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CINQ CENTS
_ CONTES ET APOLOGUES
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CINQ CENTS
“CONTES ET APOLOGUES
EXTRAITS
DÜ TRIPITAKA CHINOIS
ET TRADUITS EN FRANÇAIS
PAR
ÉDOUARD CHAVANNES
MEMBRE DE L'INSTITUT
PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE
PUBLIÉS SOUS LES AUSPICES DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE
PONPE RL
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UE
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1911
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in 2008 with funding from
Microsoft Corporation
http://www.archive.org/details/cinqcentscontese03chavuoft
ESA PAO TSANG KING
CFrips -KIV 10 pe LE vS)
Le roi Che-ch (Daçaratha) a eu, de ses quatre épouses, quatre
fils nommés Lo-mo (Râma), Lo-man (Laksmana), P'o-lo-l'o (Bha-
rata) et « le Tueur d'ennemis » (Çatrughna). La troisième épouse
_profite d’une maladie du roi pour lui faire désigner P'o-lo-lo
comme son successeur sur le trône ; Lo-mo et Lo-man sont exi-
lés pour une période de douze ans. Après être devenu roi, P'o-
lolo, qui est un homme vertueux, voudrait céder le pouvoir à
(1) Le T'sa pao tsang king (Nanjio, Catalogue, n° 1329), dont le titre corres-
pondrait à un titre sanscrit qui serait Samyukta ratna pitaka sûtra, a été
traduit en chinois en l’année 472 de notre ère parle çcramana des pays
d'Occident Xïi-kia-ye, assisté du religieux T'an-yao. Nous ne savons rien
sur la personne de Æi-kia-ye, mais T'an-yao nous est connu par une
courte biographie du Siu kao seng tchouan (Trip., XXXV, 2, p. 86 r°)et
par deux passages du Wei chou (chap. CXIV, pp. 5 v° et 6 r°); nous appre-
nons ainsi qu’il fut le promoteur du grand travail artistique qu'on fit
pour aménager en temples bouddhiques les grottes dans le roc situées
à Yun-kang, à l'ouest de Ta-Pong fou. T'an-yao a donc été simultanément
celui qui répandit la littérature des avadânas à la cour des Wei du Nord
et l'artiste qui donna une impulsion singulièrement forte et originale à
la sculpture religieuse dans la Chine septentrionale. — D'après un texte
du Fo tsou Fong ki (Trip., XXXV, 9, p. 64 r°), en l’année 472, « l’empereur
ordonna au maître du Tripitaka Xi-kia-ye, originaire de l'Inde de l’ouest,
de traduire cinq ouvrages parmi lesquels se trouvait le Tsa pao {sang
king ; Lieou Hiao-piao rédigea (pi cheou) ces traductions ». Nous avons
donc là l'indication d'un nouveau personnage qui aurait coliaporé à la
version chinoise du Tsa pao isang king.
Divers contes du Tsa pao tsang king ont déjà été traduits par Stanislas
Julien, par Beal et par Sylvain Lévi. Je me suis décidé à traduire intégra-
lement les textes les plus importants de cet ouvrage et à donner une
analyse de ceux qui sont déjà connus par les travaux de mes devanciers
ou qui présentent un moindre intérêt. De la sorte, on aura un aperçu de
tout le contenu de ce livre. Les contes traduils se distinguent de ceux qui
sont simplement analysés en ce que chacun d'eux esl précédé d'un numéro
d'ordre.
LL l
2 TSA PAO TSANG KING
Lo-mo, mais celui-ci refuse de revenir avant que le terme de
douze ans soit expiré. P'o-lo-f'o obtient du moins de lui ses
sandales ; il les place sur le trône royal et, matin et soir, il se
prosterne devant elles, exactement comme s'il eût été en pré-
sence de son frère aîné. Au bout de douze ans, Lo-mo et Lo-man
reviennent dans leur patrie et P'o-lo-l'o s'empresse de céder le
trône à Lo-mo (1).
CRIS ENS OP DI IE V0)
Un roi avait six fils ; il est tué, avec cinq de ses fils, par son
ministre Lo-heou-k'ieou. Le sixième fils, averti par son génie
du sort qui le menace, s'enfuit avec sa femme et son jeune
garçon en emportant pour sept jours de vivres; il s’égare en
chemin et souffre de la faim ; il veut tuer sa femme, mais son
jeune garçon se dévoue pour la sauver ; on coupe donc chaque
jour à celui-ci une certaine quantilé de chair qui permet aux
trois voyageurs de ne pas mourir de faim. Enfin on coupe à
l'enfant les trois dernières tranches de viande qui lui restent sur
le corps; le père et la mère prennent chacun une des tranches et
peuvent continuer à marcher jusqu’à ce qu'ils arrivent à un vil-
lage ; quant à l'enfant, ils lui ont laissé la troisième tranche en
l'abandonnant sur la route. Cakra Devendra se change en un
loup affamé et vient demander au Jeune garçon la chair qu'il
tient en main; l'enfant la lui abandonne. Çakra reprend la forme
humaine et lui demande s’il regrette d’avoir livré sa chair à son
père et à sa mère. L'enfant répond qu'il n’en a jamais éprouvé le
moindre sentiment de regret et souhaite que, s’il dit vrai, son
corps redevienne tel qu'auparavant; ce miracle se produit en
eflel.
CPS ENS T0 V0)
(Cyäma jàtaka (2).
1) M. Sylvain Lévi a traduit ce conte (Mélanges Kern, Leide, 1903,
pp. 279-21 et y à signalé une des formes de la légende de Râma.
2) GEunotre n°45, 14, .pp.156-160:
TSA PAO TSANG KING (N° 400) 3
(TP: XIV, 10, D72 %°.)
Un perroquet recueillait des fleurs et des fruits pour son père
et sa mère aveugles. Le maître d’un champ, irrité de voir les
oiseaux lui dérober ses grains, tend un filet et prend le perro-
quet. Celui-ci lui tient un discours sur l’avarice ; l’homme,
ému par ces paroles et touché de la piété filiale du MU LU
remet en liberté son prisonnier (1).
N° 400.
(WErPIp,, XIVS 10 pp. 2 V3 0ve.)
Il y a de cela fort longtemps, il y avait un royaume dont
le nom était Æ'i-lao (rejeter-vieillards) ; dans ce pays,
toutes les fois qu'il y avait un vieillard, on le chassait au
loin. Or, un grand ministre avait un père âgé, et, suivant
la loi du royaume, il était dans l'obligation de le renvoyer ;
mais, comme il était animé de piété filiale et de défé-
rence, il ne pouvait s’y résoudre ; il creusa donc un trou
profond dans la terre et y fit une habitation cachée dans
laquelle il plaça son père ; il lui donnait en temps oppor-
tun ses soins dévoués.
Or il advint qu'un esprit céleste, qui tenait dans ses
mains deux serpents, les plaça en haut de la salle princi-
pale du roi et dit à ce dernier ces paroles : « Si vous pou-
vez distinguer lequel est le mâle et lequel est la femelle,
votre royaume obtiendra de rester en paix; mais si vous ne
pouvez pas le distinguer, votre personne et votre royaume,
dans sept jours, seront entièrement renversés et anéan-
(1) Traduit par Stanislas Julien (Les Avadänas, t. 1, pp. 68-70 ; ef. Jétaka,
n° 484.
4 ‘TSA PAO TSANG KING (N° 400)
tis (1). » Quand le roi eut entendu ce discours, son cœur
en conçut du déplaisir; il délibéra sur cette question avec
tous ses ministres rassemblés; chacun d'eux s’excusa,
disant qu'il était incapable de faire cette distinction. Le
roi alors publia une proclamation dans tout son royaume
pour promettre des titres et des récompenses magnifiques
à qui serait capable de faire cette distinction. Le grand
ministre retourna chez lui et alla interroger son père ;
celui-ci répondit à son fils : « La distinction est aisée à
faire ; prenez une matière fine et souple et posez dessus
les serpents : celui qui aura remué se fera ainsi recon-
naître pour le mâle; celui qui sera resté immobile se fera
ainsi reconnaître pour la femelle ». On suivit ce conseil et
on put effectivement distinguer le mâle de la femelle.
L'esprit céleste posa encore cette question : « Qui est
celui qu'on appelle éveillé quand il est endormi, et endormi
quand il est éveillé ? »
_ Le roi et ses ministres furent de nouveau incapables
de résoudre l’énigme ; on publia une seconde proclama-
tion dans tout le royaume, mais personne ne put expli-
quer l'énigme. Le grand ministre demanda à son père
quel était le sens de cette définition. Le père répondit :
« Elle s'applique à un savant; au yeux du vulgaire, celui-
ci est éveillé ; aux yeux des arhats, il est endormi (2). »
Telle fut donc la solution qu'on apporta au génie céleste.
Le génie céleste demanda derechef : « Combien pèse
ce grand éléphant blanc? » Les ministres délibérèrent
entre eux, mais aucun d'eux ne put le savoir; cette fois
encore, on publia une proclamation dans tout le royaume
et personne ne put savoir quelle réponse faire. Le grand
(1) Cette question est une de celles qui sontposées au jeune Mahosadha,
âgé seulement de sept ans, dans le Jâtaka, n° 546 (trad. Cowell et Rouse,
t. VI, p. 167). Mais la réponse est différente.
(2 Parce que le savoir laïque n'est pas la vraie connaissance aux yeux
de celui qui possède la sagesse religieuse.
TSA PAO TSANG KING (N° 400) 5
_ ministre interrogea son père qui lui dit : « Placez l’élé-
phant sur un bateau qui aura été mis dans un grand lac;
faites alors un trait pour marquer jusqu’à quelle profon-
deur le bateau s'enfonce dans l’eau; puis, (l'éléphant
étant enlevé), mettez des poids en pierre dans ce même
bateau jusqu'à ce que l’eau couvre la ligne que vous aurez
tracée. Vous saurez ainsi quel est le poids de lélé-
phant (1) ». On apporta donc cette ingénieuse solution
au génie céleste.
Le génie céleste demanda encore : « Quelle est la quan-
tité d’eau contenue dans les deux mains réunies qui est
plus considérable que la grande mer ? Quelqu'un le sait-
il? » Les ministres délibérèrent entre eux, mais ils ne
purent résoudre le problème; on fit encore une procla-
mation qu’on publia partout et il n’y eut personne qui
sût la réponse. Le grand ministre demanda à son père ce
que signifiait cette question; son père lui dit : « Cette
énigme est facile à résoudre. Si un homme capable d’être
croyant et pur fait offrande de la quantité d’eau qu’il peut
tenir entre ses deux mains au Buddha, aux religieux,
ainsi qu'à son père, à sa mère, et aux hommes en péril
ou malades, grâce à ce mérite, pendant plusieurs milliers
et myriades de kalpas, il recevra des bonheurs illimités:
quelque considérable que soit la grande mer, elle ne
(1) Ce remarquable procédé de pesée a passé dans le folklore chinois
qui en attribue l'invention à Ts’ao Tch'ong À Yi. Le célèbre Ts'ao Ts’ao
Li fa (152-220 p. C.) avait un grand éléphant dont il désirait connaitre le
poids; Ts'ao Tch'ong, qui n'était alors âgé que de cinq ou six ans, lui
indiqua l’artifice même dont nous avons la description dans notre conte.
Un livre d'école primaire, qui m'a été communiqué par M. C. Blanchet,
le Xouo wen kiao k'o chou (Commercial Press, Chang-haï), raconte cette
anecdote et y joint une vignette où on voit l'éléphant placé dans le
bateau, tandis que le petit Ts'ao Tch'ong trace sur le bordage une ligne
à l'endroit où affleure l’eau. Il est intéressant de trouver dans le Tsa
pao tsang king le prototype de ce récit qui nous montre que la littéra-
ture des contes a pu introduire de l'Inde en Chine même des principes
de physique.
6 TSA PAO TSANG KING (N° 400).
dure pas plus d’un kalpa; en raisonnant ainsi, on voit
que la quantité d’eau contenue dans les deux mains
réunies est des centaines, des milliers et des myriades de
fois plus considérable que la grande mer. » Telle fut la
réponse qu’on donna au génie céleste.
Le génie céleste se transforma derechef en un homme
affamé qui n’était plus qu’un squelette et il vint deman-
der : « Y a-t-il au monde quelqu'un qui soit plus affamé,
plus maigre et plus tourmenté que moi? » Les ministres
assemblés se consultèrent, mais ne purent répondre. Le
grand ministre alla exposer la chose à son père. Celui-ci
lui dit : « Dans le monde, lorsqu'un homme est avare,
avide et jaloux, qu’il ne croit pas aux trois Joyaux, qu’il
ne sait pas entourer de soins son père, sa mère, ses mai-
tres et ses aînés, il tombera, lors de ses existences ulté-
rieures, dans la condition de démon affamé ; pendant des
centaines, des milliers et des myriades d'années, il n’en-
tendra même pas les mots « eau » et « céréales » ; son
corps sera comme une grande montagne et son ventre
comme une profonde vallée ; sa gorge sera comme une
aiguille fine; ses cheveux seront comme des épées aiguës ;
de son corps jaillira du feu et tout son être sera brûlant;
tout le long de son corps jusqu’à ses pieds, à chaque
mouvement qu'il fera, les articulations de ses membres
prendront feu; un tel homme endurera des souffrances
de la faim des centaines, des milliers et des centaines
de fois plus pénibles que celles que vous éprouvez. » On
rapporta donc cette réponse au génie céleste.
Celui-ci se transforma en un homme dont les mains
et les pieds étaient chargés d’entraves; son cou était
enchainé; de son corps jaillissait du feu et toute sa per-
sonne était brûlée ; il demanda encore : « Y a-t-il quelqu'un
qui endure de plus grandes souffrances que moi? » Les
ministres discutèrent à ce sujet, mais ne surent que
répondre. Le grand ministre interrogea encore son père
TSA PAO TSANG KING (N° 400) 7
qui lui dit: « Lorsque, dans ce monde, il y a une per-
sonne qui manque de piété envers son père et sa mère,
qui résiste et nuit à ses maîtres et à ses aînés, ou, si elle
est une femme, qui se révolte contre son mari, et lorsque
cette personne parle mal des trois Vénérables, elle tom-
bera, lors de ses existences ultérieures, dans les enfers
où il y a les montagnes de couteaux et les arbres d’épées,
les chars de feu et le charbon ardent des fournaises, le
fleuve où on s’engloutit et l'urine bouillante, les chemins
de glaives et les chemins de flamme, et les tourments
analogues, sans mesure, sans limite, innombrables. Si on
compare le sort de cette personne au vôtre, il est des cen-
taines, des milliers et des myriades de fois plus pénible. »
Ce fut donc cette réponse qu’on apporta au génie céleste.
Le génie céleste se transforme alors en une femme
dont la merveilleuse beauté l’emportait sur celle de toutes
les femmes de ce monde; puis il demanda : « Y a-t-il au
monde quelque personne d’une beauté égale à la mienne ? »
Les ministres restèrent silencieux et ne surent que
répondre. Le (grand) ministre interrogea de nouveau son
père qui lui répondit : « Dans le monde, lorsqu'un homme
a foi dans les trois Joyaux et les vénère, obéit avec piété
filiale à son père et à sa mère, se plait à faire des libéra-
lités et supporte avec patience les injures, progresse dans
la vertu et observe les défenses, il obtient (plus tard) de
naître en haut parmi les devas et il a alors une beauté
merveilleuse qui l'emporte des centaines, des milliers et
des myriades de fois sur la vôtre, en sorte que, si on
vous compare à lui, vous avez l'air d'un singe aveugle. »
On transmit cette réponse à l'esprit céleste.
L'esprit céleste prit encore un morceau de bois de
ichen l'an (candana, santal) parfaitement quadrangulaire
et régulier, puis il demanda: « Où en est la tête? » Les
ministres appliquèrent à cette question toutes les forces
de leur intelligence, mais ne surent que répondre. Le
8 TSA PAO TSANG KING (N° 400)
ministre interrogea de nouveau son père qui lui répondit:
« C'est là une chose facile à connaître ; jetez ce morceau
de bois dans l’eau ; la base sera constamment plus lourde
et l'extrémité qui forme la queue se dressera en l'air. »
Telle fut donc la réponse qu'on fit à l'esprit céleste (1).
L'esprit céleste prit deux juments blanches, de taille et
de couleur identiques, puis il demanda: « Laquelle est
la mère ? Laquelle est la fille ?» Les ministres, cette fois
encore ne surent que répondre. Le grand ministre
interrogea son père qui lui dit : « Donnez-leur de l'herbe
à manger; celle qui est la mère ne manquera pas de
repousser l'herbe pour la donner à sa fille. »
De cette manière, on put répondre successivement à
toutes les questions. L'esprit céleste en fut très satisfait;
il donna en grande quantité au roi de ce royaume des
joyaux et des richesses, puis il dit au roi: « Dorénavant
_ je protégerai le territoire de votre royaume en sorte que
les ennemis du dehors ne pourront l’envahir et lui nuire. »
Quand le roi eut entendu ces paroles, il en conçut des
transports de joie; il demanda alors à son ministre : « Est-
ce vous même qui avez su tout cela ou est-ce quelque
autre homme qui vous l’a enseigné ? Grâce à votre intel-
ligence supérieure, notre royaume a réussi à rester tran-
quille ; en outre il a obtenu des joyaux et des richesses
et il est assuré d’être protégé. Tout cela est dû à vos capa-
cités. » Le ministre répondit au roi: « Ma sagesse per-
sonnelle n'y est pour rien; je désire, à roi, que vous
m accordiez la faveur de n’avoir rien à craindre et je vous
exposerai tout ce qui en est. » Le roi répliqua : « Quand
bien même vous auriez commis des crimes méritant dix
mille fois la mort, je ne vous en demanderai pas compte;
à combien plus forte raison ne le ferai-je pas pour une
légère faute. » Le ministre dit au roi: « C’est une loi de
(1) Cf. la même énigme résolue de la même manière dans le Jätaka,
n° 546 (trad. Cowell et Rouse, t. VI, p. 166).
TSA PAO TSANG KING (N° 400). 9
… ce pays qu'il n’est pas permis de nourrir les vieillards.
- J'ai un vieux père ; comme je ne pouvais me résoudre à le
- chasser au loin, j'ai contrevenu aux prescriptions du roi
et je lai caché sous terre. Or toutes les réponses que je
—._ vous ai précédemment apportées furent dictées par la
… sagesse de mon père et ne sont point dues à mes capa-
cités. Mon unique désir, Ô grand roi, est que, dans toute
_ l'étendue du royaume, vous permettiez, contrairement à
ce qui s’est fait jusqu'ici, de nourrir les vieillards. »
Le roi, tout émerveillé de ces paroles, en conçut de la
joie ; il fit des offrandes au père de son ministre et l’honora
en le nommant son maître: « IL a sauvé, ajouta-t-il, la vie
de tous les habitants du royaume. Un tel service, je ne
saurais jamais assez le reconnaître. » Puis le roi promul-
œua un ordre, qui devait être annoncé partout, pour dire
qu'il n’était plus permis de chasser les vieillards, qu'on
devait les nourrir avec piété filiale et que ceux qui se con-
duiraient mal envers leur père et leur mère seraient pas-
sibles de grands châtiments.
Le Buddha dit : « Celui qui, en ce temps, était le père,
c'est moi-même; celui qui était le ministre, c’est Chü-lI-
fou (Câriputra); celui qui alors était le roi, c'est A-chü-
che (Ajâtaçatru) ; celui qui, en ce temps, était l'esprit
céleste, c’est A-nan (Ânanda). »
GP XIV 10 D: 9 ve)
Le Bouddha s’est rendu dans les cieux Trayastrimças, et pen-
dant quatre-vingt-dix jours, il a expliqué la Loi pour le béné-
| fice de sa mère Mâyà ; aux bhiksus qui s'en étonnent, il répond
par un jâtaka : autrefois le Buddha était un roi-singe qui
commandait à cinq cents singes ; il les sauva en une occasion
où ils avaient été pris dans les filets d’un chasseur ; une autre
fois, une vieille guenon étant tombée avec son petit qu'elle
10 TSA PAO TSANG KING
porlail sur ses épaules, au fond d'un ravin, les singes se sus-
pendirent les uns aux autres en se prenant par la queue et le =
roi singe put, en se mettant au bout de la chaîne ainsi formée,
retirer la vieille mère du fond du gouffre. S'il a pu agir ainsi en :
faveur de la guenon quand il n'était que singe, qu'est-ce que le
Buddha ne fera pas maintenant en faveur de sa mère pour la
délivrer des trois voies mauvaises ?
( Fripe, LIN: Lo; PP: 3 vo-/ Pas
Avadänas destinés à expliquer pour quelles causes la femme
esclave AXia-lan-lchü-lo (Katañngalà) a obtenu de devenir bhi-
ksuni, puis d'atteindre à la dignité d’'arhat (1). |
(Trip.. XIV, 10, p. 4 v°-4 r°) (2).
Un jeune homme nommé Ts'eu-l'ong-niu (Maïtrakanyaka) est
orphelin de père ; 1l donne à sa mère tout ce qu'il gagne, à
savoir 2 pièces de monnaie par Jour, puis 4 pièces de monnaie,
puis 8, puis 16. Il se décide à aller sur mer pour s'enrichir ; sa
mère veut le retenir et embrasse ses pieds ; il frappe sur les
mains de sa mère pour l'obliger à desserrer son étreinte, et,
dans ce geste, 1l lui casse quelques dizaines de cheveux. I}
part et amasse de grandes richesses ; au retour, il est, pen-
dant le trajet sur terre, abandonné par la caravane dont il
élait le chef. Il arrive à une ville de lreou-li violet où il est
reçu par 4 belles femmes qui lui donnent 4 perles et il vit
dans les délices pendant 40.000 années ; puis il arrive à une
ville de p'o-li où il est reçu par 8 belles femmes qui lui donnent
8 perles et 1l vit dans les délices pendant 80.000 années ; puis il
arrive dans une ville d'argent où il est reçu par 16belles femmes
qui lui donnent 16 perles et il vit là 160.000 années ; puis il arrive
(1, Cf. FEER, Avadäna çaltaka (Annales du Musée Guimel, t. XVIII, p. 289-
293),
(2 CR len39 AA pp 131-127:
nheommest
TSA PAO TSANG KING Il
à une ville d’or où il est reçu par 32 belles femmes qui lui don-
nent 32 perles et il vit là 320.000 années. Enfin il arrive à une
ville de fer ; il y trouve un homme qui portait sur la tête une
roue de feu ; cette roue se transporte aussitôt sur la tête de
| «.… Ts'eu-l'ong-niu. Celui-ci demande à un geôlier pourquoi il doit
- endurer ce supplice et pourquoi il a éprouvé auparavant de si
grandes félicités. Les joies qu'il a éprouvées par quantités pro-
portionnées aux nombres 4, 8, 16 et 32 sont la récompense du
bien qu'il a fait autrefois à sa mère en lui donnant 2 pièces de
monnaie, puis 4, puis 8, puis 16. Le supplice de la roue de feu
lui est infligé parce qu'il a cassé des cheveux à sa mère. Les
peines de Ts’eu-l'ong-niu ne devaient prendre fin que lorsque
quelque autre, homme, ayant agi comme lui, viendrait le rem-
placer; mais il conçoit la bonne pensée de concentrer en lui
les douleurs de tous ceux qui souffrent et aussitôt la roue de feu
tombe par terre. Le geôlier, irrité, le tue, mais il renaît dans les
cieux Tusita.
CETED UN, DO DDLE VE
Autrefois dans les montagnes neigeuses il y avait un ascète
nommé T'i-po-yen (Dyvaipâyana) qui avait coutume d'’uriner sur
une roche. Une biche, qui lécha ce rocher, devint grosse et
donna le jour à une fille ; cetle fille était fort belle, et, dans
chaque endroit où elle posait le pied, naissait une fleur de lotus.
Un jour que le feu qu'elle était chargée d'entretenir s'était
éteint, elle se rend chez un voisin pour emprunter du feu et,
sur la demande du maître de maison, fait sept fois le tour de sa
demeure qui se trouve ainsi entourée de sept rangs de lotus.
_Survient le roi Wou-l'i-yen (Udayana) qui voit les lotus, s ‘enquiert
de leur origine, recherche la fille, la trouve et l'épouse. La jeune
femme donne naissance à cinq cents œufs ; la première femme
du roi, poussée par la jalousie, substitue cinq cents boulettes de
farine aux cinq cent œufs qu'elle place dans une boîte scellée el
jette dans le Gange. La boîte est recueillie par le roi Sa-lan-
(1) Cf. le n° 23, t. [, pp. 80-84.
12 TSA PAO TSANG KING
p'ou dont le royaume est situé en aval; ce roi donne un œuf à
chacune de ses cinq cents épouses et de chaque œuf sort un
garçon qui devient beau et fort. Quand ces cinq cents enfants
sont devenus de vaillants hommes, le roi Sa-tan-p'ou refuse de
payer tribut au roi Wou-l'i-yen et l'attaque. En ce péril, le roi
Wou-l'i-yen a recours à la femme aux fleurs de lotus ; il la place
sur un grand éléphant blanc et la met en avant des troupes; la
femme presse ses deux seins et de chacun d'eux sortent deux
cent cinquante jets de lait qui tombent droit dans la bouche de
ses fils, les cinq cents guerriers de l’armée ennemie. Les fils
reconnaissant alors leur père et leur mère, la guerre prend fin.
Les cinq cents fils, de même que les deux rois, deviennent des
Pratyeka Buddhas.
Cri IN TO ph D V0 :)
Autre rédaction du même récit : la fille née de l’ascète et de
la biche a des pieds de biche ; elle est épousée par le roi du
royaume de Fan-yu (Brahmavati) ; elle donne le jour à mille
feuilles de lotus auxquelles l'épouse principale substitue une
masse de viande de cheval pourrie ; les mille feuilles de lotus,
après avoir élé jetées dans le Gange, sont recueillies par le
roi du royaume de Wou-k’i-yen (Uddiyâna) ; sur chaque feuille
il y avait un petit garçon. Les mille fils deviennent de vaillants
guerriers et attaquent le roi de Fan-yu; leur mère monte sur
une tour élevée et presse ses deux seins : de chaque sein sortent
cinq cents jets de lait qui tombent dans la bouche des mille fils.
rip NIV 6::p 00)
L'éléphant blanc à six défenses, tué par le chasseur qui s’est
revêlu d'un kâsâya. C’est le Saddanta jâtaka.
(PGI n°280 1 pp, 101104
TSA PAO TSANG KING 13
(Frp.; XIV, 10: p6%) (1):
Sasa jâtaka. Ici il n’y a que deux personnages : l’ascète et le
lièvre qui se jette dans le feu pour lui assurer un repas.
CPP RINE MO ND 7 ES),
_ Le bon roi-singe sauve cinq cents singes en leur faisant tra-
verser la rivière sur une branche d’arbre p'i-to-lo qu'il a cour-
bée. Le méchant roi-singe cause la mort de ses cinq cents
sujets en ne sachant pas comment les faire fuir.
(Trip, XIV 10; D 7 vo),
En temps de disette, un homme pauvre enterre vivants son
père et sa mère afin d'avoir de quoi nourrir ses nombreux en-
fants. Son exemple est suivi et devient la règle dans le royaume
de Po-lo-nai (Vârânasi). Un homme, qui désire sauver son
vieux père du sort qui l'attend, l'installe dans une habitation
| qu'il a ménagée sous la terre, en sorte qu’on peut croire que,
| suivant la coutume, il l’a enterré vivant ; un génie pose alors
quatre énigmes au roi en lui annonçant que si, dans sept jours,
| ilne les a pas résolues, sa tête sera brisée en sept morceaux.
Le vieillard dicte à son fils des réponses qui sont toutes tirées
de la religion bouddhique et le roi peut être sauvé. Par recon-
naissance le roi abroge la loi qui prescrivait d’enterrer vivants
les vieillards.
(Trip XIV, 20, p'OrTiev.)
Grâce à son grand éléphant parfumé, le roi de Pr-Fi-hi (Vi-
deha) a triomphé du roi de Xia-che (Kâçi). Ce dernier, pour
(1) Cf. le n° 21, t. I, pp. 75-77.
(2) Cf. le n° 114, t. I, pp. 385-386.
(3) Réplique affaiblie du n° 400, t, ITF, pp. 3-9.
14 TSA PAO TSANG KING
lutier contre son ennemi, fait capturer. dans la montagne un
éléphant blanc parfumé qui lui assurera, pense-t-il, la victoire,
Mais, quand cet éléphant est installé dans l'écurie, il refuse de
manger ; comme on lui en demande la cause, il dit que son
son père el sa mère sont vieux et aveugles et qu’il doit retourner
auprès d’eux pour les nourrir; après leur mort, il reviendra.
Émerveillé de sa sagesse, le roi de Xïa-che s'écrie : « Nous ne
sommes que des éléphants à tête d'homme ; mais cet éléphant
est un homme à tête d'éléphant. » Il rend la liberté à l'éléphant
el ordonne que la piété filiale soit rigoureusement observée
dans tout le royaume. Quand le père et la mère de l'éléphant
sont morts, celui-ci revient auprès du roi de Xïa-che qui veut
aussitôt combattre ; l'éléphant l'en dissuade en lui montrant les
maux de la guerre ; puis il se rend auprès du roi de Pi-l'i-hi et
le décide à faire la paix avec son ennemi.
(Trip., XIV, 10, p. 8 vw.)
Autrefois, dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi), c'était la
coutume, lorsqu'un homme atteignait l’âge de soixante ans,
que ses enfants le missent hors de sa demeure en le chargeant
de garder la porle et en lui donnant seulement un tapis pour
se coucher dessus. Le cas s'étant présenté dans une famille
où il y avait deux frères, le frère cadet coupe l'unique tapis
qui se trouve dans la maison et en donne la moitié à son père ;
à son frère aîné qui lui demande l'explication de sa conduite,
il répond que l’autre moitié du tapis est destinée à son frère
aîné quand celui-ci aura à son tour atteint l’âge de soixante ans.
Le frère aîné comprend alors la barbarie de la coutume ; lui et
son frère cadet obtiennent du premier ministre, puis du roi,
qu'elle soit abrogée.
CTP AIN A0 -DR:r0N 0:
La femme de Brahmadatta, roi de Värânasi, s'irrite de ce que
le roi a voulu lui faire boire le vin qui restait dans le fond de
sa coupe et elle prononce cette parole imprudente : « Plutôt
TSA PAO TSANG KING (N° 401) 15
que de boire ce vin, j'aimerais mieux percer la gorge de mon
fils et boire son sang. » Le roi la prend au mot et fait appeler
le jeune garçon; celui-ci demande pourquoi on veut le tuer; le
roi lui répond de demander grâce à sa mère ; la mère refuse et
. on coupe la gorge à son fils pour lui en faire boire le sang.
s
PErrD XIVe To D 0)
Explication des causes pour lesquelles le bhiksu T'o-piao,
quoique doué de qualités éminentes, a pu être calomnié par une
bhiksuni au point d'en être réduit à se consumer lui-même en
entrant dans le samädhi de l'éclat du feu.
NOT EYE
CERIDS SIN A0 ED O0 TE)
Autrefois dans le royaume de Xi-pin, vivait l’arhat Li-yue
(Revata), qui se tenait assis en contemplation dans la
montagne. Or un homme qui avait perdu son bœuf et qui
le recherchait en suivant ses traces, vint à passer par l'en-
droit où se trouvait l’arhat. En ce moment, Li-yue faisait
bouillir des herbes pour teindre son vêtement. Or le vête-
ment se transforma de lui-même en une peau de bœuf;
la teinture se changea en sang ; les plantes tinctoriales
que (larhat) faisait cuire devinrent la chair du bœuf; le
bol que ZLi-yue tenait dans ses mains devint la tête du
bœuf. Quand le propriétaire du bœuf (eut vu ce bœuf), il
se saisit aussitôt de (l'arhat Zi-yue) (2), le chargea de liens
et l’amena au roi. Le roi le jeta en prison. Pendant
douze années, (Li-yue) fut constamment valet (3) de pri-
(1) Cf. le n° 124, t. I, pp. 395-396. |
(2) I prend l’arhat Li-yue pour le voleur qui lui a dérobé son bœuf et
c'est pourquoi il le traite comme un malfaiteur.
(3) Je suppose qu'il faut lire Ë# au lieu de RE. Plus loin, on trouvera
le terme LE] L' qui s'applique à un serviteur et non à un surveillant.
16 TSA PAO TSANG KING (N° 401)
son ; il donnait à manger aux chevaux et enlevait leur
crottin.
Or, il y avait cinq cents disciples de Li-yue qui avaient
obtenu la dignité d’arhat. Ils avaient cherché à voir où
était leur maitre sans parvenir à le savoir. Quand les
causes produites par des actes antérieurs furent près de
prendre fin (1), il y eut un de ces disciples qui vit que son
maitre se trouvait dans la prison (du royaume) de Æïi-pin.
Il vint donc dire au roi: « Notre maître Li-yue est dans la
prison du roi; je désire que vous lui rendiez justice. » Le
roi envoya un émissaire dans la prison pour y faire une
enquête. Quand l’envoyé royal fut arrivé dans la prison,
il vit seulement un homme qui avait l'air affaibli par le
chagrin et qui avait une barbe et une chevelure extrême-
ment longues; cet homme était valet de prison ; il don-
nait à manger aux chevaux et enlevait leur crottin. L’émis-
saire revint dire au roi: « Dans la prison, il n’y a aucun
religieux cramana ; seul s’y trouve un valet de prison. »
Le bhiksu, disciple (de Li-yue), insista auprès du roi, di-
sant: « Je désire simplement, à roi, que vous donniez un
ordre aux termes duquel seront autorisés à sortir de la
prison tous les bhiksus qui s’y trouvent. » Le roi rendit
alors cette ordonnance : « Tous les religieux sont auto-
risés à sortir de la prison. » Aussitôt, dans la prison
même, la barbe et les cheveux du vénérable Li-yue tombè-
rent spontanément, un käsäya revêtit son corps ; lui-même
bondit dans les airs où il accomplit dix-huit transforma-
tions surnaturelles. À cette vue, le roi s’écria que jamais
il n’avait rien vu de tel et il se prosterna à terre des
cinq parties de son corps; puis il dit au vénérable : « Je
désire que vous receviez la confession de mes péchés. »
Aussitôt Li-yue redescendit et reçut sa confession ; le roi
(1) C'est-à-dire quand les malheurs qui avaient atteint Li-yue, à cause
d'un acte qu'il avait commis dans une vie antérieure, furent près de
prendre fin.
TSA PAO TSANG KING (N° 402) 17
lui demanda alors : « Pour quelle cause, produite par un
acte d’une existence antérieure, vous êtes-vous trouvé
dans la prison et avez-vous enduré des peines pendant
plusieurs années ? » Le vénérable répondit: « Dans une
existence antérieure, j'avais moi aussi perdu mon bœuf ; je
le recherchai en suivant sa trace et je vins à traverser une
montagne ; je vis un Pratyeka Buddha qui était assis en
contemplation dans un endroit solitaire; je me mis à
Paccuser faussement pendant tout un jour et toute une
nuit. Pour cette cause, je tombai dans les trois. voies
mauvaises où j'endurai des tourments sans nombre ; ce
qui me restait de malheurs à souffrir n’était pas entière-
ment terminé, et c'est pourquoi, même après que j'eus
obtenu la dignité d’arhat, je fus en butte à une accusation
calomnieuse. »
N° 402.
CPRIDS SIN AD D
Autrefois le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait une fille
nommée Lai-Pi (Rati) qui avait dix-huit difformités, en
sorte qu’elle ne présentait plus figure humaine; tous ceux
qui la voyaient étaient épouvantés. Alors le roi Po-sseu-ni
(Prasenajit) fit appeler dans tout son royaume les fils de
bonne famille qui étaient pauvres et orphelins, dans
l'espoir qu'on lui en amènerait. Or, sur un côté de la place
publique, il y avait le fils d’un notable qui, orphelin et
réduit à ses seules ressources, ne subsistait qu’en men-
diant des aumônes. Quand les racoleurs le virent, ils
l’emmenèrent et le présentèrent au roi. Le roi prit cet
homme, le fit entrer dans le jardin postérieur et traita
l'affaire avec lui en ces termes : « J’ai engendré une fille
qui à un extérieur si affreux qu’on ne peut la montrer en
HI: 2
18 TSA PAO TSANG KING (N° 402)
public; je désire vous la faire épouser ; y consentez-vous ? »
Le fils de notable répondit : « A vos offres, Ô roi, je n’op-
poserais pas un refus, même s’il s'agissait d’un chien; à
plus forte raison ne le ferai-je pas puisqu'il s’agit de votre
fille ». Aussitôt le roi lui donna sa fille en mariage; il
installa pour lui une demeure princière et lui donna cet
avertissement : « Cette fille est affreuse à voir ; gardez-
vous de jamais la montrer en public; quand vous sortez,
fermez à clef la porte extérieure; quand vous êtes à la
maison, tenez close la porte intérieure. Que ce soit Là
votre règle constante. »
Cependant plusieurs fils de famille, qui étaient les
amis de cet homme, faisaient des banquets et se divertis-
saient; à chacune de leurs réunions, leurs femmes
venaient prendre part; seule la femme de cet homme ne
venait pas. Alors les jeunes gens firent ensemble la con-
vention suivante : « À l’avenir, lorsque nous nous réuni-
rons de nouveau, nous comptons que chacun de nous
amènera sa femme ; celui qui y manquerait sera frappé
d'une forte amende ». Ils tinrent donc une nouvelle réu-
nion ; mais le fils du notable pauvre fit comme précé-
demment et vint sans amener sa femme. Les autres lui
infligèrent alors d’un commun accord une forte amende.
Ce fils de notable se soumit avec respect à la punition.
Ses compagnons refirent encore une convention aux
termes de laquelle celui qui n’amènerait pas sa femme à
la réunion qu'ils tiendraient le lendemain serait encore
frappé d'une forte amende. De la sorte notre homme fut
puni par deux et trois fois et cependant il continuait à
venir aux réunions sans amener sa femme.
Étant revenu chez lui, le fils du notable pauvre dit à sa
femme : « J’ai été à plusieurs reprises puni à cause de
vous. » Sa femme lui en demandant la raison, il reprit :
« Mes compagnons ont convenu entre eux que chacun
amènerait sa femme aux banquets. Or, pour obéir aux
PP I CO I TS SR PU
TSA PAO TSANG KING (N° 402) 19
_ ordres du roi (votre père) qui ne m’a pas permis de vous
emmener avec moi pour vous montrer à d’autres hommes,
j'ai souvent été puni, » Quand sa femme eut entendu ce
qu'il lui disait, elle en fut couverte de confusion et s’en
affligea profondément. Jour et nuit elle se mit à penser
au Buddha.
À quelques jours de là, on fit un nouveau banquet, et,
cette fois encore, le mari s’y rendit seul. Sa femme, restée
à la maison, prononça, avec un redoublement d’ardeur
dans la prière et d’affliction, le vœu suivant : « Quand le
Tathâgata est apparu dans le monde, il a fait du bien à
beaucoup d'êtres. Moi seule, à cause de mes fautes, je
n'ai pas pu en bénéficier. » Le Buddha, ému de la perfec-
tion de ses sentiments, lui apparut alors en bondissant
hors de terre; elle vit d’abord les cheveux du Buddha, et
quand elle en eut été émue de respect et de joie, ses
propres cheveux se transformèrent en de beaux cheveux;
elle vit ensuite le front du Buddha, puis ses sourcils, ses
yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche et son corps ; à
mesure qu’elle les contemplait successivement, sa joie
devenait de plus en plus profonde et sa propre personne
se transformait; toutes ses laideurs disparurent et son
visage devint comme celui d’une devi.
Cependant les fils de notables avaient discuté secrète-
ment entre eux, disant : « Si la fille du roi ne vient pas
à nos réunions, c'est ou bien parce qu’elle est d'une
beauté peu commune, ou bien parce qu’elle est affreuse-
ment laide. Il nous faut maintenant enivrer son mari jus.
qu’à ce qu’il ait perdu connaissance, puis nous lui pren-
drons ses clefs, nous ouvrirons la porte (de sa maison) et
nous irons regarder. » Ils le firent donc boire jusqu'à ce
qu'il fût ivre, puis ils lui prirent ses clefs et s’en allèrent
en bande; lorsqu'ils eurent ouvert la porte et qu'ils re-
gardèrent, ils virent cette fille du roi qui était d’une
beauté sans égale. Aussitôt ils se retirèrent, fermerent
20 TSA PAO TSANG KING (N° 402)
la porte et revinrent à l'endroit d’où ils étaient partis.
Comme le mari n'avait pas encore repris ses sens, il lui
rendirent ses clefs en les attachant sous sa ceinture.
Quand le mari se fut réveillé, il rentra chez lui; dès
qu’il eut ouvert la porte, il aperçut sa femme qui était
d'une beauté merveilleuse; tout surpris il lui demanda :
« Quelle déesse êtes-vous, vous qui vous êtes établie dans
ma demeure ? » Sa femme lui répondit : « Je suis votre
épouse Lai-Fi. » Comme il s’étonnait et lui demandait ce
qui était arrivé, elle lui répondit : « Je vous ai entendu
dire que vous aviez souvent été puni à cause de moi; j'en
ai conçu des regrets et j'ai songé au Buddha en limplo-
rant et en m'affligeant; j'ai vu alors le Tathâgata qui m'est
apparu en bondissant hors de terre; en le contemplant,
j'en ai éprouvé de la joie et mon corps s’est transformé
en devenant beau. » Le fils du notable pauvre fut extré-
mement joyeux et alla aussitôt informer le roi en lui
disant : « La personne de la fille du roi s’est transformée
spontanément et est devenue belle; maintenant, je vou-
drais vous la montrer. » À cette nouvelle, le roi fut con-
tent et fit immédiatement mander sa fille ; quand il l’eut
vue, il en éprouva de la joie. Cependant, comme il était
fort perplexe et surpris, il se rendit auprès du Buddha et
lui dit : « O Honoré du monde, pourquoi cette fille est-elle
née au fond de mon harem et a-t-elle eu un corps si laid
que les hommes étaient frappés d'horreur en la voyant?
Pour quelle cause, d’autre part, s’est-elle maintenant trans-
formée et est-elle devenue belle ? »
Le Buddha répondit au roi : « Dans les temps passés, il
y avait un Pratyeka Buddha qui chaque jour mendiait sa
nourriture. Il arriva une fois devant la porte d’un notable;
en ce moment la fille du notable vint, en apportant de la
nourriture, la présenter au Pratyeka Buddha; mais en
voyant que celui-ci était laid, elle prononca cette parole :
« Cet homme est affreux; il a le corps comme couvert
TSA PAO TSANG KING (N° 402) 21
d’une peau de poisson et ses cheveux sont comme une
queue de cheval. » Celle qui, en ce temps, était la fille du
notable, c’est aujourd’hui la fille du roi; parce qu’elle à
donné à manger (au Pratyeka Buddha), elle est née au fond
de votre harem; mais, parce qu’elle a mal parlé du Pra-
tyeka Buddha, son corps a été horrible; parce que, cou-
verte de confusion, elle m’a imploré avec affliction, elle a
obtenu de me voir; parce qu’elle en a éprouvé de la joie,
son corps s’est transformé et est devenu beau. »
Lorsque la multitude des assistants eut entendu ces
paroles du Buddha, elle lui rendit hommage, avec respect
et prit plaisir à mettre en pratique ses enseignements.
CEID A RINEO DTO PP
Chan-kouang (excellent éclat), fille du roi Prasenayit, se vante
auprès de son père de devoir toutes les faveurs dont elle jouit,
non au roi, mais à l’efficace des actes qu'elle a commis dans des
vies antérieures. Irrité, le roi la marie à l’homme le plus misé-
rable de la ville. Cet homme se trouve être le fils d’un notable
extrêmement riche de Crâvasti; il est tombé dans la misère parce
qu’il a perdu ses parents quand il était encore enfant. Sur le
conseil de la princesse, il se rend avec elle à l'endroit où ses
parents avaient eu autrefois leur demeure ; la terre se creuse
sous ses pieds et un lrésor caché apparaît. Étant ainsi mariée à
l'homme le plus riche de la ville, la princesse invile le roi son
père dans ses somptueux appartements et lui prouve que c’est
bien à l’efficace de son karman qu’elle doit son bonheur.
(RD IN AO D Om vo)
Deux fils de roi ont été bannis ; pendant qu'ils marchent dans
une région déserte, ils viennent à manquer de vivres ; le frère
(1) CF. le n° 95; t. I, pp. 361-363.
(2):Cfi en. 51; 1 L'pp. WU.
32 TSA PAO TSANG KING
cadet tue sa femme et la coupe en trois morceaux qu'il attribue
à lui-même, à son frère aîné et à la femme de celui-ci. Le frère
aîné cache le morceau qui lui a été donné et coupe de sa propre
chair pour s’en nourrir. Un peu plus tard, le frère cadet, n’ayant
plus rien à manger, propose de tuer la femme du frère aîné ;
celui-ci sauve la vie à sa femme en donnant à son frère cadet le
morceau de viande qu'il avait tenu secrèlement en réserve. Les
deux frères atteignent enfin un endroit où ils peuvent s'établir.
Le frère cadet meurt de maladié. Le frère aîné recueille par
compassion un homme dont les pieds et les mains ont été cou-
pés pour quelque crime. Sa femme a des rapports secrets avec
cet homme et projette de tuer son mari. Elle demande à ce der-
nier de cueillir des fleurs et des fruits d'un arbre qui sur-
plombe un précipice au fond duquel coule un torrent; feignant
de vouloir l'empêcher de tomber, elle lui attache autour des reins £
une corde dont elle tient l'extrémité ; quand le frère aîné est
au sommet de l'arbre, elle lui fait perdre l'équilibre en tirant la
corde ; le frère aîné tombe dans le torrent sans se faire de
mal ; il aborde dans un royaume dont le roi vient de mourir et il
est nommé roi. À quelque temps de là, sa femme, portant sur
ses épaules son amant estropié, vient dans ce même royaume ;
elle est reçue par le roi et est couverte de confusion en re-
connaissant son mari. Le roi lui pardonne.
nt le. ie. nr À
PERIDS, KV, Lo ep TON)
Le notable Siu-la (Sudatta) était devenu fort pauvre ; un jour
qu'il était allé louer ses services à quelque autre personne, sa
femme vil venir successivement chez elle Aniruddha, Subhuti,
Mahäkâcçcypa, Mahàämaudgalyâyana, Câriputra et enfin le Buddha
lui-mème ; à tous elle remplit leur bol à aumônes. Quand son
mari revient et lui demande à manger, elle lui dit qu'elle n’a
plus rien et lui explique ce qu'elle à fait. Sudatta l’approuve.
En récompense de ses bons sentiments, ses magasins se trou-
vent remplis de denrées qui se renouvellent à mesure qu'il en
fail usage.
TSA PAO TSANG KING 23
éTrip., XIV, 10, pp.10 v°-11r°) (0).
So-lo-na (Sarana), fils du roi de Yeou-tien ff Ï& (Udayana),
s'est résolu à entrer en religion. Tandis qu’il médite sous un
arbre, survient le roi Ngo-cheng (Canda, surnom de Pradyota,
roi d'Ujjayini) accompagné de ses femmes ; le roi s'étant en-
dormi, les femmes se rassemblent autour du jeune homme et
l’'entendent expliquer la Loi. A son réveil, Le roi Ngo-cheng aper-
çoit ses femmes réunies auprès de So-lo-na et, dans sa fureur, 1l
roue de coups ce dernier. So-lo-na se rend auprès de son upa-
dhyâya Kâtyâyana et lui annonce son intention de quitter la vie
religieuse et de rentrer dans le monde. Pour l'en détourner,
Kâtyâyana lui envoie pendant la nuit un songe qui est le suivant:
le roi d'Udayana est mort; son fils So-lo-na lui a succédé ; il livre
bataille au roi Vgo-cheng ; il est vaincu, fait prisonnier et on
s'apprête à lui couper la tête. À ce moment, le jeune homme se
réveille ; il va raconter ce qu'il a vu en rêve à son maître ; celui-
ci lui montre que, s’il avait été vainqueur, son cas n’eût pas été
meilleur puisqu'il serait, à sa mort, tombé dans les trois voies
mauvaises. So-lo-na reconnaît que les souffrances qu'il a endu-
rées lorsque le roi Ngo-cheng le battait ont une importance mi-
nime et il reprend la résolution de persévérer dans la pratique
de la religion ; il obtient au bout de quelque temps la dignité
d'arhat.
COPIDE INA OS D TPE ME)
Dans le royaume de Xien-lFo-wei (Gandhâra), un boucher em-
menait un troupeau de cinq cents jeunes bœufs lorsqu'un eunu-
que, ému de compassion, rachète ces bœufs et leur rend la li-
(1) Voyez le Sûträlamkära, trad. Huber, n° 65, pp. 312-355.
(2) Dans le Journal Asiatique de nov.-déc. 1897 (pp. 528-529), M. Sylvain
Lévi a signalé une autre rédaction de ce conte dans le Fa-yuan {chou lin
(Trip., XXXVI, 8, p.14 r°) qui l’emprunte au Pi-p'o-cha louen (Vibhäsà
câstra); dans cette autre rédaction, l'anecdote est rapportée au temps du
roi Xia-ni-che-kia (Kaniska).
24 TSA PAO TSANG KING
berté. À cause de cette bonne action, l’ennuque recouvre aus-
sitôt sa virilité.
(Trips, XIV 10,0 1) TN)
Le roi Prasenajit entend pendant la nuit deux de ses ennu-
ques, qui le croient endormi, discuter entre eux: l'un dit qu'il
doit tout au roi ; l’autre dit qu'il doit tout à l’efficace de ses actes
antérieurs. Le roi projette de récompenser richement le premier;
il lui ordonne donc d’aller présenter à sa femme le vin qui reste
dans sa coupe (apparemment pour inviter cette femme à venir
partager la couche du roi); il a fait avertir au préalable sa femme
qu'elle eût à combler de présents l'ennuque qui se présenterait
à elle. Le premier ennuque est chargé de cette commission ; mais,
au moment où il sort de la chambre du roi, il est pris d’un sai-
gnement de nez et remet la coupe de vin au second ennuque ;
c'est donc celui-ci qui reçoit les riches présents. Le roi recon-
nait alors que les enseignements du Buddha sont véritables et
que chacun recoit les rétributions que lui ont values ses actes
antérieurs.
(Trip XIV SAS Dp10:v-124:)
Deux frères sont entrés en religion. L’ainé a obtenu la dignité
d’arhat; le cadet, à cause de sa profonde connaissance des livres
saints, est fort estimé du conseiller d'état qui le prend pour
maître de sa famille et qui lui donne une somme considérable
pour édifier un temple. Le frère aîné vient habiter dans ce
temple. Le conseiller d'état témoigne de la préférence au frère
ainé en lui envoyant à deux reprises une pièce d’étoffe de
grande valeur, tandis qu'il fait cadeau d'une étoffe grossière au
frère cadet. Celui-ci, animé par la jalousie, a recours à la calom-
nie ; il prend la belle étoffe que son frère aîné lui a généreuse-
ment laissée, et il la remet à la fillé du conseiller d'état en l’en-
gageant à s'en faire un vêtement qu'elle coudra en présence de
(1) Cf. Sûträlamkära, trad. Huber, n° 73, pp. 423-426.
TSA PAO TSANG KING 25
son père. La jeune fille se laisse persuader : à son père qui l’in-
terroge sur la provenance de cette étoffe, elle dit que c’est le frère
aîné qui la lui a donnée. Le conseiller d'état croit que le saint
homme a voulu séduire sa fille. L’arhat, sentant qu'il a été ca-
lomnié, s'élève dans les airs et accomplit dix-huit transforma-
tions surnaturelles en présence du conseiller d’état qui recon-
naît alors son erreur {1).
CErpb, XIV: 40 pp. 12512 V9):
Câriputra et Maudgalyâäyana, surpris par la pluie, se réfugient
dans le four d’un potier. Une jeune gardienne de bœufs s’y trou-
vait déjà, à leur insu. Cette fille, en voyant leurs beaux visages,
éprouve de la jouissance sensuelle. Câriputra et Maudgalyâäyana
sortent du four sans avoir aperçu la jeune fille; celle-ci sort
après eux. Or, un certain Tch'eou-k'ia-li (Kokali), qui savait dis-
tinguer sur le visage des gens s'ils avaient ou non éprouvé une
jouissance sensuelle, voit Çâriputra et Maudgalyâäyana sortir du
four suivis de la gardienne de bœufs qui vient d’éprouver une
jouissance sensuelle. Il accuse les deux saints hommes de s'être
livrés à la débauche avec la bergère. Il répète son accusation
devant les bhiksus, devant Bhagavat, descendu exprès du ciel
pour lui faire entendre raison, enfin devant le Buddha ;ilest puni
de sa dénonciation calomnieuse par des boutons qui deviennent
de plus en plus enflammés, lant et si bien que, lorsqu'il se
plonge dans l’eau pour éteindre le feu qui le dévore, l'étang tout
entier se met à bouillonner. Pourquoi Çâriputra et Maudgalyà-
yana ont-ils été en butte à cette calomnie? C’est parce que, dans
une naissance antérieure, ils ont eux-mêmes conçu des soup-
cons injurieux du même ordre à l'égard d’un Pratyeka Buddha.
(1) Comme on le lit plus loin dans un autre conte, le fait seul de pou-
voir s'élever de quatre doigts au-dessus de terre prouve que l’homme
qui accomplit un tel prodige est délivré de tous les désirs sensuels: à
plus forte raison en est-il de même de celui qui s'envole librement dans
les airs.
(2) Cf. Karma çalaka, trad. Feer, Journ. As., mars-avril1901, pp. 179-280,
et FEER, Kokâlika, Journ. As., mars-avril 1898, p. 202.
26 TSA PAO TSANG KING
(Trip., XIV, 10, pp. 12 v°-14 r°.)
Devadatta étant venu injurier le Buddha et ayant été chassé
par Ânanda, l'explication de ces faits est donnée par l’avadäna
que voici : autrefois, dans le royaume de Xïia-che (KAci), il y
avait deux rois nâgas qui étaient frères ; l’un se nommait T'a-la
(Datta) et l’autre Yeou-p'o-ta-ta (Upadatta). Ils étaient bons et
faisaient pleuvoir en temps opportun. Comme le roi leur sacri-
fiait des bœufs et des moutons, ils viennent le prier de cesser
ces immolations d'êtres vivants qui ne leur agréent point ; le roi
se refusant à les écouter, ils s'en vont et arrivent auprès d’un
méchant petit nâga nommé Touen-tou-p'i Dundubhi) qui les in-
jurie. Le plus jeune des deux rois-nâgas s'irrite contre lui, mais
l'aîné l’engage à ne pas se mettre en colère et à revenir avec lui
dans le royaume de Kâçi. Les deux bons nâgas sont reçus avec
joie par le roi qui ne leur offrira plus dorénavant en sacrifice
_ que du lait. L'aîné des nâgas prononce alors un nombre consi-
dérable de stances, dont voici les premières :
Que tous, réunis harmonieusement, écoutent de tout leur cœur,
— qu'excellemment ils purifient et calment les diverses lois de
leur cœurs, — (pour entendre) les récits sur les existences anté-
rieures du Bodhisatlva, —et les anciennes gâthâs concernant l'ap-
parilion du Buddha actuel. — Quand le deva entre tous les devas,
le sambuddha, — le Tathägata élait dans ce monde, les bhiksus
— prononçaient à l’envi de mauvaises paroles et se dénigraient
mutuellement. — Le grand Compatissant les vit et les entendit
el leur tint ce langage ; — il réunit les religieux bhiksus et leur
parla ainst: — Vous tous, bhiksus, c'est en vous appuyant sur
moi que vous êtes sortis du monde ; — ce qui est contraire à la
Loi, vous ne devez pas le faire. — Vous prononcez chacun de
votre côté des paroles grossières ; — à l'envi vous vous calomniez
et vous vous faites muluellement du tort; — n'avez-vous pas
appris que celut qui sait comment on cherche la Bodhi — accu-
mule les actions de compassion et de palience et mène une con-
duite pénible ? — Si vous voulez vous appuyer sur la loi du Bud-
dha, — il vous faut mettre en pratique les six respects harmo-
TSA PAO TSANG KING 27
nieux. — Le sage écoute excellemment pour étudier la doctrine
du Buddha, — car il a le désir d’être profitable et avantageux et
de calmer la multitude des vivants. — À tous les êtres il ne cause
ni chagrin ni peine; — quand l'homme qui pratique la vertu a
été instruit, il doit se tenir éloigné du mal; — que celui qui est
sorti du monde conçoive de la colère et formule des reproches,
— (c’est aussi anormal que si) de l’eau glacée sortait du feu.
Dans les temps passés, j'étais un rot nâga: — mot et mon
frère cadet nous demeurions dans le même lieu. — Si quelqu'un
désire se conformer aux règles qui concernent celui qui est sorti
du monde, — il doit s'abstenir de colère et d'irritation et agir
d'accord avec la sagesse. — Le frère aîné se nommait Ta-ta
(Datta): — Le second se nommait Yeou-p'o-ta (Upadatta) ; -—
tous deux ne tuaient pas d'êtres vivants et observaient les défenses
pures.— Quoiqu'ils eussent une grande vertu redoutable;ils étatent
las de leurs corps de nâgas ; — et constamment ils se lournatent
vers les bonnes conditions d'existence (gati) en demandant à étre
des hommes ; — toutes les fois qu'ils voyatent un Cramana ou un
Brahmane — ou quelqu'un observant les défenses ou ayant beau-
coup de savoir, — ils changeaient de forme pour lut faire des
offrandes et être constamment en rapport d'amitié avec lui. — Le
huilième jour, le quatorzième jour et le quinzième jour, — ils
observaient les huit défenses et réprimaient leurs sentiments et
leurs pensées. — Ils abandonnèrent l'endroit où ils demeuratient
pour aller en un autre lieu. — Là se trouvait un nâga nommé
Touen-tou-p'i (Dundubhi), — qui, voyant la grande vertu redou-
table de ces deux nâgas, — et sachant qu'il ne les valait pas, en
conçut de l'envie et de la colère...
Dundubhi injurie donc les deux nâgas ; Upadatta voudrait se
venger en le faisant périr; mais son frère aîné Datta l'exhorte
au pardon des offenses en un fort long sermon, toujours sous
forme de gâthâs.
CPR RIVE Tops
Les avadânas qui suivent sont tous destinés à expliquer l'ani-
mosité de Devadatta contre le Buddha :
28 TSA PAO TSANG KING
Autrefois, dans le royaume de Kia-che (Kâçi), vivait un grand
roi-nâga nommé Zchan-p'e qui comblait de ses bienfaits le
royaume ; le quatorzième et le quinzième jours de chaque
mois, il prenait la forme humaine, observait les cinq défenses,
pratiquait la libéralité et écoutait la Loi. Survient un magicien
de l'Inde du sud qui plante une flèche en terre, accomplit une
formule d’incantation, et, grâce à ce procédé, s'empare du nâga.
Le roi de Kâcçi accourt, à la tête d'une armée, pour délivrer ce
dernier; mais le magicien a recours à une nouvelle formule d’in-
cantation qui fait que toute l’armée du roi ne peut plus avancer ;
le roi paie une rançon pour racheter le nâga. À deux nouvelles
reprises, le brahmane vient pour s'emparer du nâga ; les autres
nâgas projettent de le tuer, mais ils en sont détournés par le bon
roi-nâga qui, ainsi qu'on peut bien le penser, n’est autre que le
futur Buddha, tandis que le méchant brahmane est Devadatta.
CAD NIV TO DEV)
L'oiseau à deux têtes ; une des têtes mange d’excellents fruits;
par jalousie, l’autre tête mange un fruit empoisonné qui fait
mourir en même temps les deux têtes.
CPRDANEN AO D T0)
Autrefois, dans un étang de lotus, vivait une foule d'oiseaux.
Un héron (baka) vient dans cet étang ; comme il marchait len-
tement en levant haut les pattes, les autres oiseaux s'émerveil-
laient de la gravité de sa démarche qui ne troublait aucunement
la pureté de l’eau. Mais un perroquet blanc prononça cette
gàthà : |
Il marche lentement en levant haut les pattes; — sa voix est
exlrêémement suave; — mais, quand le menteur est dans ce
monde, — qui ne reconnaît qu'il est un trompeur (2) ?
(1) Cf. le n° 392; t. II, pp. 422-493.
(2) L'expresion bakavrata « démarche de héron » a passé dans la
langue courante avec le sens d’ « hypocrisie ».
À
y 4 dre a
TSA PAO TSANG . KING 29
Le héron répliqua : « Pourquoi parlez-vous ainsi? Venez
vers moi pour que nous soyons amis ». Le perroquet blanc
de répondre aussitôt : « Je sais que vous êtes un trompeur;
nous ne serons jamais amis ». Le perroquet blanc était le
Buddha ; le héron était Devadatta. |
CHA XIV 10: pr vb re)
Avadâna de la grande tortue. Cinq cents marchands, dont
le chef se nomme « Celui qui ne sait pas reconnaître les bien-
faits » se trouvent au milieu de la mer en péril de mort,
lorsqu'une tortue gigantesque vient auprès de leur bateau et
les sauve tous en les prenant sur son dos. Quand la tortue les
a transportés sur le rivage, elle s'endort. Le chef des mar-
chands, malgré les remontrances de ses compagnons, lui
écrase la tête avec une grosse pierre afin de se nourrir de sa
chair. Mais, dans la nuit, un troupeau d’éléphants met à mort
tous les marchands en les foulant aux pieds.
(Trtp: IN 10 D 429 r-v°)
Devadatta cherche à faire périr le Buddha en répandant sur
lui une drogue empoisonnée ; mais un coup de vent repousse
la drogue sur la tête de Devadatta qui va mourir dans de
grandes souffrances lorsque la bonté du Buddha le sauve en
rendant inoffensif le poison. Le Buddha raconte à ce propos un
avadâna : Autrefois, dans le royaume de Kïa-che (Kâci), dans
la ville de Po-lo-nai (Vârânasi), il y avait deux conseillers
d'État, l'un nommé Sseu-na (Sena), l’autre nommé « mauvaise
intention » (Durmanas). Ce dernier cherche à causer la perte
de Sseu-na (Sena) en l’accusant d’abord d’avoir voulu se révoller,
ensuite d’avoir volé au roi des objets précieux ; comme ces
calomnies restent sans effet, il s'enfuit chez le roi de P'i-l'i-hi
(Videha),; à son instigation, ce roi envoie en présent au roi de
Käâçi une cassette renfermant deux serpents venimeux ; malgré
les conseils de son ministre Sseu-na qui redoute quelque piège,
30 TSA PAO .TSANG KING (N° 403)
le roi de Kâci ouvre lui-même la cassette et est aussitôt rendu
aveugle par le venin des serpents; son ministre Sseu-na parvient
à trouver une excellente médecine qui lui rend la vue.
N° 408 (1).
(Trip., XIV, 10, p. 15 v°.)
Dans les générations passées, à côté des montagnes
neigeuses, il y avait un roi des coqs de montagne qui était
à la tête d’un grand nombre de coqs et de poules et s'en
faisait suivre. Sa crête était extrêmement rouge et son
corps était parfaitement blanc. Il dit à la foule des coqs et
des poules : « Tenez-vous loin des villes et des villages
de peur que vous ne soyez dévorés par les hommes. Nous
avons beaucoup d’ennemis ; gardons-nous bien. » Or, dans
un village, il y eut une chatte qui apprit que des coqs et
des poules se trouvaient là-bas; aussitôt elle s’y rendit. Se |
tenant sous l’arbre, avancant doucement et regardant avec
humilité, elle dit au coq : « Je serai votre femme; vous
serez mon mari. Votre corps est beau et aimable; la
crête qui surmonte votre tête est rouge; votre corps est
tout blanc. Je vous servirai; livrons-nous secrètement
aux plaisirs. »
Le coq lui répondit par cette gâthà :
« La chatle aux yeux jaunes profile de la stupidité des
petits êtres ; — dès qu'elle en rencontre l’occasion, elle con-
çoit l'idée de leur faire du mal et veut les dévorer. — Je ne
(1) Le Buddha se trouvant à Wang-chô ich'eng (Râjagrhapura)
Devadatta se rend auprès de lui et engage le Tathâgata à lui confier la
multitude de ses disciples. Sur le refus du Buddha, il se retire furieux.
Ce n'est pas seulement aujourd'hui que pareille chose s'est passée : suit
l’avadäna dont nous donnons la traduction; le coq n'est autre que le
Buddbha ; la chatte, c'est Devadatta.
TSA PAO TSANG KING (N° 403) 31
vois point que quelqu'un qui aurait pour épouse un tel ani-
mal — puisse avoir une vie longue et paisible ».
ÉErine NEN 40; 10 7°)
Devadatta feint de se convertir et veut venir confesser ses
fautes au Buddha; en réalité, il a l’intention de lui nuire. Dans
les temps passés, le roi Fan-mo-ta (Brahmadatta) qui régnait
à Po-lo-nai (Vârânasi), avait interdit de tuer aucun être vivant ;
Devadatta était alors un chasseur qui, revêtu d’un habit de reli-
gieux, tuait en grand nombre des cerfs et des oiseaux ; il fut
dénoncé par l'oiseau X7-li qui montra que, quoique revêtu d’une
robe de religieux, 1l était en réalité un chasseur. L'oiseau Ki-li
n’est autre que le Buddha.
CFrIps, XIV, 10; DA6 7
Devadatta reçoit d’abondantes offrandes que lui envoie le
roi Ajâtaçatru ; le Buddha déclare aux bhiksus que Devadatta
n’en profitera pas longtemps et il raconte à ce propos un
avadâna. Il y avait, autrefois, deux ascètes ; l’un était vieux
et avait obtenu les cinq abhijñâs ; l’autre était dans la force
de l’âge et n'avait rien obtenu du tout, Ce second ascète, émer-
veillé des prodiges que peut accomplir le premier, insiste pour
que celui-ci lui enseigne comment on pratique les abhijñâs ;
lorsqu'il a acquis cette connaissance, il étonne les hommes
par des miracles et reçoit de grandes offrandes ; mais 1l parle
mal du vieil ascète et perd aussitôt ses facultés surnaturelles ;
il est alors chassé de la ville.
(rip NEVETO pp 26 616%)
Ceux qui croient aux enseignements du Buddha atteignent au
Nirvâna ou obtiennent de renaître dans les conditions supé-
rieures d'homme ou de deva. Ceux qui ajoutent foi aux paroles
32 TSA PAO TSANG KING
de Devadatta tombent dans les enfers. Autrefois, il y avait deux
chefs de marchands accompagnés de cinq cents marchands.
Tandis qu'ils cheminaient dans le désert, un yaksa se présente à
eux sous la forme d'un jeune garçon vêtu de beaux vêtements,
couronné de fleurs et jouant du luth; il les engage à jeter là les
plantes à eau dont ils étaient chargés, les assurant qu'ils en trou-
veraient en abondance un peu plus loin. Un des chefs de mar-
chands suit son conseil et il périt de soif avec tous les siens.
L'autre chef de marchands sauve sa caravane, parce qu'il a pré-
cisément gardé sa provision d’eau, malgré les avis du démon (1).
(Trip., XIV, 10, pp. 16 vo-17 ro.)
Huit devas se présentent l’un après l’autre devant le Buddha ;
les sept premiers (en réalité 1l n’y en a que six d’énumérés)
se plaignent de n'être pas parfaitement heureux ; ils ra-
content quelle en est la cause provenant de leurs existences
antérieures ; le premier n’a pas témoigné son respect avec assez
de zèle à son père et à sa mère, à ses maîtres et à ses aînés,
aux çramanas et aux brahmanes ; le second ne leur a pas
donné des lits et des sièges assez confortables ; le troisième
ne leur à pas fourni une nourriture assez bonne ; le qua-
trième n’a pas écouté la Loi ; le cinquième a écouté la Loi sans
en comprendre le sens ; le sixième a compris le sens de la
Loi mais n’a pas su la mettre en pratique. Survient enfin un
dernier deva qui se proclame parfaitement heureux, car il n’est
lombé dans aucune des fautes que les autres devas ont à se re-
procher.
(Trip., XIV, 10, p. 17 ro-15 vo.)
Gakra Devendra a entendu le Buddha expliquer la Loi et il
est devenu srotâpanna. Remonté dans les cieux, il réunit autour
(1) Voyez un récit analogue dans le Tch'ang a han king (Trip., XII, 9,
p. 38 r°). — Cf. Vimänavatthu, n° 84; — Apannaka jâtaka (Jätaka, n° 1);
— SPENCE HARDY, Manual of Buddhism, pp. 108-112. — Ce jâtaka est men-
lionné dans le Milinda pañho (S. B. E., vol. XXXV, p. 289).
TSA PAO TSANG KING 33
de lui les devas pour louer le Buddha, la Loi et l'Assemblée.
Parmi les assistants se trouve une devi d’une beauté merveil-
leuse qui porte sur sa tête une couronne de fleurs. Cette devi
doit sa félicité présente au fait que, dans une existence anté-
rieure, elle a disposé des couronnes de fleurs sur le stûpa de
Kâçyapa Buddha (1).
(Trip. XIV, 10, pp. 17 v°-18 r°.)
Histoire d’une autre devi merveilleusement belle qui est ré-
compensée parce que, au temps du Buddha Kâcyapa, elle a
scrupuleusement observé chaque mois les huit abstinences (2).
(rip XIV A0 D 1801)
Quand le roi Bimbisära régnait à Wang-chô lch'eng (Râja-
grhapura), il donnait des lampes en offrande au Buddha. Plus
tard, sur le con«eil perfide de Devadatta, le roi Ajâtaçatru veut
détruire la religion bouddhique; les gens du pays n’osent plus
allumer des lampes pour les offrir au Buddha. Seule, une
femme continue à le faire. Furieux, le roi Ajâlaçatru la fait
périr en la coupant par le milieu du corps; elle obtient alors de
renaître parmi les devas Trayastrimças (3).
(Pr RINE "FO D A8 TS)
Interrogée par Çakra Devenda sur la cause de sa félicité, une
devi répond que, dans sa vie antérieure, elle était une jeune
fille qui, montée sur un char, allait se promener, lorsqu'elle
rencontra le Buddha et aussitôt s’écarta de la route pour lui
laisser le passage libre.
(1) Cf. l’histoire de Mâlini dans le Mahävastu, éd. Senart, t. I, pp. 300
et suiv.) et Vimänavallhu, n° 37.
(2) Les huit premiers termes de la série du çiksàäpada.
(3) Cf, Vimänavatthu, n° 9.
IIT. 3
34 TSA PAO TSANG KING
(Trip., XIV, 10, p. 18 v°.)
Interrogée par Çakra Devendra sur la cause de sa félicité, une
devi répond que, dans une existence antérieure, elle était une
jeune fille qui était allée cueillir des fleurs d'açoka lorsqu'elle
rencontra le Bouddha et répandit sur lui ces fleurs (1).
(Trip., XIV, 10, pp. 18 v°-19 r°.)
Le roi Bimbisâra, qui était un adorateur du Buddha, avait
fait ériger dans son palais un stûpa abritant des cheveux du
Buddha, afin que les femmes de son harem pussent faire des
offrandes à ce stûpa. Après la mort de Bimbisâra, Ajâtaçatru,
obéissant aux conseils pervers de Devadatta, interdit de faire
des offrandes au stûpa ; une femme du harem nommée Chü-li-
fou-mo-l'i désobéit à cet ordre ; elle est mise à mort sur l'ordre 4
d'Ajâtaçatru, mais elle renaît parmi les devas Trayastrimças ;
elle raconte alors à CÇakra Devendra pourquoi elle a obtenu un
tel bonheur. |
PO
(LPSC ANT 402 D: 1800:)
Un notable de Crâvasti avait fait construire un stûpa et un
temple ; à cause de cette bonne œuvre, il renaît parmi les
devas Trayastrimças. Sa femme, restée veuve, continue à entre-
tenir le stûpa et le temple. Le deva, qui fut son mari, lui
apparaît et lui révèle qui il est ; il ne peut plus avoir de rap-
ports charnels avec elle parce qu’elle est femme et impure, mais
il l'engage à persévérer dans ses œuvres pies, car, à sa mort, elle
renaîtra comme devi et s’unira de nouveau à lui. C'est en effet
ce qui arrive.
1) Cf. Vimänavatlhu, n° 38.
TSA PAO TSANG KING 30
(Trip. XIV, 10, pp. 19 r°-19 v°.)
Un notable de Wang-chô Ich'eng (Râjagrha) va chaque jour
adorer le Buddha ; sa femme ayant conçu des doutes sur sa
fidélité conjugale, il lui explique pourquoi il sort quotidienne-
ment et lui parle du Buddha ; sa femme monte sur un char
pour aller, elle aussi, voir le Buddha; elle ne peut approcher de
lui à cause de la foule des auditeurs et se contente de le saluer de
loin ; cette bonne action lui vaut de renaître parmi les devas
Trayastrimças.
CCrpa XIV 10 7D: 19%)
Avec l’assentiment du roi Prasenajit, le notable Sru-la (Su-
datda) fait une quête dans tout le royaume en faveur des trois
Joyaux ; une pauvre femme lui donne la seule chose qu'elle pos-
sède, à savoir la pièce d'étoffe dont elle se couvrait le corps.
A cause de cette bonne action, elle renaît en qualité de devi.
MÉTTEDAS A ENS T0 DD TON 0207E0)
À Crâvasti, il y avait un notable nommé Fou-chô (Pusya), qui
avait deux filles ; l’une d'elles était entrée en religion et avait
obtenu la dignité d’arhat ; l’autre était incroyante ; désireux de
convertir cette dernière, le notable lui promet mille pièces d’or
si elle prononce la formule du refuge auprès du Buddha, et huit
mille pièces d'or si elle y ajoute la formule du refuge auprès de
la Loi et auprès de l’Assemblée. Séduite par la promesse de cette
forte somme, la jeune fille accepte les cinq défenses ; peu
après, elle meurt et renaît comme devi.
CET AIN 10 "DD 0)
Une jeune fille qui, suivant la coutume de l'Inde du Sud,
| du. Sr Vue
+ R CPE TA 4 1: ét
36 TSA PAO TSANG KING (N° 404)
balayait de bon matin la maison familiale et les alentours de la
porte d'entrée, aperçoit le Buddha et en conçoit de la joie.
A cause du sentiment qu'elle a éprouvé, elle renaît en qualité
de devi; de même que toutes les devis dont il a été question
dans les contes précédents, elle comprend pour quelle raison
elle a obtenu sa félicité précédente ; elle redescend auprès du
Buddha, l'écoute expliquer la Loi et devient srotâäpanna.
(rip AIN, ABS Dr 20 7°;
Un notable de Wang-chô tch'eng ‘Râjagrha) a invité le Bud-
dha à venir chez lui pour lui faire des offrandes. A cause de cette
bonne action, il renaît en qualité de deva.
CTrip:; XINS 10h26 r0:)
Un bhiksu, qui était un arhat, vient mendier à la porte d’une
famille dont l'occupation consistait à presser des cannes à
sucre ; la femme du fils de cette famille met un gros mor-
ceau de canne à sucre dans son bol. La belle-mère, irritée de
cette libéralité, frappe sa bru à coups de bâton et la tue. La
jeune fenime renaît dans la condilion de devi.
N° 401.
(Trip., XIV, 10, pp. 20 r°-v°.)
Autrefois dans la ville Chü-wet (Crâvasti), ily avait une
femme qui, assise à terre, broyait des parfums. Sur ces
entrefaites, le Buddha entra dans la ville ; quand la femme
le vit, elle conçut une pensée de joie et oignit les pieds
du Buddha avec le parfum qu’elle était occupée à broyer.
ONGLES
TSA PAO TSANG KING (N° 404) 37
Plus tard, quand sa vie eut pris fin, elle obtint de naïitre en
haut parmi les devas ; le parfum de son corps se sentait
au loin et se propageait jusqu'à quatre mille /: de distance.
Comme elle était allée se réunir à l’assemblée dans la
salle de la bonne Loi, le souverain Cakra l'interrogea par
cette gâthà : |
Quelle œuvre productrice de bonheur avez-vous faite
autrefois — pour que votre corps émelle ce parfum exquis,
— pour que vous soyez née parmu les devas, — el pour que
votre teint ait un éclat semblable à de l'or fondu?
La devi répondit par cette gâthà :
D'un parfum excellent — j'ai fait hommage au Vénérable
suprême ; — j'ai obtenu ainsi un mérile imposant que rien
n'égale ; — je suis née parmi les trente-trois dieux (Tray-
astrimças), — et je reçois de grandes joies ; — mon corps
émet toutes sortes de parfums exquis — qui se font sentir à
cent yojanas de distance ; — tous ceux qui sentent ces par-
fums — en éprouvent un grand bénéfice.
Alors la devi se rendit auprès de l'Honoré du monde; le
Buddha lui expliqua la Loi et elle obtint la voie de srotà-
panna ; puis elle retourna parmi les devas.
Les bhiksus demandèrent {au Buddha): « Quelle action
productrice de bonheur a-t-elle accomplie autrefois pour
qu’elle aitobtenu de naître parmi les devaset pour que son
corps soit ainsi parfumé ? » Le Buddhaleur répondit : « Au-
trefois lorsque cette devi était parmi les hommes, elle
oignit de parfums mes pieds; c’est pour cette raison que,
après sa mort, elle est née parmi les devas et a reçu cette
récompense. » | |
CET XIV 10, pr 20v0)
Dans le royaume de Gravâsti, le notable Siu-la (Sudatta) pro-
met une récompense de cent mille onces d’or à qui prendra son
38 TSA PAO TSANG KING
refuge auprès du Buddha. Une servante l'entend et prononce la
formule, À sa mort, elle renaît parmi les devas Trayastrimças,
(Trip, XIV; 10, p. 20°)
Une pauvre mendiante demande l'aumône au Buddha qui or-
donne à Ananda de lui donner un peu de nourriture ; en recevant
ce don, elle conçoit un sentiment de joie et, à cause de cela,
elle renaît, après sa mort, parmi les devas.
(Trip. XINS10; Dr 24-12)
Une servante qui doit apporter de la nourriture à son maître,
rencontre le Buddha et lui donne les provisions dont elle est
chargée ; elle retourne à la maison, reprend de la nourriture et
repart; mais elle rencontre Çâriputra et Maudgalyäyana et leur
donne ses provisions ; elle revient encore une fois à la maison,
prend de nouvelles provisions et les apporte à son maître. Quand
le maître rentre chez lui, il demande à sa femme pourquoi elle
lui a envoyé si tard la servante ; celle-ci est interrogée et avoue
ce qu'elle a fait ; son maître la bat ; elle meurt et renaît en qua-
lité de devi.
|
|
(Prin ANA 0 pr)
Le roi Bimbisära avait élevé pour le Buddha un stûüpa et un
temple ; un notable aurait voulu l’imiler mais, n’en ayant pasles
moyens, 1l édifie une salle d'explication à l'endroit où le Tathâ-
gala avait coutume de passer ; à cause de cette bonne œuvre, il
renait en qualité de deva. |
LR NEN AO DD 2 ID EE ve"
Un marchand de la ville de Crâvasti, qui a mis sa maison nou-
TSA PAO TSANG KING 39
vellement construite à la disposition du Buddha, renaît après sa
mort dans la condilion de deva.
CPrip:, XIV, 10 pp21 v-221°
Un pauvre homme rapporte chez lui six mesures de farine
grillée dont il compte se nourrir avec sa femme et ses enfants.
Il rencontre en chemin un religieux mendiant ; il prend une me-
sure de farine, en fait une boulette et la lui présente en expri-
mant le désir de devenir roi d’un petit royaume. Le çramana
accepte son offrande en disant: « Pourquoi si peu ? » Le pauvre
homme pense que le religieux trouve son aumône insuffisante ;
il fait une boulette avec une seconde mesure de farine et la lui
présente en souhaitant devenir roi de deux petits royaumes. Il
reçoit la même réponse. [Il fait alors une boulette avec deux me-
sures de farine en souhaitant devenir roi de quatre petits
royaumes, et enfin 1l fait une boulette avec les deux dernières
mesures de farine en souhaitant devenir roi de Vârânasi, com-
mander à quatre petits royaumes et obtenir de connaître les
vérités saintes. Comme le çramana répond encore que c’est trop
peu, 1l lui offre de se dépouiller de ses vêtements et de les
échanger contre de la nourriture qu'il lui offrira. Cependant le
çramana n’a mangé qu'une seule mesure de farine et rend le
reste au pauvre homme; celui-ci demande pourquoi, précé-
demment, il a toujours dit que c'était trop peu. Le çramana
répond qu'il a voulu dire, non que l'offrande était trop petite,
mais que les désirs formulés par le donateur étaient trop modérés.
Le pauvre homme conçoit des doutes sur la sincérité de son in-
terlocuteur, qui, pour le convaincre de sa bonne foi, doit s'élever
dans les airs et accomplir dix-huit transformations surnaturelles.
Peu après le pauvre homme est reconnu comme étant le fils
d'un ami défunt du roi de Vârânast; il est comblé de faveurs par
le roi, et à la mort de ce dernier, il est mis sur le trône à sa
place.
(rip, XIV, 40; p. 22:r°-v°.
Une pauvre mendiante à donné à une assemblée de religieux
40 TSA PAO TSANG KING
deux pièces de monnaie qu’elle a trouvées dans le fumier ; sui-
vant la coutume, le karmadâna avait prononcé un vœu en sa fa-
veur ; mais, comme le sthavira, c'est-à-dire le président de l’as-
semblée, n'avait pas entendu ce vœu, il formule lui-même un
souhait pour son bonheur futur. La mendiante reçoit les restes
de la nourriture du sthavira et se croit amplement récompensée
de sa bonne action. Cependant elle s'endort sous un arbre ; la
reine du royaume vient à mourir ; on cherche partout qui peut
la remplacer et le choix des devins se porte sur la pauvre men-
diante qu'un prodige (l'ombre de l'arbre qui reste immobile au-
dessus d'elle) désigne à leur attention ; cette femme devient donc
reine. Elle fait alors de grandes libéralités aux religieux ; mais
le sthavira refuse de prononcer lui-même un vœu en sa faveur et
explique sa conduite en disant que ce n’est pas la valeur intrin-
sèque de l'offrande qui importe; les deux pièces de monnaie de
la pauvre mendiante avaient plus de prix que les riches offrandes
de la reine (1).
L
(Frip XIV;.10; pp: 22 v25 1)
Un peintre du royaume de Gandhâra nommé Xïi-na (Karna) a |
gagné trente onces d’or après avoir travaillé pendant trois ans.
Au moment où il se dispose à rentrer dans son pays, il assiste |
à une cérémonie de pancavarsa dans la ville de Fou-k'ia-lo (Pus-
kalâ vati) ; il demande au karmadäna quels sont les frais que sup-
pose l'entretien des moines pendant un jour ; on lui répond que
cela coûterait trente onces d'or ; il donne aussitôt tout ce qu'il
possède et accomplit cette œuvre pie. Il rentre chez lui entière-
ment démuni d'argent. Sa femme l'accuse devant le juge. L’ar-
üiste se disculpe en exposant les motifs religieux qui lui ont dicté
sa conduite. Le Juge, ravi de sa réponse, se dépouille lui-même
de ses vêtements et de ses colliers et les donne à cet homme
avec tout son cortège de chevaux de selle et de chars ; il lui at-
tribue en outre un village en apanage (2).
(1) Cf. Sûfrälamkära, trad. Huber, n° 22, pp. 119-128.
(2) Cf. Sälrälamkära, trad. Huber, n° 21, pp. 117-119.
TSA PAO TSANG KING 41
CP AIN 160. 23 KE)
Un homme nommé Xi-yi-lo vit dans la pauvreté avec sa
femme. Un Jour 1l voit un notable qui va faire de grandes libé-
ralités dans un temple ; la nuit venue, tandis qu'il est couché
avec la tête appuyée sur le bras de sa femme, il s’afflige de ne
pouvoir, à cause de sa pauvreté, faire des libéralités qui lui as-
sureraient le bonheur dans ses existences futures; les larmes
qu'il verse tombent sur le bras de sa femme ; celle-ci se réveille
et, apprenant ce qui cause le chagrin de son mari, lui propose
de la vendre comme esclave. Mais il lui répond qu'il ne peut
vivre sans elle et tous deux se décident à se vendre ensemble au
même maître ; ils vont donc emprunter dix pièces d'or à un no-
table, s'engageant à lui livrer dans sept jours leurs personnes s'ils
ne lui ont pas rendu l'argent. Le sixième jour venu, ils offrent
un repas aux religieux ; cependant le roi du pays aurait voulu
inviter les religieux ce même jour ; il demande au mari età la
femme de lui céder leur tour, et, comme ils refusent avec obsti-
nation, il finit par apprendre qu'ils doivent aller se livrer le len-
demain même comme esclaves el qu'ils ne peuvent donc pas
présenter leurs offrandes aux religieux en quelque autre jour.
Ému de tant de piété et de dévouement, le roi enlève ses vête-
ments etses colliers ainsi que ceux de sa femme pour les dgnner
à Ki-yi-lo et à sa femme, puis il leur accorde en apanage dix
bourgades (1).
(Trip, XTV; 10, :Dp. 29 n-23;r0.)
Un arhat, sachant par avance que son çrâmanera doit mourir
dans les sept jours, lui accorde un congé pour qu'il retourne
chez lui et ne revienne qu’au début du septième jour ; le jeune
homme part et, sur sa roule, il rencontre des fourmis emportées
par le courant d'un ruisseau ; il leur sauve la vie en les retirant
de l'eau. À cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée, et,
(1) Cf. Sûtrâlamkära, trad. Huber, n° 76, pp. 429-433.
42 TSA PAO TSANG KING
le seplième jour, il revient sain et sauf, à la grande stupéfaction
de son maître.
(Trip., XIV, 10, p.22 59)
Un devin a prévu qu'un roi du X’ien-l'o-wei (Gandhâra) doit
mourir dans les sept jours ; mais, en allant chasser, le roi ren-
contre un vieux stûpa ruiné et ordonne de le restaurer. À cause
de celte bonne œuvre, sa vie est prolongée.
(Erin, "XIV 10 p.20 va)
Un brahmane hérétique a prévu qu’un bhiksu devait mourir
dans les sept jours ; mais le bhiksu, étant entré dans un monas-
tère bouddhique, aperçoit un trou dans le mur et le bouche avec
de la boue ; à cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée.
Chips XIV É06 pre vP:)
Un devin a prédit à un homme que son fils, âgé de cinq ou
six ans, devait bientôt mourir. Le père va auprès des six maîtres
hérétiques qui sont incapables de lui indiquer le moyen de pro-
longer la vie de son enfant; il s'adresse au Buddbha qui, sur ses
prières instantes, lui ordonne de placer l'enfant à la porte de la
ville pour qu’il rende hommage à lous ceux qui entrent et qui
sortent. Or un démon, qui avait pris la forme d’un brahmane, se
disposait à entrer dans la ville, lorsque le jeune garçon, placé à
la porte, lui rendit hommage ; le démon lui souhaita longue vie.
Or ce démon était précisément celui qui tuait les petits garçons
et, comme il ne pouvait violer sa parole, il ne put plus tuer l'en-
fant puisqu'il lui avait souhaité longue vie. L'enfant fut ainsi
sauvé.
Chip NIN #10 ph 2526 r)
Un jeune homme pauvre désire renaître parmi les devas trayas-
ANNEE PRE te PEAR
“
s
TSA PAO TSANG KING (N° 405) 43
trimças, et, pour obtenir ce privilège, il se propose de faire une
offrande de nourriture à une assemblée de religieux, ce qui lui
coûtera trente onces d’or. Il loue donc ses services à un riche
notable pour le prix de trente onces d’or qui devront lui être
payés au bout de trois ans.
Le terme étant arrivé, il prépare un grand banquet, à la magni-
ficence duquel son maître contribue spontanément, puis il invite
les religieux ; mais il se trouve que ceux-ci viennent de recevoir
de diverses autres personnes des mets et des boissons en abon-
dance; ils n’ont donc plus faim, et, quand ils viennent au banquet,
ils prient le jeune homme de leur donner très peu à manger. Le
Jeune homme se désole, car il craint que sa bonne actionreste sans
résultats. Le Buddha lerassureenluidisantqu'ilsera récompensé,
Sur ces entrefaites arrivent cinq cents marchands qui, au retour
d’une expédition sur mer où ils se sont enrichis, demandent à
manger sans que personne dans la ville puisse les nourrir; on les
envoie chez le jeune homme qui leur offre le banquet préparé
pour les religieux. Reconnaissants envers lui, les cinq cents
marchands lui donnent chacun une perle de grand prix. Le jeune
homme hésite à accepter ces richesses, mais le Buddha lui dit
qu'il peut les prendre sans diminuer en rien la récompense à
laquelle il aura droit dans une vie future. Le notable marie sa
fille au jeune homme qui devient fort riche et qui reçoit aussi des
dons considérables du roi Prasenajit.
N° A0.
CÉTRIDS AIN A0 per)
Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, il y
avait cinq frères brahmanes ; le premier se nommait Ye-
chô (Yaças) ; le second se nommait Wou-keou (sans souil-
lure — Vimala ?) ; le troisième se nommait Aiao-fan-po-lFi
Gavämpati) ; le quatrième se nommait Sou-l'o-yi (Sudàyi?).
Ces quatre aînés étaient entrés dans les montagnes pour y
44 TSA PAO TSANG KING (N° 405)
étudier la sagesse et ils avaient obtenu les cinq pénétra-
tions surnaturelles (abhijñâs). Leur plus jeune frère se
nommait #ou-na (Pûürna) ; il vit le Buddha qui mendiait
sa nourriture ; aussitôt, il remplit-son bol de bon riz blanc
etpur dont il lui fit présent. En ce temps, Fou-na s’oc-
cupait constamment à labourer et à semer; ce jour-là,
quand il eut fini de labourer et de semer, il retourna dans sa
maison ; lelendemain, il sortit et se rendit dans son champ ;
il s'apercut alors que, dans ce champ, la moisson qui avait
poussé s'était transformée en céréales d'or qui étaient
toutes longues de plusieurs pieds ; quand il les eut entiè-
rement coupées et récoltées, elles poussèrent de nouveau
comme auparavant. Le roi du pays en fut informé et il
vint à son tour pour couper et récolter (ces céréales d’or)
mais il ne parvint pas à les prendre toutes ; de même
ceux qui vinrent en foule pour en recueillir ne purent pas
les épuiser.
Cependant les frères aînés avaient fait cette réflexion :
« Notre frère cadet Fou-na a-t-il de quoi vivre ou est-il dans
la misère ? » Ils vinrent donc ensemble pour le voir etils
constatèrent que Ja richesse de leur frère dépassait
celle du roi. Ils dirent alors à leur frère cadet : « Vous
étiez autrefois fort pauvre ; comment vous êtes-vous en-
richi ? » Il leur répondit : « J'ai vu Xiu-Pan (Gautama) ; je
lui ai donné un bol de riz et voici la récompense que j'ai
obtenue. »
Quand les quatre ainés eurent entendu cette parole, ils
en eurent des transports de joie. Ils dirent alors à leur
frère cadet : « Fabriquez-nous des pilules de réjouissance;
chacun de nous quatre prendra une de ces pilules et en
fera don à Aiu-F'an(Gautama) en formulantle don derenaître
dans la condition de deva. Si nous n’entendons pas sa Loi,
nous n’aurons pas le moyen d'être délivrés. » Chacun d'eux
s'étant donc chargé d’une pilule de réjouissance, ils se
rendirent auprès du Buddha. Le plus âgé d’entre eux prit
fo
TSA PAO TSANG KING (N° 405) 45
une pilule et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha
:\\ 6
Tous les samskäras sont impermanents.
Le second frère prit à son tour une pilule de réjouis-
sance et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha
dit :
Ils ont pour loi d'être produits et de périr.
Le troisième frère aussi déposa une pilule de réjouis-
sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit :
Ayant élé produits, ils périssent (4).
Enfin le quatrième frère déposa une pilule de réjouis-
sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit:
Leur suppression, c’est là le bonheur.
(Les quatres frères) retournèrent alors chez eux. Quand
ils furent arrivés dans un lieu solitaire et calme, ils se de-
mandèrent mutuellement quelles paroles ils avaient en-
tendues ; le plus âgé des frères dit : « J’ai entendu ceci :
Tous les samskâras sont impermanents ». Le second frère
avait entendu ceci : «Ils ont pour loi d'être produits et de
périr ». Le suivant avait entendu ceci: « Ayant été pro-
duits, ils périssent ». Le quatrièmefrère avait entendu ceci:
«Leur suppression, c'est là le bonheur ». En méditant sur
cette stance (2), chacun des frères obtint le degré d'anà-
(1) Le texte est fort mal traduit en chinois.
(2) Nous avons ici la fameuse jiormule qui résume l'enseignement du
Buddha ; le texte pâli de cette stance se trouve dans le Mahäparinibbâna
Sutta (NI, 10: SBE, vol. XI, p:117; cf. ibid.; p.240): La récension sans-
crite en a été conservée dans une inscription du Swàt publiée par Bühler
(Epigraphia Indica, vol. IV, p. 64); elle se présente sous la forme sui-
vante :
ANITYÂ BATA SAMSKÂRÂ UTPÂDAVYAYADHARMINAI
UTPADYA HI NIRUDHYANTEF. TESÂM VYUPAÇAMAIT SUKHAM
Nous pouvons ajouter que la même stance figurait dans la recension
46 TSA PAO TSANG KING (N° 406)
gamin. Ils revinrent auprès du Buddha ; ils lui deman-
dérent de les faire entrer en religion et ils parvinrent à la
voie d'arhat.
N° 406.
(Trip., XIV, 10, pp. 24 v°-25 r°.)
Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, Ta-
ngai-lao (Mahäprajâäpati) (4), fit pour lui un vêtement com-
plet tissé en fils d’or et l’apporta pour l’offrir au Buddha.
Le Buddha lui dit: « Faites-en don à l’assemblée des reli-
gieux. » Ta-ngai-lao répliqua : « J'ai nourri de mon lait
l’Honoré du monde et j'ai fait moi-même ce vêtement; je
suis donc venue le présenter au Buddha dans l’espérance
que le Tathâgata me ferait la faveur de l’accepter. Pour-
quoi me dites-vous d’en faire part à l'assemblée des reli-
gieux ? » Le Buddha répondit: « C’est parce que je désire
que ma nourrice obtienne un grand mérite. En voici la
raison : l'assemblée des religieux est un champ produc-
teur de bonheur, et ce champ a une étendue illimitée.
Voilà pourquoi je vous donne cette exhortation. Si vous
suivez mon avis, Ce sera comme si vous aviez déjà fait une
offrande au Buddha. »
Alors Ta-ngai-lao se rendit au milieu des religieux
sanscrite du Mahäparinirväna Sûtra incorporée à la collection du Dirgha
nikâya (version chinoise, Tch'ang a han ting | Trip., XIK, 9, ch. IV, pp. 22
r°]); elle y est mise, comme en pâli, dans la bouche de Çakra. Enfin, dans
le Tch'ou yao king, qui est une recension avec commentaires du Dhamma-
pada, cette stance est la seconde de la collection (Trip., XXIV, 5, p. 36r°).
Ces trois traductions chinoises de la même stance (celle du Tsa pao
sang king, celle du Tch'ang a han king et celle du Tch'ou yao king) diffè-
rent notablement les unes des autres, mais on devine bien le même ori-
ginal sous toutes trois.
(1) Tante et nourrice du Buddha.
TSA PAO TSANG KING (N° 406) 47
avec ce vêtement ; elle Le leur offrit en commençant parle
Sthavira, mais aucun d’eux n'osa l’accepter ; quand le tour
de Mi-le (Maitreya), fut venu, celui-ci accepta le vêtement ;
puis, s’en étant revêtu, il entra dans la ville pour mendier.
Le corps de Mi-le (Maitreya) présentait les trente-deux
marques distinctives et avait la couleur de l’or qui donne
la marque rouge quand on le frotte. Quand il fut arrivé
dans la ville, la multitude s’empressa pour le voir mais
personne ne lui donna rien. Or, il y avait un homme qui
était de son métier perceur de perles; quand il vit que
personne ne donnait rien à WMi-le (Maitreya), il vint s’age-
nouiller devant lui et l’invita ; il l'amena dans sa maison
et lui donna à manger. Quand Mi-le (Maitreya) eut fini de
manger, le perceur de perles s’assit sur un petit banc
devant Mi-le (Maitreya) etlui exprima son désir d'entendre
la Loi. Mi-le (Maitreya), qui possédait les quatre forces
d’éloquence (pratibhâna), se mit à lui expliquer de toutes
sortes de façons la Loi merveilleuse, etle perceur de perles.
dans son désir d'entendre et sa joie d’écouter, ne se las-
sait point de rester là. Or, auparavant, un notable qui
allait marier sa fille, avait loué les services de ce perceur
de perles pour percer une perle précieuse et lui avait donné
cent mille pièces de monnaie ; en ce moment, le père de
la fille qu'on allait marier envoya un messager réclamer
sa perle ; mais le perceur de perles, qui se plaisait inten-
sément à écouter la Loi, n’avait pas le temps de percer cette
perle et répondit qu’on attendit encore quelque peu; au
bout d’un moment, on vint faire une nouvelle réclama-
tion et cela se passa par trois fois sans qu’on püt obtenir
la perle. Alors ce notable se fâcha et vint reprendre sa
perle avec l’argent qu'il avait donné. La femme du per-
ceur de perles dit avec colère à son mari: « Vous n’aviez
rien d'autre à faire ; en un instant vous auriez percé cette
perle et vous auriez gagné cent mille pièces de monnaie:
à quoi vous sert d'écouter les belles paroles de ce reli-
48 TSA PAO TSANG KING (N° 406)
gieux ? » En entendant ces reproches, le perceur de perles
en eut un vifchagrin. Mais Wi-le (Maitreya), qui le savait
attristé, lui demanda : « Pouvez-vous m'accompagner jus-
qu'au temple ? ». L'autre répondit qu'il le pouvait et il
vint donc à la suite de Mi-le (Maitreya) dans la résidence
des moines. Mi-le demanda alors au sthavira: « Vaut-il
mieux pour un homme obtenir la somme totale de cent
mille livres d’or ou écouter avec joie l'explication de la
Loi? » Aiao-lch'en-jou (Kaundinya) répondit : « Liavan-
tage qu'un homme aurait en obtenant cent mille livres d'or
ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul bol
de nourriture à un observateur des défenses ; plus consi-
dérable encore des centaines, des milliers et des myriades
de fois serait donc l'avantage qu’il aurait s’il pouvaît, d’un
cœur croyant, écouter pendant un moment la Loi. » Puis
Mi-le interrogea le second sthavira qui répondit : « L'avan-
tage qu’un homme aurait en obtenant cent mille chars
pleins d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait
un seul bol de nourriture à un observateur des défenses.
Combien plus considérable encore sera l’avantage qu'il
aura S'il passe un certain temps à écouter la Loi et à y
prendre plaisir! » Mi-le interrogea encore le troisième
sthavira qui répondit: « L'avantage qu’un homme au-
rait en obtenant cent mille maisons pleines d'or ne vau-
drait pas celui qu’il aurait en donnant un seul bol de nour-
riture à un observateur des défenses. Combien plus
considérable sera l'avantage qu'il aura s'il écoute la Loi!»
Mi-le interrogea ensuite le quatrième sthavira qui répon-
dit: « L'avantage qu’un homme aurait en obtenant cent
mille royaumes remplis d'or ne vaudrait pas celui qu'il
aurait s'il donnait un seul bol de nourriture à un obser-
vateur des défenses. Plus considérable des centaines, des
milliers et des myriades de fois sera donc l'avantage qu'il
aura s’il écoute la Loi. » Lorsque ce fut le tour d’A-na-lu
(Aniruddha) de répondre, il dit : « L'avantage qu’un homme
TSA PAO TSANG KING (N° 406) | 49
aurait s’il obtenait les quatre parties du monde pleines
d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul
bol de nourriture à un observateur des défenses. Combien
plus considérable sera l’avantage qu'il aura s’il écoute la
Loi!» Mi-le (Maitreya) répliqua : «O Vénérable, pour-
quoi dites-vous que le fait de donner un seul bol de nour-
riture à un bhiksu vaut plus que la possession des quatre
parties du monde pleines d’or? »
Le Vénérable répondit: « Je vous prouverai que cela
est exact par mon propre exemple. Je me souviens qu’au-
trefois, il y a de cela neuf millions de kalpas, il y avait un
notable et ses deux fils ; l'un de ceux-ci se nommait Li-
icha (Rista) ; l’autre se nommait A-li-ich'a (Arista); ce
notable leur disait constamment: « Ce qui est élevé
s’affaissera ; ce qui est permanent prendra fin; ce qui vit
mourra; ce qui est uni se désagrégera. » Le notable
devint malade et, quand il fut près de trépasser, il fit cette
recommandation à ses fils: « Ayez soin de ne pas vous
séparer. Pour prendre une comparaison, une seule fibre
ne peut pas attacher un éléphant; mais si on réunit en-
semble un grand nombre de fibres,un éléphantne pourra
pas les rompre. De même les frères, quand ils sont unis,
sont comme plusieurs fibres ensemble. » Après que le
notable eut fait ses recommandations à ses fils, il rendit le
dernier soupir et mourut.
