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CINQUIEME RAPPORT
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CINQUIÈME RAPPORT
UNE MISSION EN BASSE BRETAGNE.
EXTRAIT
DliS ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES,
TOME PREMIER. TROISIEME SEIUE.
CINQUIÈME RAPPORT
UNE MISSION EN BASSE BRETAGNE,
AYANT POUR OBJET
DES RECHERCHES SUR LES TRADITIONS ORALES DES BRETONS ARMORICAINS,
CONTES ET RÉCITS POPULAIRES,
PAR M. F.M. LUZEL.
Plouaret, le i" septembre 1872.
Monsieur le Ministre,
Je continue de rendre compte à Votre Excellence des résultats
de mes recherches sur les traditions orales non chantées des Bre-
tons Armoricains.
Je trouve encore, assez souvent, quelques fables nouvelles, et,
par ailleurs, je recueille des versions différentes et des variantes
curieuses de celles que je possédais déjà.
Dans ce cinquième rapport, je me propose de faire une analyse
succincte d'un certain nombre des matériaux de ce genre concer-
nant les mœurs et les croyances de nos premiers ancêtres, et inté-
ressant par conséquent les origines de notre civilisation, que j'ai
rassemblés jusqu'aujourd'hui, et je rappellerai les analogies que
ces fables présentent avec celles trouvées chez d'autres peuples,
du moins celles que je connais. Je me bornerai à énumérer tout
2
simplement les autres, pour ne pas excéder les proportions d'un
rapport ordinaire.
J'ai lu, clans ces derniers temps, les facétieuses nuits de Strapa-
role, et j'ai été ('tonné de voir comme celles des Tables de ce très-
intéressant recueil qui sont vraiment populaires et anciennes se
retrouvent toutes dans nos chaumières bretonnes, ei souvent assez
peu modifiées. On serait tenté de croire que ce livre, qui date de
la première moitié du x\ic siècle, aurait été connu dans nos cam-
pagnes. Il serait pourtant bien singulier que ces contes italiens
lussent arrivés par cette voie à des paysans qui, alors plus
qu'aujourd'hui, ne savaient ni lire ni écrire. On pourrait alléguer
qu'ils ont été lus d'abord dans les châteaux, les manoirs et les
couvents, et que de là ils sont descendus dans le peuple. Mais
j'aime mieux croire que toutes ces fables, communes à une famille
de peuples, se sont conservées plus ou moins altérées chez ces dif-
férents peuples, grâce à la tradition orale, qui me semble atteindre
plus haut que l'histoire écrite, du moins pour ce qui regarde les
récits mythologiques et merveilleux1. 11 faut convenir aussi que le
champ des inventions et des combinaisons dont est capable l'esprit
humain est plus limité qu'on ne se l'imagine généralement, et de
là bien des rencontres fortuites que l'on est souvent disposé à
prendre pour des imitations directes.
Je commence mes analyses :
LA PRINCESSE DE TRONKOLAINE V
Il y avait une fois un pauvre charbonnier qui avait déjà fait baptiser
vingt-cinq enfants. Dieu lui en envoya un vingt-sixième, et il se mit en
route pour lui chercher parrain et marraine. Il vil passer le roi dans
son carrosse et il se mit à genoux', dans la houe, pour le saluer. Le roi
lui jeta une pièce d'or.
1 II faut pourtant admettre une exception en faveur «les Védas.
s Ce nom me paraît être altéré, bien que je ne puisse pas dire quelle a du
en être la forme première. Je croirais volontiers que le mot /ni» , qui signifie
étang, y entre en composition. Dans une version de la même fable, que j'ai re-
cueillie en mars i 8 7 3 , dans l'île d'( blessant, le héros du conte, envoyé égale-
ment pour demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le malin, quand il se
lève, en reçoit la réponse suivante : «Chaque matin, quand je quitte mon palais,
je vois la princesse Poulfanc (la princesse de la mare) qui se baigne, toute nue,
dans ton étang , et je ne puis m'empêcher île rougir de honte en la voyant dans
cet état. ■
— Ce n'esi pas ce une je cherche pour le moment, bien que j'en
aie grand besoin, dit le charbonnier; c'est un parrain qu'il nie faut pour
un vingt-sixième enfant que ma femme vient de me donner.
— Vingt-six enfants, mon pauvre homme! s'exclama le roi; eh bien!
trouvez-vous demain à l'église avec l'enfant et une marraine, et je serai
le parrain, moi.
Le charbonnier fut fidèle au rendez-vous; il emmena une marraine
et le roi arriva aussi à l'heure convenue. L'enfant fut baptisé et nommé
Louis. Le parrain donna au père une bourse pleine d'or et lui dit d'en-
voyer son filleul à l'école, quand il aurait dix ans. Il lui donna encore la
moitié d'une platine, dont il garda l'autre moitié, en lui recommandant
de la donner à son filleul, quand il aurait atteint l'âge de dix-huit ans,
pour qu'il la lui rapportât à sa cour, à Paris. Il le reconnaîtrait à ce signe.
Il partit ensuite.
L'enfant fut mis à l'école à dix ans, et, comme il était intelligent, il
fit des progrès rapides. Quand il eut dix-huit ans, son père lui remit la
demi-platine et lui dit d'aller la porter à son parrain, le roi de France,
dans son palais, à Paris. Jusque-là, il lui avait caché qui était son par-
rain. 11 lui donna aussi un de ses chevaux à porter le charbon, une rosse,
et le jeune homme partit.
Comme il passait dans un chemin étroit et profond, il y rencontra
une petite vieille femme, courbée sur son bâton, et qui lui dit :
— Bonjour, Louis, filleul du roi de France.
— Bonjour, grand'mère, répondit Louis, étonne d'être connu de fi
vieille.
— Tout à l'heure, mon enfant, reprit celle-ci, tu arriveras à une fon-
taine au bord de la route, et là tu verras quelqu'un qui t'invitera à
descendre de cheval et à te désaltérer; mais ne l'écoute pas et continue
ton chemin.
— Merci, grand'mère, répondit le jeune homme. Et il passa. 11 arriva
en effet, tôt après, à une fontaine, près de laquelle était un personnage
de mauvaise mine qui lui cria :
— Eh! Louis, arrète-toi un peu et descends de cheval.
— Je n'ai pas le temps , répondit Louis , je suis pressé.
— Viens, te dis je, te désaltérer à cette fontaine, dont l'eau est déli-
cieuse, et causer un peu ; tu ne me reconnais donc pas, un ancien ca-
marade d'école ?
Louis, en entendant ces derniers mots, descendit de cheval; mais
il ne reconnut pas le prétendu camarade d'école. Il voulut boire néan-
moins à la fontaine, et, comme il se penchait sur l'eau pour boire dans
le creux de sa main, l'autre, d'un coup d'épaule, le jeta dedans, puis il
lui enleva sa demi-platine, monta sur son cheval et partit. Le pauvre
Louis sortit de l'eau, comme il put. et courut après le voleur. Le cheval
étail vieux cl fourbu, de sorte qu'il Gnil par l'atteindre, et ils en-
trèrent ensemble dans la cour du palais du roi. Celui-ci, à la vue de
la demi-platine, ne douta pas que celui qui en était porteur ne fût son
filleul, et il lui lit bon accueil, quoiqu'il lui trouvât bien mauvaise mine.
Il lui demanda aussi ce qu' étail le jeune homme qui l'accompagnait.
— C'est, répondit-il, parrain, un jeune homme de mon pays qui
m'a suivi, dans l'espoir de trouver un emploi à votre cour.
— C'est bien, répondit le roi, on trouvera à l'occuper quelque part.
Il fut, en effet, employé comme valet d'écurie, tandis que l'autre sui-
vait partout le roi, babillé comme un prince, et n'avait rien autre chose
à faire, tous les jours, que manger, boire et se promener.
Tôt après, le faux filleul, voulant si' débarrasser de Louis, dont la vue
l'importunait, dit un jour au roi :
— Si vous saviez, parrain, ce dont s'est vanté le valet d'écurie, mon
pays?
— De quoi s'est-il donc vanté? demanda le roi.
— Daller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se
lève, le matin l.
— Vraiment? Eh bien, il faut alors qu'il v aille, car je suis, en effet,
bien curieux de savoir cela.
Et le pauvre Louis dut se mettre en roule pour aller trouver le Soleil,
bien qu'il protestât qu'il n'avait jamais dit rien de semblable. Comme il
se dirigeait, tout triste, du côté de la mer, il rencontra un vieillard véné-
rable qui lui demanda :
— Où allez-vous ainsi, mon enfant?
— Ma foi, grand-père, répondit-il, je n'en sais trop rien. On m'a
dit que, sous peine de mort, il me faut savoir du Soleil pourquoi il est
si rouge , quand il se lève, le matin, et je ne sais où aller trouver le Soleil.
— Eh bien ! mon enfant, je vous aiderai à le trouver, moi. Et , lui mon-
trant un cheval de bois : Montez sur ce cheval de bois, qui s'élèvera
en l'air, à votre commandement, et vous portera au pied de la montagne
sur le sommet de laquelle est le château du Soleil. Vous laisserez le
cheval au bas de la montagne, où vous le retrouverez au retour, et vous
irez seul jusqu'au château.
Louis monta sur le cheval de bois, qui s'éleva aussitôt en l'air et le
déposa au pied d'une haute montagne. Il gravil péniblement cette mon-
tagne. cl , arrivé sur le sommel , il \ il un palais si beau, si resplendissant,
qu'il en fut ébloui. C'était le palais du Soleil. Il frappa à la porte. Une
vieille femme \ int lui ouvrir.
1 Dans une autre version , le héros doil demander au Soleil pourquoi il est
rouge quand il se lève le malin, et rouge quand il se couche le soir; — et
ailleurs, — pourquoi il est rouge le malin, blanc à midi, et bleuâtre le soir.
— Monseigneur le Soleil est-il à la maison? lui deinanda-l-il ?
— Non, mon enfant, mais il arrivera sans tarder, répondit la vieille.
— Je l'attendrai, alors.
— Mais, mon pauvre enfant, mon fils aura grand'faim , quand il arri-
vera \ et il pourrait bien te manger.
— Je vous en prie, grand' mère, faites qu'il ne me mange pas, car il
faut que je lui parle.
— Eh bien ! entre toujours , mon garçon , et je tâcherai d'arranger cela.
Et il entra. Le Soleil arriva peu après, en criant :
— J'ai faim! j'ai grand'faim, mère! Puis, ayant flairé l'air : Je sens
odeur de chrétien! Il y a un chrétien ici, et je veux le manger!
— Oui, comptez là-dessus, lui dit sa mère, que je vais vous le don-
ner à manger, ce pauvre enfant qui est si gentil ! Voilà votre souper qui
est prêt, mangez-le vite et faites silence, ou gare, à mon bâton!
Le Soleil courba la tête, à cette menace, comme un enfant craintif,
et se mit à manger, en silence. Quand il eut fini, Louis, enhardi en
le voyant si doux, lui adressa sa question :
— Je voudrais bien savoir, monseigneur le Soleil , pourquoi vous
êtes si rouge, si beau, quand vous vous levez, le matin?
— Je veux bien te le dire , répondit le Soleil ; c'est que le château
de la princesse de Tronkolaine2 est ici près, et elle est si belle qu'il faut
que je me montre aussi dans toute ma beauté , pour n'être pas éclipsé
par elle.
— Merci bien, monseigneur le Soleil, répondit Louis; et il salua
profondément et partit alors. Il redescendit la montagne, remonta sur
son cheval de bois , qui l'attendait , et il fut bien vite rendu à la cour du roi.
— Eh bien! lui demanda celui-ci, as-tu été jusqu'au Soleil, et peux-tu
me dire, à présent, pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin?
— Oui, sire, je peux vous le dire.
— Voyons donc cela.
— C'est pour n'être pas éclipsé par la princesse de Tronkolaine,
dont le château est voisin du sien , et qui est la plus merveilleuse beauté
qui existe nulle part.
Le roi parut satisfait de l'explication.
Mais , à quelque temps de là , le faux filleul lui dit encore :
— Si vous saviez , parrain , ce dont s'est encore vanté le valet d'écurie ?
— De quoi s'est-il donc vanté? demanda le roi.
1 Dans les fables indiennes aussi, le Soleil rentre tous les soirs affamé, après
sa course journalière.
2 Dans Grimm , c'est la Princesse au Dôme d'or, conte du Fidèle Jean. Je ne
sais pas bien au juste si c'est par la princesse elle-même, ou par l'éclat de son
château, qui est tout d'or, epic le Soleil craint d'être éclipsé.
— 0 —
— D'être capable de vous amener à voire cour la princesse deTron-
kolaine elle-même, pour que vous l'épousiez 1
— Vraiment, il s'est vanté de cela? El» bien! il Tant qu'il le lasse,
alors, ou il n'y a que la mort pour lui.
Et le pauvre Louis dut encore tenter cette aventure, malgré ses pro-
testations de n'avoir jamais dit rien de semblable. Heureusement pour
lui qu'il rencontra encore le vieillard inconnu, qui lui dit :
— Retournez auprès du roi et dites-lui que, pour accomplir votre
entreprise, il vous faut un bâtiment chargé de blé, de lard et de viande
de bœuf, afin de distribuer ces provisions aux rois des fourmis, des éper-
viers et des lions, que vous rencontrerez sur votre route, et qui, si vous
les régalez bien, vous seront utiles, plus tard.
Il obtient le bâtiment chargé de ces provisions. Alors le vieillard lui
donne encore une baguette blanche, pour obtenir un vent favorable du
côté où il la tournera. Il s'embarque, passe successivement par les
royaumes des fourmis, des éperviers et des lions, régale tous ces ani-
maux de son mieux, et tous lui promettent de lui venir en aide, sitôt qu'il
les appellera l. Il aborde alors dans une île. Au milieu de l'île il y a un
château magnifique. C'est là que demeure la princesse de Tronkolaine.
Il la voit au bord d'une fontaine, peignant ses cheveux blonds, avec un
peigne d'or et un démêloir d'ivoire. Il cueille une orange à un oranger
qui est là près, et la jette dans la fontaine. La princesse se détourne,
l'aperçoit, lui sourit et lui dit d'avancer. Puis elle le conduit à son châ-
teau, le régale de mets exquis et de fruits délicieux, et l'invite à rester
avec elle. Au bout de quinze jours de séjour dans le château, Louis
demanda à la princesse si elle consentirait à le suivre à la cour du roi
de France.
— Volontiers, répondit-elle, quand vous aurez fait tout le travail qu'il
y a a faire ici.
— Dites, princesse, ce que vous désirez de moi. et si c'est possible,
je le ferai.
Le lendemain malin, la princesse le conduisit dans le grenier du châ-
teau, et lui montrant \n\ grand las de grains mélanges :
— Voilà, dit-elle, un tas de trois grains mélanges, froment, seigle et
orge'2. Il faut mettre chaque sorte de grain dans un las à pari, suis vous
1 Dans un autre coule breton , et dans une fable de Straparole aussi ( nuit III,
fable IV), le béros est secouru par un loup, un aigle et une fourmi,— un bour-
don, dans le coule breton, paire qu'il leur a partagé, de manière à les sa-
tisfaire Ions, une charogne qu'ils se disputaient.
2 Cette épreuve de différentes séries de grains mélangés, el qu'il faul trier,
se rencontre très-souvent dans nos contes bretons, las conteurs aiment à l'in-
troduire dans leurs récits, el en abusent parfois. Ce sont toujours les fourmis
qui viennent nu secours du héros, comme dans la fable de Psyché, dans Apulée.
— 7 —
tromper d'un seul grain . et que ce soit fini pour le coucher du soleil.
Puis elle s'en alla.
Louis appela ta son secours les fourmis , et le triage fut fait on ne peut
mieux, pour l'heure dite. Aussi, quand la princesse revint, au coucher
du soleil, fut-elle bien étonnée. Elle examina l'ouvrage, et, ne trouvant
pas un seul grain d'une espèce différente dans chacun des trois tas :
— C'est fort bien, dit-elle.
— liendrez-vous avec moi, à présent? lui demanda Louis.
— Pas encore; j'ai autre chose à vous demander, auparavant.
En effet, le lendemain matin, elle lui donna une cognée de bois, et,
l'ayant conduit dans la grande avenue du château, elle lui dit, en lui
montrant les grands chênes :
— Il faut m' abattre tous ces arbres, avant le coucher du soleil, avec
votre cognée de bois. Puis elle s'en alla.
Dès que la princesse fut partie , Louis appela les lions à son secours ,
et, quand elle revint, au coucher du soleil, il n'y avait plus un seul arbre
debout, dans l'avenue. Son étonnement ne lit qu'augmenter.
— Me suivrez-vous , à présent, princesse? lui demanda Louis.
— J'ai encore un autre travail, une dernière épreuve à vous donner,
répondit-elle , et si vous vous en tirez aussi heureusement que des deux
autres, rien ne s'opposera plus à ce que je vous suive.
