  tant  permanents  que 
provisoires;  furent  tout  à  fait  insuffisants.  De  7.300  com- 
battants au   moment  du  départ  de  la  Hotte  anglaise,  les 
effectifs  tombèrent  à  4.800  à  la  date    du  l"  mars  et  ne 
dépassaient  guère  V.OOO  à  la  fin  d'avril. 

Cet  état  de  choses,  bien  coimu  à  Montréal,  était  de  na- 
ture à  encourager  les  projets  offensifs  des  Français;  en 
effet,  en  dépit  de  la  tranquillité  apparente,  Vaudreuil  et 
Lévis  étaient  bien  d'accord  pour  risquer  un  effort  déses- 
péré contre  Québec;  ils  n'ignoraient   pas   les   attaques 


(1)  Lettres  des  habitants  de  Pekontiak  au  colonel  Fraye,  13  février  17G0. 
Archives  des  Colonies. 

(2)  Knox,  llistorical  journal,  IT,  "il'i. 


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fllKPAUATlIS  DE  VAUDKKUII.  KT  LKVIS. 


xv.\ 


concentri'fues  «(ui  seraient  poussées  contre  la  province  au 
cours  (le  l'été  de  1700,  mais  de  toutes,  la  plus  dange- 
reuse serait  celle  qui  prendrait  l'ancienne  capitale  coniuK; 
base  et  pénétrerait  au  cirur  de  la  colonie  en  se  ser- 
vant de  la  grande  voie  du  Saint-Laurent;  la  reprise  de 
Québec  par  le  défenseur  du  Canada  décuplerait  les 
diflicultés  d'une  opération  de  ce  genre,  si  même  elle  ne 
la  rendait  pas  irréalisable.  Mais  la  tentative  contre  tjuébec, 
pour  présenter  (juelcjues  chances  de  succt>s,  devait  être 
elf'ectuce  au  printemps,  avant  l'ouverture  du  Saint-Lau- 
rent aux    renforts  (|ue  le  gouvernement  anglais   expé- 

,  dierait  certainement  à  sa  garnison;  ces  renforts,  on 
l'espérait  du  moins,  seraient  précédés  par  ceux  qu'on  avait 
réclamés  à  la  cour  de  Versailles  et  pour  lesfjuels  celle-ci 
comprendrait,  k  coup  sur,  la  nécessité  impérieuse  d'un 
prompt  départ.  Néanmoins,  tout  en  comptant  sur  le  con- 
cours de  la  métropole,  les  autorités  canadiennes  firent, 
de  leur  propre  initiative,  tout  ce  qui  était  humainement 
possible  pour  mener  à  bonne  fin  leur  audacieuse  entre- 
])rise.  Kn  premier  lieu,  elles  conçurent  le  projet  d'une 
surprise  en  plein  hiver;  des  préparatifs  furent  faits,  des 
échelles  en  quantité  furent  réunies,  mais  le  manque  de 
vivres  et  surtout  l'imjiosjiibilité  de  nourrir,  à  cette  époque 
de  l'année,  l'armée  une  fois  assemblée,  firent  remettre 
l'exécution  au  printemps. 

Afin  de  rétablir  lefl'ectif  des  troupes  régulières  (|ui  n'a- 
vaient pas  reçu  de  recrues  (1)  depuis  1758  et  qui  avaient 
été  fort  éj)rouvées  par  la  campagne  de  1759,  on  adjoignit 
à  chaque  bataillon  de  ligne  ou  de  marine  trois  compa- 

,  gnies  de  miliciens  choisis,  autant  que  possible,  dans  les 
paroisses  où  le  régiment  avait  eu  ses  quartiers  d'hiver;  les 
unités  étaient  commandées  par  un  capitaine  spéciale- 
ment détaché  à  cet  effet  et  étaient  astreintes  au  môme  scr- 

(1)  A  l'exceplion  des  3  ou  400  hommes  amenés  par  Hougainville. 


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840 


LA  GUKUIU;  DK  SKPT  ANS. 


CIIAI».  VI. 


vice  et  soumises  au  môme  n-giine  (|ue  les  réguliers.  (irAce 
à  ces  mesures,  Lévis  put  disposer  de  3.900  ofliciers  et  sol- 
dats appartcnaut  aux  8  hataillous  de  Frauce  ou  à  la  n)arine, 
de  2..'>00  luiliciens  iucorpoiésdans  l'infanterie  ou  indépen- 
dants, de  200  cavaliers  empruntes  aux  éléments  locaux  et 
d'c'nviron  300  sauvages  domiciliés.  A  ce  noyau  d'hommes 
solides,  on  espérait  ajouter  les  miliciens  de  la  |)rovince  de 
Québec  que  le  premier  succès  ferait  accourir  aux  dra- 
peaux, mais  auxquels  il  faudrait  distribuer  des  fusils,  les 
leurs  ayant  été,  eu  grande  partie,  confisqués  par  les  an- 
glais. Le  côté  faible  de  l'expédition  était  celui  du  matériel 
et  des  nmnitions  d'artillerie,  dont  la  qualité  laissait  tout 
autant  à  désirer  que  la  (juantité. 

Dans  une  circulaire  aux  commandants  de  bataillons,  Lé- 
vis (1)  no,  fait  pas  mystère  des  dil'ticultés  de  l'entreprise  et 
fait  appel  k  leur  énergie  et  k  leur  patriotisme  :  «  Notre 
départ  dépend  delà  fonte  des  glaces  pour  profiter  de  l'ins- 
tant où  la  navigation  sera  libre  ;  car  il  est  très  important 
que  l'armée  soit  rendue  devant  Qu'hec  avant  que  les  en- 
nemis aient  pu  travaillera  des  ouv; âges  extérieurs...  Je 
vous  prie  de  les  prévenir  (les  soldats  et  miliciens  ((ui  com- 
posent votre  bataillon)  qu'ils  doivent  s'attendre  à  faire  une 
campagne  dure.  Je  ne  vois  la  subsistance  bien  assurée 
qu'en  pain,  et  lorsque  nous  serons  devant  Québec,  nous  ne 
mangerons,  soit  en  cheval,  soit  en  bœuf,  que  la  viande 
que  nous  pourrons  avoir.  »  Les  officiers  n'auront  à  compter 
c[ue  sur  «  la  même  ration  du  soldat  et  leur  eau-de-vie 
qu'ils  recevront  en  nature  ».  La  discipline  la  plus  exacte 
devra  être  appliquée  :  «  Nous  avons  à  combattre  des 
troupes  qui  l'observent  et  pour  les  vaincre,  il  ne  faut  pas 
s'écarter  de  ce  principe.   » 

Après  avoir  parlé  du  «  salut  de  la  colonie  »  et  de  la 
gloire  «  desarmes  du  Roi»,  Lévis  touche  une  note  heureuse 

(t)  Lévis  aux  commandants,  29  mare  1760.  Lettres  de  Lévis,  p.  28G. 


EXPÉDITION  POUR  LA  HKPHISK  DK  gUKDKC. 


3tl 


en  rappelant  la  sympathie  ((ui  «'xistait  entro  los  soldatH  et 
leurs  luttes  :  «  Nous  devons  aussi,  pai-  une  entreprise  auda- 
cieuse, înart[uer  la  reconnaissance  que  nous  devons  h  la 
colonie  (jui  nous  nourrit  depuis  le  temps  que  nous  y  som- 
Hies.  Les  habitants  ont  reçu  nos  soldats  comme  leurs  en- 
fants, et  nous  ne  pouvons  <jue  nous  louer  de  l'amitié  et  de 
l'attachement  que  nous  avons  reçu  tant  en  .«énéi-al  qu'en 
particulier  tle  tous  les  Canadiens.  » 

De  leur  cAté,  le  gouverneur  Vaudreuil  et  l'intendant 
Bigot  avaient  mis  tout  en  œuvre  pour  seconder  les  ellorts 
du  général,  le  premier,  en  lançant  des  ordonnances  et  des 
lettres  circulaires  adressées  aux  autorités  civiles  et  ecclé- 
siastiques de  la  province  et  en  rédigeant  des  instructions 
pour  Lcvis  auquel  il  avait  remis  la  direction  des  opéra- 
tions militaires,  le  second,  en  tirant  d'un  pays  épuisé 
des  ressources  pour  l'approvisionnement  du  corps  expédi- 
tionnaire. Le  mémoire  de  Vaudreuil  prévoyait  la  mau- 
vaise volonté  de  certains  habitants  (1)  et  déléguait  à 
Lé  vis  pleins  pouvoirs  pour  sévir  contre  les  dissidents  : 
«  Comme  le  zèle  des  Canadiens  pourrait  être  susceptible 
de  quelque  ralentissement,  étant  intimidés  par  les  me- 
naces du  général  Murray,  M.  le  chevalier  de  Lévis  accom- 
pagnera nos  lettres  circulaires  d'un  manifeste  rigide  par 
lequel  il  relèvera  ces  Canadiens  de  leur  crainte  et  les  assu- 
jettira à  se  joindre  h  lui  sous  peine  de  la  vie,  »  Contraire- 
ment à  ses  habitudes,  le  gouverneur  général  ne  semble 
guère  optimiste  :  «  Quoique  le  succès  du  siège  de  Québec 
paraisse  incertain,  et  par  le  peu  de  moyens  que  nous 
avons  en  munitions,  artillerie  et  vivres,  et  par  nos  forces 
mêmes  vis-à-vis  de  celles  de  l'ennemi  qu'il  est  de  notre 
prudence  de  supposer  d'environ  Ip.OOO  combattants,  qui 
pourront  augmenter  en  nombre  par  les  secours  que  les 
Anglais  attendent  d'un  instant  à  l'autre,  nous  avons  néan- 


(1)  Lettres  etpii'(¥'-  «HUtires.  p.  2t3.  Collection  Lévis. 


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LA  GIKHUK  DK  SKPT  ANS.    -  CIIAP.  VI. 


moins  mûrement  réfléchi  et  déterminé,  M.  le  Chevalier, 
que  tous  ces  obstacles  ne  sauraient  nous  arrêter,  que 
l'expédition  de  Québec  est  l'unicfue  parti  à  prendre  et 
pour  conserver  encore  la  colonie  an  Hoi  et  pour  nous 
iiettre  à  portée  de  recevoir  librement  les  secours  qu'il 
aura  plu  à  S.  M.  de  nous  faire  passer.  »  Knfîn  en  don- 
nant à  Lévis  l'autorisation  nécessaire  pour  négocier  la 
capitulation  de  Québec,  le  gouverneur  lui  fait  observer 
que  les  circonstances  empêchent  de  se  montrer  difficile 
sur  les  conditions  qui  seraient  accordées  à  l'ennemi. 

L'embarquement  commen«;a  le  20  avril:  la  flottille  des- 
cendit le  Saint-Laurent,  escortée  par  douv  petites  frégates 
et  par  quelques  bâtiments  armés  qui  avaient  liiverné  dans 
le  haut  du  fleuve.  Les  eaux  étaient  encore  |)risesdans  beau- 
coup d'endroits,  et  ce  ne  fut  pas  sans  perte  considérable 
de  bateaux,  de  vivres  et  de  munitions  que  le  matériel  put 
être  mis  à  terre  à  la  Pointe-aux-Trembles,  où  la  majeure 
partie  des  troupes  s'était  assemblée. 

Sur  l'avis  de  la  Pause,  aide-maréchal  général  des  logis, 
([ui  avait  été  envoyé  en  reconnaissance,  on  résolut  de 
Cranchir  la  rivière  du  Cap-fiouge  à  deux  lieues  de  son 
embouchure,  et  de  gagner  Sainte-Foy  en  traversant  les 
marais  de  la  Suctte.  Le  iiO,  Hourlama(iiie,  qui  commandait 
l'avant-garde,  accomplit  ce  {)rogranmîe  et  se  posta  dans 
des  maisons  à  un  ([uart  de  lieue  des  hauteurs  de  Sainte- 
Foy  où  se  tenaient  les  Anglais.  Lévis  le  rejoignit  avec  le 
gros  :  ;<  Il  fit,  écril-il  dans  son  journal  (1),  une  nuit  (les 
plus  affreuses,  un  orage  et  un  froid  terribles,  ce  qui  fit 
beaucoup  souffrir  l'armée  ({ui  ne  put  finir  de  passer  que 
bien  avant  dans  la  nuit.  Les  ponts  s'étant  roinpus,  les 
soldais  passaient  dans  l'eau.  Les  ouvriers  avaient  peine  à 
les  réparer  dans  l'obscurité,  et  sans  les  éclairs,  on  eût  été 
forcé  des'ari'êter.  On  dispersa  l'a.. .lée  dans  les  habitations 

(1)  Journal  du  chevalier  de  Lévis,  p.  2i30.  Manuscrits  Lévis. 


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LES  FllA^CO-CANADIE^'S  ARRIVENT  A  SAINTE-FOV. 


3V? 


pour  se  gari^ulir  'le  la  !)luio  et  raccouuuodci'  les  armes, 
poui'  être  en  état  do  marcher  au.  j)oint  du  jour,  M.  le  che- 
valier de  L«''vis  ayant  résolu  d'altaqucr.  »  Mais  il  l'ullut 
attendre  les  3  pièces  dont  se  composait  l'arlillcrie  de  cam- 
pagne et  qui  étaient  indispen;>ahles  pour  battre  l'église 
et  les  maisons  fortifiées  de  Sainte-l'oy. 

Le  rapport  du  général  Murray  (1)  diffère  peu  de  la  re- 
lation française.  D'après  ce  document,  les  Ang:lais  comp- 
taient sur  un  retour  offensif  des  Français  aussitôt  que  le 
dégel  surviendrait.  C'était,  <;n  effet,  seulement  après  l'ou- 
verture du  printemps  (pi'il  serait  possible  de  travailler  sur  le 
plateau  d'Abraham  aux  retranchements  quieonstitueraient 
le  facteur  essentiel  de  la  défense.  Même  à  ladatedu  25  avril, 
on  pouvait  h  peine  enfoncer  les  premiers  picpiets,  le  dégel 
n'ayant  pas  pénétré  à  ])lus  de  9  pouces  de  la  surface. 
Dans  des  conditions  pareilles,  Tassailhint  avait  tout  avan- 
tagea lu'usqucr  l'attaque.  Pour  se  protéger  contre  l'armée 
canadienne,  Muri-ay  avait  pris  des  mesures  tant  militaires 
(|ue  civiles  :  dès  le  18  avril,  il  avait  fait  occuper  l'emliou- 
chure  de  la,  rivière  du  Cap  llouge.  I^e  iil  avril,  les  habi- 
tants de  Québec  trouvèrent  affichée  sur  les  murs  une  pro- 
clamation leur  intimant  l'ordre  de  vider  les  lieux  avec  leurs 
familles  et  leurs  effets  dans  un  délai  de  trois  jours.  C'est 
en  vain  que  la  population  protesta  contre  un  arrêté  qui 
était  en  contradiction  avec  la  capitulation  de  l'autonme 
l)récé(lent;  force  l'ut  de  déguerpir;  l'élément  féminin  se 
vengea  en  criant  bleu  liant  ([ue  lesAnglaisavaient  toujours 
eu  la  réputation  d'être  des  gens  sans  foi,  et  que  mainte- 
nant, il  n'y  avait  plus  de  doute  sur  la.  vérité  du  re- 
proche. 

Jusqu'au  malin  du  11  avril,  Murray,  <[uoi(pic  sur  ses 
gardes  contre  une  agression  qu'il  avait  prévue,  ne  paraît 
pas  avoir  été  exactement  renseigné  sur  les  premiers  niou- 

(1)  Murray  ùl  Amiier.st,  Québec,  30  avril  17G0.  Record  Oflirc. 


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LA  GUEllRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


vcmcuts  qui  suivirent  le  débarquement  des  Français.  L'n 
incident  curieux  le  mit  au  courant.  Un  artilleur  de  l'armée 
de  Lévis,  embarqué  sur  une  chaloupe  qui  avait  chaviré,  se 
réfugia  sur  ungla<;on  et  fut  emporté  à  la  dérive  jusqu'à 
la  rade  de  Québec.  Le  27,  à  2  heures  du  matin,  des  mate- 
lots anglais,  attirés  par  ses  cris,  le  ramassèrent  plus  mort 
que  vif  et  apprirent  de  sa  bouche,  avec  ses  aventures, 
l'approche  des  Français.  Murray,  aussitôt  averti,  appuya, 
avec  les  grenadiers,  des  piquets  fournis  par  chaque  régi- 
ment et  10  canons,  l'infanterie  légère  et  les  rangers 
chargés  du  service  des  avant-postes. 

La  journée  du  27  se  passa  en  escarmouches  et  en  recon- 
naissances ;  Lévis,  toujours  sans  canon,  avec  des  soldats  fa- 
tigués et  éparpillés,  remit  prudemment  l'alTaire  au  lende- 
main. Les  Anglais  firent  rentrer  la  plupart  do  leurs  trou- 
pes, ne  laissant  qu'un  détachement  k  la  maison  Dumont 
et  dans  une  redou  à  la  limite  de  la  plaine;  ils  avaient 
évacué  l'église  de  >3ainte-Foy  après  y  avoir  mis  le  feu. 

Disons  un  mot  de  l'emplacement  qui  servit  de  théAtre 
à  la  bataille  (1)  que  nous  allons  décrire.  Uuébec,  ou  plu- 
tôt le  quartier  principal  appelé  la  ville  haute,  est  édifié 
sur  l'extrémité  d'un  promontoire  baigné  au  sud  par  le 
Saint-Laurent,  au  nord  par  son  affluent,  le  Saint-Charles; 
ces  hauteurs,  qui  portent  le  nom  de  côte  d'Abraham, 
parallèles  au  grand  fleuve,  remontent  son  cours  en  s'élar- 
gissant  au  fur  et  ù  mesure  qu'elles  s'éIoif,nent  de  l'enceinte 
de  la  ville. 

A  l'époque  de  l'ailaire,  le  terrain,  moitié  en  friches, 
moitié  en  cultures,  était  jalonné  de  bosquets  et  coupé  de 
de  bas-fonds  niarécageu.v  ;    deux    chemins  conduisaient 


(1)  Le  récit  de  la  bataille  de  Sainle-Foy  et  du  siège  de  Québec  est  tiré  du 
Journal  de  la  correspondance  de  Lévis  et  de  Uourlamaciue,  du  Journal  de 
Malarlic,  Cassgrain,  Monicaliiiet  Apw.s;  Mante,  Lntc  warin  America  ;  Knox, 
Hisiorical  Journal;  Dépéchesde  Anilierstet  de  Murray,  Record  Office, etc..., 
etc..  Voir  la  carte  de  la  bataille  d'Abraham,  vol.  III. 


MUKUAY  ATTAQUE  LES  FRANÇAIS. 


84S 


des  portes  de  Québec  aux  villages  de  Saintc-Foy  et  de  Sil- 
lery  qu'entouraient  de  grands  bois  courant  jusqu'aux  fa- 
laises du  Sain'-Laurent.  Le  long  de  ces  routes  s'égrenaient 
alors  les  maisons  des  habitants,  la  plupart  isolées  et  sé- 
parées les  unes  des  autres,  nous  dit  un  narrateur,  par  des 
clos  de  3  ou  k  arpents.  Le  combat  allait  se  livrer  à  proxi- 
mité du  plateau  (1)  oùWolfe  et  Montcalm  avaient  rencon- 
tré quelques  mois  auparavant  une  mort  glorieuse.  Sur 
le  môme  terrain,  les  mêmes  adversaires  se  retrouvaient  en 
présence;  d'un  côté  les  4.000  réguliers  de  Murray,  bien 
reposés,  vétérans  éprouvés,  liers  de  leur  victoire  récente, 
appuyés  par  une  artillerie  nombreuse;  de  l'autre,  les 
6.000  hommes  de  Lévis,  presqu:  sans  artillerie,  moitié 
troupiers  en  guenilles,  moitié  paysans  sans  uniformes, 
mal  armés,  mal  chaussés,  ceux-ci  comme  ceux-là  fatigués 
de  leur  longue  étape  et  de  leurs  tristes  bivouacs. 

Au  cours  de  la  nuit  du  27  au  28  avril,  le  général  bri- 
tannique fit  évacuer  la  maison  Dumont,  située  sur  la  chaus- 
sée de  Sainte-Foy  à  Québec;  elle  fut  occupée  au  point  du 
jour  par  les  Français.  La  retraite  de  Murray  fit  croire 
que  l'ennemi  ne  risquei  ùt  pas  un  engagement  et  qu'Use 
bornerait  à  tenir  derrière  les  mur  de  Québec  ;  aussi  les 
premières  heures  do  la  journée  du  28  furent-elles  consa- 
crées par  Lévis  à  rechercher  un  endroit  convenable  pour 
y  faire  camper  son  arm  ■  et  à  préparer  l'installation  d'un 
dépôt  de  vivres  à  l'Anse  u-Foulon  où  Wolfe  avait  opéré 
son  débarquement  l'anm  précédente.  Quant  aux  Cana- 
diens, ils  s'attendaient  si  peu  à  une  bataille  qu'ils  s'em- 
ployèrent pour  la  plupart  à  nettoyer  leurs  fusils  et  à  reti- 
rer les  charges  que  la  pluie  de  la  nuit  avait  mouillées. 


1* 


(1)  Le  théâtre  delà  bataille  de  Sainle-Foy  est  un  peu  au  nord  de  celui  de 
la  bataille  d'Abraham,  de  nombreuses  constructions  nouvelles  ont  modifié 
l'aspect  des  lieux  que  nous  avons  parcourus  avec  l'honorable  M.  Doine  qui 
a  bien  voulu  nous  servir  de  cicérone.  Le  monument  commémoralif  a  été 
élevé  sur  l'emplacement  d'une  des  rencontres  de  la  journée. 


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3ir. 


LA  ClKllllK  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  VI. 


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Tout  à  coup,  on  vit  Tarmée  anglaise,  qui  avait  débouché 
de  Québec  vers  7  heures  du  malin  et  qui,  à  en  jugei'  par  la 
quantité  d'outils  emportés,  paraissait  vouloir  se  retrancher 
à  faible  distance  de  l'enceinte,  prendre  ses  formations  de 
combat,  descendre  des  hauteurs,  et  marcher  sur  les  can- 
tonnements français. 

Le  général  Murray ,  officier  énergique,  plein  de  confiance 
dans  la  supériorité  morale  de  ses  troupes,  désireux  peut- 
être  de  se  distinguer  par  une  victoire  dont  l'honneur  lui 
reviendrait  tout  entier,  s'était  décidé  à  assumer  l'olfensive. 
Voici  les  motifs  qu'il  fournit  pour  justifier  sa  conduite:  «  La 
place  n'est  pas  fortifiée  et  est  commandée  partout  du  côté 
de  la  terre  ;  ma  garnison  dont  l'etrectif  s'est  effondré  à  la 
suite  du  scorbut  rnû  a  sévi  avec  persistance  jus([u'à  ne 
compter  (jue  3.000  combattants,  s'alfaiblissait  de  jour  en 
jour;  il  m'était  devenu  impossible  de  me  retrancher  sur  les 
hauteurs  d'Abraham,  quoique  nous  nous  fussions  munis 
depuis  longtemps  de  fascines  et  de  tout  le  matériel  néces- 
saire :  je  ne  pouvais  donc  hésiter  un  instant  sur  la  conve- 
nance de  livrer  bataille  à  l'ennemi Comme  chacun 

sait,  la  place  n'est  pas  tenable  contre  une  armée  maîtresse 
des  hauteurs.  En  conséquence,  j'ai  donné  les  ordres  néces- 
saires au  cours  de  la  nuit,  et  à  7  heures  le  lendemain 
matin,  je  suis  sorti  avec  toutes  les  forces  que  j'ai  pu  réu- 
nir et  j'ai  rangé  ma  petite  armée  sur  les  hauteurs.  »  Les 
troupes  britanni([ues  étaient  réparties  en  deux  brigades, 
chacune  de  4  bataillons,  celle  do  droite  commandée  par 
le  colonel  Burton,  celle  de  gauche  aux  ordres  du  colonel 
Fraser;  2  bataillons  étaient  en  réserve.  L'inlanterie  légère 
du  major  Dalling  couvrait  le  flanc  droit,  et  un  détachement 
de  rangers  et  de  volontaires  le  flanc  «^i-auche  de  l'armée  ; 
chaque  bataillon  était  accompagné  de  ses  deux  pièces  de 
campagne. 

Aussitôt  qu'il  se  rendit  compte  des  intentions  de  l'ad- 
versaire ,  Lévis  fit  hâter  le  déploiement  de  ses  troupes,  posta 


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BATAILLE  DE  SAINTE-FOY. 


847 


cinq  compagnies  de  grenadiers  dans  la  maison  Dûment 
pour  y  appuyer  sa  gauche  et  porta  cinq  autres  compagnie^ 
sur  une  petite  cminence  ([ui  devait  masquer  la  droite  de 
la  ligne.  «  Los  deux  brigades  (1)  de  la  droite  étaient  pla- 
cées et  la  troisième  débouchait  lors([ue  les  ennemis,  ((ui 
étaient  formés,  se  mirent  on  mouvement  pour  les  ch.irger 
et  lirent  usage  de  2'*  bouches  à  feu  qu'ils  avaient  et  même 
de  leur  mousqueterie,  lorsqu'ils  furent  plus  près.  »  Lévis 
s'apercevant  du  danger  auquel  allaient  être  exposées  les 
deux  brigades  de  droite,  encore  en  l'air,  les  fit  «  retirer  à 
l'entrée  du  bois  qui  était  derrière,  pour  attendre  que  les 
autres  fussent  formées  et  pussent  les  protéger  ». 

L'affaire  s'engageait  fâcheusement  pour  les  Franco- 
Canadiens.  Les  voltigeurs  anglais  reprirent  possession  de 
la  maison  Dumont  que  les  grenadiers  fran(.'ais,  se  con- 
formant au  recul  de  leur  droite,  avaient  évacuée.  Pour 
comble  de  malheur,  le  brave  Bourlamaque,  qui  surveillait 
ce  mouvement,  fut  blessé  pour  la  troisième  fois  depuis  son 
arrivée  au  Canada  et  forcé  <le  quitter  le  champ  de  ba- 
taille. 

Ala  droite,  la  retraite  commandée  par  Lévis  fut  mise  cà 
profit  par  les  troupes  légères  de  Murray  qui  s'emparè- 
rent du  terrain  abandonné.  Encouragée  par  ces  avantages, 
toute  la  ligne  anglaise  prit  l'olfensivo,  précédée  par  son 
artillerie  qui  déversait  sur  les  Français  une  pluie  de  pro- 
jectiles. Cette  manœuvre,  en  faisant  descendre  les  bataillons 
de  Murray  des  hauteurs  où  ils  étaient  rangés  au  début  de 
l'action,  lut  la  cause  de  leur  perte.  Les  Français  revenus  de 
leur  surprise  s'étaient  ressaisis  ;  à  la  gauche,  les  grena- 
diers d'Aiguebelle  se  sentant  soutenus,  .se  lancèrent  à  l'as- 
saut de  la  maison  Dumont  et  chassèrent  l'infanterie  légère 
britannique  de  cette  bâtisse,  ainsi  ([ue  du  moulin  voisin; 
à  leur  suite,  la  brigade  de  la  Sarre  composée  du  bataillon 

(J)  Journal  des  campagnes  de  Lévis,  p.  Mi. 


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348 


LA  GUEURK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


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de  ce  nom  et  de  celui  de  Béarn  marcha  en  '.vant  sans 
tirer  et  sans  se  laisser  arrêter  par  la  mitraille. 

Ici  se  place  un  épisode  glorieux  décrit  par  deux  offi- 
ciers français,  Malartic  et  Johnstone,  dont  l'un  fut  acteur  et 
dont  l'autre  reproduit  le  récit  de  ses  compagnons  d'armes, 
l'our  aborder  les  Anglais,  la  brigade  de  la  Sarre  avait  à 
traverser  un  bas-fonds  recouvert  de  deux  pieds  de  neige  à 
moitié  fondue.  Le  chevalier  de  Lévis  la  voyant  fort  em- 
pêtrée dans  ce  bourbier,  lui  fit  dire  de  gagner  l'abri  de 
quelques  maisons  peu  éloignées.  L'officier  porteur  de  cet 
ordre  le  traduisit  en  criant  sans  explication  :  «  Demi-tour 
à  droite  ».  Aussitôt  un  flottement  et  un  commencement 
d'hésitation  qui  aurait  pu  mal  tourner,  les  Anglais  n'étant 
qu'à  50  pas.  Malartic,  majorde  la  brigade,  au  lieu  de  faire 
face  en  arrière,  comme  l'aurait  voulu  le  commandement, 
courut  se  placer  à  15  pas  en  avant  ;  le  vieux  colonel  d'Al- 
([uier,  commandant  de  la  brigade,  se  mit  à  côté  de  lui  et, 
lui  disant  tout  bas  :  «  Major,  je  prends  tout  sur  moi  », 
s'écria  à  forte  voix  :  «  En  avant,  mes  enfants,  ce  n'est  pas 
le  moment  de  reculer  quand  on  est  à  20  pas  de  l'ennemi  ; 
en  avant  et  à  la  baïonnette.  »  Électrisés  par  les  paroles  et 
par  la  vue  do  leur  colonel  ruisselant  du  sang  d'une  bles- 
sure qu'il  venait  de  recevoir,  les  hommes  s'élancèrent  à 
la  charge  et,  par  un  choc  irrésistible,  enfoncèrent  la  ligne 
anglaise. 

Entre  temps,  la  maison  et  le  moulin  Dumont  étaient  le 
théâtre  d'une  lutte  sanglante  entre  les  grenadiers  d'Aigue- 
belle  et  les  Highlanders  qui  étaient  accourus  à  l'aide  de 
leurs  camarades;  les  bâtiments  finirent  par  rester  au  pou- 
voir des  grenadiers,  mais, au  prix  de  sacrifices  terribles;  à 
la  fin  de  la  bataille,  les  compagnies,  d'un  effectif  normal 
de  45  hommes,  étaient  réduites  à  ik. 

Cependant,  malgré  ces  heureux  incidents,  le  gros  des 
Anglais  tenait  bon;  Murray  avait  fait  appel  à  sa  réserve 
et  envoyé  un  bataillon  au  secours  de  sa  droite.  Lévis  qui, 


DÉFAITE  DES  ANC.LAIS. 


849 


des 


pendant  cette  journée,  se  montra  partout  au  premier  rang 
et  échappa  aux  balles  par  miracle,  vola  à  l'endroit  oïl  se 
trouvait  la  Sarre  et  loua  d'Alquier  de  sa  désobéissance  : 
«  Vous  avez  rendu  au  Hoi  le  plus  grand  service  en  refusant 
de  faire  demi-tour.  Tenez  encore  cinq  minutes,  et  je  ré- 
ponds de  la  victoire.  »  Puis  il  retourna  à  sa  droite  où  le 
combat  prenait  une  tournure  favorable.  L'avant-garde  an- 
glaise, après  son  premier  succès,  avait  été  mise  en  échec 
par  les  Canadiens  de  Montréal  qui,  excellents  tireurs, 
s  étaient  embusqués  à  l'orée  du  bois  de  Sillery.  Sous  la 
protection  de  leur  mousqueterie,  les  bataillons  de  ligne 
et  de  la  marine  se  formèrent  rapidement  et,  se  portant 
en  avant,  recouvrèrent  le  terrain  perdu.  On  se  fusilla  de 
part  et  d'autre  à  bonne  portée;  mais  les  premiers  échelons 
battus  de  l'armée  britannique,  dans  leur  recul  désor- 
donné, s'étaient  répandus  sur  tout  le  front  de  bataille  ; 
non  seulement,  ils  gênaient  le  tir  de  leur  infanterie,  mais 
ils  masquaient  l'artillerie  et  l'empéchaieitt  de  continuer 
un  feu  qui  avait  été  jusqu'alors  très  meurtrier  pour  les 
Français.  En  vain  Murray  et  ses  brigadiers  essayèrent-ils 
de  rallier  les  fuyards,  tous  leurs  efforts  ne  firent  qu'aug- 
menter la  confusion. 

Ce  fut  une  attaque  de  flanc  qui  détermina  la  victoire. 
Lévis  avait  affecté  deux  brigades  à  ce  mouvement;  Tune, 
celle  de  la  Reine,  par  suite  d'un  ordre  mal  compris  ou  mal 
transmis,  se  trompa  de  direction  et  resta  inactive;  mais  la 
brigade  de  Royal  Roussillon,  sous  la  conduite  du  brave 
Poulhariès,  suivie  d'un  détachement  canadien,  profita  des 
accidents  de  terrain  pour  se  glisser  entre  les  falaises  du 
Saint-Laurent  et  la  gauche  anglaise  qui,  descendue  de  ses 
hauteurs,  se  débattait  dans  la  neige  et  la  boue  des  bas- 
fonds.  La  ligne  ennemie  dépassée,  Poulhariès  fit  faire  à 
gauche  à  ses  hommes  et  chargea  à  fond.  Cet  assaut  im- 
prévu eut  une  pleine  réussite.  Les  Anglais,  déjà  ébranlés 
par  la  pluie  de  balles  et  par  les  boulets  des  trois  canons, 


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LA  GL'EHRE  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


que  Lévis  avait  fait  mettre  en  batterie,  se  crurent  coupés 
(le  Québec  et  s'enfuirent  en  désordre  s'abriter  autour  des 
blockhaus  construits  pendant  l'hiver  en  avant  de  l'en- 
ceinte. Vainement  les  derniers  bataillons  de  la  réserve 
tentèrent  d'arrêter  la  déroute;  leur  intervention  tardive 
ne  put  rétal>lir  la  balance.  La  défaite  de  la  gauche  entraîna 
celle  de  la  droite  ;  sauf  deu.K  bataillons  qui  gardèrent  leurs 
formations  et  couvrirent  de  leur  mieux  le  recul,  toute 
l'armée  britannic[ue  ne  devint  plus  (ju'une  masse  confuse 
dont  la  rentrée  à  Québec,  au  dire  de  l'historien  anglais, 
Mante,  ressembla  bien  plus  à  une  fuite  qu'à  une  retraite. 

La  bataille,  qui  dura  deu.\  heures,  fut  beaucoup  plus 
longue  et  plus  sanglante  que  celle  du  13  septembre 
1759;  elle  se  termina  par  une  victoire  complète  des 
Frant^ais  ({ui  eût  été  encore  plus  décisive  sans  l'erreur 
qui  inmiobilisa  la  brigade  de  la  Reine.  Elle  coûta  cher  aux 
deu.K  parties  :  les  pertes  françaises  totales,  d'après 
les  états  officiels,  se  montèrerit  à  833  hommes  dont  une 
forte  proportion  d'officiers.  Les  vaincus  furent  encore  plus 
éprouvés;  leur  déficit  atteignit  le  chifi're  de  1.100  tués, 
blessés  ou  pris;  toute  leur  artillerie,  composée  de  22  ca- 
nons, resta  entre  les  mains  des  Français.  Bref,  la  bataille 
de  Sainte-Foy  où  ces  derniers  eurent  ik  0/0  et  les  Anglais 
27  1/2  0/0  de  leurs  effectifs  mis  hors  de  combat,  fut  pro- 
portionnellement aussi  meurtrière  que  les  grandes  actions 
européennes  de  la  guerre  de  Sept  tins  et,  à  cet  égard, 
peut  être  comparée  aux  batailles  de  iMandchourie  entre  les 
niasses  russes  et  japonaises. 

Quant  aux  200  ou  300  sauvages  <|ui  suivaient  les  trou- 
pes de  Lévis,  ils  démontrèrent  une  fois  de  plus  leur  inu- 
tilité dans  un  engagement  en  rase  campagne  ;  pendant  la 
mêlée,  ils  ne  bougèrent  pas  malgré  les  efforts  que 
firent  les  officiers  coloniaux  pour  les  entraîner;  eu  revan- 
che, aussitôt  l'affaire  finie,  ils  s'acharnèrent  sur  les  cada- 
vres et  parfois  sur  les  blessés,  sans  distinction  de  natio- 


1»EI\TES  DES  DEUX  AUMEES. 


351 


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nalité,  pour  enlevor  les  chevelures  et  s'en  fain*  trophée, 
confortnéincnt  à  leur  hideuse  coutume. 

A  Sainte-Foy,  les  deux  armées  rivales  firent  preuve  de 
courage  et  de  ténacité,  mais  la  palme  appartient  sans 
conteste  à  cette  poignée  de  soldats  frun(;ais,  à  ces 
paysans  canadiens  qui  se  battirent  en  héros  qui,  pres- 
que sans  canon,  mal  armés,  mal  équi[)és,  surent  prendre 
leur  revanche  sur  les  vétérans  de  Murray.  C'est  {\  hon 
droit  que  les  descendants  des  combattants  d'alors  ont 
élevé,  sans  opposition  de  la  part  du  gouvernement  britan- 
nique —  on  pourrait  dire  sous  son  œil  l)ienveiliant  — 
un  monument  commémoratif  destiné  à.  rappeler  la  fî\(^v:c 
de  leurs  ancêtres  et  le  souvenir  de  l'ancienne  patrie. 

Parmi  les  officiers  supérieurs  qui  succombèrent  ou  furent 
blessés  figurent  les  lieutenants-colonels  Trivio  et  Trécesson, 
des  bataillons  de  Berry,  tous  les  deux  blessés,  le  second 
mortellement,  et  le  lieutenant-colonel  dAlquier  dont  nous 
avons  raconté  la  conduite  héroïque;  les  deux  comman- 
dants des  coloniaux,  F^a  Corne  et  Vassau,  furent  bles- 
sés tous  les  deux  à  la  tète  de  leurs  hommes.  Au  surplus, 
tout  le  monde  fît  son  devoir;  une  mention  spéciale  est 
due  aux  Montréalais  de  Repentigny  et  aux  Canadiens  du 
régiment  de  la  Reine.  Ces  derniers  avaient  été  affectés  à  la 
défense  de  la  redoute  et  du  bois  à  l'extrémité  droite  de  la 
ligne  française;  ils  furent,  comme  le  relate  Murray,  dépos- 
tés par  la  gauche  anglaise,  mais  sous  la  conduite  énergique 
du  capitaine  Laas  du  régiment  de  la  Reine,  ils  se  ressai- 
sirent, reconquirent  le  terrain  peidu  et  participèrent  à 
la  charge  de  Royal-Roussillon  contre  le  flanc  de  l'armée 
britannique. 

Si  l'on  étudie  avec  soin  les  différents  récits  de  l'action, 
on  constate  que  l'armée  française  fut  attaquée  avant  d'a- 
voir pu  se  déployer,  que  le  recul  commandé  par  Lévis 
faillit  tout  compromettre,  et  que  le  succès  définitif  fut  dû 
à  l'initiative  du  colonel  d'Alquier  et  à  l'offensive  pour 


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i.A  niKniu-:  de  skpt  ans.  —  ciiap.  vi. 


ainsi  dire  .spontanée,  prise  par  sa  brigade.  Ce  inouve- 
nient  se  coiiununiqua  au  c(!nlre,  arrrta  net  l'élan  des 
Anglais  et  donna  le  temps  à  Lévis  d'exécuter  la  manœu- 
vre de  flanc  <}ui  décida  du  gain  de  la  joui'iiée. 

Bourlania(|ue  écrivit  (l)  de  son  lit  lï  Bougainville  une  re- 
lation dont  le  résumé  est  à  citer  :  «  Le  cluîvalier  est  bien 
heureux;  on  ne  peut  pas  s'exposer  davantage.  11  fait  bon 
être  parent  de  la  Vierge  (2) ,  cela  vaut  mieux  que  de  faire 
ses  pâques.  Quoique  les  troupes  aient  remis  l'affaire  d'elles- 
mêmes  et  par  leur  courage,  il  a  bien  de  l'honneur  de  son 
fait  ;  cependant  les  troupes  en  ont  encore  plus.  » 

Telle  fut  la  bataille  de  Saiide-F  qui  reproduisit,  h 
queUiues  mois  d'intervalle,  les  incid»  ats  et  presque  le  dé- 
cor de  celle  d'Abraham.  Les  rôles  sont  renversés  :  les 
Franco-Canadiens  de  Montcalm  sont  remplacés  par  les 
soldats  britanni(|ues  deMurray;  même  terrain  à  quelques 
centaines  de  mètres  près,  mêmes  dispositions,  et  môme 
offensive  aboutissant  au  même  résultat,  la  déroute  totale 
de  l'assaillant.  Là  finit  la  comparaison,  car  les  deux  com- 
bats, malgré  leur  similarité,  n'exercèrent  pas,  il  s'en  faut 
de  beaucoup,  une  influence  correspondante  sur  les  événe- 
ments contemporains.  Tandis  que  la  défaite  de  Montcalm 
eut  pour  conséquence  la  perte  de  Québec  et  infligea  une 
blessure  presque  mortelle  à  toute  la  colonie,  la  victoire 
de  Sainte-Foy  ne  fut  qu'un  épisode  brillant,  qu'un  dernier 
rayon  de  gloire  dans  une  lutte  sans  espoir. 

Comme  le  prouvent  les  extraits  de  sa  dépêche  écrite  le 
surlendemain  de  l'action,  Murray  ne  chercha  pas  à  dégui- 
ser la  défaite,  dont  il  avait  "été  le  premier  surpris  :  «  Nous 
avons  été  malheureux,  nous  serons  donc  blâmés  par  tout 
le  monde  en  Angleterre,  mais  je  prends  à  témoin  chaque 


(1)  Bourlamaque  à   Hougainville,  Sainle-Foy,  3  mai  1760.  Papiers  de  fa- 
mille de  Hougainville. 

(2)  La  famille  de  Lévis  prétendait  descendre  de  la  famille  de  la  Vierge. 


SIKGE  im  QUICIIEC. 


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îS'Ul- 


dc  fa- 


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oriicic-r  qui  a  pris  [)art  à  l.i  bataille  vl  je  lui  cleinaiulc  s'il 
y  a  (Ml  faute  dans  mes  (lis[)()sili()ns,  ou  si  je  n'ai  pas  fait 
tous  les  cHorts  possibles  pour  stimuler  les  bommes  pen- 
dant l«'  combat.  La  supériorité  ac([uise  par  nos  troupes  sur 
l'ennemi  depuis  la  dernière  canipaj^ue  et  la  belle  artillerie 
(le  campagne  dont  nous  étions  munis  m'auraient  amené 
à  livrer  bal.iille,  (piaud  même  je  n'aurais  pas  été  convaincu 
(pi'elle  s'imposait.  » 

AussitiM  lii  lutte  acbevée,  les  Fran(;ais  occupèrent  la 
eréte  des  liauteurs  (pii  «  ne  scMit  (ju'à  300  toises  au  plus 
de  la  place  »  et  s'installèrent  sur  le  revers  où  ils  passèrent 
la  nuit.  La  journée  fut  employée  à  ramasser  les  blessés 
e»  k  les  transporter  à  l'bùpital  général  dont  on  prit 
possession. 

Dès  le  lendemain  commença  le  siè^e  de  Québec.  In  as- 
saut immédiat  aurait  piobablenumt  mis  la  ville  entre  les 
mains  de  Lévis.  La  garnison  anglaise  était  réduite  à  un  ef- 
fectif de  2.100  hommes;  leur  moral  avail  été  très  allecté 
par  la  défaite;  le  désarroi  était  partout  et  la  discipline 
complètement  relAcliée.  «  Nos  soldats,  érrit  deux  jours 
après  le  capitaine  Knox,  (]ui  servait  dans  les  rangs  brifan- 
ni(pies,  se  livrent  à  cbar|ue  instant  à  une  foule  d'excès; 
ils  pénètrent  de  force  dans  les  magasins  et  les  maisons 
particulières  pour  se  procurer  du  rK]uide.  Cela  provient 
de  la  panique  et  de  la  démoralisation  aggravée  par 
l'ivresse.  On  a  pendu  ce  soir  un  homme  sans  jugement 
poui-  ell'raycr  les  autres.  Espérons  que  cet  exemple  sera 
suffisant  pour  arrêter  la  continuation  du  désordre  et  pour 
inspirer  aux  soldats  le  sentiment  de  leur  devoir.  » 

Malheureusement,  Lévis  ne  fut  pas  renseigné  sur  l'état 
d'esprit  de  l'ennemi  et  n'osa  pas  entreprendre,  sur  l'en- 
ceinte fortifiée  et  armée  de  (juébec,  une  tentative  (jue 
le  succès  seul  eût  justiliéc  aux  yeux  des  juilitaires  de  l'épo- 
que, Miupuleux  obsersateurs  de  la  procédure  régulière. 
Knox  estime    qu'une  escalade  eût  réussi  :  «  Si    l'ennemi 

GUBRAE  DE  SKI'T  ANS.   —  CIIAl'.    VI.  '^3 


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LA  Gl  KIUU-:  l)K  SKI'T  ANS.  -   CllAl».  M. 


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avait  (loniH-  suite  le  29  ou  le  .lO  au  coup  ([u'il  avait  Irappé 
le  28,  avant  que  nos  soldats  se  lussent  ressaisis,  je  suis 
lortenient  enclin  h  croire  qu'en  dépit  du  zèle  actif  et  du 
courage  du  p)uverneur  et  d(î  la  plupart  des  oKiciers,  Uué- 
hec  serait  retombé  au  pouvoir  de  ses  anciens  maîtres.  » 
L'occasion  nianquéc  ne  se  retrouva  pas.  Murray  était  un 
autre  homme  que  Uamezay,  son  piédécesseiir  français  de 
17ôî>.  Autant  ce  de  .lier  avait  été  laible,  timoré,  peu  sou- 
cieux de  prolonger  la  résistance  des  quelques  heure  ([ui 
eussent  permis  à  l'armée  française  de  venir  à  son  aide, 
autant  Murray  se  montra  conscient  de  l'importance  de 
son  rôle,  énergique  dans  sa  conduite.  L'escadre  de  secours, 
qu'on  lui  avait  promise  et  dont  il  avait  réclamé  l'envoi  dès 
la  fonte  des  glaces,  devait  partir  de  Halifax  dans  la  Nou- 
velle-Ecosse; elle  était  donc  plus  proche  ([ue  les  vaisseaux 
de  France  et  devait  arriver  avant  eux.  Il  s'agissait  de  tenir 
jus([ue-là.  Murray.  s'y  employa  avec  intelligence;  pour 
avoir  ses  troupes  sous  la  main,  il  leslitsortirde  leurs  ([uar- 
iiers  et  hivouacjuer  à  portée  des  murs;  sur  le  front 
d'attaque,  il  tvccumula  tous  les  canons  que  possédait  la 
place  i't  s'attacha,  par  un  feu  soutenu,  h  entraver  les  tra- 
vaux d'approche  et  à  inquiéter  le  campement  français. 

Empruntons  au  Journal  de  Lévis  la  courte  description 
de  la  ville  et  du  front  de  terre  ([u'il  fallait  entamer  : 
«  Québec  forme  une  espèce  de  triangle  qui  occupe  une 
pointe  de  terre  fort  élevée  sur  la  rive  gauche  du  fleuve 
Saint-Laurent.  Le  fleuve  défend  un  des  deux  cAtés  qui 
sont  vers  la  campagne,  l'un  qui  suit  l'escarpement  de  la 
côte  d'Abraham  commande  avec  beaucoup  de  supériorité 
une  plaine  basse  où  serpente  la  rivière  Saint-Charles;  cette 
côte  d'Abraham  règne  presque  parallèlement  au  fleuve 
Saint-Laurent  et  va  s'y  réunir  à  l'embouchure  de  la  ri- 
vière du  cap  Rouge.  Le  côté  de  Québec  qui  est  terminé 
par  cette  côte  et  par  l'escarpement  du  fleuve  est  le  seul 
accessible  ;  la  distance  en  est  d'environ  sept  cents  toises. 


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DII-i'iri)LTi;S    DES   IHAVAUX  I)  AI'l'UOlllK. 


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Il  t^st  (léiVnilii  pnr  une  enceinte  de  six  l)aslions  rcvi^his  et 
presque  sur  un('  lii;n<-  droite,  l'n  fossr,  peu  piofond,  dont 
l'excavation  en  (pK'Wpics  endivoils  n'est  (juc  de  cin(i  i\  six 
pieds,  quidques  terres  rai)porl(''es  sur  la  eontrcscarj»', 
six  A  sept  redoutes  de  bois  construites  par  les  Anglois 
couvroieni  cette  enceinte.  Le  terrain  pour  les  approches 
est  pierreux;  il  devient  presque  roc  en  approchant  de  la 
place,  et  les  hauteurs  mènu's  dont  nous  nous  étions  em- 
parés ont  à  pcùne  six  pouces  de  (erre.  Il  l'ut  décidé,  après 
avoir  nîconnu  la  place,  (|u'on  couronnei-oil  par  une  pa- 
rallèle les  hauteurs  (pii  sont  devant  le  front  des  bastions 
Saint-Louis,  de  la  (Jlacière,  et  du  cap  au  Oianiant,  et 
qu'on  y  élabliroit  des  batteries,  d'où  on  espéroit,  nialtçré 
l'éloignenuMit  et  la  faiblesse  du  calibre  de  nos  pièces, 
qu'elles  pourroient  faire  brèche,  le  r(;vètement  étant 
dans  cett(î  partie.  » 

Le  id  avril,  les  opérations  du  siéfjc;  débutèrent  sous 
la  dir(>ction  de  Pontleroy,  commandant  du  jL^énie,  et  de 
Montbeillard,  commandant  de  l'artillerie.  Le  camp  fut 
re[>orté  îY  un  quart  de  lieue  en  arrière  et  on  amorça 
la  prcMuière  parallèle.  Le  T'uiai,  «on  commença  trois 
Jiatleries,  l'une  de  six  [)ièces  devait  battre  un  peu  en 
écharpe  la  face  du  bastion  de  la  (llacière;  une  autre 
de  ([uatrc  pièces,  i»lacéc  sur  la  iJiauche,  battait  direc- 
tement cette!  partie;  la  troisième  de  trois  pièces  était 
dirigée  sur  le  flanc  du  bastion  Saint-Louis  opposé  i\  celui 
de  la  Glacière.  On  y  joignit  une  batterie  de  deux  mortiers. 
On  ne  pouvait  construire  la  parallèle  et  ses  batteries 
qu'avec  des  difficultés  incroyables.  On  cheminait  sur  le 
roc,  et  il  fallait  porter  la  terre  dans  des  sacs  d'une  fort 
grande  distance.  Les  ennemis  cpii  ;l  tous  moments  démas- 
(|uaient  des  [»ièces,  nous  retardai(!nt  beaucou[)  [)ar  des 
précautions  qn'il  fallait  prendre;  les  boulets  plongeant 
derrière  les  hauteurs,  il  y  avait  peu  d'endroits  oii  l'on  fût 
à  couvert,  l'on  fut  même  obligé  d'éloigner  le  camp  ». 


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356 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI',   VI. 


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Malgré  l'activité  déployée  par  l'assiégeant,  Murray  no 
s'était  pas  laissé  décoiuager;  reconnaissons  d'ailleurs 
qu'îY  plusieurs  points  de  vue  sa  situation  était  meilleure 
que  celle  du  gouverneur  français  de  1759.  Une  gar- 
nison de  plus  de  2.000  officiers  et  soldats,  encore  sous 
le  coup  de  leur  défaite,  mais  homogène,  composée  d'ex- 
cellents éléments  et  capable  de  se  ressaisir  rapidement, 
pas  de  population  civile  à  ménager,  aucune  crainte  d'une 
entreprise  navale  ou  d'un  bombardement  énervant,  espoir 
d'un  prompt  secours;  à  tous  ces  avantages  allait  s'ajouter 
l'inefficacité  de  l'attaque,  entravée  par  l'insuffisance  du 
matériel  et  le  manque  de  munitions.  Dès  le  îiO  avril, 
Murray  manifestait  (1)  sa  confiance  :  «  'Is  (les  Français) 
ont  déjà  achevé  leur  première  parallèle,  mais  j'espère 
que  nous  ne  serons  pas  réduits  aux  extrémités  avant  l'ar- 
rivée de  l'escadre  que  nous  attendons  tous  les  jours.  S'il 
en  était  autrement,  je  me  retirerai  au  pis  aller  avec  ce 
que  je  pourrai  dans  l'ile  d'Orléans  et  tiendrai  là  jusqu'à 
la  venue  des  renforts.  Si  nous  avions  été  maîtres 
du  fleuve,  où  il  est  évident  que  des  vaisseaux  peuvent 
hiverner,  ils  n'auraient  jamais  osé  faire  leur  tenta- 
tive. » 

Une  fois  de  plus,  la  suprématie  sur  mer  allait  trancher 
le  sort  de  la  colonie.  L'escadrille  française  ne  se  compo- 
sait que  de  deux  petites  frégates,  la  Pomonc  et  YAta- 
lanle,  cette  dernière  commandée  par  le  brave  Vauquelin 
que  nous  avons  vu  se  distinguer  pendant  le  siège  de 
Louisbourg  en  1758,  et  de  quelques  bâtiments  de  faible 
échantillon.  Les  Anglais  n'avaient  eu  à  leur  opposer  en  pre- 
mier lieu  que  deux  frégates  qui  étaient  restées  à  Québec 
et  encore  l'une  d'elles  avait  fait  voile  le  l"  mai,  sans  doute 
pour  cherchei"  du  secours.  Lévis  voulut  profiter  dj  cette 
supériorité  momentanée  pour  faire  passer  Vauquelin  au- 


(I)  Murray  à  Ainlierst,  (Iqu^clie  déjà  citée. 


ysçr^Tv-ç*;  •  ■  *w^ 


ARRIVÉE   DUNE   FRÉGATE   ANGLAISE. 


357 


dessous  de  Québec  à  la  rencontre  des  vaisseaux  attendus 
de  France;  l'arrivée  d'une  nouvelle  frégate  anglaise  fit 
renoncer  à  ce  projet. 

Depuis  10  jours  lesiège  suivait  son  cours  quand,  le  9  mai, 
on  vit  entrer  dans  la  rade  un  bAtiment  de  guerre.  Était- 
il  français  ou  anglais?  l/incertitude  ne  dura  pas  long- 
temps, [.a  frégate  jeta  l'ancre  devant  la  ville,  assura  son 
pavillon  aux  couleurs  britanniques  par  un  salut  de  21 
coups  de  canon  et  détacha  son  canot  à  teri'e.  La  joie 
de  la  garnison  se  manifesta  par  une  explosion  de  cris  et 
de  vivats;  officiers  et  soldats,  oublieux,  pour  une  fois,  du 
flegme  national,  montèrent  sur  les  parapets  en  face  des 
assiégeants,  jetant  leurs  chapeaux  en  l'air,  hurlant,  ges- 
ticulant à  qui  mieux  niieux;  les  artilleurs  prirent  leur 
part  de  l'allégresse  générale  en  faisant  un  feu  des  plus 
soutenus  sur  les  tranchées  et  sur  le  camp  fran(;ais.  Quel- 
que déçus  ([u'ils  eussent  été  par  l'aj^parition  du  bAtiment 
anglais,  les  Français  tirent  bonne  contenance  et  répon- 
diient  aux  bourrahs  de  la  garnison  par  des  cris  répéter 
de  «   Vive  le  Roy  ». 

La  partie  n'était  pas  encore  pcdue;  la  venue  isolée 
d'un  navire  de  médiocre  importance  ne  prouvait  qu'une 
chose  :  que  le  Saint-Laurent  était  ouvert  à  la  navigation; 
on  pouvait  encore  espérer  la  montée  du  convoi  de  France, 
ou  tout  au  moins  d'un  vaisseau  chargé  de  munitions  ([u'on 
savait  bloqué  dans  les  glaces  à  Gaspé.  Néanmoins,  ui  vue 
du  Lowestoft  ranima  complètement  le  moral  des  soldats  de 
Murray;  ce  bâtiment  ap[)artenait  à  l'escadre  du  Commodore 
Swan  qui  avait  apparcùllé  d'Angleterre  au  mois  de  mars; 
en  route,  il  avait  échangé  des  signaux  avec  lord  Colville 
et  savait  que  cet  officiel  avait  désigné  à  ses  vaisseaux 
comme  rendez-vous  l'ile  de  Bic  dans  l'estuaire  du  Saint- 
l^aurent.  Quant  au  navire  qui  avait  hiverné  à  Gaspé,  il 
apportait  2V  canons  de  2V,  300  barils  de  poudre,  des  fu- 
sils, des  boulets  et  toutes  sortes  de  provisions,  maisaban- 


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CIIAI».  VI. 


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donné  par  son  (''(juipnuc,  en  majorité  étranger,  il  n'était 
pas  en  état  do  naviguer;  Swan,  en  passant,  s'en  empara 
sans  résistance. 

Jusqu'alors  les  mauvais  avis  n'étaient  pas  encore  connus 
et  les  soldats  de  Lévis  poussaient  les  travaux  du  siège 
avec  énergie,  malgré  la  gravité  des  obstacles  à  surmon- 
ter :  '(  La  parallèle  et  les  batteries  (1)  ne  purent  s'a- 
chever qu'avec  des  difliciUés  incroyables  L'ennemi  eut 
bientôt  dénuisqué  60  pièces  de  canon  sur  les  t'ionts  at- 
taqués. Cette  artillerie  servie  avec  la  plus  grande  vivacité, 
non  seulement  retardait  la  construction  des  batteries, 
mais  aussi  empêchait  les  travailleurs  de  faire  les  trans- 
ports. Los  boulets  plongeant  derrière  les  hauteurs,  il 
n'y  avait  aucun  endi'oit  qui  en  fût  à  couvert. 

En  dépit  de  ses  efforts,  Lévis sava't  bien  fpie  tout  détien- 
drait des  premiers  secours  :  «  Nous  ne  sommes  point  encore 
au  bout  de  nos  desseins,  avait-il  répondu,  la  veille  de 
l'arrivée  du  Loivestoft,  aux  félicitations  do  liougaiiiville  (2), 
je  crains  autant  le  pavillon  rouge  que  je  désire  le  blanc.  » 
Enïin,  le  H  mai,  les  liatlerios  commencèrent  h  tirer  et 
malgré  la  grande  supériorité  des  Anglais,  leur  action  aurait 
été  efficace  si  notre  petite  artillciie  eût  été  de  meil- 
leure espèce.  Dans  une  déj)éche  à  Vau(:reuil,  Lévis  rend 
compte  (3)  de  ses  déceptions  :  «  Nos  batteries  sont  en 
mauvais  état,  nous  avons  eu  hier  au  soir  deux  pièces  de 
18  <|ui  oui  crevé  et  la  pièce  de  24  qui  a  été  mise  hors 
de  service  par  une  bomi)e;  elle  était  déjà  fendue.  Avec 
le  peu  de  grosses  pièces  qui  nous  restent  et  la  ([iialité 
n'en  étant  pas  bonne,  nous  sommes  hors  d'état  do  faire 
brèche.  Les  officiers  d'artillerie  se  plaignent  aussi  (juc  la 
poudre  est  éventée,  et  n'a  pas  la  force  qu'elle  devrait 

(I)  Rplalions  cl  journaux,  p.  :»il.  MaiiuscrUs  Lévis. 
('.!)  Lt'vis  a  HoMsaiiivillf,  cauiiule  Qui'lmc,  S  inailTGO.  Paiiicrs  ilc  !5ougain- 
villo. 
Ci)  Li'vis  à  VauJnmil,  l'rès  Québec,  i:t  mai  ITHii.  LcUies  di;  Livi>. 


KAILLITË  DK  I/AUTILLERIE  DE  SIÈGE. 


359 


la 


ftvr)ir.  Sans  toiiS  tkk  ftrcidnnls,  nous  aurions  f/iif  hrèclie, 
nélant  (fti'à  H)0  tojso.s  (Je  la  placo,  eu  allaquaut  le  bas- 
(ion  qui  est  luiivi'  cc.liil  do  in  tuinilvepip.  el  co)(iJ  de  la 
porte  Saint-Louis,  oh  est  i|ne  /(fusse  pHiB.  tfjitii  ces  cir- 
constances fâclieijses,  je  suis  obligé  de  (empolî^lse^  et  cher- 
cher à  gagner  du  tein|)S,  |6^  ffth  /eftant  eW  flfjesure  do 
pouvoir  recevoij-  les  socoiii'S  i^Ul  j^lullppnJli  OoïiS  «('river 
de  France.  Ef  si  nous  en  frr0\ffU^  on  oaï(////s'  ht  |/////dres, 
la  place  sera  bionf61  prise;  c/J/',  s/^/js  avoir  fait  brècjio,  il 
n'est  pas  possiMe  i)f'  lonlor  une  escalade,  la  garnison 
étant  encore  d  envilott  2.500  hommes  combattants  les 
remparts  étant  bordés  d'artillerie,  et  occupant  encore  les 
blockhaus,  et  nos  troupes  étant  trop  harassées  et  afFai- 
l)lies  poui"  pouvoir  tenter  une  attaque  désespérée.  Je 
compte  soutenir  toujours  les  batteries  en  état  .ivoc  du 
canon  do  12  et  quehjues  bombes,  alin  de  ménager  la 
poudre,  pour  maintenir  plus  longtemps  le  siège  et  être 
en  mesure  do  profiter  des  secours,  no  faisant  brûler  qu'en- 
viron 2  milliers  de  poudre  par  jour.  C'est  le  seul  parti 
à  prendre  dans  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons 
et  je  me  flatte  que  vous  l'approuvez.  »  Dans  un  conseil 
tenu  le  13  (1)  chez  Bourlamaque  encore  au  lit  dos  suites 
(le  sa  blessure,  il  avait  élé  décidé  (pie  ((  les  pièces  no  tire- 
raient chacune  (pie  20  coups  par  jour  et  qu'on  attendrait 
les  secours  d'Kiirope  ». 

Lévis  s'eiïorce  d'entretenir  le  moral  en  établissant  do 
l'autre  c(Mé  de  la  rivière  Saint-Charles  une  nouvelle 
batterie  qui  devait  prendre  les  défenseurs  à  revers,  mais 
il  commence  il  prévoir  réchec  do  l'expédition  et  désespère 
de  recevoir  les  renforts  de  Franco  :  «  Je  crains  bien  que 
la  Franco  ne  nous  ait  abandonnis,  écrit-il  à  Bigot  (2),  car 
il  vente  nord-est  depuis  longtemps,  nous  sommes  dans  les 

(1)  Bourlamaque  à  Ilougainville.  Deschambt^aiix,  23  mai  1760.  Papiers  de 
I{ougainvill(\ 
li)  l.évis  à  Hi^ol,  15  mai  17(10.  Lcllrcs  de  L<'vi.<. 


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LA  r.rEHHE  UE  SEPT  ANS. 


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grandes  mors  et  rien  n'arrive.  Nous  avons  fait  et  faisons 
ce  que  nous  pouvons.  ]c  juge  la  colonie  perdue  sans  res- 
source, s'il  ne  vient  du  secours.  » 

Quelques  heures  après,  le  secours  si  ardemment  atten- 
du arriva,  mais  c'était  celui  des  Anglais.  Le  15  mai, 
à  10  heures  du  soir,  on  apprit  que  deux  vaisseaux  de 
guerre  venaient  de  mouiller  derrière  la  pointe  de  Lévis. 
Le  général  fi'an(;ais  «jugea  qu'ils  étaient  anglais,  n'ayant 
mis  personne  à  terre  à  la  rive  du  sud  pour  faire  avertir  ». 
Il  ordonna  aussitôt  le  dé|)art  des  bâtiments  qui  servaient 
de  dépùt  et  le  déblaiement  de  l'artillerie  des  tranchées; 
les  frégates  furent  prévenues  et  invitées  k  se  tenir  sur 
leurs  gaides  et  à  faire  leurs  préparatifs  pour  mettra»  *  la 
voile.  Le  mauvais  temps  ne  permit  pas,  paraît-i'.  jfti- 
cier  chargé  de  ce  dernier  ordre  de  le  faire  passer  à  bord  ; 
cependant,  il  n'empêcha  pas  les  vaisseaux  anglais  de  re- 
monter le  fleuve. 

Voici  en  quels  termes  le  journal  de  l'expédition  raconte 
le  désastre  de  la  flottille  :  «  A  5  heures  du  matin  (le 
16  mai'),  on  vint  lui  dire  (à  Lévis)  que  nos  bâtiments  ap- 
pareillaient, (|ue  ceux  des  Anglais  étaient  près  d'eux, 
('ne  frégate  parut,  étant  suivie  de  peu  de  distance  d'une 
autre;  et,  à  environ  un  ((uart  de  lieue  et  demi,  il  parut 
un  vaisseau  de  soixante  canons.  Tous  nos  navires  cou- 
pèrent leurs  cAbles.  La  Pomono  en  appareillant  abattit 
trop  du  côté  <lc  la  terre  du  nord  et  échoua.  Les  deux 
frégates  ennemies  continuèrent  à  poursuivre  VAlaîante. 
Elle  (celle-ci)  joignit  les  bâtiments  de  transports  â  hau- 
teur du  Cap  llouge  et,  voyant  ([uils  allaient  être  joints 
par  l'ennemi,  leur  ordonna  de  s'échouer.  Klle  fut  forcée 
d'en  faire  autant  à  5  lieues  plus  haut,  vis-à-vis  la  Pointe- 
aux-Trembles, où  elle  essuya  pendant  ileux  heures  le  feu 
des  deux  frégates.  Le  commandant  (V^uquelin)  après 
avoir  consommé  toutes  ses  munition'^  "^i  avoir  fort  - 1; 
dommage  les  vaisseaux  ennemis,  fut  fait  prisonnier  sans 


LEVÉE  DU  SiftGE  DE  QIÉHEC. 


301 


avoir  amené  pavillon;  les  ennemis  voyant  qu'il  ne 
tirait  plus,  y  envoyèrent  un  canot  auquel  il  se  rendit.  Il 
avait  fait  évader  tout  l'équipage  qui  était  en  état  de  ser- 
vir, et  perdit  beaucoup  de  monde  et  eut  un  grand  nombre 
de  blessés,  dont  plusieurs  officiers.  » 

A  en  croire  Bourlamaque  (1),  la  retraite  fut  L'occasion 
de  désordres  multiples  :  «  Le  10  au  matin,  M.  de  Lévis 
ordonna  (]ue  les  pièces  de  siège,  les  vivres,  les  muni- 
tions et  les  bagages  des  troupes  fussent  embarqués 
dans  des  petits  bateaux  qui  étaient  au  Foulon.  Le  vent 
était  fort,  le  fleuve  agité,  le  vaisseau  de  5^»  canon- 
nait,  les  CanadicMis  se  sauvaient.  Le  magasin  où  étaient 
les  boissons  fut  abandonné,  les  soldats  furent  bientôt 
ivres.  D'ailleurs,  peu  de  chefs,  peu  de  majors,  moins  de 
discipline  que  vous  n'en  avez  jamais  vu.  Plusieurs  ba- 
taillons perdirent  presque  tous  leurs  bagages,  le  canon 
fut  jeté  en  bas  de  la  côte  et  y  resta.  Quand  le  départ  du 
vaisseau  eut  laissé  cette  partie  un  peu  plus  calme,  on  <  in- 
barqua  quelques  munitions,  vivres  et  bagages  dont  une 
partie  périt  à  la  Pointe-au\-Trembles;  d'autres  furent 
canonnés  par  les  frégates,  et  abandonnèrent  leurs  ba- 
teaux; d'autres  sont  montés  je  ne  sais  où,  on  les  cherche 
et  un  petit  nombre  s'est  rendu  à  Jacques-Cartier.  Les 
bataillons  restèrent  à  la  tranchée  comme  à  l'ordinaire 
toute  la  journée  du  10.  M.  le  chevalier  de  Lévis  se  re- 
plia la  nuit  suivante  avec  son  artillerie  légère  et  les 
troupes,  derrière  la  rivière  du  cap  Rouge  et  y  resta  tout  le 
17  à  faire  décharger  (sur  des  bateaux  de  rivière)  les  bâ- 
timents échoués.  La  Mario,  s'étant  trouvé  en  état  [)nssa  la 
nuit  devant  les  frégates  ar- 'aises  et  se  sauva,  les  autres 
furent  brûlés.  » 

Sur  l'avis  de  l'apparition  à  Québec  du  complément  de 
l'escadre  de  Colville,  Lévis  fit  continuer   la  retraite  sur 


'I)  Rourlaniariiit'  à  Bouj^ainvillc.  LcMio  déjà  cilic. 


3():> 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


)  ;i^ 


Jacques-Cartier,  après  avoir  laissé  VOO  hommes  de  ligne 
et  de  marine  à  la  Pointe-aux-Treml)les.  Le  19,  l'armée 
franchit  la  rivière  de  Jacques-Cartier,  non  sans  de  longs 
retards  dus  au  manque  d'emharcations.  Croyant  que  les 
vaisseaux  anglais  avaient  des  soldats  à  bord,  l.évis  eut 
d'îibord  l'intention  (l)de  replier  ce  poste,  mais  ayant  ap- 
pris, par  des  officiers  convalescents  sortis  de  l'hopilal  géné- 
ral, qu'aucun  renfort  n'avait  débarqué,  il  en  conclut  que 
les  Anglais  n'étaient  pas  en  état  d'agir  et  résolut  de  se 
maintenir  à  la  Pointe-au.v-Trenibles.  A  partir  du  21  com- 
mença la  dislocation;  l"S  vivras  faisaient  défaut;  la  plupart 
des  Canadiens  étaient  lenties  chez  eux;  l'ennemi,  à  moins 
d'être  rejoint  par  des  troupes  fraîches,  ne  songerait  pas  à 
la  poursuite;  il  n'y  avait  aucune  raison  d'imposer  aux 
débris  de  l'armée  la  fatigue  de  tenir  campagne.  On  se 
borna  à  détacher  sur  la  frontière  1.800  hommes  sous  les 
ordres  de  Dumas  et  repartis  entre  les  postes  de  la  Pointe- 
aux-Trembles, Jacques-Cartier  et  Deschambcaux.  Le  reste 
des  bataillons  regagna  ses  quartiers  d'hiver. 

A  en  juger  par  le  récit  de  Boui'iamaque,  la  perle  de 
l'artillerie  de  siège  et  des  munitions  aurait  pu  être  évitée 
ou  tout  au  moins  diminuée  si  l'on  avait  procédé,  dans  les 
services  d'arrière,  avec  le  sang-froid  et  la  méthode  qu'on 
déploya  pour  l'évacuation  des  tranchées.  «  J'arrivai  sur 
mon  brancard,  écrit  Bourlamaque,  au  cap  Kouge  à  8  h. 
du  matin,  fort  étonné  d'y  voir  tous  nos  bAtimenls  que  je 
croyais  bien  loin.  Tous  les  Canadiens  fuyaient;  je  fis  gar- 
der le  pont  par  des  officiers  de  bord  ;  ils  s'échappèrent 
par  Lorette  et  par  les  ponts  du  haut  de  la  rivière;  fort 
peu  restèrent  avec  les  troupes;  je  trouvai  120  bateaux, 
pas  une  garde,  pas  une  rame,  seul  avec  quelques  blessés, 
je  rassemblai  une  trentaine  de  Canadiens  et  avec  les 
équipages,  je  commençai  ii  faire  décharger  les  poudres  et 


(I)  BoiiilaiiitV|MC  ù  ilougainville,  LelUc  déjà  dire. 


ir?f!fV:i., 


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DÉSORDRES  DE  LA  RKTRAITE. 


363 


les  farinos.  Heureusement,  le  vaisseau  de  5V  que  j'atten- 
dais à  toute  heure  retourna  à  Québec.  Je  demandai  en 
vain  toute  la  journée  un  détachement  et  les  rames  qui 
étaient  au  Foulon,  on  ne  put  m'en  envoyer.  Je  fis  faire 
quelques  rames,  et  je  partis  à  l'entrée  de  la  nuit  avec  une 
goélette  chargée  de  farine  et  5  bateaux  où  j'avais  fait 
mettre  les  poudres  pour  passer  de  nuit  par  le  sud  devant 
les  frégaîcis  anglaises.  Le  vent  devint  si  violent  lorsque  je 
fus  au  delà  de  ces  frégates,  (|ue  mes  bateau.\  et  plusieurs 
autres,  pa'.'tis  du  Foulon,  qui  avaient  pris  la  même  route 
furent  dispersés.  Trois  chargés  de  poudre  périrent  ainsi 
que  plusieurs  des  autres.  »  Quel  ([uo  fût  l'ofilcier  respon- 
sable de  ce  désordre,  ces  abandons  de  muniu'ms  et  de 
provisions  eurent  une  répercussion  déplorable  sur  la  fin 
de  la  campagne  défensive. 

Pendant  le  mois  de  juin,  il  y  eut  un  intervalle  de  ré- 
pit, mais  la  situation  de  la  colonie  était  désespérée,  ainsi 
que  le  fait  ressortir  le  résumé  suivant  emprunté  au  jour- 
nal de  l.évis   :    «  La  levée  du   siège,  la  retraite  et  les 
mauvais  temps  en  se  retirant  de  ce  siège,  où  Ion  avait 
porté  en  poudre,  vivres  et  artillerie  toutes  les  l'essources 
de  la  colonie,  nous  mirent  au  dépourvu  de  toute  espèce. 
Les  bataillons  étaient  réduits  à  deux  cent  cinquante  et  au 
tiers  des  officiers,   ayant  laissé  un  détachement  à  Dcs- 
chambeaux  et  un  second  à  llle  aux  Noix.  Ils  manquaient 
de  fusils  et  de  baïonnettes.  Toute  notre  artillerie  con- 
sistait dans  les  pièces  de  campagne  (|ue  nous  avions  prises 
aux  ennemis  le  28  et  à  (|uarante  boulets  j)ar  pièce.  Point 
de  navire  de  guerre,  que  la  flûte  la  Marie  sur  la(juelle  on 
mit  (|uelques  mauvais  canons  de  fer.  Nous  avions  deux 
derai-galères  construites  depuis  peu  à  Montréal,  deux  bA- 
timents  sur  le  lac  Ontario,  une  goélette  et  deux  petites 
tartanes    sur  la    rivièie   Saint-Jean,    le    tout   assez    mal 
pourvu    d'éfiuipages,   la    plupart   des    matelots    s'étant 
retirés  dans    les  paroisses.    Nous  n'avions  pas  la  moitié 


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LA  GUEnUK  DK  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VI, 


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de  bateaux  qu'il  fallait  pour  le  transport  des  troupes. 
Nulle  espérance  de  secours,  le  lleuve  étant  couvert  do 
vaisseaux  de  guerre  anglais.  Nous  apprîmes  dans  le 
mois  de  juin  que  des  biUiiuents  ([u'on  avait  envoyés  de 
France,  les  ayant  fait  partir  trop  fard,  les  uns  avaient  été 
pris  et  les  autres  s'étaient  réfugiés  dans  la  Baie  des  Cha- 
leurs. » 

Ces  derniers  faisaient  partie  du  convoi  accompagné  par 
trois  petites  frégates  sous  le  pavillon  de  M.  d'Angeac. 
Sortie,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  de  la  (lironde 
le  10  avril,  la  flottille  parvint  sans  encombre  à  la  hauteur 
de  lile  Anticosti  le  IV  mai;  dans  ces  parages  on  sut, 
par  une  banpie  dont  on  s'enqiara,  que  l'escadre  britan- 
nique était  dans  le  golfe  depuis  G  jours;  D'Angeîic  fit  voile 
pour  la  baie  des  Chaleurs  où  il  amarina  5  navires  anglais 
a\ec  des  cargaisons  de  valeur,  puis  il  s'abiifa  dans  la  ri- 
vière de  Ristigouche  sur  les  confins  derAcadie,oii  lestrans- 
porfset  leur  escorte  demeurèrent,  sans  être  inquiétés  (1). 
jusqu'à  lafindejuin,  Recommandant  avait  expédié  à  Mont- 
réal les  dépêches  de  la  cour  et  «  établi  un  camp  pour  rafraî- 
chir les  troupes  et  leséquipagcs.  Il  y  avait,  mande-t-il,  plus 
de  1.500  habitants  réfugiés  dans  cette  partie,  mourant  de 
faim,  ayant  eu  des  castors  pour  toute  muirviluro  pendant 
l'hiver.  Nous  leur  avons  fourni  \\ç»  \\\\vs  et  nous  avons 
mis  des  chaloupes  en  ptH'l\e.  > 

Les  2'i.  et  il  juin,  on  eut  connaissance  de  plusieurs 
■'^'dsseaux  anglais  <|ui  cherchaient  à  pénétrer  dans  l'ein- 
bouchure;  cela  «  nous  engagea  à  remonter  les  nôtres  |e 
plus  avant  qu'il  serait  possible  dans  la  l'i\h'n'0  ul  i|e  \\'ix- 
vailler  à  décharger  les  vivres  et  autres  efVefs;  on  coula 
quelques  biltiments  pour  boucher  le  chenal;  retl(>  chaln(! 
était  soutenue  par  deux  batteries,   mais  n'ayant  que  de 


,'i:  ;, 


(I)  Relation  H<»  la  n.ivij^ation  Je  la  petite  flotte  (tartie  de  Bordeaux.  Record 
uKirc. 


ttx-i^--- 


DESTRUCTION   DU  CONVOI  A  UISTK.OUCllE. 


305 


petits  calibres,  elles  n'ont  fait  face  ((u'autant  qu'elles  ont 
été  battues  par  les  frégates,  mais  un  vaifseau  deT'i-  canons 
les  ayant  prises  en  flanc,  il  fallut  les  abandonner  après 
avoir  crevé  le  canon  ».  liC  combat  dura  Irois  heures; 
écrasés  par  la  supériorité  de  l'artillerie  anglaise,  les 
Français  furent  obligés  de  mettre  le  feu  à  deux  de  leurs 
frégates  et  à  abandonner  la  troisième  à  bord  de  laquelle 
étaient  détenus  G2  prisonniers  anglais.  Le  coinmodore 
liyron  (1),  qui  était  à  la  tète  de  lexpédition,  avait  sous  ses 
ordres  trois  vaisseaux  de  ligne  et  deux  frégates,  dont  l'une 
dut  être  renvoyée  k  Halifax  j)our  réparer  ses  avaries;  il 
détruisit  22  bfVtiments  de  commerce  appartenant  au  con- 
voi, et  200  maisons  du  village,  mais  il  no  put  rien  entre- 
prendre contre  les  troupes  de  terre  qui  s'étaient  retirées 
dans  l'intérieur.  Après  le  départ  de  IWron,  les  Fran- 
eais  réannèrent  cpielcpies  barques,  firent  des  prises 
aux  Anglais,  et  se  maintinrent  jusqu'à  la  capitulation 
de  Montréal,  dans  laquelle  ils  furent  conq)ris.  D'après 
une  lettre  du  commissaire  Haziigier  (2),  leireclif  em- 
barqué pour  la  France  se  conqiosa  de  7  officiers  et  do 
199  soldats.  Ils  laissèrent  derrière  eux  une  population 
de  1.;100  Acadiens  privés  de  touliî  ressource,  à  en  juger 
p!U  l'csIliiU  suivant  do  la  correspondance  :  «  Les  liabi- 
timls  des  trois  postes  de  Miramichi,  de  relui  lie  li|iipilf.!lll|i 


des  trois  de  C-araipiiH,  élni(\nl  l'ui'i  A  plaindre  eu  ,|llll|i4. 
Ils  se  plaiMn'iicnt  ùtre  dans  je  môme  é(at  ililHlN  quelques 
nttUlMUi  omix  i|u  l^istigouclie  sortaient  de  diverses  côtes 
Mans  doute  aussi  malheureux.  Ils  sont  t^lis  <|(||'oi|H,  iiuiii!l 
naresseux  "I  imhqiendants  s'ils  ne  sont  gouvernés.  Les 
Normands  de  la  partie  de  (iaspay,  Pabos,  Parpédial,  la 
(Irande-Uivière  n'étaient  [)as  mieux  cet  été.  Lors  de  la 
capitulation,  les  Anglais  ont  bri'ilé  deux  bâtiments  à  canon 

(1)  Byron  A  Colvilli-,  14  juillel  ITCO.  N.  America.  Hor.oiil  OITice. 
('.?)  UappoiLs  de  Hazagier,  17  seiiltMiibio,  28  (iclobit;  cl  ;M  ilcc.ciuliic  1760, 
Archives  'les  Colonies. 


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LA  GUKUUE  DK  SKI»!  ANS.  —  CUAl'.  VI. 


qui  postaient  encloués,  roiiipii  des  canons  et  di'Mnoli  les 
deux  premières  l)atteries.  Il  a  resté  sept  petits  bâtiments 
pour  la  pùclie  des  iiabitanls.  »  De  ees  détails,  il  apparaît 
que,  jusqu'à  roccupati(manj;iaise.  ces  Aoadieusse  livraient 
»'i  la  tç-uerre  do  course  et  faisaient  un  tort  considérable  au 
commerce  britanni<[ue.  Un  des  plus  renommés  de  ces 
marins,  Jos«  pi)  Leblanc,  originaire  du  canton  dos  Mines, 
avait  été  nu'dé  à  plusieurs  incidents  des  cami)!ignes  d'Amé- 
ri([U('  ;  réfugié  à,  Miramiclii  après  la  prise  de  Louisbourg,  il 
tombait,  pour  la  seconde  l'ois,  aux  mains  des  Anglais  (1) 
qui  linternèrent  à  Halifax. 

Des  trois  expéditions  que  le  gouvernenu'ut  britannique 
allait  diriger  contre  Montréal  et  les  hunbeaux  des  posses- 
sions françaises,  la  première  [irôte  fut  celle  qui  devait  partir 
de  Québec.  Aussilùt  le  siège  levé,  Murray  s'était  veng-é 
des  angoisses  endurées  en  sévissant  contre  les  malheureux 
Canadiens  de  la  province  de  Québec  qui,  malgré  leur 
soumission,  avaient  repris  les  armes  ou  aidé  les  Français;  à 
titre  d'exemple,  il  fit  pendre,  le  29  mai,  devant  sa  porte  (3), 
le  capitaine  de  la  milice  de  la  paroisse  de  Saint-Michel 
<[ui  avait  conduit  qiiel(|ues-uns  de  ses  honmies  au  camp 
de  l.évis.  L'exécution  de  ce  patriote  avait  été  précédée 
d'une  proclamation  datée  du  22  mai  ['.h,  à  peine  une  se- 
maine après  le  départ  des  Français  :  «  Nous  avons  donné 
aux  habitants  le  temps  nécessaire  de  rentrer  en  eux-mêmes 
et  de  réfléchir  mûrement  sur  l;i  folie  de  leurs  démarches; 
ils  ont  négligé  nos  avis  salutaires  et  se  fient  à  des  espé- 
rances trompeuses;  ils  ont  attiré  sur  eux  de  nouveaux 
malheurs.  Si  nous  n'écoutons  que  le  juste  ressentiment 
d'un  i)rocédé  si  inique,  ils  méritent  le  châtiment  le  plus 
rigoureux,  mais  guidé  par  des  sentiments  plus  humains, 

(1)  Leblanc  revint  en  Fiance  et  devint  titulaire,  le  l"  août  1767,  d'une  pen- 
sion de  Geo  livres  en  récompense  de  ses  services. 

(2)  Knox,  HisloricalJoiir  nul,  11,  p.  330. 

(3)  Manifeste  de  Murray,  Québec,  22  mai  17«0.  Papiers  de  Hougninville. 


Cil 


l'HOCLAMATlONS  UE  MUUUAY. 


367 


nous  voulons  tenter  <lo  les  retirer  de  l'ahlnie  dans  lequel 
ils  se  sontploni^és.  Nous  n'ignorons  [)as  U's  ruses  et  les  ar- 
tifices dont  ou  a  usé  pour  Ns  attirer  dans  le  i)'u'^g'e,  et  cela 
en  (|uel(iue  manière  tait  leur  excuse.  Kuliu,  le  peuple  le 
plus  j^Y'néreux  du  monde  leur  tend  les  bras  une  seconde 
l'ois  et  l(!ur  oll're  «les  secours  puissants  et  infaillibles...  Le 
lloy,  mon  MaUre,  résolu  de  posséder  le  Canada,  ne  désire 
pas  régner  sur  une  province  dépeuplée,  il  veut  conserver 
les  babitants,  la  religion  <(u'ils  cbérissent  et  les  prêtres 
qui  l'exercent;  il  veut  maintenir  les  communautés  et  les 
particuliers  dans  tous  leurs  biens,  leurs  lois  et  coutumes, 
pourvu  que  contents  de  sentiments  si  généreux,  ils  se 
soumettent  de  bonne  grA,ce  et  promptement  ù  ses  or- 
dres. » 

Suit  un  tableau  des  défaites  de  la  France  sur  mer  et  de 
l'impuissance  dans  laquelle  elle  se  trouve  de  venir  en.'ùde 
î\  la  colonie.  Le  document  se  termine  par  un  appel  aux 
sentiments  pacifistes  de  ses  lecteurs:  «  Canadiens,  l'etirez- 
vous  de  l'armée,  mettez  bas  les  armes,  restez  dans  vos 
habitations  et  ne  donnez  aucun  secours  à  nos  ennemis.  A 
ces  conditions  votre  tranquillité  ne  sera  pas  interrompue, 
vous  ferez  vos  labours  en  sûreté,  le  soldat  sera  contenu 
et  ne  fera  point  le  dégûtdes  campagnes,  vous  serez  encore 
k  temps  pour  éviter  la  famine  et  la  peste,  fléaux  plus  dé- 
vorants encore  ([ue  celui  de  la  guerre,  et  qui  à  présont 
menacent  le  Canada  d'une  ruine  totale  et  irrépara- 
ble. » 

Dans  une  autre  proclamation  en  date  du  27  juin  (1), 
l'habile  gouverneur  exploite  la  nouvelle  récemment 
re(,'ue  de  la  répudiation  ou  dc^  l'ajournement  du  paie- 
ment des  lettres  de  change  ou  des  billets  tirés  sur 
la  métropole.  Une  circulaire  signée  de  Vaudreuil  et  de 


(1)  Murruy  aux  capilaines  des  Milices.  Qui-bec,  21  juin  l/tiO.  Archives  dis 
Colonies. 


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368 


LA  UUKIUIK  UE  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


Ititiot  avail  cherclu''  ii  atténuer  l'impression  désastreuse 
occasionnée  par  cette  mesure.  Murray  s'efforce  de  ré- 
futer l'argumentation  des  autorités  de  Montréal;  tout  d'a- 
l)()rd  il  s'étonne  de  les  voir  s'adresser  «  aux  Canadiens, 
sujets  de  S.  M.  Britannique  »  ;  il  discute  leurs  assertions, 
d'ailleurs  optimistes,  et  sur  un  ton  sarcastiqu(î,  démontre 
leur  peu  de  valeur  :  «  Il  est  à  présumer  que  la  letire  cir- 
culaire parle  pîus  véritablement  quand  elle  dit  que  les 
hillets  de  caisses  ordonnancés  seront  retirés  et  bien  payés 
dès  ([ue  les  circonstances  le  pernu'ttront,  parce  que  les 
circonstances  ne  le  permettront  jamais.  S.  M.,  à  ce  qu'il 
nous  parait,  semble  croire  que  les  malversations  de  ses 
ministres  ont  bien  contribué  à  la  banqueroute  qu'il  est 
obligé  (le  faire.  »  A  retenir  enfin  les  précautions  prises 
pour  obtenir  la  publicité  voulue  :  «  Vous  lirez  cette  lettre 
à  la  porte  de  l'église,  à  l'issue  de  la  messe  un  jor.r  de 
fête,  et  vous  la  ferez  bien  comprendre  aux  habitants, 
après  quoi  vous  la  ferez  afficher  à  ladite  porte,  et  pren- 
drez soin  ([u'on  ne  l'Ate,  sous  prétexte  que  ce  puisse 
être.  » 

F^e  terrain  politique  ainsi  préparé,  Murray  s'apprèla  .i 
remonter  le  Saint-Laurent;  avec  'es  meilleurs  éléments  de 
chaque  régiment  de  sa  garnison,  il  constitua  un  petit  corps 
expéditionnaire  de  2.4^50  combattants  qui  s'embarqua  k 
Québec,  le  IV  juillet,  sur  une  tlotte  de  75  transports  ou 
berges  escortée  par  3  petites  frégates.  A  cette  date,  lo 
col()n(>l  Haviland  <>t  le  général  en  chef  Amhcrst  étaient 
"iicore  occupés  à  réunir  ieur  monde,  Je  premier  à  Saint- 
Frédéric  sur  le  lac  Champlain,  le  second  à  Oswego  sur 
le  lac  Ontario.  Les  progrès  d<>  Murray  furent  lents;  il 
mit  12  jours  à  atteindre  et  à  franchir  les  rapides  de 
Richelieu  ;  il  eut  à  cette  occasion  avec  le  corps  de  Dumas 
une  escarmouche  qui  coûta  quehpies  hommes  aux  deux 
partis.  Au  fur  et  à  mesure  de  sa  navig'ation,  le  général 
anglais  imposait  aux  habitants  le  serment  de  neutra- 


il 


MURRAY  REMONTE  LE  SAINT-LAURENT. 


:!(•.<) 


litr.  Knox  décrit  (1)  la  côrrmonie;  on  réiiuissait  en  cer- 
cle les  paysans,  on  l<Hir  faisait  lever  la  main  dioite, 
puisa  tour  de  rôle  chacun,  en  prononçant  son  nom,  ré- 
citait les  paroles  réglementaires  :  k  En  la  présence  du 
Dieu  tout-puissant,  je  jure  que  je  ne  porterai  pas  les 
armes  contre  (ieorges  II,  roi  de  la  Grande-Bretagne, 
ni  contre  ses  troupes  et  ses  sujets;  je  ue  fournirai  à 
ses  ennemis  aucun  avis  direct  ou  indirect.  Que  Dieu 
me  soit  en  aide  !   » 

Il  n'est  pas  surprenant  que  la  pression  ainsi  exercée 
ait  agi  sur  des  pauvres  gens  qui  se  rendaient  lùeii 
compte  que  la  partie  était  perdue.  Aussi  les  colons  de  la 
rive  sud  que  les  troupes  françaises  avaient  déjà  éva- 
cuée, ne  tirent-ils  pas  de  difliculté  pour  apporter  A  bord 
de  la  tlottille  des  volailles,  des  légumes,  des  œufs  et 
d'autres  denrées  qu'ils  échangeaient  contre  le  sel,  le  porc 
et  le  bœuf  qui  leur  faisaient  défaut. 

A  la  hauteur  des  Trois  lUvières,  le  convoi  de  Murray 
défila  devant  les  troupes  françaiî^es  qui  étaient  rangées  en 
bataille  pour  s'opposer  à  un  débarquement  possible. 
Knox  dépcunt  le  .spectacle  en  (2)  termes  enthousiastes  : 
c  Les  Français,  appnremment  au  nombre  de  2.000.  gar- 
nissaient leurs  ouvrages,  ils  étaient  en  général  habillés 
en  uniformes  sauf  très  [)eu  de  Canadiens  et  environ 
50  sauvages,  le  corps  peint  en  couleur  rougeAtre,  le  vi- 
sage de  nuances  diverses;  je  les  voyais  distinctement  avec 
ma  lun(>tte,  défigurés  par  des  dessins  fantastiques  destinés 
à  frapper  l'ennemi  de  terreur.  La  cavalerie  légère  qui 
caracolait  sur  la  [)lage  m'a  paru  bien  équipée;  elle  était 
habillée  en  bleu  avec  des  parements  rouges;  leurs  offi- 
ciers étaient  eu  uniformes  blancs.  Kn  résumé,  ces  troupes, 
les  batteries,  les  maisons  ayant  bon  air,  tout  cela  réuni 


(1)  Knox,  Ili.iloricnl  Journal,  H,  |i.  .(5'«. 
(•}.}  Knox,  lliilorical  Journal,  II,  p.  \\M. 

GLICIIHK    l»i:  Si;i>T    ANS.    —  T.    IV. 


24 


•:'«  I 


f^ 


M"i. 


II 


fv 


370 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


niAP.  VI. 


sur  la  rive  d'un  ll<;uve  .superho,  notre  flottille  à  la  voile 
(lôlilant  trioinplialeuiont,  les  bateaux  rangés  en  bataille, 
de  chaque  côté  le  paysage  égayé  eà  et  lA  par  des  habita- 
tions bien  entretenues,  le  tapis  vert  des  champs,  le  feuil- 
lage des  arbres,  cnlin  un  temps  clair  et  agréable,  tout 
cet  ensemble  constituait  un  tableau  aussi  charmant  que 
rimagination  la  plus  fertile  pourrait  se  le  tracer.  »  Pour 
des  raisons  inconnues,  les  Français  laissèrent  passer  le 
convoi  sans  un  coup  de  canon  et  se  contentèrent  de  le 
suivre  en  amont.  Sans  doute  cette  inaction  était  due  j^i  la 
mauvaise  qualité  ou  au  manque  des  nmnitions  nécessaires  : 
«  Je  mène  mon  canon,  écrit  vers  cette  époque  Bourla- 
ma({ue  (1  ),  mais  ce  n'est  pas  sans  peine.  .le  n'ai  pas  encore 
fait  tirer  un  coup  sur  les  bâtiments,  persuadé  que,  quand 
j'en  incommoderai  quelques-uns,  je  ne  ferai  pas  manquer 
l'expédition,  mais  votre  poudre.  » 

Tandis  que  Dumas  remontait  la  rive  gauche  après  avoir 
mis  un  détachement  dans  le  fort  de  .lacques-Cartier,  Bour- 
lamaque  avait  été  posté  à  Sorel  à  la  jonction  de  la  rivière 
de  ce  nom  et  du  Saint-Laurent  avec  700  hommes,  dont 
la  moitié  ;<  miliciens  de  mauvaise  volonté  ».  Du  12  au 
26  août,  il  reste  à  Sorel  ou  à  Saint-Ours,  surveillant  les  pro- 
grès de  Murray,  et  échange  avec  Lévis  des  lettres  presque 
journalières  dans  lesquelles  il  rend  compte  d'une  situa- 
tion <levenue  chaque  jour  plus  désespérée.  [|  eût  été 
peut-être  possible  d'infliger  un  échec  à  Murray  avant  l'en- 
trée en  scène  des  deux  autres  expéditions,  le  gouverneur 
de  Québec,  jusqu'à  l'arrivée  de  Lord  Kollo  qui  le  rallia 
le  17  août  avec  deux  bataillons  venus  de  Louisbourg, 
n'ayant  que  des  forces  inférieures  à  celles  de  Lévis.  Mais 
sans  nouvelles  d'Amherst,  on  ignorait  encore  si  l'attaque 
du  général  en  chef  se  produirait  par  le  lac  Champlain 
ou  par  le  Saint-Laurent.  Quant  à  Murray,  depuis  la  des- 


^1)  Bouilamaque  à  Lévis,  Sorel,  14  aoùl  17G0.  Manuscrits  Lévis. 


PROCÉDÉS  DE  Ml'RRAY  POUR  OBTENIR  LA  SOUMISSION.     :'w  I 


ti'uction  de:'  frégatoH,  on  no  pouvait  lo  combattre  par 
eau,  car  on  n'avait  d'autre  artillerie  que  les  pièces 
de  campagne  capturées  à  Sainte-Foy;  les  armes  et  les 
munitions  faisaient  défaut,  et  pour  comble  de  malheur, 
la  désertion  gagnait  de  plus  en  plus  la  milice.  Lies  lettres 
de  Bourlamaquc  (1)  reviennent  à  chacjuc  instant  sur  ce 
sujet  :  i<  J'envoie  cette  lettre  par  un  officier  de  milices 
que  tous  ses  gens  ont  abandonné  et  qui  me  proj)ose 
de  les  aller  chercher...  Je  n'écris  pas  à  M.  de  Vaudreuil 
sur  la  désertion  des  Canadiens  parce  que  j'en  sens 
l'inntiUté Ceu.v-ci  (les  miliciens)  désertent  par  ban- 
des et  la  [)luie  d'hier  a  activé  de  les  dégoûter.  J'en  per- 
drai beaucoup  aujourd'hui,  il  m'en  a  déjà  déserté  plus 
de  200.  » 

Malgré  lout,  des  habitants  eu  bon  nom!)re  et  notamment 
ceux  de  Sorel,  demeuraient  fidèles.  Pour  surmonter  leur 
résistance,  Murray  fit  débarquer  dans  la  nuit  du  22  août 
les  deux  régiments  de  RoUo  et  quelques  rangers  avec 
mission  de  sévir  contre  les  récalcitrants;  ils  brûlèrent 
beaucoup  de  maisons  et  dévastèrent  la  plus  grande  partie 
de  la  paroisse.  Knox  est  tout  ému  (2)  du  chagrin  qu'é- 
prouve son  chef  d'avoir  recours  à  des  mesures  de  ri- 
gueur; à  sa  décharge  il  cile  les  termes  de  la  dépêche 
que  le  général  envoie  à  Pitt  :  «  J'ai  constaté  fjue  les  ha- 
bitants de  la  paroisse  de  Sorel  avaient  déserté  leurs  habi- 
tations et  pris  les  armes.  Je  me  suis  trouvé  par  suite 
dans  la  cruelle  nécessité  de  brûler  la  plupart  des  maisons 
de  ces  malheureux.  Je  prie  Dieu  que  cet  exmnple  suffise, 
car  ma  nature  se  révolte  contre  l'acconqjlisscment  d'un 
devoir  cependant  nécessaire.  » 

Les  cruautés  de  Murray,  car  il  est  difficile  de  donner 
un  autre  nom  à  ces  agissements,  avaient  été  précédées  de 


i?J 


(1)  Iloui'lainaqiieà  Lévi»,  Son>l,  1.5  août  17G0.  Manusciils  Lévis. 
2)  Knox,  HistoricalJournal,  II,  \>.  37.5. 


I'  : 


\i 


37a 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  HHAP.  VI. 


deux  luanifesi^s  (IV  le  preiuier,  en  date  du  23  juillet, 
était  ainsi  conçv:  :  «  Séduits  par  des  promesses  qui  n'ont 
jamais  eu  delTet,  Canadiens,  vous  avez  toujours  fermé  les 
oreilles  à  nos  remontrances  et  à  nos  avertissements. 
Aveugles  iV  vos  propres  intérêts,  vous  êtes  les  victimes  de 
vos  préjugés.  Les  aflaires  du  Canada  fendent  k  présent  à 
leur  fin.  Vous  êtes  encore,  pour  un  instant,  maîtres  de 
votre  sort.  Cet  instant  passé,  une  vengeance  sanglante 
punira  ceu\  qui  oseront  avoir  recours  aux  armes.  Le  ra- 
vage de  leurs  terres,  l'incendie  de  leurs  maisons,  seront 
les  moindres  de  leurs  mal'"  "irs.  Les  sages  coKms,  au 
contraire,  qui  profitant  de  rexpéiience  passée  resteront 
tranquilles  chez  eux,  jouiront  de  leur  religion,  de  leurs 
biens,  et  sous  les  auspices  d'un  prince,  père  de  ses  sujets, 
soutenus  et  protégés  par  un  bras  si  puissant,  deviendront 
ricbes  et  florissants.  » 

Cet  appel  à  la  lâcheté  et  à  l'intérêt  n'ayant  eu  qu'un 
succès  relatif,  Murray  le  fit  suivre  par  une  seconde  pro- 
clamation, le  21  août,  quelques  heures  avant  l'incendie 
du  village  de  Sorel  et  par  conséquent  trop  tard  pour 
que  la  population  fût  prévenue  :  «  Votre  entêtement  con- 
tinue; vous  me  forcez,  malgré  mon  humanité,  à  mettre 
k  exécution  les  menaces  que  je  vous  ai  faites.  Il  est  temps 
de  commencer.  Je  vous  avertis  que  dorénavant  je  trai- 
terai à  la  rigueur  les  Canadiens  que  je  prendrai  les  ar- 
mes à  la  main,  et  que  je  brûlerai  tous  les  villages  ([ue 
je  trouverai  abandonnés.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  quel  que  soit  le  verdict  de  la  pos- 
térité sur  des  procédés  qu'on  a  vus  se  renouveler  dans 
notre  histoire  contemporaine,  ils  produisirent  l'effet  visé 
Bourlamaque  le  constate  (2)  avec  amertume.  «  L'ennemi 
ayant  brûlé   les  maisons  du  bas  de  Sorel,  dont  les  ha- 

(1)  Lettres  et  pièces  mililaires,  p.  28'i  et  '.^85.  Manuscrits  Lévis. 
('?)  nourlamaque  à  Lévis,  Saint-Ours,  2,iaoiil  1700.  Lettres  de  Uourianiaipii', 
p.  101  et  102. 


SOUMISSION  DKS  CANADIENS. 

bitants  étaient  avec  l'armée,  et  épargné  colles  des  fuyards, 

qui  étaient  chez  eux,  s'est  lembarqué Les  habitants 

de  Sorel  qui  avaient  très  bien  ser'i  Jusqu'à  cette  lieure, 
sont  tous  retournés  chez  eux.  Ceux  ae  Saint-Ours,  que 
j'avais  jzardés  chez  eux  pour  le  service  de  l'armée,  re- 
fusent tout  service,  et  je  sui;s  obligé  d'envoyer  un  déta- 
chement de  soldats  dans  cette  paroisse  pour  en  tirer 
quelque  secours.  J'ai  fait  à  main  armée  une  levée  dans 
Maska  et  les  autres  paroisses;  ils  désertent  tous.  Agréable 
besogne!  On  mandera  sans  doute  à  la  cour  que  j'avais 
2  ou  3.000  Canadiens  qui  ont  fait  merveille. 

Quelques  jours  après,  Knox  relate  une  petite  rencontre 
à  Varennes,  où  trois  Canadiens  furent  tués  et  scalpés  par 
les  rangf^rs,  puis  il  enregistre  la  reddition  do  plusieurs 
villages  :  «  Toute  la  paroisse  de  Varennes  s'est  rendue,  a 
livré  ses  armes,  et  a  pris  le  serment  de  neutralité  ;  leurs 
combattants  formaient  un  total  de  cinq  compagnies  de 
milices;  deux  autres  paroisses  aussi  peuplées  ont  annoncé 
l'intention  de  faire  leur  soumission  demain.  »  L<i  fin  du 
d.'anie  avançait  à  grands  pas,  car  les  deux  autres  co- 
lonnes britanniques,  enfin  entrées  en  jeu,  s'approchaient 
rapidement  de  Montréal  et  allaient  se  donner  la  main. 

Au  cours  de  l'été  de  1759,  on  se  le  rappelle,  Hourla- 
maque,  qui  avait  été  chargé  de  cette  partie  de  la  fron- 
tière, avait  évacué  et  détruit  les  forts  du  lac  Champlain 
et  s'était  retiré  dans  une  ile  de  la  rivière  de  Chambly  ou 
Hichclieu,  nommée  Ile  aux  Noix  et  située  en  aval  du  lac 
et  à  environ  3  kilomètres  de  son  embouchure.  l*our  la 
campagne  présente,  Bougainville  avait  remplacé  son  i)ri- 
gadier;  investi  de  son  conimandemei/  dès  le  printemps, 
il  avait  profité  du  répit  que  lui  laissaient  les  Anglais  et 
de  la  bonne  volonté  de  sa  petite  garnison  de  V50  hommes 
pour    achever    et   améliorer    les  fortifications  du  poste. 
L'Ile  aux  Noix,  longue  de  2  ij\  kilomètres,  et  d'une  lar- 
geur variable  de  100  à   300  mètres,  occupait  le  milieu 


37i 


LA  GIJKURR  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  VI. 


(lu  chenal;  au  bord  du  hi'as  ^iuichc  ('fait  construit  le 
foi'tiu  (1)  avec  cnc(Mut(;  en  pieu.x  munie  do  bonnes  palis- 
sades et  dune  artillerie  assez  nond)reusc,  mais  de  faible 
calibre;  aucun  abri  pour  la  garnison  (pii  serait  exposcie 
au.\  projectiles  ennemis.  Peu\  chaînes,  l'abri(jU(''es  «  avec 
un  gros  cAble  cncadr(3  dans  des  pi('ces  de  cèdre  »,  reliaient 
liie  A  la  terre  ferme  et  formaient  un  barrage  destiné 
à  empocher  les  Anglais  de  descend i-e  leurs  bar(]ues  en 
aval  du  fort. 

Au  conunencement  d'aoi\t,  Bouga inville  vpc^ul  des  ren- 
forts importants,  et  au  d(''but  du  siège  il  avait  sous  ses 
ordres  deu.\  faibles  bataillons  de  ligne  (Guyenne  (2)  et 
Berry),  six  piquets  prélevés  sur  les  autres  régiments  un 
peu  plus  de  ïOO  miliciens,  une  poignée  d'artilleurs,  des  em- 
ployés, des  commis,  des  matelots,  en  tout  l.'*53  hommes, 
sur  lesquels  un  peu  plus  de  1.200  combattants.  La  flot- 
tille attachée  au  poste  se  composait  d'une  goidette,  dune 
gabarre  et  de  deux  tartanes,  le  tout  armé  de  deux  pièces 
de  6,  douze  pièces  de  fp  et  de  pierriers.  Jusqu'au  10  août, 
la  quiétude  des  Fran(,'ais  ne  fut  troublée  par  aucun  inci- 
dent sérieux.  Ilaviland  qui  avait  été  mis  à  la  tête  des  trou- 
pes régulières  et  provinciales  assemblées  à  Crown-Point 
(St-Frédéric),  devait  quitter  ce  poste  le  môme  jour 
qu'Amherst  partirait  d'Oswego.  Vax  exécution  de  ces  ins- 
tructions, il  mit  à  la  voile  le  11  août  avec  3.200  régu- 
liers et  provinciaux  escortés  par  deux  bâtiments  à  voiles 
et  trois  galères  à  rames;  il  emmenait  avec  lui  un  parc 
formidable  d'artillerie.  Le  IG  août  la  flottille  fit  son 
apparition  devant  l'Ile  aux  Noix;  malgré  une  canon- 
nade assez  vive,  on  effectua  le  débarquement  du  per- 
sonnel et  du  matériel  en  amont  et  à  peu  de  distance  de 
l'ile.  Les  opérations  furent  poussées  avec  vigueur  :  «  Ils 

(t)  Le  fort  actuel  de  l'Ile  aux  Noix  est  de  construction  plus  récente. 
(2)  L'état  du  1 1  août  donne  pour  ce  régiment  250  sous-olficiers  et  soldats. 
Paiiiers  de  Bougainville. 


-sint-fr^^^-' 


DÉFKNSK  ET  ÉVACUATION  DE  LILE  AUX  NOIX. 


;i75 


(les  Anglais)  ont  éri.^é,  écrit  .Fohnstonc  (1),  cinq  Wjittc- 
l'ies  de  canon  sur  la  rive  sud  de  la  rivière  ef  une  batterie 
^  mortiers,  dont  le  feu  plongeait  dans  nos  trancixes. 
Us  nous  voyaient  de  paitoul,  à  flos,  de  front  et  de 
C(^t.'^  et  ils  étaient  si  près  qu'à  IVstacado  du  sud,  ils 
nous  tuèrent  plusi'^urs  de  nos  soldats  h  coups  de  fusil. 
Le  sol  sablonneux  nous  a  préservés  des  clFets  de  l'écla- 
tement de  leurs  obus  qu'ils  nous  envoyèrent  en  grand 
nombre.  »  Tout  alla  bien  jusqu'au  25  août;  ftougainvillc, 
en  communication  avec  (2)  Koqnemaure  qui  commandait 
à  Saint-.lean,  évacuait  sans  difficulté  ses  blessés  ou  malades 
et  se  procurait  les  munitions  dont  il  avait  besoin.  Le  moral 
était  bon  :  «  Nous  sommes  à  la  belle  étoile,  manrlait-il, 
pour  toute  nourriture  la  bombe  et  les  boulets  labourent 
toutes  les  barafjucs.   » 

Le  25,  au  matin,  un  accident  f.Vcheux  se  produisit  : 
les  Anglais  dirigèrent  le  feu  de  quelques  pièces  de  cam- 
pagne qu'ils  avaient  amenées  à  bras,  sur  une  tartane 
et  une  barque  françaises;  celles-ci  en  cberchant  à 
échapper  s'échouèrent  et  furent  amarinées.  Haviland 
profita  (le  cet  avantage  pour  transporter  une  partie  de 
sa  tlottille  au  delà  du  fort  et  pour  i-avir  aux  Français  la 
maîtrise  de  la  rivière  de  Chand)ly.  Privé  de  son  ravi- 
taillement, réduit  à  deux  jours  de  vivres,  presque  cerné 
par  l'assiégeant,  Bougainville  se  vit  dans  des  circons- 
tances fort  criti(|ues.  Il  avait  reçu,  par  l'entremise  d'uu 
officier  venu  de  Saint-.lean,  une  lettre  de  Vaudreuil  (3) 
l'autorisant  à  évacuer  l'Ile  aux  Noix  «  lorsque  les 
ennemis  seraient  en  situation,  avec  le  secours  de  la 
marine  qu'ils  nous  avaient  prise  et  le  nombre  de  berges 
qu'ils  pourraient  avoir  passées,  de  descendre  avec  toute 
leur  armée,  ou  lorsque  je  me  verrai  forcé  de  me  rendre 

(1)  Jolinslone,  War  in  Canada,  manuscrit.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Bougainville  à  Lévis,  lettres  de  divers  à  Lévis.  Manuscrits  Lévis. 