A cause des ordres de leur père, les deux frères vécu-
rent ensemble en se témoignant l’un à l’autre beaucoup
de déférence et d’affection. Mais, par la suite, Le frère ca-
det se maria et n'eut plus guère de quoi vivre. Sa femme
lui dit: « Vous êtes comme l’esclave de votre frère. En
effet, les richesses en suffisance pour jouer le rôle de
maître de maison, c'est votre aîné qui en dispose. Quant
à vous, vous n'avez que juste de quoi vous vêtir et vous
nourrir. Si ce n’est pas là la condition d’un esclave, qu’est-
ce donc? » Elle lui tenait souvent ce langage. Le mari et
II. 1
50 TSA PAO TSANG KING (N° 406)
sa femme concurrent donc le désir de changer de vie et
demandèrent au frère aîné de se séparer de lui. Le frère
aîné dit à son cadet: « Ne vous souvenez-vous pas de ce
que notre père nous a dit lorsqu'il était près de mourir ? »
Cependant le frère cadet ne changea pas d'opinion et
répéta plusieurs fois sa demande de se séparer de lui.
Voyant que la résolution de son frère était bien arrêtée,
le frère aîné consentit à la séparation. Ils divisèrent donc
par moitié tout ce qu'ils possédaient.
Comme le frère cadet et sa femme étaient jeunes, se
livraient aux plaisirs et faisaient des dépenses exagérées,
avant qu'il fût peu de temps, ils devinrent pauvres et furent
réduits à la misère. Le frère cadet vint alors demander de
l'argent à son frère aîné qui lui donna cent mille pièces de
monnaie. Peu après être parti en emportant cette somme,
le frère cadet eut de nouveau tout dépensé et revint ainsi
par six fois, et chaque fois son frère ainé lui donna cent
mille pièces de monnaie. Mais, à la septième fois, le frère
aîné lui adressa des remontrances en lui disant: « Vous
n'avez pas tenu compte des paroles que notre père a pro-
noncées au moment de mourir et vous avez demandé à
vous séparer de moi. Cependant vous n'avez pas été capa-
ble de vous donner la peine de gagner votre vie et vous
êtes venu à maintes reprises m'adresser des demandes.
Maintenant je vous donne encore cent mille pièces de
monnaie, mais, à l'avenir, si vous ne réussissez pas dans
vos affaires et si vous venez encore vous adresser à moi,
je ne vous donnerai plus rien. »
Après avoir essuyé ces sévères paroles, le frère cadet et
sa femme firent tous leurs efforts pour gagner leur vie et
petit à petit ils devinrent riches. Le frère aïné au contraire
perdit sa fortune et devint graduellement pauvre. Il vint
alors implorer son frère cadet; mais celui-ci refusa même
de lui donner à manger et lui tint ce langage : « Je croyais,
mon frère ainé, que vous étiez toujours riche; êtes-vous
TSA PAO TSANG KING (N° 406) 5l
donc devenu pauvre à votre tour ? Autrefois j'ai eu une
. demande à vous adresser; je me suis vu accabler de repro-
ches fort cruels. Maintenant pourquoi venez-vous me
demander quelque chose? » En entendant ces paroles, le
frère aîné conçut un chagrin extrême; il fit cette réflexion:
« Si des frères nés des mêmes parents se conduisent ainsi
l’un à l'égard de l’autre, combien plus mal se conduiront
des hommes étrangers les uns aux autres. » Prenant alors
en dégoût le cycle des naissances et des morts, le frère
ainé ne retourna pas chez lui ; il entra dans les montagnes
pour y étudier la sagesse ; avec une intense application
il se livra aux pratiques ascétiques. Il obtint de devenir
Pratyeka Buddha.
Par la suite, le frère cadet à son tour redevint graduelle-
ment pauvre, et, comme une disette était survenue dans
le monde, il vendait du bois mort pour gagner sa vie. Or
le Pratyeka Buddha entra dans la ville pour mendier sa
nourriture, mais il ne trouva rien et ressortit avec son bol
vide. En ce moment, l’homme qui vendait du bois mort
vit le Pratyeka Buddha qui sortait de la ville avec son bol.
vide; il désira lui donner un peu de bouillie de millet
qu'il avait gagnée en vendant son bois; il dit donc au
Pratyeka Buddha : « O vénérable, pouvez-vous manger
une nourriture grossière ? » L'autre lui répondit : « Bonne
ou mauvaise, elle concourra à pouvoir soutenir mon
corps. » Le marchand de bois mort lui donna donc cette
bouillie. Le Pratyeka Buddha la reçut et la mangea; après
qu’il l’eut mangée, il s’éleva en volant dans les airs et fit
dix-huit transformations miraculeuses; puis il revint à la
même place.
Le marchand de bois mortse remit à ramasser du bois;
sur la route il vit un lièvre et le prit avec son bâton; le
lièvre se transforma aussitôt en un homme mort qui sou-
dain se leva et vint saisir par le cou l'homme qui récol-
tait du bois; celui-ci chercha de toutes les facons pos-
52 TSA PAO TSANG KING (N° 406)
sibles à le repousser et à le faire partir, mais il ne par-
vint pas à se dégager. Il enleva ses vêtements pour les
donner en paiement à un autre homme afin que celui-ci
tirât et enlevât le mort; mais cet homme non plus ne put
le détacher. Comme cependant l'obscurité était venue,
le vendeur de bois revint chez lui en portant le mort sur
son dos. À peine fut-il arrivé dans sa demeure que le
mort relâcha de lui-même son étreinte et tomba sur le
sol où il devint un homme en or véritable. Alors le ven-
deur de bois détacha en la tranchant la tête de l’homme
d'or; cette tête redevint aussitôt vivante. Il lui coupa de
même les mains et les pieds, et mains et pieds redevin-
rent vivants (1). Au bout d'un moment, la tête d’or et les
mains d’or remplirent toute la chambre et s’amassèrent
en un grand tas. Les voisins avertirent les magistrats
que, dans la maison de ce pauvre homme, il y avait ce
tas d’or qui s'était produit spontanément. Le roi fut
informé de la chose et envoya un messager faire une
enquête à ce sujet; quand cet émissaire arriva dans la
chambre, il vit seulement les mains, les pieds et la tête
en décomposition du mort. Mais l’homme qui ramassait
du bois prit lui-même la tête d’or et vint l’offrir au roi ;
elle se trouva être en or véritable. Le roi très joyeux
Gin du 2h
=, À — "vds acte été dé het
proclama que cet homme était producteur de bonheur; il
lui donna donc en fief des villages.
Plus tard, quand la vie de cet homme prit fin, il rena-
quit dans le second ciel et devint Cakra souverain des
devas. Puis il descendit naître parmi les hommes et fut
un saint roi cakravartin; il fut ainsi sans aucune inter-
ruption roi des devas ou roi des hommes pendant quatre-
(1) Le récit est ici peu clair; on ne voit pas bien à quel moment la tête
et les membres qui ont repris vie redeviennent des blocs d’or. fl semble
que ces morceaux de corps humain aient l'aspect de chair, par exemple
pour le messager du roi qui viendra les voir, mais qu'en même temps
ils soient en or véritable pour l’homme dévot.
TSA PAO TSANG KING (N°s 406-407) 53
— xvingt-onze kalpas. Maintenant, dans cette dernière exis-
….… tence, il est né dans la race des Çâkyas. Le jour de sa
naissance, sur un espace de quarante /r, des joyaux cachés
jaillirent d'eux-mêmes hors du sol. Plus tard, il devint
grand; (il n’est autre que moi, Aniruddbha ;) or, mon père
et ma mère aimaient mieux mon frère aîné Che-mo-nan (le
Câkya Mahânâman); ma mère, voulant un jour mettre à
l'épreuve ses fils, nous envoya dire qu’elle n’avait rien à
nous donner à manger. Moi, Aniruddha, je répondis :
_« Apportez-moi seulement un récipient sans aucune nour-
riture. » On me donna donc un vase vide; or ce vase vide se
remplit spontanément d'aliments de saveurs variées. À sup-
poser qu'on eût les quatre parties du monde pleines d’or
etqu'on s'en servit pour se nourrir, cet or ne suffirait pas à
assurer cette nourriture pendant un seul kalpa. Combien
plus importante a dû être la cause qui a fait que, pendant
quatre-vingt-onze kalpas, j'ai constamment joui de la féli-
cité. Si maintenant j'ai obtenu cette nourriture qui se pro-
duit spontanément, c'est parce que, dans une existence
antérieure, j'ai fait ce don d’un bol de nourriture; voilà
pourquoi présentement j'ai obtenu une telle récompense.
Depuis les Buddhas et en descendant jusqu’au ciel de
Brahma, tous ceux qui observent avec pureté les défenses,
on les appelle les observateurs des défenses (1). — Quand
le perceur de perles eut entendu ces paroles, il en eut
une grande joie.
NO:
CRrIp XIV 108 pp: 290-2740)
Voici ce que j'ai entendu raconter (2): Un jour, le
(1) Cette phrase est une glose pour expliquer le terme « l'observateur
des défenses, » terme dont il a souvent été question plus haut.
(2) Comme l'indique cette formule initiale, nous avons affaire ici à un
54 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
Buddha se trouvait dans le royaume de Mo-kie-Pi (Ma-
gadha). Au sud (1) de la ville de Wang-chô-lch'eng (Ràja-
grhapura), il y avait un village de brahmanes qui était
appelé « Forêt d'âmras (2) »; le Buddha se tenait au nord
de ce village, dans une caverne de la montagne P'i-Fi-hui
(Vediyaka); or le souverain Çakra apprit que le Buddha
était là et c'est pourquoi il dit au prince des Gandharvas
P'an-chô-che-k'i (Pañcaçikha) (3) : « Dans le royaume de
Mo-kie-Pi, au nord du village nommé « Forêt d'âmras »,
est la montagne P'i-Fi-hi; l’'Honoré du monde se trouve
là. Allons avec vous et les autres lui rendre visite ». Le
prince des Gandharvas P'an-chô-che-k'1 répondit : « Oui,
certes, c’est là une excellente entreprise ». Tout joyeux
de ce qu'il venait d'apprendre, il prit donc un luth de
lieou-li (vaidurya) et se rendit, en compagnie du souverain
Cakra, à l'endroit où se tenait le Buddha. En ce moment,
tous les devas, apprenant que Le souverain Gakra, avec
véritable sûtra. Ce sûtra se retrouve dans plusieurs collections : le Digha
nikâya pâli (n° 21 Sakka Pañha suttanta); — Dirghâgama sanscrit, version
chinoise (Nanjio n° 545; Trip. XII, 9, sûtra n° 14, p. 51 v°-5tr°); — Madhya-
mâgama sanscrit, version chinoise (Nanjio, n° 542; Trip., XII, 6, sûtra
n° 134, pp. 59 r°-63 ve). Il en existe de plus en chinois une version isolée
due à Fa-hien des Song (Nanjio, n° 924; Trip., XII, 8, pp. 50 r°-53 v°.). Cf.
encore SPENCE HarDy, Manual of Buddhism, p.288. La scène de l’'Indra-cilà-
guha est représentée à Barhut (CUNNINGHAM, p. 88, pl. XXVIIT); M. Senart :
l'a reconnue également dans une grotte de Singimaus visitée par
M. Donner (Journal Asiatique, mars-avril 1900, pp. 355-357).
Dans les notes suivantes, j'aurai recours, pour indiquer les variantes
aux sigles que voici: Tp. — Tsa pao tsang king; — Dn. = Digha nikâya
pâli ; — Dg.=— versionchinoise du Dirghägama sanserit; — Mg. = version
chinoise du Madhyamâgama sanscrit : — Fh. = version de Fa-hien.
L'obligeant appui de M. Sylvain Lévi m'a été tout particulièrement
utile dans la traduction de ce texte qui présentait de réelles difficultés.
(1) Dn., Mg., Fh., à l'Est; l'indication manque dans Dg.
(2) Pàali: Ambasanda.
(3) Fh. traduit ce nom par les mots 7r A «les cinq chignons ». Mg.
traduit par TL. fE « les cinq torsades », et, en outre, désignant les Gand-
harvas par le terme de #f#& « les joyeux », il écrit 77 #£ #£ + « Le
Gandharvaputra Pañtaçikha ». Dg. transcrit ce nom au moyen des ca-
ractères ff JE % « Pan-chü-yi ».
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 55
le prince des Gandharvas et avec d’autres personnes, se
proposait d'aller à l’endroit où était le Buddha, se parèrent
chacun de ses plus beaux atours, et, suivant le souverain
_ Çakra,s’élevèrent dans les cieux si haut qu'ils disparurent.
Quand ce cortège arriva à la montagne P'i-Pi-hi (Vedi-
yaka), il se produisit dans les montagnes une vive clarté
qui illumina tout, en sorte que les gens voisins de cette
montagne (1) crurent tous que c'était l’Éclat de feu (2). Le
souverain Çakra dit alors au prince des Gandharvas : « Ce
lieu est pur et éloigné de tout mal; c’est un a-lien-J0
(aranya); le Buddha y vit dans le calme et la retraite
pour rester assis en contemplation. Or maintenant, tout
autour du Buddha, il ya une multitude de devas haute-
ment vénérables qui se pressent de manière à remplir
tout l’espace qui est à ses côtés. Comment donc pourrons-
nous nous acquitter de notre visite à l'Honoré du monde ? »
Le deva Gakra dit alors au prince des Gandharvas : «Il
vous faut aller de ma part auprès du Buddha pour lin-
former de nos intentions et lui dire que nous désirons
l'interroger respectueusement ».
Quand le prince des Ganharvas eut reçu ces instruc-
tions, il partit; ne se tenant ni trop loin ni trop près, il con-
templa avec admiration le visage du Vénérable; il saisit
alors son luth et en joua de manière à ce que le Buddha
pût l'entendre; puis il prononça ces gâthäs (3) :
(1) Lisez [[] aulieu de fill: d'après toutes les autres rédactions.
(2) Dn., Mg. et Fh. se bornent à signaler l'éclat extraordinaire de la
montagne. Seul Dg. en indique expressément la cause en disant que Île
Buddha était entré dans le samädhi de l'éclat du feu. Notre texte occupe
une position intermédiaire par l'emploi des mots Je % qui évoquent
l'expression technique J %Æ — Hk « Samädhi de l'éclat de feu ».
(3) Comme on le verra par la suite du récit, ces stances ne s'adressent
point au Buddha. Elles sont une déclaration d'amour que Pañëaçikha
avait faite pour une jeune fille. Elles ne sont chantées ici que pour
éveiller l'attention du Buddha.
Ces stances contiennent, mais disposé dans un autre ordre, l'essentiel
des stances que présente la rédaction pâlie.
56 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
4. Quand la passion s'allache à un objet, — elle est
comme l'éléphant qui s'enlise dans la vase, — ou encore
comme l'éléphant ivre — que le croc (du cornac) ne peut
plus maîtriser.
2. Comparable à un arhal — qui concentre son admira-
lion dans la merveilleuse Loi, — tel ainsi est mon désir de
votre beaulé.
3. Avec respect je rends hommage à votre père ; — parce
que vous êles née dans une noble condition, — mon cœur
sent redoubler son amour et sa joie.
4. Vous avez pu au plus haut point faire naître et déve- :
lopper mon amour. — Comme un homme en sueur qui
trouve une brise fraîche, — comme un homme alléré qui
oblient une boisson glacée, — ainsi je prends plaisir à voir
votre corps, — el je suis encore comme un arhal qui reçoil
la Loi bienheureuse.
5. De même qu’on donne un bon remède à un malade, — ,
de même qu'on procure de l'excellente nourrilure à un
affamé, — promplement éloignez ma fièvre avec votre pure
fraicheur. — Maintenant mon désir va se donner carrière
au galop ; — il n’étreint le cœur et ne le lâche pas. 4
Le Buddha dit : « Fort bien, à Pañcaçikha; vous avez
maintenant fait entendre cette mélodie en y joignant har-
monieusement les sons des cordes et des flûtes; en ne
vous tenant ni trop loin ni trop près, vous avez chanté
ces gâthàs ». (Pañcaçikha) dit alors au Buddha : «I ya
quelque temps de cela, je rencontrai une sage jeune fille ;
elle se nommait Sieou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarcasi); elle
était la fille de Tchen-feou-leou (Tamburu), roi des X1en-ta-
p'o (Gandharvas). Or Che-k'ien-tche (Cikhandi), fils du deva
Mo-lo-lo (Mâtali), avait déjà auparavant recherché cette
fille en mariage. Étant alors épris d'elle, je lui adressai ces
gâthâs et maintenant je les répète en présence du Buddha».
Le souverain Cakra se dit : « Le Buddha s’est éveillé de
la contemplation et maintenant il converse avec Pañtä-
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 57
cikha. » Le souverain Gakra dit derechef à Pañcâçikha :
« Maintenant, annoncez mon nom ; adorez, en vous pros-
ternant, les pieds du Buddha et demandez (de ma part) de
ses nouvelles à l’'Honoré du monde : N’a-t-il ni maladie ni
chagrin ? Tous ses actes sont-ils aisés ? Ce qu’il mange et
boit lui convient-il ? Sa force vitale est-elle calme et joyeuse?
N’a-t-il aucun mal? Reste-t-il tranquille et heureux ? » Pañ-
caçikha répondit qu'il le ferait, et, quand il eut reçu ces
instructions de Gakra,il retourna derechef auprès du
Buddha ; il prononça le nom du souverain Çakra, et, ado-
rant les pieds du Buddha, il demanda de ses nouvelles à
l’'Honoré du monde en répétant les paroles du souverain
Çakra. Le Buddha lui dit à son tour : « Le souverain
Cakra et tous les devas sont-ils tranquilles et heureux ? »
Pañacçikha reprit : « O Honoré du monde, le souverain
Çakra et les trente-trois devas (les devas trayastrimças)
désirent voir le Buddha ; les autorisez-vous à venir en
votre présence ? » Le Buddha dit : « C’est exactement le
moment pour cela ».
Quand le souverain Cakra et les trente-trois devas eurent
entendu l’ordre que leur donnait le Buddha, ils se ren-
dirent auprès de celui-ci, adorèrent en se prosternant les
pieds du Buddha et se tinrent debout rangés de côté, puis
ils dirent au Buddha : « Honoré du monde, en quel lieu
nous assiérons-nous. » Le Buddha répondit : « Asseyez-
vous sur ces sièges. — Mais, dirent-ils, cette caverne
est fort petite et la foule des devas est extrêmement nom-
breuse. » À peine eurent-ils prononcé ces paroles qu'ils
virent la caverne de pierre s’agrandir, et, par la puissance
redoutable du Buddha, devenir capable de contenir un
grand nombre de personnes.
Le souverain Cakra,ayant adoré les pieds duBuddha, s'as-
sit en avant, puis il ditau Buddha : « Pendant longtemps(1)
(1) Le chinois 1£ traduit littéralement l'expression « dirgharâtram »
58 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
j'ai désiré voir le Buddha, car je souhaitais entendre la Loi.
Auparavant déjà, lorsque le Buddha était dans le royaume
de Chü-wei (Grâvasti) et était entré dans le samadhi de
l'éclat de feu, il y eut une servante de P'i-cha-men (Vaiçra-
mana) nommée Pou-chü-pa-Fi (Bhujavati) (1), qui était
tournée les mains jointes vers le Buddha. Je dis alors à
cette servante de P’i-cha-men (Vaiçramana) : » Le Buddha
est maintenant en contemplation ; je n’ose pas le déranger.
Adorez de ma part les pieds de l’'Honoré du monde et
dites-lui que je lui demande de ses nouvelles. » Cette
fille, répétant mes paroles, vous adora et demanda de vos
nouvelles. »
Le Buddha dit au souverain Çakra : « En ce temps, j’en-
tendis le son de vos voix, et, peu detemps après, je sortis
de contemplation. »
Le souverain Çakra dit au Buddha : « D'après ce que j'ai
entendu dire à des personnes expérimentées (2), lorsque
le Tathâgata, l’Arhat, le Samyaksambuddha apparaît dans
le monde, la foule des devas augmente et celle des asuras
diminue.Or aujourd’hui quelqu'un qui m'est apparenté est
né comme deva; la foule des devas s’est augmentée et celle
des asuras a diminué. J’ai vu maintenant que les disciples
du Buddha qui ont obtenu de naitre en qualité de deva l’em-
portent en trois choses sur Jes autres devas : leur longévité
est supérieure, leur éclat est supérieur, leur nom est supé-
rieur. Voici maintenant en effet qu’une fille des Càkyas Xiu-
«longue nuit »; mais cette expression signifie simplement « depuis long-
temps ».
(1) Fh. traduit ce nom par 4} He « beaux bras »; cette traduction ga-
rantit la restitution sanscrite Bhujavati pour Pou-chü-pa-Fi et nous
permet de reconnaître la même lecture sous les variantes des manus-
crits du Dn. (Bhuñjati, Bhujati). Mg. donne la leçon #E FE] JS (sanscrit
Bhamjana) qui paraît provenir d'une graphie altérée. Dg. ne donne pas
le nom de la jeune fille et substitue Virüdhaka FE #Ë #fj à Vaicramana.
(2) D'après Dg., il s’agit des devas qui avaient de l'expérience au temps
où (akra n'était encore qu'un petit personnage.
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 59
p'i-ye (Gopikà) (1) est née parmi les devas trayastrimças ;
elle avait été auparavant disciple du Buddha ; elle est de-
venue le fils de moi, le souverain Cakra, et son nom est le
devaputra Æ’iu-ho (Gopà). D'autre part, ily a trois bhiksus,
qui, en présence du Buddha, avaient tenu la conduite brah-
mique; mais leur cœur ne s'était pas affranchi des désirs ;
aussi, lorsque leur corps s’était détruit et que leur vie
avait pris fin, étaient-ils nés chez les Gandharvas, et,
chaque jour aux trois moments de la journée, étaient-ils
chargés de servir les devas. Quand le devaputra AX'iu-ho
(Gopà) vit ces trois hommes qui remplissaient l'office de
serviteurs, il dit : « Je m'afflige de voir cela et je ne puis
le supporter. Autrefois, lorsque j'étais dans la condition
humaine, ces trois hommes venaient constamment chez moi
et recevaient mes offrandes. Or maintenant, ils sont les
serviteurs des devas ; c’est un spectacle que je ne saurais
. voir. Ces trois hommes étaient primitivement des disci-
ples entendant la voix (çrâvaka) du Buddha ; lorsque j'étais
dans la condition humaine, ils recevaient de moi des hom-
mages, des offrandes, de la nourriture, des vêtements.
Maintenant, ils sont tombés dans une situation humble. »
« Vous avez entendu {leur dit-il), la Loi de la bouche du
Buddha et le Buddha lui-même vous a donné des explica-
tions. Comment se fait-il que vous soyez nés dans cette
condition vile ? Autrefois je vous vénérais et je vous fai-
sais des offrandes. Or,le Buddha m'a fait entendre la Loi
et m'a appris à pratiquer la Jibéralité; j'ai cru à la doctrine
des causes ; c'est pourquoi maintenant je suis devenu le
(2, La leçon FF x de Tp. est certainement fautive et il faut lire &
Àx, garanti par les versions chinoises et confirmé par le pali. Le nom
de la fille est écrit Æ H£ JP dans Tp., EE #k& dans Dge., HE HE dans
Mg., et enfin ilest traduit par 3% fj dans Fh. ; cette dernière leçon se
fonde vraisemblablement sur une étymologie pédantesque de Gopi ou
Gopikà (la bergère) interprété par un des sens secondaires du verbe
gup = cacher.
60 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
fils du souverain Çakra; j'ai une grande vertu redoutable;
je possède la force et l'indépendance (içvara); les devas
me donnent tous le nom de X'iu-ho (Gopà). Vous qui avez
reçu la Loi triomphante du Buddha, commentse fait-il que
vous n'avez pas pu vous appliquer de tout votre cœur à
pratiquer la bonne conduite et que vous soyez nés dans
cette condition inférieure ? Je ne puis supporter de voir un
spectacle si fâcheux ; une telle chose, j'ai du déplaisir à la
voir. Comment se fait-il que, participant à la même Loi
que moi, vous soyez nés dans cette situation vile qui est
indigne de disciples du Buddha? Quand le devaputra
K'iu-ho leur eutadressé ces réprimandes, ces trois hommes
furent pénétrés de confusion ; ils conçcurent des senti-
ments de dégoût pour le mal, et, joignant les mains, ils
dirent à A’iu-ho (Gopà) : « S'il en est comme vous venez
de le dire, à devaputra, c’est en vérité par notre faute.
Maintenant, il nous faut supprimer entièrement cette per-
versité de nos désirs, nous appliquer de toutes nos forces
à progresser dans l'excellence (virya) et pratiquer la fixité
(samädhi) et la sagesse (prajñà). » Ces trois hommes con-
centrèrent donc leur pensée dans la Loi de KXiu-lan
(Gautama); ils aperçurentles maux passés causés par leurs
désirs et ils s’affranchirent aussitôt des liens du désir ;
tout comme un grand éléphant qui se libère de ses en-
traves, ils rompirent avec leurs désirs sensuels (1). »
Cependant le souverain Cakra, accompagné du deva
Yi-chang-na (Içàna), ainsi que de la foule des autres devas
et des quatres devaràäjas gardiens du monde (lokapâla),
étaienttous venus s'asseoir sur les sièges (qui leur avaient
été indiqués). Or les trois qui s'étaient affranchis des dé-
sirs, S'élevèrent dans les airs en présence de tous les devas.
Le souverain Cakra dit au Buddha : « Quelle Loi ont
obtenue ces trois pour être capables d'accomplir ces mi-
(1) Ici finissent les paroles de Çakra.
TSA PAÔ TSANG KING (N° 407) 61
racles de toutes sortes et pour venir voir l'Honoré du
monde ; je souhaite vous demander ce qu'ils ont obtenu.
Le Buddha répondit : « Ces trois, après avoir quitté ce
monde, ont obtenu de naître dans le monde brah-
mique. »
(Çakra :) « Je voudrais que l’'Honoré du monde m’expli-
quât la Loi qui les à fait naître dans le monde brah-
mique. »
(Le Buddha :) « Très bien, sage souverain Cakra. Je
résoudrai le doute que soulève votre question. »
Le Buddha fit alors cette réflexion : « Le souverain Cakra
ne cherche pas à me tromper ; c’est en toute sincérité qu'il
m'interroge sur ce qui le plonge dans le doute ; il n’a pas
l'intention de me mettre dans l'embarras. Je lui donnerai
donc des explications. »
Le souverain Cakra demanda au Buddha : «Quels sont
les liens (samyojana) qui peuvent entraver les hommes,
les devas, les nâgas, les yaksas, les gandharvas, les asu-
ras, les garudas, les mahoragas ? »
Le Buddha lui répondit : « L'égoïsme (mâtsarya) et la
jalousie (irsyà) sont les deux liens qui entravent les.
hommes, les devas, les asuras, les gandharvas et les
autres. D'une manière générale, les êtres de toutes sortes
se lient eux-mêmes par l’égoïsme et par la jalousie (1) ».
(Gakra :) « Cela est vrai, à deva entre les devas; les
causes qui sont l’égoiïsme et la jalousie peuvent entraver
tous les êtres ; maintenant que j'ai entendu de la bouche
du Buddha cette explication, le filet du doute est enlevé et
j'en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une
autre explication : pourquoi naissent l’égoisme et la jalou-
sie ? Pour quelle raison et pour quelle cause peut-on con-
cevoir l’égoisme et la jalousie ? Par quelle cause naissent-
ils ? Par quelle cause disparaissent-ils? »
(1) Ce passage sur les liens se retrouve cité d'après les questions
d'Indra (Cakrapraçna) dans le Mahävastu (éd. Senart, t. 1, p. 350).
62 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
(Le Buddha :) « O Æiao-che-kia (Kauçika) (1), c’est du dé-
plaisir (apriya) et du plaisir (priya) que naissent l’égoisme
et la jalousie. Le déplaisir et le plaisir, sont les causes.
Quand il ya déplaisir etplaisir, certainement il y a égoïsme
et jalousie; quand il n’y a ni déplaisir ni plaisir, l’égoiïsme
et la jalousie sont abolis. »
(Gakra) : « Il en est bien ainsi, 6 deva entre les devas ;
maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette
explication, le filet du doute est enlevé et j’en conçois une
joie profonde. Je demanderai encore une autre explication:
Par quelle cause se produisent le plaisir et le déplaisir ?
Par quelle cause sont-ils abolis ? »
(Le Buddha) répondit : «Le plaisir et déplaisir naissent
de l'appétit (Chanda) ; quand il n’y a pas d’appétit, l’un et
l’autre sont abolis ».
(Cakra) : « Il en est ainsi, Ô deva entre les devas. Mainte-
nant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli-
cation digne de foi, le filet du doute est enlevé et j’en
conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre
explication: par quelle cause naît l'appétit? par quelle
cause augmente-t-il ? Comment peut-on le détruire? »
Le Buddha dit: « L’appétit naît du raisonnement dis-
cursif (vitarka) (2) : c’est par le raisonnement discursif qu'il
augmente ; quand il ya raisonnement discursif, il y a appé-
tit; quand il n'ya pas de raisonnement discursif, l'appétit
est aboli. »
(Gakra) : « Il en est bien ainsi, à deva entre les devas.
Maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette
explication, le filet du doute estenlevé et j'en conçois une
joie profonde. Je demanderai encore une autre explica-
tion : d'où naîtle raisonnement discursif? par quelle cause
est-il augmenté ? Comment peut-on l’abolir ? »
(1) KauGika est un des noms de Çakra.
eTo. SE fi; Me 5; De. M; Ph. ÉE aÿ.
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 63
(Le Buddha) : « Le raisonnement discursif naît du jeu
des combinaisons (prapañca) (1); c’est par le jeu des com-
binaisons, qu’il augmente ; s’il n’y a pas de jeu des combi-
naisons le raisonnement discursif est aboli. »
(Cakra): « Il en est bien ainsi,6 deva entre les devas.Main-
tenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli-
cation, le filet du doute est enlevé et j'en conçois une
joie profonde. Je demanderai encore une autre explica-
tion : Pourquoi naît et augmente le jeu des combinaisons ?
Comment détruit-on le jeu des combinaisons ? »
Le Buddha dit à X1ao-che-kia (Kauçika) : « Si on désire
détruire le jeu des combinaisons, il faut pratiquer le che-
min correct avec ses huit branches {astängika mârga) qui
sont : vue correcte (samyagdrsti), action correcte (samyak-
karmânta), parole correcte, (samyagväk), vie correcte
(samyaksamkalpa), moyens d'existence corrects (samya-
gâjiva), application d'esprit correcte (samyagvyäyäma),
mémoire correcte (samyaksmrti)}, méditation correcte
(samyaksamädhi). »
Quand le souverain Gakra eut entendu cela, il dit au
Buddha: « Il en est bien ainsi, Ô deva entre les devas; c’est
réellement par le chemin correct à huit branches que le
jeu des combinaisons est anéanti. Maintenant que j'ai
obtenu de la bouche du Buddha cette explication, le filet
du doute est enlevé, et moi le souverain Cakra, je suis
joyeux. Je demanderai encore une autre explication : si
on veut abolir le jeu des combinaisons, c'est en pouvant
pratiquer le chemin correct à huit branches. Le chemin
correct à huit branches, par quel moyen derechef les
bkiksus pourront-ils l’augmenter? »
Le Buddha dit: «Il ya pour cela trois moyens: le pre-
mier est le vouloir ; le second est l'application correcte; Le
troisième est la maîtrise du cœur par la pratique constante».
(1) Tp. et De. 5 5 Me. É& SE ; Fh. J£ Œ «l'illusion ».
64 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
Le souverain Cakra dit: « Il en est bien ainsi, Ô deva
entre les devas. Maintenant que j'ai entendu cette
explication, le filet du doute est enlevé; la mesure dans
laquelle les bhiksus peuvent pratiquer le chemin correct à
huit branches, c’est en vérité par ces trois moyens qu’on
l’augmente. Maintenant que j'ai entendu cela, je m'en
réjouis. »
Le souverain Cakra demanda encore: « Si les bhiksus |
veulent détruire le jeu des combinaisons, quels procédés |
doivent-ils étudier ? » |
Le Buddha dit: «Il leur faut étudier trois procédés : ils
doivent étudier comment on augmente et on porte au
plus haut degré le cœur qui obéit aux défenses; ils doi-
vent étudier comment on augmente et on porte au plus
haut degré le cœur quise livre à la méditation ; ils doivent
étudier comment on augmente et on porte au plus haut
degré le cœur qui est plein de sagesse. »
Onand Gakra eut entendu cette réponse, il dit: « Il en
est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que j'ai
entendu cette explication, le filet du doute a pu être
enlevé et j'ai des transports de joie. Je demanderai encore
une autre explication: si on veut abolir le jeu des com-
binaisons, quelles sont les choses (artha) qu'il faut expli-
quer (1)? J'écoute. »
Le Buddha dit: «Il faut expliquer six choses: la pre-
mière est l'œil qui percoit les couleurs ; la seconde est
l'oreille qui percoit les sons; la troisième est le nez qui
percoit les parfums ; la quatrième est la langue qui perçoit
les saveurs ; la cinquième est le corps qui perçoit le doux
et le poli; la sixième est la pensée qui perçoit toutes.les
lois. » |
Quand le souverain Cakra eut entendu cette réponse il
dit: «Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Mainte-
(1) Quelles sont les choses dont il importe d'expliquer l'usage parce
qu'elles comportent un usage bon et un usage mauvais.
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 65
nant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute a
pu être enlevé et j'en ai des transports de joie. Je deman-
derai encore une autre explication : tous les êtres vivants
ont-ils même égoïsme (mâtsarya), même appétit violent
(éhanda), même orientation et même visée (adhyavasana) ? »
Le Buddha dit: « O souverain Cakra, tous les êtres vi-
vants n'ont pas même égoiïsme, même appétit violent,
même orientation et même visée. Parmi le nombre illimité
des êtres vivants et dans le nombre illimité des mondes,
l'égoiïsme (mâtsarya), l’appétit violent (chanda), l’orien-
tation et la visée (adhyavasana), diffèrent fort et ne sont
pas identiques. Chacun se tient à son opinion, »
Quand le souverain Cakra eut entendu cela, il dit: « Il
en est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que
j'ai entendu cette explication, le filet du doute a pu être
enlevé et j'en ai des transports de joie. Je demanderai
encore une explication: tous les çramanas et les brah-
manes obtiennent-ils entièrement l’absolu achèvement
(nisthâ), l’absolue absence de souillure (yogaksema),
l’absolue conduite brahmique définitive (brahmacaryâ) ? »
Le Buddha dit: « Tous les çramanas et les brahmanes
ne peuvent pas entièrement obtenir l'absolu achèvement,
l’absolue absence de souillure et l’absolue conduite brah-
mique définitive. Il y a des cramanas et des brahmanes
qui sont parvenus à la délivrance sans supérieure qui
abolit les liens de la concupiscence ; ceux-là seuls qui
auront ainsi obtenu cette parfaite délivrance obtiendront
entièrement l'absolu achèvement, l’absolue absence de
souillure et l’absolue conduite brahmique définitive. »
(Çakra): « Il en est comme le Buddha vient de le dire ;
ceux qui ont pu obtenir la parfaite délivrance, délivrance
sans supérieure qui abolit les liens de lamour, ceux-là
seuls obtiendront entièrement l'absolu achèvement, l’ab-
solue absence de souillure et labsolue conduite brahmique
définitive. Maintenant que j'ai entendu de la bouche du
LEE 5
66 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
Buddha cette explication, j'ai obtenu cette Loi, j'ai obtenu
de franchir les doutes et d'atteindre à l’autre rive, j'ai
obtenu d'arracher les flèches empoisonnées des vues héré-
tiques ; ayant obtenu d'enlever mes opinions personnelles,
mon cœur ne reviendra plus en arrière. »
Au moment où ce texte saint fut prononcé, le souverain
Gakra et les quatre-vingt mille devas s’éloignèrent de la
poussière, s’affranchirent de la souillure et obtinrent la
pureté de l’œil de la Loi.
Le Buddha dit: « O ÆXiao-che-kia (Kaucçika), précédem-
ment déjà avez-vous posé ces mêmes questions à des cra-
manas et à des brahmanes ? »
(Gakra) : « O Honoré du monde, je me souviens qu’au-
trefois, et aussi en compagnie de tous les devas, nous nous
étions rassemblés dans une salle de l'excellente Loï ; je
demandai aux devas si un Buddha était apparu dans ce
monde ou non; tous me dirent qu'aucun Buddha n’était
encore apparu. Les devas, apprenant qu'un Buddha n'était
point encore apparu, se dispersèrent ; or, quand ces devas
doués d’une grande vertu redoutable, eurent terminé leur
part de bonheur, leur vie prit fin. Je fus alors saisi de
crainte. Cependant je vis que des cramanas et des brah-
manes se tenaient dans un lieu retiré et calme; je me
rendis auprès d'eux; ces Çramanas et ces brahmanes me
demandèrent qui j'étais; je leur répondis que j'étais
le souverain Cakra. Je ne leur rendis point hommage
et ce fut eux au contraire qui me rendirent hommage ;
je ne les interrogeai point mais ce fut eux qui m'interro-
gèrent. Connaissant ainsi qu'ils étaient dépourvus
.de sagesse, je ne pris point en eux mon refuge et
mon appui. Maintenant je viens de là pour prendre dans
le Buddha mon refuge et mon appui et être disciple du
Buddha. » Il prononca alors ces gâthâs (1):
(1) Ces stances sont rappelées dans une citation expresse du Sûtrâlam-
kara (trad. Huber, p. 231). Mais la forme qu'en donne le traducteur
EN, UT PS
Led
F SES AR CAES re
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 67
Auparavant je nourrissais des doules ; — mes pensées
n'alleignaient pas leur plénitude. — Depuis longtemps
j'appelais de mes vœux un sage — qui pût m'expliquer ces
questions douteuses.
Je m'efforçais de chercher le Tathâgata.—J'aperçus dans
un lieu retiré et calme — des cramanas et des brahmanes
— el je pensai que là était l'Honoré du monde.
Je me rendis donc auprès d'eux ; — je les adorat et leur
demandai de leurs nouvelles ; — puis je leur posai la ques-
lion suivante: — Comment pratique-t-on le chemin cor-
rect?
Or ces çramanas — ne surent pas m'expliquer ce qui
était le chemin et ce qui n'était pas le chemin. — Mainte-
nant j'ai vu l’Honoré du monde — et les filets de mes doules
ont tous élé rompus.
Aujourd'hut il y a donc un Buddha, — l'Honoré du
monde, le grand maître de la Roue, — celui qui détruit el
qui soumel les haines de Mâra, — celui qui est le suprême
vainqueur de tous les lourments.
L'Honoré du monde est apparu dans le monde ; — il est
un être rare et nul ne l’égale ; — parmi tous les devas et les
démons, — il n'est personne qui vaille le Buddha.
O Honoré du monde, puissé-je obtenir de devenir sro-
tâpanna ; à Bhagavat, puissé-je obtenir de devenir sro-
tâpanna. »
L'Honoré du monde lui répondit : «Très bien, très bien ;
à Kiao-che-kia (Kaucika), si vous êtes sans négligence,
vous obtiendrez d’être srotâäpanna. »
Le Buddha dit au souverain Cakra: « En quel endroit
avez-vous acquis cette foi indestructible ? »
Gakra répondit: « C’est en ce lieu même, à côté de
l’'Honoré du monde que je l'ai acquise. En outre, c’est ici
que j'avais obtenu une longue vie de deva; mais je sou-
Kumäârajiva, sinon l’auteur lui-même Acvaghosa, ne correspond en fait
à aucune de nos quatre recensions chinoises ni au Digha-nikâya pâli.
68 TSA PAO TSANG KING (N° 407)
haitais l'intelligence complète. Telle est la chose que con-
serve ma mémoire (1). »
Le souverain Cakra dit: « O Honoré du monde, voici
la pensée que je conçois: puissé-je naître parmi les
hommes, dans une condition haute et honorée, et ayant
toutes choses en abondance. Alors, dans cette situation, je
renoncerai au monde et j'entrerai en religion ; je me diri-
gerai dans la voie de la sainteté ; sije parviensau nirvâna,
ce sera pour le mieux; si je n’y parviens pas, puissé-je
naitre parmi les devas de la résidence pure (çuddhà-
vâsa) (2). »
Alors le souverain Cakra, ayant réuni tous les devas,
leur tint ce langage : « Aux trois moments de la journée,
je faisais des offrandes au deva Brahma; mais, doréna-
vant, je cesserai d'agir ainsi, et, aux trois moments de la
journée, je ferai des offrandes à l’'Honoré du monde. »
Puis le souverain Cakra dit au prince des Gandharvas
Pañcacikha : « Présentement, vous m’avez rendu un bien-
fait très considérable, car vous avez pu éveiller le Buddha,
l’Honoré du monde, et vous avez fait ainsi que j'ai pu le
voir et entendre la Loi profonde. Je vais retourner en
haut parmi les devas, et je vous donnerai pour épouse la
sage Steou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarétasi), fille de Tchen-
feou-leou (Tamburu), en outre, je vous chargerai de
prendre la place de son père et d’être roi des Gandharvas. »
Alors le souverain Cakra, à la tête de tous les devas,
(1) La rédaction de Tp. est ici fort abrégée comme l’attestent les autres
rédactions. En réalité, le Buddha demande à Çakra s'il a jamais éprouvé
joie pareille à celle d'aujourd'hui. Çakra répond qu'il a autrefois, lors
d'une bataille entre les devas et les asuras, souhaité la victoire des devas,
et, comme les asuras ont effectivement été battus, il en a conçu une
grande joie. Mais cette joie dont il a gardé‘ le souvenir n’est pas compa-
rable à celle qu'il a éprouvée aujourd'hui, car elle ne comportait pas l'in-
telligence totale. :
(2) Les dieux cuddhâävâäsas formentla catégorie la plus élevée des mondes.
du Rüpabrahma (Brahma formel ;le pàli nomme à leur place les Akanisthas.
(Fh. fi 2 5) qui sont la classe la plus haute des Çuddhävâsas.
LR
TSA PAO TSANG KING (N° 407) 69
tourna par trois fois autour du Buddha et se retira pour
partir. Quand il fut arrivé avec ses compagnons dans un
endroit pur, tous prononcèrent par trois fois les mots :
«Namo Buddhâya! » Puis ils retournèrent en haut parmiles
devas. | |
Peu de temps après le départ du souverain Gakra, le roi
des devas Brahma, concut cette pensée : « Le souverain
Cakra est parti. Je me rendrai maintenant auprès du
Buddha. » Dans le temps qu'il faut à un homme fort pour
étendre le bras, il arriva près du Buddha; après avoir
adoré les pieds du Buddha, il s’assit de côté ; l'éclat du
deva Brahma ïlluminait toute la montagne P'i-Pi-hi
(Vediyaka). Alors le deva Brahma prononca ces gâthäs :
Pour le bénéfice d'un grand nombre — il a fait se mani-
[ester ces explications, — Catipati (1), — Maghavan (2) ; —
les sages élant rangés au cercle autour de lui, — il a pu
poser des questions, — Väsava (3).
Il répéta les mêmes questions qu'avait faites Le souve-
rain Cakra, puis il retourna en haut parmi les devas.
Lorsque le matin fut venu, le Buddha dit aux bhiksus :
«Le roi des devas, Brahma, est venu hier auprès de moi
et a prononcé les gâthàs précitées, puis il est retourné en
haut parmi les devas. » Quand le Buddha eut ainsi parlé,
tous les bhiksus furent pleins de joie ; ils adorèrent les
pieds du Buddha, puis se retirérent.
CAL DIN TO D er Ne)
Le Buddha, se trouvant à Râjagrha explique la Loi et assure
ainsi le salut de Kaundinya, de Çakra Devendra et du roi Bim-
bisâra ; en même temps qu'eux, les quatre-vingt-quatre mille
(1) Ce nom d’Indra signifie « époux de Gaëi ».
(2) Nom d'Indra.
(3) Nom d’Indra.
70 TSA PAO TSANG KING
personnes qui composent la suite de chacun de ces trois person-
nages, obtiennent la sagesse. Pour expliquer ce merveilleux ré-
sultat, le Buddha raconte un avadâna : Autrefois de nombreux
marchands s'étaient vus entourés par un serpent monstrueux
qui ne leur laissait aucun moyen d'échapper. Pour les délivrer,
un lion monte sur un éléphant blanc et attaque le serpent dont
il brise le crâne ; mais le lion et l'éléphant meurent tous deux
pour avoir été atleints par l’haleine empoisonnée du serpent.
Avant de mourir, le lion souhaite devenir Buddha pour sauver
tous les hommes ; les marchands à leur tour souhaitent d’être
ceux qui assisteront à la première assemblée tenue par ce Bud-
dha futur. Le lion, c’est le Buddha ; l'éléphant blanc, c’est Çàri-
putra ; les chefs des marchands ne sont autres que Kaundinya,
Cakra Devendra et le roi Bimbisâra ; les marchands sont les
devas et les hommes qui ont présentement obtenu la sagesse,
CERIDE XIN AO De 270)
Le Buddha se trouvait dans le jardin des Çâkyas ; il y avait
alors dans la ville de Tch'ü-l’eou (char-tête) un homme de la race
des Çâkyas, nommé Tch'a-mo, qui avait une fois absolue dans
les trois Refuges et dans les quatre vérités saintes ; comme il
souffrait d'une maladie des yeux, il invoqua, pour être guéri,
l’'Honoré du monde. Celui-ci prononça en sa faveur le sûtra de
la vue nette ({sing yen sieou to lo, cuddhanetra sûtra?) et chargea
Ânanda de se servir de la formule magique contenue dans ce
sûtra pour rendre nette la vue de Tch'a-mo. Par la suite, dans
tous les cas de maladie d’yeux, on n'eut plus qu’à employer
celte formule magique en remplaçant le nom de 7ch'a-mo par
celui de la personne qu'on voulait guérir.
LREDSXIN 410 pe 28/1)
Discours du Buddha sur les sept libéralilés qui peuvent être
pratiquées sans avoir à faire aucune dépense. La première est la
ES EN NO
TSA PAC TSANG KING 7
libéralité de la bonne vue par laquelle un homme regarde avec
bienveillance son père et sa mère, ses maîtres et ses aînés, les
cramanas et les brahmanes; la seconde est la libéralité de l’air
avenant qui consiste à avoir l’air avenant envers ces mêmes per-
sonnes ; la troisième est la libéralité du langage aimable ; la qua-
trième est la libéralité des attitudes prévenantes ; la cinquième
est la libéralité des sentiments généreux ; la sixième est la libé-
ralité qui consiste à offrir des lits et des sièges pour s'asseoir ;
la septième est la libéralité qui consiste à laisser libre accès dans
la maison où on habite. Celui qui pratique ces sept libéralités
reçoit, d'existence en existence, des récompenses appropriées.
CFD AIN AC prre RS)
Autrefois vivait le roi Xia-pou qui commandait aux quatre-
vingt-quatre mille royaumes du Jambudvipa; quoique ce roi eût
vingt mille épouses, aucun fils ne lui était né; enfin sa principale
épouse mit au jour un fils qu’on nomma Tehan-l'an (Candana).
Tchan-Pan devint un roi cakravartin et commanda aux quatre
parties du monde. Mais ensuite il embrassa la vie religieuse et
devint Buddha. Dans ce royaume il y eut une sécheresse prolon-
gée ; pour la conjurer, les habitants prirent un grand bassin en
or qu'ils remplirent d’eau parfumée ; puis ils invitèrent le Ta-
thâgata et l'aspergèrent avec cette eau. Ils recueillirent ce qui
restait de cette eau dans quatre-vingt-quatre mille flacons qu'ils
répartirent entre les quatre-vingt-quatre mille royaumes, et, pour
chacun d'eux, on éleva un stûpa. À cause de cette bonne œuvre,
des pluies abondantes survinrent et le pays devint très prospère.
Un homme, ayant répandu une poignée de fleurs sur un de ces
stûpas, oblint une excellente récompense, car c’est lui qui au-
jourd’hui est devenu le Buddha ; de même, tous ceux qui avaient
répandu de l’eau parfumée sur le Tathâgata T'chan-Fan et qui
ont élevé des stüpas à cause de cette eau, devront tôt ou tard
devenir des Buddhas. Il ne faut donc négliger aucune bonne
œuvre, quelque minime qu’elle paraisse.
72 TSA PAO TSANG KING (N° 4053)
N° 408.
(Trip., XIV, 10, pp. 28 v°-29 r°.)
Autrefois, dans là ville de Chü-wei (Grâvasti), il y
avait un notable extrêmement riche qui possédait des
trésors illimités ; constamment, à tour de rôle, il invitait
des çramanas à venir chez lui pour leur faire des offran-
des ; en ce temps, dans la série des religieux, ce fut le
tour de Chü-li-fou (Câriputra), qui, en compagnie d’un
Mo-ho-lo (Mahalla) (1), se rendit chez le notable. Quand
celui-ci le vit, il en fut très joyeux. Précisément en ce
jour, des négociants (qui étaient à son service) revinrent
sainset saufs d’un voyage maritime en rapportant quantité
de denrées précieuses ; en ce moment aussi, le roi de ce
royaume attribua des villages en apanage à ce notable ;
enfin la femme de ce dernier, qui était enceinte, mit au
monde un fils. Tous ces événements heureux se produi-
sirent en même temps. Quand Chôü-li-fou (Càriputra) et
son compagnon furent entrés chez le notable, ils recurent
ses offrandes ; puis, lorsqu'ils eurent fini de manger, le
notable fit passer l’eau et s’assit sur un petit banc qu'il
plaça devant le vénérable. Chô-li-fou (Câriputra) prononça
alors ce vœu :
« Ce jour a été une époque excellente où vous avez reçu
de bonnes récompenses ; des avantages et des événements
heureux se sont produits pour vous simultanément ; vous
avez eu des transports d’allégresse et votre cœur a été
plein de joie; d’un cœur croyant vous avez conçu avec
élan la pensée des dix forces ; que toujours à l'avenir il
en soit de même qu'aujourd'hui. »
Quand le notable eut entendu ce vœu, il en éprouva
(1) Expression dédaigneuse qui désigne un vieux moine.
TSA PAO TSANG KING (N° 408) 73
un grand plaisir ; il fit alors don de deux pièces d’étoffe
d'excellente qualité à Chü-li-fou (Câriputra) ; mais il
ne donna rien au Mo-ho-lo. |
De retour au temple, le Mo-ho-lo était tout déçu ; il se
dit: « Si Chü-li-fou (Câriputra) a reçu aujourd’hui de tels
présents, c'est à cause de son vœu qui a plu au notable.
Il faut que je lui demande maintenant la formule de ce
vœu. » Il alla donc demander à Chü-li-fou(Câriputra) de
lui apprendre la formule du vœu qu’il avait prononcé
naguère. Chü-li-fou l’avertit que ce vœu ne pouvait pas
étre employé en toute occasion et qu'il y avait des cas où
on pouvait s’en servir et d’autres où on ne devait pas
s’en servir. Sur les instances du Mo-ho-lo qui suppliait que
la formule du vœu lui fût apprise, Chü-li-fou (Câriputra)
ne put résister à son désir et lui donna la formule.
Quand le Mo-ho-lo eut recu cette formule, il lapprit
aussitôt par cœur jusqu’à ce qu'il la sût couramment ; il
eut alors cette pensée : « Au moment où mon tour sera
venu d'être à la place d'honneur, je mettrai en usage cette
formule. » Son tour étant donc venu, il se rendit chez le
| notable et put être mis à la place d’honneur ; en ce
| moment, les négociants du notable avaient perdu toutes
| leurs richesses sur mer ; la femme du notable avait été
impliquée dans une affaire judiciaire et en outre son fils
était mort. Cependant le Mo-ho-lo prononça la formule
d’auparavant : « Que toujours à l’avenir il en soit de
même. » Quand le notable eut entendu cette phrase, il se
mit en colère et, à grands coups de bâton, chassa le
Mo-ho-lo hors de chez lui.
Ayant été furieusement battu de la sorte, le Mo-ho-lo,
tout chagrin, entra (par mégarde) dans un champ de lin
qui appartenait au roi et se mit à fouler aux pieds le lin,
en sorte que les tiges furent brisées. [rrité de le voir
agir ainsi, le gardien du champ lui administra une volée
de coups de fouet et l’accabla de peine et de honte. Après
74 TSA PAO TSANG KING (N° 408)
que le Mo-ho-lo eut été ainsi battu de nouveau, il demanda
à celui qui l'avait frappé quelle faute il avait commise
pour être battu. Le gardien lui expliqua qu'il avait foulé
aux pieds le lin, puis il lui montra l'endroit où était le
chemin.
Quelques {1 plus loin, en suivant la route, le Mo-ho-lo
rencontra un homme qui avait coupé du blé et qui l'avait
entassé en meule. La coutume en ce pays était qu'un
passant contournât une meule en la contournant par la
droite ; on lui donnait alors à boire et à manger afin qu'il
demandât l'abondance (aux dieux pour le propriétaire du
blé) ; mais, s’il la contournait par la gauche, on estimait
que cela portait malheur. Or le Ao-ho-lo contourna la
meule en passant par la gauche (1) ; le propriétaire du blé
s'irrita contre lui et, à son tour, lui donna des coups de
bâton ; le Mo-ho-lo demanda quel péché il avait commis
pour être ainsi battu sans raison ; le propriétaire du blé
lui répondit: « Lorsque vous avez passé devant ma meule,
pourquoi ne l’avez-vous pas contournée par la droite en
prononçant le vœu : Qu'il vous en vienne beaucoup ! C’est
parce que vous avez contrevenu à nos coutumes que je
vous ai battu. » Il lui indiqua alors le chemin qu'il devait
suivre.
Un peu plus loin, le Mo-ho-lo rencontra un endroit où
on enterrait un homme; il contourna le tumulus et la
fosse comme il aurait dû le faire lorsqu'il s'agissait de la
meule de blé et prononça ce vœu : « Qu'il vous en vienne
beaucoup! qu'il vous en vienne beaucoup ! » Celui quime-
nait le deuil, saisi de colère, lempoigna et le rossa, puis il
lui dit : « Quand vous voyez un cas de mort, vous devez être
ému de compassion et dire : Qu'à l'avenir il ne vous arrive
(1) Précédemment, le Mo-ho-lo s'était vu battre parce qu'il avait quitté
le droit chemin et avait été dans un champ de lin; maintenant, il a soin
de rester dans le chemin, quoique cela lui fasse contourner la meule de
blé par la gauche.
TSA PAO TSANG KING (N° 408) 75
jamais rien de semblable. Pourquoi avez-vous dit au con-
traire: Qu'il vous en vienne beaucoup! » Le Mo-ho-lo
répondit : « Dorénavant, je suivrai votre conseil. »
A quelque distance de là, il rencontra un mariage, et,
comme le lui avait enseigné celui qui suivait les funé-
railles, il dit: « Qu'à l'avenir il ne vous arrive jamais rien
de semblable. » Aussitôt les mariés, irrités de cette pa-
role, lui infligèrent une correction qui lui rompit la tête.
Il continua son chemin en marchant tout hagard à
cause des coups qu'il avait recus. Il rencontra un homme
qui cherchait à prendre des oies sauvages, et, dans sa
terreur et son égarement, il se précipita dans ses filets et,
dela sorte, effraya etfit partir ses oies sauvages. Le chasseur
furieux se saisit de lui et le battit. Le Mo-ho-lo, souffrant
cruellement des coups qu'il avait reçus, dit au chasseur :
« En suivant le droit chemin, j'ai plusieurs fois recu des
volées de coups; mon esprit s'est égaré, mes pas sont
devenus titubants, et c’est ainsi que je me suis précipité
dans vos filets ; veuillez me pardonner et me laisser aller
plus loin. » Le chasseur lui répondit: « Vous êtes un rustre
d'aller ainsi droit devant vous la tête haute (1). Pourquoi
n'avancez-vous pas avec précaution en tâtant le terrain
avec vos mains ? »
Le Mo-ho-lo se remit en route, et, comme le lui avait
conseillé le chasseur, il tâtait le terrain avec ses mains. Or, il
rencontra en chemin un blanchisseur qui, en le voyant mar-
cher à quatre pattes, crut qu’il voulait lui dérober ses vête-
ments ; il l’empoigna donc etle battit derechef. Après avoir
enduré des souffrances extrêmes, le Mo-ho-lo lui raconta
tout ce que nous avons dit plus haut et put se faire relâcher.
Quand il fut arrivé au Jetavana, il dit au bhiksus : « Pré-
(1) Les mots Âf} ÂïË sont embarrassants : le second d'entre eux ne se
trouve pas dans le dictionnaire de ÆX’ang-hi qui indique seulement
l'expression Âf} 4 dans le sens de tromperie ». Je traduis d'après le
sens que demanderait le contexte.
76 TSA PAO TSANG KING (N° 408)
cédemment, j'ai récité la formule de vœu que m'avait en-
seignée Chü-li-fou(Çâriputra) et j'en ai éprouvé de grandes
douleurs. » Il leur exposa comment il avait été battu, en
sorte que sa peau et son corps étaient tout déchirés et
qu'il avait failli en perdre la vie. Les bhiksus l’amenèrent
alors auprès du Buddha à qui ils racontèrent comment cet
homme avait été cruellement battu.
Le Buddha dit: « Ce n’est pas seulement aujourd’hui
que ce Mo-ho-lo à été ainsi prédestiné. Autrefois en effet,
il y avait la fille d’un royaume qui était tombée malade.
L’astrologue consulta les sorts à ce sujet et déclara qu’elle
devait aller parmi les tombes pour se débarrasser de son
mal. La princesse donc, avec sa suite, se rendit dans l’en-
droit où étaient les tombes. Précisément alors il y avait
sur la route deux marchands qui, en voyant la fille du rot
et le redoutable cortège de ceux qui laccompagnaient,
furent saisis de peur et se réfugièrent parmi les tombes.
L'un d’eux fut pris par les gardes de la princesse qui lui
coupèrent les oreilles et le nez. L'autre, extrêmement
eilrayé, se coucha parmi les cadavres et feignit d'être mort.
Or, la fille du roi, désirant se délivrer de son mal, voulut
qu'on choisit un homme mort récemment, dont la peau ne
serait pas encore en putréfaction ; elle désirait s'asseoir sur
lui et se laver afin de se guérir de sa maladie (1). Les gens
qu'elle envoya faire cette recherche rencontrèrent jus-
tement ce marchand ; en le tâtant avec la main, ils s’aperçu-
rent que son corps était encore flexible et pensèrent qu’il
était mort récemment. (La princesse)se mit donc às’enduire
avec de la poudre de moutarde et à se laver en se tenant
sur le marchand. Les vapeurs âcres de la poudre de mou-
1) La princesse devait s'asseoir toute nue sur le cadavre d’un homme
mort: puis elle se laverait avec certaines drogues qui feraient passer la
maladie de son corps dans celui du mort. Pour accomplir ce rite ma-
gique, elle préférait naturellement que le cadavre ne füt pas encore en
putréfaction.
TSA PAO TSANG KING (N° 408) (ès
tarde pénétrèrent dans le nez du marchand qui, malgré
tous ses efforts pour se retenir, ne put s'empêcher d’éter-
nuer violemment et se leva soudain. Les gens de l’escorte
_ pensèrent qu ils avaient fait surgir un démon et, craignant
qu'ilne pt leur infliger toutes sortes de maléfices, ils fer-
mèrent la porte (du cimetière) et se tinrent contre elle
(pour qu'on ne pütla rouvrir). La princesse était dans
une situation critique, car le marchand la tenait étroite-
ment et ne la lâchait pas; le marchand lui dit la vérité et
lui déclara qu'il n’était pas un démon. Alors la princesse,
en compagnie du marchand, se rendit à la ville; elle
appela le gardien de la porte et lui dit tout ce qui s’était
passé ; quoique le roi son père entendit sa voix, il conser-
vait quelques doutes ; accompagné de soldats en armes, il
fit ouvrir la porte et alla voir ce qui en était ; il reconnut
qu'il n'avait point affaire à un démon. Le roi dit alors:
« Le corps nu d’une fille ne doit pas être vu deux fois. »
Il donna sa filleen mariage au marchand qui fut tout joyeux
et eut des félicités sans limites.
Le Buddha dit: « Le marchand qui, en ce temps, obtint
la fille du roi, c'est Chü-li-fou (Câriputra) ; celui à qui on
coupa les oreilles et le nez, c'est le Ao-ho-lo.….. »
CPR RENE LOoT Dh 290)
Un marchand de l'Inde du Sud qui se connaissait bien en
perles parcourt divers royaumes en présentant partout une perle
dont personne ne sait discerner les qualités distinctives. Il ar-
rive enfin dans le royaume de Crâvasti, mais ni le roi Prasenajit
ni ses ministres ne peuvent répondre à ses questions. Il apporte
alors la perle au Buddha. Celui-ci lui dit aussitôt : « Cette perle
provient de la cervelle du poisson gigantesque Makara; le corps
de ce poisson est long de cent quatre-vingt mille /?; cette perle
se nomme solidité de diamant (vajrasära?); elle a plusieurs
)
vertus : en premier lieu, si elle est vue par un homme empoi-
78 TSA PAO TSANG KING
sonné ou si son éclat touche le corps de cet homme, le poison
se dissipera ; en second lieu, la fièvre disparaîtra de la même ma-
nière chez un homme fiévreux ; en troisième lieu un homme qui
est entouré d'ennemis, s'il tient en mains cette perle, ne trouvera
plus devant lui que des amis. Émerveillé de cette réponse, le
marchand de perles entre en religion. Une scène analogue s'est
passée autrefois : un ascète a su dire qu'une feuille d'arbre qu'on
lui présentait se nommait « sommet d'or (suvarna çekhara ?) ; que
les malades ou même les moribonds, s'ils s'asseyaient sous ce
feuillage, guérissaient ; que, de même, le poison et la fièvre
élaient dissipés par la vertu de ces feuilles.
ÉTrID- XIV T0 p.20 1)
Le Buddha s’est blessé au pied avec une épine de kta-l'o-lo
(khadira, Acacia catechu) et aucun remède ne parvient à arrêter
le sang qui coule de la plaie. Mais Che-li-kia-ye (Daçabala Kà-
Gyapa) obtient immédiatement la guérison en prononçant cette
parole véridique : « Sile Buddha Tathâgata a un cœur équitable
envers tous les êtres vivants, s’il ne fait aucune différence entre
Râhula et Devadatta, que le sang de son pied cesse de couler. »
Il en a été de même autrefois : le fils d'un brahmane, désolé de
voir que son père se refuse à observer rigoureusement la défense
de tuer des êtres vivants, se rend au bord d’un étang habité par
un nâga dont la vue seule suffit à tuer les hommes ; l'influence
empoisonnée s'est déjà répandu dans son corps lorsque son père
survient et le sauve en prononçant cette parole : « Si mon fils
n'a jamais eu l'intention de faire du mal à aucun être, ce poison
doit se dissiper. »
(Trips, IN 10, p.50:1.)
Le Tathägata se trouvant sous l'arbre de la Bodhi, le chef des
démons Po-siun (Pâpiyän) (1) vient l’attaquer à la tête de huit
(1) Evo. Huber a expliqué la transcription Po-siun Jk 4) par l'hypothèse
fort vraisemblable que fj siun est le substitut fautif de #] p'o (Sutr-
lamkära, p. 478).
TSA PAO TSANG KING 79
millions de démons ; Pâpiyân intime au Buddha l'ordre de s’en
aller en le menaçant, s’il n'obéit pas, de le prendre par les pieds
et de le jeter à la mer. Le Buddha lui répond qu'il est sans
crainte, car les mérites passés de Pâpiyân sont loin de pouvoir
contrebalancer ceux du Buddha. Pâpiyân demande au Buddha
comment il pourra attester la véracité de ce qu'il vient de dire
touchant leurs mérites passés respectifs. Le Buddha indique du
doigt la terre en prenant celle-ci à témoin ; aussitôt de grands
tremblements de terre se produisent et la divinité de la terre sort
pour altester que le Buddha a dit vrai. Suit un avadâna qui n'est
que la réplique décolorée de ce récit.
CPrip:, XIV: 10:p: 90 rt)
Le Tathâgata, se trouvant à Crâvasli, est las des offrandes
avantageuses qu'on lui apporte ; il se retire dans un monastère
de la forêt T'an-tchouang-yen (lobhâlamkäâra ?) ; le supérieur de
ce monastère est un arhat nommé Na-yi-kia (nâyaka — direc-
teur). Le lendemain, quantité de gens viennent apporter des vè-
tements en offrande. Le Buddha les repousse et tient un discours
pour montrer l'influence pernicieuse des offrandes qui ruinent
la vie religieuse. [Il raconte ensuite un avadâna: autrefois dans
le royaume de Kâci, il y avait un premier ministre nommé Ye-
tch'a (Yaksa). Le fils de ce ministre, qui s'appelait Ye-ni-ta-lo
(Yajñadatta), sort du monde pour se livrer à l’ascétisme ; mais
les religieux au milieu desquels il se trouve se disputaient con-
stamment entre eux pour avoir les meilleurs fruits et les meil-
leures herbes ; Ye-ni-ta-lo les ramène au sentiment de leurs
devoirs en se contentant toujours de la part Ja plus mauvaise, ce
qui lui vaut d'acquérir les cinq pénétrations (abhijñâs).
(Trips ANT 10 p;: 00 0)
Un brigand va être mis à mort sur l’ordre du roi Prasenajit :
en se rendant à l'endroit du supplice, il rencontre le Tathâgala
80 ; TSA PAO TSANG KING
et conçoil un sentiment de joie. À cause de cela il renaît dans la
condition de deva. Il descend alors dans ce monde pour faire
des offrandes au Buddha ; le Buddha lui ayant expliqué la Loi,
il devient srotâäpanna.
(Trip. XNI;10,D;30:ve,)
Un criminel, à qui on a coupé les pieds et les mains, est
gisant sur le bord du chemin ; le Buddha survient et ordonne à
Ânanda de lui donner à manger ; le misérable en conçoit un sen-
liment de joie, et c’est pourquoi, après sa mort, il renaît dans la
condition de deva. Il redescend alors pour remercier le Buddha
de son bienfait ; le Buddha lui explique la Loi et il devient srotà-
panna. |
CEribs ANT :10, D: 50 4)
Un notable du royaume de Crâvasti aurait voulu se construire
une habitation dans le Jetavana, mais il ne le peut pas parce que
Sudatla a occupé tout le terrain et n’a laissé aucun espace libre.
Le nolable alors s’installe à l’intérieur de la porte principale du
Jetavana ; 1l prépare avec de l’eau pure, du miel et de la farime
grillée une bouillie qu’il donne à tous les passanis ; au bout de
quatre-vingt-dix jours, il arrive que le Buddha lui-même reçoit.
de cette bouillie. A cause de cela, le notable, après sa mort, re-
nait dans la condition de deva. Étant redescendu dans le monde,
il écoute le Buddha expliquer la Loi et devient srotäpanna.
CArip IN 10% pp: 60 V5 1.)
Le roi Prasenajit et le notable Sudatta envoient un homme
prier le Buddha de venir en char à Crâvasti. Le Buddha com-
mence par déclarer qu'il n’a pas besoin de char puisqu'il peut se
transporter par sa seule force surnaturelle ; désireux cependant
d'assurer un mérite au messager, ilmonte dans le char que celui-
“
ñ
È
n
4
.
à
TSA PAO TSANG KING 81
ci lui offre. Pour avoir présenté ce char au Buddha, le messager,
après sa mort, renaît dans la condition de deva. Il redescend alors
dans le monde, écoute le Buddha expliquer la Loi et devient
srotäpanna.
CÉPIDR RAIN HO D, 22 00)
A l’imitation de Sudatta, le roi Prasenajit fait une quête dans
son royaume afin d'engager les gens à donner des aumônes el à
s'assurer ainsi des bonheurs futurs; un pauvre homme lui pré-
sente une éloffe de laine qui est tout ce qu'il possède ; le roi la
remet ensuite au Buddha. Après sa mort, le pauvre homme re-
naît dans la condition de deva. Il redescend dans ce monde pour
faire des offrandes au Buddha ; celui-ci lui ayant expliqué la Loi,
il devient srotâäpanna.
CPrID XX EN EE 07 pD; 6 118.)
Dans le royaume de Cràvasti vivent deux frères ; l'aîné prati-
que la religion bouddhique; le cadet sert Fou-lan-na (Püûrana) [1|.
Le premier engage vainement le second à adopter sa croyance ;
ne pouvant y parvenir, 1l se sépare de lui ; après sa mort, il re-
naît dans la condition de deva. Il redescend dans le monde et
devient srotâäpanna après que le Buddha lui a expliqué la Loi.
(rip XIV TO DS re)
Dans le royaume de Crâvasti, deux frères, qui vivaient en més-
intelligence, se rendent chez le roi pour faire régler leur diffé-
rend. Sur le chemin, ils rencontrent le Buddha qui leur explique
la Loi et ils obtiennent la voie d’arhat. Leur père, informé de
ce qui s'est passé, en conçoil une grande joie ; à cause de ce bon
sentiment, il renaît après sa mort dans la condition de deva. Il
retourne auprès du Buddha qui lui explique la Loi et il devient
srotâäpanna.
(1) Un des six maîtres Tirthikas.
lle 6
82 TSA PAO TSANG KING
(Trip, XIV, 10, p. 31 re.)
Un père a voulu que son fils entrâl en religion ; mais, au bout
de peu de temps, ce fils, que le Buddha a chargé du balayage, se
lasse de ce travail et déclare qu'il veut quitter la vie religieuse ;
son père n'y cousent pas; il se chargera à la place de son fils
de faire le balayage, mais 1l l'oblige à relourner au Jetavana
vihâra ; quand le fils voit l'intérieur du monastère calme et pur,
il conçoit un sentiment de joie et affirme que, dût-il en mou-
rir, il reslera en religion et s’occupera du balayage. Après sa
mort, il renaît dans la condition de deva. Il retourne alors auprès
du Buddha et, celui-ci lui ayant expliqué la Loi, il devient sro-
täpanna.
CRPID.- SENS TO D SEX CL):
Autrefois, sept cents ans après que le Buddha eut quitté le
monde, apparut dans le royaume de X1-pin (Cachemir) l'arhat
Tche-ye-lo. Dans ce royaume il y avait un méchant roi-nâga
nommé A-li-na ; malgré toute leur puissance surnaturelle, deux
mille arhats n’avaient pas réussi à le chasser ; T'che-ye-lo n’eut
qu'à étendre trois fois le doigt en intimant au nâga l'ordre de
sortir et le nâga partit aussitôt. Tche-ye-lo, accompagné de
ses disciples, se rend ensuite dans l'Inde du Nord; en chemin,
il rencontre un corbeau et sourit légèrement. Puis il atteint la
ville de la Maison de pierre; en arrivant à la porte de la ville il
s'altriste et change de couleur; après avoir mendié sa nour-
riture dans la ville, il ressort par la porte el de nouveau il s'at-
triste et change de couleur. [l'explique alors à ses disciples la rai-
son des divers sentiments quise sonttrahissurson visage : quatre-
vingl-onze kalpas après le nirväna du Buddha Vipacyin, il était
lui-même un fils de notable qui désirait entrer en religion; son
1) Ce conte et les trois suivants ont été intégralement traduits par Syl-
vain Lévi qui en a bien montré l'importance historique (Journal Asiatique
de nov.-déc. 1896, pp. 463-467).
TSA PAO TSANG KING F3
père el sa mère lui déclarent qu'ils ne l'y autoriseront qu'après
qu'il se sera marié et aura eu un fils; il leur obéit, et, quand
son fils sait parler, il demande de nouveau à sortir du monde :
son père el sa mère suggèrent alors à leur petit-fils des pa-
roles propres à relenir son père; celui-ci ne peut résister à ces
supplicalions enfantines et renonce à son projet; aussi reste-l-il
dans le samsâra des naissances et des morts. Aujourd'hui Tche-
ye-lo a reconnu dans le corbeau qu'il a vu sur la roule l'enfant
qui l’a empêché d'entrer en religion et c'est pourquoi il
a sour1 de celte rencontre inattendue. D'autre part, si Tche-
ye-lo a changé de couleur en arrivant à la porte de la ville, c'est
parce qu'il a vu là un démon affamé qui l’a supplié de faire reve-
nir auprès de lui sa mère ; cette mère du démon est depuis
soixante-dix ans dans la ville, cherchant vainement à se procurer
un peu de nourriture pour son fils ; elle a enfin réussi à.se procu-
rer une bouchée d'aliments impurs, mais elle ne peut plus sortir
parce que des démons très puissants lui barrent le passage,
Tche-ye-lo fait sorlir avec lui cette femme hors de la porte de la
ville ; la mère et le fils se retrouvent et se partagent leur nour-
riture souillée. A une queslion de Tche-ye-lo qui lui demande
depuis combien de temps il est là, le démon répond qu'il a vu
déjà sept fois celle ville détruite et reconstruite. Tche-ye-lo à
soupiré alors en songeant combien longues étaient les souffrances
des démons affamés, et c'est pourquoi il a, pour la seconde fois,
changé de couleur.
CRD AIN O RD 02e
Deux bhiksus de’ l'Inde du Sud ‘ont entendu parler de
la grande veriu prestigieuse de Tche-ye-lo ; ils se rendent donc
dans le Xi-pin (Cachemir) et se dirigent vers le Heu de sa r1ési-
dence ; ils aperçoivent sous un arbre un bhik u d'aspect mi-
nable qui allume du feu devant un foyer. Questionné par eux,
ce bniksu leur indique que Zche-ye-lo demeure plus haut,
dans la troisième grotte. Les deux bhiksus gravissent donc la
(1) Cf. Syzvain LÉvi (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 467-469).
84 TSA PAO TSANG KING
montagne, el, quand ils sont arrivés à la troisième grotte, ils
y aperçoivent à leur grande stupéfaction, le bhiksu qui naguère
allumait du feu. Ils s'expliquent la chose en se disant qu'un
homme doué de tant de vertu ne doit pas avoir eu de peine à
venir dans la grotte avant eux. Il leur reste cependant quelques
doutes et c'est pourquoi un des bhiksus demande : « O vénérable,
comment se fait-il que, doué comme vous l’êtes d’une presti-
oieuse vertu, vous allumiez vous-même le feu?» Tche-ye-to
répond : « Je songe aux tourments que j'ai endurés autrefois
dans le samsâra des naissances et des morts ; si ma tête, ma
mains et mes pieds ont pu être consumés dans ces tourments,
ils peuvent donc aussi servir à être consumés dans le feu allumé
pour le bénéfice de l'assemblée des religieux ; à combien plus
forte raison peuvent-ils servir à allumer simplement le bois
mort destiné à ce même feu. » Le second bhiksu demande alors
qu'on lui explique ce que c’est que les tourments du samsära des
naissances et des morts dans les existences passées. Tche-ye-lo
répond : « Dans ma cinq centième naissance antérieure j'étais né
dans la condition de chien et je souffrais toujours de la faim et
de la soif; Je ne pus me rassasier qu'en deux occasions ; la pre-
mière, ce fut lorsque je rencontrai sur le sol le vin rejeté par un
homme ivre; je pus m'en repaitre avec joie ; dans la seconde
occasion, je rencontrai un homme et sa femme qui travaillaient
ensemble pour gagner leur vie; le mari étant allé aux champs,
sa femme resta pour préparer le repas; mais elle s’absenta un
instant pour quelque affaire et moi aussitôt j'entrai pour voler
la nourriture ; il se trouva que l’orifice du vase contenant ces
aliments était étroite ; quoique j'eusse pu d’abord y engager ma
tête, 1l me fut difficile ensuite de l'en retirer. Quoique je me
fusse rassasié, j'en endurai de grandes douleurs, car le mari
revint des champs el coupa ma tête qui était restée engagée
dans le goulot. » Quand les deux bhiksus eurent entendu cette
explication de Ia Loi, ils prirent en horreur le samsâra des nais-
sances et des morts et devinrent srotäpannas.
:
;
À
TSA PAO TSANG KING 85
(Trip., XIV, 10, p. 32 r°-v°) (1).
Dans le royaume des Yue-lche il y a un roi nommé 7chan-lan
Ki-ni-tch'a (Kaniska) ; il entend parler de l’arhat Tche-ye-to du
royaume de Xïi-pin (Cachemir) et va lui rendre visite; Tche-ye-
Lo refuse de sortir pour aller à sa rencontre ; le roi, saisi de vé-
nération pour lui, se prosterne devant fui, et même, d’un mou-
vement spontané, il présente le crachoir à l’arhat au moment
où celui-ci a envie de cracher. L'arhat prononce celte parole
énigmatique : « Quand le roi est venu, sa voie élait bonne;
quand il partira, il en sera comme lorsqu'il est venu. » Le roi
reprend le chemin du retour; les gens de sa suite se plai-
gnent que ce voyage n'ait été d'aucun profit; le roi leur ré-
pond en leur expliquant la parole de Tche-ye-lo ; cette parole
signifie que, si le roi jouit aujourd’hui de sa haute dignité, c’est
parce que, dans des existences antérieures, il a fait des bonnes
œuvres ; maintenant, il continue à accomplir des actions excel-
lentés et c'est pourquoi, quand i] partira de cette existence, 11 se
sera assuré, comme au temps où il y est venu, des félicités im-
portantes pour ses vies à venir.
MED PARLE ME
Le roi des Yue che, nommé Tchan-tan Ki-ni-lch'a (Kaniska),
a auprès de lui trois hommes sages qui sont Wa-ming-p'ou-sa
(Asvaghosa Bodhisattva), le grand ministre Mo-tch'a-lo (Mà-
thara) et l'illustre médecin Tchô-lo-kia (Caraka). En suivant les
avis du médecin, il échappe à toute maladie; en se confor-
mant aux conseils du ministre, il soumet à son autorité trois des
quatre régions du monde ; mais, quand il veut conquérir la ré-
gion orientale et franchir les Ts’ong-ling (Pamirs), ses éléphants
el ses chevaux refusent d'avancer; il reproche à ses chevaux
(1) Cf. Syzvain Lévi (Journ. Às., nov.-déc. 1896, pp. 469-472".
(2) Cf. Syzvain LÉvr (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 472-#75).
s6 TSA PAO TSANG KING
leur conduite en leur rappelant les campagnes glorieuses qu'il
a faites précédemment avec eux pour triompher de trois régions
du monde ; mais il a violé, en parlant ainsi, son engagement de
ne point divulguer les conseils secrets qu’il avait reçus de son
minisire ; ‘aussi sa destinée est-elle près de toucher à sa fin.
Comprenant qe sa mort est proche, il multiplie les bonnes
œuvres. Ses courtisans murmurent entre eux en disant qu'il ne
pourra tirer aucun profit de tels actes qui ne peuvent compenser
ses fautes antérieures. Pour les réduire au silence, le roi jette
son anneau d'or dans une marmile pleine d’eau bouillante et
leur demande par quel moyen ils pourront retirer l’anneau : « Ce
sera, disent-ils, en arrêtant le feu qui brûle sous la marmite et
en jetant de l’eau froide au-dessus de la marmite ; alors on
pourra retirer l’anneau sans se blesser les mains. » Le roi réplique
que ses mauvaises actions antérieures sont comme la marmite
d'eau bouillante, mais que, par la repentance et par les bonnes
œuvres, il éteint l’ardeur du feu, supprime les trois voies mau-
vaises et obtient la condition d'homme ou de deva.
(Trip. XIV, 10, p, 33 r°-v°.)
Un ministre du royaume de Xiu-che-mt et sa femme sont fort
mal disposés à l'égard du Buddha. Le mari dit à sa femme de
fermer la porte au çramana Gautama s’il veut entrer dans la
maison. Mais soudain le Buddha apparaît au milieu de la
chambre, tandis que la femme est seule, et il reproche à celle-
ci l’'égarement dont elle et son mari font preuve. De rage, la
femme arrache ses colliers, se revêl d'un vêtement souillé et
s'assied sur le sol. Son mari la trouve dans cet état et promet
de se venger. Le lendemain, quand le Buddha apparaît de nou-
veau, il cherche en effet à le frapper avec son épée ; mais il ne
peut le toucher et le voit s'élever devant lui dans les airs. Il
reconnaît alors ses fautes; le Buddha lui explique la Loi; lui
et sa femme deviennent srotäpannas. Il en a été de même autre-
fois : dans le royaume de Käci, le roi Ngo-cheou (Durlabha) s’en-
|
|
|
V
K
Ë
TSA PAO TSANG KING (N° 409). 87
richit par des exactions; un perroquet entreprend de le ramener
à de meilleurs sentiments; il commence par s'adresser à l'épouse
du roi en lui déclarant que le roi est cruel et se conduit con-
trairement à la sagesse, qu’elle-même d'ailleurs est tout aussi
coupable. On prend alors l'oiseau et on l'amène au roi. Le per-
roquel tient un discours sur les devoirs de la royauté. Le roi
rentre en lui-même et se convertit ; tout le rovaume se convertit
à sa suile (1).
| N° 409.
(Trip., XIV, 10, pp. 33 v°-34 ve.)
Histoire du disciple du Buddha, Nan-t'o (Nanda) que le
Buddha força à sortir du monde et à oblenir la vote.
Le Buddha, se trouvant dans le royaume de Xia-pi-lo-wei
(Kapilavastu), entra dans la ville pour mendier sa nourri-
ture ; il arriva à la maison de Van-Fo (Nanda). Ilse trouva
que Van-Fo était occupé avec sa femme à préparer du fard
parfumé pour l'appliquer entre les sourcils de celle-ci ; il
entendit le Buddha à la porte et voulut sortir pour regar-
der dehors; sa femme lui fit cette recommandation :
« Sortez pour voir le Tathâgata ; mais, comme le fard qui
est sur mon front n'est pas encore sec, revenez au bout
d’un instant. » /Van-lo sortit donc, vit le Buddha et lui
rendit hommage. Il prit son bol, retourna chez lui, et,
après l’avoir rempli de nourriture, le présenta au Buddha.
Le Buddha refusa de l’accepter et le fit passer à A-nan
(Ânanda); mais A-nan, à son tour, refusa de l’accepter et
dit (à Van-Fo) : « Il vous faut rapporter ce bol à l'endroit
où se trouve la personne qui l’a donné. » Van-fo se char-
(1) On retrouve ici le conte du perroquet moralisateur, conte qui est le
cadre de la Çukasaptati.
88 TSA PAO TSANG KING (N° 409)
gea donc du bol et alla à la suite du Buddha jusque dans
le vihâra Ni-kiu-lu.
Alors le Buddha ordonna à un barbier de couper la che-
velure de VNan-l'o; Nan-l'o s’y refusa et, menaçant du poing
avec colère le barbier, il lui dit : « Allez donc maintenant
couper les cheveux à tous les habitants de X1a-pi-lo-wei ».
Le Buddha demanda au barbier : « Pourquoi ne lui rasez-
vous pas la tête? — C'est par crainte, répondit-il, que
je n'ose pas lui couper les cheveux. » — Le Buddha et A-nan
vinrent alors à côté (de Van-lo), et celui-ci, saisi de peur,
n osa pasne pas se laisser couper les cheveux.
Bien que sa chevelure eûtété coupée, il conservait tou-
jours le désir de retourner chez lui. Mais le Buddha l’em-
menait constamment avec lui et il n’osait pas partir. Un jour
vint enfin où ce fut son tour de garder la maison; il se
réjouit alors en pensant: « J’ai maintenant trouvé l’occa-
sion de retourner chez moi. J’attendrai que le Buddha et
l'assemblée des religieux se soient éloignés et alors je re-
tournerai chez moi. » Quand donc le Buddha fut entré
dans la ville, il fit cette réflexion : « Je puiserai d’abord de
l’eau pour remplir les cruches, après quoi je m’en retour-
nerai. » Il se mit à puiser de l’eau ; mais, à peine une
cruche se remplissait-elle qu’une autre cruche se renver-
sait; il passa de la sorte quelque temps sans parvenir à
remplir les cruches. Il fit alors cette réflexion : « Il est
impossible d’en remplir aucune ; que les bhiksus puisent
eux-mêmes de l’eau à leur retour; pour moi, maintenant,
je me bornerai à placer les cruches au milieu de la chambre,
puis je les laisserai et je partirai. » Mais quand il voulut fer-
mer les portes, à peine avait-il poussé un battant que l’autre
battant se rouvrait, à peine avait-ilfermé une porte à un bat-
tant qu'une autre porte se rouvrait. [fit alors cette réflexion:
« Je ne puis en fermer aucune ; je les laisserai dans l’état
où elles sont et je partirai. S'il arrive que quelque vête-
ment ou objet appartenant aux religieux se perde, je suis
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TSA PAO TSANG KING (N° 409) 89
assez riche pour en rembourser la valeur. » Il sortit alors
de l'habitation des religieux; il fit cette réflexion : « Le
Buddha viendra certainement de ce côté; je vais donc partir
parcetautre chemin. » Cependantle Buddha, qui connaissait
ses intentions, vint, lui aussi, par cet autre chemin. Van-Po,
voyant de loin venir le Buddha, se cacha derrière un arbre,
mais le dieu de l’arbre souleva l’arbre dans les airs, en
sorte que /Van-lo se trouva debout en pleine lumière. Le
Buddha, ayant aperçu Van-Fo, le ramena avec lui dans le
vihâra, puis il lui demanda : «Pensez-vous à votre femme ? »
Il répondit qu'il y pensait en effet. Le Buddha prit avec
lui Van-lo et se rendit sur la montagne A-na-po-|[na|
(Anapa ?) ; puis il demanda à Van-f'o : « Votre femme est-
elle belle ? — Elle l’est», répondit-il. Or, sur cette mon-
tagne il y avait un vieux singe aveugle. Le Buddha de-
manda derechef : « Votre femme, Souen-f'o-li (Sundari)
a-t-elle un visage aussi beau que celui de ce singe ?» Nan-
lo, indigné, pensa à part lui : « Ma femme est si belle
qu'elle a peu d’égales parmi les humains ; pourquoi main-
tenant le Buddha la compare-t-il à ce singe ? » Le Buddha
emmena derechef Van-Po au milieu des devas T'ao-li (Tra-
yastrimças) et lui fit visiter à la ronde les palais des devas,
en sorte qu'il vit tous les devas et toutes Les devis qui se
livraient ensemble aux délices; dans un de ces palais,
Nan-lo vit cinq cents devis sans aucun deva qui fût avec
elles ; il revint interroger le Buddha, mais le Buddha lui
dit d’aller‘s’enquérir par lui-même ; Van-Po alla donc poser
cette question : « Dans chacun des autres palais il y a un
deva ; comment se fait-il que, dans celui-ci seul il n’y ait
point de deva ? » Les devis lui répondirent : « Il y a dans le
Yen-feou-Pi (Jambudvipa) un disciple du Buddha, nommé
Nan-Po; le Buddha l’a contraint à sortir du monde ; parce
qu’il est sorti du monde, il doit, après sa mort, naître dans
ce palais céleste pour être notre deva. » Van-lo s'écria :
« C’est moi-même qui suis Van-Po », et il voulut rester
90 TSA PAO TSANG KING (N° 409)
la : mais les devis lui dirent : « Nous sommes des déesses
et vous êtes un homme. C’est après avoir abandonné votre
existence d'homme que vous reviendrez naître ici et que
vous pourrez alors demeurer en ce lieu. »
Nan-l'o revint auprès du Buddha et raconta à l’Honoré
du monde tout ce qui s'était passé ; le Buddha dit alors à
Nan-lo : « Votre femme est-elle aussi belle que ces devis? »
Nan-l'o répondit : « En comparaison de ces devis, elle est
comme le singe aveugle en comparaison de ma femme. »
Le Buddha ramena Van-l'o dans le Yen-feou-l'i (Jambud-
vipa). Nan-lo, parce qu’il devait naître en qualité de deva,
redoubla de zèle dans l'observation des défenses. Alors
A-nan (Ânanda) prononça cette gâthà :
De même que des béliers qui se battent — reculent pour
mieux avancer ensuile, — vous observez les défenses en
vue de vos désirs ; — il en est toutà fait de même (pour vous
que pour les béliers).
Le Buddha emmena ensuite Van-Fo dans les enfers.
Nan-lo y vittoutes les chaudières dans lesquelles des
hommes étaient plongés dans l’eau bouillante ; seule une
chaudière dont on attisait les bouillonnements restait
vide; il s'en étonna et revint interroger le Buddha; le
Buddha lui dit : « Allez vous enquérir vous même. » Van-
l'o alla donc demander à un sbire des enfers : « Dans toutes
les chaudières bout un condamné; pourquoi cette chaudière
seule reste-t-elle vide sans cuire aucun homme ? » On lui
répondit : « Dans le Yen-feou-Pi(Jambudvipa).il y a un dis-
ciple du Tathâgata dont le nom est Van-Fo; eu égard au
mérite qu'il a eu en sortant du monde, il doit obtenir de
naître dans la condition de deva ; mais, parce qu'il a aban-
donné la voie à cause de ses désirs sensuels, 1l tombera
dans ces enfers, quand sa longue vie de deva sera terminée,
etc'est pourquoi maintenant nous l’attendons en attisant le
feu de cette chaudière.» Saisi de terreur et craignant que
le sbire des enfers ne voulût le retenir, Nan-l’o prononcça
TSA PAO TSANG KING (N° 409) 91
ces mots : « Namo Buddhaya, je souhaite que vous me pro-
tégiez et que vous me fassiez revenir dans le Yen-feou-li
(Jambudvipa). » Le Buddha dit à Van-Fo : « Appliquez-
vous à observer les défenses pour vous assurer le bonheur
des devas. » Nan-Po répliqua : « Je n'ai que faire de naître
dans la condition de deva ; mon seul désir est de ne pas
tomber dans ces enfers. » Le Buddha alors lui expliqua la
Loi et, au bout d'une période de sept jours, Van-Fo obtint
la dignité d’arhat. Les bhiksus s’écrièrent : « Quand
l’'Honoré du monde apparaît ici-bas, c’est fort merveilleux,
c'est fort extraordinaire ! » Le Buddha dit : « Ce n'est pas
seulement aujourd’hui que cela s’est passé; autrefois aussi
il en a été de même. » Les bhiksus lui ayant demandé à quels
événements du passé il faisait allusion et l'ayant prié de les
leur exposer, le Buddha dit :
Autrefois il y avait un roi de ÆX1a-che (Kâçi) nommé
Man-mien(Pürnamukha— plein-visage),et, dansle royaume
de Pi-Pi-hi (Videha), il v avait une courtisane d’une beauté
merveilleuse. En ce temps, ces deux royaumes se haïs-
saient l’un l’autre. Or il y eut un homme rusé qui se
rendit auprès du roi de Xia-che et parla avec admiration
de la courtisane de cet autre royaume qui avait, disait-il,
une beauté telle qu’on en voit rarement dans le monde.
Quand le roi eut entendu ces discours, son cœur en
conçut de la passion et il chargea un émissaire de faire
venir cette femme ; mais, comme l’autre royaume refusait
de la lui donner, il dépêcha un autre émissaire pour
demander qu’on lui permît de la voir pendant un moment,
promettant qu'il la renverrait au bout de quatre ou cinq
jours. Le roi de l’autre royaume donna alors des instruc-
tions à la courtisane en ces termes : « Déployez tous
vos charmes et toutes vos grâces pour que le roi de Ara-
che devienne épris de.vous et ne puisse plus un seul ins-
tant être séparé de vous. » Puis il lui ordonna de partir.
Quatre ou cinq jours plus tard, il fit dire qu’on la lui ren-
92 TSA PAO TSANG KING (N° 409)
dit, en prétendant qu'il se disposait à célébrer un grand
sacrifice et qu'il avait besoin de la présence de cette
femme ; il promettait de la renvoyer après qu'elle serait
revenue momentanément. Le roi de X1a-che la laissa donc
repartir ; quand le grand sacrifice eut.été célébré, il
demanda qu’on la lui renvoyât. « On vous la renverra
demain », lui répondit-on; mais, le lendemain, on ne la
renvoya pas. Ainsi plusieurs jours se passèrent en fausses
promesses. Le roi, qui était fort épris, aurait voulu,
accompagné seulement de quelques hommes, se rendre
en personne dans cet autre royaume. Ses ministres lui
firent des remontrances, mais il se refusa à les écouter.
Or, dans les montagnes des rsis, il y avait un roi-singe
intelligent, perspicace et possédant toutes sortes de con-
naissances. Son épouse étant venue à mourir, il prit pour
femme une guenon. Les autres singes lui adressèrent des
reproches avec irritation en lui disant : « Cette guenon
est notre propriété commune : pourquoi la prenez-vous
pour vous seul ? » Alors le roi-singe, emmenant avec
lui cette guenon, s'enfuit dans la ville de Kia-che et
vint se réfugier auprès du roi. Les singes le poursui-
virent tous et pénétrèrent dans la ville où ils se mirent à
renverser les maisons et à briser les murs sans qu'on
pût leur faire entendre raison. Le roi du royaume de
Kra-che dit alors au roi-singe : « Pourquoi ne rendez-vous
pas aux autres singes cette guenon ? » Le roi-singe répli-
qua : « Ma première femme est morte, et (si je renvoie
cette guenon), je n'aurai plus de femme ; pourquoi main-
tenant, Ô roi, voulez-vous m'obliger à la renvoyer (1)? »
Le roi lui dit : « En ce moment vos singes dévastent mon
royaume : Comment pourriez-vous ne pas la renvoyer ? »
Le roi-singe luidit : « L'action que j'ai commise est-elle
donc mauvaise ? — Elle est mauvaise », lui répondit le
(1) Je suppose que le mot #f est ici mis par erreur au lieu de Éf.
TSA PAO TSANG KING (N° 409) 93
roi. Il en fut ainsi par deux et par trois fois. Le roi persis-
tant à déclarer que cette action était mauvaise, le roi-singe
Jui dit alors : « Dans votre palais vous avez quatre-vingt-
quatre mille épouses; mais elles ne vous plaisent pas et
vous voulez aller dans un royaume ennemi pour y recher-
cher une courtisane. Moi, maintenant, je n'ai plus
d’épouse ; or, parce que j'ai pris cette seule guenon, vous
déclarez que j'ai mal agi. Les dix mille familles du
peuple comptent toutes sur vous pour assurer leur vie ;
comment se fait-il cependant que, à cause d’une seule cour-
tisane, vous les abandonniez ? Sachez, à grand roi,
que les désirs sensuels procurent peu de joies et causent
beaucoup de peines ; ils sont comme une torche enflam-
_mée qu'on tient quand souffle le vent contraire : le sot ne
la lâche pas et il est inévitablement brülé; les désirs sont
impurs comme un amas d’ordures; les désirs se présen-
tent sous des dehors agréables, mais c’est une mince
peau qui les recouvre ; les désirs ne peuvent pas revenir
en arrière et sont semblables à un serpent venimeux qui
s’est empêtré dans des excréments ; les désirs sont
comme des brigands féroces qui feignent d’être les amis
des hommes ; les désirs sont comme un prêt qu'il faut
nécessairement rendre; les désirs sont haïssables, comme
les fleurs qui croissent dans les latrines ; les désirs sont
comme des abcès quis’aggravent en devenant semblables
à des écorchures brûlantes ; les désirs sont comme un
chien qui ronge un os desséché : il y mêle sa salive et
s’imagine que cela a bon goût ; ses lèvres et ses dents se
blessent entièrement et cependant il ne sait pas s'arrêter :
les désirs sont comme un homme altéré qui boit de l’eau
salée : plus ilen boit, plusil a soif ; Les désirs sont comme
un morceau de chair que se disputent des oiseaux en
foule ; les désirs sont comme des poissons ou des ani-
maux que leuravidité pour la bonne nourriture mène à la
mort en sorte que leurs souffrances sont extrêmes. »
94 TSA PAO TSANG KING (N° 410)
Celui qui, en ce temps, était le roi-singe, c’est moi-
même ; celui qui en ce temps était le roi, c'est Nan-Fo
(Nanda) ; celle qui, en ce temps, était la courtisane, c’est
Souen-l'o-li(Sundari). En ce temps, j'ai voulu retirer de
de la fange Van-lo; maintenant aussi je l'ai retiré des
tourments de la vie et dela mort.
N° 410 (1).
(Trip, XIV, 10, pp. 34 v°-35 r°.)
Histoire du grand homme fort qui convertit la bande
de brigands de la région déserte.
En ce temps, le Buddha se trouvait à Wang-chü-tch'eng
(Râjagrha). Dans l’espace compris entre les deux royaumes
du Wang-chü-tch'eng (Râjagrha) et de P'i-chô-li (Vaiçàli),
il y avait cinq cents brigands. Le roi Pin-p'o-so-lo (Bimbi-
sâra) était bon, indulgent et affectueux ; il gouvernait son
peuple avec des lois bienfaisantes et ne faisait périr
aucun être. Il publia alors un appel en disant : « Celui qui
pourra convertir les cinq cents brigands de manière à ce
qu'ils ne se livrent plus au brigandage, je lui donnerai en
abondance des dignités et des récompenses. » Il y eut un
homme fort qui vint répondre à l'appel du roi; il se ren-
dit dans cette région déserte (âtavi) et convertit pacifi-
quement tous les brigands ; de la sorte il put faire qu'ils
ne se livrassent plus au brigandage. Quand il les eut
ainsi soumis, il fit une grande enceinte de murs et de
fossés et les installa en ce lieu (2). Graduellement leur
(1) La première partie «ae ce récit a été analysée par Ed. Huver
(B. E. F. E. O., vol. VE, pp. 18-19) d'après le Xen pen chouo yi ts'ie yeou
pou p'i nai ye{(Trip., XVI, 9, pp. 101 r°-v°).
(2) D'après le Men pen chouo yi !s'ie yeou pou p'i naï ye, le nom de la:
ville fut X’ouang ye tch'eng D Bÿ Jk (Âtavi).
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TSA PAO TSANG KING (N° 410) 95
_ multitude s’aucimenta : un orand nombre de gens vinrent
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se réfugier là et ainsi se constitua un puissant royaume.
Les habitants de ce royaume se dirent les uns aux autres :
« Nous tous qui sommes maintenant ici nous avons bénélfi-
cié des soins qu'a pris le grand homme fort pour assurer
notre entretien; ainsi nous avons formé un peuple. » Ils
firent alors cette convention : « Dorénavant, quand quel-
qu'un de nous se mariera, il commencera par offrir sa
nouvelle épouse à l’homme fort. » Il se rendirent alors
auprès de l’homme fort et lui dirent : « Nous avons fait
cette convention que, lorsqu'un de nous se mariera, il
vous offrira sa femme ; il y a à cela deux raisons : la pre-
mière, c’est que nous souhaitons avoir de beaux enfants
qui vous ressemblent ; la seconde, c’est que nous voulons
reconnaitre les bienfaits que vous nous avez rendus. »
L'homme fort leur répondit qu’il n’était point nécessaire
d'agir ainsi, mais, sur leurs instances, il accéda à leur
désir. Onse mit donc à appliquer cette loi. Cependant, au
bout de quelque temps, il y eut une femme qui fut mé-
contente de cette pratique ; c'est pourquoi elle se mit toute
nue en public et urina ; les gens lui adressèrent aussitôt
des reproches en lui disant : « Vous êtes bien éhontée ;
comment une femme se permet-elle de se mettre (nue)
pour uriner en présence d’une multitude d'hommes ? »
Elle leur répondit : « Pourquoi une femme rougirait-elle
de se mettre nue poururiner en présence d'autres femmes ?
Or, dans ce royaume vous êtes tous des femmes ; seul Le
grand homme fort est un mâle ; si j'avais fait cela en sa
présence, je devrais en avoir honte ; mais pourquoi serais-
je confuse de l'avoir fait en votre présence ? » Les hommes
se dirent alors les uns aux autres : « Ce que cette femme
a dit est bien conforme à la raison. »
Sur ces entrefaites, Chü-li-fou (Càriputra) et Mou-lien
(Maudgalyâyana), à la tête de cinq cents disciples, vin-
rent à passer par cette région. L'homme fort en. fut in-
96 TSA PAO TSANG KING (N° 410)
formé ; il invita les deux vénérables, ainsi que les cinq
cents disciples, et les installa dans une demeure ; il leur
offrit des vêtements et de la nourriture.
Trois jours plus tard, les habitants de ce royaume se
rassemblèrent en bande; ils burent du vin jusqu’à s’eni-
vrer, puis ils s'entendirent pour cerner la maison de
l'homme fort afin de l’incendier. L'homme fort leur deman-
dant pourquoi ils se conduisaient ainsi, ils lui répondi-
rent : « Toute femme qui se marie passe d’abord par
vous; nous autres, nous ne saurions supporter cela et
c'est pourquoi nous venons pour vous brüler. » L’homme
fort répliqua : « Précédemment je m'étais refusé à agir
ainsiet c'est vous qui m'y avez forcé. » Cependant ces
gens ne l’écoutèrent pas etil le brûlèrent donc de manière
à causer sa mort.