Le lendemain matin, la princesse le conduisit au pied d'une grande
montagne et lui dit :
— Voici une montagne qui offusque mon palais et m'empêche de
voir au loin, et je désire qu'elle ait disparu pour le coucher du soleil.
Et elle s'en alla encore.
Louis appela, cette fois, les éperviers à son secours, et, avec leurs
becs et leurs griffes, ils eurent bientôt, tant ils étaient nombreux, fait
disparaître la montagne et aplani le terrain. Quand la princesse revint,
au coucher du soleil :
— Eh bien ! princesse , êtes-vous satisfaite ? lui demanda Louis.
— Oui, répondit elle, vous n'avez pas votre pareil au monde, et, à
présent, je vous suivrai, quand vous voudrez.
Et elle lui donna alors un baiser. Ils se dirigèrent ensuite vers la mer.
Le bâtiment sur lequel Louis était venu dans l'île était toujours là, l'at-
tendant. Ils montèrent dessus et abordèrent sans encombre au continent.
Pendant le trajet, la princesse laissa tomber dans la mer la clef de son
château, sans en rien dire à Louis'. Le vieillard les attendait de l'autre
côté de l'eau.
1 II doit y avoir plus loin une lacune, concernant cette clef que le héros du
conte doit retrouver. Dans d'autres versions , il doit aussi apporter le palais de
la princesse devant celui du roi, et même aller quérir de l'eau de la vie et de
l'eau de la mort.
— 8 —
— Eh bien ! mon enfant, demanda-t-il à Louis, avez-vous réussi ?
— Oui, grand-père, grâce à vous, cl que Dieu vous bénisse.
Quand la princesse arriva à la cour, le vieux roi l'ut tellement charme
de sa beauté qu'il voulut l'épouser sur-le-champ.
— Holà ! dit-elle alors, je ne suis pas venue ici pour un vieux barbon
comme vous, ni pour cet autre, — et elle montrait le faux filleul, —
que vous croyez être votre filleul, et qui n'est qu'un démon! Votre vrai
filleul , le voici, et c'est lui qui sera mon époux. — Et elle montrait Louis.
— A présent, faites chauffer un four, et qu'on y jette ce diable!
Ce qui fut fait. Et comme le démon, autrement le faux filleul , poussait
des cris affreux et essayait de sortir du feu, on lit venir une jeune
femme portant son premier enfant, et, avec son anneau de mariage
qu'elle lui présentait à l'ouverture du four, quand il voulut sortir, elle
le força d'y rester. Alors il s'écria :
— Si j'étais resté à la cour un an seulement, j'aurais réduit le
royaume à un état désespéré!
Louis fut alors marié ta la princesse de Tronkolaine, et il remplaça
sur le trône le vieux roi, son parrain, qui n'avait pas d'enfants. Il fit
venir à la cour son vieux père et sa vieille mère, ainsi que ses frères et
ses sœurs, qu'il établit tous honorablement.
Il faut remarquer que nos conteurs populaires, lorsque les héros
de leurs récits deviennent rois, ce qui arrive fréquemment, ne
manquent jamais de leur faire appeler à la cour leur vieux père,
leur vieille mère, avec leurs frères et leurs sœurs; touchant
exemple d'amour filial , de leur sympathie et de leurs bons sen-
timents pour leurs proches, et généralement pour tous ceux qui
souffrent.
Trégont-a-Baris, de mon quatrième rapport, n'est qu'une version
différente de ce conte, avec des variantes curieuses. La Princesse
de Tréménézaour, du même rapport, s'en rapproche aussi, sur
quelques points.
LE FILS DU PECHEUR ET LA PRINCESSE TOURNESOL.
Un pauvre pêcheur, qui ne prenait presque rien, rencontra un jour,
en mer, le diable qui lui dit :
— Promets-moi ce que ta femme porte en ce moment, et jure de me
l'apporter ici, dans dix-huit ans, et je te ferai prendre du poisson à dis-
crétion.
Le marché lut conclu. La femme du pêcheur était enceinte, sans
qu'il I'' sut, et il avait ainsi vendu son enfant an diable, avant sa nais-
— y —
sauce. Quand le lils qui lui naquit approcha de sa dix-huitième année,
on alla consulter un vieux moine. Celui-ci demanda à la femme :
— Vous rappelez-vous ce que vous portiez au moment où votre mari
conclut le marché fatal?
— Oui, répondit-elle, je portais un fagot que j'avais été chercher au
bois.
— Avez- vous encore ce fagot?
— Oui , il doit être encore sur notre grenier, car depuis ce jour-là
le bois ne nous a pas manqué.
— C'est bien, tout espoir n'est pas perdu, alors.
Le jour du rendez-vous venu, le fagot fut trempé dans de l'eau bénite,
et le jeune homme l'emporta en mer sur son bateau. Quand le diable lui
réclama ce qui lui était dû, il le lui jeta à la figure, en disant :
— Tiens, voilà ce qui te revient! c'est ce que ma mère portait quand
tu fis le marché avec mon père.
Le Malin, trompé, partit en poussant un cri épouvantable, et sans
reclamer autre chose. Mais le fils du pêcheur ne put retourner au ri-
vage. Il erra quelque temps sur la mer, et aborda enfin dans une île.
Dans cette ile, il y avait un beau château. C'était le château de la prin-
cesse Tournesol. Il y entra, et ne vit personne. En allant de chambre
en chambre, il finit par trouver une princesse d'une beauté merveil-
leuse, endormie sur un lit de pourpre. Il lui donna un baiser, et elle
s'éveilla. Elle lui dit que, pour la délivrer de ce château, où elle était
enchantée, il lui faudrait souffrir, pendant trois nuits de suite, des sup-
plices inouïs. Il voulut tenter l'aventure. Pendant les trois nuits qui sui-
virent, il fut, en effet, si maltraité par des démons qui arrivaient dans
sa chambre, à minuit, pour ne s'en aller qu'au chant du coq, qu'ils le
laissèrent pour mort, à chaque fois. Mais la princesse le ressuscitait à
chaque fois aussi , avec un onguent merveilleux qu'elle possédait. Quand
il fut sorti triomphant des trois épreuves, il épousa la princesse. Après
être resté quelque temps avec elle dans son château , il retourna dans
son pays, pour voir ses parents, et la princesse lui recommanda de
ne dire à personne qu'il était marié, sous peine de ne plus la revoir.
Mais il finit par livrer son secret. Aussitôt il entendit la voix de sa
femme qui lui cria, sans qu'il la vît: « Hélas! tu m'as désobéi, malheureux !
A présent tu ne me reverras plus. Je vais, captive, sur la montagne de
PennbœufC?), bien loin, bien loin d'ici.» Mais il jure de ne se reposer
sous aucun toit, ni la nuit, ni le jour, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée, et
il se met immédiatement en route. Il visite successivement trois ermites ,
trois frères, vivant dans les bois et éloignés l'un de l'autre. Le premier
ne peut lui donner aucun renseignement sur la montagne de Pennbœuf,
mais il lui donne une boule qui roule d'elle-même devant lui et le con-
duit jusqu'au second ermite. Celui-ci non plus ne sait pas où est la mon.
— 10 —
Ligne de Pennbœuf. Il est maître sur tous les animaux à poil, et il les in-
terroge a ce sujet : aucun d'eux ne connaît la montagne en question. Cet
ermite lui donne alors, comme le premier, une boule pour le conduire
cbez son autre frère. Celui-ci est maître sur tous les animaux à plumes.
Il les convoque tous. L'aigle sait où est la montagne de Pennbœuf , et l'er-
mite lui ordonne d'y porter, sur son dos, le voyageur, après avoir donné
à celui-ci un manteau qui le rendra invisible , quand il le mettra à l'envers.
11 arrive au cbâteau, au moment où la princesse allait épouser le géant
qui la retenait captive. Grâce à son manteau, il peut pénétrer jusqu'à elle ,
et la l'aire sortir du cbâteau, sans être vu de personne, puis il l'épousa.
Ce conte, que je ne fais qu'analyser succinctement, semble
appartenir au même cycle que la Princesse de Tronlwlainr ,
Trégont-à-Baris, la Princesse aux cheveux d'or, et généralement
tous ceux où le soleil joue un rôle. Le premier épisode, celui de la
vente de l'enfant au diable, pourrait bien appartenir à une autre
fable.
LE POIRIER AUX POIRES D'OR ET LE CORPS SANS AME.
Un roi a dans son jardin un poirier merveilleux qui produit des fruits
d'or. Mais il s'aperçoit que, depuis quelque temps, une poire disparait
ebaque nuit de l'arbre. Il a trois fils. L'aîné passe, le premier, une nuit
au pied du poirier, armé d'un arc, pour essayer de surprendre le voleur.
Mais il s'endort, et, le lendemain matin, il manque encore une poire.
De même pour le second lils, qui veut surveiller les poires d'or, après son
aîné. Le cadet tente l'aventure, à son tour, et il ne s'endort pas. Vers
minuit, par un beau clair de lune, le ciel s'obscurcit tout à coup, et il
voit un grand oiseau , un aigle sans doute , qui descend sur l'arbre, enlève
un fruit et s'envole ensuite, en l'emportant dans son bec. Il lui décoebe
une flècbe. L'oiseau pousse un grand cri et laisse tomber par terre la
poire d'or; mais il disparait néanmoins. Le lendemain matin, la poire,
fut retrouvée , et aux gouttes de sang répandues sur le sol , on put suivre
la trace du voleur jusqu'à un vieux puits d'une profondeur inconnue. Les
deux lils aînés du roi descendirent dans le puits, l'un après l'autre; mais,
n'en trouvant pas le fond, ils eurent peur, et se firent remonter. Le
cadet entra à son tour dans le seau, et descendit, descendit pendant
plusieurs beures, si bien que les cordes faillirent manquer. A force de
descendre, il finit par arriver dans un autre monde, où tout était diffé-
rent de ce qui se voit dans le nôtre. II se trouva au milieu d'un bois, et
vit venir à lui une vieille femme, qui lui demanda où il allait.
— Je cherche, répondit-il, le voleur des poires d'or de mon père.
— 11 —
— C'est mon lils, dit la vieille, mais ne croyez pas qu'il soit facile
de le prendre; vous le verrez dans un château que vous trouverez bien-
tôt.
Le cadet suivit une grande avenue de vieux chênes , et se trouva en
ellet, sans tarder, devant un château aux murs d'acier. Au-dessus de la
porte de la cour, il vit l'aigle qu'il avait blessé, triste, et paraissant ma-
lade. Dès que l'oiseau l'aperçut, il s'envola, en poussant un grand cri. Le
cadet pénétra dans la cour du château, et une belle demoiselle vint à sa
rencontre et lui dit qu'elle était fdle du roi d'Espagne et qu'elle avait deux
autres sœurs, plus belles qu'elle, et, comme elle, retenues enchantées, depuis
plus de cinq cents ans, par l'aigle, qui était un grand magicien. L'une
de ses sœurs demeurait plus loin, dans un château d'argent, et l'autre,
plus loin encore, dans un château d'or. S'il pouvait tuer l'aigle, il les
délivrerait toutes les trois, et il pourrait alors épouser celle qui lui plai-
rait le plus. Puis elle le conduisit jusqu'au château d'argent. L'aigle
y était encore, perché au-dessus de la porte de la cour, et, en les
voyant, il poussa un cri effrayant et s'envola plus loin, vers le château
d'or. Les deux sœurs accompagnèrent le cadet jusqu'au château d'or.
L'aigle y était perché sur la plus haute tour, et, dès qu'il les aperçut,
il s'envola encore plus loin, en poussant un cri épouvantable. Les deux
princesses du château d'argent et du château d'acier s'en retournèrent
alors chez elles, et le cadet pénétra seul dans la cour du troisième châ-
teau, qui était tout d'or. Une princesse, plus belle que les deux autres,
vint à sa rencontre. Elle lui donna une épée enchantée, qui appartenait
au magicien et dans laquelle résidait toute sa puissance, et lui dit d'aller
se placer au milieu de la cour du château, de tenir la pointe de l'épée
en l'air, et l'aigle viendrait planer au-dessus et continuerait de des-
cendre, en tournant et en rétrécissant toujours les cercles, jusqu'à ce
qu'il tombât sur la pointe de l'épée, et aussitôt il se changerait en
homme et perdrait tout son pouvoir.
Le cadet se conforma de point en point aux instructions de la prin-
cesse, et tout se passa comme elle le lui avait prédit. . . Il retourna à
l'ouverture du puits, avec les trois princesses, et tira la corde d'une
petite cloche qui avait été suspendue au-dessus de l'ouverture supérieure,
donnant ainsi à entendre qu'il voulait remonter. Les trois princesses en-
trèrent d'abord dans le seau, l'une après l'autre, et furent retirées du puits,
et les deux princes aînés se les disputèrent; puis ils coupèrent la corde
et laissèrent leur frère au fond du puits. Mais le cadet avait retenu une
des pantoufles de chacune des trois princesses, une d'acier, une d'argent
et une d'or. Ses deux frères voulaient se marier, tout de suite , l'un avec
la princesse du château d'or, l'autre avec la princesse du-chàteau d'argent.
Les princesses dirent qu'elles ne se marieraient que lorsqu'on leur au-
rait procuré des pantoufles semblables à celles dont elles avaient déjà
— 12 —
chac une seulement Mais laissons-les . un moment, et retournons au
cadet.
La vieille femme, la mère de l'aigle, vinl à lui, et lui dit :
— Rends son épee à mon fils (car il ne s'était pas dessaisi de l'épée
enchantée), et il te fera sortir d'ici, et te ramènera dans ton pays.
Il rendit l'épée, à cette condition, et l'aigle le prit alors sur son dos,
et, s'élevant avec lui dans le puits, il le ramena à l'ouverture supérieure.
Puis, avant de s'en retourner, il lui dit de lui arracher une plume de la
queue, de l'emporter et de l'approcher du feu chaque fois qu'il aurait
besoin de secours, et il arriverait aussitôt. Le cadet arracha une plume
à la queue de l'aigle et l'emporta. Puis il entra dans la ville, vêtu comme
un mendiant. 11 logea chez un maréchal ferrant. Il s'enquit des nou-
velles de la ville; on lui dit qu'il n'était bruit, pour le moment,
que des deux, fils aînés du roi, qui avaient conquis sur un enchanteur
des princesses d'une beauté merveilleuse avec lesquelles ils étaient sur
le point de se marier; mais les princesses y mettaient pour condition
qu'on leur procurât, auparavant, des pantoufles semblables à celles
dont elles avaient déjeà chacune une seulement, et on ne trouvait nulle
pari d'ouvrier capable d'exécuter un pareil travail.
Le cadet livra au maréchal les trois pantoufles, l'une après l'autre, et
lui dit de se présenter avec elles à la cour, comme étant lui-même l'ou-
vrier qui les avait fabriquées , et de demander dix nulle écus decellequi
était d'acier, vingt mille de celle qui était d'argent, et trente mille de celle
qui était d'or. Mais les princesses, ayant reconnu leurs pantoufles, firent
rechercher celui qui les avait livrées au maréchal, et le cadet fut amené
à la cour et reconnu par elles. Alors les trois princes épousèrent chacun
une des trois princesses, le cadet ne voulant tirer aucune vengeance
de la trahison de ses frères, et il y eut de grandes réjouissances et de
grands festins.
Le conte semble terminé ici, quoiqu'il présente des lacunes.
Ainsi le héros ne fait aucun usage, ni jusqu'ici, ni plus tard, de la
plume qu'il a arrachée à la queue de l'aigle. Ce qui suit est une
autre fable, et c'est, sans doute, arbitrairement et uniquement
pour allonger son récit et en augmenter l'intérêt, que le conteur
l'a ajoutée à la première. Je crois pourtant devoir donner le récit
de mon conteur dans toute son étendue, et tel qu'il me fa pré-
senté, pour rester fidèle à mon rôle de collecteur exact et cons-
L'aigle avait aussi recommandé au cadet de prendre garde au Corps
suis âme, qui pouvait encore lui enlever sa femme. Et en effet, comme
il était un jour avec elle en voyage, elle lui fut soudainement enlevée
dans un tourbillon '. Il se rappela la recommandation de l'aigle et se
dit : « C'est le Corps sans âme qui me l'a enlevée ! Je ne cesserai de voyager,
ni de nuit ni de jour, que je ne l'aie retrouvée. » Et il se mit en route sur-
le-champ. Surpris par la nuit dans une forêt, il monta sur un arbre, pour
attendre le jour. Trois personnages vinrent se reposer sous le même
arbre. Un d'eux avait un chapeau qui, mis d'une certaine manière, ren-
dait invisible celui qui le portait, le second avait des guêtres avec lesquelles
il pouvait faire cent lieues à chaque pas, et le troisième avait un arc avec
lequel il atteignait tout ce qu'il visait. Il les avait entendus se faire ces con-
fidences, et, quand il les vit bien endormis, il descendit tout doucement
de son arbre, s'empara du chapeau, des guêtres et de l'arc, et partit
alors. 11 allait vite à présent. Il rencontra sur une grande lande une
vieille femme qui lui demanda :
— Où vas-tu, ver de terre?
