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Full text of "Cinq cents contes et apologues"

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CINQ CENTS 
_ CONTES ET APOLOGUES 





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CINQ CENTS 


“CONTES ET APOLOGUES 


EXTRAITS 


DÜ TRIPITAKA CHINOIS 


ET TRADUITS EN FRANÇAIS 


PAR 


ÉDOUARD CHAVANNES 


MEMBRE DE L'INSTITUT 
PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE 


PUBLIÉS SOUS LES AUSPICES DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE 





PONPE RL 








en 7 < 
UE 
PARIS 


ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 


28, RUE BONAPARTE, 28 


1911 








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in 2008 with funding from 
Microsoft Corporation 


http://www.archive.org/details/cinqcentscontese03chavuoft 





ESA PAO TSANG KING 





CFrips -KIV 10 pe LE vS) 


Le roi Che-ch (Daçaratha) a eu, de ses quatre épouses, quatre 
fils nommés Lo-mo (Râma), Lo-man (Laksmana), P'o-lo-l'o (Bha- 
rata) et « le Tueur d'ennemis » (Çatrughna). La troisième épouse 


_profite d’une maladie du roi pour lui faire désigner P'o-lo-lo 


comme son successeur sur le trône ; Lo-mo et Lo-man sont exi- 
lés pour une période de douze ans. Après être devenu roi, P'o- 
lolo, qui est un homme vertueux, voudrait céder le pouvoir à 


(1) Le T'sa pao tsang king (Nanjio, Catalogue, n° 1329), dont le titre corres- 
pondrait à un titre sanscrit qui serait Samyukta ratna pitaka sûtra, a été 
traduit en chinois en l’année 472 de notre ère parle çcramana des pays 
d'Occident Xïi-kia-ye, assisté du religieux T'an-yao. Nous ne savons rien 
sur la personne de Æi-kia-ye, mais T'an-yao nous est connu par une 
courte biographie du Siu kao seng tchouan (Trip., XXXV, 2, p. 86 r°)et 
par deux passages du Wei chou (chap. CXIV, pp. 5 v° et 6 r°); nous appre- 
nons ainsi qu’il fut le promoteur du grand travail artistique qu'on fit 
pour aménager en temples bouddhiques les grottes dans le roc situées 
à Yun-kang, à l'ouest de Ta-Pong fou. T'an-yao a donc été simultanément 
celui qui répandit la littérature des avadânas à la cour des Wei du Nord 
et l'artiste qui donna une impulsion singulièrement forte et originale à 
la sculpture religieuse dans la Chine septentrionale. — D'après un texte 


du Fo tsou Fong ki (Trip., XXXV, 9, p. 64 r°), en l’année 472, « l’empereur 


ordonna au maître du Tripitaka Xi-kia-ye, originaire de l'Inde de l’ouest, 
de traduire cinq ouvrages parmi lesquels se trouvait le Tsa pao {sang 
king ; Lieou Hiao-piao rédigea (pi cheou) ces traductions ». Nous avons 
donc là l'indication d'un nouveau personnage qui aurait coliaporé à la 
version chinoise du Tsa pao isang king. 

Divers contes du Tsa pao tsang king ont déjà été traduits par Stanislas 
Julien, par Beal et par Sylvain Lévi. Je me suis décidé à traduire intégra- 
lement les textes les plus importants de cet ouvrage et à donner une 
analyse de ceux qui sont déjà connus par les travaux de mes devanciers 
ou qui présentent un moindre intérêt. De la sorte, on aura un aperçu de 
tout le contenu de ce livre. Les contes traduils se distinguent de ceux qui 
sont simplement analysés en ce que chacun d'eux esl précédé d'un numéro 
d'ordre. 


LL l 


2 TSA PAO TSANG KING 


Lo-mo, mais celui-ci refuse de revenir avant que le terme de 
douze ans soit expiré. P'o-lo-f'o obtient du moins de lui ses 
sandales ; il les place sur le trône royal et, matin et soir, il se 
prosterne devant elles, exactement comme s'il eût été en pré- 
sence de son frère aîné. Au bout de douze ans, Lo-mo et Lo-man 
reviennent dans leur patrie et P'o-lo-l'o s'empresse de céder le 
trône à Lo-mo (1). 


CRIS ENS OP DI IE V0) 


Un roi avait six fils ; il est tué, avec cinq de ses fils, par son 
ministre Lo-heou-k'ieou. Le sixième fils, averti par son génie 
du sort qui le menace, s'enfuit avec sa femme et son jeune 
garçon en emportant pour sept jours de vivres; il s’égare en 


chemin et souffre de la faim ; il veut tuer sa femme, mais son 


jeune garçon se dévoue pour la sauver ; on coupe donc chaque 
jour à celui-ci une certaine quantilé de chair qui permet aux 
trois voyageurs de ne pas mourir de faim. Enfin on coupe à 
l'enfant les trois dernières tranches de viande qui lui restent sur 
le corps; le père et la mère prennent chacun une des tranches et 
peuvent continuer à marcher jusqu’à ce qu'ils arrivent à un vil- 
lage ; quant à l'enfant, ils lui ont laissé la troisième tranche en 
l'abandonnant sur la route. Cakra Devendra se change en un 
loup affamé et vient demander au Jeune garçon la chair qu'il 
tient en main; l'enfant la lui abandonne. Çakra reprend la forme 
humaine et lui demande s’il regrette d’avoir livré sa chair à son 
père et à sa mère. L'enfant répond qu'il n’en a jamais éprouvé le 
moindre sentiment de regret et souhaite que, s’il dit vrai, son 
corps redevienne tel qu'auparavant; ce miracle se produit en 
eflel. 


CPS ENS T0 V0) 
(Cyäma jàtaka (2). 


1) M. Sylvain Lévi a traduit ce conte (Mélanges Kern, Leide, 1903, 
pp. 279-21 et y à signalé une des formes de la légende de Râma. 
2) GEunotre n°45, 14, .pp.156-160: 












TSA PAO TSANG KING (N° 400) 3 


(TP: XIV, 10, D72 %°.) 


Un perroquet recueillait des fleurs et des fruits pour son père 


et sa mère aveugles. Le maître d’un champ, irrité de voir les 


oiseaux lui dérober ses grains, tend un filet et prend le perro- 
quet. Celui-ci lui tient un discours sur l’avarice ; l’homme, 
ému par ces paroles et touché de la piété filiale du MU LU 
remet en liberté son prisonnier (1). 


N° 400. 


(WErPIp,, XIVS 10 pp. 2 V3 0ve.) 


Il y a de cela fort longtemps, il y avait un royaume dont 
le nom était Æ'i-lao (rejeter-vieillards) ; dans ce pays, 
toutes les fois qu'il y avait un vieillard, on le chassait au 


loin. Or, un grand ministre avait un père âgé, et, suivant 


la loi du royaume, il était dans l'obligation de le renvoyer ; 
mais, comme il était animé de piété filiale et de défé- 
rence, il ne pouvait s’y résoudre ; il creusa donc un trou 
profond dans la terre et y fit une habitation cachée dans 
laquelle il plaça son père ; il lui donnait en temps oppor- 
tun ses soins dévoués. 

Or il advint qu'un esprit céleste, qui tenait dans ses 
mains deux serpents, les plaça en haut de la salle princi- 
pale du roi et dit à ce dernier ces paroles : « Si vous pou- 
vez distinguer lequel est le mâle et lequel est la femelle, 
votre royaume obtiendra de rester en paix; mais si vous ne 
pouvez pas le distinguer, votre personne et votre royaume, 
dans sept jours, seront entièrement renversés et anéan- 


(1) Traduit par Stanislas Julien (Les Avadänas, t. 1, pp. 68-70 ; ef. Jétaka, 
n° 484. 


4 ‘TSA PAO TSANG KING (N° 400) 


tis (1). » Quand le roi eut entendu ce discours, son cœur 
en conçut du déplaisir; il délibéra sur cette question avec 
tous ses ministres rassemblés; chacun d'eux s’excusa, 
disant qu'il était incapable de faire cette distinction. Le 
roi alors publia une proclamation dans tout son royaume 
pour promettre des titres et des récompenses magnifiques 
à qui serait capable de faire cette distinction. Le grand 
ministre retourna chez lui et alla interroger son père ; 
celui-ci répondit à son fils : « La distinction est aisée à 
faire ; prenez une matière fine et souple et posez dessus 
les serpents : celui qui aura remué se fera ainsi recon- 
naître pour le mâle; celui qui sera resté immobile se fera 
ainsi reconnaître pour la femelle ». On suivit ce conseil et 
on put effectivement distinguer le mâle de la femelle. 
L'esprit céleste posa encore cette question : « Qui est 
celui qu'on appelle éveillé quand il est endormi, et endormi 
quand il est éveillé ? » 
_ Le roi et ses ministres furent de nouveau incapables 
de résoudre l’énigme ; on publia une seconde proclama- 
tion dans tout le royaume, mais personne ne put expli- 
quer l'énigme. Le grand ministre demanda à son père 
quel était le sens de cette définition. Le père répondit : 
« Elle s'applique à un savant; au yeux du vulgaire, celui- 
ci est éveillé ; aux yeux des arhats, il est endormi (2). » 
Telle fut donc la solution qu'on apporta au génie céleste. 
Le génie céleste demanda derechef : « Combien pèse 
ce grand éléphant blanc? » Les ministres délibérèrent 
entre eux, mais aucun d'eux ne put le savoir; cette fois 
encore, on publia une proclamation dans tout le royaume 
et personne ne put savoir quelle réponse faire. Le grand 


(1) Cette question est une de celles qui sontposées au jeune Mahosadha, 
âgé seulement de sept ans, dans le Jâtaka, n° 546 (trad. Cowell et Rouse, 
t. VI, p. 167). Mais la réponse est différente. 

(2 Parce que le savoir laïque n'est pas la vraie connaissance aux yeux 
de celui qui possède la sagesse religieuse. 





TSA PAO TSANG KING (N° 400) 5 





_ ministre interrogea son père qui lui dit : « Placez l’élé- 

phant sur un bateau qui aura été mis dans un grand lac; 
faites alors un trait pour marquer jusqu’à quelle profon- 
deur le bateau s'enfonce dans l’eau; puis, (l'éléphant 
étant enlevé), mettez des poids en pierre dans ce même 
bateau jusqu'à ce que l’eau couvre la ligne que vous aurez 
tracée. Vous saurez ainsi quel est le poids de lélé- 
phant (1) ». On apporta donc cette ingénieuse solution 
au génie céleste. 

Le génie céleste demanda encore : « Quelle est la quan- 
tité d’eau contenue dans les deux mains réunies qui est 
plus considérable que la grande mer ? Quelqu'un le sait- 
il? » Les ministres délibérèrent entre eux, mais ils ne 
purent résoudre le problème; on fit encore une procla- 
mation qu’on publia partout et il n’y eut personne qui 
sût la réponse. Le grand ministre demanda à son père ce 
que signifiait cette question; son père lui dit : « Cette 
énigme est facile à résoudre. Si un homme capable d’être 
croyant et pur fait offrande de la quantité d’eau qu’il peut 
tenir entre ses deux mains au Buddha, aux religieux, 
ainsi qu'à son père, à sa mère, et aux hommes en péril 
ou malades, grâce à ce mérite, pendant plusieurs milliers 
et myriades de kalpas, il recevra des bonheurs illimités: 
quelque considérable que soit la grande mer, elle ne 


(1) Ce remarquable procédé de pesée a passé dans le folklore chinois 
qui en attribue l'invention à Ts’ao Tch'ong À Yi. Le célèbre Ts'ao Ts’ao 


Li fa (152-220 p. C.) avait un grand éléphant dont il désirait connaitre le 
poids; Ts'ao Tch'ong, qui n'était alors âgé que de cinq ou six ans, lui 
indiqua l’artifice même dont nous avons la description dans notre conte. 
Un livre d'école primaire, qui m'a été communiqué par M. C. Blanchet, 
le Xouo wen kiao k'o chou (Commercial Press, Chang-haï), raconte cette 
anecdote et y joint une vignette où on voit l'éléphant placé dans le 
bateau, tandis que le petit Ts'ao Tch'ong trace sur le bordage une ligne 
à l'endroit où affleure l’eau. Il est intéressant de trouver dans le Tsa 
pao tsang king le prototype de ce récit qui nous montre que la littéra- 
ture des contes a pu introduire de l'Inde en Chine même des principes 
de physique. 


6 TSA PAO TSANG KING (N° 400). 


dure pas plus d’un kalpa; en raisonnant ainsi, on voit 
que la quantité d’eau contenue dans les deux mains 
réunies est des centaines, des milliers et des myriades de 
fois plus considérable que la grande mer. » Telle fut la 
réponse qu’on donna au génie céleste. 

Le génie céleste se transforma derechef en un homme 
affamé qui n’était plus qu’un squelette et il vint deman- 
der : « Y a-t-il au monde quelqu'un qui soit plus affamé, 
plus maigre et plus tourmenté que moi? » Les ministres 
assemblés se consultèrent, mais ne purent répondre. Le 
grand ministre alla exposer la chose à son père. Celui-ci 
lui dit : « Dans le monde, lorsqu'un homme est avare, 
avide et jaloux, qu’il ne croit pas aux trois Joyaux, qu’il 
ne sait pas entourer de soins son père, sa mère, ses mai- 
tres et ses aînés, il tombera, lors de ses existences ulté- 
rieures, dans la condition de démon affamé ; pendant des 
centaines, des milliers et des myriades d'années, il n’en- 
tendra même pas les mots « eau » et « céréales » ; son 
corps sera comme une grande montagne et son ventre 
comme une profonde vallée ; sa gorge sera comme une 
aiguille fine; ses cheveux seront comme des épées aiguës ; 
de son corps jaillira du feu et tout son être sera brûlant; 
tout le long de son corps jusqu’à ses pieds, à chaque 
mouvement qu'il fera, les articulations de ses membres 
prendront feu; un tel homme endurera des souffrances 
de la faim des centaines, des milliers et des centaines 
de fois plus pénibles que celles que vous éprouvez. » On 
rapporta donc cette réponse au génie céleste. 

Celui-ci se transforma en un homme dont les mains 
et les pieds étaient chargés d’entraves; son cou était 
enchainé; de son corps jaillissait du feu et toute sa per- 
sonne était brûlée ; il demanda encore : « Y a-t-il quelqu'un 
qui endure de plus grandes souffrances que moi? » Les 
ministres discutèrent à ce sujet, mais ne surent que 
répondre. Le grand ministre interrogea encore son père 











TSA PAO TSANG KING (N° 400) 7 


qui lui dit: « Lorsque, dans ce monde, il y a une per- 
sonne qui manque de piété envers son père et sa mère, 
qui résiste et nuit à ses maîtres et à ses aînés, ou, si elle 
est une femme, qui se révolte contre son mari, et lorsque 
cette personne parle mal des trois Vénérables, elle tom- 
bera, lors de ses existences ultérieures, dans les enfers 
où il y a les montagnes de couteaux et les arbres d’épées, 
les chars de feu et le charbon ardent des fournaises, le 
fleuve où on s’engloutit et l'urine bouillante, les chemins 
de glaives et les chemins de flamme, et les tourments 
analogues, sans mesure, sans limite, innombrables. Si on 
compare le sort de cette personne au vôtre, il est des cen- 
taines, des milliers et des myriades de fois plus pénible. » 
Ce fut donc cette réponse qu’on apporta au génie céleste. 

Le génie céleste se transforme alors en une femme 
dont la merveilleuse beauté l’emportait sur celle de toutes 
les femmes de ce monde; puis il demanda : « Y a-t-il au 
monde quelque personne d’une beauté égale à la mienne ? » 
Les ministres restèrent silencieux et ne surent que 
répondre. Le (grand) ministre interrogea de nouveau son 
père qui lui répondit : « Dans le monde, lorsqu'un homme 
a foi dans les trois Joyaux et les vénère, obéit avec piété 
filiale à son père et à sa mère, se plait à faire des libéra- 
lités et supporte avec patience les injures, progresse dans 
la vertu et observe les défenses, il obtient (plus tard) de 
naître en haut parmi les devas et il a alors une beauté 
merveilleuse qui l'emporte des centaines, des milliers et 
des myriades de fois sur la vôtre, en sorte que, si on 
vous compare à lui, vous avez l'air d'un singe aveugle. » 
On transmit cette réponse à l'esprit céleste. 

L'esprit céleste prit encore un morceau de bois de 
ichen l'an (candana, santal) parfaitement quadrangulaire 
et régulier, puis il demanda: « Où en est la tête? » Les 
ministres appliquèrent à cette question toutes les forces 
de leur intelligence, mais ne surent que répondre. Le 


8 TSA PAO TSANG KING (N° 400) 


ministre interrogea de nouveau son père qui lui répondit: 
« C'est là une chose facile à connaître ; jetez ce morceau 
de bois dans l’eau ; la base sera constamment plus lourde 
et l'extrémité qui forme la queue se dressera en l'air. » 
Telle fut donc la réponse qu'on fit à l'esprit céleste (1). 

L'esprit céleste prit deux juments blanches, de taille et 
de couleur identiques, puis il demanda: « Laquelle est 
la mère ? Laquelle est la fille ?» Les ministres, cette fois 
encore ne surent que répondre. Le grand ministre 
interrogea son père qui lui dit : « Donnez-leur de l'herbe 
à manger; celle qui est la mère ne manquera pas de 
repousser l'herbe pour la donner à sa fille. » 

De cette manière, on put répondre successivement à 
toutes les questions. L'esprit céleste en fut très satisfait; 
il donna en grande quantité au roi de ce royaume des 
joyaux et des richesses, puis il dit au roi: « Dorénavant 
_ je protégerai le territoire de votre royaume en sorte que 
les ennemis du dehors ne pourront l’envahir et lui nuire. » 
Quand le roi eut entendu ces paroles, il en conçut des 
transports de joie; il demanda alors à son ministre : « Est- 
ce vous même qui avez su tout cela ou est-ce quelque 
autre homme qui vous l’a enseigné ? Grâce à votre intel- 
ligence supérieure, notre royaume a réussi à rester tran- 
quille ; en outre il a obtenu des joyaux et des richesses 
et il est assuré d’être protégé. Tout cela est dû à vos capa- 
cités. » Le ministre répondit au roi: « Ma sagesse per- 
sonnelle n'y est pour rien; je désire, à roi, que vous 
m accordiez la faveur de n’avoir rien à craindre et je vous 
exposerai tout ce qui en est. » Le roi répliqua : « Quand 
bien même vous auriez commis des crimes méritant dix 
mille fois la mort, je ne vous en demanderai pas compte; 
à combien plus forte raison ne le ferai-je pas pour une 
légère faute. » Le ministre dit au roi: « C’est une loi de 


(1) Cf. la même énigme résolue de la même manière dans le Jätaka, 
n° 546 (trad. Cowell et Rouse, t. VI, p. 166). 









TSA PAO TSANG KING (N° 400). 9 


… ce pays qu'il n’est pas permis de nourrir les vieillards. 
- J'ai un vieux père ; comme je ne pouvais me résoudre à le 
- chasser au loin, j'ai contrevenu aux prescriptions du roi 


et je lai caché sous terre. Or toutes les réponses que je 
—._ vous ai précédemment apportées furent dictées par la 
… sagesse de mon père et ne sont point dues à mes capa- 
cités. Mon unique désir, Ô grand roi, est que, dans toute 
_ l'étendue du royaume, vous permettiez, contrairement à 
ce qui s’est fait jusqu'ici, de nourrir les vieillards. » 

Le roi, tout émerveillé de ces paroles, en conçut de la 
joie ; il fit des offrandes au père de son ministre et l’honora 
en le nommant son maître: « IL a sauvé, ajouta-t-il, la vie 
de tous les habitants du royaume. Un tel service, je ne 
saurais jamais assez le reconnaître. » Puis le roi promul- 
œua un ordre, qui devait être annoncé partout, pour dire 
qu'il n’était plus permis de chasser les vieillards, qu'on 
devait les nourrir avec piété filiale et que ceux qui se con- 
duiraient mal envers leur père et leur mère seraient pas- 
sibles de grands châtiments. 

Le Buddha dit : « Celui qui, en ce temps, était le père, 
c'est moi-même; celui qui était le ministre, c’est Chü-lI- 
fou (Câriputra); celui qui alors était le roi, c'est A-chü- 
che (Ajâtaçatru) ; celui qui, en ce temps, était l'esprit 
céleste, c’est A-nan (Ânanda). » 


GP XIV 10 D: 9 ve) 


Le Bouddha s’est rendu dans les cieux Trayastrimças, et pen- 

dant quatre-vingt-dix jours, il a expliqué la Loi pour le béné- 

| fice de sa mère Mâyà ; aux bhiksus qui s'en étonnent, il répond 
par un jâtaka : autrefois le Buddha était un roi-singe qui 
commandait à cinq cents singes ; il les sauva en une occasion 

où ils avaient été pris dans les filets d’un chasseur ; une autre 

fois, une vieille guenon étant tombée avec son petit qu'elle 


10 TSA PAO TSANG KING 


porlail sur ses épaules, au fond d'un ravin, les singes se sus- 


pendirent les uns aux autres en se prenant par la queue et le = 


roi singe put, en se mettant au bout de la chaîne ainsi formée, 
retirer la vieille mère du fond du gouffre. S'il a pu agir ainsi en : 
faveur de la guenon quand il n'était que singe, qu'est-ce que le 
Buddha ne fera pas maintenant en faveur de sa mère pour la 
délivrer des trois voies mauvaises ? 





( Fripe, LIN: Lo; PP: 3 vo-/ Pas 


Avadänas destinés à expliquer pour quelles causes la femme 
esclave AXia-lan-lchü-lo (Katañngalà) a obtenu de devenir bhi- 
ksuni, puis d'atteindre à la dignité d’'arhat (1). | 


(Trip.. XIV, 10, p. 4 v°-4 r°) (2). 


Un jeune homme nommé Ts'eu-l'ong-niu (Maïtrakanyaka) est 
orphelin de père ; 1l donne à sa mère tout ce qu'il gagne, à 
savoir 2 pièces de monnaie par Jour, puis 4 pièces de monnaie, 
puis 8, puis 16. Il se décide à aller sur mer pour s'enrichir ; sa 
mère veut le retenir et embrasse ses pieds ; il frappe sur les 
mains de sa mère pour l'obliger à desserrer son étreinte, et, 
dans ce geste, 1l lui casse quelques dizaines de cheveux. I} 
part et amasse de grandes richesses ; au retour, il est, pen- 
dant le trajet sur terre, abandonné par la caravane dont il 
élait le chef. Il arrive à une ville de lreou-li violet où il est 
reçu par 4 belles femmes qui lui donnent 4 perles et il vit 
dans les délices pendant 40.000 années ; puis il arrive à une 
ville de p'o-li où il est reçu par 8 belles femmes qui lui donnent 
8 perles et 1l vit dans les délices pendant 80.000 années ; puis il 
arrive dans une ville d'argent où il est reçu par 16belles femmes 
qui lui donnent 16 perles et il vit là 160.000 années ; puis il arrive 


(1, Cf. FEER, Avadäna çaltaka (Annales du Musée Guimel, t. XVIII, p. 289- 
293), 
(2 CR len39 AA pp 131-127: 








nheommest 


TSA PAO TSANG KING Il 


à une ville d’or où il est reçu par 32 belles femmes qui lui don- 


nent 32 perles et il vit là 320.000 années. Enfin il arrive à une 


ville de fer ; il y trouve un homme qui portait sur la tête une 
roue de feu ; cette roue se transporte aussitôt sur la tête de 
| «.… Ts'eu-l'ong-niu. Celui-ci demande à un geôlier pourquoi il doit 
- endurer ce supplice et pourquoi il a éprouvé auparavant de si 


grandes félicités. Les joies qu'il a éprouvées par quantités pro- 


portionnées aux nombres 4, 8, 16 et 32 sont la récompense du 


bien qu'il a fait autrefois à sa mère en lui donnant 2 pièces de 
monnaie, puis 4, puis 8, puis 16. Le supplice de la roue de feu 
lui est infligé parce qu'il a cassé des cheveux à sa mère. Les 
peines de Ts’eu-l'ong-niu ne devaient prendre fin que lorsque 
quelque autre, homme, ayant agi comme lui, viendrait le rem- 
placer; mais il conçoit la bonne pensée de concentrer en lui 
les douleurs de tous ceux qui souffrent et aussitôt la roue de feu 
tombe par terre. Le geôlier, irrité, le tue, mais il renaît dans les 
cieux Tusita. 


CETED UN, DO DDLE VE 


Autrefois dans les montagnes neigeuses il y avait un ascète 
nommé T'i-po-yen (Dyvaipâyana) qui avait coutume d'’uriner sur 
une roche. Une biche, qui lécha ce rocher, devint grosse et 
donna le jour à une fille ; cetle fille était fort belle, et, dans 
chaque endroit où elle posait le pied, naissait une fleur de lotus. 
Un jour que le feu qu'elle était chargée d'entretenir s'était 
éteint, elle se rend chez un voisin pour emprunter du feu et, 
sur la demande du maître de maison, fait sept fois le tour de sa 
demeure qui se trouve ainsi entourée de sept rangs de lotus. 


_Survient le roi Wou-l'i-yen (Udayana) qui voit les lotus, s ‘enquiert 


de leur origine, recherche la fille, la trouve et l'épouse. La jeune 
femme donne naissance à cinq cents œufs ; la première femme 
du roi, poussée par la jalousie, substitue cinq cents boulettes de 
farine aux cinq cent œufs qu'elle place dans une boîte scellée el 


jette dans le Gange. La boîte est recueillie par le roi Sa-lan- 


(1) Cf. le n° 23, t. [, pp. 80-84. 


12 TSA PAO TSANG KING 


p'ou dont le royaume est situé en aval; ce roi donne un œuf à 
chacune de ses cinq cents épouses et de chaque œuf sort un 
garçon qui devient beau et fort. Quand ces cinq cents enfants 
sont devenus de vaillants hommes, le roi Sa-tan-p'ou refuse de 
payer tribut au roi Wou-l'i-yen et l'attaque. En ce péril, le roi 
Wou-l'i-yen a recours à la femme aux fleurs de lotus ; il la place 
sur un grand éléphant blanc et la met en avant des troupes; la 
femme presse ses deux seins et de chacun d'eux sortent deux 
cent cinquante jets de lait qui tombent droit dans la bouche de 
ses fils, les cinq cents guerriers de l’armée ennemie. Les fils 
reconnaissant alors leur père et leur mère, la guerre prend fin. 
Les cinq cents fils, de même que les deux rois, deviennent des 
Pratyeka Buddhas. 





Cri IN TO ph D V0 :) 


Autre rédaction du même récit : la fille née de l’ascète et de 
la biche a des pieds de biche ; elle est épousée par le roi du 
royaume de Fan-yu (Brahmavati) ; elle donne le jour à mille 
feuilles de lotus auxquelles l'épouse principale substitue une 
masse de viande de cheval pourrie ; les mille feuilles de lotus, 
après avoir élé jetées dans le Gange, sont recueillies par le 
roi du royaume de Wou-k’i-yen (Uddiyâna) ; sur chaque feuille 
il y avait un petit garçon. Les mille fils deviennent de vaillants 
guerriers et attaquent le roi de Fan-yu; leur mère monte sur 
une tour élevée et presse ses deux seins : de chaque sein sortent 
cinq cents jets de lait qui tombent dans la bouche des mille fils. 


rip NIV 6::p 00) 


L'éléphant blanc à six défenses, tué par le chasseur qui s’est 
revêlu d'un kâsâya. C’est le Saddanta jâtaka. 


(PGI n°280 1 pp, 101104 


TSA PAO TSANG KING 13 


(Frp.; XIV, 10: p6%) (1): 





Sasa jâtaka. Ici il n’y a que deux personnages : l’ascète et le 
lièvre qui se jette dans le feu pour lui assurer un repas. 


CPP RINE MO ND 7 ES), 


_ Le bon roi-singe sauve cinq cents singes en leur faisant tra- 

verser la rivière sur une branche d’arbre p'i-to-lo qu'il a cour- 

bée. Le méchant roi-singe cause la mort de ses cinq cents 
sujets en ne sachant pas comment les faire fuir. 


(Trip, XIV 10; D 7 vo), 


En temps de disette, un homme pauvre enterre vivants son 
père et sa mère afin d'avoir de quoi nourrir ses nombreux en- 
fants. Son exemple est suivi et devient la règle dans le royaume 
de Po-lo-nai (Vârânasi). Un homme, qui désire sauver son 
vieux père du sort qui l'attend, l'installe dans une habitation 
| qu'il a ménagée sous la terre, en sorte qu’on peut croire que, 
| suivant la coutume, il l’a enterré vivant ; un génie pose alors 
quatre énigmes au roi en lui annonçant que si, dans sept jours, 
|  ilne les a pas résolues, sa tête sera brisée en sept morceaux. 
Le vieillard dicte à son fils des réponses qui sont toutes tirées 
de la religion bouddhique et le roi peut être sauvé. Par recon- 
naissance le roi abroge la loi qui prescrivait d’enterrer vivants 
les vieillards. 





(Trip XIV, 20, p'OrTiev.) 


Grâce à son grand éléphant parfumé, le roi de Pr-Fi-hi (Vi- 
deha) a triomphé du roi de Xia-che (Kâçi). Ce dernier, pour 


(1) Cf. le n° 21, t. I, pp. 75-77. 
(2) Cf. le n° 114, t. I, pp. 385-386. 
(3) Réplique affaiblie du n° 400, t, ITF, pp. 3-9. 


14 TSA PAO TSANG KING 


lutier contre son ennemi, fait capturer. dans la montagne un 
éléphant blanc parfumé qui lui assurera, pense-t-il, la victoire, 
Mais, quand cet éléphant est installé dans l'écurie, il refuse de 
manger ; comme on lui en demande la cause, il dit que son 
son père el sa mère sont vieux et aveugles et qu’il doit retourner 
auprès d’eux pour les nourrir; après leur mort, il reviendra. 
Émerveillé de sa sagesse, le roi de Xïa-che s'écrie : « Nous ne 
sommes que des éléphants à tête d'homme ; mais cet éléphant 
est un homme à tête d'éléphant. » Il rend la liberté à l'éléphant 
el ordonne que la piété filiale soit rigoureusement observée 
dans tout le royaume. Quand le père et la mère de l'éléphant 
sont morts, celui-ci revient auprès du roi de Xïa-che qui veut 
aussitôt combattre ; l'éléphant l'en dissuade en lui montrant les 
maux de la guerre ; puis il se rend auprès du roi de Pi-l'i-hi et 
le décide à faire la paix avec son ennemi. 


(Trip., XIV, 10, p. 8 vw.) 


Autrefois, dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi), c'était la 
coutume, lorsqu'un homme atteignait l’âge de soixante ans, 
que ses enfants le missent hors de sa demeure en le chargeant 
de garder la porle et en lui donnant seulement un tapis pour 
se coucher dessus. Le cas s'étant présenté dans une famille 
où il y avait deux frères, le frère cadet coupe l'unique tapis 
qui se trouve dans la maison et en donne la moitié à son père ; 
à son frère aîné qui lui demande l'explication de sa conduite, 
il répond que l’autre moitié du tapis est destinée à son frère 
aîné quand celui-ci aura à son tour atteint l’âge de soixante ans. 
Le frère aîné comprend alors la barbarie de la coutume ; lui et 
son frère cadet obtiennent du premier ministre, puis du roi, 
qu'elle soit abrogée. 


CTP AIN A0 -DR:r0N 0: 


La femme de Brahmadatta, roi de Värânasi, s'irrite de ce que 


le roi a voulu lui faire boire le vin qui restait dans le fond de 
sa coupe et elle prononce cette parole imprudente : « Plutôt 











TSA PAO TSANG KING (N° 401) 15 


que de boire ce vin, j'aimerais mieux percer la gorge de mon 


fils et boire son sang. » Le roi la prend au mot et fait appeler 


le jeune garçon; celui-ci demande pourquoi on veut le tuer; le 
roi lui répond de demander grâce à sa mère ; la mère refuse et 


. on coupe la gorge à son fils pour lui en faire boire le sang. 


s 


PErrD XIVe To D 0) 


Explication des causes pour lesquelles le bhiksu T'o-piao, 
quoique doué de qualités éminentes, a pu être calomnié par une 
bhiksuni au point d'en être réduit à se consumer lui-même en 
entrant dans le samädhi de l'éclat du feu. 


NOT EYE 
CERIDS SIN A0 ED O0 TE) 


Autrefois dans le royaume de Xi-pin, vivait l’arhat Li-yue 
(Revata), qui se tenait assis en contemplation dans la 
montagne. Or un homme qui avait perdu son bœuf et qui 
le recherchait en suivant ses traces, vint à passer par l'en- 
droit où se trouvait l’arhat. En ce moment, Li-yue faisait 
bouillir des herbes pour teindre son vêtement. Or le vête- 
ment se transforma de lui-même en une peau de bœuf; 
la teinture se changea en sang ; les plantes tinctoriales 


que (larhat) faisait cuire devinrent la chair du bœuf; le 


bol que ZLi-yue tenait dans ses mains devint la tête du 

bœuf. Quand le propriétaire du bœuf (eut vu ce bœuf), il 

se saisit aussitôt de (l'arhat Zi-yue) (2), le chargea de liens 

et l’amena au roi. Le roi le jeta en prison. Pendant 

douze années, (Li-yue) fut constamment valet (3) de pri- 
(1) Cf. le n° 124, t. I, pp. 395-396. | 


(2) I prend l’arhat Li-yue pour le voleur qui lui a dérobé son bœuf et 
c'est pourquoi il le traite comme un malfaiteur. 


(3) Je suppose qu'il faut lire Ë# au lieu de RE. Plus loin, on trouvera 
le terme LE] L' qui s'applique à un serviteur et non à un surveillant. 


16 TSA PAO TSANG KING (N° 401) 


son ; il donnait à manger aux chevaux et enlevait leur 
crottin. 

Or, il y avait cinq cents disciples de Li-yue qui avaient 
obtenu la dignité d’arhat. Ils avaient cherché à voir où 
était leur maitre sans parvenir à le savoir. Quand les 
causes produites par des actes antérieurs furent près de 
prendre fin (1), il y eut un de ces disciples qui vit que son 
maitre se trouvait dans la prison (du royaume) de Æïi-pin. 
Il vint donc dire au roi: « Notre maître Li-yue est dans la 
prison du roi; je désire que vous lui rendiez justice. » Le 
roi envoya un émissaire dans la prison pour y faire une 
enquête. Quand l’envoyé royal fut arrivé dans la prison, 
il vit seulement un homme qui avait l'air affaibli par le 
chagrin et qui avait une barbe et une chevelure extrême- 
ment longues; cet homme était valet de prison ; il don- 
nait à manger aux chevaux et enlevait leur crottin. L’émis- 
saire revint dire au roi: « Dans la prison, il n’y a aucun 





religieux cramana ; seul s’y trouve un valet de prison. » 
Le bhiksu, disciple (de Li-yue), insista auprès du roi, di- 
sant: « Je désire simplement, à roi, que vous donniez un 
ordre aux termes duquel seront autorisés à sortir de la 
prison tous les bhiksus qui s’y trouvent. » Le roi rendit 
alors cette ordonnance : « Tous les religieux sont auto- 
risés à sortir de la prison. » Aussitôt, dans la prison 
même, la barbe et les cheveux du vénérable Li-yue tombè- 
rent spontanément, un käsäya revêtit son corps ; lui-même 
bondit dans les airs où il accomplit dix-huit transforma- 
tions surnaturelles. À cette vue, le roi s’écria que jamais 
il n’avait rien vu de tel et il se prosterna à terre des 
cinq parties de son corps; puis il dit au vénérable : « Je 
désire que vous receviez la confession de mes péchés. » 
Aussitôt Li-yue redescendit et reçut sa confession ; le roi 


(1) C'est-à-dire quand les malheurs qui avaient atteint Li-yue, à cause 
d'un acte qu'il avait commis dans une vie antérieure, furent près de 
prendre fin. 





TSA PAO TSANG KING (N° 402) 17 





lui demanda alors : « Pour quelle cause, produite par un 
acte d’une existence antérieure, vous êtes-vous trouvé 
dans la prison et avez-vous enduré des peines pendant 
plusieurs années ? » Le vénérable répondit: « Dans une 
existence antérieure, j'avais moi aussi perdu mon bœuf ; je 
le recherchai en suivant sa trace et je vins à traverser une 
montagne ; je vis un Pratyeka Buddha qui était assis en 
contemplation dans un endroit solitaire; je me mis à 
Paccuser faussement pendant tout un jour et toute une 
nuit. Pour cette cause, je tombai dans les trois. voies 
mauvaises où j'endurai des tourments sans nombre ; ce 
qui me restait de malheurs à souffrir n’était pas entière- 
ment terminé, et c'est pourquoi, même après que j'eus 
obtenu la dignité d’arhat, je fus en butte à une accusation 
calomnieuse. » 


N° 402. 


CPRIDS SIN AD D 


Autrefois le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait une fille 
nommée Lai-Pi (Rati) qui avait dix-huit difformités, en 
sorte qu’elle ne présentait plus figure humaine; tous ceux 
qui la voyaient étaient épouvantés. Alors le roi Po-sseu-ni 
(Prasenajit) fit appeler dans tout son royaume les fils de 
bonne famille qui étaient pauvres et orphelins, dans 
l'espoir qu'on lui en amènerait. Or, sur un côté de la place 
publique, il y avait le fils d’un notable qui, orphelin et 
réduit à ses seules ressources, ne subsistait qu’en men- 
diant des aumônes. Quand les racoleurs le virent, ils 
l’emmenèrent et le présentèrent au roi. Le roi prit cet 
homme, le fit entrer dans le jardin postérieur et traita 
l'affaire avec lui en ces termes : « J’ai engendré une fille 
qui à un extérieur si affreux qu’on ne peut la montrer en 

HI: 2 


18 TSA PAO TSANG KING (N° 402) 


public; je désire vous la faire épouser ; y consentez-vous ? » 
Le fils de notable répondit : « A vos offres, Ô roi, je n’op- 
poserais pas un refus, même s’il s'agissait d’un chien; à 
plus forte raison ne le ferai-je pas puisqu'il s’agit de votre 
fille ». Aussitôt le roi lui donna sa fille en mariage; il 
installa pour lui une demeure princière et lui donna cet 
avertissement : « Cette fille est affreuse à voir ; gardez- 
vous de jamais la montrer en public; quand vous sortez, 
fermez à clef la porte extérieure; quand vous êtes à la 
maison, tenez close la porte intérieure. Que ce soit Là 
votre règle constante. » 

Cependant plusieurs fils de famille, qui étaient les 
amis de cet homme, faisaient des banquets et se divertis- 
saient; à chacune de leurs réunions, leurs femmes 
venaient prendre part; seule la femme de cet homme ne 
venait pas. Alors les jeunes gens firent ensemble la con- 
vention suivante : « À l’avenir, lorsque nous nous réuni- 
rons de nouveau, nous comptons que chacun de nous 
amènera sa femme ; celui qui y manquerait sera frappé 
d'une forte amende ». Ils tinrent donc une nouvelle réu- 
nion ; mais le fils du notable pauvre fit comme précé- 
demment et vint sans amener sa femme. Les autres lui 
infligèrent alors d’un commun accord une forte amende. 
Ce fils de notable se soumit avec respect à la punition. 
Ses compagnons refirent encore une convention aux 
termes de laquelle celui qui n’amènerait pas sa femme à 
la réunion qu'ils tiendraient le lendemain serait encore 
frappé d'une forte amende. De la sorte notre homme fut 
puni par deux et trois fois et cependant il continuait à 
venir aux réunions sans amener sa femme. 

Étant revenu chez lui, le fils du notable pauvre dit à sa 
femme : « J’ai été à plusieurs reprises puni à cause de 
vous. » Sa femme lui en demandant la raison, il reprit : 
« Mes compagnons ont convenu entre eux que chacun 
amènerait sa femme aux banquets. Or, pour obéir aux 








PP I CO I TS SR PU 





TSA PAO TSANG KING (N° 402) 19 


_ ordres du roi (votre père) qui ne m’a pas permis de vous 


emmener avec moi pour vous montrer à d’autres hommes, 
j'ai souvent été puni, » Quand sa femme eut entendu ce 
qu'il lui disait, elle en fut couverte de confusion et s’en 
affligea profondément. Jour et nuit elle se mit à penser 
au Buddha. 

À quelques jours de là, on fit un nouveau banquet, et, 
cette fois encore, le mari s’y rendit seul. Sa femme, restée 
à la maison, prononça, avec un redoublement d’ardeur 
dans la prière et d’affliction, le vœu suivant : « Quand le 
Tathâgata est apparu dans le monde, il a fait du bien à 
beaucoup d'êtres. Moi seule, à cause de mes fautes, je 
n'ai pas pu en bénéficier. » Le Buddha, ému de la perfec- 
tion de ses sentiments, lui apparut alors en bondissant 
hors de terre; elle vit d’abord les cheveux du Buddha, et 
quand elle en eut été émue de respect et de joie, ses 
propres cheveux se transformèrent en de beaux cheveux; 
elle vit ensuite le front du Buddha, puis ses sourcils, ses 
yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche et son corps ; à 
mesure qu’elle les contemplait successivement, sa joie 
devenait de plus en plus profonde et sa propre personne 
se transformait; toutes ses laideurs disparurent et son 
visage devint comme celui d’une devi. 

Cependant les fils de notables avaient discuté secrète- 
ment entre eux, disant : « Si la fille du roi ne vient pas 
à nos réunions, c'est ou bien parce qu’elle est d'une 
beauté peu commune, ou bien parce qu’elle est affreuse- 
ment laide. Il nous faut maintenant enivrer son mari jus. 
qu’à ce qu’il ait perdu connaissance, puis nous lui pren- 
drons ses clefs, nous ouvrirons la porte (de sa maison) et 
nous irons regarder. » Ils le firent donc boire jusqu'à ce 
qu'il fût ivre, puis ils lui prirent ses clefs et s’en allèrent 
en bande; lorsqu'ils eurent ouvert la porte et qu'ils re- 
gardèrent, ils virent cette fille du roi qui était d’une 
beauté sans égale. Aussitôt ils se retirèrent, fermerent 


20 TSA PAO TSANG KING (N° 402) 


la porte et revinrent à l'endroit d’où ils étaient partis. 
Comme le mari n'avait pas encore repris ses sens, il lui 
rendirent ses clefs en les attachant sous sa ceinture. 

Quand le mari se fut réveillé, il rentra chez lui; dès 
qu’il eut ouvert la porte, il aperçut sa femme qui était 
d'une beauté merveilleuse; tout surpris il lui demanda : 
« Quelle déesse êtes-vous, vous qui vous êtes établie dans 
ma demeure ? » Sa femme lui répondit : « Je suis votre 
épouse Lai-Fi. » Comme il s’étonnait et lui demandait ce 
qui était arrivé, elle lui répondit : « Je vous ai entendu 
dire que vous aviez souvent été puni à cause de moi; j'en 
ai conçu des regrets et j'ai songé au Buddha en limplo- 
rant et en m'affligeant; j'ai vu alors le Tathâgata qui m'est 
apparu en bondissant hors de terre; en le contemplant, 
j'en ai éprouvé de la joie et mon corps s’est transformé 
en devenant beau. » Le fils du notable pauvre fut extré- 
mement joyeux et alla aussitôt informer le roi en lui 
disant : « La personne de la fille du roi s’est transformée 
spontanément et est devenue belle; maintenant, je vou- 
drais vous la montrer. » À cette nouvelle, le roi fut con- 
tent et fit immédiatement mander sa fille ; quand il l’eut 
vue, il en éprouva de la joie. Cependant, comme il était 
fort perplexe et surpris, il se rendit auprès du Buddha et 
lui dit : « O Honoré du monde, pourquoi cette fille est-elle 
née au fond de mon harem et a-t-elle eu un corps si laid 
que les hommes étaient frappés d'horreur en la voyant? 
Pour quelle cause, d’autre part, s’est-elle maintenant trans- 
formée et est-elle devenue belle ? » 

Le Buddha répondit au roi : « Dans les temps passés, il 
y avait un Pratyeka Buddha qui chaque jour mendiait sa 
nourriture. Il arriva une fois devant la porte d’un notable; 
en ce moment la fille du notable vint, en apportant de la 
nourriture, la présenter au Pratyeka Buddha; mais en 
voyant que celui-ci était laid, elle prononca cette parole : 
« Cet homme est affreux; il a le corps comme couvert 











TSA PAO TSANG KING (N° 402) 21 


d’une peau de poisson et ses cheveux sont comme une 
queue de cheval. » Celle qui, en ce temps, était la fille du 
notable, c’est aujourd’hui la fille du roi; parce qu’elle à 
donné à manger (au Pratyeka Buddha), elle est née au fond 
de votre harem; mais, parce qu’elle a mal parlé du Pra- 
tyeka Buddha, son corps a été horrible; parce que, cou- 
verte de confusion, elle m’a imploré avec affliction, elle a 
obtenu de me voir; parce qu’elle en a éprouvé de la joie, 


son corps s’est transformé et est devenu beau. » 


Lorsque la multitude des assistants eut entendu ces 
paroles du Buddha, elle lui rendit hommage, avec respect 
et prit plaisir à mettre en pratique ses enseignements. 


CEID A RINEO  DTO PP 

Chan-kouang (excellent éclat), fille du roi Prasenayit, se vante 
auprès de son père de devoir toutes les faveurs dont elle jouit, 
non au roi, mais à l’efficace des actes qu'elle a commis dans des 
vies antérieures. Irrité, le roi la marie à l’homme le plus misé- 
rable de la ville. Cet homme se trouve être le fils d’un notable 
extrêmement riche de Crâvasti; il est tombé dans la misère parce 
qu’il a perdu ses parents quand il était encore enfant. Sur le 
conseil de la princesse, il se rend avec elle à l'endroit où ses 
parents avaient eu autrefois leur demeure ; la terre se creuse 
sous ses pieds et un lrésor caché apparaît. Étant ainsi mariée à 
l'homme le plus riche de la ville, la princesse invile le roi son 
père dans ses somptueux appartements et lui prouve que c’est 
bien à l’efficace de son karman qu’elle doit son bonheur. 


(RD IN AO D Om vo) 
Deux fils de roi ont été bannis ; pendant qu'ils marchent dans 
une région déserte, ils viennent à manquer de vivres ; le frère 


(1) CF. le n° 95; t. I, pp. 361-363. 
(2):Cfi en. 51; 1 L'pp. WU. 


32 TSA PAO TSANG KING 


cadet tue sa femme et la coupe en trois morceaux qu'il attribue 
à lui-même, à son frère aîné et à la femme de celui-ci. Le frère 
aîné cache le morceau qui lui a été donné et coupe de sa propre 
chair pour s’en nourrir. Un peu plus tard, le frère cadet, n’ayant 
plus rien à manger, propose de tuer la femme du frère aîné ; 
celui-ci sauve la vie à sa femme en donnant à son frère cadet le 
morceau de viande qu'il avait tenu secrèlement en réserve. Les 
deux frères atteignent enfin un endroit où ils peuvent s'établir. 
Le frère cadet meurt de maladié. Le frère aîné recueille par 
compassion un homme dont les pieds et les mains ont été cou- 
pés pour quelque crime. Sa femme a des rapports secrets avec 
cet homme et projette de tuer son mari. Elle demande à ce der- 
nier de cueillir des fleurs et des fruits d'un arbre qui sur- 
plombe un précipice au fond duquel coule un torrent; feignant 
de vouloir l'empêcher de tomber, elle lui attache autour des reins £ 
une corde dont elle tient l'extrémité ; quand le frère aîné est 
au sommet de l'arbre, elle lui fait perdre l'équilibre en tirant la 
corde ; le frère aîné tombe dans le torrent sans se faire de 
mal ; il aborde dans un royaume dont le roi vient de mourir et il 
est nommé roi. À quelque temps de là, sa femme, portant sur 
ses épaules son amant estropié, vient dans ce même royaume ; 
elle est reçue par le roi et est couverte de confusion en re- 
connaissant son mari. Le roi lui pardonne. 








nt le. ie. nr À 


PERIDS, KV, Lo ep TON) 


Le notable Siu-la (Sudatta) était devenu fort pauvre ; un jour 
qu'il était allé louer ses services à quelque autre personne, sa 
femme vil venir successivement chez elle Aniruddha, Subhuti, 
Mahäkâcçcypa, Mahàämaudgalyâyana, Câriputra et enfin le Buddha 
lui-mème ; à tous elle remplit leur bol à aumônes. Quand son 
mari revient et lui demande à manger, elle lui dit qu'elle n’a 
plus rien et lui explique ce qu'elle à fait. Sudatta l’approuve. 
En récompense de ses bons sentiments, ses magasins se trou- 
vent remplis de denrées qui se renouvellent à mesure qu'il en 
fail usage. 





TSA PAO TSANG KING 23 


éTrip., XIV, 10, pp.10 v°-11r°) (0). 


So-lo-na (Sarana), fils du roi de Yeou-tien ff Ï& (Udayana), 
s'est résolu à entrer en religion. Tandis qu’il médite sous un 
arbre, survient le roi Ngo-cheng (Canda, surnom de Pradyota, 
roi d'Ujjayini) accompagné de ses femmes ; le roi s'étant en- 
dormi, les femmes se rassemblent autour du jeune homme et 
l’'entendent expliquer la Loi. A son réveil, Le roi Ngo-cheng aper- 
çoit ses femmes réunies auprès de So-lo-na et, dans sa fureur, 1l 
roue de coups ce dernier. So-lo-na se rend auprès de son upa- 
dhyâya Kâtyâyana et lui annonce son intention de quitter la vie 
religieuse et de rentrer dans le monde. Pour l'en détourner, 
Kâtyâyana lui envoie pendant la nuit un songe qui est le suivant: 
le roi d'Udayana est mort; son fils So-lo-na lui a succédé ; il livre 
bataille au roi Vgo-cheng ; il est vaincu, fait prisonnier et on 
s'apprête à lui couper la tête. À ce moment, le jeune homme se 
réveille ; il va raconter ce qu'il a vu en rêve à son maître ; celui- 
ci lui montre que, s’il avait été vainqueur, son cas n’eût pas été 
meilleur puisqu'il serait, à sa mort, tombé dans les trois voies 
mauvaises. So-lo-na reconnaît que les souffrances qu'il a endu- 
rées lorsque le roi Ngo-cheng le battait ont une importance mi- 
nime et il reprend la résolution de persévérer dans la pratique 
de la religion ; il obtient au bout de quelque temps la dignité 
d'arhat. 


COPIDE INA OS D TPE ME) 


Dans le royaume de Xien-lFo-wei (Gandhâra), un boucher em- 
menait un troupeau de cinq cents jeunes bœufs lorsqu'un eunu- 
que, ému de compassion, rachète ces bœufs et leur rend la li- 


(1) Voyez le Sûträlamkära, trad. Huber, n° 65, pp. 312-355. 

(2) Dans le Journal Asiatique de nov.-déc. 1897 (pp. 528-529), M. Sylvain 
Lévi a signalé une autre rédaction de ce conte dans le Fa-yuan {chou lin 
(Trip., XXXVI, 8, p.14 r°) qui l’emprunte au Pi-p'o-cha louen (Vibhäsà 
câstra); dans cette autre rédaction, l'anecdote est rapportée au temps du 
roi Xia-ni-che-kia (Kaniska). 


24 TSA PAO TSANG KING 


berté. À cause de cette bonne action, l’ennuque recouvre aus- 
sitôt sa virilité. 


(Trips, XIV 10,0 1) TN) 


Le roi Prasenajit entend pendant la nuit deux de ses ennu- 
ques, qui le croient endormi, discuter entre eux: l'un dit qu'il 
doit tout au roi ; l’autre dit qu'il doit tout à l’efficace de ses actes 
antérieurs. Le roi projette de récompenser richement le premier; 
il lui ordonne donc d’aller présenter à sa femme le vin qui reste 
dans sa coupe (apparemment pour inviter cette femme à venir 
partager la couche du roi); il a fait avertir au préalable sa femme 
qu'elle eût à combler de présents l'ennuque qui se présenterait 
à elle. Le premier ennuque est chargé de cette commission ; mais, 
au moment où il sort de la chambre du roi, il est pris d’un sai- 
gnement de nez et remet la coupe de vin au second ennuque ; 
c'est donc celui-ci qui reçoit les riches présents. Le roi recon- 
nait alors que les enseignements du Buddha sont véritables et 
que chacun recoit les rétributions que lui ont values ses actes 
antérieurs. 


(Trip XIV SAS Dp10:v-124:) 


Deux frères sont entrés en religion. L’ainé a obtenu la dignité 
d’arhat; le cadet, à cause de sa profonde connaissance des livres 
saints, est fort estimé du conseiller d'état qui le prend pour 
maître de sa famille et qui lui donne une somme considérable 
pour édifier un temple. Le frère aîné vient habiter dans ce 
temple. Le conseiller d'état témoigne de la préférence au frère 
ainé en lui envoyant à deux reprises une pièce d’étoffe de 
grande valeur, tandis qu'il fait cadeau d'une étoffe grossière au 
frère cadet. Celui-ci, animé par la jalousie, a recours à la calom- 
nie ; il prend la belle étoffe que son frère aîné lui a généreuse- 
ment laissée, et il la remet à la fillé du conseiller d'état en l’en- 
gageant à s'en faire un vêtement qu'elle coudra en présence de 


(1) Cf. Sûträlamkära, trad. Huber, n° 73, pp. 423-426. 










TSA PAO TSANG KING 25 


son père. La jeune fille se laisse persuader : à son père qui l’in- 
terroge sur la provenance de cette étoffe, elle dit que c’est le frère 
aîné qui la lui a donnée. Le conseiller d'état croit que le saint 
homme a voulu séduire sa fille. L’arhat, sentant qu'il a été ca- 
lomnié, s'élève dans les airs et accomplit dix-huit transforma- 
tions surnaturelles en présence du conseiller d’état qui recon- 
naît alors son erreur {1). 


CErpb, XIV: 40 pp. 12512 V9): 


Câriputra et Maudgalyâäyana, surpris par la pluie, se réfugient 
dans le four d’un potier. Une jeune gardienne de bœufs s’y trou- 
vait déjà, à leur insu. Cette fille, en voyant leurs beaux visages, 
éprouve de la jouissance sensuelle. Câriputra et Maudgalyâäyana 
sortent du four sans avoir aperçu la jeune fille; celle-ci sort 
après eux. Or, un certain Tch'eou-k'ia-li (Kokali), qui savait dis- 
tinguer sur le visage des gens s'ils avaient ou non éprouvé une 
jouissance sensuelle, voit Çâriputra et Maudgalyâäyana sortir du 
four suivis de la gardienne de bœufs qui vient d’éprouver une 
jouissance sensuelle. Il accuse les deux saints hommes de s'être 
livrés à la débauche avec la bergère. Il répète son accusation 
devant les bhiksus, devant Bhagavat, descendu exprès du ciel 
pour lui faire entendre raison, enfin devant le Buddha ;ilest puni 
de sa dénonciation calomnieuse par des boutons qui deviennent 
de plus en plus enflammés, lant et si bien que, lorsqu'il se 
plonge dans l’eau pour éteindre le feu qui le dévore, l'étang tout 
entier se met à bouillonner. Pourquoi Çâriputra et Maudgalyà- 
yana ont-ils été en butte à cette calomnie? C’est parce que, dans 
une naissance antérieure, ils ont eux-mêmes conçu des soup- 
cons injurieux du même ordre à l'égard d’un Pratyeka Buddha. 


(1) Comme on le lit plus loin dans un autre conte, le fait seul de pou- 
voir s'élever de quatre doigts au-dessus de terre prouve que l’homme 
qui accomplit un tel prodige est délivré de tous les désirs sensuels: à 
plus forte raison en est-il de même de celui qui s'envole librement dans 
les airs. 

(2) Cf. Karma çalaka, trad. Feer, Journ. As., mars-avril1901, pp. 179-280, 
et FEER, Kokâlika, Journ. As., mars-avril 1898, p. 202. 


26 TSA PAO TSANG KING 


(Trip., XIV, 10, pp. 12 v°-14 r°.) 


Devadatta étant venu injurier le Buddha et ayant été chassé 
par Ânanda, l'explication de ces faits est donnée par l’avadäna 
que voici : autrefois, dans le royaume de Xïia-che (KAci), il y 
avait deux rois nâgas qui étaient frères ; l’un se nommait T'a-la 
(Datta) et l’autre Yeou-p'o-ta-ta (Upadatta). Ils étaient bons et 
faisaient pleuvoir en temps opportun. Comme le roi leur sacri- 
fiait des bœufs et des moutons, ils viennent le prier de cesser 
ces immolations d'êtres vivants qui ne leur agréent point ; le roi 
se refusant à les écouter, ils s'en vont et arrivent auprès d’un 
méchant petit nâga nommé Touen-tou-p'i  Dundubhi) qui les in- 
jurie. Le plus jeune des deux rois-nâgas s'irrite contre lui, mais 
l'aîné l’engage à ne pas se mettre en colère et à revenir avec lui 
dans le royaume de Kâçi. Les deux bons nâgas sont reçus avec 
joie par le roi qui ne leur offrira plus dorénavant en sacrifice 
_ que du lait. L'aîné des nâgas prononce alors un nombre consi- 
dérable de stances, dont voici les premières : 

Que tous, réunis harmonieusement, écoutent de tout leur cœur, 
— qu'excellemment ils purifient et calment les diverses lois de 
leur cœurs, — (pour entendre) les récits sur les existences anté- 
rieures du Bodhisatlva, —et les anciennes gâthâs concernant l'ap- 
parilion du Buddha actuel. — Quand le deva entre tous les devas, 
le sambuddha, — le Tathägata élait dans ce monde, les bhiksus 
— prononçaient à l’envi de mauvaises paroles et se dénigraient 
mutuellement. — Le grand Compatissant les vit et les entendit 
el leur tint ce langage ; — il réunit les religieux bhiksus et leur 
parla ainst: — Vous tous, bhiksus, c'est en vous appuyant sur 
moi que vous êtes sortis du monde ; — ce qui est contraire à la 
Loi, vous ne devez pas le faire. — Vous prononcez chacun de 
votre côté des paroles grossières ; — à l'envi vous vous calomniez 
et vous vous faites muluellement du tort; — n'avez-vous pas 
appris que celut qui sait comment on cherche la Bodhi — accu- 
mule les actions de compassion et de palience et mène une con- 
duite pénible ? — Si vous voulez vous appuyer sur la loi du Bud- 
dha, — il vous faut mettre en pratique les six respects harmo- 











TSA PAO TSANG KING 27 


nieux. — Le sage écoute excellemment pour étudier la doctrine 
du Buddha, — car il a le désir d’être profitable et avantageux et 
de calmer la multitude des vivants. — À tous les êtres il ne cause 
ni chagrin ni peine; — quand l'homme qui pratique la vertu a 
été instruit, il doit se tenir éloigné du mal; — que celui qui est 
sorti du monde conçoive de la colère et formule des reproches, 
— (c’est aussi anormal que si) de l’eau glacée sortait du feu. 

Dans les temps passés, j'étais un rot nâga: — mot et mon 
frère cadet nous demeurions dans le même lieu. — Si quelqu'un 
désire se conformer aux règles qui concernent celui qui est sorti 
du monde, — il doit s'abstenir de colère et d'irritation et agir 
d'accord avec la sagesse. — Le frère aîné se nommait Ta-ta 
(Datta): — Le second se nommait Yeou-p'o-ta (Upadatta) ; -— 
tous deux ne tuaient pas d'êtres vivants et observaient les défenses 
pures.— Quoiqu'ils eussent une grande vertu redoutable;ils étatent 
las de leurs corps de nâgas ; — et constamment ils se lournatent 
vers les bonnes conditions d'existence (gati) en demandant à étre 
des hommes ; — toutes les fois qu'ils voyatent un Cramana ou un 
Brahmane — ou quelqu'un observant les défenses ou ayant beau- 
coup de savoir, — ils changeaient de forme pour lut faire des 
offrandes et être constamment en rapport d'amitié avec lui. — Le 
huilième jour, le quatorzième jour et le quinzième jour, — ils 
observaient les huit défenses et réprimaient leurs sentiments et 
leurs pensées. — Ils abandonnèrent l'endroit où ils demeuratient 
pour aller en un autre lieu. — Là se trouvait un nâga nommé 
Touen-tou-p'i (Dundubhi), — qui, voyant la grande vertu redou- 
table de ces deux nâgas, — et sachant qu'il ne les valait pas, en 
conçut de l'envie et de la colère... 

Dundubhi injurie donc les deux nâgas ; Upadatta voudrait se 
venger en le faisant périr; mais son frère aîné Datta l'exhorte 
au pardon des offenses en un fort long sermon, toujours sous 
forme de gâthâs. 





CPR RIVE Tops 


Les avadânas qui suivent sont tous destinés à expliquer l'ani- 
mosité de Devadatta contre le Buddha : 


28 TSA PAO TSANG KING 


Autrefois, dans le royaume de Kia-che (Kâçi), vivait un grand 
roi-nâga nommé Zchan-p'e qui comblait de ses bienfaits le 
royaume ; le quatorzième et le quinzième jours de chaque 
mois, il prenait la forme humaine, observait les cinq défenses, 
pratiquait la libéralité et écoutait la Loi. Survient un magicien 
de l'Inde du sud qui plante une flèche en terre, accomplit une 
formule d’incantation, et, grâce à ce procédé, s'empare du nâga. 
Le roi de Kâcçi accourt, à la tête d'une armée, pour délivrer ce 
dernier; mais le magicien a recours à une nouvelle formule d’in- 
cantation qui fait que toute l’armée du roi ne peut plus avancer ; 
le roi paie une rançon pour racheter le nâga. À deux nouvelles 
reprises, le brahmane vient pour s'emparer du nâga ; les autres 
nâgas projettent de le tuer, mais ils en sont détournés par le bon 
roi-nâga qui, ainsi qu'on peut bien le penser, n’est autre que le 
futur Buddha, tandis que le méchant brahmane est Devadatta. 


CAD NIV TO DEV) 


L'oiseau à deux têtes ; une des têtes mange d’excellents fruits; 
par jalousie, l’autre tête mange un fruit empoisonné qui fait 
mourir en même temps les deux têtes. 


CPRDANEN AO D T0) 


Autrefois, dans un étang de lotus, vivait une foule d'oiseaux. 
Un héron (baka) vient dans cet étang ; comme il marchait len- 
tement en levant haut les pattes, les autres oiseaux s'émerveil- 
laient de la gravité de sa démarche qui ne troublait aucunement 
la pureté de l’eau. Mais un perroquet blanc prononça cette 
gàthà : | 

Il marche lentement en levant haut les pattes; — sa voix est 
exlrêémement suave; — mais, quand le menteur est dans ce 
monde, — qui ne reconnaît qu'il est un trompeur (2) ? 

(1) Cf. le n° 392; t. II, pp. 422-493. 


(2) L'expresion bakavrata « démarche de héron » a passé dans la 
langue courante avec le sens d’ « hypocrisie ». 















À 


y 4 dre a 


TSA PAO TSANG . KING 29 


Le héron répliqua : « Pourquoi parlez-vous ainsi? Venez 
vers moi pour que nous soyons amis ». Le perroquet blanc 
de répondre aussitôt : « Je sais que vous êtes un trompeur; 
nous ne serons jamais amis ». Le perroquet blanc était le 
Buddha ; le héron était Devadatta. | 


CHA XIV 10: pr vb re) 


Avadâna de la grande tortue. Cinq cents marchands, dont 
le chef se nomme « Celui qui ne sait pas reconnaître les bien- 
faits » se trouvent au milieu de la mer en péril de mort, 
lorsqu'une tortue gigantesque vient auprès de leur bateau et 
les sauve tous en les prenant sur son dos. Quand la tortue les 
a transportés sur le rivage, elle s'endort. Le chef des mar- 
chands, malgré les remontrances de ses compagnons, lui 
écrase la tête avec une grosse pierre afin de se nourrir de sa 
chair. Mais, dans la nuit, un troupeau d’éléphants met à mort 
tous les marchands en les foulant aux pieds. 


(Trtp: IN 10 D 429 r-v°) 


Devadatta cherche à faire périr le Buddha en répandant sur 
lui une drogue empoisonnée ; mais un coup de vent repousse 
la drogue sur la tête de Devadatta qui va mourir dans de 
grandes souffrances lorsque la bonté du Buddha le sauve en 
rendant inoffensif le poison. Le Buddha raconte à ce propos un 
avadâna : Autrefois, dans le royaume de Kïa-che (Kâci), dans 
la ville de Po-lo-nai (Vârânasi), il y avait deux conseillers 
d'État, l'un nommé Sseu-na (Sena), l’autre nommé « mauvaise 
intention » (Durmanas). Ce dernier cherche à causer la perte 
de Sseu-na (Sena) en l’accusant d’abord d’avoir voulu se révoller, 
ensuite d’avoir volé au roi des objets précieux ; comme ces 
calomnies restent sans effet, il s'enfuit chez le roi de P'i-l'i-hi 
(Videha),; à son instigation, ce roi envoie en présent au roi de 
Käâçi une cassette renfermant deux serpents venimeux ; malgré 
les conseils de son ministre Sseu-na qui redoute quelque piège, 


30 TSA PAO .TSANG KING (N° 403) 


le roi de Kâci ouvre lui-même la cassette et est aussitôt rendu 
aveugle par le venin des serpents; son ministre Sseu-na parvient 
à trouver une excellente médecine qui lui rend la vue. 


N° 408 (1). 


(Trip., XIV, 10, p. 15 v°.) 


Dans les générations passées, à côté des montagnes 
neigeuses, il y avait un roi des coqs de montagne qui était 
à la tête d’un grand nombre de coqs et de poules et s'en 
faisait suivre. Sa crête était extrêmement rouge et son 
corps était parfaitement blanc. Il dit à la foule des coqs et 
des poules : « Tenez-vous loin des villes et des villages 
de peur que vous ne soyez dévorés par les hommes. Nous 
avons beaucoup d’ennemis ; gardons-nous bien. » Or, dans 
un village, il y eut une chatte qui apprit que des coqs et 
des poules se trouvaient là-bas; aussitôt elle s’y rendit. Se | 
tenant sous l’arbre, avancant doucement et regardant avec 
humilité, elle dit au coq : « Je serai votre femme; vous 
serez mon mari. Votre corps est beau et aimable; la 
crête qui surmonte votre tête est rouge; votre corps est 
tout blanc. Je vous servirai; livrons-nous secrètement 





aux plaisirs. » 

Le coq lui répondit par cette gâthà : 

« La chatle aux yeux jaunes profile de la stupidité des 
petits êtres ; — dès qu'elle en rencontre l’occasion, elle con- 
çoit l'idée de leur faire du mal et veut les dévorer. — Je ne 


(1) Le Buddha se trouvant à Wang-chô ich'eng (Râjagrhapura) 
Devadatta se rend auprès de lui et engage le Tathâgata à lui confier la 
multitude de ses disciples. Sur le refus du Buddha, il se retire furieux. 
Ce n'est pas seulement aujourd'hui que pareille chose s'est passée : suit 
l’avadäna dont nous donnons la traduction; le coq n'est autre que le 
Buddbha ; la chatte, c'est Devadatta. 











TSA PAO TSANG KING (N° 403) 31 


vois point que quelqu'un qui aurait pour épouse un tel ani- 
mal — puisse avoir une vie longue et paisible ». 


ÉErine NEN 40; 10 7°) 


Devadatta feint de se convertir et veut venir confesser ses 
fautes au Buddha; en réalité, il a l’intention de lui nuire. Dans 
les temps passés, le roi Fan-mo-ta (Brahmadatta) qui régnait 
à Po-lo-nai (Vârânasi), avait interdit de tuer aucun être vivant ; 
Devadatta était alors un chasseur qui, revêtu d’un habit de reli- 
gieux, tuait en grand nombre des cerfs et des oiseaux ; il fut 
dénoncé par l'oiseau X7-li qui montra que, quoique revêtu d’une 
robe de religieux, 1l était en réalité un chasseur. L'oiseau Ki-li 
n’est autre que le Buddha. 


CFrIps, XIV, 10; DA6 7 


Devadatta reçoit d’abondantes offrandes que lui envoie le 
roi Ajâtaçatru ; le Buddha déclare aux bhiksus que Devadatta 
n’en profitera pas longtemps et il raconte à ce propos un 
avadâna. Il y avait, autrefois, deux ascètes ; l’un était vieux 
et avait obtenu les cinq abhijñâs ; l’autre était dans la force 
de l’âge et n'avait rien obtenu du tout, Ce second ascète, émer- 
veillé des prodiges que peut accomplir le premier, insiste pour 
que celui-ci lui enseigne comment on pratique les abhijñâs ; 
lorsqu'il a acquis cette connaissance, il étonne les hommes 
par des miracles et reçoit de grandes offrandes ; mais 1l parle 
mal du vieil ascète et perd aussitôt ses facultés surnaturelles ; 
il est alors chassé de la ville. 


(rip NEVETO pp 26 616%) 


Ceux qui croient aux enseignements du Buddha atteignent au 
Nirvâna ou obtiennent de renaître dans les conditions supé- 
rieures d'homme ou de deva. Ceux qui ajoutent foi aux paroles 


32 TSA PAO TSANG KING 





de Devadatta tombent dans les enfers. Autrefois, il y avait deux 
chefs de marchands accompagnés de cinq cents marchands. 
Tandis qu'ils cheminaient dans le désert, un yaksa se présente à 
eux sous la forme d'un jeune garçon vêtu de beaux vêtements, 
couronné de fleurs et jouant du luth; il les engage à jeter là les 
plantes à eau dont ils étaient chargés, les assurant qu'ils en trou- 
veraient en abondance un peu plus loin. Un des chefs de mar- 
chands suit son conseil et il périt de soif avec tous les siens. 
L'autre chef de marchands sauve sa caravane, parce qu'il a pré- 
cisément gardé sa provision d’eau, malgré les avis du démon (1). 


(Trip., XIV, 10, pp. 16 vo-17 ro.) 


Huit devas se présentent l’un après l’autre devant le Buddha ; 
les sept premiers (en réalité 1l n’y en a que six d’énumérés) 
se plaignent de n'être pas parfaitement heureux ; ils ra- 
content quelle en est la cause provenant de leurs existences 
antérieures ; le premier n’a pas témoigné son respect avec assez 
de zèle à son père et à sa mère, à ses maîtres et à ses aînés, 
aux çramanas et aux brahmanes ; le second ne leur a pas 
donné des lits et des sièges assez confortables ; le troisième 
ne leur à pas fourni une nourriture assez bonne ; le qua- 
trième n’a pas écouté la Loi ; le cinquième a écouté la Loi sans 
en comprendre le sens ; le sixième a compris le sens de la 
Loi mais n’a pas su la mettre en pratique. Survient enfin un 
dernier deva qui se proclame parfaitement heureux, car il n’est 


lombé dans aucune des fautes que les autres devas ont à se re- 
procher. 


(Trip., XIV, 10, p. 17 ro-15 vo.) 


Gakra Devendra a entendu le Buddha expliquer la Loi et il 
est devenu srotâpanna. Remonté dans les cieux, il réunit autour 


(1) Voyez un récit analogue dans le Tch'ang a han king (Trip., XII, 9, 
p. 38 r°). — Cf. Vimänavatthu, n° 84; — Apannaka jâtaka (Jätaka, n° 1); 
— SPENCE HARDY, Manual of Buddhism, pp. 108-112. — Ce jâtaka est men- 
lionné dans le Milinda pañho (S. B. E., vol. XXXV, p. 289). 








TSA PAO TSANG KING 33 


de lui les devas pour louer le Buddha, la Loi et l'Assemblée. 
Parmi les assistants se trouve une devi d’une beauté merveil- 
leuse qui porte sur sa tête une couronne de fleurs. Cette devi 
doit sa félicité présente au fait que, dans une existence anté- 
rieure, elle a disposé des couronnes de fleurs sur le stûpa de 


 Kâçyapa Buddha (1). 


(Trip. XIV, 10, pp. 17 v°-18 r°.) 


Histoire d’une autre devi merveilleusement belle qui est ré- 
compensée parce que, au temps du Buddha Kâcyapa, elle a 
scrupuleusement observé chaque mois les huit abstinences (2). 


(rip XIV A0 D 1801) 


Quand le roi Bimbisära régnait à Wang-chô lch'eng (Râja- 
grhapura), il donnait des lampes en offrande au Buddha. Plus 
tard, sur le con«eil perfide de Devadatta, le roi Ajâtaçatru veut 
détruire la religion bouddhique; les gens du pays n’osent plus 
allumer des lampes pour les offrir au Buddha. Seule, une 
femme continue à le faire. Furieux, le roi Ajâlaçatru la fait 
périr en la coupant par le milieu du corps; elle obtient alors de 
renaître parmi les devas Trayastrimças (3). 


(Pr RINE "FO D A8 TS) 


Interrogée par Çakra Devenda sur la cause de sa félicité, une 
devi répond que, dans sa vie antérieure, elle était une jeune 
fille qui, montée sur un char, allait se promener, lorsqu'elle 
rencontra le Buddha et aussitôt s’écarta de la route pour lui 
laisser le passage libre. 


(1) Cf. l’histoire de Mâlini dans le Mahävastu, éd. Senart, t. I, pp. 300 
et suiv.) et Vimänavallhu, n° 37. 

(2) Les huit premiers termes de la série du çiksàäpada. 

(3) Cf, Vimänavatthu, n° 9. 


IIT. 3 


34 TSA PAO TSANG KING 





(Trip., XIV, 10, p. 18 v°.) 


Interrogée par Çakra Devendra sur la cause de sa félicité, une 
devi répond que, dans une existence antérieure, elle était une 
jeune fille qui était allée cueillir des fleurs d'açoka lorsqu'elle 
rencontra le Bouddha et répandit sur lui ces fleurs (1). 


(Trip., XIV, 10, pp. 18 v°-19 r°.) 


Le roi Bimbisâra, qui était un adorateur du Buddha, avait 
fait ériger dans son palais un stûpa abritant des cheveux du 
Buddha, afin que les femmes de son harem pussent faire des 
offrandes à ce stûpa. Après la mort de Bimbisâra, Ajâtaçatru, 
obéissant aux conseils pervers de Devadatta, interdit de faire 
des offrandes au stûpa ; une femme du harem nommée Chü-li- 
fou-mo-l'i désobéit à cet ordre ; elle est mise à mort sur l'ordre 4 
d'Ajâtaçatru, mais elle renaît parmi les devas Trayastrimças ; 
elle raconte alors à CÇakra Devendra pourquoi elle a obtenu un 
tel bonheur. | 





PO 


(LPSC ANT 402 D: 1800:) 


Un notable de Crâvasti avait fait construire un stûpa et un 
temple ; à cause de cette bonne œuvre, il renaît parmi les 
devas Trayastrimças. Sa femme, restée veuve, continue à entre- 
tenir le stûpa et le temple. Le deva, qui fut son mari, lui 
apparaît et lui révèle qui il est ; il ne peut plus avoir de rap- 
ports charnels avec elle parce qu’elle est femme et impure, mais 
il l'engage à persévérer dans ses œuvres pies, car, à sa mort, elle 
renaîtra comme devi et s’unira de nouveau à lui. C'est en effet 
ce qui arrive. 


1) Cf. Vimänavatlhu, n° 38. 






TSA PAO TSANG KING 30 


(Trip. XIV, 10, pp. 19 r°-19 v°.) 


Un notable de Wang-chô Ich'eng (Râjagrha) va chaque jour 
adorer le Buddha ; sa femme ayant conçu des doutes sur sa 
fidélité conjugale, il lui explique pourquoi il sort quotidienne- 
ment et lui parle du Buddha ; sa femme monte sur un char 
pour aller, elle aussi, voir le Buddha; elle ne peut approcher de 
lui à cause de la foule des auditeurs et se contente de le saluer de 
loin ; cette bonne action lui vaut de renaître parmi les devas 


 Trayastrimças. 


CCrpa XIV 10 7D: 19%) 


Avec l’assentiment du roi Prasenajit, le notable Sru-la (Su- 
datda) fait une quête dans tout le royaume en faveur des trois 
Joyaux ; une pauvre femme lui donne la seule chose qu'elle pos- 
sède, à savoir la pièce d'étoffe dont elle se couvrait le corps. 
A cause de cette bonne action, elle renaît en qualité de devi. 


MÉTTEDAS A ENS T0 DD TON 0207E0) 


À Crâvasti, il y avait un notable nommé Fou-chô (Pusya), qui 
avait deux filles ; l’une d'elles était entrée en religion et avait 
obtenu la dignité d’arhat ; l’autre était incroyante ; désireux de 
convertir cette dernière, le notable lui promet mille pièces d’or 
si elle prononce la formule du refuge auprès du Buddha, et huit 
mille pièces d'or si elle y ajoute la formule du refuge auprès de 
la Loi et auprès de l’Assemblée. Séduite par la promesse de cette 
forte somme, la jeune fille accepte les cinq défenses ; peu 
après, elle meurt et renaît comme devi. 


CET AIN 10 "DD 0) 


Une jeune fille qui, suivant la coutume de l'Inde du Sud, 


| du. Sr Vue 
+ R CPE TA 4 1: ét 


36 TSA PAO TSANG KING (N° 404) 


balayait de bon matin la maison familiale et les alentours de la 
porte d'entrée, aperçoit le Buddha et en conçoit de la joie. 
A cause du sentiment qu'elle a éprouvé, elle renaît en qualité 
de devi; de même que toutes les devis dont il a été question 
dans les contes précédents, elle comprend pour quelle raison 
elle a obtenu sa félicité précédente ; elle redescend auprès du 
Buddha, l'écoute expliquer la Loi et devient srotâäpanna. 


(rip AIN, ABS Dr 20 7°; 


Un notable de Wang-chô tch'eng ‘Râjagrha) a invité le Bud- 


dha à venir chez lui pour lui faire des offrandes. A cause de cette 


bonne action, il renaît en qualité de deva. 


CTrip:; XINS 10h26 r0:) 


Un bhiksu, qui était un arhat, vient mendier à la porte d’une 
famille dont l'occupation consistait à presser des cannes à 
sucre ; la femme du fils de cette famille met un gros mor- 
ceau de canne à sucre dans son bol. La belle-mère, irritée de 
cette libéralité, frappe sa bru à coups de bâton et la tue. La 
jeune fenime renaît dans la condilion de devi. 


N° 401. 


(Trip., XIV, 10, pp. 20 r°-v°.) 


Autrefois dans la ville Chü-wet (Crâvasti), ily avait une 
femme qui, assise à terre, broyait des parfums. Sur ces 
entrefaites, le Buddha entra dans la ville ; quand la femme 
le vit, elle conçut une pensée de joie et oignit les pieds 
du Buddha avec le parfum qu’elle était occupée à broyer. 















ONGLES 


TSA PAO TSANG KING (N° 404) 37 


Plus tard, quand sa vie eut pris fin, elle obtint de naïitre en 
haut parmi les devas ; le parfum de son corps se sentait 
au loin et se propageait jusqu'à quatre mille /: de distance. 
Comme elle était allée se réunir à l’assemblée dans la 
salle de la bonne Loi, le souverain Cakra l'interrogea par 
cette gâthà : | 

Quelle œuvre productrice de bonheur avez-vous faite 


autrefois — pour que votre corps émelle ce parfum exquis, 


— pour que vous soyez née parmu les devas, — el pour que 


votre teint ait un éclat semblable à de l'or fondu? 


La devi répondit par cette gâthà : 

D'un parfum excellent — j'ai fait hommage au Vénérable 
suprême ; — j'ai obtenu ainsi un mérile imposant que rien 
n'égale ; — je suis née parmi les trente-trois dieux (Tray- 
astrimças), — et je reçois de grandes joies ; — mon corps 
émet toutes sortes de parfums exquis — qui se font sentir à 
cent yojanas de distance ; — tous ceux qui sentent ces par- 
fums — en éprouvent un grand bénéfice. 

Alors la devi se rendit auprès de l'Honoré du monde; le 
Buddha lui expliqua la Loi et elle obtint la voie de srotà- 
panna ; puis elle retourna parmi les devas. 

Les bhiksus demandèrent {au Buddha): « Quelle action 
productrice de bonheur a-t-elle accomplie autrefois pour 
qu’elle aitobtenu de naître parmi les devaset pour que son 
corps soit ainsi parfumé ? » Le Buddhaleur répondit : « Au- 
trefois lorsque cette devi était parmi les hommes, elle 
oignit de parfums mes pieds; c’est pour cette raison que, 
après sa mort, elle est née parmi les devas et a reçu cette 
récompense. » | | 


CET XIV 10, pr 20v0) 


Dans le royaume de Gravâsti, le notable Siu-la (Sudatta) pro- 
met une récompense de cent mille onces d’or à qui prendra son 


38 TSA PAO TSANG KING 





refuge auprès du Buddha. Une servante l'entend et prononce la 
formule, À sa mort, elle renaît parmi les devas Trayastrimças, 


(Trip, XIV; 10, p. 20°) 


Une pauvre mendiante demande l'aumône au Buddha qui or- 
donne à Ananda de lui donner un peu de nourriture ; en recevant 
ce don, elle conçoit un sentiment de joie et, à cause de cela, 
elle renaît, après sa mort, parmi les devas. 


(Trip. XINS10; Dr 24-12) 


Une servante qui doit apporter de la nourriture à son maître, 
rencontre le Buddha et lui donne les provisions dont elle est 
chargée ; elle retourne à la maison, reprend de la nourriture et 
repart; mais elle rencontre Çâriputra et Maudgalyäyana et leur 
donne ses provisions ; elle revient encore une fois à la maison, 
prend de nouvelles provisions et les apporte à son maître. Quand 
le maître rentre chez lui, il demande à sa femme pourquoi elle 
lui a envoyé si tard la servante ; celle-ci est interrogée et avoue 
ce qu'elle a fait ; son maître la bat ; elle meurt et renaît en qua- 
lité de devi. 


| 
| 


(Prin ANA 0 pr) 


Le roi Bimbisära avait élevé pour le Buddha un stûüpa et un 
temple ; un notable aurait voulu l’imiler mais, n’en ayant pasles 
moyens, 1l édifie une salle d'explication à l'endroit où le Tathâ- 
gala avait coutume de passer ; à cause de cette bonne œuvre, il 
renait en qualité de deva. | 


LR NEN AO DD 2 ID EE ve" 


Un marchand de la ville de Crâvasti, qui a mis sa maison nou- 


TSA PAO TSANG KING 39 





vellement construite à la disposition du Buddha, renaît après sa 
mort dans la condilion de deva. 


CPrip:, XIV, 10 pp21 v-221° 


Un pauvre homme rapporte chez lui six mesures de farine 
grillée dont il compte se nourrir avec sa femme et ses enfants. 
Il rencontre en chemin un religieux mendiant ; il prend une me- 
sure de farine, en fait une boulette et la lui présente en expri- 
mant le désir de devenir roi d’un petit royaume. Le çramana 
accepte son offrande en disant: « Pourquoi si peu ? » Le pauvre 
homme pense que le religieux trouve son aumône insuffisante ; 
il fait une boulette avec une seconde mesure de farine et la lui 
présente en souhaitant devenir roi de deux petits royaumes. Il 
reçoit la même réponse. [Il fait alors une boulette avec deux me- 
sures de farine en souhaitant devenir roi de quatre petits 
royaumes, et enfin 1l fait une boulette avec les deux dernières 
mesures de farine en souhaitant devenir roi de Vârânasi, com- 
mander à quatre petits royaumes et obtenir de connaître les 
vérités saintes. Comme le çramana répond encore que c’est trop 
peu, 1l lui offre de se dépouiller de ses vêtements et de les 
échanger contre de la nourriture qu'il lui offrira. Cependant le 
çramana n’a mangé qu'une seule mesure de farine et rend le 
reste au pauvre homme; celui-ci demande pourquoi, précé- 
demment, il a toujours dit que c'était trop peu. Le çramana 
répond qu'il a voulu dire, non que l'offrande était trop petite, 
mais que les désirs formulés par le donateur étaient trop modérés. 
Le pauvre homme conçoit des doutes sur la sincérité de son in- 
terlocuteur, qui, pour le convaincre de sa bonne foi, doit s'élever 
dans les airs et accomplir dix-huit transformations surnaturelles. 
Peu après le pauvre homme est reconnu comme étant le fils 
d'un ami défunt du roi de Vârânast; il est comblé de faveurs par 
le roi, et à la mort de ce dernier, il est mis sur le trône à sa 
place. 


(rip, XIV, 40; p. 22:r°-v°. 


Une pauvre mendiante à donné à une assemblée de religieux 


40 TSA PAO TSANG KING 


deux pièces de monnaie qu’elle a trouvées dans le fumier ; sui- 
vant la coutume, le karmadâna avait prononcé un vœu en sa fa- 
veur ; mais, comme le sthavira, c'est-à-dire le président de l’as- 
semblée, n'avait pas entendu ce vœu, il formule lui-même un 
souhait pour son bonheur futur. La mendiante reçoit les restes 
de la nourriture du sthavira et se croit amplement récompensée 
de sa bonne action. Cependant elle s'endort sous un arbre ; la 
reine du royaume vient à mourir ; on cherche partout qui peut 
la remplacer et le choix des devins se porte sur la pauvre men- 
diante qu'un prodige (l'ombre de l'arbre qui reste immobile au- 
dessus d'elle) désigne à leur attention ; cette femme devient donc 
reine. Elle fait alors de grandes libéralités aux religieux ; mais 
le sthavira refuse de prononcer lui-même un vœu en sa faveur et 
explique sa conduite en disant que ce n’est pas la valeur intrin- 
sèque de l'offrande qui importe; les deux pièces de monnaie de 
la pauvre mendiante avaient plus de prix que les riches offrandes 
de la reine (1). 


L 


(Frip XIV;.10; pp: 22 v25 1) 





Un peintre du royaume de Gandhâra nommé Xïi-na (Karna) a | 
gagné trente onces d’or après avoir travaillé pendant trois ans. 
Au moment où il se dispose à rentrer dans son pays, il assiste | 
à une cérémonie de pancavarsa dans la ville de Fou-k'ia-lo (Pus- 
kalâ vati) ; il demande au karmadäna quels sont les frais que sup- 
pose l'entretien des moines pendant un jour ; on lui répond que 
cela coûterait trente onces d'or ; il donne aussitôt tout ce qu'il 
possède et accomplit cette œuvre pie. Il rentre chez lui entière- 
ment démuni d'argent. Sa femme l'accuse devant le juge. L’ar- 
üiste se disculpe en exposant les motifs religieux qui lui ont dicté 
sa conduite. Le Juge, ravi de sa réponse, se dépouille lui-même 
de ses vêtements et de ses colliers et les donne à cet homme 
avec tout son cortège de chevaux de selle et de chars ; il lui at- 
tribue en outre un village en apanage (2). 


(1) Cf. Sûfrälamkära, trad. Huber, n° 22, pp. 119-128. 
(2) Cf. Sälrälamkära, trad. Huber, n° 21, pp. 117-119. 


TSA PAO TSANG KING 41 


CP AIN 160. 23 KE) 
Un homme nommé Xi-yi-lo vit dans la pauvreté avec sa 
femme. Un Jour 1l voit un notable qui va faire de grandes libé- 
ralités dans un temple ; la nuit venue, tandis qu'il est couché 
avec la tête appuyée sur le bras de sa femme, il s’afflige de ne 
pouvoir, à cause de sa pauvreté, faire des libéralités qui lui as- 
sureraient le bonheur dans ses existences futures; les larmes 
qu'il verse tombent sur le bras de sa femme ; celle-ci se réveille 
et, apprenant ce qui cause le chagrin de son mari, lui propose 
de la vendre comme esclave. Mais il lui répond qu'il ne peut 
vivre sans elle et tous deux se décident à se vendre ensemble au 
même maître ; ils vont donc emprunter dix pièces d'or à un no- 
table, s'engageant à lui livrer dans sept jours leurs personnes s'ils 
ne lui ont pas rendu l'argent. Le sixième jour venu, ils offrent 
un repas aux religieux ; cependant le roi du pays aurait voulu 
inviter les religieux ce même jour ; il demande au mari età la 
femme de lui céder leur tour, et, comme ils refusent avec obsti- 
nation, il finit par apprendre qu'ils doivent aller se livrer le len- 
demain même comme esclaves el qu'ils ne peuvent donc pas 
présenter leurs offrandes aux religieux en quelque autre jour. 
Ému de tant de piété et de dévouement, le roi enlève ses vête- 
ments etses colliers ainsi que ceux de sa femme pour les dgnner 
à Ki-yi-lo et à sa femme, puis il leur accorde en apanage dix 


bourgades (1). 





(Trip, XTV; 10, :Dp. 29 n-23;r0.) 


Un arhat, sachant par avance que son çrâmanera doit mourir 
dans les sept jours, lui accorde un congé pour qu'il retourne 
chez lui et ne revienne qu’au début du septième jour ; le jeune 
homme part et, sur sa roule, il rencontre des fourmis emportées 
par le courant d'un ruisseau ; il leur sauve la vie en les retirant 
de l'eau. À cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée, et, 


(1) Cf. Sûtrâlamkära, trad. Huber, n° 76, pp. 429-433. 


42 TSA PAO TSANG KING 


le seplième jour, il revient sain et sauf, à la grande stupéfaction 
de son maître. 


(Trip., XIV, 10, p.22 59) 
Un devin a prévu qu'un roi du X’ien-l'o-wei (Gandhâra) doit 
mourir dans les sept jours ; mais, en allant chasser, le roi ren- 


contre un vieux stûpa ruiné et ordonne de le restaurer. À cause 
de celte bonne œuvre, sa vie est prolongée. 


(Erin, "XIV 10 p.20 va) 





Un brahmane hérétique a prévu qu’un bhiksu devait mourir 
dans les sept jours ; mais le bhiksu, étant entré dans un monas- 
tère bouddhique, aperçoit un trou dans le mur et le bouche avec 
de la boue ; à cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée. 


Chips XIV É06 pre vP:) 


Un devin a prédit à un homme que son fils, âgé de cinq ou 
six ans, devait bientôt mourir. Le père va auprès des six maîtres 
hérétiques qui sont incapables de lui indiquer le moyen de pro- 
longer la vie de son enfant; il s'adresse au Buddbha qui, sur ses 
prières instantes, lui ordonne de placer l'enfant à la porte de la 
ville pour qu’il rende hommage à lous ceux qui entrent et qui 
sortent. Or un démon, qui avait pris la forme d’un brahmane, se 
disposait à entrer dans la ville, lorsque le jeune garçon, placé à 
la porte, lui rendit hommage ; le démon lui souhaita longue vie. 
Or ce démon était précisément celui qui tuait les petits garçons 
et, comme il ne pouvait violer sa parole, il ne put plus tuer l'en- 
fant puisqu'il lui avait souhaité longue vie. L'enfant fut ainsi 
sauvé. 


Chip NIN #10 ph 2526 r) 


Un jeune homme pauvre désire renaître parmi les devas trayas- 


ANNEE PRE te PEAR 





“ 
s 


TSA PAO TSANG KING (N° 405) 43 


trimças, et, pour obtenir ce privilège, il se propose de faire une 
offrande de nourriture à une assemblée de religieux, ce qui lui 
coûtera trente onces d’or. Il loue donc ses services à un riche 
notable pour le prix de trente onces d’or qui devront lui être 
payés au bout de trois ans. 

Le terme étant arrivé, il prépare un grand banquet, à la magni- 
ficence duquel son maître contribue spontanément, puis il invite 
les religieux ; mais il se trouve que ceux-ci viennent de recevoir 
de diverses autres personnes des mets et des boissons en abon- 
dance; ils n’ont donc plus faim, et, quand ils viennent au banquet, 
ils prient le jeune homme de leur donner très peu à manger. Le 
Jeune homme se désole, car il craint que sa bonne actionreste sans 
résultats. Le Buddha lerassureenluidisantqu'ilsera récompensé, 
Sur ces entrefaites arrivent cinq cents marchands qui, au retour 
d’une expédition sur mer où ils se sont enrichis, demandent à 
manger sans que personne dans la ville puisse les nourrir; on les 
envoie chez le jeune homme qui leur offre le banquet préparé 
pour les religieux. Reconnaissants envers lui, les cinq cents 
marchands lui donnent chacun une perle de grand prix. Le jeune 
homme hésite à accepter ces richesses, mais le Buddha lui dit 
qu'il peut les prendre sans diminuer en rien la récompense à 
laquelle il aura droit dans une vie future. Le notable marie sa 
fille au jeune homme qui devient fort riche et qui reçoit aussi des 
dons considérables du roi Prasenajit. 


N° A0. 


CÉTRIDS AIN A0 per) 


Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, il y 
avait cinq frères brahmanes ; le premier se nommait Ye- 
chô (Yaças) ; le second se nommait Wou-keou (sans souil- 
lure — Vimala ?) ; le troisième se nommait Aiao-fan-po-lFi 
Gavämpati) ; le quatrième se nommait Sou-l'o-yi (Sudàyi?). 
Ces quatre aînés étaient entrés dans les montagnes pour y 


44 TSA PAO TSANG KING (N° 405) 


étudier la sagesse et ils avaient obtenu les cinq pénétra- 
tions surnaturelles (abhijñâs). Leur plus jeune frère se 
nommait #ou-na (Pûürna) ; il vit le Buddha qui mendiait 
sa nourriture ; aussitôt, il remplit-son bol de bon riz blanc 
etpur dont il lui fit présent. En ce temps, Fou-na s’oc- 
cupait constamment à labourer et à semer; ce jour-là, 
quand il eut fini de labourer et de semer, il retourna dans sa 
maison ; lelendemain, il sortit et se rendit dans son champ ; 
il s'apercut alors que, dans ce champ, la moisson qui avait 
poussé s'était transformée en céréales d'or qui étaient 
toutes longues de plusieurs pieds ; quand il les eut entiè- 
rement coupées et récoltées, elles poussèrent de nouveau 
comme auparavant. Le roi du pays en fut informé et il 
vint à son tour pour couper et récolter (ces céréales d’or) 
mais il ne parvint pas à les prendre toutes ; de même 
ceux qui vinrent en foule pour en recueillir ne purent pas 
les épuiser. 
Cependant les frères aînés avaient fait cette réflexion : 

« Notre frère cadet Fou-na a-t-il de quoi vivre ou est-il dans 
la misère ? » Ils vinrent donc ensemble pour le voir etils 
constatèrent que Ja richesse de leur frère dépassait 
celle du roi. Ils dirent alors à leur frère cadet : « Vous 
étiez autrefois fort pauvre ; comment vous êtes-vous en- 
richi ? » Il leur répondit : « J'ai vu Xiu-Pan (Gautama) ; je 
lui ai donné un bol de riz et voici la récompense que j'ai 
obtenue. » 





Quand les quatre ainés eurent entendu cette parole, ils 
en eurent des transports de joie. Ils dirent alors à leur 
frère cadet : « Fabriquez-nous des pilules de réjouissance; 
chacun de nous quatre prendra une de ces pilules et en 
fera don à Aiu-F'an(Gautama) en formulantle don derenaître 
dans la condition de deva. Si nous n’entendons pas sa Loi, 
nous n’aurons pas le moyen d'être délivrés. » Chacun d'eux 
s'étant donc chargé d’une pilule de réjouissance, ils se 
rendirent auprès du Buddha. Le plus âgé d’entre eux prit 


fo 





TSA PAO TSANG KING (N° 405) 45 


une pilule et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha 
:\\ 6 


Tous les samskäras sont impermanents. 


Le second frère prit à son tour une pilule de réjouis- 


sance et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha 


dit : 
Ils ont pour loi d'être produits et de périr. 


Le troisième frère aussi déposa une pilule de réjouis- 
sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit : 


Ayant élé produits, ils périssent (4). 


Enfin le quatrième frère déposa une pilule de réjouis- 
sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit: 


Leur suppression, c’est là le bonheur. 


(Les quatres frères) retournèrent alors chez eux. Quand 
ils furent arrivés dans un lieu solitaire et calme, ils se de- 
mandèrent mutuellement quelles paroles ils avaient en- 
tendues ; le plus âgé des frères dit : « J’ai entendu ceci : 
Tous les samskâras sont impermanents ». Le second frère 
avait entendu ceci : «Ils ont pour loi d'être produits et de 
périr ». Le suivant avait entendu ceci: « Ayant été pro- 
duits, ils périssent ». Le quatrièmefrère avait entendu ceci: 
«Leur suppression, c'est là le bonheur ». En méditant sur 
cette stance (2), chacun des frères obtint le degré d'anà- 


(1) Le texte est fort mal traduit en chinois. 

(2) Nous avons ici la fameuse jiormule qui résume l'enseignement du 
Buddha ; le texte pâli de cette stance se trouve dans le Mahäparinibbâna 
Sutta (NI, 10: SBE, vol. XI, p:117; cf. ibid.; p.240): La récension sans- 
crite en a été conservée dans une inscription du Swàt publiée par Bühler 
(Epigraphia Indica, vol. IV, p. 64); elle se présente sous la forme sui- 
vante : 

ANITYÂ BATA SAMSKÂRÂ UTPÂDAVYAYADHARMINAI 
UTPADYA HI NIRUDHYANTEF. TESÂM VYUPAÇAMAIT SUKHAM 


Nous pouvons ajouter que la même stance figurait dans la recension 





46 TSA PAO TSANG KING (N° 406) 


gamin. Ils revinrent auprès du Buddha ; ils lui deman- 
dérent de les faire entrer en religion et ils parvinrent à la 
voie d'arhat. 


N° 406. 


(Trip., XIV, 10, pp. 24 v°-25 r°.) 


Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, Ta- 
ngai-lao (Mahäprajâäpati) (4), fit pour lui un vêtement com- 
plet tissé en fils d’or et l’apporta pour l’offrir au Buddha. 
Le Buddha lui dit: « Faites-en don à l’assemblée des reli- 
gieux. » Ta-ngai-lao répliqua : « J'ai nourri de mon lait 
l’Honoré du monde et j'ai fait moi-même ce vêtement; je 
suis donc venue le présenter au Buddha dans l’espérance 
que le Tathâgata me ferait la faveur de l’accepter. Pour- 
quoi me dites-vous d’en faire part à l'assemblée des reli- 
gieux ? » Le Buddha répondit: « C’est parce que je désire 
que ma nourrice obtienne un grand mérite. En voici la 
raison : l'assemblée des religieux est un champ produc- 
teur de bonheur, et ce champ a une étendue illimitée. 
Voilà pourquoi je vous donne cette exhortation. Si vous 
suivez mon avis, Ce sera comme si vous aviez déjà fait une 
offrande au Buddha. » 

Alors Ta-ngai-lao se rendit au milieu des religieux 


sanscrite du Mahäparinirväna Sûtra incorporée à la collection du Dirgha 
nikâya (version chinoise, Tch'ang a han ting | Trip., XIK, 9, ch. IV, pp. 22 
r°]); elle y est mise, comme en pâli, dans la bouche de Çakra. Enfin, dans 
le Tch'ou yao king, qui est une recension avec commentaires du Dhamma- 
pada, cette stance est la seconde de la collection (Trip., XXIV, 5, p. 36r°). 
Ces trois traductions chinoises de la même stance (celle du Tsa pao 
sang king, celle du Tch'ang a han king et celle du Tch'ou yao king) diffè- 
rent notablement les unes des autres, mais on devine bien le même ori- 
ginal sous toutes trois. 
(1) Tante et nourrice du Buddha. 


TSA PAO TSANG KING (N° 406) 47 





avec ce vêtement ; elle Le leur offrit en commençant parle 
Sthavira, mais aucun d’eux n'osa l’accepter ; quand le tour 
de Mi-le (Maitreya), fut venu, celui-ci accepta le vêtement ; 
puis, s’en étant revêtu, il entra dans la ville pour mendier. 
Le corps de Mi-le (Maitreya) présentait les trente-deux 
marques distinctives et avait la couleur de l’or qui donne 
la marque rouge quand on le frotte. Quand il fut arrivé 
dans la ville, la multitude s’empressa pour le voir mais 
personne ne lui donna rien. Or, il y avait un homme qui 
était de son métier perceur de perles; quand il vit que 
personne ne donnait rien à WMi-le (Maitreya), il vint s’age- 
nouiller devant lui et l’invita ; il l'amena dans sa maison 
et lui donna à manger. Quand Mi-le (Maitreya) eut fini de 
manger, le perceur de perles s’assit sur un petit banc 
devant Mi-le (Maitreya) etlui exprima son désir d'entendre 
la Loi. Mi-le (Maitreya), qui possédait les quatre forces 
d’éloquence (pratibhâna), se mit à lui expliquer de toutes 
sortes de façons la Loi merveilleuse, etle perceur de perles. 
dans son désir d'entendre et sa joie d’écouter, ne se las- 
sait point de rester là. Or, auparavant, un notable qui 
allait marier sa fille, avait loué les services de ce perceur 
de perles pour percer une perle précieuse et lui avait donné 
cent mille pièces de monnaie ; en ce moment, le père de 
la fille qu'on allait marier envoya un messager réclamer 
sa perle ; mais le perceur de perles, qui se plaisait inten- 
sément à écouter la Loi, n’avait pas le temps de percer cette 
perle et répondit qu’on attendit encore quelque peu; au 
bout d’un moment, on vint faire une nouvelle réclama- 
tion et cela se passa par trois fois sans qu’on püt obtenir 
la perle. Alors ce notable se fâcha et vint reprendre sa 
perle avec l’argent qu'il avait donné. La femme du per- 
ceur de perles dit avec colère à son mari: « Vous n’aviez 
rien d'autre à faire ; en un instant vous auriez percé cette 
perle et vous auriez gagné cent mille pièces de monnaie: 
à quoi vous sert d'écouter les belles paroles de ce reli- 


48 TSA PAO TSANG KING (N° 406) 


gieux ? » En entendant ces reproches, le perceur de perles 
en eut un vifchagrin. Mais Wi-le (Maitreya), qui le savait 
attristé, lui demanda : « Pouvez-vous m'accompagner jus- 


qu'au temple ? ». L'autre répondit qu'il le pouvait et il 


vint donc à la suite de Mi-le (Maitreya) dans la résidence 
des moines. Mi-le demanda alors au sthavira: « Vaut-il 
mieux pour un homme obtenir la somme totale de cent 
mille livres d’or ou écouter avec joie l'explication de la 
Loi? » Aiao-lch'en-jou (Kaundinya) répondit : « Liavan- 
tage qu'un homme aurait en obtenant cent mille livres d'or 
ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul bol 
de nourriture à un observateur des défenses ; plus consi- 
dérable encore des centaines, des milliers et des myriades 
de fois serait donc l'avantage qu’il aurait s’il pouvaît, d’un 
cœur croyant, écouter pendant un moment la Loi. » Puis 
Mi-le interrogea le second sthavira qui répondit : « L'avan- 
tage qu’un homme aurait en obtenant cent mille chars 
pleins d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait 
un seul bol de nourriture à un observateur des défenses. 
Combien plus considérable encore sera l’avantage qu'il 
aura S'il passe un certain temps à écouter la Loi et à y 
prendre plaisir! » Mi-le interrogea encore le troisième 
sthavira qui répondit: « L'avantage qu’un homme au- 
rait en obtenant cent mille maisons pleines d'or ne vau- 
drait pas celui qu’il aurait en donnant un seul bol de nour- 
riture à un observateur des défenses. Combien plus 
considérable sera l'avantage qu'il aura s'il écoute la Loi!» 
Mi-le interrogea ensuite le quatrième sthavira qui répon- 
dit: « L'avantage qu’un homme aurait en obtenant cent 
mille royaumes remplis d'or ne vaudrait pas celui qu'il 
aurait s'il donnait un seul bol de nourriture à un obser- 
vateur des défenses. Plus considérable des centaines, des 
milliers et des myriades de fois sera donc l'avantage qu'il 
aura s’il écoute la Loi. » Lorsque ce fut le tour d’A-na-lu 
(Aniruddha) de répondre, il dit : « L'avantage qu’un homme 








TSA PAO TSANG KING (N° 406) | 49 


aurait s’il obtenait les quatre parties du monde pleines 
d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul 
bol de nourriture à un observateur des défenses. Combien 
plus considérable sera l’avantage qu'il aura s’il écoute la 
Loi!» Mi-le (Maitreya) répliqua : «O Vénérable, pour- 
quoi dites-vous que le fait de donner un seul bol de nour- 
riture à un bhiksu vaut plus que la possession des quatre 
parties du monde pleines d’or? » 

Le Vénérable répondit: « Je vous prouverai que cela 
est exact par mon propre exemple. Je me souviens qu’au- 
trefois, il y a de cela neuf millions de kalpas, il y avait un 
notable et ses deux fils ; l'un de ceux-ci se nommait Li- 
icha (Rista) ; l’autre se nommait A-li-ich'a (Arista); ce 
notable leur disait constamment: « Ce qui est élevé 
s’affaissera ; ce qui est permanent prendra fin; ce qui vit 
mourra; ce qui est uni se désagrégera. » Le notable 
devint malade et, quand il fut près de trépasser, il fit cette 
recommandation à ses fils: « Ayez soin de ne pas vous 
séparer. Pour prendre une comparaison, une seule fibre 
ne peut pas attacher un éléphant; mais si on réunit en- 
semble un grand nombre de fibres,un éléphantne pourra 
pas les rompre. De même les frères, quand ils sont unis, 
sont comme plusieurs fibres ensemble. » Après que le 
notable eut fait ses recommandations à ses fils, il rendit le 
dernier soupir et mourut. 