(3)  Vaudreuil  à  Bougainville,  Montréal,  26  août  1760.  Manuscrils  Lévis. 


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376 


LA  r.lJKHUK   DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VI. 


OU  ;ni  iiiomcnl  d'cMi'c  emporté  do  vive  Corcc  ».  hautrc 
part,  le  ine,ssiif;ei'  lui  avait  tfansiuis  l'ordre  verbal  de  La 
l'anse,  aide-inaréclial  f^énéial  des  logis,  de  iic  pas  ohlcni- 
pércr  aux  instructions  du  gouverneur  général  et  de  se 
défendre  jusqu'à  la  dci'iiièrc  extrémité.  Le  cas  était  d'au- 
tant plus  embarrassant  que  l'invitation  de  La  Pause,  on  le 
savait  de  l)onne  source,  étail  conforme  il  la  vohmté  de  Lé- 
vis,  lîougainville  convoqua  un  conseil  de  guerre  (1),  lui 
soumit  les  communications  contradictoires  qui  lui  étaie-it 
I)arvenues  et  exposa  les  moyens  de  défense  (]ui  restaient 
encore.  Le  conseil  se  pronon(;a  à  l'unanimité  pour  l'aban- 
don du  fort.  L'évacuation  s'elfcctua  le  '11  aoiU,  à  10  heu- 
res du  soir;  toule  la  garnison,  à  l'exception  do  V()  honmics 
destinés  à  retenir  l'attention  de  l'ennemi,  passa  sur  la  rive 
gauche  de  la  rivière  et  se  mit  en  mai'che  à  travers  la 
forêt  dans  la  direction  de  la  Prairie,  village  sur  le  Saint- 
Laurent,  enlace  dCiMontréal.  Malheureusement,  les  guides 
se  méprirent  sur  le  chemin,  la  colonne  s'égara,  et  se 
retrouva  à  midi  le  lendemain,  à  faible  distance  du  point  de 
départ,  ('/est  avec  la  plus  grande  peine  qu'on  gagna  le 
fort  Saint-Jean  sur  la  rivière  Sorel,  à  \  lieues  de  l'Ile  aux 
Noix,  (^ettc  retraite  coûta  aux  troupes  de  Hougainvillc 
environ  80  hommes  qui,  pour  la  plupart,  furent  tués 
et  scalpés  par  les  sauvages  attachés  au  corps  d'Havi- 
land.  Le  siège,  qui  avait  duré  à  peine  quinze  jours,  oc- 
casionna à  la  garnison  une  perte  à  peu  près  égale.  Le 
27,  à  1  heure,  le  capitaine  Leborgne,  commandant  les 
40  .soldats  laissés  à  la  garde  du  fort,  hissa  le  drapeau 
blanc  et  se  rendit  aux  Anglais  qui  furent  très  étonnés 
d'apprendre  les  événements  qui  s'étaient  passés  à  leur 
insu. 

Peu  de  temps  après,  Ilaviland   prit   le   contact  avec 


(1)  Conseil  de  guerre  tenu  à  l'Ile  aux  Noix,  27  août  1760.  Papiers  de  Bou- 
gainvillc. 


OI'KRATIONS  I»  AMHKHST. 


;<77 


Miiiray  en  lui  onvoyanf  un  ol'ficier  déguisé  avec  quatre 
ran^pi's;  ils  a|)portai(Mil  l'avis  ([uc  la  division  était  vn 
rnairho  pour  rejoindre  li'S  autres  fractions  des  Ibroes 
l>riliinni(|ues  et  ([uelle  comptait  airiver  à  la  Prairie  dans 
deux  ou  trois  jours,  c'est-à-dire  vers  le  V  ou  5  septembre. 
I>a  chute  de  l'Ile  aux  Noix  entraîna  celles  des  forts  Saint- 
Jean  et  Chamhly  ((ui  furent  évacués  les  29  et  'M)  août;  les 
détachements  français  ((ui  avaient  occupé  ces  postes,  ainsi 
(jU(>  celui  de  Sorel,  relluèrent  sur  la  Prairie,  Vareiinrs 
et  l.ongueil,  où  nous  les  laisserons  momentanément  [)our 
accompagner  la  grande  armée  ([ui,  sous  le  conunande- 
ment  du  général  en  chef  Amherst,  envahissait  la  colonie 
par  le  sud. 

Amherst  était  à  Alhany  quand  il  reçut  la  dépèche  de 
Murray,  du  30  avril,  lui  faisant  part  de  sa  défaite  et  lui 
demandant  des  r<'nforts.  Il  lui  répondit  à  la  date  du 
1!)  mai,  en  \ii  annonçant  l'envoi  de  2  régiments  de  la 
garnison  de  Louisbourg",  seules  troupes  dont  il  put  dis- 
poser. Cette  brigade,  sous  les  ordres  de  lord  HoUo,  fit 
voile  de  Louisbourg  le  1"  juillet  et  ne  rejoignit  Murray 
que  le  17  août  au  méridien  de  Sorel. 

Le  28  mai,  les  Anglais  apprirent,  par  des  déserteurs 
français,  la  levée  du  siège  de  Québec.  Amherst  poussa  avec 
activité  les  préparatifs  pour  la  double  invasion  du  Canada, 
contia,  comme  nous  venons  de  le  voir,  au  colonel  lla- 
viland  la  mission  d'atta(|uer  l'Ile  aux  Noix  et  se  dirigea 
lui-même  sur  Choucguen  qui  avait  repris  son  nom  britan- 
nique d'Oswego.  Il  s'y  installa  le  9  juillet  (1)  et  employa 
un  mois  à  rassembler  ses  troupes  et  à  organiser  les 
moyens  de  traverser  le  lac  Ontario  et  de  descendre  le  Saint- 
Laurent.  Enfin  il  s"cml)arqua,  le  10  août,  avec  ses  régu- 
liers, suivis  le  lendemain  par  les  provinciaux  commandés 


(1)  Atnherst  à  PiU,  William  Augustiis,  26  aoûl,  Journal  o[  Opérations. 
Record  Office,  N.  America. 


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378 


i.A  (juKUui;  m:  skpt  ans.      chai»,  vi. 


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pnr  nage.  L'ox|ir(liti()ti  se  c<)iii|iosnil  «h;  10  bataillons 
fie  ligne,  i>  C(»mj)agni»'s  de  r;ingers  et  (riiii  cantiiigcnt 
d'artilIcMirs,  soil  on  l«»ul  ô.ôSli  r(''guliors,  V.'i.7î»  provinciauv, 
70H  sanvag(!S  ot  lîK)  inatrlnls.  (lollc  IVn-midaMc  année 
était  ti'ansportée  sur  050  berges  et  balcinii^res.  Johnson, 
grâce  îi  lin  subside  de  125.000  livres  sterling,  avait  réuni 
\.'VM)  Indiens  dont  beaucoup  avaient  servi  dans  les  cam- 
pagnes précédentes  sous  le  drapeau  français,  niais  pen- 
dant \v  séjour  à  ()sw«'go,  un  grand  nombre  de  ces 
auxiliaires  ébiient  retournés  chez  eux.  Le  IT  iioùl,  il  y  eut 
une  rencontre  avec  les  deux  [»etits  bâfimculs  de  guerre 
que  les  Kranc^ais  pos.sédaient  sur  le  lac;  l'un  s'échoua  et 
lut  capturé  ;  le  second,  armé  de  10  pièces  de  12,  prit  chasse, 
mais  le  vent  tombant,  fut  enlevé  à  l'abordage  par  les  ga- 
lères k  rames  après  un  combat  (jui  coûta  à  l'équipage 
français  l.»  hommes  tués  ou  blessés  et  2  seulement  aux 
Anglais. 

Le  18  août,  Amherst  (1)  était  à  la  hauteur  du  nouveau  fort 
Lcvis,  construit  dans  uni;  ile  du  Saint-Laurent,  vis-à-vis 
de  la  colonie  indienne  de  la  Providence,  l'nc  fraction  des 
forces  britannicjue  s'installa  en  aval,  l'autre  en  amont,  et 
la  troisième  en  face  des  Français;  pendant  l'opération,  le 
feu  de  la  garnison  mit  du  monde  hors  do  combat  et  coula 
une  galère  armée.  Le  23,  trois  bntteries  anglaises  com- 
mencèrent à  tirer.  Malgré  r.ictivité  d(''ployée,  il  devint 
bient/)t  évident  que  la  prise  du  fort  Lévis,  qui  n'était  d'ail- 
leurs qu'une  fortification  en  pieux  comme  celle  de  l'Ile  aux 
Noix,  demanderait  quelques  Jours.  Pour  brusquer  l'entre- 
prise, Amherst  donna  l'ordre  au  commandant  Loring  de 
descendre  le  bras  principal  du  Saint-Laurent  et  de  s'em- 
bosser  à  faible  portée  du  fort  avec  ses  deux  bAtiments, 
auxquels   était  joint  le  brick  français  capturé  le   17  et 

(1)  Le  récit  du  siège  est  tire  des  rapports  d'Amherst,  du  lieutTiant  Lo- 
ring Chatham  papers).  Mante,  Late  war  in  America.  Poncliot,  Guerre 
d  Aiiitrirjue.  Kno\,  Ilistorival  Journal,  etc.. 


im»inmu'i;iiifl/j'8«g 


siÊr.K  im  FOiii  (.lîvis. 


370 


(|U('  |p  vain(|UPiir  avait  rebiiptisr  W illiatasoH,  i\u  nn\\\  (\i\ 
cotniiiiuidant  «It;  rarlillcrib  brilaiitiiquc.  Sui*  la  flottille  de 
l-orini;,  on  avaii  placé  (|»s  soldats  «lestinés  à  l'aii'c  le  coup 
de  fusil  coiili'»'  les  ar*ii leurs  français  et  à  les  enipècher  io 
servir  leurs  pièces.  Aussitôt  les  Imttcries  de  Lévis  lëduites 
aw  silenre,  des  détachements  de  gi-enadiiTS  et  de  volti- 
i^eurs,  eml»ar(pu''s  sur  des  ber;:^tîs,  devaient  prendre  pied 
sur  l'ile  et  monter  à  l'assaut  des  remparts.  D'après  le  récit 
de  Mante,  deux  des  bateaux  anj^lais  le  Muhawl,  et  le 
Willkimmn  s'acquittèrent  de  leur  lAcbe  ;  VOnonrtaf/a, 
comuiandé  par  Lorini;,  échoua  |»ar  suite  iPunc  fausse  ma- 
nœuvre et,  devenu  la  cible  des  canons  l'rau(,'ais,  fut  obli.^é 
d'amener  son  pavillon  et  d'envoyer  au  fort  son  second 
pour  faire  cesser  le  feu.  A  l'une  des  batteries  de  la  rive, 
l'on  s'aperçut  de  l'incident  et  l'on  diris^ea  le  tir  de  ma- 
nière à  empêcher  le  canot  de  retourner  à  bord.  D'a- 
près l.oring-  lui-même,  il  n'?;ivait  pas  été  .soutenu  par 
ses  deux  compagnons  qui  auraient  (piitlé  la  partie;  em- 
bossé  à  portée  de  pistolet  des  end)rasures  ennemies,  apiès 
avoir  tiré  892  fois ,  voyant  son  navire  «  presque  tota- 
lement détruit  »  et  8  de  ses  canons  démontés,  il  avait 
fait  des  signaux  de  dctres.se  auxquels  on  n'avait  pas  ré- 
pondu. FjU  désespoir  de  cause,  il  avait  cherché  à  lever 
l'ancre,  et  en  essayant  cette  manœuvre,  s'était  échoué  ; 
alors  blessé  et  sur  les  piières  de  son  équipage  ,  il  s'était 
rendu,  mais  les  Français  n'avaient  pas  pu  amariner  son 
bâtiment. 

Kn  tin  de  compte,  il  fallut  abandonner  Y Onondaga 
après  avoir  mis  A  terre  le  commandant  Loring  et  ses 
hommes  et  renoncer  au  projet  de  débarquement. 
Aniherst,  dans  sa  dépêche  à  Pitt  (I),  passe  très  légère- 
ment sur  son  échec  et  se  borne  à  remarquer  que  «  lap- 


(l)  Amherst  à  Pitl,  Fort  William  Augustus,  2G  août  1760.  Record  Office,  N. 
America. 


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LA  r.UKnUK  DE  SKPT  ANS.    -  CHAP.  VI. 


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proche  des  vaisseaux  contre  le  fort  ne  scst  pas  eiToctuée 
coinnie  ^e  l'ousse  dôsiré,  et  je  me  suis  décidé  k  ne  pas 
poursuivre  mou  [)lan  ce  jour  ;  le  fort  a  tiré  beaucoup  de 
munitions  sans  grand  elfet,  et  nos  batteries  ont  graduel- 
lement démonte  leurs  canons  et  leur  ont  fait  apprécier  le 
danger  de  servir  leurs  batteries  ». 

Le  lendemain  '25,  la  canonnade  iccommemjH  avec  bou- 
lets rouges  et  ne  prit  fin  (lu'avoc  la  capitulation.  Le  capi- 
taine Poucbot,  que  nous  avons  déjà  vu  à  Niagara  et  qui, 
échangé  depuis,  avait  été  appelé  au  commandemcntdu  fort 
Lévis,  demandai  traiter.  Amherstne  voulut  accorder  d'au- 
tres conditions  que  la  reddilion  pure  et  simple  dans  un 
délai  (le  10  minutes,  La  rail)l(>sse  de  la  garnison,  qui  ne  se 
composait  nue  de  12î)  régulierset  116  miliciens  et  ouvriers, 
et  la  mort  de  l'unique  officier  d'artillerie,  tué  parle  pre- 
mier boulet  des  batteries  anglaises,  forcèrent  Pouchot 
k  s'incliner.  Si  l'on  considère  l'intmense  sunériorité  ties 
An;^lais  par  terre  et  par  eau  et  la  nature  des  fortifica- 
tions qu'il  s'agissait  de  défendre,  il  faut  reconnaître  que 
la  résistance  du  capitaine  de  Béarn  avait  été  fort  ho- 
norable, k  siège  avait  coûté  une  quarantaine  d'hommes 
aux  Français  et  un  peu  plus  de  60  aux  Anglais.  Le  gé- 
néral britaunicpie,  qui  aimait  à  changer  les  noms  des  pla- 
ces dont  il  s'emparait  et  qui,  à  l'occasion  des  nouvelles  ap- 
pellations, savait  faire  acte  de  courtisan,  donna  au  fort 
Lévis  le  nom  de  William  Auguste,  en  l'honneur  d'un 
prince  de  la  famille  royale. 

Fidèle  .'i  ses  habitudes  de  prudence,  Amherst  employa 
cinq  jours  à  remettre  en  état  le  fort  et  la  llottiîîe.  Le  1"  sep- 
tembre, il  rembarqua  son  monde  et  poursuivit  sa  naviga- 
tion. A  propos  de  la  prise  de  possession  de  Lévif»,  en- 
registrons un  in.^ident  (1)  à  l'éloge  du  général  anglais  : 
«   Les  Indiens  qui    suivaient    l'armée,  conformément  à 

(I)  Mante,  J.ate  irar  in  America,  p.  30i. 


AMUKRST  DEVANT  MONTRRAI.. 


381 


leurs  ooutuiiies  sanguinaires  en  temps  de  guei-re,  se  dis- 
posaient à  pénétrer  dans  le  fort  atin  d'y  massacrer  la 
garnison.  »  Amherst  eut  vnt  de  leurs  intentions  et  leur 
sif^nitia,  par  leur  commandant  spécial  Johnson,  vléfense 
formelle  d'entrer  dans  l'enceinte;  par  contre,  il  leur 
fit  cadeau  du  contenu  des  magasins  capturés.  Une  res- 
triction pareille  n'était  pas  du  goût  des  indigènes,  aussi 
leur  fureur  fut-elle  exti'ônie,  et  Johnson  fit  part  k  Amherst 
de  ST  craint"  do  les  voir  déserter.  L'Anglais  répondit  qu'il 
pouvait  se  passer  de  leui'concoui's,  et  <<  que  tout  en  désirant 
conserver  leur  amitié,  il  ne  pouvait  se  contraindre  à  l'a- 
cheter iin  autorisant  les  cruautés  horrihles  (qu'ils  avaient 
en  vue  ».  F^a  plupart  des  sauvages  quittèrent  l'arnu^e;  il 
n'en  resta  (pie  ^"0  que  le  gouvernement  britannique  ré- 
ccHupensa  de  leur  bonne  coniluite  eu  Imir  distribuant 
de.s  médailles. 

Jusqu'au  V  septembre,  la  navigation  se  continua  (J) 
sans  encombre.  Ce  jour,  l'avant-garde  aborda  vers  midi 
les  rapides  des  Cèdres,  considérés  à  bon  droit  comme  la 
partie  la  plus  dangereuse  du  fleuve.  Faute  d'observer  les 
distances  entre  les  canots  et  de  prendre  les  précautions 
nécessaires,  il  y  eut  une  véritable  catastrophes  '^9  berges, 
17  baleinières,  17  l)ateaux  chargés  de  matériel,  1  galère 
furent  brisés  et  coulés  avec  perte  de  88  homm4's;  une 
portion  seulement  du  corps  e.\péditionnair<>  put  franchir 
le  défiié  et  débarq.:'»»*  h  l'Ile  Perrot;  le  reste  rejoignit  le 
lendemain  sans  autre  accident.  Le  6,  Amherst,  avec  tout 
son  monde  réuni,  mit  pied  à  terre  •'t  La  Chine,  sur  l'Ile 
de  .Montréal  ;  il  refoula  (juelques  postes  français  aurapiels 
il  se  heurta,  et  vers  ii<  tond)ée  du  jour,  ^'int  camj)er  dans 
une  plaine,  près  de  Montréal,  où  les  troupes  passèrent  la 
nuit  sous  les  armes.  Le  7,  au  matin,  il  reçut  la  visite  de 
Bougainville  et  du  capitaine   de  Las  envoyés  par  Vau- 


(1)  Ainliersl  iPill.  Montival,  «  st'|ile;itl>if  ITCo.  Uccord  oriiri".  N.  A. 


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382 


LA  OUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ("HAP.  VI. 


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dreuil  pour  traiter  de  la  reddition  de  Montréal  et  de  la 
colonie.  La  veille  au  soir,  Murray  avait  pris  position  en 
aval  de  la  ville,  et  ilaviland  annonçait  son  arrivée,  pour  le 
lendemain  8,  sur  la  rive  sud,  en  face  de  Montréal.  La  con- 
centratiou  des  Anglais  sous  les  murs  de  la  capitale  était 
un  fait  accompli. 

Peu  de  cliose  à  dire  sur  la  dernière  semaine  qui  pré- 
céda la  capitulatir^n.  Tout  le  monde  avait  conscience  que 
la  fin  approchait;  on  était  prêt  à  faire  son  devoir  jusqu'au 
bout,  mais  sans  la  moindre  illusion  sur  l'issue  finale. 
Il  n'y  eut  pas  de  rencontres,  tout  au  plus  quelques  coups 
de  fusil  échangés  entre  les  arrière-gardes  françaises  et  les 
partis  que  Murray  débarquait  pour  recueillir  les  soumis- 
sions et  brûler  les  maisons  de  ceux  qui  résistaient  encore. 
La  désertion,  presque  générale  chez  les  miliciens,  s'étendait 
de  jour  en  jour  aux  réguliers,  dont  plusieurs  étaient  mariés 
aux  femmes  du  pays  et,  par  conséquent,  tout  aussi  inté- 
ressés à  la  conservation  des  propriétés  que  les  habitants 
eux-mêmes.  «  Quatorze  grenadiers  ont  déserté  cette  nuit, 
écrit  (1)  Bourlamaque  le  2  septembre,  mauvais  exemple 
pour  les  autres;  quelques  soldats  l'ont  déjà  suivi  et  les 
officiers  assurent  tous  qu'il  y  en  a  un  grand  nombre  dans 
les  mêmes  dispositions...  La  maraude  se  joint  à  la  dé- 
sertion, je  viens  de  faire  passer  par  les  verges,  mais  il 
faudrait  bientôt  fouetter  toute  la  troupe.  » 

Quant  aux  sauvages,  ils  ne  voulaient  plus  servir,  même 
pour  les  découvertes.  Pendant  l'été,  Vaudreuil,  qui  avait 
gardé  sa  confiance  dans  ces  auxiliaires,  en  expédia  à  plu- 
sieurs reprises  à  l'Ile  aux  Noix.  Fort  mal  renseigné  sur  les 
mouvements  >"Amherst  qu'il  croyait  à  Crown  Point,  et  très 
désireux  de  ■  procurer  des  prisonniers,  dont  il  pourrait 
tirer  des  inlormalions  utiles,  il  revient  à  chaque  instant 
sur  ce  sujet  dans  sa  correspondance  avec  Bougainville.  Le 

(1)  Ro'iiiainaque  à  Lévit;,  Longueil,  2  septembre  1700.  Manuscrits  Lévis. 


DERNIÈRES  HEURES  DE  LA  DOMINATION  FRANÇAISE.         3S:{ 


il 


résultat  fut  nul;  les  Indiens  quittaient  Montréal  bien 
équipés  et  bien  ravitaillés;  arrivés  à  l'Ile  aux  Noix,  il  fal- 
lait renouveler  les  vivres  et  les  effets,  et  quand  ils  ne  dé- 
sertaient pas  aussitôt  la  distribution  faite,  c'était  tout  au 
plus  si  on  pouvait  obtenir  d'eux  une  course  de  quelques 
jours  dont  ils  rentraient  les  mains  vides.  A  l'armée  de  La 
Corne,  à  qui  le  gouverneur  avait  conlié  lagarde  des  rapides 
du  Saint-Laurent,  ils  ne  voulurent  pas  se  battre  et  ne  bou- 
gèrent pas  pendant  le  naufrage  des  bateaux  qui  portaient 
lavant-garde  d'Aniherst. 

Le  6  septembre,  à  8  beures  du  soir,  Vaudreuil  avait  réuni 
cbez  lui  un  conseil  de  guerre  pour  le  consulter  sur  le  parti 
à  prendre.  A  cette  réunion  assistaient  Bigot,  Lévis,  Bourla- 
maque,  Roquemaure,  brigadier  et  lieutenant-colonel  du 
régiment  de  la  Kcine,  Rigaud,  gouverneur  de  la  ville  de 
Montréal,  Bougainville,  Pontleroy,  ingénieur  en  chef,  et 
Montbeillard,  commandant  de  l'artillerie.  Le  procès- verbal 
énumère  les  considérations  militaires  qui  rendaient  im- 
possible la  continuation  de  la  lutte  :  la  plupart  ont  déjà 
été  exposées;  citons  cependant  le  passage  relatif  à  l'islot 
Sainte-IIélùne  dont  il  sera  question  plus  loin  :  «  Cette  île, 
seul  poste  k  pouvoir  défendre   pendant  quelques  jours, 
n'empêchera  pas  de  prendre  la  ville  de  Montréal  d'emblée 
et  même  en  déterminera  la  perte,  devant  être  défendue 
par  la  totalité  des  troupes.  »   Les  conclusions  furent  les 
suivantes  :  Les  membres  du  conseil  «  sont  convenus  una- 
nimement qu'il  n'était  pas  à  propos  d'attendre  l'entière 
réunion  des  troupes  ennemies  pour  entrer  en  pourparlers 
avec  le  g'énéral  anglais  ni  que  l'ai'méo  campée  près  de  la 
ville  ait  fait  ses  approches,  étant  à  craindre  alors  qu'un 
peuple  nombreux  ne  fût  la  victime  d'une  défense  qui  ne 
pourrait  que  retarder  de  peu  de  jours  la  perte  du  pays. 
En  conséquence,  qu'il  était  ;\  propos  de  députer  actuel- 
lement au  général  ennemi  pour  lui  proposer  ime   sus- 
pension d'arnics  jusqu'au  1  "  octobre  à  charge  de  lui  re- 


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38  i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAI'.  M. 


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mettre  la  colonie  alors  si  la  paix  n'était  pas  conclue  ». 

Cette  formalité  accomplie,  le  conseil  prit  connaissance 
d'un  projet  préparé  par  le  gouverneur.  «  Si,  comme  il 
est  apparent,  le  général  anglais  refuse  d'entendre  à  au- 
cune suspension  d'armes,  il  est  à  propos  de  proposer  des 
articles.  Lecture  a  été  faite  d'un  projet  de  capitulation  et 
ces  Messieurs  en  ayant  mûrement  examiné  tous  les  arti- 
cles, ont  jugé  unanimement  qu'elle  était  convenable  aux 
intérêts  du  pays  et  à  l'honneur  des  troupes.  M.  le  marquis 
de  Vaudreuil,  assuré  du  consentement  unanime  de  ces 
Messieurs,  a  dit  qu'il  députait  M.  de  Bougainville  pour 
porter  les  premières  propositions  au  général  ennemi,  et 
ces  Messieurs  ont  signé  le  présent  procès-verbal.  » 

BougainvMle  et  Las  arrivèrent  au  quartier  général  an- 
glais dans  la  matinée  du  7  septembre;  on  convint  aussitôt 
d  un  armistice,  et  on  aborda  la  discussion  de  la  pièce  ré- 
digée par  Vaudreuil.  Il  n'y  eut  de  débat  que  sur  un  point  : 
Amherst  exigeait  que  les  troupes  françaises  missent  bas  les 
armes  et  ne  servissent  pas  pendant  le  cours  de  la  présente 
guerre.  Il  y  eut  de  vives  réclamations  des  délégués  fran- 
çais et  échange  de  lettres  entre  Vaudreuil  et  Lévis  d'une 
part  et  \mlierst  de  l'autre  ;  ce  dernier  demeura  inflexible. 
A  quelle  cause  faut-il  attribuer  l'intransigeance  du  géné- 
ral anglais?  Dans  sa  dépèche  à  Pitt  (1),  il  allègue  pour 
unique  raison  l'avantage  qu'il  voyait  h  priver  la  France, 
jusqu'à  la  fin  des  hostilités,  des  8  bataillons  de  troupes, 
plutôt  que  d'encombrer  les  prisons  d'Angleterre  des  sol- 
dais qui  composaient  ces  imités.  Dans  la  protestation  qu'il 
adressa  à  Vaudreuil,  Lévis  s'élève  avec  énergie  contre 
une  clause  qui  enlevait  à  ses  camarades  et  à  lui  la  possi- 
bilité d'un  échange  et  partant  tout  espoir  d'un  em[)l<»i 
actif  ju.squ'à  la  paix.  Dans  le  cas  où  satisfaction  ne  lui  se- 
rait pas  donnée,  il  demandait  au  gouverneur  l'autorisation 


(,1)  Amlierst  ù  PiU,  devant  Montréal,  8  septcinbit'  I7(i0.  Record  Ol'licc, 


AMIIERST  REF.  LES  IIONN.  DK  LA  GUERRE  A  L  ARMEE  DE  LEVIS.  385 


se- 
lon 


(le  transporter  ses  soldats  à  l'iln  Saintc-llélènc  et  d'y  con- 
tinuer une  résistance  dont  il  ne  dissimulait  pas  d'ailleurs 
l'insuccès  certain.  Vaudrcuil  lui  lit  la  réponse  qu'il  devait 
prévoir  :  «  Attendu  que  l'intérêt  de  la  colonie  ne  nous 
permet  pas  de  refuser  les  conditions  proposées  par  le 
général  anglais,  lesquelles  sont  avantageuses  pour  un 
pays  qui  m'est  confié,  j'ordonne  à  M.  le  chevalier  de 
Lévis  de  se  conformer  à  la  capitulation  et  de  faire  mettre 
bas  les  armes  aux  troupes.  '> 

Knox  (1)  explique  tout  autrement  les  motifs  de  la  con- 
duite de  sou  général.  Au  chef  d'état-major  L^  Pause  qui 
lui  apportait  une  lettre  de  Lévis  réclamant  contre  une  sti- 
pulation qu'il  considérait  comme  une  indignité,  \mherst 
aurait  répli(|ué  avec  véhémence  :  «  que  l'infAme  rôle  joué 
par  les  troupes  de  France  en  encourageant  les  sauvages 
à  commettre  au  cours  de  la  guerre  les  cruautés  les  plus 
horribles  jusqu'alors  inconnues,  leurs  trahisons  avouées, 
leurs  manquements  à  la  parole  donnée,  l'avaient  décidé 
à  manifester  par  les  termes  de  la  capitulation,  son  aver- 
sion pour  des  procédés  aussi  peu  généreux  et  sa  condam- 
nation de  leur  conduite  ;  pour  ces  raisons,  il  se  refusait  à 
accepter  des  objections  de  la  clause  visée  ».  Lévis,  dans  son 
rapport  of(ici(d,  fait  également  allusion  aux  raisons  qui 
Huraientété  invoquées  par  Amherst  pour  justifier  son  refus. 

Dans  la  circonstance,  l'attitude  du  général  anglais 
constituait  un  abus  des  droits  du  vainqueur.  Sans  doute, 
il  n'avait  rien  à  se  reprocher  personnellement;  comme 
il  a  soin  de  le  dire  à  Pitt,  depuis  qu'il  était  entré  dans  le 
territoire  ennemi,  aucun  paysan,  femme  ou  enfant,  n'avait 
été  blessé  par  les  Indiens,  ni  aucune  maison  brûlée  par 
eux.  Mais  il  est  à  remarquer  que,  depuis  son  départ 
d'Oswego,  il  n'avait  traversé  que  deux  ou  trois  paroisses 
et  n'avait  été  en  contact  avec  les  habitants  que  pendant 


(I)  Knox,  /listorical  Journal,  II,  p.  il8. 

«lERIU:    DE  SEPT  ANS.   —   T.    IV. 


381-, 


LA  (.UEUni'  l)K  Sia'T  ANS. 


CHAP.  VI. 


fi  M 


les  deux  derniers  jours  de  sou  e.xpéditiou.  En  admettant 
qu'il  fût  à  l'abri  de  tout  hlAme,  il  n'en  (Mait  certes  pas 
de  même  de  ses  lieutenants,  Wolfe  et  Murray,  qui  avaient 
mi  s  à  feu  et  à  sang'  la  province  de  Uurbec,  et  de  Johnson, 
le  chef  des  au.xiliaires  indiens,  qui  n'avait  rien  fait  pour 
réprimer  les  excès  de  ses  sauvage.-i  après  la  bataille  de  la 
Belle  Prairie  et  la  capitulation  de  Niagara.  Amherst, 
comme  aide  de  camp  du  duc  de  Cumberland,  avait  assist''^ 
à  la  capitulation  de  Closter  Severn.  Après  la  chute  ce 
Louisbourg,  il  avait  sanctionné  et  môme  édicté  les  décrets 
d'expulsion  pris  contre  les  Acadiens  des  îles  du  Cap  Breton 
et  de  Saint-Jean;  peut-être  le  souvenir  de  ces  honteuses 
transactions  et  du  man([ue  de  bonne  foi  qui  les  avaient 
caractérisées,  le  rendit- il  si  sévère  à  l'égard  des  Fran(;ais. 
Au  surplus,  le  ton  pharisaïque  du  chef  britannique  était 
tout  à  fait  déplacé  quand  il  s'appliquait  au  chevalier  de 
Lévis  lequel  n'avait  jamais  été  mêlé  aux  cruautés  qui  avaient 
quelquefois  souillé  les  champs  de  bataille  du  Canada,  et 
dont  la  réputation  d'humanité  et  de  générosité  était  bien 
assise  dans  les  deux  armées.  D'ailleurs,  le  gouvernement 
de  la  métropole,  sans  désavouer  son  représentant,  répara, 
dans  une  certaine  mesure,  l'injustice  commise  en  relevant 
Lévis  et  quelques-uns  de  ses  ofticiers  de  leur  parole  et  en 
leur  permettant  de  participer  aux  campagnes  d'Allemagne. 
Réserve  faite  de  la  clause  spéciale  à  l'armée  française, 
l'arrangement  conclu  à  Montréal  était  libéral  dans  l'en- 
semble :  Le  libre  exercice  de  la  religion  catholique  était 
garanti;  les  séminaires  et  les  communautés  de  fenunes 
étaient  maintenus  dans  la  possession  de  leurs  biens  et  pri- 
vilèges. Le  peuple  conservait  la  jouissance  de  ses  pro- 
priétés, les  seigneurs  gardaient  celle  de  leurs  droits  féo- 
daux. Tous  les  officiers  civils  et  militaires,  les  soldats  et 
les  matelots  étaient  renvoyés  en  France  sur  transports 
anglais,  les  miliciens  prisonniers  en  Améri((ue  étaient 
libérés  et  autorisés  à  rentrer  chez  eux.  Seuls,  les  pauvres 


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CAPITULATION  DE  MONTHEAL. 


387 


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Acadiens  étaient  exclus  du  l)i'né;.cc  de  cette  laveur,  ((uo 
Vaudreuil  avait  inutilement  réclaméi^  pour  eux.  La  capi- 
tulation s'étendait  à  tous  les  postes  encore  aux  mains  des 
Français  tels  que  Jacques-Cartier,  l'île  Sainte-Thérèse, 
Détroit  et  les  postes  des  pays  d'Eu  Haut;  en  un  mot,  elle 
supprimait  la  domination  fran(;aise  au  Canada  et  dans 
ses  dépendances. 

Le  8  septembre  au  r-oir,  le  colonel  Haldiman  occu|)a 
la  ville  de  Montréal  au  nom  des  Anglais;  le 9,  les  troupes 
françaises  mirent  bas  les  armes  sans  honneurs  militaires. 
Lévis  avait  fait  brûler  les  drapeaux.  l*our  expliquer  leur 
absence,  on  déclara  (1)  :  «  que  les  bataillons  les  avaient 
apportés  au  Canada,  mais  (ju'ils  avaient  été  déchirés  et 
finalement  détruits  comme  inutiles  pour  la  guerre  des 
bois  ».  Malgré  la  dureté  d"Andi«*rst,  il  y  eut  l'échanae 
habituel  de  politesses;  le  11,  Vaudreuil  reçut  chez  lui  à 
diner  le  général  en  chef  et  le  lendemain  celui-ci  invita  à 
son  tour  le  gouverneur  liénéral.  Pas  un  officier  des  troupes 
de  terre  ne  voulut  assister  à  ces  réceptions.  D'après  les 
chiffres  officiels  anglais,  au  moment  de  la  reddition,  rellec- 
tif  des  troupes  de  Lévis  se  montait  à  201  officiers,  2.210 
sous-officiers  et  soldats  appartenant  aux  8  bataillons  de 
France,  à  120  ofticiers  et  1.052  hommes  composant  les 
hO  compagnies  de  la  Marine;  en  y  ajoutant  les  quelques 
artilleurs,  les  matelots,  les  femmes,  les  enfants  et  les 
domestiques,  le  total  atteignait  3.963  personnes.  L'effectif 
des  forces  britanniques,  déduction  faite  des  corps  et  déta- 
chements laissés  en  arrière,  n'était  pas  inférieur  à  11. 000 
combattants.  L'embaniuement  dos  Français  s'effectua  dans 
le  courant  du  mois  de  septembre;  la  descente  du  Saint- 
Laurent  fut  longue  et  fatigante  à  cause  du  manque  de 
vivres,  des  échouâmes  fréquents  et  de  l'encombrement  des 
bateaux.  A  Québec,  ils  furent  pour  la  plu])art  transférés 

(1)  Ainherst  àPilt,  Québec,  4  octobre  17G0.  Record  Ollice.  Norlh  America. 


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LA  Gl  KHin:  DK  SKPT  ANS.        CHAr.  VI. 


sur  d'autres  hiUiments  et  rapatriés  eu  France,  non  sans 
aventures  de  mer  et  quelques  naufr.aj^es. 

\insi  que  le  récit  des  événements  Ta  démontré,  la  prin- 
cipr.le  cause  de  la  i)erte  du  Canada  fut  la  difliculté  d'as- 
surer l'arrivée  à  bon  port  des  secouis  annuels  en  hommes 
et  en  matériel  indispensables  à  la  défense.  Cet  état  de 
choses  s'iieg'rava  avec  l;i  durée  de  la  f^nerrc;  iiu  début 
des  hostilités  de  I75G  et  1757,  le  pavillon  français  était  re- 
présenté par  des  forces  imposantes  ([ui  pouvaient  lutter 
presque  k  égalité  avec  les  Hottes  anglaises;  en  1758,  ce 
ne  sont  plus  ((ue  des  escadres  inférieures  en  unités  à  celles 
(le  l'ennemi;  à  la  suite  de  la  prise  de  Louisbourg  les  com- 
munications sont  devenues  hasardeuses;  la  métropole  est 
réduite,  en   175!),  à  envoyer  des  bâtiments  isolés  ou  des 
convois  sans  escorte  suffisante.  En  171)0,  la  suprématie 
maritime  de  la  Grande-Bretagne  est  définitivement  éta- 
blie; pour  les  expéditions  de  France  plus  nécessaires  que 
jamais,  il  faut  avoir  recours  à  l'initiative  privée,  se  lier 
au  hasard  des  vents  et  des  glaces  dans  l'espoir  d'échap- 
per aux  croiseurs  ennemis  et  d'accomplir  le  trajet  en 
temps  utile. 

La  cour  de  Versailles,  responsable  de  l'erreur  capitale 
([ui  avait  gretl'é  sur  la  lutte  maritime  avec  l'Angleterre  la 
guerre  épuisante  de  l'Allemagne,  chercha  à  se  dégager 
en  alléguant  l'énormité  des  charges  canadiennes  et  l'im- 
possibilité de  supporter  un  fardeau  dont  le  poids  était 
hors  de  proportion  avec  la  valeur  de  la  colonie.  Que  les 
dépenses  effectuées  au  Canada  fussent  très  exagérées,  que 
l'administration  de  la  colonie  et  la  gestion  des  affaires 
militaires  fussent  grevées  par  des  escroqueries  et  par  un 
gaspillage  fâcheux,  cela  est  incontestable.  En  temps 
normal  de  paix,  pour  1750  par  exemple,  les  dépenses 
de  l'exercice  avaient  été  liquidées  à  la  somme  de 
2.131.000  livres,  très  exactement  payée  en  fin  d'année  par 
la  métropole.  A  ])artir  de  cette  époque,  nous  les  voyons 


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FINANCES  DU  CANADA. 


889 


gi'ossir  chaque  exercice  o\  atteindre  en  175V,  dernière 
année  de  la  paix,  le  cliillVe  de  V.VGU.OOO  livres  rembour- 
sables il  des  échéan(  es  «juise  prolongeaient  jusqu'en  1757. 
En  1755,  commencement  de  la  guerre,  l'on  relève  une 
augmentation  ffnt  e.vplicable  de  l.i  '5.000  livres,  mais 
dorénavant  la  prf)gression  sei'a  ellVayante  :  pour  la  pé- 
riode de  175G  à  175i)  et  pour  les  huit  [)remiers  mois  de 
1760,  le  débit  total  s'élève  ù  l'i».V55.000  livres  sur  les- 
quelles le  trésor  n'avait  acquitté  que  2(5. 312. 000  livres 
de  traites,  y  compris  l'arriéré  de  1754;  le  sohle,  soit  plus 
de  81  millions,  était  en  souilrance.  L'impossibilité  de 
faire  face  à  cette  dette,  tout  en  trouvant  les  fonds  pour  la 
continuation  de  la  guerre  continentale,  occasionna  la 
suspension  de  paiements  de  l'automne  de  1759.  Nous 
avons  constaté  l'effet  désastreux  que  produisit  au  Canada 
la  connaissance  de  cette  mesure  et  le  parti  que  tirèrent 
les  Anglais  de  la  banqueroute  du  gouvernement  fran- 
çais. 

Jusqu'en  175V,  les  cartes  et  les  billets  d'ordonnance,  qui 
constituaient  pour  ainsi  dire  la  seule  monnaie  du  pays, 
étaient  échangeables  chez  le  trésorier  de  la  colonie  qui 
fournissait  tous  les  ans,  au  mois  d'octobre,  des  lettres  de 
change  sur  les  trésoriers  généraux  en  Trancc,  payables 
dans  le  premier  semestre  de  l'année  nouvelle.  Kn  175V, 
l'intendant  liigot  retarda  les  échéances  de  ces  clfets  et  à 
partir  de  1755  en  échelonna  le  remboursement  qui  fut 
lixé  :  le  premier  quart  à  l'année  qui  suivait  le  tirage,  la 
moitié  à  la  seconde  année  et  le  derniei-  ([uart  à  la  troi- 
sième. Il  en  résulta  une  aui^mentation  du  change  (jui  se 
traduisit  par  un  renchérissement  immédiat  de  20  "/(>  sur 
les  prix  de  toutes  les  marchandises  et  denrées  locales. 
Au  moment  de  la  cfniquête.  il  y  avait  en  circulation  quatre 
sortes  de  billets  au  Canada,  lettres  de  change,  récépissés, 
cartes  et  ordonnances.  Ces  liois  derniers  (pii  représentaient 
le  papier  non  transformé,  subirent  le  contrecoup  de  la 


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300 


LA  GUKRUK  DK  SKPT  A>S.    -  CHAP.  VI. 


suspension  df  paiement.  L'écart  entre  ces  valeurs  et  les 
lettres  de  change  fut  tel  que,  pendant  l'été  de  1760,  la 
vette  d"eau-de-vie  se  vendit  à  Montréal  aa  prix  de  500  li- 
vres en  ordonnances,  alors  qu'elle  n'en  valait  que  80  en 
ti-aites.  Un  rapport  (1)  présenté  à  l'occasion  de  ren(|uêtc 
sur  la  légitimité  du  papier  canadien  donne  un  curieux 
exemple  de  la  dépréciation  de  la  monnaie  fiduciaire.  Vn. 
charretier,  employé  du  munitionnaire  Cadet,  aurait  ga- 
gné, pour  travaux  elFectués  depuis  le  mois  de  no- 
vembre 1759  jusqu'à  la  reddition  de  Montréal,  une 
somme  de  .•{5  A  VO.OOO  livres.  «  il  est,  affirme  le  même 
rapport,  des  gens  actuellement  en  France  venant  de 
Canada  qui  y  ont  gagné  des  lettres  de  change  avec  tant 
de  facilité  et  pour  des  sommes  si  prodigieuses  qu'ils  en 
sont  embarrassés;  ils  ont  cherché  à  s'en  défaire  à  tel  prix 
([ue  ce  fût,  parce  qu'ils  étaient  sûrs  qu'à  tel  prix  qu'ils  les 
escomptassent,  ce  qu'ils  recevraient  leur  provenait  de 
zéro  ;  ils  ont  trouvé  des  personnes  assez  hardies  ou  assez 
peu  consciencieuses  pour  en  prendre  à  75  jusqu'à  85  %  de 
perte.  J'en  connais  quelques  parties  qui  ont  été  vendues  à. 
ces  prix-là,  et  entres  autre  une  de  2:30  à  240.000  livres  par 
un  seul  particulier.  Ses  acquéreurs  se  présenteront  sans 
doute  à  la  vérification  connue  légitimes  porteurs.  » 

L'examen  des  dépenses  du  Canada  donna  lieu  à  deux 
procédures,  lune  criminelle,  l'autre  financière.  Aussitôt 
rentrés  en  France,  l'intendant  Bigot,  le  munitionnaire 
Cadet  et  plusieurs  fonctionnaires  de  la  colonie  furent 
l'objet  de  poursuites  ainsi  (pie  1q  gouverneur  général  et 
(|uelques  officiers  qui  avaient  été  commandants  de  postes. 
Vaudreuil  et  ces  derniers  bénéficièrent  d'ordonnances  de 
non-lieu  ou  furent  acquittés;  les  premiers  au  contraire, 
après  une  instruction  qui  dura  près  de  trois  ans,  furent 


(1)  Gleinet,  Mémoire  pour  servir  à  iL-xamen  Je  la  lét;itiinité  des  lettres  de 
change  et  billets  d'ordonnance  provenant  des  dépenses  du  Canada,  '>  jan- 
vier 17C2.  Archives  des  Colonies. 


il 


S.m-rm^ 


PROCES  DE  lUiKtT  ET  DE  SES  COMPLICES. 


801 


condamnés  par  jutioiiKMit  souverain  du  Cliatelet  en  date 
(lu  10  décend>io  17(».'i.  Quelques-uns  des  coupables  s'é 
♦  aient  déi'obés  par  la  fuite.  Parmi  les  sentences  l(>s  plus 
lourdes,  citons  celles  de  Bigot  :  bannissement  perpétuel, 
conliscation  de  ses  biens,  1.000  livr«>s  d'amende  et  restitu- 
tion de  1 .500.000  livres;  de  Varin,  même  bannissement  et 
restitution  de  80(K000  livres;  de  Hréard,  Penisseault,  Mau- 
rice et  Cadet,  bannissement  de  neuf  ans  de  la  ville,  prévôté 
et  vicomte  de  Paris  et  restitutions  variant  de  <}  millions 
de  livres  pour  Cadet  à  000.000  et  300.000  livres  pour  les 
autres. 

Quant  k  la  liquidation  de  la  dette  dont  le  montant, 
d'après  les  réclamations  des  intéressés,  atteignait  la  somme 
de  90  millions,  elle  ne  fut  terminée,  en  ce  qui  concer- 
nait les  créances  des  sujets  français,  (|ue  [)ai'  les  arrêts 
royaux  des  15  décembre  170V  et  9  février  1705.  Le  rè- 
glement dû  aux  détenteurs  restés  au  Canada  nécessita  de 
longues  et  difficiles  négociations  avec  le  gouvernement 
britannique  et  fut  enfin  arrêté  par  la  convention  du 
29  mars  1766.  Il  serait  trop  long  d'entrer  dans  les  détails 
d'une  opération  financière  qui  avait  été  confiée  à  une 
commission  de  la  cour  des  Comptes  et  qui  fit  l'objet  d'un 
rapport  (1)  circonstancié  et  intéressant.  Il  nous  suffira  de 
dire  que  la  somme  primitive  subit  des  réductions  impor- 
tantes et  qu'en  fin  de  compte  le  U<n  eut  à  prendre  à  sa 
charge  un  total  de  37.506.000  livres  portant  intérêt  à  ï  %. 

iNous  voici  arrivés  au  terme  des  cinq  années  de  lutte 
qui  aboutirent  à  la  capitulation  de  Montréal  et  ([ui  mar- 
quèrent la  lin  de  la  Nouvelle  France.  Il  serait  injuîte  d'at- 
tribuer la  défaite  finale  aux  dilapidations  de  quelques 
fonctionnaires  et  aux  fraudes  de  quebjues  employés;  les 
coupables  le  plus  en  vue,  l'intendant  Higot,  le  munition- 
naire  Cadet,  tout  en  volant  le   Roi,  déployèrent  pour  la 

(IJ  Rf'sumé  de  la  liquidalion  de  la  doUe  du  Koi  pour  le  Canada.  Archives 
des  Colonies. 


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LA  C.UKHHK  Di:  HKPT  ANS 


CHAP.  VI. 


doreuse  de  ses  possessions  une  intelligence,  une  nctivitt'> 
que  n'auiaient  pu  dépasser  des  adniinistrateuri»  |»lus  hon- 
nêtes. Il  faut  le  pntclanier  à  titre  de  véiité  absolue  :  la 
responsabilité  de  la  iteife  de  notn*  eolonie  ineombe  tout 
entière  à  l'incurie,  à  la  ué^li.uence.  disons  le  mot  piopie, 
à  l'iiubécillité  de  Louis  XV  et  de  ses  conseillers.  Kntre- 
prendre  h  la  léi.;ère  une  politique  d'expansion  (pion  n'a- 
vait ni  le  pouvoir,  ni  la  volonté  ferme  <le  mener  i\  bonne 
iin,  se  jeter  dans  la  yuerre  continentale  ()oiir  une  ques- 
tion d'amour-proprr  et  sans  espoir  d'avantages  apprécia- 
J)lcs,  alors  ([u'on  avait  à  cond)attr<'  sur  mer  la  première 
puissance  maritime  du  monde,  se  traîner  à  la  remorque 
de  l'alliance  autrichienne,  sacrifier  l'essentiel,  la  conser- 
vation du  domaine  d'outre-mer,  pour  l'accessoire,  lac- 
([uisition  de  quelques  cantons  en  Flandre,  telles  furent 
les  fautes  dont  les  principaux  auteurs  :  le  Uoi,  la  Pom- 
padour,  l'abbé  de  Hernis  porteront  devant  l'histoire  le 
poids  accablant.  Tout  autre  est  l'impression  que  donne 
le  tableau  de  la  guerre  du  Canada;  si  douloureux  que 
soit  le  récit  des  luttes  suprêmes,  il  n'en  laisse  pas  moins 
un  sentiment  de  fierté  légitime.  Notre  cœur  bat  à  l'unisson 
de  ces  héros  qui,  depuis  Montcalm  et  Lévis  jusqu'au  der- 
nier paysan  du  Canada,  illustrèrent  la  vieille  et  la  nou- 
velle France  par  leur  bravoure  à  foute  épreuve,  par  leur 
fortitude  dans  l'adversité,  par  leur  esprit  de  sacrifice, 
par  leur  amour  de  la  patrie. 


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■^*ip 


CIIAPITRK  VII 

POLITIQUE    INTÉRIEURE  DE  L  ANGLETERRE 

MOHT     1)1,    (iKOlUiKS     II.     —     IMM  Kl'Alll.KUS     KMIIK     L  V     IIIANCK 

KT    I.'kSI»\(1NK. 


Au  vouva  (le  l'été  do  17(i0,  la  politique  intcriouie  de 
l'Aunletorre  ne  fut  trou!)léo  par  aucun  événement  im- 
portant; l'animosité  lat'înte  qui  existait  entre  Pitt,  dont 
le  prestige  grandissait  à  vue  d'u'il,  et  Newcastle  et  ses 
amis  (|ui  jalousaient  et  craignaient  i\  la  t'ois  leur  iras- 
cible collègue,  était  loin  d'être  éteinte;  elle  était  même 
entretenue  par  le  Koi,  aussi  attaché  au  duc  que  mal  dis- 
posé pour  Pitt.  Néanmoins,  grAce  à  une  entente  tacite,  on 
avait  fini  par  se  répaitir  les  rôles  :  au  dernier,  la  poli- 
tique extérieure,  la  défense  des  mesures  gouvernemen- 
tales devant  la  Chambre  des  Communes;  au  premier,  ce 
que  nous  appellerions  aujourd'hui  la  cuisine  électorale, 
les  intrigues  de  couloir,  la  feuille  des  bénéfices,  les  rap- 
ports intimes  avec  le  monarque.  Tous  les  membres  du 
cabinet  étaient  d'accord  avec  (Jeorges  II  pour  donner  la 
plus  vive  impulsion  aux  hostilités  de  terre  et  d<'  moi'; 
aussi  n'avaient-ils  pas  attendu  la  rupture  des  négociations 
de  la  Haye  ])our  renforcer  le  prince  Ferdinand,  soit  en 
prenant  à  la  solde  anglaise  des  c(  ntingents  allemands, 
soit  en  augmentant  l'élément  britannique  de  son  armée. 
Pitt,  naguère  adversaire  résolu  de  l'action  directe  sur 
le  continent,   était  maintenant  le   plus  zélé  à  appuyer 


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304 


LA  GUERRi:  Di:  SKPT  ANS.  —  CHAP.  Vil. 


les  demandes  d'argent  et  d'hommes  qui  venaient  du 
quartier  général  des  Confédérés.  La  levée  du  siège  de 
Québec,  la  perspective  de  la  conquête  complète  du  Ca- 
nada, avaient  grisé  les  esprits  ;  on  ne  parlait  plus  de 
jiaix;  on  rêvait  de  nouvelles  victoires,  de  nouvelles 
ac((uisition)-'  aux  dépens  de  l  ennemi  héréditaire  humilié 
et  meurtri.  Obéissant  à  ce  courant  d'opinion,  !a  cor- 
poration de  la  cité  de  Londres  avait  voté  (1)  une  adresse 
au  Roi  lui  promettant  contre  «  une  puissance  plus  dan- 
gereuse en  temps  de  paix  qu'en  état  de  guerre  »,  son 
appui  jusqu'à  ce  que  S.  M.  pût  lui  dicter  les  conditions 
du  traité  éventuel. 

Il  y  avait  cependant  une  ombre  au  tableau  .  le  flot 
montant  de  la  dépense  ^grossissait  à  chaque  exercice;  la 
g'uerrc  d'Allemagne  absorbait  des  sommes  énormes  sans 
espoir  de  compensations  palpables.  Resté  llanovrien  dans 
ses  sentiments  et  dans  ses  sympathies,  le  vieux  roi  était 
peut-être  seul  à  entrevoir,  sur  le  continent,  des  accroisse- 
7  nts  de  territoire  auxquels  ses  sujets  britanniques  res- 
taient indifférents  et  souvent  hostiles.  Lady  Yarmouth 
indiquait  à.  Newcastle,  comme  véritable  raison  de  l'aver- 
sion du  souverain  pour  Pitt,  le  refus  de  celui-ci  de 
se  prêter  au  désir  royal  d'agrandir  l'électorat  du  Ha- 
novre au  moyen  de  la  sécularisation  des  trois  évêchés 
voisins. 

Quoique  les  deux  chefs  du  gouvernement  s'entendis- 
sent assez  mal,  ils  étaient  d'accord  pour  se  plaindre  des 
agissements  du  monarque.  Pitt  avait  sur  le  cœur  (2)  un 
manque  d'égards  qui  se  traduisait  par  des  dénis  de  satis- 
faction à  ses  amis  :  Dans  l'espèce,  il  s'agissait  d'un  pro- 
tégé que  le  Roi  ne  voulait  pas  nommer  au  poste  de  gou- 
verneur de  la  Guadeloupe  :  «  C'était  cependant  lui,  Pitt, 


(1)  Newcaslle  à  Yorke,  IV  octobre  i7fio.  NewcasUe  Papers. 

(2)  Newcastlt'  à  llardwicke,  16  aoùtl7C0.  Newcaslle  Papers. 


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DIFFICULTES  FINANCIERES  DE  NHWCASTLE. 


395 


<[ui  avait  réussi  à  faire  accepter  par  la  nation  dos  me- 
sures et  (les  (i«';penses  que  personne  avant  lui  n'avait  pu 
soutenir  avec  succès;  il  avait  acquis  dans  la  nation  un 
crédit  tel,  que  S.  M.  pourrait  un  jour  en  sentir  les  ef- 
fets. »  D'après  Newcastle,  le  propos  du  collègue  était  une 
affirmation  de  l'impossibilité  dans  laquelle  ou  se  trouve- 
rait (le  conduire  les  affaires  du  pays  sans  son  concours. 
Cuoique  fort  attaché  à  son  maître,  Newcistlc  lui  repro- 
chait une  parcimonie  qui  ne  faisait  (jue  croître  avec 
l'âge.  En  dépit  de  l'état  florissant  de  la  liste  civile  qui 
fournissait  un  revenu  de  27  millions  de  francs,  sans 
compter  7  millions  en  caisse,  Georges  insistait  pour 
laisser  à  la  charge  des  contribuables  britanniques  des 
paiements  (pii  auraient  dû  être  prélevés  sur  la  cassette 
royale.  Aux  sollicitations  du  ministre,  qui  réclamait  un 
don  de  250.000  francs  pour  le  prince  héréditaire  de  Bruns- 
wick et  un  subside  de  500.000  francs  pour  la  landgrave 
de  Hesse,  fille  du  Roi,  le  monarque  répondait  par  dos 
refus  ou  des  fins  do  non-recevoir. 

En  sa  qualité  de  ministre  des  Finances,  Newcastle  était, 
à  bon  droit,  préoccupé  (l)  du  budget  de  1761;  pour  faire 
lace  aux  frais  de  la  marine,  il  avait  été  obligé  d'allecter 
au  compte  de  l'exercice  1760  les  intérêts  acquis  au  fond 
d'amortissement  pour  les  neuf  premiers  mois  de  1761.  Aux 
1.500.000  livres  sterling  ainsi  avancées,  il  fallait  ajouter 
8.000.000  pour  le  budget  de  la  guerre,  6.000.000  pour 
celui  de  la  marine,  600.000  pour  l'artillerie,  soit  en  tout 
16.100.000  livres  sterling  ou  402.500.000  livras  de  France, 
et  «  cela  sans  compter  \u\  six  pence  pour  les  autres  dépenses 
ordinaires  ».  Le  vieux  politique  serait  enclin  à  considérer 
un  tel  ell'ort  commis  irréalistable ,  mais  il  se  console  en 
pensant  qu'il  y  a  beaucoup  d'argent  dans  le  pays.  <(  Si 
nous  pouvions  présenter  de  bonnes  garanties,  je  ne  déses- 

(Ij  Newcastle  à  Uaidwicke.  27  septembre  17G0.  Newcastle  Papcrs. 


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L\  GUEKRE  DK  SEPT  ANS.  -    CHAP.  VII. 


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pèlerai  pas  de  pouvoir  obtenir  au  moins  10  millions  de 
livres  sterling,  mais  l'énorme  accroissement  de  la  dette 
publique  peut  soulever  des  considérations  troublantes.  » 
Des  embiirras  de  la  tr«>sorerie,  Pitt  n'avait  cure;  il  exi- 
geait les  16  millions  nécessaires  pour  la  guerre,  mais  il 
laissait  à  son  collègue  le  souci  de  les  trouver. 

Par  un  enchaînement  logique, l'étude  des  voies  et  moyens, 
l'examen  des  nouveaux  impôts  auxquels  il  faudrait  avoir 
recours,  ramenaient  constamment  sur  le  tapis  la  question 
de  la  paix.  Ne  conviendrait-il  pas  de  terminer  cette 
guerre  d'Allemagne  à  la  fois  coûteuse  et  impopulaire  ? 
L'heure  n'était-elle  pas  venue  de  consolider,  par  un  traité, 
les  conquêtes  coloniales  arrachées  à  la  France?  Sur  ce 
point,  les  avis  des  ministres  étaient  partages;  Newcastle 
et  ses  amis,  tout  en  penchant  pour  mettre  fin  aux  hostilités, 
craignaient  l'opinion  et  n'osaient  prendre  d'initiative; 
Holdernessc,  aussi  paresseux  que  nul,  mais  intrigant  de 
premier  ordre,  faisait  sa  cour  tantôt  à  Pitt,  tantôt  à  lord 
Bute,  le  confident  de  l'héritier  de  la  couronne.  Pitt  re- 
connaissait, à  In  vérité,  dans  ses  entretiens  particuliers, 
soit  avec  les  membres  du  cabinet,  soit  avec  l'envoyé 
prussien  Knyphausen  (1),  la  nécessité  éventuelle  de  la 
paix,  mais,  en  nttondant,  restait  aussi  partisan  que 
par  le  passé  d'entreprises  contre  les  possessions  d'outre- 
mer ou  mênie  contre  le  territoire  métropolitain  de  la 
France. 

Au  dél)ut  d'octobre  1700,  l'expédition  du  prince  héré- 
ditaire de  Brunswick  sur  le  Bas-Bhin  battait  son  plein  ; 
le  siège  de  Wesel  était  commence;  le  prince  Ferdinand 
avait  prié  la  cour  de  Londres  d'exécuter,  sur  la  côte  des 
Pavs-Bas,  une  diversion  à  l'etlet  d'arrêter  la  marche  des 
renforts  destinés  au  corps  de  Castries.  Pour  répoudre  à 
cet  appel.    Pitt   proposa   une    opération   contre   l'ile  de 


(1)  Newcastle  à  Ilardwicke,  17  septembre  ITGO.  Newcastle  Papeis. 


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AJOURNEMENT  DE  LEXI'EDITIUN  CONTRE  «ELLEISLE. 


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BcUoisle  ;  déjà  le  commandant  du  ccrps  expéditionnaire, 
les  régiments  qui  devaient  en  faire  imrtie  avaient  été 
désignés  et  les  transports  demandés  à  la  marine,  enfin 
l'assentiment  du  Uoi  avait  été  obtenu.  Au  conseil  intime 
tenu  le  2  octobre,  Pitt  (1)  défendit  son  concept;  ses  col- 
lègues lui  tirent  une  foule  d'objections  :  la  saison  avancée, 
le  danger  de  laisser  l'Angleterre  dégarnie  de  troupes,  le 
temps  qu'exigeraient  les  prépa"atifs.  Le  1 1 ,  seconde  réu- 
nion (2);   le  Commodore   Keppel  qu'on  avait  appelé  à 
cause   de    son   expérience   de   la   localité,    se   prononça 
contre  la  tentative  :  les  abords  de  l'ile  manquaient  de 
profondeur,  les  fortifications  avaient  été  augmentées,  de 
nouvelles  batteries  érigées;  bref,  à  une  époque  de  l'an- 
née aussi  tardive,  le  débarquement  et  le  siège  présen- 
teraient des  difficultés  sérieuses.  Sur  la  motion  de  Pitt, 
il  fut  décidé  d'en  référer  à  l'amiral  Hawke  qui  comman- 
dait l'escadre  de  blocus  dans  les  parages  du  Morbihan. 
Newcastle,  il  est  presque  superflu  de  le  dire,  avait  com- 
batîu  le  projet  qu'il  trouvait  déraisonnable,  mais  il  hé- 
sitait sur  le  vote  définitif  :  «  Quand  M.  Pitt  s'est  butté  à 
une  mesure,  comme  il  l'a  fait  dans  le  cas  présent,  il  ne 
vous  fera  pas  quartier,  si  on  se  met  en  travers.  >>  L'attente 
de  l'avis  de  Hawke  fit  perdre  quelques  jours;  il  fut  nette- 
ment défavorable;  aussi,  après  en  avoir  pris  connaissance, 
la  majorité  du  cabinet  se  déclara-t-elle  (3)  contre  l'exé- 
cution immédiate  de  l'entreprise  qui  fut  en  conséquence 
ajournée  à  un  moment  plus  propice. 

A  peine  cette  résolution  avait-elle  été  prise,  que  la 
mort  subite  de  Georges  II  et  les  suites  qu'elle  entraîna 
donnèrent  d'autres  préoccupations  aux  hommes  d'Etat 
de  la   Grande-Bretagne.   Nous  extrayons  de  la   (lazette 


(1)  Newcastle  à  Hardwicke,  3  ociobre  ITfio.  Ncwcasllf  Paper? 
('.!)  Newcastle  à  Hardwicke,  il  octobre  1760.  Newcastle  l'apers. 
(3)  Newcastle  à  Hardwicke,  18  octobre  l/CO.  Newcastle  l'apers. 


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398 


LA  GUERKK  DE  SEPT  ANS.  -    CHAP.  VU. 


des  Pays-Bas  (1)  le  récit  de  l'ôvénoment  qui  eut  lieu  le 
25  octobre,  entre  7  (;t  8  heures  du  matin  :  «  Après  avoir 
pris  son  chocolat,  il  (le  Roii  demanda  quel  était  le  vent 
et  témoigna  do  l'inquiétude  sur  la  lenteur  des  troupes 
et  de3  vaisseaux  qui  avaient  leur  rendez-vous  à  Ports- 
niouth.  Il  ouvrit  la  fenêtre  et  voyant  qu'il  faisait  beau, 
il  parla  de  se  promener  au  jardin.  L'homme  d'office 
qui  avait  servi  le  chocolat  et  qui  était  sorti,  entend 
un  bruit...  il  rebroussa  et  trouva  le  Roi  tombé  de  sa 
chaise  et  dans  l'attitude  à  tirer  le  cordon  de  la  sonnette. 
Il  appela;  on  visita  le  monarque  et  on  s'aperçut  qu'il 
s'était  blessé  à  la  tempe;  on  le  mit  au  lit,  on  lui  ouvrit  la 
veine,  mais  il  ne  vint  pas  de  sang".  Il  a  expiré  sans  retour 
de  connaissance.   » 

Au  moment  de  sa  mort,  Georges  II  était  âgé  de  77  ans 
et  comptait  34  années  de  règne.  En  dépit  de  son  éduca- 
tion, de  ses  habitudes  et  de  ses  préférences  foncièrement 
allemandes,  il  avait  exercé  une  influence  incoutestal)le  sur 
les  destinées  du  pays  au  trône  duquel  i!  avait  été  appelé. 
La  bravoure  dont  il  avait  fait  preuve  sur  les  champs  de  ba- 
taille de  la  guerre  de  succession,  le  sang-froid  qu'il  avait 
montré  lors  de  la  rébellion  <!('  17V5,  sa  dévotion  à  la 
cause  protestante,  dont  il  seproclamait  volontiers  le  cham- 
pion, lui  avaient  valu,  de  la  part  de  ses  sujets  britanni- 
ques, un  attachement  raisonné  tenant  plus  du  respect  que 
de  l'affection.  Tenace  jusqu'à  l'entêtement,  économe  au 
point  de  friser  l'avarice,  dur  et  parfois  cruel  à  l'égard 
de  ses  ennemis,  rancunier  pour  ceux  qui  l'avaient  olTensé, 
il  ne  possédait  aucune  des  qualités  qui  attirent  la  sym- 
pathie ou  engendrent  la  popularité  ;  et  cependant,  parmi 
les  hommes  d'Ktat  qui  le  servirent,  il  conqita  des  amis 
dévoués.  GrAce  à  un  fonds  réel  de  bon  sens,  il  sut  à  maintes 


(1)  Gazelle  des  /'«2/A-i5fl.sSu|»iiléineiit  du  lundi,  3  novembre  17G0.  Newcaslle 
Papers. 


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MORT  DE  OEORGES  II. 


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reprises  surmonter,  au  moins  momcntanrmcnt,  des  antipa- 
tliies  profondes,  s'incliner  devant  des  nécessités  t;ouverne- 
mentales  contre  lesquelles  il  était  le  premier  à  protester 
dans  les  causeries  avec  ses  intimes.  Autoritaire,  opposé  an 
régime  parlementaire,  dont  il  n'avait  jamais  compris 
le  fonctionnement,  il  régna  en  monarque  constitutionnel. 
Malgré  ses  défauts  de  caractère,  peut-être  à  cause  d'eux, 
il  inspira  à  ses  ministres  un  sentiment  mélangé  de  dé- 
vouem(;nt  et  de  crainte  et  imprima  maintes  fois  sa  note 
indi'iduelle   à  la  politique  de  la  Grande-Bretagne. 

F^e  cadavre  du  souverain  était  à  peine  dans  le  cercueil 
que  déjà  les  intrigues  reprirent  de  plus  belle  dans  !<■ 
personnel  de  la  cour  et  du  cabinet.  On  se  demandait  avec 
une  curiosité  mêlée  d'inquiétude  quelle  serait  l'attitude  du 
successeur.  Petit-fils  du  roi  défunt,  (leorges  III  repré- 
sentait, pour  la  plupart,  une  valeur  inconnue.  Anglais  de 
naissance  et  d'éducation,  il  n'aurait  riiMi  des  préjugés  et  des 
goûts  étrangers  d«^  ses  prédécesseurs;  de  cela  on  était  sûr; 
mais  entretiendrait-il  la  note  de  défiance  que  la  prin- 
cesse de  Galles,  sa  mère,  avait  professée  à  l'égard  de  l'en- 
tourage du  vieux  roi,  garderait-il  rancune  aux  ministres 
actuels  clt;  l'éloiguement  des  affaires  dans  leqmd  il  avait 
été  tenu  du  vivant  de  son  grand-père?  Dans  quelle  mesure 
continuerait-il  à  subir  l'autorité  maternelle,  jusqu'alors 
prépondérante,  et  à  se  conformer  aux  conseils  de  lordBule, 
son  précepteur,  devenu  son  confident  et  ami?  Ces  ques- 
tions ne  devaient  pas  recevoir  une  solution  immédiate. 

Deux  jours  après  la  mort  deCieorges  II,  Newcastle  eut  une 
entrevue  (1)  avec  Bute  qui  commença  l'entretien  enlui  fai- 
sant part  du  désir  du  jeune  roi  de  conserver  les  .services 
de  son  interlocuteur;  celui-ci  se  répandit  en  remercîments. 
mais  prétexta  son  Age  avancé  pour  décliner  l'offre ,  il  finit 


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(1)  Valence  Jones  à  la  duchesse  de  Newcastle.  28  octobre  I7('.o.  Newcasll'.- 
Papeis. 


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LA  GUKHIIK  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


néanmoins  par  réserver  sa  réponse  jusqu'après  consulta- 
tion de  ses  amis.  L'audience  royale  quisuivitne  fut  qu'une 
seconde  «klition  de  la  conversation  avec  le  favori.  Des 
lidèles  de  i\ewcastle,les  uns  furent  d'avis  qu'il  ne  devait 
pas  abandonner  son  portefeuille,  les  autres  opinèrent 
pour  la  démission  ou  n'admirent  l'acceptation  que  sous 
certaines  conditions  qui  assureraient  la  dignité  de  l'homme 
d'État,  et  procureraient  des  avantages  aux  whigs  dont 
il  était  le  chef.  Comme  toujours,  Hardwicke  s'entremit  en 
faveur  de  son  vieil  associé,  tint  de  longues  conféren- 
ces (1)  avec  Pitt  et  avec  Bute,  obtint  d'eu.x  des  satisfac- 
tions pour  le  présent  et  des  promesses  pour  l'avenir; 
elles  permirent  à  Ncnvcastlc  de  suivre  le  conseil  qui  avait 
ses  préférences  secrètes  et  de  rester  au  pouvoir.  Lady 
Yarmouth  l'en  félicita  chaudement  (2)  :  «  .le  suis  con- 
vaincue, lui  écrivit-elle,  que  si  dans  l'autre  monde  l'on 
puisse  savoir  ce  qui  se  passe  dans  celui-ci,  feu  le  Roi 
approuverait  ce  que  vous  faites.  » 

Ce  replâtrag'e,  car  l'arrangement  ne  méritait  pas  un 
autre  nom,  n'était  guère  durable.  Newcastle  qui  avait 
atteint  l'âge  de  67  ans,  enter  lait  maintenir  intact 
son  prestige  parlementaire;  très  versé  dans  la  stratégie 
de  couloir  et  dans  l'art  de  triturer  la  pâte  électorale, 
il  se  réservait,  à  l'exclusion  de  tout  autre,  ce  qu'il  appe- 
lait «  le  choix  du  nouveau  parlement  ».  Pitt  quoique  assez 
indifférent  en  la  matière,  aurait  voulu  profiter  des  élec- 
tions pour  renforcer  dans  la  Chambre  des  conmmnes  l'é- 
lément tory  auquel  il  appartenait.  Enfin  Bute  estimait 
qu'un  changement  de  monarque  devait  entraîner  quel- 
ques modifications  dans  le  personnel  gouvernant.  Ces 
divergences  d'opinion  suscitèrent  des  jalousies  qui  se 
traduisirent  bientôt  en   manœuvres  et  en   hostilités  la- 


(1)  Hardwicke  à  Newcastle,  20  octobre  17C0.  Newcastle  Papcrs. 
(■?)  Lady  Yarmouth  à  Newcastle,  30  octobre  1 760. .Newcastle  Papers. 


DEBUTS  DU  NOUVEAU  REGNE. 


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tentes  très  préjudiciables  à  la  bonne  marche  des  affaires. 

Quant  au  jeune  souverain,  il  partageait  les  idées  de  son 
confident  et  manifestait  la  volonté  d'inaugurer  un  régime 
nouveau;  dans  la  proclamation  adressée  à  ses  sujets  de  la 
Grande-Bretpgnc,  il  avait  inséré,  de  son  propre  chef  (1), 
des  mots  sur  la  portée  desquels  il  était  impossible  de  se 
méprendre  :  «  Né  et  élevé  dans  ce  pays,  je  suis  fier  du 
nom  de  la  Grande-Bretagne  (2).  Le  principal  bonheur  de 
mon  existence  sera  de  contribuer  à  la  prospérité  d'un  peu- 
ple dont  l'attachement  loyal  et  la  chaude  affection  sont  à 
mes  yeux  1  appui  le  plus  fort  et  le  plus  durable  de  mon 
trône.  » 

Malgré  le  prolongement  d'existence  du  ministère,  New- 
castle  s'agite,  il  est  inquiet,  il  ne  se  sent  pas  les  coudées 
franches,  il  soupçonne  Pitt  et  Bute  de  seconcerteren  arrière 
de  lui.  Ce  dernier  tient,  à  propos  des  intentions  royales,  un 
langage  étrange  :  «  Le  Boi  désire  que  pour  le  moment  tout 
se  passe  comme  du  temps  de  son  grand-père  et  jusqu'à  la 
nomination  des  nouveaux  fonctionnaires  de  la  cour  qui 
aura  lieu  après  un  délai  de  6  mois.  Quand  les  désignations 
nouvelles  auront  été  faites,  le  Boi  décidera  alors  quels 
personnages  il  appellera  à  faire  partie  de  son  conseil  de 
cabinet.  Il  faut  donc  se  concerter,  ajoute  Newcastle  (3)  qui 
rapporte  le  propos  de  Bute,  à  un  nouveau  cabinet  et  à 
des  changements  tous  les  jours...  Quant  à  moi,  je  suis  le 
zéro  le  plus  insignifiant  qui  ait  jamais  paru  à  la  cour.  Le 
jeune  roi  est  à  peine  poli  pour  moi,  il  ne  me  parle  de 
rien,  et  ne  me  répond  guère  quand  je  l'entretiens  de  mes 
affaires  de  finance.  » 

Peu  à  peu  la  mauvaise  humeur  du  vieux  politicien 

(1)  Bute  à  Newcastle,  15  novembre  1760.  Newcaslle  Papcrs. 

('2)  Dans  le  texte  anglais  «  Brltaln  ».  Quelques  versions  disent  «  Brilon  ;>, 
citoyen  de  la  Grande-Bretagne.  Voir  Political  hislorij  of  England,  vol.  X, 
by  Hunt,  p.  12. 

(3)  Newcaslle  à  Ilardwicke,  "  novembre  1760.  Newcaslle  Papers. 

CUEnUE   DE   SEI'T    A>S.    —   T.    IV.  26 


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LA  CUERIIE  DK  SF':PT  ANS. 


CIIAP.  VU. 


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augmente;  il   accuse   (1)  Bute  et  Pitt  d'essayer  de  lui 
nuire  «  non  pcr  astutias  sed  per  aperta  mendacia  ».  De 
son  côté,    Pitt   se  plaint  de  la  réserve  de    Georges  III 
avec  lequel  il  n'a  de  rapports  ni  directs  ni  indirects  : 
(i    Autrefois,    Milord,   dit-il  à   Newcastle,   si  je    n'avais 
pas  l'occasion  de  voir  le  Uoi,  vous  me   disiez  que  vous 
répondriez  de  son  consentement,  et  cela   me  suffisait; 
j'étais  satisfait.  Où  voulez-vous  que  je  trouve  cette  satis- 
faction aujourd'hui?  »  Les  mois  de  décembre  1760,  de 
janvier  et  février  1"<)1,  se  passèrent  en  conversations  et 
conférences  auxquels  participeront,  en  outre  des  princi- 
paux intéressés,  Hardwicke  et  le  comte  Viry,  ministre  du 
roi  de  Sardaignc.  Ce  diplomate,  accrédité  depuis  long- 
temps à  la  cour  de  Saint-James,  en  relations  intimes  avec 
la    plupart  des  personnag-cs  politiques  de  l'Angleterre, 
prenait  volontiers  le  rôle  de  nég-ociateur  entre  les  coteries 
rivales  et  s'acquittait  avec  habileté  et  souvent  avec  succès 
d'une  besogne  pour  laquelle  il  avait  beaucoup  de  goût. 
En  attendant  la  reconstitution  du  cabinet  qui  ne  s'elTec- 
tua  qu'au  mois  d'avril,  les  ministres  en  exercice,  Pitt  tout 
le  premier,  rétléchissaient  aux  moyens   de  mettre  fin  à 
une  guerre  dont  les  résultats  avaient  été  brillants,  mais 
qui  ne  laissait  pas  d'être  fort  onéreuse  pour  les  tinances 
nationales.  L'opiniou,  encore  très  favorable  aux  entreprises 
maritimes  et  coloniales,  dont  elle  appréciait  les  avantages 
immédiats,  commencjait  à  se  fatiguer  des  interminables 
campagnes  de  l'Allemagne  ;  la  confiance  dans  le  prince 
Ferdinand  avait  baissé  considérablement  depuis  la  prise  de 
Cassel  et  l'échec  de  Clostercamp;  quant  au  roi  Frédéric, 
dont  la  popularité  avait  aussi  décliné,  on  se  demandait 
si  la  limite  des  sacrifices  jusqu'alors  si  libéralement  con- 
sentis, ne  serait  pas  bientôt  atteinte.  «  Le  roi  de  Prusse, 
écrivait  Chesterlield  (2),  n'abandonnera  pas  de  bon  gré  un 

(1)  Newcastle  il  Hardwicke,  3  décembre  17(iO.  Newcaslle  Papcis. 
Cl)  Chesterlield  à  Newcastle,  30  novembre  1760.  Newcaslle  Papers, 


LKTTttC  DE  FREDERIC  A  PITT. 


403 


acre  du  territoire  qu'il  possédait  avant  la  guerre,  mais 
peut-il  équit»l)lenieiit  s'attendre  à  ce  que  nous  nous  rui- 
nions totalement  pour  lui  conserver  quelques  bailliages? 
Quand  nous  en  viendrons  là,  nous  aurons  raison  d'exiger 
qu'il  fasse  les  concessions  que  l'état  de  ses  affaires  et  des 
nôtres  rendra  nécessaires.  » 

Certes,  comme  Chesterfîeld  le  pensait,    Frédéric    était 
bien  résolu  à  ne  rien  céder  de  ses  possessions,  mais  sous 
le  bénéfice  de  cette  réserve,  il  était  partisan  convaincu 
de  la  paix  européenne,  l'eu  de  jours  après  sa  victoire  de 
Torgau  et  à  l'occasion  de  la  mort  de  Georges  II,  il  avait 
manifesté   à  Pitt   sa  manière  de   voir  (Ij  :  «  Je  mets  ma 
confiance  en   vous.  Monsieur,  et  dans  ce  caractère  d'un 
vrai  Romain  dont  vous  avez  donné  des  marques  si  écla- 
tantes durant  votre  ministère...  Nous  avons  eu  des  succès 
d'un  côté,  mais  à  parler  franchement,  ils  ont  été  contre- 
balancés par  des  événements  favorables  à  nos  ennemis. 
Leur  nombre  nous  est  trop  supérieur  pour  que  nous  puis- 
sions nous    flatter  de    pouvoir  remporter  sur   eux  des 
avantages  décisifs...   Vous  êtes  peut-être  le  seul  homme 
en  Europe  qui,  par  vos   sages  mesures,  pourrez  trouver 
un  tempérament  propre  à  finir  d'une  manière  glorieuse 
une  guerre  ruineuse  et  funeste  à  toutes  les  parties  belli- 
gérantes également.  Je  le  répète,  je  mets  toute  ma  con- 
fiance en  vous.  »  Cet   appel    aussi  direct  que  flatteur 
embarrassa  fort  notre   homme  d'Etat  ;    il  s'en  ouvrit  à 
Newcastle  que  malgré  leurs  dissentiments,  il  consultait 
volontiers  dans  les  grandes  occasions.  Après  des  hésita- 
tions qui  durèrent  plus  d'un  Jour,  il  s'était  décidé  à  confier 
la  lettre  à  Bute  pour  qu'il  la  montrât  au  Roi.  Bute  la  lui 
avait  rendue  avec  le  commentaire  banal  que  les  déclara- 
tions du  roi  de  Prusse  avaient  un  caractère  bien  général. 
Peu  satisfait  de  cette  réponse  énigmatique,  Pitt  avait  cher- 
Ci)  Frédéric  à  Pitt,  Meissen,  7  novembri"  1760.  Correspondance  Politique , 
XX,  p.  G3. 


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LA  (ÎLKHUK  DK  SEPT  ANS.  -  CIIAP.   VU. 


ché  auprès  de  Knyphausen  dos  informations  précises  sur  les 
conditions  de  paix  que  son  maître  accepterait.  «  M.  Vhi 
a  dit,  raconte  Newcastle  ils  si  je  l'ai  bien  compris,  qu'il  y 
avait  trois  points  sur  lesquels  il  désirait  connaître  la  pen- 
sée du  roi  de  Prusse  :  1°  en  ce  qui  regarde  une  décla- 
ration générale  de  notre  désir  de  paix  qui  serait  adressée 
à  tous  les  belligérants;  2"  si  le  roi  de  Prusse  était  prêt  à 
un  sacrifice  pour  détacher  la  Russie    de  Talliance;  et 
3"  si  le  roi  de  Prusse  était  renseigné  sur  les  dispositions 
de  la  France  à  l'égard  d'un  arrangement  et  si  S.  M.  Prus- 
sienne consentirait  ou  désirerait  que  nous  fissions  notre 
paix  séparée  avec  la  France,  question  que  M.   Pitt  avait 
toujours  regardée  comme  indépendante  des  affaires  du 
continer  t.  M.  Pitt  a  abordé  avec  plus  de  précision  que 
jamais  1  examen  des  conditions  de  paix  avec  la  France. 
Il  a  posé  pour  point  de  départ  que  nous  devions  faire 
des  concessions   importantes,  tout  en  gardant  beaucoup 
pour  nous.  11  a  formulé  ses  propositions  comme  suit  :  con- 
server le  Canada,  le  Cap  Breton,  exclure  les  Français  de 
la  poche  de  Terre-Neuve  et  leur  rendre  la  Guadeloupe 
et  Corée,  ou  garder  ces  deux  colonies,  retirer   le  droit 
de  pêche  et  rendre  une  partie  du  Canada  et  nous  contenter 
des  limites  des  lacs.  »  Newcastle  s'était  tenu  sur  la  réserve 
et  s'était  borné  à  faire  remarquer  qu'il  serait  très  difficile 
d'arracher    aux    Français  l'abandon  de  leurs   droits  de 
pêche.  En  répondant  à  la  lettre  de  son  ami,  Hardvvicke 
souligne  (2)  avec  quelque  méchanceté  les  compliments  de 
Frédéric  k  l'adresse  de  Pitt  :   «  Knyphausen  lui  aura  dit 
que  nous  aimons  un  plat  de  ce  genre  et  que  le  prince 
Ferdinand  a  gagné  à  se  servir  du  procédé.  » 

Peu  de  jours  après,  Pitt  eut  avec  les  ministres  prus- 
siens Knyphausen  et  iMichel  une  conversation  dont  le  ré- 


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(1)  Newcastle  à  Hardwicke,  3  décembre  1760.  LeUre  déjà  citée. 

(2)  Hardwicke  à  Newcastle,  4  décembre  1760.  Newcastle  Papers. 


NÉGOCIATION  AVKC  IHhDÉRlC 


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sumé  (1)  fut  expédié  à  Fi^déric.  On  s'était  mis  d'accord  sui' 
les  points  suivants  :  1"  Uenouvolicmcnt  de  la  déclaration 
pacifique  du  19  novembre  1759;  2  "  déniarclies  à  faire  de 
concert  à  Pétershourg  «  tendant  à  un  dédommagement 
pécuniaii'e  »,  ce  qui  n'empêcherait  pas  <(  de  tàter  le  poulx 
à  la  cour  de  Vienne  et  à  celle  de  Saxe  ».  La  clause  re- 
lative aux  négociations  avec  la  France  était  rédigée  en 
termes  bien  définis  :  <(  T  Qu'une  paix  particulière  entre 
l'Angleterre  et  la  France  se  trouvât  praticable,  de  manière 
que  la  guerre  d'Allemagne  pût  clu'inger  par  Ifi  de  nature 
à  l'avantage  de  V.  M.  On  voudrait  savoir  avec  précision 
à  quelles  conditions.  Sire,  vous  désireriez  un  pareil  ar- 
rangement et  quels  secours  pécuniaires,  y  compris  le 
subside  actuel,  pourraient  vous  suffire,  pour  vous  aider 
à  entretenir  les  troupes  allemandes  qui  pourraient  passer 
à  votre  solde.  » 

Le  courrier  portant  le  précis  de  la  conférence  de  Pitt 
et  des  envoyés  prussiens  se  croisa  avec  une  lettre  de  Fré- 
déric (2)  qui  répondait  d'avance  au::  suggestions  de  Londres. 
Pour  arriver  à  une  paix  générale,  il  fallait  diviser  les  alliés 
et  rompre  leur  union;  dans  ce  but,  il  avait  fait  verser  des 
sommes  considérables  en  Suède  pour  agir  dans  la  Diète 
contre  le  parti  franc^ais;  en  Russie,  il  avait  fait  offrir  un 
million  au  favori  Schuwalow  pour  le  gagner  à  la  cause 
anglo-prussienne.  En  France,  il  n'avait  pas  de  crédit  au- 
près des  puissants  du  jour;  le  Dauphin,  la  Pompadour  et 
Choiseul  étaient  hostiles  à  sa  personne;  aussi  croyait-il 
que  l'Angleterre  devrait  entamer  directement  les  pour- 
parlers par  la  voie  de  la  Haye  pour  une  paix  particulière 
à  laquelle  il  ne  ferait  aucune  opposition,  se  reposant  «  sur 
les  assurances  que  le  roi  d'Angleterre  a  bien  voulu  me 

(f)  Précis  de  la  dépôcbe  des  ministres  de  Prusse,  12  décembre  17P0.  New- 
casllc  Papers. 

(2)  Frédéric  à  Knypliausen,  Leipzig,  19  décembre  IT611.  Correspondance 
J'olUique,  X\,i).  iôC). 


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LA  r.LKHUK  I)K  SKPT  ANS. 


CHAP.  VII. 


donner  de  ne  point  ni'nbandonncr,  m«^m<*  de  m'ussistcr 
de  SCS  troupes  allemandes  ».  Après  réception  de  cette  let- 
tre, Knyphauson  et  son  «roilègiie  se  considi'rèrent  comme 
autorisés  à  accepter  l'ouverlure  immédiate  d'une  négocia- 
tion avec  la  France.  Restait  cependant  à  déterminer  la 
nature  et  l'étendue  des  secours  au  maintien  desquels 
Frédéric  subordonnait  sou  ac<[uiescemcnt  à  un  arrange- 
ment entre  l'Angleterre  et  la  France.  Une  dépêche  du 
Uoi  (1)  élucida  la  question  :  Il  se  prêterait  volontiers  aux 
vues  de  l'Angleterre  :  (  Quant  aux  conditions  que  l'An- 
gleterre pourrait  stipuler  pour  mes  intérêts,  elles  pour- 
raient contenir  ;  1"  que  les  Fran<;ais  évacueraient  toutes 
mes  possessions  d'  nt  ils  sont  nantis,  qu'ils  se  borneraient 
scrupuleusement  à  leurs  corps  de  2V.000  hommes  cju'ils 
doivent  fournir  selon  leur  alliance  et  qu'ils  ne  paieraient 
plus  de  subsides  ni  aux  Russes,  ni  en  Suède,  ni  aux  princes 
de  l'Empire  pour  me  faire  la  guerre.  Si  avec  cela  le  roi 
d'Angleterre  veut  bien  s'engager  à  me  fournir  ses  troupes 
allemandes,  l)ien  loin  de  regarder  cette  paix  séparée  avec 
la  France  comme  un  abandon,  je  la  regarderai  comme  le 
plus  grand  service  «[u'il  pourra  me  rendre,  parce  que  cer- 
tainement la  guerre  ne  tardera  pas  de  finir  et  la  cour  de 
Vienne  privée  d'un  aus?;?  puissant  appui,  sera  obligée  de 
se  prêter  à  la  paix.  >> 

Cette  réponse,  ou  io^t  au  moins  le  passage  relatif  aux 
troupes  allemandes  au  service  anglais,  ne  cadrait  pas  avec 
les  idées  de  Pitt  ;  celui-ci  ne  voulait  se  lier  qu'au  point 
de  vue  financier  et  fit  écrire  par  Holdernesse  (2)  dans 
ce  sens  à  Mitchell  qui,  après  une  longue  séparation,  avait 
repris  ses  fonctions  auprès  du  roi  de  Prusse  à  Leipzig.  La 
tâche  de  l'envoyé  était  d'autant  plus  délicate  que  Mitchell 
connaissait  les  sentiments  de  Frédéric  et  dans  une  certaine 

(1)  Frédéric  à  Knyphausen,  Leipzig,  28  décembre  i'QO.  Correspondance 
Politique,    XX,  p.  167. 

(2)  t]olderne,sse  à  Mitchell,  16  janvier  l'Gl.  Record  Office. 


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DEMANDES  DE  FMEDH^IUC  EN  CAS  DE  PAIX  PARTICULIÈnE.  407 

inosuie  les  partageait.  Il  comiiiciu;»  l'ciitrotien  en  rappe- 
lant au  roi  de  IMus.se  que  l'Angleterre  n'avait  jamais 
pris  l'initiative  (le  propositions  de  paix,  (|uc  la  «[iicstion 
(le  la  paix  séparée  avait  été  soulevée  à  sa  demande;  il 
s'appnya  sur  cette  constatation  pour  en,i;amu',  à  propos 
de  divergences  entre  les  textes  du  résnmé  du  12  décembre 
et  de  la  ril'ponse  royale  du  28  décond)re,  une  querelle  de 
mots  (1)  à  laquelle  Frédéric  mit  tin  eu  qualifiant  les 
observations  de  «  critiques  grammaticales  »  sur  lesquelles 
il  ue  voulait  pas  «  chicaner  ».  Une  autre  objection  for- 
mub'e  par  Mitchell  ne  put  c^tre  écartée  aussi  facilement  : 
F-,e  précis  du  12  décembre  avait  pailé  (2)  de  <  l'aider  (le 
roi  de  Prusse)  à  entretenir  les  troupes  allemandes  qui  pour- 
raient passer  à  sa  solde  »,  tandis  que  dans  la  réponse, 
le  roi  (le  Prusse  demandait  à  l'Angleterre  si  elle  «  vou- 
lait s'engager  à  fournir  tontes  les  troupes  allemandes 
qui  se  trouvaient  à  l'armée  alliée  ».  A  ce  sujet,  Mitchell 
déclara,  au  nom  de  son  gouvernement,  «  (jue  l'intention 
de  S.  M.  n'avait  jamais  été  que  tout  ou  partie  des 
troupes  étrangères  composant  l'armée  du  Roi  en  Alle- 
magne restAt,  après  la  paix  avec  la  France,  à  la  solde  de 
l'Angleterre  et  pût  agir  comme  soldats  de  la  Grande-Bre- 
tagne; d'ailleurs,  il  n'était  pas  au  pouvoir  de  l'Angleterre 
de  décider  que  des  troupes  relevant  d'autres  princes  en- 
trassent au  service  du  roi  de  Prusse;  S.  M.  n'avait  aucun 
droit  (le  les  passer  au  service  d'un  autre  prince;  le  vérita- 
ble sens  du  précis  se  restreignait  à  un  secours  pécuniaire 
dans  lequel  serait  compris  le  subside  actuel  ».  Aussitôt 
l'accord  intervenu  sur  le  chiffre  de  la  subvention,  «  le 
Roi  en  sa  qualité  d'électeur,  permettrait  à  un  contingent 
de   ses   troupes   électorales,  proportionné  aux    subsides 

(1)  MilchcHàHoldcrnesso,  Leipzig,  :J1  janvier  I7(il.  Secret.  MilchellPapers. 

(2)  Ces  mots  ne  se  trouvent  pas  dans  le  texte  de  la  Correspondance  l'o- 
litique,  peut-être  avaient-ils  été  introduits  par  Knyphausen  dans  les  a  ex- 
traits »  communiqués. 


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408 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


votés,  (l'entrera  la  solde  et  au  service  de  la  Prusse;  en 
outre,  le  Roi  emploierait  tous  ses  efforts  à  obtenir  du 
landgrave  de  liesse  et  du  duc  de  Brunswick  une  auto- 
risation du  même  genre  ».  Mitchell  termina  en  deman- 
dant à  être  fi.vé  le  plus  tôt  possible  sur  la  somme  que 
réclamerait  le  roi  de  Prusse,  car  «  S.  M,  Britannique  ne 
ferait  aucun  pas  dans  la  voie  des  négociations  pacifiques 
tant  que  le  secours  accordé  au  roi  de  Prusse,  pour  le 
cas  d'une  paix  séparée  avec  l'Angleterre,  ne  serait  pas 
mis  en  avant  et  fixé  » . 

A  !a  surprise  de  Mitchell,  le  renseignement  attendu  ne 
lui  fut  pas  fourni;  au  lieu  de  répondre  à  l'interrogation 
de  la  cour  de  Saint-James,  Frédéric  en  formula  une 
autre  en  écrivant  à  Knyphausen  (1)  qu'il  ne  pourra  mettre 
en  avant  un  chiffre,  tant  qu'il  ne  connaîtra  pas  le  nom- 
bre de  soldats  allemands  que  l'Angleterre  voudra  mettre 
à  sa  disposition.  A  son  tour  le  cabinet  britannique  fit 
la  sourde  oreille;  Pitt  (2)  était  peu  favorable  aux  exi- 
gences prussiennes  :  si  le  ministère  anglais,  disait-il, 
avait  retardé  le  renouvellement  (3)  du  subside  annuel, 
le  roi  de  Prusse  aurait  été  plus  accouiniodant.  Après 
tout,  ne  serait-il  pas  préférable  de  continuer  la  guerre 
générale,  malgré  sts  charges,  que  de  s'imposer  11/2  ou 
2  n)illions  de  livres  sterling  pour  des  hostilités  partielles 
sur  le  continent? 

Depuis  quelque  temps,  le  grand  ministre  était  aussi  mé- 
content de  la  situation  intérieure  que  de  la  politique 
extérieurCo  «  Personne  ne  sait  rien,  s'était-il  écrié  (4)  ; 
personne  ne  sait  à  qui  s'adresser  »  ;    ces  paroles  conto- 


(I)  Frédéric  à  Knypliausen,  Leipzig,  11  et  14  févilT  1761,  Correspondance 
Politique,  XX,  p.  :>17. 

(a)  Newcastie  à  HardwicKe,  24  janvie'  1761.  Newcasilc  Papers. 

Ci)  Le  Pailemeat. dans  sa  session  d'automne,  avait  volé  le  renouvelloiiu'iit 
du  subside  annuel  accordé  au  loi  de  Prusse. 

(i)  Newcastie  à  Ilardwicke,  3  janvier  1761.  Ncwcasllc  Papers. 


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DIVISIONS  DANS  LE  CABINET. 


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naient  une  allusion  transparente  à  rinfluence  occulte  de 
Bute.  II  n'y  avait  pas  de  doute  sur  la  faveur  spéciale  dont 
jouissait  le  seigneur  écossais  auprès  du  souverain;  un  de 
ses  compatriotes,  le  duc  d'Argyle,  en  avait  fourni  la  preuve 
irréfutable  :  Dans  une  visite  à  Newcastle,  il  avait  répété 
à  ce  dernier  les  propres  paroles  de  Georges  IH  sur  le 
compte  de  son  ancien  précepteur:  «  Quiconque  parle  contre 
lord  Bute,  avait  dit  le  Roi,  j'estimerai  qu'il  parle  contre 
moi.  »  Il  était  difficile  de  porter  à  un  plus  haut  degré  l'af- 
firmation des  sentiments  d'affection  du  monarque  pour 
l'un  de  ses  sujets. 

Dans  de  pareilles  conditions,  la  position  devenait  de 
plus  en  plus  intenable  pour  les  ministres  qui,  à  l'occasion 
des  affaires  les  plus  importantes,  étaient  obligés  d'avoir  re- 
cours à  un  intermédiaire  irresponsable  pour  accéder  au 
trône.  Pitt  se  plaint  d'un  accès  de  goutte  et  parle  de 
donner  sa  démission  :  «  Mon  état  de  santé,  écrit-il  à 
Newcastle  (1),  me  fait  sentir,  comme  beaucoup  d'autres 
circonstances  l'ont  fait  depuis  longtemps,  combien  peu  je 
suis  apte  à  remplir  les  grandes  fonctions  dont  S  M.  a 
daigné  m'iionorer.  »  Quelques  jours  après,  il  dit  à  New- 
castle (2)  «  que  c'est  probablement  la  dernière  fois  qu'il 
lui  tiendra  des  propos  désagréables.  Il  a  parlé  à  nouveau 
de  sa  démission  et  m'a  prié  de  lui  procurer  une  retraite 
honorable.  Il  serait  reconnaissant  au  Roi  de  la  lui  assurer. 
Si  le  Roi  ne  le  voulait  pas,  il  se  tirerait  d'affaires  comme 
il  pourrait,  mais  il  ne  resterait  pas  au  gouvernement,  tant 
qu'il  serait  impossible  d'avoir  de  rapports  avec  le  Roi 
([uc  par  le  canal  de  Milord  Bute  ».  Ces  velléités  de  dé- 
mission étaient  parvenues  aux  oreilles  du  favori  ;  dès  le 
mois  de  janvier,  ce  dernier  avait  confié  (3)  à  son  ami 
Doddington  que  Pitt  songeait  à  se  retirer,  l'ne  autre  fois, 

(1)  Plu  à  Newcastle,  8  février  1761.  Newcaslle  Papors. 

(2)  Conférence  de  Newcaslle  avec  Pitt,  12  février  1761.  Newcastle  Papers. 

(3)  Voir  Ilufihes,  Hislory  ofEnyland.  vol.  I,  p.  17:>  ;  Malion,  vol.  IV,  p.  216. 


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410 


LA  GUKUUE  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  VII. 


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c'est  de  la  retraite  de  Newcastlc  dont  il  est  question  : 
«  Il  serait  facile  de  lui  faire  quitter  son  poste,  mais 
([ui  prendrait  sa  place  ?  »  En  résumé,  Bute  avait  soif  du 
pouvoir,  mais  en  redoutait  le  poids. 

Entre  temps,  les  intrigues  suivaient  leur  cours  et  les 
conversations  politiques  se  succédaient  de  jour  en  jour; 
Viry  (1),  qui  était  de  tous  les  conciliabules,  proposait 
d'oii'rir  le  portefeuille  de  Holdernesse  à  Bute.  Il  n'y  avait 
aucune  difficulté  à  propos  du  renvoi  du  titulaire  actuel, 
dont  la  médiocrité  était  notoire  et  qui  n'était  aimé  d'aucun 
de  ses  collègues,  mais  l'introduction  de  Bute  dans  le  mi- 
nistère était  une  besogne  autrement  délicate.  Celui-ci  se 
contenterait-il  du  poste  de  simple  ministre,  alors  que  son 
crédit  auprès  du  Roi  l'autorisait  à  aspirer  à  la  place  de 
président  du  conseil  ?  Comment  la  nomination  serait-elle 
accueillie  par  Pi tt,  dont  la  collaboration  était  indispensable 
pour  les  débats  de  la  Chambre  des  Communes?  Comment 
enfin  résister  aux  prétentions  de  Bute  d'avoir  sa  part 
dans  les  choix  des  fonctionnaires  et  dans  les  élections? 
Ces  questions  donnèrent  lieu  à  de  longues  discussions.  Au 
dire  de  Viry  (2),  l'Écossais  était  tout  disposé  à  marcher 
d'accord  avec  Newcastle  et  souhaitait  aussi  le  maintien 
de  Pitt.  Au  commencement  de  février,  deux  nouveaux 
entretiensontlicuavec  Viry  (3)  qui  désirerait  que  l'initiative 
vint  des  amis  de  Newcastle;  s'ils  tardent  trop,  elle  sera  prise 
par  les  fidèles  de  Pilt.  Quelques  jours  après  (4),  entrevue 
de  Lord  Temple,  beau-frère  de  Pitt,  avec  Bute  ;  échanges 
de  politesses  et  assurances  de  concours  dont  Viry  s'em- 
presse de  faire  le  rapport  à  Newcastle.  Enfin,  Bute,  tou- 
jours par    l'entremise  du    ministre    do    Sardaigne,  fait 


/ 


(1)  Lettres  ou  notes  de  Newcastle,  9  novembre  17(10,  21,  27  janvier,  15,  2C, 
27  février  1761,  etc..  Newcastle  Papers. 

(2)  Conversation  avec  G.  V.,  21  janvier  1761.  Newcastle  Papers. 

(3)  Newcastle  à  Hardwicke,  7  février  17(51. 

(4)  Conversation  avec  C.  V.,  26  février  17C1. 


26, 


CONVERSATION  DE  NEWCASTLE  AVEC  LE  ROI. 


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savoir  (1)  à  Devonshire  que  «  S.  M.  avait  eu  la  bonté  de 
lui  en  parler  (de  son  entrée  au  cabinet)  fort  souvent,  et 
que  comme  il  avait  toujours  éludé  d'accepter,  il  ne 
saurait  l'en  entretenir,  mais  que  si  le  duc  de  Newcastle  de 
concert  avec  vous,  milord,  et  milord  Hardwicke,  voulait 
à  présent  parler  de  cette  afFaire  au  Hoi,  lui  lord  Bute 
le  verrait  comme  une  marque  de  retour  de  la  cordialité 
avec  laquelle  il  agit,  et  veut  toujours  agir  avec  vous, 
milord,  le  duc  de  Newcastle  et  milord  Hardwicke  ». 
Après  des  hésitations  inspirées  par  l'obligation  de  mé- 
nager les  susceptibilités  de  Pitt  et  de  ses  partisans, 
Newcastle  cède  à  la  crainte  de  voir  ceu.v-ci  prendre  les 
devants  et  se  décide  à  parler  au  Roi.  L'audience  eut 
lieu  le  6  mars.  D'après  le  résumé  que  Newcastle  rédi- 
gea (2)  pour  ses  amis,  le  Roi  était  évidemment  au  cou- 
rant des  ouvertures  qui  lui  seraient  faites  ;  il  donna  son 
assentiment,  sans  chaleur  d'ailleurs,  à  l'éloge  de  Pitt 
et  à  la  nécessité  de  le  conserver,  et  sourit  (juand  il  fut 
question  de  lloldernesse.  Puis  l'exposé  fini,  il  interrogea 
son  interlocuteur  :  «  Qu'est-ce  que  vous  proposez?  »  et 
attendit.  Newcastle  répondit  qu'en  entrant  chez  le  Roi,  il 
n'avait  pas  eu  l'intention  d'aller  plus  loin.  «  iMais,  Hivc, 
vous  avez  le  droit  de  connaître  toute  ma  pensée,  si  V.  M. 
croyait  bon  (je  ne  fais  que  le  suggérer)  de  nommer  mi- 
lord Bute  secrétaire  d'État,  cela  produirait  le  meilleur 
eifet.  En  l'introduisant  dans  le  cabinet,  V.  M.  aurait  un 
ministre  qui  possède  sa  confiance,  un  homme  à  la  fois  ca- 
pable, ferme  et  actif.  Voilà  mon  sentiment,  et  il  est  celui 
du  duc  de  Devonshire  et  de  lord  Hardwicke  avec  lesquels 
j'agis  eu  tout  dans  un  accord  absolu.  »  Le  Roi  me  remercia 
avec  beaucoup  d'amabilité  et  dit  :  «C'est  bien  ma  propre 
pensée,  je  l'ai  proposé  moi-môme  ù  milord  Bute  le  jour 

(1)  Note  (lu  comte  Viry  au  duc  de  Devonshire  reçue  3  mars  l 'fil.  Newcastle 
Papers. 

(2)  Conversation  de  Newcastle  avec  le  Roi,  (J  mars  17G1.  Newcastle  Papers. 


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412 


LA  r.L'KHKE  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VU. 


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(le  la  mort  du  feu  roi...  mais  tout  ce  que  j'ai  pu  dire  n'a 
eu  aucun  succès.  Milord  Bute  dit  qu'il  n'avait  pas  le  désir 
d'assumer  un  tel  fardeau  et  qu'il  ne  savait  pas  quel 
accueil  les  ministres  de  S.  M.  pourraient  faire  à  sa  nomi- 
nation. Mais  aujourd'hui,  milord,  après  ce  que  vous  avez 
dit,  je  me  mettrai  à  l'œuvre  de  nouveau,  cela  pourra 
changer  l'afTaire.  »  Newcastle,  avant  de  se  retirer,  insista 
sur  les  ménagements  à  garder  vis-à-vis  de  Pitt  dont,  il  le 
répétait  au  roi  actuel  comme  il  l'avait  fait  souvent  à  son 
grand-père,  on  ne  pouvait  se  passer  pour  la  conduite  de 
l'administration. 

Ce  grand  pas  accompli,  il  fallait  s'entendre  avec  le 
principal  intéressé.  Dans  ce  but,  Newcastle  et  Bute 
eurent  une  longue  conférence  (1).  Bute  s'inquiétait  du 
tempérament  et  des  agissements  autoritaires  du  grand 
ministre.  «  En  conséquence,  avant  de  s'engager,  il  vou- 
lait savoir  de  ma  bouche  si  dans  le  cas  d'un  différend 
entre  lui  et  Pitt  causé  par  l'attitude  de  ce  dernier,  il  (Lord 
Bute)  pouvait  compter  sur  l'appui  du  duc  de  Newcastle  et 
de  ses  amis.  »  Comme  bien  on  pense,  Newcastle  répondit 
affirmativement.  Au  cours  de  l'entretien,  le  favori,  tout 
en  affirmant  son  désir  d'entente  et  de  bonnes  relations, 
laissa  voir  ses  sentiments  intimes  à  l'égard  de  Pitt.  Il  ne  le 
considérait  pas  comme  indispensable;  «  sa  popularité,  son 
crédit  avaient  beaucoup  baissé  »  ;  son  départ  n'aurait  pas 
les  conséquences  qu'on  redoutait,  jamais  il  ne  voudrait 
jouer  un  rôle  dans  l'opposition  ;  s'il  se  relirait,  il  se  con- 
tenterait «  d'un  dédommagement  honorable  n.  Userait  très 
difficile,  sinon  impossible  pour  Pitt,  de  s'assurer  les  bonnes 
grâces  du  Roi;  du  reste,  il  ne  s'entendait  pas  à  gagner 
l'affection  d'un  prince;  pour  une  tentative  de  ce  genre  au- 
près du  souverain  actuel,  il  aurait  à  rattraper  beaucoup 
de  temps  perdu  ;  au  surplus,  lui  (Lord  Bute)  s'y  emploie- 

(  1)  Uésuiné  de  la  coiiveiÂalion  avec  Bute,  10  mars  1761.  Newcastle  Papers. 


BUTE  ENTRE  DANS  LE  CABINET. 


413 


rait  de  son  mieux.  En  résumé,  Buie  se  chargerait  d'un 
pi^rtefeuille  et  offrait  à  Newcastle  une  alliance  défensive 
contre  les  exigences  de  leur  impérieux  collègue.  Mais 
comment  mettre  ce  dernier  au  courant  de  l'aifaire. 
Bute  (1)  s'acquitta  de  la  commission,  mais  se  garda 
bien  de  révéler  les  intrigues  qui  avaient  précédé  sa  nomi- 
nation. Pitt  reçut  la  nouvelle  assez  froidement,  et  dit 
d'un  ton  sec  :  «  La  chose  est  faite  ;  j'offre  au  Roi  ma 
soumission  respectueuse  et  à  votre  seigneurie  l'assurance 
de  mon  estime.  Du  moment  que  telle  est  la  volonté  du  Roi 
et  que  Lord  Bute  consent  maintenant  à  accepter,  en  ce 
qui  me  concerne,  je  me  déclare  très  content.  »  Après 
cette  entrée  en  matière,  les  deux  hommes  d'état  causèrent 
des  rapports  directs  avec  le  monarque,  de  la  paix,  des 
vues  royales  à  ce  sujet,  enfin  des  attaques  lancées  contre 
Pitt,  qui,  dans  certains  milieux,  était  traité  de  ministre 
allemand.  Les  deux  interlocuteurs  se  séparèrent  en  for- 
mulant des  promesses  d'entente  et  d'amiÎLé. 

Le  ministère  fut  définitivement  reconstitué  par  l'en- 
trée de  Bute  au  sous-secrétariat  du  département  nord 
des  affaires  étrangères  en  remplacement  de  Holdernesse; 
Barrington  échangea  les  fonctions  de  secrétaire  du  dépar- 
tement de  la  guerre  contre  celles  de  chancelier  de  l'échi- 
quier aux  lieu  et  place  de  Legge;  les  anciens  titulaires 
furent  investis,  à  titre  de  dédommagement,  de  fonctions 
honorifiques  largement  rémunérées. 

Aussitôt  installé  aux  affaires,  le  nouveau  cabinet  eut  à 
s'occuper  des  questions  étrangères,  fort  négligées  pendant 
l'intérim.  Pas  d'embarras  à  l'intérieur;  à  la  chambre 
dissoute,  le  corps  électoral  était  en  train  de  donner  comme 
successeur,  grâce  sans  doute  aux  manœuvres  habiles  de 
Newcastle,  «  un  parlement  (2)  aussi  bon,  sinon  meilleur 

(1)  Newcastle  à  Devonsliire.  Récit  par  Bute  de  la  conversation  avec  Pitt, 
13  mars  17G1.  Newcastle  Papers. 

