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Full text of "La guerre de Sept ans [microforme] : histoire diplomatique et militaire"

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Photographie 

Sciences 
Corporation 


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23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.y.  14580 

(716)  872-4503 


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CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHM/ICIVIH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  Institute  for  Historical  Microreproducticns  /  Institut  ctinadien  de  microreprcductions  historiques 


â 


Tochnical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliographiques 


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qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
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sont  indiqués  ci-dessous. 


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ColoureJ  covers/ 
Couverture  de  couleur 

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Couverture  endommagée 

Covers  restoied  and/or  laminated/ 
Couverture  restaurée  et/ou  pellicuiée 

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Cartes  géographiques  en  couleur 


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Planches  et/ou  illustrations  en  couleur 

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hâve  been  omitted  from  filming/ 
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lors  d'une  restauration  apparaissent  dans  le  texte, 
mais,  lorsque  cela  étbit  po&sibie,  ces  pages  n'ont 
pas  été  filmées. 


Coloured  pages/ 
Pages  de  couleur 

Pages  damaged/ 
Pages  endommagées 


□    Pages  restor«>d  and/or  laminated/ 
Pages  restaurées  et/ou  pelliculées 

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I  t/î    Pages  décolorées,  tachetées  ou  piquées 

□    Pages  detached/ 
Pages  détachées 

rr  T^Showthrough/ 
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Comprend  du  matériel  supplémentaire 

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Seule  édition  disponible 


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slips,  tissues,  etc.,  hâve  been  refilmed  to 
ensure  the  best  possible  image/ 
Les  pages  totalement  ou  partiel'ement 
obscurcies  par  un  feL:il!3t  d'errata,  une  pelure, 
etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
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10X  14X  18X  22X 


26X 


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24X 


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32X 


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to  the  generosity  of  : 

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publiques  du  Canada 


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Les  images  suivantes  ont  été  reproduites  avec  le 
plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  natteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
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begirning  with  the  front  cover  and  ending  on 
the  last  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, or  the  back  cover  when  appropriate.  AH 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
first  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, and  ending  on  the  last  page  with  a  printed 
or  illustrated  impression. 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couverture  en 
papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
par  le  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soin  par  le  second 
plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  commerçant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  ^^-(meaning  "CON- 
TINUED  "),  or  the  symbol  V  (meaning  "ENO"), 
whichever  applies. 


Un  des  symboles  suivants  apparaîtra  sur  la 
dernière  image  de  chaque  microfiche,  selon  le 
cas:  le  symbole  — '»-  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  V  signifie  "FIN". 


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entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
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right  and  top  to  bottom,  as  many  frames  as 
required.  The  following  diagrams  illustrate  the 
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Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
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reproduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauche,  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prer.ant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


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2 

3 

1 

2 

3 

4 

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LA 


GUERRE  DE  SEPT  ANS 


■*A^ 


DU  MÊME   ArTErn 


Louis  XV  et  le  Renversement  des  Alliances.  —  Préliminaiies 
do  la  Gurrre  de  Sept  Ans  (1754-175(5).  1  vol.  in-8°.     , 

La  Guerre  de  Sept  Ans.    —   Histoire   diplomatique  et    militaire.  '^ 
Vol.  I.  Les  Débuts.  —  Vol.   II.   Crofeld  et  Zorndorf.  —   Vol.  III. 
Miiideii,  Kunersdorf,  C,)iiéliec.  —  Vol.  IV.  Torgaii,  Pacte  de  famille. 


Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés 

pour  tous  les  pays, 

y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


TÏIHHJIUl'lllE    FIUMIN-IIIDIIÏ    KT    i;"'     —    MK.S.MI,    (KUKE) 


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RICHARD     WADDINGTON 


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LA 


DE  SEPT  ANS 


UISTOIKI-:    nil»L(li\IATIQUE   \IT   MIIJTAIUK 


TOMK  \ 


PONDICHÉRY.  -  VILLINGHAUSEN  -  GCHWEIDNITZ 


;oi:vnA(;i:;  coLHo.wi';  l'AU  l'i.nstitlt) 


LIBRAIRIE    DE    PARIS 

FIiniIX-DIDOT   ET   C"-    ItArrRIMEURS-ÉDITEURS 
56,  RUE  JACOB,  PARIS 


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I/V 


(iUEURE  DE  SEPT  ANS 


CHAPITUE  PUI<:MIEa 


INDES  ORIENTALES 


COMBAT  I)E  VANDAVACJIV.  —  LKS  AXiLAIS  s'|;.>||.m,kM 
d'aRCOTK  et  de  KAU.KAL.  —  IMJA  »L.)(.)LÉ  |,a>S  IH)>- 
mClIKRY.  —  SIK«iK  IT  C.UMTir.ATIOX  LE  LA  VII  Ll  — 
I.XPÉI)1TI()X  CONTRE  LKS  IMIILMMM.XES.  -  l<EJ).>,TIO>  „E 
MANILLE. 

Aux  Indes  Orientales,  Tannée  1700  fut  aussi  désastreuse 
pour  la  puissance  française  (ju'elle  1  avait  été  au  Canada 
Hrillamnient  inauguré  par  la  prise  du  fort  St-l)avid    lé 
commandement  deLally  se  heurtait  à  des  difficultés  sans 
cesse  grandissantes  et  les  plus  sérieuses  jusqu'alors  n'é- 
taient pas  du    fait  de    lennemi.  Au  commencement  de 
janvier  1760,  quoique  fort  compromise,  la  situation  n'é- 
tait pas  désespérée  :  la  révolte  des  troupes  avait  été  con- 
jurée ;  CriUon  était  de  retour  du  Sud  avec  une  partie  des 
troupes  si  malencontreusement  lancées  dans  ce  mouve- 
ment excentrique;  Bussy,   bien  qu'il  eût  échoué  dans  la 
négociation  entamée  pour  s'assurer  le  concours  de  Bassa- 
let-Sing-,  ramenait  à  Arcote  :{50  Européens,  quelques  ci- 

iai;RllK   DK   SKI'l    ANS.    —  T.    V. 


LA  CUEUIIK  l)K  SKI'T  ANS. 


(MAI'.  I. 


payos  et  2. ()()()  cavalirrs  nmlirattes;  l'rUVîctif  français 
«Hait  supérieur  à  celui  de  leurs  rivaux,  malgré  l'arrivéo 
en  octobre  d'un  dcuii-réi;inicnt  expédié  directement  d'An- 
gleterre ;  en  dépit  de  rexemple  récent  d'indiscipline,  Je 
moral  du  soldat  était  bon.  H  y  avait  donc  de  bonnes 
raisons  d'espérer  le  succès,  quand  Kally  rci)rit  dans  les 
derniers  jours  dr  décembre  la  direction  de  l'année  con- 
centrée sous  les  murs  d'Areote. 

Quelques  jours  après,  les  Français  étaient  en  route 
pour  Vandavachy  dont  les  Anglais,  mettant  à  prolit  l'i- 
naction de  Lally,  s'étaient  emparés  le  30  novembre  et 
qu'il  était  essentiel  de  ne  pas  laisser  entre  louis  mains. 
Par  une  marche  rapide,  le  général  français  trompa  son 
adversaire  le  colonel  Coote,  lui  enleva  ses  mf>gasins  à 
Conjivarou.  s'y  ravitailla,  et  parut  devant  Vandavachy  le 
1(1  janvier  au  matin  avec  (iOO  Européens  et  quelques  in- 
digènes, laissant  Jîussy  pour  couvi'ir  l'opération  avec  le 
gros  des  forces  à  Tripalou.  C'était  contre  son  gré  que  ce- 
lui-ci se  tr(»uvait  à  l'armée;  sous  prétexte  de  santé,  il 
avait  sollicité  la  permission  de  se  rendre  à  Pondichéry. 
Lally  la  lui  avait  refusée  [i]  :  «  Votre  départ  de  l'armée 
mettrait  la  colonie  dans  le  plus  grand  danger  où  elle  ait 

encore  été en  la  privant  du  secours  de  2.000  cipayes 

qui  ne  veulent  obéir  (ju'à  vous.  » 

La  ville  de  Vandavachy  fut  assez  facilement  emportée, 
mais  le  fort,  défendu  par  une  garnison  de  150  Anglais  et 
G  compagnies  de  cipayes,  devait  offrir  plus  de  résistance. 
11  eût  été  possible  de  brusquer  l'attaque,  mais  le  colonel 
de  l'artillerie  Durre  voulut  procéder  méthodiquement.  On 
mit  '*  jours  à  construire  les  batteries  qui  ouvrirent  le  feu 
le  20  janvier,  2  jours  à  les  rectilier,  si  bien  qu'on  donna 
le  temps  à  Coote  d'arriver  au  secours  de  la  place.  Ce  der- 
nier était  parvenu  le  21  à  Tripatou  que  Bussy  avait  éva- 

(1)  Lally  à  Bussy,  14  janvier  17G0,  leUre  citée  par  la  Revue   des    Ques- 
tions historiques,  V  i&avier  i907. 


I-KS  AHMKKS  EN  l'HKSKNCK.  a 

eue  la  veille  pour  rejoindic  son  cliel".  lue  baluille  deve- 
n.iit  iuévitahlo. 

F.ally  laissa  lôO  Ktiropéens  et  MOO  cipayes  devant  Vaii- 
davacliy  et  [nit  position  dans  la  plain»'  à  peu  do  dislance 
de  la  ville.  Les  armées  eu  présence  étaient  peu  considc- 
raliles;  d'après  Malleson  (1  qui  adopte  i\  peu  près  les 
chill'res  de  Lally,  les  forces  de  celui-ci  se  composaient 
de  150  cavaliers  et  l.MÔO  fantassins  français  dont  i'OO  ma- 
rins,  de  1.800  cipayes,  qui  pour  nue  bonne  partie  ne  pri- 
rent pas  part  au  combat,  de  -i.OOO  cavaliers  mahiattes  vA 
de  :iO  canons.  A  en  croire  l'bistorien  Camlniduc  (2),  les 
Français  auraient  mis  en  lis  ne -2.200  Kur(t[)éens,  000  cafres 
et  10.000  indiiiènes  auxquels  Coote  n'aurait  pu  opposer 
que  1.700  Anglais,  3.Ô00  cipayes  ou  cavabers  indigènes  et 
lô  bouches  à  feu.  En  tenant  compte  des  exagérations  ha- 
bituelles en  pareille  malièi-e,  il  est  permis  de  supposer 
que  les  forces  des  deux  partis,  tout  au  moins  en  ce  (|ui 
concerne  les  soldats  européens,  étaient  à  peu  près  égales 
en  nombre. 

Coote,  dans  le  but  de  tourner  le  camp  de  sou  adver- 
saire, fit  ellectuiT  à  ses  troupes  à  l'abri  d'un  pli  de  ter- 
rain une  marche  de  flanc  qu'essaya  de  tmubler  une  at- 
taque delà  cavalerie  mahrattc;  bien  «pie  condnite  par 
Noronha,  le  fougueux  évêcpie  d'IIalicarnasse,  elle  fut  faci- 
lement repoussée. 

Coote  forma  ses  troupes  en  deux  lig'ues  :  la  première 
composée  des  V  bataillons  anglais  et  d'un  bataillon  de  ci- 
payes, la  seconde  des  grenadiers  de  l'armée  et  du  reste 
des  cipayes. 

Kntre  temps,  Lally  avait  rangé  ses  troupes  entre  deux 

'1)  Malleson,  flislonj  of  ilie  l'rcnckin  /«(//«.  Dans  sa  dt'|i(>clio,  Lally  s'al- 
Iribue  SfUleincnl  1.200  I-raiiraisol 'i.OOO  noirs.  I.allj  à  ndleislc,  Poiulichéry, 
(i  février  1"0o.  .\rf:liives  de  la  Guerre. 

{•>.)  Cambridj-e,   Wnr  in  India,  p.  ?x,(i. 

Orme  cilé  par  .Malleson  |iarle  de  l.Ooo  Anglais  et  1.350  indigènes. 


M- 


4  LA  (.UKHUK  l)K  SEPT  ANS.         CHAI'.  I. 

('tangs,  le  dos  à  Vandavacliy,  la  gauchi' s'ap|>u\ant  à  nnc 
foiitaiin'  011  ré.scrvoir  «Mitoiin;  d'un  rctrancliciiicnf  iiatiiifl 
armtî  «le  doux  canons  et  confié  h  la  t;ardt;  du  dcîlaclu'- 
inent  do  niarin.s;  les  réf;uliei's  IVanoais  étaient  sur  uim^ 
seule  ligne  avec  un  rideau  d'iiomiuos simulant  la  réserve; 
le  n'îgimcnt  de  Lally  formait  la  ganclie,  Lorraine  la 
droite,  la  fraction  du  régiment  do  l'Inde  le  centre,  la 
cavalerie  européenne  constituait  l'extrôme  droite.  Des 
deux  Cl^tés,  l'artillerie  était  placée  dans  les  intervalles  sur 
le  front  «1(^  bataille. 

L'alfaire  comnien(;a  par  une  canonnade  ass"»z  vive. 
Lally,  voyant  l'ennemi  ébranlé  par  le  feu  de  la  batterie 
des  marins  (jui  enlilait  ses  lignes,  courut  à  sa  cavalerie 
et  ord  )nna  la  charge.  Ni  le  commandant  en  premier,  ni 
le  commandant  en  second  n'exécuteront  l'ordre.  Lally 
cassa  le  premier  et  mit  l'autre  aux  arrêts;  s'adressant 
alors  diroctemei.t  à  la  troupe,  il  réitéra  l'ordre.  Du  des 
capitaines,  M.  «l'Héguerty,  enleva  ses  hommes  en  criant 
(|u'il  serait  honteux  d'abandonner  le  général.  Arrivés  à 
100  mètres  de  l'ennemi,  les  escadrons  furent  reçus  par 
un  feu  de  mitraille  et  de  mcnisqueterie  ([ui  jeta  le  désor- 
dre dans  les  rangs  et  leur  fit  faire  demi-tour.  D'après  la 
dépèche  de  Lally  (1)  il  aurait  été  «  abandonné  ù  la  demi- 
portée  de  pistolet  seul  dans  la  plaine  où  j'ai  essuyé 
le  feu  de  leur  cavalerie  et  en  ai  été  quitte  pour  un  coup 
de  pistolet  dans  mon  chapeau  et  un  dans  ma  selle  ».  D'a- 
près le  récit  anglais,  la  charge  aurait  été  résolument 
menée  et  n'aurait  échoué  que  devant  le  feu  de  deux  ca- 
nons que  le  colonel  Draper  fit  intervenir  fort  à  propos. 

Lally  regagna  son  infanterie,  la  trouva  en  butte  au  tir 
des  canons  anglais  et  désireuse  do  prendre  l'ofiensive,  il 
forma  le  régiment  de  Lorraine  en  colonne,  se  mit  à  sa 
tête,  fonça  sur  la  ligne  ennemie  et  en  creva  le  centre. 


(1)  Lally  à  "k'ileisle,  Pondichéry,  G  février  t7C0.  Archives  de  la  Guerre. 


COMUAT  DK  VANDAVACHV.  5 

Il  y  ont  entre  les  deux  Iroiipes  un  c  »rps  à  corps  des  plus 
viitlcnts  «pie  vint  intt'ri'ompn-  nu  incidciif  des  plus  lA- 
clienx  pour  les  I  r.ineuis. 

l'n  projectile  toml)»'  dans  la  hnttcric  des  marins,  lit 
sault'f  un  caisson  rempli  de  poudi'e;  l'explosion  causa  la 
mort  du  chevalier  de  Poète  et  mit  hors  de  comhnf  S()  ma- 
rins, le  reste  pris  de  panique  s'enfuit,  (loote,  aussitôt 
qu'il  s'aperc'ut  de  l'ahandon  du  retranchement,  d(»nna 
ordre  <V  lîrerelou  de  s'y  étahlir,  mais  déji"»  lUissy  qui 
commandait  la  yauche  avait  rallié  une  cincpiantaine  de 
soldats  du  rét;iment  de  Lallv  et  s'i'fait  jeté  dans  la  r  î- 
doute.  IJrereton  et  ses  hommes  furent  accueillis  par 
une  décharjic  (jui  tua  leur  chef,  sans  arrètei'  l'attacjuc; 
elle  fut  poussée  jus(|u'à  la  Itatterie  dont  elle  s'empara 
déllnitivement.  (-e  succès  rendait  les  Anglais  maîtres  de 
la  clef  de  la  position,  et  décidait  de  la  bataille.  Kii 
vain  Bussy  ossaya-t-il  h)  ramener  la  gauche  française; 
entraîné  dans  la  déroute  et  obligé  de  descendre  de  son 
cheval  qui  avait  été  blessé,  il  fut  r'touré  par  les  Anglais 
et  fait  prisonnier.  A  son  tour,  abordé  en  flanc  et  en  tôte, 
le  régiment  de  Lorraine  fut  forcé  de  reculer.  .V  2  heures 
de  l'après-midi,  l'atlaire  était  terminée;  les  Français,  pro- 
tégés par  leur  cavalerie  (pii  s'était  ralliée,  se  retirèrent 
sans  être  poursuivis;  ils  furent  rejoints  par  le  détache- 
ment laissé  devant  Vandavachy  et  gagnèrent  Chelteput, 
(iingee  et  finalement  la  banlieue  de  Pondichéry  où  ils 
arrivèrent  le  25  janvier,  V  jours  après  la  bataille. 

D'après  le  rapport  anglais,  l'armée  d(!  Lally,  étant 
donné  son  faible  effectif,  aurait  été  sérieusement  épri>n- 
vée  :  800  tués  ou  blessés  au  total,  dont  200  enterrés  sui' 
le  champ  de  bataille;  200  blessés  auraient  été  ramassés 
par  le  vainqueur,  et  de  toute  leur  artillerie,  forte  d'une 
vingtaine  de  canons,  3  pièces  légères  auraient  pu  seules 
être  emmenées.  Les  Anglais  n'accusèrent  en  Européens  ([ue 
52  tués  et  IVl  blessés.  Peu  importante,  comme  on  le  voit, 


! 


LA  GUERKE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAI 


au  point  de  vue  des  odeclifs  engagés  et  des  perles  subies, 
la  bataille  de  Vaiidrivacliy  fut  cependant  grosse  de  con- 
séquences; elle  détermin.i  la  fin  de  la  puissance  fran(^aisc 
aux  Indes,  après  une  agonie  qui  dura,  il  est  vrai,  encore 
une  année,  i.'rAce  surtout  au  peu  d'activité  que  déploya  le 
général  britannique. 

l*ou  de  jours  après  sa  rentrée  à  l'ondlcliéry,  Lally  rend 
compte  de  la  situation  au  ministre  de  la  (luerre.  Il  se 
pl;;int  de  n'avoir  eu  de  renforts  ni  en  hommes  ni  en 
urgent  :  «  Les  ennemis  ont  ret.u  depuis  mon  arrivée  ici 
deux  mille  hommes  de  troupes  réglées  et  huit  cents  hom- 
mes de  troupes  de  compagnie  de  renfort.  M.  d'Aché 
m'a  laissé  trois  cents  mousses  ou  matelots  éclopés  pour 
opposer  à  ce  nondjre;  les  ennemis  reçoivent  continuel- 
lement des  sommes  considérables  d'Europe,  de  Bengale 
et  de  Mombay;  je  n'ai  pas  reçu  un  sol  depuis  ce  temps. 
Le  défaut  d'argent  m'a  déjà  fait  manquei'  Madras  l'année 
dernière,  et  je  dois  attribuer  en  partie  à  la  même  cause 
la  perte  que  je  viens  de  faire  d'une  bataille  où  je  ne  suis 
trouvé  forcé  de  marcher  à  l'ennemi  avec  douze  cents  Ku- 
ropéens  et  quatre  mille  noirs,  contre  deux  mille  six 
cents  Anglais  et  cinq  mille  noirs;  M.  de  Verdière  m'a  vu 
abandonné  avan*;  que  le  cond)at  fût  engagé,  par  deux 
mille  chevaux  de  ma  droite,  et  deux  mill<;  cipayes  de  ma 
gauche,  et  je  me  suis  vi:  dans  le  moment  isolé  avec 
mille  fantassins,  en  iront  de  bandière  ù.  trois  cents  i)as  de 
l'ennemi.  »  Il  ne  consacre  que  quelques  mots  k  la  bataille 
sans  oublier  toutefois  de  faire  une  'usinuatiim  blessante 
pour  Bussy  :  «  J'y  ai  perdu  deux  cents  hommes,  et  l'en- 
nemi au  moins  autant,  je  n'y  ai  eu  qu'un  seul  prisonnier 
fait  sur  le  champ  de  bataille,  et  c'est  M.  de  Bust-y;  j'ai 
abandonné  Vandavachy  dont  je  faisais  le  siège,  et  je  me 
suis  retiré  en  bon  ordiC,  sans  être  inquiété  et  sans  perdre 
un  seul  homme,  à  troi.;  lieues  de  mon  chanq)  de  bataille. 

«  Cette  bataille  a  entraîné   la  perte  de  Gelteput  quV 


PRISK   I)  AKCOTE  PAR   I.ES  ANC.LAIS.  7 

n'a  tenu  que  vingt  heures,  et  de  cinquante  bir.ncs  que 
j'ai  eu  (le  la  peine  à  y  faire  entrer  pour  le  défendie. 
Lfs  ennemis  ont  marché  k  Ai'cote  <jue  je  jie  suis  point 
en  état  de  secourir,  l'officier  n'ayant,  à  la  lettre,  pas  de 
quoi  y  manger,  et  n'ayant  paj,  également  à  la  lettre, 
deux  cents  pisto'es  pour  mettre  en  mouvement  huit  ou 
dix  pièces  de  campagne.   » 

A.  partir  de  ce  moment,  Lally,  qui  pendant  l'expédition 
de  Vandavacliy  s'était  montré  sinon  tacticien  haKile,  tout 
au    moins  chef  énergique  et  brave,  paraît    avoir  cédé 
A    l'abaHement    et    s'être    abandonné  ;   retiré    à    !*ondi- 
chéry,  il  se  désintéresse  des  opérations  militaires  et  laisse 
les  Anglais  s'emparer  l'une  après  l'autre  des  villes  du 
Carnatic  qui  étaient  restées  entre  les  mains  des  Français. 
Il  semble  que  Coote  aurait  pu  profiter  de  la   défaite  et 
de  la  retraite  prcc'-  ''ée  de  l'armée  de  Lally  pour  tenter 
un  COU})  de  main  sur  Pondichéry  ;  il  préféra  une  procé- 
dure plus  méthodique  et  passa  les  mois  de  février  et  de 
mars  à  enlever  les  postes  avec  les  garnisoi»sque  le  général 
'Vançais  y  avait  inq)rudemment  laissées.  Le  29  janvier,  les 
Anglais   prirent    possession  presque  sans  résistance  de 
(-hclteput  où  ils  rimassèrent  une  soixantaine  de  soldats 
lran(;a!S,    300  cipayes  et   7:5   blessés  de   la  bataille;    le 
2  février  ils  étaient  devant  Arcote  (jue  ZuLipiiee  Zuig  et 
ses  mahrattes  avaient  délaissé  ;  le  9    la   place  capitula 
après  une  canonnade  de  4  jours;  onze  of'fîcierc  et  230  sol- 
dats européens  se   rendirent  prisonniers.   L'effet  moral 
d(    la   prise   d'Arcote    !'j*  ''onsidérable  sur   l'esprit  des 
indigènes   qui  jugèrent   la    cause  française   perdue;   le 
découragement   avait  gagné  ce   ([ui  restait   de  troupes 
régulières.  Coote  signala  (1)  l'arrivée  dans  son  camp  de 
27  hussards   (2)   avec  armes  et  bagages;  il  put   même 

(1)  Code  à  liarrington,  Valdoor,  l"''  juillel  1700.  Ne\M..s(l('  Papers. 
(?.)  Cello  (léserlioii  eut  lieu  à  la  suite  d'une  émeute  causée  i)ar  les  flarUs 
apportés  au  paiement. 


LA  GLEURK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI».  I. 


organiser  avec  les  déserteurs  un  corps  qui  porta  la 
dénomination  de  volontaires  franrais  et  qui  fut  active- 
ment employé  contre  leurs  compatriotes.  De  tous  les 
postes  franrais  le  seul  qui  opposa  une  résistance  sérieuse 
fut  le  fort  de  l*ermnola  dont  la  prise  coûta  à  l'assiégeant 
127  tués  et  blessés;  parnli  ces  derniers  était  Coote  lui- 
même.  Sa  blessure  ne  l'empêcha  pas  de  marcher  avi'c 
sa  cavalerie,  en  grande  partie  indigène,  sur  Pondichéry. 
A  un  mille  des  limites  (1)  du  territoire  de  la  ville,  il  prit 
le  contact  avec  un  détachement  français  qui  se  retira 
sans  comba^^^tre,  abandonnant  son  camp  et  un  canon.  Après 
une  courte  reconnaissance  de  la  ville,  Coote  rejoignit 
son  armée  et  reçut  la  reddition  de  Alumparva  avec  les 
200  cond^attants  ([ui  y  étaient  enfermés.  La  campagne 
continua  par  la  prise  de  KariUal  le  3  avril  après  «  une 
pauvre  défense  »  de  la  garnison  de  438  hommes;  les 
Anglais  avaient  dû  leur  succès  au  concours  de  800  sol- 
dats marins  et  d'infanterie  de  marine  débartjués  par 
l'amiral  (lornish  et  à  l'arrivée  opportune  d'un  petit 
détachement  venu  de  Trichinopoli.  Quelques  jours  au- 
paravant, l'armée  principale,  sous  les  ordres  de  Coote, 
s'était  emparée  de  l'importante  localité  de  Valdoor  si- 
tuée à  î)  milles  de  Pondiohéry.  Le  voisinage  de  l'armée 
française,  dont  les  avant-postes  étaient  à  300  mètres  du 
canq)  anglais,  rendait  l'attaque  fort  scabreuse.  Coote, 
qui  s'attendait  ;\  un  effort  de  la  part  de  Lally  pour  se- 
courir Valdoor,  chercha  à  tromper  son  adversaire  par 
des  démonstrations  auxquelles  celui-ci  répondait  en 
mettant  tout  son  moufVe  sous  les  aruics.  Le  général 
français  n'intervint  pas,  et  le  fort,  après  une  courte  résis- 
tance de  2  jours,  se  rendit  le  10  avril  avec  sa  petite 
garnison,  «  sous  le  nez  »  de  l'armée  française.  Coote  fit 
aussitôt   réparer    es    brèches   que  son  canon   avait  ou- 


(1)  Les  liiniles  élai' 
»'|)ineux. 


marqiiiMîs  iiar  une  liaio  ih;  poivriers  el  d'arl)Msles 


BLOCUS   DE   l'ONDICIlERV.  0 

vertes,  mit  sa  conquête  en  état  de  défense  et  y  installa 
des  hôpitaux  pour  les  nombreux  malades  de  son  armée. 
Sur  mer,  Cornish  avait  été  rejoint  par  l'amiral  Steevens 
avec  V  vaisseaux  et  2  frégates;  ce  dernier  prit  le  com- 
mandement de  la  flotte.  Ainsi  renforcés  et  supérieurs  on 
forces  à  celles  que  d'.Vclié  aurait  pu  leur  opposer,  s'il 
s'était  décidé  à  renouveler  sa  visite  annuelle  à  la  côte 
de  Coi-omandel.  les  .Vn^lais  étaient  devenus  maîtres 
absolus  de  la  mer  et  en  avaient  profité  pour  établir  le 
blocus  de  la  rade  de  Pondichéry;  pourtant,  ils  ne  purent 
empêcher  l'arrivée,  pendant  qu'ils  étaient  occupés  au 
siège  de  Karikal,  de  deux  frégates  françaises  qui  appor- 
tèrent des  munitions  de  guerre,  mais  aucun  renfort  de 
troupes. 

l*endant  les  trois  premiers  mois  de  17(»0,  Lully  n'avait 
rien  fait  pour  troubler  les  mouvements  de  l'adversaire, 
sinon  de  rappeler  de  Seringham  le  contingent  de  500  hom- 
mes qui  lui  aurait  été  si  utile  à  Vandavachy  ;  il  com.- 
pensait  ainsi  le  déficit  que  lui  avait  occasionné  la  perte 
successive  de  ses  garnisons.  II  ne  sortit  de  son  inaction  que 
pour  tenter  une  surprise  de  CudaJoie  où  la  flotte  anglaise 
avait  établi  un  dépùt.  L'entreprise  confiée  le  11  mai  à  un 
détachement  de  VOO  honnnes  ne  réussit  ({a'à  moitié;  on  ne 
put  s'emparer  des  embarcations  qui  servaient  îV  conunu- 
niquer  avec  les  navires  et  ;\  les  ravitailler,  parce  (pi'elles 
avaient  été  ancrées  hors  de  la  portée  de  la  plage,  mais 
'  on  fit  prisonniers  iiï  malades  appartenant  aux  équipages, 
l'ne  seconde  attaque  plus  sérieuse  renouvelée  le  .'U  mai 
contre  Cudalore  échoua.  Il  en  fut  do  même  d'une  tenta- 
tive (l)  contre  la  position  des  Anglais  fort  étendue  entre 
le   fort  (le   Villeuour  et   les  roUinos   de   IVi'embe  (ju'ils 
avaient  fortifiées  dune   redoute  armée  de  trois  canons. 
Weux  colonnes  devaient  assaillir  la  redoute  et  le  centn. 


(1)  Malloson.  Jlislory  ofthe  l'rench  in  Indiii. 


10 


LA  GUKRiifc;  m:  sept  ans.      ciiap.  i. 


de  la  ligne  anglaise,  tandis  qu'une  troisième,  sous  les 
ordres  de  d'Aranibure,  ol'ficler  de  quelque  réputation,  de- 
vait franchir  la  rivière  Ariancopan  et  prendre  l'ennenii  à 
revers.  Le  succès  couronna  les  premiers  ellbrts  des  Fran- 
çais; l'ouviage  de  Peremhe  fut  emporté  et  ratta(}ue  du  cen- 
tre était  en  Ixmnc  voie,  quand  une  fausse  manœuvre  de 
d'Arambure  lit  tout  échouer.  Cet  officier,  en  dépit  d'une 
reconnaissance  faite  la  veille  avec  Lally,  se  trompa  de 
route  et  au  lieu  de  prendre  les  Anglais  à.  dos,  déhouclia 
derrière  ses  propres  compatriotes.  Force  fut  de  rentrer 
dans  les  limites. 

Ces  opérations  malheureuses  furent  les  seuls  efforts 
tentés  par  les  Français  pour  percer  le  cercle  ([ui  peu  à 
peu  les  enveloppait;  le  blocus  n'était  pas  encore  si  res- 
serré, qu'un  corps  de  2.000  cavaliers  du  Mysore  ne  parvint 
à  se  faufiler  entre  les  détachements  des  assiégeants  et  à 
rallier  l'cirmce  française,  intligcant  une  perte  d'une  cin- 
quantaine d'hommes  à  la  cavalerie  ennemie.  Lally,  en 
proie  à  la  maladie  et  au  découragement,  se  plaignait  (1) 
de  l'élatdc  ses  soldats  et  du  manque  d'officiers  :  «  Je  vois 
les  troupes  du  Roi  et  celles  de  la  Compagnie  comman- 
dées par  dos  capitaines  de  17  à  18  ans,  que  j'ai  été  obligé 
de  nommer  en  remplacement  de  toutes  les  tètes  de  régi- 
ments qui  ont  péri  dans  le  cours  d'une  campagne  de 
30  mois  sans  une  relAche  de  1.")  jours.  »  Il  énumère  les 
renforts  anglais  et  compare  .son  abandon  avec  les  res- 
sources dont  jouit  son  adversaire  :  c  11  me  reste  encore 
environ  2.000  hommes  tant  bons  que  mauvais  dont  j'en 
])eux  mettre  1.500  en  campagne;  les  Anglais  en  ont  3.000 
dont  ils  peuvent  mettre  2.000  en  campagne;  ils  sont  aux 
portes  4e  Pondichéry,  ils  regorgent  d'argent;  il  y  a  six 
mois  que  je  suis  aux  expédients  pour  payer  les  troupes 
qui  se  sont  déjà  révoltées  trois  ou  quatre  fois.  Avec  tous 


(I)  Lally  à  Belloisle,  Pondichéiy,  4  mars  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


henfouts  anglais. 


il 


ces  malheurs,  je  tAclierai  de  donner  encore  un  coup  do  col- 
lier d'ici  à  ({uelques  jours,  si  je  peux  le  faire  sans  mettre 
Poudichéry  en  danger,  parce  qu'il  vaut  niien\  mourir  du 
l'er  f|ue  de  la  faim;  j'ai  ici  précisément  la  j)rol)ilé  à  mou 
zénith,  car  je  n'y  ai  pas  encore  aperçu  l'ombre  d'un 
r  honnête  homme,  et  encore  moins  d'un  citoyen. 

«  Les  grAces  ([uej'ai  demandées  au  Itoi  poui'  le  régi- 
ment de  Lorraine  et  le  mien  vont  porter,  si  vous  me  les 
accordez,  (comme  l'invitation  de  l'Évangile)  sur  les  bor- 
gnes, Ixtiteux  et  manchots;  de  tous  les  officiers  de  Lor- 
raine il  n'y  en  a  que  trois  et  de  mon  régiment  cinq  qui 
n'ont  pas  été  blessés,  et  qui  vraisemblablement  vont  avoir 
incessamment  leur  tour  comme  les  autres.  » 

Alors  que  le  gouvernement  de  la  métropole  laissait  à 
l'abandon  Lally  et  les  débris  de  son  armée,  la  cour  de 
Sl-.Iames  ne  cessait  de  renforcer  ses  troupes  servant  aux 
Indes.  Le  31  juillet  arrivèrent  d'Angleterre  à  (ludalore 
.')î>0  hommes  pour  les  régiments  do  Draper  et  de  Coote  : 
"  ('ela  nous  fait  2,000  Européens,  écrit  Steevens  (1),  mais 
nous  ne  sommes  pas  assez  forts  pour  un  siège,  car  nous  ne 
pouvons  pas  débarquer  nos  «  marines  »  aussi  h)ngtem|)S 
que  l'escadre  française  sera  attendue.  »  L"fe  gouverneur  de 
Madras,  Pigott,  ne  partageait  pas  cette  façon  de  voir  de 
l'amiral  ;  à  la  date  du  27  août,  il  lui  adressait  une  lettre(2) 
dans  laquelle  il  résumait  la  situation  et  lui  demandait  sa 
coopération  sur  terre.  «  La  force  totale  de  l'armée,  tant 
entro(q)es  royales  qu'en  celles  de  la  (Compagnie,  se  monte 
h  environ  2. ôOO  Européens  avec  près  de  6.000  indigènes, 
sans  compter  les  garnisons.  D'après  les  avis  les  plus  sûrs 
que  nous  pouvons  nous  procurer,  la  garnison  de  Pondi- 
chéry  peut  atteindre  environ  I.ÔOO  Européens,  y  compris 
les  habitants  qui  peuvent  porter   les  armes  et  quehjues 


(I;  Sleuvens  à  Clevland,  au  hirsc  de  Ciiilalorc.  6  août  ITf.o.  Kecoid  Oflice. 
(  2)  Pifiolt  à  Steevens,  27  août  1700.  Ilecoid  Oflice. 


« 


LA  GUEilKE  DE  SEPT  ANS. 


ClIAP.  I. 


compagnies  de  cipaycs.  »  (IrAce  aux  opérations  déjà  ac- 
complies ef  au  blocus  établi,  <(  la  détresse  de  la  garnison 
doit  être  déjà  grande  et  doit  saccroitre  tous  les  jours  ».  A 
la  pénurie  de  vivres  il  faut  ajouter  le  manque  d'argont 
pour  la  solde  qui  occasionne  du  mécontentement  et  pro- 
vo(|ue   de  fréquentes  et  nombreuses  désertions.   "   Nous 
sommes  campés  en  ce  moment  à  V  milles  environ  des  murs 
de  Poudichéry,  et  l'ennemi  occupe  encore  autour  de  ces 
murs  une  circonférence  de  3  milles,  ce  (jui  leur  permet  de 
pâturer  beaucoup  de  bétail  et  comme  il  est  impossible  de 
les  enfermer  complètement,  tant  qu'ils  seront  maîtres  d'un 
espace  de  terrain  aussi  considérable,  il  est  probable  que 
malgré  notre  très  grande  vigilance,  ils  trouveront  le  moyen 
d'introduire  des  provisions.  Il  est  donc  très  important  de 
les  resserrer  le  plus  tôt  possible  dans  l'enceinte.  »  D'après 
le  colonel  Coote,  la  première  mesure  à  prendre  dans  ce 
but  serait  de  chasser  l'ennemi  d'Ariancopany,  petit  fort 
à  peu  près  à  3  milles  au  sud  des  murs  de  Pondichéry.  «  La 
conquête  de  ce  poste  après  celle  du  fort  de  Villenour,  que 
nous  possédons  dcjA,  couperait  toute  communication  avec 
le  Sud.  »  Maisle  colonel  Coote  estime  que  le  siège  d'Arian- 
copany ne  pourrait  être  entrepris  sans  un  déplacement  de 
l'armée  qui  aurait  le  grave  inconvénient  d'ouvrir  à  un 
convoi  de  vivres  préparé  à  (îingy  l'accès  de  Pondichéry. 
En  vue  du  siège  de  la  capitale  française,  on  a  réuni  ou 
on  s'occupe  de  réunir  à  Madras   les  canons  et  les  engins 
nécessaires,  mais  ce  matériel  ne  pourra  être  transporté  et 
débarqué  à  Cudalore  avant  la  fin  de  septembre.  Or,  la  sai- 
son des  pluies  commençant  au  milieu  d'octobre,  le  temps 
fera  défaut  pour  aborder  les  préparatifs  du  siège  avant  les 
pluies.  Quand  même  l'escadre  française  ne  feiait  pas  son 
apparition  sur  la  côte,  il  est  plus  que  probable  que  l'en- 
nemi, comptant  sur  l'absence  habituelle  des  vaisseaux  an- 
glais pendant  le  mois  d'octobre,  cherchera  à  faire  parvenir 
des  secours  à  l*oudichéry  et  s'il  y  réussit,  toutes  les  espé- 


PHÉI»All\TII\5  DU  SIKGE  DE  PONDirilKRY. 


13 


raiices  de  succès  s'évanouissent.  Le  maintien  du  blocus  par 
mer  empêcherait  ce  nialhcui'. 

Pigott  conclut  en  demandant  à  l'amiral  de  débarquer  les 
«  marines  »  pendant  quelques  jours  pour  l'attaque  d'Arian- 
copany.  Ce  fortenlevé,  les  Français  seraient  eai'ormés  dans 
l'enceinte  fortifiée  de  Pondichéry  et  devant  l'impossibilitt'î 
d'entreprendre  les  travaux  de  siè^i;e  de  la  i)lace  avant  la 
saison  des  pluies,  on  se  bornerait  à  un  blocus  rigoureux 
par  mer  et  par  terre,  sauf  à  remettre  l'attaque  au  retour 
du  beau  temps  si  l'ennemi  n'avtitpas  été  obligé  de  se  ren- 
dre avant  cette  époque. 

Steevens  acquiesça  (Ij  à  la  requête  du  gouverneur  et 
débarqua  ses  «  marines  »  aussi  bien  que  ceux  de  3  vais- 
seaux de  ligne  qui  arrivèrent  d'Angleterre  le  2  seplendire, 
soit  614  officiers  et  soldats.  Par  la  même  occasion,  Coote 
reçut  un  renfort  de  33G  fantassins  venus  également  d'Eu- 
rope. Lesopérationscommencèrent  aussitôt;  le  10 septem- 
bre, leslignes  et  redoutesfrançaises  furent  emportées  après 
un  combat  qui  coûta  une  centaine  d'hommes  à  l'assaillant 
et  un  peu  moins  aux  défenseurs  qui  s'étaient  retirés  sans 
attendre  l'assaut  final.  Le  colonel  ]VIonson,qui  commandait 
les  troupes  anglaises,  fut  grièvement  blessé.  Le  13,  à  l'ap- 
proche des  Anglais,  la  garnison  du  fort  d'Ariancopany  fit 
sauter  les  bastions  de  la  face  nord-est  et  renti'a  sous  les 
murs  de  Pondichéry.  Le  23,  arriva  un  nouveau  renfort  de 
172  highlanders. 

Steevens,  toujours  préoccupé  de  l'apparition  possible 
de  l'escadre  de  d'Aché,  comptait  bien  réembarquer  ses 
«  marines  »;  il  ne  fut  pas  peu  surpris  de  recevoir  de 
Coote,  qui  avait  repris  le  commandement  des  troupes, 
la  demande  de  les  conserver  à  ferre  ;  à  l'appui  de  sa 
requête,  Coote  insistait   sur  les  pertes  journalières  que 


(I)  Slcevens  à  Clevland,  au  large  de  Ciidalore,  le  12  oclobie  ITCO.  Record 
OKicc. 


l'I 


L.V  GUElUtE  DK  SEPT  ANS.    -  CIIAP.  I. 


y 


subissait  l'arinrc  par  maladies  ou  à  la  suite  des  roncou- 
trcs  IVéquentes  avec  les  Kianc^ais,  sur  l'étendue  des  lignes 
k  surveiller  autour  de  l'ondicliéry  ;  privé  du  secours  des 
hommes  de  la  flotte,  il  se  verrait  obligé  de  ramener  ses 
forces  en  arrière  et  de  relAcher  le  blocus.  Stecvens  se 
rendit  non  sans  quelque  regret  k  ces  raisons  et  obtem- 
péra à  la  demande  du  commandant  des  troupes  de  terre 
à  lacpielle  s'étaient  associés  le  gouverneur  et  le  conseil 
de  Madras. 

Vers  la  fin  d'octobre,  l'amiral  britannique  1  ,  désireux 
de  refaire  son  escadre,  se  rendit  à  Trincomalie,  port  de 
File  de  Ceylan,  avec  douze  vaisseaux  de  ligne,  laissant  les 
autres  devant  Pondichéry.  Les  réparations  ell'ectuées, 
Steevens,  estimant  d'après  les  avis  des  autorités  bjcalcs 
de  Madras  que  ((  l'époque  dangereuse  de  la  mousson  sur 
la  côte  de  Coromandel  était  passée  »,  fit  voile  <le  Ceylan 
et  rallia  sa  division  de  blocus  le  25  décembre.  Le  temps 
écoulé  pendant  son  absence  n'avait  pas  été  perdu;  aus- 
sitôt la  saison  des  pluies  passée,  le  8  décembre,  Coote 
avait  commencé  les  travaux  du  siège  en  établissant  k  bat- 
teries qui  éiaient  prêtes  à  ouvrir  le  feu  contre  la  place. 
Le  blocus  avait  été  sévèrement  maintenu,  «  les  Français 
étaient  réduits  par  suite  du  manque  de  vivres  »  à  une 
très  grande  détresse  que  la  destruction  de  deux  bAti- 
ments  chargés  d'approvisionnements  pour  Pondichéry 
avait  encore  aggravée.  Ces  deux  petits  navires  réfugiés  au 
port  danois  de  Tranquebar  avaient  été  enlevés  par  les 
Anglais  à  la  date  du  (i  novembre,  sous  le  canon  de  la 
place  et  avec  la  complicité  apparente  des  fonctionnaires 
danois. 

Du  camp  des  assiégeants,  passons  aux  assiégés. 

Si  la  saison  des  pluies  avait  amûré  entre  belligérants 
une  sorte  de  trêve,  la  guerre  civile  n'en    sévissait  pas 

(1)  Slecvcus  à  Clevland,  Trincomalie,  7  décembre,  au  lar};e  de  Pondichéry, 
20  décembre  17(10.  _ 


'  / 


IMI'dl'UUlUTI':  DE  LALLY. 


15 


inoins  A  l'intérieur  de  la  ville.  Kvposé  à  la  liaiuc;  du 
gouverneur  Lcyrit  et  de  l'élément  civil  (ju'il  avait  irrités, 
moins  pur  l'arhitraii'C  et  riiicoliércnce  de  ses  procédés 
que  par  l'intempérance  <le  son  langage  et  la  brutalité 
de  ses  apostrophes,  peu  aimé  de  ses  officiers  supérieurs, 
pour  les(juels  il  n'avait  guère  d'égards,  s(  [x'onné  de 
tous,  mécontent  de  sa  position,  Lally  était  aussi  impuis- 
sant à  obtenir  l'obéissance  qu'incapable  de  réveiller  le 
patriotisme  de  ceux  ([ui  l'entouraient. 

Un  fonctionnaire  anglais  traçait  du  général  (1)  fran- 
çais et  des  difficultés  de  sa  situation  le  tableau  sui- 
vant :  ((  Combien  étrange  le  revers  de  fortune  que 
M.  Lally  a  éprouvé  depuis  Janvier  17r>9  !  Il  a  mis  tout 
Pondicbéry  en  feu  et  parait  franchement  détesté  de  tous 
les  partis;  en  quelques  occasions,  il  s'est  montré  homme 
de  grand  sens  et  de  ])eaucoup  d'adresse,  et  au  contraire 
en  maintes  circonstances  il  a  pris  des  mesures  qui  ont 
évidemment  causé  un  gros  préjudice  aux  intérêts  fran- 
çais. Sans  doute,  il  a  eu  A  lutter  contre;  beaucoup  de 
difficultés  et  surtout  il  a  souffert  du  manque  d'argent 
pour  payer  les  officiers  et  les  soldats.  Même  ;V  l'heure 
présente,  il  y  a  des  mutineries  tous  les  mois  ;  nous  savons 
de  source  certaine  qu'ils  n'ont  d'autres  ressources  que 
celles  de  France,  laquelle  semble  dans  l'impuissance  de 
pourvoir  à  leurs  besoins.  » 

C'était  en  effet  le  mancjue  d'argent  qui  paralysait  les 
efforts  de  la  défense;  les  contributions  forcées  que  Lally 
essayait  de  lever  sur  la  population  tant  française  (ju'indi- 
gène  de  Poudichéry  produisaient  peu  en  recettes,  mais 
attiraient  au  malheureux  général  les  accusations  les  plus 
invraisemblables  qu'une  haine  féroce  pouvait  seule  dic- 
ter. Dans  la  nuit  du  iï  au  25  août,  c'est-à-dire  au  com- 
mencement de  l'investissement  de  Pondichéiy  et  alors 

(Ij  Lettre  de  John  Call,   Fort  Saint-George,   15  juillet  ITCO.   Newcastle 
Papers. 


10 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CliAP.  I. 


'I  ; 


«ju'en  dehors  de  cette  place  les  Français  ne  possédaient 
plus  que  la  ville  de  (iiny  y  dans  l'intérieur  du  pays,  <les 
inconnus  allichôrent  à  Tùylise  des  Capucins  le  placard 
suivant  (1). 

«   tiingy  à  vendre. 

«  Anj,''lais,  Maures  ou  Malirattes  et  autres,  fussiez-vous 
«  du  grand  diahie,  pourvu  que  vous  ayez  du  comptant, 
«  on  vous  fait  savoir  que  demain  à  :J  heures  de  relevée 
«  se  feront  les  premières  montres  des  forts  et  aidées  de 
«  (iing-y  en  l'IiAtel  du  sieur  Lally,  commissaire  du  Uoi  et 
u  en  sa  présence,  le  tout  au  plus  oifrant  et  dernier  en- 
«  chérisseur,  on  se  relAchcra  pourtant  pour  qui  aura 
«  son  argent  comptant  bien  palpable,  parce  qu'on  est 
(c  pressé,  les  sûretés  en  seront  données  par  le  moine 
((  Morogue  le  grand  ministre  ;  le  sieur  Nagrcgor  vous 
«  en  fera  la  livraison. 

<(  Signé  :  Gl'ai)Evili.e(2). 


Au-dessous  était  écrit  : 

«  Messieurs  et  Dames,  vous  êtes  priés  d'assister  de  vos 
charités  le  sieur  de  Lally  qui  se  prépare  à  faire  un  pèle- 
rinage à  La  Mecque,  pour  obtenir  la  rémission  de  ses 
crimes;  il  s'attend  à  vos  générosités,  il  voudra  bien  se 
charger  de  vos  diamants  usés,  de  votre  vieille  vaisselle  et 
autres  bagatelles  de  cette  espèce  ;  Mahomet  vous  en  tiendra 
compte  en  sou  paradis. 

«  Signé  :  (Juadeville.  Amen.  » 


Quelques  jours  après,  les  sentiments  hoitiles  se  mani- 
festèrent par  une  véritable  rébellion.  l*our  en  imposer  à 

(1)  Placard  al'liché  uans    la  nuit   des  '.ii-2.")  août  1760.    Copie   conforme, 
signé  ;  Lally.  Archives  de  la  Guerre,  vol.  35-7.">. 
('A)  Employé  civil  possédant  la  confiance  de  Lally. 


UEIlKI.i.ION    DE   LI;I.[;MENT    civil.  17 

renncini,  Liilly  avait  commiindé  (li  une  revue  f;cn(''rale 
sur  la  phigo  sous  les  murs  de  la  ville  et  afin  d'enfler  le 
nombre  des  présents  sous  les  armes,  il  avait  donné  l'ordre 
}\  tous  les  Kiii'opéeiis  d'y  assister  ;  au  besoin  il  ferait  dis- 
tribuer des  uniformes  et  desainics  à  ceux  qui  n'en  possé- 
daient pas.  Uans  l'état  des  esprits,  il  n'est  pas  surprenant 
que  l'ordre  du  gouverneuifùt  mal  compris;  les  employés 
delà  Compagnie  s'assembli^rent  devant  la  maison  de  l.ally 
et  déclarèrent  hautement  qu'ils  ne  se  rendraient  |)as  i\  la 
parade.  Ils  furent  soutenus  dans  leur  refus  par  le  fonseil 
et  notanunent  par  l'un  des  conseillers,  La  Selle,  (|ue  Lally 
avait  mis  récemment  aux  arrêts  sous  accusation  de  dé- 
tournements pendant  rcxpédition  de  Seringliam.  Kn  vain 
le  gouverneur  Leyrit  harangua-t-il  les  mutins  pour  les 
faire  rentrer  dans  le  devoir,  il  ne  fut  pas  écouté.  L'incident 
fut  terminé  par  l'entrée  en  scène  d'une  com[)a,!;nic  de 
grenadiers  (jui  dispersa  les  rebelles.  Soit  crainte  d'aggra- 
ver la  situation,  soit  ed'etde  l'indulgence  méprisante  (jue 
Lally  affichait  parfois  à  l'égard  de  ses  adversaires,  les  sui- 
tes de  l'affaire  se  bornèrent  à  l'exil  de  La  Selle  et  de  deux 
employés;  l'autorité  du  général,  loin  de  gagner  îï  cette 
modération,  en  souffrit  cruellement. 

lue  lettre  du  père  Vernet,  du  commencement  de  l'au- 
tomne {i),  passe  en  revue  rapidement  les  événements  de 
l'année  écoulée,  résume  la  situation  actuelle  et  en  fait  re- 
monter la  responsabilité  tout  autant  à  la  corruption  géné- 
rale qu'aux  fautes  individuelles  :  «  Depuis  ce  moment  (la 
défaite  de  Vandavachy)  tout  a  été  en  décadence.  Les  An- 
glais nous  ont  pris  successivement  Arcad  (sic),  Chetteput, 
Alumparvé,  Valdaour,  Vilnour,  Karikalet  plusieurs  autres 
places.  .J'étais  dans  Karikal  et  j'y  ai  été  témoin  oculaire 
d'une  défense  lâche  et  timide;  il  ne  nous  reste  plus  dans 


(1)  Hamont,  Lally  Tollcndal,  p.  265  et  suivantes. 

(2)  Lettre  du  R.  P.  Verne!,  jésuite  de  Trinquebar,  8  octobre  1760.  Archi- 
ves de  la  Guerre. 


GUEnRE  DE   SEPT  ANS.  —   T.    V. 


tl 


LA  Gl'KUnK  l»l',  SKl'T  ANS.  -  CHAP.  I. 


rindo  sur  cotte  côto  (picGin^y  et  Poiulichéry,  les  Anglais 
sesont  attachés  àcctte  tlcinièrc  pl.ic<^  ils  la  j)l()(juent  par 
moi'  et  par  terre  (l«;pui8  V  mois,  anjourd'luii  A  peine  y 
at-il  des  vivres  pour  un  mois  et  demi,  et  notre  escadre 
no  paraissant  point  cette  année,  il  est  vraisemhlahlecprils 
en s^M■<>lltl)ient(^t  les  maîtres...  Monsit'ur,  tous  nos  malheurs 
viennent  de  la  jalousie  et  de  h  cupidité  ;  si  l'on  faisait 
l'histoire  lidtMc  de  ccîs  dernières  g^uerres  dans  l'Inde,  on  y 
verrHit  [)our  le  compte  des  Français  plus  de  ventes  que  de 
pertes  de  places,  plus  d<*  trahisons  que  de  défaites.  Le  nom 
lran<,ais  est  fléti'i  à  jamais  dans  l'Inde.  » 

La  situation  militaire  avait  empiré  depuis  l'été  malgré 
(juel(jues  tentatives  (h;  la  |)art  de  Lally  pour  reprendre 
l'oOensive.  Le  traité  [>assé  avec  le  Mysore  en  dépit  du  suc- 
cès passager  relaté  plus  haut,  n'avait  pas  eu  de  résultat 
délinitif.  Après  uncourt  séjour  dans  le  camp  français,  Muk- 
doiim  Ali,  chef  de  la  cavalerie  mysoriennc,  avait  regagné 
Thiiigar  le  28  juin. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  a|)rès  le  comhat  du  i(>  sep- 
tembre au  cours  duquel  IMonson  fut  grièvement  blessé, 
les  Français  furent  contraints  d'abandonner  la  défense  des 
limites  et  de  se  retirer  sous  les  nmrs  de  Pondichéry. 

A  la  suitedecetéchec,  mécontent  de  ses  officiers  géné- 
raux, irrité  par  les  accusations  qu'on  lançait  contre  lui  à 
propos  d'entrevues  qu'il  avait  euesavec  une  Madame  Jack- 
son, qui  passait  pour  la  maîtresse  de  Pigott,  gouverneur  de 
Madras,  Lally  mit  aux  arrêts  le  brigadier  Fumcl.  Entre 
temps,  leblocusse  resserrait  de  plus  en  plus;  l'amiral  Cor- 
nish  enleva  avec  ses  embarcations  et  sous  le  canon  de  la 
place  les  deux  petites  frégates,  1'  «  Ilcrmione  »  et  la  «  Ba- 
leine »,qui  constituaient  l'escadrille  fraoçaise.  Dorénavant, 
les  communications  avec  la  cùte  étaient  coupées  et  le 
ravitaillement  devenait   impossible. 

Malgré  ces  accidents  répètes  qui  annonçaient  trop  clai- 
rement l'approche  de  la  fin,  la  discorde  régnait  plus  que 


.»  ■>    .„v'- 


.ES   RATIONS  SONT  HKOriTKS. 


!• 


jamais  parmi  les  assiégés.  Lally  n'avait  de  ra|)|)orts  ni 
avec  le  gouverneur  civil,  ni  avec  le  conseil;  la  gravité  dos 
circonstances  lui  imposa  des  tentatives  de  rapprocliement; 
il  écrivit  (1)  à  Leyrit  poui-  lui  mettr<î  sous  les  yeux  la  si- 
tuation de  la  place  et  pour  lui  rappeler  (jue  l»ondicliéry 
était  à  la  merci  d'un  assaut  des  Anglais.  Au  Conseil,  il 
adressa  un  dernier  appel  h  la  conciliation  :  «  Je  le  prie 
et  le  conjur(!  de  ne  s'occUj)er  que  des  moyens  do  pro- 
longer la  reddition  de  Pondic'iéry  dans  la  certitude  de 
quehiup  événement  favorable  (pie  jo  n'ose  espérer.  Nous 
\oili\  tous  égaux  et  tous  prisonniers  des  Anglais.  l*ondi- 
cliéry  n'est  [)lus.  » 

La  querelle  entre  Lally  et  ses  adversaii-es  était  trop  en- 
venimée, les  passions,  les  haines  étaient  tntp  surexcitées 
pour  (jue  la  coopération,  cependanl  si  indispensable,  pi^t 
s'eU'ectuer.  Contrecarré  par  ceux  ({ui  eussent  dû  l'aider, 
<lénonci  comme  traître,  mal  soutenu  par  ses  subordonnés 
militaires,  l-ally  eiit.l  prendre  sous  sa  seule  responsabilité 
les  résolutions  qui  permettraient,  en  faisant  durer  les  vi- 
vres, de  prolonger  la  résistance  jusqu'au  moment  où 
l'escadre  de  d'Aché  ferait  sa  réapparition  sur  la  cAte  de 
Coromandel.  Dans  ce  but,  il  réduisit  les  rations  des  sol- 
dats, expulsa  les  indigènes  de  la  ville  et  oi'donna  des 
perquisitions  dans  les  maisons  particulières.  Ces  mesures 
produisirent  <[uelqne  effet,  mais  elles  eurent  surtout  pour 
conséquence  d'enflammer  les  passions  et  de  f'ure  surgir 
de  nouvelles  menaces.  Le  H  octobre,  au  retour  d'une  vi- 
site des  ouvrages  de  la  place,  Lally  trouva  sur  sa  table 
un  billet  ['2)  anonyme  ainsi  conçu  : 

«  Auri  Sacra  famés.  FS  perdidit. 

«  Lally,  sauve-toi,  j'ai  résolu  ta  mort,  tu  la  mérites, 
ton  cœur  te  le  dit,  ton  Roi  te  désavoue,  on  rira  à  ta  mort, 


(1)  Lally  à  Leyrit,  8  octobre  I7e0.  Archives  de  la  Guerre,  carton  XXXV. 

(2)  Billet  jeté  sur  la  table  de  .M.  de  Lally,  8  octobre  17«iO  Archives  de  la 
Guerre,  vol.  3575. 


20 


I.A  GUKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


ifl 


on  pleurera  à  la  mienne,   I\egrctte  le  service  <lu  fils  de 
celui  qui  aida  Jésus  dans  ses  peines.  Tu  es  trahi.  » 

En  marge  était  écrit  : 

«  Je  te  donne  •1\  lieuvcs.  >) 

Peu  après  cet  avertissement,  le  général,  très  éprouvé 
par  le  climat  et  par  les  épreuves  morales,  eut  une  crise 
de  maladie  qu'il  attribua  à  tort  ou  à  raison  à  une  ten- 
tative d'empoisonnement.  Aux  prises  avec  la  douleur, 
surexcité  au  dernier  degré,  Lally  se  livra  à  des  emporte- 
ments dont  le  jésuite  Lavaur,  devenu  le  confident  intime, 
l'ut  seul  témoin.  D'après  le  journal  do  cet  ecclésiastique, 
le  général  se  serait  écrié (1)  :  «  Que  je  suis  malheureux! 
Ah!  Pondichéry!  l*ondichéry!  Que  n'ai~je  la  force  de  me 
tuer!  Oui,  je  suis  un  poltron.  Eh  bien!  qu'on  me  tue, 
qu'en  m'empoisonne,  qu'on  m'assassine,  sans  cola  Pon- 
dichéry est  perdu;  qu'on  me  tue,  mal3  qu'on  ne  me  fasse 
pas  de  mal.  »  Lavaur  attribue  ce  langage  incohérent  à 
l'état  d'ébriété  dans  lequel  se  serait  trouvé  le  malade. 
Que  les  propos  relatés  aient  été  tenus,  cela  peut  à  la  vérité 
se  croi'c,  mais  se  baser  sur  eux  pour  étayer  une  accusa- 
tion ic  trahison,  voilà  qui  passe  singulièrement  les 
bornes.  Cependant,  le  môme  esprit,  tendancieux  au  point 
d'en  être  ridicule,  se  retrouve  dans  les  écrits  des  ennemis 
de  l'infortuné  Lally.  Citons  un  passage  d'un  manuscrit  (2) 


qui 


décrit  les  soull'rances  de  la  srarnison  et  accuse  le  gé- 


néral de  les  exagérer,  afin  de  la  pousser  à  réclamer  une 
capitulation  qu'il  souhaite,  mais  dont  il  veut  esquiver  la 
responsabilité  :  «  H  (le  soldat)  se  vit  réduit  A,  une  demi- 
ration  de  riz,  et  une  demi-livre  de  bœuf;  bientôt  ie  cheval 

(1)  Journal  du  père  Lavaui.  Ce  journal,  trouvé  dans  les  papiers  du  père 
jésuite,  mort  vers  la  lin  de  1762,  est  un  véritable  acte  d'accusation  contre 
Lally  dont  il  dénature  les  actes  et  auquel  il  attribue  des  desseins  aussi 
noirs  qu'invraisemblables.  Or.  prétend  que  Lavaur  avait  écrit  deux  journaux 
dont  l'un  favorable  à  Lally;  ce  dernier  aurai',  été  détruit. 

(2)  Manuscrit  sans  titre  rédigé  probablement  par  le  père  Lavaur.  Archives 
de  la  Guerre. 


SOUFFRANCES  DE   LA   GARNISON. 


2t 


prit  la  place  du  premier;  l'àne,  les  chiens,  les  rats,  leii 
souris,  les  corbeaux,  les  chats  se  succédèrent  tour  :\  tour 
sans  qu'il  pensAt  à  se  plaindre;  sa  demi-ration  fut  réduite 
au  quart,  et  enfin  au  demi-quart  de  riz,  aux  quatre  onces 
d'une  poudre  qu'on  voulait  l)ien  appeler  nourrissante  ;  il 
souffrait  pourtant  tout  avec  patience,  deux  raisons  en  par- 
ticulier l'y  déterminèrent  au  point  d'être  résolu  de  plutôt 
mourir  que  de  murmurer  :  la  première  que  les  officiers 
étaient  réduits  à  la  même  ration  que  lui;  la  deuxième  que 
l'on  n'agissait  ainsi  que  pour  le  faire  révolter  ou  demander 
la  capitulation  afin  de  mettre  sur  lui  la  perte  de  Pon- 
dichéry.  Il  s'obstine  à  ne  vouloir  ni  l'un  ni  l'autre;  au 
reste  ses  soupçons  ne  laissaient  pas  d'être  fondés,  et  plus 
d'une  fois  il  était  échappé  au  général  de  dire  qu'il  était 
impossible  de  conserver  au  Uoiune  ville  pleine  de  traîtres 
et  de  mutins.  » 

Certes,  à  Pondichéry,  il  y  avait  bon  nombre  de  traîtres 
et  de  mutins,  mais  ils  ne  figuraient  pas  dan^  les  rangs  de 
la  garnison.  Celle-ci,  composée  des  débris  des  bataillons 
de  Lally  et  de  Lorraine  et  d'une  poignée  d'artilleurs,  de- 
meura disciplinée  et  fidèle  à  son  chef  jusqu'à  la  lin.  De 
l'aveu  de  tous,  le  sort  de  la  place  dépendait  de  l'arrivée 
prochaine  de  l'escadre.  Que  s'était-il  passé  k  l'île  de  France? 
La  métropole  avait-elle  complètement  oublié  sa  colonie? 

Impressionnée  par  des  biuits  que  la  cour  de  Londres 
avait  habilement  fait  circuler  sur  un  projet  d'attaque  de 
l'ile  de  France,  la  Compagnie  des  !ndes  françaises  avait 
adressé (1)  à  Louis  XV  une  requête  tendant  à  renforcer  la 
garnison  de  cette  ile  et  de  l'ile  Bourbon.  En  réponse  h  cette 
demande,  il  fut  décidé  d'y  envoyer  un  bataillon  du  régi- 
ment deCambrésis  et  un  détachement  d'artilleurs.  Pendant 
wjje  ce  ren^'ort  se  préparait,  le  maintien  de  Lally  à  la  tête 
des  troupes  de  l'Iude  et  son  remplacement  par  Bussy  furent 

(1)  Requête  de  la  Compagnie  des  Indes.  5  février  1700.  Archives  de  la 
Guerre. 


a? 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS,  —  CHAP.  I. 


*:  1" 


il 


n 


mis  sur  le  tapis.  Bclleisle  soumit  au  contrôleur  général 
Eertiii,  duquel  la  nomination  relevait,  deux  brouillons  de 
lettr«î  :  le  premier  signifiait  sans  commentaire  à  Lally  son 
rappel;  le  second  portait  à  Bussy  sa  promotion  au  grade 
de  maréchal  de  camp  et  au  commandement  en  chef.  L'ar- 
rivée à  Lorient  de  deux  vaisseaux  des  Indes  dont  l'un  avait 
à  bord  le  brigadier  Soupire  et  plusieurs  officiers  rentrant 
en  France  vint  modifier  ces  dispositions.  Le  succès  de 
Geoghegan  à  Vandavachy,  les  bons  témoignages  des  mili- 
taires qui  avaient  servi  sons  Lally  produisirent  un  courant 
favorable  à  ce  dernier.  Bertin  (1  )  après  quelques  hésitations 
se  prononça  pour  lui  :  «  En  général,  quoique  M.  de  Lally 
ait  fait  des  fautes,  môme  comme  militaire,  on  ne  peut  dis- 
convenir qu'il  n'ait  plus  de  connaissances  en  ce  genre  que 
M.  de  Bussy  qui  n'ajamaisfait  la  guerre  en  Europe  ni  contre 
des  Européens,  et  qui  ne  s'ost  maintenu  dans  le  Dekaji 
qu'en  s'occupant  continuellement  à  démêler  les  intrigues 
de  cette  cour  et  celles  de  tous  les  princes  maures  qui  en 
dépendent.  »  Suit  une  critique  de  la  politique  de  Bussy  en 
matière  d'affaires  indigènes. 

«  MaiSjContinue  le  directeur,  ce  qui  m'a  décidé  adonner 
l'exclusion  à  M.  de  Bussy  est  le  tort  qu'il  a  de  n'avoir  jamais 
rendu  compte  des  revenus  immenses  qu'il  a  touchés  pour 
la  Compagnie.  Je  vois  qu'il  résulte  de  toutes  ces  concessions 
des  provinces  du  Nord  qui  ont  été  faites  à  la  Compagnie  et 
qui  devaient  l'enrichir,  qu'elles  n'ont  fait  que  la  constituer 
dans  des  dépenses  considérables  dont  elle  n'a  jamais  été 
remboursée,  tandis  que  le  commandement  dont  M.  de  Bussy 
a  été  chargé  lui  a  procuré  une  fortune  très  considérable, 
à  n'en  juger  même  que  par  les  remises  au'il  a  faites  en 
France.  » 

En  définitive,  Lally  fut  confirmé  dans  «ùes  fonctions  et 
Bussy  reçut  ordre  de  rentrer  en  France.  Ce  dernier  avait 


(1)  Berlin  à  Belleisle,  27  avril  1760.  Archives  de  la  Cnerre. 


ENVOI  DU   BATAILLON   DE  CAMBRÉSIS   A   L'ILE    DE   FRANCE.  23 

été  fait  prisonnier,  on  se  le  rappelle,  à  la  défaite  de  Vanda- 
vachy  ;  revenu  sur  parole  à  Pondichéry,  il  avait  cherché  à 
recouvrer  sa  liberté  en  versant  une  rançon  ;  les  Anglais 
l'avaient  refusée  sous  prétexte  d'inobservation(l)  du  cartel 
d'échange  par  les  Français;  on  reprochait  à  ceux-ci  de  ne 
pas  acquitter  la  dette  contractée  pour  l'entretien  de  leurs 
compatriotes  prisonniers  et  aux  officiers  renvoyés  sur 
parole  de  reprendre  leur  service  sans  acquitter  la  rançon. 
11  fît  en  vain  appel  à  Lally  qui  refusa  d'intervenir,  et  il 
dut  isc  résigner  à  se  rendre  à  Madras  d'où  il  fut  embarqué 
pour  l'Angleterre  dans  les  premiers  mois  de  i761.  Bussy 
ne  prit  donc  aucune  part  aux  tristes  dissentiments  qui  signa- 
lèrent la  chute  de  Pondichéry. 

Cependant,  les  navires  qui  portaient  le  bataillon  de 
Cambrésisetson  commandant,  la  Galissonnière  vicomte  de 
Barrin,  étaient  arrivés  sans  incident  à  l'île  de  France.  Ils  y 
trouvèrent  les  forces  navales  et  militaires  en  très  mauvais 
état:  l'escadre  de  d'Aché  h.  la  suite  d'un  ouragan  violent 
du  mois  de  janvier  1760  avait  éprouvé  de  grosses  avaries; 
sur  il  vaisseaux,  5  seulement  étaient  en  état  de  prendre 
la  mer  ;  om  manquait  de  vivres  et  il  fallait  aller  en  chercher 
à  Madai:ascar.  Les  quelques  soldats  de  la  Compagnie  en 
garnison  dans  l'Ile  étaient  dans  un  dénûmcnt  absolu, 
comme  en  témoigne  le  rapport  de  Barrin  (2)  :  «  Les  forces 
de  terre  de  cette  colonie  consistent  en  une  garnison  de 
mille  hommes  qu'on  peut  réduire  à  six  ou  sept  cents  sous 
les  armes,  qui  sont  sans  bas,  sans  souliers,  sans  habits, 
nourris  depuis  7  à  8  mois  avec  du  pain  sans  autre  subsis- 
tance, composés  d'ailleurs  d'hommef.  sur  l'attachement 
d'une  partie  desquels  je  ne  sais  si  l'on  doit  beaucoup 
compter,  premièrement  parce  que  plusieurs  sont  envoyés 
ici  contre  leur  gré  pour  les  punir  ou  pour  s'en  débarrasser; 


(1)  Lellre  de  John  Call,  Fort  S'-George,  15  juillet  17'10.  Newcaslle  Papers. 

(2)  Barrin  à  Bellcisle,  Ile  de  France,  25  septembre  l'6o.  Archives  de  la 
Gurrre. 


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24 


L\  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


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secondement  parce  que  n'y  aya^it  point  de  casernes  et  l'u- 
sage n'étant  point  de  les  log-er  par  billets,  ils  s'établissent 
où  ils  veulent  et  sont  par  conséquent  très  peu  disciplinés.  » 
Barrin  espère  améliorer  leur  esprit  en  leur  faisant  «  fournir 
la  viande  salée  comme  au  régiment  de  Cambrésis  depuis  le 
premier  d'août,  quoiqu'il  y  en  eût  que  fort  peu  dans  les 
magasins.  Outre  ces  troupes  de  blancs,  il  y  a  encore  trois 
compagnies  de  bourgeois  et  d'ouvriers  faisant  environ 
VOO  hommes  et  plus  2.000  noirs  qu'on  compte  employer 
au  canon  ». 

Barrin,  dont  la  destination  ultérieure  devait  être  Pon- 
dlchéry,  conclut  à  l'impossibilité  de  s'y  rendre,  aussi  tard 
dans  la  saison.  Dans  une  autre  dépèche  (l)da  18  novembre, 
il  renouvelle  ses  plaintes  sur  le  manque  de  vivres  et  sur 
le  défaut  d'argent  pour  en  acheter  au  Cap  de  Bonne- 
Espérance  :  «  Si  l'on  perd  Pondichéry,  ce  sera  faute  d'ar- 
gent plus  que  d'hommes.  »  Il  se  montre  rassuré  sur  le 
sort  de  l'île  :  «  Il  y  a  apparence  que  l'île  de  France  ne 
sera  pas  attaquée  cette  année,  ni  la  prochaine  1761  ;  sans 
3  ou  4.000  hommes  les  Anglais  ne  peuvent  rien.  » 

Laissons  l'ile  de  France  se  préparer  à  repousser  un  dé- 
barquement qui  ne  se  produisit  pas,  quoique  le  projet 
en  ait  été  repris  au  cours  de  1761,  et  revenons  à  Pondi- 
chéry étroitement  bloqué,  dont  la  lin  approchait  à  grands 
pas.  • 

Lally,  qui  n'avait  pu  décider  le  conseil  à  le  seconder 
oans  les  mesures  à  pro.  Ire  dans  l'intérêt  de  la  défense, 
n'était  pas  assez  maître  de  lui  pour  s'empêcher  de  lui 
écrire  en  termes  qui  dénotaient  une  mentalité  mal  équi- 
librée :  «  Cette  colonie  serait  pire  qu'un  désert  rempli 
de  bètes  féroces,  si  tous  ceux  qui  m'y  souhaitent  du  mal 
étaient  capables  de  m'en  faire.  »  Vers  le  commencement 
de  décembre,  le  général  s'alita  et  ne    quitta  plus    sa 

(1)  Barrin  à  Bellcislo,  lie  de  France,  18  novembre  1760.  Archives  de  la 
Guerre. 


LALLY  MALADE. 


» 


chambre;  il  ne  voyait  plus  que  l'intendant  Dubois, 
quelques  ofûcicrs  de  son  intimité  et  surtout  le  père  La- 
vaur  devenu  de  plus  en  plus  son  homme  de  confiance. 
Le  24  décembre,  il  expédia  au  brigadier  Landevisiau, 
commandant  en  second,  une  loltre  des  plus  sing-ulières  à 
lac[uellc  était  joint  un  billet  po.r  Coote,  commandant  des 
troupes  anglaises,  avec  prière  de  le  signer  et  de  le  faire 
parvenir  ;•  son  adresse.  Un  extrait  de  la  réponse  de  Lan- 
devisiau nous  permettra  d'apprécier  l'incident  soulevé 
par  Lally  :  «  Je  vous  prie,  écrit  le  subordonné  (i),  de  me 
permettre  quelques  représentations  à  propos  de  la  lettre 
que  vous  m'ordonnez  d'envoyer  à  M.  Coote  après  l'avoir 
signée. 

«  1"  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  sentir  à  quel  point  je 
me  rendrais  criminel  si  j'avais  l'audace  de  vous  juger  ex 
catedra,  de  vous  déclarer  au  général  ennemi  hors  d'état 
entièrement  de  donner  aucuns  ordres  dans  cette  place, 
et  de  l'informer  tout  uniment  que  j'ai  pris  le  commande- 
ment des  troupes.  Je  vous  conjure,  Monsieur,  de  me  dé- 
fendre de  l'envoyer  et  de  ne  me  pas  savoir  mauvais  gré  de 
ma  prière. 

«  En  second  lieu  dans  la  lettre  que  vous  m'adressez, 
vous  me  maniez  que  vous  vous  déterminez  aujourd'hui  à 
ne  plus  vous  mêler  de  la  partie  militaire,  que  vous  êtes 
d'avis  qu'en  ma  qualité  de  commandant  des  troupes  et  de 
cette  place,  je  demande  à  M.  de  Leyrit  un  conseil  mixte 
pour  délibérer  sur  ce  qui  est  plus  avantageux  de  faire, 
vous  y  dites  qu'il  est  temps  de  travailler  à  un  projet  de  ca- 
pitulation si  l'on  est  dans  le  dessein  d'en  demander  une, 
chose  que  vous  étiez  bien  résolu  de  ne  point  faire,  si  vous 
aviez  été  en  état  de  mettre  un  pied  devant  l'autre  ;  vous 
me  parlez  de  mille  autres  précautions  à  prendre  dont 
vous  paraissez  vouloir  me  charg-er.   »   Landevisiau   ne 


(1)  Landevisiau  à  Lally,  24  décembre  17()0.  Arotiives  de  la  Gitsrre. 


i 


36 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I. 


veut  pas  admettre  l'abdication  de  son  chef.  «  Mais,  Mou- 
sieur,  n'êtes-vous  plus  mon  général  et  mon  chef,  croyez- 
vous  que  je  l'oublie  jamais  ;  suis-je  partie  bastante  pour 
me  mêler  en  mon  propre  et  privé  nom,  je  ne  dis  pas 
d'affaires  aussi  délicates,  mais  même  d'atfaires  courantes 
et  ordinaires  du  service  de  la  place  ?  Ai-je  quelque  titre, 
quelque  autorité  pour  cela?  Quand  même  je  serais  assez 
imprudent  pour  l'entreprendre,  qui  est-ce  qui  m'obéirait? 
Qui  est-ce  qui  me  jugerait  bien  et  dûment  autorisé;  êtes- 
vous  rappelé,  vous  êtes-vous  démis  de  vos  pouvoirs, 
vivez- vous  enfin,  n'est-ce  pas  à  vous  à  qui  le  Roi  nous  a 
confiés;  suis-je  autre  chose  ici  que  le  premier  subalterne 
pour  vous  obéir  et  non  pour  commander,  décider,  capi- 
tuler à  vos  yeux?  Non,  Monsieur,  tant  que  vous  vivrez, 
tant  que  je  vous  verrai  revêtu  de  vos  pouvoirs,  je  ne  puis 
rien  imaginer,  rien  exécuter,  rien  prétendre  que  par  vos 
ordres  exprès  et  je  vous  conjure  de  ne  point  exiger  autre 
chose  de  moi,  ce  serait  contre  mon  devoir.  » 

«  Ordonnez,  Monsieur,  commandez  les  choses  les  plus 
difficiles,  j'obéirai  avec  zèle  et  ardeur,  mais  comniandez.  » 

Le  dernier  paragraphe  vise  la  capitulation  particulière 
que  Lally  entendait  faire  pour  sa  personne  :  «  Vous  m'en- 
voyez le  modèle  de  la  capitulation  particulière  que  vous 
voulez  faire  pour  vous  avec  M.  Coote  quand  le  temps 
viendra;  mais  nous  abandonnerez-vous  quand  le  temps 
viendra,  s'il  vient,  n'est-(;e  pas  à  vous  à  faire  notre  sort, 
ou  à  nous  à  suivre  le  vôtre.  » 

A  cette  lettre  respectueuse  et  sensée,  Lally  répondit  (1) 
en  termes  auxquels  il  s'efforce  de  donner  une  tournure 
ironique,  mais  qui  ne  sont  en  réalité  qu'incohérents  : 
«  J'ai  lu.  Monsieur,  le  vocabulaire  français  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer,  que  vous  me  permet- 
trez de  vous  dire  n'être  point  une  réponse  k  la  lettre  que 


-  (1)  Lally  à  Landevisiau,  27  décembre  1760.  Archives  de  la  Guerre. 


IL   VELT  REMETTRE   SES  POUVOIRS   A  LANDEVISIAU. 


27 


je  vous  ai  écrite  qui  vous  marquait  précisément  que  ina 
santé  ne  me  permettait  point  de  me  môler  d'aucuns  détails 
militaires.  Ce  n'était  qu'une  raison  de  mécontentement 
bien  ou  mal  fondée  qui  m'a  empêché  d'assister  aux  déli- 
bérations du  Conseil.  Le  Conseil  ne  s'en  est  pas  moins  as- 
semblé et  n'en  a  pas  moins  délibéré,  sans  que  je  prési- 
dasse ou  que  je  signasse.  Aujourd'hui,  c'est  une  raison  de 
maladie,  et  il  n'est  point  au  pouvoir  du  Roi  même  d'exi- 
ger de  moi  des  fonctions  que  ma  santé  ne  me  permet 
point  de  remplir.  Ce  n'est  point  de  vous  seul,  Monsieur, 
tout  officier  consommé  que  vous  êtes,  que  je  prétends 
faire  dépendre  les  conséquences  du  parti  que  la  colonie 
a  à  prendre  dans  ce  moment  critique,  c'est  de  l'assemblée 

''  mixte  du  Conseil  et  du  militaire  et  plus  vous  tardez  à 
remplir  cet   objet,  plus  vous  rendez   impraticables    les 

'  moyens  d'empêcher  l'ennemi  de  profiter  de  la  quantité 
de  munitions  de  guerre  dont  cette  ville  regorge,  et  je 
vous  prédis  que  faute  d'y  travailler  dès  à  présent,  quand 
le  fatal  moment  approchera,  il  n'y  aura  plus  personne  au 
logis,  on  voudra  tout  faire  et  l'on  ne  fera  rien.  »  La  res- 
ponsabilité du  désordre  incombera  à  Landevisiau,  car  il 
sera  facile  d'établir  que  depuis  le  5  décembre  lui  Lally  a 
gardé  le  lit. 

«  Ceci  n'est  point  une  capitulation  de  garnison  simple, 
c'est  une  capitulation  de  colonie  entière,  ainsi  elle  re- 
garde le  civil  aussi  bien  que  le  militaire,  et  je  n'ai  pré- 
tendu exiger  de  vous  que  ce  que  je  serais  obligé  de  faire 
si  ma  santé  me  mettait  en  état  d'y  vaquer*. 

«  En  un  mot,  c'est  la  dernière  sommation  que  je  vous 
en  fais,  de  la  part  du  Koi,  je  ne  connais  point  les  enfan- 
tillages, et  encore  moins  les  motifs  de  votre  perte  que 
vous  m'annoncez  en  y  obéissant.  Au  reste,  vous  pouvez  à 
présent  faire  tout  ce  que  vous  jugerez  à  propos;  si  vous 
m'eussiez  laissé  tranquille  pendant  les  15  premiers  jours 

.    de  ma  maladie,  je  serais  peut-être  en  état  aujourd'hui  de 


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LA  GUEUHK  DE  SEPT  ANS.    -  CHAP.  1. 


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vous  décharger  de  ce  poids  iniinense  dont  vous  vous 
sentez  accablé.  » 

Dès  It  lendemain,  I^andevisiau,  en  homme  pratique, 
répondit  (1)  qu'avant  de  consulter  le  Conseil  sur  la  red- 
dition de  la  place,  il  serait  bon  de  savoir  «  jusqu'à  quel 
jour  nous  pouvons  subsister,  car  c'est  de  ce  jour  prévu 
qu'on  voudra  partir  pour  songer  à  se  rendre  ».  Il  ne  pos- 
sède aucun  renseignement  à  cet  égard  :  «  Ne  trouvez- 
vous  pas  à  propos.  Monsieur,  qu'au  préalable  je  prie 
M.  Dubois  de  travailler  avec  moi  sur  cet  article;  je  lui 
communiquerai  vos  ordres,  nous  travaillerons  ensemble 
cà  réformer  les  abus  dans  le  distribuions,  car  il  y  en  a. 
On  n'a  pas  osé  jusques  ici  voas  en  informer,  mais  dans  ce 
moment-ci  il  n'y  a  plus  à  dissimuler,  permettez-moi  de 
vous  en  instruire  sans  ménagement  pour  personne.  Si 
une  réforme  pouvait  nous  valoir  seulement  un  délai  de 
huit  jours,  vous  seriez  bien  content. 

«  Je  verrai,  si  vous  le  jugez  à  propos,  le  père  Lavaur, 
la  confiance  qu'on  a  en  lui,  son  zèle,  ses  ressources  nous 
pourront  faire  gagner  encore  du  temps.  Nous  verrons  en- 
semble plusieurs  citoyens  que  nous  engagerons  à  donner 

ce  qui   leur  reste En  prenant  ces  mesures,  n'étant 

point  gêné  dans  la  confiance  et  mettant  -k  part  toute  sus- 
picion, je  crois  qu'on  peut  encore  allonger  la  courroie, 
et  du  moins  se  fixer  à  peu  près  l'époque  d'une  reddition 
forcée. 

«  Le  second  point  serait  de  savoir  le  point  de  la  négo- 
ciation avec  les  Mahrattes,  et  ce  qu'on  peut  espérer  de 
M.  Allain  (2);  je  ne  suis  point  en  état  de  rien  dire  là- 
dessus,  vous  m'avez  défendu  même  la  curiosité.  »  Lande- 
visiau  demande  enfin  à  ce  que  Guadeville,  l'un  des  inti- 
mes du  général,  au  lieu  de  la  réserve  dont  il  a  usé  avec 


(1)  Landevisiau  à  Lally,  28  décembre  1700.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Major  du  ré(;imcnl  de  Lally,  chargé  d'une  mission  de  ravitaillement. 


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UN  OUHAGAN   CHASSE    L'ESCADRE  ANGLAISE. 


2» 


lui  jusqu'ici  veuille  lji<Mi  lui  faire  part  i\  l'avenii'  de  ce 
qui  parviendra  à  sa  connaissance. 

Celte  requête  si  raisonnable  est  une  nouvelle  prouve  de 
la  mentalité  soupçonneuse  de  Lally;  susceptible  et  défiant 
à  lexcés,  il  n'accordait  sa  confiance  ([u'aux  indignes  ou 
aux  incapables,  aspirait  il  tout  faire  par  lui-même  et 
quand,  écrasé  par  le  poids  de  la  tilcbe,  allaibli  par  la 
maladie,  il  voulait  se  décharger  d'une  besogne  devenue 
trop  lourde,  il  ne  trouvait  autour  de  lui  que  des  ennemis 
personnels,  des  mécontents  ou  des  hommes  qui  systéma- 
tiquement écartés  ne  pouvaient  rendre  service  sans  un 
apprentissage  pour  lequel  le  temps  faisait  défaut. 

Dans  le  cas  actuel,  les:}  conseils  de  Landevisiau  furent 
suivis;  un  appel  au  père  Lavaur,  aux  congrégations  et  j'i 
<|uelques  particuliers  assura  pour  une  période  de  3  se- 
maines l'approvisionnement  de  la  ville.  D'autre  part,  un 
événement  imprévu  vint  relever  les  courages  abattus  : 
«  La  nuit  du  l'"  ru  2  janvier  1761  (1),  à  une  saison  où,  sur 
la  foi  des  marins  et  l'expérience,  on  ne  craint  plus  d'ou- 
ragans sur  la  côte  Coromandel,  il  s'en  éleva  un  si  furieux 
et  si  terrible  que  nous  nous  vJmes  tout  à  coup  délivrés, 
sans  escadre  et  sans  Mahrattes-  A  la  pointe  du  jour  un 
n'apenjut  de  tous  côtés  que  des  débris  de  vaisseaux,  et  de 
13  vaisseaux  qu'on  voyait  la  veille  dans  notre  rade  on 
n'en  aperçut  qu'un  au  large  qui  paraissait  encore  en  état 
quoique  déniàté  d'un  de  ses  nu\ts,  3  étaient  échoués  sur 
le  sable,  presque  à  portée  de  canon  de  la  ville  (2),  3  en- 
foncés dans  la  mer  ne  laissaient  voir  que  le  haut  de  leurs 
mâts,  6  ras  comme  ponton  paraissaient  sur  le  point  d'être 
submergés.  »  Sur  terre,  l'orage  avait  sévi  avec  la  même 
fureur  :  «  La  violence  du  vent  avait  renversé  toutes  ses 
tentes  (de  l'ennemi),  la  pluie  continuelle  qui  dura  toute 
la  nuit  et  î\  laquelle  le  soldat  sans  abri  se  trouva  exposé, 

(1)  Manuscrit  dèjA  cité.  Archives  de  la  Guerrt'. 

(2)  Malleson  dit  à  deux  milles  de  la  ville. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  I. 


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avait  eiif^ourdi  le  soldat  européen  au  point  de  ne  |)ouvoii' 
se  remuer,  grand  nombre  de  cipayes  y  périrent,  les  tor- 
rents que  formaient  la  pluie  avaient  bouleversé  leur 
camp,  les  canons  pour  la  plupart  étaient  enterrés,  les 
fusils  jetés  çà  et  là,  ensablés  au  point  qu'on  les  cherchait 
encore  à  10  heures  du  matin,  les  batteries  avaient  été 
bouleversées,  et  la  mer  rompant  ses  diuues  avait  presque 
enlevé  celles  que  l'ennemi  avait  })lacées  au  bord  de  la 
mer,  au  nord  et  au  sud  de  la  ville;  en  un  mot  les  choses 
étaient  au  point  que  les  Anglais  eux-mêmes  ont  avoué 
que  si  l'on  eût  fait  sortir  seulement  M)0  bon.  mes,  c'en 
était  fait  d'eux,  et  (ju'ils  auraient  été  entièrement  détruits; 
tout  jusqu'à  10  heures  fut  en  confusion  dans  leur  camp.  » 
D'après  l'auteur  du  manuscrit,  officiers,  soldats,  bour- 
geois attendaient  dès  la  pointe  du  jour  le  signal  l'une 
sortie  dont  le  suct'S  ne  semblait  pas  douteux.  Knfin,  las 
d'attendre  les  ordres  qui  ne  venaient  pas,  «  on  se  résolut 
à  aller  parler  au  général;  le  père  Lavaur,  qui  avait  déjà 
à  plusieurs  reprises  donné  des  preuves  de  son  patriotisme, 
se  présenta  au  gouvernemeni.  Quel  fut  son  étonnement 
quand  on  lui  annonça  que  Lally  ne  parlait  à  personne, 
qu'il  n'avait  pas  dormi  de  la  nuit  et  qu'il  avait  absolument 
défendu  de  laisser  entrer  qui  que  ce  soit  jusqu'à  11  heu- 
res )).  Le  parti  pris  du  document  que  nous  venons  de 
citer  éclate  à  chaque  ligne;  aussi  serait-il  imprudent 
d'accepter  l'incident  tel  qu'il  est  raconté.  Mais,  de  l'aveu 
des  historiens  angltis,  il  y  aurait  eu  un  coup  à  tenter  : 
la  garnison  était  aux  abois;  un  insuccès  n'aurait  pas  rap- 
proché l'heure  d'une  reddition  dont  l'échéance  était  fixée 
par  le  manque  de  vivres;  tandis  qu'une  victoire  aurait 
pu  prolonger  de  plusieurs  mois  l'existence  de  la  colonie. 
Peut-être  Lally  jugea-t-il  ses  moyens  trop  faibles;  il 
n'aurait  pu  disposer  pour  la  sortie  que  de  800  Européens  ; 
peut-être  s'illusionnait-il  encore  sur  la  possibilité  de  l'ar- 
rivée de  l'escadre  de  l'Ile  de  France,  peut-être  céda-t-il 


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•  I.'"'.. 


LK    BLOCUS   KST    UKTAHLI. 


8t 


'  À  rnbnttomont  maladif  qui  s'était  emparé  t'e  lui.  Quolle 
que  fût  la  cause  de  son  inactivité,  liUlly  ne  sut  pas 
profiter  du  dernier  répit  (|ue  lui  laissait  la  fortune  ;  il  se 
contenta  d'envoyer  à  tous  les  agents  français  de  la  c6te 
une  circulaire  énergique  ^1)  demandant  l'envoi  de  provi- 
sions :  «  li'escadre  anglaise  n'existe  plus,  Monsieur,  de 
douze  vaisseaux  qu'ils  avaient  dans  notre  rade,  il  y  en  a 
sept  de  perdus,  é(|uipages  et  tout,  les  (juatrc  autres  sont 
démiUés,  et  il  parait  qu'il  n'y  a  pas  plus  d'une  frégate 

,    qui  ait   échappé;  ainsi   ne   perdez  pas  un  instant  pour 

nous  envoyer  chelinges  sur  clielinges  chargés  de  riz 

Ofl'rcz  de  grandes  récompenses.  J'attends  sous  «juatre  jours 
17.000  Mahrattes  Enfin,  risquez  tout,  tentez  tout,  forcez 
tout  et  envoyez-nous  du  riz,  ne  fi\t-ce  qu'une  demi-garse 
i\  la  fois.  » 

Le  désastre  de  la  flotte,  quoique  sérieux,  avait  été  (exa- 
géré ainsi  qu'il  ressort  du  rapport  (2)  de  l'amiral   ;  Une 

"  tempête  subite  et  impré\u(%  survenue  dans  la  nuit  du  1" 
au  2  janvier,  l'a  obligé  à  couper  les  cAbles  et  h  prendre 
le  large;  revenu  le  k  sur  la  rade  de  l*ondichéry,  il  a  cons- 
taté la  perte  de  3  vaisseaux  avec  presque  tout  leur  é([ui- 
page,  l'échouement  de  3  bâtiments,  enfin  V  vaisseaux  dé- 
mâtés et  hors  de  service.  Malgré  ces  sinistres,  le  service 
de  blocus  à  peine  interiompu fut  repris  avec  l'arrivée  du 
reste  de  l'escadre  sans  avaries  graves.  La  lettre  circulaire 
de  Lîilly  au  sujet  du  ravitaillement  était  tombée  entre  les 
mains  des  Anglais,  aussi  leur  premier  soin  fut-il  d'arrêter 
toute  tentative  de  ce  genre.  Steovens  écrivit  aux  gouver- 
neurs des  postes  danois  et  hollandais  delà  côte  qu'il  avait 
à  sa  disposition  et  en  état  11  vaisseaux  de  ligne  et  2  fré- 
gâtes,  que  Pondichéry  était  bloqué  par  mer  et  par  terre 
et  que  si,  contrairement  au  code  international,  des  se- 
cours étaient  envoyés   par  des  neutres,  il  était  bien  dé- 


3 


(1)  Lally  à  Raymond,  Pondichéry,  2janvier  l'Kt.  Affaires  Etrangères. 

(2)  Stecvcns  à  Clevland,  Pondichéry,  6  février  1761.  Record  Office. 


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LA  OUKRIUO  l)K  SKPT  ANS.  -    CIIAP.  I. 


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cidé  11  saisir  tout  iiaviro  ou  hatoau  qui  eu  serait  chargé. 
La  niruic  activité  lut  drployée  en  ce  qui  conceruait  les 
ouvrages  (h'I'allacjuc,  non  seulement  1(îs  doruniagcs  delà 
tempric  furent  réparés,  mais  une  dernière  batterie  do 
11  canons  de  2V  l'ut  aclu'véc  le  13  janvier  à  500  mètres  de 
l'escarpe,  et  vint  s'ajouter  à  celles  qui  tiraient  sur  l'en- 
ceinte. 

La  situation  de  Pondicliéry  était  désespérée,  les  der- 
nières provisions  si  péniblement  trouvées  par  Laudevi- 
siauet  Lavaur  étaient  épuisées.  Le  14  janvier,  Lally  convo- 
qua un  conseil  de  guerre  auquel  fu*  invité  le  gouverneur 
Leyrit;  celui-ci  ne  s'y  rendit  pas  ot  réunit  de  son  cAté  le 
conseil  civil  qui  nomma  une  délégation  chargée  de  trai- 
ter avec  le  colonel  Coote  du  sort  des  habitants.  Les  délé- 
gués, munis  d'un  projet  don  ,  les  clauses  n'étaient  pas  en 
rapport  avec  les  circonstances,  se  rendirent  le  lendemain 
15  au  camp  anglais,  mais  quand  ils  voulurent  aborder  le 
sujet  de  leur  mission,  Coote  leur  opposa  une  lettre  de 
Lally  datée  du  matin  (1  j.  «  Les  troupes  du  Koi  et  celles  de 
la  Compagnie  se  rendent,  faute  de  provisions,  prison- 
nières de  guerre  de  Sa  Majesté  Britannique,  aux  condi- 
tions du  cartel  que  je  réclame  également  pour  tous  les 
habitants  de  i»ondichéry,  aussi  bien  (jue  pour  l'exercice 
de  la  religion  romaine,  les  maisons  religieuses,  les  hôpi- 
taux, les  chapelains,  chirurgiens  domestiques,  etc.,  me 
référant  à  la  décision  des  deux  Cours  pour  une  réparation 
proportionnée  au  violement  d'uu  -raité  si  solennel.  » 

En  outre  de  cette  capitulation  à  discrétion,  la  lettre  ne 
contenait  que  les  dispositions  nécessaires  pour  la  prise  de 
possession  de  la  ville  par  les  Anglais  et  le  paragraphe 
final.  «  Comme  mon  pouvoir  est  borné  par  le  cartel  dans  la 
déclaration  que  je  fais  à  M.  Coote,  je  consens  que  MM.  du 
Conseil  de  Pondicliéry  lui  fassent  leurs  représentations, 

(1)  Lally  à  Coote,  Fort  Louis  devant  Pondicliéry,  Ij  janvier  17G1.  Affaires 
Etrangères.  


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CAPITILATION  l»E  PONDICIIERY. 


33 


pour  ce  »|ui  peu!  rc^'ardcr  plus  (lir<'ct(Miienl  leurs  intrn'^fs 
particuliers  cf  ceux  <lcs  habit.uils  de  lu  colonie.  >  ('oote  ne 
vou'ut  accepter  iiucune  des  conditions  (pic  deinaiidait  la 
délégation,  mais  déclara  qu'il  ferait  de  son  mieuv  pour 
assurer  aux  habitants  leurs  maisons,  leurs  elFets  cl  leurs 
marchandises. 

Le  lendemain,  1(5  janvier,  ('.oote  prit  possession  de  la 
porte  Villenour  et  eut  avec  Lally,  qui  était  au  lit,  une 
l<»nf;ue  eutrevue,  dont  l'auteur  de  notre  manuscrit  avoui; 
ne  pouvoir  rendre  compte,  la  conversation  ayant  eu  lieu 
en  anjlais  et  le  père  Lavaur,  seul  présent,  ne  compre- 
nant pas  cette  lanjiue.  L'ecclésListiqui;  demanda  de  mettre 
en  rapport  le  f;ouverneur  et  les  membres  du  conseil  avec 
Coote,  atin  de  donner  à  ce  dernier  l'fjccasion  de  renouve- 
ler ses  promesses  à  l'égard  de  l'élément  civil.  Lally  y  con- 
sentit, mais  à  la  condition  que  l'entretien  n'aurait  i)as 
lieu  en  sa  présence.  «  Les  deux  généraux  dînèrent  en- 
semble, continue  le  manuscrit,  dans  la  chambre  de  celui 
qui  passait  pour  malade;  ils  eurent  le  temps  de  se  faire 
part  mutuellement  de  tout  ce  qu'ils  avaient  sur  le  cœur, 
sans  que  personne  pût  les  inquiéter. 

«  La  prise  de  possession  eut  lieu  le  17  janviei"  et  le  len- 
demain Lally  partit  accompagné  des  (iullermin,  des 
Pouly,  des  Gaddeville,  Chappoudy,  tous  ses;  favoris,  ses 
créatures  et  ceux  à  qui  il  avait  donné  sa  confiance,  escorté 
de  quelqu'un  de  ses  gardes  et  d'un  détachement  de  cava- 
lerie anglaise,  sans  nous  laisser  d'autre  gage  i  i,  d'autres 
assurances  du  traitement  que  nous  avions  liei.  d'attendre 
que  la  promesse  vague  du  général  anglais;  la  conduite 
qu'on  a  tenue  depuis  à  l'égard  de  Pondichérj,  où  il  ne 
reste  pas  pierre  sur  pierre,  fera  juger  du  fonds  qu'il  y 
avait  à  faire.  » 

Le  manuscrit  se  garde  bien  d'ajouter  que  le  départ  de 
Lally  fut  l'occasion  de  démonstrations  hostiles  qui  so 
terminèrent    par    des   incidents   plus    graves.   L'escorte 


GlEimE   Iti;    SEPT   ANS. 


T.    V. 


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Si 


LA  GUEKRK  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  I. 


anglaise  que  Coote  avait  mise  ô  la  disposition  du  général 
le  sauva  des  insultes  et  des  menaces  de  mort  d'une  foule 
composée  d'employés  et  de  fonctionnaires  civils,  parmi 
lesquels  figuraient  deux  membres  du  conseil.  Quelques 
instants  après,  Dubois,  l'intendant,  en  cherchant  à  re- 
joindre son  chef,  fut  l'objet  des  injures  les  plus  violentes; 
malgré  son  grand  Age  et  quoique  presque  aveugle,  il  mit 
l'épée  à  la  main  pour  se  défendre:  il  fut  aussitôt  tué  par 
l'un  des  manifestants.  L'attentat  commis,  ceux-ci  s"enq)a- 
rèrent  des  |)apiers  de  Dubois  qu'ils  avaient  lieu  de  croire 
compromettants  pour  eux,  et  les  firent  disparaître. 

Steevens  attribue  ' ')  la  chute  de  Pondichéry  à  la 
famine  :  «  Après  un  blocus  des  plus  diligents  par  l'escadre 
sous  mes  ordres  pendant  plus  de  8  mois  et  pour  une 
période  assez  longue  par  le  colonel  Coote,  Pondichéry 
s'est  rendu  aux  armes  do  S.  M.  le  15  du  mois  dernier.  Le 
général  Lally,  dans  l'attente  d'être  secouru  par  l'escadre 
française,  s'est  laissé  réduire,  lui,  la  garnison  et  les 
habitants  au  dernier  degré  de  détresse  et  de  misère  par 
suite  du  manque  de  vivres.  » 

La  garnison  française  qui  déposa  les  armes  comptait 
55"  ofiicieis  et  soldats  des  régiments  de  Lorraine  et  de 
Lally,  295  marins,  177  artilleurs,  232  du  bataillon  de 
l'Inde,  15  cavaliers  et  124  invalides,  en  tout  l.VOO  hommes, 
pour  la  plupart  épuisés  de  faim  et  de  misère.  La  popu- 
lation civile  européenne  atteignait  un  total  de  672  per- 
sonnes. 

Les  quelques  forts  que  possédaient  encore  les  Français 
aux  Indes  ne  survécurent  pas  longtemps  à  la  chute  de 
Pondichéry;  Tlùagar  succomba  le  'V  février  1761,  Mahé 
capitula  le  12  du  môme  mois,  enfin  la  cidatelle  de  Gingy 
ouvrit  ses  portes  le  5  avril. 

Aussitôt  les   Anglais  maîtres  de   Pondichéry,  le  gou- 

(1)  steevens  à  Clevland,  Pondichéry,  7  février  1761.  Record  Office. 


M 


PROCES   DE    r.ALLY. 


35 


verncur  l'igott  fit  subir  ;V  la  place  le  même  traitement 
que  les  Français  avaient  intligé  au  fort  St-David.  (  du 
démolit  Pondichéry  aussi  vite  qu'on  peut,  éciit  Monsou  (1  )  ; 
une  grande  partie  du  front  de  l'ouest  a  été  renversée... 
Croyez-vous  (ju'on  approuve  en  Angleterre  la  démoli- 
tion? » 

Les  haines  et  les  passions  qui  avaient  discr<'dilé  pen- 
dant los  dernières  années  la  domination  française  aux 
Indes  eurent  une  répercussion  d'autant  plus  éclatante 
en  France,  que  presque  toui-^  les  personnages  de  la  tra- 
gédie furent  bientôt  de  retour  dans  la  métropole.  Lally, 
transporté  en  Angleterre,  ne  put  se  présenter  à  Paris 
que  vers  la  fin  de  17G1  ;  il  y  trouva  ses  ennemis  à  l'œuvre; 
brochures,  mémoires  et  pamphlets  réi)andus  A  profusion 
avaient  ameuté  l'opinion  contre  lui.  Lally  chercha  h  se 
justifier  par  la  voie  hiérarchique  en  adressant  au  Ministre 
un  rapport  sur  sa  gestion.  Choiscul  s'efforça  d'étoutler 
l'alfaire,  mais  une  requête  à  la  date  du  3  août  1702 
pnisentée  au  Roi  par  la  partie  adverse  força  le  gouver- 
nement à  entamer  la  procédure;  auv  membres  du  conseil 
de  Pondichéry  en  caii. pagne  depuis  le  début  se  joignirent 
Leyrit,  Bussy  et  enfin  d'Aché.  Lally  rép.'iqua  par  une 
lettre  à  la  Compagnie  des  Indes  dans  la(iuelle  il  récla- 
mait djs  juges.  Choiscjl  se  crut  obligé  de  céder  au  cou- 
rant qui  se  prononçait  de  plus  en  plus  contre  l'fi'landais, 
comme  l'appelaient  ses  ennemis,  et  iit  signer  le  J"  no- 
vembre 1762  une  lettre  de  cachet.  Lally  aurait  pu  se 
dérober  par  la  fuite,  il  s'y  refusa  et  se  constitua  pri- 
sonnier à  la  Bastille  le  5  novembre. 

il  nous  est  impossible  de  suivre  la  marche  d'un  procès 
qui  dura  presquev  V  ans.  Pendant  18  mois,  l'alfaire  som- 
meilla, elle  prit  brus({uement  un  tour  plus  vif  par  la 
connaissance  des  mémoires  du  père  Lavaur  que  le  pro- 


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n)  Monsoii  à  Draper,  2  mars  1701.  Newcastle  Papers. 


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3G 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  1. 


cureur  général  saisit  à  la  mort  du  jésuite.  Sur  ce  docu- 
ment venimeux  ce  magistrat  édifia  son  acte  d'accusation. 
L'affaire  traîna  jusqu'en  1766,  elle  donna  lieu  à  la  pro- 
duction de  nombreuses  pièces  à  charge  ou  à  décharge 
de  l'accusé.  Ce  dernier,  quoique  privé  de  tout  conseil, 
se  défendit  avec  habileté,  signala  les  absurdités  et  les 
contradictions  des  accusfitions,  invoqua  en  vain  le  témoi- 
gnage d'officiers  qui  avaient  servi  sous  ses  yeux.  Ses 
ennemis  l'emportèrent;  par  arrêt  du  Parlement  en  date 
du  6  mai  1766,  il  fut  privé  de  ses  états,  honneurs  et 
dignités  et  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée...  «  pour 
avoir  trahi  les  intérêts  du  Roi,  de  son  État  et  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  ».  Le  9  mai,  Lally  mourait  sur  l'écha- 
faud  avec  le  courage  qu'il  avait  toujours  déployé  pendant 
sa   carrière. 

Ce  serait  sortir  de  notre  cadre  de  relater  les  persévé- 
rants efforts  du  comte  de  Lally-Tollendal  pour  réhabi- 
liter la  mémoire  de  son  père.  Si,  malgré  quelques  succès, 
il  ne  réussit  pas  à  mener  à  bonne  fin  un  procès  en  revi- 
sion que  vint  interrompre  la  révolution,  il  contribua  à 
dissiper  la  légende  populaire,  à  rétablir  la  vérité,  ;\ 
démontrer  l'injustice  de  la  condamnation  flétrissante. 

Que  Lally,  au  point  de  vue  militaire,  ait  commis  des 
fautes,  et  que  ces  fautes  aient  contribué  à  la  perte  de 
la  colonie,  cela  est  évident.  Le  rappel  de  Bussy  et  son 
remplacement  par  l'incapable  Conttans  eurent  des  suites 
fâcheuses;  le  siège  de  Madias  fut  tardivement  entrepris 
et  mal  dirigé;  les  opérations  de  la  campagne  de  1759, 
la  dispersion  constante  des  troupes  françaises,  les  hési- 
tations qui  précédèrent  la  bataille  de  Vandavachy,  la 
longue  inaction  qui  suivit  la  défaite,  l'abandon  des 
petites  garnisons  de  la  province,  le  recours  prématuré 
à  la  défensive  furent  autant  d'erreurs  qui  sont  de  nature 
à  porter  atteinte  à  la  réputation  du  stratégiste.  Mais  pour 
chacune  de  ces  défaillances  apparentes,  n'cxiste-t-il  pas 


I 


p. 


JUGEMENT  PORTE  SUR  LALLV 


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une  excuse  ou  une  circonstance  atténuante?  Tantôt  ce 
sont  les  instructions  d'un  gouvernement  éloigné  et 
partant  mal  informé  ou  incompétent  auxquelles  il  faut 
se  conformer,  tantôt  c'est  le  manque  d'argent  qui  oblige 
i\  des  expéditions  excentriques  dans  le  seul  but  de  faire 
recette,  ou  qui,  en  provoquant  l'émeute  dans  l'armée, 
fait  échouer  les  entreprises  les  mieux  combinées;  tantôt 
enfin  ce  sont  les  intrigues  ou  la  mauvaise  volonté  du 
gouverneur  et  du  conseil  civil  qui  retiennent  le  général 
loin  de  ses  soldats  ou  le  paralysent  dans  l'exécution  de 
ses  projets.  L'Anglais  Coote  lui  rendait  justice  quand  il 
disait  (l)  :  «  Personne  n'a  une  plus  haute  opinion  que 
moi  de  Lally.  Il  a  lutté  contre  des  obstacles  que  je 
croyais  insurmontables  et  il  les  a  vaincus.  Il  n'y  a  pas 
un  autre  homme  dans  l'Inde  qui  eût  pu  maintenir  sur 
pied  pendant  aussi  longtemps  une  armée  sans  solde  et 
qui  ne  recevait  des  secours  de  nulle  part.  » 

La  prise  de  Pondichéry  mit  tin  aux  conceptions  bril-  • 
lantes  que  Martin,  Labourdonnais  et  surtout  Dupleix 
avaient  espéré  réaliser  en  vue  de  la  suprématie  française 
aux  Indes;  la  supériorité  était  définitivement  acquise 
aux  Anglais,  ils  en  usèrent  pour  développer  jusqu'aux 
Il  miles  actuelles  le  superbe  empire  sur  lequel  ils  régnent 
:  'iourd'hui.  Les  établissements  français  furent  restitués 
<i  [:.  [H^ix,  mais  sans  défense.  Pondichéry  resta  à  la  merci 
du  ?  voisins  et  perdit  toute  importance  politicjue  et 
même  commerciale.  Il  en  eût  été  autrement  si  le  gouver- 
nement de  Louis  XV  eût  m(mtré  la  persévéï'ance  et  la 
ténacité  de  ses  concui-rents.  Favorisée  par  la  possession 
de  l'ile  de  France,  sûre  d'un  point  d'a[)pui,  lescadro 
frani-aise  pouvait  lutter  dans  les  mers  indiennes;  pendant 
les  ([uatre  années  que  dura  la  guerre,  les  bîïtimcnts  de 
la  Compagnie  ou  les  vaisseaux  du  Koi  purent  accéder  à 


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(tj  Lettre  tilée  par  Malleson,  |).  470,  traduction  française. 


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38 


LA  GUEimb;  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  1. 


la  côte  de  Coromandel  et  y  débarquer  des  renforts  ; 
malheureusement,  à  l'exception  de  l'escadre  d'Aiguilles, 
il  ne  vint  pas  de  secours  de  la  métropole,  alors  que  l'en- 
voi en  1759  du  bataillon,  expédié  par  changement  de 
destination  en  1760  à  l'ile  de  France,  eût  probablement 
tranché  le  sort  de  la  campagne  en  faveur  de  Lally. 
Certes,  la  présence  d'un  millier  de  Français  dans  le  Car- 
natic  et  l'envoi  de  quelques  millions  en  numéraire  eus- 
sent produit  plus  d'effet  que  l'inutile  et  coûteuse  pro- 
menade qu'accomplissaient  tous  les  ans  en  Allemagne  la 
maison  du  Roi  ou  la  brigade  des  gardes;  la  dépense, 
sans  être  beaucoup  plus  forte,  eût  été  autrement  pro- 
ductive en  résultats. 

Peu  de  temps  après  la  prise  des  possessions  françaises 
de  l'Inde  et  pendant  que  l'amiral  Steevens  et  le  colonel 
Coote,  représentants  du  gouvernement  métropolitain,  se 
disputaient  les  dépouilles  de  Pondichéry  avec  les  auto- 
rités locales  de  la  Compagnie  canglaise  des  Indes,  ces 
dernières  remirent  sur  le  tapis  l'expédition  contre  les 
îles  de  Bourbon  et  de  France.  A  la  demande  du  gouver- 
neur Pigott,  le  colonel  Monson  prépara  un  projet  (1)  : 
pour  venir  à  bout  de  la  garnison  française  évaluée  à 
l.ôOO  hommes  y  compris  le  bataillon  de  Cambrésis,  il 
faudrait  3.200  soldats  européens,  c'est-à-dire  toutes  les 
troupes  blanches  que  possédait  la  présidence  de  Madras. 
Cette  raison  ainsi  que  celle  de  la  dépense  qui  incombe- 
rait à  la  Compagnie,  fit  abandonner  l'entreprise  ;  ce- 
pendant l'amiral  Cornish,  qui  avait  remplacé  Steevens 
mort  en  mai  17(»1,  reçut  ordre  de  se  porter  dans  les 
parages  de  Madagascar  à  l'encontre  d'une  escadre  com- 
mandée par  Kcppel  et  dirigée  contre  les  lies.  Keppel 
reçut  une  autre  destination,  comme  nous  le  verrons  plus 
loin,  mais  le  contre-ordre  arriva  trop  tard.  Cornish  (2) 

(1)  Projet  du  colonel  Monsoii,  9  avril  i761.  Record  Oflice. 

(2)  Rapport  de  Cornish,  5  avril  1762.  Record  Oflice. 


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EXPEDITION    DE  DESTAING. 


89 


attendit  inutilement  à  Diego-Siiarez  pendant  ï  mois,  qui 
lui  coûtèrent  cher  ;  le  scorbut  éclata  î'i  bord,  600  matelots 
en  moururent  pendant  la  croisière  et  au  retour  à  Madras, 
le  23  janvier  1762,  HOO  malades  furent  débarqués  et 
transportés  k  l'hôpital. 

Durant  l'année  1762,  et  jusqu'à  la  paix,  il  ne  fut  plus 
question  de  l'expédition  contre  l'Ile  de  France  ;  com- 
plètt^ment  rassurés  sur  toute  agression  de  ce  côté,  les 
Anglais  préparèrent  contre  les  iles  Philippines  une  en- 
treprise dont  nous  aurons  l'occasion  de  parler. 

Pour  ne  rien  omettre  des  incidents  qui  se  passèrent 
dans  l'Extrôme-Orient,  il  convient  de  faire  allusion  à 
l'expédition  du  comte  d'Estaing.  Cet  officier,  qui  avait 
été  fait  prisonnier  pendant  le  siège  de  Madras  et  avait 
été  reMché  sur  parole,  prit  passage  pour  l'Ile  de  France 
sur  l'escadre  de  d'Aché.  Il  en  partit  en  octobre  1750, 
s'empara  du  comptoir  anglais  de  Bender  Abassi  dans 
le  golfe  Persique,  s'échangea  contre  le  commandant  du 
fort.  De  là,  il  fit  voile  pour  l'île  de  Sumatra,  se  rmdit 
maître  de  Bencoolen  et  des  autres  établissements  que 
les  Anglais  y  possédaient.  De  retour  à  l'île  de  France, 
il  s'embarqua  pour  la  métropole;  au  cours  du  voyage, 
il  fut  pris  de  nouveau  par  l'ennemi  et,  à  son  arrivée  en 
Angleterre,  jeté  en  prison  sous  prétexte  d'avoif  violé  sa 
parole.  Nous  l'en  verrons  sortir  pour  jouer  un  rôle  dans 
les  ouvertures  pacifiques  que  la  cour  de  Saint-James  fit 
à  celle  de  Versailles  au  printemps  de  1762.  Les  succès  de 
d'Estaing  n'avaient  pas  été  sans  produire  une  certaine 
émotion  dans  le  monde  des  armateurs  et  des  négociants 
de  la  cité  de  Londres.  Les  conquêtes,  d'ailleurs  peu  im- 
portantes, furent  restituées  lors  de  la  conclusion  de  la 
paix. 

Quant  à  la  chute  de  Pondichéry,  la  nouvelle  en  arriva 
à  Londres  peu  de  temps  après  l'ouverture  des  pourparlers 
entre  Pitt  et  Bussy. 


I; 


40 


i,A  gui;rrk  de  sept  ans.  —  chai»,  i. 


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I 


Aux  événements  militaires  de  rExtrème-Orient  se  rat- 
tache l'expédition  anglaise  contre  les  Philippines,  quoi- 
que la  date  en  soit  très  postérieure  à  la  prise  des  pos- 
sessions françaises  dans  l'Inde  et  que  la  nouvelle  de  la 
reddition  de  Manille  n'ait  été  connue  en  Europe  qu'a- 
près la  signature  des  préliminaires  de  la  paix. 

Après  son  attente  inutile  dans  la  baie  de  Diego-Suarez, 
l'amiral  Steevens  avait  regagné  Madras  avec  ses  nombreux 
malades  au  mois  de  décembre  1761.  Dans  l'intervalle,  le 
colonel  Draper  avait  fait  un  voyage  en  Angleterre  et  avait 
fait  substituer  à  l'entreprise  contre  les  lies  françaises, 
beaucoup  moins  intéressante  depuis  la  prise  et  la  démo- 
lition de  Pondichéry,  l'idée  d'un  raid  sur  Manille  et  les 
lies  Philippines.  Aussitôt  rentré  aux  Indes,  Draper  en 
entretint  le  conseil  de  la  régence  de  Madras. Le  projet,  qui 
avaitété  agréé  par  Pitt, fut  soumis  aune  commission  spéciale. 
Le  gouverneur  Pigott,  l'amiral  Cornish,  Draper  et  le  capi- 
taine de  vaisseau  Tiddyman  lui  furent  favorables;  seul, 
le  gouverneur  Lawrence  fit  de  l'opposition.  Ce  dernier, 
d'après  Draper  (1),  paraissait  tenir  compte  plus  que  jamais 
des  dangers  de  l'intervention  d'une  escadre  française,  de 
l'Ile  de  France;  bien  plus  sérieuses  étaient  les  objections 
tirées  du  nombre  et  de  la  qualité  des  troupes  dont  on  pou- 
vait disposer  ;  elles  se  composaient  du  bataillon  de  Draper, 
d'une  compagnie  d'artillerie  de  siège  ;  «  le  reste  est  un 
composé  de  déserteurs  de  toute  nationalité,  que  je  prends 
avec  moi  bien  plus  pour  apaiser  les  craintes  et  les  appré- 
hensions des  gens  de  Madras  que  pour  les  services  qiio  je 
puis  en  attendre...  Une  telle  collection  de  bandits  ne  s'est 
pas  réunie  depuis  le  temps  de  Spartacus  ».  Draper  recon- 
naît qu'il  faut  renoncer  aux  1.500  soldats  du  Roi  et  aux 
800  de  la  Compagnie  dont  il  avait  parlé  en  Angleterre  ; 
mais  quelque  faibles  que  soient  les  moyens,  il  compte  sur 


I  l:i 


(1)  Diappr  à  Egremoiil,  b'ori  St-Georges.  17  juillet  1762.  Rocoid  Oflico. 


iii 


HXPKUITION   CONTKE   MAMLLK. 


41 


le  succès  grâce  au  concours  assuré  de  l'iuniral  ('.oruish  et 
de  ses  équipages.  Eu  définitive,  le  corps  expéditionnaire 
se  composa  d'environ  600  Anglais,  264.  Européens,  100  ca- 
fres,  2.000  cipayes  et  quelques  centaines  do  travailleurs 
lascars  pour  les  services  de  l'artillerie  et  du  g'énie.  A  c»^s 
forces  quelque  peu  disparates  vinrent  s'ajouter  un  batail- 
lon de  550  matelots  de  l'escadre  et  270  excellents 
«  marines  ».  Le  colonel  Monson  accompagnait  l'armée 
en  qualité  de  commandant  en  second. 

L'escadre,  après  avoir  touché  à  Malacca  le  27  août,  jeta 
l'ancre  le  23  septembre  dans  la  baie  de  Manille;  son  ap- 
parition fut  une  surprise  complète  p^ur  les  Espagnols  qui 
étaient  loin  de  s'attendre  à  une  attaque. 

A  la  suite  d'une  reconnaissance  ellectuée  le  25,  les 
chefs  de  l'expédition  abandonnèrent  le  projet  primitif 
de  s'emparer  du  port  et  de  l'arsenal  de  Cavité  et  dé- 
cidèrent de  s'en  prendre  d'abord  à  la  ville  de  Manille.  On 
éviterait  ainsi  la  perte  de  2  jours  qu'occasionnerait  la 
première  opération  et  on  priverait  l'ennemi  d'un  répit 
dont  il  aurait  profité  pour  prendre  des  précautions  et 
pour  appeler  à  son  secours  les  milices  de  l'intérieur. 

Conformément  à  cette  résolution,  l'amiral  Cornish  si- 
gnala (1)  à  l'escadre  de  se  rapprocher  le  plus  possible  de 
la  ville  et  de  préparer  le  débarquement.  L'ordre  fut  exé- 
cuté sans  retard,  le  79"  régiment  et  les  «  marines  » 
prirent  terre  à  7  heures  du  soir,  près  de  l'église  de  Mo- 
ratta,  à  environ  2  kilomètres  de  l'enceinte.  On  n'éprouva 
d'autre  obstacle  que  le  ressac  qui  r.ausa  quelques  avaries 
sans  coûter  cependant  la  vie  à  porponne.  Le  lendemain 
matin,  on  rapprocha  les  avant-posles  jusqu'à  200  Mètres 
des  glacis  et  or  renforça  la  petite  armée  de  700  hommes 
empruntés  aux  équipages.  La  veille,  on  avait  capturé  une 
galère  espagnole  par  laquelle  on  eut  avis  de  l'arrivée  sur 


(1)  Cornishà  Clevlaïul,  m  rade  de  Manille,  31  octobre  1762.  Record  Oftice. 


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41 


LA  GUERRK  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  I. 


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la  c(H«!  d'un  galion  venant  d'Acapulco  et  chargé  de  tré- 
sors; Cornish  détacha  2  fréfiatcs  à  l'cU'et  de  s'emparer  du 
riche  butin  que  promettait  cette  capture. 

Le  28  septembre,  Draper  avisa  l'amiral  que  les  batteries 
étaient  commencées  et  demanda  l'appui  des  vaisseaux 
pour  confrc-battre  le  feu  de  lenneini  et  protéger  les  tra- 
vaux d'approche.  Droit  fut  fait  à  cette  demande,  et  deux 
vaisseaux,  à  partir  du  30,  joignirent  leur  feu  à  celui  des 
assiégeants. 

Le  1  "  octobre,  le  «  South  Sea  Castle  »,  qui  était  arrivé 
la  veille  avec  des  outils  de  tranchée  dont  on  avait  grand 
besoin,  s'échoua  près  de  la  Pulverista,  un  pou  au  sud  du 
camp  anglais.  Cet  accident,  qui  aurait  pu  être  fâcheux 
poiirl'entreprise  de  Draper,  lui  fut  au  contraire  avantageux; 
la  situation  du  bâtiment  en  fît  une  redoute  protectrice  pour 
les  derrières  du  camp  et  facilita  le  prompt  débarquement 
des  approvisionnements  qui  eût  été  retardé  par  le  mau- 
vais état  de  la  mer. 

Le  feu  des  batteries  de  siège  et  des  bâtiments  embossés 
fut  ouvert  le  4  octobre  et  maintenu  avec  tant  d'effet,  que 
le  5  au  soir  la  brèche  devint  praticable.  Le  6  au  point  du 
jour,  les  soldats  de  ligne  et  les  marins  livrèrent  l'assaut, 
qui  eut  un  plein  succès.  Cornish  se  rendit  de  suite  à  terre, 
se  joignit  à  Draper  et  eut  avec  le  gouverneur  espagnol  une 
entrevue  qui  aboutit  ù  une  capitulation. 

Cette  pièce  signée  du  côté  espagnol  par  Don  Arzpo  de 
Mande,  (|ui  cumulait  les  fonctions  de  capitaine  général 
avec  celles  d'archevêque  de  Manille,  stipulait  la  remise  au 
roi  Georges,  jusqu'à  la  paix,  de  toutes  les  îles  Philippines 
dépendant  du  gouvernement  de  Manille,  et  le  paiement 
d'une  somme  de  k  millions  de  dollars,  comme  rançon  de 
la  ville  et  des  effets  appartenant  aux  habitants.  Le  10,  les 
Anglais  en  vertu  de  la  capitulation  prirent  possession  du 
port  de  Cavité  et  de  toutes  ses  ressources. 
.  Cornish,   dans  sa  dépêche,  insiste  sur  les   difficultés 


HEDDITION    DE  MANILLE. 


♦r 


(ju'occasionnèrcut  aux  opérations  les  vents  contraires 
soufflant  du  large  et  le  ressac  qui  rendaient  le  débarque- 
ment fort  dangereux.  Il  se  plaint  également  des  atta(|ues 
incessantes  des  bandes  indiennes,  lesquelles,  quoique  in- 
disciplinées et  armées  seulement  de  lances,  d'arcs  et  de 
(lèches,  ont  gcné  et  harassé  les  troupes.  La  conquête  de 
Manille  (1)  et  de  ses  dépendances  coiUa  aux  Anglais  151 
officiers  et  soldats  tués  et  blessés,  sans  compter  le  Commo- 
dore Tiddyman  et  quelques  matelots  noyés. 

La  prise  du  galion  d'Acapulco  compléta  le  butin  et 
augmenta  la  part  des  vainqueurs  et  surtout  de  leurs 
chefs.  Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  Manille  fut  rendu  aux 
Espagnols. 


(1)  Consulter  Journal  of  proceeding's  of  H.  M'  Troops  aiiainsl  Manilla.  Re- 
cord Office.  .  . 


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CHAIMTUK   II 


BELLEISLE 


KCIIKC  l>K  LA  PUEMIKRK  TENTATIVK  l>K  DKBAROUKMKM  DES 
ANfiLAIS.  —  SIÈr.lr:  IH  PALAIS-  —  CAlMTl  LATION  DE  LA 
JIARMSO.X.  , 

Les  pourparlers  paciliques  du  printemps  et  de  l'été  de 
1761  n'avaient  pas  empêché  la  poursuite  active  des  hosti- 
lités sur  le  continent  européen.  Parmi  les  incidents  de 
guerre  qui  se  produisirent,  l'expédition  contre  l'île  deBel- 
leisle  mérite  une  mention  spéciale  que  justifie  plutôt  sa  ré- 
percussion fâcheuse  sur  les  négociations  pendantes  que  sou 
importance  militaire.  Le  29  mars,  deux  jours  avant  la  re- 
mise à  Pittdes  pièces  relatives  aux  ouvertures  de  paix  faites 
par  Choiseul,  un  corps  expéditionnaire  anglais  mit  à  la 
voile  de  Spithead.  Après  de  longues  hésitations,  le  cabinet 
anglais  sous  l'inspiration  de  Pitt  avait  repris  le  projet  d'une 
expédition  étudiée  au  cours  de  l'automne  de  1760  ;  12  ba- 
taillons d'infanterie,  quelques  pelotons  de  dragons  et  un 
train  de  siège  considérable  avaient  été  embarqués  sur  do 
nombreux  transports  convoyés  par  l'escadre  du  commodore 
Keppel;  les  troupes  étaient  commandées  par  le  général 
Hodgson.  Le  7  avril,  au  point  du  jour,  la  flotte  anglaise, 
forte  de  115  bAtiments  dont  10  vaisseauxde  ligne  et  2  fré- 
gates, était  en  vue  de  Belleisle. 

Pour  la  description  des  fortifications  et  pour  la  relation 
des  opérations  militaires,   nous  ne  pouvons  mieux  faire 


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Wjf  rvi^!|pwji  ^nÀ,  . 


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I  ORTlFrfATIONS    DE  L'ILE. 


45 


que  (le  puiser  dans  le  mémoire  d'un  officier  français  qui 
s'est  fait  l'iiistoiien  consciencieux  de  l'entreprise  britanni- 
que. Située  à  10  lieues  de  Port-Louis  et  h  \  lieues  de  Qui- 
beron,  l'Ile  de  llelleisle  couvre  une  supeificie  de  128  kilo- 
mètres carrés  ;  elle  possède  deux  ports  :  Sauzon  et  le  I*alais, 
tous  deux  sur  la  côte  qui  fait  face  au  Morbihan.  Ku  176 1 
la  seule  fortification  permanente  était  la  citadelle  du 
Palais,  reconstruite  par  Vauban  et  munie  (l)dt  «  quatre 
bastions  irré^uliers  avec  enveloppe,  cliemin  couvert, 
demi-lunes  et  cavaliers,  fossés  larges  et  profonds  tfiillés 
verticalement  dans  le  roc,  beaux  remparts  dont  la  ligne 
imposante  pouvait  mettre  en  batterie  80  à  100  bouthes  k 
feu  ».  En  17V7,  les  points  les  plus  exposés  du  rivage,  et 
notamment  la  plage  dutirand-Sable,  avaient  été  protégés 
par  des  redoutes  et  par  des  ouvrages  en  terres.  Pour  la  dé- 
fense, le  gouverneur  de  Sainte-Croix  disposait  de  3  batail- 
lons réguliers,  d'un  de  milice,  d'une  centaine  d'artilleurs  et 
de  quelques  centaines  de  gardes-côtes  moitié  canonniers, 
moitié  fusiliers.  Le  personnel  officier  des  armes  savantes 
était  représenté  par  \  artilleurs  et  par  3  ingénieurs,  sur 
lesquels  deux  rejoignirent  après  le  début  des  opéra- 
tions. ■      k 

Aussitôt  arrivés  en  vue  de  l'Ile,  le  7  avril,  le  général 
Hodgson  et  le  commodore  Keppel  (2)  reconnurent  la  côte, 
ils  se  mirent  d'accord  pour  essayer  un  débarquement  à 
Andra,  près  de  la  pointe  de  Locmaria  ;  à  l'effet  de  détour- 
ner l'attention  des  Français,  une  démonstration  serait  ef- 
fectuée dans  les  abords  de  Sauzon.  La  journée  se  passa  en 
manœuvres  et  en  préparatifs  pour  la  mise  à  terre  des 
troupes,  quelques  coups  de  canon  furent  échangés  avec  les 
batteries  de  Sauzon. 


(1)  Le  Cauchois  Feraud,  lieulenant  au  7'   dt-  ligne.  Mémoire  manuscrit  sur 
le  siège df  Belleisle.  I8il.  Arcliives  delà  Guerre 

(2)  Hodgson  à  Pill,  Vi  avril  1761.  Keppel  à  Cleviand,  13  avril  1701.  Record 
Odice.  —  Relation  de  Sainte-Croix.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUFJUIK  UK  SEPT  ANS.    -  CilAP,  M. 


Le  8  do  trùs  bonno  lioiire,  les  cJinloiipes  et  hatoniix  plnts 
furent  assemblés;  :)  vaisseaux  delà  Hotte?  avec  (juehiues 
liAtinicnts  de  tvpe  iiiréricnr  doublèrent  la  pointe  de  Loc- 
nuina  etgaf^nèrent  la  baie  du  Sable  où  le  débaniuement 
devait  se  faire.  Le  petit  fort  cjui  défendait  la  plaqc;  fui 
bientôt  réduit  au  silence  et  aussit<U,  sur  unsi^-nal  du  bord, 
les  endjarcations  (iront  force  de  rames  vers  la  terre.  Les 
Français  étaient  prêts  à  recevoir  l'attaque.  I>ès  le  matin, 
Sainte-Croix  avait  acfiuislaconviction  que  l'objectif  anglais 
était  le  port  Andra  au  dehi  et  à  l'est  de  la  pointcî  I^ocmaria; 
il  y  porta  aussitôt  le  gros  de  ses  forces.  Voici  en  quels 
termes  le  mémoire  déjà  cité  décrit  l'aotion  :  <  Adroite  et 
<\  gaucbe  de  l'ouverture  du  port  Andra,  lors(|ue  la  mer  est 
haute,  elle  bat  aux  pieds  de  rochers  très  élevés  et  très  es- 
carpés, surtout  vers  la  gaucbe,  maisau  momentde  la  basse 
mer,  le  rivage  otl'rc  une  plage  de  sable  assez  étendue  ;  c'est 
ce  point  que  les  Anglais  avaient  choisi  pour  débar([uer. 
Vcrsdeux  heures,  36  bateaux  plats  portant  chacun  au  moins 
100  hommes  s'avancèrent  en  3  divisions  ;  les  deux  premiè- 
res de  neuf,  et  la  troisième  de  dix-huit.  Aussitôt  (le  régi- 
ment de)  Bigorrc  se  porta  du  côté  de  Magouric  et  s'y  mit  en 
bataillesur  la  hauteur,  la  droite  appuyée  au  village  de  Ker- 
nodis,  tandis  que  la  gauche  était  un  peu  en  avant  de  la  cha- 
pelle Sainte-Foy;  neuf  compagnies  du  régiment  de  Nice 
se  rapprochèrent  do  Port- Andra. 

«  Les  troupes  qui  montaient  la  première  division  de  la 
flottille  ennemie  mirent  pied  à  terre,  les  unes  à  droite,  les 
autres  à  gauche  ;  le  plus  grand  nombre  au  centre.  Le  régi- 
ment deBigorre  était  descendu  dans  l'anse  gauche  du  port 
Andra  pour  mieux  observer  leurs  mouvements;  on  s'aper- 
çut qu'un  des  bateaux  avait  abordé  sur  la  droite  de  Loc- 
niaria,  dans  un  escarpement  où  Tonne  pouvait  guère  s'at- 
tendre àètre  attaqué,  et  que  cent  grenadiers  anglais,  après 
avoir  gravi  des  rochers  jugés  inacessibles,  s'étaient  déjà 
foi^més  sur  la  hauteur.  Les  deux  capitaines  Dumont  et  (irau, 


ÉClll'X   DRS    ANGLAIS. 


47 


quiconuminclaieni  Icspifjuctsde  IJi^oirc  plus  rapprochés, 
se  portf'ieiit  spontanément  à  leur  rencontre,  essuyèrent 
hïurfeu,  les  chargtTcnt  f\  la  baïonnette  »'t  les  cnlî)U*«îrcnt 
en  peu  d'instants;  tous  fui'ent  tués  ou  blessés,  à  l  exception 
de  cin(j(pie  l'on  vit  fuir  et  regagner  les  bateaux,  hnniont 
fut  tuéetdrau  blessé.  Surla droite,  la  descente  fut  aperçue 
par  un  capitaine  de  Nice  quiatta(juabrus(juement  l'ennemi 
avec  trois  compagnies  de  sori  régiment,  et  après  l'avoir 
repoussé,  se  porta  derrière  un  retrancbement  d'où  il  dé- 
couvrait les  Anglais  et  pouvait  faire  sur  eu\  un  feu  sou- 
tenu. 

«  Au  centre,  Bigorre,  cinq  compagnies  de  Nice  et  les 
gardes-côtes,  secondés  par  le  feu  de  la  droite,  chargèrent 
les  ennemis  avec  tant  de  vigueur  qu'ils  furci  dispersés 
avantd'étre  entièrement  formés;  pres(|uetous  furent  tués 
ou  pris;  fort  peu  purent  se  rcml)ai'([uer;  quelques  bitteaux 
coulèrent  bas;  on  fit  285  (nisonniers,  dont  I.')  officiers, 
parmi  lesquels  un  lieutenant-colonel  et  le  général  major 
qui  commandait  cette  première  division  ;  on  esti.Tie  que 
les  .Vnglais  perdirent  environ  800  hommes  tant  tués  que 
noyés.  »  Le  récit  anglais  (1)  évalue  la  perte  à  environ 
500  hommes.  D'après  le  rapport  de  Sainte-Croix  (2)  les 
Franc^'ais  ne  perdirent  que  2  officiers,  10  soldats  tués  et 
7  officiers  et  69  soldats  blessés. 

La  démonstration  sur  Sauzon,  entreprise  avec  une 
partie  de  la  flotte  el  3  bataillons,  fut  contrariée  par  l'état 
de  la  mer  et  ne  sembl'^  pas  avoir  détourné  l'attention  des 
Français, 

Des  incidents  du  8  avril,  le  général  llodgson  et  le  com- 
modore  Keppel  (3)  donnèrent  une  relation  qui  ne  ditl'ère 
guère  de  celle  que  nous  venons  de  reproduire.  Le  Com- 
modore, dont   la  dépèche    est  postérieure  de  5  jours  à 

(1)  Animal  Register,  1761,  p.  10. 

(2)  Sainte-Croix.  Relation  delà  descente  du  8  avril.  Archives  de  la  Guerre. 
(8)  llodgson  à  Pitt,  12  avril  1761,  au  large  de  Helleisle.  Record  Oflice. 


48 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


LHAP.  II. 


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l'afluire,  se  montre  découragé.  «  Une  tempête,  survenue 
très  vite  après  notre  retraite,  a  causé  tant  de  dommages  en 
fait  de  pertes  d'ancres  et  de  bateaux  plais  que  cela  prend 
beaucoup  de  ten>ps  pour  se  préparer  au  parti  futur  que 
l'on  estimera  praticable.  La  capture  de  22  bateaux  plats 
diminuera  nos  moyens  d'action  et  les  rendra  inférieurs  à 
ceux  qui  ont  servi  pour  la  première  tentative.  »  D'après 
llodgson,  «  toute  l'ile  est  une  fortification  et  où  le  peu  que 
la  nature  n'a  pas  contribué  à  cet  état  de  choses  a  été  lar- 
gement suppléé  par  Tari,  l'ennemi  y  ayant  travaillé  sans 
rel.lche  depuis  la  visite  de  Sir  E.  Ilawke  au  cours  de 
l'hiver  dernier  ». 

Pendant  plus  dé  15  jours,  l'état  de  la  mer  empêcha  tout 
nouvel  essai  de  prendre  pied  sur  l'ih.  Le  duc  d'Aiguil- 
lon 1),  qui  commandait  les  troupes  de  Bretagne,  mitce  répit 
à  profit  pour  faire  passer  des  secours;  malgré  le  blocus, 
quelques  officiers  d'artillerie  et  du  génie  et  un  détache- 
ment de  50  cauonniers  gardes-côtes  originaires  de  Belleisle 
réussirent  à  regagner  leurs  postes.  Sainte-Croix  fit  de  son 
mieux  pour  tromper  l'ennemi  sur  le  nombre  et  la  com- 
position des  défenseurs  de  l'ile;  il  fit  promener  sur  la 
cAte  50  volontaires  du  régiment  de  Nice  en  vestes  rouges 
montés  sur  les  chevaux  du  pays.  Ses  efforts  furent  ad- 
mirablement secondés  par  toute  la  population,  y  comjjris 
l'élément  féminin.  «  Les  femmes  de  l'Iule  demandèrent 
en  grâce  de  faire  le  même  simulacre  pour  n'être  point 
absolument  inutiles  et  formèrent  un  escadron  toutes  vê- 
tues avec  des  casaquins  rouges.  Celles  qui  n'avaient  point 
de  chevaux  montèrent  sur  des  vaches  et  tirent  nombre  du 
côté  opposé  à  la  mer.  D'autres  se  chargèrent  de  iaire  les 
patrouilles  dans  les  lieux  les  plus  escarpés.  Tout  le  monde 
veut  être  emplojé  dans  l'isle,  et  on  est  obligé  de  mettre 
des  sentinelles  ji  la  porte   des  fours  pour  empêcher  les 


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(1)  Aiguillon  à  Choiseul,  Quiberon,  21  avril  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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ESCALADE  DES  UOCUERS  DK  KERDONIS. 


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igers  de  prendre  les  armes  et  de  se  portersur  1 
Des  renforts  étaient  parvenus  aux  Anglais.  Le  22  avril, 
favorisés  par  le  calme  plat  et  par  une  brume  épaisse  (1), 
plusieurs  de  leurs  vaisseaux  s'embossèrent  à  courte  dis- 
tance du  rivage  devant  le  port  Andra  et  h  hauteur  d'Arzic 
et  de  Locmaria,  de  manière  à  balayer  de  leur  feu  les 
batteries  et  les  retranchements  des  Français.  Protégé  par 
le  canon  de  l'escadre,  le  débarquement  se  lit  à  2  heures 
de  l'après-midi  sur  plusieurs  points  de  la  plage  et  de  pré- 
férence aux  endroits  les  moins  accessibles  et  partant  les 
moins  surveillés.  C'est  ainsi  qu'un  détachement  anglais, 
conduit  par  le  général  Lambert,  accosta  à  la  pointe  même 
de  Kerdonis,  grimpa  le  rocher  par  un  sentier  où  deux 
hommes  avaient  de  la  peine  à  passer  de  front,  et  se  forma 
en  haut  derrière  un  mur  de  pierres,  sans  que  les  dé- 
fenseurs eussent  eu  connaissance  de  la  manœuvre.  Il  y 
eut  des  rencontres  partielles  et  des  succès  alternatifs, 
mais  en  fin  de  compte,  les  soldats  britanniques  s'établi- 
rent solidement  sur  le  haut  des  rochers  et  résistèrent  à 
tous  les  efforts  pour  les  débusquer.  Keppel  (2)  attribue  ce 
succès  au  choix  d'un  endroit  où  l'ascension  des  rochers 
était  tout  juste  praticable  et  où  l'ennemi,  rassuré  par  la 
nature  des  lieux,  n'était  pas  préparé  à  l'attfique. 

Force  fut  i\  Sainte-Croix,  qui  avait  chargé  bravement 
trois  fois  à  la  tête  de  ses  troupes,  de  commander  la  re- 
traite sur  le  Palais.  Elle  se  lit  avec  beaucoup  de  préci- 
pitation; on  encloua  quelques  canons,  on  en  jeta  d'autres 
à  la  mer,  on  noya  les  poudres  des  petits  magasins.  A  neuf 
heures  du  soir  la  gornison  était  rassemblée  aux  environs 
de  la  ville  du  Palais  ;  elle  avait  subi,  d'après  les  documents 
officiels,  une  perte  de  1(53  tués  et  blessés;  celle  des  An- 
glais avait  été  peu  importante.  Les  jours  suivants  furent 
employés  à  la  mise  à  terre  du  reste  du  corps  expédition- 
Ci)  Lettre  d'un  officier  anglais  du  Ti  avril.  Hibliothèque  de  Quiniper. 
(2)  Kepppl  à  Clevland,  23  avril  17(U.  Record  Ol'licc. 


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<;ii;rrk  de  ski-t  ans. 


V. 


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4 


50 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  H. 


naire;  ropération  traina  en  longueur  par  suite  du  gros 
temps  qui  occasionna  une  nouvelle  perte  de  niatéiiel; 
aussi  les  assiégés  curent-ils  le  loisir  de  pousser  activement 
la  construction  de  redoutes  destinées  jI  couvrir  les  al)oids 
de  la  citadelle  du  Palais.  Trois  de  ces  ouvrages  étaient 
établis  en  avant  de  la  ville,  séparée  de  la  citadelle  par 
un  bras  de  mer  qui  sert  de  port;  les  trois  autres  s'éle- 
A'aient  de  l'autre  côté  du  port,  mais  un  seul  de  ceux-ci 
put  être  mis  en  état.  Tandis  que,  sur  les  indications  de  l'in- 
génieur Dubouchet,  les  Français  travaillaient  aux  re- 
doutes, les  assiégeants  commençaient  les  premiers  tra- 
vaux d'approche.  Grâce  aux  renforts  de  '.i  bataillons 
reçus  depuis  le  premier  débarquement,  le  corps  anglais 
allait  compter  15  bataillons  présentant  un  effectif  de 
10,000  fantassins,  700  artilleurs  ou  «  marines  »  servant 
comme  tels  et  un  peu  plus  de  200  dragons. 

Dans  la  nuit  du  2  au  3  mai,  les  assiégés  durent  éva- 
cuer le  hameau  de  Bordillia  à  200  toises  des  maisons  du 
Palais;  la  nuit  suivante,  ils  cherchèrent  à  le  reprendre. 
La  sortie  s'effectua  dans  la  direction  de  la  Garigue;  on 
bouleversa  les  retranchements  ennemis  et  on  fit  environ 
60  prisonniers,  parmi  lesquels  le  général  Crawford  et 
ses  officiers  d'ordonnance,  mais  on  ne  put  se  maintenir 
à  Bordillia  et  on  ne  gagna  pas  un  pouce  de  terrain.  Le 
8  mai,  l'ennemi  s'empara  du  hameau  de  Hailan  voisin  de 
la  nier  et  de  deux  redans.  A  l'eflet  d'activer  l'armement 
des  batteries,  le  commodore  Keppel  prêta  au  corps 
expéditionnaire  800  «  marines  »  dont  le  nombre  fr.t 
bientôt  porté  à  1.200. 

Le  13  mai,  l'assiégeant  remporta  un  succès  important; 
pour  ne  pas  trop  exposer  les  soldats  qui  formaient  la  gar- 
nison des  redoutes,  et  qui  souffraient  beaucoup  des  bom- 
bes tirées  contre  elles  pendant  le  jour,  Sainte-Croix  (1) 


■•* 


(1)  Mémoire  du  chevalier  de  Stc-Croix,  13  juin  1761.  Arch.  de  la  Guerre. 


;■ 


SIKGE  DE  LA  CITADELLE. 


61 


«  avait  consenti  à  ne  laisser  que  50  hommes  dans  chaque 
rccioute  et  que  du  second  piquet  l'on  mettrait  20  honimcs 
dans  le  redan  ;  le  reste  se  retirerait  à  V  1/2  heures  avec  le 
capitaine  auprès  de  la  maison  ou  muraille  du  Palais,  la 
plus  voisine,  qui  n'en  était  pas  à  100  pas,  avec  ordre  de 
rentrer  dans  la  redoute  au  premier  mouvement  des  en- 
nemis ou  au  premier  coup  de  fusil  que  l'on  entendrait 
tirer  ».  Les  capitaines  ne  devaient  retirer  «  ces  30  hom- 
mes que  par  parcelles  de  3  h  \  hommts  pour  que  les  enne- 
mis ne  s'en  aperçussent  pas  ».  Cette  manœuvre,  mal  exé- 
cutée par  l'un  des  commandants,  attira  l'attontion  des 
assiégeants  qui  attaquèrent  la  redoute  n°  1  ;  «  reçus  de 
façon  h.  les  rebuter  par  le  capitaine  de  Guienne  qui  vint 
soutenir  son  camarade  à  la  tête  de  ses  30  hommes,  les 
Anglais  se  portèrent  sur  la  redoute  n°  2  dont  ils  se  ren- 
dirent maîtres  sans  tirer  un  coup  de  fusil,  grAce  à  la 
mauvaise  conduite  de  deux  officiers  (1),  dont  l'un  aban- 
donna l'ouvrage  sans  résistance,  dont  l'autre  n'essaya 
pas  de  rejoindre  son  poste  ».  Cet  incident  entraîna  la  perte 
de  la  redoute  n"  1  dont  l'assiégeant,  soutenu  par  les 
troupes  de  tranchée,  s'empara  après  une  vive  résistance. 
Force  fut  d'abandonner  les  autres  ouvrages  extérieurs  et 
de  s'enfermer  dans  la  citadelle. 

>  partir  de  la  prise  des  redoutes,  les  opérations  du 
siège  furent  menées  avec  activité;  la  seconde  parallèle  fut 
ouverte  le  15  tandis  que  le  feu  des  batteries  de  mortiers 
et  d'obusiers  provoquait  dans  la  place  de  iiombreux  in- 
cendies dans  les  magasins  non  blindés  et  infligeait  des 
pertes  sérieuses  à  la  garnison.  «  Le  19  (2)  les  ennemis  con- 
tinuèrent leur  feu;  ils  travaillèrent  h  perfectionner  leurs 
différentes  batteries,  débouchèrent  en  plein  jour  de  leur 
coranmnication  près  du  redan  placé  entre  les  redoutes 
n°"  2  et  3  et  gagnèrent  par  deux  zig-zags  la  croix  de  mis- 

(1)  Ces  deux  ofliciers  passèrent  au  conseil  de  guerre. 

(2)  Mémoire  Le  Caucliois. 


..  1 

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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


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à  j 


li 


sion;  il  y  avait  au  pied  do  cette  croix  un  petit  espace 
fermé  par  un  mur  circulaire;  ils  voulurent  partir  de  ce 
point,  mais  l'artillerie  de  la  place  leur  fit  encore  abandon- 
ner ce  travail.  Ils  dégorgèrent  des  eml)rasures  à  la  bat- 
terie placée  en  avant  de  la  redoute  n°  1,  mais  le  feu  des 
Français  empêcha  l'établissement  des  canons  qu'ils  au- 
raient voulu  y  amener  et  fit  retirer  des  obusiers  qu'ils 
avaient  près  de  la  redoute  n°  5.  Les  assiégés  durent  en- 
tasser les  bois  dans  les  fossés  de  la  place  pour  éviter  un 
incendie  général. 

<(  Le  20,  on  compta  facilement  les  onze  embrasures 
que  les  ennemis  avaient  dégorgées  à  la  batterie  en  avant 
de  la  redoute  n°  1,  L'artillerie  du  bastion  du  gouverne- 
ment ainsi  que  celle  du  cavalier  incommoda  beaucoup 
cette  batterie  et  en  interrompit  les  travaux.  Les  autres 
batteries  de  la  place  dirigèrent  leur  feu  sur  tous  les 
points  où  l'ennemi  en  établissait  de  nouvelles  ;  mais  déjà 
les  lumières  des  canons  des  assiégés  s'élargissaient  sensi- 
blement; ils  durent  changer  de  place  les  deux  mortiers 
du  donjon  dont  la  position  n'était  plus  tenable.  » 

Les  Anglais  avaient  concentré  leur  attaque  sur  le  bas- 
tion du  Dauphin  et  le  cavalier  intérieur  qui  Faisaient  face 
au  bourg  du  Palais;  quoique  l'artillerie  de  la  place  eût 
démonté  plusieurs  de  leurs  pièces,  ils  commencèrent  à 
faire  brèche;  d'autre  part  la  batterie  du  cavalier  dut 
cesser  son  tir,  soit  par  suite  de  la  démolition  des  nierions, 
soit  par  l'usure  des  canons.  Le  30,  une  démarche  lut  faite 
auprès  du  gouverneur  par  des  officiers  supérieurs  qui 
l'engagèrent  à  songer  à  une  capitulation  qu'il  serait  im- 
prudent de  trop  retarder.  Ste-Groix  reçut  assez  mal  ces 
représentations  qu'il  trouvait  prématurées;  il  répondit 
que  les  brèches  n'étaient  pas  encore  praticables  et  qu'il 
assemblerait  le  conseil  de  guerre  quand  il  en  serait  temps. 
Le  lendemain,  une  explosion  accidentelle  d'artifices  sous 
la  voûte  du  donjon  fit  VO  victimes  dans  la  garnison  déjà 


Lt. 


m 


»  LA  BRKCHE  EST  OUVERTE.  53 

fort  éprouvée.  Du  31  mai  au  6  juin,  le  feu  continua  sans 
interruption,  l'assiégeant  ouvrant  de  nouvelles  batteries 
et  élargissant  les  brèches,  tandis  que  les  assiégés  profi- 
taient de  la  nuit  pour  déblayer  les  terres  tombées  et  pour 
remplacer  les  pièces  hors  d'usage;  le  4  juin,  le  mineur 
fut  attaché  au  bas  de  l'escarpe;  enfin,  le  6,  Stc-Croix  se 
décida  à  réunir  le  conseil  de  guerre.  Dubouchet  fit  l'ex- 
posé de  la  situation  :  «  deux  brèches  de  l'enveloppe 
étaient  praticables;  deux  autres  dans  le  corps  de  la  place 
fort  avancées;  l'une  surtout  auprès  de  l'angle  du  flanc 
avait  15  pieds  de  profondeur  et  60  pieds  de  largeur;  le 
parapet  était  eu  quelque  sorte  suspendu  en  l'air  ».  Le 
conseil  de  guerre  se  prononça  à  l'unanimité  pour  la  red- 
dition. Ste-Croix  communiqua  aussitôt  et  fit  approuver 
les  conditions  préparées,  mais  voulant  néanmoins  atten- 
dre au  lendemain,  il  prit  ses  mesures  pour  soutenir  l'as- 
sai^t. 

«  Pendant  la  nuit  (1),  on  continua  le  retranchement 
sur  le  rempart  et  on  en  fit  un  second  en  arrière;  on  gar- 
nit d'abattis  le  fond  du  fossé  en  avant  de  la  canonnière 
qui  couvrait  la  poterne  la  plus  rapprochée  de  l'attaque. 
A  une  heure  du  matin,  l'ennemi  battait  le  fond  du  fossé 
et  l'enveloppe  vis-à-vis  la  face  droite  du  bastion  Dauphin 
avec  une  nouvelle  batterie  de  quatre  pièces  de  canon 
établie  au-dessus  du  jardin  Aubert.  Les  tranchées  et  les 
maisons  crénelées  faisaient  en  même  temps  un  grand  feu 
de  mousqueterie  et  les  Anglais  lançaient  une  immense 
quantité  de  bombes,  d'obus  et  de  pots  <v  feu.  A  la  faveur 
de  ce  leu  soutenu,  ils  vinrent  à  la  brèche  de  l'enveloppe, 
on  les  découvrit  au  no.  ibre  d'environ  60  à  80;  mais  ils 
furent  reçus  si  vivement  du  haut  de  la  brèche  que,  voyant 
les  assiégés  en  force,  ils  prirent  le  parti  de  se  retirer 
après  avoir  attaché  le  mineur  près  de  la  brèche  dans  un 


(1)  Mémoire  Le  Cauchois. 


*' 


Si 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


I 


endroit  qui  r.8  pouvait  être  vu  de  la  place.  Dans  cette 
attaque  qui  dura  près  d'une  heure,  les  assiégeants  eurent 
une  quinzaine  d'hommes  tués  ou  blessés. 

«  Le  7,  au  point  du  jour,  les  trois  pièces  du  cavalier 
qui  avaient  été  remises  en  état  pendant  la  nuit  recom- 
mencèrent à  tirer  et  appelèrent  l'attention  de  l'ennemi 
qui,  malgré  cela,  faisait  de  grands  progrès  au  bastion 
du  gouvernement  dans  lequel  était  l'hôpital.  M.  de  Ste- 
Croix  se  détermina  alors  à  faire  battre  la  chamade.  A 
9  heures  du  matin,  le  drapeau  parlementaire  fut  ar- 
boré. » 

En  dépit  de  quelques  défî'illances  de  détail  à  l'occasion 
de  la  prise  des  redoutes,  la  défense  fut  énergique  et  fait 
honneur  au  gouverneur.  Les  Anglais  lui  rendirent  pleine 
justice  :  «  Quand  la  brèche  fut  faite,  —  écrit  un  officie 
du  corps  expéditionnivire  (1),  —  le  gouverneur  ne  manqua 
pas  de  tâcher  de  la  réparer,  mais  comme  nous  étions  trop 
vifs,  nous  l'empêchâmes,  et  le  23,  elle  était  assez  grande 
pour  qu'une  voiture  ait  pu  passer.  Le  gouverneur  crai- 
gnait un  assaut;  sa  bonne  défense  était  admirée  de  tous 
nos  officiers  ;  il  était  résolu  de  ne  rendre  la  place  qu'à 
la  dernière  extrémité,  ce  qui  lui  a  fait  une  éternelle 
gloire,  et  une  peine  d'un  loyal  et  digne  gentilhomme.  » 
Il  y  avait  en  effet  quelque  mérite  à  prolonger  une  résis- 
tance qui  ne  pouvait  aboutir  au  succès.  La  présence  de 
la  flotte  anglaise,  maîtresse  absolue  de  la  mer,  intercep- 
tait toute  communication  avec  la  terre  ferme  et  inter- 
disait à  la  garnison  tout  espoir  d'être  secourue.  Que  le 
siège  durât  quelques  jours,  peut-être  quelques  semaines 
do  plus,  il  ne  pouvait  pas  moins  se  terminer  autrement  que 
par  la  prise  de  la  place.  Dans  des  conditions  pareilles,  il 
eût  été  imprudent  de  compromettre  le  sort  de  la  garnison 
eu  prolongeant  une  défense  qui  eût  exaspéré  l'assiégeant, 

(1)  Correspondance  anglaise.  Arcliives  de  Quimper. 


CAPITULATION. 


65 


Eu  vertu  de  la  capitulatiou,  les  troupes  sous  les  ordres 
de  Ste-Croix  sortirent  de  la  citadelle  par  la  brèche  avec 
les  honneurs  de  la  guerre  et  furent  transportées  à  la  côte 
de  Bretagne;  les  prisonniers  faits  de  part  et  d'autre  fu- 
rent rendus  à  la  liberté;  les  Anglais  sans  restriction,  les 
Français  sous  la  réserve  d'un  échange  éventuel.  Les  ga- 
ranties habituelles  furent  accordées  pour  le  traitement 
des  malades  et  blessés  et  pour  celui  des  habitants  de 

nie. 

Les  débarquements  et  le  siège  coûtèrent  (1)  au  corps 
expéditionnaire  environ  1.800  officiers  et  soldats  tués  ou 
blessés.  D'après  les  calculs  du  mémoire  déjà  cité,  la  perte 
de  la  garnison  française  peut  être  évaluée  à  200  tués  et 
à  V50  blessés  de  tous  grades,  dont  5  officiers  et  201-  sol- 
dats pendant  la  dernière  période  du  siège  du  26  mai  au 
7  juin.  Au  moment  de  la  capitulation  elle  comptait 
137  officiers  et  2.319  soldats  y  compris  les  ouvriers  et 
domestiques. 

Aucun  effort  ne  fut  tenté  de  la  côte  française  pour  lever 
le  siège  de  Belleisle  ;  la  présence  de  l'escadre  de  Keppel 
mpôchait  l'envoi  de  tout  autre  secours  que  ceux  dont 
nous  avons  parlé  avant  le  second  débarquement. 

Déduction  faite  de  l'infanterie  de  marine  qui  regagna 
son  bord,  les  troupes  anglaises  furent  maintenues  à 
Belleisle  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année.  Au 
cours  de  l'automne  de  1761  et  peu  de  temps  après  la  rup- 
ture des  négociations  avec  la  cour  de  St-Janies,  il  fut 
question  de  tenter  le  recouvrement  de  Belleisle,  Choiseul 
en  parla  à  Starhemberg  (2)  qui  lui  demanda  si  l'entre- 
prise offrait  de  réelles  chances  de  succès.  Choiseul  fit  à 
l'ambassadeur  une  réponse  caractéristique  :  «  Oui,  si  je 


(1)  Annual  Register,  1761,  p.  17.  Le  rapport  de  Ilodgson  ne  donne  que 
303  tués,  523  blessés  et  384  prisonniers,  qui  recouvrèrent  leur  liberté  après 
ia  capitulation. 

(2)  Starhemberg  à  Kaunitz,  17  octobre  1761.  Archives  de  Vienne. 


nr»"»» 


56 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  II. 


: 

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trouve  ua  liommc  qui  ait  assez  de  courage  pour  s'en 
charger...  Je  suis  presque  tenté  d'aller  faire  celte  besogne 
moi-même,  mais  je  n'en  ai  pas  le  temps.  »  Malgré  cette 
boutade,  l'expédition  ne  laissait  pas  que  d'être  difficile, 
tant  que  les  Anglais,  maîtres  de  la  mer,  pouvaiert  inter- 
cepter les  communications  entre  l'Ile  et  la  terre  ferme, 
aussi  n'est-il  pas  surprenant  que  le  projet  n'eût  pas  de 
suites.  Rassuré  à  ce  sujet,  le  gouvernement  britaunique 
n'hésita  pas  à  puiser,  vers  la  fin  de  1761,  dans  la  gar- 
nison des  éléments  pour  l'expédition  dirigée  contre 
la  Martinique,  et  quelques  mois  après,  pour  la  formation 
de  l'armée  auxiliaire  du  Portugal.  L'ile  resta  au  pouvoir 
des  Anglais  jusqu'à  la  paix. 

Choiseul  très  piqué  d'une  attaque  en  pleine  né- 
gociation, eût  voulu  exercer  des  représailles  contre 
l'Angleterre;  il  conçut  l'idée  de  jeter  un  détachement  de 
tronpes  sur  la  côte  britannique.  L'aventure,  confiée  au 
chevalier  d'Arcy,  aurait  consisté  à  s'emparer  du  château 
de  Douvres  par  un  coup  de  main  et  à  répandre  l'alarme 
le  plus  loin  possible. La  flottille,  composée  de  bateaux  plats 
dont  chacun  pourrait  prendre  300  hommes  à  bord,  sor- 
tirait des  ports  de  Boulogne  et  de  Dunkerque  et  profite- 
rait du  premier  vent  favorable  pour  traverser  la  Manche, 
llérouville,  qui  commandait  sur  le  littoral  du  Nord,  con- 
sidérait (1)  l'entreprise  comme  1res  faisable,  mais  esti- 
mait que  les  6.000  hommes  qu'on  pouvait  y  atfecter, 
après  avoir  produit  beaucoup  d'émotion,  verraient  leur 
retraite  coupée  et  seraient  perdus. 

Cette  considération  fit  probablement  ajourner  le  pro- 
jet qui  lut  définitivement  abandonné  à  la  suite  de  l'envoi 
en  Allemagne  de  8  régiments  prélevés  sur  l'armée  des 
côtes. 

L'expédition  contre  Belleisle  ne  fut  pas  la  seule  entre- 


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(1)  Hérouvilleà  Choiseul,  2  juin  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


-r^P3rtTr.^.rr:r^ 


rniSË  DE  LILE  DOMINIQUE  PAR  LES  ANGLAIS. 


57 


prise  maritime  que  le  gouvernement  britannique  dirigea 
contre  les  possessions  françaises  pendant  le  cours  des  né- 
gociations pacifiques  engagées  en  1761  à  Londres  et  à 
Paris.  Coniormément  aux  instructions  de  Pitt,  le  commo- 
dore  Sir  James  Douglas  s'empara  d'une  des  Antilles  neu- 
tres, l'Ile  de  St-Dominique,  où  les  Français  avaient  créé 
un  établissement  et  érigé  quelques  fortifications.  Le 
brigadier  Lord  llollo  commandait  le  petit  corps  com- 
posé de  troupes  empruntées  à  celles  de  l'Amérique 
auxquelles  s'était  joint  un  détachement  pris  à  la  Gua- 
deloupe, en  tout  700  hommes.  C'était  un  grand  dé- 
ploiement de  forces  contre  une  ile  qui  n'avait  pas  de  gar- 
nison régulière  (1)  et  dont  la  force  armée  ne  consistait 
qu'en  miliciens  fournis  par  les  200  familles  des  colons, 
llollo,  sous  la  protection  des  ï  vaisseaux  et  des  frégates  de 
Douglas,  débarqua  (2)  le  6  juin  et  somma  le  comman- 
dant français  de  se  rendre.  Celui-ci  refusa  sous  prétpxte  de 
la  neutralité  de  l'île  ;  des  coups  de  fusil  furent  échangés. 
Les  Anglais  aussitôt  se  portèrent  en  avant,  chassèrent  les 
défenseurs  de  leurs  retranchements,  firent  prisonniers  les 
officiers  français  et  prirent  possession  de  Roseau,  princi- 
pal centre  habité.  Le  commandant  anglais  s'y  installa  et 
s'employa  activement  à  faire  prêter  aux  quelques  habi- 
tants le  serment  de  soumission  aux  autorités  anglaises, 

(1)  Dalrymple  à  Pilt,  Bassetcrrc,  Guadeloupe,  5  mai  1701.  Record  Oflice. 

(2)  Rolloà  Pitt,  Roseau,  8  juin  17G1.  Record  Office. 


CHAPITIΠ III 


Si'' 


DKSUINATIOX     DKS    COMMANDKMEINIS     POUR     LA     CAMPAONE    IJK 
17(51    KN    ALLEMACiNK.    —    OPKKATIONS    KN    WESTPIIALIE. 