— Je cherche le château du Corps sans âme , qui m'a enlevé ma femme,
grand'mère.
— Eh bien! tu n'en es plus bien loin; tu le verras sans tarder sur le
rivage de la mer; mais il n'est pas facile d'y pénétrer. Tous les matins,
quand le maître du château se lève , il lance du feu au loin par les trois fe-
nêtres de sa chambre, et tout est brûlé, jusqu'aux pierres mêmes, dans
les environs.
Le cadet met son chapeau de manière à n'être pas visible, et il pé-
nètre facilement dans le château. C'était le soir. Le géant était à table,
avec la princesse. Après le repas , chacun d'eux se retira dans sa chambre.
Le cadet suivit sa femme dans la sienne, sans être vu, puis ayant changé
de façon de mettre son chapeau, il redevint visible. Grand fut l'étonne-
ment de sa femme de le voir auprès d'elle. Elle sut s'y prendre de ma-
nière à faire dire au géant, le lendemain matin, pendant le déjeuner,
où résidait son âme.
— 11 y a, dit-il, dans le bois qui entoure le château, une caverne
avec une porte de fer, dont j'ai toujours la clef suspendue à mon cou par
une cbaîne d'or. Dans cette caverne il y a un lion, dans le lion, un loup,
dans le loup, un lièvre, dans le lièvre, une colombe , et enfin dans la co-
lombe, un œuf, et dans cet œuf est ma vie. Il faudrait tenir l'œuf, après
avoir tué tous ces animaux renfermés les uns dans les autres, et mêle
briser sur le front, et je mourrais sur-le-champ. Mais tout cela est im-
possible à un bomme , et je suis bien tranquille de ce côté.
1 Nos paysans bretons croient encore que dans un tourbillon, qu'ils appellent
korf-choue:, c'est-à-dire corps rempli de venl , il y a toujours un géant, et qu'il est
possible de le tuer et d'arrêter ses ravages, en lui lançant adroitement une
faucille ou une cognée.
— 14 —
Le cadet, qui était là, invisible, entendit tout. Sa femme s'empara
delà clef d'or, pendant que le géant dormait, et la lui remit. Il se rendit
alors au bois , ouvrit la caverne, tua successivement, avec son arc, le lion, le
loup, le lièvre, la colombe, s'empara de l'œuf et revint avec lui au château.
Il le brisa sur le front du géant, qui était étendu sur son lit, bien malade
déjà et affaibli graduellement par la mort de chaque animal, et le monstre
expira sur-le-champ, et le château lui-même disparut, avec son maître,
dans le puits de l'enfer!
Le cadet et sa femme n'eurent aucun mal , et ils retournèrent alors
dans leur pays '.
Ce conte semble composé par le mélange de deux ou trois autres
contes, que Ton trouve séparément ailleurs, par exemple les trois
récits que l'on peut lire dans le recueil de M. Alex. Chodzko,
Contes des paysans et des pâtres slaves, sous les titres de : l'oiseau
Ohnivak, l'Esprit des steppes et le Tapis volant. Le géant Kostey, de
l'Esprit des steppes, est un Corps sans âme. Comme dans le conte
breton, sa vie est dans un œuf qu'on ne peut se procurer qu'en
tuant successivement plusieurs animaux renfermés les uns clans les
autres. Voici comment la vieille Yaga ou sorcière du conte slave
donne ses instructions au prince Junak, pour triompher du géant
Kostey, qui a enlevé la princesse Merveille : «Prince Junak, tu
as entrepris une chose bien difficile; mais ton courage te servira à
accomplir ton dessein. Je vais t'indiquer le moyen de faire périr
Kostey, car sans cela tu ne parviendrais à rien. Sache donc qu'au
milieu de l'Océan se trouve file de la vie éternelle. Sur celte île
est planté un chêne, au pied duquel tu trouveras enfoui sous terre
un coffre bardé de fer. Dans ce coffre est enfermé un lièvre; sous
ce lièvre se cache un canard gris, dont le corps renferme un œuf:
c'est dans cet œuf que réside la vie de Kostey. Une fois l'œuf cassé,
Kostey est mort! Adieu, prince Junak, pars sans tarder, ton cour-
sier le conduira à destination. ■
Dans les Traditions populaires des Gaëls d'Ecosse, recueillies par
F.-J. Campbell, je trouve également un Corps sans came, dans le
conte qui porte le titre de : le jeune roid'Easaidh Ruadh. Là, comme
dans les contes bretons et slaves, il y a un géant dont la vie réside
dans un œuf, qu'il faut chercher dans le corps d'un canard2.
1 J'ai déjà donné une autre version de ce dernier conte dans mon premier
rapport , sous le titre: le Corps sans âme.
' Consulter, sur l'ouvrage de M Campbell, un travail fort intéressant de
— 15 —
Le résumé rapide, qui va suivre, du conte slave l'oiseau Ohnivak,
montrera clairement que la fable, les ressorts, l'esprit et la marche
générale du récit y sont les mêmes que dans le conte breton.
Dans le conte slave, comme dans le conte breton, un roi a dans
son jardin un pommier1 qui produit des fruits d'or, et, chaque
nuit, il en disparaît un. Ce roi a aussi trois fils, qui passent suc-
cessivement chacun une nuit au pied de l'arbre, afin de surprendre
le voleur. Les deux aînés s'endorment et laissent enlever les pommes ,
comme à l'ordinaire. Le cadet, lui, quand son tour arrive, ne s'en-
dort pas, et il atteint d'une flèche le voleur, l'oiseau Ohnivak, qui
laisse tomber par terre la pomme qu'il emportait dans son bec,
avec une plume de sa queue. Cette plume servit au roi, dans la
suite, pour éclairer son palais, la nuit, car elle brillait dans l'ob-
scurité comme un véritable flambeau. — Dans un de mes contes,
la Princesse de Tréménézaour, il y a aussi une plume lumineuse
qui éclaire le palais d'un roi. — Le roi du conte slave est pris
d'un tel désir de posséder l'oiseau à qui appartient la plume mer-
veilleuse, qu'il en tombe malade. Dans un autre conte breton, il
y a également un roi atteint d'une maladie que la vue de Y oiseau
de la vérité peut seule guérir. — Les trois fils du roi se mettent
en route à la recherche de l'oiseau Ohnivak , car la couronne est
promise à celui qui l'apportera à son père. Chacun d'eux prend
une direction différente. Les deux aînés désobligent un renard,
qui vient leur demander quelques miettes de pain , pendant qu'ils
se reposent et mangent un morceau, sur la lisière d'un bois. Le
cadet, au contraire, accueille bien le renard et partage avec lui
son frugal repas. L'animal reconnaissant lui promet aide et protec-
tion, dans le besoin. — Cet épisode du renard se trouve encore
dans un conte breton.
L'oiseau Ohnivak, lui dit le renard, est dans un palais de cuivre,
et près de lui sont deux cages , une d'or, et l'autre de bois. C'est dans
la cage de bois qu'il faut le mettre pour pouvoir l'emporter, — con-
dition qui se trouve aussi dans le conte breton l'Oiseau de la vérité.
M. E. Morin, professeur d'histoire de la faculté des lettres de Rennes, portant
le titre suivant : Remarques sur les contes et les traditions populaires des Gacls de
l'Ecosse occidentale, d'après la récente publication de M. F.-J. Campbell. — Edin-
burgh, Edmonston and Douglas. 4 vol. in-12, 1860-62.
1 Je soupçonne le conteur breton d'avoir, de sa propre autorité, substitué
un poirier au pommier du conte slave.
— 16 —
— Le cadet du conte slave met l'oiseau Ohnivak, endormi, dans la
cage d'or, et aussitôt il s'éveille et tous les autres oiseaux qui se
trouvent par là, et qui dormaient, s'éveillent aussi et font un tel
bruit que des valets accourent, arrêtent le voleur et le conduisent
devant le roi. «Voleur! lui dit celui-ci. — Je ne suis pas un vo-
leur, répond le cadet, mais je viens ici chercher celui qui a volé
mon père, et qui est chez vous. » Le roi promet de lui livrer l'oi-
seau Ohnivak, à la condition qu'il lui amènera à sa cour le cheval
à la crinière d'or. Le renard vient encore au secours du cadet, bien
qu'il lui ait désobéi, et il le conduit devant le château d'argent
où se trouve le cheval à la crinière d'or. Près du cheval, dans son
écurie, sont suspendues à des clous deux brides, l'une d'or et
l'autre de cuir. C'est la bride de cuir qu'il faut lui mettre en tète,
pour pouvoir l'emmener. Malheureusement, le cadet lui met la
bride d'or, et il est encore pris et conduit devant le roi, à qui il
raconte toutes ses aventures, depuis le commencement. — Cet
épisode du cheval à qui il faut mettre une bride de cuir ou de
chanvre, et non d'or, se trouve encore dans les contes bretons,
ainsi que les châteaux de cuivre, d'argent et d'or, où le prince
slave doit accomplir ses trois épreuves.
Le roi du château d'argent promet au cadet de lui livrer le
cheval à la crinière d'or, à la condition qu'il lui amènera à sa
cour la vierge aux cheveux d'or.
Le renard le conduit alors au bord de la mer Noire, et, lui
montrant le château, il lui dit: «C'est là qu'est la Vierge aux
cheveux d'or. Mais elles sont trois sœurs, et on te les amènera
toutes les trois dans une salle, la tête couverte d'un voile, qui
cachera bien leurs cheveux, et on le dira de choisir. Choisis celle
qui sera le plus simplement vêtue. »
Il suivit, cette fois, le conseil du renard et choisit la plus sim-
pleménl vêtue des trois princesses, et qui était la Vierge aux che-
veux d'or. On lui dit alors qu'il lui fallait tenter l'épreuve une
seconde fois, et on lui présenta encore, le lendemain, les trois
princesses voilées et vêtues absolument de la même manière.
Mais la princesse aux cheveux d'or avait trouvé moyen de lui dire,
avant l'épreuve, qu'il pourrait la reconnaître à une mouche qui
viendrai! voltiger autour de sa tête; et il réussit encore.
Gel épisode du choix entre trois princesses voilées, OU se
trou van 1 dans une salle obscure, et le moyen employé pour recon-
— 17 —
naître celle que l'on désire, est pareillement dans les contes
bretons.
Le cadet ayant encore réussi dans la seconde épreuve, on lui
en proposa une troisième et dernière. Il fallait, avec un tamis
qu'on lui donna, épuiser toute l'eau d'un grand vivier. La Vierge
aux cheveux d'or vint à son secours, comme la veille , et il réussit
encore.
Alors il emmena avec lui la Vierge aux cheveux d'or. Mais il lui
était bien désagréable délivrer une si belle princesse au roi du châ-
teau d'argent. Le renard le comprit et, s'étant métamorphosé en
une belle princesse, en tout semblable à la Vierge aux cheveux
d'or, le roi du château d'argent l'épousa, sans se douter de rien.
Mais, le jour même des noces, l'animal reprit soudainement sa
forme naturelle, et partit. Le cadet prit alors le chemin de chez
son père, tout fier d'emmener avec lui une si belle princesse,
sur un beau cheval à la crinière d'or, et de plus, l'oiseau Ohnivak.
Les trois frères arrivent au rendez-vous qu'ils s'étaient assigné,
au bout d'un an et un jour. Les deux aînés, jaloux de voir comme
leur cadet avait réussi, le mettent à mort, et se présentent
devant leur père avec l'oiseau, le cheval et la princesse, dont ils
se disent les conquérants, au prix de beaucoup de peine et de
prouesses. Ils lui disent aussi que leur frère cadet a péri dans
l'entreprise.
Cependant le renard ressuscite le cadet, avec de l'eau de la vie,
que lui apporte un corbeau. Il se présente chez son père, habillé
en paysan, pour demander un emploi. Il est pris comme valet
d'écurie. Le cheval à la crinière d'or était tout triste, et ne
mangeait pas, l'oiseau aussi était triste et ne mangeait ni ne chan-
tait, et la princesse aux cheveux d'or ne faisait que pleurer; enfin
le vieux roi était plus malade que jamais. A l'arrivée du cadet, le
cheval hennit dej oie, l'oiseau chanta, la princesse cessa de pleurer
et le vieux roi guérit soudainement. Tout fut alors dévoilé. Les
deux princes aînés furent condamnés à mourir, et le cadet épousa
la Princesse aux cheveux d'or.
Il n'y a pas un épisode dans ce conte, ni un agent merveilleux,
comme du reste dans presque tous les contes du recueil de
M. Alexandre Chodzko, qui ne se retrouve dans nos contes bre-
tons, mais dispersés de tous les côtés dans plusieurs fables. Cela
provient et du caprice des conteurs, qui, voulant toujours allonger
4
— 18 —
leurs récits. \ mêlent des éléments et des épisodes étrangers à la
fable première; et aussi des fortunes diverses subies par ces tradi-
tions orales , dans leurs longues migrations à travers les âges et les
différents pays qu'elles ont traversés avant d'arriver jusqu'à nous.
Si les récits contenus dans différents recueils, publiés en France,
en Allemagne et ailleurs, paraissent plus réguliers, plus complots
et moins mélangés que mes versions bretonnes, c'est que les édi-
teurs y sont intervenus, assez souvent, pour une bonne part.
Avant de les présenter au public, ils les ont soumis à un examen
et à un travail critiques, comparant, retranchant', ajoutant et
comblant les lacunes, à l'aide de versions différentes, sans pour-
tant toucher au fond ni modifier la fable, ou le moins possible,
si cela leur est arrivé parfois. Quant à moi, je le répète, je me
suis rigoureusement interdit toute participation de ce genre, bor-
nant mon rôle à fournir aux savants et aux critiques des maté-
riaux, mélanges et incohérents il est vrai, et tels qu'ils sortent de
la mine populaire, mais dans lesquels ils peuvent avoir toute con-
fiance quant à l'authenticité de la provenance et à l'exactitude
de la reproduction,
LE CAPITAINE LIXUK ET I.A SANTIR1NE1.
Un vieux gentilhomme breton vivait tranquillement dans son château,
avec ses trois filles. Sa femme était morte et il n'avait pas de lils. Voilà
qu'une lettre lui arrive tout à coup de la part de son roi, qui lui dit
d'envoyer son fils aine pour le servir, ou de venir lui-même, s il n'a pas
de fils en état de porter les armes. La pins jeune de ses trois filles
s'habille en homme, monte à cheval et se rend à la cour, où elle se
présente comme le lils aine du vieux seigneur. Le roi, charmé de sa
bonne mine, la nomme capitaine tout de suite et lui donne une compa-
gnie. On l'appelle le capitaine Lixur.
La reine le remarque à une revue, et demande au roi de le lui donner
pour pige. Le roi y consent, et, à partir de ce moment, le beau capi-
taine Lixur dut suivre partout la reine. Celle-ci était amoureuse de son
page; mais à toutes ses œillades, à toutes ses avances, le page restait insen-
sible, si bien qu'elle en fut profondément blessée et jura de se venger
île l'indifférence qu'il lui témoignait. Elle l'envoya d'abord pour tuer
un sanglier, un animal liès-redoiilable, qui était dans un bois voisin,
lue vieille femme, une fée, vint en aide an capitaine Lixur, lui en-
1 Saniirinr est une altération «lu mol Satyre
— 19 —
seigna comment il devait s'y prendre pour combattre le sanglier, et il
en vint facilement à bout. La reine l'envoya alors pour s'emparer d'une
licorne, animal plus terrible encore et rpii transperçait neuf troncs de
chênes de rang avec sa corne unique. Mais, grâce au secours de la fée,
il prit aussi la licorne el lui coupa sa corne. Il reçut l'ordre alors de
prendre la Santirine et de l'amener captive à la cour, sous peine de
mort. La Santirine habitait une caverne, dans an bois, et son baleine
et son regard donnaient la mort, à une grande distance. La fée vint
encore à son secours et il prit la Santirine, lui passa une corde au cou
et l'amena à la cour, douce comme un agneau, au grand étonnement
de tout le monde. Chemin faisant, ils rencontrèrent le convoi d'un
enfant qu'on portait en terre. Tout le monde pleurait, à l'exception du
bedeau, qui chantait devant le cercueil. La Santirine se mit à rire. Plus
loin , ils passèrent dans un village où l'on était occupé à pendre un bri-
gand, et tous les assistants étaient contents et joyeux d'être délivrés d'un
homme si redoutable. La Santirine se mit à pleurer. Plus loin encore,
en passant au bord de la mer, ils virent un navire en perdition. Tout le
monde, sur le rivage, était dans la désolation. La Santirine riait. Enfin,
quand ils entrèrent dans la cour du palais du rci, tout le monde était
aux fenêtres, pour les voir. La Santirine leva la tète, et, apercevant la
reine à un balcon, avec deux suivantes, elle rit encore.