(2)  Newcastle  à  Devonshire,  2  avril  1761.  Newcastle  Papers. 


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LA.  GUEUUE  Dli  SKPT  ANS.  -    CliAP.  VII. 


que  l'ancien  ».  Mais  à  l'extérieur,  le  problème  de  la  paix 
exigeait  une  prompte  solution.  La  négociation  avec  le  roi 
de  Prusse  traînait  en  longueur  :  Frédéric  avait  enfin  com- 
muniqué ses  demandes  à  Mitchell  (1);  il  estimait  un 
corps  de  30.000  auxiliaires  comme  indispensable  pour  lui 
permettre  de  se  maintenir  en  Allemagne;  l'entretien  de 
ce  contingent  exigerait  une  dépense  annuelle  de  9  mil- 
lions de  couronnes;  c'était  donc  4  ce  chiiTre,  avec  lequel 
le  subside  déjà  reçu  se  conlondrait,  que  devrait  être 
tixée  la  subvention  accordée  par  l'Angleterre.  11  prenait 
acte  de  l'offre  gracieuse  de  Georges  III  de  faire  passer  à 
son  service  une  partie  des  forces  électorales  et  d'en- 
gager ses  alliés  à  en  faire  autant.  En  plus  de  ces  30.000 
hommes,  il  croyait  nécessaire  de  laisser  en  activité 
assez  de  troupes  pour  mettre  le  Hanovre,  le  Brunswick 
et  la  liesse  à  l'abri  d'une  incursion  de  l'armée  de  l'em- 
pire. Ces  propositions,  transmises  à  la  cour  de  Londres 
et  soumises  à  l'examen  de  Pitt,  parurent  excessives 
et  donnèrent  lieu  à  explications.  Tout  en  prenant  ses 
précautions  pour  la  continuation  de  la  guerre,  Frédéric 
n'en  restait  pas  moins  favorable  à  la  paix,  et  convaincu 
qu'elle  ne  pouvait  se  généraliser  qu'après  un  arrange- 
ment entre  la  France  et  l'Angleterre  dans  lequel  la 
Prusse  serait  comprise.  A  l'occasion  d'un  projet  de  dé- 
claration que  Choiseul  avait  fait  parvenir  à  la  cour  de 
Stockholm  et  dont  une  copie  lui  avait  été  envoyée,  le 
Roi  prit  les  devants  [2)  :  «  Je  suis  bien  aise  de  vous  dire 
que,  selon  mon  sentiment,  cette  déclaration  ne  sera  pas 
à  refuser,  mais  qu'un  congrès  solennel  tel  qu'on  le  pro-> 
pose  à  assembler  à  Augsbourg,  ne  ferait  que  de  trahier 
éternellement  la  négociation  et  la  rendre  aussi  difficile 
qu'épineuse,  que   plutôt  toute  cette  affaire   devait  être 

(1)  Mitchell  à  Holdernesse.  Secret.  Leipzifj,  11  mars  1761.  Mitchell  Papers. 

(2)  Frédéric  à  Knyphausen,  Meissen,  27  mars  1761.  Correspondance  Poli- 
tique, XX,  p.  287. 


FRÉDÉRIC  CONSEILLE  DES  OUVERTURES  A  LA  FRANCE. 


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traitée  seule  entre  l'Angleterre  et  la  France,  ce  qui  en 
rendrait  le  succès  d'autant  plus  prompt  et  presque  im- 
manquable ;  que  quant  à  l'article  de  la  suspension  d'armes 
et  que  tout  reste  en  attendant  en  statu  quo,ie  crois  qu'il 
conviendra  à  toutes  les  parties  intéressées  de  l'accepter.  » 
Ainsi  que  la  suite  le  démontrera,  le  monarque  se  serait 
entendu  avec  Choiseul,  qu'il  n'aurait  pas  tenu  un  autre 
langage.  A  partir  de  ce  moment,  les  dépêches  pour  Lon- 
dres se  succèdent  à  courts  intervalles;  Frédéric  craint  (1) 
les  menées  de  la  cour  de  Vienne  qu'il  sait  hostile  à  la 
paix  et  l  effet  des  succès  de  Broglie  en  liesse;  il  conseille 
aux  ministres  anglais  de  sonder  les  intentions  du  cabinet 
de  Versailles  et  d'insinuer  que  des  ouvertures  pacifiques 
seraient  bien  accueillies.  Comme  on  le  voit,  du  c«">té  du  prin- 
cipal allié  de  la  Grande-Bretagne,  le  terrain  était  on  ne  peut 
mieux  préparé  pour  la  négociation  qui  allait  se  nouer. 
Mais  avant  d'entamer  le  récit  des  pourparlers  impor- 
tants qui  occupèrent  le  printemps  et  l'été  de  1761,  il  con- 
vient de  préciser  la  situation  respective  des  cours  de  Ma- 
drid et  de  Londres.  Dans  un  volume  précédent,  nous 
avons  esquissé  l'jittitude  du  roi  Carlos,  son  rapproche- 
ment de  la  France,  ses  revendications  énergiques  au  su- 
jet des  empiétements  du  commerce  britannique  sur  les 
côtes  du  Honduras  et  de  la  capture  irrégulière  de  bâti- 
ments espagnols.  Le  nouvel  ambassadeur  A  la  cour  de  Saint- 
James,  le  comte  do  Fuentes,  àla  date  du  20  juin  1760,  peu 
de  jours  après  la  présentation  de  ses  lettres  de  créance, 
r.voit  soumis  à  Pitt  une  longue  liste  des  g?iefs  de  sa  cou- 
ronne. Au  mémoire  qui  accompagnait  ces  plaintes.  Pitt  ne 
répondit  officiellement  que  le  1*"^  septembre  (2);  très  con- 
ciliante en  paroles,  cette  réponse  dut  paraître,  aux  yeux 
de  l'Espagnol,  une  véritable  fin  de  non-recevoir;  elle  invo- 


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(1)  Frédéric  à  Knyphausen,  Meissen,  4  avril  17G1.  Correspondance  Poli- 
tique, XX,  p.  306. 

(2)  Pilt  à  Fuentes,  1"'  septembre  1760.  Record  Offic  ■. 


416 


LA  GUERHK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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quait    la    constitution   anglaise   pour    démontrer  qu'en 
matière  de  prises,  les  tribunaux  chargés  de  décider  leur 
validité  étaient  omnipotents.   Le   pouvoir   exécutif,  dé- 
sarmé devant  eux,  n'avait  d'autorité  que  sur  les  comman- 
dants de  vaisseaux  de  guerre,  auxquels  il  avait  enjoint 
la  plus  grande  modération.  D'ailleurs,  ces  tribunaux  qu'on 
accusait   de  partialité,  avaient  en  maintes  circonstances 
jugé   en  faveur  des  parties  espagnoles  et  fait  relâcher 
leurs  navires.  Fuentes,  huit  jours  après  la  réception  de 
la  pièce  anglaise,  répliqua  (1)  par  l'envoi  de  deux  mé- 
moires  qui    lui    avaient    été    expédiés    de   Madrid;   le 
premier  s'étendait  longuement  sur  les  droits  de  l'Es- 
pagne à  la  pêche  de  la  morue  sur  les  côtes  de  Terre- 
Neuve  et  justifiait  la  demande  de  restitution  des  bâti- 
ments saisis  et  de  réparations  pour  le  préjudice  causé; 
le  second  exposait  les  réclamations  de  la  cour  de  Ma- 
drid à  propos   du   commerce  illicite   des  bois  de  cam- 
pêche.  L'ambassadeur  prévenait  le  cabinet  britannique 
qu'une  copie  de  ces  documents  avait  été  adressée  au  gou- 
vernement français.  Cette  fois,  la  réplique  ne  se  fit  pas 
attendre  :  Pitt  dans  sa  «  réponse  verbale  »  (2)  se  montra 
très  offensé  de  la  communication  faite  à  la  cour  de  Ver- 
sailles; «  ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  façon  de  penser 
de  cette  puissance  ennemie...  ne  saurait  jamais  ajouter 
plus  de  poids  auprès  de  S.  M.  que  ses  sentiments  d'amitié 
lui  en  donnent  aux  représentations  de  S.  M.  Catholique  )>. 
La  dépêche  (3)  adressée  à  lord  Bristol,  ambassadeur  k 
Madrid,  avec  ordre  de  la  lire  à  Wall  autant  de  fois  qu'il 
plairait  à  celui-ci  de  l'entendre,  sans  toutefois  en  laisser 
copie,  était  aussi  intransigeante  dans  le  fond  qu'aigre  dans 
la  forme  :  «  Jamais  on  ne  laisserait  diminuer,  tailler  ou 
diviser  dans  une  mesure  quelconque  un  intérêt  aussi  os- 


(1)  Fuentes  à  Pitt,  9  septembre  1760.  Record  Office. 

(2)  Pitt  à  Fuentes,  16  septembre  1760.  Réponse  verbale.  Record  Office. 

(3)  Pitt  à  Bristol,  26  septembre  1760.  Record  Office. 


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COURESPONDANCE  SLR  LKS  GRIEFS  ESPAGNOLS. 


417 


seiitiel  ({uo  la  pt-cherio  de  Tcnc-Neuvc,  la  grande  pépi- 
nière de  nos  marins  et  une  des  bases  principales  de  la 
puissance  maritime  de  la  (Jrande-Bretagne.  Faites  com- 
prendre ù  M.  Wall  l'absolue  impossibilité  d'une  conces- 
sion sur  ce  point.  »   Au  sujet  du  droit  des  commerçants 
anglais  de  couper  les  bois  de  campêche,  Pitt  signalait  le 
«  ton  péremptoirc  et   arbitraire    »   du  mémoire  délivré 
par  Fuentes,  qui  ne  se  bornait  pas  il  nier  ces  droits,  mais 
demandait  au  roi  de  la  (irande-Bretagne  «  l'envoi  immé- 
diat d'ordres  positifs  pour  l'évacuation  sans  exception  de 
foutes  les  côtes  ».  Enfin,  dernier  grief,  «  la  pièce  espa- 
gnole ferme  la  porte  à  toute  discussion,  exige  sur  un  ton 
impérieux  satisfaction  sur  tous  les  points  et  réclame  une 
réponse  inniiédiate  par  écrit  ».  Le  ministre  anglais  esti- 
mait au  contraire  qu'il  fallait  répondre  à  loisir;  «  on  don- 
nerait  ainsi  à  Madrid  le  temps   de  revenir  à  une  poli- 
tique plus  saine  et  d'adopter  des  conseils  plus  sages.  Si 
rell'et   souhaité  se  produit,    la   conclusion   pourra    être 
heureuse  pour  les  deux  pays;    dans  l'autre  alternative, 
l'Angleterre  n'îiura  rien  à  se  reprocher  ».  Dans  les  der- 
nières ligues  de  sa  dépêche,  Pitt,  malgré  l'apparence  agres- 
sive de  ses  prémisses,  manifestait  quel([ue  désir  de  conti- 
nuer la  négociation.  Il  se  déclarait  prêt  à  régler  l'exercice 
«  d'un  privilège  non  sans  inconvénients  peut-être  pour 
l'Espagne  sur  le  pied  actuel,  mais  sous  une  forme  ou  une 
autre   indispensable  à  la  (irande-Bretagne  ». 

La  mort  d'Amélie  de  Saxe,  reine  d'Espagne,  survenue 
le  "27  septembre  1760,  fit  suspendre  pendant  quelque 
temps  les  conversations  diplomatiques.  Le  (I  novembre  (1) 
seulement,  l'ambassadeur  britannique  eut  l'occasion  de 
donner  lecture  à  Wall  de  la  lettre  de  Pitt.  Le  ministre 
espagnol  en  demanda  un  exemplaire,  qui  lui  fut  remis, 
à  titre   officieux,  avec  mention  que   la  susdite   dépèche 


(1)  Bristol  à  Pitt,  C  novembre  1700.  Record  Oflicc. 

GtEBHE    DE    SEI'T  ANS.   —   T.    IV. 


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CHAI'.   VII. 


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devait  être  coiisidérro  coiuruc  répli((Uf'  aux  nir-iuoires  de 
Kuenles.  Kiilin,  le  10  jauvior  17U1,  Wall  lut  »'U  pos- 
session du  précieux  docuuient  et  à  même  de  réfuter  les 
arguuienls  anglais  en  niainfen.int  les  siens.  Entre  temps, 
il  avait  luit  i)arf  à  Bristol  des  appréciations  de  sou 
maître  :  «  Le  Koi  avait  constaté  avec  regret  la  tour- 
nure hautaine  que  la  cour  britannique  avait  donnée  à  ses 
communications;  il  voyait  avec  chagrin  combien  peu  les 
Anglais  étaient  disposés  ;\  tenir  compte  des  complaisances 
dues  à  l'Espagne  pour  sa  conduite  pendant  la  présente 
guerre  (1).  » 

En  dépit  du  mécontentement  que  laissaient  apercevoir  les 
paroles  royales,  dans  sa  réponse  (2)  à  la  fameuse  dépêche 
du  20  septembre,  Wall  avait  employé  un  langage  des  plus 
modérés.  Des  prétentions  contradictoires  et  de  la  manié le 
dont  elles  étaient  envisagées,  il  trace  une  comparaison  sai- 
sissante :  '(  Les  Anglais  ont  besoin  de  bois  de  canipêche 
pour  leuis  manufactures  ;  les  F^spagnols  en  avaient  chez 
eux;  ils  ont  commencé  à  laisser  les  Anglais  les  enlever,  et 
aujourd'hui  on  leur  défendrait  d'une  fa(;on  absolue  de 
portei'  des  restrictions  à  ce  trafic;  d'autre  part,  les  Espa- 
gnols ont  besoin  de  morue  pour  la  manger,  ce  sont  eux 
(|ui  ont  découvert  autrefois  les  côtes  où  on  la  trouve,  eux 
et  d'autres  ont  pris  possession  de  ces  côtes;  puis  ils  ont  pris 
l'habitude  d'acheter  ce  pois.son  aux  Anglais  et  aujourd'hui 
on  veut  rendre  leurs  achats  obligatoires,  qu'ils  le  veulent 
ou  qu'ils  ne  le  veulent  pas,  jiarce  que,  prétend-on,  ils  n'ont 
aucun  droit  d'aller  la  pêcher  pour  leur  propre  com[>te. 
Dans  le  traitement  de  cas  aussi  pareils,  peut-on  constate!^ 
l'échange  de  procédés  généreux  desquels  deux  amis  doi- 
vent user  entre  eux.  alors  ([ue  l'un  a  besoin  de  l'autre?  » 
L'offre  de  négocier  que  fait  l'Angleterre,  à  première  vue, 


(1)  ISiistol  à  l'iU,  19  janvier  17G1.  Uecoid  Oflice. 

(2)  Wall  à  Itrislol.  24  janvier  1701.  NeweasUe  Pu|>eis. 


GIUEFS  KSPAGNOLS. 


4IU 


peut  paraître  raisonnable  :  n  Mais  elle  est  tout  le  contraire 
si  ion  réfléchit  qu'avant  rouverlure  des  [)Ourparlers,  l'An- 
gleterre pose  des  principes  que  rKs[)a;;ne  ne  pourra  jamais 
consentir,  soit  que  les  Anglais  eouliinieront  leur  exploita- 
lion  des  hois  et  qu'on  ne  démolira  pas  leurs  étahlisseineuts, 
alors  (ju'on  reconnaît  qu'ils  ont  été  créés  sur  un  territoire 
étranger  et  partant  par  voie  d'usurpation...  Ne  serait-il  pas 
plus  juste  et  plus  rationnel  <le  commencer  [)ar  réparer  le 
dommage  causé  et  avoué  en  évacuant  les  postes  et  en  dé- 
tendant d'en  créer  de  nouveaux  comme  le  demande  l'Ks- 
pagne?  [)uis de  déterminer,  dans  une  conversation  amicale, 
le  moyen  de  permettre  aux  Anglais  de  se  procurer  les  bois 
qui  leur  sont  nécessaires  pour  leur  industrie  et  aux  Espa- 
gnols de  chercher  la  morue  qu'il  leur  faut  poui'  leurs  jours 
de  maigre?  »  Ceci  pour  le  fond  des  arguments  de  Pitt; 
quant  à  sa  prose.  Wall  affirmait  n'avoir  p.as  voulu  lametti-e 
sous  les  yeux  du  Uoi  de  peur  d'envenimer  le  débat  :  «  Il  est 
donc  teuqis  encore  d'envoyer  une  réponse  (au  mémoire  de 
Fuentes)  ;  S.  M.  Britanni([ue  aura  donc  le  loisir  de  pren- 
dre une  détermination  qui  mettra  nos  affaires  sous  un 
meilleur  jour.  »>  Cette  impression  sur  le  man((uedetact  du 
gouvernement  anglais,  Wall  la  reproduit  dans  un  entre- 
tien (1)  avec  Bristol  :  «  Il  n'avait  aucun  désir  de  voir  l'Es- 
pagne eu  guerre  avec  l'Angleterre;  mais  la  cour  de  Lon- 
dres paraissait  faire  son  possible  pour  y  arriver.  » 

Peu  à  peu,  grAce  à  l'intimité  croissante  des  deux  bran- 
ches de  la  famille  de  Bourbon,  la  querelle  qui  couvait 
entre  l'Angleterre  et  l'Espagne,  et  dont  nous  venons  de 
passer  en  revue  les  phases  récentes,  allait  être  soutenue 
par  la  France  et  se  trouver  mêlée  aux  négociations  de  l'été 
de  1701.  Mais  avant  d'aborder  ce  sujet,  il  est  indispensable 
d'étudier  l'état  des  relations  entre  la  France  et  l'Espagne 
au  printemps  delà  même  année,  et  pour  cela,  il  nous  faut 


(I)  Brislol  à  Pill.  MudiUI.  iS  janvier  ITGl.  Record  Oflice. 


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i.A  r.i  i:niu.  m:  skpt  ans.  -  chaf».  mi. 


[H'cndro  (•oiinaissiiiu*!    (h's   conversations   <liplomati(ju<'s 
(jui  aboutirent  au  pacte  de  l'aniille  et  à  ses  c(»nsé(|uences. 

Au  cours  (les  pourparlers  de  la  Haye,  qui  avaient  été 
engagés  dans  les  premiers  mois  de  1760,  le  cabinet  fran- 
çais avait  sugfî'éiv  la  médiation  do  l'Kspagne  pour  ter- 
miner la  guerre  entre  la  France  et  l'Aufileterre.  Cette 
idée,  fort  mal  accueillie  par  la  cour  de  Saiïit-James  et 
surtout  par  IMtt,  fut  reprise  par  l' iientes  et  fit  l'objet  d'un 
débat  (1)  avec  le  ministre  britannicpie.  Ce  (iernier  avait 
repoussé  l'ouverture,  S.  M.  Catholique  étant  «  absolument 
partiale  pour  la  France  »  ;  nuùs  il  n'eu  serait  pas  do  même 
s'il  s'agissait  de  la  paix  générale,  pour  faciliter  lacjuelle 
on  accepterait  volontiers  les  bons  oftices  de  rKspagne. 

Choiseul,  (pii  avait  i)révu  l'échec,  avait  espéré  un 
ment  que  le  roi  Don  Carlos  assumerait  une  attitude  énergi- 
(jue  vis-à-vis  du  cabinet  anglais  ;  il  prescrit  à  l'ambassadeur 
Ossun  de  prolitcr  du  pied  d'intimité  sui'  lequel  il  était  auprès 
du  monarque  pour  sonder  ses  dispositions  réelles.  Afin  de 
lui  préparer  la  besogne  il  lui  evpose  les  principes  qui  doi- 
vent guider  la  politique  française  (2)  :  «  Nous  attendons 
quel sorale  résultatde  votie  audience;  je  ne  crois  pas  qu'elle 
puisse  rien  changer  au  système  immuable  de  l'Espagne  de 
ne  point  se  mêler  dans  la  guerre  et  d'être  fort  peu  utile  à 
la  paix.  Il  y  a  longtemps  et  très  longtemps  que  j'ai  prévu 
ce  dénouement  à  toutes  les  avances  que  le  Roi  par  inclina- 
tion a  faites  au  roi  son  cousin;  mais  quoi  qu'il  en  soit,  quel- 
que peu  de  secours  que  l'on  nous  donne,  l'intention  du 
Roi,  et  je  l'y  maintiendrai  tant  que  j'aurai  l'honneur  d'être 
son  ministre,  est  d'avoir  pour  principe  invariable  de  poli- 
tique d'être  uni  avec  la  couronne  d'Espagne;  je  pousse  ce 
principe  si  loin  que  je  crois  qu'il  ne  faudrait  pas  s'en  dé- 
partir quand  même  (ce  qui  est  impossible)  l'Espagne  ferait 


(1)  Récil  (le  Wall.  Ossun  à  Choiseul,  4  juillet  1760.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Choiseul  à  Ossun,  2  juin  1760.  Affaires  Étrangères,  vol.  57  i. 


AVANCES  UK  CIIOISKUL  A  L  KSl'AONK. 


421 


la  guerre  A  la  Franco.  Il  n'y  aura  de  grandeur  <laus  la  mai- 
son de  France,  de  yloin?,  de  vraie  siMcté  et  de  vraie  tran- 
(juillité  que  litrs(|ue  les  deux  couronnes  ne  cesseront  d'avoir 
pour  guides  de  leur  conduite  le  système  nécessaire  lï  leur 
j^randeur;  ainsi,  Monsieur,  les  ministres  d'Kspaj^ne  (jui 
nous  sont  contraires  passeront,  mais  la  vérité  de  l'intérêt 
«les  monarchies  ne  passera  pas.  » 

Il  n'y  avait  pas  de  doute  à  avoir  sur  les  sentiments  du 
roi  I>on  (larlos;  car  il  ne  perdait  pas  une  occasion  de 
manifester  sa  sympathie  [)our  la  France,  (l'est  ainsi  «pi'à 
la  nouvelle  de  la  victoire  c\r  Sainte-Foy  sous  les  murs 
de  Uuébec,  il  avait  dit  à  Ossun  :  «  I  s  Français  ont  cntin 
battu  les  Anglais;  je  ne  les  reconiÉjiissais  plus,  mais  j'es- 
pérais toujours  ([u'ils  reprendraient  leur  supéiioiité  ordi- 
naire. »  Vn  autre  jour,  à  l'auihassadeur  qui  l'engageait  à 
faire  des  préparatifs  de  guerre  contre  les  Anglais,  le  Koi 
répéta  (1)  plusieurs  fois  :  «  Laissez-moi  faire  tout  à  la 
sourdine,  je  les  mettrai  à  la  raison.  »  Ce  langage,  si  satis- 
faisant (ju'il  fut,  ne  faisait  pas  l'atlaire  de  Clioiseul  qui 
aurait  voulu  voir  l'action  se  substituer  à  la  ,;arole.  Il  se 
méfie  de  l'EsiJagnc  qui,  tout  en  professant  pour  la 
France  une  grande  amitié,  ne  cherche  qu'à  pousser  ses 
propres  intérêts.  Vous  «  devez  en  conséquence.  Mon- 
sieur, écrit-il  à  Ossun  (2)  continuer  d'avoir  l'air  de  la  con- 
liance  la  plus  entière  et  de  vous  renfermer  dans  les  bornes 
de  la  plus  grande  circonspection  sur  tout  ce  qui  peut  avou' 
rapport  à  la  paix  et  aux  moyens  de  la  faire  ». 

Cette  réserve  fut  d'autant  plus  facile  à  garder  que  la 
maladie  et  la  mort  de  la  Keine  interrompirent  le  cours  des 
audiences  royales.  Le  19  septendire,  la  princesse  était  au 
plus  mal.  «  Le  Koi  a  priscougéde  sa  digne  compagne,  écrit 
Ossun  (3),  il  est  décidé  qu'il  ne  la  verra  plus.  »  L'agonie  dura 

(1)  Ossun  à  Choisoul,  17  juillet  17fio.  Aflfaiios  Étrangères. 

(2)  Choiseul  à  Ossun,  1!»  août  17G0.  Aiïiiires  Ktrangères. 

(8)  Ossun  à  Choiseul,  l'J  septembre  17(io.  Affaires  Étrangères. 


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L\  c.uKiuU':  Di:  sept  ans. 


CHAP.  VII. 


encore  huit  jours  et  (]uoi([U('  la  pauvre  malade,  ([ui  avait 
toute  sa  connaissance,  exprimât  le  drsir  de  revoir  son 
épciix,  rimpifoyable  «Uiquettc  espafi'nole,  par  l'organe  du 
faraud  sommelier,  le  duc  de  Losada,  interdit  une  suprême 
entrevue. 

I.a  reine  défunte,  Amélie  de  Saxe,  sœur  de  la  Daupliine, 
avait  exercé  une  influence  considérable  surlVsprit  de  son 
mari  et  partant  sur  les  relations  extérieures.  Lord  Hristol 
îa  dépeint  conmic  dévouée  à  la  cause  française  et  l'accuse 
d'avoir  inspiré  la  comn'unication  des  mémoires  espagnols 
i'i  la  cour  de  Versailles,  procédé  qui  avait  si  fort  déplu  à 
Londres;  Ossun  affirme,  aucontraii-e,  (lu'elle  était  d'accord 
avec  Wall  pour  doimer  des  conseils  de  timidité  et  d'a- 
termoiement. LaUeine  était  !Ïpeiuemorte(|UC  la  diplomatie 
européenne  se  mit  en  tête  de  renuirier  son  époux.  Choiseul 
passe  en  revue  (1)  les  candidates  ;  en  première  ligne,  une 
princesse  française.  Il  cite  les  propres  expressions  de 
Louis  XV  :  «  Je  désirerais  que  le  roi  d'Kspagne  me  dc- 
mamle  amicalement  une  de  mes  filles,  mais  il  ne  me  con- 
vient pas  de  jeter  nies  filles  A  la  tète  de  personne.  »  S'il 
ne  voulait  pas  d'une  Française,  «  le  mieux  serait  qu'il  ne 
se  remariât  pasdu  tout,  ('ne  ai'chiducliesse  <lans  la  circons- 
tance actuelle  pourrait  nousétre  utile,  et  nous  l'aimerions 
mieux  que  les  autres;  aprèo  elle  une  princess(^  de  Savoie; 
la  bavaroise  est  horrible  de  figure  et  l'on  n'y  songera  pas; 
pour  la  Portugaise,  elle  est  celle  qui  nous  conviendrait  le 
moins  ».  Au  surplus,  Don  Carlos  affirmait  (2)  il  ses  intimes 
<[u'il  ne  convolerait  pas  en  secondes  noces  ;  mais  Ossun,  ([ui 
le  savait  trop  religieux  pour  chercher  des  distractions 
irrégulières,  prend  des  «  mesures  pour  tirer  du  confesseur 
de  S.  3L  Catholi(|ue  les  lumières  possibles  sir  cet  objet  ». 

En  attendant,  le  Uoi  se  consolait  de  la  perte  de  sa  com- 
pagne en  s'adonnant  de  plus  en  plus  aux  affaires  de  son 

(I)  Clioiseul  à  Cssiin,  ;I0  septembre  ITiiO.  Affaires  Klrangères. 
(!)  Ossun  à  Clioiseul,  17  octobre  17r>0.  Affaires  Klmngéres. 


MOUT  1)K  LA  REINE  DESPACNE. 


423 


royaunu'  ot  en  suivaiittle  près  les  évriicmonts  à  rétraiiger. 
FiCS  ministres,  qui  ne  se  réunissaient  pas  en  conseil  et  qui 
travaillaient  individuellement  avec  le  souverain,  se  ral- 
liaient peu  A,  peu  î'i  l'alliance  française.  Wall,  (jue  nous 
avons  connu  au  début  de  cette  histoire  accpiis  corps  et  i\me 
il  la  cause  brif<inni(|U(;,  avait  modifié  son  attitude  ;  soit  défé- 
rence pour  un  maître  dont  il  cherchait  à  «agiuîr  la  con- 
liance  en  adoptant  ses  vues,  soit  révolte  contre  lingrati- 
tude  de  la  cour  de  Londres  ([ui  oubliait  les  services  rendus 
pai'  rKspaf;ne  pour  ne  soni^er  (|u'auv  exigences  de  ses 
pi'opres  sujets,  il  s'expi'iniait  en  termes  sympathiques  sur 
le  compte  de  la  France,  se  plaignait  à  Ossuu  des  procédés 
«le  ses  anciens  amis,  mais  il  était  encore  l'adversaire  de 
mesures  énergiques.  «  Que  voulez-vous  ([ue  fasse  le  roi 
d'Kspagne  seul  (1)?  disait-il  à  Ossun.  S'il  se  déclare,  il 
verra  bientôt  sa  marine;  naissante  écrasée.  Lui  convient- 
il  aussi  de  sonner  le  tocsin?  Les  Hollandais,  les  Danois 
sont  certainement  alarmés,  mais  ([ui  est-ce  i[u\  ameutera 
toutes  ces  puissances?  Pour  moi,  a-t-il  ajouté,  je  ne  sais 
<|uel  parti  prendi'e.  Le  roi  d'Espagne  est  sage,  éclairé, 
jeune,  nerveux,  c'est  à  lui  de  se  déterminer.  » 

Tout  en  restant  sur  l'expectative  ({iie  commandait  la  situa- 
lion,  Choiseul  avait  profité  (2)  de  toutes  les  occasions  pour 
resserrer  les  liens  qui  existaient  entre  les  deux  couronnes. 
Il  avait  fait  au  roi  Catholique  la  conlidence  des  ouvertures 
■X  l'Autriche  A  reillet  de  terminei*  la  guerre,  il  lui  avait 
conjmuni([ué  le  traité  des  Impératrices  auquel  la  France 
venait  d'adhérer  sous  ». 'serve  de  l'exclusion  d<'  l'Espagne 
et  des  Bourbons  d'Italie.  Knfin,  il  lituii  pas  de  i>lus;  il  mit 
la  cour  de  Madrid  au  pied  du  mur   .'{)  :  «  Si  le  roi  d'Kspagne 


(1)  Ossun  i\  Ctioisciil.  :iit  octobre  (TCO.  Aft'aircs  K  Iran  gères. 

(2)  Voir  sur  la  |iolili<iiuî  <lf  Choiseul  à  l'cf^anl  il<*  i'Esiiague  Alfred  Bour- 
guel  :  Le  duc  de  Choiseul  et  l'alliance  espagnole.  Paris,  190»;. 

(;{)  Choiseul  à  Ossun,  li  novembre  I7t'i0.  Affaires  Étrangères. 


ii, 


I.A  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI'.  Vil. 


'iJ'* 


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I 


ne  peut  pas  .se  drclaror  efticacement,  le  Roi  sera  obligé 
de  suivre,  coûte  que  coûte,  la  négociation  de  la  pai.x.  » 
A  cette  paix  il  y  a  i)ien  des  objections,  «  aussi  le  Roi  n'y 
penserait-il  pas  cet  hiver,  si  l'Espagne  voulait  se  décider  »>. 
Envisageant  Ihypothèsc  de  la  continuation  de  la  guerre, 
le  ministre  français  donne  libre  cariiôre  à  son  imagination 
et  esquisse  à  grands  trails  les  moyens  qui  lui  semblent  les 
meilleurs  de  combattre  l'ennemi  commun.  La  France, 
malgré  un  suc.ès  pour  le  moins  incertain,  «  appuierait  vo- 
lontiers le  projet  d'un  embarquement  pour  les  lies  Bri- 
tanniques »,  dont  on  avait  parlé  à  Ossun,  mais  il  en  préfé- 
rerait un  autre  «  qui  serait  plus  aisé  et  porterait  à  l'An- 
gleterre un  coup  plus  sûr  :  c'est  l'attaque  du  Portugal.  Ce 
royaume  peut  être  regardé  comme  une  colonie  anglaise  ; 
à  ce  titre  seul,  il  est  l'ennemi  de  la  France,  et  de  plus  le 
Roi  a  les  sujets  les  plus  violents  de  mécontentement  du  roi 
de  Portugal  qui,  au  mépris  des  droits  des  gens  et  des  at- 
tentions dues  aux  tètes  couronnées,  a  eu  des  procédés  pour 
la  France  (pii  autorisent  une  guerre  ouverte.  En  partant 
de  ces  pinncipes  et  de  la  nécessité  de  faire  une  diversion 
considérable  aux  projets  de  l'Angleterre,  nous  proposons 
dans  le  plus  grand  secret  à  S.  M.  Catholique  de  nous 
confier  si  elle  veut  contribuer  à  la  conquête  du  Portu- 
gal et  du  Ri'ésil,  et  au  dessein  d'anéantir  entièrement 
cette  puissance,  et  de  la  réunir  aux  domaines  d'Espagne  ». 
Clioiseul  étudie  les  détails  d'exécution  de  ce  projet,  fixe  h' 
chiffre  du  contingent  ([ue  la  France  pourrait  fournir,  puis 
il  passe  à  un  concept  différent.  Il  consisterait  à  «  déclarer, 
conjointement  avec  l'Espagne,  aux  Hollandais  que  la  li- 
berté des  mers  est  menacée  par  l'ambition  de  l'Angleterre, 
qu'ils  sont  invités  à  se  joindre  aux  deux  puissances^  soit 
pour  moyenner  une  paix  juste  et  convenable  au  commerce 
des  nations,  entre  la  France  et  l'Angleterre,  soit  pour  s'u- 
nir à  la  France  et  à  l'Espagne  pour  réprimer  les  vues  me- 
naçantes des  Anglais,  et  que  si  la  République  d'Hollaude 


!SffîV',:s?r\msm*m^:i 


CHOISEUL  PROPOSE  UNE  PRESSION  SUR  LA  HOLLANDE.     425 


ne  s'unit  pas  aux  deux  couronnes  pour  parvenir  à  un  but 
aussi  utile  à  l'humanité,  le  Koi  et  le  roi  d'Espagne  la  re- 
garderont comme  participant  à  la  conduite  insoutenable 
des  Anglais,  et  lui  déclareront  la  guerre  ;  alors  le  Roi  as- 
semblera une  armée  considérable  sur  le  Bas-Rhin,  indé- 
pendamment de  celle  qu'il  conservera  en  Allemagne,  et  avec 
cette  armée  qui  sera  de  100.000  hommes,  S.  M.  entrera  en 
Hollande  et  forcera  par  ses  conquêtes  de  terre  les  puis- 
sances maritimes  a  se  réduire  à  la  paix.  Voilà  deux  projets 
qui  sont  nerveux  ;  ils  paraîtront  peut-êti'e  téméraires,  mais 
en  les  examinant  de  sang-froid,  jeme  flatte  que  l'on  jugera 
qu'ils  sont  d'une  plus  facile  exécution  que  ne  le  serait  une 
descente  en  Angleterre.  Ils  supposent  tous  deux  que  l'Ks- 
pagne  veut  faire  la  guerre,  car  si  cette  puissance  n'a  pas 
l'intention  do  se  déclarer  positivement  et  ouvertement, 
tous  projets  sont  inutiles  à  condjiner  avec  elle,  et  comme 
je  vous  l'ai  déjà  mandé,  le  Roi  suivra  le  plan  de  paix  qu'il 
s'est  formé,  et  engagera  ses  alliés  de  gré  ou  de  forcé  d'y 
concourir.  » 

Les  propositions  de  Choiseul  furent  soumises,  par  l'en- 
voyé français  il),  au  roi  Carlos.  Celui-ci  reconnut  qu'il  était 
de  son  intérêt  de  combiner  une  action  immédiate  avec  son 
cousin  Louis  XV,  car  «  aussitôt  que  la  France  aurait  fait 
une  paix  avantageuse,  les  Anglais  lui  tomberaient  sur  le 
corps...  malheureusement  il  n'était  pas  encore  prêt,  il 
avait  trouvé  toutes  choses  en  xVniérique  et  en  Espagne 
dans  un  dépérissement  et  dans  un  délabrement  incroya- 
bles, quoiqu'il  eût  pris  toutes  les  mesures  qui  avaient  dé- 
pendu de  lui  depuis  un  an  pour  mettre  ses  possessions 
en  Amérique  à  l'abii  d'une  invasion;  cependant  si  les  An- 
glais se  présentaient  encore  actuellement  à  la  Havane  et 
au  Mexique,  il  leur  serait  plus  facile  d'en  faire  la  conquête 
que  de  la  plus  petite  colonie  française,...  la  plupait  des 


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(I)  Ossun  à  Choîspul,  28  novembre  lT(iO.  Affaires  Élranijères. 


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LA  (iUEKKi;  Di:  SKPT  ANS.     -  CHAP.  VU. 


vaisseauv  étaient  pourris...  les  arsenaux  étaient  vides;  il 
n'y  avait  ni  canons,  ni  fusils,  ni  munitions.  On  travaillait 
rie  toutes  parts  conséqueniment  à  ses  ordres,  il  fallait  beau- 
coup plus  de  temps  en  Espagne  (jue  dans  les  autres  pays 
pour  exécuter  les  moindres  choses  ».  En  résumé,  S.  M. 
Catholique,  pleine  de  bonne  volonté  pour  l'avenir,  «  ne 
voulait  pas  engager  la  France  à  reculer  la  conclusion  de 
la  paix  ni  à  continuer  toute  seule  une  guerre  qui  l'expose- 
lait  à  de  nouvelles  pertes  ».  A  la  suite  de  confidences 
pareilles,  il  n'y  avait  qu'à  remercier  le  roi  d'Espagne  de 
sa  franchise  et  à  poursuivre  résolument  les  démarches 
pacifiques  commencées  auprès  des  deux  Impératrices, 
C'est  le  parti  auquel  s'arrêta  (1)  le  ministre  de  Louis  XV. 
Vers  le  milieu  de  décembre  1760,  Massones,  ambassa- 
deur espagnol  à  la  cour  de  Versailles,  fut  remplacé  par 
Grimaldi  dont  nous  avons  relevé  l'activité  remuante  au 
poste  de  La  Haye.  Choiseul  n'avait  pas  été  étranger  au 
rappel  de  Alassones;  dès  le  mois  de  juin,  il  écrivait  (2)  à 
Ossun,  au  sujet  de  ce  diplomate  :  «  Le  roi  Catholique  ne 
doit  point  persister  à  laisser  ici  pour  son  ambassadeur  le 
meilleur  homme  du  monde,  mais  le  plus  inepte  ministre 
qu'il  y  ait  jamais  ou.  Il  est  impossible  de  parler  d'alfaires 
à  iVL  de  Massones,  ni  d'entendre  ce  (pi'il  dit  quand  il 
parle...  .le  vous  confie  le  peu  de  fonds  qu'il  y  a  à  faire  sur 
cet  ambassadeur,  dont  les  relations  sont  certainement,  s'il 
les  fait,  dénuées  de  bon  sens,  et  s'il  ne  les  fait  pas,  ne 
peuvent  pointètre  jïistes,  car  il  lui  est  de  toute  impossibilité 
de  rendre  compte  de  ce  que  je  lui  dis.  Je  vais  me  borner 
dorénavant  à  lui  faire  des  plaisanteries,  ce  qui  est  plus 
son  genre  que  la  politique.  »  (irimaldi,  ainsi  qu'on  le 
verra,  donna  une  impulsion  vigoureuse  aux  pi'ojcts  d'union 
des  deux  couroimes. 


(1)  Choiseul  à  Ossun,  '.t  dccenibre  l'GO.  Affaires  Élrangf-rps. 

(2)  Choiseul  à  Ossun,  J  juin  l'Oo.  Affaires  Étrangères,  vol.  .'i71 


ENVOI  DE  HENIOUTS  EN  AMERIQUE. 


457 


Vers  la  fin  de  1700  «  le  ton  de  hauteur  insupporta- 
ble »  (pii  était  la  caractéristique  de  la  prose  ministérielle 
du  cabinet  de  Saint-James  et  les  avis  transmis  parFuentes 
tirent  croire  à  une  rupture  prochaine.  Le  Roi  activa  les 
préparatifs,  expédia  aux  Indes  occidentales  des  renforts 
et  des  munitions  et  rétablit  en  Amérique  la  milice  re- 
crutée parmi  les  9  millions  de  sujets  que  TKspagne  y  pos 
sédait;  cette  force  comptait  «  environ  (H). 000  hommes  tan 
infanterie  que  cavalerie  qui  n'existaient  plus  que  sur  les 
rôles  des  trésoriers  et  dans  la  poche  de  tous  ceux  qui 
partageaient  le  cadeau  ».  L'alerte  n'eut  pas  de  suites  im- 
médiates. Fuentcs  eut  beau  écrire  à  Wall,  dans  une  lettre  (1) 
interceptée  par  le  gouvernement  anglais,  que  la  cour  de 
I>ondres,  bien  décidée  h  ne  pas  donner  satisfaction  à  l'Es- 
pagne et  craignant  les  conséquences  d'une  nouvelle 
guerre,  pourrait  bien  boucler  la  paix  avec  la  France  en  lui 
oli'rant  des  conditions  plus  avantageuses  qu'elle  n'en  ob- 
tiendrait de  l'intervention  espagnole,  et  peut-être  cette 
{juissance  les  accepterait-elle  «  par  dépit  et  piquée  de 
notre  indifférence  ».  A  écouter  Fuentes,  il  fallait  s'engager 
avec  la  France,  car  ce  serait  un  aveu  de  faiblesse  indigne 
d(^  la  monarchie  espagnole  que  de  reprendre  le  fil  des 
pourparlers  après  l'accueil  fait  aux  mémoires,  \yall  envi- 
sageait les  choses  avec  beaucoup  plus  de  sang-froid  :  «  il 
a  déclamé,  rapporte  Ossun  (2),  assez  vivement  contre  la 
hauteur  de  M.  Pitt  ;  il  l'a  comparé  aux  Gracques  de  l'an- 
cienne Rome,  mais  il  m'a  dit  aussi  qu'il  ne  pouvait  pas 
croire  que  les  Anglais  rompraient  avec  l'Espagne.  » 

En  effet,  tout  en  étant  fort  mécontentes  l'une  de  l'autre, 
les  deux  couronnes  ne  se  souciaient  pas  d'un  éclat  que 
la  reprise  des  conversations  diplomatiques  aurait  amené 
dans  un  délai  plus  ou  moins  éloigné;  aussi  gardèrent-elles 


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(1)  Fuentes  à  Wall,  30  janvier  1701.  Chatham  Papers,  Spain. 
{'>)  Ossun  à  Choiseul,  2  IVtv.  l'Ol.  Aflaires  Étrangères. 


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4'?8 


LA  C.UKKUK  Di:  SKPT  ANS. 


CFIAl».  vir. 


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le  silence  pendant  les  proniieis  mois  de  ITOl .  NVall,  quoi- 
que beaucoup  moins  anglais  que  sous  le  dernier  rèf;'ne,  ne 
s'était  pas  encore  détaché  complètement  de  son  ancien  prin- 
cipe d'entente  avec  la  puissance  insulaire;  dans  ses  entre- 
tiens avec  Bristol,  il  se  montra  conciliant  et  donna  un  dé- 
menti formel  aux  bruits  qui  coui'aient  sur  les  armements 
espagnols.  A  ces  assurances  pacifiques,  Hristol  put  répou- 
dre en  annonçant  le  relâchement  de  quelques  prises;  en- 
lin,  Pitt,  soit  maladie,  soit  manque  de  confiance  dans 
la  stabilité  ministérielle  n'envenima  pas  par  de  nou- 
velles dépêches  des  relations  déjà  tendues.  La  trêve 
dura  jusqu'au  M  avril,  trois  semaines  après  les  ouvertures 
de  Choiseul  à  l'Angleterre. 

Pend.tnt  cette  accalmie,  le  rapprochement  des  deux  mo- 
narchies- de  liourbon  progressait  à  pas  de  géant.  Choiseul 
avait  mis  sur  le  tapis  (1)  un  projet  de  traité  de  commerce 
et  d'alliance  défensive  ;  il  le  discute  à  Versailles  avec  Gri- 
maldi  qu'il  trouve  «  aimable,  insinuant  et  fort  adroit  »  ; 
les  gouvernements  échangent  des  mémoires.  Afin  de  se 
renseigner  sur  les  intérêts  qui  seraient  on  jeu,  le 
cabinet  français  prend  l'excellent  parti  de  consulter 
«  les  négociants  les  plus  instruits  et  les  plus  accrédités, 
sauf  à  l'homme  d'état  de  rabattre  des  prétentions  exces- 
sives des  marchands  ».  A  cet  effet,  Ossun  propose  (2)  d'a- 
voir recours  aux  lumières  de  commerçants  u  habitant 
l'Espagne,  de  la  Chand)re  de  Commerce  de  Bayonne  qui 
possède  les  négociants  les  plus  habiles  du  royaume,  de 
Jlarseille,  Saint-Malo,  Bouenet  Lyon  ». 

La préparafiond'uneconvention  commerciale  demandant 
évidemment  quelque  tenq^s,  ne  serait-il  pas  possible  de 
le  faire  précéder  d'un  arrangement  politique?  La  cour 
de  Madrid,  sans  vouloir  s'opposer  à  la  conclusion   de  la 


(1)  Choiseul  à  Ossun.  27  janvier  1761.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Ossun  à  Choiseul,  2  mars  17C1.  Affaires  Étrangères, 


GRIMALDI  AMUASSADEUU  EN  IRANCK. 


429 


paix  entre  l'Angleterre  et  la  France,  s'elfray.iit,  comme 
nous  l'avons  vu,  de  l'isolement  dans  lequel  elle  se  trou- 
verait après  la  réconciliation  des  deux  belligérants;  elle 
suivait  d'un  œil  jalouv  les  pourparlers  qu'elle  croyait 
déjà  amorcés  à  lA)ndres.  Choiseul  s'en  explique  avec  Gri- 
maldi  :  «  Il  ne  m'a  pas  été  difficile,  Monsieur,  mande- t-il  (1) 
à  Ossun,  de  pénétrer  dans  les  premières  conversations  que 
j'ai  eues  avec  M.  le  marcjuis  de  (Irimaldi,  que  cette  fausse 
idée  où  Tou  est  à  sa  cour,  a  été  le  principal  motif  de  sa 
mission  en  France;  et  il  n'a  pas  môme  cherché  à  me 
dissimuler  que  son  véritable  objet  était  de  découvrir  l'état 
actuel  de  notre  prétendue  négociation,  et  nos  disposi- 
tions par  rapport  k  l'Angleterre.  Il  a  sans  doute  regardé, 
comme  un  moyen  snr  de  me  faire  expliquer  sur  ce  sujet, 
l'oifrc  qu'il  m'a  faite,  par  ordre  du  Uoi  son  maître,  de  con- 
clure dès  à,  présent  un  traité  oft'ensif  entre  la  France  et 
l'Espagne  pour  le  soutien  de  leurs  intérêts  communs 
contre  les  Anglais.  »  Choiseul  assura  son  interlocuteui- 
qu'aucune  ouverture  n'avait  été  faite  au  cabinet  britan- 
nique et  c(u'aussitôt  qu'il  y  en  aurait  une,  la  cour  de  Ma- 
drid en  serait  informée.  «  Enfin,  continue  le  Français,  sur 
la  proposition  de  conclure  actuellement  un  traité  offensif 
entre  les  deux  cours,  j'ai  demandé  à  cet  ambassadeur  si, 
dans  le  cas  où  nos  ennemis  se  refuseraient  aux  ouvertures 
que  nous  leur  ferons...  le  roi  d'Espagne  serait  disposé 
à  déclarer  aux  Anglais  qu'il  ne  peut  pas  souffrir  plus 
longtemps  leurs  entreprises  en  Amérique,  qui  ne  sont 
pas  moins  préjudiciables  aux  intérêts  de  sa  monar- 
chie qu'à  la  navigation  et  au  commerce  libre  de  toutes 
les  autres  nations,  et  que  S.  M.  Catholique  est  détermi- 
née à  unir  ses  forces  contre  celle  des  deux  puissances 
(soit  la  France  ou  l'Angleterre)  qui  ne  voudra  pas  se 
prêter  sans  aucun  délai  aux  conditions  d'une  paix  juste 


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(1)  Choiseul  à  Ossun,  17  février  I7G1.  Affaires  Étrangères. 


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LA  <;UK»KK  DE  SKPT  ANS. 


CHAI*.  MI. 


et  convenable.  M.  de  drimaldi  m'a  dit  (jii'il  igno- 
rait quelles  sont  à  cet  égard  les  intentions  du  roi  son 
maître.  »  ,    , 

D'après  Choiseul,  l'initiative  du  iraité  d'alliance  devait 
venir  du  cAté  de  l'Espagne;  aussi Ossun,  quoique  mis  au 
courant,  roçut-il  ordre  de  n'en  parler  ni  au  Roi  ni  à 
Wall.  Ce  fut  en  effet  le  Roi  qui  s'en  ouvrit  le  [)remier  :  «  Ce 
prince,  Monsieur,  rapporte  Ossun  (1),  m'a  répondu  ((ue  pour 
la  défensive,  il  n'y  avait  aucune  espèce  de  difficulté, 
mais  que  l'offensive  l'oniharrasiait  à  cause  de  nos  guerres 
d'Allemagne,  qu'il  fallait  qu'il  examinât  ce  qu'il  pouvait 
faire;  (jue  je  savais  qu'il  ne  voulait  jamais  prendre  d'en- 
gagements sans  être  bien  sûr  d'être  en  état  de  les  fcm- 
plir;  qu'au  surplus,  il  faudrait  beaucoup  de  temps  pour 
discuter  et  convenir  des  conditions  d'un  traité  de  com- 
merce. »  A  la  suite  de  cet  entretien,  et  avec  l'autori- 
sation du  roi  Carlos,  l'ambassadeur  français  aborda  le 
sujet  du  traité  avec  Wall  (|ui  se  montra  favorable  au 
principe  de  l'alliance. 

Fidèle  à  sa  promesse,  Choiseul  envoya  copie  à  Madrid 
des  déclarations  relatives  au  congrès  futur  et  à  la  paix  ainsi 
que  des  pièces  diverses  remises  par  Galitzin  au  cabinet  an- 
glais. La  cour  de  Madrid  ne  fit  aucune  observation  sur  le 
conf-^nu  de  ces  documents,  mais  quelques  jours  aju'ès  la 
communication,  Wall  tint  un  propos  qui  éclaire  à  la  fois  sur 
la  nouvelle  orientaticm  de  l'Espagne  et  sur  la  modification 
profonde  qui  s'était  produite  dans  ses  .sentiments  person- 
nels. «  Ce  ministre  m'a  dit,  relate  Ossun  (2),  que  la  France 
avait  les  plus  justes  motifs  de  désirer  unt^  paix  décente  ;  que 
la  tournure  {[uelle  avait  donnéoàses  premières  ouvertures 
était  remplie  do  dignité  et  mettait  les  A'^tglais  dans  la  néces- 
sité absolue   de   s'expliquer  clairement  sur  leurs  véri'.a- 


(1)  Ossun  à  Choiseul,  16  mars  1701.  Affaires KUan^^t'ies. 

(2)  Ossun  à  Choiseul,  20  avril  1701.  Aflaires  Étrangt'ies. 


GIUMALDI  PRODUIT  UN  PROJET  DK  TKAITt:. 


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blcs  intentions.  S'ils  se  refusaiouf  aux  vues  modérées  de 
la  France,  il  faudrait  que  S.  M.  Cafholicjue  joignit  sans 
hésiter  ses  forces  à  celles  du  roi  son  cousin.  »  Wall 
ajouta  que  si  les  alliés  de  l'AngleJerre  étaient  représen- 
tés au  congrès,  <(  S.  M.  Catholique  était  déterminée  à  se 
déclarer  publiquement  l'alliée  inséparable  de  la  Fiance 
et  à  demander  en  conséquence  que  ses  ministres  y  fus- 
sent également  reçus  ». 

Les  négociations  qui  se  tinrent  entre  Versailles  et  Londres 
pendant  les  mois  d'avril  et  de  mai  n'empêchèrent  pas  les 
pourparlers  entre  Choiseulet  (irimaldi  an  sujet  du  traité 
d'p.Uiance  de  suivre  leur  cours,  (^e  derniei'  avait  rédigé 
un  brouillon  (pi'il  soumit  au  ministre.  D'autre  part,  Wall 
informa  Ossun  (1  )  que  S.  AI.  Catholique  avait  exigé  <|ue  les 
irticles  du  projet  «  ne  continssent  rien  qui  pût  gêner  la 
France  pour  la  conclusion  prochaine  de  sa  paix  particu- 
lière avec  l'Angleterre;...  que  d'ailleurs  le  roi  Catholique 
ne  croyait  pas  que  les  Anglais  commençassent  les  pre- 
miers la  guerre,  qu'il  saurait  de  son  côté  retarder  ou 
accélérer  selon  les  circonstances  les  justes  poursuites  de 
ses  prétentions;  enfin  que  ce  prhice  n'était  point  du  tout 
intimidé  par  les  forces  des  Anglais,  et  ({u'il  espérait  de 
se  trouver  bientôt  en  état  de  leur  causer  plus  de  dom- 
mages qu'il  n'en  pourrait  recevoir  deux  ». 

Choiseul  trouva  le  texte  de  Grimaldi  «  trop  vague  » 
et  se  mit  à  l'œuvre  pour  y  substituer  sa  propre  rédac- 
tion :  «  Je  compte  en  conséquence,  écrit-il  à  Ossun  (2), 
lui  donner  incessamment  un  contre-projet  divisé  en  deux 
parties  qui  formeront  le  plan  de  deux  différents  traités. 
L'un  sera  un  pacte  de  famille  à  stipuler  et  à  constater 
à  perpétuité  entre  tous  les  souverains  de  la  Maison  de 
France  et  qui  n'étant  relatif  qu'aux  intérêts  des  branches 


I   '  I: 


1  I.     I 


(1)  Oâsun  à  Clioiseiil,  :>'  avril  ITtit.  Aflaims  Ktiangèies. 
{'>.)  Choiseul  à  Ossun,  li  mai  I7(il.  AflFaires  Etrangères. 


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L.V  GUKHHK  I)i;  SKPT  ANS.         ClIAP.  Vil. 


(lui  lii  coinposent  sera  cxtlusif  pour  toute  autre  [)uis- 
sance.  Le  second  traité  au<juei  d'autres  [)uissanccs  pour- 
l'ont  ôtre  appelées  à  accéder,  roulera  sur  les  objets  qui, 
regardant  principalement  le  lloi  et  le  roi  d'Kspagne,  ont 
aussi  des  rap|)orts  plus  ou  moins  directs  avec  d'autres 
lois  ou  répuhlitpies.  »  La  lettre  se  termine  par  un  mot 
aimable  pour  «  M.  Wall,  rainistiii  éclairé  etlidèle  du  Koi 
son  maille  ». 

Quelques  articles  du  projet  de  Grimaldi  (1)  avaient 
soulevé  des  objections  de  la  part  du  cabinet  français. 
On  accepterait  pour  l'avenir  l'engagement  «  de  ne 
faire  ni  écouter  aucune  proposition  d'accommodement  que 
d'un  commun  accord  et  consentement  »,  mais  donner  à 
cette  clause  un  effet  rétroactif,  ce  serait  renoncer  à  tout  es- 
poir de  la  paix  avec  l'Angleterre.  L'objection  visait  une  dis- 
j)osition  dueà  la  plume  de  l'ambassadeur  d'après  laquelle, 
dans  la  paix  à  intervenir,  «  soit  quelle  se  traite  dans  le  con- 
grès, ou  à  Londres  par  le  moyen  de  ministres  particuliers, 
les  deux  monar(|ues  concourront  également  dans  la  négo- 
ciation, et  qu'en  même  temps  on  y  agitera  les  deux  points 
de  discussion  que  le  lloi  Catholique  a  avec  l'Angleterre... 
do  façon  ([ue  l'accommodenK-nt  des  dépendances  de  la 
couronne  de  France  ne  se  décidera  point  sans  que  celles 
de  la  couronne  d'Espagne  soient  réglées  ».  Comme  le 
faisait  remarquer  Choiseul  avec  beaucoup  de  justesse, 
«  cette  dernière  couronne  qui  a  absolument  refusé  toute 
espèce  de  secours  au  Roi  pendant  le  cours  de  la  guerre, 
voudrait  se  rendre  la  maîtresse  des  cojiditions  de  la  paix 
de  la  France  et  les  faire  dépendre  de  la  convenance  per- 
soimcUe  de  S.  M.  Catholique  ».  Une  abdication  pareille 
était  inadmissible.  D'autre  part,  la  France  ne  pouvait 
admettre  un  article  secret  qui  stipulait,  pour  le  cas  de 


(l)  Projet  (le  Giimaldi  annexé  h  la  lettre  de  C'Iioiseul  à  Ossun,  2G  mai 
17G1. 


PROJKT  DU  PAPTK  DK  I  AMIM.E. 


433 


la 

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f^'uerre,  la  remise   en  di^pAt  A  l'Uspagne  de   l'ile  de  Mi- 
non  |  ne. 

Au  texte  de  (iriinaldi,  le  niiiiistre  fraix-ais  substitua 
un  ducunient  (1)  qui  p^itait  le  titnî  de  pacte  de  famille. 
Comnu^  contractants,  n"j  seraient  e()ni[)ris  (pic  les  princes 
de  la  famille  <le  Roiirlxju,  les  rois  de  France,  d'Kspasne 
et  des  Dcux-Siciles;  l'alliance  serait  absolue  sur  la  base 
de  «  qui  atta(jue  une  couronne  attaque  l'autie  ».  (ihaipie 
monanjue  jouirait  de  la  garantie  des  possessions  lui  ap- 
partenant «  suivant  l'élat  actuel  où  elb^s  seront  au  pie- 
mier  moment  où  l'une  ou  l'autre  couronne  se  trouverait 
en  paiv  avec  tv)utes  les  autres  puissances  ».  Enfin,  chacun 
des  alliés  devrait  fournir,  trois  mois  apr(>s  réfjuisition, 
douze  vaisseaux  de  ligne,  six  frégates  et  iïMH)  hommes 
de  troupes  de  terre;  le  traité  général  serait  complété  par 
un  ariangenKmt  applicable  aux  circonstances  présentes. 
Comme  point  de  départ  de  cette  seconde  convention, 
Louis  XV  demandait  (2)  au  roi  son  cousin  «  de  se  déterminer, 
en  cas  que  la  paix  ne  soit  pas  faite,  le  1"  mai  17()2,  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  à  déclarer  ouvertement  la  guerre 
h  cette  dernière  couronne  ».  Moyennant  cet  engagement 
de  S.  M.  Catholique,  le  roi  Très  Chrétien  s'olfrait  de 
((  comprendre  dans  l(;s  négociations  de  la  paix  qui  va  se 
traiter  à  f.ondres,  les  intérêts  du  roi  d'Kspagiie,  rela- 
tivement à  la  pèche,  aux  prises  et  aux  établissements 
dans  la  baie  d'Honduras,  de  sorte  que  les  intérêts  de  la 
France  ne  pourront  pas  être  terminés,  que  ceux  de  l'Ks- 
pagne  lelativemeut  à  ces  trois  objets  ^^e  le  soient  aussi, 
à  la  satisfaction  de  S.  M.  Catholique  ».  De  Minorque,  il 
n'était  plus  question,  «  cette  conquête  étant  une  vraie  et 
unique  compensation  à  celle  des  ennemis  sur  la  France  ». 
Il  était  bien   entendu  que   la   nouvelle    proposition    ne 


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% 


(1)  Mémoire  particulier  de  Clioiseiil,  2  juin  ITfil.  Afl'aires  E  Iran  itères. 
^       (2)  Mémoire  particulier  de  Clioiseui,  2  juin  17til.  Afl'aires  Élranj^iTes. 


CLEUBE    DE   SEl'T   ANS.    —   T.    IV. 


28 


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U  r.UKRRE  DK  SKPT  ANS.  -  CHAI».  VII. 


1/ 


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retarderait  pas  la  conclusion  du  traité  «  qui  est  indt^- 
pcndant  de  cette  situation  particulière,  mais  elle  demande 
une  réponse  prompte,  afin  que  l'on  puisse  diriger  la 
conduite  du  ministre  du  Roi  à  Londres  relativement  aux 
intentions  connues  dp  S.  M.  Catholiqu(î  ».  Si  l'on  compare 
les  deux  rédactions,  on  voit  que  (Mioiseul,  tout  <'n  accor- 
dant Tappui  sollicité  pour  le  litige  anglo-espagnol,  su- 
hordonnait  ce  concours  à  la  promesse  que  prendrait 
l'Kspagne  de  déclarer  éventuellemeni  la  guei-re  fi  l'Angle- 
terre. 

Malgré  la  hâte  de  tlrimaldi  qui  était  prêt  à  signer  sans 
en  référei'  à  Madrid,  la  négociation  traina  pendant  tout  le 
mois  de  juin  et  la  première  ([uinzaine  de  juillet.  U'acoord 
sur  les  clauses  essentielles,  on  dillerait  sur  Jeux  points 
qui  tenaient  fort  à  cœur  au  roi  Charles  :  la  préséance 
des  ambassadeurs,  et  une  indenmité  pour  l'infant  Philippe 
en  échange  du  Plaisantin  qui  faisait  retour  au  roi  de  Sar- 
daigne.  A  partir  de  cette  époque,  les  pourparlers  avec  Ma- 
drid s'enchevêtrent  à  un  tel  degré  avec  ceux  qui  se  pour- 
suivaient avec  l'Angletei'  (|u'il  est  impossible  de  rendre 
compte  des  uns  sans  suivre  les  autres.  La  correspondance 
échangée,  les  entretiens  à  L(mdres  et  à  Paris  avaient  une 
répercussion  si  directe  sur  les  dépèches  expédiées  h  Madrid 
ou  sur  les  conversations  avec  Urimaldi  qu'il  nous  faut  con- 
fondre le  récit  afin  de  maintenir  la  connexité. 

En  réalité,  Choiseul  ne  fut  pas  fâché  des  divergences 
de  détail  qui  lui  permirent  de  gagner  du  temps  et  de  se 
faire  une  opinion  sur  les  chances  de  succès  des  négocia- 
tions entamées  à  Londres.  Bien  qu'averti  par  Afl'ry,  lors 
des  tentatives  de  rapprochement  de  La  Haye,  de  la  jalou- 
sie que  le  cabinet  anglais  éprouvait  contre  toute  im- 
mixtion de  la  cour  de  Versailles  dans  le  conflit  espagnol, 
Choiseul  ne  se  rendit  pas  compte  que  l'ingérence  (\^■  la 
France  dans  le  débat,  loin  de  faciliter  l'entente,  indis|»"^^- 
rait  le  gouvernement  britannique  au  point  de  faire  échuutr 


CIIOISKLL  LAISSK  TRAINKR  U  NKdOCIATION. 


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h\  |»nfifiration.  K\ng«^i'nnt.  \oh  moyens  d'arfion  de  l'Ks- 
paunr,  sur  lescjucls  l'ifl  rliiit  l»eaucon|>  mieux  lenseigné 
que  lui,  (îhoiseul  s'inuiginail  avoir  entre  les  mains  une 
carte  maltresse  et  voulait  en  jouer  pour  arracher  au  ca- 
binet de Saint-Jamesih'scnndilions plus  l'avorahles  et  pour 
satisfaire  au  désir  de  son  futur  allié.  D'ailleurs,  peu  au 
courant  des  (d)jets  du  liti^'^e,  méconnaissant  l'Apreté  que 
déploient  les  Anglais  quand  les  intérêts  de  leur  commerce 
ou  de  leur  navigation  sont  en  jeu,  il  ne  croyait  pas  «piun 
compromis  entre  les  deux  couronnes  fût  diflicile  à  ellec- 
tuer.  Cependant,  les  symptAmiîs  n'étaient  pas  rassurants  : 
I»itt,  peut-être  en  vue  de  bien  poser  le  principe  de  la  sépa- 
ration entre  les  griefs  espagnols  (^t  lesatl'aires  (pii  seraient 
disculées  au  congrès,  avait  repris  (1  i  la  c<trrcspondance 
interrompue  et  réclamait  une  solution  à  Madrid;  Kueutes 
n'espéi-ait  pas  un  arrangcMiient  amiable  :  «  Je  suis  absolu- 
ment convaincu,  écrivait-il  (2),  (jue  seules  la  force  et  la 
peur  les  amèneront  à  nous  rendre  justice.  »  L'empresse- 
ment de  (Irimaldi  k  faire  int«îrvenir  la  France  était  éga- 
lement significatif. 

Il  faut  en  convenir,  la  situation  de  Clioiscul  était 
embarrassante;  les  difficultés,  les  obstacles  l'entouraient 
de  tous  les  côtés  et  constituaient  autant  d'écueils  contre 
lesquels  la  barque  de  sa  politique  riscjuait  de  se  briser.  A 
la  fin  de  mai,  au  moment  où  nous  l'avons  vu  substituer 
ses  projets  à  ceux  que  (Irimaldi  avait  préparés,  alors  que 
les  deux  négociateurs  venaient  de  partir  pour  Londres  et 
Paris,  le  ministre  de  Louis  XV  avait  à  cœur  la  conclusion 
■  de  la  paix  particulière  de  la  France  et  de  l'Angleteri'e, 
mais  il  se  savait  lié  par  nos  engagements  avec  l'Autriche. 
H  pouvait  se  faiif  illusion  sur  l'étendue  des  prétentions 
britanniques,  mais  il  devait  se  demander  avec  inquiétude 


(1)  put  à  Brisloi.  n  avril  1761.  Record  Olïice, 

(2]  Fuentes  4  Ikiauldi,  10  mars  1761.  Newcastle  Papers. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.   VII. 


si   l'accord    avec  l'Angleterre    h   propos  des   territoires 
d'outre-mer  lui  ouvrirait  l'issue  du  labyrinthe  des  ques- 
tions allemandes  et  du  congrès  général  où  elles  seraient 
débattues.  Devant  la  perspective  d'un  horizon  aussi  chargé 
n'était-il  pas  prudent,  en  cas  de  rupture,  de  se  réserver 
l'alliance  espagnole?  Ajoutons  en.ln  à  ces  préoccupations 
si  naturelles  l'effet  que  produisirent,  sur  un  esprit  mobile 
et  soupçonneux ,  les  rapports  plus  ou  moins  fondés  de  ses 
propres  envoyés  et  des  ambassadeurs  étrangers  sur  l'in- 
transigeance de  Pitt,  sur  le  désir  de  l'Angleterre  de  semer 
la  méfiance  entre  les  alliés,  sur  le  danger  d'éveiller  la  sus- 
ceptibilité du  roi  d'Espagne  par  des  ajournemerts  suc- 
cessifs, et  nous  pourrons  imaginer  l'état  d'esprit  du  di- 
recteur de  la  politique  française  pendant  l'été  de  1761. 
Les  négociations  entre  les  cours  de  Saint-James  et  de  Ver- 
sailles, quoiqu'elles  n'aient  pas  abouti,  sont  intéressantes 
parce  qu'elles  mettent  en  scène  deux  hommes  d'état  de 
premier  ordre,  Pitt  et  Choiseul,  qui  tinrent  eux-mêmes 
les  fils  conducteurs.  L'un  et  l'autre  étaient  doués,  mais  de 
qualités  très  différentes;  tenaces  (!t  résolus  tous  les  deux, 
mais  celui-ci  aussi  souple  que  celui-là  l'était  peu  ;  chez  le 
premier,  plus  de  persévérance  et  de  précision;   chez  le 
second,  plus  d'imagination  et  de  facilité,  chacun  incarnant 
l'esprit  de  sa  race  et  la  méthode  de  son  milieu  social,  mais 
au  point  de  vue  de  l'acquis  et  des  moyens,  dignes  de  se 
mesurer  l'un  avec  l'autre.  Cela  dit,  avouons  que  la  lutte 
n'était  pas  égale.  Pitt  représentait  la  partie  victorieuse; 
soutenu  par  l'opinion,  fière  de  succès  dont  elle  lui  attribuait 
l'initiative,  il  n'eut  à  compter  qu'avec  ses  collègues  du 
cabinet,  qui  avaient  trop  peur  de  lui  pour  ne  pas  s'incliner 
devant  sa  volonté.  Sans  doute,  il  ne  pouvait  négliger  les 
exigences  du  roi  de  Prusse,  mais  l'attitude  de  ce  prince,  la 
carte  blanche  qu'il  la'    x  au  ministre  anglais  contras- 
tent avec  la  surveillance  tracassière,   méfiante,    de  tous 
les  instants,  qu'exercèrent  Kaunilz  et  Starhemberg  sur 


SITUATION  DIFFICILE  DE  CHOISEUL. 


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les  agissements  de  Choiseul.  En  fait,  Pitt  jouit  d'une  li- 
berté d'allures  que  son  rival,  enchaîné  par  les  attaches  de 
l'alliance  autrichienne,  ne  posséda  janaais.  Au  surplus,  le 
récit  des  débats  nous  p^rmetlra  de  passer  un  jugement 
définitif  sur  les  faits  etgcjtes  des  deux  négociateurs,  et  sur 
la  part  de  responsabilité  qui  leur  incombe  dans  l'échec 
de  la  tentative  de  pacification. 


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CHAPITRE   VIFI 

NÉGOCIATIONS  AVEC  L'AUTRICHE 
ET  AVEC  LA  RUSSIE 


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OUVKUrURKS    PACllinUES     l>K    CIIOISKIL    A     V1KN>K.    —    RESIS- 

TANCH:   I)K    KAL'MIZ    K  f    l>K    MARIE-TIIKKKSI..   RÉPONSE   I)E 

LAUTRICIIE.  —  CHANGEMKM  DATTITUDE  A  VIENNE.  — 
HRETEIIL  ET  WORONZOW.  —  KAUNITZ  PROPOSE  UN  CON- 
GRÈS r  >  QUE.  —  VARIATIONS  DE  LA  R'JSSIE.   DISCUSSIONS 

MOLE.rES  A  VERSAILLES  ET  A  VIENNE.  —  ACCORD  DÉFI- 
NITIF SIR  LA  DÉCLARATION  COLLECTIVE  ET  SUR  LA  LETTRE 
1»E    CIIOISEUL    A    PUT. 


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Pendant  l'été  de  ITGO  et  malgré  les  [)reniiei'S  succès  de 
Broglie,  le  duc  de  Ciioiseul  ne  renonça  pas  à  l'espoir  de 
renouer  les  nég-ociations  de  La  Haye  dont  la  rupture 
était  due  à  l'intransigeance  de  la  cour  de  Londres  et  à  la 
nature  des  liens  de  cette  dernière  avec  la  Prusse.  Il  eût 
volontiers  consenti  à  adinetti'c  le  roi  de  Pru:sse  aux  pour- 
parlers, niciis  sous  peine  de  détruire  ralliaucc,  il  ne  pou- 
vait risquer  cette  concession  sans  l'autorisation  de  l'Im- 
pératrice-Reinc,  et  cet  acquiescement  était  si  contraire 
aux  vues  bien  connues  de  la  souveraine  (ju'il  n'osait  pas 
le  solliciter.  Restait  la  voie  de  l'Espagne,  mais  la  média- 
tion de  cette  puissance,  sur  laquelle  il  avait  fondé  des 
espérances,  avait  été  écartée  par  la  cour  de  Londres.  Force 
donc  était  de  revenir  aux  démarches  directes  si  on  vou- 


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TRAITE  ENTKE  LES  DEUX  IMPERATRICES. 


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lait  conclure  une  paix  dont  la  nécessité  s'imposait  tous  les 
jours  davantage. 

K''  attendant,  il  était  essentiel  de  ne  pas  cU'aroucher  la 
cour  de  Vienne  qui  avait  suivi  d'un  œil  jaloux  les  conver- 
sations de  La  Haye  et  la  velléité  de  rapprochement  que 
Frédéric  avait  esquissée  par  le  canal  du  bailli  de  Froulay. 
Aussi  le  comte  de  Choiseul  crut-il  prudent  de  ne  pas  don- 
ner suite  à  une  suggestion  de  son  ministre  qui  aurait 
voulu  sonder  l'Impératrice  sur  le  maintien  de  ses  préten- 
tions sur  la  Silésie  :  «  .le  craignais,  écrit-il  (1),  de  réveiller 
les  soupçons  par  une  proposition  inutile  qui  serait 
sûrement  rejctéc  et  qui  ne  servirait  qu'à  confirmer  le  désir 
que  nous  avons  de  la  pal.v.  Vous  savez,  Monsieur,  combieu 
le  mot  est  teri-ihle  à  prononcer  ici,  quoique  je  ne  sois  oc- 
cupé qu'à  y  accoutumer  les  oreilles.  »  La  victoire  de  Lau- 
don  à  Landshut  avait  contribué  à  rendre  plus  belliqueuse 
l'attitude  de  la  cour  de  Vienne  ;  pour  la  ramener  à  des 
vues  plus  conciliantes,  il  fallut  un  incident  diplomatique 
dont  elle  eut  à  supporter  les  conséquences  l'Acheuses. 

Depuis  quel{|uetempsdéjà,  les  deux  impératrices  avaient 
mis  sur  le  tapih  le  renouvellement  du  traité  d'alliance  de 
1746  et  une  convention  rei  tive  aux  dédommagements  que 
la  Russie  d  sirait  se  voir  attribuer  à  la  paix.  Esterhazy, 
représentant  itrichien  à  Pétersbourg,  venait  de  signer 
ces  deux  pièct  au  nom  de  son  gouvernement  et  s'était 
porté  garant  de  assentiment  de  la  France.  Cette  initiative 
était  d'autant  plus  insolite  que  son  collègue  fram^-ais,  le 
marquis  de  Lhopital,  avait  été  laissé  dans  l'ignorance  de 
l'arrangement  (|ui  se  préparait.  Reconnaissons  d'ailleurs 
que  l'anarchie  la  plus  absolue  présidait  aux  relations  de 
la  cour  de  Versailles  avec  la  puissance  du  iVord.  Louis  XV 
était  représenté  par  deux  personnages;  le  premier,  le 
marquis  de  Lhopital,  ambassadeur  en  titre,  agissait   à  sa 

(1)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  16  mai  1760.  Affaires  Etrangères. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


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guise  et  rtsluit  quelquefois  six  semaines  saus  écrire  à  son 
ministre;  le  second,  le  baron  de  Breteuil,  envoyé  pour 
suppléer  à  Tinsuffisance  de  Lhopital,  était  fort  embarrassé 
entre  les  instructions  secrètes  de  Clioiseul  et  celles  qu'il  re- 
cevait directement  (1)  du  Roi.  Un  extrait  d'une  dépêche  du 
duc  de  Choiseul  (2)  permettra  d'apprécier  les  inconvénients 
de  cette  dualité  :  «  Il  est  nécessaire,  écrivait  le  ministre  à 
Breteuil,  (juc  nous  sachions  sur  ces  objets  importants  plus 
que  n'a  dit  jusqu'à  présent  M.  de  Lhopital.  Vous  aurez  la 
bonté  de  vous  entretenir  sérieusement  sur  ces  objets  avec 
les  ministres  de  l'Impératrice  de  Uussie,  de  vouloir  bien  en 
faire  sentir  à  M.  de  Lhopital  la  conséquence,  et  d'engager 
cet  ambassadeur  d'y  conformer  son  langage.  Si  par  hasard, 
il  se  refi'sait  aux  insinuations  que  vous  lui  ferez  à  ce  sujet, 
vous  aurez  la  bonté  de  dire  à  iM.  de  Woronzow  que  vous 
avez  seul  les  instructions  de  votre  cour  à  cet  égard  et  que 
S.  Tii.  vous  a  chargé  directement  de  lui  rendre  compte  de 
cette  ail'aire.  »  La  question  était  en  eflet  très  compliquée. 
La  cour  de  Vienne,  tout  en  comnuiniquant  à  Versailles  les 
deux  conventions  signées  par  Esterhazy,  avait  désavoué 
ce  diplomate  comme  ayant  agi  contrairement  à  ses  injonc- 
tions. Kaunitz  était  allé  jusqu'à  dire  au  comte  de  Choiseul, 
c(  qu'il  ne  pouvait  répondre  d'un  ministre  aussi  inepte  et 
aussi  étourdi  ».  De  cette  explication,  ni  le  duc,  ni  le  comte 
ne  croyaient  un  traître  mot  ;  tous  les  deux,  quoique  d'accord 
sur  la  nécessité  de  clore  l'incident,  étaient  convaincus  que 
Kaunitz  était  le  vrai  coupable.  «  L'ambassadeur  impérial 
(Starhendjcrg),  écrit  le  duc  (3),  rendra  à  M.  de  Kaunitz  ce 
que  je  lui  ai  dit  depuis  sur  cet   objet,  que  nous  pouvons 


(1)  Louis XV  élail  en  correspondance  lircctc et  secrète  dvecla  Tzarine  par 
l'entremise  de  Woroazow.  Breteuil  était  initié  à  la  politique  personnelle  du 
roi.  Liiopital  ne  l'était  pas.  VoirBoutarie,  Correspondance  secrète  de  Loui.s 
XV,  Paris,  1800. 

(2)  Choiseul  a  Breteuil.  21  juillet  1760.  Affuires  Étrangères. 

(3)  Duc  de  Choiseul  au  comte,  11  août  ITOt».  Affaires  Étrangères. 


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OUVERTURES  PACIFIQUES  DE  CIIOISËUL  A  LAUTHICIIE.       VU 

laisser  tomber,  en  assurant  la  cour  de  Vienne  que  nous 
sommes  les  seuls  dans  l'Europe  qui  croient  de  bonne  foi  que 
M.  Esterhazy  n'a  pas  été  autorise  par  sa  cour  dans  toutes  les 
démarches  qu'il  a  faites  depuis  six  mois  à  celle  de'Pétei;;- 
bourg.  »  (le  compromis  n'avait  pas  été  obtenu  sans  peine,  car 
le  quiproquo  de  Pétersbourg  avait  donné  Hju  à  des  séances 
desplus  orageuses  entre  Choiseul  et  Starhemberg.  Le  pre- 
mier s'indignait  des  soupoonsquelquefois  fondés  qu'émettait 
Kaunitz  sur  la  loyauté  des  procédés  français  ;  il  ne  pouvait 
supporter  le  ton  et  la  morgue  du  cabinet  de  Vienne,  aussi 
était- il  enchanté  de  le  trouver  en  défaut.  L'occasion  était 
trop  favorable  pour  la  laisser  échapper;  Choiseul  avait  ac- 
cablé de  reproches  l'envoyé  de  Marie-Thérèse  (1)  ;  il  s'était 
servi  des  mots  de  «  tromperie,  cachotterie,  finesses  et  dé- 
tours »  pour  qualifier  la  conduite  de  l'Autriche  et  avait 
demandé  que  celle-ci  se  justifiât  en  produisant  les  co- 
pies de  la  correspondance  avec  Esterhazy.  Sur  le  refus  do 
l'Autrichien  de  subir  une  humiliation  pareille,  Choiseul 
avait  reconquis  le  sang-froid  qu'il  n'avait  probablement 
jamais  perdu,  et  s'était  contenté  d'un  désaveu  offi- 
cieux. A  en  croire  le  dire  d'Esterhazy  lui-même  à  Lhopi- 
tal(2),  l'auteur  responsable  était  bien  Kaunitz  qui  l'avait 
informé  que  les  changements  et  les  modifications  signés 
par  l'Impératricc-Reine  «  avaient  été  faits  et  conseillés  par 
le  Roi  et  que  S.  M.  y  accéderait  ».  La  clause  à  laquelle  on 
faisait  adhérer  la  France,  sans  avoir  obtenu  son  assenti- 
ment, stipulait  que  ((  les  deux  Impératrices  se  garantissent 
d'une  part  la  Silésie  et  le  comté  de  Glatz  et  de  l'autre  que 
l'Impératrice  de  Russie  aura  à  la  paix,  aux  dépens  du  Roi 
de  Prusse,  les  dédommagements  qu'elle  est  en  di'oit  de  de- 
mander ».  Aucun  avantage  n'était  assuré  à  la  France  pour 
prix  de  son  consentement,  et  aucune  mention  n'était  faite  ni 
de  la  Suède  ni  de  la  Pologne. 

(1)  starhemberg  à  Kaunitz,  17  juillet  t760.  Archives  de  Vienne. 

'2)  Lhojtital  au  comte  de  Choiseul,  1.^  juillet  1760.  Affaires  Étrangères. 


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442 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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L'incident  du  traité  austro-viisse  se  iorniina  par  l'acces- 
sion de  la  France,  sous  certaines  réserves,  et  la  conversa- 
tion sur  la  p;ii.\  reprit  de  plus  belle.  M"'°de  Pompadour  qui, 
d'après' Starhemberg,  reproduisait  exactement  les  vues  de 
Choiseul,  s'était  étendue  (1),  dans  une  causerie  récente, 
sur  les  dil'licultés  qu'éprouvait  le  ministre,  sur  l'opposition 
qu'il  rencontrait  au  sein  du  conseil,  de  la  part  du  marquis 
de  Puysieul.v  et  du  mavécliald'Kstrécs,  tous  deux  adversai- 
res de  l'alliance  autrichienne,  sur  les  embarras  financiers 
du  royaume,  sur  la  nécessité  d'une  prompte  pacification.  Les 
échecs  de  Liegnitz  et  de  Warburg  et  la  demande  de  renforts 
formulée  par  Broglie  donnèrent  une  nouvelle  force  aux 
représentations  de  la  France.  Choiseul  informa  Starhem- 
berg"  (2)  qu'on  était  hors  d'état  de  poursuivre  les  hostilités, 
qu'il  fallait  l'egarder  cette  campagne  comme  la  dernière, 
qu'il  avait  reçu  les  ordres  du  Roi  de  penser  bientôt  à  la  paix 
et  d'en  prévenir  la  cour  de  Vienne.  Le  ministre  avait  ajouté 
qu'il  n'aurait  recours  à  l'intervention  ni  du  Danemark,  ni  de 
l'Espagne  et  qu'il  traiterait  directement  avec  Fitt.  A  l'am- 
bassadeur qui  lui  reprochait  son  découragement,  Choiseul 
avait  répondu  :  «  Que  voulez-vous  que  je  fasse?  Nous 
n'avons  ni  argent,  ni  ressources,  ni  marine,  ni  soldats,  ni 
généi'aux,  ni  tètes,  ni  ministres.  Je  défie  qu'on  puisse  con 
tinuer  la  guerre  de  cette  manière  et  vous  pouvez  compter 
que  je  v«is  employer  tous  les  moyens  possibles  pour  faire 
la  paix  le  plus  tôt  que  je  pourrai.  » 

Un  rapprochement  avec  la  Russie  servirait-il  à  faciliter 
la  solution  visée?  Sur  ce  sujet,  les  deux  Choiseuls  échan- 
gent leurs  idées.  L'ambassadeur  rédige  un  mémoire  (3j 
où  il  expose  le  pour  et  le  contre  de  ce  procédé;  le  mi- 
nistre envoie  au  baron  de  Breteuil  des  instructions  dé- 


(1)  Slarheinberg  à  Kaunilz,  17  juillet  1760.  Archives  devienne. 

(2)  Starheinbergà  Kaunitz,  ''.S  août  noo.  Archives  de  Vienne. 

(3)  Mémoire  sur  lalliance  avec  la  Russie,  28  août  176U.  Affaires  Etran- 
gères. 


CHOISEUL  CHERCHE  A  SE  RAPPROCHER  DE  LA  RUSSIE.      4'" 

taillées  (1)  sur  le  langage  à  tenir  au  chancelier  Woron- 
zovv.  11  se  plaindra  de  voir  les  négociations  avec  la  Rus- 
sie passer  par  le  canal  de  Vienne  au  lieu  de  faire  l'objet 
de  pourparlers  directs;  il  fera  valoir  le  désintéressement 
de  la  France,  son  désir  de  venir  en  aide,  par  des  subsides 
financiers,  à  son  alliée  du  Nord  et  ses  craintes  de  ne  pouvoir 
le  faire  si  la  guerre  se  prolonge.  «  Je  crois,  continue 
Choiseul,  que  de  très  bonne  foi,  la  cour  de  Pétersbourg 
serait  fort  aise  de  faire  la  paix,  en  conservant  la  Prusse, 
avec  l'espérance  de  conclure  directement  avec  la  France 
un  traité  de  subsides  qui  ne  l'empêcherait  pas  dans  l'oc- 
casion de  recevoir  en  secrei  de  l'argent  de  la  cour  de 
Londres  ;  car  malgré  l'ostentation  des  grands  sentiments 
dont  on  se  pare  à  Pétersbourg,  il  me  parait  que  l'argent 
est  le  vrai  mobile  qui  fait  agir  cette  cour.  Or,  comme 
nous  ne  varions  pas  dans  notre  système  de  chercher  à 
faire  notre  paix  particulière  avec  l'Angleterre  et  de  dé- 
sirer que  la  (lour  de  Vienne  se  pr^ite  à  la  paix  d'Alle- 
magne par  les  conseils  de  la  Kussic,  je  crois  quil  n'est 
pas  hors  de  propos  de  faire  envisager  des  avantages  de 
notre  part  à  cette  puissance,  si  elle  parvient  à  cet  ob- 
jet aussi  promptement  qu'il  serait  à  désirer.  Cependant, 
il  est  important  de  le  lui  présenter  avec  délicatesse,  car  en 
même  temps  que  nous  souhaitons  que  ce  soit  l'Impéra- 
trice de  Russie  qui  prenne  la  charge  de  persuader  à  l'Im- 
pératrice Heine  la  nécessité  et  le  désir  de  la  paix,  il  est 
important  que  l'on  soit  convaincu  à  Pétersbourg  que  nous 
sommes  invariables  dans  nos  engagements  avec  la  cour 
de  Vienne  et  que  ce  ne  sera  que  du  consentement  de  l'Im- 
pératrice Reine  ou  entraînés  par  l'Impératrice  de  Russie 
que  nous  nous  déterminerons  sans  hésiter  k  la  paix  d'Al- 
lemagne. En  un  mot,  il  faut  faire  croire  à  M.  de  NVoronzow 
que,  quoique  nous  pensions  pour  le  bien  de  l'Impéra- 


0  )  '1 


(1)  Choiseul  à  Hreteuil,  24  aoiit  176o.  Affaires  Étrangères. 


444 


LA  (.UEIIHE  DE  SEl'T  ANS. 


ciiAP.  vm. 


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trice  de  Russie  qu'il  serait  à  propos  que  cetto  campagne 
fût  la  dernière,  nous  sommes  encore  cependant  plus  at- 
tachés aux  liens  qui  nous  unissent  avec  la  Cour  de 
Vienne  qu'aux  besoins  de  la  paix.  » 

En  attendant  le  résultat  de  ces  ouvertures,  trop  vagues 
pour  qu'on  pût  on  retirer  un  eflct  immédiat,  le  comte 
de  Choiseul  reçut  ordre  d'insister  cnergiquement  à  Vienne 
sur  la  nécessité  d'envisager  la  cessation  des  hostilités. 
Le  moment  n'était  guère  propice;  malgré  la  défaite 
de  Liegnitz,  l'Impératrice  et  son  chancelier  n'avaient 
pas  renoncé  à  l'espoir  d'une  fin  de  campagne  heureuse. 
Marie-Thérèse  marquait  sa  foi  en  Daun  et  parlait  de  sa 
confiance  dans  «  la  main  de  Dieu  ».  Sur  quoi,  le  comte 
de  Choiseul  d'observer  à  son  cousin  :  ((  A  cette  réflexion 
chrétienne,  on  serait  tenté  de  répondre  par  un  mot  du 
roi  Ce  Prusse  à  M.  de  Sechclles  qu'avec  de  pareils  senti- 
ments, on  gagne  le  royaume  des  cieux,  mais  non  ceux 
delà  terre.  »  Cependant  le  diplomate  français  ne  déses- 
père pas  de  ramener  l'Impératrice  et  son  conseiller  à  des 
vues  plus  pacifiques.  Dans  une  dépêche  du  6  septembre, 
il  relate  (1)  sa  dernière  conversation  avec  Kaunitz;  ja- 
mais il  n'a  vu  le  chancelier  aussi  affecte.  On  cause  des  opé- 
rations de  la  campagne,  de  la  maladie  de  Soltikofl",  de  la 
timidité  de  Daun  (|ui  ne  voulait  pas  livrer  bataille  malgré 
les  ordres  reçus  :  «  M.  le  comte  de  Kaunitz  m'a  répliqué 
qu'il  était  fâcheux  d'être  toujours  réduit  à  attendre  des 
miracles,  et  que  s'il  était  Dieu,  il  s'ennuierait  d'en  faire. 
Ce  propos  là  semble  prouver  qu'il  commence  à  déses- 
pérer du  succès  de  ses  desseins.  Il  me  parait  plus  abattu 
et  découragé  que  l'année  passée  avant  l'affaire  de  Maxen, 
quand  il  craignait  que  le  Maréchal  n'abandonnât  la  Saxe. 
Les"  illusions  me  semblent  dissipées.  Il  est  vrai  qu'un 
moment  de  fortune  les  ferait  bientôt  renaître;  mais  si  la 


(\)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  6  septembre  1760.  Affaires  Étransères. 


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MKMOIRE  DE  CHOISEUL  EN  FAVEUR  DE  LA  PAIX. 


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campagne  linit  aussi  [ilatcmcut  que  nous  avons  lieu  de  le 
coDJeclui'cr  et  qu'il  n'airive  point  d'événement  qui  relève 
les  espérances  de  la  Cour  de  Vienne,  je  persiste  à  croire 
qu'elle  sera  plus  docile  et  ([u'en  lui  parlant  sur  un  ton 
amical  et  ali'ectueu.v,  mais  en  mémo  temps  forme  ot 
décidé,  nous  pourrions  tirer  parti  de  sa  honte  et  do  son 
abattement  pour  lui  faire  sentir  l'inutilité  de  la  guerre 
et  la  nécessité  de  la  paix.  » 

Le  mois  do  septembre  se  passa  sans  événement  mili- 
taire de  quelque  importance  ;  Uaun  restait  sourd  aux  in- 
vitations pressantes  que  l'Impératrice  lui  adressait  de  sa 
propre  main  et  se  refusait  à  toute  action  décisive  ;  les 
communications  avec  les  Russes  étaient  coupées,  la  corres- 
pondance entre  les  généraux  alliés  ne  s'effectuait  que  par 
voies  détournées  et  ne  permettait  pas  de  faire  aboutir  des 
projets  devenus  irréalisables  avant  l'accord  des  parties. 

Enfin,  las  de  cette  situation  sans  issue,  et  conformé- 
mont  aux  intentions  annoncées  à  Starbemberg ,  Choiseul 
mit  la  cour  impériale  en  demeure  de  s'expliquer  par  un 
mémoire  daté  du  9  septembre  (1)  et  remis  à  Kaunitz  le 
17  du  môme  mois.  Le  ministre  de  Louis  XV,  après  une  re- 
vue du  passé  et  la  constatation  du  peu  de  résultats  ob- 
tenus, priait  l'Impératrice  de  lui  faire  part  de  ses  vues 
pour  l'avenir.  Il  esquissait  à  grands  traits  les  embarras 
de  la  France,  les  charges  énormes  qui  grevaient  son 
budget,  les  150  millions  que  coûtait  par  an  l'armée  de 
Broglie,  les  25  millions  de  subsides  aux  pays  étrangers, 
l'impossibilité  de  trouver  50  millions  pour  entretenir  une 
seconde  armée  en  Westphalie,  la  crainte  de  ne  pouvoir  se 
maintenir  en  liesse,  \vant  tout,  pour  relever  le  crédit 
national,  il  fallait  mettre  fin  à  la  guerre  aussi  malheu- 
reuse qu'onéreuse  engagée  avec  l'Angleterre  :  «  Le  Roi, 
vis-à-vis  de  l'Angleterre,  écrivait  Choiseul,  n'a  d'autre 

(t)  Choiseul  au  comlP,9  septembre  17C0.  Affaires  Etrangères. 


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LA  nUERRR  DR  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  VHF. 


«lésir  quo  pohii  de  ferniiiuir  l.i  giHu-re  hoiuMviMcmenl  ot 
il  serait  parvenu  i"i  ce  but  sans  les  engagements  qui  le 
liaient  ù  la  guerre  d'Allemagne.  Sur  le  continent,  S.  M. 
lie  demande  autre  chose  (jue  rall'ermissement  de  l'alliance 
contractée  avec  l'Impératrice  Heine...  Le  Koi  a  un  ti-oisiènie 
objet  dans  la  guerre,  qui  est  le  même  que  celui  de  llmpé- 
ratrice  Ueine,  et  (pii  est  conforme  aux  traités,  c'est  l'allai- 
biissemeut  du  roi  de  Prusse  et  les  avantages  qui  peuvent 
résulter  de  cet  allaiblissement  en  laveur  de  S.  M.  Impé- 
riale. La  prolongation  de  la  guerre  funeste  pour  le  royaume 
ne  produira  pas  au  Koi  de  dédommagements  propoi'tionnés 
aux  pertes  (ju'il  [xuil  faire  'iv  ([uels  (jue  soituit  les  évé- 
nemcnls,  il  est  certain  que  ii  Hoi  n'acqiu'rra  aucun  béné- 
fice ni  en  Améri([ue,  ni  dans  le  conlinent;  mais  il  est  éga- 
lement certain  qu'il  aggravera  le  poids  de  ses  dettes,  et 
rendi'a  plus  difficiles  par  la  durée  de  la  guerre  les 
moyens  de  soulager  ses  peuples  et  de  faire  revivre  le  com- 
merce. •)  Le  mémoire  aflirmait  à  nouveau  le  désintéresse- 
ment de  la  France,  son  <lésir  et  son  intérêt  de  mettre  fin 
aux  hostilités  et  sa  volonté  d'alfermir  le  système  de  l'al- 
liance. En  conséquence,  le  Koi,  faisant  appcd  h  l'amitié 
de  son  alliée,  «  propose  à  Sa  Majesté  Inipé.riale  de  déclarer 
ù  la  fin  de  la  campagnfî  aux  (îunemis  qu'elle  veut  bien  se 
porter  h  faire  la  paix  avec  le  roi  de  Prusse,  à  condition 
que  l'Angleterre  fera  la  paix  avec  la  France  ». 

Choiseul  ne  se  fait  auciiiic  illusion  sur  l'accueil  réservé 
îV  une  démarche  aussi  opposée  aux  desseins  de  la  cour  de 
Vienne  que  blessante  pour  i'amour-pro|)re  de  la  souverain*'; 
aussi  a-t-il  soii>  de  qualifier  sa  proposition  en  lui  donnant 
une  tournure  hypothéti(|ue  :  «  Le  Koi  sait  bien  que  l'Im- 
pératrice serait  peinée  d'une  pareille  demande  de  sa  part; 
elle  serait  cependant  juste,  car  le  premier  princiije  de 
toute  confédération  devrait  être  de  regarder  et  de  sou- 
lager les  malheurs  de  son  allié  comme  les  siens  propres.  » 
Après  quelques  mots  sur  la  situation  dans  laquelle  se 


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LANGAr.K  DE  MARIE  TIIKHr.SE. 


447 


trouveraient  la  France  of  rAulriclio  cii  17(51  si,  i  nnmn 
cela  paraissait  prohahic,  elles  ne  recevaient  aucun  se- 
cours efficace  de  la  Kussie  et  de  la  Suède,  la  pièce  finissait 
par  une  prière  à  Tlmpératrice  de  «  communiquer  au  Roi 
avec  la  même  confiance,  ses  moyens,  ses  vues  et  ses  dé- 
terminations pour  l'année  17(51   ». 

Ainsi  (pi  il  était  facile  d(î  le  prévoir,  le  mémoire  de  Choi 
seul  fut  très  mal  accu(ulli  par  Marie-Thérèse  etKaunilz.  Ce 
dernier,  «lans  s.i  première  entrevue  avec  l'ambassadeur 
français  (1),  se  renferma  dans  un  silence  [nesque  absolu  ; 
dans  une  sectmde  séance  (2),  il  ne  dissimula  pas  la  mau- 
vaise impression  de  sa  souveraine  :  «  Il  semble  cpie  le 
Hoi  impute  à  l'Impératrice  les  malbeurs  de  cette  f^ucrre, 
qu'il  les  lui  reprocbe,  qu'il  veuille  lui  faire  >entir  que  son 
alliance  lui  est  A  charge,  enlin  cpiil  est  en  repentir  de 
s'être  uni  avec  elle.  »  Puis  on  paila  de  la  Hussie;  le  Français 
ayant  réclamé  pour  son  mémoire  le  .secret  à  l'égard  de  ce 
gouvernement,  Kaunitz  refuse  de  s'engager  et  réplique  : 
«  Êtes- vous  si^r  qu'il  n'ait  pas  été  remis  à  la  cour  de  Rus- 
sie? »  Avec  sa  finesse  habituelle,  le  comte  de  Choiseul  ne 
se  laisse  pas  démonter  par  le  ton  du  chanceliei';  il  est 
persuadé  que  la  cour  de  Vienne  cherche  surtout  à  gagner 
du  temps  :  «  Elle  se  plaint  des  expressions  et  de  la  forme, 

mais  c'est  le  fond  (jui  la  blesse; elle  s'attache  îY  l'é- 

corce  parce  qu'elle  ne  peut  pas  contester  sur  l'essentiel.  » 

Après  avoir  tàté  le  ministre,  notre  andiassadeur 
alla  chez  l'Impératrice;  la  conversation  qu'il  eut  avec 
elle  (3),  nous  montre  la  souveraine  mécontente,  sarcas- 
tique,  et,  contre  son  babitude,  peu  aimable  :  K!le  énu- 
mère  et  souligne  toutes  les  difficultés  que  rencontrerait 
la  négociation  pour  la  paix  :  mauvaise  volonté  de  l'An- 
gleterre qui  n'en  voulait  pas,  satisfactions  à  obtenir  pour 

(1)  Conitede  Ciioiseul  auduc,  18  septembre  1700.  Afl-iires  Klran^i-res. 
(>)  Comte  de  Clioiseiil  auduc,  :>;i  seplembic  17(10.  Affaires  ftlraugères. . 
(3)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  30  septembre  1 7(50.  Affaires  Étrangères. 


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LA  Cl'ERRK  Di:  SKPT  ANS.  —  fFIAP    VIIF. 


la  SuJ^de  et  pour  lo  roi  de  Polofin»',  exigences  de  la  Itiissie 
([u'eile  avait  <«  des  raisons  essendelles  le  ménager  plus 
dans  ce  moment-ci  que  jamais  »,  danger,  dans  un  avenir 
procliain,  d'une  agiession  duïurccpu' soulicndrait  le  loi  de 
IM'iissc.  Au  cotnle  ([ui  objectait  cpie  ce  piince  serait  hop 
all'aihli  pour  re[»rendre  les  aimes,  la  princesse  réplupia 
cprdle  ne  partageait  pas  cet  avis,  «  «pi'elle  ne  pouvait 
Jamais  ôtre  en  re|)os  avec  un  pareil  voisin,  i\  moins,  a-t-elle 
dit,  de  me  lier  avec  lui  ».  [^'envoyé  se  garda  bien  de  relever 
cette  houtade.  «  Klle  me  l'avait  apparenimenl  dit  j\  dessein, 
car  quelque  temps  après,  elle  a  trouvé  moyen  de  revenir  sur 
le  môme  sujet,  et  (h;  me  répéter  le  même  propos.  Alors  j'ai 
répondu  :  Cela  est  impossible,  et  je  ne  crains  pas  de  voir 
jamais  cette  union,  .le  pense  en  efl'et  (juc  le  l'eu  et  l'eau  sont 
moins  incompatibles  quû  ces  deux  cours,  et  que  leur  ca- 
ractère est  encore  plus  opposé  (|ue  leurs  intérêts.  Ce  n'est 
qu'une  menace  et  l'Impéiatrice  croit  par  là  nous  faire 
peur.  Elle  m'a  répliqué  :  .le  n'y  ai  assurément  pas  de 
penchant,  mais  si  j'y  étais  forcée,  il  le  faudrait  bien.  »  L'am- 
bassadeur fit  rouler  l'entretien  sur  l'union  avec  la  France 
«  qu'idle  devait  regarder  comme  perpétuelle  et  fonda- 
nieutile  ».  Klle  m'a  répondu  :  «  .le  n'en  sais  rien;  je  vois 
qu'on  est  léger  en  France  et  qu'on  se  dégoûte  aisément.  » 
De  l'alliance,  on  passa  aux  chiffres  du  mémoire  que  l'Impé- 
ratri.e  trouvait  exagérés  :  «  .le  ne  comprends  pas([ue  votre 
armée  vous  conte  150  millions,  indépendamment  de  tout 
ce  que  vous  prenez  à  crédit  dans  l'Kmpire;  il  faut  que  le 
Roi  soit  bien  volé.  » 

Un  peu  piqué  par  les  critiques  de  Marie-Thérèse,  le 
comte  de  Choiseul  affirma  «  qu'il  était  si  vrai  que  l'état 
de  nos  finances  était  la  seule  raison  qui  nous  faisait 
penser  à  la  paix,  que  si  l'impératrice  pouvait  procurer 
au  Roi  les  moyens  de  trouver  non  pas  gratuitement,  mais 
seulement  par  forme  d'emprunt  une  ressource  de  200  mil- 
lions, j'étais  prêt  A  signer  comme  M.  d'Esterhazy,  c'est-à- 


ATKKMUIKMENTS  DK  K\UNITZ. 


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dire  sans  pleins  pouvoirs  ot  sans  instructions  <Ic  ma  coui-, 
une  convention  par  hupiolle  l'engagerais  le  lloi  à  l'aire  la 
cam|)agne  |)i'^tehaine,  et  que  je  no  craignais  pas  d'être  ni 
réprimandé,  ni  désavoué;  (juc  je  répondais  de  môme  que 
si  l'Impérutrice  jiouvait    iioyenner  notre  pai\  part  ici  ilitM'e 
avec  r\ngletorrc  i\  des  conditions  lionnétcs,  je  ré-pondais 
encore  <(ue  le  Uoi  laisserait  aller  la  guerre  d'Allemagne 
aussi  loin  (pie  l'Impéiatrice  voudrait,  .le  ne  [>ouvais  ri<in 
dire  de  plus  fort  ni  de  plus  i-assurant  ».  De  sa  longue  au- 
<li<Mice,  l(!    Français  se  déclare   peu   satisfait  :  Auv  pro- 
testations sur  les  sentiments  du   Koi,  sur  sa  volonté  de 
maintenir  l'accord,  l'Impératrice  n'a  pas  prêté  l'attention 
alfectueuse  ((u'il  était  en  droit  d'attendre:  il  a  cru  s'aper- 
cevoir que  «  l'andiition  avait  plus  d'empire  sui'  son  àme 
que  le  sentiment  ». 

Marie  Thérèse  avait  t«*rminé  l'entretien  en  promettant 
une  réponse  au  mémoire  de  Clioiseul,  mais  elle  s'était 
plainte  de  l'indiscrétion  avec  laquelle  on  parlait  de  la  paix 
en  France  et  à  l'armée  et  av.iit  appuyé  sur  la  nécessité  de 
faire  «  à  tout  événement  toutes  les  démonstrations  et  les 
préparatifs  de  la  campagne  prochaine  ».  Dans  sa  dépêche 
k  son  cousin,  le  comte  reconnaît  le  bien-fondé  de  ces  de- 
mandes :  Kn  échange  des  assurances  qu'on  lui  donnerait 
il  cet  égard,  il  voudrait  exiger  de  l'Autriche  <■  un  engage- 
ment formel...  et  une  parole  positive  de  consentir  à  en- 
tamer une  négociation  pour  la  paix.  Elle  ne  s'y  refusera 
pas,  dans  l'espérance  de  faire  échouer  cette  négociation, 
mais  étant  une  fois  autorisés  par  l'aveu  de  nos  alliés  à 
traiter  Iji  paix  générale,  il  nous  sera  facile  de  la  conclure, 
et  de  les  forcer  à  accepter  les  conditions  qui  nous  auront 
paru  raisonnables  et  qui  nous  conviendront  ». 

Aux  impressions  de  l'ambassadeur  il  est  intéressant 
de  comparer  celles  de  Kaunitz  telles  qu'elles  ressor- 
tent  de  sa   correspondance     l)    de    lin   septembre  avec 

(I    KauniU  à  Starhemborg,  20,  2'i  el  29  so|)l()inl)io.  Archives  de  Vienne. 
<;ii;uiu;  w.  sept  A?is.  —  t.  iv.  21) 


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LA  (.Ui:UKK  DK  SIIPT  ANS. 


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Starlicnibery.  Tout  d  abord,  il  manifeste  !<•  raéconten- 
tcmciit  que  lui  a  causé  le  mémoire  de  Choiseal  :  sans 
doute  la  situation  est  critique;  la  France  commence  à 
être  épuisée,  la  Hussie  a  besoin  d'argent,  lAutriche  plie 
sous  le  fardeau  de  la  guerre  et  éprouve  des  difficultés 
à  faire  rentrer  les  contributions  actuelles  et  ne  sait  où  fn 
trouver  de  nouvelles;  la  Suède,  le  roi  de  Pologne,  les  états 
de  TEmpire  sont  des  quantités  négligeables;  il  n"y  a  rien 
à  espérer  de  lEspagne.  Peut-être  faudra-t-il  diminuer  les 
eflorts,  mais  ce  serait  une  faute  d'interrompre  les  hosti- 
lités et  d'improviser  une  paix  qui  ne  serait  ni  profitable, 
ni  durable. 

A  cet  exposé  de  principes,  succède,  dans  une  seconde 
lettre,  une  série  de  <{ucsiions  qi:'il  importe  d'élucider  avant 
de  répondre  à  la  pièce  française  :  La  cour  de  Versailles 
aurait-elle  fait  des  ouvertures  pacifiques  à  celle  de  Péters- 
bourg?  lui  aurait-elle  communiqué  le  mémoire  adressé 
à  Vienne?  Très  jaloux  de  toute  immixtion  dans  les  rap- 
ports de  rimpératri.e  avec  la  Russie,  le  chancelier  tient  à 
être  renseigné  sur  la  nature  des  relations  de  la  Cour  de  Ver- 
sailles avec  cette  puissance,  au  sujet  desquelles  le  langage' 
embarrassé  du  comte  de  Choiseul  n"a  pas  laissé  d'éveiller  ses 
soupçons.  Enfin,  dans  uiu'  troisièuie  dépêche,  Kaunitz 
prie  son  envoyé  d'attirer  1  attention  du  duc  de  (choiseul 
sur  les  points  suivants  :  Y  a-t-il  avantage  à  mettre  les 
autres  membres  de  l'alliance  au  courant  des  difficultés 
de  la  France?  Le  respect  des  traités  n'exige-t-il  pas  l'a- 
journement de  toute  déclaration  pacifique  jusqu'à  entente 
avec  toutes  les  puissances  alliées?  Il  se  préoccupe  en- 
suite des  moyens  d'amorcer  la  négociation,  de  la  con- 
duite à  tenir  dans  le  cas  où  l'ennemi  refuserait  de  traitei 
à  des  conditions  lionorables,  du  parti  que  celui-ci  pourra 
tirer  des  dissentiments  des  alliés  et  ucs  précautions  ii 
prendre  contre  un  pareil  danger.  Il  insiste  enfin  sur 
la  nécessité  des  préparatifs  pour  la  prochaine  campagne. 


MAIUACK  DISAHEI.LK  Dli  l'AKMK. 


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Une  dépêtlie  (1)  du  duc  do  Clioiseul  au  comte,  quo 
ce  dernier  lut  au  chancelier  le  8  octobre,  vint  à  la  lois 
calmer  ({uelques-unes  des  inquiétudes  de  la  cour  do  Vienne 
et  en  soulever  d'autres  ou  (out  au  moins  renforcei'  les 
doutes  qu'elle  ne  cessait  d'entretenir  sur  la  fidélité  de  la 
France.  C'est  avec  plaisir  que  Kaunitz  enregistra  laiTir- 
mation,  (|Uo  Clioiseul  n'avait  «  de  près  ni  de  loin  com- 
muniqué à  Pétershourg  la  lettre  qu'il  lui  écrit...  qu'il 
ne  pouvait  être  question  de  paix  en  linssie  que  par  l'étour 
derie  de  M.  de  Lhopital,  mais  certainement  pas  par  ordre 
du  lloi,  qu'au  reste  M.  de  Kaunitz  était  le  maître  de  com- 
muniquer le  mémoire  à  l'étersbourg  ».  Les  protestations 
de  loyauté  et  d'attachement  î\  l'alliance,  dont  Clioiseul  se 
montrait  prodigue,  produisirent  probablement  peu  d'im- 
piession  sur  l'esprit  sceptique  du  ministre  de  l'Impératrice, 
mais  il  n'en  fut  pas  de  môme  de  la  réplique  à  la  <[uestion 
sur  les  moyens  de  faire  la  paix  :  <(  Les  nôtres  sont  siniplc?^^ 
avait  écrit  le  duc,  ils  cimsistont  à  faire  rentrer  no«"<  armée 
en  France  et  à  ne  plus  nous  mêler  de  la  guerre  i  conti- 
nent au  moment  oii  nous  signerons  notre  paix  avec  l'An- 
gleterre. »  Cette  solution,  très  simpliste  en  effet,  avait  le 
tort  d'être  en  contradiction  avec  le  famouv  article  \:i 
du  traité  du  .'Il  décemlire  1758. 