Ainsi  qu'où  l'a  vu,  les  hostilités  en  liesse  ne  furent  pas 
interrompues  pendant  l'hiver  de  17()0-1701  ;  l'entreprise 
tentée  par  le  prince  Ferdinand  pour  le  recouvrement  du 
landgraviat  s'était  terminée  par  la  retraite  précipitée  des 
confédérés,  et  par  la  levée  du  siè^^e  de  Cassel  et  du  blocus 
de  (lottingen.  Très  éprouvée  par  les  maladies  et  par  des 
combats  malheureux,  l'armée  du  prince  avait  repassé  la 
Dymel  le  31  mars  en  fort  mauvais  état  et  dans  l'impossi- 
bilité de  reprendre  les  opérations  avant  d'être  reposée  et 
restaurée.  Les  Français,  quoique  victorieux,  se  ressen- 
taient des  marches  continuelles  et  des  fatigues  d'une 
campagne  qui  avait  duré  10  mois;  obligés  par  la  perte 
de  leurs  magasins  locaux  à  ne  compter  que  sur  un  ravi- 
taillement long  et  coûteux,  ils  durent  renoncer  à  réoccu- 
per la  liesse  ;  ils  se  contentèrent  de  relever  les  garnisons 
des  villes  fortifiées  et  s'empressèrent  de  gagner  „urs 
quartiers  d'hiver.  L'épuisement  des  combattants  se  tra- 
duisit par  une  trêve  virtuelle  qui  dura  jusqu'au  mois  de 
juillet. 

La  fin  de  la  campagne  d'hiver  coïncida  avec  la  déclara- 
iion  des  alliés  et  l'ouverture  des  pourparlers  pour  la 
paix  particulière  entre  la  France  et  l'Angleterre.  Cepen- 


soi'iiist:  ET  i<uu(;i.iK. 


»9 


dant,  il  n'y  eut  pas  d'armistice  entre  les  liellig-érants  ;  dt'-s 
les  premières  négoeiations,  la  proposition  de  suspension 
d'armes  l'ut  suhordonnée  i\  la  signiiture  d<'s  préliminaire^ 
et  dépendit  par  conséquent  du  sort  réserve  à  la  ({uestion 
principale.  Ue  part  et  d'autre  au  contraire,  Tonne  songea 
qu'à  se  préparer  pour  de  nouvelles  luttes  et  à  pousser  le 
recrutement  et  la  mise  en  condition  des  troupes  alin 
d'être  en  mesure  de  recommencer  les  hostilités  le  plus 
tAt  possible. 

Au  cours  de  l'hiver,  il  avait  été  décidé,  A  Versailles,  de 
diviser  larmée  française  servant  en  Allemagne  en  deux 
commandements.  Celui  du  lias-Rhin  serait  donné  au  ma- 
réchal de  Souhise,  dont  les  maigres  succès  de  1758  n'a- 
vaient pas  fait  oublier  la  désastreuse  campagne  de  1757  ; 
celui  du  llaut-Khin  serait  conservé  au  maréchal  de  Bro- 
glie.  Ce  dernier,  quoique  naturellement  fort  opposé  à  un 
arrangement  qui,  en  le  mettant  aux  ordres  d'un  général 
plus  ancien,  le  dépossédait  du  premiei'  rang  (|u'il  rem- 
plissait, non  sans  quelque  renommée,  depuis  un  an,  s'in- 
clina avec  un  désintéressement  <[u'on  n'eût  pas  attendu  d'un 
tempérament  aussi  ardent.  Dans  une  lettre  du  8  avril  (1) 
où  il  annonce  son  prochain  retour  à  Francfort  pour  s'y 
rencontrer  avec  Souhise,  il  écrità  Choiseulque  :  «  S.  M.  ne 
«  doit  pas  être  inquiète  de  la  manière  dont  je  me  condui- 
«  rai  »,  et  il  l'assure  de  sa  loyauté  et  de  son  dévouement. 
Les  deux  maréchaux  eurent  des  conférences  (2j,  à  la  se- 
conde des(juelles  assistèrent  lîourcet  et  le  comte  de  Bro- 
giie.  On  constata  que  les  informations  sur  l'état  des 
approvisionnements  du  Bas-Rhin  et  des  pla  es  de  la 
Westphalie  faisaient  défaut;  il  serait  donc  imprudent 
d'arrêter  des  dates  précises  pour  le  début  de  la  cam- 
pagne ;  cependant,  il  fut  décidé  que  Soubise  ferait  exécu- 


.M] 


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(1)  Broglie  à  Choiseul,  Cassel,  8  avril  1761.  Archives  de  la  Guerre. 
{'>)  Mémoire  sur  les  opérations,  20  avril  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUEnniî  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


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ter  à  '.on  armée  un  rnctuvemciit  gnulucl  nu  <lelà  du  lUiin 
à  partir  du  1  ""  mai,  de  manière  à  en  ('lablir  la  ;;auclie  il 
llamtii,  la  di'oite  i\  la  Ftocr,  avec  dos  mag'asins  i\  Hamm  et  à 
Dortmund.  l'our  le  contingent  de  Hiogiie,  on  reconnut  la 
possibilité  de  subsister  au  pays  do  Paderborn  et  au  delà 
de  la  Werra  «  que  lorsque  la  terre  pourra  fournir  des 
fourrages  ».  L'oU'ensive  générale  se  trouvait  donc  fixée 
aux  environs  du  20  juin. 

Les  forces  étaient  réparties  de  la  manière  suivante  :  \ 
l'armée  de  Soubisc,  112  bataillons,  117  escadrons,  un 
fort  contingent  de  troupes  légères  et  un  parc  de  90  ca- 
nons. Kn  évaluant  les  bataillons  à  000  et  les  escadrons 
à  150  bommes  dans  le  rang  avec  l'artillerie  et  les  irrégu- 
liers :  environ  95.000  combattants.  L'agent  britannique 
Cressener(l),  qui  était  à  Maestricbt,  adressa  sur  les  régi- 
ments français  d'infanterie  en  marche  pour  rejoindre, 
un  rapport  favorable;  il  fait  l'éloge  du  physique  des 
bonunes  et  constate  (pie  les  unités  sont  presque  au  com- 
plet; par  contre  il  est  sévère  pour  la  cavalerie  qu'il 
trouve  mal  montée.  Comme  par  le  passé,  le  nombre  des 
officiers  généraux  était  hors  de  touf.  proportion  avec 
cet  effectif  ;  22  lieutenants-généraux,  33  maréchaux  de 
camp  accompagnaient  la  troupe  ;  la  maison  du  Roi  à  elle 
seule  était  dotée  de  IV  maréchaux  de  camp!  Castries 
remplissait  les  fonctions  de  maréchal  des  logis  de  l'armée  ; 
il  était  secondé  par  Cornillon,  major-général  de  l'infan- 
terie, et  par  Sarsfield,  maréchal  des  logis  de  la  cavalerie. 
Eu  outre  de  ces  officiers  qui  se  sont  déjà  signalés  par 
leurs  services,  nous  relevons  des  noms  connus  :  Chevert, 
Dumcsnil,  Mailly,  Delà  Salle,  le  prince  de  Condé,  Vogué, 
Croy,  Castella,  Saint-Chamoud,  Segur  et  Levis  —  ce  der- 
nier, retour  du  Canada,  avait  obtenu  de  Londres  l'autori- 
sation de  prendre  part  à  la  guerre  en  Allemagne.  Parmi 


II 


(1)  Cressener  à  Holdernesse,  Maestricht,  28  mars  1761.  Record  Oflice. 


HkPAHTITION  OKS  I  OHCES. 


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les  maréchaux  de  cnmp  li,i,Miraiont  (Uusay,   Roquepiiie, 
(irollier,  Bourcct,  Wiinnser  ot  Lugeac. 

A  l'armée  de  Hro,v;Iic  :  82  bataillons,  79  escadrons, 
des  troupes  légères  et  00  canons  de  y;vos  calibr'^,  soit  à 
peu  près  05.000  combattants.  I*arnii  les  20  lioutcnants- 
générau.v  et  les  20  maréchauv  de  camp  ({ui  servaient  sous 
ses  ordres,  nous  remarquons  les  noms  de  De  Mu  y,  Uotlie, 
(iucrchy,  comte  de  Lusace,  Uouyé,  de  Vault,  Maupcou, 
Stainville,  et  Poyanne  du  premier  grade;  et  ceux  de 
Cliabo,  Blaizel,  Cl.uisen,  Helsunce  et  Montchenu  du  se- 
cond. Le  comte  de  llroglie  conservait  sa  fonction  de  ma- 
réchal des  logis  de  l'armée  et  avait  comme  aides  Gui- 
bert  pour  l'inlanterie  et  Lameth  pour  la  cavalerie. 

Aussitôt  qu'il  eut  [ma  le  contact  avec  ses  troupes  à  Dus- 
seldorf,  Soubisc  put  se  rendre  compte  (jue  ses  réserves 
formulées  à  propos  des  dates  fixées  pour  la  mobilisation 
n'étaient  que  trop  justifiées.  A  son  parc  d'artillerie  (1),  il 
n'y  avait  que  39  pièces  disponibles,  le  reste  était  encore 
en  route;  les  32  bataillons  (jui  venaient  de  faire  le  trajet 
de  la  liesse  ne  pouvaient  être  prêts  pour  le  mois  de 
mai;  la  brigade  irlandaise  n'avait  que  des  effectifs  bien 
faibles;  seuls,  12  bataillons  de  l'ancien  fonds  du  Bas  Khiu 
pourraient  campera  l'époque  fixée;  la  cavalerie,  à  '»0  es- 
cadrons près,  ne  serait  pas  en  état  avant  la  fin  de  mai. 
Pour  comble  de  malheur,  un  incendie  violent  détruisit 
une  grosse  provision  de  fourrag'es  chargée  sur  des  ba- 
teaux près  de  Wesel. 

Enfin,  on  adopta  la  date  du  15  mai  pour  la  réunion  de 
l'armée  du  Bas-Rhin  en  trois  camps  à  Dusseldorf,  Wesel 
et  vis-à-vis  de  Rees;  elle  y  ferait  un  séjour  de  15  jours  et 
se  mettrait  en  mouvement  vers  le  i  juin  (2),  soit  pour  en- 
treprendre l'invcstissenjent  de  Munster,  soit  pour  donner 
la  main  sur  la  Lippe  à  Broi,'lie  qui  assemblerait  ses  forces 

(1)  Soiibise  à  Choiseiil,  î»ii<;seldorr.  2r.  avril  17f)t.  Archivos  do  la  Guerre. 

(2)  Projet  d'enliée  en  ciini  .igme,   '0  avril  1701.  Archives  de  la  Cuerre. 


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I 

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G2 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


entre  la  Fulda  et  la  Werra  dans  les  premiers  jours  de 
juin.  Ce  programme  prévoyait  une  mobilisation  relative- 
ment rapide,  qui  ne  put  être  obtenue.  Le  12  mai  (1)  sur 
^12  bataillons,  'i-5  étaient,  campés,  38  seraient  au  bivouac 
à  la  date  du  25,  le  reste  attendait  ses  tentes  ou  arrivait 
du  llaut-Khin;  la  cavalerie,  l'artillerie,  les  troupes  lé- 
gères étaient  à  peu  près  au  môme  point.  Soubi  >e,  qui  avait 
surveillé  le  passage  du  Rhin  et  la  formation  des  camps, 
annonça  à.  Clioiseul  (2)  que  l'armée  ne  pourrait  se  mettre 
en  marche  (|ue  le  3  ou  4  juin.  Le  19  mai  il  écrit  à  Broglie  : 
«  Je  me  porterai  en  avant,  quand  vous  me  manderez  que 
((  vous  êtes  rassemblé  à  Cassel  ou  sur  la  Werra  ;  nous 
<(  prendrons  des  époques  déterminées  sur  les  points  dont 
«  nous  serons  convenus.   » 

Pendant  la  dernière  quinzaine  de  juai,  un  échange  de 
mémoires  eut  lieu  entre  les  deux  généraux.  D'après  le 
projet  de  Soubise  (3),  la  marche  devait  être  réglée  de 
manière  à  ce  que  l'époque  «  à  laquelle  M.  le  maréchal 
de  Broglie  pourrait  arriver  sur  quel([ue  point  du  Wcser 
au-dessous  du  continent  de  la  Dymol  serait  celle  àlaquclle 
l'armée  du  Bas-Rhin  pourrait  arriver  à  sa  position  de 
Dortmund,  si  elle  débouchai!  par  la  rive  gaujhe  de  la 
Lippe  ou  partir  de  Wesel,  si  elle  s'avançait  par  la  rive 
droite  de  cette  rivière  «.  A  cette  disposition  Broglie (4)  fit 
des  objections  :  Que  l'armée  du  Haut-Rhin  débouchât  de 
Cassel  ou  de  Gottingen,  «  il  est  certain  qu'elle  trouvera 
soit  sur  la  Dymel,  soit  entre  Eimbeck  et  Uslar  des  corps 
ennemis  destinés  à  couvrir  ces  deux  parties,  et  qui  y  res- 
teront avec  d'autant  plus  de  tranquillité  que,  n'étant  point 


(1)  Etat   général  de  l'armée  du  Bas- Rhin,  12  mai  ITfil.  Archives  de  la 
Guerre. 

(2)  Soubise  à  Choiseul  et  à  Broglie,  Dusseldort,  10  mai  1701.  Archives  de 
la  Guerre. 

(3)  Mémoire  joint  à  la  lettre  de  Soubise  à  Clioise      :>A  mai  17C1. 

(4)  Mémoire  de  Broglie  en  repense  à  celui  de  Soubise,  24  mrd  1761. 


CONCENTRATION. 


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pressés  par  l'armée  du  Bas-Uhin,  le  prince  Ferdinand  ne 
sera  pas  nécessité  de  rai ;embler  ses  troupes  pour  s'op- 
poser à  SOS  progrès  ». 

Pour  ses  premières  étapes  en  Westphalie,  l'armée  du 
Bas-Rhin  n'a  plus  à  craindre  du  prince  Ferdinand  une 
attaque  probable,  il  y  a  un  mois,  i>lors  que  celle  du  Haut- 
Rhin  était  encore  dans  ses  quartiers  d'hivev,  mais  «  il  n'en 
est  pas  de  même  à  présent,  l'armée  du  Haut-Rhin  va 
être  en  état  de  tout  point,  et  vers  le  20  du  mois  de  juin 
si  la  terre  ne  produit  pas  des  subsistances  assez  abondan- 
tes pour  des  camps  stables  et  à  demeure,  elle  en  donnera 
partout  assez  pour  nourrir  l'armée  une  nuit.  D'ailleurs  il 
est  impossible  de  supposer  que  l'ennemi  laissera  Pader- 
born  et  le  pays  de  Hanovre  complètement  dégarnis;  si 
l'on  tient  compte  des  détachements  nécessaires  des  gar- 
nisons et  M  des  malades  qui  sont  en  grand  nombre,  il  ne 
lui  sera  pas  possible  de  rassjmbler  plus  de  70  ou  75.000 
hommes  > .  D'autre  part,  l'armée  du  Bas-Rhin  «  devra 
s'arrêter  au  bout  de  'i-  ou  5  marches  et  séjourner  le  temps 
nécessaire  pour  la  construction  des  fours  ».  Pendant  cette 
halte  forcée,  les  troupes  du  Haut-Rhin  seraient  exposées 
aux  coups  de  l'ennemi.  D'après  Broglie,  ce  n'était  pas  le 
moment  du  départ  des  points  de  Dusseldorf  et  de  Wesel 
qui  devrait  être  combiné  avec  celui  de  la  marche  sur  la 
Dymel  ou  le  Bas-Weser,  mais  «  celui  où  l'armée  du  Bas- 
Rhin,  ayant  fait,  soit  à  Hamni,  soit  à  Dortmund,  ses  établis- 
sements de  farines  et  de  fours,  s'ébranlera  pour  opérer 
soit  sur  Munster,  soit  bur  Lippstadt  >;. 

Conformément  à  ces  prémisses,  Rroglie  proposait  la 
date  du  10  juin  pour  le  commencement  des  opérations  en 
Westphalie  et  celle  lu  -20  pour  le  ra.ssemblemeiit  autour 
de  Cassel  de  ses  propres  forces.  H  craignait  que  la  simul- 
tanéité du  départ  des  deux  armées  uontrainAt  des  retards 
qui  reporteraient  au  1.5  juillet  l'ouverture  des  hosti- 
lités décisives  et  donnait  des  appréciations  fort  sages  sur 


1^ 


» 


61 


LA  GUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  III. 


l'inconvénient  de  la  dualité  de  commandement  :  «  Mais  ce 
qui  on  consommera  encore  bien  davantage,  c'est  l'envoi 
réciproque  de  mémoires  entre  les  deux  généraux,  les  ré- 
ponses, les  réponses  aux  réponses  par  lesquelles  on  se 
persuade  rarement,  soit  parce  qu'étant  dans  des  points 
de  vue  différents  on  voit  difl'éremment  les  objets,  soit 
parce  que  l'intérêt  plus  grand  qu'on  prend  même  sans 
s'en  apercevoir  à  la  partie  dont  on  est  chargé,  aveugle.  Il 
en  résulte  que  la  campagne  se  pa^se  sans  convenir  de 
rien,  que  les  moments  se  perdent  et  qu'on  laisse  échapper 
les  occasions  les  plus  importantes  et  les  plus  décisives.  Le 
seul  remède  à  ce  mal,  dont  les  conséquences  peuvent  être 
si  funestes,  c'est  qu'il  n'y  ait  qu'un  général  qui  ne  se  con- 
certe point,  mais  qui  ordonne.  M.  le  maréchal  de  Soubise 
est  l'ancien,  le  Roi  l'a  choisi  pour  commander  l'armée  la 
plus  considérable,  il  est  tout  simple  qu'il  soit  chargé  du 
total,  qu'il  forme  ses  projets  et  envoie  ses  ordres  à  M.  le 
maréchal  do  Broglie  qui  les  exécutera  avec  plus  ci'exacti- 
tude  qu'aucun  de  ses  autres  officiers  généraux.  Dans  cet 
arrangement,  M.  le  maréchal  de  Soubise  trouvera  de  bien 
grands  avantages  :  unité  dans  ses  projets,  secret  et  célé- 
rité dans  l'exécution  et  M.  le  maréchal  de  Broglie  y  ren- 
contrera la  satisfaction  de  donner  au  Roi  une  preuve  non 
équivoque  de  son  zèle  pour  le  succès  de  ses  armes.  » 

Aussitôt  le  mémoire  de  Broglie  reçu,  Soubise  lui 
écrit  (1)  qu'il  est  d'accord  sur  les  dates  :  «  Ainsi,  monsieur 
le  Maréchal,  si  vous  pouvez  dès  le  20  donnf.r  de  l'inquié- 
tude aux  ennemis,  je  me  mettrai  en  mouv^-ment  I  10.  Le 
prince  Ferdinand  rassemblera  son  armée.  Le  calcul  que 
vous  faites  de  70  ii  75.000  hommes  me  parait  juste  en 
diminuant  les  garnisons  et  les  détachements  qu'il  sera 
obligé  de  faire.  Je  me  trouverai  en  égalité  vis-à-vis  de 
lui,  et  par  conséquent  je  ne  craindrai  point  de  hasarder 


(t)  Soubise  à  Bro^^Ue,  DusselJorf,  28  mai  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


CHOISEUL  DEFINIT  LE  IIOLE  DE  CHACUN. 


65 


les  manœuvres  qui  vous  mettront  à  portée  de  j)asser  la 
Dymcl,  vt  de  faire  des  opérations  assez  décisives  pour 
obliger  le  prince  Ferdinand  à  regagner  le  Weser  et  niêmcî 
à  repasser  <  '•tte  rivière.  »  Aux  observations  d'ordre  général 
de  son  collègue  Soubise  répond  en  excellents  termes  : 

«  Notre  correspondance  sera  suivie,  et  nous  la  rendrons 
le  plus  prompte  qu'il  sera  possible.  Je  suis  accoutumé  k 
écouter  vos  conseils  et  à  profiter  de  vos  lumières  et  de  vos 
talents.  Nous  marcherons  d'un  pas  égal.  Notre  bonne  vo- 
lonté et  notre  zèle  pour  le  succès  des  armes  du  Roi  nous 
serviront  de  guides,  et  notre  union  en  imposera  aux  en- 
nemis. »  L'accord  ainsi  scellé  fut  confirmé  par  une  dépêche 
de  Choiseul  (l!  qui  s'ell'ortait  de  définir  et  de  préciser  le 
rôle  de  chaque  général  :  «  L'objet  du  Koi  pour  la  campa- 
gne prochaine,  monsieur  le  Maréchal,  est  que  ses  deux 
armées  oprèent  de  façon  :  1"  que  la  Wcstphalie  soit  dé- 
livrée et  les  places  de  Munster  et  de  Lippstadt  occupées  par 
les  troupes  du  Koi  ;  2"  que  l'une  des  années  de  S.  M.  puisse 
faire  un  établissement  solide  sur  le  Weser  et  qu'en  consé- 
quence l'on  s'empare  de  la  place  de  llameln.  Ces  deux 
points  doivent  être  les  seuls  buts  des  opérations  des  ar- 
mées du  Roi;  S.  M.  entend  cependant  que  lesdites  armées 
soient  indépendantes  absolument  une  de  l'autre  et  ne 
coopèrent  que  par  diversion  (la  plus  éloignée  étant  la 
meilleure)  à  leurs  oj  rations  récipro(juos.  D'après  ce 
principe,  il  est  naturel  !e  compter  que  l'armée  du  Bas- 
Rhin  travaillera  à  la  déli  ance  de  la  Westphalie  et  sera 
chargée  des  sièges  de  Lippstadt  et  de  Munster;  M.  1-^  maié- 
chal  de  Soubise  mande  au  Koi  qu'il  rassemblera  son 
armée  le  iO  de  ce  mois,  il  y  a  lieu  de  présumer  que  ce 
général  se  portera  étant  rassemblé  juscju'à  llamm  ;  l'on  ob- 
servera de  cette  position  celle  que  prendront  les  ennemis.  » 
C'est  à  ce  moment,  «  et  d'après  le  rapport  de  ses  généraux 


(l)  Choiseul  ;i  Soiilii.se  et   a   Uroglic,  Marly, 
Guerre. 

(lUERRE    DE   Si:i'T    ANS.    —   T.    V. 


juin  I'()l.  Arehive.s   de   la 


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LA  GUERKE  DE  SE1>T  AiNS.  —  CHAI».  111. 


que  S.  M.  leur  enverra  des  ordres  pour  leui-s  opérations 
ultérieures,  il  a  paru  supertlu  au  Roi  d'entrer  dès  à  présent 
djins  des  détails  qui  dépendent  des  événements  futurs  ». 

Soulignons  en  passant  la  dillerence  entre  le  système 
de  Choiseul  et  celui  de  son  prédécesseur  Belleisle.  Ce  der- 
nier, tout  en  se  réservant  le  droit  de  critiquer  les  actes  du 
général,  lui  laisse  carte  blanche  pour  le  détail  des  opé- 
rations et  se  refuse  à  lui  donner  les  ordres  que  celui-ci 
sollicite;  Choiseul,  au  contraire,  limite  le  programme  et 
annonce  l'intention  de  se  prononcer  à  un  moment  donné 
sur  les  propositions  qui  lui  viendront  de  l'armée.  Cette 
intervention  de  l'autorité  royale  s'expliquait  par  la  néces- 
sité de  trancher  les  conflits  que  pourrait  soulever  le  dou- 
ble commandement,  mais  en  restreignant  en  présence  de 
l'ennemi  l'initiative  des  généraux,  elle  ne  pouvait  que 
nuire  au  succès  de  leurs  opérations.  En  attendant,  les  pre- 
miers mouvements  des  deux  armées  allaient  s'accomplir 
dans  les  lignes  du  plan  concerté;  les  difficultés  n'apparaî- 
tront qu'après  l'exécution  de  la  partie  préliminaire  du 
programme. 

Le  10  juin,  Soubisc  se  rendit  à  Wesel  où  s'était  concentré 
le  principal  noyau  de  ses  troupes;  le  13,  commença  la 
marche  en  avant  par  la  rive  gauche  de  la  Lippe.  Le  maré- 
chal avait  adopté  cette  direction  après  bien  des  hésitations  : 
«  J'y  suis  principalement  décidé,  mande-t-il(l)  à  Broglie, 
par  l'époque  que  vous  indiquez,  vers  le  20  juin  pour  as- 
sembler votre  armée  en  Hesse.  »  Le  14-,  le  quartier  général 
était  à  Essen;  on  n'avait  rencontré  d'autre  obstacle  que  l'é- 
tat des  chemins,  les  plus  mauv  .is  de  l'Allemagne,  ruinés 
par  des  averses  diluviennes.  <■  Plusieurs  canons  de  régi- 
ment, écrit  Soubise(2),sont  embourbés,  les  équipages  res- 
tés derrière,  il  me  parait  impossible  de  ne  pas  séjourner 
demain Je  marcherai  après-demain  Ki  à  Bochum,  le  17 

(1)  Soubise  à  Broglie.  Dusseldocf,  7  juin  1761.  Arcliives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  à  Broglie,  Essen,  14  juin  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


SOUBISE  SE  PORTE  SUR  SOEST. 


67 


■A 

3  »; 


à  Dortmund,  et  je  ne  perds  pas  de  temps  pour  arriver  à  Soest 
le  22  ou  23  ;  j'imagine  que  je  ne  serai  pas  trompé  dans  ce 
calcul  et  je  crois  que  vous  pouvez  y  compter.  »  Les  pluies 
continuelles  et  la  fatigue  des  hommes  compromirent  la 
justesse  de  ces  calculs.  Le  18,  l'armée  n'avait  pas  dépassé 
Malten  entre  Dortmund  et  Unna;  elle  aurait  besoin  d'un 
séjour  de  2  ou  3  jours  pour  se  refaire  et  n'atteindrait  Unna 
que  le  23,  Werl  le  26,  enfin  Soest  le  28,  jour  que  Broglie 
avait  indiqué  pour  le  passage  de  la  Dymel.  «  Au  reste, 
Monsieur,  écrit  Soubise(l),  vous  voyez  que  je  ne  me  suis 
point  écarté  du  plan  proposé  depuis  le  commencement  de 
la  campagne  et  je  remplis  jusqu'ici  les  intentions  de  la 
Cour  en  mavançant  jusqu'à  Hamm  ou  Soest  ;  nous  saurons 
incessamment  à  quoi  nous  en  tenir  sur  le  parti  que  pren- 
dront les  ennemis.  L'armée  sera  rassemblée  ce  soir  en  tota- 
lité, elle  campe  en  ordre  de  bataille.  J'ai  formé  une  avant- 
garde  pour  M.  le  Prince  de  Condé,  composée  de  3  brigades 
de  cavalerie,  3  d'infanterie,  les  dragons  et  les  troupes  lé- 
gères, M.  de  Voyer  commandant  sous  lui.  iM.  d'Apchon 
occupe  Dortmund  et  pousse  des  détachements  en  avant 
sur  Unna  et  Liinen.  M.  de  Conflans  est  à  Soest  avec  sa 
troupe,  on  assure  que  le  prince  héréditaire  est  arrivé  hier 
à  Hamm.  Les  ennemis  ont  levé  les  planches  du  pont  de 
Liinen  et  leurs  troupes  légères  paraissent  en  assez  grand 
nombre  sur  la  rive  droite  de  la  Lippe.  La  pluie  continue 
à  nous  désoler.  »  De  son  côté,  Broglie  avait  annoncé  son 
départ  de  Francfort  pour  le  18  et  pour  le  19  son  arrivée 
à  Cassel  où  toute  l'armée  du  Ilaut-Rhin  serait  concentrée 
le  25. 

Que  ferait-on  une  fois  la  Dyniol  franchie  ?  Les  deux  ar- 
mées opéreraient-elles  leur  jonction  ou,  restant  séparées, 
s'aideraient-elles  au  moyen  de  diversions  plus  ou  moins 
excentriques?  Broglie  posa  la  question  (2)  en  priant  son 

(1)  Soubise  à  Brotçlie,  Malten,  18  juin  1761.  Archives  de  la  (iucrre. 

(2)  Broglie  à  Soubise,  Francfort,  16  juin  1761.  Archives  de   la  Guerre. 


1     , 


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§ 


68 


LA  GUERUK  DE  SEPT  ANS. 


CH.iP.  m. 


collègue  plus  ancien  de  la  résoudre.  H  y  eut  échange  de 
lettres  et  de  mémoires  à  la  suite  desquels  on  se  mit  d'ac- 
cord j)our  un  mouvement  combine  contre  le  prince  Fer- 
dinand. La  principale  raison  invoquée  par  Broe:!ie(l) 
pour  le  rapprochement  des  deux  armées  était  la  difficulté 
et  la  lenteur  des  correspondances,  surtout  s'il  fallait  en 
référer  à  Vcr.sailles  :  «  Il  faut  7  jours  pour  qu'une  lettre 
vous  arrive  par  la  poste,  autant  pour  le  retour,  un  jour 
au  moins  pour  répondre,  cela  fait  16  jours  et  ainsi  on 
ne  peut  avoir  de  réponse  que  deux  fois  par  mois.  » 

Le  23  juin  eut  lieu  le  premier  combat  de  la  campagne; 
il  fut  heureux  pour  les  armes  françaises.  Soubise  lit  en- 
lever les  ponts  de  Limen  et  de  Kamen  et  la  ville  d'Unna; 
le  principal  engagement  se  passa  à  Liinen  où  Turpin, 
attaquant  à  la  pointe  du  jour  avec  ses  troupes  légères, 
surprit  la  garnison  composée  de  deux  bataillons  de  la 
légion  britannique  et  de  chasseurs  hessois  et  la  chassa 
de  la  ville  avec  perte  de  2  canons  et  de  2  à  300  hommes, 
la  plupart  prisonniers.  L'entreprise  contre  Kamen  réussit 
également,  mais  celle  d'Unna  fut  repoussée.  La  ville  fut 
cependant  évacuée  et  Soubise  put  s'y  installer  le  2'i^;  il  y 
reçut  un  officier  de  l'état-major  de  Broglie,  M.  de  Berghe, 
qui  fut  renvoyé  à  son  général  et  chargé  de  lui  confirmer 
l'intention  d'occuper  Soest  le  28. 

Cet  espoir  ne  se  réalisa  pas  ;  jusqu'alors,  Soubise  n'avait 
eu  à  surmonter  que  les  difficultés  de  la  voirie  westpha- 
lienne;  il  allait  se  heurter  à  l'homme  de  guerre  qui  tenait 
en  échec  les  Français  depuis  quatre  ans.  D'Unna,  il  informe 
Choiseul  et  Broglie  de  la  présence  de  Ferdinand  à  Soest  : 
«  Que  je  marche  demain,  écrit-il  (2)  au  ministre,  sur 
Werl,  ou  que  je  reste  ici,  selon  toute  apparence,  le  prince 
Ferdinand  me  barrera  le  passage  de  Soest  et  je  le  trou- 
verai dans  une  position  inattaquable  ou  du  moins  très 

(1)  Hroglie  à  Choiseul,  Cassel,  22  juin  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  A  Clioiseul,  Unna,  25  juin  17C1.  Archives  de  la  Guerre. 


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FERDINAND  UARRE  LA  ROUTE, 


69 


avantas'ense.  En  ce  cas,  je  me  tiendrai  à  portée  de  profiter 
de  l'ellet  ([ue  produiront  les  diversions  de  M.  le  maréchal 
de  Broglie.  .le  vais  hii  envoyer  un  courrier,  pour  lui  faire 
part  (les  obstacles  que  je  rencontre.   »  Soubise  donne  les 
mêmes  informationsà  Broglie  (1)  ;  il  a  évidemment  devant 
lui  toutes  les  forces  des  confédérés  à  l'exception  de  ce  qui 
est  resté  sur  la  Dyniel.  Il  laisse  à  son  collègue  l'initiative 
des  manœuvres  nécessaires  pour  lui  frayer  la  route.  Deux 
jours  après,  l'armée  n'a  pas  bougé  (ITnna;  nouvelle  dé- 
pêche à  Broglie  (2)  datée  du  28,  à  k  heures  du  soir  :  «  Les 
ennemis  se  sont  portés  sur  Werle,  leur  gauche  se  perd  sur 
les  hauteurs  en  tirant  vers  Socst;  s'ils  ont  décidé  de  nous 
attaquer,  ce  sera  selon  toute  apparence  pour  demain.  Nous 
sommes  préparés  à  les  recevoir.  »  Ce  môme  28,  Broglie, 
qui  avait  commencé  son  mou'^'ement,  expédiait  (3)  à  Choi- 
seul  deux  rapports  :  le  premier,  daté  de  k  heures  du  ma- 
tin, annonçait  qu'il  avait  reçu  de  Soubise  une  lettre  par 
laquelle  «  il  semble  qu'on  ne  doit  pas  beaucoup  compter 
qu'il  marche  en  avant,  .le  vais  joindre  l'armée  qui  est  en 
marche  et  la  ferai  camper  ce  soir  à  Brunne;  je  recon- 
naîtrai par  moi-même  les  camps  des  ennemis  sur  la  Dy- 
mel  etmeconduirai  ensuite  suivant  ce  que  je  verrai  et  croi- 
rai possible  ».  Le  second  relatait  l'étape  de  la  journée, 
parlait  des  cas  d'insolation  qui  s'étaient  produits  et  donnait 
([uelques  détails  :    Poyanne  s'était   emparé    des   défilés 
d'Essenstho  et  de  Stadtbcrg  presque  sans  résistance  ;  Lusace 
était  campé  k  Hoheukirch,  Cliabo  avait  escarmouche  près 
de  Liebenau;  Guerchy  était  à  Wolfhagen;  demain  le  gros 
de  l'armée  continuerait  son  offensive  et  passerait  la  Dymel. 
Pendant  ces  premières  opérations,  quelle  avait  été  l'ac- 
tion du  prince  Ferdinand  et  de  ses  lieutenants?  Les  mois 
d'avril  et  de  mai  furent  consacrés  au  recrutement  et  k  la 


(1)  Soubise  à  Broglie,  Unna,  20  Juin  1761. 

(2)  Soubise  à  Broglie,  Unna,  28  juin  17(11.  4  \\.  ]>.  m.  Aixiiives  Ue  la  Ouerre. 

(3)  Broglie  à  Choiseul,  Cassel  et  Brunne,  28  juin  1761.  Arcbivesde  la  Guerre. 


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LA  GUERUK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  ill. 


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mise  en  état  dos  rrginients,  fort  délabrés  à  la  suite  de  la 
retraite  désastreuse  qui  avait  remcné  l'année  confédérée 
des  bords  du  Kinzig  à  ceux  de  la  Uymol.  [.es  Hrunswickois 
allèrent  se  refaire  dans  leur  pays;  le  contingent  bessois 
se  reconstitua  par  la  fusion  des  bataillons  de  forteresse 
avec  ceux  de  l'active;  les  Hanovriens  et  les  Anglais  re<,'u- 
rent  des  recrues  en  nombre  considérable;  le  service  du 
commissariat  bénéficia  de  réformes  importantes.  Bref. 
grâce  à  ses  efl'orts  énergiques  bien  secondés,  le  prince  se 
trouvait  à  la  tôte  de  forces  imposantes  et  prêtes  à  entrer  en 
campagne.  L'état  du  1"  juin  (Ij  sur  un  ensemble  de  plus 
de  91.000  hommes,  présents  sous  les  drapeaux,  faisait 
ressortir  un  eflectif  de  78.823  combattants,  dont  18.000 
Anglais,  28.000  Hanovriens,  7.000  Brunswickois,  10.200 
Hessois  et8. 500  hommes  de  troupes  légères  de  toutes  natio- 
nalités; l'infanterie  et  la  cavalerie  régulières  étaient  répar- 
ties en  94  bataillons  et  82  escadrons,  soit  à  peu  près  000  fan- 
tassins et  1 70  cavaliers  par  unité.  Le  nombre  des  malades, 
tant  aux  ambulances  qu'aux  hôpitaux,  était  considérable; 
il  se  montait  à  12.457  et,  à  en  juger  par  les  1.2()6  décès  qui 
s'étaient  produits  au  cours  du  mois  de  mai,  l'état  sanitaire 
laissait  beaucoup  à  désirer. 

Quinze  jours  ne  s'étaient  pas  écoulés  depuis  la  fin  de  la 
campagne  du  printemps  que  Ferdinand  formulait  ses  pro- 
jets d'opérations.  Dans  une  dépêche  à  Bute,  il  définit  (2) 
avecnetteté  l'objectif  à  atteindre  :  «  Nous  n'avons  que  trois 
points  fixés  qui  peuvent  arrêter  l'ennemi;  savoir,  Munster, 
Lippstadtet  llameln.  Tous  nos  efforts  doivent  être  dirigés 
pour  soutenir  ces  trois  places,  dont  les  deux  premières 
entretiennent  la  communication  avec  la  Hollande  et  l'An- 
gleterre, et  couvreni;  le  bas  Weser;  c'est  la  source  de  nos 
subsistances;  la  dernière,  savoir  Hameln,  couvre  le  haut 
Weser,  l'électorat  d'Hanovre,  et  le  duché  de  Brunswick. 

(1)  État  de  l'armée,  Neuliaus,  1"  juin  17()1.  Westphalen,  V,  p.  356. 

(2)  Ferdinand  à  Bute,  Neuhaus,  13  avril  1701.  Record  Office. 


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PROJETS  DK  FERDINAND. 


71 


Il  s'agit  (le  savoir  s'il  faut  s'attacher,  avec  le  gros  de 
l'armée,  au  soutien  de  la  forteresse  de  Ilameln,  et  ne 
laisser  qu'un  corps  de  troupes  en  Westphalic  pour  soute- 
nir Lippstadt  et  Munster  ;  ou  s'il  faut  s'attacher,  avec  le 
gros,  au  soutien  de  ces  deux  places,  et  ne  couvrir  (ju'avec 
un  corps  de  troupes  le  point  de  Ilameln;  et  c'est  sur  cela 
que  je  prie  Votre  Excellence  de  me  faire  savoir  les  inten- 
tions de  SaiMajesté.  Dans  le  premier  cas,  la  Westphalie  et  le 
bas  Weser  ne  pourront,  probablement,  être  soutenus  que 
peu  de  temps,  et  toute  larmée  sera  forcée  de  passer  le  We- 
ser, d'abandonner  cette  rivière  à  l'ennemi,  et  de  se  retirer 
dansl'intérieurdu  pays,  sur  les  villes  d'Hanovre  et  de  Bruns- 
wick, où  il  faudra  établir  dès  à  présent  de  gros  magasins; 
ce  qui  sera  très  diflicile.  Si,  au  contraire,  le  gros  de  l'ar- 
mée reste  en  Westphalie,  à  portée  des  forteresses  de  Muns- 
ter et  de  Lippstadt,  le  pays  de  Hanovre  et  celui  de  Bruns- 
wick seront  exposés,  et  Ilameln  même  courra  risque  d'être 
assiégé  et  d'être  pris.  Quanta  moi,  je  suisd'opinion  d'éta- 
blir un  corps  de  20.000  homrïies  aux  environs  de  Munster, 
et  de  tenir  le  reste  de  l'armée  dansl'évêché  de  Paderborn 
surlaDymelet  un  médiocre  détachement  dans  le  SoUingen 
sur  le  haut  Weser  ;  par  cette  position,  je  suis  en  étatd'aller 
joindre  ou  avec  le  tout,  ou  avec  une  partie,  le  corps  de 
Munster,  atin  de  combattre  le  prince  de  Soubise  s'il  vou- 
lait attaquer  Munster  ou  Lippstadt,  et  de  revenir  ensuite  sur 
nie?  pas,  pour  faire  face  de  nouve9,u  au  maréchal  de  Bro- 
glie.  Une  telle  opération  est  sujette  à  mille  inconvénients, 
et  est  souvent  impossil)le,  mais  elle  paraît  être  le  seul 
parti  à  prendre,  dans  cette  disproportion  de  forces  où 
nous  sommes.  La  position  de  la  Dymel  est  très  forte,  et 
peut  arrêter  l'ennemi;  si  je  la  quitte,  je  perds  l'avantage 
de  faire  la  navette  avec  l'armée.  D'aillenrs,  si  M.  Broglie 
voulût,  malgré  la  perte  de  ses  magasins,  avancer  le  long 
de  la  Leine,  j'aurais  l'avantage  démarcher  sur  ses  commu- 
nications, aussi  longtemps  que  je  suis  maître  de  la  Dymel, 


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LA  GUEURK  UK  SEPT  ANS.  -    CllAP.  III. 


co  qui  romprclieriût  absolument,  comme  je  pense,  de 
|)«''nétrer  avec  le  gro.s  de  ses  troupes  dans  le  pays  de  Ha- 
novre, (iuoi((ue  à  la  vérité  Je  ne  pourrais  l'empèclier  d'y 
pousser  de  f;ros  détachcMnents.  » 

Très  naturellement,  à  la  (|uestion  j)os6e,  llute  répon- 
dit ([lie  le  roi  Georges  s'en  rapportait  à  son  général.  Le 
28  mai,  Ferdinand  (1  j  revient  sur  les  craintes  exprimées  : 
«  Il  ne  faut  pas  douter  que  le  dessein  des  Français  ne 
soit  celui  de  l'aire  les  sièges  de  Munster  et  de  iJppstadt  ; 
s'ils  les  prennent,  ils  .sont  maîtres  des  évèchés  et  des 
élections  (2).  »  Conformément  k  la  tacticpie  qu'il  avait 
annoncée,  le  prince  avait  confié  la  garde  de  la  Dymel 
à  SpOrcken  avec  15  bataillons  et  Ki  escadrons  et  porté 
le  prince  liéreditaire  de  l'.iunswick  à  Nol  u  et  Scliop- 
detten  pour  surveiller  les  abords  de  Munster;  dans  une 
lettre!  h  Itute  (3)  en  date  du  12  juin,  il  cherche  à  percer 
le  plan  des  Français  :  «  A  juger  par  les  dispositions  <|ue 
les  ennemis  ont  faites  jusqu'à  présent  de  leur  plan  d'o- 
pérations, M.  de  Soubise  va  porter  ses  premiers  coups 
contre  Munster.  M.  de  lirogiie,  de  son  côté,  peut  se 
porter  sur  la  Lippe  en  me  dépostant  de  la  Dymel,  ou 
te^chera  de  pénétrer  dans  le  pays  d'Hanovre,  le  long 
du  Weser;  ce  qu'il  ne  pourra,  cependant,  pas  faire  non 
plus  avec  toute  son  armée,  aussi  longtemps  que  je  puis 
rester  sur  la  Dymel,  et  que  je  serai  par  là  le  maître  de 
marcher  sur  les  coninmnications.  Le  mal  est  que  le  prince 
héréditaire  de  Brunswick,  qui  commande  dans  l'évêché 
de  Munster,  est  trop  faible  pour  résister  seul  au  prince 
de  Soubise.  S'il  est  attaqué  trop  vivement,  il  doit  céder 
du  terrain,  et  alors.  Munster  sera  assiégé.  Si  je  marche 
pour  le  soutenir  avec  le  gros  des  troupes  que  j'ai  dans 

(1)  Ferdinand  à  Buto,  Neuliaus,  28  mai  18()1.  Record  Office. 
(21  Allusion   à  l'éleclion  prochaine  de  l'électeur  de  Cologne,  évêqiie  <le 
Munster. 
(:<)  Ferdinand  à  liule,  Neuhau^;,  12  juin  l'Gl.  Ilecord  Office. 


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I\i:i  AHTITION  DE  L'ARMKK  DES  COM  '  DÉKKS. 


73 


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le  INulei'liorn,  en  laissant  M.  de  Sporcken  sur  la  Ihinol, 
celui-^'i  courra  ris<|uc  d'rtrc  forcé  î\  son  tour,  par  M.  de 
Hi'of,^lie,  qui  pourra  alors  s'appr^clicr  do  Lippsladt,  ou  de 
ilamelii.  Il  l'aut  (cependant  en  sou  tomjis  opter  enirc 
cette  alternative,  et  je  m'y  suis  préparé  »  ou  établissant 
un  catup  retranché  près  de  Munster,  ou  consolidant  par 
des  redoutes  la  ligne  de  la  Dyinel,  oufin  en  activant  la 
mise  eu  état  des  trois  places  menacées,  de  manière  à 
leur  permettre  de  résister  aux  premières  attacpios  d'un 
assiégeant. 

Le  20  juin,  le  quartier  i^énéral  des  conledérés  était 
encore  à  Neulians  près  de  Padorborn,  alors  que  l'otlen- 
sive  des  Français  avait  commencé  et  l'armée  de  Soubise 
avait  dépassé  Dorttnuud.  «  Il  semble  donc,  écrit  Ferdi- 
nand (1,  qu'il  en  veut  à  Lippstadt,  quoiqu'il  puisse 
repasser  la  Lippe  et  marcher  encore  h  Munster.  Mais  si 
je  suppose  que  les  deux  maréchaux  sont  bien  unis  de 
sentiment  et  disposés  à  se  soutcmir  l'un  l'autre,  je  dois 
m'atteiulre  à  voir  marcher  h'  prince  de  Soubise  sur  Lipp- 
stadt, pendant  ([ue  le  maréchal  de  Broglie  se  portera  sur 
la  Dymel,  ce  qui  serait  un  des  cas  les  plus  épineux  (jui 
pourraient  arriver.  Je  tâcherai  de  m'y  opposer  de  n)on 
mieux  et  compte  marcher  demain  de  grand  matin  dans 
les  environs  de  Lippstadt.  » 

A  la  date  (2i  du  21  juin,  ([ui  est  celle  de  l'entrée  en 
campagne  des  confédérés,  leur  armée  était  distribuée  de 
la  manière  suivante  :  sur  la  rive  droite  du  Weser, 
Lûckner  avec  3  bataillons,  8  escadrons  et  des  troupes 
légères;  Sporcken  avec  15  bataillons,  8  escadrons 
et  des  corps  irréguliers  le  long  de  la  Dymel,  depuis 
Warburg  jusqu'à  Liebcnau  ;  sous  les  ordres  directs 
du   prince    Ferdinand    une    force    de    28    bataillons  et 

(1)  Ferdinand  à  Bule,  Neuhaus,  20  juin  17(11.  Record  Oflicc. 
{2}  Boyd  ù  Newcaslle,  Geselve,  22  juin  1761.  Newcaslle,Pii|iei's.  Les  (  liillres 
de  Hoyd  sont  à  peu  près  les  mêmes  que  ceux  de  l'étal  du  1"  juin. 


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74 


LA  (;i)KHaK  l)K  SEPT  ANS.  —  CHAI».  III. 


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2'»  escadrons;  près  du  j^to.s,  ii  Kliiidcn,  NVanf,ç(mheim 
riait  ciuii|>('!  avec  V  liataillons  t't  8  <'.scadrons;  (ioiiwwy 
occufuiit  Sorsl  avec  H  bataillons  cl  7  escadrons  de  trou- 
pes an,t,-lais('S  ;  près  de  liamin,  le  général  Howard  était 
à  la  tète  d'une  division  d(^  ^  bataillons  et  de  1)  escadrons 
et  d'un  coniplèniont  d'infanterie  légère;  enfin,  un  corps 
de  i>8  bataillons,  -iV  escadrons  et  de  (piebpies  irréguliei's 
sous  les  ordres  du  prince  héréditaire  était  posté  i\  llanim. 
A  ces  troupes  était  attaché  un  parc  de  122  canons. 
23  obusiers,  7  mortier  et  2  anmsettes.  Déduction  faite 
«les  15.000  hommes  de  Sporckeu  et  de  LOckner  ciiargés 
de  surveiller  l'armée  du  llaut-Uhin,  il  restait  A  Ferdi- 
nand (i.l.OOO  combattants  pour  s'opposer  aux  proférés 
des  Français  de  Soubisc.  Il  concentra  son  armé»»  en  ap- 
pelant à  lui  le  prince  héréditaire  et  porta  successivement 
son  quartier  général  à  Soest  et  A  \Verl.  Ce  mouvement 
arrêta  les  velléités  olL'ensives  de  Soubise,  lui  fit  replier  .ses 
avant-postes  sur  son  camp  d'Unna  où  il  attendit  une  at- 
taque (jui  ne  devait  pas  se  produire.  Une  dépêche  expé- 
diée d'Unna  (l)  à  la  date  du  'M)  juin  résume  bien  la  situa- 
tion :  «  Je  comptais,  McJnsieur,  suivant  les  lettres  reçues 
de  M.  le  maréchal  de  Broglie,  et  les  arrangements  con- 
venus, marcher  le  28  à  Werl,  et  le  29  suivre  les  hau- 
teurs par  ma  droite  en  m'approchant  du  Roer  pour 
chercher  à  dépassar  Soest  et  gagner  Rntheii.  Le  prince 
Ferdinand  ma  pnîvenu  et  j'appris  avant  de  décamper 
qu'il  arrivait  h  Werl  avec  toutes  ses  forces  réunies.  Dès 
\i  soir  même  il  replia  nos  troupes  légères,  qui  se  reti- 
rèienf  en  très  bon  ordre  des  postes  qu'elles  occupaient 
près  de  Werl,  et  restèrent  à  deux  lieues  d'ici  pour  obser- 
ver les  mouvements  de  l'ennemi.  Hier  avant  la  pointe 
du  jour,  le  prince  Ferdinand  s'est  remis  en  marche  sur 
cinq  colonnes.  » 

(1)  Soubise  à  Choiseul,  Unna,  30  juin  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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|{|(0(;|.IK  VAHSV.  LA   OYMKI 


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(le mouvement,  reliirdr  parles  trou|)osi«''c;i'rcs do  heMel- 
fort,  ne  fut  pas  poussé  loin.  Une  recouiiiiissiinec  appro- 
fondie de  la  position  occupée  par  Soul)isc  démontra  cpie 
les  ris([u«'S  d'une  atta(|ue  de  front  seraient  trop  sérieux  et 
Ferdinand,  avant  de  la  tenter,  consulta  selon  son  habi- 
tude le  dévoué  NVestplialen.  (le  dernier  déconseilla  (1) 
l'idée  de  rejoindre  Wanyenlieini  fort  iiu|uiet  des  progrès 
de  Broglie  dans  la  direction  de  Paderborn,  et  proposa  de 
rechercher  une  all'aire  avec  Soubise  en  manœuvrant  sur 
le  tlanc  et  le  derrière  du  camp  du  maréchal  :  «  Je  serai 
donc  d'avis  de  le  tourner  par  sa  gauche  en  se  portant 
par  Kamen  sur  Dortmund.  » 

Heportons-tious  maintenant  à  l'armée  du  Haut-Rhin  qui 
venait  de  faire  un  brillant  début  de  campagne  :  Le  pas- 
sage de  la  Dymel  avait  été  ell'ectué  le  2!)  juin  sans  grande 
opposition  de  la  part  de  Spcirckcn,  d'ailleurs  fort  inférieur 
à  son  adversaire  :  «  .l'ai  ordonné,  mande  Hroglie  (-2), 
(ju'on  battit  la  générale  ce  matin  à  trois  heures,  et 
l'armée  s'est  mise  en  marche  à  cin(|;  comme  j'allais 
monter  à  cheval,  M.  de  Beisuncc  m'a  mandé  que  les  en- 
nemis étaient  partis  et  qu'il  se  mettait  à  leur  suite. 

«  L'armée  a  passé  la  Dymel  et  je  l'ai  fait  camper  à 
Scherfede;  je  me  suis  avancé  ensuite  jusqu'à  Kleinenberg 
où  j'ai  trouvé  M.  de  Beisunce  qui  venait  d'attaquei"  l'ar- 
rière-garde  des  ennemis  et  leur  avait  fait  200  prisonniers 
et  pris  11  ou  12  pièces  de  canon  de  parc  ou  obusiers 
presque  tous  de  gros  calibre.  Nous  les  avons  suivis  jus- 
qu'auprès du  village  de  Villebadessen,  où  j'ai  vu  tout  le 
corps  du  général  Sporcken  en  bataille  et  nous  avons 
estimé  ce  que  nous  en  avons  vu  à  IV  ou  15.000  hommes, 
non  compris  le  corps  de  Liickner  qui  a  repassé  le  Weser 
et  est  de  k  ou  5.000...  J'irai  demain  camper  près  de 
Lichtenau,  l'avant-garde  de  iM.  de  Clozen  occupera  Wii- 

(I)  Westphiilen  à  Ferdinand,  30  juin  1761.  Westplialen,  IV,  p.  4'.)o. 

('2)  iii'oglieà  Soubise,  Hardenhausen,  29  juin  1761.  Arciiives  de  la  Guerre. 


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LA  (JL'KUUK  DE  SEPT  ANS. 


OIIAP.  III. 


ncnberg  f^t  Fiirsteinbcrt; ,  et  telle  de  M.  de  Belsunce  Attelen 
et  Ettelen.  »  Le  comte  de  Lusace  et  Chabo  avaient  été 
dirigés  sur  Hrackel  à  la  poursuite  des  gros  équipages  des 
conemis  ([u'oii  disait  se  retirer  sur  Hameln.  «  Vous  voyez 
par  là,  M.  le  Maréchal,  continue  Brog'lie,  que  les  postes  et 
patrouilles  de  mes  troupes  légères  seront  demain  sur 
l'Alinei  1  ),  ce  ((ui  doit  être  fort  inquiétant  pour  M.  le  prince 
Ferdinand,  s'il  est  encore  à  portée  de  vous,  cc([ue  j'ignore 
n'ayant  pas  de  vos  nouvelles  depuis  le  -Ui. 

«  .le  saurai  dans  la  Journée  de  demain  le  parti  qu'aura 
pris  M.  de  Sporcken  pour  sa  retraite;  je  crois  qu'il  était 
un  peu  ellarouché,  et  ne  savait  pas  trop  quel  parti  pren- 
dre; ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  ([ue  de  plusieurs  jours 
il  ne  lui  sera  pas  possible  de  rejoindre  le  prince  Ferdi- 
nand. Je  m'occuperai  demain  de  voir  s'Ï!  ,,e  trouve  un 
bon  camp  ou  sur  l'Aime  ou  près  de  l'Abne.  où  il  me  fût 
possible  d'attendre  M.  le  prince  Ferdinand  s'il  se  détermi- 
nait à  revenir  sur  moi;  enlin,  je  ne  négligerai  rien  pour 
le  rappeler  d'auprès  de  vous.  » 

Conformém  mt  à  cette  promesse,  Broglie  poursuivit  sa 
marche  dans  la  direction  de  Paderborn;  le  l"  juillet,  il 
avait  poussé  ravant-garde  de  Cliuisen  jusqu'à  Biiren  et 
Khudeii;  le  gros  était  à  bie]>cnau  et  Lusace  suivait  Spor- 
cken qui  s'était  retii'é  h  D'.iburg  sur  la  route  d'llr»xtcr  à 
l*aderborn.  Waugcnheim,  surveillé  par  Helsunce,  s'était 
replié  sur  Erwitte  entre  Paderborn  et  Soest,  mais  plus 
près  de  cette  dernière  localité.  Kniin,  le  3  juillet,  liroglie 
était  installé  à  Neuhaus  près  de  Paderboru  au  ([uartier 
génèi'.d  que  le  prince  Ferdinand  avait  occupé  pendant 
les  mois  du  printemps.  Il  croit  ([iie  celui-ci  repassera  la 
Lippe  «  étant  si  dangercuv  pour  lui  d'être  battu  en  deçà 
de  cette  rivière  par  une  des  deu\  armées,  ayant  l'autre 
(h'rrière  soi  ».  Dans  une  lettre  delà  veiJle  adressée  àSou- 

(1)  l.'Altnc  se  jette  dans  la  Lippe  près  de  Padeiborn. 


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lEKIHNAND  SE  GLISSE  DEKKIKRE  SOlinSE. 


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bise  (1),  et  qu'un  officier  de  rét{iit-niaj(n',  Lanil)ei't,  avait 
été  chargé  de  lui  porter,  lirogiie  explique  (juau  lieu  de 
suivre  SpOrcken  et  de  s'emparer  des  magasins  ennemis 
établis  sur  le  bord  du  Weser,  il  avait  estimé  «  plus  avan- 
tageux pour  lo  service  du  Koi  de  ne  pas  laisser  une  de 
ses  armées  exposée  à  combattre  seule  le  prince  Ferdinand 
et  de  ne  rien  négliger  pour  réunir  nos  .''o'ccs.  J'ai  pré- 
féré la  marche  sur  l*aderborn  quoique  j'en  sente  toute  la 
délicatesse  ». 

Loin  de  songer  à  se  retirer  derrière  la  Lippe,  Ferdinand 
avait  suivi  le  conseil  de  son  homme  de  confiance  et  par 
une  manœuvre  hai'die  s'était  porté  sur  les  derrières  de 
Soubisequi  était  encore  à  Unua  le  2  Juillet.  Les  confédérés 
avaient  décampé  dans  la  nuit  du  1'  au  2  et  marcliaient 
apparemment  dans  la  direction  de  llamm.  Le  II,  Soubise 
fait  une  nouvelle  étape  sur  la  roule  de  Soest.  C'est  de  ller- 
mei'den  qu'il  date  sa  dépèche  (2)  à  Hroglie  :  «  Les  mou- 
vements de  l'ennemi  m'ont  tenu  hier  dans  la  perplexité 
et  ce  matin  les  mêmes  nouvelles  se  sont  soutenues  de  tout 
côté.  On  assurait  que  le  prince  Ferdinand  voulait  débou- 
cher de  Limen  dans  la  plaine  de  Dorlmund  :  espions, 
déserteurs,  prisonniers,  tous  s'accordaient.  Cette  résolu- 
tion m'a  paru  si  singulière  que  je  nui  jamais  voulu  la 
croire.  Cependant,  comme  elle  demandait  des  précau- 
tions en  me  déterminant  ù  me  mettre  en  marche,  j'ai  en- 
voyé à  M.  le  prince  de  ('roy  pour  renforcer  notre  com- 
munication et  assurer  n(js  convois.  J'ai  laissé  M.  de  Vogué 
avec  une  grosse  arrière-garde  au  delà  d'IJnna;  il  n'a  eu 
all'aire  jusqu'à"  heures  (ju'à  des  troupes  légères,  .latteuds 
de  ses  nouvelles.  Je  marcherai  demain  vers  Soest  et  je 
ferai  le  plus  de  chemin  (|u'il  me  sera  possible.  L'artillerie 
nombreuse  et  les  équipages  me  retardent  beauc(»u[>.  J'ai 

(1)  Broglie  à  Soul)ise,  Liclih^nau,  :!  juillet   l'iit.  Ar(  hive;-  de  lu  Giiiirc. 

(2)  Soubist  ù  Hiosli",  Heriuerden.  3  juillet.  'J  lieuii's  du  soir.  Aichivi'sde 
la  Guerre. 


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LA  GIEUUE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  III. 


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VU  anivor  M.  de  Lambert  avec  la  plus  arnnde  satisfaction. 
Il  m'a  appris  votre  arrivée  à  Neuiiaus.  J'espère  avoir  dans 
pou  de  jours  le  plaisir  de  vous  embrasser  et  de  vous  re- 
nouveler les  assurances  de  mon  attachement.  » 

Quoi  qu'en  pensAI  le  maréchal-prince,  les  dires  des 
espions  et  des  déserteurs  étaient  exacts  ;  pendant  que  les 
Français  s'avantjaient  à  petits  pas  sur  la  route  de  Soest, 
l'armée  confédérée  s'apprrtait  à  les  prendre  à  dos.  Le  co- 
lonel anglais  lioyd  (1)  décrit  Topération  :  «  Notre  gros 
bagage  a  été  expédié  à  Hamni;  le  départ  des  troupes 
formées  en  5  colonnes,  fixé  à  11  heures  du  soir  le  1''' juil- 
let, n'eut  lieu  qu  à  2  tieures  du  nuilin...  il  avait  plu  ferme 
pendant  la  nuit  et  nous  avons  trouvé  les  chemins  dans  un 
état  exécrable  ;  arrivés  aux  hauteurs  de  Kamni. . .  noû'  aous 
sommes  avancés  jusqu'au  ruisseau  de  LTsecke  que  la  pluie 
avait  fait  déborder.  Ici,  il  a  faUu  attendre  deux  heures 
pour  jeter  des  ponis  en  remplacement  de  ceux  que  l'en- 
nemi avait  détruits  près  de  Kamm.  l'intenlou  était  de  le 
tourner  par  sa  gauche  et  de  l'attacjuer  en  <[ueue,  mais  le 
pays  était  si  impraticable  qu'il  a  été  impossible  de  l'abor- 
der et  qu'il  a  fallu  continuer  le  mouvement  jusqu'aux 
hauteurs  de  Ranstrop,  d'où  nous  avous  aperçu  le  camp 
français  qui  paraissait  tout  à  fait  tran(|uilh',  ce  qui  prouve 
qu'ils  n'avaient  pas  la  moindre  notion  de  notre  marche, 
qu'un  brouillard  survenu  un  peu  après  l'aurore  aidait  à 
dissimuler.  Comme  l'ennemi  ii'avait  pas  de  postes  à  quel- 
que distance  de  leur  gauche,  faute  capitale,  et  (pae  c'est  a 
peine  s'il  a  envoyé  une  patrouille  pour  nous  reconnaître, 
on  peut  dire  qu'ils  ont  été  sauvés  par  la  pluie  de  la 
veille.  »  Lî>  prince  héréditaire  accompagné  de  Boyd  fit 
une  reconnaissance  du  village  de  Brackel  que  les  Fran- 
çais venaient  d'évacuer,  ils  constatèrent  que  de  nombriMix 
marécag'es  rendaient  la  contrée  peu  accessible  à  l'infan- 

(1)   Hoyd  à  Hiilc,  llenuerden,  «  juillel  1761.  Retord  Uflice. 


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LE  TERRAIN  EST  IMPRATICABLE. 


79 


teiic  et  inabordablo  pour  In  cavalerie  et  l'artillnrio;  aussi, 
sur  leur  rapport,  Fer<|innpd  donna  1  ordrr  de  reprendre 
la  marche  sur  Dorlni/iiïa  uji  jUifi  /)f  parvint  «pic  lard 
<lans  la  matinée  du  .'|.  Les  confé(/érés  camîjièfej//  h  t  M|o- 
mêtre  1/2 de  la  ville;  ils  avaient  élé  en  roule  et  sous  les 
armes  depuis  JJU  heures. 

Entre  les  avant-gardes  d(>  ^^t>HUtmtiii  nf  J^ollMs^?,  Il  y 
avait  eu  des  rencontres  les  4  "I  î|  ,/i;i|)et.  tAt  yii'iUilh  eut 
lieu  aux  aijords  de  Kaniiii  :  (lit  piU'ij  fje  v«»Ionî/iJres  charge 
de  suivre  les  rj>uté4éfi^ti,  enlr'ilué  par  son  ardeur,  re- 
foula les  piquels  ue  1  e/iOenii  aux  oraies  du  général  WOt- 
ginau,  mais  fut  ramené  n  son  tour  par  ï  batràllons  du 
corps  de  Granby  1 1  ;  l'action  coûta  la  vie  à  peu  de  monde, 
mais  à  plusieurs  ofliciers  supérieurs,  parmi  lesquels  le 
brigadier  Pedemont.  La  seconde  eut  pour  il>eâti'e  la  ville 
de  Schwerte  et  le  pont  de  Westhofen,  sur  la  Koer  ;  le  com- 
bat fut  très  disputé,  il  y  eut  des  charges  de  cavalerie  avec 
succès  alternatifs;  l'arrivée  d'un  bataillon  de  Bouillon,  ac- 
couru au  secours  du  prhice  de  Croy  qui  conmiandait  les 
Français,  obligea  les  confédérés  à  se  retirer.  Dans  cette 
ailaire  le  brigadier  La  Morlière  fut  grièvement  blessé. 

La  mana'uvre  de  Ferdinand  excita  l'admiration  du 
monde  militaire  de  l'époque  :  *<  Cette  marche,  Mylord, 
écrit  Boyd,  est  à  mon  avis  la  plus  extiaordinaire  qui  ait 
jninais  été  faite.  J'ai  vu  plusieurs  fois  tourner  le  flanc  d'un 
ennemi,  mais  tournei'  le  flanc  d'une  armée,  à  très  courte 
distance,  marcher  tout  le  long  de  leur  arrière  et  se  por- 
ter sur  l'autre  liane,  c'est  un  incident  bien  rare!  »  En  fait 
le  mouvement  de  Keiujinand  n'eut  pas  de  résultat  ;  il  n'a- 
boutit qu'à  infliger  à  ses  troupes  utie  fatigue  inutile. 

Malgré  son  entreprise  hardie  qui  eût  pu  être  fort  dan- 
gereuse en  présence  d'un  adversaire  plus  entreprenant  que 
Bo(i)jJHe,|B  général  confcfjéré  était  tort  inquiet;  de  Spur- 


(Ij  Gianh)  ù  Hulo,  lleinitriioii,  Ojiiillel  I7(ll.  (teconl  Of|ir;('. 


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I.A  GLEKKE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  III. 


ckcn  il  ii'avaii  pas  de  nouvelles  directes  depuis  le  28  juin  ; 
il  paraissait  opérer  une  retraite  excentrique  vers  Hiîxter 
au  lieu  de  se  rapprocher  de  Paderborn,  conune  il  en  avait 
rec^u  l'ordre  à  plusieurs  reprises.  Aussi  les  confédérés  ne 
firent  pas  un  long-  séjour  à  Dortmuiid;  ils  ([uittèrent  cette 
ville  dans  la  nuit  du  3  au  ï  et  se  mirent  à  la  poursuite  de 
Soubise  qui  profitait  de  leur  absence  momentanée  pour 
essayer  de  gagner  Soest  et  d'opérer  sa  jonction  avec  Bro- 
g'iie.  Le  V  juillet,  la  situation  était  la  suivante  :  Soubise  en 
marche  dllermei'dcn  sur  Soest,  couvert  par  une  forte  arriè- 
re-garde sous  les  ordres  de  Vogué  ;  Ferdinand  à  .ses  trousses 
entre  Dortmund  et  llernierden,  précédé  par  une  avant- 
garde  sous  le  prince  héréditaire;  Brogiieaux  environs  de 
Paderborn  avec  les  détachements  de  Clausen  et  BelsuP".- 
à  Erwitte  et  sur  la  route  de  Soest;  Wangenheira  A  L^^/ 
stadt  avec  sa  faible  division  ;  enfin  Sporcken  en  route  de 
Blond)ei'gsurDetmold.  Lusace et Cliabo  formaient  l'extrême 
droite  de  Tarmée  du  Haut-Bliin.  D'I-nna,  Soubise  avaitécrit 
à  Choiscul  (|u'il  ne  comprenait  rien  à  la  marche  de  Ferdi- 
nnnd  :  «  Il  faut  convenir  que  le  prince  Ferdinand  prend  un 
parti  bien  extraordinaire  »;  quant  à  lui,  «  il  s'avancerait 
toujours  avec  prudence  et  précaution  ».  Sa  dépèche  du 
6  juillet  (1)  à  Broglie  nous  mettra  au  courant  :  «  Je  reçois, 
Monsieur  le  Maréchal,  votre  lettre  du  5  datée  d'Erwitte. 
En  voyant  cette  date,  elle  m'a  causé  la  joie  la  plus  vive; 
j'avouequelleaététempéréequandjai  vu  que  vous  n'aviez 
point  marché  de  Neuhaus.  Le  prince  Ferdinand  et  le  prince 
héréditaire  sont  réunis  devant  nous,  ils  ne  nous  ont  point 
attaqué  hier,  .l'apprends  qu'ils  ont  envoyé  en  diligence 
des  pontons  à  llumm,  et  l'on  dit  que  c'est  au-devant  du 
corps  de  MM.  de  Wangenheimet  Sporcken.  je  souhaite  que 
cette  nouvelle  ne  soit  pas  fondée,  cai  elle  nous  laisserait 
]>eu  de  ressou'  ces.  .le  vais  essayer  de  me  soutenir  ici,  ou 

(1    Souhisp  ù  ni'oglie,  Sclilenbing,  0  juillet  17C1.  Archives  de  !a  Gueiic!. 


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SOUBISE  MARCHE  SUR  SOEST.  FERDINAND  LE  SUIT. 


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si  je  trouve  un  moment  favorable  dans  la  jounire,  je 
marcherai  et  m'approcherai  de  Soest,  le  plus  près  (juil  me 
sera  possible.  »  Une  dépèche  du  même  jour  adressée  à 
Choiseul  contient  ([uelques  détails  :  «  Nous  sommes  depuis 
avant-hier  toujours  à  vue  des  ennemis.  Ils  avaient  eirecti- 
venient  tourné  la  gauche  de  notre  position  d'Unna,  et  avec 
des  fatigues  incroyables  pour  leur  armée,  et  marchant 
pendant  trente-six  heures,  ils  étaient  parvenus  à  gagner  la 
plaine  de  Dortmund.  Personne  ne  pouvait  se  persuader 
que  le  prince  Ferdinand  prit  cette  direction,  d'autant  qu'il 
nous  ouvrait  le  chemin  de  communication  qui  nous  rap- 
proche de  M.  de  Broglie,  dont  j'avais  reçu  des  nouvelles 
de  l'abbaye  d'IIarhuissin.  Je  pris  le  parti  défaire  marcher 
l'armée  le  5  après  la  distribution  du  pain.  Elle  se  mit  en 
mouvement  vers  les  V  heures  et  elle  vint  camper  à  lier- 
merden,  oùelle  arriva  avant  la  nuit,  excepté  l'avant-garde 
de  M.  le  prince  de  Condé  qui,  par  sa  position,  se  trouva 
un  peu  trop  rejetée  et  eut  beaucoup  de  peine  à  s'ouvrir  des 
chemins.  »  On  devait  partir  le  4  au  petit  jour,  «  le  grand 
nombre  d'équipages  et  un  peu  de  désordre  dans  les 
colonnes  qui  se  croisèrent  nous  firent  perdre  quelques 
heures  qui  pensèrent  nous  causer  beaucoup  d'embarras». 
Vogué,  chargé  del'arrière-gardCjfut  attaquédetrès  bonne 
heure  parles  troupes  légères  et  successivement  par  lavant- 
garde  de  l'armée  ennemie.  Soubise  le  fit  appuyer  par  le 
corps  du  prince  de  Condé  et  par  deux  brigades  de  renfort 
que  Gastries  lui  amena.  Le  prince  héréditaire,  qui  com- 
mancl^it  l'avant-garde  confédérée,  jugea  la  position  des 
Français  trop  avantageuse  pour  la  défense  et  fit  rompre  le 
combat.  Les  pertes  de  part  et  d'autre  ne  furent  pas  consi- 
dérables, mais  Bauer,  principal  adjudant  du  prince  Fer- 
dinand, tomba  aux  mains  des  Français.  Soubise  informe 
Choiseul  qu'il  est  encorrespondance  suivie  avec  Bi'oglieet 
qu'il  espère  faire  sa  jonction  avec  lui  près  de  Soest  :  «  Je 
ne  vous  cacherai  pas  que  l'année  est  un  peu  fatig-uée.  ileu- 

OIÉRRK   l»E   SEPT   ANS.   —   T.    V.  G 


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LA  OIEIUIE  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  III. 


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reiisement,  le  soldat  est  bien  nourri  et  la  bonne  humeur 
se  soutient.  Les  ollicierset  surtout  la  Maison  (du  Roi)  depuis 
le  renvoi  des  équipages  sont  en  soull'r'.nce.  Le  temps  est 
beau  et  les  nuits  courtes.  C'est  une  consolation  pour  les 
bivouacs.  Les  ennemis  sont  dans  le  même  cas  depuis  huit 
jours,  et  leurs  soldats  paraissent  outrés  de  fatigue.  J'espère 
que  dans  peu  de  jours  nous  jouirons  d'une  plus  grande 
tranquillité.  M.  le  maréchal  deBroglie  m'écrit  tous  les  jours 
et  il  est  instruit  de  ma  situation.  Notre  position  est  encore 
unpeucritique.  .le  profiterai  du  premier  moment  favorable 
pour  marcher  du  côté  de  Soest,  oîi  je  trouverai  de  très  bous 
postes.  Le  pays  est  coupé  ^e  ra  1ns,  et  IV  i  en  trouvera 
tous  les  quarts  de  lieue,  qui  sont  ties  difficiles  à  passer.  » 
L'espoir  que  manifestait  Soubise  de  voir  Broglie  à  une 
proximité  qui  permît  des  secours  en  cas  de  besoin,  se  réa- 
lisa dès  le  soir  du  (J  juillet.  A  une  entrevue  des  doux  ma- 
réchaux qui  eut  lieu  au  quartier  général  de  Soubise,  il 
fut  convenu  (1)  que  Clausen  et  Belsunce  resteraient  à 
Soest,  que  Poyanne  viendrait  les  renforcer  et  que  la 
grande  armée  ferait  une  marche  de  nuit  dans  la  direction 
de  la  ville.  Au  jour,  les  deux  maréchaux  firent  une  recon- 
naissance qui  leur  apprit  que  les  confédérés  cherchaient 
à  les  devancer;  on  continua  l'étape  et  on  arriva  le  7  au 
soir  à  Soest.  Pour  remplacer  Poyanm»  à  Ervvetto,  Broglie 
y  appela  Du  Muy  avec  une  division  de  15  bataillons,  12 
escadrons  et  24  canons.  Stainville  prit  le  commandement 
des  avant-gardes  Clausen  et  Belsunce,  «  10.000  hommes 
des  meilleures  troupes  »  ;  Broglie  croyait  (2^  à  la  retraite 
de  Ferdinand  :  ^  Il  y  a  toute  apparence  que,  sachant  notre 
jonction  faite,  ils  ne  songeront  plus  qu'à  repasser  la  Lippe 
à  Hanim  » ,  du  reste,  il  donnera  ses  appréciations  à  Sou- 
bise qui  fera  «  ce  qu'il  jugera  à  propos  ». 

(1;  Soubise  à  Choiseul,  camp  de  Bremon    7  juillet  î'dt.  Archives  de    la 
Guerre. 
(2)  Ilroglie  à  Choiseul,  Soest,  7  juillet  1761    An  hires  de  la  Guerre. 


I\H' 


JONCTION  DK8  MARKCHAL'X. 


83 


La  réunion  des  deux  armées  et  l'arrivée  à  Soest  fut  un 
soulagement  pour  tout  le  monde  ;  «  Nous  sommeg  tous 
harassés  de  la  fatigue  la  plus  outrée,  la  plus  excessive, 
écrivait  un  correspondant  au  comte  de  Clermont  (1)  ;  l'ar- 
mée ne  désire  que  (Vcn  venir  promptement  aux  mains.  » 
Le  8  juillet,  un  autre  officier  écrit  (2)  à  Clermont  :  «  Hier 
les  ennemis  se  sont  enfin  déterminés  à  décamper,  ils  es- 
péraient être  en  force  à  Soest  avant  nous  ;  nous  les  y  avons 
prévenus.  »  Suit  un  éloge  de  Broglic  :  «  Il  a  fait  plaisir  au 
général  et  à  tout  le  monde  et  nous  avons  campé  et  bien 
dormi,  ce  que  nous  n'avions  pas  fait  depuis  9  jours  ;  notre 
jonction  avec  M.  de  Broglie  nous  met  à  même  de  faire  le 
siège  de  Lippstadt  sans  difficultés.  » 

Malheureusement,  Ferdinand  ne  montrait  aucune  in- 
tention de  prendre  le  parti  qu'annonçaient  et  souhaitaient 
ses  adversaires.  Le  7  juillet,  il  avait  établi  son  quartier 
général  àllilbeck,  village  à  18  kilomètres  ouest  de  Soest, 
son  extrême  gauche  appuyée  à  la  Lippe  près  d'Un  trop, 
la  droite  touchant  la  Uoer  ;  VVangenheini  était  à  Lippstadt. 
Quant  k  Sporcken  avec  lequel  le  contact  avait  été  repris, 
il  avait  gagné  la  ville  de  Uheda.  Il  y  reçut  ordre  de  fran- 
chir la  rivière  de  la  Glenne,  et  de  prendre  position  sur  la 
rive  nord  de  la  Lippe,  en  aval  de  l'embouchure  du  petit 
affluent  et  en  face  de  Hovestad;  il  devait  être  rendu  à 
destination  le  10.  Un  billet  de  Ferdinand  A  Sporcken  (3) 
indique  le  rôle  qui  lui  était  dévolu  :  <(  L'ennemi  fait  des 
recounaissancos  de  tous  C'Hés,  tant  vers  ma  gauche  que 
vers  le  centre  ;  je  ne  sais  encore  bien  positivement  si  le 
dessein  des  deux  maréchaux  est  celui  de  m'attaquer. 
Mais  il  est  toujours  bon  de  supposer  ce  cas  comme  pos- 


. 


(1)  Lettre  sans  nom,  camp  de  Scblucken,  G  juillet  1761.  Fonds  de  Cler- 
mont. 
('i)  St-Legerà  Clermont,  Soest,  8  juillet  1761.  Fonds  de  Clerniout 
(3)  Ferdinand    à   Sporcken,  Hilbeck,   10  juillet    1761.     Wcstphalen,    V. 
p.  566. 


84 


r.A  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  m. 


sible.  Que  Votre  Excellence  tombe  en  flanc  ou  endos  l'en- 
nenii  quand  il  m'attaquera.  » 

Parmi  les  reconnaissances  dont  parle  Ferdinand,  celle 
du  10,  exécutée  en  avant  d'Oestingliaasen,  mérite  une  men- 
tion spéciale.  Le  maréchal  et  le  comte  de  Broglie  (1), 
Stainville  et  l'oyanne  qui  y  prirent  part  avec  les  volon- 
taires d'Austrasie,  furent  ramenés  très  vivement  par  la  ca- 
valerie ennemie  et  «  furent  obligés  de  galoper  quelque 
temps  pour  ne  pas  compromettre  la  généralité  ».  On  ra- 
massa même  sur  le  terrain  une  lorgnette  aux  armoiries 
du  maréchal.  Il  y  eut  de  nouvelles  rencontres  les  11  et  12  ; 
il  devenait  évident  que  les  Français  préparaient  un  mou- 
vement ollensif.  «  Il  me  semble,  écrit  Conway  (2),  que 
nous  voyons  la  main  de  M.  de  liroglie  dans  quelques- 
unes  de  leurs  manœuvres  récentes;  son  talent  est  beau- 
coup plus  actif  que  celui  de  son  collègue  et  beaucoup 
plus  porté  h  la  petite  guerre.  » 


(t)  Bioglieà  Choiseul,Soest,  14  juillet  1761.  Archives  de  la  Guerre.  —  Boyd 
à  Bute,  Hohenhover,  11  juillet  1761.  Record  Office. 
(21  Conway  à  Townshend,  llohenhover,  15  juillet  1761.  Newcastle  Papers. 


1 


CHAPITRE   IV 


COMBAT    Di:    ViLLINGIIAlSKX.    —    IXSTttUCTIOXS    ME   LA   COIR 

J)E    VERSAILLES. 


De  part  ot  d'autre,  .)n  se  préparait  ù  une  action  déci- 
sive. Ferdinand  avait  ronlorcé  sa  gaucho  eu  avançant 
une  brigade  de  Howard  et  la  division  WiU^inau  des 
environs  de  llamm  h  la  bruyère  d'L'ntrop.  Le  reste  de 
l'armée  suivit  le  mouvement  en  appuyant  à  gauche,  le 
prince  héréditaire  au  village  de  W.imbel,  «iianby  à  portée 
du  quartier  général  do  Hilbeck.  Le  11  juillet,  une  confé- 
rence eut  lieu  au  quartier  de  Soubiso  û  laquelle  fut  lu  et 
discuté  un  mémoire  de  Broglie  sur  le  parti  à  j)rcudre.  Ce 
document  (1)  évaluait  le  nombre  de  combatlants  ([ue  l'ad 
versairc  [)ouvait  mettre  en  ligne  :  déduction  faite  du  dé- 
tdollOllUiUl  du  KUblmor,  opposé  aux  Saxons  du  prince 
Xiivler,  dnH  garnisons  de  llameln,  Minden,  Mnnshir, 
Lippstadt  et  des  tr(»upos  du  coilinMilili  iillotl,  l'tii|hiiiM(| 
pouvait  disposer  du  U5.(l0i»  louiuncs,  auxquiils  aplés 
défi\|ci»||iiu  (joH  corps  du  l-iisace  et  de  Ihi  Muj,  les  (JeUx 
nuU'échaux  seraient  en  état  d'opposer  U2  000  cumbotlalits  ; 
il  y  aurait  donc  en  laveur  des  Krauçais  un*!  supériorité  nu- 
mérique de  30.000  soldats,  u  A  cette  conslilération  cpiiest, 
ce  semble,  importante,  s'en  Joint  une  seconde  tirée  du 


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(1)  Mémoire  lu  le  U  juillet  cliez  le  maréchal  de  Soubise.  Archives  delà 
Guerre. 


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86 


LA  OUERRK  DE  SEPT  AMS.  —  CIIAP.  IV. 


pays  dans  lequel  se  passera  l'action,  et  des  troupes  qu'on 
a  à  y  faire  combattre,  (le  ne  sont  [>oint  des  plaines  où 
une  charge  do  cavalerie  décide  de  tout,  et  où  la  supério- 
rité et  la  légèreté  des  manœuvres  gagnent  en  un  mo- 
ment une  bataille,  ('/est  un  pays  fourré,  où  la  meilleure 
iiilanteric  a  beaucoup  d'avantages,  et  dans  lequel,  si  on 
recevait  un  écliec,  ori  peut  arrêter  les  ennemis  à  chaque 
haie.  Ainsi,  si  ou  ne  réussissait  pas  entièrement,  il  sem- 
ble qu'on  n'aurait  i)as  à  craindre  les  suites  qu'entraîne 
une  bataille  perdue.  Mais  il  n'en  est  pas  de  môme  du  prince 
Ferdinand;  s'il  est  battu  dans  la  position  où  il  est,  il  n'a 
de  retraite  que  par  les  ponts  de  llamm.  Il  ne  serait  pas 
possible  que  son  arrière-garde  ne  soulfrlt  extrêmement 
en  les  repassant,  et  si  nous  les  gagnions  devant  lui,  il 
courrait  risque  de  perdre  son  armée  entière.  Ce  que  je 
viens  de  dire  est  si  démontré  (ju'il  n'y  a  personne  dans 
l'arniée  qui  pense  qu'il  ose  hasarder  un  combat  dans 
cette  position,  et  tout  le  monde  est  étonné  qu'il  n'en  soit 
[>as  encore  parti.  » 

Une  diversion  du  cùté  de  l'Ems,  A  en  juger  par  la  con- 
duite tenue  jusqu'alors  par  le  prince,  ne  le  détermine- 
rait pas  à  abandonner  la  rive  gauche  de  la  Lippe  ;  il  était 
donc  nécessaire  d'avoir  recours  à  une  attaque  de  vive 
force  que  justifiaient  l'avantage  numérique,  la  meilleure 
qualité  de  notre  infanterie,  la  nature  des  lieux  et  le 
danger  que  courrait  l'ennemi  en  cas  de  défaite,  alors 
qu'un  échec  pour  l'armée  française  ne  pouvait  avoir  de 
conséquences  graves,  liroglie  se  prononçait  énergique- 
ment  pour  l'oUensive,  mais  subordonnait  son  avis  à  celui 
de  sou  collègue  :  «  Je  demande  (|ue  ceux  que  M.  le  ma- 
réchal de  Soubise  jugera  à  propos  de  consulter  veuillent 
me  donner  les  leurs  par  écrit  et  avant  l'événement,  aiin 
que,  quels  qu'ils  soient,  les  avis  soient  connus  d'avance 
ainsi  que  les  raisons  qui  les  auront  déterminés.  Cela 
mettra  en  même  temps  M.  le  maréchal  de  Soubise  plus 


1 


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llHOdLIE  SI,  PRONONCE  POUR  L'OFFENSIVE. 


87 


M 


en  état  de  se  décider  avec  conuaissanco  de  cause,  et 
commo  il  est  mon  ancien,  a  la  plus  forfe  armée,  et,  étant 
ministre,  a  une  connaissance  plus  grande  de  la  situation 
des  affaires  du  royaume,  de  l'état  des  luîgociatious  et  des 
volontés  du  l{oi,  c'est  ii  lui  d'ordonner;  ce  dont  je  puis 
répondre,  c'est  que,  quel  (jue  soit  le  parti  qu'il  adoptera, 
Je  n'épargnerai  rien  pour  le  faire  réussir.  » 

Avant  d'aborder  le  récit  des  préparatifs  de  la  bataille 
qui  s'annonçait,  essayons  de  nous  rendre  comj)te  du 
théâtre  de  l'action  : 

La  contrée  comprise  entre  la  Roer  et  la  Lippe  est  un 
plateau  vallonné,  dont  le  niveau  général  s'abaisse  à  me- 
sure qu'on  s'approche  de  la  dernière  rivière;  coupé  par 
plusieurs  ruisseaux,  il  présente  une  succession  de  dépres- 
sions et  de  buttes  qui  écourte  les  vues  et  facilite  la  dé- 
fense ;  de  nombreux  hameaux  ceints  de  bois  taillis  et  en- 
tourés de  haies  sont  éparpillés  sur  toute  la  région.  A 
l'époque  de  la  bataille,  la  rareté  des  routes  et  l'éten-iue 
des  surfaces  boisées  et  mal  drainées  interdisaient  l'em- 
ploi de  la  cavalerie  et  s'opposaient  au  déploiemtnt  de 
l'infanterie. 

Pu  rectangle  dont  nous  nous  occupons,  les  points 
extrêmes  sont  au  nord  la  ville  de  Ilamm  et  le  village  de 
llerzfeld,  tous  les  deux  situés  sur  la  Lippe  ;  au  sud  les  villes 
de  Soest  et  d'Hermerden  sur  la  graud'route  de  Dortmund 
à  Soest.  En  dehors  des  deux  rivières,  le  principal  cours 
d'eau  est  le  ruisseau  de  l'Alise  qui  coule  d'abord  paral- 
lèle à  la  Lippe,  s'en  éloigne  à  Oestiiighausen,  reçoit  à  la 
hauteur  du  chAteau  de  Nadel,  où  il  peut  avoir  une  lar- 
geur de  5  mètres,  un  premier  tributaire,  le  Soestbach, 
laissant  :^nr  la  droite  le  renflement  de  DincUerberg  ;  peu 
profond  jr.-que-là,  il  n'est  plus  partout  guéable  à  partir 
de  sa  jonciion  avec  le  Salzbach;  au  delà  du  village  de 
llohenover,  il  se  dirige  de  nouveau  vers  la  Lippe  dans 
laquelle  il  se  jette  à  Hamm. 


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23  WEST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  14580 

(716)  872-4503 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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Dans  le  rectangle  que  forment  la  Lippe  et  lAlise  son 
affluent,  le  terrain,  plat  sur  les  bords  de  La  Lippe,  se 
l'élève  en  pente  très  douce  du  cAté  de  l'Ahse  et  trouve  son 
point  culminant  vers  le  hameau  de  Eilmsen  et  le  village 
de  Dinker.  Entre  ces  deux  localités  et  la  route  de  llamm 
à  Lippstadt  s'étendent,  légèrement  en  contre-bas,  les  ver- 
gers de  Villinghausen  et  de  liilnengbausen  coupés  de 
haies  et  de  bosquets  de  bois  qui  arrêtent  la  vue  et  entra- 
vent Taction  d'ensemble  des  troupes  engagées. 

Deux  châteaux,  avec  murs  et  fo.ssés,  celui  de  Villing- 
hausen et  celui  d'Autepoth,  plus  rapproché  de  la  Lippe, 
pouvaient  ét^'e  utilisés  pour  la  défense. 

Si,  passant  du  nord  au  sud  de  l'Ahse,  nous  remontons 
la  vallée  du  Salzbach,  nous  constatons  que  ce  petit  affluent 
du  premier  est  formé  par  la  réunion  de  deux  ruisseaux  à 
débit  insignifiant  qui  encerclent  la  ville  de  Werl;  la 
dépression  qui  constitue  le  lit  du  Salzbach  n'est  si- 
gnalée que  par  la  ligne  d'arbrisseaux  qui  dessinent  le 
cours  de  l'eau.  En  étudiant  de  près  la  carte,  on  découvre 
des  petites  dill'érences  d'altitude,  mais  sans  être  absolu- 
ment uni,  le  terrain  n'accuse  aucun  accident  entre  les 
villages  de  Ililbeck,  \YambeIn,  Scheidingen  où  était  for- 
mée l'aile  gauche  des  confédérés,  et  le  plateau  de  Bor- 
geln  et  Klotingen  que  devait  traverser  l'attaque  de  Sou- 
biie.  Dans  son  cours  inférieur  et  à  cause  du  relief  de  ses 
berges  couvertes  de  taillis,  le  Salzbach  n'était  franchis- 
sable à  l'artillerie  qu'aux  ponts  de  Scheidingen,  Korte 
iMuhle  et  Neu  Mïihle.  Découvert  dans  les  parages  en  amont 
de  Scheidingen,  le  terrain  devient  plus  coupé  et  boisé 
au  fur  et  à  mesure  que  l'on  s'approche  de  la  jonction 
avec  l'Ahse.  En  somme,  le  théîUre  de  la  lutte  n'offrait  pas 
d'ob'uacles  sérieux,  c'était  surtout  dans  la  région  de 
Kirchmelver  et  de  Villinghausen  un  pays  de  chicane,  par- 
semé de  haies,  de  fossés,  de  boqueteaux  qui  obstruaient 
la  vue  et  devaient  entraîner  une  multitude  de  petits  en- 


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PLAN  D'ATTAQUE. 


80 


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gagements  entre  assaillants  et  défenseurs.  Depuis  Bude- 
rich  aux  environs  de  Werl  jusqu'à  la  Lippe  aux  abords 
de  Villinghausen,  la  distance  i  vol  d'oiseau  était  d'envi- 
ron 18  kilomètres.  De  Scheidingen  au  château  de  Nadel,  il 
faut  compter  en  ligue  droite  7  kilomètres,  et  le  château 
n'était  pas  éloigné  de  Villinghausen  de  plus  de  5  kilo- 
mètres. 

Avec  l'assentiment  de  Soubisc  qui  avait  accepté  le  prin- 
cipe de  l'attaque,  Broglie  produisit  (1)  un  projet  d'exé- 
cution :  l'armée  du  Haut-Rhin,  à  l'exception  des  corps 
laissés  devant  Lippstadt,  s'ébraalerait  d'Eiwette  le  Vl  (2), 
marcherait  entre  le  ruisseau  d'Aest  (Ahse)  et  la  Lippe  et 
camperait  la  droite  à  Ilovestadt  &ar  la  rivière,  la  gauche 
à  Oestinghausen,  son  front  couvert  par  les  avant -gardes 
de  Clauscn  et  de  Belsunce.  Au  corps  de  Condé  était  ré- 
servé le  rôle  de  relier  les  armées  des  deux  maréchaux. 
((  Le  corps  de  M.  le  prince  de  Condé  peut  venir  camper 
le  12  dans  l'après-midi  derrière  le  village  d'Oesting- 
hausen,  y  faire  faire  deux  ponts  sur  la  rivière  d'Aest  et 
ouvrir  sa  marche  jusqu'à  ces  ]>onts  pour  en  déboucher 
le  lendemain  de  grand  matin.  H  faudrait,  je  crois,  qu'il 
eût  4  brigades  d'infanterie  avec  lui.  Ce  corps  appuierait, 
dans  la  marche  du  13  et  dans  l'action,  sa  droite  à  la 
gauche  de  l'armée  du  Haut-Rhin. 

«  Un  autre  corps  de  l'armée  de  Soubise  composé  de 
beaucoup  d'infanterie,  du  canon  et  ([uelques  brigades  de 
cavalerie  viendrait  camper  le  même  jour  12  à  Rorgeln 
pour  relever  M.  de  Belsunce  dans  ses  postes.  Ce  corps 
serait  destiné  à  pénétrer  par  le  grand  chemin  qui  va  à 
Hamm.  Il  faudrait  qu'il  eût  avec  lui  tout  ce  qu'il  faut 
pour  jeter  des  ponts  sur  l'Aest  et  qu'on  établit  dans  la 


(1)  Projet  d'altixiue  pour  marcher  au  prince  Ferdinand,  13  juillet  1761. 

(2)  Les  inouvenienls  prévus  pour  le  12  ne  furent  exé';utés  que  le  15  juillet. 
Archives  de  la  Guerre. 


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90 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


nuit  beaucoup  tic  canon  sur  le  bord  de  cette  rivière  pour 
favoriser  à  la  pointe  du  jour  la  construction  des  ponts 
de  l'Aest  à  Hamm  ;  on  dit  le  chemin  beau,  et  que  le 
pays  s'ouvre,  il  faut  donc  une  vingtaine  d'escadrons. 
Cette  colonne  joindra  par  sa  gauche,  lorsqu'elle  aura 
passé  l'Aest,  le  corps  de  M.  le  prince  de  Condé. 

«  On  dirigeroit  une  autre  colonne  sur  Scheidingen  ; 
comme  le  pays  est  fourré,  il  faut  de  l'infanterie,  et  comme 
cette  colonne  re  communiquera  peut-être  pas  avec  celles 
de  sa  droite,  il  est  nécessaire  qu'elle  ait  de  la  consistance 
par  elle-même.  Il  faudra  qu'elle  ait  du  canon  avec  elle, 
le  plus  gros  que  le  pays  permettra  d'y  conduire.  Il 
faudra  aussi  y  joindre  le  la  cavalerie,  M.  le  maréchal  de 
Soubise  s'est  chargé  de  faire  reconnaître  le  trajet  de  cette 
colonne. 

«  Pour  occuper  l'ennemi  à  son  front  et  sur  sa  droite, 
on  pourra  former  deux  colonnes  (jui  auront  quelque  infan- 
terie à  leurs  tètes  et  le  reste  en  cavalerie  ;  une  pourra  se 
diriger  sur  Niederbergstrass  ou  Oberbergstrass,  suivant 
qu'on  y  trouvera  le  plus  ou  le  moins  de  facilité.  Une 
autre  semble  devoir  être  dirigée  sur  Werl.  Il  faudra 
mettre  à  la  tète  un  régiment  de  troupes  légères  qui,  sui- 
vant les  circonstances  et  les  mouvements  que  feront  les 
ennemis,  avancera  ainsi  que  les  colonnes  plus  ou  moins 
vivement,  mais  sans  se  compromettre  trop,  elle  se  placera 
de  façon  à  occuper  l'aile  droite  des  ennemis.  Comme  il 
restera  encore  beaucoup  de  cavalerie  inutile,  il  semble 
qu'on  pourrait  envoyer  mille  ou  douze  cents  chevaux  sur 
les  hauteurs  de  Rhume  qui  auraient  l'air  de  se  diriger  sur 
Blumenthal  et  conséquemment  aux  mouvements  que  ferait 
la  colonne  du  grand  chemin  de  Werl,  ils  s'avanceraient 
toujours  sur  sa  gauche  et  à  hauteur  d'elle,  de  façon  à 
déborder  toujours  les  ennemis.  » 

Enfin,  Voyer,  avec  deux  régiments  de  dragons  et  les 
Fischer,  devait  se  joindre  dans  la  nuit  du  12  au  13  aux 


Vl.\îi  ADOPTÉ  AU  (  ONSEIL  DU  13  JUILLET. 


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troupes  commandées  par  Croy,  gagner  par  llermerden  et 
Hullake  la  chaussée  de  Werl  à  Ilamm,  pousser  des  déta- 
chements nombreux  sur  cette  dernière  ville  et  faire  le 
plus  de  démonstrations  possible  sur  la  ligne  de  retraite 
de  l'ennemi,  «  Cette  diversion  étant  de  la  plus  grande  im- 
portance et  comme  llamm  est  le  seul  point  do  retraite  des 
ennemis,  les  inquiétudes  qu'on  pourrait  leur  donner  de 
ce  côté-là  devant  être  des  plus  vives,  rien  n'est  plus  essen- 
tiel que  de  faire  pour  cela  les  derniers  efforts. 

«  En  suivant  cette  disposition,  il  restera  encore  de  l'in- 
fanterie qui  ne  sera  pas  employée,  je  crois  qu'il  faut  en 
mettre  en  réserve  auprès  de  lîorgeln,  au  pont  de  l'Aest  et 
à  ceux  d'Oestinghausen,  afin  le  soutenir  et  renforcer  au 
besoin  si  on  pénètre  et  qu'on  batte  les  ennemis  ou  pour 
assurer  la  retraite  si  on  y  était  forcé  ;  il  faudra  laisser  du 
canon  pour  la  protéger  et  faire  remuer  un  peu  de  terre 
auprès  des  ponts  pour  mettre  en  sûreté  ceux  qui  seraient 
chargés  de  les  rompre  en  se  retirant  :  il  faudra  aussi  des- 
tiner de  l'infanterie  pour  la  garde  de  Soest.  » 

Le  13  juillet  au  matin,  le  maréchal  de  Soubise  réunit 
chez  lui  (Ij  les  principaux  personnages  des  deux  armées; 
après  lecture  et  discussion  d^  la  pièce  que  nous  venons 
de  reproduire  ou  d'analyser,  Soubise  «  se  déiermina  pour 
le  parti  de  chercher  ù  attaquer  les  ennemis  s'ils  ne  repas- 
saient pas  la  Lippe,  et  comme  son  armée,  par  la  première 
position  qu'il  avait  prise  le  jour  do  son  arrivée  à  Soest, 
se  trouvait  trop  éloignée  pour  pouvoir  partir  de  là  pour 
l'attaquer,  il  lui  fit  faire  hier  un  mouvement  par  lecjuel 
il  a  porté  sa  droite  vers  le  village  de  Paradies  et  sa  gauche 
aux  hauteurs  de  Rhume,  ce  qui  la  rai)proche  beaucoup 
de  Werl  et  par  conséquent  de  la  droite  des  ennemis  ». 
Au  cours  de  la  journée  du  14,  Soubise  fit  (2)  une  recon- 

(1)  Broglie  à  Choiseul,  Soest,  14  juillet  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Broglie  à  Choiseul,  Soesl,  14  juillet  17G1,  p.  s.  G  heures  du  soir.  Archi- 
ves de  la  Guerre. 


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LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  iV, 


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naissance  qui  le  décida  à  avaucei-  son  corps  d  armée  vers 
le  ruisseau  de  l'Ahse  et  la  ville  de  Werl.  De  son  côté, 
Broglie  donna  ordre  à  ses  divisions  campées  à  Erwette  de 
se  mettre  en  marche  le  15  au  matin  :  «  Toutes  les  troupes 
de  l'armée  du  Haut-Ilhin,  écrit-il  (1),  qui  sont  destinées 
à  joindre  celle-ci  camperont  demain  entre  l'Aest  et  la 
Lippe  vers  Ulti'op  et  nous  verrons  à  nous  emparer  du  cliA- 
teau  de  Nadel  et  à  nous  y  établir.  Ce  mouvement  décidera 
sûrement  les  ennemis  à  repasser  la  Lippe  s'ils  ont  dessein 
de  le  faire  et  en  ce  cas  nous  mettra  plus  à  portée  de 
serrer  leur  arrière-iiarde.  Si,  au  contraire,  ils  s'opiniîUrcnt 
à  rester  dans  la  position  où  ils  sont,  *ela  nous  donnera 
des  facilités  pour  la  bie:i  connaître.  » 

Évidemment,  le  prince  Ferdinand,  en  se  refusant  à 
passer  la  Lippe,  se  mettait  en  contradiction  avec  les  prin- 
cipes de  la  guerre,  tels  que  les  concevaient  les  généraux 
françaic,  mais  n'ayant  pu  le  décider  à  la  retraite  par  leurs 
manœuvres,  il  devenait  nécessaire  de  le  contraindre  par 
la  force. 

Malgré  les  projets  adoptés  et  les  arrangements  si  mû- 
rement discutés,  le  mouvement  oflensif  fut  imparfaite- 
ment combiné  et  mal  exécuté. 

Un  officier  distingué  de  l'armée  de  Soubise,  le  comte 
Lancelot  Turpin,  donne  dans  une  lettre  (2)  au  prince 
Xavier  de  Saxe  un  aperc^'U  de  la  situation  :  «  Il  faut  que 
je  sois  une  bête,  puisque  toutes  mes  idées  relativement  à 
ce  qui  pourrait  obliger  M.  le  prince  Ferdinand  à  passer 
la  Lippe,  se  sont  trouvées  fausses,  car  les  deux  maréchaux 
ont  agi  différemment.  »  Turpin  raconte  une  reconnais- 
sance pendant  laquelle  le  village  de  Buderick  fut  occupé, 
puis  évacué  :  «  Quand  les  ennemis  ont  vu  que  ces  troupes 

(1)  Broglie  à  Ctioiseul,  Oestinghausen,  16  juillet  1761.   Archives  de  la 
Guerre. 

(2)  Turpin  aa  comte  de  Lusace,  Ober  Ense,  14  juillet  17GI.  Manuscrits  de 
M.  d'Eschevaux. 


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DERNIERS  PREPARATIFS. 


93 


se  retiraient,  ils  ont  retendu  leur  camp  dans  la  même 
position  où  ils  étaient  hier,  et  malgré  ma  bùtise,  je  suis 
sûr  qu'ils  resteront  dans  la  même  position  et  ne  songeront 
point  à  repasser  la  Lippe  tant  qu'ils  ne  craindront  point 
pour  leurs  derrières.  Le  prince  Ferdinand  est  opiniAtre  et 
(juand  on  ne  lui  démontre  point  les  choses  très  évidem- 
ment, il  a  la  manie  de  ne  pas  les  croire  ;  il  est  pyrrho- 
nicn  en  diable.  » 

Les  troupes  du  camp  d'Erw«>tte  arrivèrent  de  bonne 
heure  le  t5  aux  environs  d'Oestinghausen.  Broglie  leur 
fit  manger  la  soupe  et  alla  conférer  (1)  avec  Soubise.  Les 
rajjports  reclus  par  ce  dernier  «  disaient  tous  que  le  prince 
Ferdinand  avait  marché  par  sa  droite  et  repris  le  pre- 
mier camp  qu'il  avait  occupé  lorsqu'il  était  arrivé  le  7  ». 
Voici,  d'après  Broglie,  ce  qui  fut  convenu  :  «  Nous  rai- 
sonnâmes beaucoup  là-dessus  avec  M.  le  maréchal  de 
Soubise,  M.  de  Chevert,  M.  votre  frère,  M.  de  Castries  et 
M.  de  Bourcet  et  il  fut  convenu  que  je  ferais  attaquer  le 
même  jour  15  par  M.  votre  frère  avec  les  grenadiers  de 
France  et  Royav:  et  l'avant-garde  de  M.  de  Belsunce  le 
château  de  Nadel,  que  celle  aux  ordres  de  M.  de  Ciozen 
s'emparerait  du  village  de  Filinckhausen  et  s'y  établirait, 
et  que  l'armée  du  Haut-Rhin  camperait  à  IJltrop.  Pour 
favoriser  ce  mouvement  et  mena  ;er  les  ennemis  par  plu- 
sieurs points,  M.  le  maréchal  de  Soubise  me  parut  déter- 
miné à  faire  camper  des  troupes  vis-à-vis  Scheidingcn 
dans  la  bruyère  et  à  donner  de  l'inquiétude  aux  ennemis 
sur  Ncumiihl,  Kochmuhl  (Kortemïdil)  et  sur  leur  droite. 
Je  me  suis  mis  en  marche  à  5  heures  sur  trois  colonnes.  » 

Voyons  maintenant  la  version  de  Soubise  :  «  Le  15(2), 
l'armée,  par  une  marche  en  avant,  alla  camper  la  droite 


la 


(1)  Broglie  à  Choiseul,  Oestinghausen,  16  juillet  1701.  Archives  de  la 
Guerre. 

(>)  Bulletin  (le  l'armée  du  maréchal  de  Soubise  du  13  au  18  juillet  1701, 
Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IV. 


au  villaf?e  de  lleulket,  la  ijauche  en  avant  de  celui  d'O- 
berher.strass,  se  liant  par  la  réserve  de  M.  le  prince  de 
Condé  à  l'armée  de  M.  le  maréchal  de  Broglie  qui  vint 
camper  à  Oestinghausen.  Ce  môme  jour,  on  replia  encore 
des  postes  qu'ils  avaient  remis  en  avant,  l'on  Ht.  quelques 
prisonniers  qui  déposèrent,  ainsi  que  les  déserteurs,  que 
M.  le  prince  Ferdinand  n'avait  point  quitté  sa  position  et 
qu'il  avait  au  contraire  beaucoup  renforcé  sa  droite  en 
arrivant  sur  Scheidingen  ;  on  était  si  près  de  l'ennemi  qu'il 
fut  aisé  de  juger  la  vérité  de  ces  diflerents  rapports  et  l'on 
sut  même  qu'il  n'avait  laissé  à  sa  gaucho  que  15  régi- 
ments anglais  et  un  de  Brunswick  aux  ordres  de  milord 
Granby.  »  A  en  juger  par  le  passage  suivant,  il  ne  s'a- 
gissait que  de  manœuvres  préparatoires  :  «  La  journée 
du  16  étant  destinée  à  forcer  de  la  droite  à  la  gauche  les 
postes  que  les  ennemis  avaient  sur  la  rive  droite  du 
ruisseau,  et  à  se  mettre  en  état  de  reconnaître,  concerter 
et  fixer  les  attaques  ultérieures,  l'armée  prit  les  armes 
à  la  pointe  du  jour.  » 

Citons  enfin  un  billet  de  Soubise  au  prince  de  Condé 
écrit  aussitôt  la  séance  levée  :  «  L'armée  va  se  mettre  en 
marche  pour  s'approcher  du  ruisseau.  Les  ennemis  pa- 
raissent avoir  renforcé  leur  droite...  M.  de  Broglie  est 
chez  moi;  il  monte  à  cheval  et  se  porte  à  Oestinghausen. 
Vous  ferez  bien  de  vous  y  rendre  au  galop  et  vous  aurez 
bientôt  arrangé  vos  affaires.  Je  vous  envoie  la  brigade  de 
Lyonnais  avec  M.  de  Brébant.  »  La  conférence  des  deux 
maréchaux  s'était  terminée  à  midi;  Broglie  alla  rejoindre 
son  armée. 

Nous  reviendrons  sur  un  malentendu  dont  les  suites 
eurent  une  répercussion  des  plus  fâcheuses  sur  le  combat 
qui  allait  s'engager  et  sur  l'ensemble  des  opérations  de 
la  campagne  ;  pour  l'heure,  contentons-nous  de  raconter 
les  faits  de  la  soirée  du  15  et  de  la  matinée  du  16  juillet. 
Ferdinand  s'attendait  à  une  attaque  de  la  part  des  deux 


DISPOSITIONS  PRISES  PAR  FERDINAND. 


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maréchaux  frain.ais,  mais  ne  sachant  encore  sur  «[ucl 
point  elle  s'cU'ectucrait,  il  avait  réparti  àon  monde  d'après 
l'importance  des  fractions  de  hi  masse  qu'il  avait  devant 
hii.  Le  gros  de  son  armée  (1)  occupait  depuis  hî  village 
de  Kuderich,  près  du  hourg  de  Werl  à  5  kilomètres  de  la 
Roer,  jusqu'à  la  granu  route  de  Soest  à  Ilamcn  parallèle 
à  la  Lippe,  une  ligne  irréi^ulière  de  17  à  IH  kilomètres. 
L'extrême  droite,  l'infanterie  du  général  Kielmansegge, 
qui  était  aux  ordres  du  prince  héréditaire,  était  postée 
entre  les  hameaux  de  Ilausberg  et  de  Hudherg  derrière 
les  ruisseaux  de  Landwehrbach  et  de  Salzbach,  face  à 
Werl  et  surveillant  la  direction  de  Hemmerde.  Les  autres 
divisions  du  prince  commandées  par  liarthels  et  Bose  s'é- 
chelonnaient depuis  Sonnern  jusqu'aux  abords  de  Wam- 
beln;  derrière  elle  en  seconde  ligne  se  trouvait  la  cava- 
lerie de  Bock. 

Au  centre,  se  tenait  l'infanterie  de  Conway  et  une  bri- 
gade de  Ho^vard  derrière  le  ruisseau  de  Salzbach  ayant 
devant  elle  le  village  de  Scheidingen.  Sur  la  crête  on 
avait  placé  dos  batteries  d'artillerie  et  une  réserve  de  ca- 
valerie. A  gauche  de  Howard,  le  prince  d'Anhalt  pro- 
longeait la  ligne  eu  passant  par  lUingen,  Cortemiihle  sur 
le  Salzbach  et  Sud  Dtlncker  jusqu'au  confluent  du  ruis- 
seau avec  l'Ahse.  Au  total,  les  confédérés  chargés  de  la 
défense  du  pays  entre  l'Ahse  au  nord  et  la  Uoer  au  sud 
comptaient  kS  ou  50  bataillons  et  i/i.  escadrons,  soit,  avec 
l'artillerie,  3G  à  37.000  hommes  et  environ  ÛOO  pièces  y 
compris  les  pièces  régimentaires.  ' 

De  l'autre  côté  de  l'Ahse  était  établi  Wiitginau  aux 
abords  des  villages  de  Nord  et  de  Kirch  Diincker,  La 
gauche  du  prince  Ferdinand  était  formée  du  corps  de  Lord 
(îranby,  l'artillerie  et  l'infanterie  en  première  ligne  sur 
le  Dunkerberg,  la  cavalerie  en  réserve,  deux  bataillons 

(1)  Westphalen,  V,  p.  595. 


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96 


LA  GUEUIIK  Dli  SEPT  ANS.  -     CIIAP.  IV. 


(rirn-gniicrs  dans  le  village  de  Viiliughausen  et  dans  les 
tranchées  environnantes.  (Iranby  et  Wiitginau  avaient  sous 
leurs  ordres  19  bataillons,  1!)  escadrons  et  des  troupes 
légères,  soit  environ  15.000  combattants  et  00  canons, 
dont  30  de  parc.  A  portée  du  champ  de  bataille,  mais  sur 
la  rive  droite  de  la  Lippe  à  Herzfeld,  était  campé  Spor- 
ckeu  avec  une  dizaine  de  mille  hommes. 

La  journée  du  15  juillet  s'écoula  tranquille,  ce  ne  fut 
qu'à  k  ou  5  heures  (l)  de  l'après-midi  que  Broglie  fit  com- 
mencer le  mouvement  en  avant.  Il  s'eirectua  en  trois  co- 
lonnes sous  la  direction  générale  de  Stainville;  celle  de 
gauche  conduite  par  Belsunce  ne  rencontra  pasgrande  résis- 
tance ;  elle  s'empara  presque  sans  lutte  du  chAtaau  de  Nadel 
et  de  sa  petite  garnison  de  100  liomines.  Iln'en  l'ut  pas  de 
même  pour  la  colonne  de  droite  qui  devait  s'établir  dans 
le  village  de  Villinghausen  cù  les  avant-postes  anglais, 
contrairement  à  ce  qui  s'était  passé  lors  des  reconnaissances 
des  jours  précédents,  refusèrent  de  céder  le  terrain.  Bro- 
glie était  aux  abords  de  Nadei  :  «  Comme  j'en  approchais, 
écrit-il (2j,  j'entendis  un  très  grand  feu  du  côté  de  M.  de 
Closen,  ce  qui  m'engageade  m'y  porter  au  galop.  Je  trouvai 
qu'il  avait  fait  attaquer  le  village  par  M.  de  Saint- Victor, 
qu'il  l'avait  soutenu  avec  les  régiments  de  Nassau  et  de 
Deux-Ponts  et  les  bataillons  de  grenadiers  et  chasseurs 
d'Auvergne  et  de  Poitou,  et  l'avait  emporté  ainsi  qu'un 
abattis  que  les  ennemis  avaient  fait.  Il  me  fit  demander 
de  lui  envoyer  des  troupes,  les  ennemis  l'ayant  rattaqué 
très  vivement,  et  j'y  fis  marcher  la  brigade  de  Dauphin 
de  la  division  de  M.  de  Guerchy  qui  s'y  porta  lui-même 
avec  elle.  J'y  conduisis  ensuite  moi-même  le  régiment  du 
Uoi,  et  j'y  lis  entrer  une  quinzaine  de  pièces  de  canon  du 
parc.  Les  ennemis  rattaquèrent  à  diil'érentes  reprises  avec 

(1)  La  première  déiiéclie  de  Broglie  du  16  dit  5  lieures,  la  relation  posté- 
rieure parle  de  4  heures. 

(2)  Broglie  à  Choiseul,  Oestinghausen,  IG  juillet  1761.  Lettre  déjà  citée. 


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MLMNfilIAUSUN  i:ST  KNLEVK  PAR  LES  FRANÇAIS. 


97 


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un  f«Hi  do  canon  et  de  ni<)US(|ii('tcrie  des  plus  vifs  auquel  il 
fut  parraiteiiieut  répondu  de  notre  part.  Il  ne  cessa  qu'a- 
près que  la  unit  lut  fermée Les  ennemis  se  retirèrent 

à  quel(]ue  distance  du  villag<;  et  nous  laissèrent  '.\  pièces 
de  canon.  »  D'après  la  relation  de  Westplialon,  compulsée 
d'après  les  documents  allemands,  la  lutte  fut  acharnée 
pour  la  posscs^ion  du  cliAteau  d'Autepoth  situé  entre  la 
chaussée  dlIJMiim  et  la  rivière  de  la  I..ippe;  les  Fran<,'ais 
cherchèrent  à  percer  de  ce  côté,  mais  furent  repoussés 
grAce  à  l'intervention  de  WiUginau  (jui,  sur  l'ordre  du 
prin"c  Ferdinand,  après  avoir  renforcé  de  deux  bataillons 
la  ligne  de  (Jranby,  s'était  porté  avec  le  reste  de  sa  divi- 
sion A  l'e.vtrènicgauchcdu  front  d'attaque.  A  Villinghausen, 
tous  les  efforts  de  (iranhy  pour  recon(jué"ir  le  village  et 
le  chAteau  avaient  échoué  et  force  avait  été  au.\  Anglais 
de  se  retirer  sur  les  crêtes  qui  dondnent  de  quelcjues 
mètres  le  village.  Le  prince  Ferdinand,  dès  les  premiers 
avis,  s'était  rendu  sur  le  lieu  du  conjhat;  il  ne  s'était  pas 
contenté  de  faire  entrer  en  ligne  la  division  Wiitginau, 
mais  il  avait  resserré  son  armée  sur  sa  gauche,  lanienc 
le  prince  d'Auhalt  avec  une  partie  de  la  grosso  artillerie 
sur  Kircli  lUinckcr,  à  la  droite  de  Granhy;  il  avait  de 
plus  fait  passée  les  divisions  Howard  et  Conway  sur  la 
rive  droite  de  l'Ahsc  où  elles  devaient  renqilacer  le  prince 
d'Anhalt  à  Hligen  et  lIohenov(n';  lo  colonel  de  (irafendorf 
fut  détaché  avec  deux  bataillons  î  Kirch  Diinckcr  pour 
fermer  et  barricader  ce  village  et  pour  empêcher  l'en- 
nemi de  [)ercer  sur  ce  point;  le  gros  de  l'artillerie  dut 
soutenu'  les  corps  de  (Iranby  et  Wiitginau.  Enfin,  Spor- 
cken  fut  invité  à  détacher  (>  l>;i taillons  et  G  escadrons 
sous  le  général  Wollfau  secours  do  Wiitginau  à  l'extrême 
gaucho,  (les  oi'dres,  oxpédiés  \ors7  heures  du  soir,  l'uront 
exécutés  dans  la  nuit. 

l»ei)ortons-nous  aux   états-majors    français   et  voyons 
quelles  mesures  avaient  été  prises  pour  assurer  et  déve- 
(jiEniii;  i)i:  ski-ï  ans.  —  t.  \.  7 


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88 


r-A  C.IIKRUE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


1)1 


loppcr  lo  (Icmi-succôs  remporté  par  |{rogli(î,  Colui-ci, 
p(ui  avant  la  ccssulioii  du  feu,  avait  rcU^v^;  les  (U'îlonsours 
(le  Villinghauson  pai'leshrigndcs  fraîches  de  Rongé  el  d'A- 
quitaine de  la  division  du  due  d'ilavré.  (](!ttc  précaution 
indiquait  l'intention  de  se  maintenir  sur  le  terrain  concpiis  : 
((  Il  était  très  avantageux,  rapporte  le  commandant  de 
l'aile  droite,  de  me  soutenir  dans  la  possession  de  ce  village 
par  sa  [jroximité  de  llamm  et  du  p<jint  de  retraite  des  en- 
nemis. Cela  joint  il  la  persuasion  où  j'étais  que  M.  le 
niaréchnl  de  Soubise  avait  campé  ce  jour-là  des  houpes 
devant  Sclieidingen  et  des  sujets  d'inquiétude  (pi'il  don- 
nerait de  grand  matin  aux  ennemis  sur  plusi(uirs  points 
de  leur  front,  me  détermina  a  ne  point  l'abandonner, 
ne  doutant  point  que  dès  (qu'ils  auraient  lieu  de  craindre 
d'être  attaqués,  ou  le  seraient  réellement  en  plusieurs  en- 
droits, ils  ne  halai  liassent  à  me  rattaquer  dans  le  villaiie.  » 
L'énergie  que  Ferdinand  mit  à  la  rejn'ise  de  Villinghausen 
prouve  la  valeur  stratégiijue  de  ce  point  et  justifie  le  désir 
de  Hroglic  de  conserver  sa  conquête. 

Au  courant  de  l'après-midi  du  15  juillet,  [)lusieurs 
lettres  avaient  été  échangées  entre  les  deux  maréchaux  ; 
elles  constituent  un  important  élément  dans  le  débat.  Un 
premierbillet  de  Soubise  (1)  écrit  à  Klatine,  à  3  kilomètres 
de  Scbcidingen,  est  daté  de  3  heures  :  l'armée  confédérée 
s'étend  au  delà  de  Werle  «  dont  le  clocher  parait  à  hau- 
teur de  la  gauche  de  leur  droite.  Dans  cette  position,  les 
colonnes  que  je  fais  avancer  ici  sur  les  points  d'attaque  de 
Cornmidil  et  de  Scheidingon  vont  se  trouver  déborder  les 
ennemis  ».  Le  prince  se  préoccupe  de  sa  gauche  :  «  Selon 
ce  que  vous  trouverez  devant  vous,  j'imagine,  Monsieur 
le  Maréchal,  que  vous  irez  plus  ou  moins  loin;  et  comme 
l'armée  des  ennemis  parait  s'être  totalement  portée  sur  sa 
droite,  M.  le  prince  de  Condé  ne  nous  deviendra  d'aucune 


(1)  Soubise  ùBio^lie,  Klatine,  15  juillet  17(JI,  Shcures.  Papit-rs  de  llrogljp 


'iXi     ! 


(;(>IUIKS1'0M>\N('K  AVKC  roNi.E  l-K  ir.. 


0» 


utilité.  Ne  jufçernz-voiis  pas  à  propos  do  le  l'ajiproclier  do 
notre  droite?  >  Dans  un  post-scripluin,  Sonl)is(î  conlirnie 
SCS  impressions  :  -  Par  les  nouvelles  «pie  Je  roeois  à  l'ins- 
tant de  l'abbaye  de  NVelveren,  on  m'ussure  (jue  les  enne- 
mis se  retirent  «levant  vous;  je  le  (b'sire,  Monsieur  leMuré- 
cbal,  ot  nïon  impatience  redouble  à  eliatpie  instant;  u; 
serni  à  la  petite  pointe  «In  jour  et  [>lus  tôt  stdon  ce  «[ue 
j'a|)pren«lrîii  [)endant  bi  nuit  à  portée  de  Scbeidingen 
et  de  (lornmiibl  poui-  ne  [loint  perdre  de  vue  les  ennemis, 
([uel(pio  paiti  (juils  prennent.    » 

Soubisc;  «'écrivit  dans  le  même  sens  à  Condô  ;  de  son 
eôté,  ce  dernier  informa  {f  )  llroyliecpi'il  campait  encore  à 
Nadel  et  Krewiidvel.  et  cpi'ii  altencb'ùt  des  ordres  poiu'  le 
lendemain.  A  la  «b'îpècbe  de  son  colb^'yuc  reçue  à  H  inuires 
broi;ilio  ré()ond  (2  ;i  10  ii.  1  2  du  soir  :  il  rend  com[»to  des 
incidents  de  la  journée  et  explique  les  circonstances  <[ui 
ont  amené  l'occupation  de  Villin,i;h'a.seu  :  '  La  -V  (co- 
lonne) dont  M.  de  CJozcn  avec  son  avant-yarde  avait 
la  tête,  s'est  i)ortée  au  village  de  Villingbausen,  dont  il 
était  absolnujent  nécessaire  de  gai;ner  la  tète  pour  pou- 
voir connaître  la  force  des  ennemis  et  avoir  la  vue  sur  un 
pays  un  peu  plus  découvert.  »  Il  raconte  les  pliases  du 
combat  et  conclut  :  «  Il  est  vraisemblable  (jue  si  le  parti 
des  ennemis  est  pris  «le  rester  dans  la  position  qu'ils  oc- 
cupent, ils  la  renforceront  beaucoup  sur  leur  gauche  et 
ils  chercheront  à  mius  repousser  du  village  dont  nous 
nous  sommes  emparés.  Et  supposé  «pi'ils  cuss«;nt  eu  le 
dessein  d'attaquer  votie  gauche,  il  est  certain  que  cela 
aurait  dérangé  c«'  projet.  Je  croirais,  en  conséquence, 
qu'il  est  indispensable  que  M.  le  prince  «le  Condé  me  joi- 
gne demain  avant  le  joui'  et  je  pren«lssur  moi  de  le  prier 


(1)  Condi'A  Hroglic,  Zwn.skaiist'ii,  15  juillet  ITCI,  C  h.  1/2.  Papiers  du  Hro- 
glie. 

(2)  Bro^lie  à  Soubise,  Ullrop,  ir>jiiillel,  lo  h.  i  2  du  soir.  Pa|tiers  de  Hro- 
«lie. 


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100 


LA  OrERIU-:  DK  SEPT  ANS. 


Cil  A  P.  IV. 


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de  le  faire.  Il  fati'lra  le  loirc  remplacer  au  oliAtoau  tl'Olil 
et  vis-à-vis  celui  de  iNadel  »  Un  billet  adressé  au  piince  (1) 
de  Condé  à  la  même  heure,  10  h.  ij'î  du  soir,  contient 
les  instructions  annoncées  et  le  prie  de  prendre  les  me- 
sures nécessaires  pour  relever  Stainville  appelé  au  se- 
cours de  Clausen  :  ><  Il  s'agit  de  voir  ce  qui  arrivera  de- 
main matin.  J'aurai  l'honneur  de  voir  Votre  Altesse  de 
très  bonne  heure.  Je  la  supplie,  en  attendant,  de  mettre 
tout  en  ordre  dans  cette  partie.  Il  est  nécessaire  qu'elle 
ait  la  bonté  d'envoyer  sur-le-champ  un  officiel  si'ir  pour 
reconnaître  le  chemin  et  d'aller  tout  de  suite  renq)lacer 
M.  Je  comte  de  Stainville,  en  observant  cependant  de  ne 
faire  passer  à  votre  cavalerie  le  ruisseau  de  l'Aest  que 
demain,  lorsque  le  jour  vous  permettra  de  la  voir  bien 
passer.  » 

Tard  dans  la  soirée,  ou  pendant  la  nuit,  Broglie  reçut 
une  lettre  de  Soubise  (2)  datée  du  camp  de  SchweiflPe  : 
((  J'attends  avec  l'impatience  que  vous  pouvez  iuiaginer, 
Monsieur  le  Maréchal,  les  nouvelles  de  votre  journée.  La 
canonnade  a  été  si  vive  et  a  duré  si  longtemps  que  vous 
devez  avoir  trouvé  de  grands  obstacles.  »  Vis-à-vis  de  lui 
la  position  de  l'ennemi  n'a  pas  chang-é  :  «  Nous  voyons  la 
gauche  (de  son  aile  droite)  finir  i)rès  de  Scheidingen.  Les 
troupes  qui  campent  ici  avec  moi  ont  leur  gauche  en 
avant  de  Niderstrats  (Niederbergstrass)  et  la  droite  à 
Eiucke.  M.  de  Conflans  est  dans  l'abbaye  de  Welvercn; 
mon  rég'iment  soutenu  des  dragon,-  dans  les  haies  près  de 
Scheidingen...  Quand  j'aurai  de  vos  nouvelles,  je  me  pré- 
parerai à  exécuter  ce  dont  nous  conviendrons  et  ce  que 
nous  croirons  de  mieux  a  faire  dans  les  cireonsiances  où 
nous  nous  trouvons.  Je  compte  sur  le  retour  d'un  de  mes 
aides  de  camp  pendant  la  nuit.  Si  vous  jugez  à  pioposd>3 


glie. 


(1)  Broglii'  à  Condt',  Ulti  «p,  15  juill(!t,  10  li.  1  2  du  soir.  Papiers  de  Bio- 


(2)  Soubise  à  Broglie,  Sciiweifft',  ISjuiliot  1761.  P&piers  de  Hioglle. 


4AtWN^i*Ali«W^-'w»t«iik— W 


souiiisE  i;;/r  iNDiyjis. 


101 


me  donner  un  ren<lez-\ous,  je  ne  manquerai  pas  de  m'y 
trouver  exactement.  Il  ne  s'est  rien  passé  à  la  gauche  de 
l'armée.  M.deViomesnil  est  venu  me  parler  de  la  part  de 
M.  de  Voyer.  Il  n'a  point  trouvC  d'ennemis  dans  les  bois 
deSchaffausen.  M  de  Voyer  est  sur  les  hauteurs  d'Ihina, 
il  occupe  la  ville  et  se  lieiit  prêt  à  déboucher  sui-  les 
ennemis  au  moment  du  coud)at  ou  de  leur  retraite.  »  Un 
peu  phis  taid  dans  la  soirée  Soiibise  avait  miuiU'  à 
Condé  (l)  rin([niétude  que  lui  causait  le  nKuupie  de 
nouvellet-  :  «  Les  enuemis  n'ont  point  bougé  devant  nous. 
Leur  droite  s'étend  beaucoup  au  delà  de  Werle,  leur 
gauche  finit  A  Scheidengen...  M.  de  Neuvic  arrive  et  m'ap- 
porte votre  lettre  de  (i  heures.  Je  crois  ([ue  l'attaque  est 
très  vive  et  j'espère  le  succès — le  vous  ai  mis  à  votre  aise, 
soumettant  toujours  "-"  que  je  proposais  aux  circonstances 
qui  se  passeraient  à  portée  de  vous.  » 

A  3  heures  du  matin  le  1(5,  Soubisc  accuse  réception  de 
la  lettie  de  Uroglie  ('2  expédiée  à  10  h.  12  la  veille  et  qui 
avait  mis  'i  h.  1/2  pour  lui  [);irveiiir.  Soubise  int'ornu»  son 
collègue  qu'ordre  est  donné  à  iJumesnil  «  de  pousser  des 
détachements,  de  les  soutenir  et  de  l'aire  toutes  les  dé- 
monstrations qui  peuvent  attirer  l'attention  des  ennemis 
et  les  contenir,  s'il  ne  peut  faire  mieux  ».  Voyer,  (|ui  a 
été  mis  au  courant  dès  la  veille  de  la  prise  de  Villing- 
hauscn,  est  invité  «  à  atta(pier  les  ennemis  et  à  faire  au 
moins  une  diversion  ».  Le  maréchal  prince  ajoute  :  «  .le 
vais  de  ma  personne  n;;-  porter  à  mes  tnmpes  avancées 
près  Scheidingen  et  Kornmidd  ;  je  feriii  tout  ce  (|ui  dé- 
pendra de  moi;  mais  si  les  ennemis  tiennent  la  même  po- 
sition et  si  leur  camp  est  toujours  aussi  proche  du  village 
de  Scheidingen.  il  me  s^ra  difticile  de  m'y  scuteuir.  En- 


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(1)  Soiil)iso  à  Condé,  Schwo'fl'e,  l.î  juillet  1701.  Papiers  de  Cleiinonl.  Ar- 
chives (le  la  C lierre. 

(2)  Soiibise  à  IJro^lie,  10  juii!«l  1701,  3  heures  du  malin,  l'apiersde  Bro- 


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LA  GUKIUIE  DE  SEl'T  AMs.  —  CIIAP.  IV. 


fin,  M.  le  Maiéclial,  je  vais  tout  tenter  pour  l'aciliter  votre 
atta(|uc  et  lAclîer  de  la  faire  l'éussir.  »  La  lettre  se  ter- 
mine par  l'avis  ([ue  la  l)rigade  de  Lyonnrtis  était  partie 
«  pour  se  rendre  en  droiture  au  cli.^teaud'OliloudcNadel  » 
pour  rejoindre  le  piince  de  Coudé. 

Pendant  que  Soumise  hésitait  à  s'en.g'agcr  à  fond  et 
semblait  attendre  de  nouveaux  avis  ou  une  nouvelle 
conférence  pour  fixer  les  opérations  de  la  journée,  les 
confédérés,  sous  l'énergique  impulsion  de  Ferdinand,  re- 
commençaient la  lutte  autour  de  Villinghausen.  Sous  le 
couvert  de  l'obscurité,  Ferdinand  avait  conlinué  à  ren- 
forcer sa  gauche  en  y  appelant  les  brigades  anglaises 
Gavcndish  et  Pemhroke  de  la  division  Howard,  ainsi  que 
le  gros  du  corps  Spiircken  et  en  y  concentrant  son  artille- 
rie de  parc.  Il  avait  à  opposer  à  Broglie  3G  bataillons, 
33  escadrons  et  environ  100  canons  de  fort  calibre;  ces 
troupes  s'étendaient  depuis  la  Lippe  jusqu'au  Dimkerbcrg  ; 
en  tenant  compte  de  la  division  Wolff  ducorpsdeSpoiv^ken 
(jui  allait  bientôt  rejoindre,  elles  constituaient  une  masse 
de  32  à  33.000  combattants.  Le  reste  des  troupes  confé- 
dérées, soit  environ  24. 000  honmjcsdestrois  armes,  jous'e*? 
ordres  du  prince  héréditaire,  fais;ait  face  à  Soubite.  Le 
15  juillet,  le  gros  des  confédérés  était  à  leur  aile  droite; 
le  liiau  contraire,  grAce  aux  mouvements  delà  nuit,  l'aile 
gauche  était  devenue  de  beaucoup  la  plus  forte.  Les  rôles 
étaient  renversés. 

Le  feu,  oui  n'avait  jamais  tout  à  fait  cessé  pendant  la 
nuit,  recommença  le  16  juillet  à  3  heures  du  matin;  il  y 
eut  entre  l'avant-garde  de  Clausen  appuyée  par  les  divi- 
sions Guerchy  et  llavré  et  les  divisions  (Iranby  et  WQtgi- 
rau  une  lutte  très  ive  sans  résultat  décisif  pour  la  pos- 
session de  la  rout<  de  Soest  à  Hamm  et  de  ses  abords. 
Après  trois  heures  ("intensité,  la  canonnade  fut  suspendue 
par  l'épuisement  des  munitions,  cependant  la  fusillade 
continua  entre  les  infanteries  rivales,  que  répartissait  en 


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LES  CONIliDÉlUiS  KKPUENNlùNT  VILLINGHAUSES. 


103 


pelotons  séparôs  la  nature  du  terrain  coupé  de  haies  et 
(le  i'ossés.  L'engagement  très  confus  se  prolongea,  d'a- 
près les  récits  allemands,  Jusqu'à  8  heures.  Un  peu  avant 
ce  moment  l'intervention  très  opportune  des  troupes  dé- 
tachées par  Sporcken  {)rocura  aux  conicdcrés  un  avan- 
tage marqué,  lue  division,  sous  les  ordres  de  WolU",  forte 
de  7  butaillons  et  6  escadrons,  avait  franchi  la  Lippe  au 
pont  d'Untrop,  s'était  déployée  à  la  gauche  de  Wiitginau 
et,  avec  le  secours  de  10  pièces  de  12  amenées  du  Diinker- 
bcrg,  s'était  portée  sur  l'extrême  droite  des  Français.  De 
son  côté,  IJroglie,  soit  pour  couvrir  la  retraite  (ju'il  envi- 
sageait déjà,  soit  pour  tenter  un  dernier  ell'ort  otTensif, 
cherchait  à  établir  une  batterie  sur  une  butte  dont 
Granby  avait  été  chassé  la  veille  et  (jui  se  trouvait  vis-à- 
vis  de  sa  position  actuelle.  Ferdinand,  averti  de  ceite 
tentative,  lança  à  l'assaut  de  la  colline  (1)  des  bataillons 
anglais,  et  brunswickois.  Deux  bataillons  de  grenadiers 
anglais  soutenus  par  les  gardes  honovriens,  exécutèrent 
sous  le  cv  uvert  du  bois  un  mouvement  tournant,  tandis 
que  d'autres  unités  anglaises  appuyées  par  les  Brunswic- 
kois abordèrent  la  hauteur  de  front.  Ce  double  assaut 
coïncida  avec  un  recul  de  la  droite  fran(^\Tise,  qui  venait 
de  recevoir  l'ordre  d'évacuer  le  village  de  Villinghausen. 
Aussi  les  confédérés  parvenus  au  sommet  de  la  butte 
trouvèrent-ils  les  Français  en  pleine  retraite. 

L'opération,  fort  délicate  on  elle-même,  se  trouvait 
singulièrement  aggravée  par  la  proximité  de  l'ennemi  et 
par  l'enchevétremeiît  dos  combattants;  il  s'ensuivit  du 
désordre  dont  profitèrent  les  assaillants.  Tandis  que  les 
bataillons  de  Wollf  se  jetaient  sur  le  flanc  des  Français  en 
retraite,  les  Hossois  de  Wiitginau  et  de  Mansberg,  les 
Ecossais  de  Bockwith,  les  Anglais  de  Waldegrave,  appuyés 
par  une  partie  de  la  division  du  prince  d'Auhalt,  les  abor- 


(1)  Granby  à  Bule,  Kirch  Dùnckcr,  17  juillet  17G1.  Newcaslle  Papers. 


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LA  GUERllE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


dorent  de  front.  Dons  la  mêlée,  le  n^gimcnt  de  Rougé,  qui 
occupait  le  village  de  Villinghauscn,  fut  séparé  par  la 
poussée  ennemie,  cerné  et  fait  prisonnier  en  partie  avec 
ses  canons  et  ses  drapeaux  (1).  Le  reste  des  troupes  se  re- 
plia en  bon  ordre,  couvert  par  Stainville  avec  les  grena- 
diers de  France  et  Itoyanx.  La  nature  du  terrain  inacces- 
sible pour  la  cavalerie  empêcha  toute  poursuite. 

De  l'action  du  10,  Brogliefait  le  récit  suivant  :  «  Ce  ma- 
tin, à  la  pointe  du  jour,  la  mousqueterie  et  le  feu  de  ca- 
non ont  recommencé  avec  beaucoup  de  vivacité,  et  le 
nôtre  y  ayant  répondu  de  même,  il  a  paru  se  ralentir  et 
s'est  ralenti  en  effet  jusque  vers  Jes  (5  heures  que  nous 
avons  vu  les  ennemis  marcher  par  leur  gauche  et  se  ren- 
forcer successivement  beaucoup.  Ils  ont  alors  porté  la  plus 
grande  partie  de  leur  artillerie  sur  le  centre  du  village  où 
était  le  jégiment  de  Kougé,  et  sur  la  droite  par  rapport  à 
nous,  où  la  mousqueterie  s'était  toujours  soutenue.  Alors 
n'entendantpoint  tirer  du  côté  de  l'armée  de  Soubise,  voyant 
toujours  fder  des  troupes  de  la  droite  des  ennemis  sur  leur 
gauche,  c?  ayant  appris  par  un  aide  de  camp  de  M.  le 
prince  de  Condé  qu'il  n'était  encore  venu  aucune  troupe 
pour  le  remplacer  à  Nadel,  où  il  avait  été  obligé  de  laisser 
une  de  ses  brigades  d'infanterie  pour  garder  le  pont,  je 
proposai  tout  pour  la  retraite,  et  je  la  commençai  sur  les 
sept  heures.  Les  ennemis  portaient  alors  les  plus  grandes 
forces  sur  le  régiment  de  Rougé  qu'ils  percèrent,  et 
comme  le  village  était  coupé  de  ravins  très  considérables 
et  très  boueux,  une  partie  en  a  été  séparée;  le  reste  des 

(1)  Broglie  donna  de  ce  inalliciir  l'explication  suivanlc  :  «  Ce  régiment 
s'est  battu  avec  la  plus  grande  t'cnneté:  la  difficulté  du  terrain  où  11  était, 
qui  était  si  couvert  qu'ils  ne  pouvaient  voir  leur  droite  et  leur  gauche,  a 
fait  qu'au  lieu  de  se  retirer  lorsque  les  autres  se  disposèrent  à  le  faire,  ils 
ont  fait  alors  une  'harge  en  avant,  (|ui  a  donné  moyen  aux  ennemis  de  les 
eutourer.  Le  courage  avec  lc(|uel  ce  régiment  a  combattu  mérite  toute 
sorte  d'éloges  et  je  ne  puis  Iroi»  en  donner  à  M.  le  comte  de  Rougé.  »  Bro- 
glie à  Choiseul,  Ervete,  22  juillet  1701.  Archives  de  la  Guerre. 


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RECIT  DE  nUOGLlK. 


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troupes  s'est  retiré  clans  le  meilleur  oidre.  .l'avius  ^ardé 
le  corps  des  grenadiers  de  France  qui  n'avait  point  com- 
battu, pour  faire  1  arrière-garde.  Les  ennemis  ne  nous  ont 
suivis  en  force  que  jusqu'au  bout  des  baies  du  village.  Du 
canon  placé  sur  les  liauteiu's  les  a  contenus;  nous  nous 
sommes  retirés  en  bataille  sur  plusieurs  lignes,  on  s'est  ar- 
rêté plusieurs  lois  et  on  a  ré[)ondu  à  deux  ou  trois  pièces 
de  cauon  qu'ils  ont  ameuées  iV  notre  suite  jusqu'au  vil- 
lage d'Ultrop.  J'ai  l'ait  cauiper  Tarmée  sur  la  rive  gau- 
che de  l'Aest,  et  comme  je  finissais  d'en  manjuer  le 
cauip,  M.  le  prince  de  Croy  m'a  joint  et  m'a  appris 
que  les  troupes  de  .M.  le  marécbal  de  Soubise  .."étaient 
arrivées  qu'à  se[)t  heures  au  village  de  Scheidingen.  et 
nous  n'avons  commencé  qu'alors  A  entendre  sou  ca- 
non. » 

Pendant  la  nuit  et  les  premières  heures  du  IG  juillet,  il 
y  eut  échange  de  billets  entre  Hroglie  et  Soubise;  le  pre- 
mier, de  Broglie  (1),  porte  l'heure  de  3  heures  12  du  ma- 
tin :  «  Je  me  suis  rendu  ici  à  la  pointe  du  jour,  Monsieur 
le  Maréchai;  da.is  ce  moment  les  coups  de  fusil  el  de  ca- 
non recommencent  avec  vivacité;  ainsi  je  crois  qu'il  n'y 
a  pas  de  temps  à  perdre  pour  nous  faire  renforcer  ])ar 
des  troupes,  toutes  celles  qui  n'ont  pas  soutenu  l'atta- 
que d'hier  soir  ayant  été  mises  dans  le  village.  Je  vais 
envoyer  ordre  à  la  division  qui  est  à  Borgelen  de  filer 
pour  remplacer  M.  le  prince  de  Gondé,  afin  (jue  les  troupes 
de  ce  prince  puissent  nous  joindre.  »  L'instiuction  expé- 
diée à  Condé  (2)  est  ainsi  conçue  :  ((  Je  prie  M.  le  prince 
de  Condé  de  voidoir  bien  faire  passer  tout  de  suite  l'ordre 
ci-joint  à  la  division  (jui  est  à  Horgeleu  pour  (ju'elle  se 
mette  en  marche  pour  venir  remplacer  M.  le  prince  de 


(1)  Broglie  à  Soubise,  près  Villinghauseii,  Ifijuillet  17G1,  3  heures  1  2  du 
iiiaUn.  Areliives  de  la  Guerre. 

(2)  Hroglie  à  Coudé,  Villingliauseii,  10  juillet  ITOt,  :{  h.    1/2  du   malin. 
Fonds  de  Clermont.  Archives  de  la  Guerre. 


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l.\  tlLKRIU':  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP    IV. 


Cuiulé  (jui  avec  les  trounosji  ses  ordres  se  tiendra  ili  portée 
de  venir  nous  joindre  ici  (Villinghausen)  par  le  chemin 
qua  tenu  hier  M.  de  Stainville  ot  de  nous  servir  de  ré- 
serve au  besoin,  n  L'ordre  destiné  à  l'officier  général 
commandant  la  division  qui  se  trouvait  à  Borgelen,  offi- 
cier dont  IJroglie  ignorait  le  nom  (1),  concordait  parfaite- 
ment avec  les  instructions  de  Coudé. 

Au  cours  de  la  nuit,  Soubise  avait  écrit  (2j  à  Condé  : 
«  Vous  avez  bien  fait  de  marcher  où  M.  de  Broglie  vous 
demande.  Je  vais  voir  de  mon  côté  ce  que  je  pourrai  faire 
pour  vous  procurer  une  diversion.  Je  voudrais  bien  trouver 
au  jourquelque  changement  dans  la  position  des  ennemis, 
car  leur  camp  — comme  vous  l'avez  vu  — touche  presque  au 
village  de  Scheidingeii  qui  parait  le  point  le  moins  diffi- 
cile où  l'on  puisse  passer  le  ruisseau.  Je  fais  marcher  la 
brigade  de  Lyonnais  par  le  chemin  de  Klasine  (Klotingen) 
pour  se  porter  sur  le  château  d'Ols.  Vous  pourrez  lui  en- 
voyer vos  ordres;  je  vais  aussi  pousser  Fischer  par  ma 
droite.  Enfin,  je  ferai  mon  possible  pour  avoir  l'œil  sur 
vous  et  ne  pas  négliger  le  reste  de  l'armée.  Je  vous  désire 
toute  la  gloire  que  vous  méritez.  » 

A  7  heures  du  matin,  Broglie  fait  part  (3)  à  Soubise  et 
à  Condé  de  ses  intentions  de  retraite  :  «  Les  ennemis  m'ont 
attaqué  ce  matin  assez  vivement  dès  qu'il  a  fait  jour,  ainsi 
que  je  vous  avais  mandé  hier  qu'ils  le  feraient.  Mais 
comme  ils  ont  été  repoussés  partout,  ils  se  sont  contentés 
de  nous  canonner  beaucoup  à  cartouche,  et  à  des  fusilla- 
des assez  vives  ;  mais  ils  n'ont  pas  tenté  de  s'approcher. 
Je  ne  vois,  avec  ce  (|ue  j'ai  avec  moi,  aucune  possibilité 
d'attaquer  les  ennemis;  et  je  ne  vous  ai  pas  mandé  hier, 


(1)  Il  apptii'tcnaità  l'armée  du  Soubise. 

f2)  Soubise  à  Comlé,  uuit  du  15  au  16  juillet  ITfîl.  Fonds  de  Clermont, 
Arcllives  de  la  Guerre. 

(:<)  Broglie  à  Soubise,  Villingbausen,  16  juillet  1761,  7  h.  du  malin.  Ar- 
chives de  la  Guerre. 


IIKTRAITE  DK  imOGME.    '  ,  117 

je  crois,  que  je  comptasse  le  tenter.  (lomme  les  démons- 
trations que  vous  allez  faire  ne  peuvent  [n\s  me  mettre  en 
état  de  le  faire,  je  vais  penseï'  à  ma  retraite.  Vous  savez 
que  je  ne  voulais  hier  (|ue  prendre  un  cani].  près  d'ici;  et 
si  les  ennemis  ne  m'avaient  pas  attaciué  comme  ils  l'ont 
fait,  nous  n'aurions  eu  aucune  action.  J'ai  l'honneur  de 
vous  prévenir  du  parti  que  je  [)rends,  afin  que  vous  ne 
vous  engagiez  pas  ;  et  j'en  préviendrai  M.  le  prince  de 
Condé,  afin  qu'il  se  retire  aussi  à  temps  par  ses  ponts. 
Voilà,  Monsieur  le  Maréchal,  tout  ce  que  je  puis  faire  h 
[)résent  et  à  quoi  je  vais  travaillei'.  »  l'n  post-scriptum  in- 
dique une  situation  plus  inquiétante  :  «  Dans  l'instant  les 
ennemis  me  ratta(|uent  de  nouveau  avec  des  forces  de 
beaucoup  supérieures.  Il  est  certain  que  j'ai  presque 
toute  leur  infanterie  contre  moi,  ce  qui  me  force  de 
iaire  dans  l'instant  ma  retraite.  » 

Un  mot  de  Soubise  (l)  à  Condé  nous  donne  l'impres- 
sion produite  sur  le  maréchal  par  la  nouvelle  de  la  re- 
traite de  son  collègue  :  «  Dubois  arrive  et  me  met  au  dé- 
sespoir. M.  de  Nort,  aide  de  camp  de  M.  de  liroglie,  était 
venu  me  dire  que  tout  allait  bien  et  venait  de  partir 
dans  le  moment  pour  retourner  à  M.  le  Maréchal  lui  dire 
que  je  voyais  les  ennemis  se  retirer  devant  moi,  que 
M.  Dumesnil  voyait  les  ennemis  en  bataille  devant  lui,  et 
cependant  s'il  avait  besoin  de  troupes,  qu'il  n'avait  qu'à 
dire  et  que  je  marcherais  avec  les  bataillons  que  j'avais 
ici.  M.  d'Oorthorc  arrive  successivement  et  me  dit  que 
M.  de  Broglie  se  relire  sur  vous.  Dubois  prétend  qu'il 
vous  a  demandé  deux  brigades  et  qu'il  vous  laisse  d'ail- 
leurs la  liberté  de  revenir  sur  moi  ou  sur  le  point  qui  vous 
conviendra  le  mieux.  Je  voudrais  bien  savoir  à  quoi  m'en 
tenir  sur  le  point  de  retraite  de  M.  le  maréchal  de  Broglie 
et  sur  le  vôtre.  En  attendant,  je  porte  intermédiairement 

(I)  Soubise  à   Condé,  hauteurs  de   Scheidingen,  IC.  juillet  1701,   9  h.  du 
matin.  Fonds  de  Clerinonl. 


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L.V  OUKIUU':  l>E  SKPT  ANS.  -  CIIAI».  IV. 


cnti'o  vous  et  moi  les  brigades  des  (lardes  et  de  Hpic([ue' 
ville,  .le  li'S  |)lacer:ii  dei'i-ière  le  ravin  d'Einiker.  Il  ne 
faut  point  vous  yèner  pour  votre  retraite  si  vous  trouvez 
plus  de  facilité  [)our  la  faire  par  IJorg-elen.  Instruisez-moi 
seulemeut  et  sur-le-champ  je  suis  i\  vous.  .le  vais  aban- 
donner lu  poursuiU^  des  ennemis  que  je  venais  de  cluis- 
ser  du  villa^-^e  dc!  Scheidini;en  pour  m'occuper  d'objets 
plus  sérieux  et  plus  tristes.  Donnez-moi  de  vos  nouvelles 
A  chaque  instant  et  faites-moi  passer  l(>s  intentions  de 
M.  d(^  liroylic,  surtout  le  point  de  retraite,  afin  (jue  je  n»e 
diri^-e  en  conséquence.  » 

Dans  le  courant  de  la  journée  du  IG,  Soubise,  (jui  por- 
tait au  prince  de  Coudé  une  afFeclion  i)rcst|uc  paternelle, 
lui  demanda  (1)  à  deux  reprises  des  informations  :  «  .le 
voudrais  vous  savoir  à  lîorgelen  en  dedans  du  ruisseau, 
.le  vais  me  mettre  derrière  celui  de  Paradies.  .le  désirerai 
bien  savoir  où  sera  M.  de  Brojilie.  "  Le  second  mot  (2) 
mor)trc  le  maréchal  plus  rassuré  :  ^  Puisque  M.  de  IJro- 
glie  ne  s'éloigne  point,  vous  me  paraissez  en  sûreté  dans 
votre  camp  et  je  suis  tranquille.  Si  j'avais  su  positive- 
ment où  ti'ouver  M.  de  Broglie,  j'aurais  été  prendre  avec 
lui  les  arrangements  nécessaires  poursuivre  notre  i)lan 
de  camp.igno,  que  l'événement  d'aujourd'hui  ne  doit 
point  déranger  puisque  le  projet  de  la  diversion  sub- 
siste, mais  il  est  bien  tard,  et  j'ai  beaucoup  d'affaires,  ce 
qui  me  fait  remettre  à  demain  la  satisfaction  de  vous 
embrasser.  » 

Au  moment  où  Hroglie  avait  annoncé  sa  retraite,  il 
croyait  ([u'il  pourrait  effectuer  son  mouvement  sans  trop 
de  pertes  et  n'attachait  pas  grande  valeur  à  la  conserva- 
tion d'une  position  dont  la  possession  n'eût  été  impor- 

'l)Soubise  \\  Condé  :  Kn  me  retirant  de  Scheidingeii.  Fonds  de  Cler- 
inont. 

(2)  Soubise  à  Condé,  canp  de  Taradies,  IG  juillet  17(>1.  Fonds  de  Clci- 
inant. 


Li;  UOLK  DE  CONUK. 


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tante  que  dans  le  cas  (111110  iillaiie  générale.  La  capture 
(lu  r(3;;iment  de  Koug(';et  des  canons  laissés  à  Villiniiliaii- 
scn  Iransl'oi'inait  en  échec  séiieux  ce  (|ui  n'aurait  été  (ju'un 
combat  d'avant-,i;arde,  et  engageait  bien  autreuioiit  le 
général  commandant.  Aussi  déjà  le  lanj^  ge  de  Broglie 
dans  rapt('s-midi  du  10  est-il  dillérent  dt^  celui  du  matin 
et  se  préoccupe-t-il  de  iaiie  porter  à  son  collègue  sa 
part  de  responsabilité. 

Dès  lors,  il  n'hésite  pas  à  attribuer  la  défaite  qu'il  ve- 
nait de  subir  au  retard  et  à  la  mollesse  des  opérations 
dont  Soubise  s'était  chargé.  Entre  les  deux  maréchaux,  il 
avait  été  convenu  :  1°  que  le  [U'iiice  de  C.ondé  appuierait 
la  gauche  de  Hroglie  et  permettrait  à  celui-ci  d'en  tirer 
des  renforts  pour  sa  droite  fortement  engagée  dans  le 
village  de  Villinghausen  et  ses  abords  ;  2"  (|ue  Soubise 
avec  le  gros  de  ses  troupes  ferait  une  diversion  en  atta- 
quant le  village  de  Scheidingen;  3"  enfin  (jne  Dumesnil 
et  Voyer  menaceraient  la  droite  et  les  derrières  de  ren- 
lu^mi.  Le  rapport  de  Soul)ise  et  do  ses  subalternes  nous 
donne  leur  version  sur  l'exécution  de  ces  trois  opérations. 
Conmiençons  par  les  mouvements  de  Condé.  «  l*ar  la  dis- 
position qu'on  s'était  proposé  de  faire,  raconte  le  bul- 
letin de  l'armée  de  Soubise  (1),  le  corps  de  M.  le  prince 
de  Condé  était  destiné  à  passer  l'Aest  et  à  se  joindre  à 
l'armée  do  M.  le  maréchal  de  liroglie.  Il  lui  en  donna 
l'ordre  à  minuit,  la  nuit  du  15  au  16,  et  il  se  mit  tout 
de  suite  en  marche,  passa  l'Aest  k  la  pointe  du  jour 
aux  pouls  qu'il  avait  fait  rétablir  la  veille  auprès  du 
chAteau  do  Nadel  et  fut  remplacer  M.  le  comte  do  Stain- 
ville  qui  lui  avait  envoyé  un  officier  pour  lui  indiquer 
sa  position;  dès  la  pointe  du  jour  on  avait  renforcé  la 
réserve  de   M.  le   prince    fie   Condé  de    la  brigade    de 


(1)  Bulletin  de  l'unni'o  de  Soubise  du  13  au  18  juillet  ITiîi.  Archives  de 
la  Guerre.  Ce  bulltlin  rédif-é  a|(rès  l'action  n'a  pas  à  beaucoup  pros  lu  va- 
leur des  liillels  échanf^és  pendant  les  événements. 


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LA  GUERIU':  DK  SEPT  ANS.  —  VIWV.  IV. 


Lyonnais.  »  Le  10,  lï  (»  liouros  1  /V  du  mutin,  (lonlé 
écrit  (li  à  Hfoylie  lo  hill(>l  suivant  :  i<  M.  Iv.  nuirùclial  de 
Souhisc  fait  attaijuor  le  \illai;'(!  de;  .Schoidiugcn  ;  M.  le 
prince  Kcrd'uand  est  en  bataille  sur  les  hauteurs.  Les 
brigades  do  la  Reine  et  d'Orléans  suflisent  pour  la  garde 
des  Ponts.  .le  porte  celles  de  Boisgelin  et  do  Lyonnais 
qui  m'ai-rivent,  sur  le  plateau,  d'où  je  serai  à  portée 
de  secourir  les  l*onts,  si  le  cas  le  reiiuiert.  Dans  celte 
position,  jallendrai  vos  ordres.  «  Quand  cet  avis  par- 
vint à  Broglie,  celui  ci  s'était  déjà  décidé  à  évacuer  Vil- 
lingliausen;  aussi  répondit-il  en  priant  ('onde  d'envoyer 
deux  brigades  d'inlanterie  pour  couvrir  la  retraite  des 
défenseurs  du  village  et  de  se  retirer  avec  le  reste. 
«  M.  le  princ(î  do  Condé  (2)  lui  lit  passer  alors  les  bri- 
gades de  Hoisgelin  cl  de  Lyonnais  avec  6  pièces  de  ca- 
non du  pare et  se  retira  avoc  le  reste  de  ses  troupes 

par  les  ponts  qu'il  avait  fait  construire  sur  l'Aest  auvcjuels 
il  avait  laissé  deux  bataillons  de  grenadiers  pour  l'ar- 
rièro-garde  et  qui  furent  chargés  de  les  détruire.  » 

Les  détails  donnés  dans  le  bulletin  officiel  de  Soubise 
sont  complétés  par  la  correspondance  échangée  entre 
Condé  et  lU-oglic  à  la  suite  de  la  publication  du  rapport 
de  ce  dernier  :  <<  Je  sais  à  n'eu  pouvoir  douter,  écrit 
Condé  3),  que  vous  avancez  qu'il  était  convenu  que 
je  passerais  l'Aest  le  15,  dès  que  M.  do  Stainville  se 
serait  emparé  du  cbiUeau  de  Nadel.  Cela  l'était  si  peu, 
que  lorsqu'on  consé.pience  des  ordres  de  M.  de  Sou- 
bise. j'allai  de  ma  personne  prendre  les  vôtres,  le  15 
au  matin,  à  la  chapelle  d'Oostinghauson,  il  fut  convenu 
que  je  viendrais  canq)er,  le  soir  môme,  ma  gaucho  dans 
la  direction  d'Ohl,  et  ma  droite  dans  colle  de-Kroewin- 

(1)  Condé  à   IJro;;lie,  à    la  lète   des  Pouls,  Id  jiiillot  17(il,  C  h.  1   i  a.  m. 
Papiers  de  llioglie. 

(2)  IWiUctin  de  l'armée,  déjà  cité. 

(3)  Condé  à  Urogiie,  Hollhusen,  ï)  aoiU  \7{\{.  Pa|iicrs  de  Hroglie. 


«! 


COHRKSPONDANCI-;  DK  CONDK  AVKC  DROCI.IK. 


lit 


c\u'\,  faisant  faco  au  coiifliKMit  de  l'Acsl  ot  du  Sooslhacli. 
Vous  me  moiilriVtes  mn  posiliou  sur  la  carte  de  M.  le 
comte  de  hroglie  et  j'eiii[)orfai  cette  môme  carie  pour 
être  plus  sùv  de  suivre  exactement  vos  intcufions.  Il  l'ut 
dit  aussi  (jue  je  ferais  faire  des  ponts  sur  l'Aesl  A  ma 
droite,  au-dessous  d'Osliiif^liausen,  pour  communicpuir 
avec  la  gauche  de  votre  armée,  ce  tpii  prouve  Itien  cpie 
vous  ne  comptiez  pas  que  je  camperais  à  la  rive  «Iroite 
de  l'Aest  et  que  j'enverrais  des  grenadiers  de  ce  cùté-ci 
du  ruisseau,  vis-A-vis  du  cliAtcau  de  Nadcl,  pour  favoriser 
ratta(pie  de  M.  de  Stainville  et  rétablir  le  pont  dès  (jue 
le  chùteau  serait  emi)orlé.  »  Aussitôt  le  prince  de  retoui' 
h  sa  division,  le  mouvement  avait  commencé  et  les  ponts 
furent  jetés  tant  en  amont  qu'en  aval  de  la  jonction  des 
deux  ruisseaux.  Le  1(>  i\  minuit  et  demi,  Coudé  re(;ut  de 
Hroglie  l'ordre  ((  d(î  [>asser  l'Acst  et  d'aller  remplacer 
M.  de  Stainville  qui  y  appuyait  sa  gauche.  Il  y  avait  une 
lieue  et  demie  de  mon  camp,  et  j'y  fus  cependant  arrivé 
à  deux  heures.  Il  me  semble  que  cet  ordre  seul  prouve 
assez  ([ue  vous  me  saviez  à  la  rive  gauche  de  l'Aesl,  où 
j'étais,  puisijuc  vous  me  dites  de  la  |>asser.  C'est  donc  bien 
sûrement  par  inadvertance,  Monsieur,  (pie  vous  avez 
mandé  qu'il  était  convenu  (jue  je  passerais  l'Aest  le  1.') 
au  soir,  .l'ai  exécuté  ponctuellement  tous  les  ordres  que 
j'ai  reçus  de  vous,  et  j'ose  dire  avec  toute  la  célérité  pos- 
sible ».  Le  dire  du  prince  est  confirmé  par  une  note  de 
Castries  (Ij,  chef  d'état-major  de  Soubise  :  <  L'infanterie 
et  l'artillerie  de  M.  le  prince  de  Condé  se  sont  mises  en 
marche  à  minuit  et  se  sont  rendues  au  pont  de  .N'atelen 
sur  l'Aest  où  elles  appuyaient  leur  gauche,  leur  droite  se 
prolongeant  vers  la  gauche  de  l'armée  de  liroglie,  l'ar- 
tillerie a  piissé  sur  le  pont  de  Natelen  et  l'infanterie  sur 
un  pont  de  planche  construit  à  800  pas  au-dessus.  La  ca- 

(1)  Réjionses  de  Casiries  aux  notes  de   Do   Vaiijl,  s.    d.  Archives  de  lu 
Guerre. 


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LA  Gl'KIlIll!:  I»K  SEPT  ANH. 


CIIAI».  IV. 


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Valérie  de  la  ivservc  se  mit  en  iiiiii-clie  au  ^rand  jour  et 
vint  se  plaeer  en  colonne  le  long  de  l'Aesl  derrière  la 
g'uaelic  (le  rinfantciric. 

((  Le  prince  de  Condé  était  diuis  celte  iiosition  le  Ki. 
liorsijuf^  M.  le  niar»^clial  de  lliojilic'  ordonna  l.i  retraite  à 
environ  î)  heures  du  matin,  deux  hiitiades  de  sa  réserve 
couvrirent  la  ^%'iuclie  de  l'année  d<'  llroglie  en  se  retirant 
le  lony  (le  la  rive  droite  de  l'Aesl,  elles  passcM'ent  «msuite 
celte  rivi('re  à  Ostinyliausen  pour  rentrer  dans  le  camp 
do  Zuickaus,  où  elles  rejoif^nirent  les  autres  unités  do 
la  réserve  qui  y  étaient  d(''Jà  rentrées.  La  hrigade  de 
Lyonnais  partit  1(;  16  au  |K»int  du  jour  pour  remplacer 
iM.  le  prince  de  (londé  dans  sa  position  inlernK'diairc  entre 
les  deux  arm(''cs  et  recevoir  ses  ordi'cs.  » 

A  la  lettre  de  (londé,  Itroglie  réplicjua  (1)  eu  se  défen- 
dant d'avoir  mis  le  prince  eu  cause,  mais  en  maintenant 
son  assertion  :  «  Il  est  vrai  que  dans  colle  du  28  j\  ce  mi- 
nistre, en  énonçant  les  articles  (]ui  avaient  été  convenus 
le  malin  du  15,  dans  le  cahinet  du  maréchal  de  Soubise, 
je  (lis  :  art.  ^,  que  M.  le  prince  de  Condé  devait  passer 
l'Aest,  aussit(U  (pic  M.  de  Stainville  se  serait  emparé  du 
chAteau  de  Nadel.  C'est  un  l'ail  tjue  je  crois  de  la  plus 
exacte  vérité,  (il  (pie  ne  détruisent  point  les  j)onts  ({ue  je 
convins  avec  V.  A.  S.  (ju'elle  ferait  jeter  sur  l'Aest,  vis- 

{\-vis  du  terrain  où  devait  appuyer  ma  gauche Il  en 

est  de  nK'me  de  la  lettre  (jue  j'eus  l'honneur  de  lui  adres- 
ser le  15  au  soir.  Il  était  bien  simph;  (juc  je  m'informasse 
de  son  aide  de  camp,  du  lieu  où  elle  était  avec  sa  réserve; 
et  (pie,  sachant  (|u'ellc  n'avait  pas  [)assé  l'Aest,  je  lui  de- 
mandasse de  le  faire  le  plus  t(j|  (|ue  cela  lui  serait  pos- 
sible. >' 

Des  extraits  que  nous  venons  de  citer,  il  ressort  que  le 
prince  de  Condé,  tiraillé  en  sens  contraires  par  les  com- 

(1)  Uro^lie  à  Coiidi',  Casscl,  G  septeinbio  ITOI.  Papiers  de  Hro^lie. 


HAPPOHT  1)K  SOUHI8E. 


Itl 


le 
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inuriicalions  qu'il  recevait  do  soh  deux  chefs,  dont  l'un 
voyait  le  gros  de  l'eiineini  à  gauche  tandis  ((ue  l'autre 
avait  deviné  les  mouvements  de  Ferdinand,  se  hornu  le  15 
h  camper  sur  la  rive  de  l'Ahse  au  lieu  i\o  franchir  le  ruis- 
seau et  de  relever  Stainville;  (ju'il  attendit  le  10  l'arrivée 
de  la  l)rigad('  de  Lyonnais  jiour  i)asscr  l'Alise  et  d(^s 
ordres  ultérieurs  pour  se  porter  en  avant.  Kn  n'-sumi',  la 
contradiction  dans  les  instructions,  le  retard  dans  l'envoi 
des  renforts  promis,  enfin  le  manque  d'initiative  du  gén<''- 
raî  eurent  pour  résultat  de  laisser  inactives  à  faible  dis- 
tance du  lieu  d'action  les  troupes  du  prince  de  Condc. 