A cause des ordres de leur père, les deux frères vécu- 
rent ensemble en se témoignant l’un à l’autre beaucoup 
de déférence et d’affection. Mais, par la suite, Le frère ca- 
det se maria et n'eut plus guère de quoi vivre. Sa femme 
lui dit: « Vous êtes comme l’esclave de votre frère. En 
effet, les richesses en suffisance pour jouer le rôle de 
maître de maison, c'est votre aîné qui en dispose. Quant 
à vous, vous n'avez que juste de quoi vous vêtir et vous 
nourrir. Si ce n’est pas là la condition d’un esclave, qu’est- 
ce donc? » Elle lui tenait souvent ce langage. Le mari et 

II. 1 


50 TSA PAO TSANG KING (N° 406) 


sa femme concurrent donc le désir de changer de vie et 
demandèrent au frère aîné de se séparer de lui. Le frère 
aîné dit à son cadet: « Ne vous souvenez-vous pas de ce 
que notre père nous a dit lorsqu'il était près de mourir ? » 
Cependant le frère cadet ne changea pas d'opinion et 
répéta plusieurs fois sa demande de se séparer de lui. 
Voyant que la résolution de son frère était bien arrêtée, 
le frère aîné consentit à la séparation. Ils divisèrent donc 
par moitié tout ce qu'ils possédaient. 

Comme le frère cadet et sa femme étaient jeunes, se 
livraient aux plaisirs et faisaient des dépenses exagérées, 
avant qu'il fût peu de temps, ils devinrent pauvres et furent 
réduits à la misère. Le frère cadet vint alors demander de 
l'argent à son frère aîné qui lui donna cent mille pièces de 
monnaie. Peu après être parti en emportant cette somme, 
le frère cadet eut de nouveau tout dépensé et revint ainsi 
par six fois, et chaque fois son frère ainé lui donna cent 
mille pièces de monnaie. Mais, à la septième fois, le frère 
aîné lui adressa des remontrances en lui disant: « Vous 
n'avez pas tenu compte des paroles que notre père a pro- 
noncées au moment de mourir et vous avez demandé à 
vous séparer de moi. Cependant vous n'avez pas été capa- 
ble de vous donner la peine de gagner votre vie et vous 
êtes venu à maintes reprises m'adresser des demandes. 
Maintenant je vous donne encore cent mille pièces de 
monnaie, mais, à l'avenir, si vous ne réussissez pas dans 
vos affaires et si vous venez encore vous adresser à moi, 
je ne vous donnerai plus rien. » 

Après avoir essuyé ces sévères paroles, le frère cadet et 
sa femme firent tous leurs efforts pour gagner leur vie et 
petit à petit ils devinrent riches. Le frère aïné au contraire 
perdit sa fortune et devint graduellement pauvre. Il vint 
alors implorer son frère cadet; mais celui-ci refusa même 
de lui donner à manger et lui tint ce langage : « Je croyais, 
mon frère ainé, que vous étiez toujours riche; êtes-vous 












TSA PAO TSANG KING (N° 406) 5l 


donc devenu pauvre à votre tour ? Autrefois j'ai eu une 


. demande à vous adresser; je me suis vu accabler de repro- 
ches fort cruels. Maintenant pourquoi venez-vous me 


demander quelque chose? » En entendant ces paroles, le 
frère aîné conçut un chagrin extrême; il fit cette réflexion: 
« Si des frères nés des mêmes parents se conduisent ainsi 
l’un à l'égard de l’autre, combien plus mal se conduiront 
des hommes étrangers les uns aux autres. » Prenant alors 
en dégoût le cycle des naissances et des morts, le frère 
ainé ne retourna pas chez lui ; il entra dans les montagnes 
pour y étudier la sagesse ; avec une intense application 
il se livra aux pratiques ascétiques. Il obtint de devenir 
Pratyeka Buddha. 

Par la suite, le frère cadet à son tour redevint graduelle- 
ment pauvre, et, comme une disette était survenue dans 
le monde, il vendait du bois mort pour gagner sa vie. Or 
le Pratyeka Buddha entra dans la ville pour mendier sa 
nourriture, mais il ne trouva rien et ressortit avec son bol 
vide. En ce moment, l’homme qui vendait du bois mort 
vit le Pratyeka Buddha qui sortait de la ville avec son bol. 
vide; il désira lui donner un peu de bouillie de millet 
qu'il avait gagnée en vendant son bois; il dit donc au 
Pratyeka Buddha : « O vénérable, pouvez-vous manger 
une nourriture grossière ? » L'autre lui répondit : « Bonne 
ou mauvaise, elle concourra à pouvoir soutenir mon 
corps. » Le marchand de bois mort lui donna donc cette 
bouillie. Le Pratyeka Buddha la reçut et la mangea; après 
qu’il l’eut mangée, il s’éleva en volant dans les airs et fit 
dix-huit transformations miraculeuses; puis il revint à la 
même place. 

Le marchand de bois mortse remit à ramasser du bois; 
sur la route il vit un lièvre et le prit avec son bâton; le 
lièvre se transforma aussitôt en un homme mort qui sou- 
dain se leva et vint saisir par le cou l'homme qui récol- 
tait du bois; celui-ci chercha de toutes les facons pos- 


52 TSA PAO TSANG KING (N° 406) 


sibles à le repousser et à le faire partir, mais il ne par- 
vint pas à se dégager. Il enleva ses vêtements pour les 
donner en paiement à un autre homme afin que celui-ci 
tirât et enlevât le mort; mais cet homme non plus ne put 
le détacher. Comme cependant l'obscurité était venue, 
le vendeur de bois revint chez lui en portant le mort sur 
son dos. À peine fut-il arrivé dans sa demeure que le 
mort relâcha de lui-même son étreinte et tomba sur le 
sol où il devint un homme en or véritable. Alors le ven- 
deur de bois détacha en la tranchant la tête de l’homme 
d'or; cette tête redevint aussitôt vivante. Il lui coupa de 
même les mains et les pieds, et mains et pieds redevin- 
rent vivants (1). Au bout d'un moment, la tête d’or et les 
mains d’or remplirent toute la chambre et s’amassèrent 
en un grand tas. Les voisins avertirent les magistrats 
que, dans la maison de ce pauvre homme, il y avait ce 
tas d’or qui s'était produit spontanément. Le roi fut 
informé de la chose et envoya un messager faire une 
enquête à ce sujet; quand cet émissaire arriva dans la 
chambre, il vit seulement les mains, les pieds et la tête 
en décomposition du mort. Mais l’homme qui ramassait 
du bois prit lui-même la tête d’or et vint l’offrir au roi ; 
elle se trouva être en or véritable. Le roi très joyeux 





Gin du 2h 





=, À — "vds acte été dé het 


proclama que cet homme était producteur de bonheur; il 
lui donna donc en fief des villages. 

Plus tard, quand la vie de cet homme prit fin, il rena- 
quit dans le second ciel et devint Cakra souverain des 
devas. Puis il descendit naître parmi les hommes et fut 
un saint roi cakravartin; il fut ainsi sans aucune inter- 
ruption roi des devas ou roi des hommes pendant quatre- 


(1) Le récit est ici peu clair; on ne voit pas bien à quel moment la tête 
et les membres qui ont repris vie redeviennent des blocs d’or. fl semble 
que ces morceaux de corps humain aient l'aspect de chair, par exemple 
pour le messager du roi qui viendra les voir, mais qu'en même temps 
ils soient en or véritable pour l’homme dévot. 





TSA PAO TSANG KING (N°s 406-407) 53 


— xvingt-onze kalpas. Maintenant, dans cette dernière exis- 
….… tence, il est né dans la race des Çâkyas. Le jour de sa 


naissance, sur un espace de quarante /r, des joyaux cachés 
jaillirent d'eux-mêmes hors du sol. Plus tard, il devint 
grand; (il n’est autre que moi, Aniruddbha ;) or, mon père 
et ma mère aimaient mieux mon frère aîné Che-mo-nan (le 
Câkya Mahânâman); ma mère, voulant un jour mettre à 


l'épreuve ses fils, nous envoya dire qu’elle n’avait rien à 
nous donner à manger. Moi, Aniruddha, je répondis : 
_« Apportez-moi seulement un récipient sans aucune nour- 
riture. » On me donna donc un vase vide; or ce vase vide se 


remplit spontanément d'aliments de saveurs variées. À sup- 
poser qu'on eût les quatre parties du monde pleines d’or 
etqu'on s'en servit pour se nourrir, cet or ne suffirait pas à 
assurer cette nourriture pendant un seul kalpa. Combien 
plus importante a dû être la cause qui a fait que, pendant 
quatre-vingt-onze kalpas, j'ai constamment joui de la féli- 
cité. Si maintenant j'ai obtenu cette nourriture qui se pro- 
duit spontanément, c'est parce que, dans une existence 
antérieure, j'ai fait ce don d’un bol de nourriture; voilà 
pourquoi présentement j'ai obtenu une telle récompense. 
Depuis les Buddhas et en descendant jusqu’au ciel de 
Brahma, tous ceux qui observent avec pureté les défenses, 
on les appelle les observateurs des défenses (1). — Quand 
le perceur de perles eut entendu ces paroles, il en eut 
une grande joie. 


NO: 


CRrIp XIV 108 pp: 290-2740) 


Voici ce que j'ai entendu raconter (2): Un jour, le 


(1) Cette phrase est une glose pour expliquer le terme « l'observateur 
des défenses, » terme dont il a souvent été question plus haut. 
(2) Comme l'indique cette formule initiale, nous avons affaire ici à un 





54 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


Buddha se trouvait dans le royaume de Mo-kie-Pi (Ma- 
gadha). Au sud (1) de la ville de Wang-chô-lch'eng (Ràja- 
grhapura), il y avait un village de brahmanes qui était 
appelé « Forêt d'âmras (2) »; le Buddha se tenait au nord 

de ce village, dans une caverne de la montagne P'i-Fi-hui 
(Vediyaka); or le souverain Çakra apprit que le Buddha 
était là et c'est pourquoi il dit au prince des Gandharvas 
P'an-chô-che-k'i (Pañcaçikha) (3) : « Dans le royaume de 
Mo-kie-Pi, au nord du village nommé « Forêt d'âmras », 
est la montagne P'i-Fi-hi; l’'Honoré du monde se trouve 
là. Allons avec vous et les autres lui rendre visite ». Le 
prince des Gandharvas P'an-chô-che-k'1 répondit : « Oui, 
certes, c’est là une excellente entreprise ». Tout joyeux 
de ce qu'il venait d'apprendre, il prit donc un luth de 
lieou-li (vaidurya) et se rendit, en compagnie du souverain 
Cakra, à l'endroit où se tenait le Buddha. En ce moment, 
tous les devas, apprenant que Le souverain Gakra, avec 


véritable sûtra. Ce sûtra se retrouve dans plusieurs collections : le Digha 
nikâya pâli (n° 21 Sakka Pañha suttanta); — Dirghâgama sanscrit, version 
chinoise (Nanjio n° 545; Trip. XII, 9, sûtra n° 14, p. 51 v°-5tr°); — Madhya- 
mâgama sanscrit, version chinoise (Nanjio, n° 542; Trip., XII, 6, sûtra 
n° 134, pp. 59 r°-63 ve). Il en existe de plus en chinois une version isolée 
due à Fa-hien des Song (Nanjio, n° 924; Trip., XII, 8, pp. 50 r°-53 v°.). Cf. 
encore SPENCE HarDy, Manual of Buddhism, p.288. La scène de l’'Indra-cilà- 
guha est représentée à Barhut (CUNNINGHAM, p. 88, pl. XXVIIT); M. Senart : 
l'a reconnue également dans une grotte de Singimaus visitée par 
M. Donner (Journal Asiatique, mars-avril 1900, pp. 355-357). 

Dans les notes suivantes, j'aurai recours, pour indiquer les variantes 
aux sigles que voici: Tp. — Tsa pao tsang king; — Dn. = Digha nikâya 
pâli ; — Dg.=— versionchinoise du Dirghägama sanserit; — Mg. = version 
chinoise du Madhyamâgama sanscrit : — Fh. = version de Fa-hien. 

L'obligeant appui de M. Sylvain Lévi m'a été tout particulièrement 
utile dans la traduction de ce texte qui présentait de réelles difficultés. 

(1) Dn., Mg., Fh., à l'Est; l'indication manque dans Dg. 

(2) Pàali: Ambasanda. 

(3) Fh. traduit ce nom par les mots 7r A «les cinq chignons ». Mg. 
traduit par TL. fE « les cinq torsades », et, en outre, désignant les Gand- 
harvas par le terme de #f#& « les joyeux », il écrit 77 #£ #£ + « Le 
Gandharvaputra Pañtaçikha ». Dg. transcrit ce nom au moyen des ca- 
ractères ff JE % « Pan-chü-yi ». 





TSA PAO TSANG KING (N° 407) 55 


le prince des Gandharvas et avec d’autres personnes, se 


proposait d'aller à l’endroit où était le Buddha, se parèrent 
chacun de ses plus beaux atours, et, suivant le souverain 


_ Çakra,s’élevèrent dans les cieux si haut qu'ils disparurent. 


Quand ce cortège arriva à la montagne P'i-Pi-hi (Vedi- 
yaka), il se produisit dans les montagnes une vive clarté 
qui illumina tout, en sorte que les gens voisins de cette 
montagne (1) crurent tous que c'était l’Éclat de feu (2). Le 
souverain Çakra dit alors au prince des Gandharvas : « Ce 
lieu est pur et éloigné de tout mal; c’est un a-lien-J0 
(aranya); le Buddha y vit dans le calme et la retraite 
pour rester assis en contemplation. Or maintenant, tout 
autour du Buddha, il ya une multitude de devas haute- 
ment vénérables qui se pressent de manière à remplir 
tout l’espace qui est à ses côtés. Comment donc pourrons- 
nous nous acquitter de notre visite à l'Honoré du monde ? » 
Le deva Gakra dit alors au prince des Gandharvas : «Il 
vous faut aller de ma part auprès du Buddha pour lin- 
former de nos intentions et lui dire que nous désirons 
l'interroger respectueusement ». 

Quand le prince des Ganharvas eut reçu ces instruc- 
tions, il partit; ne se tenant ni trop loin ni trop près, il con- 
templa avec admiration le visage du Vénérable; il saisit 
alors son luth et en joua de manière à ce que le Buddha 
pût l'entendre; puis il prononça ces gâthäs (3) : 


(1) Lisez [[] aulieu de fill: d'après toutes les autres rédactions. 


(2) Dn., Mg. et Fh. se bornent à signaler l'éclat extraordinaire de la 
montagne. Seul Dg. en indique expressément la cause en disant que Île 
Buddha était entré dans le samädhi de l'éclat du feu. Notre texte occupe 
une position intermédiaire par l'emploi des mots Je % qui évoquent 
l'expression technique J %Æ — Hk « Samädhi de l'éclat de feu ». 

(3) Comme on le verra par la suite du récit, ces stances ne s'adressent 
point au Buddha. Elles sont une déclaration d'amour que Pañëaçikha 
avait faite pour une jeune fille. Elles ne sont chantées ici que pour 
éveiller l'attention du Buddha. 

Ces stances contiennent, mais disposé dans un autre ordre, l'essentiel 
des stances que présente la rédaction pâlie. 





56 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


4. Quand la passion s'allache à un objet, — elle est 
comme l'éléphant qui s'enlise dans la vase, — ou encore 
comme l'éléphant ivre — que le croc (du cornac) ne peut 


plus maîtriser. 

2. Comparable à un arhal — qui concentre son admira- 
lion dans la merveilleuse Loi, — tel ainsi est mon désir de 
votre beaulé. 

3. Avec respect je rends hommage à votre père ; — parce 
que vous êles née dans une noble condition, — mon cœur 
sent redoubler son amour et sa joie. 

4. Vous avez pu au plus haut point faire naître et déve- : 
lopper mon amour. — Comme un homme en sueur qui 
trouve une brise fraîche, — comme un homme alléré qui 
oblient une boisson glacée, — ainsi je prends plaisir à voir 
votre corps, — el je suis encore comme un arhal qui reçoil 
la Loi bienheureuse. 

5. De même qu’on donne un bon remède à un malade, — , 
de même qu'on procure de l'excellente nourrilure à un 
affamé, — promplement éloignez ma fièvre avec votre pure 
fraicheur. — Maintenant mon désir va se donner carrière 
au galop ; — il n’étreint le cœur et ne le lâche pas. 4 

Le Buddha dit : « Fort bien, à Pañcaçikha; vous avez 
maintenant fait entendre cette mélodie en y joignant har- 
monieusement les sons des cordes et des flûtes; en ne 
vous tenant ni trop loin ni trop près, vous avez chanté 
ces gâthàs ». (Pañcaçikha) dit alors au Buddha : «I ya 
quelque temps de cela, je rencontrai une sage jeune fille ; 
elle se nommait Sieou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarcasi); elle 
était la fille de Tchen-feou-leou (Tamburu), roi des X1en-ta- 

p'o (Gandharvas). Or Che-k'ien-tche (Cikhandi), fils du deva 
Mo-lo-lo (Mâtali), avait déjà auparavant recherché cette 
fille en mariage. Étant alors épris d'elle, je lui adressai ces 
gâthâs et maintenant je les répète en présence du Buddha». 

Le souverain Cakra se dit : « Le Buddha s’est éveillé de 

la contemplation et maintenant il converse avec Pañtä- 





TSA PAO TSANG KING (N° 407) 57 


cikha. » Le souverain Gakra dit derechef à Pañcâçikha : 


« Maintenant, annoncez mon nom ; adorez, en vous pros- 
ternant, les pieds du Buddha et demandez (de ma part) de 
ses nouvelles à l’'Honoré du monde : N’a-t-il ni maladie ni 
chagrin ? Tous ses actes sont-ils aisés ? Ce qu’il mange et 
boit lui convient-il ? Sa force vitale est-elle calme et joyeuse? 
N’a-t-il aucun mal? Reste-t-il tranquille et heureux ? » Pañ- 
 caçikha répondit qu'il le ferait, et, quand il eut reçu ces 
instructions de Gakra,il retourna derechef auprès du 
Buddha ; il prononça le nom du souverain Çakra, et, ado- 
rant les pieds du Buddha, il demanda de ses nouvelles à 
l’'Honoré du monde en répétant les paroles du souverain 
Çakra. Le Buddha lui dit à son tour : « Le souverain 
Cakra et tous les devas sont-ils tranquilles et heureux ? » 
Pañacçikha reprit : « O Honoré du monde, le souverain 
Çakra et les trente-trois devas (les devas trayastrimças) 
désirent voir le Buddha ; les autorisez-vous à venir en 
votre présence ? » Le Buddha dit : « C’est exactement le 
moment pour cela ». 

Quand le souverain Cakra et les trente-trois devas eurent 
entendu l’ordre que leur donnait le Buddha, ils se ren- 
dirent auprès de celui-ci, adorèrent en se prosternant les 
pieds du Buddha et se tinrent debout rangés de côté, puis 
ils dirent au Buddha : « Honoré du monde, en quel lieu 
nous assiérons-nous. » Le Buddha répondit : « Asseyez- 
vous sur ces sièges. — Mais, dirent-ils, cette caverne 
est fort petite et la foule des devas est extrêmement nom- 
breuse. » À peine eurent-ils prononcé ces paroles qu'ils 
virent la caverne de pierre s’agrandir, et, par la puissance 
redoutable du Buddha, devenir capable de contenir un 
grand nombre de personnes. 

Le souverain Cakra,ayant adoré les pieds duBuddha, s'as- 
sit en avant, puis il ditau Buddha : « Pendant longtemps(1) 


(1) Le chinois 1£ traduit littéralement l'expression « dirgharâtram » 


58 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 





j'ai désiré voir le Buddha, car je souhaitais entendre la Loi. 
Auparavant déjà, lorsque le Buddha était dans le royaume 
de Chü-wei (Grâvasti) et était entré dans le samadhi de 
l'éclat de feu, il y eut une servante de P'i-cha-men (Vaiçra- 
mana) nommée Pou-chü-pa-Fi (Bhujavati) (1), qui était 
tournée les mains jointes vers le Buddha. Je dis alors à 
cette servante de P’i-cha-men (Vaiçramana) : » Le Buddha 
est maintenant en contemplation ; je n’ose pas le déranger. 
Adorez de ma part les pieds de l’'Honoré du monde et 
dites-lui que je lui demande de ses nouvelles. » Cette 
fille, répétant mes paroles, vous adora et demanda de vos 
nouvelles. » 

Le Buddha dit au souverain Çakra : « En ce temps, j’en- 
tendis le son de vos voix, et, peu detemps après, je sortis 
de contemplation. » 

Le souverain Çakra dit au Buddha : « D'après ce que j'ai 
entendu dire à des personnes expérimentées (2), lorsque 
le Tathâgata, l’Arhat, le Samyaksambuddha apparaît dans 
le monde, la foule des devas augmente et celle des asuras 
diminue.Or aujourd’hui quelqu'un qui m'est apparenté est 
né comme deva; la foule des devas s’est augmentée et celle 
des asuras a diminué. J’ai vu maintenant que les disciples 
du Buddha qui ont obtenu de naitre en qualité de deva l’em- 
portent en trois choses sur Jes autres devas : leur longévité 
est supérieure, leur éclat est supérieur, leur nom est supé- 
rieur. Voici maintenant en effet qu’une fille des Càkyas Xiu- 


«longue nuit »; mais cette expression signifie simplement « depuis long- 
temps ». 

(1) Fh. traduit ce nom par 4} He « beaux bras »; cette traduction ga- 
rantit la restitution sanscrite Bhujavati pour Pou-chü-pa-Fi et nous 
permet de reconnaître la même lecture sous les variantes des manus- 
crits du Dn. (Bhuñjati, Bhujati). Mg. donne la leçon #E FE] JS (sanscrit 
Bhamjana) qui paraît provenir d'une graphie altérée. Dg. ne donne pas 
le nom de la jeune fille et substitue Virüdhaka FE #Ë #fj à Vaicramana. 

(2) D'après Dg., il s’agit des devas qui avaient de l'expérience au temps 
où (akra n'était encore qu'un petit personnage. 






TSA PAO TSANG KING (N° 407) 59 


p'i-ye (Gopikà) (1) est née parmi les devas trayastrimças ; 
elle avait été auparavant disciple du Buddha ; elle est de- 
venue le fils de moi, le souverain Cakra, et son nom est le 
devaputra Æ’iu-ho (Gopà). D'autre part, ily a trois bhiksus, 
qui, en présence du Buddha, avaient tenu la conduite brah- 
mique; mais leur cœur ne s'était pas affranchi des désirs ; 
aussi, lorsque leur corps s’était détruit et que leur vie 
avait pris fin, étaient-ils nés chez les Gandharvas, et, 
chaque jour aux trois moments de la journée, étaient-ils 
chargés de servir les devas. Quand le devaputra AX'iu-ho 
(Gopà) vit ces trois hommes qui remplissaient l'office de 
serviteurs, il dit : « Je m'afflige de voir cela et je ne puis 
le supporter. Autrefois, lorsque j'étais dans la condition 
humaine, ces trois hommes venaient constamment chez moi 
et recevaient mes offrandes. Or maintenant, ils sont les 
serviteurs des devas ; c’est un spectacle que je ne saurais 


. voir. Ces trois hommes étaient primitivement des disci- 


ples entendant la voix (çrâvaka) du Buddha ; lorsque j'étais 
dans la condition humaine, ils recevaient de moi des hom- 
mages, des offrandes, de la nourriture, des vêtements. 
Maintenant, ils sont tombés dans une situation humble. » 

« Vous avez entendu {leur dit-il), la Loi de la bouche du 
Buddha et le Buddha lui-même vous a donné des explica- 
tions. Comment se fait-il que vous soyez nés dans cette 
condition vile ? Autrefois je vous vénérais et je vous fai- 
sais des offrandes. Or,le Buddha m'a fait entendre la Loi 
et m'a appris à pratiquer la Jibéralité; j'ai cru à la doctrine 
des causes ; c'est pourquoi maintenant je suis devenu le 


(2, La leçon FF x de Tp. est certainement fautive et il faut lire & 
Àx, garanti par les versions chinoises et confirmé par le pali. Le nom 
de la fille est écrit Æ H£ JP dans Tp., EE #k& dans Dge., HE HE dans 
Mg., et enfin ilest traduit par 3% fj dans Fh. ; cette dernière leçon se 
fonde vraisemblablement sur une étymologie pédantesque de Gopi ou 
Gopikà (la bergère) interprété par un des sens secondaires du verbe 
gup = cacher. 


60 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


fils du souverain Çakra; j'ai une grande vertu redoutable; 
je possède la force et l'indépendance (içvara); les devas 
me donnent tous le nom de X'iu-ho (Gopà). Vous qui avez 
reçu la Loi triomphante du Buddha, commentse fait-il que 
vous n'avez pas pu vous appliquer de tout votre cœur à 
pratiquer la bonne conduite et que vous soyez nés dans 
cette condition inférieure ? Je ne puis supporter de voir un 
spectacle si fâcheux ; une telle chose, j'ai du déplaisir à la 
voir. Comment se fait-il que, participant à la même Loi 
que moi, vous soyez nés dans cette situation vile qui est 
indigne de disciples du Buddha? Quand le devaputra 
K'iu-ho leur eutadressé ces réprimandes, ces trois hommes 
furent pénétrés de confusion ; ils conçcurent des senti- 
ments de dégoût pour le mal, et, joignant les mains, ils 
dirent à A’iu-ho (Gopà) : « S'il en est comme vous venez 
de le dire, à devaputra, c’est en vérité par notre faute. 
Maintenant, il nous faut supprimer entièrement cette per- 





versité de nos désirs, nous appliquer de toutes nos forces 
à progresser dans l'excellence (virya) et pratiquer la fixité 
(samädhi) et la sagesse (prajñà). » Ces trois hommes con- 
centrèrent donc leur pensée dans la Loi de KXiu-lan 
(Gautama); ils aperçurentles maux passés causés par leurs 
désirs et ils s’affranchirent aussitôt des liens du désir ; 
tout comme un grand éléphant qui se libère de ses en- 
traves, ils rompirent avec leurs désirs sensuels (1). » 
Cependant le souverain Cakra, accompagné du deva 
Yi-chang-na (Içàna), ainsi que de la foule des autres devas 
et des quatres devaràäjas gardiens du monde (lokapâla), 
étaienttous venus s'asseoir sur les sièges (qui leur avaient 
été indiqués). Or les trois qui s'étaient affranchis des dé- 
sirs, S'élevèrent dans les airs en présence de tous les devas. 
Le souverain Cakra dit au Buddha : « Quelle Loi ont 
obtenue ces trois pour être capables d'accomplir ces mi- 


(1) Ici finissent les paroles de Çakra. 





TSA PAÔ TSANG KING (N° 407) 61 


racles de toutes sortes et pour venir voir l'Honoré du 
monde ; je souhaite vous demander ce qu'ils ont obtenu. 
Le Buddha répondit : « Ces trois, après avoir quitté ce 
monde, ont obtenu de naître dans le monde brah- 
mique. » 

(Çakra :) « Je voudrais que l’'Honoré du monde m’expli- 
quât la Loi qui les à fait naître dans le monde brah- 
mique. » 

(Le Buddha :) « Très bien, sage souverain Cakra. Je 
résoudrai le doute que soulève votre question. » 

Le Buddha fit alors cette réflexion : « Le souverain Cakra 
ne cherche pas à me tromper ; c’est en toute sincérité qu'il 
m'interroge sur ce qui le plonge dans le doute ; il n’a pas 
l'intention de me mettre dans l'embarras. Je lui donnerai 
donc des explications. » 

Le souverain Cakra demanda au Buddha : «Quels sont 
les liens (samyojana) qui peuvent entraver les hommes, 
les devas, les nâgas, les yaksas, les gandharvas, les asu- 
ras, les garudas, les mahoragas ? » 

Le Buddha lui répondit : « L'égoïsme (mâtsarya) et la 
jalousie (irsyà) sont les deux liens qui entravent les. 
hommes, les devas, les asuras, les gandharvas et les 
autres. D'une manière générale, les êtres de toutes sortes 
se lient eux-mêmes par l’égoïsme et par la jalousie (1) ». 

(Gakra :) « Cela est vrai, à deva entre les devas; les 
causes qui sont l’égoiïsme et la jalousie peuvent entraver 
tous les êtres ; maintenant que j'ai entendu de la bouche 
du Buddha cette explication, le filet du doute est enlevé et 
j'en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une 
autre explication : pourquoi naissent l’égoisme et la jalou- 
sie ? Pour quelle raison et pour quelle cause peut-on con- 
cevoir l’égoisme et la jalousie ? Par quelle cause naissent- 
ils ? Par quelle cause disparaissent-ils? » 


(1) Ce passage sur les liens se retrouve cité d'après les questions 
d'Indra (Cakrapraçna) dans le Mahävastu (éd. Senart, t. 1, p. 350). 


62 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


(Le Buddha :) « O Æiao-che-kia (Kauçika) (1), c’est du dé- 
plaisir (apriya) et du plaisir (priya) que naissent l’égoisme 
et la jalousie. Le déplaisir et le plaisir, sont les causes. 
Quand il ya déplaisir etplaisir, certainement il y a égoïsme 
et jalousie; quand il n’y a ni déplaisir ni plaisir, l’égoiïsme 
et la jalousie sont abolis. » 

(Gakra) : « Il en est bien ainsi, 6 deva entre les devas ; 
maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette 
explication, le filet du doute est enlevé et j’en conçois une 
joie profonde. Je demanderai encore une autre explication: 
Par quelle cause se produisent le plaisir et le déplaisir ? 
Par quelle cause sont-ils abolis ? » 

(Le Buddha) répondit : «Le plaisir et déplaisir naissent 
de l'appétit (Chanda) ; quand il n’y a pas d’appétit, l’un et 
l’autre sont abolis ». 

(Cakra) : « Il en est ainsi, Ô deva entre les devas. Mainte- 
nant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli- 
cation digne de foi, le filet du doute est enlevé et j’en 
conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre 
explication: par quelle cause naît l'appétit? par quelle 
cause augmente-t-il ? Comment peut-on le détruire? » 

Le Buddha dit: « L’appétit naît du raisonnement dis- 
cursif (vitarka) (2) : c’est par le raisonnement discursif qu'il 
augmente ; quand il ya raisonnement discursif, il y a appé- 
tit; quand il n'ya pas de raisonnement discursif, l'appétit 
est aboli. » 

(Gakra) : « Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. 
Maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette 
explication, le filet du doute estenlevé et j'en conçois une 
joie profonde. Je demanderai encore une autre explica- 
tion : d'où naîtle raisonnement discursif? par quelle cause 
est-il augmenté ? Comment peut-on l’abolir ? » 


(1) KauGika est un des noms de Çakra. 
eTo. SE fi; Me 5; De. M; Ph. ÉE aÿ. 















TSA PAO TSANG KING (N° 407) 63 


(Le Buddha) : « Le raisonnement discursif naît du jeu 
des combinaisons (prapañca) (1); c’est par le jeu des com- 
binaisons, qu’il augmente ; s’il n’y a pas de jeu des combi- 
naisons le raisonnement discursif est aboli. » 

(Cakra): « Il en est bien ainsi,6 deva entre les devas.Main- 
tenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli- 
cation, le filet du doute est enlevé et j'en conçois une 
joie profonde. Je demanderai encore une autre explica- 
tion : Pourquoi naît et augmente le jeu des combinaisons ? 
Comment détruit-on le jeu des combinaisons ? » 

Le Buddha dit à X1ao-che-kia (Kauçika) : « Si on désire 
détruire le jeu des combinaisons, il faut pratiquer le che- 
min correct avec ses huit branches {astängika mârga) qui 
sont : vue correcte (samyagdrsti), action correcte (samyak- 
karmânta), parole correcte, (samyagväk), vie correcte 
(samyaksamkalpa), moyens d'existence corrects (samya- 
gâjiva), application d'esprit correcte (samyagvyäyäma), 
mémoire correcte (samyaksmrti)}, méditation correcte 
(samyaksamädhi). » 

Quand le souverain Gakra eut entendu cela, il dit au 
Buddha: « Il en est bien ainsi, Ô deva entre les devas; c’est 
réellement par le chemin correct à huit branches que le 
jeu des combinaisons est anéanti. Maintenant que j'ai 
obtenu de la bouche du Buddha cette explication, le filet 
du doute est enlevé, et moi le souverain Cakra, je suis 
joyeux. Je demanderai encore une autre explication : si 
on veut abolir le jeu des combinaisons, c'est en pouvant 
pratiquer le chemin correct à huit branches. Le chemin 
correct à huit branches, par quel moyen derechef les 
bkiksus pourront-ils l’augmenter? » 

Le Buddha dit: «Il ya pour cela trois moyens: le pre- 
mier est le vouloir ; le second est l'application correcte; Le 
troisième est la maîtrise du cœur par la pratique constante». 


(1) Tp. et De. 5 5 Me. É& SE ; Fh. J£ Œ «l'illusion ». 


64 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


Le souverain Cakra dit: « Il en est bien ainsi, Ô deva 
entre les devas. Maintenant que j'ai entendu cette 
explication, le filet du doute est enlevé; la mesure dans 
laquelle les bhiksus peuvent pratiquer le chemin correct à 
huit branches, c’est en vérité par ces trois moyens qu’on 
l’augmente. Maintenant que j'ai entendu cela, je m'en 






réjouis. » 
Le souverain Cakra demanda encore: « Si les bhiksus | 
veulent détruire le jeu des combinaisons, quels procédés | 
doivent-ils étudier ? » | 
Le Buddha dit: «Il leur faut étudier trois procédés : ils 
doivent étudier comment on augmente et on porte au 
plus haut degré le cœur qui obéit aux défenses; ils doi- 
vent étudier comment on augmente et on porte au plus 
haut degré le cœur quise livre à la méditation ; ils doivent 
étudier comment on augmente et on porte au plus haut 
degré le cœur qui est plein de sagesse. » 
Onand Gakra eut entendu cette réponse, il dit: « Il en 
est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que j'ai 
entendu cette explication, le filet du doute a pu être 
enlevé et j'ai des transports de joie. Je demanderai encore 
une autre explication: si on veut abolir le jeu des com- 
binaisons, quelles sont les choses (artha) qu'il faut expli- 
quer (1)? J'écoute. » 
Le Buddha dit: «Il faut expliquer six choses: la pre- 
mière est l'œil qui percoit les couleurs ; la seconde est 
l'oreille qui percoit les sons; la troisième est le nez qui 
percoit les parfums ; la quatrième est la langue qui perçoit 
les saveurs ; la cinquième est le corps qui perçoit le doux 
et le poli; la sixième est la pensée qui perçoit toutes.les 
lois. » | 
Quand le souverain Cakra eut entendu cette réponse il 
dit: «Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Mainte- 


(1) Quelles sont les choses dont il importe d'expliquer l'usage parce 
qu'elles comportent un usage bon et un usage mauvais. 


TSA PAO TSANG KING (N° 407) 65 





nant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute a 
pu être enlevé et j'en ai des transports de joie. Je deman- 
derai encore une autre explication : tous les êtres vivants 
ont-ils même égoïsme (mâtsarya), même appétit violent 
(éhanda), même orientation et même visée (adhyavasana) ? » 

Le Buddha dit: « O souverain Cakra, tous les êtres vi- 
vants n'ont pas même égoiïsme, même appétit violent, 
même orientation et même visée. Parmi le nombre illimité 
des êtres vivants et dans le nombre illimité des mondes, 
l'égoiïsme (mâtsarya), l’appétit violent (chanda), l’orien- 
tation et la visée (adhyavasana), diffèrent fort et ne sont 
pas identiques. Chacun se tient à son opinion, » 

Quand le souverain Cakra eut entendu cela, il dit: « Il 
en est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que 
j'ai entendu cette explication, le filet du doute a pu être 
enlevé et j'en ai des transports de joie. Je demanderai 
encore une explication: tous les çramanas et les brah- 
manes obtiennent-ils entièrement l’absolu achèvement 
(nisthâ), l’absolue absence de souillure (yogaksema), 
l’absolue conduite brahmique définitive (brahmacaryâ) ? » 

Le Buddha dit: « Tous les çramanas et les brahmanes 
ne peuvent pas entièrement obtenir l'absolu achèvement, 
l’absolue absence de souillure et l’absolue conduite brah- 
mique définitive. Il y a des cramanas et des brahmanes 
qui sont parvenus à la délivrance sans supérieure qui 
abolit les liens de la concupiscence ; ceux-là seuls qui 
auront ainsi obtenu cette parfaite délivrance obtiendront 
entièrement l'absolu achèvement, l’absolue absence de 
souillure et l’absolue conduite brahmique définitive. » 

(Çakra): « Il en est comme le Buddha vient de le dire ; 
ceux qui ont pu obtenir la parfaite délivrance, délivrance 
sans supérieure qui abolit les liens de lamour, ceux-là 
seuls obtiendront entièrement l'absolu achèvement, l’ab- 
solue absence de souillure et labsolue conduite brahmique 
définitive. Maintenant que j'ai entendu de la bouche du 

LEE 5 


66 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


Buddha cette explication, j'ai obtenu cette Loi, j'ai obtenu 
de franchir les doutes et d'atteindre à l’autre rive, j'ai 
obtenu d'arracher les flèches empoisonnées des vues héré- 
tiques ; ayant obtenu d'enlever mes opinions personnelles, 
mon cœur ne reviendra plus en arrière. » 

Au moment où ce texte saint fut prononcé, le souverain 
Gakra et les quatre-vingt mille devas s’éloignèrent de la 
poussière, s’affranchirent de la souillure et obtinrent la 
pureté de l’œil de la Loi. 

Le Buddha dit: « O ÆXiao-che-kia (Kaucçika), précédem- 
ment déjà avez-vous posé ces mêmes questions à des cra- 
manas et à des brahmanes ? » 

(Gakra) : « O Honoré du monde, je me souviens qu’au- 
trefois, et aussi en compagnie de tous les devas, nous nous 
étions rassemblés dans une salle de l'excellente Loï ; je 
demandai aux devas si un Buddha était apparu dans ce 
monde ou non; tous me dirent qu'aucun Buddha n’était 
encore apparu. Les devas, apprenant qu'un Buddha n'était 
point encore apparu, se dispersèrent ; or, quand ces devas 
doués d’une grande vertu redoutable, eurent terminé leur 
part de bonheur, leur vie prit fin. Je fus alors saisi de 
crainte. Cependant je vis que des cramanas et des brah- 
manes se tenaient dans un lieu retiré et calme; je me 
rendis auprès d'eux; ces Çramanas et ces brahmanes me 
demandèrent qui j'étais; je leur répondis que j'étais 
le souverain Cakra. Je ne leur rendis point hommage 
et ce fut eux au contraire qui me rendirent hommage ; 
je ne les interrogeai point mais ce fut eux qui m'interro- 
gèrent. Connaissant ainsi qu'ils étaient dépourvus 
.de sagesse, je ne pris point en eux mon refuge et 
mon appui. Maintenant je viens de là pour prendre dans 
le Buddha mon refuge et mon appui et être disciple du 
Buddha. » Il prononca alors ces gâthâs (1): 


(1) Ces stances sont rappelées dans une citation expresse du Sûtrâlam- 
kara (trad. Huber, p. 231). Mais la forme qu'en donne le traducteur 





EN, UT PS 








Led 


F SES AR CAES re 


TSA PAO TSANG KING (N° 407) 67 


Auparavant je nourrissais des doules ; — mes pensées 
n'alleignaient pas leur plénitude. — Depuis longtemps 
j'appelais de mes vœux un sage — qui pût m'expliquer ces 
questions douteuses. 

Je m'efforçais de chercher le Tathâgata.—J'aperçus dans 
un lieu retiré et calme — des cramanas et des brahmanes 
— el je pensai que là était l'Honoré du monde. 

Je me rendis donc auprès d'eux ; — je les adorat et leur 
demandai de leurs nouvelles ; — puis je leur posai la ques- 
lion suivante: — Comment pratique-t-on le chemin cor- 
rect? 

Or ces çramanas — ne surent pas m'expliquer ce qui 
était le chemin et ce qui n'était pas le chemin. — Mainte- 
nant j'ai vu l’Honoré du monde — et les filets de mes doules 
ont tous élé rompus. 

Aujourd'hut il y a donc un Buddha, — l'Honoré du 
monde, le grand maître de la Roue, — celui qui détruit el 
qui soumel les haines de Mâra, — celui qui est le suprême 
vainqueur de tous les lourments. 

L'Honoré du monde est apparu dans le monde ; — il est 
un être rare et nul ne l’égale ; — parmi tous les devas et les 
démons, — il n'est personne qui vaille le Buddha. 

O Honoré du monde, puissé-je obtenir de devenir sro- 
tâpanna ; à Bhagavat, puissé-je obtenir de devenir sro- 
tâpanna. » 

L'Honoré du monde lui répondit : «Très bien, très bien ; 
à Kiao-che-kia (Kaucika), si vous êtes sans négligence, 
vous obtiendrez d’être srotâäpanna. » 

Le Buddha dit au souverain Cakra: « En quel endroit 
avez-vous acquis cette foi indestructible ? » 

Gakra répondit: « C’est en ce lieu même, à côté de 
l’'Honoré du monde que je l'ai acquise. En outre, c’est ici 
que j'avais obtenu une longue vie de deva; mais je sou- 


Kumäârajiva, sinon l’auteur lui-même Acvaghosa, ne correspond en fait 
à aucune de nos quatre recensions chinoises ni au Digha-nikâya pâli. 


68 TSA PAO TSANG KING (N° 407) 


haitais l'intelligence complète. Telle est la chose que con- 
serve ma mémoire (1). » 

Le souverain Cakra dit: « O Honoré du monde, voici 
la pensée que je conçois: puissé-je naître parmi les 


hommes, dans une condition haute et honorée, et ayant 


toutes choses en abondance. Alors, dans cette situation, je 
renoncerai au monde et j'entrerai en religion ; je me diri- 
gerai dans la voie de la sainteté ; sije parviensau nirvâna, 
ce sera pour le mieux; si je n’y parviens pas, puissé-je 
naitre parmi les devas de la résidence pure (çuddhà- 
vâsa) (2). » 

Alors le souverain Cakra, ayant réuni tous les devas, 
leur tint ce langage : « Aux trois moments de la journée, 
je faisais des offrandes au deva Brahma; mais, doréna- 
vant, je cesserai d'agir ainsi, et, aux trois moments de la 
journée, je ferai des offrandes à l’'Honoré du monde. » 

Puis le souverain Cakra dit au prince des Gandharvas 
Pañcacikha : « Présentement, vous m’avez rendu un bien- 
fait très considérable, car vous avez pu éveiller le Buddha, 
l’Honoré du monde, et vous avez fait ainsi que j'ai pu le 
voir et entendre la Loi profonde. Je vais retourner en 
haut parmi les devas, et je vous donnerai pour épouse la 
sage Steou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarétasi), fille de Tchen- 
feou-leou (Tamburu), en outre, je vous chargerai de 
prendre la place de son père et d’être roi des Gandharvas. » 

Alors le souverain Cakra, à la tête de tous les devas, 


(1) La rédaction de Tp. est ici fort abrégée comme l’attestent les autres 
rédactions. En réalité, le Buddha demande à Çakra s'il a jamais éprouvé 
joie pareille à celle d'aujourd'hui. Çakra répond qu'il a autrefois, lors 
d'une bataille entre les devas et les asuras, souhaité la victoire des devas, 
et, comme les asuras ont effectivement été battus, il en a conçu une 
grande joie. Mais cette joie dont il a gardé‘ le souvenir n’est pas compa- 
rable à celle qu'il a éprouvée aujourd'hui, car elle ne comportait pas l'in- 
telligence totale. : 


(2) Les dieux cuddhâävâäsas formentla catégorie la plus élevée des mondes. 


du Rüpabrahma (Brahma formel ;le pàli nomme à leur place les Akanisthas. 
(Fh. fi 2 5) qui sont la classe la plus haute des Çuddhävâsas. 











LR 


TSA PAO TSANG KING (N° 407) 69 


tourna par trois fois autour du Buddha et se retira pour 
partir. Quand il fut arrivé avec ses compagnons dans un 
endroit pur, tous prononcèrent par trois fois les mots : 
«Namo Buddhâya! » Puis ils retournèrent en haut parmiles 
devas. | | 

Peu de temps après le départ du souverain Gakra, le roi 
des devas Brahma, concut cette pensée : « Le souverain 
Cakra est parti. Je me rendrai maintenant auprès du 
Buddha. » Dans le temps qu'il faut à un homme fort pour 
étendre le bras, il arriva près du Buddha; après avoir 
adoré les pieds du Buddha, il s’assit de côté ; l'éclat du 
deva Brahma ïlluminait toute la montagne P'i-Pi-hi 
(Vediyaka). Alors le deva Brahma prononca ces gâthäs : 


Pour le bénéfice d'un grand nombre — il a fait se mani- 
[ester ces explications, — Catipati (1), — Maghavan (2) ; — 
les sages élant rangés au cercle autour de lui, — il a pu 
poser des questions, — Väsava (3). 


Il répéta les mêmes questions qu'avait faites Le souve- 
rain Cakra, puis il retourna en haut parmi les devas. 

Lorsque le matin fut venu, le Buddha dit aux bhiksus : 
«Le roi des devas, Brahma, est venu hier auprès de moi 
et a prononcé les gâthàs précitées, puis il est retourné en 
haut parmi les devas. » Quand le Buddha eut ainsi parlé, 
tous les bhiksus furent pleins de joie ; ils adorèrent les 
pieds du Buddha, puis se retirérent. 


CAL DIN TO D er Ne) 


Le Buddha, se trouvant à Râjagrha explique la Loi et assure 
ainsi le salut de Kaundinya, de Çakra Devendra et du roi Bim- 
bisâra ; en même temps qu'eux, les quatre-vingt-quatre mille 


(1) Ce nom d’Indra signifie « époux de Gaëi ». 
(2) Nom d'Indra. 
(3) Nom d’Indra. 


70 TSA PAO TSANG KING 





personnes qui composent la suite de chacun de ces trois person- 
nages, obtiennent la sagesse. Pour expliquer ce merveilleux ré- 
sultat, le Buddha raconte un avadâna : Autrefois de nombreux 
marchands s'étaient vus entourés par un serpent monstrueux 
qui ne leur laissait aucun moyen d'échapper. Pour les délivrer, 
un lion monte sur un éléphant blanc et attaque le serpent dont 
il brise le crâne ; mais le lion et l'éléphant meurent tous deux 
pour avoir été atleints par l’haleine empoisonnée du serpent. 
Avant de mourir, le lion souhaite devenir Buddha pour sauver 
tous les hommes ; les marchands à leur tour souhaitent d’être 
ceux qui assisteront à la première assemblée tenue par ce Bud- 
dha futur. Le lion, c’est le Buddha ; l'éléphant blanc, c’est Çàri- 
putra ; les chefs des marchands ne sont autres que Kaundinya, 
Cakra Devendra et le roi Bimbisâra ; les marchands sont les 
devas et les hommes qui ont présentement obtenu la sagesse, 


CERIDE XIN AO De 270) 


Le Buddha se trouvait dans le jardin des Çâkyas ; il y avait 
alors dans la ville de Tch'ü-l’eou (char-tête) un homme de la race 
des Çâkyas, nommé Tch'a-mo, qui avait une fois absolue dans 
les trois Refuges et dans les quatre vérités saintes ; comme il 
souffrait d'une maladie des yeux, il invoqua, pour être guéri, 
l’'Honoré du monde. Celui-ci prononça en sa faveur le sûtra de 
la vue nette ({sing yen sieou to lo, cuddhanetra sûtra?) et chargea 
Ânanda de se servir de la formule magique contenue dans ce 
sûtra pour rendre nette la vue de Tch'a-mo. Par la suite, dans 
tous les cas de maladie d’yeux, on n'eut plus qu’à employer 
celte formule magique en remplaçant le nom de 7ch'a-mo par 
celui de la personne qu'on voulait guérir. 


LREDSXIN 410 pe 28/1) 


Discours du Buddha sur les sept libéralilés qui peuvent être 
pratiquées sans avoir à faire aucune dépense. La première est la 





ES EN NO 


TSA PAC TSANG KING 7 


libéralité de la bonne vue par laquelle un homme regarde avec 
bienveillance son père et sa mère, ses maîtres et ses aînés, les 
cramanas et les brahmanes; la seconde est la libéralité de l’air 
avenant qui consiste à avoir l’air avenant envers ces mêmes per- 
sonnes ; la troisième est la libéralité du langage aimable ; la qua- 
trième est la libéralité des attitudes prévenantes ; la cinquième 
est la libéralité des sentiments généreux ; la sixième est la libé- 
ralité qui consiste à offrir des lits et des sièges pour s'asseoir ; 
la septième est la libéralité qui consiste à laisser libre accès dans 
la maison où on habite. Celui qui pratique ces sept libéralités 
reçoit, d'existence en existence, des récompenses appropriées. 


CFD AIN AC prre RS) 


Autrefois vivait le roi Xia-pou qui commandait aux quatre- 
vingt-quatre mille royaumes du Jambudvipa; quoique ce roi eût 
vingt mille épouses, aucun fils ne lui était né; enfin sa principale 
épouse mit au jour un fils qu’on nomma Tehan-l'an (Candana). 
Tchan-Pan devint un roi cakravartin et commanda aux quatre 
parties du monde. Mais ensuite il embrassa la vie religieuse et 
devint Buddha. Dans ce royaume il y eut une sécheresse prolon- 
gée ; pour la conjurer, les habitants prirent un grand bassin en 
or qu'ils remplirent d’eau parfumée ; puis ils invitèrent le Ta- 
thâgata et l'aspergèrent avec cette eau. Ils recueillirent ce qui 
restait de cette eau dans quatre-vingt-quatre mille flacons qu'ils 
répartirent entre les quatre-vingt-quatre mille royaumes, et, pour 
chacun d'eux, on éleva un stûpa. À cause de cette bonne œuvre, 
des pluies abondantes survinrent et le pays devint très prospère. 
Un homme, ayant répandu une poignée de fleurs sur un de ces 
stûpas, oblint une excellente récompense, car c’est lui qui au- 
jourd’hui est devenu le Buddha ; de même, tous ceux qui avaient 
répandu de l’eau parfumée sur le Tathâgata T'chan-Fan et qui 
ont élevé des stüpas à cause de cette eau, devront tôt ou tard 
devenir des Buddhas. Il ne faut donc négliger aucune bonne 
œuvre, quelque minime qu’elle paraisse. 


72 TSA PAO TSANG KING (N° 4053) 


N° 408. 
(Trip., XIV, 10, pp. 28 v°-29 r°.) 


Autrefois, dans là ville de Chü-wei (Grâvasti), il y 
avait un notable extrêmement riche qui possédait des 
trésors illimités ; constamment, à tour de rôle, il invitait 
des çramanas à venir chez lui pour leur faire des offran- 
des ; en ce temps, dans la série des religieux, ce fut le 
tour de Chü-li-fou (Câriputra), qui, en compagnie d’un 
Mo-ho-lo (Mahalla) (1), se rendit chez le notable. Quand 
celui-ci le vit, il en fut très joyeux. Précisément en ce 
jour, des négociants (qui étaient à son service) revinrent 
sainset saufs d’un voyage maritime en rapportant quantité 
de denrées précieuses ; en ce moment aussi, le roi de ce 
royaume attribua des villages en apanage à ce notable ; 
enfin la femme de ce dernier, qui était enceinte, mit au 
monde un fils. Tous ces événements heureux se produi- 
sirent en même temps. Quand Chôü-li-fou (Càriputra) et 
son compagnon furent entrés chez le notable, ils recurent 
ses offrandes ; puis, lorsqu'ils eurent fini de manger, le 
notable fit passer l’eau et s’assit sur un petit banc qu'il 
plaça devant le vénérable. Chô-li-fou (Câriputra) prononça 
alors ce vœu : 

« Ce jour a été une époque excellente où vous avez reçu 
de bonnes récompenses ; des avantages et des événements 
heureux se sont produits pour vous simultanément ; vous 
avez eu des transports d’allégresse et votre cœur a été 
plein de joie; d’un cœur croyant vous avez conçu avec 
élan la pensée des dix forces ; que toujours à l'avenir il 
en soit de même qu'aujourd'hui. » 

Quand le notable eut entendu ce vœu, il en éprouva 


(1) Expression dédaigneuse qui désigne un vieux moine. 





TSA PAO TSANG KING (N° 408) 73 





un grand plaisir ; il fit alors don de deux pièces d’étoffe 
d'excellente qualité à Chü-li-fou (Câriputra) ; mais il 
ne donna rien au Mo-ho-lo. | 
De retour au temple, le Mo-ho-lo était tout déçu ; il se 
dit: « Si Chü-li-fou (Câriputra) a reçu aujourd’hui de tels 
présents, c'est à cause de son vœu qui a plu au notable. 
Il faut que je lui demande maintenant la formule de ce 
vœu. » Il alla donc demander à Chü-li-fou(Câriputra) de 
lui apprendre la formule du vœu qu’il avait prononcé 
naguère. Chü-li-fou l’avertit que ce vœu ne pouvait pas 
étre employé en toute occasion et qu'il y avait des cas où 
on pouvait s’en servir et d’autres où on ne devait pas 
s’en servir. Sur les instances du Mo-ho-lo qui suppliait que 
la formule du vœu lui fût apprise, Chü-li-fou (Câriputra) 
ne put résister à son désir et lui donna la formule. 
Quand le Mo-ho-lo eut recu cette formule, il lapprit 
aussitôt par cœur jusqu’à ce qu'il la sût couramment ; il 
eut alors cette pensée : « Au moment où mon tour sera 
venu d'être à la place d'honneur, je mettrai en usage cette 
formule. » Son tour étant donc venu, il se rendit chez le 
| notable et put être mis à la place d’honneur ; en ce 
| moment, les négociants du notable avaient perdu toutes 
| leurs richesses sur mer ; la femme du notable avait été 
impliquée dans une affaire judiciaire et en outre son fils 
était mort. Cependant le Mo-ho-lo prononça la formule 
d’auparavant : « Que toujours à l’avenir il en soit de 
même. » Quand le notable eut entendu cette phrase, il se 
mit en colère et, à grands coups de bâton, chassa le 
Mo-ho-lo hors de chez lui. 

Ayant été furieusement battu de la sorte, le Mo-ho-lo, 
tout chagrin, entra (par mégarde) dans un champ de lin 
qui appartenait au roi et se mit à fouler aux pieds le lin, 
en sorte que les tiges furent brisées. [rrité de le voir 
agir ainsi, le gardien du champ lui administra une volée 
de coups de fouet et l’accabla de peine et de honte. Après 


74 TSA PAO TSANG KING (N° 408) 


que le Mo-ho-lo eut été ainsi battu de nouveau, il demanda 
à celui qui l'avait frappé quelle faute il avait commise 
pour être battu. Le gardien lui expliqua qu'il avait foulé 
aux pieds le lin, puis il lui montra l'endroit où était le 
chemin. 

Quelques {1 plus loin, en suivant la route, le Mo-ho-lo 
rencontra un homme qui avait coupé du blé et qui l'avait 
entassé en meule. La coutume en ce pays était qu'un 
passant contournât une meule en la contournant par la 
droite ; on lui donnait alors à boire et à manger afin qu'il 
demandât l'abondance (aux dieux pour le propriétaire du 
blé) ; mais, s’il la contournait par la gauche, on estimait 
que cela portait malheur. Or le Ao-ho-lo contourna la 
meule en passant par la gauche (1) ; le propriétaire du blé 
s'irrita contre lui et, à son tour, lui donna des coups de 
bâton ; le Mo-ho-lo demanda quel péché il avait commis 
pour être ainsi battu sans raison ; le propriétaire du blé 
lui répondit: « Lorsque vous avez passé devant ma meule, 
pourquoi ne l’avez-vous pas contournée par la droite en 
prononçant le vœu : Qu'il vous en vienne beaucoup ! C’est 
parce que vous avez contrevenu à nos coutumes que je 
vous ai battu. » Il lui indiqua alors le chemin qu'il devait 
suivre. 

Un peu plus loin, le Mo-ho-lo rencontra un endroit où 
on enterrait un homme; il contourna le tumulus et la 
fosse comme il aurait dû le faire lorsqu'il s'agissait de la 
meule de blé et prononça ce vœu : « Qu'il vous en vienne 
beaucoup! qu'il vous en vienne beaucoup ! » Celui quime- 
nait le deuil, saisi de colère, lempoigna et le rossa, puis il 
lui dit : « Quand vous voyez un cas de mort, vous devez être 
ému de compassion et dire : Qu'à l'avenir il ne vous arrive 


(1) Précédemment, le Mo-ho-lo s'était vu battre parce qu'il avait quitté 
le droit chemin et avait été dans un champ de lin; maintenant, il a soin 
de rester dans le chemin, quoique cela lui fasse contourner la meule de 
blé par la gauche. 












TSA PAO TSANG KING (N° 408) 75 


jamais rien de semblable. Pourquoi avez-vous dit au con- 
traire: Qu'il vous en vienne beaucoup! » Le Mo-ho-lo 
répondit : « Dorénavant, je suivrai votre conseil. » 

A quelque distance de là, il rencontra un mariage, et, 
comme le lui avait enseigné celui qui suivait les funé- 
railles, il dit: « Qu'à l'avenir il ne vous arrive jamais rien 
de semblable. » Aussitôt les mariés, irrités de cette pa- 
role, lui infligèrent une correction qui lui rompit la tête. 

Il continua son chemin en marchant tout hagard à 
cause des coups qu'il avait recus. Il rencontra un homme 
qui cherchait à prendre des oies sauvages, et, dans sa 
terreur et son égarement, il se précipita dans ses filets et, 
dela sorte, effraya etfit partir ses oies sauvages. Le chasseur 
furieux se saisit de lui et le battit. Le Mo-ho-lo, souffrant 
cruellement des coups qu'il avait reçus, dit au chasseur : 
« En suivant le droit chemin, j'ai plusieurs fois recu des 
volées de coups; mon esprit s'est égaré, mes pas sont 
devenus titubants, et c’est ainsi que je me suis précipité 
dans vos filets ; veuillez me pardonner et me laisser aller 
plus loin. » Le chasseur lui répondit: « Vous êtes un rustre 
d'aller ainsi droit devant vous la tête haute (1). Pourquoi 
n'avancez-vous pas avec précaution en tâtant le terrain 
avec vos mains ? » 

Le Mo-ho-lo se remit en route, et, comme le lui avait 
conseillé le chasseur, il tâtait le terrain avec ses mains. Or, il 
rencontra en chemin un blanchisseur qui, en le voyant mar- 
cher à quatre pattes, crut qu’il voulait lui dérober ses vête- 
ments ; il l’empoigna donc etle battit derechef. Après avoir 
enduré des souffrances extrêmes, le Mo-ho-lo lui raconta 
tout ce que nous avons dit plus haut et put se faire relâcher. 
Quand il fut arrivé au Jetavana, il dit au bhiksus : « Pré- 


(1) Les mots Âf} ÂïË sont embarrassants : le second d'entre eux ne se 
trouve pas dans le dictionnaire de ÆX’ang-hi qui indique seulement 
l'expression Âf} 4 dans le sens de tromperie ». Je traduis d'après le 


sens que demanderait le contexte. 


76 TSA PAO TSANG KING (N° 408) 


cédemment, j'ai récité la formule de vœu que m'avait en- 
seignée Chü-li-fou(Çâriputra) et j'en ai éprouvé de grandes 
douleurs. » Il leur exposa comment il avait été battu, en 
sorte que sa peau et son corps étaient tout déchirés et 
qu'il avait failli en perdre la vie. Les bhiksus l’amenèrent 
alors auprès du Buddha à qui ils racontèrent comment cet 
homme avait été cruellement battu. 

Le Buddha dit: « Ce n’est pas seulement aujourd’hui 
que ce Mo-ho-lo à été ainsi prédestiné. Autrefois en effet, 
il y avait la fille d’un royaume qui était tombée malade. 
L’astrologue consulta les sorts à ce sujet et déclara qu’elle 
devait aller parmi les tombes pour se débarrasser de son 
mal. La princesse donc, avec sa suite, se rendit dans l’en- 
droit où étaient les tombes. Précisément alors il y avait 
sur la route deux marchands qui, en voyant la fille du rot 
et le redoutable cortège de ceux qui laccompagnaient, 
furent saisis de peur et se réfugièrent parmi les tombes. 
L'un d’eux fut pris par les gardes de la princesse qui lui 
coupèrent les oreilles et le nez. L'autre, extrêmement 
eilrayé, se coucha parmi les cadavres et feignit d'être mort. 
Or, la fille du roi, désirant se délivrer de son mal, voulut 
qu'on choisit un homme mort récemment, dont la peau ne 
serait pas encore en putréfaction ; elle désirait s'asseoir sur 
lui et se laver afin de se guérir de sa maladie (1). Les gens 
qu'elle envoya faire cette recherche rencontrèrent jus- 
tement ce marchand ; en le tâtant avec la main, ils s’aperçu- 
rent que son corps était encore flexible et pensèrent qu’il 
était mort récemment. (La princesse)se mit donc às’enduire 
avec de la poudre de moutarde et à se laver en se tenant 
sur le marchand. Les vapeurs âcres de la poudre de mou- 


1) La princesse devait s'asseoir toute nue sur le cadavre d’un homme 
mort: puis elle se laverait avec certaines drogues qui feraient passer la 
maladie de son corps dans celui du mort. Pour accomplir ce rite ma- 


gique, elle préférait naturellement que le cadavre ne füt pas encore en 


putréfaction. 











TSA PAO TSANG KING (N° 408) (ès 





tarde pénétrèrent dans le nez du marchand qui, malgré 
tous ses efforts pour se retenir, ne put s'empêcher d’éter- 
nuer violemment et se leva soudain. Les gens de l’escorte 
_ pensèrent qu ils avaient fait surgir un démon et, craignant 
 qu'ilne pt leur infliger toutes sortes de maléfices, ils fer- 
mèrent la porte (du cimetière) et se tinrent contre elle 
(pour qu'on ne pütla rouvrir). La princesse était dans 
une situation critique, car le marchand la tenait étroite- 
ment et ne la lâchait pas; le marchand lui dit la vérité et 
lui déclara qu'il n’était pas un démon. Alors la princesse, 
en compagnie du marchand, se rendit à la ville; elle 
appela le gardien de la porte et lui dit tout ce qui s’était 
passé ; quoique le roi son père entendit sa voix, il conser- 
vait quelques doutes ; accompagné de soldats en armes, il 
fit ouvrir la porte et alla voir ce qui en était ; il reconnut 
qu'il n'avait point affaire à un démon. Le roi dit alors: 
« Le corps nu d’une fille ne doit pas être vu deux fois. » 
Il donna sa filleen mariage au marchand qui fut tout joyeux 
et eut des félicités sans limites. 

Le Buddha dit: « Le marchand qui, en ce temps, obtint 
la fille du roi, c'est Chü-li-fou (Câriputra) ; celui à qui on 
coupa les oreilles et le nez, c'est le Ao-ho-lo.….. » 


CPR RENE LOoT Dh 290) 


Un marchand de l'Inde du Sud qui se connaissait bien en 
perles parcourt divers royaumes en présentant partout une perle 
dont personne ne sait discerner les qualités distinctives. Il ar- 
rive enfin dans le royaume de Crâvasti, mais ni le roi Prasenajit 
ni ses ministres ne peuvent répondre à ses questions. Il apporte 
alors la perle au Buddha. Celui-ci lui dit aussitôt : « Cette perle 
provient de la cervelle du poisson gigantesque Makara; le corps 
de ce poisson est long de cent quatre-vingt mille /?; cette perle 
se nomme solidité de diamant (vajrasära?); elle a plusieurs 


) 


vertus : en premier lieu, si elle est vue par un homme empoi- 


78 TSA PAO TSANG KING 


sonné ou si son éclat touche le corps de cet homme, le poison 
se dissipera ; en second lieu, la fièvre disparaîtra de la même ma- 
nière chez un homme fiévreux ; en troisième lieu un homme qui 
est entouré d'ennemis, s'il tient en mains cette perle, ne trouvera 
plus devant lui que des amis. Émerveillé de cette réponse, le 
marchand de perles entre en religion. Une scène analogue s'est 
passée autrefois : un ascète a su dire qu'une feuille d'arbre qu'on 
lui présentait se nommait « sommet d'or (suvarna çekhara ?) ; que 
les malades ou même les moribonds, s'ils s'asseyaient sous ce 
feuillage, guérissaient ; que, de même, le poison et la fièvre 
élaient dissipés par la vertu de ces feuilles. 





ÉTrID- XIV T0 p.20 1) 


Le Buddha s’est blessé au pied avec une épine de kta-l'o-lo 
(khadira, Acacia catechu) et aucun remède ne parvient à arrêter 
le sang qui coule de la plaie. Mais Che-li-kia-ye (Daçabala Kà- 
Gyapa) obtient immédiatement la guérison en prononçant cette 
parole véridique : « Sile Buddha Tathâgata a un cœur équitable 
envers tous les êtres vivants, s’il ne fait aucune différence entre 
Râhula et Devadatta, que le sang de son pied cesse de couler. » 
Il en a été de même autrefois : le fils d'un brahmane, désolé de 
voir que son père se refuse à observer rigoureusement la défense 
de tuer des êtres vivants, se rend au bord d’un étang habité par 
un nâga dont la vue seule suffit à tuer les hommes ; l'influence 
empoisonnée s'est déjà répandu dans son corps lorsque son père 
survient et le sauve en prononçant cette parole : « Si mon fils 
n'a jamais eu l'intention de faire du mal à aucun être, ce poison 
doit se dissiper. » 


(Trips, IN 10, p.50:1.) 


Le Tathägata se trouvant sous l'arbre de la Bodhi, le chef des 
démons Po-siun (Pâpiyän) (1) vient l’attaquer à la tête de huit 


(1) Evo. Huber a expliqué la transcription Po-siun Jk 4) par l'hypothèse 


fort vraisemblable que fj siun est le substitut fautif de #] p'o (Sutr- 
lamkära, p. 478). 





TSA PAO TSANG KING 79 





millions de démons ; Pâpiyân intime au Buddha l'ordre de s’en 
aller en le menaçant, s’il n'obéit pas, de le prendre par les pieds 
et de le jeter à la mer. Le Buddha lui répond qu'il est sans 
crainte, car les mérites passés de Pâpiyân sont loin de pouvoir 
contrebalancer ceux du Buddha. Pâpiyân demande au Buddha 
comment il pourra attester la véracité de ce qu'il vient de dire 
touchant leurs mérites passés respectifs. Le Buddha indique du 

doigt la terre en prenant celle-ci à témoin ; aussitôt de grands 
tremblements de terre se produisent et la divinité de la terre sort 
pour altester que le Buddha a dit vrai. Suit un avadâna qui n'est 
que la réplique décolorée de ce récit. 


CPrip:, XIV: 10:p: 90 rt) 


Le Tathâgata, se trouvant à Crâvasli, est las des offrandes 
avantageuses qu'on lui apporte ; il se retire dans un monastère 
de la forêt T'an-tchouang-yen (lobhâlamkäâra ?) ; le supérieur de 
ce monastère est un arhat nommé Na-yi-kia (nâyaka — direc- 
teur). Le lendemain, quantité de gens viennent apporter des vè- 
tements en offrande. Le Buddha les repousse et tient un discours 
pour montrer l'influence pernicieuse des offrandes qui ruinent 
la vie religieuse. [Il raconte ensuite un avadâna: autrefois dans 
le royaume de Kâci, il y avait un premier ministre nommé Ye- 
tch'a (Yaksa). Le fils de ce ministre, qui s'appelait Ye-ni-ta-lo 
(Yajñadatta), sort du monde pour se livrer à l’ascétisme ; mais 
les religieux au milieu desquels il se trouve se disputaient con- 
stamment entre eux pour avoir les meilleurs fruits et les meil- 
leures herbes ; Ye-ni-ta-lo les ramène au sentiment de leurs 
devoirs en se contentant toujours de la part Ja plus mauvaise, ce 
qui lui vaut d'acquérir les cinq pénétrations (abhijñâs). 


(Trips ANT 10 p;: 00 0) 


Un brigand va être mis à mort sur l’ordre du roi Prasenajit : 
en se rendant à l'endroit du supplice, il rencontre le Tathâgala 


80 ; TSA PAO TSANG KING 





et conçoil un sentiment de joie. À cause de cela il renaît dans la 
condition de deva. Il descend alors dans ce monde pour faire 
des offrandes au Buddha ; le Buddha lui ayant expliqué la Loi, 
il devient srotâäpanna. 


(Trip. XNI;10,D;30:ve,) 


Un criminel, à qui on a coupé les pieds et les mains, est 
gisant sur le bord du chemin ; le Buddha survient et ordonne à 
Ânanda de lui donner à manger ; le misérable en conçoit un sen- 
liment de joie, et c’est pourquoi, après sa mort, il renaît dans la 
condition de deva. Il redescend alors pour remercier le Buddha 
de son bienfait ; le Buddha lui explique la Loi et il devient srotà- 
panna. | 


CEribs ANT :10, D: 50 4) 


Un notable du royaume de Crâvasti aurait voulu se construire 
une habitation dans le Jetavana, mais il ne le peut pas parce que 
Sudatla a occupé tout le terrain et n’a laissé aucun espace libre. 
Le nolable alors s’installe à l’intérieur de la porte principale du 
Jetavana ; 1l prépare avec de l’eau pure, du miel et de la farime 
grillée une bouillie qu’il donne à tous les passanis ; au bout de 
quatre-vingt-dix jours, il arrive que le Buddha lui-même reçoit. 
de cette bouillie. A cause de cela, le notable, après sa mort, re- 
nait dans la condition de deva. Étant redescendu dans le monde, 
il écoute le Buddha expliquer la Loi et devient srotäpanna. 


CArip IN 10% pp: 60 V5 1.) 


Le roi Prasenajit et le notable Sudatta envoient un homme 
prier le Buddha de venir en char à Crâvasti. Le Buddha com- 
mence par déclarer qu'il n’a pas besoin de char puisqu'il peut se 
transporter par sa seule force surnaturelle ; désireux cependant 
d'assurer un mérite au messager, ilmonte dans le char que celui- 





“ 
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n 
4 
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à 


TSA PAO TSANG KING 81 


ci lui offre. Pour avoir présenté ce char au Buddha, le messager, 
après sa mort, renaît dans la condition de deva. Il redescend alors 
dans le monde, écoute le Buddha expliquer la Loi et devient 
srotäpanna. 


CÉPIDR RAIN HO D, 22 00) 


A l’imitation de Sudatta, le roi Prasenajit fait une quête dans 
son royaume afin d'engager les gens à donner des aumônes el à 
s'assurer ainsi des bonheurs futurs; un pauvre homme lui pré- 
sente une éloffe de laine qui est tout ce qu'il possède ; le roi la 
remet ensuite au Buddha. Après sa mort, le pauvre homme re- 
naît dans la condition de deva. Il redescend dans ce monde pour 
faire des offrandes au Buddha ; celui-ci lui ayant expliqué la Loi, 
il devient srotâäpanna. 


CPrID XX EN EE 07 pD; 6 118.) 


Dans le royaume de Cràvasti vivent deux frères ; l'aîné prati- 
que la religion bouddhique; le cadet sert Fou-lan-na (Püûrana) [1|. 
Le premier engage vainement le second à adopter sa croyance ; 
ne pouvant y parvenir, 1l se sépare de lui ; après sa mort, il re- 
naît dans la condition de deva. Il redescend dans le monde et 
devient srotâäpanna après que le Buddha lui a expliqué la Loi. 


(rip XIV TO DS re) 


Dans le royaume de Crâvasti, deux frères, qui vivaient en més- 
intelligence, se rendent chez le roi pour faire régler leur diffé- 
rend. Sur le chemin, ils rencontrent le Buddha qui leur explique 
la Loi et ils obtiennent la voie d’arhat. Leur père, informé de 
ce qui s'est passé, en conçoil une grande joie ; à cause de ce bon 
sentiment, il renaît après sa mort dans la condition de deva. Il 
retourne auprès du Buddha qui lui explique la Loi et il devient 
srotâäpanna. 


(1) Un des six maîtres Tirthikas. 
lle 6 


82 TSA PAO TSANG KING 


(Trip, XIV, 10, p. 31 re.) 


Un père a voulu que son fils entrâl en religion ; mais, au bout 
de peu de temps, ce fils, que le Buddha a chargé du balayage, se 
lasse de ce travail et déclare qu'il veut quitter la vie religieuse ; 
son père n'y cousent pas; il se chargera à la place de son fils 
de faire le balayage, mais 1l l'oblige à relourner au Jetavana 
vihâra ; quand le fils voit l'intérieur du monastère calme et pur, 
il conçoit un sentiment de joie et affirme que, dût-il en mou- 
rir, il reslera en religion et s’occupera du balayage. Après sa 
mort, il renaît dans la condition de deva. Il retourne alors auprès 
du Buddha et, celui-ci lui ayant expliqué la Loi, il devient sro- 
täpanna. 


CRPID.- SENS TO D SEX CL): 


Autrefois, sept cents ans après que le Buddha eut quitté le 
monde, apparut dans le royaume de X1-pin (Cachemir) l'arhat 
Tche-ye-lo. Dans ce royaume il y avait un méchant roi-nâga 
nommé A-li-na ; malgré toute leur puissance surnaturelle, deux 
mille arhats n’avaient pas réussi à le chasser ; T'che-ye-lo n’eut 
qu'à étendre trois fois le doigt en intimant au nâga l'ordre de 
sortir et le nâga partit aussitôt. Tche-ye-lo, accompagné de 
ses disciples, se rend ensuite dans l'Inde du Nord; en chemin, 
il rencontre un corbeau et sourit légèrement. Puis il atteint la 
ville de la Maison de pierre; en arrivant à la porte de la ville il 
s'altriste et change de couleur; après avoir mendié sa nour- 
riture dans la ville, il ressort par la porte el de nouveau il s'at- 
triste et change de couleur. [l'explique alors à ses disciples la rai- 
son des divers sentiments quise sonttrahissurson visage : quatre- 
vingl-onze kalpas après le nirväna du Buddha Vipacyin, il était 
lui-même un fils de notable qui désirait entrer en religion; son 


1) Ce conte et les trois suivants ont été intégralement traduits par Syl- 
vain Lévi qui en a bien montré l'importance historique (Journal Asiatique 
de nov.-déc. 1896, pp. 463-467). 








TSA PAO TSANG KING F3 


père el sa mère lui déclarent qu'ils ne l'y autoriseront qu'après 
qu'il se sera marié et aura eu un fils; il leur obéit, et, quand 


son fils sait parler, il demande de nouveau à sortir du monde : 


son père el sa mère suggèrent alors à leur petit-fils des pa- 
roles propres à relenir son père; celui-ci ne peut résister à ces 
supplicalions enfantines et renonce à son projet; aussi reste-l-il 
dans le samsâra des naissances et des morts. Aujourd'hui Tche- 
ye-lo a reconnu dans le corbeau qu'il a vu sur la roule l'enfant 
qui l’a empêché d'entrer en religion et c'est pourquoi il 
a sour1 de celte rencontre inattendue. D'autre part, si Tche- 
ye-lo a changé de couleur en arrivant à la porte de la ville, c'est 
parce qu'il a vu là un démon affamé qui l’a supplié de faire reve- 
nir auprès de lui sa mère ; cette mère du démon est depuis 
soixante-dix ans dans la ville, cherchant vainement à se procurer 
un peu de nourriture pour son fils ; elle a enfin réussi à.se procu- 
rer une bouchée d'aliments impurs, mais elle ne peut plus sortir 
parce que des démons très puissants lui barrent le passage, 
Tche-ye-lo fait sorlir avec lui cette femme hors de la porte de la 
ville ; la mère et le fils se retrouvent et se partagent leur nour- 
riture souillée. A une queslion de Tche-ye-lo qui lui demande 
depuis combien de temps il est là, le démon répond qu'il a vu 
déjà sept fois celle ville détruite et reconstruite. Tche-ye-lo à 
soupiré alors en songeant combien longues étaient les souffrances 
des démons affamés, et c'est pourquoi il a, pour la seconde fois, 
changé de couleur. 


CRD AIN O RD 02e 


Deux bhiksus de’ l'Inde du Sud ‘ont entendu parler de 
la grande veriu prestigieuse de Tche-ye-lo ; ils se rendent donc 
dans le Xi-pin (Cachemir) et se dirigent vers le Heu de sa r1ési- 
dence ; ils aperçoivent sous un arbre un bhik u d'aspect mi- 
nable qui allume du feu devant un foyer. Questionné par eux, 
ce bniksu leur indique que Zche-ye-lo demeure plus haut, 


dans la troisième grotte. Les deux bhiksus gravissent donc la 


(1) Cf. Syzvain LÉvi (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 467-469). 


84 TSA PAO TSANG KING 





montagne, el, quand ils sont arrivés à la troisième grotte, ils 
y aperçoivent à leur grande stupéfaction, le bhiksu qui naguère 
allumait du feu. Ils s'expliquent la chose en se disant qu'un 
homme doué de tant de vertu ne doit pas avoir eu de peine à 
venir dans la grotte avant eux. Il leur reste cependant quelques 
doutes et c'est pourquoi un des bhiksus demande : « O vénérable, 
comment se fait-il que, doué comme vous l’êtes d’une presti- 
oieuse vertu, vous allumiez vous-même le feu?» Tche-ye-to 
répond : « Je songe aux tourments que j'ai endurés autrefois 
dans le samsâra des naissances et des morts ; si ma tête, ma 
mains et mes pieds ont pu être consumés dans ces tourments, 
ils peuvent donc aussi servir à être consumés dans le feu allumé 
pour le bénéfice de l'assemblée des religieux ; à combien plus 
forte raison peuvent-ils servir à allumer simplement le bois 
mort destiné à ce même feu. » Le second bhiksu demande alors 
qu'on lui explique ce que c’est que les tourments du samsära des 
naissances et des morts dans les existences passées. Tche-ye-lo 
répond : « Dans ma cinq centième naissance antérieure j'étais né 
dans la condition de chien et je souffrais toujours de la faim et 
de la soif; Je ne pus me rassasier qu'en deux occasions ; la pre- 
mière, ce fut lorsque je rencontrai sur le sol le vin rejeté par un 
homme ivre; je pus m'en repaitre avec joie ; dans la seconde 
occasion, je rencontrai un homme et sa femme qui travaillaient 
ensemble pour gagner leur vie; le mari étant allé aux champs, 
sa femme resta pour préparer le repas; mais elle s’absenta un 
instant pour quelque affaire et moi aussitôt j'entrai pour voler 
la nourriture ; il se trouva que l’orifice du vase contenant ces 
aliments était étroite ; quoique j'eusse pu d’abord y engager ma 
tête, 1l me fut difficile ensuite de l'en retirer. Quoique je me 
fusse rassasié, j'en endurai de grandes douleurs, car le mari 
revint des champs el coupa ma tête qui était restée engagée 
dans le goulot. » Quand les deux bhiksus eurent entendu cette 
explication de Ia Loi, ils prirent en horreur le samsâra des nais- 
sances et des morts et devinrent srotäpannas. 





: 
; 
À 


TSA PAO TSANG KING 85 


(Trip., XIV, 10, p. 32 r°-v°) (1). 


Dans le royaume des Yue-lche il y a un roi nommé 7chan-lan 
Ki-ni-tch'a (Kaniska) ; il entend parler de l’arhat Tche-ye-to du 
royaume de Xïi-pin (Cachemir) et va lui rendre visite; Tche-ye- 
Lo refuse de sortir pour aller à sa rencontre ; le roi, saisi de vé- 
nération pour lui, se prosterne devant fui, et même, d’un mou- 
vement spontané, il présente le crachoir à l’arhat au moment 
où celui-ci a envie de cracher. L'arhat prononce celte parole 
énigmatique : « Quand le roi est venu, sa voie élait bonne; 
quand il partira, il en sera comme lorsqu'il est venu. » Le roi 
reprend le chemin du retour; les gens de sa suite se plai- 
gnent que ce voyage n'ait été d'aucun profit; le roi leur ré- 
pond en leur expliquant la parole de Tche-ye-lo ; cette parole 
signifie que, si le roi jouit aujourd’hui de sa haute dignité, c’est 
parce que, dans des existences antérieures, il a fait des bonnes 
œuvres ; maintenant, il continue à accomplir des actions excel- 
lentés et c'est pourquoi, quand i] partira de cette existence, 11 se 
sera assuré, comme au temps où il y est venu, des félicités im- 
portantes pour ses vies à venir. 


MED PARLE ME 


Le roi des Yue che, nommé Tchan-tan Ki-ni-lch'a (Kaniska), 
a auprès de lui trois hommes sages qui sont Wa-ming-p'ou-sa 
(Asvaghosa Bodhisattva), le grand ministre Mo-tch'a-lo (Mà- 


thara) et l'illustre médecin Tchô-lo-kia (Caraka). En suivant les 


avis du médecin, il échappe à toute maladie; en se confor- 
mant aux conseils du ministre, il soumet à son autorité trois des 
quatre régions du monde ; mais, quand il veut conquérir la ré- 
gion orientale et franchir les Ts’ong-ling (Pamirs), ses éléphants 
el ses chevaux refusent d'avancer; il reproche à ses chevaux 


(1) Cf. Syzvain Lévi (Journ. Às., nov.-déc. 1896, pp. 469-472". 
(2) Cf. Syzvain LÉvr (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 472-#75). 


s6 TSA PAO TSANG KING 


leur conduite en leur rappelant les campagnes glorieuses qu'il 
a faites précédemment avec eux pour triompher de trois régions 
du monde ; mais il a violé, en parlant ainsi, son engagement de 
ne point divulguer les conseils secrets qu’il avait reçus de son 
minisire ; ‘aussi sa destinée est-elle près de toucher à sa fin. 
Comprenant qe sa mort est proche, il multiplie les bonnes 
œuvres. Ses courtisans murmurent entre eux en disant qu'il ne 
pourra tirer aucun profit de tels actes qui ne peuvent compenser 
ses fautes antérieures. Pour les réduire au silence, le roi jette 
son anneau d'or dans une marmile pleine d’eau bouillante et 
leur demande par quel moyen ils pourront retirer l’anneau : « Ce 
sera, disent-ils, en arrêtant le feu qui brûle sous la marmite et 
en jetant de l’eau froide au-dessus de la marmite ; alors on 
pourra retirer l’anneau sans se blesser les mains. » Le roi réplique 
que ses mauvaises actions antérieures sont comme la marmite 
d'eau bouillante, mais que, par la repentance et par les bonnes 
œuvres, il éteint l’ardeur du feu, supprime les trois voies mau- 
vaises et obtient la condition d'homme ou de deva. 


(Trip. XIV, 10, p, 33 r°-v°.) 


Un ministre du royaume de Xiu-che-mt et sa femme sont fort 
mal disposés à l'égard du Buddha. Le mari dit à sa femme de 
fermer la porte au çramana Gautama s’il veut entrer dans la 
maison. Mais soudain le Buddha apparaît au milieu de la 
chambre, tandis que la femme est seule, et il reproche à celle- 
ci l’'égarement dont elle et son mari font preuve. De rage, la 
femme arrache ses colliers, se revêl d'un vêtement souillé et 
s'assied sur le sol. Son mari la trouve dans cet état et promet 
de se venger. Le lendemain, quand le Buddha apparaît de nou- 
veau, il cherche en effet à le frapper avec son épée ; mais il ne 
peut le toucher et le voit s'élever devant lui dans les airs. Il 
reconnaît alors ses fautes; le Buddha lui explique la Loi; lui 
et sa femme deviennent srotäpannas. Il en a été de même autre- 
fois : dans le royaume de Käci, le roi Ngo-cheou (Durlabha) s’en- 






| 
| 
| 





V 
K 
Ë 


TSA PAO TSANG KING (N° 409). 87 


richit par des exactions; un perroquet entreprend de le ramener 
à de meilleurs sentiments; il commence par s'adresser à l'épouse 
du roi en lui déclarant que le roi est cruel et se conduit con- 
trairement à la sagesse, qu’elle-même d'ailleurs est tout aussi 
coupable. On prend alors l'oiseau et on l'amène au roi. Le per- 
roquel tient un discours sur les devoirs de la royauté. Le roi 
rentre en lui-même et se convertit ; tout le rovaume se convertit 
à sa suile (1). 


| N° 409. 


(Trip., XIV, 10, pp. 33 v°-34 ve.) 


Histoire du disciple du Buddha, Nan-t'o (Nanda) que le 
Buddha força à sortir du monde et à oblenir la vote. 


Le Buddha, se trouvant dans le royaume de Xia-pi-lo-wei 
(Kapilavastu), entra dans la ville pour mendier sa nourri- 
ture ; il arriva à la maison de Van-Fo (Nanda). Ilse trouva 
que Van-Fo était occupé avec sa femme à préparer du fard 
parfumé pour l'appliquer entre les sourcils de celle-ci ; il 
entendit le Buddha à la porte et voulut sortir pour regar- 
der dehors; sa femme lui fit cette recommandation : 
« Sortez pour voir le Tathâgata ; mais, comme le fard qui 
est sur mon front n'est pas encore sec, revenez au bout 
d’un instant. » /Van-lo sortit donc, vit le Buddha et lui 
rendit hommage. Il prit son bol, retourna chez lui, et, 
après l’avoir rempli de nourriture, le présenta au Buddha. 
Le Buddha refusa de l’accepter et le fit passer à A-nan 
(Ânanda); mais A-nan, à son tour, refusa de l’accepter et 
dit (à Van-Fo) : « Il vous faut rapporter ce bol à l'endroit 
où se trouve la personne qui l’a donné. » Van-fo se char- 


(1) On retrouve ici le conte du perroquet moralisateur, conte qui est le 
cadre de la Çukasaptati. 


88 TSA PAO TSANG KING (N° 409) 


gea donc du bol et alla à la suite du Buddha jusque dans 
le vihâra Ni-kiu-lu. 

Alors le Buddha ordonna à un barbier de couper la che- 
velure de VNan-l'o; Nan-l'o s’y refusa et, menaçant du poing 
avec colère le barbier, il lui dit : « Allez donc maintenant 
couper les cheveux à tous les habitants de X1a-pi-lo-wei ». 
Le Buddha demanda au barbier : « Pourquoi ne lui rasez- 
vous pas la tête? — C'est par crainte, répondit-il, que 
je n'ose pas lui couper les cheveux. » — Le Buddha et A-nan 
vinrent alors à côté (de Van-lo), et celui-ci, saisi de peur, 
n osa pasne pas se laisser couper les cheveux. 

Bien que sa chevelure eûtété coupée, il conservait tou- 
jours le désir de retourner chez lui. Mais le Buddha l’em- 
menait constamment avec lui et il n’osait pas partir. Un jour 
vint enfin où ce fut son tour de garder la maison; il se 
réjouit alors en pensant: « J’ai maintenant trouvé l’occa- 
sion de retourner chez moi. J’attendrai que le Buddha et 
l'assemblée des religieux se soient éloignés et alors je re- 
tournerai chez moi. » Quand donc le Buddha fut entré 
dans la ville, il fit cette réflexion : « Je puiserai d’abord de 
l’eau pour remplir les cruches, après quoi je m’en retour- 
nerai. » Il se mit à puiser de l’eau ; mais, à peine une 
cruche se remplissait-elle qu’une autre cruche se renver- 
sait; il passa de la sorte quelque temps sans parvenir à 
remplir les cruches. Il fit alors cette réflexion : « Il est 
impossible d’en remplir aucune ; que les bhiksus puisent 
eux-mêmes de l’eau à leur retour; pour moi, maintenant, 
je me bornerai à placer les cruches au milieu de la chambre, 
puis je les laisserai et je partirai. » Mais quand il voulut fer- 
mer les portes, à peine avait-il poussé un battant que l’autre 
battant se rouvrait, à peine avait-ilfermé une porte à un bat- 
tant qu'une autre porte se rouvrait. [fit alors cette réflexion: 
« Je ne puis en fermer aucune ; je les laisserai dans l’état 
où elles sont et je partirai. S'il arrive que quelque vête- 
ment ou objet appartenant aux religieux se perde, je suis 






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TSA PAO TSANG KING (N° 409) 89 


assez riche pour en rembourser la valeur. » Il sortit alors 
de l'habitation des religieux; il fit cette réflexion : « Le 
Buddha viendra certainement de ce côté; je vais donc partir 
parcetautre chemin. » Cependantle Buddha, qui connaissait 
ses intentions, vint, lui aussi, par cet autre chemin. Van-Po, 
voyant de loin venir le Buddha, se cacha derrière un arbre, 
mais le dieu de l’arbre souleva l’arbre dans les airs, en 
sorte que /Van-lo se trouva debout en pleine lumière. Le 
Buddha, ayant aperçu Van-Fo, le ramena avec lui dans le 
vihâra, puis il lui demanda : «Pensez-vous à votre femme ? » 
Il répondit qu'il y pensait en effet. Le Buddha prit avec 
lui Van-lo et se rendit sur la montagne A-na-po-|[na| 
(Anapa ?) ; puis il demanda à Van-f'o : « Votre femme est- 
elle belle ? — Elle l’est», répondit-il. Or, sur cette mon- 
tagne il y avait un vieux singe aveugle. Le Buddha de- 
manda derechef : « Votre femme, Souen-f'o-li (Sundari) 
a-t-elle un visage aussi beau que celui de ce singe ?» Nan- 
lo, indigné, pensa à part lui : « Ma femme est si belle 
qu'elle a peu d’égales parmi les humains ; pourquoi main- 
tenant le Buddha la compare-t-il à ce singe ? » Le Buddha 
emmena derechef Van-Po au milieu des devas T'ao-li (Tra- 
yastrimças) et lui fit visiter à la ronde les palais des devas, 
en sorte qu'il vit tous les devas et toutes Les devis qui se 
livraient ensemble aux délices; dans un de ces palais, 
Nan-lo vit cinq cents devis sans aucun deva qui fût avec 
elles ; il revint interroger le Buddha, mais le Buddha lui 
dit d’aller‘s’enquérir par lui-même ; Van-Po alla donc poser 
cette question : « Dans chacun des autres palais il y a un 
deva ; comment se fait-il que, dans celui-ci seul il n’y ait 
point de deva ? » Les devis lui répondirent : « Il y a dans le 
Yen-feou-Pi (Jambudvipa) un disciple du Buddha, nommé 
Nan-Po; le Buddha l’a contraint à sortir du monde ; parce 
qu’il est sorti du monde, il doit, après sa mort, naître dans 
ce palais céleste pour être notre deva. » Van-lo s'écria : 
« C’est moi-même qui suis Van-Po », et il voulut rester 


90 TSA PAO TSANG KING (N° 409) 


la : mais les devis lui dirent : « Nous sommes des déesses 
et vous êtes un homme. C’est après avoir abandonné votre 
existence d'homme que vous reviendrez naître ici et que 
vous pourrez alors demeurer en ce lieu. » 

Nan-l'o revint auprès du Buddha et raconta à l’Honoré 
du monde tout ce qui s'était passé ; le Buddha dit alors à 
Nan-lo : « Votre femme est-elle aussi belle que ces devis? » 
Nan-l'o répondit : « En comparaison de ces devis, elle est 
comme le singe aveugle en comparaison de ma femme. » 
Le Buddha ramena Van-l'o dans le Yen-feou-l'i (Jambud- 
vipa). Nan-lo, parce qu’il devait naître en qualité de deva, 
redoubla de zèle dans l'observation des défenses. Alors 
A-nan (Ânanda) prononça cette gâthà : 

De même que des béliers qui se battent — reculent pour 
mieux avancer ensuile, — vous observez les défenses en 
vue de vos désirs ; — il en est toutà fait de même (pour vous 
que pour les béliers). 

Le Buddha emmena ensuite Van-Fo dans les enfers. 
Nan-lo y vittoutes les chaudières dans lesquelles des 
hommes étaient plongés dans l’eau bouillante ; seule une 
chaudière dont on attisait les bouillonnements restait 
vide; il s'en étonna et revint interroger le Buddha; le 
Buddha lui dit : « Allez vous enquérir vous même. » Van- 
l'o alla donc demander à un sbire des enfers : « Dans toutes 
les chaudières bout un condamné; pourquoi cette chaudière 
seule reste-t-elle vide sans cuire aucun homme ? » On lui 
répondit : « Dans le Yen-feou-Pi(Jambudvipa).il y a un dis- 
ciple du Tathâgata dont le nom est Van-Fo; eu égard au 
mérite qu'il a eu en sortant du monde, il doit obtenir de 
naître dans la condition de deva ; mais, parce qu'il a aban- 
donné la voie à cause de ses désirs sensuels, 1l tombera 
dans ces enfers, quand sa longue vie de deva sera terminée, 
etc'est pourquoi maintenant nous l’attendons en attisant le 
feu de cette chaudière.» Saisi de terreur et craignant que 
le sbire des enfers ne voulût le retenir, Nan-l’o prononcça 











TSA PAO TSANG KING (N° 409) 91 


ces mots : « Namo Buddhaya, je souhaite que vous me pro- 
tégiez et que vous me fassiez revenir dans le Yen-feou-li 
(Jambudvipa). » Le Buddha dit à Van-Fo : « Appliquez- 
vous à observer les défenses pour vous assurer le bonheur 
des devas. » Nan-Po répliqua : « Je n'ai que faire de naître 
dans la condition de deva ; mon seul désir est de ne pas 
tomber dans ces enfers. » Le Buddha alors lui expliqua la 
Loi et, au bout d'une période de sept jours, Van-Fo obtint 
la dignité d’arhat. Les bhiksus s’écrièrent : « Quand 
l’'Honoré du monde apparaît ici-bas, c’est fort merveilleux, 
c'est fort extraordinaire ! » Le Buddha dit : « Ce n'est pas 
seulement aujourd’hui que cela s’est passé; autrefois aussi 
il en a été de même. » Les bhiksus lui ayant demandé à quels 
événements du passé il faisait allusion et l'ayant prié de les 
leur exposer, le Buddha dit : 

Autrefois il y avait un roi de ÆX1a-che (Kâçi) nommé 
Man-mien(Pürnamukha— plein-visage),et, dansle royaume 
de Pi-Pi-hi (Videha), il v avait une courtisane d’une beauté 
merveilleuse. En ce temps, ces deux royaumes se haïs- 
saient l’un l’autre. Or il y eut un homme rusé qui se 
rendit auprès du roi de Xia-che et parla avec admiration 
de la courtisane de cet autre royaume qui avait, disait-il, 
une beauté telle qu’on en voit rarement dans le monde. 
Quand le roi eut entendu ces discours, son cœur en 
conçut de la passion et il chargea un émissaire de faire 
venir cette femme ; mais, comme l’autre royaume refusait 
de la lui donner, il dépêcha un autre émissaire pour 
demander qu’on lui permît de la voir pendant un moment, 
promettant qu'il la renverrait au bout de quatre ou cinq 
jours. Le roi de l’autre royaume donna alors des instruc- 
tions à la courtisane en ces termes : « Déployez tous 
vos charmes et toutes vos grâces pour que le roi de Ara- 
che devienne épris de.vous et ne puisse plus un seul ins- 
tant être séparé de vous. » Puis il lui ordonna de partir. 
Quatre ou cinq jours plus tard, il fit dire qu’on la lui ren- 


92 TSA PAO TSANG KING (N° 409) 





dit, en prétendant qu'il se disposait à célébrer un grand 
sacrifice et qu'il avait besoin de la présence de cette 
femme ; il promettait de la renvoyer après qu'elle serait 
revenue momentanément. Le roi de X1a-che la laissa donc 
repartir ; quand le grand sacrifice eut.été célébré, il 
demanda qu’on la lui renvoyât. « On vous la renverra 
demain », lui répondit-on; mais, le lendemain, on ne la 
renvoya pas. Ainsi plusieurs jours se passèrent en fausses 
promesses. Le roi, qui était fort épris, aurait voulu, 
accompagné seulement de quelques hommes, se rendre 
en personne dans cet autre royaume. Ses ministres lui 
firent des remontrances, mais il se refusa à les écouter. 

Or, dans les montagnes des rsis, il y avait un roi-singe 
intelligent, perspicace et possédant toutes sortes de con- 
naissances. Son épouse étant venue à mourir, il prit pour 
femme une guenon. Les autres singes lui adressèrent des 
reproches avec irritation en lui disant : « Cette guenon 
est notre propriété commune : pourquoi la prenez-vous 
pour vous seul ? » Alors le roi-singe, emmenant avec 
lui cette guenon, s'enfuit dans la ville de Kia-che et 
vint se réfugier auprès du roi. Les singes le poursui- 
virent tous et pénétrèrent dans la ville où ils se mirent à 
renverser les maisons et à briser les murs sans qu'on 
pût leur faire entendre raison. Le roi du royaume de 
Kra-che dit alors au roi-singe : « Pourquoi ne rendez-vous 
pas aux autres singes cette guenon ? » Le roi-singe répli- 
qua : « Ma première femme est morte, et (si je renvoie 
cette guenon), je n'aurai plus de femme ; pourquoi main- 
tenant, Ô roi, voulez-vous m'obliger à la renvoyer (1)? » 
Le roi lui dit : « En ce moment vos singes dévastent mon 
royaume : Comment pourriez-vous ne pas la renvoyer ? » 
Le roi-singe luidit : « L'action que j'ai commise est-elle 
donc mauvaise ? — Elle est mauvaise », lui répondit le 


(1) Je suppose que le mot #f est ici mis par erreur au lieu de Éf. 


TSA PAO TSANG KING (N° 409) 93 





roi. Il en fut ainsi par deux et par trois fois. Le roi persis- 

tant à déclarer que cette action était mauvaise, le roi-singe 
Jui dit alors : « Dans votre palais vous avez quatre-vingt- 
quatre mille épouses; mais elles ne vous plaisent pas et 
vous voulez aller dans un royaume ennemi pour y recher- 
cher une courtisane. Moi, maintenant, je n'ai plus 
d’épouse ; or, parce que j'ai pris cette seule guenon, vous 
déclarez que j'ai mal agi. Les dix mille familles du 
peuple comptent toutes sur vous pour assurer leur vie ; 
comment se fait-il cependant que, à cause d’une seule cour- 
tisane, vous les abandonniez ? Sachez, à grand roi, 
que les désirs sensuels procurent peu de joies et causent 
beaucoup de peines ; ils sont comme une torche enflam- 
_mée qu'on tient quand souffle le vent contraire : le sot ne 
la lâche pas et il est inévitablement brülé; les désirs sont 
impurs comme un amas d’ordures; les désirs se présen- 
tent sous des dehors agréables, mais c’est une mince 
peau qui les recouvre ; les désirs ne peuvent pas revenir 
en arrière et sont semblables à un serpent venimeux qui 
s’est empêtré dans des excréments ; les désirs sont 
comme des brigands féroces qui feignent d’être les amis 
des hommes ; les désirs sont comme un prêt qu'il faut 
nécessairement rendre; les désirs sont haïssables, comme 
les fleurs qui croissent dans les latrines ; les désirs sont 
comme des abcès quis’aggravent en devenant semblables 
à des écorchures brûlantes ; les désirs sont comme un 
chien qui ronge un os desséché : il y mêle sa salive et 
s’imagine que cela a bon goût ; ses lèvres et ses dents se 
blessent entièrement et cependant il ne sait pas s'arrêter : 
les désirs sont comme un homme altéré qui boit de l’eau 
salée : plus ilen boit, plusil a soif ; Les désirs sont comme 
un morceau de chair que se disputent des oiseaux en 
foule ; les désirs sont comme des poissons ou des ani- 
maux que leuravidité pour la bonne nourriture mène à la 
mort en sorte que leurs souffrances sont extrêmes. » 


94 TSA PAO TSANG KING (N° 410) 


Celui qui, en ce temps, était le roi-singe, c’est moi- 


même ; celui qui en ce temps était le roi, c'est Nan-Fo 


(Nanda) ; celle qui, en ce temps, était la courtisane, c’est 
Souen-l'o-li(Sundari). En ce temps, j'ai voulu retirer de 
de la fange Van-lo; maintenant aussi je l'ai retiré des 
tourments de la vie et dela mort. 


N° 410 (1). 


(Trip, XIV, 10, pp. 34 v°-35 r°.) 


Histoire du grand homme fort qui convertit la bande 
de brigands de la région déserte. 


En ce temps, le Buddha se trouvait à Wang-chü-tch'eng 
(Râjagrha). Dans l’espace compris entre les deux royaumes 
du Wang-chü-tch'eng (Râjagrha) et de P'i-chô-li (Vaiçàli), 
il y avait cinq cents brigands. Le roi Pin-p'o-so-lo (Bimbi- 
sâra) était bon, indulgent et affectueux ; il gouvernait son 
peuple avec des lois bienfaisantes et ne faisait périr 
aucun être. Il publia alors un appel en disant : « Celui qui 
pourra convertir les cinq cents brigands de manière à ce 
qu'ils ne se livrent plus au brigandage, je lui donnerai en 
abondance des dignités et des récompenses. » Il y eut un 
homme fort qui vint répondre à l'appel du roi; il se ren- 
dit dans cette région déserte (âtavi) et convertit pacifi- 
quement tous les brigands ; de la sorte il put faire qu'ils 
ne se livrassent plus au brigandage. Quand il les eut 
ainsi soumis, il fit une grande enceinte de murs et de 
fossés et les installa en ce lieu (2). Graduellement leur 

(1) La première partie «ae ce récit a été analysée par Ed. Huver 


(B. E. F. E. O., vol. VE, pp. 18-19) d'après le Xen pen chouo yi ts'ie yeou 
pou p'i nai ye{(Trip., XVI, 9, pp. 101 r°-v°). 


(2) D'après le Men pen chouo yi !s'ie yeou pou p'i naï ye, le nom de la: 


ville fut X’ouang ye tch'eng D Bÿ Jk (Âtavi). 





sb, | ol 


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TSA PAO TSANG KING (N° 410) 95 





_ multitude s’aucimenta : un orand nombre de gens vinrent 
O ? D 


se réfugier là et ainsi se constitua un puissant royaume. 
Les habitants de ce royaume se dirent les uns aux autres : 
« Nous tous qui sommes maintenant ici nous avons bénélfi- 
cié des soins qu'a pris le grand homme fort pour assurer 
notre entretien; ainsi nous avons formé un peuple. » Ils 
firent alors cette convention : « Dorénavant, quand quel- 
qu'un de nous se mariera, il commencera par offrir sa 
nouvelle épouse à l’homme fort. » Il se rendirent alors 
auprès de l’homme fort et lui dirent : « Nous avons fait 
cette convention que, lorsqu'un de nous se mariera, il 
vous offrira sa femme ; il y a à cela deux raisons : la pre- 
mière, c’est que nous souhaitons avoir de beaux enfants 
qui vous ressemblent ; la seconde, c’est que nous voulons 
reconnaitre les bienfaits que vous nous avez rendus. » 
L'homme fort leur répondit qu’il n’était point nécessaire 
d'agir ainsi, mais, sur leurs instances, il accéda à leur 
désir. Onse mit donc à appliquer cette loi. Cependant, au 
bout de quelque temps, il y eut une femme qui fut mé- 
contente de cette pratique ; c'est pourquoi elle se mit toute 
nue en public et urina ; les gens lui adressèrent aussitôt 
des reproches en lui disant : « Vous êtes bien éhontée ; 
comment une femme se permet-elle de se mettre (nue) 
pour uriner en présence d’une multitude d'hommes ? » 
Elle leur répondit : « Pourquoi une femme rougirait-elle 
de se mettre nue poururiner en présence d'autres femmes ? 
Or, dans ce royaume vous êtes tous des femmes ; seul Le 
grand homme fort est un mâle ; si j'avais fait cela en sa 
présence, je devrais en avoir honte ; mais pourquoi serais- 
je confuse de l'avoir fait en votre présence ? » Les hommes 
se dirent alors les uns aux autres : « Ce que cette femme 
a dit est bien conforme à la raison. » 

Sur ces entrefaites, Chü-li-fou (Càriputra) et Mou-lien 
(Maudgalyâyana), à la tête de cinq cents disciples, vin- 


rent à passer par cette région. L'homme fort en. fut in- 


96 TSA PAO TSANG KING (N° 410) 





formé ; il invita les deux vénérables, ainsi que les cinq 
cents disciples, et les installa dans une demeure ; il leur 
offrit des vêtements et de la nourriture. 

Trois jours plus tard, les habitants de ce royaume se 
rassemblèrent en bande; ils burent du vin jusqu’à s’eni- 
vrer, puis ils s'entendirent pour cerner la maison de 
l'homme fort afin de l’incendier. L'homme fort leur deman- 
dant pourquoi ils se conduisaient ainsi, ils lui répondi- 
rent : « Toute femme qui se marie passe d’abord par 
vous; nous autres, nous ne saurions supporter cela et 
c'est pourquoi nous venons pour vous brüler. » L’homme 
fort répliqua : « Précédemment je m'étais refusé à agir 
ainsiet c'est vous qui m'y avez forcé. » Cependant ces 
gens ne l’écoutèrent pas etil le brûlèrent donc de manière 
à causer sa mort. 