La  réponse  officielle  au  mémoire  de  Clioiseul  se  lit  at- 
tendre pendant  plus  d'un  mois  et  ne  fut  remise  que  le 
22  octobre.  Pour  ce  retard  évidemment  volontaire,  on  in- 
voqua comme  excuse  les  fêtes  du  mariage  de  laichiduc 
.loseph  avec  l'infante  Isabelle  de  Parme,  jielite-lîîle  de 
Louis  XV.  Malgré  la  misère  du  pays,  la  cénuonie 
fut  célébrée  avec  beaucoup  d'éclat  :  «  La  richesse  des 
é([uipag'es,  écrit  le  comte  de  Clioiseul  2),  des  livrées, 
des  habits,  de  tout  ce  (|ui  éblouissait  hier  pendant  tout  le 
cours  de  la  journée  ne  se  ressent  point  du  tout  des  nial- 

(1)  Duc  de  Clioiseul  au  comte.  5  octobre  170".  Arcliivcs  di'  Vienne. 
['}.)  Comte  de  Ciioiseulau  duc.  s  oclobie  ITiio.  All'aireN  KIrangères. 


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heurs  du  tinnps  et  n'annonce  rien  moins  qu'un  état  et  des 
sujets  épuisi's  par  les  dépenses  de  la  guerre.  »  Conformé- 
ment à  ]'éti((uette  rii^oureuse  de  la  cour  d'Autiùche,  au 
bal  masqué  donné  à  l'occasion  du  marifigo,  les  invités 
turent  répartis  en  deu.v  séries  :  les  uns,  de  Ja  première  no- 
l>lessc,  en  dominos  blancs,  les  autres,  de  la  deuxième,  eu 
dominos  roses.  A  son  grand  déplaisir,  le  comte  fut  re- 
légué d  ;ns  ce  lit.  dernière  catégorie  et  s'en  plaignit  amère- 
ment; le  grand  maître  des  cérémonies,  irréductible  sur  le 
fond,  se  tira  d'alfaire  en  n'adressant  aucune  invitation  au 
corps  diplomatique. 

Ces  réjouissances  n'empêchèrent  pas  le  chancelier  et 
son  interloi'utci  r  fran<;ais  d'échanj^er  leurs  vues  et  môme 
de  se  poser  l'un  à  l'autre  des  questions  embarrassantes. 
Un  récit  très  vivant  do  1  ambassadeur  li  nous  fait  passer 
sous  les  yeux  un  des  épisodes  du  duel  diplomatique.  Il 
s'agit  de  la  lettre  de  Choiseiil  que  le  comte  venait  de  lire 
à  Kaunitz  :  «  .l'ai  ajouté,  parlons  vrai,  Monsieur  le  Comte, 
la  paix  sera  faite  le  jour  qu  il  plaira  à  l'hnpératrice  de 
renoncer  à  ses  projets  de  conquêtes.  Nous  savons  le  mot 
de  la  guerre,  c'est  la  Silésie.  et  eo  mot-là  n'est  pas  un  se- 
cret, il  est  su  de  toute  la  terre,  et  les  quatre  parties  du 
monde  seront  eu  paix  <|uand  l'Impératrice  voudra  bien 
s'en  désister.  J'ai  vu  c[ue  ce  discours  ne  plaisait  pas  à  M.  de 
Kaunitz,  il  n'y  a  rien  répoiulu  et  après  un  moment  de 
silence  il  ma  dit  d  un  air  grave  et  ministériel  :  J'entends 
tout  ce  que  vous  me  faites  l'honneur  de  me  dire.  J'ai  noté 
les  quatre  articles  de  la  lettre  de  M.  le  duc  de  Choiseul  et 
je  suis  en  état  de  faire  un  rapport  exact  i\  l'Impératrice.  Il 
me  reste  seulenumi  une  question  à  vous  faire.  Je  ne  sais 
pas  si  vous  êtes  en  état  d'y  satisfaire,  la  voici  :  «  C'est  do 
savoir  dans  le  cas  où  les  alliés  du  Koi  ne  pourraient  ou  ne 
vou<lraient  pas  faire  la  paix,  si  S.  M.  les  abandonnerait  et 

'1)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  12  octobre  17t;0.  Affaiics  KtrangiTes. 


QUESTION  DE  KAUNITZ  Sr  H  LES  INTENTIONS  pE  LA  FRANCE,    /...a 

l'ctiroiait  ses  lioiipfiN  df  1  Allemagne Vous  sentez  do 

quello   iinnortîime  il  est  do  savoir  les  véritables  inten- 
tions du  Aoi  et  4'avujf  sif.  lépnnsa  à  ^i'iib   question.   Je 
ne  sais  si  vous  R|'avez  Ittuti  c0^/m//$  ui  sj  j»-  me  suis  ex- 
pliqué assez  pcUnincïii',  je  vais  wjjs  la  ^''^rieltre  sous  les 
yeux.  »  En  «ffe^,  ||  ifj'fi.  pépéléia  quesUoft  clans  les  mêmes 
termes.  J'ai  lôpondii,  {i/)//s(//<  |//di(  fnt^UllIii  de  réflexion  : 
«  Monsieur,  je    vous  ijjji'tuh   f/'/s  lill'tf:   Innk  je  vous 
avoue  (jue  je  ne  suis  Ijuf/é/nent  autorisé  à  vous  répondre. 
Mes  jpNtri?p||/'OS  W  vont  pas  jusque-là.  Ce  cas  n'est  pas 
pt'évti  et  il  he  devait  pas  l'être.   Le  Roi  f"oit  (|ue  ses 
alliés  sont  animés  des  mêmes  sentiments  ({uc  lui,  qu'ils 
ne  sont  pas  unifjuement  occupés  de  leurs  intérêts,  que 
les  siens  ne  leur  sont   pas  indilléronts.  »  Le  comte    do 
Choiseul,   ayant  ainsi   paré  de  son  mieux  le   coup    droit 
de  Kaunitz,  so  réfugia  dans  des  considérations  personnelles 
sur  la  distinction  entre  la  «  possibilité  et  la  volonté    »  ; 
autre  chose  était  «  abandonner  ses  alliés  dans  l'adversité, 
ou  refuser  de  suivre  aveuglément  leurs  projets  d'agran- 
dissement aux  dépens  de  ses  intérêts  les  plus  cbers.  L'un 
est  un  procédé  adroit,  l'autre  <'st  un  acte  de  sagesse  ou 
de   nécessité  ».  A  la    suite  de  ce  dialogue,  le  Français 
observe  un  peu  naïvement,  co  nous  semble  :  «  .b;  ne  me 
suis  pas  trompé  en  remarquant  que  l'amitié  est  un  mot  à 
Vienne  et  non  un  sentiment  et  ([ue  ce  nu)t  n'est  que  le 
voilé  do  l'intérêt.  » 

L'ami  qui  demande  ù  être  relevé  d'engagements  qu'il 
a  librement  consentis  est  en  fort  mauvaise  posture  pour 
faire  appel  à  la  sympathie  do  celui  auquel  il  va  porter  un 
[)réjudice.  Choiseul  ava:t  parfaitement  conscience  de  la 
fausse  situation  de  sa  cour  et,  s'il  l'avait  oubliée,  l'Impé- 
ratrice .se  chargerait  de  la  lui  rappeler.  Dans  sa  réponse 
ofliciello     1),  cette  princesse,  tout  en  exprimant  Iî!   part 

(M  Mémoire  de  la  roiir  do  Vienne,  '>'.  octobre  ITfio.  AfI'aires  Étrangèies. 


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454 


LA  r.UEHHF,  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VIII. 


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(qu'elle  prend  aii.\  nialhcuis  do  la  Franco,  n'accepte  pas  lo 
ceprochc  d'en  avoir  été  la  cause,  attendu  «■  que  le  Roi  était 
en  guerre  avec  TAiigleterre  avant  qu'elle  ne  fût  son  al- 
liée ;  que  le  traité  de  Whitehall  a  précédé  celui  de  Versail- 
les; que,  quoiqu'elle  ait  été  attaquée  par  le  roi  de  Prusse 
dès  le  mois  d'août  17.j(i,  elle  n'a  point  [)ressé  indiscrète- 
ment le  Koi  de  la  secourir  ;  qu'elle  n'a  pointexigé  la  guerre 
d'Hanovre  ni  que  le  Uoi  lafit  en  Allemagne  dès  la  première 
canqmgne  de  la  façon  dont  il  a  lui-même  jugé  à  propos 
de  la  faire  ».  Au  surplus,  l'Impératrice  se  prêterait  volon- 
tiers au  désir  manifesté  par  la  France  do  terminer  la 
guerre;  elle  demeurait  partisane  do  la  paix  comme  elle 
l'avait  été  en  1757  ot  1758,  mais  d'un'>  -taix  «  équi- 
table, solide  et  digne  de  l'alliance  >  \  .at  de  faire  la 
déclaration  ([ue  lui  suggérait  le  Hoi,  il  était  indispen- 
sable de  s'assurer  le  «  concours  ou  au  moins  le  consen- 
tement des  alliés  des  deux  couronnes  ».  Le  premier  pas 
à  faire  dans  ce  but  serait  de  leur  communiquer  les 
propositions  françaises  :  «  l'Impératrice  ne  peut  donc 
qu'attendre  que  le  Roi  veuille  bien  lui  faire  savoir  s'il  ]>or- 
siste  à,])enser  qu'il  est  temps  do  faire  cette  communica- 
tion, et  quelles  bornes  ou  quelle  étendue  il  croit  qu'il  peut 
convenir  de  lui  dcmner,  après  quoi  et  aussitôt  qu'Elle  aura 
reçu  sa  réponse,  il  peut  compter  qu'Elle  fera  à  cet  égard 
tout  ce  qu'il  faudra.  Mais  comme  on  ne  saurait  trop  poser 
un  parti  aussi  décisif  que  l'est  celui  dont  il  s'agit,  l'Impé- 
ratrice croirait  manquer  à  ce  qu'Ello  doit  au  Roi  et  à  ce 
([u'Elle  se  doit  à  elle-même,  si  Elle  ne  le  priait  pas  en  même 
temps  instamment  de  vouloir  bien  faire  encore  les  plus 
sérieuses  rétlexions  sur  ce  sujet  ». 

Suit  une  énuméi-ation  des  objections  qu'on  pîut  oppo- 
ser au  j)rojet  de  Clioissul  :  Atleinto  portée  au  prestige  do 
l'alliance,  accroissement  de  ceîui  de  lAngleterr'^  o*  k  'a 
Prusse;  erreur  d'abandonné^.-  la  partie  à  w\  r^onu'ui  .ii 
le  roi  Fi'édéric  est  all'aibli   par  la  perte    ue   1.    i'nijb»' 


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RÉPONSE  AITIUCHIENNK  BIEN  ACCL'EILLIK.  4:,r, 

ducale,  des  élals  de  (élèves,  <le  Marck  et  de  (iueldros  «  con- 
quis au  nom  de  llmpératrice  »,  du  «oiuté  de  (ilalz  et 
par  le  recouvrement  de  presque  toute  la  Saxe.  La  pièce 
se  terminait  par  les  assertions  habituelles  sur  la  fidélité 
à  l'union  des  deux  couronnes,  le  désir  dune  paix  <'  géné- 
rale, solide  et  durable  »  sur  les  avantages  à  retirer  d'une 
dernière  campagne.  <■  Quelle  que  soit  leur  opinion  (celle 
des  alliés)  cependant,  Elle  ne  s'en  séparera  point.  L'Im- 
pératrice en  assure  le  Roi  et  Elle  se  flatte  (£ue  son  ér[uité 
et  son  amitié  pour  Elle  lui  feront  trouver  que  ce  qu'Elle 
lui  répond  par  ce  mémoire  est  tout  ce  que  les  circons- 
tances peuvent  lui  permettre  de  dire  (|uant  A  présent,  » 
C'est  à  bon  droit  que  le  comte  de  Choiseul,  après  avoir 
reçu  le  document  des  mains  de  Kaunitz,  pouvait  écrire  (1) 
à  son  cousin  :  ^  Le  princi[)e  favori  de  la  cour  de  Vienne  est 
que  le  bonh(>ur  du  monde  et  l'équilibre  de  l'Europe  dé- 
pendent de  la  destruction  du  roi  de  Prusse.  »  A  Versailles, 
l'impression  ministérielle  fut  bien  meilleure  qu'on  au- 
rait pu  le  supposer;  à  en  croire  le  récit  de  Starlieni- 
berg  (2),  Choiseul  qui  avait  parcouru  devant  lui  les 
pièces  autrichiennes,  n'avait  fait  d'observation  qu'au  pas- 
sage concernant  les  territoires  [trussiens  du  Rhin  :  >  Il 
n'y  a  que  la  France  —  s"était-il  écrié  —  qui  n'aurait  au- 
cune part  dans  les  conquêtes.  »  L  ambassadeur  se  borna  à 
lui  rappeler  letextedes  traités  des. 10 et  31  décembre  1758. 
Sauf  sur  ce  point,  Choiseul  se  déclara  content  de  la  ré- 
ponse ;  il  s'(';tait  attendu  à  ce  (ju'elle  serait  «  aigre  et  va- 
gue »,  au  contraire,  il  devait  reconnaître  «  quelle  était 
aussi  mesurée,  pi'évoyante,  raisonuée,  favorable,  amicale 
et  conciliante  qu'on  eut  pu  l'espérer;  son  cousin  lui 
avait  fait  prévoir  un  document  d'un  style  tout  différent  ». 
Ce  verdict  satisfaisant,  confirmé  par  quel(|ues  lignes  du 
ministre  français  à  son  envoyé  de  Vienne,  fit  d'autant  plus 

(()  Coinle  (le  (Jioiseul  au  duc.  2i  octobre  ITCO.  Allaiies  Étrariijcrcs. 
(2i  Starhemberg  à  Kaunitz.  s  novembre  Cfio.  Arclùvcs  de  Vienne. 


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450 


l.A  (.Lir.RlΠ DE  Si:i>T  ANS. 


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(le  plaisir  ([ii<'.  dans  la  conférence  du  22  octobre  (1), 
à  laquelle  le  mémoire  avait  été  lu  et  a[)prouvé,  Kannitz 
avait  escompté  un  mauvais  accueil  à  Versailles  et  obtenu 
pour  l'ambassadeur  impérial  l'autorisation  de  déclarer, 
si  cela  était  nécessaire  pour  tranipiiiliser  la  France,  que  sa 
cour  se  prêterait  sans  difficulté  u  à  un  congrès,  mais  oii 
tous  les  pays  seraient  traités  également  »,  Starhemberg 
n'eut  j)as  besoin  de  se  servir  du  post-scriptuni;  il  rap- 
porta même  k  Vienne  son  espoir  de  voir  la  France  par- 
ticiper i\  la  campagne  de  17()1, 

Il  y  avait  er  en  et"  L  dans  l'esprit  par  trop  versatile  de 
Cboiseul,  un  revirement  subit.  Uuelques  jours  avant  la 
remise  du  mémoire  autricliien,  l'envoyé  de  Marie-Thérèse 
avait  été  fort  mal  reçu  (2)  ;  le  ministre  fram.ais  s'était 
plaintde  l'Iinmiliation  infligée  à  son  cousin  à  l'occasion  du 
bal  donné  aux  jeunes  archiducs;  il  lui  avait  fait  une  véri- 
table scène  au  sujet  de  l'interrogation  de  Kaunitz  sur  la 
conduite  que  tiendrait  la  France  dans  le  cas  oîi  l'entente 
pour  amorcer  des  négociations  pacifiques  ne  s'étal)]irait 
pas;  le  soupc^um  qu'impliquait  cette  demande  était  un»' 
insulte  qu'il  était  obligé  de  relever.  Slarhemberg  eut 
i)eau  lui  faire  observer  cjue  la  question  avait  été  suggérée 
par  le  passage  de  la  lettre  du  duc  que  nous  avons  cité 
plus  haut,  et  dont  la  communication  au  chancelier  avait 
été  faite  d'après  ses  propres  ordres.  C.hoiseul  répliqua 
qu'il  ne  so  rappelait  pas  les  termes  employés,  mais  que, 
bien  certainement,  rien  dans  sa  lettre  ne  justitiait  ni  le 
fond,   ni  la  forme,  du  proj)os  de  Kaunitz. 

Fendant  que  l'on  cherchait  à  se  mettre  d'accord  sur  le 
terrain  diplomatique,  les  nouvelles  militaires  devenaient 
de  plii»^  en  plus  inquiétantes.  Depuis  le  succès  de  Closter- 
Camp  on  était  rassuré  sur  le  Ras-Hhin,  mais  la  disette  tle 

(1)  Pièces  delà  coiil'ércnci^  du  "  octobre  de   la  main  de  l'Empereur.  Ai- 
(  hivesde  Vienne. 
{>  Slarbcinbera  à  kaunitz.  ''.C  oilobre  1700.  Archives  de  Vienne. 


M 


CHANGEMENT  I)K  TON  DE  L  IMPÉIIATUK'K  /,r,7 

vivres  cl  la  difficulté  des  transports  ne  forceraient-olles 
pas  Broglic  à  évacuer  la  liesse?  La  défaite  de  Torgau 
n'cntrainerait-elle  pas  la  perte  de  la  Saxe  et  même 
de  Dresde?  Choiseul  prévient  Starliemberg  qu'il  vu  ex- 
pédier à  Vienne,  à  Pétcrsbourg-,  à  Stockholm  un  cour- 
rier porteur  d'un  mémoire  préconisant  l'action  commune 
des  alliés  en  faveur  de  la  paix.  L'Autrichien  obtient 
avec  peine  l'ajournement  de  cette  communication  1: 
«  De  cette  façon  on  gagnera  du  temps,  ajoute-t-il,  et  prc- 
bablement  les  hostilités  reprendront  avant  qu'on  ne  soit 
d'accord.  » 

Que  Marie-Thérèse  et  son  consei''''r  se  fussent  résignés 
à  la  seule  paix  réalisable,  c'est-à-dire  au  sacrifice  des  espé- 
rances qui  avaient  motivé  la  guerre,  cela  parait  incroyable, 
mais,  soit  découragement  à  la  suite  des  événements  de 
Saxe  i2i,  soit  désir  de  paraître  se  prêter  aux  vues  de 
la  France,  un  changement  notable  d'attitude  est  à  re- 
lever chez  eux.  C'est  maintenant  Kaunitz  qui  nbordr  h- 
sujet  (3)  avec  le  comt»>  do  Choiseul  :  "  Il  est  important  de 
nous  bien  entendre  et  d'agir  dans  le  plus  grand  concert 
|)onr  faire  au  moins  la  moins  mauvaise  paix  qu'il  sera 
possible.  »  Il  ne  fait  pas  d'objection  de  principe  au  Fran- 
çais quand  ce  dernier  revendique  l'initiative  des  ouvei- 
tures  pour  sa  cour,  dont  le  penchant  pacifique  est  bien 
connu,  tandis  ([u«  le  secret  serait  gardé  sur  le  consente- 
ment de  l'Autriche  dont  les  sentiments  contraires  f)nt  été 
souvent  exprimés.  A  peu  près  à  la  même  époque,  dans 
une  audience  accordée  à  Moniazet,  qui  avait  toujours  été 
dans  ses  bonnes  giAces,  Marie-Thérèse  fut  très  explicite 
dans  ses  déclarations  (V  :  la  conversation  porta  d'abord 
sur  le  choix  du  commandant  en  chef:  l.i  souveraine  s'ex- 

(1)  Slarhemherg  it  kannifz.,  IS  novcinbri!  l"(;o.  Arrliivcs  df  Vienne. 

(2)  La  balailli'  de  Torf;au  avaii  ou  lieu  le  3  novembre. 

(•?)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  1«  novembre   ITCo.  Affaires  Étrangère-^. 
(i)  Comte  de  Choiseul  an  dur,  C  décembre  17(i(i.  Affaires  Etrangères. 


458 


LA  CL'EHHi;  DE  SI-PT  ANS. 


ciiAP.  vrii. 


i.A 


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pi-iina  IW's  libiemeut  sur  le  compte  de  ses  yénéraiix;  elle 
ju'évoyait  qu'on  lui  lerait  prcudre  L.uidon,  <•  elle  on  serait 
au  désespoir,  car  elle  était  sûre  (ju'il  se  ferait  battre  »  ; 
puis  après  avoir  témoin  né  son  <légoùt  pour  la  guerre  : 
«  Vous  me  trouvez  bien  eliangce  aujourd'hui,  dit-elle, 
et  dans  des  dispositions  bien  dilférentcs  de  celles  où  vous 
m'avez  vue,  car  je  vous  assure  du  fond  de  mon  cœur  (jue 
j'ai  pei'du  toute  espérance  de  parvenir  au  but  <[ue  je 
m'étais  proposé,  cpie  je  suis  entièrement  déchue  de  mes 
projets  d'agrandissement,  que  j'en  sens  toute  l'impos- 
sibilité, que  je  suis  résignée  à  la  paix  et  que  je  ne  dé- 
sire aujoui'd'hui  que  d'y  parvenir  et  d'en  faire  une  qui 
Suit  honnête,  décente,  qui  convienne  il  mes  alliés,  qui 
puisse  rétablir  le  Hoi  dans  ses  possessions  qu'il  a  perdue^ 
et  qui  maintieime  notre  alliance  et  le  système  actuel  a  ec 
la  considération  qui  convient  à  de  grandes  puissances. 
Ces  sentiments  sont  si  sincères,  et  j'ai  tollenient  renoncé 
;Y  la  conquête  de  la  Silésie  et  aux  illusions  de  l'ambition, 
(fue  je  sacrifierai  le  comté  de  <ilalz,  s'il  le  faut,  pour 
obtenir  une  paix  ([ui  soit  honorable  sur  les  autres  points, 
(jui  satisfasse  mes  alliés  et  principalement  la  France. 
Mais  ([uelque  désir  que  j'en  aie,  je  cj'i\ius  bien  (jue  nous 
ne  puissions  y  réussir,  et  (lue  votre  cour  ne  se  trompe 
dans  l'espérance  qw'eUo  i\  »Vy  parvenir,  quand  j'y  aurai 
dount'^  mou  lousenlement .  » 

Le  comte  de  Choiseul,  eu  transmettant  le  récit  de  l^loii- 
tazet,  ajoute  (juil  croit  à  la  sincérité  du  langage  de  l'Im- 
pératrice; il  attribue  son  découragement  \]  Mlle  convël'- 
sation  de  deux  heures  qu'elle  avait  eue  \a  veille  avec 
Daun;  le  maréchal,  (|ui  n'avait  jamais  compté  siu'  h- 
succès,  ne  faisait  pas  mystère  de  son  opinion  sur  la  néces- 
sité d'entrer  en  pourparlers  avec  les  ennemis.  Autre 
symptôme  signiticatif,  la   princesse  avait   manifesté    son 


1 1   R*-|)liquc  à  la  réponse  d'Aiilrkhe,  k  <]/•<  <'mbi«  i'flO.  Atlaires  Etrangères. 


hki'Liqle  au  mkmoihk  ai  rm(:iiii:N'. 


4&0 


désir  tlo  recevoir  le  plus  \nl  possible  le  mémoire;  (ju'ou 
annonçait  de  Versailles  sur  la  procr<lui'c  à  adopter  pour 
amoi'cer  la  négociation. 

Vers  le  15  décembre,  les  pièces  (1 ,  arrivèrent  de  France  ; 
elles  se  composaient  d'une  réplique  du  Hoi  à  la  réponse 
d<'  l'Autriche,  d'un  projet  de  déclaration  etd'uue  lettre  ex- 
j)licative  et  particulière  du  ministre.  Le  mémoire  débutait 
en  reproduisant  la  théorie  bien  connue  de  la  distinction 
des  deux  guerres  :  «elle  de  la  P'rance  et  de  l'Angleterre 
M  sur  laquelle  la  modération  du  Uoi  se  fera  connaître 
lorsque  l'Angleterre  paraîtra  vouloir  entrer  dans  des 
moyens  raisonnables  de  conciliation;  la  seconde,  la 
guerre  d'AlliMuagne,  est  celle  sur  laquelle  le  Roi  veut 
principalement  s'expliquer  avec  ses  fidèles  alliés,  tant  en 
vertu  de  sa  qualité  de  garant  des  traités  de  Weslphalie 
conjointement  avec  la  couronne  de  Suède,  i\\ui  relative- 
ment aux  traités  et  aux  eugagements  ([ue  S.  M.  a  con- 
tractés avec  l'Impératrice  Heine,  l'Inqiératrice  de  Uussie 
et  le  roi  de  Suède  ".  Suit  un  exposé  des  devoirs  des 
puissances  garantes,  des  résrdtats  obtenus  par  elles  et 
de  ceux  qui  restent  à  réaliser.  I.e  duc  se  ait  appro- 
prié ],\  thèse  philosopliitjue  de  son  cousin  :  «  Les 
(tliligalionH  (pi(^  le  Uoi  a  contractées  par  des  traités  ne 
août  pas  moins  sacrées  ))our  S.  M  (|iliH'o|lnH  du  iiiiiiiiijnn 
(te  la  pitJN  do  WeMltiIntlIii,  \\u\\h  coh  oblignljutlH  m^^i  sou- 
mises à  la  loi  ualurelji;  ()e  |i|  nosHiliJlJié  ;  ce  qtlj  éfail 
pl'ullcable  et  taisait  le  loudeincnt  d'un  trall(^  dans  telb' 
circonstance  et  singulièrement  an  coniiiiijn  emenf  d'une 
guerre,  dimiiiur  souvent  de  probabilité  selon  les  cvélie- 
ments  de  celte  même  guerre  et  linit  |iar  devenir  impos- 
sible. ))  Le  projet  de  déclaration  visait  s|)écial(îmenl  lit 
Uussie  qui  était  invitée  ù  sa<'rili»M"    <   même  ses  intérêts 


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(I)  Duo    de  Clioiseul    au  cqmlc,    inirlkulièn;,  i  (li'(:i!tn(iifi  ITdO.  Adall-es 
Eliaiii't'rcs. 


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CIIAP.  VIII, 


[X'rsoiiocls,  coiiiiiic  le  Uoi  est  dans  riiitontion  de  sacrifier 
les  siens  au  i)onlicur  do  IKurope  ». 

Choiseul,  en  efl'ef.  avait  repris  son  concept  do  se  servir 
de  la  llussie  connue  uiessnyei'  de  la  paix.  Il  explique  ses 
motifs  11)  à  son  envoyé.  Le  Koi,  tout  en  persistant 
à  revendiquer  l'initiative  pour  la  France,  avait  estimé 
(ju'il  serait  trop  tôt  pour  en  parler  et  avait  adopté  une 
procédure  qui  cn.uaiçerait  «  la  négociation  de  faeon  <pu^ 
la  cour  de  Kussie  pai-  vanité  se  chargeAt  des  détails 
de  la  pacification  et  eu  eut  les  mérites  ainsi  que  les 
démérites  et  que  nous,  nous  bornassions  aux  premières 
ouvertures  et  à  écliauHer  les  démarches  de  l'impératrictr 
de  lUissie  ».  Kn  attribuant  ce  rùlo  A  la  cour  de  l'étcrs- 
bourtf,  on  éviteiait  une  brouille  avec  l'Autriche,  «  car 
(|uelques  espérances  qu'elle  vous  donne,  je  doute  très 
fort  que  M.  de  Kaunilz  soit  de  bonne  foi  avec  vous.  Si 
vous  parvenez,  comme  il  y  a  lieu  de  l'espérer,  par  vos 
relations  à  ramener  l'Impératrice  et  M.  de  Kaunitz 
à  dos  vues  de  pacilieation  raisonnables,  non  -<mlement 
vous  rendrez  un  service  important  au  Koi,  mais  par  la 
connaissance  que  je  crois  avoir  de  l.i  Cour  de  Vienne, 
ou  je  me  suis  bien  trompé  dans  roi)inion  que  je  m'en  suis 
formé,  il  faut  convenir  que  vous  aurez  opéré  un  miracle. 
Dans  tous  les  cas,  la  volonté  de  la  Russie  aplanira  beau- 
coup de  difllcultés  à  Vienne;  j'uimerais  mieux  querohli- 
gation  de  faire  la  paix  y  fût  imputée  à  la  (lour  de  Péters- 
bourg-  qu'à  la  France  »,  Ueste  la  question  de  la  province 
de  Prusse  qui  peut  devenir  <«  la  pierre  d'achoppement  de 
la  paix  »  ;  mais  «  la  vanité  de  pacifier  l'Eiuope  peut 
entrer  en  compensation  de  conscrvei'  une  conquête,  sur- 
tout quand  on  élagera  cette  vanité  par  <les  moyens  (fui 
pourront  satisfaire  la  cupidité  des  ministres  russes  w. 
D'ailleurs,  le  projet  de  pousser  la  Hussie  en  avant  n'était 


.'       i 


(l)  Duc  de  ChoisL'ul  au  comte    i  décembre  17C0.  Affaires  ÉUangères. 


■p 


CII0I8EIII.  VEUT  lAIRE  INTKUVENIU  LA  UUSSIE. 


4)11 


qu'une  conception  provisoii'c  qui  pourrait  être  modifiée 
selon  lappui  ou  l'opposition  qu'elle  rencontrerait  à  Pé- 
tershourg-  et  m  Vienne.  Dans  le  mémoire  français,  ù 
peine  (pielques  lignes  étairîiil-elles  consacrées  au  traité 
particulier  entre  la  France  et  l'Angleterre  :  «  Ce 
n'est  pas,  écrit  Choiseul  au  comte,  <jue  je  ne  sent*'  fort 
bien  ({ue  nous  pouvons  tirer  quelques  avantages  vis- 
à-vis  des  Anglais  de  la  position  des  armées  du  Uoi  en 
Allemagne,  mais  j'ai  cru  ne  pas  faire  sentir  d'avance 
aux  alliés  nos  justes  prétentions  à  cet  égard.   » 

Le  comte  de  Choiseul,  ([ui  avait  été  autorisé  à  «  pro- 
poser telle  modilîcatiou  (jue  sa  connaissance  du  milieu 
pourra  lui  suggérer  »,  ne  releva  aucun  (diangcment  à  lair*: 
au\  documents  exp(>diés  de  Paris  et  les  communitjua  tels 
(juels  (1)  à  Kaunitz.  Celui-ci  n'avait  pas  oublié  les  com- 
pliments de  Choiseul;  aussi  trouva-t-il  la  déclaration 
«  très  honnête,  très  onctueuse  et  pleine  d'imc  réci- 
procité d'amitié  ».  Kn  fait  de  critique,  il  se  borna  à 
remartpier  <|u'il  s'était  attendu  à  plus  de  détails  a  sur 
les  moyens  de  parvenir  à  la  })acification  ).  Quant  h 
l'Impératrice,  elle  était  devenue  chaude  partisane  de 
la  paix  :  «  L'année  passée,  avait-elle  dit  à  Montazet,  le 
mot  de  paix  me  blessait  l'oreille,  je  n'osais  moi-même 
le  prononcer;  aujourd'hui,  je  la  désire  autant  que  je  la 
craignais  alors;  c'est  ainsi  (jue  va  le  monde.  »  Elle  allait 
jusqu'à  traiter  de  chimère  la  con([uète  de  Silésie.  Favora- 
blement impressionné  par  le  changement  qui  s'opère 
autour  de  lui,  l'ambassadeur  arrange  tout  à  sa  façon  : 
l'Autriche  se  désistera  de  la  Silésie  et,  en  dernier  lieu,  du 
comté  deGlatz;  la  llussie  abandonnei'a  la  Prusse  royale. 
La  Suède,  en  amie  désintéressée,  ne  réclamera  rien  ;  le  roi 
de  Pologne  devra  se  contenter  de  recouvrer  son  électorat. 

Beaucoup  moins  optimiste,  le  duc  de  Choiseul  doute  fort 


f 


<■  I- 


(1)  Comte  de  Choiseul  au  dur,  \:,  décoinbre  17G0.  Affaires  Étiangères. 


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IMAGS  EVALUATION 
TEST  TARGET  (MT-3) 


1.0 


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1.25 


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Sciences 
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(716)  872-4503 


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462 


LA  aUERHK  DK  SEPT  ANS.        CIIAl'.   Mil. 


(le  la  co'.i version  de  Marie-Thérèse  et  de  son  cliancelieii'; 
quoi  qu'il  en  soit,  il  fa  ut  avoir  l'air  d  y  croire;  pour  l'heure, 
il  a  préparé,  à  l'usage  de  Breteuil,  des  instructions  se- 
crètes (1)  dont  il  confie  le  contenu  au  représentant  de  lu 
France  à  Vienne.  Le  maintien  des  deux  and)!issadeurs  à 
Pétershoui'f;,  l'un  officiel,  l'autre  officieux,  compliquait 
singulièrement  la  manœuvre  sitvant'e  que  Chois(!ul  voulait 
tenter  auprès  du  gouvernement  moscovite.  Les  r(Mes 
avaient  été  répartis  de  la  manière  suivante  :  Lhopital, 
qui  n'avait  pas  été  mis  au  jourant,  présenterait  aux  mi- 
nistres russes  la  déclaration  dont  le  texte  avait  été  c-om- 
niuniqué  à  l'Impératrice-Reine;  il  ferait  valoir  les  raisons 
en  faveur  de  la  paix  et  insisterait  pour  une  prompte  ré- 
ponse. La  démarche  officielle  accomplie,  Hreteuil  entrerait 
en  scène,  «  il  remettra  une  lettre  de  moi  (ju'il  trouvera 
ci-jointe  à  M.  de  Woronzo>v,  où  je  lui  mande  que  le  Roi 
a  chargé  M.  le  marquis  de  Lhopital  de  lui  remet'.re 
pour  rinij)ératrice  sa  maitressù  une  déclaration  qui  ins- 
truira S.  M.  Impériale  des  sentiments  du  Koi  relative- 
ment à  la  paix,  mais  qu'en  même  temps,  comme  la 
santé  de  M.  de  Lhopital  pourrait  l'empêcher  de  vaqtier 
à  tous  les  détails  d'une  négociaii(m  aussi  instante  et  en 
même  temps  aussi  intéressante  pour  l'union  des  deux 
Couronnes,  le  Roi  a  envoyé  à  M.  le  baron  de  Breteuil 
des  instructions  particulières  pour  traiter  cet  objet  vis-à- 
vis  M.  le  Chancelier  et  en  accélérer  l'heureuse  cimclu- 
sion.  Alors  M.  de  Breteuil  approfondira  le  matière  avei 
M.  le  chancelier  de  Russie  ;  il  lui  contiera  que  le  Roi  a 
bien  senti  que  la  cour  de  Pétersbouig  portée  à  accélérer 
la  conclusion  de  la  paix,  était  retenue  par  la  crainte  de 
désobliger  la  cour  de  Vienne;  que  S.  M.  est  entrée, 
comme  elle  le  fera  toujours,  dans  les  embarras  que  pou- 


(1)  Inslnictioii   poiii'  le   haroii  de  Rreleuii.    is  ilëc»Mnl>re   17(10.    AlTairo 
Élrangère.s. 


^..-•t-.,>.. 


]U3 


1NSTIU;CTI0NS  DE  BUETEUIL. 


4r,:{ 


vait  avoir  riiupératrice  de  Russie,  et  ([ii'elle  a' généreu- 
senieiit,  pour  le  l)icn  coiumiui,  voulu  affronter  le  danger 
qu'il  y  avait  pour  la  France  dêtie  la  j)reiuière  à  donner 
une  déclaration  pacitique  à  chaque  niendjre  de  l'alliance  » . 

lireteuil  s'étendrait  ensuite  sur  l'impossibilité  de  con- 
ijuérir  la  Silésie,  sur  les  inconvénients  de  continuer  une 
guerre  qui  épuisera  les  alliés  sans  aboutir  au  succès,  sur 
la  résistance  opiniâtre  ([u'opposera  le  roi  de  Prusse  à  la 
cession  de  la  province  donf  il  tire  son  titre  royal.  Aussit»'>t 
d'occord  sur  l'intérêt  d'une  prompte  conclusion  de  la  paix, 
Breteuil  d'inandera  verlialement  «  que  l'Impératrioe  de 
Russie  se  charge  des  intérêts"  de  i'alliance  et  lasse  con- 
naître aux  rois  d'Anghîterre  et  de  Prusse...  quelle  est 
à  portée  de  traiter  la  paix  générale  pour  toute  l'alliance 
à  des  condition''  raisonnables  ».  Jusqu'alors,  rien  de 
contradictoire  avec  les  instructions  officielles,  mais  ici 
commence  la  divergence  :  «  Après  avoir  fait  cette  pro- 
position à  la  Russie  et  lui  avoir  marqué  notre  défé- 
rence et  notre  confiance,  il  serait  très  utile  ([ue  M.  le 
baron  de  Breteuil  lui  suggérât  de  proposer  au  R(!i  de  se 
charger  lui-même  des  intérêts  des  alliés  dans  la  confec- 
tion de  la  paix,  sous  prétexte  que  le  Roi,  intéressé 
comme  les  autres  puissances  dans  la  guerre  d'Allemagne, 
a  de  plus  à  arranger  avec  l'Angleterre  des  intérêts  consi- 
dérables et  étrangers  à  l'Allemagne.   » 

En  résumé,  Rreteuil  devait  poursuivre  les  trois  ob- 
jectifs suivants  :  convaincre  la  Cour  de  Pétersbourg  de  la 
nécessité  de  terminei- la  guei-i-e;  lui  faire  accepter  lidée 
d'une  solution  rapide,  l'amener  à  renoncer  à  la  cam- 
pagne prochaine,  enfin,  «  après  avoir  od'ert  à  la  (lour 
de  Russie  d'être  chargée  de  la  négociation  de  la  paix, 
de  lui  faire  désirer  et  demander  que  ce  soit  le  Roi 
qui  entame  cette  négociation,  et  pour  marcher  d'un 
pas  sûr  et  peu  sujet  à  inconvénient,  d'obtenii'  du  mi- 
nistre russe  un  [>lan  de  pacification  relativemenf  à  l'Al- 


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LA  GUERI'!.  !)'■  Si:PT  ANS.        CHAP.  VIII. 


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leinapnc  (mi  léponse  à  la  déclaration  (|ui  lui  sera  pré- 
sentée par  M.  (lo  Lliopital  ». 

Pour  fournil-  à  lîrotcnil  les  moyens  do  «  séduction  » 
indispensdbles  k  la  réussite,  le  Roi  faisait  remise  au  chan- 
celier Woronzow  cie  la  «  sonnne  considérable  »  qui  lui 
avait  été  avancée  et  mettait  à  la  disposition  de  son  en- 
voyé un  million  de  livres  «  à  partager  entre  les  difl'é- 
rents  mend)res  du  ministère  qu'il  jugera  nécessaire  de 
séduire  »;  ces  gTatitic.itions  seront  versées  «  dès  que 
nous  aurons  entre  les  mains,  signé  de  la  main  de  l'Impé- 
ratrice, un  instrumi.nt  qui  nous  autorise  à  traiter  ouver- 
tement de  In  paix  et  h  la  conclure  cet  hiver  ».  Enlin, 
Breteuil  devait  «  faire  espérer  »  (ju'aussitùt  la  paix  faite, 
la  France  se  prêterait  à  un  traité  de  commerce  et  de 
subsides  avec  la  Russie  et  que  la  négociation  serait  l'oc- 
casion de  nouveaux  cadeaux.  Favier,  («ui  portait  les  ins- 
tructions dont  nous  venons  de  donner  l'analyse,  fei-ait  un 
séjour  à  Pétersbourg,  assisterait  I.hopital  de  ses  conseils  et 
serait  chargé  pins  spécialement  des  pourparlers  relatifs 
au  futnr  traité  de  conmierce;  l'ambassadeur  en  titre 
ignorait  le  concert  ((ui  existerait  entre  Favior  et  Breteuil. 
Choiseul  ne  lit  pas  mystère  de  la  mission  de  Favier,  ([ui 
serait  nécessairement  connue  à  Vienne;  il  en  paria  à 
Starhendjerg  (1)  qui  en  rendit  compte  de  suite  à  Kaunitz. 

Il  y  eut  quelque  retard  dans  la  transmission  des  pièces 
françaises;  Favier  tomba  malade  à  Strasbourg,  et  le  cour- 
rier pour  Pétersbourg  ne  partit  de  Vienne  que  le  3  jan- 
vier. L'Impératrice-Reine  regretta  cette  perte  de  temps  : 
«  .le  vois  que  cela  ira  bien  lentement  et  que  nous  ferons 
encore  la  campagne  prochaine;  cela  est  bien  fâcheux, 
car  quand  on  a  pris  son  parti,  le  plus  tôt  vaut  le  mieux.  » 
Elle  ajoutait,  en  guise  de  commentaire  :  «  On  doit  être 
bien  étonné  de  me  voir  dans  de  pareils  sentiments  au- 


(ij  Starheinbei'g  \  Kaunilz,  ;ji)  cléceinbre  1700.  Archives  de  Vienne. 


LA  couu  UI-:  viKNNi!;  l'uoi'osi';  un  iongui.s  umquk.     -ic:. 


nul. 
lui 

a  il 
initz. 
icc<>s 

oui'- 

jan- 
nps  : 

rons 

ux.  >' 
(Hre 
■)  au- 


jourd'hui; ic  pensais  bien  ditréromniciit  il  y  a  trois  mois. 
Voilà  comme  sont  les  femmes  !  » 

Entre  temps,  la  conférence  présidée  par  la  souveraine 
avait  examiné  les  propositious  fran(;aises  du  V  décembre 
et  avait  élaboré,  de  son  côté,  une  varirnte  du  projet  de 
déclaration  (1)  :  Deux  questions  y  étaient  traitées  :  sur  la 
première,  celle  du  principe  de  la  paix.  Leurs  Majestés  Im- 
périales faisaient  observer  qu'elles  avaient  toutes  les  rai- 
sons de  désirer  la  continuation  de  la  guerre,  mais  prenant 
à  cœur  les  circonstances  de  la  France,  elles  étaient  prêtes 
à  faciliter,  par  tous  les  procédés  possibles,  et  avec  le  con- 
sentement de  tous  les  allié    une  paix  satisfaisante  et  solide. 
La  seconde  question  avait  trait  aux  moyens  d'atteindre  ce 
but  :  le  projet  de  pacification  n>is  en  avant  par  Choiseul 
«  n'était  pas  pratique  parce  qu'on  ignorait  encore  les  vues 
des  adversaires;  il  était  dangereux  parce  qu'il  produirait 
des  malentendus  entre  les  alliés,  et  fâcheux  parce  que  le  dé- 
sir exprimé  parla  France  de  poussera  la  paix  le  plus  pos- 
sible était  en  conq)lète  contradiction  avec  l'alfirmation  que 
le  temps  devait  être  consacré  au  plan  de  pacification  ». 
Dès  à  présent  l'Impératrice  faisait  des  réserves  sur  l'é- 
tendue des  sacrifices  qu'elle  pourrait  être  amenée  à  con- 
sentir :  Quand  même,  pour  le  cas  de  la  terminaison  des 
hostilités  avant  la  prochaine  campagne,  elle  se  résigne- 
rait à  ne  pas  se  prévaloir  des  articles  de  traités  stiprlaut 
l'acquisition  de  la  Silésie  et   du  comté  de  Glatz  pour  se 
contenter  d'une  partie  de  ces  provinces,  il  serait  entendu 
que,  si  la  guerre  se  poursuivait,  cette  concession  ne  serait 
pas  maintenue  et  n'aurait  aucune  valeur.  Les  conclusions 
(le  Choiseul  ainsi  écartées,  la  conférence  se  prononçait  pour 
la  réunion  d'un  congrès  où  seraient  traitées  séparément 
les  questions  des  deux  guerres.  La  France  serait  chargée, 
au  nom  des  alliés  et  avec  leur  assentiment,  de  faire  part  de 

(1)  F-^unitz  à  Slarliemberg,  ;!l  (If'ccinbre  17(10.  Archives  de  Vienne. 
(;i  lîiiKL  lii:  SËi'T  ANS.  —  1,  IV.  30 


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LA  GLEUHl':  DK  SKl'T  ANS.  —  <:11AI».  V!'l. 


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CCS  résolutiom  au  «abiact  anglais,  soit  par  riiitcrinédiairo 
d'une  autre  pui.oance,  soit  parle  prince  Louis  de  Bruns- 
wick. En  terminant  sa  dépêche,  Kaunitz  résumait  les 
avantages  que  présentait  son  système  et  exprimait  la 
conviction  que  Choiseul  s'y  rallierait  comme  au  mode  le 
plus  expéditif  d'arriver  à  ses  fins. 

A  partir  de  ce  moment,  le  débat  allait  porter  sur  le 
congrès  dont  Kaunitz  était  partisan  et  sur  lequel  il  venait, 
conformément  à  la  décision  de  la  conférence,  de  consulter 
la  Hussie,  et  le  projet  de  Choiseul  qui  désirait  réserver 
à  la  I^'rance  la  conduite  de  1"  négociation  et  qui  qualiiiait 
le  congrès  de  procédure  dilatoire.  Par  contre,  le  comte  de 
Chois(ml  croyait  impossible  d'y  échapper  et  avait  écrit  (1) 
dans  ce  sens  au  duc  et  à  Breteuil. 

La  réponse  de  l'Autriche  aux  suggestions  françaises  du 
'i-  décembre  se  croisa  avec  un  nouveau  mémoire  de  Ver- 
sailles (2).  Dans  cette  pièce,  Choiseul  revendiquait  pour 
la  France  le  rôle  de  représentant  des  intérêts  de  l'alliaiue. 
«  Le  Koi,  sous  la  condition  de  ne  rien  transiger  sur  la  guerre 
d'Allemagne  sans  le  consentement  des  alliés,  proposerait 
de  se  charger  de  la  négociation  et  de  faire  les  démarches 
convenables  à  cet  égard,  avec  la  dignité  et  la  mesure  qui 
lui  convient  ainsi  qu'à  ses  hauts  alliés.  »  Jusqu'alors  au- 
cune ouverture  n'avait  été  tentée  :  aussi  un  démenti  for- 
mel était-il  opposé  au  bruit  qui  courait  de  la  reprise  des 
pourparlers  à  La  Haye  ;  l'on  avait  même  refusé  des 
passeports  à  mylord  Maréchal,  qui  voulait  traverser  la 
France  pour  se  rendre  i'»  Londres,  dans  la  crainte  que  ce 
voyage  ne  donnât  lieu  à  des  rapports  fâcheux.  «  Mais  si 
les  alliés  y  consentent  et  après  qu'ils  lui  auront  confié  les 
conditions  ^ai  servent  de  base  au  traité  de  paix  »,le  Uoi  fe- 
rait part  au  roi  d'Angleterre  de  la  mission  qu'il  a  acceptée. 

(1)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  3  janvier  1761.  Affaiivs  Étrangères.  Coinlc 
de  Choiseul  à  IJreleuil,  .{janvier  17GI.  Affaires  Etrangères. 
{'>-)  Mémoire  de  Choiseul  pour  KauuiU,  5  janvier  1  "Cl.  Affaires  Élrangèros. 


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CONTUK-IUOJET  DE  CIIOISEUL. 


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Suit  une  rapide  esquisse  des  stipulations  qui  sendjlent 
raisonnables;  mais  Choiseul  prévoit  des  difficultés  ou  tout 
au  moins  des  lenteurs,  aussi  estinie-t-"l  préiërable  d'olïrir 
aux  ennemis  «  de  rester  en  statu  quo  à  l'exception  de  la 
Saxe  qu'il  est  indispensable  de  réclamer  pour  son  souve- 
rain légitime  «.  Quel  que  fût  le  soit  réservé  à  celte  pro- 
position, elle  servirait  de  base  à  la  discussion;  «  la  né- 
gociation sera  en  règle  et  clieminera  d'un  pas  certain  ». 
Pour  ojjtenir  l'abandon  dos  prétentions  que  chaque  allié 
ne  manquerait  pas  de  produire,  le  ministre  français,  ou- 
blieux de  l'état  de   ban([uei'oute  dans  lequel  son  pays 
était  plongé,  se  montrait  prodigue  de  libéralités  :  à  la 
Russie  un  traité  de  subsides  et  de  connnerce,  ù  la  Suède 
le  remboursement  du  coût  de  la  guerre,  à  l'Autriche,  (|ui 
se  contenterait  du  comté  do  Olatz,  un  traité  oU'ensif  et 
défensif   et,  en  plus   de  l'arriéré,   de   nouveaux  secours 
linanciers  pour  lui  permettre   de  fortifier  ses   frontières 
silésiennes. 

Après  avoir  soigneusement  sui)primé  ou  atténué  les  pa- 
r-igraphes  relatifs  aux  subventions,  le  comte  de  Choiseul 
remit  la  pièce  à  Kaunitz.  Il  trouva  celui-ci  peu  enclin  ii 
discuter  avant  l'arrivée  de  la  réponse  à  son  propre  mé- 
moire, plus  convaincu  que  jamais  de  la  nécessité  du  cou- 
grès,  fort  sceptique  à  l'égard  des  promesses  d'argent 
et  adversaire  d'une  suspension  d'hostilités  qui  ne  profi- 
terait qu'à  la  France  et  serait  préjudiciable  aux  autres 
alliés. 

De  son  cùté,  à  Paris,  le  duc  do  Choiseul  avait  ado[)lé 
une  partie  des  conclusions  de  la  conférence  do  Vienne;  il 
admettait  le  principe  du  congrès,  mais  il  en  voulait  deux. 
L'exposé  qu'il  fait  à  llavrincour  J\  l'envoyé  fran»;ais  eu 
Suède,  nous  renseignera  sur  les  vues  do  la  cour  de  Ver- 
sailles :  «  La  cour  de  Vienne  propose  une  invitation  à  un 

(1)  Choiseul  ;\  Ilavriiicour,  17  janvier  17G1.  Affaires  Élrangèros. 


.  i:'|.if 


si/^-<-ww[5p«isp!^îsaHs 


•iCH 


LA  GUiniUi;  Dl']  SKPT  ANS.  —  (Jll.U'.  Mil. 


.)'  i» 


conférés,  et  lo  congrès  tout  de  suite,  poiu'  discutci'  les  dil- 
féi'culs  iutérèts.  CoUc  foruu;  outre  sa  Icuteuf  [uirail  au  lloi 
sujette  aux  plus  grands  inconvénients...  En  eflct,  (juand 
même  la  cour  de  Londres  accepterait  la  proposition  du 
congrès,  que  de  difficultés  n'aurions-nous  pas  à  surmonter 
sur  l'admission  des  dill'érents  ministres  des  princes  qui 
prétendraient  y  en  envoyer  pour  discuter  leurs  droits  ou 
leurs  dédonmiagements.'  Unelle  complication  d'intérêts 
n'aurions-nous  pas  à  débrouiller  dans  ce  Congrès?  L'on 
peut  ajouter  que  les  intrigues  des  ministres  ennemis 
pourraient  ébrmler  l'union  que  nous  avons  tant  de  désir 
de  consolider.  » 

Afin  d'éviter  ces  dangers,  le  |{oi  conseillait  de  subs- 
tituer, à  une  seule  réunion,  deux  congrès  dans  les([uels 
les  puissances  alliées  seraient  représeniées  à  Paris  par 
leurs  ministres  résidents  auprès  de  S.  M.,  tandis  que  les 
puissances  ennemies  délégueraient  leurs  pouvoirs  à  leurs 
ministres  accrédités  à  Londres;  «  le  \Un,  de  concert  avec 
les  ministres  alliés,  traitera  directement  pour  la  paix  gé- 
nérale vis-à-vis  du  roi  d'Angleterre  (jui  aura  à  sa  Cour 
les  ministres  de  son  alliance  et  parlera  pour  eux  ;  ce  moyen 
nous  semble  le  plus  simple  de  tous  >-.  Cependant,  si  la 
majorité  des  alliés  se  prononçait  pour  le  congrès  général, 
la  cour  de  Versailles  s'inclinerait,  tout  en  dégageant  sa 
responsabilité  au  sujet  des  complications  qui  pourraient 
en  résulter.  La  question  fort  importante  de  l'armistice  est 
soulevée  oflicicUement  pour  la  première  fois  :  «  Il  me 
reste  à  vous  parler  d'un  article  qui  n'a  pas  encore  été 
traite  ministériellement  ni  à  Vienne  ni  Pétersbourg;  c'est 
celui  de  la  suspension  d'armes.  S.  M.  pense  ({ue  de  quel- 
que façon  que  la  négociation  de  la  paix  aoit  entamée,  il 
est  désirable  que  la  suspension  d'armes  dans  toutes  les 
parties  en  soit  un  préliminaire.  » 

Copie  de  cette  dépêche  fut  envoyée  à  Vienne  pour  être 
communiquée  à  Kaunitz.  D'autre  part,Choiseui  avait  exa- 


1  » 


mÊtmim 


CJIOISKUL  DKFRNI)  LIDÉE  D'UN  ARMISTICE. 


469 


miné  avec  Starliemlxn'^'  (1)  les  ((M-iiics  de  rannistice  et  la 
nianit'rc  d'enlror  en  ra|)port  avec  ic  rabiiK't  l)i'itaiini(Hie. 
L'Autrichien  avait  sniif^éré,  comme  [H'emier  iiitci'médiîiire, 
le   (iénois  Sorba  (2)  qui  se  rendait  eu  Angleterre,  mais 
(llioiseul  pencliait  pour  une  ouverture  plus  directe  :  «  Au 
surplus,  écrivait-''  (3),  cpiand  les  alliés  seront  d'accord, 
tous  les  moyens  seront  bons  pour  l'aire  parvenir  à  Londres 
notre  détermination,  et  une  lettre  de  ma  part  à  M.    Pitt 
remise  par  le  miiiistie  de  Uussie  à  Londres  serait  encore 
m<>illcure  que  la    voie  de  M.  d'Yorck   et   du   prince  de 
Hrunswick.   Nous  avons  une  petite  raison   pour  exclure 
dans  ce  moment   la  Haye,  outre  que  nous  no  nous  en 
sommes  pas  bien  trouvés  l'année  dernière.  C'est  que  les 
démarches  sont  connues  en  Hollande  au  moment  où  elles 
se  t'ont,  que  chacun  y  laisse  aller  son  imagination  sur  la 
politicjue  comme  dans  un  café.  )•  Le  ministre  français  re- 
vient encore  sur  la  suspension  d'hostilités  :  a  11  est  fort  à 
craindre  (|ue  l'Angleterre  n'ac(|uiesce  point  à  cette  de- 
mande et  pour  lors,  il  est  inutile  de  la  discuter.  .Mais  je  ne 
peu.x  pas  présumer  que  les  alliés  de  S.  M.  s'y  refusent.  La 
France  a  dans  les  deux  guerres  un  avantage  réel  îi  la  sus- 
pension d'armes;  elle  est  aussi  avantageuse  à  la  Russie; 
la  Suède  est  dans  un  état  passif,  soit  (|ue  la  suspension  ait 
lieu  ou  non;  il  ne  lestc  donc  que  la  Cour  de  Viiinnc  qui: 
1"  selon  les  règles  de  la  justic(!   doit  se  prêter  ad  vomi 
commun  de   l'alliance;  2"  dans   son  propre  intérêt.   En 
effet,  la  hussie  et  la  Suède  prendront  prétexte  des  négo- 
ciations pour  ne  rien  faire;  la  France  restera  sur  la  dé- 
fensive. L'.Xutriche  sera  seule   aux  prises  avec  h;  roi  de 
Prusse   »,  et  en   cas  de  malheur  «   il  serait  à  craindre 


'' ,( 


'.^i 


(1)  Slaflit'inbfirf^  à  Kauiiitz,  '.!'.)  janvier  ITiil.  Archives  de  Viciinc. 
('!)  SlaihiMiibcrj:;  ne  nie  pas  le  [iropo.s.  mais  lui  conteste  tonte  signifiration 
ofliciello.  Sorl)a  ne  lit  pas  le  voyage. 
(3)  Duc  (le  Choiseni  an  comte,  18  janvier  I7(il.  Aflfaires  Étrangères 


\*hm 


y.  !  k-.'M 


470 


LA  ClIlllinK  l)K  SKPT  ANS.  -  CHAI'.  Mil. 


<     ,]        I 


il 


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(Iu'pIIc  n'eût  pas  môme  le  comté  do  Ci'utz  pour  dédom- 
iîia,i4<'iuent  de  la  jçiiene  présente  ». 

A  la  grande  satisfaction  do  l'envoyé  français,  Kaunitz, 
sans  attendre  Tarrivée  du  courrier  (jui  lui  apportait  la 
dernière  argumentation  de  (>lioiseul,  accej)ta  (I)  le  prin- 
cipe d'un  armistice  de  si\  mois,  mais  par  contre,  il  se 
refusa  absolument  (-2)  A  admettre  le  conce[)t  des  deux 
congrès  ou  plutôt  des  pourparlers  simultanés  à  Paris  et 
à  Londres  :  «  .l'ai éludé  etadouci,  écrit  l'umbassadenr,  tout 
ce  (jui  poiîvait  présenter  l'idée  d'ime  négociation  coiuluite 
par  S.  M.  et  le  roi  d'Anglet<Mre.  Mais  M.  le  comte  de 
Kaunitz  a  regardé  ces  deux  congi'ès  comme  une  fiction; 
il  a  cru  (]ue  c'était  un  masque  po'ir  faire  passer  notre 
projet  de  négociation  particulière;  et  (]ue  dans  l'appa- 
rence et  la  réalité  il  n'eu  serait  pas  moins  vrai  ([ue  les 
cours  do  Versailles  et  de  Londres  sei'aicnt  les  arbitres  de 
la  paix,  et  qu'elles  en  dicteraient  les  conditions  à  leurs 
alliés.  Je  crois,  Monsieur,  avoir  employé  toute  l'adresse 
possible  pour  éloigner  ce  point  (b;  vue  et  pour  endormir 
la  vanité  de  ce  ministre,  mais  elle  est  trop  vigilante  et 
trop  éclairée  pour  se  laisser  abuser.  » 

Néanmoins,  de  part  et  d'autre,  on  était  entré  dans  la 
voie  des  concessions;  travaillé  par  Starbemberg  qui  sou- 
tenait la  tbèse  de  son  gouvei-nemont,  ohoiseul  se  l'allia 
à  «  nu  projet  de  déclaration  (:i)  à  faire  à  nos  ennemis  où  les 
deux  idées  seront  exprimées  et  où  on  leur  laisserait  lecboix 
du  congrès  général  ou  des  deux  congrès  particuliers  », 
A  l'olfre  de  l'alternative  était  jointe  la  proposition  d'une 
suspension  d'armes  dans  toutes  les  parties  du  monde. 
Pour  les  conditions  do  l'armistice  le  ministre  fran(;aiss'en 
rapportait  aux  puissances  ennemies  :  «  laquelle  suspension 


(1)  Comte  lie  Choiseul  au  duc.  l'.t  janvier  1701.  AlVaires  Étrangères. 
i'i)  Comte  de  Choiseul  au  duc.  'J8  janvier  1701.  AHaires  Etrangères. 
(3)  Projet  de  Uéclaration.  'tl  janvier  17(11.  Alïaires  Etrangères. 


l^SâS* 


r.-mmaiÊsmmsa 


COLKRK  DE  (JIOISKIIL. 


471 


d'armes  scia  limitée,  illiiuitéc  ou  ncxistcra  pas  au  choix 
(le  L.  M.  Hritanni(|ue  et  Prussienne  ».  (]es  lons"uos  discus- 
sions et  l'opposition  de  Kauiiitz  aux  propositions  rëdip-ées 
A  Versailles  avaient  fini  par  lasser  la  patience  de  Clioi- 
seul ,  qui  d'ailleurs  n'en  possédait  qu'une  dose  très  ré- 
duite. Il  s'emporte  contre  Kaunitz,  l'accuse  d'intrigues 
contre  la  France,  «  d'astuce  grossière  »;  il  refuse  de 
croire  A  la  sincérité  des  professions  pacifiques  rapportées 
de  Vienne  :  «  Je  ne  dois  [)as  vous  dissimuler,  Monsieur, 
écrit-il  (Il  à  son  cousin,  que  M.  le  comte  de  Starhem- 
berg  n'avoue  ni  par  son  air,  ni  par  ses  proi)os,  les  désirs 
]>acili(pies  ((ui  vous  sont  montres  à.  Vienne.  Je  sais  h 
n'en  pouvoir  douter  que  M.  de  Kaunitz  fait  passer  dans 
toutes  les  coins  que  nous  désirons  la  paix,  et  que  nous 
voulons  forcer  l'Impératrice  à  faire  nue  paix  à  la([nelle 
elle  se  refuse.  »  l^a  lettre  se  tei'mine  par  les  nu;naces 
dont  Clioiseul  était  coutiuuier,  sauf  à  les  oublier  le  len- 
demain :  «  Nous  vous  prévenons  qu'après  avoir  fait  les 
avanc(>s  d'amitié  et  d'union  dont  vous  avez  été  l'organe, 
le  Uoi  ne  croira  pas  manquer  à  ce  qu'il  doit  ji  ses  alliés 
lors(|u'il  suivra  les  moyens  qu'il  jugera  les  plus  propres, 
selon  les  circonstances,  aux  intérêts  de  son  royaume,  et 
S.  M.  manquerait  à  sa  dignité  si  elle  s'astreignait  servi- 
lement à  la  volonté  des  puissances  (pii  lui  sont  alliées.  » 
Décidément  l'entente  entre  les  cours  semblait  bien  com 
promise;  elle  ne  ar  rétablit  qu'après  de  longues  et  pé- 
nibles discussions. 

Pas  plus  que  ses  devanciers,  le  projet  de  déclaration 
du  .11  janviei"  n'eut  de  succès  à  Vienne.  Kaunitz  se  montra 
intransigeant  :  «  11  ne  prendrait  pas  de  détour,  relate 
l'envoyé  français  (2),  pour  me  dire  que  cette  déclaration 
lui  paraissait  inadmissible.  »   Il  préparerait  un  contre- 


(1)  Duc  de  Choist'iil  au  comte,  G  lévrier  17(il.  All'aires  Etrangères. 
Ci)  Comte  (le  Ohoisenl  au  duc,  l'>  février  ITCil.  All'aires  Étrangères. 


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vm 


J 


1  IV 


47a 


i.A  <ii;i:iim:  ni';  skpt  ans. 


CIIAI'    Mil. 


|H'«»j('|  (lu'il  (Miv(M'r.'iit  (1(>  suite  A  Paris  ot  f\  IN-torshouc^-. 
Cvl\{'  munièn;    de  procédei'  avail    U)  ^ravc  incotivéïiicuit 
d'«'d('ii(lrc  i\  cotte  (iiM'iii^rc  ciH)itiil(î  le  déhal  (\m  se  pour- 
suivait !Ï  VifMine;  los  n'|)iéseutauts  des  deux  couronnes 
au|)i'(''s  de  la  Tzarine,  luunis  d'iustiuclions  dillV'rentes,  ne 
pourraient  ai^ir  de  coneerl  et  nietti'aient   les  uiiuistres 
russes    dans   rend)ai'ras.    Fi'a|)pé   de  ces  cousidéi'alions 
dév(d()pj>écs  |)ar  h;  comte  de  Clioiseul,  Kauiiitz  demanda 
s'il  ne  serait   pas    possible  de  moditie"  le  document  de 
Versailles  avant  de  le  transnxUtre  à  Pétershourf^'.  I.ecrmtc 
répli(pia  ([u'il  n'était  pas  «  autorisé  à  faire  des  change- 
ments f[ui  allaient  jus(|irà    dénaturer  entièrement    l'ou- 
vrage; il  n'était  pas  si  hardi  et  si  entreprenant  (jue  M.  d'Ks- 
teihazy  ».  (lettc;  flèche  de  pai'the  décochée,  il  prit  congé. 
D'après     lui,   c'était   une     (pieslion   d'amour-propre  (jui 
causait  l'opposition  de  Kaunilz;  <(  il  croit  que  la  dignité 
de  sa  cour  serait  compromise,  (jue  lui-même  serait  exposé 
au  blAme  et  il  ne  veut  pas  f[ue  la  paix  se  fasse  sans  cpi'il 
s'en  mêle  ».  La  convcrsafioa  avait  eu  lieu  le  7  février. 
Le    U),   le   comte  de  (Ihoiseul  avait  connaissance  de  la 
contre-proposition  autrichienne;  elle  repoussait  et  l'alter- 
native et  la  susj)ension  illimih''e,  se  prononçait  ])our  un 
congrès  général  qui  s'assend)lerail  à  Angshourg  ei  oH'rait 
un  armislici;  de  six  mois,  à  partir  du  1  "  février,  lircteuil 
fut  aussitôt    avisé  du  désaccord    et   invité    à  le   traiter 
comme  un  incident  de  procédure  sans  répercussion  sur 
le  principe  des  ouvertures  pacifiques  :  «  H  est  de  notre 
intérêt,  lui  écrivit  le  comte  de  Choiseul  (1),  que  la  Kussie 
prenne  un  parti  net  et   décidé,  de  manière  (jue  sur  sa 
réponse  nous  puissions  aller  de  l'avant  sans  être  obligés 
de  lui  demander  de  nouveaux  éclaircissements.  » 

Malheureusement,    à    Pétersboui'g    la    situation    était 
tout   aussi    embrouillée    qu'à  Vienne;    au  point  de  vue 

(l)  Coirtodc  Choiseul  n  Bietciiil.  10  fcviicr  17f>(.  Affaires  lîlrnng{>ics. 


am 


(ONVKHSATIONS  UK  nHKTEUIl,  AVKC  WOHONZONV 


473 


(1(>  In  rc|)"és('nlatioi>  française,  tillo  s'élait  siinplilién  par 
le  (l<'-|)ai't  do  Lliopilal  (|iii  céda  défiiiilivomcnt  la  place  à 
son  coadjuleiii'  {{idouil.  A  ce  dernier  incomba  la  lAeiie 
d'exécuter  les  insti'ucn«ms  quehpie  peu  divei'y<'iil(îS  de 
son  chel'cl  de  surni(»idei'  les  ohs'acies  iidiérenls  A  Tineo- 
héi'cncc  do  la  polititpu;  i'nss(!.  La  conduites  su[)i'ènio  des 
allairos  cxfôrieiiros  appartenait  à  la  T/arino  Klisabelh. 
(lollo-ci  malade,  plus  allectéo  an  moral  (pi'au  physique, 
s'cmlermait  dans  son  [>alais,  relusail  toute  audience  aux 
diplomates  étraugei-s  et  restait  invisible,  mémo  pour  ses 
niinisli'os,  pendant  des  semaines  entières;  maison  <lé|)it 
de  déraillancesde  plus  en  |dus  i'réfpu'utes,  elle  n'entendait 
pas  abdi(|uer  et  faisait  senlu*  son  autorité  do  temps  en 
temjjs.  Deux  hommes  d'état  étaient  A  la  tôle  du  gouverne- 
ment :  l'un,  le  chancelier  Woronzow,  timoré,  faible, 
vénal  jusqu'à  recevoK'  les  subsides  des  cours  les  plus 
opposées,  ayant  du  bon  sens,  de  l'expérience,  et  jouissant, 
S'rAce  à  l'habitude  plus  qu'ù  la  c:  tiancc,  de  quelcpie  iu- 
flu(!i)ce  auprès  de  sa  souveraine;  le  second,  le  chambellan 
Schouvalow,  favori  de  rim[)ératrice,  riche  au  point  d'éti-e 
MiCi>rrupliblc,  vaniteux,  mais  fort  dos  facilités  que  lui 
procuraient  sa  fonction  et  son  intimité.  En  dernier  res- 
sort, les  afFaires  étaient  soumises  à  la  conférence  ([ue 
présidait  parfois  la  Tzarine  et  (]ui  était  composée  en  ma- 
jorité d'amis  du  favori. 

Aussitôt  la  communication  officielle,  faite  le  iV  janvier 
par  bhopilal,  des  propositions  françaises,  Breteuil  (1) 
s'élait  abouché  avec  Woi'ouzow  et  s'était  conformé  au 
programme  que  lui  avail  tracé  Cboiseul.  Il  s'ai^issait 
d'amenei'  la  Russie  à  prendre  linitialive  d'une  invitation 
adressée  à  la  France  d'avoir  à  se  charger  de  l'ouverture 
et  de  îa  direction  des  premières  négociations  en  vue  de  la 
paix.  Pour  s'assurer  le  concours  du  chancelier,   Hreteiiil 

(l)  Hreleuil  au  duc  de  Choiseul,  :io  janvier  17ill.  AtVaires  Etrangères. 


i  Si' 


K    ^    1: 


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47i 


LA  GUEimK  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  Mil. 


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eut  l'ccours  au.x  inoyons  de  corruption  qui  avaient  été  mis 
il  sri  disposition. 

La  scène  est  ty|)ique  :  «  Je  lui  ai  donc  dit,  après  un 
grand  préambule  sur  les  sentiments  et  l'estime  du  Hoi 
pour  lui,  que  j'avais  ordre  de  le  prier  d'accepter  la  re- 
mise en  entier  de  la  somme  que  le  Roi  lui  avait  prêtée. 
1,0  chancelier  a  été  un  peu  déconcerté  de  cette  propo- 
sition, .le  vous  avoue  que  je  l'éiais  beaucoup  plus  que  lui. 
C'est  la  première  proposition  que  je  l'ais  de  cette  nature, 
et  je  craignais  qu'il  n'en  fût  blessé,  quoique  j'y  eusse 
mis  toute  la  politesse  que  je  croyais  nécessaire;  cepen- 
dant, connue  il  s'est  contenté  de  me  balbutiei'  (|uel([ues 
mots  qui  ne  signifiaient  point  un  refus,  je  n»e  suis  remis 
de  mon  enibarras,  et  je  lui  ai  dit  que  le  Uoi  attendait  de 
son  attachement  qu'il  reçût  cette  'aible  mar<|ue  de  sa 
satisfaction,  ((ue  Sa  Majest<''  connaissait  troj)  sa  délicatesse 
et  son  extrême  probité  |)our  Ja  lui  faire  proposer,  s'il 
s'a^.'issait  de  l'engager  dans  quelcjue  démai'chc,  mais  que 
le  Uoi  n'ayant  rien  à  exiger  de  son  zèle  que  le  maintien 
et  l'accroissement  de  son  union  avocTlmpératrice,  Sa  Ma- 
jesté se  trouverait  offensée  s'il  se  faisait  un  faux  scrupule 
sur  cet  objet.  Le  chancelier  s'est  i\  peu  près  laissé  aller  à 
cette  démonstration;  il  m'a  parlé  de  sa  reconnaissance,  de 
sa  fidélité,  de  son  zèle,  de  son  respect,  de  son  amour  pour 
le  Uoi,  et  il  m'a  prié  de  le  rnettre  aux  pieds  de  Sa  Ma- 
jesté; mais  qu'il  la  sujjpliail  de  ne  pas  lui  faire  des  grâ- 
ces aussi  considérables;  qu'il  s;*rait  tenq)S  à  la  paix  si 
elle  se  concluait  d'une  façon  (jui  lui  fût  agréable,  et 
qu'il  fut  assez  heureux  pour  y  ccutribue^'.  ()uaud  j'ai  vu, 
Monseigneur,  qu'il  ne  se  débattait  que  sur  l'épocjue. 
j'ai  cru  pouvoir,  et  même  devoir  lui  faire  envisager  sans 
de  trop  grandes  précautions,  de  j>lus  grands  l)ienfaits  si 
tout  ce  ((ui  dépendait  de  lui  se  trouvait  terminé  promp- 
temcnt  et  à  la  satislaction  de  Sa  Majesté.  Je  ne  me  suis 
pas  expliqué  clairement  sur  la  sonune;  j'ai  parlé  seule- 


LA  CONIÉUKNCK  SE  l'UONONCI':  POl  U  LK  PROJET  AUTRICHIEN.  475 

mont  en  général,  mais  cependant  d'une  façon  positive.  » 
De  NVoroiizow  qu'il  croyait  acquis,  Jiroteuil  courut  chez 
Scliouvalow;  il  le  trouva  très  poli  dans  la  forme,  mais 
peu  sensible  à  ses  arguments.  La  séance  de  la  conffc''enco 
eut  lieu  le  Icudemain.  Au  dire  du  chancelier,  dont  le 
témoignage  semble  sujet  à  caution,  en  dépit  de  ses  clForts 
la  solution  autrichi(Mmc,  tavoral)le  à  la  réunion  d'un  con- 
grès et  contraire  à  une  suspension  d'armes,  eut  le  dessus. 
Notre  Fran(;ais  ne  se  tient  pas  pour  battu  ;  il  accuse  d)  \Vo- 
ron/ow  de  faiblesse;  il  lui  fait  conq>i*ondre  que  300. 000 
livres  seraient  la  récompense  do  ses  ellbrts  pour  décider 
l'Impératrice  à  entrer  dans  le  seul  plan  utile  à  sou  em|)ire 
et  au  repos  général.  «  Lcchancolier,  ajoute-t-il,  ne  les  a 
pas  acceptées,  mais  il  ne  les  a  pas  refusées  et  je  crois 
quo  cet  espoir  p.n  lera  poiu'  nous,  »  Deux  jours  après,  il 
fallut  on  rabattre  :  «  .le  désespère,  écrit-il  à  Paris  [9,^,  de 
pouvoir  amener  ces  gens-ci  à  inviter  le  Uoi  a  faire  au 
nom  de  l'allianco  les  premières  ouvertures  de  paix  à  n(xs 
ennemis.  J'ai  tout  employé  pour  parvenir  à  ce  but,  mais 
je  crois  avec  douleur  que  c'est  en  vain  que  je  nie  flatterai 
plus  longtemps.  »  Le  chambellan  est  arcbifaux  ;  Woronzow 
ne  voit  pas  l'Impératrice,  Scliouva^-,\v  la  voit  :  «  Lu  ré- 
ponse de  la  Uussio,  au  sacrifice  do  la  Prusse  près,  ne  roi!i- 
plira  aucune  des  intentions  du  Roi;  j'en  suis  désespéré. 
Les  premiers  moments  m'avaient  donné  plus  d'espérance 
et  mes  moyens  pécuniaires  qui  étaient,  do  SOO.OOO  livres 
les  avaient  soutenues,  mais  tout  ti'omble  et  cède  à  l'opi- 
nion du  chambellan  surfout  do[)uis  (pie  rinipératricc  d(>- 
vient  invisible  au  reste  do  ses  ministres  ou  courtisans.  » 
La  réponse  officielle  de  la  cour  de  Pétersbouig,  qui 
porte  la  date  du  2/13  février  (3),  constituait  on  eli'et  un 
échec  pour  les  premières  idées  do  Clioisoul,  mais  à  peine 

(1)  Rreleuil  au  diu;  de  t'iioiscul,  i  février  1701.  AlVaiics  Kliaiigèjes. 

(2)  Ureteuil  au  duc  de  Choiseul,  fi  l'éviier  17f)l.  Aflaires  Etraiifièrcs. 
r?)  Réponse  de  la  Russie,  '\\3  IVviier  I7i)l.  Afl'aiies  Klianjiéres. 


-Ik^sj^'Sï. 


1 


i76 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  Cil  A  P.  VIII. 


;i  i 


avait-elle  été  communiquée  à  Rrcteuil  que  co  dcrnior 
reçut  (i)  une  dépêche  de  son  chef,  lui  donnant  ordre  de 
soutenir  le  système  des  deux  congrès  combinés  avec  un 
armistice.  La  lutte  s'engagea  à  nouveau  eutro  les  représen- 
tants des  cours  de  Vienne  et  de  Versailles.  Esterhazy,  con- 
formém'^ntaux  instructions  de  Kaunitz,  préconisait  le  con- 
grès unique,  repoussait  la  négociation  double  à  Londres 
et  à  Paris  et  n'admettait  qu'une  suspension  de  six  mois  à 
partir  de  (in  janvier.  lireteuil  recommence  ses  intrigues;  il 
croit  être  sûr  de  Woronzow;  ([uant  à  Schouvalow  qui  as- 
pire à  être  le  mécène  de  laRussie,  ilespèrerentrainer  parla 
promesse  d'une  «  place  dans  l'une  de  nos  académies  des 
Sciences  ou  des  Helles-Lettres  ».  Cette  fois,  le  succès  cou- 
ronna, au  moins  partiellement  (2),  les  efforts  de  l'infatigable 
diplomate.  La  conférence  accepta  les  deux  congrès  comuic 
moyens  de  négociation  préliminaire  avec  renvoi  au  con- 
grès définitif.  Point  important,  l'ambassadeur  de  Fiussie 
à  Londres,  le  prince  Galitzin,  serait  invité  (3)  à  servir 
d'intermédiaire  pour  les  ouvertures  pacifiques  que  Choi- 
seul  devait  faire  à  la  cour  britannique.  Quant  à  l'armis- 
tice, la  Russie  maintenait  sou  opposition  à  cette  me- 
sure. 

Breteuil  exulte  (4)  et  constate  avec  satisfaction  le  mé- 
contentement d'Esterhazy;  il  fait  l'éloge  de  Woronzow 
qui  s'est  liien  conduit,  mais  qui  pourra  attendre  son  ca- 
deau jusqu'à  la  paix.  11  en  sera  de  même  pour  Wolkoll', 
secrétaire  de  la  conférence.  «  Si  le  premier  plan  de  négo- 
ciation |)articnlière  confiée  au  Roi  avait  eu  lieu,  je  lui 
aurais  domié  -iOO.OOO  livres,  mais  il  n'est  |)as  question 
décela  aujourd'hui;  il  n'est  pas  même  nécessaire  de  lui 
rien  donner    ncore.  Il  met  une  sorte  de  décence  dans  son 

(1)  Hreleuil  ;iii  duc  de  Clioiseul,  15  février  1761.  Affaires  Étrangères. 

(2)  deuxième  réponse  de  la  Russie,  !t,20  février  1761.  Affaires  Klrangères. 

(3)  Woronzow  à  Galitzin,  '.):W  ftivrier  1761.  Affaires  Étranseres. 

(4)  Hreleuil  au  duc  de  t'hoiseul,  '!2  lévrier  1701.  Affaires  Etrangères. 


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SECONDE  DÉCISION  l'LL'S  I-AVOIIAULE  A  LA  MlANCE.        477 

avidité  qui  me  mot  cii  étiit  de  soutenir  et  d'augmenter  sa 
bonne  volonté  par  des  espérances.  » 

Pendant  qu'on  discutait  encore  à  Pétersbourg  sur  le 
principe  do  la  suspension  d'armes,  on  reçut  de  Vienne  (1) 
avis  du  consentement  de  l'Impératrice-Reine  à  la  rédac- 
tion «  limitée,  illimitée,  ou  n'existera  pas  au  choix  de  L. 
M.  Britannique  et  Prussienne  )).  S'il  faut  en  croire  iîreteuil, 
malg-ré  l'adhésion  de  sa  cour,  Esterhazy  aurait  agi  au- 
près des  ministres  russes  pour  les  déterminer  à  rejeter 
la  clause,  mais  l'influence  française  l'emporta.  L'accord 
paraissait  établi  (juand  arriva  de  Paris  (2)  un  troisième 
projet  de  Choiseul,  daté  du  22  février,  et  insistant  sur  un 
armistice  de  six  mois.  Breteuil  prit  sur  lui  de  ne  pas  se 
servir  de  ce  document  qui  ne  pouvait  que  brouiller  les 
cartes.  Fort  heureusement  pour  les  bons  rapports  des 
deux  puissances,  le  même  sort  fut  réservé  à  une  lettre 
furibonde  de  Choisoul  en  date  du  18  mars.  Le  minisire 
venail^  d';q)prcndrc  la  première  décision  de  la  [\ussie  ■ 
il  avait  chargé  son  cousin  (3)  d'informer  Kaunitz  ((  ({u'il 
nous  faudra  le  temps  d'un  congrès  pour  labourer  la 
réponse  de  la  cour  de  Russie,  que  nous  avons  remarqué 
dans  ce  fatras  immense  plusieurs  asserticms  aussi  fausses 
que  captieuses...  qu'en  tout  cela  nous  a  paru  un  ouvrage 
détestable...  et  que  nous  prenons  le  parti  de  n'y  point 
répondre  ».  A  Breteuil,  il  s'était  exprimé  (4)  avec  une 
verdeur  égale  :  La  pièce  était  <(  aussi  confuse  que 
dilfuse;  elle  marque  en  même  temps  le  peu  de  boune 
foi  sur  laquelle  on  doit  compter  de  la  part  de  la  cour  de 
Russie  ». 

Neuf  jours  après,  Ciioiseul  a  en  mains  la  dépêche  de 


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(1)  Breteuil  au  duc  de  ClioiseuI,  11  mars  1701.  Afl'aires  Étrangères. 

(2)  Breteuil  au  duc  de  Ciioiseul,  18  mars  17(il.  Alliiires  Etrangères. 

(3)  Duc  de  Ciioiseul  au  comte,  18  mars  1701.  Aliaires  Etrangères. 
(■i)  Duc  de  Choiseul  à  Breteuil,  18  mars  1761    Aftaires  Étrangères. 


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LA  GUKUUI':  I)K  SEPT  ANS.  —  CllAP.  Vllf. 


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Bretcuil  du  22  février  et  la  seconde  décision  de  la  confé- 
rence; le  ton  change  (i)  du  tout  au  tout  :  «  Ceite  réponse 
nous  a  été  d'autant  plus  agréable  que  la  contre-déclaration 
qui  l'avait  précédée  de  la  part  de  la  cour  de  Pétersbourg 
ne  nous  avait  pas  préparés  à  voir  un  changement  aussi 
prompitct  aussi  favorable  dans  les  dispositions  du  minis- 
tère russe.  »  L'ellet  désastreux  qu'aurait  produit  la  pre- 
mière missive  de  Choiseul  avait  été  corrigé  par  une  lettre 
de  l'ambassadeur  de  France  à  Vienne  apprenant  à  son  col- 
lègue l'accord  délinitif  des  deux  cours.  «  En  conséquence 
de  cette  dernière,  écrit  notre  envoyé  (2),  je  n'ai  marqué 
que  satisfaction  et  contentement  à  MM.  de  Woronzow 
et  de  Schouvalow.  » 

Alin  d'éviter  les  confusions,  il  nous  a  fallu  anticiper  sur 
le  cours  des  événements  pour  relater  le  rôle  que  joua  la 
Russie  dans  les  pourparlers  engagés  entre  les  puissances 
alliées  ;  nous  avons  vu  la  cour  du  Nord  hésitante,  bal- 
lottée entre  les  influences  rivales,  se  rallier,  tout  au  moins 
en  partie,  aux  propositions  françaises  et  accepter,  de 
gut-rre  lasse,  le  compromis  intervenu  à  Vienne.  Il  nous 
reste  à  examiner  les  incidents  diplomatiques  qui  ame- 
nèrent l'entente  entre  Kaunitz  et  Choiseul. 

A  notre  époque  de  dépêches  télégraphiques  et  de  trains 
rapides,  il  est  difficile  de  se  l'cndrc  compte  des  entraves 
qu'apportait,  à  une  négociation  entre  Paris,  Vienne  et  Pé- 
tersbourg, la  lenteur  des  communications.  Pour  le  trajet 
entre  Paris  et  Vienne,  il  fallait  compter  de  8  à  10  jours; 
un  peu  plus  de  Vienne  à  Pétersbourg.  Ne  perdons  pas  de 
vue  l'impatience  du  duc  de  Choiseul,  dont  l'esprit  mobile 
ne  savait  pas  attendre  l'accueil  fait  à  un  premier  projet 
avant  d'en  lancer  un  second,  et  nous  comprendrons  les 
perplexités  et  les  embarras  de  nos  diplomates  en  présence 


(1)  Duc  de  Choiseul  à  Hreteuil, '.^7  mars  I7fil.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Hreleuil  autlucde  Ciioiseul,  11  avril  1701.  Affaires  Étraugères. 


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ENTUKVLE  UUAGEUSE  DU  COMTE  DE  CHUISEUL  AVEC  KAUNITZ.  '.7'.» 

d'instructions  souvent  contradictoires  ot  néanmoins  obli- 
gés d'assumer  une  initiative  qui  n'incombe  plus  à  leurs 
successeurs  modernes. 

Le  comte  de  Clioiseul  dut  éprouver  ces  sentiments  en 
lisant  la  lettre  fulminante  ([ue  son  ministre  lui  avait  écrite 
le  6  février.  Les  soupçons  exprimés  étaient-ils  fondés,  les 
intrigues  et  les  noirceurs  dont  Kaunitz  serait  le  fauteur 
étaient-elles  exactes  ;  lui-même  avait-il  été  trompé  parce 
ministre  dont  il  avait  loué  la  droiture  et  la  iïancbise?  Il 
voulut  en  avoir  le  eu'ui'  net,  et  dès  le  soir  môme,  il  eut 
avec  le  cbancelier  (1)  une  conversation  des  dIus  animées 
dans  la(]u<'lle,  à  l'en  croire,  il  eut  la  part  du  lion,  tandis 
que  «  M.  de  Kaunitz  a  été  fort  laconique  et  assez  interdit. 
Ou  le  prenait  pour  dupe  »,  avait  dit  le  Français,  quand  il 
transmettait  à  Versailles  des  assurances  pacifiques  que 
démentaient  le  ton  et  les  propos  de  Starliemberg-,  alors 
qu'Ksterliazy,  eu  défendant  le  congrès,  disait  ouvertement 
«[u'on  ne  pouvait  pas  regarder  comme  possible  de  faire  la 
paix  avant  la  canq)agne,  et  qu'il  serait  honteux  pour  l'al- 
liance de  poser  les  armes  au  moment  où  le  roi  de 
«  Prusse  était  prêt  à  succomber  »,  langage  d'autant  plus 
déplacé  qu'il  était  en  contradiction  avec  l'opinion  de  tous 
les  militaires  autrichiens.  Le  comte  de  Choiseul  épuisa 
tous  les  griefs  de  sa  cour,  accusa  le  gouvernement  de 
l'Impératrice  de  sacrilier  ses  alliés  et  émit  la  crainte  «  que 
nous  ne  vinssions  à  nous  brouiller  sur  les  moyens  de  pro- 
céder à  la  paix  et  avant  d'y  avoir  travaillé  ». 

Durant  ce  long  monologue,  le  chancelier  ne  sourcilla 
pas.  «  Il  avait  le  visage  fort  altéré,  ses  joues  étaient  très 
rouges  et  il  paraissait  fort  peiné.  Il  a  gardé  le  .silence  pen- 
dant quelque  temps,  et  puis  il  m'a  dit  :  «  .le  vous  avoue, 
M.  l'ambassadeur,  que  je  suis  confondu  de  ce  que  je 
viens  d'entendre;  je  ne  m'attendais  pas  ([ue  la  conduite 

(l)Coinle  (le  ClioUtuil  au  duc,  1.")  février  17C1.  Ailaircs  Élrangôrcs. 


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que  rimpératrice  a  tvimc  depuis  trois  mois  dût  lui  attirer 
des  reproches.  Je  croyais  au  contraire  qu'on  serait  étonné 
(le  la  facilité  avec  laquelle  elle  s'est  prêtée  aux  différentes 
pro[)ositions  qui  lui  ont  été  faites,  mali^ré  la  répugnance 
qu'on  devait  lui  supposer  pour  la  paix  et  pour  une  sus- 
j)ension  d'armes.  J'ai  pour  f)rincipe  que  la  grande  finesse 
est  de  n'en  point  avoir.  L'Impératrice  et  moi  nous  ne  vou- 
lons tromper  personne;  elle  s'est  prêtée  avec  franchise  et 
de  bonne  foi  aux  ouvertures  que  le  Uoi  lui  a  faites  sur  la 
paix,  et  n'a  démenti  aucune  de  ses  promesses;  elle  '. 
rejeté  avec  la  môme  droiture  et  sans  détour  la  proposi- 
tion d'une  négociation  particulière  et  celle  des  deux  con- 
grès, (pii  est  la  même,  parce  que  cette  forme  lui  a  paru 
inusitée,  peu  convenable  et  sujette  à  de  grands  inconvé- 
nients et  elle  en  a  proposé  une  autre  qui  est  ordinaire, 
décente  et  dont  persoinie  ne  peut  se  plaindio.  >)  L'entre- 
tien porta  ensuite  sur  les  sujets  rebattus,  ICo  coii:;rès, 
l'alternative,  la  suspension  d'hostilités,  la  réponse  de 
Pétersbourgqui,  d'api-ès  Kaunitz,  serait  peu  favorable  aux 
vues  française';,  sur  les  divergences  dans  les  instructions 
des  envoyés  accrédités  auprès  de  la  Tzarii:o,  sur  les  intri- 
gues attribuées  à  la  diplomatie  impériale  :.  «  Je  vois  bien, 
sécria  Kaunitz,  que  M.  le  duc  de  Choiseul  ayant  de  l'hu- 
meur contre  nous,  sans  savoir  pourquoi,  a  rassemblé  toutes 
ses  pièces  pour  nous  faire  une  querelle  d'allemand...  il 
croit  qu'en  nous  disant  alternativement  des  injures  et  des 
douceurs,  il  nous  fera  faire  ce  (ju'il  veut,  mais  il  n'y  a 
que  la  raison,  la  justice  et  l'amilié  (jui  fassent  eil'et  sur 
rhnpératrice.  »  La  conversation  finit  sur  cet  axiome,  mais 
elle  reprit  le  lendemain  sans  apporter  aucun  élément  nou- 
veau au  dé]>at.  Puis  Kaunitz  vint  à  l'ambassade  annoncer 
que  la  conférence  avait  repoussé  l'alternative,  et  qu'elle 
accepterait  la  rédaction  d'après  laquelle  la  suspension  se- 
rait «  limitée,  illimitée  ou  n'existerait  pas,  au  choix  do 
nos  ennemis  », 


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SCKNES  MOUVEMKNTliKS   KNTRE  CIIOISKUL  ET  STAlUIEMBERf..  '»8t 

Si  l'insistance  de  la  coiii'  de  Vienne  en  faveui-  dn  con- 
f;rès  général  s'explique  par  res[)oir  .'.'y  jouer  un  rAle  pré- 
pondérant, il  est  malaisé  de  comprendre  les  motifs  de  sa  ré- 
sistance aux  termes  proposés  pour  rarniistice.  Kn  eflét, 
contrairement  à  ce  ({ui  avait  eu  lieu  les  années  précé- 
dentes, les  préparatifs  pour  la  prochaine  campagne  s'ef- 
fectuaient avec  une  lenteur  que  venait  do  souligner  la 
nomination  au  commandement  en  chef  du  maréchal 
Daun,  dont  les  opinions  pacifiques  n'étaient  un  secret  pour 
personne.  «  On  ne  me  croit  pas  apparemment,  avait  dit 
l'impératrice  à  Montazet  (1),  l'esprit  assez  inconséquent 
ni  la  tête  assez  mauvaise  pour  choisir  un  général  qui  ne 
me  laisse  aucun  espoir  do  succès  et  qui  m'a  déclaré  qu'il 
ne  voyait  rien  de  bon  à  faire,  si  j'avais  encore  la  prétention 
de  faire  des  concjuôtes.  » 

Ainsi  que  l'avaient  prévu,  chacun  de  son  ctUé,  le  comte 
de  Choiseul  (2)  et  le  comte  de  Starhemberg(3),  le  cabinet 
de  Versailles  céda  sur  l'alternative  :  «  Sans  entrer  davan- 
tage, écrit  le  duc  V),  sur  la  convenance  d'un  congrès 
général  ou  do  deux  congrès,  le  Roi,  pour  marquer  sa  défé- 
rence à  l'Impératrice  Reine,  accepte  le  projet  de  déclara- 
tion qui  vous  a  été  remis  par  M.  de  Kaunitz  à  l'exception  de 
la  suspension  d'armes  »  qu'on  propose  de  limiter  à  un  an 
à  partir  du  l"^""  avril.  L'adoption  du  congrès  général  de- 
vrait être  subordonnée  (5)  à  «  la  condition  que  pendant 
l'armistice,  les  puissances  en  guerre  seraient  libres  d'en- 
voyer des  ministres  comme  étant  une  suite  et  naturelle  et 
nécessaire  du  congrès» ,  à  l'eifet  de  permettre  aux  cours  «  do 
se  communiquer  directement  leurs  véritables  intentions  ». 


(1)  Comte  de  Choiseul  au  duc,  15  février  1701.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Comte  de  Choiseul  àBreteuii,  15  février  I7(il.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Starhemberg  à  Kaunitz,  0  et  13  février  1761.  Archives  de  Vienne. 

(4)  Duc  de  Choiseul  au  comte,  22  février  1761.  Affaires  Étrangères. 

(5)  Note  particulière  du  duc  de  Choiseul,  22  février  1761.  Affaires  Étran- 
gères. 

lU'Kniu;  nE  sept  ans.  —  t.  iv.  3t 


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I.V  (iUKHRK  l)K  SKPT  ANS. 


CIIAIV  VIII. 


Ces  concessions  n'avaiiint  étr  consenties  qu'après  des 
discussions  des  plus  aigres;  car  le  diapason  des  conversa- 
tions du  duc  de  Choiseul  avec  Starhemberg  ne  dillérait 
gu^re  de  celui  des  entretiens  de  Kaunitz  avec  l'anibassa- 
deur  français.  La  scène  entre  ces  derniers,  relatée  dans 
la  dépèche  du  15  février,  eut  son  contre-coup  dans  le  ca- 
binet (lu  ministre  des  affaires  étrangères.  Dans  son  rap- 
port (1 1,  Stariiemberg-  se  fait  un  mérite  delà  patience,  du 
sany-froid  et  du  flegme  un  peu  dédaign<'u.\  qu'il  opposa 
aux  emportements  de  langage,  aux  accusations  outra- 
geantes, aux  sorties  violentes  de  son  interlocuteur.  Que 
Choiseul  eût  donné  à  ses  griefs  vis-t\-vis  de  la  cour  de 
Vienne  une  forme  outrée  et  môme  blessante,  ce  que  nous 
savons  de  ses  procédés  de  discussion  et  d'un  tempérament 
qu'il  savait  exagérer  à  l'occasion  nous  porte  à  le  croire, 
mais  la  plainte  en  elle-même  était  fondée.  On  venait 
de  recevoir  les  dépêches  de  Broglie  annonçant  réchec 
(!<'  I.iingensaltza  et  la  retraite  sur  Francfort;  le  générfil 
français  attribuait  ces  fâcheux  événements  au  mouve- 
ment des  I*russiens  et  à  l'inaction  de  l'armée  autrichienne 
de  lladick.  Le  second  grief  du  ministre  français  avait 
trait  aux  refus  répétés  que  Kaunitz  avait  opposés  à 
ses  propositions  et  à  l'attitude  hostile  de  celui-ci  à 
son  égard.  Avec  quelque  raison,  Starhomberg  reprochait 
il  son  collègue  français  de  Vienne  de  reproduire  tr()|) 
exactement  les  propos  de  son  chef  et  d'envenimer  ainsi 
inutilement  le  débat;  l'insinuation  est  peut-être  justifiée, 
mais  il  suffit  de  parcourir  les  longues  dépèches  expédiées 
de  Paris  par  l'Autrichien  pour  voir  qu'elles  n'étaient  pas 
non  plus  rédigées  de  façon  à  dissiper  les  conflits  inévita- 
bles entre  deux  hommes  d'État  qui,  très  différents  de  ca- 
ractère et  de  tempérament,  étaient  aussi  volontaires  et 
susceptibles  l'un  que  l'autre. 

(1)  Slaiheiiibt'i';;  à  Kaunitz.  ?.  mars  ITfil.  Archives  de  Vieiinp. 


mmÊ. 


CONCKSSIONS  l)l<:  CMOISEUL. 

bans  le  cas  actuel,  il  faut  roconnaltrc  ([uc  Slarlieniberf^ 
ti«'nt  à  son  chef  le  langage  du  bon  sens;  il  conseille 
(le  «  pardonner  de  notre  côté  au  duc  ses  eniportementsj 
(|uelque  déraiscjnnahles  et  insupportables  ((u'ils  soient, 
ainsi  que  ses  expressions  menaçantes  et  neu  consistantes. 
Il  faut  bien  prendre  les  choses  comme  (?lles  sont  et  non 
comme;  elles  devraient  ôtre;  il  est  bien  sûr  ([ue  tant  que 
nous  voudrons  conserver  notre  alliance  avec  la  cour  d'ici, 
il  sera  indispensable  de  supporter  patiemment  la  légèreté 
de  cet  homme  extraordinaire  et  de  tirer  le  meilleur  parti 
de  ses  ([ualités  d'esprit  si  mélangées  de  bien  et  de  mal  ». 
Slarhemberg  connaissait  bien  son  homme;  malgré  la 
chaleur  des  explications  échangées,  on  reveniiit  à  la 
discussion  des  points  contestés,  et  peu  à  peu  <m  se  rap- 
prochait l'un  de  Tautrc.  (l'est  ainsi  ([ue  Choiseul  re- 
nonça à  précisci"  les  époques  de  l'armistice,  qu'il  avait 
d'abord  défendues  avec  tant  d'énergie;  il  se  demanda  s'il 
fallait  se  contenterde  la  rédaction  «  limitée,  illimitée  »,  ré- 
clamer une  durée  d'un  an,  ou  laisser  la  question  en  dehors 
de  la  déclaration,  puis,  de  concession  en  concession,  il  se 
rallia  à  l'idée  de  ne  pas  faire  mention  dans  la  pièce  de  la 
suspension  des  hostilités. 

En  ce  moment,  c'est-à-dire  au  commencement  de  mars, 
le  débat  était  encore  très  confus.  Seule  parmi  les  alliés, 
la  Suède  s'assimilait  le  programme  français;  la  Russie,  fa- 
vorable à  la  paix,  ne  voulait  pas  mécontenter  rimpératricc- 
Ueine  et  avait  fait  aux  ouvertures  du  Roi  une  réponse  dans 
laquelle  le  comte  de  Choiseul  croyait  reconnaître  l'espril 
et  môme  les  expressions  de  Kaunitz,  puis,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  se  ravisant  sans  doute  sous  l'influence  des  argu- 
ments persuasifs  de  Rreteuil,  avait  accepté  les  deux  ccnigrès. 
Woronzow  était  môme  entré  dans  les  vues  de  Choiseul  au 
point  d'autoriser  son  ambassadeur  à  i.ondres,  le  prince 
(ialitzin,  à  servir  d'intermédiaire  auprès  de  Pitt. 

Ce  fut  l'assentiment  donné  par  la  Russie  -X  l'ouverture 


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(MAP.  Mil. 


(les  ruîgooifitions  par  la  Krancc  ot  à  l'oinploi  du  prince  (ia- 
litzin  qui  (Mitrailla  lit  cour  de  Vienne.  Le  chancelier  nedissi- 
nml<î  pas  le  clépit  (|uc  lui  occasionne  le  changement  d'at- 
titude à  Pétersbourg,  mais  il  ne  veut,  à  îiucun  prix,  se  sépa- 
rer de  ralli«''e  du  Nord.  Aussi  n'oppose-t-il  qu'une  courte 
résistance  aux  instances  du  conite  de  Choiseul  pour  obtenir 
l'adhésion  de  l'Impérali-icc-Ucine  A  la  lettre  que  le  cabinet 
de  Versailles  voulait  adresser  à  Pitt  :  «Je  luiai  dit,  mande 
le  diplomate  ij,  que  l'Impératrice  de  Russie  ayant  adopté 
l'idée  des  deux  congrès  et  trouvant  bon  que  le  Hoi  se  char- 
geât des  premières  ouvertures  vis-à-vis  de  l'Angleterre, 
j'espérais  que  l'Impératrice  Heine  n'en  ferait  pas  plus  de 
difficultés  et  que  je  demandais  ({ue  cette  princesse  consentit 
également  à  ce  que  vous  écrivissiez,  Monsieur,  une  lettre  à 
M.  Pitt  pour  sonder  les  dispositions  des  Anglais,  et  pour  lui 
annoncer  la  déclaration  qui  doit  être  incessamment  remise 
au  nom  de  toute  l'alliance.  M.  de  Kaunitz  a  secoué  la  tète 
à  ma  proposition  et  m'a  dit  :  «  Ce  n'est  pas  là  ce  qu'il  faut 
faire  :  Tout  le  monde  est  d'accord  de  donner   conjoin- 
tement   une  déclaration  dont   l'objet  est  de    parvenir  à 
la  paix  par  le  moyen  d'un  congrès.   Il  faut  partir  (h;  ces 
points  convenus  et  faire  remettre  cette  déclaration  sim- 
j)le  à  l'yVngleterre  en  attendant  que  l'article  de  la  suspen- 
sion soit  décidé  entre  nous.  »  Le  Français  lui  object*'  qu  il 
faudra  en  référer  à  nouveau  à   Pétersbourg;  «  que  IM.  de 
(Jalitzin  avait  un  ordre  formel  de  sa  cour  de  remettre  ;i 
M.  Pitt  la  lettre  qui  lui  serait  adressée  par  le   ministère 
du  Hoi,   et  qu'en  suivant  cette  méthode,  nous  étions  sûrs 
de  ne  pas  perdre  du  temps,  dans  une  circonstance  où  il 
(^st  si  important  démettre  tous  les  moa^.ents  à  profit.  M.  (h' 
Kaunitz  pressé  par  ce  raisonnement,  n'a  pu  me  cacher  la 
ré])ugnanct  qu'il  avait  de  vous  voir  écrire  une  lettre  di- 
rectement à  M.   Pitt.   .lamais  la  défiance  du  Ministre  ne 

(1)  Ooirtle  dt?  Choiseiil  au  dur,  1>  mais  ITiil.  Aflaircs  Kliaiif^t'iM. 


KAUNITZ  ACrEPTK  I.A  r.KTTUE  A  IMTT. 


4H.S 


s'f'lait  manifestée  si  OU vertemont  «.  Après  un  écluiuf^e  des 
récriminations  imhiluclics,  ramltassadoui"  lui  fait  cn- 
t(Mulro  <(ue  «  s'il  s'opiniiVtrait  à  rerus(U'  son  consentenjcnt 
à  la  démarche  <|ue  Je  lui  proposais,  j'étais  persuadé,  Mon- 
sieur, que  vous  passeriez  outre,  parce  <pic  nous  étions  dans 
une  position  (|ui  ne  nous  permettait  pas  d'avoir  égard  à 
d'aussi  mauvaises  dil'licultés.  Je  vous  observerai.  Mon- 
sieur, que  M.  de  Kaunitz  ne  s'est  point  fAclié,  qu'il  était 
assez  doux,  et  qu'il  avait  l'air  de;  clierclier  des  expédients 
pour  nous  satisfaire,  mais  toujours  en  éludant  cette  lettre 
(pii  le  blessait  sensiblement  ». 

Longtemps,  la  conversation  se  poursuivit  sans  résul- 
tat. Enfin,  notre  envoyé  se  décida  à  mettre  sous  les 
yeux  du  chancelier  la  copie  (1)  de  la  lettre  de  Woronzow 
à  (lalitzin  (pie  venait  de  lui  apporter  le  courrier  de  son  col- 
lègue Hreteuil.  Le  coup  porta.  Kaunitz  «  a  encore  bataillé 
pendant  ([uel([ue  tcm[)s,  mais  l'aibliMuent,  et  il  a  Uni  par 
nu'  dire  qu'il  ne  pouvait  pas  me  donner  une  réponse  posi- 
tive sur  une  afFaire  de  cette  importance  sans  en  parler  à 
l'Impératrice...,  il  ne  m'a  pas  caché  alors  qu'il  o[)inerait 
pour  donner  le  consentement  à  la  lettre;  nous  avons  dis- 
cuté ensemble  la  manière  dont  elle  pourrait  être  tour- 
née et  il  est  convenu  cpic  la  substance  devait  être  la  même 
que  celle  de  la  déclaration  simple,  c'est-à-dire  la  proposi- 
tion d'un  congrès,  sans  parler  d'une  suspension  d'armes. 
Je  ne  sais,  Monsieur,  si  vous  approuverez  tout  ce  ([ue  j'ai 
fait  dans  cette  occasion,  mais  j'ai  cru  entrer  dans  vos  vues 
et  vous  faire  gagner  un  temps  précieux  en  obtenant  (pic 
l'Impératrice  vous  autoristU  à  écrire  <àM.  I*itt.  .le  compte 
que  nous  n'aurons  la  réponse  de  la  Russie  sur  le  projet  de 
déclaration  (!2i  que  dans  lô  jours,  et  15  jours  gagnés  dans 

(1)  Le  ciiinlo  de  Choiseul,  coniinc  on  l'a  vii.t'Iail  tenu  au  courant,  par  son 
collègue  Hrclouil.  de  la  inaiclie  des  ni';tO(;ialions  à  Pétersliourj;. 

('l)  Projet  sur  les  termes  duquel  les  cours  de  Vienne  et  de  Versailles  étaient 
d'accord  et  qui  avait  élé  envoyé  à  Pélersbourj;. 


I'  [•■ 


t  f-- 


^/>. 


iNfi 


,A  (iUKHUK  I)K  SKI'T  ANS. 


niAIV  VIII. 


les  circonslanccs  présentes  no  in'onl  pas  paru  inditlV-- 
irnh.  Je  pense  <rHilleui'S(pi'in(lépen(laiimierif  de  ce  profit, 
c'est  un  g'raïKl  avantage  d'entamer  une  eorrespoiidance 
avec  l'.Vn^letcrre,  de  l'aveu  de  nos  alliés,  et  de  prouver  à 
M.  de  Kaunit/,  (pie  ses  idées  ne  ioni  pas  loi  et  «pic  sa 
déliauce  et  ses  soupçons  ne  forment  pas  une  l)arri(''re 
insurmontaljl4>  », 

F.e  lendemain,  Kaunit/  vint  dire  A  l'ambassadeur  (  1  que 
«  l'Impératrice  était  d'avis,  pour  no  pas  retarder  les  négo- 
ciations do  la  paix,  ([ue  M.  deStarhemherg  et  vous.  Mon- 
sieur, envoyassiez  chacun  de  votre  cAté,  mais  en  mémo 
temps,  le  projet  de  déclaration  dont  nous  sommes  d'ac- 
cord, à  M.  le  Prince  (Jalit/in,  en  lui  martpiant  (|ue,  s'il  est 
autorisé  pai'  sa  (]our,  nous  l'invitons  à  remettre  au  minis- 
tre anglais  nos  deux  déclarations  avec  une  pareille  au 
nom  de  sa  souveraine...  !/lnipératrice  pense  aussi  (pie 
votre  lettre,  Monsieur,  doit  contenir  toute  la  substance  de 
notre  déclaration,  en  retranclianl  seulement  l'article  de  la 
suspension  ». 

Un  courrier  partit  io,  soir  même  pour  informer  Starhem- 
berg'  ("2)  de  r(>ntente  intervenue,  tandis  qu'une  nouvelle 
édition  de  la  déclaration,  revue  et  corrigée  par  Kaunitz  et 
le  comte  de  Choiseul,  reprit  le  chemin  de  Pétershourg-. 

Dans  cette  longue  négociation  dont  les  phases  nous 
fournissent  des  aperçus  intéressants  sur  les  deux  princi- 
paux acteurs,  Choiseul,  malgré  les  concessions  qu'il  avait 
été  obligé  de  consentir,  avait  ou  gain  de  cause.  Il  était 
parvenu,  en  dépit  de  Kaunitz,  au  but  (£u'il  avait  recherché  ; 
avec  l'assentiment  tout  au  moins  tacite  des  deux  cours 
impériales,  il  s'était  approprié  le  r('>lo  essentiel  dans  les 
pourparlers  qui  allaient  s'engager  ;  c'est  lui  qui  serait  le 
porte-paroles  des  puissf.nces  alliées,  qui  tiendrait  les  fils. 


(1)  Comte  de  Choiseul  ail  iluc.  13  inurs  17(11.  Allaires  Ktrangères. 

(2)  KauniUà  StarhemberK.  lii  mars  l"fil.  Arciiivcs  de  Vienne. 


^^MiéÉ^^^ 


mm 


HonTADKS  ni;  nioisKix. 


417 


sauf  il  rendre  compte,  il  ost  vrai,  ii  un  critique  dont  il 
n'i^nmait  ni  l'esprit  soupçonneux,  ni  la  blessure  d'nuiour- 
propre.  Kauiiitz,  en  ell'et,  dans  sa  correspondanco  avec 
StarluMuherg  (I),  ne  dissimule  pas  smu  éeliec,  qu'il  at- 
tribue n  la  poliliipie  russe  (|ui  s'inspiie  de  la  «  fausseté  la 
|)lus  noire  et  des  intérêts  les  plus  (''fi;()ïsles....  ([ui  sacri- 
fie au  désir  d'être  agréable  à  la  l-'rance  et  (pii  l'ail  utu; 
fausse  position  à  l'Autriche  (pii  est  laissée  en  dehors 
des  premiers  pourparlers  pacifiques  ». 