Au moment où sa vie allait prendre fin, l’homme fort
prononça ce vœu : « Par la vertu de l’action méritoire que
j'ai accomplie en faisant des offrandes à Chü-li-fou (Càri-
putra) et à Mou-lien (Maudgalyäyana), puissé-je devenir
dans la région déserte un démon très puissant qui ex-
termine tous ces gens. » Après qu'il eut ainsi parlé, sa
vie prit fin. Puis il naquit dans la région déserte en qualité
de démon ; il exhalait une haleine fort empoisonnée et
tuait des multitudes d'hommes. Ilerrait constamment de-
ci et de-là dans les environs. Or il y eut des gens avisés
qui adressèrent cette demande au démon : « Vous tuez
maintenant des habitants en quantités innombrables;
vous ne parvenez' pas à manger toute cette chair qui
ainsi tombe en pourriture. Nous souhaitons que vous
nous permettiez de tuer des bœufs et des chevaux et de
vous donner chaque jour un seul homme. » À la suite de
cela, dans ce royaume, on tint une comptabilité de façon
à ce qu'il eût un homme pour chaque jour. Par ordre de
succession, ce fut le tour du notable Siu-pa-l'o-lo (Sudbha-
dra); Siu-pa-l'o-lo avait engendré un fils heureusement
TSA PAO TSANG KING (N° 410) 97
vertueux et beau et c'était maintenant ce fils que le
démon devait dévorer. Le notable songea : « Le Tathà-
gata est apparu dans ce monde pour sauver de peine
tous les êtres vivants. Mon souhait est que l’Honoré du
monde secoure et protège mon fils dans le péril où il est
aujourd'hui. » Le Buddha, qui se trouvait à Wang-chü-
ich'eng (Râjagrha), connut les sentiments du notable, Il
vint donc dans la région déserte où était ce royaume et
s'assit dans la salle principale du palais du démon. Quand
le démon de la région déserte vint et vit le Buddha, il fut
extrêmement irrité et dit au Buddha : « Cramana, sortez. »
Le Buddha sortit aussitôt. Mais, quand le démon entra
dans son palais, le Buddha y était déjà revenu. Il en fut
ainsi par trois fois. À la quatrième fois, le Buddha refusa
de sortir. Le démon lui dit : « Si vous ne sortez pas, je
ferai en sorte que votre cœur soit renversé; je vous pren-
drai par les pieds et je vous jetterai dans le fleuve Gange. »
Le Buddha répliqua : « Je n’ai vu personne dans le
monde, füt-ce même le deva Mära ou le deva Brahma, qui
fût capable de me prendre et de faire ce que vous venez
de dire. » Le démon de la région déserte reprit : « Soit,
soit; que le Tathâgata me permette de lui poser quatre
questions qu'il devra résoudre : En premier lieu, qui peut
franchir le courant impétueux (1)? En second lieu, qui
peut franchir la grande mer (2)? En troisième lieu, qui
peut délivrer de la douleur ? En quatrième lieu, qui peut
obtenir le Nirvâna ?» Le Buddha lui répondit: « La foi peut
franchir le courantimpétueux (âsravas); l'absence de négli-
gence (apramâda) peut franchir la grande mer (samsära);
la progression dans le bien (virya) peut délivrer de la
douleur; la sagesse (prajñà) peut obtenir le Nirväna .»
(1) Les Âsravas (de la racine sru — couler) sont le courant qui porte
l'homme à entrer en relations avec les choses sensibles. La foi permet
de franchir ce courant.
(2) Le samsära des naissances et des morts.
LIT. 7
98 TSA PAO TSANG KING (N° 411)
Quand (le démon de la région déserte) eut entendu ces
paroles, il prit aussitôt son refuge dans le Buddha et
devint disciple du Buddha. Il prit avec sa main le jeune
garçon (1) et le plaça dans le bol du Buddha; c’est pour-
quoi on donna à cetenfantle nom de X'ouang-ye-cheou (2).
Peu à peu, le jeune garçon grandit; le Buddha lui ayant
expliqué la Loi, il obtint la voie d’a-na-han (anâgamin).
Les bhiksus dirent : « Quand l’Honoré du monde appa-
rait ici-bas, c’est un événement fort rare. Ce démon si
méchant de la région déserte, le Buddha a pu le soumettre
et en faire un yeou-p'o-sai (upäsaka). »
Le Buddha dit : « Ce n’est pas seulement aujourd’hui
que de tels faits se sont passés ; il en a été de même autre-
fois (3) : entre le royaume de Æia-che (Kâcçi) et le royaume
de Pi-fi-hi (Videha), il y avait une vaste région déserte
où demeurait un méchant démon nommé Cha-lch'a-lou
(Sadaru ?) qui interceptait la route, en sorte que personne
ne pouvait passer. Or, il y eut un marchand nommé Che-
iseu (Simha) qui, à la tête de cinq cents marchands, vou-
lut prendre ce chemin. Les autres avaient peur et
n'osaient passer; le chef des marchands leur dit: « N'ayez
aucune crainte; tenez-vous seulement derrière moi.» Alors
il s’avança et alla à l'endroit où était le démon ; il lui dit :
« N’avez-vous pas entendu mon nom ? » Le démon répon-
dit : « J'ai entendu votre nom. » (Le marchand reprit :)
« Je suis venu dans l'intention de combattre contre
vous. » Le démon répliqua : « Que pouvez-vous faire
contre moi ? » Alorsle marchand prit son arc etses flèches
ettira sur le démon ; il lança cinq cents flèches, mais
toutes entrèrent dans le ventre du démon ; son arc, son
glaive et ses armes entrèrent toutes aussi dans le ventre
(1) Le jeune garçon qui avait été livré à l’ogre pour qu'il le dévorât.
(2) En. Huser a retrouvé la forme pâli de ce nom qui est Hatthâlavaka
B'ERE O5 voE-VE D 18;/n°2)
(3) Cf. Ie conte n° 89,t. I, pp. 347-351.
3
TSA PAO TSANG KING (N° 410) 99
du démon ; il s’avança pour combattre à coups de poing;
mais son poing (gauche) disparut dans le corps du démon ;
de même, quand il frappa de la main droite, sa main
droite resta prise; quand il lança un coup de son pied
droit, son pied droit resta pris; quand il lança un coup
de son pied gauche, son pied gauche resta pris; enfin il
frappa de sa tête et sa tête aussi resta prise. Le démon
prononça alors cette gâthà :
Vos mains, vos pieds el même votre lêle — sont tous
reslés adhérents à mon corps ; — que vous reste-t-il qui ne
soit pas adhérent à moi?
Le chef des marchands répondit par ces gâthas :
Maintenant mes mains, mes pieds el même ma lêle, —
loules mes richesses el mes armes (sont adhérents à
vous) ; — il ne me reste que mon énergie pour le bien
(vtrya) qui ne soit pas adhérente à vous ; — tant que celle
énergie ne se lassera pas, — le combat que je vous livre ne
cessera pas ; — maintenant, mon énergie n'est point lassée —
el jamais je n'aurai peur de vous.
Le démon répondit alors : « En considération de vous,
je laisserai libres les cinq cents marchands. »
Celui qui en ce temps était Che-iseu (Simha), c’est
moi-même; celui qui en ce temps était Cha-lch'a-lou
{Sadaru), c'est le démon de la région déserte.
(Trip., XIV, 10, p. 35 r°-v°.)
Le conseiller du roi Bimbisära se plaît aux enseignements
dn Buddha et cesse d’avoir de fréquents rapports sexuels avec sa
femme. Celle-ci, dans son irritation, projette de faire périr Île
Buddha ; elle l'invite donc et lui offre de la nourriture empoi-
sonnée. Le Buddha sait que la nourriture est empoisonnée ; il la
mange cependant en déclarant qu'il ne peut en éprouver aucun
mal, puisqu'il est capable de détruire les trois autres poisons bien
100 . TSA PAO TSANG KING
autrement violents qui sont l'avidité, la colère et l'égarement.
Le conseiller et sa femme conçoivent alors une foi sincère ; le
Buddha leur explique la Loi et ils deviennent srotâpannas, — Il
en a élé de même autrefois (1) : dans le royaume de Käçi, il y
avait un sage ministre nommé Pi f'ou-hi (Vidhura); un roi-
dragon nommé Ming-siang entend ses enseignements el espace
ses rapports sexuels avec sa femme. Celle-ci souhaite avoir le
cœur de Pi-Fou-hi pour l'offrir en sacrifice au feu, et son sang
pour le boire. Un yaksa entreprend de lui donner satisfac-
tion ; il se déguise en marchand de perles et offre au roi de Kâci
de jouer une perle qui fait se réaliser les désirs contre un enjeu
dont le conseiller Pi-Pou-hi sera la partie essentielle. Le yaksa
gagne etemmène Pi-fou-hi; mais Pi-Fou-hi lui fait observer que
son cœur et son sang sont identiques à ceux d’un autre homme
quelconque et n’ont de valeur que par la sagesse et la bonne doc-
trine qu'ils renferment ; 1l convertit le yaksa ainsi que le roi-dra-
son et la femme de ce dernier.
(Trip :XIV40; p:939#°.)
Le Buddha ayant triomphé à Crâvasti des six maîtres héréli-
ques, cinq cents Nirgranthas désespérés projettent de se faire
périr par le feu afin d'aller promptement dans une autre vie.
Mais le Buddha empêche le feu de prendre au bûcher qu'ils ont
préparé. Le Buddha étant entré dans le samädhi de feu, les Nir-
granthas croient trouver la fournaise dont ils ont besoin et s'y
précipitent ; mais ils ne rencontrent que fraîcheur au milieu des
flammes et, mis en présence du Buddha, ils se convertissent ; le
Buddha leur dit: « Soyez les bienvenus, à bhiksus » ; aussi-
tôt leur barbe et leur chevelure tombent et le vêtement religieux
couvre leur corps ; ils deviennent arhats. — Il en a été de même
autrefois (2): cinq cents marchands avaient été sur mer pour re-
cueillir des joyaux; ils en surchargent leur bateau; leur chef
nommé Pi-chü-k'ie (Viçäkha) les exhorte à en abandonner une
(1) Ce qui suit est un abrégé du Vidhurapandita jâtaka (Jätaka, n° 545).
(2, On ne voit guère le rapport entre ce qui va suivre et le récit qui
précède,
4
|
>
>
1
“TSA PAO TSANG KING 101
parlie ; mais, voyant que ses avis ne sont pas écoutés, il jette
tous les joyaux qui lui appartiennent dans la mer afin de sauver
les marchands ; le bateau se perd ; cependant un dieu de la mer,
touché de la conduite de Pi-chô-k'ie, a recueilli les joyaux jetés
par-dessus bord et les lui rend quand il aborde sur le rivage. Pi-
chô-k'ie en fait des largesses et entre en religion; les autres mar-
chands suivent son exemple.
CPP, XIV, 10: D, 30 7°.)
Le roi de Pan-tchô-lo (Pañcâla) a fait présent de cinq cents oïes
sauvages blanches au roi Prasenajit ; celui-ci les envoie au Jeta-
vana vihâra ; les oies entendent le Buddha expliquer la Loi en
émettant un seul son et toutes crient à l'unisson ; puis elles s’en-
volent et vont daps un autre lieu où un chasseur les prend avec
son filet ; au moment où elles vont périr, l’une d'elles émet le cri
semblable au son de l'explication de la Loi et toutes crient à
l'unisson; grâce à ce bon sentiment, elles naissent parmi les
devas Trayastrimças. Dans celte nouvelle existence, elles redes-
cendent auprès du Buddha entendent expliquer la loi et devien-
nent srotâpannas. Autrefois elles avaient été, au temps du Bud-
dha Kâcyapa, cinq cents femmes qui avaient accepté d'observer
les défenses ; mais, parce qu'elles violèrent cet engagement,
elles tombèrent dans cette condition d'animal; d’autre part,
parce qu'elles avaient reçu les défenses, elles purent rencontrer le
Tathâgata, entendre la Loi et obtenir la voie.
(Prop CIN 10 p.400 vs)
Devadatta lance contre le Buddha un éléphant ivre ; les cinq
cents arhats s’enfuient en volant dans les airs ; seul Ânanda reste
auprès du Buddha ; celui-ci n’a d'ailleurs qu'à étendre la main
droite pour faire apparaître cinq cents lions qui frappent de ter-
reur l'éléphant et l'empêchent de nuire. — Il en à été de même
autrefois : dans le royaume de Käci, il y avait cinq cents oies
102 TSA PAO TSANG KING (N° 411)
sauvages ; leur roi se nommait Lai-lch'a (Râsira) ; son ministre
se nommail Sou-mo (Soma). Le roi des oies est pris par un chas-
seur ; les cinq cents oies s'enfuient aussitôt en volant ; seul
Sou-mo reste auprès de lui. Sou-mo propose au chasseur de le
prendre au lieu du roi des oies ; le chasseur refuse et apporte
le roi des oïes au roi Fan-mo-yao (Brahmayus). Le roi des oies
émerveille le roi des hommes par ses discours sur l'imperma-
nence, la décadence, la maladie et la mort ; quant à Sou-mo, il
refuse avec modestie de prendre part à l'entretien, et se montre
par là aussi sage qu’il avait élé dévoué.
N° 411.
(Trip., XIV, 10, pp. 36 v°-38 r°.)
Kia-lchan-yen (K âtyâyana) explique au roi Ngo-cheng
(Canda) ses huil rêves.
Autrefois le Ngo-cheng (Can da, surnom de Pradyota, roi
d'Ujjayini) tenait une conduite perverse et cruelle ; il
n'avait aucun sentiment de compassion; leshérésiesétaient
alors florissantes. Or le Tathâgata grand Compatissant
(Mahâäkaruna) envoya ses disciples en tous lieux pour con-
vertir les divers royaumes. Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) était
issu de la caste des brahmanes du royaume du roi Vgo-
cheng ; c’est donc lui que le Buddha chargea de retourner
dans ce royaume pour en convertir le roi ainsi que tous les
habitants. ;
Quand le vénérable Xia-tchan-yen eut recu les instruc-
tons du Buddha, il retourna dans son pays d’origine; en
ce temps, le roi Vgo-cheng n'avait pas vu ce qui est droit
et vrai et il favorisait les doctrines hérétiques ; c'était une
règle constante pour lui de ne voir personne au commen-
cement de la matinée et d'aller d’abord se prosterner de-
TSA PAO TSANG KING (N° 471) 103
vant le sacrifice offert aux devas. Cependant Æia-lchan-
yen, qui se proposait d'ouvrir l'esprit du roi Ngo-cheng et
de le convertir, se leva de très bon matin ; il se trans-
forma en une autre personne et prit l'apparence d'un
messager venu de loin; il était beau de visage et parvint à
franchir la porte du roi. Quand il se trouva en présence
du roi, il reprit sa forme primitive et redevint çramana.
-Or le roi avait voué une haine toute particulière aux reli-
gieux tondus ; grandement irrité, il lui dit donc : « Main-
tenant votre mort est certaine. » Aussitôt il chargea des
gens de se saisir de Xia-lchan-yen dans l'intention de .le
faire périr. Æia-lchan-yen dit au roi : « Quelle faute
ai-je commise pour qu’on me fasse périr ? » Le roi répon-
dit : « Homme à tête rasée, votre vue porte malheur et
c’est pourquoi je veux vous mettre à mort. » Le vénérable
Kia-tchan-yen répliqua aussitôt : « S’ily a maintenant quel-
qu’un à qui cela ait porté malheur, c’est assurément moi
et non vous, Ô roi. En éffet, quoique vous m'ayez vu, vous
n’en avez pas éprouvé le moindre dommage, tandis que moi,
pour avoir été vu par vous, vous voulez que je sois mis à
mort. Si on raisonne sur ces faits, on dira que celui à qui
cela porte malheur, c’est bien moi. » Le roi était intelli-
gent de nature; quand il eut entendu ces paroles, il en
accepta le sens et fit relâcher Æia-lchan-yen. Il n'avait
plus de mauvais sentiments à son égard.
Il chargea secrètement deux hommes de le suivre par
derrière pour voir où il s’arréterait et ce qu'il boirait et
mangerait. Ces deux hommes virent que Kia-lchan-yen
s’asseyait sous un arbre et qu’il mangeait la nourriture
qu’il avait mendiée; lorsqu'il eut mangé, il partagea ce
qui restait entre ces deux hommes, et, quant aux menus
débris, il les jeta dans le fleuve. Ces deux émissaires
étant revenus, le roi les interrogea sur l'endroit où il s'était
arrêté et sur ce qu’il avait bu et mangé; ils lui rappor-
tèrent exactement ce qu'ils avaient vu.
104 TSA PAO TSANG KING (N° 411)
A quelques jours de là, le roi invita le vénérable Xia-
tchan-yen et lui donna une nourriture grossière, puis il en-
voya des gens lui demander si la nourriture qu’il venait
de manger lui avait agréé. Le vénérable répondit : « Cette
nourriture a une force qui est pleinement suffisante. » Un
autre jour le roi lui donna de la nourriture exquise, de
goût parfait, puis il envoya des gens lui demander si elle
iui avait agréé. X1a-tchan-yen répondit : « Cette nour-
riture a une force qui est pleinement suffisante. » Le roi
alors demanda au vénérable : « Lorsque je vous envoie
de la nourriture, qu’elle soit grossière ou qu'elle soit
exquise, comment se fait-il que vous déclariez qu’elle est
pleinement suffisante ? » Le vénérable Xia-lchan-yen ré-
pondit au roi : « La bouche de l’homme est comparable à
un fourneau qui sera chauffé aussi bien avec du santal
qu'avec du fumier ; de même la bouche de l’homme, que la
nourriture qu'on y met soit grossière ou soit exquise, sera
rassasiée à sa mesure. » Puis il prononca cette gâthà :
Ce corps est comme un char — qui ne choisit pas entre le
bon et le mauvais ; — l'huile parfumée et la graisse malodo-
rante — réussissent également à en faire tourner facile-
ment les roues.
Quand le roi eut entendu ces paroles, il reconnut bien
la grande vertu (de ÆXia-lchan-yen). Puis il donna aux
brahmanes de la nourriture grossière et de la nourriture
exquise. Quand les brahmanes reçurent d’abord la nour-
riture grossière, ils en conçurent tous de la colère et pro-
nonçèrent avec courroux des propos injurieux. Quand en-
suite on leur donna de la nourriture exquise, ils furent
joyeux et se répandirent en louanges. Lorsque le
roi vit que les brahmanes étaient contents ou irrités sui-
vant la nourriture qu'ils recevaient, il redoubla de confiance
et d'estime à l'égard de Kia-tchan-yen.
Or voici ce qui arriva au vénérable : une jeune fille hors
caste(tandâli, se trouvaitdemeurer dans un village de brah-
TSA PAO TSANG KING (N° 411) 105
manes en dehors de la ville ; elle avait de fort beaux che-
veux ; quand le moment de la retraite d’été fut arrivé,
elle éprouva le désir de faire des offrandes; elle coupa donc
ses cheveux pour les vendre et obtint ainsi cinq cents
pièces d’or qui lui permirent d'inviter X1a-lchan-yen pour
lui faire des offrandes pendant la retraite d’été. Lorsque
la retraite fut terminée, le vénérable Æïa-lchan-yen re-
tourna dans la ville.
En cetemps, dans le palais du roi Vgo-cheng ilarriva qu'il
y eut un faisan mort qui était tout semblable au faisan dont
se nourrit un roi Cakravartin ; le roi Vgo-cheng voulait le
manger ; cependant un ministre prudent lui dit: «Il ne faut
pas que vous mangiez immédiatement ce faisan, car il im-
porte que vous fassiez au préalable quelques essais avec
lui. » Le roi suivit ce conseil et chargea un homme de
couper un petit morceau du faisan pour le donner à un
chien ; quand le chien eut reçut ce morceau de viande, il
se plut avec tant d’avidité au goût de cette chair qu'il en
avala sa langue et mourut. On coupa encore un petit mor-
ceau de viande pour en faire un essai en le donnant à un
homme ; quand l’homme eut mangé cette chair, il en ap-
précia si fort la saveur qu'il en vint à dévorer sa propre
main et mourut. Ayant vu cela, le roi en conçut une grande
crainte ; il entendit dire que cette viande ne pourrait être
mangée que par un saint roi cakravatin ou par un homme
-possédant une connaissance sans défaut et ayant obtenu
la sagesse parfaite ; il chargea donc un de ses gens d'ap-
prêter habilement de cette excellente nourriture et de lap-
porter au vénérable Æia-lchan-yen. Quand celui-ci eut
mangé cet aliment, son corps se trouva en excellente santé.
Le lendemain, le roi envoya quelqu'un observer comment
il se portait; cet émissaire constata que Âta-lchan-yen
avait l’air calme et heureux, et qu'il paraissait deux fois plus
prospère qu'auparavant. Quand le roi en fut informé,ilen
conçut une estime toute particulière pour Xta-lchan-yen à
106 TSA PAQ TSANG KING (N° 411)
l'égard de qui il redoubla de respect tandis qu’il traitait
avec dédain les brahmanes hérétiques.
Le roi demanda à Xia-tchan-yen : « O vénérable, quelest
le lieu où vous avez passé la retraite cet été et d'où vous
venez en ce moment? » Le vénérable lui raconta en détail
comment la jeune fille hors caste (tandâli) avait vendu sa
chevelure et en avait employé le prix à entretenir l'assem-
blée des religieux. Quand le roi eut entendu ce récit, il pro-
nonça ces paroles : « De toutes les femmes de mon harem,
celles qui ont les plus beaux cheveux ne les vendraient pas
plus que quelques pièces de cuivre. Or vous dites que les
cheveux de cette femme valaient cinq cents pièces d’or;
c’est donc que ses cheveux étaient d’une beauté extraor-
dinaire ; son visage doit certainement être merveilleux. »
Il s’informa alors des noms du père et de la mère de la
jeune fille, puis il envoya un émissaire se rendre auprès
d'elle pour voir lui-même comment elle était; sa beauté
était en effet surprenante, ainsi qu’il l'avait supposé; le roi
chargea alors ses émissaires d'offrir des présents de fian-
çailles à la jeune fille pour qu’elle devint son épouse;
mais les parents de celle-ci exigèrent de grande richesses,
des villes et des villages. Le roise dit: « Si j'accorde à ces
gens ce qu'ils demandent, quand la jeune fille viendra, tout
cela m'appartiendra encore. » Il donna donc tout ce qu'on
voulait et prit la jeune fille pour femme. Le jour où il alla
«
à sa rencontre, le royaume entier se livra à
des réjouis-
sances et tous les habitants proclamaient que l'événement
était très heureux. Le lendemain, le roi publia une am-
nistie générale et donna à safemme le nom de Che-p'o-kiu-
cha (Givakoçà ?); il fut très heureux avec elle et lui té-
moigna beaucoup d’égards. Par la suite, elle enfanta un
prince-héritier dont le nom fut X’1ao-p'o-lo (Gopala).
Cependant le roi, tandis qu'il reposait dans sa couche,
eut huit rêves : le premier était que sur sa tête il y avait
un feu allumé ; le second, que deux serpents s’enroulaient
TSA PAO TSANG KING (N° 411) 107
autour de sa ceinture ; le troisième, qu'un réseau de fines
mailles de fer enserrait son corps; le quatrième, que deux
poissons rouges avalaient ses deux pieds; le‘cinquième,
que quatre grues blanches venaient en volant vers lui; le
sixième, qu’il marchait dans une boue de sang en enfon-
çant jusqu'aux aisselles ; le septième, qu'il était monté
sur une grand montagne blanche; le huitième, qu'un héron
dévorait sa tête. Quand il se fut réveillé, il pensa que ces
rêves étaient de mauvais présage et il fut pénétré de cha-
grin et d'inquiétude. Il alla donc demander leur avis aux
brahmanes. Ceux-ci, qui étaient depuis longtemps aigris
| contre le roi et qui étaient jaloux du vénérable, profitèrent
|
|
|
ÉREU ER =:
des songes que leur avait racontés le roi pour lui dire :
« O grand roi, cela est de mauvais augure ; si vous ne dé-
tournez pas le mal sur d’autres êtres sur lesquels 1l s'é-
puisera, il vous atteindra vous-même. » Quand le roi eut
entendu ces paroles, il crut qu’elles étaient véridiques et
son chagrin redoubla ; il demanda donc : « Si on trans-
fère le mal sur d’autres êtres de manière à ce qu'il s'épuise
sur eux, quels devront être ces autres êtres ? » Les
brahmanes répondirent : « Les êtres auxquels il faudra
avoir recours sont ceux que vous estimez et aimez le plus;
si nous vous les nommons, vous ne pourrez certainement
pas suivre notre avis » Le roi répliqua : « Ces rêves
étaient très funestes ; ma seule crainte estque de grandes
calamités ne m'atteignent; en dehors de moi-même, il
n’est personne à qui je tienne. Veuillez donc medire de qui
je devrai me servir. » Les brahmanes, voyant son insis-
tance, reconnurent que ses sentiments étaient à leur paro-
xysme ; ils dirent alors au roi. « Voici les êtres dont il
faudra vous servir ; vos rêves étant au nombre de huit, il
sera nécessaire de recourir à huit sortes d'êtres pour pou-
voir détourner sur eux les calamités; en premier lieu
vous tuerez la femme que vous chérissez, Che-p'o-kiu-cha ;
en second lieu vous tuerez le prince-héritier que vous
108 TSA PAO T<ANG KING (N° 411)
aimez, K'iao-p'o-lo(Gopala) ; entroisième lieu, vous tuerez
votre principal ministre qui est votre soutien et votre con-
seiller ; en quatrième lieu, vous tuerez votre ministre en
second ; en cinquième lieu, vous tuerez votre éléphant
qui peut parcourir trois mille li en un jour; en sixième
lieu, vous tuerez votre chameau qui peut parcourir trois
mille /: en un jour; en septième lieu, vous tuerez votre
excellent cheval ; en huitième lieu, vous tuerez le chauve
Kia-lchan-yen (1). Dans sept jours, quand vous aurez
mis à mort ces huit sortes d'êtres, vous rassemblerez tout
leur sang et vous marcherez dedans; ainsi vous pourrez
anéantir les calamités. » Quand le roi eut entendu ces pa-
roles, il donna son assentiment parce qu'il tenait fort à sa
propre vie.
Revenu dans son palais, il s’abandonna à sa douleur et
à sa tristesse. Sa femme lui ayant demandé quelle en était
la cause, le roi lui exposa tout ce que nous avons dit plus
haut au sujet des huit rêves néfastes et de ce que les brah-
manes avaient déclaré nécessaire pour détourner sur
d’autres le mauvais effet de ces rêves. À ce récit, son
épouse lui dit : « Si on peutfaire ainsi que votre personne, :
à roi, reste sauve, il n’y a pas lieu de se chagriner ; com-
ment l’humble personne de votre servante vaudrait-elle
la peine qu’on en parle? » Elle dit ensuite au roi : « Dans
sept jours, je reviendrai pour mourir. Mais, permettez-moi,
pendant les six jours précédents de me rendre auprès du
vénérable ÆXia-lchan-yen pour y observer le jeûne et y
écouter la Loi. — Cela ne se peut pas, répondit le roi;
si vous allez vers lui, vous lui direz peut-être ce qui en est,
et, quand il sera informé, il pourrait m'abandonner en s’en
allant au loin. » Cependant, comme son épouse le priait
avec instances, le roi ne put pas lui refuser ce qu’elle
demandait et il l’'autorisa à partir.
(1) Par erreur, le texte écrit ici Xia-l'chan-Fan au lieu de Xia-lchan-yen.
ET I D RS 9 PT PRE ES
de DA GPO
TSA PAO TSANG KIxG (N° 411) 109
Quand l'épouse du roi fut arrivée auprès du vénérable,
ellese prosterna devant lui et lui demanda de ses nouvelles.
Quand trois jours se furent écoulés, le vénérable lui de-
manda avec surprise : « L’épouse du roi n’est jamais aupa-
ravant venue ici pour y passer deux nuits de suite. Pour-
quoi maintenant agit-elle autrement que d'habitude ? » La
femme lui raconta toute l’histoire des rêves néfastes du
roi, puis elle ajouta : « Au bout de sept jours, il faudra qu'on
nous tue afin de détourner sur nous les calamités ; il ne
me reste que peu de temps à vivre ; c’est pourquoi je suis
veaue écouter la Loi. » Quand elle eut exposé au vénérable
quels avaient été Les rêves du roi, le vénérable X1a-tchan-
yen lui dit : « Ces rêves sont de fort bon présage; il faut
s’en réjouir et ne point y voir un sujet d’affliction. Le feu
qui brûle sur la tête, c’est le présage que le royaume du
souverain des joyaux viendra apporter en tribut au roi une
couronne céleste du prix de cent mille onces d’or. Voilà
exactement ce que signifie ce songe. » La femme était in-
quiète, car le délai de sept jours allait être accompli ; elle
serait alors mise à mort par le roi et craignait que le mes-
sager porteur de la couronne n'arrivât trop tard ; elle de-
manda donc au vénérable quand celui-ci arriverait.
« Aujourd’hui même, lui répondit-il, entre trois et cinq
heures de l’après-midi, ilarrivera certainement. Les deux
serpents qui s’enroulent autour de la ceinture, c’est le pré-
sage que le roi du royaume des Yue-lche offrira deux épées
d’une valeur de cent mille onces d’or ; au coucher du soleil
(son ambassadeur) arrivera. Le réseau de fines mailles de
fer qui entoure le corps, c’est le présage que le roi du
royaume de Ta-ls'in offrira des pendeloques de perles
d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au point du
jour, (son ambassadeur) arrivera. Les poissons rouges qui
avalent les pieds, c’est le présage que le roi du royaume de
Che-tseu (Simhala — Ceylan) offrira des souliers précieux
en p'i-lieou-li (vaidürya) d’une valeur de cent mille onces
110 TSA PAO TSANG KING (N° 411)
d’or ; demain, à l’heure du repas, (son ambassadeur) arri-
vera. Les quatres grues blanches qui viennent, c’est le pré-
sage que le roi du royaume de Pa-k'i offrira un char pré-
cieux en or ; demain, au milieu du jour, (son ambassadeur)
arrivera. Le fait de marcher dans une boue de sang, c’est
le présage que le roi du royaume de Ngan-si (Parthie)
offrira un (vêtement) k’in-p'o (-lo) (kambala) en poils de
cerf d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au
moment où le soleil commence à descendre, (son ambas-
sadeur) arrivera. Le fait d'être monté sur une grande
montagne blanche, c'estle présage que le roi du royaume
de X’ouang-ye (Âtavi) offrira un grand éléphant ; demain,
entre trois et cinq heures de l'après-midi, (son ambassa-
deur) arrivera. Le héron qui dévore la tête du roi, c'est
le présage que le roi aura demain une affaire d'ordre privé
avec vous, son épouse ; c'est là une chose que vous con-
naîtrez demain. »
Tout se passa comme l'avait dit le vénérable, et, aux
moments qu'il avait fixés, les offrandes des divers royaumes
arrivèrent toutes. Le roi en fut extrêmement joyeux.
L'épouse Che-p'o-kiu-cha, qui avait déjà une couronne
céleste, mit par-dessus celle-ci la couronne céleste qu'avait
offerte le royaume du souverain des joyaux; par ma-
nière de jeu, le roi enleva la seconde couronne que por-
tait l'épouse Che-p'o-kiu-cha et la posa sur la tête de l’é-
pouse Xin-mun(àla chevelure d’or —Suvarna keçà). L’épouse
Che-p'o-kiu-cha s’en irrita et dit : « Naguère, quand il y
avait un malheur imminent, c'était moi qui devais être la
première à le subir. Maintenant, quand vous avez obtenu
cette couronne céleste, vous la posez sur la tête d'une
autre ! » Elle prit alors un bol de lait et le jeta à la tête
du roi ; la tête du roi en fut toute inondée. Très irrité, le
roi tira son épée pour en frapper son épouse ; celle-ci, crai-
gnant le roi, s'enfuit dans son appartement et en ferma la
porte en sorte que le roi ne put aller plus avant. Mais alors
TSA PAO TSANG KING (N° 411) . 111
le roi revint à résipiscence. Le vénérable lui expliqua son
rêve en lui disant : « Quand j'ai parlé d’une affaire d'ordre
privé, c'était précisément celle-ci. »
Le roi, en compagnie de son épouse, vint ensuite auprès
du vénérable Æia-lchan-yen et lui exposa tout ce qui
s'était passé : il avait ajouté foi à des paroles contraires à
la Loi, perverses et fausses, et il avait été près de tenir
une conduite très méchante à l’égard du vénérable, à
l'égard de sa propre épouse, de ses principaux ministres
et de tous les êtres qu’il aimait ; maintenant, il avait eu le
privilège que le vénérable lui avait expliqué la vraie doc-
trine et avait dissipé son aveuglement ; il avait donc pu
voir la sagesse correcte et s'éloigner des mauvaises pra-
tiques. Il pria alors le vénérable de recevoir ses offrandes,
puis il chassa les brahmanes et les éloigna de son terri-
toire.
Il demanda ensuite au vénérable pour quelle cause tous
ces royaumes lui avaient offert ce que chacun d’eux avait
de plus précieux. Le vénérable lui répondit : « Autrefois,
il y a de cela quatre-vingt onze kalpas, il y avait un Buddha
nommé P'i-p'o-che (Vipaçyin). Au temps où le Buddha appa-
rut dans le monde, il y avait un royaume nommé Pan-leou :
le prince héritier, fils du roi de ce royaume, se plaisait avec
foi à faire des progrès dans l'excellence ; il se rendit auprès
de ce Buddha, lui fit des offrandes et l’adora ; puis il prit
la couronne céleste qu’il portait sur sa tête, son épée, ses
pendeloques, son grand éléphant, son char précieux et son
vétement k’in-p'o-lo (kambala) et il offrit tout cela au Bud-
dha. Grâce à cette action fortunée, de naissance en nais-
sance il fut élevé en dignité ettous les objets précieux
qu’il pouvait désirer venaient à lui sans qu’il eût à les de-
mander ».— Quand le roi eut entendu ces paroles, il conçut
une vénérationet une foi profonde à l'égard de l'endroit
où étaient les trois Joyaux. Il témoigna son adoration,
puis retourna dans son palais.
112 TSA PAO TSANG KING
(Trip, XIV, 10, p: 98 F6
Le roi Ngo-cheng (Canda) aperçoit dans une salle d'un de ses
parcs un chat d’or qui traverse la chambre en allant de l’angle
nord-est à l'angle sud-ouest ; il fait creuser le sol et trouve une
cruche de bronze de la contenance de trente boisseaux pleine de
monnaie d’or ; puis il exhume deux autres cruches semblables à
côté de la première ; il continue ses recherches et, sur un espace
de cinq Li, il découvre des cruches analogues par groupes de
trois. Le vénérable X7a-tchan-yen (Kâtyâyana)lui donne l'expli-
cation du prodige : dans une existence antérieure le roi était un
pauvre homme qui donna à un bhiksu les trois pièces de mon-
naie qu'il avait gagnées en vendant du bois mort, et qui retourna
dans sa demeure éloignée de cinq li, se réjouissant à chaque pas
de la bonne action qu'il venait de faire.
(rap XENS 10 D 20-v":)
Le roi Ngo-cheng (Canda), se trouvant dans la ville de Yu-chan-
yen (Ujjayini), cinq cents chars portant des bols précieux pleins
de grains de céréales en or arrivent à la porte de la ville ; chaque
bol est scellé avec une bande portant la suscription : « Ce bol est
donné au roi Ngo-cheng. » Le vénérable X1a-tchan-yen (Kâtyà-
yana) donne la raison de ce miracle : dans une naissance anté-
rieure, le roi était un potier; or un Pratyeka Buddha cassa son bol
et vint en demander un autre au potier ; celui-ci en prit cinq qu'il
remplit d'eau et les lui donna avec joie. C’est la récompense de
celte bonne action que reçoit aujourd'hui le roi. Les bols précieux
ne se sont pas d’ailleurs produits d'eux-mêmes; ils viennent du
palais du nâga dans le fleuve Gange ; autrefois en effet, l'oncle du
roi Lo-mo(Râma),était un brahmane quitenaitune conduite pure;
le roi Lo-m lui ayant fait don d’un bol précieux plein de nour-
riture, ce brahmane mangea à sa suffisance, puis abandonna le
bol dans le Gange,; le nâga aveugle qui était dans le fleuve
recueillit ce bol, le remplit de grains de céréales en or et le plaça
TSA PAO TSANG KING (N° 412) 113
dans son palais ; avec le temps, ce bol se multiplia jusqu’à faire
la charge de cinq cents chars ; à la mort du nâga aveugle qui ne
laissait pas de fils, Cakra Devendra résolut de se servir des bols
précieux tombés en deshérence pour récompenser le roi VNgo-
cheng de sa bonne action d'autrefois,
N°12:
CÉRID RANCE D 68")
Histoire de celui qui priait le deva P'i-mo dans l'espérance
d'oblenir un grand bonheur.
Autrefois, un frère aîné et son frère cadet étaient de
pauvres gens : le frère aîné passait constamment ses jours
et ses nuits à adorer avec une ardeur extrême et à implorer
le deva P’i-mo fé (Bhima ?) dans l'espérance d'obtenir de
grandes richesses. Cependant, il envoyait son frère cadet
labourer les champs, semer et planter. Quand il eut ainsi
passé beaucoup de temps à faire ses demandes, le deva
P'i-mo prit un jour la forme du frère cadet et vint se pla-
cer à côté du frère aîné; celui-ci lui dit avec irritation :
« Pourquoi n'êtes-vous pas occupé à défricher et à planter
et que venez-vous faire ici ? » Son frère cadet lui répondit :
« Mon frère aîné, vous passez vos jours et vos nuits à
faire des prières dans le temple du deva et vous espérez
ainsi obtenir de grandes richesses. Moi, votre frère cadet,
je veux aujourd’hui vous imiter; en observant le jeûne
et les austérités et en formant des vœux, j'espère obtenir
de grandes richesses. » Le frère ainé répliqua : « Si vous
ne labourez pas les champs et si vous ne déposez pas des
semences,comment pourrons-nous obtenir les biens néces-
ITT. 8
114 TSA PAO TSANG KING (N° 412)
saires et l’abondance ? » Le frère cadet répondit : « C’est
donc bien à cause des semailles que nous obtiendrons
cela ? » Le frère aîné ne sut que répondre. Alors P’i-mo
reprit sa forme divine et lui dit: « L'aide que peut vous
donner ma puissance, c'est précisément aujourd’hui que
je vous la donne : c'est en pratiquant la libéralité qu’en-
suite on peut être riche. Dans vos existences antérieures
vous n’avez pas pratiqué la libéralité et c’est ce qui vous
a rendu pauvre ; maintenant, quand bien même vous m'im-
ploreriez jour et nuit, comment pourriez-vous obtenir
l’opulence et les richesses ? Pour prendre une comparai-
son, supposez qu'il y ait un arbre an-p’o-lo (âmra) et qu’on
soit en hiver; quand bien même on rendrait un culte à des
centaines ou à des milliers d’êtres divins en les priant de
donner des fruits (de cet arbre), ces fruits ne pourraient être
obtenus. Ainsi en est-il maintenant de vous : autrefois vous
n'avez pas accompli des actes causatifs, et c'est pourquoi,
quand vous vous adressez à moi pour implorer de moi de
grandes richesses, vous ne les obtiendrez pas. C’est quand
l’époque de la maturité est venue qu’on obtient les fruits
sans avoir même à les demander. » Puis il prononça cette
gâtha :
Les acles anciens qui produisent le bonheur sont comme la
malurilé pour les fruits ; — ce n’est pas par des sacrifices
aux dieux qu'on oblient le bonheur. — C’est en montant sur
le char de l'observation des défenses — que les hommes
peuvent plus tard aller en haut parmi les devas. — La fixilé
el la connaissance sont comme l'extinction d'une lampe ; —
elles permettent d'arriver au non-composé.— Toutes choses
sont oblenues comme des conséquences des actes qu’on à
commis ; — à quoi sert d'implorer les devas ?
TSA PAO TSANG KING (N° 413) 115
N° 413.
(Trip., XIV, 10, p. 88 v°.)
Hisioure de la mère des démons qui avail perdu son fils.
La mère des fils-démons était la femme du vieux (1) roi
des démons Pan-chü-kia (Pâñéika) (2) ; elle avait dix mille
fils qui tous étaient doués de la force de grands athlètes
(malla). Le plus jeune s'appelait Pin-k'ia-lo (Piñngala).
Cette mère des tils-démons était méchante et cruelle ; elle
tuait les enfants des hommes pour s’en repaître. La popu-
lation, qui en était désolée, leva les yeux vers l'Honoré du
monde et se plaignit à lui. L’Honoré du monde prit alors
le fils Prin-k'ia-lo (Piñgala) et le plaça au fond de son bol
(pâtra). La mère des fils-démons parcourut le monde entier
et, pendant sept jours, rechercha (Pingala) sans le trouver.
Elle se livrait à l’affliction et à la désolation lorsqu'elle
apprit que des gens disaient: « On raconte que le Buddha,
l'Honoré du monde, est omniscient. » Elle se rendit donc
auprès du Buddha et lui demanda où se trouvait son fils.
Le Buddha lui répondit alors : « Vous avez dix mille fils.
Pour en avoir perdu un seul, comment se fait-il que vous
soyez désolée et affligée et que vous le recherchiez ? Dans
ce monde les hommes ont, les uns un seul fils, les autres
trois ou cinq fils; et cependant vous les faites périr. » La
mère des fils-démons dit au Buddha : « Si maintenant je
pouvais retrouver Pin-k’ia-lo (Piñngala), je ne tuerais plus
jamais les fils des hommes de ce monde, » Alors le Bud-
(1) Le mot Æ « vieux » ne figure que dans l'édition de Corée.
(2) Dans le Divyävadäna (p. 447), Pàñcika apparait avec le titre de
Yaksasenâpati « général des Yaksas ».
116 TSA PAO TSANG KING (N° 414)
dha fit voir à la mère des fils-démons Pin-k’ia-lo (Piñgala)
qui était au fond du bol (pâtra): Elle épuisa toutes ses
forces surnaturelles sans parvenir à le prendre. Elle revint
implorer le Buddha. Le Buddha lui dit: « Si aujourd’hui
vous pouvez accepter (les formules des) trois Refuges(triça-
rana) et des cinq Défenses (pancaveramani), et si jusqu’à
la fin de votre vie vous ne tuez plus, je vous rendrai votre
fils. » La mère des fils-démons acquiesça aussitôt à l'ordre
du Buddha et accepta (la formule des) trois Refuges ainsi
que celle des cinq Défenses ; quand elle les eut acceptées
pour les observer, son fils lui fut rendu. Le Buddha lui
dit: « Observez bien les défenses. Vous avez été au temps
du Buddha Æia-chà (Käçyapa) la septième et la plus jeune
fille du roi Xie-ki (1) ; vous avez accompli des actions
grandement méritoires ; mais, parce que vous n'avez pas
observé les défenses, vous avez reçu ce corps de
démon. »
NET:
(Pris NN A0 ED 09)
Histoire de celui qui voulait présider aux sacrifices
offerts à un deva.
Autrefois il y avait un brahmane qui rendait un culte au
deva Mo-che (Mahecvara) ; jour et nuit, il lui faisait des
offrandes. Le deva lui demanda alors : « Que désirez-vous
obtenir ? — Je souhaite maintenant, répondit le brahmane,
devenir celui qui préside aux sacrifices de ce deva. » Le
deva lui dit: « Il y a là-bas un troupeau de bœufs ; allez in-
(1) #à JL. Seule, l'édition de Corée donne par erreur la leçon #8 JA.
:
:
}
TSA PAO TSANG KING (N° 415) 117
terroger celui d'entre eux qui marche en avant. » Le
brahmane fit ce que lui disait le deva et alla demander à
ce bœuf : « Étes-vous présentement dans une situation
pénible ou heureuse ? » Le bœuf lui répondit: « J’endure
des peines extrêmes ; (l’aiguillon) me perce incessamment
les deux côtés; le bois de chauffage (qu’on me fait porter)
déchire mon échine qui est à vif; on m'’attelle pour tirer
des chars pesamment chargés et je “n'ai jamais de repos. »
Le brahmane lui demanda encore: « Pour quelle cause
avez-vous reçu ce corps de bœuf ? » Le bœuf répondit:
« J'étais celui qui préside aux sacrifices de ce deva ; à mon
gré et avec une application extrême, j'immolais les vic-
times offertes au sacrifice de ce deva. Quand ma vie eut
prit fin, je devins un bœuf et j'endurai tous ces tour-
ments. » Quand le brahmane eut entendu ces paroles, il
revint auprès du deva. Celui-ci lui demanda: « Désirez-
vous maintenant présider aux sacrifices ? » Le brahmane
répondit : « Puisque j'ai vu ce qui était arrivé, en vérité
je n’oserais pas remplir cet office. » Le deva reprit: « C'est
par leurs actions bonnes ou mauvaises que les hommes
obtiennent des rétributions appropriées. » Le brahmane
se repentit de ses fautes et se mit à pratiquer toutes sortes
d'actions excellentes.
NL
(PripeSXINS AUD. 0071)
Histoire de celui qui sacrifiail au dieu d'un arbre.
Autrefois il y avait un vieil homme dont la famille pos-
sédait de grandes richesses. Or, ce vieil homme souhaita
avoir de la viande à manger, et eut recours alors au stra-
118 TS\ PAO TSANG KING (N° 415)
tagème suivant : il désigna à ses fils un arbre qui était à
l'extrémité d’un champ et leur dit: « Si notre patrimoine
a pu augmenter régulièrement, c’est grâce aux bienfaits
dont nous a comblés le dieu de cet arbre. Il vous faut
maintenant prendre dans vos troupeaux un mouton pour
le lui sacrifier. » Alors les fils, obéissant à l’ordre de leur
père, tuèrent un mouton qu'ils offrirent à cet arbre avec
des actions de grâces; puis ils installèrent au pied de
l'arbre un sanctuaire du dieu.
Par la suite, le père mourut de vieillesse ; par l'effet de
ses actes antérieurs,il revint naître parmi les moutons de sa
propre famille. Or, il advintque ses fils voulurent sacri-
fier au dieu de l’arbre ; ils prirent donc un mouton et leur
choix tomba précisément sur celui qui avait été leur père.
Alors, le mouton dans ses bélements, dit en riant : « Quelle
divinité peut-il bien y avoir dans cet arbre que voici?
Autrefois, parce que je souhaitais avoir de la viande, je vous
ai engagé par tromperie à lui sacrifier et alors, en votre
compagnie, j'ai mangé de cette chair; maintenant l’expia-
uon de ce crime m'atteint moi seul le premier. »
Sur ces entrefaites, un arhat survint pour mendier sa
nourriture ; il s’aperçut que le père défunt avait reçu ce.
corps de mouton; alors il prêta aux propriétaires (des mou-
tons) sa vue surnaturelle et les engagea à observer par
eux-mêmes (1); aussitôt ils reconnurent que c'était leur
père (qu'ils allaient immoler) ; ils en concurent du déplaisir
etabattirent aussitôt l'arbre et son dieu ; ils se repentirent
de leurs fautes et pratiquèrent des actes producteurs de
bonheur; ils ne tuèrent plus désormais aucun être
vivant.
(1) Le mouton parle en bélant, et c’est pourquoi il n'est pas compris
de ses fils. Il faut la venue de l'arhat pour que les fils reconnaissent que
ce moutonn'est autre que leur père défunt.
| M
| à
| É
È
‘4
d
TSA PAO TSANG KING (N° 416) 419
N°16;
CLP AIN A0, p:99 7°)
Histoire de la femme qui, lasse des désirs
sensuels, entra en religion.
Autrefois il y avait une femme d’une beauté merveilleuse
qui entra en religion dans une secte hérétique pour pra-
tiquer la sagesse. Les gens de ce temps lui demandèrent:
« Quand on a un visage comme le vôtre, on doit rester
dans la vie séculière ; pourquoi entrer en religion ? » Cette
femme répondit: « En ce qui me concerne, si maintenant
j'entre en religion, ce n’est pas parce que je ne suis plus
belle, mais c’est parce que, depuis peu, j'ai en horreur
les désirs pervers et débauchés. Lorsque j'étais encore
dans ma famille, je fus, à cause de ma grande beauté,
mariée fort jeune et je mis au monde de bonne heure un
fils ; ce fils devint grand ; ilétait d’une beauté sans égale ;
mais je vins à m'apercevoir qu'il maigrissait et dépérissait
comme s’il eût été malade ; je demandai donc à mon fils
de quel mal il souffrait ; il refusa de me le dire ; cependant,
comme je ne cessais pas de l’interroger, il ne put plus se
contenir et me déclara : « Si je ne vous l’avoue pas, il est
à craindre que ma vie ne prenne fin; si je vous l’avoue, je
serai couvert de confusion. » Il me dit alors: « Je désire
vous posséder, ma mère, pour satisfaire ma passion ; c'est
parce que je ne vous possède pas que je suis malade. » Je
lui répondis : « Jamais il n’y a eu chose pareille! » Mais
ensuite je songeai que, si je n’accédais pas à son désir,
mon fils peut-être pourrait mourir et qu'il valait mieux
manquer à mon devoir pour sauver sa vie. Je l’appelai donc
120 TSA PAO TSANG KING (N°° 416-417-418)
dans l'intention d'accéder à son désir ; mais au moment où
mon fils allait monter sur le lit, la terre se fendit et mon
fils fut précipité tout vivant (dans le gouffre). Prise de
terreur je voulus le retenir avec la main, mais je ne pus
saisir que ses cheveux; or, maintenant, ces cheveux de
mon fils, je les ai encore dans mon sein. Profondément
émue par cette aventure, j'entre donc en religion. »
Norr,
(rip XIV:40; p-39N°7)
Histoire du fils qui ful cruellement puni
de son manque de piélé filiale.
Antrefois, dans le royaume de Æ1a-mo, dans le village
de Xteou-lo-chan (Kutasanda ), il y avait une vieille mère
qui n'avait qu'un seul fils. Ce fils était désobéissant et ne
pratiquait ni la bonté ni la piété filiale; une fois qu'il était
irrité contre sa mère, il leva la main sur elle et la frappa
d'un coup. Ce jour-là même, étant sorti, il rencontra
des brigands qui lui coupèrent un bras. Son manquement
à la piété filiale reçut donc une rétribution immédiate.
Felles furent ses souffrances, et, plus tard, dans les en-
fers, il subit des tourments dont on ne saurait faire le
compte.
NS NES
(Zrip.; XIV, 10, pp. 39 v°=A0 r°.)
Entreliens du roi Nan-lo (Ménandre) et de Na-k'ia-
sseu-na (Nâgasena)
Autrefois le roi Nan-Fo (Ménandre) était doué d’une
grande intelligence et d’une perspicacité étendue ; il n’était
TSA PAO TSANG KING (N° 418) 121
rien sur quoi il ne fût instruit; il disait que, pour son
savoir, il ne pouvait avoir aucun rival. Il demanda donc à
ses ministres : « Y a-t-il un homme sage et habile à dis-
cuter qui, consulté sur des questions douteuses, soit ca-
pable de me répondre ? » Or, un des ministres entretenait
depuis quelque temps dans sa demeure un vieux bhiksu
qui menait une vie pure mais qui n'avait pas cependant
des connaissances étendues. (Ce vieux bhiksu) étant venu
causer avec le roi, celui-ci lui demanda : « Ceux qui ob-
tiennent la sagesse, l’obtiennent-ils en restant dans le
monde ou en sortant du monde ». Le vieux bhiksu répon-
dit alors : « Dans les deux conditions on peut l'obtenir. »
« Si on peut l'obtenir dans les deux conditions, répliqua
le roi, à quoi sert de sortir du monde ? » Le vieux bhiksu
fut aussitôt réduit au silence et ne sut que répondre. Le
roi Van-l'o (Ménandre) n'en devint que plus arrogant.
En ce temps, ses ministres dirent au roi : « Va-k'1a-sseu-
na (Nâgasena) a une sagesse qui l’emporte sur le commun
des hommes ; il est actuellement dans les montagnes. »
Alors le roi, voulant le mettre à l'épreuve, lui envoya un
messager porteur d'un vase de lait fermenté qui était
plein jusqu'aux bords ; le roi voulait signifier par là
« Ma sagesse est complète ; qui pourrait y rien ajouter ?»
Quand /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) eut recu le vase, il.
comprit quel était le sens (de cet envoi) ; il recueillit
parmi ses disciples cinq cents aiguilles qu’il enfonça dans
le lait fermenté sans que celui-ci débordât; puis il ren-
voya {le tout) au roi. Quand le roi l’eut reçu, il comprit
quelle avait été sa pensée et dépêcha aussitôt un messager
pour inviter /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) à venir; celui-ci
se rendit à l’ordre du roi. Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) était
de haute stature, et, comme il avait emmené avec lui
tous ses disciples, il émergeait singulièrement de leur
foule. Le roi était pénétré d’arrogance ; sous le prétexte
d’aller à la chasse, il fit en sorte de le rencontrer sur la
122 TSA PAO TSANG KING (N° 418)
route ; quand il eut vu sa haute stature, il indiqua lui-
même (à ses gens) un autre chemin et partit sans lui avoir
adressé aucune parole. Il méditait secrètement de le
mettre en défaut, mais personne des notables n’en savait
rien. Cependant Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) se servit alors
de son propre doigt pour indiquer sa poitrine en disant :
« Moi pourtant je sais (ce que médite de faire le roi). »
Le roi Van-fo, se proposant d'inviter (Nâgasena) à
venir dans son palais, imagina de faire une petite cham-
bre dont la porte était extrêmement basse ; il espérait
obliger ainsi (Na-k'ia-sseu-na à se présenter à lui dans
une posture inclinée. Mais ce (Va-k’ia)-sseu-na), qui
savait qu’on voulait le faire tomber dans un piège, se
refusa à entrer et ne subit pas cette humiliation.
Puis le roi Van-lo prépara à boire et à manger et
donna (à Nâgasena) plusieurs sortes de mets grossiers;
quand (Nâgasena) en eut mangé quelques cuillerées, il
déclara qu'il était rassasié. Mais on lui présenta ensuite.
des mets exquis etil se remit à manger. Le roi lui dit :
« Vous aviez dit précédemment que vous étiez rassasié ;
comment se fait-il que vous vous remettiez à manger ? »
(Na-k'ia-)sseu-na lui répondit : « J'étais rassasié de nour-
riture grossière, mais je n'étais pas encore rassasié de
nourriture exquise. » Il dit alors au roi : « Maintenant,
veuillez, Ô roi, rassembler dans la salle une multitude
d'hommes, de manière à ce qu'elle soit entièrement
pleine. » On appela donc des gens pour remplir complè-
tement la salle, de sorte qu’il n’y avait plus aucun espace
vide ; le roi vint après tous les autres, et, comme il se
proposait d'aller en haut de la salle, les hommes, par
crainte de lui, se comprimèrent leurs ventres ; au milieu
d'eux se produisit un espace libre qui aurait pu livrer
passage à plusieurs hommes. (Va-k'ia-\sseu-na dit alors
au roi : « La nourriture grossière est comme les gens du
peuple ;lanourriture exquise est comme le roi. Quand ces
TSA PAO TSANG KING (N° 418) 123
gens sont en présence du roi, quel est celui d'entre eux
qui ne s’écarterait de son chemin ? »
Le roi lui demanda encore ceci : « Est-ce en sortant du
monde ou en restant dans la vie laïque qu’on obtient la
sagesse ? » (Na-k’ia-jsseu-na) répondit : « Des deux
manières on obtient la sagesse. » Le roi reprit : « Si on
l’obtient de l’une et de l’autre façon, à quoi bon sortir du
monde ? » (Va-k'ia-)sseu-na répondit : « Prenons une
comparaison : pour aller dans un endroit situé à trois
mille /t d'ici, si vous envoyez un homme jeune et fort,
monté sur un cheval, pourvu de provisions de bouches,
et muni d’ustensiles et d'armes, cet homme pourra-t-il
arriver promptement à destination? » Le roi ayant ré-
pondu qu'il le pourrait, (Na-k'ia-) sseu-na reprit : « Si
vous envoyez un homme vieux, monté sur un cheval éti-
que et dépourvu de vivres, cet homme pourra-t-il par-
venir à destination ? » Le roi répondit : « Même si on lui
fournissait des vivres, je craindrais qu'il ne parvint pas (au
terme de son voyage); combien plus, s'il n’a pas de
vivres. » (Na-k'ia-sseu-na) dit alors : « Celui qui sort du
monde pour obtenir la sagesse est comparable à l’homme
jeune et fort; celui qui reste dans la vie laïque pour obte-
nir la sagesse est semblable à l’homme vieux. »
Le roi posa encore la question suivante : « Maintenant
je désire vous demander ceci : Le moi qui est constitué
par les choses qui sont dans mon corps, est-il permanent
ou impermanent ? Répondez-moi d’une manière qui me
satisfasse. » (Na-k'ia-) sseu-na demanda à son tour : « Les
fruits de l'arbre ngan-p'o-lo (âmra) qui est dans le palais
du roi sont-ils doux ou acides? » Le roi répondit :
«Dans mon palais il n'y a aucun arbre de cette sorte; com-
ment pouvez-vous me demander si ces fruits sont doux
ou acides ? » {Va-k'ia-)sseu-na reprit : «Je vous répondrai
moi aussi de la même manière ; tout l’ensemble des cinq
viscères ne constitue point le moi ; comment pouvez-vous
124 TS$A PAO TSANG KING (N* 418)
me demander sice moi est permanent ou impermanent ? »
Le roi posa encore cette question : « Dans la multitude
des enfers, quand des lames tranchantes dépècent le corps
et le dispersent en tous lieux, est-il vrai que l’individua-
lité subsiste toujours ? » (Na-k’ia-)sseu na répondit : « Pre-
nons une comparaison : quand une femme mange des
gâteaux, de la viande, des melons, des légumes, tous ces
aliments se dissolvent et se transforment ; mais quand elle
devient enceinte, au moment du ko-lo-lo (kalala, l’em-
bryon à son premier degré) il n'y a encore qu’une minus-
cule poussière ; comment se fait-il que celle-ci se déve-
loppe de plus en plus sans se dissoudre et sans se
transformer ? » Le roi répondit : « C’est un effet de la
force du karman. — Dans les enfers, répliqua (Va-
l’ia-) sseu-na, c’est de même par la force du karman que
le principe de l’individualité peut se conserver. »
Le roi posa encore cette question : « Quand le soleil est
au firmament, sa forme reste toujours identique à elle-
même ; comment se fait-il qu’en été il soit très chaud et
qu'en hiver il soit très froid, qu’en été les jours soient
longs et qu’en hiver les jours soient courts ? » (Na-k'ia-)
sseu-na répondit : « Sur la montagne Stu-mi (Sumeru) il
y a une voie supérieure et une voie inférieure ; en été,
le soleil passe par la voie supérieure ; le chemin est plus
lointain et le parcours est plus lent ; (en outre, le soleil)
se réfléchit sur la montagne d'or; voilà pourquoi les
jours sont longs et pourquoi il fait chaud. En hiver,
le soleil passe par la voie inférieure ; le chemin est plus
proche et le parcours est plus rapide ; (en outre, le soleil)
se réfléchit sur l’eau de la grande mer; voilà pourquoi les
Jours sont courts et pourquoi il fait très froid. »
TSA PAO TSANG KING (N° 419) 125
N° 419.
(Trip, XIV, 10; p..A0 r°.)
Histoire de l'épouse dépourvue de piété filiale, qui, voulant
faire périr sa belle-mère, tua son mari.
Autrefois, il y avait une femme mariée qui était de
méchant caractère et qui ne se conformait point aux rè-
gles rituelles. Dans tout ce qu’elle disait et faisait, elle se
trouvait en désaccord avec sa belle-mère; comme elle
subissait les reproches irrités de sa belle-mère, elle en
conçut un ressentiment dont elle ne pouvait se détacher ;
ses sentiments de haine ayant atteint leur paroxysme, elle
résolut de faire périr sa belle-mère et elle eut recours au
moyen suivant; elle conseilla à son mari de tuer lui-
même sa mère. Comme cet homme était sot et insensé,
il suivit ses avis ; il emmena donc sa mère dans un endroit
désert; 1l lui lia les pieds et les mains et il s’apprêta à la
mettre à mort ; mais l’énormité de ce crime provoqua une
émotion qui pénétra jusqu’au ciel; des nuages et des
brouillards s’accumulèrent dans les quatre directions de
l'espace et, à cause de cela, un coup de foudre descendit
qui foudroya cet homme. La mère revint alors à la maison.
Quand l'épouse lui ouvrit la porte, elle crut avoir affaire à
son mari et lui demanda : « La mise à mort est-elle
accomplie? » Sa belle-mère lui répondit : « Elle est
accomplie. » Le lendemain, quand il fit jour, l'épouse
reconnut que c'était son mari qui était mort. Telle fut la
punition immédiate que reçut cet homme pour avoir com-
mis un crime contre la piété filiale ; ensuite, il entra dans
les enfers et y subit des tourments illimités.
126 TSA PAO TSANG KING
(Trip., XIV, 10, p. 4o r°-v°) {1).
Chaque nuit, le roi de Bénarès entend dans le cimetière une
voix qui l'appelle. Il charge un homme brave d'aller voir ce qui
en est. Cet homme se trouve dans le cimelière en présence d’un
dieu des richesses qui lui annonce que lui-même et sept com-
pagnons viendront lui rendre visite le lendemain sous la forme
de religieux ; il n’aura qu'à frapper avec un bâlon sur la tête de
chacun de ces religieux et ceux-ci se transformeront aussitôt en
autant de monceaux d’or. Le lendemain, tout se passe de la sorte.
Mais un barbier, qui a vu secrèlement la scène, projette d’en
faire autant ; il invite chez lui huit religieux et assène à chacun
d'eux un grand coup de bâton. Il ne réussit qu’à les assommer
el est arrêté par les gens du roi.
EPIpas XIV 10 pDA0x°)
Un vieux bhiksu dont l'âge a émoussé les facultés intellec-
tuelles, demande à de jeunes bhiksus de lui donner les quatre
fruits de la saintelé. Ces jeunes gens, qui veulent se railler de
lui, le font asseoir dans un coin de la chambre et lui assènent
un coup sur la têle avec un ballon de cuir en lui disant : « Voilà
le fruit de srotâäpanna ». Le vieux bhiksu est si absorbé dans sa
méditation, qu'il ne s'aperçoit pas du mauvais tour qu’on lui a
joué ; il obtient en effet le fruit de sroläpanna. La même scène
se répète pour le fruit de sakrdägâmin, pour le fruit d’anâgâ-
min et pour le fruit d’arhat. Quand le jeu a pris fin, les Jeunes
sens s’aperçoivent avec stupéfaction que le vieux bhiksu est
effectivement devenu un arhat et ils se repentent vivement de
leur sotte conduite.
(1) Ce conte a été traduit par Ed.-Huber {B. E. F. E. O. vol. IV, pp. 707-
709 qui l'a rapproché du premier conte du cinquième livre du Pantatantra.
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RP, SENS 10, D. 4 2rp0.)
_ Une femme très croyante demande à un vieux bhiksu de lui
expliquer la Loi ; le bhiksu, qui s’en sait incapable, s'esquive en
profilant de ce que la femme a fermé les yeux pour le mieux
entendre ; quoique n'entendant rien, la femme resle attentive,
et, par la force de sa méditation, elle obtient le premier fruit de
la sainteté. Elle en exprime plus tard ses remerciements au
vieux bhiksu qui se sent couvert de confusion.
Ne -1202
Crine, KIN A0 DD mr)
Histoire du roi Yeou-lo-sien (Udasena.
Autrefois, le roi Yeou-lo-sien (Udasena) demeurait
dans la ville de Lou-lieou (Roruka) ; il était intelligent et
perspicace et possédait une grande sagesse. Sa première
épouse se nommait Yeou-siang (Laksanavati ; elle avait
une beauté merveilleuse et en même temps elle agissait
avec vertu ; le roi l’aimait et l’estimait fort et il avait pour
elle une affection extrême. C'était la règle en ce pays que
le roi ne jouât pas lui-même du luth (vinâ); cependant,
cette épouse ayant confiance dans l'affection qu’elle inspi-
rait, dit au roi: « Je désire que vous me jouiez du luth;
quant à moi, je danserai pour vous être agréable. » Le roi
ne put résister à son désir; il prit le luth et joua; sa
femme leva alors les mains etse mit à danser. Le roi était
fort versé dans l’art de discerner les pronostics ; quand il
vit sa femme danser, il remarqua sur elle des pronostics
de mort; il lâcha aussitôt le luth et, plein de chagrin,
128 TSA PAO TSANG KING (N° 420)
poussa de profonds soupirs. Sa femme lui dit: « Comme
je jouis de votre faveur, à roi, je me suis permis dans cette
chambre retirée de vous inviter à jouer du luth et je me
suis levée moi-même pour danser afin que nous nous ré-
jouissions ensemble. Quelle cause de mécontentement vous
fait abandonner le luth et soupirer ? Je désire, Ô roi, que
vous ne me cachiez rien et que vous me parliez ouverte-
ment. » Le roi lui répondit: « Ce qui me fait pousser de
profonds soupirs, c’est une chose que vous ne sauriez en-
tendre. » Sa femme répliqua : « Maintenant, à roi, je vous
sers avec une sincérité sans seconde ; si j'ai commis quel- :
que manquement, il faut que vous me donniez un aver-
tissement. » Comme elle ne cessait pas ses instances, le
roi lui dit la vérité: « Comment aurais-je pu changer de
sentiments à votre égard ? Quand vous vous êtes naguère
levée pour danser, des pronostics de votre mort me sont
apparus ; j'estime que vous n'avez plus que sept jours à
vivre ; voilà la raison pour laquelle j'ai lâché mon luth et
j'ai soupiré. » En entendant ces paroles, son épouse fut
pleine de tristesse et de crainte ; elle dit au roi: « Puis-
qu'il en est comme vous venez de le dire, Ô roi, ma des-
tinée ne sera sans doute plus longue. Or j'ai entendu dire
à la bhiksuni Che-che (maison de pierre — Çailà) que, si une
personne peut avec un cœur croyant entrer en religion,
ne füt-ce que pendant un seul jour, certainement elle
obtiendra de renaître parmi les devas. C’est pourquoi donc
je veux entrer en religion et je désire que vous m’y auto-
risiez. Dès que j'aurai obtenu cette permission, je me
mettrai en route.» Cependant le roi était fortépris; l'amour
dont il la favorisait n’était point éteint; il dit donc à son
épouse : « Au commencement du sixième jour je vous don-
nerai mOn autorisation pour que vous sortiez du monde et
que vous entriez en religion et je ne m'opposerai plus à
votre désir. » Quand le sixième jour fut arrivé, le roi dit
à son épouse : « Vous avez d'excellents sentiments et vous
TSA PAO TSANG KING (N° 420) 129
désirez sortir du monde ; si vous obtenez de renaître
comme devi, ne manquez pas de venir me voir. À cette
condition je vous autoriserai à sortir du monde. » Quand
il eut fait ce serment, son épouse consentità ce qu'il exi-
geait et alors elle put sortir du monde. Elle reçut les huit
défenses; mais, ce jour-là même, comme elle avait bu beau
coup de sirop de miel, elle eut un embarras gastrique et,
le septième jour au matin, sa vie prit fin. Grâce à l’excel-
lente cause (qu'elle s'était assurée en entrant en religion),
elle obtint de naître parmi les devas. Elle conçut alors
trois pensées : la première consistait à se rappeler quel
avait été son corps d'autrefois ; la seconde consistait à se
demander quelle action méritoire elle avait accomplie
comme cause antérieure ; la troisième consistait à songer
que présentement elle avait certainement un corps de devi,
Quand elle eut eu ses pensées, elle connut quelle était la
cause antérieure et en même temps quel était le serment
qu’elle avait fait avec le roi. En vertu donc de ce serment
d’auparavant, elle vint rendre visite au roi. En ce moment,
un éclat illumina tout le palais du roi; le roi demarda :
« Ce merveilleux éclat qui apparaît maintenant, à cause
de qui se produit-il ? Je désire qu'on me le révèle. » La
devi lui répondit: « Je suis votre femme, l'épouse Yeou-
siang. » Quand le roi eut entendu cette parole, il désira
qu’elle vint s'asseoir auprès de lui. Mais la devi lui répon-
dit: « En ce qui me concerne, je considère que votre corps
est souillé et je ne puis me rapprocher de vous intimement.
À cause de mon serment d’auparavant, je suis venue vous
voir. » En entendant ces mots, le roi sentit son cœur s’ou-
vrir à la compréhension et il dit: « Cette devi que voici
était autrefois ma femme ; parce qu’elle avait des senti-
ments excellents, elle a demandé à entrer en religion ; elle
est sortie du monde pendant un seul jour, puis sa vie prit
fin ; à cause de cette action méritoire elle a obtenu de re-
naître en qualité de devi. Sa pensée divine est haute et
QUE 9
13) TSA PAO TSANG KING (N° 420)
s'étend au loin; aussi me considère-t-elle comme vil et
méprisable. Pourquoi donc maintenant ne sortirais-je pas
du monde ? J'ai entendu dire autrefois qu’un seul ongle
d'un deva vaut tout le Jambudvipa; à plus forte raison
mon seul royaume ne mérite-t-il pas qu'on y tienne. »
Quand il eut ainsi parlé, il mit sur le trône son fils Wang-
kiun (Râjasena) pour qu'il lui suecédât dans la dignité
royale ; il sortit du monde, étudia la doctrine et obtint de
devenir arhat.
Or, le roi Wang-kiun, s'étant mis à gouverner le royaume,
accorda sa confiance à des hommes habiles à calomnier et
ne se soucia plus des intérêts du royaume. Le roi Yeou-l'o-
sien (Udasena) songea avec pitié à son fils ainsi qu'aux
habitants du royaume et il forma le projet d'aller les con-
vertir pour qu'ils rentrassent dans la bonne voie. Quand le
le roi Wang-kiun (Râjasena) apprit que son père allait arri-
ver, il en eut des transports de joie illimités et voulut or-
donner à tous les habitants d'aller à sa rencontre sur la
route. Mais ses ministres calomniateurs, craignant d'être
renvoyés, dirent au roi: « Présentement, 6 roi, vous por-
tez sur votre tête la couronne céleste et vous êtes assis sur
le trône de lion (simhäsana). Or, c'est la règle que deux per-
sonnes ne peuvent s'asseoir à la fois sur le trône de lion ;
si vous amenez ici le roi votre père, il reprendra la dignité
royale et certainement vous fera périr. Si vous voulez con-
server le pouvoir, il faut tuer le roi votre père. » Le roi
Wang-kiun se sentit alors tout triste et déconcerté; il
hésitait sans cesse entre divers partis; comme les remon-
trances qu'on lui adressait ne cessaient pas, il conçut une
mauvaise pensée et fit appel à un candâla pour tuer son
père.
Quand le Candâla eut reçu cette mission, il se rendit
auprès du vieux roi et l’adora en se prosternant, puis il lui
dit: « Auparavant, quand je suis venu ici, j'ai recu des
bienfaits de vous ; aussi n’ai-je point en réalité le désir de
TSA PAO TSANG KING (N° 420) 131
vous nuire. Mais maintenant on m'a chargé de venir vous
tuer ; si je ne vous fais pas périr, c'est certainement moi
qu’on punira de mort.» Le vieux roi répondit : « Si je suis
venu présentement, c'était dans le désir de convertir votre
voi. Comment pourrais-je tenir à ma personne au point de
causer votre condamnation à mort?» Alors il allongea
‘son cou jusqu'à ce quil fût long de plus de cent pieds,
puis il dit au tandâla : « Coupez-le comme il vous plaira. »
Aussitôt Le candâla le frappa avec un glaive de toutes ses
forces, mais la lame ne put lui faire aucune blessure. Le
vieux roi, ému de compassion, prêta alors au tandâla une
force surnaturelle, puis il lui dit : « Vous irez de ma part
dire ceci à votre roi : Maintenant vous avez tué votre père,
et, en outre vous avez fait périr un arhat; pour avoir com-
mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir, car
vous aurez ainsi accompli une faute qui se transmettra
(d'existence en existence). » Après que le Candàäla eut recu
ces instructions, il leva son glaive pour frapper de nouveau
et il coupa la tête du vieux roi; puis il la rapporta dans le
royaume.
Quand le roi Wang-kiun vit la tête de son père dont le
teint n’était point altéré, il comprit que son père avait
obtenu la sagesse et ne convoitait point la dignité royale;
des regrets alors lui vinrent; son cœur fut plein de cha-
grin ; à force de pleurer et de se lamenter, il perdit connais-
since ; au bout d’un long moment, quandil eutrepris con-
naissance, il demanda au Candâla quelles paroles avait pro-
noncées son père ; le Candâla révéla alors au roice que le
“vieux roi lui avait ordonné de dire: « Vous avez tué votre
père, et, en outre vous avez tué un arhat ; pour avoir com-
mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir. »
Quand le roi entendit ces paroles, son désespoir redoubla ;
il dit: « Maintenant le roi mon père avait obtenu la sagesse
d'arhat; comment aurait-11 convoitéle royaume? Cependant
on m'a fait tuer mon père. » Or, les ministres calomnia-
132 TSA PAO TSANG KING (N° 420)
teurs, craignant que le roi ne les fit périr, lui tinrent ce
langage : « Dans le monde comment y aurait-il des arhats ?
à roi, vous ajoutez foi à de vains propos et c’est pourquoi
vous vous affligez. » Le roi leur répondit: « Maintenant,
quoique mon pére soit mort depuis plusieurs jours, sa
tête n’a point changé de teint. S'il n'avait pas atteint la voie,
comment pourrait-1l en être ainsi? En outre, du temps de
mon père,les grands ministres Tie-che(Tisya) et Yeou-
p'o-lie-che (Upalisya) sont tous deux sortis du monde et
ont obtenu la voie d’arhat; ils ont fait toutes sortes de
miracles dont nous avons été témoins. A leur nirvâna, on
a recueilli leurs os et on a élevé des stüpas qui aujour-
d'hui existent encore. Comment dites-vous qu'il n’y a pas
(d'arhats) ? »
Les ministres calomniateurs répliquèrent : « Dans le
monde ceux qui s entendent aux recettes des incantations
et qui possédent les forces magiques sont eux aussi capa-
bles de faire des miracles. Les deux ministres dont vous
avez parlé n'étaient pas des arhats; d'ici quelques jours
nous vous en «donnerons la preuve. » Quand ils eurent
ainsi parlé, ils pratiquèrent un trou au pied de chacun des
deux stûpas, et, dans chaque trou, ils placèrent un chat;
ils donnaient à manger à ces chats auprès du stüpa, et,
quand ils disaient (à l’un deux): « Sors, Tie-che (Tisya), »
le chat sortait pour manger de la chair; quand ils lui di-
saient de s'en retourner, il rentrait dans son trou. Quand
ils eurent ainsi dressé les chats et que ceux-ci furent bien
dociles, ils dirent au roi: « Désirez-vous voir Tie-che et
son compagnon ? Nous souhaitons que vous veniez les vor
avec nous. » Le roi ordonna aussitôt d’atteler son char et
se rendit aupres des stüpas. Ces hommes calomniateurs
appelèrent «lors Tte-che (Tisya) en lui disant de sortir et le
chat sortit en ellet du trou; ils lui ordonnèrent de s’en
retourner el le chat rentra dans le trou. Quand le roi eut
vu cela, son cœur fut entièrement obscurci; il put penser
TSA PAO TSANG KING (N° 420) 133
sans difficulté à l’acte qu’il avait commis et ne crut plus
aux peines et aux félicités (futures).
Un jour, le roi fit sortir son armée et, après s’être pro-
mené pour se distraire, il s'en retournait lorsqu'il aperçut
sur le chemin le vénérable Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) qui
était assis correctement dans un endroit calme et qui,
plongé dans la contemplation, était entré dans l’état de sa-
mâdhi. Quand le roi le vit, il conçut aussitôt un mauvais
sentiment, et, prenant une poignée de terre, il en couvrit
de poussière le vénérable, puis il dit à ceux qui lPaccom-
pagnaient: « Que chacun de vous me fasse le plaisir de
jeter de la terre sur ÆXia-lchan-yen. » Alors la terre s’amon-
cela et fit disparaître le vénérable. Cependant un grand
ministre, qui mettait sa foi dans les trois Joyaux survint
peu après ; il fut informé de ce qui s'était passé et en
eut un chagrin extrême ; il s'empressa de dégager le véné-
rable de la terre qui l’entourait et dit aussi à tous ceux
quiétaient là: « Que ceux qui font cas de moi enlèvent cette
terre.» Or,le vénérable se trouvait assis dans une grotte
de lieou-li (vaidürya) ; sa divine personne était fraiche et
luisante et n’était point souillée par la terre. Le grand mi-
nistre plein de joie posa son visage en signe d’adoration
sur les pieds du vénérable et lui dit: « Maintenant le roi,
dépourvu de sagesse a commis ce méfait. Or le bien et le
mal reçoivent certainement leur rétribution. Comment
pourrait-il ne pas survenir de malheur? » Le vénérable
lui répondit: « Dans sept jours le ciel fera pleuvoir de la
terre qui remplira tout l’intérieur de cette ville et s’ac-
cumulera en une montagne. Le roi et tous les habitants
périront ensevelis. » Quand le grand ministre eut entendu
ces paroles, son cœur fut pénétré de tristesse ; il alla aus-
sitôt avertir le roi; d’autre part, il imagina un artifice et
creusa un souterrain qui débouchait en dehors de la ville.
Quand les sept jours furent accomplis, le ciel fit pleuvoir
des fleurs parfumées, des joyaux et des vêtements ; dans
131 TSA PAO TSANG KING (N° 420)
la ville il n’y eut personne qui ne fût joyeux. Les ministres
calomniateurs dirent au roi : «Ces heureux prodiges sont
entièrement dus à la vertu du roi. Un homme sans sagesse
a cependant prononcé de mauvaises paroles ; il a dit qu'il
y aurait une pluie de terre et c’est des joyaux que nous
obtenons. » Tels étaient les discours trompeurs qu'ils
tinrent à plusieurs reprises. Les gens qui avaient une mau-
vaise prédestination, apprenant qu'il y avait des prodiges
excellents, accoururent tous comme des nuages. Or, aux
quatre portes de la ville, par la force de causes cachées,
des barrières de fer tombèrent en sorte qu’il n’y eut plus
aucune issue pour s’enfuir et se cacher. Alors le ciel fit
pleuvoir de la terre qui remplit toute la ville et s’accu-
mula comme une montagne. Le grand ministre, avec ceux
qui lui tenaient à cœur, sortit par le souterrain ; il se ren-
dit auprès du vénérable et lui dit: « Je suis ému de ce que
cette ville en un jour a péri ensevelie ; la terre, qui est
tombée en pluie, a formé une montagne ; le prince et son
peuple sont morts ensemble. Pour quelle cause antérieure
ont-ils subi ce malheur ? » Alors le vénérable dit à ce
grand ministre : « Écoutez-bien, écoutez-bien, je vais vous
l'expliquer :
Autrefois, il y a de cela tant et tant de kalpas, il y avait
dans le royaume la fille d’un notable qui demeurait au
sommet d'une maison à étages ; un jour que, de bon
matin, elle arrosait et balayait, elle jeta les ordures
qu’elle avait ramassées et atteignit la tête d'un bhiksu ; elle
ne sut pas s’en repentir. Or, il arriva qu’elle se maria à un
bon époux; les autres jeunes filles lui demandèrent :
« Quel acte avez-vous commis pour obtenir cet excellent
mari ? » Cette femme leur répondit : « La seule chose que
j'ai faite a été de couvrir de poussière la tête d’un bhiksu
en balayant l'étage supérieur de la maison. Voilà pourquoi
jai trouvé ce bon mari. » Les autres jeunes filles crurent
ce qu'elle leur avait raconté et rassemblèrent toutes de la
TSA PAO TSANG KING (N° 420) 135
terre dont elles se servirent pour couvrir de poussière
les bhiksus. En raison de ces actes, elles ont toutes reçu
cette rétribution ».
Après avoir ainsi parlé, Æia-lchan-yen, en compagnie
de la devi protectrice (de la ville de Roruka), se rendit
dans la ville de Houa-che (Pâtaliputra). Depuis l'antiquité,
cette dernière ville et la ville de Zou-lieou (Roruka)
étaient alternativement l’une en prospérité et l’autre en
décadence ; celle-ci ayant été détruite, l’autre devait rede-
venir florissante ; telle était la raison pour laquelle Aia-
ichan-yen et ses compagnons se rendirent dans la ville de
Houa-che. |
Le notable Æao-yin-cheng (à la belle voix — Ghosila) vint
à la frontière de ce pays et présenta des offrandes au véné-
rable. Ce notable était déjà depuis longtemps opulent;
quand le vénérable fut entré dans sa maison, ses riches-
ses augmentèrent et devinrent très supérieures à ce
qu'elles étaient auparavant. Après être arrivé dans cette
ville, le vénérable Æia-lchan-yen demanda au Buddha :
« Pour quelle cause ce notable Æao-yin-cheng a-t-il une
belle voix, possède-t-il une opulence illimitée et a-t-il
des richesses qui s’accroissent toujours ? » Le Buddha
lui répondit : « Dans les temps passés il y avait un no-
table qui chaque jour envoyait un homme inviter cinq
cents Pratyeka Buddhas à venir dans sa demeure où
il avait préparé un repas pour eux. Cet homme, qui était
chargé de les inviter, allait toujours accompagné d’un
chien ; un jour, quelque affaire l’empêcha d'aller porter
l'invitation ; le chien, à l'heure habituelle, se rendit seul à
l'endroit où demeuraient les religieux et se mit à aboyer
en se tournant du côté des religieux ; les Pratyeka Bud-
dhas firent alors cette réflexion : « Les laïcs ont beaucoup
d’occupations ; par négligence ils peuvent faire quelque
omission. Ce chien qui est venu aboyer paraît nous avoir
appelés.» Ils se rendirent alors ensemble chez le notable;
136 TSA PAO TSANG KING (N° 420)
celui-ci fut extrêmement joyeux et leur fit des offrandes
suivant la règle. Celui qui en ce temps était le notable,
c'est moi-même: l’homme qui était chargé du message,
c'est A-na-lu (Amiruddha); celui qui était le chien, c’est
aujourd'hui le notable ao-yin(-cheng); voilà pourquoi,
d'existence, en existence il a une belle voix et possède
beaucoup de richesses. Ainsi, le sage doit, en vue de se
préparer un champ producteur de bonheur, s'appliquer de
toutes ses forces à faire des offrandes. »
CErip., MIN: 10, ph r-43 ra).
Histoire de Rähula.
Quand le Bodhisattva Siddhartha eut quitté le palais du roi
son père, il se livra pendant six ans aux pratiques ascétiques
avant d'atteindre à l'illumination. Pendant ces six ans, Yaco-
dharâ fut enceinte et c'est seulement dans la nuit où son mari
parvint à la connaissance parfaite qu'elle-même fut délivrée
et donna le jour à Râhula. Comme :ïl y avait six ans qu’elle
n'avait plus eu de rapports avec Siddhartha, elle se voit alors
soupçonnée par les autres femmes du harem qui l’accablent
d'outrages. Le roi Çuddhodana, atliré par les clameurs,
apprend ce qui s’est passé et, à son tour, croit au déshonneur
de sa belle-fille, malgré les protestations d'innocence que celle-
ci ne cesse de faire entendre. Il convoque tous les Cäkyas qui
sont unanimes à réclamer un châtiment exemplaire. On creuse
donc une fosse qu'on remplit de bois enflammé et on se dispose
à y Jeter Yaçodharà. Celle-ci, dans ce péril extrême, invoque
l'appui surnaturel du Bodhisattva ; elle jure qu’elle est sans
faute et demande que, si elle a dit vrai, il ne lui arrive aucun
mal. Elle entre ensuite dans la fosse de feu qui se transforme ins-
tantément en un étang d'eau pure au milieu duquel Yacodharâ,
tenant dans ses bras Râhula, se trouve assise sur une fleur de
lotus. Les Çàkyas sont convaincus par ce miracle et Râähula
devient le favori de son grand-père, le roi Cuddhodana, qui ne
: (1) Cf. Ta che lou louen chap. xvu (Trip., XX, 1, pp. 106 vo-107 r°).
CR ES
TSA PAO TSANG KING (N° 421) 137
peut plus se passer de lui. Six ans plus tard, le Buddha revient
dans son ancien royaume en compagnie de douze cent cin-
quante bhiksus qui lui ressemblent exactement ; le jeune
Râhula reconnaît cependant sans aucune hésitation lequel de
tous ces hommes est son père. Le Buddha lui caresse le sommet
de la tête de sa main qui porte le signe merveilleux de la roue ;
il prouve ensuite par des stances que ce geste ne signifie point
qu’il ait conservé aucune affection mondaine.
NO
CT rip XIV TO ND, HS Per)
Histoire du vieux brahmane qui interrogea des trompeurs.
Tous ceux qui sont fallacieux, fourbes et trompeurs se
donnent des airs de droiture tandis qu'au dedans ils ne
songent qu'à commettre des actions deshonnèêtes et per-
fides. C’est pourquoi le sage doit savoir distinguer le vrai
du faux. En voici un exemple : Autrefois, il y avait un
brahmane qui, après être devenu vieux, prit pour épouse
une jeune femme. Cette femme, qui avait de l’aversion
pour son mari parce qu'il était vieux, commettait sans cesse
adultère. Sa passion se manifestant ouvertement, elle en-
gagea son mari à inviter à une réunion plusieurs brahma-
nes jeunes et forts; mais lui, qui la soupconnait d'être
vicieuse, ne voulut pas les attirer dans sa maison. Alors
cette jeune femme imagina des stratagèmes de toutes
sortes pour l’induire en erreur. Le fils de l'épouse défunte
de ce vieux brahmane vint à tomber dans le feu ; quoique
cette jeune femme l’eût vu tomber de ses propres yeux,
elle ne le saisit pas pour le retirer. Le vieux brahmane lui
ayant demandé pourquoi elle n'avait pas saisi l'enfant au
moment où il était tombé dans le feu, elle répondit :
« Depuis mon enfance je n'ai jamais approché que de mon
138 TSA PAO TsANG KING (N° 421)
mari et je n'ai touché aucun autre homme. Pourquoi vou-
lez-vous donc m'obliger à prendre ce petit enfant qui est du
sexe masculin ? » Quand le vieux brahmane eut entendu
ces paroles, il pensa qu'elles étaient véridiques et alors il
fit dans sa maison une grande réunion où il rassembla
plusieurs brahmanes ; la jeune femme en profita aussitôt
pour avoir des rapports avec eux. Quand le vieux brahmane
en fut informé, il en conçut du chagrin ; il rassembla donc
ses objets les plus précieux, fitun paquet deses vêtements
et partit en abandonnant sa femme.
Lorsqu'il fut loin de sa demeure, il vit sur la route un
brahmane et le prit pour compagnon. Vers le soir ils cou-
chèrent dans un même endroit, et le lendemain, au point
du jour ils reprirent ensemble leur marche. Ils quittèrent.
la maison de leur hôte et ils s’en éloignaient de plus en
plus, lorsque ce second brahmane dit au premier : « Dans
l'endroit où nous avons passé hier la nuit, il y avait un
brin d'herbe qui est resté attaché à nos vêtements. Depuis
ma jeunesse je n'ai jamais rien volé. Je suis donc fort
confus de voir ce brin d'herbe sur mes vêtements. Je
désire, pour rendre ce brin d'herbe, retourner chez notre
hôte : attendez-moi ici pendant le temps qu’il faut pour
aller et revenir. » Quand le vieux brahmane eut entendu
ce propos, il y ajouta entièrement foi et redoubla d’affec-
tion et de respect pour l'autre ; il lui promit donc de
l'attendre. Le second brahmane prit par feinte le brin
d'herbe comme s’il voulait le rapporter à son propriétaire ;
mais, avant d’être allé bien loin, il entra dans un fossé
où ilse coucha à plat ventre ; au bout d’un long moment
il revint et prétendit qu'il avait restitué le brin d’herbe à
son propriétaire. Ce vieux brahmane crut qu'il l'avait réel-
lement fait et redoubla d'amitié et d'estime pour lui.
Cependant, le vieux brahmane, trouvant une occasion
favorable pour se laver et satisfaire ses besoins naturels,
prit ses objets précieux et les confia à son compagnon.
ET
TSA PAO TSANG KING (N° 421) 139
Aussitôt après, celui-ci emporta les objets précieux et
s'enfuit. Quand le vieux brahmane eut reconnu qu'on lui
avait volé son bien, il s’indigna contre cet homme ; puis il
se sentit pénétré d’une douloureuse émotion. Triste et
affligé, il continua son chemin avec découragement.
Après avoir marché quelque peu, il se reposa sous un
arbre ; or, il aperçut un héron qui, tenant dans son bec
une tige d'herbe, disait aux autres oiseaux : « Il faut que
nous ayons compassion les uns des autres et que nous
nous réunissions en un même endroit pour y demeurer
ensemble. » Ces oiseaux ajoutèrent tous foi à ses paroles
et allèrent se rassembler en un lieu ; or, le héron attendit
que tous les autres oiseaux fussent partis, puis il se
rendit dans leurs nids pour y crever leurs œufs à coups de
bec et en absorber le liquide et pour tuer leurs petits et
les manger. Quand les autres oiseaux furent sur le point
de revenir, il reprit dans son bec la tige d'herbe. A leur
retour, les oiseaux virent ce qui s’était passé et se mirent
à faire avec colère des reproches au héron; mais celui-ci
leur répliqua qu'il n’y était pour rien. Sachant qu'il était
de mauvaise foi, les oiseaux l’abandonnèrent et partirent.
Après avoir encore passé quelque temps sous cet arbre,
le vieux brahmane vit un religieux hérétique qui, vêtu
d'une robe de moine, avançait pas à pas avec précaution en
disant : « Partez, partez, êtres vivants. » Le vieux brah-
mane lui demanda : « Pourquoi marchez-vous ainsi en
psalmodiant les mots : Partez, partez ? » L’hérétique lui
répondit : « Je suis entré en religion ; j'ai donc compas-
sion de tous les êtres et je crains de blesser des insectes
ou des fourmis ; c'est pourquoi j'agis de la sorte. » Quand
le brahmane entendit les paroles que prononçait ce reli-
gieux, il conçut une confiance absolue en lui; il se mit
donc à le suivre et s’arrêta dans sa demeure pour y passer
la nuit. L'hérétique dit au brahmane : «Il faut que je me
relire dans la solitude et le calme pour perfectionner mes
110 TSA PAO TSANG KING (N° 421)
sentiments. Placez-vous dans cette autre chambre et cou-
chez-vous là. » Le brahmane fut tout heureux d'apprendre
qu'il se livrait à des pratiques vertueuses et il en concut
de la joie. Mais, passé minuit, il entendit qu'on faisait de
la musique, qu’on chantait et qu’on dansait; ilse leva pour
regarder ; il s’aperçut alors que dans la demeure de ce
religieux hérétique, il y avait un trou souterrain ; une
femme en était sortie pour se livrer au plaisir avec l'hé-
rétique ; quand la femme dansait, l’hérétique jouait du
luth, et quand l'hérétique dansait, c'était la femme qui
jouait du luth. Après avoir vu ce spectacle, le brahmane
fit cette-réflexion : « Parmi tous les êtres de ce monde,
qu'il s'agisse d'hommes ou d'animaux, il n’y en a pas un
un seul quisoit digne de foi. » Puis il prononca cette gâthà :
Il y a eu celle qui n'avait touché aucun autre homme (que
son mari), — el celui qui rendit le brin d'herbe à son pro-
priélaire, — el le héron qui, pour donner le change, le-
nail une lige d'herbe dans son bec, — et l'hérélique qui
craignait de faire du mal aux insectes ; — de telles paroles
fallacieuses, — il n'en est aucune à laquelle on puisse ajou-
ler for. |
Or, dans ce royaume, il y avait un notable qui avait chez
lui de grandes richesses et qui possédait toutes sortes
d'objets précieux. Dans la nuit même (dont nous venons
de parler), il fut dépouillé d'une grande quantité de ses
biens. Quand le roi en fut informé, il demanda au notable
qui fréquentait chez lui et avait pu ainsi lui enlever ses
richesses. Le notable répondit au roi : « Je n'ai eu de
rapports avec aucun homme pervers ou suspect ; seul un
brahmane a été constamment en ma compagnie; mais
c'est un homme qui purifie sa personne et qui conserve
son intégrité ; il ne déroberait rien à qui que ce soit, car
même un brin d'herbe qui était resté attaché à son vête-
ment, il l’a rendu à son propriétaire. En dehors de lui,
aucun autre homme (n'est venu chez moi). » Quand le roi
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TSA PAO TSANG KING (N°5 421-429) 141
eut entendu ces paroles, il fit arrêter le brahmane pour
l’interroger. Le notable accourut alors dire au roi : « Cet
homme a une conduite si pure que nulle personne au
monde ne peut lui être comparé ; comment a-t-on pu un
beau matin se saisir ainsi de lui? je désire, à roi, que
vous le relâchiez. » Le roi répliqua : « J'ai déjà auparavant
été informé qu'il y a des gens, tels que celui-ci, qui affec-
tent au dehors la pureté et qui nourrissent dans leur for
intérieur des pensées perverses. Ne vous affligez donc
pas et laissez-moi faire mon enquête.» Ayant ainsi parlé,
il soumit à un interrogatoire le brahmane qui, ne sachant
plus querépondre et à bout d'arguments, finit par avouer
la vérité. |
C’est ainsi que le sage joue dans le monde le rôle d’un
miroir qui sait bien distinguer le vrai du faux ; il est
donc un guide pour les autres hommes.
N2N122,
Cris IN AO DD Sr)
Hisloire de la femme du brahmane qui voulait faire
périr sa belle-mère.
Autrefois il y avait un brahmane dont la femme, jeune
et d’une beauté remarquable, avait des désirs sensuels très
vifs ; elle aurait voulu tenir une conduite débauchée, mais,
à cause de la présence de sa belle-mère, elle ne pouvait
agir à son gré. Elleformaalorssecrètementle projetcriminel
de faire périr sa belle-mère. Elle feignit de la soigner
avec piété filiale afin de toucher le cœur de son mari; du
matin jusqu’au soir donc, elle était diligente et subvenait
sans relâche à tout ce dont sa belle-mère avait besoin. Le
142 TSA PAO TS\NG KING (N° 422)
mari dit avec satisfaction à sa femme : « Par les soins dont
vous vous êtes présentement acquittés, vous avez pu vous
montrer une épouse douée de piété filiale ; si ma mère
prolonge sa vieillesse, c'est grâce à vos efforts. » Sa
femme lui répondit : « Maintenant, je n’ai fait que donner
à votre mère des soins de ce monde et ce que je lui ai
fourni pour son entretien n’est que peu de chose. Si elle
pouvait obtenir les offrandes qui conviennent à une devi,
je serais au comble de mes vœux. N’existe-t-il pas quel-
que moyen merveilleux par lequel elle parviendrait à
naître dans la condition de devi? » Son mari répliqua :
« D'après les recettes des brahmanes, c’est en accomplis-
sant des actes tels que celui de se précipiter du haut d’une
paroi de rocher, ou de se jeter dans le feu, ou de brûler
son corps avec les cinq sortes d’ardeurs, qu’on peut
naître en qualité de deva. » La femme dit alors à son mari:
« S'il y a de telles recettes, ma belle-mère pourra naître
en qualité de devi et recevoir des offrandes qui lui vien-
dront spontanément. Pourquoi serait-il nécessaire de
déployer une application continuelle pour qu'elle recoive
les offrandes de ce monde ? » Quand elle eut ainsi parlé,
son mari la crut. |
Tous deux alors disposèrent dans la campagne une
grande fosse de feu et y accumulèrent des branchages
afin d’y faire une fournaise ardente. Puis, auprès de cette
fosse ils préparèrent une grande réunion. Ils y emme-
nèrent en la soutenant leur vieille mère ; ils y convoquè-
rent tous leurs parents ; une multitude de brahmanes
vint aussi au lieu de réunion. On battit du tambour, on
fit de la musique, on joua des instruments à cordes et
on chanta ; quand les réjouissances eurent duré tout le jour,
les invités s’en allèrent ; le mari et la femme restèrent
seuls avec leur mère ; ils l’'amenèrent alors auprès de la
fosse de feu et la poussèrent dedans, puis ils s’enfuirent
sans regarder en arrière.
eg et
D à
er
moe, e. ‘
TSA PAO TSANG KING (N° 422) 143
Or, dans cette fosse de feu il y avait un petitrebord ; la
mère tomba sur ce rebord etne fut pas précipitée dans le
feu ; elle put donc sortir de la fosse ; comme la nuit
tombait, elle chercha à revenir dans sa demeure en suivant
les traces de ses pas à l'aller. Mais le chemin traversait un
bois où l'obscurité était profonde ; elle eut peur des tigres,
des loups, des démonsetdesrâksasas etelle grimpa sur un
petit arbre afin de se mettre à l'abri de tout ce qu'elle
redoutait. Précisément alors, des voleurs qui avaient dé-
robé des richesses considérables, arrivèrent les uns après
les autres et se reposèrent en bande sous cet arbre. La
vieille mère était saisie de terreur, et la crainte l’empé-
chait de faire le moindre mouvement; mais elle ne put
se retenir et éternua au sommet de l'arbre. En entendant
le bruit de cet éternuement, les voleurs crurent avoir
affaire à quelque méchant démon ; laissant là tout leur
butin, ils s’enfuirent de tous côtés. Lorsque le jour fut
venu, la vieille mère se sentit rassurée et n’eut plus aucun
sujet de crainte ; elle descendit donc de l'arbre et recueillit
tous Les objets précieux: c'étaient des colliers parfumés,
des pendeloques de perles, des bracelets d’or, des pen-
dants d'oreilles en pierres précieuses et toutes sortes de
joyaux véritables et merveilleux ; elle en mit une pleine
charge sur son dos etrevint dans sa maison.
Lorsque le mari et sa femme la virent, ils restèrent
frappés de stupéfaction et ils avaient peur, car ils pensaient
qu’elle était surgie du milieu des cadavres et des démons.
Comme ils n’osaient pas l’inviter à entrer, leur mère
leur dit: « Après ma mort, je suis née parmi les
devas et j'ai obtenu d’amples richesses. » Puis elle dit à
la femme : « Ces colliers parfumés, ces pendeloques de
perles, ces bracelets d’or et ces pendants d'oreilles, ce
sont des dons que vous font votre père et votre mère, vos
tantes et vos sœurs. À cause de mon grandâge et de ma
faiblesse, je n'ai pas pu en prendre beaucoup sur mon
144 TSA PAO TSANG KING (N° 422)
dos. Mais je vous engage à vous faire envoyer là-bas et
on vous en donnera autant que vous voudrez. »
La femme ajouta foi à ces paroles et, pleine de joie,
souhaita se précipiter dans la fosse de feu suivant la mé-
thode qu'on avait adoptée pour sa belle-mère ; elle dit
done à son mari : « Maintenant, lorsque ma vieille belle-
mère aété jetée dans la fosse de feu, elle n’a pu prendre
une grosse charge sur son dos à cause de ses faibles
forces ; si j'y vais moi-même, j'obtiendrai sans doute
beaucoup plus. » Le mari, pour se conformer à ce qu’elle
disait, prépara donc une fosse de feu; puis il l’y précipita ;
mais elle fut dévorée par les flammes et périt là pour tou-
jours. |
Un deva prononça alors cette gâthà :
Le mari, à l'égard de sa vénérable mère, — n'aurait pas
dû concevoir de mauvaises pensées ; — quant à la femme,
qui avail voulu faire périr sa belle-mère, — c'est elle au
contraire qui détruisit son corps par le feu.
(rep; XIV, 10; D: GP UE):
Les corbeaux et les hiboux sont en guerre ; voulant assurer le
triomphe de son parti, un corbeau se fait mettre par ses congé-
nères dans un état lamentable, puis, à la faveur de cette ruse à
la Zopyre, il gagne la confiance des hiboux qui l’accueillent au
milieu d'eux ; il entasse du bois mort dans leur antre sous le
prétexte de le rendre plus confortable; puis, le moment favo-
rable étant venu, il met le feu à tout ce combustible et les
hiboux périssent consumés.
(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I, pp. 31-
36). Cf. Pañcatantra (III, 1 ; trad. Lancereau, pp. 197-208, 224, 228-231, 251-
255, 258-262); Kalilah, ch. VIIT, n° 48 ; bibliographie de Chauvin, fascicule
11095:
TSA PAO TSANG KING - 145
(Trip., XIV, 10, p. 44 v°) (1).
Un bélier et une servante se haïssent parce que le bélier cher-
che constamment à manger les grains que prépare la servante.
Un jour, la servante qui tenait des braises dans sa main, les
jette sur le dos du bélier qui est venu l’attaquer. Le bélier, sen-
tant la cuisson de la flamme, se frotte dans tous les lieux où il
passe et allume un grand incendie qui brûle le village et s'étend
jusque sur la montagne où il consume cinq cents singes. Mora-
lité : Il ne faut pas séjourner au milieu des gens qui se dis-
putent.
(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I,
pp. 135-138). Cf. notre ne 387.
ET: 10
N° 4923.