F^xaminons  maintenant  l'attaque  sur  Scheidingen 
d'après  le  rapport  ofliciel  (1)  de  l'état-major  de  Souhise  : 
«  l/armée  marcha  sur  trois  colonnf  s  en  se  dirigeant  sur 
le  plateau  qui  domine  le  vallon  et  le  village  de  Schei- 
dingen. Ce  plateau  était  déjà  occupé  par  des  bataillons 
de  grenadiers,  des  dragons,  des  troupes  légères  et  des 
divisions  d'artillerie  aux  ordres  de  M.  le  comte  d'Apchon. 
Les  ennemis  lurent  chassés  des  postes  de  Neumidil  et  de 
Kortmuhl  avant  sept  heures  et  le  feu  de  l'artillerie  avait 
déjà  commencé  très  vivement.  Le  régiment  des  volon- 
taires de  Soubise  attaqua  un  bois  qui  était  à  la  rive  droite 
du  ruisseau  de  Salzbach  et  que  les  ennemis  avaient  oc- 
cupé pendant  la  nuit,  il  l'emporta  avec  la  plus  grande 
vivacité,  malgré  la  supériorité  des  ennemis  et  les  batte- 
ries dont  ils  étaient  protégés,  A  mesure  que  l'artillerie 
arrivait,  elle  se  plaçait  et  s'avan(;ait  successivement,  la 

canonnade  devint  très  violente  de  part  et  d'autre 

A  huit  heures,  les  volontaires  de  Soubise  soutenus  des 
grenadiers  et  chasseurs  de  la  brigade  des  (lardes  et  de 
Briqueville  et  protégés  par  les  brigades  de  Piedmont  à  la 
droite.  Limousin  et  les  Irlandais  à  la  gauche  aux  ordres 
de  MM.  de  MaiUy,  de  Levis,  de  Vogué,  lieutenants-géné- 


i: 


(1)  Bulletin  de  l'armée  de  Suubise. 

liUERRE   DE   SKI'T   ANS.    —  T.    V. 


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114 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV, 


(  V 

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raux,  s'approchèrent  pour  embrasser  les  haies  de  Schei- 
dingen,  attaquèrent  la  redoute  qui  défendait  le  pont  et  le 
village  qu'ils  emportèrent  avec  la  même  rapidité  qu'ils 
avaient  forcé  le  bois,  on  ne  saurait  assez  louer  la  valeur 
de  ce  régiment  et  de  ses  chefs. 

«  Les  disposition?  étaie^^t  faites  alors  pour  jeter  des 
ponts  sur  le  ruisseau,  et  les  brigades  d'infanterie  prôt'^s 
à  le  passer  pour  suivra  les  premiers  succès,  lorsque  M.  le 
maréchal  de  Soubise  reçut  la  lettre  que  M.  le  maréchal 
de  Broglie  lui  écrivait  par  laquelle  il  lui  mandait  qu'il 
prenait  le  parti  de  se  retirer  et  qu'il  l'en  prévenait  pour 
qu'il  ne  s'engageât  pas.  »  Le  retour  au  camp  de  Paradies 
s'effectua  sans  être  troublé  par  l'ennemi.  L'engagement 
a\  rail  coûté  environ  300  hommes  tués  et  blessés  aux 
Français  et  d'après  le  rapport  officiel  seulement  IIV  aux 
confédérés.  Le  prince  héréditaire  accusa  111  tués,  blessés 
ou  pris.  Quelque  insignifiante  qu'elle  fût  au  point  de  vue 
matériel,  l'attaque  de  Scheidingeu  produisit  de  l'impres- 
sion dan'  l'armée  confédérée.  Le  prince  Ferdinand  se 
rendit  eu  personre(l)  auprès  du  prince  héréditaire  qui 
était  opposé  à  l'armée  de  Soubise  et  il  est  permis  de  croire 
que  la  crainte  d'une  attaque  qui  ne  faisait  que  s'esquisser 
fût  pour  quelque  chose  dans  la  prudence  extrême  de  la 
poursuite  de  l'armée  de  Broglie.  Commencée  de  meilleure 
heure  et  menée  plus  énergiquement,  l'ofl'ensive  de  Sou- 
bise eût  probablement  permis  à  son  collègue  de  se  main- 
tenir à  Villinghausen  et  eût  donné  le  temps  à  Dumesnil 
et  à  Voyer  de  mener  à  bonne  fin  les  démonstrations  dont 
ils  avaient  été  chargés. 

En  fait,  l'action  de  ces  deux  généraux  fut  absolument 
nulle.  Dumesnil  avec  16  bataillons  et  30  escadrons  avait 
été  placé  sur  les  hauteurs  de  Ober  Ense  et  Rhunv3  avec 
mission  de  protéger  la  gauche  de  Soubise  et  «  d'attaquer 


(1)  Westphalen,  V,  p.  628  et  suivantes. 


INACTION  DES  DIVISIONS  DUMESNIL  ET  VOYER. 


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le  liane  droit  de  l'ennemi  lorsque  les  dispositions  géné- 
rales auraient  été  fixées  ».  Soit  retard  dans  les  ordres, 
soit  indécision,  il  ne  prit  aucune  part  à  l'engagement.  Il 
en  fut  de  même  de  Voyer  qui  avec  12  bataillons  et  H  es- 
cadrons avait  été  détaché  sur  llnna  et  Kamen  pour  me- 
nacer la  ligne  de  retraite  des  confédérés  sur  Hamm.  Celte 
opération  ne  put  produire  son  etfet  par  suite  de  l'arrêt  du 
combat  :  «  M.  de  Voyer  n'eut  le  temps  d'arriver  que  jus- 
ques  à  Unna  et  de  porter  un  détachement  jusqu'à  Her- 
merden.  Il  trouva  partout  des  troupes  de  la  seconde  ligne 
des  ennemis  et  supérieures  k  lui.  »  Cette  seconde  ligne 
ne  se  composait,  d'après  les  rapports  allemands,  que  de 
quelques  troupes  légères  du  major  Scheitei'. 

En  résumé,  les  divisions  de  Condé,  Dumesnil  et  Voyer, 
soit  presque  la  moitié  de  l'infanterie  de  Soubise,  ne 
tirèrent  pas  un  coup  de  fusil;  tout  l'efFort  porta  donc 
sur  les  troupes  de  Broglie.  Des  50.000  comijattants  que 
lui  attribuent  plusieui's  auteurs,  lors  de  son  entrée  en 
campagne,  il  faut  défalquer  les  36  bataillons  et  42  esca- 
drons de  De  Muy,  Lusace  etChabo  opposés  à  VVangenheim 
et  à  Liickner,  et  surveillant  la  garnison  de  Lippstadt; 
il  restait  donc  au  maréchal  environ  32.000  hommes.  En 
face  de  ces  forces,  le  prince  Ferdinand,  par  suite  des  hési- 
tations de  Soubise,  put  mettre  en  ligne  un  chiffre  égal 
de  troupes  et  supprimer  ainsi  sur  le  champ  de  bataille 
la  supériorité  numérique  que  possédait  sur  lui  l'en- 
semble des  armées  françaises;  le  judicieux  emploi  de 
son  personnel  et  de  son  artillerie,  arme  dans  laquelle 
il  avait  l'avantage,  lui  assurèrent  le  succès. 

Après  avoir  consulté  les  documents  produits  et  surtout 
les  billets  échangés  pendant  les  journées  des  15  et  10  juillet, 
on  est  amené  aux  conclusions  suivantes  :  Le  plan  général 
d'attaque  préparé  par  Broglie  et  accepté  par  Soubise 
n'avait  pas  d'objectif  précis,  manquait  de  netteté  dans 
les  vues  et  ne  reposait  pas  sur  une  connaissance  suffisante 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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de  la  position  ennemie;  il  supposait  pour  le  12  des  mou- 
vements qui  ne  s'exécutèrent  que  le  15  ;  la  manœuvre 
prescrite  à  Dumesnil  et  à  Voyer,  mal  combinée,  tardive- 
ment entreprise,  mollement  e.'iécutée,  n'eut  d'autre  ré- 
sultat que  de  laisser  en  dehors  du  champ  de  bataille  une 
grosse  fraction  de  l'armée  de  Soubise.  Il  en  fut  de  même 
de  la  tentative  pour  prendre  pied  sur  le  plateau  derriè:?e 
Scheidingen.  En  se  quittant  le  15  après  leur  conférence, 
il  est  probable  que  ni  l'un  ni  l'autre  des  maréchaux  ne 
s'attendait  à  autre  chose  qu'un  mouvement  destiné  à 
préparer  une  alFaiie  qu'ils  seraient  libres  d'engager  ou 
de  refuser  le  lendemain.  Rrogiie  se  tint  de  sa  personne 
avec  la  colonne  de  Belsunce  et  ne  se  porta  à  Villinghau- 
sen  que  quand  il  sut  la  lutte  engagée  sérieusement  sur 
ce  point.  Une  fois  le  combat  commencé  pour  la  posses- 
sion du  village,  il  le  soutint,  mais  il  ne  l'avait  pas 
prévu. 

Soubise,  quoique  averti  par  le  bruit  de  la  canonnade 
et  par  le  billet  de  Broglie  de  la  gravité  de  la  lutte,  fut 
hypnotisé  pendant  la  soirée  du  15  par  la  vue  des  en- 
nemis dont  il  croyait,  d'ailleurs  avec  raison,  le  gros  de- 
vant lui;  il  attendit  le  jour  pour  rapprocher  ses  troupes 
et  se  laissa  devancer  par  Ferdinand  qui,  habilement,  mit 
à  profit  le  couvert  de  la  nuit  pour  renforcer  le  point 
faible  de  sa  ligne.  L'exécution  de  l'attaque  de  Scheidingen 
commença  trop  tard,  et  se  ressentit  des  hésitations  du 
chef. 

Condé,  tout  en  obéissant  à  la  lettre  des  ordres  reçus, 
ne  sut  pas  en  interpréter  l'esprit  et  ne  se  conforma  pas  au 
principe  de  marcher  au  feu.  Son  manque  d'initiative,  soxi 
inaction  sur  les  bords  de  l'Ahse  le  rendit  inutile  pendant 
la  matinée  du  16. 

Quant  à  Broglie,  il  est  difficile  de  lui  reprocher  d'a- 
voir défendu  Villinghausen  au  lieu  de  l'abandonner  aux 
Anglais  de  Granby;  le  point  était  important  pour  le  dé- 


DUALITE  DU  COMMANDEMENT. 


117 


bouché  du  lendemain;  racharnemcnt  de  l'ennemi  à 
vouloir  ie  reprendre  était  une  preuve  trop  évidente  de 
cette  importance  pour  ne  pas  chercher  à  conserver  la 
position  disputée.  Peut-être  eut-il  tort  de  l'évacuer, 
alors  qu'il  avait  résisté  victorieusement  jusque-là,  qu'il 
avait  à  portée  les  grenadiers  de  Staînville  et  le  corps 
de  Condé  tout  entier  et  qu'il  savait  l'action  de  Soubise 
commencée?  Les  effectifs  aux  prises  autour  de  Villing- 
hausen  étaient  à  peu  près  égaux  et  l'arrivée  de  Condé 
eût  fait  pencher  la  balance  en  faveur  des  Français. 
Sans  aucun  doute,  pour  trouver  la  véritable  raison  de 
l'échec  subi,  il  faut  s'en  prendre  à  la  dualité  du  com- 
mandement. Malgré  la  subordination  apparente  de  Bro- 
glie,  celui-ci,  en  raison  de  la  supériorité  de  ses  moyens, 
était  l'inspirateur  des  opérations,  mais  seul,  son  supé- 
rieur par  rang  d'ancienneté,  Soubise,  était  investi  des 
pouvoirs  nécessaires  pour  en  assurer  l'exécution. 

De  la  position  équivoque  où  il  était  placé,  Broglie  se 
plaignit  amèrement  fV  Choiseul(l)  :  «  Je  vous  prie  de 
faire  ationtiou.  Monsieur  le  Duc,  et  de  faire  connaître 
à  S.  M  la  situation  dans  laquelle  je  me  trouve  ici.  Je  suis 
chargé  de  lui  répondre  de  l'armée  du  Haut-Rhin  que 
je  ne  commande  plus  que  de  nom,  puisqu'elle  doit  suivre 
les  mouvements  et  les  partis  que  l'autre  prend,  et  je 
réponds  de  fait  des  échecs  qui  pourraient  arriver  à  celle 
du  Bas-Rhin,  et  des  conseils  que  l'on  me  demande  et 
que  je  suis  obligé  de  donner,  quoique  je  ne  puisse  en 
aucuiie  manière  ordonner  du  temps,  des  moyens  et  des 
personnes  employées  k  l'exécution.  S.  M.  est  trop  juste 
pour  exiger  que  cela  dure  longtemps,  ce  serait  la  perte 
de  son  service,  ce  qui  m'affligerait  encore  beaucoup  plus 
que  ce  qu'il  y  aurait  de  personnel  pour  moi.   » 

Aussitôt  les  rapports  sur  l'événement  de  Villinghauscn 


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(1)  Broglie  à  Choiseul,  Erwilte,  19  juillet  1"64.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  IV. 


parvenus  à  Versailles,  la  cour,  par  l'entremise  de  Choi- 
seul,  adressa  aux  deux  généraux  quelques  mots  de  cri- 
tique qui  ne  manquent  pas  de  justesse  et  qui  démontrent 
un  véritable  esprit  d'impartialité.  A  Broglie,  le  ministre 
écrivit  (1)  :  «  Il  a  paru  au  Roi,  Monsieur  le  Maréchal, 
qu'étant  convenu  entre  vous  et  M.  le  maréchal  de  Sou- 
bise  que  l'attaque  sur  les  ennemis  ne  serait  faite  que 
le  16  au  matin,  il  aurait  mieux  valu  que  vous  eussiez 
différé  jusques  à  cette  époque  l'attaque  que  vous  avez 
commencée  le  15,  ce  retard  aurait  produit  l'avantage 
qu'en  réussissant  le  16,  comme  vous  avez  réussi  le  15, 
l'armée  de  M.  de  Soubise  aurait  concouru  au  combat, 
ainsi  qu'elle  l'a  fait  le  16  au  matin,  que  le  retard  qu'il 
y  a  eu  dans  les  mouvements  de  l'armée  de  Soubise  le  16 
n'aurait  pas  été  sensible,  puisqu'elle  attaquait  lorsque 
M.  de  Soubise  a  reçu  votre  lettre  à  7  heures  du  matin  qui 
lui  marquait  de  se  retirer  et  que  vous  n'auriez  pas  perdu 
le  16  le  terrain  que  vous  aviez  conquis  le  15, 

<(  Quoi  qu'il  en  soit,  Monsieur  le  Maréchal,  il  faut  par- 
tir du  point  où  l'on  se  trouve,  sans  examiner  les  détails 
des  faits  passés,  c'est  la  meilleure  méthode  de  bien  ser- 
vir le  Roi  et  de  remplir  les  vues  de  Sa  Majesté.  »  La 
lettre  (2)  destinée  à  Soubise  était  conçue  dans  le  même 
esprit  :  «  Vous  verrez.  Monsieur  le  Maréchal,  par  la  copie 
de  la  lettre  que  j'écris  'ujourd'hui  à  M;  de  Broglie  ce 
que  S.  M.  a  pensé  sur  l'attaque  prématurée  du  15, 
en  môme  temps  le  Roi  aurail  désiré  que  dès  que  vous 
avez  été  instruit  de  ce  qui  s'était  passé  le  15  à  l'armée 
de  Broglie,  vous  eussiez  pressé  les  dispositions  pour  atta- 
quer l'ennemi  de  votre  côté  de  façon  que  vous  eussiez 
pu  commencer  votre  attaque  à  la  pointe  du  jour  du  16, 
ce  qui  aurait  produit  nécessairement  la  conservation  de 
l'avantage  acquis  le  15.  . 

(1)  Ghoiseul  à  Broglie,   22  juillet   1761.  Archives  de  la  Guerre. 
■  (2)  Choiseul  à  Soubise,  22  juillet  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


CRITIQUES  DE  LA  COUR. 


119 


«  Mais  comme  je  le  mande  à  M.  le  maréchal  de  Broglie, 
il  est  inutile  de  discuter  les  détails  des  faits  passés,  cette 
discussion  ne  peut  être  que  nuisible  au  service  du  Roi... 
Le  sort  des  armes  est  incertain,  Monsieur  le  Maréchal, 
mais  la  volonté  du  Roi  es'  précise  et  lorsque  les  géné- 
raux de  S.  M.  feront  en  l'exécutant  tout  ce  qui  dépend 
d'eux,  1*^  Roi  leur  promet  de  ne  leur  faire  aucun  reproche 
sur  l'événement.  » 

Ce  blâme,  si  léger  qu'il  paraisse  aujourd'huf,  fut  vive- 
ment ressenti  par  chacun  des  états-majors.  Les  thèses  di- 
vergentes sur  les  décisions  prises  à  la  conférence  du  15 
furent  affirmées  avec  une  assurance  dont  l'énergie  crois- 
sait en  raison  du  temps  écoulé  depuis  les  événements  : 
Broglie  dans  sa  réponse  (1)  en  appelle  au  témoignage  du 
comte  de  Stainville,  frère  du  Ministre,  pour  certifier  l'exac- 
titude de  son  récit  que  nous  reproduisons  :  «  Le  14,  Mon- 
sieur le  maréchal  de  Soubise  monta  de  grand  matin  à 
cheval  pour  aller  reconnaître  la  position  des  ennemis; 
il  y  resta  presque  tout  le  jour,  et  le  soir,  il  me  fit  l'hon- 
neur de  passer  chez  moi  sur  les  dix  heures  avec  M.  de 
Castries,  et  il  me  dit  ce  qu'il  avait  vu,  et  comme  il 
était  très  frtigué  et  très  endormi,  ainsi  que  M.  de  Castries, 
il  fut  remis  au  lendemain  matin  à  s'assembler  chez  lui  pour 
y  convenir  de  ce  qui  serait  fait  dans  la  journée  du  15. 

«  Je  m'y  rendis  de  bonne  heure  avec  M.  votre  frère,  et 
il  fut  arrangé  (2)  :  1°  que  M.  le  maréchal  de  Soubise 
porterait  ce  jour-là  15  un  corps  sur  la  bruyère  du  vil- 
lage de  Scheidingen,  qu'il  l'y  ferait  camper  et  occu- 
perait le  village;  2"  qu'il  ferait  paraître  des  tôtes  vis- 
à-vis  de  Neumûhl  et  Kochmïihl  ;  3"  qu'il  enverrait  un 
corps   camper   à  Borgoln  pour  remplacer  celui  de  M.  le 

(1)  Hroglie  à  Choiseul,  Padcrborn,  28  juillet  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Si  l'on  compare  ce  compte  rendu  de  la  conférence  du  15  avec  celui  de 
la  dépêche  de  Broglie  du  16,  on  constate  que  le  premier  esi  beaucoup  plus 
complet  et  plus  précis,  il  est  en  désaccord  avec  la  lettre  de  Condé  à  Broglie. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IV. 


prince  de  Condè  ;  4°  que  celui  de  M.  le  prince  de  Condé 
passerait  l'Aest  aussitôt  que  M.  de  Stainville  se  serait 
emparé  du  cliàteau  de  Nadel;  5°  que  M.  de  Stainville  at- 
taquerait à  5  heures  le  château  de  Nadel;  G"  que  l'armée 
du  Ilaut-Khin  s'avancerait  vers  IJltrop  pour  y  camper 
entre  l'Aest  et  la  Lippe  ;  7°  que  je  ferais  occuper  le  vil- 
lage de  Fillinghausen  par  la  réserve  de  M.  do  Clozen; 
sans  la  possession  de  ce  village,  je  ne  pouvais  pas  camper 
k  Ultrop,  puisqu'il  me  cachait  les  mouvements  des  enne- 
mis et  leur  donnaii;  la  facilité  de  déboucher  jusque  dans 
mon  camp  sans  être  aperçus.  Il  était  également  impossible 
que  M.  de  Stainville  pût  demeurer  à  Nadel  qui  était  plus 
avancé  que  ce  villag-e  qui  tient  à  des  bois  par  lesquels  les 
ennemis  auraient  pu  le  couper. 

«  Il  fut  dit  ensuite  que  comme  on  se  trouverait  par 
cette  position,  très  près  de  celle  des  ennemis,  on  la  recon- 
naîtrait et  on  verrait  si  on  pouvait  entreprendre  sur  eux, 
et  il  ne  fut  ici  jamais  dit  qu'on  attaquerait  le  16  au 
matin.  » 

A  en  croire  Broglie,  qui  est  d'accord  sur  ce  point  avec  le 
prince  Ferdinand  (1),  lemouvement  sur  Scheidingen  n'au- 
raitcommencé  qu'à  7  heures  et  Soubiselors  de  sa  première 
entrevue  avec  lui,  après  la  bataille,  aurait  ((  témoigné  être 
très  mécontent  de  ce  que  ses  ordres  étaient  exécutés  très 
lentement  ou  ne  l'étaient  point  du  tout  ». 

La  version  (2)  deSoubise  est  la  suivante  :  «  .l'ose  assurer 
que  l'on  ne  devait  attaquer  le  16  ou  le  17  qu'après  avoir 
reconnu  les  moyens  de  le  tenter  avec  succès  et  pris  des 
points  d'appui  que  l'on  devait  fortifier  par  de  bonnes 
redoutes...  ayant  apprise  2  heures  (du  matin)  ce  qui  s'était 
passé  dans  la  soirée  du  15,  j'ai  fait  attaquer  sur  les  5  heu- 
res un  bois  que  les  ennemis  occupaient  en  deçà  du  ruis- 

(1)  Lettre  écrite  de  llunscn-Over  le  20  juillet,  contenant  la  relation  authen- 
tique de  la  bataille  du  !«.  Westphalen.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  à  Choiseul,  Ilerdringen,  27  juillet  17C1.  Archives  de  la  Guerre. 


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VERSION  OE  SOUniSE. 


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seau  sur  la  droite  du  village. . .  L'artillerie  a  commencé  vers 
6  heures  à  tirer  sur  le  village  qui  successivement  a  été  at- 
taqué et  emporté  avec  beaucoup  de  vigueur.  J'ai  aban- 
donné l'attaque  après  avoir  reçu  la  lettre  de  M.  le  maréchal 
de  Broglie  datée  de  7  heures  et  demie...  Je  n'ai  pu,  Mon- 
sieur, refuser  ce  petit  éclaircissement  au  soup(;on  de  len- 
teur ou  de  négligence  dont  je  ne  me  consolerais  de  ma 
vie.  » 

Au  cours  des  deux  jours  du  combat  de  Villinghausen, 
les  confédérés  éprouvèrent  une  perte  de  1.400  officiers 
et  soldats  tués,  blessés  et  pris  ;  celle  des  Franc^ais  fut 
beaucoup  plus  forte,  elle  se  monta,  d'après  le  rapport  de 
Broglie,  à  757  officiers  et  soldats  tués,  1.212  blessés  et 
1.143  prisonniers,  soit  en  tout  3.112,  plus  que  double  de 
celle  des  confé  Jérés.  Les  corps  les  plus  éprouvés  furent  les 
régiments  de  Rougé,  du  Roi,  Provence,  Nassau,  Deux- 
Ponts,  Aquitaine,  Dauphinéetles  volontaires  de  St- Victor. 
Du  côté  du  prince  Ferdinand,  les  bataillons  hanovriens 
qui  faisaient  partie  de  la  division  Wolff  souffrirent  le  plus. 
Dans  la  soirée  du  15,  les  Français  s'étaient  emparés  de 
3  canons  régimentaires  à  Villinghausen,  par  contre,  dans 
la  matinée  du  16,  ils  perdirent  les  k  pièces  du  régiment 
de  Rongé  et  5  pièces  du  parc  ainsi  que  5  drapeaux. 

Plusieurs  officiers  démarque  furent  tués  ou  blessés  dans 
l'armée  de  Broglie.  Le  duc  d'Havre  eut  un  bras  emporté  ; 
le  marquis  de  Rougé  eut  la  cuisse  brisée;  M.  de  Vérac, 
gendre  du  duc,  fut  blessé  aussi  très  grièvement;  le  môme 
coup  de  canon  les  avait  atteints  assis  sous  un  arbre  ;  les 
deux  premiers  moururent  de  leurs  blessures.  Villepatour, 
brigadier  d'artillerie,  fut  blessé  ainsi  que  le  duc  de  Duras 
elle  marquis  de  Maupeou  ;  le  colonel,  le  lieutenant-colo- 
nel et  le  major  du  régiment  de  Rougé  figurèrent  au  nombre 
des  prisonniers.  Du  côté  des  confédérés,  aucun  person- 
nage de  distinction  ne  fut  atteint. 

Bien  que  dans  les  récits  officiels  la  cour  de  Versailles 


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122 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IV. 


chei'chAt  JÏ  atténuer  (1)  l'importance  de  l'échec,  le  combat 
de  Villingliausen  eutau  point  de  vue  moral  et  politique  des 
conséquences  déplorables.  La  nouvelle  parvenue  à  Lon- 
dres à  un  moment  critique  des  négociations  confirma  l'in- 
transigeance de  Pitt  et  lui  ramena  les  votes  Iiésitants  de 
ses  collègues  du  Ministère.  Sur  le  théâtre  de  la  guerre,  la 
bonne  entente  entre  les  deux  maréchaux  qui  avait  présidé 
aux  premières  opérations,  disparut  pour  ne  plus  renaître. 
La  querelle  des  chefs  fut  épousée  par  leurs  subordonnés, 
dr>nt  plusieurs  ne  pouvaient  oublier  les  griefs  passés.  «  Les 
discours  vont  leur  train  dai  nos  deux  armées,  écrit  un 
correspondant  anonyme  (2)...  toute  l'armée  ne  respire 
qu'après  l'occasion  de  venger  le  maréchal  de  Broglie,  tan- 
dis que  bien  des  gens  en  second  s'en  réjouissent.  » 

Pendant  l'après-midi  du  16  et  la  journée  du  lendemain, 
les  confédérés  prirent  leurs  précautions  contre  la  reprise 
de  la  lutte.  «  Nous  nous  attendions,  écrit  Granby  (3),  cons- 
tamment à  une  seconde  action.  Nous  avons  été  sous  les 
armes  depuis  minuit  la  nuit  dernière  dans  la  crainte 
d'une  visite,  car  les  avis  nous  prévenaient  que  les  deux 
armées  françaises  étaient  en  mouvement,  mais  on  vient 
de  nous  annoncer  qu'elles  sont  en  pleine  marche  sur  Er- 
witte  et  Aurach  près  de  Lippstadt.  »  Le  soir  du  16,  les 
combattants  du  matin  s'étaient  en  elfet  bornés  à  réintégrer 
leurs  cantonnements  de  la  veille,  mais  ils  n'y  restèrent 
pas  longtemps;  peut-être  la  destruction  d'un  convoi  im- 
portant aux  environs  de  Warburg  et  une  attaqua  du  corps 
de  Chabo  par  Liickner  aux  environs  de  Neuhaus  furent- 
elles  pour  quelque  chose  dans  la  détermination  de  Bro- 
glie, toujours  est-il  que  ce  maréchal  ramena  son  quartier 

(1)  Note  manuscrite  de  Ciioiseul  pour  le  directeur  de  la  Gazette  de  France, 
23  juillet  1761.  Archives  de  la  Guerre  :  a  faire  valoir  i'ail'aire  du  15,  adoucir 
la  retraite  du  1(>,  ménager  les  deux  généraux,  louer  beaucoup  les  troupes  ». 

(2)  Lettre  interceptée  d'un  officier  français.  Westphalen,  V,  p.  670. 

(3)  Granby  à  Bute,  Kirch  Dumkern,  17  juillet  1761.  Newcastle  Papers. 


CONFÉRKNCE  DES  MARÉCHAUX. 


198 


général  <i  Ervete  le  19  juillet  et  rappela  à  lui  NValduor 
qui  avait  été  détaché  à  Hoxter.  De  son  crtté,  Souhise  avnit 
abandonné  la  plaine  de  Soest  pour  la  région  plus  acci- 
dentée du  Haarstrang-  et  avait  installéson  quartier  général 
à  Berlinghausen;  Condé  avec  la  réserve  occupait  Lohnc 
sur  la  route  de  Soest  à  Ervete;  Voyer  était  cantonné  à 
Sassendoi'f, 

•  Quelle  suite  fallait-il  donner  à  la  campagne?  Un  pre- 
mier cH'ort  pour  forcer  le  prince  Ferdinand  à  repasser  la 
Lippe,  préliminaire  presque  indispensable  des  sièges  à 
entreprendre,  avait  échoué  ;  devait-on  on  tenter  un  se- 
cond? Profiterait-on  de  l'nutorisation  donnée  par  les  ins- 
tructions de  la  Cour  en  date  du  10  juillet,  pour  renforcer 
l'armée  du  Haut-Rhin  de  30.000  hommes  et  pour  reprendre 
l'idée  d'une  diversion  en  force  sur  le  bas  Weser  ou  le 
Hanovre?  Soubise  penchait  (1)  pour  la  séparation  des 
commandements  :  «  Les  armées  du  roi  ne  resteraient  point 
dans  l'inaction.  M.  de  Broglie  serait  content  par  tout  ce 
qui  me  revient  depuis  deux  jours;  je  suis  convaincu  que 
le  bien  du  service  se  trouvera  à  la  séparation  des  deux  ar- 
mées. Vous  l'avez  toujours  prisé.  Il  est  bien  malheureux 
que  le  moment  de  la  réunion  n'ait  pas  produit  un  effet 
décisif;  on  devait  le  croire  et  il  était  bien  vraisemblable.  » 
Le  lendemain  20,  il  y  eut  conférence  entre  les  deux 
maréchaux  à  Ervete.  D'après  un  résumé  rédigé  (2)  par 
Broglie,  on  fut  d'accord  pour  renoncer  à  une  attaque 
contre  la  position  actuelle  des  confédérés,  mais  de  l'avis  de 
Soubise  et  de  ses  conseillers,  une  diminution  de  leurs 
effectifset  une  diversion  lointaine  de  l'armée  du  Ilant-Hhin 
surBrelefeld  ou  le  Weser  exposerait  celle  du  Bas-Rhin  au 
danger  d'avoir  à  soutenir  dans  des  conditions  d'infériorité 
une  attaque  du  prince  Ferdinand.  A  cette  objection  Broglie 
et  ses  amis  opposaient  l'impossibilité  de  faire  vivre  à  Pa- 

(1)  Soubise  à  Choiseul,  19  juillet  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Mémoire  de  Broglie  à  Soubise.  Ervcle,  20  juillet  1661.  Archiv.  Guerre. 


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124 


U  r.UERUE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


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(lerborn  les  deux  nrmcVs  réunies,  les  ressources  supérieures 
(les  pays  sur  la  rive  droite  du  Wescr,  les  facilités  d'appro- 
visionnenient  ((u'on  y  rencontrerait,  enfin  l'obligation 
(pii  incomberait  aux  conf«^dérés  de  suivre  le  mouvement 
exceniriquc  et  la  sécurité  qui  en  résulterait  pour  les  opé- 
rations de  Soubise.  Le  21,  ce  dernier  rend  compte  (1)  A 
Choiseul  du  résultat  du  conciliabule  de  la  veille  :  «  Je  suis 
revenr  c^îte  nuit  fort  tard  d  Krvete  où  j'avais  été  trouver 
M.  le  maréchal  de  Broglie  ;  la  conférence  a  été  longue; 
nous  avons  commencé  par  traiter  le  projei  de  porter  les 
armées  réunies  à  Paderborn  pour  tourner  les  ennemis  aux 
sources  de  la  Lippe  et  de  l'Ems  et  obliger  le  prince  Fer- 
dinand iï  regagner  le  Weser;  il  a  été  longtemps  débattu; 
les  difficultés  se  rt  nouvelèrent  à  chaque  instant  ot  se  suc- 
cédaient dès  qu'on  /enait  k  bout  d'en  détruire  quelques- 
unes.  Voyant  qu'il  était  inutile  de  chercher  {\  persuader, 
j'ai  pris  le  parti  dont  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  prévenir 
hier,  et  j'ai  proposé  la  séparation  des  deux  armées  en 
renforçant  de  30.000  hommes  l'armée  du  Haut  Rhin,  ce 
qui  a  été  accepté  avec  grande  satisfaction  ;  M.  le  maréchal 
de  Broglie  avait  eu  la  niéme  idée  et  il  avait  même  pré- 
paré un  mémoire  en  conséquence,  il  me  l'a  remis  et  j'y 
dois  répondre  si  les  circonstances  l'exigent,  mais  l'ayant 
prévenu  il  devient  inutile  et  les  opérations  ultérieures 
dépendront  des  ordres  que  les  généraux  recevront  direc- 
tement de  la  Cour.  M.  le  maréchal  de  Broglie  se  rendra 
ce  matin  chez  iVI.  le  prince  de  Condé  et  nous  allons  ex- 
pédier les  détails.  »  Il  fut  donné  suite  sans  retard  à  la 
nouvelle  répartition  des  forces;  dès  le  26  juillet,  l'armée 
du  llaut-Bhin  reçut  un  renfort  de  36  bataillons  et  50  es- 
cadrons; y  compris  les  garnisons  et  les  troupes  de 
communications,  elle  compterait  un  total  de  plus  de 
100.000  hommes  répartis  entre  117  bataillons,  118  esca- 

(1)  Soubise  à  Choiseiil,Berlinghausen,  21  juillet  17C1.  Archives  de  la  Guerre. 


KKM'ORCKMENT  OK  L'ARM^K  DU  lUlOGMl!;. 


tas 


(Irons  et  r».000  troupes  légùros;  par  contre  l'armée  de 
Sou  bise  était  rciluite  à  7G  bataillons,  8.')  escadrons  et 
5. ()()()  irréguliei-s  donnant  un  efFectir  sur  le  papier  de 
68.000  hommes.  Déduction  faite  des  détachements  et  du 
continficnt  alloué  aux  places  fortes,  Hroglic  pouvait 
disposer  de  80.000,  Soubiscde  55.000  combattants,  l'armi 
les  unités  proposées  pour  composer  le  renfort  figurait  la 
maison  du  Uoi  ;  Broglie  déclina  l'addition  de  ce  «  corps 
aussi  respectable  et  aussi  fait  pour  être  ménage  ».  Il 
supportait  d'ailleurs  assez  mal  les  fatigues  de  la  campa- 
gne :  «  Il  me  paraît  impossible,  Monsieur,  avait  écrit 
Soubise,  de  mettre  la  maison  du  Hoi  dans  lo  nombre  des 
troupes  qui  joindront  M.  do  Broglie.  Ce  serait  la  perdre 
totalement;  elle  a  déjà  beaucoup  de  malades  et  M.  de 
Broglie  m'a  assuré  qu'il  n'en  pourrait  faire  aucun  usage 
et  qu'elle  pourrait,  dans  les  marches  vives,  lui  causer 
beaucoup  d'importunité.  » 

Le  25  juillet,  Soubise  annonce  (1)  son  intention  de  se 
retirer  derrière  la  Uoer  :  «  li  n'y  a  point  de  position  à  la 
rive  droite  de  cette  rivière  et  la  proximité  des  ennenns  ne 
permet  pouit  de  s'exposer  en  deçà  de  la  montagne  avec 
une  infériorité  aussi  décidée.  J'attendrai  dans  les  envi- 
rons d'Arnsberg  pendant  deux  ou  trois  jours  le  parti 
qu'aura  pris  le  prince  Ferdinand.  »  Soubise  n'a  pas  grande 
confiance  dans  le  résultat  de  la  diversion  sur  le  Weser  : 
«  Le  plan  de  campagne  qu'il  (Ferdinand)  a  adopté  jusqu'ici 
est  si  extraordinaire  que  l'armée  du  Haut-Rhin  portée  sur 
le  Weser  ne  le  déterminera  peut-être  pas  à  abandonner  la 
défense  de  Lippstadt  et  Munster.  Cependant,  toutes  les 
règles  de  la  guerre  et  les  préjugés  récents  se  trouveront 
démentis  sises  communications  interceptées  avec  le  bas 
Weser  ne  le  iorcent  pas  à  s'en  rapprocher.  » 

Deux  jours  après  parvinrent   aux  quartiers  généraux 


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(1)  Soubise  ù  Choiscul,    lierlinghausen,    25  juillet   l'Ul.  Archives  de   la 
Guerre. 


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LA  GUERRE  DR  SEPT  ANS.  -  VWKV.  IV. 


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frnn(;ais  les  instructions  (If  la  Coui'(l).  Dans  sa  première 
(lépôche  (lu  9,'l,  après  les  ('i'iti((ues  que  lui  avait  su^-gérées 
le  bulletin  (les  jouinées  (les  iô  el  16,  Choiscul  s'était  pni- 
nonc('!  pour  une  repiise  de  l'olfensive  contre  Ferdinand 
et  avait  nu^me  indiqué  le  point  d'attaijue;  dans  jelle  du 
'Ik  il  revi(!nt  au  plan  primitif  de  campagne  ;  «  Si  les  ar- 
mées ne  s'étaient  pas  jointes,  la  Cour  avait  un  plan  pour 
diriger  successivement  et  sans  obscurité  leurs  mou  vcments, 
mais  les  généraux  contre  l'arrangement  de  la  Cour  ayant 
réuni  leurs  forces,  le  Koi  n'avait  pius  qu'à  attendre  les 
événements  lieureux  ou  malheureux  de  cette  réunion,  et 
s'ils  étaient  heureux  mon  devoir  était  de  prévenir  l(;s 
moyens  pour  les  plus  grands  iuccès,  car  relativement  aux 
opérations,  le  plan  de  la  Cour  n'étant  pas  suivi,  nous  espé- 
rions que  les  généraux  avaient  prévu  tous  les  remèdes 
aux  inconvénients  du  projet  qu'ils  exécutèrent  de  leur 
chef,  voilà,  iMonsieur  le  Maréchal,  ce  que  je  dois  vous 
mander  pour  l'honneur  du  ministère,  j'y  ajouterai  de 
plus  que  vous  paraissez  sur  le  point  de  renforcer  l'ai'mée 
de  Broglie  de  30.000  hommes,  ce  qui  est  encore  contre 
l'intention  du  Roi;  S.  M.  m'a  chargé  de  vous  mander  que 
lorsque  vous  feriez  les  sièges  de  Lippstadt  et  de  Munster, 
M.  le  maréchal  de  Broglie  serait  chargé  avec  .son  armée 
de  couvrir  ces  sièges  et  qu'alors,  it;  is  pas  avant,vous  dé- 
tacheriez 30.000  hommes  de  /oie  armée  à  l'armée  de 
Broglie  qui  vous  couvrirait;  et  que  M.  de  Broglie  faisant 
le  siège  d'IIamelen,  vous  rendrait  les  30.000  hommes  et  20 
de  son  armée  pour  que  vous, couvrissiez  son  siège  de 
même  qu'il  aurait  couvert  les  deux  vôtres;  mais  le  Roi 
n'approuve  point  du  tout  et  n'a  point  entendu  qu'hors  le 
cas  des  sièges  vous  affaiblissiez  votre  armée  et  à  moins 
que  vous  ne  concertiez  une  opération  avec  M.  de  Broglie 
qui  paraisse  utile  et  qui  soit  approuvée  par  le  Roi,  per- 

(l)Choiseul  à  Soubise  et  Broglie,  2'.l  el  24  juillet  17GI.  Archives  de  la 
Guerre. 


LKTTRE  I)K  CIIOISEUL. 


137 


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la 


mettoz-moi,  Monsieur  le  MaiV^chal,  de  vous  prévenir  qu  il 
n'est  pas  de  voire  pouvoir  de  <lisl()(|uer  votre  armée.  » 
Les  projets  relatifs  aux  opérations  futures  devaient  »Hre 
soumis  au  Conseil  :  «  Si  vous  et  M.  le  maréchal  de  Hro^lie, 
par  les  circonstances,  croyez  devoir  exécuter  des  opéra- 
tions qui  n'aient  pas  pour  objet  Icssirues,  a  iparavKnt 
que  de  les  entamer  h^  Uoi  veut  que  vous  lui  envoyiez  le 
mémoire  de  votre  projet,  afin  qu'il  ju^e  s'il  cmvient  à 
ses  intérêts,  et  en  attendant,  les  choses  doivent  rester  aux 
deux  armées  dans  l'état  où  elles  se  trouvent.  M.  le  marc- 
chai  de  Broglie  par  son  courrier  du  19  m'annon';e  un  mé- 
moire comme  il  vous  l'aura  communiqué  sans  doute,  et 
que  vous  nous  enverriez  vos  observations,  le  Roi  jugera 
lorsqu'il  aura  reçu  ces  deux  pièces  ce  (ju'il  y  aum  de  mieux 
à  faire.  Si  S.  M.  suivait  mon  conseil,  elle  ferait  revenir  son 
armée  du  Haut-Rhin  à  Paderborn  qui  y  ferait  an  établis- 
sement solide,  elle  ordonnerait  à  son  armée  di  Bas-llhin 
de  reprendre  le  projet  de  la  droite  de  la  Lippe,  >  Quel  que 
soit  le  plan  adopté,  Choiseul  se  déclare  partisun  de  «  sé- 
parer l«^s  armées  à  jamais  ». 

A  la  lecture  de  la  prose  ministérielle,  Soubist  se  repen- 
tit de  l'initiative  qu'il  avait  prise  et  redemanda  (1)  à  Bro- 
glie les  30.000  hommes  qu'il  lui  avait  cédés  :  «  Nous  nous 

sommes  trompés  sur  les  intentions  du  Roi Si  vous 

êtes  encore  à  Paderborn,  M.  le  Maréchal,  vos  opérations 
ne  sont  pas  encore  entamées,  et  je  crois  que  nous  de- 
vons de  préférence  à  tout  songer  k  remplir  les    ordres 

que  nous  recevons  ; en  prenant  quelques  précautions 

les  30.000  hommes  peuvent  me  rejoindre.  »  Broglie  ne 
goûta  pas  la  proposition  de  son  collègue.  Il  se  considé- 
rait (2)  couvert  par  l'approbation  de  tous  ceux  qui  avaient 
assisté  au  conseil  d'Ervete.  «  .le  crois  devoir  être  tran- 
quille à  compter  sur  l'indulgence  de  mon  maitre,  quand 

(1)  Soubise  à  Broglie,  Herdriiigen,  28  juillet  iir,i.  archives  de  la  Guerre. 

(2)  Broglie  à  Soubise,  Driburg,  30  juillet  17(>1.  Archives  de  la  Guerre. 


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même  je  me  serais  trompé.»  Au  surplus,  il  w  ne  voit  rien» 
dans  la  lettre  de  Choiseul  «  qui  porte  ordre,  si  les  armées 
sont  déjà  séparées,  de  vous  renvoyer  les  30.000  hommes, 
aussi  dans  l'incertitude  et  en  attendant  de  nouveaux  or- 
dres il  y  aurait  de  l'imprudence  à  nous  de  faire  aucun 
changement  aux  premières  dispositions  fjui  ont  été  faites  ». 
Broglie  écrivit  à  Choiseul  dans  dej  termes  équivalents. 
Le  jour  même  du  refus  de  Broglie  de  lui  restituer  ses 
30.000  hommes,  Souhise reçut  une  nouvelle  dépêche  (1)  de 
la  Cour  en  date  du  16.  Le  Roi  reconnaissait  les  difficultés 
qu'aurait  présentées  une  nouvelle  attaque  de  l.i  position 
de  Ferdinand  :  «  Après  avoir  hien  constaté  que  les  enne- 
mis sont  inattaquables,  comme  il  le  parait  dans  le  poste 
qu'ils  occupent  »,  il  autorisait  les  deux  généraux  à  exé- 
cuter le  plan  convenu  entre  eux  et  donnait  sa  sanction  au 
renforcement  de  l'armée  de  Broglie. 

Soubisé,  ravi  de  la  solution,  se  déclara  (2)  bien  «  sou- 
lagé par  l'approbation  que  le  Roi  veut  bien  donner  au 
plan  de  campagne  »  que  son  collègue  et  lui  avaient  jugé 
le  plus  convenable.  Il  eût  été  d'ailleurs  difficile  de  reve- 
nir sur  les  décisions  prises  par  les  deux  généraux.  Bro- 
glie, beaucoup  moins  déférent  pjur  les  injonctions  de  la 
Cour,  s'eiait  avancé  assez  loin  sur  le  chemin  du  Weser  ; 
depuis  le  30  juillet  son  quartier  général  était  à  Driburg, 
presque  '•  moitié  distance  de  Paderborn  et  d'Hoxter  où  il 
faisait  établir  des  fours;  il  venait  d'envoyer  Stainville  à 
Kleinenburg  sur  la  route  de  Paderborn  à  Cassel  avec  mis- 
sion de  protéger  la  liesse  et  de  veiller  sur  les  entreprises 
de  l'ennemi,  et  il  avait  chargé  Rochambeau  de  masquer  le 
défilé  de  Stadtberg.  Soubise,  toujours  à  Ilerdringen,  con- 
tinuait à  ne  pas  comprendre  les  mouvements  de  Ferdi- 
nand qu'il  croyait  parti  mais  qui  paraissait  être  revenu; 
l'armée  française,  faute  de  vivres,  serait  obligée  de  des- 

(1)  Choiseul  à  Soubise  et  Broglie,  20  juillet  1761.  Arcliives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  à  Broglie,  Ilerdringen,  30  juillet  1761.  Archives  delà  Guerre. 


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KROGLIE  PROPOSE   LE  SIÈGE  DE  LIPSTADT. 


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il 

à 


cendre  la  rive  gauche  de  la  Uoer  vers  Menden  et  Surer. 

Les  derniers  jours  de  juillet  avaient  été  consacrés  à  un 
échange  de  mémoires  sur  les  opérations  à  entreprendre 
après  la  séparation.  Dans  un  document  en  date  du 
28  juillet  (i)  qui  résumait  la  discussion  déjà  entamée 
entre  son  collègue  et  lui,  Broglie  insistait  sur  le  siège  de 
Lippstadt,  «  que  je  regarde  comme  le  plus  important  et 
sans  lequel  la  campagne  serait  absolument  perdue.  Il  y  a 
trois  moyens  de  faire  abandonner  au  prince  Ferdinand 
les  environs  de  Lippstadt  :  l'un,  de  marcher  droit  à  lui  et 
de  l'attaquer  partout  où  il  pourra  se  placer;  raui'-e,  de 
menacer  Ilamelen  par  la  rive  gauche  du  Weser;  le  der- 
nier, de  passer  cette  rivière  et  de  l'obliger  pnr  là  à  venir 
défendre  l'électorat  d'Hanovre  ».  Grâce  aux  avantages 
stratégiques  et  de  ravitaillement  que  lui  donne  sa  posi- 
tion centrale,  «  M.  le  Prince  Ferdinand,  tant  qu'il  restera 
auprès  de  Lippstadt  et  llamm,  ne  peut  jamais  être  forcé 
de  combattre,  à  moins  qu'il  ne  croie  sa  position  assez 
bonne  pour  vouloir  le  risquer.  Pour  ce  qui  est  du  second, 
c'est  celui  que  je  vais  chercher  a  mettre  en  usage,  en  me 
portant  demain  fivec  l'armée  à  Driburg,  et  poussant  de 
gros  détachements  sur  Hameln.  M.  de  Chabo  y  va  aujour- 
d'hui et  a  ordre  de  s'eii  approcher  jusqu'à  la  porte  s'il  lui 
est  possible  ». 

Si  cette  diversion  réussit  et  si  le  prince  Ferdinand  se 
place  entre  Bielefeld  et  llaïueln,  BrogLe  lui  tiendra  tête  et 
Soubise  aura  toute  liberté  d'agir  contre  Hamm  ou  Lippstadt. 

«  A  l'égard  du  dernier  parti,  de  faire  passer  le  Weser  à 
cette  armée  et  la  porter  dans  l'électorat  d'Hanovre,  il  est 
très  vraisemblable  que  cela  rappellerait  M.  le  prince  Fer- 
dinand sur  la  rive  droite  de  cette  rivière.  Mais  comme  il 
a,  ainsi  qu'il  aété  dit  plus  haut,  la  facilité  de  tirer  son  pain 
de  Lippstadt,  il  y  aurait  à  craindre,  si  l'armée  du  Haiit- 

(t)  Hroglie  àSoiildse,  Paderborn.  28  juillet  1701.  Archives  de  la  Guerre. 
i;rERHi;  iik  ski-t  ans.  —  t.  v.  0 


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130 


LA  CiUERRb:  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IV. 


Rhin  passait  en  entier  le  Weser,  que  le  prince  Ferdinand 
ne  marchât  sur  la  Dymel,  avec  un  très  gros  corps,  ne  lit 
une  irruption  en  Hesso  et,  portant  des  troupes  légères  sur 
noscommunicationsdeGiessenàZiegcnhayn,  Alsfeld,etc... 
n'interceptât  tous  nos  convois  de  farines,  ne  nous  mit 
dans  les  plus  grands  embarras,  et  ne  nous  obligeât  à 
revenir  promptement  songer  à  la  défense  de  la  Hesse.  » 

La  protection  du  Landgraviat,  les  garnisons,  les  services 
d'arrière  absorberont  au  moins  25.000  hommes  et  affai- 
bliront l'armée  du  Haut-Rhin  «  au  point  qu'elle  ne  sera 
plus  en  état  de  se  commettre  vis-à-vis  du  prince  Ferdi- 
nand et  encore  moins  d'envoyer  de  gros  détachements 
dans  le  pays  d'Hanovre  et  de  Brunswick  ». 

En  conséquence,  Broglie  ''onouvelle  à  Soubise  sa  prière 
de  veiller  sur  les  défilés  de  Stadtberg,  et  le  cas  échéant, 
de  s'établir  à  Rhuden  ou  à  Biiren  pour  empêcher  les  con- 
fédérés de  passer  la  Dymel.  Quant  à  lui,  il  se  propose  de 
prendre  position  à  Nieheim,  puis  à  Hoxter,  aussitôt  que  les 
fours  seront  prêts.  «  D'ici  là,  nous  verrons  le  parti  auquel 
les  ennemis  se  détermineront  et  conséqueniraent,  ou  je 
tâcherai  de  marcher  à  eux  s'ils  restent  en  deçà  du  Weser, 
ou  je  passerai  cette  rivière  pour  les  obliger  de  me  suivre 
dans  le  pays  d'Hanovre.  Dans  l'une  ou  l'autre  supposition, 
il  est  également  nécessaire  que  vous  m'assuriez  la  Dymel 
et  la  Hesse...  Vous  avez  deux  moyens  de  m'assurer  la 
Hesse  :  l'un,  de  vous  en  charger  avec  la  partie  de  votre 
armée  que  vous  jugerez  à  propos,  et  dans  ce  cas  d'en 
répondre,  et  que  je  n'aie  plus  à  m'en  inquiéter;  le  se- 
cond, de  m'envoyer  deux  troupes  légères,  deux  régiments 
de  dragons  et  le  reste  en  infanterie,  jusqu'à  la  concur- 
rence de  10.000  hommes  que  je  placerai  sur  la  Dymel,  et 
dont  je  donnerai  le  commandement  à  M.  le  comte  de 
Stainville  qui  connaît  cette  partie;  et  alors  je  répondrai 
de  la  Hesse,  et  je  me  chargerai  de  faire  corps  à  corps  la 
guerre  au  prince  Ferdinand. 


EMPRUNT  DE  10.000  HOMMES  A  SOUBISE. 


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«  Dans  ce  cas,  M,  le  Maréchal,  la  combinaison  d'opé- 
rations entre  les  deux  armées  ne  sera  plus  nécessaire  ;  la 
mienne  devenant,  par  ce  moyen,  égale  à  celle  du  prince 
Ferdinand  même  réunie.  Je  serai  chargé  de  le  suivre,  de 
le  chercher  dans  les  différentes  positions  où  il  pourra  se 
placer,  et  de  le  contenir.  Je  veillerai  seul,  en  même 
temps,  à  la  garde  de  la  Hesse  et  de  la  Haute-Werra  et  de 
la  ilaute-Fulde,  enfin  de  toutes  les  communications  de- 
puis Coblentz,  Mayence,  Francfort  et  Wurtzbourg.  L'armée 
du  Bas-Rhin,  considérablement  diminuée,  et  dont  le  fond 
ne  sera  alors  que  de  55.000  hommes,  serait  seulement 
chargée  des  places  du  Bas-Rhin,  depuis  Cologne,  et  de 
se  former  des  établissements  en  farine  qui  puissent  égale- 
ment lui  servir,  soit  pour  faire  le  siège  de  Lipstadt,  soit 
pour  celui  de  Munster.  La  position  qu'elle  devrait  prendre 
serait  indifférente,  pourvu  qu'elle  remplit  ces  objets.  » 
Celle  de  Dorlmund  lui  paraît  préférable,  <(  pouvant  y 
occuper  un  très  bon  camp,  et  étant  même,  de  là,  à  portée 
d'envoyer  de  gros  détachemenis  sur  la  communication  de 
Munster  » . 

En  terminant,  Broglie  s'excusait  du  nouveau  recours 
'îu'il  faisait  au  désintéressement  de  son  collègue  :  «  C'est 
;^v,-c  beaucoup  de  répugnance,  M.  le  Maréchal,  que  je 
->•;  rj  ^terminé  à  vous  renouveler  la  demande  du  corps 
de  *  .000  hommes  dont,  pour  agir  offensivement  contre 
le  prince  Ferdinand,  en  gardant  en  même  temps  la  Hesse, 
j'ai  absolument  besoin.  »  Il  a  été  amené  à  celte  décision 
((  par  un  objet  aussi  majeur  que  celui  de  rendre  cette  cam- 
pagne un  peu  utile.  Je  sens  que  les  dix  jours  de  retard, 
pour  attendre  la  réponse  de  la  Cour,  peuvent  être  de  la 
plus  grande  importance,  n'y  ayant  déjà  que  trop  de  temps 
perdu;  et  peut-être  seriez-vous  alors  plus  éloigné  de  la 
Hesse,  ce  qui  augmenterait  les  difficultés  de  l'envoyer  sur 
la  Dymel  et  en  retarderait  au  moins  l'arrivée.  Je  m'y 
suis  d'ailleurs  déterminé  sur  une  lettre  que  M.  le  duc  de 


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182 


LA  GUERRE  1)E  SEPT  ANS.  —  CHAI»,  iV. 


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Choiseul  a  écrite  à  mon  frère,  où  il  lui  marque  que  vous 
étiez  d'accord  de  faire  passer  jusqu'à  ^i^O.OOO  hommes  de 
votre  armée  à  celle  du  Haut-Rhin,  si  cela  était  juj^é  né- 
cessaire. Au  reste  je  vous  supplie  d'être  persuadé  que  ce 
n'est  pas  l'envie  d'augmenter  l'armée  qui  m'engag-e  m 
vous  faire  cette  proposition  sur  laquelle  vous  êtes  abso- 
lument le  maître  de  décider.  » 

Pour  le  cas  où  Soubise  agréerait  l'arrangement,  Broglie 
le  pria  de  désigner  pour  le  commandement  du  détache- 
ment le  chevalier  de  Levis,  cadet  de  Stainville  et  qui 
pourrait  servir  sous  les  ordiois  de  ce  dernier;  quant  aux 
maréchaux  de  camp,  il  soumii  A  son  collègue  «  un  état 
de  ceux  parmi  lesquels  je  vous  prierais  de  choisir  les  deux 
ou  trois  que  vous  me  destineriez  ». 

Comme  il  était  à  prévoir,  Soubise  ne  voulut  pas  accep- 
ter les  propositions  de  Broglie  sans  consulter  la  Cour. 
Choiseul  n'était  pas  en  faveur  des  opérations  au-delà  du 
Weser  qui  lui  paraissaient  dangereuses  ;  tout  en  insistant 
sur  la  séparation  des  deux  armées,  il  eût  désiré  que 
Broglie  essayât  de  tourner  le  prince  Ferdinand  par  les 
sources  de  la  Lippe.  Ce  fut  donc  contre  l'opinion  du  puis- 
sant ministre  que  le  conseil,  statuant  sur  les  conclusions 
du  mémoire  de  Broglie  du  28  juillet  dont  nous  venons  de 
résumer  les  points  essentiels,  se  prononça  à  la  majorité 
pour  le  nouveau  renforcement  de  l'armée  du  Haut-Rhin. 
«  Voilà  la  première  fois,  écrit  Choiseul  à  Soubise  (1),  que 
j'éprouve  une  contradiction  marquée  dans  mon  avis,  je 
ne  le  cache  pas  à  M.  de  Broglie.  »  Il  est  probable  que 
ceUe  divergence  de  vues  fut  la  principale  cause  de  la 
brouille  qui  se  produisit  peu  à  peu  entre  le  maréchal  et 
le  ministre. 

Entre  temps,  Broglie  renonce  à  l'espoir  de  chasser  le 
prince  Ferdinand  de  la  position  qu'il  avait  prise  à  Buren, 


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(1)  Choiser.l  à  Soubise,  2  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


PROPOSITION  DE  HKOGLIE  ACCEPTÉE  MALGRÉ  CHOISEUL.    133 

et  revient  (l)  à  l'alternative  de  la  diversion  sur  le  Weser 
et  du  «icg-e  d'Hamelen,  pour  lequel  il  tirera  de  Gottingen 
ses  vivres  et  sa  grosse  artillerie.  Pour  ses  opérations  ac- 
tives et  déduction  faite  des  garnisons  de  l'arrière,  il 
compte  105  bataillons  d'un  effectif  moyen  de  r)00  hommes, 
128  escadrons  à  140  sabres  et  un  peu  plus  de  3.000  de 
troupes  légères,  soit  un  total  de  73.500  hommes.  Le 
prince  Ferdinand  sur  un  ensemble  de  102.000,  compte 
fait  des  malades,  garnisons  et  des  non  complet,  peut  lui 
en  opposer  68.000,  dont  18.000  sous  les  ordres  du  prince 
héréditaire.  Ce  calcul  lui  donne  une  supériorité  de  23.000 
sur  son  adversaire  A  la  condition  que  Soubise  se  charge 
du  prince  héréditaire  :  «  Il  serait  fâcheux,  conclut  Bro- 
glie,  qu'ayant  50.000  hommes  (2)  de  plus  que  les  enne- 
mis en  Allemagne,  l'armée  qu'il  (le  roi)  destine  cà  l'oifen- 
sive  se  trouvât  le  jour  décisif  plus  faible  que  celle  du 
prince  Ferdinand.  » 

Satisfait  des  résultats  presque  inespérés  de  sa  victoire 
de  Villinghausen,  le  prince  Ferdinand  n'avait  pas  cherché 
à  inquiéter  la  retraite  des  Français  ;  il  était  même  resté 
sous  les  armes  toute  la  journée  du  17.  Ce  ne  fut  que  le 
27  juillet,  onze  jours  après  l'affaire,  qu'il  transféra  son 
quartier  général  de  Hohenoverà  Borgeln  ;  le  29,  il  était 
au.»:  abords  d'Erwitte  où  il  fut  rejoint  par  Sporcken  et 
Wangenheim.  Au  cours  de  leur  marche,  les  confédérés 
trouvèrent  à  Soest  2'i-  officiers  et  100  hommes  de  l'armée 
française  que  la  gravité  de  leurs  blessures  n'avait  pas 
permis  d'évacuer.  Le  30,  le  gros  gagna  Bûren  et  poussa 
des  avant-gardes  vers  Stadtberg  etWresen  sur  la  Dyuiel. 
Les  troupes  de  Broglie  abandonnèrent  cette  contrée  ainsi 
que  la  ville  de  Paderborn  où  elles  ne  prirent  pas  la  peine 
de  détruire  les  fours  qui  y  avaient  été  installés  pour  la 


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(1)  Bi'Oglie  &  Choiseul,  Villebadessen,  3  août  1711.  Archives  de  la(iueri-e. 

(2)  Broslie  supposait  à  Soubise  45.000  contre  les  18.000  du  prince  hérédi- 
taire. 


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134 


LA  OUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IV. 


cuisson  du  pain.  De  sa  nouvelle  position,  le  prince  Ferdi- 
nand dessina  une  opépdtion  contre  Stainville  qui  gardait 
la  ligne  de  lu  Dyniel.  A  cet  cfl'et,  les  divisions  Wang'en- 
heim  et  Wiitginau  lurent  dirigées  par  une  marche  de 
nuit  sur  Bredolar  pour  tourner  les  Français  qui  seraient 
abordés  de  front  par  \Valdegravc;  Granby,  soutenu  par 
Sporcken,  fut  chargé  de  tenir  en  respect  le  corps  de  Muy 
posté  à  Kleinenburg.  L'attaque  de  front,  gênée  par  un 
épais  brouillard,  n'eut  d'autre  résultat  que  de  faire  rétro- 
grader Stainville  jusqu'aux  hauteurs  de  la  rive  droite, 
où  il  recueillit  le  détachement  de  Rochambeau  qui  n'é- 
chappa au  risque  d'être  coupé  que  grâce  à  la  belle  atti- 
tude de  la  brigade  suédoise  de  Bocard.  Les  pertes  de  part 
et  d'autre  ne  furent  pas  importantes  et  les  combattants 
regagnèrent  leurs  postes  de  la  veille  où  ils  restèrent  inac- 
tifs jusqu'au  10  août. 

En  attendant  la  décision  de  Versailles,  Soubisc  avait 
levé  le  4  août  son  camp  de  Herdringen  où  il  était  depuis 
le  27  juillet,  passé  le  Roer  à  Sw  erte  et  installé  son  quartier 
général  à  Raun  sur  les  hauteurs  qui  avoisinent  Dorlmund. 
Conformément  à  l'ordre  de  la  Cour,  il  prépare  pour  le  9 
le  départ  de  Levis  avec  les  10.000  hommes  destinés  à  pro- 
téger la  Hesse.  Il  a  en  face  de  lui  le  prince  héréditaire  et 
Kielmansegge  postés  entre  Kamcn  et  Luynen;  après  le 
départ  de  Levis,  il  lui  restera  62  bataillons,  65  escadrons 
et  près  de  5.000  troupes  légères,  soit  environ  1.5.000  com- 
battants; ses  projets  sont  encore  indécis,  mais  il  compte 
se  porter  du  côté  de  Munster  :  «  Il  eût  été  en  ellet  très 
difficile  et  très  dangereux  de  tenter  une  nouvelle  réunion, 
écrit-il  à  Broglie  (1).  Je  souhaite  que  la  diversion  à  la 
rive  droite  (du  Wcser)  produise  un  succès  heureux  et 
prompt.  »  Le  10,  Soubise  annonce  à  Broglie  le  départ  de 
Levis  qui  a  eu  lieu  la  veille  ;  de  sa  personne  Soubise  est  à 

(Ij  Soubise  à  Choiseul,  Raun,  7  août  1761.  Archives  de  la  Guerre.  . 


DEMONSTRATION  DE  SOUBISE  CONTRE  MUNSTER. 


135 


Bockum  sur  la  route  d'Essen;  depuis  plusieurs  joui's  il  est 
sans  nouvelles  de  l'armée  du  Haut-Uhin;  le  11,  il  franchit 
TErnser,  petit  affluent  du  Rhin,  puis  la  Lippe  à  Haltcrn 
qu'il  avait  fait  occuper  le  jour  précédent  ;  le  13,  il  installe 
son  quartier  général  à  Huis  Dulmcn  sur  la  route  de  Wesel 
à  Munster;  la  veille,  Voyer  s'était  emparé  de  Dulmen 
après  un  combat  heureux  où  il  avait  fait  150  prisonniers 
de  la  légion  britannique  avec  leur  commandant  ;  Cand)e- 
fort  avait  enlevé  des  voitures  et  des  chevaux  dans  la  ban- 
lieue de  Munster.  Le  15  août,  S  jbise,  toujours  campé 
à  Huis  Dulmen,  informait  Brogiie  (1)  que  le  prince  héré- 
ditaire était  parti  sans  doute  pour  rejoindre  le  prince  Fer- 
dinand; que  Kielmansegge  se  trouvait  dans  les  environs 
de  Munster,  dont  la  garnison  avait  été  portée  j\  3.000 
hommes;  il  transférera  le  lendemain  son  quartier  général 
à  Appelhausen  à  moitié  route  de  Munster  :  «  Je  pousserai 
des  détachements  de  tous  côtés;  c'est  tout  ce  que  je  peux 
faire  pour  le  moment  présent.  Les  grands  événements  se 
passeront  de  votre  côté;  puissent-ils  être  aussi  heureux 
que  je  le  désire.  »  A  Choiseul,  il  avait  écrit  la  veille  (2)  que 
la  présence  de  Kielmansegge  empêcherait  le  siège  de 
Munster,  qu'à  la  vérité  il  serait  libre  d'envoyer  un  déta- 
chement en  Ost  Frise,  mais  il  croyait  la  Cour  opposée  à 
cette  expédition.  Décidément,  la  maison  du  roi  n'était 
guère  utilisable  en  campagne  ;  il  avait  fallu  la  renvoyer 
aux  environs  de  Wesel  se  reposer  de  fatigues  auxquelles 
elle  était  peu  habituée  ;  on  n'avait  conservé  à  l'armée  que 
50  mait"c?  par  escadron. 

Laissons  f>oubise  à  ses  démonstrations  contre  Munster, 
dont  il  n'avait  aucune  intention  de  tenter  le  siège,  et  à  ses 
projets  contre  l'Ost  Frise  et  le  bas  Ems  qui  lui  tenaient  h 
cœur,  et  revenons  à  Brogiie  à  l'armée  duquel  étaient  ré- 
servés les  «  grands  événements  »,  pour  employer  l'expres- 

(1)  Soubise  à  Uroglie,  Uuis  Dulmen,  15  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 
(■>)  Soubise  à  Choiseul  —  14 


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136 


LA  GUliHUK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IV. 


sion  de  son  collègue.  Le  Uoi  avait  approuvé  le  programme 
du  28  juillet,  uiais  non  sans  ({uelques  réserves  (1)  :  «  C'est 
d'après  cette  lettre  que  nous  opérerons  sans  variations 
dorénavant,  elles  mettent  en  vos  mains  le  sort  des  armées 
du  Roi  cette  année  et  les  intérêts  les  plus  importants  de 
la  politique.  Il  me  reste  seulement  à  vous  faire  observer 
que  vous  devez  prévoir  le  cas  où  M.  le  prince  Ferdinand 
peu  eflrayé  de  vos  démonstrations  sur  le  Weser,  même 
de  votre  marche  sur  Hanovre,  no  quitterait  pas  la  West- 
phalie  et  ferait  le  raisonnement  qu'il  ne  doit  pas  aban- 
donner le  pays  où  il  a  dos  places  pour  chercher  à  détendre 
celui  qui  est  ouvert  et  où  vous  ne  pouvez  pas  hivernei'. 
Je  ne  doute  pas,  Monsieur  le  Maréchal,  que  vous  n'ayez 
prévu  cette  supposition  en  réfléchissant  que  la  campagne 
commence  à  s'avancer  et  que  l'arrière-saison  rend  les 
opérations  en  Westphalie  très  difficiles.  Voilà  ce  que  le 
Hoi  m'a  chargé,  Monsieur  le  Maréchal,  de  vous  mander 
en  réponse  à  votre  lettre  (2)  du  30  juillet.  » 

Avec  la  séparation  définitive  des  deux  armées  franc^aises, 
nous  abordons  une  phase  nouvelle  de  la  campagne.  Uro- 
glie  est  investi  du  rôle  principal  qu'il  a  recherché  ;  désor- 
mais, il  lui  appartiendra  de  prendre  l'initiative  des  opé- 
rations; la  supériorité  numérique  de  ses  forces  sur  celles 
de  l'adversaire  l'y  autorise.  A  lui  de  détacher  le  prince 
Ferdinand  loin  de  la  Westphalie,  de  l'entrainer  sur  le 
bas  Weser  de  façon  à  laisser  à  Soubise  les  mains  libres 
pour  entreprendre  les  sièges  de  Lipstadt  et  de  Munster. 
Ce  dernier  aura  à  profiter  des  circonstances  pour  mener 
à  bonne  fin  une  expédition  que  le  retour  du  prince  ou 
d'une  fraction  importante  de  son  armée  rendrait  excessi- 
vement délicate.  La  suite  des  événements  indiquera  de 
quelle  façon  chacun  des  deux  maréchaux  s'est  acquitté  de 
la  tâche  que  la  cour  de  Versailles  leur  avait  esquissée. 

(1)  Choiseul  à  Broglie,  7  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Dans  cette  lettre,  Hroglic  avait  défendu  son  projet  du  28  juillet. 


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CIIAPITKE  V 


MOI  VKMEMS  DK  DROGLIK  KT  HK  SOIRISK.  —  PASSACK  DU 
WKSKIl  PAU  UROGLIK.  —  DIVKRSIONS  Dl'  PRINCE  KKRDINANU 
EN  IIESSE, 

bepuis  le  2  août  Broglie,  do  son  quartier  général  de 
Villebadessen,  surveillait  les  préparatifs  pour  rétablisse- 
ment de  ses  fours  à  lloxter  sur  le  VVeser  et  les  démons- 
trations des  confédérés  du  côté  de  la  Dymel.  Comme  nous 
l'avons  vu  plus  haut,  ceux-ci  avaient  passé  la  rivière  et 
avaient  refoulé  les  détachements  de  Uochanibeau  et  de 
Stainville,  mais  en  fin  de  compte,  ils  étaient  revenus  à 
leur  ancien  camp  et  les  Français  avaient  fait  de  môme; 
néanmoins,  Broglie  crut  prudent  de  renforcer  ses  lieute- 
nants. Le  11,  toujours  de  Villebadessen,  il  informe  la  cour 
que  le  prince  Ferdinand  était  campé  le  10  la  gauche 
vers  la  gorge  de  Detmold,  la  droite  tirant  sur  Stecken- 
berg  (Steckenbruich)  ;  les  10.000  hommes  de  Levis  sont 
annoncés  à  Corbach  pour  le  18;  l'année  du  Haut-Uhin 
entreprendra  le  10  son  mouvement  vers  le  Weser.  Ce  ne 
fut  cependant  que  le  18  que  l'opération  débuta.  Le 
mouvement  des  confédérés  qu'annonçait  Broglie  avait 
commencé  le  10  août.  Ferdinand,  renseigné  sur  les  agis- 
sements des  Français  du  côté  d'IIoxter  et  d'ilamelen, 
décida  de  se  rapprocher  du  bas  Weser  et  de  rappeler  sur 


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13» 


LA  (iUËRHE  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V. 


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la  Dyiiiel  lo  princo  héréditaire  aussi t<M  que  la  tlirectiow 
prise  par  Soiihisc  lui  permettrait  de  «juitter  la  Westpha- 
lie  sans  inconvénient.  En  conséquence,  le  prince  Ferdi- 
nand avec  îo  gros  (juitta  Bnren  le  10  et,  passant  par 
Delbruck,  Steckenberg  et  Detniold,  gagna  à  la  date  du  13 
les  hauteurs  de  Itelle  et  la  forte  position  du  Moltmer- 
l)erg(l]  autour  de  laquelle  il  concentra  presque  toute 
son  armée  :  59  bataillons  et  58  escadrons.  Broglie  apprit 
tardivement  le  changement  de  position  do  son  adversaire 
et  crut  qu'il  pourrait  le  prévenir  du  côté  de  Bloml)erg 
et  Nom  ;  il  donna  ordre  à  iMouy  de  marcher  sur  Driburg 
avec  son  corps  qui  se  composait  en  grande  partie  des 
premiers  renlorts  venus  de  l'armée  de  Soubise  et  il  di- 
rigea le  comte  de  Lusace  et  Glausen  sur  Steinhcim.  Ces 
détachements  se  heurtèrent  aux  avant-postes  des  enne- 
mis, la  résistance  qu'ils  éprouvèrent  démontra  que  ceux- 
ci  étaient  en  force;  un  coup  de  main  sur  la  petite  ville 
de  Horn  échoua  devant  l'énergique  résistance  du  lient. - 
colonel  Dremar  à  la  tête  de  300  Hessois,  entin  une  recon- 
naissance exécutée  an  cours  des  journées  des  13  et  14 
convainquit  le  maréchal  de  Timpossibilité  d'attaquer  avec 
chance  de  succès  un  adversaire  bien  posté,  concentré  et 
vigilant;  il  prit  donc  le  parti  d'asseoir  son  camp  sur  les 
hauteurs  de  Nieheind)  en  face  de  son  adversaire.  Était-il 
possible  de  se  glisser,  comme  le  suggérait  Choiseul,  entre 
le  prince  Kerdinand^et  la  place  de  Lippstadt?Sans  doute, 
mais  il  aurait  à  dos  le  prince  héréditaire  dont  on  venait 
de  signaler  l'arrivée  à  Biiren  et  se  verrait  clans  un  pays 
épuisé  coupé  de  son  point  de  ravitaillement,  Iloxter.  Il 
n'y  avait,  selon  lui,  d'autre  parti  à  prendre  que  de  franchir 
le  Weser  et  d'attirer  Ferdinand  de  ce  côté;  un  échec  que 
venait  de  subir  Beisunce  près  de  Dassel  sur  la  rive  dro'te 
du  fleuve,  le  confirma  dans  ses  intentions.  Cet  officier, 


(1)  Gescliichte  des  Siehenjohrigen  Krieges,  vol.  V,  p.  780.  Berlin  1837. 


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BROr.F.IE  PASSE  LE  WESEIl. 


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jusqu'alors  presquo  toujours  heureux,  avait  eu  une  ren- 
contre nialhoureuse  avec  les  partisans  Liickner  et  Kreytag. 
D'après  son  rapport,  il  aurait  perdu  651  olficiers  et 
soldats,  dont  490  prisonniers  appartenant  pour  les  2/3 
au  réfiiment  suisse  de  Jenner  qui  avait  été  cerné  et 
entouré  dans  la  retraite  par  la  cavalerie  ennemie. 

Brog-lie  fait  part  à  Choiseul  (1)  de  la  résolution  qu'il 
vient  de  prendre  et  énunière  les  considérations  qui  l'y 
ont  amené  :  s'il  essayait  de  se  placer  entre  Lippstadt  et 
le  Prince  Ferdinand,  celui-ci  «  me  couperait  mon  pain 
d'Iloxter  qui  est  seul  point  doù  je  puisse  en  avoir...  Je 
vais  passer  le  Weser  et  marcher  dans  le  pays  d'Hanovre  ». 
Le  lendemain  18,  l'armée,  qui  avait  été  concentrée  au 
camp  de  Nieheimh,  en  déboucha  couverte  par  une  forte 
arrière-garde  sous  les  ordres  de  (iuerchy,  Clausen  et 
Poyanne.  La  marche  sur  Hcixter  et  le  NVeser  s'effectua  sans 
voir  un  ennemi;  le  passage  du  fleuve  commença  à  trois 
heures  sous  la  protection  de  Clausen  posté  sur  les  hau- 
teurs du  village  d'Oldendorf.  Bientôt  ce  général  signala 
l'approche  de  l'ennemi  ;  il  y  eut  un  combat  assez  vif  que 
Broglie  décrit  dans  sa  dépêche  (2)  :  «  Comme  il  était  de  la 
dernière  importance  de  ne  pas  laisser  les  ennemis  s'em- 
parer des  hauteurs  qui  dominent  Hoxter,  j'envoyai  ordre 
sur-le-champ  de  faire  remarcher  au  camp  de  M.  de  Clau- 
sen les  9  bataillons  de  grenadiers  et  chasseurs,  et  à 
toute  l'infanterie  d'être  prête  à  marcher.  Je  remontai  à 
cheval  et  m'en  allai  au  galop  pour  rejoindre  M.  de  Clau- 
sen; mais  j'appris  en  chemin  qu'il  avait  été  obligé  de  dé- 
tendre son  camp  et  de  se  replier,  ayant  afl'aire  à  des 
forces  supérieures.  Il  manœuvra  à  merveille,  se  retira  ex- 
trêmement lentement,  et  lorsqu'il  fut  obligé  d'abandon- 

(1)  Mioglie  à  Clioiseul,  Nieheiinb,  17  août  1761,  8  h.  a.  m.  Archives  de  la 
Guerre. 

(2)  Uroglie  A  Choiseul,  I<"orsteinberg  près  Hôxler,  21  août  1761.  Archives 
ide  la  Guerre. 


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LA  OUKUHK  DE  KEPT  ANS.  —  CIIAP.  V. 


nop  le  village  d'Oldondorf,  il  se  plaça  de  manière  «m  il 
ne  fit  paraître  que  tn\s  peu  de  troupes,  et  cacha  son  ca* 
non  et  sa  (;avalerio.  Les  montagnards  écossais  et  tous  les 
grenadiers  anglais  d(''l»oucli(''rent  très  vivement  du  villaf^e 
ot  marchèrent  au  p(;u  d'infanterie  <{u'ils  voyaient.  M.  de 
(^iauscn  lit  alors  démasquer  son  canon  qui,  ([uoique  tirant 
(h?  très  près,  ne  les  arrêta  pas;  mais  en  môme  temps,  il 
h^s  lit  chaigor  par  les  hussards  et  dragons  attachés  aux 
volontaires  de  St-Victor  et  commandés  par  M.  de  (Juin- 
trand  :  il  s'en  acquitta  si  vigoureusement  (juil  culbuta 
toute  cette  infanterie,  en  tua  ou  prit  près  de  300,  et  la 
reconduisit  de  manière  qu'elle  ne  reparut  plus  de  la  jour- 
née. Les  dragons  d'Iléliot  ([ui  étaient  venus  pour  la  sou- 
tenir furent  aussi  très  malmenés.  Cette  charge  fait  beau- 
coup d'honneur  et  fi  M.  de  Clausen  qui  l'a  ordonnée,  et 
h  M.  de  Guintrand  qui  l'a  exécutée.  C'est  un  des  plus 
braves  et  des  meilleurs  ofliciers  de  cavalerie  que  le  Koi 
ait  à  son  service.  La  journée  linit  là,  les  ennemis  s'arrê- 
tèrent.  » 

Pendant  la  nuit  et  le  lendemain  19,  l'artillerie  et  les 
équipages,  malgré  la  lupture  d'un  pont  et  un  délai  de 
V  heures  pour  le  répjii-er,  furent  transportés  sur  la  rive 
droite  :  «  Comme  je  voyais  que  notre  déblai  était  fini  et  qu'il 
ne  me  restait  [)lus  que  l'infanterie  à  passer  et  les  arrière- 
gardes,  je  pensais  qu'il  valait  mieux  commencer  la  re- 
traite de  bonne  heure  que  de  laisser  attaquer  les  postes 
avancés;  je  fis  donc  retirer  les  volontaires  de  St-Victor; 
MM.  de  Beauvau  et  de  Vaux  eurent  ordre  de  se  replier 
sur  Hiixter;  j'envoyai  M.  de  Cuibeit  aux  0  bataillons  de 
grenadiers  et  chasseurs  pour  les  ramener  à  la  hauteur  où 
campait  l'infanterie,  où  je  mo  portai,  et  successivement 
tout  se  mit  en  mouvement  pour  repasser  les  ponts.  Les 
ennemis  arrivèrent  sur  les  hauteurs  de  la  droite  et  de  la 
gauche  vers  les  3  heures  avec  beaucoup  de  canon,  et 
commencèrent  à  canonner  vivement  nos  deux  ponts.  Je 


ABANDON  DHÔXTEn. 


141 


rcstni  à  un,  <'t  mon  IVrre  alla  i\  l'autre,  tout  rej)a8sa  en 
très  l)on  ordre  et  avec  peu  de  perte,  n'y  ayant  eu  que  8 

on  10  hommes  tnés  ou  blessés Nous  levc^mcs  ensuite 

nos  ponts  qui  riaient  trop  dominés  pour  pouvoir  croire 
qu'ils  ne  seraient  pas  rompus  le  lendemain,  et  je  laissai 
dans  Hîixter  M.  (lelb  qui  y  commandait  avec  1.600 
hommes.  Il  y  est  demeuré  hier  toute  la  journée  assez  tran- 
quillement, mais  la  plus  grande  partie  de  l'armée  des 
ennemis  et  le  prince  Ferdinand  lui-mômc  étant  vis-ii-vis 
de  ce  poste,  pouvant  par  consé(iuent  l'attaquer  avec  beau- 
coup d'artillerie  et  de  troupes,  et  n'y  ayant  qu'un  bac 
pour  en  retirer  les  1.500  hommes,  je  les  ai  l'ait  rentrer 
cette  nuit,  n'y  laissant  que  :i00  hommes  »,  qi  i  passèrent  à 
leur  tour  aussitcM  le  premier  mouvement  des  ennemis  des- 
siné. 

D'après  les  renseignements  sur  la  marche  du  prince 
Ferdinand  et  de  son  neveu,  Itrogiie  craint  d'être  prévenu 
sur  Dassel  et  Eimbeck;  d'autre  part  s'il  prend  cette  po- 
sition, il  découvre  Gottingen  et  sa  ligne  de  communica- 
tion. Il  s'arrête  A  un  parti  intermédiaire;  campant  avec 
le  gros  à  Dassel,  il  dirige  de  Vault,  Beisuncc  et  le  comte 
de  Lusace  avec  des  forces  considérables  sur  Kimbeck, 
place  Chabo  à  llegra  et  laisse  à  Neuhaus,  sur  le  chemin 
d'Httxter  à  Uslar  «  vis-à-vis  «l'ici  M.  de  Clausen  avec  12  ba- 
taillons, deux  régiments  de  dragons,  Schonberg-,  Nassau 
cavalerie,  les  volontaires  de  St-Victor,  ceux  d'Austrasie  et 
300  hommes  de  piquets  commandés  par  M.  de  Verteuil.  Il 
sera  chargé  d'éclairer  les  mouvements  des  ennemis  après 
notre  départ,  de  couvrir  le  chemin  d'Uslar  et  la  commu- 
nication de  Gottingen  et  de  tâcher  d'en  entretenir  une  par 
les  l)ois  de  Salaborg  avec  M.  le  comte  de  Stainville  ».  A  ce 
dernier  (1)  qui  avait  reçu  le  commandement  d'un  cor()s 
de  20.000  hommes  dans  refl'ectif  desquels  la  division  Levis 

• 

(1)  Broglic  à  Stainville,  Forstemberg,  '20  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRr:  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  V. 


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entrait  pour  moitié,  Broglie  donna  des  instructions  détail- 
lées pour  la  défense  de  la  Dymel,  de  Cassel,  de  Munden 
et  des  communicHl'ons. 

Ferdinand  fut  surpris  par  la  rapidité  du  mouvement 
de  l'armée  f'-ançaise;  il  n'en  fut  averti  que  tard  et  ne 
la  suivit  qu'avec  un  retard  de  quelques  (1)  heures  dont 
Broglie,  comme  ou  l'a  vu,  sut  tirer  bon  parti.  Dans 
une  dépêche  en  date  du  16  août  (2)  le  général  confédéré 
passe  une  revue  des  événements  depuis  le  commence- 
ment du  mois.  Il  attribue  à  Broglie  l'intention  de  l'at- 
tirer sur  le  Weser  pendant  que  Soubise  ferait  le  siège 
de  Lippstadt.  Pour  mettre  obstacle  à  ce  projet,  il  a  op- 
posé à  celui-ci  le  prince  héréditaire ,  sa  présence  a  re- 
tardé le  passage  de  la  Roer  et  forcé  le  maréchal  prince 
à  descendre  le  cours  de  la  rivière  et  à  se  porter  du  côté 
de  Bockum  «  de  façon  qu'au  premier  dessein  d'assiéger 
Lippstadt,  il  parait  succéder  celui  de  passer  la  Lippe 
du  côté  de  Dorstein  et  marcher  sur  Munster  ».  Ferdi- 
nand raconte  sa  manœuvre  et  celle  de  Broglie  vers  la 
Dymel,  la  marche  à  la  suite  de  laquelle  il  s'est  établi 
sur  les  hauteurs  de  Belle,  avec  les  Français  vis-à-vis  de 
lui  à  Nieheimb,  l'envoi  de  Lilckner  sur  la  rive  droite  du 
Weser,  la  défaite  de  Belsunce,  enfin  le  rappel  de  son 
neveu  de  la  Westphalie.  «  M.  le  prince  liéréditaire  ayant 
laissé  aux  ordres  du  comte  de  Kielmanscgge  un  déta- 
chement pour  observer  l'armée  du  prince  de  Soubise, 
s'est  mis  le  11  d'août  avec  20  bataillons  et  20  escadrons 
en  marche  sur  Biiren,  où  il  arriva  le  12  après  deux 
étapes  forcées.  Il  a  fciit  occuper  le  IV  et  15  d  «  courant 
les  gorges  de  Ualem  et  de  Kleinenberg  et  ayant  poussé 
des  détachements  sur  Warburg  et  Villebadcssen  sur  les 
derrières  de  l'armée  ennemie,  il  a  fait  nombre  de  pri- 
sonniers,  il  me  semble,  continue  Ferdinand,  que  M.  de 

(1)  Woslpl:alcn,  Vol.  V,  i>.'72<J.  •  ■ 

(2)  Ferdinand  à  Bule,  Reilenkurclien,  16  août  17G1.  Record  Oflice. 


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LE  PKINCE  lIKilÉDiTAlKE  EST  RAPPELÉ  PAR  FERDINAND.     143 

Broglie  n'a  dans  cette  situation  d'autre  parti  à  prendre 
que  de  m'attaquer  dans  ina  position,  ou  de  reculer,  ou 
d'engager  le  prince  de  Soubise  à  revenir  promptomont  sur 
Lippstadt  pour  marcher  à  dos  au  prince  héréditaire. 
S'il  m'attaque,  je  me  défendrai  le  mieux  que  je  pourrai 
et,  s'il  recule,  je  le  suivrai.  Et  j'espère  que  le  prince  de 
Soubise,  n'ayant  plus  d'antres  établissements  de  vivres 
qu'il  V/esel  et  Dusseldorf,  ne  pourra  point  faire  des 
mouvements  fort  rapides  et  que  j'aurai  par  conséquent 
le  temps  de  finir  ici  avec  M.  de  Broglie.  » 

Il  est  intéressant  de  constater  que  Ghoiseul,  dans  sa 
correspondance (1),  se  place  au  même  point  de  vue  que 
Ferdinand  :  de  préférence  il  souhaiterait  une  bataille  : 
«  Si  vous  perdez  la  bataille,  je  crois  que  le  meilleur 
parti  est  de  vous  retirer  sur  HOxter,  de  préparer  d'a- 
vance votre  passage  du  Weser  et  gagner  Gottingen  alin 
de  donner  de  nouvelles  inquiétudes  pour  l'électorat 
d'Hanovre  et  être  à  portée  par  votre  gauche  de  conser- 
ver la  liesse.  En  cas  que  le  prince  Ferdinand  ne  se 
mette  pas  en  mesure  de  pouvoir  être  combattu,  votre 
objet  parait  être,  selon  votre  projet  du  28,  de  le  rejeter 
derrière  le  Weser  et  ce  ne  serait  que  dans  ce  cas  où  l'on 
pourrait  songer  au  siège  de  Lippstadt,  voilà  le  second  point 
de  vue.  Le  troisième  est  dans  la  supposition  que  le  prince 
Ferdinand,  attaché  à  la  Westphalie,  ne  pût  pas  être  forcé 
à  l'abandonner  et  à  repasser  le  Weser;  alors  vous  pro- 
jetiez selon  votre  lettre  du  3  de  ce  mois  de  faire  le 
siège  d'Hameien,  dont  la  conquête  très  difficile  équi- 
vaudrait dans  la  circonstance  où  nous  nous  trouvons  à 
la  prise  de  Lippstadt,   encore  plus  difficile  à  espérer.  » 

Ainsi  que  nous  l'avons  vu,  Ghoiseul  n'avait  pas  été 
partisan  du  plan  de  Broglie,  il  ne  s'y  était  rallié  que 
contraint  et  forcé,  aussi  quand   il  fut  en  po.ssession  de 


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(I)  Ghoiseul  k  Croglie,  21  août  1761.  Arcliivrs  il"  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAI».  V, 


la  dépêche  du  maréchal  annonçant  le  passage  précipité 
du  Wcser,  l'abandon  d'Iloxter  et  les  craintes  pour  la 
Hesse,  on  peut  s'imaginer  le  mécontentement  du  mi- 
nistre; il  se  traduisit  par  une  lettre  (1)  des  plus  dures  : 
«  Le  Roi  n'a  pas  vu  dans  ces  dernières  lettres,  non  plus 
que  dans  la  V(*>tre  du  28  juillet,  qui  servait  de  base  au 
plan  de  campagne,  rien  qui  vous  pût  déterminer  au 
parti  que  vous  avez  pris.  Je  crois  que  de  tous  ceux 
qu'il  y  avait  à  prendre  certainement  c'est  le  plus  mau- 
vais, car  sans  combattre  il  nous  est  bien  démontré  que 
la  campagne  est  manquée;  d'après  cette  opinion,  le  Roi 
a  borné  ses  ordres  à  vous  mander  que  le  point  le  plus 
essentiel  à  présent  était  de  conserver  votre  communi- 
cation avec  Gcittingen,  je  n'en  suis  pas  inquiet  (car  je 
suis  persuadé  que  nous  apprendrons  par  le  premier  que 
vous  vous  êtes  retiré  sur  cette  place).  Votre  communi- 
cation assurée,  il  vous  reste  deux  objets  à  remplir,  l'un 
de  veiller  à  la  conservation  de  la  Hesse  par  votre  gauche, 
l'autre  par  votre  droite  de  faire  autant  de  mal  qu'il 
vous    sera    possible    à    l'Électorat    d'Hanovre    et    d'en 

retirer   autant   de    ressources  que    vous   le   pourrez 

Vraisemblablement  le  prince  Ferdinand  reviendra  sur 
Warburg  et  détachera  le  prince  héréditaire  pour  faire 
revenir  sur  le  Rhin  l'armée  de  Soubise,  en  laissant 
Liickuer  pour  protéger  le  pays  d'Hanovre,  ce  qui  sera 
suffisant.  » 

Suit  une  revue  des  opérations  au  cours  de  laquelle 
Choiseul  a  soin  de  souligner  les  échecs  successifs  et 
l'effondrement  des  prévisions  :  «  Dans  cet  état  de  choses 
il  est  d'autant  plus  difficile  au  Roi  de  donner  des  or- 
dres différents  de  ceux  que  je  vous  envoie  que  S.  M. 
ne  peut  pas  juger  d'ici  la  possibilité  de  les  exécuter.  En 
effet,  le  Roi  précédemment  vous  avait  ordonné  de  faire 

(1)  Choiseul  à  Itroglie,  28  aoiU  l'fil.  Archives  de  la  Guerre.  CeUe  dépt^ciie 
fut  inlerceptée  par  l'enueini. 


:::Xt^^:imt^m- 


MKCONTENTEMENÏ  DE  I.A  COUR. 


143 


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lie 


un  établissement  à  l'aderborn  et  vous  l'avez  Jugé  im- 
possible; si  cependant,  lors  de  votre  séparation  avec 
M.  de  Soubise,  vous  aviez  rassemblé  votre  armée  dans 
ce  point,  nous  n'en  serions  pas  où  nous  en  sommes. 
Vous  avez  cru  au  contraire  devoir  fortifier  Hoxter.  Nous 
avions  pensé  (|u'employant  six  semaines  à  accommoder 
ce  poste  vous  jugiez  pouvoir  le  soutenir,  et  si  le  prince 
Ferdinand  ne  se  mettait  pas  en  position  d'être  attaqué 
par  l'armée  du  Uoy,  nous  espérions  du  moins  qu'en 
conservant  Hoxter,  vous  seriez  le  maître  des  deux  rives 
du  Weser  et  que  vous  ne  seriez  point  forcé  à  passer 
celte  rivière;  au  lieu  de  cela,  non  seulement  le  prince 
Ferdinand  a  trouvé  moyen  de  prendre  une  position  que 
vous  avez  trouvée  inattaquable,  mais  même  il  est  sorti 
de  cette  position  pour  vous  contraindre  à  passer  le  Weser, 
et  au  lieu  de  le  contenir  et  de  l'attaquer  lorsqu'il  est 
sorti.de  son  camp,  où  sûrement  il  n'avait  pas  VO.OOO 
hommes,  vous  avez  été  obligé  d'abandonner  Hoxter,  de 
replier  vos  ponts  canoniiés  et  de  vous  retire  r  sur  votre 
communication. 

1  Toutes  ces  variations  dans  les  plans  et  dans  les  ma- 
nœuvres des  généraux,  l'impossibilité  à  l'armée  du  Uoi 
de  combattre  les  ennemis  soit  postés,  soit  qu'ils  marchent 
pour  la  chasser,  l'inutilité  dont  les  ordres  de  la  cour  ont 
été  depuis  le  commencement  de  la  campagne  pour  déter- 
miner les  généraux  oni  fait  prendre  au  Iloi  le  parti  d'or- 
donner à  ses  armées  la  défensive  puisqu'elles  ne  veulent 
ni  peuvent  exécuter  l'ollensive  îivec  des  forces  aussi  supé- 
rieures. » 

Cette  dépêche  était  accompagnée  de  billets  de  (>hoi- 
seul  (1)  pour  le  comte  de  Broglie  et  pour  son  frère  le 
comte  de  Stainville.  Le  ton  du  premier,  pour  être  conçu 
sur  le  pied   de  l'intimité   amicale,   n'en   était  pas  moins 


(1)  Choiseul  au  coinlo  de  Hroglie, 
l'ii|i(;rs. 

<;i.iiuu;:  de  sici'T  a\s.  —  T.  v. 


août   ITCl.   Intercepté.    Newcastle 
10 


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146 


LA  OUKURK  DK  SKPT  ANS. 


CIIAl*.  V. 


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ailier  :  <(  Oli,  [)our  cotte  fois.  Monsieur  le  Comte,  l'on  ne 
peut  sans  linjustice  la  plus  ei-iante  accuser  M.  de  Soubise 
de  ce  qui  arrive  à  votre  armée  et  de  la  seconde  perte  de 
la  campagne;  peu  importe  que  les  liénéraux  tAchent  de 
sauver  leurs  fautes,  ou  sur  les  individus,  ou  sur  la  cour, 
ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  nous  faisons  la  plus  vi- 
laine campagne  qui  ait  été  faite  de  la  guerre,  dans  toutes 
les  armées,  même  celle  des  Russes,  et  que  M.   le  prince 
Ferdinand  en  nous  couvrant  de  ridicule  à  la  face  de  l'Eu- 
rope se  couvre  de  gloire.  Il  faut  convenir  qu'il  en  sait 
plus  que  nos  généraux,  et  réunis  et  séparément,  ce  qui  est 
fort  affligeant  pour  les  afl'aires  du  Hoi,  surtout  dans  l(>s  cir- 
constances présentes,  le  pire  de  tout  c'est  qu'il  n'y  a  plus 
rien  de  raisonnable,  ni  même  de  possible  à  l'aire,  que  de 
rester  sur  la  défensive.  Je  vous  y  souhaite  autant  de  pa- 
tience (pi'il  m'en  faut si  vous  pouvez  vous  conso- 
ler par  les  nouvelles,  il  court  un  bulletin  très  bon  de  votre 
armée,  qui  dit  que  vous  faites  les  plus  belles  choses  du 
monde;  si  cela  était,  le  public  verrait  que  la  montagne 
accouchera  d'une  souris  et  il  vaudrait  mieux  ne  lui  pas 
faire  croire  qu'elle  est  en  couche. 

1  Adieu,  mon  cher  comte,  c'est  toujours  avec  la  môme 
liberté  et  le  même  attachement  que  je  vous  mande  très 
naturellement  ce  que  je  pense.  » 

La  lettre  de  Choiseul  à  son  frère  (1)  dévoile  les  senti- 
monts  intimesdu  ministre  et  contient  une  insinuation  que 
rien  d'ailleurs  nejustitie  :  «  Votre  commission  m'inquiète, 
mon  cher  frère, je  crains  que  M.  de  Hrogiie  ne  s'at- 
tache aux  opérations  de  sa  droite,  pour  sauver  les  imbé- 
cillités qu'il  a  fait  cette  campagne,  et  qu'il  ne  néglige  sa 
gauche  pour  jeter  sur  vous  les  malheurs  qui  arriveront, 
et  revenir  en  liesse  en  disant  qu'il  y  a  été  forcé  par  vos 


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(1)  Clioiscul  à  Slainville,  Vorsiiilies,  27  août  1701.  Interceptée.  Newcastle 
|iapois. 


CHOISEUL  PRKVILNT   SON   IREUE   CONTRE   imOGLIE. 


147 


manœuvres.  Messieurs  de  Broglie  font  de  grandes  fautes 
militaires,  mais  ou  même  temps,  ils  ont  une  grande  adresse 
pour  les  jeter  sur  les  autres,  et  à  la  manière  dont  j'é- 
cris comme  vous  savez,  au  maréchal,  il  ne  doit  pas  être 
regardé  comme  notre  ami,  et  il  ne  l'est  pas  de  vous.  » 

Pendant  que  le  prince  Ferdinand  suivait  l'armée  du  Haut- 
Khin  sur  le  Weser  et  faisait  mine  de  passer  le  fleuve,  le 
prince  héréditaire,  revenu  àlaDymel,  avait  eu  le  18  août 
avec  Caraman,  entre  i*(!ckelslieiiu  et  Warburg,  un  enga- 
gement à  la  suite  duquel  celui-ci  s'était  replié  sur  la  rive 
droite  de  la  rivière,  taudis  (|ue  les  confédérés  campaient 
sur  la  rive  gauche.  Stainville  n'était  (ju'à  moitié  ras- 
suré (1)  par  l'arrivée  des  troupes  de  Levis  qui  étaient 
dans  l'état  le  plus  pitoya])le,  '»  sans  souliers  <lepuis  plu- 
.sieurs  jours,  et  presque  hors  d'état  de  servir,  le  régiment 
de  dragons  pres(pie  tous  éclopés  ». 

f'cndant  ce  temps,  Broglie,  comme  son  rapport  l'avait 
fait  prévoir,  se  rapprochait  de  Gottingen.  Clausen  qui  avait 
été  laissé  avec  8.000  hommes  pour  surveiller  l'ennemi 
se  retirait  sur  Uslar  ;  le  quartier  général,  avec  le  gros  re- 
culait de  Dassel  k  Moringeu  à  portée  de  Gc'Utingen.  C'est 
là  que  le  maréchal  reçut  de  Stainville  (2)  l'avis  important 
que  le  prince  héréditaire  avait  «  détaché  de  son  corps  3  ré- 
giments d'infanterie  et  un  de  cavalerie  qui  sont  marchés 
sur  Ilamm.  C'est  de  (juoi  vous  pouvez  être  sûr  », 

Le  mouvement  que  signalait  Stainville  avait  été  pro- 
voqué par  une  manonivre  de  Soubise.  Nous  avons  laissé 
ce  général  A  lluis  Dulmcn  plus  préoccupé  d'une  expédi- 
tion eu  Ost  Frise  que  du  si'  ge  de  Munster,  opération  (|ue 
d'après  lui  la  présence  de  Kielmansegge  avec  sa  faible  di- 
vision de  V.OOO  hommes  (:5i  rendait  trop  épineuse.  Le 
17  août,  il  se  rapprochait  de  Munster  et   installait   son 


n 


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(1)  stainville  àlîrojilie,  l!l  et  T>.  aortllTOt,  Cassel.  Archivas  de  la  Guerre. 

(2)  Stainville  à  |{roi;lie,  Cassel,  2;t  août  17^1.  Archives  de  la  C.iierre. 
(;{)  Kielmansegge  avait  avec  lui  seulement  <>  bataillons  ei  G  escadrons. 


148 


LA  GUKIUU':  IH;  SEPT  ANS.     -  CIIAP.  V. 


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quartier  général  à  Appclhauscn  ;  de  celte  localité,  il 
écrit  (1)  k  Broglie  ({u'il  fera  des  démonstrations  contre 
Munster  mais  ne  croit  pas  «  que  cela  ramènera  l'enneini  », 
un  coup  de  main  serait  inutile  ;  il  annonce  ia  prise  de  la 
ville  de  Uheine  sur  l'Ems  et  du  chAteau  de  Wolbeck  avec 
sa  garnison  de  ItiO  hommes  et  l'enlèvement  dun  convoi. 
D'après  un  état  du  17  août  (2)  Soubise  avait  en  campagne 
57  bataillons,  V3  escadrons,  500  cavaliers  de  la  maison  du 
Koi  et  pour  le  moins  Y. 000  hommes  de  troupes  légères, 
soit  un  ell'ectif  de  38  à  40.000  cond>attants.  Le  22,  le 
quartier  général  est  installé  h  Albachten  à  faible  distance 
de  la  capitale  de  la  Westphalie,  Soubise  compte  établir 
des  fours  à  Uorstein  :  «  J'aurai,  mande-t-il  à  Choiseul  (3), 
un  peu  plus  de  facilité  pour  me  porter  en  avant,  car  je 
n'ai  point  d'espérance  de  pouvoir  faire  aucune  tentative 
sur  lAIunster.  »  Sans  nouvelles  de  Broglie,  il  a  appris  [ï], 
par  une  lettre  interceptée,  le  passage  du  Weser  dans  les 
journées  des  18  et  19  et  les  mouvements  de  Ferdinand  qui 
était  camj)é  sur  les  liauteu''S  d'iloxter.  Le  prince  de 
{^ondé  avec  la  réserve  était  depuis  le  22  sur  la  rive  droite 
de  la  Lippe  eu  face  de  Hamm  ;  il  avait  jeté  quelques  bom- 
hesdans  la  ville  et  sommé  le  commandant  qui  avait  re- 
fusé de  se  rendre,  alléguant  qu'il  attendait  des  secours 
du  prince  héréditaire.  Deux  jours  après,  Soubise  si- 
gnale (5)  l'arrivée  à  Hamm  de  détachements  ennemis  qui 
avaient  repoussé  nos  troupes  légères.  Condé  a  suspendu 
le  bondjardement,  «  il  m'a  paru  inutile,  ajoute  l'écrivain, 
de  s'approcher  davantage  de  la  Lippe,  ne  voulant  pas 
faire  une  entreprise  sur  Hamm  qui  exige  des  préparatifs. 
C'est  un  poste  très  bien  accommodé  qui  demande  un  éta- 


II  I 


(1)  Soubise  à  liioglie,  17  cl  19  îioùt  l/til.  Archives  de  la  Giierri'. 

(2)  Situation  de  l'aimée  de  Soubiso,  17  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Soubise  à  Clioiseul.  Albachten,  Tî  aoùl   1761.  Archives  de  la  Guerre. 
('»)  Soubise  à  Uroglie,  AI)erloh.2i  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(.'.)  Soubise  à  Broglie,  Abciioh,  26aoiH  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


«KTOIII   DU  I'1UN(  i;    NKUKDITAIUK   EN  AVKSTPIMMi:. 


140 


Ijlisscniont  de  hattericscn  rè.iile  et  le  passage  d'iiu  double 
fossé  ;  il  me  parait  que  les  ennemis  veulent  le  conserver  ». 
La  veille,  c'est  à  Clioiseul  qu'il  rendait  compte  (1).  L'en- 
nemi se  renforce,  aussi  a-t-il  envoyé  lUisenval  pour  ap- 
puyer Condé  ;  il  ignore  si  le  prince  liéréditaiic  en  per- 
sonne est  revenu  à  llamni  :  <>  Je  ne  néglige,  ajoute-t-il, 
aucun  des  moyens  qui  peuvent  attirer  l'ennemi  et  l'enga- 
ger à  se  com[)romettre,  innis  jusqu'ici  il  s'y  refuse  et  je 
crains  qu'il  ne  se  contente  d'empêcher  toute  opération  es- 
sentielle et  qui  puisse  former  un  établissement  pour  l'iii- 
ver.  »  Soubise  ne  se  trompait  pas  sui'  les  intentions  de  son 
adversaire,  mais  il  ne  paraît  pas  s'être  douté  qu'il  lui  ap- 
partenait d'tintraver  son  action,  en  profitant  de  la  supé- 
riorité numérique  qu'il  avait  sur  lui  pour  prendre  l'ini- 
tiative d'une  attaque. 

Néanmoins,  (pielque  faible  qu'eût  été  la  <lémonstration 
de  Condé  contre  llamm,  elle  avait  eu  pour  elTet  de  ra- 
mener en  Westphalie  le  prince  héréditaire.  De  Scherfede 
jii  était  le  quartier  général  de  ce  dernier,  le  général 
Uieim  prit  les  devants  le  -21  août  avec  H  bataillons  et 
8  escadrons,  marcha  ra[)idement  et  débloqua  dans  l'a- 
près-midi du  *iV  la  garnison  d'Hamni  ;  le  prince  suivit  avec 
le  reste  de  son  corps  d'armée  et  rejoignit  son  division- 
naire à  Hamm  le  27  août.  Le  retour  en  Westphalie  du 
prince  héréditaire  ent>'aînait  une  modification  sérieuse 
des  plans  de  Ferdinand.  Ce  prince  craignant  l'invasion  du 
Hanovre  que  semblaient  indiquer  le  passage  du  Weser 
et  le  mouvement  des  Français  dans  la  direction  d'Fimbeck, 
mis  au  courant  des  projets  de  Uroglie  par  une  dépêche 
interceptée  du  17  août,  s'était  déterminé,  [loiir  les  contra- 
rier, à  la  manœuvre  devenue  classi<pie  de  la  diversion  sur 
la  Hesse  ;  à  défaut  du  prince  héréditaire,  appelé  au  se- 
cours de  Hamm  et  de  Munster,  il  dut  se  charger  de  len- 


> 


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(t;  Soubise  à  Clioiseul.  AlierJoh,  :>:>  août  17<;i.  Aicliives  de  lu  Guerre. 


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LA  dUElUU':  UK  SKI'l  ANS.    -  CIIAP.  V. 


trepi'isc.  Confoiinrnienf  au  procrainmo  nn-Até.  (ii.mhyi  l^i 
le  2'i.  août,  avec  11  ))atailloiis,  Ki  escadrons  et  un  petit 
parc  «Icsiùge,  fut  dirigé  sur  IJoryliolz  avec  ordre  de  s'em- 
parer du  cliAtcau  de  Dringelborg- ;  Conway  (2),  à  la  tète 
d'un  contingent  d'importance  pi'es((ue  égale,  marcha  sur 
Mof  (leismar  sur  la  rive  gauche  de  la  Dymel.  r>p(»rcken, 
avec  son  corps  (rarniée  {id  hataillons  et  17  escadrons),  fut 
maintenu  à  Hronckhauscu  près  de  lldxter  ;  \Viitginau  avec 
()  hataillons  et  S  escadronseut  à  surveiller  de  l'olle  les  envi- 
rons d'IIamclen  dont  lagarnison, ainsi  que  celle  de  Hanovre, 
avaient  été  renforcées  ;  sur  la  rive  droite  du  Weser,  dans 
le  pays  de  Sollinge.  le  général  LiicUncr,  tlanqué  des  par- 
tisans Fiicdrichset  Riedesel,  appuyé  par  la  division  Wan- 
genheim,  devait  conserver  la  missi'^n  d'observer  les  Fran- 
çais et  de  harceler  leurs  communications.  Le  25  août, 
Gi'anhy  et  Conway  franchirent  la  Dymel  et  le  lendemain 
Baueravcc  l'avant-gardc  s'empara  du  château  de  Dringel- 
borg  dont  la  petite  garnison  se  rendit  après  un  bombarde- 
ment de  :{  heures  ;  le  27.  Ferdinand  échangea  son  quartier 
général  de  Brenckhauscn  poui'  celui  d'immenhausen,  sen- 
siblement plus  rapproché  de(^assel,  et  le  28  il  fit  tirer  le 
canon  sur  Munden  et  sur  des  colonnes  françaises  qu'on 
voyait  en  marche  sur  la  rive  opposée  du  \Veser.  F^e  con- 
seiller habituel  du  prince,  Westphalen  (3\  ne  croyait  pas 
au  résultat  efficac»;  de  la  démonstration,  craignait  que 
Broglie  ne  proIltAt  de  l'absence  du  gros  des  confédérés 
pour  pousser  une  pointe  contre  le  Hanovre  dégarni  et  se 
montrait  partisan  du  retour  à  la  Dymel. 

Contrairement  à  ces  prévisions,  Broglie  tondjait  dans  le 
piège  ({ui  lui  avait  été  tendu.   Avisé  que  l'ennemi  avait 


(1)  Fcrdiiiand   à  Giaiiby,  Hreinkliausen,  fi  août   I7<il.   WVsIphalen,  V. 
p.  :«3. 

(2)  Ferdiiiand  à  Coinvay,   Bienckhaiisen,   ii   août    l'dl.  Westphalen,  V. 
p.  76:^. 

(3)  Westplialoii  à  Ferdinand,  28  aoùl  1701,  \Vest|ilialen,  V,  p.  771. 


DIVICUSION  DES  CONFKDKIMIS  EN  IIESSE. 


151 


jeté  un  pont  sur  le  Wescr  à  Corvc\ ,  il  rivait  fait  rétrogra- 
der Clausen  (riltixtcr  à  Uslar,  puis  à  Fulseu  où  il  devait 
être  soutenu  par  le  duc  de  Duras  avec  V  brigades  d'in- 
fanterie ;  le  quartier  général  était  établi  à  Sulbeck.  Ke 
cette  localité,  il  mandait  à  Choiseul  (1)  le  25  que  tant 
que  le  prince  héréditaire  sera  sur  la  Dymel  et  le  prince 
Ferdinand  à  Hoxter,  il  lui  est  impossible  de  donner 
suite  aux  projets  contre  le  Hanovre,  car  il  pourrait  être 
forcé  de  i<  donner  une  batailb;  le  nez  à  la  liesse  et  le  pays 
d'Hanovre  derrière  moi  ».  Cependant,  il  ne  renoncerait 
pas  à  son  plan  :  «  Je  ne  sais  ce  qui  peut  vous  l'aire  croire 
que  je  veni'Jc  rien  clîangerau  projet  du  28  juillet;  je  ne 
m'en  suis;  jaioiis  écarté.  »  Le  20,  Hroglie  était  encore  in- 
certain sur  les  mouvements  des  confédérés  (2)  qui  avaient 
quitté  Uslar  et  semblaient  remonter  la  l'ive  gauche  du 
NVeser;  il  attirait  l'attention  de  Stainville  sur  la  nécessité 
de  faire  balayer  le  Salaborg'  (région  située  entre  la 
Dymel  inférieure  et  le  Weser).  Entre  temps,  Grandmaison 
avait  exécuté  (;{)  un  raid  sur  Nordhausen  et  y  avait  sur- 
pris le  partisan  (iesehrei  «  avec  tout  son  corps  au  lit;  il 
avait  enlevé  VOO  chevaux,  ses  équipages,  masses,  maga- 
sins de  toutes  espèces  et  carrosse  ».  Les  prisonniers  étaient 
pour  la  plupart  des  déserteurs  franc^ais.  Pendant  les  jour- 
nées des  25,  26,  27  et  28  août,  il  y  eut  échange  continuel 
de  dépêches  (V)  entre  le  maréchal  et  Stainville;  celui-ci 
confirme  le  25  l'avis  du  départ  du  prince  héréditaire,  le 
lendemain  il  annonce  le  passage  de  la  Dymel  par  un  corps 
ennemi  qu'on  croit  être  celui  de  (iranby  ;  en  conséquence 
il  envoie  deux  régiments  renforcer  la  garnison  de  Munden; 
du  côté  de  la  Werra,  il  ept  rassuré  par  les  avis  de  Grand- 


I 


(I)  Bioslie  à  Choiseul,  Sulberk.  2:.  aorti  17C.1.  Archives  (!<•  la  Guerre 
[2]  liroglieà  Stainville,  Suliiedi,  îii  août  i;01.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  GraudiuaisonàTresnel.  Esciiwege,  24  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(4)  Stainville  à  Uroj^lic,  25,   2f.,  27  août  1701.  Archives  di;  la  Guerre.  — 
Broglie  à  Stainville,  27  août  17r.l.  Archives  de  la  Guerre. 


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15'i 


LA  GL'KHUK  DK  SEI'T   VNS.        CIlAl».  V. 


maison  (|ui  se  icud  à  lleili,u('iisl,i(ll  :  «  cotlo  nouvelle 
m'a  li'ôs  Ition  trarn[uillisé...  car  je  ne  crains  rien  ici, 
«juand  môme  le  prince  rcidini.ud  y  viendrait  avec  toute 
son  armée  ».  Au  courant  de  la  Journée  du  27,  S'ainvillc 
apprend  (jue  (Iranhy  est  à  (ieisinar,  qu(!  Freylay  et  Stock" 
hausen  sont  entrés  dans  la  i'orèt  do  Salaborti  ;  Ferdi- 
nand est  venu  en  [)ersonne  l'aire  une  reconnaissance  il 
une  lieue  et  demie  de  Cassel.  Le  27  au  soir,  Broglie  in- 
formé ((ue  le  prince  est  encore  le  2()  àlloxtei',  <[ue  Granl)y 
n'a  avcclui  (|ue  15.000  homnii^s,  dépêche  ùStainville  dos 
renforts  qui  lui  con.-.titueront  un  total  de  32  bataillons, 
28  escadrons  et  24  canons.  Avec  ces  troupes,  son  lieute- 
nant sera  en  état  de  marcher  sur  Immerhausen  dt  li- 
vrera bataille  s'il  le  peut. 

Dans  un  second  ra[)|)ort  du  27  à  midi,  Stainville  com- 
mence i'i  s'émouvoir  du  i)roche  voisinage  du  prince  Fer- 
dinand :  «  Le  château  de  Dringelborg-  a  été  pris  hier  à 
'i-  heures  après-midi,  après  avoir  été  tout  à  fait  brûlé  et 
abîmé;  le  commandant  vient  de  m'ètre  renvoyé  ainsi  que 
sa  garnison,  M.  le  prince  Ferdinand  a  son  quartier  aux 
bains  de  tleismar,  myiord  (iranby  dans  la  ville  de  Geis- 
mar,  et  ou  croit  ((u'ils  se  camperont  aujourd'hui  près  <lu 
village  d'ilolienkirchen.  M.  de  lîauer  y  a  couché  celle 
nuit.  Vous  voyez.  Monseigneur,  qu  il  ne  m'est  pas  possible 
dans  ce  moment-ci  de  ([uitter  la  position  que  j'occupe. 
M.  de  Durenberg  (1)  asciipé  hier  chez  le  prince  Ferdi- 
nand qui  lui  a  dit  (|u'il  n'y  avait  que  400  hommes 
dans  Cassel,  et  que  je  campais  avec  une  poignco  de 
monde  aux  environs,  il  l'a  chargé  de  me  faire  ses  com- 
pliments. Je  vous  avoue  que  je  ne  comprends  rien  il 
toutes  ces  manœuvres.  Puisqu'il  est  capable  de  passer 
la  Dymel  pendant  que  vous  êtes  dans  le  pays  d'Hanovre, 
il  le  serait  aussi  de  passer  la  Fulde  et  d'attaquer  le  poste 

(1)  Commandant  français  de  la  sarnison  de  Dringelborg. 


I#^'" 


ri» 


LES  COMIDKRKS  lUCPASSENT  LA  l)^.MBL. 


151 


de  Miinden.  et  se  niettio  entre  vous  et  moi.  Ces!  à 
vous,  nionsei^ueiir,  à  ju.uor  «le  la  possil»ilité  de  mes  con- 
jectures. Je  ne  puis  guère  me  dégarnir  d.ivantfiKe  pour 
soutenir  le  poste  de  Munden.  >'  lîroglie  répond  à  son  lieu- 
fonant  (ju'il  n<^  croit  pas  (|ue  Fei'dinand  pousse  jtisqu'à 
Cassel.  Le  renvoi  de  la  gfii'iiison  do  Dringell)org  et  les 
propos  du  prince  n'ont  d'iiutre  init  <|ue  do  nous  tromper 
sur  ses  desseins;  cependant  il  fait  marcher  Clausen  et 
Duras  avec  20  bataillons  sur  Munden.  Le  28,  le  maréchal 
y  rejoint  ce  détachement,  assiste  à  la  canonnade  inutile 
que  les  confédérés  exécutent  de  l'autre  rive  du  fleuve, 
puis  se  porte  de  sa  personne  a  Cassel.  Suivant  les  ordres 
r(M;us,  Stainville  avait  fait  une  pointe  dans  la  direction  de 
(ieismar  et  avait  eu  la  satisfaction  de  voir  les  confédérés 
l)attre  en  retraite  devant  lui.  Cependant,  le  28  (1),  l'en- 
nemi semblait  à  Stainville  encore  manifester  des  inten- 
tions offensives  :  2.000  ciievaux  devaient  escortei' jusqu'en 
deçà  de  Ilohenkirchen  le  prince  Ferdinand  «  en  personne 
qui  nous  a  regardés  pendant  une  heure  ». 

Jusqu'au  M  août,  les  armées  restèrent  inactives;  ce  jour- 
là  les  ordres  do  retraite  ['li  furent  donn/s  à  l'armée  confé- 
dérée qui  repassa  la  Dymel  le  T'  septend^re.  L'excursion 
de  liesse,  e.vécutée  par  les  grosses  chaleurs  d'été,  coûta 
beaucoup  de  malades  aux  régiments  aiiiilais.  Granby,  qui 
commandait  en  chef  le  contingent  britannitjue,  demande 
la  création  d'hôpitaux  (3)  pour  recevoir  800  malades  à 
renvoyer  des  andjulanceset  se  propose  d'en  évacuer  2.000 
sur  Brème.  La  trêve  virtuelle  <(ui  succéda  aux  n.ouvements 
do  la  fin  d'août  se  prolongea  une  partie  de  septendire; 
Broglie,  après  un  séjour  do  quelques  jours  à  Cassel,  revint 


t' 


(1)  Stainville  à  Broglie,  28  août  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Weslpliaien,  V,  p.  790. 

(■■i)  Granby  à  Ferdinand,  2  septeml)re  1761.  Wesphalen,  V.  p.  7',t;{.  —  LK- 
tat  des  troupes  anglaises  indique  à  la  lin  de  septembre  3.80'.)  malades  sur  un 
effectif  de  20.437. 


Ht 


i.\  (;iiKiu«i';  i»r.  s>:i>t  ans.  -  ciiap.  v. 


A  Sulhcck  puis  ù  Kimix'ck;  ses  (Irlaclicinonts  cnn'nt  à 
cnl'»•^isti•('l•  <|m'l(|ii(>s  succrs  [nirlirls.  |{ol>mi(('  prit  sa  rc- 
v;mclie  en  dispersant  juvs  (rOsttu-cMlc  dans  le  Harlz  (1  le 
curps  de  Froytji^^  ol  on  lui  faisant  VôO  prisonniers;  Cliaho 
suii>rit  les  Imssards  de  Banei-  près  de  Scluii'f  Oldendoil", 
leur  enleva  des  prisonniers  (2),  «  tous  leurs  écpiipa^es  «pii 
ont  enrichi  nos  j^^ens,  des  carrosses,  beaucoup d'aryeut  et 
de  nii)peset  une  très  jolie  fenuiie  ».  l'ne  Icîttre  de  Hroylie 
à  SiHibise  3.  rend  compte  de  la  situation;  le  j^ros  de 
larniée  est  avec  lui  à  Eind)eck  depuis  le  H  se[)teinbre, 
Stainville  avec  une  grande  partie  de  son  corps  cami)e 
entier  (irebenstein  et  Marienilorl";  le  prince  Ferdinand  avec 
le  uios  des  confédérés  entre  Liebenau  et  llelineruhausen 
sur  la  Dyniel  :  «  Il  a  un  corps  considérable  au-dessus 
d'Iloxter,  un  autre  près  de  Polie  et  un  troisième  aux  ordres 
de  Liickner  entre  la  Lcine  et  Goslar.  Voilà  l'état  des  choses 
ici,  tant  <pie  vous  occuperez  le  prince  héréditair»;,  il  res- 
tera devant  vous;  du  moment  que  vous  cesserez  de  lui 
donner  des  inquiétudes,  il  reviendra  sur  la  haute  Uymel 
menacer  la  gauche  de  M.  de  Stainville. 

iicvenons  àSoubisc  et  voyons  comment  il  s'acquittait  de 
la  tAche  qui  lui  incond)ait.  Nous  l'avons  laissé  dans  la 
banlieue  de  Munster  bien  décidé  k  ne  pas  tenter  le  siège 
de  cette  place  et  très  désireux  d'obtenir  l'appiobation  du 
Hoi  ])our  l'incursion  d'Ost  Frise.  Dans  une  dé[)èche  à  Choi- 
seul  (V)  il  développe  les  raisons  de  sa  conduite  :  «  On  ne 
peut  pas  imaginer  un  moment  d'e.xposer  rartillerie  devant 
une  place  qui  peut  être  secourue  et  surtout  dans  un  pays 
où  (juatre  jours  de  pluie  rendent  les  ehenùns  absolument 
impraticables.  A  moins  que  M.  le  maréchal  do  Broglie  ne 
trouve  moyen  d'attirer  le  prince  Ferdinand  à  la  rive  droite 

(l)Belsunce  au  comtfl  do  Broglie. 'i  scpl.  ITfit.  Ardiives  de  la  Guerre. 
(■-!)  Clialio  au  coiiile  de  Hroi-lie,  Vcrlesheiin,  .5  sept.  l"r>l. 

(3)  Broglie  A  Soubise,  Eiiiil»eck,  12  sept.  1761.  Arehivesde  la  Ouerro. 

(4)  Soubise  à  Gliuiseul,  Ai>|ielliauReu,  27aoiH  1701. 


SOI  iiisK  uKNo.NCE  AU  8ii:(;ii  m:  minstku. 


ir>r> 


du  WcstM',  (l«r  le  coiiiliatti'e  ou  de  ^e  placer  intciiuédiaiie- 
mcnl  ontrn  l'artuée  onnoiiiic  et  celle  destinée  à  faire  le 
siège  (l(î  Kip|>sliiill..le  crois  (pi'il  s<îniil  iiiipiudent  et  nièrne 
téuu'iaire  d'en  l'aire  la  tentative;  celui  de  Munster,  (juni- 
(|iic  moins  difllcile  à  heaueoupd'é^iards,  serait  encore  sujet 
à  de  très  grands  risipies,  et  il  laudr.iil  rassembler  bien  des 
moyens  pour  se  llatl(U'  di'  pouvoir  réussir,  .le  vais  donc  me 
borner  à  suivre  les  diversions  commencées  par  la  droite  et 
la  gauche.  Pendant  (jue  les  ennemis  portaient  toute  leur 
attention  sur  Warendorl',  et  prin(i[talement  sni-  Ilamm, 
M\\.  de  Conflans  et  de  (^atnbefortont  gagné  du  terrain.  Je 
crois  le  premier  très  [>rès  d'OsnabriU-k.  .M.  de  Vogué  est  à 
Aldenberg  pour  le  soutenir  et  lui  envoyer  du  reid'ort  s'il 
se  trouve  en  avoir  besoin.  Vous  avez  bien  raison,  Mon- 
sieur, ces  diversions  dans  l'Ost  Krise  sur  le  bas  Kms  et 
dans  le  pays  d'Osnabriick  ne  peuvent  être  solidement 
établies,  tpiand  on  n'est  ])oint  maltie  de  Munster,  aussi 
je  songe  dans  ce  monient-ei  à  détruire  les  magasins  des 
ennemis,  en  enlever  et  faire  transporter  une  partie  à 
Wcsel,  prendre  des  otages  et  tirer  (|uel([ucs  (-ontribu- 
tions.  »  Peu  de  temps  après  avoir  fourni  ces  e.\[)lications, 
Soubise  reçut  de  la  cour  un  avis(l)  qui  les  approuvait 
d'avance.  Choiseul  reconnaissait  (\ue  le  siège  de  Munster 
était  impossible  tant  que  Kielmansegge  s'y  trouverait 
avec  ses  troupes,  il  acceptait  l'entreprise  sur  l'Ost  Frise. 

Kielmansegge,  qui  avait  (juitté  momentanément  Munster 
pour  rejoindre  à  Ilamm  le  prince  héréditaire,  y  revint 
avec  un  détachen»ent;  à  la  tête  de  ses  forces  réunies,  il  lit 
du  côté  de  Koxel  une  sortie  peu  heureuse  qui  fut  repoussée 
avec  la  perte  de  (500  hommes  tués,  blessés  ou  pris.  Au 
dire  de  Turpin  de  Crissé  (i)  «  il  aurait  été  très  facile  de 
battre  ces  G. 000  hommes  et  en  les  pressant  bien  fort  d'en- 


l'B? 


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(1)  Choisoul  à  Soubise.  I^AÊÊitHt.  Archives  de  In  Guerre. 

('2)  Tui'pin  (le  Crisséà  Lu»«ÉM.ltor8U'iii.  7  septembre.  Documeiils  inédits. 


150 


LA  {iUKfUlK  DE  SKPT  ANS.  —  CHAP.  V. 


l'   'V. 


trer  pèlc-mèle  avec  eux  dans  Munster  ».  Pendant  que  Sou- 
bise  s'attardait  devant  cette  place,  le  prince  héréditaire, 
arrivé  à  Ilanini  le  27  août,  ne  perdait  pas  sou  temps  et  ma- 
nifestait sa  présence  par  un  coup  de  main  hardi  sur  le 
poste  de  Dorstein  où  étaient  installés  les  services  de  la 
boulangerie  ;  le  général  français,  inquiet  sur  le  sort  de 
Dorstein,  avait  envoyé  Coudé  à  Dulmen  et  Voyer  à  lluis 
Dulnien.  C«'tte  précaution  fut  ])rise  trop  tard  :  le  prince 
héréditaire  avait  détaché    de  Hamm  le   colonel  Huth  à 
la  tétc  de  3  bataillons,  un  régiment  de  dragons  et  'i  ca- 
nons avec  mission  d'enlever  le  bourg  de  Dorstein  et  sa 
garnison  composée  d'un  bataillon  du  régiment   liégeois 
de  Vierzet  et  de  quelques  piquets  d'autres  corps.  La  ville, 
attaquée  le  30  août  à  0  h.  du  matin,  fut  bien  défendue; 
39  maisons  furent  détruites  parle  canon,  ou  se  battit  dans 
les  rues,  mais  en  fin  de  compte  la  garnison  dut  se  rendre. 
Les  vainqueurs  s'emparèrent '1)  «  d'un  amas  considérable 
de  farines,  d'avoines,  de  bois  »  et  de  600  prisonniers.  Le  but 
de  l'expédition,  qui  était  de  détruire  les  fours  de  l'armée  du 
lias-Rhin,  .fut  pleinement  atteint.  Soubise  ne  perdit  pas  de 
temps  *2 1  pour  réoccuper  Dorstein,  il  se  porta  le  2  septembre 
à  llaltern  sur  la  Lippe  et  poussa  Voyer  sur  Dorstein  :  à  l'ap- 
proche de  ce  dernier,  les  confédérés  évacuèrent  leur  con- 
quête ;  dans  leur  retraite  ils  eurent  à  livrer  un  combat  d'ar- 
rière-garde  dans  le([uel  ils  perdirent  le  partisan  Scheiter, 
1(50  prisonniers  et  un  canon.  Le  5  septembre,  le  quartier 
généraldeSoul)isefut  installé  à  Westerholtz  entre  la  Lippe 
et  l'Emser  ;  le  prince  héréditaire,  c[ui  s'était  avanoé  juscpi'à  , 
Dolmen,  en  partit  le  7  au  matin  en  route  pour  Mamm  ; 
d'api  l's  les  informations  françaises,  il  avait  sous  ses  ordres 
22  bataillons,  28  escadrons  et  des  troupes  légères.  A  rai- 
son de  (iOO  par  bataillon  et  l'i-O  par  escadron,  chilfres  très 


(1)  Journal  de  l'arméo  confédérée.  Bune,  9  septembre  1701 .  Record  Oflice. 
('2)  Soubise  à  Uroglic,  llallern.  ;!  sepleinlire  17CI.  Archives  de  la  Guerre. 


INACTION  DE  SOUIMSK. 


157 


élevés  pour  une  lin  de  caivfjagnc,  il  pouvait  donc  disposer 
au  i)lus  d'environ  18.000  liouinies  contre  lesquels  Soubise 
et  Voyer  pouvaient  réunir  55  bataillons,  35  escadrons  et 
quelques  troupes  légères,  soit  au  moins  -iô  à  2().000coin- 
batiants.  ('ependunt,  le  général  îrançais  n'avait  aucune 
intention  de  prendre  l'oirensive  contre  son  adversaire.  Le 
12  septembre,  il  prévint  Broglie  (1)  que  le  prince  hérédi- 
taire retournait  à  Ilamm  après  avoir  détaché  quelques 
troupes  sur  Munster.  «  Peut-être  avec  le  reste  son  projet 
est-il  de  rejoindre  le  prince  Ferdinand  aussitôt  que  sa 
marcJiesera  décidée,  je  chercherai  à  vous  instruire  le  plus 
promptement  ([u'ilscra  possible,  o  A.  Clioiseul,  il  écrivit  (^2 
dans  le  même  sens,  tout  en  ajoutant  qu'il  cherchait  à  occu- 
per l'ennemi  et  à  l'empêcher  de  renforcer  le  prince  Ferdi- 
nand; «  cependant  ils  en  son»  toujours  lés  maîtres  et  je  ne 
puis  parer  la  facilité  des  chemins  de  Lippstadt  ou  de  Hamm 
à  Paderborn   ». 

En  efl'et  le  prince  héréditaire  était  de  nouveau  on  route 
pour  hiDymel;  le  15  septembre,  Stainville  3i  confirmait 
la  nouvelle  en  envoyant  à  IJroglie  une  lettre  interceptée 
du  prince  à  son  oncle  :  k  Je  me  lii\te  de  remplir  ses  in- 
tentions, écrivait  le  premier  à  la  date  du  iV,  en  me  con- 
tenant le  mieu.v  que  possible  sur  la  Dymcl  contre 
M.  de  Stainville.  J'y  réussirais  mieu.v  si  elle  pouvait  me 
renforcer  de  quelques  troupes  légères  pour  empêcher  les 
courses  sur  ma  droite.  »  Quant  à  Soubise,  il  se  bornail 
à  enregistrer  avec  philosophie  les  mouvements  de  l'ad- 
versaire et  à  ne  se  préoccuper  que  des  excursions  sur  l'Kms 
et  en  Ost  Frise  :  «  Je  crois,  mande-t-il  à  Jiroglie  (i),  que  je 

(I)  Soubise  il  llioglie,  Weslorliolt/,  12  seiileinbre  17C1.  .\n'lii\es  dt>  la 
Guerre. 

(•>)  Soiibi.se  il  Choisciil,  Heclilingliauson,  l'Jsepl.  17fil.  Arch.  de  la  Guerre. 

(3)  Slainville  i\  Broglie,  Grebenslein,  15  septembre  l'fti,  i  li.  |i.  m.  Arcli. 
de  la  Guerre. 

I  i]  Soubi.se  à  Bro;^lie.  UecklinghaïKcn.  13  septembre  1761.  Archives  de  ia 
Guerre. 


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158 


LA  GUEIIUK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  V, 


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vais  me  rapprocher  de  Munster  et  porter  des  détaclic- 
incnts  par  ma  gauche  le  phis  avant  qu'Usera  possihle.  » 
Le  ton  de  la  correspondance  qu'il  entretenait  avec  Choi- 
seul  (!)  révèle  le  sentiment  de  rimpuissance  la  plus  ab- 
solue :  "  .le  ne  puis  m'opposer  au  départ  du  prince  hé- 
réditaire et  je  ne  sais  si  les  diversions  que  je  me  trouve 
en  état  de  faire  produiront  un  prompt  retour  de  sa  part. 
Vn  corps  de  V.OOO  hommes,  campé  pr;"'S  de  llamm,  rend  une 
entreprise  sur  cette  ville  prescjuc  impossible.  Le  succès  en 
serait  au  moins  très  douteux  et  les  ennemis  seraient  les 
maîtres  d'y  envoyer  du  secours,  .le  ne;  parle  point  de  la 
difficulté  d'assurer  les  subsistances,  on  pourrait  y  parer 
en  faisant  un  nouvel  établissement  à  llagen,  mais  cette 
communication  demanderait  beaucoup  de  troupes  pour  les 
(iscorles,  et  au  moindre  mouvement  des  ennemis,  l'armée 
serait  obligée  de  revenir  sur  ses  pas.  Par  la  même  raison, 
on  ne  peut  se  déterminer  à  suivre  les  pas  du  priace  hé- 
réditaire. >  11  exposait  ensuite  sans  grande  conviction  les 
opérations  ([u'il  pouvait  exécuter  :  ((  Il  me  reste  à  tenter 
une  nouvelle  diversion  sur  le  bas  Ems.  En  me  portant 
avec  l'année  à  C.oesfeldt  ou  aux  environs,  je  puis  couvrir 
les  détachements  (jui  pénétreront  dans  l'Ost  Frise  et  d'un 
autre  côté  dans  le  Diepholt  (2)  et  jus([u'aux  portes  de 
Rréine.  Les  ennemis  ont  un  gros  magasin  dans  Meppen. 
Cette  petite  ville  est  fortifiée,  mais  la  garnison  en  est  très 
faible  et  Cambefortqui  la  connaît  bien  assure  qu'elle  ne 
tiendrait  pas  îï  heures.  .le  suis  bien  éloig.ié  de  répondre 
que  cette  petite  expédition  fera  revenir  le  prince  hérédi- 
taire; elle  est  sûre  et  facile;  on  retirera  quehpies  contri- 
butions, un  fera  rentrer  dos  fourrages.  L'armée  vivra  dans 
le  pays  (pie  les  ennemis  doivent  occuper  pendant  l'hiver. 
Ce  sont  des  avantages  qui  ne  sont  pas  à  négliger,  mais  qui 


(1)  Soul)ise  à  Choiscul,  Rerkliiii^hausen,  l."i  soplenibrc  17GI.  Archives  de 
la  nuene. 

(2)  Région  Piilre  le  Las  Rhin  e(  le  bas  Woser. 


PROJETS  DE  DIVEUSION  SI  H  I.K  ItAS  KMS. 


159 


n'arrêteront  point  renncnii...  Le  prince  héréditaire  a 
paru  plus  sensil)le  aux  démonstrations  d'attaque  faites  sur 
Itamni.  La  saison  étant  plus  avancée,  il  juuera  que  nous 
ne  songeons  loint  à  y  faire  d'établissenient,  et  selon  les 
apparences  il  y  portera  moins  d'attention.  "  Sans  doute  il 
serait  possible  de  bombarder  la  ville,  mais  on  courrait 
risque  d'atteindre  les  blessés  et  malades  français  qui  y 
sont  en  nombre  considérable  et,  tout  compte  fait,  l'opéra- 
tion même  couronnée  de  succès  ne  vaudi-ait  pas  la  perte 
qu'elle  entraînerait.  "  Cependant,  si  j'étais  sûr  de  produire 
une  diversion  bien  essentielle,  je  ne  balancerais  pas...  Je 
n'ai  point  parlé  d'un  autre  parti  qui  S(M'ait  de  suivr-:  le 
prince  héréditaire  s'il  se  dirige  sur  la  haute  Dymel.  La 
difficulté  des  subsistances  serait  une  des  premières  à 
surmonter;  les  convois  auraient  bien  de  la  peine  à  arriver, 
et  de  quelque  côté  que  puisse  marcher  l'armée,  elle  ne 
peut  s'éloigner  de  plus  de  18  lieues  des  points  de  Dussel- 
dorfou  de  Wosel.  »  Deux  jours  après,  il  revenait  à  son 
sujet  favori  :  Cambefort  et  Conflans  sont  en  route  pour 
Meppen,  Condé  sera  le  \H  à  Pulmeu  et  le  lî>  à  Coesfeldt. 
«  Vogué  le  joindra  et  j»'  le  suivrai  à  2'i  heures  près  ». 
(Mievert  restait  au  camp  de  Recklinghausen  avec  8  ba- 
taillons. <>  escadrons,  (juelques  dra,:.<»ns  et  la  maison  du 
Koi  pour  garder  les  communications  avec  les  dépôts  du 
Uhin. 

Conformément  à  ce  qu  1  avait  annoncé,  Soubise  installa 
son  quartier  général  le  20  >e[)fembre  à  Coesfeldt  :  «  L'ar- 
mée est  arrivée  ici,  avant-hier,  écrit-il  à  Choiscul  (1), 
comme  j'avais  eu  l'honneur  de  vous  l'annoncer.  M.  le 
prince  de  Condé  est  à  llorstmar  ;ivec  la  réserve  à  V  lieues 
de  nous,  et  à  peu  près  à  la  même  distance  de  Fiheine  sur 
l'Kms.  Ce  sera  le  point  d'appui  et  de  rallienuMit  de  tous 


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(1)  Soubise  i\    Choiseul,  Coesfeldt,  2:>.  septembre    ITCi.    Aichixes  di-  la 
Oucrie. 


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L.\  GL'ERRE  DE  SEl'T  ANS.  —  CllAP.  V. 


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nos  détachements.  M.  de  Voyer  doit  y  rester  avec  six  ba- 
taillons de  grenadiers  et  chasseurs.  Il  portera  au  delà  de 
l'Ems  600  dragons  et  VOO  maîtres  de  cavalerie,  destinés 
à  protéger  la  retraite  des  volontaires  qui  doivent  se  ré- 
pandre dans  le  pays  d'Osnabriick,  de  Uecklinboui'ii, 
liingen,  iJiepholt  aussi  loin  et  aussi  longtemps  que  les 
ennemis  le  permettront.  MM.  de  Wurmser,  Viomesnil  et 
Comeyras  les  conduiront  avec  vivacité  et  prudence.  M.  le 
marquis  de  Contlans  et  M.  de  Candiefort  ont  une  destina- 
tion particulière.  Ils  ont  hier  dépassé  Meppen,  après  une 
reconnaissance  très  exacte  ils  ont  jugé  cette  petite  place 
à  l'abri  d'un  coup  de  main.  Ils  se  sont  contentés  de  la 
masquer.  Les  ennemis  ont  une  garnison  de  iOO  hommes, 
une  trentaine  de  pièces  de  canon  de  fer,  et  quelques 
mortiers.  On  m'assure  qu'il  s'y  trouve  des  magasins  a^sez 
considérables.  Selon  les  circonstances,  et  le  temps  que  les 
ennemis  me  donneront,  je  verrai  si  l'objet  vaut  la  peine 
d'envoyer  une  brigade  d'infanterie  et  quelques  pièces  de 
gros  canon" de  campagne,  pour  s'en  rendre  maUres.  La 
distance  de  2(^  lieues  me  retient  beaucoup.  En  attendant, 
M.  de  Contlans  poursuit  son  chemin  vers  l'Ost  Frise,  .l'es- 
père qu'il  y  pénétrera  et  (|u'il  en  reviendra  heureusement, 
après  avoir  établi  les  contributions.  .le  serai  très  occupé 
de  favoriser  sa  retraite  et  j'espère  que  nous  réussirons. 
Les  ennemis  n'ont  dans  cette  partie  que  deux  régiments 
de  dragons  arrivés  depuis  hier  aux  environs  de  Munster. 
Nos  détachements  de  dragons  et  de  cavalerie  suffisent 
pour  les  contenir.  »  Il  était  difficile  pour  un  général  de 
faire  preuve  de  plus  de  timidité;  il  est  vrai  que  Choiseul 
avaitécritau  prince(l  )  :  «  S.  M.  approuve  votre  prévoyance, 
la  prudence  avec  laquelle  vous  vous  conduisez.  » 

Séparons-nous  de  Soubise  k  Coesfeldt,  où  son  quartier 
général  demeurera  jusqu'au  IV  octobre,  et  revenons  à  la 


(1)  Choiseul  à  Scubisc,  29  août  1701.  Archives  de  la  Guerre. 


1 1^.  i<K<gai?ftWSSSW«"-i  T-wï^sîT  :', 


s  ■■^i#**itfâj^L^-..*'* 


nKOCLlK  EXPOSE  SEP  PROJETS. 


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liesse  où  les  conledérés  vont  pénétrer  pour  la  troisième 
l'ois.  Aussitôt  de  retour  de  Cassel  à  Sulbt-ck,  liroglic 
cliercho  à  se  justifier  (1)  des  premiers  reproches  reiais  à 
propos  du  passage  du  Weser;  cette  opération  faisait  partie 
du  plan  du  -28  juillet;  jamais  l'armée  n'avait  été  en  danucr 
et  toutes  les  précautions  avaient  été  prises  pour  la  pro- 
tection de  la  liesse.  Sa  plaidoirie  achevée,  il  passe  à 
l'examen  de  ce  qu'il  est  possible  de  faire  pour  l'avenir  : 
«  Nous  avons  cru  ensuite  que  le  seul  moyen  de  rappeler 
le  prince  Ferdinand  clans  le  pays  d'Hanovre  était  de  lui 
faire  craindre  de  nous  y  voir  marcher  avec  des  forces 
considérabl(>s  et  d'y  prendre  l'oircusive,  et  c'est  ce  que  je 
connncncerai  à  faire  le  11.  Je  suis  obligé  d'attendre  jus- 
qu'à ce  jour  pour  donner  le  temps  aux  troupes  qui  com- 
posent la  réserve  de  iM.  de  Clansen  d'arriver  et  d'y  joindre 
celles  qui  étaient  aux  ordres  de  M.  de  Helsunce  (2)  alin  de 
le  mettre  assez  en  force  pour  se  mesurer  avec  le  corps  de 
Liickner.  et  aller  même  l'attaquer  toutes  les  fuis  qu'il  y 
aura  possibilité,  -l'irai  demain  à  Eimbeck  reconnaître 
j)lus  particulièrement  la  position  (]ue  je  pourrai  y  faire 
prendre  à  l'armée  et  y  convenir  avec  M.  le  comte  de  Lu- 
sace  de  celle  où  sa  réserve  sera  placée.  » 

Broglie  envisag^e  les  trois  partis  qui  s'olfrent  au  prince 
Ferdinand  :  H  peut  à  son  choix  entreprendre  une  nouvelle 
diversion  contre  la  Hessc  et  les  communications  avec 
Francfort,  bîirrer  le  Weser  et  porter  les  hostilités  du  côté 
dEimbeck,  entln  renforcei'  les  trou[)es  qu'il  a  déjà  dans  le 
pays  d'Hanovre  afin  de  mieux  empêcher  d'y  pénétrer. 

«  Dans  la  première  supposition,  s'il  se  détermine  bien 
sérieusement  à  entrer  en  Messe,  et  qu'il  cherche  à  y  faire 
un  établissement  solide,  je  serai  forcé  de  m'en  rappro- 
cher et  de  tenter  de  le  combattre,  ou  s'il  ne  veut  pas  se 


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(1)  Hroglie  à  Choisciil,  Sulbcck,  8  seplonibrn  ITOt.  Aicliivcs  de  la  Guerre. 

(2)  llelsiinre  avait  été  ra|»iielé  à  Paris  et  ciiargé  d'un  cDiiuuaiulemeiil  aux 
Antilles. 

(;lki\iii:  di.  si:i>t  ans.  —  t.  \ .  1 1 


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LA  dUl'IUU':  DE  SKl'T  ANS. 


CIIAP.  V. 


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lu,.'  ;    ■! 


commettre  X  une  Jiclion,  do  l'obllyer  de  rcpassci*  cette 
liviùrc.  S'il  passe  le  Weser  A  lliixter  avec  la  plus  grande 
partie  de  son  armée  pour  marcher  sur  moi  à  |yml>eck,  Je 
liVchcrai  d'en  être  instruit  <'t  de  me  trouver  en  mesure 
de  regagner  les  hauteurs  de  Moringen  pour  ne  pas  me 
trouver  séparé  de  Gottingen.  S'il  avait  totalement  aban- 
donné la  Dymel,  M.  de  Stainville  marchant  par  sa  droite 
et  passaijt  la  Fulde  pourrait  venir  se  joindre  à  ma  gauche. 
Si  enfin  il  se  renforçait  considérablement  dans  le  pays 
d'Hanovre,  nous  serions  parvenus  à  une  partie  de  notre 
but  de  l'attirer  en  deçà  du  Weser.  »  (iCtte  dernière  hypo- 
thèse serait  la  plus  désirable,  mais  même  dans  le  cas 
d'une  afTaire  heureuse,  étant  données  la  nature  du  pays 
défavorable  à  la  défensive  et  les  diflicultés  de  ravitaille- 
ment, «  on  ne  pourrait  se  flatter  de  s'emparer  ni  d'Ha- 
melen,  ni  d'Hanovre,  et  par  consérpient  de  prendre  d'éta- 
blissement pour  l'hiver  plus  avant  que  Gottingen.  Il  esf 
plus  que  vraisemblable  que  les  ennemis  éviteront  une 
affaire  générale,  qu'ils  profiteront  de  leur  position  pour 
nous  donner  de  l'inquiétude  pour  notre  gauche,  que 
pour  cela  le  prince  héréditaire  reviendra  bientôt  sur  la 
haute  Dymel  et  que  la  campagne  finira  comme  l'année 
dernière  eu  ayant  une  partie  de  l'armée  en  liesse  et  une 
dans  le  pays  d'Hanovre.  Si  cela  est,  les  ennemis  achève- 
ront de  faire  un  désct  des  bords  de  la  Dymel  et  ne  pour- 
ront y  tenir  l'hiver  beaucoup  de  troupes.  Nous  mange- 
rons entièrement  le  pays  d'Hanovre  depuis  Eimbeck 
Jusiju'à  la  Werra  de  sorte  ([uils  ne  pourront  s'y  établir, 
et  nos  quartiers  d'hiver  sur  la  Werra  seront  tranquilles 
d'autant  que  l'on  tâchera  de  fortifier  Mulhausen  pour 
nous  donner  la  sûreté  de  tirer  nos  subsistances  de  la 
Thuriuge,  de  l'Eichfeld  et  des  pays  de  Gotha  et  d'Eise- 
nach.  Voilà,  M.  le  Duc,  tout  ce  que  j'envisage  de  faisable 
pour  le  reste  de  cette  campagne.  (Juoiquc  peu  brillant, 
cela  aura  sa  difficulté,  et  pour  se  préserver  de  quelque 


■  ■  H 


;^'X^^||Ki^^. 


INTENTIONS  DE  ItRUINAND. 


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(■•chec,  encore  faudra-t-il.  vu  la  position  des  ennemis  o\  lu 
lacilité  (lu'ils  ont  de  se  p«»rtei*  par  une  liyne  plus  courte 
<|ue  nous  de  leur  droite  à.  leuruauche,  beaucoup  de  vigi- 
lance sur  leurs  mouvements  '. 

Hroglic  avait  bien  percé  les  [)rojets  de  son  adversaire, 
tels  qu'ils  rcssortent  d'une  dcp<''cho(0  [)ostérieuro  de 
û  jours  i\  colle  que  nous  venons  do  citer  :  «  Le  marôohal 
de  Hroglie  semble  en  ellet  occupé  d'agir  par  sa  di'oite.  Il 
continue  non  seulement  à  tenir  occupé  le  llarfz,  mais  il 
a  avancé  aussi  le  long  de  la  boinc,  quoiqu'il  ne  le  fasse 
qu'en  tâtonnant,  et  à  petits  pas.  Je  tàcberai  de  faire  tout 
mon  possible  pour  l'empêcher  d'aller  plus  loin.  Il  me  faut 
encore  (piolques  jours  })<>ur  mo  préparer  à  une  expédi- 
tion que  jo  compte  de  faire  en  Ilosso.  Si  elle  réussit,  M.  le 
maréchal  de  liroglie  sera  obligé  d'y  venir  avec  le  gros 
de  son  armée,  après  quoi  je  me  tlatte  que  les  parties 
d'Eimbeck  et  du  Ilartz  seront  abandonnées  d'elles-mêmes. 
Comme  dans  cette  crise  il  importerait  infiniment  pour 
soutenir  la  gageure  contre  les  armées  françaises  do  gar- 
nir fortement  les  villes  d'Hanovre,  do  Urunswick  et  do 
Wolfenbuttel,  j'ai  détaché  de  l'armée  (sur  Hanovre)  trois 
bataillons  qui,  joints  aux  recrues  du  dépôt,  et  à  un  ba- 
taillon (le  milice,  forment  une  garnison  de  presque  V.OOO; 
il  m'aurait  été  impossible  d'en  faire  autant  par  rapport 
;\  Brunswick  et  à  Wolfenbuttel  ;  mais  le  duc,  mon  frère,  y 
a  suppléé  ayant  fait,  dès  le  commencement  de  l'année 
courante,  de  si  fortes  levées  dans  son  pays  ({u'il  a  actuel- 
lement une  garnison  de  V.OOO  honmies  à  Wolfenbuttel, 
do  fa(;on  que  j'ose  espérer  que  ces  trois  villes,  extrême- 
ment importantes,  dans  la  position  actuelle  des  armées, 
se  trouvent  hors  d'insulte.  » 

Le  12  septembre,  l'aile  droite  cl  le  centre  de  l'armée 
<lu  llaut-Rbin  étaient  concentrés  à  Eimbcck;  buckncr  s'é- 


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(1)  l'crdinanil  à  lUilc.  lUinc,  Kt  sciileniluc  ITûl.  Kerord  onici', 


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I.A  (U  lillUlli  DK  Si:i'T  ANS. 


CIIAP 


tait  retiré  à  Ilildcsiieim;  le  inonicnt  semhiail  [)ropico  poiii' 
poussor  iino  pointe  offensive  dans  la  direction  du  IJruns- 
wick  et  du  Hanovre;  en  conséquence,  Clausen,  appelé  d<! 
la  lleinliardswalde,  reçut  ordre  de  réunir  le  coniniande- 
nient  de  Helsunce  au  sien  et  de  marcher  sur  Wolfenhutlel 
et  Osterwick.  Vaul)ecourt  fut  chargé  d'emportei'  le  clià- 
teau  de  Scharlzfeld  et  Caranuin  fut  envoyé  reconnaître 
les  environs  de  lloxter.  Cetle  dernière  expédition  donna 
lieu  à  une  renconti'e  sur  laquelle  il  convient  de  fournir 
quehfues  détails  M).  Pour  conserver  le  contact  avec  le.^ 
Français,  le  prince  Ferdinand  avait  détaché,  sur  la  rive 
droite  du  Weser,  Mausberg  avec  sa  brigade  forte  de  ï  ba- 
taillons et  k  escadrons.  Ce  général,  placé  sous  les  ordres 
de  Sporcken  qui  coniniandait  en  chef  à  Brenckbausen  non 
loin  de  lloxter,  devait  se  porter  sur  le  Motsberg  près  de 
Xeuhaus,  mais  sai:  ;  trop  s'avancer  dans  le  pays  du  SoUing. 
Le  13  au  soir,  ces  instructions  furent  annulées  et  Sporcken 
fut  invité  à  rappeler  de  suite  son  subordonné  à  Furs- 
tenberg.  Le  contre-ordre  remis  tardivement  ne  parvint 
pas  en  temps  utile  à  Mansberg.  (let  oflicier,  éloigné  de 
tout  secours  immédiat,  était  tout  à  fait  en  l'air.  Caraman, 
averti  de  la  situation  dangereuse  du  détachement  con- 
fédéré, se  porta  sur  lui  par  une  marche  de  nuit,  j)énétra 
sans  rencontrer  (2)  «  ni  gardes,  ni  patrouilles  »  dans  le 
campement  du  régiment  de  Mansberg,  le  mit  en  déroute, 
jeta  le  désordre  dans  la  brigade,  lui  enleva  des  tentes, 
des  équipenients,  3  canons  et  un  drapeau,  et  lui  infligea 
une  perte  de  207  hommes  tués,  blessés  ou  pris.  Un  mo- 
ment, Mansberg  tomba  entre  les  mains  des  cavaliers 
français,  mais  réussit  à  s'échapper  pendant  qu'ils  se  par- 
tageaient sa  dépouille,  remit  un  peu  d'ordre  dans  sa 
troupe  et  regagna  le  Weser  qu'il  mit  bientôt  derrière 


(1)  Voir  il  ce  sujet,  Westpiiak'ii,  V,  p.  851  et  suivantes. 

(2)  Broglic  à  Choiscul,  Eimbeck,  15  seiiteinlire  1701.  Arcliives  de  la  Guerre. 


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DISr.HACI-:  DK  SPORCKEN. 


165 


lin.  [.p  prince  Fcnlinand,  plus  furieux  de  ce  (pfil  voanv- 
dait  couime  une  désobéissance  que  de  l'incident  peu 
Huporfant  en  Ini-tnôme.  s'en  prit  à  Sporcken  dont  il 
trouva  les  explications  insuftisantes  (1).  A  la  suite  d'une 
correspondance  ai,^re-d..ncc,  le  général  hanovrien  de- 
manda sous  prétexte  de  santé  un  congé  qui  lui  fut  ac- 
coi'dë;  û  fut  remplacé  par  Wangenheim. 

(1)  Sur  la  leUri.  de  Sporcken,  Ferdinand  avait  écril  dn  sa  main  :  „  Q„.lle«. 
iilalines(s,c)  excuses.  C'est  insoutenable.  ..  SVeslphalen,  vol.  V,  ,..  S;!. 


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KXPi;i»lTU»\  <.OMUI.  NVOLI  K.Mtl  ITKL  l.l  IJIU.NSWICK.  —  OI»K- 
HAIIONS  AUTOUR  l/KIMIthXk.  —  l'IUSi:  l»KS  <,)!  A»  I  IKItS 
n'illVKK.    —    lUSdEACK    IH.    ItROliLli:. 

L'invasion  du  Ilanovn»,  qne  semblaioi  présager  les 
mouvements  de  Hrof:li(',  était  redevemie  le  principal 
souci  du  prince  Ferdinand;  il  en  écrit  à  Lord  Bute;  il  en 
confère  avec  Westphalen  :  «  Faut-il  s'attendre  A  une 
marche  immédiate  des  Français  sur  la  ville  de  Hanovre 
qui  n'est  guère  en  état  de  tenir  plus  de  .{  jours?  et  dans 
ce  cas  marcher  à  son  secours  avec  32  bataillons,  tout  en 
laissant  24-  sur  la  Dymel  ef  jxtur  la  défense  d'Hr».\ter? 
Faut-il  au  contraire  avoir  reconrs  à  une  nouvelle  diversion 
en  Messe?  »  —  «  Le  parti  de  uMirclier  sur  le  corps  de  M  de 
Stainville  serait,  répond  Westphalen  (l),sans  doute  le  meil- 
leur moyen  de  faire  faire  halte  à  M.  de  Broglie mais 

il  faudrait  exécuter  sans  [)erte  de  temps  cette  attaque; 
V.  A.  S.  pourrait  rassembler  ïï  bataillons  et  42  escadrons 
pour  cette  besogne.  Mais  je  ne  sais  si  elle  trouve  ce  nom- 
bre suffisant.  Si  l'ennemi  ne  marche  pas  rapidement,  c'est- 
à-dire  s'il  fait  jour  de  repos  aujourd'hui,  on  peut  attendre 
l'arrivée  du  ])rince  héréditaii-e  et  aj?ir  alors  avec  vivacité. 
Et  ceci  me  parait  ce  (jui  convient  le  plus.  H  me  semble 
qu'il  laut  aller  au  plus  pressant  et  abandonner  par  con- 
séquent pour  quelque  temps  la  Westphalie  à  M.  de  Sou- 


(I)  Wostphalon  à  ri-nlinand,  12  soptembro  1761.  Wcslplialen,  V,  p.  830. 


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LES  COM-KDKUKS  PASSENT  LA  DVi/EL. 


107 


bise.  »  L  ennemi  ne  marcha  pas  activement,  et  Koidinand 
eut  le  loisir  (ratlcndre  l'entrer  en  lii^no  de  son  neven. 
Conime  nous  l'avons  dit  pl'is  haut,  (Jiabo  et  Sfainvillo 
faisaient  bonne  garde,  et  Hroglir  l'ut  aussitôt  renseigné 
sur  le  (langer  (|ui  le  menaçait.  Les  dépêches  di-  Slainville 
se  succèdent  rapidement  (1)  :  le  prince  a  passé  la  nuit  du 
15  à  l'abbaye  de  halem,  il  sera  le^lO  à  Warbuif;',  aussi 
Stainville  a-t-il  cru  prudent  de  reculer  vers  ( Classe  1  ;  il 
campe  la  droite  A.  Immenhausen,  la  gauche  au-dessus  de 
Wilhemsthal. 

Knfre  temps  la  menace  se  précisait;  conformément  aux 
instructions  2^  lancées  le  17  du  ((uarticr  génér.d  de  Uune, 
le  gros  de  l'armée  confédérée  s'ébranlait  k  2  h.  du  matin  lo 
18  et  franchissait  la  Dymel;  la  droite  conduite  par  le 
prince  héréditaire  devait  toui'uer  la  gauche  de  Stainville 
et  marcher  sur  Wilhemsthal  ;  le  centre  avec  lequel  se 
trouvait  Ferdinand  se  dirigeait  sur  (Irebenstein  et  Immen- 
hausen; la  gauche  sous  les  ordres  de  Wiitginau  et  précé- 
dée des  avant-gardes  de  Reidesel  et  Friedrichs  avait  pour 
objectif  Holtzhausen,  Wangenheim  avec  un  peu  plus  do 
8.000  hommes  surveillait  le  Weser  aux  abords  d'IIuxter. 
Lilckner,  laissant  à  Freytag  le  soin  d'observer  la  vallée 
de  la  I.eine  et  le  camp  français  d'Eimbeci\,  devait  se  pos- 
ter à  Otterstein  et  garderie  bas  Weser  juscju'à  llamelu. 
L'offensive  du  gros  de  raruu''e  de  Ferdinand,  forte  en 
tout  de  5'i.  bataillons  et  de  V7  escadrons,  ne  rencontre  au- 
cune opposition;  lieidesel  ramass*;  quelques  traînards  et 
des  fourgons  sur  l'un  desquels  il  trouve  deux  drapeaux 
du  régiment  d'Auvergne  (pii,  par  négligence  ou  oubli,  y 
avaient  été  déposés.  Stainville  continue  ses  rapports  :  do 
Cassel  il  écrit  le  18  Ç.l    <|u'il  avait  été  attaqué  le   matin 


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(1)  Slainville  à  Broglie,  Clobeiistcin,  Ifisepletnbic  ITCl.Aicli.  do  la  ('.iicrn'. 
-  Stainville  à  Bioglie,  llolieiiliichen,  17  sept.  I7(il.  Aich.  de  la  (iiierre. 

(2)  NN.'Mplialen,  V,  p.  880. 

(.S)  Stainville  A  IJroglie,  Cassel,  18  septembre  17GI.  Ai cliives  île  la  Guerre. 


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tllM».  VI. 


■  par  rcidiiiiind  tl  piir  !<•  [uiiicc  luTodiluirc,  «  ils  avaient 
au  moins  'lO. ()()()  lionuncîs  »  ;  il  scst  rclirr  sans  pciics, 
a  donné  (trdro  ii  Uoclu'chouart  du  so  porter  avec  2  bri- 
,t;adcs  à  Miiiiden  et  a  envoyé  dcu\  bataillons  de  renfort 
à  Talarn  qui  est  posté  lY  bulternberg.  Mrosilie  lui  ré- 
pond <  1  aussitôt  :  «  .le  ne  puis  me  persuader  <(u'ils 
imaginent  de  vous  attarpioi-  dans  U\  camp  relrancbé  do 
(-a&.sel,  ils  doivent  être  i)i'!n  surs  (jU(^  vous  vttus  y  délen- 
drc/  bien;  VO.UOO  hommes,  dont  une  t^-rande  partie  d<.'  ca- 
valerie, ne  peuvent  espérer  do  forcer  rinfaiitorio  qui  vous 
reste  dans  un  aussi  bon  poste  ;  il  serait  h  souhaiter  pour 
vous  et  pour  la  chose  (pi'ils  le  tentassent.  J'ai  fait  mar- 
cher cetio  nuit  et  ce  malin  7  brigades  d'infanterie,  les 
carabiniers,  .1  briiiades  de  cavalerie  et  l)eauc(»up  d'artil- 
leiie  pour  se  rendre  à  Asche  cl  llai'sle.  hemain,  suivant 
les  nouvelles  que  j'aurai  de  vous  aujourd'hui,  une  grande 
partie  de  ces  trouj)es  et  de  l'artillerie  passeront  la  NVerra 
et  entreront  eu  liesse.  Je  m'y  rendrai  aussi  demain.  Je  no 
crains  pas  (pi'il  y  arrive  du  malheur,  mais  cela  nous 
l'ait  le  mal  de  nous  obliger  de  rapprocher  notre  droite  et 
de  nous  empêcher  c'.e  nous  étendre  dans  le  pays  d'IIano- 
vro;  mais  comme  :ious  l'avons  dit  .souvent  ensend>le,  leur 
position  fait  qu'il  n'y  a  pas  do  remède  à  ce  mal.  Il  n'y 
alliait  ([ue  celui  de  les  battre  quelque  part,  mais  il  est 
plus  que  vraisemblable  que  du  moment  que  nous  nous 
ronlorccrons  en  lleisse,  ils  repasseront  la  Dymel  et  ce  sera 
à  recommencer.  Je  compte  recevoir  aujourd'hui  plusieurs 
fois  de  vos  nouvelles.  Adressez-les  moi  à  Ibirste  où  je 
coucherai  vraisendtlablemeut.  » 

Stainville  se  rassure;  Userait  désirable  (2)  qu'on  puisse 
renforcer  encore  de  10  bataillons  français  la  garnison  de 
Miinden;  il  serait  alors  tranquille  et  «  ils  ne  vous  attireront 

(1)  Rroglie  à  Slainvillt-,  Eimbeck,  1!)  septembre  17(il.  Arcliivesde  la  Guerre. 

(2)  Slainvillo  à  IJroslie,  Cassel  3  li.  a.  m.  r.»  sqtlembre  1"(>1.  Aich.  tle  la 
Guerre. 


-'tsm^'^r 


MUOCr.lK  AHRIVfc  A  r.VSSKf. 