Au moment où sa vie allait prendre fin, l’homme fort 
prononça ce vœu : « Par la vertu de l’action méritoire que 
j'ai accomplie en faisant des offrandes à Chü-li-fou (Càri- 
putra) et à Mou-lien (Maudgalyäyana), puissé-je devenir 
dans la région déserte un démon très puissant qui ex- 
termine tous ces gens. » Après qu'il eut ainsi parlé, sa 
vie prit fin. Puis il naquit dans la région déserte en qualité 
de démon ; il exhalait une haleine fort empoisonnée et 
tuait des multitudes d'hommes. Ilerrait constamment de- 
ci et de-là dans les environs. Or il y eut des gens avisés 
qui adressèrent cette demande au démon : « Vous tuez 
maintenant des habitants en quantités innombrables; 
vous ne parvenez' pas à manger toute cette chair qui 
ainsi tombe en pourriture. Nous souhaitons que vous 
nous permettiez de tuer des bœufs et des chevaux et de 
vous donner chaque jour un seul homme. » À la suite de 
cela, dans ce royaume, on tint une comptabilité de façon 
à ce qu'il eût un homme pour chaque jour. Par ordre de 
succession, ce fut le tour du notable Siu-pa-l'o-lo (Sudbha- 
dra); Siu-pa-l'o-lo avait engendré un fils heureusement 









TSA PAO TSANG KING (N° 410) 97 


vertueux et beau et c'était maintenant ce fils que le 
démon devait dévorer. Le notable songea : « Le Tathà- 
gata est apparu dans ce monde pour sauver de peine 
tous les êtres vivants. Mon souhait est que l’Honoré du 
monde secoure et protège mon fils dans le péril où il est 
aujourd'hui. » Le Buddha, qui se trouvait à Wang-chü- 
ich'eng (Râjagrha), connut les sentiments du notable, Il 
vint donc dans la région déserte où était ce royaume et 
s'assit dans la salle principale du palais du démon. Quand 
le démon de la région déserte vint et vit le Buddha, il fut 
extrêmement irrité et dit au Buddha : « Cramana, sortez. » 
Le Buddha sortit aussitôt. Mais, quand le démon entra 
dans son palais, le Buddha y était déjà revenu. Il en fut 
ainsi par trois fois. À la quatrième fois, le Buddha refusa 
de sortir. Le démon lui dit : « Si vous ne sortez pas, je 
ferai en sorte que votre cœur soit renversé; je vous pren- 
drai par les pieds et je vous jetterai dans le fleuve Gange. » 
Le Buddha répliqua : « Je n’ai vu personne dans le 
monde, füt-ce même le deva Mära ou le deva Brahma, qui 
fût capable de me prendre et de faire ce que vous venez 
de dire. » Le démon de la région déserte reprit : « Soit, 
soit; que le Tathâgata me permette de lui poser quatre 
questions qu'il devra résoudre : En premier lieu, qui peut 
franchir le courant impétueux (1)? En second lieu, qui 
peut franchir la grande mer (2)? En troisième lieu, qui 
peut délivrer de la douleur ? En quatrième lieu, qui peut 
obtenir le Nirvâna ?» Le Buddha lui répondit: « La foi peut 
franchir le courantimpétueux (âsravas); l'absence de négli- 
gence (apramâda) peut franchir la grande mer (samsära); 
la progression dans le bien (virya) peut délivrer de la 
douleur; la sagesse (prajñà) peut obtenir le Nirväna .» 


(1) Les Âsravas (de la racine sru — couler) sont le courant qui porte 
l'homme à entrer en relations avec les choses sensibles. La foi permet 
de franchir ce courant. 

(2) Le samsära des naissances et des morts. 


LIT. 7 


98 TSA PAO TSANG KING (N° 411) 


Quand (le démon de la région déserte) eut entendu ces 
paroles, il prit aussitôt son refuge dans le Buddha et 
devint disciple du Buddha. Il prit avec sa main le jeune 
garçon (1) et le plaça dans le bol du Buddha; c’est pour- 
quoi on donna à cetenfantle nom de X'ouang-ye-cheou (2). 
Peu à peu, le jeune garçon grandit; le Buddha lui ayant 
expliqué la Loi, il obtint la voie d’a-na-han (anâgamin). 

Les bhiksus dirent : « Quand l’Honoré du monde appa- 
rait ici-bas, c’est un événement fort rare. Ce démon si 
méchant de la région déserte, le Buddha a pu le soumettre 
et en faire un yeou-p'o-sai (upäsaka). » 

Le Buddha dit : « Ce n’est pas seulement aujourd’hui 
que de tels faits se sont passés ; il en a été de même autre- 
fois (3) : entre le royaume de Æia-che (Kâcçi) et le royaume 
de Pi-fi-hi (Videha), il y avait une vaste région déserte 
où demeurait un méchant démon nommé Cha-lch'a-lou 
(Sadaru ?) qui interceptait la route, en sorte que personne 
ne pouvait passer. Or, il y eut un marchand nommé Che- 
iseu (Simha) qui, à la tête de cinq cents marchands, vou- 
lut prendre ce chemin. Les autres avaient peur et 
n'osaient passer; le chef des marchands leur dit: « N'ayez 
aucune crainte; tenez-vous seulement derrière moi.» Alors 
il s’avança et alla à l'endroit où était le démon ; il lui dit : 
« N’avez-vous pas entendu mon nom ? » Le démon répon- 
dit : « J'ai entendu votre nom. » (Le marchand reprit :) 
« Je suis venu dans l'intention de combattre contre 
vous. » Le démon répliqua : « Que pouvez-vous faire 
contre moi ? » Alorsle marchand prit son arc etses flèches 
ettira sur le démon ; il lança cinq cents flèches, mais 
toutes entrèrent dans le ventre du démon ; son arc, son 
glaive et ses armes entrèrent toutes aussi dans le ventre 


(1) Le jeune garçon qui avait été livré à l’ogre pour qu'il le dévorât. 

(2) En. Huser a retrouvé la forme pâli de ce nom qui est Hatthâlavaka 
B'ERE O5 voE-VE D 18;/n°2) 

(3) Cf. Ie conte n° 89,t. I, pp. 347-351. 






3 








TSA PAO TSANG KING (N° 410) 99 


du démon ; il s’avança pour combattre à coups de poing; 
mais son poing (gauche) disparut dans le corps du démon ; 
de même, quand il frappa de la main droite, sa main 
droite resta prise; quand il lança un coup de son pied 
droit, son pied droit resta pris; quand il lança un coup 
de son pied gauche, son pied gauche resta pris; enfin il 
frappa de sa tête et sa tête aussi resta prise. Le démon 
prononça alors cette gâthà : 

Vos mains, vos pieds el même votre lêle — sont tous 
reslés adhérents à mon corps ; — que vous reste-t-il qui ne 
soit pas adhérent à moi? 

Le chef des marchands répondit par ces gâthas : 

Maintenant mes mains, mes pieds el même ma lêle, — 
loules mes richesses el mes armes (sont adhérents à 
vous) ; — il ne me reste que mon énergie pour le bien 
(vtrya) qui ne soit pas adhérente à vous ; — tant que celle 
énergie ne se lassera pas, — le combat que je vous livre ne 
cessera pas ; — maintenant, mon énergie n'est point lassée — 
el jamais je n'aurai peur de vous. 

Le démon répondit alors : « En considération de vous, 
je laisserai libres les cinq cents marchands. » 

Celui qui en ce temps était Che-iseu (Simha), c’est 
moi-même; celui qui en ce temps était Cha-lch'a-lou 
{Sadaru), c'est le démon de la région déserte. 


(Trip., XIV, 10, p. 35 r°-v°.) 


Le conseiller du roi Bimbisära se plaît aux enseignements 
dn Buddha et cesse d’avoir de fréquents rapports sexuels avec sa 
femme. Celle-ci, dans son irritation, projette de faire périr Île 
Buddha ; elle l'invite donc et lui offre de la nourriture empoi- 
sonnée. Le Buddha sait que la nourriture est empoisonnée ; il la 
mange cependant en déclarant qu'il ne peut en éprouver aucun 
mal, puisqu'il est capable de détruire les trois autres poisons bien 


100 . TSA PAO TSANG KING 


autrement violents qui sont l'avidité, la colère et l'égarement. 
Le conseiller et sa femme conçoivent alors une foi sincère ; le 
Buddha leur explique la Loi et ils deviennent srotâpannas, — Il 
en a élé de même autrefois (1) : dans le royaume de Käçi, il y 
avait un sage ministre nommé Pi f'ou-hi (Vidhura); un roi- 
dragon nommé Ming-siang entend ses enseignements el espace 
ses rapports sexuels avec sa femme. Celle-ci souhaite avoir le 
cœur de Pi-Fou-hi pour l'offrir en sacrifice au feu, et son sang 
pour le boire. Un yaksa entreprend de lui donner satisfac- 
tion ; il se déguise en marchand de perles et offre au roi de Kâci 
de jouer une perle qui fait se réaliser les désirs contre un enjeu 
dont le conseiller Pi-Pou-hi sera la partie essentielle. Le yaksa 
gagne etemmène Pi-fou-hi; mais Pi-Fou-hi lui fait observer que 
son cœur et son sang sont identiques à ceux d’un autre homme 
quelconque et n’ont de valeur que par la sagesse et la bonne doc- 
trine qu'ils renferment ; 1l convertit le yaksa ainsi que le roi-dra- 
son et la femme de ce dernier. 


(Trip :XIV40; p:939#°.) 


Le Buddha ayant triomphé à Crâvasti des six maîtres héréli- 
ques, cinq cents Nirgranthas désespérés projettent de se faire 
périr par le feu afin d'aller promptement dans une autre vie. 
Mais le Buddha empêche le feu de prendre au bûcher qu'ils ont 
préparé. Le Buddha étant entré dans le samädhi de feu, les Nir- 
granthas croient trouver la fournaise dont ils ont besoin et s'y 
précipitent ; mais ils ne rencontrent que fraîcheur au milieu des 
flammes et, mis en présence du Buddha, ils se convertissent ; le 
Buddha leur dit: « Soyez les bienvenus, à bhiksus » ; aussi- 
tôt leur barbe et leur chevelure tombent et le vêtement religieux 


couvre leur corps ; ils deviennent arhats. — Il en a été de même 


autrefois (2): cinq cents marchands avaient été sur mer pour re- 
cueillir des joyaux; ils en surchargent leur bateau; leur chef 
nommé Pi-chü-k'ie (Viçäkha) les exhorte à en abandonner une 

(1) Ce qui suit est un abrégé du Vidhurapandita jâtaka (Jätaka, n° 545). 


(2, On ne voit guère le rapport entre ce qui va suivre et le récit qui 
précède, 


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“TSA PAO TSANG KING 101 


parlie ; mais, voyant que ses avis ne sont pas écoutés, il jette 
tous les joyaux qui lui appartiennent dans la mer afin de sauver 
les marchands ; le bateau se perd ; cependant un dieu de la mer, 
touché de la conduite de Pi-chô-k'ie, a recueilli les joyaux jetés 
par-dessus bord et les lui rend quand il aborde sur le rivage. Pi- 
chô-k'ie en fait des largesses et entre en religion; les autres mar- 
chands suivent son exemple. 


CPP, XIV, 10: D, 30 7°.) 


Le roi de Pan-tchô-lo (Pañcâla) a fait présent de cinq cents oïes 
sauvages blanches au roi Prasenajit ; celui-ci les envoie au Jeta- 
vana vihâra ; les oies entendent le Buddha expliquer la Loi en 
émettant un seul son et toutes crient à l'unisson ; puis elles s’en- 
volent et vont daps un autre lieu où un chasseur les prend avec 
son filet ; au moment où elles vont périr, l’une d'elles émet le cri 
semblable au son de l'explication de la Loi et toutes crient à 
l'unisson; grâce à ce bon sentiment, elles naissent parmi les 
devas Trayastrimças. Dans celte nouvelle existence, elles redes- 
cendent auprès du Buddha entendent expliquer la loi et devien- 
nent srotâpannas. Autrefois elles avaient été, au temps du Bud- 
dha Kâcyapa, cinq cents femmes qui avaient accepté d'observer 
les défenses ; mais, parce qu'elles violèrent cet engagement, 
elles tombèrent dans cette condition d'animal; d’autre part, 
parce qu'elles avaient reçu les défenses, elles purent rencontrer le 
Tathâgata, entendre la Loi et obtenir la voie. 


(Prop CIN 10 p.400 vs) 


Devadatta lance contre le Buddha un éléphant ivre ; les cinq 
cents arhats s’enfuient en volant dans les airs ; seul Ânanda reste 
auprès du Buddha ; celui-ci n’a d'ailleurs qu'à étendre la main 
droite pour faire apparaître cinq cents lions qui frappent de ter- 
reur l'éléphant et l'empêchent de nuire. — Il en à été de même 
autrefois : dans le royaume de Käci, il y avait cinq cents oies 


102 TSA PAO TSANG KING (N° 411) 





sauvages ; leur roi se nommait Lai-lch'a (Râsira) ; son ministre 
se nommail Sou-mo (Soma). Le roi des oies est pris par un chas- 
seur ; les cinq cents oies s'enfuient aussitôt en volant ; seul 
Sou-mo reste auprès de lui. Sou-mo propose au chasseur de le 
prendre au lieu du roi des oies ; le chasseur refuse et apporte 
le roi des oïes au roi Fan-mo-yao (Brahmayus). Le roi des oies 
émerveille le roi des hommes par ses discours sur l'imperma- 
nence, la décadence, la maladie et la mort ; quant à Sou-mo, il 
refuse avec modestie de prendre part à l'entretien, et se montre 
par là aussi sage qu’il avait élé dévoué. 


N° 411. 


(Trip., XIV, 10, pp. 36 v°-38 r°.) 


Kia-lchan-yen (K âtyâyana) explique au roi Ngo-cheng 
(Canda) ses huil rêves. 


Autrefois le Ngo-cheng (Can da, surnom de Pradyota, roi 
d'Ujjayini) tenait une conduite perverse et cruelle ; il 
n'avait aucun sentiment de compassion; leshérésiesétaient 
alors florissantes. Or le Tathâgata grand Compatissant 
(Mahâäkaruna) envoya ses disciples en tous lieux pour con- 
vertir les divers royaumes. Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) était 
issu de la caste des brahmanes du royaume du roi Vgo- 
cheng ; c’est donc lui que le Buddha chargea de retourner 
dans ce royaume pour en convertir le roi ainsi que tous les 
habitants. ; 

Quand le vénérable Xia-tchan-yen eut recu les instruc- 
tons du Buddha, il retourna dans son pays d’origine; en 
ce temps, le roi Vgo-cheng n'avait pas vu ce qui est droit 
et vrai et il favorisait les doctrines hérétiques ; c'était une 
règle constante pour lui de ne voir personne au commen- 
cement de la matinée et d'aller d’abord se prosterner de- 








TSA PAO TSANG KING (N° 471) 103 


vant le sacrifice offert aux devas. Cependant Æia-lchan- 
yen, qui se proposait d'ouvrir l'esprit du roi Ngo-cheng et 
de le convertir, se leva de très bon matin ; il se trans- 
forma en une autre personne et prit l'apparence d'un 
messager venu de loin; il était beau de visage et parvint à 
franchir la porte du roi. Quand il se trouva en présence 
du roi, il reprit sa forme primitive et redevint çramana. 
-Or le roi avait voué une haine toute particulière aux reli- 
gieux tondus ; grandement irrité, il lui dit donc : « Main- 
tenant votre mort est certaine. » Aussitôt il chargea des 
gens de se saisir de Xia-lchan-yen dans l'intention de .le 
faire périr. Æia-lchan-yen dit au roi : « Quelle faute 
ai-je commise pour qu’on me fasse périr ? » Le roi répon- 
dit : « Homme à tête rasée, votre vue porte malheur et 
c’est pourquoi je veux vous mettre à mort. » Le vénérable 
Kia-tchan-yen répliqua aussitôt : « S’ily a maintenant quel- 
qu’un à qui cela ait porté malheur, c’est assurément moi 
et non vous, Ô roi. En éffet, quoique vous m'ayez vu, vous 
n’en avez pas éprouvé le moindre dommage, tandis que moi, 
pour avoir été vu par vous, vous voulez que je sois mis à 
mort. Si on raisonne sur ces faits, on dira que celui à qui 
cela porte malheur, c’est bien moi. » Le roi était intelli- 
gent de nature; quand il eut entendu ces paroles, il en 
accepta le sens et fit relâcher Æia-lchan-yen. Il n'avait 
plus de mauvais sentiments à son égard. 

Il chargea secrètement deux hommes de le suivre par 
derrière pour voir où il s’arréterait et ce qu'il boirait et 
mangerait. Ces deux hommes virent que Kia-lchan-yen 
s’asseyait sous un arbre et qu’il mangeait la nourriture 
qu’il avait mendiée; lorsqu'il eut mangé, il partagea ce 
qui restait entre ces deux hommes, et, quant aux menus 
débris, il les jeta dans le fleuve. Ces deux émissaires 
étant revenus, le roi les interrogea sur l'endroit où il s'était 
arrêté et sur ce qu’il avait bu et mangé; ils lui rappor- 
tèrent exactement ce qu'ils avaient vu. 


104 TSA PAO TSANG KING (N° 411) 


A quelques jours de là, le roi invita le vénérable Xia- 
tchan-yen et lui donna une nourriture grossière, puis il en- 
voya des gens lui demander si la nourriture qu’il venait 
de manger lui avait agréé. Le vénérable répondit : « Cette 
nourriture a une force qui est pleinement suffisante. » Un 
autre jour le roi lui donna de la nourriture exquise, de 
goût parfait, puis il envoya des gens lui demander si elle 
iui avait agréé. X1a-tchan-yen répondit : « Cette nour- 
riture a une force qui est pleinement suffisante. » Le roi 
alors demanda au vénérable : « Lorsque je vous envoie 
de la nourriture, qu’elle soit grossière ou qu'elle soit 
exquise, comment se fait-il que vous déclariez qu’elle est 
pleinement suffisante ? » Le vénérable Xia-lchan-yen ré- 
pondit au roi : « La bouche de l’homme est comparable à 
un fourneau qui sera chauffé aussi bien avec du santal 
qu'avec du fumier ; de même la bouche de l’homme, que la 
nourriture qu'on y met soit grossière ou soit exquise, sera 
rassasiée à sa mesure. » Puis il prononca cette gâthà : 

Ce corps est comme un char — qui ne choisit pas entre le 
bon et le mauvais ; — l'huile parfumée et la graisse malodo- 
rante — réussissent également à en faire tourner facile- 
ment les roues. 

Quand le roi eut entendu ces paroles, il reconnut bien 
la grande vertu (de ÆXia-lchan-yen). Puis il donna aux 
brahmanes de la nourriture grossière et de la nourriture 
exquise. Quand les brahmanes reçurent d’abord la nour- 
riture grossière, ils en conçurent tous de la colère et pro- 
nonçèrent avec courroux des propos injurieux. Quand en- 
suite on leur donna de la nourriture exquise, ils furent 
joyeux et se répandirent en louanges. Lorsque le 
roi vit que les brahmanes étaient contents ou irrités sui- 
vant la nourriture qu'ils recevaient, il redoubla de confiance 
et d'estime à l'égard de Kia-tchan-yen. 

Or voici ce qui arriva au vénérable : une jeune fille hors 
caste(tandâli, se trouvaitdemeurer dans un village de brah- 









TSA PAO TSANG KING (N° 411) 105 





manes en dehors de la ville ; elle avait de fort beaux che- 
veux ; quand le moment de la retraite d’été fut arrivé, 
elle éprouva le désir de faire des offrandes; elle coupa donc 
ses cheveux pour les vendre et obtint ainsi cinq cents 
pièces d’or qui lui permirent d'inviter X1a-lchan-yen pour 
lui faire des offrandes pendant la retraite d’été. Lorsque 
la retraite fut terminée, le vénérable Æïa-lchan-yen re- 
tourna dans la ville. 

En cetemps, dans le palais du roi Vgo-cheng ilarriva qu'il 
y eut un faisan mort qui était tout semblable au faisan dont 
se nourrit un roi Cakravartin ; le roi Vgo-cheng voulait le 
manger ; cependant un ministre prudent lui dit: «Il ne faut 
pas que vous mangiez immédiatement ce faisan, car il im- 
porte que vous fassiez au préalable quelques essais avec 
lui. » Le roi suivit ce conseil et chargea un homme de 
couper un petit morceau du faisan pour le donner à un 
chien ; quand le chien eut reçut ce morceau de viande, il 
se plut avec tant d’avidité au goût de cette chair qu'il en 
avala sa langue et mourut. On coupa encore un petit mor- 
ceau de viande pour en faire un essai en le donnant à un 
homme ; quand l’homme eut mangé cette chair, il en ap- 
précia si fort la saveur qu'il en vint à dévorer sa propre 
main et mourut. Ayant vu cela, le roi en conçut une grande 
crainte ; il entendit dire que cette viande ne pourrait être 
mangée que par un saint roi cakravatin ou par un homme 
-possédant une connaissance sans défaut et ayant obtenu 
la sagesse parfaite ; il chargea donc un de ses gens d'ap- 
prêter habilement de cette excellente nourriture et de lap- 
porter au vénérable Æia-lchan-yen. Quand celui-ci eut 
mangé cet aliment, son corps se trouva en excellente santé. 
Le lendemain, le roi envoya quelqu'un observer comment 
il se portait; cet émissaire constata que Âta-lchan-yen 
avait l’air calme et heureux, et qu'il paraissait deux fois plus 
prospère qu'auparavant. Quand le roi en fut informé,ilen 
conçut une estime toute particulière pour Xta-lchan-yen à 


106 TSA PAQ TSANG KING (N° 411) 


l'égard de qui il redoubla de respect tandis qu’il traitait 
avec dédain les brahmanes hérétiques. 

Le roi demanda à Xia-tchan-yen : « O vénérable, quelest 
le lieu où vous avez passé la retraite cet été et d'où vous 
venez en ce moment? » Le vénérable lui raconta en détail 
comment la jeune fille hors caste (tandâli) avait vendu sa 
chevelure et en avait employé le prix à entretenir l'assem- 
blée des religieux. Quand le roi eut entendu ce récit, il pro- 
nonça ces paroles : « De toutes les femmes de mon harem, 
celles qui ont les plus beaux cheveux ne les vendraient pas 
plus que quelques pièces de cuivre. Or vous dites que les 
cheveux de cette femme valaient cinq cents pièces d’or; 
c’est donc que ses cheveux étaient d’une beauté extraor- 
dinaire ; son visage doit certainement être merveilleux. » 
Il s’informa alors des noms du père et de la mère de la 
jeune fille, puis il envoya un émissaire se rendre auprès 
d'elle pour voir lui-même comment elle était; sa beauté 
était en effet surprenante, ainsi qu’il l'avait supposé; le roi 
chargea alors ses émissaires d'offrir des présents de fian- 
çailles à la jeune fille pour qu’elle devint son épouse; 
mais les parents de celle-ci exigèrent de grande richesses, 
des villes et des villages. Le roise dit: « Si j'accorde à ces 
gens ce qu'ils demandent, quand la jeune fille viendra, tout 
cela m'appartiendra encore. » Il donna donc tout ce qu'on 
voulait et prit la jeune fille pour femme. Le jour où il alla 


« 


à sa rencontre, le royaume entier se livra à 





des réjouis- 
sances et tous les habitants proclamaient que l'événement 
était très heureux. Le lendemain, le roi publia une am- 
nistie générale et donna à safemme le nom de Che-p'o-kiu- 
cha (Givakoçà ?); il fut très heureux avec elle et lui té- 
moigna beaucoup d’égards. Par la suite, elle enfanta un 
prince-héritier dont le nom fut X’1ao-p'o-lo (Gopala). 
Cependant le roi, tandis qu'il reposait dans sa couche, 
eut huit rêves : le premier était que sur sa tête il y avait 
un feu allumé ; le second, que deux serpents s’enroulaient 


TSA PAO TSANG KING (N° 411) 107 


autour de sa ceinture ; le troisième, qu'un réseau de fines 
mailles de fer enserrait son corps; le quatrième, que deux 
poissons rouges avalaient ses deux pieds; le‘cinquième, 
que quatre grues blanches venaient en volant vers lui; le 
sixième, qu’il marchait dans une boue de sang en enfon- 
çant jusqu'aux aisselles ; le septième, qu'il était monté 
sur une grand montagne blanche; le huitième, qu'un héron 
dévorait sa tête. Quand il se fut réveillé, il pensa que ces 
rêves étaient de mauvais présage et il fut pénétré de cha- 
grin et d'inquiétude. Il alla donc demander leur avis aux 
brahmanes. Ceux-ci, qui étaient depuis longtemps aigris 
| contre le roi et qui étaient jaloux du vénérable, profitèrent 
| 

| 

| 





ÉREU ER =: 


des songes que leur avait racontés le roi pour lui dire : 
« O grand roi, cela est de mauvais augure ; si vous ne dé- 
tournez pas le mal sur d’autres êtres sur lesquels 1l s'é- 
puisera, il vous atteindra vous-même. » Quand le roi eut 
entendu ces paroles, il crut qu’elles étaient véridiques et 
son chagrin redoubla ; il demanda donc : « Si on trans- 
fère le mal sur d’autres êtres de manière à ce qu'il s'épuise 
sur eux, quels devront être ces autres êtres ? » Les 
brahmanes répondirent : « Les êtres auxquels il faudra 
avoir recours sont ceux que vous estimez et aimez le plus; 
si nous vous les nommons, vous ne pourrez certainement 
pas suivre notre avis » Le roi répliqua : « Ces rêves 
étaient très funestes ; ma seule crainte estque de grandes 
calamités ne m'atteignent; en dehors de moi-même, il 
n’est personne à qui je tienne. Veuillez donc medire de qui 
je devrai me servir. » Les brahmanes, voyant son insis- 
tance, reconnurent que ses sentiments étaient à leur paro- 
xysme ; ils dirent alors au roi. « Voici les êtres dont il 
faudra vous servir ; vos rêves étant au nombre de huit, il 
sera nécessaire de recourir à huit sortes d'êtres pour pou- 
voir détourner sur eux les calamités; en premier lieu 
vous tuerez la femme que vous chérissez, Che-p'o-kiu-cha ; 
en second lieu vous tuerez le prince-héritier que vous 


108 TSA PAO T<ANG KING (N° 411) 


aimez, K'iao-p'o-lo(Gopala) ; entroisième lieu, vous tuerez 
votre principal ministre qui est votre soutien et votre con- 
seiller ; en quatrième lieu, vous tuerez votre ministre en 
second ; en cinquième lieu, vous tuerez votre éléphant 
qui peut parcourir trois mille li en un jour; en sixième 
lieu, vous tuerez votre chameau qui peut parcourir trois 
mille /: en un jour; en septième lieu, vous tuerez votre 
excellent cheval ; en huitième lieu, vous tuerez le chauve 
Kia-lchan-yen (1). Dans sept jours, quand vous aurez 
mis à mort ces huit sortes d'êtres, vous rassemblerez tout 
leur sang et vous marcherez dedans; ainsi vous pourrez 
anéantir les calamités. » Quand le roi eut entendu ces pa- 
roles, il donna son assentiment parce qu'il tenait fort à sa 
propre vie. 

Revenu dans son palais, il s’abandonna à sa douleur et 
à sa tristesse. Sa femme lui ayant demandé quelle en était 
la cause, le roi lui exposa tout ce que nous avons dit plus 
haut au sujet des huit rêves néfastes et de ce que les brah- 
manes avaient déclaré nécessaire pour détourner sur 
d’autres le mauvais effet de ces rêves. À ce récit, son 


épouse lui dit : « Si on peutfaire ainsi que votre personne, : 


à roi, reste sauve, il n’y a pas lieu de se chagriner ; com- 
ment l’humble personne de votre servante vaudrait-elle 
la peine qu’on en parle? » Elle dit ensuite au roi : « Dans 
sept jours, je reviendrai pour mourir. Mais, permettez-moi, 
pendant les six jours précédents de me rendre auprès du 
vénérable ÆXia-lchan-yen pour y observer le jeûne et y 
écouter la Loi. — Cela ne se peut pas, répondit le roi; 
si vous allez vers lui, vous lui direz peut-être ce qui en est, 
et, quand il sera informé, il pourrait m'abandonner en s’en 
allant au loin. » Cependant, comme son épouse le priait 
avec instances, le roi ne put pas lui refuser ce qu’elle 
demandait et il l’'autorisa à partir. 


(1) Par erreur, le texte écrit ici Xia-l'chan-Fan au lieu de Xia-lchan-yen. 









ET I D RS 9 PT PRE ES 
de DA GPO 


TSA PAO TSANG KIxG (N° 411) 109 


Quand l'épouse du roi fut arrivée auprès du vénérable, 
ellese prosterna devant lui et lui demanda de ses nouvelles. 
Quand trois jours se furent écoulés, le vénérable lui de- 
manda avec surprise : « L’épouse du roi n’est jamais aupa- 


ravant venue ici pour y passer deux nuits de suite. Pour- 


quoi maintenant agit-elle autrement que d'habitude ? » La 
femme lui raconta toute l’histoire des rêves néfastes du 
roi, puis elle ajouta : « Au bout de sept jours, il faudra qu'on 
nous tue afin de détourner sur nous les calamités ; il ne 
me reste que peu de temps à vivre ; c’est pourquoi je suis 
veaue écouter la Loi. » Quand elle eut exposé au vénérable 
quels avaient été Les rêves du roi, le vénérable X1a-tchan- 
yen lui dit : « Ces rêves sont de fort bon présage; il faut 
s’en réjouir et ne point y voir un sujet d’affliction. Le feu 
qui brûle sur la tête, c’est le présage que le royaume du 
souverain des joyaux viendra apporter en tribut au roi une 
couronne céleste du prix de cent mille onces d’or. Voilà 
exactement ce que signifie ce songe. » La femme était in- 
quiète, car le délai de sept jours allait être accompli ; elle 
serait alors mise à mort par le roi et craignait que le mes- 
sager porteur de la couronne n'arrivât trop tard ; elle de- 
manda donc au vénérable quand celui-ci arriverait. 

« Aujourd’hui même, lui répondit-il, entre trois et cinq 
heures de l’après-midi, ilarrivera certainement. Les deux 
serpents qui s’enroulent autour de la ceinture, c’est le pré- 
sage que le roi du royaume des Yue-lche offrira deux épées 
d’une valeur de cent mille onces d’or ; au coucher du soleil 
(son ambassadeur) arrivera. Le réseau de fines mailles de 
fer qui entoure le corps, c’est le présage que le roi du 
royaume de Ta-ls'in offrira des pendeloques de perles 
d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au point du 
jour, (son ambassadeur) arrivera. Les poissons rouges qui 
avalent les pieds, c’est le présage que le roi du royaume de 
Che-tseu (Simhala — Ceylan) offrira des souliers précieux 
en p'i-lieou-li (vaidürya) d’une valeur de cent mille onces 


110 TSA PAO TSANG KING (N° 411) 


d’or ; demain, à l’heure du repas, (son ambassadeur) arri- 
vera. Les quatres grues blanches qui viennent, c’est le pré- 
sage que le roi du royaume de Pa-k'i offrira un char pré- 
cieux en or ; demain, au milieu du jour, (son ambassadeur) 
arrivera. Le fait de marcher dans une boue de sang, c’est 
le présage que le roi du royaume de Ngan-si (Parthie) 
offrira un (vêtement) k’in-p'o (-lo) (kambala) en poils de 
cerf d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au 
moment où le soleil commence à descendre, (son ambas- 
sadeur) arrivera. Le fait d'être monté sur une grande 
montagne blanche, c'estle présage que le roi du royaume 
de X’ouang-ye (Âtavi) offrira un grand éléphant ; demain, 
entre trois et cinq heures de l'après-midi, (son ambassa- 
deur) arrivera. Le héron qui dévore la tête du roi, c'est 
le présage que le roi aura demain une affaire d'ordre privé 
avec vous, son épouse ; c'est là une chose que vous con- 
naîtrez demain. » 

Tout se passa comme l'avait dit le vénérable, et, aux 
moments qu'il avait fixés, les offrandes des divers royaumes 
arrivèrent toutes. Le roi en fut extrêmement joyeux. 

L'épouse Che-p'o-kiu-cha, qui avait déjà une couronne 
céleste, mit par-dessus celle-ci la couronne céleste qu'avait 
offerte le royaume du souverain des joyaux; par ma- 
nière de jeu, le roi enleva la seconde couronne que por- 
tait l'épouse Che-p'o-kiu-cha et la posa sur la tête de l’é- 
pouse Xin-mun(àla chevelure d’or —Suvarna keçà). L’épouse 
Che-p'o-kiu-cha s’en irrita et dit : « Naguère, quand il y 
avait un malheur imminent, c'était moi qui devais être la 
première à le subir. Maintenant, quand vous avez obtenu 
cette couronne céleste, vous la posez sur la tête d'une 
autre ! » Elle prit alors un bol de lait et le jeta à la tête 
du roi ; la tête du roi en fut toute inondée. Très irrité, le 
roi tira son épée pour en frapper son épouse ; celle-ci, crai- 
gnant le roi, s'enfuit dans son appartement et en ferma la 
porte en sorte que le roi ne put aller plus avant. Mais alors 










TSA PAO TSANG KING (N° 411) . 111 


le roi revint à résipiscence. Le vénérable lui expliqua son 
rêve en lui disant : « Quand j'ai parlé d’une affaire d'ordre 
privé, c'était précisément celle-ci. » 

Le roi, en compagnie de son épouse, vint ensuite auprès 
du vénérable Æia-lchan-yen et lui exposa tout ce qui 
s'était passé : il avait ajouté foi à des paroles contraires à 
la Loi, perverses et fausses, et il avait été près de tenir 
une conduite très méchante à l’égard du vénérable, à 
l'égard de sa propre épouse, de ses principaux ministres 
et de tous les êtres qu’il aimait ; maintenant, il avait eu le 
privilège que le vénérable lui avait expliqué la vraie doc- 
trine et avait dissipé son aveuglement ; il avait donc pu 
voir la sagesse correcte et s'éloigner des mauvaises pra- 
tiques. Il pria alors le vénérable de recevoir ses offrandes, 
puis il chassa les brahmanes et les éloigna de son terri- 
toire. 

Il demanda ensuite au vénérable pour quelle cause tous 
ces royaumes lui avaient offert ce que chacun d’eux avait 
de plus précieux. Le vénérable lui répondit : « Autrefois, 
il y a de cela quatre-vingt onze kalpas, il y avait un Buddha 
nommé P'i-p'o-che (Vipaçyin). Au temps où le Buddha appa- 
rut dans le monde, il y avait un royaume nommé Pan-leou : 
le prince héritier, fils du roi de ce royaume, se plaisait avec 
foi à faire des progrès dans l'excellence ; il se rendit auprès 
de ce Buddha, lui fit des offrandes et l’adora ; puis il prit 
la couronne céleste qu’il portait sur sa tête, son épée, ses 
pendeloques, son grand éléphant, son char précieux et son 
vétement k’in-p'o-lo (kambala) et il offrit tout cela au Bud- 
dha. Grâce à cette action fortunée, de naissance en nais- 
sance il fut élevé en dignité ettous les objets précieux 
qu’il pouvait désirer venaient à lui sans qu’il eût à les de- 
mander ».— Quand le roi eut entendu ces paroles, il conçut 
une vénérationet une foi profonde à l'égard de l'endroit 
où étaient les trois Joyaux. Il témoigna son adoration, 
puis retourna dans son palais. 


112 TSA PAO TSANG KING 


(Trip, XIV, 10, p: 98 F6 





Le roi Ngo-cheng (Canda) aperçoit dans une salle d'un de ses 
parcs un chat d’or qui traverse la chambre en allant de l’angle 
nord-est à l'angle sud-ouest ; il fait creuser le sol et trouve une 
cruche de bronze de la contenance de trente boisseaux pleine de 
monnaie d’or ; puis il exhume deux autres cruches semblables à 
côté de la première ; il continue ses recherches et, sur un espace 
de cinq Li, il découvre des cruches analogues par groupes de 
trois. Le vénérable X7a-tchan-yen (Kâtyâyana)lui donne l'expli- 
cation du prodige : dans une existence antérieure le roi était un 
pauvre homme qui donna à un bhiksu les trois pièces de mon- 
naie qu'il avait gagnées en vendant du bois mort, et qui retourna 
dans sa demeure éloignée de cinq li, se réjouissant à chaque pas 
de la bonne action qu'il venait de faire. 


(rap XENS 10 D 20-v":) 


Le roi Ngo-cheng (Canda), se trouvant dans la ville de Yu-chan- 
yen (Ujjayini), cinq cents chars portant des bols précieux pleins 
de grains de céréales en or arrivent à la porte de la ville ; chaque 
bol est scellé avec une bande portant la suscription : « Ce bol est 
donné au roi Ngo-cheng. » Le vénérable X1a-tchan-yen (Kâtyà- 
yana) donne la raison de ce miracle : dans une naissance anté- 
rieure, le roi était un potier; or un Pratyeka Buddha cassa son bol 
et vint en demander un autre au potier ; celui-ci en prit cinq qu'il 
remplit d'eau et les lui donna avec joie. C’est la récompense de 
celte bonne action que reçoit aujourd'hui le roi. Les bols précieux 
ne se sont pas d’ailleurs produits d'eux-mêmes; ils viennent du 
palais du nâga dans le fleuve Gange ; autrefois en effet, l'oncle du 
roi Lo-mo(Râma),était un brahmane quitenaitune conduite pure; 
le roi Lo-m lui ayant fait don d’un bol précieux plein de nour- 
riture, ce brahmane mangea à sa suffisance, puis abandonna le 
bol dans le Gange,; le nâga aveugle qui était dans le fleuve 
recueillit ce bol, le remplit de grains de céréales en or et le plaça 





TSA PAO TSANG KING (N° 412) 113 


dans son palais ; avec le temps, ce bol se multiplia jusqu’à faire 
la charge de cinq cents chars ; à la mort du nâga aveugle qui ne 
laissait pas de fils, Cakra Devendra résolut de se servir des bols 
précieux tombés en deshérence pour récompenser le roi VNgo- 
cheng de sa bonne action d'autrefois, 


N°12: 


CÉRID RANCE D 68") 


Histoire de celui qui priait le deva P'i-mo dans l'espérance 
d'oblenir un grand bonheur. 


Autrefois, un frère aîné et son frère cadet étaient de 
pauvres gens : le frère aîné passait constamment ses jours 
et ses nuits à adorer avec une ardeur extrême et à implorer 
le deva P’i-mo fé (Bhima ?) dans l'espérance d'obtenir de 
grandes richesses. Cependant, il envoyait son frère cadet 
labourer les champs, semer et planter. Quand il eut ainsi 
passé beaucoup de temps à faire ses demandes, le deva 
P'i-mo prit un jour la forme du frère cadet et vint se pla- 
cer à côté du frère aîné; celui-ci lui dit avec irritation : 
« Pourquoi n'êtes-vous pas occupé à défricher et à planter 
et que venez-vous faire ici ? » Son frère cadet lui répondit : 
« Mon frère aîné, vous passez vos jours et vos nuits à 
faire des prières dans le temple du deva et vous espérez 
ainsi obtenir de grandes richesses. Moi, votre frère cadet, 
je veux aujourd’hui vous imiter; en observant le jeûne 
et les austérités et en formant des vœux, j'espère obtenir 
de grandes richesses. » Le frère ainé répliqua : « Si vous 
ne labourez pas les champs et si vous ne déposez pas des 
semences,comment pourrons-nous obtenir les biens néces- 

ITT. 8 


114 TSA PAO TSANG KING (N° 412) 


saires et l’abondance ? » Le frère cadet répondit : « C’est 
donc bien à cause des semailles que nous obtiendrons 
cela ? » Le frère aîné ne sut que répondre. Alors P’i-mo 
reprit sa forme divine et lui dit: « L'aide que peut vous 
donner ma puissance, c'est précisément aujourd’hui que 
je vous la donne : c'est en pratiquant la libéralité qu’en- 
suite on peut être riche. Dans vos existences antérieures 
vous n’avez pas pratiqué la libéralité et c’est ce qui vous 
a rendu pauvre ; maintenant, quand bien même vous m'im- 
ploreriez jour et nuit, comment pourriez-vous obtenir 
l’opulence et les richesses ? Pour prendre une comparai- 
son, supposez qu'il y ait un arbre an-p’o-lo (âmra) et qu’on 
soit en hiver; quand bien même on rendrait un culte à des 
centaines ou à des milliers d’êtres divins en les priant de 
donner des fruits (de cet arbre), ces fruits ne pourraient être 
obtenus. Ainsi en est-il maintenant de vous : autrefois vous 
n'avez pas accompli des actes causatifs, et c'est pourquoi, 
quand vous vous adressez à moi pour implorer de moi de 
grandes richesses, vous ne les obtiendrez pas. C’est quand 
l’époque de la maturité est venue qu’on obtient les fruits 
sans avoir même à les demander. » Puis il prononça cette 


gâtha : 


Les acles anciens qui produisent le bonheur sont comme la 


malurilé pour les fruits ; — ce n’est pas par des sacrifices 


aux dieux qu'on oblient le bonheur. — C’est en montant sur 


le char de l'observation des défenses — que les hommes 
peuvent plus tard aller en haut parmi les devas. — La fixilé 
el la connaissance sont comme l'extinction d'une lampe ; — 
elles permettent d'arriver au non-composé.— Toutes choses 
sont oblenues comme des conséquences des actes qu’on à 
commis ; — à quoi sert d'implorer les devas ? 








TSA PAO TSANG KING (N° 413) 115 


N° 413. 


(Trip., XIV, 10, p. 88 v°.) 


Hisioure de la mère des démons qui avail perdu son fils. 


La mère des fils-démons était la femme du vieux (1) roi 
des démons Pan-chü-kia (Pâñéika) (2) ; elle avait dix mille 
fils qui tous étaient doués de la force de grands athlètes 
(malla). Le plus jeune s'appelait Pin-k'ia-lo (Piñngala). 
Cette mère des tils-démons était méchante et cruelle ; elle 
tuait les enfants des hommes pour s’en repaître. La popu- 
lation, qui en était désolée, leva les yeux vers l'Honoré du 
monde et se plaignit à lui. L’Honoré du monde prit alors 
le fils Prin-k'ia-lo (Piñgala) et le plaça au fond de son bol 
(pâtra). La mère des fils-démons parcourut le monde entier 
et, pendant sept jours, rechercha (Pingala) sans le trouver. 
Elle se livrait à l’affliction et à la désolation lorsqu'elle 
apprit que des gens disaient: « On raconte que le Buddha, 
l'Honoré du monde, est omniscient. » Elle se rendit donc 
auprès du Buddha et lui demanda où se trouvait son fils. 
Le Buddha lui répondit alors : « Vous avez dix mille fils. 
Pour en avoir perdu un seul, comment se fait-il que vous 
soyez désolée et affligée et que vous le recherchiez ? Dans 
ce monde les hommes ont, les uns un seul fils, les autres 
trois ou cinq fils; et cependant vous les faites périr. » La 
mère des fils-démons dit au Buddha : « Si maintenant je 
pouvais retrouver Pin-k’ia-lo (Piñngala), je ne tuerais plus 
jamais les fils des hommes de ce monde, » Alors le Bud- 

(1) Le mot Æ « vieux » ne figure que dans l'édition de Corée. 


(2) Dans le Divyävadäna (p. 447), Pàñcika apparait avec le titre de 
Yaksasenâpati « général des Yaksas ». 


116 TSA PAO TSANG KING (N° 414) 





dha fit voir à la mère des fils-démons Pin-k’ia-lo (Piñgala) 
qui était au fond du bol (pâtra): Elle épuisa toutes ses 
forces surnaturelles sans parvenir à le prendre. Elle revint 
implorer le Buddha. Le Buddha lui dit: « Si aujourd’hui 
vous pouvez accepter (les formules des) trois Refuges(triça- 
rana) et des cinq Défenses (pancaveramani), et si jusqu’à 
la fin de votre vie vous ne tuez plus, je vous rendrai votre 
fils. » La mère des fils-démons acquiesça aussitôt à l'ordre 
du Buddha et accepta (la formule des) trois Refuges ainsi 
que celle des cinq Défenses ; quand elle les eut acceptées 
pour les observer, son fils lui fut rendu. Le Buddha lui 
dit: « Observez bien les défenses. Vous avez été au temps 
du Buddha Æia-chà (Käçyapa) la septième et la plus jeune 
fille du roi Xie-ki (1) ; vous avez accompli des actions 
grandement méritoires ; mais, parce que vous n'avez pas 
observé les défenses, vous avez reçu ce corps de 
démon. » 


NET: 


(Pris NN A0 ED 09) 


Histoire de celui qui voulait présider aux sacrifices 
offerts à un deva. 


Autrefois il y avait un brahmane qui rendait un culte au 
deva Mo-che (Mahecvara) ; jour et nuit, il lui faisait des 
offrandes. Le deva lui demanda alors : « Que désirez-vous 
obtenir ? — Je souhaite maintenant, répondit le brahmane, 
devenir celui qui préside aux sacrifices de ce deva. » Le 
deva lui dit: « Il y a là-bas un troupeau de bœufs ; allez in- 


(1) #à JL. Seule, l'édition de Corée donne par erreur la leçon #8 JA. 


: 
: 
} 





TSA PAO TSANG KING (N° 415) 117 


terroger celui d'entre eux qui marche en avant. » Le 
brahmane fit ce que lui disait le deva et alla demander à 
ce bœuf : « Étes-vous présentement dans une situation 
pénible ou heureuse ? » Le bœuf lui répondit: « J’endure 
des peines extrêmes ; (l’aiguillon) me perce incessamment 
les deux côtés; le bois de chauffage (qu’on me fait porter) 
déchire mon échine qui est à vif; on m'’attelle pour tirer 
des chars pesamment chargés et je “n'ai jamais de repos. » 
Le brahmane lui demanda encore: « Pour quelle cause 
avez-vous reçu ce corps de bœuf ? » Le bœuf répondit: 
« J'étais celui qui préside aux sacrifices de ce deva ; à mon 
gré et avec une application extrême, j'immolais les vic- 
times offertes au sacrifice de ce deva. Quand ma vie eut 
prit fin, je devins un bœuf et j'endurai tous ces tour- 
ments. » Quand le brahmane eut entendu ces paroles, il 
revint auprès du deva. Celui-ci lui demanda: « Désirez- 
vous maintenant présider aux sacrifices ? » Le brahmane 
répondit : « Puisque j'ai vu ce qui était arrivé, en vérité 
je n’oserais pas remplir cet office. » Le deva reprit: « C'est 
par leurs actions bonnes ou mauvaises que les hommes 
obtiennent des rétributions appropriées. » Le brahmane 
se repentit de ses fautes et se mit à pratiquer toutes sortes 
d'actions excellentes. 


NL 


(PripeSXINS AUD. 0071) 


Histoire de celui qui sacrifiail au dieu d'un arbre. 


Autrefois il y avait un vieil homme dont la famille pos- 
sédait de grandes richesses. Or, ce vieil homme souhaita 
avoir de la viande à manger, et eut recours alors au stra- 


118 TS\ PAO TSANG KING (N° 415) 





tagème suivant : il désigna à ses fils un arbre qui était à 
l'extrémité d’un champ et leur dit: « Si notre patrimoine 
a pu augmenter régulièrement, c’est grâce aux bienfaits 
dont nous a comblés le dieu de cet arbre. Il vous faut 
maintenant prendre dans vos troupeaux un mouton pour 
le lui sacrifier. » Alors les fils, obéissant à l’ordre de leur 
père, tuèrent un mouton qu'ils offrirent à cet arbre avec 
des actions de grâces; puis ils installèrent au pied de 
l'arbre un sanctuaire du dieu. 

Par la suite, le père mourut de vieillesse ; par l'effet de 
ses actes antérieurs,il revint naître parmi les moutons de sa 
propre famille. Or, il advintque ses fils voulurent sacri- 
fier au dieu de l’arbre ; ils prirent donc un mouton et leur 
choix tomba précisément sur celui qui avait été leur père. 
Alors, le mouton dans ses bélements, dit en riant : « Quelle 
divinité peut-il bien y avoir dans cet arbre que voici? 
Autrefois, parce que je souhaitais avoir de la viande, je vous 
ai engagé par tromperie à lui sacrifier et alors, en votre 
compagnie, j'ai mangé de cette chair; maintenant l’expia- 
uon de ce crime m'atteint moi seul le premier. » 

Sur ces entrefaites, un arhat survint pour mendier sa 
nourriture ; il s’aperçut que le père défunt avait reçu ce. 
corps de mouton; alors il prêta aux propriétaires (des mou- 
tons) sa vue surnaturelle et les engagea à observer par 
eux-mêmes (1); aussitôt ils reconnurent que c'était leur 
père (qu'ils allaient immoler) ; ils en concurent du déplaisir 
etabattirent aussitôt l'arbre et son dieu ; ils se repentirent 
de leurs fautes et pratiquèrent des actes producteurs de 
bonheur; ils ne tuèrent plus désormais aucun être 
vivant. 


(1) Le mouton parle en bélant, et c’est pourquoi il n'est pas compris 
de ses fils. Il faut la venue de l'arhat pour que les fils reconnaissent que 
ce moutonn'est autre que leur père défunt. 





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TSA PAO TSANG KING (N° 416) 419 


N°16; 


CLP AIN A0, p:99 7°) 


Histoire de la femme qui, lasse des désirs 
sensuels, entra en religion. 


Autrefois il y avait une femme d’une beauté merveilleuse 
qui entra en religion dans une secte hérétique pour pra- 
tiquer la sagesse. Les gens de ce temps lui demandèrent: 
« Quand on a un visage comme le vôtre, on doit rester 
dans la vie séculière ; pourquoi entrer en religion ? » Cette 
femme répondit: « En ce qui me concerne, si maintenant 
j'entre en religion, ce n’est pas parce que je ne suis plus 
belle, mais c’est parce que, depuis peu, j'ai en horreur 
les désirs pervers et débauchés. Lorsque j'étais encore 
dans ma famille, je fus, à cause de ma grande beauté, 
mariée fort jeune et je mis au monde de bonne heure un 
fils ; ce fils devint grand ; ilétait d’une beauté sans égale ; 
mais je vins à m'apercevoir qu'il maigrissait et dépérissait 
comme s’il eût été malade ; je demandai donc à mon fils 
de quel mal il souffrait ; il refusa de me le dire ; cependant, 
comme je ne cessais pas de l’interroger, il ne put plus se 
contenir et me déclara : « Si je ne vous l’avoue pas, il est 
à craindre que ma vie ne prenne fin; si je vous l’avoue, je 
serai couvert de confusion. » Il me dit alors: « Je désire 
vous posséder, ma mère, pour satisfaire ma passion ; c'est 
parce que je ne vous possède pas que je suis malade. » Je 
lui répondis : « Jamais il n’y a eu chose pareille! » Mais 
ensuite je songeai que, si je n’accédais pas à son désir, 
mon fils peut-être pourrait mourir et qu'il valait mieux 
manquer à mon devoir pour sauver sa vie. Je l’appelai donc 


120 TSA PAO TSANG KING (N°° 416-417-418) 


dans l'intention d'accéder à son désir ; mais au moment où 
mon fils allait monter sur le lit, la terre se fendit et mon 
fils fut précipité tout vivant (dans le gouffre). Prise de 
terreur je voulus le retenir avec la main, mais je ne pus 
saisir que ses cheveux; or, maintenant, ces cheveux de 
mon fils, je les ai encore dans mon sein. Profondément 
émue par cette aventure, j'entre donc en religion. » 


Norr, 


(rip XIV:40; p-39N°7) 


Histoire du fils qui ful cruellement puni 
de son manque de piélé filiale. 


Antrefois, dans le royaume de Æ1a-mo, dans le village 
de Xteou-lo-chan (Kutasanda ), il y avait une vieille mère 
qui n'avait qu'un seul fils. Ce fils était désobéissant et ne 
pratiquait ni la bonté ni la piété filiale; une fois qu'il était 
irrité contre sa mère, il leva la main sur elle et la frappa 
d'un coup. Ce jour-là même, étant sorti, il rencontra 
des brigands qui lui coupèrent un bras. Son manquement 
à la piété filiale reçut donc une rétribution immédiate. 
Felles furent ses souffrances, et, plus tard, dans les en- 
fers, il subit des tourments dont on ne saurait faire le 
compte. 


NS NES 


(Zrip.; XIV, 10, pp. 39 v°=A0 r°.) 


Entreliens du roi Nan-lo (Ménandre) et de Na-k'ia- 
sseu-na (Nâgasena) 


Autrefois le roi Nan-Fo (Ménandre) était doué d’une 
grande intelligence et d’une perspicacité étendue ; il n’était 









TSA PAO TSANG KING (N° 418) 121 


rien sur quoi il ne fût instruit; il disait que, pour son 
savoir, il ne pouvait avoir aucun rival. Il demanda donc à 
ses ministres : « Y a-t-il un homme sage et habile à dis- 
cuter qui, consulté sur des questions douteuses, soit ca- 
pable de me répondre ? » Or, un des ministres entretenait 
depuis quelque temps dans sa demeure un vieux bhiksu 
qui menait une vie pure mais qui n'avait pas cependant 
des connaissances étendues. (Ce vieux bhiksu) étant venu 
causer avec le roi, celui-ci lui demanda : « Ceux qui ob- 
tiennent la sagesse, l’obtiennent-ils en restant dans le 
monde ou en sortant du monde ». Le vieux bhiksu répon- 
dit alors : « Dans les deux conditions on peut l'obtenir. » 
« Si on peut l'obtenir dans les deux conditions, répliqua 
le roi, à quoi sert de sortir du monde ? » Le vieux bhiksu 
fut aussitôt réduit au silence et ne sut que répondre. Le 
roi Van-l'o (Ménandre) n'en devint que plus arrogant. 

En ce temps, ses ministres dirent au roi : « Va-k'1a-sseu- 
na (Nâgasena) a une sagesse qui l’emporte sur le commun 
des hommes ; il est actuellement dans les montagnes. » 
Alors le roi, voulant le mettre à l'épreuve, lui envoya un 
messager porteur d'un vase de lait fermenté qui était 
plein jusqu'aux bords ; le roi voulait signifier par là 
« Ma sagesse est complète ; qui pourrait y rien ajouter ?» 
Quand /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) eut recu le vase, il. 
comprit quel était le sens (de cet envoi) ; il recueillit 
parmi ses disciples cinq cents aiguilles qu’il enfonça dans 
le lait fermenté sans que celui-ci débordât; puis il ren- 
voya {le tout) au roi. Quand le roi l’eut reçu, il comprit 
quelle avait été sa pensée et dépêcha aussitôt un messager 
pour inviter /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) à venir; celui-ci 
se rendit à l’ordre du roi. Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) était 
de haute stature, et, comme il avait emmené avec lui 
tous ses disciples, il émergeait singulièrement de leur 
foule. Le roi était pénétré d’arrogance ; sous le prétexte 
d’aller à la chasse, il fit en sorte de le rencontrer sur la 





122 TSA PAO TSANG KING (N° 418) 


route ; quand il eut vu sa haute stature, il indiqua lui- 
même (à ses gens) un autre chemin et partit sans lui avoir 
adressé aucune parole. Il méditait secrètement de le 
mettre en défaut, mais personne des notables n’en savait 
rien. Cependant Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) se servit alors 
de son propre doigt pour indiquer sa poitrine en disant : 
« Moi pourtant je sais (ce que médite de faire le roi). » 

Le roi Van-fo, se proposant d'inviter (Nâgasena) à 
venir dans son palais, imagina de faire une petite cham- 
bre dont la porte était extrêmement basse ; il espérait 
obliger ainsi (Na-k'ia-sseu-na à se présenter à lui dans 
une posture inclinée. Mais ce (Va-k’ia)-sseu-na), qui 
savait qu’on voulait le faire tomber dans un piège, se 
refusa à entrer et ne subit pas cette humiliation. 

Puis le roi Van-lo prépara à boire et à manger et 
donna (à Nâgasena) plusieurs sortes de mets grossiers; 
quand (Nâgasena) en eut mangé quelques cuillerées, il 
déclara qu'il était rassasié. Mais on lui présenta ensuite. 
des mets exquis etil se remit à manger. Le roi lui dit : 
« Vous aviez dit précédemment que vous étiez rassasié ; 
comment se fait-il que vous vous remettiez à manger ? » 
(Na-k'ia-)sseu-na lui répondit : « J'étais rassasié de nour- 
riture grossière, mais je n'étais pas encore rassasié de 
nourriture exquise. » Il dit alors au roi : « Maintenant, 
veuillez, Ô roi, rassembler dans la salle une multitude 
d'hommes, de manière à ce qu'elle soit entièrement 
pleine. » On appela donc des gens pour remplir complè- 
tement la salle, de sorte qu’il n’y avait plus aucun espace 
vide ; le roi vint après tous les autres, et, comme il se 
proposait d'aller en haut de la salle, les hommes, par 
crainte de lui, se comprimèrent leurs ventres ; au milieu 
d'eux se produisit un espace libre qui aurait pu livrer 
passage à plusieurs hommes. (Va-k'ia-\sseu-na dit alors 
au roi : « La nourriture grossière est comme les gens du 
peuple ;lanourriture exquise est comme le roi. Quand ces 


TSA PAO TSANG KING (N° 418) 123 





gens sont en présence du roi, quel est celui d'entre eux 
qui ne s’écarterait de son chemin ? » 

Le roi lui demanda encore ceci : « Est-ce en sortant du 
monde ou en restant dans la vie laïque qu’on obtient la 
sagesse ? » (Na-k’ia-jsseu-na) répondit : « Des deux 
manières on obtient la sagesse. » Le roi reprit : « Si on 
l’obtient de l’une et de l’autre façon, à quoi bon sortir du 
monde ? » (Va-k'ia-)sseu-na répondit : « Prenons une 
comparaison : pour aller dans un endroit situé à trois 
mille /t d'ici, si vous envoyez un homme jeune et fort, 
monté sur un cheval, pourvu de provisions de bouches, 
et muni d’ustensiles et d'armes, cet homme pourra-t-il 
arriver promptement à destination? » Le roi ayant ré- 
pondu qu'il le pourrait, (Na-k'ia-) sseu-na reprit : « Si 
vous envoyez un homme vieux, monté sur un cheval éti- 
que et dépourvu de vivres, cet homme pourra-t-il par- 
venir à destination ? » Le roi répondit : « Même si on lui 
fournissait des vivres, je craindrais qu'il ne parvint pas (au 
terme de son voyage); combien plus, s'il n’a pas de 
vivres. » (Na-k'ia-sseu-na) dit alors : « Celui qui sort du 
monde pour obtenir la sagesse est comparable à l’homme 
jeune et fort; celui qui reste dans la vie laïque pour obte- 
nir la sagesse est semblable à l’homme vieux. » 

Le roi posa encore la question suivante : « Maintenant 
je désire vous demander ceci : Le moi qui est constitué 
par les choses qui sont dans mon corps, est-il permanent 
ou impermanent ? Répondez-moi d’une manière qui me 
satisfasse. » (Na-k'ia-) sseu-na demanda à son tour : « Les 
fruits de l'arbre ngan-p'o-lo (âmra) qui est dans le palais 
du roi sont-ils doux ou acides? » Le roi répondit : 
«Dans mon palais il n'y a aucun arbre de cette sorte; com- 
ment pouvez-vous me demander si ces fruits sont doux 
ou acides ? » {Va-k'ia-)sseu-na reprit : «Je vous répondrai 
moi aussi de la même manière ; tout l’ensemble des cinq 
viscères ne constitue point le moi ; comment pouvez-vous 


124 TS$A PAO TSANG KING (N* 418) 


me demander sice moi est permanent ou impermanent ? » 

Le roi posa encore cette question : « Dans la multitude 
des enfers, quand des lames tranchantes dépècent le corps 
et le dispersent en tous lieux, est-il vrai que l’individua- 
lité subsiste toujours ? » (Na-k’ia-)sseu na répondit : « Pre- 
nons une comparaison : quand une femme mange des 
gâteaux, de la viande, des melons, des légumes, tous ces 
aliments se dissolvent et se transforment ; mais quand elle 
devient enceinte, au moment du ko-lo-lo (kalala, l’em- 
bryon à son premier degré) il n'y a encore qu’une minus- 
cule poussière ; comment se fait-il que celle-ci se déve- 
loppe de plus en plus sans se dissoudre et sans se 
transformer ? » Le roi répondit : « C’est un effet de la 
force du karman. — Dans les enfers, répliqua (Va- 
l’ia-) sseu-na, c’est de même par la force du karman que 
le principe de l’individualité peut se conserver. » 

Le roi posa encore cette question : « Quand le soleil est 
au firmament, sa forme reste toujours identique à elle- 
même ; comment se fait-il qu’en été il soit très chaud et 
qu'en hiver il soit très froid, qu’en été les jours soient 
longs et qu’en hiver les jours soient courts ? » (Na-k'ia-) 
sseu-na répondit : « Sur la montagne Stu-mi (Sumeru) il 
y a une voie supérieure et une voie inférieure ; en été, 
le soleil passe par la voie supérieure ; le chemin est plus 
lointain et le parcours est plus lent ; (en outre, le soleil) 
se réfléchit sur la montagne d'or; voilà pourquoi les 
jours sont longs et pourquoi il fait chaud. En hiver, 
le soleil passe par la voie inférieure ; le chemin est plus 
proche et le parcours est plus rapide ; (en outre, le soleil) 
se réfléchit sur l’eau de la grande mer; voilà pourquoi les 
Jours sont courts et pourquoi il fait très froid. » 








TSA PAO TSANG KING (N° 419) 125 


N° 419. 


(Trip, XIV, 10; p..A0 r°.) 


Histoire de l'épouse dépourvue de piété filiale, qui, voulant 
faire périr sa belle-mère, tua son mari. 


Autrefois, il y avait une femme mariée qui était de 
méchant caractère et qui ne se conformait point aux rè- 
gles rituelles. Dans tout ce qu’elle disait et faisait, elle se 
trouvait en désaccord avec sa belle-mère; comme elle 
subissait les reproches irrités de sa belle-mère, elle en 
conçut un ressentiment dont elle ne pouvait se détacher ; 
ses sentiments de haine ayant atteint leur paroxysme, elle 
résolut de faire périr sa belle-mère et elle eut recours au 
moyen suivant; elle conseilla à son mari de tuer lui- 
même sa mère. Comme cet homme était sot et insensé, 
il suivit ses avis ; il emmena donc sa mère dans un endroit 
désert; 1l lui lia les pieds et les mains et il s’apprêta à la 
mettre à mort ; mais l’énormité de ce crime provoqua une 
émotion qui pénétra jusqu’au ciel; des nuages et des 
brouillards s’accumulèrent dans les quatre directions de 
l'espace et, à cause de cela, un coup de foudre descendit 
qui foudroya cet homme. La mère revint alors à la maison. 
Quand l'épouse lui ouvrit la porte, elle crut avoir affaire à 
son mari et lui demanda : « La mise à mort est-elle 
accomplie? » Sa belle-mère lui répondit : « Elle est 
accomplie. » Le lendemain, quand il fit jour, l'épouse 
reconnut que c'était son mari qui était mort. Telle fut la 
punition immédiate que reçut cet homme pour avoir com- 
mis un crime contre la piété filiale ; ensuite, il entra dans 
les enfers et y subit des tourments illimités. 


126 TSA PAO TSANG KING 


(Trip., XIV, 10, p. 4o r°-v°) {1). 


Chaque nuit, le roi de Bénarès entend dans le cimetière une 
voix qui l'appelle. Il charge un homme brave d'aller voir ce qui 
en est. Cet homme se trouve dans le cimelière en présence d’un 
dieu des richesses qui lui annonce que lui-même et sept com- 
pagnons viendront lui rendre visite le lendemain sous la forme 
de religieux ; il n’aura qu'à frapper avec un bâlon sur la tête de 
chacun de ces religieux et ceux-ci se transformeront aussitôt en 
autant de monceaux d’or. Le lendemain, tout se passe de la sorte. 
Mais un barbier, qui a vu secrèlement la scène, projette d’en 
faire autant ; il invite chez lui huit religieux et assène à chacun 
d'eux un grand coup de bâton. Il ne réussit qu’à les assommer 
el est arrêté par les gens du roi. 


EPIpas XIV 10 pDA0x°) 


Un vieux bhiksu dont l'âge a émoussé les facultés intellec- 
tuelles, demande à de jeunes bhiksus de lui donner les quatre 
fruits de la saintelé. Ces jeunes gens, qui veulent se railler de 
lui, le font asseoir dans un coin de la chambre et lui assènent 
un coup sur la têle avec un ballon de cuir en lui disant : « Voilà 
le fruit de srotâäpanna ». Le vieux bhiksu est si absorbé dans sa 
méditation, qu'il ne s'aperçoit pas du mauvais tour qu’on lui a 
joué ; il obtient en effet le fruit de sroläpanna. La même scène 
se répète pour le fruit de sakrdägâmin, pour le fruit d’anâgâ- 
min et pour le fruit d’arhat. Quand le jeu a pris fin, les Jeunes 
sens s’aperçoivent avec stupéfaction que le vieux bhiksu est 
effectivement devenu un arhat et ils se repentent vivement de 
leur sotte conduite. 


(1) Ce conte a été traduit par Ed.-Huber {B. E. F. E. O. vol. IV, pp. 707- 
709 qui l'a rapproché du premier conte du cinquième livre du Pantatantra. 








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T-A PAO TSANG KING (N° 420) 127 


RP, SENS 10, D. 4 2rp0.) 


_ Une femme très croyante demande à un vieux bhiksu de lui 
expliquer la Loi ; le bhiksu, qui s’en sait incapable, s'esquive en 
profilant de ce que la femme a fermé les yeux pour le mieux 
entendre ; quoique n'entendant rien, la femme resle attentive, 
et, par la force de sa méditation, elle obtient le premier fruit de 
la sainteté. Elle en exprime plus tard ses remerciements au 
vieux bhiksu qui se sent couvert de confusion. 


Ne -1202 


Crine, KIN A0 DD mr) 


Histoire du roi Yeou-lo-sien (Udasena. 


Autrefois, le roi Yeou-lo-sien (Udasena) demeurait 
dans la ville de Lou-lieou (Roruka) ; il était intelligent et 
perspicace et possédait une grande sagesse. Sa première 
épouse se nommait Yeou-siang (Laksanavati ; elle avait 
une beauté merveilleuse et en même temps elle agissait 
avec vertu ; le roi l’aimait et l’estimait fort et il avait pour 
elle une affection extrême. C'était la règle en ce pays que 
le roi ne jouât pas lui-même du luth (vinâ); cependant, 
cette épouse ayant confiance dans l'affection qu’elle inspi- 
rait, dit au roi: « Je désire que vous me jouiez du luth; 
quant à moi, je danserai pour vous être agréable. » Le roi 
ne put résister à son désir; il prit le luth et joua; sa 


femme leva alors les mains etse mit à danser. Le roi était 


fort versé dans l’art de discerner les pronostics ; quand il 
vit sa femme danser, il remarqua sur elle des pronostics 
de mort; il lâcha aussitôt le luth et, plein de chagrin, 


128 TSA PAO TSANG KING (N° 420) 


poussa de profonds soupirs. Sa femme lui dit: « Comme 
je jouis de votre faveur, à roi, je me suis permis dans cette 
chambre retirée de vous inviter à jouer du luth et je me 
suis levée moi-même pour danser afin que nous nous ré- 
jouissions ensemble. Quelle cause de mécontentement vous 
fait abandonner le luth et soupirer ? Je désire, Ô roi, que 
vous ne me cachiez rien et que vous me parliez ouverte- 
ment. » Le roi lui répondit: « Ce qui me fait pousser de 
profonds soupirs, c’est une chose que vous ne sauriez en- 
tendre. » Sa femme répliqua : « Maintenant, à roi, je vous 
sers avec une sincérité sans seconde ; si j'ai commis quel- : 
que manquement, il faut que vous me donniez un aver- 
tissement. » Comme elle ne cessait pas ses instances, le 
roi lui dit la vérité: « Comment aurais-je pu changer de 
sentiments à votre égard ? Quand vous vous êtes naguère 
levée pour danser, des pronostics de votre mort me sont 
apparus ; j'estime que vous n'avez plus que sept jours à 
vivre ; voilà la raison pour laquelle j'ai lâché mon luth et 
j'ai soupiré. » En entendant ces paroles, son épouse fut 
pleine de tristesse et de crainte ; elle dit au roi: « Puis- 
qu'il en est comme vous venez de le dire, Ô roi, ma des- 
tinée ne sera sans doute plus longue. Or j'ai entendu dire 
à la bhiksuni Che-che (maison de pierre — Çailà) que, si une 
personne peut avec un cœur croyant entrer en religion, 
ne füt-ce que pendant un seul jour, certainement elle 
obtiendra de renaître parmi les devas. C’est pourquoi donc 
je veux entrer en religion et je désire que vous m’y auto- 
risiez. Dès que j'aurai obtenu cette permission, je me 
mettrai en route.» Cependant le roi était fortépris; l'amour 
dont il la favorisait n’était point éteint; il dit donc à son 
épouse : « Au commencement du sixième jour je vous don- 
nerai mOn autorisation pour que vous sortiez du monde et 
que vous entriez en religion et je ne m'opposerai plus à 
votre désir. » Quand le sixième jour fut arrivé, le roi dit 
à son épouse : « Vous avez d'excellents sentiments et vous 











TSA PAO TSANG KING (N° 420) 129 


désirez sortir du monde ; si vous obtenez de renaître 
comme devi, ne manquez pas de venir me voir. À cette 
condition je vous autoriserai à sortir du monde. » Quand 
il eut fait ce serment, son épouse consentità ce qu'il exi- 
geait et alors elle put sortir du monde. Elle reçut les huit 
défenses; mais, ce jour-là même, comme elle avait bu beau 
coup de sirop de miel, elle eut un embarras gastrique et, 
le septième jour au matin, sa vie prit fin. Grâce à l’excel- 
lente cause (qu'elle s'était assurée en entrant en religion), 
elle obtint de naître parmi les devas. Elle conçut alors 
trois pensées : la première consistait à se rappeler quel 
avait été son corps d'autrefois ; la seconde consistait à se 
demander quelle action méritoire elle avait accomplie 
comme cause antérieure ; la troisième consistait à songer 
que présentement elle avait certainement un corps de devi, 
Quand elle eut eu ses pensées, elle connut quelle était la 
cause antérieure et en même temps quel était le serment 
qu’elle avait fait avec le roi. En vertu donc de ce serment 
d’auparavant, elle vint rendre visite au roi. En ce moment, 
un éclat illumina tout le palais du roi; le roi demarda : 
« Ce merveilleux éclat qui apparaît maintenant, à cause 
de qui se produit-il ? Je désire qu'on me le révèle. » La 
devi lui répondit: « Je suis votre femme, l'épouse Yeou- 
siang. » Quand le roi eut entendu cette parole, il désira 
qu’elle vint s'asseoir auprès de lui. Mais la devi lui répon- 
dit: « En ce qui me concerne, je considère que votre corps 
est souillé et je ne puis me rapprocher de vous intimement. 
À cause de mon serment d’auparavant, je suis venue vous 
voir. » En entendant ces mots, le roi sentit son cœur s’ou- 
vrir à la compréhension et il dit: « Cette devi que voici 
était autrefois ma femme ; parce qu’elle avait des senti- 
ments excellents, elle a demandé à entrer en religion ; elle 
est sortie du monde pendant un seul jour, puis sa vie prit 
fin ; à cause de cette action méritoire elle a obtenu de re- 
naître en qualité de devi. Sa pensée divine est haute et 
QUE 9 


13) TSA PAO TSANG KING (N° 420) 


s'étend au loin; aussi me considère-t-elle comme vil et 
méprisable. Pourquoi donc maintenant ne sortirais-je pas 
du monde ? J'ai entendu dire autrefois qu’un seul ongle 
d'un deva vaut tout le Jambudvipa; à plus forte raison 
mon seul royaume ne mérite-t-il pas qu'on y tienne. » 
Quand il eut ainsi parlé, il mit sur le trône son fils Wang- 
kiun (Râjasena) pour qu'il lui suecédât dans la dignité 
royale ; il sortit du monde, étudia la doctrine et obtint de 
devenir arhat. 

Or, le roi Wang-kiun, s'étant mis à gouverner le royaume, 
accorda sa confiance à des hommes habiles à calomnier et 
ne se soucia plus des intérêts du royaume. Le roi Yeou-l'o- 
sien (Udasena) songea avec pitié à son fils ainsi qu'aux 
habitants du royaume et il forma le projet d'aller les con- 
vertir pour qu'ils rentrassent dans la bonne voie. Quand le 
le roi Wang-kiun (Râjasena) apprit que son père allait arri- 
ver, il en eut des transports de joie illimités et voulut or- 
donner à tous les habitants d'aller à sa rencontre sur la 
route. Mais ses ministres calomniateurs, craignant d'être 
renvoyés, dirent au roi: « Présentement, 6 roi, vous por- 
tez sur votre tête la couronne céleste et vous êtes assis sur 
le trône de lion (simhäsana). Or, c'est la règle que deux per- 
sonnes ne peuvent s'asseoir à la fois sur le trône de lion ; 
si vous amenez ici le roi votre père, il reprendra la dignité 
royale et certainement vous fera périr. Si vous voulez con- 
server le pouvoir, il faut tuer le roi votre père. » Le roi 
Wang-kiun se sentit alors tout triste et déconcerté; il 
hésitait sans cesse entre divers partis; comme les remon- 
trances qu'on lui adressait ne cessaient pas, il conçut une 
mauvaise pensée et fit appel à un candâla pour tuer son 
père. 

Quand le Candâla eut reçu cette mission, il se rendit 
auprès du vieux roi et l’adora en se prosternant, puis il lui 
dit: « Auparavant, quand je suis venu ici, j'ai recu des 
bienfaits de vous ; aussi n’ai-je point en réalité le désir de 








TSA PAO TSANG KING (N° 420) 131 


vous nuire. Mais maintenant on m'a chargé de venir vous 
tuer ; si je ne vous fais pas périr, c'est certainement moi 
qu’on punira de mort.» Le vieux roi répondit : « Si je suis 
venu présentement, c'était dans le désir de convertir votre 
voi. Comment pourrais-je tenir à ma personne au point de 
causer votre condamnation à mort?» Alors il allongea 
‘son cou jusqu'à ce quil fût long de plus de cent pieds, 
puis il dit au tandâla : « Coupez-le comme il vous plaira. » 
Aussitôt Le candâla le frappa avec un glaive de toutes ses 
forces, mais la lame ne put lui faire aucune blessure. Le 
vieux roi, ému de compassion, prêta alors au tandâla une 
force surnaturelle, puis il lui dit : « Vous irez de ma part 
dire ceci à votre roi : Maintenant vous avez tué votre père, 
et, en outre vous avez fait périr un arhat; pour avoir com- 
mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir, car 
vous aurez ainsi accompli une faute qui se transmettra 
(d'existence en existence). » Après que le Candàäla eut recu 
ces instructions, il leva son glaive pour frapper de nouveau 
et il coupa la tête du vieux roi; puis il la rapporta dans le 
royaume. 
Quand le roi Wang-kiun vit la tête de son père dont le 
teint n’était point altéré, il comprit que son père avait 
obtenu la sagesse et ne convoitait point la dignité royale; 
des regrets alors lui vinrent; son cœur fut plein de cha- 
grin ; à force de pleurer et de se lamenter, il perdit connais- 
since ; au bout d’un long moment, quandil eutrepris con- 
naissance, il demanda au Candâla quelles paroles avait pro- 
noncées son père ; le Candâla révéla alors au roice que le 
“vieux roi lui avait ordonné de dire: « Vous avez tué votre 
père, et, en outre vous avez tué un arhat ; pour avoir com- 
mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir. » 
Quand le roi entendit ces paroles, son désespoir redoubla ; 
il dit: « Maintenant le roi mon père avait obtenu la sagesse 
d'arhat; comment aurait-11 convoitéle royaume? Cependant 


on m'a fait tuer mon père. » Or, les ministres calomnia- 


132 TSA PAO TSANG KING (N° 420) 


teurs, craignant que le roi ne les fit périr, lui tinrent ce 
langage : « Dans le monde comment y aurait-il des arhats ? 
à roi, vous ajoutez foi à de vains propos et c’est pourquoi 
vous vous affligez. » Le roi leur répondit: « Maintenant, 
quoique mon pére soit mort depuis plusieurs jours, sa 
tête n’a point changé de teint. S'il n'avait pas atteint la voie, 
comment pourrait-1l en être ainsi? En outre, du temps de 
mon père,les grands ministres Tie-che(Tisya) et Yeou- 
p'o-lie-che (Upalisya) sont tous deux sortis du monde et 
ont obtenu la voie d’arhat; ils ont fait toutes sortes de 
miracles dont nous avons été témoins. A leur nirvâna, on 
a recueilli leurs os et on a élevé des stüpas qui aujour- 
d'hui existent encore. Comment dites-vous qu'il n’y a pas 


(d'arhats) ? » 
Les ministres calomniateurs répliquèrent : « Dans le 


monde ceux qui s entendent aux recettes des incantations 
et qui possédent les forces magiques sont eux aussi capa- 
bles de faire des miracles. Les deux ministres dont vous 
avez parlé n'étaient pas des arhats; d'ici quelques jours 
nous vous en «donnerons la preuve. » Quand ils eurent 
ainsi parlé, ils pratiquèrent un trou au pied de chacun des 
deux stûpas, et, dans chaque trou, ils placèrent un chat; 
ils donnaient à manger à ces chats auprès du stüpa, et, 
quand ils disaient (à l’un deux): « Sors, Tie-che (Tisya), » 
le chat sortait pour manger de la chair; quand ils lui di- 
saient de s'en retourner, il rentrait dans son trou. Quand 
ils eurent ainsi dressé les chats et que ceux-ci furent bien 
dociles, ils dirent au roi: « Désirez-vous voir Tie-che et 
son compagnon ? Nous souhaitons que vous veniez les vor 
avec nous. » Le roi ordonna aussitôt d’atteler son char et 
se rendit aupres des stüpas. Ces hommes calomniateurs 
appelèrent «lors Tte-che (Tisya) en lui disant de sortir et le 
chat sortit en ellet du trou; ils lui ordonnèrent de s’en 
retourner el le chat rentra dans le trou. Quand le roi eut 
vu cela, son cœur fut entièrement obscurci; il put penser 








TSA PAO TSANG KING (N° 420) 133 


sans difficulté à l’acte qu’il avait commis et ne crut plus 
aux peines et aux félicités (futures). 

Un jour, le roi fit sortir son armée et, après s’être pro- 
mené pour se distraire, il s'en retournait lorsqu'il aperçut 
sur le chemin le vénérable Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) qui 
était assis correctement dans un endroit calme et qui, 
plongé dans la contemplation, était entré dans l’état de sa- 
mâdhi. Quand le roi le vit, il conçut aussitôt un mauvais 
sentiment, et, prenant une poignée de terre, il en couvrit 
de poussière le vénérable, puis il dit à ceux qui lPaccom- 
pagnaient: « Que chacun de vous me fasse le plaisir de 
jeter de la terre sur ÆXia-lchan-yen. » Alors la terre s’amon- 
cela et fit disparaître le vénérable. Cependant un grand 
ministre, qui mettait sa foi dans les trois Joyaux survint 
peu après ; il fut informé de ce qui s'était passé et en 
eut un chagrin extrême ; il s'empressa de dégager le véné- 
rable de la terre qui l’entourait et dit aussi à tous ceux 
quiétaient là: « Que ceux qui font cas de moi enlèvent cette 
terre.» Or,le vénérable se trouvait assis dans une grotte 
de lieou-li (vaidürya) ; sa divine personne était fraiche et 
luisante et n’était point souillée par la terre. Le grand mi- 
nistre plein de joie posa son visage en signe d’adoration 
sur les pieds du vénérable et lui dit: « Maintenant le roi, 
dépourvu de sagesse a commis ce méfait. Or le bien et le 
mal reçoivent certainement leur rétribution. Comment 
pourrait-il ne pas survenir de malheur? » Le vénérable 
lui répondit: « Dans sept jours le ciel fera pleuvoir de la 
terre qui remplira tout l’intérieur de cette ville et s’ac- 
cumulera en une montagne. Le roi et tous les habitants 
périront ensevelis. » Quand le grand ministre eut entendu 
ces paroles, son cœur fut pénétré de tristesse ; il alla aus- 
sitôt avertir le roi; d’autre part, il imagina un artifice et 
creusa un souterrain qui débouchait en dehors de la ville. 
Quand les sept jours furent accomplis, le ciel fit pleuvoir 
des fleurs parfumées, des joyaux et des vêtements ; dans 


131 TSA PAO TSANG KING (N° 420) 


la ville il n’y eut personne qui ne fût joyeux. Les ministres 
calomniateurs dirent au roi : «Ces heureux prodiges sont 
entièrement dus à la vertu du roi. Un homme sans sagesse 
a cependant prononcé de mauvaises paroles ; il a dit qu'il 
y aurait une pluie de terre et c’est des joyaux que nous 
obtenons. » Tels étaient les discours trompeurs qu'ils 
tinrent à plusieurs reprises. Les gens qui avaient une mau- 
vaise prédestination, apprenant qu'il y avait des prodiges 
excellents, accoururent tous comme des nuages. Or, aux 
quatre portes de la ville, par la force de causes cachées, 
des barrières de fer tombèrent en sorte qu’il n’y eut plus 
aucune issue pour s’enfuir et se cacher. Alors le ciel fit 
pleuvoir de la terre qui remplit toute la ville et s’accu- 
mula comme une montagne. Le grand ministre, avec ceux 
qui lui tenaient à cœur, sortit par le souterrain ; il se ren- 
dit auprès du vénérable et lui dit: « Je suis ému de ce que 
cette ville en un jour a péri ensevelie ; la terre, qui est 
tombée en pluie, a formé une montagne ; le prince et son 
peuple sont morts ensemble. Pour quelle cause antérieure 
ont-ils subi ce malheur ? » Alors le vénérable dit à ce 
grand ministre : « Écoutez-bien, écoutez-bien, je vais vous 
l'expliquer : 

Autrefois, il y a de cela tant et tant de kalpas, il y avait 
dans le royaume la fille d’un notable qui demeurait au 
sommet d'une maison à étages ; un jour que, de bon 
matin, elle arrosait et balayait, elle jeta les ordures 
qu’elle avait ramassées et atteignit la tête d'un bhiksu ; elle 
ne sut pas s’en repentir. Or, il arriva qu’elle se maria à un 
bon époux; les autres jeunes filles lui demandèrent : 
« Quel acte avez-vous commis pour obtenir cet excellent 
mari ? » Cette femme leur répondit : « La seule chose que 
j'ai faite a été de couvrir de poussière la tête d’un bhiksu 
en balayant l'étage supérieur de la maison. Voilà pourquoi 
jai trouvé ce bon mari. » Les autres jeunes filles crurent 
ce qu'elle leur avait raconté et rassemblèrent toutes de la 











TSA PAO TSANG KING (N° 420) 135 


terre dont elles se servirent pour couvrir de poussière 
les bhiksus. En raison de ces actes, elles ont toutes reçu 
cette rétribution ». 

Après avoir ainsi parlé, Æia-lchan-yen, en compagnie 
de la devi protectrice (de la ville de Roruka), se rendit 
dans la ville de Houa-che (Pâtaliputra). Depuis l'antiquité, 
cette dernière ville et la ville de Zou-lieou (Roruka) 
étaient alternativement l’une en prospérité et l’autre en 
décadence ; celle-ci ayant été détruite, l’autre devait rede- 
venir florissante ; telle était la raison pour laquelle Aia- 
ichan-yen et ses compagnons se rendirent dans la ville de 
Houa-che. | 

Le notable Æao-yin-cheng (à la belle voix — Ghosila) vint 
à la frontière de ce pays et présenta des offrandes au véné- 
rable. Ce notable était déjà depuis longtemps opulent; 
quand le vénérable fut entré dans sa maison, ses riches- 
ses augmentèrent et devinrent très supérieures à ce 
qu'elles étaient auparavant. Après être arrivé dans cette 
ville, le vénérable Æia-lchan-yen demanda au Buddha : 
« Pour quelle cause ce notable Æao-yin-cheng a-t-il une 
belle voix, possède-t-il une opulence illimitée et a-t-il 
des richesses qui s’accroissent toujours ? » Le Buddha 
lui répondit : « Dans les temps passés il y avait un no- 
table qui chaque jour envoyait un homme inviter cinq 
cents Pratyeka Buddhas à venir dans sa demeure où 
il avait préparé un repas pour eux. Cet homme, qui était 
chargé de les inviter, allait toujours accompagné d’un 
chien ; un jour, quelque affaire l’empêcha d'aller porter 
l'invitation ; le chien, à l'heure habituelle, se rendit seul à 
l'endroit où demeuraient les religieux et se mit à aboyer 
en se tournant du côté des religieux ; les Pratyeka Bud- 
dhas firent alors cette réflexion : « Les laïcs ont beaucoup 
d’occupations ; par négligence ils peuvent faire quelque 
omission. Ce chien qui est venu aboyer paraît nous avoir 
appelés.» Ils se rendirent alors ensemble chez le notable; 


136 TSA PAO TSANG KING (N° 420) 


celui-ci fut extrêmement joyeux et leur fit des offrandes 
suivant la règle. Celui qui en ce temps était le notable, 
c'est moi-même: l’homme qui était chargé du message, 
c'est A-na-lu (Amiruddha); celui qui était le chien, c’est 
aujourd'hui le notable ao-yin(-cheng); voilà pourquoi, 
d'existence, en existence il a une belle voix et possède 
beaucoup de richesses. Ainsi, le sage doit, en vue de se 
préparer un champ producteur de bonheur, s'appliquer de 
toutes ses forces à faire des offrandes. » 


CErip., MIN: 10, ph r-43 ra). 
Histoire de Rähula. 


Quand le Bodhisattva Siddhartha eut quitté le palais du roi 
son père, il se livra pendant six ans aux pratiques ascétiques 
avant d'atteindre à l'illumination. Pendant ces six ans, Yaco- 
dharâ fut enceinte et c'est seulement dans la nuit où son mari 
parvint à la connaissance parfaite qu'elle-même fut délivrée 
et donna le jour à Râhula. Comme :ïl y avait six ans qu’elle 
n'avait plus eu de rapports avec Siddhartha, elle se voit alors 
soupçonnée par les autres femmes du harem qui l’accablent 
d'outrages. Le roi Çuddhodana, atliré par les clameurs, 
apprend ce qui s’est passé et, à son tour, croit au déshonneur 
de sa belle-fille, malgré les protestations d'innocence que celle- 
ci ne cesse de faire entendre. Il convoque tous les Cäkyas qui 
sont unanimes à réclamer un châtiment exemplaire. On creuse 
donc une fosse qu'on remplit de bois enflammé et on se dispose 
à y Jeter Yaçodharà. Celle-ci, dans ce péril extrême, invoque 
l'appui surnaturel du Bodhisattva ; elle jure qu’elle est sans 
faute et demande que, si elle a dit vrai, il ne lui arrive aucun 
mal. Elle entre ensuite dans la fosse de feu qui se transforme ins- 
tantément en un étang d'eau pure au milieu duquel Yacodharâ, 
tenant dans ses bras Râhula, se trouve assise sur une fleur de 
lotus. Les Çàkyas sont convaincus par ce miracle et Râähula 
devient le favori de son grand-père, le roi Cuddhodana, qui ne 


: (1) Cf. Ta che lou louen chap. xvu (Trip., XX, 1, pp. 106 vo-107 r°). 











CR ES 


TSA PAO TSANG KING (N° 421) 137 


peut plus se passer de lui. Six ans plus tard, le Buddha revient 
dans son ancien royaume en compagnie de douze cent cin- 
quante bhiksus qui lui ressemblent exactement ; le jeune 
Râhula reconnaît cependant sans aucune hésitation lequel de 
tous ces hommes est son père. Le Buddha lui caresse le sommet 
de la tête de sa main qui porte le signe merveilleux de la roue ; 


il prouve ensuite par des stances que ce geste ne signifie point 


qu’il ait conservé aucune affection mondaine. 


NO 


CT rip XIV TO ND, HS Per) 
Histoire du vieux brahmane qui interrogea des trompeurs. 


Tous ceux qui sont fallacieux, fourbes et trompeurs se 
donnent des airs de droiture tandis qu'au dedans ils ne 
songent qu'à commettre des actions deshonnèêtes et per- 
fides. C’est pourquoi le sage doit savoir distinguer le vrai 
du faux. En voici un exemple : Autrefois, il y avait un 
brahmane qui, après être devenu vieux, prit pour épouse 
une jeune femme. Cette femme, qui avait de l’aversion 
pour son mari parce qu'il était vieux, commettait sans cesse 
adultère. Sa passion se manifestant ouvertement, elle en- 
gagea son mari à inviter à une réunion plusieurs brahma- 
nes jeunes et forts; mais lui, qui la soupconnait d'être 
vicieuse, ne voulut pas les attirer dans sa maison. Alors 
cette jeune femme imagina des stratagèmes de toutes 
sortes pour l’induire en erreur. Le fils de l'épouse défunte 
de ce vieux brahmane vint à tomber dans le feu ; quoique 
cette jeune femme l’eût vu tomber de ses propres yeux, 
elle ne le saisit pas pour le retirer. Le vieux brahmane lui 
ayant demandé pourquoi elle n'avait pas saisi l'enfant au 
moment où il était tombé dans le feu, elle répondit : 
« Depuis mon enfance je n'ai jamais approché que de mon 


138 TSA PAO TsANG KING (N° 421) 


mari et je n'ai touché aucun autre homme. Pourquoi vou- 
lez-vous donc m'obliger à prendre ce petit enfant qui est du 
sexe masculin ? » Quand le vieux brahmane eut entendu 
ces paroles, il pensa qu'elles étaient véridiques et alors il 
fit dans sa maison une grande réunion où il rassembla 
plusieurs brahmanes ; la jeune femme en profita aussitôt 
pour avoir des rapports avec eux. Quand le vieux brahmane 
en fut informé, il en conçut du chagrin ; il rassembla donc 


ses objets les plus précieux, fitun paquet deses vêtements 


et partit en abandonnant sa femme. 

Lorsqu'il fut loin de sa demeure, il vit sur la route un 
brahmane et le prit pour compagnon. Vers le soir ils cou- 
chèrent dans un même endroit, et le lendemain, au point 
du jour ils reprirent ensemble leur marche. Ils quittèrent. 
la maison de leur hôte et ils s’en éloignaient de plus en 
plus, lorsque ce second brahmane dit au premier : « Dans 
l'endroit où nous avons passé hier la nuit, il y avait un 
brin d'herbe qui est resté attaché à nos vêtements. Depuis 
ma jeunesse je n'ai jamais rien volé. Je suis donc fort 
confus de voir ce brin d'herbe sur mes vêtements. Je 
désire, pour rendre ce brin d'herbe, retourner chez notre 
hôte : attendez-moi ici pendant le temps qu’il faut pour 
aller et revenir. » Quand le vieux brahmane eut entendu 
ce propos, il y ajouta entièrement foi et redoubla d’affec- 
tion et de respect pour l'autre ; il lui promit donc de 
l'attendre. Le second brahmane prit par feinte le brin 
d'herbe comme s’il voulait le rapporter à son propriétaire ; 
mais, avant d’être allé bien loin, il entra dans un fossé 
où ilse coucha à plat ventre ; au bout d’un long moment 
il revint et prétendit qu'il avait restitué le brin d’herbe à 
son propriétaire. Ce vieux brahmane crut qu'il l'avait réel- 
lement fait et redoubla d'amitié et d'estime pour lui. 
Cependant, le vieux brahmane, trouvant une occasion 
favorable pour se laver et satisfaire ses besoins naturels, 
prit ses objets précieux et les confia à son compagnon. 














ET 


TSA PAO TSANG KING (N° 421) 139 


Aussitôt après, celui-ci emporta les objets précieux et 
s'enfuit. Quand le vieux brahmane eut reconnu qu'on lui 
avait volé son bien, il s’indigna contre cet homme ; puis il 
se sentit pénétré d’une douloureuse émotion. Triste et 
affligé, il continua son chemin avec découragement. 
Après avoir marché quelque peu, il se reposa sous un 
arbre ; or, il aperçut un héron qui, tenant dans son bec 
une tige d'herbe, disait aux autres oiseaux : « Il faut que 
nous ayons compassion les uns des autres et que nous 
nous réunissions en un même endroit pour y demeurer 
ensemble. » Ces oiseaux ajoutèrent tous foi à ses paroles 
et allèrent se rassembler en un lieu ; or, le héron attendit 
que tous les autres oiseaux fussent partis, puis il se 
rendit dans leurs nids pour y crever leurs œufs à coups de 
bec et en absorber le liquide et pour tuer leurs petits et 
les manger. Quand les autres oiseaux furent sur le point 
de revenir, il reprit dans son bec la tige d'herbe. A leur 
retour, les oiseaux virent ce qui s’était passé et se mirent 
à faire avec colère des reproches au héron; mais celui-ci 
leur répliqua qu'il n’y était pour rien. Sachant qu'il était 
de mauvaise foi, les oiseaux l’abandonnèrent et partirent. 
Après avoir encore passé quelque temps sous cet arbre, 
le vieux brahmane vit un religieux hérétique qui, vêtu 
d'une robe de moine, avançait pas à pas avec précaution en 
disant : « Partez, partez, êtres vivants. » Le vieux brah- 
mane lui demanda : « Pourquoi marchez-vous ainsi en 
psalmodiant les mots : Partez, partez ? » L’hérétique lui 
répondit : « Je suis entré en religion ; j'ai donc compas- 
sion de tous les êtres et je crains de blesser des insectes 
ou des fourmis ; c'est pourquoi j'agis de la sorte. » Quand 
le brahmane entendit les paroles que prononçait ce reli- 
gieux, il conçut une confiance absolue en lui; il se mit 
donc à le suivre et s’arrêta dans sa demeure pour y passer 
la nuit. L'hérétique dit au brahmane : «Il faut que je me 
relire dans la solitude et le calme pour perfectionner mes 


110 TSA PAO TSANG KING (N° 421) 


sentiments. Placez-vous dans cette autre chambre et cou- 
chez-vous là. » Le brahmane fut tout heureux d'apprendre 
qu'il se livrait à des pratiques vertueuses et il en concut 
de la joie. Mais, passé minuit, il entendit qu'on faisait de 
la musique, qu’on chantait et qu’on dansait; ilse leva pour 
regarder ; il s’aperçut alors que dans la demeure de ce 
religieux hérétique, il y avait un trou souterrain ; une 
femme en était sortie pour se livrer au plaisir avec l'hé- 
rétique ; quand la femme dansait, l’hérétique jouait du 
luth, et quand l'hérétique dansait, c'était la femme qui 
jouait du luth. Après avoir vu ce spectacle, le brahmane 
fit cette-réflexion : « Parmi tous les êtres de ce monde, 
qu'il s'agisse d'hommes ou d'animaux, il n’y en a pas un 
un seul quisoit digne de foi. » Puis il prononca cette gâthà : 

Il y a eu celle qui n'avait touché aucun autre homme (que 
son mari), — el celui qui rendit le brin d'herbe à son pro- 
priélaire, — el le héron qui, pour donner le change, le- 
nail une lige d'herbe dans son bec, — et l'hérélique qui 
craignait de faire du mal aux insectes ; — de telles paroles 
fallacieuses, — il n'en est aucune à laquelle on puisse ajou- 
ler for. | 

Or, dans ce royaume, il y avait un notable qui avait chez 
lui de grandes richesses et qui possédait toutes sortes 
d'objets précieux. Dans la nuit même (dont nous venons 
de parler), il fut dépouillé d'une grande quantité de ses 
biens. Quand le roi en fut informé, il demanda au notable 
qui fréquentait chez lui et avait pu ainsi lui enlever ses 
richesses. Le notable répondit au roi : « Je n'ai eu de 
rapports avec aucun homme pervers ou suspect ; seul un 
brahmane a été constamment en ma compagnie; mais 
c'est un homme qui purifie sa personne et qui conserve 
son intégrité ; il ne déroberait rien à qui que ce soit, car 
même un brin d'herbe qui était resté attaché à son vête- 
ment, il l’a rendu à son propriétaire. En dehors de lui, 
aucun autre homme (n'est venu chez moi). » Quand le roi 








1 
1 
= 
” 
J 


TSA PAO TSANG KING (N°5 421-429) 141 


eut entendu ces paroles, il fit arrêter le brahmane pour 
l’interroger. Le notable accourut alors dire au roi : « Cet 
homme a une conduite si pure que nulle personne au 
monde ne peut lui être comparé ; comment a-t-on pu un 
beau matin se saisir ainsi de lui? je désire, à roi, que 
vous le relâchiez. » Le roi répliqua : « J'ai déjà auparavant 
été informé qu'il y a des gens, tels que celui-ci, qui affec- 
tent au dehors la pureté et qui nourrissent dans leur for 


intérieur des pensées perverses. Ne vous affligez donc 


pas et laissez-moi faire mon enquête.» Ayant ainsi parlé, 
il soumit à un interrogatoire le brahmane qui, ne sachant 
plus querépondre et à bout d'arguments, finit par avouer 
la vérité. | 

C’est ainsi que le sage joue dans le monde le rôle d’un 
miroir qui sait bien distinguer le vrai du faux ; il est 


donc un guide pour les autres hommes. 


N2N122, 


Cris IN AO DD Sr) 


Hisloire de la femme du brahmane qui voulait faire 
périr sa belle-mère. 


Autrefois il y avait un brahmane dont la femme, jeune 
et d’une beauté remarquable, avait des désirs sensuels très 
vifs ; elle aurait voulu tenir une conduite débauchée, mais, 
à cause de la présence de sa belle-mère, elle ne pouvait 
agir à son gré. Elleformaalorssecrètementle projetcriminel 
de faire périr sa belle-mère. Elle feignit de la soigner 
avec piété filiale afin de toucher le cœur de son mari; du 
matin jusqu’au soir donc, elle était diligente et subvenait 
sans relâche à tout ce dont sa belle-mère avait besoin. Le 


142 TSA PAO TS\NG KING (N° 422) 


mari dit avec satisfaction à sa femme : « Par les soins dont 
vous vous êtes présentement acquittés, vous avez pu vous 
montrer une épouse douée de piété filiale ; si ma mère 
prolonge sa vieillesse, c'est grâce à vos efforts. » Sa 
femme lui répondit : « Maintenant, je n’ai fait que donner 
à votre mère des soins de ce monde et ce que je lui ai 
fourni pour son entretien n’est que peu de chose. Si elle 
pouvait obtenir les offrandes qui conviennent à une devi, 
je serais au comble de mes vœux. N’existe-t-il pas quel- 
que moyen merveilleux par lequel elle parviendrait à 
naître dans la condition de devi? » Son mari répliqua : 
« D'après les recettes des brahmanes, c’est en accomplis- 
sant des actes tels que celui de se précipiter du haut d’une 
paroi de rocher, ou de se jeter dans le feu, ou de brûler 
son corps avec les cinq sortes d’ardeurs, qu’on peut 
naître en qualité de deva. » La femme dit alors à son mari: 
« S'il y a de telles recettes, ma belle-mère pourra naître 
en qualité de devi et recevoir des offrandes qui lui vien- 
dront spontanément. Pourquoi serait-il nécessaire de 
déployer une application continuelle pour qu'elle recoive 
les offrandes de ce monde ? » Quand elle eut ainsi parlé, 
son mari la crut. | 

Tous deux alors disposèrent dans la campagne une 
grande fosse de feu et y accumulèrent des branchages 
afin d’y faire une fournaise ardente. Puis, auprès de cette 
fosse ils préparèrent une grande réunion. Ils y emme- 
nèrent en la soutenant leur vieille mère ; ils y convoquè- 
rent tous leurs parents ; une multitude de brahmanes 
vint aussi au lieu de réunion. On battit du tambour, on 
fit de la musique, on joua des instruments à cordes et 
on chanta ; quand les réjouissances eurent duré tout le jour, 
les invités s’en allèrent ; le mari et la femme restèrent 
seuls avec leur mère ; ils l’'amenèrent alors auprès de la 
fosse de feu et la poussèrent dedans, puis ils s’enfuirent 
sans regarder en arrière. 











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TSA PAO TSANG KING (N° 422) 143 


Or, dans cette fosse de feu il y avait un petitrebord ; la 
mère tomba sur ce rebord etne fut pas précipitée dans le 
feu ; elle put donc sortir de la fosse ; comme la nuit 
tombait, elle chercha à revenir dans sa demeure en suivant 
les traces de ses pas à l'aller. Mais le chemin traversait un 
bois où l'obscurité était profonde ; elle eut peur des tigres, 
des loups, des démonsetdesrâksasas etelle grimpa sur un 
petit arbre afin de se mettre à l'abri de tout ce qu'elle 
redoutait. Précisément alors, des voleurs qui avaient dé- 
robé des richesses considérables, arrivèrent les uns après 
les autres et se reposèrent en bande sous cet arbre. La 
vieille mère était saisie de terreur, et la crainte l’empé- 
chait de faire le moindre mouvement; mais elle ne put 
se retenir et éternua au sommet de l'arbre. En entendant 
le bruit de cet éternuement, les voleurs crurent avoir 
affaire à quelque méchant démon ; laissant là tout leur 
butin, ils s’enfuirent de tous côtés. Lorsque le jour fut 
venu, la vieille mère se sentit rassurée et n’eut plus aucun 
sujet de crainte ; elle descendit donc de l'arbre et recueillit 
tous Les objets précieux: c'étaient des colliers parfumés, 
des pendeloques de perles, des bracelets d’or, des pen- 
dants d'oreilles en pierres précieuses et toutes sortes de 
joyaux véritables et merveilleux ; elle en mit une pleine 
charge sur son dos etrevint dans sa maison. 

Lorsque le mari et sa femme la virent, ils restèrent 
frappés de stupéfaction et ils avaient peur, car ils pensaient 
qu’elle était surgie du milieu des cadavres et des démons. 
Comme ils n’osaient pas l’inviter à entrer, leur mère 
leur dit: « Après ma mort, je suis née parmi les 
devas et j'ai obtenu d’amples richesses. » Puis elle dit à 
la femme : « Ces colliers parfumés, ces pendeloques de 
perles, ces bracelets d’or et ces pendants d'oreilles, ce 
sont des dons que vous font votre père et votre mère, vos 
tantes et vos sœurs. À cause de mon grandâge et de ma 
faiblesse, je n'ai pas pu en prendre beaucoup sur mon 


144 TSA PAO TSANG KING (N° 422) 


dos. Mais je vous engage à vous faire envoyer là-bas et 
on vous en donnera autant que vous voudrez. » 

La femme ajouta foi à ces paroles et, pleine de joie, 
souhaita se précipiter dans la fosse de feu suivant la mé- 
thode qu'on avait adoptée pour sa belle-mère ; elle dit 
done à son mari : « Maintenant, lorsque ma vieille belle- 
mère aété jetée dans la fosse de feu, elle n’a pu prendre 
une grosse charge sur son dos à cause de ses faibles 
forces ; si j'y vais moi-même, j'obtiendrai sans doute 
beaucoup plus. » Le mari, pour se conformer à ce qu’elle 
disait, prépara donc une fosse de feu; puis il l’y précipita ; 
mais elle fut dévorée par les flammes et périt là pour tou- 
jours. | 

Un deva prononça alors cette gâthà : 

Le mari, à l'égard de sa vénérable mère, — n'aurait pas 
dû concevoir de mauvaises pensées ; — quant à la femme, 
qui avail voulu faire périr sa belle-mère, — c'est elle au 
contraire qui détruisit son corps par le feu. 


(rep; XIV, 10; D: GP UE): 


Les corbeaux et les hiboux sont en guerre ; voulant assurer le 
triomphe de son parti, un corbeau se fait mettre par ses congé- 
nères dans un état lamentable, puis, à la faveur de cette ruse à 
la Zopyre, il gagne la confiance des hiboux qui l’accueillent au 
milieu d'eux ; il entasse du bois mort dans leur antre sous le 
prétexte de le rendre plus confortable; puis, le moment favo- 
rable étant venu, il met le feu à tout ce combustible et les 
hiboux périssent consumés. 


(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I, pp. 31- 
36). Cf. Pañcatantra (III, 1 ; trad. Lancereau, pp. 197-208, 224, 228-231, 251- 
255, 258-262); Kalilah, ch. VIIT, n° 48 ; bibliographie de Chauvin, fascicule 
11095: 





TSA PAO TSANG KING - 145 
(Trip., XIV, 10, p. 44 v°) (1). 


Un bélier et une servante se haïssent parce que le bélier cher- 
che constamment à manger les grains que prépare la servante. 
Un jour, la servante qui tenait des braises dans sa main, les 
jette sur le dos du bélier qui est venu l’attaquer. Le bélier, sen- 
tant la cuisson de la flamme, se frotte dans tous les lieux où il 
passe et allume un grand incendie qui brûle le village et s'étend 
jusque sur la montagne où il consume cinq cents singes. Mora- 
lité : Il ne faut pas séjourner au milieu des gens qui se dis- 
putent. 


(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I, 
pp. 135-138). Cf. notre ne 387. 





ET: 10 





N° 4923. 