Il  était  temps  ([uc  le  consentement  de  la  cour  de  Vienne 
arrivAt  à  VersailbîS,  car  (Ihoiseul  (2),  furieux  du  con- 
tenu de  la  première  réponse  de  la  c(Uir  de  Hussie,  mé- 
content de  l'atlitude  des  dtuix  hnpératiices,  «  l'cfuse  de  sv 
soumettre  en  esclave  et  au  détriment  de  la  puissance  Iran- 
t,'aise  aux  volontés  de  nos  al'iés  ».  Il  a  conseillé  au  Koi 
d'ayir  par  lui-même  et  «  nos  alliés  prévenus, d(!  suivre  de 
concert  avec  la  Suède  les  dispositions  cpic  Sa  Majeslé  croira 
les  meilleures  pour  parvenir  à  la  négociation  de  la  paix  et 
forcGi'les  Impératrices  par  le  fait  iiyac([uiescer,  puisque  le 
raisonnement  et  la  confiance  ne  peuvent  rien  sur  elles  ni 
sur  leur  conduite  ». 

L'irritation  du  ministre  de  Louis  XV  s'était  de  nouveau 
traduite  par  des  boutades,  des  accusations  de  mauvaise  foi, 
des  injures  à  l'adresse  de  la  cour  de  Vienne.  En  pareille 
occurrence,  Choiseul,  à  en  juger  par  les  rapports  de 
Sturhemberg,  ne  cherchait  pas  à  se  maîtriser,  il  se  laissait 
aller,  peut-être  par  tactique  et  à  bon  escient,  A  des  accès  de 
colère  qui  n'avaient  rien  de  diplomatique  et  desffuels  il 
était  le  premier  à  s'excuser  le  lendemain,  l'ne  anecdote 
relatée  par  Starhembcrgi3  est  caractéristique  à  cet  égard  : 
Lors  d'une  de  ces  interminablesdiscussions.  Choiseul  s'était 


(1)  Kaunilz  à  Sliiiliembcrt;,  l:t  inarsiTtil.  Aicliives  de  Vienne. 

(2)  Duc  <le  ("lioiseul  au  comte,  18  mars  17(11.  All'aires  Klran^tTes. 

(3)  Slarlieuibeig  à  Kaunilz,  "J  février  1761.  Aiciiives  de  Vienne. 


4H8 


LA  GUKHHK  DK  SKPT  ANS.  —  CHAI».  Mil. 


écrié  :  ((  Puisque  vous  voiilez  continuer  la  ijuerrc,  nous 
traiterons  séparément  notre  [)aix  avec  l'Angleterre...  Vous 
n'avez  donc  qu'à  vous  regarder  comme  prévenus  dès  à 
présent,  car  Je  vous  jiréviens  que  c'est  lA  notre  intention  ; 
nui,  je  vous  préviens.  »  Starboniherg  aurait  répondu  eu 
riant  :  «  .le  ne  crois  pas  (pie  vous  me  disiez  cela,  pour  que 
je  rende  compte  à  ma  cour...  mais  si  pourtant  vous  le 
voulez  absolument,  je  le  lui  manderai. —  Oh!  non,  ré- 
j>li<[ua  (ihoiseul  en  riant  aussi,  n'en  faites  rien.  Nous  n'en 
sommes  pas  là,  et  je  ne  me  suis  fâché  qu'entre  nous.  » 
Il  va  de  soi  que  tous  les  propos  du  ministre  français  étaient 
tidèlemcnt  rapportés  A  Vienne  et  qu'ils  n'étaient  guère  de 
nature  A  plaireàKaunitz  qui,  peu  enclinàdes  emportements 
de  môme  genre,  leur  (  lierclie  une  raison  tout  autre  que 
le  tempérament  (le  Clioiseul  :  «  L«  duc  dépasse,  (crit-il  (1), 
toutes  les  bornes  de  la  convenance  et  de  la  discrétion  ;  cela 
me  porte  A  croire  (ju'il  doit  avoir  conc.u  A  nouveau  l'espoir 
de  remettre  sur  |)ied  son  grand  [)r()jet  de  se  rendre  mai- 
tii'  de  toute  la  négociation  pour  la  paix  et  de  réaliser  sa 
proposition  monstrueuse  du  double  congrès.  » 

Pour  se  rendre  compte  du  degré  de  tension  auquel 
étaient  arrivés  les  rapports  entre  les  cabinets  de  Vienne  et 
de  Versailles,  il  faut  se  rappeler  que  la  prose  de  Kaunitz  ré- 
pondait au  langage  que  Choiseul  avait  tenu  à  Starhemberg- 
([uelques  jours  auparavant  2;.  Les  deu.v  hommes  d'état 
s'entendaient  sur  un  seul  point  :  la  dénonciation  des  pro- 
cédés russes;  Choiseul  ne  trouvait  pas  d'expressions  trop 
dures  pour  qualitier  la  conduite  de  la  Russie;  il  était  aussi 
sévère  pour  elle  (juc  Kauuitz.  L'accusation  de  fausseté 
(|u'ils  étaient  d'accord  pour  lancer,  était,  il  faut  l'avouer, 
justifiée,  car  les  uaroles  de  VVoronzow  variaient  selon  la 
nationalité  de  l'audjassadeur  avec  lequel  il  s'entretenait. 


(I)  Kaiinit/  à  SlailioinbL'ig,  .>0  mars  17(!l.  Arrliives  de  Vienne. 
C*)  Slarheniberg  à  Kaunitz,  20  inai-s  I7GI.  Arciiives  de  Vienne. 


î):\i 


■     ACCOUD  DÉFINITIF  DES  ALMKS. 

Trf's  lavorableavec  Brcteuil  aux  propositions  <le  C'ioiseul, 
lo  chancelier  russe,  avec  Esterliazy.  était  tout  prêt  à  écou- 
ter les  suggestions  de  Kaunitz.  Le  ministre  français  alla 
jns(|u'fï  parler  de  laisser  la  Kussie  en  dehors  des  négo- 
ciations; Staihcmherg,  plus  prudent,  aflirnia  la  solidarité 
entre  les  deux  Impératrices.  Choiseul  de  lui  répliquer  en 
demandant  à  quel  allié  la  cour  de  Vienne  accorderait 
la  préférence  en  cas  de  conllit.  L'Autr-chien  se  garda 
bien  de  donner  inie  réponse  précise  à  une  ([uestion  aussi 
embarrassante. 

Entln,  dans  la  conférence  qui  fait  l'objet  de  sa  dépêche 
du  26  mars  fi  ,  l'ambassadeur  de  Marie-Thérèse  se  mit  d'ac- 
cord avec  le  ministre  de  Louis  XV.  Sous  prétexte  (pie  la 
Uussie  avait  adhéré  à  la  procédure  (pi'il  avait  imaginée 
Choiseul  voulait  insérer,  dans  la  lettre  adressée  à  Pitt, 
la  menti<ui  «  qu<'  la  France  était  autorisc-e  à  entrer  en 
pourparlers  avec  l'Angleterre,  à  négocier  et  ii  arrêter  les 
préliminaires  en  son  nom  et  en  celui  de  ses  alliés  ».  De- 
vant la  résistance  de  Starhemberg  (pii  combattit  avec 
adresse  une  addition  inacceptable  pour  sa  souveraine,  on 
revint  au  principe  d'une  déclaration  commune  relative  au 
congrès.  A  ce  document  seraitajoutée  uni;  lettie  de  lacoui- 
de  Versailles  contenant  les  ouvertures  pour  un  arrange- 
ment spécial  entre  la  France  et  l'Angleterre;  cette  pièce, 
préalablement  connnuniquée  aix  représentants  des  alliés, 
ne  traiterait  que  des  conditions  de  paix  entre  les  deux 
[»uissances  à  l'exclusion  de  toute  autre  matière. 

Quani  à  la  question  de  l'armistice  (pii  avai!  donné  lien 
à  de  si  gros  débats,  il  fut  entendu,  après  qucl<[u<'s  ob- 
jections delà  part  de  Starhemberg,  qu'elle  ne  serait  po- 
sée ([ue  pour  les  hostilités  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
et  sous  la  réserve  que,  pendant  la  durée  de  la  suspension, 
ni  l'Angleterre,  ni  ses  alliés  ne   foui'niraienl  de  secours 

(I)  StaiiiPinlicrg  ù  Kauiitlz,  W  mars  I7(ll.  Archives  de  Vienne. 


VM) 


LA  GUEHRK  DF,  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VIII. 


I 


il  :. 


j 


directs  ou  indirects  à  ia  Prusse.  Ces  points  dûment  fixés, 
les  ambassadeurs  des  cours  alliées,  on  collaboration  avec  le 
ministre  fran<'ais,  s'attelèrent  ù  la  rédaction  des  textes.  La 
besogne  fut  rapidement  accomplie,  et  dès  le  lendemain 
27  mars,  le  duc  de  Choiseul  put  annoncer  à  son  cousin  (1 1 
que  les  déclarations,  signées  séparément  et  collectivement 
par  tous  les  diplomntes  intéressés,  avaient  été  expédiées 
au  prince  de  Galitzin;  Choiseul  y  avait  joint  uac  lettre 
pour  Pitt  et  un  mémoire  particulier  du  Roi  au  roi  de  la 
Grande-Bretagne.  «  Peut-être  vous  dira-t-on,  ajoute-t-il, 
que  nos  propositions  à  l'Angleterre  sont  trop  désavan- 
tageuses pour  nous  ;  ce  dé^iavantage  regarde  uniquement 
le  Roi  et  S.  M.  pense  au  contraire  qu'il  serait  intéressant 
pour  elle  que  S.  M.  Rritannique  acceptât  purement  et  sim- 
plement ce  qu'elle  lui  propose.  » 

L'Impératrice  était-elle  réellement  aussi  opposée  à  la 
pacification  que  le  laisseraient  supposer  les  entraves  ap- 
portées par  la  cour  de  Vienne  aux  tentatives  de  Choiseul? 
Ses  ])ropos  au  cours  d'un  entretien  ([u'elle  eut  vers  cette 
époque  avec  l'envoyé  de  Louis  XV  seraient  en  contradiction 
avec  cette  liypolhèse.  La  conversation  (2)  avait  porté  d'a- 
bord sur  l'attitude  delà  cour  de  Russie  au  sujet  de  laquelle 
la  princesse  partageait  les  sentiments  de  son  chancelier  : 
«  Elle  m'a  beaucoup  parlé  de  la  Russie,  des  différents  mé- 
moires qu'elle  nous  a  donnés,  du  caractère  de  ses  minis- 
tres, de  la  difficulté  de  traiter  avec  cette  cour,  et  de  la 
malheureuse  nécessité  où  elle  se  trouvait  de  la  ménager 
pour  ses  intérêts  politiques  à  cause  des  Turcs  et  du  roi  de 
Prusse.  Elle  m'a  paru  très  mécontente  de  sa  manière 
d'agir  dans  cette  occasion-ci,  de  la  duplicité  de  sa  con- 
duite, de  ses  variations,  et  de  la  diversité  du  langage 
qu'elle  tient   h  nos  ambassudeurs.   Elle  m'a  dit  que  le 


(t)  Duc  (le  Choiseul  au  roinlc,  '>'  mars  17(11.  Affaires  Etrangères. 
(2)  Coinle  de  Choiseul  au  duc,  l'^avril  17G1.  Affaires  Étrangères. 


mmmmmm 


API'HKCIATIONS  DK  MARIE-TIIEHISE  SUU  1-A  UUSSIK. 


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chancelier  Woroîizow  était  celui  qui  valait  le  mieux , 
et  qu'il  passfiit  pour  lionnôtc  homme,  mais  qu'il  était 
russe  et  qu'on  ne  pouvait  pas  compter  sur  lui.  Nous 
sommes  entrés  clans  la  définition  du  caractère  de  cette 
nation,  elle  la  regarde  conime  fausse,  défiante,  vaine, 
fourbe,  ignorante  et  intéressée.  »  L'Impératrice  se  dit  tout 
H  fait  étrauiièi'e  à  la  première  réponse  de  Pétersbourg-  : 
«  ()n  nous  soupçonne  à  Versailles  de  l'avoir  dictée  et  cela  est 
bien  injuste.  Je  vous  assure  que  nous  n'y  avons  aucune 
part.  »  Elle  ajouta  :  «  Dans  le  temps  qu'on  nous  accuse  à 
Versailles  d'avoi"  dicté  la  première  réponse  de  la  Russie  et 
d'entretenir  cette  cour  dans  des  idées  guerrières,  elle 
nous  reproche  (1)  de  nous  être  entendus  avec  vous  et 
d'avoir  fait  un  arrangement  ensemble  à  son  insu...  Les 
Russes  déliants  et  jaloux  ont  été  fort  choqués  de  ce  que 
la  cour  de  Vienne  ne  leur  avait  pas  fait  part  de  notre 
première  ouverture.  »  Puis  on  causa  des  démarches  qu'on 
avait  faites  ou  qu'on  allait  faire  auprès  du  cabinet  an- 
g'iais.  Le  comte  de  Choiseul  déclara  qu'il  lui  paraissait 
impossihle  que  nos  ennemis  osassent  refuser  un  congrès. 
La  souveraine  reprit  :  «  Oh,  pour  cela,  je  ne  le  crois 
pas,  mais  c'est  une  voie  bien  lente  et  si  l'on  n'a  pas 
d'autres  moyens  d'arrivé»'  à  la  paix,  je  crains  bien  que 
nous  ne  l'ayons  pas  sitôt  et  que  nous  ne  soyons  obligés  de 
faire  encore  cette  campagne.  »  Cel.ingagene  cadraitguère 
avec  celui  de  M.  dr  Kaunitz,  mais  au  dire  de  l'ambassadeur, 
il  correspondait  au  sentiment  réel  de  l'Impératrice  qui 
n'avait  jamais  eu  de  goût  pour  le  congrès  et  qui,  dans 
la  circonstance,  avait  cédé  aux  vues  de  son  chancelier.  L(.' 
comte  de  Choiseul  fit  observer  que  ce  n'était  pas  la  faute 
de  la  France,  si  on  avait  choisi  la  voie  la  plus  longue,  et 
que  sa  cour  avait  proposé  des  procédés  plus  expéditifs, 

(I)  CeUc  accusation  iMait  loiidce.  Sslerhazy.  par  iiiadvcilancc.  >vail  iiiélt- 
dans  d'aulrcs  papiers  communiqués  à  Woronzow  une  copie  de  !a  réponse 
de  la  cour  de  Vienne  au  premier  mémoire  français, 


■  t' 


!'  'Mi 


■    'fi. 


492 


l,A  nUKURK  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  VIII. 


■  I 


mi!  k 


qui  avaient  été  repoussés,  I/Impératrice  est  alors  revenue 
à  la  thèse  de  son  ministre,  et  m'a  dit  :  «  Il  est  vrai 
(|u'iln'y  avait  pas  un  moyen  plus  décent  et  plus  conve- 
nable qu'un  congrès,  mais  il  est  bien  lent,  et  je  vous  as- 
sure que  je  désire  la  paix  avec  la  plus  grande  impatience. 
Je  me  flatte  quelquefois  que  nous  l'aurons  incessamment 
et  puis  je  crains  que  nos  ennemis  no  la  veuillent  pas  : 
ainsi  tour  à  tour,  j'espère  et  je  désespère.  »  L'ambassa- 
deur termine  son  rapport  en  affirmant  sa  confiance  dans 
la  sincérité  des  déclarations  de  la  souveraine. 

La  négociation  ainsi  amorcée  se  poursuivra  pendant 
les  mois  d'été,  mais,  par  la  force  des  choses,  elle  se  trans- 
formera. Le  principe  d'un  congrès  unique  sur  lequel  les 
puissances  alliées  avaient  eu  tant  de  peine  à  se  mettre 
d'accord,  sera  accepté  d'emblée  par  l'Angleterre  et  la 
Prusse  ;  les  plénipotentiaires  seront  désignés  et  feront  leurs 
préparatifs  pour  se  réunir  à  Augsbourg  vers  le  mois  de 
juillet.  Peu  à  peu,  l'opinion  se  modifiera,  les  pourparlers 
directs  entamés  à  Londres  et  A  Paris  absorberont  l'atten- 
tion et  feront  comprendre  à  tous  que  bon  gré,  mal  gré, 
de  l'entente  préalable  entre  la  France  et  l'Angleterre  dé- 
pendra la  pacification  générale  de  l'Europe,  Choiseul  et 
Pitt  deviendront  les  acteurs  principaux  de  la  pièce  diplo- 
matique ;  Kaunitz  échangera  son  rôle  d'initiative  contre 
celui  d'observatt  tu*  et  de  critique.  A  chaque  communica- 
tion des  pièces  qui  se  transmettront  entre  Paris  et  Lon- 
dres, nous  le  verrons,  soit  de  vive  voix  avec  les  chargés 
d'affaires  ou  les  ministres  qui  succédèrent  au  comte  do 
Choiseul,  soit  par  l'entremise  du  vigilant  Starhemberg, 
surveiller  d'un  œil  jaloux  les  conversations  anglo-fran- 
çaises, mais  son  action  sera  liée  d'une  façon  si  intime  au 
sujet  lui-môme  qu'il  sera  impossible  de  la  traiter  à  part; 
elle  trouvera  sa  place  au  cours  du  récit.  Quant  à  son  in- 
terlocuteur habituel  le  comte  de  Choiseul,  nonmié  plé- 
nipotentiaire de  la  France  au  congrès  d'Augsbourg,  il  fut 


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DÉSIGNATION  DES  PLKNIl'OTENT.  AU  CONGRÈS  D'Al'GSROURG.  ^93 

rappelé  à  Paris  dans  les  premiers  jours  de  mai,  travailla 
au  ministère  des  affaires  étrangères,  dont  il  devait  bientôt 
prendre  la  direction,  et  ne  revint  pas  à  Vienne.  Starhem- 
l)er4i,  très  avisé,  devina  dès  le  début  que  le  véritable 
centre  de  l'action  diplr  matique  serait  à  Paris  et  que  l'in- 
térêt de  sa  souveraine  exigeait  son  maintien  auprès  du 
duc  de  Choiseul  ;  il  fit  entrer  Kaunitz  dans  ses  vues  et 
refusa  l'offre  de  représenter  l'Autriche  â  Augsbourg  où  il 
fut  remplacé  j)ar  le  comte  Seilern. 


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CHAPITRE  IX 

NÉGOCIATIONS 
ENTRE    LA    FRANGE    ET    L'ANGLETERRE 

rrmisf:  uks  dkclarations.  —  l'kxpkiution  dk  brlleislk. 
—  l  uti  possioetis.  —  corrkspondanck  de  pitt  et  de 
choiseul.  —  missions  de  stanlev  et  blssy.  —  leurs 
instrk'.tioxs.  —  role  de  choiseul.  —  mémoire  sir 
les  grieis   espagnols.   —   portraits  de  put  et  (.iioi- 

SEUL. 

La  cour  de  Versailles  n'avait  pas  attendu  lo  consen- 
tement (le  ses  alliés  au  principe  des  ouvertures  pacifi- 
ques pour  étudier  les  moyens  d'approcher  le  cabinet 
britannique.  Il  fut  d'abord  question  de  charger  le  (îé- 
nois  Sorba  d'une  mission  occulte;  puis,  vers  la  fin  de 
février,  Newcastle  ( J;  reçut  une  lettre  du  banquier  hol- 
landais Van  Eck  le  sondant  sur  l'accueil  qui  serait  fait 
au  financier  La  Borde  dans  le  cas  où  ce  dernier  vien- 
drait passer  une  quinzaine  de  jours  à  Londres.  Le  per- 
sonnage désigné  était  trop  en  évidence,  son  intimité  avec 
Choiseul  trop  connue,  pour  qu'on  n'attachîU  pas  quelque 
importance  à  l'annonce  de  cette  visite.  Newcastle,  selon 
ses  habitudes,  consulta  llardwicke;  celui-ci  engagea  son 
ami  à  ne  pas  négliger  la  piste  ainsi  découverte  et  à  prêter 
l'oreille  à  ce  que  La  Borde  aurait  à  dire.  Newcastle  ré- 
pondit dans  ce  sens  à  Van  Eck  et  s'apprêtait  à  entretenir 

(1)  Nowcasllc  i\  Hardwicke,  :>">  févriiM-  l"(il.  Newcastle  Papers.^ 


I  I 


REMISE  DES  DÉCLARATIONS  PAR  CALITZIN. 


4i)r> 


(le  l'aflaire  le  Roi  et  ses  collègues  du  cabinet  :  la  crise 
ministérielle  no  lui  en  laissa  pas  le  temps. 

Il  n'y  avait  rien  à  objecter  à  l'emploi  crbommes  d'aussi 
bonne  renommée  que  Van  Eck  et  La  Borde,  mais  le  cabi- 
net de  Versailles  n'était  pas  toujours  aussi  beureuxdans  le 
choix  de  ses  «gents.  C'est  ainsi  que  Bute,  dans  l'entrevue 
qu'il  eut  avec  (ialitzin  A  l'occasion  do  la  remise  des  dé- 
clarations, se  plaignit  des  intrigues  d'un  aventurier  du 
nom  de  Tall",  qui  se  prétendait  autorisé  par  Choiseul.  Cet 
incident,  rapporté  par  l'ambassadeur  russe  dans  une  dé- 
pêche communiquée  à  Starhembcrg  ili,  donna  lieu  à  un 
interrogatoire  de  Choiseul  dont  ce  dernier  se  tira  de  son 
mieux  :  D'après  sa  version,  Tali',  dont  les  services  avaient 
été  utilisés  par  le  maréchal  de  Belleisle,  aurait  produit 
des  lettres  de  Fox,  invoqué  ses  bonnes  relations  avec 
Bute  et  se  serait  fait  fort  de  gagner  la  princesse  de  dalles 
à  la  cause  de  la  paix  moyennant  un  cadeau  de  C  150.000; 
il  était  d'ailleurs  très  déconsidéré,  et  jamais  lui,  Choi- 
seul, n'avait  eu  affaire  directement  avec  le  personnage. 
Quelque  peu  d'importance  qu'eussent  ces  agissements 
secrets,  il  était  grand  temps  d'y  substituer  la  démarcln» 
officielle  dont  les  coui-s  alliées  avaient  chargé  le  repré- 
sentant de  la  Russie  à  la  cour  de  Saint-James. 

Le  31  mars,  le  prince  Galitzin  remit  aux  deux  secré- 
taires des  affaires  étrangères,  Bute  et  Pitt,  les  pièces  di- 
plomatiques dont  la  rédaction  avait  donné  lieu  aux  lon- 
gues discussions  que  nous  avons  exposées  dans  lo  cha- 
pitre précédent  :  la  première  était  une  déclaration  2  au 
nom  des  deux  Impératrices,  des  rois  de  France  ot  de 
Suède,  et  du  roi  de  Pologne,  en  sa  qualité  d'électeur 
de  Saxe;  elle  offrait  î\  l'Angleterre  et  à  la  Prusse  de  re- 
nouer les  négociations  pour  la  tranquillité  générale  de 

(1)  Starhemberg  à  Kaunit/,  10  avril  17(51.  Arcliivt'j  de  Vienne. 
CÀ)  Affaires  Étrangères.  Annual  Register  ITCl.  p.  '!7'!.  La  déclaration  élait 
datée  de  Paris  le  '>X>  mars  17(11. 


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LA  OUKURK  DK  SKPT  ANS. 


CIIAP.  iX. 


l'Europe  ol,  dans  ce  l)ut,  suggérait  la  réunion  d'un  congrès 
à  Augsijourg  ou  dans  une  autre  ville  d'Allemagne,  Les 
hautes  puissances  signataires  avaient  déjà  nommé  leurs  re- 
présentants et  priaient  Leurs  Majestés  britannique  et  prus- 
sienne d'en  faire  autant.  Cinq  copies  de  ce  document,  si- 
gnées [)!ir  chacun  des  and)assadcurs  ou  envoyés  en  résidence 
à  Paris,  furent  données  à  Pilt  et  aux  ministres  prussiens 
à  Londres.  Un  accueil  sympathique  ne  pouvait  faire  doute. 
Dans  un  précédent  chapitre,  nous  avons  relaté  l'opinion 
manifestée  par  le  roi  de  Prusse  en  faveur  de  la  paix,  son 
impatience  d'ouvrir  les  pourparlers  et  le  conseil  donné 
au  cabinet  britanm  jue  d'en  assumer  au  besoin  l'initia- 
tive. L'Angleterre,  dont  les  alfaires  étaient  en  bien  meil- 
leure situation  que  celles  de  son  allié,  était  également 
désireuse  de  terminer  la  guerre  d'Allemagne  ;  depuis  l'avè- 
nement du  jeune  souverain,  depuis  l'introduction  de  Bute 
dans  le  cabinet,  les  idées  de  paix  avaient  gagné  du  terrain; 
Pitt  lui-même  ne  faisait  plus  d'opposition  à  la  poussée 
pacifique  ([u'on  sentait  dans  l'air.  Il  eût  été  d'ailleurs 
dangereux,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  repousser 
des  ouvertures  qui  n'étaient,  en  quelque  sorte,  (jue  la 
réponse  tardive  à  celles  que  l'Angleterre  et  la  Prusse 
avaient  formulées  vers  la  fin  de  1759.  Quatre  jours  après 
la  remise  des  documents  confiés  à  (ialitzin,  le  nouveau 
sous-secrétaire  pour  le  département  du  Nord,  Bute,  ré- 
j)ondit  en  acceptant  la  proposition  des  cinq  cabinets  de 
l'Europe  et  en  s'engagcant,  tant  au  nom  de  l'Angleterre 
que  de  la  Prusse,  à  désigner  leurs  plénipotentiaires  au 
futur  congrès.  Les  choix  lurent  faits,  et  l'on  parla  va- 
guement d'une  réunion  pour  la  première  quinzaine  de 
juillet,  mais,  en  fait,  le  congrès  ne  s'assembla  pas;  par 
entente  tacite,  et  à  partir  surtout  de  la  mission  de  Bussy 
et  de  Stanley,  les  gouvernements  intéressés  ajournèrent  le 
gros  problème  des  arrangements  européens  jusqu'après 
solution  de   la  négociation  entamée  entre  les  .cours  de 


44i 


1 


L'UTI  POSSIDETIS  DU  MEMOIRE  FRANÇAIS. 


49  : 


Versailles  et  de  Londres  pour  leur  accord  particulier. 
A  la  déclaration  des  puissances  alliées  étaient  joints  une 
lettre  de  Choiseul  1 1 1  à  Pitt  et  un  mémoire  portant  la  même 
date  du  26  mars.  F^a  lettre  adressée  à  Pitt,  après  quelcjuos 
mots  affirmant  l'union  de  la  France  avec  ses  alliés,  abordait 
la  question  d'un  traité  entre  les  deux  cours  :  «  Le  Roi,  mon 
maître...  m'a  autorisé  d'envoyer  à  V.  K.  le  mémoire  ci-joint 
qui  concerne  uniquement  les  intérêts  de  la  France  et  de 
l'Angleterre  relalivement  à  la  guerre  particulière  des  deux 
couronnes.  »  Le  Roi  espérait  que  «  la  manière  franche  avec 
laquelle  il  propose  de  traiter  avec  S.  M.  Britannique,  6tera 
toute  méfiance  dans  le  cours  de  la  négociation,  si  elle  a  lieu  » . 
Le  mémoire  qui  avait  été  rédigé  par  Choiseul  en  personne 
et  qui  fut  le  point  de  départ  de  toute  les  conversations, 
mérite  d'être  cité  presque  en  entier  :  «  Le  roi  Très  Chré- 
tien désire  que  la  paix  particulière  de  la  France  avec 
l'Angleterre  soit  unie  à  la  paix  générale  de  l'Europe, 
pour  laquelle  S.  M.  fait  les  vœux  les  plus  sincères,  mais 
comme  la  nature  des  objets  qui  ont  occasionné  la  guerre 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  est  totalement  étrangère 
aux  contestations  de  l'Allemagne,  S.  M.  Très  Chrétienne  a 
pensé  qu'il  était  nécessaire  de  convenir  avec  S.  M.  Bri- 
tannique des  points  principaux  qui  formeront  la  base  de 
leurs  négociations  particulières  pour  accélérer  d'autant 
plus  la  conclusion  générale  de  la  paix.  »  En  vue  d'écar- 
ter ((  les  discussions  de  nations  sur  leurs  conquêtes  ré- 
ciproques..., source  de  méfiance.  Je  difficultés  et  de  lon- 
gueurs, et...  pour  prouver  la  franchise  de  ses  procédés... 
le  roi  Très  Chrétien  propose  à  S.  M.  Britannique  de  con- 
venir que  relativement  à  ki  guerre  particulière  de  la 
France  et  de  l'Angleterre,  les  deux  couronnes  resteront 
en  possession  de  ce  qu'elles  ont  conquis  l'une  sur  l'autre, 
et  que  la  situation  où  elles  se  trouveront  au  premier  de 


Ifi 


(1)  Choiseul  à  Pilt,  26  mars  1761.  Affaires  Étrangères.  Record  Oftice. 

CUEBRE    DE   SEPT  ANS.    —   T.  IV.  32 


I      fIJ 


•i'.m 


LA  OUKURK  UK  SKPT  ANS.         Cil AP.  IX, 


septembre  de  l'année  1701  aux  Indes  Orientales,  au  pre- 
mier de  juillet  do  ladito  année  aux  Indrs  Occidentales  et 
en  Afri(|ue,  et  au  premier  d<;  mai  prochain  en  Europo 
sera  la  position    ([ui  servira  de  base  au  traité  qui  peut 
être  négocié  entre  les  deux  puissances.  Ce  qui  veut  dire 
que  le  roi  TrJ^s  Chrétien  pour  donner  un  exemple  d'hu- 
manité et  contribuer  au  rétablissement  de  la  tninquillité 
générale,  fera  le  sacrifice  des   restitutions    qu'il  a  lieu 
de  prétendre,  en  même  temps  cju'il  conservera  ce  qu'il 
a  ac(|uis  sur  l'Angleterre  pendant  le  cours  de  cette  guerre. 
Cependant,    comme  S.  M.   Britannique   pourrait  penser 
que  les  termes   proposés  des  mois  de  septembre,  juillet 
et  mai  seraient  ou  trop  rapprochés  ou  trop  éloignés  pour 
les  avantages  de  la  couronne  britannique,  ou  que  S.  M. 
Britanni  |ue  croirait  devoir  faire  des  compensations  de 
la  totaliié  ou  de  partie   des  conquêtes  réciproques  dos 
deux  couronnes,  sur  ces  deux  objets,  le  roi  Très  Chrétien 
entrera  volontiers  en  négociations  avec  S.  M.  Britannique 
lorsqu'il  connaîtra  ses  intentions  ». 

Le  cabinet  anglais,  ou  plutôt  le  petit  cénacle  qui  en  in- 
carnait la  pensée  directrice,  ne  perdit  pas  de  temps  pour 
examiner  le  document  français  et  pour  en  peser  avec  soin 
les  expressions.  Quel  était  le  sens  des  mots  «  conquêtes  ré- 
ciproques »?  Il  était  difficile  de  supposer  que  le  rédacteur 
français  n'eût  visé  que  les  territoires  conquis  de  part  et 
d'autre  sur  les  possessions  propres  des  deux  couronnes.  Une 
pareille  interprétation  laisserait  à  l'Angleterre  le  Canada, 
la  Guadeloupe,  le  Sénégal  avec  leurs  dépendances  en 
échange  de  Minorque  qui  constituait  la  seule  acquisition 
de  la  France.  D'après  Pitt  (1),  la  proposition  de  Choiseul 
devait  comprendre,  quoique  cela  ne  fût  pas  dit  on 
mots  précis,  au  titre  de  conquêtes,  les  pays  occupés  en 
Allemagne,  tels  que  la  Hesse  et  le  canton  de  Gottingen 


^i)  Newcaslle  à  Devonshire,  2  avril  1761.  Newcastle  Papers. 


DISCUSSION  DK    l/UTI    l'OSSIDETIS  AVKC  KAUNITZ 


499 


(jui  dépondait  de  l'électoi'at  du  Hanovre.  Mais  alors, 
la  rédaction  était  l)ien  l'-xiitivc,  car  Cassel  et  (lottin^cn 
n'avaient  rien  à  faire  avec  la  couronne  d'An^lotcrro.  Les 
termes  ambigus  dont  Clioiseul  s'était  servi  donnèrent  lieu 
à  des  observations  analogues  à  Vienne  où  copie  des  docu- 
ments expédiés  à  Londres  avait  été  remise  à  Kannitz  par 
l'ambassadeur  français  (1).  Le  ehancelier  «  parut  content 
de  la  manière  dont  cette  importante  expédition  s'est  faite 
et  du  concert  qui  a  régné  entre  tous  les  ministres  de  l'al- 
liance ».  A  propos  de  la  clause  de  ïuti possùlel/s,  «  il  a  été 
un  peu  étonné  des  grands  sacrilices  (|ue  nous  avons  l'air  de 
vouloir  frire,  en  proposant  que  les  deux  couronnes  reste- 
ront en  possession  de  ce  ((u'elles  ont  conquis  l'une  et  l'autre. 
Il  n'entendait  par  les  acquisition  faites  sur  l'Angleterre  que 
l'Ile  de  Minorque  et  le  rétablissement  de  Dunkerque,  qui  pa- 
raissent un  médiocre  dédommagement  de  toutes  les  colo- 
nies que  nous  avons  perdues  ».  Le  terrain  était  délicat;  le 
comte  de  Choiseul  reste  sur  la  réserve  :  «  Je  n'ai  pas  cru ,  Mon- 
s'eur,  devoir  ni  le  laisser  dans  cette  erreur,  ni  lui  dévelop- 
per le  sens  caché  et  le  mystère  que  je  suppose  dans  cette 
clause  ;  car  si  je  vous  ai  bien  compris,  l'explication  complète 
n'en  doit  pas  être  confiée  à  nos  alliés.  Je  me  suis  donc  con- 
tenté de  lui  dire  que  la  liesse  et  le  comté  d'Hanau  devaient 
être  compris  au  nombre  des  conquêtes  faites  sur  l'Angle- 
terre, puisque  dans  la  vérité,  elles  ont  été  faites  sur  son  ar-' 
mée,  et  que  le  landgrave  de  Hesse  n'a  perdu  ses  Ktats  que 
pour  la  guerre  propre  et  pour  la  cause  de  cette  couronne. 
J'ai  ajouté  que  votre  intention,  Monsieur,  en  faisant  aux  An- 
glais cette  proposition  qu'ils  ne  sauraient  admettre,  était 
d'en  tirer  contre  eux  une  conséquence  avantageuse  pour 
nous,  savoir  :  que  mal  à  propos,  ils  se  glorifiaient  de  leurs 
succèîs  et  de  leurs  conquêtes,  et  que  leur  situation  n'était 
pas  si  brillante  qu'ils  affectaient  de  le  croire,  puisqu'ils  ne 


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(1)  Comte  de  Clioiseul  au  duc.  Vienne,  5  avril  ITOI.  Vtraircs  ÉlrangiTes. 


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1  I 


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LA  f;UKi\ni;  dk  skpt  ans.      chap.  i.\. 


pouvaient  accepter  la  proposition  de  demeurer  danf  l'étal 
où  nous  nous  trouvons  respectivemcînt.  M.  de  Kaunitz  a 
adopté  cette  explication  et  a  tiouvé  cette  tournure  fort  ingé- 
nieuse et  fort  adroite.  Mais  il  pense,  et  je  suis  de  son  avis, 
que  les  Anf;lais  ne  réjjondroiit  point  à  notre  mémoire,  et 
«ju'en  acceptant  le  contrés,  ils  diront  qu'il  faut  y  renvoyer 
la  discussion  de  tout  ce  qui  a  rapport  aux  deux  paix.  »  Ce 
pronostic  était  erroné  comme  la  suite  le  démontrera. 

Si  la  rédaction  de  Choiseul  avait  man([ué  de  précision,  il 
en  fut  de  même,  à  dessein  sans  doute,  de  celle  de  la  ré- 
ponse anglaise  :  Riei»  à  dire  sur  la  lettre  de  Pitt  qui,  à 
part  une  phrase  sur  l'intention  de  soutenir  les  intérêts  de 
S.  M.  l*russieniie,  ne  contenait  que  des  banalités.  Le  mé- 
moire qui  accom[  agnait  le  billet  avait  été  préparé  avec 
soin;  il  reproduisait  les  passages  du  texte  de  Choiseul 
relatifs  à  l'union  des  deux  paix  dont  l'une,  la  générale,  ne 
devait  pas  être  retardée  par  les  débats  engagés  ù  propos 
de  l'autre,  la  particulière.  Pour  cette  dernière,  on  admettait 
les  principes  posés  et,  pour  éviter  tout  malentendu,  on  ré- 
pétait ici  encore  les  expressions  du  document  français  : 
((  1"  les  deux  couronnes  resteront  en  possession  de  ce 
qu'elles  ont  conquis  l'une  sur  l'autre;  2"  la  situation  oii 
elles  se  trouveront  à  certaines  époques  proposées  sera  la 
position  qui  servira  de  h-^se  au  traité  qui  peut  être  négocié 
entre  les  deux  puissam  i- ..  Quant  à  la  première  branche  de 
la  susdite  proposition.  S.  M.  Britannique  se  fait  un  plaisir 
de  rendre  ce  qui  est  dû  à  la  grandeur  d'àme  de  S.  iM.  Très 
Chrétienne  qui,  par  des  motifs  d'humanité,  fera  le  sacrifice 
à  l'amour  de  la  patrie,  des  restitutions  qu'elle  croit  avoir 
lieu  de  prétendre,  conservant  en  même  temps  ce  qu'elle  a 
acquis  sur  l'Angleterre  pendant  le  cours  de  cette  guerre.  » 
Sur  le  second  point,  relatif  aux  époques  à  fixer  pour  l'ap- 
plication de  la  clause  de  Viiti  posside/is,  Pitt  présentait  des 
arguments  tirés  des  retards  à  prévoir  dans  la  transmission 
des  ordres,  de  l'éloignement  des  lieux,  des  variations  de 


OPIMON  DK  IMTT  SUR  LES  TONDITIONS  DK  PAIX. 


501 


c:e 


saisons  et  terminait  par  une  phrase  enihronillée  (I)  cpii 
ne  fait  pas  l'éiog-c  des  connaissances  du  rédacteur  en 
langue  française  :  «  Il  en  résulte  nécessairement  (|ue  la 
nature  de  [lareilles  opérations  ne  se  trouve  g'uère  suscep- 
tible, sans  trop  <le  préjudice  à  la  partie  qui  les  emploie, 
<rautresépo((ues  pour  la  lixation  des  conquêtes  réci[)ro(pies, 
que  celles  (pii  aient  rapport  au  jour  de  la  signature  du 
traité  de  paix.  Cependant,  comme  cette;  considération  ainsi 
que  celle  (jui  regarde  des  compensations...  renfenne  la 
matière  la  plus  intéressante  et  capitale  du  traité  même..., 
le  roi  de  la  (Irande-Hretagne...  pour  démontrer  avec  plus 
d'authenticité  l'étendue  de  la  franchise  de  son  procédé  », 
serait  disposé  il  recevoir  à  Londres  «  une  personne  sufli- 
sauuuent  autorisée  par  un  pouvoir  du  roi  Très  Chrétien  >. 
et  à  discuter  avec  cette  personne  les  points  soulevés  par  le 
mémoire  du  20  mars. 

Il  est  intéressant  de  connaître,  dès  le  début  des  confé- 
rences, le  sentiment  de  Pitt  sur  les  concessions  essentielles 
à  exiger  de  la  France.  Dans  une  conversation  avec  New- 
castle  (2).  il  les  résume  avec  sa  netteté  habituelle  :  «  Ne 
pas  tenir  compte  de  la  position  du  Hanovre  dans  hi  calcul 
des  compensations;  exiger  la  cession  du  Canada  et  refuser 
le  renouvellement  du  droit  de  pêche  sur  la  côte  de  Terre- 
Neuve.  »  Sur  ces  points,  son  opinion  est  faite,  mais  il  désire 
être  renseigné  snr  celle  de  ses  collègues  avant  l'arrivée  de 
l'envoyé  franc^ais.  Quant  au  Hanovre  et  aux  territoires  des 
alliés  allemands,  il  semble  s'en  désintéresser  (.1)  en  invo- 
(juant  la  dépense  exagérée  de  la  guerre  continentale.  Au 
contraire,  il  continuerait  la  guerre  d'Amérique  pendant 
six  ou  sept  ans,  s'il  le  fallait,  pour  imposer  ses  conditions 
à  la  France.  Pitt  termine  l'entretien  en  affirmant  «  que  s'il 


(1)  Pilt  à  Choiseul,  8  avril  1761.  Record  Office. 

(2)  Conversation  de  Newcastle  avec  Pitt,  10  avril  1701.  Newcastle  Papers. 

(3)  On  venait  de  recevoir  la  nouxelle  de  la  retraite  désastreuse  du  prince 
Ferdinand. 


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i.A  C.UKRRK  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


était  en  désaccord  avec  les  autres  membres  du  cabinet 
sur  les  conditions  de  paix  ou  sur  un  autre  point,  il  deman- 
derait à  se  retirer  ».  Ce  langage  volontaire  répété  au  Roi 
n'était  pas  pour  plaire  à  celui-ci  ni  aux  collègues  du  ca- 
binet, dont  plusieurs  étaient  partisans  d'un  arrangement 
plus  raisonnable. 

Avant  de  rendre  compio  de  la  réponse  do  Choiseul,  re- 
cueillons les  premières  impressions  du  roi  de  Prusse. 
Conformément  aux  arrangements  intervenus,  le  roi  de 
Prusse,  alors  en  Saxe,  reçut  communication  immédiate 
de»  ouvertures  françaises  et  des  pièces  diverses  qui  cons- 
tituaient l'entrée  en  matières.  Il  constate  (1)  avec  quelque 
regret  que  la  déclaration  des  ])nissances  hostiles  difl'ère 
de  celle  d<mt  le  projet  avait  été  envoyé  à  Stockholm, 
«  surtout  par  rapport  à  l'otlre  d'une  suspension  d'armes, 
et  il  aurait  toujours  mieux  valu  <|uc  les  atï'aires  d'une  pa- 
cification générale  eussent  été  traitées  principalement 
entre  les  cours  de  Londres  et  de  Versailles  » .  Malgré  ces 
réserves,  il  est  heureux  «  que  le  premier  pas  soit  fait  ». 
Deux  points  le  préoccupent  :  la  conclusion  d'un  armistice 
moyennant  lequel  «  les  négociations  de  paix  au  congrès 
proposé  auraient  des  apparences  de  succès  au  lieu  que 
si  les  opérations  de  guerre  vont  leur  train.,,  le  sort 
journalier  des  événements  de  la  guerre  changerait  tout 
du  jour  au  lendemain  et  que  les  difficultés  pour  convenii' 
sur  quelque  chose  se  multiplieraient  inliniiuent  ».  Le  se- 
cond point  prend  le  caractère  d'un  ultimatum  :  «  Il  faut 
que  vous  inspiriez  à  présent  a  ux  ministres  anglais. . .  que  je 
ne  me  prêterai  de  ma  vie  à  céàer  môme  jusqu'à  un  vil- 
lage... et  que  ma  ferme  résolution  est  prise  de  ne  signer 
pas  aucun  traité  de  paix,  à  moins  qu'il  n'y  fût  n  is  pour  base 
que  je  garderai  toutes  mes  possessions  en  terres  et  en  pro- 
vinces, toutes  comme  elles  ont  été  possédées  de  moi  l'an 

(I)  Frédéric  à  Kiiyphausen  et  Michel,  Meissen,  Il  avril  nai.Correspcn- 
dance  PolUiquc,  .\X,  323. 


CIIOISEUL  ACCEPTE  LENVOI  DUN  PLENIPOT.  \  LONDRES.       50;i 

1756,  avant  le  coinmencoinont  do  la  présente  guerre.  » 
Cette  condition  «  sine  qua  non  »  fut  lîi,  pensée  mal- 
tresse et  unique  de  Frédéric;  car,  tout  en  donnant  des 
conseils  sur  la  conduite  de  la  négociation,  il  laissa  carte 
blanche  ù  Pitt  et  n'intervint  que  pour  rappeler,  en  termes 
énergiques,  le  principe  de  l'intégrité  de  son  royaunio  au- 
quel il  n'admettait  pas  qu'il  iïit  porté  atteinte. 

A  la  lettre  el  au  mémoire  de  Pitt  du  8  avril,  Choiseul 
répondit  le  19.  D'après  la  manière  de  voir  de  la  cour 
de  Versailles  (1),  l'entente  sur  la  paix  particulière  ne  se- 
rait qu'un  acheminement  vers  la  paix  générale  :  «  S.  Ma- 
jesté Très  Chrétienne,  était-il  dit,  compte  assez  sur  ses 
alliés  pour  être  certaine  qu'ils  ne  concluront  ni  paix  ni 
trêve  sans  son  consentement;  elle  n'a  donc  point  en- 
tendu que  la  paix  d'Allemagne  pût  être  conclue  séparé- 
ment de  celle  de  la  France  et  de  l'Angleterre  ;  et  elle  n'a 
proposé  au  roi  de  la  Grande-Bretagne  que  la  séparation 
de  la  discussion  des  deux  guerres  pour  parvenir  à  une 
paix  générale  pour  toutes  les  parties.  »  La  question  des 
époques  étaii  traitée  dans  des  termes  qui  pouvaient  prêter 
à  l'équivoque  :  «  Le  Roi  Très  Chré,l.ien  renouvelle  la  pro- 
position qu'il  a  fait  faire  dans  le  premier  mémoire,  que 
les  deux  puissances  restassent  in  statu  quo  de  leurs  pos- 
sessions et  de  leurs  conquêtes  selon  les  époques  indiquées 
dans  ledit  mémoire.  Mais  S.  M.  observe  que  le  fond  de  la 
proposition  est  nécessairement  lié  avec  les  époques  pro- 
posées, car  on  sentira  qu'il  pourrait  arriver  tels  événe- 
ments de  part  ou  d'autre  qui  empêcheraient  absolument 
l'acquiescement  à  ïuti  possidetis  si  les  époques  s'éloi- 
gnaient; et  S.  M.  Très  Chrétienne  est  d'autant  plus  fondée 
à  réclamer  sur  le  fond  de  la  proposition,  si  le  roi  d'Angle- 
teri'e  n'acquiesce  pas  aux  époques  qui  y  ét.uent  jointes, 
que  l'on  ne  peut  pas  douter  que  ces  épo<[ues  ont  été  pro- 


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(t)  Choiseulà  Pitt,  19  avril  1701.  Atlaiics  Étrargores.  Uecord  Oflice. 


50i- 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


posées  dans  un  temps  qui  n'était  pas  avantageux  à  la 
France.  Il  est  certain  que  les  conquêtes  réciproquesne  peu- 
vent être  iixées  que  le  jour  de  la  signature  de  la  paix  ;  mais 
il  n'est  pas  moins  certain  que  l'on  peut  prendre  pour  base 
de  la  négociation  de  cette  paix  la  situation  où  les  parties 
belligérantes  se  sont  trouvées  à  telle  ou  telle  époque  de 
la  guerre;  c'est  ainsi  que  le  Roi  de  France  a  entendu  la 
proposition  qu'il  a  faite  au  Koi  d'Angleterre  et  c'est  d'a- 
près ce  principe,  si  S.  M.  Britannique  l'adopte,  que  S.  M. 
Très  Chrétienne  enverra  un  ministre  accrédité  à  Londres, 
chargé  de  pleins  pouvoirs  suffisants  pour  traiter  avec  le? 
ministres  du  Roi  de  la  Grande-Rretagne,  soit  sur  le  fond 
de  la  question,  soit  sur  les  compensations  qui  convien- 
dront aux  deux  couronnes,  ainsi  que  sur  les  intérêts  de 
leur  commerce  et  de  leurs  colonies.  »  Le  mémoire  annon- 
çait la  désignation  de  M.  de  Russy  pour  cette  mission  et 
manifestait  l'espoir  que  S.  M.  Rritannique  déléguerait  à 
Paris  un  diplomate  muni  de  pouvoirs  analogues. 

L'envoi  d'un  plénipotentiaire  français  à  Londres  avait 
été  soumis  par  Choiseul  à  la  conférence  des  ministres  des 
puissances  belligérantes.  Seul,  Starhemberg  (1),  faible- 
ment appuyé  par  son  collègue  de  Russie,  avait  fait  à  cette 
proposition  une  opposition  qu'il  n'osa  pas  maintenir  de 
peur  d'être  accusé  d'entraver  la  marche  de  la  négociation, 
il  dut  se  contenter  d'enregistrer  la  promesse  formelle  du 
ministre  français  qu'il  ne  serait  question  k  Londres  d'aucun 
point  relatif  à  la  guerre  avec  la  Prusse  et  que  tous  les  inci- 
dents de  la  procédure  seraient  fidèlement  communiqués  à 
chacun  des  alliés.  Malgré  ce  langage  rassurant,  l'ambassa- 
deut'  ne  dissimule  pas  ses  inquiétudes;  pour  les  justifier,  il 
cite  un  propos  d'un  membre  du  conseil,  le  maréchal  d'Es- 
trées  :  «  Une  fois  l'Angleterre  et  la  France  d'accord,  le  con- 
grès n'aurait  besoin  que  de  8  jours  pour  finir  sa  besogne.  » 


(1)  Slarheiuberg  àKaunitz,  18  aviil  i;(il.  Archives  de  Vienne. 


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L'EXPÉDITION  DE  BELLEISLE  FAIT  VOILE  LE  2'.)  MAUS.       505 

A  son  tour,  Kaunitz  ne  crut  pas  opportun  de  soulever 
une  objection.  Mis  au  courant  par  le  comte  de  Choiseul  de 
la  réponse  du  cabinet  de  Saint-James  et  de  la  réplique 
française,  il  trouva  l'écrit  anglais  du  8  avril  «  entortillé, 
captieux,  sophistique  et  obscur  »  et  donna  sou  entière 
approbation  au  langage  de  Choiseul.  Mais  comment  ac- 
cepterait-il la  double  mission  à  Versailles  et  à  Londres, 
expédient  pour  lequel  il  avait  toujours  marqué  le  plus 
grand  éloignement?  «  Je  ne  puis  vous  dire,  Monsieur, 
rapporte  le  comte  de  Choiseul  (1),  s'il  est  à  cet  égard 
de  bonne  foi,  ou  s'il  veut  cacher  les  soupçons  dont  je 
lui  ai  fait  si  souvent  des  reproches.  Il  avait  été  préparé 
(lès  la  veille  à  cette  proposition  par  une  lettre  de  M.  de 
Starhemberg,  venue  par  la  poste,  et  je  n'ai  pas  remarqué 
aucune  altération  sur  son  visage,  quand  il  a  lu  cette  clause 
de  votre  réplique.  )> 

Ainsi  qu'on  le  voit  d'après  ce  qui  précède,  la  discussion 
s'ouvrait  sur  la  portée  et  le  sens  de  Vutipossidetis.  A  ce  prin- 
cipe, Choiseul,  dans  son  premier  mémoin-,  avait  attri- 
bué, un  peu  imprudemment,  le  caractère  de  base  du  traité 
futur  sans  le  rattacher  d'une  façon  expresse  à  l'adoption 
des  époques  suggérées  pour  l'armistice;  il  avait  môme 
admis,  comme  matière  à  débattre,  la  fixation  définitive  de 
ces  époques.  Un  événement  nouveau  avait  fait  toucher  du 
doigt  le  danger  d'une  élasticité  trop  grande  sur  ce  point. 
Le  29  mars,  c'est-à-dire  V8  heures  avant  la  remise  A, 
Pitt  des  déclarations  et  du  mémoire  du  26,  la  Hotte,  avec 
les  troupes  destinées  à  la  tentative  contre  Belleisle.  avait 
fait  voile  de  Spithead.  Le  cabinet  britannique,  s'il  pou- 
vait ignorer  l'expédition  des  documents  eu  route,  savait, 
à  n'en  pas  douter  (2),  que  la  Franco  était  sur  le  point  de 
lui  faire  des  ouvertures  pacifiques;  il  aur.ùt  pu  retarder 

(1)  Comle  de  Choiseul  an  duc,  .>8  avril  I7<il.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Knypliausen  à  Frédéric,  17  et  2Q  mars  17C1.  Correspondance  Politique, 
\\,  p.  V)». 


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LA  GLKRRK  DK  SKPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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rappareillagc  du  coinmodore  Keppel  ;  tout  au  moins  au 
reçu  des  déclarations  du  26  mars,  il  lui  eilt  été  facile 
d'arrêter  l'escadre  en  Manche;  il  n'en  lit  rien. 

Bien  plus,  d'après  le  langage  (1)  qu'il  tint  à  Georges  IIF, 
il  est  évident  que  Pitt  comptait  sur  la  réussite  de  son  en- 
treprise pour  arracher  un  sacrifice  additionnel  à  la  France 
et  qu'il  se  prévalait  du  manque  de  précision  des  proposi- 
tions de  Choiseul  pour  gagner  le  temps  nécessaire  à  une 
conquête  nouvelle  qui  ferait  pencher,  en  faveur  de  l'Angle- 
terre, une  halance  déjà  inégale. 

Dans  le  débat  auquel  donna  lieu  la  lecture  du  cour- 
rier de  Paris,  Ne\vca«tle  et  Hardwicke  opinèrent  (2) 
pour  l'acceptation  pure  et  simple  des  dates  françaises; 
le  premier  était  partisan  d'une  suspension  d'hostilités 
pendant  six  mois,  comme  le  demandait  le  roi  de  Prusse  : 
«  Le  sort  de  notre  expédition  de  Belleisle  sera  décidé  et 
quant  à  la  perspective  de  s'emparer  de  Martinique  ou  de 
la  Louisiane,  elle  est  tW^s  incertaine,  peut-être  un  succès 
de  ces  côtés  nous  embarrasserait-il  plus  qu'il  nous  aide- 
rait à  conclure  la  paix?  »  Pitt,  au  contraire,  trouvait 
la  prose  (3)  de  Choiseul  obscure  et  était  d'avis  d'en- 
tamer le  plus  tôt  possible  les  explications  verbales  et 
de  laisser  aux  représentants  des  deux  pays,  dont  le  voyage 
serait  activé,  le  soin  de  discuter  les  points  litigieux.  Le 
cabinet,  y  compris  Newcastle,  se  rallia,  selon  son  habitude, 
à  l'opinion  du  grand  ministre. 

En  fait  de  verbiage  inutile,  le  texte  de  Pitt  (4)  n'avait 
rien  à  envier  à  celui  de  Choiseul.  Après  les  banalités 
d'usage,  le  secrétaire  d'État  s'exprimait  comme  suit  : 
«  Aussi  ne  peut-il  échapper  aux  lumières  de  V.  E,  que 
dans  un  commencement  de  rapprochement,  des   varia- 


(1)  Newcasllc  à  Hardwicke,  17  avril  1761.  Newcastle  Papers. 

('2)  Newcastle  à  Hardwicke,  '25  avril  1761.  Newcastle  Papers. 

(3)  Hardwicke  à  Newcastle,  '.i't  avril  1761.  Newcastle  Papers. 

(4)  Pitt  à  Choiseul,  :>8  avril  1761.  Chatham  Papers. 


DESIGNATION  DE  STANLEY  COMME  PLENIPOTENTIAIHE  A  PARIS.  507 


tions  inattendues  ont  naturellement  l'efFet  de  répandre 
plutôt  de  l'obscurité  et  de  l'incertitude  dans  les  ouver- 
tures que  d'y  mettre  cette  netteté  et  cette  assurance  si 
indispensables  dans  une  négociation.  »  Pour  obvier  à  cet 
inconvénient,  il  serait  désirable  d'avoir  recours  à  des 
entreliens  dans  lesquels  «  l'éclaircissement  suit  de  près  le 
doute  ».  Le  mémoire  qui  accompagnait  la  lettre  annonçait 
la  nomination  de  Hans  Stanley  comme  plénipotentiaire 
à  Paris,  et  spéciflait  que  les  instructions  des  deux  envoyés 
devaient  les  mettre  à  même  «  de  traiter  de  bouche,  tant 
sur  le  tond  de  la  question  que  sur  les  époques  aussi  bien 
que  relativement  aux  compensations  qui  conviendront 
aux  deux  couronnes  ».  C'était  substituer  aux  ouvertures 
précises  bien  qu'incomplètes  du  26  mars  des  conversations 
dans  lesquelles  tout  serait  remis  sur  le  tapis  et  dont  la  con- 
clusion se  ferait  d'autant  plus  attendre  que  les  pourpar- 
lers seraient  en  partie  double  et  auraient  pour  scène  deux 
capitales  éloignées  l'une  de  l'autre.  Il  y  avait  peu  à  es- 
pérer d'un  pareil  mode  de  procéder. 

Cependant,  Choiseul  se  montra  content  du  contenu  de 
la  communication  anglaise;  il  lui  était  impossible  de  ne 
pas  voir  sans  satisfaction  l'affaire  prendre  la  tournure 
qu'il  avait  toujours  préconisée  et  l'Angleterre  lui  attribuer 
le  rôle  prépondérant  que  ses  propres  alliés  étaient  peu 
enclins  à  lui  abandonner.  En  politique  avisé,  il  eut  grand 
soin  de  laisser  au  cabinet  de  Saint-James  toute  la  respon- 
sabilité de  cette  innovation.  Dans  une  lettre  à  son  cou- 
sin (1)  destinée  à  passer  sous  les  yeux  de  Kaunitz,  il 
souligne  le  silence  de  Pitt  au  sujet  du  concert  des  «lliés  et 
de  la  paix  générale  dontil  avait  été  fait  montion  dans  la 
pièce  française.  «  Cette  omission  de  la  cour  de  Londres 
sur  des  objets  aussi  intéressants  me  ferait  penser,  comme 
le  prince  Galitzin  me  le  mande,  que  le  ministère  britan- 

(1)  Duc  de  Choiseul  au  comte,  1"  mai  1701.  Affaires  Étrangères. 


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LA  C.LERRK  DK  SKPT  AlNS.  —  CHAP.  IX. 


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nique  aurait  dessein  de  terminer  la  guerre  d'Allemagne 
séparément  de  celle  de  France.  Ce  projet  est  contraire 
aux  intentions  du  Uoi  et  aux  intérêts  de  S.  M...  Dans  ce 
moment-ci,  la  cessation  de  la  guerre  de  terre  ne  nous 
mettrait  pas  en  état  de  remonter  notre  marine,  de  plu- 
sieurs années,  et  n'empêcherait  pas  que  celle  d'An- 
gleterre qui  est  dans  la  plus  grande  activité,  ne  nous 
fit  supporter  des  pertes  considérables.  Vous  conclurez  de 
là,  Monsieur,  que  nous  ne  pouvons  nous  prêter  à  la 
paix  d'Allemagne  sans  que  celle  de  la  France  et  de  l'An- 
gleterre soit  arrêtée,  de  même  que  l'Angleterre  ne  se 
prêtera  pas  à  la  paix  de  mer  sans  que  celle  de  terre  ne 
soit  constatée,  d'où  il  résulte,  Monsieur,  que  l'intérêt 
véritable  et  actuel  du  Roi  est  que  les  deux  paix  marchent 
d'un  pas  égal,  afin  que  la  conclusion  en  arrive  en  même 
temps.  »  Il  s'eflbrce  de  tranquilliser  le  cabinet  de  Vienne 
dont  il  prévoit  les  questions  insidieuses  :  «  Sur  cet  article. 
Monsieur,  vous  donnerez  les  assurances  les  plus  fortes  à 
M.  de  Kaunitz  qu'il  ne  sera  rien  traité  à  Londres  rela- 
tivement aux  intérêts  de  l'alliance  générale,  dont  M.  de 
Starhemberg  ne  soit  instruit.  Vous  direz  à  l'Impératrice 
que  le  Roi  serait  blessé  si  elle  pouvait  imaginer  qu'il  put, 
dans  aucun  cas,  manquer  aux  paroles  qu'il  lui  a  don- 
nées et  au  concert  qui  est  établi  entre  les  deux  puissan- 
ces. »  Il  explique  pourquoi  il  lui  a  paru  impossible  de 
décliner  la  proposition  anglaise.  «  Au  surplus.  Monsieur, 
malgré  les  soupçons  que  nous  avons  que  le  ministère 
anglais  a  la  vue  de  mettre  la  discorde  entre  les  alliés, 
malgré  la  finesse  avec  laquelle  M.  Pitt  élude  les  diffi- 
cultés des  époques  et  des  compensations  relativement  à 
la  France,  le  mémoire  britannique  est  si  simple  et  si 
honnête  et  l'avance  que  fait  la  cour  de  Londres  d'en- 
voyer le  passeport  pour  M.  de  Bussyest  si  raisonnable, 
que  j'ai  cru  devoir  y  faire  la  réponse  que  vous  trouverez 
ici,  en  y  joignant  les  passeports  nécessaires  pour  M.  Stan- 


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ON  REVIENT  A  LIDÉE  DKS  DEUX  NÉGOCIATIONS. 


509 


ley.  Le  Koi  compte  que  l'Impératrice  Reine  approuvera 
cette  démarche  dont  vous  voudrez  bien  lui  faire  part.  » 
Choiseul  ne  peut   se  refuser  le  plaisir  de  constater  le 
triomphe  de  sa  politique  :  ((  Je  crains  que  M.  do  Kaunitz 
ne   vous  marque  quelque  humeur  sur  l'envoi  des  mi- 
nistres réciproques  à  Londres  c*  à  Paris,    non   pas  que 
j'imagine  que  le  ministère  de  l'Impératrice  puisse,  après 
les  déclarations  que  vous  lui  ferez,  avoir  des  inquiétudes 
sur  la  franchise  et  la  probité  des  démarches  du  Roi,  mais 
parce  que  M.  de  Kaunit:^  sentira  que  l'idée  des  deux  congrès 
a  été  adoptée  généralement  des  amis  et   des  ennemis, 
hors  de  sa  part  et  que  sa  résistance  n'y  a  apporté  ([u'un 
changement  de  forme.  Ce  ministre  l'a  senti  d'avance,  car 
il  faut  toujours  en  revenir  au   vrai,   puisqu'il  laisse  ici 
M.  de  Starhemberg,  au  lieu  de  l'envoyer  à  Augsbourg.  » 
Jusqu'alors,  c'était  nécessairement  le   prince  Galitzin 
qui  avait  été  à  Londres  l'intermédiaire  des  puissances  al- 
liées. Avant  de  nous  séparer  de  lui,  retraçons  le  tableau 
qu'il  esquisse  du  gouvernement  d)  auprès  duquel  il  était 
accrédité  :  «  Les  ministres  sur  lesquels  les  allaires  de  la 
nation  britannique  roulent  actuellement  sont  deux  secré- 
taires d'État  et  le  duc  de  Newcasile.  La  position  des  deux 
premiers  étant  tout  à  fait  dilï'érente,  leur  conduite  ne  l'est 
pas  moins.  M.  Pitt  étant  le  ministre  du  peuple  ne  peut  se 
soutenir  que  tant  (ju'il  en  possède  la  faveur,  et  par  consé- 
quent, il  ne  peut  que  vouloir,  ou  la  continuation  de  la 
guerre,  ou  une  paix  extrêmement  avantageuse  à  la  nation, 
sachant  que  l'un  ou  l'autre  lui  servira  de  moyen  sûr  pour 
ije  .outenir  en  crédit,  se  rendre  nécessaire  et  se  conserver 
dans  le  ministère.  Le  comte  Bute,  au  contraire,  à  peine 
connu  autrefois  à  la  nation,  ayant  actuellement  toute  la 
confiance  du  Roi,  et  étant  sûr  de  la  conserver  entièrement 
et  sans  partage,  ne  cherche  qu'à  rétablir  la  tranquillité  et 


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(1)  Galitzin  à  Ciioiseul,  28  avril  1701.  AfTatres  Ëlrangères. 


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lA  GUKHRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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par  là  rendre  son  ministère  permanent,  en  devenant 
l'homme  tout-puissant  en  temps  de  paix,  où  il  lui  est  plus 
facile  de  se  passer  des  autres.  Les  circonstances  du  duc 
de  Newcastlc  étant  d'un  côté  trrs  dillerentes  de  celles  de 
mylord  Bute,  d'où  il  ne  serait  pas  contre  la  raison  de  con- 
clure que  M.  Pitt  aura  non  seulement  contre  lui  ces  deux 
autres  ministres,  mais  aussi  la  plus  saine  partie  de  la  na- 
tion, au  cas  qu'il  voulût  s'opiniîVtrer  k  insister  sur  des 
conditions  plus  avantageuses  à  la  paix  future,  que  la 
France  ne  saurait  et  ne  voudrait  les  donner,  »  Comme  on 
le  voit,  Galitzin  estime  que  le  sentiment  public  en  Angle- 
terre est  favorable  à  la  paix  et  conseille  à  Choiseul  de  ne 
pas  laisser  ((  entrevoir  trop  de  facilité  après  l'envoi  réci- 
proque des  ministres  »;  enfin,  il  le  met  eu  garde  contre 
la  pensée  secrète  de  Pitt  et  de  quelques-uns  de  ses  collè- 
gues qui  chercheraient,  en  procurant  une  paix  glorieuse 
au  roi  de  Prusse,  de  «  dégoûter  (mtièrement  par  là  les 
cours  impériales  de  l'alliance  de  la  France  ». 

Après  s'être  avancé  comme  on  l'avait  fait,  il  eût  été  en 
effet  difficile  de  ne  pas  accepter  la  proposition  anglaise; 
d'ailleurs,  Choiseul  y  était  tout  disposé  ;  aussi  répon- 
dit-il (1)  très  polimenf  à  la  lettre  de  Pilt  et  lui  exprima- 
t-il  tous  ses  regrets  de  ne  pouvoir  traiter  en  personne 
avec  lui  :  «  J'aurais  cependant  été  bien  flatté  d'avoir 
l'honneur  de  négocier  directement  avec  V.  E.  une 
affaire  aussi  importante.  Personne  n'a  plus  que  moi  de 
confiance  dans  la  probité  et  les  rares  talents  de  V.  F]., 
et  j'ose  présumer  que  la  volonté  des  rois  nos  maîtres 
une  fois  décidée  pour  la  paix,  les  lumières  de  V.  E., 
unies  à  mon  zèle  pour  un  bien  si  précieux,  en  auraient 
aplani  les  difficultés.  »  Dans  l'impossibilité  de  se  rendre  à 
Londres,  il  lui  recommande  M.  de  Bussy  qui  est  «  accou- 
tumé à  travailler  »  avec  lui.  Le  voyage  des  deux  envoyés 


(i)  Choiseul  à  Pilt,  4  mai  1761.  Affaires  Étrangères. 


QUESTION  DES  CONQUÊTES  FRANrAlSKS  EN  ALLEMAGNE.     5tl 

devra  être  concerté  de  manière  qu'ils  puissent  se  croiser 
à  Calais.  D'autre  part,  il  écrit  (1)  à  Galitzin  quelques 
mots  de  remerciments  auxquels  il  ajoute  son  appréciation 
sur  l'issue  des  pourparlers  :  «  Je  suis  bien  éloigne,  Mon- 
sieur, de  penser  que  M.  Pitt  veuille  sincèrement  la  paix, 
mais  le  Roi  a  cru  ([u'il  ne  lui  était  pas  convenable...  do 
ne  pas  faire  de  son  côté  et  selon  saditinité  tout  ce  qui  était 
convenable  pour  prouver  la  bonne  foi  et  la  vérité  de  ses 
sentiments  »  ;  cependant  il  a  peur  que  la  prise  probable 
de  Belleisle  ne  devienne  un  obstacle  insurmontable,  «  car 
je  doute  quti  le  Hoi  soit  dans  l'intention  de  traiter  avant 
que  Belleisle  lui  soit  remis  ». 

A  Londres,  la  nouvelle  de  la  mission  de;  Bnssy  fut  l)ien 
accueillie.  D'après  Galitzin  (2),  ni  Pitt  ni  Bute  n'osaient 
l'espérer;  les  termes  du  mémoire  franc  ais  du  19  avril  et 
la  raïauvaise  impression  que  devait  causer  l'expédition  de 
Belleisle  leur  avaient  fait  craindre  que  la  France  ne  revint 
sur  ses  premières  ouvertures.  A  la  suite  d'une  nouvelle 
correspondance  entre  les  deux  cours,  il  fut  décidé  que 
Stanley  et  Bussy  se  rencontreraient  le  25  mai  à  Calais.  Si 
l'on  compare  cette  date  à  celle  du  26  mars,  l'on  remar- 
quera que  deux  mois  avaient  été  perdus  en  préliminaires 
et  que  la  cessation  des  bostilités  subirait  forcément  un 
retard  à  peu  près  équivalent. 

Avant  de  laisser  partir  nos  diplomates,  il  convient  de 
relever  une  conversation  de  Choiseul  i3i  avec  Starbem- 
berg  au  cours  de  laquelle  fut  soulevée,  pour  la  pre- 
mière fois,  un  point  dont  l'importance  deviendra  capitale  : 
celui  des  conquêtes  françaises  eu  Allomamie.  La  France 
pouvait-elle  considérer  ces  territoires  comme  monnaie 
d'échange  pour  obtenir  la  i-estitution  des  colonies  perdues? 
Interrogé  à  ce  sujet,  Starhemberg  répondit  qu'il  lui  était 

(1)  Choiseul  àGalitzin,  4  mai  1761.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Galitzin  à  Choiseul,  Il  mai  1761.  Affaires  Étrantieres.  ^ 

(3)  Starhemberg  à  Kaunitz,  '28  mai  17G1.  Archives  île  Vienne. 


'. 


U^ 


■,v>. 


L,V  ('.UKRUI-;  I)K  SKPT  ANS.     -  CIIAP.  IX. 


iiupossil)lc  de  trancher  un  sujet  aussi  délicat;  il  était 
persuadé  toutefois  ([uc  Jamais  sa  cour  ne  consentirait  à 
mettre  ii  la  disposition  de  la  France  les  pays  coD([uis  sur 
la  Piusse  par  les  armées  royales;  le  cas  était  tout  dilférent 
pour  les  contrées  appartenant  à  l'Angleterre.  Choiseul  de 
répond r«!  :  «  Vous  convenez  donc  que  toutes  les  conquêtes 
((ue  nous  avons  faites  ou  que  nous  ferons  en  Allemagne  sur 
l'Angleterre  et  ses  alliés  doivent  être  pour  notre  compte?  — 
Sur  l'Angleterre,  oui,  répliqua  l'Autrichien,  mais  non  celles 
que  vous  avez  faites  ou  pcjurriez  faire  sur  le  roi  de  Prusse 
qui  doivent  être  pour  le  compte  de  l'Impératrice.  »  H 
serait  prématuré  de  rappo"ter  le  débat  qui  suivit  ces  décla- 
rations; il  nous  suffit  de  constater  que  la  question  fut  clai- 
rement posée  de  part  et  d'autre.  Puis  on  passa  aux  pièces 
préparées  pour  Bussy  qui  devaient  être  soumises  à  Star- 
homherg;  Choiseul  lut  à  son  interlocuteur  un  précis  qu'il 
avait  rédigé,  dont  il  omit  cependant  certains  passages  et 
dont  il  altéra,  à  la  lecture,  (fuelques  expressions.  Starhem- 
berg  ne  trouva  pas  grand'chose  à  critiquer  dans  l'édition 
revue  et  corrigée  qui  lui  avait  été  communiquée.  Ue  sou 
côté,  Choiseul  s'engagea  à  mettre  sous  les  yeux  de  l'ambas- 
sadeur les  originaux  des  dépêches  qu'il  recevrait  de  son  en- 
voyé, et  le  chargea  d'exprimer  à  Vienne  toute  sa  reconnais- 
sance pour  le  consentement  donné  à  la  mission  de  Bussy. 
Examinons  maintenant  les  instructions  (1)  dont  ce  diplo- 
mate était  muni  et  qui  portent  la  date  du  23  mai.  Le 
mémoire  débute  par  l'historique  des  propositions  :  La 
cour  de  Versailles  s'était  prononcée  pour  deux  congrès, 
l'un  à  Paris,  l'autre  à  Londres,  mais  la  cour  de  Vienne 
s'était  opposée  à  ce  projet;  «  et  quoique  dans  le  fond  il 
lui  soit  impossible  de  ne  pas  sentir  que  des  alliés  subsi- 
diaires sont  tenus,  à  la  paix,  de  suivre  l'influence  des 
alliés  qui  paient,  l'Impératrice  Heine  a  persisté  dans  le 


(I)  Instructions  de  Uussy.  Marly,  23  mai  17G1.  Affaires  Étrangères. 


INSTRUCTIONS  DE  HUSSV. 


.■.l;t 


(It'sir  (le  Congrès  fiéiiéral,  ot  Sa  Majesté  a  acquiescé  Ji  la 
«Iclicatcsso  de  cotte  princesse  avec  la  modification  juste 
de  pouvoir  traiter  séparément  sa  paix  particulière  avec 
l'Angleterre.  Cette  détermination  a  produit  le  congrès 
d'Augsbourg,  la  demande  de  la  [)art  de  l'Angleterre  de 
s'envoyer  des  ministres  respectifs  à  Londres  et  à  Paris, 
enliu  l'envoi  en  Angleterre  du  sieur  de  Bussy,  dont  les 
talents,  l'expérience  et  le  zèle  ont  déterminé  le  choix  de 
Sa  Majesté. 

«  Le  premier  principe  que  le  sièur  de  Bussy  doit  avoir 
sans  cesse  devant  les  yeux,  dans  le  cours  de  la  négocia- 
tion, est  (jue  le  Boi  désire  parvenir  à  la  conclusion  d'un<' 
paix  raisoimable  avec  l'Angleterre,  mais  sans  se  séparer 
de  ses  alliés,  et  sans  leur  faire  aucun  mystère  des  objets 
que  Sa  Majesté  jugera  à  propos  de  traiter  et  d'arrêter  à 
Londres.  Il  faut  que  le  ministre  du  Hoi  saisisse  bien  le  plan 
qui  a  dirigé  la  conduite  de  Sa  Majesté  depuis  deux  ans.  Le 
Boi  ne  veut  mériter  aucun  juste  rej)roche  de  la  part  de  s<'S 
alliés;  il  ne  veut  pas  en  même  temps  sacrifier  les  intérêts 
de  sa  couronne  aux  idées  ambitieuses  et  souvent  cliiméri- 
«|ues  des  Cours  Impéi'iales.  Pour  concilier  ces  deux  réso- 
lutions. SaMajestéapris  le  partidefaireconnaitre  à  chaque 
occasion  la  vérité  de  la  chose,  et  de  sa  volonté  aux  deux 
Impératrices.  On  a  tîlché  de  les  ramener  à  cette  vérité, 
et  quand  il  n'a  pas  été  possible  de  les  faire  revenir  de 
leurs  prétt^ntions,  on  ne  leur  a  pas  dissimulé  l'intérêt  du 
lloi  et  de  sa  détermination  sui'  les  ])artis  qu'il  pourrait 
prendre.  Cette  méthod<'  a  réussi  jus([u'à  présent  au  delà 
de  toute  espérance.  » 

Suit  une  revue  des  sentiments  <|ui  inspirent  les  autres 
signataires  d(i  la  d)''claration  du  20  mars.  La  Suède  se 
conformera  fidèlement  aux  visées  de  la  France  ;  le  roi  de 
Pologne  a  obéi  au  désir  d'être  agréable  à  S.  M.  Très  Chré- 
tienne ;  quant  à  son  ministre  saxon,  le  comte  de  Briihl,  «  les 
seules  vues  politiques   qu'on  ait  pu  lui  découvrir  sont 

GlERRE   Di:    SKI'T  ANS.    —   T.    IV.  33 


i  '.-r 


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LA  (lUICIlUi:  DK  SKI'T  ANS. 


CIIAI».  IX. 


l     'À 


pouf  luire  servir  la  cour  «le  Saxe  de  aœiid  aux  liai.>oii.s 
(le  la  cour  de  Kussic  avec  («'Iles  de  Londres.  »  A  lY'yai'd 
de  la  Russie,  la  France  est  indépendante,  mais  vis-A-vis  dr 
l'Iiupéiatrice-Ileine,  (die  cstengag(je  «  pai  rarticle  13  du 
tiaitc'  du  30  d(''ceml>re  I75H  «[ui  porte  la  promesse  léci- 
proque  de  ne  t'aiie  ni  paix  ni  fr(''ve  avec  leurs  ennemis 
communs  et  respectifs  que  d'un  parfair  concert  et  conmiun 
consentement  ».  En  consi^iueiicc,  «  tous  les  objets  con- 
cluants »  traitt's  à  Londres  devront  ("^tre  commnniqut's 
au  prince  (ialitzin  et  à  la  cour  de  Vi(Mme,  «  mais  ces 
communications  n'altérei  uit  point  le  fond  de  la  n«''g<>- 
ciation  relativement  aux  inté-rôts  du  commerce  et  des 
colonies  de  la  France  vis-à-vis  de  l'Anj^leterre,  c'est-à- 
dire  à  la  guerre  maritime  proprement  dite  ». 

Le    passage    suivant    concerne    l'Kspagne    (1);    i 
sans  dire   que  Starhemberg  n'en  eut  pas  connaissance  ; 
«  Le  sieur  du  Bussy  doit  aussi  marquer  de  la  confiance 
à  M,  le  comte   de  Fuentes,  ambassadeur  d'Espagne.    La 
cour  de  Madrid  a  pro[>os(!'  à  Sa  Majesté  de  conclure  un  traité 
oll'ensif  et  défensif.  Le  projet  de  ce   traité  tel  qu'il  a  été 
communiqué  par  le  marquis  de  Grimaldi,  serait  sujet  à 
de  grands  inconvénients  dans  les  circonstances  prés(>nte>. 
Le  Uoi  a  jugé  à  propos  de   diviser  en    deux  parties   le 
projet  espagnol  et  de  proposer  à  Sa  Majesté  Catholique  un 
traité  damitié,  de  garantie,    purement  défensif,  le([uel 
serait  une  espèce  de  pacte  de  famille.  Il  est  à  présumer 
que  la  négociation  de   ce  traité    ([ui   est  si  analogue  à 
l'intérêt  et  aux   sentiments   des    deux   souverains,   aura 
le   succ(;s  que  l'on    en    doit   attendre.   De  plus,   le   Koi 
qui  a  communiqué  à  Sa  Majesté  Catholique   sa  position 
actuelle   politique,    vis-à-vis  de   l'Angleterre,   proposer;) 
à  ce  prince  de  dili'érer  les  engagements  ollensifs  contre 


u' 


(I)  Les  instructions  de  Itnssy  luronl  coinrnuniciuées  à  Griuiaidi,  probu- 
blcmenl  avec  réser>cs,  comme  à  Stailicmberg.  Choiseiil  à  Ossiin,  2  juin 
17C1. 


I  ':■ 


KXCOSI';  DE  LA  SITLATION  VIS  A-VIS  DK  LKSI'AC.NK. 


.1.-. 


proba 
2  juin 


\i\  (Iriinde-hretu^rK*  jusqu'il  ce  »|u'il  soit  instruit  du 
<li'gré  de  volonté  que  le  Koi  et  le  ministre  l)ritiinni<|ues 
ont  pour  la  p.iix  en  ,::énéral,  et  les  conditions  défini- 
tives que,  relativeuK^nt  à  la  France,  ils  voudront  mettre 
au  rétablissement  de  la  pai.v  entre  les  deux  royaumes. 
Si  les  Anglais  se  prêtaient  à  une  paix  raisonnaldc,  il  se- 
rait oonti'aire  à  l'objet  du  Roi,  de  signer  un  traité 
ollensif  contre  l'Angleterre,  le([uel  traité  ranimerait  cer- 
tainement le  l'eu  de  la  guerre.  Si,  au  contraire,  le  minis- 
tère bi'itannicjue  porte  ses  prétentions  i\  un  degré  insou- 
tenable, nous  lAclierons  de  conserver,  en  ce  cas,  la  bonn«' 
volonté  de  l'Espagne,  pour  (ju'elle  se  joigne  à  nous  dans 
le  seul  parti  qui  restera  de  se  faire  ndn;  justice  par  les 
armes.  Il  est  vraisendjlable  (jue  l<  comte  de  Fuentes  est 
instruit  de  la  négociation  qui  est  entamée  entre  le  lloi  et 
le  roi  Catholique,  et  dans  tous  les  cas,  les  dispositions  de 
cet  ambassadeur  pour  la  France,  son  rang  distingué  en 
Kspagne,  et  son  crédit  personnel  auprès  de  Sa  Majesté  Catho- 
lique exigent  que  le  sieur  de  Bussy  s'applique  à  captiver 
par  tous  les  égards  possibles,  pai-  la  coidiance  la  plus 
apparente,  la  liaison  et  les  attentions  les  pias  assidues, 
la  bienveillance  de  l'ambassadeur  espagnol.  Eu  môme 
temps,  il  est  bon  do  lui  faire  observer  que  le  comte  de 
Fuentes  écrit  journellement  à  sa  cour  pour  l'animer 
contre  l'Angleterre,  et  l'engager  à  déclarer  la  guerre  ;  (jue 
cet  ambassadeur  désapprouve  les  démarches  pacifiques 
de  la  France,  et  que  certainement  il  cherchera  par  ses 
conseils  au  sieur  de  Bussy  à  détourner  toutes  conclusions 
pacifiques.  Le  sieur  de  Bussy  profitera  de  l'animosité  du 
comte  de  Fuentes  dans  les  occasions  où  il  aura  à  se 
plaindre  du  ministère  anglais,  eu  égard  à  la  négociation 
de  la  paix.  Mais  s'il  tiouvait  le  ministère  britanni<[ue  aussi 
conciliant  ([u'il  devrait  l'être,  il  ne  perdrait  pas  de  vue, 
que  le  premier  objet  de  sa  mission  est  de  parvenir  à  une 
paix  raisonnable  et  ([ue  ce  ne  [)eut  être  que  lorsque  nous 


!<  i. 


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r.ic 


L\  flL'EHUK  DI-:  SKPT  ANS. 


CHAP.  I.\. 


ec  perdrons  l'espérance,  (jue  nous  serons  obligés  de  nous 
livrer  aux  idées  de  l'Espagne,  dans  tous  les  cas  très 
embarrassantes.  »  Cet  exposé,  nous  le  reconnaissons, 
correspondait  très  exactement  à  la  position  que  Choiseul 
avait  prise  vis-à-vis  de  l'Espagne. 

Cette  parenthèse  instructive  fermée,  le  mémoire  cher- 
che à  déterminer  quelles  puissances  seront  appelées 
à  participer  au  congrès  d'Augsbourg.  Bussy  soutiendra 
la  demande  que  l'Empereur  a  l'ornnilée  dans  ce  sens,  mais 
il  s'opposera  à  l'admission  du  Danemark  qui  voudrait 
profiter  de  l'occasion  «  pour  jouer  un  rôle  ».  La  France 
est  désintéressée  dans  le  débat  continental,  elle  ne  recherche 
aucune  augmentation  de  territoire  on  Europe  ;  elle  ne 
compte  garder  ni  Ostende  ni  Nieuporî.  En  résumé,  Bussy 
n'est  pas  autorisé  «  à  traiter  de  la  paix  d'Allemagne  mais 
seulement  à  en  converser  ».  Dans  le  cas  où  le  ministre  an- 
glais insisterait  sur  la  nécessité  de  la  paix  g-énérale,  l'envoyé 
fran^-ais  se  défendrait  «  en  proposant  la  jiaix  séparée 
maritime,  laquelle  il  dira  être  autorisé  de  conclure  toutes 
les  fois  que  l'Angleterre  le  voudra  » . 

La  seconde  partie  du  mémoire  avait  trait  aux  condi- 
tions de  la  paix  particulière  :  (*  La  proposition  du  «  statu 
quo  »  n'a  point  été  adoptée  selon  les  époques  du  pre- 
mier mémoire  du  duc  de  Choiseul,  ni  par  rapport  à  la 
conclusion  relative  des  deux  paix.  Le  ministre  britan- 
nique en  a  pris  ce  qui  pouvait  lui  convenir,  et  tout  de 
suite  a  mis  en  activité  son  entreprise  sur  Belleisle,  pour 
ajouter  une  nouvelle  conquête  au  <>  statu  quo  ».  Mais  ni 
Belleisle,  ni  ce  que  les  Anglais  pourraient  conquérir  de 
plus  sur  nos  côtes  ne  pourront  entrer  en  compense  tion 
<jue  vis-à-vis  la  démolition  de  Dunkerque  tout  au  plus. 
Au  reste,  avant  que  de  laisser  échapper  ce  mot,  il  faudra 
soutenir  très  longtemps  que  les  conquêtes  sur  nos  c6tes 
seront  restituées  pour  rien  dans  l'arrangement  ([ui  se  fera 
pour  la  paix  maritime,  et  le  sieur  de  Bussy  ne  cédera 


^fmmm 


F>i 


(1)  Newcastle  a  ilardwicke,  14  mai  1701.  Newcastle  l'apcrs. 


lu 


INSTRUCTIONS  DE  STANLFY. 


517 


pas  sur  cet  article  sans  avoir  préalablement  reçu  les 
ordres  de  sa  (iOur.  »  En  ce  qui  concerne  les  acquisitions 
de  l'Angleterre  en  Amérique  et  en  Afri([uc,  on  prévoyait 
l'échanae  de  Minorque  contre  la  Guadeloupe,  Marie-Ga- 
lante et  Gorée,  et  l'attribution  à  la  France  des  iles  neutres 
de  Sainte-Lucie  et  Taba,50.  Le  Canada  et  l'ile  Hoyale  et 
nommément  F^ouisbourg  seraient  rendus  en  compensa- 
tion «  de  la  restitution  que  lo  Roi  ellectuera  de  ce  que 
ses  années  ont  conquis  sur  l'Électeur  d'Hanovre  et  sur 
les  alliés  en  Allemagne  ».  L'attitude  à  prendre  sur  ces 
points  ne  serait  pas  d'ailleurs  définitive;  Bussy  ne  formu- 
lerait rien  sur  papier  et  s'appliquerait  à  obtenir  de  l'An- 
«leterre  des  ((  propositions  catégoriques  et  par  écrit  ».  F,n 
outre,  il  reclamerait  la  restitution  des  prises  faites  par 
la  mai'ine  anglaise  avant  la  déclaration  de  guerre  ou 
Toctroi  d'une  indemnité  équivalente.  Enfin,  si  le  repré- 
sentant de  la  France  «  s'aperçoit  que  les  Anglais  veulent 
l'amuser  et  ne  sont  pas  sérieux  »,  il  n'hésitera  pas  il  de- 
mander ses  passeports  pour  rentrer  en  France. 

Aux  instructions  de  Bussy,  opposons  maintenant  celles 
de  Stanley.  Ces  <lernières,  préparées  par  Pitt,  furent  sou- 
luises  à  un  conseil  de  cabinet  dont  Newcastle  nous  donne 
en  quelque  sorte  le  procès-verbal  (1)  :  On  se  mit  bien 
vite  d'accord  sur  le  principe  d'une  paix  particulière  avec 
la  France;  en  effet,  depuis  l'année  dernière,  le  roi  de 
Prusse  étant  revenu  sur  le  veto  cjni  avait  arrêté  les  pour- 
parlers de  La  Haye,  il  n'y  avait  plus  d'objections  à  un 
arrangement  entre  les  deux  couronnes.  Sur  l'interpré- 
tation de  Vi(ti  possù/f'tis,  Pitt  pria  le  conseil  de  se  pro- 
noncer. Deux  solutions  se  présentaient  :  «  Si  vous  limitez 
l'application  de  la  clause  aux  conquêtes  faites  sur  cha(jue 
monarchie,  vous  renvoyez  vos  alliés,  le  landgrave  de 
liesse,  le  duc  de  Brunswick  et  l'électeur  d'Hanovre   au 


1^  I 


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518 


LA  GUERRE  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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congrès,  pour  qu'il  leur  soit  fait  justice,  .lo  n'ai  pas,  dit 
M.  Pitt,  (l'objection  A  faire  k  cette  procédure.  Dans  l'autic 
hypothèse,  vous  admettez  les  pertes  de  vos  allies  comme 
devant  entrer  on  liiine  dans  l'examen  des  compensations 
proposées  |)ar  ia  France;  choisissez,  mylords,  je  no  don- 
nerai pas  d'avis,  je  me  laisserai  diriger  par  vous,  mais 
encore  faut-il  qu'il  y  ait  une  direction.  >  Bute  opina  qu'il 
était  trop  tôt  pour  trancher  une  jnatière  aussi  délicate,  sur- 
tout avant  d'avoir  entendu  Bussy.  Le  duc  de  Devonshire  et 
lord  Granvillo  exprimèrent  une  opinion  semblable.  New- 
oastle  parla  dans  le  même  sens;  d'après  lui,  admettre  l'ex- 
tension des  compensations  aux  conquêtes  dos  Français  eu 
Allemagne  serait  encourager  leurs  prétentions  «  au  point 
de  laisser  s'évanouir  (l)une  à  une  nos  acquisitions  territo- 
riales ».  A  ce  mot,  Pitt  prit  feu  et  accusa  Newcastle  d'être 
prêt  à  signer  un  traité  dont  lui  ne  voudrait  pas.  Le  duc  de 
Bodford  estima  qu'il  serait  prématuré  de  poser  la  question 
avant  que  les  négociations  fussent  plus  avancées.  La 
discussion,  après  avoir  occupé  deux  longues  séances, 
nboutit  à  l'adoption  k  l'unanimité  de  la  formule  suivante  : 
«  Que  les  pertes  de  nos  alliés  en  Allemagne  seraient 
prises  en  considération  k  la  paix  et  au  moment  de  la 
tixation  définitive  de  nos  conquêtes.  »  La  rédaction  man- 
quait de  clarté,  mais  le  principe  avait  été  accepté  quoicjue 
son  application  fût  ajournée.  En  tout  cas  cette  politique  rai- 
sonnable s'éloignait  beaucoup,  conmie  Newcastle  le  fit 
remarquer  au  Roi,  d(^  celle  qu'avait  préconisée  Pitt  ([uand 
il  s'écriait  dans  une  boutade  «  (|u'il  forait  la  guerre  pour 
le  Hanovre  aussi  longtemps  qu'on  voudra,  mais  que  ja- 
mais il  ne  ferait  la  paix  pour  le  Hanovre  ».  En  atten- 
dant, le  refus  du  grand  ministre  do  donn<>r  son  avis  per- 
sonnel fut  très  critiqué;   on  l'attribua  à  la  crainte  de  se 


(1)  Le  mot  an}{lais  «  moulder  »  veut  dire  ruin<r  par  l'humidité,  pourrir, 
se  gjUor. 


ill 


PRINCIPE  DK  LA  PAIX  PARTICULIER K  ACCEPTÉ. 


519 


compromettre  en  appuyant  une  solution  qui,  tout  im- 
posée (|u'elle  fût  par  les  faits,  ne  serait  pas  bien  accueillie 
dans  le  public,  mal  disposé  pour  la  ,::uerrc  du  continent 
et  peu  soucieux  du  sort  des  alliés. 

En  définitive,  Stanley  reçut  pour  instructions  (1)  de  ne 
prendre  aucune  initiative  relativement  à  V  uti  posside- 
tis.  Il  se  maintiendrait  sur  le  terrain  du  mémoire  français 
du  26  mars;  S.  M.  Très  Chrétienne  avait  fait  une  olire; 
l'Angleterre  l'avait  acceptée;  on  ne  pouvait,  sous  aucun 
prétexte,  lui  demander  une  contre-olï're,  iMalgré  le  vague 
dans  lequel  on  avait  laissé  la  question  des  compensa- 
tions allemandes,  l'envoyé  se  prononcerait  pour  l'en- 
tente séparée  et  préalable  avec  la  France  :  «  Vous  avi- 
serez le  duc  de  Choiseul  que  nous  tenons  à  éviter  l'at- 
teinte aux  bénéfices  réciproques  de  la  paix  entre  les 
deux  couronnes  que  pourrait  entraîner  le  rattache- 
ment de  cette  paix  au  succès  éventuel  d'objets  dont  la 
nature,  on  le  reconnaît,  est  absolument  étrangère  aux 
causes  de  notre  guerre  particulière;  qu'à  aotre  estime, 
rien  ne  hAterait  davantage  la  pacification  générale  des 
autres  puissances  belligérantes  que  la  prompte  conclu- 
sion de  la  paix  entre  la  Grande-Bretagne  et  la  France  au 
m  >yen  d'une  négociation  sincère  et  efficace.  Cela  étant, 
notre  intention  est  de  rendre  contractuel,  définitif  et  va- 
lable sans  avoir  égard  à  l'issue  des  négociations  d'Augs- 
bourg,  tout  point  relatif  à  la  guerre  particulière  entre 
les  deux  couronnes,  sur  lequel  nous  et  S.  M.  Très  Chré- 
tienne nous  serions  heureusement  mis  d'accord.  »  Malgré, 
ou  peut-être  à  cause  de  la  séparation  des  deux  paix, 
Stanley  devra  saisir  toutes  les  occasions  d'affirmer  <  la 
fidélité  de  l'Angleterre  aux  engagements  qu'elle  avait  pris 
comme  auxiliaire  de  la  Prusse  ».  Quant  aux  acquisitions 
et  aux  compensations,  l'envoyé  ne   devait  accepter  les 


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(1)  Instructions  (le  Stanley,  is  mai  17fil.  Chalhain  Papers,  etc. 


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LA  GLEUUK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».   IX. 


su,egestions  ou  les  propositions  qui  lui  seraient  faites 
qu'avec  la  réserve  «  ad  référendum  »;  il  n'était  auto- 
risé à  rien  signer;  enfin,  il  lui  était  recommandé  de 
surveiller  le  langage  et  l'attitude  de  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne à  la  cour  de  Versailles. 

Quoique  dans  les  conseils  britanniques  on  eût  évité  de 
s'expliquer  sur  les  conditions  de  la  paix,  plusieurs  des  hom- 
mes d'État  avaient  formulé  leurs  idées.  Parmi  elles,  il  est 
intéressant  de  signaler  la  thèse  du  duc  de  Bcdford(l)  qui 
était  vraiment  prophétique  :  «  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  ponr 
l'avantage  de  l'Angleterre  d'être  si  chargée  de  possessions 
étrangères,  (comme  ce  serait  le  cas)  si  on  nous  cédait  tout 
le  Canada  et  Guadeloupe,  A  vous  dire  vrai,  Milord,  je  ne 
sais  pas  si  le  voisinage  des   Fran(;ais  à  nos  colonies  de 
l'Amérique  du  Noi'd  n'était  pas  la  meilleure  garantie  de 
leur  <lépendance  sur  la  mère  patrie,  dont  elles  se  soucie- 
ront peu  quand  elles  seront  débarrassées  de  leurs  craintes 
du  côté  des  Français.   »  Il  énumère  les  acquisitions  dont 
il  est  partisan,  et  conclut  :  «  Si  nous  nous  rendons  justice 
A  nous-mêmes,  soyonsjustes  envers  les  autres  et  n'essayons 
pas  d'imposer  à  la  France  des  conditions  qu'elle  ne  subira 
pas  longtemps,  nous  le  savons,  et  contre  lesquelles  elle 
se  soulèvera,  aussitôt  qu'elle  aura  recouvré  la  respira- 
tion.   »   Malheureusement,    Bedford   n'eut    pas    assez  de 
crédit  auprès  des  autres  ministres  pour  les  l'allier  A  ses 
vues  modérées. 

Avant  d'entamer  le  récit  des  entretiens  diplomatiques, 
faisons  connaissance  avec  les  deux  personnages  qui 
allaient  entrer  en  scène. 

Bussy  avait  débuté  comnu^  secrétaire  particulier  du 
maréchal  de  Richelieu;  puis  il  avait  été  attaché  à  l'am- 
bassade française  à  Lomlres  et  avait  même  reçu  à  cette 
époque (2),   du  cabinet   anglais,   des  subsides  réguliers; 

(1)  Bedford  à  Newcastle,  9  mai  1761.  Newcaslle  Paper.s. 
(■>)  Voir  Louis  XV,  le  rcnver-sement  des  alliances,  p.  loi. 


iiil 


PASSK  ET  CARACTKRE  DE  BUSSY. 


521 


depuis  son  retour  en  France,  sauf  une  courte  mission 
auprès  du  roi  Georges  II  à  Hanovre  en  1755,  il  avait  étr 
employé  au  Ministère  eu  qualité  de  premier  commis.  Sa 
correspondance  nous  indique  un  travailleur  rompu  aux 
affaires,  qui  savait  écouter  et  au  besoin  riposter,  trop 
bureaucrate  pour  montrer  une  initiative  que  d'ailleurs 
Choiseul  ne  lui  demandait  pas;  sans  prestige  personnel 
et  de  position  sociale  médiocre,  il  fut  sans  doute  ému  à 
la  pensée  des  discussions  qu'il  aurait  à  soutenir  avec  le 
terrible  Pitt  et  gêné  par  le  souvenir  de  ses  anciennes 
transactions  avec  la  trésorerie  britanni(|ue.  Toujours  est- 
il  qu'à  en  croire  les  boutades  échappées  à  Choiseul,  l'en- 
voyé français  eût  volontiers  décliné  la  tAche  qui  lui  fut 
confiée.  Dès  le  début  de  son  séjour  à  Londres,  Choiseul  ex- 
pliquait quelques  contradictions  dansles  rapports  de  Bnssy 
p.T  le  trouble  qu'il  éprouvait  devant  Pitt.  «  Cela  n'était 
pas  surprenant,  dit-il  un  jour  à  Stanley  (1),  car  le  pauvre 
diable  tremblait  de  peur  en  partant.  »  Un  jour  à  Marly, 
en  présence  <le  Louis  W  et  de  l'Anglais,  Choiseul  ouviit 
un  courrier  de  Londres  dont  une  partie  en  chift'res  qu'il 
ne  put  lire  en  l'absence  de  son  secrétaire.  Le  Roi  s'euquit 
de  quoi  il  pouvait  être  question;  Choiseul  de  répondre  : 
«  Apparemment,  Sire,  qu'il  a  déplu  à  M.  Pitt,  qui  l'aura 
fait  sauter  par  les  fenêtres.  »  Stanley  qui  ne  perd;iit  pas 
le  nord  s'empressa  de  dire  :  «  Je  n'aurais  pas  trouvé  bon, 
dans  ce  cas,  de  faire  la  même  gambade  par  manière  de 
représailles.  » 

Cette  réplique  qui  illustre  tout  au  moins  l'aplond)  de 
son  auteur  et  dont  la  lOproduction,  dans  une  dépêche 
ofticielle,  n'est  rien  moins  qu'une  preuve  de  modestie, 
nous  servira  d'introduction  auprès  de  l'envoyé  britan- 
nique. 

Stanley,   petit-fds  du  fondateur  du  nuisée  britannique, 


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(t)  Stanley  à  PiU,  'iSjuin  1761.  Newcaslle  Pajiers. 


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LA  Gl  KRUK  Di:  SKPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


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ne  posst'dait  pas  un  bagage  politique  bien  lourd;  il  rem- 
plissait à  Tadministration  de  la  Marine  la  fonction  do  «  ju- 
nior lord  »  quand  Pitf,  dont  il  était  le  protêt; <•,  lui  confia 
l'importante  tAche  de  négocier  avec  Choiscul.  Sans  expé- 
rience diplùmati<|ue,  très  sensible  aux  bons  procédés  et 
aux  déuionstrations  de  sympathie  réelle  ou  simulée,  Stan- 
ley subit  le  charme  de  Choiscul  et  de  son  entourage,  mais 
tout  en  plaidant  de  son  mieux  pour  la  personnalité  du 
ministre  français,  il  n'oublia  jamais  l'intérêt  national 
dont  il  avait  la  garde,  et  ap])orta  à  cette  défense  l'in- 
transigeance de  son  i)atron,  sans  y  mettre  le  ton  rogue 
et  la  morgue  caractéristique  des  lettres  de  ce  dernier. 
En  "ésumé,  à  part  la  vanité  et  la  note  du  moi  tr'  p  en 
vue,  Stanley  coniuisit  bien  la  négociation,  consacra  tous 
ses  efforts  à  la  faire  réussir,  renseigna  bien  sa  cour  et 
s'acquitta,  comme  nous  le  verrons,  très  convenablement 
de  sa  besogne.  Parmi  ses  amis  et  connaissances,  sa  nomina- 
tion fut  accueillie  avec  plus  de  surprise  (|ue  d'approba- 
tion :  «  Après  avoir  fait  de  Hans  Stanley  un  ministre  à  la 
cour  de  France,  écrit  le  général  Mostyn  (1),  je  ne  vois  pas 
de  difficultés  à  une  fabrication  quelconque;  après  tout, 
pourquoi  ne  pas  improviser  une  paix  tout  aussi  bien 
qu'autre  chose?...  Madame  la  marquise  sans  aucun  doute 
se  moquera  de  nous  et  de  notre  ministre.  »  D'autres  ap- 
préciations sont  plus  flatteuses  ;  une  grande  dame  de  l'épo- 
que, Lady  Hervey  (2),  lui  accorde  «  du  savoir-faire,  du  bon 
sens,  des  connaissances  et  de  l'honnêteté  ».  Starhem- 
berg  (3)  le  dépeint  comme  un  homme  modeste,  habile, 
expérimenté,  qui  aura  bientôt  fait  de  prendre  la  mesure 
de  Choiseul  et  qui  saura  découvrir  le  fort  et  le  faible  du 
ministre.  «  Pour  un  Anglais,  je  le  trouve  a.ssez  ali'ablc  ». 


(1)  Moslvn  à  Newcasllc,  Alverdissen.  2.")  mai  176t.  NewcasUe  Papers. 
(2;  I.ellrc  citée  par  lord  iMalioii,  Hislanj  of  EnijUtnil.  IV,  p.  2'.U. 
{i)  Slarlieinljergà  Kaunilz,  15  juin  17C1.  Aicliives  de  Vienne. 


DKTAILS  SUR  STAM.KV, 


829 


Le  verdict  de  Hussy  1)  (|iii,  retenu  |)ar  le  mauvais  temps, 
passa  trois  jours  avec  lui  à  Calais,  est  également  favo- 
rable :  «  M.  Stanley  a  beaucoup  d'esprit  et  de  connais- 
sances. Il  s'exprime  trts  bien  en  franc'ais,  mais  lentement; 
il  parait  qu'il  aime  la  douceur  de  la  société  française, 
mais  sans  dépouiller  la  fierté  de  sa  nation,  quoique  sous 
un  extérieur  simple  et  modeste.  Il  est  ombrageux,  inquiet, 
et  le  peu  d'expérience  qu'il  a  des  all'aires  peut  le  conlirmer 
dans  ce  caractère.  11  cberchera  à  tirer  avantage  du 
moindre  mot,  qu'on  laissera  échapper,  en  faveur  de  sa 
commission,  et  si  on  lui  fait  la  moindre  promesse  il  en 
fera  un  contrat  dont  il  exigera  l'exécution  j'i  la  rigueur. 
Il  est  vif  sous  les  deb.ors  de  la  tranquillité  ;  il  a  même  de 
la  disposition  à  la  causticité,  quand  une  fois  il  s'échauffe. 
S'il  croyait  s'apercevoir  de  quelque  manque  d'égards 
pour  sa  cour  ou  pour  sa  personne,  il  est  à  présumer  qu'il 
exprimerait  son  mécontentement  avec  dureté;  mais  en 
revanche,  il  parait  avoir  le  camr  droit  et  noble;  il  est 
It  ••  sensible  aux  attentions  et  aux  prévenances,  et  je  crois, 
Monseigneur,  <[ue  par  là  vous  en  tirerez  bon  parti.  » 

Stanley  arriva  à  Calais  le  25  mai,  jour  fixé  pour  le  ren- 
dez-vous; il  n'y  trouva  pas  Bussy  qui,  retenu  à  Paris, 
ne  parut  que  le  27.  Ce  retard,  rapporté  à  Pitt  par  son  repré- 
sentant, faillit  être  la  cause  d'une  rupture.  Bussy  présenta 
des  excuses,  Choiseul  fournit  des  explications  qui  convain- 
quirent jusqu'au  susceptible  Pitt.  et  on  put  se  mettre  à 
l'œuvre  de  part  et  d'autre.  Stanley  s'était  annoncé  à 
Choiseul  par  nn  billet  bien  tourné,  daté  de  Sentis  où  il 
comptait  recevoir  les  ordres  de  sa  cour  au  sujet  de  l'incident 
Bussy.  Rassuré  par  une  réponse  courtoise  de  Choiseul,  il 
entra  à  Paris  le  V  juin,  alla  droit  chez  M'""  .lotfrin,  et  par 
ses  soins  fut  conduit  chez  Gallaud,  baigneur,  rue  .lacob, 
où  il  s'installa.  Le  7,  il  eut  1 2)  sa  première  audieiic(\  Choi- 

(I)  Bussy  à  Choiseul,  Calais,  30  mai  1701.  AHaireskliangôres. 
(:>.)  Stanley  à  PitI,  Paris,  8  juin  17G1.  Record  Ol'lice. 


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624 


I.A  GUKHUi;  i)K  SICl'T  ANS.         CHAP.  IX. 


seul  cominenfa  par  af'lirmcr  la  réiLolution  t'iiergiquo  et 
personnelle  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  de  mettre  fin  à  la 
guerre  si  possible;  puis  il  insista  sur  les  difficultés  qu'il 
avait  rencontrées  de  la  part  des  Impératrices  et  qu'il  avait 
fallu  surmonter  avant  d'aniorcor  la  négociation.  Après 
ce  préambule,  il  laissa  l'Anglais  développer  les  instruc- 
tions dont  il  était  muni.  Avec  une  facilité  que  la  con- 
naissance des  sentiments  avoués  de  Choiseul  faisait  pré- 
voir, on  se  mit  d'accord  sur  la  distinction  des  deux 
guerres,  sous  réserve  des  engagements  réciproques  vis- 
à-vis  des  alliés  et  sur  la  possibilité  de  conclure  la  paix 
•  particulière  sans  attendre  les  résultats  du  congrès  d'Augs- 
bourg.  Le  débat  se  poursuivit  sur  la  clause  de  Vuti  possi- 
detis  intimement  liée,  selon  le  ministre  français,  à  la 
question  desdates;  pour  le  casoù  celles  qui  avaient  été  sug- 
gérées par  le  mémoire  du  26  mars  ne  seraient  pas  ac- 
ceptées, Choiseul  demanda  si  son  interlocuteur  en  avait 
d'autres  à  y  substituer.  Stanley  répliqua  qu'il  n'avait 
pas  d'indications  sur  ce  point,  et  qu'il  en  référerait  à  son 
gouvernement;  il  en  fut  de  même  quand  le  Français 
voulut  aborder  le  chapitre  des  compensations  et  celui  do 
la  restitution  des  prises.  Dans  la  dépêche  à  Bussy  (1) 
qui  relate  l'entrevue,  Choiseul  résume  en  quelques  mots 
son  appréciation  :  «  Tel  a  été  le  précis  d'une  conversation 
de  plusieurs  heures  qui  a  abouti,  comme  vous  voyez,  à 
très  peu  de  choses  et  qui  me  fait  craindre  que  nous  ne  res- 
tions longtemps  à  nous  voir  venir.  «  Il  ajoute  un  propos 
sur  Belleisle  dont  le  rapport  de  Stanley  ne  fait  pas  men- 
tion :  «  Les  nouvelles  de  Belleisle  sont  mauvaises;  je 
crains  que  la  citadelle  ne  soit  prise  le  10  de  ce  mois.  J'iù 
dit  à  M.  Stanley  qu'ils  cassaient  les  vitres  de  leur  voisin, 
en  parlant  de  se  raccommoder  avec  lui;  mais  que  j'es- 
pérais que  le  Boi  ne  paierait  pas  les  vitres  cassées 
et   qu'elles  n'entreraient   dans  aucune  compensation.  » 

(1)  Choiseul  à  Bussy,  7  juin  17G1.  Aftaire*  Étrangères. 


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PRKMIKRKS  ENTIIEVUKS. 