(Trip, XIV, -55pD. 29 V7)
Voici ce que j'ai entendu dire : Un jour le Buddha était
allé à Crâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin d’Anä--
thapindada et se trouvait avec une multitude de mille
deux cent cinquante grands bhiksus. Il y eut un bhiksu qui,
allant de tous côtés pour faire la quête et passant de lieu
en lieu, entra dans la demeure d’une courtisane. Alors la
courtisane, voyant ce bhiksu entrer et arriver dans sa de-
meure, exulta de joie ; elle se leva aussitôt de son siège
et vint l’accueillir en allant au-devant de lui; elle se pros-
terna à ses pieds, le pria de bien vouloir (entrer) et le fit
asseoir ; puis elle demanda au bhiksu d’où il venait. Le
bhiksu répondit qu’il était chargé de faire la quête et
qu’ainsi il était venu pour mendier. Alors cette femme.
prépara pour lui des mets excellents de toutes sortes de:
saveurs et en remplit son bol, puis elle le lui présenta.
Le bhiksu l’accepta, puis se retira.
Or ce bhiksu, après avoir reçu en abondance cette nour-
(1) Le Cheng king (Nanjio, Catalogue, n° 669) a été traduit en l'an 285.
p. C. par Fa-hou + É:3 (Nanjio, Catalogue, App. II, n° 23); mais cette.
traduction est défectueuse au point d’être en plusieurs endroits inintelli-
gible; je me suis donc borné à en extraire un petit nombre de pages.
M. Ed. Huber avait déjà tiré de cet ouvrage un texte fort important qui
se rattache étroitement au conte du roi Rhampsinite et des deux voleurs
tei qu'il nous est raconté dans Hérodote (B. E. F. E. O,t. IV, pp. 704-707;
cf. notre n° 379).
CHENG KING (N° 493) 147
riture exquise, douce et excellente, fut tout content et ne
put résister au désir de se rendre à plusieurs reprises
dans la demeure de la courtisane. Cette femme de son
côté pensait : « Ce bhiksu observe la Loi avec une rigueur
qu'ilest difficile d'égaler. » A plusieurs reprises donc, elle
lui prépara des mets friands et succulents qu’elle lui don-
nait. Les allées et venues du bhiksu ne cessaient pas, et,
comme son instruction n’était pas encore complète, que
sa conduite n’était pas bien nette et qu'il n'avait pas encore
dompté tous les principes mauvais, en voyant la merveil-
leuse beauté de la courtisane, des idées de débauche l’agi-
tèrent et il eut envie de donner libre cours à ses passions.
Il s'approchait de la courtisane ; sa bouche lui tenait un
langage tendre et affectueux ; il se plaisait à gagner son
cœur et à causer avec elle intimement ; il ne se lassait pas
d'aller faire la quête chaque jour dans sa demeure.
En voyant sa beauté, en écoutant sa voix, ce bhiksu
avait été troublé par des idées de débauche et avait été
plongé dans le trouble et dans la confusion sans qu'il pût
reprendre son bon sens. Or, les livres saints du Buddha
disent : « Quand les yeux voient une belle femme, on est
agité par des pensées de débauche.» En outre, l'Honoré du
Monde a dit : « Quand vous venez à voir une femme, si
elle est âgée, qu’elle soit pour vous comme une mère ; si
elle est d'âge moyen, qu’elle soit pour vous comme une
sœur aînée ; si elle est jeune, qu’elle soit pour vous comme
une sœur cadette, comme un fils, ou comme une fille. Il
vous faut observer intérieurement son corps et penser que
tout cela n’est qu'humeurs impures et qu'il n’y a là rien qui
soit digne d'être aimé ; à l'extérieur, c’est une jarre ornée
de peintures, mais à l’intérieur pleine d’ordures. Consi-
dérez que ces quatre grands ‘éléments, la terre, l’eau, le
feu et le vent, se sont combinés par l'effet de la causalité
pour former (la femme), mais qu'il n'y à là vraiment
aucune réalité, »
figé. CHENG KING (N° 423)
En ce temps, ce bhiksu, qui ne comprenait pas la con-
templation du vide et se bornait à regarder ce qui prend
forme corporelle, fut troublé par des pensées de débauche,
et, s'adressant à la courtisane il prononça cette gâthà :
O verlueuse femme, jeune, vierge, pure et chaste, — la
beauté de votre visage est très merveilleuse ; — en regar-
dant tous les délails de voire figure, je vois que rien ne les
égale ; — de loul mon désir je souhaile que nous soyons
unis. |
Alors la courtisane, voyant que ce bhiksu lui tenait un
tel iangage (se dit) : « Je ne savais point d’abord que ce fût
un homme pervers et avide de débauche ; au contraire je
l'ai traité comme s’il eût été pur, chaste et observateur
des dépenses, car je pensais qu'il était bon et sage. Puis-
que voici un symptôme qu'il se plait à pécher, je vais lui
répondre nettement en m'inspirant de ce qu’il vient de
me dire. » Elle répliqua donc par cette gâthà :
Il vous faut m'apporter à boire el à manger, — (me don
ner) des parfums, des fleurs, de beaux vélements — et des
offrandes analogues de loutes sortes ; — alors j'irai avec
vous.
Le bhiksu répondit à la femme par cette gâthà :
Je ne possède rien ; — regardez à quelles occupations je
me livre ; — je subsiste en mendiant ; — ce qu'on me don-
nera, Je vous en ferai part.
Alors la courtisane chanta cette gâthà :
S'il est vrai que vous ne possédiez rien, — pourquoi avez-
vous résolu de demander quelque chose qui est difficile à
oblenir ; — la conduile que vous avez tenue est éhontée; —
partez au plus vile el éloignez-vous prompiement de ma
demeure.
Elle chassa donc le bhiksu et le poursuivit jusqu'à
la porte du Jetavana. Les bhiksus se rendirent alors tous
auprès du Buddha et, s'adressant à l’'Honoré du Monde,
lui racontèrent ce qui s'était passé. Le Buddha leur dit :
CHENG KING (N° 423) 149
« Ce bhiksu, dans une existence antérieure a été une
tortue d’eau, tandis que la courtisane était autrefois un
singe ; alors aussi il fut l’ami (de la courtisane), mais,
comme sa volonté n'avait pas obtenu le fruit (de la sagesse),
il en est venu au contraire à la tromper peu à peu; iln’est
pas entré dans la vraie doctrine et n’a fait qu’augménter
ses tourments. Maintenant il en a été de même ; son
âme a désiré la courtisane; mais son désir n'a pas été
satisfait; au contraire il a subi un affront et s’en est allé
couvertde honte.» Le Buddha dit : « Autrefois, il y a de cela
des générations innombrables, dans l’eau d’un grand
fleuve demeurait et voguait une tortue ; sur la rive de ce
fleuve des arbres poussaient à foison ; parmi ces fourrés
de bois, il y avait un singe qui habitait sur les arbres. Or
la tortue étant sortie du fleuve aperçut de loin qu'il y
avait un singe dans les arbres et se mit à converser avec
lui ; petit à petit elle allait toujours plus avant et désirait
se rapprocher de lui ; à plusieurs reprises elle avançait
puis reculait; elle Le vit pendant plusieurs jours et chaque
jour elle répétait ce manège. Comme elle ne se lassait pas
de voir le singe, elle conçut des pensées de débauche ;
son cœur en fut obseurci et fut troublé; elle fut envahie
par l’impureté et ne put reprendre son bon sens ; alors
elle prononça cette gâthâ en soupirant :
Votre visage est rouge et jaune el vos yeux sont verts ; —
vous errez parmi les fourrés d'arbres el vos jouez sur les
branches ; — je voudrais maintenant vous demander, à vous
dont le pelage est luisant, (si vous voulez savoir) — avec
quelles intentions je désire vous rechercher el quels sont les
sentiments que je conserve.
Le singe répondit par cette gâthà :
O lorlue, je sais maintenant loule votre histoire ; — vous
avez élé le fils d'un roi el vous aviez de l'intelligence ; —
maintenant pourquoi m'interrogez-vous? — en entendant
vos paroles, je conçois quelques doules.
150 CHENG KING (N° 423)
Alors la tortue répliqua par cette gâthà :
Mon cœur conserve toujours des intentions dont vous êles
l'objel; — mon cœur éprouve pour vous des sentimenls
d'affection el de sympathie ; — c’est pourquoi je vous
demande — par quel moyen nous pourrons nous unir.
Le singe répondit en chantant cette gâthà :
O tortue, il vous faut savoir que je demeure dans les
arbres — et que je ne saurais munir à vous. — À suppo-
ser que vous vouliez arriver à être avec mot, — apportez-
moi des offrandes dans les fourrés d'arbres.
La tortue répondit à son tour par cette gâthà :
Ce qui conslilue ma nourriture, ce sont des êtres de chair
vivante — qui sont plus tendres et plus exquis que les fruits
el les graines. — Il ne vous faut pas exiger de moi ce que
Je ne saurais me procurer — en voulant que je vous apporte
des prunes de loules sortes.
Le singe répliqua alors par cette gâthà :
Sivous ne demeurez pas sur les arbres — pourquoi me
demander ce que vous ne sauriez obtenir ? — Maintenant
vous m'avez considéré d'une manière éhonlée ; — partez
donc de vous-même et au plus vile ; je ne supporterais plus
de vous voir.
Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui était en ce temps
le singe, c’est aujourd’hui la courtisane ; la tortue, c’est le
bhiksu chargé de faire la quête ; autrefois (la tortue) se
laissa aller à ses passions et adressa une requête (au
singe); mais elle ne put satisfaire son désir. Aujourd’hui
aussi il en a été de même.» Quand le Buddha eut ainsi parlé,
il n y eut personne qui n'éprouvât de la joie.
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CHENG KING (N° 424) 151
N° 424.
(PIS AIN 6; pp: 20 1-27 r°)
Autrefois, il y a de cela des générations innombrables,
il y avait un grand bois ; parmi les arbres de ce bois, une
chatte sauvage rôdait ou demeurait immobile et se livrait
à ses occupations. Étant restée tout un jour sans manger,
elle avait faim et avait un désir extrême de nourriture ;
elle aperçut au sommet d’un arbre superbe un coq sau-
vage ; (ce coq sauvage) était d’une beauté remarquable ; il
agissait avec un cœur bienveillant et témoignait sa compas-
sion à toutes les sortes d'êtres, à ceux qui rampent et à
ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux hommes et
aux bêtes. Alors la chatte sauvage conçut dans son cœur
des intentions funestes et voulut mettre en péril la vie du
coq ; tout doucement elle s’approcha jusqu'à ce qu’elle füt
sous l’arbre, puis, se servant d’expressions insinuantes,
elle prononça cette gâthà :
Nos pensées restent solitaires el nous sommes séparés
l’un de l'autre ; — je mange du poisson et vous avez un beau
vélement ; — descendez de cet arbre jusqu'à terre — el je
serai voire femme.
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Vous avez quatre pieds — el moi j'ai deux palles ; — je
considère qu'un oiseau el une challe sauvage — ne sau-
raient être mari et femme.
La chatte sauvage répliqua par ces gâthäs :
Nombreux sonl les lieux que j'ai parcourus, — royaumes
el villes, provinces el districts ; — mais je ne désire per-
sonne d'autre — el toules mes pensées prennent leur plaisir
en vous. — Volre corps apparaît beau el bien fail ; —
votre visage est le premier de lous ; — mot aussi, j ai quel-
152 CHENG KING {N° 424)
que agrément ; — j'agis en vierge pure el chasle ; — il nous
faut ensemble nous livrer à la joie — comme des gallinacés
qui se promènent en liberté ; — tous deux ayant l’un pour
l'autre le même amour, — ne serons-nous pas fort heu-
reux ?
Alors le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Est-ce que je ne vous connais pas ? — est-ce que je ne
sais pas pourquoi vous m'adressez celle demande ? — Quand
une affaire n'estpas encore arrangée dans tous ses délails,
— celui qui est sage n’en fait pas l'éloge.
La chatte sauvage répliqua de nouveau par ces gâthâs :
Au moment où vous oblenez une épouse si parfaile, — au
lieu (d'en êlre satisfait), vous lui frappez sur la lêle avec
un bâlon. — En ce moment la pauvrelé vous tourmente ;
— (si vous m'épousez), votre richesse sera comme s'il y
avait eu une pluie de joyaux ; — vous serez aimé de mes:
parents; — vous aurez une opulence illimilée ; — grâce à
une épouse chérie, — le cœur calmé trouve un ferme
appuu.
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Si je me décidais à vous suivre, — 6 vous dont les yeux
verts sont comme de vilaines plaies, — je me verrais alors
chargé de chaînes — et je serais comme enfermé dans une
prison.
La chatte sauvage répliqua par ces gâthàs :
Vous n'avez pas de sympathie pour moi — et vos paroles
sont comme des épines acérées ; — dans ces conjonclures,
à quel moyen recourir pour vous atlirer ? — dans ma tris-
lesse, il faul que j'y réfléchisse. — Mon corps n'est ni puant
ni sale ; — il exhale un parfum de vertu conforme aux
défenses ; — pourquoi voulez-vous m'abandonner — el vous
en aller au loin dans d'autres lieux ?
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Vous voulez m'entraîner au loin ; — méchante el perverse
comme un serpent, — vous en assouplissez la peau flexi-
+ " -e Le 4 de z mr
CAP UT ME PC bé, a
PAT RE Re,
CHENG KING (N° 424) 153
ble (1), — et c'est ainsi que vous failes des discours ?
La chatte sauvage répondit par cette gâthà :
Descendez vile et venez ici ; — je voudrais vous témoti-
gner quelque amitié; — je dois aussi averlir (de notre
mariage) mes parents el mes voisins — el en informer mon
_ père el ma mère. | |
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Je possède une (future) épouse qui est une jeune vierge —
son visage est beau etses sentiments sont excellents ; — elle
se conforme aux défenses et obéil à la Loi; — je lui con-
serve mon affection el ne veux pas me délourner d’elle.
La chatte sauvage répondit par ces gâthàs :
Ainsivous me frappez avec un bâlon épineux (2)! — Dans
ma famille on suit la vraie religion ;.— chez moi il y a un
vénérable supérieur — qui nous améliore au moyen des
défenses prescrites par la Loi. — Au dehors (de la maison)
sont des saules — qui tous sont verdoyants el prospères
en leur saison. — Tous nous prosternerons notre têle devant
vous, — comme des brahmanes rendant un culte au feu.
— Ma fanulle, par sa puissance, — honore et sert les brah-
manes ; — grâce à (leurinfluence) propice, nous mettrons au
monde beaucoup de fils — et ils nous feront étre fortriches.
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Le ciel vous accordera voire souhait — el c’est par un
bâlon de brahmane qu'il vous frappera. — Dans le monde
ny a-t-ul pas la Lot ? — pourquoi voulez-vous manger un
coq ?
La chatte sauvage répliqua par cette gâthà :
Je ne mangerai plus de chair ; — exposée au soleil el à
la rosée, je liendraiune conduite pure el chaste ; — j'hono-
(1) Cette phrase me paraît signifier : Vos paroles sontdouces et flexibles
comme la peau d'un serpent, mais votre naturel est aussi pervers que
celui d'un serpent.
(2) Plus haut, la chatte à dit que les paroles que lui adressait le coq
étaient comme des épines acérées; elle reprend ici la même image.
151 CHENG KING (N° 424)
rerai el je servirai lous les devas ; — je ferai cela pour
oblenir celle sagesse (que vous recommandez),
Le coq sauvage répondit par ces gâthàs :
Jamais on ne vil ni n’enltendil chose pareille : — une
challe sauvage tenant une conduile chaste. — Vous désirez
détruire quelque être — el vous éles un brigand qui veut
dévorer un cog. — L'arbre et le fruit sont différents l'un
de l'autre (1) ; — malgré vos belles phrases el votre badi-
nage apparent, — je ne vous croirai jamais. — Comment
pourriez-vous, Si vous aviez un coq en votre possession, ne
pas le dévorer? — Un mauvais caractère finit toujours
par être cruel. — Je considère votre visage qui est rouge
comme le sang — el vos yeux qui sont verts comme la
plante lan. — IT vous fault manger des rats et des insectes,
— car vous n'aurez Jamais Un COQ À MANGET ; — pourquoi
n'allez-vous pas prendre des rats ? — Avec votre visage
rouge el vos yeux d'un verl franc, — quand vous criez en
faisant miao, — foules les plumes dont je suis revêtu se
hérissent; — je m'enfuis au plus vile et je cherche à me
cacher ; — de génération en génération (moi el mes sem-
blables) nous nous sommes éloignés de vous ; — pourquoi
maintenant me rencontrer avec vous ?
Alors la chatte sauvage répondit par ces gâthàs :
Les visages sont-ils tous agréables à voir ? — les
femmes qui sont belles sont-elles loules vierges ? — II
importe de s'informer si l'attitude (de la femme qu'on veut
prendre pour épouse) est digne — et quels sont ses autres
mériles ; — tous les actes de bonne conduile doivent se
trouver chez elle au complet ; — sa prudence et sa per-
spicacilé doiventétre ingénieuses ; — quand vous connaîtrez
la manière dont je me comporte dans ma famille, — (vous
verrez que) nulle ne peut m'être comparée. — Je vais me
bien laver ; — maintenant j'ai revêtu de beaux habits ; —
(1) Vos actes ne sont pas d'accord avec vos paroles.
CHENG KING (N°5 424-425) 155
Je me mettrai à danser et à chanter des airs — pour qu'ainsi
vous m'aimiez el m'estlimiez. — En outre, je vous laverai les
pieds, — je peignerai le chignon de votre lêle — et je ferai
des plaisanteries agréables ; — alors vous m'aimerez el
vous m'eslimerez.
Le coq sauvage répondit par cette gâthà :
Je ne liendrais quère à la vie — si je permettais à un
ennemi de peigner ma têle ; — si je faisais amitié avec
vous, — je ne parviendrais jamais à un âge avancé.
N°125.
ÉÉRIpERR IN ES pen ve)
Autrefois, il ya de cela des kalpas innombrables, il y
avait un roi des singes qui demeurait sur les arbres d’une
forêt. Il mangeait des fruits et buvait de l’eau ; il songeait
avec compassion aux êtres de toutes sortes, à ceux qui
rampent et à ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux
hommes et aux animaux ; ilaurait voulu faire qu’ils fussent
tous sauvés etles amener à l’état de non-composition. En
ce temps, il avait contracté amitié avec une tortue; très
intimes, il se respectaient l’un l’autre et au début ils
n'étaient point en opposition l’un contre l’autre ; la tortue
serendait fréquemment à l'endroit où se trouvait le singe;
ils buvaient, mangeaient et causaient ensemble ; ils dis-
couraient sur la droite justice et la raison.
La femme (de la tortue), voyant qu’elle sortait souvent
et ne restait pas chez elle, se dit qu'elle devait aller au
dehors pour se livrer à la débauche et à des actes illicites;
elle demanda doncà son mari : « Vous sortez souvent ; où
allez-vous vous réunir (à d'autres personnes) ? Je crains
que ce ne soit pour vous livrer à la débauche au dehors
156 CHENG KING (N° 425)
et mener une conduite déréglée. » Son mari lui répondit?
« J'ai contracté amitié avec un singe ; il est intelligent et
sage ; en outre il comprend la justice et la raison. Quand
je sors, c’est pour me rendre chez lui et ensemble nous
discutons sur la doctrine des livres saints ; nous ne par-
lons que de sujets agréables et je ne me livre d’ailleurs
à aucune débauche. »
Sa femme ne le crut pas et pensa que les choses ne se
passaient point ainsi ; en outre, elle était irritée contre
le singe (et se disait) : « Il attire mon mari et le fait sou-
vent aller et venir ; il faut que je trouve un moyen de le
tuer. Mon mari alors cessera (ses sorties). » Elle feignit
donc d’être malade ; épuisée et faible, elle gisait sur un
lit; son mari veillait sur elle avec beaucoup de sollicitude ;
il lui donnait des médicaments pour la soigner ; mais en
définitive elle se refusait à guérir. Elle dit à son mari :
« À quoi bon vous donner tant de peine et gaspiller ces
médicaments ? ma maladie est fort grave. Il faut que j'ob-
tienne le foie du singe avec lequel vous êtes lié d'amitié ;
à cette condition je conserverai la vie. » Son mari lui
répondit : « Ce (singe) est mon ami ; il m'a remis sa per-
sonne et m'a confié sa vie ; nous ne nous sommes jamais
soupçonnés l’un l’autre ; comment pourrais-je comploter
contre lui, afin de vous sauver la vie ? » Sa femme lui ré-
pondit : « Maintenant nous sommes mari et femme et
nous ne faisons ensemble qu’un seul corps ; mais vous ne
pensez pas à me sauver etau contraire vous agissez en
faveur du singe. En vérité cela n'est pas juste et raison-
nable. »
Le mari, poussé à bout par son épouse et ayant d’ailleurs
pour elle beaucoup d'estime, alla donc adresser cette
requête au singe: « Je suis venu à plusieurs reprises et
j'ai été auprès de vous ; ayez la bonté de ne pas consi-
dérer comme injuste de vous rendre dans ma maison;
maintenant, je désire vous inviter à venir dans ma de-
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CHENG KING: (N°5 495- 496) 167
meure pour y prendre un pêétit repas. » Le singe lui
répondit : « J'habite sur la terre ferme, etvous dans l'eau;
comment pourrais-je vous suivre ? » Cette tortue répondit :
«Je vous porterai sur mon dos ; nous pourrons d’ailleurs
considérer comme vaine toute cérémonie. » Le singe la sui-
vit donc ; quand la tortue qui le portait sur son dos fut ar-
rivée à mi-chemin, elle dit au singe : « Désirez-vous savoir
ce que j'ai à vous demander ? Ma femme est épuisée par la
maladie ; elle voudrait obtenir votre foie pour le manger et
être délivrée de sa maladie. » Le singe lui répondit : « Pour-
quoi ne m'en avez-vous pas parlé plus tôt? Mon foie est
resté penduà l’arbre; revenez en toute hâte pourque j'aille
le prendre. » Ils retournèrent donc l’un à la suite de l'autre.
Dès que (le singe) fut revenu en haut de l'arbre, il se mit
à bondir en témoignant sa joie. La tortue lui demanda
alors : « Vous deviez prendre avec vous votre foie pour
venir dans ma demeure ; voici qu'au contraire vous mon-
tez en haut de l'arbre; vous sautez et gambadez ; que pré-
tendez-vous faire ainsi ? » Le singe lui répondit : « Il n’y a
pas dans le monde d’être plus sot que vous : comment se
pourrait-il qu'ayant un foie je l’aie suspendu à un arbre ?
Nous étions amis ; je vous avais remis ma personne et
confié ma vie; vous cependant vous avez comploté contre
moi et avez voulu mettre ma vie en péril. Dorénavant, nous
_irons chacun de notre côté. »
N°20:
CAD RER IN ED DD 28 NEO)
Dans un passé fort lointain, il y a de cela des kalpas
innombrables, il y avait cinq ermites qui demeuraient
parmi les montagnes et les marais; quatre d’entre eux
153 CHENG KING (N° 426)
étaient les maitres ; le cinquième les servait; il leur four-
nissait ce dont ils avaient besoin et s'acquittait de sa tâche
sans jamais faire aucun manquement; il recueillait des
fruits et puisait de l’eau qu’il leur apportait à l’heure pres-
crite; un jour qu'il était allé loin pour chercher des fruits
et de l’eau potable, il s'endormit de fatigue et ne revint
pas au temps voulu; comme l'heure de midi était passée,
les quatre autres hommes furent privés de leur repas ; ils
en conçurent du déplaisir et, irrités par la faim, ils dirent
à leur serviteur : « Comment pouvez-vous vous acquitter
ainsi de vos fonctions ? Puisque telle est votre conduite
vous devez devenir un magicien de malheur et appartenir
à une famille indigne. »
En entendant ces paroles, le serviteur en ressentit un
chagrin inexprimable ; il se retira sous les arbres et s'as-
sitau bord d’une rivière en tenant un de ses pieds élevé
(au-dessus de l’eau); plongé dans ses réflexions, il se fai-
sait des reproches (disant) : « Après m'être donné de la
peine constamment, pendant fort longtemps, voici que j'ai
négligé d'offrir le repas à l'heure prescrite aux quatre
ermites ; j'ai manqué aux enseignements de la sagesse et
jé ne me suis plus conformé aux quatre sortes de bien-
faisance.» En proie alors à une vive émotion, 1l mourut.
Ses pieds étaient toujours chaussés de socques faites des
sept substances précieuses ; comme il était assis en te-
nant un de ses pieds relevé, il perdit une de ses socques
précieuses qui tomba dans l'eau.
Après que sa vie fut terminée, il naquit chez des héré-
tiques, comme fils d’un magicien de malheur. Quand il
fut âgé d'une dizaine d'années, il se trouvait jouer avec
des camarades sur le bord de la route, lorsqu'un brahmane
qui passait vit les enfants en train de jouer ; quoique leur
multitude füt fort nombreuse, il les observa tous et
saperçcut que le fils du magicien de malheur avait des
indices de haute dignité et qu'il devait devenir roi; sa
DR NT D,
CHENG KING (N° 426) 159
physionomie était très remarquable et était supérieure à
celle des autres personnes ; le brahmane lui donna cet
ordre : « Vous portez des indices qui marquent que vous
serez roi ; il ne vous faut pas vous mêler aux jeux turbu-
lents de la foule. » Le jeune garçon répondit : « Je suis le
fils d’un magicien de malheur; comment aurais-je les
indices qui marquent que je serai roi ? » Le brahmane
reprit : « D’après nos règles saintes, votre visage et votre
extérieur s'accordent exactement avec les diagrammes de
nos livres de prédictions et par conséquent vous devez
(être roi). Réfléchissez bien à mes paroles ; elles sont véri-
diques et non trompeuses ; en tel mois et en tel jour le
roi de ce pays mourra et certainement il vous cédera sa
dignité. » Le jeune garçon répliqua : « Ne divulguez point
cela et soyez d'accord avec moi pour garder le secret ; si
les choses se passent comme vous me le dites, je saurai
grandement reconnaître votre bienfait etje ne me permet-
trai pas d’être arrogant. » Après que le brahmane eut fini
de parler, il partit de là et s’en alla, en sortant du pays,
dans un autre royaume.
Quelques jours plus tard, le roi mourut sans laisser
d'héritier. On invita à venir les hommes sages afin de
faire de l’un d’eux le chef du royaume ; les ministres ras-
semblés délibérèrent en disant : « Un royaume sans sou-
verain est comme un homme sans tête ; il faut prompte-
ment envoyer des émissaires pour rechercher avec soin
quelque personne vertueuse que nous mettrons aussitôt
sur le trône. » Les émissaires se répandirent dans les
quatre directions; ils aperçurent de loin ce jeune garçon
qui avait toute l'apparence d’un homme extraordinaire ; ils
envoyèrent donc immédiatement des gens pour revenir
dire aux ministres assemblés de bien vouloir venir cher-
cher (le jeune homme) avec tout le cérémonial imposant
dû à un roi et avec l'équipage d'apparat prescrit par la
loi ; les ministres assemblés et tous les fonctionnaires sau-
160 CHENG KING (N° 426)
térent de joie, et, conformément à ce qu’avaient dit les
envoyés, ils vinrent chercher (le jeune homme) avec
un équipage imposant ; on le baigna dans de l’eau par-
fumée ; on lui donna les vêtements de cour des cinq sai-
sons (1); on le coiffa du bonnet précieux et on lui remit
l'épée et la ceinture conformément à ce qui était en usage
sous le roi précédent; par-devant et par-derrière des gardes
le précédaient et l'escortaient, et on ne s’écarta en rien des
statuts du royaume. (Le jeune homme) monta donc sur le
trône, se tint dans la salle principale et, tourné vers le
sud, rendit des décrets. Tout le pays jouit de la tranquil-
lité et la population exultait de joie.
Sur ces entrefaites, le brahmane, en observant en haut
les signes célestes, et, en considérant en bas la disposition
de la terre, reconnut que le (jeune homme) avait obtenu la
succession au trône. Il se rendit donc à la porte du palais
et demanda à le voir; le surveillant de la porte vint
annoncer : « Il y a dehors un brahmane qui demande à
voir Votre Majesté. » Le roi donna l’ordre qu'on l’admiît
en sa présence ; le brahmane entra, et après avoir remercié
par des prédictions et exprimé des vœux par des formules
magiques, il dit au roi : « Maintenant que (ce que je vous
avais dit) s'est réalisé, êtes-vous diposé à observer vérita-
blement le serment que vous avez fait autrefois ?» Le roi
lui dit: « En vérité, Ô religieux, vous avez une perspi-
cacité surnaturelle; c'est grâce à votre bienfait que j'ai
obtenu cette félicité. » Le roi ajouta : « O religieux, dési-
rez-Vous que je vous donne la moitié de mon royaume et
que je partage avec vous mes trésors d'objets précieux ?
Une épouse, des concubines, des chars, des chevaux, des
serviteurs, vous aurez tout ce que vous désirerez. » Le
brahmane répondit : « Je ne désire rien de tout cela. Je
vous exprime seulement deux désirs ; le premier est que
(1) Les quatre saisons et la saison des pluies.
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RS PER LR 4
ri) vs MT
CHENG KING (N° 496) 161
pour manger et pour boire, pour marcher et pour s'arrêter,
pour se vêtir, pour se coucher et pour se lever, moi et
vous, Ô roi, fassions tout cela ensemble et en nous atten-
dant l’un l’autre; mon second désir est que je participe
avec vous aux délibérations sur les affaires du royaume,
que toute décision soit prise d’un commun accord entre
vous et moi et qu'aucun de nous deux n’agisse de sa seule
autorité. » Le roi dit : « Fort bien. Tenir compte de ces
deux désirs et m'y conformer, n’est-ce pas chose facile ? »
Le roi se mit à gouverner son royaume ; il observait
toujours la droite règle et ne faisait aucun tort à la foule
du peuple. Le brahmane, qui recevait ses bienfaits, en
conçut de l’arrogance ; il traitait avec mépris les plus
hauts fonctionnaires. Les ministres en furent irrités et
vinrent présenter des remontrances (au roi) en lui disant:
« 0 roi, votre majestueuse dignité est fort élevée ; il vous
faut délibérer avec les plus vieux et les plus expérimen-
tés des ministres d'état ; or, vous ne vous confiez qu’en un
mendiant et vous faites ainsi qu’il méprise et outrage tous
vos officiers. Quand les royaumes voisins l’apprendront,
vous leur prêterez à rire et cela causera tous les maux des
attaques à main armée. » Le roi leur dit : « Quand j'étais
jeune, j'ai faità cet homme un ancien serment ; comment
pourrais-je le violer ? » Ses ministres continuèrent à lui
adresser des remontrances en lui disant: « Quand, 6 roi,
vous prenez vos repas, il suffirait qu'un beau jour vous
ne l’attendiez pas pour que certainement il change (de
conduite). » Le roi y consentit donc; il épia le moment où
le brahmane était sorti, et, sans attendre son retour, il se
mit à manger avant lui. Le brahmane {étant revenu) lui dit
avec colère : « Que signifie notre ancienne convention
pour que vous mangiez maintenant seul avant moi? » Le
roi répliqua : « Je mange, il est vrai, avant vous ; comme
vous étiez sorti et n'éliez pas encore de retour; j'ai pré-
paré pour vous une autre table pour que vous ÿ mangiez ;
LLE 1!
162 CHENG KING (N° 426)
c'est vous qui êtes venu en retard. » Le brahmane l’in-
juria en disant : «Hé, fils d’un magicien de malheur vous
ne tenez pas compte de la justice et vous violez votre an-.
cien serment. »
Tous les ministres, en entendant ces paroles, et en
voyant que, en leur présence, il outrageait le souverain,
proposèrent unanimement qu’on le fit périr ; le roi invita
ses ministres à lui indiquer de quel châtiment il faudrait ,
le punir ; ils s’avancèrent tour à tour pourdire, l’un, qu’il
fallait le tuer en le faisant cuire à la vapeur dans un vase
de terre percé de trous; un autre, en le faisant bouillir ;
un autre, en l’écartelant; un autre, en le pilant dans un
mortier; un autre, en lui faisant subir les cinq {chan (1)
qui sont: couper les oreilles, trancher la langue, arra-
cher les yeux. Le roi ne consentit à rien de tout cela et
dit : «J’observe les règles religieuses ; mon cœur affec-
tueux est miséricordieux pour toutes les espèces d’êtres ;
je ne ferais pas de mal même à un reptile ; à plus forte
raison ne mettrais-je pas en danger la vie d'un homme. Je
me bornerai à le chasser promptement hors du royaume
après l'avoir bien approvisionné. »
En conformité avec cet ordre, les ministres donnèrent
(au brahmane) des vêtements et des grains pour le voyage,
puis ils le firent sortir du territoire. Allant solitaire sur
une longue route, il était exposé aux atteintes du froid et
du chaud ; épuisé de forces et consumé de chagrin, il
n'avait plus forme humaine lorsqu'il arriva dans un autre:
royaume. Il se rendit chez un brahmane étranger avec
lequel il avait eu des relations d'amitié. Celui-ci lui
demanda ensuite : « D'où venez-vous ? Quelles connais-
sances avez-vous réunies etacquises ? À l'étude de quelles.
(1) Le mot ksana est, d'après les lexiques, l'équivalent de mârana qui
signifie « supplice ». Il semble que ce soit ce mot que recouvre la tran-
scription chinoise {chan.Mais notre texte n'énonce que trois des cinq sup-
plices.
CHENG KING (N°426) 163
règles vous êtes-vous consacré ? Pouvez-vous me réciter
tout ce que vous avez appris ? » L'autre répondit : « Je
viens de loin ; souffrant de la faim et du froid, j'ai été dans
la détresse et j'ai oublié tout ce que je savais par cœur. »
Le brahmane songea à part lui: « Toutce que cet homme
savait par cœur, il l’a maintenant oublié. Il est incorrigi-
ble. Il faut l’inviter à se livrer aux travaux des champs. »
I lui donna donc un esclave ainsi qu'une charrue et un
bœuf pour qu'il labourât.
Or, le premier brahmane, en labourant et en semant,
accabla de corvées son esclave, lui ordonnant avec dureté
d’égaliser le sol et l’envoyant courir tantôt à l'Est, tantôt
à l'Ouest. Désespéré, l’esclave voulut aller se jeter à l’eau;
quand il arriva sur le bord de la rivière, il trouva une soc-
que faite des sept substances précieuses ; il songea alors
« Si je veux donner cet objet à mon ancien maitre (1),
celui-ci ne me fera aucun bien; si je veux le donner à mon
père et à ma mère, ils ne manqueront pas de le vendre
pour avoir de quoi manger. Le brahmane (2) a été dur pour
moi et m'a chargé de corvées sans rémission; je vais lui
faire un présent en lui offrant cette socque et je m’assu-
rerai ainsi quelque indulgence. » Il revint donc en rap-
portant la socque qu'il présenta au brahmane ; le ‘brah-
mane tout joyeux se dit en lui-même : « Cette socque
faite des sept substances précieuses a une valeur inesti-
mable; j'ai déplu au roi, mais, si je lui offre cette socque,
ma faute pourra être effacée. »
En conséquence, il revint dans le royaume de ce roi et
offrit la socque au souverain en exposant un profond
repentir de son crime passé et en implorant son pardon.
Le roi lui dit :« Fort bien ». Il le fit alors entrer derrière
(1) Le brahmane étranger qui avait donné cet esclave au premier brah-
mane.
(2) Le premier brahmane, c'est-à-dire celui qui avait prédit au roi son
avènement au trône.
164 CHENG KING (N° 426)
une tenture et l’assit sur un siège à part ; puis il réunit
toute l'assemblée de ses ministres et leur dit : « Vous tous,
avez-vous vu le brahmane qui fut précédemment chassé ? »
Ils répondirent qu'ils ne l'avaient pas vu. (Le roi reprit) :
« À supposer que vous le voyiez, que faudrait-il lui faire ? »
Is répondirent qu'il faudrait lui couper les mains et les
pieds, lui trancher les oreilles et le nez, le décapiter, le
partager par le milieu du corps, lui appliquer les cinq sup-
plices. Le roi dit : « À supposer que vous le voyiez, pour-
riez-vous le reconnaître? » Ils répondirent qu'ils ne le
distingueraient pas. Le roi produisit la socque précieuse
et la montra à l'assemblée de ses ministres, puis il ordonna
au brahmane de sortir pour que les ministres le vissent ;
(il dit) : « (Puisque ce brahmane) m’a procuré ce merveil-
leux joyau, il faut lui pardonner. » Ses ministres lui dé-
clarèrent : « Ce brahmane a commis un crime grand
comme une montagne, grand comme la mer. On ne sau-
rait le gracier. L'offrande qu'il fait d’une seule socque ne
constitue pas une réparation suffisante. S'il retrouve la
paire, alors sa faute pourra être effacée. » Le roi approuva
cet avis et, pour la seconde fois, chassa le brahmane en
l'invitant à rechercher l’autre socque.
Le brahmane désolé, (se disait) : « Je gémissais autrefoiset
voici que maintenant on m'impose de nouveaux efforts. »
Il retourna chez son ancien maître ; celui-ci lui demanda :
« Où êtes-vous allé et d’où venez-vous ? » Le brahmane
cacha ce qui s'était passé et n’osa pas le lui avouer; il dit:
« Je reviens d'un voyage quelconque. » (Son maître) lui
remit donc la charrue, le bœuf et l’esclave et Le chargea
de labourer et de semer comme précédemment. Le brah-
mane demanda alors à l’esclave : « Cette socque précieuse
que vous aviez naguère, où l'avez vous trouvée ? » L’esclave
alla avec lui pour lui montrer l’endroit où était la socque;
ils arrivèrent au bord de l’eau et cherchèrent partout,
mais sans découvrir l'endroit où était (l’autre) socque.
CHENG KING (N° 426) | 165
L’esclave l'ayant quitté et s’étant éloigné, le brahmane se
dit que la (première) socque précieuse avait dû venir de
plus haut en suivant le courant et que, si on allait plus bas
pour chercher {la seconde), on ne la trouverait pas.
Il se mit donc à marcher en remontant le cours de la
rivière ; il aperçut une grande fleur de lotus qui suivait le
fil de l’eau et qui tournoyait sur les flots ; un poisson la
tenait dans sa bouche ; cette fleur était fort grande et avait
plus de mille pétales. Le brahmane songea que, bien qu’il
n’eût pas trouvé la socque, s’il offrait cette fleur, il pourrait
peut-être se faire pardonner sa faute et recouvrer la faveur
dont il jouissait autrefois. Il s’empara donc de cette fleur;
alors, il aperçut les quatre ermites (1) qui étaient assis sous.
un arbre; il s’avança, se prosterna devant eux, s’informa
de leur santé et leur demanda si leurs saintes personnes
jouissaient des dix mille félicités ; les ermites lui dirent :
« Oui ; mais d’où venez-vous ? » Il répondit : « J’ai déplu
au roi; bien que je lui aie offert une socque, cela n’a pas
suffi à effacer ma faute; c’est pourquoi je suis venu en
remontant le cours de la rivière pour chercher (l’autre
socque), mais je ne l’ai pas encore trouvée. » Les ermites
lui dirent: « Vous êtes un homme instruit et vous deviez
savoir comment vous comporter. Ce roi du royaume est
notre disciple (2) ; il vous traitait avec affection et avec
estime ; avec vous, 1l mangeait, s’asseyait et se levait et il
vous associait à ses délibérations. Comment se fait-il
qu'un beau jour vous l’ayez injurié en l’appelant fils de
magicien de malheur? Votre faute est grave et on aurait dû
vous mettre à mort; or, maintenant on ne vous en de-
mande pas compte. » Du doigt ils lui indiquèrent (une
place) sous un arbre ; là se trouvait l’ancien corps du roi,
(1) Les quatre ermites dont il a été question au commencement du
conte. Tout ce récit est d’ailleurs fort embrouillé et paraît avoir été altéré
par le traducteur chinois.
(2) Celui qui, autrefois, avait été le serviteur des quatre ermites (cf.
p.196; ligne l!.
166 CHENG KING (N°5 426-427)
celui qu'il avait quand il était le serviteur (des ermites),
quand il leur apportait la nourriture, quand il s'était assis
en tenant un pied élevé en l'air, quand il était mort de
l'intensité de son émotion et quand une de ses socques
précieuses était tombée dans l’eau ; l’autre socque était
encore à son pied. Le brahmane alla aussitôt prendre celle-
ci; quand il eut la socque, il se prosterna la tête contre terre
et s’excusa de sa faute (auprès des ermites). Étant revenu
dans le royaume, il offrit encore (cette socque) au souve-
rain ; le roi fut joyeux et l’animosité des ministres se dis-
sipa ; le brahmane retrouva la faveur et les dignités (dont
il avait joui autrefois).
Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui alors était Le roi,
c'est moi-même ; les quatre ermites sont le Buddha Æeou-
lieou-ts’in (Krakuëtanda), le Buddha Æeou-na-han-wen-ni
(Kanakamuni), le Buddha Xra-che (Käçcyapa) et le Buddha
Mi-lei (Maitreya). Quant au brahmane, c’est T’iao-la (Deva-
datta). » Quand le Buddha eut ainsi parlé, il n’y eut per-
sonne qui ne fût satisfait.
N°27:
CPR EXTINEE 0 Dh 3780-8800)
Autrefois, il y a de cela des générations innombrables,
il y avait un roi nommé J'a-lch'ouan (grand bateau) ; le ter-
ritoire de son royaume était étendu ; ses nombreux offi-
ciers et ses grands ministres formaient aussi un vaste
ensemble ; son pays était fertile ; son peuple était prospère.
Ce roi avait cinq fils: le premier était avisé ; le second
était ingénieux ; le troisième était beau ; le quatrième était
énergique; le cinquième avait la vertu qui procure le
bonheur. Chacun d'eux fit l'éloge de ce qui constituait sa
propre supériorité. Celui qui était avisé loua la qualité
D _ —*
CHENG KING (N° 427) 167
d’être avisé comme la première des vertus en ce monde
et chanta cette gâthà : |
Être avisé est la première (des vertus); —(cette vertu) peut
trancher lous les doules, — résoudre les cas difficiles à
décider, — défaire avec accord les nœuds formés par de
vieilles haines ; — elle peut, en ayant recours à des moyens
appropriés aux circonstances, — faire que les hommes
obtiennent ce qui leur est dû. — Tous, en la voyant, sont
Joyeux — el la célèbrent unanimement.
Le second fit l’éloge de l’ingéniosité et chanta cette
gâthà :
L'ingéniosité a des artifices adroits ; — elle peut fabri-
quer beaucoup de choses ; — avec des mécanismes elle fait
un homme en bois — qui peut vraiment ressembler à un
homme, — qui remue, qui se courbe el qu se dresse. —
Tous ceux qui la voient à l'œuvre sont contents ; — tous
reconnaissent sa valeur et lui font des présents ; — son habr-
leté esl une ressource en laquelle on se fie.
Le troisième homme fit l'éloge de la beauté et chanta
cette gâthà :
La beauté est la première ; — quand une personne est
d'une beauté qu'il serait difficile d'égaler, — les hommes
en foule conlemplent son visage ; — il n'est personne au
près comme au loin qui n'ait entendu parler d'elle ; — tous
accourent pour l’honorer — et pour la servir avec un zèle
universel ; — les gens de sa famille la traitent avec respect
comme un deva ; — elle est semblable au soleil quand il
émerge des nuages flottants.
Le quatrième homme fit l’éloge de l'énergie et chanta
cette gâthà :
L'énergie est la première ; — par l'énergie on va sur la
grande mer ; — on peul traverser loutes les difficultés les
plus pénibles — el acquérir en quantilé des richesses pré-
cieuses ; — l’homme vaillant peut faire beaucoup de choses ;
— c'est par celle qualilé que rien ne lui fait obstacle. —
168 CHIENG KING (N° 427)
Dans ses occupalions habituelles tout lui réussit; — ses
parents el ses voisins l'admirent, l'aiment et le célèbrent.
Le cinquième homme fit l'éloge de la vertu qui procure
le bonheur et chanta cette gâthà :
La vertu productrice de bonheur est la première ; — là
où elle se trouve, on obtient spontanément (ce qu’on désire)
— bonheur el joie sont sans limiles ; — de naissance en
naissance on a un champ producteur de bonheur ; — par
ce bonheur on devient Cakra, maître des devas, — ou
Brahma devaräja, ou un rot qui fait tourner la roue (takra-
varlin) ; — on oblient aussi de réaliser en soi la sagesse
d'un Buddha, — et d'être parfailement un roi de la Loi
sage.
Quand ils eurent tous parlé de ce qui constituait leurs
supériorités respectives, chacun d’euxavait ditquela sienne
était la première et il n'y avait pas moyen de décider entre
eux. Chacun d’eux restait ferme dans son opinion et ne
voulait pas se soumettre à un autre. Ils se dirent alors
l’un à l’autre : « Que chacun de nous mette à l'essai ses
propres mérites et manifeste ses marques distinctives
d'homme de valeur (purusa). Parcourons au loin les divers
royaumes et allons dans des pays étrangers; alors on
discernera quelle est, parmi ces vertus extraordinaires,
celle qui est la première. »
Celui qui était avisé alla donc dans un royaume étranger ;
il fit des enquêtes pour savoir quels étaient parmi les
habitants de ce pays ceux qui étaient bons et ceux qui
étaient mauvais, quels étaientles prix des grains, qui étaient
les hommes puissants et riches et qui étaientles hommes
de condition humble et sans influence. Il apprit que, dans
ce royaume, il y avait deux notables, d’une puissance et
d'une richesse difficiles à égaler, qui avaient été autrefois
amis intimes et qui s'étaient, dans l'intervalle, séparés ;
plusieurs hommes avaient fait des machinatiors perverses
et les avaient mis aux prises pour qu'ils devinssent enne-
CHENG KING (N° 427) 169
mis ; plusieurs années s'étaient écoulées sans qu'ils pussent
se réconcilier. Cet homme avisé imagina un moyen appro-
prié aux circonstances : prenant avec lui des vivres excel-
lents à offrir en présent, des boissons et des mets de
toutes sortes, ilse rendit à la porte de l’un des notables en
demandant qu'il voulût bien lui donner audience. Le no-
table l’ayant admis en sa présence, il lui offrit tous les
présents de nourriture qu'ilavait apportés; puis, ils’excusa
auprès de lui et lui demanda de ses nouvelles en lui disant
au nom de l’autre notable : « Lui et vous étiez autrefois
séparés l’un de l’autre ; sans que vous vous en aperçus-
siez, une multitude d'hommes ont fait des machinations
perverses qui ont produit des nœuds de haine ; séparés
l’un de l’autre pendant plusieurs années, vous n’avez pas
pu causer ensemble ; il a pensé que dans une entrevue
personnelle il s'expliquerait avec vous sur ces choses pé-
nibles ; c’est pourquoi il vous envoie des boissons et des
mets qu'il vous offre en présent; puissiez-vous les accep-
ter et ne pas lui faire de reproches. D'ailleurs lui et vous
n'avez pas d’inimitié qui vous vienne de vos pères, ni d’hos-
tilité qui vous vienne de vos mères ; aussi m’a-t-il envoyé
ici pour vous exposer ses intentions. » En entendant ces
paroles, le notable fut content etse réjouit fort en disant:
« Je désirais me réconcilier avec lui depuis déjà long-
temps ; mais je n'avais aucun ami qui püt l’informer de
mes sentiments. Que ce soit lui qui daigne avoir confiance
en moi etqui condescende à me faire savoir (ses intentions),
c'esten vérité ce que je n'aurais pas osé espérer. Je par-
tage ses excellentes pensées et j’obéis aux désirs que vous
m'apportez sans me permettre de résister.» Quand l'homme
avisé eut délivré le notable de ses soucis et qu'il en fut
clairement certain, il prit congé et se retira ; il se rendit
ensuite chez le second notable auprès de qui il agit de
même, lui expliquant et lui exposant les intentions de
l’autre comme il a été dit précédemment. Alors les deux
170 CHENG KING (N° 427)
notables se fixèrent un rendez-vous ; ils se réunirent en
un même lieu, et au milieu d’une nombreuse assemblée,
abjurérent leur inimitié. En cette occasion on fit un ban-
quet de fête où on se livra à toutes sortes de réjouissances ;
les deux notables se divertirent ensemble, puis il se
demandèrent l’un à l’autre comment leur étaient venues
ces pensées de réconciliation; ils apprirent ainsi que |
c'était cet homme qui, en sachant bien profiter des cir-
constances, avait réconcilié leurs deux inimitiés et les
avait rendus amis comme auparavant.. Chacun d’eux son-
gea en lui-même : « Nous étions éloignés l’un de l’autre
depuis longtemps, et, dans tout le royaume il n’était per-
sonne qui püt nous réconcilier ; il a fallu que cet homme
vint de loin pour nous donner l’un à l’autre de nos nou-
velles et pour nous réconcilier ; le service qu’il nous a
rendu serait difficile à mesurer ; ce n’est pas avec des mots
qu'on peut le reconnaître complètement. Chacun d’eux
prit donc cent mille onces d’or et les donna à cet homme :
celui-ci recut ces richesses et les donna à ses frères en
chantant cette gâthà :
Les paroles suffisent à tout faire ; — l’habileté à discu-
ler peut créer des règles auxquelles on se conforme. —
Celui qui est vraiment un homme supérieur est capable
d'être informé de tout; — il n’est rien de si caché qu'il ne
le connaisse à fond. — Voyez comment, grâce à ma qualité
d'être avisé, — je me suis procuré ces richesses si consi-
dérables ; — vêlements el nourriture, je les ai en abondance
— et même j'en fais des libéralilés aux autres.
Le second (frère), celui qui était ingénieux, se rendit à
son tour dans un pays étranger. Précisément le roi de ce
pays aimait les artifices adroits ; cet homme fit donc avec
des matériaux en bois un homme de bois mécanique ; sa
figure était belle ; ilne différait point d’un homme vivant;
ses vêtements étaient élégants ; il était d'une intelligence
sans égale, pouvait habilement chanter et danser et se
Eee GE
CHENG KING (N° 427) 171
mouvait comme un homme. (Celui qui l'avait fabriqué)
dit: « C’est mon fils ; il a tel âge. » Les gens du royaume
témoignaient du respect (à l'homme en bois) et on lui faisait
de nombreux présents. Le roi en entendit parler et ordonna
qu'on lui fit faire des tours d'adresse ; le roi et sa femme
montèrent sur un belvédère pour le regarder ; (l’homme
_en bois) fit des tours, chanta, dansa et montra toutes sortes
d’'habiletés; il s’agenouillait, saluait, avançait, s’arrêtait,
mieux que ne l’eût fait un homme en vie. Le roi et sa
femme y trouvaient un plaisir sans limites. Soudain,
(l’homme en bois) se mit à cligner des yeux et à regarder
voluptueusement la reine ; le roi le vit de loin et son cœur
en conçut de l’irritation ; 1l ordonna brusquement à ses
gardes : « Coupez-lui la tête et apportez-la moi ; pourquoi
cligne-t-il des yeux en regardant ma femme? je pense
qu'il a des intentions mauvaises ; ses regards voluptueux
sont indéniables. » Le (prétendu) père (de l’homme en bois)
se mit à pleurer et son visage était tout sillonné de
larmes; à deux genoux il implora grâce: « J'ai un seul
fils que je chéris extrêmement ; que je m'asseye ou que je
me lève, que j’avance ou que je recule, (il est toujours
avec moi) pour dissiper mes chagrins. C’est parce que
mes pensées stupides n’ont pas réussi (à le bien élever)
qu’il a commis cette faute. Si on le met à mort, je périrai
avec lui. Puissiez-vous lui témoigner de la miséricorde et
pardonner son crime. » Comme le roi, qui était fort irrité,
ne voulait pas l’écouter, il dit encore au roi: « S'il ne
doit plus vivre, je désire le tuer de ma main; ne chargez
personne d'autre de ce soin. » Le roi y ayant consenti, il
retira une cheville sur une des épaules ; le mécanisme se
disloqua et se répandit en morceaux sur le sol; Le roi stu-
péfait et déconcerté, s’écria : « Comment ai-je pu moi-
même m'irriter contre des pièces de bois ? Cet homme est
d'une ingéniosité merveilleuse et n’a pas son pareil dans
le monde. Il a fait ce mécanisme qui a trois cent soixante
172 CHENG KING (N° 427)
articulations et qui est supérieur à un homme en vie. » Il
lui fit donc présent de cent mille myriades de pièces de
monnaie. Cet homme s’en alla avec cet or; il le donna à
ses frères en les invitant à s’en servir pour boire et pour
manger etil leur chanta cette gâthà :
Contemplez celle ingéniosilé ; — nombreuses sont les choses
qu'elle peut fabriquer ; — avec des mécanismes elle fait un
homme en bois — qui l'emporte sur ceux qui sont en vie;
— il chante, danse et offre des spectacles réjouissants, —
en sorle que les plus hauts personnages y trouvent leur
plaisir. — J'ai oblenu qu'on me fit don de ces richesses
considérables ; — qui pourrait, mieux que moi, être le pre-
mier ?
Le troisième frère, celui qui était beau, se rendit à son
tour dans un pays étranger. En apprenant qu’un homme
beau était venu d’une région lointaine, qu'il l’emportait
sur tous les autres par sa grâce etqu’ilétait une merveille
comme il y ena rarement dans le monde, les habitants
du pays vinrent tous à sa rencontre et lui offrirent en pré-
sent des boissons et des mets de toutes les saveurs, de
l'or, de l'argent et des objets précieux. Cet homme ayant
fait quelques tours d'adresse, la multitude l’en aima davan-
tage; on contemplait et on admirait son visage lumineux
comparable à lalune parmi les étoiles. Les filles des plus
nobles familles, celles qui avaient de l’argent en abon-
dance et dont les trésors étaient pleins, lui offrirent des
joyaux extraordinaires et des richesses par innombrables
centaines de mille (de pièces de monnaie). Quand cet
homme eutobtenu ces richesses, il les donna à ses frères
en chantant cette gâthà :
Excellente est la beauté semblable à une fleur ; — un vi-
sage harmonieux el régulier est chose suffisante ; — les
femmes el les hommes témoignent leur respect (à un tel
homme) — qui peut constamment jouir de la tranquillité ; —
la foule le contemple — comme la lune parmi les étoiles. —
CHENG KING (N° 427) 173
Maintenant, voici les richesses que j'ai acquises ; — elles me
permellent de subvenir à mon entretien personnel et de faire
des libéralités aux autres.
Le quatrième (frère), celui qui était énergique, se ren-
dit à son tour dans un pays étranger; arrivé au bord d’un
fleuve, il aperçut un arbre {chan-l'an (candana — santal),
qui descendait emporté par le courant; il ôta ses vête-
ments, entra dans l’eau, et, en nageant à travers les flots,
il le saisit. Or, chez le roi de ce pays, on avait un besoin
urgent de chan-lan (Candana= santal) ; il apporta donc sa
trouvaille et l’offrit au roi; ilreçut en retour cent myriades
de livres d’or et les richesses qu'il obtint furent en nom-
bre incalculable ; il les donna à ses frères en chantant cette
gâthà :
L'énergie est la première ; — l'homme vaillant peut aller
sur la mer, — et acquérir une multitude de richesses — dont
il fait don à ses parents el à ses amis. — Parce que j'ai
pu nager dans les ondes du fleuve, — je me suis emparé d'un
tchan-t'an (cCandana) merveilleux — qui m'a valu ces som-
mes d'or — suffisantes pour me nourrir el pour faire des
libéralités aux autres.
Le cinquième (frère), celui qui avait la vertu produc-
trice de bonheur, se rendit à son tour dansun pays étran-
ger. Un jour que la chaleur était fort grande, il se coucha
sous un arbre; en ce moment, le soleil s’éloignait du mi-
lieu de sa course ; les ombres de tous les arbres se dé-
plaçaient, mais l’ombre de l'arbre sous lequel était couché
cet homme ne bougeait pas; lui-même avait une majesté
fort haute et sa beauté était merveilleuse; il ressemblait
au soleil et à la lune. Or le roi de ce pays était mort sans
laisser d’héritier qui pôût lui succéder sur le trône ; les
habitants délibérèrent entre eux en disant: « Il nous faut
chercher un sage pour le nommer souverain du royaume. »
Les hommes chargés de cette recherche sortirent dans
toutes les directions pour choisir dans le royaume celui
174 CHENG KING (N° 427)
qui serait digne d'être mis sur lé trône; en allant faire
leur enquête, les envoyés aperçurent cet homme sous un
arbre ; il était une merveille comme il y en a rarement
dans le monde, et, tandis qu’il était couché sous l'arbre,
l'ombre de l'arbre ne s'était pas déplacée. Les envoyés
pensèrent: « Ce n’est pas là un homme ordinaire ; il est
digne d’être souverain du royaume. » Ils allèrent donc
informer les principaux ministres du royaume et leur
exposèrent toute cette affaire. Alors tous les ministres,
dans un pompeux appareil, précédés et suivis de cavaliers
et de chars, portant leurs sceaux et leurs cordons, leurs
coiffures et leurs bonnets, avec tous les attelages et leurs
vêtements de cérémonie allèrent le chercher. On le lava
avec de l’eau parfumée ; on le coiffa du bonnet et on le
revêlit des vêtements (royaux); on lui ceignit la ceinture,
et, quand cela fut terminé, tous se prosternèrent dévant
lui en se disant ses sujets. Il monta en char, entra dans
le palais, et, le visage tourné vers le sud, il rendit des
décrets : le royaume jouit alors d’une grande tranquillité ;
le vent et la pluie arrivèrent en leur temps. Le roi pro-
mulgua alors un édit en dehors (de son royaume) pour
mander les quatre hommes dont l’un était avisé, le second
ingénieux, le troisième beau, et le quatrième énergique,
et, pour les faire venir dans la salle supérieure du palais.
Tous arrivèrent en même temps et reçurent l'ordre de se
tenir comme des gardes du corps. Le roi qui possédait une
vertu productrice de bonheur chanta alors cette gàthà :
Celui qui possède la vertu mériloire productrice de bon-
heur — peut devenir Cakra maître des devas, — ou, s'il
est un Souverain, rot qui fait tourner la roue (cakravartin) ;
— il pourra aussi devenir un Brahmadeva. — Celui qui
est avisé el celui qui est ingénieux, — celui qui est beau
ainsi que celui qui est énergique — viennent lous à la porte
de celui qui possède la vertu productrice de bonheur ; — ils
se tiennent à ses côlés et sont ses sujets et ses serviteurs.
CHENG KING (N° 427-498) 175
Alors donc le roi qui possédait la vertu productrice de
bonheur conféra de hautes charges à ses frères en faisant
que chacun eût la place qui convenait à ses capacités.
IN 428:
(Pipe RNB D 30
Autrefois, dans des temps fort lointains, un eunuque {1}
étant mort, ses parents et ses voisins prirent son corps
et le déposèrent parmi des arbres {ch'ou (ailante). Sur ces.
entrefaites, un chacal et un corbeau vinrent pour en man-
ger la chair ; ils se mirent alors à se décerner l’un à l’autre
des éloges au milieu des arbres. Le corbeau adressa au
chacal cette gâthà :
Votre corps est comme celui d'un lion ; — voire téêle est
comme celle d’un ermile ; — par le luisant (de votre pelage)
vous ressemblez à un rot des cerfs ; — c'est la perfection !
vous êtes comme une belle fleur. |
Le chacal, d’entre les arbres, le loua par cette gâthà :
Qui est ce personnage vénérable perché sur l'arbre ? —
pour la sagesse il est de beaucoup le premier ; — son
intelligence illumine les dix régions —, comme le ferail
un monceau d'or pur.
Alors le corbeau répondit en chantant celte gâthà :
Vous êles un grand lion ; — c'est pour vous voir que je
suis venu lout exprès ; — vous êles luisant comme un rot
des cerfs ; — c'est la perfection ! je trouve (à vous voir)
profit el sagesse.
(1) D'aprèsla version tibétaine (Schiefner, Mél. As. Saint-Pétersbourg,
t. VIII, pp. 160-163), les gens de Râjagrha avaient décidé de faire un
cimetière pour les hommes et un cimetière pour les femmes; comme
l'eunuque ne pouvait être enterré ni dans lun ni dans l'autre, on len-
fouit au pied d'un ricin. Cf. notre n° 384.
176 CHENG KING (N° 428)
Le chacal répondit encore en chantant cette gâthà : :
Sincères el loyaux sont les vrais amis ; — nous nous
louons l'un l’autre avec une par faile sincérité ; — moielvous,
Ô monceau d'or pur, — qu'on ne se permelle pas (1) de
demander si nous nous nourrissons de ce (cadavre).
Or, non loin de là, il y avaitun grand ermite qui demeu-
rait dans la solitude, qui agissait d’une manière pure et
pratiquait la sagesse ; en entendant les éloges alternés que
se décernaient l’un à l’autre le chacal et le corbeau, il
songea : « Ces êtres de cette sorte s’exclament à tort et à
travers sur (leurs mérites) mutuels ; leurs paroles sont
toutes dénuées de raison et il ne s’y trouve pas un mot
sincère et vrai. » Il les interrogea donc par cette gâthà :
Depuis longtemps j'ai vu ce que vous faites ; — actuel-
lement vous êles lous deux des menteurs ; — vous vous
cachez parmi les arbres — pour manger tous deux de la
chair humaine.
Alors le corbeau irrité répondit à l’ermite par cette
gâthà :
Le lion et le paon (2) — se nourrissent tous deux de la chair
des animaux — qui, auprès de ce vieillard chauve et sans
passions, — tour à lour viennent demander qu'il leur sauve
la vie.
L’ermite répondit par ces gâthäs :
Sous les arbres ich'ou la puanteur est extrême ; — tous
les oiseaux la redoutent — el les troupes de cerfs n'y
cherchent pas un abri. — On y a déposé le corps d'un
eunuque mort, — el vous, vile engeance, — vous êles venus
vous réunir ici — pour vous repaître de ce cadavre d’eu-
nuque. — Cependant vous vous prélendez des personnes
supérieures |
(1) Je suppose que Fff est mis ici pour Æ. Les textes du Cheng king
sont très incorrects et parfois totalement incompréhensibles
(2) C'est-à-dire le chacal et le corbeau.
CHENG KING (N° 429) | 177
N° 429.
(Trip, XIV, 5, p. 39 ve.)
Autrefois, en des temps fort lointains, dans un lieu
écarté, plusieurs hommes qui recevaient d’un divin er-
mite (rsi) l’enseignement des cinq pénétrations (abhijnâ),
demeuraient là solitaires. Ils s’encourageaient entre
eux et se prêtaient une aide mutuelle ; chacun d’eux à
son tour allait recueillir des fruits pour en approvision-
ner (la communauté) et ainsi ils faisaient une économie
(de temps et de peine) ; si l’un d’eux tombait malade, les
autres le veillaient et le soignaient tour à tour.
Or, il y avait un étudiant (mo-na — mânavaka) qui, toutes
les fois que se présentait un cas urgent, s'’esquivait en
toute hâte ; si quelque étudiant était dans les embarras
d’une difficulté pressante ou d’une maladie, il ne lui
donnait jamais ses soins. Un jour que cet étudiant était
lui-même en détresse, personne ne le secourut et il resta
seul sans aucun compagnon ; une autre fois, il tomba
malade et personne ne l’entoura de soins, ni ne lui apporta
de fruits pour les lui donner à manger.
Alors, l'ermite doué des cinq pénétrations vit cet
homme ;le Ao-chang (upädhyâya) (1) s'aperçut qu’il était
dans cette situation et il songea en lui-même: « Cet
homme est seul et abandonné, et personne ne le secourt
ni ne le protège. » Il fut ému de pitié, alla auprès de lui
et lui demanda : «O étudiant (mo-na — mânavaka), au temps
où vous étiez bien portant, avez-vous demandé des nou-
velles des autres et vous êtes-vous informé (de leur santé) ?
N’avez-vous pas des amis intimes ou des amis ? » [l répon-
(1) C'est-à-dire l’ermite.
II. 12
178 CHENG KING (N° 429)
dit aussitôt : « Je ne l'ai point fait. Et de même, à Ao-chang
(upâdhyäya) je n'ai point d'amis, soit amis intimes, soit
simples connaissances ; mon père et ma mère, mes parents
et mes voisins sont fort loin d'ici. » (Le ho-chang) lui
demanda encore: « Ces brahmatarins demeurent tous
dans ce même lieu ; n’avez-vous pas trouvé parmi eux
des amis intimes et noué des relations ? — Je ne l’ai pas
fait », répondit-il. Le ho-chang (upàädhyâya) répliqua : « Si
vous n'avez pas formé d’amitiés intimes et s'il n'y a
pas de gens que vous connaissiez, pourquoi êtes-vous
un homme? Voyez les autres qui se témoignent alternati-
vement de la déférence et qui se rendent des services tour
à tour. Vous êtes seul à ne pas le faire. Aussi êtes-vous
aujourd’hui seul et abandonné et personne ne vous vient
en aide et ne vous secourt. » Alors l’ermite (rsi) soutint
le mo-na (mânavaka) et le fit asseoir sur un siège à l’en-
droit où lui-même se tenait ; il lengagea à se calmer, puis
il l'emmena chez des amis qui le soignèrent. Il chanta
alors cette gâthà :
Quand vous avez renoncé à femme et enfants, — que vous
éles sorli du monde el que vous n'avez plus personne pour
vous aimer, — c'est votre ho-chang (upâdhyäâya) qui est
votre père, — el vos condisciples qui sont vos frères. — De-
meurant avec des brahmatarins, — si vous ne donnez pas
vos soins aux autres, — quand vous tomberez gravement
malade, — vous serez isolé et n'aurez aucun appui. — Je
remarque que vous vous en êles déjà aperçu. — Conduisez-
vous avec purelé pour vous faire des amis ; — conduisez-
vous envers tous avec déférence — el les autres à leur tour
vous donneront leurs soins.
… sd stiénudls
CIHENG KING (N° 450) 179
N° 430.
(Trip., XIV, 5, pp. 41 r°-A4 vo.)
Autrefois, dans des générations fort lointaines, le
royaume de Po-lo-nai (Vârânasi) avait un roi nommé
Fan-la (Brahmadatta). Ce roi était doué d’une grande
vertu ; sa renommée s'était répandue au loin. Une fois,
le royaume souffrit de la disette ; le prix du riz et des
grains Ss'éleva ; le peuple fut affamé ; les mendiants
devinrent fort nombreux ; on n'avait pas de quoi fournir
(à leurs besoins).
Auparavant, le roi se plaisait à faire des libéralités ; des
quatre côtés de l’espace, les mendiants accouraient ;
ils s’assemblaient comme des nuages flottants; des dix
régions, tous venaient. Le roi fournissait à leur entretien
de tout son pouvoir ; il exerçait ainsi la libéralité sans
jamais se lasser.
Le prix des céréales et du riz vint à s'élever; le ciel
départissait une extrême sécheresse et ne faisait plus
tomber de pluie ; ce qu’on semait ne donnait aucune
récolte ; le peuple souffrait de la famine ; les mendiants
devenaient chaque jour plus nombreux et se rendaient à
la porte du palais du roi; comme les greniers s’épuisaient,
les ministres et les officiers délibérèrent entre eux,
disant : « Maintenant ce roi fait immédiatement des libé-
ralités à qui ose venir mendier auprès de lui et il est
incapable de résister à personne. Cependant, il y a une
sécheresse etil ne pleut pas ; les mendiants sont devenus
fort nombreux; le prix des céréales et du riz s’est élevé ;
les greniers s’épuisent ; (le roi) va ruiner le royaume. »
Alors tous les ministres, en vue de sauvegarder le
180 CHENG KING (N° 430)
*
royaume, allèrent auprès du roi et lui rendirent compte
en détail de cette délibération, disant : « O roi, il vous
faut maintenant cesser vos libéralités ; c'est ce qu’au-
torise la Loi ; attendez que plus tard l'abondance se soit
produite, et vous recommencerez alors vos libéralités. »
Le roi leur déclara : « Je ne saurais me lasser de donner;
j'ai promulgué une ordonnance annonçant ma volonté de
faire des libéralités ; comment me mettrais-je en contra-
diction avec mes sentiments primitifs ? Si quelqu'un vient
m'adresser une requête, comment supporterais-je de lui
résister ? Si personne ne vient, alors je ne donnerai
rien. »
Aussitôt les ministres tinrent conseil et dirent : « IL
nous faut aviser à un stratageme pour le bien (du pays) et
ordonner que tous les pauvres gens ne soient pas auto-
risés à venir mendier ; ainsi nous couperons court (aux
libéralités du roi). » Or, le roi n'avait point renoncé à ses
libéralités et il avait formulé ce souhait dans son cœur :
« Puissent mes greniers ne point se vider. »
Cependant, les magistrats préposés aux lois avaient
proclamé au loin dans toutes les directions un ordre aux
termes duquel il était interdit d'aller mendier auprès du
roi; ceux quise permettraient de le faire seraient tous
mis à mort et on abandonnerait leur corps sur la place
publique de la ville. Les mendiants qui étaient accourus
des quatre points de l’espace dans ce royaume, n’osèrent
plus venir mendier quand ils furent informés de ces pres-
criptions rigoureuses et ne purent plus voir le roi ; tristes
et affligés, ils demandaient aux grands ministres : « Y a-
t-il vraiment une telle ordonnance ? » Ils leur demandaient
encore : « ( vous qui êtes notre père et notre mère, y a-
t-il réellementces prescriptions rigoureuses et ne pouvons-
nous plus mendier ? » Ils leur répondirent : « Le règle-
ment existe; vous ne pouvez plus aller mendier. » Les
mendiants leur demandaient encore : « S'il y avait des
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L
L
J
e
CHENG KING (N° 430) 181.
ambassadeurs officiels venus de contrées lointaines, (la
règle serait-elle pour eux la même ?) » (Les ministres leur
répondirent) : « Que ces ambassadeurs viennent de l'Est
ou de l'Ouest, du Sud ou du Nord, tous trouveront en suffi-
sance, dans les provisions des greniers et dans les (réserves
de) grains, à boire et à manger ; maintenant ces officiers
seuls obtiendront à boire et à manger. » En conséquence,
on promulgua cette ordonnance qu’on signifia au loin dans
toutes les directions : « Tous les mendiants pauvres et
sans ressources n'auront pas le droit de venir à la porte
(du palais) pour mendier auprès du roi ; s’il y en avait qui
le fissent, ils seraient tous condamnés à mort. Mais les
ambassadeurs de pays lointains pourront voir (le roi) et
manger (des provisions) des greniers. Qu'on se dise cela
de proche en proche. » Tous les hommes savaient que ces
prescriptions avaient été édictées par les ministres, et
non par le roi.
Orilyeutun brahmane qui, après avoir souffert de la faim
et du dénuement pendant un jour entier, voulut mendier
au dehors pour sauver sa vie et résolut d'aller partout en
suppliant pour subvenir aux besoins de sa femme et deses
enfants. — Quand les grains sont à bas prix, le mendiant
trouve aisément (des aumônes) et ce qu'ilobtient est sans
limites ; mais, si le prix des grains s’est élevé, il est dif-
ficile pour le mendiant d'obtenir quoi que ce soit. — (Le
brahmane) alla promptement mendier et se rendit en tous
lieux, mais il ne trouva point de quoi soutenir sa vie;
son cœur était plein de tristesse et il ne pouvait plus
parler. |
Sa femme lui dit alors : « Vous rencontrez des circons-
tances fort pénibles ; vous mendiez en un moment où
règne la détresse ; vous êtes allé partout sans rien obtenir.
Pourquoi ne vous rendez-vous pas chez le roi pour mendier
auprès de lui ? j'ai entendu dire autrefois que, lorsqu'on
adressait une demande à ce roi, il ne résistait pas au
182 CHENG KING (N° 430)
désir qu'on lui exprimait. » Le brahmane répondit à sa
femme : « N’avez-vous pas appris que le roi a rendu une
ordonnance interdisant aux gens de venir mendier auprès
du roi ; seuls les ambassadeurs des pays lointains peuvent
être admis en sa présence et on leur donne des provisions
des greniers ; mais si d’autres hommes mendient, ils se-
ront tous décapités. » Le brahmane répondit (encore) à sa
femme : « Si aujourd’hui je voulais chercher un apaise-
ment (à mes souffrances en mendiant auprès du roi), je
serais au contraire en péril de mort; au moment où je
mettrais mon espérance en un autre (à savoir le roi), je me >
verrais honteusement perdu. » Sa femme lui répondit :
« Puisque les ministres ont promulgué partout une ordon-
nance aux termes de laquelle seuls les ambassadeurs
étrangers pourront venir, tandis que cela sera interdit aux
aux autres hommes, il vous faut dire : Je viens en qualité
d’ambassadeur étranger et je désire voir le grand roi ;
alors on vous donnera à manger. »
Le brahmane suivit donc le conseil de sa femme ; il
prit un bâton d’ambassadeur, se coiffa d’un bonnet d’am-
bassadeur et se rendit à la porte du palais du roi. L’officier
de la porte lui demanda : « D’où venez-vous ? [» Il répon-
dit : « Je suis un ambassadeur qui vient d’un pays loin-
tain. » L’officier de la porte informa le roi et lui exposa toute
l'affaire. Aussitôt on donna audience (au brahmane)] (1).
D'où venez-vous ? Maintenant dans les seize royaumes le
prix des céréales et du riz est devenu fort élevé et chacun
se garde dans son territoire ; par où êtes-vous arrivé ? De
quel royaume venez-vous ? » Quand l'officier lui eut posé
toutes ces questions, le brahmane répondit : « J'ai entendu
parler de la vertu subjuguante du roi et c’est pourquoi je
me suis chargé de venir en ambassade. » L'officier lui de-
manda encore : « Dans ce royaume-ci peut-on voir cet autre
(1) La partie du texte que j'ai mise entre crochets ne parait pas être
à sa place.
æ
AM? 2
1427
EL 6 à à, —
CHENG KING (N° 430) 183
royaume ? les villages et les bourgs qui s’y trouvent, peut-
on les connaître bien ? Si c’est pour vous-même (que vous
demandez à être nourri), cela est conforme aux désirs du
roi divin; si c'est seulement pour vous, ce que vous
demanderez vous l’obtiendrez facilement. » (Le brahmane
dit) : « Je désire voir le grand roi ; c’est pourquoi je suis
venu demander à le voir. » Telle fut la seule réponse
qu'il fit aux demandes que lui adressait l'officier de la
porte.
Le roi dit: « Qu'on l’admette en ma présence. » Le
brahmane entra donc ; le roi lui demanda : « De la part
de qui venez-vous en ambassadeur ? » Le brahmane
répondit : « Je vous demande de ne point craindre ; si vous.
m'y autorisez, je vous révélerai le nom du roi dont je suis
l'ambassadeur. » Le roi lui déclara: « Dites tout; j'ai
absolument banni toute crainte. » Le roi lui demanda
encore : « De qui êtes-vous l’ambassadeur? » Le brahmane
annonça : « O grand roi, puisque vous désirez le savoir, je
viens en ambassadeur du ventre. » Il prononca alors ces
gâthäâs : (1)
Celui pour le profit de qui tout le monde travaille — et
affronte même de cruels brigands, — c'est le ventre dont je
suis l'ambassadeur ; — 6 souverain du royaume, je désire
que vous me témoigniez de l'indulgence.
Qui est le plus honoré et le plus puissant ? — qui est le
premier de tous? — C'est le ventre dont je suis véritable-
ment l'ambassadeur. — O grand roi, ne me faites pas de
reproches.
Tous les Buddhas et les Pralyekas Buddhas, — les çra-
vakas et les saints disciples — abandonnent leur lieu de
relraile — et entrent dans les villes et les bourgs pour
mendier.
Quand il est dans le dénuement et qu'il n'a plus aucun
(1) Les stances qui suivent sont très obscures et seraient inintelligibles
si on ne se reportlait pas au texte original du jâtaka.
184 CHENG KING (N° 430-131)
appui — loul être vivant endurera des lourments dans son
corps. — Maintenant, je suis l'ambassadeur du ventre ; —
que le plus honoré deshommes me témoigne de l’indulgence.
Alors le roi eut compassion de lui et il répondit au
brahmane par ces gâthàs :
O brahmane, je vous donnerai — mille vaches rousses —
avec le taureau qui complète le troupeau; — comment
pourrais-je ne pas avoir pitié d’un ambassadeur ?
A l'égard de tous les ambassadeurs, — je leur donne de
quoi ne plus avoir faim ; — mais à vous, qui êtes l'ambas-
sadeur de celui dont je pourrais être moi-même l'ambassa-
deur, — je donne davantage ; n'ayez aucune crainte.
N° 431.
LA
CFPID RENTE pe 12ve)
Autrefois, dans des temps fort lointains, il y avait dans
un pays étranger un lieu solitaire où un éléphant femelle
enfanta un petit; peu de temps après qu'il eut été mis
bas, sa mère mourut.
Non loin de là, était la résidence d’un ermite ; cet ermite
avait un prestige redoutable de premier ordre ; ses actions
méritoires étaient au complet; sa volonté était pleine
d'une grande compassion. Il aperçut le petit éléphant dont
la mère était morte ; celui-ci pouvait à peine lever ses
pieds; ilerrait de-ci et de-là et était incapable de chercher
sa vie. L’ermite le prit avec lui et Pamena dans l'endroit
où il demeurait; il lui donna de l’eau à boire et recueil-
lit des fruits pour le nourrir.
Or, ce petit éléphant était bon et affable, sage et ver-
tueux ; ses actions méritoires étaient remarquables ; il se
plaisait aux choses justes et raisonnables; 1l espérait
RO ne CE ER Ge peer
CHENG KING (N° 431) 185
obtenir une existence calme et retirée, ne pas avoir de
tourments et supprimer toutes les causes d'inquiétude.
Tandis qu'il passait sa vie avec l’ermite, se couchant et
allant dans les mêmes lieux que lui, son corps grandit et
son pelage devint frais et luisant ; il prenait de l’eau à
boire pour l’offrir à l’ermite ; il lui donnait de bons fruits
dont il ne mangeait qu'après lui ; il était partout fort dili-
gent et le servait sans jamais se relâcher. Cet ermite eut
compassion de ce petit éléphant, et, voyant sa conduite
vertueuse, il l’aima comme un fils : il ne se lassait pas de
le contempler ; il l’admirait sans cesse. |
Cependant Cakra, maître des devas, conçut alors cette
pensée : « Maintenant cet ermite ne pense qu'à ce petit
éléphant; il ne songe qu’à lui sans se lasser. Ne faut-il pas
maintenant que je lui fasse au contraire ressentir de la
tristesse ? » Alors Cakra, maître des devas, apparut (dans
ce monde) pour éprouver (l'ermite) ;
: en se transformant,
il fit que le petit éléphant (parüt être) mort subitement et
tombé à terre tandis que tout son sang se répandait.
Quand l’ermite vit que le petit éléphant était mort, il
fut pénétré de douleur et ne put plus parler ; les re
sillonnaient son visage ; il ne pouvait plus se délivrer (de
son chagrin) ; d'autres ermites, ayant appris cela, vinrent
lui adresser des remontrances et des exhortations mais ne
purent dissiper son affliction ; il ne mangeait ni ne buvait
plus.
Alors Cakra, maitre des devas, reprenant son propre
corps, se tint debout dans les airs et, s adressant à l’er-
mite, prononça cette gâthà :
Vous avez déjà renoncé au monde, — et, arrivé ici, vous
n'avez plus aucun parent. — La règle pour tous les ascèles
— est que : s'affliger d'une mort n'est pas une chose bonne.
— À supposer que, par la compassion el par les larmes, —
on pl faire revenir un mort à la vie, — tous devraient se
réunir pour se désoler ; — mais si les pleurs el les lamenta-
186 CHENG KING (N° 431)
tions ne rendent pas la vie, — l'expérience en élant faite, que
lous cessent (de s'affliger).— Vous, à l'égard de ce pelit élé-
phant, — vous avez eu des sentiments de compassion et de
bienveillance — et vous n'avez pu vous empêcher de vous
affliger; — que les morts se lamentent sur les morts — et
ainsi ceux-ctauront qui les pleure ; — mais le sage ne con-
çcoit pas de chagrin ; — 6 ermile, doué d'intelligence comme
vous l’êles, pourquoi pleurez-vous ?
Alors Cakra, souverain des devas, ayant fait en sorte que
le chagrin qui pénétrait l’ermite prit fin, ordonna que le
petit éléphant redevint vivant comme auparavant. L’ermite,
à la vue du petit éléphant en vie, se mit à faire de grands
sauts sans pouvoir maîtriser sa joie et n’eut plus aucun
chagrin. Cakra, souverain des devas, chanta alors cette
gâthà en s'adressant à l'ermite :
(J'ai agi ainsi) afin d'enlever votre tristesse — el le chagrin
que vous aviez dans votre cœur ; — maintenant vous n’êles
plus tourmenté — et j'ai dissipé votre chagrin. — Je ferai
que les hommes soient affranchis de leurs tristesses — et de
toutes leurs affections, — de même qu'aujourd'hui vous vous
êles réjoui — en voyant le petit éléphant se lever délivré.
Puis Cakra, souverain des devas, chanta cette gâthà :
C'est parce que j'ai eu compassion de vous — que j'ai voulu
dissiper tous vos chagrins ; — voilà pourquoi j'ai accompli
ceci — en ajoutant une action dans ce monde de souillure et
d'effort. — Le sage a bien compris le principe que voici: —
l'affection produit les peines et les tourments ; — 1il observe
donc son âme el son corps — et ne se permet pas de concevoir
des émotions qui le bouleversent.
CIIENG KING (N° 432) 127
N° 132.
(Trip., XIV, 5, pp. 4A3r°-43 v°.)
Dans les générations passées, il y avait en un pays
étranger une vaste région solitaire ; en ce temps un roides
buffles y demeurait ; il y vaguait en mangeant des herbes
et en buvant de l’eau des sources. Un jour, ce roi des
buffles, avec toute une troupe de parents, eut à se rendre
en quelque endroit ; il marchait seul en avant des autres;
son aspect était fort beau; son prestige redoutable était
très imposant ; sa vertu éminente était extraordinaire ; sa
patience était harmonieuse ; sa démarche était paisible et
bien ordonnée.
Un singe se trouvait au bord de la route ; il vit le roi
des buffles accompagné de tous les siens ; il en conçut de
la colère et fut jaloux de lui. Il prit aussitôt de la terre,
des tuiles et des pierres et les jeta contre lui; il lui témoi-
gna du mépris et lui adressa des outrages ; le buffle garda
le silence et subit tout cela sans riposter.
Peu de temps après, il yeutun autre roi des buffles avec
sa bande qui arriva à la suite du premier. Le singe le vit
etrecommença à l’injurier et à le frapper à coups de mottes
de terre, de tuiles et de pierres ; ce chef de la seconde
troupe voyant que le premier roi des buffles avait gardé
le silence sans riposter, imita sa patience ; son cœur fut
affable et joyeux ; il continua sa marche tranquille et régu-
lière et subit les outrages sans s’enirriter.
Peu après que ces buffles eurent passé, il y eut un tout
jeune buffle qui arriva derrière eux, cherchant à rejoindre
le troupeau; alors le singe le poursuivit en l’injuriant, l’ou-
tragea et le traita avec mépris; ce tout jeune buffle en
188 CHENG KING (N° 432)
conçut de l’irritation et fut mécontent ; mais voyant que
ceux de ses semblables qui le précédaient avaient été
patients et ne s’élaient pas irrités, lui aussi s’étudia à les
imiter ; il fut patient et doux.
Non loin de la route, dans un grand bouquet d'arbres, il
y avait alors un dieu des arbres qui séjournait là. Voyant
que tous les buffles, bien qu’accablés d’outrages, étaient
patients et ne se fâchaient pas, il demanda au roi des
buffles : « Comment se fait-il que, lorsque vous et les
vôtres avez vu ce singe vous insulter d’une manière
humiliante, vous lancer des mottes de terre, des tuiles et
des pierres, vous ayez été patients contrairement (à toute
attente) et que vous ayez gardé le silence sans répondre ?
A quoi tend ce principe ? Quelle est votre intention ? »
Illes interrogea encore par cette gâthà :
Vous et les vôtres, pour quelle raison — tolérez-vous ce
singe insolent — qui dépasse toute mesure dans le mal? —
vous regardez du même œil les souffrances el les joies ; —
celui de vous qui est venu en dernier lieu s'est aussi montré
bon et affable. — Dans tous vos actes, vous êtes calmes et
bien ordonnés. — Sachant tous endurer avec patience (les
injures), — ceux-là s’en vont les uns à la suile des autres.
— Si cependant vos cornes avaient tout simplement frappé,
— lout ce qui est debout aurait élé renversé. — Il témoigne
quelque peur — celui qui garde le silence sans riposler.
Le buffle répondit en prononçant cette gâthà :
Si, pour une insulte ou une offense légère — nous ne man-
quions pas de faire pire encore à un autre, — celui-là se
vengerail plus encore — et alors se produiraient de grands
maux.
Peu après que tous ces buffles eurent passé, une grande
troupe de brahmanes et une multitude d’ermites arrivèrent
en suivant la route. Alors ce singe se mit encore à les
injurier, à les outrager et à les traiter avec mépris, à
ramasser de la terre, des tuiles et des pierres pour les leur
|
SL Cf, CUT eng
CHENG KING (N° 432-433) 189
jeter. Ces brahmanes se saisirent aussitôt de lui et le
tuèrent en le foulant aux pieds ; ainsi finit sa vie. Le dieu
de l'arbre prononça derechef cette gâthà :
Les crimes ne s’effacent pas ; — quand le châtiment
a atteint sa maturité, alors survient le malheur; — quand la
mesure des faules est comble, — les calamités ne sont pas
usées et détruiles.
N° 133.
CRISE EN 0 DAC NS)
Autrefois, dans un royaume, il y avait un grand bois
dont les arbres atteignaient jusqu’au ciel; personne ne
les cassait et ne leur faisait de mal; parmi eux était un
dieu des arbres qui comprenait bien la justice et la raison
et qui, dans ses actes et sa conduite, était fort différent du
vulgaire ; quand des gens accourus de tous côtés, pas-
saient par l'endroit où étaient ces arbres, le dieu des
arbres se plaisait à satisfaire leurs désirs ; qu'il s’agit de
légumes, de fruits, de bois de chauffage ou d'herbes, il
ne regrettait pas (d'en donner); ilabritait et rafraichissait
une source qui procurait un grand réconfort à ceux qui y
buvaient.
Or, il y eut un oiseau qui vint d’un pays étranger en
tenant dans son bec une plante vénéneuse fort pernicieuse ;
il passa en volant au-dessus d’un de ces arbres et en pro-
fita pour jeter sur lui (cette plante) qui tomba précisément
sur les branches supérieures ; le poison envahit peu à peu
cet arbre dont une moitié se trouva bientôt desséchée ;
alors le dieu de ce bois fit cette réflexion: « Le poison
est fort malfaisant ; étant venu tomber sur un arbre, voici
que, en un instant, la moitié de cet arbre estdesséchée et
190 CHENG KING (N° 433)
ce n'est pas encore midi; avant que la nuit soit arrivée
cela continuera et il sera entièrement desséché; avant
que dix jours soient écoulés, je crains que les autres arbres
de ce bois ne soient tous détruits. Que faut-il faire pour
écarter ce fléau venimeux ? »
Dans l’espace, il y eut une divinité qui lui dit: « Avant
que cet état de choses ait duré longtemps, viendra un
homme intelligent qui, en allant son chemin, passera
par ce bois; vous, prenez l’or qui est caché parmi les
arbres et assurez-vous (par ce moyen) les services (de cet
homme) pour qu’il arrache cet arbre empoisonné et qu’il
en supprime entièrement les racines et la souche de
manière à ce qu'il n’en reste rien ; ainsi, vous vous procu-
rerez une tranquillité perpétuelle ; mais si vous n'agissez
pas ainsi, avant qu'il fasse nuit l'arbre empoisonné sera
complètement desséché, (et le mal) s’étendra à tous les au-
tres arbres du bois. »
Quand le dieu des arbres eutentendu ce conseil, il prit
la forme humaine et se tint sur le bord de la route pour
attendre (celui qui devait venir); quand cet homme fut
arrivé, il lui dit: «J'ai de l'or caché que je vous donne-
rai, mais je désire que vous arrachiez cet arbre empoisonné
et que vous en extirpiez à fond les racines. »
En apprenant qu'il pourrait gagner le trésor de l’impor-
tante somme d'or qui était cachée, cet homme donna son
consentement et se mit aussitôt à arracher cet arbre et à
en supprimer toutes les racines. Le dieu des arbres, fort
joyeux, lui donna ensuite l’or qu'il tenait caché ; cet homme
l’emporta et sa maison en devint riche. Le dieu des arbres
constata avec satisfaction qu'il était parvenu à écarter la
calamité du poison, que tous les arbres jouissaient d’une
tranquillité constante, que les fleurs et les fruits étaient
vigoureux et abondants ; il n’eut plus à se préoccuper
desravages du poison et toutes les souffrances (dont il était
menacé auparavant) se dissipèrent.
CHENG KING (N° 433) 191
Le Buddha dit: « Le bois représente les trois mondes ;
le dieu des arbres représente le Bodhisattva, quand il a
concu la pensée de la Bodhi (tittotpâda) ; l'oiseau qui est
venu d’un pays étranger en apportant le poison, représente
toutes les illusions des choses de Mâra, illusions qui sont
produites par le défaut d'intelligence ; le deva dans les airs
représente la sagesse parfaite, vraie et équitable du Tathä-
gata. Cela enseigne à tous ceux qui étudient à ne pas
suivre les lois de Mâra, mais à se conformer à ceux qui
aiment les Bodhisattvas mahäâsattvas et qui agissent avec
la même volonté qu'eux ; ainsi on enlève les difficultés qui
proviennent de toutes Les peines issues des trois souillures.
L’arrachement de l’arbre et la suppression de ses racines
symbolise la destruction des ténèbres produits par l'impu-
dicité, la colère et la sottise ; si on n’accomplit pas (cette
destruction), on s’enlise dans les trois mondes ; quand on
abat soi-même le péché, il n’a plus aucune puissance et
alors on sauve tous les êtres des tourments de la naissance
et de la mort. Le trésor caché dont un homme a pu être
gratifié symbolise le trésor caché de la religion ; les Bodhi-
sattvas mahâsattvas les uns après les autres s’entraident
pour le former, de même que les dix mille cours d’eau
coulent pour se réunir dans la grande mer. Quand le dieu
des arbres se montre joyeux de n'avoir plus aucune inquié-
tude et retourne demeurer dans les arbres, cela signifie
qu’on a pu atteindre à la patience religieuse qui ne nait de
rien et qui est grandement miséricordieuse ; grâce à elle,
on demeure dans les trois mondes en sauvant universel-
lement tous les êtres. Quant à l’homme qui a obtenu des
richesses, qui se réjouit et dont la maison devient opu-
lente cela signifie que lorsqu'on a obtenu les prières ma-
giques (dhârani), les six pâramitäs, le groupe des trente-
sept (auxiliaires de la Bodhi [Bodhipaksa}), la pratique des
sentiments des quatre bienfaisances, les dix forces, les
marques distinctes primaires et secondaires, les quatre
192 CHENG KING (N°5 433-434)
choses qui ne sont pas à craindre (vaiçàradya), (en un mot)
le calme et la fixité issus de tous les divers principes,
constituent alors des trésors sans fin, car la richesse re-
ligieuse est illimitée. Quant à celui qui s’en retourne
dans sa maison, cela signifie que, lorsqu'on s’est délivré,
on retourne dans la région de la pureté primordiale et
de la vraie sagesse. Le corps du Buddha, quand il se mani-
feste, répand universellement la conversion religieuse,
éclaire et sauve les êtres dans les dix régions, et il n’est
personne qui ne soit touché par ses bienfaits. »
N° 434.
CRD, XIV SD 19 rt)
Autrefois il y avait une tortue royale qui se promenait
dans la grande mer et qui allait et venait partout à la ronde
pour se divertir. Un jour elle sortit du milieu des eaux
qui sont sur le bord de la mer et s’endormit. Son corps
était large et long et mesurait soixante /1 sur chaque côté ;
or, elle resta là pendant plusieurs jours consécutifs ; elle
se reposait sur la terre ferme sans remuer.
Il y eut alors des marchands venus de contrées loin-
taines qui l’apercurent et qui pensèrent que c'était là un
endroit élevé et sec, propice pour s’y établir sur le bord de
l’eau. Ces cinq cents marchands, avec leurs chars, leurs
chevaux et leurs animaux domestiques qui se comptaient
par plusieurs milliers de têtes de bétail, s'arrétèrent tous
sur (la tortue) ; pour préparer leur repas en le faisant cuire,
ils cassèrent du bois sec et allumérent du feu: ils don-
nèrent à manger à leurs bœufs et à leurs chevaux, à leurs
mules, à leurs ânes et à leurs chameaux; ils allaient de-ci
et de-là, se couchaient ou se levaient.
Cependant, la tortue royale, sentant tout à coup sur son
|
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CHENG KING (N°5 434-433) 193
corps la brûlure du feu, se mit soudain à s'agiter ; elle se
déplaça donc pour entrer en toute hâte dans la grande
mer ; elle allait tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest, sans que
la douleur que lui causait le feu prit fin. En voyant cela,
les marchands pensèrent que la terre se déplaçait et que
l'eau de la mer débordait ; ils se désolaient et gémissaient
sur leur mort qui était maintenant certaine sans qu'ils
sussent à quel moyen recourir. La tortue, éprouvant des
souffrances intolérables, enfonça son corps au milieu de
l’eau profonde et fit périr en les noyant cette multitude:
d'hommes, dont les bœufs, les chevaux et les autres ani-
maux domestiques périrent en même temps qu'eux.
(Le Bodhisattva développe longuement devant ses dis-
ciples le sens caché de cette parabole : les marchands, ce
sont les hommes qui se trouvent dans les trois mondes;
les deux côtés de la tortue, qui ont chacun soixante !r,
symbolisent les deux séries de six sortes de concaténa-
tions dont l’ensemble forme les douze causes ; etc.
N° 435.
CEripe AIN Sp NES)
Autrefois il y avait un chef de famille qui se plaisait à
empoisonner les gens; quand il avait empoisonné quel-
qu'un, la richesse affluait chez lui ; c'était là un effet pro-
duit par les rétributions de ses existences antérieures.
Tout le royaume le détestait et nul n’osait venir pour en-
(1) A la suite de cette histoire on en lit une autre toute semblable, &
cette différence près que la tortue, qui a un cœur compatissant, à soir
de ne s’enfoncer dans l'eau que juste autant que cela est nécessaire pour
éteindre le feu; elle ramène ensuite les marchands sains et saufs sur le
rivage.
[IE 13
194 CHENG KING (N° 435)
tretenir des relations avec lui, car on craignait d’être misen
péril et d’être tué ; aussi tout le monde le tenait-il à distance.
Quand ïilse mit à chercher une femme pour son fils,
personne ne voulut lui donner (sa fille), car les gens s'aver-
tissaient l’un l’autre disant: « Cet empoisonneur est le plus
haïssable des hommes ; il ne se conforme pas à la justice
et à la raison et il désire faire perdre la vie aux autres.
Si nous nous allions à lui par mariage, comme il ne sait
plus sur qui pratiquer ses empoisonnements, c'est nous
qu'il viendra donc mettre en péril. C’est pourquoi tenons-
nous éloignés de lui comme nous nous écarterions de
brigands redoutables. Encore quand les brigands se bat-
tent avec nous, on s'applique réciproquement des coups
de poing et il y a un vainqueur et un vaincu; tandis qu’un
empoisonneur nous donne silencieusement (son poison)
et brusquement nous sommes en proie à ce mal sans que
notre vie puisse être sauvée. » Ainsi tous se faisaient sa-
voir cela l’un à l’autre ets’éloignaient de cet homme pour
n'avoir aucun rapport avec lui.
Cet homme se trouva dans un embarras extrême; il
avait cherché partout une femme pour son fils, mais nul
n'avait voulu lui en fournir une ; il se rendit donc à plus
de mille /: de là dans un royaume étranger afin de deman-
der une femme pour son fils; comme il était riche et
qu’en outre il occupait une haute situation, alors que le
père de la future jeune femme était pauvre et qu’en outre
il était dans une humble condition, celui-ci, par avidité, lui
donna sa fille, comme s’iln'eüt pas été un empoisonneur ;
(empoisonneur) lui donna des richesses en quantité plus
considérable (qu'il n'était tenu de le faire); puis il vint
chercher la femme; quand celle-ci fut dans sa nouvelle
famille, elle accomplit les rites en observant toujours
toutes les cérémonies ; elle ne manquait point aux obli-
gations d'une épouse, et, tant dans la maison qu’au dehors,
observait son devoir.
CHENG KING (N° 435) 195
En ce temps, dans la famille (de l’empoisonneur), on
éprouva des pertes qu'on ne put compenser ; il fallut
recourir au mal de l'empoisonnement pour obtenir la ri-
chesse. Le beau-père et la belle-mère dirent à la jeune
épouse : « Nous vous ordonnons de tuer en l’empoison-
nant telle personne ; c’est là une pratique ancienne de
notre famille ; il faut vous y conformer. » En entendant
ces paroles, la jeune femme fut saisie de chagrin et dit à
son beau-père et à sa belle-mère : « Ma famille pratique la
bienveillance et n’a jamais fait de mal aux autres ; je ne
me charge point d’empoisonner et subirais plusieurs
morts plutôt que de commettre un tel crime, » Son beau-
père et sa belle-mère lui reprochèrent en l’injuriant de se
refuser à recevoir leurs instructions ; ils dirent alors au
dieu du poison: « Maintenant nous avons pris chez nous
cette épouse ; mais elle n’applique pas les drogues empoi-
sonnées pour faire le mal aux hommes et elle se refuse à
nous obéir ; que faut-il faire ? » Le dieu du poison leur
répondit: «Je saurai bien la changer et faire en sorte
qu’elle ne s'oppose plus à vos instructions. » Le dieu du
poison alla donc sous la forme d’un serpent venimeux et
accourut auprès de la jeune épouse; celle-ci eut peur et
ne sut où aller ; parfois il se montrait sur sa tête ; quand
elle mangeait, il se montrait devantelle; quand elle buvait,
il apparaissait dans la tasse; quand elle se couchait, il
apparaissait sur le lit; quand elle marchait, il la poursui-
vait. Saisie de frayeur, la jeune épouse ne savait où aller;
elle maigrit au point de n être plus qu'un squelette ; elle
ne pouvait plus boire ni manger. Le dieu du poison lui
intima l'ordre de se livrer aux pratiques d'empoisonne-
ment en lui promettant (si elle obéissait) de la laisser tran-
quille. Comme elle était à bout de forces et ne savait que
faire, elle consentit à suivre son avis.
Sur ces entrefaites, un homme qui avait été son voisin
dans son pays d'origine arriva dans cette ville ; il vit que
196 CHENG KING (Ne 435)
la jeune femme avait maigri et était inquiète ; il en fut
effrayé et lui en demanda la cause. La jeune femme lui
exposa toute l'affaire en lui disant: « Quand vous serez
retourné auprès de ma famille, racontez mon cas à mon
père et à ma mère en les invitant à venir promptement
me chercher ; sinon, ma mort est certaine. »
A son retour, l’homme fit un récit complet ; en l’enten-
dant, le père et la mère furent saisis de chagrin et tout
troublés. Le père prépara son char, attela ses chevaux et
alla en toute hâte chercher sa fille. Quand il fut arrivé
dans ce pays, il dit aux beaux-parents de sa fille : « La
mère de notre fille se lamente en songeant à elle jour et
nuit; elle m'a donc envoyé la chercher; permettez-leur
de se revoir ; avant qu'ilsoit longtemps je vous ramènerai
(votre bru). » Les beaux-parents ayant autorisé le départ,
le père s’en retourna en emmenant sa fille avec lui et dit
alors aux beaux-parents : « Votre famille se livre à des
pratiques d'empoisonnement; je vous enlève votre bru et
ne vous la rendrai plus. Si vous entrez en contestation
avec moi, il ya des magistrats et des lois pour détermi-
ner si vous devez obtenir gain de cause ou non, et cela
attirera sur vous le malheur de l’extermination de toute
votre famille ; si vous ne voulez pas qu'il en soit ainsi,
renoncez à pratiquer l’empoisonnement et je vous rendrai
la jeune épouse. »
Le beau-père et sa femme délibérèrent entre eux, en
disant: « Cette jeune épouse est si belle qu'on en voit
rarement de telles dans le monde ; il ne faut pas l’aban-
donner ; mieux vaut renoncer aux pratiques d’empoison-
nement. D'ailleurs, si les magistrats venaient à en être
informés, nous serions en danger mortel. » Ils cessèrent
donc de pratiquer l’'empoisonnement et firent (avec le père
de la jeune femme) une convention jurée pour s'engager
à ne plus être en faute ; ils renvoyèrent le dieu du poison
et leur famille jouit alors du calme.
CHENG KING (N° 436) 197
(Suit l'explication de ce conte comme une allégorie dont
le sens est fourni par la religion bouddhique.)
N° 436.
(Trip., XIV,5, pp. 45 vo-A6 v°.)