(Trip, XIV, -55pD. 29 V7) 


Voici ce que j'ai entendu dire : Un jour le Buddha était 
allé à Crâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin d’Anä-- 
thapindada et se trouvait avec une multitude de mille 
deux cent cinquante grands bhiksus. Il y eut un bhiksu qui, 
allant de tous côtés pour faire la quête et passant de lieu 
en lieu, entra dans la demeure d’une courtisane. Alors la 
courtisane, voyant ce bhiksu entrer et arriver dans sa de- 
meure, exulta de joie ; elle se leva aussitôt de son siège 
et vint l’accueillir en allant au-devant de lui; elle se pros- 
terna à ses pieds, le pria de bien vouloir (entrer) et le fit 
asseoir ; puis elle demanda au bhiksu d’où il venait. Le 
bhiksu répondit qu’il était chargé de faire la quête et 
qu’ainsi il était venu pour mendier. Alors cette femme. 
prépara pour lui des mets excellents de toutes sortes de: 
saveurs et en remplit son bol, puis elle le lui présenta. 
Le bhiksu l’accepta, puis se retira. 

Or ce bhiksu, après avoir reçu en abondance cette nour- 


(1) Le Cheng king (Nanjio, Catalogue, n° 669) a été traduit en l'an 285. 
p. C. par Fa-hou + É:3 (Nanjio, Catalogue, App. II, n° 23); mais cette. 
traduction est défectueuse au point d’être en plusieurs endroits inintelli- 
gible; je me suis donc borné à en extraire un petit nombre de pages. 
M. Ed. Huber avait déjà tiré de cet ouvrage un texte fort important qui 
se rattache étroitement au conte du roi Rhampsinite et des deux voleurs 
tei qu'il nous est raconté dans Hérodote (B. E. F. E. O,t. IV, pp. 704-707; 
cf. notre n° 379). 








CHENG KING (N° 493) 147 


riture exquise, douce et excellente, fut tout content et ne 
put résister au désir de se rendre à plusieurs reprises 
dans la demeure de la courtisane. Cette femme de son 
côté pensait : « Ce bhiksu observe la Loi avec une rigueur 
qu'ilest difficile d'égaler. » A plusieurs reprises donc, elle 
lui prépara des mets friands et succulents qu’elle lui don- 
nait. Les allées et venues du bhiksu ne cessaient pas, et, 
comme son instruction n’était pas encore complète, que 
sa conduite n’était pas bien nette et qu'il n'avait pas encore 
dompté tous les principes mauvais, en voyant la merveil- 
leuse beauté de la courtisane, des idées de débauche l’agi- 
tèrent et il eut envie de donner libre cours à ses passions. 
Il s'approchait de la courtisane ; sa bouche lui tenait un 
langage tendre et affectueux ; il se plaisait à gagner son 
cœur et à causer avec elle intimement ; il ne se lassait pas 
d'aller faire la quête chaque jour dans sa demeure. 

En voyant sa beauté, en écoutant sa voix, ce bhiksu 
avait été troublé par des idées de débauche et avait été 
plongé dans le trouble et dans la confusion sans qu'il pût 
reprendre son bon sens. Or, les livres saints du Buddha 
disent : « Quand les yeux voient une belle femme, on est 
agité par des pensées de débauche.» En outre, l'Honoré du 
Monde a dit : « Quand vous venez à voir une femme, si 
elle est âgée, qu’elle soit pour vous comme une mère ; si 
elle est d'âge moyen, qu’elle soit pour vous comme une 
sœur aînée ; si elle est jeune, qu’elle soit pour vous comme 
une sœur cadette, comme un fils, ou comme une fille. Il 
vous faut observer intérieurement son corps et penser que 
tout cela n’est qu'humeurs impures et qu'il n’y a là rien qui 
soit digne d'être aimé ; à l'extérieur, c’est une jarre ornée 
de peintures, mais à l’intérieur pleine d’ordures. Consi- 
dérez que ces quatre grands ‘éléments, la terre, l’eau, le 
feu et le vent, se sont combinés par l'effet de la causalité 
pour former (la femme), mais qu'il n'y à là vraiment 
aucune réalité, » 


figé. CHENG KING (N° 423) 


En ce temps, ce bhiksu, qui ne comprenait pas la con- 
templation du vide et se bornait à regarder ce qui prend 
forme corporelle, fut troublé par des pensées de débauche, 
et, s'adressant à la courtisane il prononça cette gâthà : 

O verlueuse femme, jeune, vierge, pure et chaste, — la 


beauté de votre visage est très merveilleuse ; — en regar- 


dant tous les délails de voire figure, je vois que rien ne les 
égale ; — de loul mon désir je souhaile que nous soyons 
unis. | 

Alors la courtisane, voyant que ce bhiksu lui tenait un 
tel iangage (se dit) : « Je ne savais point d’abord que ce fût 
un homme pervers et avide de débauche ; au contraire je 
l'ai traité comme s’il eût été pur, chaste et observateur 
des dépenses, car je pensais qu'il était bon et sage. Puis- 
que voici un symptôme qu'il se plait à pécher, je vais lui 
répondre nettement en m'inspirant de ce qu’il vient de 
me dire. » Elle répliqua donc par cette gâthà : 

Il vous faut m'apporter à boire el à manger, — (me don 
ner) des parfums, des fleurs, de beaux vélements — et des 
offrandes analogues de loutes sortes ; — alors j'irai avec 
vous. 

Le bhiksu répondit à la femme par cette gâthà : 

Je ne possède rien ; — regardez à quelles occupations je 
me livre ; — je subsiste en mendiant ; — ce qu'on me don- 
nera, Je vous en ferai part. 

Alors la courtisane chanta cette gâthà : 

S'il est vrai que vous ne possédiez rien, — pourquoi avez- 
vous résolu de demander quelque chose qui est difficile à 
oblenir ; — la conduile que vous avez tenue est éhontée; — 
partez au plus vile el éloignez-vous prompiement de ma 
demeure. 

Elle chassa donc le bhiksu et le poursuivit jusqu'à 
la porte du Jetavana. Les bhiksus se rendirent alors tous 
auprès du Buddha et, s'adressant à l’'Honoré du Monde, 
lui racontèrent ce qui s'était passé. Le Buddha leur dit : 






CHENG KING (N° 423) 149 





« Ce bhiksu, dans une existence antérieure a été une 
tortue d’eau, tandis que la courtisane était autrefois un 
singe ; alors aussi il fut l’ami (de la courtisane), mais, 
comme sa volonté n'avait pas obtenu le fruit (de la sagesse), 
il en est venu au contraire à la tromper peu à peu; iln’est 
pas entré dans la vraie doctrine et n’a fait qu’augménter 
ses tourments. Maintenant il en a été de même ; son 
âme a désiré la courtisane; mais son désir n'a pas été 
satisfait; au contraire il a subi un affront et s’en est allé 
couvertde honte.» Le Buddha dit : « Autrefois, il y a de cela 
des générations innombrables, dans l’eau d’un grand 
fleuve demeurait et voguait une tortue ; sur la rive de ce 
fleuve des arbres poussaient à foison ; parmi ces fourrés 
de bois, il y avait un singe qui habitait sur les arbres. Or 
la tortue étant sortie du fleuve aperçut de loin qu'il y 
avait un singe dans les arbres et se mit à converser avec 
lui ; petit à petit elle allait toujours plus avant et désirait 
se rapprocher de lui ; à plusieurs reprises elle avançait 
puis reculait; elle Le vit pendant plusieurs jours et chaque 
jour elle répétait ce manège. Comme elle ne se lassait pas 
de voir le singe, elle conçut des pensées de débauche ; 
son cœur en fut obseurci et fut troublé; elle fut envahie 
par l’impureté et ne put reprendre son bon sens ; alors 
elle prononça cette gâthâ en soupirant : 

Votre visage est rouge et jaune el vos yeux sont verts ; — 
vous errez parmi les fourrés d'arbres el vos jouez sur les 
branches ; — je voudrais maintenant vous demander, à vous 
dont le pelage est luisant, (si vous voulez savoir) — avec 
quelles intentions je désire vous rechercher el quels sont les 
sentiments que je conserve. 

Le singe répondit par cette gâthà : 

O lorlue, je sais maintenant loule votre histoire ; — vous 
avez élé le fils d'un roi el vous aviez de l'intelligence ; — 
maintenant pourquoi m'interrogez-vous? — en entendant 
vos paroles, je conçois quelques doules. 


150 CHENG KING (N° 423) 


Alors la tortue répliqua par cette gâthà : 

Mon cœur conserve toujours des intentions dont vous êles 
l'objel; — mon cœur éprouve pour vous des sentimenls 
d'affection el de sympathie ; — c’est pourquoi je vous 
demande — par quel moyen nous pourrons nous unir. 

Le singe répondit en chantant cette gâthà : 

O tortue, il vous faut savoir que je demeure dans les 
arbres — et que je ne saurais munir à vous. — À suppo- 
ser que vous vouliez arriver à être avec mot, — apportez- 
moi des offrandes dans les fourrés d'arbres. 

La tortue répondit à son tour par cette gâthà : 

Ce qui conslilue ma nourriture, ce sont des êtres de chair 
vivante — qui sont plus tendres et plus exquis que les fruits 
el les graines. — Il ne vous faut pas exiger de moi ce que 
Je ne saurais me procurer — en voulant que je vous apporte 
des prunes de loules sortes. 

Le singe répliqua alors par cette gâthà : 

Sivous ne demeurez pas sur les arbres — pourquoi me 
demander ce que vous ne sauriez obtenir ? — Maintenant 
vous m'avez considéré d'une manière éhonlée ; — partez 
donc de vous-même et au plus vile ; je ne supporterais plus 
de vous voir. 

Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui était en ce temps 
le singe, c’est aujourd’hui la courtisane ; la tortue, c’est le 
bhiksu chargé de faire la quête ; autrefois (la tortue) se 
laissa aller à ses passions et adressa une requête (au 
singe); mais elle ne put satisfaire son désir. Aujourd’hui 
aussi il en a été de même.» Quand le Buddha eut ainsi parlé, 
il n y eut personne qui n'éprouvât de la joie. 






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CHENG KING (N° 424) 151 


N° 424. 


(PIS AIN 6; pp: 20 1-27 r°) 


Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, 
il y avait un grand bois ; parmi les arbres de ce bois, une 
chatte sauvage rôdait ou demeurait immobile et se livrait 
à ses occupations. Étant restée tout un jour sans manger, 
elle avait faim et avait un désir extrême de nourriture ; 
elle aperçut au sommet d’un arbre superbe un coq sau- 
vage ; (ce coq sauvage) était d’une beauté remarquable ; il 
agissait avec un cœur bienveillant et témoignait sa compas- 
sion à toutes les sortes d'êtres, à ceux qui rampent et à 


ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux hommes et 


aux bêtes. Alors la chatte sauvage conçut dans son cœur 
des intentions funestes et voulut mettre en péril la vie du 
coq ; tout doucement elle s’approcha jusqu'à ce qu’elle füt 
sous l’arbre, puis, se servant d’expressions insinuantes, 
elle prononça cette gâthà : 

Nos pensées restent solitaires el nous sommes séparés 
l’un de l'autre ; — je mange du poisson et vous avez un beau 
vélement ; — descendez de cet arbre jusqu'à terre — el je 
serai voire femme. 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Vous avez quatre pieds — el moi j'ai deux palles ; — je 
considère qu'un oiseau el une challe sauvage — ne sau- 
raient être mari et femme. 

La chatte sauvage répliqua par ces gâthäs : 

Nombreux sonl les lieux que j'ai parcourus, — royaumes 
el villes, provinces el districts ; — mais je ne désire per- 
sonne d'autre — el toules mes pensées prennent leur plaisir 
en vous. — Volre corps apparaît beau el bien fail ; — 
votre visage est le premier de lous ; — mot aussi, j ai quel- 


152 CHENG KING {N° 424) 


que agrément ; — j'agis en vierge pure el chasle ; — il nous 


faut ensemble nous livrer à la joie — comme des gallinacés 


qui se promènent en liberté ; — tous deux ayant l’un pour 
l'autre le même amour, — ne serons-nous pas fort heu- 
reux ? 

Alors le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Est-ce que je ne vous connais pas ? — est-ce que je ne 
sais pas pourquoi vous m'adressez celle demande ? — Quand 
une affaire n'estpas encore arrangée dans tous ses délails, 
— celui qui est sage n’en fait pas l'éloge. 


La chatte sauvage répliqua de nouveau par ces gâthâs : 


Au moment où vous oblenez une épouse si parfaile, — au 
lieu (d'en êlre satisfait), vous lui frappez sur la lêle avec 
un bâlon. — En ce moment la pauvrelé vous tourmente ; 


— (si vous m'épousez), votre richesse sera comme s'il y 
avait eu une pluie de joyaux ; — vous serez aimé de mes: 


parents; — vous aurez une opulence illimilée ; — grâce à 
une épouse chérie, — le cœur calmé trouve un ferme 
appuu. 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Si je me décidais à vous suivre, — 6 vous dont les yeux 
verts sont comme de vilaines plaies, — je me verrais alors 
chargé de chaînes — et je serais comme enfermé dans une 
prison. 

La chatte sauvage répliqua par ces gâthàs : 

Vous n'avez pas de sympathie pour moi — et vos paroles 
sont comme des épines acérées ; — dans ces conjonclures, 
à quel moyen recourir pour vous atlirer ? — dans ma tris- 
lesse, il faul que j'y réfléchisse. — Mon corps n'est ni puant 
ni sale ; — il exhale un parfum de vertu conforme aux 
défenses ; — pourquoi voulez-vous m'abandonner — el vous 
en aller au loin dans d'autres lieux ? 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Vous voulez m'entraîner au loin ; — méchante el perverse 
comme un serpent, — vous en assouplissez la peau flexi- 


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CHENG KING (N° 424) 153 





ble (1), — et c'est ainsi que vous failes des discours ? 

La chatte sauvage répondit par cette gâthà : 

Descendez vile et venez ici ; — je voudrais vous témoti- 
gner quelque amitié; — je dois aussi averlir (de notre 
mariage) mes parents el mes voisins — el en informer mon 
_ père el ma mère. | | 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Je possède une (future) épouse qui est une jeune vierge — 
son visage est beau etses sentiments sont excellents ; — elle 
se conforme aux défenses et obéil à la Loi; — je lui con- 
serve mon affection el ne veux pas me délourner d’elle. 

La chatte sauvage répondit par ces gâthàs : 

Ainsivous me frappez avec un bâlon épineux (2)! — Dans 
ma famille on suit la vraie religion ;.— chez moi il y a un 
vénérable supérieur — qui nous améliore au moyen des 
défenses prescrites par la Loi. — Au dehors (de la maison) 
sont des saules — qui tous sont verdoyants el prospères 
en leur saison. — Tous nous prosternerons notre têle devant 
vous, — comme des brahmanes rendant un culte au feu. 
— Ma fanulle, par sa puissance, — honore et sert les brah- 
manes ; — grâce à (leurinfluence) propice, nous mettrons au 
monde beaucoup de fils — et ils nous feront étre fortriches. 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Le ciel vous accordera voire souhait — el c’est par un 
bâlon de brahmane qu'il vous frappera. — Dans le monde 
ny a-t-ul pas la Lot ? — pourquoi voulez-vous manger un 
coq ? 

La chatte sauvage répliqua par cette gâthà : 

Je ne mangerai plus de chair ; — exposée au soleil el à 
la rosée, je liendraiune conduite pure el chaste ; — j'hono- 


(1) Cette phrase me paraît signifier : Vos paroles sontdouces et flexibles 
comme la peau d'un serpent, mais votre naturel est aussi pervers que 
celui d'un serpent. 

(2) Plus haut, la chatte à dit que les paroles que lui adressait le coq 
étaient comme des épines acérées; elle reprend ici la même image. 


151 CHENG KING (N° 424) 





rerai el je servirai lous les devas ; — je ferai cela pour 
oblenir celle sagesse (que vous recommandez), 

Le coq sauvage répondit par ces gâthàs : 

Jamais on ne vil ni n’enltendil chose pareille : — une 
challe sauvage tenant une conduile chaste. — Vous désirez 
détruire quelque être — el vous éles un brigand qui veut 
dévorer un cog. — L'arbre et le fruit sont différents l'un 
de l'autre (1) ; — malgré vos belles phrases el votre badi- 
nage apparent, — je ne vous croirai jamais. — Comment 
pourriez-vous, Si vous aviez un coq en votre possession, ne 
pas le dévorer? — Un mauvais caractère finit toujours 
par être cruel. — Je considère votre visage qui est rouge 
comme le sang — el vos yeux qui sont verts comme la 
plante lan. — IT vous fault manger des rats et des insectes, 
— car vous n'aurez Jamais Un COQ À MANGET ; — pourquoi 
n'allez-vous pas prendre des rats ? — Avec votre visage 
rouge el vos yeux d'un verl franc, — quand vous criez en 


faisant miao, — foules les plumes dont je suis revêtu se 
hérissent; — je m'enfuis au plus vile et je cherche à me 
cacher ; — de génération en génération (moi el mes sem- 


blables) nous nous sommes éloignés de vous ; — pourquoi 
maintenant me rencontrer avec vous ? 

Alors la chatte sauvage répondit par ces gâthàs : 

Les visages sont-ils tous agréables à voir ? — les 
femmes qui sont belles sont-elles loules vierges ? — II 
importe de s'informer si l'attitude (de la femme qu'on veut 
prendre pour épouse) est digne — et quels sont ses autres 
mériles ; — tous les actes de bonne conduile doivent se 
trouver chez elle au complet ; — sa prudence et sa per- 
spicacilé doiventétre ingénieuses ; — quand vous connaîtrez 
la manière dont je me comporte dans ma famille, — (vous 
verrez que) nulle ne peut m'être comparée. — Je vais me 
bien laver ; — maintenant j'ai revêtu de beaux habits ; — 


(1) Vos actes ne sont pas d'accord avec vos paroles. 





CHENG KING (N°5 424-425) 155 


Je me mettrai à danser et à chanter des airs — pour qu'ainsi 
vous m'aimiez el m'estlimiez. — En outre, je vous laverai les 
pieds, — je peignerai le chignon de votre lêle — et je ferai 
des plaisanteries agréables ; — alors vous m'aimerez el 
vous m'eslimerez. 

Le coq sauvage répondit par cette gâthà : 

Je ne liendrais quère à la vie — si je permettais à un 
ennemi de peigner ma têle ; — si je faisais amitié avec 
vous, — je ne parviendrais jamais à un âge avancé. 


N°125. 


ÉÉRIpERR IN ES pen ve) 


Autrefois, il ya de cela des kalpas innombrables, il y 
avait un roi des singes qui demeurait sur les arbres d’une 
forêt. Il mangeait des fruits et buvait de l’eau ; il songeait 
avec compassion aux êtres de toutes sortes, à ceux qui 
rampent et à ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux 
hommes et aux animaux ; ilaurait voulu faire qu’ils fussent 
tous sauvés etles amener à l’état de non-composition. En 
ce temps, il avait contracté amitié avec une tortue; très 
intimes, il se respectaient l’un l’autre et au début ils 
n'étaient point en opposition l’un contre l’autre ; la tortue 
serendait fréquemment à l'endroit où se trouvait le singe; 
ils buvaient, mangeaient et causaient ensemble ; ils dis- 
couraient sur la droite justice et la raison. 

La femme (de la tortue), voyant qu’elle sortait souvent 
et ne restait pas chez elle, se dit qu'elle devait aller au 
dehors pour se livrer à la débauche et à des actes illicites; 
elle demanda doncà son mari : « Vous sortez souvent ; où 
allez-vous vous réunir (à d'autres personnes) ? Je crains 
que ce ne soit pour vous livrer à la débauche au dehors 


156 CHENG KING (N° 425) 


et mener une conduite déréglée. » Son mari lui répondit? 
« J'ai contracté amitié avec un singe ; il est intelligent et 
sage ; en outre il comprend la justice et la raison. Quand 
je sors, c’est pour me rendre chez lui et ensemble nous 
discutons sur la doctrine des livres saints ; nous ne par- 
lons que de sujets agréables et je ne me livre d’ailleurs 
à aucune débauche. » 

Sa femme ne le crut pas et pensa que les choses ne se 
passaient point ainsi ; en outre, elle était irritée contre 
le singe (et se disait) : « Il attire mon mari et le fait sou- 
vent aller et venir ; il faut que je trouve un moyen de le 
tuer. Mon mari alors cessera (ses sorties). » Elle feignit 
donc d’être malade ; épuisée et faible, elle gisait sur un 
lit; son mari veillait sur elle avec beaucoup de sollicitude ; 
il lui donnait des médicaments pour la soigner ; mais en 
définitive elle se refusait à guérir. Elle dit à son mari : 
« À quoi bon vous donner tant de peine et gaspiller ces 
médicaments ? ma maladie est fort grave. Il faut que j'ob- 
tienne le foie du singe avec lequel vous êtes lié d'amitié ; 
à cette condition je conserverai la vie. » Son mari lui 
répondit : « Ce (singe) est mon ami ; il m'a remis sa per- 
sonne et m'a confié sa vie ; nous ne nous sommes jamais 
soupçonnés l’un l’autre ; comment pourrais-je comploter 
contre lui, afin de vous sauver la vie ? » Sa femme lui ré- 
pondit : « Maintenant nous sommes mari et femme et 
nous ne faisons ensemble qu’un seul corps ; mais vous ne 
pensez pas à me sauver etau contraire vous agissez en 
faveur du singe. En vérité cela n'est pas juste et raison- 
nable. » 

Le mari, poussé à bout par son épouse et ayant d’ailleurs 
pour elle beaucoup d'estime, alla donc adresser cette 
requête au singe: « Je suis venu à plusieurs reprises et 
j'ai été auprès de vous ; ayez la bonté de ne pas consi- 
dérer comme injuste de vous rendre dans ma maison; 
maintenant, je désire vous inviter à venir dans ma de- 





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CHENG KING: (N°5 495- 496) 167 


meure pour y prendre un pêétit repas. » Le singe lui 
répondit : « J'habite sur la terre ferme, etvous dans l'eau; 
comment pourrais-je vous suivre ? » Cette tortue répondit : 
«Je vous porterai sur mon dos ; nous pourrons d’ailleurs 
considérer comme vaine toute cérémonie. » Le singe la sui- 
vit donc ; quand la tortue qui le portait sur son dos fut ar- 
rivée à mi-chemin, elle dit au singe : « Désirez-vous savoir 
ce que j'ai à vous demander ? Ma femme est épuisée par la 
maladie ; elle voudrait obtenir votre foie pour le manger et 
être délivrée de sa maladie. » Le singe lui répondit : « Pour- 
quoi ne m'en avez-vous pas parlé plus tôt? Mon foie est 
resté penduà l’arbre; revenez en toute hâte pourque j'aille 
le prendre. » Ils retournèrent donc l’un à la suite de l'autre. 
Dès que (le singe) fut revenu en haut de l'arbre, il se mit 
à bondir en témoignant sa joie. La tortue lui demanda 
alors : « Vous deviez prendre avec vous votre foie pour 
venir dans ma demeure ; voici qu'au contraire vous mon- 
tez en haut de l'arbre; vous sautez et gambadez ; que pré- 
tendez-vous faire ainsi ? » Le singe lui répondit : « Il n’y a 
pas dans le monde d’être plus sot que vous : comment se 
pourrait-il qu'ayant un foie je l’aie suspendu à un arbre ? 
Nous étions amis ; je vous avais remis ma personne et 
confié ma vie; vous cependant vous avez comploté contre 
moi et avez voulu mettre ma vie en péril. Dorénavant, nous 


_irons chacun de notre côté. » 


N°20: 
CAD RER IN ED DD 28 NEO) 
Dans un passé fort lointain, il y a de cela des kalpas 


innombrables, il y avait cinq ermites qui demeuraient 
parmi les montagnes et les marais; quatre d’entre eux 


153 CHENG KING (N° 426) 


étaient les maitres ; le cinquième les servait; il leur four- 
nissait ce dont ils avaient besoin et s'acquittait de sa tâche 
sans jamais faire aucun manquement; il recueillait des 
fruits et puisait de l’eau qu’il leur apportait à l’heure pres- 
crite; un jour qu'il était allé loin pour chercher des fruits 
et de l’eau potable, il s'endormit de fatigue et ne revint 
pas au temps voulu; comme l'heure de midi était passée, 
les quatre autres hommes furent privés de leur repas ; ils 


en conçurent du déplaisir et, irrités par la faim, ils dirent 


à leur serviteur : « Comment pouvez-vous vous acquitter 
ainsi de vos fonctions ? Puisque telle est votre conduite 
vous devez devenir un magicien de malheur et appartenir 
à une famille indigne. » 

En entendant ces paroles, le serviteur en ressentit un 
chagrin inexprimable ; il se retira sous les arbres et s'as- 
sitau bord d’une rivière en tenant un de ses pieds élevé 
(au-dessus de l’eau); plongé dans ses réflexions, il se fai- 
sait des reproches (disant) : « Après m'être donné de la 
peine constamment, pendant fort longtemps, voici que j'ai 
négligé d'offrir le repas à l'heure prescrite aux quatre 
ermites ; j'ai manqué aux enseignements de la sagesse et 
jé ne me suis plus conformé aux quatre sortes de bien- 
faisance.» En proie alors à une vive émotion, 1l mourut. 
Ses pieds étaient toujours chaussés de socques faites des 
sept substances précieuses ; comme il était assis en te- 
nant un de ses pieds relevé, il perdit une de ses socques 
précieuses qui tomba dans l'eau. 

Après que sa vie fut terminée, il naquit chez des héré- 
tiques, comme fils d’un magicien de malheur. Quand il 
fut âgé d'une dizaine d'années, il se trouvait jouer avec 
des camarades sur le bord de la route, lorsqu'un brahmane 
qui passait vit les enfants en train de jouer ; quoique leur 
multitude füt fort nombreuse, il les observa tous et 
saperçcut que le fils du magicien de malheur avait des 
indices de haute dignité et qu'il devait devenir roi; sa 






DR NT D, 





CHENG KING (N° 426) 159 


physionomie était très remarquable et était supérieure à 
celle des autres personnes ; le brahmane lui donna cet 
ordre : « Vous portez des indices qui marquent que vous 
serez roi ; il ne vous faut pas vous mêler aux jeux turbu- 
lents de la foule. » Le jeune garçon répondit : « Je suis le 
fils d’un magicien de malheur; comment aurais-je les 
indices qui marquent que je serai roi ? » Le brahmane 
reprit : « D’après nos règles saintes, votre visage et votre 
extérieur s'accordent exactement avec les diagrammes de 
nos livres de prédictions et par conséquent vous devez 
(être roi). Réfléchissez bien à mes paroles ; elles sont véri- 
diques et non trompeuses ; en tel mois et en tel jour le 
roi de ce pays mourra et certainement il vous cédera sa 
dignité. » Le jeune garçon répliqua : « Ne divulguez point 
cela et soyez d'accord avec moi pour garder le secret ; si 
les choses se passent comme vous me le dites, je saurai 
grandement reconnaître votre bienfait etje ne me permet- 
trai pas d’être arrogant. » Après que le brahmane eut fini 
de parler, il partit de là et s’en alla, en sortant du pays, 
dans un autre royaume. 

Quelques jours plus tard, le roi mourut sans laisser 
d'héritier. On invita à venir les hommes sages afin de 
faire de l’un d’eux le chef du royaume ; les ministres ras- 
semblés délibérèrent en disant : « Un royaume sans sou- 
verain est comme un homme sans tête ; il faut prompte- 
ment envoyer des émissaires pour rechercher avec soin 
quelque personne vertueuse que nous mettrons aussitôt 
sur le trône. » Les émissaires se répandirent dans les 
quatre directions; ils aperçurent de loin ce jeune garçon 
qui avait toute l'apparence d’un homme extraordinaire ; ils 
envoyèrent donc immédiatement des gens pour revenir 
dire aux ministres assemblés de bien vouloir venir cher- 
cher (le jeune homme) avec tout le cérémonial imposant 
dû à un roi et avec l'équipage d'apparat prescrit par la 
loi ; les ministres assemblés et tous les fonctionnaires sau- 


160 CHENG KING (N° 426) 





térent de joie, et, conformément à ce qu’avaient dit les 
envoyés, ils vinrent chercher (le jeune homme) avec 
un équipage imposant ; on le baigna dans de l’eau par- 
fumée ; on lui donna les vêtements de cour des cinq sai- 
sons (1); on le coiffa du bonnet précieux et on lui remit 
l'épée et la ceinture conformément à ce qui était en usage 
sous le roi précédent; par-devant et par-derrière des gardes 
le précédaient et l'escortaient, et on ne s’écarta en rien des 
statuts du royaume. (Le jeune homme) monta donc sur le 
trône, se tint dans la salle principale et, tourné vers le 
sud, rendit des décrets. Tout le pays jouit de la tranquil- 
lité et la population exultait de joie. 

Sur ces entrefaites, le brahmane, en observant en haut 
les signes célestes, et, en considérant en bas la disposition 
de la terre, reconnut que le (jeune homme) avait obtenu la 
succession au trône. Il se rendit donc à la porte du palais 
et demanda à le voir; le surveillant de la porte vint 
annoncer : « Il y a dehors un brahmane qui demande à 
voir Votre Majesté. » Le roi donna l’ordre qu'on l’admiît 
en sa présence ; le brahmane entra, et après avoir remercié 
par des prédictions et exprimé des vœux par des formules 
magiques, il dit au roi : « Maintenant que (ce que je vous 
avais dit) s'est réalisé, êtes-vous diposé à observer vérita- 
blement le serment que vous avez fait autrefois ?» Le roi 
lui dit: « En vérité, Ô religieux, vous avez une perspi- 
cacité surnaturelle; c'est grâce à votre bienfait que j'ai 
obtenu cette félicité. » Le roi ajouta : « O religieux, dési- 
rez-Vous que je vous donne la moitié de mon royaume et 
que je partage avec vous mes trésors d'objets précieux ? 
Une épouse, des concubines, des chars, des chevaux, des 
serviteurs, vous aurez tout ce que vous désirerez. » Le 
brahmane répondit : « Je ne désire rien de tout cela. Je 
vous exprime seulement deux désirs ; le premier est que 


(1) Les quatre saisons et la saison des pluies. 





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ri) vs MT 


CHENG KING (N° 496) 161 


pour manger et pour boire, pour marcher et pour s'arrêter, 
pour se vêtir, pour se coucher et pour se lever, moi et 
vous, Ô roi, fassions tout cela ensemble et en nous atten- 
dant l’un l’autre; mon second désir est que je participe 
avec vous aux délibérations sur les affaires du royaume, 
que toute décision soit prise d’un commun accord entre 
vous et moi et qu'aucun de nous deux n’agisse de sa seule 
autorité. » Le roi dit : « Fort bien. Tenir compte de ces 
deux désirs et m'y conformer, n’est-ce pas chose facile ? » 

Le roi se mit à gouverner son royaume ; il observait 
toujours la droite règle et ne faisait aucun tort à la foule 
du peuple. Le brahmane, qui recevait ses bienfaits, en 
conçut de l’arrogance ; il traitait avec mépris les plus 
hauts fonctionnaires. Les ministres en furent irrités et 
vinrent présenter des remontrances (au roi) en lui disant: 
« 0 roi, votre majestueuse dignité est fort élevée ; il vous 
faut délibérer avec les plus vieux et les plus expérimen- 
tés des ministres d'état ; or, vous ne vous confiez qu’en un 
mendiant et vous faites ainsi qu’il méprise et outrage tous 
vos officiers. Quand les royaumes voisins l’apprendront, 
vous leur prêterez à rire et cela causera tous les maux des 
attaques à main armée. » Le roi leur dit : « Quand j'étais 
jeune, j'ai faità cet homme un ancien serment ; comment 
pourrais-je le violer ? » Ses ministres continuèrent à lui 
adresser des remontrances en lui disant: « Quand, 6 roi, 
vous prenez vos repas, il suffirait qu'un beau jour vous 
ne l’attendiez pas pour que certainement il change (de 
conduite). » Le roi y consentit donc; il épia le moment où 
le brahmane était sorti, et, sans attendre son retour, il se 
mit à manger avant lui. Le brahmane {étant revenu) lui dit 
avec colère : « Que signifie notre ancienne convention 
pour que vous mangiez maintenant seul avant moi? » Le 
roi répliqua : « Je mange, il est vrai, avant vous ; comme 
vous étiez sorti et n'éliez pas encore de retour; j'ai pré- 
paré pour vous une autre table pour que vous ÿ mangiez ; 

LLE 1! 


162 CHENG KING (N° 426) 


c'est vous qui êtes venu en retard. » Le brahmane l’in- 
juria en disant : «Hé, fils d’un magicien de malheur vous 


ne tenez pas compte de la justice et vous violez votre an-. 


cien serment. » 

Tous les ministres, en entendant ces paroles, et en 
voyant que, en leur présence, il outrageait le souverain, 
proposèrent unanimement qu’on le fit périr ; le roi invita 


ses ministres à lui indiquer de quel châtiment il faudrait , 


le punir ; ils s’avancèrent tour à tour pourdire, l’un, qu’il 
fallait le tuer en le faisant cuire à la vapeur dans un vase 
de terre percé de trous; un autre, en le faisant bouillir ; 
un autre, en l’écartelant; un autre, en le pilant dans un 
mortier; un autre, en lui faisant subir les cinq {chan (1) 
qui sont: couper les oreilles, trancher la langue, arra- 
cher les yeux. Le roi ne consentit à rien de tout cela et 
dit : «J’observe les règles religieuses ; mon cœur affec- 
tueux est miséricordieux pour toutes les espèces d’êtres ; 
je ne ferais pas de mal même à un reptile ; à plus forte 
raison ne mettrais-je pas en danger la vie d'un homme. Je 
me bornerai à le chasser promptement hors du royaume 
après l'avoir bien approvisionné. » 

En conformité avec cet ordre, les ministres donnèrent 
(au brahmane) des vêtements et des grains pour le voyage, 
puis ils le firent sortir du territoire. Allant solitaire sur 
une longue route, il était exposé aux atteintes du froid et 
du chaud ; épuisé de forces et consumé de chagrin, il 
n'avait plus forme humaine lorsqu'il arriva dans un autre: 
royaume. Il se rendit chez un brahmane étranger avec 
lequel il avait eu des relations d'amitié. Celui-ci lui 
demanda ensuite : « D'où venez-vous ? Quelles connais- 
sances avez-vous réunies etacquises ? À l'étude de quelles. 


(1) Le mot ksana est, d'après les lexiques, l'équivalent de mârana qui 
signifie « supplice ». Il semble que ce soit ce mot que recouvre la tran- 
scription chinoise {chan.Mais notre texte n'énonce que trois des cinq sup- 
plices. 











CHENG KING (N°426) 163 


règles vous êtes-vous consacré ? Pouvez-vous me réciter 
tout ce que vous avez appris ? » L'autre répondit : « Je 
viens de loin ; souffrant de la faim et du froid, j'ai été dans 
la détresse et j'ai oublié tout ce que je savais par cœur. » 
Le brahmane songea à part lui: « Toutce que cet homme 
savait par cœur, il l’a maintenant oublié. Il est incorrigi- 
ble. Il faut l’inviter à se livrer aux travaux des champs. » 
I lui donna donc un esclave ainsi qu'une charrue et un 
bœuf pour qu'il labourât. 

Or, le premier brahmane, en labourant et en semant, 
accabla de corvées son esclave, lui ordonnant avec dureté 
d’égaliser le sol et l’envoyant courir tantôt à l'Est, tantôt 
à l'Ouest. Désespéré, l’esclave voulut aller se jeter à l’eau; 
quand il arriva sur le bord de la rivière, il trouva une soc- 
que faite des sept substances précieuses ; il songea alors 
« Si je veux donner cet objet à mon ancien maitre (1), 
celui-ci ne me fera aucun bien; si je veux le donner à mon 
père et à ma mère, ils ne manqueront pas de le vendre 
pour avoir de quoi manger. Le brahmane (2) a été dur pour 
moi et m'a chargé de corvées sans rémission; je vais lui 
faire un présent en lui offrant cette socque et je m’assu- 
rerai ainsi quelque indulgence. » Il revint donc en rap- 
portant la socque qu'il présenta au brahmane ; le ‘brah- 
mane tout joyeux se dit en lui-même : « Cette socque 
faite des sept substances précieuses a une valeur inesti- 
mable; j'ai déplu au roi, mais, si je lui offre cette socque, 
ma faute pourra être effacée. » 

En conséquence, il revint dans le royaume de ce roi et 
offrit la socque au souverain en exposant un profond 
repentir de son crime passé et en implorant son pardon. 
Le roi lui dit :« Fort bien ». Il le fit alors entrer derrière 


(1) Le brahmane étranger qui avait donné cet esclave au premier brah- 
mane. 

(2) Le premier brahmane, c'est-à-dire celui qui avait prédit au roi son 
avènement au trône. 


164 CHENG KING (N° 426) 





une tenture et l’assit sur un siège à part ; puis il réunit 
toute l'assemblée de ses ministres et leur dit : « Vous tous, 
avez-vous vu le brahmane qui fut précédemment chassé ? » 
Ils répondirent qu'ils ne l'avaient pas vu. (Le roi reprit) : 
« À supposer que vous le voyiez, que faudrait-il lui faire ? » 
Is répondirent qu'il faudrait lui couper les mains et les 
pieds, lui trancher les oreilles et le nez, le décapiter, le 
partager par le milieu du corps, lui appliquer les cinq sup- 
plices. Le roi dit : « À supposer que vous le voyiez, pour- 
riez-vous le reconnaître? » Ils répondirent qu'ils ne le 
distingueraient pas. Le roi produisit la socque précieuse 
et la montra à l'assemblée de ses ministres, puis il ordonna 
au brahmane de sortir pour que les ministres le vissent ; 
(il dit) : « (Puisque ce brahmane) m’a procuré ce merveil- 
leux joyau, il faut lui pardonner. » Ses ministres lui dé- 
clarèrent : « Ce brahmane a commis un crime grand 
comme une montagne, grand comme la mer. On ne sau- 
rait le gracier. L'offrande qu'il fait d’une seule socque ne 
constitue pas une réparation suffisante. S'il retrouve la 
paire, alors sa faute pourra être effacée. » Le roi approuva 
cet avis et, pour la seconde fois, chassa le brahmane en 
l'invitant à rechercher l’autre socque. 

Le brahmane désolé, (se disait) : « Je gémissais autrefoiset 
voici que maintenant on m'impose de nouveaux efforts. » 
Il retourna chez son ancien maître ; celui-ci lui demanda : 
« Où êtes-vous allé et d’où venez-vous ? » Le brahmane 
cacha ce qui s'était passé et n’osa pas le lui avouer; il dit: 
« Je reviens d'un voyage quelconque. » (Son maître) lui 
remit donc la charrue, le bœuf et l’esclave et Le chargea 
de labourer et de semer comme précédemment. Le brah- 
mane demanda alors à l’esclave : « Cette socque précieuse 
que vous aviez naguère, où l'avez vous trouvée ? » L’esclave 
alla avec lui pour lui montrer l’endroit où était la socque; 
ils arrivèrent au bord de l’eau et cherchèrent partout, 
mais sans découvrir l'endroit où était (l’autre) socque. 











CHENG KING (N° 426) | 165 


L’esclave l'ayant quitté et s’étant éloigné, le brahmane se 
dit que la (première) socque précieuse avait dû venir de 
plus haut en suivant le courant et que, si on allait plus bas 
pour chercher {la seconde), on ne la trouverait pas. 

Il se mit donc à marcher en remontant le cours de la 
rivière ; il aperçut une grande fleur de lotus qui suivait le 
fil de l’eau et qui tournoyait sur les flots ; un poisson la 
tenait dans sa bouche ; cette fleur était fort grande et avait 
plus de mille pétales. Le brahmane songea que, bien qu’il 
n’eût pas trouvé la socque, s’il offrait cette fleur, il pourrait 
peut-être se faire pardonner sa faute et recouvrer la faveur 
dont il jouissait autrefois. Il s’empara donc de cette fleur; 
alors, il aperçut les quatre ermites (1) qui étaient assis sous. 
un arbre; il s’avança, se prosterna devant eux, s’informa 
de leur santé et leur demanda si leurs saintes personnes 
jouissaient des dix mille félicités ; les ermites lui dirent : 
« Oui ; mais d’où venez-vous ? » Il répondit : « J’ai déplu 


au roi; bien que je lui aie offert une socque, cela n’a pas 


suffi à effacer ma faute; c’est pourquoi je suis venu en 
remontant le cours de la rivière pour chercher (l’autre 
socque), mais je ne l’ai pas encore trouvée. » Les ermites 
lui dirent: « Vous êtes un homme instruit et vous deviez 
savoir comment vous comporter. Ce roi du royaume est 
notre disciple (2) ; il vous traitait avec affection et avec 
estime ; avec vous, 1l mangeait, s’asseyait et se levait et il 
vous associait à ses délibérations. Comment se fait-il 
qu'un beau jour vous l’ayez injurié en l’appelant fils de 
magicien de malheur? Votre faute est grave et on aurait dû 
vous mettre à mort; or, maintenant on ne vous en de- 
mande pas compte. » Du doigt ils lui indiquèrent (une 
place) sous un arbre ; là se trouvait l’ancien corps du roi, 

(1) Les quatre ermites dont il a été question au commencement du 
conte. Tout ce récit est d’ailleurs fort embrouillé et paraît avoir été altéré 
par le traducteur chinois. 


(2) Celui qui, autrefois, avait été le serviteur des quatre ermites (cf. 
p.196; ligne l!. 


166 CHENG KING (N°5 426-427) 


celui qu'il avait quand il était le serviteur (des ermites), 
quand il leur apportait la nourriture, quand il s'était assis 
en tenant un pied élevé en l'air, quand il était mort de 
l'intensité de son émotion et quand une de ses socques 
précieuses était tombée dans l’eau ; l’autre socque était 
encore à son pied. Le brahmane alla aussitôt prendre celle- 
ci; quand il eut la socque, il se prosterna la tête contre terre 
et s’excusa de sa faute (auprès des ermites). Étant revenu 
dans le royaume, il offrit encore (cette socque) au souve- 
rain ; le roi fut joyeux et l’animosité des ministres se dis- 
sipa ; le brahmane retrouva la faveur et les dignités (dont 
il avait joui autrefois). 

Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui alors était Le roi, 
c'est moi-même ; les quatre ermites sont le Buddha Æeou- 
lieou-ts’in (Krakuëtanda), le Buddha Æeou-na-han-wen-ni 
(Kanakamuni), le Buddha Xra-che (Käçcyapa) et le Buddha 
Mi-lei (Maitreya). Quant au brahmane, c’est T’iao-la (Deva- 
datta). » Quand le Buddha eut ainsi parlé, il n’y eut per- 
sonne qui ne fût satisfait. 


N°27: 


CPR EXTINEE 0 Dh 3780-8800) 


Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, 
il y avait un roi nommé J'a-lch'ouan (grand bateau) ; le ter- 
ritoire de son royaume était étendu ; ses nombreux offi- 
ciers et ses grands ministres formaient aussi un vaste 
ensemble ; son pays était fertile ; son peuple était prospère. 
Ce roi avait cinq fils: le premier était avisé ; le second 
était ingénieux ; le troisième était beau ; le quatrième était 
énergique; le cinquième avait la vertu qui procure le 
bonheur. Chacun d'eux fit l'éloge de ce qui constituait sa 
propre supériorité. Celui qui était avisé loua la qualité 











D  _ —* 


CHENG KING (N° 427) 167 


d’être avisé comme la première des vertus en ce monde 
et chanta cette gâthà : | 

Être avisé est la première (des vertus); —(cette vertu) peut 
trancher lous les doules, — résoudre les cas difficiles à 
décider, — défaire avec accord les nœuds formés par de 
vieilles haines ; — elle peut, en ayant recours à des moyens 
appropriés aux circonstances, — faire que les hommes 
obtiennent ce qui leur est dû. — Tous, en la voyant, sont 
Joyeux — el la célèbrent unanimement. 

Le second fit l’éloge de l’ingéniosité et chanta cette 
gâthà : 

L'ingéniosité a des artifices adroits ; — elle peut fabri- 
quer beaucoup de choses ; — avec des mécanismes elle fait 
un homme en bois — qui peut vraiment ressembler à un 
homme, — qui remue, qui se courbe el qu se dresse. — 
Tous ceux qui la voient à l'œuvre sont contents ; — tous 
reconnaissent sa valeur et lui font des présents ; — son habr- 
leté esl une ressource en laquelle on se fie. 

Le troisième homme fit l'éloge de la beauté et chanta 
cette gâthà : 

La beauté est la première ; — quand une personne est 
d'une beauté qu'il serait difficile d'égaler, — les hommes 
en foule conlemplent son visage ; — il n'est personne au 
près comme au loin qui n'ait entendu parler d'elle ; — tous 
accourent pour l’honorer — et pour la servir avec un zèle 
universel ; — les gens de sa famille la traitent avec respect 
comme un deva ; — elle est semblable au soleil quand il 
émerge des nuages flottants. 

Le quatrième homme fit l’éloge de l'énergie et chanta 
cette gâthà : 

L'énergie est la première ; — par l'énergie on va sur la 
grande mer ; — on peul traverser loutes les difficultés les 
plus pénibles — el acquérir en quantilé des richesses pré- 
cieuses ; — l’homme vaillant peut faire beaucoup de choses ; 
— c'est par celle qualilé que rien ne lui fait obstacle. — 


168 CHIENG KING (N° 427) 


Dans ses occupalions habituelles tout lui réussit; — ses 
parents el ses voisins l'admirent, l'aiment et le célèbrent. 

Le cinquième homme fit l'éloge de la vertu qui procure 
le bonheur et chanta cette gâthà : 

La vertu productrice de bonheur est la première ; — là 
où elle se trouve, on obtient spontanément (ce qu’on désire) 
— bonheur el joie sont sans limiles ; — de naissance en 
naissance on a un champ producteur de bonheur ; — par 
ce bonheur on devient Cakra, maître des devas, — ou 
Brahma devaräja, ou un rot qui fait tourner la roue (takra- 
varlin) ; — on oblient aussi de réaliser en soi la sagesse 
d'un Buddha, — et d'être parfailement un roi de la Loi 
sage. 

Quand ils eurent tous parlé de ce qui constituait leurs 
supériorités respectives, chacun d’euxavait ditquela sienne 
était la première et il n'y avait pas moyen de décider entre 
eux. Chacun d’eux restait ferme dans son opinion et ne 
voulait pas se soumettre à un autre. Ils se dirent alors 
l’un à l’autre : « Que chacun de nous mette à l'essai ses 
propres mérites et manifeste ses marques distinctives 
d'homme de valeur (purusa). Parcourons au loin les divers 
royaumes et allons dans des pays étrangers; alors on 





discernera quelle est, parmi ces vertus extraordinaires, 
celle qui est la première. » 

Celui qui était avisé alla donc dans un royaume étranger ; 
il fit des enquêtes pour savoir quels étaient parmi les 
habitants de ce pays ceux qui étaient bons et ceux qui 
étaient mauvais, quels étaientles prix des grains, qui étaient 
les hommes puissants et riches et qui étaientles hommes 
de condition humble et sans influence. Il apprit que, dans 
ce royaume, il y avait deux notables, d’une puissance et 
d'une richesse difficiles à égaler, qui avaient été autrefois 
amis intimes et qui s'étaient, dans l'intervalle, séparés ; 
plusieurs hommes avaient fait des machinatiors perverses 
et les avaient mis aux prises pour qu'ils devinssent enne- 








CHENG KING (N° 427) 169 


mis ; plusieurs années s'étaient écoulées sans qu'ils pussent 


se réconcilier. Cet homme avisé imagina un moyen appro- 


prié aux circonstances : prenant avec lui des vivres excel- 
lents à offrir en présent, des boissons et des mets de 
toutes sortes, ilse rendit à la porte de l’un des notables en 
demandant qu'il voulût bien lui donner audience. Le no- 
table l’ayant admis en sa présence, il lui offrit tous les 
présents de nourriture qu'ilavait apportés; puis, ils’excusa 
auprès de lui et lui demanda de ses nouvelles en lui disant 
au nom de l’autre notable : « Lui et vous étiez autrefois 
séparés l’un de l’autre ; sans que vous vous en aperçus- 
siez, une multitude d'hommes ont fait des machinations 
perverses qui ont produit des nœuds de haine ; séparés 


l’un de l’autre pendant plusieurs années, vous n’avez pas 


pu causer ensemble ; il a pensé que dans une entrevue 
personnelle il s'expliquerait avec vous sur ces choses pé- 
nibles ; c’est pourquoi il vous envoie des boissons et des 
mets qu'il vous offre en présent; puissiez-vous les accep- 
ter et ne pas lui faire de reproches. D'ailleurs lui et vous 
n'avez pas d’inimitié qui vous vienne de vos pères, ni d’hos- 
tilité qui vous vienne de vos mères ; aussi m’a-t-il envoyé 
ici pour vous exposer ses intentions. » En entendant ces 
paroles, le notable fut content etse réjouit fort en disant: 
« Je désirais me réconcilier avec lui depuis déjà long- 
temps ; mais je n'avais aucun ami qui püt l’informer de 
mes sentiments. Que ce soit lui qui daigne avoir confiance 
en moi etqui condescende à me faire savoir (ses intentions), 
c'esten vérité ce que je n'aurais pas osé espérer. Je par- 
tage ses excellentes pensées et j’obéis aux désirs que vous 
m'apportez sans me permettre de résister.» Quand l'homme 
avisé eut délivré le notable de ses soucis et qu'il en fut 
clairement certain, il prit congé et se retira ; il se rendit 
ensuite chez le second notable auprès de qui il agit de 
même, lui expliquant et lui exposant les intentions de 
l’autre comme il a été dit précédemment. Alors les deux 


170 CHENG KING (N° 427) 


notables se fixèrent un rendez-vous ; ils se réunirent en 
un même lieu, et au milieu d’une nombreuse assemblée, 
abjurérent leur inimitié. En cette occasion on fit un ban- 
quet de fête où on se livra à toutes sortes de réjouissances ; 
les deux notables se divertirent ensemble, puis il se 
demandèrent l’un à l’autre comment leur étaient venues 
ces pensées de réconciliation; ils apprirent ainsi que | 
c'était cet homme qui, en sachant bien profiter des cir- 
constances, avait réconcilié leurs deux inimitiés et les 
avait rendus amis comme auparavant.. Chacun d’eux son- 
gea en lui-même : « Nous étions éloignés l’un de l’autre 
depuis longtemps, et, dans tout le royaume il n’était per- 
sonne qui püt nous réconcilier ; il a fallu que cet homme 
vint de loin pour nous donner l’un à l’autre de nos nou- 
velles et pour nous réconcilier ; le service qu’il nous a 
rendu serait difficile à mesurer ; ce n’est pas avec des mots 
qu'on peut le reconnaître complètement. Chacun d’eux 
prit donc cent mille onces d’or et les donna à cet homme : 
celui-ci recut ces richesses et les donna à ses frères en 
chantant cette gâthà : 

Les paroles suffisent à tout faire ; — l’habileté à discu- 
ler peut créer des règles auxquelles on se conforme. — 
Celui qui est vraiment un homme supérieur est capable 
d'être informé de tout; — il n’est rien de si caché qu'il ne 
le connaisse à fond. — Voyez comment, grâce à ma qualité 
d'être avisé, — je me suis procuré ces richesses si consi- 
dérables ; — vêlements el nourriture, je les ai en abondance 
— et même j'en fais des libéralilés aux autres. 

Le second (frère), celui qui était ingénieux, se rendit à 
son tour dans un pays étranger. Précisément le roi de ce 
pays aimait les artifices adroits ; cet homme fit donc avec 
des matériaux en bois un homme de bois mécanique ; sa 
figure était belle ; ilne différait point d’un homme vivant; 
ses vêtements étaient élégants ; il était d'une intelligence 
sans égale, pouvait habilement chanter et danser et se 











Eee GE 


CHENG KING (N° 427) 171 


mouvait comme un homme. (Celui qui l'avait fabriqué) 


dit: « C’est mon fils ; il a tel âge. » Les gens du royaume 


témoignaient du respect (à l'homme en bois) et on lui faisait 
de nombreux présents. Le roi en entendit parler et ordonna 
qu'on lui fit faire des tours d'adresse ; le roi et sa femme 
montèrent sur un belvédère pour le regarder ; (l’homme 


_en bois) fit des tours, chanta, dansa et montra toutes sortes 


d’'habiletés; il s’agenouillait, saluait, avançait, s’arrêtait, 
mieux que ne l’eût fait un homme en vie. Le roi et sa 
femme y trouvaient un plaisir sans limites. Soudain, 
(l’homme en bois) se mit à cligner des yeux et à regarder 
voluptueusement la reine ; le roi le vit de loin et son cœur 
en conçut de l’irritation ; 1l ordonna brusquement à ses 
gardes : « Coupez-lui la tête et apportez-la moi ; pourquoi 
cligne-t-il des yeux en regardant ma femme? je pense 
qu'il a des intentions mauvaises ; ses regards voluptueux 
sont indéniables. » Le (prétendu) père (de l’homme en bois) 
se mit à pleurer et son visage était tout sillonné de 
larmes; à deux genoux il implora grâce: « J'ai un seul 
fils que je chéris extrêmement ; que je m'asseye ou que je 
me lève, que j’avance ou que je recule, (il est toujours 
avec moi) pour dissiper mes chagrins. C’est parce que 
mes pensées stupides n’ont pas réussi (à le bien élever) 
qu’il a commis cette faute. Si on le met à mort, je périrai 
avec lui. Puissiez-vous lui témoigner de la miséricorde et 
pardonner son crime. » Comme le roi, qui était fort irrité, 
ne voulait pas l’écouter, il dit encore au roi: « S'il ne 
doit plus vivre, je désire le tuer de ma main; ne chargez 
personne d'autre de ce soin. » Le roi y ayant consenti, il 
retira une cheville sur une des épaules ; le mécanisme se 
disloqua et se répandit en morceaux sur le sol; Le roi stu- 
péfait et déconcerté, s’écria : « Comment ai-je pu moi- 
même m'irriter contre des pièces de bois ? Cet homme est 
d'une ingéniosité merveilleuse et n’a pas son pareil dans 
le monde. Il a fait ce mécanisme qui a trois cent soixante 


172 CHENG KING (N° 427) 





articulations et qui est supérieur à un homme en vie. » Il 
lui fit donc présent de cent mille myriades de pièces de 
monnaie. Cet homme s’en alla avec cet or; il le donna à 
ses frères en les invitant à s’en servir pour boire et pour 
manger etil leur chanta cette gâthà : 

Contemplez celle ingéniosilé ; — nombreuses sont les choses 
qu'elle peut fabriquer ; — avec des mécanismes elle fait un 
homme en bois — qui l'emporte sur ceux qui sont en vie; 
— il chante, danse et offre des spectacles réjouissants, — 
en sorle que les plus hauts personnages y trouvent leur 
plaisir. — J'ai oblenu qu'on me fit don de ces richesses 
considérables ; — qui pourrait, mieux que moi, être le pre- 
mier ? 

Le troisième frère, celui qui était beau, se rendit à son 
tour dans un pays étranger. En apprenant qu’un homme 
beau était venu d’une région lointaine, qu'il l’emportait 
sur tous les autres par sa grâce etqu’ilétait une merveille 
comme il y ena rarement dans le monde, les habitants 
du pays vinrent tous à sa rencontre et lui offrirent en pré- 
sent des boissons et des mets de toutes les saveurs, de 
l'or, de l'argent et des objets précieux. Cet homme ayant 
fait quelques tours d'adresse, la multitude l’en aima davan- 
tage; on contemplait et on admirait son visage lumineux 
comparable à lalune parmi les étoiles. Les filles des plus 
nobles familles, celles qui avaient de l’argent en abon- 
dance et dont les trésors étaient pleins, lui offrirent des 
joyaux extraordinaires et des richesses par innombrables 
centaines de mille (de pièces de monnaie). Quand cet 
homme eutobtenu ces richesses, il les donna à ses frères 
en chantant cette gâthà : 

Excellente est la beauté semblable à une fleur ; — un vi- 
sage harmonieux el régulier est chose suffisante ; — les 
femmes el les hommes témoignent leur respect (à un tel 
homme) — qui peut constamment jouir de la tranquillité ; — 
la foule le contemple — comme la lune parmi les étoiles. — 











CHENG KING (N° 427) 173 


Maintenant, voici les richesses que j'ai acquises ; — elles me 
permellent de subvenir à mon entretien personnel et de faire 
des libéralités aux autres. 

Le quatrième (frère), celui qui était énergique, se ren- 
dit à son tour dans un pays étranger; arrivé au bord d’un 
fleuve, il aperçut un arbre {chan-l'an (candana — santal), 
qui descendait emporté par le courant; il ôta ses vête- 
ments, entra dans l’eau, et, en nageant à travers les flots, 
il le saisit. Or, chez le roi de ce pays, on avait un besoin 
urgent de chan-lan (Candana= santal) ; il apporta donc sa 
trouvaille et l’offrit au roi; ilreçut en retour cent myriades 
de livres d’or et les richesses qu'il obtint furent en nom- 
bre incalculable ; il les donna à ses frères en chantant cette 
gâthà : 

L'énergie est la première ; — l'homme vaillant peut aller 
sur la mer, — et acquérir une multitude de richesses — dont 
il fait don à ses parents el à ses amis. — Parce que j'ai 
pu nager dans les ondes du fleuve, — je me suis emparé d'un 
tchan-t'an (cCandana) merveilleux — qui m'a valu ces som- 
mes d'or — suffisantes pour me nourrir el pour faire des 
libéralités aux autres. 

Le cinquième (frère), celui qui avait la vertu produc- 
trice de bonheur, se rendit à son tour dansun pays étran- 
ger. Un jour que la chaleur était fort grande, il se coucha 
sous un arbre; en ce moment, le soleil s’éloignait du mi- 
lieu de sa course ; les ombres de tous les arbres se dé- 
plaçaient, mais l’ombre de l'arbre sous lequel était couché 
cet homme ne bougeait pas; lui-même avait une majesté 
fort haute et sa beauté était merveilleuse; il ressemblait 
au soleil et à la lune. Or le roi de ce pays était mort sans 
laisser d’héritier qui pôût lui succéder sur le trône ; les 
habitants délibérèrent entre eux en disant: « Il nous faut 
chercher un sage pour le nommer souverain du royaume. » 
Les hommes chargés de cette recherche sortirent dans 
toutes les directions pour choisir dans le royaume celui 


174 CHENG KING (N° 427) 


qui serait digne d'être mis sur lé trône; en allant faire 
leur enquête, les envoyés aperçurent cet homme sous un 
arbre ; il était une merveille comme il y en a rarement 
dans le monde, et, tandis qu’il était couché sous l'arbre, 
l'ombre de l'arbre ne s'était pas déplacée. Les envoyés 
pensèrent: « Ce n’est pas là un homme ordinaire ; il est 
digne d’être souverain du royaume. » Ils allèrent donc 
informer les principaux ministres du royaume et leur 
exposèrent toute cette affaire. Alors tous les ministres, 
dans un pompeux appareil, précédés et suivis de cavaliers 
et de chars, portant leurs sceaux et leurs cordons, leurs 
coiffures et leurs bonnets, avec tous les attelages et leurs 
vêtements de cérémonie allèrent le chercher. On le lava 
avec de l’eau parfumée ; on le coiffa du bonnet et on le 





revêlit des vêtements (royaux); on lui ceignit la ceinture, 
et, quand cela fut terminé, tous se prosternèrent dévant 
lui en se disant ses sujets. Il monta en char, entra dans 
le palais, et, le visage tourné vers le sud, il rendit des 
décrets : le royaume jouit alors d’une grande tranquillité ; 
le vent et la pluie arrivèrent en leur temps. Le roi pro- 
mulgua alors un édit en dehors (de son royaume) pour 
mander les quatre hommes dont l’un était avisé, le second 
ingénieux, le troisième beau, et le quatrième énergique, 
et, pour les faire venir dans la salle supérieure du palais. 
Tous arrivèrent en même temps et reçurent l'ordre de se 
tenir comme des gardes du corps. Le roi qui possédait une 
vertu productrice de bonheur chanta alors cette gàthà : 

Celui qui possède la vertu mériloire productrice de bon- 
heur — peut devenir Cakra maître des devas, — ou, s'il 
est un Souverain, rot qui fait tourner la roue (cakravartin) ; 
— il pourra aussi devenir un Brahmadeva. — Celui qui 
est avisé el celui qui est ingénieux, — celui qui est beau 
ainsi que celui qui est énergique — viennent lous à la porte 
de celui qui possède la vertu productrice de bonheur ; — ils 
se tiennent à ses côlés et sont ses sujets et ses serviteurs. 





CHENG KING (N° 427-498) 175 


Alors donc le roi qui possédait la vertu productrice de 
bonheur conféra de hautes charges à ses frères en faisant 
que chacun eût la place qui convenait à ses capacités. 


IN 428: 


(Pipe RNB D 30 


Autrefois, dans des temps fort lointains, un eunuque {1} 
étant mort, ses parents et ses voisins prirent son corps 
et le déposèrent parmi des arbres {ch'ou (ailante). Sur ces. 
entrefaites, un chacal et un corbeau vinrent pour en man- 
ger la chair ; ils se mirent alors à se décerner l’un à l’autre 
des éloges au milieu des arbres. Le corbeau adressa au 
chacal cette gâthà : 

Votre corps est comme celui d'un lion ; — voire téêle est 
comme celle d’un ermile ; — par le luisant (de votre pelage) 
vous ressemblez à un rot des cerfs ; — c'est la perfection ! 
vous êtes comme une belle fleur. | 

Le chacal, d’entre les arbres, le loua par cette gâthà : 

Qui est ce personnage vénérable perché sur l'arbre ? — 
pour la sagesse il est de beaucoup le premier ; — son 
intelligence illumine les dix régions —, comme le ferail 
un monceau d'or pur. 

Alors le corbeau répondit en chantant celte gâthà : 

Vous êles un grand lion ; — c'est pour vous voir que je 
suis venu lout exprès ; — vous êles luisant comme un rot 
des cerfs ; — c'est la perfection ! je trouve (à vous voir) 
profit el sagesse. 

(1) D'aprèsla version tibétaine (Schiefner, Mél. As. Saint-Pétersbourg, 
t. VIII, pp. 160-163), les gens de Râjagrha avaient décidé de faire un 
cimetière pour les hommes et un cimetière pour les femmes; comme 


l'eunuque ne pouvait être enterré ni dans lun ni dans l'autre, on len- 
fouit au pied d'un ricin. Cf. notre n° 384. 


176 CHENG KING (N° 428) 





Le chacal répondit encore en chantant cette gâthà : : 


Sincères el loyaux sont les vrais amis ; — nous nous 
louons l'un l’autre avec une par faile sincérité ; — moielvous, 
Ô monceau d'or pur, — qu'on ne se permelle pas (1) de 


demander si nous nous nourrissons de ce (cadavre). 

Or, non loin de là, il y avaitun grand ermite qui demeu- 
rait dans la solitude, qui agissait d’une manière pure et 
pratiquait la sagesse ; en entendant les éloges alternés que 
se décernaient l’un à l’autre le chacal et le corbeau, il 
songea : « Ces êtres de cette sorte s’exclament à tort et à 
travers sur (leurs mérites) mutuels ; leurs paroles sont 
toutes dénuées de raison et il ne s’y trouve pas un mot 
sincère et vrai. » Il les interrogea donc par cette gâthà : 

Depuis longtemps j'ai vu ce que vous faites ; — actuel- 
lement vous êles lous deux des menteurs ; — vous vous 
cachez parmi les arbres — pour manger tous deux de la 
chair humaine. 

Alors le corbeau irrité répondit à l’ermite par cette 
gâthà : 

Le lion et le paon (2) — se nourrissent tous deux de la chair 
des animaux — qui, auprès de ce vieillard chauve et sans 
passions, — tour à lour viennent demander qu'il leur sauve 
la vie. 

L’ermite répondit par ces gâthäs : 

Sous les arbres ich'ou la puanteur est extrême ; — tous 
les oiseaux la redoutent — el les troupes de cerfs n'y 
cherchent pas un abri. — On y a déposé le corps d'un 
eunuque mort, — el vous, vile engeance, — vous êles venus 
vous réunir ici — pour vous repaître de ce cadavre d’eu- 
nuque. — Cependant vous vous prélendez des personnes 
supérieures | 


(1) Je suppose que Fff est mis ici pour Æ. Les textes du Cheng king 
sont très incorrects et parfois totalement incompréhensibles 
(2) C'est-à-dire le chacal et le corbeau. 








CHENG KING (N° 429) | 177 


N° 429. 


(Trip, XIV, 5, p. 39 ve.) 


Autrefois, en des temps fort lointains, dans un lieu 


écarté, plusieurs hommes qui recevaient d’un divin er- 


mite (rsi) l’enseignement des cinq pénétrations (abhijnâ), 
demeuraient là solitaires. Ils s’encourageaient entre 
eux et se prêtaient une aide mutuelle ; chacun d’eux à 
son tour allait recueillir des fruits pour en approvision- 
ner (la communauté) et ainsi ils faisaient une économie 
(de temps et de peine) ; si l’un d’eux tombait malade, les 
autres le veillaient et le soignaient tour à tour. 

Or, il y avait un étudiant (mo-na — mânavaka) qui, toutes 
les fois que se présentait un cas urgent, s'’esquivait en 
toute hâte ; si quelque étudiant était dans les embarras 
d’une difficulté pressante ou d’une maladie, il ne lui 
donnait jamais ses soins. Un jour que cet étudiant était 
lui-même en détresse, personne ne le secourut et il resta 
seul sans aucun compagnon ; une autre fois, il tomba 
malade et personne ne l’entoura de soins, ni ne lui apporta 
de fruits pour les lui donner à manger. 

Alors, l'ermite doué des cinq pénétrations vit cet 
homme ;le Ao-chang (upädhyâya) (1) s'aperçut qu’il était 
dans cette situation et il songea en lui-même: « Cet 
homme est seul et abandonné, et personne ne le secourt 
ni ne le protège. » Il fut ému de pitié, alla auprès de lui 
et lui demanda : «O étudiant (mo-na — mânavaka), au temps 
où vous étiez bien portant, avez-vous demandé des nou- 
velles des autres et vous êtes-vous informé (de leur santé) ? 
N’avez-vous pas des amis intimes ou des amis ? » [l répon- 


(1) C'est-à-dire l’ermite. 
II. 12 


178 CHENG KING (N° 429) 


dit aussitôt : « Je ne l'ai point fait. Et de même, à Ao-chang 
(upâdhyäya) je n'ai point d'amis, soit amis intimes, soit 
simples connaissances ; mon père et ma mère, mes parents 
et mes voisins sont fort loin d'ici. » (Le ho-chang) lui 
demanda encore: « Ces brahmatarins demeurent tous 
dans ce même lieu ; n’avez-vous pas trouvé parmi eux 
des amis intimes et noué des relations ? — Je ne l’ai pas 
fait », répondit-il. Le ho-chang (upàädhyâya) répliqua : « Si 
vous n'avez pas formé d’amitiés intimes et s'il n'y a 
pas de gens que vous connaissiez, pourquoi êtes-vous 
un homme? Voyez les autres qui se témoignent alternati- 
vement de la déférence et qui se rendent des services tour 
à tour. Vous êtes seul à ne pas le faire. Aussi êtes-vous 
aujourd’hui seul et abandonné et personne ne vous vient 
en aide et ne vous secourt. » Alors l’ermite (rsi) soutint 
le mo-na (mânavaka) et le fit asseoir sur un siège à l’en- 
droit où lui-même se tenait ; il lengagea à se calmer, puis 
il l'emmena chez des amis qui le soignèrent. Il chanta 
alors cette gâthà : 

Quand vous avez renoncé à femme et enfants, — que vous 
éles sorli du monde el que vous n'avez plus personne pour 
vous aimer, — c'est votre ho-chang (upâdhyäâya) qui est 
votre père, — el vos condisciples qui sont vos frères. — De- 
meurant avec des brahmatarins, — si vous ne donnez pas 
vos soins aux autres, — quand vous tomberez gravement 
malade, — vous serez isolé et n'aurez aucun appui. — Je 
remarque que vous vous en êles déjà aperçu. — Conduisez- 
vous avec purelé pour vous faire des amis ; — conduisez- 
vous envers tous avec déférence — el les autres à leur tour 
vous donneront leurs soins. 





… sd stiénudls 





CIHENG KING (N° 450) 179 


N° 430. 


(Trip., XIV, 5, pp. 41 r°-A4 vo.) 


Autrefois, dans des générations fort lointaines, le 
royaume de Po-lo-nai (Vârânasi) avait un roi nommé 
Fan-la (Brahmadatta). Ce roi était doué d’une grande 
vertu ; sa renommée s'était répandue au loin. Une fois, 
le royaume souffrit de la disette ; le prix du riz et des 
grains Ss'éleva ; le peuple fut affamé ; les mendiants 
devinrent fort nombreux ; on n'avait pas de quoi fournir 
(à leurs besoins). 

Auparavant, le roi se plaisait à faire des libéralités ; des 
quatre côtés de l’espace, les mendiants accouraient ; 
ils s’assemblaient comme des nuages flottants; des dix 
régions, tous venaient. Le roi fournissait à leur entretien 
de tout son pouvoir ; il exerçait ainsi la libéralité sans 
jamais se lasser. 

Le prix des céréales et du riz vint à s'élever; le ciel 
départissait une extrême sécheresse et ne faisait plus 
tomber de pluie ; ce qu’on semait ne donnait aucune 
récolte ; le peuple souffrait de la famine ; les mendiants 
devenaient chaque jour plus nombreux et se rendaient à 
la porte du palais du roi; comme les greniers s’épuisaient, 
les ministres et les officiers délibérèrent entre eux, 
disant : « Maintenant ce roi fait immédiatement des libé- 
ralités à qui ose venir mendier auprès de lui et il est 
incapable de résister à personne. Cependant, il y a une 
sécheresse etil ne pleut pas ; les mendiants sont devenus 
fort nombreux; le prix des céréales et du riz s’est élevé ; 
les greniers s’épuisent ; (le roi) va ruiner le royaume. » 

Alors tous les ministres, en vue de sauvegarder le 


180 CHENG KING (N° 430) 
* 





royaume, allèrent auprès du roi et lui rendirent compte 
en détail de cette délibération, disant : « O roi, il vous 
faut maintenant cesser vos libéralités ; c'est ce qu’au- 
torise la Loi ; attendez que plus tard l'abondance se soit 
produite, et vous recommencerez alors vos libéralités. » 
Le roi leur déclara : « Je ne saurais me lasser de donner; 
j'ai promulgué une ordonnance annonçant ma volonté de 
faire des libéralités ; comment me mettrais-je en contra- 
diction avec mes sentiments primitifs ? Si quelqu'un vient 
m'adresser une requête, comment supporterais-je de lui 
résister ? Si personne ne vient, alors je ne donnerai 
rien. » 

Aussitôt les ministres tinrent conseil et dirent : « IL 
nous faut aviser à un stratageme pour le bien (du pays) et 
ordonner que tous les pauvres gens ne soient pas auto- 
risés à venir mendier ; ainsi nous couperons court (aux 
libéralités du roi). » Or, le roi n'avait point renoncé à ses 
libéralités et il avait formulé ce souhait dans son cœur : 
« Puissent mes greniers ne point se vider. » 

Cependant, les magistrats préposés aux lois avaient 
proclamé au loin dans toutes les directions un ordre aux 
termes duquel il était interdit d'aller mendier auprès du 
roi; ceux quise permettraient de le faire seraient tous 
mis à mort et on abandonnerait leur corps sur la place 
publique de la ville. Les mendiants qui étaient accourus 
des quatre points de l’espace dans ce royaume, n’osèrent 
plus venir mendier quand ils furent informés de ces pres- 
criptions rigoureuses et ne purent plus voir le roi ; tristes 
et affligés, ils demandaient aux grands ministres : « Y a- 
t-il vraiment une telle ordonnance ? » Ils leur demandaient 
encore : « ( vous qui êtes notre père et notre mère, y a- 
t-il réellementces prescriptions rigoureuses et ne pouvons- 
nous plus mendier ? » Ils leur répondirent : « Le règle- 
ment existe; vous ne pouvez plus aller mendier. » Les 
mendiants leur demandaient encore : « S'il y avait des 





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L 
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J 
e 


CHENG KING (N° 430) 181. 


ambassadeurs officiels venus de contrées lointaines, (la 
règle serait-elle pour eux la même ?) » (Les ministres leur 
répondirent) : « Que ces ambassadeurs viennent de l'Est 
ou de l'Ouest, du Sud ou du Nord, tous trouveront en suffi- 
sance, dans les provisions des greniers et dans les (réserves 
de) grains, à boire et à manger ; maintenant ces officiers 
seuls obtiendront à boire et à manger. » En conséquence, 
on promulgua cette ordonnance qu’on signifia au loin dans 
toutes les directions : « Tous les mendiants pauvres et 
sans ressources n'auront pas le droit de venir à la porte 
(du palais) pour mendier auprès du roi ; s’il y en avait qui 
le fissent, ils seraient tous condamnés à mort. Mais les 
ambassadeurs de pays lointains pourront voir (le roi) et 
manger (des provisions) des greniers. Qu'on se dise cela 
de proche en proche. » Tous les hommes savaient que ces 
prescriptions avaient été édictées par les ministres, et 
non par le roi. 

Orilyeutun brahmane qui, après avoir souffert de la faim 
et du dénuement pendant un jour entier, voulut mendier 
au dehors pour sauver sa vie et résolut d'aller partout en 
suppliant pour subvenir aux besoins de sa femme et deses 
enfants. — Quand les grains sont à bas prix, le mendiant 
trouve aisément (des aumônes) et ce qu'ilobtient est sans 
limites ; mais, si le prix des grains s’est élevé, il est dif- 
ficile pour le mendiant d'obtenir quoi que ce soit. — (Le 
brahmane) alla promptement mendier et se rendit en tous 
lieux, mais il ne trouva point de quoi soutenir sa vie; 
son cœur était plein de tristesse et il ne pouvait plus 
parler. | 

Sa femme lui dit alors : « Vous rencontrez des circons- 
tances fort pénibles ; vous mendiez en un moment où 
règne la détresse ; vous êtes allé partout sans rien obtenir. 
Pourquoi ne vous rendez-vous pas chez le roi pour mendier 
auprès de lui ? j'ai entendu dire autrefois que, lorsqu'on 
adressait une demande à ce roi, il ne résistait pas au 


182 CHENG KING (N° 430) 


désir qu'on lui exprimait. » Le brahmane répondit à sa 
femme : « N’avez-vous pas appris que le roi a rendu une 
ordonnance interdisant aux gens de venir mendier auprès 
du roi ; seuls les ambassadeurs des pays lointains peuvent 
être admis en sa présence et on leur donne des provisions 
des greniers ; mais si d’autres hommes mendient, ils se- 
ront tous décapités. » Le brahmane répondit (encore) à sa 
femme : « Si aujourd’hui je voulais chercher un apaise- 
ment (à mes souffrances en mendiant auprès du roi), je 


serais au contraire en péril de mort; au moment où je 





mettrais mon espérance en un autre (à savoir le roi), je me > 
verrais honteusement perdu. » Sa femme lui répondit : 

« Puisque les ministres ont promulgué partout une ordon- 

nance aux termes de laquelle seuls les ambassadeurs 
étrangers pourront venir, tandis que cela sera interdit aux 

aux autres hommes, il vous faut dire : Je viens en qualité 
d’ambassadeur étranger et je désire voir le grand roi ; 

alors on vous donnera à manger. » 

Le brahmane suivit donc le conseil de sa femme ; il 
prit un bâton d’ambassadeur, se coiffa d’un bonnet d’am- 
bassadeur et se rendit à la porte du palais du roi. L’officier 
de la porte lui demanda : « D’où venez-vous ? [» Il répon- 
dit : « Je suis un ambassadeur qui vient d’un pays loin- 
tain. » L’officier de la porte informa le roi et lui exposa toute 
l'affaire. Aussitôt on donna audience (au brahmane)] (1). 
D'où venez-vous ? Maintenant dans les seize royaumes le 
prix des céréales et du riz est devenu fort élevé et chacun 
se garde dans son territoire ; par où êtes-vous arrivé ? De 
quel royaume venez-vous ? » Quand l'officier lui eut posé 
toutes ces questions, le brahmane répondit : « J'ai entendu 
parler de la vertu subjuguante du roi et c’est pourquoi je 
me suis chargé de venir en ambassade. » L'officier lui de- 
manda encore : « Dans ce royaume-ci peut-on voir cet autre 


(1) La partie du texte que j'ai mise entre crochets ne parait pas être 
à sa place. 





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AM? 2 


1427 





EL 6 à à, — 


CHENG KING (N° 430) 183 


royaume ? les villages et les bourgs qui s’y trouvent, peut- 
on les connaître bien ? Si c’est pour vous-même (que vous 
demandez à être nourri), cela est conforme aux désirs du 
roi divin; si c'est seulement pour vous, ce que vous 
demanderez vous l’obtiendrez facilement. » (Le brahmane 
dit) : « Je désire voir le grand roi ; c’est pourquoi je suis 
venu demander à le voir. » Telle fut la seule réponse 
qu'il fit aux demandes que lui adressait l'officier de la 
porte. 

Le roi dit: « Qu'on l’admette en ma présence. » Le 
brahmane entra donc ; le roi lui demanda : « De la part 
de qui venez-vous en ambassadeur ? » Le brahmane 
répondit : « Je vous demande de ne point craindre ; si vous. 
m'y autorisez, je vous révélerai le nom du roi dont je suis 
l'ambassadeur. » Le roi lui déclara: « Dites tout; j'ai 
absolument banni toute crainte. » Le roi lui demanda 
encore : « De qui êtes-vous l’ambassadeur? » Le brahmane 
annonça : « O grand roi, puisque vous désirez le savoir, je 
viens en ambassadeur du ventre. » Il prononca alors ces 
gâthäâs : (1) 

Celui pour le profit de qui tout le monde travaille — et 
affronte même de cruels brigands, — c'est le ventre dont je 
suis l'ambassadeur ; — 6 souverain du royaume, je désire 
que vous me témoigniez de l'indulgence. 

Qui est le plus honoré et le plus puissant ? — qui est le 
premier de tous? — C'est le ventre dont je suis véritable- 
ment l'ambassadeur. — O grand roi, ne me faites pas de 
reproches. 

Tous les Buddhas et les Pralyekas Buddhas, — les çra- 
vakas et les saints disciples — abandonnent leur lieu de 
relraile — et entrent dans les villes et les bourgs pour 
mendier. 

Quand il est dans le dénuement et qu'il n'a plus aucun 


(1) Les stances qui suivent sont très obscures et seraient inintelligibles 
si on ne se reportlait pas au texte original du jâtaka. 


184 CHENG KING (N° 430-131) 


appui — loul être vivant endurera des lourments dans son 
corps. — Maintenant, je suis l'ambassadeur du ventre ; — 
que le plus honoré deshommes me témoigne de l’indulgence. 

Alors le roi eut compassion de lui et il répondit au 
brahmane par ces gâthàs : 

O brahmane, je vous donnerai — mille vaches rousses — 
avec le taureau qui complète le troupeau; — comment 
pourrais-je ne pas avoir pitié d’un ambassadeur ? 

A l'égard de tous les ambassadeurs, — je leur donne de 
quoi ne plus avoir faim ; — mais à vous, qui êtes l'ambas- 
sadeur de celui dont je pourrais être moi-même l'ambassa- 
deur, — je donne davantage ; n'ayez aucune crainte. 





N° 431. 


LA 


CFPID RENTE pe 12ve) 


Autrefois, dans des temps fort lointains, il y avait dans 
un pays étranger un lieu solitaire où un éléphant femelle 
enfanta un petit; peu de temps après qu'il eut été mis 
bas, sa mère mourut. 

Non loin de là, était la résidence d’un ermite ; cet ermite 
avait un prestige redoutable de premier ordre ; ses actions 
méritoires étaient au complet; sa volonté était pleine 
d'une grande compassion. Il aperçut le petit éléphant dont 
la mère était morte ; celui-ci pouvait à peine lever ses 
pieds; ilerrait de-ci et de-là et était incapable de chercher 
sa vie. L’ermite le prit avec lui et Pamena dans l'endroit 
où il demeurait; il lui donna de l’eau à boire et recueil- 
lit des fruits pour le nourrir. 

Or, ce petit éléphant était bon et affable, sage et ver- 
tueux ; ses actions méritoires étaient remarquables ; il se 
plaisait aux choses justes et raisonnables; 1l espérait 








RO ne CE ER Ge peer 


CHENG KING (N° 431) 185 


obtenir une existence calme et retirée, ne pas avoir de 
tourments et supprimer toutes les causes d'inquiétude. 
Tandis qu'il passait sa vie avec l’ermite, se couchant et 
allant dans les mêmes lieux que lui, son corps grandit et 
son pelage devint frais et luisant ; il prenait de l’eau à 
boire pour l’offrir à l’ermite ; il lui donnait de bons fruits 
dont il ne mangeait qu'après lui ; il était partout fort dili- 
gent et le servait sans jamais se relâcher. Cet ermite eut 
compassion de ce petit éléphant, et, voyant sa conduite 
vertueuse, il l’aima comme un fils : il ne se lassait pas de 
le contempler ; il l’admirait sans cesse. | 
Cependant Cakra, maître des devas, conçut alors cette 
pensée : « Maintenant cet ermite ne pense qu'à ce petit 
éléphant; il ne songe qu’à lui sans se lasser. Ne faut-il pas 
maintenant que je lui fasse au contraire ressentir de la 
tristesse ? » Alors Cakra, maître des devas, apparut (dans 


ce monde) pour éprouver (l'ermite) ; 


: en se transformant, 


il fit que le petit éléphant (parüt être) mort subitement et 


tombé à terre tandis que tout son sang se répandait. 


Quand l’ermite vit que le petit éléphant était mort, il 
fut pénétré de douleur et ne put plus parler ; les re 
sillonnaient son visage ; il ne pouvait plus se délivrer (de 
son chagrin) ; d'autres ermites, ayant appris cela, vinrent 
lui adresser des remontrances et des exhortations mais ne 
purent dissiper son affliction ; il ne mangeait ni ne buvait 
plus. 

Alors Cakra, maitre des devas, reprenant son propre 
corps, se tint debout dans les airs et, s adressant à l’er- 
mite, prononça cette gâthà : 

Vous avez déjà renoncé au monde, — et, arrivé ici, vous 
n'avez plus aucun parent. — La règle pour tous les ascèles 
— est que : s'affliger d'une mort n'est pas une chose bonne. 
— À supposer que, par la compassion el par les larmes, — 
on pl faire revenir un mort à la vie, — tous devraient se 
réunir pour se désoler ; — mais si les pleurs el les lamenta- 


186 CHENG KING (N° 431) 


tions ne rendent pas la vie, — l'expérience en élant faite, que 
lous cessent (de s'affliger).— Vous, à l'égard de ce pelit élé- 
phant, — vous avez eu des sentiments de compassion et de 
bienveillance — et vous n'avez pu vous empêcher de vous 
affliger; — que les morts se lamentent sur les morts — et 
ainsi ceux-ctauront qui les pleure ; — mais le sage ne con- 
çcoit pas de chagrin ; — 6 ermile, doué d'intelligence comme 
vous l’êles, pourquoi pleurez-vous ? 

Alors Cakra, souverain des devas, ayant fait en sorte que 
le chagrin qui pénétrait l’ermite prit fin, ordonna que le 
petit éléphant redevint vivant comme auparavant. L’ermite, 
à la vue du petit éléphant en vie, se mit à faire de grands 
sauts sans pouvoir maîtriser sa joie et n’eut plus aucun 
chagrin. Cakra, souverain des devas, chanta alors cette 
gâthà en s'adressant à l'ermite : 

(J'ai agi ainsi) afin d'enlever votre tristesse — el le chagrin 
que vous aviez dans votre cœur ; — maintenant vous n’êles 
plus tourmenté — et j'ai dissipé votre chagrin. — Je ferai 
que les hommes soient affranchis de leurs tristesses — et de 
toutes leurs affections, — de même qu'aujourd'hui vous vous 
êles réjoui — en voyant le petit éléphant se lever délivré. 

Puis Cakra, souverain des devas, chanta cette gâthà : 

C'est parce que j'ai eu compassion de vous — que j'ai voulu 
dissiper tous vos chagrins ; — voilà pourquoi j'ai accompli 
ceci — en ajoutant une action dans ce monde de souillure et 
d'effort. — Le sage a bien compris le principe que voici: — 
l'affection produit les peines et les tourments ; — 1il observe 
donc son âme el son corps — et ne se permet pas de concevoir 
des émotions qui le bouleversent. 











CIIENG KING (N° 432) 127 


N° 132. 


(Trip., XIV, 5, pp. 4A3r°-43 v°.) 


Dans les générations passées, il y avait en un pays 


étranger une vaste région solitaire ; en ce temps un roides 


buffles y demeurait ; il y vaguait en mangeant des herbes 
et en buvant de l’eau des sources. Un jour, ce roi des 
buffles, avec toute une troupe de parents, eut à se rendre 
en quelque endroit ; il marchait seul en avant des autres; 
son aspect était fort beau; son prestige redoutable était 
très imposant ; sa vertu éminente était extraordinaire ; sa 
patience était harmonieuse ; sa démarche était paisible et 
bien ordonnée. 

Un singe se trouvait au bord de la route ; il vit le roi 
des buffles accompagné de tous les siens ; il en conçut de 
la colère et fut jaloux de lui. Il prit aussitôt de la terre, 
des tuiles et des pierres et les jeta contre lui; il lui témoi- 
gna du mépris et lui adressa des outrages ; le buffle garda 
le silence et subit tout cela sans riposter. 

Peu de temps après, il yeutun autre roi des buffles avec 
sa bande qui arriva à la suite du premier. Le singe le vit 
etrecommença à l’injurier et à le frapper à coups de mottes 
de terre, de tuiles et de pierres ; ce chef de la seconde 
troupe voyant que le premier roi des buffles avait gardé 
le silence sans riposter, imita sa patience ; son cœur fut 
affable et joyeux ; il continua sa marche tranquille et régu- 
lière et subit les outrages sans s’enirriter. 

Peu après que ces buffles eurent passé, il y eut un tout 
jeune buffle qui arriva derrière eux, cherchant à rejoindre 
le troupeau; alors le singe le poursuivit en l’injuriant, l’ou- 
tragea et le traita avec mépris; ce tout jeune buffle en 


188 CHENG KING (N° 432) 


conçut de l’irritation et fut mécontent ; mais voyant que 
ceux de ses semblables qui le précédaient avaient été 
patients et ne s’élaient pas irrités, lui aussi s’étudia à les 
imiter ; il fut patient et doux. 

Non loin de la route, dans un grand bouquet d'arbres, il 
y avait alors un dieu des arbres qui séjournait là. Voyant 
que tous les buffles, bien qu’accablés d’outrages, étaient 
patients et ne se fâchaient pas, il demanda au roi des 
buffles : « Comment se fait-il que, lorsque vous et les 
vôtres avez vu ce singe vous insulter d’une manière 
humiliante, vous lancer des mottes de terre, des tuiles et 
des pierres, vous ayez été patients contrairement (à toute 
attente) et que vous ayez gardé le silence sans répondre ? 
A quoi tend ce principe ? Quelle est votre intention ? » 
Illes interrogea encore par cette gâthà : 

Vous et les vôtres, pour quelle raison — tolérez-vous ce 
singe insolent — qui dépasse toute mesure dans le mal? — 
vous regardez du même œil les souffrances el les joies ; — 
celui de vous qui est venu en dernier lieu s'est aussi montré 
bon et affable. — Dans tous vos actes, vous êtes calmes et 
bien ordonnés. — Sachant tous endurer avec patience (les 
injures), — ceux-là s’en vont les uns à la suile des autres. 
— Si cependant vos cornes avaient tout simplement frappé, 
— lout ce qui est debout aurait élé renversé. — Il témoigne 
quelque peur — celui qui garde le silence sans riposler. 

Le buffle répondit en prononçant cette gâthà : 

Si, pour une insulte ou une offense légère — nous ne man- 
quions pas de faire pire encore à un autre, — celui-là se 
vengerail plus encore — et alors se produiraient de grands 
maux. 

Peu après que tous ces buffles eurent passé, une grande 
troupe de brahmanes et une multitude d’ermites arrivèrent 
en suivant la route. Alors ce singe se mit encore à les 
injurier, à les outrager et à les traiter avec mépris, à 
ramasser de la terre, des tuiles et des pierres pour les leur 











| 





SL Cf, CUT eng 


CHENG KING (N° 432-433) 189 


jeter. Ces brahmanes se saisirent aussitôt de lui et le 
tuèrent en le foulant aux pieds ; ainsi finit sa vie. Le dieu 
de l'arbre prononça derechef cette gâthà : 

Les crimes ne s’effacent pas ; — quand le châtiment 
a atteint sa maturité, alors survient le malheur; — quand la 
mesure des faules est comble, — les calamités ne sont pas 
usées et détruiles. 


N° 133. 


CRISE EN 0 DAC NS) 


Autrefois, dans un royaume, il y avait un grand bois 
dont les arbres atteignaient jusqu’au ciel; personne ne 
les cassait et ne leur faisait de mal; parmi eux était un 
dieu des arbres qui comprenait bien la justice et la raison 
et qui, dans ses actes et sa conduite, était fort différent du 
vulgaire ; quand des gens accourus de tous côtés, pas- 
saient par l'endroit où étaient ces arbres, le dieu des 
arbres se plaisait à satisfaire leurs désirs ; qu'il s’agit de 
légumes, de fruits, de bois de chauffage ou d'herbes, il 
ne regrettait pas (d'en donner); ilabritait et rafraichissait 
une source qui procurait un grand réconfort à ceux qui y 
buvaient. 

Or, il y eut un oiseau qui vint d’un pays étranger en 
tenant dans son bec une plante vénéneuse fort pernicieuse ; 
il passa en volant au-dessus d’un de ces arbres et en pro- 
fita pour jeter sur lui (cette plante) qui tomba précisément 
sur les branches supérieures ; le poison envahit peu à peu 
cet arbre dont une moitié se trouva bientôt desséchée ; 
alors le dieu de ce bois fit cette réflexion: « Le poison 
est fort malfaisant ; étant venu tomber sur un arbre, voici 
que, en un instant, la moitié de cet arbre estdesséchée et 


190 CHENG KING (N° 433) 


ce n'est pas encore midi; avant que la nuit soit arrivée 
cela continuera et il sera entièrement desséché; avant 
que dix jours soient écoulés, je crains que les autres arbres 
de ce bois ne soient tous détruits. Que faut-il faire pour 
écarter ce fléau venimeux ? » 

Dans l’espace, il y eut une divinité qui lui dit: « Avant 
que cet état de choses ait duré longtemps, viendra un 
homme intelligent qui, en allant son chemin, passera 
par ce bois; vous, prenez l’or qui est caché parmi les 
arbres et assurez-vous (par ce moyen) les services (de cet 
homme) pour qu’il arrache cet arbre empoisonné et qu’il 
en supprime entièrement les racines et la souche de 
manière à ce qu'il n’en reste rien ; ainsi, vous vous procu- 
rerez une tranquillité perpétuelle ; mais si vous n'agissez 
pas ainsi, avant qu'il fasse nuit l'arbre empoisonné sera 
complètement desséché, (et le mal) s’étendra à tous les au- 
tres arbres du bois. » 

Quand le dieu des arbres eutentendu ce conseil, il prit 
la forme humaine et se tint sur le bord de la route pour 
attendre (celui qui devait venir); quand cet homme fut 
arrivé, il lui dit: «J'ai de l'or caché que je vous donne- 
rai, mais je désire que vous arrachiez cet arbre empoisonné 
et que vous en extirpiez à fond les racines. » 

En apprenant qu'il pourrait gagner le trésor de l’impor- 
tante somme d'or qui était cachée, cet homme donna son 
consentement et se mit aussitôt à arracher cet arbre et à 
en supprimer toutes les racines. Le dieu des arbres, fort 
joyeux, lui donna ensuite l’or qu'il tenait caché ; cet homme 
l’emporta et sa maison en devint riche. Le dieu des arbres 
constata avec satisfaction qu'il était parvenu à écarter la 
calamité du poison, que tous les arbres jouissaient d’une 
tranquillité constante, que les fleurs et les fruits étaient 
vigoureux et abondants ; il n’eut plus à se préoccuper 
desravages du poison et toutes les souffrances (dont il était 
menacé auparavant) se dissipèrent. 














CHENG KING (N° 433) 191 


Le Buddha dit: « Le bois représente les trois mondes ; 
le dieu des arbres représente le Bodhisattva, quand il a 
concu la pensée de la Bodhi (tittotpâda) ; l'oiseau qui est 
venu d’un pays étranger en apportant le poison, représente 
toutes les illusions des choses de Mâra, illusions qui sont 
produites par le défaut d'intelligence ; le deva dans les airs 
représente la sagesse parfaite, vraie et équitable du Tathä- 
gata. Cela enseigne à tous ceux qui étudient à ne pas 
suivre les lois de Mâra, mais à se conformer à ceux qui 
aiment les Bodhisattvas mahäâsattvas et qui agissent avec 
la même volonté qu'eux ; ainsi on enlève les difficultés qui 
proviennent de toutes Les peines issues des trois souillures. 
L’arrachement de l’arbre et la suppression de ses racines 
symbolise la destruction des ténèbres produits par l'impu- 
dicité, la colère et la sottise ; si on n’accomplit pas (cette 
destruction), on s’enlise dans les trois mondes ; quand on 
abat soi-même le péché, il n’a plus aucune puissance et 
alors on sauve tous les êtres des tourments de la naissance 
et de la mort. Le trésor caché dont un homme a pu être 
gratifié symbolise le trésor caché de la religion ; les Bodhi- 
sattvas mahâsattvas les uns après les autres s’entraident 
pour le former, de même que les dix mille cours d’eau 
coulent pour se réunir dans la grande mer. Quand le dieu 
des arbres se montre joyeux de n'avoir plus aucune inquié- 
tude et retourne demeurer dans les arbres, cela signifie 
qu’on a pu atteindre à la patience religieuse qui ne nait de 
rien et qui est grandement miséricordieuse ; grâce à elle, 
on demeure dans les trois mondes en sauvant universel- 
lement tous les êtres. Quant à l’homme qui a obtenu des 
richesses, qui se réjouit et dont la maison devient opu- 
lente cela signifie que lorsqu'on a obtenu les prières ma- 
giques (dhârani), les six pâramitäs, le groupe des trente- 
sept (auxiliaires de la Bodhi [Bodhipaksa}), la pratique des 
sentiments des quatre bienfaisances, les dix forces, les 
marques distinctes primaires et secondaires, les quatre 


192 CHENG KING (N°5 433-434) 


choses qui ne sont pas à craindre (vaiçàradya), (en un mot) 
le calme et la fixité issus de tous les divers principes, 
constituent alors des trésors sans fin, car la richesse re- 
ligieuse est illimitée. Quant à celui qui s’en retourne 
dans sa maison, cela signifie que, lorsqu'on s’est délivré, 
on retourne dans la région de la pureté primordiale et 
de la vraie sagesse. Le corps du Buddha, quand il se mani- 
feste, répand universellement la conversion religieuse, 
éclaire et sauve les êtres dans les dix régions, et il n’est 
personne qui ne soit touché par ses bienfaits. » 


N° 434. 
CRD, XIV SD 19 rt) 


Autrefois il y avait une tortue royale qui se promenait 
dans la grande mer et qui allait et venait partout à la ronde 
pour se divertir. Un jour elle sortit du milieu des eaux 
qui sont sur le bord de la mer et s’endormit. Son corps 
était large et long et mesurait soixante /1 sur chaque côté ; 
or, elle resta là pendant plusieurs jours consécutifs ; elle 
se reposait sur la terre ferme sans remuer. 

Il y eut alors des marchands venus de contrées loin- 
taines qui l’apercurent et qui pensèrent que c'était là un 
endroit élevé et sec, propice pour s’y établir sur le bord de 
l’eau. Ces cinq cents marchands, avec leurs chars, leurs 
chevaux et leurs animaux domestiques qui se comptaient 
par plusieurs milliers de têtes de bétail, s'arrétèrent tous 
sur (la tortue) ; pour préparer leur repas en le faisant cuire, 
ils cassèrent du bois sec et allumérent du feu: ils don- 
nèrent à manger à leurs bœufs et à leurs chevaux, à leurs 
mules, à leurs ânes et à leurs chameaux; ils allaient de-ci 
et de-là, se couchaient ou se levaient. 

Cependant, la tortue royale, sentant tout à coup sur son 








| 
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CHENG KING (N°5 434-433) 193 


corps la brûlure du feu, se mit soudain à s'agiter ; elle se 
déplaça donc pour entrer en toute hâte dans la grande 
mer ; elle allait tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest, sans que 
la douleur que lui causait le feu prit fin. En voyant cela, 
les marchands pensèrent que la terre se déplaçait et que 


l'eau de la mer débordait ; ils se désolaient et gémissaient 


sur leur mort qui était maintenant certaine sans qu'ils 
sussent à quel moyen recourir. La tortue, éprouvant des 
souffrances intolérables, enfonça son corps au milieu de 
l’eau profonde et fit périr en les noyant cette multitude: 
d'hommes, dont les bœufs, les chevaux et les autres ani- 
maux domestiques périrent en même temps qu'eux. 

(Le Bodhisattva développe longuement devant ses dis- 
ciples le sens caché de cette parabole : les marchands, ce 
sont les hommes qui se trouvent dans les trois mondes; 
les deux côtés de la tortue, qui ont chacun soixante !r, 
symbolisent les deux séries de six sortes de concaténa- 
tions dont l’ensemble forme les douze causes ; etc. 


N° 435. 


CEripe AIN Sp NES) 


Autrefois il y avait un chef de famille qui se plaisait à 
empoisonner les gens; quand il avait empoisonné quel- 
qu'un, la richesse affluait chez lui ; c'était là un effet pro- 
duit par les rétributions de ses existences antérieures. 
Tout le royaume le détestait et nul n’osait venir pour en- 


(1) A la suite de cette histoire on en lit une autre toute semblable, & 
cette différence près que la tortue, qui a un cœur compatissant, à soir 
de ne s’enfoncer dans l'eau que juste autant que cela est nécessaire pour 
éteindre le feu; elle ramène ensuite les marchands sains et saufs sur le 
rivage. 

[IE 13 





194 CHENG KING (N° 435) 


tretenir des relations avec lui, car on craignait d’être misen 
péril et d’être tué ; aussi tout le monde le tenait-il à distance. 

Quand ïilse mit à chercher une femme pour son fils, 
personne ne voulut lui donner (sa fille), car les gens s'aver- 
tissaient l’un l’autre disant: « Cet empoisonneur est le plus 
haïssable des hommes ; il ne se conforme pas à la justice 
et à la raison et il désire faire perdre la vie aux autres. 
Si nous nous allions à lui par mariage, comme il ne sait 
plus sur qui pratiquer ses empoisonnements, c'est nous 
qu'il viendra donc mettre en péril. C’est pourquoi tenons- 
nous éloignés de lui comme nous nous écarterions de 
brigands redoutables. Encore quand les brigands se bat- 
tent avec nous, on s'applique réciproquement des coups 
de poing et il y a un vainqueur et un vaincu; tandis qu’un 
empoisonneur nous donne silencieusement (son poison) 
et brusquement nous sommes en proie à ce mal sans que 
notre vie puisse être sauvée. » Ainsi tous se faisaient sa- 
voir cela l’un à l’autre ets’éloignaient de cet homme pour 
n'avoir aucun rapport avec lui. 

Cet homme se trouva dans un embarras extrême; il 
avait cherché partout une femme pour son fils, mais nul 
n'avait voulu lui en fournir une ; il se rendit donc à plus 
de mille /: de là dans un royaume étranger afin de deman- 
der une femme pour son fils; comme il était riche et 
qu’en outre il occupait une haute situation, alors que le 
père de la future jeune femme était pauvre et qu’en outre 
il était dans une humble condition, celui-ci, par avidité, lui 
donna sa fille, comme s’iln'eüt pas été un empoisonneur ; 
(empoisonneur) lui donna des richesses en quantité plus 
considérable (qu'il n'était tenu de le faire); puis il vint 
chercher la femme; quand celle-ci fut dans sa nouvelle 
famille, elle accomplit les rites en observant toujours 
toutes les cérémonies ; elle ne manquait point aux obli- 
gations d'une épouse, et, tant dans la maison qu’au dehors, 
observait son devoir. 





CHENG KING (N° 435) 195 


En ce temps, dans la famille (de l’empoisonneur), on 
éprouva des pertes qu'on ne put compenser ; il fallut 
recourir au mal de l'empoisonnement pour obtenir la ri- 
chesse. Le beau-père et la belle-mère dirent à la jeune 
épouse : « Nous vous ordonnons de tuer en l’empoison- 
nant telle personne ; c’est là une pratique ancienne de 
notre famille ; il faut vous y conformer. » En entendant 
ces paroles, la jeune femme fut saisie de chagrin et dit à 
son beau-père et à sa belle-mère : « Ma famille pratique la 
bienveillance et n’a jamais fait de mal aux autres ; je ne 
me charge point d’empoisonner et subirais plusieurs 
morts plutôt que de commettre un tel crime, » Son beau- 
père et sa belle-mère lui reprochèrent en l’injuriant de se 
refuser à recevoir leurs instructions ; ils dirent alors au 
dieu du poison: « Maintenant nous avons pris chez nous 
cette épouse ; mais elle n’applique pas les drogues empoi- 
sonnées pour faire le mal aux hommes et elle se refuse à 
nous obéir ; que faut-il faire ? » Le dieu du poison leur 
répondit: «Je saurai bien la changer et faire en sorte 
qu’elle ne s'oppose plus à vos instructions. » Le dieu du 
poison alla donc sous la forme d’un serpent venimeux et 
accourut auprès de la jeune épouse; celle-ci eut peur et 
ne sut où aller ; parfois il se montrait sur sa tête ; quand 
elle mangeait, il se montrait devantelle; quand elle buvait, 
il apparaissait dans la tasse; quand elle se couchait, il 
apparaissait sur le lit; quand elle marchait, il la poursui- 
vait. Saisie de frayeur, la jeune épouse ne savait où aller; 
elle maigrit au point de n être plus qu'un squelette ; elle 
ne pouvait plus boire ni manger. Le dieu du poison lui 
intima l'ordre de se livrer aux pratiques d'empoisonne- 
ment en lui promettant (si elle obéissait) de la laisser tran- 
quille. Comme elle était à bout de forces et ne savait que 
faire, elle consentit à suivre son avis. 

Sur ces entrefaites, un homme qui avait été son voisin 
dans son pays d'origine arriva dans cette ville ; il vit que 


196 CHENG KING (Ne 435) 


la jeune femme avait maigri et était inquiète ; il en fut 
effrayé et lui en demanda la cause. La jeune femme lui 
exposa toute l'affaire en lui disant: « Quand vous serez 
retourné auprès de ma famille, racontez mon cas à mon 
père et à ma mère en les invitant à venir promptement 
me chercher ; sinon, ma mort est certaine. » 

A son retour, l’homme fit un récit complet ; en l’enten- 
dant, le père et la mère furent saisis de chagrin et tout 
troublés. Le père prépara son char, attela ses chevaux et 
alla en toute hâte chercher sa fille. Quand il fut arrivé 
dans ce pays, il dit aux beaux-parents de sa fille : « La 
mère de notre fille se lamente en songeant à elle jour et 
nuit; elle m'a donc envoyé la chercher; permettez-leur 
de se revoir ; avant qu'ilsoit longtemps je vous ramènerai 
(votre bru). » Les beaux-parents ayant autorisé le départ, 
le père s’en retourna en emmenant sa fille avec lui et dit 
alors aux beaux-parents : « Votre famille se livre à des 
pratiques d'empoisonnement; je vous enlève votre bru et 
ne vous la rendrai plus. Si vous entrez en contestation 
avec moi, il ya des magistrats et des lois pour détermi- 
ner si vous devez obtenir gain de cause ou non, et cela 
attirera sur vous le malheur de l’extermination de toute 
votre famille ; si vous ne voulez pas qu'il en soit ainsi, 
renoncez à pratiquer l’empoisonnement et je vous rendrai 
la jeune épouse. » 

Le beau-père et sa femme délibérèrent entre eux, en 
disant: « Cette jeune épouse est si belle qu'on en voit 
rarement de telles dans le monde ; il ne faut pas l’aban- 
donner ; mieux vaut renoncer aux pratiques d’empoison- 
nement. D'ailleurs, si les magistrats venaient à en être 
informés, nous serions en danger mortel. » Ils cessèrent 
donc de pratiquer l’'empoisonnement et firent (avec le père 
de la jeune femme) une convention jurée pour s'engager 
à ne plus être en faute ; ils renvoyèrent le dieu du poison 
et leur famille jouit alors du calme. 








CHENG KING (N° 436) 197 


(Suit l'explication de ce conte comme une allégorie dont 
le sens est fourni par la religion bouddhique.) 


N° 436. 


(Trip., XIV,5, pp. 45 vo-A6 v°.) 