La Santirine ne pouvait être prise et domptée que par une jeune fille,
et elle disait la vérité à chacun. Le roi et la reine voulurent l'entendre,
parler et dire des vérités. Le capitaine Lixur l'amena au milieu de la
cour du palais. Le roi était à un balcon avec ses ministres et ses géné-
raux; la reine et ses deux suivantes favorites étaient à un autre balcon,
et les valets et autres domestiques étaient en bas, dans la cour. Le capi-
taine Lixur commença d'interroger la Santirine et lui demanda d'abord
pourquoi elle avait ri lorsque , en venant à la cour, ils rencontrèrent le
convoi d'un enfant que l'on portait en terre, et où tout le monde était
triste et pleurait. «Je n'ai pu m' empêcher de rire , répondit-elle, en
voyant le vrai père, le bedeau, qui chantait devant, et celui qui n'était
pour rien dans la naissance de l'enfant, et qui s'en croyait le père, qui
pleurait par derrière! » Tout le monde rit à cette réponse.
Le capitaine Lixur reprit : « Et un peu plus loin , dans le village
où l'on pendait un brigand quand nous passâmes , pourquoi vous ètes-
vousmise à pleurer, tandis que tout le monde était content et joyeux? » La
Santirine répondit : a Parce que ce brigand mourait en état de péché
mortel, et que je voyais sur la potence un démon qui guettait son âme,
pour l'emporter dans l'enfer. — Et en voyant un navire en perdition,
pourquoi avez-vous ri, pendant que tout le monde pleurait? demanda
encore le capitaine Lixur. — Parce que, répondit la Santirine, tous
ceux qui étaient sur ce navire mouraient en état de grâce, el que je
— 20 —
voyais au-dessus de chacun d eux un ange qui lui tendait les bras, pour
l'emmener en paradis. »
Le roi prit alors la parole et, s'adressant à la Santirine : «Et pour-
quoi avez-vous ri aussi, Sandrine, en regardant la reine à son balcon,
quand vous êtes entrée dans la cour du palais? >>
Et la Santirine répondit : «Je dirai la vérité jusqu'au bout, tant
pis pour ceux qui s'en fâcheront. Si j'ai ri, sire, en voyant la reine a son
balcon, c'est parce que vous croyez tous que ces deux suivantes qui
ne la quittent jamais sont des femmes , et moi je sais que ce sont des
hommes! » Et voilà tout le monde étonné, le roi furieux, et la reine et
ses suivantes toutes troublées. La Santirine reprit : «J'ai encore une
vérité à vous dire : c'est que vous croyez tous que le capitaine Lixur, qui
m'a prise et amenée ici, est un homme, et moi je vous assure que c'est
une jeune lille ! — Tout cela sera vérifié sur-le-champ I » s'écria le roi.
Et l'on fit venir des médecins , qui visitèrent d'abord les deux suivantes
de la reine, et, comme c'étaient des hommes, ils furent trouvés
hommes ; puis ils visitèrent le capitaine Lixur, et, comme c'était une fille ,
elle fut aussi trouvée fille.
Alors le roi, furieux, fit chauffer un four, et on y jeta la reine et ses
deux amants. Puis il épousa le capitaine Lixur.
La Santirine, que mon conteur prenait pour un monstre terrible,
sans pouvoir pourtant rien préciser sur sa forme ni sa nature,
est une corruption du mot Satyre. Il y a dans ce conte de vagues
souvenirs de Merlin et de Viviane. L'épisode du bedeau qui chante,
et du père supposé qui pleure, au convoi de l'enfant, se retrouve
absolument comme ici, dans le roman de Merlin, de Robert de
Borron.
Dans une autre version bretonne, l'héroïne, toujours déguisée
en homme, arrive à la cour du roi avec six compagnons merveil-
leusement doués, et qui l'aident dans l'accomplissement de ses
travaux; mais la Santirine, ou le Satyre, ne parait pas dans cette
version.
Le même conte a été recueilli par les frères Grimm, sous le
titre de : les six compagnons qui viennent à bout de tout. Le chevalier
Fortunédc M^d'Aulnoy en est aussi une version. Il se trouve égale-
ment dans Straparole, nuit IV. fable I, sous ce titre : lUchart, roy
de Thàbes, avait quatre filles, l'une desquelles s'en alla vagabonde
liai le monde, et de Constance se fit appeler Constantin , et arriva a
la cour de Cacus, roy de lieltinie , lequel, pour ses prouesses et bonnes
conditions, la prit en mariage.
— . 21
LE ROI SERPENT ET LE PRINCE DE TREGUIEli.
11 y avait, au temps jadis, un prince en Tréguier qui avait un fils
unique. Ce fils, s'ennuyant chez son père, voulut voyager. Le vieux roi
lui donna beaucoup d'argent, et il partit. Mais il dépensa tout son
argent au jeu et avec les femmes, et le voilà sans le sou et bien embar-
rassé, ne sachant aucun métier pour gagner sa vie. Un jour, après une
longue marche, il arriva, exténué de fatigue et de faim, à une pauvre
chaumière, sur une grande lande. Il y demanda l'hospitalité, qui lui fut
accordée. Il y resta même quelque temps, et le propriétaire de la chau-
mière, qui était un pauvre petit tailleur, travaillant à la journée dans les
fermes et chez les pauvres gens du pays, le voyant presque nu , eut pitié
de lui et lui lit des braies neuves et une veste de grosse toile de fil
d'étoupe. Alors il se remit en route, à la grâce de Dieu. Il arriva à un
vieux château, au milieu d'un bois. La porte de la cour était ouverte, et
il entra. Il vit une vieille femme à longues dents, appuyée sur un bâton,
qui lui servait de troisième pied, et il lui demanda l'hospitalité pour la
nuit. La vieille lui dit qu'il serait logé, et, après l'avoir fait souper, elle
ie conduisit à son lit, dans une chambre du château, et lui recommanda
de ne pas ouvrir la porte de la chambre à côté, ou il serait effrayé de ce
qu'il y verrait. Puis elle s'en alla.
Mais la curiosité empêchant le prince de dormir, il se leva et ouvrit
la porte de la chambre défendue. Il y vit un énorme serpent roulé sur
lui-même. Le serpent prit la parole, comme un homme, et lui dit que
s'il voulait faire ce qu'il lui dirait, il en serait bien récompensé, plus
tard. «Je le ferai, si je le puis, répondit le prince. — Eh bien!
reprit le serpent, allez vite au bois, coupez-y un fort bâton, puis revenez
ici, et je vous dirai ce que vous aurez à faire ensuite.» Le prince se
rendit au bois, qui entourait le château, y coupa un gros bâton de cou-
drier, et revint à la chambre du serpent. Celui-ci lui dit alors : « A
présent, fourrez-moi ce bâton dans le corps, par la bouche, puis,
m' ayant chargé sur votre dos, partez en silence, pendant que la vieille
dort, et emportez-moi d'ici. Vous marcherez tout droit devant vous,
jusqu'à ce que vous trouviez un autre château. Quand vous vous sentirez
faiblir, ou que vous aurez faim ou soif, léchez-moi la bouche, et aussitôt
vous vous sentirez réconforté. »
Le prince suivit ponctuellement ces instructions, et le voilà hors du
château, portant le serpent sur son dos. Il marche, il marche et, quand
il se sent faiblir, il lèche la bouche du serpent, pleine d'écume, et les
forces lui reviennent aussitôt. Il aperçoit enfin, dans le lointain, un
château entouré de hautes murailles, a C'est là! lui dit le serpent,
courage!» Il arrive au château et pénètre dans la cour. Là, le serpent
— 22 —
lui dit : i Déposas-moi à terre, à présent; et retirez le bâton de mon corps.»
Ce qu'il fait. Et aussitôt le serpent devient un homme. C'était un roi!
11 avait dans ce château trois biles, retenues là enchantées depuis cinq
cents ans. Elles étaient toutes les trois à leurs fenêtres, et elles s'écrièrent
ensemble, en reconnaissant leur père: «Notre père, que nous n'avons
pas vu depuis si longtemps! » Et elles descendirent, en toute hâte, pour
l'embrasser. Alors il leur dit : «Voici, mes enfants, le prince de
Tréguier, à qui nous devons notre délivrance, et je désire qu'une de
vous, celle qu'il choisira, le prenne pour époux. — Le prince de Tré-
guier? qu'est-ce que cela, le prince de Tréguier? répondirent les deux
aînées, d'un air dédaigneux. — Moi, mon père, je le prendrai volon-
tiers, puisqu'il vous a délivré, dit la cadelle. — Sotte! lui dirent ses
sœurs; qu'il montre du moins ce dont il est capable. — C'est juste,
repondit le vieux roi'. »
Et il donna au prince une épée enchantée et un beau cheval blanc et
lui dit : « Allez en Russie avec cette épée et ce cheval. Le cheval vous
conduira et vous portera, et, pendant que vous tiendrez l'épée, vous
pourrez être exempt de toute inquiétude. Vous arriverez en Russie au
moment d'une grande bataille; vous pousserez vptre cheval au milieu de
la mêlée et vous n'aurez qu'a élever voire épée, la pointe en l'air, en
souhaitant la mort des ennemis de l'empereur de Russie, et aussitôt tous
ceux qui la verront tomberont morts à terre. De même pour le gibier,
même les animaux les plus dangereux, quand vous serez à la chasse.
L'empereur de Russie, pour reconnaître le service que vous lui aurez
rendu, vous donnera la main de sa fille unique. Elle vous trahira, avec
un des généraux de son père, qui est son amant ; mais ne craignez rien
et ne vous en désolez pas, car vous épouserez un jour la fille du roi
de Naples. (Le roi de Naples c'était le roi serpent lui-même.) Quand
vous serez marié, la fille de l'empereur de Russie viendra à bout de
vous enlever votre épée, et, dès lors vous ne pourrez plus échapper à
sa vengeance et à celle de son amant. Vous serez, mis à mort et haché
menu comme chair à pâté. Mais, avant de mourir, demandez que l'on
mette tous les morceaux dans un sac, que l'on charge ce sac sur votre
cheval et que l'on laisse celui-ci aller en liberté. On vous l'accordera. Le
cheval reviendra à la maison, et, avec de l'eau de la vie, que je possède,
je vous rappellerai a la vie. »
Le prince parlil pour la Russie, avec sa bonne épée cl son bon che-
val, et tout se passa, de point en point, comme le lui avait dit le roi ser-
pent. Il gagna la victoire sur les ennemis de l'empereur et épousa sa
fille. Mais il eut l'imprudence de révéler à sa femme la verta de son épée,
cl son aniinl cl elle lu lui enlevèrent. Il fut mis à mort par eux, hache
1 \ partir d'ici . le premier conte semble se perdre dans mi autn
— 23 —
menu connue chair à pâté, puis, sur sa demande avant de mourir, tous
les morceaux furent mis dans un sac, le sac fui placé sur son cheval et
celui-ci, mis en liberté, rapporta le tout à la cour du roi serpent qui, avec
quelques gouttes de son eau de la vie, ressuscita le prince de Tréguier.
Trois jours après, le roi serpent dit au prince qu'il lui fallait retourner
en Russie, et sous la forme d'un cheval, cetle fois. « Je vous mettrai,
ajouta-l-il, une fiole de mon eau delà vie dans l'oreille gauche, car vous
en aurez encore besoin. Quand vous arriverez à la cour de l'empereur,
vous irez droit à l'écurie. 11 y a dans le palais une jeune fille méprisée et
maltraitée par tout le monde et employée à garder les dindons, bien
quelle soit de haute naissance, comme vous l'apprendrez plus tard. On
l'appelle Souillon, et c'est elle qui vous viendra en aide. Quand elle vous
verra arriver, elle dira à votre femme, qui s'est remariée avec son amant
le général: — Ali! madame, le beau cheval qui vient d'arriver dans voire
écurie! — Votre femme se rendra aussitôt à l'écurie, et, en vous voyant,
elle dira: — Ceci doit être quelque chose de la part de mon premier
mari ! — Et aussitôt elle donnera l'ordre de vous tuer, de vous hacher en
menus morceaux et de jeler le tout dans un four ardent pour y être con-
sumé. En entendant cela, Souillon s'écriera : — Oh! le beau cheval!
c'est vraiment pitié de le tuer! — Et elle viendra vous caresser de la main.
Diles lui alors, tout doucement, de prendre la fiole qui sera dans votre
oreille gauche, et soyez sans inquiétude, car elle saura quel emploi elle
devra en faire. »
Le prince de Tréguicr se rendit donc de nouveau à la cour de l'em-
pereur de Russie, sous la forme d'un beau cheval. Sa femme, dès qu'elle
le vit, donna l'ordre de le mettre à mort, de le hacher en menus mor-
ceaux et de jeter le tout dans un four ardent. Mais Souillon s'était
déjà emparée de la fiole d'eau de la vie qui était dans son oreille. Elle
ramassa ensuite une pelote de son sang caillé , la déposa sur une pierre ,
au soleil, sous la fenêtre de la chambre de la princesse, et l'arrosa de
quelques gouttes de l'eau de la vie. Aussitôt il s'en éleva un beau ceri-
sier, portant de belles cerises rouges, et dont le sommet atteignait à la
hauteur de la fenêtre de la princesse. Celle-ci, voyant cela, s'écria en-
core : « C'est quelque chose de la part de mon premier mari ! » Et elle
fit abattre le cerisier et le jeter dans le four, pour être réduit en cendres.
Mais Souillon en avait cueilli, auparavant, une belle cerise rouge. Elle
la déposa au soleil sur la pierre d'une fenêtre basse , versa dessus quel-
ques gouttes de son eau de la vie, et aussitôt un bel oiseau bleu s'en
éleva et s'envola au jardin en faisant: drik! drik!. ... La princesse et
son mari, qui se promenaient dans le jardin, le remarquèrent et ils
s'écrièrent: «0 le bel oiseau!» et ils essayèrent de l'attraper. L'oiseau
s'envolait de buisson en buisson , sans jamais aller loin. Le mari de la
princesse déposa son épée à terre, afin de pouvoir courir plus librement
— 24 —
après lui. L'oiseau se posa alors sur l'épée, et aussitôt il devint un
homme, le prince deTréguier! Celui-ci, s' emparant aussitôt de l'épée,
s'écria : « Ilola ! tout va bien! » 11 abattit la tête de sa femme et celle de
son mari, puis il retourna auprès du roi serpent, emmenant avec lui
Souillon, (jui était une princesse d'une beauté merveilleuse. C'était la
plus jeune des trois filles du roi de Naples, que nous avons appelé jusqu'à
présent le roi serpent.
Le vieux roi et ses trois filles se trouvaient ainsi délivrés de la puis-
sance d'un méchant magicien qui les tenait enchantés depuis cinq cents
ans.
Le prince de Tréguier lut alors marié avec la plus jeune des prin-
cesses , et il y eut à cette occasion des festins et des fêtes magnifiques.
Ce conte parait, dans certaines parties, confus et incomplet. Je
regrette de n'avoir pu en trouver jusqu'aujourd'hui une seconde
version , pour le compléter.
L'HIVER ET LE ROITELET.
Pendant l'hiver, le Roitelet qui est, dit-on, le plus lin de tous les
oiseaux, sait toujours s'y prendre de manière à n'avoir pas trop froid.
L'Hiver le voyant tout joyeux et content, pendant que tous les autres
oiseaux étaient tristes et malheureux, lui dit un jour qu'il avait gelé
bien dur:
— Où étais-tu donc , la nuit passée ?
— Sous le toit de la maison où les servantes du manoir faisaient la
buée, répondit-il.
— Fort bien, cette nuit je saurai bien arriver jusqu'à toi.
Et en effet, il gela si fort cette nuit-là, que l'eau gela sur le feu ,
dans la buanderie. Mais le Roitelet, prévenu, n'était plus là et l'Hiver,
le voyant le lendemain matin gai et pimpant, à son ordinaire, fut étonné
et lui demanda encore :
— Où étais-tu donc, la nuit passée?
— Dans l'étable aux vaches , sous la queue d'une vache.
— Bon! tu auras de mes nouvelles cette nuit.
Et il lit si froid et il gela si dur cette nuit- là, que la queue des
vaches se colla à leur derrière. Cependant le lendemain malin le Roite-
let sautillait et chantait encore, comme en plein mois de mai.
— Comment tu n'es donc pas mort ? lui demanda l'Hiver, tout étonné
de le revoir.
— Mort ? et pourquoi donc , s'il vous plaît P répondit-il gaiment.
— Où donc étais-tu, la nuit passée?
— Entre le nouveau marié et sa femme.
— 25 —
— Voyez donc où! Qui aurait songé à le trouver là? Mais n'importe,
cette nuit je viendrai à bout de toi '.
— C'est ce que nous verrons bien !