16» 


pas  toute  votre  nnuée  en  liesse,  ce  (|u"ilss(>uliîutcnt('t  <l«?si- 
rent  Iteducouj»  ».  Le  -li)  scpleml)i'e.  IW'o^lio  anive  à  (las- 
sel.  Il  n'y  a  (riiit|iii(''t«(Io  à  avoir  (jue  du  eôt»'*  tle  Frit/lai' 
et  Mai'liuri;,  sui-  l<'s.(ue|s  on  sut  (|iu!  le  prince  liérédi- 
taire  sVsf  dirigé  Sl.iinville  y  a  envoyé  Tliianiies  avi'c 
une  l)^i^■•a(le  nii.xte,  le  niaréclial  y  expédie  à  son  tour  Uo- 
cliarnbeau  avec  5. (>()()  hommes  avec  ordre  de  [)rendre  le 
commandement  sur  l'Kder  et  d'arrêter  les  progrès  du 
prince;  (pii  avait  atteint  Kril/lar  le  'il  et  détaché  des  partis 
sur  /ieiienhayn  et  Aisl'eld.  l'ne  lettre  interceptée  de  Fer- 
dinand 1  i  il  son  ueven.  datée  de  la  matinée  du  -20,  con- 
lii'uiaif  ces  rcnsei.tiiiemenis,  tout  en  atténuant  leur  i^ravité  : 
«  Le  premier  but  est  de  s'em[)arcr  de  Frit/.lar,  sans  quoi 
nous  ne  donnerons  (pie  peu  de  jalousie  par  nos  courses  »  ; 
Ferdinand  engageait  le  prince  à  l'aire  passer  l'Kder  aux 
hussards  (de  Uicdeseli  nutis  jjas  à  rinlanteiie.  La  concen- 
tration des  Français  à  .Miinden,  lledeniiinden  et  à  Lut- 
ternberj.;'  eut  pour  ellet  de  mettre  lin  à  re\|)édition  du 
prince  ([ui  rejoignit  son  oncle  le  'l'.\. 

lue  dépèche  de  Hroglie  à  Choiseul  en  date  du  '2\  (2) 
présente  clairement  la  situation.  Après  avoir  raconté  les 
mesures  prises  pour  venir  en  aide  k  Stainville,  il  ajoute  : 
«  .le  mandai  en  même  temps  î\  M.  le  comte  de  Lusace  et 
je  le  priai  de  revenir  avec  sa  réserve  à  Kinibcck,  et  à 
M.  de  (Mausen  de  se  re|)lier  fV  Osteradc.  de  ne  point  se 
porter  pour  ce  moment  à  AVollenbutel,  d'autant  que  i)lu- 
sieurs  estafettes  envoyées  par  M.  de  Serbelloni  à  M.  U. 
Flanagen,  officier  autrichien,  qui  sert  de[)uis  plusieurs 
campagnes  à  cette  armée,  annon<;aient  la  marche  d'un 
corps  prussien  sur  Hrunswick  aux  ordres  du  général  Sed- 

lietz le  crus  donc  devoir  faire  revenir  .M.  de  Clausen 

à  Osterade  pour  ne  pas  compromettre  son  corps  jusqu'il 

(1)  FerdinariLl  au  prince  liL'ri'dilaiie,  Ober  Wilineii,  20  seiileinbre  1701.  Ar- 
chives de  la  Guerre. 
(!()  Broglie  i\  Choiseul,  Ciissel,  21  scpleiiibre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


1  ) 


-^. 


170 


LA  r.uKHUK  ni;  si:pt  ans. 


CilAP.  VI. 


<c  que  tout  ceci  lïit  débrouillé.  J'allai  le  inômc  jour  à 
lliirste  et  sur  les  nouvelles  (|ue  j'ai  reçues  de  M.  le  comte 
de  Slainville  ([ue  les  ennemis  n'avaient  rien  tenté  et  qu'il 
n'y  avait  pas  d'apparence  ({u'ils  le  fissent,  je  pris  le  parti 
de  me  prêter  le  moins  qu'il  serait  possible  au  désir  qu(! 
M.  le  prince  Ferdinand  avait  de  rappeler  l'armée  en 
liesse.  »  Suivent  les  instructions  données  à  Talaru  qui  gar- 
dait les  passages  de  la  Fulda,  à  l*oyanne  et  (iuerchy  qui 
campaient  sur  la  rive  droite  de  la  Werra  :  «  Je  lis  mar- 
cher M.  de  Chabo  sur  Iloltzmiinden  et  Bevern  pour  inter- 
cepter entièrement  la  navigation  do  llameln  à  lliixter;  je 
mandai  à  M.  de  Caraman  de  se  porter  à  Nieuhaus  et  Fors- 
lenbcrg  pour  menacer  Iloxter  et  inquiétet-  la  communica- 
tion par  terre  et  par  eau  de  cette  ville  î\  l'arn  ''>e  ennemie, 
et  j'envoyai  la  légion  Royale  vis-à-vis  de  Heringen  et 
d'IIerstal  pour  le  même  objet;  enfin  je  chargeai  M.  do 
Muipeou  d'aller  camper  près  d'Uslar  pour  servir  de  point 
d'appui  à  la  légion  Uoyale  et  à  M,  de  Caramar;.  Je  me 
rendis  ensuite  liier  à  Mtinden  et  d^  là  ici;  ou  arrivant  sui' 
les  hauteurs  de  Liiternbcrg,  je  vis  le  camp  des  ennemis 
qui  était  entre  Oborvolmar  et  Immenhausen,  détendre  et 
se  mettre  en  marche  vers  Hohenkirchen  et  Wilhemsthal, 
et  lorsque  je  fus  ici,  j'appris  de  M.  de  Stainville  que  Iv 
prince  héréditaire  était  parti  le  matin  avec  son  corps  et 
avait  marché  par  la  gorge  d'Ileckerhausen  sans  qu'on  sût 
encore  la  direction  (ju'il  avait  prise  ensuite.  »  Le  maré- 
chal relate  l'envoi  successif  de  Thianges  et  de  Uocham- 
bcau  pour  s'opposer  au  raid  possible  de  l'ennemi  sur 
Fritziar,  Tordre  donné  à  Muy  de  se  porter  d'Asche  à  Uslar 
et  de  pousser  Maupeou  avec  une  avant-garde  sur  le  Weser. 
Puis  il  expose  ses  projets  pour  l'avenir  :  «  Sur  ce  (jue  me 
manda  hier  M.  de  Clauseii  qu'^'l  avait  nouvelles  (|u"il  y 
avait  pou  de  monde  dans  NVoll'onbutrl,  je  lui  écrivis  do 
s'y  porter  d'O.sterade  en  deux  nuirchos  vives,  et  de  tâcher 
de  s'en  «emparer.  Je  venais  de  recevoir  une  lettre  de  M.  de 


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CLAUSEN  MAUCIliiUA  SUit  WOLKE.MILTTEL. 


171 


Marainville  qui  me  rassurait  sur  la  niarciie  de  M.  de  Sed- 
litz  sur  Hrunswick,  Je  prévins  eu  même  temps  M.  le  comte 
de  Lusace  de  rcutrepiise  de  M.  de  (llauseu  sur  Wolfen- 
butel,  alin  ()ue  le  jour  qu'il  l'exécuterait,  il  poussât  un 
gros  détachement  sur  Alfeld  pour  occuper  Liickncr 
qu'on  savait  être  revenu  à  EU/  sur  le  gi'ond  chemin 
d'Hanovre    tV   Alfeld. 

«  Après  avoir  raisonné  longtemps  ce  malin  avec  M.  de 
Staiûville  sur  la  position  présente,  nous  avons  pensé  : 
1"  qu'il  était  impossible  (ju'au  moyeu  du  corps  de  M.  de 
Rochamheau  et  des  places  de  Zieuenhayn,  Marburg-  et 
Gicssen,  il  pût  arriver  un  inconvénient  considérable  de  ce 
côté-là;  2"  que  ce  serait  remplir  l'objet  du  prince  Ferdi- 
nand que  de  faire  revenir  en  liesse  toute  l'armée  pour 
chercher  .  le  combattre,  parce  que  dès  qu'il  la  verrait  ar- 
river, il  se  retirerait  et  repasserait  la  Dymel  et  nous  pré- 
viendrait peut-être  dans  le  pays  d'Hanovre.  D'api'èscela, 
nous  sommes  convenus  que  le  meilleur  parti  à  prendre 
était,  après  avoir  pourvu  à  la  sûreté  de  la  communication 
de  Cassel  à  Miinden  par  un  nombre  de  troupes  suffisant, 
de  s'attacher  à  interrompre  la communicationde  llameln  à 
l'armée  ennemie,  de  tenir  le  plus  de  cavalerie  et  de  che- 
vaux d'artillerie  et  des  vivres  qu'il  serait  possible  dans  le 
pays  d'Hanovre  pour  y  subsister  et  ménager  la  Hesse,  et  de 
pousser  des  corpsle  plusavant  que  la  prudence  le  permet- 
trait dans  les  pays  de  Hanovre  et  de  lirunswick,  et  c'est 
ce  que  je  vais  faire  exécuter.  » 

Pendant  les  jours  de  tranquillité  relative  qui  régnèrent 
autour  de  Cassel,  il  y  eut  quelques  combats  heureux  pour 
les  l"'rançais.  A  WilhemshJilie.  Verteuil  enleva  le  poste  de 
la  Cascade  avec  sa  garnison  d'une  com[)agnie  d'Kcossais; 
les  partisans  ba  Sarre  et  Vallières  traversèrent  le  Wesei- 
près  de  Heverungen,  bousculèrent  les  postes  ennemis  et 
revinrent  sur  la  rive  droite,  ramenant  avec  eux  lôo  pri- 
sonniers. 


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172 


LA  (:Ui:UUE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  M. 


Uu.uit  jï  (-liiusen  qui  avait  et»!*  envoyé  le  15  septembre  (1) 
à  (ioslaravecoi'dre  de  pousser  une  pointe  surWolfenbiilhîl, 
il  avait  paru  devant  cette  place  le  -lï  avec  un  corps  de 
10  bataillons  et  20  escadrons,  somme  inutilement  le  gou- 
verneur Stammcr.  j(  téquel([ues  i)oulcts  dans  la  ville,  mais 
sms  son  artillerie  «[u'il  avait  prêtre  à  Vaubecourt,  il  ne  se 
crut  pas  assez  fort  pour  tenter  un  assaut  et,  conformément 
aux  ordres  re(*us  de  Bi'ogl*e,se  rabattitsur  Kimbcck.  Vau- 
becourt, expédié  à  peu  près  en  même  temps  que  Clansen, 
fut  plus  heureux;  après  une  courte  canonnade,  il  s'empara 
le  i.")  sepltiubre  parca[)ituIation  du  cliAteau  de  Schartzl'eld 
près  de  llor/berg',  et  de  sa  garnison  qui  se  composait  de 
:n8  officiers  et  soldats. 

Broglie  étnit  demeuré  à  Cassel.  attendant  le  dép.  t  du 
prince  Ferdinand  ({u'il  aurait  voulu  bi"us([uer  (2)  en  fai- 
sant mine  de  passer  le  Weser  en  amont  de  lloxter.  I.)e  son 
côté,  Choiseul  avait  eu  le  temps  de  rédiger  et  d'expédier 
de  l»aris  un  plan  d'opérations  (;r  tendit  it  à  forcer  les 
confédérés  à  évacuer  la  liesse  :  Broglie  le  trouva  inexécu- 
table. Il  s'agissait  de  laisser  Clausen  vis-à-vis  Liickner  en 
Hanovre,  de  marcher  à  laDymel  on  faisant  agir  Stainville 
par  Stadtberg  et  sur  l'Alm  ;  si  Ferdinand  reculait,  on  dé- 
vasterait le  pays,  «  cai  il  est  trop  tard  pour  songer  aux 
sièges  ».  On  voulait  une  rencontre;  au  cas  où  elle  serait 
impossible  à  amener,  il  faudrait  penser  aux  quartiers  d  hi- 
ver. 

De  Cassel  où  il  était  ene<»re  le  1"  octobre,  Broglie  (V) 
opposa  ses  conceptions  à  celles  de  Choiseul  :  faire  de  la 
liesse  le  théâtre  des  principales  opérations  serait  entrer 
dans  les  vues  du  prince  Ferdinand  et  renoncer  aux  béné- 
lices  d'une  occupation  même  tenq)oraire  d'une  partie  du 

(1)  Broglie  à  Clioiseul,  Eiinbeck,  lô  st'|iteiiiltre  I70!.  Aicliives  de  la  Guerre. 
(ï<  Hroijlie  à  Choiseul,  Cassel,  30  si'|iteinhre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 
('!)  Choiseul  a  llro^lie,  26  seplenibrt^  17f)t.  Archives  de  la  (iurrre. 
(1)  Broglie  à  Choiseul,  Cassel,  1"  octobre  I7GI.  Archives  de  lu  (iiierre. 


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pCIJANfJE  DK  VUES  ENTHK  flUOGMR  ET  CHOISI!  I- 


Hanovre;  porter  les  lioslililr.s  dans  rélectoral  cf  flans  le 
duché  (le  IW'iinswjcK  j)f(''senl''iait  le  doiildn  avan'aue  de 
vivre  sur  les  ressources  du  p/iys  ciiueuji  pt  d  eiupOcher 
les  confédérés  d'é(a|)lir  leurs  f|uarliers  d'nJvô/'  ij  ùnpKtc 
des  cantonnenienls  de  l'nrmca  française;  «  d'Ici  ù  ^.i  iln  de 
la  cauipagneon  ferasuosisl/./  Inrwèo  d.'insle  |/(|ys  dlfano- 
vrnct  on  fera  un  irèsyrosmagàsihâ/i((//}//ii(/';/./<,)liS/;////eniis 
ne  pren<lront  pas  d'étal)|JKse|//e/// H»  dee/i  f|e  ÏH  li^lillij  ;  ils 
De  peuvent  former  aueuf)  lUlignÀti  jimir  leur  suljsisfance 
de  l'hiver  p)lH  itffs  /|(rilaui''leu  et  Hanovre,  ce  qui  éloi- 
gnera sûreuieni  de  i/ous  les  (juarliers  (ju'ils  poiu"  .icnt 
prendre  pendant  l'hiver  prochain.  VoilA.  Monsieur  lelUic, 
dans  la  vérité  ia  plus  e.\îict<^  la  situation  des  choses  ici.  Si 
vous  et  le  Conseil  du  Uoi  y  étiez,  je  suis  bien  assuré  ipie 
vous  penseriez  de  niênie  (jU(;  je  l'ai  fait  et  ■■iw  vous  auriez 
pris  le  même  parti  ». 

iùihn,  le  départ  des  confédérés  que  le  maréchal  atten- 
dait avec  impatience  s'elfectua  le  -2  octobre;  ce  jour,  leur 
(quartier  général  fut  transféré  à  IJune  d'où  l'armée  était  à 
même  de  tirer  ses  approvisionnements  du  pays  de  Det- 
mold,  jusqu'alors  ménagé  par  les  belligérants.  Elle  n'y 
séjourna  pas  longtemps;  le  11  octobre,  on  leva  !e  camj) 
de  NVolkmissen:  le  lendemain  le  gros  était  à  lU-akel,  lais- 
sant à  Wiityinau  et  Kielmanseuge  le  soin  d'évacuer  la 
boulangerie  ((u'on  venait  d'installer  à  Warburg-.  A  Ma- 
rienmunster  où  on  [)arvint  le  13,  on  apprit  de  fâcheuses 
nouvelles  :  "  .|e  ne  dois  point  cacher  à  V.  f].,  écrit  Ferdi- 
nan4  (i-,  '|ne  l'élat  de's  a  lia  ires  est  très  criticpie  dans  ce 
pays-ci.  M.  Soidiise,  (pioitpril  a  semblé  retirer  ses  déta- 
cheipents  et  abandonner  la  basse  Kms,  continue  cepen- 
()ant  de  menacer  .Munster,  dautant  plus  (|u"il  rassemble 
acdieljemefij;  toutes  ses  troupes  au.v  environs  de  cetUî 
|)|ftcO.  Ma  ntni'che  en  j|esse  a  d'abord  fait  un  bon  efl'i  f , 

(Ij  l'ordinand  à  iJule,  S|ii(ief)itil)f)sici ,  |:}((r|olm'  (T'H    Itcinri)  tlllicf. 


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174 


LA  Gl'ËRHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  M. 


le  gros   de  son  armée 


M.  Hrog-lie  étant  accoui'u  avec 
pour  la  couvrir,  mais  comme  il  lui  restait  encore  beau- 
coup de  troupes,  il  a  hasardé  de  pousser  un  gros  dé- 
tachement sur  Wolfenhuttel ,  il  vient  de  s'emparer 
de  cette  place  après  un  homl)ardemcnt  d'un  jour  et 
demi,  au  même  moment  que  Liickner  était  arrivé  avec 
0  bataillons  et  1-2  escadrons  aux  environs  de  Hrunswick 
pour  t.k'her  d'y  l'aire  entrer  du  secours.  J'ignore  encore 
les  détails  de  cet  événement,  qui  est  d'antiint  plus  fâ- 
cheux, que  l'ennemi  est  maintenant  le  maître  d'attaquer 
la  ville  de  Hrunswick  ;  je  ne  lui  laisserai  pas  le  temps 
de  l'assiéger  dans  les  formes  mais  je  crains  presrpie,  par 
bien  des  raisons,  que  le  commandant  ne  se  précipite 
trop  j\  rendre  la  place,  pour  prévenir  le  I)ond)ai'derr  i\' 
.le  suis  en  plein  mouvement  depuis  .'}jou?'s,  pour  sauver 
lirunswick  ;  si  le  commandant  tient  contenance  et  se  dé- 
fend jusqu'à  mon  arrivée,  j'y  réussirai  comme  j'espère; 
mais  s'il  capitule  aussi  vite  que  celui  de  Wolfenhuttel, 
j'arriverai  trop  tard.  » 

Aussitôt  assuré  du  départ  des  confédérés  dont  il  informa 
Souoise  '1^  le  jour  même,  lîroglie  avnit  repris  l'exécution 
de  ses  projets  sur  le  duché  de  Brunswick  (jue  l'invasion 
de  la  liesse  avait  momentanément  suspendus.  Parti  de 
(^assel  le  3,  il  était  à  llslar  le  V  octobre;  malgré  les  avis 
contradictoires  de  Stainvillc  sur  la  direction  qu'avaient 
prise  le  prince  Ferdinand  et  le  pi'ince  héréditaire,  il  ne 
se  laissa  pas  détourner  de  l'objectif  (pi'il  avait  à  co>ur.  A 
la  suite  d'une  conférence  1 2 1  avec  l.usace,  Vault  et  (llausen, 
il  expédia  le  U  au  matin  Lusace  et  Clausen  sur  Wolfen- 
butlel  avec  15.000  honunes  et  un  petit  parc  d'artillerie 
sous  le  comniaiidement  du  chevalier  l*el!etier.  D'après 
ses  prévisions,  (-lausen  serait  le  8  aux  environs  de  liruns- 
wick, Lusace  .••rrive'*ait  le  î)  sous  les   murs  de  Wolfen- 

(t     Hroglie  à  Sotibisp,  Cassel,  :>  oclobre  1701.  Aicliivc!  d     la  Ciierie. 
{2j  Uroglie  à  Clioiseul,  Eiinbeck,  G  oclobre  1701.  Archives  ile  la  Guerre. 


:i'li 


POINTK  SUR  imuNSvsirK. 


175 


huttcl  dont  il  commeiicorait  sans  retard  l'attaque;  aus- 
sitôt maître  de  la  place,  il  rejoindrait  (llaiiscn  à  HrunswicU 
quoique  la  valeur  des  fortifications  et  rinq)()rtance  de  la 
yarnison  ne  laissassent  pas  espérer  le  succès.  «  On  r.e  doit 
j)as  cependant  compter  réussir,  mais  cela  doit  causer  de 
la  frayeur  à  cette  ville  et  au  pays  de  BrunsxN  ick  et  faire 
une  diversion  qui  engage  le  prince  Ferdinand  à  se  rap- 
[)roelier  du  Weser  et  à  le  repasser.  » 

Pendant  quelques  jours,  le  prince  Ferdinand,  bien 
(ju'ayant  pénétré  les  projets  de  son  adversaire  sur  Hruns- 
wicU, n'eut  pas  connaissance  du  départ  de  l'expédition. 
Il  y  eut  entre  Li'ickner  et  les  généraux  fran(;ais  (Miaho  et 
Caraman,  soutenus  par  Poyanne,  une  série  d'escarmou- 
ches à  la  suite  desquelles  le  partisan  allemand  se  retira  à 
Hastenbeck.  Broglie,  qui  avait  assisté  au  dernier  combat, 
accompagna  la  poursuite  et  poussa  môme  jusqu'aux  en- 
virons de  la  forteresse  d'ilanieln.  Le  1)  octobre,  Liickner 
fit  passer  au  prince  Ferdinand  un  billet,  daté  de  la  veille, 
de  son  frère  le  duc  de  Brunswick  qui  était  réfugié  A  Celle, 
l'avertissant  de  la  marche  de  Clausen  et  de  Lusace,  et  b^ 
suppliant  de  secourir  son  duché.  Ordre  fut  aussitôt  expé- 
dié à  LCickner  et  au  prince  '*'rédéric  de  couiir  à  l'aide  de 
la  ville  de  Brunswick  ;  leurs  forces  réunies  se  composaient 
de  8  bataillons  d'infanterie  et  de  la  cavalerie  de  Liickner. 
L'avis  de  la  marche  d'un  corps  ennemi  au  secours  de 
Brunswick  accrut  la  prudence  habituelle  de  Broglie; 
ausF'  manda-t-il  (1)  à  Lusace  "  de  ne  pas  trop  s'acharner 
î\  Brunswick...  notre  objet  principal  était  rempli  de 
retirer  l'ennemi  de  la  Hesse,  il  fallait  (ju'il  évitAt  de  se 
faire  battre  au  retour  ». 

Le  comte  de  Lusace  et  Clausen  s'acquittèrent  avec  intel- 
ligence de  la  mission  qui  leur  avait  été  confiée.  Entre 
Brunswick    et    le    NVeser,   l'armée    confédérée     n'était 


I 


1)  Broglie  à  Liisaco,  Eiinbeck,  Vi  oclobri'  ITOI.  Archives  do  lu  C.iieirc. 


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170 


\A  (WRIUIK  DE  SKPT  \N'S. 


CIIAIV  Vf. 


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i'cpréscnt(''C,  an  conimciiceinenl  d'octobre,  (|ue  par  iiii 
corps  de  7  à  S. 000  liommes  conimatidé  par  le  [)rince  Fré- 
déric de  Ih'unswick  et  par  iJickner  .-jui  inano'uvraient 
dans  la  réuioii  de  lloltzrniinden  et  de  Halle.  La  voie 
était  donc  ouverte  ponr  une  expédition  el  le  succès  dé- 
pendrait de  la  célérité  avec  laquelle  elle  serait  conduite. 
Le  ()  octobre,  «  la  réserve  f  I  )  composée  de  deux  brigades 
d'inl'antei'ie  trançaise,  d'Auvergne  et  de  Lyonnais,  de 
deux  brigades  saxonnes,  de  1  ï  escadrons  de  cavalerie 
avec  12  pièces  de  i'I  livres,  (5  obusiers  et  2  luorliers, 
partit  du  camp  d'Kind)eck  pour  se  diriger  sur  l'Ocker  et 
y  pousseï'  ou  arrêter  ses  op'^ratioiu,  à  proportion  des  nou- 
velles que  M.  le  niarécbal  ferait  passer  de  l'ennemi  et 
des  mouvements  ({ue  M.  le  prince  Ferdinand  ferait  pour 
s'y  opposer;  !M.  le  comte  de  Vaux  et  M.  le  comte  de  Hro- 
g'iie,  lieutenants-généraux.  M.  le  cbevalier  l'elletier, 
commandant  l'artillerie,  ainsi  que  M.  de  Lambert,  briga- 
dier, commandant  le  génie,  avec  une  brigade  d'ingé- 
nieurs, suivirent  le  même  jour  M.  le  comte  de  Lusace  qui 
vint  camper  avec  la  réserve  à  (iaudersheim  ».  Le  7,  grîVce 
à  une  étape  de  7  lieues,  on  était  à  Lutter.  De  son  côté, 
Clausen  avait  gagné  Holle  au  confluent  de  la  Nette  et  de 
l'innerst;  le  lendemain  il  investissait  Hvunswick  sur  les 
deux  rives  de  l'Ocker  et  coupait  toute  communication 
avec  Wolfenbntlel.  Le  même  jour,  Lusace  était  en  vue 
de  cette  dernière  ville;  les  tranchées  furent  ouvertes  au 
cours  de  la  nuit;  le  tir  commença  le  î)  et  continua  le  10. 
Quelques  boulets  rouges  lancés  sur  la  place  y  provoquè- 
rent un  incendie  qui  décida  la  capitulation.  La  garnison 
forte  de  2  ofliciers  généraux,  .'JO  ofliciers  et  environ  800 
hommes  fut  prisonnière;  les  Français  s'emporèrent  en 
outre  de  2  drapeaux,  13  canons,  dune  quantité  considé- 
fiilAe  de  munitions  qui  furent  ramenés  k  Gottingen,   et 


(1/  Journal  d  opi  raUon.s  de  la  réserve.  Arcliives  de  la  Guerro. 


v..^- 


HHUNSWICK  SECOURUE  PAU   1-E  PRINCE  FRÉDKRLC. 


1/7 


pirlcvèrent  en  outre  sur  les  habitants  une  contribution 
de  plus  de  200.000  écus. 

Aussitôt  ce  succès  remporté,  busace  vint  camper  le  12 
devant  la  ville  do  Biunswick  qui  avait  été  sommée  inuti- 
lement la  veille;  aux  propositions  des  assiégeants  le  vieux 
général  Imholf  avait  répondu  par  un  relus  énergique.  Le 
i;{  octobre,  les  batteries  étaient  prêtes  à  ouvrir  le  feu, 
mais  les  généraux  français,  sans  nouvelles  du  gros  de  l'ar- 
mée ennemie,  émus  de  l'approche  dcLûckner  et  du  prince 
Frédéric  de  Brunswick  qui  accouraient  nu  secours  de  la 
place,  avaient  décidé  d'abandonner  Tentreprise;  un  inci- 
dent qui  se  produisit  dans  la  nuit  du  13  nn  I4  les  con- 
lirma  dans  cette  résolution.  Un  des  postes  de  la  ligne  de 
blocus  avait  été  forcé  par  le  prince  Frédéric  qui  s'était  jeté 
dans  la  ville  en  apportant  à  la  garnison  un  renfort  des 
plus  utiles  de  0  bataillons.  Soit  (pie  les  dispositions  du 
commandement  frantais  fussent  mauvaises,  soitque  la  eei'- 
titude  du  départ  du  lendemain  ei\t  fait  négliger  (juelques- 
unes  des  précautions  élément.iires  telles  (jue  ((envoi  de 
patrouilles  et  détachements  sur  les  avenues  des(|uelles 
l'ennemi  pouvait  aborder  »,  le  chef  du  poste  M.  <le  Vastan 
et  300  de  ses  hommes  furent  pris  ou  mis  hors  de  combat, 
un  canon  enlevé  et  le  passage  forcé.  Clausen,  averti 
trop  tard,  ne  put  arriver  (ju  apr^s  l'entrée  du  prince  Fer- 
dinand de  Brunswick  ;  «  il  ne  crut  pas  devoir  s'engager, 
ayant  déjà  ses  instructions  pour  venir  camper  le  lende- 
main IV  ei.  îivant  de  la  gauche  du  camp  de  Fimmelsen  ». 
Le  16,  le  corps  de  la  réserve  était  (le  retour  à  (iaudersheim 
([u'il  avait  ([uitté  le    7. 

Quoique  l'attaque  de  Brunswick  n'ait  pas  été  menée  à 
bonne  Iîd,  faute  d'un  peu  de  hardiesse,  l'expédition  neii 
avait  pas  moins  produit  le  résultat  que  visait  Broglie  de- 
puis longtemps  ;  il  avait  déterminé  le  prince  Ferdinand  à 
porter  le  gros  de  ses  forces  sur  la  rtve  gauche  du  Weser 
où  il  avait  été  précédé  par  Liickner  et  le  prince  Frédéric. 


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i.ii.KUi;  iii;  si.i'i  A.N>.  —  T.  \. 


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LA  (JUEURK  DK  SEPT  ANS.  -  CHAP.  VI. 


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Conforniéiiieiit  aux  ordre;;  reçus  1),  le  premier  avait  ga- 
gné la  ville  de  Hanovre  le  10  octobre  ;  de  là,  il  transmit 
à  son  généial  en  chef  les  bruits  alarmants  qui  couraient 
sur  la  présence  de  30.000  Français  aux  abords  de  Bruns- 
wick, et  sur  une  pointe  (ju'ils  auraient  lancée  sur  la  route 
de  Celle;  avec  le  peu  de  forces  dont  il  pouvait  disposer, 
il  croyait  impossible  de  dégager  les  places  assiégées.  Fer- 
dinand lui  répondit  le  11  au  soir  que  quand  nu^'me  les 
Français  seraient  au  nombre  de  30.000,  ils  ne  pourraient 
faire  à  la  fois  le  siège  de  Wolfenbuttel  et  de  Brunswick; 
il  lui  renouvela  l'ordre  inq)ératif  d'avancer  à  quelque  pri-v 
que  ce  fût  jusqu'à  Brunswick  et  d'y  jeter  les  6  bataillons 
du  prince  Frédéric  pour  renforcer  la  garnison  dlmhofF 
qui  n'en  comptait  ({uc  k.  Toute  l'armée  était  en  route  pour 
l'appuyer.  Ain&i  stimulés,  Liickner  et  le  prince  Frédéric 
gagnèrent  Peina,  puis  Abbensen  sur  la  route  de  Hanovre 
à  Brunswick  ;  ils  débouchèrent  d'Abbensen  le  13  au  soir 
et  acconq)lirent  la  mission  délicate  dont  ils  avaient  été 
chargés.  Aussitôt  le  prince  Frédéric  entré  dans  la  place, 
Liickner  avec  sa  cavalerie  se  retira  à  Peina.  Le  coup  hardi 
des  confédérés  ne  leur  coûta  qu'environ  80  hommes, 
parmi  lesquels  le  général  de  Botenburg  qui,  dans  l'obscu- 
rité, fut  blessé  mortellement  par  un  de  ses  soldais,  La 
levée  du  siège  de  Brunswick  fait  d'autawt  plus  d'honneur 
aux  confédérés  (pi'à  la  date  d\\  \'.\,  le  si'cours  promis  par 
Ferdinand  à  son  lieutenant  était  encore  loin  ;  la  ilivision 
du  général  Wangenheim  (6  bataillons  et  0  escadrons^,  qui 
constituait  le  premier  échelon  de  l'armée  confédérée, 
n'était  arrivée  à  Hanovre  que  dans  la  nuit  du  IdaU  lil; 
l'infanterie  était  tellement  épuisée  par  les  fatigues  d'une 
marche  à  travers  un  pays  accidenté  et  sans  routes,  ([ue 
certains  bataillons  étaient  réduits  à  une  cinquantaine  de 
soldats  autour  do  leurs  drapeaux. 

(Il  Vol;  (tour  la  relève  de  Brunswick,  Weslphalen.   vol.  V,  \).  lOC  el  »uiv. 


■■mUjAiJ., 


MOLVEMEMS   DE  I  EIUHNAM). 


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Pour  ne  pas  interioniprc  le  récit,  nous  avons  suivi  les 
Franco-Saxons  do  Lusace  et  lo  corps  de  Clausou  jusqu'à  la 
date  du  10  octobre  :  il  nous  t.iut  revenir  aux  uiouvcineiits 
du  prince  Ferdinand  depuis  l'évacuation  définitive  de  la 
liesse.  Les  dillérenles  divisions  de  l'armée  partirent  du 
pays  de  Detniold  et  des  bords  du  Dyniel  le  10  octobre  et  se 
concentrèrent  au  camp  de  Brackel,  à  moitié  route  de  INider- 
born  et  d'iloxter,  où  elles  lurent  icjointes  par  la  division 
du  f^énéral  Wiitginau  ((ui  avait  été  chargé  de  surveiller 
l'évacuation  des  dépôts  de  Warbury;  le  piinct;  hérédi- 
taiie  avec  11  bataillons  et  :il  escadrons  avait  été  détaché 
sur  Stadtberg-  et  Canstein  en  route  pour  la  Wcstphalio  t\ 
leifet  de  mettre  fin  aux  desseins  que  l'on  prêtait  à  Soubisc 
contre  les  villes  de  Munster  et  de  Uamm.  La  marche  vers 
lo  bas  Weser  ne  lut  troublée  par  les  Français  que  sur  uii 
seul  point.  Maupeou,  (pii  avait  passé  sur  la  rive  gauche  du 
fleuve,  tomba  sur  les  chasseurs  du  colonel  Fricdrichs  [irès 
de  Teetelsen,  les  mit  en  déroule  et^eur  enleva  VOO  prison- 
niers et  '2  canons.  Le  15,  le  gros  parvint  A  Ottenstein,  lais- 
sant Waldegrave  à  Brenckhausen  pour  veiller  à  l'évacua- 
tion (les  établissements  d'iloxtor.  Le  général  llardenberg, 
([ui  avait  remplacé  fi  la  tète  de  son  corps  le  prince  hérédi- 
\\\\\v  im\ojé  i\  lllldesheim,  m  un  détachement  sur  Uheda, 
pulH  revint  à  Maspe,  non  loin  de  Hlomlierm  le  III,  l'Vi'di 
naïul  élail  arrivé  it  Ohr  mes  iriliiMI*t)u  i  l'J  corps  (je  lij  j|l||iy 
(t  bataillons  et  U  escadrons)  i\yi\\[  (|n,jA  fl'fUU'Ili  lo  ilnljve 
pI  1b  |hiN  M'iippnMait  A  le  suivre,  ([uand  on  reçut  la  nou- 
velle de  la  rehlrée  Je  Clausen  et  Lusace  île  |«M|r  cv[»é(|llion 
au  pays  de  Brunswick.  Ferdinand  avait  [tensé  que  les 
Français  se  maintiendraient  à  Wollenbullel  et  jiour  les  en 
chasser  il  avait  chargé  son  neveu  de  prendre  le  comman- 
dement des  troupes  (jui  s'assemblaient  dans  lélectorat  du 
Hanovre  au  nombre  de  16  bataillons  et  20  escadrons  ;  de 
Peina  où ''serait  le  15,  il  devait  se  porter  A  Soldera  i<  alla 
de  coupei  le  prince  Xavier  du  gros  de  l'armée  française. 


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LA  GUEUUE  DK  SEI'T  ANS.  —  CIIAl'.  M. 


.le  comptais  de  mon  côté,  écrit  Ferdinand  l  ),  de  passer  le 
Weser  le  nu-rae  jour  (le  16)  et  d'avancer  sur  Einibeck. 
[.esenncn)is  n'ont  pas  juyé  à  propos  de  nous  attendre.  Le 
prince  héréditaire  s'est  sur  cela  avancé  sur  Hildesheim... 
Il  me  parait  (ju'il  n'y  aplus  rien  à  craindre  cette  année-ci 
pour  nruuswic'k  ni  pour  Hanovre  ».  La  dépêche  donne 
(;uelqu«'S  détails  sur  les  inou'  ements  de  Souhise  et  con- 
clut avec  les  mots  :  <>  Je  crois  pres([ue  (jue  la  campa^^ne 
tire  à  sa  lin.  » 

Uroglie  ne  lit  rien  pour  troubler  la  niarcho  de  l'adver- 
saire, sur  les  mouvements  duquel  il  se  montre  cependant 
bien  renseigné.  Les  positions  de  ses  troupes  à  la  ddte  du 
18  étaient  les  suivantes  :  du  c»'>té  de  la  liesse  Ilochanibeau 
s'était  avancé  jns(|u'ji  Uhudeu  ;  Nicolai  avait  poussé  une 
poii.te  sur  l'aderborn  où  il  s'était  emparé  de  quelques 
petits  magasins  dont  il  avait  distribué  le  contenu  aux 
habitants;  Stainville  était  campé  à  Wolfhagen.  Sur  la  rive 
droite  du  Weser,  Lusace  et  Clausen  lorniaient  la  droite  à 
(Jaudenheim,  Chabo  avec  Poyanne  et  deux  brigades  d'in- 
fanterie comme  soutiens  àScherf  Oldendorf  ;  (îuerchy  avec 
un  nombre  égal  de  fantassins  et  2  brigades  de  cavalerie 
était  posté  à  "2  lieues  en  arrière  de  Poyanne  à  Stadt  oidcn- 
dorf;  Maupeou  avec  une  division  de  même  iuiportance  et 
des  troupes  légères  occupait  le  poste  de  lloltzmiinden; 
enlin  le  gros,  5  hrigades  d'infanterie  et  8  escadrons,  était 
concentré  à  Einibeck  où  le  quartier  général  était  ins- 
tallé. «  Tous  ces  différents  corps,  écrivait  liroglie  (2i, 
peuvent  me  joindre  promptemeut  ici  et  se  replier  sur  moi 
si  le  besoin  le  requiert  et,  en  attendant,  ils  mangent  le 
pays  plus  en  avant  et  subsistent  plus  commodément.  » 
La  cavalerie  très  fatiguée  com montrait  à  se  retirer  vers  la 
Werra  ;  «  deux  régiments  qui  sont  dans  l'état  de  délabre- 
ment le  plus  grand  n  reprenaient  le  chemin  de  la  France. 

(I)  Ferdinand  à  Bute,  Olir,  18  octobre  17(il.  Record  Ollice. 

(2]  Broglie  à  Clioiseui,  Eimbeck,  18  octobre  l'Ol.  Archives  de  lu  Guerre. 


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LARMKK  l>H  HAUT  KIIIN   SE  rONCKNTRE  A  EIMRECK. 


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Uno    partie   du  pair    tl'aitillene  avait  été  replié  sur   la 
llosse. 

Cette  déprche  se  croisa  avec  une  de  Choiseul  eu  date 
du  18  (  l)  qui,  eu  oontiadictioii  avec  les  précédentes, 
ue  contenait  que  des  éloges.  »  Le  Koi  en  la  lisant  (la 
lettre  de  IJroglie  du  II  octobre  a  mieux  senti  que 
Jamais  l'utilité  du  projet  que  vous  avez  suivi  avec  autant 
d'activité  que  de  fermeté  pour  attirer  M.  le  prince  Fer- 
dinand dans  le  pays  «l'Hanovre,  et  l'empêcher  de  pénétrer 
dans  la  Hcssc  et  sur  vos  derrières.  »  Le  Roi  invitait  son 
général  h  ne  pas  épargner  la  ville  de  lîrunswick  :  «  Si 
vous  vous  êtes  rendu  maître  de  cette  [)lace,  vous  la 
traiterez  sans  aucun  ménagement  comme  appartenant  à 
un  ])rince  ennemi  du  Koi  et  entièrement  lié  d'intérêt  et 
de  vol(»nté  avec  les  ennemis;  c'est  une  occasion  de  lui 
faire  éprouver  le  ressentiment  bien  légitime  de  '•.  M. 
sur  les  procédés  qu'il  a  eus  avec  elle  pendant  les  années 
<lerniéreset  nommément  en  1757.  s  11  est  superîhi  d'ob- 
servei*  que  cette  dépêche    arriva  après  lu  tentative  de 


siège. 


Pendant  les  derniers  jours  d  octobre,  il  y  eut  interrup- 
tion des  liostilités  due  en  partie  à  une  forte  indisposition 
du  prince  Ferdinand.  Stainville,  dont  la  présence  n'étuit 
plus  nécessaire  en  liesse,  reçut  l'ordre  de  se  rendre  à 
Duderstadt,  puis  à  Clausthal,  pour  s'opposer  à  un  mou- 
vement annoncé  du  général  Seydlitz.  Ce  mouvement  n'eut 
pas  lieu.  Stainville  s'installa  définitivement  à  Seesen. 
Il  se  plaint  (2)  d'y  manquer  de  vivres  :  «  M.  de  Lusace 
m'écrit  que  je  dois  aller  sur  ma  droite,  mais  comme 
je  n'ai  que  les  montagnes  et  la  forêt  du  Hartz,  à  moins 
qu'on  ne  lonne  aux  chevaux  des  mines  et  des  lapins  à 
mangei',  il  n'y  a  nulle  autre  ressource.  )> 


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(1)  Choiseul  à  Rroglie,  18  octobre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Stainville  à  IJroglie,  Seeseu,  30  oclobn-  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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(716)  872-4503 


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182 


LA  GUEHIIE  DE  SEPT  ANS. 


OIJAP.  VI. 


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Le  prince  Ferdinand,  rétabli,  résume  (1  la  situation  au 
1*^^'  novembre  :  «  Il  n'y  a  depuis  (le  18  octobre  aucun 
changement  remarquable  à  l'arméo,  à  l'exception  dun 
gros  détachement  aux  ordres  de  MM,  de  Wiitginau,  du 
prince  d'Anhalt  et  de  M.  Hardenberg  n'/ec  un  train  de 
grosse  artillerie,  qui  en  est  parti  le  27  pour  aller  joindre 
xM*'"  le  prince  héréditaire,  dont  le  gros  des  troupes  est 
toujours  autour  de  'liidesheim.  Les  ennemis  se  tiennent 
tranquilles  depuis  le  secours  porté  à  Brunswick.  Ils  for- 
ment une  chaîne  depuis  Eimbeck  jusqu'à  Iloltzmunden, 
ayant  le  prince  Xavier  sur  leur  droite  à  (langersheim. 
M.  de  Rochambeau  qui  avait  passé  la  Dymel  est  rotcurné 
sur  ses  pas,  et  tient  les  débouchés  de  cette  rivière  par  des 
troupes  légères.  M.  de  Stainville  est  avec  un  corps  k 
Scesen,  M.  de  St-Victor  à  Goslar.  Le  prince  de  Soubise 
est  à  Essen,  le  prince  de  Condé  et  de  Voyé  à  Bockum,  et 
Conflans  à  Luynen  ». 

Jusqu'au  5  novembre  la  trêve  tacite  qui  existait  entre 
les  belligérants  se  maintint.  Proglie  prévoyait  (2)  la 
retraite  derrière  la  Werra;  «  vers  le  18  ou  le  SO  de  ce 
mois  tout  sera  consommé  et  l'armée  en  se  retirant  ensuite 
succe.jsivement  jusqu'à  la  Werra  achèvera  de  manger  le 
peu  qui  existe  encore  )i  ;  Gottingen  est  largement  appro- 
visionné ;  Mimden  possède  60.000  rations  et  toutes  les 
mesures  sont  prises  pour  repousser  une  tentative  ennemie 
si  elle  se  produisait.  Cette  tentative  à  peine  envisagée 
comme  possible  eut  lieu  le  V.  Le  .'),  à  3  heures  du  matin, 
Broglie  annonce  (3j  à  Stainville  que  «  la  totalité  de 
l'armée  ennemie  marche  sur  Eimbeck  »,  et  qu'il  con- 
centre ses  troupes  en  conséquence.  Stainville  devra  arriver 
à  Saltz-der-Helden  dans  la  nuit.  Le  lendemain,  le  maré- 

(1)  Journal  de  l'arinée  du  prince  Ferdinand.  Ohr.  !"   novembre.  Record 
Office. 

(2)  ÎJrogiie  à  Clioiseul.  Eimbeck,  2  novembre  17GI.  Archives  de  la  Guerre. 

(3)  Broglie  à  Stainville.  Eimbeck,  .">  novembre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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EXPEDITION  DU  PRINCE   HEREDITAIRE   CONTRE   EIMUECK.   183 


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clial  fait  son  rapport  (i)  à  Clioiseui  :  «  Je  descends  de 
cheval  très  fatigué,  Monsieur  le  Duc,  et  tombant  do 
sommeil,  .le  me  presse  d'avoir  l'honneur  do  vous  en- 
voyer ce  courrier  pour  que  S.  M.  soit  instruite  que  les 
ennemis  réunis  ont  marché  le  3  et  le  4  pour  se  porter 
sur  Eimbeck.  J'en  ai  été  informé  le  4  au  soir,  on  consé- 
quence j'ai  envoyé  tous  mes  ordres  aux  dillerents  corps 
pour  se  rendre  ici  en  diligence.  Le  prince  héréditaire  a 
paru  devant  nos  postes  avancés  le  5  à  9  heures  du  matin. 
M.  le  comte  d'Espiés  avec  350  hussards  ou  dragons  et  le 
bataillon  de  grenadiers  d'Aquitaine  a  fait  si  bonne 
contenance  et  s'est  retiré  si  doucement  qu'il  a  obligé  les 
ennemis  à  marcher  avec  quelque  précaution  ef  a.  par  là, 
rendu  un  service  très  important  en  gagnant  du  temps. 
Le  prince  héréditaire  a  déployé  environ  30.000  hommes 
devant  notre  droite,  et  vers  les  3  heures  après-midi  il 
s'en  est  approché  assez  près  pour  que  j'aie  fait  com- 
mencer à  canonner  une  de  ses  colonnes  qui  n'en  était 
plus  qu'à  VOO  pas.  Cela  l'a  arrêté,  et  il  s'est  mis  à  nous 
canonner  assez  vivenient;  on  y  a  répondu  de  même,  cela 
a  duré  jusqu'à  la  nuit;  pendant  ce  temps-là,  il  arriva 
deux  grosses  colonnes  rouges  par  la  vallée  de  Wickensen 
devant  notre  gauche.  On  comptait  ce  matin  que  les 
ennemis  nous  attaqueraient  à  la  pointe  du  jour,  mais  ils 
n'en  ont  rien  fait,  leur  droite  s'est  campée  devant  notre 
gauche,  et  tout  le  corps  du  prince  héréditaire  est  demeuré 
en  bivac  toute  la  journée  et  y  passera  vraisemblablement 
cette  nuit.  » 

le  mouvement  de  l'armée  confédérée  résultait  d'un 
plan  combiné  entre  le  pi'ince  Ferdinand  et  son  confident 
Westphalen  et  annoncé  à  Bute  par  dépêché  du  3  novembre. 
Dans  cette  olTensive  (2)    le    principal  rôle  revenait  au 


(1)  Hro^lie  à  Choiseul,  Eimbeck,  G  novembre  17(J1.  Archives  de  la  Guern-. 

(2)  Relation  de  l'expédition  contre  Eimbeck.  Record  Office. 


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184 


LA  GUEHUE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


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prince  héréditaire  qui  devait  déî)oucher  de  Uildcsheiiii, 
passer  la  Leine  à  Eltzc,  «  marcher  le  '*  à  Limmer,  vis-à-vis 
d'Ahlfcld,  et  tAcher  de  s'emparer  le  5  des  hauteurs  d'Eim- 
beck  appelées  la  lluve  ».  (Iranhy  quitta  le  3  novembre 
son  camp  de  Gro.ss  Hillgosl'eld  sur  la  rive  droite  du  Weser 
pour  entrer  dans  les  gorges  et  poussa  le  4  jusqu'à  Dunen  ; 
il   devait  gagner  par  Holtensen  et  tourner  les  positions 
françaises   de    Wickensen  et    Escherhausen  ;  le  eros  de 
l'armée  franchit  le  Weser  à  Chr  le  4  et  campa  eiitre 
Hastenbeck  et  Tundern  ;  Conway  et  Scheele  formant  avant- 
garde  devaient  se  réunir  aux  environs  de  Halle  et  attaquer 
de  front  le  camp  de  P<  yanne  à  Escherhausen;   de  son 
côté,  Hardenberg  avait  fait  route   le  3  de  Blomberg  à 
Ottenstein  et  le  4  à  Badenwedor;  dans  la  nuit,  il  fran- 
chirait le  Weser  et  couperait  la  retraite  de  Poyanne  en 
occupant  Stadt  Oldendorf.  Lûckner  à  gauche,  Friedrichs 
à  droite  nettoyeraient  la  région  du  Hartz,  les  rives  du 
fleuve  et  la  forêt  de  Sollingen  des  partisans  français  qui 
y  fourmillaient.  Voici  en  quels  termes  le  prince  Ferdinand 
décrit  l'opération  :  (c  Les  ennemis  (1)  voulurent  fourrager 
le  4  novendjre  dans  les  environs  de  Hameln  et  de  Cop- 
penbrugge.  Notre  marche  fit  échouer  le  fourrage,  mais 
l'ennemi  apprit  en  revanche  que  nous  étions  en  mou- 
vement. M.  de  Conway  ne  s'en  mit  pas  moins  en  marche 
le  5  de  novembre  à  1  heure  du  matin  sur  Halle,  où  il  fut 
joint  avec  l'aube  du  jour  par  M.  de  Scheele.  Mylord  Granby 
lit  déloger  le  4  de  novembre  vers  le  soir  le  poste  ennemi  de 
Cappelnhagen  par  les  chasseurs  du  major  Fraser,  sou- 
tenus   par  les  régiments   d'hussards,    de    Bauer  et  de 
Brunswick  aux  ordres  du  lieutenant-colonel  de  Riedesel. 
H  arriva  lui-même  le  5  avec  le  jour  sur  les  hauteurs  de 
Wickensen  non  loin  de  Holtensen,  et  par  conséquent  à 
dos  du  camp  ennemi  d'Eschershausen. 

(1)  Relation  de  l'expédilion  contre  Ëiinbeck.  Kecord  Oftice. 


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185 


((  Ce  camp  était  en  lui-même  d'un  abord  très  difficile. 
M.  de  Poyanne  ne  jugea  cependant  pas  à  propos  de  s'y 
faire  attaquer,  ets'aperccvant  que  la  retraite  par  Wicken- 
sen  et  Wentzen  sur  Eimbeck  lui  était  coupée  par  milord 
(iranby,  se  rejeta  dans  la  g"orge  de  Stadt  Oldendorf.   Si 
M.  de  Hardenberg"  avait  pu  se  trouver  à  l'heure  convenue 
à  son  rendez-vous,  iM.  de  Poyanne  aurait  eu  de   la  peine 
d'échapper;  un  accident  arrivé  aux  pontons  fit  qu'il  pas- 
sait le  Weser  8  heures  plus  tard  qu'il  ne  le  devait,  ce  qui  fit 
gagner  le  temps  à  M.  de  Poyanne  de  se  sauver.  En  atten- 
dant, les  chasseurs  de  Friediichs  avaient  délogé  les  postes 
ennemis  sur  le  Weser  entre  l'oUe  et  Holtzminden,  et  ayant 
passé  ce  fleuve  à  gué,  se  portèrent  en  avant  vers  le  SoUing. 
M.  de  Poyanne  fut  suivi  par  une  partie  de  nos  troupes 
légères  qui  firent  sur  lui  quelques  prisonniers  avec  plu- 
sieurs chariots  de  bagages.  Il  avait  mis  le  feu  aux  huttes 
de  son  camp  en  l'abandonnant,  ce  qui  causa  une  Hainme  si 
violente  qu'on  ne  pouvait  traverser  d'abord  ni  le  camp,  ni 
la  gorge,  dans  laquelle  il  se  trouvait  placé.  Mylord  (iranby 
n'en  continua  pas  moins  sa  marche  par  Wentzen  vers  la 
Huve,  et  fut  joint  par  le  corps  du  lieutenant-général  de 
Comvay  dans  la  vue  de  prêter  la  main  au  prince  hérédi- 
taire, qu'il  trouva  arrivé   vis-à-vis  des  hauteurs  de    la 
Hauve  et  engagé  dans  une  forte  canonnade  avec  les  troupes 
ennemies  qui  s'y  étaient  formées.  Ce  prince,  voyant  que 
celles-ci  grossissaient  de  moment  en  moment,  crut  devoir 
se  borner  à  les  canonner,  d'autant  plus  qu'une  attaque  de 
vive   force  aurait  demandé  plus  de  troupes  qu'il  n'avait 
d'abord,  et  que  vers  la  fin  l'ennemi  semblait  avoir  sur 
lui  l'avantage  du  terrain  et  du  nombre  en  même  temps... 
Le  gros  de  l'armée  arriva  le  5  à  midi  à  Eschershauscn, 
où  elle  assit  son  camp.  On  eut  besoin  de  la  journée  du 
G  pour  faire  arriver  l'artillerie,  et  pour  faire  respirer  les 
troupes  très  fatiguées  par  toutes  ces  marches  faites  consé- 
cutivement.   >! 


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186 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


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Pour  leur  mouvement  (1)  contre  les  camps  d'Eimbeck 
et  Escherhausen,  le  prince  héréditaire,  Granby  et  llarden- 
berg-  avaient  disposé  de  V7  batailloDS,  'i^l  escadrons  et 
d'une  forte  artillerie. 

Pendant  la  journée  du  6  novembre,  il  n'y  eut  entre  les 
deux  armées  que  des  escarmouches  insignifiantes.  Ferdi- 
nand dont  le  quartier  général  était  à  Wickensen,  se  mon- 
tra très  mécontent  de  l'exécvition  du  projet  et  s'en  prit  à 
son  neveu  pour  lequel  il  prépara  une  lettre  dont  Westpha- 
Icn  obtint  la  suppression  et  qui  ne  fut  pas  expédiée;  il 
crut  nécessaire  de  modifier  une  position  qui  paraissait 
trop  risquée  ;  en  conséquence  il  donna  ordre  à  Granby  de 
se  porter  de  Wentzen  à  Forwohl,  au  prince  héréditaire 
de  s'établir  à  Ammensen.  Cette  marche  rétrograde  exé- 
cutée de  nuit  fut  des  plus  pénibles;  «  le  passage  du  village 
de  Wentzen  dura  près  de  3  heures,  celui  d'Ervié  était  des 
plus  mauvais,  les  soldats  étant  obligés  de  défiler  un  à  un, 
ce  qui,  joint  avec  un  temps  affreux  et  l'obscurité,  causa 
beaucoup  de  traîneurs  »  qui  furent  ramassés  par  les  Fran- 
çais qui  les  poursuivaient. 

liroglie  donne  (2)  sur  les  incidents  du  7  novembre  les 
détails  suivants  :  «  Les  ennemis  décampèrent  de  devant 
nous  la  nuit  du  (»  au  7  et  ils  se  retirèrent,  savoir  :  leur 
droite  à  l'entrée  de  la  gorge  de  Wickensen  auprès  du  village 
de  Maynholtz,  et  la  gauche  en  avant  du  village  d'Amensen 
sur  le  grand  chemin  d'Eimbeck  à  Alfeldt.  Dès  que  le 
brouillard  permit  de  distinguer  les  objets,  ce  qui  ne  fut 
que  vers  midi,  je  fis  marcher  sur  cette  partie  M.  le  mar- 
quis de  Poyanne  avec  les  carabiniers,  l'avant-garde  de 
M.  de  Clozen,  et  7  bataillons  de  grenadiers.  M.  le  comte  de 
Lusace  déboucha  aussi  'a  même  temps  par  la  droite.  » 
A  la  colonne  où  se  trouvait  le  maréchal,  il  n'y  eut  pas 
d'engagement.  De  l'autre  côté  :  «  M.  le  comte  d'Espiés  et 

(1)  Royd  à  Bille,  Furwohi,  10  novembre  17tl!.  Record    Office. 

(2)  Broglie  ùClioiseul,  Eiinbeck,  9  novembre  17C1,  i  h.  n.  m.  Arch.  Guerre. 


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BHOGLIE    KVACUK    EIMBECK. 


187 


M,  de  Lestanges  marchèrent  par  la  gauche  le  long  de  la 
gorge  dEschershausen  avec  0  bataillons  de  grenadiers,  et 
les  carabiniers  de  la  cavalerie.  Ils  trouvèrent  l'arrièrc- 
garde  des  ennemis  et  la  poussèrent  pendant  deux  lieues 
jusqu'à  leur  camp  qui  ayant  détendu  et  toutes  les  troupes 
qui  le  composaient  ayant  marché  en  avant,  il  fallut  se  re- 
tirer, ce  que  je  fis  dans  le  meilleur  ordre.  Mon  frère  avait 
marché  avec  M.  d'Espiés.  Depuis  ce  temps-là,  tout  le  corps 
du  prince  héréditaire  s'est  retiré  et  celui  qui  était  à  la 
gorge  de  Wickensen  est  demeuré  clans  sa  position  pendant 
la  journée  du  8  et  y  était  encore  ce  matin.  J'ai  fait  mar- 
cher pour  l'attaquer  quatre  brigades  d'infanterie,  beau- 
coup de  g»'enadiers,  et  tous  les  carabiniers  du  corps  et 
de  la  cavalerie;  mais  comme  je  m'y  portais,  j'ai  en- 
tendu assez  de  coups  de  canon  dins  la  partie  de  Dassel, 
et  j'ai  été  averti  par  M.  de  Chabo  et  M.  de  Stainville  qu'il 
paraissait  beaucoup  de  troupes  de  ce  côté-là.  »  L'attaque 
fut  contremandée  et  Broglie  prit  la  résolution  d'évacuer 
son  camp  d'Eimbeck. 

Dar.ssa  dépêche,  le  général  français  expose  les  raisons 
qui  le  décident  à  prendre  le  parti  de  la  retraite  sans  at- 
tendre la  date  du  18  qu'il  avait  fixée  pour  l'abandon 
d'Eimbeck;  il  invoque  surtout  \r  manque  de  fourrages  et 
la  difficulté  de  communications  menacées  par  les  mouve- 
ments tournants  de  l'ennemi  :  «  Je  partirai  donc  demain. 
M.  votre  frère  et  iM.  de  Chabo  feront  l'arriève-garde  du 
côté  de  Dassel,  et  l'armée  ira  camper  près  de  Moringen. 
Je  me  conduirai  ensuite  en  conséquence  des  subsistances 
que  je  trouverai.  Nous  aurons  dorénavant  l'avantage  sur 
les  ennemis  qu'ils  s'éloigneront  des  leurs,  et  que  nous 
nous  rapprocherons  de&  nôtres.  En  abandonnant  Eimbeck 
je  le  ferai  sauter  afin  )|u'il  ne  puisse  servir  de  retraite 
aux  troupes  légères  des  ennemis  pendant  l'hiver.   » 

Pour  couvrir  la  retraite,  Broglie  renforça  Stainville 
de  deux  brigades   d'infanterie   et  lui    donna  pour  ins- 


188 


LA  OLEHRE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


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tructioli.s  de  se  maintenir  le  plus  longtemps  po.ssihlo  sur 
le  plateau  de  iJassel,  en  cas  de  nécessité  absolue  de  se 
retirer  en  faisant  passer  linfanterie  par  Hoppensen  et  sa 
cavalerie  par  la  plaine  d'Ottonson.  L'artillerie  avait  été 
ramenée  des  hauteurset  pnr([iiéesurla  route  de  Moringcn. 
Au  cours  de  la  journée  du  9,  il  y  eut  des  démonstrations 
sans  en  venir  aux  mains  :  «  Vers  la  nuit  1 1  )  on  fut  instruit 
que  la  plus  grande  partie  de  l'armée  des  ennemis  avait 
marché  par  sa  droite  de  vers  StadtOldendorf  et  que  même 
les  troupes  du  prince  héréditaire  avaient  pris  la  même 
direction.  Ce  mouvement  faisant  juger  que  M.  le  prince 
Ferdinand  voulait  prendre  une  position  pour  achever  de 
manger  les  sul)sistances  qui  restaient  dans  la  partie  de 
lloltzminden  et  de  Stadt  Oldendorf,  ce  qui  pouvait  peut- 
être  lui  permettre  de  garder  quelques  jours  cette  posi- 
tion. M.  le  Maréchal  ne  voyant  plus  rien  d'offensif  dans 
les  mouvements  des  ennemis  se  détermina  à  quitter  celle 
que  l'armée  occupait,  et  à  se  rapprocher  de  Moringen  et 
d'Uslar,  ce  parti  était  même  devenu  nécessaire,  les  four- 
rages qui  étaient  dans  les  environs  d'Elimbeck  étant  en- 
tièrement consommés.  Toute  l'armée  est  venue  camper 
en  conséquence  en  avant  de  Moringen  sur  les  hauteurs 
dlber  et  Pomsen.  »  Suit  le  détail  des  emplacements  oc- 
cupés par  les  différents  corps  de  l'armée,  w  Toute  cette 
marche  s'est  faite  fort  tranquillement,  les  corps  qui  étaient 
vis-à-vis  MM.  de  Stainville  et  de  Chabo  n'ont  pas  même 
suivi  leur  arrière-garde,  on  n'a  vu  sur  le  soir  que  quel- 
ques centaines  d'hussards  qui  se  sont  approchés  au  can- 
tonnement du  régiment  de  Berchiny,  mais  ayant  été  dé- 
couverts ils  se  sont  sur-le-champ  retirés.  Le  11  toutes  les 
troupes  sont  restées  dans  leur  môme  position  et  on  n'a  pas 
de  nouvelles  que  les  ennemis  aient  fait  aucun  mouve- 
ment. » 


(1)  Suite  des  opi'ialions  de  l'armée  du  9  au  11  uoveinbre  \'>\\.  Archives 
de  la  Guerre. 


^ATIGUES  DE  LA  CAMPAGNE.  189 

Le  récit  que  fait  Ferdinand  de  la  jounivie  du  \)  novem- 
bre (i)  conlirme  dans  ses  grandes  lignes  celui  de  son 
adversaire  :  «  Le  gros  de  l'année  se  mit  le  9  de  novembre 
<\  ï  h.  du  matin  en  marclic  sur  Stadt  Oldendorf  et  gagna 
heureusement  les  iiauieurs  de  Lindhorst  et  de  Mackensen. 
Mylord  (iranby  joignit  la  gauche  de  l'armée  vers  le  soir 
à  Wangelstadt;  le  prince  héréditaire  arriva  à  Forwohle 
et  M.  de  Liickner  à  Delligen  et  Anunensen.  (lomme  par 
ce  mouvement  la  position  de  la  lluve  était  prise  h  dos, 
.M.  de  Broglie  jugea  à  propos  de  l'abandonner,  et  mit  la 
nuit  du  9  au  10  à  prolit  pour  se  retirer.  »  Les  hussards 
de  l'armée  coulédérée  occupèrent  la  ville  d'Eimbeck  au 
cours  de  la  journée  du  10  novembre. 

A  en  juger  par  les  plaintes  de  Stainville  (2),  il  était 
grand  temps  de  tt.-ainer  la  campagne,  tout  au  moins  en 
ce  qui  concernait  la  cavalerie.  <<  Les  chevaux,  rapporte- 
t-il  le  8,  tombent  de  tous  côtés  à  force  de  fatigue  et  de 
faim.  »  Le  11,  il  demande  au  maréchal  la  permission 
de  renvoyer  '.i  régiments  de  cavalerie  incapables  de  faire 
le  service,  «  les  chevaux  n'ayant  pas  mangé  depuis  plus 
de  ï  jours,  et  ne  trouvant  dans  tous  ces  environs-ci  que 
de  la  paille  de  seigle  » . 

L'évacuation  d'Eimbeck  marqua  la  fin  de  la  campagne  : 
«  Il  n'y  a  rien  de  nouveau  dans  cette  partie,  écrit  Bro- 
glie (3)  à  Soubise  à  la  date  du  -2'»,  le  prince  Ferdinand  est 
toujours  à  Eimbeck,  et  son  armée  partie  campée,  partie 
cantonnée  entre  cette  ville  et  le  Weser,  souffrant,  à  ce 
qu'on  assure,  de  la  disette  des  fourrages,  et  cela  doit  être, 
le  pays  ayant  été  totalement  mangé,  et  ne  subsistant  que 
de  celui  qu'ils  tirent  par  bateaux  et  chariots  d'ilameln. 
Le  prince  héréditaire  est  à  Dandersheim  ayant  Liickner 


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(1)  Relation  de  l'expédition  contre  Eirnheck.  Record  Oflice. 

(2)  Stainville  à  llrot;lie,  Hoppensen,  8  novembre:  Doressen,  11   novem- 
bre 1701.  Archives  de  la  Guerre. 

(3j  Broglie  à  SoiibJNe,  Hardenberj^,  24  novembre  17G1.  Arch.  de  la  Guerre. 


1 1/ 


100  LA  OUERHE  DE  SEPT  ANS.    -  CHA^  VI. 

entre  la  Ruhr  et  lui.  Toutes  nos  troupes  sont  entre  la  lUilir 
et  la  Leyne,  l'infanterie  tanii»éo,  la  cavalerie  cantonnée. 
Les  subsistances  sont  très  al)ontlantes,  et  le  temps  aussi 
beau  qu'on  peut  le  désirer  dans  celte  saison.  Le  i*.),  toute 
l'armée  cantonnera  aux  environs  de  (irtttingen,  et  le  30 
chaque  corps  prendra  la  route  de  ses  différents  quar- 
tiers. » 

Quoique  les  deu.v  maréchaux  correspondissent  réguliè- 
rement et  se  communiquassent  leurs  mouvements  et 
leurs  projets,  ù.  partir  de  l'envoi  de  Levis  avec  le  dernier 
renfort  de  10.000  hommes,  il  n'y  eut  aucune  coopération 
entre  les  deux  armées.  Ainsi  que  nous  l'avons  vu,  Soubise 
avait  installé  le  18  septembre  son  quartier  général  il 
Coesfeldt  pour  couvrir  et  au  besoin  recueillir  les  colon- 
nes volantes  qui  i)arcouraient  la  région  située  entre 
l'Ems  et  le  Weser  avec  mission  de  détruire  les  magasins 
ennemis  et  de  recueillir  des  vivres  et  des  fourrages  pour 
l'armée  française.  Vers  la  iin  de  septembre  (li,  Conflans 
était  entré  dans  l'Ost  Frise  où  ses  exactions  amenèrent  la 
révolte  des  habitants  qui  fut  d'ailleurs  facilement  répri- 
mée; Viomesnil  agissait  dans  le  Diepholt;  \Vurmser  oc- 
cupait Osnabriick;  Melfort  descendait  la  rive  droite 
de  l'Embs,  Voyer  était  à  Rheine.  l*our  augmenter  les 
inquiétudes  de  l'ennemi  au  sujet  d'un  siège  de  Munster 
qu'il  n'avait  d'ailleurs  aucune  intention  de  tenter,  Sou- 
bise avait  mis  en  mouvement  les  ingénieurs,  l'artillerie, 
les  mineurs;  il  a  commandé  les  chevaux  nécessaires  pour 
traîner  l'attirail  d'un  siège. 

Si  le  général  de  Farmée  du  Bas-Rhin  se  montrait  d'une' 
prudence  excessive,  il  faut  reconnaître  que  les  instruc- 
tions qu'il  recevait  de  la  cour  étaient  conçues  de  façon 
à  le  confirmer  dans  son  attitude.  Le  Roi  eût  préféré  une 
tentative  sur  llamm  au  raid  sur  l'Ost  Frise.  Pour  cette 

(1)  Soubise  à  Choiseul,  Coesf'eldt,  26  septembre  1T('>1.  Archives  de  la  Guerre. 


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CONDÉ  S'EMPARE  DE  MEPPEN. 


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pntrepriso,  il  compte  (1)  qu'on  n'y  einpioiorn  (jue  des 
détachements,  et  «  que  vous  tiendrez  toujours  voire 
armée  à  port«'îe  de  manœuvrer  en  conséquence  des  uiou- 
vements  que  le  prince  héréditaire  pourrait  faire  en  NVest- 
phalic  ». 

Au  moment  où  Choiseui  manifestait  ces  inquiétudes, 
le  prince  héréditaire  était  en  liesse  avec  la  jurande  armée 
et  les  seules  forces  opposées  aux  Fraïuais  en  Westphalie 
étaient  les  4.000  hommes  du  général  O'Ileim  campés  aux 
environs  de  llaiimi.  Souhise  eut  donc  le  loisir  de  pour- 
suivre ses  opérations  sur  IKmhs.  Dans  ces  conditions, 
Condé  eut  ordre  de  l'aire  le  siège  de  Mepperi  <(  petite  place 
fraisée  et  palissadée  »  où  se  trouvaient  des  magasins 
importants.  Kn  faisant  part  de  cette  entreprise  à  Choi- 
seui (2),  le  maréchal  prince  a  bien  soin  d'ajouter  quelle 
serait  abandonnée  si  le  prince  héréditaire  revenait  en 
Westphalie.  Condé  commença  ses  opérations  le  30  sep- 
tembre, ouvrit  le  feu  de  ses  batteries  le  2  octobre.  A  la 
suite  d'un  bombardement  de  quelques  heures  qui  dé- 
truisit une  partie  de  la  ville,  le  commandant  Duze  de- 
manda à  capituler;  la  garnison  forte  de  500  hommes  fut 
faite  prisonnière.  A  Meppen,  les  Français  s'emparèrent  de 
5.000  sacs  de  seigle  et  d'avoine  et  de  quantités  considé- 
rables de  foin,  qui  furent  évacués  sur  Wezel.  Cet  exploit 
coûta  aux  Français  une  vingtaine  de  tués  ou  blessés.  Entre 
temps,  Viomesnil  avait  détruit  l.iOO.OOO  rations  de  loin 
et  1.050.000  rations  d'avoine  dans  le  pays  d'Osnabnick 
et  dans  le  Diepholt.  In  raid  sur  Biéme  n'avait  pas  abouti. 
Wurmser  avec  400  fantassins  et  quelque  cavalerie  avait 
paru  le  2  octobre  devant  la  ville  dont  la  garnison  avait 
été  renforcée  la  veille  d'un  bataillon  envoyé  de  Mindcn. 
Le  partisan  français  ne  se  crut  pas  en  force  pour  attaquer 
et  rejoignit  le  reste  de  son  détachement  qu'il  avait  laissé 

(1)  Clioiseul  il  Soubise,  20  septembre  17G1.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  à  Choiseui,  Coesfeldt,  J  octobre  17C1.  Arcliives  de  la  Guerre. 


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103 


LA  GUKUIIB  I)K  SKI'T  ANS.     -  Cil AP.  M. 


Il 


à  Wildeslinuscn;  en  2V  heures  il  avait  ncconipli  nue  coui'so 
d'une  soixantîiiuc  de  kilomètres.  L'arrivée  à  fhnabriicU 
d'0'll(Mni  qui  était  accouru  avec  il  hnfaillons,  ï  esca- 
drons et  (|nel(|ues  tioupes  léj^tres,  détermina  Wurmserà 
se  replier  sur  Me[)pen. 

Dans  sa  dépêche  du  6  octobre  (1)  (jui  rciul  compte  de 
la  tentative  sur  Hrème,  Soubise  annonce  que  \o  prince 
héréditaire  était  en  pleine  marche  sur  ia  Westphalie. 
«  Quoi  qu'il  en  soit,  ajoute-t-il,  tous  nos  détachements 
sont  ralliés  ou  à  portée  de  l'ôtre.  Il  ne  nous  reste  j/us 
(|ue  <|uelques  transports  de  farines  et  de  grains  h  tirer  de 
Meppen.  »  La  nouvelle  concernant  la  marche  (hi  prince 
était  prématurée,  car  ce  ne  lut  que  le  î)  octobre  que  l'a- 
vant-garde  de  son  corps  d'armée  sous  le  général  Bose 
qv'itta  les  bords  de  la  Dymel.  Soubise  conserva  son  quar- 
tier général  de  Coesfe'dt  jus(|u'au  14  (2);  la  veille  il  avait 
annoncé  à  Choiseul  la  démolition  des  fortifications  de 
Meppen,  le  fossé  était  à  moitié  comblé  et  les  transports 
étaient  terminés;  conformément  à  l'avis  de  la  cour,  il 
avait  été  décidé  de  ne  pas  se  maintenir  à  Kmbden.  Du  IV 
au  24  octobre,  Soubise  demeura  à  Horcken  ;  le  2V  il  trans- 
féra son  (juartier  général  à  Dorstein,  d'où  il  comptait 
gagner  successivement  Soer  et  Bockum.  Sur  ces  entre- 
faites, Choiseul  l'invita  (3)  à  profiter  de  la  diversion  pro- 
duite par  l'entreprise  contre  Brunswick  pour  s'avancer 
en  Westphalie  au  lieu  de  reculer  :  «  Le  Roi  m'ordonne  de 
vous  mander  que,  si  elle  (la  marche  rétrograde)  a  eu  lieu, 
vous  devez  sur-le-champ  marcher  en  avant  sur  tel  point 
dont  vous  jugerez  pouvoir  retirer  le  plus  d'avantage.  » 
11  lui  suggère  une  tentative  contre  Lippstadt  ou  Munster, 
de  préférence  contre  la  première  place. 

A  cette  invitation,  d'ailleurs  bien  tardive,  Soubise  ne 


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(1)  Soubise  à  Choieul,  Coesteltlt,  C  octobre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Soubise  à  Clioise  îi,  Coestehll,  10  octobre  17GI.  Arcliivesde  la  Guerre. 

(3)  Choiseul  à  Soubise,  18  octobre  1701.  Arcliives  de  la  Guerre. 


Ifl' 


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SOIIUISK  ET  CIIOISKL'I, 


19;j 


montra  (1)  pas  la  moiiuliT  vell»''ili'  »r(»l(l(Mn|»(''r<'r.  Pour 
«•nli'cpi'cndi'e  les  Hi«''g«'s  proposés,  "  il  élait  nécessaire 
(lu'un  évéïieiuout  iioiireiiv  loroU  le  priucc  l"\'i(liiiand  à 
lostcr  sur  la  rive  tiroite  f\u  W'osov  c\  (juc  M.  le  maréchal 
(Ir  |{roi^li(!  prit  une  position  à  la  rivo  î-'auclic  pour  cou- 
vrir les  riéi^os  et  assurer  la  trantpiillité  des  tj'ou[ies  ipii 

y  seraient  employées.  Dans  toute  autre  cireonstauce 

il  était  téméraire  d'oser  commencer  un  siéj;e  et  de  ris- 
(juer  l'artillerie  qui  certainement, au  moindre  clioc,  serait 
tombée  aux  mains  de  l'ennemi,  surtout  dans  une  saison 
aussi  avancé(^  ».  l/écrivain  invocpie  la  disette  de  vivres, 
le  raan((ue  de  fourrages,  la  diriic.ilté  des  communications, 
[)Our  ne  pas  s'écarter  du  î\liin  do  plus  de  k  marches,  hu 
reste,  daprés  les  derniers  avis,  le  détachement  envoyé 
contre  Brimswick  a  déjà  i<îJoint  la  grande  armée  de  Uro- 
glie  et  celui-ci  annonce  son  intention  de  cantonner  ses 
troupes  derrière  la  NVerra;  «  tout  ', inonce  une  Im  de 
campagne  p(Ui  éloignée,  .le  n'ai  Jamais  prétendu,  ajoute 
Soubise.  repasser  le  Hhin  avant  le  moment  on  M.  le  ma- 
réchal de  Hroglio  me  mandera  qu'il  va  prendre  ses 
(juartiers  ou  du  moins  s'en  approcher,  mais  je  voulais 
éviter  aux  troupes  qui  doivent  liiverner  dans  le  pays  de 
Clèves  une  course  peu  utile,  et  que  les  mauvais  chemins 
peuvent  rendre  fatigante.  Au  reste,  je  compte  recevoir 
d'un  moment  à  l'autre  des  nouvelles  de  M.  le  maréchal 
de  liroglie  et  s'il  croit  pouvoir  encoie  exécuter  quelque 
entreprise,  je  chercherai  à  le  seconder.  Demain,  l'armée 
marchera  entre  HocUum  et  Kssen.  Je  compte  la  juettre  à 
couvert  dans  des  cantonnements  entre  ces  deux  villes. 
Elle  peut  se  rassembler  en  moins  de  six  heures  ».  Deux 
jours  après,  le  (juarticr  générai I  est  à  Essen.  C'est  de 
cette  ville  que  le  commandant  de  l'armée  du  Bas-Uhin 
annonce  à  Ghoiseul  la  fin  de  sa  campagne   :   «   La  pluie 

(1,  Smihise  à  Choiseul,  camp  de.  Soer,   25  octobre  17(il.  Archives  de  lu 
Piuerre. 

cuicniii;  m;  si:n  A^s.  —  r.  v.  18 


194 


LA  (ILEUIIE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VI. 


Il 


continue,  les  clieniins  deviennent  |)ros([iie  impraticables. 
ii'  crois  qu*)  tout  le  monde,  amis  et  ennemis,  va  chercher 
à  se  in'ttre  à  couvert.  Les  lettres  du  .'M  octobre  de  l'ar- 
n)ée  de  M.  le  mar4chal  de  IJroglie  parlent  de  la  rareté 
des  subsistances,  et  annoncent  qu'elles  seront  épuisées 
vers  le  10.  Nous  sommes  à  peu  près  portes  ;\  la  nu^me 
époque.  Les  dornièr?s  troupes  repasseiont  le  lUiin  ic  10: 
la  gendarmerie  et  la  cavalerie  auroni  encore  plusieurs 
jours  de  marche,  pour  arriver  dans  leurs  quartiers; 
l'inlanterie,  se  trouvant  en  première  ligne,  entrera  tout  de 
suite  dans  les  garnisons  destinées  A  chaque  régiment.  » 

Quoi  qu'en  ait  dit  Soubise,  une  démonstration  de  sa 
part  contre  Munster  ou  ilamm  n'eût  pas  été  inutile.  Pour 
le  prouver,  il  suflira  de  rappeler  les  mouvements  du 
prince  héréditaire.  Envoyé  en  Westphalie  sur  l'avis  de  la 
prise  de  Meppeu  et  à  la  suite  de  craintes  pour  la  sûreté 
de  Munster,  le  jeune  général,  rpi'avait  précédé  l'avant- 
gardc  de  Pose,  se  mit  en  route  le  10  octobre;  il  devait 
être  rejoin't  par  O'Heim,  ne  laisser  à  Lippstadt  que  la 
garnison  indispensable  et  marcher  à  l'encontre  de  Sou- 
bise avec  28  bataillons,  29  escadrons  et  quelques  irré- 
liuliers.  Au  reçu  des  nouvelles  alarmantes  de  Brunswick, 
ces  instructions  furent  modifîf'es  le  13  ;  le  prince,  qui  était 
déjà  à  Lippstadt,  fut  c'îargé  de  prendre  le  commandement 
des  troupes  qui  se  réunissaient  <à  llildesheim  et  dans  Té- 
Icctorat  de  Hanovre  ;  llardenberg,  (]ui  l'avait  remplacé  à 
Lippstadt,  fut  appelé  A  la  grande  armée  qu'il  rallia  le 
K)  avec  12  bataillons  et  22  escadrons;  la  garnison  de 
Lippstadt  avait  été  portée  à  0  bataillons. 

Si  Soubise,  au  lieu  de  prolonger  son  séjour  à  Coesfeldt 
et  de  rester  inactif  à  Borciven,  se  fût  rapproché  de  la 
Lippe,  il  eût  été  difficile  de  rappeler  le  prince  hérédi- 
taire et  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes  sur  la  Weser 
et  de  les  faire  participer  à  l'opération  contre  Kimbeck. 
C'est  à  b(Ui  droit,  ce  nous  semble,  que  l'ouvrage  de  l'é- 


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tat-major  prussien     1)  se  montre  sévôre  pour  le   com- 
mandant (le  l'armée  du  Bas-Uliin. 

De  la  i)usillanimité  des  ycnéidux  de  Louis  XV  pendiiiit 
l'automne  de  l'^Gl  la  cour  de  Versailles  a  cependant  sa 
part  (1(;  responsabilité.  Dés  le  'H\  septembre,  Glioiseul 
s'était  préoccupé  (âi  des  quartiers  d'hiver,  et  avait  fixé  le 
nombre  d'unités  (jui  devaient  rentrer  en  France.  A  l'armée 
de  Drog'lie  il  retirait  37  batailbms  de  ligne,  5  de  milice, 
32  escadrons  do  grosse  cavalerie  et  10  de  dragons,  «  il 
doit  vous  rester  pour  la  défense  de  la  liesse  et  du  Main 
98  bataillons  de  ligne,  1  de  milice  et  88  escadrons  ».  Sur 
l'armée  de  Soubise,  le  Ministre  prélevait  10  bataillons 
d'infanterie  y  compris  (>  des  gardes,  ô  bataillons  de  mi- 
lice, la  maison  du  ''  i  (13  escadronsi  et  12  escadrons  de 
cavalerie  et  de  dragons;  il  lui  laissait  V3  bataillons  de 
ligne,  V  de  milice  '^t  VO  escadrons.  A  celte  imitation,  Sou- 
bise répondit  (3i  que  les  troupes  désignées  partiraient 
■pour  la  France  aussitôt  que  ses  petites  expéditions  seraient 
terminées.  liroglie,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  fit  (V)  à 
la  proposition  de  la  cour  des  objections  multiples  :  la 
qualité  d'une  bonne  partie  des  troupes  laissait  à  désirer; 
les  3  nouveaux  régiments  des  grenadiers  royaux  étaient 
dans  un  triste  état;  les  ofticiers  des  cadres  étaient  de 
«  mauvaise  espèce  »  ;  il  signale  le  défaut  d'instruction  du 
soldat  «  qui  est  aussi  peu  aguerri  (|ue  le  dernier  régi- 
ment de  milices  ».  Quaiif  '^  la  cavalerie,  obligé  de  la  ré- 
parei"  au  lu»'  et  A  mesure,  il  ne  peut  en  mettre  en  ligne 
que  52  escadrons;  il  lui  faudrait  3  régiments  d(;  vieux 
dragons.  Broyiie  se  déclare  hostile  à  l'évacuation  avant 
la  nùse  en  état  des  postes  et  le  remplissage  dos  magasins. 

(1)  <!escliiclitc  des  Siebciijilln  iijcn  lirieges,  \ol.  V,  !krJiii.  1837,  p.  8(j:i  et 
suiv. 

(2)  Choiseul  à  Bioglie,  Choiseul  ù  Soubise,  2G  sept.  17C1.  Aiciiives  de  la 
Guerre. 

(3)  Soubiso  à  Choiseul,  Coesleldt,  3  octobre  l"(;i.  Archives  de  la  H uerre. 
{i)  Broglie  à  Choiseul,  Eiinbecii,  13  octobre  ITfll.  Archives  de  la  Guerre. 


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196 


LA  (iUERUE  DE  SKl'T  ANS. 


CIIAP.  M. 


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)  i: 


Il  propose  de  se  maintenir  le  plus  longtemps  possible  à 
Kimbeck,  puis,  le  pays  épuisé,  de  raser  les  fortifications 
de  la  ville  et  de  se  retirer  sur  la  NVerra,  de  laisser  des  gar- 
nisons à  Gotlingen  et  à  Cassel,  de  répartir  l'infanterie  en 
deux  cordons,  le  premier  tiré  de  Witgenhansen  àCassel,  le 
second  entre  l'Ecler  et  l'Ohm,  la  cavalerie  cantonnée  entre 
llirschfcld  etFulde,  lestroupeslégères  àMulhausenà  même 
de  proliter  des  ressources  de  la  Tliuringe  en  grains.  Le  pro- 
gramme de  Hroglie  pour  la  distribution  des  troupes  fut. 
approuvé  par  la  cour  et  exécuté  dans  ses  grandes  lignes. 
La  dislocation  eut  lieu  le  28  novembre;  l'armée  du  llaut- 
Khin  s'installa  dans  des  quartiers  il  peu  près  identiques  à 
ceux  qu'elle  avait  occupés  au  printemps  de  1761.  avec  le 
seul  avantage  d'avoir  sa  droite  appuyée  à  Mulliausen.  La 
répartition  était  la  suivante:  It.-iOO  fantassins  et  1.800  ca- 
valiers à  Giittingen  qui  se  trouvait  en  dehors  de  la  ligne 
des  avant-postes  —  bien  approvisionnée,  cette  place  était 
en  outre  défendue  par  l'épuisement  complet  du  pays  en- 
vironnant; 25  bataillons  et  <>  escadrons  entre  Mulliausen 
etlaWerra;  une  même  force  entre  la  rivière  et  Cottin- 
gen;  35  bataillons  entre  la  Werra  et  la  Fulda;  20  ba- 
taillons, 6  escadrons  de  Warburg  à  l'Lder;  une  division 
entière  à  Cassel  et  dans  le  camp  retranché. 

Le  château  de  Waldeck  et  la  ville  de  Fritzlar  furent  mis 
en  étatdedéfense  ainsi (|ue  HersfeldctZicgenhayn,dontles 
moyens  de  résistance  avaient  été  améliorés.  La  cavalerie  se 
cantonna  en  fractions  presque  égales  dans  le  pays  de  Fulde 
et  de  Wnrzbourg  d'un  côté,  derrière  la  Sieg  de  l'autre 
avec  qucl(]ue  infanterie;  le  grand  parc  d'artillerie,  15 
bataillons  et  'lï  escadrons,  s'installèrent  à  Francfort  ou 
dans  la  banlieue. 

Pour  l'armée  du  V  s-Rhin  les  emplacements  et  canton- 
nements restèrent  également  à  peu  près  les  mêmes  que 
ceux  de  l'hiver  précédent.  Du  côté  des  confédérés,  au 
prince  héréditaire  échut  la  garde  de  la  Westphalie  avec 


'kl 


QîJARTIKRS   D'HIVER. 


11)7 


un  corps  de  21  bataillons  et  18  escadrons  soutenus  pur 
une  réserve  de  7  bataillons  et  10  escadrons.  Le  continrent 
anijiais  aux  oi'dres  de  (Jranl)y  fut  logé  dans  le  pays  d'Os- 
nabriick.  Spoi-cken,  qui  avait  repris  du  service,  occupa  la 
région  de  Lippstadt,  et  îlavenberg.  Le  grand  (|uartiei' gé- 
néral lut  installé  à  llildcshcim,  les  2'i.  bataillons  et  *2'i-  es- 
cadrons (jui  y  étaient  attacliés  couverts  par  l'avaat-garde 
de  Liickner.  Le  11  décendjre,  les  belligérants  avaient 
pris  possession  des  quartiers  désignés  et  commencé  leurs 
préparatifs  pour  la  reprise  des  hostilités  an  printemps 
suivant. 

Pour  les  troupes  de  Hroglie  il  était  grand  temps  que  la 
campagne  se  terminât,  leurs  marcnes  plus  lré([uentes  et 
plus  longues  que  celles  de  rarniéc  du  Bas- liliin  avaient 
considérablement  réduit  les  clTectifs.  L'agent  (Iressener  (1) 
évalue  les  bataillons  au  moment  de  leur  retour  en  Franco 
ou  dans  les  quartiers  d'hiver  à  300  hommes  présents  sous 
les  drap:^aux,  les  escadrons  à  80  seulement;  quelques 
régiments,  liriqueville,  Lnghien,  Lemps  atteignaient  le 
chiin-e  de  'iGO  A  VTO  y  compris  les  malades  et  les  traînards. 
«  Uans  les  r.mgs  on  voyait  bon  nombre  de  très  jeunes 
hommes  et  des  recrues  non  encore  habillées.  »  Les  régi- 
ments de  Soubise  (â),  moins  fatigués,  avaient  meilleur  air 
et  étaient  plus  étoiles.  L'agent  britannitpie  estimait  l'ef- 
fectif de  'i  bataillons  de  gardes  françaises  lors  de  leur 
enti'éc  à  Liège  à  un  total  moyen  de  513  hommes  dans  le 
rang;  les  carabiniers  avaient  bonne  apparence  et  leurs 
escadrons  comptaient  1 10  sabres. 

Chez  les  confédérés,  le  déchet  de  la  campagne  était 
fort.  Le  prince  Ferdinand  (3)  s'en  plaint  :  alors  que  l'ctat 
des  présents  donne  une  armée  de  0-2. 000  hommes  com- 
posée de  bataillons  de   700  fantassins  et  d'escadrons  de 


n 


(1)  Oiesscntir  à  llute,  23,  28  cl  30  novembit!  1701.  UeconI  OlTico. 

(2)  Cicssriier  A  Hute.  2  et  18  iiovcnibrc.  1701.  Uiuordoriii;!'. 

(3)  Ferdinand  à  IJule.  Wilkcn.sen,  '/  .loveinbre  17(11.  Ile(  onl  Udicc. 


I'J« 


LA  r.DERRE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VI. 


fil 


\\H)  cavaliers,  l'eflectif  <(  combattants  »  est  bion  inférieur 
à  CCS  chiil'res.  Sans  compter  les  malades  très  nombieuv, 
l'usage  établi  dans  cette  armée  permet  aux  régiments 
d'employer  des  soldats  pour  mener  les  chevaux  de  Mt 
et  les  chariots,  poui' servir  de  domestiques  aux  officiers; 
à  ces  emplois  toujours  au  complet,  on  all'ecte  «  les  gens 
les  plus  grands  et  les  plus  forts  en  laissant  les  faibles  et 
les  enfants  dans  les  n'g'iments.  Il  en  lésulte  que  le  nom- 
bre des  combattants  d'un  bataillon  ne  surpasse  guère  A 
l'ouvertuie  de  la  campagne  500  hommes  au  lieu  de  700 
qu'il  devait  avoir,  et  ({u'à  la  fin  de  la  campagne  les  ba- 
taillons deviennent  de  vrais  squtdettes  ».  Il  n'a  jamais  eu 
plus  de  ()0.000  combattants.  Il  y  a  lieu  de  piésumer  que 
les  mêmes  abus  existaient  dans  l'armée  française  et  expli- 
quaient la  faiblesse  (''ellectifs  signalée  pai- Cressener. 

Par  conli-e,  et  peut-être  pour  justifier  les  demandes  de 
renforts  qu'il  adressait  au  gouvernement  britannique, 
Ferdinand  insiste  sur  l'amélioration  du  physique  et  de  la 
tenue  des  Fiançais  :  «  .le  sais  qu'on  croit  assez  commu- 
nément que  les  troupes  fran(;aises  ne  sont  pas  complètes, 
délabrées,  mal  entretenues,  et  composées  d'un  ramas  de 
g-ens.  Il  en  était  ainsi  en  quel([ue  façon  l'année  1758, 
mais  cela  a  bien  changé  depuis  et  on  peut  dire  avec  véi'iié 
que  d'ar.née  en  année,  elles  sont  devenues  meilleures. 
Nous  avons  pris  en  plusieurs  occasions  des  bataillons  en- 
tiers; c'étaient  gens  robustes,  de  bonne  mine  et  bien 
vêtus.  » 

l*oui'  le  maréchal  de  Bi'oglie  et  pour  son  frère  le  comte, 
l'insuccès  de  la  campagne  de  1761  eut  des  suites  îk- 
cheusos.  Le  mai'échal,  opposé  à  bon  droit  au  dualisme  d  u 
commandement  des  deux  armées  destinées  à  opérer  en 
Allemagne,  n'avait  accepté  (1)  le  rôle  secondaire  que  lui 
constituait  la  direction  de  l'armée  la  moins  nombreuse 


i 


1 


(1)  Comte  de  IJroglic  au  Uni,  Eimliock,  IS  sciitcmbri!  l"ttl.Cories|)on(l;uico 
secrète  de  liroglie.  Affaires  Êlranj;ères. 


«i 


LE  COMTE  DE  PROGLIE   ÉCIUT  AU  ROI. 


199 


i|ue  sur  Tordi'e  du  roi  ti.insuiis  par  le  Dauphin.  Ce  dei- 
nicr  l'avait  assuré  que  S.  iM.  connaissait  son  opinion, 
((  mais  qu'elle  exigeait  de  son  zèle  et  de  son  obéissance 
de  s'y  soumettre,  lui  promettant  de  ne  jamais  le  rendre 
responsable  des  événements  malheureux  qui  en  po'.ivaient 
résulter  ».  Tout  alla  bien  juscju'ù  la  défaite  de  Vilhng- 
liausen;  mais,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  les  rapports 
entre  les  deux  chefs,  leblAmede  la  cour,  ((uehjue  niodéi-ée 
(ju'en  lut  l'expression,  les  sentiments  de  l'entourage  de 
Soubise  à  l'égard  de  son  collègue,  soulevèrent  une  polé- 
mique dont  l'aigreur  s'accrut  avec  la  marche  'les  opéra- 
tions et  qui  eut  son  contre-coup  dans  les  cercles  de  Ver- 
sailles el  de  Paris.  La  lettre  de  Choiseul  du  -28  août,  les 
démentis  échangés  entre  le  maréchal  et  le  prince  de 
(]ondé  A  propos  des  incidents  du  Ki  juillet,  envenimèrent 
le  débat  auquel  vint  se  mêler  le  comte  de  liroglie,  dont 
nous  connaissons  le  tempérament  susceptible  et  agressif. 
Celui-ci  mit  à  prolit  (I  les  relations  épistolaires  qu'il 
entretenait  comme  directeur  de  la  politique  secrète  du 
souverain,  poursaisirleroidelaquerelle.  llaccusa Choiseul 
de  vouloir  se  décharger  sur  le  maiéchal  de  la  responsa- 
bilité de  la  campagne  infructueuse  :  «  Comme  il  (Choi- 
seul) est  l'auteni'  du  projet  d'avoir  deux  armées  indépen- 
dantes, projet  filial  que  mon  frère  à  combattu  autant  <pi'il 
lui  a  été  possible  et  qui  est  la  seule  cause  du  manque  de 
succès  de  nos  opérations,  il  croit  devoir  en  chercher  d'au- 
ti'es  qui  ne  puissent  pas  lui  être  reprochés...  C'est  sans 
doute  d'après  ces  réflexions.  Sire,  que  le  duc  de  Choiseul 
depuis  les  deux  journées  de  Villingliausen  a  cliangé  totale- 
ment de  Ion  et  de  conduite  avec  mon  frère  ;  il  a  affiché  une 
désapprobation  continuelle  doses  opérations...  il  en  parle 
dans  les  termes  les  nuuns  mesurés  et  ne  les  ménage  pas 
davantage  en  lui  écrivant,  ce  qui  est  en  vérité  insuppoi- 


ifi 


11)  Comte  do  Rroglie  au  Roi.  IS  seplcnibris  ITill.  LcUkmIi'Jù  cili'C. 


'200 


LA  ('.L'EKUli  I)K  SEPT  ANS. 


CIIAP.  V(. 


i!<î, 


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Ifililc.  »  l*()ur  évitcM-  les  conilits  qu'il  avait  prévus,  11- 
comte,  d'accoi-d  avec  le  niinistie,  avait  entretenu  avec  lui 
lin  commerce  de  lettres  i)ai'ticulièies  «  sur  le  ton  de  Ta- 
mitié  et  de  la  confiance  qui  permet  de  tout  se  dire  mu- 
tuellement. J'espéi-ais  de  prévenir  des  inconvénients 
d'une  eoirespondante  (ju'il  est  ég-alement  impossible  de 
soutenir  sans  y  répondre  et  d'y  répondre  sans  trop  témoi- 
gner de  sensibilité  ».  A  l'etlet  d'édifier  le  roi,  il  lui  adresse 
copie  d'un  des  derniers  ]>illets  éeiiang'és,  résuuiant  les 
événements  depuis  la  séparation  des  armées. 

«  Mon  premier  but  est  de  m'assurer  que  V.  M.  sera  ins- 
truite de  la  vérité  et  de  la  supplier  de  se  ressouvenir  que 
c'est  Klle  seule  qui  nous  a  soutenus  contre  nos  ennemis. 
Je  crois  que  M.  de  (Jioiseul  ne  l'est  ([ue  par  l'obligatioii 
de  se  décharger  des  forts  qu'il  sent  bien  que  le  public  lui 
reproche  et  pour  plaire  à  d'autres  personnes  qui  nous 
persécutent  depuis  longfem[)s,  mais  en  prenant  ce  parti, 
il  le  suit  avec  son  caractère  qui  n'est  pas  propre  au  ména- 
gement et,  se  laissant  aller  à  la  vivacité, il  l'exprime  d'une 
manière  si  choquante  et  si  déplacée  qu'il  n'y  a  (juc;  le 
très  profond  respect  (jue  mon  frère  a  jiour  V.  iM.  et  la 
crainte  de  lui  déplaire  qui  puisse  Icmpécher  de  lui  faire 
connaître  condjien  il  y  est  sensible.  »  Par  dévouement  au 
service  de  S.  iM.,  le  maréchal  a  voulu  conserver  son  com- 
mandement jus(ju'à  la  fin  des  hostilités,  «  mais  il  espère 
qu'alors  Klle  lui  permettra  de  venir,  ne  lïit-ce  que  pour 
un  mois,  à  l'aris  et  d'y  mettre  à  ses  pieds  le  compte  de  sa 
conduite,  en  attendant.  Sire,  qu'Elle  dfiigne  nous  honorer 
d'une  protection  particulière,  dont  nous  avons  le  plus 
grand  besoin  ». 

Cet  appel  produisit-il  l'efiét  qu'en  attendait  son  auteur? 
Faute  de  pièces,  il  est  difficile  de  le  savoir.  Toujours  est- 
il  que  Clioiseul  dans  une  lettre  gracieuse(l)  transmit  au 

(1)  Choiseul  au  maréchal  de  Broglie,    24  novembie   1701.    Papiers  de  fa- 
mille. 


:  l 


-  >  s: 


imOGIJK  AlîTOIUSE   A  VKiNIU    A  I.A  COUR. 


201 


maréchal  l'autorisation  de  faire  le  .oyaye  de  Paris  : 
«  Le  Hoi...  m'a  paru  dcsiier  que  vous  vinssiez  à  la  cour 
vers  la  lin  du  mois  de  décembre,  temps  aïKjuel  il  ne  peut 
point  y  avoir  d'opéi'ations  essentielles  à  l'armée,  et  où 
votre  présence  sera  utile  ici  pour  déterminer  les  opéra- 
tions de  la  campagne  prochaine,  vA  mémo  celles  du  mi- 
lieu de  l'hiver,  s'il  y  avait  possibilité  d'entreprendre  sui' 
les  ennemis  dans  celte  saison,  hc  sorte  (jue  S.  M.  vous 
laisse  la  libei  té  de  choisir  K;  moment  que  vous  jugerez 
le  plus  propre  pour  vous  rendre  auprès  de  sa  personne 
sans  nuire  au  bien  de  son  service.  »  Il  termine  par  un 
mot  amical  :  «  .le  crois  que  vous  serez  aussi  bien  aise 
d'être  reçu  chevalier  de  l'ordre.  »  Tne  autre  dépèche  du 
iriinistre(l),  tout  en  annonçant  le  refus  du  Hoi  d'accéder 
au  désir  de  Broglie  en  suspendant  le  renvoi  des  troupes 
en  Krance,  est  conçue  en  termes  aimables  :  «  Lorsque  vous 
serez  ici,  .Monsieur  le  Maréchal,  je  crois  (|ue  je  vous  con- 
vaincrai dans  un  quart  d'heure  qu'il  y  avnit  de  l'impos- 
sibilité à  faire  autrement,  .len  dis  de  mémo  de  l'artille- 
rie. Soyez  persuadé  que  je  désirerais,  plus  (pi'un  outre, 
d'augmenter  l'armée  du  Hoi;  mais  l'enseirible  des  pro- 
jets de  S.  M.  et  de  ses  moyens  ne  permettent  pas  que 
l'on  augmente  les  cllbrts;  et  je  vous  le  répète,  Monsieur 
le  Maréchal,  vous  en  conviendrez  vous-même,  .le  viens 
de  recevoir  votre  couriier  du  '2\).  .le  n'ai  pas  [)U  en  ren- 
dre compte  au  Hoi;  il  me  semble  que  la  distribution 
de  vos  quartiers  est  très  bonne,  .le  crains  toujours  pour 
Mulhausen  et  (îolha,   malgré  les  promesses.  » 

En  dépit  du  ton  convenable  de  ces  billets,  Choiseiil.  fort 
mal  disposé  à  l'égard  de  Hroglie,  pensait  à  son  rempla- 
cement, sans  toutefois  l'avoir  décidé;  la  correspondance 
de  Starheinberg(2),  très  bien  renseignésur  les  intrigues  de 
la  cour,  ne  laisse  aucun  doute  à  ce  sujet.  «  La  tension 

(1)  Choisciil  au  maréchal  de  lîioglio,  4  (Icîconilire  l'oi.  Papiers  de  fiunillo. 

(2)  Slarheinberg  ù  KauniU,  lil  novembre  ITOI.  Archives  de  Vienne. 


i 


202 


LA  nUEUIΠ DK  SEPT  ANS.   -  CIIAP.  VI. 


et  raiiireur  des  rapports  entre  le  niaréclial  de  lUoglie 
et  lo  duc  de  Clioiseid  sont  arrivés  à  un  degré  (pii  ne 
permet  pas  d'espi'rcr  entre  eux  un  accord  complet  et  loyal, 
.l'ai  eu  Toccasiou  de  voir  une  partie  des  dépêches  échan- 
gées au  cours  de  cette  campagne  et  j'ai  constaté  qu'elles 
étaient  toutes  remplies  de  reproches,  de  plaintes  et  de 
pointes.  Le  ministre  blAme  hautement  aussi  bien  la 
conduite  militaire  du  maréchal  que  son  humeur  insup- 
[)ortal)le.  H  ne  me  surprendrait  pas  ({uand  le  duc  de 
Broglie  abandonnerait  son  commandement  ou  quand  il 
le  lui  serait  enlevé.  »  Slarlicmberg-  fait  allusion  au  désir 
qu'on  attribue  à  Choiscul  de  faire  meltre  son  frère  le 
comte  de  Stainville  à  la  tête  de  l'armée,  à  la  mauvaise 
intelligence  qui  existerait  entre  ce  dernier  et  son  géné- 
ral. «  Il  est  décidé,  rapporte  l'ambassadeur,  qu'il  n'y  au- 
rait qu  un  commandant  en  chef  la  campagne  prochaine, 
mais  les  voix  sont  partagées  à  propos  du  choix  qui  sera 
fait;  on  parle  de  Soubise,  dont  Choiseul  est  bien  content, 
et  qu'il  aime  mi-uix  voir  éloigné  de  la  cour  que  présent. 
Une  circonstance  qui  ne  favorisera  pas  les  alfaii-es  de 
Broglie  c'est  la  divergence  d'opinion  entre  celui-ci  et 
son  ministre  sur  la  disposition  des  quartiers  d'hiver.  Le 
mémoire  que  le  maréchal  vient  d'envoyer  contredit  de- 
puis le  commencement  jus([u'à  la  lin  le  projet  que  Choi- 
seul en  personne  avait  élaboré  (1).  » 

Le  conllit  devait  se  dénouer  à  la  cour;  Broglie,  accom- 
pagné de  sa  femme  et  de  son  frère,  quitta  Cassel  le 
17  décembre  en  route  pour  Paris  où  ils  arrivèrent  au 
commencement  de  janvier.  A  en  croire  notre  informa- 
teur Starhemberg,  ils  ne  devaient  pas  trouver  bon  ac- 
cueil de  la  part  de  Choiseul.  Ce  dernier  lui  avait  moiitré(l  ) 
à  l'égard  du  maréchal  beaucoup  d'animosité  et  avait 
dénigré  sa  capacité  et  son  talent  militaire,  «  c'était  un 


(I)  starhemberg  .i  Kaunitz,  27  décembre  1701.  Archives  de  Vienne. 


COM-I.IT  ENTUK  imOGLIi:  ET  CIlOlSErL. 


203 


Ijoii  partisan,  mais  tout  à  fait  improprtî  f'i  la  conduite 
d'une  grande  armée  ».  A  l'ambassadoui'  (jui  demandait 
s'il  avait  sous  la  main  un  gônéral  distingué  et  d'expé- 
l'ionce  à  mettre  à  sa  place,  (llioiseul  s'é'ut  dérobé  (mi 
disant  qu'il  ne  se  mêlait  pas  de  la  (lésif;iiiiti<in  des  com- 
niandants  d'armée  et  qu'il  appartiendrait  au  lîoi  de  d(''- 
cider  si  Hroglie  conserverait  sa  place  ou  serait  remplacé. 
Ce  fut  en  vain  que  l'Autricliieu  prit  la  défense  du 
général  et  fît  appel  au  patriotisme  du  ministre  en  le 
suppliant  d'oublier  ses  préférences  personnelles  pour  ne 
penser  qu'au  talent  militaire  du  géuéi-al  et  à  la  contiance 
que  le  public  avait  mise  eu  lui. 

ridèles  à  un  système  dont  nous  avons  vu  le  maréchal 
de  lîelleislc  se  plaindre,  les  frères  de  lU'oglie  tenaient  leur 
(mcle,  l'abbé  de  Hroglie,  au  courant  des  incidents  de 
l'armée;  le  comte  lui  avait  même  coumiuiii([ué  les  lettres 
j)articulières  cpiil  recevait  de  Clioiseul.  Ce  dernier,  l'ayant 
appris,  (puililia  en  termes  très  vifs  le  procédé.  Le  comte 
aussitôt  de  s'adresserili  au  Roi  :  «  .l'ai  l'Iionneui'  d'en- 
voyer à  V.  M.  la  copie  de  ma  lettre  d'aujourd'hui  à  M.  le 
duc  de  Cboiseul,  Elle  y  verra  que  ce  ministre  ayant 
appris  que  j'avais  communi(;ué  à  mon  oncle  celles  que 
je  lui  écris,  il  en  a  été  extrêmement  fiWlié,  je  ne  suis 
pas  étonné  qu'il  ne  se  soucie  pas  (ju'on  sache  la  vérité 
avec  lacpielle  je  lui  parle,  j'espère  cependant  qu'il 
comprendra  que  mon  oncle  et  M.  de  IJeauvau  peuvent 
être  au  fait  de  cette  correspondance  sans  ([u'il  ait  aucun 
reproche  à  me  faire.  V.  M.  verra  les  détails  dans  les- 
quels j'entre  au  sujet  de  mon  frère,  je  serais  enchaulé 
de  pouvoir  mettre  l'union  et  la  confiance  si  nécessaires 
entre  deux  personnes  chargées  des  affaires  de  V.  M.,  car 
je  sens  qu'il  est  impossible  que  les  choses  restent  sur 
le  pied  où  elles  en  sont;  je  voudrais  surtout  préparer 

(1)  Comte  de  Bro«Iie  .au  Roi.  Paris,  '.)  janvier  17C2.  Conesjiondaiicc  seciole 
«le  UiO}^lie.  Affaires  Étrangères. 


Il* 


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■■■ 


1 


304 


LA  (lll'.URE  l)K  SKPT  ANS. 


CIIAP.  VI. 


les  voies  pour  !<;  moiiunit  où  mon  IV^rc  arrivera  lï  Paris, 
et  ohtonir  de  M.  de  Clioiseul  des  proc(''d(''s  décents,  ne 
pouvant  [ms  l'épondre  que  mon  l'rt^re  ne  ini  mar(|uAt 
trop  de  sensibilité  s'il  en  usait  autrement.  Mais  un  point 
bien  plus  important,  Sii-e,  eest  la  manient  dont  V.  M. 
daignera  le  traiter  à  son  arrivée,  toute  la  Kranee  aura 
les  yeux  ouverts  sur  eet  événenu'ut  et  mon  frère  mour- 
rait (le  douleur,  s'il  pouvait  s'apercevoir  (|ue  ses  sei'- 
vices  ne  lui  ont  pas  été  agréables,  et  (|u'Klle  n'est  pas  per- 
suadée de  son  zèle  et  de  son  respectueux  attachement, 
.le  sup|)lie  donc  V.  M.  de  ne  nous  pas  affliger  aussi 
sensiblement,  et  j'ose  dir<î  (]ue  nous  ne  le  méritons  [)a8, 
par  la  manière  dont  nous  la  servons  sans  relâche  de- 
[>uis  que  nous  sommes  au  monde.  » 

A  leur  arrivée  à  l'aris,  les  liroglie  trouvèrent  en  armes 
toute  la  troupe  de  leurs  ennemis;  Choiseul  oublia  tous  les 
ménagements  (pi'il  avait  gardés  jusipi'alors  et  se  déclara 
l'adversaire  résolu  du  mai'échal.  Dans  les  derniers  jours 
de  janvier,  celui-ci  éprouva  l'affront  de  n'être  pas  admis 
au  souper  du  Roi.  Le  comte  fait  à  son  maître  (1)  un  appel 
désespéré  :  ((  C'est  avec  la  môme  confiance  ([ueje  prends 
encore  la  respectueuse  liberté  de  lui  observer  que  l'Iiu- 
miîiation  que  mon  frère  a  éprouvée  samedi  en  n'étant  pas 
admis  au  souper  de  V.  M.  a  été  donnée  par  la  cabale  qui 
lui  est  opposée,  comme  le  triomphe  le  plus  complet,  et 
elle  annonce  (|ue  mon  frère  se  trouvera  dorénavant  ex- 
clu des  moyens  de  faire  sa  cour  à  son  niaitre  toutes  les 
fois  (piil  [)laira  A  son  ennemi  de  se  présenter.  Il  est  facile 
de  concevoir  l'eiret  que  produit  une  pareille  opinion  et 
combien  elle  dégrade  un  des  plus  fidèles  sujets  de  V.  M. 
qu'elle  a  revêtu  des  dignités  et  des  postes  les  plus  consi- 
dérables. »  Le  comte  [j^ie  le  Uoi  de  lui  «  pardonner  la 
liberté  qu'il  prend  de  l'entretenir  de  ces  objets  par  la 

(I)  Comte  (le  Broslio  au   lUti,  20  janvier   1762.  Vol.  .539.  Correspondance 
spcièlc.  AlVaires  Étrangères. 


! 


MKMOIUK  JUSTIFICATIF  UE    lUlOCLIK. 


'i05 


Voie  sccnMc  qirKIle  m'a  permiso  >.  Il  se  denunide  (|uellc 
peut  être  la  cause  de  l'inimitié  de  Cliois(;uI,  i\  moins  (|iie 
par  le  canal  de  lîoyer,  (|ui  ost  ton!  à  lui,  ou  «  do  (piel(|ues- 
uns  de  ceux  ((ui  ont  encore  part  au  secret  de  V.  iM.,  il 
n'ait  appris,  comme  on  me  l'a  assur»'*,  (pie  j'avais  le  huu 
heur  d'être  en  correspondance  directe  av<'c  Klle  et  que 
cela  ne  l'ait  détermine  î'i  vouloir  nous  détruire  par  «piel- 
que  moyeu  que  ce  soit  ».  Attribuer  l'iittilude  de  (Ihoiseul 
A  la  découverte  (pi'il  aurait  l'aile  de  la  politicpie  secrète  de 
Louis  XV  et  à  la  jalousie  ()u'il  eu  aiiniit  conçue,  ('"était 
intéresser  pcrsoiuicllemont  le  l{oi  à  la  querelle  et  faire 
appel  à  son  caractère  susceptible  et  soupc-onneux.  La 
manœuvre  était  habile,  mais  elle  ne  réussit  p.us. 

Deux  j(mrs  avant  l'envoi  de  la  letfie  de  la(pielle  nous 
venons  de  citer  des  extriiits,  le  maréchal  de  Hroglie  avait 
remis  à  Louis  XV,  à  Choiseul  et  à  tous  les  ministres  un 
mémoire  accompagné  de  pièces  justificatives  (li  sur  les 
opérations  de  guerre  postérieures  à  la  séparation  des  deux 
commandements.  Cette  pièce  avait  pour  but  de  démontrer 
que  pendant  la  plus  grande  partie  de  la  campagne,  Sou- 
bise  n'avait  eu  all'aire  qu'à  des  détachements  peu  impor- 
tants de  l'ennemi,  que  ses  lenteurs  et  ses  hésitations 
avaient  transformé  son  corps  d'armée  en  (juantité  négli- 
geal)le  et  permis  au  prince  Ferdinand,  en  gardant  avec 
lui  le  prince  héréditaire,  d'opposer  à  lïroglie  des  forces 
égales  ou  supérieures. 

Le  document  contient  le  résume  des  mouvements  du 
prince  héréditaire  depuis  le  10  août  jusqu'à  la  fin  de  la 
campagne;  il  relate  son  arrivée  à  Burcii  le  l.'l  de  ce  mois, 
la  part  (ju'il  avait  prise  aux  opérations  en  liesse  jusqu'aux 
25  et  2G,  la  relève  de  llamm,  la  surprise  de  Dorsicin,  le 
séjour  à  Krwete,  h?  retour  vers  la  Dymel  le  L"»  septembre 
et  la  démonstration  sur  Frit/lar;  enfin  la  marche  sur  la 


f!.    I 


(1)  Elal  de  tous  les  inoiivomrnts  du  corps  du  iiriii<<!  Iii-icdiluire  ou  d'une 
partie  depuis  le  10  août  jusqu'à  la  lin  de  la  caiiipaj^ne.  Papiers  de  faniilk'. 


L^ 


'm\ 


LA  tllEHHK  l)K  SKIM   ANS. 


CIIAI'.  M. 


Ilcsso  intoiM'om|)Uo  le  IC»  nctolti'*!  à  Piidoi-hoi'ii  par  lii  no- 
mination tlu  [iiiiice  au  coinmantlcMKMit  <l<'s  forces  conl'é- 
cl«lré(îs  réunies  à  ilihleslieini  et  par  le  retour  à  la  ^rautle 
arn'ée  de  ses  troupes  passées  aux  ordres  d  llardeuberg'. 

Les  conclusions  du  mémoire  sont  iccahiantes  pour  le 
maréchal  de  Sonhise  et  par  i-épeirussion  [)Our  son  délcn- 
seur,  le  duc  de  Choiscul  :  «  Il  en  résulte  (pie  la  plus 
grande  partie  du  corps  du  prince  liéirditaire  n'a  pas  été 
un  seul  j(  ni-,  depuis  le  10  aoi'it  17(»l ,  à  purtéiî  de  l'armée 
du  Bas-Uliin. 

'  Que  vis-à-vis  cette  armée,  du  10  au  20  août,  il  n'y  a 
eu  <|ue  le  coips  de  Kielmansegge,  fort  de  6.000  hommes; 

H  Que  d'îpiiis  le  20  août  jusqu'au  12  septembre,  M.  de 
Kielmansegge  a  été  renforcé  pai"  le  général  O'IIeini  com- 
mandant un  corjis  de  V.OOO  hommes; 

((  Uue  pendant  ce  temps  .M.  le  prince  héréditaire  était, 
avec  la  plus  grande  partie  de  son  corps,  depuis  Buren 
jus(ju'à  la  Lippe,  position  intermédiaire  entre  les  deux 
armées  françaises  du  Haut  et  lîus-Uhin,  et  plus  rapprochée 
de  la  première  cpii  avait  alois  sa  gauche  vers  Wolfhagen, 
(jue  de  la  seconde  ([ui  était  entre  Dorstein  et  llaher; 

«  Uue  depuis  le  12  septembre  juscpi'à  la  fin  de  la  cam- 
pagne, M.  le  prince  héréditaire  a  toujours  été  à  la  droite 
ou  à  la  gauche  et  très  près  de  iM"-"  le  prince  I^'erdinand,  et 
opposé  seulement  aux  troupes  de  l'armée  du  llaut-Uhin.  » 
D'après  les  calculs  de  Broglie,  le  fonds  de  l'armée  des 
alliés  réunis  se  serait  monté  à  110.000  hommes,  réduits 
à  !>0.000  i)ar  le  détachement  permanent  de  Wcstphalie  et 
par  les  garnisons;  snr  ce  total,  sauf  pendant  les  15  jours 
de  la  période  de  la  relève  de  Hamm,  l'armée  du  Bas- 
Bhin  n'aurait  eu  en  face  d'elle  que  les  10.000  hommes  de 
Kielmansegge  et  O'ileim.  Au  contraire,  depuis  le  10  août 
jusqu'à  la  lin  de  la  campagne,  l'armée  du  llaut-Bhin 
forte  de  98.000,  déduction  faite  des  garnisons  et  de  la 
ligne  des  communications,   aurait  été  opposée  tantôt  à 


liUOdI.lt:   ÀCl'AIII.K   SOUIIISE. 


207 


KMi.OdO,  l.'iiitùt  à  !)0.0(M>  (;t  aurait  oW'  inlériciis'c  au  pi-inci; 
Fcrdinatid  ou  n'auriiit  <mi  sur  lui  ({u'uii<>  supiTiorité  (l<> 
8.00U  hommes. 

((  D'après  cela,  on  |)outju,ij;'or  si  olle  a  roinpli  ce  qu'^^n 
eu  (levait  allcudio.  et  s'il  lui  eiU  été  possible  de  l'aire 
davanlaye. 

«  On  croit  d'ailleurs  pouvoir  eu  appeler  A  la  comp;»- 
raison  des  opérations  de  l'armée  du  llaul-hliiu,  à  celle 
du  Has-lthin. 

«  Lu  premièr(ï,  du  fonds  de  118.000  hommes,  a 
eu  vis-à-vis  d'elle  celle  des  alliés,  du  fonds  de  IO(».(M)U 
(IKi.OOO  —  10.000).  H  La  seconde,  du  fonds  de  .")"». 000 
hommes,  a  eu  devant  elle  un  corps  du  fonds  de  10.000. 
Il  en  résulte  «pie,  pour  ijuo  l'ar  née  du  IJaul-Ilhin  n'eiH 
eu  vis-à-vis  d'elle,  relativement  A  sa  force,  qu'un  nond)rc 
proportionné  à. celui  qui  a  été  opi)osé  à  l'armée  du  llas- 
Kliin,  il  faudrait  (pie  l'aiinée  des  princ(>s  l'erdinand  et 
héréditaire  réunie  n'eût  été  que  de  iO.OOO  hommes.  » 

Il  y  aurait  (juelques  l'éserves  à  faire  sur  les  eH'ectifs 
attribués  au  prince  Ferdinand  ([ui  n'atteignirent  jamais 
les  chill'i'es  mis  eu  avant.  Hroglie  basait  ses  calculs  sur  un 
nombre  de  700  fusils  par  bataillon  et  190  sabres  par  es- 
cadron et  ne  tenait  pas  compte  des  malades  et  détachés, 
fort  nombreux  dans  l'armée  confédérée,  tandis  qu'il  n'al- 
louait <i  ses  propres  unités  que  les  ellectifs  plus  restreints 
de  ôuo  et  IVO.  I*ar  contre,  il  avait  exagéré  les  forces  op- 
posées à  Soubise  à  partir  du  lô  septembre,  car  à  cette 
date  Kielmanseg-ge  avait  rejoint  la  grande  armée  et  O'Ileim 
après  le  renforceufent  des  garnisons  de  .Munster,  Lippstadt 
et  Hamm  n'avait  conservé  que  .'J.OOO  réguliers  et  quelqui.'s 
centaines  de  troupes  légères. 

liroglie  avait  adressé  son  mémoire  àChoiseul  en  même 
temps  qu'au  Uoi  (1).  u  Ayant  lieu  de  croire,  .Monsieur  le 


f 


(I)  Broglie  à  Choiscul,  2 i  juiivierl7()2.  Correspondance  secrète  dcBroalie. 


SCS 


LA  GUEHRE  DE  SEPT  ANS, 


CIIAl'.  VI. 


fj' 


II? 

tL)  (  I 

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m 


Duc,  que  les  événcniejits  qui   se  sont  passés,  depuis  28 
mois,  à  l'armée  dont  le  Uoi  m'a  confié  le  commandement, 
ne  lui  ont  point  été  toujours  rendus  avec  revactitude  que 
j'aurais  pu  désirer,  et  devant  craindre  particulièrement 
que,  malgré  celle  avec  laquelle  vous  l'en  avez  instruit, 
ceux  de  la  dernièie  campagne  ne  lui  ayant  été  présentés, 
par  des  personnes   qui  ont  le  bonheur  de  l'approcher, 
d'une  manière  propre  à  lui  l'aire  concevoir  den  prévenu 
lions  fâcheuses  pour  eux,  je  me  trouve,  Monsieur  le  Duc, 
dans  la  nécessité  de  mettre  sous  les  yeux  de  S. M.  le  compte 
de  la  conduite  que  j'ai  tenue  pendant  tout  ce  temps.  J'ai 
l'honneur  de  vous  prier  de  vouloir  bien  me  donner  une 
heure  or  je  puisse  vous  le  communiquer.  »  La  réponse  du 
Ministre,  polie  dans  la  forme,  est  aussi  sè'he  qu'on  pou- 
vaits'y  attendre  :  ((  .le  n'ai  nulle  connaissance  (1),  Monsieur 
le  Maréchal,   que    le   Hoi  aye   quelque  doute   sur  votre 
conduite  à  la  tête  de  ses  années.  S.  M.  m'a  paru  très  bien 
instruite  (h  s  faits  selon  qu'ils  lui  ont  été  l'apportés  dans 
son  consi   ..  Ainsi,  j'ai  peine  à  comprendre  quels  nouveaux 
éclaircissements  v  )us  voudriez  donner  au  Hoi,  qui  ne  se- 
raient pas  contenus  dans  les    lettres  cjue  vous   m'avez 
écrites,  et  que  j'ai  mises  en  entier  sous  les  yeux  de  S.  M. 
Uuoi  qu'il  en  soit.  Monsieur  le  Maréchal,  je  suis  à  vos  or- 
dres et  prêt  à  écouter  tout  ce  <]ai  vous  conviendra  que  je 
rende  au  lioi  de  votre  part,  relativement  à  la  guerre.  » 
L'enquéta  ainsi  commencée  se  prctlongea  (|uelques  jours, 
car,  le  7  lévrier,  nous  relevons  une  lettre  (2)  du  maréchal 
à  Louis  XV   accompagnant  l'envoi  de  notes  éniaiumt  de 
(iuerohy,  de  Beauvau,  et  de  la  réponse  quil  leur  a  faite. 
Le  IS  février  intervint  le  verdict  royal  :   ^  Mon  cousin, 
ayant  jugé  que  la  forme  A  le  fonds  de  la  démarche  que 
vous    avez  laite  en  me   présentant  un  ni.émoire  sur  les 
événements  de  la  campagne  dernière,  étaient  aussi  con- 

(l)Choiseul  à  Broglie.  2.">  janvier  1702.  PapitM's  de  fainillc  de  Hroglie. 
(2)  Broglie  au  Uoi,  7  février  1762.  Papiers  de  fainiile  deBroglie. 


DISGUACE. 


209 


traires  au  bien  de  mon  service  que  d'un  mauvais  exemple 
dansmon  royaume,  je  vous  en  marque  mon  mécontentement 
en  vous  citant  le  commandement  de  ma  province  d'Alsace, 
et  en  vous  ordonnant  de  partir  pour  votre  terre  de  Bro- 
glie  dans  la  journée  de  samedi,  où  vous  resterez  jusqu'A 
nouvel  ordre  de  ma  part.  Sur  ce,  je  prie  Dieu  (|u'il  vous 
ait  et  vous  conserve  en  sa  sainte  et  digne  garde.  A  Marly, 
ce  18  lévrier  17(52.  »  Voici  en  quels  ternies  (1)  Clioiseul 
transmit  la  nouvelle  de  la  disgrâce  au  marquis  d'Ossun, 
ambassadeur  à  Madrid  :  «  Les  avis  du  Conseil  du  Uoi  ont 
été  unanimes  :  l'incompatibilité  et  la  présomption  de 
M"""  do  Broglie  étaient  montées  au  plus  haut  degré  et  au 
point  de  les  aveugler  jusqu'à  les  engager  à  présenter  au 
Roi  un  mémoire  lixe  sur  les  faits  et  calomnieux  contre 
M.  de  Soubise.  La  justice  du  Itoi  a  prévalu  sur  sa  bonté, 
et  môme  sur  l'espérance  des  services  que  pouvait  lui  ren- 
dre M.  de  Broglie.  Il  lui  a  enlevé  le  commandement  de  ses 
armées  et  de  la  province  d'Alsace,  et  l'a  exilé  dans  sa  terre 
de  Broglie.  Il  est  bien  fAcheux  que  les  sujets  qui  peuvent 
être  utiles  se  mettent  dans  des  situations  où  ceux  qui  les 
soutiennent  le  plus  ne  peuvent  pas  les  aider.  » 

Dès  la  fin  de  décembre  17G1  Starhend>erg  avait  prévu  la 
disgrâce.  H  en  attribue  la  cause  tout  au  moins  immédiate 
à  la  présentation  du  mémoire  justificatif  que  Choiseul  n'au- 
rait rien  fait  pour  arrêter  ;  ce  reproclie,  d'après  les  lettres 
échangées  que  nous  avons  reproduites,  ne  semble  pas  jus- 
tifié, mais  à  partir  de  ce  moment  tout  le  parti  du  mi- 
nistre s'acharna  à  ruiner  le  maréchal  et  son  frère.  «  A 
peine  la  pièce  avait  elle  été  déposée,  écrit  l'ambassadeur  (2), 
ïue  les  elforts  unis  de  (ïhoiseul,  de  la  Pompadour,  de  la 
duchesse  de  Gramont,  de  Soubise,  d'Estrées  et  du  comte 
de  Choiseul  travaillèrent  à  consonimtr  la  chute  de  Broglie 


4\ 
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(!)  Slarheinbeigà  Kauiiitz.  26  février  1762.  Archives  dp  Vienne. 
(2)  Choiseul  àOssun,  '23  février  1762.  LeUres  de  Choiseul  à  Ossuii,  vol.  574, 
Aflaires  Etrangères. 

GlEKIli;   Uli   SEPT   ANS.    —  T.    V.  14 


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210 


LA  GUERRE  DR  SEPT  ANS.  —  CHAP.   VI. 


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et  à  lui  enlever  son  commandement.  »  Tous  les  renseigne- 
ments qu'il  avait  pu  recueillir  indiquaient  Soubise comme 
son  successeur  avec  Armentières  comme  premier  lieute- 
nant-général, Montazet  comme  chef  d'état-major.  Starhem- 
berg  tout  en  rendant  justice  à  la  noblesse  des  sentiments 
et  au  bon  esprit  de  Soubise  le  considère  comme  très  infé- 
rieur à  son  rival  au  point  de  vue  des  qualités  nécessairîs 
pour  exercer  le  commandement  en  chef  et  ne  le  croit  pas 
capable  de  gagner  la  confiance  des  militaires  et  de  la  na- 
tion. Quelques  jours  après  la  publication  de  l'ordre  d'exil, 
Starhemberg  revient  sur  l'affaire.  Il  dépeint  la  mauvaise 
impressionproduiteparla  disgrâce  sur  le  pubîic  aggravée 
par  la  dureté  de  la  sentence  royale, fait  allusion  à  la  repré- 
sentation de  Tancrède  à  la  Comédie  française  où  les  spec- 
tateurs s'emparèrent  d'un  vers  de  la  pièce  pour  acclamer 
l'exilé  et  constate  le  mécontentement  général  qu'il  fallut 
apaiser  en  confiant  au  maréchal  d'Estrées  la  direction  su- 
périeure des  opérations,  tandis  que  Soubise  ne  conserverait 
que  le  détail  du  commandement.  D'après  l'ambassadeur 
de  Marie-Thérèse  il  y  aurait  eu  lutte  entre  le  ministre  et  le 
maréchal,  la  victoire  serait  restée  au  crédit  bien  supérieur 
du  premier. 

En  matière  de  disgrâce  Louis  XV  se  montrait  aussi  ran- 
cunier que  cruel  à  l'égard  de  ses  meilleurs  serviteurs.  A  en 
croire  les  propos  tenus  en  1763  par  Cboiseul  (1)  à  M.  de 
Thiers  (Crozat)  père  de  la  maréchale  qui  sollicitait  pour 
son  gendre  la  permission  de  se  rendre  à  Paris  auprès  de  sa 
mère  mourante,  l'irritation  du  Roi  contre 'e  duc  de  Broglie 
avait  été  poussée  à  un  tel  degré  qu'elle  se  manifesta  par 
des  procédés  indignes  du  Monarque.  Louis  XV  se  refusait  à 
accorder  la  requête;  il  semblait  «  croire  que  la  maladie 
était  feinte  »  et  il  voulait  «  prendre  du  délai  jusqu'au  di- 
manche pour  en  être  éclairé  ».  Au  ministre  qui  avait  ob- 

(1)  Extrait  des  trois  dernières  conversations  de  M.  de  Thiers  avec  M.  le  duc 
de  Cboiseul,  25  et  29  avril,  6  mai  17(>3.  Papiers  de  famille  de  Broglie. 


en 
de 
lour 
le  sa 
glie 
]par 
lit  à 
idie 
di- 
lob- 


iduc 


I 


PUISSANCE  DE  CIIOISEUL. 


21t 


serve  a  que  ce  d^^lai  donnait  le  temps  à  la  maréchale  de 
mourir  «,  Louis  avait  répliqué  :  «  Eh  bien!  si  elle  est 
morte,  ils  n'auront  pas  la  peine  de  venir.  »  Lors  d'une 
dernière  entrevue  à  propos  d'une  nouvelle  supplique 
des  exilés,  repoussée  par  le  souverain,  Choiseul  <<  a  rejeté 
le  relus  sur  la  haine  personnelle  de  S.  M.  qui,  a-t-il  dit, 
est  nourrie  par  une  brigue  très  forte  ».  Le  comte  de  Bro- 
glie  fut  enveloppé  dans  la  disgrâce  de  son  frère,  quoiqu'il 
continuât  â  être  chargé  de  la  direction  de  la  politique  se- 
crète de  Louis  XV  et  qu'en  cette  qualité  il  demeurât  en  cor- 
respondance directe  avec  le  monarque. 

Très  maladroitement,  ce  serable,  les  Hroglie  avaient 
engagé  contre  le  tout-puissant  ministre  une  lutte  dans  la- 
quelle ils  ne  pouvaient  que  succomber.  Confiant  dans  l'in- 
fluence que  lui  donnait  son  rôle  singulier  et  spécial  de  di- 
recteur de  la  politique  personnelle  de  Louis  XV,  le  comte 
de  Broglie,  qui  parait  avoir  été  l'inspirateur  de  la  manœu- 
VI e,  se  crut  assez  fort  pour  attaquer  Choiseul  et  pour  en 
appeler  de  la  condamnation  qu'il  supposait  avoir  été  pro- 
noncée par  le  ministre  au  verdict  suprême  du  Roi.  C'était 
bien  mal  connaître  le  caractère  timide  et  félin  de  son  maî- 
tre, c'était  ignorer  la  puissance  qu'exerçait  sur  cet  esprit 
paresseux  et  indécis  l'opinion  de  Eon  entourage  intime.  De 
plus,  les  talents  réels  de  Choiseul,  ses  relations  avec  M'™'  de 
Pompadour,  le  prestige  récent  que  lui  avait  valu  la  con- 
clusion du  pacte  de  famille,  l'indépendance  qu'il  avait  ac- 
quise vis-à-vis  de  l'Autriche,  tout  contribuait  à  grandir 
une  position   qui  n'avait  pas  encore  atteint  son  apogée. 
Entre  Ihomme  d'état  devenu  en  fait  premier  ministre, 
dont  la  présence  aux  affaires  semblait  indispensable  pour 
terminer  une  guerre  désastreuse  et  le  général  dont  on  re- 
connaissait les  qualités  militaires,  mais  dont  la  dernière 
campagne  n'avait  pas  accru  la  renommée,  était-il  possible 
d'hésiter  ?  Louis  XV,  tel  que  nous  avons  appris  à  le  connaî- 
tre, obéit  peut-être  à  d'autres  préoccupations  que  celles 


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^ 


212 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


du  ])ien  public,  mais  ne  l'aurait-il  pas  fait  que  la  raison 
d'état  expliquerait  sa  décision. 

Lors  du  retour  de  Broglieà  Paris,  Choiseul  désirait-il  son 
ren> placement .'  Nous  en  doutons;  le  ton  de  ses  dernières 
lettres,  l'approbation  donnée  à  la  conduite  des  opérations 
de  fin  de  campagne,  à  la  distribution  des  quartiers  d'hi- 
ver, feraient  croire  k  un  revirement  en  faveur  du  général 
dont  il  ne  pouvait  nier  la  valeur,  s'il  revendiquait  le  droit 
de  critiquer  ses  défaillances.  Attaqué  par  lui  et  surtout  par 
le  comte  son  frère,  Choiseul  se  défend  et  cherche  k  ruiner 
des  hommes  qui  lui  ont  déclaré  la  guerre  et  qui  pourraient 
être  dangereux  pour  sa  fortune.  Nous  estimons  que  les 
Broglie  en  s'en  prenant  à  Choiseul,  en  l'accusant  d'avoir 
caché  la  vérité  au  Roi,  firent  un  ennemi  juré  de  celui  qui 
aurait  pu  rester  neutre  avec  une  pointe  de  bienveillance. 
La  plaidoirie  des  réclamants  était  d'ailleurs  trop  empreinte 
du  sentiment  de  leur  supériorité,  disons,  de  leur  infailli- 
bilité pourne  pas  offusquer  unjuge  impartial,  ce  que,  dans 
l'espèce,  est  rarement  un  camarade  ou  un  collègue. 

Ceci  dit,  et  laissant  de  côté  les  considérations  politi- 
ques pour  n'examiner  que  les  faits  militaires,  nous  n'hé- 
siterons pas  à  nous  prononcer  avec  tous  les  historiens 
sans  distinction  de  nationalité  en  faveur  de  Broglie  dans 
son  procès  contre  Son'  i se.  Nous  n'accuserons  certes  pas 
celui-ci  d'avoir  sciemment  refusé  son  concours  à  son  ri- 
val, mais  nous  lui  décernerons  un  brevet  d'infériorité 
militaire  bien  mérité.  Brave  de  sa  personne,  atfable  à 
l'égard  de  ses  inférieurs,  soucieux  du  bien-être  de  ses 
soldats,  Soubise  ne  possédait  aucune  des  qualités  du  com- 
mandement supérieur,  du  vrai  chef;  indécis,  prudent 
jusqu'à  la  timidité,  dépourvu  d'initiative,  fuyant  les  res- 
ponsabilités, lent  à  l'exécution,  il  ne  semblait  avoir  d'au- 
tres préoccupations  que  celle  de  conserver  au  Roi  ses 
troupes  intactes  et  pour  cela  d'éviter  tout  engagement 
assez  sérieux  pour  compromettre  ce  résultat.   Pendant 


res- 
'au- 
ses 
lent 
iant 


(1 


i 


1^ 


VALEUR  MILITAIUE  DE  HROGLIE. 


213 


toute  la  seconde  moitié  de  la  campagne,  il  est  hypnotisé 
par  la  crainte  de  voii'  reparaître  le  prince  héréditaire, 
n'ose  rien  tenter  ni  contre  lui  ni  contre  les  places  de  la 
Westphalie  quand  il  le  croit  présent  ou  seulement  à  por- 
tée, ne  profite  pas  de  ses  absences  mènie  quand  il  n'en 
peut  douter,  et  réduit  le  rùle  de  son  armée,  eu  dépit  des 
invitations  de  la  cour,  à  celui  d'un  corps  de  réserve  des- 
tiné à  soutenir,  au  besoin  à  recueillir  les  partisans  qu'il 
envoyait  fourrager  sur  les  bords  de  l'Ems  et  dans  la 
région  comprise  entre  ce  fleuve  et  le  Weser.  Avec  une 
pareille  direction,  la  guerre  o.urait  pu  durer  10  ans,  les 
affaires  de  li  France  n'en  eussent  pas  été  plus  avancées. 
Broglie,  beaucoup  plus  hardi  dans  ses  conceptions,  s'il 
ne  l'était  pas  toujours  dans  l'exécution,  commença  sa 
campagne  d'une  façon  brillante  ;  le  passage  de  la  Dymel, 
l'échec  infligé  à  Sporcken,  la  marche  rapide  au  secours 
de  Soubise,  la  jonction  avec  l'armée  du  Bas-Rhin  lui 
firent  honneur.  N'insistons  pas  sur  les  fautes  de  détail 
de  Vel'inghausen  ;  comme  causes  de  la  défaite,  elles  dis- 
paraissent en  regard  de  l'indécision  et  des  lenteurs  de 
Soubise.  Mois  une  fois  les  armées  séparées,  la  sienne  ren- 
forcée de  40.00"'  hommes,  il  serait  impossible  de  décla- 
rer que  Broglie  sût  tirer  parti  de  sa  supériorité  sur  le 
prince  Ferdinand.  Il  n'osa  pas  risquer  la  bataille  qui 
seule  lui  eût  ouvert  les  portes  du  Hanovre  et  du  Bruns- 
wick; au  lieu  de  .se  battre,  il  chercha  à  manœuvrer, 
et  ayant  affaire  à  plus  fort  que  lui,  il  se  mit  A  la  remor- 
que de  l'adversaire,  subissant  sa  volonté  au  lieu  de  lui 
imposer  la  sienne.  La  fin  de  l'été  et  la  plus  grande  partie 
de  l'automne  furent  absorbées  par  des  chasses-croisés  en 
Hesse  et  autour  de  Gottingen  coupés  par  des  repos  pro- 
longés. La  pointe  sur  Brunswick  eut  plutôt  le  caractère 
d'un  raid  de  partisan  que  celui  d'une  grande  manoeuvre 
de  guerre  ;  le  retour  de  Lusace  et  Closen  effectué,  il  n'en- 
treprit rien  contre  les  tronçons  isolés  de  l'armée  confédé-. 


y. 


Ni 

•H. 


2J' 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI. 


rée  et  attendit  passivement  dans  la  position  d'Eimbeck 
une  attaque  qu'il  laissait  à  son  adversaire  tout  le  loisir 
de  préparer. 

Quant  à  Ferdinand,  s'il  eut  le  mérite  de  s'attacher  à 
une  position  centrale  d'où  il  rayonna  pendant  presque 
toute  la  campagne,  on  peut  lui  reprocher  de  n'avoir 
pas  saisi  l'avantage  que  lui  offrait  l'isolement  de  Soubise 
pendant  une  semaine  entière  avant  la  jonction  avec 
Broglie.  Son  inaction  après  Vellinghausen  dura  trop 
longtemps  et  s'il  devança  le  maréchal  dans  la  position  de 
Nieheim,  il  le  dut  bien  plus  à  la  lenteur  de  celui-ci  qu'à 
sa  propre  diligence.  Lors  de  la  marche  des  Français  sur 
Hoxter,  il  fut  trompé  par  Broglie  et  ne  fit  rien  pour  trou- 
bler le  passage  du  Weser.  Ue  môme  les  mesures  pour  la 
relève  de  Brunswick  furent  tardives  et  ne  réussirent  que 
grâce  à  la  hardiesse  de  ses  lieutenants  et  nous  pouvons 
ajouter  à  la  prudence  excessive  du  général  français.  En- 
fin, l'opération  contre  Eimbeck,  quoique  couronnée  par 
un  succès  stratégique,  parait  décousue  et  avoir  été  mé- 
diocrement conduite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  quelque  justifiées  que  soient  ces 
critiques  de  détail,  il  n'en  reste  pas  moins  qu'au  prince 
Ferdinand  revient  l'honneur  de  la  campagne.  Avec  des 
forces  inférieures  et  une  armée  composée  d'éléments 
peu  homogènes,  il  maintint  ses  positions  de  1760,  ne 
])erdit  ni  territoire  ni  place  forte,  et  dicta  la  loi  à  un 
ennemi  formidable. 


I  J 


CHAPITRE  VII 


CAMl'AGKE  DE  h'IlKDKRIC  CONTRE  LES  AUTUICIIIENS  ET  LES 
RUSSES.  1761.  —  COMBAT  DK  WAIILSTATT.  —  CAMPS  RE- 
TRANCHÉS DE  BUNZELWIT/  ET  DE  SCIIWEIDNMZ.  —  LAIDON 
PREND    SCIIWEIDNITZ.    —    SIÈGE    DE    COLRERG. 


La  campagne  de  17iBl  s'annon<;ait  difficile  pour  le  roi 
de  Prusse  ;  le  recrutement  de  son  armée  devenait  de  plus 
en  plus  laborieux,  une  grande  partie  de  ses  états  était 
occupée  par  l'ennemi  et  ne  fournissait  plus  hommes 
ni  argent.  Sans  doute  on  faisait  des  recrues  en  Saxe,  en 
Mecklembourg  et  en  Thuringe,  on  encadrait  par  force  des 
prisonniers  autrichiens,  russes,  suédois  et  allemands;  on 
remplaçait  les  bataillons  de  ligne  par  des  formations 
irrégulières  ;  mais  ces  levéescomposées  des  éléments  les  plus 
disparates  étaient  loin  de  valoir  les  troupes  nationales  qui 
avaient  constitué  le  principal  élément  des  ai'mées  du  début 
de  la  guerre. 

Frédéric  avait  passé  les  mois  d'hiver  à  Leipzig,  il  avait 
entretenu  une  correspondance  active  avec  le  prince  Ferdi- 
nand (ju'il  encourageait  à  se  maintenir  en  liesse,  et  à  qui 
il  faisait  espérer  la  prise  de  Cassel  ;  il  se  préoccupait  de 
l'attitude  de  l'Angleterre  et  de  la  situation  qui  lui  serait 
faite  au  cas  d'une  paix  particulière  de  cette  puissance  avec 
la  France;  enfin,  il  cherchait  à  ameuter  conire  l'Autriche 
la  Porte  et  le  Khan  deTartarie  .  Ces  négociations  politiques 
ne  l'empêchaient  pas  de  veiller  au  rétablissement  de  son 


* 


lll 


216 


LA  GUEHHE  DE  SKPT  ANS.  -  CHAP.  VII. 


armée.  L'oxpcflition  des  généraux  Syburget  Schonkendorf 
dans  la  vallée  de  la  Saale  et  dans  le  Voigtland  avait  pour 
butprincipal  de  rassembler  des  soldats  et  des  contributions. 
Syburg,  qui  avait  pris  part  à  la  défaite  des  Saxons  à  Lan- 
gensalza,  remportait  à  Saalfeld  un  nouveau  succès  sur  une 
division  des  trou[)es  des  cercles;  ce  raid  combiné  avec 
Schenkendorf  et  Lindcn  leur  rapportait  4.000  prisonniers, 
16  canons  et  un  butin  important. 

Le  20  mars,  le  Hoi  se  trouvait  en  tournée  d'inspection  à 
iMeis;en.  «  Mes  levées  vont  à  merveille,  écrit-il  à  son  frère 
le  prince  Henri  (1),  ma  cavale,  le  sera  en  état  d'opérer  le 
1'^'^  avril,  et  je  pense  que  les  8  bataillonsfrancs  seront  prêts 
à  entrer  en  campagne  un  mois  plus  tard,  .l'ai  fait  le  tour 
des  régiments  en  passant  par  Chemnitz,  et  je  dois  vous 
dire  à  mon  grand  contentement  que  nous  sommes  centl'ois 
mieux  qu'on  nesaurait  s'imaginer.  »  De  Londres,  il  recevait 
le  11  avril  avis  de  l'ouverture  pacifiqne de  Clioiseul  et  com- 
munication des  pièces  qui  s'y  rapportaient.  Disposé  à  l'ac- 
cueillir ainsi  qu'un  armistice  qui  s'appliquerait  à  tous  les 
théâtres  des  opérations,  il  pose  cependant  (2)  dès  le  début 
l'ultimatum  que  voici  :  «  il  ne  se  prêtera  de  sa  vie  à  céder 
môme  jusqu'à  un  village...  il  ne  signera  aucun  traité  de 
paix  à  moins  qu'il  n'y  fût  mis  pour  base  que  je  garderai 
toutes  mes  possessions  en  terres  et  provinces,  toutes 
comme  elles  ont  été  possédées  de  moi  l'an  1756  avant 
le  commencement  de  la  présente  guerre  ».  Malgré  cette 
intransigeance,  pendant  tout  son  séjour  à  Meissen,  qui 
dura  jusqu'au  k  mai,  toute  la  correspondance  du  Roi  avec 
Finckenstein  et  S'^s  ministres  à  Londres  exprime  le  désir 
d'une  suspension  d'hostilités  qui,  conclue  d'abord  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  s'étendrait,  grâce  à  la  médiation 

(1)  Frédéric  au  prince  Henri,  Meissen,  20  mars  iTfil.  Corr.  Polit.,  XX, 
p.  273. 

(2)  Frédéric  àKnypiiausenetMicliel,  Meissen,  11  avril  1761.  Corresp.  Polil., 
XX,  p.  323. 


\ 


FRKDKRIC  A  GOULITZ. 


217 


(le  ces  puissances,  Ji  la  guerre  crAllcinagne;  toutefois,  il  se 
préparc  à  la  reprise  de  la  campagne  que  l'entêtement  de 
l'Autriche  rendra  inévitable.  Le  4'  mai  il  Irancliit  l'Elbe 
et  le  8  il  esta  (i<»rliti5  en  route  pour  la  Silésie  où  il  se  ré- 
serve la  conduite  des  opérations,  laissant  X  son  frère  Henri 
la  défense  de  la  Saxe. 

l)u  c6té  autrichien,  i)aun,  cédant  aux  instances  de  l'impé- 
ratrice, était  revenu  sur  la  démission  qu'il  avait  donnée 
après  la  haiaillc  de  Torgau,  et  avait  accepté  le  comman- 
dement des  troupes  en  Saxe.  Lés  principales  rencontres 
devant  avoir  pour  théjVtre  la  Silésie  et  devant  être  combi- 
nées avec  les  Husses,  Laudon,  qui  parlait  le  russe  et  qui 
passait  pour  être  fort  goûté  par  l'état-major  de  ces  alliés, 
était  tout  naturellement  désigné  comme  chef  de  l'armée 
autrichienne  dans  cette  province.  Prenant  k  titre  provi- 
soire la  diref^tion  dès  le  commencement  d'avril,  il  con- 
centre ses  forces  éparpillées  dans  les  cantonnements  d'hi- 
ver, dénonce  (1)  le  19  la  trêve  qui  avait  été  négociée 
pour  la  mauvaise  saison,  mais  il  n'engage  aucun  mouvement 
contre  Goltz  qui  lui  est  cependant  inférieur  en  nombre. 

A  en  croire  Montazet,  qui  connaissait  à  fond  le  haut  per- 
sonnel militaire  qu'il  fréquentait  depuis  4  ans,  très  au  cou- 
rant de  l'opinion  de  l'Impératrice  et  de  ses  ministres,  Lau- 
don ne  possédait  pas  la  conliance  de  Marie-Thérèse  :  «  elle 
me  l'a  dit  elle-même,  écrit-il  à  Choiseul  (2),  et  M.  le  maré- 
chal Daun  me  l'a  confirmé.  L'un  et  l'autre  m'ont  confié  que 
Laudon  étaitsans  doute  un  brave  homme,  mais  qu'il  chan- 
geait d'avis  4  fois  par  jour,  que  par  conséquent  il  ne  serait 
pas  prudent  de  le  charger  de  grandes  opérations.  M.  de 
Kaunitz  à  la  vérité  ne  pense  pas  de  môme,  mais  malgré  son 
crédit  sur  l'esprit  de  l'impératrice,  il  ne  changera  pas,  je 

(1)  Malgré  la  trêve,  il  y  avait  eu  une  incursion  prussienne  dans  le  comté  de 
Glatz  en  vue  de  lever  des  recrues;  Laudon,  ne  pouvant  obtenir  leur  renvoi,  se 
vengea  en  enlevant  la  garnison  prussienne  de  Frankenstein. 

(2)  Montazet  à  Choiseul,  Kunlzendorf,  10  sept.  17(>0.  Archives  de  la  Guerre. 


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218 


LA  OUËKRK  DE  SEPT  ANS. 


CIIAI'.  Vil. 


crois,  une  u|)inion(|ui  m'a  paru  aussi  bien  établie,  surtout 
quand  M""  ia  maréchale  Dauu  la  nourrira.  M.  de  Lasci  dim- 
nerait  plutôt  de  l'ombrage...  l'Impératrice  en  fait  grand 
cas...  mais  M.  de  Kaunitz  n'aime  que  Laudon  et  pas  du  tout 
M.  de  Lasci  ».  Depuis  la  date  de  cette  appréciation,  la  perte 
de  la  bataille  de  Torgau,  la  démission  de  Daun  et  le  relus  de 
Lascy  d'assumer  le  commandement  en  chef,  avaient  aug- 
menté les  ciiances  de  Laudon.  Lors  du  passage  de  Montazct 
à  Vienne  vers  la  lin  de  mai,  le  choix  était  encore  indécis, 
puisque  Kaunitz  (1)  l'avait  prié  de  parlera  l'Impératrièe 
en  faveur  de  son  candidat.  «  Elle  me  dit  qu'elle  était  bien 
îY  plaindre  d'avoir  à  combattre  le  goût  de  son  ministre  pour 
M.  de  Laudon.  »  Laquestion  ne  fut  définitivement  traui  hée 
qu'à  la  fin  de  juin. 

A  l'arrivée  du  Koi  de  Prusse  et  des  renforts  que  celui-ci 
amenait  avec  lui,  Laudon  se  retira  à  Hraunau.  Krédéric 
installa  son  (juartier  général  à  Kunzendorf  entre  Schweid- 
nitz  et  Freiburg,  il  y  resta  jusqu'au  7  juillet.  Dès  le  com- 
mencement de  mai,  c'est-à-dire  au  momeut  où  le  Uoi  ac- 
complissait sa  marche  vers  la  Silésic,  un  rescrit  impérial 
mettait  Daun  au  courant  des  pourparlers  engagés  par  l'am- 
bassadeur Ksterhasy  à  l'ellct  de  combiner  les  mouvements 
des  deux  alliés.  Dans  cette  pièce  (2)  il  était  question  des 
menées  prussiennes  auprès  de  la  Porte  en  vue  de  décider 
cette  puissance  à  faire  la  guerre  à  la  Russie  ot  à  l'Autriche, 
de  l'abandon  du  projet  d'assiéger  Stettin  et  Custrin,  de  la 
proposition  des  Russes  d'envoyer  un  corps  auxiliaire  dans 
la  Haute-Silésie,sauf  à  opérer  avec  leur  principale  armée 
d'une  façon  indépendante,  de  la  nécessité  enfin  d'aug- 
menter les  effectifs  de  Laudon  qui  conserverait  le  comman- 
dement en  Silésie,  à  moins  que  Daun  ne  préférât  s'y  rendre 
et  prendre  la  direction  suprême,  ce  qu'on  le  laissait  libre 
de  faire.  Frédéric,  grâce  aux  relations  qu'il  entretenait 

(1)  Montazet  à  Ghoiseul,  Vienne,  23  mai  1761.  Ardiives  de  la  Guerre. 

(2)  Cabinel  Sclirciben  an  Daun,  Vienne;  8  mai  17C1.  Arcliives  de  Vienne.. 


■/• 


QUE  FERONT  LES  HUSSES? 


219 


avec  Tottlehen  par  riiitormcdinire  du  juif  Sab.itky,  était 
renseigné  sur  les  projets  des  Russes,  qui  d'ailleurs  n'é- 
taient pas  encore  bien  arrêtés;  il  put  donner  des  instruc- 
tions ?>  ses  11,  utenants  pour  les  hypothèses  à  prévoir.  Une 
nouvelle  entreprise  serait  tentée  contre  Colberg-,  mais  se- 
rait-elle partie  essentielle  ou  secondaire  du  programme 
général?  Le  grand  mouvement  russe  serait-il  dirigé  sur  la 
Poméranie  ou  sur  la  Silésie?  La  jonction  avec  les  Autri- 
chiens serait-elle  essayée  du  crtté  dcBreslauou  vers  (ilo- 
gau?  Autant  de  questions  i\  résoudre  selon  la  suite  des 
événements.  Frédéric  pensait  que  le  signal  du  début  delà 
campagne  serait  donné  par  laraarche  de  Dauu  en  Lusace 
et  en  Silésie.  Le  prince  Kugène  de  Wurtemberg  devait 
se  concerter  avec  le  général  Werner  pour  empêcher  les 
Russes  d'entreprendre  le  siège  de  Colberg;  Goltz  pren- 
drait une  position  d'uttente  près  de  Glogau,  le  prince 
Henri  suivrait  le  mouvement  de  Daun,  laissant  à  llulsen  le 
soin  de  défendre  la  Saxe;  quant  au  Uoi,  il  s'attacherait  à 
rendre  impossible  l'union  de  Laudon  et  de  la  grande  ar- 
mée russe. 

Vers  la  fin  de  mai,  (Joltz,  avec  une  division  de  10.000 
hommes,  avait  occupé  près  de  Ologau  la  position  qui 
lui  avait  été  assignée  ;  Werner  avait  été  renforcé  de  ï  ba- 
taillons envoyés  de  Glogau.  De  son  côté,  Daun,  sous  la 
pression  des  ordres  de  sa  cour,  avait  renforcé  l'armée  de 
Silésie  d'une  quinzaine  de  mille  hommes;  O'Donnell  et 
Sincère  avaient  été  détachés  à  Zittau  et  communiquaient 
avec  Laudon. 

Frédéric  ne  croyait  pas  au  commencement  de  la  cam- 
pagne avant  la  fin  de  juin;  «  ni  Laudon,  ni  Daun,  écrit-il 
à  Ferdinand  (1),  r'entrcprendront  rien  avant  que  l'armée 
russe  ne  sera  en  mouvement,  et  on  m'assure  de  tous  les 
côtés  que  cette  armée  n'approchera  de  nos  frontières  qu'à 

(1)    Frédéric  à  Ferdinand,  Kunzcndorf,   n   mai  1761.   Corr.  Poiil.,   XX, 
p.  423. 


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LA  (llIEnilE  DK  SKPT  ANS.  —  CIIAP.  VII. 


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la  fin  (lo  juin  ».  Il  es|)»\ro  que  la  conclusion  de  la  paix  les 
aura  drlivrcs  des  dan,^e^s  do  la  triple  attaque  (|u'il  craint  ; 
Il  les  Fiançais  paraissent  drsircr  la  paix  »,  mais  il  soup- 
çonne <|ue  «  M.  Pilt  n'en  a  pas  tant  d'envie  que  les  Fran- 
çais »,  et  il  ref^rette  rexpédition  de  IJelleisU!,  «  Mais  vous 
devez  savoir  «[ue  ces  gens-lù  (les  An^^lais)  ne  sont  pas 
faciles  à  ;;ouverner,  qu'ils  sont  amoureux  de  leurs  senti- 
ments et  opinifVtres  ». 

Le  Hoi  ne  se  trompait  pas  en  assurant  que  Laudon  n'en- 
treprendrait rien  avant  l'entrée  en  scène  des  Russes;  cette 
inaction  lui  avait  été  prescrites  par  un  ordre  du  conseil  (l) 
qui  lui  annonçait  un  détachement,  prélevé  sur  l'armée  de 
Daun,  de  li  bataillons,  IV  compagnies  de  grenadiers  et 
de  ^  régiments  de  cavalerie  dont  2  de  hussards  ;  de  ce 
corps,  la  moitié  lui  était  destinée  comme  appoint  immé- 
diat, l'autre  moitié,  mise  pourtant  sous  ses  ordres,  dcNait 
être  laissée  en  Lusace  JÏ  moins  de  nécessité  absolue. 

Malgré  ce  renfort  (2)  Laudon,  d'après  l'état  ([u'il  avait 
envoyé,  avait  été  mis  en  grande  infériorité  par  l'arrivée 
du  Roi,  aussi  avait-il  pris  le  parti  de  la  défensive  et  s'é- 
tait-il replié  sur  le  comté  de  Glatz  et  la  gorge  de  Rraunau 
où  il  était  demeuré  depuis.  Dans  sa  correspemdance  avec 
Kaunifz,  Laudon  se  plaint  à  plusieurs  reprises  du  départ 
tardif  et  de  l'insuflisance  des  renf<  r.  s  qui  devaient  lui  arri 
verde  Saxe.  Entre  lejeunegénCr.i'  d'origine  étrangère  qui 
avait  obtenu  un  avancement  si  rapide,  le  maréchal  Daun  et 
la  plupart  des  généraux  autrichiens,  il  y  avait  peu  de  sym- 
pathie ;  le  rùle  prépondérant  qui  était  attribué  à  Laudon 
entraînait  la  diminution  du  leur,  puisque  ces  derniers  ne 
voulaient  pas  servir  sous  les  ordres  de  leur  cadet,  et  ce 
n'était  pas  sans  déplaisir  ([u'ils  voyaient  augmenter  l'ar- 
mée de  Silésie  aux  dépens  de  celle  de  Saxe.  Quoi  qu'il  en 

(1)  Cabinet   Schreiben  an   Laudon,  Vienne,  11  mai   1761.   Archives  de 
Vienne. 

(2)  Montrozard  àClioiscul,  Dresde,  16  mai  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


IIU;ilKI«IC  NKOOCIK  AVEC  LA  P(»»TE. 


231 


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fiU  dos  soiitinionts  intimos  de  Haun,  il  faut  roconnaiti'o 
qu'il  exécuta  les  ordres  dt  sa  cour  «»t  <|ue  les  ojx'rations 
uutricliicunt  s  en  Silésie  no  soullVirent  pas  du  inan<{uc  de 
reiilorcem(Mits.  D'ailleurs,  la  cour  de  Viennes  n'entrevoyait 
pas  roll'f'nsive  en  Silésie  avant  la  venncî  des  Kusses.  Pour 
être  ajournée  à  la  saison  d'ét/*,  la  perspective  de  l'attaque 
russe  cond)inéo  av<'c  celle  des  Autrichiens  n'en  était  pas 
moins  alarmante;  aussi  ji  titre  de  diversion,  Frédéric 
"herche-t-il  h  activer  et  à  maj^'nilier  ies  négociations 
avec  la  Porto  et  le  Khan,  il  donne  au  traité  de  commerce 
qu'il  vient  de  signer  avec  la  première,  toute  l'importunce 
qu'il  peut,  il  écrit  fi  son  envoyé  l{c\in  (I)  d'ohtenir  de 
Constantinople  une  communication  aux  deux  Impératrices 
à  l'ellet  d'exprimer  ((ue  ((  la  Porte  ne  pouvait  voir  d'un 
œil  indifférent  mes  embarras  et  que  l'amitié  (ju'elle  entre- 
tenait avec  moi  ne  lui  permettait  pas  d'ac(iuiesccr  ii  ma 
défaite  et  à  la  spoliation  de  mes  possessions  ».  Une  décla- 
ration de  la  sorte  ap[myée  d'une  démonstration  militaire 
serait  du  meilleur  efl'et. 

La  première  moitié  de  juin  s'écoula  sans  incident  :  le 
Roi  était  toujours  dans  son  camp  de  Kunzendorf  et  en 
correspondance  suivie  avec  son  frère  Henri,  le  prince 
Eugène  de  Wurtemberg  et  le  général  von  dcr  (ioltz,  mais 
d'autant  moins  renseigné  sur  les  intentions  des  Russes  que 
Tottlehen  (2),  soit  difficulté  de  moyens  de  transmission, 
soit  ignorance,  tardait  à  envoyer  des  avis.  A  défaut  do 
renseignements  Frédéric  est  contraint  de  traiter  par  des 
hypothèses  qu'il  se  réserve  de  confirmer  le  cas  échéant. 
Il  est  porté  (3)  à  croire  que  l'offensive  des  Russes  commen- 
cera par  une  entreprise  contre  Colherg,  tandis  que  leur 


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lie 


(1)  Frédéric  i\  Rexin,  Kunzendorr,  3  juin  17GI.    Corr.  Polit.,  XX,  p.   435. 

(2)  Dans  une  lettre  au  j)rinco  de  Wurleinbers,  le  Roi  confie   à  celui-ci  les 
moyens  de  communiquer  avec  Tottleben. 

(3)  Frédéric  à  Henri,   Wurtemberg  et  Goltz.  Kunzendorf,  t9  juin   1761. 
Corr.  Polit.,  XX,  p.  46i. 


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il 


22'i 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VI». 


armée  principale  qui  s'assemble  î\  ï*oscn,  marcherait 
sur  Crosseu.  Enfin  le  20  juin,  arrivent  les  inlormations 
attendues  de  Tottleben.  Frédéric  prend  ses  dispositions, 
conformément  à  un  projet  préparé  par  Goltz,  il  lui  expé- 
die un  gros  détachement  de  8  bataillons  (1),  18  esca- 
drons, un  régiment  de  dragons  et  un  parc  d'artillerie  qui 
le  rejoindra  le  2V  à  Glogau.  Deux  jours  après,  Goltz  ainsi 
renforcé  marchera  sur  Butturlin  qui  n'a  avec  lui  qu'une 
vingtaine  de  bataillons.  «  Si  cette  entreprise  (2)  est  se- 
condée par  la  fortui)  elle  fera  perdre  par  là  leur  maga- 
sin là-bas  et  dérangera  leur  plan  pour  un  temps  de  six  se- 
maines. . .  peut-être  par  ce  moyen  nous  gagnerons  tout  le 
mois  de  juillet.  » 

A  ce  moment,  le  Roi  avait  déjà  perdu  une  bonne  partie 
de  ses  illusions  sur  l'armistice  général  qui  suivrait  un  ar- 
rangement entre  l'Angleterre  et  la  France  ;  il  lut  exas- 
péré par  une  ([uestion  de  Pitt  sur  l'étendue  des  sacrifices 
qu'il  pourrait  consentir  pour  la  paix.  N'en  voulant  faire 
aucun,  il  n'y  avait  d'autre  parti  que  de  continuer  la  lutte 
et  d'avoir  raison  successivement  des  nombreux  adversaires 
qui  l'entouraient.  Du  côté  de  Colberg,  Romanzow  avec 
12.000  hommes  était  en  marche  sur  la  ville  et  le  camp  i-e- 
tranché  ([u'avait  formé  le  prince  de  Wurtemberg.  Ce 
dernier,  en  correspondance  constante  avec  Tottleben  et 
averti  par  lui  des  mouvements  russes,  aurait  voulu  atta- 
quer Romanzow,  mais  n'en  put  obtenir  l'autorisation  ; 
en  attendant,  il  transmit  au  Roi  un  billet  du  traître  (3) 
annonçant  que  le  projet  de  la  cour  de  P?tersbourg  était 
encore  modifié,  que  Butturlin  avait  rcyu  ordre  de  marcher 
tout  droit  vers  Rreslau,  et  qu'il  avait  rappelé  au  quartier 
général  sa  division,  à  lui  Tottleben,  après  avoir  renforcé 
Romanzow  de  3  légiments. 

(1)  Le  Roi  compte  ces  bataillons  à   l'effeclit  de  700  homincs. 

(2)  Frédéric  à  Henri,  Knnzendorf,  T.*.  juin  17C1.  Gflrr.  Polil.,  XX,  p.  476. 

(3)  TolUcben  à  Frédéric,  Schivdbein,  23  juin  1 176.  Corr,  Polit.,  XX,  p.  492. 


RÉPARTITION  DE  L'ARMEE  AUTRICHIENNE. 


'223 


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En  Saxe,  Montazet  avait  rallié  le  7  juin  le  quartier  gé- 
néral de  Daun  à  Dresde;  deux  jours  après,  il  faisait  son 
rapport  (1)  il  Choiseul;  tout  y  est  aussi  tranquille  qu'il 
l'avait  imaginé  ;  la  cavalerie  est  encore  dans  ses  canton- 
nements; Daun  a  de  VO  à  V5.000  hommes  avec  lui;  O'Don- 
nell  est  à  Zittau  avec  15  {\  20.000;  Laudon  en  a  50.000  (2) 
pour  le  moins  A  opposer  à,  l'armée  du  Roi  qui,  y  compris 
le  corps  de  Goltz,  en  compte  à  peu  près  autant;  le  prince 
Henri  n'a  pas  un  ciicctif  supérieur  k  .'10  ou  35.000  com- 
battants. L'attaché  français  ne  prévoit  pas  le  début  des 
hostilités  avant  le  15  ou  20  juillet 

Revenons  maintenant  à  la  Silésie  :  A  la  veille  du  jour 
de  son  départ  pour  l'expédition  vei*s  Posen,  (loltz  était 
tombé  gravement  malade  d'une  lièvre  qui  l'emportait 
en  3  jours;  de  suite  Zieten  le  remplaçait  et  aussitôt 
connu,  le  changement  du  plan  russe  était  porté  par  le 
Roi  à  la  connaissance  des  intéressés. 