Autrefois il y avait un homme dont le père était mort 
prématurément ; il était donc devenu orphelin dès son 
jeune âge et demeurait seul avec sa mère. Il ne reçut pas 
une bonne éducation ; chez lui et au dehors il n’observait 
pas les règles ; il ne s’attachait pas aux principes de con- 
venances ; il violait les enseignements consignés dans les 
écrits des anciens sages et ne voulait ni s’instruire nifaire 
des recherches pour recevoir la doctrine des livres saints; 
mais avec une foule de gens ignorants et stupides dont il 
faisait ses compagnons, il buvait et jouait, se conduisait 
avec arrogance et ostentation et avait des dehors sous les- 
quels ne se cachait aucune qualité intérieure ; se laissant 
aller à ses passions, il avait une conduite perverse qui 
insultait le ciel ; sans piété filiale et sans obéissance, il ne 
pratiquait pas la vertu et ne rectifiait pas son cœur ; il ne 
faisait pas son devoir et ne maintenait pas sa dignité ; 
dans ses actes, il commettait toutes sortes de péchés ; 
dans ses paroles, il prononçait des grossièretés et des vio- 
lences ; dans ses pensées, il songeait à nuire. Il ne se 
préoccupait pas des instructions que lui avait laissées son 
père qui l’avait engendré; il ne s’occupait que d’actions 
mauvaises et perverses. Sa mère en était désolée ; aussi 
voulut-elle le morigéner et lui montrer les plus profonds 
principes de la convenance et de la morale pour qu'il 
changeât de sentiments et de conduite, pour qu'il veillât 
sur ses actes et fût attentif à ses paroles, pour qu'il obser- 


198 CHENG ‘KING (N° 436) 


vât les précéptes des anciens sages, pour qu’il mit en pra- 
tique les règles instituées par son grand-père et son père 
à qui il devait le jour, pour qu'il reçût avec respect la doc- 
trine sublime de l’Honoré du monde. Alors donc, avec 
des intentions bienveillantes, elle lui exposa les merveil- 
leux oo puis elle s’adressa à son fils en ces 
termes : 

O mon fils, agissez ae avec affabililé ; — prenez 
pour amis des gens de bien; — pratiquez sans cesse la con- 
cilialion ; — observez constamment la conversion produite 
par la vraie Lou. 

Le fils demanda à sa mère : 

Si j'agis toujours avec affabililé, — à quoi cela me servira- 
tul? — Si je prends pour amis des gens de bien, — quel 
avantage en relirerai-je ? — Si je pratique sans cesse la 
conciliation, — pourquoi le ferai-je? — Si j observe con- 
stamment la conversion produite par la vraie Loi, — quel 
bienfail en éprouverai-je ? 

La mère répondit à son fils : 

Si vous agissez toujours avec affabilité, — tous les 
hommes vous aimeront et vous honoreront. — Si vous vous 
liez avec des amis qui soient des gens de bien, — vous serez. 
ferme el rien ne pourra vous ébranler. — Sivous pratiquez 
sans cesse la conciliation, — vous vous procurerez de 
grandes richesses. — Si vous observez constamment la con- 
version produile par la vraie Loi, — quand votre vie sera 
lerminée, vous naïtrez dans les cieux. 

Le fils dit alors à sa mère : « Excellentes sont vos ins- 
tructions, Ô ma mère ; vos enseignements sont supérieurs 
à tout; vos préceptes sont sans limites ; sublimes et im- 
menses, on ne saurait les louer suffisamment. Je vivais 
depuis longtemps dans la stupidité et dans lés ténèbres; 


tournant le dos à votre bonté, je me dirigeais vers Ferreur; 


mon inintelligence était extrênie. Je me laissais décevoir 


par les formes extérieures et j'étais influencé par diverses. 











CHENG KiING- (N° 436) 199 


personnes. Je me croyais habile ét sage; j'appélais clair 
ce qui n’était pas clair ét exact ce qui n’était pas exact. Je 
ne distinguais pas ce qui a de la valeur dé ce quin’ena 
pas. Malgré les sages lecons de ma mère, je méprisais le 
bien et estimais le mal et je n’avais aucune piété filiale 
et aucun Soin pour vous ; malgré la vertu de ma tendre 
mère, je rejetais ce qui est réellement bon pour recher- 
cher les choses vaines et je prenais pour compagnons des 
gens stupides. Ainsi je suis arrivé à ce degré de folie 
dont j'étais affecté chaque jour davantage. Mais, grâce à 
la conversion que vous m'avez fait opérer, vous m'avez 
rendu manifestes la douceur et la bonté; vous avez 
répandu sur moi une bienfaisante influence de commisé- 
ration ; ce principe fécond, je le ferai prospérer et grandir 
de manière à ce qu’il pénètre les dix régions du monde. 
Le peu que vous m'avez appris, je le recoiset je l’accepte en 
me prosternant ; je ne me permettrai point de le négli- 
ger ou de l’oublier. » Le fils remercia en se prosternant 
le front contre terre et se mit à suivre les ordres de sa 
mère sans jamais s'en écarter. 

Ce fils, agissant suivant la Loi, se conduisit toujours 
avec affabilité et tous les habitants du royaume l’hono- 
rèrent ; 1l choisit des gens de bien pour ses amis et per- 
sonne ne put lui faire de tort; il pratiqua sans cesse la 
conciliation, réunissant ceux qui était désunis et mettant 
d'accord ceux qui se querellaient ; c’est pourquoi il reçut 
des présents considérables et eut des richesses immenses ; 
il se soumit au Buddha en se prosternant, observa les cinq 
défenses et accomplit les dix actions excellentes ; c’est 
pourquoi les devas le protégèrent. oh 

Le souverain du pays en fut informé et l'appela pour 
qu'il fût son premier ministre. Le roi lui dit: « J'ai 
entendu parler de votre conduite vertueuse dont tout le 
royaume est enchanté. C’est pourquoi je vous nomme à 
une fonction officielle ; dans le royaume il n’y a pas de 


200 CHENG KING (N° 436) 


bon ministre; soyez donc mon excellent conseiller afin 
que le pays soit tranquille et que les royaumes étrangers 
des quatre points cardinaux viennent se soumettre à notre 
vertu. Vous, de votre côté, vous serez couvert de gloire. » 

Cet homme répondit : « Je consentirais bien, car je ne 
me permettrais pas de vous résister, à saint roi; mais je 
crains que ma faible vertu ne puisse pas vous assister dans 
vos actes illustres, ce dont je serais plein de honte ; si je 
viole vos sages instructions, le peuple en aura du res- 
sentiment; voilà pourquoi je me fais des objections et je 
n'ose pas accepter le poste que vous me proposez. » 

Le roi lui dit : «J'ai vu par vos paroles et vos actes, par 
vos manières et par votre démarche que vous pourrez réel- 
lement vous acquitter de cette tâche et c’est pourquoi je 
vous ai mandé. » Cet homme ayant alors gardé le silence, 
al fut nommé premier ministre. 

Le roi lui dit ensuite : « Le roi de tel ou tel pays était 
à l’origine mon ami ; nous étions si amis que nous n’étions 
plus deux, mais que nous formions comme une seule per- 
sonne. Cependant, à cause de racontars, nos deux têtes se 
sont disputées, ce qui a amené la désunion de nos corps. 
Les années, les mois et les saisons se sont accumulés, 
chacun de nous restant abandonné et embarrassé sans que 
personne püt résoudre la difficulté. Je désire que vous 
alliez en personne pour rétablir l'harmonie comme aupa- 
ravant. Je vous donnerai de grandes richesses et de hautes 
dignités. » 

Cet homme déclara qu’il y consentait. Il prit alors toute 
sa fortune pour préparer des aliments exquis et pour 
emporter avec lui des objets précieux, puis il se rendit 
dans ce royaume. Il s’agenouilla devant le roi et lui pré- 
senta des excuses en ces termes : « Quoique je sois d’une 
condition obscure, la faveur céleste a fait que mon roi 
m'a envoyé comme ambassadeur pour apporter ces bois- 
sons et ces aliments, cet or et cet argent et ces objets 





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CHENG KING (N° 436) 201 


précieux dont il vous fait présent. Précédemment, par 
erreur il a agi comme iln'aurait pas dû le faire et a perdu 
vôtre amitié ; la séparation qui en est provenue a duré 
plusieurs années ; il en est couvert de honte et de confu- 
sion \; il marche lentemént et n’a plus de contenance. C’est 
pourquoi:il vous envoie ces présents en vous priant de 
lui pardonner son offense et d’excuser sa faute. » 

En entendant ces paroles, l’autre roi éprouva de la joie 
dans son cœur et, à son tour, il s’accusa lui-même, disant : 
« Depuis longtemps j'avais le désir d'arriver à une récon- 
ciliation ; mais je n’avais personne à envoyer. Cela a été 
cause que votre roi a conçu l'idée de venir le premier 
s’excuser. C’est là un effet de ma négligence, » Il prit alors 
en main un pinceau et écrivit cette lettre pour répondre : 
« Comme notre séparation durait depuis plusieurs années, 
je ne pouvais vous parler face à face ; constamment je 
songeais à notre ancienne amitié; au jour où nous avons 
renoncé à notre affection et où la désunion s'est mise entre . 
nous, je ne pouvais vous atteindre là où vous étiez allé ; 
je ne pouvais vous voir puisque nous nous étions brus- 
quement délaissés. Mais vous m'avez envoyé un sage 
ministre qui m’a fait de magnifiques présents pour m'of- 
frir vos excuses; puisque vous avez pu concevoir cette 
idée de venir à moi, je ne saurais jamais l'oublier ; je 
désire que nous ayons une entrevue pour dissiper nos 
anciens dissentiments. Maintenant, je vous envoie tous les 
joyaux que je possède afin que leur valeur vous apporte les 
humbles sentiments que je vous exprimerai lorsque nous 
nous parlerons face à face. » 

Quand l’autre roi reçut cette réponse, il en eut une joie 
immense ; au jour fixé pour la réunion, les deux rois tout 
joyeux prirent grand plaisir à être ensemble ; ils consi- 
dérèrent que les torts qu'ils avaient eus à l’origine l'un 
contre l’autre ne valaient pas la peine qu'on en parlât, et 
que les fautes qui en étaient résultées avaient produit de 


202 CHENG KING (N°5 436-437) 


grand maux. Ils se traitèrent donc'en princes amis; ils 
eurent l'un pour l’autre une affection sincère et des senti: 
ments dévoués ; ils s'aidèrent avec empressement et Se 
secoururent mutuellement; quant au ministre qui Héur 
avait servi d’ambassadeur, sa gloire fut d’üuité réalité (1) 
qu'on ñe saurait évaluer etses dignités furent auügmentées. 


Ro | . _ 


(Trip., XIV, 5, p. 53 v°.) 


Autrefois, dans un temps fort lointain, il y avait un 
homme nommé A-yi-chan-ich'e (Âhitundika) qui était un 
dresseur de singes; il enseignait à son singe des façons 
de se mouvoir, des tours d’adresse et des bouffonneries ; 
cela réjouissait fort la populace ; à cause de ces tours 
d'adresse, des gens innombrables étaient tous charmés et 
admiratifs ; de loin et de près ils accouraient pour voir ces 
tours d'adresse, et, grâce à leur générosité, (le maître du 
singe) empochait beaucoup d'argent. Cet A-yi-chan-tch'e, 
par les singes qu'ilavait eus les uns après les autres, obte- 
nait ainsi des dons nombreux; cependant il battait (ces 
animaux) et les frappait de la main et du pied. Un jour, cet 
homme étant entré dans la ville avec son singe, l’attacha 
à un pieu. et le battit fort cruellement en l’injuriant et en 
l’humiliant ; en cette occasion, le singe parvint secrètement 
à s'échapper par ruse et courut se réfugier dans la mon- 
tagne où il s'établit solitaire dans un endroit écarté ; non 
loin de là était un ermite en qui il chercha un appui et il 
se fixa là ; il allait récolter des fruits et des graines qu'il 
offrait à l’ermite, après quoi il s’en nourrissait lui-même. 
(1) J'adopte la leçon qui est celle des éditions des Song, des Yuan 


et dés Ming. 


”. NT Lé 
i Fe Les. 











DL nn à 


(CHENG KING (N° 437) 203 


A-yi-chan-tch'e, apprenant qu'il s'était sauvé dans tel en- 
droit désert de la montagne, envoya des gens en les char- 
geant de l'appeler pour qu'il revint. Le singe refusa (de 


venir) et, se tenant à distance il fit cette réponse : « Main- 


tenant je songe encore qu'on m'a auparavant fort maltraité 
et qu’on m'a fait subir toutes sortes de souffrances qu'il 
serait difficile de mesurer ; dans la génération précédente, 
mon père qui n'avait jamais commis aucune faute s’est vu 
tourmenter ; ila été insulté d’une manière inexprimable ; 
c'est pourquoi maintenant j'ai couru me réfugier dans la 
montagne. » Alors A-yi-chan-tch'e alla lui-même dire au 
singe : « Revenez chez moi. » Mais le singe ne soufflait 
mot et se refusait (à venir). L’ermite répondit (à A-yi-chan- 
ich'e « Vous devriez de votre côté lui pardonner et le laisser 
tranquille. » (A-yi-chan-lch'e) répliqua à l’ermite: « Je le 
laisserai tranquille. » L’ermite répondit : « Comment pour- 
riez-vous le faire venir de force ? Adressez-lui des exhor- 
tations en l’encourageant peu à peu, etalorsil ira ; si vous 
prétendezlefaire venir deforce, peut-êtreneréussirez-vous 
pas. » Cethomme répondit : « Si vous aviez un moyen par 
lequel vous vous proposeriez dele faire venir, je m'enirais; 
mais puisqu'ilrefuse d’aller (vers vous), j'aviserai moi-même 
à un procédé (pour l’attirer). » Alors il chanta cette gâthà 
(en s'adressant au singe): 

Vous êles sage, doux etbon,— comme le cerf quand ilest 
dans sa retraite cachée ; — si vous descendez des branches 
de cet arbre, — vous pourrez ne pas mourir de faim et de 
soif. 

Le singe répliqua par ces gâthâs : 

Vous n'avez pas élé bon pour celui qui m'a engendré. — 
Je connais mon propre caractère ; — d'où vient celle opi- 
nion — qu'un singe est doux el sage? — Je vais de tous 
côlés — el je n'ai point encore de pensées régulières el tran- 
quilles. — Si j'ai un maitre pervers, — il ne pourra jamais 
corriger mon esprit. — Maintenant je me remémore — 


204 | CHENG KING (N°5 437-438) 


que vous, maîlre A-yi-chan-lch'e, — vous m'avez amené dans 
la ville, — que vous m'avez attaché à un pieu et que vous 
m'avez infligé de cruels tourments. — Mainlenant encore je 
ne l'ai point oublié, car vous m'avez battu fort douloureu- 
sement. — Puisque j'ai oblenu mon indépendance, — je ne 
saurais plus aller me soumettre à vos tortures. 


N° 438. 


CPrbAXINS 6 pre) 


Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, 
il y avait un brahmane ; son épouse se nommait Fleur de 
lotus (Utpalâ) ; elle était d’une beauté fort remarquable et 
son visage était merveilleux ; elle était la première des 
femmes par ses formes ; rarement on en voit de telles dans 
le monde; on aurait difficilement égalé sa renommée et 
sa vertu. Ce brahmane avait une servante qu'il intro- 
duisit dans son intimité; il était plein de prévenances pour 
elle et ne témoignait aucun respect à son épouse Fleur de 
lotus qu'il ne prenait point plaisir à voir; il suivait au 
contraire les avis de la servante. 

Il emmena son épouse hors de sa demeure et alla avec 
elle dans la montagne ; il monta sur un arbre yeou-l’an-po 
(udumbara), et se mit à cueillir tous les fruits mûrs, qu’il 
prenait et mangeait ; il rejetait tous les fruits verts pour 
les donner à son épouse ; celle-ci lui demanda: « Pour- 
quoi mangez-vous seul les fruits mürs et jetez vous en bas 
ceux qui sont verts pour me les donner ? » Son mari lui 
répondit: « Si vous désirez avoir des fruits mürs, pour- 
quoi ne montez-vous pas sur l’arbre pour les prendre vous- 
même ? » Son épouse répliqua : « Puisque vous ne m'en 
donnez pas, je ne pourrai pas en avoir (autrement) ; j'obéi- 








CHENG KING (N° 438) 205 


rai à votre ordre. » Elle monta donc sur l'arbre. Quand 
son mari la vit sur l’arbre, il en descendit aussitôt et accu- 
mula tout autour de l’arbre toutes sortes de broussailles 
épineuses pour l'empêcher de descendre et la faire rester 
sur l'arbre ; ill'abandonna et s’en alla, voulant ainsi causer 
sa mort. | 

Sur ces entrefaites, le roi du pays, qui était sorti accom- 
pagné de tous ses ministres pour aller à la chasse, vint à 
passer au pied de cet arbre ; il apercut cette femme d'une 
beauté si remarquable et d’un visage si merveilleux qu'on 
en voit rarement de tels dans le monde ; il lui demanda 
qui elle était et d’où elle venait; elle raconta donc en dé- 
tail à ce roi toute son aventure ; le roi, voyant que cette 
femme avait toutes les qualités féminines sans présenter 
la moindre tare, se dit que ce brahmane était un imbécile 
et un sotet qu’il n’était pas digne du nom d’homme puis- 
qu'il ne savait pas honorer une telle femme et trouver en 
elle son plaisir; il écarta les épines et emmena (cette 
femme) dans son char ; quand il fut arrivé dans son palais, 
il la nomma reine. Cette reine était sage et intelligente ; 
elle avait une habileté de parole qu'il eût été difficile 
d'égaler ; elle employait constamment le damier et les six 
tablettes pour faire des dessins et des combinaisons qui 
gagnaient à coup sûr ; toutes les femmes qui, de loin ou 
de près, venaient jouer aux dames avec elle étaient aussi- 
tôt vaincues par elle et nulle ne pouvait lui tenir tête. 

Or, le brahmane, ayant appris que ce roi avaitune reine 
fort belle et habile au jeu de dames, que tous ceux qui 
venaient étaient battus par elle et devaient s’avouer 
vaincus sans qu'aucun d'eux püût triompher, se dit en lui- 
même : « Ce doit être mon ancienne épouse et personne 
autre. En effet, mon ancienne épouse était de première 
force au jeu de dames. » Le brahmane était d’ailleurs lui- 
même fort habile au jeu de dames ; il voulut se rendre 
auprès du roi pour montrer son talent. En ce temps, la 


206 CHENG KING (N° 438) 


reine apprenant la venue d’un brahmane fait de telle et 
telle façon, ayant tel visage, telle taille et telle figure, se 
dit en elle-même: « C’est mon ancien mari. » Le brah- 
mane, étant arrivé à la porte du palais, le roi le fit venir 
en sa présence et on le mit à l'épreuve en le faisant jouer 
aux dames (avec la reine) à distance, un homme étant chargé 
de nommer les pièces d'ivoire (1). Alors le brahmane 
chanta cette stance : 

Ses cheveux sont beaux el longs de huit pieds ; — son 
visage est comme s’il était peint ; — pour la douceur elle est 
la première ; — doit-elle encore se souvenir des fruits 
mars ? 

La reine répondit par cette gâthà : 

Autrefois une servante élait la maîtresse ; — en elle il 
plaçait son affection ; — pour les honneurs qu'on lui ren- 
dait, elle était la première ; — pour ravir (à une autre ce 
qui lui élait dû), elle était la première. 

Le brahmane répliqua derechef à la reine par cette 
gâthà : 

Allons demeurer à l'écart dans le séjour des nâgas, — 
là où les nägas et les éléphants prennent constamment leurs 
ébats, — et en ce lieu livrons-nous ensemble au plaisir. — 
Devez-vous encore vous souvenir des fruits mürs ? 

La reine répondit au brahmane par cette gâthà : 

Vous mangiez seul les fruits mûrs, — el vous me jeliez 
les fruits verts ; — c'est pour quelque cause provenant d'une 
existence antérieure, — que j ai élé ainsi dépouillée par vous, 
Ô brahmane. 

Alors le brahmane concut des regrets dans son cœur ; 
il se fit d'amers reproches, mais son repentir ne servit à 
rien. j 

(1) Le brahmane et la reine étaient éloignés l’un de l’autre; un person- 


nage intermédiaire les mettait en relations en annonçant les mouvements 
que chacun d’eux faisait sur le damier avec les tablettes en ivoire. 








Le 





mr 


EXTRAITS DU KING LU YI SIANG" 





N° 439. 


(ERA NNEXNE SD 02%) 


Le Buddha se trouvait à Lo-yue (Râjagrha) dans le jar- 
din de bambous de Jeta ; il y avait alors quatre frères, 
issus d'un personnage de haute caste, qui avaient perdu 
de bonne heure leur père et leur mère et qui se dispu- 
taient la possession de l'héritage ; ils aperçurent Chô-li-fou 
(Câriputra), et, tout joyeux, lui demandèrent: « Nous 
souhaitons que vous prononciez sur ce cas et ensuite nous 
ne nous disputerons plus. » Chô-li-fou (Gäriputra) leur 
dit: « Fort bien; j'ai un grand maître, le Buddha, qui est 
plus digne d'honneur que n'importe qui dans les trois 
mondes. Suivez-moi et revenons à l’endroit où se trouve 
le Buddha; certainement vous obtiendrez la solution (de 
votre différend). » Ils suivirent donc Chü-li-fou (Càriputra) 
et revinrent avec lui. Le Buddha, voyant de loin ces quatre 
hommes, se prit à rire en émettant un éclat des cinq 
couleurs. Les quatre hommes rendirent hommage au 
Buddha et lui dirent: « Nous sommes stupides; nous 
souhaitons que le Buddha prononce une parole décisive 
afin que nous ne nous disputions plus. » | 

(1) Le Xing lu yi siang (Nanjio, Catalogue, n° 1473; est un recueil d’ex- 
traits des livres saints qui a été compilé en 516, sous la dynastie des 
Leang par Seng-ming, Pao-tch'ang et d’autres. Quoique Florigine de 
chaque texte soit indiquée, il est souvent difficile de remonter à la source, 
soit parce que certains livres ont disparu, soit parce que ce serait une 
tâche fort longue de rechercher un court récit dans Lel ou tel volumineux 
ouvrage où il est enfoui. 


208 KING LU Yi SIANG (N° 439) 


(Le Buddbha leur dit :) « Autrefois il y avait un roi nommé 
Wei-leou; son corps souffrant d’une maladie, il fit venir 
un médecin qui l’examina et (prescrivit) de composerune 
drogue pour laquelle il fallait employer du lait de lionne. 
Le roi adressa aussitôt un appel (à son peuple, en disant 
que), si quelqu'un se procurait (de ce lait), il lui donnerait 
la moitié de son territoire et lui ferait épouser sa plus 
jeune fille. Il y eut alors un pauvre homme qui déclara : 
« Je suis capable de m'en procurer. » Le roi l'ayant auto- 
visé (à tenter l’entreprise), cet homme qui était habile et. 
ingénieux, commença par rechercher l'endroit où se tenait 
une lionne, puis, avec un mouton qu'il avait tué et plusieurs 
dizaines de boisseaux de vin de raisin, il se rendit dans 
cette montagne ; il épia le moment où la lionne était sortie 
et déposa dans son repaire le mouton tué ainsi que le vin 
de raisin. (A son retour), la lionne vit le vin et la chair ; 
elle se mit à boire et à manger et s’endormit complète- 
ment ivre. (Notre homme aussitôt) s’avança, lui tira du lait 
et s’en revint tout joyeux. Avant qu'il fût revenu dans son 
pays, comme le soir était venu, il s'arrêta pour la nuit 
dans un village. Or un arhat s’y était aussi arrêté et se 
trouva passer la nuit en compagnie de cet homme. Celui- 
ci, en poursuivant la lionne, avait parcouru un chemin 
difficile ; il s'était endormi, le corps épuisé, et il n’avait 
plus du tout sa connaissance. Le religieux apercçut les six 
organes (1) de son corps qui contestaient entre eux sur 
leurs mérites respectifs ; le génie des pieds disait : « C’est 
grâce à moi qu'on est arrivé jusqu'ici et qu’on a pris le 
lait. » Le génie des mains disait à son tour : « C’est grâce 
à nous, les mains, qu’on a tiré le lait. » Le génie des yeux 
disait aussi: « C’est grâce à moi qu’on a vu (la lionne). » 
Le génie des oreilles disait de son côté : « C’est grâce à ce 
que j'ai entendu le roi demander du lait que je vous ai 


(1) Dans la suite du récit on ne trouve mentionnés que cinq organes. 





KING LU Yi SIANG (N° 439) 209 


amenés tous ici. » Le génie de la langue dit alors : « Vous 
contestez en invoquant de vaines raisons ; ce mérite me 
revient. Maintenant votre mort ou votre vie dépend de 
moi. » (Le lendemain), cet homme, apportant le lait, vint 
auprès du roi et lui dit: « Je me suis maintenant procuré 
du lait de lionne ; il est là-dehors. » Le roi dit: « Que c’en 
soit véritablement ou non, présentez-le moi. » À peine le 
roi avait-il vu le lait, que la langue dit : « Ceci n’est pas du 
lait de lionne ; c'est simplement du lait d’ânesse. » En 
entendant ces mots, le roi fut très irrité et dit: «Je vous 
avais chargé de prendre du lait de lionne et vous me rap- 
portez du lait d’ânesse. » Il voulut donc faire périr l’homme. 
Cependant le religieux qui avait passé la nuit auprès de 
l’homme eut alors recours à ses facultés surnaturelles 
pour arriver aussitôt devant le roi; il lui déclara : « Ceci 
est vraiment du lait de lionne. J’ai passé la nuit dans un 
village avec cet homme au moment (où il venait de se le 
procurer); j'ai vu les six parties de son corps contester 
entre elles sur leurs efforts méritoires ; la langue a dit: 
« Je m'opposerai à vous. » C’est maintenant effectivement 
ce qu’elle a fait. Que le roi prenne seulement ce lait pour 
le mêler à sa médecine et il guérira certainement de sa 
maladie. » Le roi ajouta foi aux paroles de l’arhat et se 
servit du lait pour composer sa médecine ; il donna sa fille 
en mariage à cet homme et en même temps il lui conféra 
un territoire, conformément à l'engagement qu'il avait pris 
au début. Le religieux dit au roi: « Si (tels sont les maux 
qui sont produits quand) les organes du corps d’un seul 
homme sont en opposition entre eux, combien plus (graves 
seront les maux quand la dissension se produira) entre 
des hommes différents. » Alors celui qui s'était procuré le 
lait, ayant recu du religieux ce bienfait, demanda à deve- 
nir cramana ; son intelligence se dénoua etil obtint la 
sagesse d’arhat; le roi aussi fut alors joyeux; il recut les 
cinq défenses et obtint la sagesse de sortäpanna, » 
LUE 14 


210 KING LU Y1 s1ANG (N° 439-440) 


Quand les quatre hommes eurent entendu ce récit, leur 
intelligence se dénoua ; il implorèrent aussitôt du Buddha 
(la faveur) de devenir bhiksus ; le Buddha, sans rien dire, 
leur toucha la tête de sa main : leurs cheveux tombèérent 
et le käsàya revêtit leur corps ; leurs attachements mon- 
dains se rompirent et leurs souillures disparurent. 

Ânanda demanda : « Quel mérite ont eu autrefois ces 
quatre hommes pour que maintenant ils aient entendu les 
livres saints, aient aussitôt été éclairés et aient obtenu 
promptement de devenir achat? » Le Buddha répondit : 
« Autrefois, au temps du Buddha Mo-wen, Chü-li-fou 
(Câriputra) était un bhiksu et ces quatre hommes étaient 
des marchands ; tous ensemble firent don d’un kâsâya à 
Chô-li-fou (Càriputra) ; celui-ci prononca le vœu magique 
de faire en sorte que, dans une vie ultérieure, ces hommes 
obtinssent promptement d’être sauvés ; maintenant c’est 
par l'entremise de Chü-li-fou (Câriputra) qu'ils ont en effet 
_obtenu d’être sauvés. » 


N° 440. 


(Trip, XXXNVL3;p.'46v°) 


Dans un royaume étranger il y avait un cramana qui, 
en allant mendier, arriva chez un marchand de perles. Le 
maître de la maison lui prépara de la nourriture à manger. 
Or, il possédait une grande perle valant plus de cent mille 
pièces de monnaie ; il la rapporta et la placa à côté du 
çramana ; à ce moment un perroquet apparut soudain et 
l'avala ; le maître de la maison ne l'avait pas vu faire; 
aussi interrogea-t-il le çramana qui répondit qu'il n'avait 
pas pris la perle; le maitre de la maison lui demanda : 
« Y a-t-il eu ici quelque autre homme ? — Non », dit 








KING LU YI SIANG (N° 440-441) 211 


l’autre. Le maître de la maison reprit, irrité : «Je venais 
d'apporter cette perle ; puisqu'il n’y a eu ici aucun autre 
homme que vous et puisque vous dites que vous ne l'avez 
pas prise, où est maintenant la perle ? » Il se mit alors à 
battre le cramana dont le sang jaillit et coula à terre, mais 
le çramana continuait à dire : «Je n’ai pas caché la perle. » 
Au bout d’un instant, le perroquet vint pour boire le sang 
qui était à terre ; il se rencontra avec le bâton et tomba 
mort. Comme {le maître de maison) voulait lever la main 
pour donner encore des coups au çramana, celui-ci lui dit: 
« Arrêtez et écoutez ce que j'ai à vous dire : c'est ce per- 
roquet qui l’a avalée. » On ouvrit alors le perroquet et on 
trouva la perle. Le maître de la maison demanda au çra- 
mana : « Pourquoi ne l’avez-vous pas déclaré plus tôt et 
avez-vous fait que les choses se soient passées ainsi? » Le 
çramana répondit : « J’observe les défenses du Buddha et 
je ne saurais tuer des êtres vivants ; malgré mon désir 
de vous déclarer ce qui en était, je craignais de causer la 
mort du perroquet. Maintenant que le perroquet est mort, 
je vous le dis; mais, si le perroquet vivait encore, vous 
m'auriez frappé jusqu'à me faire périr sans que jamais je 
vous eusse révélé (où était la perle). » Le maitre de la 
maison se fit alors des reproches, se repentit de sa faute 
et prononça des excuses ; le çramana ne S'APLITA pas et 
l'air de son visage ne changea point. 


N° AA. 
CÉRIDRNDERN I De Sr) 
En ce temps, dans la ville de Chôü-wei (Grävasti), il y 


avait un brahmane de grande famille nommé Ye-Jo-la 
(Yajñadatta) qui était extrémement riche. Une de ses ser- 


212 KING LU Yi SIANG (N° 441) 


vantes esclaves était nommée ÆJouang-leou (Tête jaune) ; 
elle avait constamment la garde du jardin des mo-lo (mälà, 
guirlandes). En ce temps, cette servante s’affligeait tou- 
jours et disait : « Quand échapperai-je à cette condition 
d’'esclave ? » Un jour, cette servante, après le lever du 
soleil, avait reçu sa part de nourriture en aliments secs 
et l'avait emportée pour se rendre dans le jardin. Au même 
moment, l'Honoré du monde entrait dans la ville pour 
mendier sa nourriture. La servante Houang-l'eou aperçut 
de loin le Tathâgata et elle pensa dans son cœur : « Ne 
vaudrait-il pas mieux que je prenne ces aliments secs pour 
les donner à ce çramana ? peut-être pourrais-je être déli- 
vrée de cette condition d’esclave. » Elle donna donc ses 
aliments en présent au Buddha ; l’'Honoré du monde les 
accepta avec bonté et compassion, puis il revint dans son 
ermitage. Alors la servante Houang-l'eou continua sa route 
et entra dans le jardin des mo-lo. Or, le roi Po-sseu-ni 
(Prasenaijit), avec un cortège imposant de soldats des quatre 
sortes, était sorti pour chasser; les gens de sa suite s’épar- 
pillèrent en galopant à la poursuite de troupeaux de cerfs; 
il faisait fort chaud; (le roi) aperçut de loin le jardin des 
mo-lo ; il renvoya donc son char et entra à pied dans le 
jardin. Houang-leou vit venir de loin Po-sseu-nt (Pra- 
senajit), qui, par sa démarche etses mouvements, ne parais- 
sait pas être un homme ordinaire; elle s’avança aussitôt 
pour l’accueillir en lui disant : « Soyez le bienvenu, grand 
homme et veuillez vous asseoir ici. » Elle ôta alors un de 
ses vêtements qu’elle étendit à terre pour faire asseoir le 
roi. Aouang-Feou lui demanda : « Peut-être avez-vous 
besoin d’eau pour laver vos pieds? » Le roi ayant donné 
son assentiment, elle prit de l’eau qu’elle présenta au 
roi, puis elle lui essuya les pieds. Elle lui demanda encore: 
« Désirez-vous vous laver le visage? » Elle offrit donc 
pour la seconde fois de l’eau au roi pour qu'il se lavât le 
visage. Elle lui demanda encore : « Voulez-vous boire ? » 





î 


ss 


KING LU YI SIANG (N° 441) 213 


Puis elle alla vers l’étang, se lava les mains, prit une belle 
feuille de nénufar, la remplit d’eau et l’apporta au roi. 
Elle lui demanda encore : « Peut-être voudriez-vous vous 
coucher et vous reposer ? » Elle ôta encore un de ses 
vêtements et l’étendit à terre pour le roi; puis, quand elle 
vit qu’il s'était couché, elle se tint à deux genoux devant 
lui et lui massa les pieds et les articulations des autres 
membres pour dissiper sa fatigue. Houang-leou avait un 
corps de déesse, fin, souple et beau; quant au roi, qui 
était subtil, il fit cette réflexion : « Je n’ai jamais trouvé 
une femme aussi intelligente que cette fille ; avant même 
que je lui aie donné des ordres, elle les exécute. » Il lui 
demanda donc : « À quelle famille appartenez vous ? » Elle 
répondit : « Je suis une esclave de Ye-jo-la (Yajñadatta); 
on m'a chargée de garder ce jardin. » Quand ils eurent con- 
versé ainsi pendant quelque temps, la foule des grands 
officiers du roi, en suivant les traces laissées par le char, 
arriva dans le jardin ; ils se prosternèrent aux pieds du 
, puis se tinrent debout sur un rang. Le roi ordonna à 
un ME ces hommes : « Appelez le brahmane Ye-Jo-ta 
(Yajñadatta) pour qu’il vienne. » Ÿe-7o-la (Yajñadatta) étant 
venu auprès du roi, celui-ci lui demanda : « Cette fille est- 
elle votre esclave ? » Comme il répondait affirmativement, 
le roi reprit : « Maintenant je désire en faire mon épouse. 
Qu'en pensez-vous ? » Il répliqua : « Elle est mon esclave; 
comment pourriez-vous la prendre pour épouse ? » Le roi 
dit: « Ce n’est pas là la question ; ne parlez que du prix 
auquel vous l’évaluez. » Le brahmane répondit : « Si je 
voulais parler du prix, il serait de cent mille onces d’or ; 
mais comment réclamerais-je un prix au roi? Maintenant 
j'offre (cette fille) à Votre Majesté. » Le roi dit : « Non 
pas. Je la prends pour épouse ; comment ne vous en don- 
nerais-je pas le prix? » Aussitôt il paya au brahmane cent 
mille onces d’or, puis il fit monter en char (Jouang-l'eou) 
et entra dans son palais escorté de tous ses ministres. 


214 KING LU Y1 SIANG (N° 441-442) 


C'est parce qu'il avait pris cette femme dans le jardin 
des mo-lo qu'on la distingua par le surnom de : la fou-jen 
mo-li (Mallika devi). Le roi l’aima et l’honora fort. 

A quelque temps de là, le roi était avec ses cinq cents 
femmes et elle se trouvait la première d’entre elles, au 
haut de la salle élevée; elle pénsa alors : « De quelle 
action suis-je récompensée pour avoir pu échapper à la 
condition d’esclave et recevoir une félicité pareille ? » Elle 
fit encore cette réflexion : « C’est que j'ai autrefois donné 
à un çramana ma part d'aliments secs mêlés à du miel, et 
c'est pour cette cause que maintenant j'ai échappé à la 
condition d’esclave et que je reçois une telle félicité. » 


N° 412. 
(TP. XXXNT 8. D. 08 LP) 


Dans le royaume des Yue-fche, 1l y avait un roi nommé 
Wou-cha ; il n’était personne dans le monde qu'il n’eût 
terrassé et soumis. Sa mère avait donné à ce roi l'avis 
suivant : « Si vous êtes en péril de mort, ayez soin de 
ne pas tourner par la gauche autour d’un temple du 
Buddha, mais pensez à tourner par la droite. Veillez à ne 
pas contrevenir à ces instructions. » En ce temps, le roi 
Wou-cha mit en campagne une grande armée pour atta- 
quer la ville de Chouen-hiue (sang pur) ; il prit lui-même 
en main son épée et tua trois cent mille hommes. Mais 
ensuite le combat tourna à son désavantage ; monté sur 
un éléphant, il s'enfuyait lorsqu'il remarqua un stüpa ; il 
se souvint de l’avertissement que lui avait donné sa mère 
et fit aussitôt revenir son éléphant pour qu'il tournât par 
la droite. Voyant cela, les ennemis se dispersèrent et se 
soumirent ; le roi, s'apercevant que les ennemis reculaient, 
leur donna la poursuite et fit avancer ses soldats ; il 














NE RCE, 


D not à éd à AR 


KING LU YI SIANG (N°5 442-443) 215 


s'empara de leur ville et fit prisonnier leur roi lui-méme. 
Alors il se rappela la parole du Buddha, à savoir que celui 
qui prend son refuge en Buddha est vénéré, qu'il est grand 
et que nul ne peut l’égaler : « Si, se disait-il, je n'avais 
pas tourné par la droite, comment aurais-je pu défaire ces 
ennemis ? » 


N° A3. 


(Trip., XXXVI, 3, pp. 91 v°-92 r°.) 


4 


Autrefois, l'épouse du roi du royaume de Po-lo-nai (Vârà- 
nasi, Bénarès) devin& enceinte. Cette femme reconnut 
qu’elle était enceinte et elle en avertit le roi; celui-ci 
lui fit donner de la nourriture et des soins à son entier 
contentement. Quand le terme fut venu, elle accoucha 
d’une masse de chair rouge comme la fleur de l’hibiscus. 
(Elle se dit :) « Toutes les autres femmes ont mis au 
monde des enfants beaux et bien faits ; moi, j'ai enfanté 
cette masse de chair qui n’a ni mains ni pieds. Mon cœur 
en conçoit de la honte. Si le roi sait cela, il aura certaine- 
ment de la haine et du mépris pour moi. » Elle placa donc 
(cette masse de chair) dans un vase ; elle battit de l'or 
pour en faire une feuille sur laquelle elle écrivit avec du 
sable rouge (cinabre) : « Ceci est ce que la femme du 
royaume de Po-lo-nai a mis au monde. » Elle placa un cou- 
vercle sur l’orifice du vase et le scella avec Le sceau royal 
puis, après avoir fixé à l’intérieur du vase la feuille d’or 
sur laquelle elle avait écrit, elle envoya quelqu'un aban- 
donner le tout dans le fleuve. Quand l’envoyé eut lâché 
le vase, les génies et les dieux prirent des mesures pour 
le protéger et firent qu’il n’y eut ni vent ni vagues. 

Or, un religieux demeurait avec des gardiens de bœufs 
au bord du fleuve ; de bon matin il se baignait lorsqu'il 


216 KING LU Yi SIANG (N° 443) 


aperçut de loin ce vase ; il le recueillit et vit les mots 
tracés sur la feuille d'or ; il remarqua en outre le sceau 
royal qui le scellait ; il ouvrit alors le vase et regarda ce 
qu'il y avait dedans, mais il n'aperçut qu'une masse de 
chair. Il fit cependant cette réflexion : « Si c'était là de la 
chair morte, elle devrait être depuis longtemps en putré- 
faction ; celle-ci doit avoir quelques qualités extraordi- 
naires, » Il la rapporta donc dans l'endroit où il demeu- 
rait et l’installa avec soin dans un endroit. Au bout d’un 
demi-mois, la masse de chair se divisa en deux fragments ; 
puis, de nouveau après un demi-mois, chacun des frag- 
ments produisit cinq fragments ; enfin, après un nouveau 
demi-mois, de l’un des placentas naquit un garçon, et de 
l’autre fragment naquit une fille. Le garcon avait la cou- 
leur de l'or jaune; la fille avait la couleur de l'argent 
blanc. Quand le religieux les vit, il conçut pour eux un 
vif amour comme si ç'eût été lui-même qui eût eu ces 
enfants ; des pouces de ses deux mains du lait sortit 
spontanément ; un de ses pouces nourrissait le garçon ; 
l’autre pouce nourrissait la fille; quand le lait entrait 
dans le ventre des enfants, il était semblable à de l’eau 
claire et c'était comme une perle mani dont l'éclat se 
répandait au dedans et au dehors. Le religieux donna aux 
enfants le nom de li-ich'ü tseu (1); il les nourrit et prit 
pour eux beaucoup de peine ; chaque matin il se rendait 
dans les villages pour mendier sa nourriture et en même 
temps celle des deux enfants; le soir, il revenait. 
Cependant, un gardien de bœufs, voyant la peine que 
le religieux se donnait pour ces deux enfants, lui dit : 
« O homme de grande vertu (bhadanta), celui qui sort du 
monde a pour principale obligation d'accomplir ses devoirs 
religieux ; comment pourriez-vous, à cause de ces deux 


(1) Ce qui signifie, ditune note, « minceur de peau » ou « ayant la même 
peau ». En réalité, c'est une étymologie populaire qui rapporte le nom 
des Litthavis au mot thavi qui signifie « peau ». 








KING LU YI SIANG (N° 443) 217 


enfants, négliger vos occupations religieuses ? 1l faut que 
vous me les donniez et c’est nous qui les nourrirons et les 
ferons vivre. » Le religieux approuva ce discours, puis 
le gardien de bœufs et lui retournèrent chacun dans leurs 
demeures respectives. | 

Le lendemain, le gardien de bœufs et ses compagnons 
aplanirent et arrangèrent la route; ils y plantèrent des 
bannières et des oriflammes; ils y répandirent des fleurs 
de toutes sortes de couleurs ; puis, en faisant résonner 
les tambours, ils vinrent chercher les deux enfants. Quand 
ils furent arrivés à l’endroit où habitait Le religieux, ils 
lui dirent : « Maintenant, vous pouvez renvoyer les deux 
enfants. » Le religieux les leur remit en leur faisant cette 
recommandation : « Ces deux enfants sont doués d’une 
grande vertu bienheureuse dont on ne pourrait estimer la 
mesure. Prenez grand soin d’eux; offrez-leur pour les nour- 


rir du lait, du beurre, etles cinq sortes de caillé cru et cuit. 


Quand ces deux enfants seront devenus grands, ils feront 
un couple ; choisissez alors un endroit excellent, uni et 
étendu et placez-les 1à pour qu'ils y résident; vous devrez 
nommer roile garcon et la fille sera son épouse. » Les gar- 
diens de bœufs reçurent cesinstructions, puis seretirérent. 

Quand les deux enfants eurent atteint l’âge de seize ans, 


on leur donna un territoire uni et vaste ayant une étendue 


de cent yojanas ; au centre on éleva une habitation ; on 
maria la fille au garcon en sorte qu’ils furent mari et 
femme. Par la suite, ils donnèrent naissance simultané- 
ment à deux enfants, un garcon et une fille et il y eut 


seize doubles naissances de cette sorte Voyant que les 


enfants du roi devenaient de plus en plus nombreux, les 
gardiens de bœufs ouvrirent de nouvelles habitations et 
aménagèrent des parcs pour y rassembler les maisons de 
ces trente-deux personnes ; les constructions et le terri- 
toire se trouvèrent alors trois fois plus vastes et c’estpour- 
quoi le nom de cet endroit fut P’i-chü-li (Vaicâli). 


218 KING LU Y1 SIANG (N° 444) 


N° All. 


(Fans XASXNL Sp AS NS 


Il était une fois un fils de roi qui désirait connaître ses 
existences antérieures et qui interrogea le Buddha à ce 
sujet. Le Buddha lui répondit : « Cette connaissance n’est 
point une chose utile, car elle rend les hommes tristes. » 
Le fils de roi ayant cependant exprimé instamment et 
jusqu'à trois reprises son désir d’avoir cette connaissance, 
le Buddha lui conféra les défenses, puis fit en sorte qu’il 
connuüt ses existences antérieures ; alors donc le fils de 
roi aperçut tout ce qui lui était arrivé; il vit que (dans une 
vie antérieure), il devait mourir à quinze ans et il en 
concut une affliction indicible ; à l’âge de quinze ans donc, 
1l mourut ; la famille royale l’enterra et planta un pin sur 
sa sépulture ; quand cet arbre devint grand, sa racine péné- 
tra profondément la terre et atteignit juste son cœur ; son 
âme douée de connaissance était encore dans son corps, 
et, voyant pousser cette racine, elle se dit: « Elle me 
traverse juste le cœur » ; car elle pensait qu’elle lui per- 
cerait le cœur comme si celui-ci eût éncore été vivant. 
Puis son âme monta le long de cette racine et se logea 
parmi les feuilles du pin; elle vit un mouton venir et 
songea : « Si ce mouton broute le pin, il va derechef me 
mettre à mal, » Sur ces entrefaites, le mouton vint et la 
mangea ; elle se trouva donc dans le ventre du mouton. 
Elle sortit avec les excréments du mouton et se trouva 
collée à eux. Un jardinier recueillit ceux-ci pour fumer 
des poireaux et (l'âme) se trouva alors dans les feuilles 
‘de poireaux. Or la reine vint à avoir envie de poireaux 
et donna des ordres pour qu'on lui en apportât du 
dehors. Le chef jardinier prit en main son couteau pour 











KING LU Yi SIANG (N°%'444-445) 219 


cueillir des poireaux en les coupant; à ce moment, (l’âme) 
eut peur que le couteau ne lui fit du mal ; c’est ainsi que, 
en chaque circonstance, elle éprouvait une affliction si 
profonde qu’on ne saurait la décrire. Après avoir coupé 
les poireaux, le jardinier les lia et les envoya chez le roi; 
(l’âme) se trouva alors dans son ventre et y devint un fils. 
Quand le terme fut arrivé, ce fils naquit ; puis il devint 
grand et il connut de nouveau quelles avaient été ses 
existences antérieures. Le fils du roi se rendit aussitôt 
auprès du Buddha et lui dit : « Je n'ai plus aucun besoin 
de connaître mes existences antérieures, car cela me 
plonge dans l’affliction. Maintenant donc, & Buddha, je 
vous rapporte cette connaissance de mes existences anté- 
rieures. » Le Buddha répondit au prince héritier : « Moi- 


même, naguère, je ne voulais pas vous accorder cette 


connaissance, mais c’est parce que vous désiriez l'avoir 
que je me suis ravisé et que je vous l’ai accordée. » 


N° A45. 


CPPID SN NN ER DENT) 


Autrefois le roi Pi-sien-ni (Prasenajit) avait deux 
femmes ; le fils de la première femme se nommait Lieou- 
li (Vaidürya) ; le fils de la seconde femme se nommait 
Tche (Jina). Le jour même de la naissance de Téhe, des 
offrandes précieuses apportées des quatre points cardi- 
naux arrivèrent toutes en même temps. Le roi dit : « Lors 
de Ia naissance de mes autres fils, jamais rien de tel ne 
s’est passé; cet enfant mérite qu’on l'appelle Tche (1). » 
Quand il fut devenu grand, son instruction fut telle qu'il 


(1) Jina signifie vainqueur. 


220 KING LU Yi SIANG (N° 445) 


n’était rien qu’il n’eût pénétré. Le roi fit édifier pour lui 
un palais spécial qui était fait avec les sept substances pré- 
cieuses ; des hommes et des femmes en or et en argent 
se trouvaient des deux côtés de la porte ; ils tenaient dans 
leurs mains des bols précieux tout remplis des sept 
joyaux ; on pouvait y puiser jour et nuit et les bols rede- 
venaient pleins comme auparavant. Le prince héritier, 
müû par la jalousie, envoya des soldats pour piller ce pa- 
lais ; mais alors cinq cents cavaliers des armées célestes 
protégèrent et défendirent la demeure de Tche; en les 
voyant, les soldats de Lieou-li furent saisis de terreur, 
reculèrent et s’enfuirent. Le prince héritier, fort irrité, fit 
mander T'che et lui demanda : « Cette nuit j'ai envoyé des 
soldats pour m’'enquérir de votre santé ; mais vous aviez 
des soldats cachés à l’intérieur de votre demeure ; serait- 
ce que vous voulez vous révolter ? » Tche répondit: « Je 
ne saurais me dispenser de nourrir des sentiments paci- 
fiques. Chez moi, iln’y a pas la moindre arme de guerre. » 
Lieou-li envoya faire une perquisition chez lui et on ne 
trouva rien ni dedans ni dehors. L'intelligence de Lieou- 
li s’ouvrit alors et il vint exposer tout ce qui s'était 
passé au Buddha. Le Buddha lui dit : « La vertu que Tche 
a plantée a rencontré un champ ferme et solide; c'est 
pourquoi on ne peut le dépouiller (de son bonheur). A 
l’époque du Buddha Wer-wer(Vipacyin), il y eut un homme 
qui se rendit dans un temple pour y nourrir des religieux 
et qui, ensuite donna un esclave et une servante pour 
balayer les bâtiments du temple ; à partir de ce moment, 
soit qu'il vécût en haut parmi les devas, soit qu'il fût dans 
la condition humaine, cet homme reçut une prospérité 
sans limites. Il n’est autre que Tche. » 








KING LU 1 SIANG (N° 446) 221 


N° 446. 


(Fri A XXNE hp: 20 N°) 


Autrefois, dans un royaume étranger, il y avait une ville 
nommé ZJ'eou-kia-lo (Tukhâra); dans cette ville était un 
laïque qui, chaque jour, invitait un cramana à revenir 
dans sa maison. Ce cramana était un arhat; or, quand il 
était assis et mangeait, au moment où il mangeait, iloffrait 
toujours un peu de sa nourriture à un chien qui était dans 
la maison ; à cause de la nourriture qu'il recevait ainsi, 
le chien concut des sentiments affectueux à l'égard du cra- 
mana ; lors de la venue journalière du cramana, le chien 
avait pris l'habitude de le bien accueillir; au moment où le 
cramana mangeait, le chien le regardait en pensant à lui; 
de son côté, le cramana, dès qu’il venait, prenait un peu de 
nourriture et le tendait au chien; aussi le chien avait-il 
des sentiments affectueux envers le cramana. Au bout de 
plusieurs années, la vie de ce chien prit fin ; il devint alors 
la fille du roi de Vqan-si (Arsak, Parthie) ; dès sa nais- 
sance, cette jeune fille connut ses vies antérieures et sut 
qu'elle avait été autrefois un chien ; elle se dit: « J'ai quitté 
ce corps de chien et j'ai obtenu le corps de fille du roi; 
or, dans ce royaume il n’y a ni temples bouddhiques, ni 
cramanas. » En ce temps, le roi des Yue-tche (Indoscythes) 
envoya un ambassadeur auprès du roi; celui-ci, voyant 
que cet ambassadeur était un homme sage, voulut lui don- 
ner sa fille en mariage. L'ambassadeur partit donc en 
emmenant la princesse. Quand la princesse vit des çra- 
manas, son cœur fut très joyeux ; elle se rappela qu'elle 
avait été auparavant un chien, qu’un çramana lui donnait 
à manger et qu'elle avait pour lui des sentiments allec- 
tueux ; maintenant qu'elle avait obtenu un corps humain, 


t 
= 
tù 


KING LU YI1 SIANG (N° 446) 


il lui fallait faire des offrandes considérables aux crama- 
nas. Dans le royaume des Yue-lche (Indoscythes) il y avait 
beaucoup de çramanas ; cette femme nourrit journelle- 
ment de trois à cinq cents d’entre eux; elle leur versait à 
boire de sa propre main et ne chargeait personne d’autre 
de les recevoir; quand ils avaient fini de manger, elle 
balayait de ses propres mains le sol. Les servantes de cette 
femme, qui étaient dans sa demeure, conçurent toutes de 
bons sentiments et dirent : « Cette femme est une fille de 
roi; or, depuis qu’elle est venue ici, elle balaie constam- 
ment et elle fait des offrandes aux çramanas ; il nous faut, 
nous aussi, nous appliquer à cette tâche. » Les servantes 
donc cachèrent le balai, dans l'intention de balayer elles- 
mêmes le sol; quand leur maîtresse chercha le balai, il 
lui fut impossible de savoir où il se trouvait; elle pritalors 
dans un coffre le vêtement qu'elle portait lors de sa venue 
dans ce pays, le roula et s’en servit pour balayer le sol. 
En la voyant balayer le sol avec un vêtement neuf, son 
mari lui dit: « Quoique vous honoriez la religion boud- 
dhique, qu'est-il besoin de vous servir d’un vêtement neuf 
pour balayer le sol ?il vous faut aller quérir un balai. » Sa 
femme lui répondit: « C’est uniquement parce que j'ai eu 
pendant deux ans des sentiments affectueux à l'égard d’un 
çramana que j'ai obtenu ce vêtement ; puisque c’est préci- 
sément avec ce vêtement que je balaie, pourquoi trouve- 
riez-vous cela mauvais? Dans mon existence antérieure 
je n'avais rien dont je pusse me servir pour faire des libé- 
ralités ; j'avais seulement des sentiments affectueux et je 
croyais à la loi bouddhique ; c’est pourquoi j'obtins le 
bonheur présent. D’ailleurs, ce n’est pas en travaillant 
pour gagner ma vie que j'ai acquis ce vêtement. » Le mari 
dit à sa femme: « Bien que vous croyiez à la loi boud- 
dhique et que vous fassiez des offrandes aux çramanas, je 
n'ai jamais vu aucun çramana vous donner ne fût-ce qu'une 
ou deux pièces de monnaie ; vos vêtements vous ont tous 








e 


KING LU YI SIANG (N° 446-447) 228 


été procurés grâce à la force de mes muscles. » Lafemme 
alors expliqua à son mari quelle avait été sa destinée anté- 
rieure et lui dit: « Dans une vie antérieure je naquis en 
qualité de chien; mon maître invitait fréquemment un çra- 
mana et celui-ci me tendait de la nourriture; je conçus des 
sentiments affectueux envers ce çramana et c'est pourquoi 
je quittai ce corps de chien pour devenir la fille d’un roi.» 
En entendant ces mots, le mari, plein de joie, dit à sa 
femme : « C’est donc seulement pour avoir eu des senti- 
ments affectueux envers un seul çramana que vous avez 
obtenu de telles bénédictions. » Après avoir entendu ce 
que racontait sa femme, cet homme, qui était auparavant 
parcimonieux et avide, se mit à faire de grandes libéra- 
lités et il n’y eut plus rien qu'il ne donnât volontiers ; 
observant les abstinences et les défenses, il déployait son 
énergie ; il élevait avec somptuosité des temples boud- 
dhiques. Cet homme dit après réflexion : « Est-ce seule- 
ment pour avoir eu des sentiments bienveillants que vous 
avez obtenu un tel mérite ? » Sa femme lui répondit: « Les 
sentiments du cœur peuvent faire que l’homme devienne 
Buddha, qu'il naisse en haut parmi les devas, qu’il de- 
vienne Pratycka Buddha, qu’il devienne arhat; tout cela 
est un effet des sentiments du cœur ; si le cœur nourrit de 
mauvaises pensées, il fait tomber l’homme dans les en- 
Iers. » 


N°7. 


CRI XX N A ip 2 Tv) 


Autrefois, la fille d’un roi était chérie de son père etne 
s’éloignait jamais de ses yeux. Un jour, la pluie tomba du 
ciel ; et sur l’eau il y eut des bulles. En voyant ces bulles 
sur l’eau, la jeune fille Les trouva fort à son gré; elle dit 


224 KING LU YI SIANG (N° 447) 


au roi : « Je désire avoir les bulles qui sont sur l'eau afin 
qu'on m'en fasse un diadème pour ma tête. » Le roi dé- 
clara à sa fille : « Les bulles qui sont maintenant sur 
l’eau, on ne peut les saisir ; comment les prendrait-on 
pour en faire un diadème ? » La jeune fillé dit : « Si ; 
n'ai pas cela, je me tuerai. » En entendant ces mots de 
sa fille, le roi appela les maîtres les plus adroits et leur 
dit : « Vous êtes d’une habileté à laquelle rien ne résiste. 
Prenez promptement des bulles de l’eau et faites-en un 
diadème pour ma fille; si vous n’y parvenez pas, je vous 
décapiterai. » Ils répondirent : « Nous sommes incapables 
de prendre des bulles pour en faire un diadème” » Ce- 
pendant un vieil artisan dit: « Je pourrai prendre les 
bulles. » Le roi, tout joyeux, en informa sa fille, disant : 
« Il y a maintenant un homme qui se charge de vous 
faire un diadème. Allez vers lui pour voir vous-même de 
près (comment il s’y prendra). » La jeune fille, suivant le 
conseil de son père, alla au-dehors pour regarder ; alors 
le vieil artisan lui dit : « Je n’ai pas l'habitude de distin- 


œuer entre les bulles de l'eau celles qui sont belles et : 


celles qui sont laides ; je désire humblement que la 
fille du roi aille en personne prendre les bulles et moi 
j'en ferai un diadème. » La jeune fille chercha à prendre 
les bulles ; cependant celles-ci crevaient dès qu'elle en 
approchait la main, et elle ne parvenaitpas à les saisir; elle 
s’y appliqua toutle jour, mais en définitive ne put prendre 
les bulles. La jeune fille se lassa elle-même (de ces ten- 
tatives), y renonça et s'en alla. Elle dit à son père : « Les 
bulles de l’eau sont vides et fallacieuses ; elles ne sau- 
raient se maintenir longtemps ; je désire, ô roi, que vous 
fassiez faire pour moi un diadème en or pur qui jour et 
nuit ni ne se desséchera ni ne se flétrira. Les bulles qui 
sont sur l’eau déçoivent les veux des hommes ; quoiqu’elles 
aient une forme corporelle, elle se détruisent au fur et à 
mesure de leurs naissances ; c’est avec la même prompti- 


ù PRET Clint “a. 


nm. — 








KING LU YI SIANG (N°5 447-448) 225 


tude que disparaissent les flammes ardentes et les buées 
de la campagne (1). Après avoir aimé (ces bulles), on s’en 
lasse et on les laisse périr. » 

Le corps de l’homme (aussi) est une apparence trom- 
peuse ; il a peu de joies et beaucoup de peines ; les lois 
(dharmas) sujettes à la destruction ne peuvent subsister 
longtemps ; elles transmigrent et se transforment et ne 
restent qu’un instant dans ce monde. 


N° 448. 


(Trip., XXXVI, 4, p. 28 v°.) 


Autrefois il y avait un maître de maison kia-lo-yue 
(grhapati) qui était intelligent et très perspicace et qui 


(1) L'expression FF E (litt. : les chevaux de la campagne) se trouve 
associée dans Tchouang tseu (chap. I; trad. Legge, S. B.E., vol. XXXIX 
p. 165) à l'expression FE J£ et on a cru parfois que les deux termes 


étaient synonymes; on a donc employé la locution H$ Æ pour signifier 
simplement des grains de poussière. C’est ainsi que Wou Yong DL. EN 


écrit : #} ZE [4 2 #ÿ Æ pour dire : « J'ai secoué la poussière qui 
est entre les poutres du plafond »; Han Yo ÉE }& écrit aussi : & # 
H À + Æ ; ce qui revient à dire: « les grains de poussière qui 
volent dans le rayon de lumière de la fenêtre ». Mais le Mong ki pi l'an 
(chap. III, p. 10 ve), qui cite ces deux exemples, déclare que cet emploi 
de l'expression HF Æ, est fautif, car, en réalité, les ye ma sont les va- 
peurs qui flottent sur les champs; à les voir de loin, il semble que ce 
soient des troupeaux de moutons ou des flots E$ Æ 7% FH Æ Hi 1? 


K& Ho x 2 mn À 2 À An 7K JK. Les livres bouddhiquesse 
servent donc avec raison de cette métaphore pour désigner quelque 
chose d'irréel et de fugitif. — Schlegel (T'oung pao, l"° série, vol. VIT, 1896, 
pp. 47-53) a cherché à concilier les deux interprétations — « poussière 
flottante » et « buées » — de l'expression ye-ma en disant qu'on désigne 
par ce terme les nuages de poussière légère qui flottent à la surface du 
désert et qui produisent les mirages. Mais cette explication, pour ingé- 
nieuse qu'elle soit, ne me parait pas être justifiée par les textes chi- 
nois. 


LIT. 15 


226 KING LU YI SIANG (N°5 448-449) 


possédait d'immenses richesses; il demeurait sur le bord 
de la mer et avait planté beaucoup d'arbres dont la splen- 
dide frondaison atteignait jusqu'au ciel. En ce temps, sur 
une ile de la mer, il y avait en grande quantité des joyaux 
précieux dont la valeur se chiffrait par milliers et cen- 
taines de mille (de pièces de monnaie) ; mais les hommes 
ne pouvaient pas en approcher ; seuls, les oiseaux qui y 
allaient et qui en revenaient avalaient des perles claires 
comme la lune ; le matin, ils se rendaient (dans l’île) ; le 
soir, ils en sortaient et venaient se percher, pour passer la 
nuit, sur le bois touffu du maître de maison ; ce dernier, 
qui était fort avisé, imagina un stratagème ; il prépara donc 
un aliment exquis et le présenta aux oiseaux ; ceux-ci en 
mangèrent jusqu'à satiété, puis ils vomirent ; les perles 
couvrirent alors le sol ; le maître de maison les recueillit 
et devint ainsi fort riche. 


N419 


(Trip, XXXVI, 4, p.33 ve.) 


Il y avait autrefois un upâsaka qui résidait provisoire- 
ment dans le royaume de Chü-wei (Grâvasti) ; sa femme 
était d’une telle beauté que la renommée s’en était répandue 
dans le royaume ; les amis de cet homme auraient voulu 
voir sa femme, mais il se refusait toujours à la leur mon- 
trer. Quelqu'un ayant parlé de la chose au roi, celui-ci 
désira voir cette femme, mais il ne savait comment s’y 
prendre ; un de ses sujets lui dit alors : « Cet homme et 
sa femme observent tous deux les cinq défenses ; ils font 
des offrandes aux religieux et leur offrent à boire de leur 
propre main. O roi, il faut que vous vous déguisiez 
en religieux et que, portant en main le bol à aumônes, vous 





KING LU YI SIANG (N° 449) 227 


vous rendiez chez cette femme ; vous parviendrez certai- 
nement ainsi à la voir. » 

Le roi suivit cet avis. Sous un déguisement momentané, 
il alla secrètement à la maison de ces gens ; en apercevant 
un religieux, la femme rendit hommage en se prosternant 
le visage contre terre ; quand le roi l’eut bien considérée, 
il revint et dit à ses ministres : « Cette femme est vrai- 
ment belle ; elle est entrée dans mon cœur, mais je ne 
sais par quel moyen je pourrais l'obtenir. » 

Les ministres lui dirent : « Quoique cet homme soit un 
hôte provisoire, il convient qu'il vienne rendre visite à 
Votre Majesté; si, par arrogance, il ne vient pas, pour- 
quoi ne le châtiriez-vous pas ? A plus de mille /: de la 
ville de Chô-wei, au milieu d’un grand étang poussent des 
lotus de cinq couleurs ; mais il se trouve là trois périls 
causés par des serpents venimeux, des démons méchants 
et des animaux féroces ; ceux qui sont condamnés à mort, 
on les envoie cueillir de ces fleurs et alors ils sont tués 
là-bas. » 


Le roi fit donc appeler l’upâsaka et lui demanda : « Qui 


êtes-vous ? » — « Je suis un homme de votre peuple, à. 
grand roi », répondit-il. « Pourquoi, reprit le roi, n’êtes- 
vous pas venu ? » — «C’est, répondit-il, par excès de sot- 


tise ; je me reconnais coupable. » Le roi dit : « Je vous 
condamne à aller cueillir des fleurs dans tel étang ; vous 
devrez être de retour dans sept jours ; si vous ne venez 
qu'après ce délai, je vous punirai sévèrement. » 
L’upâsaka recut cet ordre et se retira; puis il revint 
tout raconter à sa femme qui lui dit : « Si maintenant vous 
êtes coupable, c’est à cause de ma beauté. Vous connais- 
sez la sage religion du Buddha ; les trois mondes ne sont 
d'aucun appui ; dans les défenses seules on peut se fier ; 
le jour où vous vous mettrez en route, que votre cœur songe 
aux trois Vénérables, que votre bouche récite les dix 
préceptes excellents ; n'y manquez pas un seul instant ; 


218 KING LU YI SIANG (N° 449) 


si vous ne revenez pas, j'entrerai en religion ; je me plai- 
rai à observer les défenses et je ne me remarierai point. » 


Elle donna des provisions de route à son mari qui prit 


congé d'elle et partit. 

A mi-chemin, un démon dévoreur d'homtses lui de- 
manda qui il était ; il répondit : « Je suis un disciple du 
Buddha. » Le démon répliqua : « Tous les criminels, on 
nous les envoie sous le faux prétexte d'aller cueillir des 
fleurs ; à sage, en réalité vous n’avez commis aucun 
crime et vous avez été calomnié par des hommes per- 
vers. » Il répondit au démon : « Il est difficile’ d'obtenir 
la condition d'homme dans la vie ; or maintenant ma des- 
tinée dépend de vous, puissante divinité. » — « Puisque, dit 
le démon, vous êtes un disciple du Buddha, et puisque, en 
outre, vous n'avez commis aucun. crime, je ne vous ferai 
pas de mal. Mais il y a les deux autres périls auxquels je 
crains que vous ne puissiez échapper ; comment allez- 
vous faire ? » Le démon lui dit encore : « J'irai à votre 
place cueillir les fleurs afin de vous sauver la vie, ce qui 
fera que, tout le temps, je jouirai d’une félicité sans limites. 
Restez donc paisiblement ici. » À ces mots, le démon par- 
tit et revint au bout d'un instant avec de belles fleurs 
des cinq couleurs qu’il donna à ce sage. Comme, à cause 
de leur poids, le sage ne pouvait les porter, le démon 
prit les fleurs et se chargea aussi du sage ; dans le temps. 
qu'il faut pour replier et étendre le bras, il arriva à la porte 
du palais, puis il prit congé et se retira. 

Le sage se rendit à la porte et la franchit. Le roi, sur- 


pris de son prompt retour,lui demanda tout ce qui s'était 


passé ; ille lui exposa conformément à la vérité. Le roi, 


stupéfait et confus, dit: « Les démons n’ont pas une jus- 


tice comme les hommes ; ils font le mal à tous les êtres. 
vivants ; or maintenant en voici un qui a sauvé un homme 
de bien. Moi, cependant, je suis dépourvu de justice et je 
ne fais pas de distinction entre le bien et le mal. Je ne 








KING LU YI SIANG (N° 449-450) 229 


vaux même pas un démon. » Alors, s’accusant lui-même 
de ses fautes, il se prosterna devant l’upâsaka, lui confia 
sa destinée et désira devenir son disciple. Il accepta les 
cinq défenses et mit en pratique en toute occasion les six 
pâramitäs. Le royaume, à cause de cela, jouit d’une 
grande paix. Quant au sage et à sa femme, ils redoublèrent 
d'énergie pieuse et obtinrent de ne pasrevenir dans le 
cycle des naissances et des morts (anâgâmin). 


N° 450. 


(rip XX EUR pv) 


Autrefois il y avait un homme qui n’avait qu’un seul 
fils nommé Po-kiu-lo (Bakula) ; sa femme étant morte 
quand son fils n'avait encore que sept ans, il prit une 
autre épouse ; celle-ci eut de la haine contre le fils de la 
première femme ; comme elle faisait cuire à la vapeur des 
gâteaux dans une jarre, l'enfant en demanda à sa marâ- 
tre qui l’empoigna et le jeta dans la jarre ; puis elle bou- 
cha l’orifice avec un plat dans le désir de faire périr l’en- 
fant; mais l’enfant, se trouvant dans la jarre, mangea les 
gâteaux etne mourut pas. 

Une autre fois, elle prit encore l'enfant etle mit sur 
une plaque à gâteaux brûlante en fer ; mais il mangea les 
gâteaux sur la plaque et n’en mourut point. 

Plus tard, la femme étant allée au bord de la rivière pour 
laver des vêtements, elle lança l’enfant dans l'eau ; un 
poisson l’avala ; à sept jours de là, le père invita l’assem- 
blée des religieux et disposa pour eux les préparatifs d’une 
grande réception; il fit l'acquisition d’un poisson qu’il 
rapporta chez lui dans son char ; quand il voulut fendre 
le ventre du poisson, son fils lui dit : « Allez bien douce- 


230 KING LU Y1 SIANG (N° 450-451) 


ment pour ne pas blesser la tête de votre fils. » Cet enfant 
s'était autrefois conformé à la seule défense de ne pas 
tuer, et (c'est pourquoi) maintenant il obtint en cinq 
occasions de ne pas mourir (1). 


N° 451. 


(Trip., XXXVI, 4, p. 39 v°-40 r°.) 


Il y avait un roi nommé To-fou « Beaucoup de Bonheur » 
(Punya) et son fils héritier qu’on appelait Tseng-fou « Bon- 
heur augmenté » (Punyavardhana). Le roi servait les six 
maîtres (hérétiques) ; le fils honorait la doctrine boud- 
dhique ; (les voies) qu’ils suivaient n'étaient pas identiques. 
En ce temps il n’y avait pas de çramanas; c'était un laïc 
qui tenait lieu de maitre. 

Or, cinq cents de ces hérétiques, jaloux de la célébrité 
et de la vertu de ce maître, dirent au roi : « Quand le 
royaume suit deux religions, cela fait que les hommes ne 
s'appliquent plus à un seul but. Nous désirons que, nous 
et le maitre de la doctrine bouddhique, nous manifestions 
chacun de notre côté notre puissance miraculeuse; celui 
qui sera vaincu sera réduit à la condition d’esclave. » 

Le roi ayant donné son assentiment, les hérétiques et 
le maître fixèrent un jour en s’engageant à mettre à 
l'épreuve, en présence du roi,leurs plus méritoires talents, 
et les deux parties tombèrent d'accord à ce sujet. Ces 


« 


brahmanes excellaient tous à tirer de l’arc et à monter 


à cheval; ils entrèrent donc dans les montagnes etces cinq 
cents hommes tuèrent chacun à coups de flèches un cerf; 


(1) Le conte est évidemment écourté puisqu'il n’a été question que de 
trois des cinq occasions où l'enfant échappa au péril. 


Lee 











KING LU Y1 SIANG (N° 451) 231 


tous ils percérent l'œil gauche (à leur victime) et rivali- 
sèrent d’habileté. | 

Le sage de son côté, entra dans la montagne, et songea 
à plusieurs reprises au Buddha en lui demandant de l'aider 
par son prestige surnaturel pour mettre en honneur la 
grande doctrine; aussitôt un cerf multicolore sortit sou- 
dain de terre ; (le sage) revint tout joyeux en l'emmenant. 
Un hérétique l’apprit; il épia le moment où le sage serait 
sorti et se rendit dans sa demeure ; par fourberie, il dit 
à sa femme : « Votre mari projette d'abandonner sa famille 
pour devenir religieux. L’unique cause en est ce cerf 
qui détruira votre famille. » En entendant ces paroles, la 
femme fut irritée et elle lui donna le cerf. Quand le sage 
revint et qu'il ne vit plus son cerf, il interrogea sa femme 
qui lui dit : « Cet être de mauvais présage, maintenant 
je l'ai égaré. » 

Le mari, fort affligé, retourna dans la montagne et se re- 
pentit deses fautes avec une parfaite sincérité ; il y eut alors 
une perle divine, claire comme la lune, qui sortit de terre. 
Il prit donc cette perle et l’emporta pour la montrer au 
brahmane (qui avait emmené son cerf); il vint à sa porte et 
fit l'éloge de l’objet extraordinaire qu'il avait à vendre. La 
femme du brahmane lui dit: « Chez nous, il y a aussi un 
objet extraordinaire qui est digne d'être comparé au 
vôtre. » Elle fit donc sortir le cerf. Le sage lui dit aussi- 
tôt : « Le roi m'avait chargé de prendre soin de ce cerf ; 
vous, maintenant, vous l'avez volé, c’est là une faute 
immense. » La femme, saisie de crainte, lui rendit le 
cerf. | 

Quand fut arrivé le jour de l'épreuve, les brahmanes 
apportèrent chacun leurs cerfs morts qui tous avaient à 
l'œil gauche une blessure sale et puante ; le roi en fut 
fort irrité. Le sage s’avança en tirant derrière lui son 
cerf surnaturel et en apportant sa perle claire comme la 
lune et il vint les offrir au souverain dans la salle royale; 


232 KING LU Y1 SIANG (N°3 451-452) 


ces deux êtres bondissaient légèrement et jouaient sem- 
blables à une étoile filante ou à la clarté de l'éclair ; tous 
les gens du palais en étaient émerveillés. Les cinq cents 
brahmanes reconnurent eux-mêmes que leur habileté était 
vaincue ; ils furent donc réduits à la condition d'esclaves 
et leurs femmes devinrent servantes. 


N° 452. 


(Trip. XXXNI,; LD: A0 Tr) 


Autrefois il y avait un grand royaume situé dans une 
région de la frontière du côté du nord ; ce royaume se 
nommait 7'che-houan (sagesse-frivole). Or un homme du 
pays de Z'che-houan vint en apportant un corbeau avec 
lui dans le royaume de Po-tchü-li ; dans ce dernier 
royaume, il n'y avait aucun oiseau tel que ce corbeau et 
il ne se trouvait d’ailleurs aucun autre oiseau remar- 
quable et beau de quelque autre sorte ; aussi, quand les 
habitants virent ce corbeau, sautèrent-ils de joie ; ils lui 
firent des offrandes, le servirent, lui présentèrent, pour le 
_désaltérer et le nourrir, des fruits et des courges; petit à 
petit, les corbeaux des pays lointains accoururent tous se 
réunir là en quantité innombrable ; le royaume entier les 
servait et leur témoignait un respect illimité. 

Plus tard, une autre fois, un marchand vint encore 
d'un royaume étranger ; il apportait avec lui un paon ; 
quand les hommes rassemblés virent le plumage merveil- 
leux et superbe de cet oiseau, ainsi que sa démarche 
d’une noblesse et d'une élégance inconnues jusqu'alors, et 
quand ils entendirent sa voix, ils en concurent des trans- 
ports de joie ; ils négligèrent les corbeaux pour reporter 
leur affection sur le paon ; toutes les offrandes qu'ils fai- 





En ! 

n 1 

42 Je 

h #1 | 
ide 


KING LU YI SIANG (N° 452-453) 233 


saient auparavant aux corbeaux, ils les présentèrent au 
paon et réservèrent pour celui-ci leurs témoignages de res- 
pect. Les corbeaux ne surent plus que devenir. 

Il y eut alors un deva qui prononca ces gâthàs : 

Quand on n'a pas encore vu la clarté du soleil, — la 
lumière de la torche brille d’un éclat unique. — C'est 
ainsi que ces gens, à première vue, servirent les corbeaux, 
— et leur offrirent de l'eau à boire ainsi que des fruits et 
des courges à manger. 

Mais quand le beau chant eut fait entendre sa perfec- 
tion (1), — ce fut comme si le soleil était apparu parmi 
les arbres; — les corbeaux furent privés des offrandes 
qu'on leur faisait ; — en voyant ce qui en était réelle- 
ment, ces gens distinquèrent ce qui est noble de ce qu est 
vil. 

Ânanda prononça cette gâthà : 

De même, avant que le Buddha ait fait son apparition 
triomphante, — les brahmanes obtiennent d’étre bien servis. 
— Maintenant que le Buddha a fait entendre sa voix par- 
faile, — les héréliques sont privés des offrandes qu'on leur 
présentait. | 

(Le Buddha dit :) Le paon, c'était moi-même ; les cor- 
beaux c’étaient les hérétiques des diverses sortes ; le 
deva, c'était Ânanda. 


N° 153. 
Gris NX XN I EU. 120) 
En ce temps, dans le royaume de Po-lo-nat (Vâärânaci, 


Bénarès), au milieu des montagnes, il y avait un ermite ; 
au second mois de l'automne, il urinait dans sa cuvette 


{1) C'est-à-dire, quand vint le paon. 


234 KING LU YI SANG (N° 453) 


à ablutions, lorsqu'il aperçut des cerfs et des biches qui 
s'accouplaient; il concut des pensées luxurieuses et sa 
semence coula dans la cuvette; une biche la but et devint 
aussitôt enceinte ; au terme de ses mois elle mit au monde 
un enfant qui ressemblait fort à un homme, mais il avait 
sur sa tête une corne et ses pieds étaient comme ceux 
d'un cerf. Au moment où la biche allait mettre bas, elle 
s'était rendue devant l'habitation de l’ermite pour donner 
le jour à l'enfant et le confier à l’ermite, puis elle était 
partie; quand l’ermite sortit, il vit cet enfant de la biche; 
il réfléchit aux causes anciennes et comprit que c'était son 
propre fils ; il le recueillit donc et l’éleva ; puis, quand 
l'enfant fut devenu grand, il s’'appliqua à l’instruire. 

(Le jeune homme) comprit les grands livres sacrés des 
dix-huit sortes; il s’initia en outre à la contemplation 
immobile; il pratiqua les quatre sentiments illimités (apra- 
mâna) ; il obtint Les cinq pénétrations surnaturelles 
(abhijñà). Un jour qu’il gravissait la montagne, il tombait 
beaucoup de pluie et le sol était boueux et glissant ; comme 
ses pieds n'étaient pas bien appropriés à sa personne, il 
tomba et se blessa le pied; aussitôt, très irrité, il ordonna 
par une formule magique qu'il cessât de pleuvoir ; par 
l'effet de la vertu productrice de bonheur de l'ermite, 
toutes les divinités nâgas firent qu'il n’y eut plus de pluie. 
Comme il n’y avait plus de pluie, les céréales et les fruits 
ne se produisirent plus ; la population fut à bout de res- 
sources et n'eut plus de moyens de subsistance. 

Le roi de Po-lo-nai (Vârânasi) était chagrin et tour- 
menté; il ordonna à tousses hauts officiers de se réunir et 
de délibérer sur l'affaire de la pluie. Un homme intelli- 
gent dit dans la délibération : « J’ai entendu dire que 
l’ermite nommé Unicorne (Ekaçrnga) s’est blessé au pied 
en gravissant la montagne et que, dans sa colère, il a 
prononcé une formule magique ordonnant que, pendant 
douze années, il ne plût pas.» Le roi alors publia un 








FEU ST FN TT. 


3 
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PS 
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4 


KING LU Y} SIANG (N° 453) 235 


appel (à son peuple, disant) : « Siquelqu'un peut faire que 
cet ermite perde ses cinq pénétrations et devienne un de 
mes sujets ordinaires, je lui donnerai la moitié de mon 
royaume pour qu'il le gouverne. » 

En ce temps, il y avait dans le royaume de Po-lo-nai 


(Vârânasi) une courtisane nommée Chan-lo (Cântä), qui 


était. belle et fort riche ; elle vint répondre à l'appel 
du roi. Cette courtisane dit : « Pour ce qui est de cet 
homme, je mè charge de le perdre. » Quand elle eut ainsi 
parlé, elle prit un plat d’or qu’elle remplit de beaux objets 
précieux et dit au roi : « Je viendrai à califourchon sur cet 


-ermite. » La courtisane alors se procura cinq cents chars 


dans lesquels, elle mit cinq cents belles femmes, et cinq 
cents chars tirés par des cerfs dans lesquels elle mit 
toutes sortes de pilules de joie (1) composées d’une multi- 
tude de plantes médicinales ; elle emporta aussi toutes 
sortes de bons vins très forts qui, par.la couleur et le goût, 
ressemblaient à de l’eau; (elle et ses compagnes) revêti- 
rent des vêtements d’écorces d'arbres et cheminèrent à 
travers les arbres de la forêt, de manière à ressembler 


à des ermites. Elles se firent à côté de la demeure de l’er- 


mite des huttes de feuillages (parnaçala) et s’y instal- 
lèrent. 

L’ermite Unicorne (Ekacrnga), étant allé se promener, 
les vit; toutes ces femmes apportèrent de belles fleurs 
parfumées qu’elles offrirent à l’ermite; celui-ci en fut 


_ joyeux; les femmes, avec de douces paroles et des expres- 


sions respectueuses, s’informèrent de la santé de l’ermite ; 
elles l’introduisirent dans une chambre, l’assirent sur un 
bon lit moelleux, lui donnèrent du bon vin clair qu’elles 
disaient être de l’eau pure, et des pilules de joie qu’elles 
disaient être des fruits. Quand l’ermite eut mangé et bu 
à satiété, 1l dit aux femmes : « Depuis ma naissance, je 


(1) Apparemment des aphrodisiaques. 


236 KING LU Yi SIANG (N° 453) 


n'ai jamais trouvé fruits ni eau pareils à ceci. » Les 
femmes lui dirent : « Nous pratiquons le bien de tout 
notre cœur: c'est pourquoi le ciel exauce nos désirs et 
nous trouvons ces fruits et cette eau. » L’érmite de- 


manda aux femmes : « D'où vient que la couleur de votre _ 


peau est si luisante et si fraîche ? » Elles répondirent : 
« C’est parce que nous mangeons toujours de ces bons 
fruits et buvons de cette eau excellente. » L’ermite reprit: 
« Pourquoi ne vous installez-vous pas à demeure ici ? » 
Elles répondirent : « Nous pouvons bien demeurer ici. » 
Les femmes l’invitèrent à se baigner avec elles; les mains 
des femmes lui faisaient de légers attouchements et son 
cœur ému conçut des désirs luxurieux. Il perdit aussitôt 
ses pénétrations surnaturelles et le ciel fit tomber une 
grande pluie pendant sept jours et sept nuits. (La cour- 
usane) lui permit de se livrer aux plaisirs, de boire et de 
manger pendant sept jours. 

Au bout de ce temps, le vin et les vivres furent entière- 
ment épuisés et on leur substitua de l’eau de la montagne 
et des fruits des arbres; mais le goût n’en était point 
agréable et (l’ermite) réclama les aliments qu’on lui don- 
nait auparavant. (La courtisane) répondit : « Il n'y en a 
plus ; allons maintenant en prendre ensemble ; non loin 
d'ici il y a un endroit où on peut en trouver. — Comme 
il vous plaira », dit l'ermite. Ils partirent donc ensemble ; 
non loin de la ville, la femme se coucha par terre en 
disant : « Je suis à bout de forces et ne puis plus mar- 
cher. » L’ermite lui répondit : « Si vous ne pouvez plus 
marcher, montez à califourchon sur mon cou, je vous 
porteral. » 

La femme avait au préalable envoyé une lettre pour 
avertir le roi, disant : « O roi, sortez un instant, vous ver- 
rez ce que peut ma sagesse. » Le roi vit ce spectacle et 
demanda (à la courtisane) : « Comment y êtes-vous par- 
venue ? » Elle dit : « Par la force de mes artifices, il n’est 





KING LU vi SIANG (N°5 453-454) 237 


rien que je ne puisse encore faire. » (Le roi) ordonna que 
l’ermite demeurât dans la ville ; il lui fit des offrandes 
abondantes et le traita avec respect; il satisfit tous ses 
désirs ; il le nomma grand ministre. 

uond - l’ermite eut‘ demeuré dans la ville pendant 
quelques jours, son corps s’amaigrit ; il songea à la fixité 
contemplative et fut las des désirs de ce monde. Le roi 
lui demanda pourquoi il n’était pas content, il répondit : 
« Quoique j'obtienne la satisfaction de mes cinq sortes de 
désirs, je songe toujours au séjour dans la forêt. » Le roi 
dit : « Mon but primitif était de mettre fin à la calamité de 
la sécheresse ; pourquoi ferais-je violence (à cet homme) 
en lui enlevant ce qu’il veut avoir. » Il le laissa donc partir. 
Quand l’ermite fut revenu dans la montagne, il se per- 
fectionna et progressa et, avant qu'il fût longtemps, re- 
couvra les cinq pénétrations. (Le Buddha dit) : « L’ermite 
Unicorne (Ekaçrnga), c’est moi-même’; la courtisane, c'est 
Ye-chou-l'o-lo (Yaçodharà). > 


N° 454. 


CErip ss KXRVE He pp: 19 rev) 


Autrefois, il y avait un brahmane qui ne se plaisait pas 
aux occupations de ce monde ; il vivait caché dans les mon- 
tagnes et méditait de tout son cœur sur la sagesse ; il entra 
alors dans une contemplation qui dura plus de trois cents 
années; la poussière et la terre couvraient son corps; les 
herbes et les arbres poussaient sur ses membres. Au pied 
de la montagne se trouvaient des brahmanes ayant femme 
et enfants, au nombre de plusieurs centaines de familles; 
tous, grands et petits, étaient allés un jour ensemble pour 
recueillir du bois de chauffage ; l’un d'eux monta sur un 


238 KING LU Y1 SIANG (N° 454-455). 


arbre pour casser et prendre des branches mortes ; mais 
la racine de l'arbre se rattachait au front du brahmane; 
quand l'arbre fut ébranlé, cela réveilla le brahmane de sa 
contemplation et il sortit de terre; en apercevant celui 
qui recueillait du bois mort, il lui demanda qui il était; 
l'autre répondit qu’il était un brahmane; questionné au 
sujet des autres personnes, il répondit que c’étaient sa 
femme et ses enfants; le brahmane dit en riant : « Voici 
plus de trois cents années que je suis entré en contempla- 
tion et je n'oserais pas encore me déclarer un brahmane ; 
comment pourrait-on supporter que vous autres preniez 
le titre de brahmane ? » 


N° 455. 


(Frips XXX VI, HD; 19%) 


Autrefois, à l'est de la ville de Chü-wer (Crâvasti), 
demeurait un brahmane qui était fort riche; son fils se 
maria en épousant la fille d’une famille où on servait le 
Buddha; cette femme se conformait aux cinq défenses et 
observait les six abstinences; elle se plaisait constamment 
à faire des libéralités aux cramanas et aux religieux; 
comme elle exhortait son mari à exercer la charité, celui- 
ci se convertit et vint informer de ses intentions son père 
et sa mère; mais ces derniers s'irritèrent fort en s’écriant 
qu'il voulait les ruiner. 

La femme prit alors de l’argent et des tissus de soie et 
les remit à son mari; celui-ci les confia à la servante qui 
gardait la porte de l'appartement intérieur; cette servante 
les donna à l’esclave qui gardait la porte extérieure et 
ce dernier alla les porter dans un temple du Buddha;ilen fit 
une libéralité aux cramanas, brüla des parfums et alluma 





KING LU YI SIANG (N° 455) 239 


‘des lampes. Le mari et sa femme prononcèrent ensemble 
ce vœu : « Si cette libéralité ne nous vaut aucun bonheur, 
ce sera fini; mais si elle doit nous procurer quelque 
bonheur, il faudra faire en sorte que les hommes du 
monde entier en soient tous témoins. » ’ 

En ce temps, la coutume était dans ce royaume que, au 
troisième jour du troisième mois, toute la population du 
pays se rendit sur la rivière pour y faire de la musique et 
pour se divertir; à ce moment donc, dans l’angle Sud-Est 
de l’espace, il y eut un personnage divin qui s’avança 
monté sur un cheval blanc et chevauchant à travers 
les airs; toute la foule levant la tête en haut et demandant 
qui était cette divinité, (ce personnage surnaturel), ré- 
pondit : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. » 
Un moment après se produisit un palais fait des sept sub- 
tances précieuses; une femme belle comme le jade y 
était assise seule; quatre grandes divinités volaient en 
tenant avec leurs mains ce palais ; la multitude demanda 
derechef : « O vénérable, quelle action méritoire avez-vous 


accomplie ? » La femme belle comme le jade répondit, elle 


aussi : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. » 
Soudain apparut encore un palais précieux avec quatre 
colonnes; un homme céleste et une femme belle comme 
le jade y étaient assis ensemble; devant, derrière, à 
gauche et à droite, quatre bandes de musiciennes les 
escortaient ; douze divinités soutenaient ce palais; la foule 
demanda encore : « Quelle action méritoire avez-vous 
commise ? » Mais (l’homme et la femme) répondirent aussi : 
« Demandez-le à ceux qui viennent après nous. » Au bout 
d'un moment apparurent deux démons pi-li (preta) ; leur 
taille mesurait trente pieds ; ils étaient noirs, maigres et 
affreux ; ils souffraient de la faim et de la soif; l’intérieur 
de leur corps était dévoré par le feu; chacun d’eux tenait 
en main une grande massue dont ils s'’assénaient des 
coups l’un à l'autre. La foule les ayant interrogés, ils 


240 KING LU Y1 SIANG (N°° 455-456) 


répondirent : « O hommes, avez-vous entendu parler du 
brahmane très riche qui demeurait à l'Est de la ville de 
Chô-wei (Crâvasti)? Celui qui est monté sur un cheval 
blanc, c'est l’esclave qui gardait la porte extérieure; la 
femme belle comme le jade qui se trouve dans le petit 
palais, c’est la servante qui gardait la porte de l’apparte- 
ment; les deux personnes qui sont dans le grand palais, 
c'est notre fils et la femme de notre fils. Quant aux 
deux démons que nous sommes, ils étaient le brahmane 
lui-même et sa femme ; dans leur existence antérieure ils 
avaient été stupides et insensés et n'avaient pas eu foi 
dans la vraie Loi; maintenant ils sont atteints par des 
calamités redoutables, mais ils n’ont plus le moyen d'y 
échapper ». 


N° 456. 


(Trip KKXXNILChEp::08v°;) 


A-nan-pin-lch'e (Anâthapindada) demeurait au pied de 
la montagne Vi-lien; il était fort riche en objets pré- 
cieux; les marchands venus de loin dans toutes les direc- 
tions lui faisaient des emprunts; tous ceux qui allaient à 
lui pour mendierrecevaient ce qu’ils demandaient. Un jour, 
il y eut cinq cents marchands qui voyageaient sur la mer 
lorsque leur bateau se rompit; toutes leurs richesses 
furent englouties ; ceux d’entre eux qui périrent ne furent 
pas peu nombreux. 

Quelques-uns, grâce à des planches, purent sauver leur 
vie et se rendirent tous chez A-nan-pin-ich'e; le maitre 
de la maison leur prépara à manger. Il alla puiser de 
l’eau dans le puits et en retira des caisses d'objets précieux 
sur chacune desquelles était inscrit le nom de famille et 
le. nom-personnel (d’un de ces marchands). Quand ceux-ci. 





< ë 


KING LU Y1 SIANG (N° 456-457) 241 


eurent fini de manger, ils s’abandonnèrent à la douleur 
et, comme le maître de la maison leur en demandait 
la cause, ils lui répondirent : « Nous étions cinq cents 
compagnons qui voguions ensemble sur la mer; notre 
bateau chavira et disparut; ceux d’entre nous qui mou- 
rurent ne furent pas peu nombreux; en nous cramponnant 
à de petites planches, c’est à grand’peine que nous 
avons sauvé nos vies, mais nous avons perdu toutes nos 
richesses. Nous songions avec chagrin à nos compagnons 
lorsque nous vimes que les caisses d’objets précieux 
trouvées dans votre puits étaient sans doute les nôtres; 
nous ne savons comment cela s’est fait. » 

- (A-nan-pin-lche) leur répondit : « Vous autres, quand 
vous êtes allés gagner votre vie en faisant le commerce, si 
vous aviez eu un cœur parfait, vous n'auriez rien perdu; 
cest seulement parce que vous n’aviez pas un cœur 
parfait que vous avez éprouvé des pertes. Pour moi, 
depuis des kalpas innombrables jusqu’à maintenant, je 
n'ai jamais cessé d’avoir un cœur parfait et il ne m'est 
point arrivé de tromper autrui ou de le dépouiller. 
{C'est pourquoi) tous les objets précieux qui ont été 
perdus accourent dans mon puits, Vous autres, prenez 
chacun les caisses sur lesquelles sont inscrits vos noms 
respectifs et allez-vous-en. » 


N° 157. 


Chips XX NI CD D::00r) 


Autrefois 1l y avait un homme appelé AHien-lche qui 
avait trois fois pris part (aux assemblées du quatrième 
mois où on observe les) huit interdictions et qui avait 
entendu lire cette parole des livres saints : « Les yeux 

IT, 16 


242 KING LU y1 SIANG (N° 457) 





des devas ne clignent pas. » Il s’était récité (cette phrase) 
et ne l’avait point oubliée. Cependant, ce Hien-tche était 
fort habile à voler le bien d'autrui; (il le dérobait) sous 
les yeux des gens sans qu'il s’en aperçussent. Le roi du 
pays, ayant perdu une perle, convoqua ses ministres à une 
délibération. Les ministres répondirent : « Nous avons 
appris qu’un certain Âien-iche est fort capable d’avoir 
fait ce vol. » Le roi ordonna par décret qu’on le fit venir 
et qu'on lui fit subir un interrogatoire, dans l’espérance 
de retrouver (la perle) ; mais il déclara qu’il ne l'avait pas 
volée. | 

Le roi, qui était sage, ne se serait pas permis de faire 
violence à un homme ; il convoqua donc encore ses minis- 
tres pour qu'ils délibérassent. Un de ces ministres pro- 
posa : « Il faut avoir recours à un stratagème pour obtenir 
qu'il avoue ; il faut le charger d’une cangue et de chaînes 
et le mener sur la place publique où on proclamera l’ordre 
de le mettre à mort; on lui donnera alors du vin jusqu’à 
ce qu’il soit ivre; puis on lui enlèvera ses chaînes; on le 
mettra au haut de la salle du palais; des chanteuses lui 
feront de la musique. Vous, à roi, vous ordonnerez à ces 
musiciennes, lorsque /ien-tche les interrogera dans son 
ivresse, de lui répondre : « C’est ici un palais de deva; 
nous sommes des devis qui sommes là pour vous servir. 
Dans votre vie antérieure vous avez volé la perle du roi 
et c'est pourquoi vous avez obtenu de naître ici. » 

Le roi se conforma à ce plan. Après que Âien-iche eut 
entendu (la réponse des musiciennes), il se dit (1) en son- 
geant silencieusement : « J'ai entendu cette parole des 
livres saints : «Les yeux des devas ne clignent pas ». Or ces 
femmes clignent toutes des yeux. En outre, pour avoir 
volé la perle, je devais aller dans les enfers. Ne serait-ce pas 
que le roi a fait une machination pour que j'avoue? » 


(1) Au lieu de Æ, lisez +. 


F RE RO OR © CS CN RER 
b L r 2 


KING LU YI SIANG (N°5 457-458) 243 


Alors il s’écria (à haute voix) : « C’est parce que je n'ai 
pas volé la perle que j'ai obtenu de naître dans la condition 
de deva! » Les musiciennes rapportèrent au roi ce 
qu'avait dit Âien-iche ; le roi en rit fort (et dit) : « Ce 
garnement n’a certainement pas volé ma perle.» Il le 


relâcha donc et le laissa partir après lui avoir donné de 
l'or et des joyaux en abondance. En réalité, cet homme 


avait volé la perle, mais, pour avoir récité une gâthà, il 
échappa au châtiment et reçut une récompense. 


N° 458. 


(Trips, XXX NID: 60 F2) 


Autrefois, il y avait un homme qui travaillait dans un 
champ à repiquer des plantes ; il était déjà près. de midi 
et on ne lui avait pas encore apporté de chez lui à 
manger. Or un religieux qui avait perdu son chemin 
arriva dans ce champ et lui demanda le repas de midi. Le 
paysan répondit qu'il consentait à le lui donner, mais qu’il 
désirait humblement que son hôte attendit un peu, car le 
repas qu’on devait lui apporter de chez lui était en retard. 
Le religieux lui dit : « Puisque la nourriture n’est pas 
arrivée, je voudrais du moins me rafraîchir la bouche. » 
Le paysan détacha alors de sa ceinture un fruit de ho-li-le 
(haritaka = terminalia chebula) et le lui donna; le religieux 
l’accepta et le mangea ; en outre, le paysan lui fit don d’une 
pièce de monnaie. Le religieux lui dit : « Vos sentiments. 
ont su me toucher, mais je ne puis vous payer de retour; 
je désire vous imposer les cinq défenses ; êtes-vous 
capable de les recevoir ? » L'autre répondit : « Moi, votre 
disciple, je suis dans la vie laïque ; il me serait difficile 


244 KING LU Yi SIANG (N° 458) 


d'observer l'ensemble des cinq défenses; je me bornerai 
à recevoir celle qui prescrit de ne pas tuer. » 

Quand la vie de ce paysan eut prit fin, il alla naître dans 
la famille d’un roi; un jour la reine emmena cet enfant 
sur le bord de la rivière; elle se mit à chanter, à danser 
et à faire de la musique; comme elle s’était approchée de 
la rivière en tenant l’enfant dans ses bras, celui-ci lui 
échappa et tomba dans l’eau ; il fut avalé par un poisson et 
resta pendant sept jours dans son ventre sans souffrir de 
la faim ni de la soif; il descendit le courant du fleuve 
avec le poisson et parcourut ainsi plus de mille li; 
quand il fut arrivé dans le royaume d’aval, des gens 
prirent le poisson et le mirent en vente sur la place du 
marché. En ce temps, le souverain du royaume d’aval 
envoya des gens acheter du poisson; ils prirent celui-là, 
et, l'ayant rapporté à la ville se mirent en devoir de le 
couper avec un couteau. L'enfant, qui était dans le ventre, 
leur cria : « Faites bien doucement pour ne pas me 
blesser (1). » Alors on ouvrit le ventre du poisson et on 
aperçut un petit enfant d’une beauté sans égale; tout le 
royaume en fut Joyeux. 

Cependant le souverain du royaume d’amont apprit ce 
qui était arrivé et dit : « Cet enfant est certainement mon 
fils. » Il envoya donc une lettre pour le réclamer. Le sou- 
verain du royaume d’aval répondit : « Puisque je lai 
trouvé dans le ventre d’un poisson; c’est le Ciel qui me 
l’a donné ; je ne veux pas vous le livrer. » Les deux sou- 
verains, pour vider leur différend, s’en remirent au grand 
roi; celui-ci rendit la sentence suivante : « Si le roi 
d’amont n'avait pas procréé ce fils et ne l’avait pas laissé 
tomber dans l’eau, comment le roi d’aval aurait-il pu le 
trouver ? Si, d'autre part le roi d’aval n’avait pas recueilli 
cet enfant, où le roi d’amont pourrait-il le réclamer ? Tous 


(1) Cf. p. 229-230. 








d. hi ‘à 





KING LU Y1 SIANG (N° 458-459-4160) 245 


deux ont ainsi de bonnes raisons. Il faut, Ô rois, que vous 
établissiez entre vos deux royaumes un palais où vous 
entretiendrez ensemble cet enfant dont le nom sera : « Le 
prince-héritier des deux royaumes.» Conformément à ces 
indications, on plaça donc l'enfant entre Les deux pays 
et on le traita en prince-héritier. 

Le Buddha dit à ses disciples : « Autrefois il y avait un 
laboureur ; pour avoir fait don à un religieux d’un fruitet 
d'une pièce de monnaie, il obtint de devenir le prince- 
héritier de deux royaumes.» 


N° 459. 


COPIDA RENE pr 617): 


Lors d’une grande inondation qui soudainement sub- 
mergeait tout, les êtres vivants s'étaient réfugiés sur une 
hauteur pour éviter Le péril; ils étaient de nouveau sur le 
point de périr, lorsqu'un phénix vint tout à coup à l’en- 
droit où se tenait un sage ; en s’attachant à ses ailes, 
celui-ci put monter sur un lieu élevé où il fut à l'abri du 
danger de l'eau ; ceux qui ne s'étaient point encore éloi- 
gnés, apercevant alors des cormorans, s'’appuyèrent sur 
leurs plumes; mais ce cormorans plongèrent aussitôt au 
plus profond des eaux et en un instant (ces hommes) péri- 
rent noyés. 


N° 460. 


CRD XKXVE  h  p61 


Autrefois, il y avait un homme qui, en marchant dans la 
montagne, rencontra un démon mangeur d'hommes ; celui- 


246 KING LU y1 SIANG (N° 460-461) 


ci le saisit et voulut le dévorer. Cet homme implora sa 
pitié etle pria de le laisser vivre encore un instant pour 
qu'il pût lui poser une question ; ensuite il ne regretterait 
pas d’être dévoré. Le démon, ayant confiance en lui et 
croyant qu'il avait réellement une chose à lui demander, 
accéda à son désir. L'autre interrogea le démon en lui 
disant : « Pourquoi votre visage est-il blanc, vos pieds, vos 
genoux et votre ventre blancs également, tandis que toutes 
les autres parties de votre corps sont noires ? » Le démon 
lui répondit : « Je suis un être ainsi fait que je redoute la 
clarté du soleil ; je puis aller en tournant le dos au soleil, 
mais non en me dirigeant vers le soleil. Voilà pourquoi 
je suis blanc d’un côté et noir de l’autre. » Cet homme 
s'enfuit aussitôt en se dirigeant vers le soleil ; le démon 
en fut réduit à de vains regrets et ne put le reprendre. 


NICE 


(Trips, XXXNI, 4, -pr61ve) 


Autrefois, il y avait un homme fort pauvre qui ne savait 
comment gagner sa vie ; il s'embarqua sur la mer, et, 
après avoir recueilli des richesses, revint chez lui. Il ren- 
contra un de ses bons amis et lui dit : « J'étais naguère 
fort pauvre ; mais maintenant j'ai gagné ces biens qui me 
permettront d'agir à mon gré; si ma mère se conduit 
d'une manière qui ne me plaît pas, je quitterai la maison 
de ma mère et m'en irai ; si ma femmese conduit d’une 
manière qui ne me plait pas, je chercherai une autre 
épouse.» Son ami lui répondit: « Non loin d'ici, des gens 
de grande sagesse remplissent la ville; vous devriez aller 
auprès d'eux pour leur acheter la sagesse ; sans que cela 
vous coûte plus de mille onces d'or, ils vous enseigne- 














KING LU Yi SIANG (N° 461-462) 247 


ront les principes de la sagesse.» Notre homme suivit cet 
avis ; il entra dans un village où on servait le Buddha, et 
interrogea en détail quelqu'un qui lui répondit : « En cas 
de doute, avancez de sept pas, puis reculez de sept pas ; 
faites cela trois fois et alors la sagesse se produira.» Notre 
homme étant revenu de nuit chez lui, aperçut sa mère qui 
dormait en compagnie de sa femme ; il crut que c’était un 
homme étranger et tira son couteau pour le tuer; mais, 
préférant ne pas étre saisi par surprise, il alluma la 
flamme d’une grande lampe pour éclairer de loin ; puis il 
songea à la sagesse qu’il avait achetée Le matin même ; il 
avança et recula donc par trois fois suivant la recette qu’on. 
lui avait apprise ; sa mère alors se réveilla. Cet homme 
s’écria : « En vérité, c’est bien là la sagesse ; comment ne 
vaudrait-elle que mille onces d’or ? » Il fit donc de nou- 
veau présent de trois mille onces d’or (à celui qui lui avait 
donné ce conseil.) 


N° AG2. 


CPAS EXNE 10e pe 0210.) 


Autrefois il y avait un homme entre deux âges (1) qui 
possédaitdeux épouses. Étant allé chez la plus jeune, celle- 
ci lui dit : « Je suis jeune et vous êtes vieux ; je n’ai pas 
de plaisir à demeurer (avec vous); il vous faut aller habiter 
chez votre épouse âgée. » (Pour pouvoir rester), son mari 


s’arracha ses cheveux blancs. Étant allé (ensuite) chez son 


(1) L'édition de Corée, que suit l'édition de Tokyô, présente la leçon 
H$ 2, qui me parait être un équivalent, d’ailleurs assez obscur, de 
l'expression « entre deux âges ». Les trois textes des Song, des Yuan et 
des Ming nous offrent la leçon ff Hj 2 « faisant deux métiers », ce 
qui n’a aucun rapport avec le sujet de la fable. 


248 KING LU y1 SIANG (N°: 462-463) 


épouse âgée, celle-ci lui dit : « Je suis vieille et ma tête 
est blanche ; il vous faut enlever les cheveux noirs que 
vous avez sur la tête. » Il enleva donc ses cheveux noirs 
pour être blanc. Comme ïl répétait incessamment ce 
manège, sa tête devint entièrement chauve ; ses deux 
épouses le trouvèrent alors affreux et toutes deux le quit- 
tèrent ; il s’abîma dans son chagrin jusqu’à en mourir. 
(Cet homme), dans les temps passés, avait été un chien 
qui vivait entre deux temples dont l’un était à l’est de la 
rivière et l’autre à l’ouest. Quand le chien entendait le son 
de la ghantà, il allait aussitôt (dans le temple où on l'avait 
frappée) pour y obtenir de la nourriture. Or, un jour, les 
deux temples firent résonner simultanément la plaque 
sonore; le chien se jeta à la nage dans la rivière pour la 
traverser ; mais, quand il voulait aller à l’ouest, il crai- 
gnait que la nourriture du temple de l’est ne fût meil- 
leure ; quand il allait vers l’est, il craignait derechef que 
la nourriture du temple de l’ouest ne fût meilleure ; en 
hésitant ainsi, il finit par périr noyé dans la rivière (1). 


N° 463. 


(Trip., XXXVI, 4, p. 62 r°.) 


Autrefois il y avait un homme qui avait entendu racon- 
ter que, dans un royaume étranger, se trouvait une ri- 
vière d’immortalité ; celui qui s’y trempait devenait im- 
mortel. Il se dirigea donc vers ce royaume étranger et 
s'arrêta pour passer la nuit chez un homme ; son hôte lui 
ayant demandé où il voulait aller, il répondit qu’il allait 
étudier l’art de devenir immortel; l’hôte, qui avait conçu 


(1) Ce chien parait être l'ancêtre de l’âne de Buridan. 