Et il se mit à chanter. Cette nuit-là il gela si fort, si fort, que le len-
demain matin on trouva le mari et la femme collés l'un contre l'autre
et morts de froid! Mais le Roitelet s'était retiré dans un trou de muraille,
près du four d'un boulanger, et là il ne sentit pas le froid. Mais il y
rencontra une souris qui cherchait aussi la chaleur, et il s'éleva une
dispute entre eux , au sujet de la place , si bien que, pour vider le diffé-
rend, ils convinrent que, dans huit jours, il y aurait une grande
bataille sur la montagne de Bré, entre tous les animaux à plumes et
tous les animaux à poil du pays. Avis en fut donné de tous les côtés,
et, au jour convenu, tous les animaux à plumes et à poil du pays se
trouvèrent au rendez-vous , et le combat commença , un terrible combat.
Les animaux à plumes perdaient et allaient être écrasés , quand arriva
l'Aigle qui rétablit les chances de leur côté. Partout où il passait il abat-
tait et éventrait tout...
Le Gis du roi assistait au combat, à la fenêtre de son palais, et,
voyant que l'Aigle allait tout détruire, au moment où il passait au ras de
la fenêtre, il lui porta un coup de sabre et lui cassa une aile, si bien
qu'il tomba à terre. La victoire resta indécise. L Aigle , blessé et ne pou-
vant plus voler, dit au fds du roi :
— A présent, il vous faudra me nourrir, pendant neuf mois, de chair
de perdrix et de lièvres.
— Je le ferai, répondit le prince.
Au bout des neuf mois, quand l'Aigle fut guéri, il dit au iils du roi :
— A présent , je vais retourner chez ma mère et je désire que tu
viennes avec moi, pour voir mon château.
— Volontiers, répondit le prince.
Et il monta sur le dos de l'Aigle, et ils partirent2.
L'Aigle avait une sœur et le prince devint amoureux d'elle, dès qu'il
la vit. Cela ne plaisait pas beaucoup à l'Aigle , ni à sa mère. L'Aigle pro-
posa au prince une partie de boules dont l'enjeu devait être la tête de
celui-ci, s'il perdait, et la main de sa sœur, s'il gagnait. Le prince accepta.
Mais les boules étaient de cinq cents livres chacune et le pauvre prince ne
pouvait seulement pas les remuer, de sorte que l'Aigle gagna facilement.
1 Dans une autre version, l'Hiver répond : «Ah! là, je ne puis pas mettre le
nez.» Et le conte est fini. Et en effet, ce qui suit parait complètement étranger
à ce débat, qui forme un petit récit à part, comme il en existe plusieurs sur
le Roitelet.
2 Les aigles, les lions, les serpents, les dragons qui se rencontrent fré-
quemment dans nos traditions populaires me semblent être autant d'arguments
en faveur d'une origine asiatique.
— 26 —
— Ta vie est à moi! lui dit-il alors.
— Je demande ma revanche, répondit le prince.
— Eh bien! soit, à demain la revanche.
Le prince va trouver la sœur de l'Aigle, les larmes aux veux, et lui
conte tout.
— Me serez-vous fidèle, lui demanda-t-elle, et je vous ferai gagner?
— Oui, je vous serai fidèle jusqu'à la mort.
— C'est hien! Voici comment il faudra faire: j'ai là deux grandes
vessies (pie je peindrai en noir, de manière à les faire ressembler à deux
boules, puis je les mettrai parmi les boules de mon frère et, quand vous
irez jouer, vous aurez soin de prendre vos boules le premier et de choi-
sir les deux vessies. Quand vous leur direz : «Chèvre, élève-toi en l'air
et vas en Egypte, il y a sept ans que tu es ici! «elles s'élèveront en l'air
aussitôt, si haut, si haut, qu'on ne pourra les voir. Mon frère s'imagi-
nera (pic ce sera vous qui les aurez lancées si haut, et, ne pouvant en
faire autant, il s'avouera vaincu.
Le, prince se conforma à ces instructions et l'Aigle, n'y comprenant
rien, s'avoua vaincu.
— Cela fait une partie à chacun de nous, dit-il; demain nous joue-
rons à un autre jeu.
Le lendemain matin, l'Aigle prit un tonneau de cinq barriques, qu'il
portait facilement sur le plat de la main (car il était homme ou aigle à
volonté), puis il dit au prince de prendre un autre tonneau semblante,
qu'il lui montra, pour aller à la fontaine puiser de l'eau à sa mère, pour
faire sa cuisine. Mais le prince, conseillé par la sœur de l'Aigle, dit:
— Bah! apportez-moi des pelles, des pioches et une bonne civière,
et laisscz-là vos tonneaux.
— Pourquoi faire? demanda l'Aigle, étonné.
— Pour apporter la fontaine ici, à la porte de la cuisine, et nous
n'aurons pas besoin de nous fatiguer à aller chercher de l'eau si loin.
— Quel gaillard! pensa l'Aigle en lui-même.
Puis il dit: — Eh bien! reslez-là , j'irai, seul, prendre de l'eau à ma
mère. — Ce qu'il lit, en effet.
I.e lendemain, comme la vieille disait à son fils que ce qu'ils avaient
de mieux à faire pour se. débarrasser du prince, c'était de le tuer et de
le manger, l'Aigle répondit qu'il avait ele hien traité (lie/, lui et qu'il
ne voulait pas être si dur à son égard, mais (pie, du reste, il allait le
soumettre à d'autres épreuves d'où il aurait bien de la peine à se tirera
son honneur. Et en effet, il dil au prince:
— Je veux bien vous donner ma sœur, mais il faut que vous la
gagniez et (pie vous nous prouviez (pie vous êtes digne d'elle. Voilà une
cognée de bois, pour abattre la grande avenue de chênes du château,
et il faut que ce soit fui aujourd'hui pour le coucher du soleil.
— 27 —
— C'est bien, répondit le prince, ce sera l'ait.
Et il prit la cognée de bois et se rendit dans l'avenue, d'un air plus
rassuré qu'il ne l'était en réalité. Heureusement pour lui que la sœur
de l'Aigle, sous prétexte d'aller se promener dans l'avenue, vint à son
secours et lui dit:
— Me serez-vous lidèle ?
— Oui, jusqu'à la mort! répondit-il.
— Eh bien, ôtez votre veste, mettez -la sur les racines découvertes
du vieux chêne que voilà, puis prenez votre cognée, frappez-en chaque
arbre au tronc, et, à chaque coup, vous en abattrez un.
Le prince fit comme on lui avait dit, et il eut bientôt abattu tous
les arbres de l'avenue, puis il revint tranquillement au château.
— Comment, est-ce déjà fait? lui demanda l'Aigle, en le voyant
revenir.
— Oui vraiment, répondit- il; quand vous n'aurez pas de travaux
plus difficiles que cela à me donner, ce sera vite fait.
L'Aigle courut à son avenue, et quand il vit tous ses beaux chênes à
terre, il se mit à pleurer, puis il alla trouver sa mère et lui avoua qu'il ne
pouvait plus lutter avec le prince et qu'il fallait lui donner sa sœur et les
laisser partir. Le prince emmena donc avec lui la sœur de l'Aigle, qui
était aussi une princesse d'une grande beauté, et prit avec elle la route
de son pays. Quand ils arrivèrent dans la ville où demeurait son père,
elle lui parla de la sorte :
— Nous nous séparerons, à présent, pour un temps, car nous ne
pouvons encore nous marier. Mais restez-moi toujours fidèle, quoi qu'il
arrive, et, lorsque le temps sera venu, vous me retrouverez. Voici une
moitié de ma bague et une moitié de mon mouchoir; prenez-les et ils
vous serviront, au besoin, à me reconnaître.
Le prince parut désolé; il prit la moitié de la bague et la moitié du
mouchoir de la sœur de l'Aigle, et retourna seul au palais de son père,
où l'on fut heureux de le voir revenir. Quant à la sœur de l'Aigle, elle
se mit en condition chez un orfèvre de la ville, qui se trouvait être l'or-
fèvre de la cour.
Cependant le prince oublia vite sa fiancée. Il devint amoureux d'une
belle princesse, venue à la cour de son père d'un royaume voisin, et
le jour fut fixé pour leur mariage. On lit de grands préparatifs et de
nombreuses invitations. L'orfèvre de la cour fut aussi invité, avec sa
femme, et même la femme de chambre de celle-ci, c'est-à-dire la sœur
de l'Aigle. Celle-ci se fit faire par son maître un petit coq et une petile
poule d'or, et les emporta au palais, le jour des noces. Pendant le repas,
elle se trouva être vis-à-vis des nouveaux mariés. Elle mit la moitié de
son anneau, dont le prince avait l'autre moitié, à côté d'elle, sur la
table. La nouvelle mariée la remarqua, et dit:
— 28 —
— J'en ai une toute semblable! — Son mari la lui avait donnée.
On rapprocha les deux moitiés l'une de l'autre et elles se rejoignirent ,
et voilà la bague entière. De même pour les deux moitiés de mouchoir.
Tous ceux qui virent cela en furent étonnés. Le prince, seul, restait
indifférent et semblait ne pas comprendre. Alors la sœur de l'Aigle mit
sur la table son petit coq et sa petite poule d'or. Puis elle jeta un pois
dans son assiette, et le coq le croqua aussitôt.
— Tu l'as encore avalé, glouton! lui dit la poule.
— Tais-toi, répondit le coq, le prochain sera pour loi.
— Oui, le (ils du roi aussi me disait qu'il me serait fidèle jusqu'à
la mort, quand il allait jouer aux boules avec mon frère l'Aigle.
Le nouveau marié dressa l'oreille. La sœur de l'Aigle jeta un second
pois dans son assiette, et le coq le croqua encore.
— Tu l'as encore avalé, glouton! lui dit la poule.
— Tais-toi, ma poulette, le premier sera pour toi.
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu'il me serait fidèle jusqu'à
la mort, quand mon frère l'Aigle lui dit d'aller avec lui puiser de l'eau
à la fontaine!
Tout le monde était étonné, et ouvrait de grands yeux. Le prince
aussi était très-attentif. La servante de l'orfèvre jeta un troisième pois
dans son assiette, et le coq le croqua, comme les deux autres.
— Tu l'as encore avalé, glouton! lui dit la poule.
— Tais-toi, ma poulette, le premier sera pour toi!
— Oui, le lils du roi aussi me disait qu'il me serait fidèle jusqu'à
la mort, quand mon frère l'Aigle l'envoya abattre tous les chênes de sa
grande avenue, avec une cognée de bois!
Le prince comprit enfin. 11 se leva alors, et, se tournant vers son
beau-père, il parla de cette façon :
— Beau- père, j'ai un conseil a vous demander. J'avais une petite
clef d'or, la clef de mon trésor, et je la perdis. J'en lis faire une nouvelle,
qui était aussi bien jolie. Mais je viens de retrouver la première, de sorte,
que j'en ai deux, à présent. De laquelle convient-il que je me serve,
de l'ancienne ou de la nouvelle?
- — Respect est toujours dû à ce qui est ancien , répondit le vieil-
lard.
— Je pense aussi comme vous, reprit le prince : eh bien! j'ai aimé
une autre avant votre fille; je l'avais perdue et je l'ai retrouvée : la voici!
Et il se leva et alla vers la servante de l'orfèvre, qui était la sœur
de l'Aigle, et la prit par la main, au grand étonnemenl de tout le
monde. L'autre fiancée, ainsi (pie son père, sa mère et ses parents et
invités se retirèrent, peu satisfaits, on le comprend aisément; mus les
festins, les jeux et les réjouissances de toute sorte n'en continuèrent
pas moins, pour célébrer le mariage du prince avec la sœur de l'Aigle.
— 29 —
Il y a encore clans ce conte mélange de plusieurs fables, deux
au moins, et probablement trois. La reconnaissance de la fin
rappelle un peu celle de la légende allemande de Henri de Bruns-
wick, surnommé le Lion, à cause du secours qu'il reçut de cet
animal.
JANVIER ET FÉVRIER.
Une pauvre veuve avait deux fils, dont l'un s'appelait Janvier, et
l'autre, Février. Janvier, afin d'alléger les charges de sa mère, se décida
à voyager pour chercher condition. 11 partit donc, promettant de revenir
à la maison, dès qu'il aurait gagné un peu d'argent. Il arriva dans un
château dont le seigneur le prit à son service aux conditions suivantes :
il devait faire tout ce que lui diraient le maître et la maîtresse et leurs
deux jeunes enfants, sans jamais se fâcher de rien, et, s'il remplissait
bien ces conditions, il recevrait cent écus au bout de l'année; mais aussi
s'il refusait d'obéir, en quoi que ce fût, ou s'il se fâchait, il serait ren-
voyé sans le sou , et de plus on lui enlèverait un ruban de peau rouge
depuis le sommet de la tête jusqu'aux talons. L'année devait finir quand
le coucou chanterait. Le seigneur, de son côté, s'engageait à se laisser
enlever le même ruban de peau rouge, si lui-même il se fâchait. Jan-
vier accepta. Trois cents francs! c'était toute une fortune pour lui, et
comme sa mère serait heureuse, s'il pouvait les lui rapporter un jour!
On l'envoya, le premier jour, couper de l'ajonc sur une grande lande.
Un grand chien l'accompagnait. 11 se mit à l'ouvrage; mais, quand il se
sentit fatigué, il voulut se reposer un peu et fumer une pipe. Dès qu'il
s'arrêta, le chien lui montra les dents. Il lui fallut donc se remettre au
travail, et laisser sa pipe. A midi, une servante vint, apportant deux
écuelles pleines de soupe, l'une de pain blanc, pour le chien, et l'autre,
de pain noir, pour Janvier. Cela lui parut étrange; il ne s'en plaignit
pourtant pas. 11 mangea sa soupe, puis il lui fallut se remettre à l'ou-
vrage, jusqu'au coucher du soleil. Alors le chien prit la route du châ-
teau, et il le suivit. On lui donna encore de la soupe de pain noir, à
souper. Pendant qu'il mangeait sa soupe, tout à coup les enfants se
mirent à crier :
— J'ai envie de
— Allons! Janvier, dit alors la maîtresse, accompagnez les enfants
dehors !
Et Janvier sortit avec les deux marmots. Quand il rentra , on avait
fini de souper; il n'y avait plus rien sur la table; on avait tout serré.
— N'aurai-je pas aussi un peu de lard? demanda-t-il timidement.
— C'est trop tard, tout est serré! répondit la maîtresse.
— Triste souper, après une si rude journée de travail! murmura-
t-il.
— 30 —
— Vous n'êtes pas content? lui demanda le seigneur.
— Je ne suis pas lâché non plus; je n'en mourrai pas, pour un
mauvais souper, j'y suis assez habitué. Et il alla se coucher là-dessus.
Le lendemain, les choses se passèrent de la même manière. 11 tra-
vailla à couper de l'ajonc, jusqu'au coucher du soleil, toujours sur-
veillé par le gros chien, et, pendant qu'il mangeait sa soupe, le soir, il
fallut encore sortir avec les enfants, puis aller se coucher sans le moindre
morceau de viande. Le troisième jour aussi il coupa de l'ajonc, comme
les deux jours précédents, et s'en revint, le soir, de mauvaise humeur.
Comme les deux jours précédents aussi, les enfants ne le laissèrent pas
manger sa soupe tranquille, et, quand il rentra, après les avoir accom-
pagnés dehors, il n'y avait encore rien sur la table. Mais, cette fois, il
réclama, car il avait faim.
— Vous n'êtes donc pas content? lui demanda le seigneur.
— Non certainement, répondit-il.
— C'est bien ; vous savez nos conditions ?
Et on l'étendit sur le ventre sur une table, après l'avoir déshabillé, .puis
on lui enleva un ruban de peau rouge, depuis le sommet de la tète jus-
qu'aux talons, et on le renvoya alors sans le sou.
Le pauvre Janvier revint chez sa mère, triste et malade. Il raconta tout
à son frère Février, et celui-ci voulut à son tour tenter l'aventure, bien
résolu à venger son frère. Il se rendit donc au même château et s'en-
gagea au service du seigneur, aux mêmes conditions que Janvier. Les
deux premiers jours se passèrent pour lui absolument comme pour son
frère: travail sur la lande, sous la surveillance du chien, importunités
des enfants et tristes soupers. Mais le troisième jour , en se rendant à la
lande , il se dit : « 11 faut que cela finisse ! » Et , en effet , après avoir travaillé
pendant une demi-heure environ, il voulut se reposer et fumer une pipe.
Le chien grogna et montra les dents; mais, d'un vigoureux coup de
faucille, il lui coupa le cou. Quand la servante vint, à midi, lui apporter
à dîner, elle fut bien étonnée de voir le chien mort et Février qui dor-
mait à 1 ombre d'un vieux chêne. Elle courut annoncer la chose à son
maître. Quand Février retourna au château, au coucher du soleil, le
seigneur lui dit :
— Tu as tué mon chien, malheureux!