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L<'  ton  et  la  manière  du  ministre  firent  bonne  impres- 
sion sur  l'Anglais  :  «  Je  dois  avouer  que,  pendant  tout  le 
cours  de  notre  entretien,  le  due  de  (Ihoiseul  s'est  exprimé 
avec  des  apparences  très  engageantes  de  franchise.  Je  le 
regarde  comme  doué  de  facultés  naturelles  d'un  haut 
degré;  j'ai  trouvé  beaucoup  plus  de  sérieux  et  de  suite 
dans  sa  conversation  qu'on  ne  lui  en  attribue  ici  en  général. 
Quand  il  lui  a  plu  de  mêler  aux  all'aires  une  plaisanterie 
quelconque,  je  me  suis  prêté  à  sa  fantaisie  et  je  me  llatte 
que  cela  ne  lui  a  pas  déplu.  » 

Sta^aley,  qui  connaissait  déjà  son  Paris  et  qui  avait  noué 
ou  renoué  des  velations  avec  divers  personnages  de  la  cour 
ou  de  la  ville,  d/nne  à  Pitt,  dans  un  billet  chiffré  (1),  quel- 
<|ues  notes  sur  Choiseul  :  «  Le  ministre  est  un  homme  de 
vive  intelligence,  mais  peu  préparé  pour  la  pratique, 
franc  dans  ses  propos,  souvent  sincère  au  moment  même 
où  il  parle,  mais  volage  et  très  indiscret.  11  traite  toutes  les 
affaires,  même  avec  les  gens  les  plus  haut  placés,  comme 
matière  h  plaisanteries.  Il  a  sur  le  Roi  une  influence  qui 
ne  dépend  en  aucune  façon  de  la  dame.  Pour  celle-ci  il  n'a 
guère  d'égards,  ([uelquefois,  il  se  montre  brutal;  quand 
elle  veut  parler  affaires,  il  lui  répond  qu'elle  est  belle 
comme  un  ange  ;  l'autre  jour,  il  lui  a  dit  de  jeter  au  feu  un 
mémoire;  il  est  tout  à  fait  étranger  à  l'alliance  autri- 
chienne ([ui  est  l'ouvrage  de  Bcrnis.  » 

Passons  maintenant  la  Manche  et  rendons  compte  du 
premier  entretien  de  Bussy  (2)  avec  Pitt.  L'envoyé  français 
était  arrivé  le  31  mai  à  Londres  où  il  s'était  logé  chez  un 
aubergiste  demeurant  dans  Suffolk  Street,  près  de  Charing 
Cross  ;  les  visites  commenoèrent  le  3  juin.  11  eut  avec  Pitt 
deux  entrevues  dont  il  fit  son  rapport  (3)  à  Choiseul.  Inti- 


II 


(1)  Stanley  à  PiU,  en  chiffres,  8  juin  1761.  Cliathain  Papers. 

(2)  Voir  sur  la  ncgocialion  de  Londres  Lawson   Grant,    «  La   mission  de 
M.  Bussy  »,  Paris,  l'JUiî. 

(3)  Bussy  à  Clioiseul,  Il  juin  I7»ll.  Affaires  Étra(i;^»;res. 


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52G 


1,A  GUKIUU';  DU  SEPT  ANS. 


CIIAl'.  IX. 


midé  par  l'homme  dctut  cinglais,  convaincu  que  ce  dernier 
profiterait  de  la  moindre  concession  de  la  France  pour  dé- 
noncer celte  puissance  ii  ses  propres  alliés,  peu  coulianl, 
par  consé([uent,  dans  le  résultat  des  négociations,  Bussy 
resta  sur  la  plus  grande  réserve  ;  l*itt,  au  contraire,  s'expli- 
qua sans  restrictions.  A.  son  interlocuteur  (|ui  soutenait  que 
la  clause  du  «  statu  quo  »  deviendrait  cadu(|ue  si  l'Angle- 
terre n'acceptait  pas  les  dates  du  premier  mémoire,  Pill 
de  répliquer  :  «  Si  la  cour  de  France  se  tient  à  sa  parole, 
la  conclusion  de  la  paix  est  une  affaire  de  huit  jours  de 
tenq)s.  Nous  ne  voulons  pas  étendre  nos  conquêtes  au  delà 
de  ce  qu'elles  sont  ;  nous  nous  contentons  de  celles  que 
nous  avons.  Vous  ne  nous  avez  [)oint  demandé  d'armistice, 
et  je  présume  que  vous  ne  le  pouviez  pas  à  cause  de  vos 
alliés;  mais  quand  vous  l'auriez  demandé,  nous  n'aurions 
pu  vous  l'accorder.  La  raison  en  est  simple,  il  serait  tout 

à  votre  avantage  et  à  notre  préjudice La  paix  définitive 

serait  retardée  par  mille  embarras  qu'on  ne  peut  prévoir, 
et  <{ui  peuvent  aisément  faire  dilférer  la  paix  trois  ou 
quatre  mois,  et  plus  encore,  si  la  conclusion  était  liée  à 
celle  de  la  paix  d'Allemagne.  Pendant  ce  temps,  vous 
pouri'iez  rétablir  une  partie  de  votre  marine,  envoyer  des 
secours  à  vos  colonies,  nous  faire  perdre  la  saison  des 
expéditions  à  faire  contre  vous,  et  vous  fortifier  de  façon  à 
nous  mettre  en  danger;  par  conséquent,  la  fixation  des 
époques  devient  absolument  nécessaire,  mais  il  n'est  pas 
possible  qu'elle  ait  lieu  autrement  que  du  jour  de  la  signa- 
ture du  traité,  ainsi  qu'il  est  porté  par  le  mémoire  de 
l'Angleterre  du  28  avril.  En  ce  qui  concerne  les  com- 
pensations, vous  voudrez  sans  doute  faire  valoir  ce  que 
vous  pourrez  conquérir  en  Allemagne  appartenant  au  roi 
d'Angleterre,  comme  électeur  d'Hanovre?  »  Bussy  répon- 
dit qu'il  ne  pouvait  y  avoir  doute  à  cet  égard,  «  puis- 
que c'était  en  partie  l'occupation  que  cette  guerre  nous 
avait   donnée,   qui  nous   avait  causé   la    perte   de   nos 


PREMIKR  HAPPORT  DK  IJL'SSV 


527 


colonies,  .le  ne  vous  tlissimulcrai  pas.  me  dit-il,  que  du 
temps  (lu  feu  Koi  cela  aurait  fait  ici  une  praude  impres- 
sion; mais  aujourd'hui,  cela  n'en  fera  que  très  peu  ». 
D'ailleurs,  il  serait  impossible  pour  la  Krancc  de  faire  des 
établissements  permanents;  «  les  constitutions  d'Allom.i- 
gne  vous  le  défendent;  l'Empire  même  sera  contre  vous 
si  vous  entreprenez  d'y  rester  ».  A  [)ropos(le  Helleisle  dont 
Bussy  escomptait  la  prise  et  la  restitution  sans  compen- 
sation :  «  Vous  pouvez  être  assuré,  répli(jua  l'itt,  que  nous 
n'avons  pas  envie  de  garder  Belleisle,  mais  il  faudra  bien 
cpi'il  entre  en  ligne  de  conq)te.  » 

J/euvoyé  français  fut  évidemment  impressionné  par  la 
valeur  de  son  adversaire  :  «  Ce  ministre.  Monseigneur, 
me  parait  avoir  de  grands  talents,  une  fermeté  singulière, 
beaucoup  de  métbode  et  de  suite  dans  l'esprit.  Quoiqu'on 
le  dise  haut  et  dur,  j'ai  éprouvé  qu'il  est  maître  de 
lui-même  quand  il  veut  et  qu'il  sait  mettre  toute  la  poli- 
tesse imaginable  dans  les  all'aires...  Il  m'a  dit  ((u'il  était 
fort  éloigné  de  vouloir  blesser  la  délicatesse  de  ma  cour  et 
qu'il  me  priait  de  l'avertir,  s'il  lui  échappait  qur'lque 
expression  trop  vive,  pour  qu'il  la  corrige<^t  sur-le-champ.  » 

Terminons  ces  extraits  par  l'esquisse  de  la  politique 
intérieure  de  l'Angleterre;  son  exactitude  prou\e  que 
notre  diplomate  avait  puisé  ses  renseignements  à  bonne 
source  ;  «  Les  anciens  ministres  ont  perdu  de  leur  consi- 
dération. Beaucoup  de  gens  crient  à  la  vérité  contre  la 
dureté  de  51.  Pitt,  mais  tous  s'accordent  à  dire  que  l'An- 
gleterre était  avilie  ci-devant,  et  que  ce  n'est  que  depuis 
son  entrée  danjj  le  ministère  qu'elle  a  joué  un  rôle  hono- 
rable dans  le  monde.  Il  n'y  a  plus  ici,  en  effet,  de  parti  de 
l'opposition.  Ceux  qui  pourraient  en  être  les  chefs  sont 
dans  le  conseil,  et  M.  Pitt  a  pris  l'ascendant  sur  tous  les 
esprits  par  la  force  de  son  génie,  par  son  éloquence,  par 
son  courage  et  son  désintéressement.  Comme  il  a  1<^  crédit 
populaire  et  que  le  comte  de  Bute  a  le  crédit  auprès  du 


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I,\  f;iîEKUK  DE  SKPT  ANS.        CIIAP.  IX. 


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Koi,  ces  «Unix  ministios  sont  obligés  do  s'unir  et  de  se  sou- 
tenir riiii  l'autre.  D'iiilleurs,  le  comte  de  Itiitc  est  un  jeune 
homme  <le  1.1  plus  grande  ospéi'ance,  A  la  vérité,  mais  (jui 
n'a  pas  l'expérience  des  allaircs  comme  son  collègue,  et 
il  parait  «ju'il  faudra  (pi'il  soit  ««ncore  longfem[»s  lié  avec 
lui  pour  pouvoir  voler  de  ses  pro|)res  ailes.  Quant  au  sys- 
tème (pje  M.  I»itt  a  pris  sur  les  all'aires  avec  la  France,  il 
n'a  pds  voulu  en  être  resj)onsal)le.  Il  s'c'st  tenu  un  grand 
conseil  ici  avant  mou  arrivée;  le  Chancelier,  chef  de  la 
Justice,  a  été  consulté  sur  l'interprétation  du  mémoire  du 
20  mars;  M.  l'itt  a  réuni  tous  les  mendircs  du  Conseil  à  son 
opinion,  et  il  s'est  fait  assurer,  pour  ainsi  dire,  sa  conduite 
et  son  système  par  ses  collègues.  » 

hussv  avait  reçu  la  visite  des  ministres  i)russiens.  mais 
s'était  excusé  de  ne  pas  la  rendre,  les  relations  entre 
1(  s  deux  cours  étant  rompues.  La  conclusion  de  sa  dépêche 
est  pessimiste  :  «  Comme  je  prévois,  Monseigneur,  que 
vous  pourrez  m'envoyer  incessanunent  Tordre  de  quitter 
l'Angleterre,  je  vous  supplie  de  bien  vouloir  m'adresser 
mes  passe-ports.  »  Dans  un  bille'  ntime,  l'envoyé  fait 
allusion  aux  commissions  féminines  dont  il  avait  été 
chargé.  Il  avait  compté  acheter  «  des  belles  moires  et  des 
damas  mascarades  »  pourles  deux  duchesses  (M"""  deChoi- 
seul  et  de  Gramont),  mais  ces  tissus  ne  sont  plus  de  mode  ; 
«  les  dames  ne  portent  presque  que  de  nos  étoffes  de 
France  qui  passent  par  la  Hollande  et  sont  réputées  hol- 
landaises )). 

Trois  jours  après  l'envoi  de  la  lettre  de  laquelle  nous 
avons  tiré  les  citations  ci-dessus,  la  ville  de  Londres  fut 
mise  en  émoi  par  la  nouvelle  de  la  capitulation  de  Bel- 
leisle;  de  tous  côtés,  on  fit  des  prépai'atifs  pour  une  fête 
populaire  et  pour  des  illuminations.  Bussy,  très  inquiet 
de  la  fausse  position  dans  laquelle  il  allait  se  trouver, 
courut  chez  Pitt  solliciter  la  protection  de  la  police  etpré- 
senta  une  demande  de  restitution  pure  et  simple  de  la 


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^^SË^ÙsSi* 


NorvKU.K  m:  la  puisr  nr,  iiFM.Krsr.K 


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iiouvolhî  coiujiirl»'.  La  i'0((ii«M('  ainsi  inlrodiiilo  lUait  iiiop- 
pofliiiic,  si  on  se  pliiinil  .ni  point  <lo  vik'  «I'uik;  prompte 
issue  <les  n<\i;()ciations,  mais  elle  avait  des  partisans  parmi 
les  hommes  d'Ktat  an^'lais.  Itedford  ili  comparait  itell(>isle 
à  l'ilc  de  Wif^'ht  :  «  hemaiide/  à  n'impoi-te  rpiel  citoyen 
ant^'lnis  de  mollre  la  main  sur*  son  l'o'nr  et  de  dire  si, 
<|nel(|n«i  jurande (jne  puisse  ètn*  la  détresse  de  son  pays,  il 
pourrait  collaborer  h  un<i  i)aix  (pii  céd<M"ait  l'ilc  de  Wiglit 
à  la  France?  Si  le  cas  est  paicil,  traitons  les  auti'es  comme 
nous  Voudrions  ôtre  traités  par  eux.   » 

Disons  de  suite  que  Clioiseul  i2)  n'attacha  d'importance 
ni  aux  scrupides  ni  aux  craintes  de  son  envoyé  :  "  Stanley  a 
dîné  chez  Starlienihcri^  ;  cela  nous  a  paru  trèssimjde,  aussi 
le  lloi  vous  ordonne  de  rendre  la  visite  aux  minislies  prus- 
siens... Vous  leur  répondrez  (jue  vous  ij.;iiorez  absolument 
ce  (]ui  sera  traité  à  Aui^sbourf,",  et  de  bonne  loi  je  l'ignore 
connue  vous,  les  Impératrices  ne  nous  ayant  pas  fait  con- 
fidence de  leui's  vues  etencoi'e  moins  de  leurs  prétentions, 
dont  Je  u(^  suis  pas  cui-ieux,  parce  que  si  nous  nous  accom- 
modons avec  l'Angbîterre,  toute  cette;  dispute  allemande 
sera  bientùt  linie  de  fait.  »  Il  ne  pouvait  être  question  du 
retour  :  «  Ne  songez  pas  à  revenir  que  je  ne  vous  le  mande, 
mais  si  ce  cas  arrivait  qu'il  ne  faut  pas  précipiter  pour 
éviter  les  torts  et  les  reproches  »,  les  instructions  néces- 
saires seraient  données  en  temps  utile,  a  J'espère,  ajoute- 
t-il,  que  vous  aurez  illuminé  depuis  la  cave  jusqu'au 
grenier  pour  la  prise  de  Helleislc,  afin  d'éviter  d'être 
déchiré  par  la  populace.  Votre  illumination  nous  fait  ici 
un  peu  moins  que  la  prise  de  cette  île.  » 

Le  10  juin,  nouvelle;  conversation  de  Pitt  et  de  Bussy  (3). 
Le  ministre  anglais,  qui  avait  pris  les  ordres  de  (Jeorges  III, 
commença  par  refuser  net  la  lestitufion  de  Belleisle  sans 

(1)  nedford  i\  Bute,  1;{  j«ni»  1761.  Newcastle  Papers. 

(2)  Clioiseul  à  Itiissy.  Ojmi  tTtii.  Affaires  K(ran};ères. 

(3)  Bussy  à  CiioiseuU  19  jaWi  TSti.  Affaires  Klraiigèie». 

(îlERnE   nR   SEPT    A'S-.       -   T.    IV  34 


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T,A  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  !X. 


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compensation.  Puis  on  reprit  la  discussion  des  époques;  à 
cette  occasion,  Pitt  constata  que  le  langage  de  Choiseul  à 
Stanley  était  beaucoup  plus  précis  que  celui  dont  se 
servait  Bussy;  à.  l'appui  de  son  observation,  il  lut  des 
extraits  de  la  corresoondance  de  l'envoyé  britannique. 
Il  est  à  remarquer,  en  ell'et,  que  le  ton  de  Choiseul,  no- 
tamment sur  la  conclusion  de  la  paix  particulière  et 
sur  la  question  des  dates,  avait  été  fort  ditl'érent  de  celui 
qu'imposaient  à  Hussy  ses  instructions.  Pitt,  en  termi- 
nant l'entretien,  lui  laissa  «  un  papier  pro  memoria  » 
mais  non  pas  comme  écrit  ministériel.  Pour  répondre 
au  vœu  émis  par  Ciioiseul,  le  cabinet  anglais  |)roj)Osait  (1) 
de  lixer  les  dates,  pour  l'application  de  Viifi  pussidelis, 
aux  premiers  juillet,  septembre  et  novembre;  mais  dans 
l'intérêt  de  la  pai.v  et  pour  éviter  que  la  tixation  ne  de- 
vint «  dans  la  suite  une  source  de  discussions  embrouillées 
et  d'altercations  captieuses  et  dangereuses  »,  Sa  Majesté 
Britannique  ne  conviendrait  «■  desdites  époques  qu'unique- 
ment aux  deux  conditions  suivantes  : 

1  "  Que  tout  ce  ([ui  sera  heureusement  arrêté  entre  les 
deux  couronnes  relativement  à  leur  guerre  particulière, 
soit  r-endii  obligatoire,  linal  et  ccmclusif,  indépendamment 
du  sort  des  négociations  d'Augsbourg  pour  ajuster  et  ter- 
miner les  contestations  d'Allemagne,  et  pour  en  rétablir 
la  paix  générale; 

2"  Que  ledit  traité  dètinitif  de  paix  entre  la  (Jrande-Bre- 
tagnc  et  la  France  soit  conclu,  signé  et  ratifié  ou  des  arti- 
cles prélimin.aircs  à  cette  fin,  entre  ci  et  le  1"'  d'août  pro- 
chain. »  Kn  outre,  Sa  Majesté  Britannique  déclarait  t\n:\ 
l'égard  de  Belleisie,  elle  consentirait  «  dans  le  traité  futur 
d'entrer  en  conqiensatiou  sur  cette  importante  concjuôfe  ». 
Quant  aux  autres  échanges,  «  Sa  Majesté  se  réserve  d'ap- 


II 


(I)  Pro  Memoria  remis  par  PiU,  17  juin  1761.  Affaires  Etraiii^èrcs  et  Rf 
cord  uriiee. 


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NOTE  niCTKE  PAR  CnOISKUL  A  STANLRV. 


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prcndro  quels  pourr;ti(^nl  rti'o  los  désiis  do  Sa  M.  Très 
(Ml rétienne  sur  ce  poinf,  en  suite  de  quoi  Sa  Majesté  s'ou- 
vrira avec  toute  sincérité  et  bonne  foi  ». 

Bussy  prit  en  mauvaise  part  îi  note  do  Pitt  :  «  Il  pa- 
rait eortain,  Monsoigricur,  quo  ce  ministre  est  déterminé 
à  continuer  la  guerre  ou  à  nous  faire  acheter  la  [)aix 
an  prix  le  plus  déraisonnable...  Il  fait  dos  confidences 
aux  ministres  étrangers  et  nous  accuse  de  ne  pas  tenir 
notre  parole.  )i  Malgré  ces  sombres  pronostics  qui  s'ins- 
piraient évidemment  de  ro[nnion  do  Fuentes  et  de  (Ja- 
lilzin,  hostiles  tous  les  deux  A  la  politique  et  à  la  per- 
sonne do  Pitt,  cet  homme  d'hltat  avait  réellement  fait 
un  pas  en  avant  dans  la  voie  de  l'ontento.  Le  même  jour, 
(Ihoiseul  {n\  lit  un  plus  grand  dans  une  entrevue  qu'il 
eut  avec  Stanley.  Ce  dernier  fait  un  récit  dramatique  (1 1  do 
leur  con\<'rsation  :  Kn  réponse  à  un  apj)ol  radjurant  de 
prendre  l'initiative  et  do  formuler  les  dosid(U*ata  do  la 
cour  do  Versailles,  Choisoul,  fort  ému,  exigea  (pie,  sui-  la 
communication  qu'il  allait  faire,  le  secret  le  plus  coin[)let 
fût  gardé  vis-à-vis  dos  ambassadeurs  étrangers  et  môme 
de  liussy;  seuls,  Pitt  ot  ses  collègues  du  conseil  intime  de- 
vraient on  connaître.  Puis  il  parla  dans  les  ternies  sui- 
vants :  «  La  nécessité  de  la  [)aix  avait  fait  l'impression  la 
l)lus profonde  sur  le  Uoison  maître;  seule,  Sa  Majesté  était 
au  courant  du  langage  qu'il  allait  me  tenir...  La  raison  (pii 
le  poussait  à  désirer  quo  l'alTaire  fût  traitée  par  mon  en- 
tremise dans  le  secret  le  plus  absolu  était  due  à  l'obliga- 
tion de  mettre  MM.  Starhomberg,  (irimaldi  et  (Izorni- 
chew  (2)  au  c()Ui'a"t  do  toute  la  correspondance  échangée 
avec  M.  de  Bussy,  lef|uol  avait  également  ordre  de  ren- 
seigner cxacteuKMit  le  prince  (Jalitzin  ot  M.  do  Fuontes 
Il  avait  été  conquis  par  mes  arguments  et  [)ar  mes  pro- 

(I)  Slanlny  à  Pit(.,  (S  juin  1701.  Ni-wcasUc  Papois.  lliTonl  oriicc.  Voir  l.i 
liailuclion  iIoiiiii'm\  par  (.awsoii  (iraiil. 
{D  Aiiibassadeur  île  Russie  ;>  la  eour  <le  Versailles. 


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LA  GlERRK  DK  SEPT  ANS.  -  riIAP.  IX. 


testations;  car  jusqu'alors  il  s'était  grandement  méfié  de 
la  sincérité  de  notre  cour  ;  il  n'avait  pas  osé  s'exprimer 
l)lus  clairement  parce  que,  si  ses  offres  étaient  repous- 
sées sans  résultat  pour  son  pays  et  sans  la  satisfaction 
d'avoir  rendu  la  tranquillité  à  son  maître,  il  se  serait 
attiré  l'animadversion  générale  des  Fran(,;ais  et  encouru 
le  discrédit  de  la  part  des  alliés.  » 

Ces  prémisses  posées,  Choiseul  énuméra  de  vive  voix 
les  conditions  (]uc  la  France  accepterait  pour  la  conclu- 
sion de  la  paix.  Stanley  dit  qu'il  ne  pouvait  les  prendre 
qu'  «  ad  référendum  »;  mais  pria  le  ministre,  pour  éviter 
les  erreurs  ou  les  oublis  (jue  lui,  Stanley,  serait  capable 
de  faire,  de  les  lui  remettre  par  écrit.  «  Là-dessus, 
nous  passâmes  de  la  galerie  dans  son  cabinet,  et  là  il 
me  dicta  la  note  incluse  qui  est  la  pièce  originale  écrite 
pai'  moi,  puis  't'.ue  et  revue  avec  soin  ptr  lui.  Pen- 
dant la  dictée,  il  marchait  de  long  en  large  dans  la 
pièce  et  était  en  proie  à  une  émotion  très  vive.  Il  me 
demanda  ensuite  d'un  ton  qui  indiquait  beaucoup  d'in- 
quiétude si  je  pensais  que  ce  précis  pût  servir  de  base 
iV  un  traité.  »  A  la  suite  de  cette  question,  la  conversation 
s'engagea  :  Stanley,  ayant  soin  de  déclaior  qu'il  no  par- 
lait qu'en  son  nom  personnel,  présenta  à  certainc^s 
clauses  des  objections  que  Choiseul  réfuta  en  défendan! 
son  projet.  A  signaler  une  concession  imprudente  du 
ministre  français  relative  aux  conquêtes  e.i  Allemagne, 
«  leurs  troupes  évacueraient  de  suite  non  seulement  la 
liesse,  mais  aussi  >Vesel  et  les  territoires  appartenant  au 
roi  de  Prusse  lesquels  il  considérait  comme  rattachés  à 
la  guerre  britannique  ». 

En  ce  qui  concerne  Belleisle,  dont  on  venait  d'apprendre 
la  prise,  Choiseul  dit  qu'il  ne  l'avait  pas  comprise  dans 
les  compensations,  parce  qu'il  ne  s'en  souciait  guère  et 
que  nous  pouvions  la  garder,  si  nous  le  voulions.  Stanley 
en  relatant  cette  boutade  prétend  qu'elle  ne  s'harmonisait 


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CHOISEUL  MET  HUSSY  AU  COURANT. 


533 


guère  avec  l'expression  des  traits  de  son  auteur.  «  Je 
ne  suis  pas  du  tout  convaincu,  conclut  Stanley,  que  ces 
conditions  oient  les  meilleures  que  nous  puissions  ob- 
tenir de  la  France.  Elles  sont  ses  premières  ofl'res. 
J'estime  cependant  que  S.  E.  combattra  ferme  pour  les 
pêcheries  et  sacrifierait  plutôt  tout  autre  point.  Ces  pro- 
positions semblent  prouver  tout  au  moins  que  la  France 
agit  en  personne  sérieuse.  » 

La  note  dictée  par  Cboiscul  (1)  porte  la  date  du 
17  juin;  elle  est  conçue  dans  les  termes  suivants  :  «  M.  le 
duc  de  Choiseul  propose  à  M.  Stanley  :  il  demande 
la  restitution  de  la  (Guadeloupe  et  de  Marie-Galante, 
ainsi  que  celle  de  Gorée  pour  l'Ile  de  Minorque  ;  il  pro- 
pose la  cession  entière  du  Canada  à  l'exception  de  l'Ile 
Royale,  où  il  ne  sera  point  établi  do  fortifications, 
et  pour  cette  cession,  la  France  demande  la  conserva- 
tion de  la  pèche  à  la  morue,  telle  qu'elle  est  établie 
dans  le  traité  d'Utrecht  ;  et  une  fixation  des  limites  du 
Canada  dans  la  partie  de  l'Ohio  déterminée  par  l.^s  eaux 
pendantes,  et  fixée  s'"  clairement  par  le  traité,  qu'il  ne 
puisse  plus  y  avoir  aucune  contestation  entre  les  deux 
nations  par  rapport  aux  dites  liinites.  La  France  rendra 
ce  que  ses  armée»  ont  conquis  en  Allemagne  sur  les 
alliés  britanniques.  > 

Dans  le  mystère  do.  '  le  ministre  avait  entouré  sa  coni 
munication,  dans  les  c  ifidences  qui  lui  avaient  servi  de 
préface,  dans  le  secret  ([u'il  avait  exigé  vis-à-vis  de  lUissy 
lui-même,  il  y  avait  beaucoup  de  mise  en  scèm\  (Choi- 
seul s'était  comporté  en  actuur  accompli  et,  pour  impres- 
sionner l'impassible  Stanley,  avait  eu  largement  recours 
à  son  esprit  d'invention,  il  n'eut  jamais  l'intention  de 
cacher  à  Bussy  les  conditions  qu'il  venait  d'esquisser 
ou  s'il  eut  cette  pensée,  il  ne  la  conserva  pas  longtemps, 

(\)  Proposilior.  de  Phoiseul.  17  juin,  Newcaslle  Papers  et  Record  Office. 


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LA  GUERHK  DK  SKPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


car  deu.v  jours  ne  s'étaient  pas  écoules  qu'il  mit  son  en- 
voyé au  courant  de  ce  qui  s'était  passé  :  «  Dans  une 
conversation,  écrit-il  (1),  que  j'ai  eue  avec  M.  Stanley, 
après  avoir  discuté  longuement  les  compensations,  nous 
sommes  venus  au  point  de  l'îiii-e  des  propositions  et  je 
lui  ai  laissé  entrevoir  ([uc  le  Koi  rendrait  Port-Mahon 
pour  la  Guadeloupe,  Marie-dalante  et  Gorée;  que  les 
Conqiagnies  s'accommoderaient  aux  Indes;  que  les  eaux 
pendantes  serviraient  de  limite  au  Canada  du  côté  de  la 
rivière  de  l'Oliio  et  de  la  Louisiane;  que  nous  g-arderions 
l'ile  Royale  sans  fortifications  et  la  liberté  de  la  pêche, 
et  céderions  la  totalité  du  Canada;  nous  n'avons  point 
parlé  de  l)unkei(|ue  ni  de  Belleisle,  mais  j'ai  ajouté 
qu'aux  conditions  (juc  je  venais  de  lui  dire,  je  ci'oyais 
que  le  Koi  ferait  rentrer  ses  armées  d'Allemagne  en 
France,  sauf  'c  licenciement  i)areil  de  l'armée  hano- 
vrienne.  M.  Stanley  non  seulement  a  bien  entendu  le 
système  de  pacilication  que  je  lui  proposais,  mais  il  l'a 
même  écrit  dans  mon  cabinet  et  a  envoyé  un  courrier  eu 
Ang'lelei're;  il  m'a  demandé  si  je  vous  en  éci'ivais,  je  lui 
ai  (lit  que  je  vous  répondrais  fort  en  détail  sur  le  «  statu 
(juo  »  ;  et  qu'il  était  inutile  quant  à  présent  de  vous  en- 
voyer un  projet  qui  n'était  pas  encore  constaté  par  la 
volonté  précise  du  Uoi,  qu'il  fallait  attendre  quelle  serait 
la  réponse  quo  l'on  lui  ferait,  et  qu'alors  je  vous  ins- 
truirais; ainsi  vous  ne  devez  faire  aucun  semblant  que 
je  vous  aie  rien  mandé  des  idées  qui  ont  été  commu- 
niquées à  M.  Stanley,  et  laisser  venir  sur  cet  objet 
M.  Pin.  »  La  comparaison  de  ce  compte  rendu  avec  le 
texte  dicté  à  Stanley  laisse  apercevoir  quelques  diver- 
gences. A  en  croire  le  récit  de  l'Angidis,  et  si  l'on  con- 
sulte la  note,  les  déclarations  de  Choiseul  à  propos  de 
l'évacuation  de   r.Vllemagnc  auraient    été   plus  catégo- 

(1)  Clioisi'iil  a  lliissy,  |t;u'licuii('re,   l'J   juin  17(11.  Affaires  Etrangères. 


UUSSY  DOIT  IGNORER  I.A  NOTE  DICTEE  A  STANLEY.  f.35 

l'iques  et  la  réciprocité  de  l'action  anglaise,  quoique  pro- 
bablement sous-entendue,  n'aurait  pas  fait  l'objet  d'une 
mention  spéciale. 

Ainsi  qu'il  l'avait  dit  à  Stanley,  la  dépêche  officielle  (1) 
de  Choiseul  p  Bussy  insistait  sur  la  nécessité  de  s'entendre 
sur  les  dates  et  faisait  à  peine  allusion  aux  conditions.  «  Il 
faut  qu'elle  (l'Angleterre)  nous  fasse  connaître  si  elle 
adopte  nos  époques;  si  elle  ne  les  adopte  pas,  qu'elle  en 
propose  d'autres,  car  ce  ne  serait  ni  négocier,  ni  rai- 
sonner que  de  dire  :  Nous  acceptons  Vuti  possidelis,  et 
l'époque  que  nous  assignons  est  la  paix.  Cette  manière  de 
traiter  ressomblcrait  à  celle  d'un  homme  à  qui  un  mar- 
chand proposerait  un  diamant  pour  mille  louis,  qui  di- 
rait au  marchand  :  vous  m'avez  proposé  un  diamant,  je 
l'accepte,  et  quant  au  prix,  je  verrai  ce  qui  me  con- 
viendra. Je  doute  qu'il  y  eût  beaucoup  de  marchands 
qui  adoptassent  un  pareil  raisonnement.  »  Si  l'occasion 
se  présentait  «  dentamer  plus  avant  la  proposition  de  la 
paix  »,  lîussy  était  autorisé  à  offrir  de  signer  «  un  acte 
quelconque  par  lequel  il  sera  convenu  entre  les  deux 
puissances  : 

1"  Que  Yuli  possidelis  est  la  base  de  la  négociation, 

2"  Que  les  États  des  alliés  de  la  Gi'ande-Bretagne  en 
Allemagne  sont  compris  dans  Vuti  possidelis  ; 

3"  Que  les  deux  couronnes  se  garantiront  récipioque- 
ment  les  possessions  nouvelles  qu'elles  auront  acquises 
pendant  la  gueri-e  dans  toutes  les  parties  du  monde,  et 
dont  la  possession  leur  sera  confirmée  par  la  paix; 

4°  Que  l'Angleterre  nommera  dès  à  présent,  les  époques 
qui  constateront  1'////  possidelis,  pourvu  que  ces  épo- 
ques ne  soient  pas  plus  éloignées  (jue  le  terme  de  six 
mois. 

«  Si  M.  Pitt  vous  fait  des  difficultés  sur  le  second  ar- 


;   ( 


(1)  Choiseul  à  Bussy,  Maily,  19  juin  1761.  Allaiit's  Etrangères. 


% 


536 


I.A  OUKRRE  DE  SEPT  AINS. 


CHM'.  IX. 


ticle,  VOUS  lui  direz  positivement  que  sana  doute  il  n'a 
pas  imaginé  que  la  France,  en  proposant  le  «  statu  <]Uo  », 
ait  voulu  proposer  simplement  d'accordcM'  tous  les  avan- 
tages qu'avait  l'Angleterre,  et  d'abandonner  ceux  ({uc 
les  armes  du  Roi  lui  ont  procures  en  Allemagne.  S.  M. 
regarde  l'armée  britanni(|ue  et  les  princes  dont  les 
troupes  la  composent  comme  une  armée  agissant  pour  la 
cause  de  l'Angleterre  contre  la  France,  et  dans  ce  sens 
G<»ttingen  n'est  pas  le  seul  pays  que  possède  le  Roi  ap- 
partenant ou  sous  la  protection  de  la  cause  anglaise.  La 
Hessc,  par  exemple,  doit  intéresser,  dans  cette  circons- 
tance, autant  l'Angleterre  que  l'élcctorat  d'Hanovre,  le 
landgrave  étant,  comme  l'électeur  d'Hanovre,  armé  pour 
la  cause  britannitjue.  »  (Citons  enfin  la  conclusion  de  la 
lettre  que  Russy  devait  lire  comme  de  son  propre  mou- 
vement à  Pitt  :  «  Au  surplus,  si  le  ministère  britannique 
veut  la  paix,  les  propositions  chronologiques  feront  bien- 
tôt place  aux  propositions  géographiques  et  catégoriques. . . 
Le  Roi  me  parait  trop  grand,  ainsi  que  le  roi  d'Angle- 
terre, pour  tiVtonner  comme  anciennement  sur  leur  déter- 
mination... S.  M.  a  déterminé  le  prix  qu'elle  voulait  mettre 
cà  la  paix.  Il  ne  sera  ni  plus  considérable  ni  moindre  que 
ce  qu'il  dira  dès  la  première  fois;  et  si  ce  prix  n'est  pas 
accepté  par  l'Angletcire,  il  faudivi  continuer  la  guerre  jus- 
qu'au temps  où  la  Francejugcra  pour  son  intérêt  qu'elle  doit 
faire  de  plus  grands  sacrifices, ou  l'Angleterre  qu'elle  doit 
se  procurer  de  moindres  avantages.  Quoi  qu'il  en  soit,  je 
n'en  serai  pas  moins  le  sincère  admirateur  de  M.  Pitt,  et  le 
serviteur  de  M.  Stanley  qui  me  convient  on  ne  peut  pas  da- 
vantage, C'est  un  honune  d'esprit,  simple  dans  ses  maniè- 
res, et  qui  me  paraît  un  honnête  homme  et  très  véii- 
dicjue.  » 

Dans  l'entrevue  (1)  du  23  qui  suivit  l'arrivée  du  cour- 

(1)  Hussy  a  Choiseul,  M.iuin  t/Oi.  Affaires  EU'anj^oi'Ps. 


BONNE  IMPRESSION  A   LONDUES. 


687 


ricr,  Pitt  se,  déclara  satisfait  de  la  lettre;  de  Choiseul  et 
d  accord  avec  lui  sur  le  maintien  de  ïiiti  possidetis  et 
sur  la  connexité  de  cette  clause  avec  celle  des  époques; 
d'ailleurs,  il  avait  déjà  proposé  les  siennes.  Puis  il  de- 
manda si  Bussy  avait  quelque  chose  à  dire  sur  les 
conditions.  Le  Français,  lidèle  à  sa  consigne,  répondit 
qu'il  n'avait  pas  encore  reçu  les  instructions  de  sa  cour 
à  ce  sujet.  Pitt  qui  avait  en  mains  le  papier  de  Choi- 
seul,  et  qui  ne  croyait  pas  au  mystère  gardé  à  l'égard  de 
son  interlocuteur,  insista  à  plusieurs  reprises  maiSv'in  vain 
sur  ce  point.  Néanmoins,  on  effleura  plusieurs  questions  : 
les  conquêtes  françaises  en  Allemagne,  les  limites  du 
Canada,  la  démolition  des  fortifications  de  Dunkerque, 
l'attribution  des  Antilles  neutres,  liussy  se  dit  presque 
rassuré  sur  renvoi  de  nouvelles  expéditions  contre  les 
possessions  françaises  :  «  Il  parait  qu'il  (Pitt)  n'en  fera 
aucune  de  sérieuse  jusqu'à  ce  qu'il  sache  décisivement 
s'il  y  a  moyen  de  rétablir  ou  non  la  paix  avec  la 
France.  „ 

Malgré  les  réticences  de  Bussy,  qui  paraissaient  sus- 
pectes à  Pitt,  la  note  de  Choiseul  et  les  explications  de 
Stanley  qui  l'accompagnaient,  produisirent  une  excellente 
impression  à  Londres.  Décidément,  la  France  était  de 
bonne  foi  et  on  pouvait  entretenir  l'espoir  fondé  d'une 
entente  prochaine.  Bute  \i)  se  félicite  avec Newcastle  >c  de 
la  première  ouverture  de  la  France;  elle  n'est  pas  telle 
que  nous  l'aurions  désirée,  et  cependant,  je  me  flatte 
cju'elle  ne  s'en  éloigne  pas  beaucoup  ».  Hardwicke  i  2)  est 
dans  les  mêmes  sentiments;  il  craint  des  difficuilés  à 
propos  du  droit  de  pèche  et  n'est  pas  rassuré  sur  les  ré- 
serves de  l'envoyé  anglais  :  «  Stanley  a  flatté  son  pa- 
tron... en  disant  (ju'il  ne  fallait  pas  considéi-er  la  note 


(1)  Bute  à  Nowcaslle,  22  juin  1761.  Newcastle  Papers. 

{■>.)  Hanlwickeà  Newcastle,  23  juin  1701.  Newcastle  Papers. 


i 


538 


LA  GDKRKK  DP,  SKPT  ANS.  —  ('Il  VP.  IX. 


"      ' 


comme  un  ullimalum  de  la  France,  mais  comme  leur 
première  proposition.  Lord  Bute  s'est  plaint  de  ce  que  la 
négociation  avait  été  ti'ansportéc  à  Paris  et  m'a  dit  que 
si  on  avait  pu  prévoir  que  cela  se  passerait  ainsi,  il  au- 
rait fallu  donner  au  Roi  plus  de  temps  et  plus  de  loisii- 
pour  choisir  le  négociateur.  Quant  à  moi,  pourvu  qu'on 
fasse  une  bonne  paix,  je  me  soucie  très  peu  de  celui  qui 
la  bouclera.  » 

Le  conseil  consacra  deux  séauces  à  l'examen  des  offres 
de  Choiseul  et  à  la  préparation  des  contre-oH'i'es  anglai- 
ses. Newcastle  (1)  nous  donne  un  résumé  des  débats. 
Pitt  déliuta  en  manifestant  la  satisfaction  que  lui  avait 
causée  la  lecture  de  la  pièce  française,  (juelque  incom- 
plète qu'elle  fût.  Il  se  prononça  en  faveur  de  l'admission 
descon(|uètes  françaises  d'Allemagne  au  compte  des  com- 
pensations. Tout  le  monde  partagea  cette  manière  do  voir. 
Ce  point  acquis,  Pitt  passa  en  revue  la  note  dictée  par 
Choiseul,  qui  «  malgré  l'obscurité,  la  duplicité  et  le  peu 
d'importance  de  l'ensemble  »,  devait  servir  de  base  de  dis- 
cussion. Le  conseil  fut  unanime  à  exiger  la  cession  du  Ca- 
nada en  entier  sans  fixation  de  limites,  ainsi  que  de  l'ile 
du  cap  Breton.  F^a  question  des  pé^'heries  donna  lieu  à  une 
longue  discussion.  Pitt  se  déclara  nettement  hostile  à  tout 
renouvellement  des  droits  de  pèche  accordés  par  le  traité 
d'Utrecht;  l'exclusion  des  Français  devait  être  une  condi- 
tion «  sine  qua  non  ».  A  l'en  croire,  plutôt  que  céder  sur 
cet  objet,  mieux  vaudrait  rompre  la  négociation  et  risquer  la 
continuation  de  la  guerre  pendant  la  campagne  actuelle  et 
même  en  recommencer  une  autre.  Tel  était  son  avis  per- 
soimel,  mais  il  s'inclinerait  devant  le  vote  de  la  majo- 
rité. Le  vieux  Granvillo  combattit  une  pareille  intransi- 
geance; nous  y  perdrions  la  paix  et  mettrions  contre  nous 
toutes  les  puissances  maritimes  de  l'Europe.  Bute  ne  de- 


(1)  Newcastle  à  Devonshiie,  28  juin  1761.  Newcastic  Papers. 


DÉHAT  SUR  LA  QUESTION  DES  DHOITS  DE  riCHIv 


5.19 


maiulail  pas  mioux([U(Mrc'Ss<iyer(rim[)()S(irrex('lusioii,  mais 
il  n'eu  forait  pas  une  cause  de  rejet.  Ilardwicko  fit  reniar- 
(|uei'  que  si  on  refusait  de  renouveler  un  article  du  traité 
d'IItrocfit  favorable  à  la  France,  on  ne  pourrait  plus 
exiger  la  démolition  des  fortifications  de  DunUcrcpie  rpie 
stipulait  ce  môme  traité.  Bedford,  llalilax  et  Newcastle 
s'élevèrent  énergiquenient  contre  l'exclusion,  et  «pioique 
Temple  appuyAt  la  thèse  de  l*itt  son  beau-frère,  le  con- 
seil, à  une  forte  majorité,  vota  le  maintien  des  clauses 
du  traité  d'Iltrecht.  Mais  Icsmembics  de  la  minoi'ifé  profitè- 
rent de  l'intervalle  qui  s'écoula  entre  la  première  séance 
et  celle  dans  laquelle  Pitt  devait  donner  au  comité  con- 
naissance des  nouvelles  instructions  destinées  à  Stanley, 
pour  apporter  un  changement  à  ce  qui  avait  été  adopté. 
Après  lecture  de  la  pièce,  le  débat  reprit;  il  y  eut  une 
altercation  assez  vive  entre  Bute  et  Pitt.  (îc  dernier  avait 
(jualifiéde  «  puérile  et  illusoire  »  toute  attitude  qui  ne  po- 
serait pas  le  «  sine  qua  non  ».  Bute  qui,  tout  en  souhai- 
tant le  refus ,  ne  voulait  pas  en  faire  une  occasion  de 
ruptuie,  protesta  avec  humeur.  Kn  lin  de  couqite,  sur 
sa  proposition,  on  inséra  dans  la  dépêche  un  paragraphe 
déclarant  que  les  droits  de  pèche  ne  seraient  maintenus 
([ue  si  on  obtenait  sur  un  autre  point  quelque  concession 
sérieuse.  Le  passage  de  la  réponse  anglaiserelatif  aux  pê- 
cheries fut  rédigé  dans  les  termes  suivants  (1)  :  »  Knce  qui 
concerne  le  privilège  spécial  qui,  en  vertu  de  l'art.  i;J  du 
traité  d'Utrecht,  autorise  dans  certaines  limites  et  sous  cer- 
taines conditions  les  sujets  de  France  à  pécher  le  poisson 
et  à  le  sécher  sur  les  côtes  d'une  partie  de  Terre-Neuve, 
j'ai  à  remarquer  qu'une  demande  de  ce  gros  avantage  basée 
sur  un  traité  qui  n'existe  plus,  ne  peut  que  rencontrer 
de  sérieuses  objections  et  ne  sera  jamais  accordée  qu'en 
échange  d'une  forte   et  importante  compensation.  D'ail- 


U 


^ 


(t)  Pitt  à  Stanley,  26  juin  t7r.l.  Uecord  Ol'lice.  Newcastle  Papers. 


r.io 


LA  (UF.UHK  DE  SKl'T  ANS.  -  CHAP    IX. 


lours,  (|iu'||('  quo  soit  la  décision  liiiale  do  S.  iM.  sui- 
cette  question,  ce  point  épinru.v  ne  peut  être  examine 
convenablement  qu'au  moment  où  on  étudiera  le  re- 
nouvellement dudit  traité  otd<'S  aiticlos  relatifs  à  d'autres 
allaires  essentielles  et  plus  parliculièrenu'nt  la  démolition 
de  l)uiikei'<puî.  » 

Dans  le  préambule  de  la  lettre  à  laquelle  nous  venons 
d'emprunter  le  paraj^raphe  spécial  aux  pêcheries,  Pitt  re- 
produisait ses  critiques  à  propos  des  Ijicuneset  d«*  l'insufli- 
sance  de  la  note  deChoiseul,  se  moquait  de  l'air  de  mystère 
dont  s'était  entouré  l'auteur,  mais  admettait  la  sincérité  des 
ouvertures.  Il  répondiaitàla|)ropositi  française, non  par 
une  contre-proposition  officielle,  nifiis  pardes  observations 
successives.  Sans  nier  le  devoir  de  lAnpleterre  de  stipulei' 
pour  ses  alliés  la  restitution  des  acquisitions  allemandes,  il 
en  contestait  la  valeur;  puis  passant  au  Canada,  il  repoussait 
des  prétentiojis  qui  n'avaient  d'autre  but  que  d'augmenter 
la  F.ouisiane  aux  dépens  de  la  province  cédée.  Quant  aux 
autres  compensations,  Belleisle  était  plus  que  l'équivalent 
de  Minorque  ;  Guadeloupe  ne  pourrait  être  rendue  qu'il  près 
l'évacuation  immédiate  de  r,Vllemaf;ne  par  les  armées 
franf;aises.  L'arrauf^ement  relatif  aux  Indes  Orientales  était 
inacceptable.  Dès  à  présent,  le  cabinet  de  Versailles  aurait 
à  considérer  «  comme  |)oints  fixes  et  non  soumis  à  chan- 
gements sans  lesquels  S.  M.  Britannique  ne  consentirait 
pas  à  la  paix  : 

1"  Cession  absolue,  sans  détermination  de  nouvelles 
limites,  du  Canada  tout  entier,  ainsi  que  du  Cap  Breton 
et  des  autres  lies  situées  dans  le  golfe  et  le  fleuve  du 
Saint-Laurent  ; 

2"  Cession  du  Sénégal  et  de  Tile  de  Corée  ; 

3"  Démolition  des  fortifications  de  Dunkerque  et  retour 
aux  conditions  appliquées  à  cette  ville  par  le  traité 
d'Utrecht; 

4"  Partage  équitable  des  Antilles  neutres; 


.'i-«— LJ 


CONDITION.H  ANGI.AISrS. 


641 


5  itcslitution  de  Minorque  et  de  Ueuevoleii  [\j  dans  nie 
de  Sumatra; 

6"  Heslitution  iiniufidiatc  des  cutkjuMcs  françaises  en 
Allemagne,  y  compris  VVesel.  » 

Les  autres  dilléreuds  resteraient  matière  à  discussion 
entre  los  deux  rouivtnnos. 

bis  le  29  juin,  c  csl-îi-dire  dans  un  délai  de  Irois  jours, 
exceptionneilemenl  court  pour  les  communications  diU'ëpo- 
que,  Stanley  eut  en  mains  les  conditions  anglaises  formulées 
dans  la  dépêche  du  20.  Il  eut  aussitôt  avec  Choiseul  plu- 
sieurs conversations  dont  il  transmet  le  résumé  (2)  à  l*itt  : 
On  tond)a  d'accord  sans  grande  difficulté  sur  le  principe 
de  la  cession  du  Canada  tout  entier,  tel  qu'il  ;ivail  été 
délimité  du  temps  de  la  possession  française.  La  lutte 
pour  le  (]ap  Breton  fut  dure  :  «  .l'ai  cru  que  nous  rom- 
prions sur  ce  point;  enfin,  il  (Choiseul)  a  suggéré  que 
l'Angleterre  désigne  un  port  à  son  choix,  sans  moyens 
de  défense,  partant  toujours  à  sa  merci,  sans  établisse- 
ment militaire  d'aucune  sorte,  ayant  une  juridiction 
civile  pour  trancher  les  litiges  ([ui  pourraient  naître;  en 
un  mot,  cette  localité  à  usage  de  port  de  refuge  ou  d'ahri 
j>our  les  barques  des  pécheurs  français...  En  fait  de  con- 
cession, il  ira  jusque-là,  mais  plutôt  «[ue  d'aller  plus 
loin,  je  crois  qu'il  se  jettera  dans  les  bras  de  l'^Vutriche.  » 
La  clause  dès  fortilicalions  de  Dunkenjuc  rencontra  la 
même  résistance  :  «  Mieux  vaudrait  nous  abandonner  la 
possession  de  la  ville  que  de  se  soumettre  aux  visites 
d'un  commissaire  anglais  aussi  bien  tpi'à  des  plaintes 
perpétuelles  et  à  des  complications  chaque  fois  qu'on 
raccommoderait  une  écluse  ou  qu'on  réparerait  un«' 
digue.  »  Les  pêcheries  de  Terre-Neuve  et  les  fortifica- 
tions de  Dunkerque  tenaient  fort  à  cœur  à  Choiseul  qui  lui 
avait  dit  à  plusieurs  reprises  :  «  La  pêche  est  ma  folie.  » 

(t)  CoïKiuiUe  de  d'Estaing  au  cours  d'une  croisière. 
(2)  Stanley  à  Pilt,  ao  juin,  1"  juillet  17C1.  Record  Office. 


il 


(  m 

I 


&43 


l,\  r.UKHRK  l)K  SKPT  ANS.  -  CIIAP.  IX. 


/    I 


«.  ^ 


Lors  (In  IViilicIi»'!!  liiial  (1)  ses  (lri'ni«'rs  iiiofs  avnieul  éf«^  : 
«  Donnez-nous  de  la  péclH;  et  siuivc/  nous  le  point  tllion- 
neur  pour  DunUerquo,  car  ce  n'est  «pu'  cela,  et  la  paix 
est  faite.  »  Les  conversations  entie  les  denx  négocia- 
teurs n'étaient  d'ailleurs  cpie  le  prélude  de  la  réponse 
(tl'flcielle  (|ue  la  cour  de  Versailles  avait  l'intenlion  de 
l'aire  et  d'ap[)uyer  d'un  mémoire  lu  au  Conseil  et  ap- 
prouvé par  lui. 

Pour  la  première  l'ois,  il  est  question  de  i'Espapne  : 
«  Le  duc  de  Choiseul,  après  m'avoir  assuré  avec  insis- 
tance combien  il  préférait  une  paix  acccptahle,  m'a  dit 
d'une  fa<,'on  claire  et  explicite,  ce  (jue  je  savais  déji"i, 
que  des  ouvertuiu's  avaient  été  laites  à  la  France  pour  le 
cas  où  elle  voudrait  continuer  îa  i^ucrre;  il  a  également 
insinué  ({u'ils  auraient  do  nouveaux  alliés,  faisant  allu- 
sion à  iKspagne...  Nos  informations  de  bonne  source 
m'inclinent  JÏ  croire  (juo  ce  qu'il  dit  est  tout  à  fait  vrai. 
Je  sais  que  les  mauvais  agissements  de  M.  de  (Irimaldi 
en  vue  d'em|)éclier  le  présent  traité,  (juoicpie  moins  appa- 
rents (|ue  ceu:i  de  M.  de  Starliemberg,  ont  été  beaucoup 
plus  perlides  et  tie  mauvaise  foi.  Je  présume  qu'ils  ont 
été  inspirés  par  les  conllils  (jui  existent  entre  sa  cour  et 
la  notre.  »  Le  conlemi  des  lettres  de  Slanley  fut  mal  in- 
terprété par  les  membres  du  cabinet  britannique  (2).  Le 
relard  que  cotnporteraient  la  rédaction  et  l'adoption  de  la 
réponse  oflicielle  et  du  mémoire  annoncés  ne  serait-il 
pas  un  moyen  dilatoire?  f^a  cour  de  Versailles  ne  laisserait- 
elle  pas  tiainer  les  négociations  dans  l'espoir  d'un  événe- 
ment Iicuroux  en  Allemagne  où  les  hcjstilités  venaient  de  re- 
prendre.' Ces  interrogations  se  posèrent  et  eurent  pour  eil'el 
de  remettre  vn  suspicion  la  bonne  foi  du  cabinet  français. 

Keportons-nous  maintenant  à  la  correspondance  avec 
Hussy  (jui  nous   renseignera  sur    les  sentiments  réels  du 

(1)  Stanley  à  PiU,  P.  S.,  r,  juillet  17iil.  Record  Office. 

{'!)  Harilvvicke  a  Nowcastle,  8  juillet  i7Gt.  Newcaslle  Papers. 


h 


!T 


IMPORTVNCK  DES  PlîrHKRIES   VL"  POINT  DE  VUK  l'HANÇAlS.  543 

ministre  friuK^ais:  llhoiseul,  dont  In  loltrc  ostpostéi'iciiredo 
peu  de  jours  à  la  tliscussion  avec  Stanley,  constate  (1)  que 
le  désaccord  existe  sur  trois  points  :  Caj)  Hi-eton,  Dunker- 
que  et  le  Sénégal.  Après  avoir  Insisté  sur  l'inqiortance  d<'s 
pôcluM'ies  i\v  Terro-Neuve  et  de  la  traite  des  nè^i-ps,  et  sur 
la  nécessité  de  conserver  h  la  marine  les  ports  d'attache 
indispensables  pour  cesdeux  branches  de  commei'ce,  il  ré- 
sumer le  débat  :  k  Vous  aun;/-  attention  de  manpjeri'i  M.  I*itt 
un  éloignement  absolu  sur  ces  tiois  points,  afin  de  connaî- 
tre à  quel  point  ils  tiennent,  chacun  en  particulier,  à  cd'ur 
j\  ce  ministre.  Mais  pour  votre  instruction,  je  dois  vous  pré- 
venir <jue  nous  j)ensonsici,  cpic  celui  de  la  pèche  est  d'une 
nécessité  absolue,  et  sera  une  condition  «  sine  qua  non  ». 
Celle  de  la  cAte  d'Afrique  peut  être  négociée  alin  de  cher- 
cher entre  les  deux  cours  des  tempéraments  pour  se  conci- 
lier; celui  de  Dunkeiupie  peut  aussi  se  négocier,  c'est-à-dire 
que  l'on  stipule  que  DunUerque  reste  dans  l'état  où  il 
est  à  présent,  sans  l'obligation  de  démolition,  ([ui  serait 
déshonorante;  mais  avant  de  négocier  sur  les  deux  der- 
niers points,  il  faut  les  soutenir,  comme  je  vous  Tni  dit, 
avec  acharnement,  jusqu'à  ce  (jue  nous  connaissions  par- 
faitement le  degré  de  tenue  de  M.  Pitt  sur  ces  objets. 
Quant  aux  armées  d'Allemagne,  nous  prendrons  les  pré- 
cautions les  plus  justes  pour  (jue  nos  alliés  n'aient 
pas  à  se  plaindre;  le  meilleur  moyen  sera  ([ue  les  armées 
du  Roi  restent  sur  le  Mein  et  sur  le  Khin.  jusqu'à  la  con- 
clusion de  la  paix  d'Allemagne,  à  laquelle  la  France  et 
l'Angleterre  contribueront  de  tout  leur  pouvoir,  dés  que 
les  différends  des  deux  couronnes  seront  ajustés.  »  A  si- 
gnaler, de  la  part  de  Choiseul,  la  suggestion  d'un 
échange  de  la  Guyane  contre  T«n're-Neuve  (pie  Filt  re- 
poussera en  affirmant  «  que  les  Anglais  étaient  des  peu- 
pies  septentrionaux  et  qu'ils  ne  voulaient  pas  d'établisse- 


.1:1 


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(1)  Choiseul  à  Bussy,  4  juillet  17C1.  Aflaircs  Klrangères. 


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LA  nUERRE  DE  SEPT  ANS. 


fFIAP.  IX. 


(-       ) 


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ments  méridionaux  ».  Bussy  (|iu  avait  reçu  raiitorisatioii 
do  parler  de  la  note  de  Choiseul  du  17  juin,  aussitôt  la 
dép«;clie  arrivée,  eut  nue  entrevue  (1)  avec  Pitt.  Ce  deinier 
se  montra  intransigeant  sur  toute  la  ligne;  d'ailleurs,  il 
ne  parlait  ([n'en  son  nom  personnel  et  devait  attendre 
la  communication  oflicielle  qu'annon(;ait  la  cour  de  Ver- 
sailles. Au  cours  du  débat,  à  pr(»pos  des  Antilles  neutres, 
Bussy  dit  incidemment  «  ([ue  nous  ne  pouriions  traiter  cet 
objet  (jue  conjointement  avec  rKspagne,à  cause  des  [)ré- 
tentions  »  de  S.  M.  v^iatboliquc.  «  Oh,  mon  Dieu,  s'écriaPitt, 
j'espère  bien  que  cela  n'arrivera  pas;  l'Espagne  n'a  rien  à 
voir  dans  la  négociation  entre  les  deux  couronnes,  et  l'An- 
gleterre ne  permettra  janiais  qu'elle  y  soit  admise.  « 

Ce  fut  précisément  ce  point  scabreux  de  l'intervention 
en  faveur  de  l'Espagne  que  souleva  Clioiseul  dans  s?,  let- 
tre (2)  du  15  juillet  :  Il  prévoit  le  refus  de  l'Angleterre 
d'accorder  une  satisfaction  quelconque  en  m;>tière  de  pèche 
et  se  préoccupe  de  la  ruplu'e  qui  suivra;  «  mais,  ajoute- 
t-il,  il  ne  faut  pas  presser  votre  retour  et  même  il  est  né- 
cessaire de  g'agner  du  temps,  alin  de  suspendre  les  arme- 
ments anglais  contre  nos  côtes  et  d'approcher  de  la  saison 
où  ils  ne  sont  plus  à  craindre.  Voilà  le  motif  qui  m'a  fait 
différer  de  15  jours  l'envoi  du  mémoire  que  je  vous 
adresse  ».  Pour  l'échange  de  notes,  il  faudra  compter 
deux  mois.  Cela  nous  conduii-a  au  mois  de  septembre  : 
«  C'est  alors  que  si  nous  ne  pouvons  pas  nous  accom- 
moder avec  la  cour  de  Londres,  nous  rompi'ons  avec 
éclat  la  négociation.  En  la  rompant,  nous  nous  engage- 
rons dans  une  nouvelle  guerre  de  concert  avec  l'Es- 
pagne. Pour  ne  pas  perdre  l'instant  de  déterminer  la 
cour  de  Madrid  à  se  déclarer  contre  l'Angleterre,  nous 
sommes  convenus  qu'en  réciprocité  de  cette  "^.surance, 


(1)  Hiissy  à  Choiseul.  !»  juillol  17CI.  Affaires  '"^liangères. 
(•2)  Choiseul  à  Bussy,  15  juillet  1701.  All'aiios  Elrunsères. 


luai'-i  Ju — j.  I"-.  aiiu — jv.^ 


MEMOIRE  SI  R  LES  GRIKFS  ESPAGNOLS.  5'i5 

si  nos  propositions  de  paix  n'étaient  pas  acceptées  de  la 
cour  de  Londres,  nous  joindrions  dans  ces  propositions 
les  différends  de  l'Espagne  avec  l'Angleterre,  Quelque  op- 
posé (jue  M.  Pitt  ait  paru  à  cette  union  des  intérêts  des  deux 
couronnes,  il  est  essentiel  pour  leur  avantage  réciproque 
qu'elle  ne  soit  pas  dissimulée  au  niiiistcre  britannique. 
Ce  que  j'ai  pu  faire  de  mieux  a  été  de  ne  le  pas  com- 
prendre dans  le  mémoire  des  propositions  positives,  et 
d'en  faire  un  mémoire  séparé,  qui  est  tourné  de  façon  que 
<juoi(iu'il  dise  les  mots  essentiels,  il  ne  peut  pas  choquer 
la  cour  britannique;  au  contraire,  il  peut  être  envisagé 
comme  une  preuve  de  notre  bonne  foi.  » 

Avant  de  remettre  les  deux  pièces  iV  Pitt,  Bussy  devait 
les  communiquer  à  Fucntes  et  se  concerter  avec  lui  sur  le 
moment  de  la  présentation  de  celle  relative  aux  griefs 
espagnols.  Choiseul  était  d'avis  de  «  ne  faire  usage  du 
mémoire  particulier  »  qu'après  avoir  reçu  la  réponse  an- 
glaise aux  conditions  françaises.  Une  remise  préi.) 
turée  entraînerait  le  danger  «  d'annoncer  la  déclaration 
de  guerre  de  l'Espagne  qu'au  contraire,  il  ffiut  ilissimuler 
d'autant  plus  qu'elle  sera  plus  prochaine  ».  Choiseul  se 
place  dans  l'hypothèse  de  rajournement  et  continue  : 
«  Si  les  Anglais,  contre  notre  attente,  acceptaient  notre 
«  ultimatum  »,  vous  diriez  à  M.  Pitt  que  ce  n'est  plus 
comme  ennemi  de  l'Angleterre,  mais  conmie  son  ami, 
(jue  le  Roi  veut  conller  à  S.  M.  Britannique  ses  engage- 
ments avec  l'Espagne;  vous  lui  confieriez  l'article  de  la 
convention,  vous  lui  demanderiez  conseil  sur  cet  article, 
vous  lui  feriez  sentir  notre  embarras,  embarras  que  nous 
ne  pouvions  éviter,  vu  l'incertitude  de  la  paix,  et  que 
nous  ne  pouvons  pas  éluder  à  [)résent  pour  deux  motifs  : 
celui  de  la  fidélité  à  la  parole  donnée,  et  celui  du  désir 
de  la  solidité  de  la  paix;  vous  ajouteriez  que  nous  ne  pou- 
vons pas  croire  que  pour  des  différends  t'ariles  à  ajuster  et 

par  une  espèce  de  pointillé  de  vanité,  le  roi  d'Angleterre 
(Hiaiiii;  m:  fRi'T  ans.  —  t.  iv.  S."» 


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LA  GUERRE  DE  SKI'T  ANS. 


CIIAP.  IX. 


veuille  continuer  le  malheur  de  IKurope.  »  Au  .surplus, 
le  Roi  s'en  ra|)porterait  au  jugement  de  Fuentes  sur  le  uio- 
Dient  de  produire  le  mémoire  franco-espaguol. 

Kn  ce  qui  concerne  les  conditions  de  paix  adoptées  par 
le  coîiseil  et  jointes  à  la  dépêche,  elles  étaient  plu"  com- 
plètes que  la  note  de  Choiseul  du  17  juin,  mais  elles  difle- 
raient  de  celle-ci  sur  >|uel(tues  clauses  dont  la  plus  essen- 
tielle avait  trait  à  l'évacuation  de  l'Allemagne.  Dans  le 
papier  dicté  à  Stanley,  Choiseul  avait  promis  fort  légère- 
ment la  restitution  des  conquêtes  faites  en  Allemagne  sui 
les  alliés  britanniques,  ce  qui  comprenait  implicitemenl 
Wesel  et  les  possessions  du  roi  de  Prusse  sur  les  deux 
rives  du  Rhin.  Les  otfres  approuvées  par  '■>  Roi  eu 
son  conseil  ne  parlaient  que  du  Hanovre,  de  la  liesse 
et  de  Hanau.  I.,e  mémoire  .mnexé  fais-"it  de  cet  article  uu 
couimentaire  [\)  détaillé  :  «  Comms  le  Uoi  est  engagé 
par  un  traité  avec  l'iuipératrico  Reine  de  ne  rien  stipuler 
dans  son  traité  de  paix  avec  l' Angleterre  qui  puisse  être 

déjavantageux  à  S.  M.  Impériale ,  le  Roi,  fidèle  à  ses 

engagements  envers  ses  alliés,  et  fori  éloigné  de  rien 
statuer  qui  puisse  leur  nuire,  propose  au  loi  d'Angle- 
terre qu'il  soit  convenu  que  S.  .M.  liritannique  s'engagera 
qu'aucune  partie  des  troupes  qui  oonqiosent  l'armée  du 
prince  Ferdinand,  sous  quelque  prétexte  que  ce  puisse 
être,  ni  sous  aucune  dénomination,  ne  joindra  l'armée 
de  S.  M.  Prussienne  et  n'agira  olfensivement  contre  le^ 
troupes  de  l'Impératrice  Reine  et  de  ses  .illiés,  de  même 
(piaucune  troupe  française,  sous  aucun  prétexte,  ne  join- 
dra l'armée  Impériale  et  ne  pourra  servir  contre  les  alliée 
de  la  (Iraudc-Rretagne.  Pour  constater  les  positions,  il 
sera  de  plus  arrêté  qu'apiès  les  évacuations,  l'armée  di: 
Itaut-Rliin  connnandée  par  le  maréchal  de  RrogJie  se  re- 
tirera sur  le  Mein.  le  Necker  et  le  Rhin,  occupant  Frauc- 

(1)  l'io]iositions  do  Choispiil.  i:t  juillet  17<i|.  Newcaslk' Papers. 


.  ;.-T  1  <.tt  rrtii  rTV  -  -^ , 


UIVERfiENOES  SUU  l/ÉVACUATION  DE  L'AIJ.EMAGNK.        547 

foif;  et  celle  du  Bas-IUiiii  coiiimundée  par  la  maréchal 
de  Souhise  se  i-eiliavii  jium  ih  «on  c6t«'  huv  le  lljiin,  occu- 
pant Wosel  et  lu  (liioldre.  ^es  /)ays  dii  pal  tjp  /^ri^sse,  sur 
le  Bas-Rhin,  ont  été  cori(|uis  et  sont  gonve/'ûés  flctricHe- 
nienl  au  nom  dr  l'Ii/ipéi/itpjce  |ieine.  Le  Un}  ^p  vpudrait 
pas  s'en.yager  à  les  évacue/'  sa||s  )p  ponseu(e///eftf  de  S. 
M.  Impériale  et  avant  le  snccès  f|es  tié^ni'hlijntt^  ijn  con- 
grès dÂugsbourg.  >»  Kn  nfii'tujtllji  )a  paix,  et  dans  Je  but 
d'éviter  une  dépensa  Inutile,  Il  serait  stipulé  qu'au  fur  et 
à  mesure  du  (l'ilUti  tiji  Angleterre  du  contingent  britanni- 
que, un  nond)re  double  de  troupes  françaises  rentrerait 
en  France. 

Quelques  Jours  avant  l'envoi  de  sa  dépêche  officielle, 
Choiseul  avait  communiqué  le  brouillon  de  sou  mémoire 
à  Stanley  ;  il  l'avait  inforuié  et  informa  Bussy  qu'en  place 
du  Cap  Breton,  la  France  accepterait  une  lie  de  moindre 
importance,  Canseau  (1)  par  exemple;  il  n'insisterait  pas 
sur  la  restitution  de  dorée  si  le  gouvernement  britannique 
préférait  substituer  une  autre  rade;  enfin,  en  réponse  à 
une  interrogation  de  Pitt,  dont  Stanley  avait  adouci  le  ton 
impérieux,  le  ministre  français  al'tirmîi  ipie  la  F'rance 
n'avait  aucune  intention  de  conserver  Ostende  ou  Nien- 
port:  ((  Quant  à  l'évacuation  de  Wesel,  écrit  Stanley  (2i, 
vous  remarquerez  une  ditrérenct^  radicale  entre  la  propo- 
sition actuelle  et  ce  que  je  vous  ai  écrit...  Le  duc  uf 
désavoue  rien  de  ce  <|ui  sest  passé  à  cet  égard,  mais  il 
dit  qu'il  ne  savait  réellement  pas  que  la  possession  de  ce 
territoire,  ainsi  (jue  son  adminii,tratiou  civile,  fussent  déjà 
entre  les  mains  de  l'hapératrice  Heine,  <[uoique  ce  fût  la 
France  qui  encaiss.U  les  cottributions,  etc..  Il  reconnaît 
qu'il  a  commis  une  grosse  erreur.  »  Il  va  sans  dire  que  cette 
explication  est  inadmissible,  car  elle  supposerait,  de  la  part 


il 


(1)  Petite  île  S'..r  les  côtes  de  lu  l'^ouvcUe-Écosse  dans  les  parages  du  dé- 
troit qui  sépare    la  Nouvelle-Ecosse  de  l'ile  du  Cap  Itieton. 
(2.  Stanley  a  Pill,  ii  juillet  iTnl.  Record  Oflice. 


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548 


LA  (M  KRHK  m:  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  l.\. 


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ue  Cl'iOiseul,  l'oubli  des  discussions  récentes  entre Starheni- 
btii'gct  lui  à  propos  de  Wesel  et  des  districts  adjacents,  dis- 
cussionsdont  la  première  remontait  au  mois  de  mai  et  qui, 
depuis  lors,  avaient  donné  lieu  à  une  correspondance  suivie 
avec  la  cour  de  Vienne.  Une  clause  garantissant  la  succession 
protestante  au  trône  de  la  Grande-Bretagne  fut  déclarée 
inutile  par  Stanley,  mais  maintenue  par  Choiseul  qui 
prit  occasion  d'affirmer  qu'il  n'avait  jamais  donné  auv 
Stuarts  le  moindre  encouragement. 

Puis  on  aborda  la  grosse  question  des  réclamations  de 
l'Espagne  qui  avait  été  ajoutée  au  projet  élaboré  par  le 
Conseil.  Sur  la  prière  de  l'Anglais,  Choiseul  consentit  à 
rayer  cet  article;  il  est  vrai  qu'il  en  fit,  cor.-  ùous 
l'avons  vu,  l'objet  d'une  pièce  spéciale.  Lors  a  une  con- 
v(>rsation  un  peu  antérieure,  le  ministre  français  avait 
fourni  à  l'envoyé  britannique  quelques  renseignements 
sur  les  engagements  existant  entre  les  couronnes  de 
France  et  d'Espagne.  «  11  y  a  déjà  (fuelque  temps,  mande 
Stanley,  avant  qu'on  ne  pensât  à  la  paix,  sur  la  demande  de 
l'Espagne,  la  cour  de  France  avait  consenti  à  se  lier  avec 
elle  sur  trois  points  :  les  prises,  les  bois  de  teinture  et  la 
pêche  à  la  morue;  il  lui  avait  sendilé  loyal,  étant  donné 
les  chances  de  paix  avec  nous,  de  me  dire  où  en  étaient 
]es  affaires.  Il  me  parut  embarrassé  de  ces  engagements 
et  désireux  de  voir  le  litige  espagnol  terminé  en  même 
temps  que  la  paix  entre  nos  deux  couronnes.  » 

Le  résumé  que  fait  Stanley  de  l'état  des  négociations 
est  intéressant  :  c  Le  mémoire  inclus,  écrit- il  (1),  n'est  ni 
l'ultimatum  de  la  Franco,  ni  une  réponse  ù  vos  propo- 
sitions verbales;  il  est  susceptible  de  plusieurs  alterna- 
tives on  modifications;  les  discours  que  M,  de  Bussy  vous 
adressera  et  les  explications  que  M.  de  Choiseul  me  four- 
nira en  formeront  le  meilleur  commontaire.  C'est  d'aw»  , 


(1)  Stanley  à  Pilt,  H  juillet  1701.  Ncwcasllo  PapTS. 


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SUCCES  DE  STANLEY  A  PARIS. 


")40 


leur  teneur  que  S.  M.  dcVidora  jusqu'îi  quoi  point  et  pour 
combien  de  temps  le  projet  de  traité  mérite  son  attention 
royale.  »  Il  énumére  les  concessions  qui  pourront  résulter 
des  discussions  ultérieures,  parmi  lesquelles  le  passage 
relatif  à  l'évacuation  de  rAlleniagne  est  à  citer  :  «  La 
France  retirera  ses  troupes  do  la  Wostphalio  aussi  vite 
qu'elle  le  pourra;  elle  donnera  à  ses  roprésontants  l'ordro 
de  se  concerter  et  d'agir  avec  les  nôtres  à  Augshourg  dans 
l'intérêt  de  la  paix  générale  en  Allemagne  ;  si  on  se  mot 
d'accord  d'abord  sur  ces  points,  elle  se  contentera  de 
mettre  ses  bons  offices  au  service  de  l'Kspagne.  Je  suis 
fermement  convaincu  que  si  nous  lui  refusons  touto  parti- 
cipation aux  pêcheries  américaines,  elle  renforcei-a  ses 
alliances  actuelles  sur  le  continent  et  s'en  formera  de  nou- 
velles, basées  sur  des  acquisitions  dans  les  Pays-Bas.  .le 
doute  très  fort  quelle  consente  à  la  démolition  de 
Dunkorque.  Telle  sera,  d'après  mon  humble  opinion, 
la  situation  entre  les  deux  nations  et  telles  seront  les 
dispositions  de  la  France  quand  S.  M.  prendra  sa  déter- 
mination finale  entre  la  paix  et  la  guerr-o.  » 

A  cette  heure  des  débats,  l'opinion  de  Stanley  avait 
une  véritable  valeur;  très  bien  accueilli  à  Paris,  il  s'était 
créé  des  relations  nombreuses  dans  les  meilleurs  cercles. 
Sans  doute,  il  fait  dans  sa  correspondancr'  une  part  trop 
large  à  ses  succès  mondains,  mais  si  les  impressions  sont 
exagérées,  les  faits  n'eu  restent  pas  moins  acquis.  Il  est 
certain  que  Choiseul  et  sa  sœur,  la  duchesse  de  (iramont, 
furent  dos  plus  aimables  à  son  égard.  Soit  syini)athie  pour 
un  étranger  bien  élevé,  cultivé,  intelligent,  parlant  admi- 
rablement leur  langue,  soit  désir  de  gagner  lo  plus  pos- 
sible à  leur  cause  lami  et  le  protégé  du  grand  ministre 
qui  était  le  véritable  arbitre  de  la  situation,  les  Choiseul 
admirent  Stanley     1)    dans  leur  intimité,   <'t,  dans  leur 

(1)  Stanley  a  l'ilt,  :!8-2'.i  juin  1701.  Newcastle  l'aiiers. 


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55(1 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  !X. 


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commerce  journalier,  lui  montrèrent  une  confiance  qui 
paraîtrait  excessive  si  elle  n'avait  pas  été  raisonnée.  C'est 
ainsi  que  M"*'^  de  (Jramont,  chaque  fois  qu'elle  rencontre 
l'Anglais,  l'entretient  de  sa  haine  et  de  son  mépris  pour  les 
Allen)an(ls;  elle  tourne  en  ridicule  Starliemberg  et  Gri- 
maldi  ;  un  jour,  après  un  dîner  diplojnatique,  elle  all'ecte 
de  faire  asseoir  Stanley  à  côté  d'elle,  de  lui  parler  à  voix 
basse  etde  faire  durer  le  tète-à-tète  plus  d'une  heure,  alors 
qu'elle  est  presque  impolie  pour  les  ambassadeurs  autri- 
chien et  espagnol. 

Le  public,  très  favorable  ;.  'a  paix,  accusait  la  cour  de 
Vienne  d'apporter  des  entraves  à  l'entente  avec  l'Angle- 
terre  et  de  souhaiter,  dans  son  seul  intérêt,  ia  continuation 
(le  la  guerre.  A  l'appui  de  cette  assertion,  Starliemberg 
rapporte  (1)  la  sortie  d'une  grande  dame,  amie  intime 
de  la  duchesse  de  Gramont,  à  une  époque  critique  des 
négociations  :  «  Que  ce  serait  un  grand  bonheur  si  les 
Autrichiens  pouvaient  en  ce  moment  perdre  deux  bonnes 
batailles  en  Silésie,  puisque  ce  serait  le  seul  moyen  de 
lever  les  obstacles  que  la  cour  de  Vienne  met  à  la  con- 
clusion de  la  paix.   » 

Quant  îi  Choiseul,  il  lit  à  Stanley  les  lettres  de  Bussy, 
lui  communique  les  instructions  qu'il  mande  à  Londres, 
se  moque  de  son  envoyé,  rit  de  la  frayeur  que  Pitt  lui 
inspire.  De  son  côté  l'Anglais,  malgré  la  réserve  qu'il 
prétend  avoir  gardée,  ne  semble  pas  avoir  été  d'une 
discrétion  parfaite.  Lors  d'un  dîner  auquel  il  assistait  à 
l'hôtel  de  la  Trémoille,  la  duchesse  porta  un  toast  à 
la  paix;  Stanley  s'y  associa  en  vidant  son  verre  et  ajouta, 
en  matière  de  pbiisanterie,  qu'il  avait  eu  l'intention  de 
porter  le  même  toast,  à  In  réception  du  duc  de  Choiseul, 
mais  en  regardant  ses  voisins  de  table  (Starliemberg  et 
(irimaldi)  «  je  m'étais  demandé  si  je  ferais  plaisir  à  toute 


(1)  Slarlu'iiiberg  à  Kaunitz.  i5  août  iTtj!.  Cité  par  Scl.aiîler.  vol,  2.  p.  375. 


\'i: 


PORTRAITS  DK  STARIlEMBER(i  ET  (HUMAl.Dl. 


r)ôi 


la  société  ».  M""  de  Graïuont  lavait  averti  que  ce  propos 
courait  les  salons. 

De  ses  deu.\  rivaux,  l'Anglais  trace  (1)  un  crayon  peu  flat- 
teur :  «  Starhemberg'  est  trop  préoccupé  de  ce  qu'il  ima- 
gine être  la  politesse  pour  ne  pas  enlever  à  sa  conver- 
sation l'aisance  qu'elle  devrait  avoir;  en  un  mol,  c'est  un 
Allemand  qui  a  voyagé  en  France;  ses  moyens  sont  clas- 
sés comme  étant  d'ordre  inférieur.  Je  n'ai  entendu  au- 
cune attaque  contre  son  honorabilité  ou  sa  probité,  mais 
ses  manières  pincées  et  les  airs  de  pédant  qu'il  apporte 
aux  atTaires,  lui  ont  valu  l'antipathie  bien  tranchée  du  duc 
de  Choiseul.  M.  (Irimaldiest  plus  déplissant  et  beaucoup 
moins  «  gentleman  ».  D'après  les  renseigneniMits  les  plus 
sûrs,  sa  capacité  ne  serait  que  do  la  ruse  et  de  l'astuce  de 
bas  étage;  grâce  à  cette  appréciation  très  répandue  ici, 
le  sujet  est  aussi  peu  dangereux  que  vous  puissiez  le  sou- 
haiter, quand  on  tient  compte  de  ses  mauvaises  dispo- 
sitions et  de  l'influence  de  sa  cour....  Ces  deux  person- 
nages sont  mal  vus  des  Frant,'ais,  auxquels  la  vanité  ne 
fait  pas  défaut,  mais  qui  ne  sont  ni  tiers  ni  cérémonieux,  o 

Si  Stanley  est  dur  pour  ses  adversaires,  par  contre  il  ne 
cache  pas  son  admiration  pour  Choiseul  :  «  Le  duc,  si  on 
l'envisage  comme  homme  d'État,  peutêtre  inférieur  à  d'au- 
tres en  expérience  des  affaires,  en  profondeur  de  vues,  en 
délicatesse,  mais  en  fait  de  hardiesse  et  de  courage  il  ne  le 
cède  à  per>onnc  ni  dans  son  pays  ni  dans  le  notre.  Au 
cours  de  s.i  carrièie  militaire il  s'est  toujours  dis- 
tingué. Dans  la  politique  il  a  toujours  eu  pour  maxime 
de  jouer  le  tout  pour  le  tout...  M""  de  Pompadour  avait 
toujours  été  considérée  par  les  courtisans  et  les  ministres 
précédents  comme  une  divinité  tutélaire  indispensable  à 
leur  existence,  qui  planait  au-dessu>  d'eux,  comme  si  elle 
avait  appartenu  à  un  ordre  supérieur;  mais  Choiseul.  loin 


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(1)  Slauiey  à  l'itl,  f.  aoiH  I7(ii.  Newcasth'  Papti-^  <;t  Record  Office. 


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552 


L.\  GUEHRE  DE  SKPT  ANS.  -  CHAP.  IX. 


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de  supporter  le  joug  de  la  subordination,  a  saisi  la  pre- 
mière occasion  de  lui  ravir,  non  seulement  le  partage, 
mais  même  une  part  quelconque  du  [)Ouvoir;  il  l'a  ré- 
duite à  l'obligation  d'avoir  recours  à  lui  pour  les  faveurs 
dont  elle  a  besoin  pour  elle-même  et  pour  ses  protégés. 
Cette  révolution  (fue  l'on  aurait  cru  impossible  dans  l'in- 
térieur (le  la  cour,  il  Va  effectuée  non  au  moyen  d'in- 
trigue, de  courtisanerie  et  d'adresse,  mais  de  haute  lutte 
avec  accompagnement  de  railleries  et  de  moqueries  sar- 
castiques  (|ui  eussent  perdu  tout  autre  ;  en  un  mot,  grâce 
à  la  supériorité  évidente  de  son  esprit  et  de  sa  volonté. 
La  seule  personne  qui  possède  quelque  influence  sur  lui 
est  sa  sd'Ui',  la  duchesse  de  (Iramont.  »  Suit  un  éloge  de 
l'intelligence,  de  l'indépendance,  de  la  franchise,  de  lélé- 
vation  de  sentinientet  de  caiactère  de  la  duchesse,  de  son 
mépris  de  la  convention,  de  son  indifférence  pour  les 
rites  et  les  honneurs  de  la  cour. 

Sur  la  méthode  de  travail  de  Choiseul,  l'.Vnglais  donne 
de  curieux  détails  :  «  Je  l'ai  souvent  vu  écrire  sur  les  sujets 
les  plus  sérieux,  il  manie  la  plume  avec  une  rapidité 
étonnante  (1)  mais  avec  peu  d'attention  ou  souci  d'exac- 
titude; il  entreprend  plus  d'alfaires  qu'un  iiouime  ne 
pourrait  mener  à  bonne  tui;  en  outre,  il  aime  beaucoup 
le  monde  et  ses  plaisirs;  no\ir  n^i^UeUir  son  crédit,  il  es! 
obligé  d'assister  couslummenf  aux  réunions  privées  «lu 
Roi.  Dans  ces  conditions,  les  brouillons  (ju'il  écrit  passent 
avec  leurs  fautes  initiales  dans  les  mains  des  secrétaires, 
et  très  souvent  il  ne  les  revf.it  pas  avec  un  soin  snffisaut  " 
De  là  des  erreurs,  des  obscurités  qui  occasionnent  (Jio.a 
malentendus  fâcheux.  Stanley  cite  quelques  exemples  des 
contradictions  qu'il  a  relevées  dans  les  dépêches  destinées 
à  Bussy,  lors  de  la  communication  que  Choiseul  lui  en  avait 


(1)  Likrilii"-  di'  Choiseul  très  (inc,  a  lettres  mal  tracée»,  «•<  souvenl  di 
ficile  à  di««lMftrer. 


DETAILS  SriJ  CIIOISEUL. 


663 


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faite,  et  que  ce  dernier  a  corrigées  devant  lui.  D'après 
notre  auteur,  les  retards  apportés  à  l'expédition  dos  ré- 
ponses aux  notes  de  la  cour  de  Londres  tenaient  à  la  difti- 
culté  que  le  ministre  trouvait  à  entretenir  d'alfaircs  le  Uoi. 
«  Pendant  ses  séjours  de  plus  en  plus  fréquents  k  Saint- 
Hubert,  Choisy,  Bellevue,  etc..  Louis  XV  ne  voulait  ni 
donner  audience  à  ses  ministres  (excepté  à  titre  personnel) 
ni  lire  ni  signer  aucune  pièce.  » 

Notre  excursion  dans  la  vie  privée  terminée,  revenons 
des  négociateurs  à  la  négociation.  Dans  les  propositions 
que  Choiseul  venait  de  soumettre  ministériellenient  à  la 
cour  de  Londres  et  qui  revêtaient  pour  la  première  fols  un 
caractère  officiel,  les  points  les  plus  épineux  étaient  en  tni- 
tre  de  la  pêcherie  révacuation  de  l'AlliMiiagne  et  l'appui 
donné  aux  revendications  espagnoles. 

Au  moment  de  l'envoi  de  ces  pièces,  c'est-à-dire  vers  le 
milieu  de  juillet,  Choiseul,  en  dépit  des  prédictions  pes- 
simistes de  sa  correspondance,  conserve  eniore  l'espoir 
d'une  solution  pacifique.  Tout  en  continuant  la  discussion 
amicale  sur  les  détails  du  futur  pacte  de  famille,  il  en 
retarde  la  signature.  Le  7  juillol,  il  mande  à  Ossun  i')  : 
«  Vous  ne  cacherez  pas  au  l'oi  d'Espagne  cl  à  son  ministre 
1(110  ttiuli  tiVulliS  besoin  do  la  paix  dans  ce  moment-ci;  c( 
c|uo  noUH  (iumplons  que  les  engagements  fjue  nous  prenons 
n'éloigneront  pas  celle  pa|v  tti^t'ttBBilIlH,  H\  \\m  o(|H(!|ll|s 
deviennent  liallables  slU'  les  conilitiohs.  (le  U'esl  |hih  lu 
BUtil'ln  proprement  dile  qui  l'ail  désiror  au  Kol  lu  jinlv;  il 
serait  peul  èUe  même  avantageux,  vu  la  liaison  e|  l'in- 
timité de  la  France  et  de  rLspagne,  de  colltllltler  lagUerfe, 
nuils  nous  avons  des  troubles  intérieurs  2)  (jui  fatiguent 
le  Roi  à  l'excès,  qui  mettent  de  l'amertume  dans  sa  vje 
et  ([ui  ne  peuvent   être  ré[»rimés  que   par  l.i  p;ii\.    Voilà 


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(I)  Choiseul  à  Ossun,  7  juillet  1701.  Aflaircs  Étrangères. 
Ci)  AUu.sionuui  conllils  uvfc  le  l'arleinenl. 


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554 


LA  GUKIUU;  DE  SEPT  ANS.         Cil  M'.  IX. 


]('  véritable  inolil'  du  désii-  qu'a  S.  M.  de  conclure  la  paix 
avec  lAnglelerre.  »  Le  IV,  nu  billet  tracé  de  la  main 
du  ministre  (I)  indique  [)lus  de  lermefc'  et  moins  d'espoir 
d'une  solution  j)acifi([uc  :  «  Il  faut  attendre  la  réponse  de 
cette  Cour  (l'Aiigleteri-e)  pour  signer  ladite  convention, 
car  il  serait  messéanl  de  transiger  en  môme  temps,  et  d'une 
manière  opposée,  avec  l'Espagne  et  l'Angleterre.  J'espère 
que  S.  M.  Catholique  <'l  son  ministère  approuveront  cette 
délicatesse  de  la  part  du  lloi.  »  C'était  demander  un 
désintéressement  qui  n'entre  que  rarement  dans  les  consi- 
dérations de  politique  extérieuie  ;  aussi  ne  serons-nous  pas 
étonnés  de  voir  Ossun  parler  du  mécontentement  ([u'au- 
rait  manifesté  S.  M.  Catholique  ù  propos  des  lenteurs 
apportées  à  la  conclusion  des  traités  franco- espagnols. 

Les  choses  en  étaient  là  (piand  les  préoccupations  de 
rimpératricc-Ueine  se  manifestèrent  par  l'introduction 
de  réserves  dont  la  teneur  n'était  pas  de  nature  à  faciliter 
les  tentatives  de  rapprochement. 

(1)  Clioiseul  ù  Ossun.  ti  juillet  17(11.  Affaires  Kliangèrt's. 


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CHAI»ITKE  X 


RUPTURE  DES  NÉGOCIATIONS  POUR  LA 
PAIX  PARTICULIÈRE 

INTERVENTION  l)E  l'aUTRICHE.  —  MAUVAISE  liUMEIR  I)K  KAT- 
MT/.  —  PRÉSENTATION  KES  MÉMOIRES  SDR  LES  (iRIEKS  ES- 
PAGNOLS ET  SIR  LES  CON^LÉTES  ALLEMANDES.  —  COLÈRE 
DE  PUT.  —  RENVOI  A  Bl  SSV  DES  MÉMOIRES.  —  ULTI- 
MATUM ANGLAIS.  —  INDHiNATION  DE  CUOISEUL.  —  SIGNA- 
TURE DU  PACTE  DE  lAMILLE  ET  DE  LA  CONVENTION  AVEC. 
LKSPAGNE.  —  NOUVEL  ÉCHANGE  Dl  LTIMATUMS.  -  RAP- 
PEL   DE    STANLEY    ET    DE    HUSSV. 


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hepuis  le  début  des  pourparlers  ouverts  à  I.ondres  et  à 
Paris,  c'est-à-dire  à  partir  des  premiers  jours  de  juin, 
Starlunberg-  avait  rempli  avec  conscieuce  son  rôle  de 
surveillant  vigilant.  En  vertu  des  promesses  de  Choiseul, 
il  devait  recevoir  communication  de  la  correspondance 
échangée  avec  Bussy  et  être  tenu  au  courant  des  con- 
versations avec  Stanley.  Plein  de  soupçons  à  l'égard  du 
ministre  fran(;ais,  n'ajoutant  qu'une  toi  relative  à  ses 
al'Iirmations,  l'Autrichien  interroge,  cherche  à  lire  lui- 
même  les  dépèches  do  Londres  au  lieu  d'en  écouter  le 
résurM^,  les  copie  quand  il  en  trouve  le  moyen,  combat 
les  concessions  (ju'il  croit  nuisibles  aux  intérêts  de  sa 
souveriàne  et  rappelle  atout  instant  tel  article  des  traités 
de  t7'j<)  et  1758  <|ui  soumet  l'action  française  à  l'ac- 
quiescement de  son  allié.  Lié  par  le  ,issé,  Choiseul  est 
forcé  de  discuter  avec  FAutrichien  le  sens  et  la  portée 


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l,A  Gl  ERUE  OE  SE£'T  AiNS. 


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dos  textes  auxquels  il  se  heurte.  De  là  des  débals  in- 
cessants sut'  l'étendue  du  consentement  de  principe  que 
la  cour  de  Vienne  avait  donné  à  la  paix  particulière 
et  Rotaniment  sur  la  faculté  pour  la  France  de  faire 
entrer  dans  le  compte  de  compensation  les  territoires 
conquis  sur  le  roi  de  Prusse.  Starhemberg'  est  en  mé- 
tiance  (1);  il  craint  que  les  négociations  ne  soient  beau- 
coup pl'is  avancées  que  ne  Favoue  Choiseul  ;  il  se  préoc- 
cupe des  réticences  de  ce  dernier  au  sujet  de  ses  lon- 
gues et  fréquentes  entrevues  avec  Stanley.  Quelciues  mots 
échappés  à  son  interlocuteur  l'inquiètent  :  «  Quand  ma 
paix  avec  l'Angleterre  sera  faite,  avait  dit  le  ministre, 
je  vous  avertirai  que  nous  allons  évacuer  les  pays  du  roi 
de  Prusse  et  vous  y  enverrez  des  trou])es  ou  n'en  enverrez 
pas,  comme  vous  le  jugerez  à  propos.  »  C'était  en  vérité 
tenir  peu  compte  des  stipulations  de  1758  et  des  accords 
intervenus  lors  de  l'occupation  des  provinces  rhénanes. 
Cependant,  il  fallait  aboutir.  Choiseul  prépara  une  note 
relatant  les  réserves  auxquelles  serait  subordonnée  l'ad- 
hésion de  l'Autriche  n  un  traité  particulier  entre  la 
France  et  l'Angleterre.  Cette  pièce  (2),  destinée  à  être 
communiquée  à  Pitt,  était  ainsi  conçue  : 

«  Depuis  que  le  mémoire  des  propositions  de  la  France 
a  été  formé,  et  au  moment  que  le  courrier  allait  partir 
pour  Londres,  le  Roi  a  rei^^u  le  consentement  de  l'impé- 
ratrice-Reine  à  sa  paix  particulière  avec  l'Angleterre, 
mais  à  deux  conditions  : 

«  La  première  ([ue  l'on  conserverait  la  possession  des 
pays  appartenant  au  roi  de  Prusse; 

«  La  deuxième  qu'il  soit  stipulé  (jue  le  roi  de  la  (irande- 
Bretagne,  tant  en  sa  qualité  de  Roi  qu'en  celle  d'Electeur, 
ne  donnera  aucun  secours  ni  en  troupes  ni  de  quelque 
autre  espèce  que  ce  soit  au  roi  de  Prusse,  et  que  S.  M. 

(1)  starhemberg  h  Kaunit/,  i  juillet  ITOI.  \rciiives  de  Vienne. 

(2)  Mémoire  remis  par  Bnssy  à  Pitt,  '.>M  juillet  17GI.  Chatham  Papers. 


I 


UËSKRVES  AUTUICIIIENNKS. 


557 


Britannique  s'engage  à  ce  quo  les  troupes  hanovriennes, 
hessoises  et  brunswickoiscs  et  autres  auxiliaires  unies 
aux  Ilanovrieus  ne  se  joignent  point  aux  troupes  du  roi 
de  Prusse,  de  même  que  la  France  s'engagera  à  ne  don- 
ner aucun  secours  d'aucune  espèce  à  l'Impératrice-Reine 
ni  à  ses  alliés. 

((  Ces  deux  conditions  paraissent  si  naturelles  et  si  justes 
par  elles-mêmes  ({ue  S.  M.  n'a  pu  qu'y  acquiescer  et 
([u'clle  espère  que  le  roi  de  la  Grande-Bretagne  voudra 
liien  les  adopter.  » 

Il  était  impossible  de  revenir  sur  le  texte  d'un  document 
que  Choiseul  reconnaissait  (1)  avoir  déjà  montré  h  Stanley, 
mais  le  contenu  de  cette  pièce  était  loin  de  répondre  aux 
exigences  de  la  cour  de  Vienne  ;  aussi  Starhembcrg  remit-il 
au  cabiUvt  français  un  mémoire  (2)  énumérant  les  clauses 
exigées  pour  l'acceptation  du  traité  délinitif.  Au  lieu  des 
deux  réserves  de  la  note  expédiée  à  Londres,  le  facîum  de 
Starhembcrg  en  contenait  six  :  la  première  visait  l'assen- 
timent de  la  Russie  ;  la  seconde  renvoyait  au  congrès 
d'Augsbourg  et  excluait  des  négociations  en  cours  tout 
ce  qui  aurait  trait  à  la  guerre  et  à  la  paix  avec  le  roi 
de  Prusse.  La  troisième  déclarait  :  «  qu'en  conséquence, 
il  ne  sera  fait  aucune  stipulation  ou  arrangement  pré- 
liminaire, concernant  les  pays  conquis  sur  le  roi  de 
Prusse  au  nom  de  S.  M.  l' Impératrice-Reine  ».  La  qua- 
trième disait  :  <(  (|u'en  conformité  de  l'art.  13  du  traité 
de  1758,  il  sera  formellement  stipulé  que  dans  le  cours 
de  la  présente  guerre,  les  parties  contractantes  ne  four- 
niront plus  à  leurs  alliés,  ni  directement  ni  indirecte- 
mont,  aucune  espèce  de  secours  de  quelque  nature  qu'il 
puisse  être.  Si  cependant  l'Angleterre  refusait  absolu- 
ment,  et  invinciblement  de  souscrire  entièrement  à  cette 

(1)  S'aiheinberg  à  Kaunitz,  16  juillet  ITill.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Mémoire  remis   par    Slarliembery,   Paris,    19    juillfl    17G1.    Affaires 
Étrangères. 


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:,:>»  LA  GUERUE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  X. 

condition  au  point  de  rompre  plutôt  la  négociation  que 
de  ne  pas  se  réserver  la  liberté  de  continuer  au  roi  de 
Prusse  les  subsides  en  ari;ent,  S.  M.  rinipératrice-Reine 
par  les  motifs  ci-dessus  rapportés,  consentira  encore  à  la 
continuation  du  paiement  des  subsides,  pourvu  que  le 
Roi  d'Ant^leterre  promette  de  ne  fournir  aucune  autre 
espèce  de  secours  au  roi  de  Prusse;  et  que  S.  M.  Très 
Chrétienne  veuille  s'eng-ager  non  seulement  à  continuer 
pareillement  à  S.  M.  i'Impératrice-Reine  le  subside  courant, 
mais  aussi  à  le  parifier  à  celui  que  le  roi  d'Angleterre 
paiera  au  roi  de  Prusse  ».  Les  5''  et  6"  réserves  avaient 
trait  à  l;i  communication  avant  signature  «  d'un  traité 
dont  S,  M.  l'Inipératiice-Reinc  ignore  encore  le  contenu  » 
et  au  retrait  du  consentement  au  cas  où  les  négociations 
n'aboutiraient  pas.  T.hoiseul  répondit  (1)  avec  habileté  à 
cette  pièce  embarrassante  :  Il  renouvelle  sa  plaidoirie  sur 
la  distinction  entre  les  deux  guerres;  il  analyse  le  fameux 
art.  i;J  de  l'acte  de  décembre  1758,  l'interprète  à  sa  fa- 
çon, proclame  la  loyauté  du  cabinet  français  qui  avait  tenu 
Starhemberg  au  courant  de  toute  la  conversation  diplo- 
matique avec  l'Angleterre  et  prend  au  nom  du  Roi  les 
engagements  suivants  :  1°  Il  ne  sera  fait  aucune  mention 
de  la  guerre  de  S.  M.  l'Impératrice  contre  le  Roi  de  Prusse 
dans  le  traité  qui  pourra  être  négocié  avec  l'Angleterre  re- 
lativement à  la  guerre  particulière  avec  cette  couronne. 
2"  Le  Roi  ne  peut  pas  promettre  que  le  ministère  anglais 
ne  pei>>istera  pas  à  favoriser  les  intérêts  du  roi  de  Prusse; 
il  a  proposé  des  arrangements  sur  les  pays  conquis  sur  ce 
prince  en  Westplialie,  mais  ils  ne  seront  définitifs  qu'apiès 
examen  et  approbation  de  S.  M.  l'Impératrice;  3"  «  le  Roi 
fera  tout  ce  qu'il  pourra  pour  empêcher  que  S.  M.  Rritan- 
niquc  ne  donne  aucune  espèce  de  secours  au  roi  de  Prusse. 
Mais  il  faut  distinguer  les  secours  ».  Si  l'Angleterre  per- 

(1)  Réponse  ;.  la  noie  de  Starhemberg,  iS  juillet  17GI. 


MAUVAISE  HUMEUR  DE  KAINITZ. 


■559 


sistait  à  fournir  des  troupes  à  S.  M.  Prussienne,  il  y  aurait 
à  choisir  entre  deu\  partis  :  ou  envoyer  on  Saxe  une  armée 
de  force  correspondante,  ou  subordonner  la  conclusion  de 
la  paix  à  une  promesse  du  cabinet  de  Londres  de  ne  mettre 
à  la  disposition  des  «  ennemis  des  alliés  de  l'Inipératrict 
aucunes  troupes  ni  nationales  ni  subsidiaires  ».  Au  gou- 
vernement impérial,  il  aj)partiendrait  d'opter  entre  les 
deux  alternatives.  Quant  aux  subsides,  la  France  s'enga- 
gerait vis-à-vis  de  la  cour  de  Vienne  pour  la  même  somme 
que  l'Angleterre  accorderait  au  roi  de  Prusse.  V"  Le  comte 
de  Starhemberg  recevrait  comme  par  le  passé  «  com- 
munication de  toutes  les  lettres  et  réponses  reçues  et 
envoyées  à  Londres  <>.  Enfin  Choiseul,  comme  conclusion, 
pose  le  dilemme  ci-après.  «  Ainsi,  ou  la  séparation  des 
deux  g'uerres,  après  la  rupture  de  la  nég'ociation  actuello, 
n'aura  plus  lieu,  et  les  avantages  ou  désavantages  de 
toutes  les  puissances  bellig-érantes  seront  mêlés,  ce  qui 
rendra  toute  la  force  à  l'art.  13;  ou  bien,  si  l'Impératrice 
est  d'accord  que  la  séparation  subsistera  toujours,  son 
consentememt  pour  la  paix  séparée  doit  subsister  avec 
elle.  »  Le  document  français  se  terminait  par  les  pro- 
testations habituelles  d'amitié  et  de  fidélité  à  l'alliance. 
La  réponse  de  Choiseul  à  la  note  de  Starhemberg  fnf 
remise  à  Kaunitz  (1)  par  le  successeur  du  comte  de  (Ihoi- 
scul.  Le  nouveau  ministre,  le  comte  de  Chatelet  Lomont, 
était  arrivé  à  Vienne  le  2'i.  juillet,  après  un  intérim  de 
deux  mois,  pendant  lesquels  les  affaires  de  rand)assade 
avaient  été  gérées  parSainte-Foyet  Gérard,  secrétaires  des 
titulaires  ancien  et  nouveau.  Ainsi  qu'il  fallait  s'y  at- 
tendre, Kaunitz  ne  se  rangea  pas  à  l'argumentation  du 
ministre  de  Louis  XV;  il  critiqua  l;i  rédaction,  trop  polie 
scion  lui,  des  dernières  propositions  faites  à  l'Angle- 
terre; il  accusa  Stanley  d'avoir   beaucoup   contribut^  ù 


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(1)  Chatelet  à  Choiseul.  5  août  l'Gl. 


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560 


I.A  GUURRE  Di;  SKPT  ANS.  —  CHAP.  X. 


brouillet  les  cartes.  Quant  à  Tari.  13,  il  ne  pouvait  ad- 
mettre ri.  ♦'^ip relation  de  Clioiseul  :  «  Il  fallait  s'en  tenir 
au  texte.  C'est  avant  de  faire  un  traité  qu'il  faut  faire 
toutes  ces  réflexions  et  on  peser  toutes  les  conséquences, 
mais  dès  (ju'il  est  signé  et  ratilié,  il  fait  loi  quand  même 
il  y  aurait  des  stipulations  qui  seraient  contraires  à  l'in- 
térêt direct  ou  éloigné  dune  des  parties...  L'Impératrice 
ne  conviendra  jamais  que  les  engagements  du  Roi  avec 
elle  et  vice  versa  ne  soient  relatifs  qu'à  la  guerre  d'Alle- 
magne; l'alliance  n'est  pas  bornée  à  cette  guerre  seule- 
ment; elle  est  faite  pour  s'étendre  à  tout  le  système  des 
deux  cours  et  pour  s  aiiirmer  de  plus  en  plus  soit  dans 
la  continuation  de  la  guerre,  soit  pendant  la  paix.  «  Pen- 
dant tout  l'entretien,  le  chancelier  se  montra  d'humeur 
massacrante.  «  Après  le  diner,  raconte  Chatelet,  il  est  parti 
pour  Schoubriin,  sans  dire  mot  à  personne,  et  n'en  est 
revenu  que  très  tard.  J'ai  été  exprès  à  la  Comédie  pour 
l'examiner;  je  l'ai  trouvé  aussi  froid,  aussi  silencieux;  il 
ne  m'a  pas  été  possible  d'en  tirer  une  seule  parole;  entin, 
à  10  heures  du  soir,  il  est  sorti  à  l'ordinaire  de  son  cabinet, 
et  après  (|uel((ues  moments  fort  courts  de  conversation 
générale,  il  m'a  tiré  à  part  avec  un  visage  fort  ouvert  et 
la  joie  peinte  dans  les  yeux,  et  m'a  dit  :  «  La  réponse 
de  l'Angleterre  à  vos  propositions  est  arrivée,  et  M.  le 
duc  de  Choiseul,  qui  n'en  a  encore  communication  que 
par  les  dépèches  de  M.  de  Bussy,  a  mandé  à  M.  de  Star- 
hemberg  qu'elle  était  indécente ,  insoutenable,  insolente 
et  inacceptable  en  tout  point.  «  La  satisfaction  de  Kaunitz 
était  fondée.  Mais  i/anticipons  pas. 

A  partir  du  20  juillet,  date  de  la  réception  à  Londres  du 
courrier  de  Stanley,  et  avant  la  remise  du  mémoire  sur 
les  gnefs  espagnols,  les  événements  prirent  une  tour- 
nure in([uiétante  pour  les  partisans  de  la  paix.  Le  jour 
même,  Pitt  envoya  à  Amherst,  gouverneur  des  colonies 
de  l'Amérique  du  Nord,  l'ordre  de  rassembler  le  corps 


:.Ù^:^^  '  ■  vi»kr.,VfâÉ52ki 


PRKSENTATIUN  DU  MÉMOIRE  SUR  LES  PLAINTES  ESPAGiNOLES.  5GI 

expéclitioniinii'c  destiné  à  la  conquête  de  la  Mfii'tinicjnc, 
Le  21  se  tint  un  conseil  de  cabinet  où  il  fut  décidé  (jue 
toute  intervention  de    la   France  dans  les  litiges  espa- 
g'uols  serait  considérée  comme  attentatoire  A,  la  diynité  de 
l'Angleterre.  Autre  circonstance  défavorable,  les  avis  des 
théâtres  de  la  guerre  étaient  de  nature  à  encourager  les 
vues  belliqueuses  de  Pitt;  le  22  on  apprit  la  nouvelle  de 
la  reddition  de  Pondichéry,  de  la  prise  de  la  l>oinini(|ue  et 
du   cttrnbat  de   Fillinghausen  :   «   Jamais  victoire,   écrit 
llardwicke  (1  •.  ne  fut  aussi  glorieuse  ni  aussi  opportune. 
Klle  est  vraiment  providentielle,  .respère,  et  en  ce  mo- 
ment  je  ne  veux  pas  douter,  ([u'elle  nous  procurera  une 
jjonne  paix.  »  Ce  même  22,  Hussy  '2)  eut  une  conférence 
de  trois  heures  avec  Fuentes  au  sujet  du  mémoire  relatif 
aux  allaires  espagnoles.  L'ambassadeur  était  au  courant, 
car  dès  le  17,  il  avait  prévenu  son  collègue  IVançais qu'ils 
devaient  faire  ensemble  une  démarche  auprès  du  cabinet 
de  Saint-.lames.  Conformément  aux  indications  de  son  chef, 
Hussy  penchait  pour  rajoiirnenient,  mais  Fuentes  objecta 
t|ue,  d'a[)rès  ce  que  (irimaldi  lui  pvait  écrit,  Choiseul  avait 
parlé  à  Stanley  de  l'appui  promis  à  l'Espagne;  la  cour  de 
Londres  était  donc  avertie  ;  dans  ces  conditions,  et  surtout 
en  présence  des  bruits  qui  couraient  d'une  déclarât'  )n 
de  guerre  par  S.  M.  Catholique,  tout  retard  serait  mal  inter- 
prété et  les  rendrait,  Bussy  et  lui,  suspects  de  «  linesse  ». 
On  se  sépara  sans  avoir  adopté  un  [)arti.  Sur  l'insistance 
de  Fuentes  qui  revint  à  la  charge  le  2.'{,  Bussy  prit  son  cou- 
rage à  deux  mains  et  se  rendit  chez  Pitt  avec  lequel  il  avait 
rendez-vous  à  10  h.  1/2.  Fuentes  avait  eu  raison,  car  ce 
fut  le  ministre  anglais  qui  aborda  le  premier  la  ({uestion 
espagnole;  il  se  plaignit  delà  lenteur  apportée  à  l'envoi  de 
la  réponse  française,  puis  il  «  reprit  :  (jue  ce  n'était  pas 
là  le  plus  grand  obstacle  à  la  négociation,  que  M.  Stanley 

(\)  Uardwicke  à  Newcastle,  '!2  juillfit  1761.  Newcastlc  Papors. 
(.!)  Bussy  i\  Choiseul,  21  el  m  juiiint  17G1.  Affiiires  Etranscies. 

(.tHUUi;    DE   Mil'T    ANS.    —   T.    IV,  36 


i.i 


502 


LA  (IL'EUUK  Dt  SEPT  ANS.        CIlAl'.  X. 