KING LU Y1 SIANG (N° 463-464) 249 


de mauvais desseins, dit alors au voyageur : « Je possède 
un arbre d'immortalité ; si vous pouvez vous mettre à mon 
service pendant un an pour faire tous les rudes ouvrages, 
je vous donnerai l’immortalité; pourquoi prendriez-vous 


_la peine d’aller au loin ? » Le voyageur dit qu’il approuvait 


la proposition et, pendant un an, il fit tous les plus rudes 
ouvrages sans manifester jamais le moindre déplaisir. 

Quand l’année fut écoulée, son hôte, qui n'avait eu que 
l'intention de le tromper et qui ne possédait aucun arbre 
d’immortalité, le mena au milieu des montagnes et lui 
indiqua un arbre sur le bord d’un précipice en lui disant : 
« Voici l’arbre d’immortalité ; montez au sommet et, dès 
que je vous crierai de voler, répondez à mon commande- 
ment en vous jetant au vol. » Le voyageur à cause que sa 
foi était absolue, put, en montant sur cet arbre, s’élever 
en volant dans les airs et obtint ainsi le secret d’immor- 
talité. 

En voyant cela, son hôte pensa : « Je. voulais le faire 
périr; comment ai-je eu assez de perspicacité pour trou- 
ver (précisément un arbre d’) immortalité ? » Il se mit donc 
à faire grand cas de cet arbre, croyant et disant qu’il était 
saint. À quelque temps de là, il se rendit avec son fils au 
pied de cet arbre ; le fils céda à son père le privilège de 
monter le premier, puis le fils éria : « Père, volez. » Le 
père aussitôt voulut voler, mais il tomba sur les rochers 
du précipice et son corps fut réduit en bouillie. 


N° 464. 
(FAP XX XVI h DE 62) 


Autrefois il y avait un homme qui mettait en vente sur 
la place du marché un démon p'i-ye (piçâCa); quelqu'un 


SEE dis 


250 KING LU Y1 SIANG (N° 464) 


qui désirait acheter ce démon demanda quel prix on en 

exigeait ; le maître du démon répondit : « Deux cents 

onces d’or. — Quels talents merveilleux, reprit l’autre, a 

donc ce démon pour que vous en exigiez une telle somme 

d’or ? » Le marchand répondit : « Ce démon est fort habile; 

il n’est rien qu'il ne fasse et on peut compter que, en un 

jour, il accomplit autant de travail que cent hommes ; il 

n'a qu'un défaut contre lequel je dois vous mettre en garde 

par avance. » Comme l'autre lui demandait quel était ce l 

défaut, il dit: « Quand vous voudrez charger ce démon | 

de faire quelque chose, assignez-lui sa tâche pour le jour 

et pour la nuit et nele laissez point en repos, car, s’il n’a 

rien à faire, il nuira au contraire à son maître, » 
L'acheteur paya l'or et emmena son démon ; il le char- 

gea de labourer et de semer ; puis, quand le labour et les 

semailles furent terminés, il le chargea de soigner les 

arbres ; quand les arbres eurent été soignés, il le chargea 

encore de nettoyer le sol, puis de construire des habita- 

tions, de piler et de broÿer le grain, de faire la euisine 

et jamais il ne lui laissait aucun repos ; au bout de quel- 

ques années, cela le rendit fort riche. Or, un jour, le 

maître, ayant quelque affaire, dut se rendre à une invita- 

tion ; Aloublia d'assigner sa tâche au démon qui, lorsqu'il 





voulut se remettre au travail, n’eut plus de programme ; 
lé’ démon prit alors le fils de son maître, le mit dans la 
marmite, alluma du feu et le fit bouillir. Au retour du 
maitre, le fils était cuit à point; le maïître fut affligé et 
éprouva une profonde irritation, mais il ne sut pas en dé- 
finitive que dire. 





LR SEE FE TT 


Re | à à 


KING LU YI SANG (N°. 465) 251 


N° 468. 


3 


(Trip, XXXVI, 4, p. 62 v°.) 


Autrefois deux hommes étaient devenus amis ; la femme 
de chacun d’eux se trouvant enceinte, ils se promirent 
par serment que, si l’un des enfants à naître était un gar- 
<on et l’autre une fille, ils les: marreraient l’un à l’autre. 
Le père du garçon mourut prématurément; le jeune 
homme était devenu grand et ne s’était pas encore marié, 
lorsqu’en allant vendre divers objets, il arriva par hasard 
dans la maison de la jeune fille. Le père de celle-ci lui 
demanda d’où il venait, où il demeurait, quels étaient le 
nom de famille et le nom personnel de son père et de sa 
mère. Le jeune homme répondit point par point; en 
l’entendant, le père fut grandement surpris et lui dit : 
« Lorsque votre père était encore de ce monde, lui et moi 
nous avons échangé une promesse de mariage utérine (1); 


je vous ai constamment cherché, mais:je ne savais pas où 


vous étiez; ma fille n’a point encore osé se marier. » Le 


jeune homme dit : « Je ne savais rien de tout cela. » Le 


père de la jeune fille ajouta : « Interrogez vos parents et 
vos proches. » | | ae) 

A son retour, le jeune homme interrogea sa mère qui 
l'avait allaité et reconnut que la chose était vraie. Il se 
rendit (donc de nouveau) chez la jeune fille ; sur la route 
il apercut ‘un filet d’eau qui entrait dans un crâne sans 


jamais le remplir. Le jeune homme en fut effrayé. Pour- 


suivant sa route, il vit encore des fruits mürs sur un arbre; 
il voulut Les prendre pour les manger ; les fruits se mirent 


sf | 
(1) On me permettra ce néologisme qui donne à entendre que les deux 
enfants ont été fiancés l’un à l'autre quens ils étaient encore dans le 
ventre de leurs mères respectives. 


252 KING LU YI1 SIANG (N° 465) 


à lui dire : « Prenez-moi ! prenez-moi! » Le jeune 
homme eut grand’peur ; il se mit à courir à toute vitesse 
et tomba par terre ; avançant toujours, 1l arriva à la de- 
meure de la jeune fille; la chienne vint à sa rencontre, se 
mit à deux genoux et lui lécha les pieds ; mais les petits 
qui étaient dans le ventre de la chienne avancèrent en 
aboyant d’effroi et voulaient le mordre; alors de nouveau 
il tomba à terre et ne reprit ses sens qu’au bout d’un 
long temps. 

Le père de la jeune fille étant venu au-devant de lui 
hors de la maison, il lui exposa tout ce qui s’était passé ; 
le père trouva cela fort extraordinaire et rentra pour le 
raconter à sa fille. La jeune fille répondit à son père : 
« Avoir vu sur la route un filet d’eau qui coule dans un 
crâne sans jamais le remplir, cela signifie que, dans les 
générations à venir, on rassemblera tout ce qu’il y a dans 
le monde de richesses et de joyaux pour le donner à un 
homme sans parvenir à le satisfaire. Qu'on ait vu sur un 
arbre des fruits qui étaient mürs, qu'on ait voulu les 
prendre pour les manger, mais que les fruits aient dit 
alors : « Prenez-moi! Prenez-moi! » cela signifie que 
l’homme qui apparaîtra dans les générations à venir vou- 
dra demander la fille aînée, mais la fille cadette lui dira : 
« Pourquoi ne me recherchez-vous pas? Pourquoi ne me 
recherchez-vous pas ? » Que la chienne soit venue à la 
rencontre (du jeune homme), qu’elle se soit mise à genoux 
et qu’elle lui ait léché les deux pieds, mais que les petits 
qui étaient dans le ventre de la chienne aient aboyé d’effroi 
et aient avancé pour le mordre, cela signifie que, lorsque 
l'homme qui apparaîtra dans les générations à venir par- 
lera aux autres, sa bouche sera comme onctueuse, mais 
son cœur sera semblable à.un poinçon et à un couteau ; à 
l'extérieur il paraîtra satisfait des autres, mais à l’inté- 
rieur il formera contre eux de mauvais desseins. Toutes 
ces choses se passeront dans les générations à venir et ne 








KING LU Yi SIANG (N° 465-466) 253 


sont point d'aujourd'hui. » Alors on maria la jeune fille 
au jeune homme, conformément au projet qui avait été 
fait primitivement. 


N° 466. 


(Trip XX NICR-DE 62%) 


Autrefois un homme de bonne famille avait deux fils; 
il remit à chacun d’eux deux millions de pièces de mon- 
naie pour qu'ils allassent faire le commerce. Le fils aîné 
dépensa tout cet argent au jeu de dames; les vêtements 
en lambeaux, il revint l’annoncer à son père; celui-ci lui 
dit : « Puisque je vous ai conservé, cela suffit ; qu’im- 
porte que vous ayez dépensé l'argent ? » Il lui donna des 
vêtements, le fit boire et manger et le consola. 

Le fils cadet revint (de son côté) annoncer à son père 
qu’il avait fait un gain de deux millions de pièces de mon- 
naie ; le père lui dit : « Apportez-moi vos notes. » Quand 
ils eurent vérifié le compte ensemble, il s’en fallait de 
quelques milliers de pièces de monnaie ; (le père) attacha 
alors (le fils cadet) et le battit. (Le fils cadet) alla à trois 
reprises (faire le commerce) ; il gagna un bénéfice de six 
millions de pièces de monnaie, et, chaque fois, à son retour 
il était battu. 

Le fils aîné partit ainsi trois fois et perdit six millions 
de pièces de monnaie. Il s'arrêta dans un royaume étran- 
ger et ne revint plus; s'étant mis en la compagnie de 
gens sans aveu, illeur dit : « Mon père possède un coffre 
plein d’or, un autre d’argent et un autre de perles blanches 
qui se trouvent à la tête de son grand lit. Retournez an- 
noncer à mon père que, par ma stupidité, j'ai perdu mes 
richesses et que je n’ose pas revenir. Prenez alors le mo- 
ment favorable pour tuer mon père et vous emparer de 


254 KING LU Y1 SIANG (N° 466-467) 


ses richesses que vous m'apporterez ; quañd nous les au- 
rons, nous les dépenserons ensemble. » Ces hommes arri- 
vèrent donc à sa demeure et furent reçus par le père au- 
quel ils rapportèrent ce que le fils leur avait dit de dire; 
en entendant cela, le père versa des larmes et s’écria : 
« Qu'importe qu'il ait dépensé l’argent? Pourquoi mon fils 
ne revient-il pas ? » Même en mangeant et même en se 
reposant, il se désolait et sanglotait. Les étrangers lui 
dirent : « Votre fils est dépourvu de piété filiale ; il a 
dépensé ses richesses à faire le mal ; quand il les eut 
entièrement dissipées, il nous a chargés de venir pour vous 
tuer et pour prendre votre or et votre argent. Nous voyons 
que vous chérissez ce fils et que vous nous traitez fort 
bien ; aussi notre cœur a-t-il été touché. » Le père 
répondit : « Mon fils cadet est encore plus insensé. » IL 
envoya alors des gens chercher son fils aîné en lui faisant 
dire : « Puisque vous avez perdu l’argent, revenez vite ; 
à quoi bon prononcer de folles paroles ? » Il lui fit faire 
de nouveau des vêtements qu'il lui donna. 

Le maître dit : (La conduite du père s'explique par le 
fait que) le fils cadet avait à payer une dette contractée 
dans une existence antérieure, tandis que le fils aîné 
avait à réclamer une créance (dont son père) lui était rede- 
vable dans une existence antérieure. 


N° A67. 


(Trip, XXXVI, h, p. 63 r°.) 


Autrefois trois hommes qui faisaient ensemble le com- 
merce reçurent chacun pour sa part cinq millions de pièces 
de monnaie; restait une seule pièce de monnaie; si on 
l’avait donnée à un seul d’entre eux, ce n’eüt pas été 





KING LU Y1 SIANG (N° 467) 255 


juste; quant à la briser pour la partager, c'était une chose 
qui ne se faisait pas. En ce moment un cramana quétait ; 
les trois hommes proposèrent ensemble de donner la 
pièce au çramana ; chacun d’eux approuva fort ce projet, 
et, la tenant ensemble dans leurs mains, ils la donnèrent. 
Le cramana prononça alors ce vœu magique : « Cela fera 
que dans cette vie et dans les existences futures vous rece- 
vrez tous le bonheur résultant de cette (bonne action). » 
Tous trois naquirent (plus tard) dans le royaume de Lo- 
yue (Râjagrha) et chacun d’eux devint puissant et riche ; 
l’un de ces hommes s’occupait de travaux dans la mon- 
tagne et y récoltait de l'or; un autre s’occupait de labou- 
rer un champ et y recueillait de l’or ; le troisième s’oc- 
cupait de puiser de l’eau dans un puits et en retirait de 
l'or. Ils recevaient ainsi le bonheur résultant de la libéra- 
lité qu’ils avaient faite dans une vie antérieure. Le roi du 
pays, apprenant ce qui se passait, fit cette réflexion : 
« Dans mon royaume, hommes et choses tout m’appar- 
tient. » Emmenant alors avec lui des soldats il se rendit 
dans la montagne pour y prendre (l'or), mais l’or se chan- 
gea en pierres ; il alla ensuite chez l’homme qui, en labou- 
rant, recueillait de l’or; mais l’or se changea en terre; il 
vint enfin chez l’homme qui,en puisant dans un puits, reti- 
rait de l’or; mais l’or se changea en tessons d'argile. 
Nulle part il ne put rien trouver. Le roi demanda au Bud- 
dha : « Les sommes d’or que possèdent ces trois hommes 
sont sans doute à moi ; j'ai été chez eux pour les prendre; 
mais partout (l'or) s’est transformé et je n’ai pu obtenir cet 
or. Quelle action méritoire ces trois hommes ont-ils accom- 
plie dans une existence antérieure pour attirer maintenant 
sur eux ce bonheur ? » Le Buddha lui raconta tout ce qui 
s'était passé (et ajouta) : « Ge ne sont point là des richesses 
qui appartiennent au roi; roi, vous ne devez pas les 
prendre. » 


256 KING LU Yi SIANG (N° 468) 


N° 468. 


(Trip., XXXVI, 4, p. 63 r°.) 


Autrefois il y avait un homme pauvre qui faisait des 
offrandes à un religieux; au bout d’un an, celui-ci s’en 
alla en donnant à son hôte une jarre de cuivre et en lui 
disant : « Cette jarre est magique ; si on en frappe le 
goulot, on obtient tout ce qu’on demande; mais gardez- 
vous d'inviter chez vous le roi du pays. » Après que le 
religieux) l’eut quitté, (notre homme) se mit à frapper sa 
jarre et devint bientôt extrêmement riche ; oubliant la re- 
commandation du religieux, il invita le roi à venir chez 
lui ; le roi lui demanda la cause de sa richesse et il répon- 
dit en racontant la vérité. Le roi aussitôt lui enleva de 
force sa jarre et il redevint d’une extrême pauvreté. Il se 
souvint alors du religieux et, allant à sa recherche dans 
les quatre directions de l’espace, l’aperçut ; il lui exposa 
ce qui s'était passé ; le religieux lui dit : « II vous faut 
absolument cette jarre; je vous donne un vase qui est 
rempli de bâtons et de pierres ; apportez-le à la porte du 
roi et réclamez la jarre. » (Notre homme) se rendit tout 
droit à la porte du roi et se mit à réclamer sa jarre à 
grands cris; le roi, l’entendant, fut très irrité et envoya 
quelques dizaines d'hommes pour se saisir de lui ; maisil 
ouvrit (le vase) et en fit sortir bâtons et pierres qui, volant 
comme le vent, allèrent de çà et de là dans l’espace ; les 
corps des envoyés du roi furent atteints par ces bâtons et 
ces pierres qui leur brisèrentle crâne. Le roi envoya encore 
mille hommes qui furent écrasés avec une violence 
prompte comme le vent; leurs cadavres obstruaient la 
porte. Saisi de terreur, le roi demanda à rendre la jarre. 








KING LU Yi SsIANG (N°5 468-269) 257 


Quand notre homme eut retrouvé sa jarre, il devint de 
nouveau fort riche; il accomplit une infinité d'actions mé- 
ritoires, et, après sa mort, il obtint de naître dans la con- 
dition de deva. 


N° 469. 


(Trip, XXXNE Ap: 6h +) 


Autrefois il y avait un homme qui marchait dans une 
région de marécages déserts lorsqu il aperçut un éléphant 
noir ; cet homme songea : « Cet éléphant va certaine- 
ment venir me mettre à mal ; il faut que je le tue. » L’élé- 
phant pensa de son côté : « Cet homme va certainement 
me tuer; il faut que je le menace. » L’homme alors se 
sauva en ayant l'éléphant à ses trousses ; il courut devant 
lui pendant plusieurs li jusqu’à ce qu’il tombât dans un 
ravin profond; ce ravin était absolument insondable ; il 
parvint à s’accrocher sur le flanc de la paroi à une racine 
d'arbre grosse comme le doigt; il se laissa descendre le 
long de cette racine ; il était ainsi suspendu sur le côté de 
l’abîme ; l’éléphant était en haut du ravin et cherchait à le 
prendre avec sa trompe; il s’efforçait de l’attraper sans y 
parvenir; en bas, si on regardait vers le fond, on ne 
voyait que des lances et des piques ; en outre deux rats 
rongeaient simultanément la racine d’arbre ; puis trois 
serpents noirs sortaient la tête dans l'intention de mordre; 
enfin des moustiques venaient piquer les yeux de l’homme. 
Celui-ci pensa : « Je vais mourir aujourd’hui. » Levant la 
tête vers le Ciel, il implora son secours avec une voix si 
pitoyable etavec une intensité d'émotion telle que le Ciel 
fit tomber des gouttes d’ambroisie dans sa bouche. Dès 
qu'il reçut la première goutte, les deux rats se retirèrent; 
à la seconde goutte, les serpents venimeux le quittèrent; 

IL. 17 


258 KING LU Y1 SIANG (N°5 469-470) 





à la troisième goutte, l'éléphant noir s’en retourna; à la 
quatrième goutte, les moustiques disparurent; à la cin- 
quième goutte, le gouffre profond s’aplanit et l'homme se 
trouva dehors sur un sol plat ; enfin le Ciel le guida mira- 
culeusement pour le faire revenir en haut parmi les devas. 


N° 170. 


(Trip., XXXVI, 4, p-6hx°.) 


Autrefois un homme avait fait la charité avec trois pièces 
de monnaie et avait demandé la réalisation de trois sou- 
haits : le premier était de devenir plus tard roi d’un 
royaume; le second, de comprendre le langage de tous 
les animaux; le troisième, d’avoir des connaissances fort 
étendues. Quand il fut mort, il naquit en qualité d'enfant 
d’un homme du peuple; il avait un extérieur fort beau ; le 
roi ayant ouvert un concours pour recruter ceux qui 
seraient à ses côtés, il se présenta au concours et fut admis 
à servir auprès du roi. Il aperçut une hirondelle dans son 
nid et, levant la tête, la regarda, puis se prit à rire. Le roi 
lui ayant demandé pourquoi il riait, il répondit : « Cette 
hirondelle a dit qu'elle avait trouvé un cheveu d’une fille 
de nâga qui est long de cent pieds et elle appelle ses com- 
pagnes pour le regarder. » Le roi dit : « Si ce que vous 
dites est vrai, c’est bien; dans le cas contraire, je vous 
tuerai. » ILenvoya donc des gens regarder dans le nid et 
le cheveu fut aussitôt trouvé. 

Le roi désira alors prendre cette fille pour femme; il 
dit au jeune garçon : « Puisque vous comprenez le langage 
des oiseaux, vous devez avoir beaucoup de stratagèmes; 
je vais vous donner des provisions de bouche et vous irez 
me chercher cette fille ; si vous la trouvez, je vous don- 





KING LU Y1 SIANG (N° 470) 259 


nerai de grandes récompenses; si vous ne la trouvez pas, 
je vous tuerai, vous et votre famille. » 

Le jeune garçon, bravant la mort, se rendit donc sur le 
rivage de la mer orientale : il aperçut deux hommes qui 
se disputaient la possession d’un chapeau rendant invi- 
sible, de souliers permettant de marcher sur l’eau, d’un 
bâton frappant à mort. Le jeune garçon leur dit : «A quoi 
bon tant discuter ; je vais lancer une flèche; vous courrez 
après elle et le premier de vous deux qui l’atteindra, on 
lui donnera les trois objets. » Les autres ayant approuvé 
cet avis, il tendit son arc et lança une flèche; nos deux 
hommes de courir à l’envi ; pendant ce temps le jeune 
garçon mit le bonnet, chaussa les souliers et prit le bâton; 
il entra tout droit dans la mer et arriva chez le nâga ; il 
enleva alors le bonnet rendant invisible et se fit voir 
à la fille du nâga ; les femmes étant fort sensuelles, celle- 
ci suivit aussitôt le jeune garçon et, prenant en main une 
galette d’or, revint avec lui dans le royaume étranger. 

Le roi envoya un messager à leur rencontre pour ordon- 
ner que la jeune fille entrât seule ; elle s’avança donc; 
mais le jeune garçon entra à sa suite en se coiffant du 
chapeau rendant invisible. La jeune fille, voyant que le 
roi était laid, lui jeta sa galette d’or, en sorte que le front 
du roi fut brisé et que sa vie prit fin. Le jeune garçon 
enleva alors son bonnet; il monta avec la jeune fille dans 
la salle du trône et cria d’une voix forte : « C’est moi qui 
dois être roi. » La jeune fille devint reine et il eut la 
souveraineté dans le monde. 


260 KING LU Y1 SIANG (N° 471) 


N° 71. 





(Trip., XXX VI, 4, p. 65 r°.) 


Autrefois il y avait une jeune fille qui possédait de fort 
beaux cheveux brun foncé; ses cheveux étaient aussi longs 
que son corps; la femme du roi du pays lui avait proposé 
milles livres d’or pour sa chevelure mais elle n'avait pas 
voulu la donner. Cette jeune fille vit le Buddha, et, toute 
joyeuse, voulut lui faire une offrande; elle pria son père 
et sa mère de l’inviter à venir; mais son père et sa mère 
lui répondirent : « Nous sommes fort pauvres et nous 
n'avons rien à lui donner à manger. » La jeune fille dit : 
« Prenez le prix de ma chevelure et servez-vous en pour 
faire une offrande. » Le père et la mère annoncèrent au 
Buddha leur désir qu’il voulût bien venir un instant le 
lendemain pour prendre un modeste repas. La jeune fille 
coupa sa chevelure et l’apporta à la femme du roi; celle-ci, 
sachant qu’elle était pressée par la nécessité, ne lui en 
donna que cinq cents livres d’or. La jeune fille prit l'or, 
acheta des aliments et éprouva une joie sans limites ; elle 
regretta d’avoir été avare dans une vie antérieure, ce qui 
était la cause de sa pauvreté dans la vie présente : « Puissé- 
je, (disait-elle), ne plus me trouver à l’avenir dans pareille 
misère. » La jeune fille aperçut l’'Honoré du monde et un 
éclat doré multicolore illumina l'intérieur de la porte; 
prosternée la face contre terre, elle tourna trois fois. 
autour du Buddha. Ses cheveux repoussèrent tels qu’ils 
étaient auparavant. 

Le Buddha dit : « Dans une vie antérieure, cette jeune 
fille était pauvre et n'avait rien qu'elle püt donner ; con- 
stamment, elle tenait sa tête appliquée contre le sol pour 
rendre hommage; (c’estpourquoi) pendantles quatre-vingt- 





KING LU YI SIANG (N° 471-472) 261 


un kalpas qui suivirent, elle naquit toujours dans la condi- 
tion humaine. Cette cause de bonheur étant épuisée, elle est 
née maintenant dans une famille pauvre; là encore elle à 
su faire un acte méritoire etelle s’estréjouie en me voyant; 
la prospérité qu’elle s’est ainsi assurée sera sans limites ; 
après sa mort, elle devra naître en haut comme le second 
des devas Trayastrimças ; quand elle aura terminé le 
bonheur et la longévité de (sa vie de) devi, elle conservera 
les sentiments sages d’un Bodhisattva. Le père, la mère, 
ainsi que les frères aînés et cadets de la jeune fille se sont 
tous réjouis, et c’est pourquoi, à leur mort, ils renaîtront 
comme devas. » 


N° 472. 


(Frip XXXNTI NE p-:69v2;) 


Une femme se trouvait enceinte depuis plusieurs 
mois lorsqu'elle vit le Buddha et l'assemblée des reli- 
gieux; elle fit alors dans son cœur cette réflexion : 
« Puissé-je mettre au monde un fils tel que ces hommes. 
Je le ferai devenir çramana pour qu'il soit disciple du 
Buddha. » Quand le terme fut arrivé, elle enfanta un 
fils qui, par son exceptionnelle beauté, se différenciait de 
la foule; quand son fils eut sept ans, comme elle était 
pauvre, elle ne put préparer que de la nourriture pour 
deux personnes et trois vêtements de religieux; puis, 
tenant en main une cruche à ablutions, elle emmena son 
fils auprès du Buddha et lui dit: «Je désire que vous 
ayez pitié de mon fils et que vous le fassiez devenir 
cramana. » Le Buddha y consentit et lui ordonna de se 
servir de la cruche pour laver les mains de l'enfant ; aus- 
sitôt neuf nâgas sortirent de l'embouchure de la cruche 
et crachèrent de l’eau dont ils arrosèrent l'enfant; ils firent 


262 KING LU YI1 SIANG (N°5 472-473) 


jaillir de l’eau et la répandirent sur la tête de l’enfant, 
mais elle se transforma en un dais de fleurs au centre 
duquel se trouvait un trône de lion; sur ce trône était le 
Buddha ; le Buddha rit en émettant une clarté bigarrée qui 
éclaira les dix centaines de mille de ksetras du Buddha, puis 
revint en entourantle corps du Buddhaet rentra par le som- 
met du crâne de l'enfant. La mère offrit au Buddha les 
mets qu’elle avait préparés, et, en même temps en donna 
à manger à son fils; elle conçut le sentiment de la sagesse 
sans supérieure et les dix centaines de mille de ksetras 
du Buddha en furent ébranlés à six reprises; tous les 
Buddhas se montrèrent; avec la nourriture. qu'avait 
apportée la mère on fit des libéralités à toute cette foule 
de Buddhas ainsi qu’à l'assemblée des bhiksus et tous 
furent rassasiés sans jamais manquer de rien. Les cheveux 
de l’enfant tombèrent d'eux-mêmes et il devint çramana; 
il put alors se tenir dans la condition d’avivartin. 


N°79: 


(Trip. XXXVI, 4, pp. 65 v°-66 1°.) 


Autrefois, à l’est de la ville de la Résidence royale 
(Râjagrha), il y avait une vieille matrone qui était avare, 
rapace et incroyante; sa servante (au contraire) déployait 
toute son énergie et agissait toujours avec un cœur bien- 
veillant ; elle songeait à accomplir deux actes qui étaient 
profitables à la foule des êtres vivants : le premier consis- 
tait à ne jamais prendre de liquide bouillant pour le 
répandre à terre (1); le second consistait à laver les grains 
de riz qui étaient restés dans les ustensiles de cuisine et 


(1) Apparemment parce que le liquide bouillant aurait pu tuer les me- 
nus êtres vivants qui se trouvent à la surface du sol. 









KING LU Y1 SIANG (N° 473) 263 


à s’en servir toujours pour faire la charité aux hommes. 

La vieille matrone devint malade et n'avait déjà plus que 
le souffle; son âme l’emmena et entra dans les enfers; 
elle y aperçut des chars de feu, des brasiers de charbon 
ardent, des chaudières où l’eau bouillonnait; il y avait là 
des montagnes de couteaux et des forêts d’épées qui 
produisaient des variétés infinies de souffrances; à ce 
spectacle, la vieille matrone demanda ce que c'était que 
cela ; un sbire des enfers lui répondit: « Ce sont ici 
les enfers; à l’est de la ville de la Résidence royale 
(Râjagrha), il y a une vieille matrone avare et rapace qui 
doit entrer ici. » La vieille matrone se reconnut et, toute 
effrayée, se sentit pénétrée de tristesse. 

Elle marcha un peu plus avant et rencontra une rési- 
dence princière faite avec les sept joyaux; des musiciennes 
s’y trouvaient par centaines et par milliers, et on y voyait 
toutes sortes d'objets précieux; elle demanda ce que 
c'était que cela; on lui répondit : « C’est un palais de devi ; 
à l’est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y 
a une vieille matrone avide et rapace dont la servante 
s'applique au bien avec énergie; quand cette servante 


sera morte, elle renaitra ici. » 
Cependant, la vieille matrone, ayant repris soudain ses 


sens, se souvint des choses qu’elle venait de voir ; elle 
dit donc à sa servante : « Vous devez naître en qualité de 
devi; mais vous êtes ma servante; comment pourriez-vous 
être seule à recevoir de tels avantages; il faut que vous 
les partagiez avec moi.» La servante lui répondit : « Si 
cela pouvait se faire, je m'empresserais de vous obéir; 
mais je crains que le mal et le bien ne soient conformes 
aux actes et quon ne puisse donc les partager avec 
d'autres. » La matrone alors cessa d’être avare et rapace 
et accomplit un grand nombre d'actions méritoires. 


264 KING LU Y1 SIANG (N° 474) 


N° 474. 


(Trip, XXXNTI 4, p.66 6:) 


Autrefois le Buddha Weri-wei (Vipaçyin), accompagné 
de la foule des soixante-deux mille bhiksus, venait 
de sortir des montagnes pour retourner chez le roi son 
père. Le roi du pays détacha hors de la ville un domaine 
pour y élever des habitations pures (vihära); chacun des 
bhiksus obtint son lot de terre ; or, un bhiksu dit à ses 
voisins qu'il désirait qu’on lui construisit une demeure ; 
les hommes n’y consentirent pas, mais une vieille femme 
d’une de ces familles lui fit de ses propres mains une 
demeure ; quand elle eut terminé la maison, ses dix doigts 
étaient tout déchirés. 

Le bhiksu s’assit dans cette demeure et se mit en con- 
templation ; dès la première nuit, il entra dans le samä- 
dhi de l'éclat du feu ; dans la maison parut un grand feu ; 
la vieille femme l’aperçut de loin et songea : « À peine ai- 
je construit cette maison que la voici incendiée ; pourquoi 
ai-je si peu de bonheur ? » Mais, quand elle entra dans la 
maison, elle la trouva telle qu'auparavant ; seulement, au 
milieu d’un éclat de feu, on apercevait le bhiksu. Elle en 
conçcut une grande joie. 

Quand sa vie prit fin, elle naquit en qualité de devi ; au 
moment où Çâkya devint Buddha, sa destinée de devi 
n'était point encore terminée ; elle descendit et vint dire 
au Buddha : « Demain j'offrirai un repas au Buddha et à 
l'assemblée des religieux. » Le Buddha accepta par son 
silence. Cependant le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait 
aussi envoyé des gens adresser une invitation au Buddha ; 
le Buddha ayant répondu qu'il avait déjà accepté l'invi- 
tation d’une devi, le roi dit : « Je n'ai jamais vu qu’une 








KING LU Yi SIANG (N° 474) 265 


personne ayant la qualité de devi soit descendue pour 
faire des libéralités ; comment cela pourrait-il se pro- 
duire ? » Le lendemain donc il envoya des gens épier ce 
qui se passerait ; ils n’aperçcurent aucun préparatif fait 
pour des libéralités ; ils entrérent dans tous les coins de 
la maison et n’y trouvèrent pareillement que le silence. Le 
roi ordonna alors qu’on préparât des mets excellents en 
disant que, si personne d’autre ne s’en occupait, il ferait 
une offrande. 

À midi, la devi arriva ; elle n’apportait avec elle aucune 
nourriture ; mais elle était accompagnée de toute la foule 
des femmes célestes qui, jouant toutes sortes d’airs de 
musique, s’arrétèrent en adorant le Buddha. Quant le 
moment qu’elle avait annoncé fut arrivé, la devi agita son 
mouchoir et toutes les choses se trouvèrent disposées en 
ordre ; quand on eut fait passer l’eau, elle agita encore la 
main et aussitôt des mets de cent saveurs sortirent de la 
cuisine tandis que de l'ambroisie apparaissait sur le sol ; 
de ses propres mains elle servit à boire et toutes les per- 
sonnes de l'assemblée furent rassasiées. A ce spectacle, le 
roi s'émerveilla ; quand on eut fini de se laver les mains, 
il dit au Buddha : « Je ne comprends pas bien quel prin- 
cipe de bonheur cette devi a eu dans une vie antérieure 
pour que ses mains puissent produire des mets de cent 
saveurs. Comment sa vertu, créatrice de bonheur a-t-elle 
pu être telle ? » Le Buddha expliqua au roi que, dans une 
existence antérieure, elle avait construit de ses propres 
mains une habitation pour un bhiksu ; c’est pourquoi elle 
devait vivre en qualité de devi pendant quatre-vingt-onze 
kalpas et ses mains pouvaient produire toutes sortes 
d'objets et encore le bonheur qui l’attendait n’était-il point 
encore terminé. 


266 KING LU Y1 SIANG (N°5 475-476) 


N° 475. 





(Trip., XXXIV, 4, p.66 r°.) 


Une mère avait deux fils ; l’un d'eux ne savait pas nager; 
il tomba à l’eau et périt; sa mère ne se lamenta point, 
L'autre, qui savait nager, tomba aussi à l’eau et se noyà ; 
sa mère se désola à son sujet. Quelqu'un lui dit : « Pour 
votre premier fils, vous ne vous êtes point lamentée ; 
pourquoi vous lamentez-vous sur le second ? » La mère: 
répondit : « Le premier ne savait pas nager; aussi lui est-il 
arrivé ce qui devait arriver; mais le second était habile 
nageur; aussi sa mort est-elle injuste. » 


N°70: ; 


CFrips XX RNA, pr06".) 


Autrefois il y avait un homme qui était incroyant, tandis 
que sa femme au contraire, honorait fort le Buddha. Cette 
femme dit à son mari: « La vie humaine n’est pas perma- 
nente; il importe de pratiquer une vertu productrice de 
bonheur. » Le mari restant indifférent et indolent, sa 
femme craignit que, plus tard, il n’entrât dans les enfers; 
elle lui dit donc derechef : « Je me propose de suspendre 
une sonnette en la fixant au-dessus de la porte; chaque 
fois que vous entrerez ou sortirez, vous heurterez la son- 
nette qui résonnera et alors vous direz : Invocation à 
Buddha! » Son mari approuva très volontiers cette pro- 
position et il en fut ainsi pendant fort longtemps. Quand 
le mari mourut, un sbire des enfers le saisit avec une 





KING LU Yi SIANG (N°5 476-477) 267 


fourche et le jeta dans une chaudière d’eau bouillante; la 
fourche vint à heurter la chaudière qui résonna; le mari 
crut que c'était le son de la sonnette et prononça : « Invo- 
cation à Buddha! » En entendant ces mots, le magistrat 
des enfers jugea que cet homme honorait le Buddha; il 
le relächa donc et le laissa sortir en sorte que ce mari 
obtint de naître dans la condition humaine. 


NCA. 
CMD AA X NE RD -070v0) 
Un homme et sa femme n'avaient pas de fils; ils offri- 


rent des sacrifices au dieu du ciel en demandant une pos- 
térité. Le dieu la leur promit. (La femme) devint donc en- 


‘ ceinte et elle accoucha de quatre objets ; le premier était 


un boisseau en {chan-l'an (tandana, santal) rempli de riz; 
le second était une jarre pleine d'ambroisie; le troisième 
était un sac de joyaux ; le quatrième était un bâton ma- 
gique à septnœuds. Ces gens direnten soupirant : « Nous 
avions demandé un fils et voici que nous mettons au 
monde ces autres objets. » Ils allèrent auprès du dieu 
pour lui demander de nouveau ce qu'ils désiraient. Le 
dieu leur dit : « Pour désirer un fils, quel avantage y 
voyez-vous ? » Ils répondirent : « Un fils subviendrait à 
nos besoins.» Le dieu répliqua : « Maintenant ee bois- 
seau de riz est inépuisable; cette jarre d'ambroisie et de 
miel ne diminuera pas quand vous mangerez (ce qu’elle 
contient) et en outre elle enlèvera toutes les maladies ; 
le sac plein de joyaux ne se dégonflera jamais ; le bâton 
magique à sept nœuds vous protégera contre les méchants. 
Comment un fils aurait-il pu faire tout cela ? » Ces gens 
furent très contents ; rentrés chez eux ils mirent (ces ob- 


268 KING LU Y1 SIANG (N° 477-478) 





jets) à l'essai et tout se passa, vraiment comme on le leur 
avait dit ; ils obtinrent donc des richesses incalculabies. 
Le roi du pays en fut informé et envoya aussitôt une troupe 
de soldats pour les dépouiller par la force ; mais l'homme 
priten main le bâton qui, volant en tout sens, frappa les 
ennemis etles brisa en morceaux ; toute cette forte bande 
se retira en désordre. Nos gens furent tout joyeux et 
dès lors n’eurent plus d’ennuis. 


N° 478. 


(Trip., XXX VI, 4, p. 67 ve-68 r°.) 


Pour montrer que les gens débauchés préfèrent causer 
la mort de ceux qui leur sont apparentés plutôt que de 
renoncer aux actes de luxure, (voici ce qu'on raconte) : 
À côté de la ville de Chü-wet (Grâvasti), il y avait une 
femme qui, prenant dans ses bras son enfant et tenant une 
cruche, était allée au puits pour y puiser de l’eau; or, un 
jeune homme d'une grande beauté était assis à droite du 
puits et s'amusait en jouant de la guitare. Cette femme, 
qui était luxurieuse, désira se livrer au plaisir avec ce 
jeune homme et celui-ci de son côté la trouva à son gré; 
dans son égarement cette femme attacha son enfant par 
le cou et le suspendit dans le puits; quand elle revint pour 
l'en tirer, l'enfant était déjà mort. Navrée de douleur elle : 
invoquait le ciel, versait des larmes et prononçait des 
stances. 

-Le Buddha réunit une grande assemblée et dit aux 
bhiksus : « Quand le feu de la luxure est allumé, il peut 
brûler le principe de l'excellence ; l’homme qui est égaré 
par les désirs sensuels ne connaît plus le bien et le mal, 
ne distingue plus entre le noir et le blanc et ne sait plus 





KING LU YI SIANG (N° 478) 269 


ce que c’est que d'être lié ou libre. Les gens de cette sorte 
n'ont plus aucune honte ; ils aiment mieux causer la mort 
de ceux qui leur sont apparentés et recevoir pour leur part 
le châtiment et la honte. Parfois, par leur débauche, ils 
font périr leur père, leur mère, leurs frères et leurs parents 
aux six degrés; ils subissent le dernier supplice par ordre 
du roi, et, après leur mort, ils endurent de sévères expia- 
tions qui, de vie en vie, sont sans fin. 

«Autrefois il y avait un homme qui se plaisait passionné- 
ment à la débauche. Son père et sa mère n'avaient que ce 
seul fils. Une nuit, à une heure où il n’y a personne (de- 
hors), alors qu’il faisait sombre et qu'il y avait des ton- 
nerres et des éclairs, il ceignit son épée, prit en main ses 
flèches et voulut aller dans le village d’une courtisane ; sa 
mère s’aperçut de ce qu’il allait faire et le retint en lui 
faisant des remontrances : « Maintenant les ténèbres de la 
nuit sont profondes et on vous fera du mal ; à cause de 
mon peu de vertu dans mes existences antérieures, je n'ai 
eu qu'un seul fils; s’il vous arrive quelque malheur, je 
n'aurai plus personne en qui me confier. » Le fils répon- 
dit à sa mère : « Je pars et ne puis plus rester. » La mère, 
voyant que sa résolution était arrêtée, se prosterna devant 
son fils ; quant à celui-ci, il tira son épée et d'un coup tua 
sa mère ; puis il alla frapper à la porte de la courtisane. 
Celle-ci lui répondit : « Qui êtes-vous ? » IT répliqua par 
ces gâthàs : 

« Devant la débauche et la colère tous les autres sentiments 
s'effacent ; — l'homme est alors abusé par ses propres 
idées ; — il ne réfléchit plus aux effets de lous ses actes. 
— el ilest aveuglé par la stupidilé. — Maintenant, j ai tué 
ma mère — el je suis humilié comme un esclave ; — 7e 
reste debout en dehors de votre porle — comme un élranger 
qui s'acquille d'une commission. 

«La femme lui répondit par ces gâthàs : 
«Ié quoi ! vous vous êles révollé contre celle dont la bonté 


270 KING LU Y1 SIANG (N° 478-479) 


vous a nourri; — en luant votre mère, vous avez semé le 
crime el le malheur ; — comment supporlerais-je de voir 
votre visage ? — il vous faut promplement vous éloigner de 
ma demeure. — Le père et la mère soignent et élèvent leur 
enfant — el, pour lui, ils endurent bien des souffrances ; — 
après avoir lué votre mère, vous marchez sur la terre ; — 
mais la lerre ne va-t-elle pas vous engloutir pour vous. 
luer ? 





« Le jeune homme répondit encore à la femme : 

« Cest à cause de vous que j'ai tué ma mère et que j'ai : 
commis un crime insondable. Montrez-moi un peu d’indul- 
gence el ouvrez-mot votre porte pour que nous puissions 
converser un instant et ensuite je relournerai chez moi.» 

« La femme lui répliqua : 

« J'aimerais mieux me précipiler dans un four ardent, — 
me jeter du haut d’une montagne dans un ravin profond, — 
ou empoigner tout vivant un serpent de sept pieds de long 
— que d'avoir des relations avec un insensé tel que vous. 

« Le jeune homme retourna chez lui ; en route, il ren- 
contra des brigards qui le firent périr et il entra dans 
l'enfer a-pt (avici) pour y subir des tourments pendant 
des kalpas innombrables. » 


N° 478. 


(Trip., XXXVI, 4, p. 68 re.) 


Un Pratyeka Buddha se rendit dans la demeure d’un 
maître de maison pour mendier sa nourriture. La femme 
(de ce maître de maison) vit que ce Pratyeka Buddha avait 
un extérieur fort beau et lui dit : «Si vous consentez à ce 
que je désire, je vous préparerai des offrandes. » Le Pra- 
tyeka Buddha lui répondit : « Je ne saurais accéder à votre 





- £ 1 DE 


KING LU Y1 SIANG (N° 479-480) 271 


demande. » Il ne lui donna donc pas satisfaction; elle 
en conçut aussitôt de l’irritation et le renvoya en lui inti- 
mant l’ordre de partir. Une servante du maître de maison 
désapprouva les paroles de l'épouse (et pensa) : « Pour- 
quoi déclarer à un homme des choses qui ne doivent pas 
(se dire) ? » Elle prit sa propre part de nourriture et la 
donna au Pratyeka Buddha.Quand celui-ci eut fini de man- 
ger, elle retourna dans sa chambre pour se coucher et 
s’aperçcut alors que sa peau sale et noire tombait d’elle- 
même, que son visage devenait d’une beauté supérieure à 
celle des autres femmes et qu’elle était semblable à une 
femme de jade céleste. Le maître de maison s’en émer- 
veilla et lui demanda ce qui s'était passé ; il lui donna 
alors le titre de première épouse. 


N° 480. 


CPED RON D 08 rer) 


Dans le royaume de Chü-wei (Crâvasti), il y avait un riche 
maître de maison nommé T'ch'en-kiu ; il avait chez lui une 
servante nommée Fou-nt-lch’e (Pürnikâ) ; la tête de celle-ci 
était entièrement chauve et ses yeux étaient d’un vert franc; 
sa bouche et son nez étaient tout de travers ; occupée con- 
stamment à des travaux en dehors de l’habitation, elle 
recueillait du bois de chauffage et coupait des herbes. A 
quelques /1 de la maison se trouvait une source qui avait 
une onde parfumée et douce ; cette servante y alla prendre 
de l’eau avec une cruche ; or,une femme du voisinage s'était 
pendue à un arbre et son visage se reflétait sur la source ; 
la servante aperçut sa figure et crut que c'était sa propre 
image ; aussitôt elle s’irrita en criant : « Voici donc comme 
je suis belle; cependant telles sont les corvées pénibles 


272 KING LU Yi SIANG (N°5 480-481) 


auxquelles on m'envoie dans les champs et dans les jar- 
dins ! » Alors elle brisa sa cruche, s’en revint à la mai- 


son, monta dans la salle principale et s’assit sur le siège 


orné de joyaux de l'épouse principale, au milieu des ten- 
tures à franges. Tous les gens de la famille furent fort 
surpris et pensèrent que la servante était devenue folle ; 
comme ils lui demandaient pourquoi elle agissait ainsi, 
elle répondit : « J'ai vu dans l’eau que j'étais belle. Mais 
mon maitre n'a pas su le reconnaitre et je ne suis traitée 
qu'avec mépris. » On lui donna un miroir pour qu’elle se 
regardàt et elle vit une image affreuse ; cependant, comme 
elle s’obstinait à ne pas être convaincue, on l’amena sur le 
bord de l’eau; elle apercut alors le reflet de la femme 
morte; la servante comprit (ce qui s'était passé) et se 
trouva couverte de confusion. | 


Nes T7 


CÉRPERRRNIE De 76% 


Dans les temps passés il y avait trois amis, un éléphant, 
un singe et un oiseau /ouo qui se tenaient abrités auprès 
d’un arbre Ni-ktu-lu (nyagrodha). Ils se dirent entre eux: 
« Puisque nous nous abritons auprès de cet arbre, il nous 
faut nous témoigner réciproquement du respect. « Le singe 
et l'oiseau /ouo demandèrent à l'éléphant : « Jusqu'où 
remontent vos souvenirs ? » L’éléphant répondit : « Je me 
souviens que, lorsque j'étais jeune, cet arbre atteignait 
juste mon ventre. » L’éléphant et l'oiseau {ouo posèrent la 
méme question au singe qui répondit : « Je me souviens 
que, lorsque j'étais jeune, en levant la main j'atteignais le 
sommet de cet arbre. » L’éléphant dit au singe : « Vous 
êtes plus âgé que moi. » L’éléphant et le singe interro- 





KING LU YI SIANG (N°5 481-482) 273 


gèrent l’oiseau {ouo qui dit : « Je me souviens que, sur le 
versant occidental des montagnes neigeuses, il y avait un 
grand arbre ni-kiu-lu (nyagrodha) ; j'en mangeai un fruit 
et je vins ici; c'est à la suite de cela que cet arbre prit 
naissance (1). » Les deux autres dirent : « C’est l’oiseau touo 
qui est le plus âgé. » L’éléphant plaça le singe sur sa 
tête et le singe mit l'oiseau ouo sur son épaule ; ils se 
promenèrent ensemble parmi les hommes, de village en 
village et de ville en ville, répétant toujours cette gâthà : 

Si un homme est capable de garder dans son cœur la Loi, 
— il doit respecter ceux qui sont âgés ; — dans la vie pré- 
sente, on le louera; — dans l'avenir, il naîtra dans les voies 
excellentes. | 

L'oiseau {ouo prononça alors cette règle : « Quand les 
hommes suivront tous ce précepte, l’enseignement de la 
Loi se répandra. » (Le Buddha dit :) « Vous tous, qui êtes 
sortis du monde pour adopter ma doctrine, il vous faut 
davantage encore vous respecter mutuellement ; ainsi la 
Loi du Buddha se répandra. Dorénavant, conformez-vous 
à ceci : Que jeunes et vieux se respectent, se saluent avec 
vénération, viennent à la rencontre les uns des autres et 
se demandent réciproquement de leurs nouvelles. » Alors 
les bhiksus, ayant entendu l’enseignement du Buddha, 
tous, jeunes et vieux, se témoignèrent tour à tour du res- 
pect et se saluèrent avec vénération. 


N° 482. 


(Pribs XXKN EL HSDp:76 v-77002;) 


Un homme venu d’un pays lointain avait amené un grand 
bœuf, gras, prospère et fort, et l'avait vendu à un homme 


(1) Les excréments de l'oiseau contenaient une semence qui a donné 
naissance à l'arbre ; c'est donc l'oiseau qui est le plus âgé des trois. 


III. 18 


274 KING LU Y1 SIANG (N° 482) 


de la ville de Chü-wei (Grâvasti). Quand ce dernier l’eut 
acheté, il voulut le tuer; or il se rencontra sous la porte 
de la ville avec le Buddha; dès que le bœuf aperçut de 
loin le Buddha, son cœur fut ému et joyeux; il rompit sa 
chaîne et partit au galop sans que l’homme püt le mai- 
triser ; il vint droit au Tathâgata et, pliant ses deux jambes 
de devant, il beugla d’une manière pitoyable en pleurant; 
puis sa bouche prononça ces paroles : « Le grand saint 
est difficile à rencontrer; il n’est présent qu’en quelques 
occasions pendant une durée de cent mille générations ; 
puissiez-vous faire descendre sur moi votre grande com- 
passion pour que, en une fois, je sois sauvé. » 

Le Buddha dit : « Cela se peut fort bien. À une époque 
reculée, il y avait un roi tourneur de la roue (ëakravartin) 
qui régnait sur les quatre parties du monde, qui avait mille 
fils et qui possédait les sept joyaux; il gouvernait en 
appliquant des lois justes; la population jouissait de la 
tranquillité. En outre, ce roi avait les quatre vertus ; il 
regardait les gens du peuple comme ses enfants et le 
peuple l’honorait comme un père ; les cramaras, les 
brahmanes, les maîtres de maison et les hommes du peuple 
n'avaient jamais de maladie sur leur corps; les quatre 
régions du monde célébraient ses vertus et en faisaient 
pénétrer la renommée dans les dix directions. 

Un jour que ce roi était sorti pour se promener dans les. 
quatre parties de son royaume, il revenait et se proposait 
de rentrer au palais, lorsqu'il rencontra un de ses vieux 
mais qui avait été saisi par un de ses créanciers et qui, 
parce qu'il était débiteur de cinquante onces d’or, avait été 
lié et attaché à un arbre. Le roi, ses sept joyaux (1) et ses. 
serviteurs s'arrêtèrent alors et cessèrent d'avancer ; le roi 
s'étonnant de ce qui était arrivé, informa (le créancier) en 
ces termes: « Relâchez-le et laissez-le partir ; ilvous paiera 


(1) On a vu (t. I, p. 322, ligne 12-17) l'énumération des sept joyaux qui 
précèdent toujours un roi cakravartin. 








KING LU Y1 SIANG (N° 482) 275 


le double de ce qu’il vous doit, soit cent onces d’or. » Le 
créancier le relâcha donc et le laissa retourner chez lui; 
puis, à plusieurs reprises, il se rendit à la porte du palais 
royal pour y demander de l’or, mais il n’en obtint pas; 
quant au débiteur, il était allé ailleurs et on ne savait plus 
où il se trouvait. | 

Après avoir parcouru le cycle des naissances et des 
morts pendant des kalpas innombrables, le débiteur se 
trouvait toujours n'avoir pas remboursé ce qu’il devait ; 
dans la présente existence, il tomba dans ce corps de 
bœuf et fut vendu par le créancier pour le prix de plusieurs 
milliers d’onces d’or. Celui qui, en ce temps, était le roi 
tourneur de la roue {éakravartin), c’est moi-même; le 
créancier, c'est ce bœuf. » Quand le Buddha était un saint 
roi, il s'était porté garant du paiement, mais en définitive 
il ne donna rien et c’est pourquoi maintenant le bœuf 
vint lui demander secours. 

Le Buddha dit au propriétaire du bœuf : « Moi, le 
Buddha, je ferai la quête en votre faveur et je vous paierai 
au double le prix du bœuf.» Le propriétaire du bœuf 
repoussa cette proposition et réclama au contraire son 
bœuf. Le Buddha lui annonça derechef ceci : « Je pèserai 
le poids, en livres eten onces, du corps du bœuf et je vous 
donnerai un poids égal d’or ». L'autre s’obstina dans son 
refus. Alors les devas Cakra et Brahma descendirent tous 
deux et dirent au Buddha: « Des onces d’or par myriades, 
milliers et centaines de mille, nous les procurerons. » 

Le Buddha emmena le bœuf dans le Jetavana ; au 
bout de sept jours, la vie de ce bœuf se termina et il 
naquit soudain en haut parmiles devas ; il se souvint alors 
du bienfait que lui avait rendu le Buddha ; il revint donc 
parmi les hommes et répandit des fleurs pour en faire une 
offrande, témoignage de reconnaissance pour la bonté 
dont avait fait preuve le Buddha à son égard. 

Le Buddha expliqua en sa faveur les livres saints et il 


276 KING LU Yi SIANG (N°5 482-483) 


obtint alors de s’élever à la qualité d’avivartin, d’être 
affranchi des naissances et de se conformer à la Loi; puis il 
retourna vivre en haut parmi les devas. 


N° 483. 
(Pris XXXNL AS AS 


Autrefois un homme avait un âne qui lui servait à tirer 
un char et qui faisait une marche de plusieurs centaines 
de li par jour; il dit à son frère cadet : « Ne lâchez pas 
l’âne de peur qu'il ne voie d’autres ânes. » Le frère cadet 
trouva bizarre cette recommandation et pensa : « Quand 
des sages se rencontrent, ils en sont heureux; quand des 
êtres de même espèce se rencontrent, il n’en est aucun 
qui ne soit heureux. » Le frère cadet mit donc l’âne en 
liberté etlui permit de voir un autre (de ses congénères). 
(Les deux ânes) ne se mirent point à braire à plein gosier, 
mais il se flairèrent l’un l’autre et ne mangèrent point. 
Après cela le frère aîné attela son âne, mais celui-ci se 
coucha et refusa de marcher; le frère aîné, très irrité, lui 
coupa ses oreilles velues; en ressentant cette douleur 
cuisante, l'âne recommencça à marcher comme auparavant; 
il dit à son maître : « Votre frère cadet m'a laissé en 
liberté et j’ai vu un mauvais ami; comme je demandais à ce 
dernier pourquoi il était gras, il me répondit : « Je trans- 
porte des objets en terre pour un potier ; quand le chemin 
est mauvais, je me couche et n’avance plus ; mon maître 
va alors à pied en portant les objets en terre sur son 
épaule et il me laisse brouter en liberté sur le bord du 
chemin; je trouve à manger de bonnes herbes, et, au 
retour, je reçois du foin et des grains; c'est pourquoi je 
suis devenu gras. » Il me demanda pourquoi j'étais maigre; 
je lui répondis : « Je tire un char en faisant une marche 





EE 


KING LU Y1 SIANG (N° 483-484) 277 


de cinq cents {1 par jour; c’est au milieu des cahots que je 
bois et que je mange; c'est pourquoi je suis devenu 
maigre. » J'ai donc pensé que, si on me laissait en liberté, 
je deviendrais gras, mais au contraire je me suis vu raser 
la tête et je n’ose plus me coucher; je vous supplie de 
me laisser la vie. » Son maître eut compassion de lui; il 
le relâcha et lui permit d’être en liberté. 


N° 184. 


Cp RENAN TENTE) 


Le Buddha se trouvait dans le royaume de Choô-wet 
(Crâvasti). Dans les temps passés, il y eut un chien qui 
quitta la maison de son maître et alla dans une maison étran- 
gère pour y mendier de la nourriture; au moment où il 
pénétra dans cette maison étrangère, son corps était à 
l’intérieur de la porte, mais sa queue était restée en dehors 
de la porte. Cependantle maitre de la maison (grhapati) le 
frappa et ne lui donna pas à manger; le chien se rendit 
alors auprès des magistrats assemblés et leur dit : « Le 
maître de maison, quand je suis allé chez lui pour 
mendier de la nourriture, ne m'a pas donné à manger, 
mais au contraire m'a battu ; pourtant je n'avais pas violé 
le code des chiens. » Les magistrats lui ayant demandé ce 
que c'était que le code des chiens, il répondit : « Quand 
je suis dans ma maison, je m’assieds et je me couche 
comme il me plait; quand je vais dans une maison étran- 
gère, mon corps peut entrer à l’intérieur de la porte, 
mais ma queue doit rester en dehors. » Les magistrats 
firent donc comparaître le maître de maison et lui deman- 
dèrent : « Est-il vrai que vous avez battu ce chien et que 
vous ne lui avez pas donné à manger? » Il reconnut que 


278 KING LU YI1 SIANG (N° 484-485) 





c'était vrai; les magistrats demandèrent au chien : « Quel 
châtiment faut-il infliger à cet homme ? » Le chien répondit : 
« Donnez-lui la dignité de grand notable de la ville de 
Chü-wei (Grâvasti).» Comme on lui en demandait la raison, 
il ajouta : « Autrefois, j'étais dans la ville de CAhûü-wei 
(Grâvasti) et j'y occupais la position de grand notable; 
mais, comme je fis le mal dans mes actes et dans mes 
paroles, je reçus (en punition) ce corps de chien ; or cet 
homme est plus méchant encore que je ne le fus; si donc 
on lui permet d'occuper une haute situation, il commettra 
de grandes fautes et cela le fera entrer dans les enfers où 
il subira des tourments extrèmes. » 


N° 485. 


(Prin XX NI pD: 78:v-709 7°) 


Autrefois un notable, dont les richesses étaient im- 
menses, possédait un méchant chien qui se plaisait con- 
stamment à mordre les gens; personne n’osait franchir 
inconsidérément le seuil de sa porte. Or il arriva qu'un 
bhiksu intelligent et sage, dont la divine compréhension 
était difficile à égaler, entra par cette porte pour mendier; 
en ce moment le chien se trouvait être endormi et ne 
s'aperçut pas de sa venue au moment où elle se produisit. 
Le notable ayant disposé un repas, le chien s’éveilla et 
aperçut alors le çramana ; il fitcette réflexion : « À cause 
de mon sommeil, je ne me suis aperçu de rien et ce 
çramana a pu entrer; maintenant qu'il est assis, que vais- 
je faire? s’il mange tout à lui seul, je sortirai et je le 
mordrai de facon à le tuer, puis je dévorerai dans son 
ventre la bonne nourriture qu'il aura mangée ; mais s’il 
me donne une partie de ses aliments, je lui pardonnerai. » 





KING LU YI SIANG (N° 485-186) 279 


Le çramana savait quels étaient ses sentiments ; aussi, 


chaque fois qu'il mangea une bouchée, donna-t-il une 
bouchée au chien, en sorte que celui-ci, tout joyeux, conçut 
des sentiments d'affection envers le cramana et s’avança 
pour lui lécher les pieds. 

- À quelque temps de là, le chien étant sorti de la porte 
et s’étant endormi, un homme qui avait eu autrefois à 
souffrir de ses morsures, lui trancha la tête; le chien 
naquit alors dans le ventre de la femme du notable, mais, 
peu après sa naissance, sa vie fut prématurément inter- 
rompue et il mourut encore une fois. 

Il naquit derechef en qualité de fils d’un autre notable 
de ce pays; à l’âge de dix ans environ, il aperçut un 
çcramana et s’avança à sa rencontre pour lui rendre hom- 
mage ; il annonça à son père et à sa mère qu'il désirait 
prendre ce cramana pour son maître, lui faire des libéra- 
lités et des offrandes, puis recevoir les défenses prescrites 
par les livres saints ; ensuite il ferait à nouveau la con- 
version de tous les membres, grands et petits, de sa 
famille, réciterait les livres saints et réfléchirait sur la 
sagesse. Ayant ainsi informé ses deux parents, il demanda 
à devenir çramana; avant d’avoir reçu toutes les défenses, 
il fit des offrandes à son Ao-chang (upâdhyâya) sans jamais 
se relâcher, ni le jour ni la nuit. Après la mort de son 
ho-chang (upâdhyäya), il reçut la vertu des défenses. 


N° 486. 
CRRIDAXXNTS D 80 6%) 
Un chacal allait habituellement demander de la nourri- 


ture à un lion; il obtenait chaque fois des restes d'aliments 
et revenait sans jamais se lasser.Or, un jour, le lion était à 


280 KING LU Y1 SIANG (N°° 486-487) 


jeun et n'avait pas encore trouvé à manger ; il appela donc 
le chacal, le flaira et se mit à le dévorer. Avant de mourir, 
étant déjà dans sa gueule, le chacal lui cria : « O grand 
maître, laissez-moi la vie! » Le lion fit cette réflexion : 
« Si je vous ai nourri jusqu'à ce que vous fussiez gras, 
c'était pour attendre que vous fussiezà point. Pourquoi 
donc réclamez-vous ? » 


N° 487. 


(Trip; XXXNI 4) p.837.) 


À P'i-chô-li (Vaiçàli) à côté de l'étang des singes (Mar- 
katahrada), il y avait un jardin planté d’aulx (laçuna) ; la 
bhiksuni T’eou-lo-nan-lo (Sthülanandà) demeurait non 
loin de là; le maître du jardin lui adressa cette demande 
« O tante,ne vous faudrait-il pas quelques aulx? » Alors la 
bhiksuni, accompagnée de toutes ses çramanis et çrâma- 
neris, vint à plusieurs reprises chercher des aulx, tant et 
si bien qu’il n’y en eut plus du tout; le propriétaire 
abandonna son jardin et s’en alla. 

Le Buddha raconta (à ce sujet) un jâtaka : 

Autrefois il y avait un Brahmane qui était âgé de cent 
vingt ans ; son corps était fort émacié; sa femme était 
d’une beauté incomparable et avait mis au monde un 
grand nombre de fils etde filles. Ce brahmane était attaché 
de tout son cœur à sa femme et à la foule de ses fils et de 
ses filles et jamais il ne se séparait d’eux ; à cause de l’in- 
tensité de son affection, voici ce qui arriva : après sa mort, 
il naquit sous la forme d’une oie sauvage ; les plumes de 
son corps étaient toutes couleur d’or ; grâce aux influences 
exercées par le bonheur qu'il s'était acquis précédemment, 
il savait quelle avait été son existence antérieure ; aussi se 











beach je .. 26 PS 


KING LU Yi SIANG (N°: 487-488) 281 


demanda-t-il par quel moyen il pourrait fournir à la subs- 
sistance de ses fils et de ses filles en sorte qu'ils ne souf- 
frissent pas de la misère; en conséquence, il revint chaque 
jour auprès d'eux, et, chaque jour, il laissait tomber une 
de ses plumes, puis s’en allait. Ses enfants, le voyant agir 
ainsi et ne sachant pas la raison de sa conduite, délibé- 
rérent entre eux, disant : « Ce que nous avons de mieux à 
faire, c'est d’épier sa venue; de nous saisir alors de lui et 
de lui enlever toutes ses plumes d’or. » Ils mirent donc 
ce projet à exécution et lui arrachèrent toutes ses plumes 
d'or; mais les plumes qui repoussèrent furent de simples 
plumes blanches. 

Le Buddha dit aux bhiksus : « Si vous désirez le savoir, 
celui qui en ce temps était le brahmane et qui, après sa 
mort, devint une oie sauvage, qui d’autre est-ce sinon le 
propriétaire actuel du jardin; sa belle épouse, c’est la 
bhiksuni; ses fils et ses filles, ce sont les crâmaneris et 
les çramanîs. » 


N°mres: 


CErips XRXNI Hp 8742) 


Autrefois un homme riche avait récolté dix mille bois- 
seaux de grain et les avait enterrés dans le sol. Lorsqu'on 
fut graduellement arrivé à la chaleur tempérée du prin- 
temps, 1l ouvrit son silo afin de prendre le grain et dele 
semer ; mais le grain avait entièrement disparu, et, à sa 
place, il y avait seulement un animal, gros comme ces 
paniers qu'on charge sur les bœufs, qui n'avait ni mains, 
ni pieds, ni tête, ni yeux, et qui semblait une masse de 
chair engourdie. Le maître de maison et tous les siens, 
grands et petits, s’étonnèrent à cette vue ; ils firent sortir 
Panimal, le posèrent sur un endroit plat et lui demandé- 


282 KING LU Y1 SIANG (N° 488) 


rent : « Qui êtes-vous ? » Comme il ne répondait rien, on 
le piqua en un point avec un poinçon en fer ; il dit alors : 
« Si vous voulez savoir comment je m'appelle, mettez-moi 
au bord du grand chemin ; il se produira quelqu'un qui 
m'’appellera par mon nom. » On le prit donc et on le dé- 
posa au bord de la route. 110 

Trois jours durant il n’y eut personne qui pût l'appeler 
par son nom, Mais alors survint un homme qui avait plu- 
sieurs centaines de chars tirés par des chevaux jaunes ; 
ses habits et ceux de ses serviteurs étaient jaunes; il 
arréta son char et cria : « Voleur de grains, que faites-vous 
ici? » L'animal répondit : « J’ai mangé le grain d’un 
homme ; c’est pourquoi il m'a pris et m'a mis ici. » Quand 
ils eurent ainsi conversé pendant fort longtemps, le pas- 
sant pris congé de lui et s’en alla. Le maitre de maison 
demanda alors à Voleur de grains : « Qui était ce person- 
nage ? » L'animal répondit : « Il est l’Essence du joyau 
d’or ; il demeure à trois cents pas à l’ouest d'ici, sous un 
grand arbre ; vous trouverez là cent jarres de pierre 
pleines d’or. » | 

Le maître de maison prit alors avec lui plusieurs 
dizaines d'hommes et alla creuser à l'endroit indiqué; il 
trouva en effet l’or dans les jarres ; toute sa famille, : 
pleine de joie, s'occupa à transporter ce trésor chez lui : 
il se prosterna devant Voleur de grains en lui disant : « Si 
aujourd’hui j'ai trouvé tout cet or, c'est par votre bienfait, 
à grand dieu. Il vaudrait mieux que je vous garde et que 
vous reveniez avec moi pour que je vous fasse des 
offrandes.» Voleur de grains répondit : « Si, précédem- 
ment, après avoir dévoré votre grain, j'ai refusé de 
dire mon nom, cest parce que je voulais que vous 
receviez cet or en récompense (1). Maintenant il faut que 


(1) Il faut sous-entendre, semble-t-il, l'idée suivante : la divinité « Es- 
sence du joyau d'or » ayant trahi l’incognito de la divinité « Voleur de 
grains », celle-ci s’est donc trouvée autorisée à révéler à son tour qui 











KING LU YI SIANG (N° 488-489) 283 


je me transporte ailleurs pour répandre des bienfaits dans 
le monde ; je ne saurais rester ici plus longtemps. » 
Quand il eut fini de dire ces mots, soudain il disparut. 


N° 189. 


CORDES XNENE ED 87 1.) 


A l'angle sud-est de la ville de la Résidence royale 
(Râjagrha), il y avait un fossé plein d’eau stagnante dans 
lequel venaient s’accumuler tous les égoûts de la ville, 
les ordures, les excréments et les urines ; la puanteur en 
était telle qu'on ne pouvait en approcher.Or une sorte de 
grand animal vivait dans cette eau stagnante ; son corps était 
long de plusieurs {chang ; il n'avait ni mains ni pieds ; ense 
tortillant, en levant et en baissant la tête, il s’ébattait dans 
cette eau stagnante. Plusieurs milliers de personnes le 
regardaient. Ânanda, en faisant la quête, l’aperçut et alla 
le voir ; l'animal aussitôt bondit, et les flots bouillonnè- 
rent ; Ânanda raconta tout cela au Buddha qui se rendit 
alors avec ses disciples auprès de l'étang. Tous les gens 
qui étaient là, voyant le Buddha, pensèrent et se dirent les 
uns aux autres : « Maintenant le Tathâgata va, en faveur 
de l'assemblée, exposer l'histoire de cet animal afin de dis- 
siper tous les doutes. N'y a-t-il pas lieu de s’en réjouir ? » 

Le Buddha dit : « Après le Nirvâna du Buddha Wei- 
wei (Vipaçyin), il y avait un temple par lequel cinq cents 
bhiksus vinrent à passer; en les voyant, le maitre du 
temple fut très joyeux et les pria de demeurer là pour 
qu'il püt les entretenir pendant trois mois ; cette troupe de 
religieux ayant accepté lPinvitation, le maitre du temple 


était son interlocuteur et c'est ainsi qu'elle a pu faire découvrir un trésor 
au maitre de maison. 


284 KING LU YI1 SIANG (N° 489) 


leur fit des offrandes de nourriture en y appliquant tout 
son cœur et sans rien négliger. 

A quelque temps de là, cinq cents marchands qui 
avaient été sur mer pour recueillir des joyaux, passèrent, 
en revenant chez eux, par ce temple ; voyant les cinq cents 
bhiksus qui s’appliquaient avec énergie à tenir une con- 
duite conforme à la sagesse ; ils conçurent tous de bonnes 
résolutions, et délibérèrent joyeusemententre eux, disant: 
« Il est difficile d'avoir l'occcasion de rencontrer un 
champ producteur de bonheur ; il nous faut donc faire 
quelque légère offrande. » Ils en informèrent le maître 
du temple qui leur dit : « J’ai fait mon invitation pour 
trois mois et il s’en faut de cinq jours qu'ils ne soient 
accomplis ; après ce délai, vous pourrez faire toutes les 
offrandes que vous voudrez. » Les marchands répliquè- 
rent : « Nous devons partir et nous ne pouvons pas 
attendre aussi longtemps. » Ces cinq cents marchands 
donnèrent alors chacun une perle de manière à former 
un ensemble de cinq cents perles précieuse (mani) qu’ils 
confièrent au maître du temple en lui faisant cette recom- 
mandation : « Quand le délai sera accompli, vous présen- 
terez nos perlesen offrande à cette assemblée de religieux.» 

Le bhiksu le promit et reçut donc toutes ces perles. 
Mais ensuite il conçut une mauvaise pensée et médita de 
tout s'approprier sans rien donner en offrande. Les reli- 
gieux lui ayant dit: « Il vous faut nous présenter les 
perles dont ont fait don précédemment les marchands, 
puis vous nous laisserez partir, » le maitre du temple 
leur répondit : « C’est à moi que les marchands en ont 
fait don ; si vous voulez me les ravir, c’est des excréments 
que je vous donnerai; si vous ne vous en allez pas immé- 
diatement, je vous couperai les mains et les pieds et je 
vous jetterai dans une fosse pleine d’ordures. » Tous les 
religieux, pleins de pitié pour cet insensé, se retirèrent 
un à un en silence. 








EXTRAITS DU TA TCHE TOU LOUEN 





N° 490. 


(Origine du nom de Râjagrha.) 


CÉRID ER X RD A IENS 


Question : Les grandes villes telles que Chûü-p'o-l1 
(Crâvasti), Kia-p'i-lo-p'o (Kapilavastu), Po-lo-nat (Vârà- 
nasi), ont toutes des résidences royales ; comment se fait- 
il que cette ville-ci seule porte le nom de Résidence 
royale (Râjagrha) ? 

Réponse : Certaines personnes donnent l'explication 
suivante : un roi du royaume de Mo-k'ia-l'o (Magadha) eut 
un fils qui, n’ayant qu’une tête, avait deux visages et 
quatre bras; les gens d’alors estimèrent que c'était là un 
être de mauvais présage; le roi lui fendit donc en deux 
le corps et la tête et l’abandonna dans la campagne 
déserte. Or, une râksasi nommée .Li-lo (2) réunit les 
deux parties de son corps et le nourrit de son lait; par 
la suite, il grandit ét devint un homme; sa force était 
telle qu’il put conquérir tous les royaumes des autres 
rois; il posséda le monde entier; il prit tous les rois des 
royaumes, au nombre de dix-huit mille hommes, et les 


(1) Le Ta che tou louen (Nansio, Catalogue, n° 1169) est un çâstra dont 
l’auteur hindou est Nâgârjuna; il a été traduit en chinois, sous une forme 
partiellement écourtée, par Kumârajiva, entre 402 et 405 p. C. 

(2) Les éditions des Yuan et des Ming l'appellent Chô-lo, 


286 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490) 


“plaça au milieu de ces cinq montagnes; par sa grande 
puissance, il gouverna Île Yen-feou-fi (Jambudvipa) ; 
c'est pourquoi les habitants du Yen-feou-l'i (Jambud- 
vipa) donnèrent à ces montagnes le nom de Ville de la 
résidence des rois (Râjagrha). 

D’autres personnes racontent ceci : Dans la ville où 
demeurait auparavant le roi de Mo-k'ia-Po (Magadha), un 
incendie se déclara; dès qu’elle eut été détruite par le 
feu, on la rebâtit; il en fut ainsi à sept reprises; les gens 
du pays étaient accablés par les travaux qu’on leur impo- 
sait; le roi, saisi de tristesse et de crainte, rassembla 
tous les hommes sages et leur demanda leur avis; parmi 
eux il y en eut qui proposèrent de changer l’emplace- 
ment de la ville. Le roi chercha alors un lieu où s’instal- 
ler ; il vit ces cinq montagnes qui formaient un pourtour 
semblable à une muraille; il y éleva donc un palais et 
s'établit au milieu de cet endroit; c’est de là que vint le 
nom de Ville de la résidence royale (1). 

Voici encore une autre explication : dans les temps 
passés, il y avait en ce royaume un roi nommé P’o-seou, 
qui, dégoûté du monde, entra en religion et se fit 
ermite. En ce temps, les brahmanes qui étaient restés 
dans le monde et les ascètes qui étaient sortis du monde 
eurent une discussion; les brahmanes qui étaient restés 
dans le monde disaient : « D’après les livres sacrés, dans 
les sacrifices aux devas, il faut tuer des êtres vivants dont 
on mangera la chair. » Les ascètes qui étaient sortis du 
monde répliquaient : « Il ne. faut pas, quand on sacrifie 
aux devas, tuer des êtres vivants et en manger la chair. » 
Ils disputaient ainsi entre eux. Les brahmanes qui étaient 
sortis du monde dirent : « Il ya ici le grand roi qui est 
sorti du monde pour se faire ermite. Avez-vous confiance 
en lui? » Les brahmanes qui étaient restés dans le 


(1) Cette tradition est apparentée à celle que rapporte Hiuan- reg (Mé- 
moires, trad. Julien, t.. II, pp. 39-40)... 














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TA TCHE TOU LOUEN: (N° 490) 287 


monde ayant répondu qu'ils avaient confiance en lui, les 


autres reprirent : « Nous prendrons cet homme pour 
“arbitre; demain, nous irons l’interroger. » 


Cette nuit même, les brahmanes qui étaient restés dans 


le monde allèrent par avance auprès de l’ermite P'o-seou, 


et, après lui avoir posé toutes les questions d’usage, ils 
lui dirent : « Dans la discussion de demain, il vous faut 


nous aider. » Le lendemain donc, au point du jour, au 


moment de la discussion, les ascètes qui étaient sortis du 
monde demandèrent à l’ermite P'o-seou : « Dans les sacri- 
fices aux devas faut-il ou non tuer des êtres vivants et en 
manger la chair ? » L’ermite P’o-seou répondit : « La règle 


des brahmanes est que, dans les sacrifices aux devas, il 


faut tuer des êtres vivants et en manger la chair. » Les 
ascètes qui étaient sortis du monde reprirent : « Quel est 
votre véritable sentiment personnel ? Faut-il, ou non, tuer 
des êtres vivants et en manger la chair ? » L'ermite P'o-seou 
répondit : « Puisqu'il s’agit des sacrifices aux devas, on 
doit tuer des êtres vivants et en manger la chair; en effet, 


ces êtres vivants étant morts dans un sacrifice aux devas, 


ils pourront renaître en haut dans les cieux. » 

Les ascètes qui étaient sortis du monde s’écrièrent : 
« Vous vous trompez grandement ! Vos paroles sont très 
mensongères ! » Alors ils lui crachèrent dessus en disant : 
« Homme criminel, disparaissez ! » Aussitôt l’ermite 
P'o-seou s’enfonça graduellement dans le sol jusqu’à ce 
que ses chevilles fussent recouvertes; la raison en est 
qu'il avait été le premier à ouvrir la porte à de grands 
crimes. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent : 
« Vous devez parler suivant la vérité; si vous vous obs- 
tinez à tenir un langage mensonger, tout votre corps 
s’enfoncera dans le sol ». L’ermite P’o-seou répondit : 
« Je sais que l’acte de tuer les moutons et d’en manger la 
chair n’est pas un crime quand on le fait pour les devas ». 
Aussitôt il enfonca dans le sol jusqu'aux genoux. Ils dis- 


288 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490) 


parut ainsi graduellement jusqu’à la ceinture, puis jusqu’au 
cou. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent : 
« Maintenant votre parole mensongère a reçu sa rétribu- 
tion dans le monde présent. Si cependant vous vous 
décidez à parler suivant la vérité, quoique vous soyez 
sous terre, nous pouvons vous retirer et faire que vous 
échappiez au châtiment. » Alors l’ermite P’o-seou fit cette 
réflexion : « Nous autres, hommes de noble condition, 
nous ne devons pas tenir deux langages différents. En 
outre, dans les quatre wei-Fo (vedas) des brahmanes, on 
célèbre de toutes sortes de façons la règle des sacrifices 
aux devas. Si moi seul je meurs, cela vaut-il la peine qu’on 
en tienne compte ? » Il dit donc de tout son cœur : « Dans 
les sacrifices aux devas, ce n’est pas un crime de tuer 
des êtres vivants et d'en manger la chair. » Les ascètes 
qui étaient sortis du monde lui crièrent : « Vous êtes un 
criminel endurci; disparaissez donc englouti; nous ne 
voulons plus vous voir. » Alors toute sa personne s’en- 
fonça dans la terre. A partir de ce moment et jusqu'à 
aujourd’hui, on a toujours observé la règle donnée par 
l’ermite P’o-seou; quand on tue un mouton dans les 
sacrifices aux devas, au moment où le couteau s’abat sur 
lui, on lui dit : « P’o-seou te tue » (1). 

Le fils de P'o-seou se nommait Kouang-tch'o (large- 
char); il lui succéda dans la dignité royale; par la suite, 
lui aussi se dégoüta du monde, mais il ne put plus entrer 
en religion. Il fit alors cette réflexion : « Mon père, l’ancien 
roi, a été englouti vivant dans la terre, bien qu'il fût 
entré en religion ; si je continue à gouverner le monde, 
je me rendrai derechef coupable d’un grand crime; en 
quel endroit donc dois-je aller ? » Au moment où il faisait 

(1) On ne trouve pas mention de cette curieuse formule dans la des- 
cription que donne de l’immolation Julius Schwab (Das altindische Thie- 
ropfer, Erlangen 1886, p. 103-105). Elle est cependant bien conforme à 


l'idée rituelle que les sacrifiants cherchent à décliner la responsabilité 
du meurtre de la victime. 











dos. 5 A S. F 


TA TCHE TOU LOUEN (N° 490) 289 


cette réflexion, il entendit dans les airs une voix qui lui 
disait : « Si vous voyez en marche un endroit comme 
il y en a peu et comme il est difficile d’en rencontrer un 
pareil, c’est là que vous devrez établir votre résidence. » 
Quand cette parole eut été dite, la voix se tut. À peu de 
temps de là, étant sorti pour chasser dans la cam- 
pagne, le roi aperçut un cerf qui fuyait rapide comme le 
vent ; il s'élançca sur ses traces sans pouvoir l’atteindre; 
comme il le poursuivait sans relâche, aucun des officiers 
de son escorte ne put rester avec lui. S'avançant ainsi de 
lieu en lieu, il aperçut un endroit où cinq montagnes for- 
maient un cirque escarpé et bien défendu; le sol y était 
uni et produisait des herbages fins et moelleux; de belles 
fleurs couvraient la terre; il y avait là des bois de toutes 
sortes d’essences d'arbres où les fleurs et les fruits crois- 
saient en abondance; des sources douces et des étangs 
frais montraient partout leur pureté; cet endroit était 
merveilleux; de toutes parts on y répandait des fleurs 
célestes et des parfums célestes et il y avait les diver- 
tissements d’une musique céleste. Quand les musiciennes 
des gandharvas virent venir le roi, elles se retirèrent 
toutes. (Le roi pensa) : « Ce lieu est un emplacement comme 
il y en a peu et je n’en ai jamais vu de tel. C’est bien là 
que je dois établir ma résidence. » Quand il eut fait cette 
réflexion, tous ses ministres et ses officiers, qui avaient 
suivi ses traces, arrivèrent. Le roi leur déclara : « La voix 
que j'ai entendue auparavant dans les airs m'avait dit: Si 
vous voyez en marche un endroit comme il y en a peu et 
comme il est difficile d’en rencontrer un pareil, c’est là 
que vous devrez établir votre résidence. Or maintenant 


je vois ce lieu qui est un emplacement comme ilyena 


peu; c’est là que je dois établir ma résidence. » Alors il 

abandonna la ville où il demeurait auparavant et se fixa 

dans ces montagnes. Ce fut ce roi qui le premier s'établit 

là, et, à partir de lui, ses successeurs les uns après les 
ue 19 


290 TA TCUE TOU LOUEN (N° 490-491) 


autres y demeurèrent, Comme ce roi y avait tout d'abord 
fait élever un palais pour y résider, de là vint le nom de 
Ville de la résidence royale. 


N°97; 


(Origine du nom de Cäripultra.) 


(Frip. XX, A, pp. 70:v?-71 Pr) 


Question : D'où vient le nom de Chô-li-fou (Càriputra) ? 
Est-ce un nom qui fut donné (à Câriputra) par son père 
et sa mère, ou bien est-ce un nom qui vient de quelque 
action méritoire qu'il aurait accomplie ? 

Réponse : C’est un nom qui lui fut donné par son père et 
sa mère (1). Dans le Yen-feou-fi (Jambudvipa), dans la 
(région) la plus fortunée, se trouve le royaumede Mo-k'ia-l'o 
(Magadha) ; là est une grande ville nommée Wang-chô 
(Râjagrha); il y avait là un roi nommé P’in-p'o-so-lo (Bim- 
bisâra) et un brahmane, maitre dans l'art de la discussion, 
nommé Mo-lo-lo (Mathara). Parce que cet homme était 
fort habile à discuter, le roi lui avait donné en apanage 
une bourgade située non loin de la capitale. Ce Mo-Fo-lo 
se maria alors et sa femme mit au monde une fille ; comme 
les yeux de cette fille ressemblaient à ceux de l'oiseau 
chô-li (câri, le héron), on la nomma donc Çâri; ensuite, 
la mère mit au monde un fils dont les os des genoux 
étaient fort gros et c’est pourquoi on le nomma Æiu-hi-lo 
(Kosthila) (2). Après que ce brahmane se fut marié, il 


(1) Comme le prouve la suite de l'histoire, il faut lire au contraire: « Ce 
n'est pas un nom qui lui ait été imposé par sesparents. » 

(2) Ce nom de Kosthila,'que les Chinois expliquent comme signifiant 
«aux gros genoux », a été rendu en tibétain par l'expression gsus-po-che 








TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 291 


s’occupa à élever son fils et sa fille; il oublia tous les 
livres sacrés qu'il avait étudiés et il ne s’appliqua pas à 
acquérir des connaissances nouvelles. 

En ce temps, dans l'Inde du sud, il y avait un brahmane, 
grand maître dans l’art de la discussion, qui se nommait 
T'i-cho (Tisya); il avait pénétré à fond les dix-huit sortes 
de grands livres sacrés. Cet homme arriva dans la ville de 
la résidence royale (Râjagrha); sur sa tête il portait une 
lumière (1) et son ventre était recouvert de feuilles de 
cuivre (2); comme on lui demandait la raison de cette 
seconde particularité, il répondit : « Les livres sacrés 
que j'ai étudiés sont extrêmement nombreux; aussi ai-je 
lieu de craindre que mon ventre n’éclate et c’est pourquoi 
je l’ai bardé de métal. » Comme on lui demandait encore 
pourquoi il portait une lumière sur la tête, il répondit 
que c'était à cause de la grande obscurité. « Mais, lui 
répliqua la foule, le soleil a paru et nous éclaire; pourquoi 
parlez-vous d'obscurité ? » Il répondit: « Il y a deux sortes 
d'obscurité; l’une se produit quand la lumière du soleil 
ne nous éclaire pas; la seconde est le mal qui provient 
des ténèbres de la stupidité. Maintenant, quoiqu'il y ait la 
clarté du soleil, les ténèbres de la stupidité sont encore 
profondes. » La foule reprit : « N’avez-vous donc pas vu 
le brahmane Mo-fo-lo ? Si vous le voyiez, votre ventre se 
comprimerait et votre lumière s’obscurcirait ». Quand ce 
brahmane eut entendu ces paroles, il se dirigea vers le 
tambour qui appelle à la discussion et le fit résonner. 

Quand le roi entendit ce bruit, il demanda qui en était 
l’auteur. Ses ministres lui répondirent:« C’est un brahmane 
de l'Inde du Sud nommé T'i-chô, qui est un grand maître 


qui signifie « grand ventre » ; dans ce sens on a rattaché le nom de 
Kosthila au mot kostha « intestin, ventre ». 
(1) Le thème du brahmane qui porte une lumière en plein jour se re- 


trouve dans notre n° 121. Voyez les notes relatives à ce conte dans notre 
table analytique. 
(2) Cf. Hiuan-lsang (Mémoires, tr. Julien, t. IF, p. 85). 


292 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 


dans l’art de la discussion: il désire demander un sujet de 
discussion et c’est pourquoi il a frappé sur le tambour. » 
Le roi en fut joyeux ; il réunit aussitôt les hommes sages 
et leur dit : « Que celui qui est capable de l’embarrasser 
discute avec lui. » 

Quand Mo-lo-lo fut informé de cela, il se défia de ses 
forces, car il disait : « Jai tout oublié et je ne me suis pas 
occupé d'acquérir des connaissances nouvelles. Je ne sais 
si je suis capable de soutenir une discussion. avec cet 
homme. » Il vint cependant en se faisant violence; en che- 
min, il vit deux taureaux qui luttaient à coups de cornes; il 
fit en lui-même cette réflexion: «Ce bœuf-ci, c’est moi; ce 
bœuf-là, c'est cet autre homme. J'en tirerai un présage 
pour savoir qui sera vainqueur. » Ce fut le premier bœuf 
qui fut vaincuet Mo-fo-lo en conçut une grande tristesse, 
carilse disait: « D’après-ce présage, c'est moi qui serai vain- 
cu.» Au moment où il allait entrer dans la foule, il vit une 
matrone qui tenait une cruche d’eau et qui se trouvait 
droit devant lui ; elle buta contre le sol et cassa sa cruche ; 
il songea derechef : « Cela non plus n’est pas de bon au- 
gure », et il fut extrêmement peu satisfait.Quand il fut entré 
dans la foule, il aperçut le maître dans l’art de discuter dont 
la figure et l'aspect avaient toutes les marques du triomphe. 
Il reconnut alors qu'il serait vaincu, mais, comme il ne 
pouvait faire autrement, il accepta de discuter avec lui. 
Dès que la discussion fut engagée, il tomba dans la situa- 
tion de celui qui a le dessous. 

Le roi, très joyeux, pensa: « Un homme intelligent 
doué d’une grande sagesse est venu de loin dans mon 
royaume. » Il voulait lui donner en apanage une bour- 
gade ; mais ses ministres lui adressèrent des remon- 
trances, disant: « Si, parce qu'un homme intelligent est 
venu, vous lui donnez aussitôt en apanage une bourgade 
tandis que vous ne récompensez pas vos ministres qui 
vous ont bien servi, et si vous réservez toutes vos faveurs 








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TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 293 


à ceux qui discutent, nous craignons que ce ne soit pas là 
une conduite propre à assurer le calme du royaume et le 
salut de votre famille. Maintenant Mo-lo-lo a été vaincu 
dans la discussion ; il vous faut lui enlever son apanage et 
le donner à celui qui a triomphé de lui. S'il se présente 
ensuite un autre homme qui remporte à son tour la vic- 
toire, on lui donnera derechef ce même apanage. » Le 
roi suivit ce conseil et enleva à Mo-Fo-lo son apanage, 
pour le donner à l’homme qui était venu en dernier 
lieu. 

Alors Mo-Fo-lo dit à T'i-chôü: « Vous êtes un homme 
intelligent ; je vous donne ma fille en mariage ; mon filslui 
sera adjoint. Quant à moi, je désire me retirer au loin 
dans un royaume étranger pour y poursuivre mes propres 
projets. » T'i-chô prit donc cette fille pour épouse. 

Cette femme, étant devenue enceinte, vit en songe un 
homme qui, portant une cuirasse et un casque et tenant 
en main un foudre (vajra), broyait les montagnes ordi- 
naires et se tenait debout à côté d’une haute montagne. 
Quand elle se réveilla, elle raconta à son mari le rêve 
qu’elle avait fait. T’i-chô Lui dit : « C’est le signe que vous 
engendrerez un fils qui écrasera tous les maîtres dans 
’art de la discussion ; il n’y aura qu'un seul homme qu’il 
ne pourra pas vaincre etil deviendra son disciple. » 

Pendant la durée de sa grossesse, Cho-li, à cause du fils 
qu’elle portait en elle, devint elle-même intélligente et fut 
fort habile à discuter. Chaque fois que son frère cadet Xiu- 
hi-lo (Kosthila) discutait avecelle, il sortait vaincu du débat; 
il se dit : « Le fils que ma sœur porte en elle est assurément 
d’une haute intelligence ; s’il se montre tel avant même 
d’être né, que sera-ce quand il aura été mis au monde?» 
Alors Xiu-hi-lo abandonna sa famille, se livra à l'étude et 
se rendit dans l'Inde du Sud ; il ne se coupa plus les ongles 
des mains avant d’avoir lu les dix-huit sortes de livres sa- 
crés et d’en avoir la complète maîtrise ; c’est pourquoi les 


294 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491-492) 


gens de ce temps le surnommèrent le Brahmane aux longs. 
ongles (Dirghanakha) (1). 

Sept jours après que le fils de sa sœur fut né, on l’enve- 
loppa dans une pièce de coton blanc pour le montrer à 
son père ; celui-ci fit cette réflexion : « Je me nomme 7’i- 
cho ; (cet enfant) chassera mon nom; je le nomme done 
Yeou-p'o-Pi-chàü (Upatisya, celui qui chasse T’i-chô.) 

Telest le nom que donnèrent à cet enfant ses parents. 
Mais les autres hommes, tenant compte de ce que c'était 
Cho-li qui l'avait enfanté, le nommèrent tous d’un com- 
mun accord Cho-li-fou (Çâriputra, fils de Çäri). 

Par suite, grâce aux vœux antérieurs qu'il avait faits 
dans plusieurs existences successives, Chü-li-fou devint 
auprès de Che-k'ia-wen-ni(Cäkyamuni) Le premier des dis- 
ciples pour la sagesse ; son nom fut Chü-li-fou; ce nom lui 
vient donc des causes que constituent ses vœux antérieurs. 
Voilà pourquoi on l’a appelé Chü-li-fou. 

Question : «Pourquoi ne dit-on pas Yeou-p'o-Fi-chô (Upa- 
tisya) et se borne-t-on à dire Chü-li-fou (Câriputra) ? » 

Réponse : « Les gens d’alors honoraient fort sa mère 
(Câri) qui était la plus intelligente de toutes les femmes et 
c'est pour cette raison qu'ils ont nommé (cet homme) Chü- 
li-fou (Câriputra). » 


N° 492. 


(Trip EX A bp: 09 V0) 


Le roi d’un royaume avait une fille nommé Æiu-meou- 
l'eou. Un pêcheur, nommé Chou-p'o-k'ia, qui allait sur la 
route, aperçut de loin la fille du roi qui était sur une tour 


(1) Voyez dans l'Avadäna-Çataka, (trad. Feer, Annales du Musée Guimet, 
t. XVIII, pp. 418-430) l'avadäna intitulée « Dirghanakha. » 











= : | 


_ PC EE 


TA TCHE TOU LOUEN (N° 4992) 295 


élevée et il vit son visage dans l’encadrement d'une fe- 
nêtre. Sa pensée resta toute pénétrée de cette image et 
son cœur ne put s’en détacher un seul instant; cela ne fit 
que s’accroitre de jour en jour et de mois en mois ; il en 
perdit le boire et le manger. Sa mère lui ayant demandé 
quelle en étaitla cause, il lui répondit en lui révélant ses 
sentiments : « Depuis que j'ai vu la fille du roi, mon cœur 
ne peut plus l'oublier. » Sa mère lui fit des remontrances 
en lui disant: « Vous êtes un homme de peu et la fille du 
roi est d’une condition très élevée ; vous ne sauriez l’obte- 
nir. » Son fils répliqua: «Je voudrais pouvoir me distraire, 
mais je ne saurais oublier un instant la princesse ; si mes 
désirs ne peuvent être réalisés, il m'est impossible de 
vivre.» 

Pour agir en faveur deson fils, la mère se rendit au palais 
royal; elle y apportait constamment de gros poissons et de 
la viande excellente qu’elle offrait à la fille du roi sans 
vouloir prendre aucune rétribution. La fille du roi s'en 
étonna et lui demanda quel était l’objet deses désirs. La 
mère lui répondit qu’elle la priait d’éloigner les assistants 
et qu’elle lui exposerait ses sentiments; (après quoi, elle 
dit:) «J'ai un fils unique qui vous aime respectueusement, 
Ô fille du roi; sa passion est si forte qu’il en est tombé 
malade”; sa destinée ne semble plus devoir être longue ; 
je voudrais que vous lui accordiez une pensée compatis- 
sante etque vous lui rendiez la vie. » La fille du roi lui 
répondit : « Le quinzième jour du mois, qu'il aille se placer 
derrière la statue du dieu dans le sanctuaire de telle divi- 
nité. » La mère revint annoncer à son fils : « Vos vœux 
sont réalisés »; puis elle l’avertit, conformément à ce qui à 
été dit plus haut, de se baigner, de se revêtir de vêtements 
neufs et de se tenir derrière la statue du dieu. 

Quand le moment fut venu, la princesse dit au roi son 
père: « Je suis sous une influence néfaste ; il faut que 
j'aille dans le sanctuaire du dieu pour y demander un bon- 


296 TA TCHE TOU LOUEN (N° 492) 


heur propice.» Le roi y ayant consenti, elle sortit avec 
un cortège de cinq cents chars et se rendit au temple du 
dieu. Quand elle fut arrivée, elle donna cet ordre à ceux 
qui la suivaient : «Restez rangés devant la porte ; j'entre- 
rai seule dans le sanctuaire du dieu. » 

Cependant le dieu fit cette réflexion: « Cette chose est 
inconvenante ; ce roi est mon bienfaiteur (dânapati) ; je ne 
saurais permettre que cet homme de peu déshonore sa 
fille. » Aussitôt donc il accabla de fatigue cet homme et le 
fit s'endormir sans qu’il pûtse réveiller. Quand la fille du 
roi fut entrée et eut vu qu'il dormait, elle le secoua à plu- 
sieurs reprises sans parvenir à lui faire reprendre ses 
sens ; alors elle lui laissa un collier d’une valeur de cent 
mille onces d’or et partit. Quand elle fut partie, cet homme 
putse réveiller et apercut le collier ; il interrogea les gens 
qui étaient là et sut que la fille du roi était venue ; n'ayant 
put obtenir la satisfaction de ses désirs, il en conçut un 
chagrin profond ; le feu de la passion éclata au dedans de 
lui et il mourut consumé. 

Par cet exemple on peut savoir que le cœur des femmes 
ne fait pas de distinction entre ceux qui sont élevés en 
dignité et ceux qui sont de basse condition et qu'il se 
laisse guider seulement par ses désirs sensuels. 











ne RS à 


EXTRAITS DU TCH'OU YAO KING 





N° 495. 


(Trip., XXIV,5, pp. 62 v°-63 v°.) 


Autrefois, Chan-jong, (Excellent visage) (2), frère du roi 
A-yu (Açoka), était sorti de la ville pour aller chasser ; 
étant entré au plus profond des montagnes, il vit des brah- 
manes qui, le corps nu, s’exposaient au soleil et à la pluie 
afin de devenir des bienheureux ; ils épuisaient leur es- 
prit et accablaient de peines leur corps dans l'espérance 
d'obtenir la félicité brahmique ; ils se nourrissaient de 
feuilles d'arbres ; ceux d’entre eux qui avaient les meil- 
leures dispositions d’esprit et qui étaient les plus coura- 
geux ne mangeaient qu'une seule feuille par jour ; ceux 
qui étaient les moins énergiques mangeaient sept feuilles 
par jour ; parmi les autres, il y en avait qui mangeaient 
SiX, OU Cinq, ou quatre, ou trois, ou deux feuilles (3). 
Ceux qui mangeaient sept feuilles buvaient sept gorgées 
d’eau ; ceux qui mangeaient six feuilles buvaient six gor- 
gées ; de même, il y avait ceux qui buvaient cinq, ou qua- 
tre (4), ou trois, ou deux gorgées, ou une seule. Quand ces 

(1) Le Tch'ou yao king est un commentaire du Dhammapada qui fut com- 
posé par le bodhisattva Fa-k'ieou (Dharmatrâta), oncle de P'o-siu-mi (Va- 
sumitra). Le manuscrit fut apporté en Chine par le cramana du Xi-pin 
(Cachemir) Seng-k'ia-po-tch'eng (Samghabhèti) en l’année 383. Il fut traduit 
en chinois en 398 p. C. par Samghabhüti lui-même, assisté de Tchou Fo- 
nien (cf. Nansio, Catalogue, app. II, n°° 54 et 58). Voyez l'analyse de la 
préface de 399 donnée par Nanyio (Calalogue, n° 1321). 

(2) Dans le « Didyâvadâna », ce personnage est appelé Vitàcoka. 

(3) Le texte ajoute « ou une seule feuille »; mais le cas de ceux qui ne 


mangent qu’une seule feuille par jour a déjà été envisagé plus haut. 
(4) Le texte omet le nombre quatre, 


298 TCH'OU YAO KING (N° 493) 


brahmanes ne trouvaient pas d’eau, ils aspiraient sept fois 
de l'air, ousix fois, ou quatrefois, ou troisfois, ou deuxfois, 
ou une fois, suivant le nombre correspondant de gorgées 
d'eau. Parmi ces brahmanes, il y en avait qui couchaient 
sur les épines des broussailles ; d’autres couchaient sur 
un tas de cendres chaudes ; d’autres, sur la pierre ; d’autres, 
dans un mortier. Chan-jong, frère cadet du roi, demanda 
à ces brahmanes : « Quand vous vous livrez ici aux prati- 
ques de la sagesse, de quoi souffrez-vous le plus-? » Les 
brahmanes répondirent : « Sachez, Ô prince, que, lorsque 
nous nous livrons ici aux pratiques de l’ascétisme, notre 
seule peine est celle-ci : des cerfs et des biches viennent 
ici en troupeaux et s’accouplent deux à deux ; alors nos 
désirs sensuels se rallument sans que nous puissions 
l'empêcher. » 

Quand le prince eut entendu cette réponse, il conçut 
une mauvaise pensée (et se dit) : « Ces brahmanes fati- 
_guent leur esprit et accablent de peines leurs corps; ils 
s’exposent à l’ardeur du soleil et se brülent par le feu; 
leur racine de vie est si précaire qu’on ne sait plus si elle 
est ou si elle n’est pas ; cependant leurs désirs sensuels 
ne sont pas encore entièrement supprimés. Or, les çra- 
manas, fils de la race de Câkya, mangent d’excellentes 
nourritures, s'installent sur de bons lits, se vêtent d’ha- 
bits confortables, se parfument avec des fleurs odorantes; 
comment pourraient-ils n'avoir pas des pensées de débau- 
che ? » | 

Quand le roi A-yu (Açoka) fut informé des opinions ex- 
posées par son frère cadet, il en conçut un profond cha- 
grin, car il se disait : « Je n’ai que ce seul frère cadet qui 
doit avoir part au même bonheur que moi; comment se 
pourrait-il faire qu'il ait des idées hérétiques ? Il faut que 
je trouve quelque moyen de lui enlever ces mauvaises 
pensées. S'il recevait la punition que celles-ci méritent, 
moi-même je serais fort coupable. » Il entra alors dans son 











TCH'OU YAO KING (N° 493) 299 


palais et ordonna à toutes les musiciennes de sa suite de 
se parer et d'aller chez le prince Chan-jong pour se livrer 
à la joie avec lui. Il prévint ensuite ses ministres en leur 
disant : « J'ai fait un projet. Quand je vous ordonnerai de 
mettre à mort le prince Chan-jong, adressez-moi des re- 
montrances en m'invitant à lui accorder un délai de sept 
jours au bout desquels vous promettrez de le tuer confor- 


mément à mes ordres. » 


Les femmes de la suite du roi allèrent donc (chez le 
prince Chan-jong) pour s’y livrer aux plaisirs. Mais, peu 


après, le roi survint en personne et ditau prince : « Com- 


ment avez-vous pu prendre mes musiciennes et mes con- 
cubines pour vous amuser avec elles à votre fantaisie » ? 
Dans un transport de colère redoutable, il jeta en l’air son 
disque (Cakra) et donna cet ordre à ses principaux minis- 
tres : « Ne savez-vous pas que je ne suis point encore affai- 
bli par l’âge et qu'aucun brigand du dehors ou ennemi 
puissant n'est venu envahir mon territoire ? Or, j'ai en- 
tendu dire que les sages de l’antiquité avaient ce dicton : 
Tant qu’un homme a du bonheur, les pays compris à l’in- 
térieur des quatre mers se soumettent à lui; mais, quand 
sa part de bonheur est épuisée et que sa vertu a diminué, 
même ceux qui sont pour lui comme ses coudes et ses 
aisselles se révoltent et s’éloignent. Si je considère l’état 
de choses présent, un tel changement ne s’est pas encore 
produit. Cependant monfrère cadet Chan-jong a attiré à lui 
mes musiciennes etmes concubines; il a manifesté qu'il se 
laissait aller à ses passions et obéissait à ses fantaisies. Si 
je le tolère, existerai-je encore ? Vous donc, prenez le prince 
et menez-le sur la place publique pour le faire périr. » 
Ses ministres lui adressèrent des remontrances, disant : 
« Veuillez, 6 grand roi, prêter l’oreille aux paroles de vos 
humbles sujets. Vous n'avez maintenant que ce seul frère 
cadet ; d'autre part, vous n'avez aucun jeune fils qui soit 
capable de vous succéder. Nous souhaitons que vous accor- 


300 TCH'OU YAO KING (N° 493) 


diez un délai de sept jours au bout duquel nous mettrons 
à exécution l’ordre royal. » Le roi accéda alors par son 
silence aux représentations de ses sujets. Puis, faisant mon- 
tre de bienveillance, le roi donna cet ordre à ses minis- 
tres : « J’autorise maintenant le prince à se revêtir de mes 
vêtements, à porter la couronne céleste, à avoir une ma- 
jesté égale de tous points à la mienne. Tout ce qu'il y a 
dans mon palais de chanteuses et de musiciennes se diver- 
tiront avec lui. » D'autre part, il donna cet ordre à un de 
ses officiers : « À partir d'aujourd'hui, mettez votre cui- 
rasse et prenez vos armes ; tenez à la main une épée af- 
filée et allez dire au prince Chan-jong : « O prince, ne 
savez-vous pas qu’au bout de sept jours, le terme arrivera 
Livrez-vous donc de toutes vos forces aux satisfactions des 
cinq sens et réjouissez-vous ; si vous ne le faites pas main- 
tenant, quand vous serez mort les regrets seront inutiles. » 
Lorsqu'un jour fut passé, cet officier alla derechef dire 
au prince : « Il n’y a plus que six jours ». Il en fut de 
même à chaque jour successif et alors cet officier alla dire 
au prince : « Prince, il vous faut savoir que six jours sont 
écoulés. Il ne reste plus que le jour de demain et alors il 
vous faudra aller à la mort. Abandonnez-vous de toutes vos 
forces à vos passions et donnez-vous les satisfactions des 
cinq sens. » 

Quand le septième jour fut venu, le roi fit mander le 
prince par un émissaire et lui dit : « Eh bien, prince, pen- 
dant ces sept jours, tous vos désirs ont été satisfaits ; n'y 
avez-vous pas trouvé grand plaisir ? » Le frère cadet du 
roi répondit à celui-ci : « O grand roi, sachez que je n'ai 
rien vu et rien entendu. » Le roi reprit : « Vous étiez vêtu 
de mes vêtements et de mes ornements; je vous avais 
introduit dans mon harem pour que vous vous y divertis- 
siez avec une foule de musiciennes ; je vous ai nourri de 
mets excellents ; comment pouvez-vous me mentir en face 
en disant que vous n'avez rien vu ni rien entendu ? » Le 


L] 











TCH'OU YAO KING (N° 493) 301 


frère cadet du roi répondit à celui-ci . « Le condamné à 
mort, même avant que sa vie ait pris fin, ne diffère pas 
d’un homme mort. Comment trouverait-il son plaisir dans 
les satisfactions des cinq sens et comment ses pensées se 
plairaient-elles à des vêtements et à des ornements ? » 

Le roi adressa alors ces paroles à son frère cadet : « Hé! 
Voici ce que j'ai à vous apprendre : Maintenant, n'ayant 
qu’un seul corps, vous avez éprouvé cent sortes d’inquié- 
tudes ; parce que ce seul corps allait périr, vous n'avez 
plus pu jouir ni de la nourriture ni du repos. Or les çra- 
manas, enfants de la race de Câkya, sont tourmentés par la 
pensée que dans le passé, le présent et l’avenir, dès qu’un 
de leurs corps sera mort, ils recevront un autre corps et 
que, pendant des myriades de millions de générations, leurs 
corps successifs éprouveront des souffrances ; à combien 
plus forte raison, quand ils réfléchissent à ces peines, 
n'auront-ils pas leur esprit consumé de chagrin ? Parfois 
ils songent qu’ils entreront dans les enfers pour y subir 
des tortures sans limites ; même s'ils en sortent pour reve- 
nir en quelque autre condition parmi les hommes, ils nai- 
tront peut-être dans une famille pauvre où les vêtements 
et la nourriture leur feront défaut. C’est en pensant à toutes 
ces misères qu'ils sont sortis du monde pour entrer en 
religion, qu’ils cherchent à atteindre au but essentiel qui 
est d'échapper au monde sensible pour arriver au non- 
composé (wou-wet). Mais ils savent que, s'ils ne font pas 
des efforts assidus, ils retomberont dans les peines qu’ils 
auront à subir à travers la multitude des kalpas. » 

Alors le prince s’avança et dit au roi : « Maintenant que 
j'ai recu vos instructions, mon intelligence s’est ouverte ; 
la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont véri- 
tablement des tourments intolérables ; les chagrins et les 
souffrances ont un cours ininterrompu; mon seul désir, Ô 
grand roi, est que vous me permettiez d'entrer en religion, 
pour que je m’applique à pratiquer la conduite brahmique. » 


302 TCH'OU YAO KING (N° 493-494) 


Le roi répondit à son frère cadet : « Sachez que le mo- 
ment est venu. » Le prince prit donc congé du roi, sortit 
du monde et devint cramana ; il recut de ses maîtres l’en- 
seignement de la sincérité et, jour et nuit, il s’y appliqua 
sans relâche. Puis il parvint à la conviction et atteignit le 
fruit de srotäpanna et le fruit d’arhat ; la compréhension 
pure des six pénétrations (abhijñâs) lui fut impartie sans 
aucune restriction. 