Autrefois il y avait un homme dont le père était mort
prématurément ; il était donc devenu orphelin dès son
jeune âge et demeurait seul avec sa mère. Il ne reçut pas
une bonne éducation ; chez lui et au dehors il n’observait
pas les règles ; il ne s’attachait pas aux principes de con-
venances ; il violait les enseignements consignés dans les
écrits des anciens sages et ne voulait ni s’instruire nifaire
des recherches pour recevoir la doctrine des livres saints;
mais avec une foule de gens ignorants et stupides dont il
faisait ses compagnons, il buvait et jouait, se conduisait
avec arrogance et ostentation et avait des dehors sous les-
quels ne se cachait aucune qualité intérieure ; se laissant
aller à ses passions, il avait une conduite perverse qui
insultait le ciel ; sans piété filiale et sans obéissance, il ne
pratiquait pas la vertu et ne rectifiait pas son cœur ; il ne
faisait pas son devoir et ne maintenait pas sa dignité ;
dans ses actes, il commettait toutes sortes de péchés ;
dans ses paroles, il prononçait des grossièretés et des vio-
lences ; dans ses pensées, il songeait à nuire. Il ne se
préoccupait pas des instructions que lui avait laissées son
père qui l’avait engendré; il ne s’occupait que d’actions
mauvaises et perverses. Sa mère en était désolée ; aussi
voulut-elle le morigéner et lui montrer les plus profonds
principes de la convenance et de la morale pour qu'il
changeât de sentiments et de conduite, pour qu'il veillât
sur ses actes et fût attentif à ses paroles, pour qu'il obser-
198 CHENG ‘KING (N° 436)
vât les précéptes des anciens sages, pour qu’il mit en pra-
tique les règles instituées par son grand-père et son père
à qui il devait le jour, pour qu'il reçût avec respect la doc-
trine sublime de l’Honoré du monde. Alors donc, avec
des intentions bienveillantes, elle lui exposa les merveil-
leux oo puis elle s’adressa à son fils en ces
termes :
O mon fils, agissez ae avec affabililé ; — prenez
pour amis des gens de bien; — pratiquez sans cesse la con-
cilialion ; — observez constamment la conversion produite
par la vraie Lou.
Le fils demanda à sa mère :
Si j'agis toujours avec affabililé, — à quoi cela me servira-
tul? — Si je prends pour amis des gens de bien, — quel
avantage en relirerai-je ? — Si je pratique sans cesse la
conciliation, — pourquoi le ferai-je? — Si j observe con-
stamment la conversion produite par la vraie Loi, — quel
bienfail en éprouverai-je ?
La mère répondit à son fils :
Si vous agissez toujours avec affabilité, — tous les
hommes vous aimeront et vous honoreront. — Si vous vous
liez avec des amis qui soient des gens de bien, — vous serez.
ferme el rien ne pourra vous ébranler. — Sivous pratiquez
sans cesse la conciliation, — vous vous procurerez de
grandes richesses. — Si vous observez constamment la con-
version produile par la vraie Loi, — quand votre vie sera
lerminée, vous naïtrez dans les cieux.
Le fils dit alors à sa mère : « Excellentes sont vos ins-
tructions, Ô ma mère ; vos enseignements sont supérieurs
à tout; vos préceptes sont sans limites ; sublimes et im-
menses, on ne saurait les louer suffisamment. Je vivais
depuis longtemps dans la stupidité et dans lés ténèbres;
tournant le dos à votre bonté, je me dirigeais vers Ferreur;
mon inintelligence était extrênie. Je me laissais décevoir
par les formes extérieures et j'étais influencé par diverses.
CHENG KiING- (N° 436) 199
personnes. Je me croyais habile ét sage; j'appélais clair
ce qui n’était pas clair ét exact ce qui n’était pas exact. Je
ne distinguais pas ce qui a de la valeur dé ce quin’ena
pas. Malgré les sages lecons de ma mère, je méprisais le
bien et estimais le mal et je n’avais aucune piété filiale
et aucun Soin pour vous ; malgré la vertu de ma tendre
mère, je rejetais ce qui est réellement bon pour recher-
cher les choses vaines et je prenais pour compagnons des
gens stupides. Ainsi je suis arrivé à ce degré de folie
dont j'étais affecté chaque jour davantage. Mais, grâce à
la conversion que vous m'avez fait opérer, vous m'avez
rendu manifestes la douceur et la bonté; vous avez
répandu sur moi une bienfaisante influence de commisé-
ration ; ce principe fécond, je le ferai prospérer et grandir
de manière à ce qu’il pénètre les dix régions du monde.
Le peu que vous m'avez appris, je le recoiset je l’accepte en
me prosternant ; je ne me permettrai point de le négli-
ger ou de l’oublier. » Le fils remercia en se prosternant
le front contre terre et se mit à suivre les ordres de sa
mère sans jamais s'en écarter.
Ce fils, agissant suivant la Loi, se conduisit toujours
avec affabilité et tous les habitants du royaume l’hono-
rèrent ; 1l choisit des gens de bien pour ses amis et per-
sonne ne put lui faire de tort; il pratiqua sans cesse la
conciliation, réunissant ceux qui était désunis et mettant
d'accord ceux qui se querellaient ; c’est pourquoi il reçut
des présents considérables et eut des richesses immenses ;
il se soumit au Buddha en se prosternant, observa les cinq
défenses et accomplit les dix actions excellentes ; c’est
pourquoi les devas le protégèrent. oh
Le souverain du pays en fut informé et l'appela pour
qu'il fût son premier ministre. Le roi lui dit: « J'ai
entendu parler de votre conduite vertueuse dont tout le
royaume est enchanté. C’est pourquoi je vous nomme à
une fonction officielle ; dans le royaume il n’y a pas de
200 CHENG KING (N° 436)
bon ministre; soyez donc mon excellent conseiller afin
que le pays soit tranquille et que les royaumes étrangers
des quatre points cardinaux viennent se soumettre à notre
vertu. Vous, de votre côté, vous serez couvert de gloire. »
Cet homme répondit : « Je consentirais bien, car je ne
me permettrais pas de vous résister, à saint roi; mais je
crains que ma faible vertu ne puisse pas vous assister dans
vos actes illustres, ce dont je serais plein de honte ; si je
viole vos sages instructions, le peuple en aura du res-
sentiment; voilà pourquoi je me fais des objections et je
n'ose pas accepter le poste que vous me proposez. »
Le roi lui dit : «J'ai vu par vos paroles et vos actes, par
vos manières et par votre démarche que vous pourrez réel-
lement vous acquitter de cette tâche et c’est pourquoi je
vous ai mandé. » Cet homme ayant alors gardé le silence,
al fut nommé premier ministre.
Le roi lui dit ensuite : « Le roi de tel ou tel pays était
à l’origine mon ami ; nous étions si amis que nous n’étions
plus deux, mais que nous formions comme une seule per-
sonne. Cependant, à cause de racontars, nos deux têtes se
sont disputées, ce qui a amené la désunion de nos corps.
Les années, les mois et les saisons se sont accumulés,
chacun de nous restant abandonné et embarrassé sans que
personne püt résoudre la difficulté. Je désire que vous
alliez en personne pour rétablir l'harmonie comme aupa-
ravant. Je vous donnerai de grandes richesses et de hautes
dignités. »
Cet homme déclara qu’il y consentait. Il prit alors toute
sa fortune pour préparer des aliments exquis et pour
emporter avec lui des objets précieux, puis il se rendit
dans ce royaume. Il s’agenouilla devant le roi et lui pré-
senta des excuses en ces termes : « Quoique je sois d’une
condition obscure, la faveur céleste a fait que mon roi
m'a envoyé comme ambassadeur pour apporter ces bois-
sons et ces aliments, cet or et cet argent et ces objets
L
}
L
1
|
CHENG KING (N° 436) 201
précieux dont il vous fait présent. Précédemment, par
erreur il a agi comme iln'aurait pas dû le faire et a perdu
vôtre amitié ; la séparation qui en est provenue a duré
plusieurs années ; il en est couvert de honte et de confu-
sion \; il marche lentemént et n’a plus de contenance. C’est
pourquoi:il vous envoie ces présents en vous priant de
lui pardonner son offense et d’excuser sa faute. »
En entendant ces paroles, l’autre roi éprouva de la joie
dans son cœur et, à son tour, il s’accusa lui-même, disant :
« Depuis longtemps j'avais le désir d'arriver à une récon-
ciliation ; mais je n’avais personne à envoyer. Cela a été
cause que votre roi a conçu l'idée de venir le premier
s’excuser. C’est là un effet de ma négligence, » Il prit alors
en main un pinceau et écrivit cette lettre pour répondre :
« Comme notre séparation durait depuis plusieurs années,
je ne pouvais vous parler face à face ; constamment je
songeais à notre ancienne amitié; au jour où nous avons
renoncé à notre affection et où la désunion s'est mise entre .
nous, je ne pouvais vous atteindre là où vous étiez allé ;
je ne pouvais vous voir puisque nous nous étions brus-
quement délaissés. Mais vous m'avez envoyé un sage
ministre qui m’a fait de magnifiques présents pour m'of-
frir vos excuses; puisque vous avez pu concevoir cette
idée de venir à moi, je ne saurais jamais l'oublier ; je
désire que nous ayons une entrevue pour dissiper nos
anciens dissentiments. Maintenant, je vous envoie tous les
joyaux que je possède afin que leur valeur vous apporte les
humbles sentiments que je vous exprimerai lorsque nous
nous parlerons face à face. »
Quand l’autre roi reçut cette réponse, il en eut une joie
immense ; au jour fixé pour la réunion, les deux rois tout
joyeux prirent grand plaisir à être ensemble ; ils consi-
dérèrent que les torts qu'ils avaient eus à l’origine l'un
contre l’autre ne valaient pas la peine qu'on en parlât, et
que les fautes qui en étaient résultées avaient produit de
202 CHENG KING (N°5 436-437)
grand maux. Ils se traitèrent donc'en princes amis; ils
eurent l'un pour l’autre une affection sincère et des senti:
ments dévoués ; ils s'aidèrent avec empressement et Se
secoururent mutuellement; quant au ministre qui Héur
avait servi d’ambassadeur, sa gloire fut d’üuité réalité (1)
qu'on ñe saurait évaluer etses dignités furent auügmentées.
Ro | . _
(Trip., XIV, 5, p. 53 v°.)
Autrefois, dans un temps fort lointain, il y avait un
homme nommé A-yi-chan-ich'e (Âhitundika) qui était un
dresseur de singes; il enseignait à son singe des façons
de se mouvoir, des tours d’adresse et des bouffonneries ;
cela réjouissait fort la populace ; à cause de ces tours
d'adresse, des gens innombrables étaient tous charmés et
admiratifs ; de loin et de près ils accouraient pour voir ces
tours d'adresse, et, grâce à leur générosité, (le maître du
singe) empochait beaucoup d'argent. Cet A-yi-chan-tch'e,
par les singes qu'ilavait eus les uns après les autres, obte-
nait ainsi des dons nombreux; cependant il battait (ces
animaux) et les frappait de la main et du pied. Un jour, cet
homme étant entré dans la ville avec son singe, l’attacha
à un pieu. et le battit fort cruellement en l’injuriant et en
l’humiliant ; en cette occasion, le singe parvint secrètement
à s'échapper par ruse et courut se réfugier dans la mon-
tagne où il s'établit solitaire dans un endroit écarté ; non
loin de là était un ermite en qui il chercha un appui et il
se fixa là ; il allait récolter des fruits et des graines qu'il
offrait à l’ermite, après quoi il s’en nourrissait lui-même.
(1) J'adopte la leçon qui est celle des éditions des Song, des Yuan
et dés Ming.
”. NT Lé
i Fe Les.
DL nn à
(CHENG KING (N° 437) 203
A-yi-chan-tch'e, apprenant qu'il s'était sauvé dans tel en-
droit désert de la montagne, envoya des gens en les char-
geant de l'appeler pour qu'il revint. Le singe refusa (de
venir) et, se tenant à distance il fit cette réponse : « Main-
tenant je songe encore qu'on m'a auparavant fort maltraité
et qu’on m'a fait subir toutes sortes de souffrances qu'il
serait difficile de mesurer ; dans la génération précédente,
mon père qui n'avait jamais commis aucune faute s’est vu
tourmenter ; ila été insulté d’une manière inexprimable ;
c'est pourquoi maintenant j'ai couru me réfugier dans la
montagne. » Alors A-yi-chan-tch'e alla lui-même dire au
singe : « Revenez chez moi. » Mais le singe ne soufflait
mot et se refusait (à venir). L’ermite répondit (à A-yi-chan-
ich'e « Vous devriez de votre côté lui pardonner et le laisser
tranquille. » (A-yi-chan-lch'e) répliqua à l’ermite: « Je le
laisserai tranquille. » L’ermite répondit : « Comment pour-
riez-vous le faire venir de force ? Adressez-lui des exhor-
tations en l’encourageant peu à peu, etalorsil ira ; si vous
prétendezlefaire venir deforce, peut-êtreneréussirez-vous
pas. » Cethomme répondit : « Si vous aviez un moyen par
lequel vous vous proposeriez dele faire venir, je m'enirais;
mais puisqu'ilrefuse d’aller (vers vous), j'aviserai moi-même
à un procédé (pour l’attirer). » Alors il chanta cette gâthà
(en s'adressant au singe):
Vous êles sage, doux etbon,— comme le cerf quand ilest
dans sa retraite cachée ; — si vous descendez des branches
de cet arbre, — vous pourrez ne pas mourir de faim et de
soif.
Le singe répliqua par ces gâthâs :
Vous n'avez pas élé bon pour celui qui m'a engendré. —
Je connais mon propre caractère ; — d'où vient celle opi-
nion — qu'un singe est doux el sage? — Je vais de tous
côlés — el je n'ai point encore de pensées régulières el tran-
quilles. — Si j'ai un maitre pervers, — il ne pourra jamais
corriger mon esprit. — Maintenant je me remémore —
204 | CHENG KING (N°5 437-438)
que vous, maîlre A-yi-chan-lch'e, — vous m'avez amené dans
la ville, — que vous m'avez attaché à un pieu et que vous
m'avez infligé de cruels tourments. — Mainlenant encore je
ne l'ai point oublié, car vous m'avez battu fort douloureu-
sement. — Puisque j'ai oblenu mon indépendance, — je ne
saurais plus aller me soumettre à vos tortures.
N° 438.
CPrbAXINS 6 pre)
Autrefois, il y a de cela des générations innombrables,
il y avait un brahmane ; son épouse se nommait Fleur de
lotus (Utpalâ) ; elle était d’une beauté fort remarquable et
son visage était merveilleux ; elle était la première des
femmes par ses formes ; rarement on en voit de telles dans
le monde; on aurait difficilement égalé sa renommée et
sa vertu. Ce brahmane avait une servante qu'il intro-
duisit dans son intimité; il était plein de prévenances pour
elle et ne témoignait aucun respect à son épouse Fleur de
lotus qu'il ne prenait point plaisir à voir; il suivait au
contraire les avis de la servante.
Il emmena son épouse hors de sa demeure et alla avec
elle dans la montagne ; il monta sur un arbre yeou-l’an-po
(udumbara), et se mit à cueillir tous les fruits mûrs, qu’il
prenait et mangeait ; il rejetait tous les fruits verts pour
les donner à son épouse ; celle-ci lui demanda: « Pour-
quoi mangez-vous seul les fruits mürs et jetez vous en bas
ceux qui sont verts pour me les donner ? » Son mari lui
répondit: « Si vous désirez avoir des fruits mürs, pour-
quoi ne montez-vous pas sur l’arbre pour les prendre vous-
même ? » Son épouse répliqua : « Puisque vous ne m'en
donnez pas, je ne pourrai pas en avoir (autrement) ; j'obéi-
CHENG KING (N° 438) 205
rai à votre ordre. » Elle monta donc sur l'arbre. Quand
son mari la vit sur l’arbre, il en descendit aussitôt et accu-
mula tout autour de l’arbre toutes sortes de broussailles
épineuses pour l'empêcher de descendre et la faire rester
sur l'arbre ; ill'abandonna et s’en alla, voulant ainsi causer
sa mort. |
Sur ces entrefaites, le roi du pays, qui était sorti accom-
pagné de tous ses ministres pour aller à la chasse, vint à
passer au pied de cet arbre ; il apercut cette femme d'une
beauté si remarquable et d’un visage si merveilleux qu'on
en voit rarement de tels dans le monde ; il lui demanda
qui elle était et d’où elle venait; elle raconta donc en dé-
tail à ce roi toute son aventure ; le roi, voyant que cette
femme avait toutes les qualités féminines sans présenter
la moindre tare, se dit que ce brahmane était un imbécile
et un sotet qu’il n’était pas digne du nom d’homme puis-
qu'il ne savait pas honorer une telle femme et trouver en
elle son plaisir; il écarta les épines et emmena (cette
femme) dans son char ; quand il fut arrivé dans son palais,
il la nomma reine. Cette reine était sage et intelligente ;
elle avait une habileté de parole qu'il eût été difficile
d'égaler ; elle employait constamment le damier et les six
tablettes pour faire des dessins et des combinaisons qui
gagnaient à coup sûr ; toutes les femmes qui, de loin ou
de près, venaient jouer aux dames avec elle étaient aussi-
tôt vaincues par elle et nulle ne pouvait lui tenir tête.
Or, le brahmane, ayant appris que ce roi avaitune reine
fort belle et habile au jeu de dames, que tous ceux qui
venaient étaient battus par elle et devaient s’avouer
vaincus sans qu'aucun d'eux püût triompher, se dit en lui-
même : « Ce doit être mon ancienne épouse et personne
autre. En effet, mon ancienne épouse était de première
force au jeu de dames. » Le brahmane était d’ailleurs lui-
même fort habile au jeu de dames ; il voulut se rendre
auprès du roi pour montrer son talent. En ce temps, la
206 CHENG KING (N° 438)
reine apprenant la venue d’un brahmane fait de telle et
telle façon, ayant tel visage, telle taille et telle figure, se
dit en elle-même: « C’est mon ancien mari. » Le brah-
mane, étant arrivé à la porte du palais, le roi le fit venir
en sa présence et on le mit à l'épreuve en le faisant jouer
aux dames (avec la reine) à distance, un homme étant chargé
de nommer les pièces d'ivoire (1). Alors le brahmane
chanta cette stance :
Ses cheveux sont beaux el longs de huit pieds ; — son
visage est comme s’il était peint ; — pour la douceur elle est
la première ; — doit-elle encore se souvenir des fruits
mars ?
La reine répondit par cette gâthà :
Autrefois une servante élait la maîtresse ; — en elle il
plaçait son affection ; — pour les honneurs qu'on lui ren-
dait, elle était la première ; — pour ravir (à une autre ce
qui lui élait dû), elle était la première.
Le brahmane répliqua derechef à la reine par cette
gâthà :
Allons demeurer à l'écart dans le séjour des nâgas, —
là où les nägas et les éléphants prennent constamment leurs
ébats, — et en ce lieu livrons-nous ensemble au plaisir. —
Devez-vous encore vous souvenir des fruits mürs ?
La reine répondit au brahmane par cette gâthà :
Vous mangiez seul les fruits mûrs, — el vous me jeliez
les fruits verts ; — c'est pour quelque cause provenant d'une
existence antérieure, — que j ai élé ainsi dépouillée par vous,
Ô brahmane.
Alors le brahmane concut des regrets dans son cœur ;
il se fit d'amers reproches, mais son repentir ne servit à
rien. j
(1) Le brahmane et la reine étaient éloignés l’un de l’autre; un person-
nage intermédiaire les mettait en relations en annonçant les mouvements
que chacun d’eux faisait sur le damier avec les tablettes en ivoire.
Le
mr
EXTRAITS DU KING LU YI SIANG"
N° 439.
(ERA NNEXNE SD 02%)
Le Buddha se trouvait à Lo-yue (Râjagrha) dans le jar-
din de bambous de Jeta ; il y avait alors quatre frères,
issus d'un personnage de haute caste, qui avaient perdu
de bonne heure leur père et leur mère et qui se dispu-
taient la possession de l'héritage ; ils aperçurent Chô-li-fou
(Câriputra), et, tout joyeux, lui demandèrent: « Nous
souhaitons que vous prononciez sur ce cas et ensuite nous
ne nous disputerons plus. » Chô-li-fou (Gäriputra) leur
dit: « Fort bien; j'ai un grand maître, le Buddha, qui est
plus digne d'honneur que n'importe qui dans les trois
mondes. Suivez-moi et revenons à l’endroit où se trouve
le Buddha; certainement vous obtiendrez la solution (de
votre différend). » Ils suivirent donc Chü-li-fou (Càriputra)
et revinrent avec lui. Le Buddha, voyant de loin ces quatre
hommes, se prit à rire en émettant un éclat des cinq
couleurs. Les quatre hommes rendirent hommage au
Buddha et lui dirent: « Nous sommes stupides; nous
souhaitons que le Buddha prononce une parole décisive
afin que nous ne nous disputions plus. » |
(1) Le Xing lu yi siang (Nanjio, Catalogue, n° 1473; est un recueil d’ex-
traits des livres saints qui a été compilé en 516, sous la dynastie des
Leang par Seng-ming, Pao-tch'ang et d’autres. Quoique Florigine de
chaque texte soit indiquée, il est souvent difficile de remonter à la source,
soit parce que certains livres ont disparu, soit parce que ce serait une
tâche fort longue de rechercher un court récit dans Lel ou tel volumineux
ouvrage où il est enfoui.
208 KING LU Yi SIANG (N° 439)
(Le Buddbha leur dit :) « Autrefois il y avait un roi nommé
Wei-leou; son corps souffrant d’une maladie, il fit venir
un médecin qui l’examina et (prescrivit) de composerune
drogue pour laquelle il fallait employer du lait de lionne.
Le roi adressa aussitôt un appel (à son peuple, en disant
que), si quelqu'un se procurait (de ce lait), il lui donnerait
la moitié de son territoire et lui ferait épouser sa plus
jeune fille. Il y eut alors un pauvre homme qui déclara :
« Je suis capable de m'en procurer. » Le roi l'ayant auto-
visé (à tenter l’entreprise), cet homme qui était habile et.
ingénieux, commença par rechercher l'endroit où se tenait
une lionne, puis, avec un mouton qu'il avait tué et plusieurs
dizaines de boisseaux de vin de raisin, il se rendit dans
cette montagne ; il épia le moment où la lionne était sortie
et déposa dans son repaire le mouton tué ainsi que le vin
de raisin. (A son retour), la lionne vit le vin et la chair ;
elle se mit à boire et à manger et s’endormit complète-
ment ivre. (Notre homme aussitôt) s’avança, lui tira du lait
et s’en revint tout joyeux. Avant qu'il fût revenu dans son
pays, comme le soir était venu, il s'arrêta pour la nuit
dans un village. Or un arhat s’y était aussi arrêté et se
trouva passer la nuit en compagnie de cet homme. Celui-
ci, en poursuivant la lionne, avait parcouru un chemin
difficile ; il s'était endormi, le corps épuisé, et il n’avait
plus du tout sa connaissance. Le religieux apercçut les six
organes (1) de son corps qui contestaient entre eux sur
leurs mérites respectifs ; le génie des pieds disait : « C’est
grâce à moi qu'on est arrivé jusqu'ici et qu’on a pris le
lait. » Le génie des mains disait à son tour : « C’est grâce
à nous, les mains, qu’on a tiré le lait. » Le génie des yeux
disait aussi: « C’est grâce à moi qu’on a vu (la lionne). »
Le génie des oreilles disait de son côté : « C’est grâce à ce
que j'ai entendu le roi demander du lait que je vous ai
(1) Dans la suite du récit on ne trouve mentionnés que cinq organes.
KING LU Yi SIANG (N° 439) 209
amenés tous ici. » Le génie de la langue dit alors : « Vous
contestez en invoquant de vaines raisons ; ce mérite me
revient. Maintenant votre mort ou votre vie dépend de
moi. » (Le lendemain), cet homme, apportant le lait, vint
auprès du roi et lui dit: « Je me suis maintenant procuré
du lait de lionne ; il est là-dehors. » Le roi dit: « Que c’en
soit véritablement ou non, présentez-le moi. » À peine le
roi avait-il vu le lait, que la langue dit : « Ceci n’est pas du
lait de lionne ; c'est simplement du lait d’ânesse. » En
entendant ces mots, le roi fut très irrité et dit: «Je vous
avais chargé de prendre du lait de lionne et vous me rap-
portez du lait d’ânesse. » Il voulut donc faire périr l’homme.
Cependant le religieux qui avait passé la nuit auprès de
l’homme eut alors recours à ses facultés surnaturelles
pour arriver aussitôt devant le roi; il lui déclara : « Ceci
est vraiment du lait de lionne. J’ai passé la nuit dans un
village avec cet homme au moment (où il venait de se le
procurer); j'ai vu les six parties de son corps contester
entre elles sur leurs efforts méritoires ; la langue a dit:
« Je m'opposerai à vous. » C’est maintenant effectivement
ce qu’elle a fait. Que le roi prenne seulement ce lait pour
le mêler à sa médecine et il guérira certainement de sa
maladie. » Le roi ajouta foi aux paroles de l’arhat et se
servit du lait pour composer sa médecine ; il donna sa fille
en mariage à cet homme et en même temps il lui conféra
un territoire, conformément à l'engagement qu'il avait pris
au début. Le religieux dit au roi: « Si (tels sont les maux
qui sont produits quand) les organes du corps d’un seul
homme sont en opposition entre eux, combien plus (graves
seront les maux quand la dissension se produira) entre
des hommes différents. » Alors celui qui s'était procuré le
lait, ayant recu du religieux ce bienfait, demanda à deve-
nir cramana ; son intelligence se dénoua etil obtint la
sagesse d’arhat; le roi aussi fut alors joyeux; il recut les
cinq défenses et obtint la sagesse de sortäpanna, »
LUE 14
210 KING LU Y1 s1ANG (N° 439-440)
Quand les quatre hommes eurent entendu ce récit, leur
intelligence se dénoua ; il implorèrent aussitôt du Buddha
(la faveur) de devenir bhiksus ; le Buddha, sans rien dire,
leur toucha la tête de sa main : leurs cheveux tombèérent
et le käsàya revêtit leur corps ; leurs attachements mon-
dains se rompirent et leurs souillures disparurent.
Ânanda demanda : « Quel mérite ont eu autrefois ces
quatre hommes pour que maintenant ils aient entendu les
livres saints, aient aussitôt été éclairés et aient obtenu
promptement de devenir achat? » Le Buddha répondit :
« Autrefois, au temps du Buddha Mo-wen, Chü-li-fou
(Câriputra) était un bhiksu et ces quatre hommes étaient
des marchands ; tous ensemble firent don d’un kâsâya à
Chô-li-fou (Càriputra) ; celui-ci prononca le vœu magique
de faire en sorte que, dans une vie ultérieure, ces hommes
obtinssent promptement d’être sauvés ; maintenant c’est
par l'entremise de Chü-li-fou (Câriputra) qu'ils ont en effet
_obtenu d’être sauvés. »
N° 440.
(Trip, XXXNVL3;p.'46v°)
Dans un royaume étranger il y avait un cramana qui,
en allant mendier, arriva chez un marchand de perles. Le
maître de la maison lui prépara de la nourriture à manger.
Or, il possédait une grande perle valant plus de cent mille
pièces de monnaie ; il la rapporta et la placa à côté du
çramana ; à ce moment un perroquet apparut soudain et
l'avala ; le maître de la maison ne l'avait pas vu faire;
aussi interrogea-t-il le çramana qui répondit qu'il n'avait
pas pris la perle; le maitre de la maison lui demanda :
« Y a-t-il eu ici quelque autre homme ? — Non », dit
KING LU YI SIANG (N° 440-441) 211
l’autre. Le maître de la maison reprit, irrité : «Je venais
d'apporter cette perle ; puisqu'il n’y a eu ici aucun autre
homme que vous et puisque vous dites que vous ne l'avez
pas prise, où est maintenant la perle ? » Il se mit alors à
battre le cramana dont le sang jaillit et coula à terre, mais
le çramana continuait à dire : «Je n’ai pas caché la perle. »
Au bout d’un instant, le perroquet vint pour boire le sang
qui était à terre ; il se rencontra avec le bâton et tomba
mort. Comme {le maître de maison) voulait lever la main
pour donner encore des coups au çramana, celui-ci lui dit:
« Arrêtez et écoutez ce que j'ai à vous dire : c'est ce per-
roquet qui l’a avalée. » On ouvrit alors le perroquet et on
trouva la perle. Le maître de la maison demanda au çra-
mana : « Pourquoi ne l’avez-vous pas déclaré plus tôt et
avez-vous fait que les choses se soient passées ainsi? » Le
çramana répondit : « J’observe les défenses du Buddha et
je ne saurais tuer des êtres vivants ; malgré mon désir
de vous déclarer ce qui en était, je craignais de causer la
mort du perroquet. Maintenant que le perroquet est mort,
je vous le dis; mais, si le perroquet vivait encore, vous
m'auriez frappé jusqu'à me faire périr sans que jamais je
vous eusse révélé (où était la perle). » Le maitre de la
maison se fit alors des reproches, se repentit de sa faute
et prononça des excuses ; le çramana ne S'APLITA pas et
l'air de son visage ne changea point.
N° AA.
CÉRIDRNDERN I De Sr)
En ce temps, dans la ville de Chôü-wei (Grävasti), il y
avait un brahmane de grande famille nommé Ye-Jo-la
(Yajñadatta) qui était extrémement riche. Une de ses ser-
212 KING LU Yi SIANG (N° 441)
vantes esclaves était nommée ÆJouang-leou (Tête jaune) ;
elle avait constamment la garde du jardin des mo-lo (mälà,
guirlandes). En ce temps, cette servante s’affligeait tou-
jours et disait : « Quand échapperai-je à cette condition
d’'esclave ? » Un jour, cette servante, après le lever du
soleil, avait reçu sa part de nourriture en aliments secs
et l'avait emportée pour se rendre dans le jardin. Au même
moment, l'Honoré du monde entrait dans la ville pour
mendier sa nourriture. La servante Houang-l'eou aperçut
de loin le Tathâgata et elle pensa dans son cœur : « Ne
vaudrait-il pas mieux que je prenne ces aliments secs pour
les donner à ce çramana ? peut-être pourrais-je être déli-
vrée de cette condition d’esclave. » Elle donna donc ses
aliments en présent au Buddha ; l’'Honoré du monde les
accepta avec bonté et compassion, puis il revint dans son
ermitage. Alors la servante Houang-l'eou continua sa route
et entra dans le jardin des mo-lo. Or, le roi Po-sseu-ni
(Prasenaijit), avec un cortège imposant de soldats des quatre
sortes, était sorti pour chasser; les gens de sa suite s’épar-
pillèrent en galopant à la poursuite de troupeaux de cerfs;
il faisait fort chaud; (le roi) aperçut de loin le jardin des
mo-lo ; il renvoya donc son char et entra à pied dans le
jardin. Houang-leou vit venir de loin Po-sseu-nt (Pra-
senajit), qui, par sa démarche etses mouvements, ne parais-
sait pas être un homme ordinaire; elle s’avança aussitôt
pour l’accueillir en lui disant : « Soyez le bienvenu, grand
homme et veuillez vous asseoir ici. » Elle ôta alors un de
ses vêtements qu’elle étendit à terre pour faire asseoir le
roi. Aouang-Feou lui demanda : « Peut-être avez-vous
besoin d’eau pour laver vos pieds? » Le roi ayant donné
son assentiment, elle prit de l’eau qu’elle présenta au
roi, puis elle lui essuya les pieds. Elle lui demanda encore:
« Désirez-vous vous laver le visage? » Elle offrit donc
pour la seconde fois de l’eau au roi pour qu'il se lavât le
visage. Elle lui demanda encore : « Voulez-vous boire ? »
î
ss
KING LU YI SIANG (N° 441) 213
Puis elle alla vers l’étang, se lava les mains, prit une belle
feuille de nénufar, la remplit d’eau et l’apporta au roi.
Elle lui demanda encore : « Peut-être voudriez-vous vous
coucher et vous reposer ? » Elle ôta encore un de ses
vêtements et l’étendit à terre pour le roi; puis, quand elle
vit qu’il s'était couché, elle se tint à deux genoux devant
lui et lui massa les pieds et les articulations des autres
membres pour dissiper sa fatigue. Houang-leou avait un
corps de déesse, fin, souple et beau; quant au roi, qui
était subtil, il fit cette réflexion : « Je n’ai jamais trouvé
une femme aussi intelligente que cette fille ; avant même
que je lui aie donné des ordres, elle les exécute. » Il lui
demanda donc : « À quelle famille appartenez vous ? » Elle
répondit : « Je suis une esclave de Ye-jo-la (Yajñadatta);
on m'a chargée de garder ce jardin. » Quand ils eurent con-
versé ainsi pendant quelque temps, la foule des grands
officiers du roi, en suivant les traces laissées par le char,
arriva dans le jardin ; ils se prosternèrent aux pieds du
, puis se tinrent debout sur un rang. Le roi ordonna à
un ME ces hommes : « Appelez le brahmane Ye-Jo-ta
(Yajñadatta) pour qu’il vienne. » Ÿe-7o-la (Yajñadatta) étant
venu auprès du roi, celui-ci lui demanda : « Cette fille est-
elle votre esclave ? » Comme il répondait affirmativement,
le roi reprit : « Maintenant je désire en faire mon épouse.
Qu'en pensez-vous ? » Il répliqua : « Elle est mon esclave;
comment pourriez-vous la prendre pour épouse ? » Le roi
dit: « Ce n’est pas là la question ; ne parlez que du prix
auquel vous l’évaluez. » Le brahmane répondit : « Si je
voulais parler du prix, il serait de cent mille onces d’or ;
mais comment réclamerais-je un prix au roi? Maintenant
j'offre (cette fille) à Votre Majesté. » Le roi dit : « Non
pas. Je la prends pour épouse ; comment ne vous en don-
nerais-je pas le prix? » Aussitôt il paya au brahmane cent
mille onces d’or, puis il fit monter en char (Jouang-l'eou)
et entra dans son palais escorté de tous ses ministres.
214 KING LU Y1 SIANG (N° 441-442)
C'est parce qu'il avait pris cette femme dans le jardin
des mo-lo qu'on la distingua par le surnom de : la fou-jen
mo-li (Mallika devi). Le roi l’aima et l’honora fort.
A quelque temps de là, le roi était avec ses cinq cents
femmes et elle se trouvait la première d’entre elles, au
haut de la salle élevée; elle pénsa alors : « De quelle
action suis-je récompensée pour avoir pu échapper à la
condition d’esclave et recevoir une félicité pareille ? » Elle
fit encore cette réflexion : « C’est que j'ai autrefois donné
à un çramana ma part d'aliments secs mêlés à du miel, et
c'est pour cette cause que maintenant j'ai échappé à la
condition d’esclave et que je reçois une telle félicité. »
N° 412.
(TP. XXXNT 8. D. 08 LP)
Dans le royaume des Yue-fche, 1l y avait un roi nommé
Wou-cha ; il n’était personne dans le monde qu'il n’eût
terrassé et soumis. Sa mère avait donné à ce roi l'avis
suivant : « Si vous êtes en péril de mort, ayez soin de
ne pas tourner par la gauche autour d’un temple du
Buddha, mais pensez à tourner par la droite. Veillez à ne
pas contrevenir à ces instructions. » En ce temps, le roi
Wou-cha mit en campagne une grande armée pour atta-
quer la ville de Chouen-hiue (sang pur) ; il prit lui-même
en main son épée et tua trois cent mille hommes. Mais
ensuite le combat tourna à son désavantage ; monté sur
un éléphant, il s'enfuyait lorsqu'il remarqua un stüpa ; il
se souvint de l’avertissement que lui avait donné sa mère
et fit aussitôt revenir son éléphant pour qu'il tournât par
la droite. Voyant cela, les ennemis se dispersèrent et se
soumirent ; le roi, s'apercevant que les ennemis reculaient,
leur donna la poursuite et fit avancer ses soldats ; il
NE RCE,
D not à éd à AR
KING LU YI SIANG (N°5 442-443) 215
s'empara de leur ville et fit prisonnier leur roi lui-méme.
Alors il se rappela la parole du Buddha, à savoir que celui
qui prend son refuge en Buddha est vénéré, qu'il est grand
et que nul ne peut l’égaler : « Si, se disait-il, je n'avais
pas tourné par la droite, comment aurais-je pu défaire ces
ennemis ? »
N° A3.
(Trip., XXXVI, 3, pp. 91 v°-92 r°.)
4
Autrefois, l'épouse du roi du royaume de Po-lo-nai (Vârà-
nasi, Bénarès) devin& enceinte. Cette femme reconnut
qu’elle était enceinte et elle en avertit le roi; celui-ci
lui fit donner de la nourriture et des soins à son entier
contentement. Quand le terme fut venu, elle accoucha
d’une masse de chair rouge comme la fleur de l’hibiscus.
(Elle se dit :) « Toutes les autres femmes ont mis au
monde des enfants beaux et bien faits ; moi, j'ai enfanté
cette masse de chair qui n’a ni mains ni pieds. Mon cœur
en conçoit de la honte. Si le roi sait cela, il aura certaine-
ment de la haine et du mépris pour moi. » Elle placa donc
(cette masse de chair) dans un vase ; elle battit de l'or
pour en faire une feuille sur laquelle elle écrivit avec du
sable rouge (cinabre) : « Ceci est ce que la femme du
royaume de Po-lo-nai a mis au monde. » Elle placa un cou-
vercle sur l’orifice du vase et le scella avec Le sceau royal
puis, après avoir fixé à l’intérieur du vase la feuille d’or
sur laquelle elle avait écrit, elle envoya quelqu'un aban-
donner le tout dans le fleuve. Quand l’envoyé eut lâché
le vase, les génies et les dieux prirent des mesures pour
le protéger et firent qu’il n’y eut ni vent ni vagues.
Or, un religieux demeurait avec des gardiens de bœufs
au bord du fleuve ; de bon matin il se baignait lorsqu'il
216 KING LU Yi SIANG (N° 443)
aperçut de loin ce vase ; il le recueillit et vit les mots
tracés sur la feuille d'or ; il remarqua en outre le sceau
royal qui le scellait ; il ouvrit alors le vase et regarda ce
qu'il y avait dedans, mais il n'aperçut qu'une masse de
chair. Il fit cependant cette réflexion : « Si c'était là de la
chair morte, elle devrait être depuis longtemps en putré-
faction ; celle-ci doit avoir quelques qualités extraordi-
naires, » Il la rapporta donc dans l'endroit où il demeu-
rait et l’installa avec soin dans un endroit. Au bout d’un
demi-mois, la masse de chair se divisa en deux fragments ;
puis, de nouveau après un demi-mois, chacun des frag-
ments produisit cinq fragments ; enfin, après un nouveau
demi-mois, de l’un des placentas naquit un garçon, et de
l’autre fragment naquit une fille. Le garcon avait la cou-
leur de l'or jaune; la fille avait la couleur de l'argent
blanc. Quand le religieux les vit, il conçut pour eux un
vif amour comme si ç'eût été lui-même qui eût eu ces
enfants ; des pouces de ses deux mains du lait sortit
spontanément ; un de ses pouces nourrissait le garçon ;
l’autre pouce nourrissait la fille; quand le lait entrait
dans le ventre des enfants, il était semblable à de l’eau
claire et c'était comme une perle mani dont l'éclat se
répandait au dedans et au dehors. Le religieux donna aux
enfants le nom de li-ich'ü tseu (1); il les nourrit et prit
pour eux beaucoup de peine ; chaque matin il se rendait
dans les villages pour mendier sa nourriture et en même
temps celle des deux enfants; le soir, il revenait.
Cependant, un gardien de bœufs, voyant la peine que
le religieux se donnait pour ces deux enfants, lui dit :
« O homme de grande vertu (bhadanta), celui qui sort du
monde a pour principale obligation d'accomplir ses devoirs
religieux ; comment pourriez-vous, à cause de ces deux
(1) Ce qui signifie, ditune note, « minceur de peau » ou « ayant la même
peau ». En réalité, c'est une étymologie populaire qui rapporte le nom
des Litthavis au mot thavi qui signifie « peau ».
KING LU YI SIANG (N° 443) 217
enfants, négliger vos occupations religieuses ? 1l faut que
vous me les donniez et c’est nous qui les nourrirons et les
ferons vivre. » Le religieux approuva ce discours, puis
le gardien de bœufs et lui retournèrent chacun dans leurs
demeures respectives. |
Le lendemain, le gardien de bœufs et ses compagnons
aplanirent et arrangèrent la route; ils y plantèrent des
bannières et des oriflammes; ils y répandirent des fleurs
de toutes sortes de couleurs ; puis, en faisant résonner
les tambours, ils vinrent chercher les deux enfants. Quand
ils furent arrivés à l’endroit où habitait Le religieux, ils
lui dirent : « Maintenant, vous pouvez renvoyer les deux
enfants. » Le religieux les leur remit en leur faisant cette
recommandation : « Ces deux enfants sont doués d’une
grande vertu bienheureuse dont on ne pourrait estimer la
mesure. Prenez grand soin d’eux; offrez-leur pour les nour-
rir du lait, du beurre, etles cinq sortes de caillé cru et cuit.
Quand ces deux enfants seront devenus grands, ils feront
un couple ; choisissez alors un endroit excellent, uni et
étendu et placez-les 1à pour qu'ils y résident; vous devrez
nommer roile garcon et la fille sera son épouse. » Les gar-
diens de bœufs reçurent cesinstructions, puis seretirérent.
Quand les deux enfants eurent atteint l’âge de seize ans,
on leur donna un territoire uni et vaste ayant une étendue
de cent yojanas ; au centre on éleva une habitation ; on
maria la fille au garcon en sorte qu’ils furent mari et
femme. Par la suite, ils donnèrent naissance simultané-
ment à deux enfants, un garcon et une fille et il y eut
seize doubles naissances de cette sorte Voyant que les
enfants du roi devenaient de plus en plus nombreux, les
gardiens de bœufs ouvrirent de nouvelles habitations et
aménagèrent des parcs pour y rassembler les maisons de
ces trente-deux personnes ; les constructions et le terri-
toire se trouvèrent alors trois fois plus vastes et c’estpour-
quoi le nom de cet endroit fut P’i-chü-li (Vaicâli).
218 KING LU Y1 SIANG (N° 444)
N° All.
(Fans XASXNL Sp AS NS
Il était une fois un fils de roi qui désirait connaître ses
existences antérieures et qui interrogea le Buddha à ce
sujet. Le Buddha lui répondit : « Cette connaissance n’est
point une chose utile, car elle rend les hommes tristes. »
Le fils de roi ayant cependant exprimé instamment et
jusqu'à trois reprises son désir d’avoir cette connaissance,
le Buddha lui conféra les défenses, puis fit en sorte qu’il
connuüt ses existences antérieures ; alors donc le fils de
roi aperçut tout ce qui lui était arrivé; il vit que (dans une
vie antérieure), il devait mourir à quinze ans et il en
concut une affliction indicible ; à l’âge de quinze ans donc,
1l mourut ; la famille royale l’enterra et planta un pin sur
sa sépulture ; quand cet arbre devint grand, sa racine péné-
tra profondément la terre et atteignit juste son cœur ; son
âme douée de connaissance était encore dans son corps,
et, voyant pousser cette racine, elle se dit: « Elle me
traverse juste le cœur » ; car elle pensait qu’elle lui per-
cerait le cœur comme si celui-ci eût éncore été vivant.
Puis son âme monta le long de cette racine et se logea
parmi les feuilles du pin; elle vit un mouton venir et
songea : « Si ce mouton broute le pin, il va derechef me
mettre à mal, » Sur ces entrefaites, le mouton vint et la
mangea ; elle se trouva donc dans le ventre du mouton.
Elle sortit avec les excréments du mouton et se trouva
collée à eux. Un jardinier recueillit ceux-ci pour fumer
des poireaux et (l'âme) se trouva alors dans les feuilles
‘de poireaux. Or la reine vint à avoir envie de poireaux
et donna des ordres pour qu'on lui en apportât du
dehors. Le chef jardinier prit en main son couteau pour
KING LU Yi SIANG (N°%'444-445) 219
cueillir des poireaux en les coupant; à ce moment, (l’âme)
eut peur que le couteau ne lui fit du mal ; c’est ainsi que,
en chaque circonstance, elle éprouvait une affliction si
profonde qu’on ne saurait la décrire. Après avoir coupé
les poireaux, le jardinier les lia et les envoya chez le roi;
(l’âme) se trouva alors dans son ventre et y devint un fils.
Quand le terme fut arrivé, ce fils naquit ; puis il devint
grand et il connut de nouveau quelles avaient été ses
existences antérieures. Le fils du roi se rendit aussitôt
auprès du Buddha et lui dit : « Je n'ai plus aucun besoin
de connaître mes existences antérieures, car cela me
plonge dans l’affliction. Maintenant donc, & Buddha, je
vous rapporte cette connaissance de mes existences anté-
rieures. » Le Buddha répondit au prince héritier : « Moi-
même, naguère, je ne voulais pas vous accorder cette
connaissance, mais c’est parce que vous désiriez l'avoir
que je me suis ravisé et que je vous l’ai accordée. »
N° A45.
CPPID SN NN ER DENT)
Autrefois le roi Pi-sien-ni (Prasenajit) avait deux
femmes ; le fils de la première femme se nommait Lieou-
li (Vaidürya) ; le fils de la seconde femme se nommait
Tche (Jina). Le jour même de la naissance de Téhe, des
offrandes précieuses apportées des quatre points cardi-
naux arrivèrent toutes en même temps. Le roi dit : « Lors
de Ia naissance de mes autres fils, jamais rien de tel ne
s’est passé; cet enfant mérite qu’on l'appelle Tche (1). »
Quand il fut devenu grand, son instruction fut telle qu'il
(1) Jina signifie vainqueur.
220 KING LU Yi SIANG (N° 445)
n’était rien qu’il n’eût pénétré. Le roi fit édifier pour lui
un palais spécial qui était fait avec les sept substances pré-
cieuses ; des hommes et des femmes en or et en argent
se trouvaient des deux côtés de la porte ; ils tenaient dans
leurs mains des bols précieux tout remplis des sept
joyaux ; on pouvait y puiser jour et nuit et les bols rede-
venaient pleins comme auparavant. Le prince héritier,
müû par la jalousie, envoya des soldats pour piller ce pa-
lais ; mais alors cinq cents cavaliers des armées célestes
protégèrent et défendirent la demeure de Tche; en les
voyant, les soldats de Lieou-li furent saisis de terreur,
reculèrent et s’enfuirent. Le prince héritier, fort irrité, fit
mander T'che et lui demanda : « Cette nuit j'ai envoyé des
soldats pour m’'enquérir de votre santé ; mais vous aviez
des soldats cachés à l’intérieur de votre demeure ; serait-
ce que vous voulez vous révolter ? » Tche répondit: « Je
ne saurais me dispenser de nourrir des sentiments paci-
fiques. Chez moi, iln’y a pas la moindre arme de guerre. »
Lieou-li envoya faire une perquisition chez lui et on ne
trouva rien ni dedans ni dehors. L'intelligence de Lieou-
li s’ouvrit alors et il vint exposer tout ce qui s'était
passé au Buddha. Le Buddha lui dit : « La vertu que Tche
a plantée a rencontré un champ ferme et solide; c'est
pourquoi on ne peut le dépouiller (de son bonheur). A
l’époque du Buddha Wer-wer(Vipacyin), il y eut un homme
qui se rendit dans un temple pour y nourrir des religieux
et qui, ensuite donna un esclave et une servante pour
balayer les bâtiments du temple ; à partir de ce moment,
soit qu'il vécût en haut parmi les devas, soit qu'il fût dans
la condition humaine, cet homme reçut une prospérité
sans limites. Il n’est autre que Tche. »
KING LU 1 SIANG (N° 446) 221
N° 446.
(Fri A XXNE hp: 20 N°)
Autrefois, dans un royaume étranger, il y avait une ville
nommé ZJ'eou-kia-lo (Tukhâra); dans cette ville était un
laïque qui, chaque jour, invitait un cramana à revenir
dans sa maison. Ce cramana était un arhat; or, quand il
était assis et mangeait, au moment où il mangeait, iloffrait
toujours un peu de sa nourriture à un chien qui était dans
la maison ; à cause de la nourriture qu'il recevait ainsi,
le chien concut des sentiments affectueux à l'égard du cra-
mana ; lors de la venue journalière du cramana, le chien
avait pris l'habitude de le bien accueillir; au moment où le
cramana mangeait, le chien le regardait en pensant à lui;
de son côté, le cramana, dès qu’il venait, prenait un peu de
nourriture et le tendait au chien; aussi le chien avait-il
des sentiments affectueux envers le cramana. Au bout de
plusieurs années, la vie de ce chien prit fin ; il devint alors
la fille du roi de Vqan-si (Arsak, Parthie) ; dès sa nais-
sance, cette jeune fille connut ses vies antérieures et sut
qu'elle avait été autrefois un chien ; elle se dit: « J'ai quitté
ce corps de chien et j'ai obtenu le corps de fille du roi;
or, dans ce royaume il n’y a ni temples bouddhiques, ni
cramanas. » En ce temps, le roi des Yue-tche (Indoscythes)
envoya un ambassadeur auprès du roi; celui-ci, voyant
que cet ambassadeur était un homme sage, voulut lui don-
ner sa fille en mariage. L'ambassadeur partit donc en
emmenant la princesse. Quand la princesse vit des çra-
manas, son cœur fut très joyeux ; elle se rappela qu'elle
avait été auparavant un chien, qu’un çramana lui donnait
à manger et qu'elle avait pour lui des sentiments allec-
tueux ; maintenant qu'elle avait obtenu un corps humain,
t
=
tù
KING LU YI1 SIANG (N° 446)
il lui fallait faire des offrandes considérables aux crama-
nas. Dans le royaume des Yue-lche (Indoscythes) il y avait
beaucoup de çramanas ; cette femme nourrit journelle-
ment de trois à cinq cents d’entre eux; elle leur versait à
boire de sa propre main et ne chargeait personne d’autre
de les recevoir; quand ils avaient fini de manger, elle
balayait de ses propres mains le sol. Les servantes de cette
femme, qui étaient dans sa demeure, conçurent toutes de
bons sentiments et dirent : « Cette femme est une fille de
roi; or, depuis qu’elle est venue ici, elle balaie constam-
ment et elle fait des offrandes aux çramanas ; il nous faut,
nous aussi, nous appliquer à cette tâche. » Les servantes
donc cachèrent le balai, dans l'intention de balayer elles-
mêmes le sol; quand leur maîtresse chercha le balai, il
lui fut impossible de savoir où il se trouvait; elle pritalors
dans un coffre le vêtement qu'elle portait lors de sa venue
dans ce pays, le roula et s’en servit pour balayer le sol.
En la voyant balayer le sol avec un vêtement neuf, son
mari lui dit: « Quoique vous honoriez la religion boud-
dhique, qu'est-il besoin de vous servir d’un vêtement neuf
pour balayer le sol ?il vous faut aller quérir un balai. » Sa
femme lui répondit: « C’est uniquement parce que j'ai eu
pendant deux ans des sentiments affectueux à l'égard d’un
çramana que j'ai obtenu ce vêtement ; puisque c’est préci-
sément avec ce vêtement que je balaie, pourquoi trouve-
riez-vous cela mauvais? Dans mon existence antérieure
je n'avais rien dont je pusse me servir pour faire des libé-
ralités ; j'avais seulement des sentiments affectueux et je
croyais à la loi bouddhique ; c’est pourquoi j'obtins le
bonheur présent. D’ailleurs, ce n’est pas en travaillant
pour gagner ma vie que j'ai acquis ce vêtement. » Le mari
dit à sa femme: « Bien que vous croyiez à la loi boud-
dhique et que vous fassiez des offrandes aux çramanas, je
n'ai jamais vu aucun çramana vous donner ne fût-ce qu'une
ou deux pièces de monnaie ; vos vêtements vous ont tous
e
KING LU YI SIANG (N° 446-447) 228
été procurés grâce à la force de mes muscles. » Lafemme
alors expliqua à son mari quelle avait été sa destinée anté-
rieure et lui dit: « Dans une vie antérieure je naquis en
qualité de chien; mon maître invitait fréquemment un çra-
mana et celui-ci me tendait de la nourriture; je conçus des
sentiments affectueux envers ce çramana et c'est pourquoi
je quittai ce corps de chien pour devenir la fille d’un roi.»
En entendant ces mots, le mari, plein de joie, dit à sa
femme : « C’est donc seulement pour avoir eu des senti-
ments affectueux envers un seul çramana que vous avez
obtenu de telles bénédictions. » Après avoir entendu ce
que racontait sa femme, cet homme, qui était auparavant
parcimonieux et avide, se mit à faire de grandes libéra-
lités et il n’y eut plus rien qu'il ne donnât volontiers ;
observant les abstinences et les défenses, il déployait son
énergie ; il élevait avec somptuosité des temples boud-
dhiques. Cet homme dit après réflexion : « Est-ce seule-
ment pour avoir eu des sentiments bienveillants que vous
avez obtenu un tel mérite ? » Sa femme lui répondit: « Les
sentiments du cœur peuvent faire que l’homme devienne
Buddha, qu'il naisse en haut parmi les devas, qu’il de-
vienne Pratycka Buddha, qu’il devienne arhat; tout cela
est un effet des sentiments du cœur ; si le cœur nourrit de
mauvaises pensées, il fait tomber l’homme dans les en-
Iers. »
N°7.
CRI XX N A ip 2 Tv)
Autrefois, la fille d’un roi était chérie de son père etne
s’éloignait jamais de ses yeux. Un jour, la pluie tomba du
ciel ; et sur l’eau il y eut des bulles. En voyant ces bulles
sur l’eau, la jeune fille Les trouva fort à son gré; elle dit
224 KING LU YI SIANG (N° 447)
au roi : « Je désire avoir les bulles qui sont sur l'eau afin
qu'on m'en fasse un diadème pour ma tête. » Le roi dé-
clara à sa fille : « Les bulles qui sont maintenant sur
l’eau, on ne peut les saisir ; comment les prendrait-on
pour en faire un diadème ? » La jeune fillé dit : « Si ;
n'ai pas cela, je me tuerai. » En entendant ces mots de
sa fille, le roi appela les maîtres les plus adroits et leur
dit : « Vous êtes d’une habileté à laquelle rien ne résiste.
Prenez promptement des bulles de l’eau et faites-en un
diadème pour ma fille; si vous n’y parvenez pas, je vous
décapiterai. » Ils répondirent : « Nous sommes incapables
de prendre des bulles pour en faire un diadème” » Ce-
pendant un vieil artisan dit: « Je pourrai prendre les
bulles. » Le roi, tout joyeux, en informa sa fille, disant :
« Il y a maintenant un homme qui se charge de vous
faire un diadème. Allez vers lui pour voir vous-même de
près (comment il s’y prendra). » La jeune fille, suivant le
conseil de son père, alla au-dehors pour regarder ; alors
le vieil artisan lui dit : « Je n’ai pas l'habitude de distin-
œuer entre les bulles de l'eau celles qui sont belles et :
celles qui sont laides ; je désire humblement que la
fille du roi aille en personne prendre les bulles et moi
j'en ferai un diadème. » La jeune fille chercha à prendre
les bulles ; cependant celles-ci crevaient dès qu'elle en
approchait la main, et elle ne parvenaitpas à les saisir; elle
s’y appliqua toutle jour, mais en définitive ne put prendre
les bulles. La jeune fille se lassa elle-même (de ces ten-
tatives), y renonça et s'en alla. Elle dit à son père : « Les
bulles de l’eau sont vides et fallacieuses ; elles ne sau-
raient se maintenir longtemps ; je désire, ô roi, que vous
fassiez faire pour moi un diadème en or pur qui jour et
nuit ni ne se desséchera ni ne se flétrira. Les bulles qui
sont sur l’eau déçoivent les veux des hommes ; quoiqu’elles
aient une forme corporelle, elle se détruisent au fur et à
mesure de leurs naissances ; c’est avec la même prompti-
ù PRET Clint “a.
nm. —
KING LU YI SIANG (N°5 447-448) 225
tude que disparaissent les flammes ardentes et les buées
de la campagne (1). Après avoir aimé (ces bulles), on s’en
lasse et on les laisse périr. »
Le corps de l’homme (aussi) est une apparence trom-
peuse ; il a peu de joies et beaucoup de peines ; les lois
(dharmas) sujettes à la destruction ne peuvent subsister
longtemps ; elles transmigrent et se transforment et ne
restent qu’un instant dans ce monde.
N° 448.
(Trip., XXXVI, 4, p. 28 v°.)
Autrefois il y avait un maître de maison kia-lo-yue
(grhapati) qui était intelligent et très perspicace et qui
(1) L'expression FF E (litt. : les chevaux de la campagne) se trouve
associée dans Tchouang tseu (chap. I; trad. Legge, S. B.E., vol. XXXIX
p. 165) à l'expression FE J£ et on a cru parfois que les deux termes
étaient synonymes; on a donc employé la locution H$ Æ pour signifier
simplement des grains de poussière. C’est ainsi que Wou Yong DL. EN
écrit : #} ZE [4 2 #ÿ Æ pour dire : « J'ai secoué la poussière qui
est entre les poutres du plafond »; Han Yo ÉE }& écrit aussi : & #
H À + Æ ; ce qui revient à dire: « les grains de poussière qui
volent dans le rayon de lumière de la fenêtre ». Mais le Mong ki pi l'an
(chap. III, p. 10 ve), qui cite ces deux exemples, déclare que cet emploi
de l'expression HF Æ, est fautif, car, en réalité, les ye ma sont les va-
peurs qui flottent sur les champs; à les voir de loin, il semble que ce
soient des troupeaux de moutons ou des flots E$ Æ 7% FH Æ Hi 1?
K& Ho x 2 mn À 2 À An 7K JK. Les livres bouddhiquesse
servent donc avec raison de cette métaphore pour désigner quelque
chose d'irréel et de fugitif. — Schlegel (T'oung pao, l"° série, vol. VIT, 1896,
pp. 47-53) a cherché à concilier les deux interprétations — « poussière
flottante » et « buées » — de l'expression ye-ma en disant qu'on désigne
par ce terme les nuages de poussière légère qui flottent à la surface du
désert et qui produisent les mirages. Mais cette explication, pour ingé-
nieuse qu'elle soit, ne me parait pas être justifiée par les textes chi-
nois.
LIT. 15
226 KING LU YI SIANG (N°5 448-449)
possédait d'immenses richesses; il demeurait sur le bord
de la mer et avait planté beaucoup d'arbres dont la splen-
dide frondaison atteignait jusqu'au ciel. En ce temps, sur
une ile de la mer, il y avait en grande quantité des joyaux
précieux dont la valeur se chiffrait par milliers et cen-
taines de mille (de pièces de monnaie) ; mais les hommes
ne pouvaient pas en approcher ; seuls, les oiseaux qui y
allaient et qui en revenaient avalaient des perles claires
comme la lune ; le matin, ils se rendaient (dans l’île) ; le
soir, ils en sortaient et venaient se percher, pour passer la
nuit, sur le bois touffu du maître de maison ; ce dernier,
qui était fort avisé, imagina un stratagème ; il prépara donc
un aliment exquis et le présenta aux oiseaux ; ceux-ci en
mangèrent jusqu'à satiété, puis ils vomirent ; les perles
couvrirent alors le sol ; le maître de maison les recueillit
et devint ainsi fort riche.
N419
(Trip, XXXVI, 4, p.33 ve.)
Il y avait autrefois un upâsaka qui résidait provisoire-
ment dans le royaume de Chü-wei (Grâvasti) ; sa femme
était d’une telle beauté que la renommée s’en était répandue
dans le royaume ; les amis de cet homme auraient voulu
voir sa femme, mais il se refusait toujours à la leur mon-
trer. Quelqu'un ayant parlé de la chose au roi, celui-ci
désira voir cette femme, mais il ne savait comment s’y
prendre ; un de ses sujets lui dit alors : « Cet homme et
sa femme observent tous deux les cinq défenses ; ils font
des offrandes aux religieux et leur offrent à boire de leur
propre main. O roi, il faut que vous vous déguisiez
en religieux et que, portant en main le bol à aumônes, vous
KING LU YI SIANG (N° 449) 227
vous rendiez chez cette femme ; vous parviendrez certai-
nement ainsi à la voir. »
Le roi suivit cet avis. Sous un déguisement momentané,
il alla secrètement à la maison de ces gens ; en apercevant
un religieux, la femme rendit hommage en se prosternant
le visage contre terre ; quand le roi l’eut bien considérée,
il revint et dit à ses ministres : « Cette femme est vrai-
ment belle ; elle est entrée dans mon cœur, mais je ne
sais par quel moyen je pourrais l'obtenir. »
Les ministres lui dirent : « Quoique cet homme soit un
hôte provisoire, il convient qu'il vienne rendre visite à
Votre Majesté; si, par arrogance, il ne vient pas, pour-
quoi ne le châtiriez-vous pas ? A plus de mille /: de la
ville de Chô-wei, au milieu d’un grand étang poussent des
lotus de cinq couleurs ; mais il se trouve là trois périls
causés par des serpents venimeux, des démons méchants
et des animaux féroces ; ceux qui sont condamnés à mort,
on les envoie cueillir de ces fleurs et alors ils sont tués
là-bas. »
Le roi fit donc appeler l’upâsaka et lui demanda : « Qui
êtes-vous ? » — « Je suis un homme de votre peuple, à.
grand roi », répondit-il. « Pourquoi, reprit le roi, n’êtes-
vous pas venu ? » — «C’est, répondit-il, par excès de sot-
tise ; je me reconnais coupable. » Le roi dit : « Je vous
condamne à aller cueillir des fleurs dans tel étang ; vous
devrez être de retour dans sept jours ; si vous ne venez
qu'après ce délai, je vous punirai sévèrement. »
L’upâsaka recut cet ordre et se retira; puis il revint
tout raconter à sa femme qui lui dit : « Si maintenant vous
êtes coupable, c’est à cause de ma beauté. Vous connais-
sez la sage religion du Buddha ; les trois mondes ne sont
d'aucun appui ; dans les défenses seules on peut se fier ;
le jour où vous vous mettrez en route, que votre cœur songe
aux trois Vénérables, que votre bouche récite les dix
préceptes excellents ; n'y manquez pas un seul instant ;
218 KING LU YI SIANG (N° 449)
si vous ne revenez pas, j'entrerai en religion ; je me plai-
rai à observer les défenses et je ne me remarierai point. »
Elle donna des provisions de route à son mari qui prit
congé d'elle et partit.
A mi-chemin, un démon dévoreur d'homtses lui de-
manda qui il était ; il répondit : « Je suis un disciple du
Buddha. » Le démon répliqua : « Tous les criminels, on
nous les envoie sous le faux prétexte d'aller cueillir des
fleurs ; à sage, en réalité vous n’avez commis aucun
crime et vous avez été calomnié par des hommes per-
vers. » Il répondit au démon : « Il est difficile’ d'obtenir
la condition d'homme dans la vie ; or maintenant ma des-
tinée dépend de vous, puissante divinité. » — « Puisque, dit
le démon, vous êtes un disciple du Buddha, et puisque, en
outre, vous n'avez commis aucun. crime, je ne vous ferai
pas de mal. Mais il y a les deux autres périls auxquels je
crains que vous ne puissiez échapper ; comment allez-
vous faire ? » Le démon lui dit encore : « J'irai à votre
place cueillir les fleurs afin de vous sauver la vie, ce qui
fera que, tout le temps, je jouirai d’une félicité sans limites.
Restez donc paisiblement ici. » À ces mots, le démon par-
tit et revint au bout d'un instant avec de belles fleurs
des cinq couleurs qu’il donna à ce sage. Comme, à cause
de leur poids, le sage ne pouvait les porter, le démon
prit les fleurs et se chargea aussi du sage ; dans le temps.
qu'il faut pour replier et étendre le bras, il arriva à la porte
du palais, puis il prit congé et se retira.
Le sage se rendit à la porte et la franchit. Le roi, sur-
pris de son prompt retour,lui demanda tout ce qui s'était
passé ; ille lui exposa conformément à la vérité. Le roi,
stupéfait et confus, dit: « Les démons n’ont pas une jus-
tice comme les hommes ; ils font le mal à tous les êtres.
vivants ; or maintenant en voici un qui a sauvé un homme
de bien. Moi, cependant, je suis dépourvu de justice et je
ne fais pas de distinction entre le bien et le mal. Je ne
KING LU YI SIANG (N° 449-450) 229
vaux même pas un démon. » Alors, s’accusant lui-même
de ses fautes, il se prosterna devant l’upâsaka, lui confia
sa destinée et désira devenir son disciple. Il accepta les
cinq défenses et mit en pratique en toute occasion les six
pâramitäs. Le royaume, à cause de cela, jouit d’une
grande paix. Quant au sage et à sa femme, ils redoublèrent
d'énergie pieuse et obtinrent de ne pasrevenir dans le
cycle des naissances et des morts (anâgâmin).
N° 450.
(rip XX EUR pv)
Autrefois il y avait un homme qui n’avait qu’un seul
fils nommé Po-kiu-lo (Bakula) ; sa femme étant morte
quand son fils n'avait encore que sept ans, il prit une
autre épouse ; celle-ci eut de la haine contre le fils de la
première femme ; comme elle faisait cuire à la vapeur des
gâteaux dans une jarre, l'enfant en demanda à sa marâ-
tre qui l’empoigna et le jeta dans la jarre ; puis elle bou-
cha l’orifice avec un plat dans le désir de faire périr l’en-
fant; mais l’enfant, se trouvant dans la jarre, mangea les
gâteaux etne mourut pas.
Une autre fois, elle prit encore l'enfant etle mit sur
une plaque à gâteaux brûlante en fer ; mais il mangea les
gâteaux sur la plaque et n’en mourut point.
Plus tard, la femme étant allée au bord de la rivière pour
laver des vêtements, elle lança l’enfant dans l'eau ; un
poisson l’avala ; à sept jours de là, le père invita l’assem-
blée des religieux et disposa pour eux les préparatifs d’une
grande réception; il fit l'acquisition d’un poisson qu’il
rapporta chez lui dans son char ; quand il voulut fendre
le ventre du poisson, son fils lui dit : « Allez bien douce-
230 KING LU Y1 SIANG (N° 450-451)
ment pour ne pas blesser la tête de votre fils. » Cet enfant
s'était autrefois conformé à la seule défense de ne pas
tuer, et (c'est pourquoi) maintenant il obtint en cinq
occasions de ne pas mourir (1).
N° 451.
(Trip., XXXVI, 4, p. 39 v°-40 r°.)
Il y avait un roi nommé To-fou « Beaucoup de Bonheur »
(Punya) et son fils héritier qu’on appelait Tseng-fou « Bon-
heur augmenté » (Punyavardhana). Le roi servait les six
maîtres (hérétiques) ; le fils honorait la doctrine boud-
dhique ; (les voies) qu’ils suivaient n'étaient pas identiques.
En ce temps il n’y avait pas de çramanas; c'était un laïc
qui tenait lieu de maitre.
Or, cinq cents de ces hérétiques, jaloux de la célébrité
et de la vertu de ce maître, dirent au roi : « Quand le
royaume suit deux religions, cela fait que les hommes ne
s'appliquent plus à un seul but. Nous désirons que, nous
et le maitre de la doctrine bouddhique, nous manifestions
chacun de notre côté notre puissance miraculeuse; celui
qui sera vaincu sera réduit à la condition d’esclave. »
Le roi ayant donné son assentiment, les hérétiques et
le maître fixèrent un jour en s’engageant à mettre à
l'épreuve, en présence du roi,leurs plus méritoires talents,
et les deux parties tombèrent d'accord à ce sujet. Ces
«
brahmanes excellaient tous à tirer de l’arc et à monter
à cheval; ils entrèrent donc dans les montagnes etces cinq
cents hommes tuèrent chacun à coups de flèches un cerf;
(1) Le conte est évidemment écourté puisqu'il n’a été question que de
trois des cinq occasions où l'enfant échappa au péril.
Lee
KING LU Y1 SIANG (N° 451) 231
tous ils percérent l'œil gauche (à leur victime) et rivali-
sèrent d’habileté. |
Le sage de son côté, entra dans la montagne, et songea
à plusieurs reprises au Buddha en lui demandant de l'aider
par son prestige surnaturel pour mettre en honneur la
grande doctrine; aussitôt un cerf multicolore sortit sou-
dain de terre ; (le sage) revint tout joyeux en l'emmenant.
Un hérétique l’apprit; il épia le moment où le sage serait
sorti et se rendit dans sa demeure ; par fourberie, il dit
à sa femme : « Votre mari projette d'abandonner sa famille
pour devenir religieux. L’unique cause en est ce cerf
qui détruira votre famille. » En entendant ces paroles, la
femme fut irritée et elle lui donna le cerf. Quand le sage
revint et qu'il ne vit plus son cerf, il interrogea sa femme
qui lui dit : « Cet être de mauvais présage, maintenant
je l'ai égaré. »
Le mari, fort affligé, retourna dans la montagne et se re-
pentit deses fautes avec une parfaite sincérité ; il y eut alors
une perle divine, claire comme la lune, qui sortit de terre.
Il prit donc cette perle et l’emporta pour la montrer au
brahmane (qui avait emmené son cerf); il vint à sa porte et
fit l'éloge de l’objet extraordinaire qu'il avait à vendre. La
femme du brahmane lui dit: « Chez nous, il y a aussi un
objet extraordinaire qui est digne d'être comparé au
vôtre. » Elle fit donc sortir le cerf. Le sage lui dit aussi-
tôt : « Le roi m'avait chargé de prendre soin de ce cerf ;
vous, maintenant, vous l'avez volé, c’est là une faute
immense. » La femme, saisie de crainte, lui rendit le
cerf. |
Quand fut arrivé le jour de l'épreuve, les brahmanes
apportèrent chacun leurs cerfs morts qui tous avaient à
l'œil gauche une blessure sale et puante ; le roi en fut
fort irrité. Le sage s’avança en tirant derrière lui son
cerf surnaturel et en apportant sa perle claire comme la
lune et il vint les offrir au souverain dans la salle royale;
232 KING LU Y1 SIANG (N°3 451-452)
ces deux êtres bondissaient légèrement et jouaient sem-
blables à une étoile filante ou à la clarté de l'éclair ; tous
les gens du palais en étaient émerveillés. Les cinq cents
brahmanes reconnurent eux-mêmes que leur habileté était
vaincue ; ils furent donc réduits à la condition d'esclaves
et leurs femmes devinrent servantes.
N° 452.
(Trip. XXXNI,; LD: A0 Tr)
Autrefois il y avait un grand royaume situé dans une
région de la frontière du côté du nord ; ce royaume se
nommait 7'che-houan (sagesse-frivole). Or un homme du
pays de Z'che-houan vint en apportant un corbeau avec
lui dans le royaume de Po-tchü-li ; dans ce dernier
royaume, il n'y avait aucun oiseau tel que ce corbeau et
il ne se trouvait d’ailleurs aucun autre oiseau remar-
quable et beau de quelque autre sorte ; aussi, quand les
habitants virent ce corbeau, sautèrent-ils de joie ; ils lui
firent des offrandes, le servirent, lui présentèrent, pour le
_désaltérer et le nourrir, des fruits et des courges; petit à
petit, les corbeaux des pays lointains accoururent tous se
réunir là en quantité innombrable ; le royaume entier les
servait et leur témoignait un respect illimité.
Plus tard, une autre fois, un marchand vint encore
d'un royaume étranger ; il apportait avec lui un paon ;
quand les hommes rassemblés virent le plumage merveil-
leux et superbe de cet oiseau, ainsi que sa démarche
d’une noblesse et d'une élégance inconnues jusqu'alors, et
quand ils entendirent sa voix, ils en concurent des trans-
ports de joie ; ils négligèrent les corbeaux pour reporter
leur affection sur le paon ; toutes les offrandes qu'ils fai-
En !
n 1
42 Je
h #1 |
ide
KING LU YI SIANG (N° 452-453) 233
saient auparavant aux corbeaux, ils les présentèrent au
paon et réservèrent pour celui-ci leurs témoignages de res-
pect. Les corbeaux ne surent plus que devenir.
Il y eut alors un deva qui prononca ces gâthàs :
Quand on n'a pas encore vu la clarté du soleil, — la
lumière de la torche brille d’un éclat unique. — C'est
ainsi que ces gens, à première vue, servirent les corbeaux,
— et leur offrirent de l'eau à boire ainsi que des fruits et
des courges à manger.
Mais quand le beau chant eut fait entendre sa perfec-
tion (1), — ce fut comme si le soleil était apparu parmi
les arbres; — les corbeaux furent privés des offrandes
qu'on leur faisait ; — en voyant ce qui en était réelle-
ment, ces gens distinquèrent ce qui est noble de ce qu est
vil.
Ânanda prononça cette gâthà :
De même, avant que le Buddha ait fait son apparition
triomphante, — les brahmanes obtiennent d’étre bien servis.
— Maintenant que le Buddha a fait entendre sa voix par-
faile, — les héréliques sont privés des offrandes qu'on leur
présentait. |
(Le Buddha dit :) Le paon, c'était moi-même ; les cor-
beaux c’étaient les hérétiques des diverses sortes ; le
deva, c'était Ânanda.
N° 153.
Gris NX XN I EU. 120)
En ce temps, dans le royaume de Po-lo-nat (Vâärânaci,
Bénarès), au milieu des montagnes, il y avait un ermite ;
au second mois de l'automne, il urinait dans sa cuvette
{1) C'est-à-dire, quand vint le paon.
234 KING LU YI SANG (N° 453)
à ablutions, lorsqu'il aperçut des cerfs et des biches qui
s'accouplaient; il concut des pensées luxurieuses et sa
semence coula dans la cuvette; une biche la but et devint
aussitôt enceinte ; au terme de ses mois elle mit au monde
un enfant qui ressemblait fort à un homme, mais il avait
sur sa tête une corne et ses pieds étaient comme ceux
d'un cerf. Au moment où la biche allait mettre bas, elle
s'était rendue devant l'habitation de l’ermite pour donner
le jour à l'enfant et le confier à l’ermite, puis elle était
partie; quand l’ermite sortit, il vit cet enfant de la biche;
il réfléchit aux causes anciennes et comprit que c'était son
propre fils ; il le recueillit donc et l’éleva ; puis, quand
l'enfant fut devenu grand, il s’'appliqua à l’instruire.
(Le jeune homme) comprit les grands livres sacrés des
dix-huit sortes; il s’initia en outre à la contemplation
immobile; il pratiqua les quatre sentiments illimités (apra-
mâna) ; il obtint Les cinq pénétrations surnaturelles
(abhijñà). Un jour qu’il gravissait la montagne, il tombait
beaucoup de pluie et le sol était boueux et glissant ; comme
ses pieds n'étaient pas bien appropriés à sa personne, il
tomba et se blessa le pied; aussitôt, très irrité, il ordonna
par une formule magique qu'il cessât de pleuvoir ; par
l'effet de la vertu productrice de bonheur de l'ermite,
toutes les divinités nâgas firent qu'il n’y eut plus de pluie.
Comme il n’y avait plus de pluie, les céréales et les fruits
ne se produisirent plus ; la population fut à bout de res-
sources et n'eut plus de moyens de subsistance.
Le roi de Po-lo-nai (Vârânasi) était chagrin et tour-
menté; il ordonna à tousses hauts officiers de se réunir et
de délibérer sur l'affaire de la pluie. Un homme intelli-
gent dit dans la délibération : « J’ai entendu dire que
l’ermite nommé Unicorne (Ekaçrnga) s’est blessé au pied
en gravissant la montagne et que, dans sa colère, il a
prononcé une formule magique ordonnant que, pendant
douze années, il ne plût pas.» Le roi alors publia un
FEU ST FN TT.
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KING LU Y} SIANG (N° 453) 235
appel (à son peuple, disant) : « Siquelqu'un peut faire que
cet ermite perde ses cinq pénétrations et devienne un de
mes sujets ordinaires, je lui donnerai la moitié de mon
royaume pour qu'il le gouverne. »
En ce temps, il y avait dans le royaume de Po-lo-nai
(Vârânasi) une courtisane nommée Chan-lo (Cântä), qui
était. belle et fort riche ; elle vint répondre à l'appel
du roi. Cette courtisane dit : « Pour ce qui est de cet
homme, je mè charge de le perdre. » Quand elle eut ainsi
parlé, elle prit un plat d’or qu’elle remplit de beaux objets
précieux et dit au roi : « Je viendrai à califourchon sur cet
-ermite. » La courtisane alors se procura cinq cents chars
dans lesquels, elle mit cinq cents belles femmes, et cinq
cents chars tirés par des cerfs dans lesquels elle mit
toutes sortes de pilules de joie (1) composées d’une multi-
tude de plantes médicinales ; elle emporta aussi toutes
sortes de bons vins très forts qui, par.la couleur et le goût,
ressemblaient à de l’eau; (elle et ses compagnes) revêti-
rent des vêtements d’écorces d'arbres et cheminèrent à
travers les arbres de la forêt, de manière à ressembler
à des ermites. Elles se firent à côté de la demeure de l’er-
mite des huttes de feuillages (parnaçala) et s’y instal-
lèrent.
L’ermite Unicorne (Ekacrnga), étant allé se promener,
les vit; toutes ces femmes apportèrent de belles fleurs
parfumées qu’elles offrirent à l’ermite; celui-ci en fut
_ joyeux; les femmes, avec de douces paroles et des expres-
sions respectueuses, s’informèrent de la santé de l’ermite ;
elles l’introduisirent dans une chambre, l’assirent sur un
bon lit moelleux, lui donnèrent du bon vin clair qu’elles
disaient être de l’eau pure, et des pilules de joie qu’elles
disaient être des fruits. Quand l’ermite eut mangé et bu
à satiété, 1l dit aux femmes : « Depuis ma naissance, je
(1) Apparemment des aphrodisiaques.
236 KING LU Yi SIANG (N° 453)
n'ai jamais trouvé fruits ni eau pareils à ceci. » Les
femmes lui dirent : « Nous pratiquons le bien de tout
notre cœur: c'est pourquoi le ciel exauce nos désirs et
nous trouvons ces fruits et cette eau. » L’érmite de-
manda aux femmes : « D'où vient que la couleur de votre _
peau est si luisante et si fraîche ? » Elles répondirent :
« C’est parce que nous mangeons toujours de ces bons
fruits et buvons de cette eau excellente. » L’ermite reprit:
« Pourquoi ne vous installez-vous pas à demeure ici ? »
Elles répondirent : « Nous pouvons bien demeurer ici. »
Les femmes l’invitèrent à se baigner avec elles; les mains
des femmes lui faisaient de légers attouchements et son
cœur ému conçut des désirs luxurieux. Il perdit aussitôt
ses pénétrations surnaturelles et le ciel fit tomber une
grande pluie pendant sept jours et sept nuits. (La cour-
usane) lui permit de se livrer aux plaisirs, de boire et de
manger pendant sept jours.
Au bout de ce temps, le vin et les vivres furent entière-
ment épuisés et on leur substitua de l’eau de la montagne
et des fruits des arbres; mais le goût n’en était point
agréable et (l’ermite) réclama les aliments qu’on lui don-
nait auparavant. (La courtisane) répondit : « Il n'y en a
plus ; allons maintenant en prendre ensemble ; non loin
d'ici il y a un endroit où on peut en trouver. — Comme
il vous plaira », dit l'ermite. Ils partirent donc ensemble ;
non loin de la ville, la femme se coucha par terre en
disant : « Je suis à bout de forces et ne puis plus mar-
cher. » L’ermite lui répondit : « Si vous ne pouvez plus
marcher, montez à califourchon sur mon cou, je vous
porteral. »
La femme avait au préalable envoyé une lettre pour
avertir le roi, disant : « O roi, sortez un instant, vous ver-
rez ce que peut ma sagesse. » Le roi vit ce spectacle et
demanda (à la courtisane) : « Comment y êtes-vous par-
venue ? » Elle dit : « Par la force de mes artifices, il n’est
KING LU vi SIANG (N°5 453-454) 237
rien que je ne puisse encore faire. » (Le roi) ordonna que
l’ermite demeurât dans la ville ; il lui fit des offrandes
abondantes et le traita avec respect; il satisfit tous ses
désirs ; il le nomma grand ministre.
uond - l’ermite eut‘ demeuré dans la ville pendant
quelques jours, son corps s’amaigrit ; il songea à la fixité
contemplative et fut las des désirs de ce monde. Le roi
lui demanda pourquoi il n’était pas content, il répondit :
« Quoique j'obtienne la satisfaction de mes cinq sortes de
désirs, je songe toujours au séjour dans la forêt. » Le roi
dit : « Mon but primitif était de mettre fin à la calamité de
la sécheresse ; pourquoi ferais-je violence (à cet homme)
en lui enlevant ce qu’il veut avoir. » Il le laissa donc partir.
Quand l’ermite fut revenu dans la montagne, il se per-
fectionna et progressa et, avant qu'il fût longtemps, re-
couvra les cinq pénétrations. (Le Buddha dit) : « L’ermite
Unicorne (Ekaçrnga), c’est moi-même’; la courtisane, c'est
Ye-chou-l'o-lo (Yaçodharà). >
N° 454.
CErip ss KXRVE He pp: 19 rev)
Autrefois, il y avait un brahmane qui ne se plaisait pas
aux occupations de ce monde ; il vivait caché dans les mon-
tagnes et méditait de tout son cœur sur la sagesse ; il entra
alors dans une contemplation qui dura plus de trois cents
années; la poussière et la terre couvraient son corps; les
herbes et les arbres poussaient sur ses membres. Au pied
de la montagne se trouvaient des brahmanes ayant femme
et enfants, au nombre de plusieurs centaines de familles;
tous, grands et petits, étaient allés un jour ensemble pour
recueillir du bois de chauffage ; l’un d'eux monta sur un
238 KING LU Y1 SIANG (N° 454-455).
arbre pour casser et prendre des branches mortes ; mais
la racine de l'arbre se rattachait au front du brahmane;
quand l'arbre fut ébranlé, cela réveilla le brahmane de sa
contemplation et il sortit de terre; en apercevant celui
qui recueillait du bois mort, il lui demanda qui il était;
l'autre répondit qu’il était un brahmane; questionné au
sujet des autres personnes, il répondit que c’étaient sa
femme et ses enfants; le brahmane dit en riant : « Voici
plus de trois cents années que je suis entré en contempla-
tion et je n'oserais pas encore me déclarer un brahmane ;
comment pourrait-on supporter que vous autres preniez
le titre de brahmane ? »
N° 455.
(Frips XXX VI, HD; 19%)
Autrefois, à l'est de la ville de Chü-wer (Crâvasti),
demeurait un brahmane qui était fort riche; son fils se
maria en épousant la fille d’une famille où on servait le
Buddha; cette femme se conformait aux cinq défenses et
observait les six abstinences; elle se plaisait constamment
à faire des libéralités aux cramanas et aux religieux;
comme elle exhortait son mari à exercer la charité, celui-
ci se convertit et vint informer de ses intentions son père
et sa mère; mais ces derniers s'irritèrent fort en s’écriant
qu'il voulait les ruiner.
La femme prit alors de l’argent et des tissus de soie et
les remit à son mari; celui-ci les confia à la servante qui
gardait la porte de l'appartement intérieur; cette servante
les donna à l’esclave qui gardait la porte extérieure et
ce dernier alla les porter dans un temple du Buddha;ilen fit
une libéralité aux cramanas, brüla des parfums et alluma
KING LU YI SIANG (N° 455) 239
‘des lampes. Le mari et sa femme prononcèrent ensemble
ce vœu : « Si cette libéralité ne nous vaut aucun bonheur,
ce sera fini; mais si elle doit nous procurer quelque
bonheur, il faudra faire en sorte que les hommes du
monde entier en soient tous témoins. » ’
En ce temps, la coutume était dans ce royaume que, au
troisième jour du troisième mois, toute la population du
pays se rendit sur la rivière pour y faire de la musique et
pour se divertir; à ce moment donc, dans l’angle Sud-Est
de l’espace, il y eut un personnage divin qui s’avança
monté sur un cheval blanc et chevauchant à travers
les airs; toute la foule levant la tête en haut et demandant
qui était cette divinité, (ce personnage surnaturel), ré-
pondit : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. »
Un moment après se produisit un palais fait des sept sub-
tances précieuses; une femme belle comme le jade y
était assise seule; quatre grandes divinités volaient en
tenant avec leurs mains ce palais ; la multitude demanda
derechef : « O vénérable, quelle action méritoire avez-vous
accomplie ? » La femme belle comme le jade répondit, elle
aussi : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. »
Soudain apparut encore un palais précieux avec quatre
colonnes; un homme céleste et une femme belle comme
le jade y étaient assis ensemble; devant, derrière, à
gauche et à droite, quatre bandes de musiciennes les
escortaient ; douze divinités soutenaient ce palais; la foule
demanda encore : « Quelle action méritoire avez-vous
commise ? » Mais (l’homme et la femme) répondirent aussi :
« Demandez-le à ceux qui viennent après nous. » Au bout
d'un moment apparurent deux démons pi-li (preta) ; leur
taille mesurait trente pieds ; ils étaient noirs, maigres et
affreux ; ils souffraient de la faim et de la soif; l’intérieur
de leur corps était dévoré par le feu; chacun d’eux tenait
en main une grande massue dont ils s'’assénaient des
coups l’un à l'autre. La foule les ayant interrogés, ils
240 KING LU Y1 SIANG (N°° 455-456)
répondirent : « O hommes, avez-vous entendu parler du
brahmane très riche qui demeurait à l'Est de la ville de
Chô-wei (Crâvasti)? Celui qui est monté sur un cheval
blanc, c'est l’esclave qui gardait la porte extérieure; la
femme belle comme le jade qui se trouve dans le petit
palais, c’est la servante qui gardait la porte de l’apparte-
ment; les deux personnes qui sont dans le grand palais,
c'est notre fils et la femme de notre fils. Quant aux
deux démons que nous sommes, ils étaient le brahmane
lui-même et sa femme ; dans leur existence antérieure ils
avaient été stupides et insensés et n'avaient pas eu foi
dans la vraie Loi; maintenant ils sont atteints par des
calamités redoutables, mais ils n’ont plus le moyen d'y
échapper ».
N° 456.
(Trip KKXXNILChEp::08v°;)
A-nan-pin-lch'e (Anâthapindada) demeurait au pied de
la montagne Vi-lien; il était fort riche en objets pré-
cieux; les marchands venus de loin dans toutes les direc-
tions lui faisaient des emprunts; tous ceux qui allaient à
lui pour mendierrecevaient ce qu’ils demandaient. Un jour,
il y eut cinq cents marchands qui voyageaient sur la mer
lorsque leur bateau se rompit; toutes leurs richesses
furent englouties ; ceux d’entre eux qui périrent ne furent
pas peu nombreux.
Quelques-uns, grâce à des planches, purent sauver leur
vie et se rendirent tous chez A-nan-pin-ich'e; le maitre
de la maison leur prépara à manger. Il alla puiser de
l’eau dans le puits et en retira des caisses d'objets précieux
sur chacune desquelles était inscrit le nom de famille et
le. nom-personnel (d’un de ces marchands). Quand ceux-ci.
< ë
KING LU Y1 SIANG (N° 456-457) 241
eurent fini de manger, ils s’abandonnèrent à la douleur
et, comme le maître de la maison leur en demandait
la cause, ils lui répondirent : « Nous étions cinq cents
compagnons qui voguions ensemble sur la mer; notre
bateau chavira et disparut; ceux d’entre nous qui mou-
rurent ne furent pas peu nombreux; en nous cramponnant
à de petites planches, c’est à grand’peine que nous
avons sauvé nos vies, mais nous avons perdu toutes nos
richesses. Nous songions avec chagrin à nos compagnons
lorsque nous vimes que les caisses d’objets précieux
trouvées dans votre puits étaient sans doute les nôtres;
nous ne savons comment cela s’est fait. »
- (A-nan-pin-lche) leur répondit : « Vous autres, quand
vous êtes allés gagner votre vie en faisant le commerce, si
vous aviez eu un cœur parfait, vous n'auriez rien perdu;
cest seulement parce que vous n’aviez pas un cœur
parfait que vous avez éprouvé des pertes. Pour moi,
depuis des kalpas innombrables jusqu’à maintenant, je
n'ai jamais cessé d’avoir un cœur parfait et il ne m'est
point arrivé de tromper autrui ou de le dépouiller.
{C'est pourquoi) tous les objets précieux qui ont été
perdus accourent dans mon puits, Vous autres, prenez
chacun les caisses sur lesquelles sont inscrits vos noms
respectifs et allez-vous-en. »
N° 157.
Chips XX NI CD D::00r)
Autrefois 1l y avait un homme appelé AHien-lche qui
avait trois fois pris part (aux assemblées du quatrième
mois où on observe les) huit interdictions et qui avait
entendu lire cette parole des livres saints : « Les yeux
IT, 16
242 KING LU y1 SIANG (N° 457)
des devas ne clignent pas. » Il s’était récité (cette phrase)
et ne l’avait point oubliée. Cependant, ce Hien-tche était
fort habile à voler le bien d'autrui; (il le dérobait) sous
les yeux des gens sans qu'il s’en aperçussent. Le roi du
pays, ayant perdu une perle, convoqua ses ministres à une
délibération. Les ministres répondirent : « Nous avons
appris qu’un certain Âien-iche est fort capable d’avoir
fait ce vol. » Le roi ordonna par décret qu’on le fit venir
et qu'on lui fit subir un interrogatoire, dans l’espérance
de retrouver (la perle) ; mais il déclara qu’il ne l'avait pas
volée. |
Le roi, qui était sage, ne se serait pas permis de faire
violence à un homme ; il convoqua donc encore ses minis-
tres pour qu'ils délibérassent. Un de ces ministres pro-
posa : « Il faut avoir recours à un stratagème pour obtenir
qu'il avoue ; il faut le charger d’une cangue et de chaînes
et le mener sur la place publique où on proclamera l’ordre
de le mettre à mort; on lui donnera alors du vin jusqu’à
ce qu’il soit ivre; puis on lui enlèvera ses chaînes; on le
mettra au haut de la salle du palais; des chanteuses lui
feront de la musique. Vous, à roi, vous ordonnerez à ces
musiciennes, lorsque /ien-tche les interrogera dans son
ivresse, de lui répondre : « C’est ici un palais de deva;
nous sommes des devis qui sommes là pour vous servir.
Dans votre vie antérieure vous avez volé la perle du roi
et c'est pourquoi vous avez obtenu de naître ici. »
Le roi se conforma à ce plan. Après que Âien-iche eut
entendu (la réponse des musiciennes), il se dit (1) en son-
geant silencieusement : « J'ai entendu cette parole des
livres saints : «Les yeux des devas ne clignent pas ». Or ces
femmes clignent toutes des yeux. En outre, pour avoir
volé la perle, je devais aller dans les enfers. Ne serait-ce pas
que le roi a fait une machination pour que j'avoue? »
(1) Au lieu de Æ, lisez +.
F RE RO OR © CS CN RER
b L r 2
KING LU YI SIANG (N°5 457-458) 243
Alors il s’écria (à haute voix) : « C’est parce que je n'ai
pas volé la perle que j'ai obtenu de naître dans la condition
de deva! » Les musiciennes rapportèrent au roi ce
qu'avait dit Âien-iche ; le roi en rit fort (et dit) : « Ce
garnement n’a certainement pas volé ma perle.» Il le
relâcha donc et le laissa partir après lui avoir donné de
l'or et des joyaux en abondance. En réalité, cet homme
avait volé la perle, mais, pour avoir récité une gâthà, il
échappa au châtiment et reçut une récompense.
N° 458.
(Trips, XXX NID: 60 F2)
Autrefois, il y avait un homme qui travaillait dans un
champ à repiquer des plantes ; il était déjà près. de midi
et on ne lui avait pas encore apporté de chez lui à
manger. Or un religieux qui avait perdu son chemin
arriva dans ce champ et lui demanda le repas de midi. Le
paysan répondit qu'il consentait à le lui donner, mais qu’il
désirait humblement que son hôte attendit un peu, car le
repas qu’on devait lui apporter de chez lui était en retard.
Le religieux lui dit : « Puisque la nourriture n’est pas
arrivée, je voudrais du moins me rafraîchir la bouche. »
Le paysan détacha alors de sa ceinture un fruit de ho-li-le
(haritaka = terminalia chebula) et le lui donna; le religieux
l’accepta et le mangea ; en outre, le paysan lui fit don d’une
pièce de monnaie. Le religieux lui dit : « Vos sentiments.
ont su me toucher, mais je ne puis vous payer de retour;
je désire vous imposer les cinq défenses ; êtes-vous
capable de les recevoir ? » L'autre répondit : « Moi, votre
disciple, je suis dans la vie laïque ; il me serait difficile
244 KING LU Yi SIANG (N° 458)
d'observer l'ensemble des cinq défenses; je me bornerai
à recevoir celle qui prescrit de ne pas tuer. »
Quand la vie de ce paysan eut prit fin, il alla naître dans
la famille d’un roi; un jour la reine emmena cet enfant
sur le bord de la rivière; elle se mit à chanter, à danser
et à faire de la musique; comme elle s’était approchée de
la rivière en tenant l’enfant dans ses bras, celui-ci lui
échappa et tomba dans l’eau ; il fut avalé par un poisson et
resta pendant sept jours dans son ventre sans souffrir de
la faim ni de la soif; il descendit le courant du fleuve
avec le poisson et parcourut ainsi plus de mille li;
quand il fut arrivé dans le royaume d’aval, des gens
prirent le poisson et le mirent en vente sur la place du
marché. En ce temps, le souverain du royaume d’aval
envoya des gens acheter du poisson; ils prirent celui-là,
et, l'ayant rapporté à la ville se mirent en devoir de le
couper avec un couteau. L'enfant, qui était dans le ventre,
leur cria : « Faites bien doucement pour ne pas me
blesser (1). » Alors on ouvrit le ventre du poisson et on
aperçut un petit enfant d’une beauté sans égale; tout le
royaume en fut Joyeux.
Cependant le souverain du royaume d’amont apprit ce
qui était arrivé et dit : « Cet enfant est certainement mon
fils. » Il envoya donc une lettre pour le réclamer. Le sou-
verain du royaume d’aval répondit : « Puisque je lai
trouvé dans le ventre d’un poisson; c’est le Ciel qui me
l’a donné ; je ne veux pas vous le livrer. » Les deux sou-
verains, pour vider leur différend, s’en remirent au grand
roi; celui-ci rendit la sentence suivante : « Si le roi
d’amont n'avait pas procréé ce fils et ne l’avait pas laissé
tomber dans l’eau, comment le roi d’aval aurait-il pu le
trouver ? Si, d'autre part le roi d’aval n’avait pas recueilli
cet enfant, où le roi d’amont pourrait-il le réclamer ? Tous
(1) Cf. p. 229-230.
d. hi ‘à
KING LU Y1 SIANG (N° 458-459-4160) 245
deux ont ainsi de bonnes raisons. Il faut, Ô rois, que vous
établissiez entre vos deux royaumes un palais où vous
entretiendrez ensemble cet enfant dont le nom sera : « Le
prince-héritier des deux royaumes.» Conformément à ces
indications, on plaça donc l'enfant entre Les deux pays
et on le traita en prince-héritier.
Le Buddha dit à ses disciples : « Autrefois il y avait un
laboureur ; pour avoir fait don à un religieux d’un fruitet
d'une pièce de monnaie, il obtint de devenir le prince-
héritier de deux royaumes.»
N° 459.
COPIDA RENE pr 617):
Lors d’une grande inondation qui soudainement sub-
mergeait tout, les êtres vivants s'étaient réfugiés sur une
hauteur pour éviter Le péril; ils étaient de nouveau sur le
point de périr, lorsqu'un phénix vint tout à coup à l’en-
droit où se tenait un sage ; en s’attachant à ses ailes,
celui-ci put monter sur un lieu élevé où il fut à l'abri du
danger de l'eau ; ceux qui ne s'étaient point encore éloi-
gnés, apercevant alors des cormorans, s'’appuyèrent sur
leurs plumes; mais ce cormorans plongèrent aussitôt au
plus profond des eaux et en un instant (ces hommes) péri-
rent noyés.
N° 460.
CRD XKXVE h p61
Autrefois, il y avait un homme qui, en marchant dans la
montagne, rencontra un démon mangeur d'hommes ; celui-
246 KING LU y1 SIANG (N° 460-461)
ci le saisit et voulut le dévorer. Cet homme implora sa
pitié etle pria de le laisser vivre encore un instant pour
qu'il pût lui poser une question ; ensuite il ne regretterait
pas d’être dévoré. Le démon, ayant confiance en lui et
croyant qu'il avait réellement une chose à lui demander,
accéda à son désir. L'autre interrogea le démon en lui
disant : « Pourquoi votre visage est-il blanc, vos pieds, vos
genoux et votre ventre blancs également, tandis que toutes
les autres parties de votre corps sont noires ? » Le démon
lui répondit : « Je suis un être ainsi fait que je redoute la
clarté du soleil ; je puis aller en tournant le dos au soleil,
mais non en me dirigeant vers le soleil. Voilà pourquoi
je suis blanc d’un côté et noir de l’autre. » Cet homme
s'enfuit aussitôt en se dirigeant vers le soleil ; le démon
en fut réduit à de vains regrets et ne put le reprendre.
NICE
(Trips, XXXNI, 4, -pr61ve)
Autrefois, il y avait un homme fort pauvre qui ne savait
comment gagner sa vie ; il s'embarqua sur la mer, et,
après avoir recueilli des richesses, revint chez lui. Il ren-
contra un de ses bons amis et lui dit : « J'étais naguère
fort pauvre ; mais maintenant j'ai gagné ces biens qui me
permettront d'agir à mon gré; si ma mère se conduit
d'une manière qui ne me plaît pas, je quitterai la maison
de ma mère et m'en irai ; si ma femmese conduit d’une
manière qui ne me plait pas, je chercherai une autre
épouse.» Son ami lui répondit: « Non loin d'ici, des gens
de grande sagesse remplissent la ville; vous devriez aller
auprès d'eux pour leur acheter la sagesse ; sans que cela
vous coûte plus de mille onces d'or, ils vous enseigne-
KING LU Yi SIANG (N° 461-462) 247
ront les principes de la sagesse.» Notre homme suivit cet
avis ; il entra dans un village où on servait le Buddha, et
interrogea en détail quelqu'un qui lui répondit : « En cas
de doute, avancez de sept pas, puis reculez de sept pas ;
faites cela trois fois et alors la sagesse se produira.» Notre
homme étant revenu de nuit chez lui, aperçut sa mère qui
dormait en compagnie de sa femme ; il crut que c’était un
homme étranger et tira son couteau pour le tuer; mais,
préférant ne pas étre saisi par surprise, il alluma la
flamme d’une grande lampe pour éclairer de loin ; puis il
songea à la sagesse qu’il avait achetée Le matin même ; il
avança et recula donc par trois fois suivant la recette qu’on.
lui avait apprise ; sa mère alors se réveilla. Cet homme
s’écria : « En vérité, c’est bien là la sagesse ; comment ne
vaudrait-elle que mille onces d’or ? » Il fit donc de nou-
veau présent de trois mille onces d’or (à celui qui lui avait
donné ce conseil.)
N° AG2.
CPAS EXNE 10e pe 0210.)
Autrefois il y avait un homme entre deux âges (1) qui
possédaitdeux épouses. Étant allé chez la plus jeune, celle-
ci lui dit : « Je suis jeune et vous êtes vieux ; je n’ai pas
de plaisir à demeurer (avec vous); il vous faut aller habiter
chez votre épouse âgée. » (Pour pouvoir rester), son mari
s’arracha ses cheveux blancs. Étant allé (ensuite) chez son
(1) L'édition de Corée, que suit l'édition de Tokyô, présente la leçon
H$ 2, qui me parait être un équivalent, d’ailleurs assez obscur, de
l'expression « entre deux âges ». Les trois textes des Song, des Yuan et
des Ming nous offrent la leçon ff Hj 2 « faisant deux métiers », ce
qui n’a aucun rapport avec le sujet de la fable.
248 KING LU y1 SIANG (N°: 462-463)
épouse âgée, celle-ci lui dit : « Je suis vieille et ma tête
est blanche ; il vous faut enlever les cheveux noirs que
vous avez sur la tête. » Il enleva donc ses cheveux noirs
pour être blanc. Comme ïl répétait incessamment ce
manège, sa tête devint entièrement chauve ; ses deux
épouses le trouvèrent alors affreux et toutes deux le quit-
tèrent ; il s’abîma dans son chagrin jusqu’à en mourir.
(Cet homme), dans les temps passés, avait été un chien
qui vivait entre deux temples dont l’un était à l’est de la
rivière et l’autre à l’ouest. Quand le chien entendait le son
de la ghantà, il allait aussitôt (dans le temple où on l'avait
frappée) pour y obtenir de la nourriture. Or, un jour, les
deux temples firent résonner simultanément la plaque
sonore; le chien se jeta à la nage dans la rivière pour la
traverser ; mais, quand il voulait aller à l’ouest, il crai-
gnait que la nourriture du temple de l’est ne fût meil-
leure ; quand il allait vers l’est, il craignait derechef que
la nourriture du temple de l’ouest ne fût meilleure ; en
hésitant ainsi, il finit par périr noyé dans la rivière (1).
N° 463.
(Trip., XXXVI, 4, p. 62 r°.)