— Oui, je l'ai tué, répondit-il; est-ce que vous n'êtes pas contenl ?
— Oh! pour un chien, ce n'est pas la peine de se fâcher; viens souper.
dit le seigneur, en dissimulant sa colère.
Pendant que Février mangeait sa soupe, dans la cuisine, les enfants
vinrent encore l'importuner, eu disant:
— J'ai envie! Je veux sortir!...
— Eh bien! aile/. au diable! s'écria Février impatienté, cl il les jeta,
par la fenêtre, dans la cour.
— 31 —
— Qu'as-tu fait là , misérable! tu veux donc tuer mes enfantai s'écria
le seigneur, furieux.
— Eh ! qu'ils me laissent donc manger tranquille, une fois! Du reste,
ètes-vous fâché, monseigneur?
— Qui ne serait pas fâché? répondit le seigneur. Et se reprenant
aussitôt: — Et pourtant j'ai un si bon caractère que je ne suis pas fâché ;
je ne me fâche jamais, moi; mais il ne faut pas recommencer.
Voilà le seigneur et sa femme embarrassés de savoir comment se
défaire de Février, car ils ne voulaient plus le garder chez eux. La dame
trouva cette idée , qu'elle crut excellente :
— Il est dit que son année finira quand le coucou aura chanté; eh
bien! le coucou chantera demain; je le ferai chanter, moi.
Et, en effet, le lendemain matin, elle monta sur un vieux chêne, qui
était près de la porte de la cour, et se mit à crier : Coucou ! Coucou ! . .. .
— Comment, un coucou qui chante au mois de février! s'écria
février; je vais lui apprendre, moi, à chanter en sa saison!
Et, saisissant une pierre, il la lança dans l'arbre et atteignit à la tète
la vieille, qui tomba à terre roide morte.
— Ah! tu as tué ma femme, misérable! s'écria le seigneur.
— Et pourquoi diable va-t-eïle aussi faire le coucou, sur un arbre?
repondit Février.
— Oh ! scélérat , je te ferai pendre
— Est-ce que vous n'êtes pas content, monseigneur?
— Et quel autre, à ma place , serait content?
— Alors, vous savez nos conditions?
— Mais je ne t'ai pas dit que je suis fâché; va, vite, prendre deux
pelles au château, pour que nous l'enterrions dans le bois ; personne ne
saura ce qu'elle sera devenue. Tu trouveras des pelles et des pioches au
fond du corridor, près de la chambre de mes filles.
Février courut au château ; il entra dans la chambre des demoi-
selles, qui avaient, l'une, dix-sept, et l'autre, dix-huit ans, et voulut les
embrasser. Mais elles se mirent à crier et à se défendre de leur mieux.
— C'est votre père qui m a dit de vous embrasser toutes les deux ,
leur disait-il; vous allez voir.
Et , se mettant a la fenêtre , il cria :
— Toutes les deux, monseigneur, n'est-ce pas?
— Oui , deux , et dépêche-toi.
Il voulait dire qu'il fallait lui apporter deux pelles. Février embrassa
les deux demoiselles, puis il descendit avec les deux pelles, et la vieille
fut enterrée dans le bois.
Cependant, au bout de quelques mois de là, le seigneur s'aperçut que
ses deux fdles étaient enceintes, et quand il sut que c'était des œuvres
de Février, furieux, et ne pouvant se contenir, il lui dit:
— 32 —
— Misérable! pendant! tu as déshonoré mes tilles !
— Ah 1 pour le coup, vous êtes en colère, monseigneur I lui dit
Février, tranquillement.
— Certainement , je suis en colère; et qui ne le serait pas à ma
place ?
— Fort bien; vous savez nos conventions ? 11 me faut cent écus, plus
une lanière de votre peau, depuis le sommet de la tète jusqu'aux talons.
Et le seigneur lut obligé de payer de son argent et de sa personne.
Alors Février retourna chez sa mère, ayant vengé son frère, et, quand
il arriva, il y eut un petit festin de réjouissance.
Dans une autre version du même conte, ce sont trois frères qui
tentent successivement l'aventure. Les deux aînés échouent, en
laissant chacun une lanière de sa peau, comme Janvier. Le cadet
leur rapporte leurs lanières, avec une troisième, enlevée au sei-
gueur, et de plus, une forte somme d'argent. Quelques-uns des
épisodes sont différents: ainsi le cadet est envoyé le premier jour
garder un grand troupeau de bœufs dans un pré. Un marchand
passe, allant à une foire, et il lui vend tous ses bœufs pour
douze cents francs; il y met seulement celte condition qu'on lui
laissera la queue d'un d'eux.
Le marchand coupe la queue à un des bœufs et la lui donne,
puis il part avec tout le troupeau , enchanté de son marché. Le
cadet monte alors sur un arbre, avec la queue qui lui est restée,
et là il se met à crier à lue-tête;
— Au secours! au secours, vite! tous mes bœufs s'en vont au
ciel !
Le seigneur, qui se promenait dans les environs, l'entend et
accourt.
— Qu'y a-t-il donc? demande-t-il; où sont les bœufs?
— Ah! mon bon seigneur, la singulière chose ! imaginez-vous
qu'ils se sont tous pris par la queue à la file les uns des autres,
puis ils se sont élevés en l'air, comme s'ils avaient des ailes, et ont
disparu ! J'ai pu saisir la queue du dernier, et je la tiens encore;
montez vite sur l'arbre, pour tirer dessus avec moi, et peut-être
pourrons-nous les faire descendre.
Le seigneur se hâte de monter sur l'arbre et il saisit aussi
la queue et se met à tirer dessus. Mais le cadet lâche prise en ce
moment, et le seigneur tombe par terre, tenant encore la queue et
tout endolori de sa chute.
— 33 —
— Hélas! s'écrie alors le cadet, c'est fini! ils sont partis pour
le paradis, où l'on en a sans doute besoin pour quelque grand
festin!
Le seigneur se résigna avec peine à la perte de ses bœufs;
pourtant il dit qu'il n'était pas en colère, puisqu'ils étaient allés au
paradis.
Le second jour , le cadet fut envoyé garder les pourceaux. Il y
en avait un grand troupeau. Il les vendit encore à un marchand
qui passait, pour deux cents écus et la queue de l'un d'eux. Le mar-
chand parti, il entra jusqu'à la ceinture dans un marais qui était
dans les douves du château, y plongea une extrémité de la queue
qu'il s'était réservée, et, feignant de tirer dessus de toutes ses
forces, il se mit à crier:
— Au secours! au secours! venez vite, vite!. . . .
Le seigneur accourut encore.
— Qu'y a-t-il-donc? demanda-t-il.
— Ah! mon bon seigneur, tous les pourceaux se sont pris par
la queue, comme les bœufs, puis ils se sont précipités dans le
marais et ont disparu ! Mais je tiens la queue du dernier ; venez
m'aider à tirer dessus.
Et le seigneur entra sans hésiter dans le marais et saisit
la queue du pourceau et lira de toutes ses forces. Mais le cadet
lâcha prise alors en disant:
— C'est fini! ils sont allés en enfer!. . .
Et le seigneur tomba et faillit se noyer dans la boue.
Cette lanière de peau rappelle la livre de chair du Shylock du
Marchand de Venise, dans Shakespeare. Le même épisode de la
livre de chair se trouve aussi dans le roman de Dolopathos.
On trouve également dans Jehan de Saintré, ch. il\ :
« Ha, madame, dit Madame à la royne, vous taillez larges cour-
« roies d'autruy cuir. »
Plaute dit aussi: « De meo tergo degilur corium. »
On trouve deux exemples de cette étrange coutume qui consiste
à enlever une bande de peau, depuis le sommet de la tête jusqu'à
la plante des pieds , dans les Contes et traditions populaires des
Gaëls de l'Ecosse, rassemblés par M. F.-J. Campbell. Enfin, dans
nos campagnes bretonnes on dit encore communément, comme
terme de menace : « Me a savo horeann d'ezhan! » C'est-à-dire : « Je
lui enlèverai courroie! »
34
LE BERGER QUI SAUVE UNE PRINCESSE D'UN SERPENT.
Un pauvre homme se met à voyager, cherchant condition. Chemin
faisant il rend service à des fourmis, à une colombe et à un lion !. 11
arrive à la cour d'un roi où on le prend comme berger. Il va garder son
troupeau dans une prairie bordant un grand bois. Un énorme sanglier
sort du bois. Il appelle à son secours le lion qu'il a secouru. Le
lion vient et met le sanglier en pièces. Le berger pénètre alors dans le
bois et y voit un vieux château abandonné. C'est celui du sanglier que le
lion a tué. Il y remarque, entre autres choses, trois écuries dans cha-
cune desquelles il y a un cheval, un chien, une épée, des harnais et un
équipement complet de chevalier, et tout cela est couleur de la lune
dans une des écuries, couleur des étoiles dans une autre, et couleur du
soleil dans la troisième.
Il y avait aussi dans ce bois un serpent à sept têtes qui ravageait tout
le pays et, chaque année, il fallait lui livrer une jeune fille du sang
royal. Or, le temps était venu de lui sacrifier la fille même du roi, ce
qui causait un grand deuil à la cour. Le berger se présente trois jours
successivement pour défendre la princesse contre le monstre, avec le
cheval, le chien, l'épée, les harnais et l'armure de chevalier couleur
de la lune, le premier jour, les mêmes choses couleur des étoiles, le
second jour, et couleur du soleil, le troisième jour. Il finit par tuer le
serpent. Le roi avait promis la main de sa fille à celui qui la délivrerait
du monstre, et, chaque jour , le chevalier inconnu qui avait combattu
pour elle se dérobait après le combat. Il déposait cheval , chien , épée et
armure de chevalier dans le vieux château du bois , puis il reprenait
ses habits de berger et rentrait chaque soir, comme s'il était complète-
ment étranger à tout ce qui se passait. Cependant, sur l'avis de sa fille,
le roi lit publier dans tout le royaume un grand tournoi, qui devait durer
trois jours. Le berger ne manqua pas d'y venir, équipé en chevalier, et la
princesse le reconnut, dès qu'elle le vit. Le mariage se fit alors.
Dans une aulre version, le berger, après avoir tué le serpent,
lui coupa ses sept langues et les emporta. Mais un charbonnier,
passant tôt après dans le bois, lui coupa aussi ses sept têtes, les
mit dans un sac et se présenta avec elles à la cour, pour réclamer
la main de la princesse. Heureusement que le berger vint aussi à
temps, avec les sept langues, et l'imposture du charbonnier ayant
été découverte, il lut patibulé et pendu.
1 II doit y avoir une lacune dans le conte, car 1rs fourmis et la colombe n'y
reparaissent pas.
— 35 —
On dirait qu'il y a dans ce conte un souvenir lointain de la
fable de Thésée et du Minotaure de Crète.
Le même conte se trouve dans Straparole, nuit X, fable III,
sous le titre suivaut : « Césarin de Berni, accompagné d'un lyon, un
ours et un loup, part au desceu de sa mère et de ses sœurs et s'en va;
et, arrivé en Sicile, trouve la fille da roi exposée pour estre dévorée
d'un dragon, lequel, à l'ayde de ces trois animaux, il occit, délivrant
la princesse , qu'il espousa. »
LE ROI QUI VOULAIT EPOUSER SA PROPRE FILLE.
Un roi d'Espagne perdit sa femme, et il jura qu'il ne se remarierait
jamais, à moins qu'il ne trouvât une jeune fille à qui la robe de noces
de la défunte reine siérait parfaitement. Sa fille , qui avait dix-huit ans ,
mit un jour, en jouant, la robe de sa mère, et elle lui allait à merveille ,
si bien que son père voulait l'épouser. Effrayée de ses instances, elle va
consulter une sorcière qui lui dit de demander successivement au roi , pour
gagner du temps, d'abord un habit couleur du ciel, puis un autre couleur
de la lune, et enfin un troisième couleur du soleil. Son père vient à bout
de lui procurer ces trois habits, l'un après l'autre, et avec beaucoup de
peine. Alors elle quitte, de nuit, le palais, et, par le pouvoir de la sorcière,
ses trois habits la suivent sous terre , dans une cassette. Elle devient gar-
deuse de dindons dans un château. Le fils du seigneur de ce château
tombe amoureux d'elle. Afin de la connaître et de l'éprouver, il se rend
dans une ferme attenante au château et s'entend avec le fermier et sa
femme pour se faire passer pour une pauvre femme bien malade à qui
ils ont donné l'hospitalité, par commisération. Il se fait mettre un ht
dans un endroit obscur, sous prétexte qu'il ne peut souffrir la lumière.
Trois demoiselles nobles, qui désiraient toutes les trois l'épouser, le
visitent là, successivement, sans le reconnaître, et lui font d'étranges
aveux. La gardeuse de dindons vient aussi à son tour, et, trompée
comme les autres et croyant parler à une pauvre femme , elle lui avoue
qu'elle est fille du roi d'Espagne. Alors le jeune seigneur se fait recon-
naître. Il épouse la prétendue gardeuse de dindons et le vieux roi , de-
venu plus sage, assiste aux noces de sa fille et cède sa couronne à son
gendre.
On sait que Peau d'âne de Perrault est bâti sur les mêmes res-
sorts; mais l'épisode de la ferme ne s'y trouve pas, ni non plus
dans Straparole, qui a le même conte, à quelques différences
près, nuit I, fable IV, sous le titre suivant : « Thibaud, prince de
Salerne, veut espouser sa fille Doralice; laquelle, estant sollicitée du
— 36 —
père, arriva en Angleterre, où Genèse l'espousa et eut deux enfants
d'elle , qui furent mis à mort par Thibaud, dont Genèse se vengea
depuis. »
La même circonstance d'un père qui veut épouser sa fille se
trouve dans Y Histoire de la belle Héleine de Constantinople, mère de
saint Martin de Tours en Touraine et de saint Brice, son frère. On
trouve encore une situation analogue dans un conte de Chaucer
et dans un conte lithuanien intitulé : De la belle-Jille d'un roi,
dans le recueil de Schleicber, Lithauische Màrchen, page 10. Il y
a également dans Bonaventure Des Périers un conte dont l'hé-
roïne, Pernette, présente plus d'un trait de ressemblance avec le
conle de Perrault, Peau d'âne.
L'ÉPERVIER ET LA SIRÈNE.
Un vieux pêcheur prit, un jour, une sirène dans ses filets. Celle-ci
lui dit: «Amène-moi ton enfant nouvellement né pour que je l'em-
brasse, puis remets-moi en liberté et demain, depuis le lever jusqu'au
coucher du soleil , les pièces d'or ne cesseront de tomber par la chemi-
née dans ta chaumière. » Le pêcheur s'empressa d'aller chercher son en-
fant nouveau-né et la sirène lui donna un baiser, puis elle le rendit à son
père et plongea sous l'eau. Le lendemain, le pêcheur et sa femme pas-
sèrent toute la journée à ramasser de l'or sur la pierre de leur foyer. Les
voilà riches à présent. Quand l'enfant eut dix-huit ans.il voulut voyager.
Son père lui recommanda de ne s'approcher que le moins possible de la
mer et de ne jamais s'y baigner surtout. Il partit, et, chemin faisant,
il trouva sur sa roule une charogne que se disputaient un loup, un éper-
vier et un bourdon. Il en fil le partage entre eux de Façon à les contenter
tous les trois, et chacun d'eux, par reconnaissance du service qu'il leur
avait rendu, lui accorda de devenir à sa volonté loup, épervier ou bour-
don, et de plus, ils lui promirent de lui venir en aide dans le besoin,
en quelque lieu qu'il se trouvât.
Plus loin, il obligea encore des oies et des fourmis, qui promirent
aussi de s'en montrer reconnaissantes.
Il arriva alors à un vieux château. 11 n'y vit personne d'abord, mais
la table clail servie, et il mangea. Quand il eut fini , une main invisible
prit une lumière sur la table, et le conduisit ta son lit. Les trois jours
qui suivirent, une vieille femme lui imposa trois épreuves : d'abord,
retirer du fond d'un puits très-profond une boule d'argent qu'elle y jeta,
puis trier un tas de trois grains différents et mettre chaque espèce à
part; enfin désigner, dans une salle obscure, quelle était la plus jeune
i't la plus jolie de trois femmes qui s'y trouvaient, dont deux vieilles
— 37 —
très-laides, et une jeune et jolie. Jl eut recours aux. animaux qu'il
avait obligés sur sa route : les oies lui retirèrent la boule d'argent du
puits , les fourmis trièrent et mirent en trois tas les grains mélangés , et
le bourdon l'aida à reconnaître la jeune femme des deux, vieilles, en
venant voltiger autour de sa tête1.
Il quitta alors ce château, et vint à Paris. H devint amoureux de la
fille du roi, qu'il aperçut un jour à sa fenêtre. Il pénétra jusqu'à elle en
se changeant en épervier, et passa alors toutes les nuits avec elle, non
pas sous forme d'épervier. mais bien sous sa forme naturelle d'homme.