C’est à des cas comme celui-ci que s'applique le dicton : 
celui-ci qui va de crainte en crainte n’a guère de joie (1). 


N° 494. 


(Trips XX ENV 5, pp:4106 4107 r.) 


Autrefois, dans le royaume de ÆX1-pin (Cachemir), dans 
le village de Æiu-sieou-na-lo (Kusunara) (2), il y avait un 
homme qui se plaisait à rendre service à de méchants im- 
posteurs ; en ce lieu il y avait un temple appelé P’o-p'an-na 
(bhavana) (3), où se trouvait un bhiksu qui constamment 
offrait de l’eau pure à la multitude des religieux ; ce 
bhiksu désira rendre manifeste les tromperies (dont était 
victime cet homme sus-nommé et il résolut de) feindre 
lui-même d’être comme un de ces imposteurs. Il ras- 
sembla les bhiksus de l’a-lien (aranya, ermitage) tous 
revêtus de la robe qui est constituée de cent morceaux et 

(1) Suit la description des tourments qui atteignent les hommes débau- 
chés dans cette vie et après la mort. 

(2) Ce nom de lieu pourrait avoir quelque rapport avec le nom de ja 
rivière actuelle de Kunhar, qu'Alberuni cite sous la forme Kusnäàri (Stein, 
Räjatarangint, vol. II, p. 361). 


(3) Bhavana (demeure) semble avoir été le nom habituel des temples au 
Cachemir; cf. l'Amrtabhavana cité dans la Rjalarangint (tr. Stein. vol. IIT, 


p. % et dans Wou-k'ong sous !a forme A-mi-lo po-wan fn 58 PE JK 
id (cf. Stein. Räjalarangini, vol. II, p. 457). 











De PL TR © 


L'. 


CR SE 


TCH'OU YAO KING (N° 494) 303 


qui a tout autant de couleurs ; il se rendirent dans ce vil- 
lage et eurent une entrevue avec cet homme. Après qu'ils 
se furent réciproquement demandé de leurs nouvelles, 
chacun des bhiksus s’assit de côté; cet homme, versant 
des larmes et prosterné de tout son corps sur le sol, dit à 
ces religieux: « D'où êtes-vous venus pour vous rendre 
dans ma pauvre demeure ? » Les uns répondirent qu’ils 
venaient de l’étang des lotus (1); d’autres, de quelque 
pays étranger ; d’autres encore, des montagnes des rsis 
divins. Cet homme éprouvant pour eux beaucoup d'affec- 
tion et de respect, invita aussitôt les bhiksus en les priant 
de venir manger le lendemain dans son humble demeure. 
Les bhiksus lui répondirent : « Si nous sommes venus ici, 
c'est précisément à cause de vous seul ; maintenant, puis- 
que nous vous avons rencontré, comment accepterions-nous 
l'invitation de quelque autre homme (2) ? Quant à vous, si 
vous désirez chercher à acquérir les bénédictions excel- 
lentes et le champ productif de bonheur qui sont le prin- 
cipe du salut des hommes, grâce à cette promesse que 
vous venez de faire (3), personne ne pourra y réussir mieux 
que vous. » Cet homme alors resta dans sa demeure et 
ordonna à ses divers serviteurs de disposer promptement 
toutes sortes de mets excellents à boire et à manger, en 
leur disant: « Une réunion de religieux, hommesdivins, se 
tiendra dans ma maison; je désire leur donner à manger. » 
Quand le moment fut arrivé, tous les bhiksus firent la dé- 
claration suivante au maître de maison : « O homme sage, 
savez-vous bien ceci? Nous autres, nous passons notre 
vie à étudier depuis déjà plusieurs années; dans notre 
conduite religieuse et dans tous nos actes, nous nous 


(1) L'étang des lotus n’est autre que le lac Volur dont le nâga Padma (lo- 
tus) était la divinité tutélaire (Räjatarangini, chant I, vers 30; CHAVANNES, 
Documents sur les Tou-kiue occidentaux, p. 167). 

(2) En d'autres termes, nous acceptons votre invitation à l'exclusion de 
toute autre, 

(3) La promesse d'inviter les religieux. 


304 TCH'OU YAO KING (N° 494) 


conformons toujours à des règles ; dans notre manière de 
pratiquer la sagesse pendant les six heures de la journée, 
nous ne sommes pas d'accord avec l’usage vulgaire ; nous 
avons l'intention et le désir de nous conduire religieuse- 
ment depuis l'aube jusqu’au soir et depuis le soir jusqu’au 
jour ; ce n’est qu'au moment où le soleil fait son appari- 
tion que nous pouvons mangersans enfreindre la règle. » 
Le président de cette assemblée vint alors dire au dâna- 
pati: « Moi seul on me nomme: celui qui mange dès qu’il 
est assis. Tous les mets que vous nous donnez à manger, 
ainsi que les fruits, apportez-les tous à la fois ; je pronon- 
cerai un vœu magique. » En entendant ces mots, le dâna- 
pati se mit à sauter de joie sans pouvoir dominer son con- 
tentement ; il disposa toutes sortes d'aliments à boire et 
à manger et les jeta dans le bol (de ce religieux) ; en outre 
il mit les fruits au-dessus ets’avança pour recevoir le vœu 
magique ; puis il fit encore au président une offrande spé- 
ciale de gâteaux de beurre et de farine mêlée avec du miel. 
Il espérait que, lorsque ce religieux aurait fini de manger, 
ce qu'il aurait laissé dans son bol, lui-même pourrait le 
manger etobtiendrait ainsi sûrement le bonheur qui y était 
_inhérent. Quand le bhiksu eut reçu la nourriture et eut 
prononcé ie vœu magique, il demanda au dänapati : « Avez- 
vous encore de doux liquides agréable à boire ? » Le dâ- 
napati répondit: « Dans mon humble demeure j'ai plu- 
sieurs sortes de liquides (1): liquides de raisins, de canne 
à sucre, de sucre candi; toutes ces sortes de liquides, je les 
possède ; mais je ne sais, Ô vénérable président, laquelle 
il vous faut. » Le religieux répondit : « Tous les liquides 
que vous venez d'énumérer, depuis ma naissance je n’en 
ai pas bu et ils n’ont jamais passé par ma bouche; le li- 
quide que je vous demande c’est un liquide pur et très 
doux, qui ait été conservé pendant plusieurs années sans 


(1) Les liquides qu'il va énumérer sont des liqueurs non fermentées 
dont l'usage est permis aux religieux. 





TCH'OU YAO KING, (N° 494) 308 


que son goût ait changé (1); voilà ce que je boirais bien ». 
Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il s'en étonna 
fortetse dit: « Hé! Hé! quel malheur produit ces évé- 
nements bizarres ; si j'avais eu cette pensée (de faire une 
offrande), c'est parce que je supposais que ces religieux 
avaient tous obtenu les six pénétrations, pures facultés des 
arhats. Maintenant quand je considère comment ils se 
conduisent, ce sont vraiment de grands voleurs. » Le dâ- 
napati dit alors au religieux : « Depuis ma jeunesse le vin 
n’a pas passé par ma bouche ; comment me permettrais-je 
de présenter en offrande du vin à un religieux.» Le reli- 
gieux prit alors une pièce de monnaie parmi ses chou-la 
(çaläkà) (2) et dit au dânapati: « Si vous n'avez pas de vin 
chez vous, prenez cette pièce de monnaie et allez m’en 
acheter. » Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il 
se boucha les oreilles avec ses mains en s’écriant : « Oh! 
oh! voilà qui est fort étrange. Comment aurais-je pu pen- 
ser que ces religieux portaient sur eux de l'argent pour 
leur subsistance ? Tous ces gens sont des ai-ti (3); 
quels sentiments religieux ont ces prétendus religieux ? » 
Il dit alors au religieux : « Chargez quelque autre de 
votre commission; je ne suis pas votre serviteur pour que 
vous m'ordonniez d'aller acheter du vin dans la boutique 
où on en vend. O religieux lai-li, je n'étais pas d’abord 
bien informé et c’est pourquoi je suis tombé dans votre 
piège ; mais dorénavant je ne me laisserai plus jamais 
tromper par vous.» Le bhiksu lui répondit : « Cessez 
cessez, Ô dânapati, et ne proférez plus de telles calomnies. 
Si nous sommes venus ici, C'est parce que nous voulions 
éclairer votre intelligence ; à plusieurs reprises jusqu’à 


(1) Un liquide conservé est un liquide fermenté, 

(2) Ce mot pourrait être la transcription du terme « çalàkâ » désignant 
les bons de nourriture qu'on donnait aux moines; le religieux a, contrai- 
rement à la règle, des pièces de monnaie dissimulées parmi ces bons. 

(3) Ce terme doit signifier « vaurien » ou quelque chose d’approchant, 


ITL, 20 


306 TCH'OU YAO KING (N° 494) 


maintenant vous avez dépensé vos richesses pour faire des. 
libéralités sans rencontrer celui qui les méritait. O dâna- 
pati, si vous voulez bien me préter attention, écoutez 
l'anecdote que je vais vous raconter. » L'autre ayant. 
donné son approbation et exprimé son désir de lentendre, 
(le bhiksu dit) : 

« Écoutez donc bien. Il y avait une fois un excellent 
archer ; quand il tirait sur un poil à cent pas de distance, 
parfois il l’atteignait; mais parfois il allait trop haut, ou 
trop bas, ou trop à gauche, ou trop à droite et n’atteignait. 
pas son but; au contraire, quand la terre lui servait de 
but et qu'il tirait sur elle, que ses flèches allassent en 
haut ou en bas, à l'est ou à l’ouest, au sud ou au nord, 
elles atteignaient toujours le but et ne manquaient jamais 
laterre. Maintenant, cette grande assemblée (de religieux) 
est, elle aussi, comparable (à la terre); si on ne choisit pas 
celui à qui on fait des libéralités, on ne peut manquer de 
rencontrer l’homme qui en est digne; si, au contraire on 
choisit l’homme à qui on fait des libéralités, parfois on 
rencontre celui qui en est digne, mais le plus souvent on 
fait des dépenses inutiles sans en tirer aucun profit. Dans 
la grande assemblée, les quatre fruits (de la sainteté) se: 
trouvent au complet ; les quatre paires ou huit catégories. 
et les douze sortes de sages y sont tous représentés (1). 
Si vous voulez recueillir des joyaux, il vous faut aller 
sur la grande mer et vous rendre à la montagne précieuse 
Siu-mi (Sumeru) ; de même, si vous désirez trouver 
un homme sage, un arhat ayant obtenu la sagesse, il! 
vous faut aller dans la grande assemblée. O dânapati, 
écoutez-moi bien, je vais vous dire une autre histoire ; 

(1) Les quatre fruits (pala) sont les fruits d'arhat, sakrdägàmin, anû- 
gâmin et srotäpanna. Les huit catégories de sainteté (âryapudgala) sont 
ces même quatre termes dédoublés de façon à former chacun une paire 


dont un des aspects est la voie (màärga) et dont l'autre aspect est le fruit 
(pala). Quant aux douze sages,leur nombre paraît résulter de la totali- 


sation des deux nombres 8 et 4 qui le précèdent. 








TCH'OU YAO KING (N° 494) 307 


ouvrez votre intelligence pour la recevoir ; l’homme clair- 
voyant parvient à comprendre par le moyen des apo- 
logues. 

« Autrefois, dans ce noble pays, il y avait un voyageur 
qui s'était rendu avec un compagnon dans l'Inde du Sud ; 
là-bas, il entretint des relations avec la fille d'un magicien 
chô-p'o-lo (çavara) ; or, toutes les fois que cet homme cor- 
cevait le désir de retourner chez lui, il se trouvait tout à 
coup métamorphosé en âne et ne pouvait plus revenir. 
Son compagnon lui dit (un jour): « Nous sommes éloignés 
de nos familles depuis de nombreuses années et nous 
n'avons jamais eu aucune nouvelle de ce qui a pu s’y pas- 
ser soit en bien soit en mal. Quel est votre avis ? Désirez- 
vous retourner chez vous ? Si vous voulez partir, c’est le 
moment de faire des préparatifs. » Cet homme répondit: 
« Par suite de mon manque de prévoyance, je me suis 
laissé aller à contracter un fâcheux attachement et j'ai des 
relations avec la fille d’un magicien ; chaque fois que l’idée 
me vient de désirer m'en retourner, elle me métamorphose 
en âne ; toute mon intelligence est alors bouleversée ; 
le ciel et la terre ne forment plus pour moi qu’un ensemble 
confus je ne distingue plus l’est et l’ouest, le sud etle nord, 
et c'est pourquoije ne puis parvenir à m'en retourner » Son 
compagnon répliqua: « Comment votre sottise peut-elle 
être si grande ? Au sommet de ces montagnes du Sud se 
trouve une plante appelée {cho-lo-po-lo (talapâla) (1) ; quand 
un homme est opprimé par un sortilège, il n'a qu'à man- 
ger cette plante médicinale pour reprendre sa forme pre- 
mière, » L'autre répondit : « Je ne sais pas distinguer cette 
plante; comment la reconnaîtrai-je ? » Son compagnon lui 
dit: « Mangez successivement toutes les plantes et il fau- 
dra bien que vous rencontriez celle-là. » Cet homme sui- 
vit cet avis et se conforma à ces instructions ; quand il fut 


(1) La restitution de ce terme sanscrit nous est garantie par le diction- 
naire Fan fan yu. 


308 TCH'OU YAO KING (N° 494) 


changé en âne, il se rendit dans les montagnes du Sud, 
mangea sucessivement de toutes les sortes de plantes et 
reprit la forme humaine ; il rassembla alors des joyaux 
merveilleux et des objets précieux extraordinaires, puis, 
avec son camarade, il revint paisiblement chez lui. 

« O dânapati, il vous faut savoir que le cas présent est 
tout semblable. Les hommes stupides ont une foi qui veut 
atteindre son but tout droit et du premier coup ; pour faire 
des libéralités, ils recherchent un arhat ayant obtenu la 
sagesse, pensant que, dans la journée même, ils pourront 
avoir le fruit (de sainteté); mais ils cherchent partout sans 
jamais pouvoir le rencontrer. Celui qui désire pouvoir 
trouver un arhat vraiment digne (des libéralités qu'on lui 
fera) doit le chercher dans la grande assemblée ; en faisant 
des offrandes successivement à chacun des membres de 
cette assemblée il ne peut manquer de rencontrer des 
hommes sages et saints et il obtiendra sans aucun 
doute le fruit (de sainteté). » 








À 
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EXTRAITS DU FA KIU P’I YU KING (1) 





N° 495. 


(Trip., XXIV, 6, pp. 64 v°-65 r°.) 


Autrefois le Buddha se trouvait à Râjagrha (Lo-yue- 
iche) dans le Jardin des bambous ; il se rendit avec ses 
disciples dans la ville pour y recevoir l’aumône ; quand 
il eut fini d'expliquer la Loi, entre trois et cinq heures de 
l'après-midi, il sortit de la ville ; sur la route il rencontra 
un homme qui poussait devant lui un grand troupeau de 
bœufs et qui se disposait à rentrer dans la ville ; gras et 
repus, ces bœufs bondissaient et se frappaient les uns les 
autres avec leurs cornes; alors l'Honoré du monde pro- 
nonça ces stances : 

Comme cel homme qui branditl un bâlon — pour con- 
duire les bœufs à la boucherie, — ainsi sont la vieillesse el 
la mort; — car pour l'homme aussi, après qu'il a élé nourri, 
la vie S'en va. 

Sur des centaines et des milliers de personnes 1l n’y en a 
pas une, — homme ou femme el de quelque famille qu’elle 
soit, — qui, après avoir ramassé des richesses, -- ne doive 
s’affaiblir et périr. 


(1) Le Fa kiu p'i yu king (Nanjio, n° 1353), a été traduit par les cramanas 
Fa-kiu et Fa-li entre 265 et 316 p. C. C'est un texte du Dhammapada où 
les stances sont accompagnées d’un certain nombre d'avadänas. Sous Île 
titre The Dhammapada from the Buddhist Canon, Beal a traduit la partie 
versifiée de cet ouvrage; mais il s'est borné à donner des analyses de 
quelques-unes des paraboles qui y sont contenues. 


310 FA KIU P'I YU KING (N° 495) 


Pour les êtres vivants, jour et nuil, — leur vie d'elle- 
même se détruil; — l’exlinction produite par la vieillesse — 
est semblable à l'infiltration de l’eau dans un trou. 

Quand le Buddbha fut arrivé dans le Jardin des bam- 
bous, il se lava les pieds et s’assit. Ânanda s’avança alors, 
se prosterna et demanda à l’Honoré du monde : « Naguère, 
sur la route, vous avez prononcé ces trois stances ; je n’en 
ai pas bien vu le sens; je désire que vous me fassiez la 
grâce de me les expliquer. » Le Buddha dit à Ânanda : 
« Avez-vous vu cet homme qui chassait devant lui un trou- 
peau de bœufs ? » Ânanda ayant répondu qu'il les avait 
vus, le Buddha reprit : « Ce troupeau de bœufs qui appar- 
tient à un boucher comptait au début mille têtes de bétail ; 
le boucher charge chaque jour un homme de les mener 
hors de ville et de chercher de bonne eau et d'excellents 
pâturages afin qu’ils deviennent gros et grands ; puis on 
choisit les plus gras d’entre eux et on les lui amène cha- 
que jour pour qu’il les tue ; plus de la moitié d’entre eux 
ont été ainsi tués ; cependant ceux qui restent ne se sont 
aperçus de rien; ils sont justement en train de se donner 
des coups de corne, de bondir et de mugir. J’ai été affligé 
de leur manque de sagesse et c’est pourquoi j'ai prononcé 
ces stances. » 

Le Buddha dit à Ânanda : « Comment ne s’agirait-il 
que de ces bœufs ? Pour les hommes il en va de même. 
Ils ne pensent qu'à leur moi etne connaissent pas l'imper- 
manence universelle ; ils satisfont gloutonnement les dé- 
sirs de leurs cinq sens et nourrissent bien leur corps; ils 
réjouissent leur cœur et donnent toute satisfaction à leurs 
désirs ; ils se nuisent les uns aux autres ; jamais ils ne 
s'accordent, même provisoirement, eten définitive ils en 
arrivent à ne trouver jamais le moment (où ils vivront en 
bonne harmonie). Dans leur aveuglement ils ne s’aper- 
coivent de rien; en quoi diffèrent-ils de ces bœufs ? » En 
ce temps, dans l'assemblée, il y avait deux cents bhiksus 








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FA KIU P'1 YU KING (N° 495-496) 311 


avides de jouissances, qui, après avoir entendu la Loi, 
firent tous leurs efforts pour atteindre les six pénétrations 


-surnaturelles et obtinrent la dignité d’arhat. Tous les as- 


sistants, émus et joyeux, rendirent hommage au Buddha. 


N° 496. 


(Frips KV 06; pr 68 1) 


Autrefois le Buddha se trouvait dans la montagne 


K'i-tou-k'iu (Grdhraküta) de ZLo-yue-iche (Râjagrha). En 


ce temps, dans cette ville, il y avait une courtisane nommée 
Fleur de Lotus; elle était d’une beauté remarquable et 
n'avait pas son égale dans tout le royaume. Tous les 


jeunes gens des principales familles la recherchaient et 


l’admiraient. Or, un jour, Fleur de Lotus conçut une ex- 
cellente pensée ; elle voulut renoncer aux choses de ce 
monde et devenir. bhiksunï ; elle se rendit donc dans la 
montagne pour aller auprès du Buddha. Avant qu'elle fût 


arrivée à mi-chemin, elle rencontra une source d’eau vive ; 


Fleur de Lotus but de l’eau et se lava les mains ; elle 
aperçut son visage dont le teint était rose et animé, ses 
cheveux qui étaient de couleur foncée, les formes de son 
corps et de sa figure qui étaient parfaites, tout cela étant 
unique et ne souffrant aucune comparaison ; elle se repen- 
tit alors et dit : « Quand une personne est née dans le 
monde avec un tel corps, comment pourrait-elle renoncer 
à elle-même pour se faire çramana ? Il me faut profiter du 
moment présent pour satisfaire mes désirs personnels. » 
Ayant fait ces réflexions, elle revint sur ses pas. 

Le Buddha savait que Fleur de Lotus devait étre con- 
vertie et sauvée ; il créa donc miraculeusement une femme 
plus belle que toutes les autres et qui même l’emportait 


312 FA KIU P’I YÙ KING (N° 496) 


plusieurs millions et myriades de fois sur Fleur de Lotus ; 
cette femme vint sur le chemin au-devant de Fleur de 
Lotus ; quand celle-ci la vit, son cœur fut plein d’amour 
et de respect; elle demanda aussitôt à la femme miracu- 
leuse d’où elle venait, et où se trouvaient son mari, ses 
fils, son père, ses frères ainés et ses parents en ligne mas- 
culine et en ligne féminine, comment il se faisait qu’elle 
marchait seule et sans personne à ses côtés pour l’accom- 
pagner. La femme miraculeuse lui répondit : « Je viens de 
la ville ; je désire retourner chez moi; bien que nous ne 
nous connaissions pas, ne vaut-il pas mieux que nous re- 
venions ensemble, et, quand nous serons arrivés auprès 
d'une source, que nous nous reposions en causant ? » Fleur 
de Lotus donna son assentiment ; toutes deux donc revin- 
rent de compagnie et arrivèrent auprès d’un ruisseau ; 
elles bavardèrent sur mille détails. Cependant la femme 
miraculeuse éprouva le besoin de dormir, et, appuyant sa 
tête sur les genoux de Fleur de Lotus, elle s’endormit ; 
au bout d’un instant, soudain sa vie s’interrompit; elle 
enfla et exhala une odeur putride ; son ventre creva et des 
vers en sortirent; ses dents tombèrent, ses cheveux se 
détachèrent, ses membres se disjoignirent. En voyant 
cela, Fleur de Lotus fut saisie d’une grande crainte et dit: 
« Comment se fait-il qu’une si belle femme soudain ait 
subi la loi de l’impermanence ? S'il en a été ainsi pour 
elle, comment moi-même pourrai-je me conserver long- 
temps? C'est pourquoi donc, il faut que j'aille auprès du 
Buddha et que je déploie toute mon énergie pour étudier 
la sagesse ». Elle se rendit alors auprès du Buddha et se 
jeta à terre tout de son long ; quand elle eut terminé ses 
adorations, elle raconta au Buddha tout ce qu'elle avait 
vu. Le Buddha dit à Fleur de Lotus : « Il y a quatre choses 
en lesquellesl’homme ne saurait mettre son appui ; quelles 
sont ces quatre choses? Ce sont : 1° la jeunesse, car elle 
doit aboutir à la vieillesse ; 2° la vigueur, car elle doit 











PT AO EE ENT EUR PEN VE 


FA KIU P’I YU KING (N° 496) 313 


aboutir à la mort ; 3° Les joies qu’on éprouve en étant réuni 
avec ses parents aux six degrés, car on devra s’en sépa- 
rer ; 4° les richesses accumulées, car elles doivent néces- 
sairement être dispersées. » Puis l’'Honoré du monde pro- 
nonça ces gâthàs : | 

Par la vieillesse, la beauté se flétrit ; — par la maladie, 
on se détruit soi-même ; — le corps est brisé et se pourrit; — 
voilà ce qui arrive quand la vie a pris fin. 

Ce corps, quelle en est l'utilité? — Il a constamment des 
endroits qui laissent échapper de mauvaises odeurs; — il 
est accablé par la maladie ; — il est tourmenté par la vieil- 
lesse et par la mort. 

Quand on donne satisfaction aux désirs charnels, — la 
violation de la Loi s'en trouve augmentée ; — sans même 
qu'on voie ou qu'on entende aucun changement, — la vie 
humaine manifeste son impermanence (1). 

Il n'y a plus alors de fils sur lequel on puisse s'appuyer, 
— ninon plus de père ou de frère aîné; — quand on est 
serré de près par la mort, — il n'y a point de parent qui 
puisse vous secourir. 

Ayant entendu la Loi, Fleur de Lotus en comprit avec joie 
l'explication ; elle vit que le corps était comme quelque 
chose qui se transforme, que la vie ne pouvait pas durer 
longtemps. Il n’y a de perpétuel et de calme que la sa- 
gesse, la vertu et le Nirvâna. Alors donc elle s’avança et 
exprima au Buddha son désir d’être bhiksuni. Le Buddha 
l’approuva. Aussitôt les cheveux de sa tête tombèrent 
spontanément etelle devintune bhiksunï; elle se plongea 
dans la contemplation correcte et obtint la dignité d’arhat. 

Tous les assistants, après avoir entendu ce qu'avait dit 
le Buddha, furent joyeux. 


(1) C'est-à-dire que la mort survient. 


314 FA KIU P'I YU KING (N° 497) 


N° 497. 


(Trip., XXIV, 6, p. 68 r°-v°.) 


Autrefois, au sud-est du royaume de Chü-wer (Crâvasti) 
il y avait un grand fleuve ; les ondes en étaient profondes 
et larges ; plus de cinq cents familles habitaient sur ses 
bords; mais elles n’avaient point encore entendu parler de 
la pratique de la sagesse et de la vertu qui sauve le monde ; 
elles se livraient à des actes de violence et cherchaient 
constamment à tromper autrui; elles étaient avides de 
gain et s’abandonnaient à toutes leurs passions ; elles 
réjouissaient leur cœur et concevaient des désirs immo- 
dérés. L’Honoré du monde songeait constamment qu'elles 
devaient être sauvées et qu'il lui fallait aller les sauver ; 
il savait que ces diverses familles avaient ce bonheur 
qu'elles devaient être sauvées. Alors donc le Buddha alla 
au bord du fleuve ets’assit sous un arbre ; les gens de ce 
village, voyant la marque distinctive de l'éclat du Buddha, 
furent émerveillés et il n’y eut aucun d'eux qui ne fût pé- 
nétré de respect; tous allèrent lui rendre hommage, les 
uns en se prosternant, les autres en le saluant, les autres 
en lui demandant de ses nouvelles. Le Buddha leur ordon- 
na de s'asseoir et leur expliqua la doctrine deslivres saints; 
quand ces hommes l’entendirent parler, ils ne le crurent 
point dans leurs cœurs ; ils étaient en effet accoutumés au 
mensonge et à la négligence et n’ajoutaient point foi aux 
paroles véridiques. Le Buddha créa alors miraculeusement 
un homme qui vint du Sud du fleuve ; ses pieds mar- 
chaient sur l’eau et c’est tout juste s'il enfonçait jusqu’à la 
cheville ; il vint devant le Buddha, se prosterna la tête 
contre terre et l'adora; tous les hommes en furent témoins 
etiln'y eut aucun d'eux qui n’en füt stupéfait; ils deman- 








FA KIU P'I YU KING (N° 497) 315 


dèrent à l’homme miraculeux : « Nos familles, depuis nos 
premiers ancêtres, demeurent au bord de ce fleuve; or 
nous n'avons jamais entendu dire qu'un homme ait mar- 
ché sur les eaux; qui donc êtes-vous et quelle est votre 
recette magique pour marcher sur les eaux sans enfoncer ? 
Nous désirons en savoir l'explication.» L'homme miracu- 
leux leur répondit : « Je suis un homme simple et igno- 
rant du Sud du fleuve ; ayant entendu dire que le Buddha 
se trouvait ici, j'ai été avide de me réjouir de sa sagesse 
et de sa vertu ; quand je suis arrivé sur la rive méridio- 
dale, ce n'était pas l’époque où le fleuve était guéable ; 
mais je demandai aux gens qui étaient sur cette autre 
rive quelle était la profondeur de l’eau, ils me répondirent 
que l’eau me monterait jusqu'à la cheville et que rien ne 
m'empécherait de passer. J’ajoutai foi à leurs paroles et je 
suis donc venu en traversant (le fleuve) ; je n'ai aucune 
autre recette extraordinaire. » Le Buddha le loua en lui di- 
sant : « Très bien ! très bien ! En effet, l’homme qui a foi 
dans les vérités absolues peut traverser le gouffre des 
naissances et des morts ; qu’y a-t-i! donc d’extraordinaire 
à ce qu'il puisse traverser un fleuve de quelques A de 
large. » Alors le Buddha prononça ces stances : 


La foi (çraddhà) peut traverser le gouffre; — les sam- 
grahavastu (1) symbolisent celui qui dirige le baleau ; — 
l'énergie (virya) écarte les souffrances ; — la sagesse 


(Prajñd) arrive à l'autre rive (1). 

Quand un homme se conduit avec foi, — il est approuvé 
par les saints ; — celur qui se plail dans la simplicité abso- 
lue (asamskirta) —est délivré de tous ses liens. 

La foi certes obtient la sagesse — el la sagesse produit le 
nirvâna ; — c’est parce qu'on a entendu (la Loi) qu'on 


(1) Les quatre samgrahavastu sont les quatre moyens d'attirer autrui à 
soi et, par là, à la religion. La Mahâvyutpatlti ($35) les énumère comme 
suit : däna (libéralité), priyavâdita(bonne parole), arthataryà (pratique de 
ce qui est avantageux à autrui), samänàärthalà (identité d'intérêts). 


316 FA KIU P'I YU KING (N° 497) 


acquiert l'intelligence, — et alors, partout où l'on va, on est 
éclairé. 

Par la foi, ainsi que par l'observation des défenses, — 
parce qu'il a l'esprit inlelligent et parce qu’il peut agir, — 
un homme vaillant traverse les haines, — et c'est ainsi qu’il 
échappe au gouffre. 

En entendant ce que disait le Buddha, et en voyant la 
preuve de sa véracité, les gens de ce village sentirent leur 
cœur s'ouvrir et leur foi s’affermir ; tous recurent les cinq 
défenses et devinrent des hommes purs et croyants. Leur 
foi éclairée se développa de jour en jour ; l’enseignement 
de la Loi se répandit partout. 








SUTRAS DIVERS 





N° 198 


SÛTRA DES DIX RÊVES DU Ro1 POU-LI-SIEN-NI 


(PRASENAJIT) (1). 


(Trip AI pp MEANS) 


Voici ce que j'ai entendu (raconter): Une fois le Buddha 
se trouvait à Grâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin 
d'Anâthapindada. En ce temps, le roi Pou-li-sien-ni (Prase- 
najit), tandis qu’il était couché pendant la nuit, vit en rêve 
dix choses, Quelles étaient ces dix choses ? Premièrement, 
il vit en rêve trois jarres réunies ; les deux jarres latérales 
étaient pleines de vapeurs qu'elles émettaient et se pas- 
saient de l’une à l’autre dans les deux sens, mais (les va- 
peurs) n’entraient point dans la cruche du milieu qui res- 


(1) Ce texte se présente dans le Tripitaka chinois en quatre rédactions. 
L'une d'elles (Trip., XII, 4, pp. 42 v°.-43 r°), qui est quelque peu abrégée, 
n'existe que dans l'édition de Corée etest donc omise dans le catalogue 
de Nanjio; elle est intitulée : Fo chouo chô wei kouo wang che mong king; 
on ne sait pas quel est le nom du traducteur, mais on admet qu'il devait 
vivre à l'époque des Tsinoccidentaux (265-316 p. C.) Une seconde rédac- 
tion (Trip., XII, 3, pp. 67 v°-68 r°)se trouve à la fin du Tseng a han king 
(Ekottarâgama sûtra; Nanjio, Cataloque,n° 543 [52])), traduit en 384-385 par 
Dharmanandi (Nanjio, Catalogue, App. IT, n° 57). Une troisième rédaction 
(Trip., XIL, 4, p. 11 v°-42 r°) est le ChûÜ wei kouo wang mong kien che che 
king (Nanjio, Catalogue, n° 631), ou « sûtra des dix choses que vit en songe 
le roi de Çrâvasti »; on ne sait pas qui est l’auteur de cette traduction. 
Enfin une quatrième rédaction (Trip. XII, 4, pp. 43 v°-44 r°), qui est celle 
que nous traduisons ici, est le Xouo wang pou li sien ni che mong king 
(Nanjio, Catalogue, n° 632), ou « Sûütra des dix rêves du roi Prasenaïjit »; 
cette version fut faite entre 381 et 395 p. C. par T'an-wou-lan [Nanjio, 
Catalogue, App. IT, n° 38). 


318 SÛTRAS DIVERS (N° 498) 


tait vide. Secondement, il vit en rêve un cheval qui man- 
geait par la bouche et qui mangeait aussi par le 


fondement. Troisièmement, il vit en rêve un petitarbre (1) 
qui portait des fleurs, Quatrièmement, il vit en rêve un 
petit arbre qui produisait des fruits. Cinquièmement il vit 
en songe un homme qui fabriquait une corde ; derrière 
l’homme se trouvait un mouton; le maître du mouton man- 
geait la corde (2). Sixièmement, il vit en rêve un renard 
assis sur un lit d’or et mangeant dans de la vaisselle en or. 
Septièmement, il vit en rêve une grande vache qui, con- 


(1) Cette leçon est aussi celle du n° 631 de Nanjio. Mais les deux 
autres textes donnent la leçon «un grand arbre ». La leçon « un petit 
arbre » est préférable puisque, dans l'interprétation qui est donnée de ce 
songe, l'arbre représente des jeunes hommes. 

(2) Dans le Mahäsupina-jâtaka (Jàätaka, n° 77), l'animal qui dévore la 
corde au fur et à mesure est un chacal femelle(voyez aussi SPENCE HARDY, 
Manual of Buddhism p. 305). — RousEe (A Jâtaka in Pausianas, dans la 
revue folklore, vol. 1, 1890, p. 409) a été le premier à signaler le parallé- 
lisme de ce texte avec une légende grecque: décrivant la peinture des 
enfers par Polygnote, Pausanias dit: (X, 29, 2; voyez J. G. FRAZER, Pau- 
sanias, Vol. V, p. 376; Edinburgh Review, avril 1897, p. 458; Journal Hellenic 
Studies, vol. XIV, p. 81): « Plus loin, un homme est assis; une inscription 
nous apprend qu'il s'appelle Oknos. Il est représenté tenant une corde ; 
auprès de lui se tient une ânesse qui dévore furtivement la corde à 
mesure qu’il la tresse. Cet Oknos était, dit-on, un homme laborieux, mais 
il avait une femme dépensière qui en peu de temps dépensait tout ce 
qu'il avait gagné par son travail; on veut donc que, dans ce tableau, 
Polygnote ait fait allusion à la femme d'Oknos. Pour moi, je sais que les 
Ioniens disent d’un homme occupé à une tâche inutile : « Il tresse la 
corde d'Oknos. » — Si nous n'avons plus la peinture de Polygnote, nous 
possédons cependant une demi-douzaine de représentations antiques 
d'Oknos et de son ânesse; on peut voir deux d'entre elles reproduites 
dans l’article sur Oknos qu'a écrit M. Hôfer pour le Ausfürliches Lexikon 
der Griechischen und Rümischen Mythologie de Roscuer. La présence de 
l'âne dans la légende grecque, au lieu du chacal ou du mouton de la tra- 
dition indienne, peut s'expliquer par la quasi-homophonie des mots oknos 
et onos. — Au témoignage de Diodore de Sicile (I. 2 97), la légende d'Oknos 
se retrouvait en Égypte sous la forme d’un rite : « Dans la cité d'Acan- 
thes, au delà du Nil, vers la Lybie, à cent vingt stades de Memphis, il y a, 
dit-on, une grande jarre percée dans laquelle trois cent soixante prêtres 
viennent chaque jour apporter de l’eau du Nil; en outre, dans une fête 
publique qui se célèbre non loin de là, on représente en action le mythe 
d'Oknos sous la forme d'un homme qui tresse le bout d'une longue 
corde tandis que plusieurs hommes, placés derrière lui, défont ce qu'il a 
tressé. » 





| 
Fe 





SÜTRAS DIVERS (N° 498) 319 


trairement à ce qui aurait dû être, tétait un veau. Huitiè- 
mement, il viten rêve quatre bœufs qui venaient en mugis- 
sant des quatre côtés de l'horizon et accouraient l’un vers 
l’autre pour se battre ; au moment oùils allaient se joindre, 
mais ne s'étaient pas encore joints, il ne sut où ils étaient 
allés (1). Neuvièmement, il vit en rêve un grand étang en- 
touré de berges, où l’eau était trouble au milieu et claire 
sur les quatre bords. Dixièmement, il vit en rêve un grand 
torrent qui coulait absolument rouge. 

Quand le roi eut rêvé ces choses, il se réveilla aussitôt et 
craignit fort de perdre son royaume, sa propre personne, ses 
femmes et ses enfants. Le lendemain, il appela les grands. 
ministres, les hauts dignitaires, ainsi que tous les reli- 
gieux qui savaient expliquer les songes ; il leur demanda: 
« Hier, pendant la nuit, j'étais couché et j'ai vu en songe 
dix choses. Après avoir fait ces rêves, je me suis réveillé: 
j'ai eu peur et mon esprit a été sans joie. Qui peut m’ex- 
pliquer ces songes ?» Parmi les religieux il y eutunbrah- 
mane qui dit : « Je puis les expliquer à Votre Majesté, 
mais je crains que lorsque, vous m'aurez entendu, vous ne 
soyez affligé et mécontent. » Le roi répliqua : « Ce que 
vous voyez, exposez-le aussitôt et ne me taisez rien. » Le: 
brahmane dit : « O roi, des rêves que vous avez eus, 
chacun est mauvais et ne présage rien de bon. Il vous 
faut prendre ce qui vous est le plus cher, votre femme 
et votre héritier présomptif, ainsi que les serviteurs. 
et les esclaves attachés à votre personne et les tuer tous 
pour les sacrifier au ciel. Alors vous pourrez n'avoir 
rien d'autre (à redouter). Toute votre literie, 6 roi, ainsi 


. que tous les joyaux et les objets de prix que vous avez 


sur votre corps, il vous faut les brüler pour les sacrifier 
au ciel. De cette facon, Ô roi, vous pourrez personnelle- 
ment n'avoir rien d'autre (à redouter) ». Ayant entendu. 


(1) C'est-à-dire que les bœufs disparurent subitement. 


320 SÛTRAS DIVERS (N° 498) 


l'explication que le brahmane donnait de ses songes, le 
roi fut extrémement affligé et mécontent ; il se retira 
dans la chambre d’abstinence pour songer à ces choses. 

Or le roi avait une épouse principale nommée Mo-ni (1) 
qui se rendit auprès de lui et lui demanda: « Pourquoi 
êtes-vous entré dans la chambre d’abstinence, et pourquoi 
êtes-vous affligé et mécontent? Ai-je commis quelque 
faute envers Votre Majesté ? » Le roi répondit: « Vous 
n'avez commis aucune faute envers moi; c'est. de mon 
propre mouvement que je m'’afflige. » La reine lui demanda 
encore : « Quelle est, Ô roi, la cause de votre affliction ? » 
Le roi répliqua : «Ne me le demandez pas; si vous l’appre- 
niez, vous ne seriez point heureuse ». Sa femme reprit: 
« O roi, je suis la moitié de votre corps; qu’il y ait du bien 
ou du mal, vous devez me le dire; pourquoi ne me le dites- 
vous point ?» 

Le roi dit à sa femme : « Hier, pendant la nuit, j'ai vu 
en rêve dix choses ; après avoir fait ces rêves, je me suis 
réveillé et j'ai ressenti une grande tristesse et une grande 
frayeur, car je craignais de perdre mon royaume, ainsi que 
moi-même, mes femmes et mes enfants. J'ai convoqué tous 
les ministres, les hauts dignitaires et la multitude des 
religieux pour m'interpréter les dix choses que j'avais 
vues en songe ; or 1] y eut un brahmane qui m'expliqua 
ce rêve en me disant : « Il vous faut prendre tous les 
êtres qui vous sont chers, votre femme, votre héritier pré- 
somptif, ainsi que les serviteurs et les esclaves attachés 
à votre personne, votre éléphant blanc, votre cheval 
renommé, et les immoler tous pour les sacrifier au ciel ; 
de même encore toute votre literie, ainsi que les joyaux 
précieux que vous avez sur votre corps, devront être entiè- 
rement brülés en sacrifice au ciel : alors votre personne, 6 


(1) Tous les autres textes donnent la leçon Mo-li qui est préférable, 
puisquele nom de la reine doitêtre Mâlikà (BENFEY, Pantschatantra, vol. I, 
p. 587,n° 1) ou Mâlini (SPENCE Harpy, Manual of Buddhism, p. 304). 





SÛTRAS DIVERS (N° 498) 321 


roi, pourra rester saine et sauve. » Voilà pourquoi je m’af- 
flige et n’ai plus aucune joie. » 

Sa femme lui répondit: «O roi, ne vous désolez pas. 
Quand un homme achète de l'or, il Le frotte sur la pierre 
(de touche), et alors, belle ou laide, bonne ou mauvaise, 
la couleur de cet or se révèle sur la pierre. Maintenant le 
Buddha est près d'ici, dans un vihâra qui n’est pas éloigné 
de la ville; pourquoi n’allez-vous pas le consulter sur la 
signification de vos songes? vous vous conformerez aux 
explications que vous fournira le Buddha. » 

Le roi donna aussitôt des ordres aux officiers de sa 
suite pour qu'on équipât son char, puis il sortit pour 
aller auprès du Buddha ; on arriva à un sentier de piétons; 
le roi descendit alors de son char ets’avança jusqu’auprès 
du Buddha ; il posa son visage sur les pieds du Buddha, 
puis il recula, s’assit et lui dit : « La nuit dernière, j'ai 
vu dix choses : premièrement j'ai vu en rêve trois jarres 
réunies (1)... Voilà ce que je vis en songe, et quand je 
m'éveillai, j’eus grand peur ; je craignis de perdre mon 
royaume, ainsi que ma personne, mes femmes et mes 
enfants. Que le Buddha m'explique le sens des dix choses 
que j'airêvées; mon désir estd’entendredes instructions. » 

Le Buddha lui répondit : « O roi, ne vous tourmentez 
pas. Ce que vous avez rêvé ne tire pas à conséquence ; ce 
que vous avez rêvé concerne des choses futures qui se 
passeront dans les générations à venir, mais ne se rap- 
porte pas à la génération présente. » Le Buddha continua: 
« Dans les générations à venir, les hommes ne craindront 
pas les interdictions que prescrit la Loi ; ils seront débau- 
chés,avides,envieux et insatiables ; ils auront peu de justice 
et de raison, et leur cœur sera sans aucune bienveillance ; 
ils se complairont dans la colère et ne sauront pas avoir 
de bonté. » 


(1) Répétition de ce qui a été dit dans les pp. 317-319. 
ILE. 21 


322 SÛTRAS DIVERS (N° 498) 


Le Buddha dit encore : « Dans votre premier rêve vous 
avez vu trois jarres réunies; les deux jarres latérales étaient 
pleines de vapeur qu'elles émettaient et se passaient de 
l'une à l’autre dans les deux sens, mais (ces vapeurs) n’en- 
traient pas dans la cruche du milieu qui restait vide. 
(Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, 
les hommes qui seront puissants et élevés en dignité se 
rechercheront et se suivront les uns les autres, mais ne 
jetteront pas leurs regards sur les pauvres gens. Voilà 
exactement, ô roi, ce que représentait le groupe des trois 
cruches que vous vites en songe. O roi, ne craignez point; 
cela ne concerne en rien ni votre royaume, ni votre fils 
héritier, ni votre épouse. » 

Le Buddha dit ensuite : « Dans votre second rêve, à roi, 
vous avez vu un cheval qui mangeait par la bouche et qui 
mangeait aussi par le fondement. (Voici ce que cela si- 
gnifie :) Dans les générations à venir, les souverains et les 
‘principaux ministres tireront leur nourriture des greniers 
publics; mais les fonctionnaires locaux qui ont des 
appointements pressureront néanmoins le peuple et ne se- 
ront jamais satisfaits. Voilà exactement (1)... » 

Le Buddha dit: « Dans votre troisième rêve vous avez 
vu un petit arbre qui portait des fleurs. (Voici ce que cela 
signifie :) Dans les générations à venir, les hommes, avant 
même d'avoir atteint leur trentième année, auront des 
cheveux blancs sur la tête; à cause de leur soif de dé- 
bauche et de leur excès de passions, ils seront forcément 
vieux dès leur jeunesse. Voilà exactement... » 

Le Buddha dit : « Dans votre quatrième rêve, à roi, vous 
avez vu un petit arbre qui produisait des fruits. (Voici ce 
que cela signifie :) Dans les générations à venir, les 
filles, avant même d’avoir atteint leur quinzième année, 
feront comme si elles étaient mariées; elles tiendront 


(1) Répétition, mutatis mulandis, de ce qui a été dit dans les lignes 9-13 
ci-dessus 


ML si 
de. L 


SÛTRAS DIVERS (N° 498) 393 


des enfants dans leurs bras et resteront avec leurs amants 


sans en éprouver aucun sentiment de honte. Voilà exacte- 
ment... » 


Le Buddha dit : « Dans votre cinquième rêve, Ô roi, vous 


avez vu un homme qui fabriquait une corde; derrière 


l’homme était un mouton et le maître du mouton mangeait 
la corde. (Voici ce que cela signifie :) Dans les généra- 
tions à venir, quand le mari d’une femme sortira pour 
aller faire le commerce, il laissera sa femme derrière lui; 
celle-ci aura des relations avec un autre homme qui man- 
gera toute la fortune du mari. Voilà exactement... » 

Le Buddha dit : « Dans votre sixième rêve, 6 roi, vous 
avez vu un renard assis sur un lit d’or et mangeant dans 
de la vaisselle d'or. (Voici ce que cela signifie :) Dans les 
générations à venir, des hommes de condition basse et vile 
deviendront nobles et honorés et auront des richesses ; la 
multitude des hommes les respectera et les craindra. Au 
contraire, les descendants des familles seigneuriales de- 
viendront des humbles ; ils seront aux places inférieures 
et mangeront et boiront après les autres. Voilà exacte- 
ment... » 

Le Buddha dit: « Dans votre septième rêve, à roi, vous 
avez vu une grande vache qui, au rebours de ce qui au- 
rait dû être, tétait un veau. (Voici ce que cela signifie :) 
Dans les générations à venir, les hommes ne connaïîtront 
ni les rites ni la justice ; les mères, contrairement à ce 
qui devrait être, serviront d’entremetteuses à leurs filles 
et attireront des hommes étrangers pour qu'ils aient des 
relations avec elles ; elles vendront ainsi leurs filles pour 
gagner des richesses et subvenir à leurs propres besoins; 
elles n’en éprouveront aucune honte. Voilà exactement... » 

Le Buddha dit: « Dans votre huitième rêve, vous avez 
vu quatre bœufs qui venaient en mugissant des quatre 
côtés de l'horizon et accouraient les uns vers les autres 
pour se battre ; au moment où ils allaient se joindre, mais 


324 SÛTRAS DIVERS (N° 498) 


ne s'étaient pas encore joints, vous ne sûtes où ils étaient 
allés. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à 
venir, les souverains, les princes, les préfets, les magis- 
trats et les gens du peuple auront tous des sentiments qui 
ne seront pas d’une absolue sincérité ; se trompantles uns 
les autres, ils agiront avec stupidité et avec colère ; ils ne 
respecteront pas le Ciel et la Terre; c’est pourquoi la fer- 
tilité causée par la pluie ne viendra plus au temps voulu ; 
alors les magistrats et les gens du peuple feront des 
prières pour demander la pluie ; le Ciel fera donc surgir 
des quatre coins de l'horizon des nuages, et le tonnerre 
retentira ; les magistrats et les gens du peuple diront que 
la pluie est imminente; mais, au bout d’un instant, les 
nuages se disperseront et s’en iront, en sorte que la pluie 
ne tombera pas. La raison en est que les souverains, les 
princes, les préfets, les magistrats et les gens du peuple 
auront manqué de fidélité, de rectitude et de bonté. Voilà 
exactement... » 

Dans votre neuvième rêve, Ô roi, vous avez vu un grand 
étang entouré de berges, où l’eau était trouble au milieu 
et claire sur les quatre bords. (Voici ce que cela signifie :) 
Dans les générations à venir le pays du Milieu (Madhya- 
deca) sera bouleversé ; le gouvernement ne sera pas juste ; 
les gens du peuple ne témoigneront pas de piété filiale 
à leurs pères et mères et ne respecteront pas les vieil- 
lards; cependant les pays de la frontière se présenteront 
calmes et purs ; la population y vivra en bonne harmonie 
et sera déférente envers ses pères et mères. Voilà exacté- 
ment... » 

Le Buddha dit: « Dans votre dixième rêve, à roi, vous 
avez vu un grand torrent qui coulait absolument rouge. 
(Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, 
les divers royaumes s’entrecombattront ; ils lèveront des 
armées et rassembleront des troupes pour s’attaquer tour 
à tour les uns les autres ; il leur faudra organiser des 


SÛTRAS DIVERS (N°5 498-499) 325 


bataillons de chars, des bataillons de fantassins et des 
bataillons de cavaliers pour lutter entre eux; ceux qui 
seront ainsi entretués ou blessés seront innombrables ; 
le sang des morts qui seront gisants sur la route coulera 
absolument rouge. Voilà exactement... » 

Le Buddha dit : « O roi, tout ce que vous avez rêvé con- 
cerne des choses des générations à venir et ne se rap- 
porte point aux choses de la génération présente. Ne crai- 
gnez donc rien, 6 roi, et ne vous tourmentez point. » Le 
roi se mit à deux genoux et dit : « Maintenant que j'ai 
obtenu les enseignements du Buddha, mon cœur se réjouit; 
pour prendre une comparaison, un homme portait un petit 
vase plein de graisse liquide ; la graisse était abondante et 
le vase était petit; quand l’homme se fut procuré un autre 
vase plus grand pour y mettre cette graisse, il fut rassuré 
et ne craignit plus ; de même maintenant, pour avoir recu 
le bienfait du Buddha, je suis rassuré. » 

Alorsle roi rendithommage au Buddha; il s’en retourna, 
et, quand ilfut revenu dans son palais, il fit de grand pré- 
sents à son épouse principale, et, en même temps, il priva 
de leurs appointements tous ses grands ministres ; le roi 
déclara : « Dorénavant, je ne croirai plus les hommes des 
sectes hérétiques et je n’ajouterai pas foi aux paroles des 
brahmanes. » 


N° 190 


SÛÜTRA PRONONCÉ PAR LE BUDDHA AU SUJET DE L'AVADANA 
CONCERNANT FILLE-DE-MANGUIER {ÂmrapÂui) Er K'I- 
YU (Jivaxa) (1). 


(PRIE RAIN 6 A UD/-18 12-92V0) 
Voici ce que j'ai entendu raconter : Un jour le Buddha 


(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, n° 667), a été traduit sous la dynastie 
des seconds Han par Ngan (VArsacide ou le Parthe) Che-kao qui vinten 


326 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


se trouvait dans le royaume de Zo-yue-lche (Ràäjagrha) et 
il expliquait la Loi au milieu d'une réunion de douze 
cent cinquante grands disciples, de bodhisattvas, de 
mahâsattvas, de devas, de nâgas, et des huit catégories 
de la grande Assemblée. Parmi les gens de cette époque, 
innombrables étaient les donateurs; or l’un d’eux, qui 
était un pauvre homme, n'avait qu'un mouchoir en 
haillons ; il aurait désiré en faire don, mais, craignant 
que cet objet n’excitât la répugnance, il restait hésitant. 
En ce moment, dans l'assistance il y eût une bhiksunt 
nommée « Fille-de-manguier », qui se leva de son siège, 
arrangea ses vêtements, rendit hommage, se mit à deux 
genoux, joignit les mains, puis dit au Buddha : « O Ho- 
noré du monde, je me rappelle que, dans une vie anté- 
rieure, je naquis dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi), 
en qualité de fille pauvre. En ce temps, il y avait un 
Buddha, nommé ÆXia-ye (Kâçyapa), qui, au milieu d’un 
cercle de nombreux auditeurs, expliquait la Loi; je m’assis 
pour entendre les livres saints et fus joyeuse; je conçus 
l'intention de faire une libéralité, mais, considérant que 
je n'avais rien et songeant à ma pauvreté, j'en fus émue 
de tristesse; alors j’allai dans le jardin d’une autre per- 
sonne et je mendiai des fruits pour en faire don au 
Buddha; je recus alors une mangue; elle était grosse et 
son parfum était excellent; tenant donc dans ma main un 
bol d’eau en même temps que cette unique mangue, j'en 
fis offrande au Buddha Æ1a-ye (Kâçyapa) et à toute l’as- 
semblée des religieux. Le Buddha, connaissant l'excel- 
lence de mon intention, accepta cela en prononcçant un 
vœu; puis il partagea et distribua l’eau et la mangue, 
en sorte que tous en eurent sans exception. Grâce au 
bonheur que je m'étais ainsi acquis, quand ma vie fut 
finie, je naquis en qualité de devi et j'obtins d’être une 


Chine en l'année 148 p. C. et travailla à faire des traductions jusqu'en 
l'année 170 p. C. 








Eh tnt LE 


SÜTRAS DIVERS (N° 499) 327 


reine des devis; puis, quand je naquis en bas, dans ce 
monde, je ne fus pas issue d’un fœtus, mais, pendant 
quatre-vingt onze kalpas, je naquis dans une fleur de 
manguier; je fus belle et fraiche et je connus toujours 
mes existences antérieures. Maintenant j'ai rencontré 
l'Honoré du monde qui a ouvert pour moi l'œil de la 


sagesse. Fille-de-manguier récita alors ces stances : 


La bienfaisance affeclueuse des Trois Vénérables est 
universelle; — son intelligence sauve indifféremment 
hommes el femmes; — la grande récompense du don que 
Je fis d'un peu d'eau et d'un fruit — a été que, grâce à cela, 
J'ai pu être affranchie de toutes les peines. 

En ce monde, je naquis dans une fleur ; — en haut, je 
fus reine des devis ; — depuis que j'ai pris mon refuge dans 
le Saint Bienheureux (Bhagaval), — mon champ producteur 
de bonheur est profond et fertile. 

Après avoir fini de rendre hommage, la bhiksüni Fille- 
de-manguier retourna s'asseoir. 

Au temps où le Buddha était en ce monde, dans un 
jardin du roi du royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli)}, un man- 
guier poussa spontanément; ses rameaux et ses feuilles 
étaient abondants; ses fruits étaient beaucoup plus gros 
que ceux des autres manguiers; ils avaient une couleur 
brillante et avaient un parfum et une excellence extraor- 
dinaires. Le roi aimait fort cet arbre et personne n'avait 
le droit d'en manger les fruits, sinon les femmes les 
plus honorées du harem. Or, dans ce royaume il y avait 
un brahmane grhapati dont la richesse était incalculable 
en sorte que nul dans tout le royaume ne pouvait l’égaler ; 
en outre, il était intelligent, perspicace et l’emportait par 
ses talents et sa sagesse sur la foule des hommes; le roi 
l’aimait fort et avait fait de lui un de ses grands ministres. 
Un jour, le roi invita ce brahmane à diner; quand le 
repas fut fini, il lui donna un fruit du manguier; voyant 
que cette mangue avait un parfum et un goût tout particu- 


328 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


liers, le brahmane demanda au roi s’il n’y avait pas au 
pied de ce manguier quelque petit rejeton dont il pourrait 
demander qu'il lui fût fait don; le roi répondit : « Il y 
avait un très grand nombre de ces petits rejetons; mais, 
comme je craignais qu'ils ne fissent tort au grand arbre, 
je les ai arrachés les uns après les autres ; si maintenant 
vous le désirez, je vous en donnerai un. » 

Ainsi fut fait et le brahmane rapporta chez lui ce 
rejeton, puis le planta; matin et soir il l’arrosait; de jour 
en jour l'arbre devint plus grand; ses rameaux furent 
abondants et forts; au bout de trois ans il produisit des 
fruits qui, pour la beauté et la grosseur, valaient ceux du 
manguier du roi. Le brahmane, tout joyeux, se dit: 
« Mes richesses sont incalculables et ne le cèdent en rien 
à celles du roi; c'était seulement parce que je n'avais pas 
ce manguier que je lui étais inférieur; mais maintenant 
que je l’ai obtenu, je n'ai rien à envier au roi. » Iprit 
alors un de ces fruits etle mangea; mais le goût en était 
fort âcre et il ne put absolument pas le manger; le brah- 
mane fut plongé dans une grande tristesse; s'étant retiré, 
il réfléchit que la cause de cela devait étre que le sol 
n'était pas assez engraissé; il prit donc le lait de cent 
vaches et le donna à boire à une seule vache; puis il 
recueillit le lait de cette unique vache et le fit chauffer de 
manière à en fabriquer une sorte de beurre dont il 
arrosa les racines du manguier; il fit journellement cet 
arrosage, et, l’année suivante, les fruits se trouvèrent 
être doux et excellents, tout comme l'étaient les mangues 
du roi. 

Cependant, sur le côté de ce manguier, vint à se pro- 
duire une excroissance noueuse qui, grosse d’abord 
comme le poing, devint de plus en plus volumineuse. Le 
brahmane se dit que l'apparition soudaine de cette excrois- 
sance pouvait faire tort aux fruits; mais, quand il voulut 
l'enlever en la coupant, il craignit de faire du mal à 





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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 329 


l'arbre; il médita ainsi pendant plusieurs jours et restait 
perplexe et hésitant, lorsque, du milieu de l’excroissance, 
jaillit tout à coup une branche qui se dirigea droit en 
l'air et qui, forte, droite, souple et belle, dépassa le 
sommet de l’arbre. Quand elle fut à soixante-dix pieds de 
terre, son sommet se divisa en plusieurs rameaux qui se 
répartirent circulairement sur les côtés de manière à 
former comme un dais renversé; les fleurs et les feuilles 
dont ils étaient couverts étaient magnifiques et l’empor- 
taient sur celles de l’arbre principal. Le brahmane s’en 
émerveilla, et, ne comprenant pas ce qu’il pouvait bien y 
avoir au sommet de cette branche, il construisit un écha- 
faudage en bois sur lequel il monta pour regarder; il vit 
que, au sommet de la branche et au centre du dais ren- 
versé, il y avait un étang d’eau pure et parfumée; en outre, 
il y avait une multitude de fleurs de couleurs fraîches et 
vives; il regarda sous ces fleurs et trouva une petite fille 
qui était dans une des fleurs de l'étang ; le brahmane la 
prit dans ses bras et l’emporta chez le id la nourrit et 
l’éleva ; son nom fut Fille-de-manguier. 

Ouana cette enfant atteignit sa quinzième année, elle 
avait une telle beauté que personne ne pouvait rivaliser 
avec elle dans le monde; sa renommée se répandit jusque 
dans les royaumes lointains. Sept rois arrivèrenten même 
temps et se rendirent auprès du brahmane en demandant 
à contracter des fiançailles avec Fille-de-manguier pour 
qu'elle devint leur femme. Le brahmane, fort effrayé, ne 
savait auquel d’entre eux la donner; il édifia alors une 
haute tour au milieu d’un jardin; il plaça au sommet 
Fille-de-manguier, puis il sortit et vint dire à tous les 
rois : « Cette fille n’a point été engendrée par moi; elle 
a été produite spontanément au sommet d’un manguier; 
je ne sais vraiment pas si elle est la fille d’un deva, d’un 
nâga, d’un démon ou d’un génie. Maintenant, vous êtes 
sept rois qui êtes venus pour demander cette personne 


330 ‘suTRAS DivERS {N° 499) 


étrange ; si je l'accorde à l’un de vous, les six autres rois 
s'irriteront. Je ne me permettrais pas cependant de vous 
la refuser. Maintenant, cette jeune fille est au sommet 
d'une tour dans le jardin; discutez donc entre vous, et 
quand vous aurez déterminé qui est celui de vous qui 
doit l'avoir, que celui-là lemmène; ce n’est pas moi qui 
déciderai. » 

Les sept rois se mirent donc à contester entre eux et 
la nuit arriva avant que le débat füt tranché; alors l’un 
d'eux, qui était le roi P'ing-cha (Bimbisâra) pénétra 
(dans le jardin) en passant par un aqueduc; il monta sur 
la tour, trouva la fille et coucha avec elle; le lendemain 
matin, quand il fut sur le point de partir, Fille-de-man- 
guier lui dit : « O grand roi, vous avez daigné abaisser 
votre majesté pour venir jusqu’à moi; maintenant, cepen- 
dant, vous allez me quitter et partir; si j'ai un enfant, il 
sera de sang royal; à qui devrai-je le confier?» Le roi 
lui répondit: «Si c’est un fils, vous me le rendrez; si 
c'est une fille, je vous la donne. » Alors le roi retira de sa 
main un anneau d’or formant sceau et le remit à Fille- 
de-manguier pour qu’elle pût s’en servir comme d’attesta- 
tion (1). Puis le roi sortit et dit à ses ministres : «Je 
suis parvenu à prendre Fille-de-manguier et j'ai passé la 
nuit avec elle; elle n’a rien d’extraordinaire et est bien 
comme toutes les femmes; aussi ne l'épouserai-je pas. » 
Tous les soldats du roi P'ing-cha (Bimbisâra) poussèrent 
des vivats en son honneur, disant: « Notre roi a pu 
prendre Fille-de-manguier. » En apprenant cela, les six 
autres rois s’en retournérent. 

Après que le roi P'ing-cha (Bimbisâra) fut parti, Fille- 
de-manguier devint enceinte ; elle donna alors au portier 

(1) Dans le Xa{tahärijâtaka (Jätaka, n° 7), le roi Brahmadatta donne de 
mème son anneau d'or à une femme avec laquelle il a eu accidentellement 
des rapports et lui dit : « Si vous avez une fille, employez le prix de cet. 


anneau à la nourrir; mais, si vous avez un garçon, apportez-moi l'anneau 
et l'enfant. » 


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SÜTRAS DIVERS (N° 499) 33t 


l’ordre que, si quelqu'un demandait à la voir, on répondit 
qu’elle était malade (1). Quand le nombre normal des jours 
et des mois fut résolu, elle mit au monde un garçon qui 
avait un beau visage et qui tenait dans sa main un sac à 
aiguilles d’acupuncture. Le brahmane déclara : « Cet enfant 
est le fils d'un roi; d'autre part il tient un instrument mé- 
dical; il sera certainement un roi-médecin. » Alors Fille- 
de-manguier enveloppa l'enfant dans un vêtement blanc et 
ordonna à une servante d’aller l’exposer dans la rue. En 
conformité avec cet ordre, la servante le prit dans ses bras 
et alla l'abandonner. En ce moment, le prince Wou-wet 
(Abhaya) (2), était monté sur son char au point du jour 
avec l'intention d’aller voir le grand roi et il avait envoyé 
des gens pour faire dégager la route; or le prince aperçut 
de loin sur le chemin un objet blanc; il fit arrêter son 
char et demanda à ceux qui étaient auprès de lui : « Qu’est- 
ce que cet objet blanc ? » On lui répondit que c'était un 
petit garçon. « Est-il mort ou vivant ? » demanda-t-il. 
« Bien vivant », lui répondit-on. Le prince ordonna alors 
à ses gens de le recueillir, puis il chercha une nourrice 
pour l’allaiter ; comme il était vivant, un brahmane prit ce 
petit garçon pour le rendre à Fille-de-manguier et on le 
nomma Ài-yu (Jivaka). 

Quand il eut atteint l’âge de huit ans, par son intelli- 
gence, ses talents éminents et sa connaissance de toutes 
sortes de livres, il était fort différent de la moyenne des 
autres enfants. Quand il jouait avec les autres petits gar- 
çons du voisinage, il les méprisait dans son cœur parce 
qu'il pensait que ceux-ci ne le valaient pas; un Jour, ces 
petits garcons l’injurièrent ensemble en lui disant: « Fils 
sans père, né d'une fille débauchée, comment vous permet- 


(1) Afin qu'on ne püt pas supposer qu'elle avait eu des rapports avec 
un autre homme et afin que l'enfant qu'elle aurait fût reconnu comme 
ayant pour père le roi Bimbisâra. 

(2) Fils de Bimbisàra. 


332 SÜTRAS DIVERS (N° 499) 


tez-vous de nous traiter avec mépris? » Æ1-yu (Jivaka), 
déconcerté, garda le silence et ne répondit pas. Il revint 
auprès de sa mère et lui demanda : « Je vois que tous les 
autres enfants ne me valent pas et cependant ils m’inju- 
rient en m'appelant fils sans père. Où se trouve donc main-: 
tenant mon père ? » Sa mère lui répondit : « Votre père n’est 
autre que le roi P’ing-cha (Bimbisâra). — Le roi P’ing-cha 
(Bimbisära), reprit Æ’1-yu (Jivaka), se trouve dans le 
royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) qui est à cinq cents li 
de distance. Comment m’a-t-il engendré ? et si ce que vous 
dites, Ô mère, est vrai, comment le prouverai-je? » Sa mère 
lui montra alors l’anneau formant sceau et lui dit : « Ceci 
est l'anneau de votre père. » X’i-yu (Jivaka) l’examina et 
reconnut quil portait l'inscription «sceau du roi P'ing-cha» 
(Bimbisâra). Prenant donc avec lui cet anneau, il se rendit 
dans le royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) et entra tout 
droit par la porte du palais; il n’y eut personne à la porte 
pour le réprimander. Il parvint ainsi en présence du roi, 
lui rendit hommage, s’agenouilla et lui dit: « O roi, je 
suis votre fils ; j'ai été mis au monde par Fille-de-manguier. 
Maintenant, en atteignant ma huitième année, j'ai appris, 
à grand roi, que j'étais de votre race et c’est pourquoi, 
vous apportant la preuve de l’anneau formant sceau, je 
viens de loin pour rentrer dans votre famille. » Le roi vit 
l'inscription du sceau, se rappela le serment qu'il avait 
fait autrefois et reconnut que c'était bien là son fils; ému 
de compassion envers lui, il le nomma prince héritier. 
Deux ans plus tard, celui qui devait être le roi A-cho- 
che (Ajâtaçatru) naquit; Æ’i-yu (Jivaka) dit alors au roi : 
« Au moment de ma naissance, je tenais dans ma main un 
sac d’aiguilles pour l'acupuncture; c'était une marque 
que je devais devenir médecin; bien que vous m'ayez 
nommé prince héritier, je n’en suis pas heureux; puisque 
maintenant un fils issu de votre première épouse vous est 
né, il convient que ce soit lui qui vous succède dans votre 


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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 333 


haute dignité; quant à moi, je désire pouvoir pratiquer 
l’art de la médecine. » Le roi y consentit, puis il lui dit: 
« Puisque vous n’êtes plus héritier présomptif, vous ne 
pouvez plus jouir sans motif d’émoluments payés par le 
roi. Il vous faut étudier la science médicale. » Le roi or- 
donna alors à tous les meilleurs médecins de son royaume 


de l’instruire dans toutes les recettes de leur art; mais 


K'i-yu (Jivaka) ne faisait que jouer et ne recevait point 
leurs enseignements ; tous ces maîtres lui dirent: « L'art 


_de la médecine est peu relevé: en vérité il ne saurait être 


l'objet de l'étude du très honorable prince héritier. Cepen- 
dant on ne saurait s'opposer aux injonctions du grand 
roi; voici plusieurs mois que nous avons reçu ses ordres, 
et, Ô prince, vous n’avez même pas retenu la moitié d’une 
phrase de nos formules ; si le roi nous interroge, que lui 
répondrons-nous ? » Æi-yu (Jivaka) leur dit: « À ma nais- 
sance, j'eus dans ma main l'indication que je serais méde- 
cin ; c'est pourquoi j'ai dit au grand roi: « Je renonce aux 
titres glorieux et je demande à étudier l’art de la méde- 
cine. » Comment donc serais-je si négligent que je vous 
oblige à me réprimander ? Ma conduite s'explique simple- 
ment parce que votre science à tous est insuffisante pour 
m'instruire.'» Alors donc il prit tous les livres traitant des 
plantes, des recettes médicales, de acupuncture et du pouls 
et posa des questions embarrassantes à ses maîtres qui, 
à bout d'arguments, ne surent que répondre. Tous 
s’abaissèrent devant A'r-yu (Jivaka) en lui rendant hom- 
mage; agenouillés et les mains jointes, ils lui dirent : « En 
ce jour nous devons reconnaître, Ô prince, que nous ne 
saurions atteindre à votre divine sainteté. Toutes les ques- 
tions que vous nous avez posées ont été pendant plusieurs 
générations des sujets de controverse pour nos maitres 
et on ne saurait les comprendre ; nous désirons, 6 prince, 
que vous nous les expliquiez entièrement; et que vous 
dénouiez des énigmes qui nous tourmentent depuis notre 


334 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


naissance. » Alors donc Æ'1-yu (Jivaka) leur expliqua la 
solution de ces problèmes; tous les médecins se relevè- 
rent pleins de joie et lui rendirent hommage en se pros- 
ternant, disant qu'ils recevaient avec gratitude ses ensei< 
gnements. | 4 
Cependant ÆXi-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « De tous 
les médecins auxquels le roi avait donné des ordres, au- 
cun n'a pu m'instruire. Qui m'enseignera l’art de la méde- 
cine ? » Sur ses entrefaites, il apprit que, dans le royaume 
de To-lch'a-che-lo (Taksacilâ), il y avait un médecin dont 
le nom de famille était A-ti-li (Atri) (4) et dont le surnom 
était Pin-kia-lo (Piñngala) ; il connaissait fort bien la méde- 
cine et pourrait sans doute la lui enseigner. Alors donc 
le jeune X'1-yu (Jivaka) se rendit dans ce royaume, et, ar- 
rivé auprès de Pin-kia-lo (Piñgala), lui dit : « Grand maître 
je demande maintenant que vous vouliez bien consentir 
à me diriger. » Quand il eut étudié sous sa direction pen- 
dant sept années, il pensa : « Maintenant je me suis exercé 
à étudier l’art de la médecine; quand aurai-je fini ? » Il 
se rendit donc auprès de son maître et lui dit : « Main- 
tenant je me suis exercé à étudier l’art de la médecine ; 
quand aurai-je fini? » Son maître alors lui donna un panier 
et les outils qu’il faut pour arracher les plantes, en lui 
disant : « Sur un front d’un yojana de long, dans le royaume 
de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà), recherchez toutes les 
plantes, puis apportez-moi celles qui n’ont pas d'usage 
médicinal. » Conformément aux ordres de son maître, 
K'i-yu (Jivaka) rechercha, sur un front d’un yojana de long, 
dans le royaume de T'o-lcha-che-lo (Taksacilà) toutes les 
plantes qui n'avaient pas d'usage médicinal, mais en défi- 
nitive il n’en put trouver nulle part de telles; en effet, 
toutes les plantes et tous les arbres qu'il voyait, il pouvait 


(1) Dans la version tibétaine, ce nom se présente sous la forme Atreya 
(ScHIEFNER, Mémoires de l’Ac. des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. XXII, 
n07: 1879; DV} 








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4 


SÜTRAS DIVERS (N° 499) 335 


fort bien les discerner ; il savait les cas où il fallait s’en 
servir et il n’en était point qui n’eût son usage en méde- 
cine. Il revint donc les mains vides et se rendit auprès de 
son maître à qui il tint ce langage: « O maître, il faut 
maintenant que vous sachiez ceci: dans le royaume de 
To-tch'a-che-lo (Taksaçilâ), j'ai recherché, sur un front 
d'un yojana de long, les plantes qui n'avaient aucun usage 
médicinal ; mais je n’en ai trouvé aucune de telle ; toutes 
les plantes et tous les arbres que j'ai vus. j'ai très bien pu 
discerner quel en était l’usage. » Le maître répondit à A’i-yu 
(Jivaka) : « Vous pouvez maintenant vous en aller ; vous 
possédez parfaitement la science de la médecine. Je suis 
le premier en cet art dans le Jambudvipa, mais, après ma 
mort, vous serez là pour me succéder. » 

Alors Æ°1-yu (Jivaka) partit et se mit à soigner des mala- 
dies; toutes celles qu’il soignait guérissaient aussitôt. Sa 
réputation fut connue dans l’étendue entière du royaume. 

K'i-yu (Jivaka) voulut ensuite entrer dans le palais royal. 
Devant la porte du palais il rencontra un jeune garçon qui 
portait une charge de bois de chauffage ; dès qu’il Le vit de 
loin, X’1-yu aperçut entièrement les cinq viscères de cet 
enfant, tels que les intestins et l'estomac, et put les dis- 
tinguer nettement ; À’1-yu fit alors cette réflexion : « Dans 
le livre des plantes, on parle de l'arbre roi-médecin (bhaisa- 
jyarâja) qui, de l’extérieur, illumine l’intérieur et permet 
de voir les viscères dans le ventre d’un homme. N'y au- 
rait-il pas quelque morceau de l'arbre roi-médecin dans le 
bois mort que porte cet enfant? » Il vint donc vers l’en- 
fant et lui demanda quel prix il voulait de son bois; l’en- 
fant lui ayant répondu qu’il le vendait dix pièces de mon- 
naie, il paya ce prix pour faire l’acquisition du bois mort ; 
l'enfant déposa ce bois par terre et tout aussitôt il devint 
obscur et on ne vit plus l'intérieur de son ventre. A'i-yu 
(Jivaka) fit alors la réflexion qu'il ne savait pas où se trou- 
vait dans les fagots le bois roi-médecin ; il délia done les 


336 SÜTRAS DIVERS (N° 499) 


deux fagots, puis, prenant un par un les morceaux de bois, 
il les approcha du ventre de l'enfant ; comme il ne voyait 
rien apparaître, il passait sans cesse d’un morceau à un 
autre ; il épuisa de la sorte tout le bois des deux fagots ; 
la dernière de toutes restait une brindille à peine longue 
d’un pied; il essaya de s’en servir pour projeter de la 
clarté et vit entièrement tout ce qui était dans le ventre ; 
Ki-yu (Jivaka) fut très joyeux, car il savait maintenant que 
cette brindille était certainement le bois roi-médecin; il 
rendit alors tout son bois de chauffage à l'enfant qui, ayant 
reçu les pièces de monnaie et gardant son bois comme 
précédemment, s’en alla tout content. 
Cependant Æ'i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Qui 
maintenant vais-je guérir? Ce royaume est petit et, en 
outre, il se trouve sur la frontière; le mieux est que je 
retourne à présent dans mon pays d’origine pour commen- 
cer à y pratiquer l’art de la médecine. » Il s’en retourna 
donc dans le royaume de P'’o-k'ia-Po (Saketa) (1). Dans la 
ville de P'o-k'ia-l'o se trouvait un important notable dont la 
femme souffrait constamment de maux de tête depuis douze 
ans ; tous les médecins l’avaient traitée, mais sans pou- 
voir la guérir; A'i-yu (Jivaka), ayant entendu parler d'elle, 
se rendit à sa demeure et dit au portier : « Dites à votre 
maître qu'il y a un médecin à la porte. » Le portier entra 
aussitôt et fit ce message ; la femme du notable lui ayant 
demandé quel aspect avait ce médecin, il répondit que 
c'était un jeune homme ; elle songea que, si tous les mé- 
decins vieux et expérimentés n'avaient pu la guérir, un 
jeune médecin en serait bien plus incapable encore ; elle 
ordonna donc au portier de dire qu’elle n'avait pas besoin 
maintenant de médecin ; le portier sortit et annonça à 
Æ'i-yu (Jivaka) : « J'ai fait votre message à mon maître, mais 
sa femme a répondu qu'elle n'avait pas besoin de méde- 


(1) Autre nom d'Ayodhyà {auj. Aoudh). 


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ENERGIE S  E 


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De 
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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 337 


cin. » Æ’i-yu (Jivaka) insista : « Allez dire à la femme de 
votre maître qu’elle me permette seulement de la soigner; 
si elle guérit, elle me donnera ce qu’elle voudra.» Quand 
le portier eut rapporté ces paroles, la femme songea 
que, s’il en était ainsi, elle ne risquait rien ; elle ordonna 
donc au portier de le faire entrer. Æ’i-yu (Jivaka), s'étant 
rendu auprès de la femme du notable, lui demanda quelles 
étaient ses souffrances ; elle répondit qu’elle souffrait de 
telle et telle manière. « Comment, reprit-il, a commencé 


votre maladie ? — Elle a commencé dans telles et telles 
circonstances. — Votre maladie est-elle ancienne ou 
récente ? — Elle date de telle époque ». Après toutes 


ces questions, Æ’i-yu (Jivaka) déclara : « Je puis vous soi- 


gner. » Il prit alors un bon remède qu’il fit frire dans du 
beurre, puis il le versa dans le nez de la femme ; le beurre 
ressortit avec de la salive par la bouche de la malade ; celle- 
ei reçut le tout dans un vase et recueillit Le beurre en le 
séparant de la salive qu’elle rejeta. En la voyant agir ainsi, 
K'i-yu (Jivaka) se sentit pénétré de tristesse, car il se di- 
sait : « Si elle se montre économe à ce point pour un peu 
de beurre malpropre, que sera-ce quand il s'agira de me 
récompenser! » La malade s’aperçut de ses préoccupa- 
tions et lui demanda: « Étes-vous affligé ? » Sur sa ré- 
ponse affirmative, elle lui demanda la cause de son afflic- 
tion. « Je pensais dit-il, que si vous êtes économe à ce 
point quand il s’agit d’un peu de beurre malpropre, ce 
serait bien pire quand :l s'agirait de me récompenser; 
voilà pourquoi je m'attriste. » La femme répliqua 

« Diriger un ménage n’est pas chose facile ; quelle uti- 
lité y avait-il à jeter ce beurre qui peut encore servir 
à allumer la lampe ? Je l'ai donc recueilli. Quant à 
vous, occupez-vous seulement de soigner ma maladie; 
à quoi bon vous affliger ainsi ? » Il la traita donc et, par 
la suite, elle guérit de sa maladie ; alors cette femme du 
notable lui donna quatre cent mille onces d'or, ainsi que 

III 22 


338 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


des esclaves et des servantes, des chars et des chevaux. 

Quand ÆX'i-yu (Jivaka) fut en possession de toutes ces 
richesses, il revint dans la ville de la Résidence Royale 
(Râjagrha) et se rendit à la demeure du prince Wou-wei 
(Abhaya) ; il dit au portier : « Allez annoncer au prince: 
que AX°1-yu (Jivaka) est déhors. » Le portier s’acquitta de 
ce message et le prince lui ordonna d'inviter aussitôt 
K'i-yu (Jivaka) à entrer; quand celui-ci fut entré, il se: 
prosterna la tête contre terre, puis, après avoir rendu 
hommage, il s’assit de côté; il raconta en détail au prince: 
Wou-wei (Abhaya) ce qui lui était précédemment arrivé, 
et il déclara qu'il voulait offrir au prince toutes les riches- 


ses qu’il avait acquises (1). Le prince l’en détourna en lui 


disant qu'il ne fallait pas lui faire un tel présent et en 
l’engageant à employer cette fortune à son usage person- 
nel. 

Telle fut la première cure que fit Æ’i-yu (Jivaka). 

En ce temps, dans le royaume ÂXiu-chan-mi (Kauçâmbi), 
il y avait le fils d’un notable dont les intestins s’étaient 
noués dans son ventre tandis qu'il jouait sur une roue; ce 
qu'il mangeait et buvait n'était plus digéré et ne pouvait. 
pas non plus être éliminé ; dans ce royaume, il ne s'était 
trouvé personne qui püt le guérir; les gens de là-bas 
ayant appris que, dans le royaume de Mo-kie (Magadha), il 
y avait un grand médecin qui excellait à guérir les mala- 
dies, ils envoyèrent dire au roi : « Le fils d’un notable du 
royaume de Aiu-chan-mi (Kauçàämbi) est malade ; X'i-yu 
(Jivaka) peut le guérir ; nous vous demandons, ô roi, de: 
nous l’envoyer. » Alors le roi P’ing-cha (Bimbisâra) appela 
K'i-yu (Jivaka) et lui demanda : « Le fils d’un notable du 
royaume de AXiu-chan-mi (Kauçämbi) est malade; pouvez- 
vous le guérir ? » Comme il répondait qu'il le pouvait, le 
roi reprit : « Puisque vous le pouvez, je vous autorise à 


(1) Pour remercier le prince de l'avoir autrefois recueilli (cf. p. 331, 
lignes 11-20). 


si 


SÛTRAS DIVERS (N° 499) 339 


aller le guérir ». Alors Æ’1-yu (Jivaka) monta en char etse 
rendit à AXiu-chan-mi (Kauçâmbi) ; quand il arriva, le fils 
du notable était déjà mort; des musiciens sortaient en 
escortant son corps; en entendant ce bruit, A'i-yu (Ji- 
vaka) demanda : « Que sont ces airs dé musique et ces 
sons de tambours? » Quelqu'un qui était près de lui lui 
répondit : « C’est le fils de notable pour lequel vous veniez 
qui est mort. Ce que vous entendez, c'est la musique des 
musiciens qui l’escortent. » ÆA'1-yu (Jivaka) savait fort 
bien distinguer entre eux tous les sons; il dit donc : 
« Allez dire qu’on fasse revenir ce corps; ce n’est point 
un cadavre. » Quand cet ordre eut été donné, on revint 
aussitôt. Alors Æ'i-yu (Jivaka) descendit de son char ; il 
prit un couteau bien tranchant et fendit le ventre de l’en- 
fant ;il mit au jour l’endroit où les intestins étaient noués 
et le montra au père, à la mère et à tous les parents en 
leur disant : « C’est pour avoir joué sur une roue que ses 
intestins se sont noués ainsi, en sorte que les aliments et 
les boissons n'étaient plus digérés ; mais ce n’est pas à 
dire qu’il soit mort. » Alors donc il lui dénoua les intes- 
tins et les remit à leur place, puis il recousit le ventre et 
les chairs se rejoignirent; il le frotta avec un bon on- 
guent ; la blessure guérit aussitôt et les poils repoussè- 
rent en sorte que la plaie n'était en rien différente d’une 
place où il n’y aurait eu aucune blessure. A la suite de 
cela, le fils du notable récompensa Ær-yu (Jivaka) en lui 
donnant quatre cent mille onces d’or ; la femme de ce fils 
de notable lui donna aussi quatre cent mille onces d’or ; 
le notable lui-même et sa femme en firent autant, chacun 
d’eux lui donnant quatre cent mille onces d’or. 

K i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Celui qui a été mon 
maître, je dois reconnaître ses bienfaits. Maintenant je 
prendrai les seize cent mille onces d'or etje les donnerai 
au grand maître du royaume de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà), 
Pin-kia-lo (Pinñgala). » Avant ainsi songé, il prit son or 


310 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


et se rendit auprès de son maître ; il lui rendit hommage 
en posant le visage sur ses pieds, puis il lui offrit cet or 
en disant : « Je désire, à grand maître, que vous daigniez 
accepter ceci. » Son maître lui dit : « Faîtes-en plutôt 
des offrandes ; je n’ai pas besoin de ces richesses. » 
Æ'i-yu (Jivaka) ayant insisté au plus haut point, Pin-kia- 
lo (Pingala) accepta cependant cet or; X’1-yu (Jivaka) lui 
présenta ses adieux, et, après avoir rendu hommage à ses 
pieds, s’en alla. 

En ce temps, dans le royaume, il y avait la fille d’un 
kia-lo-yue (grhapati) qui était âgée de quinze ans ; le jour 
où elle allait se marier, elle éprouva soudain des douleurs 
de tête et mourut. Æ’i-yu (Jivaka) en fut informé et se 
rendit à sa demeure; il demanda au père de la jeune 
fille : « Quelle était la maladie habituelle qui a été cause 
de la mort prématurée de cette jeune fille? » Le père 
répondit : « Ma fille, dès son enfance, a éprouvé des 
maux de tête qui ont augmenté de jour en jour et de 
mois en mois ; ce matin, ces douleurs se sont déclarées 
plus fortes que jamais et ont déterminé sa mort. » Ai-yu 
(Jivaka) entra alors et, avec le (bois du) roi-médecin, il 
éclaira l’intérieur de la tête de la jeune fille et y aperçut 
des vers rongeurs qui, grands ou petits, s’engendraient 
les uns les autres et étaient au nombre de plusieurs cen- 
taines ; les vers dévoraient son cerveau, et, comme son cer- 
veau avait été entièrement mangé, elle était morte. Alors 
(Jivaka) lui ouvrit la tête avec un couteau d’or ; il en sor- 
tit tous les vers qu'il enferma dans une jarre ; puis il 
frotta la blessure avec trois sortes de graisses surnatu- 
relles ; la première sorte répara les dommages faits dans 
les os par les morsures des vers; la seconde sorte régé- 
néra le cerveau; la troisième sorte guérit la blessure 
extérieure faite par le couteau. Puis (Jivaka) dit au père 
de la jeune fille : « Faites-la reposer tranquillement et 
ayez soin qu’elle n’ait aucune frayeur.-Dans dix jours elle 








LOS, ds de 


SUTRAS DIVERS (N° 499) , 3411 


doit être entièrement guérie et telle qu’elle était aupara- 
vant. Quand ce terme sera arrivé, je reviendrai. » Quand 
K'i-yu (Jivaka) fut parti, la mère de la jeune fille se mit à 
pleurer et à crier, en disant : « Mon enfant est morte pour 
la seconde fois ; y a-t-il jamais quelqu'un qui ait pu vivre 
après qu'on lui a ouvert le crâne ? Comment le père a-t-il 
laissé cet homme s'emparer ainsi de notre enfant? » Le 
père l’arrêta en lui disant : « X'i-yu (Jivaka), à sa nais- 
sance, tenait dans sa main un sac d’aiguilles pour l’acupunc- 
ture ; ensuite 1l a renoncé à une haute dignité pour exer- 
cer la médecine et il n’a fait cela que pour le plus grand 
bien de la vie de tous les êtres ; il est un roi-médecin 
désigné par le ciel; comment pourrait-il agir d’une ma- 
nière déraisonnable? Il vous a fait la recommandation 
d’avoir grand soin de ne pas causer defrayeur à la malade ; 
or, maintenant, au contraire, vous pleurez et vous criez de 
manière à l’effrayer et à l'agiter ; vous allez faire en sorte 
que notre enfant ne pourra plus vivre. » En entendant 
ces paroles du père, la mère cessa de se lamenter et tous 
deux entourèrent de soins leur fille ; celle-ci resta immo- 
bile pendant sept jours ; le septième jour, au point du 
jour, elle poussa un soupir et se réveilla comme quel- 
qu'un qui reprend ses sens après avoir dormi; elle dit : 
« Je n’éprouve plus maintenant le moindre mal de tête et 
tout mon corps se sent à l'aise ; qui m'a soignée pour 
que je sois dans cet état ? « Son père lui dit : « Vous 
étiez déjà morte lorsque le roi-médecin Æ’r-yu (Jivaka) 
est venu exprès pour vous donner ses soins ; il vous 
a ouvert la tête, en a retiré des vers et c’est ainsi 
que vous avez pu revivre ». Alors il ouvrit la jarre et en 
sortit les vers pour les lui montrer; en les voyant, la 
jeune fille fut épouvantée et se félicita fort de la chance 
inespérée qu'elle avait eue, disant : « Telle est donc la 
puissance divine de Æi-yu (Jivaka) ! Il me tarde de pou- 
voir reconnaître son bienfait. » Son père lui dit : « A1-yu 


312 sÜrRAas DIVERS (N° 499) 


(Jivaka) m'a assigné un rendez-vous en me promettant de 
venir aujourd’hui. » Un moment après, en eflet, X'i-yu 
(Jivaka) arriva. La jeune fille, toute joyeuse, sortit par la 
porte pour aller à sa rencontre ; elle lui rendit hommage 
en posant son visage sur ses pieds; elle se mit à deux 
genoux, joignit les mains et dit : « Je désire, à K'i-yu 
(Jivaka), être votre servante et, jusqu'à ma mort, vous ser- 
vir pour reconnaître les bienfaits que vous m'avez 
rendus en me rappelant à la vie. » Æ’i-yu (Jivaka) lui 
répondit : « Je suis un maïitre-médecin et je vais en tous 
lieux pour guérir les malades sans avoir jamais de rési- 
dence fixe ? À quoi emploierais-je une servante ? Si vous 
voulez absolument me récompenser pour le service que je 
vous ai rendu, donnez-moi cinq cents onces d’or; te n’est 
pas que je veuille me servir de cet or, mais voici pour- 
quoi je vous le demande : tout homme qui a étudié une 
doctrine doit remercier son maître ; quoique ce ne soit 
pas mon maitre qui m'ait enseigné ce que je sais, je n’en 
suis pas moins son disciple ; aussi quand j'aurai reçu votre 
or, je le lui donnerai. » La jeune fille présenta alors cinq 
cents onces d’or qu’elle offrit à X’1-yu (Jivaka) ; celui-ci 
les accepta et en fit don à son maître. 

De cela, X’1-yu (Jivaka) annonça au roi son intention 
de s’en retourner momentanément pour voir sa mère; il 
arriva donc dans le royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli). Or il y 
avait dans ce royaume le fils d’un kia-lo-yue (grhapati) qui 
aimait à s'exercer aux choses de la guerre ; il avait fabriqué 
un cheval en bois haut de plus de septpiedset chaque jour 
il s'entraînait à sauter sur son dos ; dès le début de son 
étude, il réussit à monter sur le cheval, et, à la longue, 
il devint de plus en plus habile; mais soudain, un jour, il 
dépassa le but, manqua de point d’appui, tomba à terre et 
mourut. À’1-yu (Jivaka) en fut informé ; il se rendit aussi- 
tôt auprès de lui et se servit du (bois) roi-médecin pour 
éclairer l’intérieur de son ventre ; ilaperçut alors que son 





bites te 


 SÛTRAS. DIVERS (N° 499) 343 


foie s'était retourné à l'envers ; le souffle vital s'était trouvé 


arrêté et ne pouvait plus passer ; c’est ce qui avait causé 
sa mort. À’i-yu (Jivaka) lui ouvrit le ventre avec un cou- 


‘teau d’or et, plongeant sa main dedans pour l'explorer et 
d'arranger, il remit le foie à l'endroit ; ensuite il frotta le 


malade avec trois sortes d’onguents divins ; le premier 


-onguent répara les points que sa main avait palpés; le 


second fit circuler le souffle et la respiration ; le troisième 


ferma la plaie produite par le couteau. Quand il eut fini, 


(K’i-yu) dit au père : « Ayez soin qu'on ne lui fasse au- 
cune frayeur. Dans trois jours il devra être guéri. » Le 
père se conforma à ces instructions, fit reposer tranquil- 
lement le malade, le soigna et le surveilla ; quand arriva 


le troisième jour, le jeune garçon poussa un soupir et 
s’éveilla ; il avait l'apparence de quelqu'un qui reprend ses 


sens après avoir dormi; il put aussitôt se lever et s’as- 


seoir, Un moment après, X’i-yu (Jivaka) vint à son tour; 


le jeune garçon sortit tout joyeux pour aller à sa ren- 
contre ; il lui rendit hommage en posant son visage sur 


ses pieds, puis, se mettant à deux genoux, il dit: « Je 


désire, Ô Æ’i-yu (Jivaka) devenir votre esclave et jusqu'à 
ma mort vous servir pour reconnaître le bienfait que vous 


m'avez rendu en me faisant revivre. » Æ'i-yu (Jivaka) lui 


répondit : « Je suis un maïître-médecin et je vais en tous 
lieux pour guérir les malades ; les familles des malades 
se disputent pour me servir; qu’ai-je besoin d’un esclave ? 


Ma mère s’est donné beaucoup de peine pour m'élever et 


je n’ai pas encore pu la récompenser pour la bonté avec 


laquelle elle m'a soigné. Si donc vous désirez me remer- 


cier pour le service que je vous ai rendu, donnez-moi 
cinq cents onces d’or que j'emploierai à récompenser ma 
mère pour sa bonté. » Il prit donc cet or et l'offrit à 
(sa mère) Fille-de-manguier. Puis il retourna dans le 
royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha). 

Après que Æ’i-yu (Jivaka) eut guéri ces quatre per- 


344 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


sonnes, sa renommée se répandit dans tout l'empire et il 
n’était personne qui n’en fût informé. Dans le Sud il y 
avait un grand royaume qui était à 8.000 /i de distance de 
Lo-yue-tche (Râjagrha) ; le roi P’ing-cha (Bimbisâra) et 
les divers autres petits rois lui étaient tous soumis. 
Or le roi de ce royaume était malade depuis plusieurs 
années sans pouvoir guérir (1); il souffrait constam- 
ment d'accès de fureur; il regardait insolemment les 
hommes et les faisait périr; quand quelqu'un levait les 
yeux pour le voir, il le tuait, et quand quelqu’un baissait 
la tête et ne la relevait pas, il le tuait aussi ; les hommes 
qui marchaient trop lentement, il les tuait, et ceux qui 
marchaient trop vite, il les tuait aussi; ceux qui étaient de 
service à ses côtés ne savaient que faire de leurs mains et 
de leurs pieds; quand un maître-médecin avait composé 
un remède pour lui, le roi craignait qu'il n’y eût mis du 
poison et le faisait périr. Innombrables étaient ceux qu'il 
avait tués en diverses occasions, ministres, femmes du 
harem et médecins. Cependant sa maladie s’aggravait de 
jour en jour; l’ardeur du poison attaquait son cœur ; il 
suffoquait et avait la respiration courte ; il y avait comme 
un feu qui brülait son corps. Ayant entendu parlerde X1-yu 
(Jivaka),ilenvoyaune lettre au roi P’ing-cha(Bimbisära) pour 
lui notifier qu'il mandait X’i-yu (Jivaka)auprès de lui. A’1-yu 
(Jivaka), qui avait entendu raconter que ce roi avait mis à 
mort beaucoup de médecins, en fut fort effrayé ; quant au 
roi P'ing-cha (Bimbisära), ayant pitié du jeune âge de 
Ki-yu (Jivaka), et craignant qu'il ne fût mis à mort, il 
désirait ne pas le faire partir, mais, d'autre part, il redou- 
tait d’être châtié ; le père et son fils se serraient donc 
l’un contre l’autre, se livraient jour et nuit au chagrin et 
ne savaient quel parti prendre.Enfin le roi P’ing-cha (Bim- 
bisâra) emmena Æi-yu (Jivaka) et avec lui se rendit 


(1) Le texte tibétain traduit par Schiefner nous apprend que ce roi 
était Canda Pradyota. 











SÛTRAS DIVERS (N° 499; 315 


auprès du Buddha; il l’adora en posant le visage sur 
ses pieds, puis il dit au Buddha : « O Honoré du monde, 
ce roi a un caractère méchant et je crains qu'il ne fasse 
périr le roi-médecin ; faut-il que celui-ci aille vers lui ? » 
Le Buddha répondit à Æ’1-yu (Jivaka) : « Dans une exis- 
tence antérieure, vous et moi avons fait serment de tra- 
vailler ensemble à secourir tout l’univers : moi, soignant 
les maladies de l’âme; vous, soignant les maladies du 
corps ; maintenant, j'ai obtenu de devenir Buddha ; c’est 


pourquoi, conformément à notre ancien vœu, vous devez 


rassembler tous les êtres devant moi (pour que je puisse 
les guérir). Le roi est gravement malade ; il s’est adressé 
à vous de loin; pourquoi n'iriez-vous pas auprès de lui? 
Allez promptement le secourir ; imaginez quelque bon 
procédé pour faire qu'il guérisse certainement de sa ma- 
ladie ; ce roi ne vous tuera pas. » 

Ki yu {Jivaka), ayant recu l'influence majestueuse du 
Buddha, se rendit alors près du roi ; il examina son pouls, 
puis il éclaira son corps au moyen du (bois) roi-médecin ; 
il constata que, dans les cinq viscères du roi et dans ses 


cent veines, le sang et le souffle étaient désordonnés et 


que cela tenait à un venin de serpent qui entourait tout 
son corps. Æ1-yu (Jivaka) dit au roi : «Je puis soigner votre 
maladie, et, quand je l’aurai soignée, je vous garantis la 
guérison ; il faut cependant que j'entre et que je voie la 
reine-mère afin de m’entendre avec elle sur la composition 
du remède ; si je ne vois pas la reine-mère, le remède ne 
saurait être préparé convenablement. » En entendant ces 
paroles, le roi n’en comprit pas la raison et il eut grande 
envie de s’emporter ; cependant, comme il souffrait de la 
maladie dans son corps, comme il connaissait de longue 
date la renommée de Xi-yu (Jivaka) et comme, à cause de 
cela, il s'était adressé à lui de loin dans l'espérance d'en 
recevoir du bien, considérant d’ailleurs que Ai-yu (Jivaka) 
était un jeune enfantet ne devait point y entendre malice, 


316 SÛTRAS DIVERS (N° 491) 


il prit patience et accorda ce qui lui était demandé; il 
chargea donc un serviteur eunuque de l'introduire auprès 
de la reine-mère. | 
Ai-yu (Jivaka) dit à la reine-mère : « La maladie du roi 
peut être soignéé : mais maintenant il faut composer le 
remède, et, comme il faut n’en révéler que secrètement la 
recette et ne pas la divulguer, il importe d’écarter les as- 
sistants. » La reine-mère fit donc partir les serviteurs 
eunuques. X’i-yu (Jivaka) dit alors à la reine-mère:« En 
examinant la maladie du roi, j'ai reconnu que le sang et le 
souffle de son corps étaient entièrement empoisonnés par 
un serpent ; il semble qu'il y ait là quelque chose de non- 
humain. De qui exactement le roi est-il le fils ? O reine- 
mère, dites-moi la vérité et je pourrai le guérir ; si vous 
ne me la dites pas, le roi ne pourra jamais se rétablir. » 
La reine-mère lui dit: « Autrefois je me trouvais dans la 
salle aux colonnes d’or et je m'étais couchée en plein jour; 
soudain un être vint et se posa sur moi ; j'étais alors comme 
hébétée, dans un état intermédiaire entre le rêve et la 
veille et il me semblait que j'avais un cauchemar; j’eus des 
relations sexuelles avec cet être et soudain je m’éveillai ; je 
vis alors un grand serpent, long de plus de trente pieds 
qui s’éloignait de dessus moi (1); puis je m’aperçus que 
j'étais enceinte ; le roi est certainement le fils de ce serpent. 
J'étais honteuse de cette aventure, et c’est pourquoi je n'en 


(1) D’après le texte analysé par Harpy (Manual of Buddhism, p. 244), le 
père du roi aurait été un scorpion. La tradition qui veut que le père du 
roi ait été un serpent paraît être plus ancienne; elle rappelle la légende 
relative à Alexandre le Grand que sa mère Olympias croyait avoir conçu 
sous l'influence d'un serpent (SCHIEFNER, Mémoires de l'Ac. des Sciences de 
St-Pétersbourg, t, XXII. n° 7, p. IV, n: 2). On la retrouve d’ailleurs en 
Chine où la mère du futur empereur ÆXao-tsou, fondateur de la dynastie 
des Han en 208 avant J.-C., devint enceinte après qu’un dragon fut monté 
sur son corps pendant son sommeil; Xao-isou fut considéré comme le fils 
de l'Empereur rouge qui s'était manifesté sous la forme d’un serpent et 
c'est pourquoi, dit-on, il put triompher d’un autre serpent qui étaitl’Em- 
pereur blanc, représentant de la dynastie des Ts’in (cf. SSEu-MA TS'IEN, 
‘trad. fr., t. II, pp. 325 et 321). 