En  parcourant  les  dépêches  échangées  entre  Frédéric 
et  ses  lieutenant; ,  on  se  rend  compte  que  celui-ci  avait 
été  bien  renseigné  sur  les  fluctuations  des  projets  de  ses 
adversaires.  Caramelli  avait  été  chargé  de  proposer  k 
l'élat-major  russe  un  plan  d'après  lequel  le  point  de 
jonction  des  Russes  avec  Laudon  serait  fixé  non  plus  dans 
la  Haute-Silésie,  mais  à  Crossen  sur  l'Oder;  le  général 
O'Donnell  avec  20.000  hommes  irait  à  leur  rencontre  et 
se  joindrait  à  eux  pour  une  marche  eu  commim  sur 
Francfort  et  Berlin.  Comme  variante,  il  fut  question 
d'une  action  indépendante  de  Butturlin,  tandis  qu'un 
corps  de  20  à  25.000  Russes  s'unirait  aux  Autrichiens  de 
Laudon.  Les  idées  défendues  par  Caranielli  furent  repous- 
sées le  19  juin  dans  un  conseil  de  guerre  des  généraux 


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|G. 


(1)  Monlaztil  à  ('li()iscul,,Drestle,  9  juin  17(il.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Au  1  "  juin,  sou  effectif  était  de  50  bataillons,  7>  .ompagnies  de  gre- 
nadiers et  80  escadrons.  Janko,  London's  l.chen,  Vienne,  1869. 


Il 


I   ( 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  (IIAP.  VU. 


russos  (1)  qui  revint  au  projet  primitif  de  Butturlin  de 
marcher  sur  lireslau.  Un  rescrit  impérial  (2)  mit  Laudon 
au  courant  des  hésitalions  moscovites  :  «  Vous  vous  ren- 
dez compte  que  tout  le  souci  du  commandement  russe 

consiste  à  esquiver  une   bataille  sérieuse le  général 

Caramelli  recevra  communication  confîdenlicUe  de  leurs 
projets.  »  La  cour  demandait  à  Laudon  si  avec  un  ren- 
fort de  15  à  20.000  hommes,  il  se  trouverait  en  état  de 
risquer  une  bataille  avec  le  Roi,  ((  étant  bien  entendu 
que  'OUtes  entreprises  de  guerre  sont  douteuses  et  que 
personne  ne  peut  garantir  leur  issue  », 

Laudon  était  entré  en  rapports  directs  avec  Butturlin  ; 
il  avait  insisté  pour  la  jonction  des  deux  armées,  avait 
engagé  les  Russes  à  se  diriger  sur  iMilitsch,  tandis  que 
lui  se  posterait  à  portée  de  l'Oder;  cette  double  opéra- 
tion amènerait  probablement  le  Roi  à  quitter  son  camp 
de  Kunzendorf,  à  rappeler  Goltz  à  lui  et  à  se  mettre  à 
cheval  sur  l'Oder  dans  les  environs  de  Breslau.  La  jonc- 
tion des  deux  armées  alliées  pourrait  s'efl'ectuer,  selon 
les  manœuvres  du  Roi,  soit  près  de  Breslau,  soit  près  de 
Brieg  et  Schargast,  Butturlin  accepta  en  principe  ces  pro- 
positions, mais  ne  s'y  conforma  guère.  Dans  une  lettre 
à  Kaunitz  du  18  juillet,  Laudon  (3)  se  plaint  amèrement 
de  l'indécision  du  général  russe  qui  annonce  la  marche 
de  son  armée  le  long'  de  la  frontière  polonaise  sur  War- 
temberg,  entraînant  par  son  allongement  une  perte  de 
()  à  8  jours,  et  ([ui  pose  à  nouveau  des  questions  déjà  ré- 
solues; il  est  persuadé  que  l'état-major  russe  reçoit  des 
insrrdctio"«  secrètes  et  qu'il  n'y  a  rien  à  espérer  de  leur 
coopération.  Au  dire  de  l'adjudant  du  g-énéral  Caramelli, 
le  g-énéral  en  chef  russe  a  reçu  de  sa  souveraine  l'ordre 
de  se  retrancher  en  toute  occasion  en  même  temps  que  le 

(1)  Scliaeter,  vol.  II,  :>,  p.  2'^9. 

(.>)  Cabinet  Schreiben  à  Laudon,    10  juin   1761.  Arcliives  de   Vienne. 

(3)  Lellrt'  citée  par  Janko,  p.  '237. 


INDÉCISION"  DE  BUTTURLIN. 


225 


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de 
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souhait  de  voir  rentrer  ses  troupes  intactes  <lans  leur 
patrie.  Butturlin  est  aussi  irrésolu  que  son  prédécesseur 
Soltikoff;  il  ne  fait  rien  sans  consulter  ses  lieutenants, 
Panin  et  Czernitchew,  dont  le  premier  est  très  opposé 
à  la  cause  de  l'alliance.  La  plupart  des  Russes  vou- 
draient que  le  passage  de  l'Oder  fût  précédé  d'une 
bataille  entre  les  Autrichiens  et  le  Roi  et  en  cas  de 
défaite  des  premiers,  ils  se  retireraient  le  plus  vite  pos- 
sible derrière  la  Vistule. 

La  marche  de  Butturlin  sur  Breslau  parait  avoir  tranché 
définitivement  le  choix  du  général  qui  commanderait  l'ar- 
mée autrichienne  de  la  Silésic.  Le  décret  impérial  (1)  tout 
en  exprimant  les  regrets  de  l'Impératrice  de  ne  pas  profi- 
ter de  l'expérience  de  Daun,  considérait  qu'après  la  con- 
duite extraordinaire  de  l'état-major  russe,  elle  ne  pouvait 
infliger  au  leld-maréchal  le  fardeau  du  commandement 
en  Silésie,  d'ailleurs  le  bien  du  service  imposait  son 
maintien  en  Saxe  et  dans  ces  conditions  rien  ne  serait 
changé  à  ce  qui  avait  été  décidé  pour  la  Silésie. 

Cette  parenthèse  fermée,  reprenons  notre  récit  des  opé- 
rations. Le  i"""  juillet,  Zieten  prit  la  direction  effective  des 
ti».000  hommes  dont  se  composait  le  corps  renforcé  de 

>)tz  ;  il  prit  le  contact  avec  une  des  divisions  de  Butturlin 
vr  3  de  Kosten,  où  il  s'établit  après  en  avoir  chassé  les 
Rusijes.  Avisé  du  voisinage  de  Zieten,  Butturlin  avait  ras- 
semblé ses  'i.  divisions  et  avait  poursuivi  sa  route  avec  len- 
teur; le  1.')  juillet,  il  franchit  la  frontière  silésiennc  et 
campa  à  Militsch  sur  la  Bartsch.  De  son  côté,  Laudon  n'é- 
tait pas  resté  inactif,  il  avait  poussé  en  avant  Brentano 
sur  sa  gauche  et  anis  en  mouvement  la  division  Bethlem 
dans  la  Haute-Silésie.  Frédéric  ainsi  averti  que  les  alliés 
préparaient  leur  jonction  entre  Breslau  et  Meisse,  quitta 
la  position  qu'il  avait  si  longtemps  occupée  A  Kunzontloif 


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(1)  Cabinet  Schreihei»  à  Daun,  3  juillel  1701.  Archives  de  Vienne. 
GUKiiiii;  m;  si:i't  ans.  —  r.  v.  15 


226  LA  GUEKllE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  Vil. 

et  se  transporta  à  Pilzcn  à  l'ouest  de  Schweidnitz;  de  là 
il.  pouvait  se  porter,  selon  les  événements,  soit  vers 
Franckenstein  et  Neisse,  soit  vers  Breslau.  Il  appela  sur 
cette  dernière  ville  le  corps  de  Zieten. 

D'après  le  rapport  de  l'attaché  militaire  français  Mon- 
trozard,  qui  venait  de  rallier  le  quartier  général  de  Lau- 
don  à  Braunau,  les  troupes  autrichiennes  s'étendaient  (1) 
«  depuis  la  Neisse  jusqu'aux  Riesen  Gehirge,  c'est-à-dire 
le  général  Bethlem  sur  la  Neisse  avec  un  corps  de  cava- 
lerie et  quelques  croates  pour  tenir  en  respect  la  ,yarni- 
son  de  Neisse,  le  général  Dra^kovitz  à  la  gorge  de  Wartha 
avec  14  bataillons,  le  marquis  Boiià  à  celle  de  Silberberg 
avec  quelques  bataillons,  le  général  Wolfersdorf  à  la 
trouée  du  Giersdorfen  en  Bohême,  le  gros  de  l'armée 
campé  sur  les  hauteurs  de  Ditterbach  faisant  face  à  la 
trouée  de  Friedland,  le  camp  fortifié  de  redoutes  et  ap- 
puyé à  ses  deux  ailes  par  des  bois  qu'on  ne  peut  tourner 
que  par  le  côté  de  Giersdorf  que  ferment  les  IV  bataillons 
de  Wolfersdorf,  et  enfin  les  deux  régiments  de  cavalerie  et 
un  bataillon  de  croates  à  Trautenau  aux  ordres  du  général 
Dargenteau  dont  les  postes  gardent  l'entrée  en  Bohème 
depuis  Guldessé  Elde  jusqu'à  Schwartzthal,  La  masse  de 
tous  ces  corps  se  monte  à  62  bataillons  et  80  escadrons. 
Le  Roi  est  de  son  côté  à  Kunzendorf  établi  dans  la  mon- 
tagne dont  il  garde  tous  les  passages  en  Silésie  ». 

Vers  le  commencement  de  juillet,  les  ordres  de  la  cour 
de  Vienne  de  renforcer  l'armée  de  Laudoi  avaient  été 
exécutés.  Les  ;J0.000  hommes  d'O'Donneil  et  Sincère  par- 
tirent de  Zittau  le  9  juillet  sous  les  ordres  de  Macquire 
qui  remplaçait  ces  deux  généraux  plus  anciens  de  grade 
que  Laudon.  L'arrivée  de  ce  gros  renfort  porta  les  effec- 
tifs de  ce  dernier  au  total  de  70.000.  Le  jeune  général 


(l)  Montrozard  à  Choiseul,  Hrauiiau,  26  juillet  1761.  Archives  des  Affaires 
Étrangères. 


CIRCOiNSPECTlOJN  DES  GÉNÉRAUX  AUTRICHIEINS. 


227 


mal  vu,  comme  nous  l'avons  dit,  de  ses  collègues  (l)jalou\ 
d'un  avancement  trop  rapide  à  leurs  yeux,  était  très 
populaire  parmi  les  soldats  qui  accueillirent  l'ordre  de 
marche  avec  des  cris  de  joie. 

A  son  camp  de  Pilzen,  Frédéric  apprit  l'arrestation  de 
Tottleben,  dont  les  imprudences  avaient  enfin  ouvert  les 
yeux  de  ses  chefs  sur  ses  procédés;  privé  des  rensei- 
gnements habituels,  il  fut  pendant  quelques  jours  très 
incertain  sar  la  direction  que  prendrait  l'armée  russe.  Il 
savait  que  le  corps  d'O'Donnell  avait  quitté  Zittau  et  qu'il 
rejoindrait  Laudon  vers  le  14  juillet  ;  la  jonction  ellectuée, 
il  pensait  que  les  Autrichiens  se  porteraient  en  Ilaute-Si- 
lésie  à  rencontre  de  Butturlin,  mais  il  ne  pouvait  laisser 
Breslauà  découvert.  Pour  parer  au  danger  de  ce  côté,  le 
général  Knobloch  fut  envoyé  avec  une  partie  du  corps  de 
Zieten  prendre  position  près  de  la  capitale  de  la  Silésie. 
Le  Roi  prévoyait  le  cas  où  il  serait  obligé  d'alier  de  sa 
personne  en  Haute-Silésie  et  où  Daun  profiterait  de  son 
absence  pour  faire  une  pointe  sur  (iorlitz,  Liegnitz  et 
Breslau.  Le  prince  Henri  devrait  nécessairement  suivre  le 
feld-maréchal.  «  Vous  ne  me  trouverez  pas  probablement, 
écrit-il (2),  dans  ces  contrées  à  voire  arrivée,  mais  toutes  ces 
circonstances  me  font  voir  qu'il  faudra  que  je  me  hâte  de 
décider  les  affaires  en  Haute-Silésic  pour  être  à  portée 
de  vous  renforcer  et  de  secourir  la  basse.  »  Le  14,  les 
nouvelles  de  Saxe  furent  plus  rassurantes,  Daun  n'avait 
pas  bougé,  et  Laudon  n'avait  rien  entrepris  juscju'alors. 
«  Vous  m'avouerez,  écrit  Frédéric  (3),  qu'il  est  surprenant 
de  leur  voir  perdre  leur  temps  et  agir  avec  si  peu  de  vi- 
vacité. » 

Les  nouvelles  des  Russes  n'étaient  pas  de  nature  à  faire 
craindre  un  prompt  début  de  campagne  :   Le  gros  de 


(i)  Schoefer,  vol.  II,  2,  p.  231. 

(2)  Frédéric  à  Henri,  Pilzen,  12  juillet  1761.  Corr.  Polit.,  XX,  p.  528. 

(3)  Frédéric  à  Henri,  Pilzen,  10  juillet  1761.  Corr.  Polit.,  XX,  p.  534. 


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228 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VII. 


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l'armée  de  Butturlin  lonj^eait  à  marches  lentes  la  fron- 
tière de  la  F*ologne  ;  son  avant-garde  était  parvenue  à 
Namslau  et  ses  cosaques  se  rencontraient  avec  les  pan- 
dours  du  corps  de  Bethleni  dans  les  environs  d'Oppeln  où 
le  général  russe  se  proposait  de  passer  l'Oder  et  appelait 
Laudon  à  sa  rencontre,  rencontre  pour  laquelle  l'état- 
major  russe  ne  montrait  pas  grand  empressement.  «  Plus 
les  armées  semblent  s'approcher,  écrit  l'attaché  français 
Ménager  1),  et  moins  je  crois  les  Russes  disposés  à  la 
jonction  »,  les  préférences  du  généralissime  seraient  pour 
une  campagne  on  Poméranie  plutôt  qu'en  Silésie.  Aussi- 
tôt rejoint  par  les  renforts  venus  de  Zittau,  Laudon  se  mit 
en  mouvement  et  sortit  des  montagnes  où  il  était  resté 
jusque-là.  Le  19  il  avait  quitté  Dittersdorf,  le  26  il  était  à 
Skoltz,  cherchant  à  couper  au  Roi  la  route  de  Neisse. 

Quant  à  Daun,  il  s'était  borné  à  porter  Lascy  avec  12  à 
15.000  hommes  à  Grosshagen  sur  la  rive  droite  de  lElbe 
pour  surveiller  le  prince  Henri  et  pour  rempôclier  d'en- 
voyer des  renforts  au  Roi.  «  Daun,  écrit  Montazet  (2),  a 
ordre  de  sa  cour  d'observer  simplement  M.  le  prince 
Henri  et  de  détacher  des  troupes  de  son  armée  à  propor- 
tion et  supposé  que  ce  prince  envoie  des  secours  à  son 
frère...  Le  roi  de  Prusse  a  dû  ignorer  le  plan  qu'a  fait  la 
cour  de  Vienne  de  mettre  de  côté  tous  ses  anciens  géné- 
raux à  commencer  par  iM.  le  maréchal  Daun,  pour  faire 
agir  seul  M.  de  Laudon  et  lui  faire  prendre  la  Silésie... 
je  crains  bien  qu'il  n'en  résulte  que  (|uelques  épigrammes 
du  roi  de  Prusse  et  une  haine  bien  conditionnée  entre 
M.  le  maréchal  Daun  et  M.  de  Kaunitz.  » 

Les  mouvements  des  Autrichiens  attirèrent  l'attention 
de  Frédéric,  il  leva  son  camp  de  Pilzen  dans  la  nuit  du 
21  au  22,  trompa  Laudon  sur  ses  intentions  en  profitant 
des  accidents  du  terrain  et  de  la  plnie,  et  prit  position  le 

(1)  Ménager  à  Choiseul,  Warlcmberg,  21  juillet  1761.  Arcli.  de  la  Guerre. 

(2)  Monlazet  à  Choiseul,  22  et  23  juillet,  camp  sous  Dresde.  Arcli.  Guerre. 


îf:  \\ 


FRÉDÉRIC  SURVEILLE  LAUDON. 


229 


23près  du  Miinsterberg;  il  y  avait  devancé  reiinenii  qui 
venait  d'y  faire  tracer  son  camp  :  «  Nous  sommes,  écrit-il 
au  prince  Ferdinand  (1)  en  le  félicitant  du  succès  de 
Villinghausen,  à  présent  en  marche,  afin  de  passer  la 
Neisse,  au  cas  que  Laudon  la  passe  pour  entrer  en  Haute- 
vSilésie,  dans  le  dessein  de  se  joindre  là  aux  Uusses.  » 
Prédéric  évaluait  (2)  les  forces  respectives  en  Silésie  aux 
chiffres  suivants  :  «  L'armée  de  Laudon  est  forte  de 
G6.000  hommes,  celle  des  Uuf'îs  y  compris  les  troupes 
légères  font  a'i^.OOO,  ce  qui  fait  ensemble  120.000  hommes. 
Mon  armée  et  le  corps  de  Zieten  ne  font  que  59.000  com- 
battants. Le  projet  de  l'ennemi  est  de  se  joindre  dans  la 
Haute-Silésie.  Les  Russes  veulent  passer  l'Oder  à  Oppeln; 
Laudon  vent  marcher  à  Neustadt  pour  se  joindre  à  eux. 
Il  faut  que  je  m'oppose  à  cette  jonction  parce  que  je  ne 
suis  pas  en  force  de  résister  à  tous  deux.  Je  me  prépare 
donc  de  combattre  Laudon  en  chemin  avec  toutes  mes 
forces.  »  Le  20,  le  gros  des  Autrichiens  s'établit  près  de 
Franckenstein.  Brentano  restait  sur  les  hauteurs  de  Stolze 
et  Bethlem  renforcé  était  à  portée  de  l'Oder  et  du  lieu  de 
passage  présumé  des  Russes.  Frédéric  décida  de  se  porter 
sur  Neustadt  où  il  espérait  battre  Draskowich  et  Bethlem 
avant  que  Laudon  pût  venir  à  leur  secours;  toutes  les 
instructions  furent  données  au  gouverneur  de  Neisse  pour 
le  cas  d'une  bataille  possible  dans  les  environs  de  cette 
place.  Cette  tentative  n'aboutit  qu'aune  série  de  marches 
et  contremarches  sans  résultats  sérieux.  Draskowich  se 
déroba  en  reculant  à  Jiigerdorf  derrière  l'Oppa.  Zieten 
qui  avait  rejoint  le  Roi  occupa  Neustadt,  puis  après  avoir 
suivi  Draskowich  dans  sa  retraite,  revint  à  son  point  de  dé- 
part; l'armée  royale  en  fit  autant.  Laudon  qui  de  son  côté 


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fre. 
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(1)  Frédéric  à  Ferdinand,  Gicsmannsdorr,  2:5  juillet  17(51.  Corr.   Polit., 
XX,  p.  553. 

(2)  Frédéric  ;i  Henri,  Giesrnannsdorf,  28  juillet  1761.   Cvr.   Tolit.,   XX, 
p.  570, 


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930 


LA  (ÎUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


avait  ropris  son  campdoPatschkan  sur  la  Neissc,  reconnut 
le  !"■  aoiU  la  position  du  lloi,  la  trouva  trop  forte  pour  une 
attaque  et  après  un  court  sojour  retourna  à  Frankcnstein. 

Une  lettre  de  Frédéiic  (1)  met  son  frère  au  courant  : 
Il  a  dirigé  Zieten  sur  .Ifigerndorf  pour  repousser  de  nou- 
veau Draskowich,  «  l'armée  russe  est  encore  à  Namslau 
avec  une  avant-garde  h  Oppein,  mes  hussards  ont  balayé 
tous  les  cùtés  de  l'Oder  depuis  Oppein  et  Krappetz  des 
Russes  ».  I^audon  est  campé  entre  Patschkan  et  Keichen- 
stein,  «  lo  projet  des  Autrichiens  et  des  Russes  sur  la 
Haute-Silésie  est  coniph  lement  manqué  ».  Le  rapport  de 
Montrozard  (2)  daté  de  Patschkan  donne  à  peu  près  les 
mômes  renseignements  :  «  Rrentano  à  Hertzogwalde  de 
l'autre  cùté  de  la  Neisse,  Laudon  à  Patschkan,  Draskowich 
replié  jusqu'à  Jilgernsdorf;  le  Roi  a  repassé  la  Neisse  et 
repris  son  ancien  camp  entre  Giesmannsdorf  et  Voitz,  les 
Russes  sont  toujours  à  Namslau,  ils  font  5  milles  (35  kilo- 
mètres) en  3  jours  et  l'ennemi  en  un  ». 

Si  le  rideau  de  croates  et  do  uhlans  dont  se  couvraient 
les  .\utrichiens  pour  masciuer  leurs  mouvements  rendait 
fort  difficile  le  service  de  renseignements  de  l'armée 
royale,  de  son  cùté  Laudon  faute  de  communications  avec 
Rutturlin  était  très  mal  informé  sur  les  intentions  de  ce 
dernier  ;  il  savait  seulement  que  son  quartier  général  était 
à  Namslau  le  27  juillet,  mais  il  ignorait  les  progrès  qu'il 
avait  pu  faire  depuis  cette  date.  Ce  ne  fut  que  le  8  août 
qu'il  apprit  de  source  sure  que  la  grande  armée  russe 
s'approchait  de  Leubus  sur  l'Oder.  Kntre  temps,  Frédéric 
sur  la  nouvelle  reçue  le  4  août  que  les  éclaireursde  Czerni- 
tchew  s'étaient  montrés  devant  les  faubourgs  de  Breslau,  y 
détacha  le  corps  de  Knobioch  et  se  porta  lui-même  avec 
la  principale  fraction  de  ses  troupes  à  Strehlen  sur  l'Ohlau 


(1)  Frédéric  à  Henri,  OppersdorF,  3  août  1761.  Corresp.  Polit.,  XX,  j).  583. 

(2)  Montrozard  à  Choiseul,  Patschkan,   2  et  4  août  17C1.  Affaires  Élran- 
ères. 


II.Î 


LÀUDON  SE  UAPPROCIIE  l)K  IJIJTTURLIN. 


asi 


où  il  espérait  rencontrer  Laudon  et  le  combattro.  Il  n'y 
trouva  que  quelques  coureurs  ennemis,  mais  dans  l'incer- 
titude il  y  resta  jusqu'au  10.  A  la  date  du  6  aoiU,  de  son 
quartier  général  de  Strchlcn  voici  comment  il  décrit  (1) 
la  situation.  «  l*our  vous  donner  une  idée  des  positions  pré- 
sentes, représentez- vous  I.audon  entre  Silberherg"  et  War- 
tlia,  les  Uussesà  Ilundsfeld  (au  noi'd  de  lireslau)  et  mon  ar- 
mée à  Strehlen;  j'ai  aussi  loin  de  Breslau  que  de  Neisse  ; 
toutes  les  forteresses  ne  sont  do  moi  éloignées  que  d'une 
marche.  )>  Grâce  à  des  reconnaissances  multipliées,  Frédé- 
ric sut  enfin  que  la  grande  armée  russe,  après  un  séjour  à 
Namslau,  était  allée  le  5  août  à  Ilundsfeld  dans  la  banlieue 
de  Breslau  et  de  là  avait  gagné  les  hauteurs  de  Trebnitz; 
son  arrière-garde  avait  été  suivie  par  les  forces  réunies  de 
Knobloch  et  de  Tauenzien,  le  gouverneur  de  Breslau.  De- 
puis lors,  p'usde  nouvelles  ;  tout  le  pays  à  l'est  de  l'Oder 
avait  était  pillé  et  ravagé  par  les  cosaques.  Le  Uoi  croyait 
déjà  à  la  retraite  des  Russes  sur  Posen  et  se  flattait  de 
contribuer  à  ce  recul  en  envoyant  le  général  Plateu  (2) 
avec  un  corps  de  16  bataillons  et  25  escadrons  détruire 
leurs  magasins  du  côté  de  Posen.  Sur  ces  entrefaites,  il 
apprit  que  Laudon  avec  le  gros  de  son  armée  s'était  éta- 
bli dans  la  position  de  Kunzendoif,  que  lui-même  avait 
tenue  si  longtemps  au  printemps.  Laudon  en  efi'et,  dans  le 
but  de  se  rapprocher  de  Butturlin  dont  il  venait  d'appren- 
dre l'arrivée  sur  l'Oder,  avait  gagné  le  8  août  les  hauteurs 
de  Bogendorf  près  de  Schweidnitz  ;  deux  de  ses  divisions 
avaient  occupé  Striegau  et  llohenfriedberg  et  un  détache- 
ment de  hussards  avait  été  poussé  sur  Leubus  pour  pren- 
dre contact  avec  les  Russes.  Knfiti,  le  général  Beck  qui 
était  depuis  longtemps  à  Zittau  avait  re(,'U  Tordre  d'avancer 
jusqu'à Goldberg  et  Parchwitz  pour  couvrir  l'approche  des 

(1)  Frédéric  à  Henri,  Strelilen,  0  août  1761.  Corr.  Polit.,  XX,  p.  586. 

(2)  Frédéric  au  prince  Eugène  de  Wiirteinlierg,  secret.  Strelilen,  7  août  17C-. 
Corr.  Polit.,  XX,  p.  588. 


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232 


l-A  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  VII. 


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Kusses.  Frédéric,  de  son  cAté,  averti  par  le  /ïi'ouverneur  de 
Schweidnitz  des  mouvements  des  Autrichiens,  se  décide  à  les 
suivre  (1).  «  L'ennemi  a  fait  tant  de  marches  et  de  contre- 
marches que  nous  voici  à  Wahlstatt  avec  une  partie  de 
l'armée.  Laudon  est  entre  Br»gendorf  et  Freiburg,  ayant  des 
postes  à  Striegau  ;  j'ai  marché  de  Strehien  à  Langer-Cauth 
où  j'appris  que  les  Kusses  faisaient  un  pont  à  Auras.  On  les 
a  empêchés  de  s'en  servir.  Ils  en  ont  fait  un  à  Leubus,  ce 
que  la  situation  des  lieux  m'a  obligé  de  souffrir.  Ils  ont  passé 
k  Parchwitz.  J'ai  pris  avec  l'armée  le  camp  de  Loking  pour 
empêcher  la  jonction  et  j'ai  observé  les  Russes  d'un  autre 
cAté,  Hier  ils  ont  voulu  se  joindre.  »  F^e  Roi  fait  ici  un  récit 
fort  à  son  avantage  du  combat  qui  eut  lieu  le  15  aoiU  entre 
la  cavalerie  prussienne  et  celles  des  alliés.  Il  ajoute  : 
«  Le  camp  russe  est  à  un  demi-mille  devant  mon  front, 
leurs  troupes  régulières  d'infanterie  font  à  peu  près 
20.000  hommes,  ils  campent  sur  une  ligne,  mais  derrière 
un  défilé  et  une  palissade  de  canons,  de  sorte  que  je  ne 
pense  pas  à  les  attaquer,  mais  à  les  incommoder.  » 

Pour  l'occupation  des  hauteurs  de  Wahlstatt,  il  y  avait 
eu  entre  les  deux  partis  lutte  de  vitesse,  Montrozard  la 
décrit  dans  les  termes  suivants  (2)  :  «  M.  de  Laudon  ne  prit 
cependant  point  le  change  aux  manœuvres  de  l'enuemi, 
il  fit  marcher  sa  réserve  et  les  corps  détachés  sur  le  che- 
min de  Hohenfriedberg;  mais  le  tout  s'arrêta  à  Teichau 
et  hier  15  au  matin,  l'ennemi  ayant  développé  son  vrai 
dessein,  M.  de  Laudon  prit  avec  lui  tous  les  carabiniers 
et  grenadiers  à  cheval  de  la  réserve  avec  les  k  régiments 
du  corps  détaché,  et  prit  la  route  de  Wahlstatt  pour 
joindre  les  Russes;  on  côtoya  pendant  toute  la  marche' 
l'armée  du  Roi,  et  nous  arrivâmes  à  midi  sur  les  hauteurs 
de  Walhstatt;  nous  les  trouvâmes  occupées  par  des  co- 
saques et  quelques  troupes  légères  ;  toute  l'armée  russe  qui 


(1)  Frédéric  à  Henri,  WahIstaU,  leaoïH  1761  Corr.  Polit.,  XX,  p.  600. 
{2)  Montrozard  à  Choiscul,  Striegau,  16  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


LAUDON  OPi;ilE  SA  JONCTION  AVEC  LAIIMÉK  UUSSE.        233 

venait  de  Parchwitz  était  en  bataille,  la  gauche  sur  les 
hauteurs  de  Kunzendorf  appuyée  à  la  Leisbach  et  la  droite 
au  village  de  Tenschel.  Comme  la  tùte  de  l'armée  du  Koi 
arrivait  seulement  aux  hauteurs  de  Nicolstatt,  M.  de  Lau- 
don  vit  ([u'il  était  encore  temps  de  prévenir  l'ennemi  aux 
hauteurs  de  Wahistatt;  c'est  pourquoi  il  s'en  fut  droit 
à  M.  le  maréchal  Butturlin  pour  lui  représenter  l'impor- 
tance du  poste,  et  lui  demander  3  bataillons  pour  les  oc- 
cuper, la  cavalerie  impériale  arrivant  à  temps  pour  les 
y  seconder.  Mais  ce  général  ne  jugea  pas  à  propos  de 
rien  détacher:  il  y  envoya  seulement  quelques  pièces 
de  canon  sans  troupes  pour  en  imposer  à  l'ennemi  qui 
n'en  fut  pas  dupe.  Car  la  tête  de  l'armée  du  Roi  ne  voyant 
point  d'infanterie  devant  elle,  descendit  le  Spitzberg  et 
gagna  les  hauteurs  de  Wahistatt.  La  cavalerie  impériale 
n'étant  soutenue  d'aucune  infanterie  se  replia  et  joignit 
la  droite  de  l'armée  russe  à  laquelle  elle  était  destinée. 
Tout  cela  ne  s'est  pas  passé  sans  canonnade,  mais  d'aucun 
effet.  Toute  l'armée  <lu  Roi  joignit  ensuite  et  s'étendit  sur 
deux  lignes  sur  lesdites  hauteurs.  Elle  y  était  encore  hier 
à  3  heures  que  nous  quittiVmes  l'armée  russe.  Le  renfort 
de  cavalerie  laissé  à  ladite  armée  monte  à  GO  escadrons 
et  l'élite,  puisque  ce  sont  tous  les  carabiniers  et  grena- 
diers à  cheval  de  l'armée.  C'est  le  lieutenant-général 
comte  Martigni  qui  les  commande.  Pendant  ce  temps-là, 
les  grenadiers  de  la  réserve,  les  corps  de  Brentano  et 
d'Elrichausen  avaient  repris  leur  ancien  camp  près  de 
Striegau,  20  escadrons  de  la  gauche  de  l'armée  y  sont 
venus  remplacer  la  cavalerie  détachée  aux  Russes.  »  Le 
même  rapport  annonce  l'arrivée  à  Goldberg  du  général 
Beck  pour  servir  de  liaison  entre  les  armées  de  Saxe 
et  de  Silésie.  Mesnager  de  son  côté  rond  compte  des 
opérations  (1)  :  «  Les  Russes  ont  certainement  plus  fait 


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(1)  Mesnager  à  Choiseul,  Kosnilk,  17  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUEnilE  DE  SEPT  ANS.  —  ClIAP.  VII. 


qu'ils  ne  voulaient  et  (ju'ils  ne  se  croyaient  capables; 
leuv  drrnière  marche  se  peut  compter  dans  le  nombre 
des  [)liis  hardies  »;  il  fait  Vrlnge  de  la  rapiditr  des  ma- 
nœuvres du  roi  décrusse  ;  «  sacontenance  depnisdeux  jours 
nous  doit  aiuioucer  (piel(|U<'  yrand  événement.  Il  serait 
bien  triste,  Monseigneur,  (|ue  les  circonstances  empochas- 
sent M  de  l^audon  d'attaquer,  car  certainement  M.  de 
Butturlin  ne  le  fera  i)as  et  s'il  se  passe  encore  deux  jours 
de  tranquillité,  je  ne  voudrais  pas  répondre  de  la  per- 
sévéranco  des  lUisscs  qui  véritablciienl  vont  manquei* 
de  subs-otances  et  prendront  beaucoup  d'ombrage  de 
l'inaction  des  Autrichiens  ». 

I>'après  le  journal  de  l'armée  russe (1),  la  cavalerie 
sous  les  ordres  de  M.  de  Berg  se  serait  fort  distinguée 
dans  la  journée  du  1"».  «  Il  a  forcé  plusieurs  fois  les  es- 
cadrons ennemis  de  se  replier,  et  s'il  eût  été  soutenu 
par  l'infanterie,  jamais  le  Koi  n'eût  pu  faire  toutes  ses 
marches  et  contremarches.  »  L'arrivée  de  80  escadrons 
prussiens  allait  décider  la  retraite  des  Russes,  «  lors- 
qu'il arriva  un  officier  de  la  part  de  M.  de  Laudon  qui 
nous  apprit  que  ce  général  était  en  marche  avec  toute  sa 
réserve  d'infanterie  et  soixante  escadrons;  il  était  parti  de 
Striegau  pendant  la  nuit,  et  afin  de  faire  plus  de  diligence, 
il  a  mis  à  pied  quelques  compagnies  de  carabiniers  et  s'est 
servi  de  leurs  chevaux  en  relais  pour  le  canon;  les  Autri- 
chiens ont  marché  presque  à  même  hauteur  que  les 
Prussiens,  et  dans  lesditcs  plaines  se  sont  toujours  canon- 
nés,  mais  CCS  derniers  s'étant  emparés  d'une  hauteur  <|ue 
les  Russes  ont  négligé  près  de  l'abbaye  de  Waldstatt, 
ils  y  ont  établi  des  batteries  (|ui  ont  beaucoup  incom- 
modé iesdits  Autrichiens.  Lors(ju'il  a  été  (juestion  d'ar- 
rêter leur  tête  pour  que  M.  de  Laudon  pût  nous  joindre, 
à  peine  eut-il  présenté  sa  cavalerie  qu'il  dit  adieu  à  M.  le 

(i)  Jiuinal  de  l'année  russe,  15  août  17i>l.  Archives  de  la  Guerre. 


COMHAT   l)K  WAIILSTAIT. 


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maréchal  Uuttuilin,  et  avec  deux  escadrons  de  hussards, 
il  força  les  avant-postes  ennemis  et  doit  avoir  rejoint 
et  reconduit  dans  son  camp  l'infanterie,  j)uis<[u'elle  n'a  pu 
arriver  assez  iV  temps  pour  passer  de  notre  oAté;  il  nous 
a  été  impossible  de  rien  connaltie  aux  mouvements  des 
ennemis,  puis([u'ils  ont  poussé  leur  cavalerie  en  avant 
et  l'ont  tellement  farcie  de  canon  dans  les  intervalhîs 
qu'à  deux  heures  nos  troupes  légères  ont  plié  et  que 
nous  avons  fait  toutes  les  dispositions  nécessaires  pour 
bien  recevoir  l'eimemi  ;  en  attendant,  la  canonnade  a 
été  vive  de  part  et  d'autre  et  a  duré  jiis<|u'au  soir  ». 
Les  pertes  de  chacjue  c6té  no  furent  p.i->  lourdes.  Mes- 
nager  fait  l'éloge  de  la  discipline  ohscivée  dans  l'armée 
russe  :  «  Aujourd'hui  pendant  la  marche,  M.  le  maré- 
chal ayant  trouvé  trois  ofticiers  qui  pillaient,  il  les  a 
dégradés  et  sur-le-champ  ils  ont  été  faits  soldats;  hier 
il  y  en  eut  cin(i  ([ui  pour  la  mrme  cause  eurent  les 
(|uenouttes,  le  nez  et  les  oreilles  coupés.   » 

La  communication  directe  entre  Laudon  et  Hutturlin 
s'était  établie  V  jours  avant  le  cond)at  de  Wahlstatt;  dès 
le  11  aoilt  Laudon  avait  appris  de  Caramelli  attaché  au- 
trichien au  quartier  général  russe  que  le  corps  d'armée 
de  Czernitchew  avait  réellement  franchi  l'Oder  à  Leubus; 
il  envoya  aussitôt  le  général  Botta  pour  se  concerter  sur 
les  dispositions  ultérieures  et  pour  s'assurer  si  Hutturlin 
était  bien  décidé  à  suivre  son  lieutenant.  Une  explication 
franche  était  d'autant  plus  indispensable  que  Laudon 
n'osait  pas  abandonner  le  district  montagneux  par  lequel 
il  communiquait  avec  les  magasins  de  Bohème  et  de  Mo- 
ravie et  qui  lui  fournissait  ses  subsistances  et  celles  des 
i Busses.  Le  IV,  le  général  autrichien  eut  à  Liegnitz  une 
entrevue  avec  le  général  en  chef  russe;  ù  son  retour 
dans  la  soirée  il  apprit  que  les  Prussiens  avaient  ma- 
nœuvré toute  la  nuit  et  s'étaient  rapprochés  de  Bun- 
zehvitz  où  était  campé  le  margrave  Cari  avec  une  partie  de 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VII. 


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levv  armée;  il  en  avisa  aussitôt  le  maréchal  russe  et  le 
pria  de  marcher  sur  .latîer;  il  lui  donnait  sa  parole  d'hon- 
neur qu'il  viendrait  à  son  secours  sïl  était  attaqué  par 
Frédéric.  Les  Russes  qui  entre-temps  avaient  franchi 
l'Oder  et  rejoint  le  camp  de  Czernitchew  ne  voulurent  pas 
accepter  cette  proposition,  mais  ils  levèrent  Je  camp  de 
Daun  et  prirent  position  le  15  août  entre  Hunhern  et 
Kunzendorf.  Ce  fut  à  l'occasion  de  ce  mouvement  qu'eut 
lieu  le  combat  de  Wahlstatt.  Ce  même  15  août  Laudou 
soumit  à  son  collègue  les  projets  suivants  :  lui  envoyer  un 
renfort  de  20  à  25.000  pour  une  attaque  qu'il  dirigerait 
contre  la  position  prussienne  ou  'jurnir  le  môme  contin- 
gent pour  une  offensive  dans  le  cas  où  les  Russes  désire- 
raient s'en  charger  ou  combiner  avec  le  corps  de  Brentano 
un  mouvement  général  en  avant.  Le  mémoire  qui  accom- 
pagnait ces  projets  insistait  sur  l'avantage  d'attaquer 
l'armée  prussienne  sans  retard. 

Pour  entraîner  son  allié  qui  décidément  se  souciait 
peu  d'une  rencontre  .ivec  Frédéric,  I^audon  multiplia  les 
démarches,  il  renouvela  sa  visite  au  camp,  chercha  à 
gagner  le  Russe  à  son  avis  et  arracha  enfin  la  promesse 
d'un  mouvement  sur  Jaiier. 

Nous  trouvons  dans  le  rapport  de  Montrozard  (1)  la 
suite  des  événements  :  «  Sur  la  parole  que  les  Russes 
avaient  donnée  de  faire  la  marche  de  Jaiier,  M.  de  Laudon 
s'était  proposé  de  regagner  en  conséquence  le  Pitschen- 
berg  pour  couper  l'ennemi  de  Schweidnitj'.  Les  Russes 
partirent  en  effet  de  leur  camp  de  Klemervitz  !<,  10  h.  de  la 
nuit  du  18  au  19,  et  dirigèrent  leur  marche  sur  Hockirk  où 
ils  sont  encore.  M.  de  Laudon  avait  fait  plier  les  tentes  à 
son  armée  hier  de  grand  matin  et  poussé  l'avant-garde 
du  général  Rrentano  sur  les  hauteurs  en  avant  de  Jaiier 
pour  les  recevoir,  l'ennemi  ne  pouvait  pas  faire  la  moin- 

(1)  Montrozard  à  Clioiscul.  Froyburg  20,  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 


Il 


LES  RUSSES  SE   SOUCIENT  PEU  DUNE  RENCONTKE. 


237 


dre  opposition  à  la  jonction;  on  s'était  de  plus  chargé  du 
gros  bagage  des  Russes,  on  l'avait  fait  venii'  de  Leubus  à 
Leignitz  et  on  le  mettait  en  dépôt  sous  la  garde  du  corps 
de  Beck  et  de  5.000  des  leurs;  on  fournissait  le  pain  et  le 
prêt,  mais  cela  n'a  rien  décidé.  Nous  les  avons  attendus  en 
vain  jusqu'à  2  heures  de  l'après-dînc  que  l'ennemi 
marcha  sur  le  Pitschenberg  et  sur  Schweidnitz;  AI.  de 
Laudon  s'est  vu  oMigé  de  regagner  ses  subsistances  et  do 
se  replier  sur  Freyburg  sur  les  hauteurs  duquel  l'armée 
est  campée. 

«  L'avant-garde  de  Brentano  s'est  aussi  repliée  sur 
Ronstock  et  le  corps  de  Longinski  derrière  les  montagnes 
de  Striegau.  On  avait  détaché  3  bataillons  sur  llohen- 
friedberg  le  18,  qui  y  sont  encore.  A  l'égard  du  corps  de 
Janhus  fort  de  18  bataillons  campé  ci-devant  sur  les  mon- 
tagnes pour  couvrir  nos  vivres,  on  l'a  poussé  à  notre  ar- 
rivée sur  Hohengiersdorf. 

«    Pour   l'ennemi,    il   a   poussé    sa   marche    jusqu'à 
Schweidnitz  où  il  a  sa  gauche,   et   sa   droite  aux  hau 
teurs  de  Jauernick;  on  s'attend  que  cette  position  obligera 
l'armée  à  marcher  par  sa  droite  pour  regagner  le  camp 
de  Kunzendorf. 

«  L'ennemi  peut  avoir  aussi  fait  cette  marche  pour  re- 
gagner le  magasin  de  Schweidnitz,  celui  de  Broslau  pou- 
vant être  fort  avancé,  et  il  est  à  craindre  qu'il  n'aille 
ensuite  cherche!'  celui  de  Neisse  et  que,  vu  le  peu  de 
concert  des  alliés,  il  ne  se  promène  pendant  toute  la  cam- 
pagne entre  se'j  places,  et  qu'on  ne  voie  ainsi  s'évanouir 
les  grandes  espérances  ({u'on  avait  eu  droit  d'établir  sur 
les  forces  de  deux  armées  aussi  considérables.  Le  général 
Draskovitz  est  toujours  à  Wartha  avec  \ï  bataillons.  » 

Le  17,  le  gros  des  Autrichiens  était  en  position  à 
.laiier  (1);  l'abbaye  de  Wahlstattque  les  belligérants  sem- 


I 


Il  ■ 

II 


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(1)  Ce  résumé  est  emprunté   a.i  Journal  de  l'armée  russe  tenu  par  Mes- 
nager.  Archives  de  la  Guerre. 


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238 


LA  GUERRE  DE  SEPT  A^S.  —  CHAP.  VII. 


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blaient  vouloir  se  disputer  fut  évacuée  par  les  Prussiens, 
occupée  par  les  Russes,  puis  abandonnée  par  eux  le  18. 
Ce  jour-là  de  nouvelles  conféiences  eurent  lieu.  Plusieurs 
généraux  autrichiens,  et  parmi  eux  Laudon  et  Beck,  dî- 
nèrent avec  Bntturlin;  à  lasuite  de  l'entente  qui  intervint, 
l'armée  moscovite  se  mit  en  marche  le  19  pour  Jaiier, 
mais  malgré  les  instances  de  l'attaché  militaire  Botta, 
elle  s'arrêta  en  route  tout  en  laissant  filer  ses  gros  ba- 
gages sur  Liegnitz.  Le  20,  les  Busses  s'élendirent  de  Ku- 
haern  par  Sissen  jusqu'à  Joevischau,  les  Autrichiens  quit- 
tèrent Jaiier  pour  prendre  position  entre  Hohenlriedberg 
et  Freyburg  où  ils  se  retranchèrent.  En  faisant  ce  der- 
nier mouvement  Laudon  avait  frustré  son  royal  adver- 
saire de  son  dessein.  Celui-ci  en  vue  de  couper  aux  alliés 
la  communication  avec  les  montagnes  avait  prescrit 
l'occupation  du  camp  de  Kunzendorf,  mais  quand  les  co- 
lonnes prussiennes  parurent  sur  les  lieux  elles  trouvèrent 
la  place  prise  et  furent  obligées  de  se  rabattre  sur  la 
position  de  Bunzehvitz.  Les  22  et  23,  les  Russes  firent 
séjour  sous  prétexte  de  cuire  le  pain,  le  2'i.  ils  vinrent 
camper  sous  .laiier;  nouveaux  conciliabules,  nouvelle  en- 
tente :  l'armée  de  Butturlin  remplace  le  25  à  Hohenfried- 
berg  les  Autrichiens  de  Brentaiio  qui  occupent  Striegau, 
les  deux  armées  se  trouvent  réellement  à  portée  l'une 
de  l'autre;  la  jonction  est  enlin  efl'ectuée.  Conformément 
à  la  décision  du  conseil  de  guerre,  l'attaque  de  la  posi- 
tion du  roi  de  Prusse  est  décidée  en  principe,  mais  l'ac- 
cord n'existe  pas  sur  la  distribution  des  rùles  et  sur  les 
points  d'assaut.  Butturlin  «  passe  la  revue  des  Autrichiens 
en  allant  d'un  bout  à  l'autre  des  deux  lignes  qui  sont  su- 
perbes, la  cavalerie  autrichienne  est  rentrée  chez  elle  (a 
rejoint  son  armée)  et  l'on  peut  estimer  entre  50  et 
55.000  hommes  le  total  de  cette  armée  sous  les  armes  ». 
Deux  corps  détachés  couvrent  les  communications.  Le  27, 
séjour;  le  28,  Laudon  assiste  au  conseil  des  généraux 


FREDERIC  S'ETAULIT  A  BUNZELWITZ. 


y  39 


russes,  mais  le  soir  du  mêuie  jour,  ces  derniers  en  tien- 
nent un  nouveau,  cette  fois  particulier,  à  la  suite  duquel 
le  projet  d'attaque  est  abandonné;  le  2!),  le  quartier  gé- 
néral est  à  Striegau. 

L'appréciation  de  Mesnager  (1)  est  pessimiste  :  «Je  vois 
avec  douleur  que  les  Russes  réfléchissent  présentement  sur 
la  démarche  où  ils  se  sont  insensi!»lenient  laissé  conduire. 
Quand  M.  de  Laudon  parait,  un  chacun  le  fête  et  est  de  son 
avis  avant  môme  qu'il  l'ait  proposé,  mais  il  se  tient  tous 
les  jours  des  conseils  particuliers  qui  révoquent  le  soir  ce 
qui  a  été  promis  le  matin,  enfin  je  ne  crains  point  de  vous 
l'annoncer,  Monseigneur,  la  politique  des  Russes  semble 
prendre  le  dessus  et  s'ils  se  battent,  ce  sera  malgré  eux.  » 
Quant  à  Frédéric  qui  s'était  établi  à  partir  du  20  août 
dans  le  camp  retranché  de  Bunzelwitz  (2),  il  est  plein  de 
conliance.  <(  Les  Russes,  écrit-il  au  prince  Henri,  campent 
actuellement  entre  Striegau,  Jaiier,  Laudon  à  Fribourg  et 
Kunzendorf.  S'ils  voudro  ;  m'attaquer  ici  jspère  qu'ils  en 
saigneront  bien  du  nez,  ce  qui,  selon  toute  apparence,  se 
fera  entre  ici  et  trois  jours.  » 

La  position  dans  laquelle  s'était  retiré  Frédéric  mérite 
une  description  détaillée  :  elle  est  connue  sous  le  nom  de 
camp  de  Bunzelwitz.  Il  étaitétabli  dans  la  région  formée  par 
les  dernière  contreforts  des  montagnes  de  laSilésie.  C'était 
une  succession  de  petites  collines,  couronnées  de  bois  pour 
la  plupart  et  séparées  par  des  ravins  arrosés  de  ruisseaux  et 
par  des  terrains  marécageux.  Une  ceinture  de  tranchées 
appuyée  sur  des  redoutes  et  des  ouvrages  de  campagne 
entourait  un  rectangle  irrégulier  comprenant  les  terri- 
toires de  Jauernick,  Zedlitz,  Tschenchen,  Neudorf,  Teiche- 
nau  et  Bunzelwitz.  En  avant  du  front  Zedlitz-Tschechen 
s'étendait  un  rideau  d'arbres;  un  cours  d'eau  s'étalant  en 
étangseten  maraisformait  un  fossé  naturel.  Au  centre,  vers 


m 


{{)  Mesnagt>r  à  Choiseul,   Striegau,  30  août  l/fil.  Archives  de  la  Guerre. 
(2)  Frédéric  à  Henri,  Bunzelwitz,  2i  août  17(it.  Corr.  Pol.  XX,  p.  608. 


240 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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//      'V   I'-. 


Jauernick,  un  bois  peu  étendu  couvrait  les  pentes  et  mas- 
quaitlcs  approches  du  plateau  où  se  tenaientleparc  de  mu- 
nitions et  les  réserves  de  l'armée  royale.  Du  village  de  Neu- 
dorf,  situé  en  dehors  et  au  nord  du  camp,  un  ravin  remon- 
tait vers  le  plateau  ;  pour  en  fermer  l'accès  on  avait  armé 
ses  flancs  d'ouvrages  qui  constituaient  un  angle  rentrant 
dans  la  ligne  défensive.  Enfin,  à  Teichenau,  à  Bunzelwitz 
et  à  Jauernick  on  avait  élevé  en  avant  de  la  chaîne  des 
fortifications  intérieures  des  ouvrages  avec  glacis,  armés 
de  grosse  artillerie.  De  Jauernick  à  Zedlitz,  le  terrain  assez 
accidenté  était  défendu  par  une  suite  ininterrompue  de  re- 
dans protégés  par  une  petite  pièce  d'eau  et  par  une  exca- 
vation remontant  aux  temps  des  guerres  suédoises.  Enfin, 
en  arrière  de  la  ceinture  de  cette  partie  du  camp ,  s'élevait  une 
petite  hauteur,  le  Pfalfenbcrg,  du  sommet  duquel  on  avait 
vue  sur  tout  le  plateau .  Les  diverses  localités  comprises  dans 
le  camp  étaient  cotées  ;  258  mètres  Jauernick,  255  Pfal- 
fenberg,  22/1.  Bunzelwitz,  263  VViirben  en  face  de  Teiche- 
nau. De  Bunzelwitz  à  Schwcidnitz  la  distance  n'était  que 
de  5  kilomètres.  Les  deux  points  faibles  de  la  position 
étaient  les  secteurs  de  la  circonférence  compris  l'un  entre 
Peterwitz,  Neudorf  etEbersdorf,  et  l'autre  entre  Bunzelwitz 
et  Jauernick,  surtout  le  dernier.  Si  l'assaillant  réussissait  à 
percer  les  lignes  et  à  se  rendre  maître  du  Pfalfenberg,  il 
possédait  la  clef  du  camp  retranché  et  il  ne  resterait  au 
défenseur  d'autre  parti  que  de  se  retirer  par  Neudorf,  Both- 
kirschdorf  dans  la  direction  de  Zobten  ou  Schweidnitz. 

Aux  avantages  naturels  de  son  camp,  le  Boi  avait  ajouté 
ceux  d'une  fortification  de  campagne  très  complète;  lestrou- 
pes  prussiennes  avaient  construit  de  nombreuses  flèches, 
des  redoutes  palissadées,  creusé  des  tranchées  et  des  bat- 
teries, dont  le  feu  se  croisait  sur  les  fronts  d'attaque.  Dans 
l'ensemble,  191  canons  de  gros  calibre  avaient  été  tirés 
de  la  forteresse  voisine  de  Schweidnitz,  et  si  l'on  comptait 
les  pièces    de    régiment,    l'armée    royale    disposait    de 


lAUDO.N  SOUMET  A  HUTTERLIN  UN  PLAN  D'ATTAQUE. 


ail 


400  pièces  pour  résistei'à  une  attaque  des  alliés.  Les  villa- 
ges enfermés  dans  l'enceinte  Ibrtitiée  avaient  été  mis  on 
état  de  défense  et  avaient  chacun  leur  garnison  perma- 
nente. 

Examinons    maintenant  comment   Laudon   se    propo- 
sait de  s'emparer  delà  formidable  position  que  nous  venons 
de  décrire.  L'attaque  serait  fixée  en  principe  au  27  août  ;  les 
Autrichiens  renforcés  dc'iOî'i  25.000  Husses,  sous  les  ordres 
de  Czernitchew,  en  seraient  chargés.  Comme  mesure  pré- 
paratoire, Brentano  flanqué  à  gauche  par  les  troupes  légères 
russes  de  Berg,   occupa  le  Brutenberg  et  le  Spitzberg. 
L'aile  gauche  de  l'armée  russe  s'appuya  à   Rohrstock  et 
s'étendit  par  llausdorf,  Schwenitz  et  Schalwitz  jusqu'au 
corps  de  Czernitchew  qui  formait  leur  aile  droite.  Los  lignes 
autrichiennes  s'établirent  à   partir  de   Mehnersdorf  par 
Frohiichsdorf,  Polsnitz  et  Kunzendorf  jusqu'à  Bcigendorf. 
Le  26  août  Laudon  rapprocha  ses  troupes  de  l'ennemi  et 
rappelâtes  40  escadrons  qui  avaient  été  prêtés  aux  Husses. 
Les  Prussiens,  s'attendant  à  une  attaque  à  tout  instant, 
passèrent  la  nuit  sous  les  armes.  A  la  dernièi^e  heure  But- 
turlin  demanda  2  jours  de  répit  pour  cuire  son  pain  et  ter- 
miner l'installation  de  son  camp;  il  posa  en  outre  à  son 
collègue  autrichien  sur  la  force  du  contingent  qu'il  aurait 
à  fournir  pour  la  bataille,  sur  les  soins  qui  seraient  donnés 
à  ses  blessés  et  sur  les  approvisionnements,  des  questions 
auxquelles  il  avait  déjà  été  répondu.  Enfin,  Laudon  à  force 
de  persévérance  finit  par  vaincre  les  hésitations  du  maré- 
chal russe;  celui-ci  accepta  la  date  du  15  septembre  pour 
l'assaut  du  camp  royal  ;  mais  à  peine  cette  décision  fut-ello 
confiée  au  courrier  devienne  qu'il  retira  son  assentiment. 
D'après  le  récit  autrichien,  la  raison  donnée  par  le  géné- 
ral russe  en  présence  de  Fermor  et  de  Galitzin,  fut  la  crainte 
de  voir  échouer  l'attaque  sur  la  droite  de  l'armée  royale, 
que  celle-ci  avait  employé  le  temps  écoulé  depuis  le  29  août 
à  rendre  inexpugnable.  D'après   l'historien  Tcmpelhof, 


.n,i 


(;L'KHUi:  iil  ski'T  AiNs. 


T.     V. 


242 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


1    ti'      »^i 

11! 


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Laudon  en  exigeant  clans  l'allaire  une  plus  largo  partici- 
pation de  in  pai't  de  l'armée  russe,  se  serait  heurté  à  la  ré- 
sistance des  généraux  russes  et  aurait  empêché  l'accord  de 
se  faire.  Les  incidents  des  derniers  jours  sont  d'ailleurs  re- 
latés dans  une  dépêche  de  l'ambassadeur  Chatelct  au  duc 
de  Choiseul  (1)  dont  les  détails  reproduisent  évidemment 
le  rapport  officiel  de  l'état-major  de  Laudon  :  «  L'attaque 
générale  des  retranchements  du  roi  de  Prusse  avait  été  ré- 
solue dans  un  conseil  de  guerre  tenu  le  2  au  matin,  et 
fixée  au  lendemain  Ti,  et  M.  de  Butturlin  qui  s'était  opiniâ- 
trement refusé  à  y  faire  coopérer  les  forces  entières  de 
l'armée  russe,  était  convenu  que  le  corps  de  M.  de  Czerni- 
tchew  composé  d'environ  20.000  hommes,  auquel  on  join- 
drait le  corps  tle  lirentano,  qui  serait  renforcé  jusquesù 
10.000  hommes,  attaqueraient  la  droite  du  Roi  de  Prusse 
qui  s'étend  jusqu'à  Zedlitz,  et  essayeraient  même  de  le 
tourner  par  ses  derrières,  tandis  que  M.  de  Laudon  avec  la 
totalité  de  l'armée  autrichienne  attaquerait  le  centre  de 
S.  M.  Prussienne  à  Jauernick  et  sa  gauche  à  Wurbeu  En 
conséquence  de  cette  résolution  signée  par  les  deux  géné- 
raux, M.  de  Laudon  était  retourné  à  son  quartier  général 
pour  y  faire  toutes  les  dispositions  relatives;  mais  l'après- 
midi  du  môme  jour,  il  reçut  un  billet  de  M.  de  Butturlin 
qui  le  priait  de  se  rendre  de  nouveau  chez  lui  pour  y  con- 
férer sur  des  objets  fort  importants.  Il  s'y  rendit  aussitôt 
et  trouva  ce  général  environné  de  M.  de  (ialitzinetFermor, 
et  entièrement  changé  de  sentiment.  Il  dit  à  M,  de  Laudon 
que  plus  il  avait  réfléchi  sur  la  position  du  roi  de  Prusse, 
plus  il  avait  reconnu  le  danger  de  l'attaquer,  et  qu'il  pa- 
raissait moralement  sûr  qu'on  ne  réussirait  pas  dans  la 
partie  où  M.  de  Czernitchew  et  de  Brentano  devaient  faire 
leur  attaque.  Il  ajouta  que  quand  le  reste  de  l'armée  au- 
trichienne parviendrait  à  déloger  le  roi  de  Prusse  des  re- 


(1)  Chalelet  à  Choiseul,  Vienne,  7  septembre  1761.  A  flaires  Étrangères. 


U:  HUSSE  REFUSE  SA  COOPKKATION. 


243 


tranchcmenis  qu'il  avait  construits  i'i  Jaucrnick,  aprrs  une 
perte  énorme,  on  n'en  serait  pas  plus  avancé  si  ceux  de  la 
droite  de  ce  prince  n'étaient  pas  emportés,  puisque  S.  M. 
prussienne  avait  une  nouvelle  position  à  prendre  sur  les 
hauteurs  de  Wurbcn  en  arrirrc  de  Jauernick,  tout  aussi 
bonne  que  celle  qu'il  occupait  maintenant,  sans  reculer 
pour  cela  sa  droite,  qu'il  lui  avouait  qu'il  n'avait  pas 
assez  de  confiance  dans  la  manière  de  manœuvrer  des 
troupes  russes,  pour  oser  prendre  sur  lui  de  les  charger 
d'une  attaque  aussi  difficile  ;  qu'elles  étaient  par  leur  na- 
ture beaucoup  plus  propres  à  défendre  qu'à  attaquer,  et 
qu'enfin  il  voyait  une  certitude  physique  que  la  moitié  des 
troupes  qui  seraient  employées  aux  différents  points  d'at- 
taque projetés  y  demeureraient  et  une  certitude  morale  que 
cette  perte  énorme  ne  serait  suivie  d'aucun  succès. 

«  Quand  M.  de  Butturlin  eut  cessé  de  parler,  MM.  de 
(ialitzin  et  de  Fermer  prirent  la  parole  et  renchérirent 
encore  sur  les  périls  de  l'entreprise  projetée  et  sur  le  peu 
d'apparence  de  réussite,  en  sorte  que  M.  de  Laudon  ne 
put  douter  qu'ils  ne  fussent  les  auteurs  du  conseil  qui 
avait  fait  changer  si  promptement  de  résolution  le  gé- 
néral russe;  il  tâcha  inutilement  de  combattre  leurs  rai- 
sons et  épuisa  tous  les  tons  possibles  pour  les  persuader, 
U  employa  même  les  reproches  les  plus  vifs  sur  leur  len- 
teur et  leur  inaction  qui  avaient  donné  le  temps  au  roi  de 
Prusse  :  1"  de  gagner  le  camp  qu'il  occupait  maintenant, 
en  refusant  d'exécuter  la  jonction  à  Jaiier;  2°  celui  de  se 
retrancher  et  par  là  d'augmenter  du  double  la  difficulté 
qu'ils  trouvaient  maintenant  à  attaquer.  Enfin  il  proposa 
à  M.  de  Butturlin,  pour  dernier  parti,  de  joindre  encore 
10.000  hommes  d'infanterie  au  corp.i  de  M.  de  Czernitchew 
et  de  former  ï  points  d'attaque  au  lieu  de  3,  afin  de  divi- 
ser par  là  les  forces  et  l'attention  du  roi  de  Prusse,  et  de 
rendre  le  succès  moins  problématique.  Cette  proposition 
fut  entièrement  rejetée  par  le  général  russe,  qui  demeura 


(.- 1 


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'IV* 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  (IIAP.  Vil. 


V.  t; 


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inc'îbranlable  dans  son  sentiment.  Alors  M.  de  Laiidon 
voyant  qu'il  n'y  avait  plus  aucun  espoir  de  l'amener  à 
se  battre,  se  borna  à  lui  demander  de  lui  dire  d'une 
manière  catégorique  quels  étaient  donc  ses  projets  ulté- 
rieurs, en  l'avertissant  que  la  rareté  dos  l'ourrages  ne  per- 
mettait pas  au.v  deux  armées  de  l'aire  un  séjour  l'ort  long 
dans  la  position  qu'elles  occupaient,  et  qu'il  était  temps 
qu'il  se  décidiU  à  prendre  un  parti.  M.  de  Butturlin  pro- 
posa lu  général  autrichien  de  venir  prendre  sa  place  h 
Striegau,  tandis  que  lui  s'approcherait  avec  l'armée  russe 
assez  près  de  Schwcidnitz  pour  bombarder  cette  place  et 
mettre  le  l'eu  aux  magasins  qui  y  étaient  renfermés.  M.  de 
Laudon  ne  crut  pas  devoir  se  rendre  à  cette  ouverture  et 
représenta  au  général  russe  que  ce  projet  qui  ne  mettait 
pas  les  deux  armées  plus  en  état  de  subsister  dans  les  en- 
virons, était  d'une  exécution  difficile,  et  ne  produirait 
tout  au  plus  que  de  brûler,  sans  fruit,  et  contre  les  lois  de 
la  guerre  et  de  l'humanité,  la  ville  de  Schweidnitz,  où  il 
n'y  avait  pas  d'apparence  que  le  roi  de  Prusse  eût  main- 
tenant de  gros  magasins,  puisque  son  séjour  près  de 
cette  place  devait  les  avoir  consommés  pour  la  plus 
grande  partie. 

Alors  le  général  russe  en  vint  à  la  proposition  du  parti 
auquel  il  était  sans  doute  résolu  d'avance,  et  donna  l'al- 
ternative à  M.  de  Laudon  ou  de  se  retirer  avec  toute  son 
armée,  et  de  repasser  l'Oder,  ou  de  lui  laisser  le  corps  de 
M.  de  Czernitchew  fort  d'environ  15.000  hommes,  infan- 
terie, dragons  ou  cosaques,  en  exigeant  par  une  clause 
expresse  de  cette  dernière  proposition,  que  M.  de  Laudon 
lui  prêterait  VO  escadrons  de  cavalerie  autrichienne  pour 
convoyer  le  reste  de  son  armée  jusqu'à  ce  qu'il  fût  der- 
rière la  Katzbach  et  à  portée  de  repasser  l'Oder,  et  s'en- 
gageant  à  descendre  ce  fleuve  avec  l'armée  russe  jus- 
que vers  Glogau,  et  à  envoyer  un  corps  jusqu'à  Berlin, 
pour  opérer  une  diversion.  Le  général  autrichien,  ne  se 


nurmaiN  veut  se  uetireh. 


•m:, 


croyant  pas  siilTisamnierit  autorisé  pour  prendre  sur  lui 
racceptation  ou  le  rolus  de  raltcrnative,  a  demandé  le 
temps  de  dépéclicr  un  courrier  à  sa  Cour  pour  en  rece- 
voir des  ordres,  et  c'est  avec  beaucoup  de  peine  qu'il  a 
obtenu  de  M.  Butturlin  la  promesse  d'en  attendre  le  re- 
tour jusques  au  7.  » 

Au  conseil  qui  examina  la  proposition  russe,  il  y  eut 
quelque  opposition  basée  sur  la  dépense  qu'entraînerait 
l'entretien  du  corps  de  Czernitchew,  mais  après  discus- 
sion et  sur  l'avis  de  Kaunitz,  la  coopération  l'ut  accep- 
tée. 

De  son  quartier  général  de  Striegau,  Butturlin  écri- 
vit (1'  ur.e  lettre  à  Kaunitz  en  réponse  aux  félicita- 
tions (2)  que  celui-ci  lui  avait  adressées  sur  la  réunion  des 
deux  armées.  Malgré  tous  ses  elibrts  et  tous  les  mouve- 
ments combinés  avec  Laudon,  il  avait  été  impossible  d'a- 
mener l'ennemi  à  abandonner  son  camp  retranché,  et  on 
ne  pouvait  rien  entreprendre  contre  lai  s;ms  exposci*  les 
armées  impériales  à  un  désastre  infaillible  ou  à  la  perte 
d'une  bataille.  D'autre  part,  le  défaut  de  subsistances  ne 
permettait  pas  de  maintenir  les  deux  armées  ensemble, 
et  il  avait  été  décidé  d'un  commun  accord  de  se  sépa- 
rer. Le  maréchal,  malgré  ce  fAcheux  résultat,  était 
prêt  comme  il  l'avait  toujours  été  à  contribuer  dans  la 
mesuie  du  possible  au  succès  de  la  campagne;  il  tenait  à 
rendre  hommage  au  zèle  et  à  la  bonne  volonté  déployés 
par  Laudon  pour  la  cause  commune.  En  même  temps 
qu'au  maréchal  russe,  Kaunitz  (:$)  avait  exprimé  ii  Laudon 
son  espoir  de  voir  se  réaliser  les  bons  effets  de  la  réunion 
depuis  si  longtemps  désirée  :  «  Son  Excellence  compren- 
dra facilement  que  chacun  ici  vit  entre  la  crainte  et 
l'espérance  et  regarde  les  circonstances  présentes  comme 


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(1)  Butturlin  à  Kaunilz,  Slriegau,  25  août  (V  S.)  1761.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Kaunit/.  à  Butturlin,  Vienne,  31  août  IT'U.  Archives  de  Vienne. 

(3)  Kaunitz  à  Laudon,  Vienno,  31  août  1701.  Archives  de  Vienne. 


i;;: 


24C 


LA  GUKKRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAI».  VII. 


l'époque  qui  dovi-a  décider  du  résultat  de  la  campagne 
et  pcut-étio  do  la  guerre.   » 

Contrai  renient  il  ce  qu'un  eût  pu  croire,  Kaunitz  (1)  ne 
se  montra  pas  déçu  par  les  nt)uvelles  de  Silésie.  li'en- 
treprise  était  chanceuse,  die  aurait  coiUé  foi-tclier;  l'en- 
nemi avait  eu  le  temps  de  se  retrancher  et  croyait  évidem- 
ment pouvoir  repoi'sser  l'attaque.  Peut-être,  après  tout,  le 
refus  de  l'état-major  russe  élaif-il  plus  avantageux  que  ÎX- 
cheux,  d'autant  plus  que  les  Uusses  ne  cherchaient  à  incri- 
miner ni  la  cour,  ni  Laudon.  Kaunitz  se  félicitait  du  dé- 
tachement du  corps  de  Czernitchew  à  l'armée  de  Laudon, 
il  prévoyait  la  possibilité  d'opérations  en  Basse-Silésie  et 
contre  Berlin  et  robligati(m  pour  l'ennemi  d'évacuer  la  Si- 
lésie ou  la  Saxe. 

Le  Hoi  mar(|ue  dans  les  (|uel<jues  lettres  écrites  pendant 
sou  séjour  au  camp  de  Bunzehvit/  la  plus  grande  con- 
fiance ;  sans  doute  il  n'avait  pu  empêcher  comme  il  l'au- 
rait voulu,  la  jonction  des  armées  alliées,  mais  il  avait 
pris  toutes  les  précautions  possibles  pour  résister  à  une 
attaque  qu'il  croyait  inmiinente;  dans  ces  dispositions  (2) 
il  escomptait  l'emploi  de  sa  cavalerie  pour  achever  la 
déroute  des  assaillants  :  «  J'ai  ici  mon  camp  entre  Wiir- 
ben  et  Striegau,  mando-t-il  à  soufrrre  (3)  ;  les  Autrichiens 
et  Busses  m'ont  pres(pie  entouré,  leurs  troupes  légères  in- 
festent tous  chemins,  de  sorte  que  les  communications  sont 
toutes  interrompues.  L'ennemi  m'attaquera  dans  peu  de 
jours; j'ai  pris  tontes  les  mesures  imaginables  pour  le 
bien  recevoir;  pour  peu  qu'il  s'opiniAtre,  il  peut  perdre 
30.000  hommes  d'infanterie  et  se  voir  battre  à  plate  cou- 
ture. Mes  ouvrages  sont  tous  achevés,  et  je  n'attends  que 
le  moment  oîi  l'action  commencera.  » 


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(1)  Kaiinilz  à  Laudon,  Vienne,  6  se|)leinbre  1761.  Archives  devienne. 

(2)  Dii-positions   pour  le  cas  où  rarinée  .serait  attaquée.  Bunzelwilz,  août 
1761.  Corresp.  Polit.,  XX,  p.  606. 

(."})  Frédéric  à  Henri,  au  camp,  5  septembre  1761.  Corr.,  XX,  p.  611. 


I 


LES  ALMÉS  HENONCENT  A  ATTAQIEU. 


247 


Le  projet  d'utlaquc  élahori'  par  Latulon  avait  rtr  prôvu 
pour  une  date  aux  environs  du  22  août  ;  il  serait  oiseux  de 
discuter  les  chances  de  succès  iju'il  aurait  présentées, 
mais  il  avait  pour  lui  l'immense  avantage  de  ne  pas  lais'ser 
aux  Prussiens  au  moins  10  jours  de  l'épit,  dont  ils  surent 
tirer  un  excellent  parti  pour  leurs  travaux  de  défense.  Il 
fut  soumis  i\  D.uin,  et  Monlazct  qui  en  eut  connaissance  (1) 
en  fait  l'éloge  :  «  Il  y  a 4  jours  (jue  l'on  attend  ici  la  nou- 
velle d'une  bataille  en  Silésie,  M.  de  l.audon  ayant  mandé 
à  M.  le  marécliitl  <[ue  les  Ilusse?  l'avaient  joint  en  se  por- 
tant sur  Ilolienfriedherg'  cl  qu'on  y  avait  tenu  un  conseil 
de  fzucrre  dans  lequel  il  avait  été  décidé  ((u'on  irait 
attaquer  le  Hoi  dans  sa  position  de  Jaiiernick.  Il  a  été 
résolu  en  mèn)e  temps  que  le  yros  de  l'année  russe  por- 
terait son  atta(|ue  entre  Striegau  et  le  hois  appelé 
Nonenbucli  sur  l'ail**  droite  de  l'ennemi;  que  le  corps 
de  M.  d<;  (^zernitcliexv  en  ferait  une  par  le  déliouclié  de 
Puschkau  derrière  sa  droite;  que  M,  de  Ilrentano  gaji^nant 
d'avance  la  montagne  de  Pitchenherg,  l'attafjuerait  en 
dos,  et  que  M.  de  Laudon  avec  toutes  ses  forces  réunies 
attaquerait  entre  Jauernick  et  Teichenau.  Cette  disposi- 
tion est  parfaitement  bonne,  et  n'a  pu  être  laite  que  par 
quelqu'un  <[ui  connaît  Itien  le  pays  ;  mais  plus  elle  est 
compli(|uée.  plus  il  faut  de  temps  et  d'art  pour  l'exécuter. 
Plus  elle  est  dangereuse  pour  le  roi  de  I*russe,  plus  je 
suis  jjersuadé  qu'il  ne  s'exposera  pas  à  être  détruit  sans 
nécessité.  Je  crois  donc  fermement  qu'il  n'y  aura  pas  de 
bataille,  parce  que  le  mouvement  préliminaire  à  l'action 
doit  être  fait  un  jour  d'avance,  et  que  le  roi  de  Prusse 
peut  en  (juatre  heures  prendre  derrière  la  Schweidnitz 
une  bien  meilleure  position  que  celle  qu'il  a  aujour- 
d'hui. Je  suis  en  même  temps  persuadé  qu'il  l'aurait  déjà 

(0  Moflliizpt  à  Choiseul,  sous  Dresde,  30  août  1761.  Archives  de  la  Guerre. 
Ce  que  dit  Monlazet  du  plan  d'aUaque  conCinne  la  version  de  la  participa- 
lion  de  toute  l'armée  russe  à  la  bataille. 


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LA  (;UI':iU»K  UE  SEPT  ANS.   -  CHAP.  VII. 


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prise  h'îI  n'avait  voulu  iioii.s  faire  pcnlro  du  temps  et  s'il 
n'avait  calculé  plus  a'uno  lois  celui  (|u'on  est  à  l'aire  des 
dispositions  pour  l'atlaipiei'.  Tout  cela  me  confirme  déplus 
en  plus  (pi'il  n'y  aui-a  rien  d'intéressant  en  Silésie.  Je  vois 
môme  par  la  consommation  énorme  que  fait  l'armée  russe 
(pii  se  croit  au  caliarel  sans  devoir  payer,  cpi'on  ne  sera 
pas  longtemps  A  la  conpédi(>r.  puiscpie  l'Impératrice  n'est 
pas  en  état  de  la  faire  subsister.  » 

Tn  oflicier  de  l'armée  de  Laud<m  (1)  donne  sur  la  coopé- 
ration possiido  des  deux  armées  des  appréciations  (|ui  se 
rapprochent  de  celles  de  Montazet. 

«  Après  ôtie  joint  avec  l'armée  entière  des  Russes  vous 
serés  surpris  sans  doute,  (|u'avec  une  si  grande  supério- 
rité nous  ne  tentions  rien  contre  l'ennemi,  (pjoi(|uc  nous 
n'en  soyons  éloignés  qu'une  lieue,  et  (pie  nos  postes  avan- 
cés se  touchent  ;  mais  cette  surprise  cesserait  bien  vite,  si 
vous  connoisiés  aussi  bien  cpie  nous,  l'état  et  les  arran- 
gements des  Uusses.  On  ne  sçaurf)it  s'imaginer  (]uel(|ue 
chose  de  plus  mauvais.  Nous  sommes  obligés  de  leur 
fournir  tous  les  jours  180.000  portio»;  de  nos  propres  ma- 
gazins,  et  nous  payons  trois  kreut/ers  par  jour  à  chacpie 
soldat,  car  ils  mancpient  de  tout,  outre  cela  nous  devons 
leur  soigner  encore  les  rations  nécessaires.  Kéflechissés  je 
vous  prie  sur  tout  ceci  :  voler,  piller,  et  sacager,  voilà 
leurs  uni(pies  occupalions  et  toutes  les  peines  de  notre 
digne  chef  pour  empêcher  ces  désordres,  sont  inutiles  ; 
la  généralité  répond,  (ju'il  est  impossible  de  retenir  le 
soldat,  et  celui  dit  ([ue  c'est  leur  façon  de  faire  la  guerre 
dans  un  païs  ennemi, et  (|u'ils  ne  connoissent  point  d'autre. 
Vous  pouvés  conclure  aisément  de  tout  ceci  ([ue  nous  ne 
pouvons  nous  soutenir  longtemps  ici  sur  ce  pied,  devant 
bientôt  man<[uer  de  tout. 

«  Le  roi  de  Prusse  occupe  un  camp  ([ue  la  nature  et  l'art 


î 


(1)  Extrait  d'une leUre  d'un oflîcU'r  de  l'arinée  de  Lau'Ion,  Sseplenibie  17(il. 
Record  Odico. 


ILS  SK  SKIVVHENT. 


249 


ont  fortilif'  do  telle  faeon  (|iril  (^st  impossilde  de  l'attji- 
(|iicr  avec  (|ucl(|ue  espérance  de  succès,  lussions-nous  une 
fois  plus  loris  «|ue  nous  ne  sommes,  je  doute  donc  que 
nous  n'aurons  pas  une  iiataille,  surtout  lors<|ue  ce  n'est 

pas  le  grand  nomitre  qui  décide,  mais 

vous  me  comprenés  lùen,  et  pour  n<Ure  malheur  ceci 
nous  nian(pu^  aussi  l>ien  (|ue  l'Iiarmonic.  •> 

A  l'heure  i(  la(|uelle  le  roi  de  Prusse  écrivait  A  son  livre, 
la  séparation  des  alliés  était  chose  décidée  :  Elle  s'accom- 
plit le  9  septembre;  ce  soir-là.  les  Uusscs  commencèrent 
leur  marche  vers  l'Oder  escortés  par  le  général  Heck  avec 
5  régiments  de  cavaleiie.  C/ernilchevv  campa  à  la  gauche 
des  Autrichiens  |)rès  de  l'reiburg;  Brentano  retourna  à 
llohenl'riedherg.  Le  lendemain,  toute  la  droite  aban- 
donna la  plaine  pour  prendri;  place  sur  les  hauteurs  de 
Kunzendorf-ltng«!ndorf.  la  cavalerie  resta  en  bas  près  de 
Zirlau  et  Draskowich  recula  jus((u'à  Wartlia  et  le  Silber- 
berg  pour  surveiller  les  dèlilés.  Le  11  septembre,  le  roi 
détacha  le  général  Platen  avec  7.000  hommes  pour  in- 
<|uiéterla  marche  dos  Kusses  et  détruire  leurs  magasins. 
Ce  ne  fut  cependant  (|ue  le  20  (|ue  Frédéric  (|uitta  les  en- 
virons de  Schweidnitz  pour  ceux  de  Noisse  où  il  campa 
le  *29.  Il  y  fut  suivi  par  Draskowich  et  Bethlera  <|ui  de- 
vaient s'opposer  à  une  incursion  prussienne  en  Mora- 
vie. 

Au  dire  de  Mesnager  (1),  l'attaché  fran<;ais  à  l'armée 
russe,  l'état-major  de  lUitturliii  cherchait  à  masquer  leur 
retraite  <  de  magniti(|ues  projets  dont  l'exécution  parait 
plus  analogue  à  nos  désirs.  Breslau,  (llogau.  Francfort, 
Berlin,  Custrin,  Colber^j ,  la  Poruéranie,  les  quartiers  d'hi- 
ver, voilà  bien  des  points  de  vue;  sous  deux  jours  l'on 
saura  peut-être  -i  quoi  s'en  tenir  ainsi  que  la  route  rétroac- 
tive de  M.  de  BuUurJin La  postérité  aura  peine 


I 


(1)   Mesnager   à    Ch.>#«<ol,    SIriegau, 
Guerre. 


septembre  ITiil.  Archives   de    la 


w 


250 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CH  \P.  VII. 


à  croire  ce  ([ui  s'est  passé  en  tout  genre  j"i  l'armée  russe 
depuis  (iuel(iues  jours,  je  laisse  aux  habiles  peintres  à 
donner  les  oml)res  proportionnées  au  tableau,  la  plume 
m'écbcippe  des  mains  et  je  les  lève  vers  le  ciel  ».  Montazet 
donne  des  renseignements  (1)  plus  précis  :  <  Elle  (l'armée 
russe)  doit  se  porter  vers  Glogau  pour  le  bombarder;  de 
là  sur  Francfort,  ensuite  sur  Berlin,  et  finalement  en 
l*omér;uiie  pour  se  rejoindre  au  corps  ([u'y  commande 
M.  de  UoumansoiT.  Voili'i  les  vastes  projets  que  les  Russes 
ont  faits  en  partant  de  Silésie  qui,  selon  moi,  ne  seront 
exécutés  ((u'en  partie,  bien  persuadé  qu'ils  ne  l)om- 
barderont  ni  (Uog-au  ni  lîerlin.  M  de  Czernitciiew  à  (jui 
l'on  a  laissé  dix  régiments  d'infanterie,  deux  de  dragons, 
un  de  uhlans  et  un  de  hussards,  le  tout  faisant  environ 
20.000  hommes,  doit  rester  ave  M,  de  Laudon  jus(|u'à  la 
fin  de  la  campagne,  où  Ion  doit  alors  l'escorter  jus((u'à 
Posen  ;  d'ici  là,  l'on  doit  par  convention  expresse  lui  four- 
nir de  tout,  et  lui  donner  même  deux  cent  mille  roubles 
d'avance,  il  est  môme  stipulé  dans  l'accord  qui  unit  ce 
corps  russe  aux  autrichiens  pour  le  reste  de  la  campagne 
({ue  dans  le  cas  où  les  forces  de  l'Impératrice  se  porteraient 
en  Saxe,  les  Russes  repasseraient  l'Oder;  par  conséquent, 
voilà  qui  prouve  le  peu  de  désir  qu'on  a  à  Vienne  de  tra- 
vailler à  la  seule  besogne  raisonnable,  et  selon  moi,  l'i- 
nutilité des  nouveaux  soins  <(u'on  va  se  donner  sans  doute 
pour  prendre  la  Silésie.  » 

La  cour  de  Vienne  avait  en  effet  concentré  tous  ses  elForts 
sur  l'armée  de  Laudon.  Celle  de  Saxe  manquerait  bientôt 
de  subsistances.  Daun  se  plaint  amèrement  ;  «  il  s'étendit 
d'ailleurs  sur  la  façon  dont  il  était  traité  personnellement 
et  je  vis  que  son  amour  pour  M.  le  comte  de  Kaunitz  ne 
s'était  point  affaibli  ». 


(1)  Monlazol  à  Clioiseul,  sous  Dresden,   12  septembre   17G1.  Archives  de 
la  Guerre. 


RAin  DE  PLATEN. 


251 


En  attendant  l'exécution  des  grandes  opérations  pro- 
jetées par  l'état-major  russe,  la  retraite  s'était  efFectiice 
sans  incident;  le  départ  avait  été  précédé  d'une  dernière 
visite  de  Laudon;  «  l'cxtéfieuf  de  cette  séparation,  cons- 
tate Mesnager  (1),  dévoile  ni  confiance  ni  regret  »;  la 
niarclie  avait  été  parfaitement  tranquille,  «  pas  un  hussard 
prussien  ne  nous  a  fait  Thonneur  de  nous  suivre  »,  mais 
«  les  excès  en  tout  genre  deviennent  très  fréquents,  la  Si- 
lésie  se  souviendra  longtemps  de  l'apparition  des  Russes  ». 
Le  IGseptembre,  on  effectua  la  traversée  de  l'Oder  et  on 
apprit  l'exploit  du  général  l*laten  qui  avait  rempli  avec 
succès  la  mission  dont  le  Roi  de  Prusse  l'avait  chargé  ; 
il  avait  enlevé  et  détruit  un  important  magasin  à  Goslin, 
battu  l'escorte  et  capturé  le  brigadier  Cherepow,  près  de 
2.000  hommes  et  7  canons,  délivré  des  prisonniers  prus- 
siens et  brûlé  un  grand  nombre  de  voitures;  il  avait 
continué  ses  dévastations  autour  de  Posen  et  gagné  Lands- 
berg  où  il  était  arrivé  le  "22,  non  sans  quelque  opposition 
des  cosaques  de  Bcrg  qui  l'avaient  devancé  et  avaient 
brûlé  le  pont  sur  la  Wartha.  Platen  jeta  sur  la  rivière  un 
pont  de  bateaux,  séjourna  3  jours  dans  la  ville  à  l'elfet 
de  donner  quelque  repos  à  ses  troupes  et  en  repartit  le 
25  pour  courir  à  l'aide  du  prince  de  Wurtemberg  qui 
était  aux  prises  avec  Komanzow  devant  Colberg.  Ce  raid 
de  350  kilomètre  (2)  en  10  jours  lui  avait  coûté,  d'après 
Mesnager,  force  chevaux,  traîuai'ds  et  chariots;  par  con- 
tre, il  avait  porté  la  perturbation  dans  les  opérations  des 
Russes  et  les  avait  obligés  à  renoncer  faute  de  sui)sis- 
tances  à  tout  r^ouvement  sur  Rerlin  et  sur  la  vieille  Po- 
méranie. 

Kntre  temps,  les  hostilités  avaient  été  suspendues  en 


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(1)  Mesnager,  Journal  de  l'armée  Russe.  19  septembre  1761.  Arciiives  de 
la  fiuerre. 

(2)  Frédéric  à  Flnckenstein,  Pilzcn,  26  septembre  1761.  Corr.  Polit.,  XX. 
p.  628. 


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252 


LA  GUEURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.   VII. 


Silésie,  comme  l'écrivait  ironiquement  Montazet  (1).  «  l^e 
corps  russe  sous  M.  de  Czernitchew  se  repose  de  ses  fati- 
gues avec  l'armée  de  Laudon  et  jusqu'ici  il  ne  transpire 
rien  de  ce  que  ses  forces  réunies  doivent  faire.  »  Ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  jusqu'au  2(5  septembre  Frédéric  ne 
bougea  pas  de  Bunzclwitz  ;  il  leva  alors  son  camp  et  se 
porta  sur  l'Ohlau  où  il  s'établif  le  29  à  Gross-Nossen.  Il 
considérait  la  campagne  comme  terminée  et  prenait  ses 
dispositions  pour  les  quartiers  d'hiver  et  pour  son  retour 
en  Saxe  au  courant  du  mois  d'octobre,  quand  il  fut  brus- 
quement troublé  dans  sa  quiétude  par  la  nouvelle  de  la 
prise  de  Scliweidnitz  que  Laudon  avait  enlevé  par  escalade 
dans  la  nuit  du  1*'  octobre.  Laudon  avait  gardé  le  silence 
le  plus  absolu  sur  l'entreprise  qu'il  projetait  contre  cette 
place,  il  ne  l'avait  confiée  qu'à  l'empereur.  Par  lettre  du 
28  septembre,  il  avait  proposé  à  la  cour  de  Vienne  de  ren- 
voyer en  Saxe  les  29  bataillons  et  78  escadrons  qui  étaient 
venus  le  renforcer,  au  début  de  la  campagne;  il  avait 
suggéré,  pour  le  cas  où  les  l*russiens  ne  laisseraient  en 
Silésie  qu'un  corps  de  20.000  à  25.000  liommes,  de  faire 
un  second  envoi  de  20  autres  bataillons  avec  un  contingent 
proportionnel  de  cavalerie;  il  s'était  offert  pour  prendre 
le  commandement  de  ce  dernier  détachement.  Un  ordre 
de  cabinet  du  2  octobre  (2)  avait  accepté  la  première  pro- 
position, mais  avait  ajourné  à  une  date  ultérieure  la  dé- 
cision ;\  prendre  sur  le  deuxième  renvoi  et  pur  la  dési- 
gnation du  général  qui  commanderait  les  troupes. 

Ce  même  jour,  28  septembre,  Daun  avait  demandé  à 
renforcer  ses  forces  de  45.000  hommes,  prélevés  sur  l'ar- 
mée de  Silésie,  qui  seraient  employés  à  occuper  la  Lusace, 
Freyburg,  à  s'étendre  dans  la  région  des  Erzgebirge  et 

(1)  Moiilazel  à   Choisoiil,  sous  Drosdeii,  19  septembre   1701.  Archives  de 
la  Guerre. 

(2)  Cabinet  Schreiben  au   Laudon,   Vienne,  2  octobre    1761.  Archives  de 
Vienne. 


t  «I 


CAMP  UETRANCHÉ  DE  SCIIWEIDNITZ. 


253 


à  resserrer  les  cantonnements  ennemis.  Kn  réponse  (1)  la 
cour  lui  avait  accordé  une  satisfaction  partielle,  mais  avait 
refusé  i^  chiffre  de  45.000  comme  trop  élevé.  Un  prélè- 
vement aussi  fort  exposerait  le  comté  de  Glatz  et  peut- 
être  la  Moravie  au  danger  des  incursions  prussiennes.  Bref, 
Laudoii  aurait  à  lui  rendre  de  suite  les  -iî)  bataillons  et  78  es- 
cadrons empruntés  à  l'armée  de  Saxe  et  plus  tard  si  le  roi 
de  Pi'US!i\3  réduisait  ses  forces  suffisamment,  un  second 
détachement  de  20  bataillons  et  un  contingent  correspon- 
dant de  cavalerie. 

La  nouvelle  de  la  prise  de  Schweidnitz  ne  modifia  (2) 
ces  instructions  qu'en  subor'^onnantleur  exécution  à  l'in- 
térêt supérieur  de  la  conservation  de  la  forteresse  con- 
quise. En  fait,  les  renforts  pour  la  Saxe  ne  se  mirent  en 
marche  que  le  20  octobre  et  encore  furent-ils  arrêtés  par- 
tiellement en  Lusace  (3)  où  Beck  reçut  une  augmenta- 
tion de  5  régiments  d'infanterie  et  deux  de  cavalerie. 

La  ville  de  Schweidnitz,  située  sur  la  rive  gauche  de  la 
petite  rivière  du  Weistritz  ou  Schweidnitz  Wasser,  était 
une  place  de  seco  \  ordre.  Devenu  maître  de  la  Silésie, 
Frédéric  avait  ajouté  aux  murailles  de  la  ville  quelques 
ouvrages  extérieurs  que  les  Autrichiens  pendant  leur  oc- 
cupation en  1757  les  Prussiens  après  leur  réocciipation 
en  1758,  avaient  iccessivement  agrandis.  A  l'époque  de 
l'assaut  que  nous  .  'Ions  raconter,  la  place  ou  plutôt  le 
camp  retranché  di  Seh^^eidnitz  avait  pour  principale 
défense  une  ceinture  de  forts  et  de  redoutas  reliés  par 
une  double  ligne  de  retranchements  en  terre.  Un  espace 
libre  s'étendait  entre  cette  enceinte  et  la  ville;  cette  der- 
nière  était   entourée    d'un  mur   à    tours   carrées  qu'on 


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(1)  Cabinet Schniben  m  Daiin,  Vienne,  2  octobre  1761.  Archives  de  Vienne. 

(î)  Cabinet  S(;hreil)en  an  Laudon,  Vienne.  l<i  oclobre  1761.  Archives  de 
Vienne. 

(;{)  Monlro/.ard  à  Clioiseui,  Freyburfi,  ;îi)  octobre  1701.  Archives  de  la 
Guerre. 


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254 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP  Vil, 


avait  appuyé  d'un  terrassement.  Les  forts,  bA,tis  sur  le 
même,  modèle,  étaient  ouverts  à  la  gorge,  et  bien  que 
pourvus  de  fossés  ne  possédaient  que  des  escarpes  de 
10  à  12  pieds  et  n'étaient  pas  par  conséquent  à  l'abri 
d'une  escalade.  Les  moyens  de  comnmnication  entre  les 
ouvrages  extérieurs  et  entre  ceux-ci  et  la  ville  étaient 
très  imparfaits  et  n'assuraient  pas  la  retraite  des  dé- 
fenseurs. Pour  compenser  ces  défauts,  pour  garnir  les 
points  exposés,  pour  servir  les  240  bouches  à  feu  de  la 
place,  il  eût  fallu  une  garnison  suffisante  et  un  fort  ap- 
point de  canonniers;  or,  le  gouverneur  Zastrow  avait  à 
sa  disposition  5  faibles  bataillons  d'infanterie,  une  com- 
pagnie d'artillerie  réduite  par  les  détachements  à 
83  hommes;  y  con^j^jris  150  cavaliers,  ^'effectif  des  com- 
battants n'atteignait  que  2.4-36  hommes.  Le  général  de 
Zastrow,  qui  exerçait  la  charge  de  gouverneur  depuis 
1758,  brave  militaire,  avec  de  beaux  états  de  service, 
'encore  très  valide,  possédait  la  confiance  de  son  maitre 
et  semblait  la  mériter.  Depuis  le  départ  de  l'armée 
royale,  il  s'attendait  à  une  tentative  contre  l'un  des 
ouvrages  avancés,  tout  au  moins  à  l'ouverture  d'une 
première  tranchée.  Conformément  aux  ordres,  la  gar- 
nison prussienne  était  sous  les  armes,  et  aux  postes 
désignés  à  5  h.  le  30  septembre;  chacun  des  comman- 
dants des  quatre  forts  à  la  tête  d'un  détachement  de 
270  hommes  avait  reçu  ses  instructions  pour  le  cas 
d'une  attaque  :  les  soldats  devaient  avoir  le  fusil  à  la 
main  et  les  officiers  d'état-major  avaient  mission  de  faire 
des  rondes,  de  surveiller  les  patrouilles  et  de  s'assurer 
que  tout  le  monde  était  sur  le  qui  vive.  Afin  de  se  rendre 
compte  des  mouvements  de  l'ennemi,  les  dragons  et 
hussards  attachés  à  la  garnison  avaient  ordre  d'éclai- 
rer les  environs,  de  placer  des  vedettes,  de  pousser  de 
petites  reconnaissances;  à  la  première  rencontre  d'une 
troupe  ennemie,  ils  devaient  en  tirant  des  coups  de  cara- 


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LAUDON  ENLEVE  SCIIWEIDNITZ. 


255 


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bine  donner  le  signal  de  l'alarme.  Enfin,  tout  ce  qui  n'était 
pas  alFccté  aux  forts  détacliés,  à  l'enceinte  extérieure,  à 
la  garde  des  prisonniers  autrichiens  enfermés  dans  le 
Wasser  fort  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  constituait 
une  réserve  d'un  peu  plus  de  400  hommes  et  était  cou 
sacré  à  la  défense  du  corps  de  la  place.  Zastrosv  lui-môme 
se  tenait  prés  duBugen  Thor  dans  un  point  central. 

De  son  côté,  Laudon  avait  combiné  son  attaque  avec 
beaucoup  de  soin  et  de  précision.  Il  organisa  quatre  co- 
lonnes d'assaut,  fortes  chacune  de  5  bataillons,  d'un 
escadron  de  dragons  et  de  détachements  d'artillerie  et 
du  génie.  Sur  l'effectif  des  bataillons,  environ  300 
hommes  étaient  affectés  au  transport  des  échelles  et 
aux  divers  travaux  que  nécessiteraient  l'assaut  et  la  prise 
de  possession.  Le  général  Amodei  en  avait  la  direction 
supérieure. 

En  plus  des  V  attaques  dirigées  contre  les  forts  Galgen, 
.lauernick,  Garten  et  Bôgen,  le  général  .lalmus  devait 
exécuter  une  démonstration  du  côté  du  Wasser  fort  et 
détourner  l'attention  de  la  garnison.  Laudon  allait  entre- 
prendre sa  tentative  audacieuse  avec  environ  lô.OOO  hom- 
mes, moitié  pour  la  mêlée,  moitié  en  soutien.  Le  corps 
russe  de  Czernitchew  fournissait  pour  l'assaut  un  contin- 
gent de  800  hommes. 

Vers  "2  heures  du  matin  le  1  "  octobre,  les  assaillants 
étaient  massés  sur  la  route  de  Striegau  et  devant  les  vil- 
lagesde  Subischdorf,  Schônbrunn  etH<igendorf;  Laudon  se 
tenait  de  sa  personne  à  Schoubrunn.  L'approche  de  la 
place  s'effectua  sans  attirer  l'attention  de  la  garnison  ;  elle 
fut  favorisée  par  la  nature  du  terrain.  I^rofitant  des 
ondulations  de  la  plaine  cultivée  et  dissimulés  par  les 
constructions  assez  nombreuses  qui  entouraient  la  ville, 
les  Autrichiens  purent  se  glisser  juscpi'au  glacis  sans 
être  aperçus.  Un  service  de  patrouilles  de  cavalerie  avait 
été  organisé  par  le  général  Zastro\\ ,  mais  les  pelotons 


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LA  GUEIUIK  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VII. 


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peu  nonibreu.v  chargés  de  ce  service  s'acquittèrent  mal 
(le  leur  bosoyne  et  ne  donnèrent  pas  lo  signal  d'alarme. 
Tout  était  donc  tran([uille  quand  i\  2  heures  et  demie 
un  coup  de  feu  parti  du  lingen  fort  donna  l'éveil.  L'at- 
taque des  forts  qui  devait  être  simultanée  d'après  les 
instructions  de  I.audon,  ne  fut  que  successive,  les  diffi- 
cultés d'accès  et  l'obscurité  de  la  nuit  retardèrent  la  niar-  ' 
che  de  (pieUpies-unes  des  colonnes  ;  mais  elles  furent 
bientôt  en  ligne  et  3  heures  n'avaient  pas  encore  sonné 
que  le  combat  s'engageait  sur  toute  la  périphérie. 

Les  Prussiens  faisaient  bonne  garde  ;  dès  les  premiers 
coups  de  fusil  ils  coururent  aux  remparts,  lancèrent  des 
boites  à  feu  et  ouvrirent  le  feu  contre  l'ennemi  qui  avait 
envahi  le  chemin  couvert.  Le  fort  de  lingen  tourné  par  la 
gorge,  escaladé  du  fossé  do  ut  une  grande  partie  n'était 
pas  défilée,  tomba  aux  mains  Je  l'assaillant,  ce  fut  l'affaire 
d'une  demi-heure;  l'oxplosir-n  d'un  magasin  de  poudre 
dont  il  avait  fallu  enfoncer  la  porte  coûta  la  vie  t'i  bon 
nombre  de  conil)attants,  mais  n'arrêta  pas  l'élan  des  Au- 
trichiens. .Vprès  s'être  emparés  des  autres  défenses  exté- 
rieures et  de  l'enceinte  qui  reliait  les  forts,  ceux-ci  se 
portèrent  à  l'escalade  des  murs  de  la  ville  de  Schweidnitz, 
dont  les  portes  étaient  fermées. 

Zastrow,  avec  h  commandant  du  génie,  le  major  de  la 
place  et  quelques  officiers,  s'était  posté  depuis  dix  heures 
auprès  de  la  Biigen  Thor.  Il  fit  de  son  mieux  pour  tirer 
parti  des  '*  à  500  hommes  qui  constituaient  sa  faible  ré- 
serve ;  la  première  tentative  pour  poser  les  échelles  fut 
repoussée,  mais  il  restait  des  espaces  de  50  à  60  pas  où, 
faute  de  monde,  la  résistance  était  nulle.  Les  Autrichiens 
pénétrèrent  dans  la  ville  de  tous  les  côtés  et  ouvrirent  les 
portes  à  leurs  camarades.  Zastrow  fut  pris  avec  une  poi- 
gnée de  soldats  qui  faisaient  encore  le  coup  de  feu. 

La  prise  du  (iarten  fort  avait  précédé  celle  de  la  ville  ; 
il  n'en  lut  pas  de  même  des  Jarnick  et  Galgen  forts  qui 


fut 

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ZASTROW  PASSE  EN  CONSEIL  DE  GUERRE. 


287 


résistèrent  énergiquement  et  où  les  premiers  assauts  fu- 
rent repoussés  avec  perte. 

Quant  au  Wasser  fort  contre  lequel  Laudon  n'avait  des- 
siné qu'une  fausse  attaque,  il  succomba  aussi.  Les  4  ù  500 
prisonniers  autrichiens  qui  y  étaient  enfermés  désarmè- 
rent les  48  Prussiens  chargés  de  leur  garde  et  ouvrirent 
les  portes  aux  Croates  de  Jahnus.  A  5  h.  1/2  du  matin, 
le  combat  avait  cessé  et  Schweidnitz  était  au  pouvoir 
de  l'armée  impériale. 

L'aflaire  coûta  aux  Autrichiens  63  officiers  et  1.396  sol- 
dats tués,  blessés  ou  disparus;  aux  Russes  97  officiers  ou 
soldats.  La  perte  delà  garnison  fut  estimée  à 800  hommes. 
Le  vainqueur,  en  plus  des  prisonniers  (1),  s'empara  de 
25  drapeaux  de  222  bouches  à  feu  et  d'une  quantité  con- 
sidérable de  munitions.  * 

Frédéric  très  sévère,  comme  on  le  sait,  pour  ses  géné- 
raux malheureux,  commença  par  féliciter  Zastrow  de  sa 
belle  défense,  puis  il  se  ravisa  et  le  fit  comparaître  après 
la  guerre  devant  un  conseil  de  guerre  avec  les  deux  offi- 
ciers de  cavalerie  et  le  major  de  la  place.  Ce  dernier  fut 
acquitté,  mais  Zastrow  fut  condamné  à  deux  ans  de  forte- 
resse, les  subalternes  à  des  peines  inférieures  ;  ni  l'un  ni 
les  autres  ne  perdirent  leur  grade  dans  l'armée. 

Des  dépositions  des  témoins  (2)  devant  le  conseil  de 
guerre,  il  ressort  clairement  que  si  le  gouverneur  peut 
être  accusé  de  quelques  fautes  d'omission ,  la  cause  détermi- 
nante de  la  chute  de  la  place  fut  la  faiblesse  des  ellectifs  de 
la  garnison  et  notamment  des  artilleurs,  eu  égard  au 
périmètre  de  la  forteresse  et  au  nombre  des  canons  à 
servir. 


(1)  Daprès  Janko,  le  nombre  des  prisonniers  sVlcva  à  3.351  miiitaire.s 
odiciers  et  soldats.  Les  procès-verbaux  du  conseil  de  guerre  iw,  parlent  que 
de  2.43G  sous  les  armes.  Même  en  ajoutant  les  malades,  ou  indisponibles, 
l'écart  est  considérable. 

(•2)  l'ranz  Wachler,  Acten  des  Kriegsgcrichts  von  1703,  Breslau,  18'J7. 

CUEIIRF.   ni;   SEIT  ANS.    —    T.    V.  17 


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LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  MI. 


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Il  est  à  remarquer  que  les  soldats  de  la  garnison  quoi- 
que compos«'!e  en  honne  partie  de  déserteurs  ou  de  prison- 
niers autrichiens  se  comportèrent  liravemont,  à  de  rares 
exceptions  près.  Cependant,  il  y  avait  eu  de  la  désertion  au 
cours  des  jours  qui  précédèrent  l'assaut  et  on  affirme  que 
les  colonnes  autrichiennes  avaient  des  transfuges  (1)  pour 
guides  ;  d'ailleurs  la  localité  était  bien  connue,  bon  nom- 
bre des  officiers  de  Laudon  ayant  fait  partie  de  la  garnison 
lors  de  l'occupation  autrichienne  en  1757. 

Marie-Thérèse  se  montra  reconnaissante  à  l'égard  des 
vainqueurs  de  Scliweidnitz;.  Laudon  re<;ut  la  grand'croix 
de  l'ordre  de  Thérèse  en  brillants  et  peu  de  temps  après  le 
portrait  de  l'Impératrice,  encadré  de  diamants  avec  auto- 
risation de  le  porter;  les  principaux  officiers  qui  avaient 
pris  part  à  l'affaire  fuuent  avancés  en  grade  et  une  grati- 
fication en  argent  fut  accordée  aux  soldats  qui  avaient 
obéi  aux  ordres  interdisant  le  pillage.  «  La  seule  chose 
que  j'apprends  avec  peine  à  l'occasion  de  ce  glorieux 
exploit,  écrit  l'Impératrice  à  Laudon  (2),  c'est  que  la  plus 
grande  partie  de  mes  troupes  en  dépit  de  votre  défense 
et  de  vos  efforts,  a  pris  part  au  pillage.  » 

La  prise  de  Scluveidnitz  vint  fort  à  propos  relever  le 
prestige  de  Laudon,  très  compromis  par  les  piètres  ré- 
sultats de  la  campagne  de  Silésic  ;  «  Voilà  son  héros  (de 
Kaunitz)  M.  de  Laudon  culbuté,  voilà  au  pinacle  à  Vienne 
son  ennemi  capital  le  maréchal  Daun  »,  avait  écrit  Monta- 
zet  (3),  huit  jours  avant  la  surprise  du  1"^  octobre. 

La  première  pensée  du  roi  en  apprenant  la  fâcheuse 
nouvelle,  fut  de  reprendre  la  forteresse  perdue  avant  la 
fin  de  l'année,  mais  il  n'était  pas  assez  fort  avec  ce  qui 
lui  restait  de  troupes  pour  une  pareille  tâche  ;  il  écrivit 


(1)  W.  Edlm  von  Janko,  Laudon's  Lebcn,  Wien,  l«(i9. 

(2)  LeUie  citée  par  Arnelh,  VI,  p.  248. 

(3)  Moutazet  à  Choiscul,  sous  Dresde,  23  septembre  1761.  Archives  de  la 
Guerre. 


SIÈGE  DK  COLBERG. 


359 


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(lonc(i)  à  Platcn  de  venir  le  rejoindre  en  Silésie  aussitôt 
qu'il  aura  dégagé  le  prince  de  Wurtemberg  et  fait  lever  le 
siège  de  Colberg,  il  comptait  sur  son  arrivée  pour  le  20 
du  mois.  «  Le  général  Platcn  ne  pourra,  écrit  le  lloi  (21  à 
(irant,  gouverneur  de  Neisse,  guère  nous  arriver  avant  le 
22  ou  le  23  de  ce  mois...  en  attendant  je  marcherai  demain 
et  me  tiendrai  avec  mon  armée  aux  environs  de  Strehlen, 
jusqu'à  ce  que  le  général  Platen  s'approchera  de  nous.  » 
Le  lendemain  0,  son  quartier  générai  était  transféré  à 
Strehlen  où  il  demeura  jusqu'au  8  décembre.  Nous  pou- 
vons l'y  laisser  pour  nous  «ttcuper  des  mouvements  des 
Uussesen  Poméranic  et  du  siège  de  Colberg,  qui  prenait  une 
tournure  fâcheuse  pour  la  cause  royale. 

Le  prince  de  Wurtemberg,  venu  du  Mecklembourg  où 
il  avait  hiverné,  arriva  à  Colberg  au  commencement  de 
juin.  En  comprenant  le  détachement  de  Wcrncr  et  le  ren- 
fort que  lui  avait  amené  de  Glogau  le  général  Thadden  il 
réunit  sous  ses  ordres  i(>  bataillons  et  20  escadrons,  soit 
environ    12.000  hommes.   Le  brave  colonel  Heyde,  qui 
avait  repoussé  victorieusement  les  tentatives  des  années 
précédentes,  était  toujours  gouverneur  de  la  place  avec 
une  garnison  de  4  bataillons.  Le  23  juin,  Romanzow  déjà 
parvenu  à  Coslin,  grAce  à  un  prélèvement  sur  le  corps  de 
Totlleben,  comptait  sous  ses  ordres  environ  il   à  12.000 
combattants  et  devait  être  rejoint  par  l'escadre  de  l'amiral 
Poliinski  qui    avait  ù  bord  une  artillerie    nombreuse  et 
3.000    hommes   de   débarquement;    mais   les  vaisseaux 
russes  retardés  par  des  vents  contraires  ne  firent  leur 
apparition  que  dans  les  premiers  jours  d'août.  Komanzow 
prit  position  à  Korlin  sur  la  Persante. 

la  place  de  Colberg,  ainsi  que  nous  l'a  appris  le  récit  des 

(1)  Frédéric  à  Platen,  Gross-Nossen,  3  octobre  1761.  Corr.  Polit.,  .\XI, 
p.  7. 

('.>)  Frédéric  à  Granl,  Gross-Nossen,  5  octobre  17C1.  Corr.  Polit.,  XXI, 
p.  11. 


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LA  GUERRK  Dli  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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deux  premiers  sirges,  est  entourée  de  tous  les  côtes  [)ardes 
prairies  qui,  pendant  la  mauvaise  saison,  se  transforment 
en  marnisà  peu  prns  impraticables.  A  portée  de  canon  de 
l'enceinte,  s'élève  une  rangée  de  collines  à  faible  relief 
traversée  par  la  Persante  et  par  la  grande  route  de 
Treptow  et  de  Stettin.  A  l'abri  de  ces  hauteurs,  h  mi-côte, 
le  prince  de  Wurtemberg  avait  tracé  son  camp  retranché 
au  sud-ouest  de  la  forteresse,  la  droite  appuyée  h  la  rivière, 
la  gauche  à  un  marécage  qui  séparait  du  littoral  le  fau- 
bourg de  Bullenwinkel.  Les  deux  lignes  du  camp  étaient 
formées  de  11  ouvrages  fermés,  à  portée  de  fusil  l'un 
de  l'autre,  et  reliés  par  des  tranchéi  lisant  fonction  de 
courtines.  Une  inondation  d'une  profondeur  de  près  de 
k  mètres  rendait  les  approches  inabordables  du  côté  de 
Bullenwinkel.  On  s'était  servi  des  ruisseaux  qui  traversent 
les  bois  de  Badenhagen  et  du  Studtwald  jusqu'à  la  mer 
pour  noyer  l'accès  du  front,  la  route  de  la  plage  qui  con- 
duit de  Badenhagen  à  Colberg  avait  été  coupée  par 
deux  retrancliements  dont  l'un,  la  Sternschangc,  était 
fermé.  Enfin,  lors  de  l'approche  des  Russes,  on  éleva  .sur 
une  hauteur  en  avant  de  la  droite  du  camp  un  ouvrage 
qui  re(  ut  le  nom  de  la  Bedoute  verte,  mais  qui  n<>  fut  pas 
achevé.  Cet  ensemble  se  complétait  par  des  palissades, 
des  sauts-de-loup,  des  fossés,  et  constituait  un  obstacle 
redoutable.  Pour  maintenir  les  communications  avec 
Stettin,  dont  les  Prussiens  tiraient  leurs  approvision- 
nements, le  général  Werner  fut  détaché  sur  la  rive 
gauche  de  la  Persante  avec  le  gros  de  la  cavalerie  qui  y 
fut  cantonné  et  protégé  par  quelques  fortifications  de  for- 
tune. 

Le  22  août,  Romanzow  fit  son  apparition  devant  la 
place;  le  2V  les  vaisseaux  et  convois  de  Palaiiski  mouil- 
laient sur  la  rade,  ils  furent  rejoints  le  27  par  l'escadre 
suédoise  de  \k  bâtintents.  Aussitôt  son  parc  d'aitillerie 
reçu,  Romanzow  prit  position  le  V  septembre   à  portée 


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LKS  RUSSES  OUVHENT  LE  FEU. 


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de  canon  des  lij^nos  prussiennes,  entre  Stropsock  et 
Wobrodt  avec  sou  quartier  gén«''ral  à  Zermin.  Le  6  sep- 
tembre, les  Husses  ouvrirent  le  feu  de  leurs  batteries, 
jetèrent  dt;s  ponts  sur  la  Persante  ot  repoussèrent  la  ca- 
valerie de  Wernor  sur  l'autre  rive.  Déjà  la  situation  dans 
le  camp  prussien  devenait  pénible;  sous  la  tente  qui  ne 
donnait  contre  la  pluie  et  les  premiers  froids  qu'un  abri 
insuffisant,  à  court  de  ùois  pour  se  chaulTer  et  faire  l<;ur 
cuisine,  les  soldats  étaient  léduits  à  se  creuser  des  loge- 
ments où  ils  soufflaient  de  la  saleté  et  de  la  vermine.  Les 
arrivages  en  provisions  de  bouche  et  surtout  les  fourrages 
répondaient  à  peine  aux  besoins. 

Désireux  de  se  donner  de  l'air  et  d  obtenir  plus  de  faci- 
lités pour  nourrii'  sa  cavalerie,  le  prince  de  Wurtemberg 
se  décida  à  détacher  le  général  Werner  avec  2.000  dra- 
gons et  hussards,  300  fantassins  et  3  canons  dans  la  di- 
rection de  (ireifenberg,  sur  la  Rega,  où  il  se  rencontrerait 
avec  un  parti  de  cavalerie  envoyé  par  Bclling  et  agirait 
sur  les  derrières  de  Romanzow.  Werner  arriva  à  Treptow 
dans  la  nuit  du  il  au  12  septembre,  et  se  croyant  sans 
danger  d'une  attaque  des  Russes,  cantonna  ses  troupes 
dans  la  ville  et  dans  les  villages  des  en-,  irons.  Ce  manque 
de  précautions  lui  coûta  cher. 

Romanzow,  prévenu  du  départ  de  Werner,  expédia  à 
sa  poursuite  le  général  Bibikoff  avec  ce  qu'il  put  réunir 
de  cavalerie,  k  bataillons  et  6  pièces.  Couverts  par  un 
brouillard  épais,  les  Russes  parvinrent  à  Treptow  dans 
l'après-midi  du  12,  sans  avoir  été  signalés.  Wernersurpris 
commença  sa  retraite;  pendant  qu'il  cherchait  à  rallier 
son  monde,  il  tomba  aux  mains  de  l'ennemi  avec  s.)n 
infanterie.  Les  escadrons  prussiens  firent  de  leur  mieux, 
mais  furent  obligés  de  se  retirer  jusqu'à  Nougard  où  ils 
trouvèrent  les  kdO  hussards  de  Belling.  Bibikoff  laissa 
une  garnison  à  Treptow  et  regagna  avec  le  reste  de  ses 
forces  le  camp  de  Romanzow. 


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LA  OUKUUK  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP.  Vil. 


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Ktitre-temps,  ce  général  avait  poussr  avec,  énc  ^ic  .ses 
opérations  contre  le  camp  retranché;  le  13  septeml)rc,  le 
colonel  prussien  Corbière  fut  forcé  d'évacuer  la  forôt  du 
StadtwaUl  où  les  Russes  édifiènuit  une  chaussée  sur  la- 
quelle ils  installèrent  une  hatlerie.  Le  l(i,  il  y  eut  une 
canonnade  générale  au  cours  tle  laquelle  les  vaisseaux  de 
guerre  et  les  batteries  de  terre  croisèrent  leui'  feu  contre 
les  ouvrages  prussiens.  I/assaut  fut  commandé  pou'*  la 
nuit  du  18,  contre  la  «  Verhackscliange  »  et  la  Uedoute 
verte.  Seul,  le  premier  ouvrage  fut  enlevé  avec  sa  gar- 
nison de  200  hommes;  une  seconde  tentative  dans  la  nuit 
du  lendemain  fut  plus  heureuse,  mais  la  Redoute  verte  ne 
resta  pas  longtemps  entre  les  mains  des  assiégeants;  elle 
fut  reprise  par  les  Prussiens.  Les  Russes  revinrent  à  la 
charge  et  il  s'engagea  pour  la  possession  de  l'ouvrage  un 
combat  sanglar.t  qui  dura  toute  la  nuit  et  qui  aurait 
coûté  aux  Russes  2.850  honunes  (1)  et  aux  Prussiens  539. 
Romanzow  dut  renoncer  à  l'idée  d'emporter  de  vive  force 
le  camp  retranché. 

La  résistance  des  soldats  du  prince  de  Wurtemberg 
était  d'autant  plus  méritoire  qu'à  en  croire  des  témoins 
dignes  de  foi,  leur  qualité  laissait  fort  à  désirer.  En  par- 
lant de  l'affaire  deTreptow^  à  Paulmy.  l'ambassadeur  fran- 
çais à  Varsovie,  Caulaincourt,  s'exprime  ainsi  (2)  :  «  Il  est 
constant  que  la  désertion  continue  à  peu  près  autant  qu'il 
est  possible  et  que  les  prisonniers  que  l'on  a  ramenés  au- 
jourd'hui ne  ressemblent  guère  aux  Prussiens  du  com- 
mencement de  cette  guerre.  Je  n'ai  été  que  trop  malheu- 
reusement (3)  à  portée  de  savoir  positivement  que  hors 


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(1)  Chiffres  donnés  par  Schuffer,  Geschichle  der  Sicbenjûhrigen  Krieçis, 
vol.  11. 

(2)  Caulaincourl  à  Paulmy,  Zcrmin,  13  septembre   1701.  Archives  de  la 
Guerre. 

(3)  Caulaincourt,  alors  attaché  à  l'armée  suédoise,  était  resté  prisonnier 
des  Prussiens  pendant  quelque  temps. 


ASSAUT  REPOUSSE. 


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les  bataillons  de  grenadiers  (ju'a  M.  le  prince  dcWurtcin- 
IxM'g,  le  lestc  est  au  moins  composé  d'une  bonne  moitié 
de  gens  forcés,  la  plupart  sous  mes  yeux,  de  toutes  sortes 
de  nations.  » 

La  place  do  Colberg  résistait  toujours.  Gaulaincourt 
qui  était  venu  au  quartier  général  de  Homanzow  pour 
concerter  une  action  commune  entre  Uusses  et  Suédois, 
n'avait  guère  de  succès  ;  l'amiral  Polansky  déclarait  (1)  ne 
pouvoir  rester  plus  de  15  jours  devant  Colberg.  Le  2($, 
on  apprit  au  quartier  général  russe  2)  que  Platen  était  i\ 
Landsberg,  Dolgorouki  et  Berg  à  Driesen,  aussi  qu'un 
détacbement  suédois  était  à  Kammin  et  avancerait 
sur  Treptow  si  les  Russes  vou,laient  envoyer  à  leur 
rencontre.  Cette  dernière  proposition  écboua  par  suite 
du  manque  d'entente  entre  les  alliés,  mais  du  c<Mé 
de  la  grande  armée  russe  l'envoi  de  secours  fut  plus  effi- 
cace. 

Depuis  la  défaite  de  Werner,  les  communications  avec 
Stettin  étaient  interceptées,  la  disette  se  faisait  de  plus 
en  plus  sentir  au  camp,  aussi  Wurtemberg  attendait-il 
avec  impatience  l'arrivée  de  iMaten.  Celui-ci  avait  quitté 
Landsberg  le  25  septembre,  il  rallia  le  27  à  Freuer- 
walde  la  cavalerie  que  Masson  avait  ramenée  de  Trep- 
tow et  après  quelques  hésitations  inspirées  par  les 
mouvements  russes,  s'empara  le  30  septembre  de  Korlin 
sur  la  Persante  où  il  enleva  un  poste  russe.  Presque 
cerné  par  Dolgorouki  et  par  d'autres  détachements  en 
route  pour  renforcer  le  corps  de  Romanzow,  Platcn  ne 
se  crut  pas  en  force  pour  attaquer  ce  dernier  comme  il 
en  avait  eu  le  projet,  il  dirigea  donc  sa  marche  sur  le 
camp  de  Wurtemberg,  et  après  un  heureux  combat 
au  défilé  de  Spie,  effectua  sa  jonction  avec  le  prince  le 
2  octobre.  Ce    renfort  porta  les  forces  prussiennes  à 

(1)  MorcU  à  Choiseul,  Zcrmin,  20  septembre  1761.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  MorcU  à  Choiseul,  Zermin,27  septembre  176t;  Archives  de  la  Guerre. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS  -  CHAP.  Vil. 


environ  18.000,  chiffre  encore  inférieur  à  celui  des  Uusses 
qui  grâce  à,  l'arrivée  de  b^lgorouki  en  comptaient  20.000, 
mais  cet  écart  fut  bientôt  compensé  par  le  départ  des  deux 
escadres,  au  commencement  d'octobre.  Dans  les  deux 
camps,  les  privations  croissaient  chaque  jour,  les  cosaques 
venaient  mendier  du  pain  aux  avant-postes  prussiens. 

De  part  et  d'autre,  l'inaction  était  complète  ;  l'attaché 
militaire  Morett(l)  rend  compte  des  intempéries  :  vent, 
neige  et  pluie;  de  la  disette  de  grains  et  fourrages;  du 
départ  de  la  Hotte  russe  le  8;  Dolgorouki  est  mort  de 
blessures,  pas  un  coup  de  canon  n'a  été  tiré  depuis  3  jours. 
Platen,  pour  mettre  fin  à  la  démoralisation  qui  s'empa- 
rait des  troupes,  proposa  ù  son  chef  de  "en forcer  la  gar- 
nison de  Coiberg,  puis  d'évacuer  le  camp  h  l'effet  de  se 
concerter  avec  le  duc  de  Bevern  gouverneur  de  Slettin 
pour  la  levée  du  siège.  Wurtemberg  accepta  d'abord, 
puis  sur  le  conseil  du  général  Thadden  revint  sur  sa 
première  décision.  Platen  parût  donc  seul,  sa  sortie  eut 
pour  premier  résultat  de  rouvrir  momentanément  les 
communications  avec  Stettin  et  de  permettre  l'arrivée 
d'un  convoi  de  150  voitures. 

Vers  cette  époque,  Frédéric  croyait  (2)  encore  au  départ 
prochain  de  Romanzow,  à  la  retraite  de  Butturlin  der- 
rière la  Vistule  et  à  la  possil>ilité  du  retour  de  Platen  à 
l'armée  de  Silésic.  Il  ne  se  rendait  pas  compte  de  l'effet 
produit  sur  la  cour  de  Russie  et  sur  l'état-major  russe  par 
la  prise  de  Schweidnitz.  Cet  événement  réveilla  l'énergie 
très  assoupie  de  iiutturlin.  Le  quartier  général  fut  trans- 
féré à  Driesen,  puis  à  Dramburg  en  Poméranie  ;  Ferraor 
avec  sa  division  de  8.000  hommes  dut  se  porter  de  Arns- 
walde  à  Regenwald'î  pour  appuyer  les  troupes  légères 
de  Berg. 


(1)  Morett  à  Choiseiil,  Zcrmin,  11  octobre  17C1.  Archives  de  la  Guerre. 

(2)  Frédéric  à  Plalen,  Sirelilen,  17  et  20  octobre  1761.  Corr.  Polit.,  XXI. 


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COMMUNICATIONS  AVEC  STETTIN. 


2G5 


A  la  suite  de  ces  mouvements  les  Prussiens  avaient 
subi  des  échecs  partiels;  un  grand  convoi  de  500  k 
600  voitures  destiné  à  ravitailler  Colberg-  en  vivres  et  en 
munitions,  fut  attaqué  par  Berg  près  de  Golinow  et 
dut  rétrograder  sur  Dam  m  avec  pertes.  D'autre  part, 
un  détachement  prussien  fut  cerne  et  pris  le  16  oc- 
tobre dans  les  environs  de  GreiUenberg.  Ému  de  ces 
incidents  fâcheux,  le  prince  de  Wurtemberg  donna 
ordre  à  Platen  de  refouler  Berg  et  de  rouvrir  les  com- 
muoications  avec  Stettin  ;  à  cet  elfet  il  le  renforça  de 
5.000  hommes  et  de  19  canons. 

Conformément  à  cette  instruction,  Plâten  gagna  Trep- 
tow  le  17  ;  en  route  il  eut  connaissance  de  l'approche 
de  Fcrmor,  il  en  avertit  son  chef  et  lui  renouvela  sa 
proposition  d'abandonner  le  camp  et  de  mettre  en  cam- 
pagne tout  le  corps  prussien,  Wurtemberg  ne  voulut 
rien  entendre  et  confirma  ses  ordres.  Eo  conséquencc- 
Platen  continua  sa  marche  tout  en  renouvelant  ses  t»  > 
sur  les  dangers  auxquels  il  serait  exposé.  Le  20,  il  at- 
teignait Schwanteshagen  sur  la  route  de  Giilzow  è  Goli- 
now; il  y  fit  reposer  ses  hommes  fatigués  par  les  pluies 
incessantes  et  par  les  chemins  détrempés,  et  détacha 
le  'colonel  Corbière  dans  la  direction  de  Giilzow.  Ce  dé- 
tachement fut  surpris  par  les  Russes  qui  firent  prison- 
niers le  colonel  et  1.000  hommes. 

Fermor  et  Berg  qui  s'étaient  rejoints  à  Naiigard 
avaient  gagné  de  concert  Golinow;  ils  devaient  s'y 
heurter  contre  Platon  qui  y  était  arrivé  le  21  pour  pro- 
téger le  convoi.  L'attaque  russe  eut  lieu  le  22  de  grand 
matin;  les  Prussiens  évacuèrent  la  ville,  mais  employè- 
rent tous  leurs  efforts  à  faire  franchir  aux  chariots  la 
rivière  l'Ikna,  ils  réussirent  à  en  sauver  la  plus  grande 
partie  et  à  effectuer  leur  retraite  sur  Damm  ;  quant  au 
ravitaillement  de  Colberg,  par  voie  de  terre,  il  fallut 
y    renoncer    pour    le    moment.    Malheureusement  pour 


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LA  Gl  EURE  DK  SEPT  ANS. 


CHAP.  VU. 


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eux,  l'aimée  du  prince  de  Wurtemberg  subit  un  autre 
échec. 

Ému  par  les  avis  de  Plalen  et  inquiet  pour  la  sû- 
reté de  Treptow,  Wurtemberg  y  avait  envoyé  le  gé- 
néral Knobloch  avec  2  bataillons  et  un  contingent  de 
cavalerie.  Celui-ci  y  était  parvenu  le  20  dans  l'après- 
midi;  il  tut  cernC  le  lendemain  par  les  Russes  que  Ro- 
maiizovv  avait  renforcés.  Knobloch  résista  jusqu'au  25, 
mais  à  bout  de  ressources  et  sans  espoir  d'être  secouru  soit 
par  Wurtemberg  tenu  en  échec  devant  Colberg,  soit 
par  Platen  trop  éloigné,  il  fut  forcé  de  capituler  avec 
1.800  hommes  et  9  canons.  Cet  événement  qui  suivait 
l'abandon  par  les  Prussiens,  le  23,  des  villagei:,  de  Spree 
et  de  Prettmin  que  Romanzovv  fit  aussitôt  occuper,  donna 
au  général  russe  l'espoir  de  s'erap-^rer  non  seulement 
de  la  forteresse  de  Colberg,  mais  aussi  du  camp  retran- 
ché avec  ses  défenseurs. 

En  effet,  la  situation  devenait  de  plus  en  plus  critique 
pour  le  roi  de  Prusse  :  le  premier  contingent  de  l'armée 
de  Laudon,  5  régiments  d'infauterie  et  2  de  cavalerie,  des- 
tiné à  renlorcer  l'armée  de  Saxe,  était  parti  le  23  (1);  le 
bruit  se  répandait  qu'il  se  joignait  au  corps  de  Beck  pour 
tenter  un  raid  sur  Berlin;  il  avait  fallu  renoncer  à  voir 
Romanzow  lever  le  siège  de  Colberg,  et  môme  la  posi- 
tion de  Wurtemberg  inspirait  les  plus  vives  inquiétudes. 
«  Les  affaires  de  Poméranie,  écrit  Frédéric  à  son  frère  (2), 
sont  plus  mauvaises  que  vous  ne  le  croyez,  tout  est  à 
craindre  et  presque  rien  à  espérer.  Je  suis  d'autant  plus 
embarrassé  de  votre  situation  que  je  n'y  puis  porter  aucun 
remède,  il  ne  me  reste  ici  que  36  bataillons  après  les  dé- 
tachements quf^  j'ai  été  obligé  de  faire.  Tout  ceci  est  bien 
triste.  » 

Le  dernier  détachement  envoyé  de  l'armée  royale  était 

(Il  MontrozardàChoiseuljFrejbui};,  23  octobre  176t.  Archives  delà  Guerre. 
(2)  Frédéric  à  Henri,  Slrehlcn,  5  novembre  l'/61.  Corr.  Poli».,  XXF,  p.  6;(. 


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celui  de  SchoiiKonJo/f  qui  nvec  8  Ijatailhms,  «vait  été  di- 
rigé le  31  sur  (ilogau  fneaacé  par  les  Autrichiens  ;  or  il 
fallait  parer  au  danger  le  plus  urgent;  Schefi)iOiido/f  re«^ut 
donc  l'ordre,  le  2  novemhre,  de  se  joindre  à  Platon.  Celui- 
ci  après  avoir  remis  sa  Irouiie  eu  nirin,  usait  fnarclié  sur 
Stargard  d'abord  puis  rappelé  au  seroiM'Hij<i  Hdljlu,  exposé 
à  une  incursion  des  H'I'^sbh  avait  gagné  l'y/ijl/  où  il 
avait  été  rassuré  sur  U  sort  (le  ta  capitale;  le  9  à  Bern- 
stein  il  opéra}/  SH  jonction  iivec  Schenkendorf.  Les  forces 
réunies  des  rleux  généraux  se  montaient  à  *  '.  batail- 
lons, 48  escadrons  et  25  canons  de  parc,  dont  l'elTectif  en 
combatfaats  ne  dépassait  pas  9.000  hommes,  tant  la  divi- 
sion de  Platen  avait  été  éprouvée  par  son  marches  et  ses 
combats.  A  Arnswalde,  on  apprit  que  H  manzow  avait  été 
considérablement  renforcé  et  que  Berg  à  Freuen>\alde 
s'apprêtait  à  disputer  le  passage.  D'après  le  rapport  de 
Morett  (1)  les  effectifs  russes  employés  au  blocus  de  Col- 
berg  avaient  été  portés  à  40.000  hommes,  sans  compter 
la  diviiiion  de  Fermer  et  la  cavalerie  de  Berg  opposées  à 
Platen.  Quant  à  la  grande  armée  russe,  elle  était  en  route 
pour  la  Vistule  et  avait  le  5  novembre  son  quartier  général 
A  Templeburg.  Butturliu  s'était  entendu  avec  le  français 
Caulaincourt  pour  l'hivernage  de  8.000  Busses  au  Mecklem- 
bourg  (2).  Le  14  Platen  arriva  àNaugard,  il  trouva  la  route 
barrée  par  Berg  que  rejoignait  un  renfort  expédié  par 
Bomanzow ,  sous  les  ordres  du  i;énéral  Jacoblelf.  Toul  à 
coup,  la  nouvelle  se  répandit  que  le  prince  de  Wurtem- 
berg avait  évacué  le  camp  retranché  de  Col  berg  le  soir 
cju  14  novembre  et  était  parvenu  à  Treptow  dans  l'après- 
nd(|i  du  lendemain. 

Cette    nouvelle  n'était  que  trop  vraie;  dans   le  camp 
relranclié  |es  prl\  allons  étaient  devenues  insupportables  ; 

(1)  t^orcll  à  Giioisnu|,  ^pnii|li<  4  iioveinbre  |7G|.  Archives  de  la  Guerre. 
(i)  Mesiiager  à  cliokeùl,  fèiii|)je(niig,  f.  novi-rniire  1761.  Archives  de  la 
nuerie. 


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L.V  GUERRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VII. 


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y  demeurer  plus  longtemps  eût  été  s'exposer  à  une  capitu- 
lation que  Homanzow  d'ailleurs  avait  déjà  proposée.  Les 
vivres  manquaient,  les  convois  par  terre  étaient  intercep- 
tés, les  arrivages  par  mer  se  faisaient  de  plus  en  plus 
rares  ;  lo  gouverneur  de  Colberg  qui  n'avait  plus  que  4  se- 
maines de  provisions  pour  sa  garnison,  refusait  d'en  dis- 
traire pour  les  troupes  du  prince  de  Wurtemberg.  Il  n'y 
avait  qu'un  parti  à  prendre,  forcer  le  blocus  et  échapper 
au  cercle  dont  les  assiégeants  entouraient  le  camp.  Une 
attaque  des  lignes  russes  offrait  peude  chances  de  réussite  ; 
les  Prussiens  étaient  trop  épuisés  et  trop  inférieurs  en 
nombre  pour  pouvoir  compter  sur  le  succès;  un  seul  c'^'^ 
min  restait  encore  ouvert  :  c'était  celui  delà  plr  -  ;  .e 
suivait  une  chaussée  étroite,  bordée  de  marécages  et  cou- 
pée par  des  canaux  qui  servaient  de  débouchés  aux  étangs 
de  la  côte.  Le  croyant  impraticable,  Ronianzow  qui  avait 
fait  occuper  toutes  les  autres  issues,  s  était  contenté  de 
placer  un  poste  de  cosaques  au  village  de  Robe  où  la 
chaussée  rejoignait  la  terre  ferme. 

.lasque  dans  l'après-midi  du  \ï  novembre,  les  canons  des 
batteries  prussiennes  continuèrent  le  feu  ;  ù  la  chute  du 
jour,  ils  furent  démontés  et  remis  à  la  place.  On  entre- 
tint les  feux  de  bivouac  et  on  ne  releva  pas  les  postes; les 
tranchées  de  la  rive  gauche  ne  furent  évacuées  qu'à  5  heu- 
res du  matin.  La  marche  avait  commencé  avec  le  jour 
baissant,  elle  continua  toute  la  nuit,  à  minuit  la  tête  de 
colonne  arriva  à  l'embouchure  du  Camper  See  ;  on  la  fran- 
chit grùcc  à  des  embarcations  amenées  de  Colberg.  Les 
cosaques  se  retirèrent  de  Robe  sans  opposition.  En  fin  de 
compte,  Wurcemberg  et  ses  soldats  parvinrent  à  Treptow 
sans  avoir  tiré  un  coup  de  fusil.  Quant  aux  Russes  de  Ro- 
manzow,  il'i  ne  se  rendirent  compte  de  ^a  fîùte  des  assié- 
gés que  le  15;  ils  prirent  possession  aussi  :At  des  lignes  c'. 
des  retranchements  prussiens. 

Pendant  longtemps,  Frédéric  avait  conservé  ses  illu'-  'ons 


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LE  PRINCE  DE  WURTEMBERG  SORT  DE  COLRERG. 


2G9 


sur  le  retour  des  Russes  h  la  Vistule  et  sur  la  levée  du  siège. 
de  Colberg.  A  la  date  du  21  novembre,  il  écrivait  encore  (  1  ) 
à  Wurtemberg  :  Aujourd'hui  «  que  Plateu  estprcade  vous, 
je  vous  crois  hors  de  danger  »,  et  il  ajoutait  eu  français  : 
«  J'espère  à  présent,  mon  cher  neveu,  que  toutes  vos  in- 
quiétudes seront  finies.  Je  crois  que  la  rodomontade  (2)  de 
Romanzow  a  été  comme  une  dernière  tentative,  il  a  com- 
pris que  l'approche  de  Platen  l'empèchaitde  prolonger  son 
séjour  auprès  de  Colberg  et  il  aespéré  de  vous  intimider.  » 
C'est  le  lendemain  du  jour  où  il  traçait  ces  lignes,  que  le 
Roi  apprit  l'heureuse  sortie  de  Wurtemberg,  il  l'en  fé- 
licita (3),  tout  en  s'inquiétant  de  savoir  si  Colberg  était  en 
état  de  résister  sans  son  concours,  car  il  lui  renouvela  l'or- 
dre de  rallier  Platen  et  de  tout  tenter  de  concert  avec  lui 
pour  sauver  la  place  et  pour  refouler  en  Pologne  Roman- 
zow et  tous  les  détachements  russes.  Mêmes  instructions 
à  Platen  et  à  l'adjudant  Anhalt,  envoyé  quelque^  jours 
auparavant  en  Poméranie,  et  nouvelle  dépêche  le  23  en- 
joignant la  conservation  de  Colberg  avant  tout. 

Entre  les  généraux  ^irussiens,  il  y  eut  de  l'indécision 
sur  la  direction  à  prendre.  On  fît  (quelques  étapes  vers  Bel- 
gard  avec  l'intention  d  agir  sur  les  derrières  de  Romanzow  ; 
il  fallut  y  renoncer.  Exposés  sans  tentes  et  avec  leurs 
effets  en  lambeaux,  à  toutes  les  intempéries,  pluie,  neige 
et  verglas,  les  soldats  étaient  incapables  des  efforts  qu'on 
allait  leur  demander.  Sur  l'avis  de  Platen,  appuyé  par 
uu  conseil  de  guerre,  le  prince  décida  de  gagner  la  Rega 
à  Naugard,  démarcher  ensuite  sur  Treptow  par  (iulzow. 
A  Naugard,  les  troupes  se  reposèrent  et  se  ravitaillèrent  ; 
elles  en  repartirent  le  5  décembre  et  parvinrent  à  Trep- 


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(1)  Frédéric  à  Wurtemberg,  Slrelilen,  21  novembre  ITfil.  Covr.  Polit.,  X.\[, 
p.  87. 

['?.)  Allusion  à  l'invitation  à  Ctipitulor  que  Wurtemberg  avait  repousséc. 

(3)  Frédéric  à  Wurtemberg,  Strehlen,  Ti  novembre  17G1.  Coït.  Polit..  XXI, 
p.  89. 


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270 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  VII. 


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tow  où  elles  furent  rejointes  le  10  par  un  gros  convoi  de 
1 .000  chariots  chargés  de  vivres  et  de  munitions.  Le  1 1 ,  l'ar- 
mée de  Wurtemberg  se  mit  en  route  pour  Colberg  suivant 
la  grande  chaussée  par  NeumOhl  et  Spee.  On  se  heurta  au 
détachement  de  Herg;  il  fut  repoussé,  mais  survint  une  nuit 
glaciale  avec  chute  de  neige;  les  soldats,  sans  feu,  sans 
paille,  la  plupart  sans  abri,  souffrirent  terriblement  ;  on 
ne  releva  pas  moius  de  100  hommes  morts  de  froid.  Le 
12,  on  dirigea  le  convoi  vers  l'ouest  de  la  ville  que  les 
avis  de  Colberg  affirmaient  n'être  surveillé  que  par  des 
postes  de  cosaques,  ci  le  gr.  s'apprêta  à  forcer  le  dé- 
filé de  Spee.  Les  Prussiens  eurent  un  premier  succès;  ils 
emportèrent  la  hauteur  de  la  Redoute  verte,  mais  ne  pu- 
rent avancer  au  delà.  l\omanzow  envoya  des  renforts  à 
Kerg  et  s'établit  fortement  sur  les  hauteurs  de  Prettmin; 
son  artillerie  très  supérieure  prit  le  dessus.  Le  prince 
Eugène,  convaincu  de  l'impossibilité  de  forcer  le  passage, 
donna  l'ordre  de  la  retraite  sur  Treptow  où  les  Pruss,iens 
arrivèrent  le  lendemain,  non  sans  avoir  soufTert  des  atta- 
ques de  la  cavalerie  russe  qui  harcela  leur  marche. 

Le  sort  de  Colberg  était  scellé  ;  les  Russes  étaient,  depuis 
le  départ  de  Wurtemberg,  maîtres  du  camp  retranché  et 
des  ouvrages  à  l'embouchure  de  la  Persante,  que  la  fai- 
blesse de  la  garnison  n'avait  pas  permis  d'occuper;  ils 
commencèrent  leurs  travau.v  d'approche  et  ouvrirent 
leurs  batteries  de  brèches  le  8  déccml)re.  Les  assiégés 
l'épondirent  de  leur  mieux,  mais  un  renseignement  du 
i;i  décembre  leur  apprenant  l'échec  de  la  tentative  de  re- 
lève, leur  enleva  tout  espoir  de  délivrance;  le  15,  ilstirè- 
rent  leurs  deiiiiers coups  de  canon  et  le  16,  le  gouverneur 
Heyde  arbora  hdrapoau  blanc:  il  obtint  du  vainqueur 
los  conditions  honorables  quo  méritaient  ses  trois  belles 
défenses. 

Le  prince  Kugène  se  retira  avec  ses  forces  réduites  d'un 
tiers  à  Stargard,  IMaten  et  Schenkendorf  avec  ce  qui  res- 


REDDITION  DE  COLBERG. 


271 


tait  de  leurs  régiments  allèrent,  conformément  aux  ins- 
tructions royales,  rejoindre  le  prince  Henri  en  Saxe.  Quant 
à  Wurtemberg-,  après  avoir  détaché  Thadden  avec  sa 
brigade  sur  laLusace,  il  alla  prendre  ses  quartiers  d'hiver 
au  Mccklembourg.  Les  Russes  .estèrent  maîtres  de  la 
Poméranie  jusqu'aux  murs  de  Stctiin;  Romanzow  et  Berg 
cantonnés  entre  l'Oder  et  la  Per&ante,  Wolkonski  avec 
un  petit  détachement  sur  la  Netzc,  le  gros  comme  les 
hivers  précédents  sur  la  rive  droite  de  la  Vistulo. 

Bien  qu'ignorant  encore  la  nouvelle  de  la  reddition  de 
Colberg,  Frédéric  ne  conservait  plus  (''illusions  sur  le 
sort  de  cette  place  ;  d^  Breslau  où  il  s'élau  Uti:"=porté  après 
son  long  séjour  à  Strehlen,  il  fait  à  Kinckenstein  (1)  la 
revue  de  la  situation  :  «  Les  Autrichiens  sont  ici  en  Si- 
lésie  maîtres  de  Scliweidnitz  et  des  montagnes;  les 
Russes  sont  établis  derrière  la  Warthe  de  (îolberg  jus- 
qu'à Posen,  ce  qui  rend  premièrement  ma  situation  in- 
certaine, précaire  et  dépendante  de  mes  ennemis.  Cha- 
que botte  de  paille  qui  m'arrive,  chaque  transport  de 
recrues  on  d'argent  qui  m'arrive,  est  ou  devient  une 
faveur  i^u'ils  me  font  de  me  les  laisser  parvenir  ou  une 
marque  de  leur  négligence  deneme  point  l'enlever.  Du  côté 
de  la  Poméranie,  il  faut  regarder  Colberg  autant  que  per- 
due; s'il  n'y  arrive  du  miracle,  je  ne  vois  pas  comment 
nous  la  pourrons  sauver.  En  Saxe,  les  Autrichiens  sont 
mailles  dts  montagnes,  les  Cercles  de  la  Thuringe,  et  les 
Fraui^ctis  avancés  jusqu'il  Mulhausen...  Ici  toutes  les  for- 
teresses exposées  aux  entreprises  de  l'ennemi;  en  Pomé- 
ranie, Steltin,  Kustrin  et  Berlin  même  <\  la  merci  des  Busses 
et  en  Saxe  mon  frère  rejeté  au-dehï  de  l'Elite,  pour  ainsi 
dire  dès  le  premier  mouvement  du  maréchal  Daun.  »  Aux 
yeuxdu  Boi,  il  n'existe  qu'un  remède,  c'est  l'intervention 
des  Turcs,  «  nous  sommes  perdus  sans  leur  assistance,  et 


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(\]  Frédéric  à  Hiickenstein,  Breslau,  K»  décembre  1761   Corr.  Polil.,  XXJ, 
p.  lia. 


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272 


LA  GUERHE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAl».  VU. 


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avec  leurs  secours  nous  nous  relèverons  ».  Agissant  d'a- 
près cet  espoir,  Frédéric  donna  une  vive  impulsion  à 
ses  négociations  avec  la  Porte  et  le  Khan  de  Crimée  par 
l'entremise  de  son  envoyé  Rexin  à  Constantinople  et  par 
son  ministre  Benoist  à  Varsovie.  Au  cours  de  l'automne  et 
pendant  son  séjour  au  camp  de  Strehlen,  il  avait  re«;u 
la  visite  de  Mustapha  Aga,  favori  du  Khan  ;  celui-ci  re- 
tourna à  Batchi  Sarai  chargé  de  cadeaux  pour  son  maître 
et  accompagné  du  capitaine  Alexandre  von  der  Goltz.  Les 
pourparlers  engagés  aboutirent  à  une  promesse  iormelle 
d'une  incursion  des  Tartares  sur  le  territoire  russe.  Du 
côté  de  Conslantino[)le,  les  ail'aires  étaient  moins  avancées; 
cependant  il  était  queslion  d'une  déclaration  de  guerre 
de  la  Porte  contre  l'Impératrice  Reine  et  d'une  inva&,ion  de 
la  Hongrie  par  une  armée  de  120.000  Turcs  au  printemps 
de  1702.  Dans  sa  correspvondance  avec  Rexin,  le  Roi 
ne  cessa  d'insister  sur  l'impérieuse  nécessité  d'une 
prompte  intervention  en  sa  faveur.  Il  expose  très  fran- 
chement la  situation  presque  désespérée  dans  laquelle  il 
se  trouve  ;  il  est  convaincu  des  bonnes  dispositions  à  son 
égard  de  la  Porte,  ennemie  naturelle  des  \ulrichi(M\s  et 
des  Russes.  «  Mais  ces  dispositions,  ajoute-t  il  (t^,  Ue  me 
servent  en  aucune  fa^on  ilans  les  circonstances  embarras- 
santes et  pressantes  où  je  me  trouve,  si  la  Porte  ne  rompt  pas 
avec  nos  deuv  ennemis  en  question  et  cela  au  moment 
propice,  soit  au  commencement  du  mois  de  mai  de  Tannée 
qui  vient,  autrement  il  serait  trop  tard.  » 

De  môme  que  la  prise  de  Schvveidnitz  avait  été  le  der- 
nier événement  important  de  la  campagne  de  Silésie, 
celle  de  Colberg  fut  la  conclusion  virtuelle  des  hostilités 
générales.  Tout  en  se  déclarant  prêt  à  envoyer  en  Saxe 
une  partie  de  ses  troupes,  Laudon  avait  fait  remarquer 
qu'il  serait  dangereux  de  laisser  Schweidnitz  exposé  à  une 

(1)  Frédéric  à  Rexin,  I'.  S.  Bieslau,  28  ijéceiubre  17ÛI.  (-orr.  Pol.,  XXl, 
I).  141». 


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TENTATIVE  D'ENLEVEMENT  DU  ROI. 


273 


attaque  du  Koi  avant  d'avoir  remis  la  place  en  état  et 
d'en  avoir  constitué  la  garnison.  On  lit  droit  à  cette 
requête  ;  en  outre,  Laudon  obtint  de  Daun  l'autorisation 
d'ajourner  le  retour  de  Beck  et  de  le  maintenir  encore  en 
Lusace. 

Pendant  la  période  d'inaction  qui  termina  la  campagne 
et  au  cours  du  séjour  de  Frédéric  à  Strehlen,  se  produisit 
un  curieux  incident  :  une  tentative  d'enlèvement  du  roi 
de  Prusse.  F^es  principaux  conjurés  étaient  un  baron  si- 
lésien  du  nom  de  Warkotsch,  qui  avait  été  capitaine  au 
service  autrichien,  et  un  prêtre  catholique  de  la  région 
nommé  Schmidt.  Ces  personnages  s'abouchèrent  avec 
le  général  hraskowich,  puis  avec  Laudon  lui-même; 
ce  dernier  chargea  un  de  ses  officiers  de  s'entendre  avec 
eux  et  mit  à  leur  disposition  un  peloton  de  1)0  hussards 
qui  surprendraient  le  quartier  où  le  Roi  était  logé  et 
s'assureraient  de  sa  personne.  Le  complot  lut  dénoncé 
par  un  domestique  du  baron  et  n'eut  aucune  suite; 
les  principaux  instigateurs  prirent  la  fuite  en  temps  utile. 
Les  fugitifs  furent  pensionnés  par  le  gou\eruement  au.ii- 
chien. 

Pendant  les  mois  d  oclubre  el  liovoinlu'u,  rien  no  vint 
troubler  la  tranquillité  des  armées  rivales  d'int  les  cnn- 
tonnements  respectifs  lurent  déterminés  pal-  un  a|'|-q|)ge- 
ment  intervenu  en  décembre  entre  les  états-mojors.  j.a 
trêve  ainsi  assurée,  Laudon  remit  le  commandenienl  il 
d'Argenteau  et  alla  se  reposer  chez  lui  en  lHuJicnie.  Le 
Roi,  qui  avait  quitté  Strehlen  pour  Hreslau  le  10  décem- 
bre, passa  l'hiver  et  une  partie  ilu  printemps  dans  la 
capitale  de  la  Silésie. 

En  Saxe,  pendant  l'année  1701,  ii  ll'y  eUl  aucun  Inci- 
dent militaire  de  quehpie  importance;  les  deux  armées 
réduites  d'un  cùté  par  ic  dépait  des  troupes  qui  avaient 
accom(.ogné  le  Hoi,  d'un  autre  par  l'envoi  à  Laudon 
de    renforts  successifs  ne   tentèrent    aucune   entreprise 


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LA  OUERHE  DE  SKPT  ANS.  —  CIIAI».  VII. 


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agwssivo.  Le   prince  Henri  n'avait  conservé  que  3(1  l)a- 
taillons,  8H  escadrons  et  IV  bataillons  francs;  ces  der- 
niers, composés  de  déserteurs  et  de  prisonniers,  n'inspi- 
laieul  que  peu  de  confiance,  un  J)ataillon  en  particulier 
se  mutina  près  de  Leipzig  et  passa  à  rcnnemi.  L'eilectif 
prussien  ne  dépassait  guère  30  à  3.'». 000  hommes,  Dauu, 
dont  les  moyeas  d'action  étaient   supérieurs   grAce  au 
concours  de  l'armée  des  Cercles,  était  d'accord  avec  sa 
cour  pour  attendre  le  retour  du  contingent   de  Silésie 
avant  de  chercher  à  agrandir  son  territoire  d'approvi- 
sionnement.   Il    se    borna    ;"i    surveiller   les  deux    rives 
de  l'Elbe  avec  Lascy  dans  les  lignes  de  Vordorf,  Guasco 
k  bippoldiswalde  et  son  gros  derrière  la  VVeisserchy  au 
sud-ouest  de  Dresde.  En  l'ace  de  lui,  les  Prussiens  restaient 
en  position  de  Nossen  à  Meissen  derrière  la  Triebisch. 

Pendant  la  campagne  de  1701,  le  rôle  de  l'armée  des 
Cercles    at  à  peu  près  nul.  Au  début  de  juin,  Serbelloni 
commença  la  mobilisation  des  15.000  hommes  dont  se 
composaient    les   contingents    fédéraux;    elle    s'etléctua 
avec  une  lenteur  qu'expliquait  le  défai  i  d'organisation 
et  la  perte  des  magasins  détruits  par  les  raids  prussiens. 
Le    10  juillet,   leurs   avant-postes    avaient    îitteint  les 
jjortes  de  Leipzig  et  dépassé  la  Saale.  Pour  arrêter  un 
mouvement  qui    menai^ait    sou    flanc,    le   prince   Henri 
détacha  contre  eux   le  colonel   Kleist    qui  refoula  leurs 
avant-gardes.  En  août,  le  prince  eut  à  envoyer  le  géné- 
ral Stutterheim  contre  les  Suédois  et  le  colonel  Bohlen 
au  secours  du  duc  de  Brunswick;  malgré  cet  allaiblis- 
semenl  de  ses  forces,  il  confia  au  général  Seydlitz,  qui 
avait  repris  du  service,  un  corps  de  5.000  hommes  pour 
inquiéter  les  troupes  des  Cercles  qui  faisaient  mine  d'a- 
vancer. Celles-ci  reculèrent  aussitôt  jusqu'à  Ronneburg, 
Seydlitz  jugea  leur  position  trop  forte  et  malgré  la  prière 
de  Kleist,  ne  voulut  pas  les  atta({uer. 

L'année    se    termina    sans    événement   d'importance  ; 


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KULK  DES  SUKIJOIS. 


27- 


Oaun  profita  de  l'ai'rivée  des  renforts  venus  de  Silcsie 
pouf  élargir  ses  cantonnements;  il  y  réussit  en  partie. 
A  la  fin  de  iTGl,  ceux  dos  Anti'ieliiens  s'étendaiciil  depuis 
(Irossenhain  sur  ia  rive  droite  de  l'Elbe  jusiju'à  l'enihou- 
churc  de  la  Zschopau  dans  la  Mulde;  l'armée  des  Cercles 
étiiit  à  cheval  sur  la  Saalc,  le  (juartier  général  de  Ser- 
belloni  à   Sayalfeld.    Los  Prussiens  étaient  établis  outre 
Neissen,    I.ommatsch,    Niegelu   et  iXibeln;   Seydlifz    aux 
abords  de  Ixipzig  et  Schuiettau  avec  un  détachement  eu 
Lusfice.  Platen  de  retour  de  Pomérauie  au  mois  de  jan- 
vier  17()2    occupa   Zeite  et  Alteuburg,    mais   un  retour 
offensif  de    l'ennemi  le    rmieua   à  Pcgau   d'où   il   alla 
prendre  ses  quartiers  d'hivoi'  dans  la  région  de  LcMpzig. 
En  résumé,  pendant  l'année;  17()t,  les  Impériaux  avaient 
recouvré  la  possession   d'une  partie  de  la  Saxe   royale 
qu'ils  avaient  perdue  à  la  suite  de  la  bataille  de  lorgau. 
Du  côté    des  Suédois,   les  résultats  de  la   campagne 
avaient  été  encore  plus  insignifiants  que  les  années  pré- 
cédentes. Il  avait  suffi  des  deux  bataillons  et  des  10  es- 
cadrons du  colonel  Belling  avec  l'aide  intermittente  de 
la  garnison  de  Stettin  pour  tenir  tète  aux  15.000  Suédois 
du  général  Ehrenswiird.   La  campagne   débuta  vers  le 
milieu  de  juillet,  le  but  des  Suédois  étant  de  couper  les 
communications  de   rennemi  avec  le  Mecklcmbourg  et 
de  lui  enlever  les  magasins  qu'il  avait  formés  à  Treptow 
et  à  Malchin.  (Irûco   à  un  renfort  de  .{  bataillons  venus 
de  Stettin  et  à  l'arrivée   du   général  Jung  Stiitterheim 
avec  V  bataillons  et  8  gros  cauons  tirés  de  l'a  nuée  du 
pvinc»,  Henri,  les  Prussiens  purent  se  maintenir  et  même 
reprendre    le  terrain   qu'ils   avaient   d'abord    cédé.    Au 
mois  de  septembre,    la  brigade   de  Stutterheim    et  les 
troupes  disponibles  de  la  place  de  Stettin  furent  portées 
au  secours  du  prince    de   Wurtemberî:     elles   revinrent 
au  plus  vite,  mais  Ehrenswiird  profitant  de  leur  absence 
momentanée  refoula  Belling  et  occupa  Strasburg  et  une 


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LA  GUERRE  DE  SFPT  A^S.  —  CHAP.  VII. 


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parUe  de  l'Ukermark.  Le  retour  de  Stutterheim  mit  fin 
à  ce  petit  succès;  après  quelques  mouvements  empreints 
de  l'indécision  de  son  caractère,  le  général  suédois  réin- 
tégra la  Poméranie  suédoise  et  mit  son  armée  en  can- 
tonnements. Stutterheim  retourna  au  prince  Henri  et 
Belling  prit  près  de  Schwerin  une  position  qui  lui  per- 
mit de  lever  les  contributions  habituelles  dans  le  duché 
de  Mecklcmbourg.  Les  Suédois,  inquiets  de  ce  voisinage, 
évacuèrent  le  0  décembre  Demmin,  ie  seul  poste  qu'ils 
eussent  conservé  au  sud  de  la  Peene.  Les  hostilités  re- 
prirent le  22  décem'bre  par  la  prise  de  Malchin  par 
Spreng  porten  ;  il  y  eut  lutte  pour  la  possession  de  cette 
ville  et  de  Demmin  contre  Belling  renforcé  par  le  prince 
de  Wurtemberg;  l'avantage  resta  aux  Suédois  qui  con- 
servèrent Demmin  jusqu'à  la  paix.  Au  cours  de  l'au- 
tomne, des  pourparlers  avaient  été  engagés  par  l'atta- 
ché français  Caulaincourt  pour  obtenir  la  coopération 
des  Suédois  au  siège  de  Colberg  et  aux  opérations  qu'il 
entraînait;  ils  n'aboutirent  pas.  La  dernière  campagne 
de  la  puissance  Scandinave  contre  le  roi  de  Prusse  n'avait 
été  pas  plus  fructueuse  que  celles  qui  l'avaient  précé- 
dée. 

Il  convient  maintenant  de  revenir  au  récit  des  événe- 
ments politiques  et  notamment  aux  révolutions  de  Russie 
qui  exercèrent  une  si  grande  influence  sur  la  fortune 
du  roi  de  Prusse. 


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CHAPITRE  VIII 


MORT   D  ELISABETH. 


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La  rupture  des  négociations  entre  l'Angleterre  et  ia 
France  avait  mis  fin  à  la  discussion  embarrassante  qui 
s'était  engagée  entre  les  cours  de  Versailles  et  de  Vienne 
sur  l'interprétation  du  fameux  article  13  du  traité  de 
1758.  Dès  la  fin  d'août,  Choiseul  donnait  pour  instruc- 
tions à  Chatelet(l)  de  ne  plus  parler  de  paix  au  chan- 
celier. Depuis  la  conclusion  du  pacte  de  famille,  !e  cabinet 
français  personnifié  par  Choiseul,  de  plus  en  plus  influent, 
était  acquis  à  la  continuation  des  hostilités.  «  Comme  je 
n'ai  pas  pu  faire  la  paix,  avait-il  dit  (2),  je  m'en  vais 
donc  faire  la  guerre.  »  Ministre  du  département  de  la 
Guerre  depuis  la  mort  de  Belleisle,  Choiseul  venait  de 
prendre  c.-lui  de  la  Marine  en  remplacement  de  lier- 
ryer,  appelé  aux  fonctions  de  garde  des  sceaux.  En  re- 
vanche, il  avait  cédé  à  son  cousin  le  comte  le  porte- 
feuille des  Affaires  Étrangères,  tout  en  se  réservant  la 
direction  des  relations  espagnoles.  Avec  son  ardeur  ha- 
bituelle, il  s'adonna  corps  et  Ame  à  la  besogne  de  son 


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(1)  Choiseul  à  Chalelet,  22  août  1761.  Affaires  Etrangères. 

(2)  Stariieniberg  à  Kaunitz,  12  seplembio  1761.  Archives  de  Vienne. 


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LA  CUERRE  DE  SEPT  ANS.    -  CIIAP.  VIII. 


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nouveau  ministère,  reprit  les  armements  des  ports  que 
son  prédécesseur  faute  de  ressources  avait  négligés, 
s'employa  activement  à  faire  passer  des  secours  à  la 
Martinique  et  à  Saint-Domingue  et  chercha  à  préparer 
avec  la  cour  de  Madrid  une  expédition  commune  contre 
la  Jamaïque. 

A  l'opposé  de  Choiseul  de  pacifique  devenu  belliqueux, 
Kaunitz  se  montrait  de  plus  en  plus  abattu;  depuis  le 
départ  des  Russes  et  leur  retour  derrière  l'Oder,  il  sem- 
blait regretter  la  rupture  qu'il  avait  saluée  avec  joie 
deux  mois  auparavant,  il  n'avait  aucune  foi  dans  les 
résultats  de  l'alliance  avec  l'Espagne  et  attribuait  à  l'im- 
mixtion des  affaires  de  cette  puissance  l'échec  des  ten- 
tatives pacifiques.  Chatelet  fait  part(l)  à  son  ministre  de 
cette  mentalité  nouvelle  :  «  Il  craignait  il  y  a  un  mois 
que  nos  négociations  particulières  avec  l'Angle  terre  ne 
vinssent  mettre  des  bornes  aux  grandes  espérances  qu'il 
avait  conçues  de  l'exécution  d'un  projet  auquel  il  avait 
tout  sacrifié  et  qu'il  croyait  immanquable.  Depuis  que 
les  Russes  ont  passé  l'Oder,  et  maintenant  que  leur  retraite 
a  déchiré  en  partie  le  bandeau  de  l'illusion,  je  ne  sais 
en  vérité  s'il  n'y  a  pas  des  moments  où  il  serait  bien 
aise  que  nous  lui  eussions  fourni  les  moyens  de  pou- 
voir nous  accuser  de  forcer  en  quelque  sorte  l'Impé- 
ratrice à  la  paix.  Il  cherche  du  moins.  Monsieur,  à  di- 
minuer le  prix  du  sacrifice  et  il  m'a  répété  plusieurs  fois 
et  avec  affectation  que  nos  liaisons  et  nos  engagements 
avec  l'Espagne  étaient  les  grands  obstacles  qui  s'opposaient 
à  notre  réconciliation  avec  l'Angleterre.  »  Le  diplomate 
français  s'évertuait  en  vain  à  démontrer  que  c'était  la  dé- 
fense des  intérêts  autrichiens  et  notamment  le  refus  d'éva- 
cuer les  territoires  prussiens  du  Ras-Rhin  qui  avaient  été 
la  cause  déterminante  de  la  rupture.  Peut-être  l'ignorance 


(1)  Chatelet  à  Choiseul,  20  septembre  17C1.  AfTaircs  Etrangères. 


LIMPKRATUICE  JUGE  LE  PACTE  DE  FAMILLE. 


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dans  laquelle  la  cour  <le  Vienne  avait  été  laissée  sur  la 
nature  des  liens  qu'elle  savait  exister  entre  la  France  et  l'Es- 
pagne était-elle  pour  ([uel({ue  chose  dans  l'opinion  peu  fa- 
vorable que  l'Impératrice  et  son  chancelier  professaient 
au  sujet  de  l'action  du  roi  catholique.  Au  cours  d'une 
audience  de  Chatelet  (1)  à  l'occasion  de  son  élévation  au 
rang"  d'ambassadeur,  la  souAerainene  cacha  pas  son  dé- 
faut de  confiance  :  «  Quelles  ([ue  fussent  les  dispositions 
du  Roi  d'Espagne,  elle  avait  peur  que  nous  n'en  tirerions 
pas  un  grand  parti  et  que  cette  puissance  ne  fût  pour 
nous  un  allié  aussi  inutile  que  les  Russes  l'étaient  pour 
elle.  » 

Sous  des  prétextes  de  procédure,  la  communication  offi- 
cielle du  pacte  de  famille  fut  ajournée  juscju'à  la  fin  de 
novembre.  L'Autriche  devait-elle  accéder  à  la  nouvelle 
alliance?  Choiseul  le  désirait  :  «  La  cour  d'Espagne  pense 
très  bien  pour  la  vôtre,  avait-il  dit  à  Starhemberg  (2); 
elle  veut  réellement  s'unir  avec  vous,  elle  vise  au  grand; 
il  faudra  s'entendre.  »  L'Autrichien,  imitant  la  réserve  de 
sa  cour,  n'avait  pas  répondu  à  l'invite;  le  fait  que  les 
nouveaux  alliés  ne  lui  avaient  pas  donné  connaissance  de 
leur  convention  militaire  était  d'ailleurs  en  contradiction 
avec  le  langage  de  Choiseul.  Si  le  mystère  dont  furent  en- 
tourés les  traités  franco-espagnols  s'explique  d'abord  pur 
le  désir  à  Versailles  de  prolonger  le  plus  possible  les  négo- 
ciations encore  pendantes  avec  l'Angleterre,  plus  tard  à 
Madrid  par  la  nécessité  de  retarder  jusqu'au  [)i'intemps 
l'ouverture  d'hostilités  pour  lesquelles  on  n'était  pas  en- 
core prêt,  toujours  est-il  ([ue  (Chatelet  pouvait  écrire  (3) 
le  26  octobre  :  «  Tout  le  mondj  parle  du  traité  franco- 
espagnol,  seuls  le  ministre  d'Espagne  et  lui  eu  igno- 
rent. » 


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(1)  Ciiatelet  A  Choiseul,  10  octobre  1761.  Affaire.s  Etrangères. 