La princesse mit au monde un fils, et le roi, ayant appris qui en était le
père, pensa que ce qu'il avait de mieux à faire c'était de la lui laisser
épouser.
Un jour qu'il se promenait au bord de la mer avec un prince qui
avait été aussi un prétendant à la main de la princesse, cet homme, d'un
coup d'épaule, le fit tomber du haut d'une falaise dans l'eau, et aussitôt
la sirène vint et l'emporta dans sa grotte. Il y resta deux ans avec elle.
Un jour, elle consentit à l'élever sur la paume de sa main au-dessus des
flots, pour qu'il put jouir, une dernière fois, de la vue de son pays
natal. Mais, dès qu'il fut hors de l'eau, il souhaita de devenir épervier,
et s'envola auprès de sa femme qui, le croyant mort, allait se marier
avec le prince qui l'avait jeté dans la mer. Alors, il fit chauffer un four,
et le traître y fut jeté.
Il y a ici mélange de deux fables. Ainsi les trois épreuves me
semblent appartenir aux récits concernant le soleil et la Princesse
aux cheveux d'or, où on les trouve presque toujours. Ce conte se
trouve dans le recueil des frères Grimm, sous le titre de
VOndine de l'étang. La partie interpolée a du rapport avec la
Reine des Abeilles du même recueil. J'ai une seconde version bre-
tonne qui diffère beaucoup de celle-ci.
LE PÈRE QUI VENDIT SON FILS AU DIABLE, ET LE BRIGAND.
Un pauvre homme vend son fils au diable , pour avoir de l'argent.
Pris de remords, il va se confesser au pape, à Rome. Le pape refuse de
l'absoudre, et l'adresse à un ermite, dans un bois. L'ermite lui dit d'aller
se confesser à un prêtre dans l'église la plus voisine, et de ne pas avouer
1 Ces trois épreuves me semblent ici une interpolation. L'épisode du triage
des grains de différente sorte, que nos conteurs aiment à intercaler dans leurs
récits, et que j'ai déjà reproduit, se retrouve dans Apulée, Mélamorplioseon ,
1. VI. «Ruunt alise, superque alise sepedum populorum, summoque studio
singulse granatim totum digerunt acervum. »
— 38 —
son plus gros péché , la vente de son fils au diable, afin de recevoir
l'absolution. 11 lui recommande encore de ne pas manger la sainte
hostie, niais de la lui apporter dans son mouchoir. Il se conforme à
ces recommandations, et apporte la sainte hostie à l'ermite. Celui-ci la lui
coud dans sa poitrine, entre chair et peau, et lui dit ensuite d'aller lui-
même en enfer, pour retirer le contrat de vente de l'âme de son fils. Il
lui donne une lettre pour un frère brigand qu'il a dans un bois,
plus loin, et qui est sur le chemin de l'enfer. 11 part avec cette lettre, et
loge chez le brigand. Celui-ci lui dit, au moment de partir, de demander
à Satan de lui faire voir la place qu'il lui réserve dans l'enfer. Un diable
vient à sa rencontre, et ne fait aucune difficulté de recevoir le père à
la place du fils.
Le voilà dans l'enfer. Mais les démons ne peuvent y supporter sa pré-
sence, à cause de la sainte hostie qu'il porte sur lui, et ils le pressent de
s'en aller. Il se fait remettre d'abord le contrat de la vente de son Bis;
puis, il demande à voir la place qui est réservée au brigand. On lui
montre un siège de fer rouge, entouré de feu de tous côtés. Il part alors.
11 repasse par chez le brigand, et celui-ci, au récit qui lui est fait de ce
qui l'attend dans l'enfer, congédie ses camarades et se soumet à une
pénitence dont la pensée seule fait frémir. Il en meurt, et son âme est
sauvée. Le père se rend alors auprès du pape, qui lui extrait la sainte
hostie de la poitrine, et la lui donne ensuite en communion. Il reprend
alors le chemin de chez lui. II y arrive en mendiant, et personne ne le
reconnaît, car son voyage a duré plusieurs années, et on le croit mort.
Il y a une grande fête dans sa maison , à l'occasion de la première messe
de son fils, qui vient d'être ordonné prêtre. Après le repas, auquel il est
aussi admis par charité, il demande à se confesser au jeune prêtre. 11 lui
avoue qu'il est son père. La joie de la mère, du fils et du père de se re-
trouver réunis est si grande, qu'ils en meurent tous les trois sur la
place, et leurs âmes vont tout droit au paradis.
La même fable a été recueillie par Glinski chez les Slaves, sous
le titre de : le briyancl Madcy. On y voit , comme dans le conte
breton, un père qui va en enfer retirer le contrat de la vente de
son fils, et un brigand qui se convertit et est sauvé, après une
pénitence inouïe.
Les contes où un père vend au diable l'âme d'un enfanta naître,
souvent innocemment et sans savoir que sa femme est enceinte,
sont nombreux dans le peuple, en Bretagne. Je possède une se-
conde version de celui-ci, mais où la mère de l'enfant s'est mariée
avec le diable, qui vient réclamer son lils. Celui-ci va aussi dans
l'enfer, mais grâce à une ample provision d'eau bénite qu'il a
— 39 —
emportée, d'après le conseil d'un ermite, et dont il arrose les
habitants de ces lieux , il est prié de s'en aller; il ne se retire pour-
tant qu'après avoir reçu le contrat de mariage de sa mère, et il
la sauve ainsi.
LE PRINCE DE PORTUGAL.
Un prince de Portugal se met en route, accompagné d'un bossu,
pour aller conquérir la princesse Konkar, qui habite le château de Mon-
lauban1. La nuit les surprend dans une forêt. Le prince se fourre clans
un tas de feuilles sèches, où il dort tranquillement, et le bossu monte
sur un arbre, et ne dort pas. Des brigands viennent sous l'arbre partager
leur or, et se raconter leurs exploits de la journée. Un d'entre eux, un
boiteux, qui estleplus malin de la bande, annonce aux autres la présenee
du prince de Portugal dans le bois, avec sept mulets chargés d'argent;
et de plus, il indique de point en point la manière dont il lui faudrait s'y
prendre pour réussir dans son entreprise , qui est d'enlever la prin-
cesse Ronkar du château de Montaubau. Le prince, qui dort, n'entend
rien , mais le bossu entend tout.
Le lendemain matin, quand les brigands sont partis, ils se remettent
en route. Le bossu suit de point en point les instructions du brigand
boiteux, et ils entrent, à midi juste, comme il le fallait, dans le château
de Montauban. Tout le monde y dort à cette heure, et ils enlèvent
facilement la princesse. Le prince l'épouse alors et il a un fils d'elle.
L'envie lui vient, un jour, de savoir comment le bossu, qui est
devenu son ami intime, a pu le conseiller si sagement pour mener à
bonne fin l'enlèvement de la princesse. Mais le bossu lui répond que
c'est là un secret qu'il ne peut révéler, sans être aussitôt changé en
statue de marbre (il l'avait aussi entendu dire au boiteux, dans la forêt).
Le prince insisle tant, qu'il finit par lui dire tout, et aussitôt son corps
devient de marbre, jusqu'aux épaules. 11 vit pourtant encore dans cet
état , et souffre beaucoup.
Le prince, désolé, et cherchant les moyens de délivrer son ami, re-
tourne au bois , pour y passer une nuit , et il monte sur le même arbre où
était monté le bossu , lors de leur voyage. Les mêmes brigands viennent
sous l'arbre, partager leur or et se raconter les exploits de la journée, et
il entend dire au même boiteux ce qu'il faut faire pour que le bossu, qui
a livré son secret, revienne à son élat naturel. 11 faut que le prince tue
1 Le nom du châleau de Montauban est populaire dans nos campagnes, et
cela, je présume, à cause du mystère breton des Quatre fils Aimon, qui y est très-
répandu. Lorsqu'on parle d'un château bien fort et bien beau, on dit commu-
nément : comme le château de Montauban.
_ 40 —
lui même son jeune enfant, et qu'avec son sang encore chaud il arrose
la Statue de marbre... Quelque douleur qu'il en éprouve, le prince ,
revenu chez lui, tue son enfant el en recueille le sang dans un vase.
Avec ce sang, il arrose la statue du bossu, et celui-ci revient a son état
naturel.
— Vois, lui dit alors le prince, comme il faut que je t'aime, puisque,
pour te délivrer, j'ai moi-même ôté la vie à mon enfant unique!
— Votre enfant n'est pas mort, lui répond le bossu; venez vous en
assurer.
Et en effet, en arrivant dans la chambre de l'enfant, ils le virent dans
son berceau, qui leur souriait et leur tendait les bras.
Le boiteux de ce conte, espèce de sorcier ou magicien qui habite
les bois, rappelle à l'esprit le roi Obéron , de Huon de Bordeaux.
L'épisode de l'homme changé en statue pour avoir révélé un
secret, et qui ne peut être délivré qu'en l'arrosant avec le sang
encore chaud de l'enfant tué par le père lui-même, se retrouve
aussi dans le fidèle Jean des frères Grimm. Les Mille et une nuits
ont également un homme changé en statue de pierre, dans le
conte : le roi des Îles Noires.
LE CHAT ET SA MÈRE.
Une jeune fille avait une marâtre qui la persécutait. Cette marâtre,
voulant se débarrasser d'elle , alla trouver une sorcière de ses amies, dans
un bois voisin. La sorcière lui donna un gâteau el lui dit : « Donnez ce
gâteau à manger à la lille de votre mari, et vous en verrez bientôt les
effets.» La jeune fille mangea le gâteau, et, quelque temps après,
elle fut étonnée de se trouver enceinte. Le père, voyant cela, fut per-
suadé que sa fille se conduisait mal, et, cédant aux excitations de sa
femme, il la fit exposer sur la mer, dans un tonneau. Elle aborda dans
une île, se retira sous un rocher, et y accoucha d'un chat. Elle pleura
beaucoup, en voyant l'être que Dieu lui envoyait. Mais le chat prenant
alors la parole, comme un homme, essaya de la consoler et lui dit
d'être sans crainte au sujet de leur nourriture, qu'il saurait y pourvoir.
En effet, prenant un bissac sur ses épaules, il se rendit à un château
qui se trouvait dans l'île, et en rapporta des provisions. Pendant plusieurs
jours il se comporta de la sorte. Un jour, le jeune seigneur du château
fut mis en prison , parce qu'il avait perdu ses papiers, ses titres. Le chat
l'alla trouver dans sa prison , et lui promit de le remettre en liberté, el de
lui faire retrouver ses papiers, s'il voulait épouser sa mère. « Epouser une
chatte!» répondit-il, on ne peut plus étonné. «Faites ce que je vous
— 41 —
demande, reprit le chat, et vous ne le regretterez pas, plus tard.)- Il
promit.
Pendant la dernière visite du chat au château, une fée vint trouver sa
mère, el lui parla ainsi : a Lorsque votre fils le chat rentrera, prenez
un couteau, évenlrez-le, puis, après l'avoir écorché , jetez sa peau dans
la mer, et, au lieu d'un chat, vous verrez que vous aurez pour fils un
beau prince. »
Le chat arrive; sa mère l'éventre, l'écorche, jette sa peau dans la mer,
et voilà aussitôt un beau prince auprès d'elle, et qui l'appelle sa mère.
La fée leur procure alors un beau carrosse, et ils montent dedans et se
rendent au château , et le jeune seigneur se trouve heureux d'épouser
la mère du chat, qui est devenue aussi une belle princesse, richement
parée. Après la noce, ils se rendirent chez la marâtre traîtresse, et la
firent brûler, avec son amie la sorcière, dans un grand bûcher.
Ce maître chat rappelle le Chat botté de Perrault. Le conte de
Perrault lui-même se retrouve tout entier dans Straparole, nuit XI,
fable I, sous ce titre : Soriane meurt et laisse trois enfants : Dusso-
lin, Tésifon et Constantin le fortuné. Ce dernier, par le moyen d'une
chatte, acquiert un puissant royaume.
Je possède une seconde version bretonne, avec des variantes
curieuses.
LES TROIS SOUHAITS.
Un jeune garçon avait une marâtre qui le maltraitait et l'envovait tous
les jours garder les moutons sur une grande lande, avec une croûte de
pain noir et moisi pour toute nourriture. Un jour que l'enfant chantait
gaîmcnt, malgré tout, sur le bord d'une petite rivière qui passait au
bas de la lande, deux voyageurs inconnus arrivèrent et le prièrent de
leur passer l'eau, en les portant sur son dos. Il leur passa l'eau. Il
trouva le plus vieux assez léger; mais le plus jeune lui parut si lourd,
qu'il le menaça de le jeter dans la rivière, s'il ne descendait. 11 le mit
pourtant sur l'autre bord. «Ne t'étonne pas, mon enfant, lui dit
alors le voyageur qu'il venait de passer avec tant de peine, si tu m'as
trouvé si lourd, car avec moi tu as porté le monde entier sur ton
dos!» Or ces deux voyageurs étaient saint Pierre et Jésus-Christ, qui
voyageaient alors en basse Bretagne. Notre-Seigneur, pour reconnaître le
service que leur avait rendu le petit pâtre, dit à celui-ci de former trois
souhaits, de lui demander trois choses, et il les lui accorderait. L'enfant
demanda d'abord une serviette qui lui procurât à manger et à boire à
souhait; puis, un arc avec lequel il atteindrait tout ce qu'il viserait. Il
fut embarrassé pour sa troisième demande. Enfin il demanda un violon
— 42 —
qui ferait danser, bon gré malgré, tous ceux qui l'entendraient. Tout
cela lui fut accordé, et il put , désormais, faire des festins sur l'herbe à
discrétion, et s'amuser avec son arc et son violon, et même se venger
des mauvais traitements de sa marâtre et de quelques autres.
Ce conte est très-répandu; on le trouve dans plusieurs pays.
Les épisodes varient, mais le fond en est partout le même. J'en ai
recueilli trois versions en basse Bretagne. Il se trouve dans le
recueil des frères Grimm sous le titre de : le Juif dans les épines.
JEAN ET JEANNE.
C'est le Jean-Bête, connu partout, et sur le compte duquel on
met ordinairement les naïvetés et les sottises de toute une région,
parfois de toute une nation.
Aussi les épisodes varient-ils beaucoup, suivant les pays, mais le
fond ne varie pas, et le héros, ou l'héroïne, reste, comme je l'ai
déjà dit, la personnification de la simplicité, des naïvetés et de
l'ignorance d'une caste, d'une région, ou de tout un peuple. J'ai
recueilli deux versions bretonnes de ce conte, et j'en ai déjà donné
une dans mon troisième rapport, sous le titre de Jean de Ploubezre.
LES FINESSES DE BILZ.
Un lin voleur, pour répondre au défi d'un seigneur peu doué du
côté de l'intelligence et de l'esprit, bien qu'ayant la prétention d être un
maître malin, lui dérobe successivement le meilleur cheval de son
écurie, un pâté du four, les draps du lit où il est couché avec sa femme,
et enfin, l'amène à se noyer, avec sa femme, dans l'étang de son mou-
lin; puis il épouse sa lille.
J'ai deux versions de ce récit, avec des variantes intéressantes.
M. Corentin Tranois en a aussi donné une version curieuse, bien
qu'arrangée, dans la Nouvelle lievue de Bretagne, troisième année,
page 'i8o cl suivantes, sous le litre de : le comte, le curé et le
paysan... Cette version a été recueillie dans les environs de Bos-
porden (Finistère).
Je le trouve encore dans Straparole, nuit I, fable II, sous le
titre suivant : Un fameux larron , nommé Cassandrin, amy du prévost
de Pérouse, lui desroba son lict et son cheval; puy, lui ayant présenté
mesure Séverin lié dans un sac. devint homme de bien et de grande
entreprinse.
— 43 —
L'épisode du curé lié dans un sac, sous prétexte de le porter
en paradis, se trouve aussi dans une de mes versions bretonnes.
LK BERGER QUI OBTINT LA FILLE DU ROI POUR UNE SEULE PAROLE.
Il y avait une fois un roi qui disait qu'il n'avait jamais fait un seul
mensonge de sa vie. Comme il entendait sans cesse les gens de sa cour
qui disaient les uns aux autres : «Ce n'est pas vrai! vous êtes un men-
teur!» cela lui déplaisait beaucoup; si bien qu'il dit un jour :
— Vous m' étonnez; un étranger qui vous entendrait parler de la
sorte ne manquerait pas de dire que je suis le roi des menteurs. Je ne
veux plus entendre parler ainsi dans mon palais. Celui qui m'entendrait
dire à un autre, quel qu'il fût : «Vous êtes un menteur! » eb bien, je lui
donnerais la main de ma bile.