Autrefois il y avait un homme qui avait entendu racon-
ter que, dans un royaume étranger, se trouvait une ri-
vière d’immortalité ; celui qui s’y trempait devenait im-
mortel. Il se dirigea donc vers ce royaume étranger et
s'arrêta pour passer la nuit chez un homme ; son hôte lui
ayant demandé où il voulait aller, il répondit qu’il allait
étudier l’art de devenir immortel; l’hôte, qui avait conçu
(1) Ce chien parait être l'ancêtre de l’âne de Buridan.
KING LU Y1 SIANG (N° 463-464) 249
de mauvais desseins, dit alors au voyageur : « Je possède
un arbre d'immortalité ; si vous pouvez vous mettre à mon
service pendant un an pour faire tous les rudes ouvrages,
je vous donnerai l’immortalité; pourquoi prendriez-vous
_la peine d’aller au loin ? » Le voyageur dit qu’il approuvait
la proposition et, pendant un an, il fit tous les plus rudes
ouvrages sans manifester jamais le moindre déplaisir.
Quand l’année fut écoulée, son hôte, qui n'avait eu que
l'intention de le tromper et qui ne possédait aucun arbre
d’immortalité, le mena au milieu des montagnes et lui
indiqua un arbre sur le bord d’un précipice en lui disant :
« Voici l’arbre d’immortalité ; montez au sommet et, dès
que je vous crierai de voler, répondez à mon commande-
ment en vous jetant au vol. » Le voyageur à cause que sa
foi était absolue, put, en montant sur cet arbre, s’élever
en volant dans les airs et obtint ainsi le secret d’immor-
talité.
En voyant cela, son hôte pensa : « Je. voulais le faire
périr; comment ai-je eu assez de perspicacité pour trou-
ver (précisément un arbre d’) immortalité ? » Il se mit donc
à faire grand cas de cet arbre, croyant et disant qu’il était
saint. À quelque temps de là, il se rendit avec son fils au
pied de cet arbre ; le fils céda à son père le privilège de
monter le premier, puis le fils éria : « Père, volez. » Le
père aussitôt voulut voler, mais il tomba sur les rochers
du précipice et son corps fut réduit en bouillie.
N° 464.
(FAP XX XVI h DE 62)
Autrefois il y avait un homme qui mettait en vente sur
la place du marché un démon p'i-ye (piçâCa); quelqu'un
SEE dis
250 KING LU Y1 SIANG (N° 464)
qui désirait acheter ce démon demanda quel prix on en
exigeait ; le maître du démon répondit : « Deux cents
onces d’or. — Quels talents merveilleux, reprit l’autre, a
donc ce démon pour que vous en exigiez une telle somme
d’or ? » Le marchand répondit : « Ce démon est fort habile;
il n’est rien qu'il ne fasse et on peut compter que, en un
jour, il accomplit autant de travail que cent hommes ; il
n'a qu'un défaut contre lequel je dois vous mettre en garde
par avance. » Comme l'autre lui demandait quel était ce l
défaut, il dit: « Quand vous voudrez charger ce démon |
de faire quelque chose, assignez-lui sa tâche pour le jour
et pour la nuit et nele laissez point en repos, car, s’il n’a
rien à faire, il nuira au contraire à son maître, »
L'acheteur paya l'or et emmena son démon ; il le char-
gea de labourer et de semer ; puis, quand le labour et les
semailles furent terminés, il le chargea de soigner les
arbres ; quand les arbres eurent été soignés, il le chargea
encore de nettoyer le sol, puis de construire des habita-
tions, de piler et de broÿer le grain, de faire la euisine
et jamais il ne lui laissait aucun repos ; au bout de quel-
ques années, cela le rendit fort riche. Or, un jour, le
maître, ayant quelque affaire, dut se rendre à une invita-
tion ; Aloublia d'assigner sa tâche au démon qui, lorsqu'il
voulut se remettre au travail, n’eut plus de programme ;
lé’ démon prit alors le fils de son maître, le mit dans la
marmite, alluma du feu et le fit bouillir. Au retour du
maitre, le fils était cuit à point; le maïître fut affligé et
éprouva une profonde irritation, mais il ne sut pas en dé-
finitive que dire.
LR SEE FE TT
Re | à à
KING LU YI SANG (N°. 465) 251
N° 468.
3
(Trip, XXXVI, 4, p. 62 v°.)
Autrefois deux hommes étaient devenus amis ; la femme
de chacun d’eux se trouvant enceinte, ils se promirent
par serment que, si l’un des enfants à naître était un gar-
<on et l’autre une fille, ils les: marreraient l’un à l’autre.
Le père du garçon mourut prématurément; le jeune
homme était devenu grand et ne s’était pas encore marié,
lorsqu’en allant vendre divers objets, il arriva par hasard
dans la maison de la jeune fille. Le père de celle-ci lui
demanda d’où il venait, où il demeurait, quels étaient le
nom de famille et le nom personnel de son père et de sa
mère. Le jeune homme répondit point par point; en
l’entendant, le père fut grandement surpris et lui dit :
« Lorsque votre père était encore de ce monde, lui et moi
nous avons échangé une promesse de mariage utérine (1);
je vous ai constamment cherché, mais:je ne savais pas où
vous étiez; ma fille n’a point encore osé se marier. » Le
jeune homme dit : « Je ne savais rien de tout cela. » Le
père de la jeune fille ajouta : « Interrogez vos parents et
vos proches. » | | ae)
A son retour, le jeune homme interrogea sa mère qui
l'avait allaité et reconnut que la chose était vraie. Il se
rendit (donc de nouveau) chez la jeune fille ; sur la route
il apercut ‘un filet d’eau qui entrait dans un crâne sans
jamais le remplir. Le jeune homme en fut effrayé. Pour-
suivant sa route, il vit encore des fruits mürs sur un arbre;
il voulut Les prendre pour les manger ; les fruits se mirent
sf |
(1) On me permettra ce néologisme qui donne à entendre que les deux
enfants ont été fiancés l’un à l'autre quens ils étaient encore dans le
ventre de leurs mères respectives.
252 KING LU YI1 SIANG (N° 465)
à lui dire : « Prenez-moi ! prenez-moi! » Le jeune
homme eut grand’peur ; il se mit à courir à toute vitesse
et tomba par terre ; avançant toujours, 1l arriva à la de-
meure de la jeune fille; la chienne vint à sa rencontre, se
mit à deux genoux et lui lécha les pieds ; mais les petits
qui étaient dans le ventre de la chienne avancèrent en
aboyant d’effroi et voulaient le mordre; alors de nouveau
il tomba à terre et ne reprit ses sens qu’au bout d’un
long temps.
Le père de la jeune fille étant venu au-devant de lui
hors de la maison, il lui exposa tout ce qui s’était passé ;
le père trouva cela fort extraordinaire et rentra pour le
raconter à sa fille. La jeune fille répondit à son père :
« Avoir vu sur la route un filet d’eau qui coule dans un
crâne sans jamais le remplir, cela signifie que, dans les
générations à venir, on rassemblera tout ce qu’il y a dans
le monde de richesses et de joyaux pour le donner à un
homme sans parvenir à le satisfaire. Qu'on ait vu sur un
arbre des fruits qui étaient mürs, qu'on ait voulu les
prendre pour les manger, mais que les fruits aient dit
alors : « Prenez-moi! Prenez-moi! » cela signifie que
l’homme qui apparaîtra dans les générations à venir vou-
dra demander la fille aînée, mais la fille cadette lui dira :
« Pourquoi ne me recherchez-vous pas? Pourquoi ne me
recherchez-vous pas ? » Que la chienne soit venue à la
rencontre (du jeune homme), qu’elle se soit mise à genoux
et qu’elle lui ait léché les deux pieds, mais que les petits
qui étaient dans le ventre de la chienne aient aboyé d’effroi
et aient avancé pour le mordre, cela signifie que, lorsque
l'homme qui apparaîtra dans les générations à venir par-
lera aux autres, sa bouche sera comme onctueuse, mais
son cœur sera semblable à.un poinçon et à un couteau ; à
l'extérieur il paraîtra satisfait des autres, mais à l’inté-
rieur il formera contre eux de mauvais desseins. Toutes
ces choses se passeront dans les générations à venir et ne
KING LU Yi SIANG (N° 465-466) 253
sont point d'aujourd'hui. » Alors on maria la jeune fille
au jeune homme, conformément au projet qui avait été
fait primitivement.
N° 466.
(Trip XX NICR-DE 62%)
Autrefois un homme de bonne famille avait deux fils;
il remit à chacun d’eux deux millions de pièces de mon-
naie pour qu'ils allassent faire le commerce. Le fils aîné
dépensa tout cet argent au jeu de dames; les vêtements
en lambeaux, il revint l’annoncer à son père; celui-ci lui
dit : « Puisque je vous ai conservé, cela suffit ; qu’im-
porte que vous ayez dépensé l'argent ? » Il lui donna des
vêtements, le fit boire et manger et le consola.
Le fils cadet revint (de son côté) annoncer à son père
qu’il avait fait un gain de deux millions de pièces de mon-
naie ; le père lui dit : « Apportez-moi vos notes. » Quand
ils eurent vérifié le compte ensemble, il s’en fallait de
quelques milliers de pièces de monnaie ; (le père) attacha
alors (le fils cadet) et le battit. (Le fils cadet) alla à trois
reprises (faire le commerce) ; il gagna un bénéfice de six
millions de pièces de monnaie, et, chaque fois, à son retour
il était battu.
Le fils aîné partit ainsi trois fois et perdit six millions
de pièces de monnaie. Il s'arrêta dans un royaume étran-
ger et ne revint plus; s'étant mis en la compagnie de
gens sans aveu, illeur dit : « Mon père possède un coffre
plein d’or, un autre d’argent et un autre de perles blanches
qui se trouvent à la tête de son grand lit. Retournez an-
noncer à mon père que, par ma stupidité, j'ai perdu mes
richesses et que je n’ose pas revenir. Prenez alors le mo-
ment favorable pour tuer mon père et vous emparer de
254 KING LU Y1 SIANG (N° 466-467)
ses richesses que vous m'apporterez ; quañd nous les au-
rons, nous les dépenserons ensemble. » Ces hommes arri-
vèrent donc à sa demeure et furent reçus par le père au-
quel ils rapportèrent ce que le fils leur avait dit de dire;
en entendant cela, le père versa des larmes et s’écria :
« Qu'importe qu'il ait dépensé l’argent? Pourquoi mon fils
ne revient-il pas ? » Même en mangeant et même en se
reposant, il se désolait et sanglotait. Les étrangers lui
dirent : « Votre fils est dépourvu de piété filiale ; il a
dépensé ses richesses à faire le mal ; quand il les eut
entièrement dissipées, il nous a chargés de venir pour vous
tuer et pour prendre votre or et votre argent. Nous voyons
que vous chérissez ce fils et que vous nous traitez fort
bien ; aussi notre cœur a-t-il été touché. » Le père
répondit : « Mon fils cadet est encore plus insensé. » IL
envoya alors des gens chercher son fils aîné en lui faisant
dire : « Puisque vous avez perdu l’argent, revenez vite ;
à quoi bon prononcer de folles paroles ? » Il lui fit faire
de nouveau des vêtements qu'il lui donna.
Le maître dit : (La conduite du père s'explique par le
fait que) le fils cadet avait à payer une dette contractée
dans une existence antérieure, tandis que le fils aîné
avait à réclamer une créance (dont son père) lui était rede-
vable dans une existence antérieure.
N° A67.
(Trip, XXXVI, h, p. 63 r°.)
Autrefois trois hommes qui faisaient ensemble le com-
merce reçurent chacun pour sa part cinq millions de pièces
de monnaie; restait une seule pièce de monnaie; si on
l’avait donnée à un seul d’entre eux, ce n’eüt pas été
KING LU Y1 SIANG (N° 467) 255
juste; quant à la briser pour la partager, c'était une chose
qui ne se faisait pas. En ce moment un cramana quétait ;
les trois hommes proposèrent ensemble de donner la
pièce au çramana ; chacun d’eux approuva fort ce projet,
et, la tenant ensemble dans leurs mains, ils la donnèrent.
Le cramana prononça alors ce vœu magique : « Cela fera
que dans cette vie et dans les existences futures vous rece-
vrez tous le bonheur résultant de cette (bonne action). »
Tous trois naquirent (plus tard) dans le royaume de Lo-
yue (Râjagrha) et chacun d’eux devint puissant et riche ;
l’un de ces hommes s’occupait de travaux dans la mon-
tagne et y récoltait de l'or; un autre s’occupait de labou-
rer un champ et y recueillait de l’or ; le troisième s’oc-
cupait de puiser de l’eau dans un puits et en retirait de
l'or. Ils recevaient ainsi le bonheur résultant de la libéra-
lité qu’ils avaient faite dans une vie antérieure. Le roi du
pays, apprenant ce qui se passait, fit cette réflexion :
« Dans mon royaume, hommes et choses tout m’appar-
tient. » Emmenant alors avec lui des soldats il se rendit
dans la montagne pour y prendre (l'or), mais l’or se chan-
gea en pierres ; il alla ensuite chez l’homme qui, en labou-
rant, recueillait de l’or; mais l’or se changea en terre; il
vint enfin chez l’homme qui,en puisant dans un puits, reti-
rait de l’or; mais l’or se changea en tessons d'argile.
Nulle part il ne put rien trouver. Le roi demanda au Bud-
dha : « Les sommes d’or que possèdent ces trois hommes
sont sans doute à moi ; j'ai été chez eux pour les prendre;
mais partout (l'or) s’est transformé et je n’ai pu obtenir cet
or. Quelle action méritoire ces trois hommes ont-ils accom-
plie dans une existence antérieure pour attirer maintenant
sur eux ce bonheur ? » Le Buddha lui raconta tout ce qui
s'était passé (et ajouta) : « Ge ne sont point là des richesses
qui appartiennent au roi; roi, vous ne devez pas les
prendre. »
256 KING LU Yi SIANG (N° 468)
N° 468.
(Trip., XXXVI, 4, p. 63 r°.)
Autrefois il y avait un homme pauvre qui faisait des
offrandes à un religieux; au bout d’un an, celui-ci s’en
alla en donnant à son hôte une jarre de cuivre et en lui
disant : « Cette jarre est magique ; si on en frappe le
goulot, on obtient tout ce qu’on demande; mais gardez-
vous d'inviter chez vous le roi du pays. » Après que le
religieux) l’eut quitté, (notre homme) se mit à frapper sa
jarre et devint bientôt extrêmement riche ; oubliant la re-
commandation du religieux, il invita le roi à venir chez
lui ; le roi lui demanda la cause de sa richesse et il répon-
dit en racontant la vérité. Le roi aussitôt lui enleva de
force sa jarre et il redevint d’une extrême pauvreté. Il se
souvint alors du religieux et, allant à sa recherche dans
les quatre directions de l’espace, l’aperçut ; il lui exposa
ce qui s'était passé ; le religieux lui dit : « II vous faut
absolument cette jarre; je vous donne un vase qui est
rempli de bâtons et de pierres ; apportez-le à la porte du
roi et réclamez la jarre. » (Notre homme) se rendit tout
droit à la porte du roi et se mit à réclamer sa jarre à
grands cris; le roi, l’entendant, fut très irrité et envoya
quelques dizaines d'hommes pour se saisir de lui ; maisil
ouvrit (le vase) et en fit sortir bâtons et pierres qui, volant
comme le vent, allèrent de çà et de là dans l’espace ; les
corps des envoyés du roi furent atteints par ces bâtons et
ces pierres qui leur brisèrentle crâne. Le roi envoya encore
mille hommes qui furent écrasés avec une violence
prompte comme le vent; leurs cadavres obstruaient la
porte. Saisi de terreur, le roi demanda à rendre la jarre.
KING LU Yi SsIANG (N°5 468-269) 257
Quand notre homme eut retrouvé sa jarre, il devint de
nouveau fort riche; il accomplit une infinité d'actions mé-
ritoires, et, après sa mort, il obtint de naître dans la con-
dition de deva.
N° 469.
(Trip, XXXNE Ap: 6h +)
Autrefois il y avait un homme qui marchait dans une
région de marécages déserts lorsqu il aperçut un éléphant
noir ; cet homme songea : « Cet éléphant va certaine-
ment venir me mettre à mal ; il faut que je le tue. » L’élé-
phant pensa de son côté : « Cet homme va certainement
me tuer; il faut que je le menace. » L’homme alors se
sauva en ayant l'éléphant à ses trousses ; il courut devant
lui pendant plusieurs li jusqu’à ce qu’il tombât dans un
ravin profond; ce ravin était absolument insondable ; il
parvint à s’accrocher sur le flanc de la paroi à une racine
d'arbre grosse comme le doigt; il se laissa descendre le
long de cette racine ; il était ainsi suspendu sur le côté de
l’abîme ; l’éléphant était en haut du ravin et cherchait à le
prendre avec sa trompe; il s’efforçait de l’attraper sans y
parvenir; en bas, si on regardait vers le fond, on ne
voyait que des lances et des piques ; en outre deux rats
rongeaient simultanément la racine d’arbre ; puis trois
serpents noirs sortaient la tête dans l'intention de mordre;
enfin des moustiques venaient piquer les yeux de l’homme.
Celui-ci pensa : « Je vais mourir aujourd’hui. » Levant la
tête vers le Ciel, il implora son secours avec une voix si
pitoyable etavec une intensité d'émotion telle que le Ciel
fit tomber des gouttes d’ambroisie dans sa bouche. Dès
qu'il reçut la première goutte, les deux rats se retirèrent;
à la seconde goutte, les serpents venimeux le quittèrent;
IL. 17
258 KING LU Y1 SIANG (N°5 469-470)
à la troisième goutte, l'éléphant noir s’en retourna; à la
quatrième goutte, les moustiques disparurent; à la cin-
quième goutte, le gouffre profond s’aplanit et l'homme se
trouva dehors sur un sol plat ; enfin le Ciel le guida mira-
culeusement pour le faire revenir en haut parmi les devas.
N° 170.
(Trip., XXXVI, 4, p-6hx°.)
Autrefois un homme avait fait la charité avec trois pièces
de monnaie et avait demandé la réalisation de trois sou-
haits : le premier était de devenir plus tard roi d’un
royaume; le second, de comprendre le langage de tous
les animaux; le troisième, d’avoir des connaissances fort
étendues. Quand il fut mort, il naquit en qualité d'enfant
d’un homme du peuple; il avait un extérieur fort beau ; le
roi ayant ouvert un concours pour recruter ceux qui
seraient à ses côtés, il se présenta au concours et fut admis
à servir auprès du roi. Il aperçut une hirondelle dans son
nid et, levant la tête, la regarda, puis se prit à rire. Le roi
lui ayant demandé pourquoi il riait, il répondit : « Cette
hirondelle a dit qu'elle avait trouvé un cheveu d’une fille
de nâga qui est long de cent pieds et elle appelle ses com-
pagnes pour le regarder. » Le roi dit : « Si ce que vous
dites est vrai, c’est bien; dans le cas contraire, je vous
tuerai. » ILenvoya donc des gens regarder dans le nid et
le cheveu fut aussitôt trouvé.
Le roi désira alors prendre cette fille pour femme; il
dit au jeune garçon : « Puisque vous comprenez le langage
des oiseaux, vous devez avoir beaucoup de stratagèmes;
je vais vous donner des provisions de bouche et vous irez
me chercher cette fille ; si vous la trouvez, je vous don-
KING LU Y1 SIANG (N° 470) 259
nerai de grandes récompenses; si vous ne la trouvez pas,
je vous tuerai, vous et votre famille. »
Le jeune garçon, bravant la mort, se rendit donc sur le
rivage de la mer orientale : il aperçut deux hommes qui
se disputaient la possession d’un chapeau rendant invi-
sible, de souliers permettant de marcher sur l’eau, d’un
bâton frappant à mort. Le jeune garçon leur dit : «A quoi
bon tant discuter ; je vais lancer une flèche; vous courrez
après elle et le premier de vous deux qui l’atteindra, on
lui donnera les trois objets. » Les autres ayant approuvé
cet avis, il tendit son arc et lança une flèche; nos deux
hommes de courir à l’envi ; pendant ce temps le jeune
garçon mit le bonnet, chaussa les souliers et prit le bâton;
il entra tout droit dans la mer et arriva chez le nâga ; il
enleva alors le bonnet rendant invisible et se fit voir
à la fille du nâga ; les femmes étant fort sensuelles, celle-
ci suivit aussitôt le jeune garçon et, prenant en main une
galette d’or, revint avec lui dans le royaume étranger.
Le roi envoya un messager à leur rencontre pour ordon-
ner que la jeune fille entrât seule ; elle s’avança donc;
mais le jeune garçon entra à sa suite en se coiffant du
chapeau rendant invisible. La jeune fille, voyant que le
roi était laid, lui jeta sa galette d’or, en sorte que le front
du roi fut brisé et que sa vie prit fin. Le jeune garçon
enleva alors son bonnet; il monta avec la jeune fille dans
la salle du trône et cria d’une voix forte : « C’est moi qui
dois être roi. » La jeune fille devint reine et il eut la
souveraineté dans le monde.
260 KING LU Y1 SIANG (N° 471)
N° 71.
(Trip., XXX VI, 4, p. 65 r°.)
Autrefois il y avait une jeune fille qui possédait de fort
beaux cheveux brun foncé; ses cheveux étaient aussi longs
que son corps; la femme du roi du pays lui avait proposé
milles livres d’or pour sa chevelure mais elle n'avait pas
voulu la donner. Cette jeune fille vit le Buddha, et, toute
joyeuse, voulut lui faire une offrande; elle pria son père
et sa mère de l’inviter à venir; mais son père et sa mère
lui répondirent : « Nous sommes fort pauvres et nous
n'avons rien à lui donner à manger. » La jeune fille dit :
« Prenez le prix de ma chevelure et servez-vous en pour
faire une offrande. » Le père et la mère annoncèrent au
Buddha leur désir qu’il voulût bien venir un instant le
lendemain pour prendre un modeste repas. La jeune fille
coupa sa chevelure et l’apporta à la femme du roi; celle-ci,
sachant qu’elle était pressée par la nécessité, ne lui en
donna que cinq cents livres d’or. La jeune fille prit l'or,
acheta des aliments et éprouva une joie sans limites ; elle
regretta d’avoir été avare dans une vie antérieure, ce qui
était la cause de sa pauvreté dans la vie présente : « Puissé-
je, (disait-elle), ne plus me trouver à l’avenir dans pareille
misère. » La jeune fille aperçut l’'Honoré du monde et un
éclat doré multicolore illumina l'intérieur de la porte;
prosternée la face contre terre, elle tourna trois fois.
autour du Buddha. Ses cheveux repoussèrent tels qu’ils
étaient auparavant.
Le Buddha dit : « Dans une vie antérieure, cette jeune
fille était pauvre et n'avait rien qu'elle püt donner ; con-
stamment, elle tenait sa tête appliquée contre le sol pour
rendre hommage; (c’estpourquoi) pendantles quatre-vingt-
KING LU YI SIANG (N° 471-472) 261
un kalpas qui suivirent, elle naquit toujours dans la condi-
tion humaine. Cette cause de bonheur étant épuisée, elle est
née maintenant dans une famille pauvre; là encore elle à
su faire un acte méritoire etelle s’estréjouie en me voyant;
la prospérité qu’elle s’est ainsi assurée sera sans limites ;
après sa mort, elle devra naître en haut comme le second
des devas Trayastrimças ; quand elle aura terminé le
bonheur et la longévité de (sa vie de) devi, elle conservera
les sentiments sages d’un Bodhisattva. Le père, la mère,
ainsi que les frères aînés et cadets de la jeune fille se sont
tous réjouis, et c’est pourquoi, à leur mort, ils renaîtront
comme devas. »
N° 472.
(Frip XXXNTI NE p-:69v2;)
Une femme se trouvait enceinte depuis plusieurs
mois lorsqu'elle vit le Buddha et l'assemblée des reli-
gieux; elle fit alors dans son cœur cette réflexion :
« Puissé-je mettre au monde un fils tel que ces hommes.
Je le ferai devenir çramana pour qu'il soit disciple du
Buddha. » Quand le terme fut arrivé, elle enfanta un
fils qui, par son exceptionnelle beauté, se différenciait de
la foule; quand son fils eut sept ans, comme elle était
pauvre, elle ne put préparer que de la nourriture pour
deux personnes et trois vêtements de religieux; puis,
tenant en main une cruche à ablutions, elle emmena son
fils auprès du Buddha et lui dit: «Je désire que vous
ayez pitié de mon fils et que vous le fassiez devenir
cramana. » Le Buddha y consentit et lui ordonna de se
servir de la cruche pour laver les mains de l'enfant ; aus-
sitôt neuf nâgas sortirent de l'embouchure de la cruche
et crachèrent de l’eau dont ils arrosèrent l'enfant; ils firent
262 KING LU YI1 SIANG (N°5 472-473)
jaillir de l’eau et la répandirent sur la tête de l’enfant,
mais elle se transforma en un dais de fleurs au centre
duquel se trouvait un trône de lion; sur ce trône était le
Buddha ; le Buddha rit en émettant une clarté bigarrée qui
éclaira les dix centaines de mille de ksetras du Buddha, puis
revint en entourantle corps du Buddhaet rentra par le som-
met du crâne de l'enfant. La mère offrit au Buddha les
mets qu’elle avait préparés, et, en même temps en donna
à manger à son fils; elle conçut le sentiment de la sagesse
sans supérieure et les dix centaines de mille de ksetras
du Buddha en furent ébranlés à six reprises; tous les
Buddhas se montrèrent; avec la nourriture. qu'avait
apportée la mère on fit des libéralités à toute cette foule
de Buddhas ainsi qu’à l'assemblée des bhiksus et tous
furent rassasiés sans jamais manquer de rien. Les cheveux
de l’enfant tombèrent d'eux-mêmes et il devint çramana;
il put alors se tenir dans la condition d’avivartin.
N°79:
(Trip. XXXVI, 4, pp. 65 v°-66 1°.)
Autrefois, à l’est de la ville de la Résidence royale
(Râjagrha), il y avait une vieille matrone qui était avare,
rapace et incroyante; sa servante (au contraire) déployait
toute son énergie et agissait toujours avec un cœur bien-
veillant ; elle songeait à accomplir deux actes qui étaient
profitables à la foule des êtres vivants : le premier consis-
tait à ne jamais prendre de liquide bouillant pour le
répandre à terre (1); le second consistait à laver les grains
de riz qui étaient restés dans les ustensiles de cuisine et
(1) Apparemment parce que le liquide bouillant aurait pu tuer les me-
nus êtres vivants qui se trouvent à la surface du sol.
KING LU Y1 SIANG (N° 473) 263
à s’en servir toujours pour faire la charité aux hommes.
La vieille matrone devint malade et n'avait déjà plus que
le souffle; son âme l’emmena et entra dans les enfers;
elle y aperçut des chars de feu, des brasiers de charbon
ardent, des chaudières où l’eau bouillonnait; il y avait là
des montagnes de couteaux et des forêts d’épées qui
produisaient des variétés infinies de souffrances; à ce
spectacle, la vieille matrone demanda ce que c'était que
cela ; un sbire des enfers lui répondit: « Ce sont ici
les enfers; à l’est de la ville de la Résidence royale
(Râjagrha), il y a une vieille matrone avare et rapace qui
doit entrer ici. » La vieille matrone se reconnut et, toute
effrayée, se sentit pénétrée de tristesse.
Elle marcha un peu plus avant et rencontra une rési-
dence princière faite avec les sept joyaux; des musiciennes
s’y trouvaient par centaines et par milliers, et on y voyait
toutes sortes d'objets précieux; elle demanda ce que
c'était que cela; on lui répondit : « C’est un palais de devi ;
à l’est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y
a une vieille matrone avide et rapace dont la servante
s'applique au bien avec énergie; quand cette servante
sera morte, elle renaitra ici. »
Cependant, la vieille matrone, ayant repris soudain ses
sens, se souvint des choses qu’elle venait de voir ; elle
dit donc à sa servante : « Vous devez naître en qualité de
devi; mais vous êtes ma servante; comment pourriez-vous
être seule à recevoir de tels avantages; il faut que vous
les partagiez avec moi.» La servante lui répondit : « Si
cela pouvait se faire, je m'empresserais de vous obéir;
mais je crains que le mal et le bien ne soient conformes
aux actes et quon ne puisse donc les partager avec
d'autres. » La matrone alors cessa d’être avare et rapace
et accomplit un grand nombre d'actions méritoires.
264 KING LU Y1 SIANG (N° 474)
N° 474.
(Trip, XXXNTI 4, p.66 6:)
Autrefois le Buddha Weri-wei (Vipaçyin), accompagné
de la foule des soixante-deux mille bhiksus, venait
de sortir des montagnes pour retourner chez le roi son
père. Le roi du pays détacha hors de la ville un domaine
pour y élever des habitations pures (vihära); chacun des
bhiksus obtint son lot de terre ; or, un bhiksu dit à ses
voisins qu'il désirait qu’on lui construisit une demeure ;
les hommes n’y consentirent pas, mais une vieille femme
d’une de ces familles lui fit de ses propres mains une
demeure ; quand elle eut terminé la maison, ses dix doigts
étaient tout déchirés.
Le bhiksu s’assit dans cette demeure et se mit en con-
templation ; dès la première nuit, il entra dans le samä-
dhi de l'éclat du feu ; dans la maison parut un grand feu ;
la vieille femme l’aperçut de loin et songea : « À peine ai-
je construit cette maison que la voici incendiée ; pourquoi
ai-je si peu de bonheur ? » Mais, quand elle entra dans la
maison, elle la trouva telle qu'auparavant ; seulement, au
milieu d’un éclat de feu, on apercevait le bhiksu. Elle en
conçcut une grande joie.
Quand sa vie prit fin, elle naquit en qualité de devi ; au
moment où Çâkya devint Buddha, sa destinée de devi
n'était point encore terminée ; elle descendit et vint dire
au Buddha : « Demain j'offrirai un repas au Buddha et à
l'assemblée des religieux. » Le Buddha accepta par son
silence. Cependant le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait
aussi envoyé des gens adresser une invitation au Buddha ;
le Buddha ayant répondu qu'il avait déjà accepté l'invi-
tation d’une devi, le roi dit : « Je n'ai jamais vu qu’une
KING LU Yi SIANG (N° 474) 265
personne ayant la qualité de devi soit descendue pour
faire des libéralités ; comment cela pourrait-il se pro-
duire ? » Le lendemain donc il envoya des gens épier ce
qui se passerait ; ils n’aperçcurent aucun préparatif fait
pour des libéralités ; ils entrérent dans tous les coins de
la maison et n’y trouvèrent pareillement que le silence. Le
roi ordonna alors qu’on préparât des mets excellents en
disant que, si personne d’autre ne s’en occupait, il ferait
une offrande.
À midi, la devi arriva ; elle n’apportait avec elle aucune
nourriture ; mais elle était accompagnée de toute la foule
des femmes célestes qui, jouant toutes sortes d’airs de
musique, s’arrétèrent en adorant le Buddha. Quant le
moment qu’elle avait annoncé fut arrivé, la devi agita son
mouchoir et toutes les choses se trouvèrent disposées en
ordre ; quand on eut fait passer l’eau, elle agita encore la
main et aussitôt des mets de cent saveurs sortirent de la
cuisine tandis que de l'ambroisie apparaissait sur le sol ;
de ses propres mains elle servit à boire et toutes les per-
sonnes de l'assemblée furent rassasiées. A ce spectacle, le
roi s'émerveilla ; quand on eut fini de se laver les mains,
il dit au Buddha : « Je ne comprends pas bien quel prin-
cipe de bonheur cette devi a eu dans une vie antérieure
pour que ses mains puissent produire des mets de cent
saveurs. Comment sa vertu, créatrice de bonheur a-t-elle
pu être telle ? » Le Buddha expliqua au roi que, dans une
existence antérieure, elle avait construit de ses propres
mains une habitation pour un bhiksu ; c’est pourquoi elle
devait vivre en qualité de devi pendant quatre-vingt-onze
kalpas et ses mains pouvaient produire toutes sortes
d'objets et encore le bonheur qui l’attendait n’était-il point
encore terminé.
266 KING LU Y1 SIANG (N°5 475-476)
N° 475.
(Trip., XXXIV, 4, p.66 r°.)
Une mère avait deux fils ; l’un d'eux ne savait pas nager;
il tomba à l’eau et périt; sa mère ne se lamenta point,
L'autre, qui savait nager, tomba aussi à l’eau et se noyà ;
sa mère se désola à son sujet. Quelqu'un lui dit : « Pour
votre premier fils, vous ne vous êtes point lamentée ;
pourquoi vous lamentez-vous sur le second ? » La mère:
répondit : « Le premier ne savait pas nager; aussi lui est-il
arrivé ce qui devait arriver; mais le second était habile
nageur; aussi sa mort est-elle injuste. »
N°70: ;
CFrips XX RNA, pr06".)
Autrefois il y avait un homme qui était incroyant, tandis
que sa femme au contraire, honorait fort le Buddha. Cette
femme dit à son mari: « La vie humaine n’est pas perma-
nente; il importe de pratiquer une vertu productrice de
bonheur. » Le mari restant indifférent et indolent, sa
femme craignit que, plus tard, il n’entrât dans les enfers;
elle lui dit donc derechef : « Je me propose de suspendre
une sonnette en la fixant au-dessus de la porte; chaque
fois que vous entrerez ou sortirez, vous heurterez la son-
nette qui résonnera et alors vous direz : Invocation à
Buddha! » Son mari approuva très volontiers cette pro-
position et il en fut ainsi pendant fort longtemps. Quand
le mari mourut, un sbire des enfers le saisit avec une
KING LU Yi SIANG (N°5 476-477) 267
fourche et le jeta dans une chaudière d’eau bouillante; la
fourche vint à heurter la chaudière qui résonna; le mari
crut que c'était le son de la sonnette et prononça : « Invo-
cation à Buddha! » En entendant ces mots, le magistrat
des enfers jugea que cet homme honorait le Buddha; il
le relächa donc et le laissa sortir en sorte que ce mari
obtint de naître dans la condition humaine.
NCA.
CMD AA X NE RD -070v0)
Un homme et sa femme n'avaient pas de fils; ils offri-
rent des sacrifices au dieu du ciel en demandant une pos-
térité. Le dieu la leur promit. (La femme) devint donc en-
‘ ceinte et elle accoucha de quatre objets ; le premier était
un boisseau en {chan-l'an (tandana, santal) rempli de riz;
le second était une jarre pleine d'ambroisie; le troisième
était un sac de joyaux ; le quatrième était un bâton ma-
gique à septnœuds. Ces gens direnten soupirant : « Nous
avions demandé un fils et voici que nous mettons au
monde ces autres objets. » Ils allèrent auprès du dieu
pour lui demander de nouveau ce qu'ils désiraient. Le
dieu leur dit : « Pour désirer un fils, quel avantage y
voyez-vous ? » Ils répondirent : « Un fils subviendrait à
nos besoins.» Le dieu répliqua : « Maintenant ee bois-
seau de riz est inépuisable; cette jarre d'ambroisie et de
miel ne diminuera pas quand vous mangerez (ce qu’elle
contient) et en outre elle enlèvera toutes les maladies ;
le sac plein de joyaux ne se dégonflera jamais ; le bâton
magique à sept nœuds vous protégera contre les méchants.
Comment un fils aurait-il pu faire tout cela ? » Ces gens
furent très contents ; rentrés chez eux ils mirent (ces ob-
268 KING LU Y1 SIANG (N° 477-478)
jets) à l'essai et tout se passa, vraiment comme on le leur
avait dit ; ils obtinrent donc des richesses incalculabies.
Le roi du pays en fut informé et envoya aussitôt une troupe
de soldats pour les dépouiller par la force ; mais l'homme
priten main le bâton qui, volant en tout sens, frappa les
ennemis etles brisa en morceaux ; toute cette forte bande
se retira en désordre. Nos gens furent tout joyeux et
dès lors n’eurent plus d’ennuis.
N° 478.
(Trip., XXX VI, 4, p. 67 ve-68 r°.)
Pour montrer que les gens débauchés préfèrent causer
la mort de ceux qui leur sont apparentés plutôt que de
renoncer aux actes de luxure, (voici ce qu'on raconte) :
À côté de la ville de Chü-wet (Grâvasti), il y avait une
femme qui, prenant dans ses bras son enfant et tenant une
cruche, était allée au puits pour y puiser de l’eau; or, un
jeune homme d'une grande beauté était assis à droite du
puits et s'amusait en jouant de la guitare. Cette femme,
qui était luxurieuse, désira se livrer au plaisir avec ce
jeune homme et celui-ci de son côté la trouva à son gré;
dans son égarement cette femme attacha son enfant par
le cou et le suspendit dans le puits; quand elle revint pour
l'en tirer, l'enfant était déjà mort. Navrée de douleur elle :
invoquait le ciel, versait des larmes et prononçait des
stances.
-Le Buddha réunit une grande assemblée et dit aux
bhiksus : « Quand le feu de la luxure est allumé, il peut
brûler le principe de l'excellence ; l’homme qui est égaré
par les désirs sensuels ne connaît plus le bien et le mal,
ne distingue plus entre le noir et le blanc et ne sait plus
KING LU YI SIANG (N° 478) 269
ce que c’est que d'être lié ou libre. Les gens de cette sorte
n'ont plus aucune honte ; ils aiment mieux causer la mort
de ceux qui leur sont apparentés et recevoir pour leur part
le châtiment et la honte. Parfois, par leur débauche, ils
font périr leur père, leur mère, leurs frères et leurs parents
aux six degrés; ils subissent le dernier supplice par ordre
du roi, et, après leur mort, ils endurent de sévères expia-
tions qui, de vie en vie, sont sans fin.
«Autrefois il y avait un homme qui se plaisait passionné-
ment à la débauche. Son père et sa mère n'avaient que ce
seul fils. Une nuit, à une heure où il n’y a personne (de-
hors), alors qu’il faisait sombre et qu'il y avait des ton-
nerres et des éclairs, il ceignit son épée, prit en main ses
flèches et voulut aller dans le village d’une courtisane ; sa
mère s’aperçut de ce qu’il allait faire et le retint en lui
faisant des remontrances : « Maintenant les ténèbres de la
nuit sont profondes et on vous fera du mal ; à cause de
mon peu de vertu dans mes existences antérieures, je n'ai
eu qu'un seul fils; s’il vous arrive quelque malheur, je
n'aurai plus personne en qui me confier. » Le fils répon-
dit à sa mère : « Je pars et ne puis plus rester. » La mère,
voyant que sa résolution était arrêtée, se prosterna devant
son fils ; quant à celui-ci, il tira son épée et d'un coup tua
sa mère ; puis il alla frapper à la porte de la courtisane.
Celle-ci lui répondit : « Qui êtes-vous ? » IT répliqua par
ces gâthàs :
« Devant la débauche et la colère tous les autres sentiments
s'effacent ; — l'homme est alors abusé par ses propres
idées ; — il ne réfléchit plus aux effets de lous ses actes.
— el ilest aveuglé par la stupidilé. — Maintenant, j ai tué
ma mère — el je suis humilié comme un esclave ; — 7e
reste debout en dehors de votre porle — comme un élranger
qui s'acquille d'une commission.
«La femme lui répondit par ces gâthàs :
«Ié quoi ! vous vous êles révollé contre celle dont la bonté
270 KING LU Y1 SIANG (N° 478-479)
vous a nourri; — en luant votre mère, vous avez semé le
crime el le malheur ; — comment supporlerais-je de voir
votre visage ? — il vous faut promplement vous éloigner de
ma demeure. — Le père et la mère soignent et élèvent leur
enfant — el, pour lui, ils endurent bien des souffrances ; —
après avoir lué votre mère, vous marchez sur la terre ; —
mais la lerre ne va-t-elle pas vous engloutir pour vous.
luer ?
« Le jeune homme répondit encore à la femme :
« Cest à cause de vous que j'ai tué ma mère et que j'ai :
commis un crime insondable. Montrez-moi un peu d’indul-
gence el ouvrez-mot votre porte pour que nous puissions
converser un instant et ensuite je relournerai chez moi.»
« La femme lui répliqua :
« J'aimerais mieux me précipiler dans un four ardent, —
me jeter du haut d’une montagne dans un ravin profond, —
ou empoigner tout vivant un serpent de sept pieds de long
— que d'avoir des relations avec un insensé tel que vous.
« Le jeune homme retourna chez lui ; en route, il ren-
contra des brigards qui le firent périr et il entra dans
l'enfer a-pt (avici) pour y subir des tourments pendant
des kalpas innombrables. »
N° 478.
(Trip., XXXVI, 4, p. 68 re.)
Un Pratyeka Buddha se rendit dans la demeure d’un
maître de maison pour mendier sa nourriture. La femme
(de ce maître de maison) vit que ce Pratyeka Buddha avait
un extérieur fort beau et lui dit : «Si vous consentez à ce
que je désire, je vous préparerai des offrandes. » Le Pra-
tyeka Buddha lui répondit : « Je ne saurais accéder à votre
- £ 1 DE
KING LU Y1 SIANG (N° 479-480) 271
demande. » Il ne lui donna donc pas satisfaction; elle
en conçut aussitôt de l’irritation et le renvoya en lui inti-
mant l’ordre de partir. Une servante du maître de maison
désapprouva les paroles de l'épouse (et pensa) : « Pour-
quoi déclarer à un homme des choses qui ne doivent pas
(se dire) ? » Elle prit sa propre part de nourriture et la
donna au Pratyeka Buddha.Quand celui-ci eut fini de man-
ger, elle retourna dans sa chambre pour se coucher et
s’aperçcut alors que sa peau sale et noire tombait d’elle-
même, que son visage devenait d’une beauté supérieure à
celle des autres femmes et qu’elle était semblable à une
femme de jade céleste. Le maître de maison s’en émer-
veilla et lui demanda ce qui s'était passé ; il lui donna
alors le titre de première épouse.
N° 480.
CPED RON D 08 rer)
Dans le royaume de Chü-wei (Crâvasti), il y avait un riche
maître de maison nommé T'ch'en-kiu ; il avait chez lui une
servante nommée Fou-nt-lch’e (Pürnikâ) ; la tête de celle-ci
était entièrement chauve et ses yeux étaient d’un vert franc;
sa bouche et son nez étaient tout de travers ; occupée con-
stamment à des travaux en dehors de l’habitation, elle
recueillait du bois de chauffage et coupait des herbes. A
quelques /1 de la maison se trouvait une source qui avait
une onde parfumée et douce ; cette servante y alla prendre
de l’eau avec une cruche ; or,une femme du voisinage s'était
pendue à un arbre et son visage se reflétait sur la source ;
la servante aperçut sa figure et crut que c'était sa propre
image ; aussitôt elle s’irrita en criant : « Voici donc comme
je suis belle; cependant telles sont les corvées pénibles
272 KING LU Yi SIANG (N°5 480-481)
auxquelles on m'envoie dans les champs et dans les jar-
dins ! » Alors elle brisa sa cruche, s’en revint à la mai-
son, monta dans la salle principale et s’assit sur le siège
orné de joyaux de l'épouse principale, au milieu des ten-
tures à franges. Tous les gens de la famille furent fort
surpris et pensèrent que la servante était devenue folle ;
comme ils lui demandaient pourquoi elle agissait ainsi,
elle répondit : « J'ai vu dans l’eau que j'étais belle. Mais
mon maitre n'a pas su le reconnaitre et je ne suis traitée
qu'avec mépris. » On lui donna un miroir pour qu’elle se
regardàt et elle vit une image affreuse ; cependant, comme
elle s’obstinait à ne pas être convaincue, on l’amena sur le
bord de l’eau; elle apercut alors le reflet de la femme
morte; la servante comprit (ce qui s'était passé) et se
trouva couverte de confusion. |
Nes T7
CÉRPERRRNIE De 76%
Dans les temps passés il y avait trois amis, un éléphant,
un singe et un oiseau /ouo qui se tenaient abrités auprès
d’un arbre Ni-ktu-lu (nyagrodha). Ils se dirent entre eux:
« Puisque nous nous abritons auprès de cet arbre, il nous
faut nous témoigner réciproquement du respect. « Le singe
et l'oiseau /ouo demandèrent à l'éléphant : « Jusqu'où
remontent vos souvenirs ? » L’éléphant répondit : « Je me
souviens que, lorsque j'étais jeune, cet arbre atteignait
juste mon ventre. » L’éléphant et l'oiseau {ouo posèrent la
méme question au singe qui répondit : « Je me souviens
que, lorsque j'étais jeune, en levant la main j'atteignais le
sommet de cet arbre. » L’éléphant dit au singe : « Vous
êtes plus âgé que moi. » L’éléphant et le singe interro-
KING LU YI SIANG (N°5 481-482) 273
gèrent l’oiseau {ouo qui dit : « Je me souviens que, sur le
versant occidental des montagnes neigeuses, il y avait un
grand arbre ni-kiu-lu (nyagrodha) ; j'en mangeai un fruit
et je vins ici; c'est à la suite de cela que cet arbre prit
naissance (1). » Les deux autres dirent : « C’est l’oiseau touo
qui est le plus âgé. » L’éléphant plaça le singe sur sa
tête et le singe mit l'oiseau ouo sur son épaule ; ils se
promenèrent ensemble parmi les hommes, de village en
village et de ville en ville, répétant toujours cette gâthà :
Si un homme est capable de garder dans son cœur la Loi,
— il doit respecter ceux qui sont âgés ; — dans la vie pré-
sente, on le louera; — dans l'avenir, il naîtra dans les voies
excellentes. |
L'oiseau {ouo prononça alors cette règle : « Quand les
hommes suivront tous ce précepte, l’enseignement de la
Loi se répandra. » (Le Buddha dit :) « Vous tous, qui êtes
sortis du monde pour adopter ma doctrine, il vous faut
davantage encore vous respecter mutuellement ; ainsi la
Loi du Buddha se répandra. Dorénavant, conformez-vous
à ceci : Que jeunes et vieux se respectent, se saluent avec
vénération, viennent à la rencontre les uns des autres et
se demandent réciproquement de leurs nouvelles. » Alors
les bhiksus, ayant entendu l’enseignement du Buddha,
tous, jeunes et vieux, se témoignèrent tour à tour du res-
pect et se saluèrent avec vénération.
N° 482.
(Pribs XXKN EL HSDp:76 v-77002;)
Un homme venu d’un pays lointain avait amené un grand
bœuf, gras, prospère et fort, et l'avait vendu à un homme
(1) Les excréments de l'oiseau contenaient une semence qui a donné
naissance à l'arbre ; c'est donc l'oiseau qui est le plus âgé des trois.
III. 18
274 KING LU Y1 SIANG (N° 482)
de la ville de Chü-wei (Grâvasti). Quand ce dernier l’eut
acheté, il voulut le tuer; or il se rencontra sous la porte
de la ville avec le Buddha; dès que le bœuf aperçut de
loin le Buddha, son cœur fut ému et joyeux; il rompit sa
chaîne et partit au galop sans que l’homme püt le mai-
triser ; il vint droit au Tathâgata et, pliant ses deux jambes
de devant, il beugla d’une manière pitoyable en pleurant;
puis sa bouche prononça ces paroles : « Le grand saint
est difficile à rencontrer; il n’est présent qu’en quelques
occasions pendant une durée de cent mille générations ;
puissiez-vous faire descendre sur moi votre grande com-
passion pour que, en une fois, je sois sauvé. »
Le Buddha dit : « Cela se peut fort bien. À une époque
reculée, il y avait un roi tourneur de la roue (ëakravartin)
qui régnait sur les quatre parties du monde, qui avait mille
fils et qui possédait les sept joyaux; il gouvernait en
appliquant des lois justes; la population jouissait de la
tranquillité. En outre, ce roi avait les quatre vertus ; il
regardait les gens du peuple comme ses enfants et le
peuple l’honorait comme un père ; les cramaras, les
brahmanes, les maîtres de maison et les hommes du peuple
n'avaient jamais de maladie sur leur corps; les quatre
régions du monde célébraient ses vertus et en faisaient
pénétrer la renommée dans les dix directions.
Un jour que ce roi était sorti pour se promener dans les.
quatre parties de son royaume, il revenait et se proposait
de rentrer au palais, lorsqu'il rencontra un de ses vieux
mais qui avait été saisi par un de ses créanciers et qui,
parce qu'il était débiteur de cinquante onces d’or, avait été
lié et attaché à un arbre. Le roi, ses sept joyaux (1) et ses.
serviteurs s'arrêtèrent alors et cessèrent d'avancer ; le roi
s'étonnant de ce qui était arrivé, informa (le créancier) en
ces termes: « Relâchez-le et laissez-le partir ; ilvous paiera
(1) On a vu (t. I, p. 322, ligne 12-17) l'énumération des sept joyaux qui
précèdent toujours un roi cakravartin.
KING LU Y1 SIANG (N° 482) 275
le double de ce qu’il vous doit, soit cent onces d’or. » Le
créancier le relâcha donc et le laissa retourner chez lui;
puis, à plusieurs reprises, il se rendit à la porte du palais
royal pour y demander de l’or, mais il n’en obtint pas;
quant au débiteur, il était allé ailleurs et on ne savait plus
où il se trouvait. |
Après avoir parcouru le cycle des naissances et des
morts pendant des kalpas innombrables, le débiteur se
trouvait toujours n'avoir pas remboursé ce qu’il devait ;
dans la présente existence, il tomba dans ce corps de
bœuf et fut vendu par le créancier pour le prix de plusieurs
milliers d’onces d’or. Celui qui, en ce temps, était le roi
tourneur de la roue {éakravartin), c’est moi-même; le
créancier, c'est ce bœuf. » Quand le Buddha était un saint
roi, il s'était porté garant du paiement, mais en définitive
il ne donna rien et c’est pourquoi maintenant le bœuf
vint lui demander secours.
Le Buddha dit au propriétaire du bœuf : « Moi, le
Buddha, je ferai la quête en votre faveur et je vous paierai
au double le prix du bœuf.» Le propriétaire du bœuf
repoussa cette proposition et réclama au contraire son
bœuf. Le Buddha lui annonça derechef ceci : « Je pèserai
le poids, en livres eten onces, du corps du bœuf et je vous
donnerai un poids égal d’or ». L'autre s’obstina dans son
refus. Alors les devas Cakra et Brahma descendirent tous
deux et dirent au Buddha: « Des onces d’or par myriades,
milliers et centaines de mille, nous les procurerons. »
Le Buddha emmena le bœuf dans le Jetavana ; au
bout de sept jours, la vie de ce bœuf se termina et il
naquit soudain en haut parmiles devas ; il se souvint alors
du bienfait que lui avait rendu le Buddha ; il revint donc
parmi les hommes et répandit des fleurs pour en faire une
offrande, témoignage de reconnaissance pour la bonté
dont avait fait preuve le Buddha à son égard.
Le Buddha expliqua en sa faveur les livres saints et il
276 KING LU Yi SIANG (N°5 482-483)
obtint alors de s’élever à la qualité d’avivartin, d’être
affranchi des naissances et de se conformer à la Loi; puis il
retourna vivre en haut parmi les devas.
N° 483.
(Pris XXXNL AS AS
Autrefois un homme avait un âne qui lui servait à tirer
un char et qui faisait une marche de plusieurs centaines
de li par jour; il dit à son frère cadet : « Ne lâchez pas
l’âne de peur qu'il ne voie d’autres ânes. » Le frère cadet
trouva bizarre cette recommandation et pensa : « Quand
des sages se rencontrent, ils en sont heureux; quand des
êtres de même espèce se rencontrent, il n’en est aucun
qui ne soit heureux. » Le frère cadet mit donc l’âne en
liberté etlui permit de voir un autre (de ses congénères).
(Les deux ânes) ne se mirent point à braire à plein gosier,
mais il se flairèrent l’un l’autre et ne mangèrent point.
Après cela le frère aîné attela son âne, mais celui-ci se
coucha et refusa de marcher; le frère aîné, très irrité, lui
coupa ses oreilles velues; en ressentant cette douleur
cuisante, l'âne recommencça à marcher comme auparavant;
il dit à son maître : « Votre frère cadet m'a laissé en
liberté et j’ai vu un mauvais ami; comme je demandais à ce
dernier pourquoi il était gras, il me répondit : « Je trans-
porte des objets en terre pour un potier ; quand le chemin
est mauvais, je me couche et n’avance plus ; mon maître
va alors à pied en portant les objets en terre sur son
épaule et il me laisse brouter en liberté sur le bord du
chemin; je trouve à manger de bonnes herbes, et, au
retour, je reçois du foin et des grains; c'est pourquoi je
suis devenu gras. » Il me demanda pourquoi j'étais maigre;
je lui répondis : « Je tire un char en faisant une marche
EE
KING LU Y1 SIANG (N° 483-484) 277
de cinq cents {1 par jour; c’est au milieu des cahots que je
bois et que je mange; c'est pourquoi je suis devenu
maigre. » J'ai donc pensé que, si on me laissait en liberté,
je deviendrais gras, mais au contraire je me suis vu raser
la tête et je n’ose plus me coucher; je vous supplie de
me laisser la vie. » Son maître eut compassion de lui; il
le relâcha et lui permit d’être en liberté.
N° 184.
Cp RENAN TENTE)
Le Buddha se trouvait dans le royaume de Choô-wet
(Crâvasti). Dans les temps passés, il y eut un chien qui
quitta la maison de son maître et alla dans une maison étran-
gère pour y mendier de la nourriture; au moment où il
pénétra dans cette maison étrangère, son corps était à
l’intérieur de la porte, mais sa queue était restée en dehors
de la porte. Cependantle maitre de la maison (grhapati) le
frappa et ne lui donna pas à manger; le chien se rendit
alors auprès des magistrats assemblés et leur dit : « Le
maître de maison, quand je suis allé chez lui pour
mendier de la nourriture, ne m'a pas donné à manger,
mais au contraire m'a battu ; pourtant je n'avais pas violé
le code des chiens. » Les magistrats lui ayant demandé ce
que c'était que le code des chiens, il répondit : « Quand
je suis dans ma maison, je m’assieds et je me couche
comme il me plait; quand je vais dans une maison étran-
gère, mon corps peut entrer à l’intérieur de la porte,
mais ma queue doit rester en dehors. » Les magistrats
firent donc comparaître le maître de maison et lui deman-
dèrent : « Est-il vrai que vous avez battu ce chien et que
vous ne lui avez pas donné à manger? » Il reconnut que
278 KING LU YI1 SIANG (N° 484-485)
c'était vrai; les magistrats demandèrent au chien : « Quel
châtiment faut-il infliger à cet homme ? » Le chien répondit :
« Donnez-lui la dignité de grand notable de la ville de
Chü-wei (Grâvasti).» Comme on lui en demandait la raison,
il ajouta : « Autrefois, j'étais dans la ville de CAhûü-wei
(Grâvasti) et j'y occupais la position de grand notable;
mais, comme je fis le mal dans mes actes et dans mes
paroles, je reçus (en punition) ce corps de chien ; or cet
homme est plus méchant encore que je ne le fus; si donc
on lui permet d'occuper une haute situation, il commettra
de grandes fautes et cela le fera entrer dans les enfers où
il subira des tourments extrèmes. »
N° 485.
(Prin XX NI pD: 78:v-709 7°)
Autrefois un notable, dont les richesses étaient im-
menses, possédait un méchant chien qui se plaisait con-
stamment à mordre les gens; personne n’osait franchir
inconsidérément le seuil de sa porte. Or il arriva qu'un
bhiksu intelligent et sage, dont la divine compréhension
était difficile à égaler, entra par cette porte pour mendier;
en ce moment le chien se trouvait être endormi et ne
s'aperçut pas de sa venue au moment où elle se produisit.
Le notable ayant disposé un repas, le chien s’éveilla et
aperçut alors le çramana ; il fitcette réflexion : « À cause
de mon sommeil, je ne me suis aperçu de rien et ce
çramana a pu entrer; maintenant qu'il est assis, que vais-
je faire? s’il mange tout à lui seul, je sortirai et je le
mordrai de facon à le tuer, puis je dévorerai dans son
ventre la bonne nourriture qu'il aura mangée ; mais s’il
me donne une partie de ses aliments, je lui pardonnerai. »
KING LU YI SIANG (N° 485-186) 279
Le çramana savait quels étaient ses sentiments ; aussi,
chaque fois qu'il mangea une bouchée, donna-t-il une
bouchée au chien, en sorte que celui-ci, tout joyeux, conçut
des sentiments d'affection envers le cramana et s’avança
pour lui lécher les pieds.
- À quelque temps de là, le chien étant sorti de la porte
et s’étant endormi, un homme qui avait eu autrefois à
souffrir de ses morsures, lui trancha la tête; le chien
naquit alors dans le ventre de la femme du notable, mais,
peu après sa naissance, sa vie fut prématurément inter-
rompue et il mourut encore une fois.
Il naquit derechef en qualité de fils d’un autre notable
de ce pays; à l’âge de dix ans environ, il aperçut un
çcramana et s’avança à sa rencontre pour lui rendre hom-
mage ; il annonça à son père et à sa mère qu'il désirait
prendre ce cramana pour son maître, lui faire des libéra-
lités et des offrandes, puis recevoir les défenses prescrites
par les livres saints ; ensuite il ferait à nouveau la con-
version de tous les membres, grands et petits, de sa
famille, réciterait les livres saints et réfléchirait sur la
sagesse. Ayant ainsi informé ses deux parents, il demanda
à devenir çramana; avant d’avoir reçu toutes les défenses,
il fit des offrandes à son Ao-chang (upâdhyâya) sans jamais
se relâcher, ni le jour ni la nuit. Après la mort de son
ho-chang (upâdhyäya), il reçut la vertu des défenses.
N° 486.
CRRIDAXXNTS D 80 6%)
Un chacal allait habituellement demander de la nourri-
ture à un lion; il obtenait chaque fois des restes d'aliments
et revenait sans jamais se lasser.Or, un jour, le lion était à
280 KING LU Y1 SIANG (N°° 486-487)
jeun et n'avait pas encore trouvé à manger ; il appela donc
le chacal, le flaira et se mit à le dévorer. Avant de mourir,
étant déjà dans sa gueule, le chacal lui cria : « O grand
maître, laissez-moi la vie! » Le lion fit cette réflexion :
« Si je vous ai nourri jusqu'à ce que vous fussiez gras,
c'était pour attendre que vous fussiezà point. Pourquoi
donc réclamez-vous ? »
N° 487.
(Trip; XXXNI 4) p.837.)
À P'i-chô-li (Vaiçàli) à côté de l'étang des singes (Mar-
katahrada), il y avait un jardin planté d’aulx (laçuna) ; la
bhiksuni T’eou-lo-nan-lo (Sthülanandà) demeurait non
loin de là; le maître du jardin lui adressa cette demande
« O tante,ne vous faudrait-il pas quelques aulx? » Alors la
bhiksuni, accompagnée de toutes ses çramanis et çrâma-
neris, vint à plusieurs reprises chercher des aulx, tant et
si bien qu’il n’y en eut plus du tout; le propriétaire
abandonna son jardin et s’en alla.
Le Buddha raconta (à ce sujet) un jâtaka :
Autrefois il y avait un Brahmane qui était âgé de cent
vingt ans ; son corps était fort émacié; sa femme était
d’une beauté incomparable et avait mis au monde un
grand nombre de fils etde filles. Ce brahmane était attaché
de tout son cœur à sa femme et à la foule de ses fils et de
ses filles et jamais il ne se séparait d’eux ; à cause de l’in-
tensité de son affection, voici ce qui arriva : après sa mort,
il naquit sous la forme d’une oie sauvage ; les plumes de
son corps étaient toutes couleur d’or ; grâce aux influences
exercées par le bonheur qu'il s'était acquis précédemment,
il savait quelle avait été son existence antérieure ; aussi se
beach je .. 26 PS
KING LU Yi SIANG (N°: 487-488) 281
demanda-t-il par quel moyen il pourrait fournir à la subs-
sistance de ses fils et de ses filles en sorte qu'ils ne souf-
frissent pas de la misère; en conséquence, il revint chaque
jour auprès d'eux, et, chaque jour, il laissait tomber une
de ses plumes, puis s’en allait. Ses enfants, le voyant agir
ainsi et ne sachant pas la raison de sa conduite, délibé-
rérent entre eux, disant : « Ce que nous avons de mieux à
faire, c'est d’épier sa venue; de nous saisir alors de lui et
de lui enlever toutes ses plumes d’or. » Ils mirent donc
ce projet à exécution et lui arrachèrent toutes ses plumes
d'or; mais les plumes qui repoussèrent furent de simples
plumes blanches.
Le Buddha dit aux bhiksus : « Si vous désirez le savoir,
celui qui en ce temps était le brahmane et qui, après sa
mort, devint une oie sauvage, qui d’autre est-ce sinon le
propriétaire actuel du jardin; sa belle épouse, c’est la
bhiksuni; ses fils et ses filles, ce sont les crâmaneris et
les çramanîs. »
N°mres:
CErips XRXNI Hp 8742)
Autrefois un homme riche avait récolté dix mille bois-
seaux de grain et les avait enterrés dans le sol. Lorsqu'on
fut graduellement arrivé à la chaleur tempérée du prin-
temps, 1l ouvrit son silo afin de prendre le grain et dele
semer ; mais le grain avait entièrement disparu, et, à sa
place, il y avait seulement un animal, gros comme ces
paniers qu'on charge sur les bœufs, qui n'avait ni mains,
ni pieds, ni tête, ni yeux, et qui semblait une masse de
chair engourdie. Le maître de maison et tous les siens,
grands et petits, s’étonnèrent à cette vue ; ils firent sortir
Panimal, le posèrent sur un endroit plat et lui demandé-
282 KING LU Y1 SIANG (N° 488)
rent : « Qui êtes-vous ? » Comme il ne répondait rien, on
le piqua en un point avec un poinçon en fer ; il dit alors :
« Si vous voulez savoir comment je m'appelle, mettez-moi
au bord du grand chemin ; il se produira quelqu'un qui
m'’appellera par mon nom. » On le prit donc et on le dé-
posa au bord de la route. 110
Trois jours durant il n’y eut personne qui pût l'appeler
par son nom, Mais alors survint un homme qui avait plu-
sieurs centaines de chars tirés par des chevaux jaunes ;
ses habits et ceux de ses serviteurs étaient jaunes; il
arréta son char et cria : « Voleur de grains, que faites-vous
ici? » L'animal répondit : « J’ai mangé le grain d’un
homme ; c’est pourquoi il m'a pris et m'a mis ici. » Quand
ils eurent ainsi conversé pendant fort longtemps, le pas-
sant pris congé de lui et s’en alla. Le maitre de maison
demanda alors à Voleur de grains : « Qui était ce person-
nage ? » L'animal répondit : « Il est l’Essence du joyau
d’or ; il demeure à trois cents pas à l’ouest d'ici, sous un
grand arbre ; vous trouverez là cent jarres de pierre
pleines d’or. » |
Le maître de maison prit alors avec lui plusieurs
dizaines d'hommes et alla creuser à l'endroit indiqué; il
trouva en effet l’or dans les jarres ; toute sa famille, :
pleine de joie, s'occupa à transporter ce trésor chez lui :
il se prosterna devant Voleur de grains en lui disant : « Si
aujourd’hui j'ai trouvé tout cet or, c'est par votre bienfait,
à grand dieu. Il vaudrait mieux que je vous garde et que
vous reveniez avec moi pour que je vous fasse des
offrandes.» Voleur de grains répondit : « Si, précédem-
ment, après avoir dévoré votre grain, j'ai refusé de
dire mon nom, cest parce que je voulais que vous
receviez cet or en récompense (1). Maintenant il faut que
(1) Il faut sous-entendre, semble-t-il, l'idée suivante : la divinité « Es-
sence du joyau d'or » ayant trahi l’incognito de la divinité « Voleur de
grains », celle-ci s’est donc trouvée autorisée à révéler à son tour qui
KING LU YI SIANG (N° 488-489) 283
je me transporte ailleurs pour répandre des bienfaits dans
le monde ; je ne saurais rester ici plus longtemps. »
Quand il eut fini de dire ces mots, soudain il disparut.
N° 189.
CORDES XNENE ED 87 1.)
A l'angle sud-est de la ville de la Résidence royale
(Râjagrha), il y avait un fossé plein d’eau stagnante dans
lequel venaient s’accumuler tous les égoûts de la ville,
les ordures, les excréments et les urines ; la puanteur en
était telle qu'on ne pouvait en approcher.Or une sorte de
grand animal vivait dans cette eau stagnante ; son corps était
long de plusieurs {chang ; il n'avait ni mains ni pieds ; ense
tortillant, en levant et en baissant la tête, il s’ébattait dans
cette eau stagnante. Plusieurs milliers de personnes le
regardaient. Ânanda, en faisant la quête, l’aperçut et alla
le voir ; l'animal aussitôt bondit, et les flots bouillonnè-
rent ; Ânanda raconta tout cela au Buddha qui se rendit
alors avec ses disciples auprès de l'étang. Tous les gens
qui étaient là, voyant le Buddha, pensèrent et se dirent les
uns aux autres : « Maintenant le Tathâgata va, en faveur
de l'assemblée, exposer l'histoire de cet animal afin de dis-
siper tous les doutes. N'y a-t-il pas lieu de s’en réjouir ? »
Le Buddha dit : « Après le Nirvâna du Buddha Wei-
wei (Vipaçyin), il y avait un temple par lequel cinq cents
bhiksus vinrent à passer; en les voyant, le maitre du
temple fut très joyeux et les pria de demeurer là pour
qu'il püt les entretenir pendant trois mois ; cette troupe de
religieux ayant accepté lPinvitation, le maitre du temple
était son interlocuteur et c'est ainsi qu'elle a pu faire découvrir un trésor
au maitre de maison.
284 KING LU YI1 SIANG (N° 489)
leur fit des offrandes de nourriture en y appliquant tout
son cœur et sans rien négliger.
A quelque temps de là, cinq cents marchands qui
avaient été sur mer pour recueillir des joyaux, passèrent,
en revenant chez eux, par ce temple ; voyant les cinq cents
bhiksus qui s’appliquaient avec énergie à tenir une con-
duite conforme à la sagesse ; ils conçurent tous de bonnes
résolutions, et délibérèrent joyeusemententre eux, disant:
« Il est difficile d'avoir l'occcasion de rencontrer un
champ producteur de bonheur ; il nous faut donc faire
quelque légère offrande. » Ils en informèrent le maître
du temple qui leur dit : « J’ai fait mon invitation pour
trois mois et il s’en faut de cinq jours qu'ils ne soient
accomplis ; après ce délai, vous pourrez faire toutes les
offrandes que vous voudrez. » Les marchands répliquè-
rent : « Nous devons partir et nous ne pouvons pas
attendre aussi longtemps. » Ces cinq cents marchands
donnèrent alors chacun une perle de manière à former
un ensemble de cinq cents perles précieuse (mani) qu’ils
confièrent au maître du temple en lui faisant cette recom-
mandation : « Quand le délai sera accompli, vous présen-
terez nos perlesen offrande à cette assemblée de religieux.»
Le bhiksu le promit et reçut donc toutes ces perles.
Mais ensuite il conçut une mauvaise pensée et médita de
tout s'approprier sans rien donner en offrande. Les reli-
gieux lui ayant dit: « Il vous faut nous présenter les
perles dont ont fait don précédemment les marchands,
puis vous nous laisserez partir, » le maitre du temple
leur répondit : « C’est à moi que les marchands en ont
fait don ; si vous voulez me les ravir, c’est des excréments
que je vous donnerai; si vous ne vous en allez pas immé-
diatement, je vous couperai les mains et les pieds et je
vous jetterai dans une fosse pleine d’ordures. » Tous les
religieux, pleins de pitié pour cet insensé, se retirèrent
un à un en silence.
EXTRAITS DU TA TCHE TOU LOUEN
N° 490.
(Origine du nom de Râjagrha.)
CÉRID ER X RD A IENS
Question : Les grandes villes telles que Chûü-p'o-l1
(Crâvasti), Kia-p'i-lo-p'o (Kapilavastu), Po-lo-nat (Vârà-
nasi), ont toutes des résidences royales ; comment se fait-
il que cette ville-ci seule porte le nom de Résidence
royale (Râjagrha) ?
Réponse : Certaines personnes donnent l'explication
suivante : un roi du royaume de Mo-k'ia-l'o (Magadha) eut
un fils qui, n’ayant qu’une tête, avait deux visages et
quatre bras; les gens d’alors estimèrent que c'était là un
être de mauvais présage; le roi lui fendit donc en deux
le corps et la tête et l’abandonna dans la campagne
déserte. Or, une râksasi nommée .Li-lo (2) réunit les
deux parties de son corps et le nourrit de son lait; par
la suite, il grandit ét devint un homme; sa force était
telle qu’il put conquérir tous les royaumes des autres
rois; il posséda le monde entier; il prit tous les rois des
royaumes, au nombre de dix-huit mille hommes, et les
(1) Le Ta che tou louen (Nansio, Catalogue, n° 1169) est un çâstra dont
l’auteur hindou est Nâgârjuna; il a été traduit en chinois, sous une forme
partiellement écourtée, par Kumârajiva, entre 402 et 405 p. C.
(2) Les éditions des Yuan et des Ming l'appellent Chô-lo,
286 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490)
“plaça au milieu de ces cinq montagnes; par sa grande
puissance, il gouverna Île Yen-feou-fi (Jambudvipa) ;
c'est pourquoi les habitants du Yen-feou-l'i (Jambud-
vipa) donnèrent à ces montagnes le nom de Ville de la
résidence des rois (Râjagrha).
D’autres personnes racontent ceci : Dans la ville où
demeurait auparavant le roi de Mo-k'ia-Po (Magadha), un
incendie se déclara; dès qu’elle eut été détruite par le
feu, on la rebâtit; il en fut ainsi à sept reprises; les gens
du pays étaient accablés par les travaux qu’on leur impo-
sait; le roi, saisi de tristesse et de crainte, rassembla
tous les hommes sages et leur demanda leur avis; parmi
eux il y en eut qui proposèrent de changer l’emplace-
ment de la ville. Le roi chercha alors un lieu où s’instal-
ler ; il vit ces cinq montagnes qui formaient un pourtour
semblable à une muraille; il y éleva donc un palais et
s'établit au milieu de cet endroit; c’est de là que vint le
nom de Ville de la résidence royale (1).
Voici encore une autre explication : dans les temps
passés, il y avait en ce royaume un roi nommé P’o-seou,
qui, dégoûté du monde, entra en religion et se fit
ermite. En ce temps, les brahmanes qui étaient restés
dans le monde et les ascètes qui étaient sortis du monde
eurent une discussion; les brahmanes qui étaient restés
dans le monde disaient : « D’après les livres sacrés, dans
les sacrifices aux devas, il faut tuer des êtres vivants dont
on mangera la chair. » Les ascètes qui étaient sortis du
monde répliquaient : « Il ne. faut pas, quand on sacrifie
aux devas, tuer des êtres vivants et en manger la chair. »
Ils disputaient ainsi entre eux. Les brahmanes qui étaient
sortis du monde dirent : « Il ya ici le grand roi qui est
sorti du monde pour se faire ermite. Avez-vous confiance
en lui? » Les brahmanes qui étaient restés dans le
(1) Cette tradition est apparentée à celle que rapporte Hiuan- reg (Mé-
moires, trad. Julien, t.. II, pp. 39-40)...
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TA TCHE TOU LOUEN: (N° 490) 287
monde ayant répondu qu'ils avaient confiance en lui, les
autres reprirent : « Nous prendrons cet homme pour
“arbitre; demain, nous irons l’interroger. »
Cette nuit même, les brahmanes qui étaient restés dans
le monde allèrent par avance auprès de l’ermite P'o-seou,
et, après lui avoir posé toutes les questions d’usage, ils
lui dirent : « Dans la discussion de demain, il vous faut
nous aider. » Le lendemain donc, au point du jour, au
moment de la discussion, les ascètes qui étaient sortis du
monde demandèrent à l’ermite P'o-seou : « Dans les sacri-
fices aux devas faut-il ou non tuer des êtres vivants et en
manger la chair ? » L’ermite P’o-seou répondit : « La règle
des brahmanes est que, dans les sacrifices aux devas, il
faut tuer des êtres vivants et en manger la chair. » Les
ascètes qui étaient sortis du monde reprirent : « Quel est
votre véritable sentiment personnel ? Faut-il, ou non, tuer
des êtres vivants et en manger la chair ? » L'ermite P'o-seou
répondit : « Puisqu'il s’agit des sacrifices aux devas, on
doit tuer des êtres vivants et en manger la chair; en effet,
ces êtres vivants étant morts dans un sacrifice aux devas,
ils pourront renaître en haut dans les cieux. »
Les ascètes qui étaient sortis du monde s’écrièrent :
« Vous vous trompez grandement ! Vos paroles sont très
mensongères ! » Alors ils lui crachèrent dessus en disant :
« Homme criminel, disparaissez ! » Aussitôt l’ermite
P'o-seou s’enfonça graduellement dans le sol jusqu’à ce
que ses chevilles fussent recouvertes; la raison en est
qu'il avait été le premier à ouvrir la porte à de grands
crimes. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent :
« Vous devez parler suivant la vérité; si vous vous obs-
tinez à tenir un langage mensonger, tout votre corps
s’enfoncera dans le sol ». L’ermite P’o-seou répondit :
« Je sais que l’acte de tuer les moutons et d’en manger la
chair n’est pas un crime quand on le fait pour les devas ».
Aussitôt il enfonca dans le sol jusqu'aux genoux. Ils dis-
288 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490)
parut ainsi graduellement jusqu’à la ceinture, puis jusqu’au
cou. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent :
« Maintenant votre parole mensongère a reçu sa rétribu-
tion dans le monde présent. Si cependant vous vous
décidez à parler suivant la vérité, quoique vous soyez
sous terre, nous pouvons vous retirer et faire que vous
échappiez au châtiment. » Alors l’ermite P’o-seou fit cette
réflexion : « Nous autres, hommes de noble condition,
nous ne devons pas tenir deux langages différents. En
outre, dans les quatre wei-Fo (vedas) des brahmanes, on
célèbre de toutes sortes de façons la règle des sacrifices
aux devas. Si moi seul je meurs, cela vaut-il la peine qu’on
en tienne compte ? » Il dit donc de tout son cœur : « Dans
les sacrifices aux devas, ce n’est pas un crime de tuer
des êtres vivants et d'en manger la chair. » Les ascètes
qui étaient sortis du monde lui crièrent : « Vous êtes un
criminel endurci; disparaissez donc englouti; nous ne
voulons plus vous voir. » Alors toute sa personne s’en-
fonça dans la terre. A partir de ce moment et jusqu'à
aujourd’hui, on a toujours observé la règle donnée par
l’ermite P’o-seou; quand on tue un mouton dans les
sacrifices aux devas, au moment où le couteau s’abat sur
lui, on lui dit : « P’o-seou te tue » (1).
Le fils de P'o-seou se nommait Kouang-tch'o (large-
char); il lui succéda dans la dignité royale; par la suite,
lui aussi se dégoüta du monde, mais il ne put plus entrer
en religion. Il fit alors cette réflexion : « Mon père, l’ancien
roi, a été englouti vivant dans la terre, bien qu'il fût
entré en religion ; si je continue à gouverner le monde,
je me rendrai derechef coupable d’un grand crime; en
quel endroit donc dois-je aller ? » Au moment où il faisait
(1) On ne trouve pas mention de cette curieuse formule dans la des-
cription que donne de l’immolation Julius Schwab (Das altindische Thie-
ropfer, Erlangen 1886, p. 103-105). Elle est cependant bien conforme à
l'idée rituelle que les sacrifiants cherchent à décliner la responsabilité
du meurtre de la victime.
dos. 5 A S. F
TA TCHE TOU LOUEN (N° 490) 289
cette réflexion, il entendit dans les airs une voix qui lui
disait : « Si vous voyez en marche un endroit comme
il y en a peu et comme il est difficile d’en rencontrer un
pareil, c’est là que vous devrez établir votre résidence. »
Quand cette parole eut été dite, la voix se tut. À peu de
temps de là, étant sorti pour chasser dans la cam-
pagne, le roi aperçut un cerf qui fuyait rapide comme le
vent ; il s'élançca sur ses traces sans pouvoir l’atteindre;
comme il le poursuivait sans relâche, aucun des officiers
de son escorte ne put rester avec lui. S'avançant ainsi de
lieu en lieu, il aperçut un endroit où cinq montagnes for-
maient un cirque escarpé et bien défendu; le sol y était
uni et produisait des herbages fins et moelleux; de belles
fleurs couvraient la terre; il y avait là des bois de toutes
sortes d’essences d'arbres où les fleurs et les fruits crois-
saient en abondance; des sources douces et des étangs
frais montraient partout leur pureté; cet endroit était
merveilleux; de toutes parts on y répandait des fleurs
célestes et des parfums célestes et il y avait les diver-
tissements d’une musique céleste. Quand les musiciennes
des gandharvas virent venir le roi, elles se retirèrent
toutes. (Le roi pensa) : « Ce lieu est un emplacement comme
il y en a peu et je n’en ai jamais vu de tel. C’est bien là
que je dois établir ma résidence. » Quand il eut fait cette
réflexion, tous ses ministres et ses officiers, qui avaient
suivi ses traces, arrivèrent. Le roi leur déclara : « La voix
que j'ai entendue auparavant dans les airs m'avait dit: Si
vous voyez en marche un endroit comme il y en a peu et
comme il est difficile d’en rencontrer un pareil, c’est là
que vous devrez établir votre résidence. Or maintenant
je vois ce lieu qui est un emplacement comme ilyena
peu; c’est là que je dois établir ma résidence. » Alors il
abandonna la ville où il demeurait auparavant et se fixa
dans ces montagnes. Ce fut ce roi qui le premier s'établit
là, et, à partir de lui, ses successeurs les uns après les
ue 19
290 TA TCUE TOU LOUEN (N° 490-491)
autres y demeurèrent, Comme ce roi y avait tout d'abord
fait élever un palais pour y résider, de là vint le nom de
Ville de la résidence royale.
N°97;
(Origine du nom de Cäripultra.)
(Frip. XX, A, pp. 70:v?-71 Pr)
Question : D'où vient le nom de Chô-li-fou (Càriputra) ?
Est-ce un nom qui fut donné (à Câriputra) par son père
et sa mère, ou bien est-ce un nom qui vient de quelque
action méritoire qu'il aurait accomplie ?
Réponse : C’est un nom qui lui fut donné par son père et
sa mère (1). Dans le Yen-feou-fi (Jambudvipa), dans la
(région) la plus fortunée, se trouve le royaumede Mo-k'ia-l'o
(Magadha) ; là est une grande ville nommée Wang-chô
(Râjagrha); il y avait là un roi nommé P’in-p'o-so-lo (Bim-
bisâra) et un brahmane, maitre dans l'art de la discussion,
nommé Mo-lo-lo (Mathara). Parce que cet homme était
fort habile à discuter, le roi lui avait donné en apanage
une bourgade située non loin de la capitale. Ce Mo-Fo-lo
se maria alors et sa femme mit au monde une fille ; comme
les yeux de cette fille ressemblaient à ceux de l'oiseau
chô-li (câri, le héron), on la nomma donc Çâri; ensuite,
la mère mit au monde un fils dont les os des genoux
étaient fort gros et c’est pourquoi on le nomma Æiu-hi-lo
(Kosthila) (2). Après que ce brahmane se fut marié, il
(1) Comme le prouve la suite de l'histoire, il faut lire au contraire: « Ce
n'est pas un nom qui lui ait été imposé par sesparents. »
(2) Ce nom de Kosthila,'que les Chinois expliquent comme signifiant
«aux gros genoux », a été rendu en tibétain par l'expression gsus-po-che
TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 291
s’occupa à élever son fils et sa fille; il oublia tous les
livres sacrés qu'il avait étudiés et il ne s’appliqua pas à
acquérir des connaissances nouvelles.
En ce temps, dans l'Inde du sud, il y avait un brahmane,
grand maître dans l’art de la discussion, qui se nommait
T'i-cho (Tisya); il avait pénétré à fond les dix-huit sortes
de grands livres sacrés. Cet homme arriva dans la ville de
la résidence royale (Râjagrha); sur sa tête il portait une
lumière (1) et son ventre était recouvert de feuilles de
cuivre (2); comme on lui demandait la raison de cette
seconde particularité, il répondit : « Les livres sacrés
que j'ai étudiés sont extrêmement nombreux; aussi ai-je
lieu de craindre que mon ventre n’éclate et c’est pourquoi
je l’ai bardé de métal. » Comme on lui demandait encore
pourquoi il portait une lumière sur la tête, il répondit
que c'était à cause de la grande obscurité. « Mais, lui
répliqua la foule, le soleil a paru et nous éclaire; pourquoi
parlez-vous d'obscurité ? » Il répondit: « Il y a deux sortes
d'obscurité; l’une se produit quand la lumière du soleil
ne nous éclaire pas; la seconde est le mal qui provient
des ténèbres de la stupidité. Maintenant, quoiqu'il y ait la
clarté du soleil, les ténèbres de la stupidité sont encore
profondes. » La foule reprit : « N’avez-vous donc pas vu
le brahmane Mo-fo-lo ? Si vous le voyiez, votre ventre se
comprimerait et votre lumière s’obscurcirait ». Quand ce
brahmane eut entendu ces paroles, il se dirigea vers le
tambour qui appelle à la discussion et le fit résonner.
Quand le roi entendit ce bruit, il demanda qui en était
l’auteur. Ses ministres lui répondirent:« C’est un brahmane
de l'Inde du Sud nommé T'i-chô, qui est un grand maître
qui signifie « grand ventre » ; dans ce sens on a rattaché le nom de
Kosthila au mot kostha « intestin, ventre ».
(1) Le thème du brahmane qui porte une lumière en plein jour se re-
trouve dans notre n° 121. Voyez les notes relatives à ce conte dans notre
table analytique.
(2) Cf. Hiuan-lsang (Mémoires, tr. Julien, t. IF, p. 85).
292 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491)
dans l’art de la discussion: il désire demander un sujet de
discussion et c’est pourquoi il a frappé sur le tambour. »
Le roi en fut joyeux ; il réunit aussitôt les hommes sages
et leur dit : « Que celui qui est capable de l’embarrasser
discute avec lui. »
Quand Mo-lo-lo fut informé de cela, il se défia de ses
forces, car il disait : « Jai tout oublié et je ne me suis pas
occupé d'acquérir des connaissances nouvelles. Je ne sais
si je suis capable de soutenir une discussion. avec cet
homme. » Il vint cependant en se faisant violence; en che-
min, il vit deux taureaux qui luttaient à coups de cornes; il
fit en lui-même cette réflexion: «Ce bœuf-ci, c’est moi; ce
bœuf-là, c'est cet autre homme. J'en tirerai un présage
pour savoir qui sera vainqueur. » Ce fut le premier bœuf
qui fut vaincuet Mo-fo-lo en conçut une grande tristesse,
carilse disait: « D’après-ce présage, c'est moi qui serai vain-
cu.» Au moment où il allait entrer dans la foule, il vit une
matrone qui tenait une cruche d’eau et qui se trouvait
droit devant lui ; elle buta contre le sol et cassa sa cruche ;
il songea derechef : « Cela non plus n’est pas de bon au-
gure », et il fut extrêmement peu satisfait.Quand il fut entré
dans la foule, il aperçut le maître dans l’art de discuter dont
la figure et l'aspect avaient toutes les marques du triomphe.
Il reconnut alors qu'il serait vaincu, mais, comme il ne
pouvait faire autrement, il accepta de discuter avec lui.
Dès que la discussion fut engagée, il tomba dans la situa-
tion de celui qui a le dessous.
Le roi, très joyeux, pensa: « Un homme intelligent
doué d’une grande sagesse est venu de loin dans mon
royaume. » Il voulait lui donner en apanage une bour-
gade ; mais ses ministres lui adressèrent des remon-
trances, disant: « Si, parce qu'un homme intelligent est
venu, vous lui donnez aussitôt en apanage une bourgade
tandis que vous ne récompensez pas vos ministres qui
vous ont bien servi, et si vous réservez toutes vos faveurs
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TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 293
à ceux qui discutent, nous craignons que ce ne soit pas là
une conduite propre à assurer le calme du royaume et le
salut de votre famille. Maintenant Mo-lo-lo a été vaincu
dans la discussion ; il vous faut lui enlever son apanage et
le donner à celui qui a triomphé de lui. S'il se présente
ensuite un autre homme qui remporte à son tour la vic-
toire, on lui donnera derechef ce même apanage. » Le
roi suivit ce conseil et enleva à Mo-Fo-lo son apanage,
pour le donner à l’homme qui était venu en dernier
lieu.
Alors Mo-Fo-lo dit à T'i-chôü: « Vous êtes un homme
intelligent ; je vous donne ma fille en mariage ; mon filslui
sera adjoint. Quant à moi, je désire me retirer au loin
dans un royaume étranger pour y poursuivre mes propres
projets. » T'i-chô prit donc cette fille pour épouse.
Cette femme, étant devenue enceinte, vit en songe un
homme qui, portant une cuirasse et un casque et tenant
en main un foudre (vajra), broyait les montagnes ordi-
naires et se tenait debout à côté d’une haute montagne.
Quand elle se réveilla, elle raconta à son mari le rêve
qu’elle avait fait. T’i-chô Lui dit : « C’est le signe que vous
engendrerez un fils qui écrasera tous les maîtres dans
’art de la discussion ; il n’y aura qu'un seul homme qu’il
ne pourra pas vaincre etil deviendra son disciple. »
Pendant la durée de sa grossesse, Cho-li, à cause du fils
qu’elle portait en elle, devint elle-même intélligente et fut
fort habile à discuter. Chaque fois que son frère cadet Xiu-
hi-lo (Kosthila) discutait avecelle, il sortait vaincu du débat;
il se dit : « Le fils que ma sœur porte en elle est assurément
d’une haute intelligence ; s’il se montre tel avant même
d’être né, que sera-ce quand il aura été mis au monde?»
Alors Xiu-hi-lo abandonna sa famille, se livra à l'étude et
se rendit dans l'Inde du Sud ; il ne se coupa plus les ongles
des mains avant d’avoir lu les dix-huit sortes de livres sa-
crés et d’en avoir la complète maîtrise ; c’est pourquoi les
294 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491-492)
gens de ce temps le surnommèrent le Brahmane aux longs.
ongles (Dirghanakha) (1).
Sept jours après que le fils de sa sœur fut né, on l’enve-
loppa dans une pièce de coton blanc pour le montrer à
son père ; celui-ci fit cette réflexion : « Je me nomme 7’i-
cho ; (cet enfant) chassera mon nom; je le nomme done
Yeou-p'o-Pi-chàü (Upatisya, celui qui chasse T’i-chô.)
Telest le nom que donnèrent à cet enfant ses parents.
Mais les autres hommes, tenant compte de ce que c'était
Cho-li qui l'avait enfanté, le nommèrent tous d’un com-
mun accord Cho-li-fou (Çâriputra, fils de Çäri).
Par suite, grâce aux vœux antérieurs qu'il avait faits
dans plusieurs existences successives, Chü-li-fou devint
auprès de Che-k'ia-wen-ni(Cäkyamuni) Le premier des dis-
ciples pour la sagesse ; son nom fut Chü-li-fou; ce nom lui
vient donc des causes que constituent ses vœux antérieurs.
Voilà pourquoi on l’a appelé Chü-li-fou.
Question : «Pourquoi ne dit-on pas Yeou-p'o-Fi-chô (Upa-
tisya) et se borne-t-on à dire Chü-li-fou (Câriputra) ? »
Réponse : « Les gens d’alors honoraient fort sa mère
(Câri) qui était la plus intelligente de toutes les femmes et
c'est pour cette raison qu'ils ont nommé (cet homme) Chü-
li-fou (Câriputra). »
N° 492.
(Trip EX A bp: 09 V0)
Le roi d’un royaume avait une fille nommé Æiu-meou-
l'eou. Un pêcheur, nommé Chou-p'o-k'ia, qui allait sur la
route, aperçut de loin la fille du roi qui était sur une tour
(1) Voyez dans l'Avadäna-Çataka, (trad. Feer, Annales du Musée Guimet,
t. XVIII, pp. 418-430) l'avadäna intitulée « Dirghanakha. »
= : |
_ PC EE
TA TCHE TOU LOUEN (N° 4992) 295
élevée et il vit son visage dans l’encadrement d'une fe-
nêtre. Sa pensée resta toute pénétrée de cette image et
son cœur ne put s’en détacher un seul instant; cela ne fit
que s’accroitre de jour en jour et de mois en mois ; il en
perdit le boire et le manger. Sa mère lui ayant demandé
quelle en étaitla cause, il lui répondit en lui révélant ses
sentiments : « Depuis que j'ai vu la fille du roi, mon cœur
ne peut plus l'oublier. » Sa mère lui fit des remontrances
en lui disant: « Vous êtes un homme de peu et la fille du
roi est d’une condition très élevée ; vous ne sauriez l’obte-
nir. » Son fils répliqua: «Je voudrais pouvoir me distraire,
mais je ne saurais oublier un instant la princesse ; si mes
désirs ne peuvent être réalisés, il m'est impossible de
vivre.»
Pour agir en faveur deson fils, la mère se rendit au palais
royal; elle y apportait constamment de gros poissons et de
la viande excellente qu’elle offrait à la fille du roi sans
vouloir prendre aucune rétribution. La fille du roi s'en
étonna et lui demanda quel était l’objet deses désirs. La
mère lui répondit qu’elle la priait d’éloigner les assistants
et qu’elle lui exposerait ses sentiments; (après quoi, elle
dit:) «J'ai un fils unique qui vous aime respectueusement,
Ô fille du roi; sa passion est si forte qu’il en est tombé
malade”; sa destinée ne semble plus devoir être longue ;
je voudrais que vous lui accordiez une pensée compatis-
sante etque vous lui rendiez la vie. » La fille du roi lui
répondit : « Le quinzième jour du mois, qu'il aille se placer
derrière la statue du dieu dans le sanctuaire de telle divi-
nité. » La mère revint annoncer à son fils : « Vos vœux
sont réalisés »; puis elle l’avertit, conformément à ce qui à
été dit plus haut, de se baigner, de se revêtir de vêtements
neufs et de se tenir derrière la statue du dieu.
Quand le moment fut venu, la princesse dit au roi son
père: « Je suis sous une influence néfaste ; il faut que
j'aille dans le sanctuaire du dieu pour y demander un bon-
296 TA TCHE TOU LOUEN (N° 492)
heur propice.» Le roi y ayant consenti, elle sortit avec
un cortège de cinq cents chars et se rendit au temple du
dieu. Quand elle fut arrivée, elle donna cet ordre à ceux
qui la suivaient : «Restez rangés devant la porte ; j'entre-
rai seule dans le sanctuaire du dieu. »
Cependant le dieu fit cette réflexion: « Cette chose est
inconvenante ; ce roi est mon bienfaiteur (dânapati) ; je ne
saurais permettre que cet homme de peu déshonore sa
fille. » Aussitôt donc il accabla de fatigue cet homme et le
fit s'endormir sans qu’il pûtse réveiller. Quand la fille du
roi fut entrée et eut vu qu'il dormait, elle le secoua à plu-
sieurs reprises sans parvenir à lui faire reprendre ses
sens ; alors elle lui laissa un collier d’une valeur de cent
mille onces d’or et partit. Quand elle fut partie, cet homme
putse réveiller et apercut le collier ; il interrogea les gens
qui étaient là et sut que la fille du roi était venue ; n'ayant
put obtenir la satisfaction de ses désirs, il en conçut un
chagrin profond ; le feu de la passion éclata au dedans de
lui et il mourut consumé.
Par cet exemple on peut savoir que le cœur des femmes
ne fait pas de distinction entre ceux qui sont élevés en
dignité et ceux qui sont de basse condition et qu'il se
laisse guider seulement par ses désirs sensuels.
ne RS à
EXTRAITS DU TCH'OU YAO KING
N° 495.
(Trip., XXIV,5, pp. 62 v°-63 v°.)
Autrefois, Chan-jong, (Excellent visage) (2), frère du roi
A-yu (Açoka), était sorti de la ville pour aller chasser ;
étant entré au plus profond des montagnes, il vit des brah-
manes qui, le corps nu, s’exposaient au soleil et à la pluie
afin de devenir des bienheureux ; ils épuisaient leur es-
prit et accablaient de peines leur corps dans l'espérance
d'obtenir la félicité brahmique ; ils se nourrissaient de
feuilles d'arbres ; ceux d’entre eux qui avaient les meil-
leures dispositions d’esprit et qui étaient les plus coura-
geux ne mangeaient qu'une seule feuille par jour ; ceux
qui étaient les moins énergiques mangeaient sept feuilles
par jour ; parmi les autres, il y en avait qui mangeaient
SiX, OU Cinq, ou quatre, ou trois, ou deux feuilles (3).
Ceux qui mangeaient sept feuilles buvaient sept gorgées
d’eau ; ceux qui mangeaient six feuilles buvaient six gor-
gées ; de même, il y avait ceux qui buvaient cinq, ou qua-
tre (4), ou trois, ou deux gorgées, ou une seule. Quand ces
(1) Le Tch'ou yao king est un commentaire du Dhammapada qui fut com-
posé par le bodhisattva Fa-k'ieou (Dharmatrâta), oncle de P'o-siu-mi (Va-
sumitra). Le manuscrit fut apporté en Chine par le cramana du Xi-pin
(Cachemir) Seng-k'ia-po-tch'eng (Samghabhèti) en l’année 383. Il fut traduit
en chinois en 398 p. C. par Samghabhüti lui-même, assisté de Tchou Fo-
nien (cf. Nansio, Catalogue, app. II, n°° 54 et 58). Voyez l'analyse de la
préface de 399 donnée par Nanyio (Calalogue, n° 1321).
(2) Dans le « Didyâvadâna », ce personnage est appelé Vitàcoka.
(3) Le texte ajoute « ou une seule feuille »; mais le cas de ceux qui ne
mangent qu’une seule feuille par jour a déjà été envisagé plus haut.
(4) Le texte omet le nombre quatre,
298 TCH'OU YAO KING (N° 493)
brahmanes ne trouvaient pas d’eau, ils aspiraient sept fois
de l'air, ousix fois, ou quatrefois, ou troisfois, ou deuxfois,
ou une fois, suivant le nombre correspondant de gorgées
d'eau. Parmi ces brahmanes, il y en avait qui couchaient
sur les épines des broussailles ; d’autres couchaient sur
un tas de cendres chaudes ; d’autres, sur la pierre ; d’autres,
dans un mortier. Chan-jong, frère cadet du roi, demanda
à ces brahmanes : « Quand vous vous livrez ici aux prati-
ques de la sagesse, de quoi souffrez-vous le plus-? » Les
brahmanes répondirent : « Sachez, Ô prince, que, lorsque
nous nous livrons ici aux pratiques de l’ascétisme, notre
seule peine est celle-ci : des cerfs et des biches viennent
ici en troupeaux et s’accouplent deux à deux ; alors nos
désirs sensuels se rallument sans que nous puissions
l'empêcher. »
Quand le prince eut entendu cette réponse, il conçut
une mauvaise pensée (et se dit) : « Ces brahmanes fati-
_guent leur esprit et accablent de peines leurs corps; ils
s’exposent à l’ardeur du soleil et se brülent par le feu;
leur racine de vie est si précaire qu’on ne sait plus si elle
est ou si elle n’est pas ; cependant leurs désirs sensuels
ne sont pas encore entièrement supprimés. Or, les çra-
manas, fils de la race de Câkya, mangent d’excellentes
nourritures, s'installent sur de bons lits, se vêtent d’ha-
bits confortables, se parfument avec des fleurs odorantes;
comment pourraient-ils n'avoir pas des pensées de débau-
che ? » |
Quand le roi A-yu (Açoka) fut informé des opinions ex-
posées par son frère cadet, il en conçut un profond cha-
grin, car il se disait : « Je n’ai que ce seul frère cadet qui
doit avoir part au même bonheur que moi; comment se
pourrait-il faire qu'il ait des idées hérétiques ? Il faut que
je trouve quelque moyen de lui enlever ces mauvaises
pensées. S'il recevait la punition que celles-ci méritent,
moi-même je serais fort coupable. » Il entra alors dans son
TCH'OU YAO KING (N° 493) 299
palais et ordonna à toutes les musiciennes de sa suite de
se parer et d'aller chez le prince Chan-jong pour se livrer
à la joie avec lui. Il prévint ensuite ses ministres en leur
disant : « J'ai fait un projet. Quand je vous ordonnerai de
mettre à mort le prince Chan-jong, adressez-moi des re-
montrances en m'invitant à lui accorder un délai de sept
jours au bout desquels vous promettrez de le tuer confor-
mément à mes ordres. »
Les femmes de la suite du roi allèrent donc (chez le
prince Chan-jong) pour s’y livrer aux plaisirs. Mais, peu
après, le roi survint en personne et ditau prince : « Com-
ment avez-vous pu prendre mes musiciennes et mes con-
cubines pour vous amuser avec elles à votre fantaisie » ?
Dans un transport de colère redoutable, il jeta en l’air son
disque (Cakra) et donna cet ordre à ses principaux minis-
tres : « Ne savez-vous pas que je ne suis point encore affai-
bli par l’âge et qu'aucun brigand du dehors ou ennemi
puissant n'est venu envahir mon territoire ? Or, j'ai en-
tendu dire que les sages de l’antiquité avaient ce dicton :
Tant qu’un homme a du bonheur, les pays compris à l’in-
térieur des quatre mers se soumettent à lui; mais, quand
sa part de bonheur est épuisée et que sa vertu a diminué,
même ceux qui sont pour lui comme ses coudes et ses
aisselles se révoltent et s’éloignent. Si je considère l’état
de choses présent, un tel changement ne s’est pas encore
produit. Cependant monfrère cadet Chan-jong a attiré à lui
mes musiciennes etmes concubines; il a manifesté qu'il se
laissait aller à ses passions et obéissait à ses fantaisies. Si
je le tolère, existerai-je encore ? Vous donc, prenez le prince
et menez-le sur la place publique pour le faire périr. »
Ses ministres lui adressèrent des remontrances, disant :
« Veuillez, 6 grand roi, prêter l’oreille aux paroles de vos
humbles sujets. Vous n'avez maintenant que ce seul frère
cadet ; d'autre part, vous n'avez aucun jeune fils qui soit
capable de vous succéder. Nous souhaitons que vous accor-
300 TCH'OU YAO KING (N° 493)
diez un délai de sept jours au bout duquel nous mettrons
à exécution l’ordre royal. » Le roi accéda alors par son
silence aux représentations de ses sujets. Puis, faisant mon-
tre de bienveillance, le roi donna cet ordre à ses minis-
tres : « J’autorise maintenant le prince à se revêtir de mes
vêtements, à porter la couronne céleste, à avoir une ma-
jesté égale de tous points à la mienne. Tout ce qu'il y a
dans mon palais de chanteuses et de musiciennes se diver-
tiront avec lui. » D'autre part, il donna cet ordre à un de
ses officiers : « À partir d'aujourd'hui, mettez votre cui-
rasse et prenez vos armes ; tenez à la main une épée af-
filée et allez dire au prince Chan-jong : « O prince, ne
savez-vous pas qu’au bout de sept jours, le terme arrivera
Livrez-vous donc de toutes vos forces aux satisfactions des
cinq sens et réjouissez-vous ; si vous ne le faites pas main-
tenant, quand vous serez mort les regrets seront inutiles. »
Lorsqu'un jour fut passé, cet officier alla derechef dire
au prince : « Il n’y a plus que six jours ». Il en fut de
même à chaque jour successif et alors cet officier alla dire
au prince : « Prince, il vous faut savoir que six jours sont
écoulés. Il ne reste plus que le jour de demain et alors il
vous faudra aller à la mort. Abandonnez-vous de toutes vos
forces à vos passions et donnez-vous les satisfactions des
cinq sens. »
Quand le septième jour fut venu, le roi fit mander le
prince par un émissaire et lui dit : « Eh bien, prince, pen-
dant ces sept jours, tous vos désirs ont été satisfaits ; n'y
avez-vous pas trouvé grand plaisir ? » Le frère cadet du
roi répondit à celui-ci : « O grand roi, sachez que je n'ai
rien vu et rien entendu. » Le roi reprit : « Vous étiez vêtu
de mes vêtements et de mes ornements; je vous avais
introduit dans mon harem pour que vous vous y divertis-
siez avec une foule de musiciennes ; je vous ai nourri de
mets excellents ; comment pouvez-vous me mentir en face
en disant que vous n'avez rien vu ni rien entendu ? » Le
L]
TCH'OU YAO KING (N° 493) 301
frère cadet du roi répondit à celui-ci . « Le condamné à
mort, même avant que sa vie ait pris fin, ne diffère pas
d’un homme mort. Comment trouverait-il son plaisir dans
les satisfactions des cinq sens et comment ses pensées se
plairaient-elles à des vêtements et à des ornements ? »
Le roi adressa alors ces paroles à son frère cadet : « Hé!