(2)  Slarlicinherg  à   Kaunitz,  31  novembre  1761.  Archives  devienne. 

(3)  Chatelet  ii  Choiseul,  20  octobre  1701.  Affaires  Etrangères. 


280 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CilAP.  VIII. 


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En  somme,  pendant  l'été  de  1761  les  relations  de  la 
France  et  de  l'Autriche  ne  furent  troublées  par  aucune 
de  ces  discussions  orageuses  auxquelles  nous  avaient 
habitués  les  prédécesseurs  de  Chatelet.  Pour  remplir  sa 
correspondance,  celui-ci  est  réduit  à  nous  raconter  (1)  les 
exploits  cynégétiques  de  la  jeune  princesse  Louise  de 
Parme  :  «  M""  l'archiduchesse  se  porte  parfaitement  bien  de 
sa  grossesse  malgré  l'exercice  violent  qu'on  lui  laisse  pren- 
dre. Elle  a  tiré  plus  de  500  coup?  de  fusil  dans  une  seule 
battue  de  lièvres  et  cela  par  la  plus  grande  chaleur  de  la 
journée;  nosfemmf^"  de  France  seraient  bien  étonnées  si 
on  leur  proposait  d'en  faire  autant  dans  la  meilleure 
santé.  » 

A  défaut  du  duc  de  Choiseul  qui,  tout  feu  et  tout 
flamme  pour  le  nouvel  allié,  laissait  passer  au  second 
plan  les  affaires  d'Autriche,  son  cousin  le  comte  de  Choi- 
seul, annonçant  le  15  octobre  sa  prise  de  possession  du 
département  des  Affaires  Étrangères,  commentait  (2)  à 
Chatelet  en  ces  termes  le  changement  d'attitude  du  gou- 
vernement de  l'Impératrice  :  «  Il  est  assez  singulier  qu'a- 
près avoir  combattu  pendant  si  longtemps  les  disposi- 
tions guerrières  de  la  cour  de  Vienne  et  après  avoir  tant 
négocié  pour  la  ramènera  des  sentiments  pacifiques,  nous 
en  soyons  aujourd'hui  au  point  de  craindre  qu'elle  ne 
désire  plus  la  paix  que  nous-mêmes;  mais  vous  sentirez 
aisément.  Monsieur,  que  notre  négociation  avec  l'Angle- 
terre étant  rompue,  il  n'est  pas  de  notre  intérêt  que  nos 

alliés  se   dégoûtent  de  la  guerre Vous  ne  devez  rien 

dire  à  M.  de  Kaunitz  sur  cet  objet  et  vous  devez  vous 
renfermer  dans  les  bornes  d'une  observation  vigilante.  » 
La  découragement  du  chancelier  tenait  à  deux  raisons  : 
aux  résultats  plus  que  médiocres  de  la  campagne,  que 
le  succès  inespéré  de  Schweidnitz  n'avait  pas  relevés  au 

(1)  Chalelel  à  Choiseul,  5  septembre  ITfil.  Affaires  Etrangères. 

(2)  Comte  de  Choiseul  à  Chatelet,  20  octobre  17G1.  Affaires  Etrangères. 


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CIIOISEUL  IlEi.LIQUEUX. 


281 


point  do  compenser  la  déception  causée  par  la  retraite 
des  Russes,  et  aux  embarras  financiers  de  l'Impératrice  qui 
avaient  leur  répercussion  sur  les  dépenses  courantes 
de  l'armée  et  surtout  sur  les  préparatifs  pour  la  conti- 
nuation de  la  lutte.  Sous  le  coup  de  ces  préoccupations, 
Kaunîtz  se  refusait  à  envisager  les  éventualités  :  «  Il  est 
trop  tôt,  déclarait- il  (1)  àChatelet,  pour  arrêter  le  plan  de 
campagne  prochain  ou  pour  parler  de  !a  paix  en  août.  » 
Marie-Thérèse,  quoiqu'en  apparence  plus  énergique  dans 
son  langage,  paraissait  «  plus  lasse  et  plus  dégoûtée  de  la 
guerre  que  son  ministre  ». 

Au  contraire  de  la  cour  de  Vienne  qui  'Montrait  peu 
d'entrain  pour  la  poursuite  d'une  guerre  dont  elle  avait 
été  le  véritable  auteur,  la  France,  sous  la  vigo:ireuse  im- 
pulsion de  Choiseul,  était  revcuue  à  des  sentiments  plus 
belliqueux  que  jamais.  Le  ministre  de  Louis  XV  très 
monté  contre  la  puissance  maritime,  dans  ses  entretiens 
avec  Starhemberg  (2), se  plaisait  à  .ïposer  son  projet  «de 
faire  déclarer  toute  l'Europe  contre  l'Angleterre  et  de  re- 
garder commeennemisde  la  cause  communetous  ceux  qui 
ne  voudront  pas  prendre  parti  contre  elle  ». 

Malgré  son  abandon  du  département  des  Affaires  Étran- 
gères, Choiserl  devenait  chaque  jour  plus  puissant  et  plus 
maitre  de  diriger  à  sa  guise  la  politique  de  son  pays.  Du 
crédit  dont  il  jouissait  auprès  du  Roi,  il  allait  bientôt  re- 
cevoir un  témoignage  éclatant  sous  la  forme  de  sa  nomi- 
nation à  la  place  de  colonel  général  des  Suisses,  sinécure  qui 
lui  rapportait  un  supplément  de  traitement  d'environ 
100.000  livres.  Quoiqu'il  ne  possédât  pas  le  titre  de  pre- 
mier ministre,  il  bénéficiai  en  fait  du  prestige  et  du  pouvoir 
que  drnne  cette  fonction.  Pour  s'assurer  pleine  lil)erté  d'ac- 
tion, ilsétaitréservélesrapportsavecl'Espagneetentendait 
tirer  du  nouvel  allié  tout  le  concours  possible  pour  ses 

(l)Chatelel  à  Choiseul,  25  octobre  1761.  Affaires  Étransères. 

(2)  Starhemberg  à  Kaunilz,  21  novembre  ITfil.  Archives  de  Vienne. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CflAP.  VIII. 


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dosseiiis  contre  rAngleterre.  Ses  rclalions  avec  Tambassa- 
deur  (irimaldi  étaient  établies  sur  le  pied  le  plus  intime 
en  déj)it  du  pou  de  sympathie  qu'il  eut  pour  le  person- 
nage ;  il  n'hésitait  pas  à  lui  confier  toutes  ses  visi'es  pour 
l'intérieur  aussi  bien  que  pour  l'extérieur,  alors  (ju'il  se 
plaisait  à  renvoyer  à  son  cousin  les  auti'cs  chefs  de  mis- 
sions et  à  jouer  vis-à-vis  d'eux  l'ignorance  ou  h;  désinté- 
ressement. Accoutumé  aux  discussions  souvent  orageuses, 
mais  toujours  importantes  du  passé  avec  le  grand  ministre, 
Starhcmberg  (1)  se  souciait  d'autant  moins  d'ôtr*^  relégué 
au  second  plan  qu'il  goûtait  assez  peu  le  ton  et  les  maniè- 
res de  son  nouvel  interlocuteur,  lecomte  de  Choiseul.  On 
pouvait  faire  entendre  raison  au  duc;  le  premier  mou- 
vement de  vivacité  ou  de  colère  passé,  il  écoutait  les 
arguments  de  l'adversaire  et  souvent  en  reconnaissait 
la  justesse.  Chez  le  comte  le  sang-froid  et  la  souplesse 
ne  faisaient  qu'accentuer  l'entêtement  et  la  morgue  qui 
caractérisaient  chez  lui  la  discussion.  Starhemberg  était 
outré  des  démentis  que  le  ministre  opposait  à  ses  propres 
affirmations,  des  refus  de  croire  à  des  promesses  appuyées 
sur  sa  parole  d'honneur,  sous  prétexte  qu'il  n'était  pas  en 
son  pouvoir  de  les  tenir,  des  accusations  d'intransigeance 
qu'on  lui  jetait  à  la  figure;  il  s'en  plaignit  amicalement  au 
duc  de  Choiscul,  dont  l'intervention  eut  pour  effet  de  ré- 
tablir des  rapports  plus  convenables. 

Il  s'agissait  pour  l'envoyé  de  Marie-Thérèse  de  pénétrer 
le  plan  d'opérations  de  l'Espagne  et  de  la  France  contre 
l'ennemi  commun.  Quoique  la  guerre  ne  lût  pas  encore 
déclarée  entre  les  cours  de  Madrid  et  de  Londres,  Star- 
hemberg savait  qu'en  même  temps  que  le  pacte  de  famille 
une  convention  militaire  avait  été  signée  entre  la  France 
et  l'Espagne  ;  le  premier  instrument  lui  avait  été  commu- 
niqué,mais  le  texte  du  second  était  encore  un  secretmême 


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(1)  Starhemberg  à  Kaunilz,  Stléccinbie  1761.  Archives  de  Vienne. 


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LE  COMTE  DE  CIIOISEUL. 


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pourlo  comte  de  Clioiscul;(lans  cet  arraiiq'omcnl,  était  visé 
IcF^ortugal,  allié  intime  de  l'Angleterre,  contre  lequel  se- 
raient portés  les  premiers  coups.  I^'Autrichien  interro.yca 
(irimaldi,  mais  n'en  tira  que  des  défaites;  h  une  question 
sur  la  uestination  de  20. 000  hommes  rassemblés  en  (Jalice 
sur  les  frontières  du  Portu,u;al,  l'ambassadeur  espagnol  ré- 
pondit ([u'il  s'agissait  d'un  corps  dont  la  menace  de  débar- 
quement tm  Irlande  obligerait  le  gouvernement  britanni- 
que à  augmenter  les  garnisons  de  celle  lie.  Auprès  des 
Choiseul  qu'il  vit  successivement,  Starhembergeut  plus  de 
succès.  Les  20.000  Kspagnols  devaient  envahir  iePortugal. 
•<  Mais  si  cette  puissance  consent  à  prendre  des  mesures  com- 
merciales contre  l'Angleterre?  »  observa  l'ambassadeur. 
«  On  exigera  alors  la  remise  des  forteresses  du  royaume 
aux  Kspagnols  qui  les  garderont  comme  gage  »,  répliqua 
le  duc.  «  Du  reste,  Sa  Majesté  Catholique  a  des  droits  sur 
le  Portugal.  »  Puis,  s'cchaufiaut,  il  lança  cette  boutade  : 
«  Il  ett  temps  de  faire  sauter  cette  maudite  race  de  bîYtards 
de  Bragance,  qui  ne  sont  que  des  vassaux  de  l'Angle- 
terre. »  Le  comte  de  Choiseul,  quoique  plus  réservé, 
confirma  les  dires  de  son  cousin  ;  d'après  lui  l'envoi  de 
20.000  hommes  que  la  Grande-Bretagne  serait  obligée 
d'expédier  au  secours  de  son  allié,  constituerait  une  diver- 
sion très  utile  et  faciliterait  d'autres  entreprises. 

Vers  la  fin  de  janvier  1702  arriva  la  nouvelle  d'un  évé- 
nement dont  les  etl'ets  bouleversèrent  l'équilibre  européen  : 
la  mort  de  l'Impératrice  Elisabeth.  Il  y  eut  à  ce  sujet  entre 
Starhemberget  les  deux  Choiseul  une  conférence  (1  dans 
laquelle  il  fut  convenu  ({ue  les  représentants  des  deux 
puissances  agiraient  d'accord  dans  l'intérêt  de  l'alliance 
et  s'abstiendraient  de  toute  immixtion  dans  les  événe- 
ments intérieurs  de  la  Russie.  Le  duc,  comme  bien  on 
pense,  se  prononça  pour  la  poursuite  des  hostilités:  *<  .le 

(1)  Slarliemborg  à  Kaunilz.  '.l'.)  janvier  1762.  Archives  dt;  Vienne. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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compte  que  vous  continuerez  la  guerre,  quand  môme 
la  Kussic  ferait  sa  paix.  Vous  n'avez  plus  besoin  d'elle 
et  vous  pouvez  venir  ù  bout  du  roi  de  Crusse  sans  se- 
cours. »  Starbemberg'  se  contenta  d'une  réserve  :  «  Il 
me  parait  que  cela  serait  bien  difficile.  ><  Quelques  jours 
après  (1)  la  conversation  reprit  :  Starbemberg  objecta  que 
refuser  des  ouvertures  de  paix,  «  ce  serait  faire  la  guerre 
sans  objet  et  courir  les  plus  grands  risques  sans  qu'il  piU 
nous  en  revenir  aucun  avantage  ».  Choiseul  de  répliquer 
non  sans  à-propos  :  «  Eh  bien  I  vous  auriez  pour  objet  de 
remplir  vos  engagements  et  ce  serait  l'avantage  qu(î  vous 
retireriez  de  la  guerre.  Si  cependant  vous  y  manquez,  nous 
prendrons  nos  mesures  en  conséquence  et  nous  ne  ferons 
pas  notre  paix  pour  cela.  »  L'ambassadeur,  après  avoir  rap- 
pelé la  loyauté  de  sa  cour  pour  le  passé,  lit  remarquer  qu'il 
serait  sage  d'attendre  les  décisions  du  nouvel  empereur 
avant  de  discuter  le  parti  le  plus  favorable  à  l'intérêt 
commun.  L'avis  était  trop  raisonnable  pour  qu'il  ne  pré- 
valût pas. 

Quelques  mots  échappés  à  Choiseul  faisaient  croire  à 
Starbemberg  (2)  que  le  ministre  français  n'était  pas  aussi 
éloigné  des  idées  de  paix  qu'il  aurait  voulu  le  paraître. 
Au  cours  d'un  des  entretiens  presque  quotidiens,  celui-ci 
.s'était  écrié  :  «  Vous  verrez  que  cela  nous  fera  faire  notre 
paix  avec  l'Angleterre.  »  D'autre  part,  il  semblait  moins 
réfractaire  à  l'idée  d'un  congrès  général,  et  l'accepterait 
même  pour  le  cas  où  l'empereur  de  Russie  en  prendrait 
l'initiative  sous  la  réserve  «  qu'il  ne  prétende  pas  nous 
dicter  la  loi  et  régler  les  conditions  à  lui  tout  seul  avec 
nos  ennemis  ». 

Ces  indices  recueillis  au  passage  se  transformèrent  peu 
à  peu  en  informations  plus  sérieuses.  Le  bruit  s'étant  ré- 
pandu que  des  ouvertures  pacifiques  avaient  été  faites  par 

(1)  Slarhemberg  à  Kaiinitz,  8  février  1762.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Starhemi)erg  à  Kaunitz,  9  février  1762.  Archives  de  Vienne. 


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RKTICENCES  A  VKUSAILLES  ET  A  VIENNE. 


285 


le  ministre  anglais  et,  qu'elles  avaient  été  favorablement 
accueillies  par  le  cabinet  lran(;ais,  l'envoyé  (juestionna  à 
cet  égard  le  ministre  des  Alfaires  Étrangères;  ce  der- 
nier (1)  répondit  par  un  démenti  formel  :  aucun  rappro- 
chement n'avait  été  tenté,  s'il  y  en  avait  eu,  on  n'eu  au- 
rai* pas  fait  un  secret.  Certes,  à  croire  certains  rapports 
d'outre-Manche,  la  cour  de  Londres  désirait  la  paix  et 
avait  donné  une  preuve  de  ses  intentions  aimables  en  ren- 

à. 

dant  sa  liberté  au  comte  d'Kstaing  qui,  capturé  au  cours 
(le  son  voyage  de  retour  des  Indes,  avait  été  mis  en  pri- 
son comme  ayant  manqué  à  sa  parole.  A  cette  occasion, 
les  ministres  des  deux  pays  avaient  fait  échanger,  par  le 
canal  du  comte  Viry  et  du  bailli  de  Solar,  ministres  du  roi 
de  Sardaigne  à  Londres  et  à  Versailles,  des  compliments  et 
des  remerciements.  Le  récit  de  ces  incidents  qu'il  arracha 
à  Solar,  un  long  entretien  de  ce  diplomate  avec  Choiseul, 
dont  il  eut  connaissance,  confirmèrent  les  soupçons  de 
Starhemberg.  Ne  se  trouvait-on  pas  en  présence  d'un  re- 
virement de  la  politique  française  et  ne  verrait-on  pas  la 
cour  de  Versailles  mettre  à  prêcher  la  paix  avec  l'Angle- 
terre et  la  Prusse  autant  d'ardeur  qu'elle  en  avait  déployé 
en  ces  derniers  temps  pour  la  ccntinuation  de  la  guerre 
contre  ces  puissances?  Pourtant  une  confidence  récente  était 
de  nature  à  dissiper  ses  doutes  en  la  loyauté  du  cabinet 
français.  Le  comte  de  Choiseul  venait  de  lui  communiquer 
une  dépêche  d'Aiîry,  envoyé  de  Louis  XV  en  Hollande, 
relative  à  des  ouvertures  de  la  Prusse  qui  lui  auraient 
été  faites  par  l'entremise  des  frères  Neufville,  banquiers 
à  Amsterdam. 

De  son  côté  le  cabinet  de  Vienne  n'était  pas  sans  re- 
proches à  s'adresser  à  l'égard  de  son  allié.  Avant  ae  cher- 
cher à  nouer  avec  le  gouvernement  français  des  pour- 
parlers  discrets   qui   pourraient    ouvrir   la  voie  à   une 


(1)  Starhemberg  à  Kaunitz,  6  mars  1762.  Archives  devienne. 


IHC. 


LA  (•.IJKUni,  I)K  SKI'T  ANS. 


CHAP.  viir. 


H 


négociation  paciliquo,  !<•  niinislère  juiglais  avait  fait  au- 
près de  la  cour  do  Vienne  une  tentative  de  iiij)[)roclienienl 
dont  nous  aurons  -X  reparler,  mais  dont  il  convient  dès  A 
[)résent  de  dire  quehjucs  mots.  Au  courant  de  janvier 
I7<i2,  la  chancellerie  autrichienne  reçut  de  son  envové 
i\  La  Haye  \o  hai-on  [{(Msclmeh  une  communication  qui 
dut  fort  la  surprendre.  L(  cahinct  de  Saint-.îames,  très  pré- 
occupé des  consé(|uences  de  la  guerre  que  venait  de  lui 
déclarer  l'Kspagne,  coii<,'ul  l'idée  de  fermer  contre  les 
princes  de  la  maison  de  Bourbon  une  coalition  dans  la- 
quelle on  espérait  faire  entrer  l'Autriche  mécontente  du 
pacte  de  famille  et  jalouse  de  l'influence  espagnole  en 
Italie.  Pour  accomplir  cet  objet,  il  était  indis[)etisable  de 
rétablir  la  paix  en  Allemagne  à  des  conditions  favorables 
pour  l'Impératrice  Keine.  Cette  princesse  satisfaite,  grâce 
à  l'acquisition  d'une  portion  de  la  Silésie,  renoncerait  fa- 
cilement î\  l'alliance  francjaise  de  la(|uelle  elle  n'aurait 
plus  de  bénéfice  à  attendre.  Une  note  inspirée  par  ces 
arguments  fut  remise  au  nom  de  Newcastle  et  de  Bute  par 
l'envoyé  Yorke  au  prince  Louis  de  Brunswick  et  par  lui 
communiquée  à  Beischach  ({ui  en  référa  A  Vienne.  La  ré- 
ponse autrichienne  retardée  jusqu'au  5  mars  fut  rédigée 
d'ailleurs  de  façon  à  détruire  tout  espoir  de  faire  aboutir 
un  projet  qui  ne  constituait  autre  chose  que  le  retour  à 
l'ancienne  orientation  de  1755. 

Dans  le  long  rescript  (1)  que  Marie-Thérèse  adressa  le 
22  mars  à  Starhemberg  à  propos  des  propositions  pacifi- 
ques de  la  Russie,  il  est  fait  allusion  à  l'incident  et  copie 
de  la  réponse  expédiée  à  La  Haye  fut  envoyée  à  l'ambas- 
sadeur, avec  ordre  de  n'en  faire  usage  auprès  du  minis- 
tère français  que  dans  le  cas  où  celui-ci  aurait  eu  vent 
de  l'ouverture  et  aurait  reproché  au  cabinet  de  Vienne  le 
silence  gardé  vis-à-vis  de  son  allié.  Comme  excuses,  il 

(1)  lleseript  de  Marie-Thérèse  à  Starhemberg,  22  mars  17r>2.  Archives  de 
Vienne. 


PUOJKTS  CONTIIK  LE  PORTUGAL 


387 


serait  fncilf!  d'invoquer  la  condition  du  secret  absolu 
imposé  par  le  prince  Louis  et  la  netteté  du  refus  opposé 
par  l'Autriche. 

La  fin  de  mars  et  la  première  moitié  d'avril  s'écoulè- 
rent sans  qu'une  lumière  additionnelle  éclairât  les  mys- 
térieux poiir[)arlers  (jui  avaient  inquiété  l'ambassadeur. 
On  semblait  revenu  à  l'idée  de  pouisuivre  la  guerre  avec 
vigueur;  la  convention  militaire  de  la  France  avec  TKs- 
pagne  avait  été  (mfin  eonnuuni(|uéc  k  T  'intriclu;  et  avait 
été  l'objet  des  critiques  et  observations  habituelles. 

D'autre  part,  les  opérations  militaires  suivaient  leur 
cours;  on  avait  appris  la  prise  de  la  Martini(iue  par  les 
Anglais;  l'entreprise  contre  le  Portugal  prenait  forme; 
la  sommation  d'avoir  à  se  joindre  aux  alliés  contre  l'An- 
gleterre avait  été  expédiée  à  Lisbonne;  le  marquis  de 
Beauvau  concentrait  A  Hayonne  12  bataillons  destinés  à 
appuyer  le  corps  d  ^!ii)ée  espagnol;  de  leur  côté  Its  An- 
glais se  préparaient  à  envoyer  au  secours  du  Portugal 
une  partie  des  troupes  qui  formaient  la  garnison  de  Hel- 
leisle. 

De  la  négociation  avec  l'Angleterre  il  n'était  plus  ques- 
tion; le  duc  de  Choiseul  avait  gardé  (1)  i\  cet  égard  le 
silence  le  plus  absolu;  dans  une  conversation  qui  eut  lieu 
le  11  mai,  le  comte  de  Choiseul  avait  affirmé  qu'il  n'i- 
gnorait pas  les  tendances  conciliantes  du  cabinet  britan- 
nique, mais  que  de  la  part  de  celui-ci  aucune  proposition 
soit  directe,  soit  indirecte,  ne  lui  était  parvenue  jus- 
([u'alors.  Le  lendemain,  le  comte  qui  avait  demandé  à 
Starhemborg  et  o])tenu  de  lui  un  rendez-vous  chez  lui, 
révéla  à  l'ambassadeur  une  correspondance  secrète  qui 
en  réalité  se  poursuivait  avec  l'Angleterre  depuis  les  pre- 
mierS^  jours  de  l'année,  <[uoique  le  ministre  français  ne 
la  fait  remonter  qu'au  commencement  d'avril. 


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(1)  Starhcinberg  à  Kauiiilz,  13  mai  1762.  Archives  de  Vienne. 


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288 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  VIII. 


p'i' 


Pour  la  grande  alliée,  le  changement  de  la  politique 
française  allait  paraître  aussi  brusqur  qu'inattendu,  car 
au  moment   môme  où   lo   comte  de    Choiseul    mettait 
Starhcmberg  au  courant  des  pourparlers  entamés  rvec 
l'Angleterre,  le  représentant  de  Louis  XV  à  Vienne  luttait 
presque  quotidiennement   cont^'e  le   découragement  de 
l'impératrice  reine  et  de  son  ministre  et  contre  le  désir 
de  la  paix  qui  grandissait  à  vue  d'oeil  à  la  cour  d'Autri- 
che. H  (Chatelct)  dépeint  (1)  l'abattement  de  Kaunitz,  ses 
craintes  d'une  alliance  de  la  Russie  avec  la  Prusse,  rend 
compte  du  refus  de  l'Autriche  de  venir  en  aide  au  Jane- 
mark  qu'il  s'agissait  de  défendre  contre  l'agression  de 
Pierre  III  et  conclut  comme  suit  :  «  Nous  aurons  donc  sous 
peu  de  fortes  lances  L  rompre  avec  la  cour  de  Vienne  et  elle 
ne  tardera  pas  à  nous  déclarer  d'une  manière  très  pres- 
sante la  nécessité  indispensable  où  elle  s?  prétendra  et 
peut-être  même  croira  être,  de  songer  à  uiie   paix  très 
prompte.   »  Marie-Thérèse  semblait  plus  affectée  que  son 
ministre  ;  «  Cette  campagne,  avait-elle  déclaré  au  Fran- 
çais (2),  ne  m'offre  que  des  risques  à  courir  et  nulle  pos- 
sibilité d'en  retirer  aucun  fruit  et  je  vous  avoue  que  je 
suis  peu   inquièle   et  peu    occupée   de  ce  qui  arrivera 
en  17G3...  Je  sais  bien  que  je   dois  renoncer  à  la  Silésie 
et  on  ne  me  l'a  jamais  bien  promise,  mais  si  le  Czar  la 
garantit  au  roi  de  Prusse,  je  ne  conserverai  pas  môme  ce 
que  mes  armes  m'ont  conquis.  Quant  au  comté  de  Glatz, 
c'est  un  objet  peu  important  en  lui-même  et  que  le  roi  de 
Prusse  ne  fera  peut-être  pas  difficulté  de  m'abandonner, 
mais  en  tous  cas  cela  ne  vaut  pas  la  peine  de  faire  trois 
mois  de  campagne  pour  le  conserver  à  la  paix.  »  Dans 
une  dépêche  qui  se  croisa  avec  l'analyse  de  la  négociation 
anglaise  qu'on  lui  envoyait  de  Paris,  Chatelet  résumait  (3) 

(1)  Chalelet  au  comle  de  Choiseul,  14  mai  1762.  Affaires  Etrangères. 

(2)  Chatelet  au  comte  de  Choiseul,  15  mai  1702.  Affaires  Etrangère-. 

(3)  Chatelet  au  comte  de  Choiseul,  17  mai  1762.  Affaires  Etrangères. 


NOUVEfXES  INSTRUCTIONS  DE  HUETEUIL. 


289 


la  situation  :  «  La  cour  de  Vienne  désire  vivement  la 
paix  et  n'ose  encore  le  dire,...  je  me  flatte  do  «'uivre  en- 
tièrement vos  vues  en  lui  rendant  cet  accouchement  le 
^.lus  difiicilc  qu'il  me  sera  possible.  » 

Les  pourparlei's  mystérieux  dont  il  vient  d'être  question, 
aboutirent,  on  le  sait,  au  triùté  qui  mit  fin  à  la  guerre 
entre  la  France  et  l'Angleterre;  aussi  sont- ils  d'impor- 
tance trop  grande  pour  que  nous  ne  leur  consacrions  pas 
un  chapitre  spécial. 

En  attendant,  il  nous  f;iut  faire  une  excursion  en  Russie 
et  raconter  les  événements  extraordinaires  qui  suivirent 
la  mort  de  la  tzarine  Elisabeth  et  qui  signalèrent  le 
court  règne  de  son  successeur  Pierre  III,  événcmonls  qui 
eu  t  une  répercussion  décisive  sur  la  politique  et  le 
groupement  des  puissances  europé-nnes. 

A  la  cour  de  Pétersbourg,  on  avait  suivi  d'un  œil  bien- 
veillant les  négociations  »^niamées  eu  1701  entre  la  France 
et  l'Angleterre;  l'état  de  santé  de  la  Tzarine,  l'incertitude 
surlapolitii|ue  extérieure  du  souverain  qui  lui  succéderait, 
le  caractère  timide  et  irrésolu  du  chancelier  Woronzow,  la 
lassitude  de  la  guerre  le  maniue  d'argent  pour  la  pour- 
suivre, toutes  ces  causes  laisaienl  désirer  la  tin  d'hostilités 
qui  avaient  été  inspirées  plus  par  le  sentiment  personnel 
d  Elisabeth  (|ue  par  celui  de  la  nadon.  Aussi,  quand 
Choiseul  (1)  escomptant  l'échec  de  pourparlers  qu'il  ne 
dé-«iraii  |>îu«  faire  aboutir,  invita  le  ministre  français  Bre- 
teuil  à  changer  le  langage  pacifique  qu'il  tenait  depuis  un 
an,  en  plaidoiries  sur  le  thème  d'une  vigoureuse  camp-i- 
gne  pour  l'année  prochaine,  se  heurta-t-il  à  une  résistance 
qui,  pour  être  sourde,  n'en  était  pas  moins  sérieuse.  Le  Fran- 
çais sans  se  dissimuler  les  contradictions  dans  lesquelles 
il  va  tomber,  exécutera  de  son  mieux  ses  nouvelles  ins- 
tructions. De  concert  avec  le  comte  de  Mercy-Argenteau 


I.:  'i 


(1)  Choiseul  à  Breleui'.  .5  aofti   1701.  Affaires  Élra. -.ères. 

GUEimK  I»K   Slll-r   ANS.    —   TV. 


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290 


LA  GUERHE  UE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  Mil. 


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qui  venait  de  remplacer  Esterhasy  comme  ambassadeur 
de  l'Autriche,  il  entreprit  Worotizow  :  «  La  réunion  de  nos 
vues  actuelles,  mande-t  il  à  .son  chef  (1),  pourra  être 
de  qucl([ue  poids;  j'y  ferai  autîint  ce  qui  dépendra  de 
moi,  Monseigneur,  que  j'ai  tAciié  de  ne  rien  négliger 
pour  inspirer  depuis  un  an  le  goût  de  la  paix.  Ce  goût 
avait  fort  augmenté  et  presque  généralement  depuis  le 
mauvais  état  de  la  santé  de  l'Impératrice;  peut-être  que 
son  rétîtblissement  qui  est  parfait  le  diminuera.  » 

Ainsi  (ju'on  l'a  vu,  tout  autant  que  son  alliée  du  Nord, 
la  cour  de  Vienne,  aux  prises  avec  des  embarras  finan- 
ciers, laissait  fléchir  son  ardeur  guerrière  et  reparlait  du 
congres.  Le  comte  de  Choisoul  transmettait  à  Breteuil  les 
aveux  que  Stai'hemberg  lui  faisait  à  ce  sujet  :  «  H  m'a 
confié  de  plus,  écrit  le  comte  (2),  et  m'a  même  répété 
qu'il  lui  manquait  28  millions  de  florins  pour  subvenir 
aux  dépenses  de  la  campagne  prochaine  ;  il  désire  l'as- 
semblée du  congrès  et  il  nous  a  fort  pressés  à  ce  sujet 
par  M.  de  Czernichew  (3)  dont  il  dirige  entièrement  les 
démarches.  » 

Cependant  les  difficultés  budgétaires  de  l'Autriche 
n'empêchaient  pas  cette  puissance  de  prêcher  à  ?éters- 
bourg,  non  sans  succès,  la  poursuite  de  la  guerre,  «  Il  a 
été  enjoint,  rapporte  Mercy  à  l'Empereur  (4.),  de  la  façon 
la  plus  précise  à  M.  le  nuiréchal  comte  de  Butterlin  ue  se 
maintenir  en  Poméranie  A  quelque  prix  que  ce  soit.  »  En 
effet  les  nouvelles  du  siège  de  Colberg  et  des  succès  rem- 
portes par  Komanzow  indiquaient  un  réel  désir  démener 
à  bonne  fin  l'entreprise  :  «  Malgré  cela,  continue  Mercy, 
!  espèce  de  désordre  (jui  rë.gi\e  maintenant  à  cette  coul" 
n  rend  les  résolutions  si  incci  taines  et  si  variables,  qu'on 


(1)  Brelcuil  à  Choiseul,  7  septembre  1701.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Comte  (le  Llioiseul  à  Hreleuil,  13  novembre  1761.  Affaires  Étrangères. 

(3)  Aihliassadetir  russe  à  la  cour  de  France. 

(4j  Mercv  à  l'Empereur,  11  novembre  1761.  Arcliives  de  Vienne. 


LA  TZARINE  EI.ISAHETH. 


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ne  sait  jamais  positivement  sur  ([uoi  on  peut  compter,  et 
quand  on  est  parvenu  à  persuader  M.  le  chancelier  Wo- 
ronzow,  môme  avec  une  partie  des  minisl^Gs  de  la  Confé- 
rence, on  n'est  point  encore  dans  le  cas  d'oser  espérer 
qu'il  en  résulte  les  eli'ets  qu'on  se  propose  d'obtenir.  » 
Pour  éclairer  l'Empereur  sur  les  difficultés  qu  il  ren- 
contre, l'ambassadeur  trace  un  crayon  intéressant  du  ca- 
ractère et  de  l'action  des  principaux  peisonnaçes  de  la 
cor.,  de  Pétcrsbourg-.  La  Tzaiine.  quelque  fidèle  qu'elle 
soit  à  l'alliance  et  quel  jue  vive  que  soit  sa  haine  contre 
le  roi  de  Prusse,  ne  sait  pas  se  faire  obéir  ;  elle  se  désin- 
téresse beaucoup  trop  de  la  chose  publique  ;  elle  est  tel- 
lement allectée  «  par  le  ravage  ([ue  causent  les  années 
sur  sa  physionomie  qu'elle  ne  se  montre  presque  plus 
en  public;  depuis  le  30  d  août,  qu'elle  a  tenu  apparte- 
ment, on  n'a  eu  occasion  de  la  voir  que  deux  fois  au 
théâtre  de  la  cour  et  de  celte  façon  il  se  passe  des  mois, 
sans  (jue  les  ministres  étrangers  se  trouvent  à  même  de 
l'approcher  >.  A  ce  premier  souci  s'en  ajoutait  un  second 
plus  grave,  celui  de  sa  mort  ou  de  tout  incident  qui  au- 
rait pu  suggérer  la  pensée  d'une  fin  prochaine  :  «  Les 
précautions  à  cet  égard  sont  poussées  au  point  de  ne  pas 
permettre  que  des  gens  vêtus  de  noir  passent  sous  les 
fenêtres  du  palais,  et  quand  quelque  personne  de  marque 
vient  à  mourir,  ces  sortes  de  nouvelles  restent  cachées 
pendant  fort  longtemps  à  la  souveraine.  A  ces  deux  su- 
jets de  tourfnents,  il  s'en  joint  un  troisième,  oc(  asionné 
par  lextrème  mécontentement  que  cause  à  limpétatrice  la 
conduite  du  grand  duc  et  celle  de  la  grande-duchesse.  » 
Enfin,  cette  souveraine  se  trouve  dans  une  situation  d'au- 
tant plus  fâcheuse  que  «  parmi  le  nombre  de  ceux  qui  l'en- 
tourent, il  n'en  est  pas  un  qui  ait  assez  de  probité,  de 
courage  et  de  zèle  pour  chercher  de  procurer  du  sou- 
lagement à  ses  peines,  et  à  la  fortifier  contre  ses  fai- 
blesses ». 


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292 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  (:HAP.  vm. 


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De  la  Tzarino,  Mercy  passe  aux  personnag-es  influents 
et  aux  rouaq-es  du  gouvernement  :  «  La  conférence  est  un 
assemblage  de  gens  auxquels  il  suffit  de  parler  une  demi- 
heure  pour  se  convaincre  de  leur  ineptie  »  ;  les  discus- 
sions se  passent  en  bavardages  at  sans  l'initiative  du  se- 
crétaire Wolkow,  «  il  n'émanerait  presque  jamais  une 
résolution  ».  Le  chambellan  Schuvalow  est  un  brouillon 
qui  entreprend  beaucoup  de  questions  sans  en  trancher 
une  seule.  Du  chancelier  NVoronzow  notre  correspondant 
a  meilleure  opinion.  Quoique  ses  qualités  soient  assez 
médiocres,  «  on  peut  cependant  compter  sur  l'honnêteté 
de  ses  intentions,  et  sur  son  attachement  au  bien  de  la 
cause  commune,  malheureusement  la  grande  faiblesse 
de  ce  ministre,  son  découragement  et  l'état  misérable  de 
sa  santé  le  réduisent  dans  un  état  de  pusillanimité,  qui 
Tempèche  d'opérer  le  bien  dont  il  serait  capable  par  ses 
sentiments  personnels  ». 

Mcrcy  remit  à  sa  prochaine  dépêche  ce  qu'il  aurait  à 
dire  sur  le  grand  duc  et  la  grande  duchesse,  les  événe- 
ments ne  lui  en  laissèrent  pas  le  temps. 

Breteuil  depuis  plus  longtemps  en  Kussie  que  son 
collègue  le  remplacera  comme  portraitiste  :  «  La  grande 
duchesse  se  désole;  elle  ne  voit  son  état  futur  qu'avec 
frayeur  et  craint  tout  de  la  puissance  où  son  mari  va 
monter;  je  ne  crois  pas  qu'elle  ait  tort....  Le  grand  duc 
la  hait,  ne  croit  et  ne  peut  pas  croire  à  sa  paternité  ;  il 
adore  sa  maîtresse.  M"'  de  Woronzow  qui  est  bête  mais 
altière  et  il  pourrait  arriver  qu'il  se  délit  de  Tune  pour 
s'approprier  l'autre.  Tout  cela  est  un  chaos  dans  lequel  on 
se  perd,  et  qui  peut  cependant  n'avoir  aucune  suite,  si 
l'impératrice  s'en  tire  heureusement.  L'on  croit  qu'il 
pourrait  arriver  qu'il  se  formât  trois  partis  dans  l'em- 
pire, celui  du  grand  duc  réunirait  d'abordle  petit  nombre 
de  gens  qui  lui  sont  attachés  et  le  grand  nombre  de  pu- 
sillanimes qui  peut-ôlre  le  haïssent,  mais  craignent  de  se 


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LE  PARTI  DU  GHAND  DVV. 


293 


hasarder;  celui  de  la  grande  duchesse  et  de  son  fils  (|ui 
trouverait  bien  des  partisans  etpeut-<Hre  réunirait  le  plus 
de  gens  d'esprit  et  de  tète  qui  sont  dans  ce  pays;  enfin 
celui  du  malheureux  petit  prince  Yvan  (1)  que  le  clergé 
et  les  vieux  Russes  chérissent.  Je  vous  rends,  Monsei- 
gneur, des  conjectures  et  je  n'ai  garde  de  vous  les  donner 
autrement.  Cependant  si  l'impératrice  languit,  les  trois 
partis  pourraient  se  distinguer,  mais  si  elle  meurt  brus- 
quement et  bientôt,  celui  du  grand  duc  avec  un  peu  de 
conduite  sera  li  seul  prépondérant.  Des  deux  person- 
nages le  plus  en  vue,  l'un  le  rand  chancelier  est  ma- 
lade ou  feint  d'être  malade  pour  éviter  de  se  compro- 
mettre, l'autre  le  chambellan  pleure  comme  un  enfant 
et  intrigue  auprès  du  grand  duc  comme  un  sot  et  un 
fripon.  » 

Au  cours  du  mojS  de  décembre  1761 ,  il  y  eut  dans  l'état 
de  santé  de  l'impératrice  des  hauts  et  des  bas  qui  émo- 
tionnèrent  toute  la  cour.  Le  chambellan  Schouvalow  ne 
dissimule  pas  son  inquiétude;  il  questionne  Breteuil 
«  sur  la  manière  de  placer  des  fonds  dans  le  royaume  » 
et  lui  confie  son  envie  «  d'y  faire  passer  300  ou  VOO.OOO  li- 
vres )).Vers  la  fin  du  mois,  les  représentants  des  puissances 
alliées  se  demandent  si  la  fin  n'est  pas  prochaine  ;  la  nuit 
du  23  au  2'i-  a  été  mauvaise,  la  souveraine  a  eu  plusieurs 
évanouissements,  on  lui  appli([ue  des  sangsues  et  elle  a 
perdu  beaucoup  de  sang.  D'après  les  bruits  qui  courent 
dans  le  palais,  elle  boirait  «  au  point  de  s'erùvrer,  des 
liqueurs  dont  elle  aurait  fait  mettre  une  caisse  dans 
sa  chambre  ». 

La  fin  de  l'année  marqua  une  amélioration  sensible, 
mais,  il  y  eut  rechute;  après  ï2  heures  d'agonie,  l'impé- 
ratrice expira  le  k  janvier  1762,  entre  3  et  k  heures  de 
l'après-midi.  La  veille  de  sa  mort,  elle  aur.ait  (2)  appelé 

(1)  Descendant  direct  de  Pierre  le  Grand. 

(2)  Mercy  à  Kaunilz,  12 janvier  1702.  Archives  devienne. 


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l.\  GUKIIHK  DE  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


le  grand  duc  et  sa  femme  pour  leur  recommander  le 
maréchal  Uas;nno\\ski  qui  passait  pour  son  époux,  le 
chambellan  Iwan  SchouvalcA  et  la  plupart  de  ses  ser- 
viteurs et  favoris  personnels;  le  grand  duc  très  ému  au- 
rait promis  de  respecter  sts  volontés.  A  ce  propos  Mercy 
se  plaint  que  le  chancelier  n'ait  pas  profité  de  ses  der- 
niers entretiens  (l)  avec  la  souveraine  pour  obtenir 
qu'elle  cxigeùt  de  son  héritier  l'engagement  de  rester 
fidèle  à  la  politique  de  l'alliance. 

A  en  croire  une  note  rédigée  par  Breteuil  (2),  quel- 
ques mois  il  est  vrai  après  les  événements,  les  choses  ne 
se  seraient  pas  passées  aussi  nahirellement.  Il  y  eut  au- 
tour du  lit  de  mort  de  la  pauvre  Elisabeth  et  sur  le  mode 
de  proclamation  de  son  successeur  des  incidents  et  des 
intrigues  auxquels  prirent  part  le  grand  duc  et  sa  femme, 
les  deux  Schouvalow,  lloman  Woronzow,  le  père  de  la 
maîtresse  de  Pierre,  Panin  le  gouverneur  du  petit  prince, 
le  maréchal  Troubetzkoi  et  d'autres  personnages  de  moin- 
dre envergure. 

D'après  ce  récit,  Pierre  Schouvalow,  cousin  du  cham- 
bellan, malade  et  condamné  par  lis  médecins,  aurait 
prié  le  grand  duc  de  venir  le  voir.  «  Il  lui  exposa  avec  le 
désintéressement  d'un  homme  à  l'agonie  la  fermentation 
des  esprits  et  la  crainte  que  l'on  avait  de  lui  voir  réali- 
ser ce  qu'il  avait  eu  souvent  l'imprudence  d'annoncer,  la 
répudiation  de  sa  femme,  la  déclaration  de  la  Jiâtardise 
de  son  fils  et  enfin  son  mariage  avec  M"'^  Woronzow.  Il  ne 
lui  cacha  pas  que  la  moindre  démarche  qui  tendrait  à  l'exé- 
cution de  ce  projet  rempècher<»it  de  monter  au  trône  ou 
l'en  renverserait  incessamment.  Cette  déclaration  en  im- 
posa au  grand  duc.  Il  n'hésita  pas  à  répondre  au  comte 


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(i)  iii'elKuiî  i'U|j|)urtiï  (|iié  !o  i:h(iiiceiier'  inâ!âu6  il  avait  pûo  Vu  !  iiïipcrûtricë 
pendant  les  quatre  dernières  années  «le  sa  vie. 

(2)  Note  sur  ce  qui  s'est  passé  au  inomenldc  la  mort  de  l'Impératrice  Eli- 
sabeth. Affaires  Élranei'res. 


AdOME  DK  LA  T/AUINK. 


?95 


Pierre  qu'il  était  sensiolo  à  sa  franchise,  qu'il  en  sentait 
la  vérité,  et  qu'il  lui  donnait  sa  parole  d'honneur  do  trai- 
ter la  grande  duchesse  et  son  fils  avec  la  considération  et 
les  égards  qu'il  devait,  sans  jamais  penser  f\  rompre  son 
mariage  ni  à  épouser  la  freijsie  Woronzow,  Il  ajouta  :  «  Je 
n'ai  promis  à  cette  iillc  de  l'épouser  que  quand  la 
grande  duchesse  serait  morte,  et  elle  ne  l'est  pas  encore  »  ; 
paroles  assez  remar(|ual)les  pour  faire  croire  qu'elle  n'au- 
rait pas  laraé  à  descendre  au  tomhcau.  »  L'engagement 
ainsi  pris  fut  aussitôt  communiqué  à  Panin,  gouverneur 
du  prince  Paul,  par  Iwan  Schouwalo'.v  qui  espérait  qu'il 
lui  serait  tenu  compte  de  ce'  service. 

Il  fallait  encore  opérer  la  réconciliation  pnbli([uc  du 
Grand  Duc  et  de  la  Grande  Duchesse  avec  leur  tante  mou- 
rante. Panin  fit  appel  aux  hons  offices  du  chambellan 
qui,  «  seul  maître  de  l'intérieur  du  palais,  tenait  tout 
le  monde  éloigné  de  l'appartement  d'Élisaheth  et  ne  per- 
mettait pas  même  l'entrée  de  sa  chambre  au  Grand  Duc 
et  à  la  Grande  Duchesse.  »  Schouvalow  se  déroba  ;  il  en 
fut  de  mémo  de  Rasamowski.  «  Uel>uté  par  les  amants,  dit 
le  mémoire,  Panin  s'adressa  à  leur  antagoniste,  au  con- 
fesseur; il  s'employa  à  exciter  la  jalousie  du  prêtre  et 
l'engagea  à  franchir  les  barrières  du  favori  pour  arriver  au 
nom  de  Dieu  jus  ju'au  lit  de  sa  pénitente.  En  eifet,  il  vint  à 
bout  de  le  déterminer  [)our  le  lendemain  matin.  Toute  cette 
intrigue  se  passait  le  soir.  »  D'après  Breteuil,  le  cham- 
bellan tout  en  ménageant  son  futur  souverain  ne  voulait 
pas  trop  lui  faciliter  l'avènement  au  trône  dans  la  crainte 
de  diminuer  son  propre  prestige  et  l'importatjce  de  l'ap- 
pui qu'il  pourrait  lui  apporter. 

Quoi  qu'il  en  fût  des  raisons  qui  dictèrent  la  conduite 
du  favori,  la  manœuvre  de  Panhi  réussit  à  souhait  :  «  Le 
confesseur  se  lit  jour  en  effet  jusqu'au  lit  de  l'Impéra- 
trice comme  ill'avait  pr.)mis,  et  parla  à  cette  souveraine 
superstitieuse  comme   tout  moine  le  sait  faire  en  pareil 


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LA  OUKURE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI'.  VllI. 


lit 


cas;  rinipérati'icc  fit  tout  ce  qu'il  exii^eait  d'elle  quant  aux 
démarches  d'une  bonne  chrétienne  suivant  le  rite  grec, 
et  elle  se  soumit  également  à  ce  qu'il  lui  prescrivit  à 
l'égard  de  I>curs  Altesses  Impériales.  Klle  les  fit  appeler 
et  Elles  arrivèrent  avant  (\uc  le  chambellan  eût  le.  moin- 
dre avis  de  toutes  ces  mesures  contraires  à  son  plan.  » 

Quand  l'Impératrice  consentit  à  voir  ses  héritiers, 
«  elle  était  déjA  hors  d'état  de  sentir  et  n'eut  la  force  que  de 
leur  dire  qu'elle  les  avait  toujours  aimés,  et  qu'elle  mou- 
rait, leur  souhaitant  toute  bénédiction.  Elle  ne  put  pro- 
férer d'autres  paroles...  Au  reste,  peu  importait  au  Grand 
Duc  et  à  peu  près  aussi  peu  à  la  Grande  Duchesse.  Il  leur 
suffisait  d'avoir  vu  en  particulier  leur  tante,  que  le  public 
le  sût  pour  qu'il  fût  aisé  de  faire  répandre  la  tendresse  et 
l'effusion  des  derniers  adieux...  Après  cette  entrevue, 
l'Impératrice  baissa  considérablement.  Les  intrigues  de 
la  Cour  augmentèrent,  mais  il  fut  sensible  que  le  parti 
du  Grand  Duc  devenait  le  plus  fort  ». 

Fallait-il  faire  proclamer  le  nouveau  Tzar  par  le  Sénat 
et  lier  le  prince  par  des  déclarations  que  ce  corps  aurait 
rédigées  avec  garanties  contre  les  innovations  dangereu- 
ses qu'une  mentalité  mal  équilibrée  pourrait  lui  inspii  .v, 
ou  se  contenter  de  la  transmission  automatique  du  pou- 
voir absolu  à  l'béritier  reconnu?  Il  y  eut  conciliabule  sur 
la  procédure  à  adopter  entre  I  anin,  Roman  Woronzow, 
frère  du  chancelier,  quelques  intimes  de  Pierre  et  Trou- 
betskoï.  Sur  l'avis  de  ce  dernier,  on  renonça  à  faire  inter- 
venir le  Sénat. 

Ne  sacbant  à  quel  parti  s'arrêter,  le  Grand  Duc  alla 
consulter  sa  femme  aveclnquelle  il  était  en  meilleurs  ter- 
mes depuis  la  maladie  d'Elisabeth.  Il  la  trouva  à  l'église, 
occupée  des  prières  publiques;  Catherine  qui  n'avait  pu 
se  concerter  avec  Panin  se  rangea  au  conseil  de  Troubets- 
koï. 

Aussitôt  la  Tzarine  décédée,  «  les  courtisans  qui  atten- 


m 


LE  GRAND  DUC  l'KOCLAME  TZAIl. 


2",»7 


daicnt  le  dei'ni«n'  quart  d'iieurc  se  jetèrent  eu  foule  aux 
pieds  du  (Jrand  Duc.  Les  Iroupes  le  plus  affidées  i\  ce 
prince,  qu'on  avait  eu  soin  de  l'aire  tenir  sous  les  armes 
autour  du  Palais,  venaient  e  prosterner  devant  leur  nou- 
veau despote.  Enfin,  en  un  instant,  tout  fléchit  le  genou, 
et  en  moins  de  temps,  tout  parut  oublier  la  honte  de  la  dé- 
funte et  la  crainte  (ju'avait  inspirée  depuis  de  longues 
années  le  Grand  Duc.  Il  n'y  eut  pas  le  moindre  tumulte; 
la  servitude  tenait  lieu  d'amour  ». 

Le  Grand  Duc  fut  en  cllet  proclamé  Tzar  sous  le  nom 
de  Pierre  III  sans  aucune  difficulté  ;  dès  le  soir  de  la  mort 
d'Elisabeth,  il  avait  reçu  le  serment  des  troupes.  Le  pre- 
mier acte  du  nouveau  souverain  (Ij  fut  d'enlever  toutes 
ses  dignités  à  Schakaskoy,  procureur  général  du  Sénat,  et 
de  le  remplacer  par  Glebow,  procureur  de  la  môme 
assemblée,  «  homme  de  peu  de  chose,  de  beaucoup  d'es- 
prit et  d'une  plus  grande  friponnerie  »,  qui  lui  avait  été 
très  utile  pendant  les  derniers  jours  du  règne  précédent. 
A  la  réception  diplomatique  qui  eut  lieu  le  6  janvier,  il 
nC'  se  passa  rien  d'extraordinaire  ;  «  l'empereur  a  dit 
quelques  mots  polis  au  comte  de  Mercy  et  au  ministre 
anglais,  puis  l'on  s'est  mis  à  table,  environ  100  personnes, 
après  avoir  tiré  généralement  les  places  au  sort.  Le  dîner 
a  été  long  et  n'a  été  ni  plus  ni  moins  triste  qu'à  l'ordi- 
naire. Après  ce  diner  qui  a  fini  à  sept  heures,  l'Empereur 
est  monté  en  carrosse,  s'est  promené  par  toute  la  ville,  a 
fait  une  visite  d'une  heure  à  son  Procureur  général 
Glebow,  et  est  allé  de  là  en  passer  deux  au  moins  chez 
M.  de  Woronzow  qui  était  malade  et  qu'il  avait  déjà  fait 
assurer  de  son  amitié  et  de  la  conservation  de  sa  place... 
Le  jeudi  l'Empereur  a  donné  à  diner  à  tous  les  officiers 
des  gardes,  au  nombre  de  200  ;  le  vendredi,  un  autre  di- 
ner à  tous  les  officiers  holstenois.  Beaucoup  de  vin  et  au- 


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(1)  Brcteuil  ù  Choiseul,  11  janvitr  1762.  Affaires  Élmn^fires. 


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208 


LA  GlIERHK  l»E  SKPT  ANS.        CHAP.  VIII. 


ian(  (le  mauvais  propos  ont  assaisonnr  l'alliibilité  du 
prince.  Uno  infinité  de  grâces  assez  bien  placées  ont 
signalé  jusqu'à  ce  jour  son  règne.  Il  a  fort  bien  et 
fort  honnrtement  Iraité  tous  les  vieux  serviteurs.  Il 
parait  môme  les  consulter  de  façon  à  les  flatter.  Knfin,' 
Monseigneur,  Je  lui  dois  la  justice  que  sa  conduite  vis-n- 
vis  de  ses  sujets  inéiite  des  éloges.  Contre  l'usage  de  cette 
Cour,  dans  tous  les  changements  de  règne,  aucun  des 
courtisans  attachés  A  l'Impératrice  n'a  éprouvé  de  cruel 
traitement  ni  exil  en  Sibéiie,  je  ne  sais  pas  même  qu'il  y 
ait  eu  personne  d'arrêté  ».  Bien  loin  de  sévir  contre  les 
favoris  de  sa  tante,  il  avait  rappelé  à  la  cour  des  personnes 
qu'elle  avait  éloignées  ou  punies.  C'est  ainsi  (pi'on  vitbien- 
t(M  reparaître  à  Pétersbourg  le  vieux  Hiren,  duc  de  Cour- 
lande  et  le  f'eld-maréchal  Miinnich. 

A  l'occasion  de  la  distribution  des  faveurs,  M""  Woron- 
zow  fut  créée  maltresse  des  tilles  d'honneur  et  reçut  son 
appartement  A  la  cour  avec  des  distinctions  sans  fin.  A 
cette  nouvelle  Breteuil  ajoute  en  guise  de  commentaire  : 
«  Il  faut  avouer  ([ue  c'est  un  goût  bizarre  ;  pas  d'esprit, 
et  quant  à  la  figure,  c'est  tout  ce  qu'on  peut  voir  de  pis. 
Elle  ressemble  de  tous  points  à  une  servante  d'auberge  de 
mauvais  aloi.  )^ 

D'après  Mercy  (1)  les  personnages  influents  de  l'entou- 
rage du  trône  seraient  Glebow,  Roman  Woronzow,  Mil- 
gonow  et  Alexandre  NarisUin,  dont  les  deux  derniers 
s'intéresseraient  beaucoup  plus  aux  intrigues  du  palais 
qu'aux  affaires  extérieures.  Quant  à  l'Empereur,  malgré  les 
apparences  rassurantes  du  début,  il  craint  que  sa  politi- 
que ne  soit  inspirée  par  son  admiration  enthousiaste  pour 
le  roi  de  Crusse,  sa  haine  contre  la  France  et  son  pen- 
chant pour  l'Angleterre  dû  en  partie  aux  subsides  qu'il  a 
rec.us  du  ministre  de  cette  puissance,  Keith.  Ce  pronostic 
allait  se  confirmer  de  jour  en  jour. 

(1)  Mercy  à  Kaunilz,  10  janvier  17G2.  Archives  de  Vienne. 


RKVIKEMENT  l)K  LA  l'OMTIQUK  HUSSK. 


2'.l<.» 


Morcy  (1)  et  Hreteuil  ont  puisé  dans  lonrs  entroticiis 
avec  In  cli.'incelior  \V<ti'()nzo\\  riiiii)i'«issii)n  (jun  (-2)  Picrro  III 
trHvailli'rait  ù  la  paix  eiilrc  la  Prusse  ol  sostMint'mis,  dus  à 
prcst'iit,  sigiK'iail  im  arniisfice  avec  ce(tc  puissintc  et 
retirerait  ses  Iroiipcs  de  la  Silc'sic  Le  chancelier  avait 
proniis  de  laire  son  possible  pour  ciiip(>cljer  des  résultats 
aussi  désastreux  pour  l'alliance,  niais  soit  l'aiMcsse  de 
caractère,  soit  maladie,  ses  cU'orts  —  s'il  eu  lit  —  pour 
ari'èter  le  cours  des  événcuicnt'^,  ne  produisirent  guère 
d'ellet.  A  la  vérité,  Woronzow  avait  ohtciiu  {'.\i  cpie  le 
brigadier  (Judowitz,  chargé  d'annoncer  la  niorl  d(î  l'impé- 
ratrice  Élisaheth  à  la  f'anille  de  Calherinc  Zerbst,  accom- 
plirait sa  mission  directement  sans  visite  préalable  au  roi 
de  Prusse,  comme  l'aurait  déliré  le  Tzar.  D'autres  faits 
étaient  siguificatirs.  Le  génér.il  prussien  Werner,  prison- 
nier sur  parole,  le  suédois  llordt,  entié  au  service  de  la 
Prusse  et  également  prisonnier,  avaient  été  libérés  et 
étaient  admis  dans  l'entourage  intime  du  prince.  Le  traî- 
tre Todtieben  avait  échangé  sa  prison  pour  lesarrè's  dans 
une  maison  particulière.  Le  prince  Georges  de  llolstein, 
qui  avait  exercé  un  commandement  dans  l'armée  prus- 
sienne pendant  les  cinq  premières  années  de  la  guerre, 
venait  d'être  a[)pelé  en  Kussie  ;  enlin  la  troupe  de  la  co- 
médie fr<in<,'aise  à  Pétersbourg  avait  été  congédiée.  Seul  le 
secrétaire  du  cabinet  Olsoview  avait  le  courage  de  faire 
quelques  représentations  au  monarque,  mais  il  n'était 
pas  écouté. 

D'S  le  18  janvier,  c'est-à-dire  !">  jours  après  le  début 
du  nouveau  règne,  iMcrcy  ('i-)  avait  prédit  le  revirement 


il- 

4- 

à 


(1)  M<'rcy  à  Kaunitz,  12  janvier  17fi2.  Archives  de  Vienne. 
'    {:>.)  Ne  pas  confondre  le  cliiincelier  Woroii/ow  avec  son  Iri'Te  Uoinan,  père 
de  la  favorite. 

^•^)  hiPleuil  à  Choiseul,  18  février  Mdl.  AflTaires  Élran^-ères. 

(4)  Mercy  à  l'Empereur  et  K-iunil/.  (en  français),  18  janvier  1762.  Archi- 
ves de  Vienne. 


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300 


LA  riUKUltF  DK  Shl'T  ANS. 


CIIAP.  Vill. 


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compliit  (le  la  |K»lili(jiM'  niss(î  :  "  Qii()i(|iie  le  nouvel  Kin- 
poreur  u  ait  pas  encore  drclaii'î  loi  inclicMuent  ses  inlon- 
tions  J'ai  lieu  de  n'oir»!  <|uelles  n'en  sont  pas  moins  iléci- 
(lées  et  (|ue  la  défection  ^t-ra  eornplrte  et  dès  cv.  moment 
nous  (lovons  nous  jiltendre  aux  proccMlés  les  plus  ultras 
de  la  part  du  monanpu'  russe.  »  Le  n-pirscnlanl  de  Miirie- 
Thérèse  se  demandait  jus(pr  «  où  la  dignité  de  notre 
cour  [»ouna  lui  peimetlre  d^îN-ndre  les  ménayetnents 
envers  celle-ci  »  et  il  attendait  des  ordres,  sur  ce  point 
d«3licat,  Fn  contraste  av(îc  la  politi(|ue  ext(-'rieure,  la  direc- 
tion des  allaires  int»iri(!Uies  paraissait  s.ige  et  pondérée. 
Mercy  le  reconnaît  :  «  Quant  A  ce  (|ui  rej^ai-de  la  conduite 
du  nouveau  monar([uo  vis-A-vis  de  ses  sujets,  elle  a  été 
jus(pi'iV  présent  assez  mesurée  et  sage,  jiar  un  eflet  des 
conseils  du  sénateur  Woronzow,  du  maréclial  Troubetskoï 
et  du  procureur  général  (ilebow;  cependant  la  conduite 
modérée  de  ce  prince  n'en  impose  pas  génér»lement,  et 
ceux  (jui  le  connaissent  ne  prévoient  que  trop  combien  il 
lui  sera  impossible  de  mettre  pour  longtemps  un  frein  à 
ses  passions.  » 

L'Autricbien  (I)  se  plaignait  de  son  isolement  :  il  est 
tenu  à  l'écart;  Oizoview  lui  fait  dire  (lu'il  ne  peut  le  rece- 
voir sans  courir  le  risque  de  la  disgriVce,  Wolkow  n'est 
jamais  chez  lui  quand  il  va  le  voir;  les  réunions  de  la 
conférence  sont  suspendues  pendant  une  nouvelle  indis- 
position du  chancelier;  faute  de  communications  direcios, 
il  se  lient  au  courant  par  des  moyens  clandestins. 

Alors  que  l'îuubassadeur  d'Autriche  ne  peut  se  faire 
entendre,  que  celui  de  France  est  surveillé  et  quelquefois 
injurié  derrière  son  dos,  le  nùnistre  britannique  Keith 
jouit  de  la  plus  grande  faveur.  L'empereur  a  rem  une 
dépulation  des  commerçants  anglais  et  leur  a  tenu  des 
propos  aussi  gracieux  pour  eux  ({u'insultants  pour  les 

(1)  Mercy  à  Kaunilz,  3  février  1732.  Archives  de  Vienne. 


IMËKIIK  SK  Si:i>AI(K  DK  I,  AdTlUCIIK. 


301 


autres  nations  :  «  .le  sais,  Ifiiir  avail-ii  dit,  <|Uft  lo  corps 
(les  inarcliands  ati^'^lais  (;st  utile  à  mon  Ktat  «t  (|(u>  tous 
les  autres  sont  des  ,i;iieux.  »  A  délaut  du  chancelier  de- 
venu invisible  pour  les  diplouiitcs  étra'>gers,  Mi'rcy  a  pu 
causer  (1)  avec  son  secrétaire  Uakiinier;  il  a  tin''  de  lui  des 
aveux  qu»  ont  contirint^  ses  iul'orrnatious  particuli<'»res. 
Ordre  aurait  été  e.\p<''(lit5  au  t;'i'Mu''i'al  C/.eniiicliew,  can- 
tonn»''!  avec  le  corps  auxiliaire  dans  le  comté  d<î  (ilatz,  de 


se  sena 


l'cr  des  Autrichiens  et  de  se  i étirer  derrière  la  Vis- 


tule.  l/inlluence  l)ritanni(|ue  n'avait  pas  été  étrani^èrc  il 


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tant  incident,  hai 


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(h'p^che  du  'M) 


(2) 


mvier 
iï  son  gouvernement  Keitli  relate  une  conversation  <|u'il 
vient  d'avoir  avec  le  nouvel  Kmpereur  :  celui  ci  lui  avait 
déclaré  qu'il  était  résolu  à  se  dégager  de  tout  engage- 
ment avec  la  cour  de  Vienne  et  (pie,  pour  commencer,  il 
avait  envoyé  cidre  au  général  comte  (^zertiichew  (qui 
n'avait  pas  encore  été  rap[)elH)  de  signilier  au  général 
Loudon  (jn'il  avait  l'ordre  de  l'Kmpereur  de  U''  plus  coo- 
pérer à  des  opérations  militaires  et  de  s'ahsten'""  de  toutes 
hostilités  contre  les  Prussiens. 

K  Là-dessiis  je  pris  la  liberté  de  suggérer  à  S,  M. 
qu'afin  de  couper  court  à  toute  négociation  avec  cette 
cour  (celle  (le  Vienne)  en  lui  montrant  qu'il  avait  arrêté 
son  parti,  il  serait  désiratdc  de  commander  au  comte 
Czarnichew  de  se  séparer  des  Autrichiens,  de  passer 
l'Oder  et  de  se  retirer  en  Pologne.  L'Kmper»;iir  m'a 
semblé  de  goûter  le  ccrnseif,  m'a,  pour  ainsi  dire,  pro- 
mis de  lancer  ses  ordres  jjour  la  séparation  avec  instruc- 
tion de  rejoindre  le  restr  de  l'aimée  russe  cantonnée  près 
de  Posen.  » 

Dans  une  lettre  à  1  Empereur  François  (3)  Mercy  s'excuse 


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(1)  Mercy  à  Kaiinil/.,  15  (évrU'r  17(>2.  Arcliivcs  de  Vienne. 

(2)  Keilli  h  Bule,  :io  janvier  l^ii'i.  Retord  Ullice. 

(3)  Mercy  à  l'Einiiereiir  (annexe  à  la  di'pôclie  <lii  1."»  février).  Archiv.  de 
Vienne. 


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302 


LA  UUERKE  DE  SEPT  AiNS.  —  CHAP.  VIII. 


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de  l'insuccès  de  ses  cllorls  pour  enrayci  le  mal,  en  faisant 
un  résume  de  la  situation  :  , 

«  V.  M.  aura  daigné  observer  que  le  bouleversement 
total  des  .-itlaires  a  été  l'ouvrage  des  8  premiers  jours  du 
gouvernement  de  ce  nouvel  Einj)ereur;  et  que  par  consé- 
quent tout  le  système  s'est  trouvé  renversé  avant  qu'il 
m'eût  éié  possible  de  faire  piirvenir  la  moindre  représen- 
tation^  soil  au  Souverain,  soit  -"^  son  Ministère.  Le  Monar- 
que deux  jours  après  son  avèneuicnt  au  tiône  avait  déjà 
expédié  vers  le  roi  de  Piu^so  et  en  Angleterre;  cette 
démarche  décisive  qui  sii[>pos<iit  une  résolution  ferme  et 
préméditée  a  entraîné  toutes  les  autres.  » 

L'ambassa<leur  traite  le  souverain  de  fou  :  ((  Il  est  à 
renianjuer  <|ue  l'enthousiasme  et  l'aiiiour  de  l'Empereur 
pour  le  roi  de  Prusse  formeni  un  point  de  folie  décidé  et 
inébranbdile  |>arce  qu'il  tient  de  trop  près  à  son  goût 
favori,  qui  est  cette  discipline  et  ce  gouvernement  mili- 
taire dont  le  roi  de  Piusse  donne  à  l'Europe  un  exemple 
si  outré,  et  qui  lui  a  valu  l'hommage  de  tant  de  tètes 

échauffées ce  prince  a  été  tellement  négligé  qu'il  n'a 

absolutjient  pas  d'idée  de  son  État  et  ignore  ce  qui  est 
politique,  système,  en  un  mot  tout  ce  qui  regarde  l'art  de 
régner,  et  rapportant  toutes  choses  au  militaire  (seul 
objet  dont  il  s'occupe)  il  juge  que  le  souverain  bien  est 
d'avoir  beaucoup  de  troupes,  et  il  adore  le  roi  de  Prusse 
parce  qu'on  lui  a  dit  que  ce  [)rince  était  un  de  ceux  qui 
savait  le  mieux  discip  iner  et  exercer  ses  soldats.  » 

S'il  faut  renoncer  à  l'espoir  d'empêcher  Pierre  d'aban- 
donner l'alliance  et  de  laire  la  paix,  Mercy  estime  qu'il 
sera  pessible  d'obtenir  qu'il  ne  s'unisse  pas  aux  ennemis 
et  cju'ù  ne  leur  donne  pas  des  secours  dans  la  guerre 
actuelle.  Pour  arriver  A  ce  résultat  négatif,  il  faut  gagner 
du  temps  et  profitei'  des  questions  que  soulèveraient  les 
réponses  de  la  Prusse  et  de  la  Grande-Bretagne  aux  ouver- 
turei  de  la  Russie.  La  lettre  se  termine  par  quelques  dé- 


I 


I 


ADMIUATION  POU«  l'RKDEHlC. 


303 


taîls  sur  les  dé'  auchos  du  Tzar,  sur  ses  démôlés  avec  sa 
maîtresse,  sur  reflacemeiit  de  rimpératrice  Catherine; 
mais  la  description  d'un  souper  chez  le  chancelier,  que 
l'ambassadeur  ajoute  en  post-scriptuni,  servira  mieux 
que  toutes  ses  appiéciations  à  dépeindre  le  ton  et  les 
mœurs  du  personnage  extraordinaire  qui  tenait  en  mains 
les  destinées  de  la  Kussie  :  «  Suivant  l'invitation  qui  en 
avait  été  faite  î\  tous  les  ministres  étrangers,  je  me  rendis 
chez  M.  le  chancelier  pour  assister  ji  l'assemblée  et  le 
grand  souper  qu'il  donna  à  son  Souverain  et  où  au  delà 
de  trois  cents  personnes  hommes  et  femmes  se  trouvèrent. 
L'Empereur  à  son  arrivée  me  parla  aussi  poliment  qu'à 
l'ordinaire,  mais  je  vis  par  le  soin  qu'il  prit  de  se  faire 
entourer  par  ses  favoris,  qu'il  voulait  éviter  de  me  pro- 
curer une  occasion  de  bii  parler  d'aiFaires  et  quelque  soin 
que  je  prisse  pour  saisir  m  instant  il  me  fut  impossible  de 
le  trouver.  L'Empereur  prit  Keith  en  particulier,  s'entre- 
tint longtemps  avec  lui,  il  appela  ensuite  Hordt  et  Wer- 
ner,  et  comme  je  me  tenais  toujours  aux  aguets,  j'en- 
tendis qu'il  leur  disait  qu'il  venait  d'avoir  la  nouvelle  que 
le  prince  Eugène  et  lit  en  marche,  mais  c'est  tout  ce  que 
je  pus  saisir  de  ce  discours. 

«  Enfin,  on  se  mit  à  table  après  avoir  tiré  les  places 
au  sort.  Le  souper  dura  4  heures  et  ce  fut  là  que  le  mo- 
narque commeneantà  è!re  échauffé  de  vin,  il  tint  à  haute 
voix  toute  sorte  de  propos  sur  son  estime,  son  admiration 
et  son  attachement  pour  nos  ennemis;  tout  cela  était  tou- 
jours adressé  au  prince  <>orge,  à  Hordt,  à  Werner  qui 
étaient  opposés  de  lui;  j'étais  placé  vers  une  extrémité  de 
la  table  assez  éloignée  mais  comme  il  criait  à  gorge  dé- 
ployée je  ne  perdais  pas  une  parcelle  de  ses  discours, 

«  Enfin,  on  se  leva  de  table,  on  apporta  un  nombre 
infini  de  pipes  et  toute  la  Cour  se  mit  à  fumer.  L'Empe- 
reur se  mit  à  jouer  une  espèce  de  jeu  de  hasard  où  il  peut 
entrer  autant  de    monde  qu'on  en  veut  admettre  à   la 


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lA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  C!IAP.  VUI. 


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partie;  on  proposa  à  tous  les  ministres  étrangers  d'eu 
être  et  nous  jouions  tous.  Pendant  le  jeu,  l'ivresse  de 
l'Empereur  augmentait  à  force  de  boire  et  de  fumer,  il 
se  mit  à  agacer  fort  désagréablement  et  d'une  façon  pi- 
quante M.  de  Breteuil,  qui  la  plupart  du  temps  ne  répon- 
dit rien,  parce  qu'en  elfet  ce  que  lui  disait  l'Empereur 
était  souvent  inintelligible.  »  La  «  façon  piquante  »  dont 
il  a  été  traité,  notre  ambassadeur  la  raconte  lui-même  (1)  : 
«  Le  Czar  perdit  un  des  premiers;  je  ne  tardai  pas  à  en 
faire  autant,  de  même  que  le  marquis  d'Almodovar 
(envoyé  d'Espagne),  Quand  l'Empereur  vit  perdre  le  mi- 
nistre espagnol,  S.  M.  était  débout  et  moi  aussi.  Il  fit 
quelques  pas  vers  moi  et  s' étant  approché  de  mon  oreille, 
il  me  dit  avec  confiance  et  galté  :  «  L'Espagne  perdra  ». 
Je  fus  un  peu  étonné  et  je  lui  répliquai  cependant  assez 
vite  :  «  Sire,  je  ne  crois  pas,  nous  sommes  avec  elle,  et 
elle  est  formidable  seule  ».  L'Empereur,  en  haussant 
les  épaules,  avec  un  rire  moqueur  et  de  pitié  n?  me  ré- 
pondit que  par  un  ah!  ah!  Je  repris  fort  sérieusement  ; 
«  Enfin,  Sire,  nous  sommes,  l'Espagne  et  nous,  fort  tran- 
quilles à  cet  égard,  et  nous  le  serons  également  pour  la 
guerre  du  continent  et  d'Allemagne,  si  V.  M.  reste  ferme 
dans  les  principes  de  son  alliance  comme  elle  l'a  pro- 
mis et  le  doit  à  ses  engagements  ».  Le  Souverain  russe, 
après  avoir  gardé  un  moment  le  silence,  m'a  répondu 
avec  colère  et  d'un  ton  fort  haut  :  «  Je  vous  l'ai  fait  dé- 
clarer il  y  a  deux  jours,  je  veux  la  paix  ».  Je  répliquai  : 
«  Et  nous  aussi.  Sire,  mr.is  nous  la  voulons  sûre,  comme 
V.  M.,  honorable  et  d'accord  avec  nos  alliés  ».  —  «  Tout 
comme  il  vous  plaira,  m'a  repris  le  despote;  quant  à  moi, 
je  veux  la  paix.  Faites  après  comme  vous  l'entendrez, 
Finis  coronat  opus.  Je  suis  soldat  et  point  badin  ». 

«  En  achevant  ces  m';ts  militaires,  il  cherchait  à  me 

(1)  Breteuil  au  comte  de  Choiseul,  Pétersbourg,  26  février  1762.  Aiïaires 
Étrangères. 


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EFFACEMENT  DE  CATUKUINE. 


305 


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quitter,  mais  avant  qu'il  s'éloignât,  je  lui  ai  répondu  : 
«  Sire,  je  rendrai  compte  au  roi  de  la  déclaration  (ju'il 
plait  à  V.  M.  de  me  l'aire  ».  Le  iMonjirque  russe  après 
avoir  dit  les  paroles  sacraraentales,  en  a  marmoté  d'au- 
tres que  je  n'ai  pu  entendre...  Le  chancelier  nous  a 
fait  beaucoup  d'excuses  de  l'ivresse  et  des  extravagan- 
ces de  son  maitre,  nous  a  dit  qu'elles  le  faisaient  souffrir 
mortellement  mais  ne  nous  a  pas  empochés  de  croire  le 
proverbe  sur  les  ivres  :  in  vino  veritas.  » 

Pour  compléter  ce  tableau  d'intérieur,  il  est  intéres- 
sant de  reproduire  ce  que  dit  Breteuil  (1)  de  l'attitude  de 
Catherine  et  de  son  entourage  :  ><  L'Impératrice  est  tou- 
jours sans  aucun  crédit.  Mais  cependant,  depuis  dix  ou 
douze  jours,  l'Empereur  a  paru  s'en  rapprocher.  Il  a  diné 
et  soupe  plusieurs  fois  avec  elle  et  lui  a  dit  devant  plu- 
sieurs de  ses  courtisans,  qu'il  aviiit  beaucoup  à  se  louer  de 
SCS  attentions  et  de  sa  complaisance.  Celle  qu'elle  a  eue 
d'essuyer  l'ennui  des  propos  de  deux   fort  longs  souj)ers 
et  le  dégoût  des  pipes  de  la  compagnie  a  donné  lieu  à 
la  satisfaction  que  le  prince  son  époux  lui  a  marquée.  J*? 
sais  d'une  personne  qui  a  sa  conliance  et  qui  lui  faisait 
compliment  sur  ses  succès,  qu'elle  lui  a  r'''pondu  qu'on  ne 
pouvait  s'imaginer  tout  ce  qu'il  en  coûtait  pour  être  belle. 
Je  crois,  en  effet,  qu'elle  a  besoin  de  faire  sur  elle  de 
furieux  efforts  pour  soutenir  la  conduite  méthodique  et 
calculée  qu'elle  a  adoptée.   Au  reste,   elle  gagne  dans 
tous  les  esprits.  Se:j  attentions  pour  la  vieille  Cour  sont 
infinies  et  tous  les  vieux  courtisans  ne  peuvent  se  lasser 
de  parler  de  ses  bontés.  >>  Le  Français  signale  l'exacti- 
tude avec  laquelle  elle  suit  les  cérémonies  du  rite  ortho- 
doxe; «  il  me  semble  qu'elle  ne  néglige  rien  pour  plaire 
en  général  et  en  particulier  et  qu'elle  pousse  un  peu  trop 
loin  l'attention  sur  tout  ce  qui  peut  remplir  cet  objet, 


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(1)  DreleuU  4  Choiseul,  15  février  1762.  Affaires  Élrangères. 

GUEIinE  Di:   SEPT   ANS.  —   T.    V.  JQ 


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806  LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CllAP.  VIII. 

pour  que  l'amour-propre  en  soit  le  motif.  Elle  n'est  pas 
plus  femme  à  oublier  qu'à  pardonner  la  menace  que 
l'Empereur  lui  a  souvent  faite,  étant  Grand  Duc,  de  la 
faire  tondre  et  enfermer  comme  Pierre  I'"'  iit  à  sa  pre- 
mière femme.  Je  ne  puis  douter  qu'elle  ne  se  soit  rap- 
pelé plus  d'une  fois  cet  exemple  depuis  son  avènement 
au  trône  et  qu'elle  ne  croie  son  époux  très  capable  de 
suivre  en  ce  point  celui  de  Pierre  I"  >>. 

Breteuil  lui  a  fait  parvenir  l'expression  des  «  senliments 
du  Roi  et  les  ordres  que  j'aurai  sûrement  de  les  lui  re- 
nouveler avec  la  plus  grand'force  ».  L'Impératrice  lui  a 
fait  transmettre  ses  remercîments  et  «  elle  m'a  fait  ajou- 
ter qu'elle  n'entendait  rien  aux  grandes  choses,  mais 
qu'elle  espt^rait  qu'on  ne  la  soupc^onnerait  pas  du  moins 
de  s'en  mêler,  et  qu'elle  nie  priait  de  rendre  compte  sans 
ménagement  de  sa  nullité  parfaite  ».  Le  ministre  fran- 
çais ne  fait  aucun  commentaire  sur  cette  déclaration 
d'impuissance  et  termine  son  billet  par  quelques  détails 
sur  l'héritier  de  la  couronne  :  «  L'Empereur  veut  que 
son  iîls  soit  appelé  Prince  Impérial  au  lieu  de  Grand  Duc. 
Il  ne  l'a  vu  qu'une  fois  depuis  qu'il  est  sur  le  trône.  S'il 
parvenait  à  avoir  queli|ue  enfant  mâle  d'une  maitreso, 
bien  des  gens  croient  qu'il  en  ferait  sa  femme,  et  de  l'en- 
fant hnn  successeur.  Mais  les  cpitliètes  que  iM""  Woronzow 
lui  a  données  publii^uement  dans  leur  dispute  sont  très 
rassurantes  à  cet  égard .  » 

Les  informations  de  Keith  sur  la  situation  de  Catherine 
sont  l)ien  conformes  à  celles  de  ses  collègues  Mercy  et 
Breteuil  :  «  Elle  n'a  aucun  crédit,  niando-t-il  à  Bute  (1), 
dans  les  affaires  même  privées  et  le  meilleur  moyen  de 
réussite  au|)rès  de  l'Empereur  n'est  pas  de  se  servir  du 
canal  de  l'inipératrice.  »  Mitchell  avait  déjà  avisé  (2)  le 
roi  de  Prusse  de  cet  étal  de  choses  :  «  M.  Keith  souhaite 


(1)  Keilh  à  Bule,  li»  mars  1762.  HarJwickc  papers. 

(2)  Milchell  à  Frédéric,  e  mars  1762,  Milchell  papers. 


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FAVEUR  DE  KKITH. 


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que  le  ministre  de  V.  M.  envoyé  à  Pétersbourg  ne  se  jette 
pas  tête  baissée  entre  les  mains  de  l'Impératrice.  H  croit 
que  cette  princesse  n'est  pas  si  bien  disposée  envers  V.  M. 
que  l'est  l'Enipereur,  ni  si  ferme  dans  sa  conduite.  » 

A  lire  la  correspondance  des  représentants  de  la  France 
et  de  l'Autriche,  on  constate  que  la  fausse  situation  dans 
laquelle  ils  se  trouvaient  vis-à-vis  de  l'Kmpereur  avait 
créé  une  entente  parfaite  entre  eux;  on  les  voit  se  citer 
l'un  l'autre,  échanger  des  doléances,  se  communiquer  les 
rares  nouvelles  qu'ils  pouvaient  surprendre.  Ils  étaient 
bieji  d'accord,  sur  l'inutilité  de  donner  de  l'argent  aux  fri- 
pons de  la  jeune  cour;  peut-être,  ajoute  ironiquement  Bre- 
teuil  (1),  y  aur.ait-il  chance  avec  7  ou  8  millions  d'acheter 
l'Empereur,  qui  est  fort  avare.  Quelques  jours  après  le 
ban(|uet,  Mercy  rapporte  (2)  une  conversation  du  chan- 
celier avec  Pierre  qui  était  venu  le  voir  pendant  sa  mala- 
die. Le  Tzar  avait  déclaré  qu'il  n'avait  pris  aucun  engage- 
ment ave^i  l'Angleterre,  mais  que  depuis  longtemps  il  était 
en  correspondance  suivie  avec  Frédéric,  qu'il  était  entré 
au  service  de  la  Prusse  avec  le  rang  de  capitaine  et  que 
récemment  il  avait  été  pronm  général  lieutenant.  Le  roi 
l'avait  informé  que  cet  avancement  rapide  était  dû  uni- 
quement aux  grands  tf  lents  pour  la  guerre  et  aux  qua- 
lités militaires  dont  il  avait  donné  des  preuves  nom- 
breuses et  convaincantes.  «  D'après  cette  confidence,  V.  E. 
sera  à  mcine  de  juger  ce  que  nous  pouvons  attendre  du 
souverain  ru'-se  pour  le  présent  et  pour  laveDir.  » 

Mercy  avait  tenu  à  sa  cour  le  langage  d'un  homme 
aussi  clairvoyant  que  bien  renseigné  en  lui  signalant  dès 
le  début  du  règne,  l'intluence  anglaise  comme  toute-puis- 
sante à  la  cour  de  Russie.  La  correspondance  de  Keith 
en  lait  foi.  Dès  le  8  janvier,  c'est-à-dire  presque  au  len- 
demain de  la  mort  d'Elisabeth,  au  premier  souper  de  la 

(1)  Uretfiuil  à  Choiseul,  15  février  17G2.  Affaires  Élrangères. 

(2)  Mercy  à  Kaunil/,  26  février  1762.  Archives  de  Vienne. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  Ar.S, 


CHAP.  Vin, 


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cour,  Pierre  lui  chuchota  (1)  d/ms  l'oreille,  avec  un  sou- 
rire, que  la  veille  il  avait  envoyé  l'ordre  ù  ses  armées  de 
ne  plus  s'avancer  sur  le  territoire  prussien  et  de  s'abste- 
nir de  toutes  hostilités.  Le  12,  sur  l'invitation  du  Tzar, 
l'ambassadeur  anglais  (2)  a  un  entretien  avec  Gudovvitz 
avant  son  départ  pour  Atihalt,  le  30  Pierre  s'invite  à  sou- 
per chez  lui  ;  il  lui  coufu-me  (3)  son  désir  de  se  réconcilier 
avec  le  roi  de  Prusse,  il  souhaiterait  à  cet  efi'ct  l'envoi  |)ar 
ce  prince  d'un  pers(mn;ige  militaire,  enfin  il  serait  très 
flatté  si  t^rédéric  voulait  le  décorer  de  ses  ordres.  I^e  Tzar 
montrait  les  dispositions  les  plus  amicales  à  l'ége-jrd  du 
roi  de  la  Grande-Bretagne  avec  lequel  il  voulait  a^ir 
dans  l'union  la  plus  intime,  il  aurait  voulu  que  sa  flotte 
eût  une  valeur  suffisante  pour  qu'il  pût  l'offrir  à  son 
allié  fidèle  contre  TK^^pagne.  Le  5  février,  sur  la  prière 
du  roi  de  Prusse,  l'ambas-^adeur  présenta  les  compliments 
de  ce  prince  au  nouvel  empereur.  F^a  faveur  de  Keith 
brilla  de  tout  son  éclat  pendant  les  deux  premiers  mois 
du  règne;  elle  pâlit  peu  après  l'arrivée  de  Goitz,  l'envoyé 
prussien,  qui  eut  lieu  le  4  mars,  et  fut  peu  à  peu  éclipsée 
par  l'influence  grandissante  de  ce  dernier.  Dans  les  pre- 
miers temps  de  sa  mis^iion,  Goltz  tint  son  collègue  anglais 
au  courant  des  négociations  avec  la  Prusse  (4)  et  du  désir 
du  Tzar  de  signer  la  paix  le  plus  tôt  possible.  Ktith  fut 
également  associé  aux  grandes  réjouissances  par  lesquelles 
Pierre  célébra  son  investiture  de  l'ordre  prussien  de  l'ai- 
gle noir.  L'Anglais  raconte  (5)  avec  satisfaction  les  inci- 
dents du  banquet  qui  eut  lieu  à  cette  occasion  :  L'empe- 
reur et  son  oncle  le  prince  de  Holstein  étaient  parés  des 
insignes  de  Tordre.  Au  cours  du  piemier  service,  Pierre  III 


(1)  Kfiitli  à  Bute,  8  janvier  1762.  Hardwirke  papers. 

(2)  Keilh  à  Bule,  12  janvier  17G2.  Hardwicke  papers. 

(3)  Keitb  à  Bute,  30  janvier  17(i2.  Mibhell  papers. 

(4)  Keilh  à  Bute,  11  mars  1762.  Mardwicke  papers. 

(5)  Keilh  à  Bute,  23  mars  1702.  Hardwicke  papers. 


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UKCONCIUATION  AVEC  L\  PIILSSE. 


809 


but  à  la  santé  du  roi  de  Prusse  dans  un  ônorme  gobelet 
qui  fit  le  tour  des  quarante  personnes  des  deux  sexes  con- 
viées au  festin.  Plusieurs  autres  toasts  furent  portés  au 
bruit  des  détonations  de  50  cauons.  Vers  la  lin  du  repas, 
le  Tzar  s'adrcssant  à  l'anihassadeur  lui  dit  ([u'il  allait  pro- 
poser le  toast  qui  lui  serait  le  plus  aj^réable  ,  une  paix 
générale  et  heureuse.  Inutile  d'ajouter  que  toute  la 
société  souligna  cette  démonstration  par  ses  applaudis- 
sements et  que  lambassadeur  répondit  par  les  banalités 
d'usage. 

Deux  circonstances  vinrent  ruiner  l'inlluenco  anglaise 
auprès  du  souverain  russe  :  la  première  fut  l'arrivée  de 
Wroughton  (1)  que  la  cour  de  Londres  peu  confiante 
dans  les  talents  diplomatiques  de  KerJli  lui  expédia 
comme  auxiliaire.  Ce  personnag-e  qui  r.vait  été  consul 
britannique  à  Pétcrsbourg  n'avait  pas  une  bonne  presse; 
Gudowitz  l'avait  dépeint  à  ?»îitcl:en  comme  «  un  étourdi 
et  reconnu  p  )ur  tel  par  toute  la  cour  ».  Pierre  ne  voulut 
pas  le  recevoir,  et  comme  l'intéressé  insistait,  fit  noti- 
fier à  Londres  son  refus.  De  son  C(^^é,  Keith  en  mauvais 
termes  avec  Wroughton  et  mécontent  d'une  mission  spé- 
ciale qui  semblait  indiquer,  de  la  part  de  son  g'ouverne- 
ment,  l'intention  de  le  remplacer,  prit  les  devants  et 
demanda  son  rappel.  La  seconde  cause  de  froideur  fut 
une  conversiition  privée  entre  Bute  et  Galitzin;  le  rap 
port  qu'en  fit  ce  dernier  à  son  maître  présentait  l'attitude 
du  gouvernement  anglais  à  l'égard  de  la  Prusse  sous  un 
jour  qui  provoqua  l'indignation  de  Pierre  et  la  lui  fit 
qualifier  de  véritable  trahison.  Nous  aurons  d'ailleurs 
l'occasion  de  revenir  sur  cet  incident  qui  a  son  impor- 
tance. 

Avant  de  continuer  le  récit  des  événements  qui  se  pas- 
sèrent à  la  cour  de  Russie,  il  sera  intéressant  d'examiner 


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(1)  Keilh  à  Bute,  12  et  19  mars  1762.  Hardwicke  papers. 


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310 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


l'impression  que  produisit  sur  les  cours  d'Knrope  et 
notamment  sur  le  roi  de  Prusse  l'étranf^e  évolution  qui 
avait  suivi  la  mort  d'Elisabeth.  Privé  d'une  partie  de  ses 
ressources  en  hoiniiies  et  en  territoires,  par  la  perte  de 
Schweidnitzet  de  Colberg,  à  moitir  abandonné  par  l'An- 
gleterre, Frédéric  se  sentait  dans  la  situation  la  plus  cri- 
tique qu'il  eut  encore  traversée;  pour  en  sortir,  il  ne 
voyait  guère  comme  remède  qu'une  alliance  avec  la 
Porte  et  avec  le  Kiian  de  Tarlarie  et  un  accord  avec  le 
Danemark  (1)  au(|uel  il  garantirait  le  Schleswig  en 
échange  oj  son  concours  pour  reprendre  Colberg.  Le 
19  janvier,  il  apprit  par  la  voie  de  Varsovie  la  mort  d'Eli- 
sabeth; son  premier  sentiment  fut  celui  d'une  extrême 
prudence  :  «  Dans  la  situation  où  je  me  trouve,  écrit-il 
à  Finckenstein  (2),  je  dois  aller  à  pas  bien  mesuré,  pour 
ne  pas  empirer  mes  affaires,  au  lieu  de  les  rendre  meil- 
leures. Nous  ignorons  encore  d'un  côté  la  façon  de  pen- 
ser du  grand  duc  de  Russie  sur  notre  sujet  (3j,  après  qu'il 
vient  de  monter  sur  le  trône,  et  si  les  artifices  et  les  insi- 
nuations flatteuses  que  nos  ennemis  là-bas  lui  feront  ne 
gagneront  pas  sur  son  esprit  à  vouloir  continuer  la 
guerre  contre  nous.  »  11  pria  Keith,  dans  le  savoir-faire 
duquel  il  n'avait  d'ailleurs  que  peu  de  confiance,  «  de  se 
charger  d'un  compliment  de  sa  part  au  nouvel  Empe- 
reur, tout  comme  à  la  nouvelle  impératrice  de  Russie  ». 
A  son  confident  et  ami  le  pr-uce  Ferdinand  Frédéric  n'ex- 
prima aucun  espoir  (4)  de  changement  dans  la  politique 
extérieure  de  la  Russie  :  «  Voici  une  nouvelle  scène  qui 
s'ouvre  en  Europe  ;  du  train  que  les  choses  prennent,  je 


(1)  Frédéric  à  Finckenstein,  Ureslau,  7  janvier  1762.   Correspondance 
politique,  XXI,  p.  168. 

(2)  Frédéric  à  F.nckenstein,  Breslau,  19  janvier  1762.  Correspondance 
politique,  XXI,  p.  1.^9. 

(3)  Le  langage  de  Frédéric  ferait  croire  que  les  propos  de  Pierre  III  sur 
ses  rapports  avec  la  Prusse  étaient  empreinl.s  d'une  grande  exagéralion. 

(4)  Frédéric  à  Ferdinand,  Breslau,  23  janv.  1762. 


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JOIE  DE  FUEDKRIC. 


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crois  que  nous  n'aurons  jamais  la  paix,  il  faudra  se  faire 
clouer  le  pot  en  tôte  et  coller  les  bottes  pour  n'avoir  pas 
la  peine  de  les  rcnieltie.  » 

L incertitude   dura  jusqu'au  31  janvier;  à  celte  date, 
Frédéric  reçut  de  Finckcnstein  (1)  les  avis  les  plus  encou- 
rageants. Le  29  était  arrivé  à  MafideJjurg  en  route  pour 
Zerbst  le  brigadier  Oudo-witz  qui  lui  avait  remis  pour  le 
Roi  la  lettre  notifiant  ravèncment  au  trône  de  Pierre  III 
ainsi  qu'un  billet  de  Woronzovv.  L'officier  russe  aurait  été 
heureux   de    faire  sa  cour  à  Frédéric  s'il  avait   trouvé 
celui-ci  sur  son  chemin,  mais  n'osait  pas  prendre  l'initiative 
d'une  demande  d'audience;  il  se  rendrait  cependant  aux 
ordres  que  le  Roi  pourrait  lui  faire  tenir  à  cet  égard.  A 
ces  informations  sur  la  mission  du  Russe,   Finckcnstein 
avait  ajouté  un  mot  de  Keith  à  Mitchell  daté  de  Pétersbourg 
du  3  janvier  :  «  Les  alfaires,  écrivait  le  ministre  an- 
glais (2),  prennent  la  tournure  la  plus  favorable  pour  nous 
à  cetle  cour,  l'Empereur  ayant  déjà  expédié  des  ordres 
aux  différents  corps  de  ses  armées  de  ne  pas  avancer  plus 
loin  dans  les  territoires  de  S.  M.  Prussienne  et  de  cesser 
toutes  liostilités;  et  M.  Tschernischew  a  des  ordres  exprès 
de  quitter  les  Autrichiens  et  de  s'en  retourner  par  la  Polo- 
gne... Jai  appris  que  les  ordres  sont  aussi  donnés  aux  dif- 
férents généraux  d'accepter  un  armistice,  proposé  de  la 
part  des  Prussiens...  J'ai  lieu  de  croire  que  l'Eiupereur  a 
des  vues  contre  le  Danemark  et  il  est  à  craindre  que  si  on 
ne  trouve  pas  moyen  de  l'adoucir,  il  pourra  venir  à  des 
extrémités.  »  L'on  peut  se  figurer  la  joie  que  le  contenu 
de  ce  CDurrier  causa  à  Frédéric  :  «  Voici  le  premier  rayon 
de  lumière  qui  parait,  écrit-il  n  Finckcnstein  (3),  le  ciel 
en  soit  béni  !  »  Il  fait  transmettre  à  Gudo\vitz  l'invitation 

(1)  Finekenstein  à  Frédéric,  Magdeburg,  27  janv. 

(2)  Correspondance  potilique,  XXI,  p.  221. 

(3)  Frédéric  à  Finekenstein,  lîreslau,  31  janvier  1762.  Correspondance 
politique,  XXI,  p.  212. 


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sollicitée  de  venir  le  voir  à  [ireslau,  soit  ouvertement,  .soit 
incognito,  et  engage  Milclicll  à  conseiller  à  son  collAguo 
de  Pélershourg  «  de  ne  pns  h'op  se  raidir  contre  le  nouvel 
empei'oiir  dans  ses  vues  ((u'il  fait  remnrijucr  contre  les 
Danois...  l'on  i'isi|uorait  de  l'aigrir  et  de  gjUer  tout  dès  le 
coraniencement  et  nos  ennemis  en  profiteraient  pour 
l'entraîner  dans  leur  parti  en  lui  promettant  tout  ». 

A  la  suite  de  c(îs  communications  rassurantes  sur  les 
dispositions  du  nouveau  son  erain,  P'rédrric  se  décida  à 
lui  adresser  une  lettre  de  félicitations,  avant  même  d'at- 
tendre la  visite  de;  (ludowitz,  et  de  la  confier  à  un  envoyé 
spécial.  I.a  lettre  en  date  du  (»  février  (1)  était  bien  tour- 
née, mais  banale  ;  pour  la  présoi.  ter,  le  choix  du  prince 
tétait  arrêté  sur  le  sieur  de  (ioltz  qui  avait  déjà  été  chargé 
de  missions  send)labl('s  et  (pii  pour  l'occasion  fut  nommé 
colonel,  adjudant  et  chambellan.  Les  instrnctions  (2)  de 
l'envoyé  extraordinaire  portent  la  date  du  7  février.  Sous 
prétexte  de  félicitations,  il  devait  travailler  à  terminer  la 
guerre  avec  la  Hussic  et  à  détacher  cette  puissance  doses 
alliés.  On  ne  connaissait  des  dispositions  de  l'Empereur 
que  «  deux  points  généraux,  savoir  ;  que  les  ailaires  du 
Holstein  lui  tiennent  pour  le  moins  autant  à  cœur  que 
celles  de  la  Russie  et  secundo  qu'il  est  bien  disposé  pour 
mes  intérêts.  Ces  notions,  faute  de  plus  détaillées,  servent 
donc  de  base  à  tout  mon  raisonnement  ». 

Comme  entrée  en  matière,  Coltz  se  fera  l'interprète  du 
désir  de  rétablir  la  bonne  harmonie  entre  les  deux  cours 
et  de  cultiver  l'amitié  de  l'Empereur;  il  profitera  delà 
première  occasion  pour  affirmer  que  Frédéric  avait 
«  décliné  jusqnes  ici  soigneusement  toutes  les  propositions 
d'alliance  »  du  Danemark  ;  il  exprimera  l'impression  pro- 

(1)  Frédéric  à  l'Empereur  de  Russie,  (i  lévrier  1762.  Correspondance  poli- 
tique, XXI,  p.  233. 

(2)  Instructions  pour  le  baron  de  Goltz,  7  lévrier  17f>2.  Correspondance 
polUique,  XXI,  p.  234. 


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INSTUUCTIONS  A  (JOLTZ. 


313 


(luite  sur  son  mnitro  pnr  le  r.ippcl  des  troupes  servant 
avec  les  Autridiit'ns,  trait  (pie  ce  dernier  ref;nrd»il  coninio 
«  une  vf'M'itahle  marque  d'amitié  et  dont  la  reconnaissance 
ne  s'ell'acera  i  unais  de  son  cœur  ».  I.e  cliipitre  des 
compliments  épuisé,  (iollz  iusinurra  «pi'il  est  muni  de 
pleins  pouvoirs  pour  traitei*. 

Ces  préliminaires  exposés,  Frédéric  aborde  l'examen 
des  pi'0[)ositions  que  «  ccîs  uens  nous  pourront  faire  pour 
la  paix  :  1"  Ils  s'oH'riiont  à  retirer  leurs  troupes  au  delà 
de  la  Vistuie,  à  nous  rendre  la  Poniérauie  et  peut-être  à 
conserver  la  Prusse  tout  il  lait,  ou  à  ne  la  ^ai'der  <pic  jus- 
ques  à  la  paix  générale.  A  cela  voici  ce  <{u'il  faut  (jue  vous 
répondiez.  S'ils  ne  veulent  garder  la  Prusse  ((ue  jusqu'à 
la  paix  générale,  il  faut  y  consentir,  parce  que  c'est  tou- 
jours beaucoup  gagné  pour  nous. 

«  2°  S'ils  se  proposent  de  garder  la  Prusse,  il  faut  leur 
proposer  (ju'on  me  dédommage  d'un  autre  eùté,  selon  que 
je  leur  pi'oposerai,  et  il  faut  m'envoyer  un  courrier. 

«  3"  S'ils  veulent  évacuer  tous  mes  États,  à  condition 
d'une  garantie  du  Holstein,  je  vous  autorise  à  signer  tout 
de  suite,  surtout  si  vous  pouvez  obtenir  d'eux  une  gaian- 
tie  réciproque  delà  Silésie. 

«  ï"  Si,  outre  ces  trois  cas,  l'Kmpereur  désirât  que  je 
lui  donnasse  un  acte  de  neutralité,  au  cas  qu'il  fit  la  guerre 
au  Danemark,  signez,  mais  demandez  sim[)lenient  que 
cet  acte  ou  cet  article  du  traité  soit  tenu  secretissime  et 
dites  à  l'Empereur  et  à  ses  Ministres,  supposé  ()ue  cela  se 
fasse,  que  vous  le  priez  de  le  cacber  même  au  ministre 
d'Angleterre,  comme  vous  aviez  de  \otre  côté  ordre  de  ne 
vous  en  ouvrir  envers  qui  que  ce  soit  ». 

La  suite  des  instructions  vise  les  démarcbes  que  la 
Russie  serait  invitée  à  faire  auprès  de  la  Suède  pour  déter- 
miner cette  puissance  à  mettre  fin  à  sa  guérie,  —  la  néces- 
sité de  savoir  si  l'attitude  pacifique  de  l'Empereur  provient 
de  ses  desseine  contre  le  Danemark  ou  simplement  de  son 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  ~  CHAP.    'l\\. 


(lôsir  <le  servir  <lc  iiK^dialenr  ontre  les  belli^éinuls,  — 
l'avaiitage  d'exciter  les  Russes  contre  rAulriclie  par 
tons  les  moyens  possibles. 

«  Iteste  larticlo  des  Turcs  dont  il  convient  de  traiter. 
Vous  n'en  parlerez  que  lors.pie  vous  serez  sur  de  sij^iier 
le  traité  d(!  piii.x,  et  vous  déelareiez  A  l'Empereur  tpie, 
pressé  comme  Jo  l'ûtais  de  tous  côtés,  les  devoirs  de  ma 
conservation  m'avaient  fait  entrer  en  traité  avec  les 
Turcs;  (jue  le  frrand  objet  était  de  les  porter  à  faire  une 
diversion  en  Hongrie,  el  que  les  Tartares  pourraient 
peut-être  intenter  <piel(|ue  incursion  sur  les  terres  des 
Cosaques  russes;  mais  que,  pour  peu  que  cela  fit  pi  lisir 
à  l'Empc  'cur,  je  t/Vcherais  d'accommoder  l'aHaire,  pourvu 
qu'il  lit  insinuer  sous  main  A  la  Porte  qu'il  ne  troublerait 
pas  les  entreprises  qu'elle  pourrait  former  sur  l'Ilou- 
grie.  » 

Le  20  février,  (ludowitz  eut  une  audience  du  Roi  dont 
celui-ci  se  montra  très  satisfait.  Il  y  eut  échanj^e  de  pro- 
testations amicales,  mais  on  resta  de  part  et  d'antre  sur 
le  terrain  des  généraliiés.  bc  4  mars,  (Joitz  arriva  k 
Pétersbourg-.  Entre  temps  Pierre  avait  reçu  de  son  nouvel 
ami  les  insignes  de  l'or  Ire  de  l'aigle  noir;  il  fut  si  sen- 
sible à  cette  distinction  qu'il  ne  voulut  plus  se  séparer 
de  cette  déconiion  qu'il  portait  à  l'exclusion  de  toute 
autre.  La  CDirespondance  entre  les  deux  souverains  de- 
venait plus  fréquente  et  assutnail  un  ton  de  plus  en  plus 
intime.  A  l'Empereur  de  Russie  (|ui  avait  demanflé  que 
le  général  Werner,  prisonnier  de  guerre  depuis  sep- 
tembre 1701,  fut  autorisé  à  prendre  service  dans  l'aruiée 
russe,  Frédéric  écrivait  (1)  dans  des  termes  qui  ne  lui 
étaient  guère  habituels  :  «  Votre  Majesté  Impériale  n'a 
qu'à  dire;  Elle  peut  compt»*r  sur  moi.  Elle  demande  le 
général  Werner,  Elle  en  peut  disposer  comme  Elle  le 

(1)  Frédéric  à  Pierre  III,  Breslau,  20  mars  1762.  Correspondance  poli- 
tique, XX,  p.  305. 


HFVKLATIONDK  LA  l'OLITIQUK  SECRfcTEDU  MIMSTÈRK  ANGLAIS.  815 

jujîcra  A  propos...  Que  ne  puis-je  Irmoij^ncr  par  des 
ell'ets  phis  riols  les  profondes  mai'(jnes  de  reconnais- 
sance <|ue  ses  procédés  généreux  ont  mar<|iiés  dans  nïon 
cœur!  Tandis  que  je  suis  persécuté  de  tonte  l'Kurope,  je 
trouve  en  Klle  un  anù,  je  trouve  en  Klle  un  prince  qui  a 
le  cœur  vraiment  allrniaii<l,  qui  ne  veut  pas  contribuer 
h  rendre  l'Allemagne  1  esclave  de  la  maison  d'Autriche 
et  qui  me  tend  une  main  secourahle,  lorsque  je  nie  trou- 
vais presque  sans  ressource.  » 

Cette  épitre,  malgré  —  peut-être  à  cause  de  —  son 
lyrisme  exajiéré,  était  fort  habilement  conqiosée  et  pro- 
duisit à  coup  sur  un  grand  etl'et  sur  l'esprit  à  la  fois  naïf 
et  vaniteux  du  prince  auquel  elle  était  adressée.  Trois 
jours  après  l'envoi  de  sa  lettre,  Frédéric  reçut  de  l'Em- 
pereur Pierre  par  la  voie  de  son  ministre  (ioltz  (1)  une 
communiciitioD  importante  qui  constituait  à  la  fois  un 
sûr  garant  des  sentiments  du  monarcjue  russe  et  une 
révélation  complète  des  vues  politiques  secrètes  du 
ministère  anglais.  Il  s'agissait  de  la  dépêche  (déjn  men- 
tionnée dans  ce  chapitre)  de  Galitzin  datée  du  M  janvier, 
dans  laquelle  l'ambassadeur  russe  à  la  cour  de  Saint- 
James  rendait  compte  d'un  entretien  avec  le  premier 
minisire  anglais  (2;  :  «  Ce  matin  le  comte  Bute,  Seciétaii-e 
d'État,  m'ayant  invité  chez  lui,  m'a  fait  connaître  que 
cette  cour-ci  expédie  encore  dès  ce  soir  le  sieur  Wrough- 
ton  pour  résider  auprès  de  Votre  Majesté  Impériale  en 
qualité  de  résident  du  Roi.  »  Le  nouvel  envoyé  se  joindra 
à  Keith  pour  insinuer  «  qu'il  ne  dépend  que  de  la  bonne 
volonté  de  V.  M.  de  donner  la  paix  à  l'Kurope  »,  il  de- 
mandera «  quelles  sont  les  intentions  de  V.  M.  et  sur 
quelles  conditions  il  plairait  à  Elle  d'établir  la  paix  et 
principalement  avec  le  roi  de  Prusse  ;  qu'on  sent  parfai- 

(1)  Gollz  à  Frédéric,  13  mars  1762,  répondue,  le  23.  Correspondance 
politique,  XXX,  p.  ill. 

(2)  Voir  plus  loin  la  version  que  donne  Bute  de  cet  entretien. 


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L\  OUEHKE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP,  VIII. 


tcmont  ici  que  le  Prince,  vu  l'état  délabré  de  ses  affaires, 
ne  peut  se  flatter  d'obtenir  la  paix  sans  faire  des  cessions 
considérables  de  ses  États  et  sans  l'acheter,  pour  ainsi 
dire,  à  ses  dépens.  Qu'en  conséquence  de  cette  vérité 
reconnue  ici,  lui,  comte  Hute,  avait  écrit  au  sieur  Mitchell, 
ministre  britannique  auprès  du  roi  de  Prusse,  par  ordre 
du  roi  son  maître,  il  y  a  six  semaines,  de  déclarer  au 
ministère  prussien  qu'il  est  bien  temps  de  penser  sérieu- 
sement à  la  paix,  que  la  cour  d'ici  ne  peut  rendre  la 
g'  "îrre  éternelle,  pour  plaire  à  Sa  Majesté  Prussienne. 
Qu'on  n'a  i)as  roru  aucune  réponse  de  Magdeburg-  siir 
cette  déclaration,  mais  (]u'on  ne  l'attend  non  plus  aussi 
raisonnable  qu'on  le  souhaiterait  ici,  vu  que  le  roi  de 
Prusse  non  seulement  se  flatte,  à  ce  que  les  ministres 
prussiens  lui  disent,  de  trouver  à  la  cour  de  V.  M.  plus 
de  la  bonne  volonté  en  sa  faveur  dans  latraire  de  la  paix, 
mais  qu'il  se  berce  encore  par  d'autres  espérances  chi- 
mériques. Que  lui,  comte  Hute,  estime  ces  espérances 
d'autant  plus  chimériques  ([u'il  juge  de  toutes  ces  cir- 
constances s  .ns  passion  et  sans  prévention  et  non  pas  à 
la  façon  des  ministres  prussiens,  auxquels  il  est  tout 
naturel,  comme  à  des  gens  (|ui  (se)  <  noyent,  de  s'atta- 
cher aux  troncs,  quoique  sans  aucune  espérance  ».  Bute 
avait  continué  en  manifestant  l'espoir  que  h>  Russie 
tidèle  à  sou  amitié  avec  l'Angleterre  ne  commettrait  pas 
la  faute  de  retirer  ses  troupes,  car  «  retirer  les  troupes 
de  V.  M.  ne  serait  point  accélérer  la  paix,  mais  traîner  la 
guerre  en  longueur,  vu  que  le  roi  de  Prusse,  sans  la 
coopération  de  V.  M.  I.  en  laveur  de  la  cour  de  Vienne, 
resterait  longtemps  en  état  de  continuer  la  guerre  contre 
l'Impératiice  Reine,  ce  que  la  cour  d'ici  ne  souhaite  pas 
aucunoment,  et  ne  cherche  au  contraire  que  de  sauver 
le  roi  de  Prusse  de  la  ruine  totale,  mais  de  l'obliger 
en  même  temps  à  faire  des  sacrifices  raisonnables 
de  ses  États.   Wnci  les  propres  termes  de  M.   le  comte 


1! 


REMERCIEMENTS  DE  FREDERIC. 


317 


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Bute  dont  il  m'a  recommandé  le  plus  profond  secret   ». 

La  reconnaissance  ù  laquelle  Pierre  avait  acquis  les 
titres  les  plus  éclatants  so  manifesta  dans  la  réponse  de 
Frédéric  du  23  mars  que  le  comte  Scinverin  fut  chargé 
de  porter  à  Pétersbourg  :  «  Je  serais  le  plus  ingrat,  le 
plus  indigne  des  hommes,  si  je  n'étais  pas  sensible  et 
reconnaissant  à  jamais  aux  procédés  génért^ux  de  V.  M.  1. 
V.  M.  passe  mon  attente.  Elle  me  découvre  la  trahison  de 
mes  alliés,  Elle  m'assiste,  quand  tout  l'univers  m'aban- 
donne, et  j'ai  seul  à  Sa  persom^e  l'obligatitm  de  tout  ce 
qui  m'arrivc  d'heureux.  Elle  veut  que  je  Lui  envoie  un 
projet  de  paix.  Je  le  fais,  puisqu'Klle  le  veuî,  mais  je  me 
confie  à  l'ami;  qu'Elle  dispose  comme  Elle  voudra,  je 
signe  tout.  Ses  intérêts  sont  les  miens,  je  n'en  connais 

point  d'autres Que  Votre  Majesté  lasse  les  traités 

comme  Elle  voudra,  ils  seront  sûrement  conformes  à  ma 
volonté.  Vos  intérêts  sont  les  miens;  oui,  je  le  jure,  je  ne 
m'en  départirai  jamais!  Je  ne  puis  m'empècher  de  le 
ajre  à  Votre  Majesté  :  Elle  donne  un  exemple  de  vertu  à 
tous  les  souverains,  qui  doit  l^ui  attacher  les  cœurs  de 
tous  les  honnêtes  gens.  J'envoie  le  comte  Schwerin  qui 
aura  l'honneur  de  présenter  cette  lettre  à  S.  M.  I.  —  Je 
devrais  envoyer  des  personnes  de  plus  grand  caractère; 
mais  —  j'ai  perdu  pendant  cette  guerre  120  généraux, 
il  y  en  a  IV  de  ^prisonniers  chez  les  Autrichiens;  enfin, 
notre  délabrement  est  afl'reux.  Jo  pourrais  désespérer  de 
ma  situation,  mais  je  trouve  un  ami  fidèle  dans  un  grand 
et  des  plus  grands  princes  de  rEuro|)e,  qui  préfère  les 
sentiments  de  l'honneur  aux  sentiments  de  politique. 

«  Ah,  que  Votre  Majesté  ne  trouve  pas  étrange  que  je 
mette  toute  ma  confiance  en  Elh^  et  si  jeu  abuse,  Elle 
m'en  avertira.  »  A  peu  près  à  la  m.ême  date,  Kiédéric 
apprit  que  le  corps  russe  de  Czernitchew  s'était  séparé 
des  Autrichiens  et  avait  commencé  ses  étapes  de  retour. 
Par  contre,  un  nouvel   embarras  surgissait  du  côté  du 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VIII. 


Danemark.  Une  note  de  BernstorlT  remise  à  l'envoyé  prus- 
sien Borcke  signalait  les  allures  belliqueuses  du  nouveau 
Tzar,  rappelait  la  garantie  consentie  par  la  Prusse  en 
1715  et  demandait  conseil  au  souverain  de  ce  pays  sur 
l'attitude  à  prendre.  Frédéric  fit,  comme  bien  l'on  pense, 
une  réponse  évasive  et,  à  titre  d'écbauge  de  bons  pro- 
cédés, envoya  à  Pétersbourg  la  lettre  de  BeinstorH"  avec 
une  note  sur  l'armée  danoise. 

Conformément  au  désir  exprimé  par  Pierre  UL  Scl'-'^rin 
emporta  avec  lui  un  projet  de  traité  de  pai  ti  ^^us 
simples,  que  le  Roi  compléta  par  un  document  plus  dé- 
taillé. Ce  dernier  contenait  (1)  la  restitution  des  provitices 
conquises  sur  la  Prusse  pour  laquelle  «  l'Empereur  s'est 
déjà  expliqué  lui-même  de  la  manière  la  plus  aimable  et 
la  plus  positive  ».  Un  article  sépare  portait  l'engagement 
«  d'entamer,  immédiîitement  après  la  paix  signée,  la  né- 
gociation d'une  alliance  telle  que  l'Empereur  la  souhai- 
tera et  dans  laquelle  on  pourra  stipuler  les  garanties 
réciproques  de  la  Silésie  et  du  comié  de  Glatz  d'un  côté, 
et  celle  du  duché  de  Holsteia  de  l'autre,  et  fixer  en 
même  temps  selon  les  désirs  de  ce  prince  les  secours  des 
troupes  à  fournir  de  part  et  d'autre  ».  A  ces  propositions 
dont  l'initiative  était  venue  de  Pétersbourg,  Frédéiic  ei: 
avait  ajouté  une  autre  relative  à  l'inclusion  de  la  Suède 
dans  le  futui*  arrangement.  Le  terrain  ainsi  préparé,  les 
affaires  ne  traînèrent  pas;  le  traité  de  paix  entre  la 
Russie  et  la  Prusse  fut  signé  à  Pétersbourg  le  5  mai,  reçu 
par  Frédéric  au  camp  de  Betllern  le  21  mai  et  aussitôt 
ratifié  par  lui  :  «  Si  j'étais  païen,  ëcrit-il  (2)  à  Pierre, 
j'aurais  érigé  un  temple  et  des  autels  à  V.  M.  I.,  comme 
à  un  être  tout  divin,  qui  donne  des  exemples  de  vertu 

(1)  Frédéric  et   Finckenstein  à   Goltz,  lireslau,  27  mars  1762.   Corres- 
pondance politique,  XXI,  j).  319. 

(2)  Frédéric  à  Pierre,  GeMcin,  2i  mai  l~62.  Correspondance  politique,  XXI. 
p. 451. 


COMMENT  CHOISEUL  ENVISAGE  LE  NOUVEAU  REGNE. 


319 


au  monde Pour  moi;  mon  corps,  mon  âme,  mon 

cœur  sont  à  Klle....  V.  M.I.  «loit  ranger  mon  cœur  au 
rang'  de  ses  premières  con(iuétcs,  et  j'ose  dire  qu'il  n'y 
a  rien  de  plus  beau  pour  les  souverains  que  de  s'acqué- 
rir un  empire  qui  n'est  du  qu'à  leur  seule  vertu.  Nous 
G -lébrerons  tous  {«ujourd'hui  cet  heureux  jour  qui  va 
servir  de  base  à  cette  heuieuse  union.  Mes  officiers  di- 
sent tous  :  «  Vive  notre  cher  Empereur!  »  Elle  est  com- 
blée de  bénédictions,  et  je  leur  dis  «  :  Sans  doute  c'est 
notre  cher  Kmpereur,  mais  n'oubliez  pas  le  respect  que 
vous  lui  devez,  en  parlant  si  l'amiliéreinent.  » 

A  \ersadles,  la  nouvelle!  de  la  mort  d'Elisabeth  ne 
semble  pas  avoir  produit  y-rand  eli'et;  on  considérait  la 
cour  de  Hussie  comme  inIVodée  à  celle  de  Vienne;  si 
cette  dernière  restait  fidèle  à  la  politique  belliijueuse 
ado|)lée  depuis  le  pacte  d'  famille,  il  n'y  avait  qu'à  se- 
conder les  etibrts  qui  serait^nt  faits  pour  maintenir  les 
liens  d<'  l'al'iance.  Mais  il  se  pf)urrait,  croyait  Choiseul  (1), 
quf  rimi)ératricQ  Reine  thercliât  «  à  gagner  le  nouvel 
Empereur  en  entrant  dans  ses  vues  et  en  se  conformant 
à  ses  désirs;  d'ailleurs  l'épuisement  où  elle  l'Autriche) 
est  <'t  le  penchant  que  nous  lui  soupçonnons  depuis 
que[(|ue  temps  pour  la  p.dx  s'accorderait  assez  avec  les 
sentiinenls  que  je  suppose  à  Pierre  III.  Alors  elle  ne  lui 
résisleiait  pas  et  elle  se  fonderait  vis-à-vis  de  nous  sur 
la  nécj'ssité  où  elle  est  de  se  conformer  au  désir  de  la 
Russie,  et  sur  rimpos>ibilité  de  continuer  la  guerre  sans 
le  concours  de  cette  puissance  ».  Pour  cette  éventualité, 
Choiseul  trouve  un  malin  plaisir  à  citer  le  fameux  article  13 
du  traiié  de  Versailles,  au(|uel  la  Russie  avait  accéaé. 
«  La  cioiir  de  Vienne  n'a  pas  manqué  de  nous  l'opposer 
quand  nous  voulions  la  paix.  Nous  pouvons  à  notre  tour 
rinvo.|uer  avec  avantage  et  en  demander  l'exécution.  » 


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(1)  Comte  de  Choiseul  à  Breleuil,  ;{1  janvier  17G2.  Affaires  Élrangères. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


Il  écrit  ^lans  le  mémo  sens  A  Chatclet  Lomonl  (1),  am- 
bassadeui'  français  à  Vienne  :  «  Si  la  Kussie  s'allie  à  la 
Prusse,  nous  n'aurons  peut-être  rien  k  cr.iin'lre  de  l'Aii- 
triclu';  si  le  nouvel  Empereur  veut  pacifier  l'Kui'opc, 
nous  devrons  peut-être  nous  défier  de  la  cour  de  Vienne 
à  cause  de  ses  préjugés,  de  ses  complaisances  pour  la 
Russie.  »  En  résumé,  la  cour  de  Versailles  très  bellitjueuse 
depu  s  le  pacte  de  famille  donna  pour  instruction  à  ses 
agent»  à  Pétershourg  et  à  Vienne  de  prêcher  le  langage  de 
rindt'ptndHnce  vis-à-vis  de  la  cour  de  Pétersbourg  et  de 
la  solidarii;'>  des  intérêts  des  cours  de  France  et  d'Autriche. 

Par  le  cabnut  britannique  l'accession  de  Pierre  III 
ne  pouvait  qu'être  bien  accueillie,  son  influence  nulle 
pend.int  le  règne  précédent  retrouvait  sa  prépondé- 
rance d'autan;  malheureusement  l'admiration  enthou- 
siaste que  le  nouveau  souverain  professait  pour  Frédi^ric 
ne  s  harmonisait  guère  avec  les  sentiments  fort  attiédis 
du  ministère  Huie  pour  leur  allié  et  avec  leur  intention 
de  saciilier  les  intérêts  de  celui-ci  au  rétablissement 
de  la  I  aix.  La  malencontreuse  déclaration  de  Bute  au 
pri  ce  Galitzin  et  plus  que  tout  la  confidence  cpTen  fit  en- 
suite le  c/ar  au  roidePrusse.au  mépris  du  secret  demandé, 
eurent  pour  conséquence  de  brouiller  les  cartes  et  de 
déti'uire  un  accord  ([ue  semblaient  présager  les  évé.ie- 
ments  passés.  Quant  à  lAutriche,  ainsi  que  nous  le  ver- 
rous par  le  récit,  elle  fit  de  son  mieux  pour  ne  pas 
rompre  avec  la  Russie  et  (apporta  de  la  part  de  Pierre 
des  [.recédés  qu'elle  n'eût  pas  tolérés  d'un  autre. 

Vcis  la  tin  de  lévrier,  les  représentants  des  puissances 
reçurent  communication  d'une  pièce  à  la(|uelle  l'atti- 
tude et  le  langage  de  Pierre  avaient  dû  les  préparer. 
C'ét.iit   une  déclaration    (2)   pacifique  dans   laquelle   le 

(1)  Coiiitf  (11-  Choiscul  à  Chateict,  14  février  I7(i2.  Aiïaires  Élrangi^res. 

(2)  liéri.iralion.   Sainl-Pélersbourg,   12,   2;{    février  1762.  Arcliives   de 
Vieil  lie. 


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DÉCLAHATION  PACIFIQUE. 


321 


nouvel  Kiuperciir  exprimait  son  regret  de  voir  le  fléau 
de  la  g-uerre  qui  avait  tant  duré,  s'étendre  davantage  : 
«  C'est  pourquoi  Sa  Majesté...  a  jugé  nécessaire  de  dé- 
clarer aux  Cours  alliées  de  la  Russie,  que  préférant  à 
toutes  autres  considérations  la  première  loi  que  Dieu 
prescrit  aux  souverains,  qui  est  la  conservation  des  peu- 
ples qui  leur  sont  confiés,  Kllc  souhaite  de  procurer  la 
paix  à  Son  Empire,  à  qui  Elle  est  si  nécessaire  et  si 
précieuse,  et  en  même  temps  de  contribuer  autant  qu'il 
lui  sera  possible,  à  la  rétablir  dans  toute  l'Europe.  C'est 
dans  cette  vue  que  Sa  Majesté  Impériale  est  prête  à  faire 
le  sacrifice  de  conquêtes  faites  dans  cette  guerre  par 
les  armes  russiennes,  dans  l'espérance  que  de  leur  côté 
toutes  les  cours  alliées  préféreront  également  le  retour 
du  repos  et  de  la  tranquillité  aux  avantages  qu'elles 
pourraient  attendre  de  la  guerre,  et  qu'elles  ne  peuvent 
obtenir  qu'en  répandant  encore  plus  longtemps  le  sang 
humain;  et  pour  cet  eifet  Sa  Majesté  Impériale  leur  con- 
seille dans  la  meilleure  intention  d'employer  de  leur  côté 
tout  leur  pouvoir  à  l'accomplissement  d'un  ouvrage  si 
grand  et  si  salutaire  ».  Cette  démarche  avait  été  pré- 
cédée d'un  symptôme  des  plus  inquiétants  :  la  cour  de 
Pétersbourg  avait  refusé  de  recevoir  le  dernier  verse- 
ment des  subsides  que  l'Autriche  s'était  engagée  à  lui 
payer.  Ce  refus  équivalait  à  la  dénonciation  du  traité 
conclu  entre  les  deux  couronnes. 

Le  26  février,  Mercy  (1)  d'abord  on  compagnie  de  ses 
collègues,  ensuite  en  tête  à  tète,  eut  un  long  entretien 
avec  le  chancelier  Woronzow  qui  à  moitié  rétabli  de 
sou  indisposition  avait  repris  au  moins  nominalement  la 
direction  des  affaires  étrangères.  Les  explications  du 
chancelier  furent  rassurantes.  L'Empereur,  malgré  son 
grand  désir  de  la  paix,  n'avait  pas  encore  arrêté  les  me- 

(1)  Mercy  à  Kaunitz,  P.  S.,  26  février  ITfii.  Arcliives  de  Vienne. 

(il'KRnii   »i:   StPT   ANS.    —   T.    V.  21 


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LA  GUEUUK  i)¥.  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VIII. 


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sures  propres  à  l'ôtahlir  et  n'avait  à  sa  connaissance  rien 
décidô  au  sujet  <les  propositions  à  soumettre  i\  se:;  «lliés. 
Le  chancelier  était  convaincu  que  le  zèle  de  son  maitre 
pour  la  paix  n'irait  pas  jusqu'à  s'unir  aux  ennemis  de 
l'alliance,  il  ne  tairait  pas  ses  préoccupations  au  sujet 
des  ai^isscmenls  de  la  Prusse,  il  s'y  opposerait  de  toutes 
ses  forces,  mais  il  ne  pouvait  faire  plus.  Sur  deux  points 
les  éclaircissements  étaient  plus  précis  :  les  Prussiens 
avaient  pris  l'initiative  des  ouvertures  pour  un  armistice 
<;t  le  général  VolkonsUy  avait  été  chargé  de  négocier 
avec  eux,  mais  rien  n'avait  été  conclu.  Quant  à  Czernit- 
chew,  il  avait  reçu  ordre  de  se  tenir  prêt  A,  évacuer  la 
Silésie,  quand  le  temps  et  la  saison  le  permettraient. 

Vers  le  10  mars,  la  déclaration  russe  parvint  à  Vienne. 
Kaunitz  déclara  à  Chatelet  qu'il  la  regardait  comme 
dictée  par  le  roi  de  Prusse  et  comme  un  piège  tendu  et 
qu'il  retarderait  la  réponse  le  plus  possihle.  Ce  ne  fut 
en  effet  que  le  29  mars  que  Starhemberg  reçut  1«^  projet 
de  réplique  au  document  russe  et  un  canevas  de  contre- 
déclaration  à  concerter  avec  la  France.  Les  pièces  autri- 
chiennes étaient  appuyées  d'un  rescript  (1)  de  Marie- 
Thérèse.  Dans  ce  document  on  exposait  la  situation  que 
faisaient  à  l'Autriche  la  désertion  de  la  Russie,  la  renon- 
ciation de  cette  puissance  aux  territoires  conquis  sur 
la  Prusse,  le  danger  d'une  alliance  probable  et  prochaine 
du  Tzar  avec  le  roi  Frédéric;  on  discutait  longuement 
les  avantages  ou  les  inconvénients  de  la  paix  soit  parti- 
culière soit  générale;  on  se  demandait  si  elle  devait 
être  précédée  d'un  armistice,  on  posait  même  les  condi- 
tions auxquelles  l'Impératrice  Heine  devait  conclure  un 
arrangement.  Fnfin,  par  des  r.iisonnements  de  toutes 
sortes  on  concluait  à  la  réunion  d'un  congrès,  dont  on 
laisserait  l'initiative  aux  couronnes   ennemies.  Un  peu 

(1)  Rescript  de' Marie-Thérèse  à  Slarliemberg,  22  mars  17C2.  Archives 
(le  Vienne. 


HEPONSE  DE  VIENNE. 


323 


1' 


embarrassé  par  ic  (lésiiitéressement  du  Tzar  qui  avait 
promis  la  restitution  [)ure  et  simple  des  provinces  con- 
quises, Kaunitz,  le  rédacteur  ou  l'inspirateur  du  docu- 
ment, s'évertuait  à  démontrer  que  le  cas  de  la  Kussie 
était  tout  dillércnt  f  o  celui  de  l'Autriche  et  que  ce 
j)récédent  fâcheux  n'engageait  aucunement  la  cour  de 
Vienne;  mais  pour  ne  pas  éveiller  les  susceptibilités  de 
Pierre  III,  cette  distinction  délicate  ne  devait  pas  être 
développée  dans  un  texte  écrit,  mais  conlié  au  savoir- 
faire  <ie  Tainbas.  adeur  Mercy,  qui  s'en  expliquerait  ver- 
balement. Bref,  la  note  dominante  de  la  réponse  autri- 
chienne laissait  percer  le  désir,  peut-être  trop  apparent, 
de  ménager  la  Kussie  et  d'éviter  à  tout  prix  de  se  brouiller 
avec  elle. 

i.e  comte  de  Choiseul  qualifia  (1)  la  pièce  de  «  faible, 
plate  et  peu  digne  »  et  se  félicita  d'avoir  pris  les  devants 
en  expédiant  directement  sa  réponse  à  Pétershourg.  Lors 
de  l'envoi  de  ,1a  copie  de  ce  document  à  Chatelet,  le 
ministre  français  eu  avait  fait  une  courte  analyse  (2)  : 
«  J'ai  employé  sans  atl'ectation,  mais  avec  intention,  les 
expressions  les  plus  remarquables  de  celle  (la  déclara- 
tion) que  nous  avons  reçue  en  les  employant  dans  un 
sens  contraire.  Pour  peu  qu'on  entende  le  français  à 
Pétersbourg,  il  ne  sera  pas  difficile  de  pénétrer  le  sens 
de  nos  paroles.  )>  Le  passage  ironique  ainsi  visé  parlait 
de  «  la  fidélité  aux  engagements  et  à  l'exactitude  de 
remplir  toute  l'étendue  des  engagements  par  préférence 
;\  toute  autre  considération  )>. 

Il  devenait  tous  les  jours  plus  difficile  de  trouver  des 
informations  précises  sur  la  nouvelle  politique  de  la 
Kussie;  à  défaut  de  Woronzow  qui  malade  ou  muet  ne 
lui  en  fournit  aucune,  Mercy,  à,  H  dispositicm  duquel  son 
gouvernement  avait  mis  une  somme  de  !.")(). 000  ducats, 

(1)  Comte  de  Choiseul  à  Chatelet,  :(0  mars  17()>.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Comte  de  (  lioiseui  à  Chatelet,  i,  mars  176.>.  Affaires  Étrangères. 


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LA  (lUEUnt;  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


aurait  voulu  s'aboucher  avec  d'autres  personnages  moins 
discrets;  il  ne  put  nouer  des  relations  directes,  mais  [>ar 
l'entremise  de  son  secrétaire  Kichenfeld  il  se  procura  des 
renscij^iiements  intéressants  émanant  d'un  haut  fonction- 
naire au([uel  il  a  bien  soin  de  ne  donner  d'autre  dénomi- 
nation que  celle  de  l)on  ami.  A  celui-ci  Kichenfeld  (1) 
avait  posé  un  véritable  questionnaire,  sans  obtenir  des 
aper(;us  bien  nouveaux.  Les  réponses  roulaient  sur  le 
renvoi  sans  ran(;on  des  prisonniers  russes,  la  probabilité 
d'un  arrangement  avec  la  Suède,  l'échange  beaucoup  plus 
l'ré(|uent  de  courriers  avec  Hreslau  qu'avec  Londres,  les 
mauvais  procédés  de  l'Kmpereur  pour  sa  femme,  les 
intrigues  du  procureur  général  Glebow  pour  substituer 
sa  belle-fille  à  la  maltresse  en  titre,  la  colère  do  Woron- 
zow,  les  scènes  entre  elle  et  l'Empereur,  enfin  les  débau- 
ches et  l'extravagance  do  ce  dernier. 

Dans  sa  dépêche  du  15  mars  (2)  Morcy  transmet  un 
important  avis;  le  bon  ami  avait  lait  appeler  Kichenfeld 
et  lui  avait  donné  la  teneur  du  rapport  (ialitzin  sur  son 
entretien  à  Londres  avec  liutequi  avait  tant  ému  Frédéric. 
11  avait  insisté  aussi  sur  la  colère  du  Tzar  qui  se  serait 
écrié  <(  que  si  Bute  et  sa  cour  avaient  de  telles  pensées  à 
l'égard  de  la  Prusse,  il  no  voulait  rien  av(»ir  à  faire  avec 
l'Angleterre,  qu'il  ferait  une  alliance  avec  la  Prusse, 
qu'il  abandonnerait  lu  Hanovre,  mais  qu'il  ne  retirerait 
pas  de  suite  les  troupes  russes  et  que  si  les  Anglais  se 
comportaient  ainsi,  il  enverrait  le  maréchal  Soltikoff  se 
joindre  au  roi  de  Prusse...  Ils  (les  Anglais)  devraient  savoir 
qu'il  s'était  préoccupé  pendant  5  ans  des  difficultés  du 
roi  de  Prusse,  (juo  l'empereur  de  Russie  ne  l'abandonne- 
rait pas,  alors  que  le  Roi  lui  avait  tout  promis  ».  A  cette 
sortie,  le  bon  ami  aurait  répondu  «  qu'entre  promettre  et 
tenir  il  y  avait  une  grande  différence  ».  L'informateur  de 

(1)  Mercy  à  kaunUz,  5  mars  176!.  Archives  de  Vienne 

(2)  Mercy  à  Kaunitz,  13  mars  iTdii.  Archives  de  Vienne. 


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DKPKCIIES  DE  MERCV. 


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Mercy  était  bien  renseigné,  i)uis(juc  ses  conlidenccs  sui" 
la  conversation  de  Bute  portent  à  pen  près  la  même  date 
que  celles  de  Pierre  à  l'envoyé  prussien  (ioltz.  C'est  avec 
raison  (jn'il  recommanda  le  secret  le  plus  absolu  à  Kichen- 
feld  à  qui  il  dit  que;  la  moindre  indiscrétion  lui  ferait 
})erdre  sa  tetc.  Quel(|ues  jours  après,  dans  un  entretien 
avec  Rrcteuil  (1),  le  chancelier  commenta  les  propos  attri- 
bués à  Bute  et  chercha  aies  explicjuer;  il  avait  eu  quehpie 
peine  à  faire  admettre  à  Pierre  «{ue  l'ambassadeur  (lalit- 
zin,  qui  n'avait  pas  encore  reçu  de  nouvelles  instructions 
depuis  la  mort  de  la  Tzarine  Klisabeth  ne  pouvait  être 
au  courant  de  la  politique  inaugurée  depuis  l'avènement 
de  son  successeur. 

Il  serait  oiseux  de  faire  de  longs  emprunts  aux  dépêches 
des  deux  ambassadeurs;  celles  de  Mercy,  trèsdétailiéps,  sont 
remplies  des  bruits  qui  couraient  sur  les  démarci  s  des 
agents  prussiens,  sur  les  prttjets  de  l'Empereur  relalil's  au 
Schleswig,  sur  son  intention  d'occuper  le  MecUlembourg; 
de  temps  à  autre  elles  relatent  des  conversations  avec 
Woronzow,  qui  tantôt  dément  les  faits  rapportés,  tantôt 
les  ignore,  plus  souvent  les  atténue,  mais  qui  évidemment 
ne  possède  plus  aucun  crédit  auprès  de  son  maître. 

Il  aurait  fallu  s'expliquer  avec  le  souverain  lui-même, 
mais  cela  n'était  pas  chose  facile.  Sous  prétexte  d'un  inci- 
dent protocolaire  à  propos  du  prince  de  Holstein  auquel 
il  avait  refusé  de  rendre  la  première  visite,  Breteuil  avait 
vu  ajourner  toutes  ses  demandes  d'audience;  Mei'cy  après 
une  attente  de  plus  de  3  mois  fut  plus  heureux,  mais 
comme  le  prouve  son  récit  (-2)  il  ne  put  mettre  à  profit 
l'occasion  pour  entretenir  le  Tzar  de  questions  politiques. 
Il  fut  introduit  avec  le  cérémonial  habituel  un  peu  sim- 
plifié. Pierre  était  en  petite  tenue  et  ce  qui  était  une  véri- 
table offense  pour  la  maison  d'Autriche  ne  portait  sur  son 

(1)  Mcicy  à  Kaunilz,  l*.  S.,  30  mars  ITil'i.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Mercy  à  Kaunilz,  25  avril  1762.  Archives  de  Vienne. 


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LA  GUERRE  DK  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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uniforme  qu'une  seule  décoration,  colle  de  l'aigle  noir  de 
Prusse  (ju'il  venait  de  recevoir;  il  avait  à  ses  o'ités  le 
|n'inc(î  de  llolsfein,  son  oncle,  récemment  nommé  au  com- 
mandement des  gardes  iV  cheval.  (îuiiformément  au  désir 
du  prince,  Mercy  dut  abréger  son  discours  et  s'en  tenir 
aux  compliments  d'usage.  La  répli(|ue  fut  à  peine  intelli- 
gible, tant  l;i  voix  de  Pierre  était  basse  et  ses  expressions 
embrouillées;  il  termina  en  exprimant  l'espoir  d'entre- 
tenir, si  cela  était  ])ossible,  l'amitié  entre  les  deux  cours. 
Mercy  prit  texte  du  mot  possible  pour  faire  entendre  des 
j)rotestations  auxtpielbvsle  Tzar  ne  fit  aucune  réponse.  Le 
soir,  Mercy  assista  a  une  réception  et  il  un  jeu  de  la  cour; 
il  y  rencontra  (Joltz  qui  joua  à  la  même  table  que  lui,  et 
Scbwerin  ([ui  se  tenait  derrière  le  fauteuil  de  l'Empereur 
et  lui  ])arlait  ccmstamment  à  l'oreille.  Personnellement, 
Pierre  se  montra  poli  à  l'égard  de  l'ambassadeur,  il  lui 
recommanda  les  prisonniers  prussiens  en  Autriche  et  spé- 
cialement le  général  Fouquet  qui  à  la  suite  de  certains 
incidents  avait  été  envoyé  sur  les  confins  de  l'Esclavonie; 
il  lui  fit  les  honneurs  de  son  cabinet  de  travail  et  de  sa 
chambre  à  coucher. 

Keith,  plus  heureux  que  Mercy,  eut  A  l'occasion  de 
la  présentation  des  lettres  qui  l'accréditaient  auprès  du 
Tzar,  im  entretien  intéressant  dont  il  rendit  compte  (1)  A 
sa  cour.  Pierre  manifesta  son  désir  de  travailler  avec  le 
roi  de  la  (Irande-ltretagne  à  la  pacification  générale;  il 
avait  donné  ordre  à  son  représentant  à  Vienne  d'inviter 
l'Impératrice  Fteine  à  suivre  son  exemple  et  à  sacrifier  ses 
conquêtes;  «  le  roi  de  Prusse  était  maintenant  son  ami  et 
serait  probablement  bientôt  son  allié;  si  elle  s'obslinait  à 
refuser  à  ce  prince  des  conditions  raisonnables,  il  (l'Km- 
pereur)  pourrait  se  trouver  obligé  de  venir  en  aide  à  la 
Prusse;  la  veille  il  avait  informé  le  baron  (ioltz  de  sa  déci- 


(1)  Keilh  &  Bule,  1(>  avril  176!^.  Uaril\\icke  papers. 


l'IKRUK  EST  l'IlKT  A  S  ALLIKR  AVEC  EA  PRUSSE. 


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sion  ot  il  faisait  préparer  pour  le  prince  (Jalitzin  (1)  à 
Vienne  des  ordres  ({tii  produiraient,  espérait-ii,  l'ellet 
drsiré.  lUi  reste,  ([uel  (jiie  fi"it  le  résultat  de  la  drmarche, 
tant  que  lui  et  les  rois  de  la  (Jrande-Hretagne  et  de  la 
Prusse  resteraient  unis,  ils  n'avaient  rien  k  craindre  d'une 
puissance  ([uelcon(|ue  ». 

Le  Tzar  ayant  demandé  sur  quel  secours  il  pourrait 
compter  de  la  part  de  l'Angleterre  en  cas  de  rupture  avec 
le  Danemark,  Keith  essaya  de  se  tirer  d'allaire  en  alléi-uant 
le  manque  d'instructions  et  se  réfugia  dans  des  considé- 
rations générales  sur  le  beau  rùle  (|ui  incomberait  au  pa- 
cilicateur  général  de  l'Kurope.  Dans  une  autre  conversa- 
tion, {\  Keith,  qui  continuait  î\  prêcher  une  politlcjne 
pacifique,  Pierre  s'écria  (jue  l'Angleterre  n'avait  pjis  lieu 
d'être  inciuiète  et  que  si  elle  voulait  se  lier  à  la  Russie  par 
une  alliance  oU'ensive  et  défensive,  il  serait  prêt  à  envoyer 
un  corps  de  troupes  en  Allemagne. 

Quel  que  fût  le  mystère  dont  les  négociateurs  du  traité 
de  paix  «mtre  la  Unssie  et  la  Prusse  avaient  cherché  à  s'en- 
tourer, il  fut  impossible  de  garder  le  secret  sur  une  œuvre 
que  Pierr<^  se  plaisait  à  célébrer  avec  son  exubérance  ordi- 
naire. Ce  fut  donc  plutiM  des  consé(iuences  de  la  conven- 
tion que  du  texte  lui-même  ([ue  se  préoccupèrent  les 
représentants  de  l'Autriche  et  de  la  France.  L'engouement 
du  Tzar  pour  Frédéric,  l'abandon  des  conquêtes  faites  sur 
la  Prusse;,  l'activité  avec  laquelle  les  négociations  avaient 
été  poussées,  tout  semblait  indiquer  que  la  paix  n'était  que 
le  prélude  d'une  alliance  étroite  des  puissances  si  récem- 
ment hostiles.  Woronzow  qui  avait  signé  l'instrument 
diplomatique,  et  qui  allait  recevoir  du  roi  de  Prusse  le 
cadeau  traditionnel  sous  forme  d'une  bague  de  diamants 
et  qui  certainement  était  plus  au  courant  qu'il  ne  voulait 
le  reconnaître,  tout  en  assurant  Mercy  et  Breteuil  qu'il  n'y 

il)  Ainbassadeur  russe  à  Vienne  (lu'il  ne  faut  jias  confondre  avec  le  vice- 
chancelier  du  même  nom  qui  avait  été  a  Londres. 


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LV  OUEIUIE  l)K  SEPT  ANS.    -  CHAI».  VIII. 


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avait  danslc  traité  «  rien  (l«Hlés'«Ki"L'al)ln[)(»nr  leurs  cours», 
avait  ajoutiWl)  :  «  Il  cslpossiMi!  (jiril  soilsiiivi  (riiii  trait»'; 
(i'alliaiico  ri  il  faudra  voii- te  (|u'il  reufcriiicra.  »  IN'il  de 
jours apn^'s  cet  aveu,  le  chancelier  iiiroruia  (2i  .Meicy  de  la 
uiisc  des  •iO.OOO  lioninn's  du  corps  de  (Izernitcliew  à  la 
disposition  du  roi  de  l*russ(!  <(  pour  les  em|)l()yer  où  et  com- 
ment il  lui  i)lairait  ».  Pendant  lonf;teui[>s  ou  s'était  de- 
mandé même  dans  l'entourage  <le  Krédérif  (pielle  serait 
la  destination  (hi  contingent  russe  encore  cantonné  en 
Poinéranie.  Serait-il  expédié  en  Hanovre,  l'ormcrait-il  le 
noyau  de  l'armée  dirigée  c<»ntre  le  UaïK-mark,  ou  agirait-il 
coinnuî  auxiliaire  des  Prussiens?  WoronzoxN  croyait  (3)  à 
cette  dernière  solution  ;  et  Breteuil  écrivit  :  '^i  le  Tzar 
donne  des  troupes  aux  ennemis  de  ses  alliés  t  plus  à 

présumer  qu'il  unira  ses  forc<'S  au  roi  de  l*ru>.-.c  (|u'au  roi 
d'Angleterre.  »  Le  chancelier  alla  jusqu'à  avouci-  (jue  si  le 
roi  <le  Prusse  demandait  à  son  maître  la  moitié  d<ï  la  Livo- 
ni(!,  il  estimait  (ju'il  la  lui  donnerait  sans  hésiter  :  «  Cette 
réflexion  ([u'il  a  fiiile  au  comte  de  Mercy  et  dont  ou  [)eut 
conclure  (|ue  si  20. 000  hommes  de  secours  ne  sul'fisent  pas, 
le  Tzar  lui  en  enverra  ïO  et  .'lO.OOO,  m'a  paru  faire  grande 
impression  sur  l'Ambassadeur  autrichien  et  sur  sa  fer- 
meté. » 

Le  renseignement  de  Woronzow  était  exact  :  escomptant 
la  signature  d'un  traité  d'alliance  qu'il  estimait  prochaine, 
Pierre  avait  accordé  le  concours  contre  les  Autrichiens  d'un 
corps  auxiliaire  de  18.000  hommes.  Frédéric  communi- 
quait à  la  date  du  'iO  mai  [ï]  la  bonne  nouvelle  à  son  frère 
le  prince  Henri  et  annonçait  leur  arrivée  au  camp  de 
Bettlern  dans  un  délai  de  15  jours  au  plus.  La  paix  avec 
la  Suède  suivit  de  près  celle  qui  avait  été  conclue  avec  la 


(1)  Rrctcuil  au  comte  de  Clioiscul,  3  tniii  176.?.  Aflaires  Étrangères. 

(2)  Breteuil  au  comte  de  Cholseul,  20  mai  1762.  Affaires  Étrangères. 
^3)  Breteuil  au  comte  de  (  lioiseul,  28  mai  1762.  Affaires  Étrangères. 

(i)  Frédéric  a  Henri,  Belliern,  20  mai  MlVi.Cornsp.  Polit.,  XXI,  p.  448, 


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LA  l'UUSSE  SKlM'l  LA  l'AL\  AVKC    LA  SI  KDK. 


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Uiissic.  La  lassitude  do  la  nation  l'alignée  d'une  lutte 
sans  résultat,  le  retard  apporté  nu  paiement  des  subsides 
de  la  cour  de  Versailles,  l'impossibilité  de  couvrir  à  elle 
seule  la  dépense  d'une  nouvelle  campagne,  entiii  le  revi- 
rement de  la  polilitpu;  de  son  [Uiissant  voisin  e.\pli(pient 
et  jusiilient  cet  événement.  Le  traité  siiiiié  l(!  'l'I  lUiii  ré- 
tablissait le  sff//ii  t/iin  (tii/r  ht'lliiin.  Ainsi  rpie  l'écrit  Krédé- 
ric  (!)  au  prince  l'erdinand  :  «  L<i  chapelet  de  la  grand»; 
alliuncc  commence  à  se  dévider;  il  y  a  a[)parence  (pie  le 
nôtre  se  remplira,  comme  vous  aurez  vu.  » 

Ainsi  engagé  dans  la  lutte  contre  l'ancicine  alliée  de  la 
ftussie,  Pierre  donnerait-il  suite  à  ses  projets  contre  le  Dane- 
mark? Les  deux  puissant  s  amies  de  s;i  couronne,  la  Prusse 
■et  l'.Vngletcrrc;  avaient  cherché  i\  le  détourner  de  la  guerre 
<pi'ilavaitdécidée.  Frédéric,  avec  beaucoupde  sji voii -l'.iire, 
ne  s'était  pas  opposé  directement  à  un  projet  au(piel  il 
sentait  son  allié  acquis  de  préférence  à  tout  autre,  mais 
il  avait  prolité  du  crédit  ({u'il  possédait  auprès  d(^  lui  pour 
lui  persuader  d'ajourner  une  intervention  belliqueuse  qui 
oll'rirait  plus  de  chances  de  succès  en  170;J  que  pour  l'anué»; 
courante;  il  avait  même  fait  accej>ter  sa  médiation  et  en 
attendant  avait  obtenu  la  réunion  à  Berlin  de  diidomates 
russes  et  danois  chargés  de  concilier  les  partis. 

De  l'influence  at)glaise  il  n'était  plus  question.  Les  pro- 
pos de  liute  à  (ialitzin,  le  désir  ouvertement  exprimé  de  se 
servir  de  l'action  dii>lomatique  de  la  Uussie  en  vue  de 
forcer  la  Prusse  à  consentii'  des  sacrifices  poui'  la  paix, 
avaient  révolté  le  souverain  moscovite  et  avaient  détruit 
le  prestige  dont  la  puissance  maritime  avait  joui  au  début 
du  règne.  La  déclu ration  de  neutralité  pour  le  cas  d'une 
guerre  contre  le  Danemark  et  les  exi)lications  embarras- 
sées que  la  cour  de  Saint-James  avait  cru  devoir  fourni.»',  à 
propos  des  ouvertures  faites  A  Vienne  au  commencement 

<1)  Frédéric  à  Kerdiniind,  l{elllern,28niai  \H\'>.  Corresp.  PuUl.,  XXI,  p.  'i80. 


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LA  GUERUE  DE  SEPT  ANS.  --  CHAP.  VIII. 


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de  l'annoe,  avaient  aggravé  une  situation  déjà  tendue. 
Désormais,  Frédéric  était  devenu  le  véritable  directeur 
de  la  politique  extérieure  de  la  Russie. 

Depuis  quelque  temps  déjà  Keith  déplorait  (1)  l'ascen- 
dant qu'avait  ])ris  sur  Pierre  une  coterie  formée  de  créa- 
tures du  chambellan  Schouvalow,  qu'il  accuse,  un  peu 
gratuitement  ce  semble,  d'être  dévoué  aux  intérêts  fran- 
çais. Ces  hommes  chercheraient  à  exciter  leur  souverain 
contre  le  Danemark  et  à  le  détourner  des  idées  de  paci- 
fication généraîe.  «  Les  principaux  sont  Wolkow,  le  secré- 
taire i)rivé,  Milgonow,  lieutenant-général,  et  Nariskin, 
maître  des  équij^ages;  ils  sont  coiistamment  aux  côtés  de 
la  personne  de  S.  M.  et  au  moyen  d'insinuations  fausses  et 
autres  manœuvres,  inqualifiables,  ils  font  de  leur  mieux 
pour  entraver  les  bonnes  mesures  et  pour  noircir  ceux 
(|u'ils  haïssent  ou  qu'ils  craignent.  Je  regrette  de  le  dire, 
ils  n'ont  que  trop  bien  réussi  à  inspirer  à  l'Empereur  de  la 
jalousie  contre  le  chancelier  qu'ils  représentent  comme  un 
il  mi  de  la  France  et  de  contrecarrer  les  desseins  de  S.  M.  I.  » 
Ktait-ce  animosité  contre  les  intrigants  qu'il  dénonce,  ou 
mécontentement  de  la  politique  maladroite  du  cabinet  an- 
glais? Toujours  est-il  que  Keith  se  montre  attristé  d'être 
tenu  à  l'écart  des  grandes  affaires.  En  rendant  compte  du 
traité  de  paix  signé  avec  la  Prusse,  il  ajoute  (2)  un  peu 
mélancoliquement  :  «  Quant  à  ce  que  sera  la  nature  du 
traité  d'alliance  qui  sera  bientôt  mis  sur  le  tapis,  le  temps 
se  chargera  de  le  faire  connaître.  » 

Si  Pierre  s'était  contenté  de  manifester  ses  vues  politi- 
ques par  une  modification  dans  ses  relations  avec  les  puis- 
sances étrangères,  il  est  probable  qu'il  n'eut  pas  rencontré 
grande  opposition  de  la  part  de  ses  aujets.  il  commit  la 
double  faute  d'exagérer  l'engouement  qu'il  professait  pour 
la  personne  et  les  hauts  faits  du  roi  de  Prusse  au  point 

(1)  Keitli  à  Hute,  23  avril  1762.  Ilardwicke  papers. 

(2)  Keith  il  Bute,  8  mai  1702.  Hardwitke  papers. 


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MENTALITE  DE  PIERRE  III. 


331 


de  sacrifier  les  intérêts  de  son  Empire  et  de  se  vanter 
des  services  qu'il  aurait  rendus  à  la  cause  prussienne 
avant  son  ascension  au  trône,  services  qui  ne  constituaient 
rien  moins  qu'une  trahison  envers  son  [)ropi'e  pays  et  d'ap- 
pliquer les  méthodes  révolutionnaires  qui  lui  étaient 
chères  j\  l'administration  de  l'armée  et  aux  revenus  du 
clergé.  Tne  anecdote  qui  fit  le  tour  de  la  cour  illustra  le 
manque  de  tact  et  de  simple  bon  sens  dont  I*ierre  faisait 
preuve  à  l'occasion. 

Un  jour  (1)  devant  une  vingtaine  de  personnes  selon 
son  habitude,  il  avait  fait  l'éloge  du  roi  de  Prusse  <[ui 
avait  été  assez  habile  pour  déjouer  les  plans  d'opérations 
combinés  contre  lui  par  les  cours  de  Pétersbonrg-  et  de 
Vienne,  il  s'était  retourné  en  riant  vers  Wolkow  qui  as- 
sistait à  la  conversation  et  lui  avait  deniandé  si  cela 
n'était  pas  vrai.  Comme  celui-ci  rougissait  et  baissait  les 
yeux,  l'empereur  avait  éclaté  de  rire  en  s'écriant  que 
Wolkow  n'avait  plus  besoin  de  cacher  la  chose,  ni  d'en 
craindre  les  conséquences,  car  toutes  les  fois  que  le  se- 
crétaire lui  avait  communiqué  les  plans  alors  (|u'il  était 
giand  duc,  il  en  avait  aussitôt  donné  connaissance  au  roi 
de  Prusse. 

Ces  paroles,  si  elles  sont  bien  rapportées,  dénotaient  la 
mentalité  d'un  fou  ou  d'un  traître,  mais  peut-être  produi- 
sirent-elles moins  d'inqiression  que  les  changements  de 
tenue  et  d'exercice  qu'il  imposa  aux  troupes.  Il  entreprit  (2) 
d'habiller  les  soldats  russes  m  la  prussienne  et  renchérit 
sur  les  modèles  de  l'arinée  de  Frédéric,  «  les  nouveaux 
uniformes  russes  étant  sûrement  de  ï  doigts  plus  courts 
et  plus  étroits  et  les  épées  un  demi-pied  plus  longues  ([ue 
ne  sont  celles  des  troupes  prussiennes.  Un  j)areil  ajuste- 
ment auquel  ni  les  officiers  ni  les  soldats  ne  sont  point  ac- 


(1)  Breteuil  au  comie  de  Clioisoul,  3  mai  1702.  Affaires  I^ltrangores. 

(2)  Mercy  à  l'Empereur.  '>5  avril  1702.  Arcliives  de  Vienne. 


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332 


lA  GLERIŒ  DE  SEPT  ANS.  —  CUAP.  VllI. 


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coutumes  leur  tl(tnne  un  air  raide  et  gêné,  comme  s'ils 
étaient  appliqués  à  la  torture  ». 

bans  une  lettre  à  l'empereur  François  (1),  Mercy  décrit 
une  scène  de  parade  dont  il  a  été  le  spectateur  dissimulé  : 
((  Les  sanils  échangés,  on  se  promène  de  long"  en  large 
pai-  petits  groupes,  pendant  que  les  hommes  font  l'exer- 
cice; tout  il  coup,  Pierre  se  détache  do  deux  officiers  qu'il 
tenait  sous  le  bras,  ss  porte  «  avec  précipitation  vers  un 
soldat,  lui  applique  5  ou  0  grands  coups  de  canne  »  ;  les 
officiers  accourent  et  l'empereur  de  leur  expliquer  «  eu 
faisant  des  contorsions  horribles  »  le  méfait  du  coupable 
([ui  «  était  d'avoir  tenu  le  bras  droit  quelques  lignes  de 
trop  en  avant  ou  trop  en  arrière  »...  «  Cette  pétulance 
extérieure,  ajoute  Mercy,  est  aussi  parfaitement  conforme 
avec  celle  de  ses  idées,  de  même  qu'avec  la  façon  de  les 
exprimer;  il  les  rend  toujours  d'une  manière  violente  et 
de  mauvaise  grâce  ;  il  aime  aussi  à  plaisanter,  mais  les 
plaisanteries  sont  communément  des  injures  qu'il  pro- 
nonce en  face  aux  gens  sans  le  moindre  ménagement  et 
delà  facjon  la  plus  dure.  » 

En  n»ême  temps  qu'il  s'aliénait  l'armée  par  des  inno- 
vations maladroites,  le  malheureux  monarque  s'attaquait 
aux  pratiques  confessionnelles  du  peuple  en  prenant  en 
mains  la  réforme  de  l'église  orthodoxe  (-2).  Non  seulement 
il  avait  porté  atteinte  aux  intérêts  matériels  du  haut 
clergé  en  confisquant  au  profit  de  l'État  une  partie  des 
revenus  ecclésiastiques,  mais  il  avait  encore  outragé  les 
sentiments  religieux  de  la  masse,  en  ouvrant  dans  le 
palais  uue  chapelle  protestante  et  en  aftichant  ouverte- 
ment le  mépris  qu'il  professait  pour  les  cérémonies  du 
rite  grec.  «  A  la  dernière  grande  fête  de  la  Trinité,  raconte 
Mercy,  célébrée  par  l'église  grecque,  il  donna  audience 
aux  ministres  étrangers  et  à  la  noblesse  dans  la  chapelle 

(1)  Mercy  à  Franrois,  25  avril  17(12.  Archives  de  Vienne. 

(2)  Mercy  à  Kuunitz,  12  mai,  18  juin  17ti2.  Arcliivcs  de  Vienne. 


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SES  EXCENTRICITES. 


333 


du  palais,  il  s'y  promena  de  long-  eu  large  couimc  s'il 
avait  été  dans  son  bureau  et  s'entretint  avec  eux  à  haute 
voix,  pendant  que  l'on  chantait  la  messe  et  alors  que 
l'Impératrice  suivait  le  service  à  sa  place  et  avec  beau- 
coup de  révérence.  Le  monarque  poussa  si  loin  ses  excen- 
tricités inconvenantes  qu'à  un  moment  du  culte  où  tout 
le  monde  était  à  fienoux...  il  sortit  de  la  chapelle  avec  le 
méprip  peint  sur  son  visage  et  en  riant  à  pleine  voix  et 
ne  rentra  que  quand  tous  les  assistants  se  furent  remis 
debout.  »  Une  pareille  attitude  était  de  nature  à  enveni- 
mer l'irritation  générale  et  attiser  la  haine  dont  Pierre 
devenait  l'objet  de  la  part  de  beaucoup  de  ses  sujets;  elle 
était  d'autant  plus  dangereuse  qu'il  annonçait  son  inten- 
tion de  quitter  sa  capitale  et  d'aller  prendre  le  comman- 
dement des  troupes  qu'il  voulait  conduire  à  la  conquête 
du  ilolstein  et  du  Schleswig.  Ne  devait-il  pas  craindre 
que  les  mécontents  de  jour  en  jour  plus  nombreux  ne 
profitassent  de  son  éloignement  pour  ameuter  les  préto- 
riens de  la  garde  déjà  mal  disposés  et  pour  effectuer  une 
de  ces  révolutions  de  palais  dont  l'histoire  de  la  Russie 
avait  déjà  fourni  des  exemples  récents? 

Les  avertissements  ne  lui  avaient  pas  manque  Dès  le 
1"  mai,  Frédéric,  dans  une  lettre  personnelle,  avait  attiré 
l'attention  de  son  nouvel  allié  sur  les  dangers  qu'une  ab- 
ssnce  de  ses  états  lui  ferait  courir.  Il  était  question  de 
l'entreprise  contre  le  Danemark  dont  il  eût  désiré  l'ajour- 
nement jusqu'en  17().'l;  après  avoir  exposé  les  raisons  mi- 
litaires qui  pouvaient  être  invoquées  à  l'appui  de  ce  sursis, 
le  roi  de  Prusse  avait  abordé  (  1)  avec  bcaucou[)  de  ména- 
gements mais  avec  franchise  les  considérations  d'ordre 
intérieur  :  «  .le  lui  avoue  donc  que  je  voudrais  fort  (ju'Elle 
(S.  M.  I.)  se  fût  déjà  fait  couronner,  parce  que  cette  céré- 
monie en  impose  à  un  peuple  qui  est  dans  la  coutume 


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(I)  Frédéric  à  Pierre,  Breslau,  1"  mai  1762.  Con:  Polit.,  XXV.  p.  'ill. 


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334 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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de  voir  couronner  ses  souverains,  .le  Lui  dirai  franclienient 
que  je  nie  défie  des  lîusses.  Toute  autre  nation  bénirait  le 
Ciel  d'avoir  un  prince  ([ui  a  d'aussi  excellentes  et  admi- 
rables qualités  que  Votre  Majesté  Impériale  en  a  ;  mais 
ces  Russes  sentent-ils  le  bonheur,  et  la  maudite  vénalité 
de  quelques  j)articuliers  ne  pourrait-(elle)  point  (leur) 
faire  trouver  (leur)  intérêt  (1)  à  former  une  faction  ou 
une  révolte  dans  le  pays  en  faveur  de  ces  princes  de 
Brunswick?  Que  Votre  Majesté  Impériale  Se  rappelle  ce 
qui  arriva  à  la  première  absence  de  l'Empereur  Pierre  F'', 
dont  la  propre  soair  conspira  contre  lui.  Ne  faudrait- 
il  pas,  en  ce  cas,  quitter  la  guerre  contre  les  Danois, 
quand  même  tout  y  prospérerait,  pour  retourner  en  hAte 
(et)  éteindre  le  feu  qui  brûlerait  Sa  propre  maison?  Cette 
idée  m'a  fait  trembler...  Je  crois  donc  que  si  Elle 
(V.  M.  I.)  veut  prendre  le  commandement  de  Son  armée, 
que  Sa  sûreté  demandera  qu'Elle  se  fasse  couronner  aupa- 
ravant, et  que,  pour  n'avoir  rien  à  craindre  dans  Son 
empire.  Elle  amène  dans  Sa  suite  toutes  les  personnes 
suspectes  et  qui  pourraient  entreprendre  contre  Elle,  et 
môme  ceux  pour  peu  qu'on  puisse  les  soupçonner.  Pour 
agir  plus  sûrement  encore,  il  faudrait  obliger  tous  les  mi- 
nistres étrangers,  quels  qu'ils  soient,  de  ba  suivre  ;  car  ce 
serait  ôter  de  la  Russie  toutes  les  semences  de  rébellion 
et  d'intrigues.  »  Cette  lettre  était  accompagnée  d'une  dé- 
pêche [i)  k  Goltz  dont  un  passage  démontre  la  perspicacité 
du  Roi  :  «  Avec  tout  cela,  l'affaire  est  fort  délicate.  Car, 
comme  les  affaires  de  Holstein  font  actuellement  le  prin- 
cipal objet  de  l'Empereur  et  qu'il  prend  principalement 
à  cœur,  il  faut  bien  se  garder,  pour  ne  pas  le  contrarier 
ou  de  l'en  disconseiller  directement,  car  si  nous  le  fe- 
rions, nous  ferions  autant  que  de  rompre  tout  avec  lui.  » 


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(1)  Schwcrin  avait  dénoncé  l'ancien  favori  Iwan  Sihuvalow  et  le  général 
Melguno\^  comme  très  opposés  à  la  nouvelle  politique. 

(2)  Frédéric  à  Gollz,  Bresluu,  1"  mai  17G2.  Corr.  Polit.,  XXI,  p.  407. 


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PRÉPARATII  s  CONTHI-:  LE  HOLSTEIN. 