SUTRAS DIVERS (N° 499) 347 


avais soufflé mot; mais maintenant, jeune homme, vous 
vous êtes aperçu de ce qui en était; quelle merveilleuse 
science est La vôtre! [Si la maladie du roi peut être soignée, 
je souhaite vous confier la vie du roi; maintenant, pour la 
soigner], quel remède faut-il employer? X’i-yu (Jivaka) 
répondit : « J'ai seulement besoin de beurre fondu. — 
Hélas, jeune homme, s’écria la reine-mère, gardez-vous 
de parler de beurre fondu, car le roi déteste en sentir 
l'odeur et même il déteste en entendre prononcer Le nom ; 
on compte par centaines et par milliers ces hommes qui, 
en diverses occasions, ont péri pour avoir parlé de beurre 
fondu. Si maintenant vous en parlez, certainement on vous 
fera périr. Si vous en donnez à boire au roi, vous ne pour- 
rez jamais faire descendre (cet aliment dans son corps); je 
désire que vous ayez recours à quelque autre remède ». 
K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Le beurre fondu combat le poi- 
son ; aussi celui qui est malade à cause du poison déteste- 
til sentir le beurre fondu. Si la maladie du roi était 
légère et due à quelque autre poison différent, il y aurait 
d’autres remèdes par lesquels on pourrait la guérir ; mais, 
comme le venin du serpent était violent et qu'il a fait tout 
le tour du corps, on ne peut plus le détruire que par le 
beurre fondu.Maintenant il nous faut transformer le beurre 
fondu en l’épurant de manière à ce qu'il devienne un li- 
quide sans aucun goût ; le roi le boira alors tout naturel- 
lement sans s’apercevoir de rien ; ce remède descendra et 
la maladie sera guérie certainement ; ne vous inquiétez 
donc pas. » 

Puis Æ’i-yu (Jivaka) sortit et vint auprès du roi; il lui 
dit: «Je viens d’avoir une entrevue avec la reine-mère et 
je lui ai révélé la recette du remède : maintenant, elle va 
le confectionner ; il sera prêt dans quinze jours ; mais j'ai 
cinq désirs à formuler ; si vous consentez à ce que je vais 
vous demander, votre maladie pourra aussitôt guérir; mais, 


si vous n’y consentez pas, votre maladie sera inguéris- 


348 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


sable. » Le roi lui ayant demandé en quoi consistaient ces 
cinq désirs, À’i-yu (Jivaka) dit : « En premier lieu, je désire 
que vous tiriez de votre magasin d'armures et que vous 
me donniez un vêtement neuf qui n'ait pas encore élé porté 
par vous ; en second lieu, je désire qu'on me laisse entrer 
et sortir à ma fantaisie sans que personne me reprenne ; 
en troisième lieu, je désire chaque jour être admis à voir 
seul à seules la reine-mère et la reine sans que personne 
me l’interdise ou me le reproche ; en quatrième lieu, je 
désire, Ô roi, que, lorsque vous boirez le remède, vous le 
buviez entièrement en levant la tête une seule fois et sans 
vous arrêter au milieu de cet acte ; en cinquième lieu, je 
désire avoir l’éléphant blanc royal qui parcourt huit mille 
li; qu’on me le donne pour que je le monte. » 

En entendant ces paroles, le roi se mit fort en colère et 
dit: « Enfant, comment osez-vous m’exprimer ces cinq 
désirs ? Je vous somme de les justifier tous par un bonne 
raison; si vous ne les justifiez pas, je vous ferai périr 
sous le bâton. Comment osez-vous demander un de mes 
vêtements neufs ? C’est sans doute parce que vous voulez 
me tuer, revêtir alors mes vêtements et vous faire passer 
pour moi! » A'i-yu (Jivaka) répliqua : « Pour composer le 
remède il est nécessaire d’être net et purifié ; or, je suis 
venu ici depuis longtemps et mes vêtements sont cou- 
verts de souillures ; voilà pourquoi je désire avoir un 
vêtement du roi pour m'en servir quand je composerai le 
remède. » Le roi comprit alors et dit: « S'il en est ainsi, 
c'est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous pouvoir entrer 
et sortir par la porte du palais sans que personne vous 
l'interdise ou vous le reproche ? ne voulez-vous pas en 
profiter pour amener des soldats qui m’attaqueront et me 
tueront ? » K'i-yu (Jivaka) répondit : « À diverses reprises 
déjà, Ô roi, vous avez employé des maïîtres-médecins ; mais 
vous les avez tenus tous en suspicion et vous ne vous êtes 
fié à aucun d’eux; puis vous les avez fait périr et vous 








SÛTRAS DIVERS (N° 499) 349 


n'avez pas avalé leurs remèdes ; aussi, (quand je suis 
venu,) tous les ministres disaient-ils que vous alliez me 
faire périr à mon tour. Cependant, comme votre maladie 
était fort grave, j'ai craint que des gens du dehors ne sus- 
citent des troubles ; or, si vous m’autorisez à entrer et à 
sortir sans que personne me l'interdise ou me le reproche, 
les gens du dehors sauront tous que Votre Majesté a con- 
fiance en moi, que par conséquent vous prendrez certai- 
nement mon remède et que votre guérison est assurée ; 
ils n’oseront plus avoir des intentions de révolte. » Le roi 
dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous entrer 
seul chaque jour pour voir ma mère et ma femme ? Serait- 
ce que vous voulez vous livrer avec elles à la débauche ? » 
Æi-yu (Jivaka) répliqua : « O roi, les gens que vous avez 
tués en diverses occasions sont extrêmement nombreux ; 
aussi vos sujets, grands et petits, sont-ils tous saisis de 
peur etne désirent-ils point le rétablissement du roi; il 
n’est donc aucun d’eux en qui on puisse avoir confiance ; 
si maintenant je m'associais l’un d’eux pour composer le 
remède, il profiterait d’un instant où je serais distrait pour 
jeter dedans quelque poison sans que je m'en aperçoive; 
cela ne serait pas peu grave. C’est pourquoi, en songeant 
à qui je pourrais me fier comme à des personnes dont les 
sentiments ne sont pas douteux, je n'ai trouvé que votre 
mère et votre femme. J’oserai donc être introduit auprès 
de la reine-mère et de la reine pour composer avec elles 
le remède qui sera prêt quand on l'aura fait cuire pendant 
quinze jours ; voilà pourquoi je désire entrer chaque jour 
(auprès d'elles) afin de veiller à ce que le feu soit bien 
égal. » Le roi dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez- 
vous que, lorsque je boirai le remède, je le boive d’un 
trait et sans m'arrêter au milieu? Ne serait-ce pas que 
vous voulez y mettre du poison et que vous craignez que 
je m’en aperçoive ? » K’i-yu(Jivaka) répliqua : « Le remède 
est dosé suivant certaines proportions ; les émanations et 


350 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


les goûts qui le composent doivent agir simultanément; 
si vous vous arrêtez au milieu, il n'y aurait plus de liaison 
mutuelle (entre les éléments du remède). » Le roi dit: 
« C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous avoir mon 
éléphant et le monter ? Cet éléphant est le joyau de mon 
royaume ; il peut parcourir huit mille /i en un jour; c’est 
grâce à lui précisément que j'ai pu imposer ma domina- 
tion sur les autres royaumes. Si vous voulez le monter, ne 
serait-ce pas que vous désirez me le voler et le ramener 
chez vous, puis attaquer mon royaume avec votre père. » 
K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Sur la frontière sud de votre 
pays, dans les montagnes, il y a une herbe médicale mer- 
veilleuse qui pousse à quatre mille /! de distance d'ici; 
quand vous boirez le remède, il est nécessaire que vous 
ayez de cette herbe pour en manger après. Voilà pourquoi 
je désire monter sur cet éléphant afin d’aller la cueillir en 
partant le matin et en revenant le soir, en sorte que le 
goût du remède soit encore présent. » Le roi entièrement 
éclairé, accorda donc tout ce qui lui était demandé. 
K'i-yu (Jivaka) se mit alors à épurer le beurre fondu 
par la cuisson et, au bout de quinze jours, il l'eut rendu 
pareil à de l’eau claire ; il en obtint en tout cinq dixièmes 
de boisseau ; puis, en compagnie de la reine-mère et de la 
reine, il sortit en tenant le remède ; il annonça au roi qu'il 
pouvait le boire et lui exprima le désir que l’éléphant 
blanc fût harnaché etfüt tenu prêt devant la salle du palais ; 
le roi y consentit; quand le roi vit que le remède était 
simplement comme de l’eau claire et n'avait aucune odeur 
et aucun goût, il n’y reconnut point du beurre fondu; en 
outre, comme la reine-mère et la reine avaient assisté en 
personne à la confection de ce remède, il fut convaincu que 
ce n’était pas du poison; alors donc, conformément à ce 
qui avait été convenu d’abord, il le but entièrement d'un 
seul trait. X’i-yu (Jivaka) monta alors sur l'éléphant ets’en 
retourna tout droit dans le royaume de Lc-yue-lche (Räâja- 








| 
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J 
J 


te sn 





SÛTRAS DIVERS (N° 499) 351. 


grha); cependant, quand Æ'i-yu (Jivaka) eut franchi trois 
mille li, comme il était jeune et que sa force de résistance 
était faible, il ne put supporter la rapidité de la course ; la 
tête lui tourna et sa fatigue fut extrême ; alors donc il 
s'arrêta et se coucha. HAE NE, 

Quand l'heure de midi fut passée, le roi fit un rot et 
sentit l'odeur du beurre fondu ; il se mit alors fort en co- 
lère et s’écria : « Le petit garçon s’est permis de m ingur- 
giter du beurre fondu; je m'étonnais qu’il me demandât 
mon éléphant blanc, mais c’est précisément parce qu'il 
voulait se sauver loin de moi. » Le roi avait un ministre 
nommé Corbeau (Kâka) qui était un homme vaillant ; sa 
puissance surnaturelle lui permettait d'atteindre à pied. 
cet éléphant ; le roi appela donc Corbeau et lui dit: «Allez 
promptement à la poursuite de ce garçon et ramenez-le- 
moi vivant; je veux le faire périr sous les coups de bâton 
en ma présence. Cependant, vous manquez toujours de 
frugalité et vous mangez et buvez avec avidité ; c'est pour- 
quoi on vous a appelé Corbeau; or les gens tels que ce 
maître-médecin se plaisentsouvent à se servir du poison; 
si donc ce jeune garçon vous offre de la nourriture, gar- 
dez-vous dela manger.» 

Corbeau reçut ces instructions et se mit en marche ;il 
rejoignit A’1-yu (Jivaka) dans la montagne et lui dit: «Pour- 
quoi avez-vous ingurgité au roi du beurre fondu en pré- 
tendant que c'était un remède? C'est pour cette raison 
que le roi m’a ordonné de vous poursuivre et de vous 
sommer de revenir ; revenez donc en toute hâte avec moi; 
en présentant vos excuses et en vous avouant coupable, 
peut-être aurez-vous quelque chance de conserver la vie; 
mais si vous vous obstinez à vouloir partir, je vous tue- 
rai sur-le-champ et vous ne sauriez m’'échapper. » A'i-yu 
(Jivaka) songea à part lui: «Quoique j'aie trouvé un moyen 
pour me procurer cet éléphant blanc, je ne saurais plus 
échapper ainsi ; il faut maintenant que j'invente quelque 


352 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


autre stratagème, car comment pourrais-je m’en aller à la 
suite de cet homme ? » Il dit alors à Corbeau : « Depuis 
ce matin je n'ai rien mangé ; si je me mets en route pour 
revenir, je mourrai certainement ; mieux vaut que vous 
m’accordiez un peu de répit pour que je trouve dans la 
montagne des fruits à manger et de l’eau à boire ; quand 
je serai rassasié, j'irai à la mort! » Voyant que K’i-yu 
(Jivâka) était un jeune garçon qui était tout effrayé par la 
crainte de la mortet qui s’exprimait péniblement, Corbeau 
eut pitié de lui et lui accorda ce qu'il demandait en disant: 
« Dépêchez-vous de manger et nous partirons ; nous ne 
pouvons rester ici longtemps. » X’1-yu (Jivaka) prit alors 
une poire eten mangea la moitié ; mais il versa dans 
l’autre moitié une partie d’un poison qu'il avait mis sous 
son ongle, puis il la posa à terre ; il prit en outre une 
tasse d’eau, et, après en avoir bu la moitié, il fit aussi 
passer dans ce qui restait de l’eau un peu du poison qu'il 
avait sous son ongle ; ensuite il reposa la tasse à terre. 
Puis il dit en soupirant : « Cette eau et cette poire sont 
des remèdes célestes ; elles ont un parfum pur et sont 
d’ailleurs exquises ; si on en boitet si on en mange, cela 
fait que le corps est bien portant, que toutesles maladies 
guérissent, que le souffle et la force sont en même temps 
doublés ; il est regrettable qu'on ne les trouve pas sous 
les murs de la capitale du royaume pour que tous les ha- 
bitants puissent y avoir part, et il est fâcheux qu'elles res- 
tent inconnuesdes hommesau fonddes montagnes.»Ayant 
ainsi parlé, il s’avanca dans la montagne pour y chercher 
d’autres fruits. Corbeau était d’un naturel glouton et il ne 
savait pas se contenir pour le boire et le manger; de plus 
il avait entendu Æ°1-yu (Jivaka) faire l'éloge deces remèdes 
célestes et enfin il avait vu Æ'i-yu (Jivaka) lui-même en 
boire et en manger, en sorte qu'il pensait que ces aliments 
n'étaient certainement pas empoisonnés ; il prit donc ce 
qui restait de la poire et la mangea ; il acheva de boire 


2045: LUS 





SÛTRAS DIVERS (N° 499) 353 


l'eau ; aussitôt il fut pris d’une dysenterie qui le fit aller 
à la selle comme si c’eût été de l’eau courante ; il tomba à 
terre et se coucha ; chaque fois qu'il se leva, il eut aussitôt 
un vertige et retomba; il devint incapable de remuer. 
K'i-yu (Jivaka) lui dit : « Le roi a pris ma médecine, et par 
conséquent, sa maladie guérira certainement ; mais main- 
tenant la force du remède n’a pas encore agi et ce qui reste 
du venin en lui n’est pas encore entièrement détruit ; si 
j'allais maintenant vers lui, il me manquerait pas de me 
tuer. Vous ignoriez cela et aviez formé le désir de vous 
emparer de moi pour vous acquitter du devoir qui vous 
avait été imposé ; c'est pourquoi je vous ai rendu malade. 
Mais cette maladie est sans gravité : gardez-vous de remuer 
et dans trois jours vous serez rétabli ; maissi vous vous 
levez pour me poursuivre, votre mort est absolument cer- 
taine. » Il monta alors sur l’éléphant et partit. Au premier 
hameau qu'il traversa, il dit à un chef de cinq hommes : 
«Il y a là-bas un messager du roi qui vient soudain de tom- 
ber malade ; allez promptement le prendre et ramenez-le 


chez vous ; soignez-le bien; faites-lui une couche moel- 


leuse; donnez-lui de la bouillie et prenez bien garde qu’il 
ne meure; s'il venait à mourir, le roi détruirait votre 
royaume. » Ayant ainsi parlé, il partit et s’en retourna 
dans son pays. Le chef de cinq hommes se conforma aux 
ordres qui lui avaient été donnés; il alla chercher Corbeau, 
le recueillitetle soigna ; au bout de trois jours, le poison 
ayant été entièrement éliminé par en bas, Corbeau revint 
voir le roi et, se prosternant la tête contre la terre devant 
lui, il dit: « En vérité, je suis un sot et un insensé ; j'ai con- 
trevenu aux recommandations de Votre Majesté et j'ai 
ajouté foi aux paroles de Æ'i-yu (Jivaka) ; j'ai bu et mangé 
ce qu'ilavait laissé d’eau et de fruits ; jai été ainsi atteint 
et j'ai eu la dysenterie pendant trois jours ; et ce nest 
que maintenant que je vais mieux. Je sais que je mérite la 
mort. » 
II. 23 


FEV EE" AR NACRE 
L D ut 8 


354 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


Pendant les trois jours qui s'étaient écoulés avant que 
Corbeau revint, le roi avait guéri de sa maladie ; 
il avait réfléchi sur ses actes et il s’était repenti d’avoir fait 
partir Corbeau ; quand il le vit revenir, il se sentit partagé 
entre la compassion et la joie, et lui dit : « C'est grâce à 
vous que le jeune garçon n’a pas été ramené ici au mo- 
ment où J'étais irrité et où certainement je l’aurais fait pé- 
rir sous les coups. Or j'aireçu de lui un bienfait et j'ai pu 
renaître à la vie; si, au lieu de le récompenser, je l'avais 
fait périr, ma perversité aurait été grande. » Alors le roi 
eut des remords au sujet de tous ceux qu'ilavait fait périr 
injustement en diverses occasions ; il leur fit des funé- 
railles honorables et exempta de taxes leurs familles en 
leur donnant en outre de l'argent; il désirait revoir Æ1- 
yu (Jivaka) et voulait le remercier pour le bienfait qu’il 
lui avait rendu; il envoya donc des messagers qu’il chargea 
d'aller chercher Xi-yu (Jivaka) ; bien que celui-ci sût que 
le roi était guéri de sa maladie, il conservait encore quel- 
que reste de crainte et ne désirait plus revenir auprès de 
lui. Dans cette occurence, X’1-yu (Jivaka) se rendit de nou- 
veau auprès du Buddha; il posa en signe d'hommage la 
tête sur ses pieds, puis illui dit: « O Honoré du monde, ce 
roi aenvoyé des messagers qui sont venus pour m’'appe- 
ler; dois-je partir ? » Le Buddha répondit : « X’i-yu (Jivaka), 
dans une existence antérieure vous avez fait le grand 
vœu de réaliser une action méritoire ; comment pourriez- 
vous vous arrêter à mi-chemin ? Il vous faut maintenant 
repartir ; quand vous aurez guéri la maladie externe de ce 
roi, moi à mon tour je guérirai sa maladie interne. » Æ1- 
yu (Jivaka) partit donc à la suite des messagers. 

Quand le roi vit X'i-yu (Jivaka),il en eut une très grande 
joie ; il l’amena et le fit asseoir avec lui ; le tenant par le 
bras, il lui dit: « Grâce au bienfait que vous avez eu pour 
moi, j'ai obtenu maintenant une vie nouvelle ; comment 
vous récompenserai-je ? Je veux diviser mon royaume et 








SÛTRAS DIVERS (N° 499) 355 


vous en donner la moitié ; les belles femmes de mon ha- 
rem,et tous les objets précieux de mes magasins et de mes 
trésors, je vous en donnerai la moitié; je souhaite que 
vous acceptiez. » X’i-yu (Jivaka) répondit : « J'étais autre- 
fois prince-héritier ; quoique ce fût dans un petit royaume, 
j'aurais eu cependant une population et des richesses très 
suffisantes ; mais je ne me plaisais point à gouverner un 
royaume et c'est pourquoi j'ai demandé à devenir médecin. 
Devant voyager pour soigner les malades, que ferais-je 
d'un territoire, de femmes et de trésors ? Tout cela ne me 
serait d'aucune utilité. O roi ! précédemment, en consen- 
tantà cinq de mes désirs, votre maladie externe a été gué- 
rie; maintenant, si vous m'accordez un seul désir, votre 
maladie interne, elle aussi, pourra être supprimée. » Le roi 
répondit : « Je suis prêt à recevoir vos instructions : je 
vous prie de m’exprimer ce désir. » 

Ki-yu (Jivaka)dit : «Je désire, Ô roi, que vous invitiez le 
Buddha à venir et que vous receviez de lui la sage Loi. » 
Il profita de cette occasion pour exposer au roiles mérites 
du Buddha etsa dignité d’une élévation toute particulière. 
En l’entendant, le roi dit tout joyeux: « Je veux mainte- 
nant envoyer mon ministre Corbeau, monté sur l'éléphant 
blanc, pour qu'il aille chercher le Buddha ; pourrai-je 
ainsi le faire venir?» Æ’i-yu (Jivaka) répliqua : « Point n’est 
besoin de l'éléphant blanc. Le Buddha comprend tout ; de 
loin il connaît les pensées qui sont dans le cœur des 
hommes ; contentez-vous pendant quelque temps de vous 
soumettre aux abstinences et aux purifications ; puis pré- 
parez des offrandes, brûlez des parfums et rendez hom- 
mage de loin en vous tournant du côté duBuddha; ensuite, 
mettez-vous à deux genoux et exprimez votre invitation : 
le Buddha viendra certainement de lui-même. » 

Le roi suivit cet avis, et le lendemain même, le Bud- 
dha arriva avec son cortège de mille deux cent cinquante 
bhiksus. Quand il eut fini de manger, il expliqua au roi 


:356 SUTRAS DIVERS (N° 499) 


Jes textes saints : alors l'intelligence du roi s’ouvrit et il 
-conçut aussitôt le sentiment de la sagesse sans supérieure 
correcte et vraie (anuttara samyak sambodhi); tous les 
habitants du royaume, grands et petits, acceptèrent tous 


les cinq défenses, puis, après avoir rendu hommage avec 


respect, se retirèrent. 

(Voici) encore {ce qu’on raconte au sujet de) Fille-de- 
manguier : dès sa naissance elle avait été extraordinaire ; 
quand elle fut grande, elle se montra intelligente ; elle 
avait étudié auprès de son père et connaissait bien la doc- 
trine des livres saints; en ce qui concernait les théories 
du mouvement des astres, elle était même supérieure à 
son père ; en plus, elle était versée dans l’art musical et 
chantait comme un deva de Brahma. Des filles de kia-lo- 
yue (grhapati) et de brahmanes, au nombre de cinq cents, 
allèrent toutes auprès d’elle pour étudier et pour qu’elle 
fût leur grand maître. Fille-de-manguier, toujours suivie 
de ses cinq cents disciples, célébrait etrépandait la doctrine 
des livres saints; parfois, elle allait avec elles se promener 
dans les parcs et près des étangs pour y faire de la mu- 
sique. Les gens du pays, qui ne comprenaient pas la rai- 
son de sa conduite, se mirent à dire des calomnies sur 
son compte ; ils prétendirent qu'elle était une fille de 
débauche et on surnommait ses cinq cents disciples « la 
bande des débauchées ». 

A l’époque où Fille-de-manguier était née, dans ce 
même royaume étaient nées aussi,au même moment, Fille- 
de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-fan (udambara). Fille- 


de-stu-man (sumanâ) était née dans une fleur de siu- 
man; dans ce royaume, il y avait un kta-lo-yue (grhapati) : 


chez qui on pressait (des fleurs de) stu-man (sumanâ) pour 
en faire une huile parfumée ; or, sur le côté de la pierre 
qui servait à exprimer l'huile, apparut soudain une excrois- 
sance qui, grosse d’abord comme une balle d’arbalète, 
augmenta de jour en jour jusqu à être comme le poing; 





vs cod RARE ES 








s. 


SÛTRAS DIVERS (N° 499) 357 : 


à ce moment, la pierre éclata brusquement et on aperçut. 
dans l’excroissance de la pierre un conglomérat, sem- 
blable à la lueur d’un ver luisant, qui sortit comme une 
flèche et tomba à terre; au bout de trois jours, il donna 
naissance à (une plante de) stu-man (sumanû) ; trois jours 
après, cette plante produisit une fleur, et, quand la fleur. 
s'épanouit, il y avait au centre une petite fille ; le kia-lo-yue 
(grhapati) la recueillit et la nourrit; on la nomma Fille- 
de-siu-man (sumanä) ; quand elle fut devenue grande, 
elle se trouva être d’une beauté remarquable; en outre, 
elle était capable et intelligente ; elle ne le cédait qu’à 
Fille-de-manguier. 

En ce même temps, il y avait encore un brahmane; dans 
son étang à bains un lotus bleu poussa spontanément; 
la fleur en fut d’une grosseur toute particulière et aug- 
menta de jour en jour jusqu’à devenir comme une jarre 
d'une contenance de cinq boisseaux ; quand la fleur s’ou- 
vrit, on aperçut au centre une petite fille ; le brahmane la 
recueillit et la nourrit; on la nomma Fille-de-po-Fan 
(udambara) ; quand elle grandit, elle devint encore plus 
belle ; elle était capable et intelligente, tout comme Fille- 
de-siu-man. 

En entendant parler de la beauté sans rivale de ces deux 
jeunes filles, les rois des divers royaumes venaient à 
l'envi pour les demander en mariage; mais ces deux 


jeunes filles répondaient : « Nous ne sommes point nées 


d’un fœtus ; nous sommes sorties de la fleur d’une plante ; 
nous ne sommes donc point semblables aux femmes ordi- 
naires; quelle nécessité y a-t-il à ce que nous suivions 
un homme de ce monde pour nous marier ? » Puis, 
quand elles entendirent parler de l'intelligence sans 
rivale de Fille-de-manguier et qu’elles apprirent que sa 
naissance avait été semblable à la leur, elles quittérent 
toutes deux leur père et leur mère pour aller se mettre 
au service de Fille-de-manguier et lui demander à être 


358 SÛTRAS DIVERS (N° 499) 


ses disciples ; par leur intelligence des livres saints et 
par leur sagesse, elles l’emportèrent toutes deux sur les 
cinq cents autres disciples. 

En ce temps, le Buddha était entré dans le royaume de 
Wei-ye-li (Vaiçâli); Fille-de-manguier, emmenant avec 
elle ses cinq cents disciples, sortit à sa rencontre ; elle 
lui rendit hommage de son visage, puis elle se mit à deux 
genoux et lui dit : « Je désire, à Buddha, que vous veniez 
demain dans mon parc pour y manger. » Le Buddha 
accepta par son silence. Fille-de-manguier, étant revenue 
chez elle, fit tous les préparatifs de l’offrande. Quand le 
Buddha vint et entra dans la ville, le roi du royaume était 
aussi sorti de son palais pour venir à sa rencontre ; après 
lui avoir rendu hommage, il se mit à deux genoux et l'in- 
vita en disant : «Je désire que vous veniez demain dans 
mon palais pour y manger. » Le Buddha répondit : « Fille 
de-manguier m'a précédemment déjà invité ; vous venez 
après elle ». Le roi reprit : « Je suis le roi du royaume ; 
c'est de tout mon cœur que je suis venu vous inviter, à 
Buddha, et j'espérais certes que vous accepteriez. Fille- 
de-manguier n’est qu'une fille de débauche ; chaque jour 
avec cinq cents autres femmes débauchées, ses disciples, 
elle commet des actions illicites. Comment pouvez-vous 
me rejeter pour accepter son invitation ? » 

Le Buddha répliqua : « Cette fille n'est point une fille 
débauchée. Dans une vie antérieure, elle s’est acquis un 
grand mérite pour avoir fait des offrandes à trois cent 
mille Buddhas ; autrefois en outre, elle, ainsi que Fille- 
de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-l'an(udambara) étaient 
trois sœurs: Fille-de-manguier était l’ainée; (Fille-de-) 
siu-man (sumanâ) était la seconde ; (Fille-de-) po-Pan 
(udambara) était la plus jeune; elles étaient nées dans 
une famille puissante et fort riche ; se donnant l'exemple 
l’une à l’autre, ces trois sœurs faisaient des offrandes à 
cinq cents bhiksunis, et chaque jour elles leur préparaient 








mme tn 
1 


SÛTRAS DIVERS (N° 499) 359 


à boire et à manger et leur faisaient des vêtements ; 
veillant à toutes les choses qui pouvaient leur manquer, 
elles les leur fournissaient aussitôt; cela dura jusqu’à la 
fin de leur vie. Ces trois sœurs avaient constamment formé 
ce vœu : « Nous souhaitons, dans notre vie à venir, ren- 
contrer le Buddha, obtenir de naître par transformation 
spontanée, sans passer par l’état de fœtus et à l'abri de 
toutes les souillures. Maintenant, conformément à leur 
ancien vœu, elles sont nées précisément à l’époque où je 
suis sur la terre. D'autre part, quoique autrefois elles aient 
fait des offrandes aux bhiksunis, cependant, comme elles 
étaient les filles d’une famille puissante et riche, elles 
tenaient des propos trop libres; parfois elles se moquaient 
des bhiksunis, disant : « O religieuses, voici longtemps que 
vous avez l’air chagrin ; vous devez désirer vous marier ; 
mais, retenues par nos offrandes et nos soins, vous ne 
pouvez pas donner libre cours à vos passions. » Voilà 
pourquoi maintenant ces jeunes filles subissent cette 
peine ; quoique chaque jour elles louent la doctrine des 
livres saints, elles sont en butte sans motif à l’accusation 
de débauche. Quant à ces cinq cents disciples, elles aussi 
avaient uni leurs forces à celles de ces jeunes filles, Les 
avaient aidées à faire des offrandes et y avaient pris plai- 
sir d’un même cœur; c'est pourquoi, maintenant, elles 
sont nées avec elles; le fruit de leurs actions les a 
suivies. 

« Ai-yu (Jivaka), en ce temps, était le fils d'une pauvre 
famille ; voyant Fille-de-manguier faire des offrandes, il 
en conçut beaucoup d’admiration etde joie ; mais, comme 
il ne possédait rien, il se mit à balayer constamment pour 
les bhiksûünis ; toutes les fois qu’il avait rendu la place 
propre et nette en balayant, il formulait ce souhait : 
« Puissé-je balayer aussi promptement toutes les mala- 
dies et les impuretés qui sont dans le corps des hommes 
en ce monde. » Fille-de-manguier, qui avait compassion 


360 EÛÜTRAS DIVERS (N° 499) 


de sa pauvreté et qui approuvait ses efforts, l’appelait tou- 
Jours son fils ; quand une bhiksunî était malade, elle char- 
geait toujours Æ’1-yu (Jivaka) d'aller appeler le médecin, 
puis de composer la potion ou le remède; elle disait: 
«Puissiez-vous, dansune existence ultérieure, obtenir avec 
moi le bonheur produit par cette bonne œuvre. » Quand 
K'i-yu (Jivaka) allait chercher un médecin, tous ceux que 
soignait celui-ci guérissaient; Â’i-yu fit alors ce vœu : « Je 
souhaite être, dans une existence ultérieure, un grand 
roi-médecin, soigner toujours les maladies des quatre 
éléments composant les corps de tous les hommes et 
guérir tous ceux auprès de qui j'irai. » Grâce à toutes les 
causes provenant des temps antérieurs, il est donc main- 
tenant devenu le fils de Fille-de-manguier et tout s’est 
passé conformément à son vœu primitif. » 

Ayant entendu ces paroles du Buddha, le roi se mit à 
deux genoux, se repentit de ses fautes et ajourna son invi- 
tation au lendemain. Le lendemain, le Buddha arriva avec 
tous les bhiksus dans le parc de Fille-de-manguier ; il 
exposa à cette dernière tout le mérite qu’elle s'était ac- 
quis par son ancien vœu; en entendant les textes saints, 
ces trois filles sentirent leur intelligence s'ouvrir et elles 
se réjouirent en même temps que les cinq cents disciples ; 
elles entrèrent en religion pour pratiquer la bonne con- 
duite et s’y appliquèrent avec énergie et sans relâche ; 
toutes obtinrent la sagesse d’arhat. 

Le Buddha dit à Ânanda : «Il vous faut conserver ces 
enseignements pour les exposer aux disciples des quatre 
classes, et ne pas les laisser se perdre. Que tous les êtres 
vivants veillent bien sur leurs actes, leurs paroles et leurs 
pensées et qu'ils ne se laissent pas aller à l’arrogance et 
à une trop grande liberté ; pour avoir autrefois raillé des 
bhiksunis, Fille-de-manguier fut en butte maintenant à 
l'accusation calomnieuse d’être une débauchée. Il vous 
faut donc veiller sur ce que font votre corps, votre 





SÛTRAS DIVERS (N°.499) 361 


bouche et votre pensée ; formulez toujours des souhaits 
excellents ; ceux qui vous entendront se réjouiront en 
votre compagnie et accepteront avec foi et joie (votre 
exemple). Ne faites pas d’accusations calomnieuses, car 
vous tomberiez dans les enfers où vous subiriez les autres 
punitions telles que celles de naïtre en qualité d'animal ; 
puis, après avoir passé ainsi des centaines et des mil- 
liers de kalpas, votre rétribution serait d’être un homme 
pauvre et méprisé, n'entendant pas la vraie Loi, né dans 
une famille hérétique, rencontrant toujours un méchant 
roi et ayant un corps mutilé. Il vous faut done mettre en 
pratique ces enseignements, les retenir et les réciter et, 
pendant tous les temps à venir, ne jamais permettre qu'ils 
se perdent. » 

Alors Ânanda se leva de son siège ; il rendit hommage 
aux pieds du Buddha en appuyant sur eux sa tête ; il se 
mit à deux genoux, joignit les mains et dit au Buddha : 
« O Honoré du monde, quel est le nom qu'il faut donner 
au sûtra où est exposé ce point important de la doctrine ? » 
Le Buddha répondit à Ânanda : « Le nom de ce sûtra est : 
Sûtra de l’avadäna de Fille-de-manguier et de Æi-yu 
(Jivaka), Mettez en pratique la doctrine qui vient de vous 
être montrée ; faites des offrandes aux bhiksus et aux 
bhiksunîs ; donnez des remèdes, allez chercher des méde- 
cins ; réjouissez-vous avec les autres de ce que, pour avoir 
fait (autrefois) un vœu, ils obtiennent maintenant une 
récompense. Observez bien tout cela. » 

Quand le Buddha eut prononcé ce texte sacré, la grande 
assemblée composée des huit catégories qui sont les 
hommes, les devas, les nâgas, etc., ayant entendu ce 
qu'avait dit le Buddha, se mit avec joie à pratiquer ses 
préceptes. 


362 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


N° 500. 
LE SÜTRA DU PRINCE HÉRITIER SUDÂNA (Stu-la-na).[1]. 


(Trip., VI, 5, pp. 90 v°-95 r°.) 


Voici ce que j'ai entendu raconter: Un jour le Buddha 
se trouvait à Chô-wet (Grâvasti), dans le Tche-houan (Jeta- 
vana), dans l’a-lan (aranya) d’A-nan-pin-lch'e (Anâthapin- 
dada) ; il se trouvait alors en compagnie d’une multitude 
innombrable de bhiksus, de bhiksûnis, d’upâsakas et 
d’upâsikâs et était assis au centre de ses disciples des quatre 
catégories; or, le Buddha se mit à sourire, et, de sa bouche 
sortit une clarté de cinq couleurs. A-nan (Ânanda) se 
leva de son siège, disposa en bon ordre ses vêtements, 
joignit les mains, se mit à deux genoux et dit au Buddha : 
« Depuis plus de vingt ans que je suis aux côtés du Buddha, 
je ne l'ai jamais vu rire comme aujourd’hui. Maintenant, 
à Buddha, pensez-vous à quelque Buddha du passé, du 
futur ou du présent ? Il faut que vous ayez eu quelque 
idée spéciale ; je désirerais en être informé. » Le Buddha 
dit à Ânanda : « Je ne pensais point à un Buddha du passé, 
du futur ou du présent; j’ai songé aux circonstances dans 
lesquelles, il y a de cela d'innombrables asamkhyeyas 


(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, n° 254), a été traduit sous la dynastie 
des Ts'in occidentaux (385-431) par le cramana Cheng-kien, qui écrivait 
entre 388 et 407 p. C. Il correspond au fameux Vessantara jâtaka. 

Que signifie le nom de Siu-ta-na qui est ici donné au prince héritier ? 
Il semble bien que, pour celui qui a fait cette transcription, l'original 
sanscrit devait être Sudâna (excellente charité) ; cependant cette trans- 
cription parait ètre fondée sur une forme altérée d’un original qui pour- 
rait être Sudanta (aux belles dents) ou Sudânta (le bien duompté). 
(Cf. Foucher dans BEFEO, 1901, p. 353, n. 2, et 1903, p. 413, n. 7); voyez 
aussi Sylvain Lévi (Journal asialique, mars, avril 1900, p. 324, n. 2). 


ET DS 





SÛTRAS DIVERS (N° 500) 363 


kalpas, je pratiquai la pâramitàâ de bienfaisance (dâna) ». 
Ânanda demanda au Buddha : « Quelles sont les circons- 
tances dans lesquelles vous avez pratiqué la pâramitä de 
bienfaisance ? » 

Le Buddha répondit: « Autrefois, ily a de cela des 
kalpas dont on ne saurait faire le compte, il y avait un 
grand royaume nommé Che-po # 3% (Cibi) ; le nom du 
roi était Che-po ;& ÿk ; 1l gouvernait son royaume en ap- 
pliquant les lois correctes ; il ne faisait pas tort aux gens 
du peuple. Ce roi avait quatre mille grands ministres; 
il dominait sur soixante petits royaumes ct huit cents 
villages ; il possédait cinq cents éléphants blancs. Or ce 
roi avait vingt mille épouses, mais n'avait pas un seul 
fils ; il adressa donc des prières à toutes les divinités, 
ainsi qu'aux montagnes et aux cours d’eau: une de ses 
femmes alors s’aperçut qu’elle était enceinte; le roi se 
mit donc à l’entourer de soins; il prescrivit qu on lui don- 
nât tout ce qu’il y avait de plus fin en fait de lit, de literie, 
de boissons et d’aliments ; dès que les dix mois furent 
écoulés, le prince héritier naquit. Les vingt mille femmes 
du harem, en apprenant que le prince héritier était né, 
sautèrent toutes de joie et le lait jaillit spontanément de 
leurs seins ; c’est pourquoi on donna au prince héritier le 
nom de Siu-la-na (Sudâna). Il y eut quatre nourrices qui 
entourèrent de leurs soins l’héritier présomptif: l’une 
d'elles l’allaitait; la seconde le tenait dans ses bras; la 
troisième le lavait ; la quatrième le prenait pour le faire 
jouer ; quand le prince atteignit sa seizième année, il était 
accompli dans l'écriture, le calcul, le tir à l'arc, l'art de 
diriger un char, ainsi que dans les rites et la musique; il 
servait son père et sa mère comme s'il eût servi des divi- 
nités célestes. Le roi fit pour lui un paiais spécial. 

Dès sa jeunesse, le prince héritier se plut à faire des 
libéralités à tous les hommes qui étaient dans le monde, 
ainsi qu'aux oiseaux qui volent et aux quadrupèdes qui 


364 sûrras Divers (N° 500) 


marchent; il désirait faire que tous les êtres vivants. 
eussent perpétuellement ce qui pouvait les rendre heu-. 


reux, L'homme stupide, par avarice et avidité, n’est pas 
disposé à faire des libéralités ; dans son ignorance et son 
aveuglement il se trompe lui-même en pensant que la cha- 
rité ne lui est d'aucun profit. Mais le sage, quand il se 
trouve dans le monde, comprend que la charité est une 
vertu. Les hommes charitables sont ceux que louent d’une 
voix unanime les Buddhas, les Pratyeka Buddhas et les 
Arhats du passé, de l'avenir et du présent. 

Quand le prince héritier fut devenu adulte, le grand roi 
lui choisit une épouse; son nom était Man-lch'e (Madri) (4); 
elle était fille d'un roi; sa beauté était sans égale ; des 
parures de vaidürya (lieou-li), d’or et d'argent et de di- 
verses substances précieuses ornaient son corps. 

Le prince héritier eut un fils et une fille. 

Le prince héritier songea qu’il voulait se conduire 
d’après la pâramità de charité. Il annonça au roi qu’il dé- 
siraitsortir pour se promener et voir le pays; le roi y ayant 
consenti, le prince héritier sortit aussitôt de la ville. 
Cakra, roi des devas, descendit sous la forme d'hommes 
qui étaient pauvres, sourds, aveugles ou muets et qui 
tous se trouvaient sur le bord de la route. Quand le prince 
héritier les eut vus, il fit faire volte-face à son char et ren- 
tra au palais ; il était plongé dans une profonde tristesse 
et ne se réjouissait plus. Le roi lui demanda pourquoi il 


ne se livrait plus à la joie depuis qu’il était revenu de son 


excursion. Il répondit: « Lorsque je suis sorti, j'ai aperçu 
des hommes pauvres, sourds, aveugles, ou muets ; c’est 
pourquoi je m'afflige. Je voudrais vous exprimer un désir ; 
mais je ne sais point, Ô grand roi, si vous me donnerez 
votre consentement. » Le roi lui dit: «Que désirez-vous ? 
Je vous accorde ce que vous exigerez et je ne m'oppose- 


{1) En réalité la transcription Man-tch'e suppose un original Mandi. 





SÛTRAS DIVERS (N° 500) 365 


rai point à vos intentions. » Le prince héritier lui répondit : 


« Je désire avoir toutes les richesses précieuses qui sont 
dans le trésor de votre Majesté, les mettre en dehors 
des quatre portes de la ville et les étaler sur la place du 
marché pour en faire des libéralités, pour accorder tout ce 
qu’on demandera et pour ne m'opposer aux désirs de per- 
sonne. » Le roi lui dit: « Faites comme il vous plaira ; 
je ne vous résiste point. » Le prince héritier chargea donc 
les ministres qui étaient à ses côtés de transporter les ri- 
chesses précieuses, de les étaler en dehors des quatre 
portes de la ville ainsi que sur la place du marché pour 
qu'on püt en faire des libéralités, satisfaire à tous les dé- 
sirs des hommes et de ne s'opposer à aucune envie. Dans 
les huit directions, au zénith etau nadir, il n’y eut personne 
qui ne fût informé de l’acte méritoire qu’accomplissait le 
prince héritier ; des quatre points cardinaux les gens accou- 
rurent, les uns venant de cent /: de distance, les autres de 
mille /r, les autres de dix mille /:; ceux qui avaient envie 
de manger, on les nourrissait; ceux qui désiraient des 
vêtements, on leur en livrait; ceux qui souhaitaient obte- 
nir de l’or, de l’argent ou des joyaux, on leur en donnait 
tant qu'ils en voulaient; on accordait à chacun l’objet de 
son désir et on ne s’opposait à aucune envie. 

En cetemps, un roi rival qui était animé de mauvaises 
intentions, apprit que le prince héritier se plaisait à faire 
des libéralités, qu'il accordait tout ce qu'on lui demandait 
et qu'il ne s’opposait à aucune envie. Il réunit donc ses 
ministres et une foule de religieux pour tenir conseil avec 
eux ; il leur dit: « Le roi du royaume de Che-po à un élé- 
phant blanc marchant sur des lotus; son nom est(1) Siu- 


(1) Ce nom pourrait être la transcription du sanscrit Sudânayâna : 


monture de Sudâna. Le mot dâna a l'avantage de suggérer un autre 
sens, Car il désigne la liqueur odorante qui découle des tempes de l'élé- 
phant en rut; il est intéressant de remarquer que cet éléphant est pré- 


cisément désigné par un récit de la Jâtakamäla (9° récit, p. 73, note 2), 
comme un «scent elephant», En pâli, le nom de cet éléphant est Paccaya. 


366 SÜTRAS LIVERS (N° 500) 


l'an-yen; il est très fort et vaillant au combat; toutes les fois 
que des batailles ont été livrées contre d’autres royaumes, 
cet éléphant a toujours remporté la victoire ; qui se charge 
d'aller demander qu'on le lui donne ? » Tous les ministres 
répondirent qu'ils étaient incapables d’aller et de l’obte- 
nir ; cependant il y avait dans l'assemblée huit religieux 
qui dirent au roi: « Nous nous chargeons d'aller et de 
demander qu'on nous remette cet éléphant. Donnez-nous 
quelques provisions de route. » Le roi leur en donna, puis 
ajouta : « Si vous pouvez vous assurer la possession de 
cet éléphant, je vous récompenserai grandement. » Les 
huit religieux se mirent donc en route et prirent en main 
leur bâton ; franchissant au loin les montagnes et les ri- 
vières, ils parvinrent dans le royaume de Che-po et arri- 
vèrent à la porte du palais du prince héritier; tous 
s'appuyant sur leur bâton et levant un pied, restèrent 
debout tournés vers la porte. Alors le gardien de la porte 
vint avertir le prince héritier que, au dehors, il y avait des 
religieux qui tous, appuyés sur leur bâton et levant un 
pied, restaient debout et disaient: « Nous sommes venus 
exprès de loin parce que nous désirons demander qu'on 
nous donne quelque chose. » En entendant ces mots, le 
prince héritier fut très joyeux ; il sortit pour aller à la ren- 
contre des religieux, s’avança vers eux et leur rendit hom- 
mage comme le ferait un fils qui voit son père; il 
s'informa ensuite d’eux avec sollicitude, leur demandant 
d'où ils venaient, s’ils avaient pu n'être pas fatigués du 
voyage, enfin quel était l’objet de leur désir pour qu'ils 
tinssent ainsi un pied levé en l’air. Ces huit religieux lui 
dirent: « Nous avons entendu raconter que le prince héri- 
tier se plaisait à faire des libéralités, qu'il accordait tout 
ce qu’on lui demandait et ne s’opposait à aucune envie; 
la réputation du prince héritier s’est répandue dans les 
huit directions ; en haut, elle a pénétré dans le ciel azuré ; 
en bas, elle a atteint les sources jaunes ; les mérites qu'il 








SÛTRAS DIVERS (N° 500) 367 


s’est acquis par ses libéralités sont immenses ; au loin et 
au près on le célèbre dans des chants et il n’est personne 
qui n’en soit informé. Ce que les hommes disent de vous, 
ô prince héritier, est vrai et non faux. Vous êtes mainte- 
nant le fils de l'homme divin ; or, la parole de l’homme 
divin n’est jamais trompeuse. Donc, puisque vous êtes 
réellement capable de faire des libéralités et de ne pas 
vous opposer aux désirs des hommes, nous voudrions 
vous demander le don de l'éléphant blanc qui marche sur 
des lotus. » Le prince héritier se rendit alors à l’écurie 
des éléphants et en fit sortir un éléphant; mais les reli- 
gieux lui dirent: « Celui que nous désirons précisément 
avoir, c'est l'éléphant blanc qui marche sur des lotus, celui 
dont le nom est Siu-l'an-yen. » Le prince héritier répliqua: 
« Ce grand éléphant blanc est fort aimé et estimé du roi 
mon père qui le regarde du même œil dont il me re- 
garde moi-même; je ne saurais vous le donner. Si je vous 
le donnais, je perdrais l'affection de mon père; il serait 
peut-être capable, à cause de la faute que j'aurais com- 
mise concernant cet éléphant, de me chasser et de me 
faire sortir du royaume. » Le prince héritier fit cependant 
cette réflexion : « J’ai fait auparavant le vœu solennel d’ac- 
corder toutes les libéralités qu'on me demanderait et de 
ne m'opposer à aucun désir. Si maintenant je refuse, je 
contreviens à mes intentions primitives. Si je ne donne 
pas cet éléphant, par quel moyen pourrais-je atteindre au 
but de la pâramitâ sans supérieure et égale pour tous? Je 
consens à le donner afin de réaliser la pâramità sans supé- 
rieure et égale pour tous. » Le prince héritier déclara donc : 
« J'y consens; c’est fort bien, je désire vous le donner. » Il 
ordonna à ceux qui l’entouraient de mettre à cet éléphant 
sa selle d’or et de l’amener promptement. Le prince héri- 
tier, de la main gauche, prit de l’eau dont il lava les mains 
des religieux, et, de la main droite, iltira l'éléphant pour le 
leur donner. Quand ces huit hommes furent en possession 


368 SUTRAS DIVERS (N° 500) 


de l'éléphant, ils prononcèrent un souhait de bénédiction 
en faveur du prince, puis, quand ils eurent formulé ce 
souhait, ils montèrent tous sur l’éléphant blanc et s’en 
allèrent fort joyeux. Le prince héritier leur dit encore : 
« Partez promptement, car, si le roi savait ce qui vient de 
se passer, il pourrait envoyer des gens à votre poursuite 
pour vous enlever l'éléphant. » Ces huit religieux s’en 
allèrent donc en toute hâte. 

Quand les ministres du royaume surent que le prince 
héritier avait fait don de l’éléphant blanc à leur ennemi, 
ils furent tous saisis de stupéfaction et de crainte ; tombant 
de leur lit à terre, ils étaient plongés dans le chagrin et 
ne se réjouissaient plus ; ils songeaient: « Notre pays ne 
pouvait s'appuyer que sur cet éléphant pour repousser les 
royaumes rivaux. » Ils allèrent dire au roi: « Le prince 
héritier a pris l'éléphant précieux qui, dans notre 
royaume, repoussait les royaumes rivaux et ilen a fait don 
à notre ennemi. » En entendant ces mots, le roi fut tout 
déconcerté, ils ajoutèrent : « O roi, si maintenant vous 
avez obtenu l'empire, c’est parce que vous aviez cet élé- 
phant qui était plus fort que soixante éléphants. Mainte- 
nant que le prince héritier l’a donné à notre ennemi, je 
crains que cela ne cause la perte du royaume. Que faut-il 
faire ? En se livrant ainsi à toutes les libéralités dont il a 
fantaisie, le prince héritier videra journellement le trésor 
_du palais; nous craignons qu'il ne finisse par donner le 
royaume entier ainsi que sa femme et ses enfants. » En 
entendant ces paroles, le roi sentit redoubler son mécon- 
tentement ; il appela un de ses ministres etlui demanda : 
« Est-il bien vrai que le prince héritier ait pris l'éléphant 
blanc pour le donner à notre ennemi?» Sur la réponse 
affirmative de ce ministre, le roi fut de nouveau grande- 
ment épouvanté ; il tomba de son lit par terre, et, si grande 
était son affliction qu’il ne reconnaissait plus personne ; 
on l’aspergea d’eau fraiche et, au bout d'un assez long 








SÜTRAS DIVERS (N° 500) 369 


temps, il reprit ses sens. Ses vingt mille épouses elles 
aussi n'étaient plus joyeuses. 

Le roi délibéra avec ses ministres et leur demanda quelle 
conduite il fallait tenir à l'égard du prince héritier. Un des 
ministres répondit : « Celui qui entre avec ses pieds dans 
: l'écurie des éléphants, on doit lui couper les pieds; celui 
qui emmène avec ses mains un des éléphants, on doit lui 
couper les mains; celui qui a regardé avec ses yeux un des 
éléphants, on doit lui arracher les yeux. » Un autre dit 
qu'il fallait lui couper la tête. Tels étaient les divers avis 
qu'émettaient les ministres dans la délibération. En enten- 
dant leurs paroles, le roi fut grandement attristé ; il dit à 
ses ministres : « Mon fils aime fort la sagesse et se plait 
à faire la charité aux gens. Puis-je l’en empêcher en l’ar- 
rêétant et en l’enfermant ? » Un des grands ministres qui 
se trouvaient là blâma l’avis exprimé par les autres minis- 
tres et le condamna en disant :« OÔ roi, vous n’avez que ce 
seul fils et vous le chérissez fort. Pourquoi voudriez-vous 
le supplicier et le mutiler ? et comment pourriez-vous avoir 
une telle pensée ? » Il ajouta : « Je ne me permettrais pas 
non plus de vous engager, Ô grand roi, à mettre le prince 
héritier dans l'impossibilité d'agir en l’arrêtant et en l’en- 
fermant. Bornez-vous à le chasser hors du royaume: met- 
tez-le dans une région sauvage au milieu des montagnes 
pendant une douzaine d'années. Cela le ramènera à rési- 
piscence. » Le roi suivit l’avis de ce grand ministre; 
il envoya donc un messager appeler le prince héritier, puis 
il lui demanda : « Avez-vous pris l'éléphant blanc pour le 
donner à notre ennemi? » Le prince héritier répondit qu'il 
l'avait effectivement donné. Le roi reprit : « Pourquoi avez- 
vous pris mon éléphant blanc pour le donner à mon ennemi 
et ne m'en avez-vous pas averti? — Auparavant déjà, 
répondit le prince, j'avais obtenu de Votre Majesté l’enga- 
gement que vous me permettriez de faire toutes les libéra- 
lités que je voudrais et de ne vous opposer à aucun désir 

III. 24 


370 . SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


qui vous serait exprimé. C'est pourquoi je ne vous ai pas 
averti de ce que je faisais. » Le roi répliqua : « L'engage- 
ment que j'avais pris auparavant ne s’appliquait qu'aux 
joyaux; comment l'éléphant blanc y aurait-il été inclus ? — 
Toutes ces choses, dit le prince, sont également les biens. 
du roi; comment l'éléphant blanc serait-il seul à en être 
exclu ? » Le roi dit alors au prince héritier: « Sortez. 
promptement du royaume : je vous exile dans la montagne- 
T'an-F'o (Danta) (1) pour douze années. » Le prince héri- 
tier répliqua : « Je n'oserais enfreindre les prescriptions: 
de Votre Majesté; mais je voudrais encore faire des libé- 
ralités pendant sept jours afin de déployer mes faibles. 
sentiments ; ensuite je quitterai le royaume. » Le roi 
répliqua : «Si je vous chasse, c’est précisément parce que 
votre charité est trop extrême, parce qu'elle a violé mes. 
trésors et causé la perte du joyau précieux qui me permet- 
tait de repousser les ennemis. Vous ne sauriez donc rester 
encore ici pour faire des libéralités pendant sept jours; 
sortez promptement ; je ne vous accorde pas cette autori- 
sation. » Le prince héritier dit alors: « Je ne me permet- 
trais pas d’enfreindre les ordres de Votre Majesté; cepen- 
dant j'ai quelques richesses qui m'appartiennent en propre ; 
je voudrais pouvoir en faire des libéralités, après quoi je 
m'en irai; mais je n’oserai plus dépenser les richesses de 
l'État. » Les vingt mille épouses allèrent ensemble auprès. 
du roi pour le prier de laisser le prince héritier faire des. 
libéralités pendant sept jours; après quoi, il sortirait du 
royaume. Le roi y consentit. 

Alors le prince héritier chargea ceux qui étaient auprès. 
de lui d'annoncer dans les quatre directions de l’espace 
que tous ceux qui désiraient obtenir des richesses eus- 
sent à venir à la porte du palais et qu'ils obtiendraient ce 


(1) Cette montagne doit être identifiée, comme l’a montré A. Foucher, 
avec la colline Mékha-Sanda, au nord-est de Shähbâz-garhi. Cf. BEFEO, 
1901, p. 353-359 et 1903, pp. 413, n° 1. 








SÛTRAS DIVERS (N° 500) 371 


qu'ils désiraient ; quand les hommes ont des richesses, ils 
ne peuvent les garder perpétuellemént ; un jour vient où 
il leur faut les perdre et les disperser. Ainsi donc, des 
quatre points cardinaux des-gens accoururent à la porte 
du palais; le prince héritier leur prépara à manger; il leur 
distribua ses objets précieux et chacun s’en alla satisfait; 
au bout de sept jours, les richesses furent épuisées; les 
pauvres étaient devenus riches et dix mille personnes 
étaient joyeuses. , | : 

Le prince héritier dit à sa femme : « Levez-vous promp- 
tement et écoutez ce que j'ai à vous dire: maintenant le 
grand roi me chasse et m’établit pour douze années dans 
la montagne T'an-Po.» En entendant ce que disait le prince 
héritier, la princesse sa femme toute déconcertée et stupé- 
faite, se leva et lui dit: « Quelle faute grave avez-vous 
commise pour que le roi se porte à cette extrémité contre 
vous ? » Le prince héritier répondit: « C’est parce qu’il a 
jugé que ma libéralité a été excessive, parce que j'ai vidé le 
trésor de l’État et parce que j'ai fait don à notre ennemi.du 
vaillant éléphant blanc. Considérant cela, le roi et les minis- 
tres qui sont à ses côtés ont été d'accord dans leur irrita- 
t'on pour me chasser. » WMan-ich’e (Madri) dit: « Pour que 
le royaume soit prospère , je souhaite que le grand roi, 
ainsi que les ministres qui sont à ses côtés, les officiers et 
les gens du peuple, grands et petits, aient une abondance 
et une joie illimitée. Moi cependant, je devrai déployer 
toutes mes forces pour tâcher avec vous de parvenir à la 
sagesse dans cette montagne. » Le prince héritier lui dit: 
«Quand un homme se trouve dans la montagne qui est un 
lieu d’épouvante, cela lui rend difficile de garder son sang- 
froid ; les tigres, les loups et les bêtes féroces y sont fort 
à craindre ; vous qui êtes habituée à suivre vos fantaisies 
et à vous réjouir, comment pourriez-vous supporter une 
telle vie? Vous habitez dans le palais; vous êtes vêtue 
d’étoffes fines et souples; vous vous reposez parmi des 


372 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


tentures ; vous buvez et mangez des aliments doux et ex- 
quis et vous avez tout ce que désire votre bouche ; or, dans 
la montagne, votre couche sera faite de pousses de plantes, 
votre nourriture consistera en fruits; comment pourriez- 
vous vous y plaire ? En outre, il y a fréquemment là du 
vent, de la pluie, des coups de tonnerre, des éclairs, des 
brouillards, de la rosée, qui font se hérisser le poil des 
hommes ; quand il y fait froid, le froid est extrême ; quand 
il y fait chaud, la chaleur est intense; parmi les arbres on 
ne saurait trouver un abri où s'arrêter. Ajoutez que le sol 
est couvert de chardons, de cailloux aigus et d’insectes 
venimeux; comment pourriez-vous supporter tout cela ? » 
Man-tch'e (Madri) dit: « À quoi me servent les étoifes fines 
et souples, les tentures, les boissons et les aliments doux 
et exquis, si je dois être séparée de vous, à prince ? Je ne 
pourrai jamais m'éloigner de vous. Dans les circonstances 
présentes, je dois partir avec vous. Le roi a pour insigne 
son étendard ; le feu a pour insigne sa fumée ; une épouse 
a pour insigne son mari. C’est sur vous seul que je m’appuie; 
vous êtes pour moi le Ciel. Au temps où vous étiez dans 
le royaume occupé à faire des libéralités aux gens venus 
des quatre directions de l’espace, je participais avec vous 
à cette œuvre charitable; maintenant, quand vous serez 
parti au loin, si un homme vient me demander l’aumône, 
que pourrai-je lui répondre ? Au moment où j apprendrais 
que des gens sont venus pour vous implorer, j'en mour- 
rais sans doute d'émotion. » Le prince héritier lui dit : 
« Je me plais à faire des libéralités et à ne pas m’opposer 
aux désirs qui me sont exprimés ; si quelqu'un vient me 
demander mon fils et exiger ma fille, je ne pourrai me dis- 
penser de les donner. Si vous n’approuvez pas mes paroles, 
vous troublerez mes sentiments excellents; mieux vaut 
alors que vous ne partiez pas. » Man-ich’e (Madri) répliqua : 
«Je consens à approuver sans regret toutes les libéralités 
qu'il vous plaira de faire ; il n’y eut jamais personne dans 


PONT EE OR Rite as LE V 





SÜTRAS DIVERS (N° 500) 373 


le monde qui fut aussi charitable que vous, à prince. » Le 
prince héritier lui dit : « Si réellement vous êtes capable 
de cela, c’est fort bien. » 

Le prince héritier, avec sa femme et ses deux enfants, 
se rendit auprès de sa mère et prit congé d’elle pour par- 
tir en lui disant: « Je désire que vous fassiez souvent des 
remontrances au grand roi pour qu'il gouverne le royaume 
-avec la grande Loi et qu’il ne laisse pas l’hérésie s’im- 
planter dans le peuple. » En entendant le prince héritier 
prendre ainsi congé d’elle, sa mère se sentit pénétrée 
d'émotion et de tristesse; elle dit aux personnes qui 
étaient là : « Avec un corps dur comme la pierre et un 
cœur résistant comme l'acier ou le fer, j'ai servi le grand 
roi sans jamais commettre aucune faute. Maintenant je 
n'avais qu’un seul fils et il m’abandonne ; pourquoi mon 
cœur ne peut-il pas se briser en morceaux de manière à ce 
que je meure ? Quand l'enfant est dans le ventre de sa 
mère, il est comme la feuille qui sur l'arbre jour et nuit 
croît et se développe; j'ai nourri mon enfant jusqu’à ce 
qu’il fût devenu grand et voici qu'il s’en va en m'abandon- 
nant. Toutes les autres femmes vont s’en réjouir et mon 
roi ne me respectera plus. Si le Ciel n’est pas opposé à 
mon vœu, qu’il fasse que mon fils revienne promptement 
dans le royaume. » Le prince héritier, avec sa femme et 
ses deux enfants, rendit hommage à son père età sa mère, 
puis il partit. 

Les vingt mille épouses avaient enfilé chacune une 
perle véritable et en avaient fait don au prince héritier (1); 
les quatre mille grands ministres avaient fabriqué des 
fleurs avec les sept substances précieuses et les avaient 
offertes au prince héritier. Celui-ci, après avoir quitté le 


(1) Une stèle chinoise de l’année 543 p.C. représenteles cinq cents (sic) 
épouses accompagnant le prince héritier au moment où il va partir pour 
se rendre dans la montagne T'an-tou (Cf. ma Mission archéologique dans 
la Chine septentrionale, pl. CCLXXXIV, 3° registre, 1" scène à droite). 


374 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


palais, sortit au nord par la porte de la ville; il prit les 
sept substances précieuses, les perles et les fleurs et en fit 
des libéralités aux gens venus des quatre directions de 
l’espace, en sorte qu'il les dépensa toutes aussitôt. 

Les officiers, les gens du peuple, tous, grands et petits, 
se comptant par milliers et par myriades de personnes, 
vinrent offrir des présents pour souhaiter un bon voyage 
à l'héritier présomptif ; ils discutaient entre eux et di- 
saient : « Le prince héritier est un homme excellent ; il 
est le bon génie du royaume ; pourquoi son père et sa 
mère chassent-ils cet enfant qui est un précieux joyau ? » 
Tous ceux qui assistèrent à son départ en eurent des re- 
grets. Le prince héritier s’assit sous un arbre hors de ville 
et prit congé de ceux qui l’avaient accompagné en leur 
disant qu'ils devaient s’en retourner. Les officiers et les 
gens du peuple, tous, grands et petits, revinrent donc en 
versant des larmes. 

Le prince héritier, monté avec sa femme et ses deux 
enfants sur un char qu’il conduisait lui-même, partit. 
Quand il eut poursuivi longtemps sa marche en avant, il 
s'arrêta pour se reposer sous un arbre. Alors survint un 
brahmane qui lui demanda son cheval (1); le prince héri- 
tier détela aussitôt son cheval et le lui donna; puis il 
mit les deux enfants dans le char que sa femme poussait 
par derrière, tandis que lui-même, s'étant mis entre les 
brancards, tirait le char en marchant. Après être allé un 
peu plus loin, il rencontra derechef un autre brahmane 
qui vint lui demander son char ; le prince héritier le lui 
donna aussitôt. Quand il se fut avancé plus loin, il ren- 
contra un autre brahmane qui lui demanda laumône ; il 
lui dit : « Ce n’est pas que je veuille rien vous refuser, 
mais tous mes biens sont épuisés. » Le brahmane répli- 


(1) Dans la stèle citée plus haut (p. 373, n° 1), on voit représentée la 
scène du brahmane demandant le cheval, puis celle du brahmane qui 
part monté sur le cheval. 








SÛTRAS DIVERS (N° 500) 375 


qua : « Si vous n'avez aucun autre bien, donnez-moi les 
vêtements que vous avez sur votre corps. » Le prince hé- 
ritier enleva aussitôt ses vétements précieux et les lui 
remit, puis il se revêtit d’un vieux vêtement. Un peu plus 
loin, il rencontra un autre brahmane qui lui demanda 
l’'aumône et il lui donna les vêtements de sa femme ; plus 
loin encore il donna les vétements de ses deux enfants à 
un autre brahmane mendiant. Ainsi, le prince héritier se 
trouva avoir fait complètement don de son char, de son 
cheval, de son argent, de ses biens, de ses vêtements et 
cependant il n'en conçut aucun regret, ce regret ne füt-il 
pas plus gros qu’un poil ou un cheveu. Le prince héritier 
‘ portant lui-même son fils, sa femme portant sa fille, ils 
-marchaient à pied. Le prince, sa femme et ses deux 
enfants, avaient le visage paisible et étaient joyeux. Ils 
s’engagèrent ensemble dans la montagne. 

La montagne T'an-l'o (Danta) était à plus de six mille /; 
- du royaume de Che-po; elle en était donc fort éloignée, 
et, pour y parvenir, ils traversèrent des marécages déserts 
où ils souffrirent de la faim et de la soif. Cakra, roi des 
- devas Trayastrimças, créa miraculeusement, au milieu d’un 
vaste marais, une ville avec ses faubourgs, ses places, ses 
quartiers, ses rues, ses ruelles, ses réjouissances ; des 
vêtements, des boissons, des aliments s’y trouvaient en 
abondance ; des gens sortirent de cette ville et vinrent 
au-devant du prince héritier pour l'inviter à séjourner là 
afin de boire, de manger et de se réjouir avec eux. La 
princesse dit au prince : « Nous avons fait une fort longue 
marche; ne pouvons-nous pas nous arrêter ici un mo- 
ment ? » Le prince répliqua : « Le roi mon père m'a banni 
dans la montagne T’an-lo ; rester ici serait contrevenir à 
l’ordre du roi mon père ; ce ne serait pas agir avec piété 
filiale. » Aussitôt donc il sortit de la ville. Quand il jeta 
un regard en arrière, cette ville avait tout à coup disparu. 

En continuant leur marche en avant, (les exilés) arrivè- 


376 sÛTRAS DIVERS (N° 500) 


rent à la montagne T'an-Po ; au pied de cette montagne, 
il y avait une grande rivière, si profonde qu'on ne pou- 
vait la traverser. La princesse dit à son mari: « Restons 
ici quelque temps jusqu’à ce que l’eau ait baissé et alors 
nous la traverserons. » Il répliqua : « Le roi mon père 
m'a banni dans la montagne T'an-l'o ; m'arrêter ici serait 
contrevenir aux ordres du roi mon père; ce ne serait pas 
agir avec piété filiale. » Le prince héritier se plongea alors 
dans l’extase (samâdhi) du cœur compatissant ; aussitôt, 
dans la rivière, s’éleva une grande montagne qui divisa les 
eaux comme une digue ; le prince et sa femme purent 
alors passer en relevant leurs vêtements (1). Après qu'ils 
eurent passé, le prince héritier fit cette réflexion : « Si nous 
nous en allons en laissant les choses dans cet état, la ri- 
vière débordera et fera périr les hommes, les êtres qui 
rampent, ceux qui volent, ceux qui grouillent et ceux qui 
remuent. » Le prince héritier revint donc sur ses pas et 
s’adressa à la rivière en lui disant : « Coulez comme au- 
paravant ; si des personnes veulent venir auprès de moi, 
permettez-leur à toutes de traverser ». Quand le prince 
héritier eut prononcé ces paroles, la rivière se remit à cou- 
ler comme auparavant. | 
Allant plus loin, ils arrivèrent à la montagne T'ano; 
le prince héritier vit que la montagne était haute et majes- 
tueuse ; les arbres y étaient luxuriants ; toutes sortes d'oi- 
seaux y chantaient d’une manière touchante ; il y avait là 
des sources d’eau vive, des étangs purs, de l’eau excel- 
lente et des fruits doux; les oies sauvages, les hérons, 
les martins-pécheurs, les canards et toutes les variétés 
d'oiseaux y abondaient. Le prince-héritier dit à sa femme: 
« Regardez dans cette montagne les arbres qui s'élèvent 
jusqu’au Ciel sans qu'aucun d’eux soit brisé ou endom- 
magé; nous boirons ces eaux excellentes, nous mange- 


(1) Voyez cette scène représentée sur la stèle citée plus haut (p.373,n°1\; 
3° registre, dernière scène à gauche). 








4 


SÜTRAS DIVERS (N° 500) 377 


rons ces fruits doux, et, même au sein de cette montagne, 
nous pourrons nous appliquer à l'étude de la sagesse. » 
Le prince héritier entra dans la montagne; tous les 
oiseaux et les quadrupèdes qui s’y trouvaient en furent 
-très joyeux et vinrent l'accueillir. 

Au sommet de la montagne vivait un religieux nommé 
A-lcheou-f'o (Acyuta), qui était âgé de cinq cents ans et: 
qui avait une vertu extraordinairement merveilleuse. 
Le prince héritier lui rendit hommage, puis recula, se tint 
debout et lui dit : « Où y a-t-il maintenant dans cette mon- 
tagne un endroit avec de la bonne eau et des fruits doux 
où nous puissions nous établir? » A-fcheou-lo (ACyuta) 
lui répondit : « Toute cette montagne est un lieu béni, 
vous pouvez vous établir n'importe où. » Il ajouta : 
-« Dans cette montagne sont des endroits purs et calmes ; 
pourquoi cependant votre femme et vos enfants sont-ils 
- venus si vous désirez vous appliquer à l'étude de la sa- 
gesse ? » Avant que le prince héritier eût répondu, Man- 
tch'e (Madri) demanda au religieux : « Depuis combien 
d'années vous appliquez-vous ici à l'étude de la sagesse ? » 
Le religieux lui ayant répondu qu’il demeurait dans cette 
montagne depuis quatre ou cinq cents ans, elle ajouta : 
« Calculez au bout de combien de temps une personne 
telle que moi atteindra à la sagesse. Même en supposant 
que je demeure dans cette montagne aussi longtemps que 
ces arbres, je ne parviens pas à calculer quand une per- 
sonne telle que moi pourra atteindre à la sagesse. » Le 
religieux lui répondit : « En vérité, ce sont là des choses 
que je ne connais point. » Le prince héritier demanda alors 
au religieux : « Avez-vous jamais entendu parler du prince 
héritier Siu-la-na (Sudâna), fils du roi du royaume de 
Che-po? — J'en ai souvent entendu parler, répondit le 
religieux ; mais je ne l'ai jamais vu. — C’est moi, dit le 
prince, qui suis précisément le prince héritier Stu-la-na 
(Sudâna). » Le religieux lui ayant demandé ce qu'il cher- 


378 SÜTRAS DIVERS (N° 300) 


chait àobtenir, il déclara qu'ildésirait obtenir le mahâyäna. 
Le religieux lui dit : « Tels étant vos mérites, vous ob- 
tiendrez le mahâyâna avant longtemps. Quand vous aurez 
atteint à la sagesse sans supérieure, correcte et vraie 
(anuttara samyak sambodhi), je serai votre premier dis- 
ciple doué de pouvoirs surnaturels (rddhipâda). » 

Le religieux indiqua au prince héritier un endroit oùil 
pourrait résider; le prince alors, prenant modèle sur le 
religieux, mit un lien autour de sa tête et tressa ses che- 
veux ; il but l’eau des sources et se nourrit de fruits ; puis 
il ramassa des branchages pour en faire une petite hutte 
de feuillage (parnacçâlà) ; en même temps, il fit trois huttes 
de feuillage destinées respectivement à Man-ich'e (Madri) 
et à ses deux enfants. Le garçon. se nommait Ye-li (Jali); il 
était âgé de sept ans; il portait des vêtements faits avec 
des herbes et accompagnait toujours son père. La fille 
s'appelait X1-na-yen (Krsnâjinà); elle était âgée de six ans; 
elle portait des vêtements en peau de cerf etaccompagnait 
toujours sa mère. Dans la montagne, les oiseaux et les 
quadrupèdes étaient tous joyeux et mettaient leur confiance 
dans le prince héritier. Quand celui-ci se rendait en 
quelque lieu pour y passer une nuit, les cavernes et les 
étangs produisaient de l’eau de source, et sur tous les 
arbres desséchés poussaient des fleurs et des feuilles; tous 
les insectes et les animaux malfaisants disparaissaient ; 
les carnassiers se mettaient d'eux-mêmes à manger des 
herbes; les divers arbres fruitiers avaient spontanément 
des fruits abondants; les oiseaux de toutes sortes faisaient 
un concert et gazouillaient à l'unisson. Man-ich’e (Madri) 
s’occupait d’aller recueillir les fruits pour donner à manger 
à l'héritier présomptif ainsi qu’à son fils et à sa fille. Quant 
à ces deux enfants, parfois aussi ils s’en allaient en quittant 
leur père et leur mère; ils allaient jouer avec les animaux 
sur le bord de la rivière et parfois ils y passaient la nuit. 
Une fois, en guise de jeu, le garçon Ye-li monta à cheval 











SÛTRAS DIVERS (N° 500) 379 


‘sur un lion; le lion ayant fait un bond, Ye-li tomba à terre ; 
‘il se blessa au visage et le sang coula ; un singe prit 
‘alors des feuilles d’arbre et essuya le sang de son visage, 
puis il le mena au bord de l’eau et le lava. Le prince héri- 
tier, de l'endroit où il était assis, vit de loin cette scène et 
s'écria : « Les animaux ont-ils donc de tels sentiments!» 
En ce temps, dans le royaume de Xïeou-lieou (Kuru) [1], 
il y avait un brahmane pauvre qui, à quarante ans, s'était 
marié ; sa femme étaitfort belle; lui au contraire, avait 
douze sortes de laideurs : son corps était noir comme de 
la poix ; sur son visage il avait trois callosités ; l’aréte de 
son nez était mince ; ses deux yeux étaient en outre verts; 
sa figure était ridée ; ses lèvres étaient pendantes; sa pa- 
role était bégayante ; ilavait un gros ventre et le derrière 
saillant ; ses jambes en outre étaient tordues et difformes ; 
enfin sa tête était chauve ; il avait tout l’aspect d’un démon. 
Sa femme, qui avait horreur de lui, avait prononcé des 
imprécations dans le dessein de le faire mourir ; un jour 
que cette femme était allée puiser de l’eau, elle rencontra 
une bande de jeunes gens quise moquèrent de son mariet 
le tournèrent en dérision (2); ils lui demandèrent : « Vous 
qui êtes si merveilleusement belle, comment pouvez- 
vous être la femme d’un pareil homme ? » Elle répondit à 
ces jeunes gens : « La tête de ce vieux est blanche comme 
le givre sur les arbres ; du matin au soir je voudrais faire 
en sorte qu’il meure ; mais qu'y puis-je, s’il se refuse à 
mourir ? » La femme alors partit en emportant de l’eau et 
en pleurant ; à peine fut-elle de retour qu'elle dità son 
mari : «Je suis allée prendre de l’eau, mais une bande de 
jeunes gens s’est réunie pour se moquer de moi. Il vous 
faut me chercher une esclave ; quand j'aurai une esclave, 
je ne serai plus obligée d'aller moi-même puiser de J’eau 


(1) Le récit pâli substitue à ce nom celui de Kalinga. 
(2) Cette scène est figurée sur la stèle de 543 p. C. (p. 373, n° 1; second 
registre, dernière scène à gauche). 


380 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


et les gens ne se moqueront plus de moi. » Son mari lui 
répondit : « Je suis extrêmement pauvre ; où voulez-vous 
que je trouve une esclave? » Sa femme répliqua : « Sivous 
n'allez pas me chercher une esclave, je m'en irai et ne 
demeurerai plus avec vous. » Elle ajouta : « J'ai toujours 
entendu dire que le prince héritier Siu-la-na (Sudânà) 

pour avoir exercé une libéralité excessive, avait été banni 
par le roi son père dans la montagne T’an-Po; or,il a un 
fils et une fille ; allez et demandez-lui de vous lés donner. » 

Le mari objecta que la montagne T’an-l'o était à plus de 
six mille /: de distance et qu'iln’y avait pas d’autre moyen 
que d’aller dans cette montagne pour adresser une telle 
demande au prince; mais sa femme lui dit: « Si vous ne 
me cherchez pas une esclave, je me tuerai en me coupant la 
gorge. — J'aimerais mieux, lui répondit son mari, périr 
moi-même plutôt que de causer votre mort. » Il ajouta : 
« Si vous voulez que je fasse ce voyage, il faut que vous me 
donniez des provisions de route. » À quoi sa femme ré- 
pondit: « Partez seulement; je n'ai aucune provision. » 

Le brahmane prépara donc lui-même HiPquee provisions, 
puis il se mit en chemin. 

Il atteignit d’abord le royaume de Che-po et, arrivé en 
dehors de la porte du palais, il demanda au portier: «Où 
se trouve maintenant le prince héritier Siu-ta-na (Sudä- 
na) ?» Le portier entra aussitôt pour informer le roi qu'un 
brahmane était dehors et demandait à voir le prince héri- 
tier. À cette nouvelle, le roi fut ému et dit avecirritation : 
« C’est uniquement à cause de cette engeance que j'ai 
banni le prince héritier; pourquoi maintenant de tels 
hommes viennent-ils encore ? » Il ajouta, en se servant 
d'une image : « Ceci est comparable à un feu qui se consu- 
mait lui-même, mais auquel on rajoute des branches 
sèches ; mon chagrin est semblable au feu qui se consu- 
mait; la venue de cet homme demandant à voir le prince 
est semblable aux branches sèches qu’on ajoute.» Le brah- 











SÜTRAS DIVERS (N° 500) 381 


mane dit : « J'arrive d’un pays lointain, parce que j'avais 
entendu parler de la renommée du prince héritier qui pé- 
nètre en haut jusqu'au ciel azuré et atteint en bas jus- 
qu'aux sources jaunes ; le prince héritier est charitable et 
ne s'oppose à aucun des désirs qu’on lui exprime ; voilà 
pourquoi je suis venu de loin, ayant quelque choseà lui 
demander. » Le roi répondit : «Le prince héritier demeure 
solitaire au plus profond des montagnes et il est extré- 
mement pauvre. Comment pourrait-il vous donner quoi 
que ce soit? — Bien que le prince héritier ne possède 
plus rien, répliqua le brahmane, j'attache beaucoup d’im- 
portance à le voir. » Le roi chargea donc des gens de lui 
montrer le chemin. 

Ainsi, le brahmane se dirigea vers la montagne T'an-Po : 
quand il arriva au bord de la grande rivière, il n’eut qu’à 
penser au prince héritier et put aussitôt la traverser. Le 
brahmane s’engagea alors dans [a montagne et rencontra 
un chasseur auquel il demanda: « Avez-vous eu l’occasion 
de voir dans cette montagne le prince héritier Siu-la-na 
(Sudâna)?» Le’chasseur savait bien que le prince héritier 
avait été banni dans cette montagne pour avoir fait des 

 libéralités aux brahmanes ; il empoigna «lonc ce brahmane, 
l'attacha à un arbre et se mit à le battre jusqu’à ce que 
son corps ne füt plus qu’une plaie ; puis il l'injuria, disant : 
« Je voudrais vous percer le ventre à coups de flèches et 
dévorer votre chair; qu’avez-vous besoin de demander où 
est le prince ? » Le brahmane pensa : «Je vais être tué 
par cet homme ; ilfaut que je lui tienne un langage trom- 
peur. » Il lui dit donc : « N’auriez-vous pas dû m'interro- 
ger? — Qu'est-ce à dire?» demanda le chasseur. Le 
brahmane reprit: « Comme le roi son père souhaitait voir 
le prince héritier, il m'a envoyé à sa recherche pour que 
je l'invite à rentrer dans le royaume. » Le chasseur aussi- 
tôt le délia et le détacha ; il lui fit toutes ses excuses en 
disant que vraiment il n'avait pas su quelles étaient ses 


382 sÜrRAS DIVERS (N° 500) 


intentions; puis il lui montra où se trouvait le prince. 


- Le brahmane arriva donc à l'endroit où se tenait le. 


prince héritier ; quand celui-ci le vit venir, il fut extré- 
mement joyeux; il alla à sa rencontre et lui rendit hom- 
mage; puis il lui demanda de ses nouvelles : « D'où venait- 
il? Avait-il pu n'être pas trop fatigué du voyage ? Qu’avait- 
il à demander? » Le brahmane répondit : « Je viens de 


loin; tout mon corps est souffrant; en outre j'ai grand. 


faim et grand soif, » Le prince héritier le pria donc d’en- 
trer et de s'asseoir; il lui présenta des fruits et un breu- 
vage; quand le brahmane eut bu de l’eau et eut mangé 
des fruits, il dit au prince héritier : « Je suis originaire 
du royaume de Æieou-lieou (Kuru); depuis longtemps 
jai entendu parler de vos dispositions charitables, car 
votre renommée est connue dans les dix régions. Je 
suis fort pauvre et je voudrais vous demander de me 
donner quelque chose. » Le prince répondit : « Il n’est 
rien que je veuille vous refuser; mais tout ce que je pos- 
sédais a été distribué ; je n’ai plus rien à vous donner. » 
« Si vous n'avez plus aucun objet, répliquä le brahmane, 
faites-moi don de vos deux enfants pour qu'ils prennent 
soin de ma vieillesse. » Quand il eut répété cette requête 
à trois reprises, le prince héritier lui dit : « Vous êtes 
venu exprès de loin dans le désir d'avoir mon fils et ma 
fille ; comment pourrais-je me refuser à vous les donner ? » 

En ce moment, les deux enfants étaient allés jouer; le 
prince héritier les appela et leur dit : « Un brahmane est 
venu de loin pour me demander de vous donner à lui; j'y 
ai consenti; partez avec lui. » Les deux enfants accouru- 
rent se réfugier sous les aisselles de leur père -et leurs 
larmes jaillirent; ils disaient : « Nous avons souvent vu 
des brahmanes, mais jamais nous n’en vimes de cette 
sorte; ce n’est pas un brahmane; c'est un démon. Main- 
tenant notre mère est allée recueillir des fruits et n'est 
point encore revenue; cependant notre père nous prend 











SÛTRAS DIVERS (N° 500) 383. 


pour nous donner à manger à un démon; notre mort est 
certaine. Quand notre mère reviendra et qu’elle nous 
réclamera sans nous trouvér, elle sera comme la vache 
qui recherche son veau; elle pleurera, se lamentera et 
s'abandonnera à l’affliction. » Le prince héritier dit : « J’ai 
fait une promesse; comment pourrais-je la reprendre ? 
Ce brahmane n’est point un démon et il ne vous dévorera 
point; vous donc, partez. » Le brahmane dit : « Je désire: 
m'en aller, car je crains que leur mère ne revienne et. 
qu’alors je ne puisse plus partir; vous m'avez témoigné 
des sentiments excellents, mais, si la mère des enfants 
revenait, elle détruirait vos bonnes dispositions. — De- 
puis ma naissance, répliqua le prince, jé fais des libéra- 
lités et je ne m’en suis jamais repenti. » 

Le priace prit de l’eau et en lava les mains du brah- 
mane, puis il tira vers lui les deux enfants et les lui 
donna; la terre alors trembla. Les deux enfants ne vou- 
laient pas suivre le brahmane ; ils revinrent devant leur 
père, et, se mettant à deux genoux, lui dirent : « Quel 
crime avons-nous donc commis dans nos existences an- 
térieures pour que nous soyons maintenant atteints par 
de telles souffrances, et pour que, étant de race royale, 
nous devenions les esclaves d’un homme. Devant notre 
père nous nous repentons de nos fautes; puisse par là 
notre châtiment disparaitre et le bonheur se produire et. 
puissions-nous de génération en génération ne plus jamais 
rencontrer pareille infortune. » Le prince héritier répon- 
dit aux enfants : « Toutes les affections dans ce monde 
doivent être un jour rompues; toutes choses sont imper- 
manentes; comment pourrait-on les conserver ? Quand 
j'atteindrai à la sagesse sans supérieure et égale en tout, 
Je vous sauverai. » Les deux enfants lui dirent : « Vous. 
ferez nos adieux à notre mère, car maintenant nous nous. 
séparons pour toujours; nous regrettons de ne pouvoir 
prendre congé d’elle personnellement; c’est sans doute: 


384 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


les fautes commises dans nos vies antérieures qui nous 
valent ce malheur. Nous songeons à notre mère qui, 


quand elle nous aura perdus, s’affligera de nos souffrances 


et se désolera de nos peines. » Le brahmane dit : « Je 
suis vieux et affaibli; ces deux enfants vont chacun me 
quitter pour aller auprès de leur mère; comment alors les 
reprendrai-je ? Il faut que vous me les livriez attachés. » 
Le prince héritier tint donc les mains des deux enfants 
derrière leur dos pour permettre au brahmane de les 
attacher; celui-ci les lia ensemble et prit le bout de la 
corde qui les retenait tous deux; puis, comme les deux 
enfants ne voulaient pas le suivre, il les frappa jusqu’à 
ce que le sang jaillit et coulât sur le sol. Ce spectacle 
arracha des larmes au prince héritier; la terre en fut 
ébranlée. Le prince héritier et tous les animaux accompa- 
gnèrent de loin les deux enfants; puis, quand ils ne les 


virent plus, ils s’en retournèrent. Tous les animaux, sui- 


vant le prince héritier, revinrent à l'endroit où jouaient 
les enfants, se tordirent de douleur en poussant des cris 
? 
et se jetèrent sur le sol. 
Cependant le brahmane était parti en emmenant les 
deux enfants. En route, le garçon enroula la corde autour 
? 
d'un arbre et refusa d’aller plus loin, espérant que sa 
mère viendrait (1). Le brahmane le frappa avec un bâton 
jusqu’à ce que les deux enfants lui disent : « Ne nous 
battez plus; nous marcherons spontanément. » Levant les 
yeux au ciel, ils s’écrièrent : « O divinités des monta- 
gnes, à divinités des arbres, ayez pour nous un sentiment 
de pitié; maintenant nous devons aller au loin pour être 
P ; 
les esclaves d’un homme et nous n’avons pas pu dire 
adieu à notre mère. Dites-lui qu’elle laisse là ses fruits et 
(1) Song Yun, en 520 p. C., signale l'endroit où le fils et la fille du prince 
héritier tournèrent autour d'un arbre en refusant de marcher, où le 
brahmane les frappa avec un bâton et où leur sang qui coulait arrosa la 


terre ; cet arbre est encore là et la place qui fut arrosée de sang est 
maintenant une source d’eau {Cf. BEFEO, 1903, p. 414). 











ls a Le 


SUTRAS DIVERS (N° 500) 385 


qu’elle vienne promptement nous voir. » En cet instant, 
leur mère qui était dans la montagne, ressentit une 
démangeaison sous le pied gauche et en outre son œil 
droit eut un clignotement, tandis que du lait sortait de ses 
deux seins; elle fit alors cette réflexion : « Jamais encore 
je n’ai éprouvé ces sensations étranges; qu’ai-je besoin 
de m'occuper de ces fruits ? Il faut que je m’en retourne 
pour voir s'il n’est pas arrivé quelque malheur à mes 
enfants. » Elle laissa donc là ses fruits et s’en revint. 

En ce moment, le Çakra du second ciel, roi des devas 
Trayastrimças, sachant que le prince héritier avait donné 
ses enfants à un homme, et craignant que sa femme ne vint 
mettre à néant ces excellentes dispositions, se transforma 
en un lion qui se tint accroupi en travers du chemin (1). 
La femme dit à ce lion : « Vous êtes le roi des animaux; 
moi aussi, je suis la fille d’un roi et je demeure comme 
vous dans la montagne; je désire que vous vous écartiez 
un peu pour que je puisse passer. J’ai deux enfants qui sont 
encore tout jeunes; ils n’ont rien eu à manger depuis ce 
matin et ne peuvent compter que sur moi. » Le lion, 
sachant que le brahmane était maintenant loin, se leva et 
laissa le chemin libre, en sorte que la princesse put 
passer. 

À son retour, la princesse vitle prince héritier qui était 
assis tout seul et elle n’aperçut pas ses deux enfants. Elle 
alla elle-même dans sa hutte de feuillage pour Les y cher- 
cher, mais ne les trouva pas; elle alla derechef dans les 
huttes des enfants et ne les y rencontra pas ; puis elle se 
rendit au bord de la rivière où les enfants avaient cou- 
tume de s'amuser, mais là encore elle ne les vit pas; 
elle vit seulement Les animaux : daims, lions etsinges, avec 


(1) A 3 li à l’ouest de l'habitation, dit Song Yun, est l'endroit où Cakra, 
maitre des devas, prit la forme d’un lion et s’accroupit en travers du che- 
min pour barrer le passage à Man-kia (Madri) ; sur le roc, les traces des 
poils, de la queue et des griffes sont maintenant encore parfaitement 


visibles (Cf. BEFEO, 1903, p. 414). 
[TT. 25 


_ 


386 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


lesquels ils s’'amusaient habituellement. Man-tchk’e (Madri) 
s’avança en se frappant elle-même et en poussant des cris ; 
l’eau de l’étang où jouaient les enfants en fut vidée et tarie. 
Man-tch'e (Madri) revint alors à l’endroit où était le prince 
héritier et lui demanda où étaient les deux enfants; le prince 
héritier ne répondit pas; Man-lch'e (Madri) dit encore : 
« Quand mes enfants me voyaient venir de loin rappor- 
tant des fruits, ils tombaient à terre en courant vers moi, 
puis ils se relevaient en bondissant et s’écriaient : maman 
est revenue! Quand ils me voyaient assise, ils étaient tous 
deux à mes côtés ; dès qu'ils apercevaient un peu de pous- 
sière sur mon corps,ils me l’enlevaient. Maintenant cepen- 
dant je n’aperçois pas mes enfants, et mes enfants ne vien- 
nent pas auprès de moi. Qui les a pris ? Maintenant, de ne 
pas les voir mon cœur se brise. Dites-moi promptement 
où ils sont et ne me rendez pas folle. » Elle répéta ces 
paroles jusqu’à trois fois sans que le prince répondit rien. 
Man-iche (Madri) en conçut un redoublement de peine et 
prononça ces paroles amères : « Je pourrais encore suppor- 
ter de ne pas voir mes enfants, mais votre silence aug- 
mente mon égarement. » Le prince héritier lui dit alors: 
« Un brahmane est venu du royaume de Æïeou-lieou ; il 
m'a demandé les deux enfants et je les lui ai donnés. » 
Quand la princesse eut entendu ces mots, elle éprouva une 
telle émotion qu’elle tomba à terre comme une grande 
montagne qui s'écroule ; elle se tordait de douleur et se 
lamentait sans pouvoir s'arrêter. Le prince héritier lui 
dit: « Calmez-vous un moment. Vous souvenez-vous des 
faits anciens qui se passèrent au temps du Buddha 
T'i-ho-kiai-lo (Dipankara) (1)? J'étais alors un brahmatärin 
et je me nommais Pei-lo-wet (Vedavat?); vous étiez une 
fille de brahmane et vous vous nommiez Stiu-lo-lo (Su- 
ratà [2] ?); vous teniez sept tiges de lotus et moi j'avais à 


(1) Cf. notre conte n° 83. 
(2) L'édition de Corée donne la leçon Siu-Po-lo. 





SUTRAS DIVERS (N° 500) 387 


la main cinq cents pièces d'argent; je vous ai acheté 
(cinq de vos) fleurs parce que je voulais les répandre sur 
le Buddha; vous m'avez confié les deux autres pour les 
offrir au Buddha et vous avez fait alors ce vœu : « Puissé- 
je, dans mes vies ultérieures, être toujours votre femme, 
et, belle ou laide, n'être jamais séparée de vous. » Je 
fis alors avec vous cette convention solennelle: « Si vous 
désirez être ma femme, il vous faudra vous conformer à 
ma volonté; je ferai toutes les libéralités possibles et 
je ne m’opposerai à aucun des désirs qui me seront expri- 
més; je m'abstiendrai seulement de donner mon père 
et ma mère; mais, pour tous les autres dons que je 
ferai, vous suivrez ma volonté.» Vous me répondiîtes alors 
que vous y consentiez. Or, maintenant j'ai fait don des 
enfants et voici que vous jetez le trouble dans mes senti- 
ments excellents. » En entendant ces paroles du prince 
héritier, la princesse sentit son cœur et son intelligence 
s'ouvrir; elle se rappela que, dans une vie antérieure, elle 
avait promis d'approuver toutes les libéralités que ferait 
le prince héritier et d’acquiescer promptement à tous ses 
désirs. 

Cakra, roi des devas, voyant quelle était la charité du 
prince héritier, descendit pour le mettre à l'épreuve avec 
le désir de lui demander encore quelque chose. Il se trans- 
forma en un brahmane qui, lui aussi, avait douze sortes de 
laideurs, et, arrivé en présence du prince héritier, 11 lui 
parla en ces termes : «J'ai constamment entendu raconter, 
Ô prince, que vous vous plaisiez à exercer la charité et 
que, quelle que fût la demande qu’on vous adressàt, vous 
ne vous opposiez aux désirs de personne. C’est pourquoi 
je suis venu ici dans l'intention de vous demander pour 
moi votre épouse. » Le prince héritier répondit: « J'y 
consens ; c’est fort bien; elle est à vous. » La princesse lui 
dit alors : « Si maintenant vous me donnez à un homme, 
qui subviendra à votre entretien ? » Le prince répliqua : 


388 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


« Si maintenant je ne fais pas don de vous, par quel 
moyen obtiendrai-je de réaliser en moi la pensée des 
pâramitäs sans supérieures et égales en tout ? » Le prince 
héritier lava alors avec de l’eau les mains du brahmane, 
puis il amena sa femme et la lui donna. Çakra reconnut 
que le prince héritier n'avait en ce moment aucun senti- 
ment de regret; tous les devas louèrent son excellence ; 
le ciel et la terre furent fortement ébranlés. Alors le 
brahmane prit la princesse et l’emmena; mais, après avoir 
fait sept pas, il revint avec la princesse et voulut la re- 
mettre au prince héritier pour qu’elle ne fût plus donnée 
à personne ; mais le prince lui dit: « Pourquoi ne la pre- 
nez-vous pas ? Aurait-elle quelques défauts ? Parmi toutes 
les épouses, celle-ci est la meilleure ; elle est la fille d’un 
roi qui règne actuellement sur un royaume et elle est la 
fille unique de ce roi. À cause de moi, cette épouse s’est 
_ jetée dans l’eau bouillante et dans le feu (de l’ascétisme); 
elle a bu et mangé des boissons et des aliments grossiers 
et mauvais et n’a jamais reculé devant aucune de ces souf- 
frances. Dans tous ses actes, elle est diligente et appliquée 
et son visage est beau. Emmenez-la maintenant et mon 
cœur sera content. » Le brahmane dit au prince héritier : 
« Je ne suis point un brahmane; je suis Çakra, roi des 
devas; c'est pourquoi je suis venu pour vous mettre à 
l'épreuve. Quels sont vos vœux ? » Il reprit alors la forme 
de Çakra et apparut d’une merveilleuse beauté; la prin- 
cesse lui rendit hommage et lui exprima trois souhaits : 
« En premier lieu, dit-elle, faites en sorte que le brahmane 
prenne nos deux enfants et revienne les vendre dans notre 
pays; en second lieu, faites en sorte que nos enfants ne 
souffrent ni de la faim ni de la soif; en troisième lieu, 
faites que moi et le prince héritier nous puissions retour- 
ner promptement dans notre pays. » Çakra, roi des devas, 
répondit : « Il sera fait comme vous le désirez.» Le prince 
héritier dit à son tour: «Je souhaite qu'il soit fait en 





PONT 


.* 


= de jh el HS OURS 


LS à 7 


SÛTRAS DIVERS (N° 500) 389 


sorte que tous les êtres vivants obtiennent d’être sauvés et 
n'aient plus à endurer les souffrances de la naissance, de 
la vieillesse, de la maladie et de la mort. » ÇCakra, roi 
des devas, lui dit: « Très grand est l'objet de votre 
désir ; il est fort élevé etrien ne lui est supérieur. Si vous 
désirez naître dans les cieux et devenir un roi parmi le 
soleil et la lune, ou si vous désirez être dans le mondeun 
souverain suprêmeet avoir unelongévité prolongée, ce sont 
là des choses que je pourrais vous donner conformément 
au vœu que vous m'en exprimeriez; mais la majesté su- 
prême dans les trois mondes échappe à mes atteintes. » 
Le prince héritier reprit: « Maintenant donc, provisoire- 
ment, je désire qu’il soit fait en sorte que j’aie de grandes 
richesses ; je me plairai constamment à les distribuer en 
libéralités plus considérables encore que celles d’aupara- 
vant ; je désire qu'il soit fait en sorte que le roi mon pére 
et tous les ministres qui sont à ses côtés aient le désir de 
me revoir. » Cakra, roi des devas, lui dit: «Ilsera fait cer- 
tainement comme vous le désirez. » Un instant après, il 
disparut soudain. 

Cependant le brahmane du royaume de ÆXieou-lieou 
(Kuru) était revenu chez lui avec les enfants; mais sa 
femme se porta à sa rencontre et l’injuria disant : « Com- 
ment osez-vous revenir en m'amenant ces enfants; ils sont 
de la race royale; vous cependant, dépourvu de toute pitié, 
vous les avez frappés, de manière à ce qu’ils aient des 
blessures et à ce que tout leur corps soit couvert de sang 
et de pus ; allez promptement les mettre en vente et cher- 
chez-moi d’autres serviteurs. Le mari suivit l'avis de sa 
femme et se mit en route pour aller vendre les enfants. 
Cakra, roi des devas, qui se promenait tout autour de Ja 
place du marché dit: « Ces enfants sont à un prix élevé, 
personne ne peut les acheter. » Comme les enfants avaient 
faim et soif, le deva fit en sorte que, par le moyen d’une 
effluve spontanée, les enfants fussent entièrement rassa- 


390 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


siés. Le roi des devas modifia alors les intentions du brah- 
mane qui se rendit dans le royaume de Che-po (Gibi) ; 
dans le royaume, les ministres et Les gens du peuple recon- 
nurent qu’ils avaient affaire aux enfants du prince héritier, 
aux petits enfants du grand roi; grands et petits, tous les 
habitants furent saisis de compassion; les ministres 
demandèrent alors au brahmane comment il s'était procuré 
ces enfants ; le brahmane dit: « Je les ai obtenus en les 
demandant ; à quoi bon m'interroger ? » Les ministres 
répliquèrent : « Puisque vous êtes venu dans notre 
royaume, n'est-ce pas notre devoir de vous interroger ? » 
Les principaux ministres et les gens du peuple étaient 
tous disposés à enlever les enfants au brahmane; mais il se 
trouva parmi eux un notable qui les réprimanda en disant : 
«Nous avons ici un exemple du degré auquel a pu atteindre 
l'esprit de charité du prince héritier ; si maintenant nous 
enlevons les enfants, ne nous opposerons-nous pas aux 
intentions réelles du prince-héritier ? Le mieux est d'en 
référer au roi; quand le roi en sera informé, il rachètera 
lui-même les enfants. » Alors donc on s'arrêta et les 
ministres vinrent dire au roi : « O grand roi, vos deux 
petits-enfants sont maintenant mis en vente parun brah- 
mane. » À cette nouvelle, le roi fut très surpris; il appela 
le brahmane qui vint donc dans le palais avec les deux 
enfants. Le roi, sa femme, les ministres qui étaient à ses 
côtés et toutes les femmes de son harem, en apercevant 
de loin les deux enfants, se mirent tous à sangloter. Le 
roi ayant demandé au brahmane comment il se trouvait 
posséder ces deux enfants, il répondit : « Je les ai obte- 
nus en les demandant au prince héritier. » Le roi appela 
les deux enfants et désirait les prendre dans ses bras, 
mais les enfants pleuraient et ne voulaient pas aller dans 
ses bras. Le roi demanda au brahmane à quel prix il ven- 
dait les enfants ; avant que le brahmane eût pu répondre, 
le garcon dit: «Le garçon vaut mille pièces d'argent et 





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SÛTRAS DIVERS (N° 500) à 391 


cent vaches ; la fille vaut deux mille pièces d’or et deux 


cents vaches. — Les garçons, répliqua le roi, sont esti- 


més par les hommes ; pourquoi donc le garçon est-il bon 
marché et la fille chère? » Le garçon répondit : « Les 
femmes de votre harem n'ont aucune parenté avec vous, 
Ô roi; les unes sortent de conditions humbles ; d’autres 
étaient de simples servantes ; cependant celles que votre 
fantaisie favorise deviennent élevées en dignité; elles sont 
couvertes de joyaux et mangent et boivent des aliments 
exquis ; à roi, vous n’aviez qu’un seul fils et vous l’avez 
chassé au plus profond des montagnes, tandis que chaque 
Jour vous vous livriez aux réjouissances avec les femmes 
de votre harem sans jamais penser à votre fils. Par là on 
voit clairement que les fils ont peu de valeur et que les 
filles en ont une grande. » En entendant ces paroles, le 
roi fut troublé et affligé ; ses larmes coulèrent à flots et 
il dit : « J’ai été coupable envers vous. Pour quelle raison 
ne venez-vous pas dans mes bras? Est-ce parce que vous 
me haïssez ou parce que vous craignez le brahmane ? » 
Le garçon répondit : « Nous ne nous permettrions point 
de vous détester, Ô grand roi, et, d'autre part, nous ne 
craignons point le brahmane. Nous étions autrefois les 
petits-fils du grand roi, mais maintenant nous sommes les 
esclaves d’un homme. Comment les esclaves d’un homme 
pourraient-ils aller dans les bras du roi du royaume ? 
Voilà pourquoi nous ne nous permettrons pas de le 
faire. » En entendant les paroles du jeune garçon, le roi 
sentit redoubler son affliction; puis, en conformité avec 
ce qui venait de lui être dit, il paya au brahmäne le prix 
convenu et appela de nouveau dans ses bras les enfants 
qui s’y rendirent aussitôt. Le roi, tenant embrassés ses 
deux petits-enfants, caressait leur corps ; il leur demanda : 
« Qu'est-ce que mange et boit votre père dans la mon- 
tagne ? de quoi peut-il se vêtir ? » Les deux enfants lui 
répondirent : « Il mange des fruits, des graines, des 


392 SÜTRAS DIVERS (N° 500) 


légumes et des racines ; il se couvre d’une étoffe grossière 
qui lui tient lieu de vêtement; les cent sortes d'oiseaux 
le distraient et son cœur est exempt de tout chagrin. » 

Le roi ayant renvoyé le brahmane, les enfants lui dirent : 
« Ce brahmane souffre beaucoup de la faim et de la soif; 
nous désirons que vous lui donniez un repas. » Le roi 
leur demanda : « N’êtes-vous donc pas fâchés contre lui? 
pourquoi vous inquiétez-vous encore de lui procurer à 
manger ? » Les enfants répondirent : « Notre père se 
plaisait à la sagesse, mais il n'avait plus rien dont il pût _ 
se servir pour faire la charité. Ce brahmane lui a demandé 
de nous donner à lui et ainsi il est devenu notre maître ; 4 
nous n’avons point encore pu être ses serviteurs de ma- 
nière à contribuer à l’accomplissement des sages inten- 3 
tions de notre père. Comment pourrions-nous mainte- | 
nant le voir souffrir de la faim et de la soif sans éprouver 
des sentiments affectueux et bons à son égard? Puisque 
notre père avait donné ses enfants à ce brahmane, com- 
ment, à grand roi, pourriez-vous lui refuser un repas? » 
Le roi offrit donc à manger au brahmane qui, après s’être 
rassasié, s’en retourna tout joyeux. 

Le roi envoya alors un messager chercher en toute hâte 
le prince héritier et le faire revenir ; en conformité avec 
ces instructions, le messager alla chercher le prince héri- 








65 : * A 
SEE SE RS D Sd 


on nd: jol EE 


tier ; il fut arrêté par la rivière qu'il ne pouvait franchir, 
mais il n’eut qu'à songer au prince héritier et il put aus- 
sitôt la traverser; arrivé auprès du prince héritier, il lui 
communiqua l’ordre du roi en lui disant qu’il devait 
promptement revenir dans le royaume et que le roi dési- 
rait vivement le voir. Le prince héritier répondit : « Le 
roi m'a banni pour douze années dans la montagne et il 
s’en faut encore d’une année que le terme ne soit arrivé; 
quand cette année sera accomplie, je reviendrai. » Le 
messager retourna dire au roi ce qui s'était passé; le 
roi écrivit alors de sa propre main une lettre pour être 








SÛTRAS DIVERS (N° 500) 393 


remise au prince héritier ; elle était ainsi conçue : « Vous 
êtes un homme sage; pour ce qui est du passé, il vous 
faut être indulgent; pour ce qui est de l'avenir, il vous 
faut aussi être indulgent. À quoi bon vous irriter et ne 
pas revenir ? j'attendrai que vous soyez ici pour boire et 


pour manger. » Le messager se rendit de nouveau, por- 


teur de cette lettre, auprès du prince héritier; quand 
celui-ci eut reçu la lettre, il commença par se prosterner 
devant elle, le visage contre terre; puis, après l'avoir 
adorée, il recula et tourna sept fois autour d'elle; ensuite 


il ouvrit et la lut. 


A la nouvelle que le prince héritier devait s’en retour- 
ner, toutes les bêtes de la montagne sautaient et se tor- 
daient de chagrin, se frappaient et poussaient des cris 
lamentables ; les sources en furent taries ; les femelles 
des animaux en perdirent leur lait ; Les oiseaux de toutes 


sortes criaient piteusement; car ils allaient perdre Île 


prince héritier. 

Le prince héritier mit alors des vêtements et s’en revint 
avec la princesse. Le souverain hostile du royaume rival, 
apprenant le retour du prince héritier, chargea des émis- 
saires de mettre sur l'éléphant blanc un harnachement 
d’or et d'argent, de prendre avec eux le vase d’or plein 
de grains d’argent et Le vase d'argent plein de grains d'or 
et de venir au-devant du prince sur la route pour les lui 
rendre en lui exprimant en ces termes son repentir des 
fautes qu’il avait commises : « Si auparavant je vous ai 
demandé l'éléphant blanc, c’est parce que j'étais stupide 
et insensé ; à cause de moi, vous avez été banni au loin; 
maintenant j'apprends que vous revenez et j'en conçois 
une grande joie; je vous restitue l'éléphant blanc et je 
vous présente les grains d’or et d'argent ; je souhaite que 
vous condescendiez à les accepter afin que mon crime 
soit supprimé. » Le prince héritier répondit : « Supposez 
qu'un homme ait préparé des aliments de toutes sortes 


394 SÛTRAS DIVERS (N° 500) 


4 


de saveurs et les ait présentés à quelqu'un ; si cette der- 
nière personne, après les avoir mangés, les vomit à terre, 
comment ces aliments seraient-ils encore parfumés et 
purs ? Pourrait-on les remanger? Maintenant, les libéra- 
lités que j'ai faites sont comparables à ce qui a été vomi ; 
je ne puis en aucune façon les reprendre. Montez promp- 
tement sur l’éléphant et retournez exprimer mes remer- 
ciements à votre roi. On vous a bien fatigués, à envoyés, 
pour que vous veniez au loin prendre de mes nouvelles. » 
Alors donc les émissaires montèrent sur l’éléphant et s’en 
retournèrent rapporter au roi ce qui s'était passé. À cause 
de cet éléphant, le souverain hostile de ce pays rival se 
transforma en un homme bienveillant et bon; lui-même, 
ainsi que tout son peuple, conçurent la pensée des pârami- 
tàs sans supérieures et égales pour tous. | 

Le roi, père du prince héritier, monta sur un éléphant 
pour sortir à la rencontre de son fils. Le prince héritier 
s'avança aussitôt et lui rendit hommage en mettant son 
visage contre terre; puis il revint à la suite du roi; tous 
les gens du peuple étaient transportés de joie ; ils répan- 
daient des fleurs, brûlaient des parfums, suspendaient 
des oriflammes et des dais en soie et faisaient couler sur 
le sol des essences parfumées pour accueillir le prince- 
héritier. Celui-ci entra dans le palais et alla aussitôt 
devant sa mère ; la tête contre terre, il lui rendit hom- 
mage et lui demanda comment elle se portait. Le roi con- 
fia au prince héritier tous ses trésors; le prince en fit 
des libéralités à son gré et fut plus charitable encore que 
précédemment. Comme sa charité ne se lassait pas, il 
obtint par là de devenir Buddha. 

Le Buddha dit à Ânanda : « Telle est la manière dont j'ai 
pratiqué la charité dans une de mes existences anté- 
rieures. Le prince-héritier Siu-la-na (Sudâna), c’est moi- 
même. Celui qui en ce moment était le roi son père, c’est 
maintenant mon père, le roi Yue-Peou-fan (Guddhodana) ; 












SÛTRAS DIVERS (N° 500) 395 


celle qui en ce moment était la mère du prince héritier, 


c’est maintenant Mo-ye (Mâyà); celle qui en ce temps 


était la princesse, c’est maintenant Aiu-yi (Gopâ); celui 
qui en ce temps était le religieux A-{cheou-l’o (Atyuta) de- 
meurant dans la montagne, c’est Mo-ho-mou-kien-lien (Ma- 
hâmaudgalyâyana) ; celui qui en ce temps était Çakra, roi 
des devas, c’est Chô-li-fou (Câriputra) ; celui qui en ce 
temps était le chasseur, c’est A-nan (Ânanda) ; celui qui 
en ce temps était le garçon Ye-li (Jâli), c’est maintenant 


mon fils Lo-yun (Râhula) ; celle qui en ce temps était la 


fille K1-na-yen (Krsnâjinâ), c'est maintenant la mère de 


Parhat Mo-li (1); celui qui en ce temps était le brahmane 


qui demanda les enfants, c’est maintenant T’1ao-la (Deva- 
datta) ; la femme du brahmane, c'est Tchan-lchô-mo-na 
(Cinéamânavikà). Telles sont les peines et les souffrances 


que j'ai endurées pendant des kalpas innombrables et 


voilà comment aussi j'ai fait Le bien pendant des kalpas 
innombrables. Conservez toujours ce sûtra pour l’exposer 
à tous les cramanas. » 

Telle est la manière dont le Bodhisattva pratique la 
pâramità de charité (dâna). 


(1) Dans le pâli, cette filleestidentifiée avec Uppalavannä (Utpalavarnä). 


i2 


Re 17 





du 








TABLE DES MATIÈRES 
DU TOME TROISIÈME 





Tsa pao tsang king (n°s 400-122). 

Extraits du Cheng king (n°° 423-438) . 

Extraits du ing lu yi siang (n°s 439-489) 

Extraits du Ta {che tou louen (n° 490-492) 

Extraits du Tch'ou yao king (n°5 493-494) 

Extraits du Fa kiu p'i yu king (n°s 195-497) 

Sûtra des dix rêves du roi Prasenaïjit (n° 498). ae, 

Sûtra sur l’avadäna de Fille-de-Manguier (Âmrapäli) et Æ'i-yu 
Épvaka) (ns 499) 02 0 30e 

Sûtra du prince héritier Sudâna (n° 500) . 


























359027 


Tripitaka 


s contes et apologues 


Cinq cent 
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