Voici ce que j'ai à vous apprendre : Maintenant, n'ayant
qu’un seul corps, vous avez éprouvé cent sortes d’inquié-
tudes ; parce que ce seul corps allait périr, vous n'avez
plus pu jouir ni de la nourriture ni du repos. Or les çra-
manas, enfants de la race de Câkya, sont tourmentés par la
pensée que dans le passé, le présent et l’avenir, dès qu’un
de leurs corps sera mort, ils recevront un autre corps et
que, pendant des myriades de millions de générations, leurs
corps successifs éprouveront des souffrances ; à combien
plus forte raison, quand ils réfléchissent à ces peines,
n'auront-ils pas leur esprit consumé de chagrin ? Parfois
ils songent qu’ils entreront dans les enfers pour y subir
des tortures sans limites ; même s'ils en sortent pour reve-
nir en quelque autre condition parmi les hommes, ils nai-
tront peut-être dans une famille pauvre où les vêtements
et la nourriture leur feront défaut. C’est en pensant à toutes
ces misères qu'ils sont sortis du monde pour entrer en
religion, qu’ils cherchent à atteindre au but essentiel qui
est d'échapper au monde sensible pour arriver au non-
composé (wou-wet). Mais ils savent que, s'ils ne font pas
des efforts assidus, ils retomberont dans les peines qu’ils
auront à subir à travers la multitude des kalpas. »
Alors le prince s’avança et dit au roi : « Maintenant que
j'ai recu vos instructions, mon intelligence s’est ouverte ;
la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont véri-
tablement des tourments intolérables ; les chagrins et les
souffrances ont un cours ininterrompu; mon seul désir, Ô
grand roi, est que vous me permettiez d'entrer en religion,
pour que je m’applique à pratiquer la conduite brahmique. »
302 TCH'OU YAO KING (N° 493-494)
Le roi répondit à son frère cadet : « Sachez que le mo-
ment est venu. » Le prince prit donc congé du roi, sortit
du monde et devint cramana ; il recut de ses maîtres l’en-
seignement de la sincérité et, jour et nuit, il s’y appliqua
sans relâche. Puis il parvint à la conviction et atteignit le
fruit de srotäpanna et le fruit d’arhat ; la compréhension
pure des six pénétrations (abhijñâs) lui fut impartie sans
aucune restriction.
C’est à des cas comme celui-ci que s'applique le dicton :
celui-ci qui va de crainte en crainte n’a guère de joie (1).
N° 494.
(Trips XX ENV 5, pp:4106 4107 r.)
Autrefois, dans le royaume de ÆX1-pin (Cachemir), dans
le village de Æiu-sieou-na-lo (Kusunara) (2), il y avait un
homme qui se plaisait à rendre service à de méchants im-
posteurs ; en ce lieu il y avait un temple appelé P’o-p'an-na
(bhavana) (3), où se trouvait un bhiksu qui constamment
offrait de l’eau pure à la multitude des religieux ; ce
bhiksu désira rendre manifeste les tromperies (dont était
victime cet homme sus-nommé et il résolut de) feindre
lui-même d’être comme un de ces imposteurs. Il ras-
sembla les bhiksus de l’a-lien (aranya, ermitage) tous
revêtus de la robe qui est constituée de cent morceaux et
(1) Suit la description des tourments qui atteignent les hommes débau-
chés dans cette vie et après la mort.
(2) Ce nom de lieu pourrait avoir quelque rapport avec le nom de ja
rivière actuelle de Kunhar, qu'Alberuni cite sous la forme Kusnäàri (Stein,
Räjatarangint, vol. II, p. 361).
(3) Bhavana (demeure) semble avoir été le nom habituel des temples au
Cachemir; cf. l'Amrtabhavana cité dans la Rjalarangint (tr. Stein. vol. IIT,
p. % et dans Wou-k'ong sous !a forme A-mi-lo po-wan fn 58 PE JK
id (cf. Stein. Räjalarangini, vol. II, p. 457).
De PL TR ©
L'.
CR SE
TCH'OU YAO KING (N° 494) 303
qui a tout autant de couleurs ; il se rendirent dans ce vil-
lage et eurent une entrevue avec cet homme. Après qu'ils
se furent réciproquement demandé de leurs nouvelles,
chacun des bhiksus s’assit de côté; cet homme, versant
des larmes et prosterné de tout son corps sur le sol, dit à
ces religieux: « D'où êtes-vous venus pour vous rendre
dans ma pauvre demeure ? » Les uns répondirent qu’ils
venaient de l’étang des lotus (1); d’autres, de quelque
pays étranger ; d’autres encore, des montagnes des rsis
divins. Cet homme éprouvant pour eux beaucoup d'affec-
tion et de respect, invita aussitôt les bhiksus en les priant
de venir manger le lendemain dans son humble demeure.
Les bhiksus lui répondirent : « Si nous sommes venus ici,
c'est précisément à cause de vous seul ; maintenant, puis-
que nous vous avons rencontré, comment accepterions-nous
l'invitation de quelque autre homme (2) ? Quant à vous, si
vous désirez chercher à acquérir les bénédictions excel-
lentes et le champ productif de bonheur qui sont le prin-
cipe du salut des hommes, grâce à cette promesse que
vous venez de faire (3), personne ne pourra y réussir mieux
que vous. » Cet homme alors resta dans sa demeure et
ordonna à ses divers serviteurs de disposer promptement
toutes sortes de mets excellents à boire et à manger, en
leur disant: « Une réunion de religieux, hommesdivins, se
tiendra dans ma maison; je désire leur donner à manger. »
Quand le moment fut arrivé, tous les bhiksus firent la dé-
claration suivante au maître de maison : « O homme sage,
savez-vous bien ceci? Nous autres, nous passons notre
vie à étudier depuis déjà plusieurs années; dans notre
conduite religieuse et dans tous nos actes, nous nous
(1) L'étang des lotus n’est autre que le lac Volur dont le nâga Padma (lo-
tus) était la divinité tutélaire (Räjatarangini, chant I, vers 30; CHAVANNES,
Documents sur les Tou-kiue occidentaux, p. 167).
(2) En d'autres termes, nous acceptons votre invitation à l'exclusion de
toute autre,
(3) La promesse d'inviter les religieux.
304 TCH'OU YAO KING (N° 494)
conformons toujours à des règles ; dans notre manière de
pratiquer la sagesse pendant les six heures de la journée,
nous ne sommes pas d'accord avec l’usage vulgaire ; nous
avons l'intention et le désir de nous conduire religieuse-
ment depuis l'aube jusqu’au soir et depuis le soir jusqu’au
jour ; ce n’est qu'au moment où le soleil fait son appari-
tion que nous pouvons mangersans enfreindre la règle. »
Le président de cette assemblée vint alors dire au dâna-
pati: « Moi seul on me nomme: celui qui mange dès qu’il
est assis. Tous les mets que vous nous donnez à manger,
ainsi que les fruits, apportez-les tous à la fois ; je pronon-
cerai un vœu magique. » En entendant ces mots, le dâna-
pati se mit à sauter de joie sans pouvoir dominer son con-
tentement ; il disposa toutes sortes d'aliments à boire et
à manger et les jeta dans le bol (de ce religieux) ; en outre
il mit les fruits au-dessus ets’avança pour recevoir le vœu
magique ; puis il fit encore au président une offrande spé-
ciale de gâteaux de beurre et de farine mêlée avec du miel.
Il espérait que, lorsque ce religieux aurait fini de manger,
ce qu'il aurait laissé dans son bol, lui-même pourrait le
manger etobtiendrait ainsi sûrement le bonheur qui y était
_inhérent. Quand le bhiksu eut reçu la nourriture et eut
prononcé ie vœu magique, il demanda au dänapati : « Avez-
vous encore de doux liquides agréable à boire ? » Le dâ-
napati répondit: « Dans mon humble demeure j'ai plu-
sieurs sortes de liquides (1): liquides de raisins, de canne
à sucre, de sucre candi; toutes ces sortes de liquides, je les
possède ; mais je ne sais, Ô vénérable président, laquelle
il vous faut. » Le religieux répondit : « Tous les liquides
que vous venez d'énumérer, depuis ma naissance je n’en
ai pas bu et ils n’ont jamais passé par ma bouche; le li-
quide que je vous demande c’est un liquide pur et très
doux, qui ait été conservé pendant plusieurs années sans
(1) Les liquides qu'il va énumérer sont des liqueurs non fermentées
dont l'usage est permis aux religieux.
TCH'OU YAO KING, (N° 494) 308
que son goût ait changé (1); voilà ce que je boirais bien ».
Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il s'en étonna
fortetse dit: « Hé! Hé! quel malheur produit ces évé-
nements bizarres ; si j'avais eu cette pensée (de faire une
offrande), c'est parce que je supposais que ces religieux
avaient tous obtenu les six pénétrations, pures facultés des
arhats. Maintenant quand je considère comment ils se
conduisent, ce sont vraiment de grands voleurs. » Le dâ-
napati dit alors au religieux : « Depuis ma jeunesse le vin
n’a pas passé par ma bouche ; comment me permettrais-je
de présenter en offrande du vin à un religieux.» Le reli-
gieux prit alors une pièce de monnaie parmi ses chou-la
(çaläkà) (2) et dit au dânapati: « Si vous n'avez pas de vin
chez vous, prenez cette pièce de monnaie et allez m’en
acheter. » Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il
se boucha les oreilles avec ses mains en s’écriant : « Oh!
oh! voilà qui est fort étrange. Comment aurais-je pu pen-
ser que ces religieux portaient sur eux de l'argent pour
leur subsistance ? Tous ces gens sont des ai-ti (3);
quels sentiments religieux ont ces prétendus religieux ? »
Il dit alors au religieux : « Chargez quelque autre de
votre commission; je ne suis pas votre serviteur pour que
vous m'ordonniez d'aller acheter du vin dans la boutique
où on en vend. O religieux lai-li, je n'étais pas d’abord
bien informé et c’est pourquoi je suis tombé dans votre
piège ; mais dorénavant je ne me laisserai plus jamais
tromper par vous.» Le bhiksu lui répondit : « Cessez
cessez, Ô dânapati, et ne proférez plus de telles calomnies.
Si nous sommes venus ici, C'est parce que nous voulions
éclairer votre intelligence ; à plusieurs reprises jusqu’à
(1) Un liquide conservé est un liquide fermenté,
(2) Ce mot pourrait être la transcription du terme « çalàkâ » désignant
les bons de nourriture qu'on donnait aux moines; le religieux a, contrai-
rement à la règle, des pièces de monnaie dissimulées parmi ces bons.
(3) Ce terme doit signifier « vaurien » ou quelque chose d’approchant,
ITL, 20
306 TCH'OU YAO KING (N° 494)
maintenant vous avez dépensé vos richesses pour faire des.
libéralités sans rencontrer celui qui les méritait. O dâna-
pati, si vous voulez bien me préter attention, écoutez
l'anecdote que je vais vous raconter. » L'autre ayant.
donné son approbation et exprimé son désir de lentendre,
(le bhiksu dit) :
« Écoutez donc bien. Il y avait une fois un excellent
archer ; quand il tirait sur un poil à cent pas de distance,
parfois il l’atteignait; mais parfois il allait trop haut, ou
trop bas, ou trop à gauche, ou trop à droite et n’atteignait.
pas son but; au contraire, quand la terre lui servait de
but et qu'il tirait sur elle, que ses flèches allassent en
haut ou en bas, à l'est ou à l’ouest, au sud ou au nord,
elles atteignaient toujours le but et ne manquaient jamais
laterre. Maintenant, cette grande assemblée (de religieux)
est, elle aussi, comparable (à la terre); si on ne choisit pas
celui à qui on fait des libéralités, on ne peut manquer de
rencontrer l’homme qui en est digne; si, au contraire on
choisit l’homme à qui on fait des libéralités, parfois on
rencontre celui qui en est digne, mais le plus souvent on
fait des dépenses inutiles sans en tirer aucun profit. Dans
la grande assemblée, les quatre fruits (de la sainteté) se:
trouvent au complet ; les quatre paires ou huit catégories.
et les douze sortes de sages y sont tous représentés (1).
Si vous voulez recueillir des joyaux, il vous faut aller
sur la grande mer et vous rendre à la montagne précieuse
Siu-mi (Sumeru) ; de même, si vous désirez trouver
un homme sage, un arhat ayant obtenu la sagesse, il!
vous faut aller dans la grande assemblée. O dânapati,
écoutez-moi bien, je vais vous dire une autre histoire ;
(1) Les quatre fruits (pala) sont les fruits d'arhat, sakrdägàmin, anû-
gâmin et srotäpanna. Les huit catégories de sainteté (âryapudgala) sont
ces même quatre termes dédoublés de façon à former chacun une paire
dont un des aspects est la voie (màärga) et dont l'autre aspect est le fruit
(pala). Quant aux douze sages,leur nombre paraît résulter de la totali-
sation des deux nombres 8 et 4 qui le précèdent.
TCH'OU YAO KING (N° 494) 307
ouvrez votre intelligence pour la recevoir ; l’homme clair-
voyant parvient à comprendre par le moyen des apo-
logues.
« Autrefois, dans ce noble pays, il y avait un voyageur
qui s'était rendu avec un compagnon dans l'Inde du Sud ;
là-bas, il entretint des relations avec la fille d'un magicien
chô-p'o-lo (çavara) ; or, toutes les fois que cet homme cor-
cevait le désir de retourner chez lui, il se trouvait tout à
coup métamorphosé en âne et ne pouvait plus revenir.
Son compagnon lui dit (un jour): « Nous sommes éloignés
de nos familles depuis de nombreuses années et nous
n'avons jamais eu aucune nouvelle de ce qui a pu s’y pas-
ser soit en bien soit en mal. Quel est votre avis ? Désirez-
vous retourner chez vous ? Si vous voulez partir, c’est le
moment de faire des préparatifs. » Cet homme répondit:
« Par suite de mon manque de prévoyance, je me suis
laissé aller à contracter un fâcheux attachement et j'ai des
relations avec la fille d’un magicien ; chaque fois que l’idée
me vient de désirer m'en retourner, elle me métamorphose
en âne ; toute mon intelligence est alors bouleversée ;
le ciel et la terre ne forment plus pour moi qu’un ensemble
confus je ne distingue plus l’est et l’ouest, le sud etle nord,
et c'est pourquoije ne puis parvenir à m'en retourner » Son
compagnon répliqua: « Comment votre sottise peut-elle
être si grande ? Au sommet de ces montagnes du Sud se
trouve une plante appelée {cho-lo-po-lo (talapâla) (1) ; quand
un homme est opprimé par un sortilège, il n'a qu'à man-
ger cette plante médicinale pour reprendre sa forme pre-
mière, » L'autre répondit : « Je ne sais pas distinguer cette
plante; comment la reconnaîtrai-je ? » Son compagnon lui
dit: « Mangez successivement toutes les plantes et il fau-
dra bien que vous rencontriez celle-là. » Cet homme sui-
vit cet avis et se conforma à ces instructions ; quand il fut
(1) La restitution de ce terme sanscrit nous est garantie par le diction-
naire Fan fan yu.
308 TCH'OU YAO KING (N° 494)
changé en âne, il se rendit dans les montagnes du Sud,
mangea sucessivement de toutes les sortes de plantes et
reprit la forme humaine ; il rassembla alors des joyaux
merveilleux et des objets précieux extraordinaires, puis,
avec son camarade, il revint paisiblement chez lui.
« O dânapati, il vous faut savoir que le cas présent est
tout semblable. Les hommes stupides ont une foi qui veut
atteindre son but tout droit et du premier coup ; pour faire
des libéralités, ils recherchent un arhat ayant obtenu la
sagesse, pensant que, dans la journée même, ils pourront
avoir le fruit (de sainteté); mais ils cherchent partout sans
jamais pouvoir le rencontrer. Celui qui désire pouvoir
trouver un arhat vraiment digne (des libéralités qu'on lui
fera) doit le chercher dans la grande assemblée ; en faisant
des offrandes successivement à chacun des membres de
cette assemblée il ne peut manquer de rencontrer des
hommes sages et saints et il obtiendra sans aucun
doute le fruit (de sainteté). »
À
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EXTRAITS DU FA KIU P’I YU KING (1)
N° 495.
(Trip., XXIV, 6, pp. 64 v°-65 r°.)
Autrefois le Buddha se trouvait à Râjagrha (Lo-yue-
iche) dans le Jardin des bambous ; il se rendit avec ses
disciples dans la ville pour y recevoir l’aumône ; quand
il eut fini d'expliquer la Loi, entre trois et cinq heures de
l'après-midi, il sortit de la ville ; sur la route il rencontra
un homme qui poussait devant lui un grand troupeau de
bœufs et qui se disposait à rentrer dans la ville ; gras et
repus, ces bœufs bondissaient et se frappaient les uns les
autres avec leurs cornes; alors l'Honoré du monde pro-
nonça ces stances :
Comme cel homme qui branditl un bâlon — pour con-
duire les bœufs à la boucherie, — ainsi sont la vieillesse el
la mort; — car pour l'homme aussi, après qu'il a élé nourri,
la vie S'en va.
Sur des centaines et des milliers de personnes 1l n’y en a
pas une, — homme ou femme el de quelque famille qu’elle
soit, — qui, après avoir ramassé des richesses, -- ne doive
s’affaiblir et périr.
(1) Le Fa kiu p'i yu king (Nanjio, n° 1353), a été traduit par les cramanas
Fa-kiu et Fa-li entre 265 et 316 p. C. C'est un texte du Dhammapada où
les stances sont accompagnées d’un certain nombre d'avadänas. Sous Île
titre The Dhammapada from the Buddhist Canon, Beal a traduit la partie
versifiée de cet ouvrage; mais il s'est borné à donner des analyses de
quelques-unes des paraboles qui y sont contenues.
310 FA KIU P'I YU KING (N° 495)
Pour les êtres vivants, jour et nuil, — leur vie d'elle-
même se détruil; — l’exlinction produite par la vieillesse —
est semblable à l'infiltration de l’eau dans un trou.
Quand le Buddbha fut arrivé dans le Jardin des bam-
bous, il se lava les pieds et s’assit. Ânanda s’avança alors,
se prosterna et demanda à l’Honoré du monde : « Naguère,
sur la route, vous avez prononcé ces trois stances ; je n’en
ai pas bien vu le sens; je désire que vous me fassiez la
grâce de me les expliquer. » Le Buddha dit à Ânanda :
« Avez-vous vu cet homme qui chassait devant lui un trou-
peau de bœufs ? » Ânanda ayant répondu qu'il les avait
vus, le Buddha reprit : « Ce troupeau de bœufs qui appar-
tient à un boucher comptait au début mille têtes de bétail ;
le boucher charge chaque jour un homme de les mener
hors de ville et de chercher de bonne eau et d'excellents
pâturages afin qu’ils deviennent gros et grands ; puis on
choisit les plus gras d’entre eux et on les lui amène cha-
que jour pour qu’il les tue ; plus de la moitié d’entre eux
ont été ainsi tués ; cependant ceux qui restent ne se sont
aperçus de rien; ils sont justement en train de se donner
des coups de corne, de bondir et de mugir. J’ai été affligé
de leur manque de sagesse et c’est pourquoi j'ai prononcé
ces stances. »
Le Buddha dit à Ânanda : « Comment ne s’agirait-il
que de ces bœufs ? Pour les hommes il en va de même.
Ils ne pensent qu'à leur moi etne connaissent pas l'imper-
manence universelle ; ils satisfont gloutonnement les dé-
sirs de leurs cinq sens et nourrissent bien leur corps; ils
réjouissent leur cœur et donnent toute satisfaction à leurs
désirs ; ils se nuisent les uns aux autres ; jamais ils ne
s'accordent, même provisoirement, eten définitive ils en
arrivent à ne trouver jamais le moment (où ils vivront en
bonne harmonie). Dans leur aveuglement ils ne s’aper-
coivent de rien; en quoi diffèrent-ils de ces bœufs ? » En
ce temps, dans l'assemblée, il y avait deux cents bhiksus
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4
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FA KIU P'1 YU KING (N° 495-496) 311
avides de jouissances, qui, après avoir entendu la Loi,
firent tous leurs efforts pour atteindre les six pénétrations
-surnaturelles et obtinrent la dignité d’arhat. Tous les as-
sistants, émus et joyeux, rendirent hommage au Buddha.
N° 496.
(Frips KV 06; pr 68 1)
Autrefois le Buddha se trouvait dans la montagne
K'i-tou-k'iu (Grdhraküta) de ZLo-yue-iche (Râjagrha). En
ce temps, dans cette ville, il y avait une courtisane nommée
Fleur de Lotus; elle était d’une beauté remarquable et
n'avait pas son égale dans tout le royaume. Tous les
jeunes gens des principales familles la recherchaient et
l’admiraient. Or, un jour, Fleur de Lotus conçut une ex-
cellente pensée ; elle voulut renoncer aux choses de ce
monde et devenir. bhiksunï ; elle se rendit donc dans la
montagne pour aller auprès du Buddha. Avant qu'elle fût
arrivée à mi-chemin, elle rencontra une source d’eau vive ;
Fleur de Lotus but de l’eau et se lava les mains ; elle
aperçut son visage dont le teint était rose et animé, ses
cheveux qui étaient de couleur foncée, les formes de son
corps et de sa figure qui étaient parfaites, tout cela étant
unique et ne souffrant aucune comparaison ; elle se repen-
tit alors et dit : « Quand une personne est née dans le
monde avec un tel corps, comment pourrait-elle renoncer
à elle-même pour se faire çramana ? Il me faut profiter du
moment présent pour satisfaire mes désirs personnels. »
Ayant fait ces réflexions, elle revint sur ses pas.
Le Buddha savait que Fleur de Lotus devait étre con-
vertie et sauvée ; il créa donc miraculeusement une femme
plus belle que toutes les autres et qui même l’emportait
312 FA KIU P’I YÙ KING (N° 496)
plusieurs millions et myriades de fois sur Fleur de Lotus ;
cette femme vint sur le chemin au-devant de Fleur de
Lotus ; quand celle-ci la vit, son cœur fut plein d’amour
et de respect; elle demanda aussitôt à la femme miracu-
leuse d’où elle venait, et où se trouvaient son mari, ses
fils, son père, ses frères ainés et ses parents en ligne mas-
culine et en ligne féminine, comment il se faisait qu’elle
marchait seule et sans personne à ses côtés pour l’accom-
pagner. La femme miraculeuse lui répondit : « Je viens de
la ville ; je désire retourner chez moi; bien que nous ne
nous connaissions pas, ne vaut-il pas mieux que nous re-
venions ensemble, et, quand nous serons arrivés auprès
d'une source, que nous nous reposions en causant ? » Fleur
de Lotus donna son assentiment ; toutes deux donc revin-
rent de compagnie et arrivèrent auprès d’un ruisseau ;
elles bavardèrent sur mille détails. Cependant la femme
miraculeuse éprouva le besoin de dormir, et, appuyant sa
tête sur les genoux de Fleur de Lotus, elle s’endormit ;
au bout d’un instant, soudain sa vie s’interrompit; elle
enfla et exhala une odeur putride ; son ventre creva et des
vers en sortirent; ses dents tombèrent, ses cheveux se
détachèrent, ses membres se disjoignirent. En voyant
cela, Fleur de Lotus fut saisie d’une grande crainte et dit:
« Comment se fait-il qu’une si belle femme soudain ait
subi la loi de l’impermanence ? S'il en a été ainsi pour
elle, comment moi-même pourrai-je me conserver long-
temps? C'est pourquoi donc, il faut que j'aille auprès du
Buddha et que je déploie toute mon énergie pour étudier
la sagesse ». Elle se rendit alors auprès du Buddha et se
jeta à terre tout de son long ; quand elle eut terminé ses
adorations, elle raconta au Buddha tout ce qu'elle avait
vu. Le Buddha dit à Fleur de Lotus : « Il y a quatre choses
en lesquellesl’homme ne saurait mettre son appui ; quelles
sont ces quatre choses? Ce sont : 1° la jeunesse, car elle
doit aboutir à la vieillesse ; 2° la vigueur, car elle doit
PT AO EE ENT EUR PEN VE
FA KIU P’I YU KING (N° 496) 313
aboutir à la mort ; 3° Les joies qu’on éprouve en étant réuni
avec ses parents aux six degrés, car on devra s’en sépa-
rer ; 4° les richesses accumulées, car elles doivent néces-
sairement être dispersées. » Puis l’'Honoré du monde pro-
nonça ces gâthàs : |
Par la vieillesse, la beauté se flétrit ; — par la maladie,
on se détruit soi-même ; — le corps est brisé et se pourrit; —
voilà ce qui arrive quand la vie a pris fin.
Ce corps, quelle en est l'utilité? — Il a constamment des
endroits qui laissent échapper de mauvaises odeurs; — il
est accablé par la maladie ; — il est tourmenté par la vieil-
lesse et par la mort.
Quand on donne satisfaction aux désirs charnels, — la
violation de la Loi s'en trouve augmentée ; — sans même
qu'on voie ou qu'on entende aucun changement, — la vie
humaine manifeste son impermanence (1).
Il n'y a plus alors de fils sur lequel on puisse s'appuyer,
— ninon plus de père ou de frère aîné; — quand on est
serré de près par la mort, — il n'y a point de parent qui
puisse vous secourir.
Ayant entendu la Loi, Fleur de Lotus en comprit avec joie
l'explication ; elle vit que le corps était comme quelque
chose qui se transforme, que la vie ne pouvait pas durer
longtemps. Il n’y a de perpétuel et de calme que la sa-
gesse, la vertu et le Nirvâna. Alors donc elle s’avança et
exprima au Buddha son désir d’être bhiksuni. Le Buddha
l’approuva. Aussitôt les cheveux de sa tête tombèrent
spontanément etelle devintune bhiksunï; elle se plongea
dans la contemplation correcte et obtint la dignité d’arhat.
Tous les assistants, après avoir entendu ce qu'avait dit
le Buddha, furent joyeux.
(1) C'est-à-dire que la mort survient.
314 FA KIU P'I YU KING (N° 497)
N° 497.
(Trip., XXIV, 6, p. 68 r°-v°.)
Autrefois, au sud-est du royaume de Chü-wer (Crâvasti)
il y avait un grand fleuve ; les ondes en étaient profondes
et larges ; plus de cinq cents familles habitaient sur ses
bords; mais elles n’avaient point encore entendu parler de
la pratique de la sagesse et de la vertu qui sauve le monde ;
elles se livraient à des actes de violence et cherchaient
constamment à tromper autrui; elles étaient avides de
gain et s’abandonnaient à toutes leurs passions ; elles
réjouissaient leur cœur et concevaient des désirs immo-
dérés. L’Honoré du monde songeait constamment qu'elles
devaient être sauvées et qu'il lui fallait aller les sauver ;
il savait que ces diverses familles avaient ce bonheur
qu'elles devaient être sauvées. Alors donc le Buddha alla
au bord du fleuve ets’assit sous un arbre ; les gens de ce
village, voyant la marque distinctive de l'éclat du Buddha,
furent émerveillés et il n’y eut aucun d'eux qui ne fût pé-
nétré de respect; tous allèrent lui rendre hommage, les
uns en se prosternant, les autres en le saluant, les autres
en lui demandant de ses nouvelles. Le Buddha leur ordon-
na de s'asseoir et leur expliqua la doctrine deslivres saints;
quand ces hommes l’entendirent parler, ils ne le crurent
point dans leurs cœurs ; ils étaient en effet accoutumés au
mensonge et à la négligence et n’ajoutaient point foi aux
paroles véridiques. Le Buddha créa alors miraculeusement
un homme qui vint du Sud du fleuve ; ses pieds mar-
chaient sur l’eau et c’est tout juste s'il enfonçait jusqu’à la
cheville ; il vint devant le Buddha, se prosterna la tête
contre terre et l'adora; tous les hommes en furent témoins
etiln'y eut aucun d'eux qui n’en füt stupéfait; ils deman-
FA KIU P'I YU KING (N° 497) 315
dèrent à l’homme miraculeux : « Nos familles, depuis nos
premiers ancêtres, demeurent au bord de ce fleuve; or
nous n'avons jamais entendu dire qu'un homme ait mar-
ché sur les eaux; qui donc êtes-vous et quelle est votre
recette magique pour marcher sur les eaux sans enfoncer ?
Nous désirons en savoir l'explication.» L'homme miracu-
leux leur répondit : « Je suis un homme simple et igno-
rant du Sud du fleuve ; ayant entendu dire que le Buddha
se trouvait ici, j'ai été avide de me réjouir de sa sagesse
et de sa vertu ; quand je suis arrivé sur la rive méridio-
dale, ce n'était pas l’époque où le fleuve était guéable ;
mais je demandai aux gens qui étaient sur cette autre
rive quelle était la profondeur de l’eau, ils me répondirent
que l’eau me monterait jusqu'à la cheville et que rien ne
m'empécherait de passer. J’ajoutai foi à leurs paroles et je
suis donc venu en traversant (le fleuve) ; je n'ai aucune
autre recette extraordinaire. » Le Buddha le loua en lui di-
sant : « Très bien ! très bien ! En effet, l’homme qui a foi
dans les vérités absolues peut traverser le gouffre des
naissances et des morts ; qu’y a-t-i! donc d’extraordinaire
à ce qu'il puisse traverser un fleuve de quelques A de
large. » Alors le Buddha prononça ces stances :
La foi (çraddhà) peut traverser le gouffre; — les sam-
grahavastu (1) symbolisent celui qui dirige le baleau ; —
l'énergie (virya) écarte les souffrances ; — la sagesse
(Prajñd) arrive à l'autre rive (1).
Quand un homme se conduit avec foi, — il est approuvé
par les saints ; — celur qui se plail dans la simplicité abso-
lue (asamskirta) —est délivré de tous ses liens.
La foi certes obtient la sagesse — el la sagesse produit le
nirvâna ; — c’est parce qu'on a entendu (la Loi) qu'on
(1) Les quatre samgrahavastu sont les quatre moyens d'attirer autrui à
soi et, par là, à la religion. La Mahâvyutpatlti ($35) les énumère comme
suit : däna (libéralité), priyavâdita(bonne parole), arthataryà (pratique de
ce qui est avantageux à autrui), samänàärthalà (identité d'intérêts).
316 FA KIU P'I YU KING (N° 497)
acquiert l'intelligence, — et alors, partout où l'on va, on est
éclairé.
Par la foi, ainsi que par l'observation des défenses, —
parce qu'il a l'esprit inlelligent et parce qu’il peut agir, —
un homme vaillant traverse les haines, — et c'est ainsi qu’il
échappe au gouffre.
En entendant ce que disait le Buddha, et en voyant la
preuve de sa véracité, les gens de ce village sentirent leur
cœur s'ouvrir et leur foi s’affermir ; tous recurent les cinq
défenses et devinrent des hommes purs et croyants. Leur
foi éclairée se développa de jour en jour ; l’enseignement
de la Loi se répandit partout.
SUTRAS DIVERS
N° 198
SÛTRA DES DIX RÊVES DU Ro1 POU-LI-SIEN-NI
(PRASENAJIT) (1).
(Trip AI pp MEANS)
Voici ce que j'ai entendu (raconter): Une fois le Buddha
se trouvait à Grâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin
d'Anâthapindada. En ce temps, le roi Pou-li-sien-ni (Prase-
najit), tandis qu’il était couché pendant la nuit, vit en rêve
dix choses, Quelles étaient ces dix choses ? Premièrement,
il vit en rêve trois jarres réunies ; les deux jarres latérales
étaient pleines de vapeurs qu'elles émettaient et se pas-
saient de l’une à l’autre dans les deux sens, mais (les va-
peurs) n’entraient point dans la cruche du milieu qui res-
(1) Ce texte se présente dans le Tripitaka chinois en quatre rédactions.
L'une d'elles (Trip., XII, 4, pp. 42 v°.-43 r°), qui est quelque peu abrégée,
n'existe que dans l'édition de Corée etest donc omise dans le catalogue
de Nanjio; elle est intitulée : Fo chouo chô wei kouo wang che mong king;
on ne sait pas quel est le nom du traducteur, mais on admet qu'il devait
vivre à l'époque des Tsinoccidentaux (265-316 p. C.) Une seconde rédac-
tion (Trip., XII, 3, pp. 67 v°-68 r°)se trouve à la fin du Tseng a han king
(Ekottarâgama sûtra; Nanjio, Cataloque,n° 543 [52])), traduit en 384-385 par
Dharmanandi (Nanjio, Catalogue, App. IT, n° 57). Une troisième rédaction
(Trip., XIL, 4, p. 11 v°-42 r°) est le ChûÜ wei kouo wang mong kien che che
king (Nanjio, Catalogue, n° 631), ou « sûtra des dix choses que vit en songe
le roi de Çrâvasti »; on ne sait pas qui est l’auteur de cette traduction.
Enfin une quatrième rédaction (Trip. XII, 4, pp. 43 v°-44 r°), qui est celle
que nous traduisons ici, est le Xouo wang pou li sien ni che mong king
(Nanjio, Catalogue, n° 632), ou « Sûütra des dix rêves du roi Prasenaïjit »;
cette version fut faite entre 381 et 395 p. C. par T'an-wou-lan [Nanjio,
Catalogue, App. IT, n° 38).
318 SÛTRAS DIVERS (N° 498)
tait vide. Secondement, il vit en rêve un cheval qui man-
geait par la bouche et qui mangeait aussi par le
fondement. Troisièmement, il vit en rêve un petitarbre (1)
qui portait des fleurs, Quatrièmement, il vit en rêve un
petit arbre qui produisait des fruits. Cinquièmement il vit
en songe un homme qui fabriquait une corde ; derrière
l’homme se trouvait un mouton; le maître du mouton man-
geait la corde (2). Sixièmement, il vit en rêve un renard
assis sur un lit d’or et mangeant dans de la vaisselle en or.
Septièmement, il vit en rêve une grande vache qui, con-
(1) Cette leçon est aussi celle du n° 631 de Nanjio. Mais les deux
autres textes donnent la leçon «un grand arbre ». La leçon « un petit
arbre » est préférable puisque, dans l'interprétation qui est donnée de ce
songe, l'arbre représente des jeunes hommes.
(2) Dans le Mahäsupina-jâtaka (Jàätaka, n° 77), l'animal qui dévore la
corde au fur et à mesure est un chacal femelle(voyez aussi SPENCE HARDY,
Manual of Buddhism p. 305). — RousEe (A Jâtaka in Pausianas, dans la
revue folklore, vol. 1, 1890, p. 409) a été le premier à signaler le parallé-
lisme de ce texte avec une légende grecque: décrivant la peinture des
enfers par Polygnote, Pausanias dit: (X, 29, 2; voyez J. G. FRAZER, Pau-
sanias, Vol. V, p. 376; Edinburgh Review, avril 1897, p. 458; Journal Hellenic
Studies, vol. XIV, p. 81): « Plus loin, un homme est assis; une inscription
nous apprend qu'il s'appelle Oknos. Il est représenté tenant une corde ;
auprès de lui se tient une ânesse qui dévore furtivement la corde à
mesure qu’il la tresse. Cet Oknos était, dit-on, un homme laborieux, mais
il avait une femme dépensière qui en peu de temps dépensait tout ce
qu'il avait gagné par son travail; on veut donc que, dans ce tableau,
Polygnote ait fait allusion à la femme d'Oknos. Pour moi, je sais que les
Ioniens disent d’un homme occupé à une tâche inutile : « Il tresse la
corde d'Oknos. » — Si nous n'avons plus la peinture de Polygnote, nous
possédons cependant une demi-douzaine de représentations antiques
d'Oknos et de son ânesse; on peut voir deux d'entre elles reproduites
dans l’article sur Oknos qu'a écrit M. Hôfer pour le Ausfürliches Lexikon
der Griechischen und Rümischen Mythologie de Roscuer. La présence de
l'âne dans la légende grecque, au lieu du chacal ou du mouton de la tra-
dition indienne, peut s'expliquer par la quasi-homophonie des mots oknos
et onos. — Au témoignage de Diodore de Sicile (I. 2 97), la légende d'Oknos
se retrouvait en Égypte sous la forme d’un rite : « Dans la cité d'Acan-
thes, au delà du Nil, vers la Lybie, à cent vingt stades de Memphis, il y a,
dit-on, une grande jarre percée dans laquelle trois cent soixante prêtres
viennent chaque jour apporter de l’eau du Nil; en outre, dans une fête
publique qui se célèbre non loin de là, on représente en action le mythe
d'Oknos sous la forme d'un homme qui tresse le bout d'une longue
corde tandis que plusieurs hommes, placés derrière lui, défont ce qu'il a
tressé. »
|
Fe
SÜTRAS DIVERS (N° 498) 319
trairement à ce qui aurait dû être, tétait un veau. Huitiè-
mement, il viten rêve quatre bœufs qui venaient en mugis-
sant des quatre côtés de l'horizon et accouraient l’un vers
l’autre pour se battre ; au moment oùils allaient se joindre,
mais ne s'étaient pas encore joints, il ne sut où ils étaient
allés (1). Neuvièmement, il vit en rêve un grand étang en-
touré de berges, où l’eau était trouble au milieu et claire
sur les quatre bords. Dixièmement, il vit en rêve un grand
torrent qui coulait absolument rouge.
Quand le roi eut rêvé ces choses, il se réveilla aussitôt et
craignit fort de perdre son royaume, sa propre personne, ses
femmes et ses enfants. Le lendemain, il appela les grands.
ministres, les hauts dignitaires, ainsi que tous les reli-
gieux qui savaient expliquer les songes ; il leur demanda:
« Hier, pendant la nuit, j'étais couché et j'ai vu en songe
dix choses. Après avoir fait ces rêves, je me suis réveillé:
j'ai eu peur et mon esprit a été sans joie. Qui peut m’ex-
pliquer ces songes ?» Parmi les religieux il y eutunbrah-
mane qui dit : « Je puis les expliquer à Votre Majesté,
mais je crains que lorsque, vous m'aurez entendu, vous ne
soyez affligé et mécontent. » Le roi répliqua : « Ce que
vous voyez, exposez-le aussitôt et ne me taisez rien. » Le:
brahmane dit : « O roi, des rêves que vous avez eus,
chacun est mauvais et ne présage rien de bon. Il vous
faut prendre ce qui vous est le plus cher, votre femme
et votre héritier présomptif, ainsi que les serviteurs.
et les esclaves attachés à votre personne et les tuer tous
pour les sacrifier au ciel. Alors vous pourrez n'avoir
rien d'autre (à redouter). Toute votre literie, 6 roi, ainsi
. que tous les joyaux et les objets de prix que vous avez
sur votre corps, il vous faut les brüler pour les sacrifier
au ciel. De cette facon, Ô roi, vous pourrez personnelle-
ment n'avoir rien d'autre (à redouter) ». Ayant entendu.
(1) C'est-à-dire que les bœufs disparurent subitement.
320 SÛTRAS DIVERS (N° 498)
l'explication que le brahmane donnait de ses songes, le
roi fut extrémement affligé et mécontent ; il se retira
dans la chambre d’abstinence pour songer à ces choses.
Or le roi avait une épouse principale nommée Mo-ni (1)
qui se rendit auprès de lui et lui demanda: « Pourquoi
êtes-vous entré dans la chambre d’abstinence, et pourquoi
êtes-vous affligé et mécontent? Ai-je commis quelque
faute envers Votre Majesté ? » Le roi répondit: « Vous
n'avez commis aucune faute envers moi; c'est. de mon
propre mouvement que je m'’afflige. » La reine lui demanda
encore : « Quelle est, Ô roi, la cause de votre affliction ? »
Le roi répliqua : «Ne me le demandez pas; si vous l’appre-
niez, vous ne seriez point heureuse ». Sa femme reprit:
« O roi, je suis la moitié de votre corps; qu’il y ait du bien
ou du mal, vous devez me le dire; pourquoi ne me le dites-
vous point ?»
Le roi dit à sa femme : « Hier, pendant la nuit, j'ai vu
en rêve dix choses ; après avoir fait ces rêves, je me suis
réveillé et j'ai ressenti une grande tristesse et une grande
frayeur, car je craignais de perdre mon royaume, ainsi que
moi-même, mes femmes et mes enfants. J'ai convoqué tous
les ministres, les hauts dignitaires et la multitude des
religieux pour m'interpréter les dix choses que j'avais
vues en songe ; or 1] y eut un brahmane qui m'expliqua
ce rêve en me disant : « Il vous faut prendre tous les
êtres qui vous sont chers, votre femme, votre héritier pré-
somptif, ainsi que les serviteurs et les esclaves attachés
à votre personne, votre éléphant blanc, votre cheval
renommé, et les immoler tous pour les sacrifier au ciel ;
de même encore toute votre literie, ainsi que les joyaux
précieux que vous avez sur votre corps, devront être entiè-
rement brülés en sacrifice au ciel : alors votre personne, 6
(1) Tous les autres textes donnent la leçon Mo-li qui est préférable,
puisquele nom de la reine doitêtre Mâlikà (BENFEY, Pantschatantra, vol. I,
p. 587,n° 1) ou Mâlini (SPENCE Harpy, Manual of Buddhism, p. 304).
SÛTRAS DIVERS (N° 498) 321
roi, pourra rester saine et sauve. » Voilà pourquoi je m’af-
flige et n’ai plus aucune joie. »
Sa femme lui répondit: «O roi, ne vous désolez pas.
Quand un homme achète de l'or, il Le frotte sur la pierre
(de touche), et alors, belle ou laide, bonne ou mauvaise,
la couleur de cet or se révèle sur la pierre. Maintenant le
Buddha est près d'ici, dans un vihâra qui n’est pas éloigné
de la ville; pourquoi n’allez-vous pas le consulter sur la
signification de vos songes? vous vous conformerez aux
explications que vous fournira le Buddha. »
Le roi donna aussitôt des ordres aux officiers de sa
suite pour qu'on équipât son char, puis il sortit pour
aller auprès du Buddha ; on arriva à un sentier de piétons;
le roi descendit alors de son char ets’avança jusqu’auprès
du Buddha ; il posa son visage sur les pieds du Buddha,
puis il recula, s’assit et lui dit : « La nuit dernière, j'ai
vu dix choses : premièrement j'ai vu en rêve trois jarres
réunies (1)... Voilà ce que je vis en songe, et quand je
m'éveillai, j’eus grand peur ; je craignis de perdre mon
royaume, ainsi que ma personne, mes femmes et mes
enfants. Que le Buddha m'explique le sens des dix choses
que j'airêvées; mon désir estd’entendredes instructions. »
Le Buddha lui répondit : « O roi, ne vous tourmentez
pas. Ce que vous avez rêvé ne tire pas à conséquence ; ce
que vous avez rêvé concerne des choses futures qui se
passeront dans les générations à venir, mais ne se rap-
porte pas à la génération présente. » Le Buddha continua:
« Dans les générations à venir, les hommes ne craindront
pas les interdictions que prescrit la Loi ; ils seront débau-
chés,avides,envieux et insatiables ; ils auront peu de justice
et de raison, et leur cœur sera sans aucune bienveillance ;
ils se complairont dans la colère et ne sauront pas avoir
de bonté. »
(1) Répétition de ce qui a été dit dans les pp. 317-319.
ILE. 21
322 SÛTRAS DIVERS (N° 498)
Le Buddha dit encore : « Dans votre premier rêve vous
avez vu trois jarres réunies; les deux jarres latérales étaient
pleines de vapeur qu'elles émettaient et se passaient de
l'une à l’autre dans les deux sens, mais (ces vapeurs) n’en-
traient pas dans la cruche du milieu qui restait vide.
(Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir,
les hommes qui seront puissants et élevés en dignité se
rechercheront et se suivront les uns les autres, mais ne
jetteront pas leurs regards sur les pauvres gens. Voilà
exactement, ô roi, ce que représentait le groupe des trois
cruches que vous vites en songe. O roi, ne craignez point;
cela ne concerne en rien ni votre royaume, ni votre fils
héritier, ni votre épouse. »
Le Buddha dit ensuite : « Dans votre second rêve, à roi,
vous avez vu un cheval qui mangeait par la bouche et qui
mangeait aussi par le fondement. (Voici ce que cela si-
gnifie :) Dans les générations à venir, les souverains et les
‘principaux ministres tireront leur nourriture des greniers
publics; mais les fonctionnaires locaux qui ont des
appointements pressureront néanmoins le peuple et ne se-
ront jamais satisfaits. Voilà exactement (1)... »
Le Buddha dit: « Dans votre troisième rêve vous avez
vu un petit arbre qui portait des fleurs. (Voici ce que cela
signifie :) Dans les générations à venir, les hommes, avant
même d'avoir atteint leur trentième année, auront des
cheveux blancs sur la tête; à cause de leur soif de dé-
bauche et de leur excès de passions, ils seront forcément
vieux dès leur jeunesse. Voilà exactement... »
Le Buddha dit : « Dans votre quatrième rêve, à roi, vous
avez vu un petit arbre qui produisait des fruits. (Voici ce
que cela signifie :) Dans les générations à venir, les
filles, avant même d’avoir atteint leur quinzième année,
feront comme si elles étaient mariées; elles tiendront
(1) Répétition, mutatis mulandis, de ce qui a été dit dans les lignes 9-13
ci-dessus
ML si
de. L
SÛTRAS DIVERS (N° 498) 393
des enfants dans leurs bras et resteront avec leurs amants
sans en éprouver aucun sentiment de honte. Voilà exacte-
ment... »
Le Buddha dit : « Dans votre cinquième rêve, Ô roi, vous
avez vu un homme qui fabriquait une corde; derrière
l’homme était un mouton et le maître du mouton mangeait
la corde. (Voici ce que cela signifie :) Dans les généra-
tions à venir, quand le mari d’une femme sortira pour
aller faire le commerce, il laissera sa femme derrière lui;
celle-ci aura des relations avec un autre homme qui man-
gera toute la fortune du mari. Voilà exactement... »
Le Buddha dit : « Dans votre sixième rêve, 6 roi, vous
avez vu un renard assis sur un lit d’or et mangeant dans
de la vaisselle d'or. (Voici ce que cela signifie :) Dans les
générations à venir, des hommes de condition basse et vile
deviendront nobles et honorés et auront des richesses ; la
multitude des hommes les respectera et les craindra. Au
contraire, les descendants des familles seigneuriales de-
viendront des humbles ; ils seront aux places inférieures
et mangeront et boiront après les autres. Voilà exacte-
ment... »
Le Buddha dit: « Dans votre septième rêve, à roi, vous
avez vu une grande vache qui, au rebours de ce qui au-
rait dû être, tétait un veau. (Voici ce que cela signifie :)
Dans les générations à venir, les hommes ne connaïîtront
ni les rites ni la justice ; les mères, contrairement à ce
qui devrait être, serviront d’entremetteuses à leurs filles
et attireront des hommes étrangers pour qu'ils aient des
relations avec elles ; elles vendront ainsi leurs filles pour
gagner des richesses et subvenir à leurs propres besoins;
elles n’en éprouveront aucune honte. Voilà exactement... »
Le Buddha dit: « Dans votre huitième rêve, vous avez
vu quatre bœufs qui venaient en mugissant des quatre
côtés de l'horizon et accouraient les uns vers les autres
pour se battre ; au moment où ils allaient se joindre, mais
324 SÛTRAS DIVERS (N° 498)
ne s'étaient pas encore joints, vous ne sûtes où ils étaient
allés. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à
venir, les souverains, les princes, les préfets, les magis-
trats et les gens du peuple auront tous des sentiments qui
ne seront pas d’une absolue sincérité ; se trompantles uns
les autres, ils agiront avec stupidité et avec colère ; ils ne
respecteront pas le Ciel et la Terre; c’est pourquoi la fer-
tilité causée par la pluie ne viendra plus au temps voulu ;
alors les magistrats et les gens du peuple feront des
prières pour demander la pluie ; le Ciel fera donc surgir
des quatre coins de l'horizon des nuages, et le tonnerre
retentira ; les magistrats et les gens du peuple diront que
la pluie est imminente; mais, au bout d’un instant, les
nuages se disperseront et s’en iront, en sorte que la pluie
ne tombera pas. La raison en est que les souverains, les
princes, les préfets, les magistrats et les gens du peuple
auront manqué de fidélité, de rectitude et de bonté. Voilà
exactement... »
Dans votre neuvième rêve, Ô roi, vous avez vu un grand
étang entouré de berges, où l’eau était trouble au milieu
et claire sur les quatre bords. (Voici ce que cela signifie :)
Dans les générations à venir le pays du Milieu (Madhya-
deca) sera bouleversé ; le gouvernement ne sera pas juste ;
les gens du peuple ne témoigneront pas de piété filiale
à leurs pères et mères et ne respecteront pas les vieil-
lards; cependant les pays de la frontière se présenteront
calmes et purs ; la population y vivra en bonne harmonie
et sera déférente envers ses pères et mères. Voilà exacté-
ment... »
Le Buddha dit: « Dans votre dixième rêve, à roi, vous
avez vu un grand torrent qui coulait absolument rouge.
(Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir,
les divers royaumes s’entrecombattront ; ils lèveront des
armées et rassembleront des troupes pour s’attaquer tour
à tour les uns les autres ; il leur faudra organiser des
SÛTRAS DIVERS (N°5 498-499) 325
bataillons de chars, des bataillons de fantassins et des
bataillons de cavaliers pour lutter entre eux; ceux qui
seront ainsi entretués ou blessés seront innombrables ;
le sang des morts qui seront gisants sur la route coulera
absolument rouge. Voilà exactement... »
Le Buddha dit : « O roi, tout ce que vous avez rêvé con-
cerne des choses des générations à venir et ne se rap-
porte point aux choses de la génération présente. Ne crai-
gnez donc rien, 6 roi, et ne vous tourmentez point. » Le
roi se mit à deux genoux et dit : « Maintenant que j'ai
obtenu les enseignements du Buddha, mon cœur se réjouit;
pour prendre une comparaison, un homme portait un petit
vase plein de graisse liquide ; la graisse était abondante et
le vase était petit; quand l’homme se fut procuré un autre
vase plus grand pour y mettre cette graisse, il fut rassuré
et ne craignit plus ; de même maintenant, pour avoir recu
le bienfait du Buddha, je suis rassuré. »
Alorsle roi rendithommage au Buddha; il s’en retourna,
et, quand ilfut revenu dans son palais, il fit de grand pré-
sents à son épouse principale, et, en même temps, il priva
de leurs appointements tous ses grands ministres ; le roi
déclara : « Dorénavant, je ne croirai plus les hommes des
sectes hérétiques et je n’ajouterai pas foi aux paroles des
brahmanes. »
N° 190
SÛÜTRA PRONONCÉ PAR LE BUDDHA AU SUJET DE L'AVADANA
CONCERNANT FILLE-DE-MANGUIER {ÂmrapÂui) Er K'I-
YU (Jivaxa) (1).
(PRIE RAIN 6 A UD/-18 12-92V0)
Voici ce que j'ai entendu raconter : Un jour le Buddha
(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, n° 667), a été traduit sous la dynastie
des seconds Han par Ngan (VArsacide ou le Parthe) Che-kao qui vinten
326 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
se trouvait dans le royaume de Zo-yue-lche (Ràäjagrha) et
il expliquait la Loi au milieu d'une réunion de douze
cent cinquante grands disciples, de bodhisattvas, de
mahâsattvas, de devas, de nâgas, et des huit catégories
de la grande Assemblée. Parmi les gens de cette époque,
innombrables étaient les donateurs; or l’un d’eux, qui
était un pauvre homme, n'avait qu'un mouchoir en
haillons ; il aurait désiré en faire don, mais, craignant
que cet objet n’excitât la répugnance, il restait hésitant.
En ce moment, dans l'assistance il y eût une bhiksunt
nommée « Fille-de-manguier », qui se leva de son siège,
arrangea ses vêtements, rendit hommage, se mit à deux
genoux, joignit les mains, puis dit au Buddha : « O Ho-
noré du monde, je me rappelle que, dans une vie anté-
rieure, je naquis dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi),
en qualité de fille pauvre. En ce temps, il y avait un
Buddha, nommé ÆXia-ye (Kâçyapa), qui, au milieu d’un
cercle de nombreux auditeurs, expliquait la Loi; je m’assis
pour entendre les livres saints et fus joyeuse; je conçus
l'intention de faire une libéralité, mais, considérant que
je n'avais rien et songeant à ma pauvreté, j'en fus émue
de tristesse; alors j’allai dans le jardin d’une autre per-
sonne et je mendiai des fruits pour en faire don au
Buddha; je recus alors une mangue; elle était grosse et
son parfum était excellent; tenant donc dans ma main un
bol d’eau en même temps que cette unique mangue, j'en
fis offrande au Buddha Æ1a-ye (Kâçyapa) et à toute l’as-
semblée des religieux. Le Buddha, connaissant l'excel-
lence de mon intention, accepta cela en prononcçant un
vœu; puis il partagea et distribua l’eau et la mangue,
en sorte que tous en eurent sans exception. Grâce au
bonheur que je m'étais ainsi acquis, quand ma vie fut
finie, je naquis en qualité de devi et j'obtins d’être une
Chine en l'année 148 p. C. et travailla à faire des traductions jusqu'en
l'année 170 p. C.
Eh tnt LE
SÜTRAS DIVERS (N° 499) 327
reine des devis; puis, quand je naquis en bas, dans ce
monde, je ne fus pas issue d’un fœtus, mais, pendant
quatre-vingt onze kalpas, je naquis dans une fleur de
manguier; je fus belle et fraiche et je connus toujours
mes existences antérieures. Maintenant j'ai rencontré
l'Honoré du monde qui a ouvert pour moi l'œil de la
sagesse. Fille-de-manguier récita alors ces stances :
La bienfaisance affeclueuse des Trois Vénérables est
universelle; — son intelligence sauve indifféremment
hommes el femmes; — la grande récompense du don que
Je fis d'un peu d'eau et d'un fruit — a été que, grâce à cela,
J'ai pu être affranchie de toutes les peines.
En ce monde, je naquis dans une fleur ; — en haut, je
fus reine des devis ; — depuis que j'ai pris mon refuge dans
le Saint Bienheureux (Bhagaval), — mon champ producteur
de bonheur est profond et fertile.
Après avoir fini de rendre hommage, la bhiksüni Fille-
de-manguier retourna s'asseoir.
Au temps où le Buddha était en ce monde, dans un
jardin du roi du royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli)}, un man-
guier poussa spontanément; ses rameaux et ses feuilles
étaient abondants; ses fruits étaient beaucoup plus gros
que ceux des autres manguiers; ils avaient une couleur
brillante et avaient un parfum et une excellence extraor-
dinaires. Le roi aimait fort cet arbre et personne n'avait
le droit d'en manger les fruits, sinon les femmes les
plus honorées du harem. Or, dans ce royaume il y avait
un brahmane grhapati dont la richesse était incalculable
en sorte que nul dans tout le royaume ne pouvait l’égaler ;
en outre, il était intelligent, perspicace et l’emportait par
ses talents et sa sagesse sur la foule des hommes; le roi
l’aimait fort et avait fait de lui un de ses grands ministres.
Un jour, le roi invita ce brahmane à diner; quand le
repas fut fini, il lui donna un fruit du manguier; voyant
que cette mangue avait un parfum et un goût tout particu-
328 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
liers, le brahmane demanda au roi s’il n’y avait pas au
pied de ce manguier quelque petit rejeton dont il pourrait
demander qu'il lui fût fait don; le roi répondit : « Il y
avait un très grand nombre de ces petits rejetons; mais,
comme je craignais qu'ils ne fissent tort au grand arbre,
je les ai arrachés les uns après les autres ; si maintenant
vous le désirez, je vous en donnerai un. »
Ainsi fut fait et le brahmane rapporta chez lui ce
rejeton, puis le planta; matin et soir il l’arrosait; de jour
en jour l'arbre devint plus grand; ses rameaux furent
abondants et forts; au bout de trois ans il produisit des
fruits qui, pour la beauté et la grosseur, valaient ceux du
manguier du roi. Le brahmane, tout joyeux, se dit:
« Mes richesses sont incalculables et ne le cèdent en rien
à celles du roi; c'était seulement parce que je n'avais pas
ce manguier que je lui étais inférieur; mais maintenant
que je l’ai obtenu, je n'ai rien à envier au roi. » Iprit
alors un de ces fruits etle mangea; mais le goût en était
fort âcre et il ne put absolument pas le manger; le brah-
mane fut plongé dans une grande tristesse; s'étant retiré,
il réfléchit que la cause de cela devait étre que le sol
n'était pas assez engraissé; il prit donc le lait de cent
vaches et le donna à boire à une seule vache; puis il
recueillit le lait de cette unique vache et le fit chauffer de
manière à en fabriquer une sorte de beurre dont il
arrosa les racines du manguier; il fit journellement cet
arrosage, et, l’année suivante, les fruits se trouvèrent
être doux et excellents, tout comme l'étaient les mangues
du roi.
Cependant, sur le côté de ce manguier, vint à se pro-
duire une excroissance noueuse qui, grosse d’abord
comme le poing, devint de plus en plus volumineuse. Le
brahmane se dit que l'apparition soudaine de cette excrois-
sance pouvait faire tort aux fruits; mais, quand il voulut
l'enlever en la coupant, il craignit de faire du mal à
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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 329
l'arbre; il médita ainsi pendant plusieurs jours et restait
perplexe et hésitant, lorsque, du milieu de l’excroissance,
jaillit tout à coup une branche qui se dirigea droit en
l'air et qui, forte, droite, souple et belle, dépassa le
sommet de l’arbre. Quand elle fut à soixante-dix pieds de
terre, son sommet se divisa en plusieurs rameaux qui se
répartirent circulairement sur les côtés de manière à
former comme un dais renversé; les fleurs et les feuilles
dont ils étaient couverts étaient magnifiques et l’empor-
taient sur celles de l’arbre principal. Le brahmane s’en
émerveilla, et, ne comprenant pas ce qu’il pouvait bien y
avoir au sommet de cette branche, il construisit un écha-
faudage en bois sur lequel il monta pour regarder; il vit
que, au sommet de la branche et au centre du dais ren-
versé, il y avait un étang d’eau pure et parfumée; en outre,
il y avait une multitude de fleurs de couleurs fraîches et
vives; il regarda sous ces fleurs et trouva une petite fille
qui était dans une des fleurs de l'étang ; le brahmane la
prit dans ses bras et l’emporta chez le id la nourrit et
l’éleva ; son nom fut Fille-de-manguier.
Ouana cette enfant atteignit sa quinzième année, elle
avait une telle beauté que personne ne pouvait rivaliser
avec elle dans le monde; sa renommée se répandit jusque
dans les royaumes lointains. Sept rois arrivèrenten même
temps et se rendirent auprès du brahmane en demandant
à contracter des fiançailles avec Fille-de-manguier pour
qu'elle devint leur femme. Le brahmane, fort effrayé, ne
savait auquel d’entre eux la donner; il édifia alors une
haute tour au milieu d’un jardin; il plaça au sommet
Fille-de-manguier, puis il sortit et vint dire à tous les
rois : « Cette fille n’a point été engendrée par moi; elle
a été produite spontanément au sommet d’un manguier;
je ne sais vraiment pas si elle est la fille d’un deva, d’un
nâga, d’un démon ou d’un génie. Maintenant, vous êtes
sept rois qui êtes venus pour demander cette personne
330 ‘suTRAS DivERS {N° 499)
étrange ; si je l'accorde à l’un de vous, les six autres rois
s'irriteront. Je ne me permettrais pas cependant de vous
la refuser. Maintenant, cette jeune fille est au sommet
d'une tour dans le jardin; discutez donc entre vous, et
quand vous aurez déterminé qui est celui de vous qui
doit l'avoir, que celui-là lemmène; ce n’est pas moi qui
déciderai. »
Les sept rois se mirent donc à contester entre eux et
la nuit arriva avant que le débat füt tranché; alors l’un
d'eux, qui était le roi P'ing-cha (Bimbisâra) pénétra
(dans le jardin) en passant par un aqueduc; il monta sur
la tour, trouva la fille et coucha avec elle; le lendemain
matin, quand il fut sur le point de partir, Fille-de-man-
guier lui dit : « O grand roi, vous avez daigné abaisser
votre majesté pour venir jusqu’à moi; maintenant, cepen-
dant, vous allez me quitter et partir; si j'ai un enfant, il
sera de sang royal; à qui devrai-je le confier?» Le roi
lui répondit: «Si c’est un fils, vous me le rendrez; si
c'est une fille, je vous la donne. » Alors le roi retira de sa
main un anneau d’or formant sceau et le remit à Fille-
de-manguier pour qu’elle pût s’en servir comme d’attesta-
tion (1). Puis le roi sortit et dit à ses ministres : «Je
suis parvenu à prendre Fille-de-manguier et j'ai passé la
nuit avec elle; elle n’a rien d’extraordinaire et est bien
comme toutes les femmes; aussi ne l'épouserai-je pas. »
Tous les soldats du roi P'ing-cha (Bimbisâra) poussèrent
des vivats en son honneur, disant: « Notre roi a pu
prendre Fille-de-manguier. » En apprenant cela, les six
autres rois s’en retournérent.
Après que le roi P'ing-cha (Bimbisâra) fut parti, Fille-
de-manguier devint enceinte ; elle donna alors au portier
(1) Dans le Xa{tahärijâtaka (Jätaka, n° 7), le roi Brahmadatta donne de
mème son anneau d'or à une femme avec laquelle il a eu accidentellement
des rapports et lui dit : « Si vous avez une fille, employez le prix de cet.
anneau à la nourrir; mais, si vous avez un garçon, apportez-moi l'anneau
et l'enfant. »
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SÜTRAS DIVERS (N° 499) 33t
l’ordre que, si quelqu'un demandait à la voir, on répondit
qu’elle était malade (1). Quand le nombre normal des jours
et des mois fut résolu, elle mit au monde un garçon qui
avait un beau visage et qui tenait dans sa main un sac à
aiguilles d’acupuncture. Le brahmane déclara : « Cet enfant
est le fils d'un roi; d'autre part il tient un instrument mé-
dical; il sera certainement un roi-médecin. » Alors Fille-
de-manguier enveloppa l'enfant dans un vêtement blanc et
ordonna à une servante d’aller l’exposer dans la rue. En
conformité avec cet ordre, la servante le prit dans ses bras
et alla l'abandonner. En ce moment, le prince Wou-wet
(Abhaya) (2), était monté sur son char au point du jour
avec l'intention d’aller voir le grand roi et il avait envoyé
des gens pour faire dégager la route; or le prince aperçut
de loin sur le chemin un objet blanc; il fit arrêter son
char et demanda à ceux qui étaient auprès de lui : « Qu’est-
ce que cet objet blanc ? » On lui répondit que c'était un
petit garçon. « Est-il mort ou vivant ? » demanda-t-il.
« Bien vivant », lui répondit-on. Le prince ordonna alors
à ses gens de le recueillir, puis il chercha une nourrice
pour l’allaiter ; comme il était vivant, un brahmane prit ce
petit garçon pour le rendre à Fille-de-manguier et on le
nomma Ài-yu (Jivaka).
Quand il eut atteint l’âge de huit ans, par son intelli-
gence, ses talents éminents et sa connaissance de toutes
sortes de livres, il était fort différent de la moyenne des
autres enfants. Quand il jouait avec les autres petits gar-
çons du voisinage, il les méprisait dans son cœur parce
qu'il pensait que ceux-ci ne le valaient pas; un Jour, ces
petits garcons l’injurièrent ensemble en lui disant: « Fils
sans père, né d'une fille débauchée, comment vous permet-
(1) Afin qu'on ne püt pas supposer qu'elle avait eu des rapports avec
un autre homme et afin que l'enfant qu'elle aurait fût reconnu comme
ayant pour père le roi Bimbisâra.
(2) Fils de Bimbisàra.
332 SÜTRAS DIVERS (N° 499)
tez-vous de nous traiter avec mépris? » Æ1-yu (Jivaka),
déconcerté, garda le silence et ne répondit pas. Il revint
auprès de sa mère et lui demanda : « Je vois que tous les
autres enfants ne me valent pas et cependant ils m’inju-
rient en m'appelant fils sans père. Où se trouve donc main-:
tenant mon père ? » Sa mère lui répondit : « Votre père n’est
autre que le roi P’ing-cha (Bimbisâra). — Le roi P’ing-cha
(Bimbisära), reprit Æ’1-yu (Jivaka), se trouve dans le
royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) qui est à cinq cents li
de distance. Comment m’a-t-il engendré ? et si ce que vous
dites, Ô mère, est vrai, comment le prouverai-je? » Sa mère
lui montra alors l’anneau formant sceau et lui dit : « Ceci
est l'anneau de votre père. » X’i-yu (Jivaka) l’examina et
reconnut quil portait l'inscription «sceau du roi P'ing-cha»
(Bimbisâra). Prenant donc avec lui cet anneau, il se rendit
dans le royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) et entra tout
droit par la porte du palais; il n’y eut personne à la porte
pour le réprimander. Il parvint ainsi en présence du roi,
lui rendit hommage, s’agenouilla et lui dit: « O roi, je
suis votre fils ; j'ai été mis au monde par Fille-de-manguier.
Maintenant, en atteignant ma huitième année, j'ai appris,
à grand roi, que j'étais de votre race et c’est pourquoi,
vous apportant la preuve de l’anneau formant sceau, je
viens de loin pour rentrer dans votre famille. » Le roi vit
l'inscription du sceau, se rappela le serment qu'il avait
fait autrefois et reconnut que c'était bien là son fils; ému
de compassion envers lui, il le nomma prince héritier.
Deux ans plus tard, celui qui devait être le roi A-cho-
che (Ajâtaçatru) naquit; Æ’i-yu (Jivaka) dit alors au roi :
« Au moment de ma naissance, je tenais dans ma main un
sac d’aiguilles pour l'acupuncture; c'était une marque
que je devais devenir médecin; bien que vous m'ayez
nommé prince héritier, je n’en suis pas heureux; puisque
maintenant un fils issu de votre première épouse vous est
né, il convient que ce soit lui qui vous succède dans votre
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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 333
haute dignité; quant à moi, je désire pouvoir pratiquer
l’art de la médecine. » Le roi y consentit, puis il lui dit:
« Puisque vous n’êtes plus héritier présomptif, vous ne
pouvez plus jouir sans motif d’émoluments payés par le
roi. Il vous faut étudier la science médicale. » Le roi or-
donna alors à tous les meilleurs médecins de son royaume
de l’instruire dans toutes les recettes de leur art; mais
K'i-yu (Jivaka) ne faisait que jouer et ne recevait point
leurs enseignements ; tous ces maîtres lui dirent: « L'art
_de la médecine est peu relevé: en vérité il ne saurait être
l'objet de l'étude du très honorable prince héritier. Cepen-
dant on ne saurait s'opposer aux injonctions du grand
roi; voici plusieurs mois que nous avons reçu ses ordres,
et, Ô prince, vous n’avez même pas retenu la moitié d’une
phrase de nos formules ; si le roi nous interroge, que lui
répondrons-nous ? » Æi-yu (Jivaka) leur dit: « À ma nais-
sance, j'eus dans ma main l'indication que je serais méde-
cin ; c'est pourquoi j'ai dit au grand roi: « Je renonce aux
titres glorieux et je demande à étudier l’art de la méde-
cine. » Comment donc serais-je si négligent que je vous
oblige à me réprimander ? Ma conduite s'explique simple-
ment parce que votre science à tous est insuffisante pour
m'instruire.'» Alors donc il prit tous les livres traitant des
plantes, des recettes médicales, de acupuncture et du pouls
et posa des questions embarrassantes à ses maîtres qui,
à bout d'arguments, ne surent que répondre. Tous
s’abaissèrent devant A'r-yu (Jivaka) en lui rendant hom-
mage; agenouillés et les mains jointes, ils lui dirent : « En
ce jour nous devons reconnaître, Ô prince, que nous ne
saurions atteindre à votre divine sainteté. Toutes les ques-
tions que vous nous avez posées ont été pendant plusieurs
générations des sujets de controverse pour nos maitres
et on ne saurait les comprendre ; nous désirons, 6 prince,
que vous nous les expliquiez entièrement; et que vous
dénouiez des énigmes qui nous tourmentent depuis notre
334 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
naissance. » Alors donc Æ'1-yu (Jivaka) leur expliqua la
solution de ces problèmes; tous les médecins se relevè-
rent pleins de joie et lui rendirent hommage en se pros-
ternant, disant qu'ils recevaient avec gratitude ses ensei<
gnements. | 4
Cependant ÆXi-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « De tous
les médecins auxquels le roi avait donné des ordres, au-
cun n'a pu m'instruire. Qui m'enseignera l’art de la méde-
cine ? » Sur ses entrefaites, il apprit que, dans le royaume
de To-lch'a-che-lo (Taksacilâ), il y avait un médecin dont
le nom de famille était A-ti-li (Atri) (4) et dont le surnom
était Pin-kia-lo (Piñngala) ; il connaissait fort bien la méde-
cine et pourrait sans doute la lui enseigner. Alors donc
le jeune X'1-yu (Jivaka) se rendit dans ce royaume, et, ar-
rivé auprès de Pin-kia-lo (Piñgala), lui dit : « Grand maître
je demande maintenant que vous vouliez bien consentir
à me diriger. » Quand il eut étudié sous sa direction pen-
dant sept années, il pensa : « Maintenant je me suis exercé
à étudier l’art de la médecine; quand aurai-je fini ? » Il
se rendit donc auprès de son maître et lui dit : « Main-
tenant je me suis exercé à étudier l’art de la médecine ;
quand aurai-je fini? » Son maître alors lui donna un panier
et les outils qu’il faut pour arracher les plantes, en lui
disant : « Sur un front d’un yojana de long, dans le royaume
de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà), recherchez toutes les
plantes, puis apportez-moi celles qui n’ont pas d'usage
médicinal. » Conformément aux ordres de son maître,
K'i-yu (Jivaka) rechercha, sur un front d’un yojana de long,
dans le royaume de T'o-lcha-che-lo (Taksacilà) toutes les
plantes qui n'avaient pas d'usage médicinal, mais en défi-
nitive il n’en put trouver nulle part de telles; en effet,
toutes les plantes et tous les arbres qu'il voyait, il pouvait
(1) Dans la version tibétaine, ce nom se présente sous la forme Atreya
(ScHIEFNER, Mémoires de l’Ac. des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. XXII,
n07: 1879; DV}
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4
SÜTRAS DIVERS (N° 499) 335
fort bien les discerner ; il savait les cas où il fallait s’en
servir et il n’en était point qui n’eût son usage en méde-
cine. Il revint donc les mains vides et se rendit auprès de
son maître à qui il tint ce langage: « O maître, il faut
maintenant que vous sachiez ceci: dans le royaume de
To-tch'a-che-lo (Taksaçilâ), j'ai recherché, sur un front
d'un yojana de long, les plantes qui n'avaient aucun usage
médicinal ; mais je n’en ai trouvé aucune de telle ; toutes
les plantes et tous les arbres que j'ai vus. j'ai très bien pu
discerner quel en était l’usage. » Le maître répondit à A’i-yu
(Jivaka) : « Vous pouvez maintenant vous en aller ; vous
possédez parfaitement la science de la médecine. Je suis
le premier en cet art dans le Jambudvipa, mais, après ma
mort, vous serez là pour me succéder. »
Alors Æ°1-yu (Jivaka) partit et se mit à soigner des mala-
dies; toutes celles qu’il soignait guérissaient aussitôt. Sa
réputation fut connue dans l’étendue entière du royaume.
K'i-yu (Jivaka) voulut ensuite entrer dans le palais royal.
Devant la porte du palais il rencontra un jeune garçon qui
portait une charge de bois de chauffage ; dès qu’il Le vit de
loin, X’1-yu aperçut entièrement les cinq viscères de cet
enfant, tels que les intestins et l'estomac, et put les dis-
tinguer nettement ; À’1-yu fit alors cette réflexion : « Dans
le livre des plantes, on parle de l'arbre roi-médecin (bhaisa-
jyarâja) qui, de l’extérieur, illumine l’intérieur et permet
de voir les viscères dans le ventre d’un homme. N'y au-
rait-il pas quelque morceau de l'arbre roi-médecin dans le
bois mort que porte cet enfant? » Il vint donc vers l’en-
fant et lui demanda quel prix il voulait de son bois; l’en-
fant lui ayant répondu qu’il le vendait dix pièces de mon-
naie, il paya ce prix pour faire l’acquisition du bois mort ;
l'enfant déposa ce bois par terre et tout aussitôt il devint
obscur et on ne vit plus l'intérieur de son ventre. A'i-yu
(Jivaka) fit alors la réflexion qu'il ne savait pas où se trou-
vait dans les fagots le bois roi-médecin ; il délia done les
336 SÜTRAS DIVERS (N° 499)
deux fagots, puis, prenant un par un les morceaux de bois,
il les approcha du ventre de l'enfant ; comme il ne voyait
rien apparaître, il passait sans cesse d’un morceau à un
autre ; il épuisa de la sorte tout le bois des deux fagots ;
la dernière de toutes restait une brindille à peine longue
d’un pied; il essaya de s’en servir pour projeter de la
clarté et vit entièrement tout ce qui était dans le ventre ;
Ki-yu (Jivaka) fut très joyeux, car il savait maintenant que
cette brindille était certainement le bois roi-médecin; il
rendit alors tout son bois de chauffage à l'enfant qui, ayant
reçu les pièces de monnaie et gardant son bois comme
précédemment, s’en alla tout content.
Cependant Æ'i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Qui
maintenant vais-je guérir? Ce royaume est petit et, en
outre, il se trouve sur la frontière; le mieux est que je
retourne à présent dans mon pays d’origine pour commen-
cer à y pratiquer l’art de la médecine. » Il s’en retourna
donc dans le royaume de P'’o-k'ia-Po (Saketa) (1). Dans la
ville de P'o-k'ia-l'o se trouvait un important notable dont la
femme souffrait constamment de maux de tête depuis douze
ans ; tous les médecins l’avaient traitée, mais sans pou-
voir la guérir; A'i-yu (Jivaka), ayant entendu parler d'elle,
se rendit à sa demeure et dit au portier : « Dites à votre
maître qu'il y a un médecin à la porte. » Le portier entra
aussitôt et fit ce message ; la femme du notable lui ayant
demandé quel aspect avait ce médecin, il répondit que
c'était un jeune homme ; elle songea que, si tous les mé-
decins vieux et expérimentés n'avaient pu la guérir, un
jeune médecin en serait bien plus incapable encore ; elle
ordonna donc au portier de dire qu’elle n'avait pas besoin
maintenant de médecin ; le portier sortit et annonça à
Æ'i-yu (Jivaka) : « J'ai fait votre message à mon maître, mais
sa femme a répondu qu'elle n'avait pas besoin de méde-
(1) Autre nom d'Ayodhyà {auj. Aoudh).
nn ”;
ENERGIE S E
#4
br.
De
si
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 337
cin. » Æ’i-yu (Jivaka) insista : « Allez dire à la femme de
votre maître qu’elle me permette seulement de la soigner;
si elle guérit, elle me donnera ce qu’elle voudra.» Quand
le portier eut rapporté ces paroles, la femme songea
que, s’il en était ainsi, elle ne risquait rien ; elle ordonna
donc au portier de le faire entrer. Æ’i-yu (Jivaka), s'étant
rendu auprès de la femme du notable, lui demanda quelles
étaient ses souffrances ; elle répondit qu’elle souffrait de
telle et telle manière. « Comment, reprit-il, a commencé
votre maladie ? — Elle a commencé dans telles et telles
circonstances. — Votre maladie est-elle ancienne ou
récente ? — Elle date de telle époque ». Après toutes
ces questions, Æ’i-yu (Jivaka) déclara : « Je puis vous soi-
gner. » Il prit alors un bon remède qu’il fit frire dans du
beurre, puis il le versa dans le nez de la femme ; le beurre
ressortit avec de la salive par la bouche de la malade ; celle-
ei reçut le tout dans un vase et recueillit Le beurre en le
séparant de la salive qu’elle rejeta. En la voyant agir ainsi,
K'i-yu (Jivaka) se sentit pénétré de tristesse, car il se di-
sait : « Si elle se montre économe à ce point pour un peu
de beurre malpropre, que sera-ce quand il s'agira de me
récompenser! » La malade s’aperçut de ses préoccupa-
tions et lui demanda: « Étes-vous affligé ? » Sur sa ré-
ponse affirmative, elle lui demanda la cause de son afflic-
tion. « Je pensais dit-il, que si vous êtes économe à ce
point quand il s’agit d’un peu de beurre malpropre, ce
serait bien pire quand :l s'agirait de me récompenser;
voilà pourquoi je m'attriste. » La femme répliqua
« Diriger un ménage n’est pas chose facile ; quelle uti-
lité y avait-il à jeter ce beurre qui peut encore servir
à allumer la lampe ? Je l'ai donc recueilli. Quant à
vous, occupez-vous seulement de soigner ma maladie;
à quoi bon vous affliger ainsi ? » Il la traita donc et, par
la suite, elle guérit de sa maladie ; alors cette femme du
notable lui donna quatre cent mille onces d'or, ainsi que
III 22
338 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
des esclaves et des servantes, des chars et des chevaux.
Quand ÆX'i-yu (Jivaka) fut en possession de toutes ces
richesses, il revint dans la ville de la Résidence Royale
(Râjagrha) et se rendit à la demeure du prince Wou-wei
(Abhaya) ; il dit au portier : « Allez annoncer au prince:
que AX°1-yu (Jivaka) est déhors. » Le portier s’acquitta de
ce message et le prince lui ordonna d'inviter aussitôt
K'i-yu (Jivaka) à entrer; quand celui-ci fut entré, il se:
prosterna la tête contre terre, puis, après avoir rendu
hommage, il s’assit de côté; il raconta en détail au prince:
Wou-wei (Abhaya) ce qui lui était précédemment arrivé,
et il déclara qu'il voulait offrir au prince toutes les riches-
ses qu’il avait acquises (1). Le prince l’en détourna en lui
disant qu'il ne fallait pas lui faire un tel présent et en
l’engageant à employer cette fortune à son usage person-
nel.
Telle fut la première cure que fit Æ’i-yu (Jivaka).
En ce temps, dans le royaume ÂXiu-chan-mi (Kauçâmbi),
il y avait le fils d’un notable dont les intestins s’étaient
noués dans son ventre tandis qu'il jouait sur une roue; ce
qu'il mangeait et buvait n'était plus digéré et ne pouvait.
pas non plus être éliminé ; dans ce royaume, il ne s'était
trouvé personne qui püt le guérir; les gens de là-bas
ayant appris que, dans le royaume de Mo-kie (Magadha), il
y avait un grand médecin qui excellait à guérir les mala-
dies, ils envoyèrent dire au roi : « Le fils d’un notable du
royaume de Aiu-chan-mi (Kauçàämbi) est malade ; X'i-yu
(Jivaka) peut le guérir ; nous vous demandons, ô roi, de:
nous l’envoyer. » Alors le roi P’ing-cha (Bimbisâra) appela
K'i-yu (Jivaka) et lui demanda : « Le fils d’un notable du
royaume de AXiu-chan-mi (Kauçämbi) est malade; pouvez-
vous le guérir ? » Comme il répondait qu'il le pouvait, le
roi reprit : « Puisque vous le pouvez, je vous autorise à
(1) Pour remercier le prince de l'avoir autrefois recueilli (cf. p. 331,
lignes 11-20).
si
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 339
aller le guérir ». Alors Æ’1-yu (Jivaka) monta en char etse
rendit à AXiu-chan-mi (Kauçâmbi) ; quand il arriva, le fils
du notable était déjà mort; des musiciens sortaient en
escortant son corps; en entendant ce bruit, A'i-yu (Ji-
vaka) demanda : « Que sont ces airs dé musique et ces
sons de tambours? » Quelqu'un qui était près de lui lui
répondit : « C’est le fils de notable pour lequel vous veniez
qui est mort. Ce que vous entendez, c'est la musique des
musiciens qui l’escortent. » ÆA'1-yu (Jivaka) savait fort
bien distinguer entre eux tous les sons; il dit donc :
« Allez dire qu’on fasse revenir ce corps; ce n’est point
un cadavre. » Quand cet ordre eut été donné, on revint
aussitôt. Alors Æ'i-yu (Jivaka) descendit de son char ; il
prit un couteau bien tranchant et fendit le ventre de l’en-
fant ;il mit au jour l’endroit où les intestins étaient noués
et le montra au père, à la mère et à tous les parents en
leur disant : « C’est pour avoir joué sur une roue que ses
intestins se sont noués ainsi, en sorte que les aliments et
les boissons n'étaient plus digérés ; mais ce n’est pas à
dire qu’il soit mort. » Alors donc il lui dénoua les intes-
tins et les remit à leur place, puis il recousit le ventre et
les chairs se rejoignirent; il le frotta avec un bon on-
guent ; la blessure guérit aussitôt et les poils repoussè-
rent en sorte que la plaie n'était en rien différente d’une
place où il n’y aurait eu aucune blessure. A la suite de
cela, le fils du notable récompensa Ær-yu (Jivaka) en lui
donnant quatre cent mille onces d’or ; la femme de ce fils
de notable lui donna aussi quatre cent mille onces d’or ;
le notable lui-même et sa femme en firent autant, chacun
d’eux lui donnant quatre cent mille onces d’or.
K i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Celui qui a été mon
maître, je dois reconnaître ses bienfaits. Maintenant je
prendrai les seize cent mille onces d'or etje les donnerai
au grand maître du royaume de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà),
Pin-kia-lo (Pinñgala). » Avant ainsi songé, il prit son or
310 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
et se rendit auprès de son maître ; il lui rendit hommage
en posant le visage sur ses pieds, puis il lui offrit cet or
en disant : « Je désire, à grand maître, que vous daigniez
accepter ceci. » Son maître lui dit : « Faîtes-en plutôt
des offrandes ; je n’ai pas besoin de ces richesses. »
Æ'i-yu (Jivaka) ayant insisté au plus haut point, Pin-kia-
lo (Pingala) accepta cependant cet or; X’1-yu (Jivaka) lui
présenta ses adieux, et, après avoir rendu hommage à ses
pieds, s’en alla.
En ce temps, dans le royaume, il y avait la fille d’un
kia-lo-yue (grhapati) qui était âgée de quinze ans ; le jour
où elle allait se marier, elle éprouva soudain des douleurs
de tête et mourut. Æ’i-yu (Jivaka) en fut informé et se
rendit à sa demeure; il demanda au père de la jeune
fille : « Quelle était la maladie habituelle qui a été cause
de la mort prématurée de cette jeune fille? » Le père
répondit : « Ma fille, dès son enfance, a éprouvé des
maux de tête qui ont augmenté de jour en jour et de
mois en mois ; ce matin, ces douleurs se sont déclarées
plus fortes que jamais et ont déterminé sa mort. » Ai-yu
(Jivaka) entra alors et, avec le (bois du) roi-médecin, il
éclaira l’intérieur de la tête de la jeune fille et y aperçut
des vers rongeurs qui, grands ou petits, s’engendraient
les uns les autres et étaient au nombre de plusieurs cen-
taines ; les vers dévoraient son cerveau, et, comme son cer-
veau avait été entièrement mangé, elle était morte. Alors
(Jivaka) lui ouvrit la tête avec un couteau d’or ; il en sor-
tit tous les vers qu'il enferma dans une jarre ; puis il
frotta la blessure avec trois sortes de graisses surnatu-
relles ; la première sorte répara les dommages faits dans
les os par les morsures des vers; la seconde sorte régé-
néra le cerveau; la troisième sorte guérit la blessure
extérieure faite par le couteau. Puis (Jivaka) dit au père
de la jeune fille : « Faites-la reposer tranquillement et
ayez soin qu’elle n’ait aucune frayeur.-Dans dix jours elle
LOS, ds de
SUTRAS DIVERS (N° 499) , 3411
doit être entièrement guérie et telle qu’elle était aupara-
vant. Quand ce terme sera arrivé, je reviendrai. » Quand
K'i-yu (Jivaka) fut parti, la mère de la jeune fille se mit à
pleurer et à crier, en disant : « Mon enfant est morte pour
la seconde fois ; y a-t-il jamais quelqu'un qui ait pu vivre
après qu'on lui a ouvert le crâne ? Comment le père a-t-il
laissé cet homme s'emparer ainsi de notre enfant? » Le
père l’arrêta en lui disant : « X'i-yu (Jivaka), à sa nais-
sance, tenait dans sa main un sac d’aiguilles pour l’acupunc-
ture ; ensuite 1l a renoncé à une haute dignité pour exer-
cer la médecine et il n’a fait cela que pour le plus grand
bien de la vie de tous les êtres ; il est un roi-médecin
désigné par le ciel; comment pourrait-il agir d’une ma-
nière déraisonnable? Il vous a fait la recommandation
d’avoir grand soin de ne pas causer defrayeur à la malade ;
or, maintenant, au contraire, vous pleurez et vous criez de
manière à l’effrayer et à l'agiter ; vous allez faire en sorte
que notre enfant ne pourra plus vivre. » En entendant
ces paroles du père, la mère cessa de se lamenter et tous
deux entourèrent de soins leur fille ; celle-ci resta immo-
bile pendant sept jours ; le septième jour, au point du
jour, elle poussa un soupir et se réveilla comme quel-
qu'un qui reprend ses sens après avoir dormi; elle dit :
« Je n’éprouve plus maintenant le moindre mal de tête et
tout mon corps se sent à l'aise ; qui m'a soignée pour
que je sois dans cet état ? « Son père lui dit : « Vous
étiez déjà morte lorsque le roi-médecin Æ’r-yu (Jivaka)
est venu exprès pour vous donner ses soins ; il vous
a ouvert la tête, en a retiré des vers et c’est ainsi
que vous avez pu revivre ». Alors il ouvrit la jarre et en
sortit les vers pour les lui montrer; en les voyant, la
jeune fille fut épouvantée et se félicita fort de la chance
inespérée qu'elle avait eue, disant : « Telle est donc la
puissance divine de Æi-yu (Jivaka) ! Il me tarde de pou-
voir reconnaître son bienfait. » Son père lui dit : « A1-yu
312 sÜrRAas DIVERS (N° 499)
(Jivaka) m'a assigné un rendez-vous en me promettant de
venir aujourd’hui. » Un moment après, en eflet, X'i-yu
(Jivaka) arriva. La jeune fille, toute joyeuse, sortit par la
porte pour aller à sa rencontre ; elle lui rendit hommage
en posant son visage sur ses pieds; elle se mit à deux
genoux, joignit les mains et dit : « Je désire, à K'i-yu
(Jivaka), être votre servante et, jusqu'à ma mort, vous ser-
vir pour reconnaître les bienfaits que vous m'avez
rendus en me rappelant à la vie. » Æ’i-yu (Jivaka) lui
répondit : « Je suis un maïitre-médecin et je vais en tous
lieux pour guérir les malades sans avoir jamais de rési-
dence fixe ? À quoi emploierais-je une servante ? Si vous
voulez absolument me récompenser pour le service que je
vous ai rendu, donnez-moi cinq cents onces d’or; te n’est
pas que je veuille me servir de cet or, mais voici pour-
quoi je vous le demande : tout homme qui a étudié une
doctrine doit remercier son maître ; quoique ce ne soit
pas mon maitre qui m'ait enseigné ce que je sais, je n’en
suis pas moins son disciple ; aussi quand j'aurai reçu votre
or, je le lui donnerai. » La jeune fille présenta alors cinq
cents onces d’or qu’elle offrit à X’1-yu (Jivaka) ; celui-ci
les accepta et en fit don à son maître.
De cela, X’1-yu (Jivaka) annonça au roi son intention
de s’en retourner momentanément pour voir sa mère; il
arriva donc dans le royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli). Or il y
avait dans ce royaume le fils d’un kia-lo-yue (grhapati) qui
aimait à s'exercer aux choses de la guerre ; il avait fabriqué
un cheval en bois haut de plus de septpiedset chaque jour
il s'entraînait à sauter sur son dos ; dès le début de son
étude, il réussit à monter sur le cheval, et, à la longue,
il devint de plus en plus habile; mais soudain, un jour, il
dépassa le but, manqua de point d’appui, tomba à terre et
mourut. À’1-yu (Jivaka) en fut informé ; il se rendit aussi-
tôt auprès de lui et se servit du (bois) roi-médecin pour
éclairer l’intérieur de son ventre ; ilaperçut alors que son
bites te
SÛTRAS. DIVERS (N° 499) 343
foie s'était retourné à l'envers ; le souffle vital s'était trouvé
arrêté et ne pouvait plus passer ; c’est ce qui avait causé
sa mort. À’i-yu (Jivaka) lui ouvrit le ventre avec un cou-
‘teau d’or et, plongeant sa main dedans pour l'explorer et
d'arranger, il remit le foie à l'endroit ; ensuite il frotta le
malade avec trois sortes d’onguents divins ; le premier
-onguent répara les points que sa main avait palpés; le
second fit circuler le souffle et la respiration ; le troisième
ferma la plaie produite par le couteau. Quand il eut fini,
(K’i-yu) dit au père : « Ayez soin qu'on ne lui fasse au-
cune frayeur. Dans trois jours il devra être guéri. » Le
père se conforma à ces instructions, fit reposer tranquil-
lement le malade, le soigna et le surveilla ; quand arriva
le troisième jour, le jeune garçon poussa un soupir et
s’éveilla ; il avait l'apparence de quelqu'un qui reprend ses
sens après avoir dormi; il put aussitôt se lever et s’as-
seoir, Un moment après, X’i-yu (Jivaka) vint à son tour;
le jeune garçon sortit tout joyeux pour aller à sa ren-
contre ; il lui rendit hommage en posant son visage sur
ses pieds, puis, se mettant à deux genoux, il dit: « Je
désire, Ô Æ’i-yu (Jivaka) devenir votre esclave et jusqu'à
ma mort vous servir pour reconnaître le bienfait que vous
m'avez rendu en me faisant revivre. » Æ'i-yu (Jivaka) lui
répondit : « Je suis un maïître-médecin et je vais en tous
lieux pour guérir les malades ; les familles des malades
se disputent pour me servir; qu’ai-je besoin d’un esclave ?
Ma mère s’est donné beaucoup de peine pour m'élever et
je n’ai pas encore pu la récompenser pour la bonté avec
laquelle elle m'a soigné. Si donc vous désirez me remer-
cier pour le service que je vous ai rendu, donnez-moi
cinq cents onces d’or que j'emploierai à récompenser ma
mère pour sa bonté. » Il prit donc cet or et l'offrit à
(sa mère) Fille-de-manguier. Puis il retourna dans le
royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha).
Après que Æ’i-yu (Jivaka) eut guéri ces quatre per-
344 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
sonnes, sa renommée se répandit dans tout l'empire et il
n’était personne qui n’en fût informé. Dans le Sud il y
avait un grand royaume qui était à 8.000 /i de distance de
Lo-yue-tche (Râjagrha) ; le roi P’ing-cha (Bimbisâra) et
les divers autres petits rois lui étaient tous soumis.
Or le roi de ce royaume était malade depuis plusieurs
années sans pouvoir guérir (1); il souffrait constam-
ment d'accès de fureur; il regardait insolemment les
hommes et les faisait périr; quand quelqu'un levait les
yeux pour le voir, il le tuait, et quand quelqu’un baissait
la tête et ne la relevait pas, il le tuait aussi ; les hommes
qui marchaient trop lentement, il les tuait, et ceux qui
marchaient trop vite, il les tuait aussi; ceux qui étaient de
service à ses côtés ne savaient que faire de leurs mains et
de leurs pieds; quand un maître-médecin avait composé
un remède pour lui, le roi craignait qu'il n’y eût mis du
poison et le faisait périr. Innombrables étaient ceux qu'il
avait tués en diverses occasions, ministres, femmes du
harem et médecins. Cependant sa maladie s’aggravait de
jour en jour; l’ardeur du poison attaquait son cœur ; il
suffoquait et avait la respiration courte ; il y avait comme
un feu qui brülait son corps. Ayant entendu parlerde X1-yu
(Jivaka),ilenvoyaune lettre au roi P’ing-cha(Bimbisära) pour
lui notifier qu'il mandait X’i-yu (Jivaka)auprès de lui. A’1-yu
(Jivaka), qui avait entendu raconter que ce roi avait mis à
mort beaucoup de médecins, en fut fort effrayé ; quant au
roi P'ing-cha (Bimbisära), ayant pitié du jeune âge de
Ki-yu (Jivaka), et craignant qu'il ne fût mis à mort, il
désirait ne pas le faire partir, mais, d'autre part, il redou-
tait d’être châtié ; le père et son fils se serraient donc
l’un contre l’autre, se livraient jour et nuit au chagrin et
ne savaient quel parti prendre.Enfin le roi P’ing-cha (Bim-
bisâra) emmena Æi-yu (Jivaka) et avec lui se rendit
(1) Le texte tibétain traduit par Schiefner nous apprend que ce roi
était Canda Pradyota.
SÛTRAS DIVERS (N° 499; 315
auprès du Buddha; il l’adora en posant le visage sur
ses pieds, puis il dit au Buddha : « O Honoré du monde,
ce roi a un caractère méchant et je crains qu'il ne fasse
périr le roi-médecin ; faut-il que celui-ci aille vers lui ? »
Le Buddha répondit à Æ’1-yu (Jivaka) : « Dans une exis-
tence antérieure, vous et moi avons fait serment de tra-
vailler ensemble à secourir tout l’univers : moi, soignant
les maladies de l’âme; vous, soignant les maladies du
corps ; maintenant, j'ai obtenu de devenir Buddha ; c’est
pourquoi, conformément à notre ancien vœu, vous devez
rassembler tous les êtres devant moi (pour que je puisse
les guérir). Le roi est gravement malade ; il s’est adressé
à vous de loin; pourquoi n'iriez-vous pas auprès de lui?
Allez promptement le secourir ; imaginez quelque bon
procédé pour faire qu'il guérisse certainement de sa ma-
ladie ; ce roi ne vous tuera pas. »
Ki yu {Jivaka), ayant recu l'influence majestueuse du
Buddha, se rendit alors près du roi ; il examina son pouls,
puis il éclaira son corps au moyen du (bois) roi-médecin ;
il constata que, dans les cinq viscères du roi et dans ses
cent veines, le sang et le souffle étaient désordonnés et
que cela tenait à un venin de serpent qui entourait tout
son corps. Æ1-yu (Jivaka) dit au roi : «Je puis soigner votre
maladie, et, quand je l’aurai soignée, je vous garantis la
guérison ; il faut cependant que j'entre et que je voie la
reine-mère afin de m’entendre avec elle sur la composition
du remède ; si je ne vois pas la reine-mère, le remède ne
saurait être préparé convenablement. » En entendant ces
paroles, le roi n’en comprit pas la raison et il eut grande
envie de s’emporter ; cependant, comme il souffrait de la
maladie dans son corps, comme il connaissait de longue
date la renommée de Xi-yu (Jivaka) et comme, à cause de
cela, il s'était adressé à lui de loin dans l'espérance d'en
recevoir du bien, considérant d’ailleurs que Ai-yu (Jivaka)
était un jeune enfantet ne devait point y entendre malice,
316 SÛTRAS DIVERS (N° 491)
il prit patience et accorda ce qui lui était demandé; il
chargea donc un serviteur eunuque de l'introduire auprès
de la reine-mère. |
Ai-yu (Jivaka) dit à la reine-mère : « La maladie du roi
peut être soignéé : mais maintenant il faut composer le
remède, et, comme il faut n’en révéler que secrètement la
recette et ne pas la divulguer, il importe d’écarter les as-
sistants. » La reine-mère fit donc partir les serviteurs
eunuques. X’i-yu (Jivaka) dit alors à la reine-mère:« En
examinant la maladie du roi, j'ai reconnu que le sang et le
souffle de son corps étaient entièrement empoisonnés par
un serpent ; il semble qu'il y ait là quelque chose de non-
humain. De qui exactement le roi est-il le fils ? O reine-
mère, dites-moi la vérité et je pourrai le guérir ; si vous
ne me la dites pas, le roi ne pourra jamais se rétablir. »
La reine-mère lui dit: « Autrefois je me trouvais dans la
salle aux colonnes d’or et je m'étais couchée en plein jour;
soudain un être vint et se posa sur moi ; j'étais alors comme
hébétée, dans un état intermédiaire entre le rêve et la
veille et il me semblait que j'avais un cauchemar; j’eus des
relations sexuelles avec cet être et soudain je m’éveillai ; je
vis alors un grand serpent, long de plus de trente pieds
qui s’éloignait de dessus moi (1); puis je m’aperçus que
j'étais enceinte ; le roi est certainement le fils de ce serpent.
J'étais honteuse de cette aventure, et c’est pourquoi je n'en
(1) D’après le texte analysé par Harpy (Manual of Buddhism, p. 244), le
père du roi aurait été un scorpion. La tradition qui veut que le père du
roi ait été un serpent paraît être plus ancienne; elle rappelle la légende
relative à Alexandre le Grand que sa mère Olympias croyait avoir conçu
sous l'influence d'un serpent (SCHIEFNER, Mémoires de l'Ac. des Sciences de
St-Pétersbourg, t, XXII. n° 7, p. IV, n: 2). On la retrouve d’ailleurs en
Chine où la mère du futur empereur ÆXao-tsou, fondateur de la dynastie
des Han en 208 avant J.-C., devint enceinte après qu’un dragon fut monté
sur son corps pendant son sommeil; Xao-isou fut considéré comme le fils
de l'Empereur rouge qui s'était manifesté sous la forme d’un serpent et
c'est pourquoi, dit-on, il put triompher d’un autre serpent qui étaitl’Em-
pereur blanc, représentant de la dynastie des Ts’in (cf. SSEu-MA TS'IEN,
‘trad. fr., t. II, pp. 325 et 321).
SUTRAS DIVERS (N° 499) 347
avais soufflé mot; mais maintenant, jeune homme, vous
vous êtes aperçu de ce qui en était; quelle merveilleuse
science est La vôtre! [Si la maladie du roi peut être soignée,
je souhaite vous confier la vie du roi; maintenant, pour la
soigner], quel remède faut-il employer? X’i-yu (Jivaka)
répondit : « J'ai seulement besoin de beurre fondu. —
Hélas, jeune homme, s’écria la reine-mère, gardez-vous
de parler de beurre fondu, car le roi déteste en sentir
l'odeur et même il déteste en entendre prononcer Le nom ;
on compte par centaines et par milliers ces hommes qui,
en diverses occasions, ont péri pour avoir parlé de beurre
fondu. Si maintenant vous en parlez, certainement on vous
fera périr. Si vous en donnez à boire au roi, vous ne pour-
rez jamais faire descendre (cet aliment dans son corps); je
désire que vous ayez recours à quelque autre remède ».