335 


Aux  sages  conseils  du  Roi,  Pierre  répondit  (1)  k  la  date 
du  15  mai  que  les  préparatifs  de  l'expédition  étaient  trop 
avancés  «  pour  se  faire  couronner  auparavant  »  avec  la 
magnificence  îji  laquelle  la  nation  russe  était  accoutumée. 
«  Pour  ce  qu'il  est  du  prince  hvan,  Je  l'ai  sous  une  forte 
garde,  et  si  les  Russes  m'auraient  voulu  du  mal,  ils  l'au- 
raient déjà  longtemps  pu  faire,  voyant  que  je  ne  prends 
garde  à  moi,  nie  remettant  toujours  à  la  garde  du  bon 
Dieu,  allant  à  pied  par  la  rue,  comme  (loltz  est  le  témoin. 
Je  peux  vous  l'assurer  que,  quand  on  sait  se  prendre  avec 
eux,  on  peut  aussi  être  sûr  d'eux;  et.  Votre  Majesté,  que 
penseraient  ces  mômes  Russes  de  moi,  voyant  (jue  je 
resterai  au  logis  dans  un  temps  de  guerre  dans  mon  pays 
natal,  eux  qui  n'ont  jamais  souhaité  autrement  que  d'être 
sous  un  maître  et  pas  sous  une  femme,  ce  que  j'ai  m*ti- 
môme  entendu  vingt  fois  de  mes  propres  soldats  de  mon 
régiment.  »  Quant  aux  précautions  suggérées,  il  aurait 
soin  de  les  prendre.  Frédéric  se  déclai'a  rassuré  (2)  et 
s'excusa  de  nouveau  de  sa  franchise. 

Du  prince  Iwan  de  Bruns\vicU,  Pierre  n'avait  rien  à 
craindre.  A  la  suite  d'une  excursion  à  Schlusselberg  (3) 
où  le  malheureux  était  enfermé,  l'empereur  s'était  con- 
vaincu que  l'état  mental  du  prisonnier  interdisait  toute 
idée  d'en  faire  un  prétendant,  encore  moins  un  héritier, 
comme  il  en  aurait  eu  la  pensée.  L'aspect  d'Iwan,  que 
vieillissait  malgré  ses  22  ans  sa  longue  barbe,  ses  ma- 
nières incultes,  l'ignorance  absolue  de  son  identité  et  des 
événements  contemporains  ressortant  nettement  de  ses 
répoiises  aux  ([uestioiis  des  compagnons  de  l'Empereur, 
donnèrent  une  impression  par  trop  défavorable.  Ce  der- 
nier déclara  qu'il  n'y  avait  rien  à  en  tirer  et  qu'il  fallait 
le  laisser  en  prison.  A  en  croire  les  informations  recueil- 

(1)  Pierre  à  Frédéric,  15  mai  17i>2.  Corr.  Polit.,  XXI,  p.  510. 

(2)  Frédéric  A  Pierre,  Heltlern,  8  juin  17(!2.  Cojt.  l'olit..  XXI,  p.  510. 

(3)  Mercy  à  Kaunilz,  l'i  avril  ITii'J.  Arcliives  de  Vienne. 


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LA  GUERUE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VUI. 


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lies  par  Mcrcy.  Pierre  III  qui  n'avait  jamais  voulu  re»on- 
naUre  le  petit  prince  l*aul  pour  son  fils,  aurait  déclaré  à 
plusieui's  reprises  son  intention  d'interner  dans  un  couvent 
l'Impératrice  Catherine  pour  le  reste  de  ses  jours  et  de 
substituer  à  son  iils  comme  héritier  Iwan  de  Hrnnswick. 
Oblitié  de  renoncer  à  ce  projet,  il  se  borna  à  améliorer 
la  situation  matérielle  de  son  cousin  et  à  le  confier  à  la 
surveillance  de  quelques  officiers  de  la  i^arde,  sur  la 
fidélité  desqueli.  il  pouvait  compter. 

I  Cj  bons  conseils  de  Frédéric  n'avaient  pas  été  les  seuls; 
dans  l'entouratic  du  Tzar,  le  projet  do  l'expédition  avait 
rencontré  de  l'opposition,  mais  l'omnipotence  de  NVolkoA> 
empêchait  ces  sages  avis  d'arriv  ,r  jusqu'aux  oreilles  du 
prince.  Au  dire  de  Keith  (1),  ce  Wolkow  était  le  mauvais 
génie  du  règne;  il  protitait  de  la  paresse  et  de  l'insou- 
ciance de  son  maître  pour  accaparer  le  pouvoir.  Pierre, 
prévenu  contre  Woronzow  dont  il  ne  coûtait  pas  les 
remoiitiances,  trouvait  en  Wolkow  un  homme  prêt  à 
exécuter  toutes  ses  fantaisies,  quelque  bizarres  qu'elles 
fussent.  Les  vrais  amis  étaient  très  opposés  à  l'absence 
projetée  du  Tzar,  ils  craignaient  des  troubles  à  l'intérieur 
qu'occasionneraient  les  mesures  relatives  aux  biens  du 
clergé;  l'imposition  du  service  militaire  aux  fils  des 
popes,  dont  on  parlait,  contribuerait  à  l'agitation.  Cepen- 
dant le  départ  semblait  d'autant  moins  indiqué  que  le  con- 
flit immédiat  avec  le  Danemark  paraissait  reculé.  Goltz 
avait  re(;u  l'ordre  d'écrire  à  son  collègue  de  Copenha- 
gue qu'il  pouvait  rassurer  cette  couronne  sur  les  délais 
qui  avaient  été  fixés  à  la  conférence  de  Berlin  et  qui 
seraient  certainement  dépassés.  D'autre  part,  Keith  avait 
appris  que  l'ordre  avait  été  donné  à  Romanzow  de 
s'avancer  et  d'établir  un  cordon  de  troupes  en  Mecklen- 
bourg  pour  le  1''  juillet. 


(1)  Keith  à  Bute,  Secret,  "juin  ITC.a.  Ilardwiciie  papers. 


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P1\0JKT  DE  TUAITÉ  AVEC  LA  PUISSE. 


337 


Avant  (le  se  mettre  à  la  tète  de  son  armée  le  Tzai'  au- 
rait voulu  terminer  le  traité  dalliance  avec  la  Prusse  ;  le 
travail  était  d'ailleurs  fort  avancé.  Il  avait  été  signé  par 
\Voronzo\\  et  (loltz  aux  environs  du  20  juin  et  aussitôt 
expédié  à  Mreslau.  Aucun  des  intéressés  ne  l'avait  com- 
muni(iué  à  Iveitli  ([ui  cependant  eu  fait  l'analyse  :  Le  roi 
de  Prusse  recevait  la  confirmation  de  la  possession  de 
la  Silésie  et  (Jlatz  avec  garantie;  en  échange  il  accordait 
la  même  garantie  à  Pierre  pour  la  partie  du  llolstein  qui 
lui  appartenait  déjà  et  l'étendaitaux  territoires  en  llolstein 
et  Sclileswig  dont  celui-ci  pourrait  être  déclaré  souve- 
rain au  prochain  traité  de  paix.  l*our  une  action  contre 
le  Danemark,  la  Prusse  fournirait  un  contingent  do 
lô.OOO  fantassins  et  5.000  cavaliers,  elle  vei'serait  à  la 
Russie  si  cette  puissance  était  attaquée  par  les  Turcs  un 
subside  annuel  de  600.000  roubles.  La  Russie  ferait  à  la 
Prusse  la  môme  subvention  au  cas  d'une  guerre  de  celle-ci 
avec  la  France.  Quant  à  l'Angleterre,  comme  on  ne  vou- 
lait pas  prévoir  un  conflit  entre  cette  couronne  et  les 
deux  contractants,  il  était  admis  qu'une  guerre  avec  la 
puissance  maritime  ne  constituerait  pas  le  «  casus  f(edt- 
ris  »,  A  propos  de  ce  traité  (|u'on  lui  avait  caché,  Keith  (1) 
eut  la  malice  de  félicit(n'  le  ïzar  de  l'ouvrage  qu'il  venait 
d'accomplir  le  samedi  précédent  (jour  de  la  signature). 
Pierre  se  montra  très  surpris  et  un  peu  embarrassé  mais 
ne  releva  pas  l'allusion. 

La  fortune  seml)lait  sourire  de  nouveau  à  Frédéric 
quand  un  événement  tout  à  fait  inattendu  vint  renver- 
ser ses  calculs,  si  fondés  qu'ils  parussent.  La  querelle 
contre  le  Danemark  un  moment  assoupie  fut  ravivée  par 
la  nouvelle  d'un  emprunt  que  les  Danois  avaient  forcé  la 
ville  de  Hambourg  à  souscrire  en  leur  faveur.  Pierre  fu- 
rieux annonça  son  départ  définitif  pour  la  fin  de  juillet; 


(I)  Keilli  à  Grenville,  'V2  juin  1762.  Hardwicke  papers. 
Gi  Kitni;  i)i:  ski't  \.ns.  —  t.  v. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CUAP.  VIII. 


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Kcitli  et  la  pluf  art  tic  ses  collègues  du  corps  diploma- 
tique étaient  en  train  de  boucler  leurs  malles  pour  le 
voyage,  quand  éclata  la  révolution  (|ui  modifia  une  fois 
de  plus  la  politi(iue  extérieure  de  la  Uussie.  Ainsi  que 
nous  l'avons  vu,  PYédéric  avait  conseillé  à  sou  allié  de  ne 
laisser  derrière  lui  en  Uussie  ni  les  ministres  étrangers, 
ni  les  fonctionnaires  dont  l'attachement  au  nouveau  régime 
pouvait  paraître  suspect.  L'avis  était  e.xcellcnt,  mais  pour 
l'exécution  d'une  pareille  mesure  il  aurait  fallu  s'impo- 
ser une  discrétion  dont  Pierre  était  incapable.  1/attitude 
qu'il  affichait  vis-à-vis  de  sa  femme,  l'intention  de  lui 
enlever  la  liberté  avec  le  trône,  avaient  été  trop  pui)li- 
quement  manifestées  pour  que  l'illusion  fi\t  permise  sur 
le  danger  qui  la  mena^-ait  elle  et  son  fils.  Ses  partisans 
comprirent  que  si  l'on  voulait  éviter  la  catastrophe  il  fal- 
lait prendre  les  devants.  D'après  le  récit  de  IVIercy  (1), 
écrit  peu  de  jours  après  les  événements,  Panin,  le  gou- 
verneur du  prince  Paul,  très  attaché  à  l'impératrice,  au- 
rait été  le  personnage  le  plus  marquant  du  complot;  il 
aurait  été  secondé  par  la  jeune  comtesse  Dalikow,  sœur 
de  la  favorite,  mais  dévouée  à  l'épouse  légitime,  par 
Rasamowski,  hetman  des  cosaques,  par  le  brigadier  Tep- 
low,  dont  Pierre  s'était  fait  un  ennemi  en  le  jetant  en  pri- 
son, sauf  à  le  relAcher  ensuite,  enfin  par  les  cinq  frères 
Orlow,  lieutenants  dans  l'artillerie  et  dans  le  régiment  de 
la  garde  Ismaelowski  où  ils  exerçaient  une  grande  in- 
fluence sur  leurs  camarades.  Le  véritable  chef  de  la  cons- 


Rl     : 


(Ij  Mercy  à  Kaunilz,  12  juillet  1762.  Archives  de  Vienne.  Quelques  dé- 
tails sont  empruntés  à  la  dépêche  de  Bérenger  au  comte  de  Clioiseul  du 
2-13juillet  1762  (Affaires  Etrangères),  à  Saldern,  Histoire  de  Pierre  III,  à 
Kulliier,  Histoire  ou  anecdotes  sur  la  Révolution  de  Russie  en  1762.  La 
Russie  il  y  a  cent  ans.  Extraits  des  dépêches  des  ambo.  sadeurs  anglais, 
français,  Berlin,  1858.  Lettre  de  Catherine  à  Poniatowski.  Waliszewski, 
Roman  d'une  Impératrice.  Nisbet  Bain,  Peler  emperor  of  Russia,  West- 
minster, 1902.  Cet  auteur  consciencieux  se  sert  des  ouvrages  de  Bilbasow, 
de  Hergen,  de  Solvernet  Bololow. 


LA  UKVOLUTION  ECLATE.  389 

piration  était  Grégoire  Orlow,  capitaine  quartier  maître  de 
l'artilleiic  et  favori  de  Catherine. 

Un  incident  imprévu  fit  précipiter  la  révolution  qui 
dans  l'intention  des  conjurés  ne  devait  se  produire  que 
pendant  ral)sence  de  l'empereur.  Une  sourde  si^itatiou 
existait  dans  plusieurs  des  régiments  de  la  garde;  elle 
était  entretenue  par  le  bruit  toujours  iirossissant  d'un 
ordre  d'embarquement  pour  l'Allemagne,  l'n  propos 
imprudent  tenu  à  un  soldat  par  un  officier  du  régiment 
Préobrasensky  sur  la  mise  au  service  du  roi  de  Prusse  des 
corps  qu'on  allait  expédier  fut  répété,  vint  aux  oreilles 
de  l'Empereur  et  entraîna  l'arrestation  du  coupable.  Les 
consj)irateurs  qui  avaient  pris  la  précaution  de  doubler 
chacun  des  leurs  d'un  surveillant  furent  aussitôt  instruits 
et,  craignant  que  le  complot  ne  fût  découvert,  résolurent 
d'agir  de  suite.  Âle.xis  Orlow  se  rendit  à  Pcterhof  où  était 
Catherine  et  où  devait  se  célébrer  le  10  juillet  (nouveau 
style)  la  fête  de  Pierre  III.  Il  trouva  l'Impératrice  au  lit, 
la  fît  évader  à  5  heures  du  matin  le  9,  sous  les  vêtements 
d'une  femme  de  la  bourgeoisie,  la  ramona  •'  Pétersbourg 
dans  une  mauvaise  voiture  de  campagne  appelée  kibidka 
et  la  conduisit  au  quartier  du  régiment  Ismaelowski  (i) 
où  trois  compagnies  étaient  déjà  sous  les  anues  et  où  Ka- 
samowski,  en  sa  qualité  de  colonel,  réunit  le  corps  tout 
entier.  Il  était  environ  8  heures  du  matin.  Catherine,  précé- 
dée d'un  prêtre  un  crucifix  à  la  main,  fit  (2)  un  appel  pas- 
sionné aux  soldats  ;  elle  leur  exposa  la  conduite  do  l'i^lmpe- 
reur  (3)  à  son  égard  ot  à  l'égard  de  son  fils,  le  danger  qui 
les  menuoait,  les  atteintes  portées  à  la  religion,  aux  intérêts 

(1)  A  t'i.  croire  d'autres  récits,  cette  séance  se  serait  passée  au  <|uarlier 
des  Préobrasensky. 

(2)  Dans  son  récit  re|>roduit  dans  La  cour  de  Itussic,  il  y  a  cent  ans. 
E.rlraits  des  dépêches,  Berlin,  IS.'iS.  Catherine  ne  fait  aucune  allusion  à 
cette  allocution. 

(3)  D'après  Saldern,  Histoire  de  la  Vie  de  Pierre  III.  Metz,  18o2,  Ca- 
therine aurait  annoncé  la  mort  de  son  époux. 


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I.A  (lUKRUK  DE  SKPT  ANS,  —  CIIAP.  VIII. 


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«le  l'armée,  de  l/i  ii.ation,'  1««  pôril  {|iie  la  continuîitioii  du 
règne  entraînerait  pour  la  Uussie.  La  troui)o  outrée  des 
procédés  du  souverain,  travîiillée  par  les  fauteurs  du 
mouvement,  émue  par  les  paroles  {|u'elle  venait  d'enten- 
dre, acclama  l'Impératrice  et  lui  jura  fidélité  et  obéis- 
sance. L'exemple  des  Ismaelowki  fut  suivi  par  les  autres 
régiments  de  la  garde  et  notamment  par  la  garde  à  che- 
val qui  se  distingua  par  son  zèle  à  appuyer  la  révolution. 
La  nouvelle  souveraine  après  avoir  gagné  à  sa  cause  le 
général  Villebois,  grand-maltre  de  l'artillerie,  entourée  des 
soldats,  acclamée  par  la  Coule,  se  transporta  au  vieuv 
Palais  où  «die  re»;ut  l'hommage  des  principaux  corps  de 
l'État. 

Entre  temps,  on  avait  désarmé  et  arrêté  tous  les  mi- 
litaires holsteinois  sur  lescjuels  on  avait  pu  mettre  la 
main;  le  prince  Georges  de  Holstein,  rencontré  <lans  la 
rue,  l'ut  fort  maltraité  et  les  habits  en  lambeaux  traîné 
au  palais  et  mis  aux  arrêts.  iJe  leur  cùté,  l'archevêque  de 
Novgorod,  les  évéques  et  tout  le  clergé  s'étaient  assem- 
blés au  vieux  Palais  et  avaient  conduit  la  princesse  à  la 
cathédrale  de  Kasan  où  elle  fut  sacrée  et  [)roclamée  Im- 
pératrice souveraine  de  toutes  les  Hussies  sous  le  nom  de 
Catherine  H.  De  l'église,  elle  alla  au  nou^'eau  Palais  où 
elle  reçut  le  serment  des  Sénateurs  et  de  là,  saluée  par 
les  cris  et  les  vivats  d'une  foule  innombiable,  elle  re- 
tourna au  vieux  palais.  Parmi  les  fonctionnaires  qui  se 
rallièrent  à  sa  cause,  signalons  le  vieux  chancelier 
Woronzow  (1)  qui,  venu  à  la  hâte  de  Peterhof,  avait  com- 
mencé par  lui  faire  des  remontrances,  mais  n'avait  pas 
tardé  à  faire  sa  soumission.  D'après  Keith  (2)  il  aurait  ob- 
tenu la  permission  d'écrire  au  Tzar  le  récit  de  ce  qui  s'é- 
tait passé  et  cela  fait,  aurait  pris  le  serment  de  fidélité  à 

(1)  Récit  de  Catherine,  La  cour  de  Russie  il  y  a  cent  ans,  p.  207,  Ber- 
lin, 1858. 

(2)  Kcitii-Bute,  13  juillet  l'G2,  Hardwicke  papcrs. 


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CATHKIUNK  l'IUXLAMKK  SOUVKUAINK. 


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la  nouvelle  soiivcr;iine.  11  fut    iniiinteiui   dans  ses  fonc- 
tions. 

Des  [)iécautions  avaient  été  prises  pour  conserver 
la  trHncjuillité  et  pour  intercepter  tonte  comniutii- 
cation  avec  Oranieul»auin  ;  les  diefs  du  mouvement 
avaient  fait  occu[)er  les  principtles  rues  et  places  de  la 
capitale  par  des  troupes  et  de  l'artillerie.  Vers  midi,  une 
forte  colonne  ctuuposée  d'infanterie  et  de  cavalerie  sou- 
tenu»! par  un  parc  de  gros  canons  s'était  mise  vi\  route 
pour  Oranienbaum  sous  les  ordres  du  prince  Volkonsky 
et  du  général  de  Villebois;  l'amiral  Tatiizin,  parent  du 
vieux  Hestouchew,  avait  été  envoyé  à  Ci'onstadt  p(mr 
obtenir  l'adhésion  de  la  Hotte;  d'autre  part,  le  nécessaire 
avait  été  mis  en  «euvre  pour  faire  parvenir  la  nouvelle  du 
changement  de  régime  ilans  les  villes  de  province;  enfin, 
une  note  fut  remise  le  même  soir  à  tous  les  ministres 
étrangers. 

A  10  heures  du  soir,  la  nouvelle  souveraine,  i'i  cheval 
et  portant  l'ancien  uniforme  de  la  garde,  partit  pour  re- 
joindre les  troupes  en  marche  sur  Oranienbaum,  elle 
était  accompagnée  de  la  comtesse  Dashkow,  égalc.nent 
à  cheval  et  en  uniforme;  elles  passèrent  la  nuit  au 
couvent  de  la  Sainte-Trinité,  à.  moitié  route  des  30  wers- 
tes  qui  séparent  la  capitale  de  la  résidence  d'été  et  par- 
vinrent 4  9  heures  dans  la  matinée  du  10  au  pavillon  de 
Strelna-Mysa  où  Catherine  prit  connaissance  d'une  pre- 
mière communication  du  Tzar,  proposant  le  partage  du 
pouvoir. 

Que  faisait  Pierre  pendant  la  journée  qui  lui  coûta  le 
trône?  Il  avait  passé  la  nuit  à  Oranienbaum  et  comptait 
aller  déjeuner  au  palais  de  Peterhof,  éloigné  de  12  vers- 
tes,  pour  y  célébrer  sa  fête  qui  tombait  le  10  juillet.  Il  se 
mit  en  route  vers  1  heure  avec  un  nombreux  cortège  de 
dames  de  la  cour,  la  femme  du  chancelier  Woronzow, 
sa    lille ,  la    comtesse   Strogonow,  les  fenuues   du    trio 


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I.A  flUEnriK  l»F,  SKPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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Niiriskin,  la  comtesse  Ihucc,  sn'ur  du  générul  Koinaiiznw, 
enfin  lu  Woronzow,  mnitrossc!  en  titre.  Kn  route,  on  rcn- 
contru  (iiulowitz  (|ui  un  ivail  nu  fjrand  galop  de  PelerlioC 
ot  (jui  apportait  au  Tzar  la  nouvelle  de  la  fuite  de  l'Ini- 
pératrice;  un  peu  plus  loin,  ce  fut  un  paysan  venu  de 
l'étershouri;  (pii  mit  la  société  au  courant  de  ce  (|ui  se 
passait  dans  la  capitale.  On  envoya  aussitôt  des  ofliciers 
aux  nouvelles  et  on  continua  sur  l*eterhof.  La  conlirma- 
tion  de  la  fuite  de  Catherine  et  le  fait  (ju'aucun  des  mcs- 
safj'crs  envoyés  à  Pétersbourg-  n'en  revenait  n'étaient  pas 
de  nature  A  rassurer  le  prince.  Il  y  eut  un  conciliabule 
avec  (Judo\\itz,Wolkow  et  ({uelques  autres  fidèles;  Wolkow 
et  l'envoyé  prussien  Goltz  préconisèrent  la  fuite  sur 
Narva,  ils  ne  furent  pas  écoutés  et  l'on  décida  de  s»;  ré- 
fugier à  Cronstadt  où  on  avait  envoyé  le  général  hewier  (  1  ) 
pour  s'assurer  de  la  garnison  et  de  la  flotte.  Il  était  déjà 
trop  tard,  Dcwier  ne  put  remplir  sa  mission  et  quand 
Pierre  se  présenta  f\  bord  d'une  galère  avec  sa  maîtresse 
et  (juclques  ami-,  il  fut  accueilli  par  l'avis  que  Cronstadt 
s'était  prononcé  pour  l'Impératrice  et  qu'il  y  serait  r(>(^u 
à  coups  de  fusil.  Force  fut  au  malheureux  de  reprendre  le 
chemin  d'Oranienbaum  où  il  arriva  vers  '»  heures  du  matin. 
Un  instant  on  songea  à  s'y  défendre  avec  les  2.000  soldats 
holsteinois  et  allemands  qui  y  étaient  réunis,  mais  eti 
dépit  du  vieux  maréchal  Munich,  et  de  Cudowitz  qui  au- 
raient conseillé  un  parti  plus  énergique,  Pierre,  complète- 
ment démoralisé,  se  voyant  abandonné  de  tous,  se  décida 
à  envoyer  à  la  Tzarine  par  l'entremise  du  chancelier 
Galitzin  une  lettre  pleine  de  repentir  pour  le  passé  et 
de  promesses  pour  l'avenir.  H  reconnaissait  ses  torts, 
offrait  de  partager  le  trône  avec  elle  et  implorait  une  ré- 
ponse. KUe  ne  se  fit  pas  attendre;  le  moment  n'était  plus 


(1)  D'après  Nisbet  llain,  Dewler  aurait  été  précédé  par  Nentww  qui  appor- 
tait l'ordre  d'amener  3.000  liommes  à  Oranionbauin,  ordre  (fui  fut  annulé 
(liielques  heures  plus  tard. 


LAimitATION. 


94S 


:i) 


aux  propositions;  ['«ixistciice,  la  séciiiil»',  la  prospérilr 
(le  la  llussie  étaient  on  jeu;  le  Tzar  devait  se  reiulrc  s'il 
ne  voulait  |)as  s'exposer  au  parti  le  plus  extrême.  Aussi- 
tôt le  hillct  expédié,  Catherine  continua  sa  niarclie  avec 
les  troupes  sui'  i*eterliof.  Kn  route,  elle  re<;ut  une  seconde 
lettre  de  son  époux  :  Il  se  l'cndait  sans  conditions,  sollici- 
tait une  entrevu<!  et  demandait  à  ronservcM*  auprès  de  lui 
la  Worouzow  et  son  adjudant  (indow  itz.  Il  n'ohtinl  d'autre 
réjxtnse  (juc;  l'ordre  de  se  rendre  à  l'eterliof,  ciî  (|u'il  lit 
aussitôt.  A  son  arrivée  au  Palais,  Pierre  remit  son  épée  h. 
roi'licier  commandant  le  détachement  de  garde  ;  il  l'ut 
dépouillé  de  ses  ordres,  fait  prisonnier  et  conduit  il  Uopska, 
petite  résidence  impériale  désignée  par  Ini-méme  à  Panin 
que  la  nouvelle  souveraine  lui  avait  envoyé. 

D'après  une  autre  version  empruntée  à  un  second  rap- 
port de  Mercy  (1),  le  Tzar  n'aurait  reçu  aucune  réponse 
au  premier  billet  adressé  à  son  épouse  et  sous  la  [)ression 
du  maréchal  de  Munich  (2)  et  du  général  Ismaeloll'  com- 
mandant le  faible  détachement  de  soldats  russes  cantonné 
à  Oranienbauin,  aurait  expédié  la  seconde  lettre  en  l'ac- 
compagnant de  l'envoi  de  son  épée  et  de  ses  décorations 
en  signe  de  soumission. 

Une  troisième  version  (3)  attribue  à  Ismaelolf  le  rôle 
décisif  :  cet  officier  expédié  à  la  Tzarine  par  Pierre  serait 
revenu  à  Peterhof  muni  d'un  acte  d'abdication  qu'il  au- 
rait persuadé  à  son  maître  de  signer  et  l'aurait  emmené 
prisonnier  sous  escorte  h  Ropska.  Au  dire  de  speclateurs, 
peut-être  malveillants,  l'attitude  du  prince  aurait  été  pi- 
teuse et  il  aurait  manifesté  tous  les  symptômes  de  la  lA- 
cheté. 

Catherine  se  garda  bien  d'épargner  la  mémoire  de  son 


II 


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(1)  Mercy  à  Kaunitz,  P.  S.,  24  juillet  ITca.  Archives  de  Vienne. 
(ï)  D'après  Saldern,  Munich  serait  resté  lldèle  à  l'ierre  jusqu'à  sa  mort. 
*)  Rérenger  au  comte  de  Choiseul,  :>,  13  juillet   17C2.  Afl'aires  Élrangè- 
Bïs.  Keith  à  Grcnville,  2  13  juillet  1762.  llardwicke  papers. 


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344 


LA  GUKRRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VIII. 


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prédécesseur.  Quelques  Jours  après  son  avènement,  elle  fit 
paraître  un  manifeste  dans  lequel  étaient  exposées  et  en 
général  exagérées  les  fautes  de  Pierre,  elle  eut  soin  d'y  in- 
sérer la  lettre  d'abdication  envoyée  d'OranienJjaum.  Dans 
ce  document,  qui  avai"  été  rédigé  par  les  familiei-s  do 
l'Impératrice  et  auquel  il  avait  été  amené  par  les  con- 
seils et  les  menaces  d'Ismaeloff  ;'i  apposer  sa  sign'îlure  (1), 
l'infortuné  prince  avouait  que  l'expérience  de  ses  quel- 
ques mois  de  règne  lui  avait  démontré  «  qu'il  était  au- 
dessus  de  moi  de  gouverner  cet  Empire,  non  seulement 
souverainement,  mais  de  quelque  façon  que  ce  fut  ;  aussi 
en  ai-je  aper<;u  l'ébranlement  qui  aurait  été  suivi  de  sa 
ruine  totale  et  m'aurait  couvert  d'une  h(jnte  éternelle. 
Après  avoir  donc  mûrement  réfléchi  là-dessus,  je  déclare 
sans  aucune  contrainte  et  solennellement  à  l'Empire  de 
Hussio  et  à  tout  l'univers  que  je  renonce,  pour  toute  ma 
vie,  au  gouvernement  dudit  Empire,  ne  souhaitant  d'y 
régner  souverainement,  ni  sous  aucune  autre  forme  de 
gouvernement  ».  La  lin  était  digne  du  reste  :  «  En  foi  de 
quoi,  je  fais  serment,  devant  Dieu  et  tout  l'univers,  ayant 
écrit  et  signé  cette  renonciation  de  ma  propre  main.  » 

Ainsi  finit  ce  règne  de  fi  mois.  Pierre  III,  esprit  des 
plus  déséquilibrés,  impropre  à  régner,  encore  moins  à 
exercer  un  pouvoir  absolu,  ne  fut  ni  dépourvu  d'intel- 
ligence ni  cruel;  dans  les  premiers  mois  qui  suivirent 
son  accession,  il  se  distingua  par  des  mesures  libérales 
telles  que  la  dissolution  de  la  commission  instituée  par 
Elisabeth  pour  juger  les  causes  politiques,  la  sup- 
pression de  la  question,  la  liberté  pour  la  noblesse  de 
voyager,  la  fixation  à  un  taux  diminué  du  prix  du  sel. 
D'autres  réformes  civiles  et  militaires,  quoique  maladroi- 
tement introd'  ites,  étaient  en  principe  très  défendables. 


(1)  L'aiitheulicité  de  cette  pièce  est  (•énéralement  admise.  Saldern  af- 
firme qu'elle  n'aurait  été  signée  (|ue  le  troisième  jour  de  la  détention  A 
Itopcha. 


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LES  FAUTES  DK  PIERKE. 


345 


Sifînalons  surtout  la  clémenco  dont  il  tit  prouve  eu  rap- 
pelant de  l'exil  bon  nombre  des  disgraciés  du  règne  pié- 
cédent.  Une  action  plus  décidée  ù  l'égard  de  llmpératrice 
et  de  ses  paitisans  aurait  pu  lui  permettre  de  conserver 
son  trône,  tout  au  moins  d'ajourner  sa  chute.  Son  inac- 
tion fut-elle  dictée  par  des  scrupules  de  conscience  ou  due 
à  sa  mentalité  incohérente  et  hésitante?  Le  peu  de  cou- 
rage (|u'il  déploya  pendant  la  dernière  crise,  le  manque 
de  l'ermeté  et  de  volonté  que  dénotent  les  incidents  des 
9  et  10  juillet  nous  feraient  pencher  pour  la  seconde 
alternative.  Pour  la  plupart  des  amis  du  prince,  la  révo- 
lution fut  aussi  brusque  qu'inattendue,  elle  «  s'accomplit, 
écrit  Keith  (1),  en  moins  de  2  heures,  sans  etl'usion  d'une 
goutte  de  sang-  et  sans  un  acte  de  violence  ».  Il  avait 
appris  la  nouvelle  par  un  domestique  à  î)  heures  du  matin 
alors  qu'il  s'apprêtait  à  se  rendre  à  la  cérémonie  d<>  Pe- 
terhof.  F/Anglais  comme  ses  collègues  du  corps  diploma- 
tique atti'ibue  l'impopularité  et  la  chute  de  Pierre  à  des 
causes  diverses  :  au  premier  rang'  il  met  la  reprise  des 
biens  d'ég-lise  et  le  traitement  peu  respectueux  du  clerg-é; 
en  seconde  ligne  ligure  la  tentative  d'imposer  une  dis- 
cipline sévère  aux  troupes  et  particulièrement  aux  gardes 
qui  avaient  joui  sous  !e  règne  précédent  d'un  régime 
d'oisiveté  et  de  licence,  2nfîn  le  mécontentement  du  mi- 
litaire peu  disposé  à  reprendre  les  armes  pour  la  que- 
relle du  Ilolstein.  «  Ce  malheureux  prince,  écrit  Keith, 
possédait  plusieui'S  qualités  excellentes,  il  n'a  commis 
aucune  action  cruelle  ni  violente  pondant  son  court 
règne,  mais  son  insouciance  pour  les  aifaires  et  son 
mauvais  entourage  ont  amené  la  confusion  et  le  désordre 
et  lui-même  imbu  de  l'illusion  que  les  bonnes  mesures 
prises  après  son  avènement  lui  avaient  valu  i'afl'ection 
solide  de  la  nation  est  tombé  dans  l'état  de  [»aresse  et  de 

(I)  Keilh  à  Bule,  i;t  juillet  1762.  Hardwickt'  papors. 


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340 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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sécurité  (jui  lui  a  été  fatal.  .le  dois  ajouter  que  non 
seulement  moi,  mais  que  plusieurs  autres  personnes  ont 
cru  remarquer  chez  ce  prince  un  grand  changement  de  ce 
qu'il  avait  élé  dans  les  premiers  mois,  l'agitation  perpé- 
tuelle dans  laquelle  il  vivait  et  les  flatteries  des  vilaines 
gens  de  son  intimité  avaient  certainement  aflecté  ses  fa- 
cultés intellect  loUes.  » 

Pierre  ne  survécut  que  peu  de  jours  à  sa  disgrâce.  Le 
24  juillet,  on  annonça  qu'à  la  suite  d'excès  de  table  et  de 
l)oisson,  il  était  mort  de  congestion  à  Schlusselburg. 
En  réalité,  il  aurait  été,  sur  son  refus  de  prendre  un 
breuvage  qu'il  avait  tout  lieu  de  croire  empoisonné, 
étranglé  par  une  bande  composée  de  deux  des  frères 
Orlow,  un  de  leurs  cousins  du  même  nom,  d'un  prince 
Baratinski  et  d'un  certain  Toepelhof. 

Catherine  eut-elle  connaissance  du  crime  projeté?  A. 
cet  égard,  nous  pouvons  lui  laisser  le  bénéfice  du  doute, 
mais  il  est  incontestable  que  l'attentat  accompli,  la  Tza- 
rine  en  sut  gré  à  ses  auteurs,  qui  furent  presque  tous 
nommés  à  des  emplois  de  cour  ou  promus  dans  l'armée. 
D'après  le  récit  de  Soldern  (1),  chaud  partisan  du  prince 
détrôné,  Alexis  Orlow  aurait  annoncé  à  Catherine  la  mort 
de  son  mari  comme  due  ù  des  causes  naturelles;  celle-ci 
aurait  aussitôt  dépêché  à  Uopska  son  médecin  qui  à  son 
retour  lui  aurait  rêvé» é  la  vérité.  La  ïzarine  n'aurait  pas 
proféré  une  parole  <it  se  sciait  retirée  dans  son  apparte- 
ment. 

A  en  croire  la  narration  ollicielle  de  Mercy,  beaucoup 
trop  avisé  pour  se  compromettre,  l'attitude  de  la  veuve 
aurait  été  très  correcte  :  ((  Quand  S.  M.  l'Impératrice 
reçut  cette  triste  nouvelle,  elle  n'eut  d'autre  pensée  (jue 
de  se  livrer  aux  regrets  et  à  la  douleur  qui  troublèrent 
son  cœur  tendre  et  sensible  au  point  de  ne  plus  se  sou- 

(1)  Saldern,  Vie  de  Pierre  III,  p.  107.  Manuscrit  pultlic  par  Gollignon, 
Melz,  1802. 


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SA  MORT. 


347 


venir  du  passé  et  elle  ne  put  se  retenir  de  verser  des 
larmes  en  al>ondauce.  » 

Bérenner,  qui  en  l'absence  de  Breteuil  rtait  chiU'gé 
d'aifaires  de  France  (1)  au  moment  de  la  révolution,  ne 
croit  pas  à  la  culpabilité  directe  de  Catherine;  elle  au- 
rai! même  ignoré  la  mort  pendant  2'i.  heures.  IJreteuil 
écrivant  (2)  quelques  mois  après  les  événements  auxquels 
il  n'avait  pas  assisté,  racoute  évidemment  d'après  les 
confidences  reçues,  que  la  Tzarinc  aurait  appris  le  meur- 
tre à  midi  le  jour  même  ;  elle  se  serait  montrée  à  la  cour 
avec  le  visage  le  plus  serein,  puis  aurait  consulté  une 
réunion  d'intimes  où  la  majorité  fut  d'avis  do  cacher  la 
mort  pendant  ûk  heures  au  Sénat  et  au  public.  Le  soir, 
Catherine  tint  sa  réception  habituelle.  Le  lendemain  seu- 
lement, jour  fixé  pour  la  publication,  elle  feignit  de  re- 
cevoir la  triste  nouvelle  en  même  temps  (|ue  le  public, 
«  pleura,  ne  sortit  pas  et  afficha  la  douleur  ». 

L'historien  moderne  Nisbet  Bain  (3)  cite  un  billet  d'A- 
lexis Orlow  à  Catherine  qui  aurait  été  écrit  immédiate- 
nu  !it  après  l'assassinat;  ce  document  que  rinq)ératrice 
avait  soigneusement  conservé  dans  un  tiroir  secret,  aurait 
été  brûlé  après  sa  mort  par  son  fils  lompereur  Paul,  mais 
une  copie  aurait  été  faite  par  Kostopchine  qui  avait  été 
cl  irgé  d'inventorier  les  papiers  de  la  défunte  et  a  été 
puidiée  en  1881.  La  lettre  écrite  sur  un  chillon  de  papier 
coD  lent  en  quelques  phrases  heurtées  et  confuses  l'aveu 
du  crime  commis  et  on  met  les  auteurs  à  la  merci  de 
l'impératrice  pour  recevoir  le  châtiment  qu'ils  méritent. 

De  ces  différents  témoignages  on  peut  conclure  que  si 
Catherine  ignora  ou  voulut  ignorer  le  projet  des  assassins 
de  l'infortuné  Pierre,  elle  fut  d'accord  avec  eux  pour  ajour- 
ner la  connaissance  du  meutre,  de  manière  à  dissimuler 


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(1)  Hérenger  au  comte  de  Choiseiil,  23  juillet  17t>2.  Att'aires  Kirangères. 
(■•)  Brelciiil  au  comte  (le  Ciioiseul  28  octobre  170*.  Aflaires  Etrangèies. 
(3)  Nisbet  Haln,  Peter  empcror  of  Itii.ssiUy  p.  171. 


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3i8 


LA  GUKRRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


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au  public  la  véiitc.  Enfin,  circonstance  la  plus  aggra- 
vante, les  récompenses  et  les  promotions  accordées  aux. 
assassins  prouvèrent  que  la  ïzarine  était  prête  h  profiter 
du  fait  accompli  et  savait  gré  à  ses  auteurs  de  l'avoir 
débarrassée  d'un  concurrent  qui  aurait  pu  redevenir 
dangereux. 

«  Le  corps  de  l'empereur,  écrit  SaJdern  (1),  fut  porté 
dans  le  monastère  de  Saint-Alexandre  Neufski  et  y  fut 
exposé  sur  un  lit  de  parade  en  uniforme  d'officier  hols- 
teinois,  le  9  (VT)  de  juillet.  Le  concours  des  personnes  qui 
voulurent  voir  encore  une  fois  les  restes  de  leur  bienfai- 
teur, fut  prodigieux,  et  qui  que  ce  soit  ne  pouvait  mécon- 
naître les  traces  de  la  mort  violente  qu'il  a\ait  éprou- 
vée-,..  On  commença  i  murnmrer  hautement  et  il  était  à 
craindre  qu'il  arrivât  une  révolte  ;  c'est  pourquoi  le  corps 
fut  inhumé  en  silence  pendant  la  nuit  du  9  au  10  juillet^ 
et  on  donna  au  peuple  plusieurs  tonneaux  d'eau-de-vie,, 
qui  firent  disparaître  l'esprit  de  rébellion.  » 

A  l'exception  de  quelques  soldats  holsteinois  et  russes, 
tués  ou  blessés  pendant  les  bagarres  du  9  juillet,  la  révo- 
lution ne  coûta  la  vie  à  personne.  La  nouvelle  souveraine 
n'appliqua  des  mesures  de  rigueur  qu'à  un  petit  nombre 
de  compromis;  la  Woronzow  et  le  général  Gudowitx 
furent  internés  dans  l'intérieur  du  pays,  le  comte  Woron- 
zow, père  de  la  favorite,  le  général  Melgonow,  le  conseil- 
ler WolUow  (2)  furent  enqirisonnés. 

D'ailleurs  Catherin»^  ne  se  montra  pas  ingrate  à  l'égard, 
de  ceux  qui  l'avaient  aidée  à  monter  sur  le  trône.  Parmi 
les  favorisés  on  peut  citer  la  Dashkowa,  Panin,  l'hetraaii 
Rasumousky,  qui  trois  jours  avant  la  révolution  recevait 
le  Tzar  A.  sa  table,  le  prince  Volkowsky,  Mcnschikow,  le 
baron  Korlf,  le  général  Ismaïlow,  le  comte  Sievezs,    et 

(1)  Saldein,  Vie  de  Pierre  lit,  p.  UO. 

(2)  Ils  furent  tous  relâchés  quelques  luois  plus  tard;  quelques-uns  furent 
pourvus  d'emplois  dans  les  provinces. 


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PROCLAMATION  DE  ('ATHERINK. 


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bien  d'autres  d'ordre  inférieur.  Au  premier  rany-  figurait 
(irég'oire  Orlow  :  «  Il  portait,  écrit  Keith,  le  ruban  do 
Saint-Alexandre  et  la  clef  de  chambellan,  c'est  un  bel 
liomme  tY  maintien  très  modeste,  je  ne  me  -rappelle  pas 
l'avoir  jamais  rencontré.  » 

i.a  nouvelle  Impératrice  n'avait  pas  attendu  la  lin  de  la 
révolution  pour  prendre  la  direction  de  la  politique 
étrangère;  au  cours  de  la  journée  même  du  9  juillet  elle 
adressa  (1)  aux  représentants  des  cours  étrangères  une 
communication  leur  notifiant  son  avènement  au  trône  et 
les  assurant  de  son  intention  invariable  «  d'entretenir  la 
bonne  amitié  avec  les  souverains  leurs  maîtres  ».  Cette 
note  fut  suivie  quel(|ues  lieurcs  plus  tard  d'une  procla- 
mation (2i  qni  contenait  le  passage  suivant  :  «  En  second 
lieu,  la  gloire  de  la  Russie,  portée  au  plus  haut  degré  par 
ses  armes  victorieuses  et  au  prix  de  son  sang,  vient  d'être 
foulée  aux  pieds  par  la  paix  nouvellement  conclue  avec 
son  plus  cruel  ennemi.  »  C'était  une  véritable  déclaration 
de  guerre  adressée  au  roi  de  Prusse.  Dans  le  courant  de  la 
soirée  parut  une  édition  revue  et  corrigée  dans  laquelle 
les  mots  «  son  plus  cruel  ennemi  »  avaient  disparu  et 
étaient  remplacés  par  une  phrase  moins  agressive  :  «  La 
g'ioire  de  la  Russie...  vient  d'être  sacrifiée  à  ses  ennemis 
mêmes  par  la  paix  nouvellement  conclue.  »  Il  était  impos- 
sible de  ne  pas  comprendre  le  roi  de  Prusse  parmi  ((  les 
ennemis  » ,  mais  il  n'était  pas  désigné  pour  ainsi  dire  nomi- 
iiativcmenl.  La  modification  apportée  et  les  ell'orts  tentés 
pour  faire  disparaître  le  premier  texte  semblent  indiquer 
qu'il  y  avait  eu  lutte  entre  les  jjrincipaux  conseillers  de 
Catherine  et  que  cette  princesse  après  avoir  cédé  à  son 
premier  mouvement  de  colère,  était  revenue  après 
réflexion  à  des  sentiments  plus  pondérés, 

(1)  Communication  de  Catlierine  aux  ministres  étrangers,  9  juillet  17(12. 
AtTaires  Élransèies. 

(2)  Proclamation  de  Calherine,  9  juillet  17G2.  Atlaires  Étrangères. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  AKS.  —  CHAP.  VIII. 


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Cette  modification  n'était  pas  pour  plaire  n  Mercy. 
A  peine  les  illuminations  en  l'iionneur  de  l'avènement  de 
Catherine  II  étaient-eïles  éteintes,  et  la  populace  remise 
de  la  débauche  que  lui  nvait  olferte  l'ouverture  gratuite 
de  tous  les  débits  de  Pétersbourg",  que  Mercy  se  mettait  en 
campagne  pour  rétablir  sur  l'ancien  pied  les  att'aires  de 
la  maison  d'Autriche.  Bien  résolu  à  ne  pas  accompagner 
Pierre  dans  la  campagne  qu'il  allait  entreprendre  contre 
le  Danemark,  l'ambassadeur  de  Marie-Thérèse  était  sur  le 
point  de  son  départ  de  Pétersbourg,  quand  il  apprit  l'heu- 
reux événement  du  10  juillet;  dès  le  lendemain  il  fit  par- 
venir à  la  nouvelle  souveraine  une  note  protestant  contre 
le  traité  de  paix  que  venait  de  conclure  le  Tzar  déposé  : 
«  Toutes  les  démarches,  écrivait-il  (1),  qui  tendraient  k 
l'accomplissement  pur  et  simple  d'une  paix  avec  l'ennemi 
commun,  paix  aussi  injuste  que  désavantageuse  à  cet 
Empire,  seraient  en  quelque  façon  et  contre  les  propres 
intentions  de  S.  M.  l'Impératrice  de  Russie,  une  confirma- 
tion de  l'abandon  quont  éprouvé  dans  ce  dernier  temps 
de  la  part  de  cette  Cour  ses  anciens  alliés;  d'où  il  résulte 
que  si  S.  M.  Impériale  croit  par  une  suite  des  circonstances 
présentes  devoir  faire  des  sacrifices,  il  y  va  du  moins  de  sa 
gloire  et  de  l'intérêt  de  son  Empire  de  les  faire  retourner 
à  l'avantage  de  ses  fidèles  alliés  et  par  conséquent  à 
l'utilité  de  son  État, 

«  Il  ne  pourrait  d'ailleurs  exister  de  trait  plus  glorieux 
pour  S,  M.  l'Impératrice  que  celui  de  signaler  les  premiers 
instants  de  son  règne  par  imposer  la  loi  à  l'ennemi  com- 
mun, 

«  C'est  ce  que  sera  maintenant  au  pouvoir  de  Sa  Majesté 
Impériale,  si  elle  veut  bien  suspendre  toute  démarche 
authentique  et  positive  relativement  à  la  confirmation 
de  la  paix  conclue  avec  le  roi  de  Prusse,  avant  qu'il  n'y 

(1)  Note  annexée  à  la  dépêche  de  Mercy  à  Kaunitz  du  13  juillet.  Archives 
de  Vienne. 


MERCY  AGIT. 


351 


fût  ajouté  dos  conditions  en  faveur  des  puissances  alliées, 
et  que  celte  Cour  ne  s'en  soit  expliquée  avec  elles  ». 

Mercy  se  sentait  autorisé  à  tenir  ce  langage  par  la 
phrase,  même  corrigée,  du  manifeste,  et  parles  ordres  don- 
nés de  suspendre  l'évacuation  (le  la  Prusse  royale;  ces  sym- 
ptômes paraissaient  indiquer  un  retour  à  lancienne  poli- 
tique d'Elisabeth,  mais  si  telle  fut  la  première  pensée  des 
nouveaux  gouvernants,  elle  ne  dura  guère.  Czernitchew 
qui,  le  18  juillet,  avait  informé  le  roi  de  Prusse  des 
événements  de  Pétershourg  et  de  son  rappel,  lui  déclara 
le  20  de  la  part  de  l'Impératrice  (1)  «  qu'Klle  était  réso- 
lue de  s'en  tenir  à  la  paix  conclue  avec  l'Empereur, 
selon  toute  sa  teneur,  mais  qu'Elle  trouvait  à  pro- 
pos, vu  les  circonstances,  de  retirer  ses  troupes  tant 
de  Silésie  que  d'ailleurs  ».  (^ette  information  fut  confir- 
mée à  Pétershourg  par  une  note  remise  à  Goltz,  le  mi- 
nistre prussien,  portant  la  date  du  11  juillet  (V.  S.)  et 
qui  n'était  postérieure  à  la  révolution  que  de  13  jours  (2). 
«  S.  M.  l'Impératrice  est  fermement  et  invariablement 
intentionnée  de  vivre  en  paix  et  bonne  intelligence  avec 
toutes  les  couronnes  ainsi  qu'avec  S.  M,  le  roi  de  Prusse.  » 
La  pièce  ajoutait  quelques  explications  sur  des  incidents 
qui  s'étaient  produits  dans  la  Prusse  royale  et  infligeait, 
un  désaveu  implicite  au  commissaire  général  Wogekof 
et  au  Maréchal  Soltikoff  qui,  de  leur  propre  initiative 
avaient  proclamé  comme  non  avenu  tout  ce  qui  s'était 
passé  sous  le  dernier  règne  relativement  aux  pays  conquis 
et  avaient  fait  prêter  aux  autorités  locales  un  serment 
d'alliance  à  Catherine. 

La  tentative    de    Mercy   était  condamnée   d'avance   à 


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(1)  Frédéric  à  Finckenstein,  Hoegendorf,  '.'0  juillet  1762.  Corr.  Polit., 
XXII,  p.  51.  CeUe  déclaration  du  20  n'était  (|iie  la  corilirnialion  de  relie 
du  18;  ainsi  que  le  prouve  la  lettre  de  Frédéric  à  Catherine  datée  du  18. 

(2)  Note  pour  Gollz,"Péter.sbourg,  11  juillet  (V.  S.)  1702.  Corr.  Polit. 
XXII,  1),  90. 


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1 


:<52 


L.V  GUI;HUE  DK  sept  ans.  —  CIIAIV  VIII. 


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rinsucc("'.s.  A  son  éuei'gi()iie  appol,  l*aiiiii,  (jui  avait  i)ris 
le  l'ùlo  (le  principal  conseiller  de  la  nouvelle  souveraine, 
r6i)ondit  {\)  en  son  nom  dès  le  lendemain  :  le  sentiment 
de  ce  ([u'elle  devait  à  ses  sujets  el  le  souci  de  leur  bien 
et  de  leur  tranquillité  lui  faisaient  un  devoir  de  ne  pas 
coutiiiuer  une  guerre  «  troj^)  onéreuse  à  son  Kmpire  ». 
Kilo  ne  devait  pas  cacher  à  son  alliée  «  le  dérèglement 
dans  le(juel  ses  linances  se  trouvent  ainsi  (juc  les  allaires 
critiques  ([ui  nous  menacent  sur  les  frontières  de  Tur- 
quie »,  F/ambassadeur  reconnaîtrait  la  vérité  de  ces 
faits,  aussi  comprendrait- il  le  parti  que  proposait  la 
Russie  «  de  combiner  leurs  démarches  et  leurs  intérêts 
aux  circonstances  où  se  trouve  notre  Empire,  qui  doit 
travailler  avec  d'autant  plus  d'efficacité  à  corriger  les 
désordres  qui  le  gênent  que,  par  ce  moyen-là,  il  se  verra 
plus  en  état  de  marquer  tout  le  penchant  qu'il  a  de  cul- 
tiver la  bonne  intelligence  et  de  contribuer  au  bien 
d'une  cour  a  issi  chère  que  celle  de  rimpératrice  Heine  ». 
Comme  dernier  et  important  motif  de  prudence,  Paniii 
invoquait  la  situation  critique  du  corps  de  Czernitchew 
isolé  au  milieu  des  forces  prussiennes.  Tant  que  ce  corps 
ne  serait  pas  «  dégagé  et  hors  de  toute  insulte,  ordre 
avait  été  donne  de  suspendre  l'évacuation  des  pays  con- 
quis ».  Une  note  oflicielle  adressée  à  l'ambassadeur  d'Au- 
triche confirma  ce  langage.  En  dépit  du  ton  endjarrassé 
de  cette  pièce  et  des  protestations  d'amitié  dont  elle 
regorgeait,  il  était  évident  que  Catherine  II  se  confor- 
merait aux  conditions  du  traité  de  paix  que  son  prédé- 
cesseur avait  conclu  avec  le  roi  de  l*russe,  mais  qu'elle 
ne  ratifierait  pas  la  convention  d'alliance  offensive  et 
défensive  ([ui  faisait  suite  au  premier  instrument. 

Mercy  s'en    explique    verbalement  (2j   avec    Galitzin, 
l'ancien   ambassadeur  russe  à   Londres,  qui    avait    été 

(1)  Panini\  Mercy,  3  juillet  (vieux  style  )  1702.  Arcliives  de  Vienne. 

(2)  Mercy  àKaunilz,  24  juillet  17(12.  Archives  de  Vienne. 


...^-1,  -,-.«*—.'- 


(1)  Chalelet  au  comte  de  Choiseul,  7  septembre  17G2.  Aflàires  Étran- 
gères. 

(2)  11  s'agissait  d'un  projet  de  traité  d'alliance  contre  l'Autriche  doni 
le  texte  avait  été  approuvé  à  Constantinople.  Le  traité  ne  fut  pas  signé. 
Correspondatice  l'olilique,  XXII,  p.  35. 

(Uiaiiii;  ni:  ski't  ans.  —  r.  v.  23 


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ENTRETIKN  DE  MEBCY  AVEC  CALITZIN. 


3.53 


appel(*  h  la  place  de  vice-chaucolier  et  qui  avec  Pauin 
était  (levemi  pour  les  relations  avec  les  uiuistres  étran- 
gers le  véritable  remplaçant  de  Woronzou.  (îalitxin  com- 
mença l'entretien  eu  lui  annonçant  l'abandon  du  traité 
d'alliance:  avec  la  Prusse,  qui  ne  seiait  pas  ratifié.  (Con- 
sidérez-vous,  réplique  l'ambassadeur,  cette  décision 
comme  un  sacrifice  ou  une  preuve  d'amitié  pour  ma 
Cour'.'  Le  diplomate  russe  évita  de  répondre  et  le  renvoya 
à  Panin. 

Il  s'en  était  fallu  de  peu  que  le  traité  d'auiance  offensif 
et  défcnsif  entre  la  Kussie  et  la  Prusse  ne  fiU  conclu  défi- 
nitivement; signé  et  ratifié  par  Frédéric,  il  avait  été 
retourné  à  Pétersbourf^'  où  il  arriva  après  les  événements. 

Le  Piémontais  Odart  qui  avait  été  initié  à  tous  les 
secrets  de  Panin  et  de  la  Dashkowa,  dans  une  conversa- 
tion avec  l'ambassadeur  Chatelet  (1)  lors  de  son  |)assage 
à  Vienne,  fournit  sur  le  document  des  renseignements 
curieux  et  probablement  véridi(|ues.  D'après  son  récit, 
le  texte  préparé  «  était  entièrement  conforme  à  ce  que 
nous  en  avions  su,  et  il  ne  contenait  point  d'articles 
secrets,  mais  à  la  vérité,  le  feu  Empereur  et  le  Roi  de 
Prusse  étaient  convenus  verbalement  par  la  voie  de  leurs 
ministres,  de  faire  tout  leur  possible  pour  anéantir  la 
puissance  autrichienne,  pour  placer  le  prince  Henri  sur 
le  trône  de  Pologne  et  pour  donner  au  prince  George  le 
Duché  de  Courlande.  Pour  remplir  avec  plus  d'assu- 
rance le  premier  objet,  le  roi  de  Prusse  avait  fait  part 
à  Pierre  111  du  traité  offensif  et  défensif  (ju'il  venait  de 
conclure  (2)  avec  la  Porte,  et  la  copie  nuthenti([ue  avait 
été  trouvée  dans  les  papiers  du  ci-devant  Empereur  », 


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354 


LA  (iUElUtK  l)K  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  VIII. 


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Dès  le.s  premiers  jours  de  son  règne,  (Catherine  un 
moment  entraînée  par  la  réaction  contre  les  actes  de  son 
mari  s'était  vite  ressaisie.  Nous  avons  signalé  la  modifi- 
cation apportée  au  premier  manifeste  ;  sa  conduite  à 
l'égard  de  (loltz  vint  confirmer  ce  premier  symptôme  de 
revirement,  l/envoyé  prussien  (|ui  était  resté  l'un  des 
derniers  auprès  de  l*ierre  III  fut  bien  traité,  Alsnfliew  l'ut 
envoyé  à  sa  rencontre  (1  )  avecroll're  d'une  escorte  et  avec 
l'assurance  du  désir  de  la  Tzarine  d'entretenir  avec  son 
maître  de  bonnes  relations,  (ioltz  n'assista  pas,  il  est  vrai, 
à  la  première  réccp'ion  diplomatique,  mais  son  absence 
s'explicjue  par  le  n.  ique  des  ellets  civils  qu'on  lui  avait 
conseillé  d'endos-er  pour  l'occasion. 

Une  des  premières  décisions  de  Catherine  avait  été 
le  rappel  de  liestucliew;  on  ciut  au  retour  de  son  pou- 
voir; il  n'en  fut  rien.  Keitli  qui  avait  couru  féliciter  son 
ancien  ami  fut  presque  éconduit  :  l'ex-cliancelier  lui  fit 
dire  «  (pi'il  était  encore  et  serait  toujours  un  sincère  et 
bon  anglais,  mais  pour  bien  servir  la  cau.se  à  l'occasion, 
il  était  nécessaire  de  ne  laisser  voir  entre  eux  que  les 
rapports  ordinaires  de  politesse  ». 

L'Anglais  arriva  bientôt  à  la  conclusion  que  le  vieil 
homme  d'état  n'aurait  pas  grande  influence.  Alercy  était 
du  même  avis  ;  en  première  ligne  immédiatement  après 
la  Tzarine  il  place  (2)  Panin;  plus  apte  aux  intrigues 
qu'aux  grandes  aft'aires,  celui-ci  cherchera  à  maintenir 
son  crédit  eu  sacrifiant  aux  passions  de  sa  souveraine  ;  son 
système  se  rapprochera  de  celui  du  vieux  lîestuchevv 
dont  il  est  l'élève.  L'Autrichien  consacre  tout  un  para- 
graphe de  son  rapport  à  la  jeune  princesse  Dashkowa  à 
laquelle  son  rôle  dans  les  incidents  de  la  r<  volution,  son 
intimité  avec  Catherine  semblent  réserver  une  place  pré- 
pondérante. Cette  prévision,  assez  naturelle  dans  la  coii- 

(1)  Keilh  à  Gienville,  13  juillet  1762.  llardwicke  papers. 

(2)  Mercy  à  Kaunilz,  24  juillet  I7f)2.  Archives  de  Vienne. 


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MAIMIKN  DKS   HUNS    UAI'PdUTS  AM  C   VIK.NNK. 


355 


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joncliirn,  n«'  devait  pas  se  rénliseï*.  Selon  lui,  la  nouvelle 
|)(>liti(iiie  chercherait  ;V  ménager  les  C(Hiis  rivales,  sans 
prendre  [>arti  pour  l'une  ou  l'autre;  si  on  était  bien  dé- 
cidé à  ne  pas  renouveler  la  guerre  contre  la  Prusse,  on 
entendait  maintenir  de  bons  rapports  avec  l'Autriclie. 

n'est  ainsi  (pi'unecoinuHiniealiondu  rnini><lère  russe  (1) 
vint  démontrer  rini[)(»rtanee  (juattachait  la  cour  de  Rus- 
sie y  l'établir  avec  l'ancienne  alliée  »os  relations  cordiales 
d'autrefois.  Sur  les  pi-emiers  avis  de  la  révolution,  le 
maréchal  Soltikow  avait  cru  à  la  reprise  des  hostilités. 
Il  avait  fait  ariôter  un  courrier  prussien  et  expédié  à 
Pétersbourg  les  dépèches  qu'on  lui  avait  enlevées;  la 
principale  pièce  était  une  lettre  (2)  du  roi  de  Prusse  au 
Grand  Vizir,  datée  du  li  juillet.  Dans  cet  écrit,  le  roi 
exprimait  sa  satisfaction  d'apprendre  par  son  envoyé 
Kexin  ([ue  «  V.  K.  est  disposée  k  mettre  la  dernière  main 
au  Iraité  d'alliance  défensive  entre  moi  et  la  Sublinn^ 

Porte je  ne  mets  aucun  doute  dans  les  promesses  de 

V.  E.  et  (ju'en  conséquence  je  compte  sûrement  qu'immé- 
diatement après  la  conclusion  de  celle  alliance  la  Sublime 
Porte  rompra  incessamment  avec  la  cour  de  Vienne  et  lui 
déclarera  formellement  la  guerre  ».  Panin  laissa  h  l'am- 
bassadeur une  copie  dos  documents  interceptés  et  l'in- 
forma que  l'Impératrice  avait  tenu  à  avertir  l'Autriche 
du  danger  qui  la  menaçait  et  à  lui  donner  ainsi  une 
preuve  de  sa  confiance  et  de  son  amitié.  Tout  en  se  féli- 
citant des  promesses  plus  favorables  pour  l'avenir  et  des 
dispositions  meilleures  de  Panin,  Mcrcy  ajoute  :  «  Quant 
au  présent,  tous  mes  elïbrts  et  toutes  mes  représentations 
ont  été  en  vain  et  n'ont  pas  produit  le  moindre  effet.  » 

Pendant  que  l'actif  représentant  de  l'Autriche  s'effor- 
çait sans  grand  succès,  d'ailleurs,    de  regagner  pour  sa 


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(t)  Mercy  k  Kaunitz,  :$1  juillet  176^  Archives  de  Vienne, 
(2)  Frédéric  au  Grand   Vizir,    Seitendori',    13  juillet   1702.    Archives  de 
Vienne,  Correspondance  Politique,  X.XII,  ji.  •.^2. 


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LA  GIIEHUK  1)K  SEPT  ANS 


CIIAP.  VIII. 


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cour  le  terrain  perdu  perwlanl  les  six  mois  du  dernier 
règne,  Fiédéric  faisait  face  avec  son  adresse   habituelle 
aux  difficultés  (|U<!  lui  créait  la  révolution  de  l*étersl)ourg. 
C'est  le  1 H  Juillet  (ju'il  l'apprit  par  une  comniuiiicatiou  de 
Czernifcliew   :    <«  Je   vous  annonce,  écrit-il  A    Kinckens- 
tein  (1),  la  très  fAcheuse  nouvelle   du   détn'knement  de 
l'cipercurde  IUissi(î.  L'Impératrice  a  été  déclaré»-  rég»!nte 
et    le   général   comte   Tschernisclu  w    vient  de   recevoir 
l'ordre  de  se  séparer  de  mou  arniee.  Il  se  propose  de 
rester  enc  orc  juscjuau  22  de  ce  mois.  Il  faudra  voir  (piclles 
seront  les   suites   de  ce  grand  événement.    »   Frédéric, 
après  la  mort  de  l'impératrice  Klisabeth,  s'était  montré 
disposé  à  entretenir  de  bonnes  relations  avec  Catherine, 
mais  il  avait  été  avisé  par  Keith  et  Mitchell  (ju'il  fallait 
choisir  entre  les  deux  époux  et  l'attitude  de  Pierre  était 
telle  que  sur  la  préférence  à  donner  il  ne  pouvait  y  avoir 
doute;  Gollz  à  en  Juger  par  la  demande  de  remplacement 
dont  il  prit  lui-même  l'initiative  n'avait  pas  eu  de  grands 
égards  pour  la  {)rincessc;  d'autre  part,  le  roi  de  Prusse 
avait  envoyé  à  la  favorite  Woronzow   un  cadeau  qui  fort 
heureusement  [)our  le  donateur  ne  parvint  pas  à  destina- 
tion en  temps  utile.   Ces  précédents  n'étaient  guère  en- 
courageants; cependant  Frédéric  n'Iiésila  pas  à  écrire  à 
la  nouvelle  souveraine  à  l'occasion  de  son  avènement  (2). 
Aux  souhaits  de  circonstance,  il  avait  eu  soin  d'ajouter 
ses  remerclmcnts  pour  le  message  apporté  par  Czeruit- 
cliew  «  qu'elle  confirmerait  la  paix  que  l'Empereur  a  si 
généreusement  faite  av<!C  moi.  Je  la  prie  d'être  assurée 
que  je  tâcherai  de  mon  côté  de  cultiver,  autant  qu'il  sera 
en  moi,  la  bonne  harmonie  et  rinlelligence  rétablie  entre 
les  deux  nations  ». 

(t)  Frédéric  à  Finckenstein,  Seilendorf,  18  juillet  l'O'l.  Correspondance 
Politique,  XXIII,  p.  'i2. 

(2)  Frédéric  i\  Callierine,  Seiteiidorf,  18  juillet  1762.  Correspondance 
PolUique,    Xlll,  p.  42. 


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Une  se  passa-t-il  entre  le  roi  de  Prusse  et  h*  yVinéi'iil 
russe?  Pourquoi  ce  délai  iipporté  »  l'exécution  de  l'ordre 
de  séparation  ?  Sans  données  précises  sur  ces  points,  nous 
pouvons  svipposer  (|uc  sons  prétexte  des  préparatifs  néces- 
saires, le  Uoi  cluTcha  A  relanh'r  et  à  cacher  un  départ 
(|ui  i\  la  veille  de  l'importante  opération  projetée  contre 
l'année  de  Daun  pouvait  [)ro(lnire  nneiin|)r('ssiondes  pins 
fAcheiiscs.  De  son  c(Mé,  le  lUisse  entouré  et  A  la  merci  des 
l'orces  prussiennes,  désireux  de  seconder  les  vues  d'un 
souverain  qui  s'était  montré  et  se  montrerait  sans  d«)nte 
bienveillant  i\  son  égard,  ne  voulut  pas  refuser  ime  rctpiéte 
qui  se  conciliait  très  bien  ave<'  les  instrnclioiis  i-eçues  du 
nouveau  gouvernement.  D'après  une  version  cpii  eut  cours 
il  Vienne  (1),  le  général  russe  se  serait  refusé  i\  exécuter 
les  ordres  (|ne  Frédéric  lui  aurait  envoyés.  <(  S.  M.  F*rus- 
sienne  le  lit  venir  devant  beaucoup  d'officiers  et  lui  dit 
qu'il  était  étonné  de  sa  résistance  et  qu'il  lui  réitérait 
l'ordre  au  nom  de  l'Empereur  son  maître.  Sur  cela, 
M.  de  Czernitcliew  lui  ayant  répondu  qu'il  ne  reconnais- 
sait plus  que  ceux  de  l'impératrice  Catherine,  le  Koi  lui 
aurait  reparti  en  riant  :  «.  Ah,  vous  savez  donc  la  nou- 
velle? et  moi  aussi,  mais  je  m'en  moque.  »  Toujours  est-il 
que  le  corps  russe  sans  prendre  part  à  l'opéralion  contre 
l'armée  de  Daun,  i)ar  sa  présence  à  c^té  des  l*russiens 
leur  prêta  son  appui  moral.  Il  est  certain  d'ailleurs  que 
le  ministère  russe  éprouva  on  feignit  d'éprouver  des 
inquiétudes  sur  le  sort  du  corps  auxiliaire  et  s'en  servit 
comme  prétexte  pour  justifier  son  attitude  bienveillante 
vis-à-vis  de  la  Prusse.  Quoi  (pi'il  en  fiU,  soit  eflel  du  succès 
remporté  sur  les  Autrichiens  le  21  juillet,  soit  résultat 
des  nouveaux  entretiens  avec  (Izernitchew,  le  Uoi  se 
montra  beaucoup  jjIus  confiant  dans  sa  correspondance  (2) 


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(1)  Chalelet  au  comie  de  Choiseul,  4  aoùl  17C:?.  Atl'aires  Kirangères. 

(2)  Frédérir  à  Finckeiisleiii,  20  juillel,  A  Henri.  M  juillet  1762.  Corres- 
pondance Politique,  XXH,  p.  51,  52. 


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368 


LA  GUEUKE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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avec  Kinckcnstein  et  avec  le  prince  Henri.  Ce  serait  à  ce 
momti.it  qu'il  faudrait  placer,  s'il  est  authentique,  un 
billet  (lu  Roi  i  son  ministèi'e,  intercepté  par  les  Autri- 
chiens et  envoyé  par  eux  à  Paris  ; 

«  Voilà  l'Empereur  de  Russie  (1)  détrAné  par  son 
épouse,  on  s'y  attendait.  Cette  princesse  a  intiniment  d'es- 
prit et  les  mêmes  inclinations  que  la  défunte.  Elle  n'a 
aucune  religion  mais  elle  contrefait  la  dévote.  C'est  le 
second  tome  de  Zenon,  empereur  grec,  de  son  épou.se 
Adriana  et  de  Marie  de  Médicis,  le  ci-devant  chancelier  de 
Bestuchew  était  son  plus  grand  favori,  et  comme  il  est 
entièrement  attaché  aux  giiinées,  je  me  flatte  que  les 
attachements  d'à  présent  seront  les  mêmes.  Le  pauvre 
empereur  a  voulu  imiter  Pierre  1°',  mais  il  n'e'^  avait 
pas  le  mérite.  On  le  dit  massacré.  » 

Le  25  juillet,  les  impressions  devinrent  moins  favora- 
bles; le  texte  du  manifeste  du  9  juillet  dont  on  avait  pris 
connaissau'je,  n'était  pas  rassurant;  les  généraux  russes 
avaient  suspendu  l'évacuation  et  entravaient  le  recrute- 
ment pour  les  régiments  })russiens  que  Pierre  avait 
autorisé.  Frédéric  se  demanda  si  l<^s  déclarations  paci- 
fiques de  CzernitcheM  n'avaient  pas  été  inspirée»  par  la 
crainte  de  voir  la  Prusse  rester  fidèle  à  l'empereur  Pierre 
et  soutenir  un  mouvement  possible  de  l'armée  russe  en  sa 
faveur;  peut-être  Catherine  ne  cherchait-elle  (|u'à  gagner 
du  temps,  jusqu'à  ce  que  Czernitchew  fût  en  sûreté? 

Peu  à  peu,  les  entretiens  de  la  chancellerie  russe,  les 
notes  remises  ti  Goltz,  le  langage  de  Hepnin,  son  maintien 
au  poste  de  Herlin,  entin  la  promesse  du  prompt  abandon 
de  la  Prusse  royale  confirmèrent  le  Hoi  dans  hh  [)remière 
opinion  que  la  révolution  de  Pétorsbourg,  tout  en  modi- 


(1)  Copio  d'une  Icliro  de  rrédéric  à  Finckeiisteiii  interceptée.  Affaires 
Él^•angè^e.^.  (La  publioalioii  en  An^^leterro  de  ce  billet  donna  lieu  à  un 
démenti  de  Frédéric  à  Repnin.  ministre  russe  à  Berlin.  Correspondance 
politique,  XXII,  p.  380). 


V 


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IL  EST'KUE  POUVOIR  rOMPTEU  SUR  LA  NEUTRALITE. 


359 


fiant  les  rapports  intimes  dn  règne  précédent,  n'amène- 
rait pas  un  retour  à  l'ancien  système.  Dans  un  entretien 
avec  Mitchell  (l),  en  réponse  à  une  question  dt;  celui-ci 
sur  la  suite  que  rinipératricc  donnerait  aux  projets  d'al- 
liance des  deux  cours,  Frédéric  déclara  qu'il  ne  fallait 
pas  espérer  son  idhésion,  mais  qu'il  croyait  pouvoir 
compter  sur  une  neutralité  absolue  de  sa  part. 

Évidemment,  Catherine  aurait  sa  politique  à  elle,  qui 
no  serait  ni  celle  de  Pierre,  ni  celle  d'Elisabeth;  elle  ne  se 
désintéresserait  pas  des  afTaires  d'Allemagne,  mais  se 
bornerait  probablement  à  offrir  sa  médiation  pour  la 
paix  générale.  Un  post-scriptum  d'une  lettre  de  Frédéric 
à  Goltz  en  date  du  3  août  annonce  la  démarche  que  Rep- 
nin  venait  de  faire  auprès  de  lui  à  cet  elTet;  il  lui  avait 
répondu  par  des  banalités  sur  son  désir  du  rétablissement 
de  la  tran([uillité. 

Pour  les  conseils  pacifiques  <|ue  la  cour  t'-  IVord  cher- 
chait à  donner  au  roi  do  Prusse,  ell-:  :'.;rait  voulu  obtenir 
l'appui  de  l'Angleterre.  Conforment 3i.t  aux  ordres  de  sa 
souveraine,  Woronzow  entreprit  Keith  (2)  îï  ce  sujet;  il 
prif  texte  des  paroles  que  Frédéric  aurait  dictées  «Y  Czer- 
nitchew,  quand  ce  dernier  prit  congé  de  lui.  «  Il  aurait 
donné  à  entendre  que  sa  confiance  dans  l'amitié  de  l'Im- 
pératrice était  telle  qu'il  n'hésiterait  pas  à  remettre  les 
intérêts  de  la  Prusse  entre  ses  mains  et,  comme  preuve  à 
l'appui,  il  serait  heureux  d'obtenir  ses  bons  offices  en 
vue  de  la  paix.  »  Woronzow  déclara  en  teruiinant  ([u'on 
serait  très  reconnaissant  à  la  cour  de  Saint-James  d'entrer 
dans  ces  vues.  Il  est  presi|ue  superflu  d'observer  que 
celle-ci,  quand  elb^  reçut  cette  invitation,  n'était  ni  dispo- 
sée, ni  en  état  de  lui  donner  suite;  fort  engag"ée  avec  la 
France,    d'accord  avec  cette   puissance  pour  amener  la 


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(1)  Mitchell  a  Gieii ville,  Breslau,  1"  et  '.>.  août  1702.  (on:  l'^'Ul.,  XXII, 
p.  101. 

(2)  Keith  à  Grenville,  28  juillet.  Hardwickc  papers. 


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360 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  VIII. 


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conciliation  de  l'Autriche  et  de  la  Prusse,  elle  avait  essuyé 
de  la  part  de  cette  dcroièH'  un  refus  .sec  de  la  luédiatiou 
offerte  et  se  souciait  peu  de  renouveler  la  tentative. 

Quant  à  Frédéric,  il  n'était  guère  partisan  d'une  paix 
immédiate;  il  venait  de  repousser  les  propositions  de 
participation  aux  pourparlers  de  rAngleterie  avec  la 
France;  il  se  croyait  sur  d'une  diversion  des  Turcs  contre 
i'xVutriclie;  le  siège  de  Scliweidnitz  était  commencé;  il 
était  plein  d'espoir  dans  le  succès  de  la  campagne.  «  .l'es- 
père donc,  écrivait-il  A  son  frère  (1),  que  ceci  fera  dans 
peu  de  temps  une  forte  impression  sur  la  cour  de  Vienne, 
que  vous  prendrez  alors  sûrement  Dresde  et  moi  Schweid- 
nitz,  que  selon  les  circonsia-  ces  vous  pourrez  peut-être 
encore  prendre  Prague,  si  la  garnison  n'en  est  pas  trop 
nombreuse,  du  moins  prendre  des  quartiers  d'hiver  en 
Bohème  et  moi  en  Moravie.  Cela  fera  la  paix,  mon  cher 
frère,  mais  nous  ne  l'aurons  que  vers  le  printemps  qui 
vient.  »  L'échec  inUigé  à  une  îentative  de  Daun  pour  la 
relève  de  Schweidnitz  vint  confirmer  ces  prévisions  v>pti- 
mistes. 

Le  roi  de  Prusse  avait  fixé  sa  ligne  de  conduite  pour- 
suivre la  guerre  à  outrance,  tirer  des  p»'emiers  succès  )e 
plus  de  parti  possible  et  pour  avoir  les  mains  libres  du 
côté  de  la  Uussie,  entretenir  avec  cette  puissativ  c  de  bons 
rapports,  tout  en  se  dérobant  à  ses  velléilé^  d'interven- 
tion. Afin  d'atteindre  ce  dernier  but,  il  y  avait  deux  diffi- 
cultés à  surmonter,  l'une  personnelle  à  l'envoyé  Gollz, 
qui  s'était  trop  compromis  auprès  do  Pierre  III  et  dont 
l'impératrice  .souhaitait  le  rappel,  l'autre  |)rovo({uée  par 
l'attitude  du  Khan  de  Tartarie  qui  ne  voulait  pas  se  ren- 
dre compte  que  l'attaque  contre  la  Kussie,  désirée  par 
Frédéric  à  la  fin  de  1701,  n'était  rien  moins  qu'opnoi||ino 
en  août  1762.  Quant  à  la  Porte,  son  intervention  (levenaii 


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(l)  Frédéric  à  Henri,  Ditlmunsdorf.  '»  aoi'ii  1762,  Corr.  l'olil.,  XXIF,  |).  IM. 


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CATHERINE  PROPOSE  L  EVACUATION  DE  LA  SAXE. 


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de  plus  ou  pi U8  problémaliquo.  u  Coiumc  on  vous  a  déjà 
Cômiiiiini'pK'  hifir,  <'icrit  Fi7id<^l'jc  (1),  les  demières  dépê- 
ches (Uii  me  sopt  efij,t'éfi8  r/e  Consfaritinople,  vous  y  aurez 
vu  coinhion  ces  geûs-ià  sont  variables,  inconséquents  et 
jourualjers  dans  leurs  sentiiuents  pour  ne  pas  pouvoir 
prend/e  (Uie  /ésolunou  tct'ilin  et  efficace.  » 

Toiilefols,  Cadie^'J///}  fiilllf  ///|//  de  renoncer  à  l'intention 
(pi' ellft  ftv«î/  hititiifi'»i(H'  (iù  picndre  une  part  prépondé- 
l'/uiln  aux  flég-oé/ations  pour  la  paix;  non  seulement  elle 
fivait  offert,  comme  nous  l'avons  vu,  à  Londres  une 
médiation  combinée  mais  elle  avait  fait  tenir  à  (Joltz  une 
note  proposant  aux  belligérants  l'évacuation  de  la  Saxe. 
La  souveraine  russe  avait  ((  chargé  ses  ministres  à  Vienne 
et  à  Berlin  d'y  faire  connaître  le  vif  désir  (pi'elie  a  que 
ces  deux  cours  prêtent  les  mains  à  un  arrangement  au 
moyen  du(jucl  les  Ktats  électoraux  de  la  Saxe  soient  plei- 
nement évacués  par  les  troupes  de  l'une  et  de  l'autre  et 
rendus  en  pleine  possession  et  jouissance  à  leur  souverain 
le  roi  de  Pologne.  En  retour  de  cette  évacuation  et  pour 
qu'elle  ne  tourne  pas  au  préjudice  de  l'une  ou  de  l'autre 
des  deux  puissances,  il  leur  sera  donné  des  assurances 
suffisantes  que  les  frontières  des  Ktats  de  l'une  et  de  l'au- 
tre ne  pouiTont  ni  ne  devront  point  être  inquiétées  du 
côté  de  la  Saxe  et  des  pays  qui  en  dépendent.  Et  pour  cet 
eti'et,  les  Elats  de  la  Saxe  seront  occupés  par  des  troupes 
saxonnes.  Si  l'arrangement  ci-dessus  est  convenu  entre 
les  deux  paities,  l'Impératrice  est  prête  à  s'en  porter  pour 
gaiante  s'il  est  nécessaire  ».  In  arrangement  de  cette 
nature  aurait  privé  le  roi  de  i*russe  des  ressources  impor- 
tantes qu'il  tirait  en  hommes  et  en  argent  de  l'électorat, 
aussi  l'envoyé  rernt-il  par  retour  du  courrier  une  réponse 
peu  satisfaisante  : 


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I  ))  Frédéric  h  Fiinlicnslcin.  Pelerswaldaii.gsepleinbre  1701'.  (orr.  l'oUl., 
Xil,  fi.  :!05. 


3(>2 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  VIII. 


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«  Le  Roi  mon  maître  (1)  serait  bien  aise  de  complaire  à 
S.  M.  1.  dans  toutes  les  occasions,  autantqu'il  sauradépen- 
dre  de  lui;  mais  que  pour  parvenir  à  l'évacuation  de  la 
Saxe,  le  Roi  ne  trouve  pas  un  moyen  plus  convenable  <|ue 
celui  que  S,  M.  I.  voudrait  faire  tant  par  ses  instances  en 
France,  afin  de  porter  S.  M.  T.  C.  d'évacuer  les  ducbés 
de  Clèves  et  de  Gueldres pour  les  lui  remettre  en  pos- 
session de  même  que  la  cour  de  Russie  voudrait  contri- 
buer par  ses  instances  afin  d'engager  S.  M.  l'Impératrice 
Reine  pour  évacuer  le  comté  de  (ilatz.  »  Le  successeur 
désigné  de  (loltz,  le  comte  de  Solms,  devait  suivre  cette 
affaire  ainsi  que  celle  de  la  médiation  entre  les  Tartares 
et  la  Russie,  acceptée  par  ce''.^:  ■  ■  i*nière  puissance.  En 
attendant  l'arrivée  de  son  successeur,  Goltz  avait  accom- 
pagné la  cour  de  F\ussie  i\  Moscou  où  devait  s'effectuer  le 
couronnement  de  la  nouvelle  Tzarine.  Entre  elle  et  Fré- 
déric les  rapports,  sans  être  précisément  tendus,  n'étaient 
rien  moins  que  cordiaux  ;  ce  dernier  en  voulait  à  Cathe- 
rine de  son  intervention  en  faveur  de  la  Saxe;  fort  de  ses 
récents  succès,  la  reprise  de  Schweidnitz  le  9  octobre  et 
la  victoire  de  Freiberg  remportée  par  le  prince  Henri  sur 
les  Autrichiens  le  29  octobre,  le  roi  de  Prusse  n'était 
gtière  disposé  à  céder  à  la  pression  que  la  cour  du  Nord 
cJiercbait  à  exercer  sur  lui  :  «  Vous  ferez  vous-même, 
écrit-il  t\  Goltz  (2),  la  réflexion  que  dans  la  situation  où, 
grAce  à  Dieu,  mes  afl'aires  se  trouvent,  l'on  ne  saurait 
raisonnaljlement  me  parler  ni  d'évacuation  de  la  Saxe, 
ni  d'aucun  dédommagement  à  lui  faire  à  mes  dépens, 
qu'on  ne  saura  pas  jamais  tirer  ni  prétendre  de  moi,  quoi- 
(jue  je  ne  m'y  opposerai  pas,  si  l'oa  sache  trouver 
moyen  de  faire  ([ueîques  légères  convenances  à  la  cour 


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(1)  Noie  à  remettre,  annexe  ft  !a  îeltre  de  Frédéric       >'t:'u\  "'   '"^lembre 
176'-!.  Corresprmdance  Poliii!,u<\  X.\II,  p.  2'10. 

(2)  Frédéric  à  Goltz,  Loevenl)crg,  2  novembre  l,(.2.  {■•  •rey^<,Kiia)>-     Po- 
lilii/ui',  XXII,  p.  .305. 


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fwmiua.imi^»fr<  i«Kh%H,iv]tMr*<utawM#M»A  a^ 


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HESITATIONS  DE  MARIE-TUKRESE. 


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de  Saxe,  pourvu  que  je  n'y  contril)ue  pas  du  mien.  » 
En  môme  temps  qu'à  l'envoyr  prussien,  la  proposi- 
tion (1)  relative  à  la  Saxe  avait  été  remise  A  Mercy.  Cette 
pièce  aussitôt  arrivée  à  Vienne  avait  fait  l'objet  d'un  rap- 
port (2)  A  l'Impératrice  Reine  par  Uender  qui,  pendant  une 
maladie  assez  grave  de  Kaunitz,  faisait  l'intérim  des  alfai- 
res  étrangères  :  la  proposition  russe  était  sans  contredit 
avantageuse  pour  l'Autriche  et  la  Save,  mais  ne  fallait-il 
pas  s'attendre  à  un  refus  du  roi  de  Prusse,  ou  pour  le  cas 
de  son  acceptation,  ne  se  trouverait-on  pas  en  face  d'un 
arrangement  secret  qui  lui  permettrait  de  disposer  de 
ses  troupes  de  Saxe  pour  occuper  ses  possessions  du  Bas- 
Rhin  ou  entreprendre  ([uelquo  chose  contre  les  Pays-Ras? 
En  marge  de  ces  observations,  l'Impératrice  Reine  avait 
formulé  ses  craintes  :  ((  Par  le  canal  de  la  Russie,  il  me 
semble  que  nous  ne  pouvons  avoir  rien  d'agréable  et  que 
nous  ne  pouvons  nous  y  lier.  «  L'ambassadeur  de  Marie- 
Thérèse  n'était  pas  décidément  en  cour  à  Pétersbourg; 
dans  une  note  remise  au  cabinet  russe,  il  avait  insisté  à 
nouveau  avec  quelque  maladresse  sur  le  contraste  entre 
les  deux  manifestes  du  début  du  règne  et  s'était  attiré  une 
réponse  qui  n'était  pas  de  nature  à  améliore"  des  rap[)orts 
<iv'ec  Vienne.  «  Je  ne  sais  pas  comment  cela  se  fait,  écrit 
Keith  (3),  mais  je  crois  qu'en  général  le  comte  Mercy  n'a 
pas  été  heureux  dans  les  démarches  qu'il  a  faites  h  cette 
cour.  » 

En  résumé,  la  médiation  russe  n'était  bien  accueillie 
que  du  roi  de  Pologne  qui  eût  souhaité  la  délivrai-ce  de 
ses  possessions  électorales;  car  Frédéric  était  tout  aussi 
soupçonneux  à  l'égard  de  la  Russie  que  sa  rivale  Marie- 


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(1)  Noie  de  la  cour  de  Russie,  1!)  août  (V.  S.)  I7i;2.  Archives  de 
Vienne. 

(:>)  Rapport  de  Bender  au\  ohservations  de  llmijéralrice,  15  seplenibre 
1702.  Archives  de  Vienne. 

(31  Keith  à  Grenville,  12  septemi)re  17<>2.  Ilardvirke  papers. 


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LA  GUEllKE  DE  SKl'T  ANS.    -  CIIAP.  VIII. 


Thcrèsc."  Quant  aux  Russes,  écrivait-il  à  Kinckenstein(l), 
je  les  envisage  comme  des  pacificateurs  intrus  qui  veulent 
se  mêler  d'un  arbitrage  de  paix  auquel  personne  ne  veut 
se  soumettre  et  je  regarde  leurs  démarches  comme  abou- 
tissantes à  une  négociation  vague  dont  il  ne  résultera  rien, 
ni  pour  la  guerre,  ni  pour  la  paix.  »  Quoique  opposé  à  toute 
médiation  et  bien  résolu  à  ne  prendre  aucune  part  aux 
négociations  franco-anglaises  qui  semblaient  sur  le  point 
d'aboutir,  Frédéric  se  montrait  sensible  au  reproche  qu'on 
lui  adressait  d'être  l'adversaire  de  ia  pacification;  la 
campagne  s'était  terminée  a  son  avantage,  il  consacre- 
rait volontiers  les  mois  d'iiiver  à  l'œuvre  de  la  paix,  mais 
pour  cet  objectif  il  ne  voulait  se  servir  ni  de  l'Angleterre 
ni  de  la  Russie.  A  la  suite  d'uiu)  correspondance  de  Choi- 
seul  à  propos  d'un  échange  de  prisonniers,  il  pensa  un  ins- 
tant à  la  France  et  donna  ordre  (2)  à  sonenvoyé  à  Copenha- 
gue de  sonder  officieusement  la  cour  de  Danemark  qu'il 
savait  en  excellents  termes  avec  ctlle  de  Versailles  sur  la 
possibilité  de  faire  à  cette  dernière  des  ouvertures. 

Sur  ces  entrefaites,  survint  la  nouvelle  de  la  signature  à 
Fontainebleau,  le  3  novembre,  des  préliminaires  de  la 
paix  entre  l'Angleterre,  la  France  et  l'Kspagne.  Cet  arran- 
gement mettait  fin  à  la  guerre  d'Allemagne  en  ce  qui 
concernait  ces  deux  piemières  puissances,  entraînait  la 
dissolution  de  l'armée  du  prince  Ferdinand  et  ouvrait  la 
question  de  l'évacuation  par  les  Franc^ais  des  territoires 
prussiens  du  Bas-Rhin.  Au  profit  de  quels  belligérants  se 
ferait  cette  évacuation?  Longuement  discutée,  la  difficulté, 
malgré  les  protestations  de  Frédéric,  avait  été  tournée 
par  une  rédaction  qui  ne  trancliait  pas  la  question. 

Mais  avant  d'abordcM-  les  détails  de  cotte  question  qui 

(1)  Fn'iléric  à  Finckenstein,  Mcisseii,  i:  novembre  17G2.  Correspondance 
PolUi<iue,\\i\.  V.  ;M5. 

(2)  Irédéric  à  l'.onkc.  Sorau.  ">  ndvembre  IT*»:).  Correspondance  Politi- 
que, XXll,  p.  311. 


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ROLE  UE   BRETEUII. 


365 


se  rattache  à  celle  des  négociations  entamées  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  il  convient  d'expliquer  le  rôle  effacé 
que  cette  première  puissance  avait  joué  dans  la  révolution 
du  12.|uillet.  Certes,  la  France  n'avait  pas  occasion  d'en- 
tretenir avec  le  gouvernement  moscovite  les  rapports 
constants  que  nécessitait  la  situation  de  l'Autriche  et  de 
la  Prusse,  mais  l'interruption  presque  complète  de  relations 
tint  à  des  raisons  exceptionnelles  et  spéciales.  Vers  la  fin 
du  règne  de  Pierre  III,  la  situation  de  Hre*  juil  était  devenue 
intolérable;  exclu  de  la  cour  par  suite  a'-m  incident  pro- 
tocolaire soulevé  à  propos  de  la  première  \  'site  <i  faire  au 
prince  Georges  de  Ilolstein,  oncle  de  rEmpereur,  tenu  à 
l'écart  par  les  confidents  du  souverain,  soumis  à  une  sur- 
veillance étroite,  sans  crédit,  ne  pouvant  pics  renseigner 
sa  cour,  il  avait  obtenu  l'autorisation  de  (piitter  son  poste 
sous  prétexte  de  sa  nomination  à  celui  de  Stockholm  ;  le 
25  juin,  il  partit  pour  Varsovie.  Avonf  son  départ,  il  avait 
commis  une  faute  dont  les  événements  (iggravèrent  singu- 
lièrement les  conséquences  :  un  secrét/iire  de  Panin,  Pié- 
montais  d'origine,  nommé  Odart,  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut  à  propos  de  ses  révélations  sur  le  projet  d'al- 
liance négocié  entre  Pierre  et  Frédéric,  avait  fait  à  l'am- 
bassadeur avec  lequel  il  avait  des  relations  suivies,  des 
confidences  sur  le  complot  qui  se  tramait  et  lui  avait 
demandé  de  la  part  de  l'Impéiafrice  (Catherine  un  prêt  de 
60.000  roubles  dont  elle  avait  un  besoin  urgent.  Bieteuil, 
soit  manque  de  foi  à  la  parole  d'Odart,  soit  crainte  d'un 
désaveu  fort  possible,  n'osa  pas  prendre  sur  lui  d'avancer 
l'argent.  Il  exigea  un  billet  confirmant  la  demande  et 
promit  d'en  référer  à  son  ministre  ;  la  somme  »yant  été 
avancée  par  un  marchand  delà  colonie  anglaise,  l'atlaire 
n'eut  pas  de  suite.  Breteuil  apprit  à  Varsovie  la  révolu- 
tion qui  mettait  sur  le  trône  la  princesse  à  laijuelle  il  avait 
refusé  son  con''ours;  après  quelques  hésit.-ttions,  il  ne 
décida  à  continuer  son  voyage  de  retour;  à  son  passage 


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LA  GUERRE  DR  SEPT  ANS.  -  CIIAP.  VIII. 


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î\  Vionnc,  il  trouva  l'ordro  formel  derculrci'à  Pétersbourt; 
et  d'y  l'cpiendi'c  ses  lonclions.  Il  y  reçut  un  bliVnie  oCliciel 
du  ministn^  et  un  blAme  officieux  approuvé  par  le  Uoi 
et  portant  la  signaturr»  du  comte  de  Hroglie  <jui  était  resté, 
malgré  sa  disgrAce,  directeur  de  la  diploniati<^  secrète  de 
Louis  XV.  Dans  ce  billet  (1)  qu'accompagnait  une  lettre 
du  monarque,  on  rappelait  k  Bretcuil  les  principes  des- 
quels s'inspirait  lapoliliquepersonnelb?;  il  pouvait"  actiué- 
rir  beaucoup  d'bouneur  en  lUissie,  non  en  ch(!rchant  à 
en  faire  un  allié  —  elle  ne  peut  jamais  l'être  de  la  France, 
vous  devez  en  savoir  U\s  raisons  —  mais  en  employant 
toute  votre  habileté  à  empêcher  (ju'elle  ne  s'occupe  des 
ail'aires  du  dehors,  et  en  préparant  les  moyens  de  lui  donner 
Jjeaucoup  de  besogne  dans  son  intérieur,  quand  cela  vous 
conviendra,  .le  m'imagine  (jue  la  princesse  d'Askoli'  est 
très  importante  à  ménager  et  k  gagner,  l'amant  de  l'Impé- 
ratrice, quel  qu'il  soit,  sera  dans  le  même  cas,  c'est  de 
tout  cela  qu'il  faut  vous  occuper  sans  en  communiquer 
surtout  avec  M.  de  Mercy  qui  a  des  intérêts  diamétralement 
opposés  aux  nôtres  à  suivre  à  Pétersbourg  ».  i.a  letlie  se 
termine  par  un  avis  an  sujet  de  la  t»»rvespoudance  entre- 
tenue avec  Klisabeth  et  son  (nuuU'eliei'  :  «  .l'oubliais  de 
vous  dire  qu'il  est  de  la  d(U'niére  nécc^ssité  que  vous  reti- 
riez ou  lassiez  biùler  devant  vous  tout  ce  qu'a  M.  de 
Woronzolï  sur  l'allaire  secrète,  vous  avez  eu  tort  de  ne 
pas  le  retirer  plus  tôt,  cela  a  inquiété  le  Koi;  dans  un 
pays  de  révolution  comme  la  Russie  il  ne  iaiit  ricin  laisser 
par  écrit  <|ui  puisse  intcresser  son  secret  et  compromettre 
personnellement  Sa  Majesté.  » 

Pendant  l'absence  de  Bretcuil  qui  n'avait  réintégré 
son  poste  que  le  V  septembre,  l'intérim  lut  rempli  par 
le  secrétaire  Bérenger  qui  fournit  à  sa  cour  des  ren- 
seignements fort  intéressants,  dans  lesquels  nous  avons 

(1)  Kroglie  à  Ureteuil,  Il  iiiii)|  \lii2.  AU'aires  I5lrun}?éres.  Russie  suppi', 
l.  7'>. 


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SON  ABSENCE. 


367 


(léjfï  puisé  pour  le  récit  de  la  chute  et  de  la  mort  de 
Pierre.  Dès  les  premiers  jours  du  nouveau  règne,  ou 
voit  se  dessiner  la  politique  extérieure  de  Calhorine; 
«  on  donne  des  bonnes  paroles  »  (1)  à  M.  le  comte  de 
Mercy,  mais  les  effets  ne  suivent  pas.  IJestucliew  rappelé 
d'exil  est  rétabli  dans  S(>s  emplois,  mais  il  ne  les  rem- 
plira pas;  Panin  sera  le  vrai  ministre  des  a  d'aires  étran- 
gères; il  est  «  le  (2)  moteur  principal  de  la  machine, 
les  autres  ministres  ne  doivent  être  considérés  que  comme 
des  ressorts  secondaires  >  ;  l'envoyé  prussien  (îoltz  est 
bien  traité  (3)  :  «  Il  serait  possible  qu'il  existât  des  rap- 
ports de  ménagements  respectifs  entre  ces  deux  souve- 
rahis,  moins  fondés  sur  l'amitié  que  sur  les  considéra- 
tions du  mal  qu'ils  pourraient  se  faire  réciproquement.  >. 
Bérenger  résume  son  apprécialiou  dans  le  propos  sui- 
vant :  «  Jusqu'à  présent,  la  politique  russe  de  (Cathe- 
rine II  ressemble  furieusement  à  celle  de  Pierre  III.  » 
Quelques  jours  après,  il  corrige  les  premières  impres- 
sions en  faisant  une  comparaison  (V)  beaucoup  plus  juste 
de  l'attitude  des  deux  souverains  :  «  le  premi<'r  (Pierre) 
était  un  enthousiaste  extravaganl  <]ui,  au  mépris  de 
tontes  blcj|sé!iiic(!H,  dévoilait  grossièrement  les  desseins 
qu'il  avait  de  nous  nuiro;  la  Heconde  ho  livre  avec  astuce 
à  nos  ennemis  ep  nous  donnflnt  les  assurances  de  la  fra- 
ternité. »  Au  demeurant,  il  coiis|(|ér(||f  |{('shlcli(!\v,  |{oy- 
serling  et  Panin  conmKî  adversaires  de  la  France. 

te  II)  aoiU  (V.  Si  inlorviul  la  iirésinilfitiou  de  la  note 
russe  proposant  révaciialioii  de  vi  iSitxn  ;  elle  av/iK  clé 
accompagnée  d'un  message  verbal  od'rant  la  médiation 
pour  la  paix.  Uans  le  document  écrit,  l'Aulriclie  et  la 


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(1)  Héreiiger  au  coinle  de  Cliui^cul,  iW  Juillet  iHM.  KMm  |iilHIII||lt|HI. 

(2)  IJérenger  au  cointi!  de  (îliiilseul,  li  août  17riJ.  Affaires  Ëlraiisf^ies. 

(.'{)  Bérenger  au  coinle  de  Cholseul,  lo  et  15  août  Hoa.  Affaires  Étran- 
gères. 
(41  Bérenger  au  comte  de  Clioiseul,  21  aotil  17C'i.  Affaires  Étrangères. 


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368 


\.\  GUKKKE  DE  SKPT  ANS. 


CHAI'.  VIII. 


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Prusse  avaient  étô  traitées  sur  le  môme  pied  ;  les  débats 
qui  avaient  [)réoédé  la  remise  de  la  pièce  étaient  de  na- 
ture à  taire  la  lumière  sur  la  mentalité  des  conseillers 
de  l'Impératrice  :  au  cours  de  la  discussion  (Il  llestu- 
cliew  et  le  nouveau  vice-chancelier  (ialit/in  avaient  de- 
mandé quelques  éyards  pour  l'ancienne  alliée,  l'anin  et 
le  vieux  VVoronzow  avaient  parlé  en  termes  amlji{j;us; 
Keyserling-  avait  défendu  la  théorie  du  traitement  égal 
et  avait  rallié  le  conseil  à  ses  vues. 

A  peine  de  retoui'  de  sa  fausse  sortie,  Hroteuil  (2)  cons- 
tate les  changements  qui  se  sont  ellectués  dans  le  per- 
sonnel gouvernant  :  «  M.  de  Woronzow  est  tou|Ours  en 
place,  son  huste  est  cru  nécessaire  tous  ces  premiers 
moments,  parce  que  le  public  l'estime  et  l'aime,  mais 
il  ne  se  mêle  de  rien  et  il  a  encore  jnoins  de  crédit  que 
sous  le  dernier  règne;  l'Impératrice  cependant,  dit-on, 
le  caresse.  Je  commence  à  croire  que  cette  cérémonie 
coûte  peu  à  cette  princesse,  quand  elle  y  envisage  le 
moindre  avantage  pour  elle  ».  Bestiu  hew  n'est  pas  trop 
changé  depuis  son  exil;  il  proteste  qu'il  ne  veut  aucun 
emploi  et  dit  ([u'il  ne  S(!  mêle  que  des  choses  sur  les- 
quelles rinq)ératrice  le  consulte  nommément.  Il  est 
heureux  pour  S.  M.  Prussienne  fjue  M.  Pauin  ait  pressé 
la  restitution  des  états  conquis,  car  M.  de  Bestuchew 
aurait  voulu  se  servir  de  ce  nantissement  poui"  faire  jouer 
un  rôle  à  cet  Empire  dans  la  pacification  de  l'Autriche 
avec  le  roi  de  Prusse,  il  blâme  hautement  les  conseils  de 
M.  Panin  à  ce  sujet  et  dit  qu'il  a  enqjêché  la  Czarine 
de  tirer  un  parti  glorieux  de  sa  position  et  de  sa  géné- 
rosité. Gela  ne  saurait  se  contredire;  mais  nous  pouvons, 
je  crois,  nous  en  consoler.  Aussitôt  mon  arrivée,  M.  de 

(1)  Bérenger  au  comte  de  Choiseul,  3  septembre  1762.  Aflaires  Ëtran- 
g'ires. 

('i)  hreteuil  au  comte  de  Choiseul,  12  septembre  1762.  All'aires  Étran- 
gères. 


A1MMU:CIATI(»NS  DK  HHKTEl  IL, 


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Mcrcy  m'a  prié  de  parler  avec  chaleiir  au  Ministère  russe 
sur  les  résolutions  (le  rimpératric('  et  l'oubli  (|u'clle  avait 
t'ait  (le  ses  alliés.  Je  suis  entré  dans  les  plaintes  de  l'am- 
bassadeur et  j'ai  bien  partagé  avec  lui  toute  l'étendue 
de  sa  colère;  mais  j'ai  été  plus  discret  avec  le  ministère 
russe.  » 

Au  fur  et  ù  mesure  t|u'il  reprend  le  contact  avec  les 
personnages  de  la  cour,  Brcteuil  commence  à  deviner 
la  nouvelle  orientation  de  la  politi(|ue  extérieure  de  la 
cour  du  Nord  et  à  démêler  les  intrigues  (jui  la  dirigent 
et  la  j)ensée  maltresse  (|ui  la  domine. 

Désireuse  avant  tout  de  jouer  un  rùle  dans  \o,  cercle 
européen,  ('atlierine  n'entendait  se  jeter  dans  les  bras 
d'aucune  puissance.  «  Klle  a  de  l'esprit,  écrit  notre 
ambassadeur  (1),  et  l'usage  de  l'intrigue,  mais  peu  de 
connaissances  des  all'aires  d'état  .;t  il  s'est  sûrement  fait 
dans  sa  tête  une  culbute  générale  depuis  ses  succès  (]ui 
demande  le  temps  d'y  rétablir  l'ordre.  »  D'après  lUe- 
teuil  (2)  la  cour  était  divisée  en  deux  partis,  Paniu  et 
Bestucbew,  dans  les([uels  les  deux  chanceliers  Woronzow 
et  (lalitzinsontii  peu  pri'-s  aussi  neutres  (jue  nuls,  n  dépen- 
dant ils  tiennent  un  peu  plus  à  celui  de  Panin  qu'à  celui 
de  Bestuchevv,  ([ui  est  protégé  et  soutenu  par  le  favori 
Orlow.  Celui  de  Panin  cjui  a  d(''jîl  eu  bien  du  haut  et 
du  bas  parait  aujourd'hui  le  plus  fort,  et  l'on  dit  que 
le  favori  Orlow  se  dégoûte  de  Hestuchew.  Je  sais  (jue 
la  Czarine  est  f.Vchée  qu'on  la  croie  gouvernée  par  Jies- 
tuchew,  et  après  les  informations  les  plus  exactes  qu'il 
m'a  été  possible  de  me  procurer,  j'ai,  en  ellet,  lieu  de 
penser,  Monsei^ncui',  (jue  îiestuchew  est  plus  consulté 
qu'écouté.  On  le  ménage,  il  est  cassé,  m.iis  l'intrigue  et 
les  vues  de  cet  homme  mériteront  attention  jusqu'à  sa 
fin.  La  Czarine  l'accuse,  et  avec  raison,  d'une  préven- 

(1)  nreleuil  au  coinle  de  (]boiseul,  0  octobre  17C'!.  All'aires  KIrangères. 

(2)  BreJeuil  au  minle  de  Chois(!ul,  28  octobre  1702.  Allaires  Élran^ière^ 


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LA  GUERIUÎ  DE  SEPT  ANS.  --  CHAP.  VIII. 


tion  pleine  d'animosité  contre  le  roi  de  Prusse  à  laquelle 
il  rapporte  tout;  elle  l'accuse  aus.si,  et  non  avec  moins 
de  raison,  d'un  pencnant  très  vif  pour  la  maison  d'Au- 
triche qui  ne  convient  point  h  son  système  actuel;  de 
sorte  qu'entre  les  idées  et  les  goûts  de  la  Czarine  et  de 
Kestuchew,  il  ne  parait  guère  aujourd'hui  de  rapport 
véritahle  que  leur  estime  et  leur  tendresse  pour  l'An- 
gleterre et,  juivant  toutes  les  apparences,  lo  contraire 
de  ces  sentiments  pour  nous.  >  Suivait  une  appréciation 
de  Panin  :  «  Il  ne  nous  aime  certainement  pas  plus  que 
Bestuchew,  mais  il  y  aurait  peut-être  plus  de  parti  à  en 
tirer  parce  qu'il  paraît  assez  occupé  du  bien  de  son  pays 
et  semble  être  persuadé  que  nous  y  pourrions  contri- 
buer du  côté  de  commerce.  C'est  un  homme  fort  désin- 
téressé et  qui  affiche  la  vertu  citoyenne  par  caractère; 
il  sera  toujours  temporiseur  et  il  ne  se  laissera  jamais 
aller  qu'après  une  surabondance  de  réflexions  aux  grandes 
vues  ou  aux  entreprises  hasardeuses,  c'est  ce  qu'il  a 
prouvé  dans  les  derniers  moments  de  la  révolution  qui 
a  mis  Catherine  sur  le  trône.  La  tournure  de  ce  carac- 
tère ne  saurait  être  par  goût  d'usage  pour  Catherine 
mais  il  faudra,  quelle  que  soit  son  opinion,  qu'elle  le 
ménage  longtemps.  Au  reste,  Monseigneur,  il  parait  que 
la  Czarine  cherche  A  faire  connaître  quelle  veut  gou- 
verner et  à  faire  ses  affaires  elle-même.  Elle  se  fait 
apporter  les  dépêches  des  Ministres  du  dehcrs,  fait  volon- 
tiers les  minutes  des  réponses  et  assiste  assez  régulière- 
ment aux  assemblées  du  Sénat  et  y  décide  fort  despo- 
tiquenient  des  points  les  plus  importants  d'administra- 
tion générale  ou  d'intérêts  particuliers.  Je  sais  LÎopuis 
longteuips,  et  on  me  l'a  conti"mé  depuis  mon  retour, 
que  ses  maximes  sont  qu'il  faut  être  ferme  dans  ses 
résolutions,  qu'il  vaut  mieux  mal  faire  que  de  changer 
d'avis,  et  surtout  qu'il  n'y  a  que  les  sots  qui  soient  in- 
décis. » 


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ENTREVUE   AVEC   PAMN. 


871 


Quelque  temps  après,  c'est  Paniu  qui  développait  son 
programme  au  diplomate  français  :  l'action  de  la  Russie 
doit  être  tr^'s  réservée  jusiju'A  la  paix  générale;  elle  a 
été  exploitée,  du  reste  comme  la  France,  par  la  maison 
d'Autriche  ;  elle  doit  se  recueillir  et  s'occuper  des  réfor- 
mes qu'exige  l'état  intérieur  du  pays.  Après  quelques 
mots  sur  les  dédommagements  auxquels  le  roi  de  Pologne 
avait  droit  et  qui  pourraient  éti-e  obtenus  au  moyen  de 
sécularisations  en  Allemagne,  «  Panin  m'a  insinué,  con- 
clut Breteuil  (1),  le  plus  adroitement  qu'il  a  pu,  que  l'Im- 
pératrice serait  toujours  disposée  à  concilier  et  a  ménager 
tous  ces  dill'érents  intérêts,  si  au  moment  de  la  paix  l'on 
jugeait  ses  bons  offices  de  quelque  utilité  générale  ou 
particulière  ;  des  compliments  de  ma  part  ont  fait  la  clô- 
ture de  ce  point  de  vue.  lUen  n  occupe  plus  sérieusement 
la  souveraine  russe  que  de  parvenir  à  se  mêler  de  la  paix 
et  rien,  selon  moi,  Monseigneur,  n'est  plus  à  désirer  que 
de  l'éloigner  de  cette  grande  affaire;  outre  ses  préven- 
tions qu'on  ne  peut  se  dissimuler,  elle  y  apporterait  un 
ton  (le  dictateur  qui  doit  encore  moins  convenir  pour 
le  moment  et  dont  il  est  aisé  d'apercevoir  l'incommodité 
pour  la  suite  ». 

Quant  à  s'entretenir  avec  la  souveraine  en  personne, 
Breteuil  n'avait  pu  le  faire  ;  une  nouvelle  question  d'éti- 
quette au  sUjCt  du  titre  de  la  Tzarinc  l'empêchait  d'oljte- 
nir  son  audience  et  retarda  même  son  voyage  i'i  Moscou 
où  il  n'assista  pas  à  la  cérémonie  du  couronnement.  Las 
du  rAle  quelque  peu  lidiculc  qu'il  était  obligé  de  jouer, 
il  s'évertuait  en  vain  à  proposer  des  solutions  que  Cathe- 
rine repoussait  invariablement.  Enfin,  grâce  à  l'interven- 
tion de  Panin,  un  compromis  fut  accepté  et  l'audience  eut 
lieu  au  commencement  de  décembre  après  une  perte  de 
trois  mois,  non  compris  ceux  de  l'absence. 

(1)  Breteuil  au  comte  de  ("lioiscul,  'i!»  novembre  I7(i.!.  Allaires  Élranf^ères. 


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372 


LA  GUEftKE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  VIII. 


D'ailleurs,  il  faut  b  reoonnaiti'c,  pour  le  cabinet  de 
Versailles,  il  y  avait  pou  à  faira  à  Pétersbourg  ;  le  prin- 
cipal objectif  de   cette  cour,  la  médiation  de  la  Russie 
pour  la  pai.v  et  pour  l'évacuation  de  la  Sa.ve,   n'intéres- 
sant que  très  médiocrement  le  ministère  fran(;ais.  Nous 
avons  vu  les  objections  que  le  roi  de  Prusse  avait  formu- 
lées  et  l'accueil  soupçonneux  que   l'Impératrice-Reine 
avait  fait  à  la  proposition  russe.  Mcrcy,  bien  qu'adversaire 
de  l'intervention,  était  cependant  forcé  d'avouer  à  son 
collègue  français  (1)  «  que  si  nous  ne  trouvions  pas  quelque 
moyen  de  procurer  à  sa  cour  une  paix  supportable,  elle 
serait  nécessilôe  de  recourir  aux  bons  offices  de  la  Rus- 
sie ».  Il  avait  ajouté  «  que  je  devais  savoir  combien  cette 
ressource  lui  paraîtrait  dure  ».  La  réponse  autrichienne, 
très  polie,  avait  été  rédigée  de  façon  à  ménager  les  sus- 
ceptibilités de  la  cour  du  Xord,  mais  si  la  forme  était  plus 
acceptable  que  la  sécheresse  prussienne,  le  fonds  n'était 
guère  plus  favorable  aux  desseins  de  la  Russie. 

Kaunitz  avait,  en  effet,  perdu  peu  à  peu  ses  illusions  sur 
un  revirement  possible  de  la  cour  de  Pétersbourg  :  «  Il 
est  un  peu  revenu,  écrit  Cliatelet  (2),  à  ce  qu  il  me  semble, 
de  la  Russie  et  il  m'a  parlé  pour  la  première  fois  très 
sensément  sur  ce  que  sa  Cour  en  avait  à  craindre  ou  à 
espérer.  Il  m'a  môme  tracé  le  plan  de  la  conduite  qu'il  se 
propose  de  tenir  à  l'avenir  avec  cette  puissance  sous  des 
traits  fort  éloignés  de  la  dépendance  servile  qu'il  a  pra- 
tiquée jusqu'à  présent.  Nous  verrons  si  cela  se  soutien- 
dra. »  Pourtant,  malgré  les  dépêches  de  Mercy  qui  aurait 
souhaité  une  autre  attitude,  le  chancelier  n'avait  rien 
écrit  qui  pût  donner  à  son  envoyé  «  la  satisfaction  de  pen- 
ser que  ses  idées  sont  approuvées  et  que  sa  cour  va  pren- 
dre un  système  de  noblesse  et  de  fermeté  vis-à-vis  de 
celle-ci  ». 


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(1)  lircteuil  au  comte  de  Clioiseul,  12  seplembre  1702.  Affaires  Étrangères. 

(2)  Chalelel  au  comte  deChoiseuI,  20 octobre  1762.  Aff.Étrang.  Autriche. 


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INSTRUCTIONS  A  BRETEUIL. 


373 


Il  n'entre  pas  dans  lo  cadre  de  notre  travail  d'aborder 
l'histoire  intérieure  de  la  Kussie,  aussi  n'emprunterons- 
nous  pas  à  l'ambassadeur  français  ses  informations  sur 
Orloff,  l'amant  en  titre  de  la  Tzarine,  «  qui  ne  parle  (1) 
que  le  Russe,  très  bel  homme,  mais,  dit-on,  une  j'rande 
bête  »,  sur  les  complots  sévèrenienc  réprimés  qui  éclatè- 
rent contre  le  nouveau  règne;  il  nous  suffira  de  constater 
que  vers  la  fin  de  17G2,  Catherine,  débarrassée  par  suite 
d'accidents  ou  de  procédés  plus  violents,  dont  elle  ne 
semble  pas  avoir  été  l'instigatrice,  d'abord  de  son  mari, 
ensuite  du  prince  Yvan  qui,  en  sa  qualité  de  descendant 
direct  de  Pierre  le  Grand,  eût  pu  devenir  un  rival  sérieux, 
avait  suffisamment  ouusolidé  son  trône  pour  pouvoir  prê- 
ter son  attention  aux  affaires  d'Europe  et  spécialement  à 
celles  de  Pologne  où  la  succession  nrochoine  du  roi 
Auguste  allait  éveiller  grandement  les  intérêts  des  états 
voisins.  Breteuil  était,  on  le  sait,  initié  k  la  politique 
secrète  de  Louis  XV  et  chargé  à  cet  effet  de  surveiller 
tout  ce  qui  avait  trait  à  la  Pologne.  «  Il  est  nécessaire,  lui 
écrivait  le  Roi  (2),  que  vous  entreteniez  une  correspon- 
dance exacte  avec  MM.  d'IIavrincourt  (3),  de  Paulmy  et  de 
Vergennes;  vous  ne  devez  leur  rien  laisser  ignorer  de  ce 
qui  regarde  la  Russie  et  vous  apprendrez  par  eux  mieux 
et  plus  tôt  ce  qu'il  conviendra  que  vous  fassiez  à  Péters- 
bourg  que  par  les  ordres  de  mon  ministre  qui,  vu  l'éloi- 
gnement,  ne  peuvent  être  que  tardifs.  »  La  réponse  de 
Breteuil  (4)  démontre  que  les  pourparlers  au  sujet  de  l'ave- 
nir de  la  Pologne  n'avaient  pas  été  encore  entamés  ou 
tout  au  moins  que  la  France  n'y  avait  pris  aucune  part  : 


(1)  Breteuil  au  comte  de  Choiseul,  '.t  octobre  17(12.  All'aires  Klrangères. 

(2)  Le  Roi  à  Breteuil,    10  se|>teiiibre    1762.   Affaires  Étrangères,  Russie 
complément,  t.  72. 

(3)  Ministres  de  France  en  Suède,  Pologne  et  auprès  de  la  Porte. 

(4)  Breteuil  au  Roi,  16  décembre  1762,  Affaires  Ktrangères,  Russie  com- 
plément, t.  72. 


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374 


I  A  GUERRE  OK  SEPT  ANS. 


CHAP.  VIII. 


«  La  résolution  que  la  Uussic  a  prise  ot  que  le  ministère 
cUiclai'o  dans  toutes  les  occasions  de  n'étaler  son  système 
qu'après  la  paix,  a  ralenti  tous  les  soins  du  comte  de  .Mercy, 
et  la  conduite  que  l'on  tient  avec  lui  lui  a  ôté  toute 
espérance  de  regagner  ici  le  crédit  que  sa  Cour  pourrait 
y  désirer.  L'opinion,  d'ailleurs,  de  l'ambassadeur  autri- 
chien est  fort  éloignée  d'un  système  de  préférence  pour 
la  Russie,  il  ne  veut  avec  des  désirs  réels  que  la  continua- 
tion do  l'augmentation  des  iiens  de  V.  M.  avec  sa  souve- 
raine. » 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  question  de  la  Pologne  inquiète 
l'ambassadeur  et  il  contîe  ses  craintes  (1)  à  son  chef  :  Il 
faut  «  empocher,  ou  si  l'on  veut,  retarder  son  entière 
obéissance  (de  la  Pologne)  à  la  Uussie  et  ses  démembre- 
ments qui  en  seront  une  suile  à  l'avantage  de  cet  empire  ». 
La  Russie  voudra  certainement  choisir  le  successeur  du 
roi  Auguste. 

En  attendant  l'ouverture  de  cette  grave  question,  les 
puissances  occidentales  de  l'Europe  s'étaient  mises  d'ac- 
cord à  Fontainebleau.  La  communication  oflicielle  de  la 
signature  des  préliminaires  fut  froidement  accueillie  en 
Russie;  le  gouvernement  de  Catherine  éprouvait  quelque 
dépit  de  la  réussite  de  la  France  à  négocier  une  paix  pour 
la(|uelle  elle  avait  olFert  ji. utilement  son  intervention.  Le 
20  décembre,  Breteuil  eut  enfin  son  audience;  Catherine 
se  montra  fort  gracieuse  mais  ne  retrouva  pas  pour  l'am- 
bassadeur la  confiance  intime  quelle  lui  manifestait  avant 
son  élévation  au  trône. 

Il  devenait  de  plus  en  plus  évident  que  la  Russie  enten- 
dait avoir  sa  politique  propre,  et  qu'elle  ne  se  laisserait 
influencer  pa»*  aucun  de  ses  anciens  alliés. 

Cette  appréciation  se  trouve  confirmée  par  la  lecture 
de  la  correspondance  échangée  entre  le  cabinet  de  Saint- 

(1)  Itreleiiil   à  Praslin.   '>.o  décembre    1762.    Affaires   Etrangères,  Russie 
coin|)lémenl,  t.  72. 


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QUESTION  DK  POLOGNE. 


375 


James  et  le  successeur  de  Keith  le  comte  de  Ituckinghaiii- 
shirc.  Une  dépêche  très  secrète  de  ce  deinier  (1)  en  date 
du  25  novembre  commence  par  donner  ses  impressions 
sur  les  hommes  d'état  russes  :  «  Plus  j'ai  de  rapports 
avec  ces  personnages  ot  moins  je  les  croisi  capables  de 
diriger  les  allairos  d'une  grande  nation.  Le  chancelier  a 
l'air,  les  manières  d'un  homme  de  condition,  mais  s'il  a 
jamais  eu  des  moyens  ils  ont  été  bien  diminués;  sa  vigueur 
intellectuelle  et  corporelle  a  été  trop  atteinte  pour  (|u'il 
soit  capable  du  labeur  intense  que  demande  sa  situa- 
tion. 

«  M.  Bestuchclf  est  vieux  et  parait  encore  plus  vieux;  s'il 
est  encore  aujourd'hui  à  môme  de  travailler,  cela  no  peut 
pa.i  durer  longtemps.  On  dit  qu'on  le  consulte  beaucoup 
et  sa  conduite  h  mon  égard  indique  qu'il  désire  qu'on  le 
pense.  M.  Paiiin,  qui  sem'ide  mieux  qualifié  que  la  plupurt 
des  ministres  russes  pour  tenir  la  première  place,  par- 
tage probablement  avec  lui  la  confiance  de  l'Impératrice. 
Mais  l'Impératrice  elle-mên  e  d'après  les  observations 
que  j'a'  pu  faire,  et  les  lumières  que  je  me  suis  procurées, 
est  sous  le  rapport  du  talent,  des  connaissances,  do  la 
facilité,  bien  supérieure  à  tout  le  monde  dans  ce  pays. 
Gênée  par  les  services  qu'on  lui  a  rendus,  dans  ces  temps 
derniers,  consciente  d  js  difficultés  de  sa  situation  dans 
l'appréhension  des  dangers  dont  elle  s'est  crue  entourée, 
elle  n'ose  pas  encore  agir  d'après  son  propre  sentiment 
et  se  débarrasser  de  bien  des  gens  de  son  entourage  dont 
elle  doit  mépriser  le  caractère  et  la  capacité.  Pour  le 
moment,  elle  saisit  tous  les  moyens  de  gagner  la  con- 
fiance et  ralTectiou  de  ses  sujets.  Si  elle  réussit  elle  fera 
servir  l'aiitorité  qu'elle  aura  acquise  pour  l'honneur  et 
l'avantage  de  son  empire.  » 

Pour  Catherine,  la  question  prédominante  était  celle 

(1)  lUickin^hainshire  à  Halirax,  Moscou,  25  nov.  M.  S.  I7(i2,  très  secret, 
Record  oflice. 


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376 


LA  GUERRK  DE  SEPT  ANS. 


rilAP.  VIII. 


de  la  succession  au  trAne  de  Pologne  dont  la  santé  com- 
promise du  roi  faisait  prévoir  la  prochaine  ouverture. 
ElUe  fit  sonder  i\  cet  égard  le  gouvcî-ncment  britannique. 
Sur  la  demande  expresse  de  l'Impératrice,  l'ambassaileur 
fut  (1)  chargé  de  faire  part  au  roi  d'Angleterre  sans  re- 
tard des  préoccupations  que  donnaient  à  la  Tzarine  la 
santé  du  roi  de  Pologne  et  l'élection  probablement  pro- 
chaine de  son  successeur.  Il  était  essentiel  pour  la  tran- 
quillité de  la  Russie,  que  le  roi  de  Pologne  fût  un  ami;  la 
Tizarine  était  inquiète  des  projets  et  des  intrigues  de  la 
cour  de  France;  comme  elle  souhaitait  dans  cette  af- 
faire agir  de  concert  et  en  confiance  avec  le  roi  de  la 
Grande-Bretagne,  elle  serait  très  heureuse  de  connaître  sa 
pensée  et  ses  intentions  h  ces  sujets.  «  Au  cours  de  l'en- 
tretien ils  (le  chancelier  et  Galitzin)  ont  abordé  une 
question,  laquelle  à  ce  que  je  crois,  d'après  les  fréquen- 
tes allusions  qu'ils  y  font,  les  intéresse  beaucoup,  la 
situation  malheureuse  de  la  maison  d'Autriche;  j'ai  saisi 
l'cxasion  de  leur  dire  que  dès  mon  arrivée  ici,  je  m'étais 
rendu  compte  de  leurs  dispositions  favorables  pour  cette 
cour  et  que  j'en  avais  fait  l'observation  dans  mes  dépè- 
ches, ils  l'ont  reconnu  très  franchement,  mais  ont  ajouté 
de  suite  qu'ils  désiraient  vivre  en  bonne  amitié  avec  le 
roi  de  Prusse.  Le  nouveau  ministre  de  Prusse  quoiqu'il 
soit  ici  depuis  trois  semaines,  n'a  pas  dit  un  seul  mot  au 
grand  chancelier  ou  au  prince  Galitzin  qui  ait  le  moindre 
rapport  ajx  affaires.  » 

D'après  l'envoyé  anglais,  le  cabinet  russe  se  gardait 
bien  d'épouser  le  parti  du  roi  de  Prusse  dans  ses  récri- 
minations contre  le  gouvernement  anglais;  il  cherchait 
même  à  se  laver  du  reproche  d'avoir  communiqué  à 
Frédéric  la  dépèche  de  Bute,  dont  la  connaissance  avait 
taBit  aigri  l'esprit  de  ce  prince,  mais,  ajoute  Buckingham- 


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(1)  Buckingliainsbire  à  Halifax.  Moscou,  28  décembre  N.  S.  1762.  Record 
ollice. 


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QUI    SUCCÉDERA 


377 


shire  (1),  «  ce  n'est  en  aucune  façon  leur  ititcntion  pré- 
sente de  rompre  avec  le  roi  de  Prusse.  Ils  ont  peur  qu'un 
pareil  agissement  le  forcerait  à  une  entente  avec  la 
France  et  augmenterait  de  cette  façon  l'influence  de  cette 
nation  dans  les  affaires  de  la  Pologne.  La  mémo  crainte 
les  empêchera  pour  le  moment  de  proposer  la  triple 
alliance  de  l'Angleterre,  de  la  Russie  et  de  l'Autriche  qui 
est,  j'en  suis  persuadé,  la  combinaison  chère  à  ce  gou- 
vernement ». 

Ce  serait  dépasser  les  limites  que  nous  nous  sommes 
tracées  de  poursuivre  plus  loin  le  développement  de  la 
politique  qui  devait  aboutir  au  premier  partage  de  la 
Pologne;  il  nous  suffit  de  marquer  les  débuts  du  règne  de 
la  grandi:  Catherine  et  de  signaler  les  pronostics  que  les 
diplomates  clairvoyants  formaient  sur  sa  volonté  et  sur 
son  aptitude  à  prendre  en  mains  la  direction  du  grand 
empire  dont  la  destinée  l'avait  faite  souveraine. 


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(I)  buckinghamshire  à  Halifax.  Moscou,  19  janvier   N.  S.  1763.  Kecoid 
office. 


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CHAPITRK  I\ 

PLAN  I>'()I>KRATI(»NS  DE  PKKItKRir..  —  SKS  RESSOURCES.  — 
ARMÉES  l»E  SILÉSIE  ET  ARMÉES  DE  SAXE.  —  OPÉRATIONS 
SUR  LA  ERONTIÉRK  DE  SAXE  ET  DE  ROIIÈME.  —  OPÉRA- 
TIONS   EN    SILÉSIE.    —    SIÉKE    DE    SCHVEIDMTZ. 

La  correspoiulancii  de  Fmléric  avoc  son  l'rAre  lo  prince 
Henri  et  son  ministre  Kinckensfein  pondant  les  derniers 
jours  de  17(11  et  les  premiers  de  17G2  marque  certaine- 
ment la  péricule  la  plus  désespérée  de  la  lutte  que  soute- 
nait ce  monaripie  contre  la  coalition  des  grandes  puis- 
sances continentales.  La  perte  successive  de  Schweidnitz 
et  de  Coll)erg  avait  sing^ulièrcment  réduit  l'étendue  des 
états  encore  soumis  à  son  autorité  et  desquels  il  pouvait 
tirer  des  ressources  en  hommes  et  en  argent.  Sans  diversion 
nouvelle  en  sa  faveur,  tout  faisait  prévoir  pour  la  Prusse 
un  écrasement  délinitif  que  le  génie  de  son  souverain  ne 
pourrait  ajourner  que  de  quelques  mois.  Cette  interventi-^n 
qui  lui  procurerait  son  salut,  Frédéric  croyait  l'obtenir 
de  deux  puissances  ottomanes,  avec  lesquell(>s  des  pour- 
parlers avaient  été  entamés  depuis  plusieurs  mois  dans  le 
but  de  les  déterminer  à  agir  contre  l'Autriche  et  la  Russie. 
Tout  en  faisant  ses  réserves  sur  le  succès  des  négociations, 
le  Roi  prépara  un  plan  d'opérations  basé  sur  une  double 
attaque  par  ses  futui-s  alliés,  la  Porte  et  le  khan  de  Cri- 
mée ;  il  envoya  un  de  ses  officiers  de  confiance,  Anhalt, 
en  développer  (1)  les  détails  au  prince  Henri  :  On  pensait 

(1)  Histoire  de  la  Guerre  de  Sept  Ans,  publiée  parl'Elal-Major.  Vol.  VI, 
p.  18.  —  Berlin,  1841. 


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PLAN  DOPKIUTIONS  l)K  FUKDKIUC. 


37<J 


pouvoir  compter  sur  l'cntiétî  en  H^no  tau  mois  dv  mars 
de  200.1)00  Turcs,  sur  los(|uels  120.000  envahiraient  la 
Horif^rie  et  80.000  s(»utiendraient  l'agression  des Taitarcs 
contre  la  Russi(\  Des  120.000  Autrichiens  dont  pouvait 
disposer  l'Impératrice  Heine,  il  faudrait  en  détacher  au 
moins  TiO.OOO  pour  la  défense  de  la  Hongrie;  de  leur 
côté,  les  Uiisses  auraient  besoin  de  la  plupart  des 
5().000  honunes  employés  contre  la  Prusse  pour  résister  à 
la  poussée  des  Tartares  et  des  Turcs  ;  ils  ne  pourraient 
conserver  que  12  à  15.000  hommes  sur  la  Vistule.  En 
comprenant  le  corps  de  Czernitchew  et  c(dui  des  (lercles, 
il  ne  resterait  aux  alliés  cpie  55.000  combattants  en  Silésie 
et  .35.000  en  Saxe,  efTectifs  inférieurs  aux  80.000  Prussiens 
sur  lesquels  on  pouvait  tabler  d'une  part  pour  la  cam- 
pagne de  Silésie,  et  aux  50.000  (pj'on  laisserait  d'au- 
tre part  en  Saxe;  grâce  à  cette  supériorité  numérique, 
le  projet  escomptait  la  prise  de  Dresde  et  la  reprise  de 
Schweidnitz,  le  siège  de  Prague,  la  conquête  de  la  Mora- 
vie. L'esprit  pratique  du  prince  Henri  se  refusa  à  accepter 
des  prévisions  aussi  optimistes  fondées  sur  des  bases  aussi 
hypothétiques  que  la  coopération  de  la  Porte  ottomane, 
aussi  rcpoudit-il  à  son  frère  en  lui  demandant  ses  plans  de 
campagne  pour  le  cas  où  l'alliance  rêvée  ne  se  réaliserait 
pas.  Frédéric  répondit  qu'il  n'y  aurait  pas  d'autre  parti 
à  prendre  que  de  concentrer  les  armées  prussiennes  et 
combattre  les  ennemis  avant  qu'ils  eussent  pu  se  réunir. 
Quelles  étaient  les  forces  respectives?  Un  rapport  du 
ministre  anglais  Mitchell  qui  avait  suivi  de  près  t(»utes 
les  péripéties  de  la  guerre  de  sept  ans,  nous  fournira  des 
renseignements  précieux  sur  l'état  des  forces  prussiennes 
et  sur  la  difliculté  de  ies  recruter,  vers  cette  époque  de  'a 
guerre.  «  Mon  expérience,  écrit-il  à  Bute  (1),  m'a  appris 
qu'on  ne  peut  se  fier  aux  ordres  de  bataille;  ils  contien- 


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(1)  MitcbcU   à  Bute,  Magdeburg,  25  novembre  1761.  Mitchell  Pajiers. 


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880 


LA  GUEURK  DK  SEPT  ANS.    -  CIlAl».  IX. 


nont  A  la  vriifr  lennnihro  des  h.itaillons  et  «le.s  escadrons, 
mais  non  les  elIVictifs  de  cliacim  d'eux;  ceux-ci  sont  connus 
exactement  des  ofliciers  commandant  le  régiment,  remis 
pai-  lui  au  roi  de  Prusse  et  ensuite  ;\  l'adjudant  général, 
mais  les  autres  généraux  les  ignorent.  » 

Le  roi  n'encourage  pas  la  correspondance  surlesallaires 
militaires;  les  lettres  sont  souvent  arrêtées  et  examiné»;»  et 
les  officiers  [lîiient  cher  leurs  indiscrétions,  k  Quant  au 
prince  lui-même,  il  ne  communique  que  fort  rarement  au 
secrétaire  d'état  ses  i)lans  d'opérations  m'Iitaires;  en  cas 
de  succès,  il  envoie  une  relation  inspirée  par  lui  f\  laquelle 
il  faut  attacher  une  foi  ahsolue;  en  cas  de  faillite,  il  en 
parle  peu  ou  pas  et  chacun  reste  libre  de  tirer  ses  propres 
conclusions,  car  S.  M.  I*russienne  ne  s'avise  Jamais  d'écrire 
sur  des  événements  déplaisants  et  c'est  la  seule  raison  que 
je  pense  trouver  pour  explicpier  son  silence  au  sujet  de  la 
surprise  de  Schweidnilz,  dout  nous  n'avons  connu  les 
détails  que  par  les  citations  de  la  cour  de  Vienne.  » 

Mitchell  en  arrive  aux  ressources  pour  les  campagnes 
futures.  «  Quand  le  roi  de  Prusse  franchit  l'Klbe  A  Strehla 
le  4  mai  dernier,  il  avait  avec  lui  32  bataillons  d'infanterie 
et  63  escadnms  de  cavalerie,  dragons  et  hussards  com- 
plets et  en  bon  ordre,  composés  des  meilleures  troupes  de 
son  armée.  F^e  corps  du  général  Goltz  qui  hiverna  en 
Silésie  comptait  ïl  hataillons  d'infanterie  et  51  esca- 
drons; les  deux  corps  réunis  étaient  forts  d'à  peu  près 
00.000  homni' s.  L'armée  du  prince  Henri  au  mois  de  mai 
se  montait  sur  le  papier  à  55  bataillons  et  83  escadrons, 
mais  comme  plusieurs  des  bataillons  étaient  incomplets 
et  qu'il  y  avait  beaucoup  de  vides  dans  la  cavalerie,  l'ef- 
fectif total  n'a  jamais  dépassé  28.000  hommes.  En  ajoutant 
les  14.  bataillons  et  35  escadrons  du  prince  de  Wurtem- 
berg et  du  général  Werner  opérant  en  Poméranie,  nous 
avoi  s  un  grand  total  de  142  bataillons  et  232  escadrons, 
soit  d'après  une  évaluation  modérée,  plus  de  100.000  com- 


C--^^  5M^i3Si5Ë*anaaBaaaîg'sBEaMmw 


QUELLES  SONT  8>,S  IlESSOllUESi 


S81 


ballants.  Je  no  puis  pas  doiiiuM*  dos  chillres  cxacls  poul- 
ies garnisons  de  Silrsi»!,  Saxe,  Pnnicranio,  otc...  mais  je 
crois  (|u'ii  puitl  y  avoir  do  VU  h  50  It.i (aillons,  ntoitii'; 
milices  ou  lovées  à  peine  disciplinées,  alIVîcléos  à  ce  ser- 
vice. 

((  Comme  au  cours  de  la  cam|)af,''n(%  il  n'y  ;i  pas  eu  de 
bataille  générale  et  très  peu  de  niarcbes,  j'imagine  (pio 
l'armée  de  Silésie  a  souflcrl  très  pou  et  d'après  mes  r(^n- 
seignements  est  en  ce  moment  en  excellent  élat  à  l'excep- 
tion des  délacliements  envoyés  sous  les  généraux  Platen 
et  Schenkendorf  (pii  »»nt  dû  subir  d(^s  perles  consi- 
dérables; je  ne  pense  pas  (jue  leur  eUeclii"  dépasse  H  ;i 
10.000  hommes,  .l'ostime  aussi  que  le  déchet  du  prince 
Henri  ou  du  prince  de  Wurtemberg  est  également  sen- 
sible. 

«  En  résumé,  j'évalue  à  25.000  le  nondjre  des  recrues 
nécessaires  pour  rétablir  le  chiffre  des  l'orces  prussiennes 
au  moment  de  l'entrée  en  campagne.  De  ([mdles  ressour- 
ces peut  disposer  le  Koi  pour  combler  ce  vide? 

«  ,1'ai  entendu  dire  que  les  Autrichiens  aussi  bien  que 
les  Husses  se  sont  conduits  avec  beaucoup  d'inhuma- 
nité et  de  barbarie  à  l'égard  des  habitants  de  la  Silésie, 
qu'ils  ont  dévasté  les  contrées  traversées,  cpie  beaucoup 
de  paysans  silésiens  de  la  frontière  polonaise  se  sont  ré- 
fugiés en  Pologne,  que  les  Autrichiens  (jui  occupent 
Landshut  et  les  montagnes  où  l'industrie  de  la  toile  a 
son  siège  principal  ont  par  leurs  exactions  et  leur  oppres- 
sion, réduit  les  hubilants  aux  dernières  extrémités,  (jue 
la  nouvelle  marche  de  Brandebourg  a  soull'ert  prodigieu- 
sement du  passage  de  l'armée  russe,  que  la  province  de 
Poméranie  dans  un  rayon  de  plusieurs  «  milles  »  autour 
de  Colberg  et  de  sa  banlieue  est  transformée  en  désert. 
De  ces  informations,  si  elles  sont  à  peu  près  véridiques,  je 
conclus  que  le  Koi  aura  plus  de  peine  h  recruter  son  ar- 
mée qu'il  n'a  jamais  eu  jusqu'à  présent.  D'autre  part,  il 


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\.\  (iUKHIlK  Dl'l  SKPT  \NS.  ~  CIIAP.  W. 


a  encore  à  sji  ('isj.'ositidu  <lcs  cantons  di"  vci'vwU.nu^nt  qui 
n'ont,  pas  <■•(•';  sontnis  i\  l'invnsion  «^1  qui  oopiinu»  roni  à 
l'oiirnii'  loui'S  couliui^eiils  rrt;uliors.  ynelcjucs  cor[)s  ont 
souller't  ('xco|)tionnoliem«Mit  vi  auront  do  la  pcini":  A  nun- 
|)lii  l«Mirs  vi(l<'s,  uuiis  i!  y  u  oucor-o  des  iM'ssources,  surtout 
pou«*  la  cavalcM'io  qui  a  v.U\  uu)ius  «''prouviM*  tnn\  l'infan- 
lorir  vl  il  sera  pnssil>l<i  do  puis«M'  <Io  c«>  ccMr  (iu(d{|urs  ro- 
t-rues pour  les  rénimenls  à  pied.  Ou  dit  <<nliu  (juc  S.  M. 
Prussienne  songe  A  levi'r  du  monde  on  l'olognc  «it  vn  Snxe, 
s'il  peut  reeouvrer  le  toirain  (|u'il  a  perdu  dans  l'élocto- 
rat  ;  resliMil  enfin  les  prisonniers  et  l(\s  déseî'teurs, 

«  Uuoi  (|u'ilen  soit,  vous  pouvez  (ilrc  assuré,  Milord,<pie 
le  roi  de  IM'usse  n'ôparfii'nera  aucun  cU'ort  lunnain  |)our 
compléler  sou  armée;  j'if'nore  les  noyons  «pi'il  inuj- 
giuora  ;"»  celte  (in,  aussi  u'oserai-j*^  pas  dire  ce  (pi'il  |)ourra 
l'aire,  surtout  quaiul  j'ai  vu  d<'  mes  yeux  rexécution  luni- 
HMise  de  projets  «pii  au  moment  mavaicut  semhic  d  uiu) 
rôussile  impossil)!*;.   « 

Connue  nous  l'avons  raconté  dans  un  autre  chapitre,  la 
mort  «l'i^'iiisaheîli  et  le  hrus'jue  revirement  de  la  politi(puî 
rusK('  vim-eut  ino(lili(U'  la  situation  et  l'étahlir  j>res(|Ue  mi- 
raculeuseuuMit  les  aU'aires  «h;  Krédéric.  [1  nous  suffira 
[)our  le  mouiont  de  relever  les  dntes  des  principaux  évé- 
nements :  la  mort  <le  la  Txariue  euî  lieu  le  5  janvier  17()2; 
elle  fut  connue  le  1!)  à  Itreslau  où  S(^  trouvait  alors  1»;  l{(»i; 
le  ;{  févi'ier,  (M'drci  est  donné  de  sus|)emlre  toutes  hostilités 
C(mtrc  rariné(^  russe;  le  t(i  mars  un  armistice  est  conclu, 
les  |>risouniers  sont  échangés;  le  cours  do  l'Oder  jusqu'à 
l'cnubouchure  do  la  Warthe  est  adopté  co'uiu*^  ligne  do 
démarcation,  le  corps  do  (l/ornitch(!\v  est  rappelé  do  l'ar- 
mée au(richi<Mine  ;  le  (»  mai,  la  paix  est  signée  et  i\no  al- 
lijuico  <lél'eusivo  conclue  entre  la  I*russ<' et  la  Hussie.  lîue 
période  de  trois  mois  i\  p(uno  avait  suffi  pour  change;'  du 
tout  au  tout  la  siluati(,n  des  helligérants.  La  trêve  con- 
v<uiue  avec  les  Uusses  et  bientôt  avec  les  Suédois  avait 


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AllMKKS  l)K  SIT.KSIK  KT  AHMKRS  DK  8AXK. 


383 


inisi\  In  (lisposilion  de  Fnkléric  les  reiiforls  inclispcns.ihles 
pour  répai'»!!' I«^s  vkl<'S  (lo  son  «l'inér;  lu  rciitrôc  <les  pri- 
.soiinici's  pnissinns  et  i'aiilorisalion  de  lever  des  recruos 
dans  la  Prusse  royale  fournirent  des  ressource"  précieuses 
pour  le  lauf"-  (^t  les  cndros  ultérieurs,  tandis  <pu^  le  retour 
de  captivit('  desfrénéraux  Manteullel,  NVcrner  et  Kuohlocli, 
des  colonels  (iourbiére  et  lloi'dt  permit  au  lloi  de  relr-ou- 
ver  desoflieiers  ^'■énéraux  capables  et  expérimentés.  D'au- 
tre part,  la  suppression  «le  btutci  incjuiétude  du  cAlé  de  la 
l*oinéra:.ie  et  des  Urandeboui'f;'  laissa  disponibb;  jiour  la 
guerni  en  Saxe  et  en  Silésie  ce  (pii  restait  des  corps  de 
iMalen,  du  prince  Kuqène  do  \Vuiteml>er,i,-  ainsi  que  les 
détachement.4  puisés  <lans  les  garnisons  de  Stetlin  et  des 
pla('(!sd(<  l'Oder.  (IrAce  à  l'appel  de  e  ;s  conling-enls  variés, 
rarmi'e  rr  ,uk('  de  Silésie  put  être  portée  h  un  efl'eetif  «le 
78.000  eoiidialtants  et  celle  de  Saxe  «\ompta  sur  le  papi«M' 
/1.2.OOO  liommes,  mais  ce  chill're  no.  fut  léellement  atteint 
que  vers  le  milieu  do  l'été;  au  conuneruM'ment  «le  juin, 
«•'estù  p«'ine  si  le  prince  Henri  |)ouvail  réunir  :i(>.(»00  Innn- 
mes. 

('/est  ik  p«Mi  de  chose  j>rés  le  cbii'i're  «pie  l'altiiclié  mili- 
taire fran«;ais  (I)  atlrilme  au  M-inct^;  ii  c«)mpte  les  M  ba- 
taillons «'t  50  escadrons  à  l'elfectif  d«ï  500  fantassins  ef 
100  cavaliers.  <(  Il  y  a,  écrit-il,  une  «pianlité  prodigieuse 
de  mala«les  à  l'armée  «lu  prince  Henri  et  très  p«Mi  à  «•ell«>-ci 
(raiitiicliienue).  Il  n'en  est  pas  «le  niénu'  A  c*'Mo  des  Au- 
ti'icbiens  de  Silesi»;;  on  vu  dit  «|u'«'lle  est  pt'es«|u<'  aussi 
grande  «pui  dans  etdie  des  l*iiissi"us;  c'est  l«' scorbut  <pii 
Y  fait  biiaucoup  «le  ravag«'s.  ■>  Après  avoir  fait  in«Mition 
«les  \i  à  15.000  Autrichi«'ns  «pii  ont  re«;u  l'ordn^  de  partir 
pour  la  Silésie,  b-  français  ajoute  :  <«  Il  reste  enc«)re  ici 
k'.\  bataillons  «lont  7  «le  Croates,  'M\  eoinpagnijîs  de  g-rena- 
diers,  85  ««scadrons  «l«uit  (»  tU'  ultlans  et  8  conq)agni<îS  «le 

(1)  Miiraitiviliii   .ii  duc  de  eliitiseul,  nrcHilc,   Il   mai    \1>V>..    Archives  de 
Vieniit*. 


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384 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IX, 


carabiniers.  M.  de  Luczinskv  est  demeuré  dans  les  envi- 
rons  de  Zeitz  avec  environ  7.000  hommes.  D'après  les 
derniers  renseignementsqui  me  sont  parvenus  les  dernières 
tabelles  données  à  M.  de  Serbeiloni  fourniront  un  état 
général  de  V4.462  hommes  efrectifs  sous  les  armes,  y 
compris  les  officiers,  sans  compter  l'armée  de  l'Empire, 
dont  je  ne  sais  point  exactement  l'état  actuel,  mais  qui 
doit  passer  18.000  hommes.  » 

Dans  ces  conditions,  Serbeiloni  était  certainement  nu- 
mériquement supérieur  à  son  adversaire,  mais  par  la 
qualité  des  troupes,  il  lui  était  probablement  inférieur  et 
au  point  de  vue  de  la  capacité  militaire,  sa  médiocrité  ne 
faisait  pas  doute. 

Pour  en  linir  avec  la  comparaison  des  effectifs,  disons 
que  l'écart  entre  les  forces  rivales  quoique  encore  en  faveur 
de  l'armée  impériale  s'atténuait  beaucoup  si  l'on  tenait 
compte  de  la  neutralité  du  corps  de  Czernitchew  en  atten- 
dant  son  retour  en  Russie,  des  maladies  dont  avaient 
souffert  les  Autrichiens  pendant  l'hiver  et  du  licenciement 
d'une  vingtaine  de  mille  de  soldats  que  le  gouvernement 
de  Marie-Thérèse  avait,  par  mesure  très  inopportune 
d'économie,  renvoyés  dans  leurs  foyers.  Ces  défalcations 
faites,  l'armée  de  Daun  en  Silésie  comptait  encore  au 
commencement  de  mai  un  total  de  88.000  hommes  et 
celle  de  Serbeiloni  en  Saxe  environ  50.000  y  compris  les 
contingents  des  Cercles.  En  dépit  de  sa  brillante  lin  de 
campagne,  Laudon  avait  refusé  ie  commandement  su- 
prême et  avait  insisté  pour  qu'il  fût  conféré  à  Daun;  le 
succès  de  Schw^eidnitz  ne  lui  avait  pas  fait  pardonner  la 
faillite  de  'a  coopération  projetée  avec  les  Russes,  dont 
l'occasion  était  définitivement  perdue  depuis  les  nou- 
veaux év»  lements  de  Russie;  il  avait  accepté  de  servir  à 
la  tète  d'un  corps  d'armée  sous  les  ordres  du  généralis- 
sime. 

Peu  de  temps  après  la  mort  d'Elisabeth,   on   tint   à 


PREiMIERES  HOSTILITÉS. 


385 


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Vienne,  le  30  janvier  1762,  un  conseil  des  ministres  au- 
quel assistèrent  Daun  et  Laudon.  On  examina  les  consé- 
quences du  revirement  politique  de  la  cour  du  Nord, 
maison  se  contenta  de  prendre  quelques  précautioi  s  pour 
la  défense  de  Glatz  et  d'attendre  les  événements.  Le  i6  fé- 
vrier, en  transmettant  à  l'Impératrice  Reine  les  nouvelles 
(le  Pétersbourg,  Kaunitz  lui  écrivait  (1)  :  «  Comme  il  n'y 
a  cependant  aucune  certitude  ni  sur  le  genre  ni  sur  le 
degré  du  mal  possible,  V.  M.  ne  peut  jusqu'ici  que  ce 
qu'elle  fait,  c'est-à-dire  se  tenir  prête  à  tout  ce  qui  peut 
arriver.  »  Un  mois  plus  tard,  le  10  mars,  le  départ  de 
Czernifchew  avec  son  corps  d'armée  était  devenu  uu  fait 
accompli  et  on  avait  reçu  la  déclaration  russe  invitant  la 
cour  de  Vienne  à  suivre  l'exemple  de  Pierre  HI  et  à  faire 
la  paix  avec  la  Prusse  en  sacrifiant  ses  conquêtes.  A  cette 
invite,  on  avait  répondu  d'une  façon  évasive.  Étant  donnée 
la  mentalité  de  la  cour  de  Vienne,  les  projets  élaborés 
devaient  imposer  un  caractère  purement  défenjif  à  la 
campagne  de  1762  et  ne  viser  que  la  conservation  du 
territoire  occupé  en  Saxe  et  eu  Silésie,  et  notamment  des 
placf;S  fortes  de  Dresde  et  de  Schweidnitz. 

Les  premières  hostilités  avaient  éclaté  en  Saxe  dès  le 
mois  de  janvier,  elles  avaient  été  signalées  par  des  ef- 
forts de  la  part  des  Prussiens  pour  étendre  leurs  quartiers 
d'hiver  beaucoup  trop  resserrés.  Ces  efforts  échouèrent 
devant  la  supériorité  des  Autrichiens  ;  jusqu'au  début  du 
mois  de  mai  la  tranquillité  ne  fut  troublée  que  par  une 
petite  guerre  dans  laquelle  les  troupes  du  prince  Henri, 
composées  en  grande  partie  de  régiments  irréguliers 
mal  recrutés,  eurent,  en  général,  le  dessous.  Le  début  de 
l'année  fut  marqué  par  des  démêlés  entre  le  Uoi  et  son 
frère  le  prince  Henri.  Ce  dernier,  toujours  très  suscepti- 
ble, se  plaignait  à  la  fois  des  faibles  moyens  mis  à  sa 

(1)  Kaunit/.  à  l'Impératrice  Reine,  16  février  i'Gi.  Arciiives  de  Vienne. 

GUKUIti:   DIC   SKl'T  A^S.    —  T.    V.  25 


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386 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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disposition  et  des  sévérités  exercées  sur  les  malheureux 
Saxons  pour  leur  arracher  des  contributions  en  hommes 
et  en  argent.  Henri  ofl'rit  sous  prétexte  de  santé  une  dé- 
mission que  le  Roi  se  relusa  même  à  envisager.  «  Vous 
ne  devez  pas  vous  attendre  à  aucune  autre  réponse  de 
ma  part,  lui  écrit-il  (1),  sinon  que  je  ne  donnerai  jamais 
mon  agrément  à  ce  que  vous  y  dites  de  la  résolution 
prise,  de  laquelle  votre  honneur,  votre  réputation  et 
votre  devoir  envers  l'état  vous  doivent  faire  revenir  de 
vous-même,  d'autant  que  les  conjonctures  présentes  ne 
permettent  point  que  vous  quittiez  l'armée  confiée  à  vos 
soins.  Ainsi  je  continuerai  encore  à  vous  écrire  pour  vous 
communiquer  mes  nouvelles,  mais  non  pas  pour  entrer 
au  susdit  sujet,  w  Les  considérations  mises  en  avant 
étaient  trop  importantes  pour  ne  pas  l'emporter  et  après 
échange  de  nouvelles  lettres,  rédigées  sur  un  ton  des 
plus  acerbes,  la  démission  fut  retirée  ;  le  prince  reprit  son 
commandement  et  conduisit  contre  l'armée  des  alliés  une 
série  d'opérations  couronnées  d'un  plein  succès. 

Au  cours  de  l'hiver,  les  Autrichiens  s'étaient  employés 
à  fortifier  le  cours  de  la  .Mulda;  les  hauteurs  de  la  rive 
gauche  de  cette  rivière  avaient  été  hérissées  de  7  redoutes 
armées  de  canon  et  la  garde  de  la  ligne  avait  été  confiée 
au  général  Zettewitz  avec  3. 000  hommes,  force  insuffi- 
sante pour  garnir  une  aussi  grande  longueur  de  ter'^ain. 
Le  prince  Henri  résolut  de  mettre  à  profit  cette  circonstance 
ainsi  que  le  manque  de  vigilance  de  l'ennemi,  l'apathie 
bien  connue  de  Serbelloni  et  l'arrivée  des  premiers  ren- 
forts pour  essayer  d'abord  de  rompre  le  cordon  qui  gardait 
la  Mulda,  pour  tâcher  ensuite  de  reprendre  son  ancienne 
position  de  Freyberg  et  empêcher  les  communications 
entre  les  Autrichiens  à  Dresde  et  l'armée  des  Cercles.  Pour 

(1)  Frédéric  à  Henri,  Breslau,  15  avril  1762.  Cot  r.  Polit.,  XXI,  p.  371. 
Voir  aussi  les  lettres  de  Frédéric  des  21  et  22  avril  et  celles  du  prince 
Henri  dans  Sclioening,  vol.  III.  - 


LE  PUINCK  HENRI  l-RANCHIT  LA  MULDA. 


387 


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son  attaque,  le  prince  Henri,  qui  venait  d'être  rejoint 
par  la  brigade  Bellerbcck  venue  du  Mecklembourg,  mit 
€K  ligne  21  bataillons,  3  compagnies  de  chasseurs  et 
52  escadrons  répartis  en  4  colonnes  commandées  par  les 
généraux Seydlitz,  Kanitz,  Stutierheim  l'ainé  et  le  colonel 
Kleist.  Vers  minuit  le  12  mai,  les  Prussiens  se  rapprochè- 
rent des  bords  de  la  rivière  et  attendirent  le  signal  pour 
la  franchir,  mais  quelques  minutes  avant  le  moment  fixé, 
les  avant-postes  autrichiens  découvrirent  la  tête  de  la 
colonne  Kleist  et  ouvrirent  le" feu.  Le  colonel  briis(|ua  aus- 
sitôt le  mouvement,  passa  le  cours  d'oau  sous  la  protec- 
tion de  son  artillerie,  enleva  la  redoute  qui  lui  faisait 
face  et  enveloppa  avec  sa  cavalerie  le  village  de  Luttdorf 
où  il  captura  un  bataillon  presque  entier,  deux  canons  et 
le  général  Zettwitz  lui-même.  Averti  par  la  fusillade,  le 
prince  Henri  fit  avancer  les  autres  colonnes  qui  passèrent 
la  Mulde  à  gué  ou  par  des  ponts  improvisés,  Stutterheim 
près  de  Ziegra,  Seydiitz  aux  abords  de  Dobeln.  Les  Autri- 
chiens furent  successivement  chassés  de  leurs  retranche- 
ments avec  perte  de  canons  et  de  force  prisonniers. 
L'affaire  leur  coûta  en  prisonniers  seuls  :  1  général,  V4  of- 
ficiers et  1.436  soldats.  La  perte  des  Prussiens  en  tués, 
blessés  et  manquants  ne  fut  que  de  2  officiers  et  Gl  hom- 
mes. Le  passage  de  la  Mulde  avait  été  secondé  par  les 
démonstrations  de  Hulsen  et  de  Forcade. 

Les  débris  du  corps  battu  se  réfugièrent  à  Freyberg  où 
ils  rejoignirent  le  général  Maquire,  qui  se  sentant  menarc' 
par  un  mouvement  de  Hulsen  et  Forcade,  ne  tarda  pas  î 
évacuer  cette  ville  et  à  se  rabattre  sur  Dippoldiswalda. 
Scrbelloni,  qui  ne  s'attendait  pas  à  cette  attaque,  fut  telle- 
ment ému  qu'il  en  perdit  la  tôte  ;  non  seulement  il  ne  tenta 
rien  pour  réparer  l'échec  de  son  lieutenant  et  laissa  le 
16  mai  presque  sans  opposition  le  prince  Henri  établir 
son  quartier  général  à  Pretzschendorf  entre  Freyberg  et 
Dippoldiswalda,  mais  il  parla  d'abandonner  Dresde.  «  Ce 


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388 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP,  IX. 


général,  écrit  l'ambassadeur  Cliatelet  (1),  mande  à  l'Im- 
pératrice en  date  du  16  à  3  heures  du  matin,  que  le 
prii  ce  Henri  marchait  à  lui  de  tous  côtés  à  la  tète  de 
/|.0.()()0  hommes,  qu'il  l'avait  même  déjà  tourné  par  sa 
gauche,  ayant  poussé  ses  troupes  jusqu'à  la  hauteur  d'Al- 
tenberg.  M.  de  Serbelloni  prétend  en  môme  temps  avoir 
des  nouvelles  que  les  Prussiens  ont  construit  un  pont 
près  de  Meissen,  en  sorte  qu'il  parait  craindre  d'être 
tourné  en  même  temps  par  sa  droite  et  par  sa  gauche. 
Il  marque  en  conséquence  que,  s'il  en  a  le  temps,  il 
passera  l'Elbe  dans  la  journée  du  16  ou  pendant  la  nait 
suivante,  et  qu'il  se  mettra  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve 
en  abandonnant  Dresde  à  ses  propres  forces.  Ce  général 
ajoute  que  le  commandant  de  cette  place  lui  demande 
12.000  hommes  pour  la  défendre,  mais  qu'il  pense  que 
8.000  doiventlui  suffire,  d'autant  qu'il  y  avait  peu  d'ap- 
parence si  l'ennemi  poussait  sa  pointe  vigoureusement 
qu'on  pût  parvenir  à  préserver  Dresde  d'être  pris  et  à  en 
retirer  la  garnison.  En  effet,  si  M.  de  Serbelloni  exécute 
le  funeste  projet  de  passer  l'Elbe,  l'entrée  de  la  Bohême 
sera  ouverte  aux  Prussiens,  tous  les  magasins  de  l'armée 
autrichienne  seront  pris  ou  détruits  et  elle  se  trouvera 
bientôt  elle-même  dans  la  nécessité  absolue  de  passer  les 
montagnes  pour  chercher  des  subsistances,  n'y  ayant 
qu'un  seul  magasin  de  passage  à  Zittau  dont  l'armée 
pourra  au  plus  vivre  six  jours,  vous  sentez  à  quel  point 
on  doit  être  affecté  ici  d'une  résolution  aussi  subite  et 
aussi  funeste.  On  est  effrayé  de  la  facilité  avec  laquelle 
M.  de  Serbelloni  semble  disposé  à  abandonner  des  posi- 
tions qu'on  a  toujours  regardées  comme  inexpugnables. 
On  m'assura  hier  que  M.  de  Serbelloni  aurait  ordre  de  se 
faire  battre  plutôt  que  d'abandonner  le  camp  de  Flauen  ; 
mais  il  est  incertain  que  cet  ordre  lui  arrive  à  temps,  et 

(1)  Chalelet  à  Soubise,  Vienne,  20  mai  1712.  Archives  de  la  Guerre. 


SERHELLOM  BLOQUÉ. 


389 


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s'il  sera  capable  de  remettre  'a  tète  de  ce  j^énéral,  qui 
parait  avoir  été  absolument  tournée.  » 

A  partir  du  milieu  de  mai,  l'objectif  du  prince  Henri 
fut  de  bloquer  l'armée  de  Serbeiioni,  et  de  forcer  ce 
général  à  restreindre  son  action  à  la  défense  de  Dresde 
et  du  camp  de  Plauen.  A  cet  effet,  les  Prussiens  prirent 
position  depuis  Frauenslein  dans  les  montagnes  jusi|u'à 
Constappel  sur  l'Elbe,  entre  Meissen  et  Dresde;  leurs 
avant-postes  gardaicit  la  rive  du  Wilde-Weistritz,  la 
forêt  de  Tharand  jusqu'aux  environs  de  Wilsdruf  où  ils 
avaient  construit  des  retranchements.  Cette  longue  ligne 
quoique  bien  munie  d'artillerie,  arme  dans  laquelle  les 
Prussiens  avaient  la  supériorité,  aurait  pu  être  forcée  par 
un  adversaire  plus  entreprenant  que  Serbeiioni,  mais 
ceiui-ci,  bien  déterminé  à  rester  sur  la  défensive,  se  con- 
tenta de  demander  un  nouvel  etfort  à  l'armée  des  Cer- 
cles. A  la  suite  du  combat  de  Dobeln,  Stolberg  s'était 
retiré  à  Zwickau  où  le  prince  Henri  le  fit  suivre  par  Bau- 
demer  avec  un  détachement  mixte.  Le  général  prussien 
outrepassa  ses  ordres  et  poussa  jusqu'à  Chemnitz. 
Stolberg  appela  à  lui  les  généraux  Kleefeld  et  Luczinski, 
attaqua  Baudemer  et  l'obligea  à  se  retirer  en  lui  infli- 
geant une  perte  d'environ  1.000  prisonniers  et  de  5  ca- 
nons. 

A  la  nouvelle  de  cet  échec,  le  prince  Henri  détacha  con- 
tre les  vainqueurs  des  renforts  sous  les  ordres  du  général 
Kanitz  flanqué  du  major  Anhalt  à  titre  de  conseiller  mili- 
taire. Entre  les  deux  partis,  il  n'y  eut  d'engagement  de 
quelque  importance  (ju'une  attaque  dans  la  nuit  du  1"'  juin 
dirigée  par  les  généreux  Maquire  et  Bultlar  contre  le  colo- 
nel (promu  général)  Kleist  qui,  très  inférieur  en  nombre, 
fut  forcé  de  repasser  la  Wilde-Weistritz.  Les  Autrichiens 
qui  s'étaient  également  portés  contre  Hulsen  à  Grumbach, 
ne  poussèrent  pas  à  fond  leurs  avantages  et  chacun  rega- 
gna ses  positions.  La  petite  guerre  continua  jusqu'à  la 


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390 


LA  GUEHHE  DE  SEPT  ANS. 


Cil  A!'.  l.\. 


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mi-juin.  Uenlorcé  vers  cette  date  par  la  cavalerie  de  Belling 
que  la  paix  conclue  avec  la  Suède  rendait  disponible,  le 
prince  Henri  envoya  Seydlitz  à  la  tête  d'une  division  com- 
biner avec  Kanitz  confre  les  Impériaux  une  opération  qui 
eut  le  résultat  «le  leur  faire  abandonner  le  territoire  de  la 
Saxe.  Le  17  juin,  Stolberg  avait  reculé  jusqu'en  Fran- 
conie;  Klecfeld  étaità  llof  et  Luczinski  à  Ascii.  Ils  y  furent 
suivis  par  Seydlitz  et  Belling.  La  retraite  de  l'armée  des 
Cercles  décida  Serbelloni  A  sortir  de  son  inaction  et  à  ten- 
ter vers  la  fin  de  juin,  à  liraunsdorf,  contre  l'extrémité 
des  lignes  prussiennes  appuyée  à  l'Elbe,  une  attaque  qu'il 
dirigea  en  personne,  mais  qui  ne  fut  pas  poussée  à  fond 
et  A  liiquelle  le  canon  du  piince  Henri  le  fit  renoncer. 
Quelques  jours  après,  les  Prussiens,  beaucoup  plus  actifs 
et  entreprenants,  firent  une  incursion  en  Bohème.  Kleist, 
qui  fut  chai'gé  de  l'opération,  déboucha  de  Freyberg  avec 
une  colonne  volante,  entra  en  Bohème  le  1"  juillet,  eut 
quelques  succès  partiels,  leva  des  réquisitions,  s'empara 
de  magisins  et  jeta  l'a  larme  dans  la  province.  Il  fut  rap- 
pelé en  Saxe  pour  s'opposer  à  un  retour  de  Stolberg  <jui 
sur  les  ordres  réitérés  de  son  chef  s'efforçait  de  rentrer 
dans  l'électorat.  L'attitude  résolue  de  Seydlitz  et  l'appro- 
che de  Kleist  mirent  fin  aux  velléités  agressives  des  Impé- 
riaux. L'armée  des  Cercles  reprit  le  chemin  de  la  Fran- 
couic;  le  24  juillet,  elle  était  campée  aux  environs  de 
Bayreuth  attendant  l'attaque  des  Prussiens,  qui  d'ailleurs 
ne  se  produisit  pas.  Seydlitz,  avisé  de  la  révolution  de 
Bussie,  avait  cru  prudent  de  se  rapprocher  du  prince 
Henri;  aussi  après  une  poursuite  qui  n'avait  pas  dépassé 
Hof,  éfait-il  retourné  le  27  juillet  à  Zwick  ;  Kleist  était 
rentré  à  Friedberg. 