Un berger, qui était aussi parmi les autres, ayant entendu ces paroles
du roi,=se dit en lui-même : «Bon! nous verrons! »
Le vieux roi aimait à entendre chanter d'anciens giverziou, des soniou
nouveaux et conter des contes merveilleux. Souvent, après souper, il
venait à la cuisine et prenait beaucoup de plaisir à écouter les chants et
les récits des valets et des servantes. Chacun chantait ou contait quelque
chose à son tour.
— Et toi, jeune berger, tu ne sais donc rien? dit le roi, un soir.
— Oh ! si , mon roi , répondit le berger.
— Voyons donc ce que tu sais.
Et alors le berger parla ainsi :
— Un jour, comme je passais dans un bois, je vis venir à moi un
superbe lièvre. J'avais à la main une boule de poix; je la lançai au lièvre
et je l'atteignis juste au milieu du front, où elle se colla. Et voilà le lièvre
de courir de plus belle , avec la boule de poix sur le front. Il rencontra un
autre lièvre qui venait en sens opposé, ils se heurtèrent front contre
front et restèrent collés ensemble, si bien que je pus les prendre facile-
ment, alors. Comment trouvez-vous cela, sire?
— C'est fort, répondit le roi, mais continue.
— Avant de venir comme berger à votre cour, sire, j'étais garçon
meunier dans le moulin de mon père, et j'allais porter la farine aux
pratiques. Un jour, j'avais tellement chargé mon âne que, ma foi! son
échine se rompit.
— La pauvre bête! dit le roi.
— J'allai alors à une haie qui était près de la et, avec mon couteau,
j'y coupai un bâton de coudrier que je fourrai dans le corps de
mon âne, pour lui tenir lieu d'échiné. L'animal se releva alors, et il
porta bellement sa charge à destination, comme s'il ne lui était |>as
arrivé de mal.
— lik —
— C'est fort, dit le roi; et après?
— Le lendemain malin, je lus bien étonné (car ceci se passait au
mois de décembre) de voir qu'il avait poussé des brandies, des feuilles
et même des noisettes sur le bâton de coudrier; et quand je sortis mon
âne de l'écurie, les brandies continuèrent de pousser et montèrent si
haut, si haut, qu'elles atteignirent jusqu'au ciel.
— Ceci est bien fort! dit le roi, mais après?
— Voyant cela, je me mis à grimper de branche en branche sur le
coudrier, tant et tant, que j'arrivai enfin dans la lune.
— C'est bien fort, bien fort! mais après?
— Là je vis des vieilles femmes qui vannaient de l'avoine dépouillée
de son écorce. Je me lassai bientôt à regarder ces vieilles femmes,
et je voulus redescendre sur la terre. Mais mon âne était parti, et je ne
retrouvai plus le coudrier par lequel j'étais monte. Comment faire? Je
me mis alors à nouer des écorces d'avoine bout à bout, afin de faire une
corde pour descendre.
— C'est bien fort cela! dit le roi; et après?
— Malheureusement ma corde n'était pas assez longue; il s'en fallait
de trente ou de quarante pieds, si bien que je tombai sur un rocher, la
tête la première, et si rudement que ma tète s'enfonça dans la pierre
jusqu'aux épaules.
— C'est bien fort, bien fort! et après?
— Je me démenai tant et si bien que mon corps se détacha de ma
tête, qui resta enfoncée dans le rocher. Je courus aussitôt au moulin
chercher un levier de fer pour retirer ma tète de la pierre.
— De plus fort en plus fort! dit le roi; mais après?
— Quand je revins, un énorme loup voulait aussi extraire ma tête du
rocher pour la dévorer! Je lui appliquai un coup de mon levier de fer
sur le dos, mais si fort, si fort qu'une lettre jaillit de son corps!
— Oh! c'est on ne peut plus fort cela! s'écria le roi; mais qu'y avait-
il aussi marqué sur celle Lettre?
— Sur cette lettre, mon roi, il étail mai que. sauf voire respect, que
votre père avait élé jadis garçon de moulin chez mon grand-père.
— Tu en as menti , fils de p ! s'écria aussitôt le roi , en se levant.
— Holà! sire, j'ai gagné! dil tranquillement le berger.
— Comment cela ? qu'as-tu gagné, insolent?
— N'aviez-vous pas dit, mon roi, que vous donneriez volontiers ta
main de la princesse voire fille, au premier qui vous ferait dire : «Tu as
menti, ou tu es nu menteur?>
— C'est vrai, répondit le roi, je l'ai dit. Lu roi ne doit avoir iprune
parole, aussi tes fiançailles avec ma fille unique seront-elles célébrées
dès demain, et les noces dans la huitaine!
El ces! ainsi que !•' berger eut la fille du roi pour une seule parole.
— 45 —
Ce petit conte suffira, avec Jean de Ploubezre , de mon troisième
rapport, pour donner une idée des récits facétieux de nos paysans
et faire apprécier la qualité du sel dont ils les assaisonnent ordi-
nairement.
Le même conte se retrouve, sans différences bien sensibles, dans
le recueil de M. Auguste Schleicher : Contes, proverbes, énigmes
et chants de la Lilhuanie.
Du reste, pour qu'on puisse juger de la ressemblance qui existe
entre le conte breton et le conte lithuanien, je reproduis ici ce
dernier :
Il v avait une fois un paysan et un seigneur qui firent un pari à qui
mentirait le mieux , et ils mirent chacun pour enjeu cent écus.
Le seigneur dit au paysan :
— Paysan, commence de mentir!
Le paysan dit :
— Les seigneurs commencent toujours; pour mentir ils doivent don-
ner aussi l'exemple.
Alors le seigneur commença de mentir, et il dit :
— Mon père avait un bœuf qui avait de si grandes cornes, que la ci-
gogne aurait dû voler une année entière avant d'arriver de l'extrémité
d'une corne à l'extrémité de l'autre.
Le paysan dit :
— Cela se peut.
Le seigneur dit :
— Paysan, mens à ton tour.
Alors le paysan commença de mentir.
— Mon père sema des haricots , qui poussèrent jusque dans les nuages.
Un paysan monta sur une des tiges. On la coupa, et il ne pouvait plus
descendre. Il trouva pourtant là haut un tas de paille et des coquilles
d'oeufs, et il s'en fit une corde; mais la corde était trop courte. 11 coupa
toujours en haut pour rajouter en bas, et il descendit ainsi jusque sur
l'église. Par hasard il tomba sur une grosse pierre, et ses jambes y en-
trèrent jusqu'aux genoux. Alors il laissa là ses pieds et courut chercher
une hache pour briser la pierre et les ravoir. Mais, quand il revint, il
trouva un chien qui les mangeait, et, comme il le frappa avec sa hache,
le chien laissa tomber un billet.
Le seigneur demanda :
— Et qu'y avait-il donc d'écrit ?
Le paysan dit :
— Sur le billet il y avait que ton père avait, chez les miens, gardé
les porcs.
— 46 —
— Ça n'esl pas vrai .dit le seigneur, tu mens!
— Si lu dis que je mens, répondit le paysan, alors j'ai gagné, je sais
mieux mentir qui1 toi.
Et sur ce le paysan prit les deux cents cens.
Il n'est pas possible de nier que ce ne soit la même fable chez
les Bretons et les Lithuaniens, et que, très-probablement, elle n'ait
une source commune en Orient. Comment expliquer autrement
de pareilles coïncidences chez deux peuples si éloignés et si étran-
gers l'un à l'autre?
Mais je m'aperçois que mon rapport est déjà bien long; aussi
vais-je borner ici mes résumés, et terminer par renumération pure
et simple des matériaux que j'ai rassemblés jusqu'aujourd'hui. Je
dois prévenir que parfois la même fable s'y trouvera sous deux ou
trois titresdifférents, mais avec des variantes eu rieuses. J'observerai
dans cette énumération la division que j'ai déjà établie précédemment
de nos traditions orales, non ebantées, en trois classes, qui sont :
i° Contes mythologiques;
•2° Contes légendaires chrétiens;
5° Contes facétieux et plaisants.
Il y a quelques récits qui ne rentrent pas bien dans cette classi-
fication, par exemple : les sept conseils du père mourant à son fils;
mais ils sont rares.
Enfin, je dois dire encore que les titres, et aussi les noms des
lieux et des personnages, dans le cours du récit, varient souvent dans
les différentes versions d'un même conte, suivant les localités où
elles ont été recueillies, chaque conteur ayant la fâcheuse habitude
d'y introduire des noms d'hommes et de lieux connus de lui et de
son auditoire, et les substituant ainsi à d'autres noms plus anciens,
et peut-être les vrais.
COXTKS MYTHOLOGIQUES.
i. La princesse de Tronkolaine. 2. Trégont-à-Baris. — 3. La
princesse Troïol. -— [\. La princesse Tournesol. — 5. Ar-Manac'hig,
ou le petit moine. 6. Le petit teigneux. 7. Péronig, ou le
domestique du diable. 8. Le messager du diable cl le carillon
d'enfer, ou les trois poils de la barbe d'or du diable. 9. Le
marquis deTromelin, ou l'enfant vendu au diable , el le brigand.
10. Le marchand qui se vendil au diable. 11. Les enfants
du marquis de Coadilio. 12. Les trois fils du roi de France.
— 47 —
l3.Le géant Calabordin et la princesse aux cheveux d'or. —
i/i. Théodore, ou le château de cuivre, le château d'argent et le
château d'or. — i5. Le Baptême, ou les trois poils de la barbe
d'or du diable. — 16. Le Corps sans âme. — 17. Le lapin blanc
et le château du Corps sans âme. — 18. Les poires d'or du roi et
le Corps sans âme. — 19. Ancien-la-Chique. — 20. Jean au bâton
de fer. — 21. Brise-fer et Sans-Pareil. — 22. L'homme aux trois
chiens. — 23. L'homme aux deux chiens. — 2 !\. Le prince Bleu.
— 2 5. L'Hiver et le Boitelet. — 26. Le roi serpent et le prince
de Tréguier. — 27. L'homme-poulain. — 28. L'homme à la
marmite. — 29. L'homme-crapaud. — 3o. Le loup gris. — 3i. La
truie sauvage. — 32. Le berger et le dragon à sept têtes. —
33. L'épervier et la sirène. — 34. Marie et Yvon, ou la sirène.
— 35. Les enfants de la croix de Rucluno. — 36. Les trois fdles
du boulanger. — 37. L'oiseau de la vérité. — 38. Le merle blanc
et l'oiseau de la vérité. — 39. Les deux frères et la sœur. —
4o. Koadalan. — 4i.E\venn Kongar (seconde version de Koadalan).
— 42. La vie du docteur Coathalec. — 43. La princesse de Tré-
ménézaour. — 44- Louizig, ou Petit Louis. — 45. Les quatorze ju-
ments et le cheval du monde. — 46. La princesse du château
enchanté. — 47- Le prince Blanc. — 48. Le géant Kolévran. —
49. Le prince qui perdit sa tête au jeu. — 5o. Le géant Barbau-
vert. — ôi.Le capitaine Lixur et la Santirine. — 52. Les trois
filles du marquis de Coatléger. — 53. Le chevalier Fortuné. —
54. Le chat et sa mère. — 55. Le chat noir. — 56. Le prince de
Portugal et le bossu. — 57. Le roi Dalmar. -— 58. L'Ankou. —
59. Le roi turc Frimelgus. — 60. La fdle qui se maria avec un
mort. — 61. Le roi qui voulait se marier avec sa fille. — 62. Le
lièvre d'argent. — 63. La princesse Blondine. — 64- Les trois
fds de la vieille. — 65. Le petit oiseau à l'œuf d'or. — 66. Les
trois souhaits. — 67. Le géant Goulaffre. — 68. Le perroquet
sorcier. — 69. Les aventures du tailleur Cadiou. — 70. Le tail-
leur et le vent. — 71. Les trois frères, ou le laboureur, le prêtre
et le clerc. — 72. Le fds du pêcheur. — 73. Celle qui accoucha
d'une couleuvre en même temps que d'une petite fille. —
7/i. L'homme au bonuet rouge. — 75. Le grain de myrrhe (talisman).
— 76. Crampoues (talisman). — 77. Sans-Souci et Sans-Chagrin. —
78. LeMurlu, ou l'homme sauvage. — 79. La princesse changée
en souris. — 80. La femme changée en cane. — 81. Le mangeur,
— '18 —
le buveur, le tireur, le coureur. — 82. Le grand magicien de
la ville de Nismes. — (S3. François le pécheur. 84. Les deux
fils du pécheur. — 85. L'homme de fer. — 86. Payer le tribut
à César. — 87. Le prince Aurèle et le géant de Saint-Gily. —
88. La reine de Hongrie. — 89. Le roi Ohéron. — 90. Bihanic
et l'ogre. — 91. Les six frères paresseux. — 92. Les trois jeunes
filles, ou le sort. — 93. La jeune fille et les sept sorciers.
9/i. Les deux bossus et les nains. — 96. Le prince Pengar, le roi
de Perse et le Génie. — 96. Le conte de Jean. — - 97. Les trois
fils de la veuve. — 98. Sofi et Sans-Souci. — 99. Les trois fils
du roi, ou le bossu et ses deux frères. — i 00. Jean le Fort et les
trois géants.
CONTES LEGENDAIRES CHRETIENS.
1*. Jésus-Christ voyageant en basse Bretagne, huit épisodes
ou rencontres. — 2. Le fils de saint Pierre. — 3. Porpant. —
k. Saint Philippe. — 5. Le fils du diable. — 6. L'ermite qui ac-
cusait Dieu de n'être pas juste. — 7. Celui qui alla porter une
lettre au paradis (deux versions). — 8. Le brigand sauvé avant
l'ermite. — 9. Le brigand et son filleul. — 10. Le filleul de la
sainte Vierge. 11. Le bonhomme Misère et saint Pierre. —
1 2. Le pont de Londres , trois fois plus long que la grâce de Dieu.
— i3. Le pape Innocent. — il\. Christic, qui devint pape à Borne.
— 15. La Mort et le maréchal ferrant. — 16. La bonne femme et
la méchante femme. — 17. Le pom-voyeur du paradis. — 18. Le
fils qui retira son père et sa mère de l'enfer. — 1 9. Le petit mouton
blanc. — ■ 20. La Destinée (deux versions). — 21. La femme qui
ne voulait pas avoir d'enfants. — 22. Les trois frères qui ne pou-
vaient s'accorder au sujet de la succession de leur père. —
23. Quelle que soit la société que l'on fréquente , l'on en a toujours
sa part. — 2/1. Marie Petit-Cœur. — 25. Le bon Dieu et la sainte
Vierge parrain et marraine. — 26. La bonne petite servante. —
27. Les deux méchantes sœurs. — 28. L'ermite et le vieux brigand.
— 29. Là fille de mauvaise renommée qui alla au paradis. —
3o. L'âme damnée. — 3i. Fantic Loho, ou le linceul des morts.
32. Une courte prière dite de bon cœur. — 33. Le pain change
en tête de mort. — 34- Il est bon d'être charitable envers les
pauvres. — 35. Le bon Dieu et le diable. — 36. Les trois fils,
— 49 —
ou la fête de saint Joseph. 3y. La vertu crime courte prière.
— 38. Le protégé de saint Corentin.
RÉCITS PLAISANTS.
i. Janvier et Février. — 2. Fanch Scouarnee. — 3. Jean et
Jeanne. — à. Jean de Ploubezre. — 5. Les finesses de Bilz (deux
versions). — 6. Le meunier et son seigneur. — 7. Petit-Cul. —
S. Marguerite la bonne sœur. — 9. Le matelot, le tailleur et le
boulanger. — 10. Celui qui vendit sa vache trois fois, le même
jour, ou l'avocat Patelin breton. — 11. Celui qui eut la fille du
roi pour une seule parole. — 12. Petit-Jean le devineur (deux ver-
sions). — i3. L'abbé Sans-Souci. — \l\. Le curé de Brélévenez,
qui fut tué plusieurs fois. — i5. Quelques épisodes du roman du
Renard.
On voit, par cette dernière liste, que le plaisant et le comique
ne sont pas le coté brillant des traditions bretonnes.
Il me resterait, pour terminer mes recherches sur ce sujet si
intéressant des vieilles traditions populaires qui se sont conservées
dans nos campagnes armoricaines, et avant qu'il soit trop tard,
c'est-à-dire bientôt, il me resterait, dis-je, à visiter quelques îles de
la Manche et de l'Océan , comme Bréhat, Bâz , Ouessant, Groix , où
ces anciennes et attrayantes fables se sont, peut-être, conservées
plus pures des mélanges et des altérations qui les gâtent un peu
sur le continent. Il me manque, pour plusieurs d'entre elles, des
éclaircissements qu'il me serait fort utile de posséder, avant d'en
arrêter définitivement la rédaction, et je suis persuadé que je les
trouverais, en partie du moins, dans les îles que je viens de
nommer.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence,
le très-humble et dévoué serviteur,
F. -M. Luzel.
Imprimerie Nationale. — Septembre 1873.
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