K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Le beurre fondu combat le poi-
son ; aussi celui qui est malade à cause du poison déteste-
til sentir le beurre fondu. Si la maladie du roi était
légère et due à quelque autre poison différent, il y aurait
d’autres remèdes par lesquels on pourrait la guérir ; mais,
comme le venin du serpent était violent et qu'il a fait tout
le tour du corps, on ne peut plus le détruire que par le
beurre fondu.Maintenant il nous faut transformer le beurre
fondu en l’épurant de manière à ce qu'il devienne un li-
quide sans aucun goût ; le roi le boira alors tout naturel-
lement sans s’apercevoir de rien ; ce remède descendra et
la maladie sera guérie certainement ; ne vous inquiétez
donc pas. »
Puis Æ’i-yu (Jivaka) sortit et vint auprès du roi; il lui
dit: «Je viens d’avoir une entrevue avec la reine-mère et
je lui ai révélé la recette du remède : maintenant, elle va
le confectionner ; il sera prêt dans quinze jours ; mais j'ai
cinq désirs à formuler ; si vous consentez à ce que je vais
vous demander, votre maladie pourra aussitôt guérir; mais,
si vous n’y consentez pas, votre maladie sera inguéris-
348 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
sable. » Le roi lui ayant demandé en quoi consistaient ces
cinq désirs, À’i-yu (Jivaka) dit : « En premier lieu, je désire
que vous tiriez de votre magasin d'armures et que vous
me donniez un vêtement neuf qui n'ait pas encore élé porté
par vous ; en second lieu, je désire qu'on me laisse entrer
et sortir à ma fantaisie sans que personne me reprenne ;
en troisième lieu, je désire chaque jour être admis à voir
seul à seules la reine-mère et la reine sans que personne
me l’interdise ou me le reproche ; en quatrième lieu, je
désire, Ô roi, que, lorsque vous boirez le remède, vous le
buviez entièrement en levant la tête une seule fois et sans
vous arrêter au milieu de cet acte ; en cinquième lieu, je
désire avoir l’éléphant blanc royal qui parcourt huit mille
li; qu’on me le donne pour que je le monte. »
En entendant ces paroles, le roi se mit fort en colère et
dit: « Enfant, comment osez-vous m’exprimer ces cinq
désirs ? Je vous somme de les justifier tous par un bonne
raison; si vous ne les justifiez pas, je vous ferai périr
sous le bâton. Comment osez-vous demander un de mes
vêtements neufs ? C’est sans doute parce que vous voulez
me tuer, revêtir alors mes vêtements et vous faire passer
pour moi! » A'i-yu (Jivaka) répliqua : « Pour composer le
remède il est nécessaire d’être net et purifié ; or, je suis
venu ici depuis longtemps et mes vêtements sont cou-
verts de souillures ; voilà pourquoi je désire avoir un
vêtement du roi pour m'en servir quand je composerai le
remède. » Le roi comprit alors et dit: « S'il en est ainsi,
c'est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous pouvoir entrer
et sortir par la porte du palais sans que personne vous
l'interdise ou vous le reproche ? ne voulez-vous pas en
profiter pour amener des soldats qui m’attaqueront et me
tueront ? » K'i-yu (Jivaka) répondit : « À diverses reprises
déjà, Ô roi, vous avez employé des maïîtres-médecins ; mais
vous les avez tenus tous en suspicion et vous ne vous êtes
fié à aucun d’eux; puis vous les avez fait périr et vous
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 349
n'avez pas avalé leurs remèdes ; aussi, (quand je suis
venu,) tous les ministres disaient-ils que vous alliez me
faire périr à mon tour. Cependant, comme votre maladie
était fort grave, j'ai craint que des gens du dehors ne sus-
citent des troubles ; or, si vous m’autorisez à entrer et à
sortir sans que personne me l'interdise ou me le reproche,
les gens du dehors sauront tous que Votre Majesté a con-
fiance en moi, que par conséquent vous prendrez certai-
nement mon remède et que votre guérison est assurée ;
ils n’oseront plus avoir des intentions de révolte. » Le roi
dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous entrer
seul chaque jour pour voir ma mère et ma femme ? Serait-
ce que vous voulez vous livrer avec elles à la débauche ? »
Æi-yu (Jivaka) répliqua : « O roi, les gens que vous avez
tués en diverses occasions sont extrêmement nombreux ;
aussi vos sujets, grands et petits, sont-ils tous saisis de
peur etne désirent-ils point le rétablissement du roi; il
n’est donc aucun d’eux en qui on puisse avoir confiance ;
si maintenant je m'associais l’un d’eux pour composer le
remède, il profiterait d’un instant où je serais distrait pour
jeter dedans quelque poison sans que je m'en aperçoive;
cela ne serait pas peu grave. C’est pourquoi, en songeant
à qui je pourrais me fier comme à des personnes dont les
sentiments ne sont pas douteux, je n'ai trouvé que votre
mère et votre femme. J’oserai donc être introduit auprès
de la reine-mère et de la reine pour composer avec elles
le remède qui sera prêt quand on l'aura fait cuire pendant
quinze jours ; voilà pourquoi je désire entrer chaque jour
(auprès d'elles) afin de veiller à ce que le feu soit bien
égal. » Le roi dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-
vous que, lorsque je boirai le remède, je le boive d’un
trait et sans m'arrêter au milieu? Ne serait-ce pas que
vous voulez y mettre du poison et que vous craignez que
je m’en aperçoive ? » K’i-yu(Jivaka) répliqua : « Le remède
est dosé suivant certaines proportions ; les émanations et
350 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
les goûts qui le composent doivent agir simultanément;
si vous vous arrêtez au milieu, il n'y aurait plus de liaison
mutuelle (entre les éléments du remède). » Le roi dit:
« C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous avoir mon
éléphant et le monter ? Cet éléphant est le joyau de mon
royaume ; il peut parcourir huit mille /i en un jour; c’est
grâce à lui précisément que j'ai pu imposer ma domina-
tion sur les autres royaumes. Si vous voulez le monter, ne
serait-ce pas que vous désirez me le voler et le ramener
chez vous, puis attaquer mon royaume avec votre père. »
K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Sur la frontière sud de votre
pays, dans les montagnes, il y a une herbe médicale mer-
veilleuse qui pousse à quatre mille /! de distance d'ici;
quand vous boirez le remède, il est nécessaire que vous
ayez de cette herbe pour en manger après. Voilà pourquoi
je désire monter sur cet éléphant afin d’aller la cueillir en
partant le matin et en revenant le soir, en sorte que le
goût du remède soit encore présent. » Le roi entièrement
éclairé, accorda donc tout ce qui lui était demandé.
K'i-yu (Jivaka) se mit alors à épurer le beurre fondu
par la cuisson et, au bout de quinze jours, il l'eut rendu
pareil à de l’eau claire ; il en obtint en tout cinq dixièmes
de boisseau ; puis, en compagnie de la reine-mère et de la
reine, il sortit en tenant le remède ; il annonça au roi qu'il
pouvait le boire et lui exprima le désir que l’éléphant
blanc fût harnaché etfüt tenu prêt devant la salle du palais ;
le roi y consentit; quand le roi vit que le remède était
simplement comme de l’eau claire et n'avait aucune odeur
et aucun goût, il n’y reconnut point du beurre fondu; en
outre, comme la reine-mère et la reine avaient assisté en
personne à la confection de ce remède, il fut convaincu que
ce n’était pas du poison; alors donc, conformément à ce
qui avait été convenu d’abord, il le but entièrement d'un
seul trait. X’i-yu (Jivaka) monta alors sur l'éléphant ets’en
retourna tout droit dans le royaume de Lc-yue-lche (Räâja-
|
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k
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te sn
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 351.
grha); cependant, quand Æ'i-yu (Jivaka) eut franchi trois
mille li, comme il était jeune et que sa force de résistance
était faible, il ne put supporter la rapidité de la course ; la
tête lui tourna et sa fatigue fut extrême ; alors donc il
s'arrêta et se coucha. HAE NE,
Quand l'heure de midi fut passée, le roi fit un rot et
sentit l'odeur du beurre fondu ; il se mit alors fort en co-
lère et s’écria : « Le petit garçon s’est permis de m ingur-
giter du beurre fondu; je m'étonnais qu’il me demandât
mon éléphant blanc, mais c’est précisément parce qu'il
voulait se sauver loin de moi. » Le roi avait un ministre
nommé Corbeau (Kâka) qui était un homme vaillant ; sa
puissance surnaturelle lui permettait d'atteindre à pied.
cet éléphant ; le roi appela donc Corbeau et lui dit: «Allez
promptement à la poursuite de ce garçon et ramenez-le-
moi vivant; je veux le faire périr sous les coups de bâton
en ma présence. Cependant, vous manquez toujours de
frugalité et vous mangez et buvez avec avidité ; c'est pour-
quoi on vous a appelé Corbeau; or les gens tels que ce
maître-médecin se plaisentsouvent à se servir du poison;
si donc ce jeune garçon vous offre de la nourriture, gar-
dez-vous dela manger.»
Corbeau reçut ces instructions et se mit en marche ;il
rejoignit A’1-yu (Jivaka) dans la montagne et lui dit: «Pour-
quoi avez-vous ingurgité au roi du beurre fondu en pré-
tendant que c'était un remède? C'est pour cette raison
que le roi m’a ordonné de vous poursuivre et de vous
sommer de revenir ; revenez donc en toute hâte avec moi;
en présentant vos excuses et en vous avouant coupable,
peut-être aurez-vous quelque chance de conserver la vie;
mais si vous vous obstinez à vouloir partir, je vous tue-
rai sur-le-champ et vous ne sauriez m’'échapper. » A'i-yu
(Jivaka) songea à part lui: «Quoique j'aie trouvé un moyen
pour me procurer cet éléphant blanc, je ne saurais plus
échapper ainsi ; il faut maintenant que j'invente quelque
352 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
autre stratagème, car comment pourrais-je m’en aller à la
suite de cet homme ? » Il dit alors à Corbeau : « Depuis
ce matin je n'ai rien mangé ; si je me mets en route pour
revenir, je mourrai certainement ; mieux vaut que vous
m’accordiez un peu de répit pour que je trouve dans la
montagne des fruits à manger et de l’eau à boire ; quand
je serai rassasié, j'irai à la mort! » Voyant que K’i-yu
(Jivâka) était un jeune garçon qui était tout effrayé par la
crainte de la mortet qui s’exprimait péniblement, Corbeau
eut pitié de lui et lui accorda ce qu'il demandait en disant:
« Dépêchez-vous de manger et nous partirons ; nous ne
pouvons rester ici longtemps. » X’1-yu (Jivaka) prit alors
une poire eten mangea la moitié ; mais il versa dans
l’autre moitié une partie d’un poison qu'il avait mis sous
son ongle, puis il la posa à terre ; il prit en outre une
tasse d’eau, et, après en avoir bu la moitié, il fit aussi
passer dans ce qui restait de l’eau un peu du poison qu'il
avait sous son ongle ; ensuite il reposa la tasse à terre.
Puis il dit en soupirant : « Cette eau et cette poire sont
des remèdes célestes ; elles ont un parfum pur et sont
d’ailleurs exquises ; si on en boitet si on en mange, cela
fait que le corps est bien portant, que toutesles maladies
guérissent, que le souffle et la force sont en même temps
doublés ; il est regrettable qu'on ne les trouve pas sous
les murs de la capitale du royaume pour que tous les ha-
bitants puissent y avoir part, et il est fâcheux qu'elles res-
tent inconnuesdes hommesau fonddes montagnes.»Ayant
ainsi parlé, il s’avanca dans la montagne pour y chercher
d’autres fruits. Corbeau était d’un naturel glouton et il ne
savait pas se contenir pour le boire et le manger; de plus
il avait entendu Æ°1-yu (Jivaka) faire l'éloge deces remèdes
célestes et enfin il avait vu Æ'i-yu (Jivaka) lui-même en
boire et en manger, en sorte qu'il pensait que ces aliments
n'étaient certainement pas empoisonnés ; il prit donc ce
qui restait de la poire et la mangea ; il acheva de boire
2045: LUS
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 353
l'eau ; aussitôt il fut pris d’une dysenterie qui le fit aller
à la selle comme si c’eût été de l’eau courante ; il tomba à
terre et se coucha ; chaque fois qu'il se leva, il eut aussitôt
un vertige et retomba; il devint incapable de remuer.
K'i-yu (Jivaka) lui dit : « Le roi a pris ma médecine, et par
conséquent, sa maladie guérira certainement ; mais main-
tenant la force du remède n’a pas encore agi et ce qui reste
du venin en lui n’est pas encore entièrement détruit ; si
j'allais maintenant vers lui, il me manquerait pas de me
tuer. Vous ignoriez cela et aviez formé le désir de vous
emparer de moi pour vous acquitter du devoir qui vous
avait été imposé ; c'est pourquoi je vous ai rendu malade.
Mais cette maladie est sans gravité : gardez-vous de remuer
et dans trois jours vous serez rétabli ; maissi vous vous
levez pour me poursuivre, votre mort est absolument cer-
taine. » Il monta alors sur l’éléphant et partit. Au premier
hameau qu'il traversa, il dit à un chef de cinq hommes :
«Il y a là-bas un messager du roi qui vient soudain de tom-
ber malade ; allez promptement le prendre et ramenez-le
chez vous ; soignez-le bien; faites-lui une couche moel-
leuse; donnez-lui de la bouillie et prenez bien garde qu’il
ne meure; s'il venait à mourir, le roi détruirait votre
royaume. » Ayant ainsi parlé, il partit et s’en retourna
dans son pays. Le chef de cinq hommes se conforma aux
ordres qui lui avaient été donnés; il alla chercher Corbeau,
le recueillitetle soigna ; au bout de trois jours, le poison
ayant été entièrement éliminé par en bas, Corbeau revint
voir le roi et, se prosternant la tête contre la terre devant
lui, il dit: « En vérité, je suis un sot et un insensé ; j'ai con-
trevenu aux recommandations de Votre Majesté et j'ai
ajouté foi aux paroles de Æ'i-yu (Jivaka) ; j'ai bu et mangé
ce qu'ilavait laissé d’eau et de fruits ; jai été ainsi atteint
et j'ai eu la dysenterie pendant trois jours ; et ce nest
que maintenant que je vais mieux. Je sais que je mérite la
mort. »
II. 23
FEV EE" AR NACRE
L D ut 8
354 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
Pendant les trois jours qui s'étaient écoulés avant que
Corbeau revint, le roi avait guéri de sa maladie ;
il avait réfléchi sur ses actes et il s’était repenti d’avoir fait
partir Corbeau ; quand il le vit revenir, il se sentit partagé
entre la compassion et la joie, et lui dit : « C'est grâce à
vous que le jeune garçon n’a pas été ramené ici au mo-
ment où J'étais irrité et où certainement je l’aurais fait pé-
rir sous les coups. Or j'aireçu de lui un bienfait et j'ai pu
renaître à la vie; si, au lieu de le récompenser, je l'avais
fait périr, ma perversité aurait été grande. » Alors le roi
eut des remords au sujet de tous ceux qu'ilavait fait périr
injustement en diverses occasions ; il leur fit des funé-
railles honorables et exempta de taxes leurs familles en
leur donnant en outre de l'argent; il désirait revoir Æ1-
yu (Jivaka) et voulait le remercier pour le bienfait qu’il
lui avait rendu; il envoya donc des messagers qu’il chargea
d'aller chercher Xi-yu (Jivaka) ; bien que celui-ci sût que
le roi était guéri de sa maladie, il conservait encore quel-
que reste de crainte et ne désirait plus revenir auprès de
lui. Dans cette occurence, X’1-yu (Jivaka) se rendit de nou-
veau auprès du Buddha; il posa en signe d'hommage la
tête sur ses pieds, puis illui dit: « O Honoré du monde, ce
roi aenvoyé des messagers qui sont venus pour m’'appe-
ler; dois-je partir ? » Le Buddha répondit : « X’i-yu (Jivaka),
dans une existence antérieure vous avez fait le grand
vœu de réaliser une action méritoire ; comment pourriez-
vous vous arrêter à mi-chemin ? Il vous faut maintenant
repartir ; quand vous aurez guéri la maladie externe de ce
roi, moi à mon tour je guérirai sa maladie interne. » Æ1-
yu (Jivaka) partit donc à la suite des messagers.
Quand le roi vit X'i-yu (Jivaka),il en eut une très grande
joie ; il l’amena et le fit asseoir avec lui ; le tenant par le
bras, il lui dit: « Grâce au bienfait que vous avez eu pour
moi, j'ai obtenu maintenant une vie nouvelle ; comment
vous récompenserai-je ? Je veux diviser mon royaume et
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 355
vous en donner la moitié ; les belles femmes de mon ha-
rem,et tous les objets précieux de mes magasins et de mes
trésors, je vous en donnerai la moitié; je souhaite que
vous acceptiez. » X’i-yu (Jivaka) répondit : « J'étais autre-
fois prince-héritier ; quoique ce fût dans un petit royaume,
j'aurais eu cependant une population et des richesses très
suffisantes ; mais je ne me plaisais point à gouverner un
royaume et c'est pourquoi j'ai demandé à devenir médecin.
Devant voyager pour soigner les malades, que ferais-je
d'un territoire, de femmes et de trésors ? Tout cela ne me
serait d'aucune utilité. O roi ! précédemment, en consen-
tantà cinq de mes désirs, votre maladie externe a été gué-
rie; maintenant, si vous m'accordez un seul désir, votre
maladie interne, elle aussi, pourra être supprimée. » Le roi
répondit : « Je suis prêt à recevoir vos instructions : je
vous prie de m’exprimer ce désir. »
Ki-yu (Jivaka)dit : «Je désire, Ô roi, que vous invitiez le
Buddha à venir et que vous receviez de lui la sage Loi. »
Il profita de cette occasion pour exposer au roiles mérites
du Buddha etsa dignité d’une élévation toute particulière.
En l’entendant, le roi dit tout joyeux: « Je veux mainte-
nant envoyer mon ministre Corbeau, monté sur l'éléphant
blanc, pour qu'il aille chercher le Buddha ; pourrai-je
ainsi le faire venir?» Æ’i-yu (Jivaka) répliqua : « Point n’est
besoin de l'éléphant blanc. Le Buddha comprend tout ; de
loin il connaît les pensées qui sont dans le cœur des
hommes ; contentez-vous pendant quelque temps de vous
soumettre aux abstinences et aux purifications ; puis pré-
parez des offrandes, brûlez des parfums et rendez hom-
mage de loin en vous tournant du côté duBuddha; ensuite,
mettez-vous à deux genoux et exprimez votre invitation :
le Buddha viendra certainement de lui-même. »
Le roi suivit cet avis, et le lendemain même, le Bud-
dha arriva avec son cortège de mille deux cent cinquante
bhiksus. Quand il eut fini de manger, il expliqua au roi
:356 SUTRAS DIVERS (N° 499)
Jes textes saints : alors l'intelligence du roi s’ouvrit et il
-conçut aussitôt le sentiment de la sagesse sans supérieure
correcte et vraie (anuttara samyak sambodhi); tous les
habitants du royaume, grands et petits, acceptèrent tous
les cinq défenses, puis, après avoir rendu hommage avec
respect, se retirèrent.
(Voici) encore {ce qu’on raconte au sujet de) Fille-de-
manguier : dès sa naissance elle avait été extraordinaire ;
quand elle fut grande, elle se montra intelligente ; elle
avait étudié auprès de son père et connaissait bien la doc-
trine des livres saints; en ce qui concernait les théories
du mouvement des astres, elle était même supérieure à
son père ; en plus, elle était versée dans l’art musical et
chantait comme un deva de Brahma. Des filles de kia-lo-
yue (grhapati) et de brahmanes, au nombre de cinq cents,
allèrent toutes auprès d’elle pour étudier et pour qu’elle
fût leur grand maître. Fille-de-manguier, toujours suivie
de ses cinq cents disciples, célébrait etrépandait la doctrine
des livres saints; parfois, elle allait avec elles se promener
dans les parcs et près des étangs pour y faire de la mu-
sique. Les gens du pays, qui ne comprenaient pas la rai-
son de sa conduite, se mirent à dire des calomnies sur
son compte ; ils prétendirent qu'elle était une fille de
débauche et on surnommait ses cinq cents disciples « la
bande des débauchées ».
A l’époque où Fille-de-manguier était née, dans ce
même royaume étaient nées aussi,au même moment, Fille-
de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-fan (udambara). Fille-
de-stu-man (sumanâ) était née dans une fleur de siu-
man; dans ce royaume, il y avait un kta-lo-yue (grhapati) :
chez qui on pressait (des fleurs de) stu-man (sumanâ) pour
en faire une huile parfumée ; or, sur le côté de la pierre
qui servait à exprimer l'huile, apparut soudain une excrois-
sance qui, grosse d’abord comme une balle d’arbalète,
augmenta de jour en jour jusqu à être comme le poing;
vs cod RARE ES
s.
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 357 :
à ce moment, la pierre éclata brusquement et on aperçut.
dans l’excroissance de la pierre un conglomérat, sem-
blable à la lueur d’un ver luisant, qui sortit comme une
flèche et tomba à terre; au bout de trois jours, il donna
naissance à (une plante de) stu-man (sumanû) ; trois jours
après, cette plante produisit une fleur, et, quand la fleur.
s'épanouit, il y avait au centre une petite fille ; le kia-lo-yue
(grhapati) la recueillit et la nourrit; on la nomma Fille-
de-siu-man (sumanä) ; quand elle fut devenue grande,
elle se trouva être d’une beauté remarquable; en outre,
elle était capable et intelligente ; elle ne le cédait qu’à
Fille-de-manguier.
En ce même temps, il y avait encore un brahmane; dans
son étang à bains un lotus bleu poussa spontanément;
la fleur en fut d’une grosseur toute particulière et aug-
menta de jour en jour jusqu’à devenir comme une jarre
d'une contenance de cinq boisseaux ; quand la fleur s’ou-
vrit, on aperçut au centre une petite fille ; le brahmane la
recueillit et la nourrit; on la nomma Fille-de-po-Fan
(udambara) ; quand elle grandit, elle devint encore plus
belle ; elle était capable et intelligente, tout comme Fille-
de-siu-man.
En entendant parler de la beauté sans rivale de ces deux
jeunes filles, les rois des divers royaumes venaient à
l'envi pour les demander en mariage; mais ces deux
jeunes filles répondaient : « Nous ne sommes point nées
d’un fœtus ; nous sommes sorties de la fleur d’une plante ;
nous ne sommes donc point semblables aux femmes ordi-
naires; quelle nécessité y a-t-il à ce que nous suivions
un homme de ce monde pour nous marier ? » Puis,
quand elles entendirent parler de l'intelligence sans
rivale de Fille-de-manguier et qu’elles apprirent que sa
naissance avait été semblable à la leur, elles quittérent
toutes deux leur père et leur mère pour aller se mettre
au service de Fille-de-manguier et lui demander à être
358 SÛTRAS DIVERS (N° 499)
ses disciples ; par leur intelligence des livres saints et
par leur sagesse, elles l’emportèrent toutes deux sur les
cinq cents autres disciples.
En ce temps, le Buddha était entré dans le royaume de
Wei-ye-li (Vaiçâli); Fille-de-manguier, emmenant avec
elle ses cinq cents disciples, sortit à sa rencontre ; elle
lui rendit hommage de son visage, puis elle se mit à deux
genoux et lui dit : « Je désire, à Buddha, que vous veniez
demain dans mon parc pour y manger. » Le Buddha
accepta par son silence. Fille-de-manguier, étant revenue
chez elle, fit tous les préparatifs de l’offrande. Quand le
Buddha vint et entra dans la ville, le roi du royaume était
aussi sorti de son palais pour venir à sa rencontre ; après
lui avoir rendu hommage, il se mit à deux genoux et l'in-
vita en disant : «Je désire que vous veniez demain dans
mon palais pour y manger. » Le Buddha répondit : « Fille
de-manguier m'a précédemment déjà invité ; vous venez
après elle ». Le roi reprit : « Je suis le roi du royaume ;
c'est de tout mon cœur que je suis venu vous inviter, à
Buddha, et j'espérais certes que vous accepteriez. Fille-
de-manguier n’est qu'une fille de débauche ; chaque jour
avec cinq cents autres femmes débauchées, ses disciples,
elle commet des actions illicites. Comment pouvez-vous
me rejeter pour accepter son invitation ? »
Le Buddha répliqua : « Cette fille n'est point une fille
débauchée. Dans une vie antérieure, elle s’est acquis un
grand mérite pour avoir fait des offrandes à trois cent
mille Buddhas ; autrefois en outre, elle, ainsi que Fille-
de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-l'an(udambara) étaient
trois sœurs: Fille-de-manguier était l’ainée; (Fille-de-)
siu-man (sumanâ) était la seconde ; (Fille-de-) po-Pan
(udambara) était la plus jeune; elles étaient nées dans
une famille puissante et fort riche ; se donnant l'exemple
l’une à l’autre, ces trois sœurs faisaient des offrandes à
cinq cents bhiksunis, et chaque jour elles leur préparaient
mme tn
1
SÛTRAS DIVERS (N° 499) 359
à boire et à manger et leur faisaient des vêtements ;
veillant à toutes les choses qui pouvaient leur manquer,
elles les leur fournissaient aussitôt; cela dura jusqu’à la
fin de leur vie. Ces trois sœurs avaient constamment formé
ce vœu : « Nous souhaitons, dans notre vie à venir, ren-
contrer le Buddha, obtenir de naître par transformation
spontanée, sans passer par l’état de fœtus et à l'abri de
toutes les souillures. Maintenant, conformément à leur
ancien vœu, elles sont nées précisément à l’époque où je
suis sur la terre. D'autre part, quoique autrefois elles aient
fait des offrandes aux bhiksunis, cependant, comme elles
étaient les filles d’une famille puissante et riche, elles
tenaient des propos trop libres; parfois elles se moquaient
des bhiksunis, disant : « O religieuses, voici longtemps que
vous avez l’air chagrin ; vous devez désirer vous marier ;
mais, retenues par nos offrandes et nos soins, vous ne
pouvez pas donner libre cours à vos passions. » Voilà
pourquoi maintenant ces jeunes filles subissent cette
peine ; quoique chaque jour elles louent la doctrine des
livres saints, elles sont en butte sans motif à l’accusation
de débauche. Quant à ces cinq cents disciples, elles aussi
avaient uni leurs forces à celles de ces jeunes filles, Les
avaient aidées à faire des offrandes et y avaient pris plai-
sir d’un même cœur; c'est pourquoi, maintenant, elles
sont nées avec elles; le fruit de leurs actions les a
suivies.
« Ai-yu (Jivaka), en ce temps, était le fils d'une pauvre
famille ; voyant Fille-de-manguier faire des offrandes, il
en conçut beaucoup d’admiration etde joie ; mais, comme
il ne possédait rien, il se mit à balayer constamment pour
les bhiksûünis ; toutes les fois qu’il avait rendu la place
propre et nette en balayant, il formulait ce souhait :
« Puissé-je balayer aussi promptement toutes les mala-
dies et les impuretés qui sont dans le corps des hommes
en ce monde. » Fille-de-manguier, qui avait compassion
360 EÛÜTRAS DIVERS (N° 499)
de sa pauvreté et qui approuvait ses efforts, l’appelait tou-
Jours son fils ; quand une bhiksunî était malade, elle char-
geait toujours Æ’1-yu (Jivaka) d'aller appeler le médecin,
puis de composer la potion ou le remède; elle disait:
«Puissiez-vous, dansune existence ultérieure, obtenir avec
moi le bonheur produit par cette bonne œuvre. » Quand
K'i-yu (Jivaka) allait chercher un médecin, tous ceux que
soignait celui-ci guérissaient; Â’i-yu fit alors ce vœu : « Je
souhaite être, dans une existence ultérieure, un grand
roi-médecin, soigner toujours les maladies des quatre
éléments composant les corps de tous les hommes et
guérir tous ceux auprès de qui j'irai. » Grâce à toutes les
causes provenant des temps antérieurs, il est donc main-
tenant devenu le fils de Fille-de-manguier et tout s’est
passé conformément à son vœu primitif. »
Ayant entendu ces paroles du Buddha, le roi se mit à
deux genoux, se repentit de ses fautes et ajourna son invi-
tation au lendemain. Le lendemain, le Buddha arriva avec
tous les bhiksus dans le parc de Fille-de-manguier ; il
exposa à cette dernière tout le mérite qu’elle s'était ac-
quis par son ancien vœu; en entendant les textes saints,
ces trois filles sentirent leur intelligence s'ouvrir et elles
se réjouirent en même temps que les cinq cents disciples ;
elles entrèrent en religion pour pratiquer la bonne con-
duite et s’y appliquèrent avec énergie et sans relâche ;
toutes obtinrent la sagesse d’arhat.
Le Buddha dit à Ânanda : «Il vous faut conserver ces
enseignements pour les exposer aux disciples des quatre
classes, et ne pas les laisser se perdre. Que tous les êtres
vivants veillent bien sur leurs actes, leurs paroles et leurs
pensées et qu'ils ne se laissent pas aller à l’arrogance et
à une trop grande liberté ; pour avoir autrefois raillé des
bhiksunis, Fille-de-manguier fut en butte maintenant à
l'accusation calomnieuse d’être une débauchée. Il vous
faut donc veiller sur ce que font votre corps, votre
SÛTRAS DIVERS (N°.499) 361
bouche et votre pensée ; formulez toujours des souhaits
excellents ; ceux qui vous entendront se réjouiront en
votre compagnie et accepteront avec foi et joie (votre
exemple). Ne faites pas d’accusations calomnieuses, car
vous tomberiez dans les enfers où vous subiriez les autres
punitions telles que celles de naïtre en qualité d'animal ;
puis, après avoir passé ainsi des centaines et des mil-
liers de kalpas, votre rétribution serait d’être un homme
pauvre et méprisé, n'entendant pas la vraie Loi, né dans
une famille hérétique, rencontrant toujours un méchant
roi et ayant un corps mutilé. Il vous faut done mettre en
pratique ces enseignements, les retenir et les réciter et,
pendant tous les temps à venir, ne jamais permettre qu'ils
se perdent. »
Alors Ânanda se leva de son siège ; il rendit hommage
aux pieds du Buddha en appuyant sur eux sa tête ; il se
mit à deux genoux, joignit les mains et dit au Buddha :
« O Honoré du monde, quel est le nom qu'il faut donner
au sûtra où est exposé ce point important de la doctrine ? »
Le Buddha répondit à Ânanda : « Le nom de ce sûtra est :
Sûtra de l’avadäna de Fille-de-manguier et de Æi-yu
(Jivaka), Mettez en pratique la doctrine qui vient de vous
être montrée ; faites des offrandes aux bhiksus et aux
bhiksunîs ; donnez des remèdes, allez chercher des méde-
cins ; réjouissez-vous avec les autres de ce que, pour avoir
fait (autrefois) un vœu, ils obtiennent maintenant une
récompense. Observez bien tout cela. »
Quand le Buddha eut prononcé ce texte sacré, la grande
assemblée composée des huit catégories qui sont les
hommes, les devas, les nâgas, etc., ayant entendu ce
qu'avait dit le Buddha, se mit avec joie à pratiquer ses
préceptes.
362 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
N° 500.
LE SÜTRA DU PRINCE HÉRITIER SUDÂNA (Stu-la-na).[1].
(Trip., VI, 5, pp. 90 v°-95 r°.)
Voici ce que j'ai entendu raconter: Un jour le Buddha
se trouvait à Chô-wet (Grâvasti), dans le Tche-houan (Jeta-
vana), dans l’a-lan (aranya) d’A-nan-pin-lch'e (Anâthapin-
dada) ; il se trouvait alors en compagnie d’une multitude
innombrable de bhiksus, de bhiksûnis, d’upâsakas et
d’upâsikâs et était assis au centre de ses disciples des quatre
catégories; or, le Buddha se mit à sourire, et, de sa bouche
sortit une clarté de cinq couleurs. A-nan (Ânanda) se
leva de son siège, disposa en bon ordre ses vêtements,
joignit les mains, se mit à deux genoux et dit au Buddha :
« Depuis plus de vingt ans que je suis aux côtés du Buddha,
je ne l'ai jamais vu rire comme aujourd’hui. Maintenant,
à Buddha, pensez-vous à quelque Buddha du passé, du
futur ou du présent ? Il faut que vous ayez eu quelque
idée spéciale ; je désirerais en être informé. » Le Buddha
dit à Ânanda : « Je ne pensais point à un Buddha du passé,
du futur ou du présent; j’ai songé aux circonstances dans
lesquelles, il y a de cela d'innombrables asamkhyeyas
(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, n° 254), a été traduit sous la dynastie
des Ts'in occidentaux (385-431) par le cramana Cheng-kien, qui écrivait
entre 388 et 407 p. C. Il correspond au fameux Vessantara jâtaka.
Que signifie le nom de Siu-ta-na qui est ici donné au prince héritier ?
Il semble bien que, pour celui qui a fait cette transcription, l'original
sanscrit devait être Sudâna (excellente charité) ; cependant cette trans-
cription parait ètre fondée sur une forme altérée d’un original qui pour-
rait être Sudanta (aux belles dents) ou Sudânta (le bien duompté).
(Cf. Foucher dans BEFEO, 1901, p. 353, n. 2, et 1903, p. 413, n. 7); voyez
aussi Sylvain Lévi (Journal asialique, mars, avril 1900, p. 324, n. 2).
ET DS
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 363
kalpas, je pratiquai la pâramitàâ de bienfaisance (dâna) ».
Ânanda demanda au Buddha : « Quelles sont les circons-
tances dans lesquelles vous avez pratiqué la pâramitä de
bienfaisance ? »
Le Buddha répondit: « Autrefois, ily a de cela des
kalpas dont on ne saurait faire le compte, il y avait un
grand royaume nommé Che-po # 3% (Cibi) ; le nom du
roi était Che-po ;& ÿk ; 1l gouvernait son royaume en ap-
pliquant les lois correctes ; il ne faisait pas tort aux gens
du peuple. Ce roi avait quatre mille grands ministres;
il dominait sur soixante petits royaumes ct huit cents
villages ; il possédait cinq cents éléphants blancs. Or ce
roi avait vingt mille épouses, mais n'avait pas un seul
fils ; il adressa donc des prières à toutes les divinités,
ainsi qu'aux montagnes et aux cours d’eau: une de ses
femmes alors s’aperçut qu’elle était enceinte; le roi se
mit donc à l’entourer de soins; il prescrivit qu on lui don-
nât tout ce qu’il y avait de plus fin en fait de lit, de literie,
de boissons et d’aliments ; dès que les dix mois furent
écoulés, le prince héritier naquit. Les vingt mille femmes
du harem, en apprenant que le prince héritier était né,
sautèrent toutes de joie et le lait jaillit spontanément de
leurs seins ; c’est pourquoi on donna au prince héritier le
nom de Siu-la-na (Sudâna). Il y eut quatre nourrices qui
entourèrent de leurs soins l’héritier présomptif: l’une
d'elles l’allaitait; la seconde le tenait dans ses bras; la
troisième le lavait ; la quatrième le prenait pour le faire
jouer ; quand le prince atteignit sa seizième année, il était
accompli dans l'écriture, le calcul, le tir à l'arc, l'art de
diriger un char, ainsi que dans les rites et la musique; il
servait son père et sa mère comme s'il eût servi des divi-
nités célestes. Le roi fit pour lui un paiais spécial.
Dès sa jeunesse, le prince héritier se plut à faire des
libéralités à tous les hommes qui étaient dans le monde,
ainsi qu'aux oiseaux qui volent et aux quadrupèdes qui
364 sûrras Divers (N° 500)
marchent; il désirait faire que tous les êtres vivants.
eussent perpétuellement ce qui pouvait les rendre heu-.
reux, L'homme stupide, par avarice et avidité, n’est pas
disposé à faire des libéralités ; dans son ignorance et son
aveuglement il se trompe lui-même en pensant que la cha-
rité ne lui est d'aucun profit. Mais le sage, quand il se
trouve dans le monde, comprend que la charité est une
vertu. Les hommes charitables sont ceux que louent d’une
voix unanime les Buddhas, les Pratyeka Buddhas et les
Arhats du passé, de l'avenir et du présent.
Quand le prince héritier fut devenu adulte, le grand roi
lui choisit une épouse; son nom était Man-lch'e (Madri) (4);
elle était fille d'un roi; sa beauté était sans égale ; des
parures de vaidürya (lieou-li), d’or et d'argent et de di-
verses substances précieuses ornaient son corps.
Le prince héritier eut un fils et une fille.
Le prince héritier songea qu’il voulait se conduire
d’après la pâramità de charité. Il annonça au roi qu’il dé-
siraitsortir pour se promener et voir le pays; le roi y ayant
consenti, le prince héritier sortit aussitôt de la ville.
Cakra, roi des devas, descendit sous la forme d'hommes
qui étaient pauvres, sourds, aveugles ou muets et qui
tous se trouvaient sur le bord de la route. Quand le prince
héritier les eut vus, il fit faire volte-face à son char et ren-
tra au palais ; il était plongé dans une profonde tristesse
et ne se réjouissait plus. Le roi lui demanda pourquoi il
ne se livrait plus à la joie depuis qu’il était revenu de son
excursion. Il répondit: « Lorsque je suis sorti, j'ai aperçu
des hommes pauvres, sourds, aveugles, ou muets ; c’est
pourquoi je m'afflige. Je voudrais vous exprimer un désir ;
mais je ne sais point, Ô grand roi, si vous me donnerez
votre consentement. » Le roi lui dit: «Que désirez-vous ?
Je vous accorde ce que vous exigerez et je ne m'oppose-
{1) En réalité la transcription Man-tch'e suppose un original Mandi.
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 365
rai point à vos intentions. » Le prince héritier lui répondit :
« Je désire avoir toutes les richesses précieuses qui sont
dans le trésor de votre Majesté, les mettre en dehors
des quatre portes de la ville et les étaler sur la place du
marché pour en faire des libéralités, pour accorder tout ce
qu’on demandera et pour ne m'opposer aux désirs de per-
sonne. » Le roi lui dit: « Faites comme il vous plaira ;
je ne vous résiste point. » Le prince héritier chargea donc
les ministres qui étaient à ses côtés de transporter les ri-
chesses précieuses, de les étaler en dehors des quatre
portes de la ville ainsi que sur la place du marché pour
qu'on püt en faire des libéralités, satisfaire à tous les dé-
sirs des hommes et de ne s'opposer à aucune envie. Dans
les huit directions, au zénith etau nadir, il n’y eut personne
qui ne fût informé de l’acte méritoire qu’accomplissait le
prince héritier ; des quatre points cardinaux les gens accou-
rurent, les uns venant de cent /: de distance, les autres de
mille /r, les autres de dix mille /:; ceux qui avaient envie
de manger, on les nourrissait; ceux qui désiraient des
vêtements, on leur en livrait; ceux qui souhaitaient obte-
nir de l’or, de l’argent ou des joyaux, on leur en donnait
tant qu'ils en voulaient; on accordait à chacun l’objet de
son désir et on ne s’opposait à aucune envie.
En cetemps, un roi rival qui était animé de mauvaises
intentions, apprit que le prince héritier se plaisait à faire
des libéralités, qu'il accordait tout ce qu'on lui demandait
et qu'il ne s’opposait à aucune envie. Il réunit donc ses
ministres et une foule de religieux pour tenir conseil avec
eux ; il leur dit: « Le roi du royaume de Che-po à un élé-
phant blanc marchant sur des lotus; son nom est(1) Siu-
(1) Ce nom pourrait être la transcription du sanscrit Sudânayâna :
monture de Sudâna. Le mot dâna a l'avantage de suggérer un autre
sens, Car il désigne la liqueur odorante qui découle des tempes de l'élé-
phant en rut; il est intéressant de remarquer que cet éléphant est pré-
cisément désigné par un récit de la Jâtakamäla (9° récit, p. 73, note 2),
comme un «scent elephant», En pâli, le nom de cet éléphant est Paccaya.
366 SÜTRAS LIVERS (N° 500)
l'an-yen; il est très fort et vaillant au combat; toutes les fois
que des batailles ont été livrées contre d’autres royaumes,
cet éléphant a toujours remporté la victoire ; qui se charge
d'aller demander qu'on le lui donne ? » Tous les ministres
répondirent qu'ils étaient incapables d’aller et de l’obte-
nir ; cependant il y avait dans l'assemblée huit religieux
qui dirent au roi: « Nous nous chargeons d'aller et de
demander qu'on nous remette cet éléphant. Donnez-nous
quelques provisions de route. » Le roi leur en donna, puis
ajouta : « Si vous pouvez vous assurer la possession de
cet éléphant, je vous récompenserai grandement. » Les
huit religieux se mirent donc en route et prirent en main
leur bâton ; franchissant au loin les montagnes et les ri-
vières, ils parvinrent dans le royaume de Che-po et arri-
vèrent à la porte du palais du prince héritier; tous
s'appuyant sur leur bâton et levant un pied, restèrent
debout tournés vers la porte. Alors le gardien de la porte
vint avertir le prince héritier que, au dehors, il y avait des
religieux qui tous, appuyés sur leur bâton et levant un
pied, restaient debout et disaient: « Nous sommes venus
exprès de loin parce que nous désirons demander qu'on
nous donne quelque chose. » En entendant ces mots, le
prince héritier fut très joyeux ; il sortit pour aller à la ren-
contre des religieux, s’avança vers eux et leur rendit hom-
mage comme le ferait un fils qui voit son père; il
s'informa ensuite d’eux avec sollicitude, leur demandant
d'où ils venaient, s’ils avaient pu n'être pas fatigués du
voyage, enfin quel était l’objet de leur désir pour qu'ils
tinssent ainsi un pied levé en l’air. Ces huit religieux lui
dirent: « Nous avons entendu raconter que le prince héri-
tier se plaisait à faire des libéralités, qu'il accordait tout
ce qu’on lui demandait et ne s’opposait à aucune envie;
la réputation du prince héritier s’est répandue dans les
huit directions ; en haut, elle a pénétré dans le ciel azuré ;
en bas, elle a atteint les sources jaunes ; les mérites qu'il
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 367
s’est acquis par ses libéralités sont immenses ; au loin et
au près on le célèbre dans des chants et il n’est personne
qui n’en soit informé. Ce que les hommes disent de vous,
ô prince héritier, est vrai et non faux. Vous êtes mainte-
nant le fils de l'homme divin ; or, la parole de l’homme
divin n’est jamais trompeuse. Donc, puisque vous êtes
réellement capable de faire des libéralités et de ne pas
vous opposer aux désirs des hommes, nous voudrions
vous demander le don de l'éléphant blanc qui marche sur
des lotus. » Le prince héritier se rendit alors à l’écurie
des éléphants et en fit sortir un éléphant; mais les reli-
gieux lui dirent: « Celui que nous désirons précisément
avoir, c'est l'éléphant blanc qui marche sur des lotus, celui
dont le nom est Siu-l'an-yen. » Le prince héritier répliqua:
« Ce grand éléphant blanc est fort aimé et estimé du roi
mon père qui le regarde du même œil dont il me re-
garde moi-même; je ne saurais vous le donner. Si je vous
le donnais, je perdrais l'affection de mon père; il serait
peut-être capable, à cause de la faute que j'aurais com-
mise concernant cet éléphant, de me chasser et de me
faire sortir du royaume. » Le prince héritier fit cependant
cette réflexion : « J’ai fait auparavant le vœu solennel d’ac-
corder toutes les libéralités qu'on me demanderait et de
ne m'opposer à aucun désir. Si maintenant je refuse, je
contreviens à mes intentions primitives. Si je ne donne
pas cet éléphant, par quel moyen pourrais-je atteindre au
but de la pâramitâ sans supérieure et égale pour tous? Je
consens à le donner afin de réaliser la pâramità sans supé-
rieure et égale pour tous. » Le prince héritier déclara donc :
« J'y consens; c’est fort bien, je désire vous le donner. » Il
ordonna à ceux qui l’entouraient de mettre à cet éléphant
sa selle d’or et de l’amener promptement. Le prince héri-
tier, de la main gauche, prit de l’eau dont il lava les mains
des religieux, et, de la main droite, iltira l'éléphant pour le
leur donner. Quand ces huit hommes furent en possession
368 SUTRAS DIVERS (N° 500)
de l'éléphant, ils prononcèrent un souhait de bénédiction
en faveur du prince, puis, quand ils eurent formulé ce
souhait, ils montèrent tous sur l’éléphant blanc et s’en
allèrent fort joyeux. Le prince héritier leur dit encore :
« Partez promptement, car, si le roi savait ce qui vient de
se passer, il pourrait envoyer des gens à votre poursuite
pour vous enlever l'éléphant. » Ces huit religieux s’en
allèrent donc en toute hâte.
Quand les ministres du royaume surent que le prince
héritier avait fait don de l’éléphant blanc à leur ennemi,
ils furent tous saisis de stupéfaction et de crainte ; tombant
de leur lit à terre, ils étaient plongés dans le chagrin et
ne se réjouissaient plus ; ils songeaient: « Notre pays ne
pouvait s'appuyer que sur cet éléphant pour repousser les
royaumes rivaux. » Ils allèrent dire au roi: « Le prince
héritier a pris l'éléphant précieux qui, dans notre
royaume, repoussait les royaumes rivaux et ilen a fait don
à notre ennemi. » En entendant ces mots, le roi fut tout
déconcerté, ils ajoutèrent : « O roi, si maintenant vous
avez obtenu l'empire, c’est parce que vous aviez cet élé-
phant qui était plus fort que soixante éléphants. Mainte-
nant que le prince héritier l’a donné à notre ennemi, je
crains que cela ne cause la perte du royaume. Que faut-il
faire ? En se livrant ainsi à toutes les libéralités dont il a
fantaisie, le prince héritier videra journellement le trésor
_du palais; nous craignons qu'il ne finisse par donner le
royaume entier ainsi que sa femme et ses enfants. » En
entendant ces paroles, le roi sentit redoubler son mécon-
tentement ; il appela un de ses ministres etlui demanda :
« Est-il bien vrai que le prince héritier ait pris l'éléphant
blanc pour le donner à notre ennemi?» Sur la réponse
affirmative de ce ministre, le roi fut de nouveau grande-
ment épouvanté ; il tomba de son lit par terre, et, si grande
était son affliction qu’il ne reconnaissait plus personne ;
on l’aspergea d’eau fraiche et, au bout d'un assez long
SÜTRAS DIVERS (N° 500) 369
temps, il reprit ses sens. Ses vingt mille épouses elles
aussi n'étaient plus joyeuses.
Le roi délibéra avec ses ministres et leur demanda quelle
conduite il fallait tenir à l'égard du prince héritier. Un des
ministres répondit : « Celui qui entre avec ses pieds dans
: l'écurie des éléphants, on doit lui couper les pieds; celui
qui emmène avec ses mains un des éléphants, on doit lui
couper les mains; celui qui a regardé avec ses yeux un des
éléphants, on doit lui arracher les yeux. » Un autre dit
qu'il fallait lui couper la tête. Tels étaient les divers avis
qu'émettaient les ministres dans la délibération. En enten-
dant leurs paroles, le roi fut grandement attristé ; il dit à
ses ministres : « Mon fils aime fort la sagesse et se plait
à faire la charité aux gens. Puis-je l’en empêcher en l’ar-
rêétant et en l’enfermant ? » Un des grands ministres qui
se trouvaient là blâma l’avis exprimé par les autres minis-
tres et le condamna en disant :« OÔ roi, vous n’avez que ce
seul fils et vous le chérissez fort. Pourquoi voudriez-vous
le supplicier et le mutiler ? et comment pourriez-vous avoir
une telle pensée ? » Il ajouta : « Je ne me permettrais pas
non plus de vous engager, Ô grand roi, à mettre le prince
héritier dans l'impossibilité d'agir en l’arrêtant et en l’en-
fermant. Bornez-vous à le chasser hors du royaume: met-
tez-le dans une région sauvage au milieu des montagnes
pendant une douzaine d'années. Cela le ramènera à rési-
piscence. » Le roi suivit l’avis de ce grand ministre;
il envoya donc un messager appeler le prince héritier, puis
il lui demanda : « Avez-vous pris l'éléphant blanc pour le
donner à notre ennemi? » Le prince héritier répondit qu'il
l'avait effectivement donné. Le roi reprit : « Pourquoi avez-
vous pris mon éléphant blanc pour le donner à mon ennemi
et ne m'en avez-vous pas averti? — Auparavant déjà,
répondit le prince, j'avais obtenu de Votre Majesté l’enga-
gement que vous me permettriez de faire toutes les libéra-
lités que je voudrais et de ne vous opposer à aucun désir
III. 24
370 . SÛTRAS DIVERS (N° 500)
qui vous serait exprimé. C'est pourquoi je ne vous ai pas
averti de ce que je faisais. » Le roi répliqua : « L'engage-
ment que j'avais pris auparavant ne s’appliquait qu'aux
joyaux; comment l'éléphant blanc y aurait-il été inclus ? —
Toutes ces choses, dit le prince, sont également les biens.
du roi; comment l'éléphant blanc serait-il seul à en être
exclu ? » Le roi dit alors au prince héritier: « Sortez.
promptement du royaume : je vous exile dans la montagne-
T'an-F'o (Danta) (1) pour douze années. » Le prince héri-
tier répliqua : « Je n'oserais enfreindre les prescriptions:
de Votre Majesté; mais je voudrais encore faire des libé-
ralités pendant sept jours afin de déployer mes faibles.
sentiments ; ensuite je quitterai le royaume. » Le roi
répliqua : «Si je vous chasse, c’est précisément parce que
votre charité est trop extrême, parce qu'elle a violé mes.
trésors et causé la perte du joyau précieux qui me permet-
tait de repousser les ennemis. Vous ne sauriez donc rester
encore ici pour faire des libéralités pendant sept jours;
sortez promptement ; je ne vous accorde pas cette autori-
sation. » Le prince héritier dit alors: « Je ne me permet-
trais pas d’enfreindre les ordres de Votre Majesté; cepen-
dant j'ai quelques richesses qui m'appartiennent en propre ;
je voudrais pouvoir en faire des libéralités, après quoi je
m'en irai; mais je n’oserai plus dépenser les richesses de
l'État. » Les vingt mille épouses allèrent ensemble auprès.
du roi pour le prier de laisser le prince héritier faire des.
libéralités pendant sept jours; après quoi, il sortirait du
royaume. Le roi y consentit.
Alors le prince héritier chargea ceux qui étaient auprès.
de lui d'annoncer dans les quatre directions de l’espace
que tous ceux qui désiraient obtenir des richesses eus-
sent à venir à la porte du palais et qu'ils obtiendraient ce
(1) Cette montagne doit être identifiée, comme l’a montré A. Foucher,
avec la colline Mékha-Sanda, au nord-est de Shähbâz-garhi. Cf. BEFEO,
1901, p. 353-359 et 1903, pp. 413, n° 1.
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 371
qu'ils désiraient ; quand les hommes ont des richesses, ils
ne peuvent les garder perpétuellemént ; un jour vient où
il leur faut les perdre et les disperser. Ainsi donc, des
quatre points cardinaux des-gens accoururent à la porte
du palais; le prince héritier leur prépara à manger; il leur
distribua ses objets précieux et chacun s’en alla satisfait;
au bout de sept jours, les richesses furent épuisées; les
pauvres étaient devenus riches et dix mille personnes
étaient joyeuses. , | :
Le prince héritier dit à sa femme : « Levez-vous promp-
tement et écoutez ce que j'ai à vous dire: maintenant le
grand roi me chasse et m’établit pour douze années dans
la montagne T'an-Po.» En entendant ce que disait le prince
héritier, la princesse sa femme toute déconcertée et stupé-
faite, se leva et lui dit: « Quelle faute grave avez-vous
commise pour que le roi se porte à cette extrémité contre
vous ? » Le prince héritier répondit: « C’est parce qu’il a
jugé que ma libéralité a été excessive, parce que j'ai vidé le
trésor de l’État et parce que j'ai fait don à notre ennemi.du
vaillant éléphant blanc. Considérant cela, le roi et les minis-
tres qui sont à ses côtés ont été d'accord dans leur irrita-
t'on pour me chasser. » WMan-ich’e (Madri) dit: « Pour que
le royaume soit prospère , je souhaite que le grand roi,
ainsi que les ministres qui sont à ses côtés, les officiers et
les gens du peuple, grands et petits, aient une abondance
et une joie illimitée. Moi cependant, je devrai déployer
toutes mes forces pour tâcher avec vous de parvenir à la
sagesse dans cette montagne. » Le prince héritier lui dit:
«Quand un homme se trouve dans la montagne qui est un
lieu d’épouvante, cela lui rend difficile de garder son sang-
froid ; les tigres, les loups et les bêtes féroces y sont fort
à craindre ; vous qui êtes habituée à suivre vos fantaisies
et à vous réjouir, comment pourriez-vous supporter une
telle vie? Vous habitez dans le palais; vous êtes vêtue
d’étoffes fines et souples; vous vous reposez parmi des
372 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
tentures ; vous buvez et mangez des aliments doux et ex-
quis et vous avez tout ce que désire votre bouche ; or, dans
la montagne, votre couche sera faite de pousses de plantes,
votre nourriture consistera en fruits; comment pourriez-
vous vous y plaire ? En outre, il y a fréquemment là du
vent, de la pluie, des coups de tonnerre, des éclairs, des
brouillards, de la rosée, qui font se hérisser le poil des
hommes ; quand il y fait froid, le froid est extrême ; quand
il y fait chaud, la chaleur est intense; parmi les arbres on
ne saurait trouver un abri où s'arrêter. Ajoutez que le sol
est couvert de chardons, de cailloux aigus et d’insectes
venimeux; comment pourriez-vous supporter tout cela ? »
Man-tch'e (Madri) dit: « À quoi me servent les étoifes fines
et souples, les tentures, les boissons et les aliments doux
et exquis, si je dois être séparée de vous, à prince ? Je ne
pourrai jamais m'éloigner de vous. Dans les circonstances
présentes, je dois partir avec vous. Le roi a pour insigne
son étendard ; le feu a pour insigne sa fumée ; une épouse
a pour insigne son mari. C’est sur vous seul que je m’appuie;
vous êtes pour moi le Ciel. Au temps où vous étiez dans
le royaume occupé à faire des libéralités aux gens venus
des quatre directions de l’espace, je participais avec vous
à cette œuvre charitable; maintenant, quand vous serez
parti au loin, si un homme vient me demander l’aumône,
que pourrai-je lui répondre ? Au moment où j apprendrais
que des gens sont venus pour vous implorer, j'en mour-
rais sans doute d'émotion. » Le prince héritier lui dit :
« Je me plais à faire des libéralités et à ne pas m’opposer
aux désirs qui me sont exprimés ; si quelqu'un vient me
demander mon fils et exiger ma fille, je ne pourrai me dis-
penser de les donner. Si vous n’approuvez pas mes paroles,
vous troublerez mes sentiments excellents; mieux vaut
alors que vous ne partiez pas. » Man-ich’e (Madri) répliqua :
«Je consens à approuver sans regret toutes les libéralités
qu'il vous plaira de faire ; il n’y eut jamais personne dans
PONT EE OR Rite as LE V
SÜTRAS DIVERS (N° 500) 373
le monde qui fut aussi charitable que vous, à prince. » Le
prince héritier lui dit : « Si réellement vous êtes capable
de cela, c’est fort bien. »
Le prince héritier, avec sa femme et ses deux enfants,
se rendit auprès de sa mère et prit congé d’elle pour par-
tir en lui disant: « Je désire que vous fassiez souvent des
remontrances au grand roi pour qu'il gouverne le royaume
-avec la grande Loi et qu’il ne laisse pas l’hérésie s’im-
planter dans le peuple. » En entendant le prince héritier
prendre ainsi congé d’elle, sa mère se sentit pénétrée
d'émotion et de tristesse; elle dit aux personnes qui
étaient là : « Avec un corps dur comme la pierre et un
cœur résistant comme l'acier ou le fer, j'ai servi le grand
roi sans jamais commettre aucune faute. Maintenant je
n'avais qu’un seul fils et il m’abandonne ; pourquoi mon
cœur ne peut-il pas se briser en morceaux de manière à ce
que je meure ? Quand l'enfant est dans le ventre de sa
mère, il est comme la feuille qui sur l'arbre jour et nuit
croît et se développe; j'ai nourri mon enfant jusqu’à ce
qu’il fût devenu grand et voici qu'il s’en va en m'abandon-
nant. Toutes les autres femmes vont s’en réjouir et mon
roi ne me respectera plus. Si le Ciel n’est pas opposé à
mon vœu, qu’il fasse que mon fils revienne promptement
dans le royaume. » Le prince héritier, avec sa femme et
ses deux enfants, rendit hommage à son père età sa mère,
puis il partit.
Les vingt mille épouses avaient enfilé chacune une
perle véritable et en avaient fait don au prince héritier (1);
les quatre mille grands ministres avaient fabriqué des
fleurs avec les sept substances précieuses et les avaient
offertes au prince héritier. Celui-ci, après avoir quitté le
(1) Une stèle chinoise de l’année 543 p.C. représenteles cinq cents (sic)
épouses accompagnant le prince héritier au moment où il va partir pour
se rendre dans la montagne T'an-tou (Cf. ma Mission archéologique dans
la Chine septentrionale, pl. CCLXXXIV, 3° registre, 1" scène à droite).
374 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
palais, sortit au nord par la porte de la ville; il prit les
sept substances précieuses, les perles et les fleurs et en fit
des libéralités aux gens venus des quatre directions de
l’espace, en sorte qu'il les dépensa toutes aussitôt.
Les officiers, les gens du peuple, tous, grands et petits,
se comptant par milliers et par myriades de personnes,
vinrent offrir des présents pour souhaiter un bon voyage
à l'héritier présomptif ; ils discutaient entre eux et di-
saient : « Le prince héritier est un homme excellent ; il
est le bon génie du royaume ; pourquoi son père et sa
mère chassent-ils cet enfant qui est un précieux joyau ? »
Tous ceux qui assistèrent à son départ en eurent des re-
grets. Le prince héritier s’assit sous un arbre hors de ville
et prit congé de ceux qui l’avaient accompagné en leur
disant qu'ils devaient s’en retourner. Les officiers et les
gens du peuple, tous, grands et petits, revinrent donc en
versant des larmes.
Le prince héritier, monté avec sa femme et ses deux
enfants sur un char qu’il conduisait lui-même, partit.
Quand il eut poursuivi longtemps sa marche en avant, il
s'arrêta pour se reposer sous un arbre. Alors survint un
brahmane qui lui demanda son cheval (1); le prince héri-
tier détela aussitôt son cheval et le lui donna; puis il
mit les deux enfants dans le char que sa femme poussait
par derrière, tandis que lui-même, s'étant mis entre les
brancards, tirait le char en marchant. Après être allé un
peu plus loin, il rencontra derechef un autre brahmane
qui vint lui demander son char ; le prince héritier le lui
donna aussitôt. Quand il se fut avancé plus loin, il ren-
contra un autre brahmane qui lui demanda laumône ; il
lui dit : « Ce n’est pas que je veuille rien vous refuser,
mais tous mes biens sont épuisés. » Le brahmane répli-
(1) Dans la stèle citée plus haut (p. 373, n° 1), on voit représentée la
scène du brahmane demandant le cheval, puis celle du brahmane qui
part monté sur le cheval.
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 375
qua : « Si vous n'avez aucun autre bien, donnez-moi les
vêtements que vous avez sur votre corps. » Le prince hé-
ritier enleva aussitôt ses vétements précieux et les lui
remit, puis il se revêtit d’un vieux vêtement. Un peu plus
loin, il rencontra un autre brahmane qui lui demanda
l’'aumône et il lui donna les vêtements de sa femme ; plus
loin encore il donna les vétements de ses deux enfants à
un autre brahmane mendiant. Ainsi, le prince héritier se
trouva avoir fait complètement don de son char, de son
cheval, de son argent, de ses biens, de ses vêtements et
cependant il n'en conçut aucun regret, ce regret ne füt-il
pas plus gros qu’un poil ou un cheveu. Le prince héritier
‘ portant lui-même son fils, sa femme portant sa fille, ils
-marchaient à pied. Le prince, sa femme et ses deux
enfants, avaient le visage paisible et étaient joyeux. Ils
s’engagèrent ensemble dans la montagne.
La montagne T'an-l'o (Danta) était à plus de six mille /;
- du royaume de Che-po; elle en était donc fort éloignée,
et, pour y parvenir, ils traversèrent des marécages déserts
où ils souffrirent de la faim et de la soif. Cakra, roi des
- devas Trayastrimças, créa miraculeusement, au milieu d’un
vaste marais, une ville avec ses faubourgs, ses places, ses
quartiers, ses rues, ses ruelles, ses réjouissances ; des
vêtements, des boissons, des aliments s’y trouvaient en
abondance ; des gens sortirent de cette ville et vinrent
au-devant du prince héritier pour l'inviter à séjourner là
afin de boire, de manger et de se réjouir avec eux. La
princesse dit au prince : « Nous avons fait une fort longue
marche; ne pouvons-nous pas nous arrêter ici un mo-
ment ? » Le prince répliqua : « Le roi mon père m'a banni
dans la montagne T’an-lo ; rester ici serait contrevenir à
l’ordre du roi mon père ; ce ne serait pas agir avec piété
filiale. » Aussitôt donc il sortit de la ville. Quand il jeta
un regard en arrière, cette ville avait tout à coup disparu.
En continuant leur marche en avant, (les exilés) arrivè-
376 sÛTRAS DIVERS (N° 500)
rent à la montagne T'an-Po ; au pied de cette montagne,
il y avait une grande rivière, si profonde qu'on ne pou-
vait la traverser. La princesse dit à son mari: « Restons
ici quelque temps jusqu’à ce que l’eau ait baissé et alors
nous la traverserons. » Il répliqua : « Le roi mon père
m'a banni dans la montagne T'an-l'o ; m'arrêter ici serait
contrevenir aux ordres du roi mon père; ce ne serait pas
agir avec piété filiale. » Le prince héritier se plongea alors
dans l’extase (samâdhi) du cœur compatissant ; aussitôt,
dans la rivière, s’éleva une grande montagne qui divisa les
eaux comme une digue ; le prince et sa femme purent
alors passer en relevant leurs vêtements (1). Après qu'ils
eurent passé, le prince héritier fit cette réflexion : « Si nous
nous en allons en laissant les choses dans cet état, la ri-
vière débordera et fera périr les hommes, les êtres qui
rampent, ceux qui volent, ceux qui grouillent et ceux qui
remuent. » Le prince héritier revint donc sur ses pas et
s’adressa à la rivière en lui disant : « Coulez comme au-
paravant ; si des personnes veulent venir auprès de moi,
permettez-leur à toutes de traverser ». Quand le prince
héritier eut prononcé ces paroles, la rivière se remit à cou-
ler comme auparavant. |
Allant plus loin, ils arrivèrent à la montagne T'ano;
le prince héritier vit que la montagne était haute et majes-
tueuse ; les arbres y étaient luxuriants ; toutes sortes d'oi-
seaux y chantaient d’une manière touchante ; il y avait là
des sources d’eau vive, des étangs purs, de l’eau excel-
lente et des fruits doux; les oies sauvages, les hérons,
les martins-pécheurs, les canards et toutes les variétés
d'oiseaux y abondaient. Le prince-héritier dit à sa femme:
« Regardez dans cette montagne les arbres qui s'élèvent
jusqu’au Ciel sans qu'aucun d’eux soit brisé ou endom-
magé; nous boirons ces eaux excellentes, nous mange-
(1) Voyez cette scène représentée sur la stèle citée plus haut (p.373,n°1\;
3° registre, dernière scène à gauche).
4
SÜTRAS DIVERS (N° 500) 377
rons ces fruits doux, et, même au sein de cette montagne,
nous pourrons nous appliquer à l'étude de la sagesse. »
Le prince héritier entra dans la montagne; tous les
oiseaux et les quadrupèdes qui s’y trouvaient en furent
-très joyeux et vinrent l'accueillir.
Au sommet de la montagne vivait un religieux nommé
A-lcheou-f'o (Acyuta), qui était âgé de cinq cents ans et:
qui avait une vertu extraordinairement merveilleuse.
Le prince héritier lui rendit hommage, puis recula, se tint
debout et lui dit : « Où y a-t-il maintenant dans cette mon-
tagne un endroit avec de la bonne eau et des fruits doux
où nous puissions nous établir? » A-fcheou-lo (ACyuta)
lui répondit : « Toute cette montagne est un lieu béni,
vous pouvez vous établir n'importe où. » Il ajouta :
-« Dans cette montagne sont des endroits purs et calmes ;
pourquoi cependant votre femme et vos enfants sont-ils
- venus si vous désirez vous appliquer à l'étude de la sa-
gesse ? » Avant que le prince héritier eût répondu, Man-
tch'e (Madri) demanda au religieux : « Depuis combien
d'années vous appliquez-vous ici à l'étude de la sagesse ? »
Le religieux lui ayant répondu qu’il demeurait dans cette
montagne depuis quatre ou cinq cents ans, elle ajouta :
« Calculez au bout de combien de temps une personne
telle que moi atteindra à la sagesse. Même en supposant
que je demeure dans cette montagne aussi longtemps que
ces arbres, je ne parviens pas à calculer quand une per-
sonne telle que moi pourra atteindre à la sagesse. » Le
religieux lui répondit : « En vérité, ce sont là des choses
que je ne connais point. » Le prince héritier demanda alors
au religieux : « Avez-vous jamais entendu parler du prince
héritier Siu-la-na (Sudâna), fils du roi du royaume de
Che-po? — J'en ai souvent entendu parler, répondit le
religieux ; mais je ne l'ai jamais vu. — C’est moi, dit le
prince, qui suis précisément le prince héritier Stu-la-na
(Sudâna). » Le religieux lui ayant demandé ce qu'il cher-
378 SÜTRAS DIVERS (N° 300)
chait àobtenir, il déclara qu'ildésirait obtenir le mahâyäna.
Le religieux lui dit : « Tels étant vos mérites, vous ob-
tiendrez le mahâyâna avant longtemps. Quand vous aurez
atteint à la sagesse sans supérieure, correcte et vraie
(anuttara samyak sambodhi), je serai votre premier dis-
ciple doué de pouvoirs surnaturels (rddhipâda). »
Le religieux indiqua au prince héritier un endroit oùil
pourrait résider; le prince alors, prenant modèle sur le
religieux, mit un lien autour de sa tête et tressa ses che-
veux ; il but l’eau des sources et se nourrit de fruits ; puis
il ramassa des branchages pour en faire une petite hutte
de feuillage (parnacçâlà) ; en même temps, il fit trois huttes
de feuillage destinées respectivement à Man-ich'e (Madri)
et à ses deux enfants. Le garçon. se nommait Ye-li (Jali); il
était âgé de sept ans; il portait des vêtements faits avec
des herbes et accompagnait toujours son père. La fille
s'appelait X1-na-yen (Krsnâjinà); elle était âgée de six ans;
elle portait des vêtements en peau de cerf etaccompagnait
toujours sa mère. Dans la montagne, les oiseaux et les
quadrupèdes étaient tous joyeux et mettaient leur confiance
dans le prince héritier. Quand celui-ci se rendait en
quelque lieu pour y passer une nuit, les cavernes et les
étangs produisaient de l’eau de source, et sur tous les
arbres desséchés poussaient des fleurs et des feuilles; tous
les insectes et les animaux malfaisants disparaissaient ;
les carnassiers se mettaient d'eux-mêmes à manger des
herbes; les divers arbres fruitiers avaient spontanément
des fruits abondants; les oiseaux de toutes sortes faisaient
un concert et gazouillaient à l'unisson. Man-ich’e (Madri)
s’occupait d’aller recueillir les fruits pour donner à manger
à l'héritier présomptif ainsi qu’à son fils et à sa fille. Quant
à ces deux enfants, parfois aussi ils s’en allaient en quittant
leur père et leur mère; ils allaient jouer avec les animaux
sur le bord de la rivière et parfois ils y passaient la nuit.
Une fois, en guise de jeu, le garçon Ye-li monta à cheval
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 379
‘sur un lion; le lion ayant fait un bond, Ye-li tomba à terre ;
‘il se blessa au visage et le sang coula ; un singe prit
‘alors des feuilles d’arbre et essuya le sang de son visage,
puis il le mena au bord de l’eau et le lava. Le prince héri-
tier, de l'endroit où il était assis, vit de loin cette scène et
s'écria : « Les animaux ont-ils donc de tels sentiments!»
En ce temps, dans le royaume de Xïeou-lieou (Kuru) [1],
il y avait un brahmane pauvre qui, à quarante ans, s'était
marié ; sa femme étaitfort belle; lui au contraire, avait
douze sortes de laideurs : son corps était noir comme de
la poix ; sur son visage il avait trois callosités ; l’aréte de
son nez était mince ; ses deux yeux étaient en outre verts;
sa figure était ridée ; ses lèvres étaient pendantes; sa pa-
role était bégayante ; ilavait un gros ventre et le derrière
saillant ; ses jambes en outre étaient tordues et difformes ;
enfin sa tête était chauve ; il avait tout l’aspect d’un démon.
Sa femme, qui avait horreur de lui, avait prononcé des
imprécations dans le dessein de le faire mourir ; un jour
que cette femme était allée puiser de l’eau, elle rencontra
une bande de jeunes gens quise moquèrent de son mariet
le tournèrent en dérision (2); ils lui demandèrent : « Vous
qui êtes si merveilleusement belle, comment pouvez-
vous être la femme d’un pareil homme ? » Elle répondit à
ces jeunes gens : « La tête de ce vieux est blanche comme
le givre sur les arbres ; du matin au soir je voudrais faire
en sorte qu’il meure ; mais qu'y puis-je, s’il se refuse à
mourir ? » La femme alors partit en emportant de l’eau et
en pleurant ; à peine fut-elle de retour qu'elle dità son
mari : «Je suis allée prendre de l’eau, mais une bande de
jeunes gens s’est réunie pour se moquer de moi. Il vous
faut me chercher une esclave ; quand j'aurai une esclave,
je ne serai plus obligée d'aller moi-même puiser de J’eau
(1) Le récit pâli substitue à ce nom celui de Kalinga.
(2) Cette scène est figurée sur la stèle de 543 p. C. (p. 373, n° 1; second
registre, dernière scène à gauche).
380 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
et les gens ne se moqueront plus de moi. » Son mari lui
répondit : « Je suis extrêmement pauvre ; où voulez-vous
que je trouve une esclave? » Sa femme répliqua : « Sivous
n'allez pas me chercher une esclave, je m'en irai et ne
demeurerai plus avec vous. » Elle ajouta : « J'ai toujours
entendu dire que le prince héritier Siu-la-na (Sudânà)
pour avoir exercé une libéralité excessive, avait été banni
par le roi son père dans la montagne T’an-Po; or,il a un
fils et une fille ; allez et demandez-lui de vous lés donner. »
Le mari objecta que la montagne T’an-l'o était à plus de
six mille /: de distance et qu'iln’y avait pas d’autre moyen
que d’aller dans cette montagne pour adresser une telle
demande au prince; mais sa femme lui dit: « Si vous ne
me cherchez pas une esclave, je me tuerai en me coupant la
gorge. — J'aimerais mieux, lui répondit son mari, périr
moi-même plutôt que de causer votre mort. » Il ajouta :
« Si vous voulez que je fasse ce voyage, il faut que vous me
donniez des provisions de route. » À quoi sa femme ré-
pondit: « Partez seulement; je n'ai aucune provision. »
Le brahmane prépara donc lui-même HiPquee provisions,
puis il se mit en chemin.
Il atteignit d’abord le royaume de Che-po et, arrivé en
dehors de la porte du palais, il demanda au portier: «Où
se trouve maintenant le prince héritier Siu-ta-na (Sudä-
na) ?» Le portier entra aussitôt pour informer le roi qu'un
brahmane était dehors et demandait à voir le prince héri-
tier. À cette nouvelle, le roi fut ému et dit avecirritation :
« C’est uniquement à cause de cette engeance que j'ai
banni le prince héritier; pourquoi maintenant de tels
hommes viennent-ils encore ? » Il ajouta, en se servant
d'une image : « Ceci est comparable à un feu qui se consu-
mait lui-même, mais auquel on rajoute des branches
sèches ; mon chagrin est semblable au feu qui se consu-
mait; la venue de cet homme demandant à voir le prince
est semblable aux branches sèches qu’on ajoute.» Le brah-
SÜTRAS DIVERS (N° 500) 381
mane dit : « J'arrive d’un pays lointain, parce que j'avais
entendu parler de la renommée du prince héritier qui pé-
nètre en haut jusqu'au ciel azuré et atteint en bas jus-
qu'aux sources jaunes ; le prince héritier est charitable et
ne s'oppose à aucun des désirs qu’on lui exprime ; voilà
pourquoi je suis venu de loin, ayant quelque choseà lui
demander. » Le roi répondit : «Le prince héritier demeure
solitaire au plus profond des montagnes et il est extré-
mement pauvre. Comment pourrait-il vous donner quoi
que ce soit? — Bien que le prince héritier ne possède
plus rien, répliqua le brahmane, j'attache beaucoup d’im-
portance à le voir. » Le roi chargea donc des gens de lui
montrer le chemin.
Ainsi, le brahmane se dirigea vers la montagne T'an-Po :
quand il arriva au bord de la grande rivière, il n’eut qu’à
penser au prince héritier et put aussitôt la traverser. Le
brahmane s’engagea alors dans [a montagne et rencontra
un chasseur auquel il demanda: « Avez-vous eu l’occasion
de voir dans cette montagne le prince héritier Siu-la-na
(Sudâna)?» Le’chasseur savait bien que le prince héritier
avait été banni dans cette montagne pour avoir fait des
libéralités aux brahmanes ; il empoigna «lonc ce brahmane,
l'attacha à un arbre et se mit à le battre jusqu’à ce que
son corps ne füt plus qu’une plaie ; puis il l'injuria, disant :
« Je voudrais vous percer le ventre à coups de flèches et
dévorer votre chair; qu’avez-vous besoin de demander où
est le prince ? » Le brahmane pensa : «Je vais être tué
par cet homme ; ilfaut que je lui tienne un langage trom-
peur. » Il lui dit donc : « N’auriez-vous pas dû m'interro-
ger? — Qu'est-ce à dire?» demanda le chasseur. Le
brahmane reprit: « Comme le roi son père souhaitait voir
le prince héritier, il m'a envoyé à sa recherche pour que
je l'invite à rentrer dans le royaume. » Le chasseur aussi-
tôt le délia et le détacha ; il lui fit toutes ses excuses en
disant que vraiment il n'avait pas su quelles étaient ses
382 sÜrRAS DIVERS (N° 500)
intentions; puis il lui montra où se trouvait le prince.
- Le brahmane arriva donc à l'endroit où se tenait le.
prince héritier ; quand celui-ci le vit venir, il fut extré-
mement joyeux; il alla à sa rencontre et lui rendit hom-
mage; puis il lui demanda de ses nouvelles : « D'où venait-
il? Avait-il pu n'être pas trop fatigué du voyage ? Qu’avait-
il à demander? » Le brahmane répondit : « Je viens de
loin; tout mon corps est souffrant; en outre j'ai grand.
faim et grand soif, » Le prince héritier le pria donc d’en-
trer et de s'asseoir; il lui présenta des fruits et un breu-
vage; quand le brahmane eut bu de l’eau et eut mangé
des fruits, il dit au prince héritier : « Je suis originaire
du royaume de Æieou-lieou (Kuru); depuis longtemps
jai entendu parler de vos dispositions charitables, car
votre renommée est connue dans les dix régions. Je
suis fort pauvre et je voudrais vous demander de me
donner quelque chose. » Le prince répondit : « Il n’est
rien que je veuille vous refuser; mais tout ce que je pos-
sédais a été distribué ; je n’ai plus rien à vous donner. »
« Si vous n'avez plus aucun objet, répliquä le brahmane,
faites-moi don de vos deux enfants pour qu'ils prennent
soin de ma vieillesse. » Quand il eut répété cette requête
à trois reprises, le prince héritier lui dit : « Vous êtes
venu exprès de loin dans le désir d'avoir mon fils et ma
fille ; comment pourrais-je me refuser à vous les donner ? »
En ce moment, les deux enfants étaient allés jouer; le
prince héritier les appela et leur dit : « Un brahmane est
venu de loin pour me demander de vous donner à lui; j'y
ai consenti; partez avec lui. » Les deux enfants accouru-
rent se réfugier sous les aisselles de leur père -et leurs
larmes jaillirent; ils disaient : « Nous avons souvent vu
des brahmanes, mais jamais nous n’en vimes de cette
sorte; ce n’est pas un brahmane; c'est un démon. Main-
tenant notre mère est allée recueillir des fruits et n'est
point encore revenue; cependant notre père nous prend
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 383.
pour nous donner à manger à un démon; notre mort est
certaine. Quand notre mère reviendra et qu’elle nous
réclamera sans nous trouvér, elle sera comme la vache
qui recherche son veau; elle pleurera, se lamentera et
s'abandonnera à l’affliction. » Le prince héritier dit : « J’ai
fait une promesse; comment pourrais-je la reprendre ?
Ce brahmane n’est point un démon et il ne vous dévorera
point; vous donc, partez. » Le brahmane dit : « Je désire:
m'en aller, car je crains que leur mère ne revienne et.
qu’alors je ne puisse plus partir; vous m'avez témoigné
des sentiments excellents, mais, si la mère des enfants
revenait, elle détruirait vos bonnes dispositions. — De-
puis ma naissance, répliqua le prince, jé fais des libéra-
lités et je ne m’en suis jamais repenti. »
Le priace prit de l’eau et en lava les mains du brah-
mane, puis il tira vers lui les deux enfants et les lui
donna; la terre alors trembla. Les deux enfants ne vou-
laient pas suivre le brahmane ; ils revinrent devant leur
père, et, se mettant à deux genoux, lui dirent : « Quel
crime avons-nous donc commis dans nos existences an-
térieures pour que nous soyons maintenant atteints par
de telles souffrances, et pour que, étant de race royale,
nous devenions les esclaves d’un homme. Devant notre
père nous nous repentons de nos fautes; puisse par là
notre châtiment disparaitre et le bonheur se produire et.
puissions-nous de génération en génération ne plus jamais
rencontrer pareille infortune. » Le prince héritier répon-
dit aux enfants : « Toutes les affections dans ce monde
doivent être un jour rompues; toutes choses sont imper-
manentes; comment pourrait-on les conserver ? Quand
j'atteindrai à la sagesse sans supérieure et égale en tout,
Je vous sauverai. » Les deux enfants lui dirent : « Vous.
ferez nos adieux à notre mère, car maintenant nous nous.
séparons pour toujours; nous regrettons de ne pouvoir
prendre congé d’elle personnellement; c’est sans doute:
384 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
les fautes commises dans nos vies antérieures qui nous
valent ce malheur. Nous songeons à notre mère qui,
quand elle nous aura perdus, s’affligera de nos souffrances
et se désolera de nos peines. » Le brahmane dit : « Je
suis vieux et affaibli; ces deux enfants vont chacun me
quitter pour aller auprès de leur mère; comment alors les
reprendrai-je ? Il faut que vous me les livriez attachés. »
Le prince héritier tint donc les mains des deux enfants
derrière leur dos pour permettre au brahmane de les
attacher; celui-ci les lia ensemble et prit le bout de la
corde qui les retenait tous deux; puis, comme les deux
enfants ne voulaient pas le suivre, il les frappa jusqu’à
ce que le sang jaillit et coulât sur le sol. Ce spectacle
arracha des larmes au prince héritier; la terre en fut
ébranlée. Le prince héritier et tous les animaux accompa-
gnèrent de loin les deux enfants; puis, quand ils ne les
virent plus, ils s’en retournèrent. Tous les animaux, sui-
vant le prince héritier, revinrent à l'endroit où jouaient
les enfants, se tordirent de douleur en poussant des cris
?
et se jetèrent sur le sol.
Cependant le brahmane était parti en emmenant les
deux enfants. En route, le garçon enroula la corde autour
?
d'un arbre et refusa d’aller plus loin, espérant que sa
mère viendrait (1). Le brahmane le frappa avec un bâton
jusqu’à ce que les deux enfants lui disent : « Ne nous
battez plus; nous marcherons spontanément. » Levant les
yeux au ciel, ils s’écrièrent : « O divinités des monta-
gnes, à divinités des arbres, ayez pour nous un sentiment
de pitié; maintenant nous devons aller au loin pour être
P ;
les esclaves d’un homme et nous n’avons pas pu dire
adieu à notre mère. Dites-lui qu’elle laisse là ses fruits et
(1) Song Yun, en 520 p. C., signale l'endroit où le fils et la fille du prince
héritier tournèrent autour d'un arbre en refusant de marcher, où le
brahmane les frappa avec un bâton et où leur sang qui coulait arrosa la
terre ; cet arbre est encore là et la place qui fut arrosée de sang est
maintenant une source d’eau {Cf. BEFEO, 1903, p. 414).
ls a Le
SUTRAS DIVERS (N° 500) 385
qu’elle vienne promptement nous voir. » En cet instant,
leur mère qui était dans la montagne, ressentit une
démangeaison sous le pied gauche et en outre son œil
droit eut un clignotement, tandis que du lait sortait de ses
deux seins; elle fit alors cette réflexion : « Jamais encore
je n’ai éprouvé ces sensations étranges; qu’ai-je besoin
de m'occuper de ces fruits ? Il faut que je m’en retourne
pour voir s'il n’est pas arrivé quelque malheur à mes
enfants. » Elle laissa donc là ses fruits et s’en revint.
En ce moment, le Çakra du second ciel, roi des devas
Trayastrimças, sachant que le prince héritier avait donné
ses enfants à un homme, et craignant que sa femme ne vint
mettre à néant ces excellentes dispositions, se transforma
en un lion qui se tint accroupi en travers du chemin (1).
La femme dit à ce lion : « Vous êtes le roi des animaux;
moi aussi, je suis la fille d’un roi et je demeure comme
vous dans la montagne; je désire que vous vous écartiez
un peu pour que je puisse passer. J’ai deux enfants qui sont
encore tout jeunes; ils n’ont rien eu à manger depuis ce
matin et ne peuvent compter que sur moi. » Le lion,
sachant que le brahmane était maintenant loin, se leva et
laissa le chemin libre, en sorte que la princesse put
passer.
À son retour, la princesse vitle prince héritier qui était
assis tout seul et elle n’aperçut pas ses deux enfants. Elle
alla elle-même dans sa hutte de feuillage pour Les y cher-
cher, mais ne les trouva pas; elle alla derechef dans les
huttes des enfants et ne les y rencontra pas ; puis elle se
rendit au bord de la rivière où les enfants avaient cou-
tume de s'amuser, mais là encore elle ne les vit pas;
elle vit seulement Les animaux : daims, lions etsinges, avec
(1) A 3 li à l’ouest de l'habitation, dit Song Yun, est l'endroit où Cakra,
maitre des devas, prit la forme d’un lion et s’accroupit en travers du che-
min pour barrer le passage à Man-kia (Madri) ; sur le roc, les traces des
poils, de la queue et des griffes sont maintenant encore parfaitement
visibles (Cf. BEFEO, 1903, p. 414).
[TT. 25
_
386 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
lesquels ils s’'amusaient habituellement. Man-tchk’e (Madri)
s’avança en se frappant elle-même et en poussant des cris ;
l’eau de l’étang où jouaient les enfants en fut vidée et tarie.
Man-tch'e (Madri) revint alors à l’endroit où était le prince
héritier et lui demanda où étaient les deux enfants; le prince
héritier ne répondit pas; Man-lch'e (Madri) dit encore :
« Quand mes enfants me voyaient venir de loin rappor-
tant des fruits, ils tombaient à terre en courant vers moi,
puis ils se relevaient en bondissant et s’écriaient : maman
est revenue! Quand ils me voyaient assise, ils étaient tous
deux à mes côtés ; dès qu'ils apercevaient un peu de pous-
sière sur mon corps,ils me l’enlevaient. Maintenant cepen-
dant je n’aperçois pas mes enfants, et mes enfants ne vien-
nent pas auprès de moi. Qui les a pris ? Maintenant, de ne
pas les voir mon cœur se brise. Dites-moi promptement
où ils sont et ne me rendez pas folle. » Elle répéta ces
paroles jusqu’à trois fois sans que le prince répondit rien.
Man-iche (Madri) en conçut un redoublement de peine et
prononça ces paroles amères : « Je pourrais encore suppor-
ter de ne pas voir mes enfants, mais votre silence aug-
mente mon égarement. » Le prince héritier lui dit alors:
« Un brahmane est venu du royaume de Æïeou-lieou ; il
m'a demandé les deux enfants et je les lui ai donnés. »
Quand la princesse eut entendu ces mots, elle éprouva une
telle émotion qu’elle tomba à terre comme une grande
montagne qui s'écroule ; elle se tordait de douleur et se
lamentait sans pouvoir s'arrêter. Le prince héritier lui
dit: « Calmez-vous un moment. Vous souvenez-vous des
faits anciens qui se passèrent au temps du Buddha
T'i-ho-kiai-lo (Dipankara) (1)? J'étais alors un brahmatärin
et je me nommais Pei-lo-wet (Vedavat?); vous étiez une
fille de brahmane et vous vous nommiez Stiu-lo-lo (Su-
ratà [2] ?); vous teniez sept tiges de lotus et moi j'avais à
(1) Cf. notre conte n° 83.
(2) L'édition de Corée donne la leçon Siu-Po-lo.
SUTRAS DIVERS (N° 500) 387
la main cinq cents pièces d'argent; je vous ai acheté
(cinq de vos) fleurs parce que je voulais les répandre sur
le Buddha; vous m'avez confié les deux autres pour les
offrir au Buddha et vous avez fait alors ce vœu : « Puissé-
je, dans mes vies ultérieures, être toujours votre femme,
et, belle ou laide, n'être jamais séparée de vous. » Je
fis alors avec vous cette convention solennelle: « Si vous
désirez être ma femme, il vous faudra vous conformer à
ma volonté; je ferai toutes les libéralités possibles et
je ne m’opposerai à aucun des désirs qui me seront expri-
més; je m'abstiendrai seulement de donner mon père
et ma mère; mais, pour tous les autres dons que je
ferai, vous suivrez ma volonté.» Vous me répondiîtes alors
que vous y consentiez. Or, maintenant j'ai fait don des
enfants et voici que vous jetez le trouble dans mes senti-
ments excellents. » En entendant ces paroles du prince
héritier, la princesse sentit son cœur et son intelligence
s'ouvrir; elle se rappela que, dans une vie antérieure, elle
avait promis d'approuver toutes les libéralités que ferait
le prince héritier et d’acquiescer promptement à tous ses
désirs.
Cakra, roi des devas, voyant quelle était la charité du
prince héritier, descendit pour le mettre à l'épreuve avec
le désir de lui demander encore quelque chose. Il se trans-
forma en un brahmane qui, lui aussi, avait douze sortes de
laideurs, et, arrivé en présence du prince héritier, 11 lui
parla en ces termes : «J'ai constamment entendu raconter,
Ô prince, que vous vous plaisiez à exercer la charité et
que, quelle que fût la demande qu’on vous adressàt, vous
ne vous opposiez aux désirs de personne. C’est pourquoi
je suis venu ici dans l'intention de vous demander pour
moi votre épouse. » Le prince héritier répondit: « J'y
consens ; c’est fort bien; elle est à vous. » La princesse lui
dit alors : « Si maintenant vous me donnez à un homme,
qui subviendra à votre entretien ? » Le prince répliqua :
388 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
« Si maintenant je ne fais pas don de vous, par quel
moyen obtiendrai-je de réaliser en moi la pensée des
pâramitäs sans supérieures et égales en tout ? » Le prince
héritier lava alors avec de l’eau les mains du brahmane,
puis il amena sa femme et la lui donna. Çakra reconnut
que le prince héritier n'avait en ce moment aucun senti-
ment de regret; tous les devas louèrent son excellence ;
le ciel et la terre furent fortement ébranlés. Alors le
brahmane prit la princesse et l’emmena; mais, après avoir
fait sept pas, il revint avec la princesse et voulut la re-
mettre au prince héritier pour qu’elle ne fût plus donnée
à personne ; mais le prince lui dit: « Pourquoi ne la pre-
nez-vous pas ? Aurait-elle quelques défauts ? Parmi toutes
les épouses, celle-ci est la meilleure ; elle est la fille d’un
roi qui règne actuellement sur un royaume et elle est la
fille unique de ce roi. À cause de moi, cette épouse s’est
_ jetée dans l’eau bouillante et dans le feu (de l’ascétisme);
elle a bu et mangé des boissons et des aliments grossiers
et mauvais et n’a jamais reculé devant aucune de ces souf-
frances. Dans tous ses actes, elle est diligente et appliquée
et son visage est beau. Emmenez-la maintenant et mon
cœur sera content. » Le brahmane dit au prince héritier :
« Je ne suis point un brahmane; je suis Çakra, roi des
devas; c'est pourquoi je suis venu pour vous mettre à
l'épreuve. Quels sont vos vœux ? » Il reprit alors la forme
de Çakra et apparut d’une merveilleuse beauté; la prin-
cesse lui rendit hommage et lui exprima trois souhaits :
« En premier lieu, dit-elle, faites en sorte que le brahmane
prenne nos deux enfants et revienne les vendre dans notre
pays; en second lieu, faites en sorte que nos enfants ne
souffrent ni de la faim ni de la soif; en troisième lieu,
faites que moi et le prince héritier nous puissions retour-
ner promptement dans notre pays. » Çakra, roi des devas,
répondit : « Il sera fait comme vous le désirez.» Le prince
héritier dit à son tour: «Je souhaite qu'il soit fait en
PONT
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LS à 7
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 389
sorte que tous les êtres vivants obtiennent d’être sauvés et
n'aient plus à endurer les souffrances de la naissance, de
la vieillesse, de la maladie et de la mort. » ÇCakra, roi
des devas, lui dit: « Très grand est l'objet de votre
désir ; il est fort élevé etrien ne lui est supérieur. Si vous
désirez naître dans les cieux et devenir un roi parmi le
soleil et la lune, ou si vous désirez être dans le mondeun
souverain suprêmeet avoir unelongévité prolongée, ce sont
là des choses que je pourrais vous donner conformément
au vœu que vous m'en exprimeriez; mais la majesté su-
prême dans les trois mondes échappe à mes atteintes. »
Le prince héritier reprit: « Maintenant donc, provisoire-
ment, je désire qu’il soit fait en sorte que j’aie de grandes
richesses ; je me plairai constamment à les distribuer en
libéralités plus considérables encore que celles d’aupara-
vant ; je désire qu'il soit fait en sorte que le roi mon pére
et tous les ministres qui sont à ses côtés aient le désir de
me revoir. » Cakra, roi des devas, lui dit: «Ilsera fait cer-
tainement comme vous le désirez. » Un instant après, il
disparut soudain.
Cependant le brahmane du royaume de ÆXieou-lieou
(Kuru) était revenu chez lui avec les enfants; mais sa
femme se porta à sa rencontre et l’injuria disant : « Com-
ment osez-vous revenir en m'amenant ces enfants; ils sont
de la race royale; vous cependant, dépourvu de toute pitié,
vous les avez frappés, de manière à ce qu’ils aient des
blessures et à ce que tout leur corps soit couvert de sang
et de pus ; allez promptement les mettre en vente et cher-
chez-moi d’autres serviteurs. Le mari suivit l'avis de sa
femme et se mit en route pour aller vendre les enfants.
Cakra, roi des devas, qui se promenait tout autour de Ja
place du marché dit: « Ces enfants sont à un prix élevé,
personne ne peut les acheter. » Comme les enfants avaient
faim et soif, le deva fit en sorte que, par le moyen d’une
effluve spontanée, les enfants fussent entièrement rassa-
390 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
siés. Le roi des devas modifia alors les intentions du brah-
mane qui se rendit dans le royaume de Che-po (Gibi) ;
dans le royaume, les ministres et Les gens du peuple recon-
nurent qu’ils avaient affaire aux enfants du prince héritier,
aux petits enfants du grand roi; grands et petits, tous les
habitants furent saisis de compassion; les ministres
demandèrent alors au brahmane comment il s'était procuré
ces enfants ; le brahmane dit: « Je les ai obtenus en les
demandant ; à quoi bon m'interroger ? » Les ministres
répliquèrent : « Puisque vous êtes venu dans notre
royaume, n'est-ce pas notre devoir de vous interroger ? »
Les principaux ministres et les gens du peuple étaient
tous disposés à enlever les enfants au brahmane; mais il se
trouva parmi eux un notable qui les réprimanda en disant :
«Nous avons ici un exemple du degré auquel a pu atteindre
l'esprit de charité du prince héritier ; si maintenant nous
enlevons les enfants, ne nous opposerons-nous pas aux
intentions réelles du prince-héritier ? Le mieux est d'en
référer au roi; quand le roi en sera informé, il rachètera
lui-même les enfants. » Alors donc on s'arrêta et les
ministres vinrent dire au roi : « O grand roi, vos deux
petits-enfants sont maintenant mis en vente parun brah-
mane. » À cette nouvelle, le roi fut très surpris; il appela
le brahmane qui vint donc dans le palais avec les deux
enfants. Le roi, sa femme, les ministres qui étaient à ses
côtés et toutes les femmes de son harem, en apercevant
de loin les deux enfants, se mirent tous à sangloter. Le
roi ayant demandé au brahmane comment il se trouvait
posséder ces deux enfants, il répondit : « Je les ai obte-
nus en les demandant au prince héritier. » Le roi appela
les deux enfants et désirait les prendre dans ses bras,
mais les enfants pleuraient et ne voulaient pas aller dans
ses bras. Le roi demanda au brahmane à quel prix il ven-
dait les enfants ; avant que le brahmane eût pu répondre,
le garcon dit: «Le garçon vaut mille pièces d'argent et
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SÛTRAS DIVERS (N° 500) à 391
cent vaches ; la fille vaut deux mille pièces d’or et deux
cents vaches. — Les garçons, répliqua le roi, sont esti-
més par les hommes ; pourquoi donc le garçon est-il bon
marché et la fille chère? » Le garçon répondit : « Les
femmes de votre harem n'ont aucune parenté avec vous,
Ô roi; les unes sortent de conditions humbles ; d’autres
étaient de simples servantes ; cependant celles que votre
fantaisie favorise deviennent élevées en dignité; elles sont
couvertes de joyaux et mangent et boivent des aliments
exquis ; à roi, vous n’aviez qu’un seul fils et vous l’avez
chassé au plus profond des montagnes, tandis que chaque
Jour vous vous livriez aux réjouissances avec les femmes
de votre harem sans jamais penser à votre fils. Par là on
voit clairement que les fils ont peu de valeur et que les
filles en ont une grande. » En entendant ces paroles, le
roi fut troublé et affligé ; ses larmes coulèrent à flots et
il dit : « J’ai été coupable envers vous. Pour quelle raison
ne venez-vous pas dans mes bras? Est-ce parce que vous
me haïssez ou parce que vous craignez le brahmane ? »
Le garçon répondit : « Nous ne nous permettrions point
de vous détester, Ô grand roi, et, d'autre part, nous ne
craignons point le brahmane. Nous étions autrefois les
petits-fils du grand roi, mais maintenant nous sommes les
esclaves d’un homme. Comment les esclaves d’un homme
pourraient-ils aller dans les bras du roi du royaume ?
Voilà pourquoi nous ne nous permettrons pas de le
faire. » En entendant les paroles du jeune garçon, le roi
sentit redoubler son affliction; puis, en conformité avec
ce qui venait de lui être dit, il paya au brahmäne le prix
convenu et appela de nouveau dans ses bras les enfants
qui s’y rendirent aussitôt. Le roi, tenant embrassés ses
deux petits-enfants, caressait leur corps ; il leur demanda :
« Qu'est-ce que mange et boit votre père dans la mon-
tagne ? de quoi peut-il se vêtir ? » Les deux enfants lui
répondirent : « Il mange des fruits, des graines, des
392 SÜTRAS DIVERS (N° 500)
légumes et des racines ; il se couvre d’une étoffe grossière
qui lui tient lieu de vêtement; les cent sortes d'oiseaux
le distraient et son cœur est exempt de tout chagrin. »
Le roi ayant renvoyé le brahmane, les enfants lui dirent :
« Ce brahmane souffre beaucoup de la faim et de la soif;
nous désirons que vous lui donniez un repas. » Le roi
leur demanda : « N’êtes-vous donc pas fâchés contre lui?
pourquoi vous inquiétez-vous encore de lui procurer à
manger ? » Les enfants répondirent : « Notre père se
plaisait à la sagesse, mais il n'avait plus rien dont il pût _
se servir pour faire la charité. Ce brahmane lui a demandé
de nous donner à lui et ainsi il est devenu notre maître ; 4
nous n’avons point encore pu être ses serviteurs de ma-
nière à contribuer à l’accomplissement des sages inten- 3
tions de notre père. Comment pourrions-nous mainte- |
nant le voir souffrir de la faim et de la soif sans éprouver
des sentiments affectueux et bons à son égard? Puisque
notre père avait donné ses enfants à ce brahmane, com-
ment, à grand roi, pourriez-vous lui refuser un repas? »
Le roi offrit donc à manger au brahmane qui, après s’être
rassasié, s’en retourna tout joyeux.
Le roi envoya alors un messager chercher en toute hâte
le prince héritier et le faire revenir ; en conformité avec
ces instructions, le messager alla chercher le prince héri-
65 : * A
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on nd: jol EE
tier ; il fut arrêté par la rivière qu'il ne pouvait franchir,
mais il n’eut qu'à songer au prince héritier et il put aus-
sitôt la traverser; arrivé auprès du prince héritier, il lui
communiqua l’ordre du roi en lui disant qu’il devait
promptement revenir dans le royaume et que le roi dési-
rait vivement le voir. Le prince héritier répondit : « Le
roi m'a banni pour douze années dans la montagne et il
s’en faut encore d’une année que le terme ne soit arrivé;
quand cette année sera accomplie, je reviendrai. » Le
messager retourna dire au roi ce qui s'était passé; le
roi écrivit alors de sa propre main une lettre pour être
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 393
remise au prince héritier ; elle était ainsi conçue : « Vous
êtes un homme sage; pour ce qui est du passé, il vous
faut être indulgent; pour ce qui est de l'avenir, il vous
faut aussi être indulgent. À quoi bon vous irriter et ne
pas revenir ? j'attendrai que vous soyez ici pour boire et
pour manger. » Le messager se rendit de nouveau, por-
teur de cette lettre, auprès du prince héritier; quand
celui-ci eut reçu la lettre, il commença par se prosterner
devant elle, le visage contre terre; puis, après l'avoir
adorée, il recula et tourna sept fois autour d'elle; ensuite
il ouvrit et la lut.
A la nouvelle que le prince héritier devait s’en retour-
ner, toutes les bêtes de la montagne sautaient et se tor-
daient de chagrin, se frappaient et poussaient des cris
lamentables ; les sources en furent taries ; les femelles
des animaux en perdirent leur lait ; Les oiseaux de toutes
sortes criaient piteusement; car ils allaient perdre Île
prince héritier.
Le prince héritier mit alors des vêtements et s’en revint
avec la princesse. Le souverain hostile du royaume rival,
apprenant le retour du prince héritier, chargea des émis-
saires de mettre sur l'éléphant blanc un harnachement
d’or et d'argent, de prendre avec eux le vase d’or plein
de grains d’argent et Le vase d'argent plein de grains d'or
et de venir au-devant du prince sur la route pour les lui
rendre en lui exprimant en ces termes son repentir des
fautes qu’il avait commises : « Si auparavant je vous ai
demandé l'éléphant blanc, c’est parce que j'étais stupide
et insensé ; à cause de moi, vous avez été banni au loin;
maintenant j'apprends que vous revenez et j'en conçois
une grande joie; je vous restitue l'éléphant blanc et je
vous présente les grains d’or et d'argent ; je souhaite que
vous condescendiez à les accepter afin que mon crime
soit supprimé. » Le prince héritier répondit : « Supposez
qu'un homme ait préparé des aliments de toutes sortes
394 SÛTRAS DIVERS (N° 500)
4
de saveurs et les ait présentés à quelqu'un ; si cette der-
nière personne, après les avoir mangés, les vomit à terre,
comment ces aliments seraient-ils encore parfumés et
purs ? Pourrait-on les remanger? Maintenant, les libéra-
lités que j'ai faites sont comparables à ce qui a été vomi ;
je ne puis en aucune façon les reprendre. Montez promp-
tement sur l’éléphant et retournez exprimer mes remer-
ciements à votre roi. On vous a bien fatigués, à envoyés,
pour que vous veniez au loin prendre de mes nouvelles. »
Alors donc les émissaires montèrent sur l’éléphant et s’en
retournèrent rapporter au roi ce qui s'était passé. À cause
de cet éléphant, le souverain hostile de ce pays rival se
transforma en un homme bienveillant et bon; lui-même,
ainsi que tout son peuple, conçurent la pensée des pârami-
tàs sans supérieures et égales pour tous. |
Le roi, père du prince héritier, monta sur un éléphant
pour sortir à la rencontre de son fils. Le prince héritier
s'avança aussitôt et lui rendit hommage en mettant son
visage contre terre; puis il revint à la suite du roi; tous
les gens du peuple étaient transportés de joie ; ils répan-
daient des fleurs, brûlaient des parfums, suspendaient
des oriflammes et des dais en soie et faisaient couler sur
le sol des essences parfumées pour accueillir le prince-
héritier. Celui-ci entra dans le palais et alla aussitôt
devant sa mère ; la tête contre terre, il lui rendit hom-
mage et lui demanda comment elle se portait. Le roi con-
fia au prince héritier tous ses trésors; le prince en fit
des libéralités à son gré et fut plus charitable encore que
précédemment. Comme sa charité ne se lassait pas, il
obtint par là de devenir Buddha.
Le Buddha dit à Ânanda : « Telle est la manière dont j'ai
pratiqué la charité dans une de mes existences anté-
rieures. Le prince-héritier Siu-la-na (Sudâna), c’est moi-
même. Celui qui en ce moment était le roi son père, c’est
maintenant mon père, le roi Yue-Peou-fan (Guddhodana) ;
SÛTRAS DIVERS (N° 500) 395
celle qui en ce moment était la mère du prince héritier,
c’est maintenant Mo-ye (Mâyà); celle qui en ce temps
était la princesse, c’est maintenant Aiu-yi (Gopâ); celui
qui en ce temps était le religieux A-{cheou-l’o (Atyuta) de-
meurant dans la montagne, c’est Mo-ho-mou-kien-lien (Ma-
hâmaudgalyâyana) ; celui qui en ce temps était Çakra, roi
des devas, c’est Chô-li-fou (Câriputra) ; celui qui en ce
temps était le chasseur, c’est A-nan (Ânanda) ; celui qui
en ce temps était le garçon Ye-li (Jâli), c’est maintenant
mon fils Lo-yun (Râhula) ; celle qui en ce temps était la
fille K1-na-yen (Krsnâjinâ), c'est maintenant la mère de
Parhat Mo-li (1); celui qui en ce temps était le brahmane
qui demanda les enfants, c’est maintenant T’1ao-la (Deva-
datta) ; la femme du brahmane, c'est Tchan-lchô-mo-na
(Cinéamânavikà). Telles sont les peines et les souffrances
que j'ai endurées pendant des kalpas innombrables et
voilà comment aussi j'ai fait Le bien pendant des kalpas
innombrables. Conservez toujours ce sûtra pour l’exposer
à tous les cramanas. »
Telle est la manière dont le Bodhisattva pratique la
pâramità de charité (dâna).
(1) Dans le pâli, cette filleestidentifiée avec Uppalavannä (Utpalavarnä).
i2
Re 17
du
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME TROISIÈME
Tsa pao tsang king (n°s 400-122).
Extraits du Cheng king (n°° 423-438) .
Extraits du ing lu yi siang (n°s 439-489)
Extraits du Ta {che tou louen (n° 490-492)
Extraits du Tch'ou yao king (n°5 493-494)
Extraits du Fa kiu p'i yu king (n°s 195-497)
Sûtra des dix rêves du roi Prasenaïjit (n° 498). ae,
Sûtra sur l’avadäna de Fille-de-Manguier (Âmrapäli) et Æ'i-yu
Épvaka) (ns 499) 02 0 30e
Sûtra du prince héritier Sudâna (n° 500) .
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Tripitaka
s contes et apologues
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