Il 


leur  avait  maadé  (lu'cn  vertu  creuyagcmciits  de  la  Franco 
avec  rKspa^iio,  antérieurs  au  mémoire  du  20  mars 
dernier,  vous  demandiez  que  iKspagne  fût  appelée  à 
la  garantie  du  traité  à  faire  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, (|ue  la  France  fût  la  médiatrice  des  diftérends  de 
l'Angleterre  avec  l'Espagne,  et  ({ue  même  vous  mena- 
ciez de  faire  la  guerre  pour  l'Espagne,  si  ces  ditférends 
n'étaient  point  ajustés;  que  vous  n'aviez  pas  parlé  de  ces 
engagements  j)endant  tout  le  cours  de  la  négociation,  et 
qu'il  était  surprenant  que  vous  n'en  lissiez  mention  ([u'au 
moment  où  il  s'agissait  de  prendre  une  résolution  défi- 
nitive; qu'il  n'était  pas  difficile  de  connaître  par  cet  in- 
cident, par  le  délai  de  l'arrivée  des  propositions  et  par 
leur  nature,  que  l'on  voulait  gagnev  du  temps  et  forcer 
les  Anglaisa  faire  la  paix  par  la  crainte  d'une  nouvelle 
guerre,  mais  ([ue  S.  M.  Britannique  ne  se  laisserait  pas 
intimider;  qu'il  fallait  finir;  que  la  nature  des  opéra- 
tions, ainsi  qu'il  vous  l'avait  mandé  dans  sa  lettre  du 
8  avril,  ne  pouvait  s'accorder  avec  la  lenteur  des  négo- 
ciations, ot  que  l'on  vous  enverrait  une  dernière  résolu- 
lion  ou  ultimatum  ».  Il  ajouta  «  qu'à  ce  sujet,  il  avait 
à  me  faire  une  déclaration  mais  qu'il  me  priait  de  ne  pas 
croire  qu'elle  fût  l'etlet  du  succès  dont  la  cour  d'Angle- 
terre avait  reçu  la  nouvelle  la  veille;  que  cette  déclara- 
tion avait  été  arrêtée  dans  le  conseil  tenu  le  mardi  21 
et  unanimement  adoptée,  et  qu'elle  portait  ((uo  le  roi 
d'Angleterre  ne  souffrirait  pas  que  les  disputes  de  l'Es- 
pagne fussent  mêlées  dans  la  négociation  de  la  paix  de  la 
France  avec  l'Angleterre,  et  qu'il  serait  regardé  comme 
olfensant  pour  la  dignité  de  S.  M.  Britannique  et  inoonipa- 
tibleaveccette  négociation  que  l'oninsistàtsircetarticle.  » 
Bussy  se  défendit  de  son  mieux,  sortit  son  mémoire 
et  pria  son  interlocuteur  d'en  prendre  connaissance.  Pitt 
commen(,'a  à  parcourir  le  document  tout  en  s'interrom- 
pant  pour  réfuter  quelques-uns  des  arguments  de  Choi- 


^*»i»i«ni<wMw**«^<Sr;M 


PITT  REFUSK  DACCEPTEK  LE  MKMOIUK. 


56S 


•\  V 


seul;  quand  il  ai  riva  à  la  seconde  dos  réclamations  espa- 
j,'noles,  celle  (|ui  concernait  la  pèche  à  la  morue,  Pitt  qui 
s'était  échaulle  au  fur  et  à  mesure  de  sa  lecture,  «(  ne 
put  s'cnipôcher  d'éclater  ».  H  s'écria  "  (|ue  l'Angleterre 
ferait  expliquer  1  Kspagne  avant  qu'il  fût  peu  de  temps  et 
que  l'on  saui  Jt  à  quoi  s'en  tenir  ». 

De  l'Espagne  on  passa  à  l'Allemagne.  Voici  le  récit  que 
fait  Bussy  de  cette  phase  de  la  discussion:  "  Selon  lui 
(Pitt)  le  projet  de  garder  Wesel.  la  (Jucldre  et  Francfort, 
est  celui  d'avoir  deux  sentinelles  sur  Hanovre  qui  met- 
traient l'Electeur  et  ses  alliés  dans  la  nécessité  de  rester 
dans  un  état  continuel  de  guerre  ;  et  par  conséquent  l'An- 
gleterre ne  peut  que  le  rejeter.  Je  lui  dis  qu'au  moment 
que  le  courrier  allait  partir,  le  Koi  avait  reçu  le  consen- 
tement de  l'Impératrice  Heine  à  sa  paix  particulière  avec 
l'Angleterre;  mais  que  c'était  à  deux  conditions  :  l'une, 
la  conservation  les  Pays  du  roi  de  Prusse,  l'autre  de  ne 
donner  aucun  secours,  de  quelque  espèce  que  ce  fût,  aux 
alliés  respectifs,  et  que  j'avais  rassemblé  le  détail  de  ces 
conditions  dans  une  note  que  je  lui  donnai,  et  dont  je 
joins  ici  copie.  Il  la  lut  et  m'assura  que  le  roi  d'Angle- 
terre serait  très  mécontent  de  pareilles  conditions;  (jue 
ses  engagements  le  mettaient  en  état  de  donner  un  se- 
cours illimité  au  roi  de  Prusse,  et  qu'il  serait  contre  sou 
honneur  de  s'chliger  à  ne  lui  donner  des  secours  d'aucune 
espèce;  que  d'ailleurs  S.  M.  Britanni([ue  ne  pouvait  se 
désister  de  l;i  demande  d'évacuer  Wesel  et  Gueldre.  et 
que  si  la  Fraace  ne  pouvait  y  consentir,  il  ne  pouvait  y 
avoir  de  paix,  » 

Fort  mal  <;omniencé,  comme  on  le  voit,  l'entretien  se 
termina  par  le  rejet  de  la  plupart  des  propositions  de 
la  cour  de  Versailles.  Pour  en  finir  avec  le  mémoire  ap- 
puyant les  revendications  espagnoles,  Bussy  reçut,  le  iï, 
de  Pitt,  une  lettre  refusant  d'accepter  la  pièce  :  «  Vous 
verrez,  Mon ieigneur.   écrit-il  à  ce  propos,  que  pour  en 


SM 


i5',' 


Mii 


L\  (lUERUi:  DK  SKIT  ANS. 


CIIAP.  X. 


1"  :  j 


pai'loi'  modestement,  elle  est  (''crUo  d'un  stylo  impérieux. 
Si  je  n'avais  consnltr  que  mon  zèle  pour  la  diguilé  du 
Koi,  je    l'aurais    renvoyée  sur-le-champ   f'i  ce  ministre; 
mais  j'ai  rraint  que  sa  mauvaise   volonté  n'en    prit  oc- 
casion de  se  porter  peut-être  à   rompre  la  négociation, 
et  comme  votre    intention  est   au  contraire  de   gagner 
du  temps,  je  me  suis  contenté  de  ne  i)as  accusiu*  la  récep- 
tion de  cet  écrit  et  de  vous  l'envoyer  pour  ([ue  vous  me 
prescriviez  la  conduite  que  je  devrai  tenir  k  cet  égard... 
J'ai  instruit  M.  l'anibassadeur  d'Kspagne  de  tout  ce  (pie 
j'ai  l'honneur  de  vous  mander  ici.  Il  a  été  tiès  [)iqué  de 
ce  qui  regarde  sa  cour;  il  a  envoyé  vendredi  demander 
un  entretien  à  M.  l'itt,  qui  lui  a  répondu  qu'il  allait  à  la 
campagne,  et  que  les  [)romiers  monumts  de  son  retour 
seraient  destinés  à  le  voir.  )>  Cependant,  à  en  croire  le  Fran- 
(•ais,  le  cahinct  de  Londres  ne  serait  pas  aussi  intraitable 
que  son  porte-parole  :  «  Ce  que  je  puis  conj<'cturer,  Monsei- 
gneur, de  ce  que  m'ont  dit  ceux  des  ministres  du  cabinet 
que  j'ai  viis  à  la  luUe,  parce  (juc  la  [)lupart.  au  sortir  du 
Conseil,  sont  allés  à  la  campagne,  c'est  que  si  nous  con- 
sentons à  laisser  Dunkerque,  non  pas  dans  l'état  où  il  est, 
mais  dans  un  état  ;\  ne  pas  donner  d'inquiétude  à  la  na- 
tion anglaise,  et  ([ue  nous  puissions  nous  entendre  sur  les 
évacuations  en  Allemagne,  la  Cour  de  Londres  accordera 
non  seulement  la  pèche  sur  le  banc  de  Terre-Neuve  mais 
encore  quelques  îles  pour  la  retraite  donos  pècheurset  des 
arrangements  jiour  les  Indes  et  pour  la  traite  des  nègres.  » 
Les  extraits  que  nous   venons  de  faire  du  rapport  de 
Hussy  nous  dispensent  de  rendre  compte  des  réunions 
du  cabinet  anglais  des  21  et  iï  juillet.  Il  nous  suftira  de 
dire  que  les  ministres  furent  d'accord  avec  Pitt  sur  la  fin 
de  non-recevoir  opposée  au  mémoire  relatif  aux  affaires  es- 
pagnoles et  sur  l'attitude  à  piendre  au  sujet  de  l'Allema- 
gne; par  contre,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  tard,  l*itt 
fut  mis  en  minorité  sur  la  ({uestion  des  pêcheries  qui  lui 


IIJIMATUM  ANGLAIS. 


ri(i:. 


ton;«it  fï  cœur.  La  (Irprchc  dîtiis  IjkjuoIIo  il  rZ-suinc  les  dô- 
lilK'rations  de  sou  goiiveriieinent  est  courue  dans  ce  lan- 
gage rofj;ue  et  jdeiu  de  uiorgue  (jui  lui  était  j)i'oj)re. 
Sans  doute,  le  texte  anglais  ne  passerait  pas  sous  les  yeux 
de  (Ihoiseul,  mais  s'il  devait  oi-agner  à  la  traduction, 
il  n'en  influencerait  pas  moins  l'interprète  de  la  pensée 
l)ritanni([ue  dans  les  explications  ipiil  aurait  k  fouinii-  : 
«  Le  conseil  a  été  unanime,  écrit  l'itt  (  I),  à  juger  ([ue  les 
conditions  du  mémoire  (propositions  liançaises  du  l.'l 
juillet)  ne  donnent  aucune  satisfaction  ;  de  plus,  quand 
il  a  eu  connaissance  de  la  rétractation  flagrante  de  ce  (pii 
s'était  passé  dans  votre  conférence,  par  rapport  à  une 
clause  de  compensation  aussi  indispensable  et  aussi  im- 
portante que  celle  de  la  restitution  et  évacuation  immé- 
diate des  places  et  territoires  conquis  i)ar  la  France  aux 
dépens  des  alliés  de  S.  M.  en  Allemagne  et  notamment 
ceux  du  roi  de  Prusse,  il  lui  a  paru  que  le  mémoire  entier 
a  été  rédigé  par  le  ministère  français  dans  le  hut,  non 
d'activer,  mais  de  retarder  la  conclusion  de  la  paix.  Kn 
outre,  ([uant  à  la  couce[)tion  étrange  de  la  garantie  pro- 
posée de  l'Kspagne,  dont  vous  avez  parlé  dans  votre  lettre, 
aussi  bien  que  quant  aux  engagements  pris  avec  l'Espagne 
au  sujefde  nos  litiges  avec  cette  couronne,  cngagemenis 
que  le  duc  de  Clioiseul  reconnaît  aujourd'hui  avoir  con- 
tractés avant  les  i)rennères  ouvertures  de  la  France  en 
vue  de  la  paix  particulière  avec  l'Angleterre  et  (pii  par 
conséquent  ont  été  depuis  cette  époque  dissimulés  avec 
un  manijue  d'honnêteté  égal  à  l'insfdencc  ([u'on  met  <V 
les  afficher  aujourd'hui.  »  La  fin  de  la  phrase  est  restée 
au  bout  de  la  plume  du  bouillant  écrivain  (|ui  passe,  sans 
liaison  grammaticale,  à  la  résolution  remise  à  lUissy. 

A  la  dépêche  de  Pitt  était  annexée  une  note  intitulée  : 
Points  à  comnmniquer  au  duc  de  Choiseul  comme  conte- 
nant l'ultimatum  de  la  cour  de  la  (irande-Bretagne,  Ces 
(1)  Pilt  il  Stanley,  •>5  jiiillel  1701.  Record  Oflice. 


'   1 


.'lOli 


T,\  (.UERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  X. 


I  P: 


points  étuieiit  au  nombre  do  iV:  Uien  de  nouveau  à  pro- 
pos de  la  cession  du  (Canada  lout  entier,  des  limites  entre 
cette  province  et  la  Louisiane,  du  Cap  Breton  ou  du 
Sénégal  et  de  (iorée,  sauf  l'emploi  i'é|)élé  des  expres- 
sions :  «  Jamais  i'\ngleterre  ne  leviendra  sur  cette 
clause  »  «  Il  faut  que  la  France  cède.  »  Les  stipula- 
tions en  elles-mêmes  étaient  des  plus  dures,  et  il  était 
très  inutile  d'en  augmenter  l'amertume  en  prenant  le  (on 
du  vaincpuMir  qui  impose  sa  loi  au  vaincu.  Citons,  comme 
spécimen  de  rédaction,  l'art.  V  forr.ulaiit  compensation 
entre  le  démantcllemenl  de  Dunkercpie  et  le  droit  de 
pèche,  et  accordant,  par  conséquent,  une  concession  im- 
portante à  la  France  :  «  Il  faut  que  Dunkerque  .soit  re- 
[tlacé  dans  les  termes  du  traité  d'IItrecht;  sans  cela  om 
n'admettra  aucune  paix.  C'est  à,  cette  condition  et  à 
cett(  condition  seule  que  S.  M.  Iiritainii(|ue  [)ouria  ja- 
nuiis  consentir  à  |>rendre  en  considération  la  demande 
de  la  France  tendant  m  recouvrer  le  privilège  ((ui,  en 
vertu  de  ",'art.  13  du  même  traité,  permet  dans  certaines 
limites  et  sous  certaines  restrictions,  aux  sujets  français 
de  pocher  le  poisson  et  de  h;  sécher  îi  la  côtr,  dans  une 
partie  de  Terre-Neuve.  »  Voici  encore  l'art.  7  qui  a  trait  k 
l'Allemagne  :  ((  La  France  procédera  A,  la  restitution  im- 
médiate et  à  l'évacuation  des  conquêtes  qu'elle  a  etfec- 
tuées  sur  les  alliés  de  S.  M.  en  Allemagne,  c'est-à-dire  de 
tous  les  états  et  localités  appartenant  au  landgrave  de 
liesse,  au  duc  de  Brunswick  et  à  l'électorat  de  Hanovre; 
aussi  de  Wesel  et  des  territoires  du  roi  de  Prusse  occupés 
par  les  armées  françaises  ;  et  une  évacuation  générale  de 
toutes  ses  con<[uétes  du  coté  de  la  liesse,  de  Westphalie 
et  dans  toutes  ces  régions.  »  L'art.  13  est  relativement 
libéral  :  «  Le  Uoi  ayant,  dès  les  premières  ouvertures 
faites  par  la  France,  déclaré  explicitement  et  sans  varia- 
tion que,  dans  le  cas  de  la  conclusion  d'une  paix  parti- 
culière   entre   les    deux    couronnes,   S.   M.   continuerait 


INDKlNAilON  DE  (  IlOISia  L. 


567 


rousIaiiiiiK'tit  il  soutenir,  à  litre  criuixlliairc,  son  alliô  le 
nti  de  Prusse  d'iinr  façon  efficace  et  de  honne  foi,  alin 
d  obtenir  le  grand  l>rnéfice  d'uiu'  [lacilication  de  l'Alle- 
inagne,  tonte  lilx'rté  sera  maintenu<;  i\  la  (Jfande-Hrt>- 
tagne  et  à  la  Fiance  de  soutenir  leurs  alliés  respectifs 
dans  leur  lutte  [)articulit''re  piMii-  le  lecouvreiuent  de  la 
Silésie,  dans  la  mesure  des  engagements  pris  par  clia(jue 
couronne.  »  Les  autres  points  avaient  trait  i\  l'écliange 
df  Minorque  d'une  part,  de  la  (Guadeloupe,  Marie-(ialantc 
et  Belle-lsie  de  l'autre,  au  partage  égal  des  \iitilles  neu- 
tres; (înliu  au  r(;nvoi,  ît  la  décision  tles  compagnies  inté- 
ressées, de  la  délimitation  de  leuis  possessions  dans  les 
Indes  (U'ientales.  La  restitution  des  prises  faites  avant  la 
déclaration  d<'  guerre  était  i'e[)oussée  et  la  demande  du 
port  d'abri  pour  les  bAtiments  d(;  ])écbe  était  passée  sous 
silence.  Cette  omission,  qui  équivalait  i'i  un  refus,  et  la 
persistance  k  réclamer  ré"acuation  immédiate  de  W'esel 
et  des  territoires  prussien^  furent  les  écueils  sur  lesquels 
la  barque,  d'ailleurs  très  fragile,  des  tentatives  de  paix 
allait  sombrei'. 

Stanley  (1)  reçut  la  lettre  et  la  note  de  l*itt  le  28  juil- 
let :  le  lendemain,  après  avoir  échangé  quelques  mots 
fivec  Choiseul,  il  transmit  ses  premières  impressions  à  Lon- 
dres; le  ministre  français  paraissjut  bien  résolu  à  continuer 
la  guerre  s'il  n'obtenait  pas  satisfaction  sur  la  question  du 
port  de  refuge  pour  les  pécheurs  français;  il  ne  céderait 
pas  non  plus  à  propos  de  l'Allemagne.  «  Jamais  le  cabi- 
net français  ne  se  décidera  à  faire  une  déclaration  qui 
les  détachera  de  leurs  alliés,  tant  qu'il  ne  sera  pas  sûr 
d'un  accord  sur  son  conilit  particulier.  Cela  étant,  jai 
beau  discuter  ces  questions,  pour  obéir  h  mes  instructions, 
mais  (|uant  à  faire  des  progrès  réels...  je  pouriai  tout 
aussi  bien  péroi'er  sur  un  événement  (|ui  se  passe  au 
Japon.  » 
(\j  Slanley  àPill,  :tO  juillet,  tj  août  ITCl.  Record  ÛHice,  NewcasUePaiiers. 


■i    * 


l     ' 


JllfetJ«a,tAjjlJUiUjjJi»»''''';'>Jijy'»';;''»^i;Hjyi^^ 


r.'is 


LA  GUKimK  DE  SEPT  ANS.  —  CiîAP.  X. 


i 


Comme  il  était  facile  de  le  prévoir,  la  lecture  de  lu  note 
de  Pitt,  ou  pluti'kt  de  la  traduction  que  Star.ley  eu  avait 
laite,  souleva  la  colère  de  Clioiseul.  Comme  son  rival 
anglais  à  la  lecture  du  mémoire  sur  les  allaires  espa- 
gnoles, (^lioiseul  montra  î\  chaque  instant  de  l'impatience 
et  s'iaferrompit  à  plusieurs  reprises  pour  se  plaindie 
avec  chaleur  du  ton  autoiitaire  de  la  lettre  et  du  senti- 
m.'nt  de  supéricti'ité  dictatoriale  qui  s(Mnl)lait  l'avoir 
inspirée,  «  A  la  lire,  il  paraîtrait  que  ni  le  temps  ni  les 
événements  ne  pourraient  chauiiei'  notre  fortune  et  que 
nous  voulions  traiter  la  France  en  puissance  dont  le  rani.' 
et  la  dignité  seraient  inférieurs  à  ceux  de  la  Grande- 
Bretagne.  Quoique  moins  expert  que  vous  en  matière 
de  rédaction,  ajouta-t-il,  il  aurai*  pu  facilement  tiouviM' 
des  termes  moins  déplaisarts  pour  exprimer  avec  la 
môme  précision  les  mêmes  idées.  Le  fait  (|uo  vous  aviez 
choisi  la  méthode  opposée  était  une  preuve  éviueiite  que 
personnellement  vous  n'aviez  Jamais  eu  l'intention  réelle 
de  signer  la  paix;  du  reste  il  s'en  était  douté  dès  le  début, 
ec  on  le  lui  avait  souvent  affirmé.  »  Les  protestations  de 
Stanley,  qui  aftirmait  les  vues  pacificjues  de  son  patron, 
n'eurent  pas  grand  succès.  Il  en  fut  de  même  de  l'appel 
ému  (jue  Choiseul  adressa  à  l'Anglais  pour  ari'acher  l'oc- 
troi d'  :n  port  de  refuge,  coiollaire  indispensable  du  droit 
de  pêche.  Stanley  répliqua  <{ue  les  instructions  reeues 
et  ce  qu'il  savait  des  convictions  du  Koi  et  du  ministre 
n'autorisaieiit  aucun  es[»oir  d'obtenir,  sur  ce  point,  une 
eoacession  «{uelconque.  Choiseul  n)it  lin  à  l'entretien  en 
déclarant  que  «  la  France  ne  pourr'ut  pas,  sans  laisser 
souiller  son  honneur  d'une  tache  ineffaçable  de  perfidie, 
accepter  une  paix  qui  donnerait  toute  liberté  à  l'ai-niéc 
du  prince  Ferdinand  <le  courir  sus  à  rimj)ératrice  Heine  >, 
mais  qui',  ne  s'opposeraitni  aux  secours  financiers,  ni  à  un 
arrangement  dont  les  conséquences  .seraient  égales  pour 
les  deux  auxiliaires.  Tel  n'était  pas  le  cas,  puisque  d'après 


T.  -.-M.^itiyiU  ■■:^-.;.':»f*  i^..^ 


CIIOISELL  ABANDONNA  TOUT  ESPOIH  OK  I.A  l'AIX. 


r.c".i 


les  prétentions  anglaises,  il  ne  serait  pas  loisible  aux 
troupes  française:;  crarrivei'  sur  le  théâtre  probable  de  la 
guerre.  La  long-ue  lettre  de  Stanley  (init  par  un  exposé 
de  la  mentalité  qu'il  prête  à  Louis  XV  :  (  S'il  reste  en- 
core une  lueur  d'espoir  ((ue  la  France  d'ici  à  quelque 
temps  se  soumette  aux  demandes  de  l'Ang-leterr*  ,  je  nie 
base  pour  le  dire  uniquement  sur  les  dispositions  du 
Hoi.  Je  suis  convaincu  que  les  propositions  actuelles  de 
paix  prennent  leur  point  de  départ  dans  son  initiative 
persGiinelIe  et  dans  ses  sentiments  intimes  et  (|ue  son 
antipathie  pour  la  guerre  dépasse  celle  de  ses  ministres 
ot  celle  de  la  plu|)art  de  ses  sujets;  si  je  suis  bien  in- 
formé, il  est  très  peiné  de  la  tournure  que  notre  négo- 
ciation a  prise  en  dernier  lieu.  » 

Il  y  u  .out  lieu  de  croire  que  l'Anglais  se  fîiitîait  illusion 
sur  la  pensée  de  Louis  XV,  que  (ihoiseul  avait  dû  mettre 
en  avant  pour  les  besoins  de  sa  cause.  Le  fond  et  la  forme 
de  la  note  anglaise,  le  renvoi  presque  brutal  du  mémoire 
sur  les  griefs  de  l'Espagne,  durent  intligcr  à  l'amour- 
propre  du  monarque  une  blessure  égale  k  celle  dont  avait 
souilert  la  fierté  de  son  ministre.  A  partir  de  ce  moment, 
ce  dernier  semble  avoir  i,  loncé  à  tout  espoir  d'entente 
avec  l'Angleterre.  Le  soir  même  de  sa  conversation  avec 
l'envoyé  anglais,  Ghoiseul  mettait  Starhemberg  i  i)  au 
courant  de  la  réponse  de  Pitt  :  «  Klle  est  aussi  insultî'nte 
pour  votre  cour  et  pour  l'Espagne  ffue  pour  le  lîoi;  je 
n'ai  jamais  rien  vu  d'aussi  insultant...  .le  dissimulerai 
vis-à-vis  du  ministre  anglais  ju.>qu'ji  ce()ue  je  sois  parfai- 
tement instruit  des  intentions  de  l'Kspagne.  »  Il  s'ex- 
prime (2)  ù  peu  près  dans  des  termes  identi([ues  avec  l'am- 
bassadeur français  en  Suède  :  «  .!(>  recois  dans  le  moment 


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II 


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(1)  Choiseul  à  Slarliciiibeif;.  29  juillet  17(il.  Uillei  cité  par  Arnelh.  VI, 
p.  ■i73. 

{'>.)  Choiseul  à  Havrincour,  :t(t  juillet  1701.  Dépéciie  interceptée.  Newcastle 
Pa|)er9. 


I 


<ï! 


r.7o 


LA  (.UERUE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  X. 


les  rôponses  d'Angleterre,  elles  sont  de  nature  que  le 
Roi  s'est  déterminé  à  les  refuser  absolument.  Elles  pè- 
chent premièrement  par  la  forme  et  par  le  fond.  Les 
prétentions  d'Angleterre  sont  insoutenables,  et  S.  M.  s'est 
déterminée  à  continuer  la  guerre.  Mais  comme  il  est 
important  de  cacher  encore  un  mois  cette  résolution  à 
la  cour  de  Lond''es,  nous  entretiendrons  encore  quelques 
semaines  la  négociation  avant  de  la  rompre.  Vous  voudrez 
bien  confier  cette  résolution  à  M.  de  Eckeblate,  en  lui 
disant  que  c'est  pour  lui  seul.  » 

La  probabilité  de  la  rupture  des  pourparlers  avec  l'An- 
gleterre entraînait  nécessairement  la  conclusion  de  ceux 
qui  avaient  été  entamés  avec  l'Espagne.  A  la  suite  de  la 
réunion  du  conseil  où  on  avait  examiné  l'ultimatum 
anglais,  Choiseul  i-emit  à  l'ambassadeur  (irimaldi,  avec 
prière  de  le  transmettre  à  son  maître,  un  mémoire  (1)  sur 
l'état  de  la  négociation  avec  la  cour  do  Londres  :  Dans 
l'intérêt  de  ses  sujets,  le  Roi  «  se  serait  prêté  au  sacrifice 
des  points  qui  intéressent  uniquement  les  territoires  de  sa 
puissance,  tels  que  les  articles  relatifs  aux  Indes,  à  TA- 
fri((ue  et  même  à  Dunkcrque  si  les  propositions  anglaises 
avaient  été  dénuées  de  ce  ton  impérieux,  inadmissible 
dans  tous  les  cas,  pour  la  couronne  de  France,  mais  il  y 
a  trois  points  auxquels  le  Roi  ne  pourra  jamais  acquiescer  : 
Le,  premier  intéresse  les  deux  couronnes  de  France  et 
d'Espagne;  le  Roi  sans  l'aveu  du  roi  son  cousin,  ne  coîi- 
viendra  pas  avec  l'Angleterre  de  l'assertion  contenue 
dans  la  lettre  de  M.  Pitt  qui  dit  :  qu'en  aucun  temps, 
on  n'entend  pas  que  la  France  ait  droit  de  se  mêler 
des  dis<  ussions  de  l'Espagne  avec  l'Angleterre.  Tant  que 
l'Espar  le  l'approuvera,  la  France  aura  ce  droit  sans 
qu'au    me  puissance  de  l'univers  puisse  l'en  empêcher.... 

«  Le  second  point  qui  intéresse  l'honneur  du  Roi  est 

(1)  Mémoire  de  Choiseiil  adressé  à  Griinaldi,  juillet   1761   (probablemenl 
30).  Atl'alres  Étrangères. 


CIIOISEIJL  DEMANDE  A  LESPAGNE  DE  SE  DÉCLARER. 


:>7i 


ra'udndon  des  alliés  de  la  France  proposé  par  l'Angle terir, 
tant  par  les  articles  en  réponse  au  mémoire  de  la  France 
que  par  la  lettre  de  M.  Pitt...  Rien  ne  pourra  déter- 
miner le  Roi  à  manquer  à  ses  alliés  et  à  s'écarteî"  du  plan 
concerté  avec  eux  de  ne  rien  stipuler  relativement  à  l'Alle- 
magne que  de  leur  consentement. 

«  Le  troisième  point,  moins  essentiel  que  les  deu  i 
autres,  mais  qui  intéresse  une  partie  des  sujets  du  Uoi, 
est  l'article  de  la  pèche  dans  le  golfe  Saint-Laurent. 
Le  Roi  ne  peut  renoncer  à  la  liberté .  de  la  pêche  dans  le 
golfe,  à  celle  de  la  sècherie  sur  les  côtes  de  Terre-Neuve 
et  à  un  port  quelconque  pour  servir  d'abri  aux  biVliments 
français  employés  à  la  pèche. 

«  Dans  cette  situation,  et  surtout  relativement  au  pre- 
mier article,  le  Roi  est  très  impatient  de  connaître  les 
intentions  du  roi  son  cousin  ;  l'insulte  éprouvée  relative- 
ment au  mémoire  de  l'Espagne  demande  un  acte  de  res- 
sentiment de  la  part  de  S.  M.  Catholique,  sanj  quoi  la 
cour  de  France  serait  taxée  à  la  face  de  l'Europe  de  s'être 
avancée  dans  une  démarche  indiscrète  et  imprudente  à 
une  affirmative  qui  aurait  l'air  de  la  fausseté. 

«  Le  temps  de  l'union  des  deux  couronnes  est  arrivé  ; 
si  S.  M.  Catholique  est  aussi  touchée  de  l'orgueil  et  du 
despotisme  à  craindre  de  l'x^ngleterre  que  l'est  h'  Roi, 
S.  M.  vous  ordonne  de  dire  il  ce  prince  qu'elle  regarde 
le  traité  et  la  convention  comme  conclus  entre  elle  et  le 
roi  son  cousin;  qu'en  conséquence,  elle  l'invite  à  lui  con- 
fier quelles  sont  ses  intentions  relativement  à  la  décla  m- 
tion  Je  guerre  contre  l'Angleterre...  Nous  demandons  à 
l'Espagne  de  se  déclarer  plus  tôt  que  plus  tard.  Au 
moment  de  la  déclaration,  nous  lui  remettrons  selon  la 
convention,  l'île  de  Minorque  et  nous  lui  proposerons  des 
arrangements  relativement  à  la  Louisiane.  »  Dans  un 
billet  (1)  daté  du  30  juillet,  Choiseul  envoie  à  Ossuu 
(1)  Choiseul  à  Ossun,  3»i  juillot  1701.  AlVaires  Étrangères. 


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572 


LA  GUEUIU-:  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  X. 


copie  (lu  méiuoiro  remis  à  ranihassfideur  espagnol  et  lui 
annonce  la  rupture  inévitable  :  <«  Ainsi,  Monsieur,  voilà 
la  guerre  qui  va  reconnnencer  de  nouveau  et  avec  plus 
d'acharnement  que  jamais.  »> 

l'eu  de  jours  après,  pendant  que  Bussy  et  l*itt  prolon- 
f^caient  une  discussion  devenue  aigre-douce,  Choiseul  et 
drimaldi  arrêtaient  les  termes  définitifs  du  traité  connu 
sous  le  nom  de  pacte  de  famille  et  de  la  convention  spé- 
ciale relative  à  la  coopération  active  de  rEspagne.  Quoique 
les  signatures  n'aient  été  apposées  que  le  15  août,  dès  le 
10  de  ce  mois,  Choiseul  (1)  communiqua  à  Bussy  le  texte 
de  l'article  2  qui  était  des  plus  explicites  :  «  De  son  côté,  le 
roi  Très  Chrétien  s'engage  et  promet  au  roi  Catholique 
de  comprendre  dès  à  présent  dans  ses  négociations  de 
paix  à  Londres  les  intérêts  de  l'Espagne  qui  se  traitent 
aussi  actuellement  à  la  Cour  Britannique  »  ;  la  pièce  éuu- 
mère  les  trois  chefs  de  réclamations  de  la  cour  de  Madi'id 
et  continue  :  «  En  sorte  que  les  affaires  de  la  France  et 
de  l'Espagne  soient  parfaitement  unies  et  marchent  d'un 
pas  égal  dans  le  cours  de  la  négociation;  et  S.  M.  Très 
Chrétienne  s'engage  à  n'admettre  aucune  condition  d'ac- 
commodement, et  à  ne  point  suspendre  les  hostilités  contre 
l'Angleterre,  jusqu'à  ce  que  S.  M.  Catholique  se  déclare 
contente  de  la  conclusion  et  du  succès  de  ses  intérêts  par- 
ticuliers. » 

Aussitôt  l'accord  assuré  avec  l'Espagne,  c'est  A  la  cour 
de  Vienne  que  (Choiseul  s'adresse  (2)  ;  il  s'agissait  de  con- 
firmer les  premières  confidences  faites  à  Starhemberg 
après  l'arrivée  du  courrier  de  Londres,  lesquelles,  on  se  le 
rappelle,  avaient  été  aussitôt  transmises  à  Vienne  et  avaient 
dissipé  la  mauvaise  humeur  de  Kaunitz.  La  dépèche,  A 
laquelle  étaient  annexées  les  copies  des  propositions  an- 


(1)  Choiseul  à  Uussy,  10  août  1701. 

(2)  Choiseul  à  Chatelot.  3  août  17G1.  Affaires  Élrangères. 


STARIIEMBERG  SUR  LES  TRAITES  ESPAGNOLS. 


r)73 


glaises  el  de  la  lettre  de  Bussy,  ne  fait  que  reproduire  ce 
([ui  avait  été  dit  à  la  Suède  et  à  l'Espagne  :  «  Nous  re- 
gardons en  conséquence  notre  négociation  comme  abso- 
lument rompue,  et  nous  n<uious  occupons  que  des  moyens 
de  continuer  la  guerre  avec  la  plus  grande  vigueur,  et 
de  concert  avec  les  puissances  amies  et  alliées  de  la 
France;  mais  comme  il  est  important  pour  nous  que  la 
Cour  de  Londres  ne  soit  pas  instruite  actuellement  de  la 
résolution  que  le  Roi  a  prise,  nous  entretiendrons  encore 
pendant  quelques  semaines  la  négociation,  afin  de  faire 
en  sorte  qu'elle  soit  rompue  par  l'iVngleterre.  C'est  en 
conséquence  que  nous  envoyons  h  L.ndres  l'ultimatum 
ci-joint.  Quelque  désavantageux  qu'il  soit  à  la  France, 
l'Angleterre  rie  l'acceptera  pas;  cependant,  comme  le 
Roi  est  dans  l'intention  de  publier  toute  la  suite  de  la 
négociation  au  moment  de  la  rupture,  nous  avons  cru 
ne  pouvoir  trop  montrer  le  désir  évident  de  S.  M.  pour 
la  paix.  Vous  voudrez  bien  confier  à  M.  le  comte  de 
Kaunitz  les  instructions  du  Roi  sur  ce  sujet.   » 

DaiiS  les  communications  envoyées  à  Kaunitz  par  l'en- 
tremise de  Du  Chatelet,  aucune  mention  n'avait  été  faite 
du  projet  de  tiailéavec  la  cour  de  Madrid;  à  ce  sujet,  si 
nous  devons  en  croire  Starhemberg,  le  secret  aurait  été 
admirablement  gardé  :•  «  Le  duc  de  Choiseul  m'a  de- 
mandé, écrit-il  le  5  août  (l),  si  j'avais  quelque  connais- 
sance du  désir  de  la  cour  espagnole  de  constituer  une 
grande  alliance  avec  nous  aussi  bien  <[u'avec  les  cours 
d'ici,  de  Pologne,  de  Russie  et  de  Suède.  Je  lui  ai  ré- 
pondu que  Wall,  il  y  a  trois  mois  environ,  avait  tait 
quelques  ouvertures  en  son  nom  personnel  au  comte  de 
Rosemberg  (2)  »,  mais  depuis,  il  n'avait  entendu  parler 
de  rien.  Choiseul  se  contenta  d'observer  que  si  l'Espagne 


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(1)  Staihcmberj;  à  Kauaitz,  5  août  17(U.  Arcliives  de  Vienne. 

(2)  Représentant  de  l'Autriche  à  Madrid. 


574 


LA  GUEUUIÎ  1)1';  SEPT  ANS. 


CHAI*.  X. 


devait  prendre  part  au  conflit,  il  faudrait  la  convo- 
quer au  congrès  d'Aus^sbourg-.  Quelques  jours  plus  tard, 
Starhemberg  (1),  qui  avait  été  mis  en  éveil  par  la  conver- 
sation précédente,  interrogea  adroitement  le  ministre 
français  et  apprit  do  lui,  non  sans  surprise,  (jue  si  le  pacte 
de  famille  et  la  convention  militaire  n'étaient  pas  encore 
signés,  les  deux  gouvernements  étaient  d'accord  sur  les 
points  essentiels.  Choiseul  en  fit  le  résumé  et  ajouta  que 
c'était  à  la  requête  de  l'Kspagne  que  le  silence  sur  la  tran- 
saction avait  été  conservé  vis-à-vis  de  l'hnpératrice,  réserve 
d'autant  moins  intelligible  que  les  projets  ne  contenaient 
rien  de  préjudiciel  pour  les  intérêts  de  cette  princesse.  Star- 
hemberg,  peu  satisfait  du  mystère  dont  l'aftaire  avait 
été  entourée  et  du  refus  d'une  comnmnication  immédiate 
des  pièces,  termina  l'entretien  en  rappelant  les  ternies 
des  traités  entre  la  France  et  l'Autriche,  qui  obligeait 
les  parties  à  s'entendre  avant  de  contracter  de  nouvelles 
obligations.  Bien  décidé  à  savoir  le  fond  des  choses, 
il  profita  de  la  première  occasion  (2)  pour  revenir  à  la 
charge.  Cette  fois,  Choiseul  déclara,  à  la  stupéfaction  do 
l'ambassadeur,  que  les  traités  avaient  été  signés  le  malin 
môme,  mais  qu'il  ne  pourrait  lui  faire  connaître  les 
textes  qu'après  le  retour  du  courrier  de  Madrid.  Starhem- 
berg  se  plaignit  amèrement  do  cette  infraction  apportée 
aux  conventions.  Pour  l'apaiser,  Choiseul  se  défendit  de 
son  mieux,  puis,  tout  en  exigeant  le  secret  vis-à-vis  de 
Grimaldi,  lui  lut  le  document  presque  en  entier  et  le  sup- 
plia d'empêcher  sa  cour  de  soulever  un  incident  de  procé- 
dure à  propos  d'un  événement  dont  les  conséquences  ne 
pouvaient  être  qu'avantageuses  pour  la  cause  commune. 
De  cet  ensemble  do  pièces  et  de  faits,  la  conclusion  est 
facile  à  tirer.   Le  29  juillet   au  matin,  Choiseul  croyait 


i 


(1)  Starheiuber}^  à  KaiiniU,  l.">  août  1701.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Slarhenibeig  à  Kaiinilz,  16  août  170t.  Archives  de  Vienne. 


ULTIMATUM  FRANÇAIS. 


67R 


à  la  possibilité  de  la  paix,  puisque  sa  réponse  au  mé- 
moire de  Stai'homberi;  est  aatée  de  ce  jour.  Au  cours 
de  la  journée,  il  reçoit  le  courrier  de  Bussy  et  piend 
connaissance  de  la  note  de  Pitt  (jue  Stanley  lui  apporte 
Dès  le  30,  la  résolution  de  Louis  XV  et  de  sou  ministre  est 
arrêtée  :  l'alliance  avec  l'Espagne,  décidée  en  principe, 
produira  ses  eflets  immédiats  ;  la  guerre  continuera  avec  le 
concours  du  nouvel  allié  ;  la  négociation  avec  l'Angleterre 
ne  sera  poursuivie  que  dans  l'intention  de  gagner  du 
temps  ;  si,  par  impossible,  cette  puissance  accueille  favora- 
blement l'ultimatum  français,  la  paix  ne  sera  conclue  qu'à 
la  condition  d'y  comprendre  les  dill'érends  espagnols  et 
d'en  faire  agréer  les  stipulations  par  l'Impératrice-Reine. 

Malgré  le  peu  de  probabilité  d'une  solution  pacifique, 
certains  diplomates  et  des  mieux  informés,  l'estimaient  en- 
core possible.  C'est  ainsi  que  (irimaldi  étril  (l)àClioiseul  : 
<'  M.  de  Fuentes  juge  et  il  me  parait  avec  assez  de  fonde- 
ment, que  lorsque  le  ministère  anglais  verra  par  les  ré- 
ponses de  Bristol  que  les  sentiments  du  Koi  sont  confoinies 
à  votre  mémoire,  et  fermes  en  môme  temps,  la  cour  bri- 
tannique acceptera  la  paix  sans  délai.  Il  est  convaincu 
et  les  indices  sont  constatés,  que  la  nation  anglaise  crainf 
beaucoup  une  nouvelle  guerre  avec  l'Espagne.  31.  de 
Fuentes  s'explique  dans  ces  propres  termes  dans  sa  dé- 
pêche à  M.  V>'all.  »  Kaunitz  était  du  même  avis;  il  mani- 
festait à  Du  Chatelet  la  peur  que  les  Anglais  ne  consen- 
tissent à  l'ultimatum  fran(,'ais. 

Revenons  à  la  stérile  besogne  qui  se  traitait  à  Lon- 
dres. Comme  réplique  au  billet  que  Pitt  avait  adressé 
à  Bussy  en  lui  renvoyant  ses  mémoires,  Choiseul  prépara 
un  brouillon  qu'il  expédia  à  Londres  avec  le  nouvel  ulti- 
matum de  la  France  :  «  Voici  les  intentions  du  Roi,  lui 
mande-t-il  (2),  si  vous  êtes  dans  le  cas  de  négocier;  si  au 

(1)  Grimaldi  à  Clioiseiil,  r.  août  1761.  Aflfaiit's  Kliangt-res. 

('2)  Choiseul  à  Bussj,"5  aoùl    1701.  Affaires  KIraiigères.  Les  détails  Ue 


11 
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LA  GUEIIRK  DI-:  SI  PT  ANS.    -  ClIAP.  X. 


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II 


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contmii'*'  M.  Pilt  no  vous  répfJiid  pas,  vous  ne  cherche- 
rez pas  jW»l)tc  ni  ru  ru;  réponse  ;  eta[)rès  huit  jours  d'attente, 
vous  me  dépôciierez  un  courrier  pour  recevoir  les  der- 
niers ordres  de  S.  M.  Si  le  Secrétaire  d'Ktat  anglais  vous 
disait  ou  vous  faisait  dire  (|ue  nos  pro[)ositionssont  inad- 
missililes,  vous  lui  répondriez  ({u'elles  vous  paraissent  jus- 
tes, et  luènic  faibles  ;  mais  que  ce  (pi'il  y  a  de  certain,  c'rst 
qu'elles  ne  changeront  pas,  et  vous  chercherez  le  moyen 
de  voir  chacpie  minisire  d'Ktat  à  Londres,  de  leur  expli- 
quer la  solidité  de  nos  raisons,  l'immensité  de  nos  sacri- 
fices et  les  pertes  que  les  deux  couronnes  feront  par  la 
continuation  de  la  i^uerre.  Si  après  avoir  fait  ces  démar- 
cIh's,  vous  jugez  qu'il  n'est  [)as  possihie  de  dompter 
M.  Pitt,  vous  lui  demandei'ez  un  passeport  pour  revenir  en 
France  et  vous  partirez  sur-le-champ.  »  Choiseul  se  félicite 
de  la  démarche  de  Fuentes  qui,  de  son  côté,  avait  présenté 
son  exemplaire  du  mémoire  avec  un  insuccès  égal  à  celui 
de  son  collègue  français  et  conclut  :  «  Vous  lui  coniierez 
notre  ultimatum  ;  je  vous  adresse  celui  de  l'Angleterre 
que  M,  Stanley  m'a  remis,  dont  le  nôtre  est  la  réponse. 
La  matière  est  actuellement  si  fort  entendue  des  deux 
cours  (ju'elle  ne  demande  plus  qu'un  oui  ou  un  non,  et  je 
vous  avoue  que  je  serais  fort  embarrassé  de  décide, 
lequel  des  deux  est  le  plus  désirable  pour  la  France,  en 
même  temps  que  j'aurais  bien  mauvaise  opinion  de  la  po- 
litique du  ministère  britannique  si  elle  refuse  la  paix  dans 
ce  moment-ci  à  des  conditions  si  avantageuses  pour  l'An- 
gleterre. Mais  comme  il  faut  prévoir  les  événements  les 
plus  apparents,  si  M.  Pitt  acceptait  nos  conditions,  il  ne 
faudrait  pas  se  départir  de  la  confiance  que  le  Roi  a 
promise  à  l'Espagne,  et  de  l'union  convenue  d'ajuster  les 
dilférends  de  cette  couronne  en  même  temps  que  les  nô- 


riilliiiiaUim  franrais  sont  exposôs  à  pro|)os  de  la  discussion  à  laquelle   ils 
donnèreiil  lieu  de  la  part  du  cabinet  anglais. 


KCHANGE  DK  LKTTRES  KNTIIE  PUT  ET  BUSSY. 


577 


très.  Vous  vous  concerteriez  alors  sur  cet  objet  avec  M.  le 
comte  de  Fuentes,  et  ti\ciierioz  de  gagner  du  temps,  ce 
qui  sprait  aisé  avant  la  signature  définitive  jusqu'à  ce 
(|ue  vdus  eussiez  nouvelle  de  votre  cour,  et  que  nous  con- 
nussions les  intentions  du  roi  Cat'")li(juc,  » 

Quelques  extraits  des  lettres  échangées  entre  Hussy  et  Pitt 
indiqueront  le  degré  de  tension  auquel  on  était  arrivé. 
Comnien(;ons  par  la  réponse  au  billet  de  i'itt  qui  avait 
accompagné  le  renvoi  des  pièces  françaises  :  «  Il  n'y  a, 
écrit  Choiseul  sous  la  signature  de  son  représentant  (1), 
dans  le  mémoire  que  V.  E.  m'a  renvoyé,  ni  ofl're  de  mé- 
diation, ni  menace;  on  ne  peut  en  inférer  d'autre  senti- 
ment que  celui  du  désir  sincère  qu'avait  S,  M.  (jue  la  paix 
projetée  entre  la  France  et  l'Angleterre  pût  être  aussi  so- 
lide <{ue  durable.  Au  surplus,  le  Koi  s'en  rapporte  au  roi 
Catholique  sur  la  forme  dans  laquelle  ce  mémoire  a  été 
reçu  et  renvoyé;  mais  S.  M.  m'a  chargé  de  déclarer  X 
V.  E.  que  tant  que  l'Espagne  l'approuvera,  le  ftoi  se  mê- 
lera des  intérêts  de  cette  couronne,  sans  s'arrêter  aux 
refus  de  la  puissance  qui  s'y  opposerait. 

«  Pour  ce  ([ui  est  de  la  note  renvoyée  de  même  par 
V.  E.  et  qui  regarde  les  deux  conditions  nécessaires  à 
l'arrangement  prop'^sé  de  l'évacuation  des  pays  conquis 
par  les  armes  de  S.  M.,  le  Roi  s'explique  clairement  sur 
cet  article  dans  l'ultimatum  en  réponse  à  celui  de  la  cour 
de  Londres.  S.  M.  m'a  ordonné  de  plus,  Monsieur,  de 
déclarer  par  écrit  à  V.  E.  qu'elle  sacrifierait  la  puissance 
f[ue  Dieu  lui  a  donnée,  plutôt  que  de  rien  arrêter  avec  ses 
ennemis  qui  puisse  être  contraire  aux  engagements  qu'elle 
a  contractés  et  à  la  fidélité  dont  elle  se  fait  gloire.  »  Quant 
au  ton  des  communications  et  des  notes  émanant  du 
cabinet  anglais,  «  il  me  reste.  Monsieur,  à  marquer 
à  V.  E.  la  surprise  de  ma  cour  sur  la  forme  tant  de  la 


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(1}  Bussy  à  put,  10  août  1761.  Record  Oflice.  Le  texte  était  de  Choiseul. 

CUEIUIE    DE   SEPT  ANS.   —   T.  IV.  37 


I 


r.78 


LA  OUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  X. 


Irttrc  (|u'olle  m'a  ('-critr  ({iic  de  rulliinaluin  de  l'An- 
gleterre. Celte  forme  si  peu  correspondnnfc  aux  propo- 
sitions de  la  France  «lévoile  l'opposition  de  la  cour  de 
Londres  à  la  paix.  Le  Uoi,  (pii  est  bien  éloigné  de  s'ar- 
léter  aux  formes  quand  il  est  question  du  bonheur  de 
l'Europe,  a  cherché  dans  la  réponse  de  i'idtiiuatum  tous 
les  moyens  cpii,  sans  mnncjuer  à  l'honneur  de  sa  cou- 
ronne, ont  été  jugés  possibles  pour  ramener  la  cour  bri- 
tanni({ue  à  îles  sentiments  paci(i(iues.  V.  K.  jugera  par 
rultimatum  de  la  France  que  j'ai  ordre  de  lui  adresseï-, 
avec  (juelle  facilité,  en  oubliant  le  ton  impératif  et  peu 
fait  pour  la  négociation  dont  l'Angleterre  sr  sert  dans  s(îs 
réponses,  le  Roi  se  prête  aux  vues  de  la  cour  britannique 
et  cberclu'  par  des  sacritices  à  lui  faire  adopter  les  stipu- 
lations d'une  paix  raisonnable  ».  Le  billet  se  terminait 
par  rolfre  d'une  conférence  verbale. 

La  réplique  de  Pitt  (1)  est  tout  aussi  raide  mais  beau- 
coup moins  bien  tournée'.  «  J'ai  rendu  compte  au  Uoi 
de  la  battre  dont  vous  avez  accompagné,  par  ordre  de 
S.  M.  Très  Chrétienne,  l'ultimatum  de;  la  cour  de  France. 
S.  M.  a  vu  par  ces  deux  pièces,  avec  le  regret  que  l'a- 
mour de  la  paix  lui  inspire,  que  l'heureux  moment 
de  mettre  fin  à  tant  de  maux  parait  n'être  pas  encore 
venu. 

((  Pour  ce  qui  regarde  la  forme  de  l'ultimatum  de  l'An- 
gleterre, ...  ainsi  que  celle  de  la  letti-e  que  je  vous  ai 
adressée  par  ordre  du  Roi,  ...  le  Roi  m'ordonne  de  vous 
dire,  Monsieur,  que  S.  M.  s'en  tient  tant  à  la  forme  qu'à  la 
substance  de  ces  deux  pièces,  où  sa  dignité  a  conspiié 
avec  sa  justice  et  sa  bonne  foi,  laissant  à  toute  la  terre  A 
juger  laquelle  des  deux  cours  a  dévoilé  son  opposition 
à  la  .aix  dans  le  cours  de  la  négociation.  »  Suit  une  com- 
paraison   des    agissements    des    deux    gouvernements, 


(1)  PiU  à  nussy,  15  août  1761.  Record  Oflice. 


I/ULTIMATISSIMlJM. 


S79 


tout  h  i'avanlai;",  cela  va  sans  diro,  de  lu  (irandc-Hio- 
tagne.  Le  porte-parole  de  cette  puissauci;  se  jilaint 
des  lenteurs,  des  variations  de  la  France  ((  (|ni,  de  plus, 
non  contente  de  mettre  tant  d'ojjstacles  invincibles  à  la 
paix,  n'a  pas  répuyné  d'interposer  de  nouvelles  entraves 
ù  un  bien  si  précieux  pour  lequel  les  nations  soupirent, 
en  y  mêlant,  a[)rès  coup,  des  choses  aussi  étrangères  A  la 
présente  négociation  des  deux  couronnes  ([ne  le  sont  les 
discussions  entre  la  Grande-llreta.une  et  l'Kspagne,  »  Le 
ministre  anglais  accepte  cependant  de  nouvelles  confé- 
rences à  la  condition  qu'elles  [»ortei'ont  ((  sur  les  deux 
ultimatums  de  nos  cours  à  la  lois  ». 

Malgré  l'acerhité  des  dcmx  écrivains,  leurs  entrevues  se 
passèrent  avec  beaucoup  de  courtoisie  (1  )  de  part  et  d'autre . 
On  commença  par  les  réclamations  espagnoles  :  Pitt  recon- 
nut que  «  nous  nous  étions  écrit  des  choses  qui  n'étaient  ])as 
fort  douces  ;  ((u'à  la  vérité,  vous  aviez  menacé  l'Angleterre 
très  habilement  et  très  honnêtement  de  continuer  la  guerre 
si  la  cour  britannique  ne  satisfaisait  pas  celle  de  Madrid  sur 
ses  demandes  ;  ((u'iln'y  avait  que  MM.  les  Français  capables 
de  blesser  poliment;  ([ue  cependant,  s'il  lui  avait  été 
permis  de  s'expliquer  en  anglais,  il  aurait  tiVché  d'imiter 
votre  style  ;  mais  qu'il  ne  savait  pas  assez  bien  le  français 
pour  y  mettre  des  tours  élégants  ».  Bussy  de  répondre  : 
«  que  ma  propre  expérience  m'empêchait  d'être  de  son 
sentiment;  que  je  pouvais  assurer  qu'il  parlait  très  bien 
français;  que  les  termes  choisis  venaient  se  placer  sur 
sa  langue  à  son  commandement,  et  ([u'il  avait  tellement 
accoutumé  ses  expressions  à  respecter  sa  pensée  que, 
dans  les  alfaires  les  plus  désagréables  à  traiter,  il  ne  lui 
échappait,  quand  il  le  voulait,  aucun  terme  qui  pût  bles- 
ser la  délicatesse  de  personne.  Il  reprit  qu'il  serait  fort 
heureux  de  mériter  un  pareil   éloge  ;  que  pour  revenir 

(1)  Buâsy  à  Choiseul,  18,  25  et  30  août  1701.  Affaires  Étrangères. 


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r)«3 


LA  r.UKHRE  DE  SEPT  ANS.  —  Cil AP.  X. 


à  son  discours,  jamais  i'Aiif^'lcIeri'C  irndiucltrail  rciittc- 
mise  de  son  ennemi  dans  ses  allaires  personnelles  avec 
la  coui'  d'Ks|)a,i;iie  ).  A  un  moment,  on  plaisanln  snr 
l'expnîssion  nilimatum  qui  r(;venait  si  soiiveni  dans  l«' 
déliât  :  «  Ali!  M.  de  lUissy,  s  écria  Pitl  en  lianl,  ne  nous 
sei'vons  plus  de  ce  teisne-là,  je  vous  en  prie;  je  l'ai  rayé 
de  mon  dictionnaii'e  puisqu'il  est  sujet  h  tant  de  varia- 
tions, il  faut  en  employer  d'autres,  —  C'est  le  sort  de 
tous  les  ultimatums  du  monde,  répliquai-jc.  —  Ou  m'a 
assuré,  dit  I*itt,  (pj'il  y  a  en  Allemagne  des  ultimatissi- 
mum.  —  Cela  est  vrai,  re[»ris-je,  et  même  (|ui  ne  se  termi- 
nent pas  là,  parce  ([u'ou  les  termine  par  la  l'oi'mule 
protestando  cl  ulteriora  ri'sorvando  ;  «;l  jusqu'A  ce  que 
l'on  ait  signé  des  [iréliminaiies  ou  autre  acte,  ii  est  tou- 
jours pcimis  de  changer.  —  Je  me  confirme  donc,  répli- 
qua-t-il,  dans  le  dessein  de  ne  plus  me  servir  du  mot 
ultimatum,  et  ce  sera  sous  le  titre  de  réponse  que  nous 
ferons  savoir  nos  dernières  intentions  à  votre  cour.  » 

Au  récit  de  sa  conversation  avec  Pitt  qui  avait  eu 
lieu  le  20  août,  l'envoyé  français  ajoute  un  nouvel 
exposé  de  la  situation  intérieure  de  l'Angleterre  et  un 
portrait  du  graad  ministre  :  «  M.  Pitt  joint  à  la  i-éputation 
de  la  supériorité  d'esprit  et  de  talents  celle  de  la  [irobité 
la  plus  exacte  et  du  plus  singulier  désintéressement,  et 
il  en  a  donné  des  preuves  non  équivoques  dans  toutes  les 
places  qu'il  a  occupées.  Il  n'est  pas  riche  et  ne  se  donne 
aucun  mouvement  pour  l'être.  Simple  dans  ses  mœurs  rï 
dans  sa  représentation,  il  ne  cherche  ni  le  faste  ni  l'os- 
tentation. Il  ne  fait  sa  cour  ni  ne  la  reçoit  de  personne, 
(irands  et  petits,  si  l'on  n'a  point  à  l'entretenir  d'affaires, 
on  n'est  point  admis  à  le  voir  chez  lui.  Il  est  très  éloquent, 
il  a  de  la  suite  et  de  la  méthode,  mais  captieux,  entortillé 
et  possédant  toute  la  chicane  d'un  habile  procureur.  Il  est 
courageux  jusqu'à  la  témérité  ;  il  soutient  ses  idées  avec 
feu  et  avec  une  opiniâtreté  invincible,  voulant  subjuguer 


.';*«ïMtt:p"Ta^; 


POIITRAIT  l)i:  PUT  l'Ail  mssY. 


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tuiit  le  inoiule  par  la  tyrannie  de  ses  opinions.  M.  Pilt 
I  parait  n'avoir  crautrc  anihilion  (|nc  d'élever  sa  nation  au 
^  plus  haut  point  «le  la  gloire  et  «l'abaisser  la  l''ifnu(!  un 
plus  lias  dcf^fé  de  l'Iiunuliation.  Voilà  les  fondements  d«î 
ridoliVti'ie  du  peuple  pour  lui.  Dans  le  lonseil,  il  a  peu 
«l'omis;  mais  il  ne  s'y  ti-ouve  personne  ni  assez  f«)rt  ni 
assez  hardi  i)Our  entrc[)r<'udre  de  le  déplacer,  et  il  n'est 
possible  de  le  renverser  «[ue  par  l«>s  revers  «[ue  la  nation 
pouirait  éprouver  par  la  continuation  de  la  ;^uerre  avec 
la  Franc<^  et  radditi(»rï  d'une  nouvelle  g-uerre  avec  l'Ks- 
pagne,  «'ausées  par  ro[)iniAtret«''  de  c«'  Ministre  i\  rcfuseï 
des  conditions  raisonnables  il  la  France.  Pour  développer- 
un  p<'U  plus  le  système  de  M.  I*i(t,  Je  «lirai  qu'il  parait 
consister  à  vous  force?  à  faire  avec  l'Anf^lcterre,  non  une 
paix  solide  et  durable,  mais  une  trêve  nuil  assurée,  qui 
nous  empêche  de  réparer  nos  pertes  et  de  remonter 
notre  marine  à  aucun  degré  qui  puisse  causer  le  moindre 
ombrag<^  à  l'Angleterre.  » 

L'ultimatum  qu«i  Uussy  venait  de  transmettre  fut  l'objet, 
delapartdes  conseillers  intinu'S  de  S.  M.  Hritanni(|ue,  de 
longues  discussions  dont  la  conclusion  se  traduisit  par  une 
pièce  intitulée  :  «  Képouse  de  la  cour  liritannique  A 
l'ultimatum  de  la  cour  de  France  remis  1«;  10  d'août  i)ar 
M.  de  liussy.  »  La  comparaison  sommaire  «les  deux  docu- 
ments permettra  «le  saisir  les  points  de  dissentiment  entre 
les  gouvernements  rivaux. 

Sur  le  principe  de  la  cession  du  Canada,  du  Cap  Breton 
et  des  lies  du  golfe  Saint-Laurent  l'accord  était  complet, 
mais  l'Angleterre  repoussait  le  projet  IraïK'aisde  limitation 
entre  la  province  conquise  et  la  Louisiane,  réclamait 
les  grands  lacs  comme  dép«mdant  du  Cann«Ia,  et  traçait 
la  frontière  d'après  les  couis  des  rivières  Wabash,  Ohio 
et  Mississipi.  Pour  justifier  leur  prétention,  les  Anglais 
s'appuyaient  sur  une  carte  remise  à  Amherst,  par  le  gou- 
verneur   Vaudreuil,    quelf{ues    jours    après   la  capitu- 


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682 


LA  GUEUUE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI-.  X. 


lation  de  Montréal  (1).  La  profession  pul)li(|uc  et  l'exercico 
de  la  religion  catholique  ainsi  que  la  liberté  d'éniigration 
demandés  par  la  cour  de  Versailles  étaient  acceptés,  mais 
le  délai  pour  la  sortie  des  émigrants  était  réduit  ,'n 
18  mois  à  un  an. 

En  ce  qui  concerne  le  droit  de  péch  %  la  cour  de 
Londres  faisait  observer  ([u'ellc  n'avait  jamais  refucé  le 
rétablissement  du  privilège  dont  la  France  jouissait  en 
vertu  de  l'art.  13  du  traité  d'Utrccht,  mais  qu'elle  l'avait 
rattaché  à  la  démolition  des  fortifications  de  Dun- 
kerque;  «  c'est  donc  à  condition  que  la  ville  et  le  port 
de  Dunkerque  soient  remis  aux  termes  où  ils  devaient 
l'être  par  le  dernier  traité  d'Aix-la-Chapelle  que  S.  M. 
consentira  à  renouveler  à  la  France,  par  le  futur  traité  de 
paix,  le  privilège  de  pécher  et  de  sécher  en  vertu  du  traité 
d'[Itrecht  ?ur  le  dit  district  do  Terre-Neuve  ».  En  outre, 
on  admettait  les  pêcheurs  franc^ais  dans  le  golfe  Saint- 
Laurent,  mais  non  sur  les  côtes  api)artenant  à  l'Angleterre, 
à  l'exception,  bien  entendu,  de  la  partie  de  Terre-Neuve 
(jui  leur  était  réservée.  Pour  servir  de  port  d'abri,  S.  M. 
Britannique  accordait  l'ile  de  Saint-Pierre  à  la  condition 
expresse  que  la  France  n'y  élèverait  aucune  fortification 
et  n  y  entretiendrait  aucune  garnison,  qu'elle  en  exclu- 
rait toute  autre  nationalité  que  la  sienne,  qu'un  commis- 
saire anglais  résiderait  dans  l'ile  et  que  le  comman- 
dant de  l'escadre  britannique  de  Terre-Neuve  pourrait 
((  visiter  de  temps  en  temps  ladite  ile  et  ledit  port  de 
Saint-Pierre  ».  La  cession  de  Saiut-Pierre  avait  été  votée 
par  le  conseil  malgré  l'opposition  de  Pitt;  elle  répondait 
en  grande  mesure  aux  desiderata  de  l'ultimatum  français 
qui  visaient  «  l'ile  du  Cap  Breton,  ou  celh^  de  Saint-Jean, 
ou   tel  autre  i)ort  sans  fortification  dans  le   golfe  ou  h 


{\]  Vaudreuil   protesta  conlre  celte   assertion.   Vaudreiiil  à  Choisoul,  10 
octobre  l/tîl.  Annual  Kegister,  l'Hit.  Slate  papen. 


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DERNIER  ULTIMATUM  ANGLAIS. 


583 


portée  uu  golfe,  qui  puisse  servir  d'abri  aux  Français  et 
conserver  à  la  France  la  liberté  de  la  pêciic  dont  S.  M. 
n'a  pas  l'intention  de  se  départir  ».  En  outre,  la  cour 
de  Versailles  avait  olï'ert  «  de  négocier  sur  l'état  de  Dun- 
kerque  lorsque  l'on  sera  convenu  du  port  dans  le  golfo 
Saint-Laurent  ou  à  portée  du  golfe  ».  L'entente  pouvait 
donc  être  considérée  comme  acquise  sur  ce  point  ca- 
l)ital. 

Il  en  était  de  môme  du  Sénégal  et  de  Corée,  dont  l'aban- 
don avait  été  consenti  par  Cbciseul,  sauf  à  se  mettre  d'ac- 
cord sur  l'attribution  à  la  France  d'un  comptoir  sur  la  cAte 
occidentale  d'Afrique  pour  faciliter  la  traite  des  nègres. 
La  réponse  contenait  une  phrase  signifiant  l'acquiesce- 
ment du  cabinet  britannique  à  la  prise  en  considération 
de  cette  demande. 

D'après  le  premier  ultimatuj'»  anglais,  Belleisle  devait 
être  écliangée  contre  Minorque;  la  cour  de  France  avait 
repoussé  cotte  clause  et  avait  maintenu  à  chaque  couronne 
sa  conquête;  par  contre,  elle  avait  offeit  l'évacuation  de 
l'Allemagne  contre  la  restitution  de  la  Guadeloupe  et  do 
Marie-Galante.  La  dernière  note  de  Londres  réunissait  les 
compensations  territoriales  dans  un  seul  article  qui  sti- 
pulait, la  restitution  de  Belleisle  et  des  Antilles  d'une 
part,  de  Minorque  de  Tautro. 

Sur  la  question  des  conquêtes  françaises  en  Allemagne, 
le  désaccord  restait  grave.  Choiseul,  on  se  le  rappelle, 
avait  été  obligé  de  revenir  sur  la  concession  trop  légè- 
rement accordée  dans  la  note  qu'il  avait  dictée  à  Stanley. 
Aussi  le  7°  crticledc  l'ultimatum  français  du  10  août 
excluait-il  des  territoires  à  évacuer  «  Wesel,  Gueldrcs  et 
autres  pays  en  Wesfphalie  appartenant  au  roi  de  Prusse 
qui  sont  actuellement  possédés  par  l'impératrice  et  où  la 
justice  se  rend  au  nom  de  S.  M.  Imp.  Le  Roi  ne  peut  pas, 
avec  toutes  les  apparences  de  la  logique,  stipuler  qu'il 
cédera  les  conquêtes  de  son  alliée   et  pareille  évacua- 


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r)84 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  X. 


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tiou  de  droit  ni  de  fait  ne  peut  avoir  lieu  que  du  consen- 
tement de  l'Impératrice-Ueine  au  congrès  d'Augsbourg  ». 

Dans  ses  conversations  avec  l'envoyé  de  la  cour  de 
Versailles,  Pitt  avait  essayé  de  réfuter  le  raisonnement 
français;  dans  la  réponse  écrite,  il  se  borna  à  maintenir 
la  condition  primitivement  posée  de  i  évacuation  com- 
plète. 

La  même  divergence  se  retrouve  à  propos  de  l'exécution 
des  engagements  pris  par  les  puissances  contractantes 
vis-à-vis  de  leurs  alliés  respectifs.  Choiseul  avait  formulé 
une  solution  qui  lui  paraissait  équitable  :  u  Le  Roi,  du 
consentement  de  ses  alliés,  veut  bien  stipuler  (ju'il  ne 
fournira  aucun  secours  dans  aucun  genre  à  ses  alliés, 
pour  la  continuation  de  leur  guerre  contre  le  roi  de  Prusse  ; 
mais  S.  M.  ne  peut  ni  ne  veut  prendre  cet  engagement 
qu'autant  que  S.  M.  Britannique  en  prendra  un  pareil 
relativement  au  roi  de  Prusse.  Tout  ce  qui  pourrait  être 
négocié  sur  ces  points  serait  la  liberté  de  fournir  des 
secours  en  argent  aux  alliés  réciproques.  »  La  réponse 
du  cabinet  de  Saint-James  revendiquait  le  droit  de  «  se- 
courir son  allié  le  roi  de  Prusse  avec  efficace  et  bonne  foi  », 
rappelait  que  les  subsides  devaient  être  limités  aux  arran- 
gements déjà  en  vigueur  et  ajoutait  «  que  S.  M.  n'a  ni 
l'intention,  ni  la  faculté  de  se  cbarger  d'interdire  et 
d'inhiber  à  aucunes  troup  is  d'entrer  au  service  et  à  la 
solde  du  roi  de  Prusse,  quelque  disposée  que  S.  M.  pour- 
rait être  cl  consentir  de  ne  fournir  (j[u'en  subsides  seule- 
ment les  secours,  que  la  Grande-Bretagne  jugera  conve- 
nable, conformément  à  ses  engagements,  d'accorder  à 
S.  M.  Prussienne  ».  C'était  dire  qu'on  n'entendait  pas  en- 
voyer directement  des  troupes  au  roi  de  Prusse,  mais 
qu'on  n'empêcherait  pas  les  princes  alleniandr-  de  mettre 
leurs  contingents  à  la  solde  prussienne. 

Au  fond,  le  cabinet  de  Londres  désirait,  tout  autant 
que  celui  de  Versailles,  restreindre  à  un  concours  financier 


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PROTESTATIONS  DE  FREDERIC. 


586 


l'aide  qu'il  prêterait  à  la  Prusse,  mais  l'insertion  d'une 
clause  à  cet  efl'et  dans  lo  traité  lui  eût  attiré  les  foudres  d'un 
allié  dont  oïi  connaissait  la  suceptihilité  et  qui  venait 
d'en  donner  une  preuve  récente.  Pitt,  mécontent  des  résul- 
tats de  la  guerre  d'Allemagne  qui  traînait  en  longueur, 
tout  en  coûtant  fort  cher,  était  beaucoup  moins  enclin  que 
jadis  à  se  plier  aux  exigences  de  Frédéric;  il  avait  eu  même 
la  malencontreuse  idée  de  sonder  les  ministres  prussiens  à 
Londres  sur  les  sacrifices  aux(|uels  leur  monarque  pourrait 
se  résigner  dans  l'intérêt  de  la  paix.  On  peut  se  figurer  la 
fureur  du  Roi  :  «  Vous  direz  (1)  au  sieur  Pitt  que  je  ne  me 
serais  jamais  imaginé  qu'il  aurait  voulu  vous  tenir  un 
pareil  discours...  que  si  je  désirais  la  paix,  il  était  tout  à 
fait  naturel  que  je  la  désirasse,  que  tout  l)on  citoyen  devait 
la  désirer...  mais  que  je  la  désirais  lionne  et  honorable  et 
non  pas  flétrissante  ou  humiliante  et  quoique  j'avais  été 
dans  bien  des  occasions  malheureux,  je  ne  manquerai 
pas  de  m'exposer  au  plus  grand  hasard  et  à  la  plus 
grande  vicissitude  de  la  fortune,  avant  de  commettre  une 
action  dont  j'aurai  honte  à  penser.  »  Quelques  jours  plus 
tard,  i!  écrit  une  lettre  personnelle  (2)  à  Pitt  :  «  Le  roi 
d'Angleterre  n'a  qu'à  choisir,  il  en  est  le  maitre;  deux 
partis  se  présentent  à  lui  :  l'un,  que  dans  la  négociation 
de  la  paix,  il  ne  pense  qu'aux  intérêts  de  l'Angleterre 
et  oublie  ceux  de  ses  alliés,  l'autre,  qu'en  consultant 
ses  engagements,  sa  bonne  foi,  et  sa  gloire,  il  joigne, 
aux  soins  qu'il  prendra  d3s  intérêts  do  sa  nation,  celui  de 
pourvoir  au  bien  de  ses  alliés.  S'il  prend  le  premier,  je 
ne  me  ressouviendrai  pas  moins  avec  reconnaissance  que 
la  nation  anglaise  m'a  généreusement  assisté  pendant 
cette  guerre,  quoiqu'il  ino  sera  douloureux  de  penser  que 
j'ai  fait  des  acquisitions  étant  l'allié  de  la  France  et  que 

(1)  Frédéric  à  Knypliausen  cl  Michel,  Kunzentloif,  'l.i  juin   17CI.  Corr. 

Poi.,  XX,  m. 

(2)  F'rédéric  à  PiU,  Kunzendorf,  3  juillet  ITGl.  Corr.  l'ol.,  XX,  507. 


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586 


Lk  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  X. 


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l'étant  de  l'Angleterre,  j'ai  été  dépouillé  par  mes  enne- 
mis. Si  le  Roi  prend  le  second  parti,  j'ajouterai,  aux  obli- 
gations que  je  lui  dois,  une  vive  reconnaissance  de  sa  re- 
ligion et  de  sa  bonne  foi  à  remplir  ses  engagements  et 
de  sa  persévérance  à  soutenir  ses  fidèles  alliés.  »  Il  est  à 
peine  besoin  de  dire  que  le  cabinet  de  Londres  avait 
répondu  à  cet  appel,  dont  on  ne  saurait  nier  l'habile 
fierté,  par  les  assurances  les  plus  formelles. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  sur  les  autres  articles 
de  la  réplique  anglaise.  Les  deux  puissances  étaient 
d'accord  pour  renvoyer  à  la  décision  des  Compagnies  la 
délimitation  de  leurs  possessions  aux  Indes  Orientales. 
Quant  aux  prises  faites  avant  la  déclaration  de  guerre, 
l'Angleterre  s'en  tenait  k  son  refus  de  toute  restitution 
et  de  toute  indemnité.  Elle  prenait  acte  de  la  déclaration 
de  la  France  relative  à  l'évacuation  des  places  d'Os- 
tende  et  de  Nieuport. 

La  lettre  de  Pitt  (1)  à  Stanley,  qui  accompagnait  le  rc- 
sumé  de  la  cour  de  Londres  et  lui  servait  de  commen- 
taire, était  rédigée  dans  le  style  habituel  de  cet  homme 
d'État  :  il  y  était  question  «  des  fortes  concessions  de 
l'Angleterre  »,  des  «  soupçons  trop  justifiés  sur  la  bonne 
foi  de  fa  France  ».  Pitt  récapitulait  avec  un  soin  jaloux 
les  van  t ions  de  Clioiseul,  citait  les  paroles  échappées 
à  ce  ministre  dans  les  entretiens  avec  Stanley  et  s'en 
emparait  pour  appuyer  sa  thèse  ;  oubliant  les  menaces 
dont  sa  propre  correspondance  était  farcie,  il  rappelait 
celles  de  son  adversaire  et  traitait  «  d'effronterie  sans 
pareille  »  le  projet  de  tracé  des  frontières  de  la  Loui- 
siane et  du  Canada.  «  Après  une  telle  série  d'agisse- 
ments, écrit-il,  je  ne  vous  cacherai  pas  que  nous  n'atten- 
dons d'autre  résultat  de  nos  offres  quelque  importantes 
et  essentielles   qu'elles  soient,  relatives  à  la  faculté  de 


(1)  Pitt  à  Stanley,  27  août  1701.  Record  Office. 


STANLEY  SUR  LA  SITUATION  DE  CIIOISEUL. 


587 


pêche  dans  le  golfe  et  du  port  d'abri,  que  de  mettre 
la  France  dans  son  tort  au  cas  où  elle  repousserait  des 
conditions  de  paix  aussi  favorables,  .l'emploie  le  mot  re- 
pousser, car  nou  ne  laisserons  plus  à  la  Franco  le  pou- 
voir d'équivoqucr.  S.  M.  est  bien  décidée  aujourd'hui.  » 
Si  la  cour  de  France  n'acceptait  pas  les  principaux  points 
de  l'ultimatum  anglais  :  la  cession  pleine  et  entière 
du  Canada  et  des  ilcs  du  golfe,  l'arrangement  pour  la 
pêche  et  le  port  d'abri,  la  limitation  de  la  Louisiane,  la 
restitution  sans  exception  des  conquêtes  françaises  en 
Allemagns  et  la  clause  relative  aux  secours  à  fournir 
aux  alliés  après  la  paix,  Stanley,  sans  attendre  de  nou- 
velles indications,  avait  ordre  de  rentrer  sans  prendre 
congé.  «  Dès  votre  première  conférence,  lui  mandait 
Pitt,  vous  ferez  compi'endre  au  duc  de  Choiseul  que  ce 
dernier  ordre  fait  partie  de  vos  instructions,  mais  vous 
vous  y  prendrez  d'une  façon  assez  détournée  et  assez 
indirecte,  pour  ne  pas  entraver  par  le  moindre  signe  do 
menace,  la  complète  réussite  de  notre  suprême  tentative,  » 
Pendant  que  la  discussion  suivait  son  cours  à  Lorlres, 
Stanley  remplit  (1)  sa  correspondance  avec  Pitt  de  détails 
sur  les  affaires  intérieures  de  la  France,  sur  les  difficultés 
que  Choiseul  avait  à  surmonter,  sur  l'influence  grandis- 
sante des  ambassadeurs  d'Autriche  et  d'Espagne  opposés 
tous  les  deux  au  rapprochement  avec  l'Angleterre,  sur 
l'appui  qu'ils  rencontraient  auprès  de  la  Pompadour,  enfin 
sur  les  démêlés  de  cette  dernière  avec  Choiseul  à  propos 
du  conflit  entre  Broglie  et  Soubisc.  Stanley,  qui  savait  la 
marquise  dévouée  à  la  cause  autrichienne  et  en  rapports 
suivis  avec  Starhemberg,  n'avait  pas  cheiclié  à  nouer 
des  relations  avec  elle  et  s'était  borné  à  une  visite  de 
politesse  ;  cette  réserve  lui  avait  été  inspirée  par  les  con- 
seils du  ministre  et  de  sa  sœur.  Comment  se  terminerait 


(1)  Stanley  à  Pitt,  20  et  22  août  1761.  Record  Office. 


r>8S 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  X. 


la  lutte  engagée  entre  celui-ci  et  la  favorite  ?  Si  Choiseul 
succombait,  il  serait  sûrement  remplacé  par  un  partisan 
de  l'Autriche,  adversaire  de  la  paix  avec  la  Grande-Bre- 
tagne. Quant  à  Choiseul,  «  maints  propos  tenus  dans  l'in- 
timité illustraient  ses  véritables  sentiments  au  sujet  de 
l'alliance  avec  l'Impératrice  Reine,  et  démontraient  son 
désir  sincère  de  traiter  avec  la  cour  de  Londres...  Il  est 
certain  que  l'état  précaire  de  nos  négociations  lui  fait 
du  tort;  les  objections  de  Starhemberg  et  de  Grimaldi 
se  trouvent  confirmées  et  leur  crédit  croit  en  proportion 
que  baisse  celui  de  l'initiateur  des  négociations  avec 
l'Angleterre,  c'est-à-dire  le  sien.  Je  suis  donc  amené  h 
me  demander  si  l'introduction  des  affaires  espagnoles  a 
été  un  acte  volontaire  de  la  part  du  duc  de  Choiseul; 
peut-être  a-t-il  été  forcé  par  les  exigences  de  sa  position 
actuelle  à  prendre  un  parti  que,  d'après  moi,  lui  personnel- 
lement n'aurait  pas  pris  avant  votre  lettre  du  20  juin  (1). 
Quand  il  a  vu  diminuer  les  chances  d'une  réconciliation 
avec  l'Angleterre,  il  s'est  peut-être  vu  dans  l'impossibilité 
d'agir  autrement.  Cela  expliquerait  aussi  ses  grandes 
préoccupations  quand  il  .,  abordé  avec  moi  la  question  des 
compensations  et  son  désir  de  garderie  secret  vis-à-vis  des 
ministres,  des  alliés  et  même  vis-à-vis  de  M.  de  Bussy  ». 
Cet  exposé  démontre  l'attachement  de  Stanley  pour  la  per- 
sonne du  duc  et  la  valeur  qu'il  accordait  à  ses  déclarations. 
L'ultimatum  anglais,  dont  nous  avons  donné  l'analyse 
plus  haut,  fut  remis  à  Choiseul  par  Stanley  le  l*"*"  sep- 
tembre. Dès  le  soir,  il  y  eut  une  première  conférence  (2) 
suivie,  le  lendemain,  d'une  seconde  (3)  qui  dura  six  heures 
et  d'une  troisième  qui  se  passa  le  'i-.  Dans  sa  dépêche 
du  G  (4),  l'envoyé  anglais  rend  compte  des  trois  séances 

(1)  Réponse  de  Pitt  aux  conditions  dictées  par  Ciioiseul  à  Stanley. 

(2)  Stanley  à  Pitt,  2  septembre  1761.  Record  Oflice. 

(3)  Ibid.,  4  septembre  1761.  Record  Office. 

(4)  ibid.,  6  septembre  1761.  Record  Office. 


DERNIERS  ENTRETIFNS  DE  STANLEY  AVEC  CHOISEUL.       589 

et  en  fait  le  résumé  :  Sur  cin([  points  essetitiels  dont 
le  rejet  devait  entraîner  la  rupture,  on  était  d'accord  sur 
deux;  sur  celui  du  droit  de  pêche  et  du  port  d'abri,  on 
était  à  la  veille  de  s'entendre.  Restaient  en  suspens  la 
question  de  l'évacuation  complète  des  conquêtes  fran- 
çaises en  Allemagne  et  celle  de  la  faculté,  pour  chaque 
puissance,  de  remplir  après  la  paix  les  engagements 
pris  avec  ses  alliés.  ((  En  conséquence,  conclut  Stanley, 
quoique  je  sois  fermement  persuadé  que  la  paix  ne  se 
fera  pas  dans  l'occurrence  préseute,  il  me  semble  évident 
et  manifeste  que  je  ne  suis  pas  autorisé  lï  rentrer  en  An- 
gleterre jusqu'à  ce  que  vous  me  disiez  quelle  conduite 
je  dois  tenir  au  sujet  des  trois  points  non  encore  tran- 
chés. »  Au  cours  de  la  discussion,  l'envoyé  britannique 
avait  observé  un  changement  appréciable  dans  l'altitude 
de  Choiseul  :  «  Autant  que  je  puis  juger  d'après  des  dé- 
tails infimes,  sa  tenue  et  sa  conduite,  <[u'elles  fassent  na- 
turelles ou  affectées,  indiquaient  plus  d'indifférence  au 
sujet  de  la  paix  qu'il  n'en  avait  montré  dans  les  en- 
trevues précédentes.  » 

Dans  sa  récapitulation,  Stanley  ne  mentionne  pas  les  af- 
faires espagnoles  ;  il  n'y  fait  allusion  que  dans  son  récit  dé- 
taillé des  entretiens  :  «  L'examen  de  la  réponse  à  l'ultima- 
tum français  achevé,  le  duc  do  Choiseul  me  dit  qu'il  persis- 
tait à  revendiquer  le  droit  qui  appartenait  à  la  France  de 
parler  et  d'intervenir  à  propos  des  litiges  qui  pouvaient  exis- 
ter entre  notre  cour  et  celle  de  l'Espagne.  Je  répondis  que 
ma  cour  maintenait  qu'il  n'avait  aucun  droit  de  la  sorte, 
que  toute  tentative  dans  ce  sens  serait  considérée  comme 
une  offense  et  une  insulte  à  l'égard  de  S.  M.  Britannique. 
Si  Choiseul  présentait  un  mémoire  et  faisait  une  dé- 
marche officielle  à  l'appui  de  son  dire,  lui  Stanley  deman- 
derait immédiatement  ses  passeports.  Cette  conversa- 
tion qui  m'a  paru  avoir  été  introduite  uniquement  pour 
prendre  acte  qu'il  (Choiseulj  avait  parlé  de  l'Espagne, 


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LA  GUEIIRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI».  X. 


s'est  tcrminôo  par  ct^  mot  <lo  S.  E.  :  «  nous  avons  assez 
de  disputes  nous  appartenant  en  propre,  sans  abordei- 
celles  des  tiers.  »  Comme  nous  le  verrons  plus  loin, 
Choiseul  donne  à  cet  incident  une  physionomie  dillérente. 

Dans  une  lettre  particulière,  Stanley  fait  part  à  Pitt  de 
ses  découvertes  et  de  ses  préoccupations  à  propos  de  l'ac- 
tion de  l'Fspagne  :  «  J'aurais  vivement  souhaité  que  la 
cession  de  l'Ile  Saint-Pierre,  si  on  l'envisage  comme  de- 
vant être  accordée  aujourd'hui,  eût  été  consentie  plus 
tAt.  L'on  m'a  montré  en  secret  un  article  rédigé  entre  la 
France  et  Y  ipagne,  dans  lequel  la  première  s'engage  à 
soutenir  les  intérêts  de  celle-ci  sur  un  pied  d'égalité  avec 
les  siens  dans  la  négociation  pour  la  paix  avec  l'Angle- 
terre... Je  crois  cette  pièce  très  récente,  car  elle  était  com- 
muniquée à  M.  de  Bussy  dans  une  lettre  datée  du  10  août. 
Il  avait  ordre  de  ne  pas  signer  la  paix  de  suite...  peut- 
être  dans  le  but  de  se  dégager  de  l'Espagne  avec  plus  de 
convenance.  Je  doute  que  cet  article  ait  été  signé  ou  qu'on 
l'iU  absolument  d'accord,  mais  il  lui  était  prescrit  de  ne 
pas  se  mettre  en  contradiction  avec  son  contenu...  J'ai  vu 
quelques  lettres  de  M,  de  Bussy;  il  en  sait  plus  qu'il  ne 
devrait  le  faire...  M.  de  (Ihoiseul  m'a  dit  en  confidence 
que  si  d'autres  points  peuvent  être  arrangés,  il  croit 
qu'il  pourra  se  dégager  de  l'Espagne  et  qu'il  l'essaiera. 
Il  m'a  également  dit  dans  l'intimité  que,  plus  que  n'im- 
porte ([ui  en  Angleterre  ou  en  France,  il  avait  depuis  peu 
de  temps  intérêt  à  terminer  l'alliance  autrichienne.  » 

Des  confidences  de  l'homme  privé,  de  la  sincérité  des- 
quelles nous  n'oserions  pas  nous  porter  garants,  passons 
à  l'exposé  officiel  de  la  politique  suivie  par  le  cabinet  de 
Louis  XV,  tel  que  nous  le  relevons  dans  un  mémoire  de  Choi- 
seul (1),  lu  au  conseil  du  6  septembre  :  «  Il  aurait  été  im- 
prudent de  manquer  l'occasion  de  terminer  la  négociation 


(1)  Mémoire  pour  le  conseil  du  C  septembre  1761.  Affaires  Étrangères. 


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KXPOSÉ  DE  CIlOISEl  L  AU  CONSEIL. 


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crEspaguc,  tandis  que  nous  étions  instruits  de  la  mauvaise 
volonté  personnelle  pour  la  paix   du   minisire    prépon- 
dérant en  An,qlcterre,  (jue  nous  avions  sous  les  yeux  la 
première  réponse  de  l'Angleterre  aux  propositions  avan- 
tageuses  de    la  France,   et  que   nous   ne   pouvions  pas 
ignorer  que  la  cour  de   Londres   était   déterminée  à  la 
continuation  de  la  guerre,  ou  à.  forcer  la  France  à  une 
paix  ignomiuieuse  quant  aux  concessions  et  aux  mancjues 
de  fidélité  exigés  par  rapport  aux  alliés;  paix  d'ailleurs 
qui  n'aurait  point  été  solide,  et  qui,  sans  procurer  aucun 
soulagement  au   royaume,  aurait  anéanti   fout  système 
politique  en  France.  D'un  autre  côté,  il  n'aurait  pas  été 
séant   que  la  cour  de   Madrid  piU  croire  ([ue  nous  ne 
prenions  d'intérêt  à  ses  diflerends  avec  l'Angleterre  que 
lorsque  nous  aurions  été  certains  que  notre  négociation 
avec  l'Angleterre  ne  pouvait  pas  réussir,    et   que  nous 
n'avions  d'autre  parti  à  prendre  que  de  l'engager  dans 
notre  querelle.  Elle  avait  déjà  marqué  quelques  soupçons 
sur  cet  objet,  ce  qui  a  engagé  le  duc  de  Choiseul   de 
proposer  au  Roi  de  l'autoriser  à  signer  le  traité  et   la 
convention  d'Espagne  le   15  du  mois  d'août  dernier,  se 
réservant  l'espérance  que  si  l'Angleterre  en  suivant  la 
raison  ou  par  crainte  de  l'Espagne,  se  prétait  aux  con- 
ditions acceptables  qui  lui  étaient  proposées,  elle  ne  re- 
fuserait pas...  de  terminer  en  même  temps  les  différends 
de  bien  moindre  importance  qu'elle  aurait  avec  l'Espa- 
gne; ou  si  l'Angleterre  s'y  refusait,  l'on  pourrait  conjec- 
turer avec  vraisemblance  que  le  roi  d'Espagne   et  son 
ministère   acquiesceraient  à   notre  paix  particulière    et 
consentii-aient  à  la  nullité  de  l'article  second  de    la  con- 
vention. 

«  D'après  ce  système,  la  négociation  de  l'Espagne  soit 
à  Madrid,  soit  à  Londres,  devait  être  suivie  avec  beaucou[) 
d'art  pour  remplir  deux  objets  essentiels  :  Le  premier 
afin  qu'elle  ne  fût  pas  un  motif  de  rupture  à  la  négo- 


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l-A  CUKRUK  l)K  SEPT  ANS.     -  CHAP.  X. 


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ciation  de  paix  de  lAn^letetTC  avec  la  France;  le  second 
afin  que  si  la  paix  n'avait  pas  lieu,  l'Kspagne  devint  une 
ressource  (\  la  continuation  de  la  guerre. 

<>  Kn  consé(|U('nce,  avant  que  d'entamer  avec  M.  Stanley 
la  disjcussion  sur  les  articles  envoyés  par  sa  cour,  le  duc 
d(^  Clioi.seul  lui  a  déclaré  que  le  Iloi,  persistant  dans  la 
réponse  de  M.  de  Bussy...  se  réservait,  dans  le  cours  de 
la  négociation,  la  faculté  de  traiter  les  intérêts  de  l'Es- 
pagne selon  le  mémoire  remis  h  Londres  par  ledit  M.  de 
Bussy  et  renvoyé  par  M.  l'itt. 

«  M.  de  Stanley  s'échauU'a  beaucoup  sur  cette  déclara- 
tion; toutes  les  fois  qu'il  avança  que  sa  cour  ne  soufl'ri- 
rait  jamais  une  pareille  union  dans  la  négociation,  le 
dac  de  Choiseul  ne  lui  lit  aucune  réponse,  mais  lorsqu'il 
ciit  que  cette  union  avait  été  arrêtée  entre  la  France  et 
l'Espagne  depuis  le  commencement  des  négociations  de 
la  paix  et  que  c'était  une  nouveauté  contraire  à  la  bonne 
foi,  le  duc  de  Choiseul  lui  repartit  en  invoquant  les 
précédents  du  traité  de  garantie  signé  à  Fontainebleau 
en  17V3,  de  l'offre  de  médiation  formulée  par  le  roi 
d'Espagne  dans  sa  lettre  de  Saragosse  en  1759  et  rap- 
pelée lors  des  pourparlers  de  la  Haye  en  1760.  Au  sur- 
plus, il  n'admettrait  pas  l'accusation  de  mauvaise  foi 
imputée  à  la  France,  quand  bien  même  elle  aurait  pris 
quelques  engagements  plus  directs  avec  l'Espagne  depuis 
le  commencement  de  la  négociation  d'Angleterre;  il  se- 
rait étonnant  que  la  cour  de  Londres  osât  mettre  de  la 
délicatesse  dans  les  dates.  »  A  l'accusation  de  Stanley, 
il  opposait  les  agissements  de  l'Angleterre  qui  avait  re- 
tardé sa  réponse  définitive  sur  ïuti  possidetis  jusqu'à  la 
prise  de  Belleisle,  «  ce  qui  mérite  une  imputation  d(^ 
mauvaise  foi  plus  réelle  qu'une  négociation  qui  ne  con- 
courrait qu'à  l'établissement  d'une  paix  générale  et  so- 
lide ». 

«  Le  lendemain,  M.  de  Stanley  commença  la  conférence 


UEIINIKII  MK.MOIUK  DE  LA  COVR  DE  VKHSAILLKS. 


Vi:\ 


en  disant  au  duc  do  Choiseul  (ju'il  était  chargé  do  con- 
férer avec  lui  sur  la  réponse  de  sa  cour,  et  (ju'il  prônait 
ad  référendum  la  déclaration  (juo  le  duc  d(;  Choiseul  lui 
avait  faite,  la  veille,  sur  l'Espagne.  » 

Le  mémoire  conclut  sur  ce  point  on  expli([uant  que  les 
pourparlers  eussent  été  arrêtés  <(  sur  une  réponse  aussi 
peu  satisfaisante  »,  sans  la  crainte  de  voir  mal  interpréter 
le  refus  de  continuer  les  négociations  propres  à  la  France, 
si  on  rompait  «  uniquement  sur  les  alfaires  d'Espagne  ». 
II  est  inutile  d'insister  sur  les  différences  outre  ce  récit 
et  celui  du  diplomate  anglais;  elles  sont  d'ailleurs  de  peu 
d'importance,  puisqu'elles  n'affectent  en  aucune  façon  le 
dénouement. 

La  réplique  (1)  que  Choiseul  remit  à  Stanley  ot  qu'il 
expédia  à  Bussy  était  surtout  une  plaidoirie  destinée  à 
prouver  la  sincérité,  la  loyauté  de  la  France  et  à  rejeter 
sur  l'Angleterre  la  responsabilité  d'une  rupture  jugée 
inévitable  ;  elle  reproduisait  les  résultats  tant  négatifs 
qu'afiirmatifs  de  la  discussion  verbale  avec  le  plénipoten- 
tiaire anglais.  La  position  prise  à  propos  de  l'évacuation  de 
l'Allemagne  et  de  la  réglementation  des  secours  aux  alliés 
n'avait  pas  subi  de  modification  ;  par  contre  il  n'était  pas 
fait  mention  des  plaintes  espagnoles.  Cette  omission  pour 
laquelle  l'autorisation  de  l'ambassadeur  de  S.  iM.  Catho- 
lique avait  été  obtenue,  confirme,  ce  nous  semble,  l'exac- 
titude du  rapport  de  Stanley. 

Voici  en  quels  termes  Grimaldi  (2)  rend  compte  des  rai- 
sons qui  l'avaient  déterminé  k  accéder  au  désir  exprimé 
par  le  cabinet  de  Versailles  :  «  Choiseul  a  envoyé  à  Bussy 
sa  réponse  au  mémoire  anglais,  V.  K.  verra  qu'ici  ils  aban- 
donnent tout  ;  ils  ne  restent  fermes  qu'en  ce  qui  regarde 
leurs  alliés;  il  s'ensuit  que  le  système  du  ministère  est 

(1)  Mémoire  de  la  France,  9  septembre  1761.  Affaires  Élrangcres. 

(2)  Grimaldi  à  Fuentes,  13  septembre  1701.  DépOclie  interceptée.  Chatliam 
Papers. 

GUERRE   DE  SEPT  ANS.   —  T.   IV.  38 


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504 


LA  CUKHMK  DE  SEPT  ANS.        CHAI».  X. 


de  nous  rostoi-  lidèlf.  Choiscul  in'fi  tlciiianilc  s'il  dcviiit 
répôtcr  dans  cette  dernière  [ni'xc  que  rarrangement  de 
nos  allaires  était  une  condition  sinr  gua  non.  Il  me 
semble  ^\\\r  notre  (thjectif  doit  èti'e  de  ne  pas  laisser  la 
France  l'aire  la  paix,  sans  (|uo  nous  y  soyons  compris; 
mais  (il  mi^me  tem|)s,  nous  devons  éviter,  si  cela  est 
possible,  que  ce  sont  nos  dillicultés  avec  l'Anj^leterre  qui 
ont  ompécbé  la  paix.  En  consé<|nence  j'ai  réjiondn  i\ 
(llioiseul  (ju'il  n'était  pas  nécessaire  de  parler  de  l'Ks- 
pagne  dans  le  mé.doire  et  ([u'il  snflirait  de  confirmer  à 
Bussy  l'ordre  (in  10  aoiU  de  ne  rien  signer  sans  l'arran- 
genicnt  simultané  des  litiges  espagnols,  conformément  au 
traité  entre  les  deux  couronnes  qui  est  déjà  ratifié.  Chol 
seul  m'a  écrit  de  sa  main  qu'il  s'était  conformé  à  cette 
suggestion.  » 

l*ar  le  courrier  du  9  septembre,  Hussy  (i)  reçut,  avec 
le  dernier  mémoire  fran(;ais,  ses  instructions  pour  l'atti- 
tude ù  garder  vis-à-vis  de  la  cour  de  Saint-James  :  «  .le 
vous  adresse,  Monsieur,  un  mémoire  qui  scvira  de  ré- 
ponse à  celle  d'Angleterre.  Vous  le  remettrez  de  la  part 
du  Koi  au  ministère  britannique,  en  déclarant  à  M.  l^ilt 
que  si  ce  mémoire  n'était  pas  agréé  par  S.  M.  liritanniquo, 
le  Koi  verrait  avec  un  sensible  déplaisir  que  le  moment 
bcùreux  de  rét;  l,\ir  la  paix  et  l'union  entre  les  deux 
nations  n'est  ^«n-  arrivé;  que  S.  iM.  se  console  du  retar- 
dement de    ce   ijonheur,  en    considérant   les    sacrifices 

({u'elle  était  déterminée  à  faire  pour  y  parvenir Après 

avoir  fait  cette  déclaration  à  M.  Pitt,  vous  lui  direz  que 
votre  séjour  devenant  désormais  inutile  à  Londres,  et  vos 
affaires  vous  obligeant  de  revenir  en  France,  vous  le  priez 
de  vous  donner  un  passeport,  et  (|ue  vous  serez  toujours 
prêt  à  retourner  en  Angleterre  dès  que  S.  M.  Britannique 
jugera  que  vous  pourrez  y  être  utile  au  bien  de  la  paix.  » 


(1)  Choiseul  à  Bussy,  9  septembre  1761.  Aflfaircs  Étrangères. 


IMTT  DKCIDK  A  HOMPIIK  LA  NKUOCIATION. 


505 


La  (OUI"  tic  Versailles  croyait  le  cabinet  anglais  enclin 
jI  prolonger  les  conv.  rsatioiis  «  pour  des  motifs  <pii,  (piels 
qu'ils  soient,  ne  sontciu'au  désavantage  de  la  France...  et 
comme  l'objet  du  ciédil  est  vraisemblablement  le  motif 
qui  détermine  la  conduite  du  ministère  anglais,  le  lloi 
vous  ordonne  de  fixer  votre  départ  au  moment  <[ue  vous 
[)ensere/.  élre  le  plus  désavantageux  au  crédit  anglais  ». 
Cboiscul  s'excuse  des  concessions  considérables  cons(m- 
ties  :  S'il  s'était  montré  si  joulunt  sur  certains  articles 
et  notanunent  .sur  celui  de  hunkerque,  c'était  qu'on 
n'espérait  plus  une  solution  pacili(jue  et  qu'on  avait 
voulu  «  faire  connîiitre  à  l'Europe  et  au  peuple  anglais 
la  disposition  de  la  France  et  l'éloignement  de  l'Angle- 
terre par  rapport  à  la  paix  »,  La  pièce  française  fut 
remise  à  Pitt  le  15  septembre.  Le  même  jour,  le  cabinet 
britannique  avait  été  convoqué  pour  se  prononcer  sur  la 
rupture  ou  la  continuation  des  négociations. 

Au  sein  du  gouvernement  i'barmonie  apparente  qui 
avait  suivi  l'introduction  de  Bute  et  la  reconstitution  du 
printemps  n'avait  jamais  été  durable.  Les  dissentiments 
entre  Pitt  et  Nexvcastle,  entre  ces  deux  bommes  d'état  et 
leur  nouveau  collègue  avaient  déjà  été  sur  le  point  d'a- 
mener une  dislocation  ([ue  pour  des  rais(jn  diUercntes 
aucun  d'entre  eux  ne  souhaitait,  tout  au  moins  avant  la 
conclusion  de  la  paix.  Le  mariage  du  jeune  roi  avec 
une  princesse  de  Mecklembourg  Strelitz  qui  avait  été 
célébré  le  9  septembre  et  b's  fêtes  qui  avaient  accom- 
pagné la  cérémonie  avaient  retardé  et  retardaient  encore 
la  crise.  Ce  ne  fut  d'ailleurs  qu'un  répit  momentané,  car 
provoquée  par  l'humeur  intransigeante  de  celui  qui  était 
le  chef  virtuel  du  ministère,  elle  éclatera  à  propos  des  li- 
tiges espagnols. 

Dès  la  réception  des  dépêches  de  Stanley,  qui  parvin- 
rent à  Londres  avant  ou  vers  le  10  septembre,  le  parti 
de  Pitt  avait  été  arrêté  :  il  était  décidé  à  proposer  à  ses 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CKAP.  X. 


collègues  le  rappel  de  l'envoyé  britannique  et  la  décla- 
ration de  guerre  à  l'Espagne.  Depuis  longtemps  des  ren- 
seigncmonls  puisés  (1)  à  diil'érentes  sources,  la  lecture  des 
dépêches  échangées  entre    les  ambassadeurs  espagnols 
de  Londres  et  de  Paris  et  régulièrement  ouvertes  en  cours 
déroute  avaient  é\oillé  chez  Pitt,  sur  les  desseins  secrets 
de  la  cour  de  Madrid,  des  soupçons  qui  furent  transformés 
en  certitudes  par  les  derniers  avis  de  Stanley  et  surtout 
par  l'i    connaissance    d'une   lettre    interceptée   de  Gri- 
maldi(2)  à  Fuentes.  L'ambassadeur  espagnol  à  Paris  ras- 
surait  son   collègue  de    Londres  qui  avait  exprimé  la 
peur  dune  reculade  possible  de  la  France   :   «  Aujour- 
d'hui,  il  n'y   a  plus  lieu  d'avoir  cette   crainte,  car  les 
deux  instruments  ont  été  signés  le  15  (août)  et  j'attends 
d'ici  à  peu  la  ratification.  D'après  l'article  que  j'ai  en- 
voyé à  V.  E.,  il  est  évident  que  la  France  ne  peut  ter- 
miner la  guerre  sans  que  nos  affaires  soient  arrangées, 
Bussy  a  eu  aussi  communication  de  ce  texte  avec  ordre 
de  s'y  conformer.  J'ai  reçu  une  lettre  de  M.  Wall  du  17; 
par  le  même  courrier,  il  a  informé  V.    E.   de  l'entière 
approbation  dont  le  Roi  honorait  votre  sage  conduite.  Ils 
n'avaient  pas  encore  donné  à  lord  Bristol  une  réponse 
écrite,  mais  d'après  ce  qu'ils  disent,  elle  sera  conforme 
au  langage  de  V.  E.  La  crainte  de  notre  cour,  qui  n'est 
pas  sans  fondement,  est  pour  la  flotte.  Elle  cherche  à 
gagner  du  temps  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  arrivée  à  Cadix 
et  on  expédie  en  secret  12  vaisseaux  pour  lui  servir  d'es- 
corte. » 

La   délibération   du  conseil  auquel  le   Roi  avait  dé- 
claré s'en  rapporter  fut  courte;  les  ministres  se  laissè- 

(1)  Voira  ce  s-ijel  Quarterly  Rcview,  iv  190.  P/W  (nullité  Family  com- 
pact.\o\\  Ruvillc,  William  Viil,  vol.  II,  p.  470,  etc.  Herlin  l'.)05.  D'aprùs  cel 
auteur  les  pièces  reçues  jiar  Dutetns,  secrétaire  anglais  à  Turin,  auraient  été 
antérieures  à  l'année  17G1. 

(2)  Griinaldi  à  Fuentes,  31  août.  Ncwcast'e  Papcrs. 


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(1)  Newcaslle  à  HedCord,  l.<  so|)l«inI)r«  17(11.  NiMvcasIle  l'apers. 

(2)  IJetlfoni  à  Newcastlc,  14  seplcinlue  1"(>I.  Nftwrasllc'  Papers. 

(3)  Slanley  à  Clioiscnl,  .iO  snplpinliro  17(>l.  AU'aiios  Eltanj;èi<'s. 

(4)  Newcaslle  i  IFardwickc,  18  scplciiibn;  17(;i.  Nr^vcaslle  Papers. 


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RAPPEL  DE  STANLEY  ET  BUSSY. 


597 


rent  entraîner  par  Pitt  qui  iiieiiaça  de  se  retirer  si 
ses  collègues  ne  se  rangeaient  pas  à  son  avis.  Bute, 
Devonshire  et  Hardwicke  (1)  se  déclarèrent  partisans  du 
rappel  de  Stanley;  ils  tirent  remarquer  que  ce  diplomate 
avait  beaucoup  varié  dans  ses  appréciations,  <[u'il  ne 
paraissait  garantir  ni  la  sincérité  de  Choiseul,  ni  des 
chances  sérieuses  d'une  solution  pacifique.  Newcastle  lui- 
même,  plutôt  favorable  à  la  continuation  des  pourparlers, 
mais  peu  désireux  de  fournira  Pitt  un  prétexte  pour  la  dé- 
mission qu'il  méditait,  n'osa  pas  se  séparer  de  lui  sur  cette 
(|uestiou.  Bedford,  le  futur  négociateur  de  la  paix  de  1702, 
écrivit  (2)  qu'il  aurait  consenti  (quelques  uouv^nes  con- 
cessions, mais  (ju'il  n'assisterait  pas  à  la  réuniou.  «  Tant 
que  M.  Pitt  aurait  du  crédit,  même  tant  qu'il  tiendrait  la 
plume,  lui  (Bedford)  était  convaincu  qu'il  n'y  aurait  pas 
de  paix.  » 

A  l'unanimité  des  membres  présents,  le  conseil  du 
15  septembre  se  prononça  pour  le  retour  immédiat  de 
l'envoyé.  Le  soir  même,  Pitt  expédia  à  Stanley  son  ordre 
de  rentrer.  Ce  dernier  était  en  villégiature  chez  le  prince 
de  Conti  quand  la  lettre  lui  parvint.  Il  exprima  aussitôt 
à  Choi«eul  (3)  ses  regrets  de  l'échec  de  sa  mission  et  prit 
congé  de  lui  en  termes  auxquels  il  s'efforça  de  donniM'  une 
tournure  spirituelle  :  «  C'est  A  présent  que  l'ombre  errante 
de  feu  le  négociateur  va  véritablement  passer  le  Styx;  je 
vous  prierai,  Monsieur,  d'ajouter  au  passej)ort  de  mes  niAnes 
deux  autres  pour  des  courriers  avec  des  ordres  pour  mon 
bagage.  » 

Bussy  eut  sa  dernière  audience  de  Pitt  le  17,  et  cjuitta 
Londres  peu  de  jours  après;  dans  une  visite  d'adieu  à 
Newcastle,  il  attribua  (V)   la  rupture  à  l'expédition   de 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  X. 


Belleisle  et  à  rintroduction  dos  plaintes  de  l'F^spagne. 
A  cette  appréciation,  opposons  celle  de  Newcastle  :  «  Nous 
avions,  écrit-il  à  Yorke  (1),  ou  nous  prétendions  avoir  au 
début  une  telle  défiance  de  la  bonne  foi  de  Choiseul  que 
nous  lui  avons  inspiré  un  sentiment  réciproque  et  qu'il 
s'est  trouvé  obligé  d'adopter  un  système  qui  lui  niénageAt 
une  retraite.  Ce  système  qui  consistait  à  se  rapprocher 
de  l'Espagne,  et  peut-être  à  prendre  de  nouveaux  engage- 
ments vis-à-vis  des  deux  Impératrices,  a  gêné  M.  de  Choi- 
seul à  un  tel  point  que, quand  nous  sommes  devenus  p!  ■ 
raisonnables  et  que  nous  avons  fait  les  concessions  que 
nous  devions,  il  était  lié  si  étroitement  par  ses  noiïvelles 
disposition!»  qu'il  a  été  forcé  d'envoyer  son  dernier  mé- 
moire conçu  en  termes  équivoques.  De  notre  côté,  il  nous 
a  été  impossible  d'accepter  cette  pièce  qui  revenait  sur 
des  accords  déjà  consentis.  » 

Le  vieil  homme  d'État  n'était  pas  loin  de  la  vérité.  Au 
premier  abord,  Choiseul  et  Pitt  étaient  tous  les  deux  fran- 
chement partisans  de  la  paix,  mais  pour  la  faire  aboutir 
en  dépit  du  mauvais  vouloir  des  alliés  de  la  France,  il 
aurait  falhi  pousser  les  pourparlers  le  plus  activement 
possible,  établir  un  accord  sur  les  points  essentiels  et 
mettre  la  cour  de  Vienne  en  présence  du  fait  accompli. 
Tel  fut  le  concept  de  Choiseul,  mais  il  lui  était  impossible 
de  donner  la  précision  indispensable  à  une  correspon- 
dance dont  tous  les  détails  étaient  soumis  à  l'inspection  de 
Starhemberg.  De  là,  un  vague  dans  les  premières  pro- 
positions de  la  cour  de  France  qui  éveilla  la  méfiance  de 
Pitt  et  fit  perdre  un  temps  précieux. 

Avec  le  voyage  de  Stanley,  la  conversation  prit  un  tour 
sérieux,  mais  ce  diplomate  improvisé  ne  possédait  ni 
l'expérience  ni  le  prestige  nécessaires;  lié  par  les  instruc- 
tions impérieuses  de  son  patron,  il  crut  bien  faire  en  les 


(1)  Newcastle  à  Yoïke,  18  septembre  17(51.  Newcastle  Papers. 


FREDERIC  SE  FELICITE  DE  LA  RUPTURE. 


599 


suivant  à  la  lettre  et  en  laissant  espérer  de  la  part  de  la 
France  plus  de  concessions  qu'il  n'en  pouvait  obtenir, 
liussy  ne  joua  dans  lafl'aire  qu'un  rôle  effacé  ;  intimidé 
par  Pitt,  influencé  par  Fuentes,  il  ne  crut  jamais  à  une 
solution  et  desservit,  inconsciemment,  la  cause  de  la  paix. 
Choiscul  commit  deux  fautes  g-raves  :  cédant  sans  doute 
au  désir  d'en  finir,  il  lit,  au  sujet  de  Wesel  et  des  posses- 
sions prussiennes,  une  offre  qu'il  savait  irréalisable,  et 
fournit  ainsi  à  son  adversaire  une  arme  dont  celui-ci  usa 
sans  merci;  en  second  lieu,  quoique  dûment  averti,  il  ne 
se  rendit  pas  compte  de  l'effet  que  produirait  sur  le  ca- 
binet anglais  l'immixtion  de  la  France  dans  le  litige 
espagnol. 