Bevenu  le  V  juillet,  Kleist  avait  été  dépêché  une  seconde 
fois  en  Bohème;  il  s'y  était  heurté  à,  un  détachement  des 
troupes  du  général  Blouquet  que  Serbelloni  avait  envoyé 
pour  la  défense  de  la  Bohême.  H  y  eut  une  renconuc  où 


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PETITE  fiUERHE  EN  SAXK  ET  EN  HOIIKME. 


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les  Prussiens  firent  k  leur  adversaire  plus  de  300  prison- 
niers et  ne  perdirent  que  100  hommes. 

Le  séjour  de  Seydiitz  et  de  Kleist  en  Saxe  ne  fut  pas  de 
longue  durée;  le  1"  aoiU,  ils  étaiont  tous  les  deux  de 
retour  on  Bohême  et  elïectuaient  leur  jonction  k  .lohns- 
dorf  ;  le  soir  mémo  ils  furent  rejoints  par  Kanitz  devant 
la  ville  de  Dux.  A  en  croire  quelques  récits  (1),  la  cava- 
lerie autrichienne  qui  y  était  campée  était  des-sellée, 
l'infanterie  était  dans  ses  tentes  quand  Tévcil  fut  donné 
par  quelques  patrouilles  poursuivies  par  l'avant-garde  de 
Kleist.  Ce  dernier  aurait  proposé  A  Seydiitz  de  profiter 
de  la  surprise  pour  tomber  sur  l'ennemi  en  désarroi,  mais 
ce  général  aurait  refusé  d'atiaipier  avant  la  v<mue  de 
l'infanterie.  Pendant  la  nuit,  le  prince  Lowensiciii,  qui 
commandait  les  Autrichiens,  évacua  la  position  de  Dux 
pour  en  prendre  une  plus  avantageuse  à  Teplilz;  grAce 
à  la  capture  d'un  courrier  prussien,  il  fut  mis  au  courant 
de  l'attaque  projetée,  put  prendre  ses  mesures  et  deman- 
der des  secours  à  son  collègue  Maquirc  à  Dippoldiswalda. 
Un  combat  très  sanglant  s'engagea  pour  la  possession 
des  hauteurs  de  Kradrob,  qui  prises  et  reprises  plusieurs 
fois,  restèrent  en  définitive  «'ntre  les  mains  des  >  jtrichiens  ; 
la  perte  fut  à  peu  près  égale  de  part  et  d'autre.  Les  deux 
petites  armées  gardèrent  leurs  pof^ilions  jusqu'au  5,  date 
à  laquelle  arriva  un  ordre  de  rappel  du  prince  Henri. 
Pendant  le  mois  d'août,  la  petite  guerre  se  poursuivit  sur 
la  frontière  de  Saxe  et  de  Bohème  entre  Belliug  et  des 
détachements  autrichiens  et  impériaux.  Le  général  Bclling 
cherchait  à  inquiéter  le  prince  Stolberg  et  à  retarder  sa 
jonction  avec  Serbelloni,  mais  il  n'était  pas  assez  fort  ])our 
atteindre  ce  but.  Le  prince  sur  l'ordre  réitéré  de  son  chef 
partit  de  Hof  le  18  août,  après  y  avoir  laissé  un  détache- 
ment, et  poursuivit  sa  route  par  la  Bohême  jusqu'à  Dresde 

(I)  Gesrhichle   des   siebenjahrigcn   Krieges.  Olficieren  des  groszen  gene- 
ralslats,  Vol.  VI,  p.  97. 


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LA  C.UEnRE  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  I.\. 


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OÙ  il  parvint  le  7  septembre;  d'autre  part  un  contin- 
gent important  des  forces  de  l.<)vvenstein  était  venu  re- 
joindre le  quartier  général  autrichien  et  la  division  Bru- 
nian  ;'i  Altenl)(M•j^^  Ce  l'ut  ce  niônie  7  septeinl>re  qu'arriva 
à  Dresde  le  général  Hadick  (jui  avait  été  désigné  pour 
remplacer  Serbelloni  à  la  lèle  de  l'armée  de  Saxe.  Celui- 
ci,  en  eflet,  en  butte  aux  reproches  de  la  cour  de  Vienne 
Tort  mécontente  des  incursions  de  l'ennemi  en  Uohéme 
et  des  souHiances  qui  en  résultaient  pour  la  province, 
avait  envoyé  sa  démission  qu'on  s'était  empressé  d'accep- 
ter. 

Il  faut  le  reconnaître,  Iç  rôle  du  feld-maréchal  n'avait 
pas  été  brillant;  n(m  seulement  il  n'avait  pas  su  profiter 
de  sa  supériorité  numérique  pour  gagner  du  terrain  en 
Saxe,  mais  il  n'avait  pas  pu  conserver  la  position  si  forte 
de  Freyberg,  indispensable  pour  couvrir  la  IJolième;  il 
avait  suffi  de  l'échec  de  Zettwitz  sur  un  point  du  cordon 
de  la  Mulde  pour  l'abandon  de  Freyberg,  alors  qu'il  aurait 
été  possible  à  Maquire  de  s'y  maintenir  s'il  avait  été  sou- 
tenu. Dans  l'attaque  des  lignes  prussiennes  t\  Baunsdorf, 
Serbelloni  se  montra  sans  énergie,  et  il  en  fut  de  même 
pour  les  mesures  qu'il  prit  pour  repousser  les  incursions 
de  Seydlitz  et  de  Kleist.  il  est  tout  à  l'honneur  du  prince 
Henri  d'avoir  deviné  la  faiblesse  et  l'indécision  de  son 
adversaire  et  d'avoir  su  user  contre  lui  de  manœuvres 
qui  avec  un  général  plus  actif  eussent  été  risquées. 

Il  convient  de  passer  maintenant  en  Silésie,  où  la  cam- 
pagne ne  s'ouvrit  que  vers  la  fin  de  mai;  Frédéric  avait 
tout  intérêt  à  ne  pas  précipiter  les  événements  qui  se  pro- 
nonçaient chaque  jour  en  sa  faveur.  \)cs  la  tin  de  janvier, 
le  commandant  de  l'armée  russe  Butturlin  avait  été  rap- 
pelé et  remplacé  par  Soltikolf;  il  était  question  de  l'é- 
change des  prisonniers;  le  18  mars,  3Iesnager  (1)  annonce 

(1)  Mesnagcr  au  duc  de  Choiseul,  .Marienburg,  18  mars  1762.  Archives  de 
la  Guerre. 


OPKUATIONS  EN  SILf.SIE. 


SOS 


le  renvoi  de  .'18(>  oi'liciers  et  Ô.TOO  sous-officiei's  et  soldats 
prussiens;  le  JO avril,  Hessncr,  l'altaché  Iranrais à  l'armée 
suédoise,  rapporte  un  armistice  de  -2  mois  avec  les  Prus- 
siens et  des  pourparlers  pour  la  restitution  récipnxjue  des 
prisonniers;  enlin,  le  corps  de  Gzernitcliew  se  sépare 
des  Autrichiens  le  2V  mars,  passe  l'Oder  à  Steinau  le  .'JO 
et  continue  sur  Tliorn.  Ce  départ  l'ut  le  signal  de  <elui  du 
général  autrichien  Fine  cpii  Jusqu'alors  avait  continué  ses 
fonctions  au  quartier  K^n<^'i'al  russe,  malgré  l'accueil  peu 
encourageant  de  Soltikoll'. 

Frédéric  ne  fut  lixé  définitivement  sur  les  conséquences 
du  revirement  de  la  politi(pie  russe  que  par  l'armistice 
du  15  mare  avec  la  puissance  du  Xord  et  par  une  conven- 
tion semblable  conclue  avec  la  Suède  le  7  avrd  sui- 
vie bientôt  par  la  paix  signée  à  Hand)ourg  le  '2-2  mai. 
Ce  ne  l'ut  (ju'à  partit-  de  ces  dates  ([u'il  put  rappeler  ses 
troupes  de  la  Poméranie,  renforcer  son  armée  des  pri- 
sonniers rendus  et  des  recrues  levées  dans  les  territoires 
évacués  par  l'ennemi  de  la  veille;  d'autre  part,  les  négo- 
ciations entamées  avec  la  Porte  et  le  Khan  de  Crimée  ne 
pouvaient  se  traduire  par  une  intervention  active  avant 
la  fin  du  printemps.  Si  le  temps  travaillait  pour  la  Pru«se, 
il  n'en  était  pas  de  même  pour  l'Autriche  qui,  abandonnée 
par  la  Uussie,  n'avait  plus  à  compter  que  sur  ses  seules 
forces  et  que  sou  intérêt  devait  pousser  à  profiter  d'une 
supériorité  numérique  qui  ne  durerait  pas  longtemps.  Il 
n'en  fut  rien  et  la  tactique  défensive  triompha  dans  les 
conseils  de  l'Impératrice  Heine. 

Aussitôt  les  mains  libres  du  côté  des  llusses,  Frédéric 
lança  les  premiers  ordres  pour  la  concentration  de 
ses  troupes.  Le  prince  de  Vurtemberg  fut  prévenu  (1) 
que  son  corps  réparti  entre  les  armées  de  Saxe  et  de 
Silésie  devrait  se  mettre  en  route  vers  le  15  avril.  Werncr 

(1)  Frédéric  à  Wurlemltcrg,  Dreslau,  4  et  1o  avril  t762.  Corr.  Polit., 
\o\.  XXI. 


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394 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  -  CHAP,  IX. 


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fui  cliai'^t';  (le  corulnii'i'  «mi  Maut«!-Sil«''sio  une  division 
forte  (lo  7  bataillons,  -2  régiments  «le  cavalerie,  12  canons 
et  ohusiers  «leslinée  à  se  Joindre  i'i  une  troupe  de  r».()00  Car- 
tares  et  il  envahir  de  concert  la  Hongrie;  les  instructions 
de  ce  général  (1)  lui  enjoignaient  de  laisser  piller  ces 
auxiliaires  vX  de  liri^ler  les  villages  i\  proximité  de  Vienne, 
de  piéférence  ceux  appartenant  aux  gens  le  plus  en  vue, 
de  manière  à  répandre  j>artont  l<i  terreur  et  le  désarroi. 
La  dépense  devait  être  soldée  en  monnai(!  dépréciée, 
mais  les  contributions  à  lever  sur  les  habitants  seraient 
ac([uiltées  en  bon  argent.  Kn  ce  (jui  concerne  la  coopé- 
ration avec  les  puissances  musulmanes,  celles-ci  ((u(!  les 
agents  de  Frédéric  avaient  cherché  lï  entraîner  conf.re 
l'Autriche  et  la  Russie,  comprenaient  mal  la  nouvelle  at- 
titude de  la  Prusse  <'t  le  désir  du  lloi  de  les  voir  renonce," 
à  toute  hostilité  contre  la  llussie  et  à  concentrer  leurs 
ell'orts  contre  l'Autriche.  De  là  des  hésitations  (jiie  Fré- 
déric essayait  de  surmonter  en  distribuant  des  largesses 
aux  conseilleurs  de  la  Porte  et  du  Khan.  Dans  une  dépê- 
che (2)  A  Rexin,  son  agent  à  Constantinople,  Frédéric  fait 
valoir  l'avantage  pour  la  Porte  de  la  neutralité  que  le 
Tzar  s'engage  à  observer  en  cas  d'invasion  de  la  Hon- 
grie :  pour  la  puissance  ottomane  s'oll're  une  occasion 
unique  de  recon([uérir  les  territoires  perdus.  Il  lient  le 
même  langage  (3)  à  Boscanqi  son  résident  en  Crimée. 
Mais  pour  la  campagne  qu'il  va  entamer,  le  roi  de  Prusse 
peut  compter  sur  des  alliés  plus  sûrs  et  plus  proches;  il 
vient  de  recevoir  de  Pétersbourg  le  20  mai  le  traité  de 
paix  avec  la  Russie  et  la  promesse  de  la  coopération  d'un 
corps  auxiliaire  de  20.000  hommes  qui  se  joindra  <à 
l'armée  prussienne,  sans  môme  attendre  la  conclusion  de 
l'alliance  qui  est  en  voie  de  préparation.  Dans  ces  con- 

(1)  Frédéric  à  Werner,  Breslaii,  13  avril  17(12.  Corr.  Polit.,  XXI,  p.  .167. 
{•>)  Fr»5déric  à  Rexin,  Betllerii,  21  mai  1762.  Corr.  Polit.,  XXI,  p.  459. 
(3)  Frédéric  à  Boscamp,  Belllern,  21  mai  1762.  Corr.  Polit.,  XXI,  p.  460. 


CONnKNTUATION. 


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clitions,  il  «'tait  t<*ni|)s  «le  commencer  les  liosliliU^s.  Le 
qunrti«M' ncnérnl  royal  vint  s'«'îliil)lii'  le  10  mai  au  villaj^e 
de  lii'lilei'M,  dans  le  voisinaj;;:e  de  Itnislau;  dcji\  Mann  avait 
pris  les  devants;  avec  le  gn»s  de  ses  troup<!s,  environ 
4^0.000  honinioH,  il  était  campé  à  Knnzendorf  sur  les 
monlaj^ties,  avec  les  7.000  hommes  de  Hrentano  en  avant- 
finrde  sur  le  Zohtenherg;  l^audon  avec  une  vinj^fainc^  de 
mille  comhatlunts  entre  Sill)el■l)erJ^•  NVartiia.  Helllorn, 
avec  10.000  aux  environs  de  .laogerndorf.  l-rédéiic  éva- 
luait l'arniéi^  autrichienne  h  h20  bataillons  et  à  plus  de 
îj'2  réf^iments  <le  cavalerie;  «  le  maréchal  haun(l)  s'est 
mis  i\  l'heure  qu'il  est  sous  la  toile;  mais  pour  moi, 
écrit  le  Uoi,  je  continue  à  faire  encore  cantonner  mes 
troupes,  de  façon  néanmoins  qu'elles  se  lr<»uvent  fort 
resserrées  et  à  porlée  côlre  assemblées  en  quel([ues 
heures  de  temps.  La  position  de  l'armée  ennemie  est  pour 
le  présent  entre  le  Zobtenherg"  et  la  Schwcidnit/  Was- 
ser  ». 

Dès  les  premiers  Jours  de  mai,  Daun  avait  entrepris 
une  tournée  d'inspection  des  troupes  et  des  garnisons  u«; 
Silésie;  il  rend  compte  à  l'Impératiice  (2)  :  Qu'il  a  trouvé 
la  forteresse  de  Glatz  en  très  bon  état  ;  gnVce  aux  tra- 
vaux exécutés,  sa  valeur  défensive  est  doublée;  sur  l'avis 
du  gouverneur  Geisrug  et  de  l'ingénieur  (Jribauval,  il 
propose  quelques  améliorations  qui  ne  coiUeront  que 
28.000  florins.  De  (îlatz  il  est  allé  au  col  de  Wartlia  où 
on  est  en  train  d'achever  et  de  perfectionner  les  ouvrages 
de  campagne.  Le  général  Draskowicz  est  chargé  du  com- 
mandement des  troupes  cantonnées  à  NVartha  et  au  Sil- 
berberg.  A  Peterswalde,  il  a  rencontré  Laudon  à  qui  il  a 
remis  la  surveillance  de  ce  district.  Le  général  prussien 
Werner  vient  d'être  détaché  dans  la  llaute-Silésie  avec 


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(1)  Fiéiléric  à   Ferdinand,  ndllein,   19   mai    17G2.    Con:   Polit.,   XXI, 
p.  4'i7. 

(2)  Daun  à  l'Impératrice,  Keussendorf,  11  mai  17(>2.  Arciiives  devienne. 


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LA  GUEUHK  UE  SEPT  ANS. 


CHAI'.  IX. 


8  à  10.000  hommes;  Bock  lui  sera  opposé  avec  les  forces 
aux  ordres  de  Bethlem.  Le  9  mai,  continuant  son  voyage, 
Daun  i'econn?'ll  le  mont  Zoltcn  et  ses  abords  et  va  coucher 
à  Schweidnitz.  Dans  les  régiments  inspectes,  il  reh'jvc 
l)eauc()up  de  malades,  plusieurs  corps  en  ont  pUis  de 
1,000  et  «  }.j  nombre  s'en  accroît  de  .'10  à  40  pai- Jour,  si 
bien  qu'il  y  a  plus  de  10.000  malades  daus  cette  arinée  ». 
Depuis  le  mois  de  novembre  jusqu'ù  avril  dernier,  «die  a 
eu  3.500  décès  que  les  médecins  «  attribuent  uniquiMnent 
à  ia  très  mauvaise  saison  passée  ».  La  forteresse  de 
Schweidnitz  a  été  fort  améliorée  ^râce  à  l'activité  du 
gouverneur  et  de  l'iugénieur  et  malgré  les  mois  d'hiver 
pendant  lesquels  il  a  fallu  travailler. 

Quatre  jours  plus  taitl  son  rapport  à  l'Iiapératrice  est 
daté(l)  de  Krat/.kau  au  pied  du  mont  Zobteu  :  le  gros 
de  l'armée  a  quitté  les  montagnes  et  s'est  établi  dans  la 
plaine  de  Schweidnitz  à  2  heures  de  marche  de  la  place. 
Les  généraux  Kllrichshausen  et  Drentano  qui  étaient  pos- 
t'  il  la  gauche  et  -X  la  droite  de  la  montagne  avaient 
placé  leuis  avant- postes  de  manière  à  surveille  l'ap- 
proche d'une  attaque  de  l'ennemi,  «  que  pour  mon  compte 
je  désire  plus  que  j'espère  ». 

Daun  revient  sur  les  cU'ectifs  et  l'état  sanitaire  desquels 
il  n'est  rien  moins  que  satisfait  :  plusieurs  régiments 
qu'il  vient  d'inspecter  ne  peuvent  former  plus  d'un  ba- 
taillon; ils  ont  au  moins  000  à  700  malades  en  partie 
du  scorbut,  consé(ju(mce  de  cantonnements  trop  étroits 
dans  de  mauvais  villages.  Le  pire  est  que  le  nombre  des 
malades  augmente  tous  les  jours;  «  depuis  mon  arrivée 
il  croit  d'environ  200  par  jours.  La  cavalerie,  ou  tout  au 
moins  les  hommes,  ont  bon  air,  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  des  chevaux  qui  ont  soulî'crt  du  manque  de  foin 
et  de  paille.  Les  cuirassiers  ne  sont  pas  au  complet  ». 

(t)  Paun  à  rim|iératrice,  Kial/kau,  1.")  mai  1762.  Archives  de  Vienne. 


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RAPPORT  DE  DAIJN. 


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Uion  de  nouveau  du  côl6  de  l'ennemi  qui  conserve  srs 
posilions  autour  de  Hrcslau.  Le  18  on  apprend  au  (juar- 
tier  général  de  l'armée  de  Silésie  l'intention  d(^  Serhei- 
loni  de  passer  l'Klbe  et  d'abandonner  ses  positions  de 
Dresde  et  de  iMauen.  (Jl^'^nd  émoi  de  Hann  qui  arrête 
Stampa  en  marche  pour  lejoindre  les  troupes  de  Silésie. 
En  lait  de  nouvelles  de  l'ennemi,  il  n'a  appris  qu'un 
mouvement  du  Uoi  sur  Grunhubel  ;t  Sclieywick,  sans 
doute  une  reconnaissance. 

Dans  une  lettre  confidentielle  à  Marie-Thérèse  du 
25  mai  (1),  c'est-à-dire  de  la  môme  époque,  le  feld-ma- 
réchal  se  montra  fort  abattu.  Il  a  été  consulté  sur  le  rem- 
placement de  Serbelloni.  «  Le  mal  étant  déjà  au  point 
que  pnisqu'il  n'en  peut  devenir  pis,  je  crois  qu'il  vaudrait 
tout  autant  laisser  les  choses  telles  qu'elles  sont,  n'étant 
presque  pas  possible  qu'il  puisse  être  forcé  ii  Dipol- 
disvvalde  ni  à  Dresde,  pour  peu  qu'il  reprenne  de  leur 
«  triomarolîe  »  (sic)  ce  qui  doit  être  à  l'heure  (ju'il  est. 
En  cas  de  changement  Lascy  serait  toujours  le  meilleur, 
mais  Ma(|uire  VVied  et  Lobenstein,  tout  déviait  partir.  La 
même  chose  devrait  se  faire  par  rapport  de  Laudon, 
lequel  j'ai  sondé  sans  dire  d'en  être  chargé;  il  m'a  parlé 
naïvement,  qu'il  ne  se  trouverait  jamais  en  état  de  l'ac- 
cepter et  qu'il  rendait  grâce  au  Seigneur  d'être  déchargé 
du  fardeau  du  commandement,  que  pour  de  la  sorte  il 
sera  toujours  prêt  à  servir  où  l'on  voudi-a,  mais  point  de 
comnandemont  à  part.  Voilà  comme  Lascy  dira  de  même 
et  il  ne  l'accepterait  jamais,  moyennant  quoi  je  ne  saurais 
en  vérité  en  nomi?'er  d'autres.  Nous  sommes  dans  la 
triste  situation  de  n'avoir  pas  un  seul  homme  avec  les 
qualités  rccpiises  pour  le  commandement  d'un  corps  et 
encore  moins  d'une  armée.  » 


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(1)  Daiiii  à  Mario-Tliérî'sc,  2(1  tnai  \'W..  Arcliives  de  Vienne.  —  telle 
lettre  est  éciileiiutilié  en  allemand,  inoili»^  en  franeais.  Nous  avons  conserve 
autant  que  iiossilile  les  expressions  et  la  construelion  du  texte  franr.iis. 


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398 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


De  ces  points  particuliers,  Daun  passe  en  revue  la 
situation  que  créera  à  l'Autriche  la  coopération  des  Rus- 
ses avec  l'armée  prussienne,  dont  le  bruit  court  à  Bres- 
lau.  Il  vient  d'apprendre  que  la  paix  entre  la  Prusse  et  la 
Russie  a  été  proclamée  à  Breslau  et  qu'un  corps  auxi- 
liaire de  30.000  Russes  va  se  joindre  à  l'armée  de  Fré- 
déric. «  Je  me  flatte  que  ce  ne  sera  que  leur  ruse  ordinaire, 
car  si  cela  serait  vrai  une  iiivasion  et  destruction  totale 
dans  la  Moravie  serait  presque  inévitable,  et  si  jamais  un 
pareil  corps  irait  à  l'armée  des  alliés,  les  Français  seraient 
bientôt  passé  le  Rhin;  et  qui  pourrait  alors  empocher 
que  la  Bohème  ne  subisse  le  même  sort  si  un  corps  d'ar- 
mée se  porte  du  côté  d'Eger,  sans  faire  mention  s'il  y 
aurait  du  sujet  à  craindre  par  rapport  aux  infidèles,  qui 
jusqu'à  présent  ont  été  bien  plus  fidèles  que  les  Chrétiens. 
En  faisant  toutes  ces  réflexions,  il  paraîtrait  presque 
qu'une  mauvaise  paix  serait  encore  préférable  à  devoir 
l'avoir  entièrement  à  la  discrétion  de  l'ennemi,  ce  qui 
pourrait  arriver  si  nos  pays  en  seraient  envahis....  Cela 
est  parler  en  noirceur,  il  faut  espérer  le  meilleur  ainsi  à 
pouvoir  éviter  l'un  et  l'autre  de  si  haut  mentionnés  maux 
(sic).  Mais  quand  on  pense  deux  compagnies  de  moins 
par  régiment,  ainsi  le  bataillon  de  garnison  formé  seule- 
ment de  4  compagnies  pour  la  plupart  demi  invalides  et 
recrues.  Il  en  est  de  même  pour  la  cavalerie,  pour  la- 
quelle le  fourrage  n'est  assuré  *jue  jusqu'à  fin  juin  et 
cela  dans  un  pays  qui  n'est  presque  pas  cultivé.  Ajoutez 

à  ces  circonstances  la  disette  d'argent Voilà  ce 

qui  fait  quelquefois  tomber  dans  le  ;3plcen,  ce  qui  est  une 
mauvaise  maladie  qu'il  faut  chasser  avec  des  prompts  et 
solides  remèdes.  Je  voudrai  bien  avec  mon  sang  et  ma 
vie  pouvoir  les  apporter  pour  seulement  soulager  V.  M.  » 

Entre  temps,  la  diversion  des  Tartares  prenait  forme; 
le  Khan  avait  eu  une  longue  conférence  avec  Roscamp,  il 
formulait  ses  exigences  à  l'égard  de  la  Russie  et  laissait 


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FIIEDERIC  ECIUT  A  HENRI. 


399 


prévoir  l'entrée  en  campaj^ne  d'une  division  qui  unirait 
son  action  à  celle  de  Werner  pour  une  diversion  en  Mora- 
vie. Frédéric,  toujours  optimiste  quand  il  écrivait  à  son 
frère,  se  voyait  déjà  niaitre  (1)  avant  l'hiver  d'Olmutz  et 
son  frère  de  Dresde  et  de  Prague.  Dans  son  plan  d'opé- 
rations, une  grande  part  était  faite  à  la  coopération  des 
Tartares.  «  J'ai  ici  82.0Q0  (2)  l.ommes  contre  moi,  je  n'en 
ai  que  76.000.  Ce  ne  serait  nas  ce  qui  m'embarrasserait, 
mais  une  suite  de  nos  malheurs  passés  a  donné  aux  enne- 
mis la  facilité  d'occuper  tous  les  postes  avantageux.  A 
moins  de  vouloir  hasarder  étourdiment  sa  fortune,  il  ne 
faut  pas  songer  à  les  attaquer.  Reste  les  diversions.  Voilà 
donc  sur  quoi  mon  plan  se  fonde.  Werner  partira  dans 
quelques  jours  pour  se  joindre  à  26.000  Tartares  que  le 
Kan  m'envoie  et  ce  corps  doit  agir  en  Hongrie  pour  faire 
diversion.  Le  Kan  le  suit  immédiatement  avec  100.000 
hommes.  Vous  conviendrez  qu'il  faut  de  nécessité  que 
Daun  détache  au  moins  30.000  pour  s'y  opposer;  alors 
j'envoie  le  prince  de  Bevcrn  avec  12.000  hommes  à  Cosel 
qui  fait  mine  de  pénétrer  en  Moravie.  Il  faut  donc  de 
nécessité  que  Daun  détache  au  moins  10.000  hommes 
contre  lui;  c'est  alors  que  je  marche  aux  montagnes  et 
qu'avec  le  secours  dep  Russes  je  serai  assez  fort  pour  le 
chasser  de  Silésie  et  reprendre  Schweidnitz.  Dans  tout 
ce  que  je  viens  de  vous  dire,  je  n'articule  pas  un  mot  de 
la  grande  armée  turque  qui  agira  contre  les  Autrichiens. 
Il  leur  faudra  détacher  au  moins  50.000  contre  les  Turcs 
seuls,  sans  compter  ce  qu'il  leur  faut  nécessairement 
opposet'  à  Werner.  »  En  attendant  la  réalisation  de  ces 
rêves  tant  soit  peu  chimériques,  la  conclusion  de  ia  paix 
avec  la  Suède  permettait  de  renforcer  l'armée  du  prince 

(1)  Frédéric  à  Henri,  BeUlern,  27  mai  17C2.  Correspondances  PolHiques, 
XXI,  p.  471. 

(2)  Frédéric  à  Henri,  BeUlern,  31  mai  1762,  Correspondances  Politiques, 
XXI,  p.  489. 


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LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


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Henri  do  la  brigade  de  Beliing;  d'autre  part,  l'adjudant 
de  confiance  Cocccji  fut  chargé  d'une  mission  auprès  du 
grand  vizir  qu'il  devait  rejoindre  près  de  Belgrade,  à 
reti'et  de  concerter  avec  lui  et  avec  Werner  une  invasion 
de  la  Hongrie. 

Cependant,  les  difficultés  commençaient  à  surgir;  le 
Khan,  en  dépit  des  promesses  et  des  subsides  déjà  versés,  se 
refusait  à  franchir  la  frontière  avant  de  recevoir  une  nou- 
velle subvention.  A  Constanlinople,  on  hésitait  encore; 
on  voulait  connaître  les  propositions  que  le  nouvel  en- 
voyé autrichien  Ponckler  allait  apporter;  on  se  montrait 
disposé  à  écouter  les  conseils  des  représentants  de  France 
et  du  Danemark.  L'envoyé  Delon,  qui  devait  coopérer 
avec  Rexin  et  qui  s'entendait  assez  mal  avec  lui,  considé- 
rait (1)  que  l'affaire  n'aboutirait  pas  et  que  S.  M.  ne  de- 
vait plus  y  compter  à  moins  d'un  événement  extraordi- 
naire. Le  mieux,  d'après  Frédéric,  serait  de  décider  le 
Khan  .'■  prendre  les  devants  ;  une  fois  les  hostilités  enga- 
gées, la  Porte  se  trouverait  entraînée  à  participer  au  con- 
flit ;  à  cet  effet,  Boscamp  (?-)  fut  autorisé  à  offrir  au  Khan 
«  une  somme  de  100.000  éciis  au  dehï    de  ces  40  ou 

50.000  ducats  qu'il  vous  a  déjà  demandés quoique 

toujours  à  condition  que  le  Kan  commence  incessamment 

ses  ravages  en  Hongrie \\  s'entend,  au  surplus,  de 

soi-même....  qii  vous  veillez  bien  à  ce  que  le  Kan  ne  se 
laisse  point  disposer  par  qui  que  ce  soit  d'entreprendre 
les  moindres  hostilités  contre  les  Russes  ou  la  Russie  ». 

Pendant  que  Frédéric  s'efforçait  sans  succès  à  jeter 
les  Turcs  et  les  Tartares  dans  la  mêlée  et  à  diriger 
l'action  de  ces  derniers  contre  l'Autriche  au  lieu  de  la 
Russie  leur  ennemi  naturel,  fort  heureusement  pour  lui, 

(1)  Delon  il  Frédéric,  Constantinople,  8  mai  1762.  Correspondances  Po- 
litiques, XXI,  p.  520. 

(2)  Fiédéiic  à  Boscamp,  Bettlern,  «juin  1762.  Correspondances  Politi- 
ques, Wl,  p.  510. 


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FUÉDËRIC  CHERCHE  LE  CONCOURS  EES  TURCS. 


401 


les  relations  avec  le  Tzar  devenaient  chaque  jour  plus 
intimes.  Elles  laissaient  espérer  des  résultats  certains, 
presque  immédiats;  Czernitchew  qui  à  peine  rentré  de 
l'armée  autrichienne,  '^t  maintenant  à  la  tète  du  corps 
destiné  à  servir  d'auxiliaire  au  roi  de  Prusse,  s'annonçait 
comme  devant  arriver  aux  contins  de  la  Silésie  le  24  .juin. 
A  la  date  du  10  de  ce  mois,  le  Koi  évaluait  les  forces  de 
son  frère  après  la  jonction  de  Jîellins:  et  Kalkstein  à 
44.000  hommes  à  opposer  aux  40.000  de  Serbelloni;  il 
en  ottribuait  80.000  à  Daun.  Le  duc  de  Bevern  à  peine 
arrivé  de  Stettin,  fut  aussitôt  détaché  avec  6  bataillons 
et  un  régiment  de  dragons  dans  la  Haule-Silésie.  Cette 
diversion  à  laquelle  devait  coopérer,  le  cas  échéant,  le 
général  Werner,  avait  pour  but  de  diviser  les  forces  de 
Daun  et  d'obliger  le  maréchal  à  renforcer  les  troupes 
chargées  de  la  défense  de  la  frontière  moravienne.  Du 
côté  de  la  Russie,  les  affaires  prenaient  ime  excellente 
tournure  ;  un  projet  d'alliance  défensive  avait  été  com- 
munique à  Goltz  par  le  chancelier  Woronzow  et  transmis 
au  quartier  général  du  Roi.  11  en  accusa  réception  le 
19  juin  et  le  retourna  aussitôt  avec  des  suggestions  de 
détail,  sur  lesquelles  on  n'insisterait  pas  si  leur  examen 
devait  entraîner  des  retards. 

Le  concours  du  Khan  de  Crimée  devenait  moins  intéres- 
sant et  plus  problématique.  Celui-ci  se  souciait  fort 
peu  (1)  de  s'engager  contre  l'Autriche  avec  laquelle  il 
n'avait  aucun  sujet  de  querelle,  mais  était  très  monté 
contre  la  Russie  et  ne  voulait  agir  en  Hongrie  qu'après 
avoir  obtenu  satisfaction  du  Tzar.  Or,  on  peut  s'imagi- 
ner que  Frédéric  se  garderait  bien  de  compromettre  son 
influence  en  appuyant  des  griefs  qui  lui  étaient  tout  à 
fait  indifférents.  Aussi  donna-t-il  pour  instructions  {•  son 


(1)  Boscamp  à  Frédéric,  Ohschukow,  6  juin  1762.  Correspondances  Po- 
litiques, XXI,  p.  550. 

cur.RRE  m;  sept  ans.  —  t.  v.  26 


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402 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CIIAl».  IX. 


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If"     !• 


envoyé  Boscamp,  s'il  no  pouvait  ohtenii'  mieux,  de  se  con- 
tenter du  concours  «  de  quelque  vingtaine  de  mille  Tar- 
tares  pour  les  employei'  eu  Hongrie  à  faire  des  ravages 
et  s'il  n'y  a  pas  moyen  autrement  d'y  l'éussir,  il  ne  re- 
grettera même  pas  le  sacrifice  des  50.000  ducats  >». 

La  l'évolution  de  Pétershourg,  la  déclaration  mena- 
çante que  le  Tzar  venait  de  faire  à  la  cour  de  V^ienne  et 
enfin  la  marche  annoncée  du  corps  auxiliaire  de  Czer- 
nitchew,  donnèrent  lieu  à  une  correspondance  importante 
entre  l'Impératrice  Reine  et  Daun.  Ce  dernier,  à  la  date 
du  28  mai  (1),  dit  avoir  reçu  de  Varsovie  confirmation 
des  mauvaises  nouvelles,  dont  il  avait  déjà  entendu  le 
bruit.  Le  Roi  de  Prusse  n'attend  évidemment  que  l'ar- 
rivée de  ces  auxiliaires  pour  prendre  l'offensive;  dans 
12  jours  il  aura  à  sa  disposition  90.000  hommes  en 
Silésie.  Quel  usage  en  fera-t-il?  Renforcera-t-il  le  corps 
de  Werner  en  llaute-Silésie  pour  lui  permettre  des  incur- 
sions en  Moravie  et  en  Hongrie?  ou  tentera-t-il  une 
invasion  du  comté  de  Glatz  et  de  la  Bohême  avec  VO  à 
50.000  hommes?  Dès  à  présent,  il  conseillerait  d'aug- 
menter considérablement  le  corps  chargé  de  la  défense 
des  cols  de  Wartha  et  de  Silberberg,  de  faire  rétrograder 
le  gros  de  l'armée  actuellement  campé  sur  les  versants 
du  mont  Zobten  pour  lui  faire  occuper  une  position  entre 
Hohen  Giersdorf  et  Cunzendorf;  mais,  —  et  ses  lieute- 
nants Lascy,  Laudon,  Hadick  et  O'Donnell  pensent  comme 
lui,  —  avant  de  faire  ce  mouvement,  il  faudrait  être  fixé 
sur  les  intentions  ennemies  et  recevoir  les  instructions 
de  la  Cour. 

Cette  lettre  se  croisa  avec  une  dépêche  de  l'Impératrice 
du  29,  dont  nous  donnons  un  extrait  (2)  :  «  La  nouvelle 
déjà  trop  vraisemblable  est  confirmée  par  la  lettre  du 
général  Fine   et  je  m'attends  d'heure  en  heure  à  une 

(1)  Daun  à  l'impéraliice,  Kiat/kau,  28  mai  17G2.  Archives  de  tienne. 

(2)  L'Impératrice  à  Daun,  29  mai  17C2.  Arcliives  de  Vienne. 


MARIE  THÉilESE  ECRIT  A  DAUN. 


403 


déclaration  de  la  Russie,  nie  signifiant  que  si  je  no  nie 
décidais  pas  à  suivre  l'exemple  de  la  Russie,  ù  cédei* 
toutes  les  conijuètcs  et  à  faire  la  paix  avec  la  Prusse  sana 
plus  tarder,  le  Tzar,  en  vertu  de  sa  nouvelle  alliance, 
n'hésitera  p'^s  à  secourir  le  roi  de  Prusse  avec  son  année. 
Vous  jugerez  vous-même  combien  ce  langage  autoritaire 
porte  atteinte  à  ma  dignité  et  au  respect  dû  à  mon  rang 
et  combien  cela  me  toucbe  péniblement.  Ainsi  je  me 
dois,  à  moi-même  et  à  ma  maison,  de  m'cflorcer  au  pos- 
sible que  cette  humiliation  soit  détournée,  et  que  la 
paix  avec  le  consentement  de  mes  alliés  soit  volontaire 
et  non  imposée. 

«  Il  semble  que  cela  dépend  de  3  à  k  mois  et  si  je  peux 
gagner  ce  temps  il  sera  à  espérer  avec  beaucoup  de  pro- 
babilité que  je  réussisse  t\  me  lirtT  encore  avec  honneur 
de  la  guerre  actuelle.  D'autant  plus  que  j'ai  déjà  consenti 
à  ce  que  la  France  demande  k  l'Angleterre  un  arm  stice. 
Selon  que  le  Tzar  exécutera  sa  menace,  tout  dépendra  de 
la  question  si  c'est  faisable  et  possible  de  soutenir  une 
telle  défense  et  d'empêcher  l'ennemi,  renloicé  par  30  à 
'i-O.OOO  Russes,  de  faire  l'invasion  dans  nos  propres  pays 
et  dans  le  comté  de  Glittz.  Et  si  l'on  ne  peut  empêcher 
la  prise  de  la  ville  de  Schweidnitz  par  l'ennemi,  ce  sera 
d'autant  plus  facile  à  supporter  que  je  devrais  rendre 
cette  ville  quand  même  dans  une  paix  imposée.  » 

Comment  gagner  l'automne  et  protéger  ses  états  contre 
l'invasion  des  forces  prussiennes  augmentées  de  30  à 
40.000  Russes?  Telle  est  la  question  que  l'Impératrice 
pose  à  Daun  en  faisant  appel  à  son  expérience  et  à  son 
dévoirement;  elle  ne  dissimule  pas  qu'elle  sacrihera  au 
besoin  la  défense  de  la  Saxe  à  celle  de  ses  propres  états. 
«  Je  ne  vous  cache  pas  qu'il  est  très  A  désirej'  de  maintenir 
notre  position  en  Saxe  et  surtout  à  Dr»  sde  jusqu'à  la 
paix,  mais  je  considère  que  la  défense  de  mes  propres 
pays   et  du  comté   de  Glatz    mérite    la    préférence   au 


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404 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CIIVP.  IX. 


f      . 


besoin,  et  que  je  me  déciderai  plutôt  de  quitter  Dresde 
et  le  catnp  près  Plauen  et  de  faire  prendre  un  autre  camp 
au  delà  ou  en  deçà  des  montagnes  dans  lesquclleii  mes 
frontières  seront  suflisamment  défendues  par  peu  de 
troupes  que  d'exposer  mes  pays  de  tous  cOtés  à  un  trop 
grand  danger.  Personne  ne  peut  juger  cela  mieux  que 
moi  et  je  me  promets  de  votre  empressement  au  service 
que  vous  me  prêterez  conseil  et  aide  dans  ces  moments 
critiques,  et  que  vous  me  direz  franchement  ce  qui  est 
à  faire  et  le  plus  approprié  à  ma  cause.  11  n'y  a  pas  de 
temps  à  perdre  pou    prendre  une  décision.  » 

A  la  question  posée,  Daun  répondit  le  2  juin  après 
avoir  pris  l'avis  des  généraux  Lascy,  Hadick,  Laudon  et 
O'Donnell  dans  l'opinion  desquels  il  avait  le  plus  de  con- 
fiance, qu'il  était  possible  de  maintenir  les  positions  de 
Saxe  contre  une  armée  de  60.000  hommes  et  celles  de 
Silésie  contre  100.000  ennemis.  En  conséquence,  on 
invitait  à  donner  ordre  à  Serbelloni  de  concentrer  ses 
troupes  dans  le  camp  de  Plauen  et  à  Dippoldiswalda,  de 
conserver  cette  ligne  aussi  longtemps  que  possible,  et 
de  détacher  un  corps  de  5.000  hommes  en  Lusace  dans 
les  environs  de  Gabel  et  de  Friedland  afin  de  protéger 
les  approches  de  la  Bohême. 

Pour  ce  qui  était  de  la  Silésie  la  question  se  posait  : 
devait-on  soutenir  Schweidnitz  en  campant  le  gros  de 
l'armée  derrière  la  forteresse  au  pied  des  montagnes, 
quitte  à  y  prélever  des  renforts  poui  la  Haute-Silésic  et 
la  position  de  Wartha,  ou  valait-il  mieux  laisser  dans  la 
place  une  simple  garnison  de  10.000  hommes,  en  placer 
15  à  20.000  entre  Biesdorf  et  Kungendorf  et  s'établir 
avec  le  reste  à  Wartha  (1). 

Les  généraux,  Uaun  lui-même,  penchaient  pour  la 
seconde  solution;  ♦'lie  fut  acceptée  après  quelque  hési- 


(1)  Cabinet  Schreiben  an  Daun,  5  juin  1762.  Archives  de  Vienne. 


PLAN  CONCERTE  AVEC  DAl  N. 


406 


tation  par  l'impératrice  comme  ayant  l'avantage  de 
laisser  l'ennemi  clans  le  cloute  sur  ses  projets  et  de  g-agner 
le  temps  nécessaire  pour  arriver  A  l'armistice  désiré. 

H  fut  donc  prescrit  à  Daun  de  garder  sa  position  appuyéo 
sur  le  Zohtenberg,  aussi  longtemps  qu'il  n'y  aurait  pas 
danger  imminent,  c|ue  les  Russes  n'auraient  pas  rejoint 
l'armée  prussienne  et  que  des  considérations  militaires 
n'imposeraient  pas  une  autre  solution.  Serhelloni  reçut 
l'ordi'o  de  se  maintenir  sur  la  rive  gaucho  de  l'Klho.  Un 
post-scriptum  du  6  juin  (1)  ajoutait  quelques  considéra- 
tions sur  l'inconvénient  d'enfermer  dans  Schweidnitz 
10.000  hommes  qui  auraient  pu  être  mieux  utilisés  en 
rase  campagne.  D'ailleurs,  à  en  juger  par  les  sièges  pré- 
cédents, la  forteresse  n'était  pas  capable  d'une  longue 
résistance.  Cela  étant,  n'y  aurait-il  pas  lieu  d'envisager 
la  démolition  des  fortifications  et  sa  tratisformation  en 
ville  ouverte  après  évacuation  de  l'artillerie  et  des  maga- 
sins? 

Daun  repoussa  cette  suggestion  comme  peu  praticable 
et  proposa  le  maintien  de  l'armée  dans  sa  position  actuelle 
tant  que  les  mouvements  de  l'ennemi  ne  l'obligeraient 
pas  à  se  rapprocher  des  montagnes  pour  protéger  les 
frontières  de  Bohème  et  du  comté  de  Glatz  et  pour  assurer 
ses  approvisionnements.  Conformément  au  désir  de  la 
cour,  il  chargeait  Hadick  du  poste  de  Wartha  qu'il  avait 
fortifié  et  maintenait  à  Beck  Je  commandement  de 
16.000  hommes  en  Haute-Silésie. 

La  campagne  allait  commencer  en  Silésie;  déjà  le 
21  juin,  un  premier  engagement  à  Heidersdorf  près  de 
Neisse  avait  été  heureux  pour  les  armes  prussiennes; 
dans  un  combat  de  cavalerie  où  colle-ci  avait  été  sou- 
tenue par  la  garnison  de  iNoisse,  le  général  Draskowich 
avec  200  hommes  était  tombé  aux  mains  des  l*russiens. 


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(1)  Cabinet  Schreiben  an  Daun,  6  juin  1762.  Archives  île  Vienne. 


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LA  OlIEHUK  DK  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IX. 


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Le  .10  Juin,  le  roi  annonce  (1)  l'arrive^e  du  corps  auxiliaire 
russe  et  le  début  des  liosfilit«'s;  il  réiicit»'!  le  prince  Fer- 
dinand de  sa  victoire  de  Willielinsthal  et  ajoute  :  «  Il 
serait  à  sonliaiter  que  nous  eussions  à  conihattre.un  Sou- 
bise.  » 

Le  1"  juillet,  l'avant-gardc  de  l'armée  roy.ile  sous 
les  ordres  du  comte  Wied  s'ébranla  dans  la  direction  de 
Striegau  et  Ilohenfriedberj?. 

Le  but  de  Frédéric  était  de  devancer  son  adversaire  à 
Hraunau,  de  détruire  le  dépAt  considérable  d'approvi- 
sicmnemenls  ((u'il  y  possédait  et  d'obligei-Daun  à  ab;indon- 
ner  sa  communication  par  Burkersdorf,  et  Polniscb-Weis- 
tritz  avec  la  forteresse  de  Schvveidnitz.  L'entreprise  ne 
réussit  j»  (S.  Il  y  eut  un  enj^agement  entre  Wied  et  Itren- 
tano  aux  environs  d'Adelsbach  ;  une  tentative  contre  la 
position  de  Brentano  fut  repoussée  après  avoir  coûté  aux 
Prussiens  3  drapeaux  et  plus  de  1.300  tués,  blessés  et 
pris,  et  seulement  300  aux  Autricbiens;  il  en  fut  de  même 
des  mouvements  destinés  A  couper  les  communications  de 
rennemi  avec  Schweidnitz.  Daun  se  déroba  par  une 
marche  de  nuit.  Pour  venger  cet  échec,  le  roi  envoya  les 
cosaques  de  (^zernitchew  (jui  venaient  de  rejoindre  l'armée 
royjtle  et  ses  propres  bussards  brûler  les  magasins  autri- 
chiens et  ravager  le  pays  de  Bohême  jusqu'aux  environs 
de  Prague.  Daun  ne  se  laissa  pas  impressionner  par  ces 
diversions  et  conserva  sa  position  aux  environs  de  Schweid- 
nitz sur  les  hauteurs  qui  courent  de  Ditfmansdorf  à  Bur- 
kersdorf avec  son  quartier  général  à  ïiannhausen. 

«  De  son  côté  (2)  Frédéric  n'avait  pas  renoncé  h  son 
dessein  de  se  rendre  maître  des  hauteurs  de  Burkersdorf, 
Ludwigsdorf  et  Leutmansdorf.  Il  ordonna  pour  cet  effet 
au   lieutenant  général   de    Wied  de   laisser  le  général 

(1)  Frédéric  à  Ferdinand,   Klein-Tinz,  30  juin   17G2.  Correspondance 
Politique,  XXI,  p.  563. 

(2)  Journal  des  opérations  en  Silé.sie.  Record  office,  Londres. 


Il 


MANiKlIVHE  l)K  I  UKDl^HIC. 


107 


major  <lo  (iablonz  avec  une  parlio  do  son  coips  h  Kricd- 
land  pour  obscrvei"  le  f^éiirral  Hrentano,  de  passci-  avec 
la  partie  la  plus  considcrnblo  du  corps  derri^n'  rarnire 
par  IloinmfricdhcM'g,  dans  la  plaine,  et  de  se  lo^'^er  dans 
les  villages  de  Jauernick  et  Bunzclwitz,  de  façon  (pi'il  ne 
pi\t  Mre  observé  ni  du  cAté  de  la  ville  ni  de  relui  de 
l'armée  ennemie;  le  général  ujajor  de  Mollendorf  eut 
ordre  do  quitter  pareillement  avec  sa  brigade  b;  camp 
de  Seitendorf  et  d'entrer  dans  la  plaine  près  de  Kunt- 
zendoif  pour  y  cantonner  de  la  môme  l'a(;on  que  le  géné- 
ral de  Wied.  Pour  être  plus  à  portée  des  opérations  S.  M. 
transporta  le  19  son  quartier  général  de  Seitendorf  à 
Biigendorf  et  donna  ordre  au  lieutenant  général  de  Wied 
et  au  général  major  de  Mollendorldc  partir  dans  la  nuit 
du  lî)  au  20,  de  se  joindre  sur  la  hauteur  de  Wiiibeu  et 
de  faire  le  tour  de  Scliweidnitz.  Le  lieutenant  g^énér'al  de 
Wied  se  logea  dans  les  villages  de  Creissow  et  Groedilz, 
mais  le  général  major  de  Mollendorf  continua  sa  marcbo 
jusqu'à  l»olnisch-V/eistritz  et  s'y  posta,  de  façon  que  son 
aile  droite  toucha  au  village  et  la  g-auche  au  quartier  de 
cantonnement  du  lieutenant  g-éiiéral  de  Wied.  Le  général 
major  de  Knobloch  eut  également  ordre  de  mai  cher  avant 
la  pointe  du  jour  avec  la  brig-ade  A  Polniscb-Weistritz  et 
de  s'y  camper  de  manière  que  son  aile  droite  était  à 
Bogeiidorf  et  la  gauche  à  Polnisch-Weistritz;  comme 
aussi  d'y  établir  des  ponts  de  communication  entre  lui 
et  le  général  Mollendorf.  Par  celte  mano'uvre,  l'enucmi 
était  entièrement  coupé  de  la  forteresse,  mais  il  gardait 
encore  les  montagnes  des  deux  côtés  de  Burkersdorf,  de 
même  que  les  hauteurs  de  Ludwigsdorf,  et  il  s'y  était 
retranché  et  ce  fut  de  là  qu'il  fallait  le  déloger.  » 

Ce  fut  k  la  veille  de  la  bataille  qui  allait  se  livrer  pour 
la  possession  des  hauteurs  occupées  par  les  Autrichiens 
que  Montazet  rejoignit  le  quartier  général.  Vers  la  tin  de 
mai,  il  avait  fait  son  apparition  à  Vienne  et  avait  eu  avec 


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LA  (.UKUUK  l)K  SKPT  ANS.  -    CIIAIV  IX. 


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rimpôratrico  une  I«)n;;ne  convorsatiou  ;  la  princesse  était 
furieuse  contre  Serhelloni  (jui  parlait  h  tout  moment 
d'abandonner  les  qucl(|U('S  ointons  de  la  Saxe  encore 
occupés  par  l<'s  Autrichiens.  Avant  de  rallier,  en  Silésie, 
le  (piai'tiei-  général  d<>  haun,  Montazel  avait  dû  passer  par 
Dresde  où  il  avait  été  cliarg(î  c?e  remonter  le  moral  de 
Serhelloni  (jue  la  faveur  de  rEm[)ereur  empochait  de 
déplacer.  Son  voyage  avait  été  annoncé  par  un  hillet  de 
l'Empereur  (1)  :  «  Je  désire  d'autant  plus  que  vous  discu- 
tiez aimahlement  vos  id-^es,  <|u'il  me  convient  que  >a 
cour  puisse  être  informée  par  lui-mô»ne  du  soin  assidu 
avec  lecpiel  nous  cherchons  les  moyens  de  faire  choses 
utiles  à  la  cause  commune.  »  Il  s'était  employé  de  son 
mieux  à  remplir  sa  tAchc  mais  sans  grand  succès,  sem- 
hlerait-il  :  «  Je  viens  de  dire  ici,  écrit-il  (2),  tout  ce  qu'on 
peut  dire  pour  prouver  la  nécessité  absolue  ot  plus  que 
possibilité  de  garder  la  Saxe.  Mais  .M.  de  Serhelloni  n'en 
fera  <[u'j\  sa  tôte  ;  c'est  un  homme  qu'on  ne  persuade 
pas  et  qui  n'est  nullement  propre  à  commander  une 
armée.  Dieu  veuille  seulement  que  tout  ce  que  j'ai  dit 
de  la  part  de  Leurs  Majestés  Impériales,  ainsi  que  les 
raisonnements  que  j'ai  faits  sur  le  local  retardent  pour 
longtemps  l'évacuation  de  la  Saxe  ;  mais  encore  une  fois, 
il  ne  tient  qu'à  l'ennemi  -!<>-  la  précipiter,  quelques  mou- 
vements hardis  de  sa  pr-f  f  suffiront  pour  cela.  Au  reste, 
j'ai  répandu  avec  soin  dans  le  public  qu'on  allait  tenter 
quel(|ue  chose  contre  l'ennemi  et  que  les  subsistances 
de  Bohème  allaient  arriver  en  abondance.  Peut-être 
mon  voyage  ici  fera-t-il  quelque  elFet  chez  l'ennemi 
qui,  étant  instruit  exactement  de  ce  qui  se  passe,  saura 
sans  doute  (jue  je  suis  venu  porter  des  ordres  précis  à 
M.  Serhelloni  et  arranger  avec  lui  quelque  opération.  Il 


(1)  Empereur  à  Serbelloni,  6  juillet  17(1;!.  Archives  de  Vienne 
{'i)  Montazetau  duc  de  Choiscul,  Dresde,  13  juillet  17U'2.  Archives  de  la 
Guerre. 


Vi    Sir. 


MONTA/.KT   \  niOISKUl. 


«09 


(«st  à  Hoiiliaitei'  <|iio  cofto  i(l»''e  susppiulr  le  projet  quiî 
jn  suppose  i\  M.  lo  pi'inc^  Henri  «le  se  fortilicr  tons  les  jours 
do  plus  en  |)lus  sur  sa  droite,  aiiu  de  péuétrcn*  en  llohftinc 
et  tAcLer  par  là  de  couper  les  sul)sistances  h  l'armëe  <lo 
Serhelloui.  Ce  dernier  a  maud'uvré  plus  pifoyaMenuMit 
(|ue  tout  ('«^  (pie  l'on  peut  dire;  d'un  autre  côté,  on  a  l'ait 
les  plus  faillies  disposilious  pour  !es  subsistances  dt;  Façon 
que  chacun  a  concouru  à  rendre  C(;tte  besogne  di.iboli- 
que.  Le  seul  remède  serait  de  rappeler  M.  de  Serbelloni 
et  d'envoyer  ici  ou  M.  Iladdick,  ou  M.  de  Lascy  ou  M.  do 
Laudon.  »  Montazet  ne  cache  pas  à  Choiseul  la  mauvaise 
impression  qu'il  a  recueillie  sur  l'état  des  esprits  à  Vienne  : 
«  J'ai  grand'peur  d'un  autre  cAté  <pie  le  chapitre  des 
subsistances  ne  nous  joue  un  mauvais  tour  en  Silésie,  et 
que  l'esprit  en  général  du  militaire,  la  disette  ties  talens, 
et  le  découragement  de  la  (]our  et  de  l'armée  ne  nous 
réduisent  avant  longtemps  à  une  triste  situation.  Mes 
dernières  lettres  de  Vienne  sont  remplies  des  mômes 
craintes  et  je  crains  fort  qu'elles  n'augmentent  de  jour  en 
jour,  car,  en  vériié,  tout  ceci  va  on  ne  peut  pas  plus  mal, 
aussi  suis-je  efl'rayé  de  l'avenir  (1).  » 

Deux  jours  après,  Montazet  est  à  Prague  d'où  il  signale 
les  incursions  des  Prussiens  en  Hohéme  ;  ils  ont  ravagé  le 
pays  jusqu'à  Kolin  et  brillé  des  magasins  à  Knniggrjitz.  A 
partir  du  22  juillet,  il  date  ses  lettres  de  (îiersdorf  aux 
environs  de  Schweidnitz.  Sur  la  demande  de  Marie  Thérèse 
qu'il  lui  a  transmise,  Daun  propose  Hadick  pour  rem- 
placer Serbelloni,  Lascy  et  Laudon  ayant  décliné.  D'après 
le  français,  il  est  grand  temps  de  faire  ce  changement. 
«  Si  le  Uoi  fait  par  ses  derrières  un  détachement  sur  la 
Saxe,  qu'il  y  aille  même  en  personne,  ce  que  j'ai  toujours 
craint  et  que  nous  n'ayons  que  M.  de  Serbelloni  pour  lui 
disputer  le  terrain,  la  dispute  ne  sera  pas  longue,  je  vous 

(1)  Montazet  au  duc  de  Choiseul,  Giersdorf,  2(J  juillet  1702.  Archives  de 
la  Guerre. 


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L.\  GUERllE  DK  SEPT  AiNS.  —  CHAP.  IX. 


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en  l'cpou'ls.  »  A  poinc  débarqué,  Montazct  avait  assisté  à 
Tairtire  do  Uiirkersdorf;  il  en  fait  le  récit  suivant  (l)  : 
«  J'arrivai  ici  avant-hier  (le  20  juillet)  après  avoir  marché 
5  jours  et  5  nuits  pour  venir  de  Prague  à  l'armée  de  M.  le 
maréchal  Daun.  Ce  général  me  proposa  en  arrivant  de 
mouler  à  cheval  le  lendemain  à  la  pointe  du  jour,  pour 
me  faire  voir  sa  position.  A  peine  fûmes-nous  à  moitié 
chemin  du  (piartier  général  au  camp,  que  le  roi  de  IM-ussc 
fit  une  attacjue  à  notre  gauche.  Une  demi-heure  nprès,  il 
fit  attîiquer  le  poste  de  liurkersdorf  qui  couvrait  notre 
flanc  droit;  une  demi-heure  ensuite,  il  fit  attaïuer  le 
poste  de  Leitmersdorf  à  une  lieue  en  arrière  de  notre 
droite,  lequel  était  défendu  par  î)  bataiilous,  2  régiments 
de  cavalerie  et  un  d'hussards  aux  ordres  de  M.  de  liren- 
tano  ;  mais  après  une  défense  de  5  heures,  M.  de  lîreutano 
a  été  obligé  de  se  reployer  et  de  céder  une  gorge  à  l'en- 
nemi, par  la(|uelle  il  peut  pénétrer  sur  nos  denières, 
(jui  a  forcé  M.  le  maréchal  Daun  à  reculer  sa  position, 
afin  de  n'être  pas  coupé  du  pays  de  (llatz  et  de  la  hohème, 
dont  nous  tirons  nos  sul)sislances. 

«  Pendant  ces  alta(iues,  le  gros  de  l'armée  ennemie 
était  resté  en  bataille  vis-à-vis  de  la  nôtre,  environ  à 
V.OOO  pas  les  uns  des  autres.  Nous  nous  sommes  observés 
ainsi  jusqu'à  la  nuit  où  nous  avons  fait  un  mouvement  en 
arrière  poiu*  reculer  notre  position  environ  d'une  lieue, 
barrant  toujours  la  vallée  de  Thonhausenc^t  ayant  derrière 
nous  nos  débouchés  sur  (iiatz  et  sur  Hraunau.  Le  poste  de 
Uurkersdorf  a  résisté  toute  la  journée  aux  diU'érenles  atta- 
ques de  l'ennemi  et  ne  s'est  retiré  que  parce  que  l'armée 
s'est  reployée,  moyennant  quoi  il  est  bien  sûr  que  l'en- 
nemi a  perdu  infiniment  plus  que  nous  à  cesdeu:^  attaques, 
puisque  M.  df?  Urentauo  n'a  pas  été  poussé  vilainement  et 
(ju'il  n'a  perdu  que  800  hommes  et  k  pièces  de  canon;  et 

(1)  Monta/.et  au  duc  de  Clioiseui,  Giersdorf,  2H  juillet  1762.  Archives  de 
la  Guerre. 


■1- 


DAHN  EST  COUPK  DE  SCIIWEIDNITZ. 


411 


>  de 


(juo  d'ailleurs  M.  tVO  Kelly,  <[ui  cominandait  le  poste  de 
llurUersdoi'f,  n'a  perdu  ipie  peu  de  chose  et  a  toujours  re- 
poussé l'enuemi.  Il  n'en  résulte  pas  moins  cepcndaut  que 
le  roi  de  Prusse  a  fait  à  notre  droite  ce  qu'il  avait  tenté 
inutilement  à  notre  gauche  quelques  jours  auparavant, 
lorsqu'il  lut  repoussé  par  ce  môme  général  lîtentano.  Le 
voilà  donc  maître  des  premières  montagnes,  nous  ayant 
totalement  séparés  de  Schweidnitz.  Ce  premier  pas  est  de 
la  plus  grande  conséquence  ot  va  nous  ramener  on  llohème 
bien  vite,  si  le  Roi  prend  le  parti  de  bloquer  Schweid- 
nitz  et  (Jlatz,  et  de  nous  suivre  pas  à  pas  ca  nous  tournant 
dans  uu  pays  de  montagnes  qu'il  connaît  bra'jcoup 
mieux  que  nous.  Il  a  d'ailleurs  la  supériorité  du  nond)rc; 
car  l'armée  du  maréchal  Daun  a  été  écrasée  par  le  scor- 
but qui  y  ri^gne  encore,  de  façon  (|ue  les  régiments  ne 
forment  plus  qu'un  bataillon  et  même  il  y  en  a  beaucoup 
de  très  faibles.  D'ailleurs,  la  plus  grande  partie  de  la 
cavalerie  est  en  mauvais  état,  .le  crains  donc,  on  ne  peut 
pas  davantage,  b  cours  de  cette  campagne.  » 

C'est  le  17  juillet  que  Frédéric  apprit  la  révolution  qui 
venait  d'enlever  le  trl^ne  h  son  allié  i*ierre  Ml.  «  Je  vous 
donne,  écrit-il  (1)  à  son  frère,  la  triste  nouvelle  du  détrù- 
nementde  l'empereur  de  Russie.  Czcrnitchew  a  déjà  reçu 
l'ordre  de  se  séparer  démon  armée.  »  Krédéric  ne  changea 
cependant  rien  à  ses  piojets  et  pour  la  bataille  (pi'il  de- 
vait livrer  afin  de  néparer  l'aimée  de  Daun  de  la  forteresse 
de  Schwcidnitz,  il  se  servit  très  habilement  de  la  pré- 
sence de  la  division  russe;  il  obtint  de  Czerr)ilohe\\  qu'il 
ajournât  son  départ  de  ;{  jours  sous  prétexte  de  pré|)ara- 
tifs  pour  la  marche,  et  (pi 'il  lui  prét.ll  le  -il  l'appui  moral 
de  sa  présence  dans  le  camp  prussien.  ConformémrnI  aux 
dispositions  déjà  exposées,  l'armée  royahî  avait  fait  ses 
préparatifs  pour  l'attaque  et  s'était  portée  dès  le  20,  de 

(I)  Frédéric  il  Henri,  Seilendorf,  is  juillet  !763.  Sclionina.  vol.  111,38;!. 


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412 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


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très  bonne  heure,  en  face  de  Leutmannsdorf  et  deLuJwigs- 
dorf  derrière  le  Peilan ,  petit  affluent  du  Weistritz.  La 
brigade  M«»!lendorf  s'était  formée  <\  la  droite  de  Wied  en 
face  de  Burkersdorf  et  à  la  droite  de  celle-ci,  Knobloch 
prolongeait  la  ligne  de  Polnisch-Weislritz  à  Niederliogen- 
dorf.  Chacune  de  ces  brigades  avait  été  dotée  d'une  forte 
artillerie.  Mullendorf  avait  pour  sa  seule  part  30  pièces  de 
12  et  50  obusiers.  La  cavalerie  prussienne  était  derrière 
son  infanterie  et  avait  pour  mission  de  surveiller  la  garni- 
son de  Schweidnilz. 

Les  pentes  assez  raides  qui  dominent  la  plaine  où  est 
située  la  forteresse  et  qui  constituaient  la  position  autri- 
chienne avaient  été  fortifiées  par  des  tranchées,  des  re- 
doutes et  des  palissades  garnies  de  détachements  d'in- 
fanterie régulière  et  de  croates.  On  ne  s'attendait  pas  à 
une  attaque  de  ce  côté  ;  tout  au  plus  dans  l'esprit  de  Daun 
s'agirait-il  de  démonstrations  destinées  à  troubler  les 
communications  de  la  ville  avec  son  camp.  Cependant,  il 
ramena  vers  lui  le  corps  de  Brentano,  mais  pour  ménager 
la  fatigue  de  la  troupe,  il  l'arrêta  à  Michelsdorf  A  ï  kilo- 
mètres des  fortifications  de  Leutmannsdorf;  ce  village  ne 
fut  occupé  que  par  2  bataillons;  le  général  0  Kelly  qui 
commandait  à  Bogendorf  sur  le  Weitsnitz,  fut  renforcé  de 
manière  à  porter  son  commandement  à  14  bataillons  et 
3  régiments  de  cavalerie. 

Le  soir  du  20  juillet,  Mullendorf  enleva  le  village  et  le 
château  de  Burkersdorf  et  plaça  son  canon  de  manière  à 
couvrir  de  son  feu  les  tranchées  ennemies.  L'ordre  du  Roi 
était  de  s'emparer  des  ouvrages  autrichiens  k  quelque 
prix  4ue  ce  fût.  A  peine  Wied  avait-il  ébauché  son  assaut 
qu'on  aper(;ut  les  troupes  de  Brentano  qui  débouchaient; 
elles  furent  refoulées  sur  Michelsdorf.  Le  but  de  Wied 
était  complètement  atteint  ;  mais  il  n'en  alla  pas  de  même 
pour  Mullendorf  et  de  Knobloch.  Ce  dernier  dut  renoncer 
il  un  assaut  direct  qui  eût  coûté  fort  cher  et  eût  peut-être 


t,t  1 


FREDERIC  PREPARE  LE  SIEGE  DE  LA  PLACE. 


413 


il 


le 
à 


compromis  le  succès  déjà  acquis.  Mlloendorf  avait  réussi 
à  prendre  l'ennemi  à  revers  et  à  s'emparer  d'une  hauteur 
qu'il  s'était  hAté  de  garnir  d'artillerie  en  vue  du  lende- 
main. 

Dans  la  nuit  du  21  au  22,  Dann  évacua  la  position  dont 
il  avait  conservé  une  partie,  mais  qui  était  à  moitié  tour- 
née par  les  hauteurs  que  les  Prussiens  avaient  enlevées. 
Il  se  retira  sur  son  camp  retranché,  son  aile  droite  à 
Falkenberg-,  sa  gauche  aux  hauteurs  de  Wusle  Giersdorf, 
la  vallée  de  Tannhausen  devant  son  front. 

A  partir  du  26  juillet  le  Roi  installa  son  quartier  géné- 
ral à  Ditmannsdorf  près  des  positions  conquises,  et  s'em- 
ploya aux  préparatifs  du  siège  de  Schwcidnitz  ;  un  blocus 
confié  à  la  cavalerie  n'interrompit  qu'imparfaitement  les 
communications  avec  l'armée  de  Daun  ;  les  tranchées  ne 
furent  ouvertes  que  le  7  août.  La  garnison  forte  d'environ 
10.000  hommes  avait  pour  gouverneur  le  général  Guaseo 
et  pour  ingénieur  le  français  Gribeauval ,  une  célébrité 
de  l'époque  en  matière  de  génie.  Le  général  Tauenzien 
fut  chargé  des  opérations  du  siège  dont  la  direction  tech- 
nique fut  confiée  au  major  Lefebvre,  français  également, 
tout  au  moins  d'origine.  Quant  au  corps  de  Czernitcliew, 
il  effectua  sondépartdès  le  lendemain  de  la  bataille.  Pour 
récompense  de  ses  services,  on  pourrait  dire  de  sa  com- 
plaisance, son  commandant  reçut  de  Frédéric  une  épée 
richement  ornée  de  diamants. 

A  Vienne  et  dans  le  camp  autrichien,  on  n'avait  pas 
renoncé  à  l'espoir  d'ell'ectuer  la  relève  de  Schweidnitz. 
Montazct  entretient  (1)  Chalelet  des  moyens  à  employer; 
il  considère  que  le  procédé  direct,  le  moins  difficile,  serait 
de  forcer  le  cordon  de  blocus  par  la  vallée  de  VVeistritz, 
cependant  il  préférerait  une  diversion  contre  Breslau, 
mais  «  cui  bono,  si  nous  perdons  Schweidnitz, du 


1 


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(1)  Montazet  à  Clialelel,  2  aoùl  17<12.  Archives  de  la  Guerre. 


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411 


LA  GUERRE  DE  SEI>T  ANS. 


CHAI».  IX. 


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moins,  nous  garderons  Scliwoidnitz  jusqu'à  la  fin  d'oc 

tobrc  étant  pourvus  de  vivres  jusqu'à  cette  époque 

Les  événements  de  Russie  n'ont  en  rien  diminué  le  désir 
qu'a  toute  l'armée  de  voir  faire  la  paix.  Ses  meilleurs  of- 
ficiers sont  dégoûtés  de  la  guerre  à  en  juger  par  MM.  de 
Lascy  et  de  Laudon  qui  ont  signifié  à  M.  1<^  maréchal  Daun 
qu'ils  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient  servir  qu'en  ligne. 
Je  suis  bien  sûr  que  M.  le  maréchal  Daun  lui-même  dé- 
sire plus  que  personne  la  fin  de  tout  ceci.  Il  m'a  dit 
plus  d'une  fois  d(  puis  la  révolution  de  Russie  qu'il  crai- 
gnait fort  que  M.  de  Kaunitz  ne  remordit  à  la  grappe  et 
que  sa  souveraine  ne  lût  entraînée  par  sa  complaisance 
et  sa  bonté.  Mais  j'ai  lieu  de  croire  qu'il  serait  bien  difficile 
à  la  cour  de  Vienne  de  trouver  de  l'argent  pour  la  cam- 
pagne prochaine  ».  Montazet  en  terminant  annonce  l'ar- 
rivée de  Vienne  de  M.  d'Ayasas  envoyé  pour  sonder  les 
vues  du  maréchal  sur  la  possibilité  de  la  relève  de 
Schweidnitz. 

Malgré  son  peu  de  confiance  dans  l'entreprise,  Daun 
n'osa  pas  abandonner  la  tentative  ;  il  se  décida  à  essayer 
la  percée  du  côté  de  Reihenau;  à  cet  etlet,  il  constitua  ses 
magasins  dans  le  pays  de  Glatz,  ramena  à  lui  de  la  Haute- 
Silésie  le  général  Beck,  et  rassembla  le  gros  de  ses  troupes 
au  Silberberg  sous  le  couvert  des  Eule  Gebirge.  Du  côté 
prussien,  Werner  dut  rejoindre  le  corps  du  prince  de 
Wurtemberg  à  Peterswaldaii  ;  le  duc  de  Revern  prit  posi- 
tion le  13  août  sur  des  hauteurs  derrière  le  ruisseau  du 
Peilau  en  face  de  Reihenau  formant  ainsi  l'extrême 
gauche. 

L'attaque  autrichienne  fut  disposée  de  la  manière  sui- 
vante :  Beck  avec  une  partie  de  ses  forces,  occuperait 
l'attention  de  Bevern,  tandis  qu'avec  le  gros  il  tour- 
nerait la  position  pour  la  prendre  à  revers.  Rrentano  et 
O'Donnell  attaqueraient  do  front  et  sur  sa  droite  Bevern 
qui  serait  ainsi  écrasé  avant  que  le  Roi  pût  venir  à  sou 


TENTATIVE  POUR  DEULOQUEK  LA  VILLE. 


415 


secours;  la  cavalerie  autrichienne  avait  mission  de  pro- 
téger l'assaut  de  l'infanterie. 

Au  cours  de  la  matinée  du  10  août,  Brentano  chassa 
les  avant-postes  prussiens  du  village  de  Languebrielau. 
Mais  voici  comment  Montazct  (1)  décrit  l'allaire  :  «  Le 
gros  de  l'armée  déboucha  des  montagnes  avant-hier  au 
soir  par  les  vallées  de  Warta  et  de  Silberberg  et  hier 
matin  le  reste  des  troupes  est  entré  dans  la  plaine  par 
le  débouché  de  Langcnbielen,  en  même  temps  que  nous 
étions  on  marche  pour  nous  porter  sur  la  petite  mon- 
tagne d'Hutterberg,  de  façon  que  toute  l'armée  réunie 
à  hauteur  d'Hutterberg  y  prit  sa  position  vers  11  heures 
du  matia. 

c.  L'ennemi  avait  deux  camps  dans  la  plaine  :  l'un 
appuyant  sa  droite  aux  grandes  montagnes,  ayant  le  vil- 
lage et  le  ravin  de  Peterswaldau  devant  lui;  l'autre  était 
placé  au-dessus  du  village  de  Peyle  sur  la  rive  droite 
du  ruisseau  qui  coule  vers  Keichenbach.  Le  premier  était 
commandé  par  le  prince  de  Wurtemberg  qui  avait  à  ses 
ordres  presque  toute  la  cavalerie  du  roi  de  Prusse  et 
assez  d'infanterie  pour  couvrir  son  flanc  droit. 

«  Le  second  était  commandé  par  le  prince  de  Bevern  : 
il  consistait  environ  à  10  bataillons,  2  régiments  de  dra- 
gons et  quelques  hussards,  mais  beaucoup  de  canons; 
sa  position  d'ailleurs  était  excellente. 

«  M.  le  maréchal,  voyant  que  le  seul  moyen  d'arriver 
à  Schweidnitz,  était  de  culbuter  l'un  de  ces  deux  camps, 
donna  la  préférence,  avec  raison,  à  celui  de  M.  de  Bevern 
et  se  détermina  à  l'attaquer  tout  do  suite;  mais  comme 
les  troupes  étaient  fatip;uées,  i'  fallut  leur  laisser  le  temps 
de  manger  et  de  se  reposer;  on  ne  commença  donc  que 
vers  5  heures  du  soir  à  canonncr  le  camp  de  M.  de  Bevern, 
qui  se  défendait  par  lui-môme.  Bref,  notre  artillerie  et 

(1)  Montazct  au  duc  Uc  Choiseul,  W  eigelsdorf,  17  août  1762.  Archives 
de  la  Guerre. 


I 


>   I 


41G 


LA  GUEUUE  Uli  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IX. 


la  sienne  ont  fait  les  plus  grands  frais  de  cette  entre- 
prise, mais  la  cavalerie  destinée  à  soutenir  notre  attaque 
ayant  été  obligée  d'en  venir  aux  mains  plusieurs  fois 
avec  des  renforts  considérables  de  iM.  le  prince  de  Wur- 
temberg, fut  obligée,  après  plusieurs  charges  très  va- 
leureuses, de  se  retirer  sous  le  feu  du  canon  de  notre 
infanterie. 

«  C'est  ainsi  que  finit  hier  à  la  nuit  notre  journée 
qui  ne  justifie  que  trop  malheureusement  l'opinion  que 
j'ai  toujours  de  l'ouvrage  que  nous  venons  d'entrepren- 
dre. Au  reste,  notre  perte  doit  être  légère;  car  nous 
sommes  rentrés  avec  le  plus  grand  ordre  dans  notre 
camp,  dont  nous  n'étions  pas  éloignés  de  trois  mille  pas, 
M.  le  maréchal  et  nous  tous  y  avons  passé  la  nuit  pour 
voir  si  à  la  pointe  du  jour  l'ennemi  ne  ferait  pas  quelque 
mouvement,  ou  si  nous  pourrions  en  faire  de  notre  côté. 

«  Il  est  9  heures  du  matin;  tout  est  à  peu  près  dans 
le  même  ordre  qu'hier,  ce  qui  me  prouve  que  la  déli- 
vrance de  Schweidnitz  est  bien  aventurée.  Je  conclus 
de  là  que,  vraisemblablement,  nous  ne  serons  pas  long- 
temps sans  aller  reprendre  la  position  que  nous  venons 
de  quitter.  Je  me  hâte,  Monseigneur,  de  i  vous  rendre 
ce  compte,  parce  que  l'ennemi  fera  sans  doute  claquer 
son  fouet,  et  qu'il  est  nécessaire  que  vous  sachiez  la 
vérité.  » 

La  relation  prussienne  (1)  omet  ses  propres  pertes, 
mais  parle  de  1.500  prisonniers  et  5  étendards  enlevés 
à  la  cavalerie  autrichienne.  Montazet  (2)  donne  une  éva- 
luation très  différente  :  «  Nous  n'avons  pas  rendu  plus 
de  600  hommes  et  3  étendards  ;  en  revanche  nous  avons 
fait  près  de  600  prisonniers  et  pris  2  pièces  de  canon.  ■> 
Frédéric  s'attendait  évidemment  à  un  renouvellement  de 

(1)  Relation  Peterswalilau,  17  août  1762.  Corr.  Polit.,  XXII,  p.  145. 

(2)  Montazet  au  duc  de  Choiseul,  Cherfenick,  20  août.  Archives  du   la 
Guerre. 


FREDERIC  A  HENRI. 


417 


l'attaque  pour  le  lendemain  et  tout  en  se  félicitant  de 
sa  victoire  était  loin  de  la  croire  complète.  Dans  sa  lettre 
au  prince  Ferdinand,  il  attribue  à  Daun  55  bataillons 
et  113  escadrons,  tandis  ([u'il  n'en  Jivait  eu  de  présents 
à  l'ailaire  que  23  bataillons  e*  78  escadrons;  ce  serait 
aux  belles  charges  des  13  escadrons  de  (^zettritz  et  de 
Werner  conduits  par  le  colonel  Lossow  qu'il  faudrait  im- 
puter le  succès.  «  Cinq  bataillons  autrichiens  et  cinq  du 
prince  de  lievern  ont  été  dans  le  feu  ;  le  reste  a  été  spec- 
tateur. Voilà  le  plus  singulier  combat  de  cette  guerre. 
!/airaire  a  commencé  à  5  heures  de  l'iiprès-midi  et  à 
7  heures  tout  était  fini.  » 

Le  lendemain,  Frédéric  écrit  au  prince  Henri  :  «  Voici 
une  nouvelle  à  laquelle  vous  ne  vous  attendiez  pas  : 
La  nuit  du  17  au  18,  Daun  s'est  retiré  avec  toute  l'armée 
à  Wartha.  Aujourd'hui,  s'entend  cette  nuit,  il  en  est  parti 
une  colonne,  prenant  le  chemin  de  Braunau,  l'autre  celui 
de  la  Moravie...  Vous  jugez  bien  que  ce  n'est  pas  nous 
qui  l'avons  fait  fuir;  il  faut  donc  que  les  nouvelles  de 
Turquie  aient  donné  (lieu)  à  cet  événement  qui  assuré- 
ment n'est  point  dans  l'ordre  naturel  des  choses.  » 

Montazet  reconnaît  que  l'essai  de  débloquer  Schweid- 
nitz  n'a  pas  été  tenté  sérieusement  :  «  L'armée  a  campé  (1) 
le  18  à  Warta,  le  19  à  Mitelchtein,  et  vient  de  prendre 
sa  position  dans  les  environs  de  Cherfenick.  J'ai  tort 
de  dire  l'armée  puisqu'elle  est  divisée  aujourd'hui  on 
5  corps,  savoir  :  l'un  à  Warta,  aux  ordres  de  M.  de  BecU  ; 
l'autre  à  Silberberg,  aux  ordres  de  M.  de  Volgesian;  le 
troi&ième  à  Thonhausen,  aux  ordres  de  M.  Haddick;  le 
quatiicme  à  Dietersbach,  aux  ordres  de  iM.  de  Brentano, 
et  le  reste  dans  ce  camp-ci  avec  M.  le  maréchal  Daun,  qui 
occupe  un  point  central,  afin  d'être  égaleneut  H  portée 


la 


(1)  Montazet  au  duc  de  Choiseul,   Cherfenick,  "îo    août  176:>.  Arcliivcs 
de  la  Guerre. 

<;ii:«ui;  i)i;  si;i't  ans.  —  t.  v.  •  27 


n 


UH 


\A  OUKRItt;  l)K  SKI'T  ANS.  —  CIIAP.  I\. 


<le  sonicnir  les  V  corps  qui  défondont  l'entrée  tles  gorges 
qui  pénc^trciit  dans  le  pays  d(>  (îiatz. 

«  M.  le  maréchal  m'a  dit  (|u'il  avait  fait  ce  plan  avec 
ses  généraux  qui  connaissent  lo  mieux  le  pays,  et  que, 
moyennant  cela,  il  était  décidé  à  soutenir  cette  position; 
([ue,  si  l'ennemi  allait  en  Saxe  ou  en  Bohème,  il  serait 
plus  à  portée  que  partout  ailleurs  d'y  envoyer  du  secours. 
Il  m'a  dit  aussi  que  c'était  pour  avoir  plus  de  temps 
à  fortifier  sa  position  qu'il  avait  pris  le  parti  de  quitter 
aussi  proniptemcnt  la  Siiésie,   d'autant  qu'il   n'espérait 
en  aucune  façon  pouvoir  délivrer  Schweidnilz,  puisque 
les  positions  qu'avaient  prises  MM.  de  Wurtemberg  et  de 
lievern  détruisaient  la  seule  espérance  qu'il  avait  eue  de 
surprendre  l'ennemi  et  de  gagner  avant  lui  le  camp  do 
Kelcht,  qui  est  au  pied  du  Zobfonberg.  H  est  viai  qu'il 
aurait  fallu  que  le  Hoi  eût  été  bien  différent  de  ce  qu'il 
s'est  montré  jusqu'ici  pour  faire  une  pareille  balourdise. 
Aus*;!  n'ai-je  cessé  de  dire  que  nous  ne  ferions  que  des 
pas  pour  le  moins  inutiles;  et  si  l'on  m'avait  cru,  nous 
aurions  tenté   un   moyen  bien   plus   décent   et  qui,  je 
crois,  aurait  donné  de  la  tablature  A  l'eimenii.  Mais  on 
a  trouvé,  comme  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  le  mander, 
mon  projet  trop  difficile  à  exécuter,  et  on  a  préféré  la 
promenade  que  nous  venons  de  faire,  dont  on  doit  être, 
je  crois,  peu  satisfait.  Au  moins  anrais-je  resté  quelques 
jours  de   plus  dans  les   plaines  de  Siiésie,  n'eût-ce  été 
que  pour  manger  le  pays  et  pour  prévenir  les  mauvais 
propos  qu'on  tiendra  sur  notre  prompt  retour  dans  la 
montagne.  Je  l'ai  représenté  à  M.  le  maréchal  Daun,  (|ui 
m'a  répondu  qu'il  croyait  inutile  de  perdre  en  Siiésie 
un  temps  qu'il  comptait  employer  beaucoup  plus  utile- 
ment à  fortifier  les  positions  qu'il  voulait  tenir;  que  c'était 
l'avis  de  tous  ses  généraux,  et  que,  d'ailleurs,  les  der- 
nières nouvelles  qu'il  avait  eues  de  Schvveidnitz  lui  fai- 
saient craindre  que  la  place  ne  tint  pas  longtemps,  que 


rr»*: 


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LETTUK  DE  MONTAZET. 


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c'était  une  raison  de  plus  pour  précipiter  sou  départ.  » 
Dès  le  lendcinaiu  du  combat  de  Reichenau,  le  27  aoiU, 
Haun  avait  écrit  au  (1)  gouverneur  (luasco  pour  l'au- 
toriser à  traiter  :  «  Vous  avez  vu  hier  la  tentative  (pie 
j'ai  faite  pour  me  mettre  à  tnêmo  de  lever  le  siège; 
mais  puisque  cela  est  impossible,  je  reprendrai  domain 
la  position  que  j'avais  avant  de  déboucher  dans  la  plaine. 
Ainsi  n'étant  plus  moyen  de  vous  délivrer  et  selon  votre 
billet  du  l:J,  puiscjue  vous  êtes  déjà  si  pressé.  »  Il  l'auto- 
rise à  rendre  lu  place  à  la  condition  d'obtenir  la  libre 
sortie  pour  sa  gai'nison.  Cette  proposition  fut  repous*«ée 
par  Frédéric.  Malgré  cet  accueil  peu  encourageant,  le 
gouverneur  Guasco  qui  parait  avoir  eu  peu  de  confiance 
dans  la  durée  de  la  résistance,  adresse  à  ïanontzien  le 
colonel  Aspe  avec  mission  de  continuer  les  pourparlers; 
il  oilVe  cette  fois  une  reddition  sous  réserve  que  la  gar- 
nison ne  servirait  pas  pendant  une  année.  Nouveau  refus 
du  Roi. 

Ne  pouvant  obtenir  des  conditions  honorables  poui*  la 
garnison,  la  cour  de  Vienne  revint  à  l'espoir  de  relever 
Schweidnitz.  Quant  à  Daun,  son  principal  souci  était  de 
couvrir  Its  approches  du  comté  de  Glatz  et  de  la  Bohême. 
«  Nos  positions,  écrii  Montazet  (2)  sont  devenues  des 
citadelles  par  la  quantité  d'ouvrages,  palissades  et  aba- 
tis  qu'on  y  a  faits,  aussi  avons-nous  abattu  pour  plus  de 
2  millions  de  florins  de  bois.  L'ennemi  de  son  côté  en 
a  fait  autant.  »  Quelques  jours  après,  il  donu(î  des  nou- 
velles du  siège  (3)  :  «  Le  siège  de  Schw(ùdnitz  va  tou- 
jours son  train,  mais  Dieu  merci  très  lentement.  Il  est 
impossible  d'avoir  une  opinion  juste  sur  l'époque  de  la 


•(1)  Daun  à  Guasco,  17  aoilt  17(i2.  Arnelli,  vol.  VI,  Annexes,  noie  559. 
{'!)  Monlazet  au  (lue  de  Ohoiscul,  Cherfeneck,  3  septembre  I7(i'>.  Archives 
de  la  Guerre. 

(3)  Montazet  au  dur  de  Choiseul,  Cherfeneck,  7  septembre  1762.  Archives 
de  la  Guerre. 


ûli 


420 


LA  OUEIUIK  DE  SEPT  ANS.         CIIAP.  IX. 


prise  de  cette  place,  parce  que  le  roi  de  PruFse  ne  fait 
pas  lin  si«>ge  comme  un  autre  et  <[u'il  attend  tout  de 
l'eflet  du  canon.  Il  chemine  d'ailleurs,  autant  (|u'on  en 
po'it  juger  de  fort  loin  avec  une  lunette,  par  une  scMde 
sappe.  Jugez  par  là  de  la  lenteur  et  du  peu  de  solidité 
de  son  travail.  » 

Le  17  septembre,  Daun  lui  confie  un  projet  de  relève. 
Il  s'agissait  de  percer  cette  fois  le  blocus  par  les  hauteurs 
deKoengerichdoif  et  Kassendorf,  <<  ce  qui  entraînerait  une; 
marche  de  deux  jours  dans  les  montagnes  ».  Le  projet  lui 
parait  inexécutable  aussi  bien  qu'à  Daun,  mais  comme  il 
émane  de  Laudon,  le  maréclu  1  le  soumet  à  la  cour  et  s'y 
conformera  s'il  est  approuvé.  «  L'on  peut  (1)  et  l'on  doit 
s'attendre,  selon  moi,  ajoute  le  Franc^ais,  à  une  bonne  dé- 
route de  notre  part,  supposé  que  le  roi  de  Prusse  ne  soit  pas 
apoplexie  pendant  les  deux  jours  que  nous  marcherons  à 
lui.  »  Le  20  septembre  arrive  la  réponse  de  Vienne;  la 
cour  accepte  le  projet  Laudon  malgré  les  risques  qu'il 
comporte;  l'exécution  qui  devait  être  immédiate  a  été 
«  différée  à  cause  du  temps  épouvantable  ».  Montazet  est 
très  intjuiet  (2)  :  «  .le  crois  de  bonne  foi  qu'il  n'y  a  per- 
sonne ici  qui  connaissant  le  fond  de  l'entreprise,  n'a  prié 
Dieu  pour  qu'il  pleuve  longtemps.  »  En  ce  qui  concerne 
le  siège  :  «  Le  Roi  ne  parait  pas  plus  près  de  la  place  qu'il 
y  a  quinze  jours.  Reste  à  savoir  ce  qu'il  fait  sous  terre.  »  Le 
22,  Montazet  (3)  annonce  de  nouveaux  ajournements  : 
«  Nous  sommes  prêts  à  marcher  depuis  longtemps,  mais 
tantôt  des  chemins  impraticables,  tantôt  de  nouveaux 
abatis  de  la  part  de  l'ennemi,  tantôt  des  postes  que  l'on 


(1)  Montazet  au  duc  de  Clioiseul,  Ctierfeneck,  17  septembre  i:c.2.  Aicliive* 
de  la  Guerre. 

(2)  Montazet  au  duc  de  Choiseul,  Cherfeneck,  20  septembre  1762.  Archives 
de  la  Guerre. 

(3)  Montazet  à  Cliatelet,  ScUerfeneck,  22   septembre  17G2.  Archives  de 
la  Guerre. 


'•  -    ,'  ' 


l'l«0,IET  DE  LAUDON. 


i2t 


trouve  où  il  n'y  on  avait  pas.  Kn  un  mot,  on  rencontre 
tons  les  jours  des  dii'ficultés  (fu'on  n'avait  point  prévues, 
et  je  crois,  entre  vous  et  moi,  que  ceux  qui  ont  proposé 
la  marche  sur  CunsentlorirHoenyiersdorH'ct  la  bataille  au 
bout,  seraient  fort  aises  à  présont  de  n'en  avoir  jamais 
parlé.  M.  le  marécl.al  haun  ({ni  en  a  miindé  son  avis  à  sa 
cour  par  M.  de  hrecluiinville,  et  qui  no  lait  (|ue  prêter 
son  nom  pour  cette  entreprise,  envoie  tous  les  jours  chez 
M.  de  LaudoD  pour  savoir  s'il  juue  à  propos  qiio  l'armée 
se  mette  en  mouvement;  et  comme  je  viens  de  vous  le 
dire  on  n'a  trouvé  jusqu'ici  que  des  diflicnités  qu'on  cher- 
che k  lever  par  de  nouvelles  reconnaissances.  En  vérité, 
je  suis  peiné  de  voir  co  (jue  j'ai  sous  mes  yeux;  mais  j'ai 
des  ordres  si  précis  do  ma  cour  de  ne  chercher  à  influer 
sur  rien  et  de  m'en  tenir  à  dire  mon  avis,  supposé  qu'on 
me  le  demande;  que  je  suis  forcé,  malgré  moi,  de  garder 
le  silence.  Je  me  lève  donc  depuis  quatre  jours  avec  l'es- 
pérance et  l'incertitude  que  vous  voyez.  Ceci  a  assez  l'air 
d'un  homme  qui  a  promis  à  son  médecin  de  prendre  une 
médecine,  et  la  flaire  quand  on  la  lui  porte.  Keslo  à  savoir 
si  nous  la  prendrons  ou  si  nous  la  renvoyerons,  c'est  co 
que  je  ne  puis  vous  dire  encore,  quoique  j'aie  vu  ce  ma- 
tin M.  le  maréchal  de  Daun  et  ses  généraux  principaux.  » 
D'ailleurs,  les  lettres  confidentielles  de  Daun  à  l'Impé- 
ratrice indiquent  à  la  fois  le  découragement  du  général, 
son  peu  de  foi  dans  la  possibilité  de  secourir  la  place  assié- 
gée, sa  jalousie  de  Laudon  et  son  désir  de  lui  faire  endos- 
ser la  responsabilité  do  la  faillite.  «  Les  chemins  (1)  sont 
daus  un  état  exécrable;  il  faudra  deux  fois  -24  heures  de 
beau  temps  pour  les  mettre  en  état  d'être  utilisés;  plus 
VO  heures  pour  les  réparations  et  cela  sans  compter  aucun 
accident,  ce  qui  pourtant  bonnement  n'est  pas  à,  espérer 
et  si  môme  nous  arrivons  à  Sudenkorf  où  il  faut  déloger 


à 


(1)  Daun  à  Marie-Tbércse,  l'.t  septembre.  Archives  de  Vienne. 


42'i 


LA  (iUEIlUE  DK  SEPT  ANS. 


CIIAP.  I.\. 


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J  .,''» 


li'i; 


IVnriomi  pour  occiipor  los  hauteurs  do  Kuiizcndorf  oi 
Htijioudoif,  comment  peut-on  s'en  flatter?  Mais  je  ne  m'ar- 
rt'terai  [)as  davantage  î\  toutes  les  autres  ohjecfions  trop 
fondées  (jue  Montazet  nomme  folie  de  seulehient  y  pen- 
ser. .  Knfin  au  premier  moment  de  possibilité  l'exécution 
suivra...  Si  cela  va  mal,  Laudon  (jui  comme  le  seul  <|ui 
connaisse  au  mieux  les  chemins  et  la  contrée  conduira  l'a- 
vant-garde,  n'aura  pas  été  suftisamment  soutenu  et  aura 
été  sacrifié  ex|»r>>s,(ju  au  contraire,  on  ne  l'ait  pas  emplo\é. 
c'est  par  envie  et  jalousie  de  ma  part.  »  De  Laudon,  Daun 
pas>e  sans  transition  iV  la  Sax'  :  «  Je  dois  avouer  à  V.  M. 
({ue  la  déclaration  russe  au  résident  saxon  ne  me  send>le 
pas  si  désavantageuse.  La  Saxe  nous  donnera  toujours 
beaucoup  à  faire  et  si  no{is  pouvions  nous  servir  autn 
part  de  notre  armée,  nous  pourrions  mieux  assurer  la  pro 
tection  de  nos  propres  territoires;  tuais  ça  peut  en  fran- 
çais fort  bien  être  jugé  comme  le  tailleur  qui  parle  des 
souliers  ou  le  cordonnier  de  l'habit.  » 

La  seconde  lettre  écrite  en  grande  partie  comme  la 
première  dans  un  français  des  plus  bizarres,  est  conçue 
dans  le  même  sens  : 

<(  Le  mauvais  temps  (1)  a  empêché  jus(|u'il  cette  heure 
l'exécution  du  projet  que  j'ai  eu  l'honneur  de  communi- 
quer à  Vos  Majestés  par  l'envoi  du  major  Prechenville. 
nier  les  rapports  de  M.  le  général  Laudon  ont  signaL'i 
quelques  changements  et  de  nouveaux  abatis  auprès  de 
l'ennemi.  »  Il  a  envoyé  successivement  le  colonel  Fabris, 
puis  un  autre  officier,  pour  se  procurer  des  renseigne- 
ments plus  précis;  d'après  la  réponse,  il  paraîtrait  que 
ro|iération  doit  être  encore  ajournée  «  de  sorte  que  plus 
cela  traîne,  moins  il  y  a  d'apparence  de  pouvoir  se  flatter 
delà  moindre  heureuse  issue,  que  je  n'ai  jamais  prévue, 
comme  de  même  tous  les  autres  généraux  hormis  M.  de 


(1)  Daun  à  Marie-Thérèse,  21  septembre  17()2.  Aicbivcs  de  Vienne. 


-fi^^U^- 


ON  RRNONCK  A  DhlULOQIIK»  SCIIWKIDMTZ. 


421 


Laiullion  qui  seul  a  trouvô  autant  d'espoir  (|ue  do  possibi- 
lité ce  (|ui  uui(|urniei)t  m'a  déterminé  i\  \o  poiter  fie  pro- 
jet) A  la  connaissance  de  Vos  Maji^stés,  en  leur  Taisant 
faire  mes  objections  et  eu  dt-clarant  (pu;  [>our  moi  je  ne 
trouv<;  |iour  l'exécuter  ([ue  cidui  pour  leipid  rien  n'a  été 
impossible.  Puisipie  M.  de  baudlion  avait  ajout<''  (piM  se 
faisait  fort  de  p.irvenir  sur  les  Imuteurs  de  (Jieisdorf  et 
BOgendorf  eu  preniiiitle  cbeuiin  (ju'il  adicté,  (jui,  en  ell'et, 
est  le  plus  court  et  le  meilleur,  si  l'ennemi  ne  peut  le 
barrer.  Mais  voilii  ce  qui  est  n;iturellement  à  supposcu*. 
Or,  comme  lui  connaît  ces  environs  le  mieux,  je  dois  me 
l'égler  entièrement  sur  son  avis  ». 

Daun  sait  (|u'on  lui  jettera  la  p  rre,  qu'on  lui  repro- 
chera de  n'avoir  pas  exécuté  un  projet  <|ue  1^.  M.  avaient 
approuvé.  Les  vraies  raisons  de  rajouriiement  sont  le 
mauvais  temps,  les  lettres  do  Laudon,  les  rapports  de 
l'artillerie  «  qui  ne  pourrait  arriver  qm;  par  pii'-ce  et 
morceau,  et  hors  de  date  A  pouvoir  travailler...  (îc  géné- 
ral (Laudon)  est  très  zélé,  mais  extrêmement  cbanf;eant;  sa 
première  déclaration  est  bien  dilférentiî  de  l'explication 
de  cette  lettre;  personne  n'a  fait  traîner  la  chose  (jue  ses 
pr()|)res  aveu  et  lavis...,  il  ne  dépend  que  de  lui  de  dire  : 
A  cette  heure,  je  puis  l'entreprendre;  tout  est  prêt  à  suivre 
chaque  instant.  Voilà,  sacrée  Majesté,  avec  quoi  j'ai 
l'honneur  de  me  mettre  ;\  vos  pieds  ». 

Les  velléités  d'offensive  ne  furent  (|u"un  feu  de  paille; 
le2V,  l'attaché  l'ranç.iis  infoi'uie  (l)Choiseul  qu'on  renonce 
décidément  à  la  relève  et  que  Schweidnilz  sera  aban- 
donné à  son  sort;  Cliatelet  confirme  (2)  cette  nouvelle. 

Les  troupes  chargées  du  siège  de  Schweidnilz   .'{)  sous 


I 


(1)  Montazel  au  duc  de  Choiseul,  Clieifencck,  24  septembre  ITO!.  Archiver      , 
'le  la  Guerre. 

(2)  Cliatelet  au  duc  de  Choiseul,  Vienne,  28  septembre  l/Uî.  .Vrchives  de 
la  Guerre. 

(3)  Les  détails  du  siège  sont  empruntés  à  Therbut,  Dif  llclageriuiy  v. 


I 


-iîi 


r,.\  (.1  KKUK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAI'    IX. 


les  ordres  de  Tanentziien  so  composaient  de  22  butaîllons 
il  l'aiblcs  ellectifs  et  de  22  escadrons.  Le  major  Lefebvre 
avait  pour  le  seconder  dans  la  direction  des  travaux 
d'attaque  lîî  officiers  du  g-énie,  quelques  volontaires  et  un 
détachement  de  ïi)  mineurs  ;  le  parc  de  sièg-e  comprenait 
28  canons  de  2V,  .'îO  canons  de  12  livres,  20  mortiers  de 
50,  12  ojjusiers  de  7  et  ({uelqiies  pièces  de  6.  Api'ès  une 
reconnaissance  à  la  suite  de  laquelle  il  fut  décidé  de  s'en 
prendre  au  front  du  fort  Jaueriiick,  la  tranchée  fut  ouverte 
dans  la  nuit  du  7  au  8  août;  V.500  travailleurs  soutenus 
par  8  bataillons  y  turent  employés,  mais  ce  travail  bien- 
tôt découvert  par  l'assiégé  et  exposé  à  un  feu  dos  plus 
vifs  de  la  place,  ne  fut  que  t:  js  incomplètement  exécuté; 
le  lendemain  8,  la  garnison  lit  une  vigoureuse  sortie; 
elle  réussit  à  combler  une  cinquantaine  dj  mètres  de 
l'ouvrage  entrepris  la  nuit  et  fit  prisonniers  le  colonel  <le 
Falkeiiberg'  et  près  de  200  hommes.  Les  jours  suivants 
furent  consacrés  à  conslruive  les  premières  batteries,  à 
déboucher  en  zigzags  de  lajiremière  parallèle  et  à  réparer 
les  dommages  causés  par  les  assiégés  dans  leurs  sorties: 
dans  la  nuit  du  15/16  on  amorça  la  deuxième  parallèle. 
A  partir  de  ce  moment,  les  travaux  d'approche  subirent 
un  certain  ralentissement;  l'inexpérience  des  travailleurs, 
l'insuffisance  du  personnel  oflicie^'s,  les  sorties  fréquentes 
et  souvent  heureuses  de  lassiégé,  son  feu  soutenu  empê- 
chaient des  progrès  rapides;  le  20,  il  fut  impossible  de 
placer  un  gabion;  deux  attaques  dirigées  dans  les  nuits 
des  18/19  et  21/22  contre  la  flèche  de  Striegau  échouè- 
rent. Cependant,  les  assiégeants  avaient  achevé  leur  troi- 
sième parallèle  et  le  24^,  le  mineur  avait  efl'eclué  un  loge- 
ment sur  l'angle  du  chemin  couvert  de  la  flèche.  A  partir 
<les  derniers  jours  d'août,  on  jjrépara  le  premier  globe  de 


Stinveidiiil:  et  ixii  Journal  du  Slige  par  le  inujor  Lpfcbvro  Maoslrichl, 

1778. 


\ 


-  r'fêtm<mwnms  •*•••  •• 


1^1 


ÏRAVAl  X  UAiMMtOCIIK. 


425 


conipivssion  qu'on  fit  jouoi'  dans  la  nuit  du  1"  et  au 
2  septembre  avec  beaucoup  d'effet. 

Pendant  tout  le  mois  de  septeud)re  et  les  premiers  jours 
d'octobre,  la  lutte  se  poursuivit  entre  les  ingénieurs, 
Irançais  lous  deux,  (jui  dirigeaient  ratta([ue  et  la  (bMense. 
(iribeauval  semble  l'avoir  emporté  sur  son  compatriote 
en  science  et  on  hardiesse;  la  correspondance  de  Frédéric 
avec  Lefebvre  est  pleine  d'allusions  aux  galeries  d'ap- 
proche éventrées  par  les  mines  de  l'ennemi,  aux  mineurs 
chassés  ou  asphyxiés  par  les  camoutlcts,  aux  travaux  (pi'il 
a  fallu  recommencer  ou  réparer  à  la  suite  des  explosions, 
aux  coutremines  de  l'assiégé,  aux  difficultés  de  combattr(> 
l'invasion  de  l'eau,  à  l'inexpérience  des  mineurs  prus- 
siens. 

Tanentzien  et  Lefebvre  étaient  décourages  :  «  A  peine 
faisons-nous  quehpies  progressons  terre (1),  que  l'ennemi 
fait  sauter  une  mine  et  ruine  tout;  c'est  ainsi  que  c'est 
arrivé  hier  après-midi  à  A  heuics,  nous  avons  perdu  deux 
mineurs  et  un  sapeur.  » 

«  Le  major  Lefebvre  ne  sait  plus  quoi  faire;  il  va  re- 
commencer les  travaux  des  mineurs  et  cherchera  à  in- 
({uiéter  l'ennemi  en  travaillant  sous  la  llèche.  » 

Cependant  les  offres  répétées  de  capitulation  faites 
par  la  garnison  étaient  de  nature  à  encourager  les  assié- 
geants. 

Nous  avons  déjà  relaté  les  tentatives  du  gouverneur 
Guasco  pour  obtenir  une  clause  permettant  aux  10. 000  hom- 
mes de  \a  garnison  de  rejoindre  l'armée  de  Daun  avee 
artillerie  et  bagages;  cette  proposition  repoussée  fut  re- 
nouvelée le  28  août  sans  succès.  Les  i',)  et  2(i  septembre, 
nouveaux  messages  de  la  place  offrant  de  se  rendre 
moyennant  liberté  sous  condition  de  ne  [)as  servir  contre 
la  Prusse   pour  une  période  d'un  an,  Tanentzien  inexo- 

(1)  Taiienl/.icn  A  liédéric,  19,  20  se|ileiiiliro    17()2.  Schoniiisj;,   vol.   III, 
|).  447. 


Il   I 


VË  I 


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426 


L\  GUEUUE  l)i:  SEPT  ANS.  —  CIIAP.  IX 


rablc  lit  répondre  qu'il  n'accepterait  (jue  la  reddition 
pure  et  simple,  la  g.iriiison  devenant  prisonnière  de 
j^uerre  et,  (ju'il  ne  recevrait  d'autres  parlementaires  que 
ceux  qui  seraient  autorisés  à  traiter  dans  ce  sens.  Le  Roi 
s'était  lait  illusion  sur  la  durée  du  siège;  au  début,  il 
avait  prédit  la  lin  dans  2  ou  3  semaines;  peu  à  peu  les 
délais  avaient  augmenté;  le  fi  octobre,  3  jours  avant  la 
chute  de  la  place,  il  écrivait  (1)  à  son  frère  :  «  Si  (Iribeau- 
val  ou  le  diable  ne  s'en  mêlent  pas,  j'espère  de  vous  don- 
ner de  bonnes  nouvelles  de  notre  siège  ;  mais  ce  que  je 
vous  dis  est  conditionnel  au  cas  qu'une  maudite  mine  ne 
nous  retarde  pas  de  quelques  jours  ou  que  l'ennemi  ne 
nous  fasse  pas  d'autres  chicanes.  Le  siège  doit  vous  en- 
nuyer beaucoup,  cependant  je  puis  vous  assurer  que  nous 
ne  négligeons  rien.  » 

Le  24  septembre,  impatient  de  ces  lenteurs,  Frédéric 
transféra  son  quartier  général  de  Peterswaldau  àBoegen- 
dorf  aGn  de  pouvoir  surveiller  les  opérations  de  plusprès. 
Il  fit  en  eff<!t  faire  quelques  modifications  aux  travaux 
d'approche,  mais  il  est  diflicile  de  dire  si  elles  firent  plus 
pour  hiVter  le  dénouement  que  l'explosion  d'une  pou 
drière  qui  vint  jeter  le  désarroi  parmi  les  assiégés;  le 
8  octobre  une  bombe  mit  feu  au  magasin  dans  la  gorge 
du  fort  Jauernick.  L'effet  fut  désastreux  :  le  mur  de  la 
gorge  fut  renversé,  2  oifîciers  et  300  soldats  furent  ense- 
velis sous  les  décombres.  Les  Autrichiens  barricadèrent 
la  brèche  avec  de  grands  chevaux  de  fiise,  mais  elle 
n'en  était  pas  moins  ouverte.  Le  lendemain  les  assié- 
geants firent  jouer  une  mine  dont  l'explosion  ouvrit  une 
nouvelle  brèche  «  qui  n'endommagea  pas  cependant  le 
revêtement  de  l'enveloppe  du  fort  Jauernick  »,  mais  qui 
projeta  une  masse  de  terres  jusqu'en  haut  du  parapet. 
«  Deux  compagnies  prussiennes  se  glissèrent  à  droite  et 

(I)  Frédéric  à  Henri,  Bcrgendorf,  le  6  oclohre  17(12.  Correspondance  Po- 
litique, XXlll.  p.  25C.  , 


i 


^ffTwp  -^a,i«ù»taJi%«»  - 


CAPITULATION. 


427 


le 


h  gauche  du  chemin  couvert,  mais  l'ennemi  ayant  fait 
des  traverses  avec  des  gabions,  il  en  sortit  un  feu  très  vit 
de  mousqueterie  pendant  le  reste  de  la  nuit  et  nous 
perdîmes  beaucoup  de  monde.  iNos  gens  se  retirèrent 
dans  les  entonnoirs;  ceux-ci  étant  battus  de  revers  par 
la  flèche  de  Striegau,  nous  ne  laiss.Vmes  qu'une  trentaine 
de  grenadiers  dans  les  entonnoirs.  »  A  en  croire  ce  récit 
emprunté  au  joiurnal  du  siège  du  major  Lcfebvre,  la 
place  devait  être  en  état  de  prolonger  encore  la  résis- 
tance. Néanmoins,  vers  9  heures  du  matin  le  9  octobre, 
on  battit  la  chamade.  Gnasco  avait  réuni  un  conseil  de 
guerre;  tous  les  membres  à  l'exception  du  général  Gian- 
nini  et  d'un  major  d'artillerie  qui  croyaient  encore  à  la 
possibilité  d'une  sortie  en  masse,  opinèrent  pour  la  capi- 
tulation; elle  fut  signée  le  même  jour.  Marie-Thérèse  ré- 
compensa largement  (1)  la  conduite  des  défenseurs  de 
Schweidnitz.  Des  3  généraux,  Guasco  fut  promu  «  feld- 
zeugmeister  »,  Giannini  et  Gribr  uval  furent  nommés 
«  Feldmarshall  >;.  Les  officiers  reçurent  une  gratification 
de  6  mois  ou  d'un  an  de  solde,  les  soldats  d'un  mois. 
La  garnison  prisonnière  de  guerre  fut  dirigée  sur  l'in- 
térieur de  la  Prusse. 

Schweidnitz  se  rendit  aux  dures  conditions  imposées 
par  le  Roi  après  un  siège  de  GV  jours.  La  garnison  se 
composait  encore  de  9.000  hommes;  elle  avait  éprouvé 
une  perte  de  32  officiers  et  t.iSVS  soldats  tués  ou  morts 
de  leurs  blessures,  52  officiers  et  2.218  blessés,  c»  Ile  des 
assiégeants  était  A  peu  près  égale  :  20  officiers  et  1 . 1 10  sol- 
dats tués  ou  morts  de  leurs  blessures;  V8  officiers  et 
2.000  soldats  blessés.  Dans  la  forteresse,  les  vainqueurs 
trouvèrent  60  canons  de  tonte,  30  de  fer,  'i^O  mortiers, 
2  obusiers,  1.002  quintaux  de  poudre.  .\vec  la  chute  de 
Schweiduitz,  se  lermine  la  campagne  de  Silésie,  sa  résis- 


'-r 


.» 


(1)  Arnelt),  vol.  VI.  p.  343. 


4'i8 


LA  GUEHRK  DE  SEPT  ANS.  —  CHAP.  IX. 


tance  inattendue  avait  retenu  le  roi  beaucoup  plus  long- 
temps (ju'il  ne  pensait. 

Aussitôt  la  place  rendue,  le  Roi  avait  détaché  sur  la 
rive  droite  du  Bober,  à  Ilirschberg  où  il  arriva  le  17  oc- 
tobre, un  corps  de  20  bataillons,  55  escadrons  et  60  ca- 
nons de  parc  sous  les  ordres  du  comte  de  Neuwied  ;  l'ci- 
vant-garde  du  général  Schmettau  fut  poussée  jusqu'à  la 
Lusace  supérieure.  Daun  imita  aussitôt  ce  mouvement  en 
taisant  marcher  sur  Zitlau  le  prince  Albert  de  Save  avec 
une  partie  des  troupes  postées  à  Trautenau;  en  même 
temps  il  resserra  ses  cantonnements  et  ne  laissa  dans  ses 
ouvrages  de  campagne  que  des  piquets.  Frédéric  donna 
ordre  à  Neuwied  de  continuer  sa  marche  vers  Dresde 
et  envoya  le  brigadier  Stechow  avec  6  bataillons  et  10  es- 
cadrons prendre  sa  place  à  Ilirschberg.  Les  20,  23,  et  20 
octobre  de  nouveaux  envois  de  troupes  lurent  dirigés  vers 
la  Haute-Silésie,  et  vers  la  Saxe.  Eiilin,  le  Uoi  de  sa  per- 
sonne partit  le  31  pour  l'électorat  après  avoir  remis  le 
commandement  au  duc  de  Bevern.  Des  deux  côtés,  on 
était  las  de  faire  campagne  ;  aussi  se  mit-on  d'accord 
pour  la  trêve  habituelle  de  l'hiver  qui  fut  signée  le  2i  no- 
vembre et  qui  s'étendit  à  la  Silésie  et  à  la  Lusace. 

En  Saxe,  les  hostilités  s'étaient  poursuivies  pendant 
le  mois  d'octobre  et  après  quelques  vicissitudes  de  for- 
lune  s'étaient  terminées  par  une  brillante  victoire  du 
prince  Henri. 

Le  changement  de  commandement  de  l'armée  de  Saxe 
s'était  opéré  au  commencement  de  septembre:  Marain- 
ville  (1)  en  annonçant  l'arrivée  de  liadick  déclare  que 
u  Serbelloni  est  parti  peu  regretté  ». 

Le  siège  de  Schweidnitz  était  loin  d'être  terminé  que 
déjà  le  Boi  échangeait  avec  son  frère  ses  vues  sur  la  suite 
à  donner  aux  opérations.  Il  envisageait  la  prise  de  Dresde 

(1)  Marainvillc  au  duc  de  l'hoiseul,  Dresde,  13  septembre  1762.  Archives 
(le  la  Cluerrc.  ,  , 


V  ■ 


J-»"3L/ 


w'jgiar^B  i.-ï^~7;s^-je 


PROJETS  Dli  FltKDERIC  CONTUE  DHESDE. 


4'!'.» 


comme  devant  être  le  dernier  acte  de  la  campagne.  Dans 
une  lettre  de  Frédéric  du  12  septembre  (1)  nous  trou- 
vons un  exposé  de  la  situation  :  Il  serait  désirai)le  de  re- 
couvrer le  comté  de  Glatz,  mais  <<  ce  comté  est  entouré 
d'ouvr.iges,  toutes  les  gorges  et  entrées  sont  fortifiées 
jusqu'aux  dents  et  quand  môme  nous  pourrions  y  enirer, 
le  siège  de  Schweidnitz  a  consommé  la  plus  grande  par- 
tie de  nos  munitions,  ce  qui  nous  empêcherait  également 
de  reprendre  la  forteresse  de  (ilatz;  toutefois  en  repre- 
nant Dresde  nous  aurions  un  équivalent  et  pour  ravoir 
cet  électoral,  on  serait  hier»  obligé  de  nous  rendre  ef 
Glatz  et  le  pays  de  Clèves  et  de  Gueidre.  Voilà  donc  pour- 
quoi je  regarde  la  prise  de  Dresde  comme  le  coup  le  plus 
important  pour  nous...  Je  me  propose  de  marcher  avec 
30  bataillons  et  70  escadrons  en  Saxe  droit  à  Dresde  ;  si 
je  puis  y  arriver  avant  Daun,  j'espère  que  nous  ferons 
décamper  Hadick  et  que  vous  pourrez  assiéger  Dresde; 
je  couvrirai  le  siège  du  côté  de  Weissig  et  tout  ira  à 
merveille.  Daun  qui  ne  s'est  pas  battu  pour  Schweidnitz, 
ne  se  battra  pas  pour  Dresde  )i. 

A  cette  lettre,  le  prince  Henri  répond  (2)  le  17  septem- 
bre :  L'armée  de  Hadick  est  forte  de  87  bataillons  (*t  de 
176  escadrons,  sur  lesquels  33  bataillons  appartiennent 
aux  forces  de  l'Empire  et  encore  dans  ce  total  ne  sont  pas 
compris  les  3  bataillons  de  la  garnison  de  Dresde.  Étant 
donné  ces  forces  et  les  postes  qu'elles  occupent,  il  est  im- 
possible de  songer  à  les  entamer  par  une  attaque  de 
front;  il  faut  donc  avoir  recours  à  des  diversions  en  Ho- 
hême.  «  J'ai  tâché  d'en  faire,  mais  je  n'ai  janiais  pu  le 
faire  en  force,  et  n'ai  par  conséquent  pu  arriver  à  leur 
magasin  de  Leitmeritz  qui  est  très  considérable;  en  le 


vh, 


p 


1, 


(1)  Frédéric  à  Henri,  Peterswaldau,  12  se|ilemlire  1762.  Schoning,  vol.  III, 
p.  433. 

(2)  Henri  à  Frédéric,  Prelzscliendorf,  17  seplirnlire  1762.  Schoning,  vol.  III. 
p.  443. 


1 


130 


LA  GL'EUUK  DE  SEPT  ANS.     -  CHAP.  IX. 


leur  hrùlant,  je  pense  que  ce  serait  un  des  moyens  qui 
pourraient  nous  conduire  vers  Dresle.  »  Une  autre  solution 
serait  do  faire  croire  au  siège  de  Glatz  ;  «  cela  oblig"erait 
peut-être  le  maréchal  Uann  à  se  rencoigner  dans  le  comté 
de  Glatz  »,  et  l'empêcherait  de  marcher  vers  Diesde.  Le 
prince  n'est  p.-is  partisan  du  mouvement  du  Roi  sur  la 
capitale  de  la  Saxe;  déjà  l'ennemi  prend  ses  précautions; 
il  a  fait  jeter  un  [)ont  sur  l'Elbe  entre  Lanbegnet  et 
l'illwitz.  '<  Or,  (|uand  même  vous  arriveriez  un  jour  ou 
deux  avant  le  maréchal  Daun,  ce  dernier  passerait  tou- 
jours à  Pillnitz  et  alors  la  jonction  des  deux  armées  ren- 
drait l'entreprise  sur  Dresde  entièrement  impossible.  » 
En  résumé,  il  estime  qu'il  faut  «  éloigner  Dai'n  et  faire 
un  détachement  qui  fût  bien  conduit  sur  Leitmeritz  ».  A 
son  tour,  le  Koi  réfute  le  contre-projet  de  sim  i'rère  en 
démontrant  l'impossibilité  d'une  invasion  du  comté  de 
Glatz  et  d'une  opération  du  coté  Leitmeritz. 

Aucun  incident  nouveau  ne  survint  jusqu'à  la  fin  de 
septend)re.  Le  27,  à  la  suite  d'un  mouvement  oll'ensif  de 
iladick,  Kleist  fut  obligé  de  se  replier  jusqu'à  Wcrda;  le 
lendemain  les  Prussiens  durent  repasser  la  Mulda;  le  29 
il  y  eut  combat  entre  Hulsen  et  le  corps  autrichien  de 
Uied  à  la  suite  duquel  le  premier  dut  reprendre  son 
camp  de  Schlettau  et  Katzenhausen.  «  En  restant,  écrit 
le  prince  Henri  (1),  je  risquais  une  défaite  entière,  sans 
retraite,  en  cas  de  malheur.  L'ennemi  en  force  de  tous 
cùtés  présentait  5  ou  6  bataillons  où  à  peine  j'en  avais 
un;  d'ailleurs  '1  pouvait  nous  venir  entièrement  à  dos.  » 
Marainville  fait  (2)  de  cet  engagement  le  récit  suivant  : 

(i  Je  dirai  seulement  à  Monseigneur  qu'hier  il  (Hadick) 
a  fait  attaquer  M.  de  llulsen  dans  la  partie  de  la  forêt  de 
Tharand  qui  est  vis-à-vis  de  Landsberg,  qu'on  nomme 

(1)  Henri  à  Frédéric,  Frevljurg,  30  septembre  1762.  Schroning,  IV,  p.  425. 

(2)  Marainville  au  duc  de  Clioiseul,  Salisdorf,  30  septembre  1762.  Arcli. 
(luerre.  -    . 


Vli'l-L 


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RKCIT  DE  MAIlAINMLLIi. 


4.')( 


Speechtbuus;  on  y  a  forcé  2  ahalis,  emporté  <Ioux  ou  trois 
redoutes,  pris  ^i-  pièces  de  canon  et  fait  près  de  VOO  prison- 
niers. Cette  attaque  a  été  faite  par  M.  le  général  Ried,  sous 
les  ordres  de  M.  le  général  d'infanterie  de  Wicd.  Elle  a 
coûté  au  moins  500  hommes.  Les  troupes  ont  montré  une 
valeur  infinie  en  forçant  les  ahatis  qui  ont  été  bien 
défendus;  il  y  a  un  bataillon  du  régiment  de  Thurbeim 
(jui,  lui  seul,  a  perdu  aussi  beaucoup  de  monde.  11  y  a  en 
une  autre  attaque  au  village  de  Dertlayn,  vers  la  hauteur 
de  Klingenberg,  (jui  n'était  que  fausse  et  pour  faire  une 
diversion  à  la  première,  H  y  a  eu  des  démonstrations  dans 
tout  le  front  de  la  position  de  M.  le  prince  Henri,  pour 
tenir  ses  forces  partagées;  et  on  a  chassé  de  plusieurs 
bois  des  chasseurs  et  des  bataillons  francs  qui  les  occu- 
paient avec  des  abatis.  Et  enfin  le  corps  de  M.  le  prince  de 
Eowenstein  et  de  M.  le  général  Campitelli  ont  tourné  la 
droite  de  l'ennemi  du  côté  de  Grosliartniansdorf  et  de  Dil- 
lersbach,  et  ont  eu  une  très  vive  canonnade  avec  l'ennemi 
et  ont  fait  environ  500  prisonniei's.  M.  de  Thoreck  a  été 
poussé  avec  environ  2.000  chevauv  et  des  Croates  vers 
Freiberg.  Cette  manœuvre  a  sans  doute  déterminé  M.  le 
prince  Henri  à  se  retirer  sur  cet  endroit,  et  on  assure 
qu'il  a  aujourd'hui  son  quartier  général  à  Gros-^chirma. 
M.  de  Ilulsen  a  abandimné  également  .sa  position  de 
Wilstroff  pendant  la  nuit  pour  .se  retirer  au  delà  du 
ravin  de  Meissen.  Nous  avons  avis  que  la  gi'osse  artil- 
lerie a  été  conduite  jusqu'à  (Irosschirraa,  et  que  celle  qui 
avait  d'abord  été  conduite  à  Freiberg  a  eu  le  même  ordre 
avec  les  bagages  qui  y  étaient.  Cela  fait  croire  que  M.  le 
prince  Henri  ne  se  proposa  point  de  soutenir  Freiberg, 
mais  seulement  le  camp  de  Katzenhausern,  et  de  mettre 
un  petit  corps  à  Schirma  et  à  Goldberg  pour  barrerdcpuis 
la  Mulda  jusqu'à  la  Strigiss,  qui  est  un  très  bon  ruisseau, 
et  par  là  couvrir  Nossen  et  Rossvein  pour  lier  cette  posi- 
tion avec  celle  de  Katzenhausen.    M.  le  général  Hadick 


l. 


iv, 


Wî 


LA  OUKRKK  nK  SEPT  ANS.  —  CHAI».  IX. 


H) 


espère  que  M.  le  prince  llcni'i  nt  soutiendra  point  Frei- 
bei'g  avec  opiniAtreté,  niîiis  seulement  Jus([u'i\  ce  (|u'il  it 
lait  les  manœuvres  propres  à  l'engager  de  l'abandonner, 
en  supposant  qu'il  trouve  le  moyen  de  le  faire.  Je  me 
tlatte  qu'on  y^parviendr.i,  si  la  prolongation  du  siège  de 
Schweidnitz  en  donne  le  temps,  sans  cependant  oser  l'as- 
surer. »  ■  -- 

Quoiqu'il  ei\t  conservé  ses  positions  principales  et  que 
ses  pertes  n'eussent  pas  dépassé  celles  des  Autrichiens,  le 
prince  Henri  se  détermina  à  évacuer  son  camp  de  Pret- 
schendorf  et  i\  s'établir  aux  environs  de  Freybcrg'  derrière 
la  Mulda,  pendant  que  Hulsen  retournerait  aux  retranche- 
ments de  Schlettau  et  de  Katzeuhausen.  Le  départ  eut 
lieu  le  30  septembre  i\  2  heures  du  matin;  à  10  heures  les 
ï  colonnes  de  l'armée  fortes  de  21  bataillons  et  3j  esca- 
drons avaient  franchi  la  Mulda  sans  avoir  été  inquiétées  ; 
elles  étaient  établies  derrière  le  bourg  de  Brand,  sur  les 
hauteurs  de  Langenrinne  à  Berthelsdorf,  le  quartier  géné- 
ral était  à  Freyberg.  Ilulsen  avec  ses  17  bataillons  et 
\  5  escadrons  effectua  également  dans  la  matinée  sa  retraite 
sur  la  position  de  Katzenhausou. 

Jusqu'au  13  octobre,  il  y  eut  suspension  presque  com- 
plète des  hostilités.  Hadick  en  profita  pour  préparer  l'atta- 
i[UQ  de  Freyberg;  à  cet  effet  il  fît  avancer  les  troupes  des 
cercles  sous  les  ordresdu  prince  Stolberg-  qu'il  renforça  des 
Autrichiens  de  Campitelli  promettant  de  les  soutenir  avec 
toute  l'armée.  En  exécution  de  ces  ordres  le  ï  octobre, 
Stolberg-  s'établit  à  Franchenstein;  le  5  Campitelli  prit  posi- 
tion sur  les  hauteurs  derrière  le  village  de  Cheninitzavec 
8  bataillons  et  3  régiments  de  cavalerie  ;  enfin  Luzinski 
avec  quelques  réguliers  et  des  troupes  légères  s'intalla  près 
de  l'armée  des  Cercles  à  Burkersdorf.  Le  14,  Hadick  fit 
tâter  sans  grand  succès  la  ligne  prussienne  ;  le  combat 
recommença  dans  l'après-midi  du  15  par  une  canonnade 
que  Hadick  en  personne  dirigea  de  l'église  de  Conrads- 


SITUATION  CRITIQUE  DU  PIUNCK  HENRI. 


438 


dorf  contre  les  Prussiens  à  Tuttendorf.  Cette  démons- 
tration bruyante  avait  pour  but  de  dissimuler  la  véritable 
attaque  orientée  sur  la  position  de  Freyberg-  et  qui  avait 
été  confiée  à  Stolberg  et  Campitclli.  Ce  dernier  s'empara 
du  Kathswald,  fut  repoussé  quand  il  tenta  de  déboucher 
de  ce  bois,  mais  parvint  à  tourner  la  redoute  du  Kubberg. 
Le  général  prussien  Syburg  prit  les  Autrichiens  pour  les 
soldats  de  son  compatriote  Helling;  quand  il  s'apen-utde 
son  erreur,  il  était  trop  tard;  le  régiment  de  Sallmuth 
cerné  par  l'infanterie  de  Campitelli  et  par  les  iiussards 
de  Veczay  ne  put  se  frayer  un  passage  sur  Erbisdorf  et  fut 
fait  prisonnier  presque  en  entier.  Le  bataillon  de  grena- 
diers Jlalkstcin  eut  le  même  sort  au  village  d'Erbisdorf. 
Les  Prussiens  durent  reculer  jusqu'à  la  hauteur  de  Frey- 
berg  ;  la  nuit  mit  fin  à  la  bataille.  Le  prince  Henri  se  trou- 
vait dans  une  situation  fort  critique  :  Les  Impériaux 
avaient  leur  avant-garde  au  Spittelwald  et  s'étendaient 
depuis  Erbisdorf  jusqu'au  Galgenberg  de  Freyberg;  ils 
étaient  par  conséquent  parvenus  dans  le  dos  de  Seydiitz 
et  des  défenseurs  de  la  ligne  de  la  Mulda  h  Berthelsdorf, 
lesquels  se  trouvaient  en  l'air  et  séparés  de  l'aile  droite  à 
Langenrinne.  Le  prince  se  décida  à  abandonner  la  posi- 
tion de  Freyberg  qu'il  jugeait  très  compromise.  La  journée 
du  15  seule  lui  avait  coûté  37  officiers  et  1.600  soldats 
tués,  blessés  ou  pris,  9  canons  et  les  drapeaux  du  régi- 
ment de  Sallmuth.  Dans  la  nuit  du  29  au  30,  les  Prussiens 
eii'ectuèrent  leur  retraite;  ils  installèrent  leur  droite  au 
village  de  Keichenbach  le  dos  au  Zellaerwald,  leur  gauche 
à  (ir.  Voigtsberg,  les  bagages  à  Rosswein  au  delà  de  la 
Mulda,  le  quartier  général  à  Ober  Cruna.  Dans  sa  dépêche 
du  16  octobre,  le  prince  Henri  reconuait  il)  sa  défaite  : 
«(  L'ennemi...  comme  la  nuit  arrivait  heureusement,  resta 
sur  les  hauteurs  en  deçà  de  Brand,  car  s'il  avait  fait  jour, 


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(1)  Henri  à  Frédéric,  Subenbchn,  10  o>'.lol)re  17G2.  Sclioning.  III,  p.  479. 
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I.A  (;UERRK  DK  SKPT  ANS.        CHU'.  IX. 


je  n'aurais  puni  me  retirer,  ni  atta(|uer;  en  un  mot,  nous 
aurions  ét^^  perdus  sans  ressources,  je  n'avais  plus  rien  et 
toute  notre  ligne  consistant  en  15  bataillons  le  long-  de  la 
Muldc,  étaittenueparles  attacjuesde  lladick;nous  sommes 
marchés  la  nuit,  nos  coloimes  ont  passé  à  cent  pas  devant 
les  feux  du  corps  qui  avait  attaqué  notre  tlanc,  nous  avions 
des  chemins  horribles  où  rartillcrie  a  été  embourbée; 
enfin  j'ai  pris  mon  camp  entre  Keichenbach  et  G.  Voigts- 
berg.  » 

A  la  suite  de  l'action  du  lô,  il  n'y  eut  entre  les  deux- 
années  que  des  escarmouches  insignifiantes.  Cotte  inter- 
ruption des  hostilités,  due  en  grande  partie  au  mauvais 
temps,  dura  jusqu'au  21.  Ce  jour-là  il  y  eut  des  démons- 
trations de  troupes  autrichiennes  dans  les  environs  de(ir. 
Schirma.  On  se  fortifia  des  deux  côtés,  les  Prussiens  entou- 
rcn^nt  d'ouvrages  de  campagne  Rossen  où  leur  quartier 
général  avait  été  transporté  et  jetèrent  8  pontsi  sur  la 
Mulda.  Le  prince  Stolberg  qui  avait  été  renforcé  p(>rta  une 
partie  de  son  monde  derrière  le  défilé  de  Kl,  VValtersdorf, 
le  reste  derrière  le  Spittelwald  et  jus([u'aux  hauteurs 
derrière  Freyberg.  Toutes  ces  positions  furent  défendues 
par  des  tranchées  et  des  abatis. 

Frédéric  aurait  désiré  que  son  frère  se  réunit  au  cot'ps 
de  Neuwied  venant  de  Silésie,  qu'il  concentrAt  toutes  ses 
forces  vers  Meissen  et  ({u'il  entreprit  le  siège  de  Dresde. 
Ce  projet  fut  modifié  sur  les  observations  du  prince  Henri. 
Le  19  octobre,  Neuwied  quitta  les  environs  de  llirsch- 
berg;  le  22  il  était  à  Lichtenberg  d'où  il  détacha  20  esca- 
drons dans  la  direction  de  Zittau,  afin  de  faire  craindre 
aux  Autrichiens  une  course  en  Bohême;  le  27  il  était 
arrivé  à  Gr.  Hartha  ;  Krochow  avec  une  avant-garde  de 
2  bataillons  et  15  escadrons  occupait  Radeberg.  De  son 
côté,  le  prince  Albert  de  Saxe  qui,  depuis  le  27  septembre, 
était  campé  avec  14  bataillons  et  30  escadrons  près  de 
Trautenau,  avait  reçu  le  17  octobre  de  Daun  l'ordre  de 


< 


POSITION  DKS  AUTHICHIENS. 


435 


marcher  vers  Zitt.iu  avec  la  moitié  de  son  corps;  on  route, 
sur  l'invitation  de  lladicU,  il  se  porta  rapidement  à  Stol- 
pen;  dans  cotte  localité,  il  rencontra  IlolionzoUern  et  de 
là  les  deux  contingents  yagoèrent  Dresde  où  ils  arrivèrent 
le  29  octobre. 

Il  semblait  naturel  que  le  prince  Henri  atlcnilît  l'arrivée 
du  corps  de  Neuwied  pour  [)rendre  sa  revaiiclie  de  l'écliec 
du  ir»;  mais  soit  crainte  de  voir  lladicU  plus  rapproché 
recevoir  ses  renforts  le  premier,  soit  désir  de  ne  pas 
laisser  aux  Autrichiens  le  temps  de  compléter  les  ouvra- 
ges défensifs  dont  ils  «ommeuçaient  à  couvrir  leurs  lignes, 
soit  ambition  de  remporter  un  succès  dont  il  aurait  toute 
la  gloire  avant  l'arrivée  du  lloi,  le  prince  se  décida  à 
tenter  un  ellort  pour  reprendre  son  camp  de  Freyberg. 

Les  renseignements  prussiens  (1)  sur  les  forces  (pie 
Stolberg  pouvait  mettre  en  ligne,  diffèrent;  tantôt  ils  lui 
donnent  kb  bataillons  et  7Y  escadrons  en  majorité  autri- 
chiens, mais  avec  un  appoint  considérable  de  troupes  des 
Cercles;  tantôt  ils  lui  attribuent  '*!)  bataillons  et  08  esca- 
drons. La  droite  de  ce  princ*;  occupait  sur  les  collines  en 
arrière  de  Kl.  Walteisdorf  des  tranchées  non  encore  ache- 
vées et  garnies  d'artillerie  de  position.  Le  général  Brunian 
surveillait  avec  des  troupes  légères  et  2  régiments  de 
hussards  le  terrain  entre  les  bois  de  Nonnenwald  et  de 
Stiuthvvald.  Le  centre  des  alliés  avait  le  bois  de  Spittel- 
^vald  sur  son  front;  la  défense  de  la  lisière  de  ce  bois  et 
des  tranchées  tracées  entre  Kl.  Schirniii  et  Kl.  VValtersdorf 
lui  incombait  ainsi  (|ue  celle  d'un  abafis  non  encore  ter- 
miné qui  ne  dépassait  guère  la  route  de  Freyberg  à  Kl. 
Schirma.  La  gauche  bordait  le  Spittelwald  ;  elle  était 
soutenue  de  près  par  quelque  infanterie  et  à  distance  par 
la  division  Mayer  postée  sur  le  Kuhberg  près  d'Krbisdorf 
et  forte  d'environ  G. 000  hommes.  A  Freyberg,  un  gros 

(1)  Geschiclite  (1er  siebenjaihrigcn  Kiieges  von  den  groszen  Generalslabs 
vol.  VI,  Derlin,  1841,  p.  415. 


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488 


LA  GUERIIK  DR  SEPT  ANS. 


CIIAP.  IX. 


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détachement  d'infanterie  était  en  réserve.  La  position  des 
trois  mamelons  on  des  trois  croix  entre  Freyher^"  et  le 
Spittelwald  servait  de  réduit.  l»our  son  attaque,  le  prince 
Henri  avait  à  sa  disposition  31  bataillons  et  71  escadrons, 
les  derniers  à  ellettifs  réduits;  à  peu  près  ép-al  en  cava- 
lerie, il  était  inférieur  en  infanterie  à  son  adversaire;  le 
plan  élaboré  par  son  état-major  et  lui  consistait  à  retenir 
la  droite  de  ses  adversaires  i\  Kl.  NValtersdorf,  alors  que 
le  princi[)al  assaut  serait  livré  contre  leur  centre  ;  en  cas 
de  progrès  suffisant,  l'otrensive  continuerait  dans  la  direc- 
tion de  Freyberg.  Le  général  Ilulsen  aurait  pour  mission 
de  reprendre  son  ancienne  position  des  Katzenhausen  et 
d'occuper  l'attention  de  l'ennemi  du  côté  de  Naundorf, 
Hutte  et  des  Landeberge.  Les  rôles  essentiels  étaient  ré- 
partis entre  Klcist,  Seydlitz,  Durenholfen,  les  deux  Stut- 
terheim  et  Helling.  La  clef  de  la  position  ennemie  à  en- 
lever était  le  bois  de  Spittelberg  et  les  redoutes  des  trois 
mamelons  près  de  Freyberg. 

Dans  la  nuit  du  28  octobre,  et  conformément  à.  des 
instructions  détaillées  qui  in  ';  juaient  une  connaissance 
approfondie  du  terrain,  l'armée  prussienne  se  mit  en 
mouvement,  se  forma  sur  la  ligne  Braunsdorf,  Lang  Neu- 
nesdorf,  (i.  Schirma  et  y  attendit  le  jour,  sans  feux  et 
sous  les  armes.  Stolberg  avait  fait  ses  préparatifs  de  dé- 
fense, il  avait  également  fait  prendre  à  ses  troupes  les 
armes  dès  minuit,  plier  ses  tentes,  avertir  Buller  et  Hadick 
et  renvoyé  ses  bagages  de  l'autre  côté  de  la  Mulda.  Aussi- 
tôt le  jour  venu,  le  prince  Henri  qui  était  à  la  tète  des 
colonnes  de  l'aile  droite,  <lonna  le  signal  de  l'ofl'ensive. 
Kleistavec  une  avant-garde  composée  de  troupes  de  diffé- 
rentes armes,  traversa  Wegefarth,  laissa  Ôber  Schona  à 
droite  et  prit  la  direction  de  Saint-Michel.  Les  brigades 
Duringshofen  etManstein,  les  grenadiers  de  Queiss  et  deux 
régiments  de  dragons  suivirent  la  même  route. 

En  môme  temps,  Belling  avança  vers  Struth,  en  chassa 


COMItAT  DE  IREYIIERU. 


4,17 


quelcfues  tiraillcui's  ennemis,  fit  reculer  le  général  Hru- 
nian  vers  Kl.  Waltersdorf,  occupa  le  bois  de  Struth,  et 
poussa  srs  hussards  en  avaiif.  Pendant  (|ue  .liiui;'  Stut- 
terlieim  avec  sa  brigade  rt  2  r'éginieuts  de  cuirassiei-s 
s'engageait  entre  Struth  et  Kl.  Schirnia  et  se  déployait  la 
droite  à  ce  dernier  village,  son  canon  sur  le  Iront.  Alt 
Stutterheim  formait  ses  troupes  entre  Struth  et  le  hois  de 
Nonnenwald  et  ouvrait  le  leu  contre  l'aile  droite  ennemie; 
il  l'ut  bientôt  rejoint  [)ar  l'artillerie  prussienne  du  parc, 
(|ui  avait  été  laissée  momentanément  sur  les  hauteurs  de 
Braunsdorf.  L'attaque  se  dessinant  ainsi  sur  la  droite  des 
Autrichiens,  le  prince  Henri  avec  son  aile  droite  suivit  la 
rive  droite  du  ruisseau  de  Strigis  jusqu'à  Saint-Michel, 
Ht  chasser  quelques  hussards  et  croates  postés  entre  ce 
village  et  le  Spittelwald,  et  refoula  trois  bataillons  hon- 
grois qui  gardaient  la  partie  sud  du  bois;  un  de  ces  ba- 
taillons dont  la  retraite  se  trouvait  coupée  fut  capturé. 
On  en  était  là  de  l'attaque  quand  on  aperçut  la  division 
autrichienne  du  général  Meyer  qui  se  profilait  sur  le  Kuh- 
bcrg  près  d'Erbisdorf.  —  Stolberg  venait  de  la  renforcer 
de  3  bataillons  et  de  plusieurs  régiments  de  cavalerie.  — 
L'état-major  prussien  avait  jusqu'alors  ignoré  sa  présence  ; 
devait-il  poursuivre  le  projet  d'attaque  tel  qu'il  avait  été 
communiqué  aux  chefs  de  colonnes  ou  en  présence  du 
fait  nouveau  marcher  contre  Meyer  qui  pouvait  prendre 
de  flanc  les  assaillants?  Sur  l'avis  de  Kleist  qui  connaissait 
l'adversaire  et  le  déclarait  fort  peu  entreprenant,  on  se 
contenta  pour  le  contenir  de  lui  opposer  la  brigade  I)u- 
ringshofen,  deux  autres  bataillons,  quelques  escadrons  de 
dragons  et  ï  canons  de  parc.  Ce  détachement  se  porta 
entre  Saint-Michel  et  le  Spittelwald  et  engagea  avec  Meyer 
un  combat  d'artillerie.  Le  reste  des  Prussiens  auquel  s'était 
jointe  l'avaiit-garde  de  Kleist  continua  sa  marche  à  travers 
le  Spittelwald.  Aussitôt  le  bois  franchi,  les  têtes  de  colon- 
nes furent  Urirrées  les  unes  à  gauche  sur  la  briqueterie. 


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LA  r.UKRKK  DK  SKPT  ANS.  —  ClIAP.  IX. 


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les  autios  sur  le  Uotlio  Vorwerk;  .hnit;  Stutterheiin  fut 
charf^-é  d'enlever  les  tranchées  à  rextiéniilé  du  Spiltel- 
wakl.  Stoll)erj^  so  vit  ainsi  assailli  de  tons  les  côtés. 

L'attaque  directe  des  Prussiens  ne  réussit  pas;  décimés 
par  le  feu  des  défenseurs  et  menacés  par  la  cavalerie 
ennemie,  ils  se  replièrent.  Le  prince  Henri  lança  alors  à 
leur  aide  ses  réserves  appuyées  par  un  fort  appoint  de  ca- 
valerie. Celle  des  alliés  n'attendit  pas  le  clioc  et  alian- 
donnason  infanterie.  Ainsi  favorisés,  les  soldats  du  prince 
Henri  continuèrent  à  gagner  du  terrain,  s'emparèrent 
des  retranchements  qui  étaient  encore  inachevés  et  de 
plusieurs  pièces  de  canon  et  poussèrent  l'adversaire  Jus- 
qu'au llilger.s- Vorwerk  puis  au  delà  do  la  Mulda;  cette 
retraite  vigoureusement  poursuivie  par  la  cavalerie  de 
Zeidlitz  coûta  beaucoup  de  monde  aux  fugitifs. 

Meyer,  dont  la  conduite  justifia  le  pronostic  de  Kleist, 
avait  borné  son  action  à  une  canonnade  j\  peu  près  inof- 
fensive en  raison  de  la  distance;  se  voyant  sur  le  point 
d'être  tourné,  il  batlit  cm  retraite  sur  Herthelsdorf  et 
Weiezenborn  et  éventuellement  sur  Dippodiswalde. 

La  première  attaque  des  tranchées  'lu  SpitteUvaUl  avait 
échoué;  les  soldats  de  Stntterheim  Junior  pénétrèrent 
d'abord  dans  la  tranchée,  mais  chassés  par  un  retour 
offensif  de  l'ennemi,  et  en  butte  au  feu  de  l'artillerie 
autrichienne  en  batterie  derrière  Kl.  Waltcrsdorf,  ils  ne 
parvenaient  pas  à  prendre  l'avantage  malgré  l'arrivée  de 
quelques  renforts.  L'entrée  en  scène  de  la  grosse  artillerie 
que  Stntterheim  l'aîné  lit  avancer  de  Braunsdorf  et  de 
G.  Schirma  rétablit  les  affaires  des  Prussiens;  deux  balte- 
fies  puissantes  furent  formées,  qui  écrasèrent  par  leur 
tir  les  4  canons  que  leur  opposaient  les  Autrichiens;  ce 
résultat  obtenu,  les  pièces  furent  rapprochées  de  manière 
à  appuyer  rattacfue  du  prii  3  Heni'i  sur  les  ouvrages  du 
Spittelberg;  d'autre  part  ordr^;  fut  donné  au  général 
Belling  de  se  joindre  à  Stutterheim  pour  forcer  le  défilé 


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VICTOIIIE  DU  PIUNCK  IIUMU. 


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de  Kl.  Waltersdoi  f.  Ce  mouvement  offensif  secoi»  î"  par 
l'arlillerie  réussit  pleinement;  le  village  fut  oo(Mjp('',  les 
assaillants  se  divisèrent  :  les  uns  conduits  par  Helling 
franchirent  le  vallon  qui  sépare  Kl.  Waltersdorf  du  Spit- 
teUvald  et  donnèrent  leur  appui  à  ratta([ne  de  Stutter- 
heim  le  jeune;  les  autres  se  jjortèrent  à  l'assaut  des  hau- 
teurs en  arrière  de  Kl.  Waltersdorf.  La  cavalerie  impériale 
qui  y  était  postée,  déjiV  fort  éprouvée  par  le  canon  prus- 
sien, n'attejidit  pas  le  choc,  et  aussitôt  (|ue  les  fantassins 
de  Stuttorhcim  le  jeune  <'urent  dépassé  le  vilhige,  se  re- 
tira sur  Treyberg,  ahandonnant  îï  leur  sort  ses  camarades 
de  l'inlanterie.  Ceux-ci  repoussèrent  un  premier  assaut, 
mais  cédèrent  h  un  mouvement  tournant  grAce  auquel 
l'assaillant  était  entré  dans  les  tranchées.  Les  défenseurs 
s'enfuirent  en  désordre,  laissant  au  pouvoir  des  Prus- 
siens la  plus  forte  partie  de  Icui-  artillerie.  La  cavalerie 
royale  tomba  sur  les  fuyards  qui  avaient  perdu  toute  orga- 
nisation et  jetaient  leurs  fusils.  Le  général  l\oth  de  l'ar- 
mée des  Cercles,  beaucoup  d'ollicicrs  et  une  foule  de  sol- 
dats furent  faits  prisonniers. 

Sur  ces  entrefaitcj,  Stutterheim  le  jeune  avait  profité 
des  succès  de  son  frère  pour  renouveler  son  attaque  des 
ouvrages  du  Spitteiwald;  elle  reu-'ontra  peu  de  résis- 
tance, car  l'ennemi  eu  présence  de  la  prise  par  les  Prus- 
siens des  positions  qui  flanquaient  la  leur  n'avait  d'autre 
parti  à  prendre  quc^  celui  île  l.i  retraite.  Il  se  retira  avec 
précipitation  par  les  villages  de  Freybergsdorf  et  llil- 
bcrsdorf.  Le  général  Baudemer  avec  ses  cuirassiers  pour- 
suivit les  Impériaux  jusqu'à  la  Mulde  et  l'.'imassa  bon 
nombre  do  prisonniers  dans  la  ville  de  Kreyberg  et  dans 
ses  faubourgs.  Stutterheim  l'ainé  avait  poussé  jus<|u  à  la 
Mulde,  à  Tuttendorf,  où  le  prince  Stolberg  s'elforçiiit  de 
rallier  son  monde;  le  général  prussien  avait  prié  son 
collègue  Forcad<',  (jui  oc<'upait  les  hauteurs  de  (i.  Schirma 
et  n'avait  plus  d'ennemi  devant  lui,  de  marcher  jus([u'î\ 


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440 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS. 


CHAP.  IX. 


Tuttendorf  et  Hilheisdorf  de  manière  à  couper  la  retraite 
au  prince  Stolberg.  Le  généi*al  Forcade  prétextant  ses 
instructions  n'osa  pas  prendre  sur  lui  l'exécution  du  mou- 
vement qui  lui  avait  été  sug^géré.  Les  impériaux  purent 
donc  passer  la  Mulde  sar  s  êlre  inquiétés  autrement  que 
par  le  feu  des  grosses  pièces  mises  en  batterie  sur  les 
escarpements  de  la  rive  gauche.  Hulsen  ne  prit  aucune 
part  à  la  bataille  ;  il  trouva  le  terrain  évacué  et  ne  ren- 
contra que  quelques  escadrons  d'arrière-garde.  L'armée 
ennemie  dont  les  éléments,  à  l'exception  de  la  division 
Meyer  qui  avait  peu  combattu,  étaient  confondus  sans 
distinction  de  régiment,  gagna  Frawenstein  sous  la  pro- 
tection de  sa  cavalerie.  Celle-ci,  de  solidité  très  médiocre 
pendant  la  bataille,  n'aurait  pas  suffi  à  sa  tâche  si  ses 
adversaires  n'avaient  été  épuisés  par  la  fatigue  des  marches 
de  la  nuit  et  par  les  charges  répétées  du  jour.  Les  Au- 
trichiens de  Buttlar  qui  étaient  à  Naundovf  se  retirèrent 
à  Klingerberg  et  campèrent  à  Beerwalde.  L'armée  du 
prince  Henri  reprit  ses  positions  du  lô  octobre  autour  de 
Freyberg.  La  journée  coûta  cher  aux  alliés.  Le  nombre 
seul  des  prisonniers  s'éleva  à  5i  officiers  et  3.331  soldats 
autrichiens  et  à  un  général,  25  officiers  et  1.002  soldats 
des  Cercles,  sans  compter  de  nombreux  déserteurs  qui 
profitèrent  de  l'occasion  pour  abandonner  leurs  dra- 
peaux ;  les  Prussiens  s'emparèrent  en  outre  de  28  canons, 
beaucoup  de  caissons  et  de  9  drapeaux.  Ils  n'accusèrent  que 
l.VOO  tués  ou  blessés. 

Kaunitz  fit  (1)  à  Starhemberg  sa  version  de  la  ba- 
taille :  «  Le  combat  a  duré  depuis  7  heures  du  matin 
jusqu'à  2  heures  de  l'après-midi;  l'ennemi  a  été  plusieurs 
fois  repoussé.  Notre  perte  dépassera  2.000  hommes  et 
nous  avons  perdu  quelques  canons.  Ce  qui  est  un  sujet  de 
consolation,  c'est  que  nos  troupes  et  celles  des  Cercles, 

(1)  Kaunit/  à  Starhemberg.  3  novembre  176'>.  Archives  de  Vienne. 


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À 

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FELICITATIONS  DE  FREDERIC. 


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n'ont  subi  aucune  déroute,  mais  se  sont  retirées  en  bon 
ordre  à  Frauenstein  où  elles  ont  repris  pied.  »  Le  rap- 
pot  y  du  prince  de  Stolberg  conforme  à  celui  du  prince 
Henri  pour  les  grandes  lignes  de  l'action  atténue  beau- 
coup ses  pertes  et  fait  un  vif  éloge  de  ses  généraux  et  de 
ses  troupes;  il  attribue  à  son  infériorité  en  cavalerie  la 
perte  d'une  bataille  qui  a  été  vivement  contestée  depuis 
7  heures  du  matin  jusqu'à  1  heure  et  7^  fie  l'après-midi 
et  au  cours  de  laquelle  le  sort  aurait  penché  en  sa  faveur 
à  plusieurs  reprises.  Le  général  de  l'armée  des  Cercles 
explique  la  prise  de  la  plupart  des  canons  qui  lui  furent 
enlevés  aux  environs  de  Freyberg  par  le  désir  d'épargner 
à  cette  ville  le  dommage  qu'un  combat  d'artillerie  lui 
eût  fait  subir.  De  la  comparaison  des  deux  récits  il  parait 
résulter  que  la  position  de  Stolborg  autour  du  Spittelwald 
fut  vaillamment  et  victorieusement  défendue  pendant  la 
matinée  mais,  une  fois  enlevée,  la  retraite  des  confédérés 
se  transforma  en  véritable  déroute  et  leur  occasionna 
de  lourdes  pertes. 

La  nouvelle  de  la  victoire  fut  immédiatement  trans- 
mise au  roi  d.  Prusse;  elle  valut  à  Henri  les  chaudes 
félicitations  (1)  de  son  fn  le  :  «  Votre  lettre  m'a  rajeuni 
de  20  ans,  hier  j'en  avais  00,  aujourd'hui  18...  C'est  un 
service  si  ini  ortant  que  vous  rendez  à  l'État,  que  je  ne 
saurais  assez  )us  en  marquer  ma  reconnaissance  et  me 
réserve  de  le  fa    e  en  personne.  » 

Le  prince  Henri  ne  laissa  pas  à  l'armée  battue  le  tenq)s 
de  reprendre  haleine;  Neuwied  passa  l'Klbe  le  31  octo- 
bre au  pont  de  Nierschwitz  et  partagea  ses  troupes  entre 
les  corps  d'Hulnen  et  du  prince  Henri.  Ce  dernier,  ainsi 
renforcé,  se  décida  à  donner  suite  au  raid  en  Bohême.  A 
cette  oj)ération  prirent  part  les  généraux  Platen  et  Kleist  ; 
ce  dernier  parvint  h  Brux  le  3  novembre  pendant  que 


(1)  Frédéric  à  Henri,  Lowenbern,  2  novembre  1762.  Sclioning,  III,  p.  W5. 


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.442 


LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS.   -  CHAP.  IX. 


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(les  colonnes  volantes  dôtachccs  en  Saxe  masquaient  son 
mouvement.  Toutes  ces  démonstrations  eurent  pour  ré- 
sultat de  faire  reculer  le  prince  Stolberg  malgré  l'appoint 
que  le  duc  Albert  de  Saxe  lui  avait  amené  de  Frauen- 
stein  à  Altensberg  et  le  général  Buttlar  de  Beerwalde 
à  Dippoldiswalde.  Les  Prussiens  s'empressèrent  d'occuper 
les  localités  évacuées  et  Kleist  poursuivant  son  entreprise 
après  avoir  brûlé  le  magasin  de  Brux,  s'empara  de  Saatz 
et  de  sa  petite  garnison  avec  un  butin  de  la  valeur  de 
600.000  florins.  Le  7,  il  fut  rappelé  par  le  prince  Henri 
au  camp  de  Freyberg.  ► 

Une  petite  expédition  également  fructueuse  avait  eu  lieu 
aussitôt  après  l'arrivée  du  Roi  en  Saxe.  Pour  restreindre 
le  territoire  Ipissé  aux  Autrichiens,  Frédéric  fit  attaquer 
les  cantonnements  de  Hadick  par  Neuwied;  l'opération 
réussit  et  coûta  encore  aux  alliés  près  de  500  hommes  et 
k  canons. 

Satisfait  de  ses  succès  en  Saxe,  Frédéric  se  décida  à 
lever  des  contributions  sur  les  princes  de  l'empire  et  à 
exercer  sur  eux  une  pression  qui  les  amènerait  à  dé^>oser 
les  armes  et  à  dissoudre  l'armée  des  Cercles.  Dans  ce 
but,  Kleist  qui  avait  la  spécialité  de  ce  genre  d'expédi- 
tion fut  dirigé  de  Cbemnitz  sur  Zwickau,  Planen,  Hof  et 
les  environs  de  Culembach.  Presque  toutes  les  portes 
s'ouvraient  devant  lui;  de  petits  détachements  levaient 
au  nom  de  leur  troupe  des  réquisitions,  exigeaient  des 
rançons  et  emmenaient  des  otages  comme  garantie  de 
paiement.  Les  villes  de  liamberg,  de  Furth,  d'Erlangen, 
enfin  de  Nuremberg  furent  lourdement  imposées.  Le 
8  décembre,  Kleist  était  de  retour  à  Leipsig  ramenant  à 
son  maître  les  sommes  encaissées  et  les  notables  détenus 
en  garantie  des  lettres  souscrites  par  les  municipalités; 
le  21,  il  prit  ses  quartiers  d'hiver. 

Frédéric  n'avait  pas  attendu  cette  date  pour  négocier 
l'ar.aistice  qui  devait  comme  d'habitude  mettre  fin  aux 


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ARMISTICE, 


443 


hostilités  pendant  l'hiver.  En  vertu  d'une  convention 
signée  le  27  novembre,  un  cordon  fut  tracé  entre  les  can- 
tonnements des  armées  autrichiennes  et  prussiennes  en 
Silésie  et  en  Saxe;  les  troupes  des  Cercles  n'y  étaient  pa,^ 
comprises,  sans  doute  pour  ne  pas  entraver  ou  compliquer 
les  négociations  de  paix  que  l'Autriche  avait  en  vue. 
D'ailleurs,  une  convention  séparée  fut  conclue  peu  après 
entre  les  Prussiens  et  l'armée  des  Cercles. 


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I 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  PREMIER 
Indes  orientales. 

Pago». 

Combat  do  Vandavachy.  —  Les  Anglais  s'emparent  d'Arcote  et  de 
Karikal.  —  Lally  bloqui'  dans  Pondichéry.  —  Siège  et  capitula- 
lion  de  la  ville.  —  Expédition  contre  les  Philippines.  —  Reddi- 
tion de  Jlanillo 1 

CHAPITRE  II 
Belleisle. 

Échec  (le  la  première  tentative  de  débarquement  des  Anglais.  — 
Siège  du  Palais.  —  Capitulation  de  la  garnison 14 

CHAPITRE  III 

Désignation  des  commandoments  pour  la  campagne  de  17(!1  en 
Allemagne.  —  Opérations  en  Westphalie 58 

CHAPITRE  IV 
Combat  de  Villinghausen,  —  Instructions  de  la  cour  de  Versailles.      85 

CHAPITRE  V 

Mouvements  de  Broglie  et  de  Soubise.  —  Passage  du  Weser  par 
Broglie.  —  Diversions  du  prince  Ferdinand  en  Hosse 137 


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ÏAHLK  Di:S  MATIERES. 


CH/U'ITIiH  M 


Paget*. 


Expédition  contre  Wolfeabuttoi  et  Hriinswick.  —  Opi'rations  autoiii' 
d'Kiiiibocli.  —  {'lise  des  quartiers  d'iiiver.  —  Ois^M'àcc  (!<•  Brofriit'.     i(>») 


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et 


CHAl'lTRi;  VU 


LI  II 


Cami)agno  de  Frédéric  contre  les  Autrichiens  et  les  Russes,  ]7()1. 
—  (Combat  do  VV;ililsl;itt.  —  Camps  i-etraiiclios  de  Runzclwilz  et 
de  Schwcidnitz.  —  i-au<lon  prend  Schweidnitz.  —  Siège  de  Col- 
berg ilTi 


CHAPITRE  VllI 


Mort  d'Elisabeth. 


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CHAPITRE  IX 

Plan  d'opérations  de  Frédéric.  —  Ses  ressources.  —  Armées  de  Si- 
lésie  et  armées  de  Saxe.  —  Opérations  sur  la  frontière  de  Saxe 
et  de  Bohême.  —  Opérations  en  Silésie.  —  Siège  de  Schwcidnitz.    378 


Tj-pogr.ii)liio  Kirmiii-Didot  et  C".  —  Mesnil  (Eure). 


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NOTES 


Les  cartes  de  ce  volume  ont  été  dessinées  d'après  celles  des  Archives 
et  celles  du  dépôt  de  la  Section  liisloriquo  du  ministère  de  la  Guerre  : 

La  région  de  Scliweidnitz,  au  ,  provient  d'un  plan  topogra- 

phique dressé  par  l'Élat-major  prussien. 

Les  plans  du  siège  de  Helle-Isle,  des  combats  de  Wellingliausen  et 
de  Bunlzelwilz  il76l),  sont  la  reproduction  de  plans  manuscrits  de 
l'époque,  conservés  aux  Archives  de  la  Guerre. 


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«y.    l'dsiUui  oup  firù-i'itl  /lis  lirfiuuiirjsi  et  \'i>U>tii4unvi  a^i,  ■'■  iinnii'  nnJX-t'  /r  Ji, 

Xi    Ilfii.r  Hriffddivt  i/n  Corps  tù'  J/  //•  l'rinvt;  i/f  (hritiê    tfii   'ai-riittirnu/    aul 

inintu-iU  (/c  /et  HvtrtiH/' .  ' 

.'/4    Arrirro- Garde  lir.s  {ircn/n/ûvvi  rt  litvi  Volnniainvi  (/ut  ii  'rt  t'tt'  .\iit    <} 

ptir  li\t  EiuijUihî.s  (iiw  jit.'ttiu  'aii,  Hiiiiùt  D  fl  d  ht  finujf^iu;  JE  M 

'lùtn,    fias  EniwmSji, 


fin  I 


Mi/iisitre  di   lu  duerit 


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Miiri'tw  en  iitiiiiil 
Mnrrtif  ri>/roi//-tit/f. 

rr^i  Troiifip.-i  AUiév.-i. 

JN^ota 

AfH-r.s  I  ' (ivU'nii  If.s  /niufxvi 
f/ir/r/'tvi  ///'.v  AV)///'////.v  /irimil 
/nisU^  à  l/ltioi),  !•/  Uv  liuiifHvi 
Ihim^tiseii  renJ-rèren/  liiins  /f 
Cimift  1/  'Ot'sh'iiif/uiii.'ioii  fnif  livi 
nulirif.s  fftIitniiiKS  (lu  l'ilus 
iivoùinJ  M m vins  lu  viùlJtr. 


COMBAT àvi  i5  et  16  juillet  176L  entre  les 
Troupes  Franqoifes  aux  Ordres  de  M. le  M^} 

Duc  de  Broôlie  z^  celles  des  Alliés. 

1 l'fMttitni  iiii.  Iiis  Iroiifir.s  on/  fait  hui/i'i  11}   l/i  auy  nvalirt. 

Atari-Jw  t/t'.s  iL.frnufn:.s  a  froî.s  hrAinvi  aprôs  miiiu, 
il ..  ...  /lis  Avittil -Odrilt'ti pDni-nJlrr  prendra  poste  aii  ChiUcau.  fio  NcuM et  FUIui/js-hmisen. 
ri  //iv  tttrpn  poiw  allpv  vainpt'r  liiuis  la  plaiiiB  de,  FilUiUfS  ■  hcuisejt  . 

,'l Mnifhr  ilr.t  Hrrniiittrrx  <if  t'itiiiri'  et  tliiipiii.r  pour  fouill/v  II'  Roi.s ,  of  ,s ompa/yv  liii 

Chàli'iw  de  Ntii/fJ  iiii  ils  pa/si-foiiJ  lu  ni/il. 
•^  .5 ,  [PoAiiinn  //es  Hriifddivi  {lu  Hoif.  r/uunpiufne .  Auyerffne.  el  Daupliiii, après  que  l'Avant  Oardu 
Il  .J    \ilitM.  (ù'  l'Iw.rn  eût  forré  les  f'nnr/nis  <l  'ahhniu/oiuu'r  les  A  lihattis  et  In  redoiilr . 

Ubsitiiui  dtviliriipifitv  ilu  h'iiuifé,etAetniiitilne,  tiprik m^tie  relei-è  les  Greiia/iiiTS,et  CJtafsmirs lU' 
</    \l)uuphui ,  el  lesHÀiiments  dr  Na/siiu.  et  lleiiJi'  l'nnts  ifiù  nynient ntmhattu   Jusifi'-  «  In  'uiH  • 

m /'osi/iiin  iiii  ydistui  et  Hniftil  //eit.r  /iiiits  on/  pu /se  lu  mu'/ . 

ll.lJ  ['osi/JDii  i/i's  Itro/ions,  e/  Hihintuù-es.ofL  ihi  restAix'ji/  jusifu'fut^  li'nxùuruurv  ■ 

/•? l'fksiJiun   i/es  lorahmiers  l/i   nui/  i/e  là  fiji.  lli. 

l4- PitsUJon  où  les  Kruu-nij's  se/nient  reliras   Ir   là  nu  soir. 

EcbfHo  de  loon  Toises 


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Sons   le   CoTnmarii 

de  .va  Majesté  HqyHle. 
et    occupe  pav  touies  les  ibrees  réiuiitia       ~^\  .^r  "     ^       n^^S**  ^.=, 

rfa»  ^iutrichiejvs  et  des  Fmssiens  ,  <£u,        '^:'^^f|li^^ 
^^  Août   (Ut,   JO  Sepienibro. 


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'(rd/i.f  d'Arnu's  /    ••■'«•  a         nonei-re 


mniitèr,'  de  la  Guerre;  ArchUes  historique.^. 


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