Au  cours  de  notre  récit,  nous  n'avons  fait  que  de 
courtes  allusions  au  roi  de  Prusse  ;  dans  les  négociations, 
Frédéric  se  tint  presque  toujours  au  second  plan.  Sa  cor- 
respondance avec  ses  envoyés  à  la  cour  de  Saint-James 
nous  le  montre,  au  début,  ardent  avocat  de  l'entente,  très 
soucieux  d'un  armistice  qui  s'étendrait  au  continent,  con- 
vaincu de  la  possibilité  d'un  prompt  arrangement  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  seul  moyen,  selon  lui,  de  mettre 
fin  à  la  guerre  d'Allemagne,  enfin,  plein  de  confiance 
dans  la  fermeté  de  Pitt.  Les  pourparlers  entamés,  ses 
soupçons  se  réveillent,  il  n'est  qu'à  demi  rassuré  par  les 
protestations  qu'on  lui  transmet  de  Londres,  il  se  fi- 
gure (1)  les  négociateurs  anglais  enclins  à  sacrifier  les 
desiderata  de  la  Prusse  à  ceux  de  l'Angleterre.  La  lenteur 
de  discussions  qui  durent  plusieurs  mois  sans  aboutir 
augmente  son  inquiétude  ;  c'est  avec  un  véritable  soula- 
gement qu'il  apprend  le  conflit  soulevé  à  propos  des  griefs 
espagnols  et  des  réserves  autrichieuiios.  Il  s'indigne  (2) 


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(1)  Frédi'iic  à  Knyphausen  et  Michel,  3  et  10  juillet  l/HI.  Cnrresp.  Polit., 
XX,  p.  50G  et  520. 

(2)  Frédéric  à  Knyphausen  et  Michel,  Slrehlen,  7  aoi'it  17(il.  Corr.  PoL, 
XX,  p.  591. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  X. 


des((  mauvaises  procédures  »  de  la  cour  de  Versailles;  il  ne 
sait  «  assez  admirer  ni  applaudir  la  fermeté  avec  la- 
quelle les  ministres  anglais  se  sont  conduits  dans  cette 
occasion,  et  la  fa(,'on  noble  et  énergique  avec  laquelle  ils 
ont  répondu  aux  Français  »  ;  il  est  «  véritablement  touché  et 
pénétré  des  témoignages  éclatants  qu'ils  m'ont  donné  dans 
cette  conjoncture  de  leur  bonne  foi  et  de  leur  sincérité  ». 
Frédéric  était  encore  en  Silésie  quand  il  fut  informé  de  la 
rupture  que  ses  correspondants  de  Londres  attribuaient  à 
«  l'inconséquence  »  de  Choiseul;  il  félicite  (1)  le  minis- 
tère britannique  de  sa  «  résolution  tout  à  fait  digne  de 
sa  prudence  et  de  ^à  fermeté  »,  Cependant  il  prévoit  que 
les  pourparlers  seront  repris  sous  une  forme  secrète  et 
il  ordonne  à  ses  envoyés  de  veiller  à  ce  que  ses  intérêts 
ne  soient  pas  délaissés  et  à  obtenir  du  cabinet  de  Londres 
l'engagement  d'exiger  la  restitution  des  territoires  prus- 
siens occupés  par  la  France  avant  de  mettre  cette  puis- 
sance en  possession  «  de  quelques  iles  ou  de  quelques  con- 
quêtes »  qui  lui  seraient  rendues.  En  résumé,  le  roi  de 
Prusse  restait  acquis  à  la  paix;  il  la  souhaitait  mémo  avec 
ardeur,  mais  il  en  subordonnait  la  conclusion  au  principe 
immuable  qu'elle  ne  lui  coûterait  pas  un  pouce  de  ses 
territoires. 

A  notre  avis,  c'est  bien  à  Pitt  qu'incombe  la  respon- 
sabilité de  l'échec.  Comme  conditions  de  paix,  il  était 
bien  déterminé  à  n'accorder  que  celles  qui  imposent  au 
vaincu  la  loi  du  vainqueur.  Humilier  la  France,  ruiner 
son  commerce,  lui  enlever  ses  colonies,  et  détruire  sa 
marine,  il  n'ont  pas  d'autre  but  et  ne  le  cacha  pas.  Il 
lit  ajourner  les  concessions  qui,  accordées  dès  le  début, 
eussent  assuré  la  signature  des  préliminaires,  les  com- 
battit avec  énergie,  et  quand  elles  lui  furent  arrachées  pai 


(I)  Frédéric  à  Knypliausen  cl  Micliel,  Slrclilen,  10  octobre  l'fil.   Corr. 
PoL,  XXI    11.  18. 


PITT  VÉRITABLE  AUTEUR  DE  LA  RUPTURE. 


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ses  collègues  moins  intraitables,  il  les  transmit  avec  des 
expressions,  des  commentaires  et  des  restrictions  qui  en 
atténuèrent  beaucoup  la  portée.  Le  rejet  du  mémoire  de 
Choiseul  sur  les  griefs  espagnols  peut  s'expliquer,  mais 
ni  le  fond  ni  la  forme  de  cette  pic"e  n'autorisaient  la 
réponse  sèche  et  blessante  que  Pitt  remit  à  Bussy.  La 
tentative  de  pacification  était  entourée  de  tels  pièges  et  de 
tels  obstacles  qu'elle  était  presque  condamnée  d'avance, 
mais  il  est  évident  que  la  raideur  du  ministre  anglais  et  le 
ton  de  sa  correspondance  contribuèrent  beaucoup  à  l'in- 
succès. A  partir  de  cet  incident.  Choiseul  travailla  à  l'al- 
liance espagnole  avec  autant  d'ardeur  qu'il  avait  mis  de 
réserve  jusqu'alors;  il  ne  continua  à  négocier  que  pour 
donner  au  nouvel  allié  le  temps  de  faire  ses  préparatifs  de 
guerre.  Pitt  eut  le  mérite  de  deviner  le  jeu  de  son  adver- 
saire et  fit  preuve  de  clairvoyance  en  rompant  avec  la 
France  et  en  préconisant  l'attaque  immédiate  contre 
l'Espagne.  S'il  ne  réussit  pas  à  faire  adopter  par  ses  col- 
lègues du  cabinet  la  seconde  partie  de  son  programme, 
c'est  qu'il  se  servit  à  leur  égard  des  procédés  dictatoriaux 
et  de  la  manière  autoritaire  qui  avaient  si  vivement  irrité 
le  roi  Louis  XV  et  son  ministre. 


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CHAPITKE  XI 


PACTE  DE  FAMILLE.  —  DÉMISSION  DE  PITT. 
RUPTURE  ENTRE  L'ESPAGNE  ET  L'ANGLETERRE 


Ainsi  que  nous  l'avons  vu  dans  le  chapitre  précédent, 
c'est  le  30  juillet,  et  à  la  suite  des  incidents  qui  s'é- 
taient passés  à  Londres  quelques  jours  auparavant,  que 
la  cour  de  Versailles  changea  d'attitude  vis-à-vis  de 
celle  de  Madrid.  Autant  elle  s'était  montrée  jusqu'alors 
peu  soucieuse  de  précipiter  les  événements  et  de  brus- 
quer une  signature  qui  en  accélérerait  la  marche,  autant 
elle  était  devenue  anxieuse  d'en  terminer  et  d'engager  le 
roi  Carlos  à  déclarer  la  guerre.  Par  contre,  ce  dernier  et 
Wall,  froissés  dos  atermoiements  de  Choiseul,  soulevaient 
des  objections  de  détail  et  ne  se  pressaient  pas  d'abou- 
tir. Ossun  ne  dissimule  (1)  pas  à  son  chef  la  contradic- 
tion que  le  rji  Catholique  a  remarquée  entre  les  offres 
récontes  de  la  France  et  les  condescendances  de  cette  puis- 
sance à  l'égard  de  l'Angleterre.  Aucune  mention  n'a  été 
faite,  dans  l'ultimatum  français,  des  griefs  de  l'Espagne  ;  «  à 
la  vérité,  on  a  autorisé  M.  de  Bussy  à  remettre  à  M.  Pitt  un 
mémoire  dont  les  expressions  sont  obligeantes  pour  l'Es- 
pagne, maisnéanmoinsménagées  de  façon  à  faire  connaître 
au  ministère  britannique  que  la  France  ne  suspendra  pas  la 
(1)  Ossua  à  Choiseul,  31  juillet  17G1.  Affaires  Éliangères. 


CONVERSATIONS  DOSSUN  ET  DE  imiSTOL  AVEC  WALL.      cm 


conclusion  de  la  paix,  quand  bien  même  l'Angleterre  re- 
fuserait de  satisfaire  S.  M.  Catholique.  Cette  inconsé- 
quence, Monsieur,  et  le  refus  (]ue  vous  avez  fait  de  signer 
la  convention  jusqu'à  ce  qu'on  eût  reçu  la  réponse  des 
Anglais  à  votre  dernier  ménoire,  sont  relevés  avec  force, 
et  même  si  j'ose  le  dire,  avec  un  peu  de  dureté  ».  Tout 
en  critiquant  le  procédé,  Wall  se  plaisait  A  approuver 
la  prudence  dont  Choiseul  avait  fait  preuve  ;  il  voyait 
même  quelque  avantage  à  ajourner  l'aventure  :  «  1,'Es- 
pagne  n'aurait  la  guerre  avec  l'Angleterre  qu'autant 
qu  elle  le  jugerait  à  propos,  puisque  c'était  elle  qui  se 
trouvait  lésée.  Il  a  môme  ajouté  que  le  roi  d'Espagne 
connaissant  le  besoin  qu'avait  la  France  de  quelques 
années  de  repos,  aurait  bien  su  dissimuler  encore  pour 
un  temps  ses  justes  griefs,  et  se  serait  prêté  aux  circons- 
tances de  la  France  autant  qu'il  l'aurait  fallu,  quand 
môme  la  convention  aurait  été  signée.  » 
..  Des  raisonnements  de  cet  ordre  n'étaient  pas  pour 
plaire  à  Ossun,  chaud  partisan  de  l'action  immédiate; 
aussi  fut-ce  avec  joie  (ju'il  accueillit  la  lettre  de  Choiseul 
qui  tranchait  la  question.  Il  fit  part  aussitôt  (1)  de  son 
contenu  au  Roi  et  prit  sur  lui  de  dire  «  que  si  S.  M.  Catho- 
lique pouvait  se  déclarer  avant  l'automne  prochain,  cela 
porterait  un  coup  décisif  au  conmierce  de  l'Angleterre, 
surtout  si  l'insinuation  à  faire  au  Portugal  avait  lieu  en 
môme  temps S.  M.  Catholique,  Monsieur,  me  lit  ob- 
server qu'il  n'était  pas  possible  qu'elle  se  déclarât  si 
promptement  à  cause  du  retour  dî  la  flotte  des  Indes 
qu'on  attendait  à  Cadix,  vers  les  premiers  jours  d'octobre, 
et  parce  qu'il  y  avait  encore  bien  des  m(>sures  à  prendre, 
soit  aux  Indes,  soit  en  Europe,  pour  se  mettre  en  état 
d'agir  avec  efficacité  ».  A  la  sortie  de  l'audience  royale, 
Ossun  se  rendit  auprès  de  Wall  :  «  Il  m'a  paru  choqué 


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(1)  Ossun  à  Choiseul,  10  aoùl  1761.  Affains  Élrangùres. 


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C04 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI'.  XI. 


au  dehli  de  toute  expression  de  la  hauteur  de  M.  Pitt.  Il 
m'a  répété  à  peu  près  les  mêmes  choses  ([ue  S.  M,  Ca- 
tholique m'avait  fait  l'honneur  de  me  dire,  il  m'a  cepen- 
dant fait  comprendre  qu'on  attendrait  ici  le  résultat  de 
la  conférence  que  M.  de  Fuentes  a  dû  avoir  avec  M.  Pitt.  » 

Entre  temps,  la  conversation  diplomatique  continuait 
entre  Wall  et  lord  Bristol.  Conformément  à  ses  instruc- 
tions, l'Anglais  avait  demandé  quelles  règles  l'Espagne 
était  disposée  ù  adopter  pour  régulariser  le  commerce  des 
bois  de  campôche  et  pour  fournir  à  l'Angleterre  les  quan- 
tités de  matières  premières  dont  elle  avait  besoin.  L'Espa- 
gnol avait  répliqué  en  réclamant  l'évacuation  préalable 
des  factoreries  illégalement  établies  sur  la  côte  de  Hon- 
duras. Il  avait  été  également  question  de  l'appui  donné 
par  la  France  aux  revendications  espagnoles  :  <(  La  réponse 
au  second  point,  écrit  Ossun  (1),  a  été  plus  entortillée;  elle 
ne  dit  ni  oui  ni  non...  elle  porte  seulement  que  S.  M.  Ca- 
tholique a  été  informée  par  la  France  des  mesures  déjà 
prises  pour  parvenir  à  la  paix,  que  ce  monarque  désire 
qu'elle  se  fasse  promptement  et  à  des  conditions  raison- 
nables et  qu'il  se  flatte  en  môme  temps  que  les  Anglais 
ne  lui  refuseront  pas  la  juste  satisfaction  qui  lui  est  due.  » 

L'incident  avait  eu  plus  de  gravité  que  ne  lui  en  attribue 
l'ambassadeur  français.  Le  cabinet  de  Madrid  s'étant  en- 
tendu avec  celui  de  Versailles  au  sujet  de  la  présenta- 
tion, au  nom  des  deux  couronnes,  du  mémoire  relatif  aux 
griefs  espagnols,  Bristol  serait  certainement  informé  de  la 
démarche  simultanée  de  Bussy  et  de  Fuentes  à  Londres; 
aussi  était-il  de  bonne  politique  de  prendre  les  devants 
auprès  de  l'envoyé  britannique.  Cédons  donc  la  parole  à 
ce  dernier  qui  nous  rendra  compte  (2)  de  l'entretien  : 
«  Le  général  Wall  m'apprit  que  le  roi  Catholique  voyant 


(1)  Ossun  à  Choiseul,  17  août  1701.  Affaires  Élr.ingères. 

(2)  BrisloI  à  Pill,  Segovie,  G  août  1761.  Record  Office. 


EXPLICATIONS  DE  WALL  SLIl  LE  MEMOIRE. 


cor. 


qu'il  ne  faisait  aucun  progrès  avec  la  cour  de  la  Graudc- 
Brefagne,  en  traitant  nos  litiges  directement  avec  notre 
gouvernement,  s'est  résolu  à  accepter  les  ofl'res  renou- 
velées de  S.  M.  Très  Chrétienne  de  faire  intervenir  ses 
bons  offices  pour  l'arrangement  d(^  tous  les  dillérends 
américains  entre  l'Angleterre  et  l'Espagne.  Il  espérait 
([ue  la  paix  aujourd'hui  en  discussion  serait  d'autant 
plus  permanente  et  durable  qu'il  s'agirait  non  seulement 
de  mettre  fin  à  nos  conflits  avec  la  France  ot  de  concilier 
les  prétentions  de  toutes  les  autres  puissances  belligé- 
rantes, mais  aussi  de  faire  dispar.iitre  tout  danger  pour 
l'avenir  d'une  interruption  des  bons  rapports  existant 
entre  Leurs  Majestés  Britannique  ot  Catholique.  » 

Très  ému  de  cette  communication  inattendue,  Bristol 
demanda  à  son  interlocuteur  si  c'était  l'Espagne  ou  la 
France  qui  avait  pris  l'initiative  de  cette  proposition.  Sur 
la  réponse  de  Wall  que  c'était  la  France,  Bristol  rappela 
le  préambule  du  traité  de  1750,  négocié  par  Carvajal  et 
Keene,  d'après  lequel  les  deux  cours  s'étaient  engagées  à 
traiter  directement  sans  intervention  ni  participation  d'au- 
cune tierce  partie.  «  Je  lui  lis  observer  combien  différait  la 
conduite  actuelle  de  l'Espagne  de  celle  qu'elle  avait  pra- 
tiquée alors...  J'étais  peiné  de  voir  un  monarque  espagnol 
prêter  l'oreille  aux  menées  sourdes  du  ministère  fran- 
çais. » 

L'incident  du  mémoire  fut  la  cause  immédiate  de  la  crise 
qui  devait  amener  la  rupture.  Aussi  l'occasionnons  semble 
propice  d'introduire  dans  notre  récit  le  crayon  que  Bristol 
trace  (1)  des  principaux  personnages  du  gouvernement  es- 
pagnol. Il  commence  par  Don  Carlos  :  «  Le  Boi  est  doué  de 
grands  talents  ;  il  possède  une  mémoire  heureuse  et  beau- 
coup de  sang-froid;  tout  en  conservant  beaucoup  de  douceur 
dans  ses  manières,  il  sait  inspirer  une  crainte  excessive  à 


(1)  Bristol  à  PiU,  M  août  1761.  Record  Oflice. 


006 


LA  GL'EUUE  DE  SEPT  ANS. 


riIAP.  XI. 


son  ministère  et  à  sou  entourage.  Wall  qui  <i  très  peur  de  son 
maître,  pour  s'assurer  rindépeiulanco  de  vues  k  laquelle 
il  aspire  est  amené  à  afficher  et  à  défendre  des  opinions, 
qui  semblent  le  metti'c  en  opposition  absolue- avec  nos 
intérêts.  Squillacci  est  homme  d'afl'aires.  Losada  est  nul, 
mais  fort  honnête.  Comme  Wall  n'écrit  pas  très  correc- 
tement l'espagnol,  c'est  le  premier  secrétaire  M.  de  Llano 
qui  lient  la  plume  quand  il  s'agit  de  dépêches  ou  de 
mémoires  importants.  Wall,  S([uillacci,  Losada  et  Ariaga 
ministre  de  la  marine  s'entendent  assez  bien,  mais  leurs 
déparlements  sont  complètement  séparés.  Tous  les  mi- 
nistres étrangers  à  l'exception  de  Sylva,  représentant  du 
Portugal,  sont  du  parti  français.  »  Ainsi  qu'on  le  voit, 
l'ambassadeur  britannique  ne  voulait  pas  accepter  comme 
sincères  les  vues  nouvelles  ([ue  professaient  la  plupart  des 
membres  du  cabinet  de  Madrid  et  plaidait  les  circons- 
tances atténuantes  pour  un  changement  de  politi(juo 
auquel  il  ne  croyait  pas.  Ces  appréciations  optimistes 
lui  valurent  de  la  part  de  son  chef  le  reproche  de  se 
montrer  trop  partial  à  l'égard  de  S.  M.  Catholique  et  de 
ses  cO'nseillers.  Le  rapport  de  Bristol  sur  les  déclarations 
de  W^all  se  croisa  avec  la  dépêche  de  Pitt  du  28  juillet, 
écrite  peu  de  jours  après  la  remise  et  le  rejet  du  mémoire 
concerté  par  les  cabinets  de  Madrid  et  de  Versailles. 

Mais  avant  d'examiner  la  mise  en  demeure  qui  fai- 
sait route  de  Londres,  il  convient  de  suivre  l'ordre 
chronologique  et  d'analyser  les  traités  avec  la  Franco 
qui  avaient  été  signés  à  Paris  le  15  août  et  ratifiés  à 
Saint-lldefonse  le  25  du  môme  mois.  Le  premier  de  ces 
instruments  portait  le  titre  de  pacte  de  famille  ;  il  consti- 
tuait, ainsi  que  l'expliquait  le  préambule,  un  arrange- 
ment intime  contracté  entre  les  deux  souverains,  on 
vue  «  de  perpétuer  dans  leur  postérité  les  sentiments  de 
Louis  XIV,  leur  commun  bisaïeul,  et  de  faire  subsister 
à  jamais  un  monument  solennel  de  l'intérêt  réciproque 


1  ;> 


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PACTE  DE  FAMILLE.  KH^ 

qui  doit  vive  la  base  dos  désirs  de  leurs  cœurs  et  de  la 
prospérité  de  leurs  l'amiUes  royales  ».  La  convention  com- 
prenait 28  articles  :  Les  trois  premiers  prenaient  pour 
point  de  départ  le  principe  d'une  union  étroite,  repro- 
duisaient les  clauses  déjà  citées,  en  vertu  desquelles  était 
déclaré  ennemi  comniiui  «  toute  puissance  qui  le  deviendra 
de  l'une  ou  l'autre  des  deux  couronnes  »,  et  accordaient  la 
garantie  réciproque  de  leurs  possessions,  «  suivant  l'état 
actuel  où  elles  seront  au  premier  moment  où  l'une  et 
l'autre  couronne  se  trouveront  en  paix  avec  toutes  les 
autres  puissances  »;  en  outre,  ils  étendaient  le  bénéfice 
de  cette  protection  au  roi  des  Deux-Siciles  et  à  l'infant  don 
Philippe,  duc  de  Parme. 

Les  articles  ï  à  7  fixaient  les  secours  à  fournir  par 
chaque  partie  à  12  vaisseaux  de  ligne  et  6  frégates  el  au 
contingent  de  18.000  fantassins  et  de  6.000  cavaliers  que 
l'Espagne,  dans  certaines  circonstances,  pouvait  réduire 
à  10.000  hommes  d'infanterie  et  à  2.000  de  cavalerie. 
La  coopération  ainsi  stipulée  ne  comportait  qu'une 
exception  :  celle  «  des  guerres  dans  lesquelles  S.  M.  Très 
Chrétienne  pourrait  entrer  ou  prendre  part,  en  consé- 
quence des  engagements  qu'elle  a  contractés  par  les 
traités  de  VVestphalie  et  autres  alliances  avec  les  puis- 
sances d'Allemagne  et  du  Nord...  qui  ne  peuvent  in- 
téresser en  rien  la  couronne  d'Espagne  ».  Les  articles 
9  à  16  réglaient  tous  les  détails  de  réquisition,  d'en- 
tretien (1  eifectifs  et  de  solde  afférents  aux  contingents. 
Sous  les  numéros  17  et  18  étaient  inscrites  les  dispositions 
relatives  à  la  défense  de  tiviiter  de  la  paix  «  ([ue  d'un 
accord  et  consentement  mutuel  et  commun  »,  et  à  la 
compensation  des  gains  et  des  pertes,  «  de  manière  que 
sur  les  conditions  de  la  paix,  ainsi  que  sur  les  opéra- 
tions de  la  guerre,  les  deux  monarchies  de  France  et 
d'Espagne,  dans  toute  l'étendue  de  leur  domination,  se- 
ront regardées  et  agiront   comme  si  elles  ne  formaient 


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608 


L.\  OUERHK  I)E  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  XI. 


(|ii'imo  seule  et  mémo  piiissjinco  ».  La  dernière  partie 
(lu  traité  visait  les  avantages  accordés  aux  sujets  des 
deux  couronnes.  «  Nulle  autre  puissance  ([ue  celles  qui 
seront  de  cette  maison  (celle  de  Kourhon)  ne  pourra  être 
invité<>  ni  adn>ise  à  y  accéder.  »  Les  Espagnols  et  Napo- 
litains «  ne  seront  plus  réputés  aiibains  en  France...  ils 
pourront  disposer  par  testament,  «lonation  ou  autrement 
de  tous  les  biens  »  qu'ils  posséderont  en  France  ;  «  leurs 
héritiers  pourront  recueillir  leurs  successions  même  nb  in- 
trstat  ».  Les  Français  profiteront  de  privilèges  équivalents, 
«  de  sorte  que  les  sujet,  des  deux  couronnes  seront  g-énérale- 
ment  traités  en  tout  et  pour  tout  ce  ((ui  regarde  cet  article 
(le  23)  dans  les  pays  des  deux  dominations,  comme  '"S  pro- 
pres et  naturels  sujets  de  la  puissance  dans  les  s  de 
laquelle  ils  résideront  ».  En  vertu  de  l'article  24,  ^-lité 
de  traitement  était  assurée  dans  les  trois  monarchies,  tant 
au  point  de  vue  du  commerce  et  des  impôts  que  de  la 
navigation  ;  «  le  pavillon  espagnol  jouira  en  France  des 
mômes  droits  et  prérogatives  que  le  pavillon  français  et 
pareillement  le  pavillon  français  sera  traité  en  Espagne 
avec  la  même  faveur  «fue  le  pavillon  espagnol  ».  Liberté 
d'importation  et  d'exportation  <(  pour  les  uns  et  les  autres 
comme  aux  sujets  naturels  »  ;  de  part  et  d'autre  «  il  n'y 
aura  des  droits  à  payer  que  ceux  qui  seront  perçus  sur  les 
propres  sujets  du  souverain,  ni  de  matières  sujettes  à  con- 
fiscation que  celles  ([ui  seront  prohibées  aux  nationaux  eux- 
mêmes  ».  Enfin,  en  cas  d'un  traité  de  commerce  accordant 
le  «  traitement  de  la  nation  la  plus  favorisée  à  un  autre 
État,  les  puissances  seront  prévenues  que  le  traitement 
des  Espagnols  en  France  et  dans  les  Deux-Siciles  et  des 
Français  en  Espagne  et  pareillement  dans  les  Deux-Siciles 
et  des  Napolitains  Bt  Siciliens  en  France  et  en  Espagne, 
sur  le  même  objet,  est  excepté  à  cet  égard  et  ne  doit  point 
être  cité  ni  servir  d'exemple  ».  Les  deux  derniers  articles 
enjoignaient  l'union  et  l'entente  des  représentants  des 


1  r  I 


CONVKINTION  HECKKTK  KNTRE  LA  l-RANCE  ET  LESPAGNK.     (i09 

deux  couronnes  nin»['<'S  dos  cours  étrang'ôn's,  et  réglaient 
la  question  de  leur  préséance. 

Cette  courte  analyse  suffira  à  démontrer  juscjuà  quel 
point  les  négociateurs,  Choiseul  et  Grimaldi,  obéissant 
d'ailleurs  aux  désirs  de  leurs  souverains  respectifs,  avaient 
poussé  la  note  d'intimité  et  de  cordialité  qui  [irésiderait 
à  l'alliance. 

Au  pacte  de  famille  était  jointe  la  convention  secrète  (1) 
(jui  portait  la  même  date  du  15  août.  Les  deux  premiers 
articles  reproduisaient  les  propositions  que  Choiseul  avait 
faites  au  conmioncement  de  juillet,  et  d'après  lescjuelles 
l'Espagne  s'engagerait  à   déclarer   la  guerre  le  l"  mai 
1762,  si  la  paix  n'était  pas  <    iiclue  avant  cette  date;  en 
échange  de  ce  concours  évculuel,  la  France  incorporait 
dès  à  présenties  griefs  espagnols  dans  les  conditions  ;l  né- 
gocier avec  l'Angleterre  et  s'engageait  à  unir  ses  aû'aires 
«  à  celles  de    l'Espagne,  de  telle  façon   que  S.  M.  Très 
Chrétienne  n'admettra  aucun  accommodement  ni  ne  sus- 
pendra la  guerre  sans  que  le  roi  Catholique  se  déclare 
content  de  l'issue  et  de  la  conclusion  des  siennes  ».  Les 
troisième  et  quatrième  articles  contenaient  les  obligations 
habituelles  pour  la  guerre  ou  pour  la   paix.   L'article  5 
stipulait  la  remise  en  dépôt  de  l'Ile  Minorque  et  sa  ces- 
sion ultérieure  «  à  l'Espagne,  si  Dieu  bénissait  les  armes 
combinées  de  façon  qu'elles  ne  fussent  point  obligées  à  la 
restituer  ».  Par  l'article  6,  les  contractants  affirmaient  leur 
intention  d'amener, même  par  la  force,  le  Portugal  j\  épouser 
leur  cause.  Rien  à  relever  dans  les  autres  clauses,  sinon 
la  mise  en  vigueur  de  la  convention  dans  le  cas  où  les  hos- 
tilités éclateraient  entre  l'Angleterre  et  l'Espagne  avant  le 
1"  mai  17(i2  et  la  promesse  d'une  indemnité  à  l'infant 
Don  Philippe  en  échange  du  Plaisantin.  Les  deux  traités 


(1)  Traduction  littérale  de  la  convention  secrète  du  15  août  1761.  Affaires 
Étrangères. 

GUERRE  BE  SEPT  ANS.   —    T.    IV.  .30 


iSilllliW 


eio 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  XI. 


il    . 


avaient  été  définitivement  ratifiés  au  cours  de  septembre. 

Une  des  grandes  préoccupations  des  deux  puissances 
était  l'arrivée  en  sûreté  de  la  tlottille  des  Indes  qui  appor- 
tait au  trésor  espagnol  le  gros  appoint  des  contributions 
d'Amérique.  Les  finances  françaises  y  étaient  également 
intéressées,  car  Os.sun  négociait,  depuis  quelque  temps, 
avec  le  ministre  Squiilacci,  un  emprunt  dont  le  montant 
dépendrait  de  l'importance  des  espèces  à  recevoir.  Enfin, 
raml)assadcur  put  annoncer  (1)  l'heureuse  entrée  à  Cadix 
des  vaisseaux  attendus;  malheureusement,  ils  n'avaient 
abord  que  10  millions  de  piastres,  dont  2.100.000  pour  le 
compte  du  Uoi.  Oss"n  ne  se  décourar^e  pas.  <;  Il  y  a  un 
argent  immense  en  Espagne  [-2)  que  la  méfiance  et  '.'igno- 
rance retiennent  enfoui.  «  . 

Peu  de  jours  après  la  ratificaf  ion  des  traités,  malgré  la 
concession  à  laquelle  (irimaldi,  au  nom  de  sa  cour,  s'était 
prêté  avec  beaucoup  d'obligeance,  les  négociations  paci- 
fiques avaient  été  définitivement  rompues-  (3)  et  il  n'exis- 
tait plus  de  raison  pour  que  l'Espagne  ne  fit  pas  sa  <lé- 
claration  de  guerre.  Choiseul  invita  Ossun  (4)  à  agir  dans 
ce  sens;  car  de  nouveaux  retards  produiraient  un  mau- 
vais effet  sur  l'opinion  publique.  Il  s'en  fallut  de  peu  que 
cette  rupture,  cfue  la  France  désirait  mais  que  l'Espagne 
cherchait  à  ajouii^pr,  ne  fût  provoquée  par  l'Angleterre. 

Aussitôt  la  décision  prise  par  le  cabinet  de  Saint-James 
au  sujet  de  rinimixtion  de  la  France  dans  le  litige  espa- 
gnol, Pitt  en  avait  informé  (5)  son  envoyé  à  Madrid.  Bris- 
tol avait  reçu  ordre  de  mettre  sous  les  yeux  de  Wall  le 
mémoire  français  ainsi  que  la  réponse  de  la  cour  de  Lon- 


(1)  Ossii  11  à  Choiseul,  17  septninbre  I7()l.  Affaires  i^lrangères. 

(2)  Ossun  à  Choiseul,  21  sepleinhre  17*11.  Afl'aires  Ktrangères. 

(3)  Choiseul  à  Ossun,  22  se|)leiiihre  1761.  Affaires  Étrangères. 
(i)  Choiseul  à  Ossun,  ?M  septembre  1701.  Affaires  Etrangères. 

(5)  Pitt  à  r.vistol,  28  juillet  17G1.  Papiers  sur  la  rupture  avec  l'Espagne, 
Londres  1762. 


i 


MISE  EN  DEMEURE  ADRESSEE  A  L'ESPAGNE. 


611 


dres  et  de  lui  demander  si  cette  démarclie  considéivo 
comme  injurieuse  avait  été  faite  de  l'aveu  et  avec  le  con- 
sentement de  S.  M.  Catholique.  Quant  aux  trois  points  sou- 
levés, son  g-ouverncmcmt  refusait  tout  autre  recours  ({ue 
celui  des  tribunaux  anglais  sur  la  question  des  prises, 
et  repoussait  d'une  façon  absolue  «  les  surannées  et  inad- 
missibles prétentions  des  habitants  de  Biscaye  et  de  Gui- 
puzcoa  (le  pocher  sur  les  côtes  de  Terre-Neuve  »  ;  au  con- 
traire, il  se  déclarait  prêt  A,  rechercher,  sous  la  réserve  que 
la  France  n'interviendrait  pas  au  débat,  pour  le  trafic  des 
bois  de  campeche,  une  solution  équitable  pour  les  deux 
couronnes.  Enfin,  l'ambassadeur  solliciterait  des  explica- 
tions amicales  sur  les  armements  importants  qui  se  prépa- 
raient dans  les  arsenaux  espagnols.  La  mise  en  demeure 
formulée  par  Pitt  ne  parvint  à  Ségovie,  où  Bristol  avait 
suivi  la  cour,  que  vers  le  10  août.  Comme  nous  l'avons  dit, 
Wall  avait  pris  les  devants;  quelques  jours  avant  l'arrivée 
du  courrier  d'Angleterro,  il  avait  fait  savoir  à  Bristol  (1) 
que  le  roi  son  maître,  las  de  l'insuccès  des  efforts  tentés 
pour  obtenir  satisfaction  de  la  cour  de  Londres,  avait  fini 
par  accepter  les  offres  répétées  de  la  France  d'appuyer  les 
demandes  espagnoles  et  de  les  comprendre  dans  les  négo- 
ciations entamées  en  vue  de  la  paix.  Aussi  quand  l'am- 
bassadeur communiqua  au  ministre  espagnol  le  contenu 
de  la  dépèche  de  Pitt,  devait-il  s'attendre  à  la  réponse 
qui  lui  fut  faite.  Il  eut  avec  Wall  cinq  conférences  dont 
il  adressa  le  résumé  à  son  chef  (-2)  :  Le  ministre  du  roi 
Carlos  était  au  courant  de  l'incident  de  Londres;  il  re- 
connaissait que  le  texte  du  mémoire  était  bien  mot  pour 
mot  celui  qui  avait  été  rédigé  après  entente  des  deux  cours, 
assurait  «  que  leur  intention,  en  se  prêtant  ii  cette  propo- 
sition, était  entièrement  exempte  de  tout  dessein  de  re- 


(1)  Biislol  à  PiU,  (>  août  I7til.  Record  Oflicc 

{•}.)  Bristol  à  Pitt,  Ségovie,  31  août  17G1.  Papiers  sur  la  rupture. 


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612 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  XI. 


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tarder  la  paix  et  tout  à  fait  éloignée  de  la  moindre  idée 
ollensante  pour  S.  M.,  quoi<ju'il  parût  que  cette  démarche 
avait  produit  des  elTets  tout  différents  ».  Il  enregistrait 
avec  plaisir  les  intentions  conciliantes  de  l'Angleterre  à 
l'égard  de  l'Espagne,  admettait  que  cette  puissance 
fût  «  maîtresse  de  rejeter  toute  proposition  qui  venait  du 
ministère  de  France  »,  mais  maintenait  pour  le  roi  d'Es- 
pagne le  droit  de  «  communi({uer  toutes  les  mesures  qu'il 
croyait  utiles  à  ses  intérêts,  au  Roi  Très  Chrétien,  l'ami, 
l'aUié  et  le  proche  parent  de  S.  M.  Catholique  ».  C'est  dans 
cet  esprit  qu'il  avait  accueilli  l'offre  spontanée  de  la 
France  «  d'unir  ses  forces  avec  celles  de  l'Espagne,  pour 
prévenir  toute  invasion  des  Anglais  sur  les  territoires  de 
S.  M.  Catholique  en  Amérique  ».  A  l'interrogation  sur 
les  armements,  Wall  répondit  que  les  vingt  vaisseaux 
de  ligne  en  état  de  naviguer  suffisaient  h  peine  aux  be- 
soins courants  et  que  l'Espagne,  loin  de  songer  à  une 
agression,  n'entretenait  que  des  sentiments  d'amitié  pour 
la  Grande-Bretagne.  En  ce  qui  a  trait  aux  griefs  qui 
constituaient  le  fond  du  débat,  il  est  superflu  d'ajouter 
qu'on  avait  argumenté  longuement  de  part  et  d'autre,  sans 
faire  un  pas  vers  une  solution. 

Le  courrier  de  Bristol  qui  emportait  la  copie  des  notes 
échangées  avec  Wall,  arriva  à  Londres  le  11  septembre; 
son  contenu  provoqua  une  crise  ministérielle  ou  tout  au 
moins  en  fut  le  prétexte.  Le  cabinet  se  réunit  le  15  sep- 
tembre et  se  prononça,  comme  nous  l'avons  vu,  à  l'unani- 
mité pour  le  rappel  de  Stanley  et  la  clôture  des  négo- 
ciations pacifiques  avec  la  France  ;  rien  ne  fut  décidé 
à  l'égard  de  l'Espagne.  Le  18,  nouveau  conseil;  Pitt 
présenta  en  son  nom  et  au  nom  de  son  beau-frère  Temple 
une  résolution  (1)  concluant  à  la  déclaration  de  guerre 
à  l'Espagne.  Les  signataires  de  cette  pièce  qui  avait  été 

(1)  Déclaration  de  PiU  cl  TpmDle,  18  septembre  1761.  Newcaslle  Papcrs. 


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RESOLUTION  DE  PITT  ET  TEMPLE. 


618 


communiquée  avant  la  séance  à  leurs  principaux  collè- 
gues, insistaient  sur  l'aveu  de  Wall  que  le  mémoire 
français  avait  été  préparé  avec  «  le  consentement,  l'ap- 
probation et  le  bon  plaisir  de  S.  M.  Catholique  »;  ils 
rappelaient  que  cette  pièce  concernait  les  trois  points  du 
litige  et  promettait  le  concours  de  la  France  pour  le  cas 
où  le  conflit  entraînerait  la  guerre  entre  les  deux 
pays.  «  Le  procédé  injuste  et  yans  exemple  de  la  cour 
d'Espagne  d'avoir  recours  à  l'intervention  et  à  la  pression 
d'une  puissance  ennemie  pour  obtenir  satisfaction  de 
l'Angleterre,  la  menace  d'une  guerre  éventuelle,  alors 
que  l'Espagne  prodiguait  ses  professions  de  bonne  en- 
lente  et  d'amitié  à  l'égard  de  la  Grande-Bretagne,  l'aveu 
formel  et  l'affirmation  que  le  ministère  espagnol  venait 
de  faire  d'une  union  absolue  de  conseils  et  d'intérêts 
entre  les  deux  monarchies  de  la  maison  de  Bourbon, 
tous  ces  faits  d'une  nature  si  grave  et  si  urgente  appel- 
lent sans  conteste,  sans  ref  ird,  de  la  paît  de  S.  M.  telles 
mesures  nécessaires  et  opportunes  que  Dieu  l'a  mise  à 
môme  de  prendre  pour  la  défense  de  l'honneur  de 
sa  couronne  et  pour  les  intérêts  essentiels  des  sujets 
de  S.  M.  »  En  conséquence,  les  soussignés  «  proposent  très 
humblement  à  la  sagesse  de  S.  M.  de  donner  ordre  im- 
médiat au  comte  de  Bristol  de  remettre  une  déclaration 
signée  par  S.  E.  et  rédigée  comme  ci-dessus,  puis  de  re- 
venir de  suite  en  Angleterre  sans  prendre  congé  ». 

Bute,  qui  était  hostile  à  la  guerre  espagnole,  prit  l'initia- 
tive d'un  conciliabule  fixé  au  19(1)  et  auquel  il  convoqua 
Newcastle,  Mansfîeld  et  Devonshire.  Il  leur  annonça 
que  malgré  ses  instances  et  celles  de  Mansfield,  Pitt  avait 
refusé  de  retirer  la  pièce.  «  Si  nous  avions  été  partisans 
de  la  paix,  ajouta-t-il,  il  se  préoccuperait  à  un  moindre 
degré  de  l'action  de  M.  Pitt,  mais  la  continuation  de  la 


l\ 


(I)  Newcastle  à  Hardwicke,  20  septembre  t"Cl.  Newcastle  Papers. 


614 


LA  GUEHIIE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  XI. 


guerre  paraissant  impossible  à  éviter,  il  croyait  que  nous 
(levions  faire  tous  nos  eli'orts  pour  empocher  M.  Pitt  de 
donner  sa  démission  et  de  laisser  à  notre  charge  la  direc- 
tion si  difficile  d'une  guerre  qu'il  avait  toujours  reven- 
di(|uée  comme  sienne.  »  Après  échange  d'obsf^rvations, 
on  se  rallia  à  l'idée  d'une  contre-proposition  opposée  à 
celle  de  Pitt.  Le  duc  de  Devonshire  prit  la  plume,  et 
Mansfîeld  lui  dicta  un  texte  sur  lequel  on  se  mit  d'accord 
et  auquel  on  espérait  que  Pitt  se  rallierait.  Ce  dernier  fut 
intraitable;  il  était  partisan  d'une  rupture  immédiate  ({ui 
permettrait  d'intercepter  les  galions  attendus  d'Amé- 
rique et  de  faire  face  aux  frais  des  nouvelles  hostilités 
avec  les  tré.sors  dont  on  les  savait  porteurs.  Eulin,  dans 
une  dernière  séance  qui  eut  lieu  dans  les  premiers  jours 
d'octobre  on  procéda  au  vote;  la  majorité  se  prononça 
avec  Bute  et  Newcastle  en  faveur  de  la  poursuite  des 
négociations  avec  l'Espagne;  Pitt  et  Temple,  mis  en  mi- 
norité, donnèrent  leur  démission  qui  fut  acceptée  le  5  oc- 
tobre. La  discussion  avait  été  orageuse  (1)  ;  Pitt  s'était  écrié 
que  c'était  l'occasion  d'humilier  la  maison  de  Bourbon  tout 
f  ûtièro  et  que  si  on  la  laissait  échapper,  elle  ne  se  re- 
trouverait peut-être  jamais.  Il  termina  sou  discours  en 
adressant  ses  remerciments  aux  ministres  du  feu  Roi  pour 
le  concours  qu'ils  lui  avaient  prêté;  quant  à  lui,  il  avait 
été  appelé  au  pouvoir  par  la  voix  du  peuple  auquel 
il  devait  rendre  compte  de  sa  conduite;  aussi  n'entendait- 
il  pas  conserver  une  fonction  où  il  serait  tenu  responsable 
d'une  politique  qu'il  ne  lui  était  plus  permis  de  diriger. 
Un  pareil  langage  n'était  pas  pour  plaire  à  ses  collè- 
gues; il  lui  valut  une  verte  réplique  du  président  du 
conseil,  le  vieux  lord  Granville  :  «  Je  vois  que  le  «  gent- 
leman »  est  bien  décidé  à  nous  lâcher;  je  n'en  suis  pas 


(1)  Annual  Regisler,  IIGI.  p.  43.  Passages  cités  par  Mahoii,  IV,  2il,  qui 
en  attribue  la  i)aternité  à  Burlvc. 


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DEMISSION  DE  PITT. 


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autrement  fâché,  car  sans  cela  c'est  nous  qu'il  aurait 
obligés  à  le  lAcher.  En  cilet,  s'il  est  bien  résolu  à  s'ap- 
proprier le  droit  do  conseiller  S.  M.  et  de  présider  aux 
opérations  de  la  guerre,  je  me'demande  dans  quel  but 
nous  sommes  convoqnés  à  cette  réunion.  Quand  il  parle 
de  sa  responsabilité  devant  le  peuple,  il  tient  le  langage 
de  la  Chambre  des  Communes  et  oublie  que  dans  notre 
comité  il  ne  doit  des  comptes  qu'au  Roi.  Au  surplus,  s'il 
est  possible  qu'il  soit  convaincu  de  sa  propre  infaillibi- 
lité, encore  faudrait-il  que  nous  partagions  cette  convic- 
tion avant  de  lui  remettre  la  direction  de  nos  facultés  ou 
de  nous  associer  aux  mesures  qu'il  propose.  » 

Le  départ  du  favori  de  l'opinion  souleva  dans  les  rangs 
du  public  une  émotion  profonde,  lîule,  Newcastle  et  leurs 
amis  furent  dénoncés  comme  partisans  de  la  paix  à  tout 
prix,  tandis  que  Pitt  fut  acclamé  le  champion  de  l'honneur 
national.  Peu  à  peu,  grâce  à  une  meilleure  connaissance 
des  faits,  grAcc  surtout  à  l'attitude  de  Geoi^ges  III,  on  revint 
à  des  appréciations  plus  modérées.  Le  jeune  roi  très  imbu 
du  sentiment  de  sa  prérogative  royale,  très  résolu  à  exercer 
les  droits  qu'il  réclamait  pour  la  personnalité  du  monar- 
([ue,  n'hésita  pas  à  soutenir  la  décision  de  son  cabinet.  Entre 
lui  et  Pitt  eut  lieu  une  entrevue  dont  le  récit  (1)  ne  releva 
guère  le  prestige  de  l'ancien  ministre,  Georges  reçut  le  dé- 
missionraire  avec  beaucoup  d'amabilité,  le  remercia  poul- 
ies services  rendus,  exprima  les  regrets  que  lui  causait  le 
départ  d'un  serviteur  aussi  éminent,  lui  offrit  le  choix 
des  récompenses  que  la  couronne  avait  à  sa  disposition, 
mais  non  seulement  il  ne  fit  pas  la  moindre  tentative  pour 
le  faire  revenir  sur  sa  détermination,  mais  il  lui  déclara 
franchement  qu'il  partageait  l'opinion  de  la  majorité  du 
conseil.  Pitt  se  montra  très  ému:  «  .le  l'avoue,  sire,  j'avais 
trop  de  raisons  pour  m'attendre  au  mécontentement  de 


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(1)  Annual  Register.  I7('>î.  Ilistonjof  tlic  présent  war,\).  iietc. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  XI. 


V.  M.  ;  je  n'étais  pas  préparé  de  votre  part,  à  cette  bienveil- 
lance extrême;  excusez-moi,  sire,  elle  me  confond,  elle 
m'accable  »  ;  puis  il  fondit  en  larmes.  Pitt  fit  preuve  d'un 
désintéressement  relatif  :  il  se  contenta  d'un  titre  pour  sa 
femme  et  d'une  pension  viagère  de£  3.000  pour  lui,  avec 
réversion  sur  son  lils  aine.  Un  instant  obscurcie  par  les  cri- 
tiques qu'occasionna  l'acceptation  des  libéralités  royales, 
la  popularité  de  l'bomme  d'État,  à  la  suite  d'explications 
contenues  dans  une  correspondance  avec  un  ami  et  livrée? 
h  la  publicité,  brilla  bientôt  à  nouveau  du  plus  vif  éclat. 
La  cité  de  Londres  lui  vota  des  félicitations  et  le  jour  de  la 
fête  du  lord  Mayor,  la  populace  n'eut  d'yeux  que  pour 
lui  et  lui  fît  une  ovation  triomphale, 

Au  sein  du  parlement,  Pitt  prit  la  parole  à  plusieurs 
reprises  pour  défendre  sa  conduite;  il  s'abstint  d'ailleurs 
d'attaquer  le  ministère  et  ne  chercha  pas  à  lui  créer  des 
embarras.  Fuentes  trace  (1)  de  son  principal  discours 
une  courte  analyse  :  «  M.  Pitt  a  parlé  vendredi...  11  a 
fait  voir  combien  il  était  indispensable  de  continuer  la 
guerre  et  d'en  fournir  les  moyens  au  tloi.  Il  a  insisté 
pareillement  sur  la  nécessité  de  la  guerre  d'Allemagne. 
Il  a  exposé  les  motifs  de  sa  retraite  et  l'opposition  qu'avait 
toujours  trouvé  son  avis  dans  lequel  il  n'avait  été  secondé 
que  par  son  beau-frère,  le  comte  Temple.  Il  a  déclaré  que 
la  lettre  (2)  qui  a  été  rendue  publique  était  de  lui.  Il  a  dit 
aussi  que  jusqu'à  la  moitié  de  juillet,  la  France  avait  été 
de  bonne  foi  dans  la  négociation,  et  que  depuis  elle  avait 
changé  de  langage,  lorsqu'elle  avait  été  sûre  de  l'union 
de  l'Espagne.  »  Il  exposa  «  que  comme  on  ne  pouvait  pas 
douter,  d'après  les  préparatifs  qui  se  faisaient  en  Espagne 
et  d'après  la  réponse  faite  à  mylord  Bristol  (par  le  courrier 
qui  lui  avait  été  dépêché  aussitôt  pour  l'informer  de  nos 


(1)  Fuentes  à  Griinaldi,  17  novembre  1761.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Letter  from  a  right  honorable  person  (Alderman    Heckford).  Animal 
Register,  1761,  vol.  V,  p.  300. 


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EXPLICATIONS  DE  PIT T  A  LA  CHAMBRE. 


6tr 


intentions),  de  la  résolution  que  nous  (les  Espagnols)  avions 
prise,  son  avis,  dans  lequel  il  n'avait  été  soutenu  que 
par  niylord  Temple,  avait  été  de  nous  prévenir  en  dé- 
truisant notre  marine,  ce  qui  était  alors  très  facile,  en 
ne  nous  laissant  point  le  temps  de  nous  préparer,  les  évé- 
nements de  la  guerre  pouvant  rendre  cette  mesure  plus 
difficile  et  diminuer  la  sûreté  des  avantages  de  la  paix 
avec  la  France.  Il  a  ajouté  encore  que  suivant  son  sen- 
timent, on  ne  devait  en  aucun  cas  céder  la  pôciie  à  la 
France,  non  plus  qu'à  nous,  la  force  de  la  nation  britan- 
nique consistant  dans  la  conservation  de  sa  marine  ;  que 
quand  il  resterait  seul  à  son  sentiment  dans  la  Chambre, 
il  croyait  avoir  assez  de  courag-e  et  de  force  pour  dé- 
fendre et  soutenir  la  nécessité  qu'il  avait  établie  de  con- 
tinuer la  guerre,  avec  la  plus  grande  vigueur,  pour 
l'honneur  de  la  couronne  et  de  la  nation  ;  qu'il  avait  la 
plus  grande  satisfaction  de  voir  que  son  système  était 
adopté  par  le  ministère  et  que  l'on  avait  pris  la  résolution 
de  poursuivre  avec  la  même  activité  et  vigueur  l'exécution 
des  engagements  de  la  couronne,  et  d'apporter  la  même 
attention  aux  intérêts  de  l'État  ».  Il  termina  en  citant  le 
mot  de  Scipion  :  Utere  sine  me  consilio  meo  patria. 

Il  est  peut-être  difficile  pour  un  étranger  d'expliquer 
et  de  justifier  la  renommée  extraordinaire  que  Pitt  acquit 
auprès  de  ses  contemporains  et  dont  sa  mémoire  reste 
entourée  jusqu'à  nos  jours  chez  ses  compatriotes.  Certes, 
il  serait  injuste  de  lui  refuser  les  dons  de  j)erspicacité, 
de  clairvoyance,  de  décision  qu'il  montra  au  pouvoir; 
entouré  de  médiocrités,  il  se  révéla  homme  d'État  et  do- 
mina ses  collègues  de  toute  la  hauteur  de  son  talent 
et  de  la  vigueur  de  sa  volonté.  Mais  combien  d'ombres 
au  tableau!  Est-il  possible  d'oublier  les  variations,  pour 
ne  pas  dire  les  contradictions,  de  sa  politique  étrangère, 
la  mesquinerie  de  ses  procédés,  la  raideur  de  son  main- 
tien,  la  susceptibilité  du  collègue,   le  style  pompeux  et 


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018 


LA  UUERRK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  XI. 


cassant  de  l'écrivain,  les  fanfaronnades  dn  tribun  alter- 
nant avec  l'obséquiosité  du  courtisan?  Travers  de  l'épo- 
que, nous  dira-t-on.  Cela  est  vrai;  mais  ils  n'en  portent 
pas  moins  atteinte  au  prestig-e  du  grand  homme.  D'après 
nous,  le  véritable  secret  de  la  popularité  de  Pitt,  c'est  la 
coïncidence  de  son  exercice  du  pouvoir  avec  une  période 
qui  marqua  les  débuts  et  les  progrès  de  la  puissance  et 
de  la  grandeur  britannique.  Insulilsantes,  mal  préparées, 
battues  en  maintes  rencontres,  humiliées  à  la  l'ois  sur 
mer  et  sur  terre,  l'armée  et  la  marine  anglaises  se  relevè- 
rent rapidement  et  se  signalèrent  par  leurs  succès  sur 
tous  les  points  du  globe.  Les  victoires  de  leurs  armes,  la 
prospérité  du  commerce,  le  développement  delà  naviga- 
tion furent  autant  de  faits  heureux  dont  le  peuple  anglais  at- 
tribua le  mérite  presque  exclusif  au  ministre  qui  était  sans 
conteste  le  chef  effectif  du  gouvernement.  Au  surplus, 
Pitt,  dans  ses  qualités  ej  ses  défauts,  incarnait  la  person- 
nalité de  ses  concitoyens  du  xviii"  siècle  :  conliance  inouïe 
en  leur  propre  supériorité,  mépris  souvent  haineux  des 
nations  voisines,  fierté  de  race  dégénérant  dans  l'égoïsme 
le  plus  pur  et  parfois  le  plus  naïf,  politique  des  résul- 
tats sans  ombre  de  générosité  et  sans  souci  du  sentiment, 
toutes  ces  caractéristiques  essentiellement  britanniques 
ne  sont  après  tout  que  l'exagération  des  vertus  corres- 
pondantes, le  courage  civil  et  militaire,  la  discipline  du 
devoir,  le  sang-froid  en  temps  de  crise,  la  persévérance 
poussée  jusqu'au  sacrifice,  le  dévouement  absolu  à  la  chose 
publique.  Les  unes  et  les  autres,  Pitt  les  possédait  au  plus 
haut  degré  ;  ainsi,  en  le  portant  aux  nues,  le  citoyen  anglais 
se  grandissait  lui-même  et  célébrait  la  gloire  de  sa  patrie. 
Cette  orientation  de  l'opinion  a  persisté  jusqu'à  nos  jours. 
De  même  que  Frédéric  est  resté  pour  tout  bon  Allemand 
le  fondateur  de  l'unité  germani({ue,  de  même  la  mémoire 
de  Pitt  bénéliciera  toujours  de  la  transformation  de  sa 
patrie,  puissance  secondaire  en  1750,  en  l'orgueilleuse 


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ÉLOGE  DE  l'ITT  PAU  HUIIKE. 


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conquérante  qui,  en  1763,  dicta  ses  lois  tiu  mondo  civi- 
lisé et  affirma  sa  suprématie  sur  les  mers  et  aux  colo- 
nies. 

Nous  no  pouvons  mieux  illustrer  les  sentiments  qu(^ 
j)rofessaioiit  à  l'éfiard  do  leur  grand  compatriote  ses 
admirateurs  contomj)orains,  (|u'on  citant  un  article  (1) 
de  l'époquo  dû,  assuro-t-on,  à  la  plume  de  Bnrko.  aloi*s 
jeune  écrivain  :  «  Personne  n'a  ét<'  plus  apte  (juo  M.  l'itt  à 
renqdir  la  position  de  ministre  d'une  grnnde  et  ])nissaute 
nation,  ni  mieux  qualifié  pour  pousser  juscju'aux  limites 
extrêmes  la  manifestation  do  la  puissance  et  de  la  gran- 
deur nationales.  Toutes  ses  conceptions  sont  enq)rointes 
d'un  cachet  d'ampleur  et  d'étendue  qui  les  met  presque 
hors  de  ])ortée  de  toutes  les  intelligences,  et  seul  le  succès 
(|ui  les  a  couronnées  leur  donne  un  air  de  raison...  Jouis- 
sant de  très  peu  d'influence  au  Parlement  et  de  moins 
encore  à  la  cour,  il  a  dirigé  l'un  et  l'autre  avec  une  auto- 
rité inconnue  jusqu'alors  chez  les  ministres  les  plus  ap- 
puyés. Il  fut  appelé  au  pouvoir  par  la  voix  du  peuple  et, 
cliose  plus  rare,  il  y  fut  soutenu  par  la  sympathie  du  peu- 
ple. Avec  lui,  pour  la  première  fois,  le  gouvernement  et 
la  popularité  se  rencontrent  sur  la  ménie  tète.  Sous  sa 
conduite,  la  (irande-Bretagne  soutint,  seule  et  sans  aide 
extérieure,  la  guerre  la  plus  lourde  à  laquelle  elle  iiit  pris 
part,  avec  plus  d'éclat  et  plus  de  succès  qu'elle  on  a  Ja- 
mais recueilli,  alors  qu'elle  était  à  la  tète  des  alliances  les 
plus  fortes.  Seule,  notre  lie  a  send)lé  luttera  armes  égales 
contre  le  reste  do  l'Europe.  >■ 

Le  successeur  de  Pitt  au  département  du  Sud  des 
Affaires  étrangères,  lord  Egremont,  sans  modifier  les 
principes  qui  avaient  inspiré  la  politique  anglaise  vis- 
à-vis  de  l'Espagne,  se  montra  dans  la  forme  aussi  cour- 
tois et  conciliant  que  son  prédécesseur  avait  été  rogue  et 


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I 


(«)  Anmial  Register,  17C1,  vol.  IV,  p.  47. 


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LA  r.UEIlRK  DK  SKI'T  ANS. 


CHAI».    XI, 


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I      \ 


hautain.  Sa  première  lettre  à  Bristol  en  date  du  28  oc- 
tobre (1)  débute  par  l'expression  de  la  satisfaction  avec 
laquelle  on  avait  accueilli  à  Londres  un  propos  de  Wall 
«  que  jamais  le  roi  Catholique  n'avait  été  plus  désireux 
d'entretenir  de  bonnes  relations  avec  S.  M.  Britanni((uo 
que  dans  les  circonstances  actuelles  ».  Il  en  était  de  môme 
du  dire  de  ce  ministre  «  que  notre  évacuation  des  derniers 
établissements  sur  la  c»Me  de  Honduras  leur  fournirait  un 
moyen  de  sauver  le  «  pundonor  »  espagnol.  Tels  étant  les 
sentiments  du  Roi,  S.  M.  ne  saurait  s'imaginer  que  la  cour 
d'Espagne  puisse  trouver  déraisonnable  ([u'nvant  que  d'en- 
trer dans  une  négociation  ultérieure  sur  les  points  en  dis- 
pute entre  les  deux  couronnes,  on  demande  la  communica- 
tion du  traité  qu'on  reconnaît  avoir  été  depuis  peu  conclu 
entre  les  cours  de  iMadrid  et  de  Versailles  ou  de  ceux  des 
articles  de  ce  traité  qui  pourraient  avoir  un  rapport 
immédiat  aux  intérêts  de  la  Grande-Bretagne  par  des  en- 
gagements particuliers  ou  exprès,  ou  dans  un  point  de 
vue  plus  généi'al  et  plus  éloigné,  être  de  quelque  manière 
interprétés  comme  ail'ectant  ces  intérêts  dans  la  conjonc- 
ture présente  ».  Le  roi  d'Angleterre,  confiant  dans  les 
assurances  amicales  si  souvent  répétées  de  l'Espagne,  se 
refusjùt  à  croire  qu'un  traité  émanant  de  cette  puis- 
sance put  contenir  quelque  chose  de  préjudiciel  pour  la 
Grande-Bretagne,  mais  les  bruits  répandus  par  la  France 
dans  toutes  les  cours  d'Europe  sur  les  inlenticjns  belli- 
queuses de  l'Espagne  l'obligeai'^nt  à  demander  de  fran- 
ches explications  avant  d'aborder  les  négociations  à 
propos  des  conflits.  Bristol  devait  avoir  recours  à  tous  les 
moyens  de  pression  amicale  pour  obtenir  la  communi- 
cation désirée  :  dans  le  cas  (2)  où  Wall  proposerait  d'y 


(1)  Egremonl  à  Uristol.    28  octobre  1761.  Papiers  sur  la  rupture.    Tra- 
duction Irançaiso. 

(2)  Egreinont  à  Bristol,  séparé,  secret,   28  octobre    17G1.  Papiers  sur  la 
rupture. 


PHEMlkHb:  DKPËCilk:  I>  E(.REMUNT. 


•lit 


substituer  une  affirmation  formelle  de  «  riiinocenco  tlu 
traité  en  question  par  rapport  aux  intérêts  du  Hoi  », 
l'amliassadeur  était  autorisé  à  en  référer  à  sa  cour.  Une 
fois  ce  point  éclairci,  le  gouvernement  ))ritanni([iie  ac- 
cueillerait volontiers  toute  ouverture  sur  les  moyens  do 
procurer  aux  Anglais  leurs  approvisionnements  de  bois  de 
campôclie  et  s'engagerait  à  évacuer  toute  factorerie  du  la 
côte  établi»!  en  opposition  avec  les  droits  territoriaux  de 
l'Espagne.  Egremont  avait  soin  d'ajouter  que  le  départ 
de  Pitt  ne  changeait  en  rien  la  [lolitique  extérieure;  le 
cabinet  était  résolu  à  «  poursuivre  la  guerre  avec  vi- 
gueur, tout  eu  étant  prêt  pour  la  paix  »  à  des  conditions 
sauvegardant  l'honneur  de  S.  M.  et  répondant  suffî- 
sanmient  aux  succès  de  ses  armes. 

Avant  d'avoir  été  touché  par  la  prose  ministérielle,  Uris- 
tol  avait  eu  de  nouveaux  entretiens  avec  Wall.  F^e  ton  de 
l'Espagnol  avait  complètement  changé  (i);  à  une  inter- 
rogation sur  le  traité  d'alliance  avec  la  France  que  l'An- 
glais, de  sa  propre  initiative,  lui  avait  posée,  Wall  avait 
répliqué  par  une  sortie  violente  sur  les  agissements  britan- 
niques. Le  rejet  des  propositions  raisonnables  <le  Chuisenl 
indiquait  le  dessein  de  ruiner  la  France,  de  tondjcr  ensuite 
sur  l'Espagne  et  d'arracher  à  cette  dernière  ses  possessions 
cnAméi'ique.  Devant  une  perspective  pareilhî,  il  conseille- 
rait à  son  maître  de  défendre  ses  sujets  les  armes  à  la 
main,  et  d'abandonner  le  rôle  de  «  victime  passive  »  (ju'il 
avait  joué  jusqu'ici  aux  yeux  de  l'univers.  L'and)assadeur, 
resté  impassible,  avait  renouvelé  sa  demande,  n)ais  n'a- 
vait obtenu  en  guise  d'éclaircissement  qu'une  énumération 
passionnée  des  griefs  espagnols.  Le  récit  de  liristol  pro- 
duisit au  sein  du  cabinet  de  Saint-James  une  vive  émotion 
qui  se  traduisit  par  une  dépêche  d'Egremont  (2),  en  date 


(1)  Bristol  à  Egremont,  2  novembre  1761.  Papiers  sur  la  rupture. 

(2)  Egremont  à  Dristol,  19  novembre  17C1.  Papiers  sur  la  rupture. 


iPi 


022 


LA  GUKIIUE  nK  SKPT  ANS.  —  CHAP.  XF. 


/'/( 


il 


li 


!.' 


du  19  novemhre,  approuvant  la  rondiiitc  de  l'ambassa- 
deur l't  lui  prescrivant  de  rédanuM'  de  la  cour  de  Madrid 
une  «  répoiist!  iininédiatc,  claire  et  caté,y(U'i((iie  à  la 
([uestioii  posre  ».  Il  avait  (irdrc  d'infornier  Wall  que 
«  l(tut(î  remise,  amhiguité  ou  évasion  sci-a  regardée 
comme  un  fondement  plus  que  suffisant  pour  autoriser 
S.  M.  à  recourir  aux  voies  que  sa  sagesse  royale  lui  dic- 
tera poiu'  riionneur  et  la  dignité  de  sa  couronne  et  pour 
la  protection  et  la  silreté  de  son  peuple.  Mais  en  mémo 
temps  (|ue  V.  E.  ne  saurait  être  trop  ferme  et  trop 
précise  sur  cette  question,  vous  aurez  un  soin  parliculier 
d'éviter  de  mettre  rien  de  dur  dans  la  manière  ou  (h; 
mêler  dans  la  conversation  avec  le  ministre  espagnol 
aucun  mot  qui  puisse  tendre  le  moins  du  monde  h.  l'in- 
disposer ou  à  l'irriter  ». 

Dans  le  cas  (I)  où  satisfaction  ne  serait  pas  doimée  h. 
Itt  demande  britannique,  Hristol  devait  quitter  Madrid 
sans  prendre  congé  et  se  rendre  en  toute  diligence  A 
Lisbonne,  d'où  il  avertirait  de  suite  les  amiraux  anglais 
et  le  gouverneur  de  libraltar  de  la  rupture  entre  les 
deux  couronnes.        -  -   - 

La  première  dépèche  d'Egremont  fut  remise  à  Bristol  le 
10  novembre,  mais  la  rentrée  de  la  cour  à  Madrid  retarda 
de  quelques  jours  les  conversations  diplomatiques  et  ce 
ne  fut  que  le  *23  que  rand)assadeur  put  rendre  compte  (*2) 
de  ses  démarches.  Le  gouvernement  de  Madrid  n'avait  pas 
encore  rédigé  sa  réponse  oflicielle,  mais  l'impression  de 
Bristol  était  meilleure  :  Wall  était  revenu  à  son  attitude 
normale,  et  on  s'était  séparé  «  avec  des  protestations 
réciproques  de  notre  désir  sincère  de  maintenir  la  paix  ». 
Jusqu'au  5  décembre,  rien  de  nouveau;  ce  jour-là,  à 
.")  heures    du   soir,   Bristol   re(,'ut  les   instruction^    expé- 


(1)  Egreinont  à  Bristol,  19  novembre  1761.  très  secrol,  st'i)aré  <■     «rret. 
(2;  Bristol  à  Eyreinont,  23  novembre  1761.  Papiers  sur  la  ruptur 


HUISTOL  PRKSKNTE  SON  CLTIMATUM. 


«23 


<1ir(;s(l(>  Londres  lo  1!)  noviMiiliro  (1).  Le  loïKlciiiain  il  nit 
imc  luiiniir  (■((iirciriico  avec  Wall  :  a|n'rs  des  |)rrliiiii- 
iiaii'os  vorheii.vcJ  avec  lorc»'  précauliotisoratoircs,  l'Aiiulais 
nhoi'da  le  siijcl  délicat  des  rxpiicafioiis  à  cxiyoi- an  sujet 
du  fraitr  Jivcc  la  Fi-aiicc;  do  j)act  cl  d'autre  la  c()u\('rsa- 
tiou  l'ut  courtoise,  prcscjuc  cordiale,  età  la  re(|uètedu  mi- 
nistre espa/i'uol,  les  dév<doppenients  de  l'andjassadeur 
furent  n''suniés  dans  une  note  destinée  à  S.  M.  (lallioli(|Uc. 
Le  8,  nouvelle  entrevue  :  Wall  retenu  par  ini  mal  à  la 
jand)e  n'avait  pas  pu  consulter  Ncrbalement  s(»n  maître. 
Dans  un  Inllcl  lacouirpn'  le  iSoi,  tout  en  se  dcciai'aiil 
très  sensible  au  lanj^aj.;'*'  concili;'nt  du  ministère  britan- 
nique que  l'envoyé  avait  re[)roduit,  s'en  tenait  pour  la 
réponse  sollicitée  au  contenu  d'une  dépécbe  (2)  adressée 
t\  Fuentes,  dont  une  copie  avait  été  remise  aidérieure- 
nient  à  Bristol.  L'«'xtrait  de  l.i  dépèche  visée  relatif  au 
traité  n'était  rien  moins  ([n'explicite  :  "  Votre  Kxcel- 
lence,  avait  écrit  Wall,  sait  cond)ien  il  serait  aisé  au  lloi 
<le  faire  une  réponse  directe,  mais  sa  pro])re  disiiiilé  l'en 
empoche,  par  la  considération  (pie  cette  demande  est 
faite  comme  une  condition  compulsive  pour  eidamei'  une 
négociation  avec  l'Espagne  sur  les  ditlérends  (pi'on  avoue 
avoir  subsisté  si  longtemps.  » 

En  présence  de  la  tin  de  non-recevoir  qui  lui  était  op- 
posée, Hi'istol  se  crut  obligé  de  produire  son  nlfimaluni 
dont  il  n'avait  pas  encore  fait  mention.  Enq)rniitoiis  à 
son  récit  la  fin  de  l'entretien  :  ((  .l'avais  ordre  de  déclarer 
à  S.  E.,  dit-il  à  Wall,  que  ma  cour  s'attendait  à  avoir  une 
réponse  catégorique  aux  questions  suivantes  :  Si  le  roi 
Catholique   avait  intention  de   se  Joindre   aux    Français 


'ir 


(1,  Brislol  à  Egreinonl.  7,  '.(et  11  déceinbie  IT'il.  Ces  dt-pi^clics  iic  l'ii- 
lent  expédiées  que  I»-  'O  décembre  et  ne  parvinrent  à  Londres  (|iie  le  ".t 
jaanwr  !"(>'*.  —  Papiers  relatifs  à  la  rupture. 

(2}  Wall  à  Fuentes,  fin  novembre  1761,  communiquée  à  Bristol,  3  décem- 
bre. V^^ier^  relatifs  à  la  rupture. 


62  i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  XI. 


I 


nos  oiiiKMuis,  ou  se  proposait  d'agir  hostileinont  ?  ou  s'il 
voulait  de  (juelquo  manière  se  dôpartir  <le  la  neutra- 
lité? J'ajoutai  que  le  refus  de  l'Espagne  de  consentir  à 
donner  cette  satisfaction  serait  censé  une  agression  de  la 
part  de  lo.  cour  de  Madrid  et  une  déclaration  de  guerre. 
Je  ne  saurais  décrire  la  surprise  qu'exprima  M.  Wall  en 
entendant  ceci.  Il  proféra  seulement  ces  inots  :  «  Que 
doit-il  suivre  ?  Vous  avez  donc  ordre  de  vous  retirer  d'ici?  » 
Je  lui  dis  ([u'il  pouvait  aisément  concevoir  ce  qui  s'en- 
suivrait, si  l'Espagne  ne  désavouait  pas  toute  intention 
de  prendre  part  avec  nos  ennemis  déclarés,  car  J'avais 
ordre  de  signilier  qu'un  tel  refus  ne  serait  envisagé 
par  S.  M.,  sans  aucun  autre  point  de  vue,  queconmie  une 
déclaration  absolue  de  guerre.  Il  me  dit  ([ue  la  réponse 
catégorique,  qu'il  m'était  ordonné  de  demander,  était  une 
telle  attaque  de  la  dignité  du  roi  Catholique,  qu'il  lui  était 
impossible  de  donner  aucun  avis  à  son  souverain  sur  un 
sujet  aussi  délicat.  » 

Wall,  après  avoir  écouté  en  silence  un  dernier  appel  à 
la  conciliation  que  lui  adress.".  son  interlocuteur,  terinina 
la  séance  en  priant  celui-ci  de  reproduire  par  écrit  le  texte 
de  l'ultimatum  formulé.  Bristol  s'exécuta,  laissa  l'écrit 
entre  les  mains  du  ministre  espagnol,  et  prit  congé.  La 
réponse  de  la  cour  de  iMadrid  ne  se  fit  pas  attendre  ;  elle 
était  datée  du  10  décembre  et  ne  contenait  que  quelqu<'S 
mots  :  La  demande  anglaise  était  considérée  conmie  l'é- 
quivalent d'une  déclaration  de  guerre,  a  V.  E.  peut  son- 
ger à  se  retirer  quand,  et  de  la  manière  t[u'il  vous  con- 
viendra, ce  qui  est  la  seule  réponse  que,  sans  vous 
retenir,  S.  M.  m'a  ordonné  de  vous  faire.  »  A  ce  congé  un 
peu  sec  était  joint  un  billet  de  la  main  de  Wall  témoignant 
de  son  estime  et  de  son  respect  pour  la  personne  de  l'am- 
bassadeur. Malgré  ics  facilités  promises  pour  le  voyage, 
Bristol  ne  put  quitter  Madrid  que  le  17  décembre;  on  lui 
refusa  des  chevaux  de  poste,  et  on  ne  lui  permit  pas  d'ex- 


RUPTURE  ENTRE  LANGLETERRE  ET  LESPACxNE. 


625 


S' 


pédier  un  courrier  spécial.  Ce  ne  fut  qu'à  sou  arrivée  à 
Elva.s,  en  Portr.gal,  le  20  décembre,  qu'il  put  envoyer  à 
Londres  le  récit  de  ses  entrevues  avec  Wall  et  les  copies 
des  notes  échangées. 

En  réalité,  le  roi  Charles  avait  pris  son  parti  depuis 
longtemps  et  n'avait  retardé  l'ouverture  des  hostilités  qixe 
pour  des  raisons  financières  et  militaires.  Avant  d'agir, 
il  désirait  placer  en  lieu  si'ir  les  espèces  et  le  trésor  que 
lui  apportaient  les  vaisseaux  attendus  à  Cadix  et  il  voulait 
avoir  le  temps  de  mettre  ses  forteresses  d'Amérique  îl 
l'abri  d'un  coup  de  main  des  Anglais.  Wall,  pendant 
longtemps  adversaire  d'une  politique  qui  lui  avait  été  en 
quelque  sorte  imposée,  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
seconder  les  vues  prudentes  de  son  souverain. 

Par  suite  des  entraves  apportées  au  départ  de  Bristol, 
les  détails  de  la  rupture  furent  communiqués  A  la  cour  de 
Londres  par  Fuentes  qui  remit  à  Egremont  la  demande  de 
ses  passeports  accompagnée  d'un  mémoire  justificatif  ré- 
digé à  Madrid  et  destiné  à  la  publicité.  Une  lettre  de 
Wall  à  Grimaldi  relate  le  subterfuge  auquel  avait  eu 
recours  le  roi  Catholique  pour  expliquer  une  attitude 
que  la  cour  de  Londres  aurait  pu  «jualifier  avec  raison 
d'équivoque  :  «  il  sera  facile  à  V.  E..  écrit  Wall  (J),  et  au 
ministère  de  Versailles  de  rer.onnaitre  dans  (piel  esprit 
ont  été  dictés  les  termes  du  mémoire  que  l'on  ordonne  au 
com*,e  de  Fuentes  de  donner  et  de  publier,  et  il  est  heu- 
reux que  l'on  puisse  assurer,  sans  risque,  ([uil  n'existe 
point  d'autre  traité  (|iie  le  pacte  de  famille  signé  le 
ir>  août,  puisque  nous  sommes  convenus  de  postdater  la 
convention,  de  sorte  qu'elle  paraisse  avoir  éîé  faite  après 
la  rupture  de  la  négociation  des  Français  et  des  Anglais.  » 
Wall  fait  valoir  l'avantage  de  la  manœuvre  qui  rejette 
dans  l'ombre  «  le  traité  d'union  pour  la  guerre  »  et  égare 

(1)  Wall  à  (Irimaldi,  «  décembn    1701.  AlVaiics  LIrangcres. 

GL'EllUli   I)i:  SEPT   ANS.    —  T.    l\.  40 


-^i: 


t. 


') 


626 


r.A  GUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  XI. 


l'opinion  aiiplaise.  (IcUo-ci  fera,  retoiubor  sur  le  ministère 
anglais  et  particulièrement  le  ministère  Pitt,  «  son 
ressentiment  de  ce  que  par  un  soupçon  mal  fondé,  il 
nous  a  forcés  de  devenir  ses  ennemis...  Si  nous  eus- 
sions nié  absolument  qu'il  y  eût  un  traité,  et  que  nous 
nous  fussions  engagés  dans  la  guerre,  on  en  aurait  tiré 
cette  conséquence  <[ue,  quoique  nous  eussions  gardé  le 
silence  sur  le  traité,  il  existait  néanmoins,  puisque  nous 
ne  nous  serions  pas  ex^xisés,  sans  avoir  pris  nos  mesures 
au{)aravant,  et  cela  ferait  triompher  l'avis  que  Pitt  a 
donné  dans  le  conseil,  que  i)uisque  au  fond  l'Espagne  était 
déterminée  à  faire  la  guerre  à  l'Angleterre,  il  fallait  l'en 
empêcher  ».  Wall  conclut  ainsi  :  «  D'un  autre  cùté,  pour 
venger  la  grandeur  du  Roi  offensée  par  la  démarche 
du  niylord  Bristol,  il  parait  (jue  la  manière  la  plus  noble 
et  la  plus  fière  est  de  lui  refuser  la  réponse  en  lui 
signifiant  de  sortir  de  la  cour,  et  en  ordonnant  la  même 
chose  au  comte  de  Fuentes,  et  de  rendre  public  ensuite 
de  son  propre  mouvement,  ce  que  l'on  n'a  pas  voulu 
dire  lorsque  l'on  en  a  été  requis  avec  arrogance  et 
menace.  Le  Roi  désire  que  ce  plan  soit  approuvé  du  roi 
son  cousin  et  de  son  ministère.  » 

Le  mémoire  présenté  par  Fuentes  (1)  porte  la  date  du 
•25  décembre;  il  se  plaint  des  procédés  britanniques,  «  de 
la  façon  insultante  avec  laquelle  les  affaires  de  l'Espagne 
ont  été  traitées  pendant  le  r  inistère  de  M.  Pitt...  du  ton 
fier  et  impérieux  avec  lequel  on  lui  a  demandé  le  contenu 
du  traité.  Si  on  avait  ménagé  le  respect  dû  à  la  Majesté 
royale,  on  en  aurait  eu  des  éclaircissements  sans  aucune 
difficulté.  Les  ministres  d'Espagne  auraient  pu  dire  fran- 
chement à  ceux  d'Angleterre  ce  que  le  comte  de  Fuentes, 
par  un  ordre  exprès  du   Roi,  déclare  publiquement,   sa- 


(1)  Noie  remise  par  Fuentes  à  Égremonl,  25  décembre  1701.  Papiers  sur  la 
rupture. 


■f 


IMPATIENCE  DE  CIIOISEUL. 


621 


voir  :  que  ledit  traité  n'est  qu'une  convention  entre  la 
famille  de  Hourbon,  où  il  n'y  a  rien  qui  ait  rapport  ù  la 
présente  guerre,  qu'il  y  a  un  article  pour  la  garantie 
mutuelle  des  États  des  deux  souverains  ;  mais  il  y  est  spé- 
cifié que  cette  ijarantie  ne  doit  s'entendre  que  des  États 
qui  resteront  à  la  France  après  (pie  la  guerre  présente 
sera  finie  ».  Enfin,  la  pièce,  comme  preuve  des  intentions 
conciliantes  de  l'Espagne,  rappelait  la  démarche  du  l'oi 
Catholique  auprès  du  roi  de  France,  consentant  à  séparer 
les  intérêts  des  deux  pays,  «  si  l'union  de  ces  intérêts  re- 
tardait en  quelque  façon  la  paix  avec  l'Angleterre  ». 

Au  mémoire  de  Fuentes,  le  ministère  britannique  ré- 
pliqua (1)  par  un  document  où  il  s'ell'orçait  de  justifier 
son  action,  relevait  le  refus  de  l'Espagne  de  s'expliquer 
sur  sa  conduite  future  et  faisait  appel  au  verdict  de 
l'opinion  publique.  Ea  déclaration  de  guerre  fut  pro- 
clamée à  la  date  du  deux  janvier  1762  et  portée  le  19  du 
même  mois  à  la  connaissance  du  Parlement  par  un  mes- 
sage du  l'oi  Georges.  S.  M.  Catholique  suivit  cet  exemple 
en  piil)liant  une  pièce  similaire  qui  porte  la  date  du 
18  janvier. 

Comme  bien  n  pense,  pendant  les  derniers  mois  de 
ITTil,  le  but  de  Choiseul  fut  d'obtenir  de  S.  M.  Catlioli(|ue 
la  I  ipture  officielle  dont  l'ajournement  ne  laissait  pas 
d'im  iéter  la  cour  de  Versailles.  Dans  une  lettre  2) 
dont  .  ibjet  apparent  était  d'exprimer  sa  gratitude  pour 
l'octroi  de  la  Toison  dOr  qui  venait  de  lui  être  décernée 
et  de  porter  à  la  connaissance  de  la  cour  de  Madrid  les 
modiiications  ministérielles  dans  la  réi)artition  des  porte- 
feuilles français,  Choiseul  confie  ses  préoccupations  à  Os- 
sun  :  "  Enfin,  pour  ne  rien  vous  cacher  de  ce  que  j'ai  sur 
le  cœur,  je  vous  avoue  f[ue  je  crains  encore  un  peu  <|ue 

(l)  Réponse  remise  à  Fiienles  par  Egrenionl,  ;u  déceinlire  1701.  l'apicrs  sur 
la  ru|>Uire. 
{'?.]  Clioisful  à  Ossiiii,  8  octobre  1701.  .Vfl'aires  Etranj^ères. 


ni 


""■5.V1-W. 

M 


«2  s 


LA  GUERRE  DE  SKPT  ANS.  —  CHAP.  XI. 


l'Espagne  ne  diffère  à  se  déclarer,  et  je  vois  avec  peine 
qu'elle  laisse  à  Londres  son  ambassadeur;  vous  sentez 
combien  la  dignité  du  lioi  souffrirait  s'il  nous  arrivait  dans 
cette  occasion  la  même  cbose  qui  nous  est  arrivée  en  1750 
à   Saragosse;    les  lenteurs  de  l'Espagne  font  tenir  des 
mauvais  propos.  Je  ne  crois  pas  que  la  probité  du  roi  Ca- 
tholique puisse  être  soupçonnée,  mais  je  ne  peux  pas  ne 
pas  voir  avec  peine  le  discrédit  qu'une  lenteur  déplacée 
pourrait  produire;  mes  réflexions  h  cet  égard  sont  pour 
vous  seul.  Faites  revenir  M.  de  Fuentes,  engagez  que  l'on 
coupe  décisivementle  nœud  gordien,  ce  qui  renversera  le 
crédit  anglais  et  augmentera  le  nôIre  ».  Quelque-  jours 
ap^'ès,  il  prévoit  (1)  la  réunion  éventuelle  du  congrès 
d'Augsbourg  et  se  demai.dc  à  quel  titre  l'Espagne  pourra 
y  figurer,  si  elle  n'est  pas  encore  puissance  belligérante. 
La   démission   âe  Pitt    l'ut  une  .surprise  ponr  tout  le 
monde,  et  notamment  pour  Choiseul  qui  craignit  évidem- 
ment un  revirement  pacifî([ue  de  l'Angleterre  :  «  La  re- 
traite de  M.  Pitt,  mande-t-il  (2)   à  Ossun,  causera  sûre- 
ment à  Madrid,  Monsieur,  le  même  étonnement  qu'il  a 
produit  ici.  M.  le  marcjuis  de  Grimaldi  m'a    montré  ce 
que  lui  mandait  M.  le  comte  de  Fuentes  à  cet  égard,  et 
les  j)ropos  amiables  que  Milord  liu\lo.(sic)  avait  tenus  à 
cet  ambassadeur  relativement  aux  différends  de  l'Espagne 
avec  l'Angleterre.  Je  ne  doute  pas  que  la  rupture  de  no- 
tre négociation  avec  la  Cour  de  Londres  n'ait  été  un  des 
motifs  de  ""i  changement  dans  le  ministère  britanni(jue, 
ou  du  moins  le  prétexte  plausible  qu'ont  saisi  les  ennemis 
de  M.  Pitt  pour  l'obliger  à  se  retirer,  et  conséquemment, 
je  pense  que  Milord  Butte  va  s'attacher  par  toutes  sortes 
de  moyens  à  conjurer  1  orage  qui  était  prêt  à  fondre  sur 
son  pays  par  l'union  de  la  France  et  de  l'Espagne.  Mais 


(1)  Clioiseul  à  Os^an,  13  octobre  1701.  Affaires  Étranfjf'res. 
('.!)  Choiseul  à  Ossun,  19  octobre  l"(il.  Affaires  Étrangères. 


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SURPRISE  CAUSEE  PAU  LA  UUPTl  KE. 


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les  ministres  anglais  peuvent  changer,  je  suis  bien  sur 
que  la  volonté  du  Roi  et  du  roi  dEsp.igne  ne  cliangeront 
pas...  voilà  le  véritable  moment  d'arrêter  les  progrès  de 
l'ennemi  commun!  Le  trouble  de  son  intérieui,  les  em- 
barras qu'il  rencontre  dans  ses  moyens  doivent  nous 
faire  augurer  que  la  déclaraticn  de  l'Espagne  réduira 
l'Angleterre  à  un  système  pacifique  et  modéré,  tel  qu'il 
convient  aux  intérêts  et  à  l'honneur  des  deux  cou- 
ronnes. » 

La  dépêche  de  Fuentcsfut  bientôt  suivie  d'une  autre  (1) 
contenant  le  récit  d'une  conversation  avec  le  nouveau 
secrétaire  d'État,  lord  Egremont.  D'après  ce  ministre,  le 
cabinet  britannique  serait  enclin  à  renouer  les  négocia- 
tions ;  mais  de  l'avis  unanime  de  ses  membres,  se  refuse- 
rait à  en  prendre  l'initiative.  L'on  ne  croyait  pas  au 
retour  de  Pitt  au  pouvoir  :  «  cà  cause  de  l'opposition  qui 
s'y  est  formée  contre  lui,  et  de  l'empire  absolu  ((u'il 
usurperait  s'il  venait  à  y  rentrer,  cela  ne  pouvnnt  arriver 
que  par  quelque  coup  d'éclat  qui  n'est  prévu  ni  dans  la 
nation,  ni  dans  la  ville.  Mais  comme  le  motif  de  sa  re- 
traite, ainsi  qu'il  l'a  publié  lui-même,  est  qu'il  voulait 
nous  prévenir,  à  cause  de  la  certitude  qu'il  avait  de  notre 
union  avec  la  France  pour  faire  la  guerre  à  l'Angleterre, 
si  les  assurances  cpiil  a  données  à  ce  sujet  se  réalisent, 
ses  affaires  deviendront  meilleures  et  c'est  le  moment 
qu'attendent  ceux  de  son  parti  ([ui  se  llattent  (pie  les 
réponses  que  rapporteront  les  courriers  dépêchés  à  Mylord 
Bristol,  justifieront  sa  conduite  ». 

Quoique  décidée  en  principe  depuis  longtemps  par  la 
cour  (le  Madrid,  la  rupture  elléctive  .ivec  l'Angleterre 
parait  avoir  surpris  les  hommes  politiques  le  plus  au  cou- 
rant de  la  situation.  Dans  une  dépêche  du  7  décembre  i  2), 


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(1)  Fuentes  à  Griinaldi,  17  novembre  17(;i.  Affaires  Klrangèics. 

(2)  Ossiin  il  Clioiseiil,  7  déceiiibif  17(Ji.  An'airos  Ktrangères. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  XI. 


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lendeiniiin  de  la  première  entrevue  rie  Wall  et  de  Bristol 
et  veille  de  la  remise  de  rullimatum  anglais,  Ossun  parle 
des  bonnes  intentions  de  Bristol,  de  son  ail'ection  pour 
S.  M.  Catholique,  des  reproclies  de  partialité  encourus 
de  Londres,  de  la  demande  de  rappel  adressée  en  con- 
séquence <V  son  Gouvernement,  entin  des  larmes  versées 
pendimt  son  entrelien  avec  Wall.  Ce  dernier  «  m'a  dit  que 
le  ministère  britanni(jue  reconnaissait  que  M.  Pitt  avait 
trahi  les  véritables  intérêts  de  sa  patrie  en  n'acceptant  pas 
les  conditions  de  paix  que  la  France  avait  oflertes,  et  en 
opinant  pour  déclarer  la  guerre  à  l'Espagne.  M.  Wall  a 
ajouté  que  ce  môme  ministère  venait  de  rendre  justice  à 
la  conduite  de  mylord  Brislol,  et  do  lui  refuser  la  ])er- 
mission  de  quitter  son  andjassade.  Il  m'a  paru,  iMonsieur, 
que  S.  iM.  Catholique  regardait  toutes  ces  nouvelles  ma- 
nœuvres comme  un  arlifice  que  les  Anglais  emploient 
pour  endormir  l'Espagne  et  avoir  le  temps  de  préparer 
quelque  coup  contre  cette  couronne.  Bien  ne  sera  donc 
retardé  ici  sur  les  préparatifs  d'une  guerre  offensive  et 
défensive.  Tout  ce  qui  pourra  résulter  de  pis,  sera  d'éloi- 
gner encore  la  déclai-ation  de  l'Espagne.  Je  no  snurais 
même  vous  dissimuler  que  les  vues  de  M.  Wall  me  parais- 
sent toujours  tournées  à  différer,  sans  que  je  puisse  pé- 
nétrer quel  est  le  motif  solide  qui  l'y  détermine  ».  Il  est 
})r()))able,  en  effet,  que  sans  l'ultimatum  anglais,  la  cou!' 
de  Madrid  eût  ajourné  encore  une  rupture  que  ses  mi- 
nistres et  Wall  tout  le  premier  eussent  voulu  remettre  au 
printemps  suivant. 

Avec  la  signature  des  traités  franco-espagnols  et  l'ou- 
verture des  hostilités  entre  l'Espagne  et  la  Grande-Breta- 
gne commence  la  dernière  phase  de  la  lutte  cpii  avait  mis 
aux  prises  les  piincipales  monarchies  de  la  vieille  Europe. 
Dans  l'esprit  des  fondateurs  de  la  nouvelle  alliance,  Choi- 
scul  et  le  roi  Don  i^larlos,  il  s'agissait  d'un  suprême  etfort 
pour  disputer  à  l'Angleterre  la  suprématie  maritime  qui 


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FORCES  DE  L'ESPAGNE. 


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lui  î  vait  permis  de  porter  de  si  rudes  coups  à  l'empire 
colonial  de  la  France  et  qui  devenait  une  menace  per- 
manente et  grandissante  pour  les  possessions  espagnoles 
d'ontre-nicr.  Malheureusement,  l'épocpie  clioisie  pour 
l'exécution  d'une  conception  à  la  ibis  hardie  et  logi(juo 
était  beaucoup  trop  tardive;  les  auteurs  du  projet  ne  te- 
naient compte  ni  de  l'épuisement  de  la  marine  française, 
ni  de  la  faiblesse  des  armements  que  l'Esjjagnc  pouri-ait 
opposer  à  sa  puissante  rivale.  A  la  fin  de  1761  (1),  l'An- 
gleterre possédait  une  force  navale  de  105  vaisseaux  de 
ligne  et  111  frégates;  la  France  ne  pouvait  mettre  en  ligne 
que  V8  vaisseaux  aux(|uels  se  joindraient  57  espagnols  (2). 
Mais  si  l'égalité  semblait  exister  sur  le  papier,  il  y  avait 
infériorité  marquée  au  })oint  de  vue  de  la  valeur  du  per- 
sonnel, tant  officiers  que  matelots  :  Tandis  que  les  Hottes 
alliées,  à  de  rares  exceptions  près,  étaient  montées  par 
des  équipages  mal  recrutés,  inconq)lets,  sans  pratique 
de  la  navigation,  les  escadi-es  britanniques  jouissaient 
de  tous  les  avantages  qu'assurent  le  prestige  de  chefs 
liabitués  à  la  victoire ,  l'expérience  de  longues  cam- 
pagnes à  la  mer  et  la  forte  discipline  des  subor- 
donnés. 

L'armée  de  terre  espagnole,  peu  nombreuse  —  en  17(50 
elle  lie  comptait  que  Ol.îJll  hommes  et  n'avait  reçu  de- 
puis cette  époque  que  des  augmentations  sans  grande 
importance  —  était  à  peine  exercée,  médiocrement  entre- 
tenue et  mal  commandée.  Seules,  les  finances  étaient 
prospères.  Le  budget  de  1760  (Ui  comportait  environ  136 
millions  do  livres  en  recettes  contre  90  millions  de  dé- 
penses et  faisait  ressortir  un  boni  de  V6  millions  auquel 


(1)  Annual  liegister,  vol.  IV,  lytJl,  p.  1"J0.  Hiiiit,  l'olilical  llistorij  df 
England,  vol.  X,  p.  .<9. 

(2)  Sur  ce  nombre,  i9  soulcineni  étaient  en  état  d<!  prendre  la  mer.  Rous- 
seau, Replie  de  Charles  III,  vol.  I,  p.  8.'!. 

(3)  Bristol  à  l'itt,  11  février  1760.  Retord  Ollice. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  XI. 


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sajoutaiont  les  remises  des  Aim  riques  et  des  Pliilippinos, 
évaluées  à  73  millions  dc^  livres.  Les  richesses  ainsi 
accumulées,  ([ui  eussent  permis  le  maintien  d'nn  état 
militaire  imposant,  avaient  été  gaspillées  en  construc- 
tions somptueuses  et  inutiles.  Beaucoup  mieux  renseigné 
que  son  rival  français,  Pitt  s'était  rendu  compte  de  la  fai- 
blesse du  colosse  aux  pieds  d'argent,  image  véridique 
de  l'Espagne  d'alors;  aussi  n'avait-il  pas  hésité  à  affronter 
une  guerre  de  laquelle  il  espérait  tirer  de  nouveaux 
avantages  pour  son  pays.  L'histoire  îlémoutra  que  son 
pronostic  reposai!  sur  des  bases  exact<!s  et  sur  ties  infor- 
mations correctes. 


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NOTES 


Les  c.irtcs  de  région  ont  élé  calquées  sut-  des  cartes  autographiées 
du  dépôt  de  la  Section  historique  du  ministère  de  la  Guerre. 

A.  Carte  de  la  Saxe  et  de  la  basse  Silésie. 

B.  Carte  de  la  liesse  et  d'une  partie  de  la  Westphalie. 

Les  plans  de  batailles  joints  à  ce  volume  sont  la  reproduction  de 

six  plans,  manuscrits  ou  gravés,  conservés  aux  Archives  de  la  Guerre. 

1"  Combat  de  Landshut.  —  l'ian  lithographie,  sans  nom  d'auteur, 
dressé  vers  IHilO  et,  serable-t-il,  à  l'état-major  prussien. 

2"  Combat  de  Corbach.  —  Plan  levé  par  le  S''  Fossé,  sergent  au  régi- 
ment du  Uoi-Infanterie,  et  gravé  par  M"'«  Maugein  (de  l'époque). 

3"  Combat  de  Warburg  —  Plan  dessiné  par  C.  C.  de  Pflueg,  aide  de 
camp  du  chevalier  du  Muy,  et  gravé  par  Mavr,  à  (>assel  (de  l'é- 
poque). 

4"  lîataille  de  Liegnitz  (ou  Hanten),  plan  manuscrit  1 1  en  couleurs, 
sans  nom  d'auteur  (de  l'époque). 

;i"  Combat  de  Clostercamp.  —  Plan  manuscrit  dressé  par  les  ingé- 
nieurs géographes  du  Roi  (de  l'époque). 

6"  Bataille  de  Torgau.  —  Plan  dessiné  par  le  capitaine  saxon  Aster, 
et  gravé  à  Dresde  à  la  fin  du  xviu''  siècle. 


(1)  Les  villages  de  SciiiHiborn  et  de  l'olilscliildcrn  iio  sont  pas  compris  4lans 
ce  plan.  Ils  se  trouveraient  un  pou  en  dehors  du  cadre,  le  premier  au  nord  de 
l'anteu,  et  le  second  au  nord-csl  de  liicnowii/. 


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TABLE   DES   MATIERES 


(•IIAI'ITUR  I 
Landshut  et  Llegniti. 

I.aiidon  ou  Sil«^sio.  —  Coinhat  de  Landshut.  —  Priso  do  (ilatz.  — 
Ari'ivôo  du  princo  Henri  et  des  Russes  à  lii vslau.  —  Bonibai'de- 
nient  de  Dresde.  —  Levée  du  siège.  —  Marche  parallèle  de  Dauu 
et  de  l'rédérii-  vers  la  Sllésie.  -  Opérations  sur  la  Katzbach.  — 
Bataille  de  Liognitz.  —  Recul  des  Russes 


riiffi"". 


CHAPITRE  II 
Berlin. 

Manœuvres  de  Frédéric  et  de  Daun  en  Silésie.  —  Expédition  das 
Russes  et  de  Lascy  sur  Herlin.  —  Capituliitiou  et  occupation  de 
Berlin.  —  Siège  de  Colberg.  —  Retour  des  Russes  derrière  la 
Vistule.  —  Campagne  des  S"édois 75 

CHAPITRE  III 
Torgau. 

Combat  de  Streida.  —  Deux-Ponts  maître  de  la  Saxe.  —  Retour  en 
Saxe  de  Krédérie  et  Daun.  —  Séparation  et  i'etrait(>  de  l'armée 
des  Cercles.  —  Bataille  de  Torgau.  —  Frédéric  reconquiert  la 
Saxo.  —  Opération  de  Laudou  en  Silésie 112 

CHAPITRE  IV 
Campagne  de  Broglie,  1760.       Corbach  et  AVarburg. 

Rapports  de  Belleisle  et  Broglie.  — Conqurtc  de  la  liesse.  —  Succès 
de  Corbach.  —Renvoi  de  Saint-Germain.  —  D(;l'aite  de  Warburg. 
—  Prise  de  Cassel : l^î 


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TABLE  DES  MATIEHE». 


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CIIAl'ITIU';  V 
Clostercamp. 


P»»p«. 


Surprise  do  Ziorcribcrg.  —  Combats  do  Franckenau  ot  de  Drauiis- 
('('1(1.  —  Iiiversioii  du  priuco  hcrd'ditairo  eu  VV'pstjihalic  —  Cas- 
liios  sur  1(>  HaslUiiu.  —  Ilataillo  do  Clostorcauip.  —  l'ordluand 
(Mivaliil  lu  llc.ss(>.  —  l)(''faito  des  Saxons.  —  Si('!Ko  do  Casscl.  — 
Kotour  nlTcnsif  de  KroKlio.  -  Combat  do  Orlinlterj;.  —  Ilotiaitc 
d(!  l'fc.dinaud »îir» 


1    > 


CIIAI'ITUE  VI 
Perte  du  Canada. 

Situation  au  common'"pment  de  KtJO.  —  Ilataillo  do  Sainto-Koy. — 
Siège  de  Qu(''])ec  par  Lc'vis.  —  Arrivée  de  la  (lott(?  anglaise.  — 
Éraeualion  de  l'Ile  aux  Xoi.x.  —  Prise  du  fort  I.i'vis.  —  Capitida- 
tioii  de  Montréal.  -   l'rod-s  de  Higot  et  de  ses  assoeit'S 332 


1       \. 


CIIAI'ITUE  Vil 
Politique  intérieure  de  l'Angleterre. 

Jlorl  de  Georges  11.  —  Pourparlers  entre  la  Franco  et  l'Espagne. . .    393 


'  ,11 


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CIIAPITHE  Vlll 
Négociations  avec  l'Autriche  et  avec  la  Russie. 

Ouvertures  paeiliquos  de  Choisoul  à  Vienne.  —  Kosistanco  de  Kau- 
iiitz  et  do  Marie-Tli('r(''se.  —  Réponse  do  l'Autriche.  —  Change- 
ment d'attitude  à  Vienne.  —  Uroteuil  ot  Worou/.ow.  —  Kaunitz 
propose  un  congrès  unique.  —  Variations  de  la  Kussio.  —  Discus- 
sions violentes  à  Vorsailh'S  et  ii  Vienne.  —  Accord  di-finitil'  sur 
la  déclaration  collective  et  sur  la  lettre  de  Choisoul  à  Pitt 538 

CHAPlTKi:  IX 
Négociations  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

Remise  dos  déclarations.  —  1,'oxpédition  de  Rolleisle.  —  L'uti  pos- 
sid(nis.  —  Correspondance  de  Pitt  et  de  Clioiscul.  —  Missions  de 
Stanle}'  et  Russy.  —  Leurs  instructions.  —  Rùle  de  Choiseul.  — 
Mémoii'o  sur  les  griefs  espagnols.  —  Portraits  de  Pitt  et  Choi- 
soul      194 


TAIW.E  I)K8  MATIKUES.  637 

(  IIAI'ITIIM  X 
Rupture  des  négoolatlona  pour  la  paix    particulière. 

P«fM. 

Intorvvnlion  de  l'Aiitrl 'lu'.  —  Mauvaise  Iminciii'  de  Kaiiiiitz.  — 
P^-*'iitatioii  ili's  Mt'inoin.'s  Mir  les  Ki'iefs  i'S|)a«iiols  et  sur  les 
coii(|UiHos  allciiiaiidos.  —  Colère  de  l'itt.  —  Id-iivoi  h  Itiissy  des 
Mémoires.  —  ritiiuiitimi  au^'lais.  -  Indi^ciiation  de  Clioiseiil.  — 
SiKiiatiire  du  l'arte  de  laiiiiile  et  de  la  ('onveiitioii  avec  l'Kspa- 
gno.  —  Nouvel  »!cliau),'0  irultinmtums.  -  llappel  do  Stanley  et 
do  Bussy ô."» 

CIIAPITHI'  XI 

Pacte  de  taïuille.  —  Démission  de  Pitl.  ~  Kuplure  entre  l'Es- 
pagne et  l'Aiif-'Ieterre 602 

Notes 63H 


Typographie  Kirmiii-Didot  et  C».  —  Mesnil  (Euro. 


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/"  tLippsprinOi 

•PadêTborn     .^"^''O'    /      ^^°''^<^  . 


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Lichtenau 
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rt  une  pArtie  Je  L  Q.ruxee  Olltee 
{vtvie  du  reffe  de  cette   Urme'e 
comntanJx.'» 

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Rot^nn^ry 


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JnfarUene 


Ron  x'oy 

jiufv  r/f  t/fujr  flf^''</f  JfraMUj  «r  ■li' /Tijn.  ./J» 
h.'.Arr  </"'  I  l'tnrr  .it'-rncr  t/m/a/tmnfe  r/u /oti^\ 

<^ri  'un  ^out//iif-/''tKUj  rciniffr^rr,  f?ytinf  iTr^ri;u 

r/t  Ub^^tr,/  fn'lr  Chttti/ter  Du  Afu^ ftr  ntrtrf. 
fr  A,tf,ii//e  Au    Kr.rf^i'r  .^ui  aioif  eu    ,3a<^ 

Ju  /,tw  ■  rf  fut  fUfmnJrv 

J.tl  pr^mtfre  ^j-ltton 
La  £yf%atu/e    aar    Jfottr-Aoftni-'rtf 
ri'm^i\re«  iJe  et  Re^mftt 
Ç    La  Bnyat^  rie  /u  Cowt^nru 
cotn^ojt'e  dSr  ie  fUjtfr,  -nf 
KtcU  c*/ut  n/'  tZumjynr 
1^).  Ca.  Bricfiu^  i/f    Sentit! f    . 

rofry>,xiee  c^  r^  JU^tm^nt 
et  Uf  ca/tu  <ét   GL/uri^ft  . 

rt  i^e  celttt  r/m/oe^ftvann 

G   Le Keat  iée  7)myonj  c/e  Tfuanije 
H.  Lu  Bn^aUt.  U*  /Uya/  f>tt<£rrii'/ti 
corrifia/ee  cée  ce  JUaimenl ,  ef 
(/eceux  J'£-recu-j  et  W£r^uAal, 
l.  £•!  hri^udf.  de  S/'Urf'ai, 

tifmjoauee  cJit  ce  Jtaoirnent  et  «2e 
ceuK.  lie  BeaufMtM-^  etcl'clrefucic. 
K-  La  Brt^a<ic  </e  fa  Aetrie  , 

eornparee  <jfe  ce  /^aiment  et  ife 
ceux  cii»  Crujj^vi  et  cie  Atfinccuirt  ■ 
L.  Ltf  Brr'^fiUe  U4i  R4jt/a/Ttarttfer,r 
i'c^nKfojfX  tfe  ae  /feytmemâ^e.e 
</e  eeùtc  </e  Furn^/ ,  er  oT  un 

M.  La  BrtOftife  </>.   T.-"riitrte 

cofntjo.'ee  f/*  «--^  Ke^tment.ec 
,/e  rr.iui  >/'  i,  rttféiien    - 
N  LaUn^ide  cfr  /../.  T.w  t^fu  ^>in 

comfxyjee  ^e  ce  Âe^mefU 
O.  tu  Brt^aife ,  cfe   Rcuer^ie 

cornftc'jée  ufc  ce  deytmvruet 
<jU  ceàui  cée.  /ic/ian  tlocfieffre 
V.  ButtertAit  i/e   ^tzn47ru 

1. 1  Dtu.t.  C'fmn^  (/e  /'./nfa^tcrtr  £,nnemie,  tfui 
ai/arit tourne  (^<fau/A£  i/u  Cj, /Y'Jr.^orterent 
ver:'  /<v  /itut£eur  Q.-/"^  ta/:^rnf^  cfe  fa  yue/fe 
ifyu  une  ùd>u^  a/orj  /,e  ('Xe"    Du  Muu  <'n^"'i'>'J 

Ltl  c^^UJCtCfie  pc'jttfort 
O.  Lu  4^ru/cicfe  t^' ffn/cmte rte  </,e  A^ur/rfittota 

i     .     .     ' .      .       .     .  r^  f<t  fourtmiie- 

c -     .  ~    cfe  Koueff^UM: 

</    ,     .      -  ...    Ue    yen^tf.r 

|f    /.u  3nyade  <ife  Cztia/fgreK  ««<■  fltHtrfxtt 

t c/e  Rc^uf  ^'W^tn,ml 

V  lit  BrtOfiiAde  el'JrtJimterve  cfe  /"ftw  fu 
1>LeJieat  <^e  jyniiJitn^  cfe  Rocuf.  Dru^Oi 


te 
Cauait^enti 

Centra 


Jefa 


ff^mterie 


Dru^orir< 


K.  lu  Br/y/c'A/c'  cfe  i'ufuff^f'r   ,Jc  Lu  firtiu 
',...'.       .       .  Je  Jtut/iif  Ecnit'^a-J 

m .  Tntj  fiutuM  >rij  de  fu  firry  ^  Ue  f.u  Touitfi//>tn 

Jcrufe  attafrterne  ôuttiii  •.femeuru. /ova  ife 

hfitrfnay  fe  Coryar  cfe  fircfier  4far\J,'ir  cette  IVée . 

ft  Jet  Ènvirom  ■ 
in    La  Brrytzcfe  £^  Tourœtite  en  rnue^ne  pour 

fe  porter    vêtu  f-u  tour-  • 

BaSertS)   aSf  Canoru . 
5  Vêf  frouppe^  ennemiAi  <fui  fx>n^>f>ient  iu 

Rtr  I ère.  /aour Je  porter  verr  ru?j  frcnt^'  Jr4r 

/  '  l't/rttef  ■ 
f*  Lt  t'ofiiffefre  ennemie  oui  nymmrn/-e  ■'  ■/!•, 

fmtcfur  c/a/f'i  fa/yfuirfe  ft^r/  nu  <fe  fu  nvfre  f^^y 

fffr/.'  apn'j  ff'  <'<v)9ffrence/7y  éft/tfe  fu  fiuZiuff- 

rtfs.  l.  itrrnee  tfeM'.  fe  J'nnAV  fenAruarJ.x//  m  irrAr 
u  fa  Jvùe   ifecetii  Cuviifferte 

Titnt  <-fc  fu^vetiinte  <ÀtC>te  ^/t^ti'nrtmu"  et  fu 
< nnri/e ife/n'  tnt'C'tttj  ifeat^erettu/^r.'.'O/:  in/nf<fttnr.i 
vifcttntt.'t*tfiiu£rr.<t/frefuyjv  i 

La  t ro t<f te,rru.  pojttton 

\r>   Li/  Srt^u^-fe  <f*Jn/hetfsne  Je  fnuruuie  r^ut  t'u 
'     -iH/tv/r  /e.' /:hyru''f  fX  occu*M»^fet  ntuiteiirj  e/  /ejA.>^j/^>ur 
J^a'orr/er  fufU^'UCÉyU£.M^LifÀ£v'.  /fu M.UL- cnJ,nrU2.  ! 
jttrfe  cA^xrwuuz  Dna^et.*  ef  ff  fiitK2fferti»,  et  en  ft-ttt'  n 
ftXi/f  f  Jnfanterot 
a  L'i.Brt&^<ffl^X'vr,fii^oen/irtce&  cfeT^'unarieptirfe 
I      mt/ne  of'vr 

Y  /.,i  Bnif^  i/e  (iu'Lifitr  B,>urf;-  "i^a  cfui/yefu  fài'uf^Arzh 
U't>jffi>ije  jL^roeÂ^  .elavjtrr  ^u  retraite  Je  f'Jn/U^Zgrte .  e^ 
f*u.t  fn/tftte  JM^tfr/At  /^rt^'^t^  <.<Wfif  JeJ(i<uuf^eA^ruJtti 
I  \rnere^irife  JeùvUuu  fKuJa^i&fufit/rnet 
s   fttttcj  /<v  Trfv/:^^*'  Jm  fu.  flrjert/f  rrtfjat en  fu/mf/e 
fur  ffj  futMteurj  au  Je  fit  Je  CaDt/mef  mi  effej  etu  ■ 
i/i/jenc  Jéj  f>,itterieà  Jef.ivun^.eterrY.>exf>eeit  fa 
Ifinrfiu  Jt  /aajfi  f,i  /iltierr  rnj.ynr 
'f    MarvAe  Je/  fnxi.f/Jei  ,/ut  Je 'tvt/tmt  ert  f^oiotn^ 
f\vr  affer  curn/jcru  Vt-f^mtfJerv 


cur^pc 


Gnu^f>jrlé'  C  JLlf'  .J  tajr.' 


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