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Full text of "Cinquie rapport sur une mission en Basse Bretagne : ayant pour objet des recherches sur les traditions orales des Bretons Armoricains, contes et rits populaires"

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CINQUIEME   RAPPORT 


UNE  MISSION  EN  BASSE  BRETAGNE. 


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CINQUIÈME    RAPPORT 


UNE  MISSION   EN   BASSE   BRETAGNE. 


EXTRAIT 
DliS  ARCHIVES  DES  MISSIONS  SCIENTIFIQUES  ET  LITTÉRAIRES, 

TOME    PREMIER.   TROISIEME  SEIUE. 


CINQUIÈME    RAPPORT 


UNE  MISSION  EN  BASSE  BRETAGNE, 

AYANT    POUR   OBJET 

DES  RECHERCHES  SUR  LES  TRADITIONS  ORALES  DES  BRETONS  ARMORICAINS, 
CONTES  ET  RÉCITS  POPULAIRES, 

PAR    M.    F.M.   LUZEL. 


Plouaret,  le  i"  septembre  1872. 

Monsieur  le  Ministre, 

Je  continue  de  rendre  compte  à  Votre  Excellence  des  résultats 
de  mes  recherches  sur  les  traditions  orales  non  chantées  des  Bre- 
tons Armoricains. 

Je  trouve  encore,  assez  souvent,  quelques  fables  nouvelles,  et, 
par  ailleurs,  je  recueille  des  versions  différentes  et  des  variantes 
curieuses  de  celles  que  je  possédais  déjà. 

Dans  ce  cinquième  rapport,  je  me  propose  de  faire  une  analyse 
succincte  d'un  certain  nombre  des  matériaux  de  ce  genre  concer- 
nant les  mœurs  et  les  croyances  de  nos  premiers  ancêtres,  et  inté- 
ressant par  conséquent  les  origines  de  notre  civilisation,  que  j'ai 
rassemblés  jusqu'aujourd'hui,  et  je  rappellerai  les  analogies  que 
ces  fables  présentent  avec  celles  trouvées  chez  d'autres  peuples, 
du  moins  celles  que  je  connais.  Je  me  bornerai  à  énumérer  tout 


2  

simplement  les  autres,  pour  ne  pas  excéder  les  proportions  d'un 
rapport  ordinaire. 

J'ai  lu,  clans  ces  derniers  temps,  les  facétieuses  nuits  de  Strapa- 
role,  et  j'ai  été  ('tonné  de  voir  comme  celles  des  Tables  de  ce  très- 
intéressant  recueil  qui  sont  vraiment  populaires  et  anciennes  se 
retrouvent  toutes  dans  nos  chaumières  bretonnes,  ei  souvent  assez 
peu  modifiées.  On  serait  tenté  de  croire  que  ce  livre,  qui  date  de 
la  première  moitié  du  x\ic  siècle,  aurait  été  connu  dans  nos  cam- 
pagnes. Il  serait  pourtant  bien  singulier  que  ces  contes  italiens 
lussent  arrivés  par  cette  voie  à  des  paysans  qui,  alors  plus 
qu'aujourd'hui,  ne  savaient  ni  lire  ni  écrire.  On  pourrait  alléguer 
qu'ils  ont  été  lus  d'abord  dans  les  châteaux,  les  manoirs  et  les 
couvents,  et  que  de  là  ils  sont  descendus  dans  le  peuple.  Mais 
j'aime  mieux  croire  que  toutes  ces  fables,  communes  à  une  famille 
de  peuples,  se  sont  conservées  plus  ou  moins  altérées  chez  ces  dif- 
férents peuples,  grâce  à  la  tradition  orale,  qui  me  semble  atteindre 
plus  haut  que  l'histoire  écrite,  du  moins  pour  ce  qui  regarde  les 
récits  mythologiques  et  merveilleux1.  11  faut  convenir  aussi  que  le 
champ  des  inventions  et  des  combinaisons  dont  est  capable  l'esprit 
humain  est  plus  limité  qu'on  ne  se  l'imagine  généralement,  et  de 
là  bien  des  rencontres  fortuites  que  l'on  est  souvent  disposé  à 
prendre  pour  des  imitations  directes. 

Je  commence  mes  analyses  : 

LA    PRINCESSE    DE    TRONKOLAINE  V 

Il  y  avait  une  fois  un  pauvre  charbonnier  qui  avait  déjà  fait  baptiser 
vingt-cinq  enfants.  Dieu  lui  en  envoya  un  vingt-sixième,  et  il  se  mit  en 
route  pour  lui  chercher  parrain  et  marraine.  Il  vil  passer  le  roi  dans 
son  carrosse  et  il  se  mit  à  genoux',  dans  la  houe,  pour  le  saluer.  Le  roi 
lui  jeta  une  pièce  d'or. 

1   II  faut  pourtant  admettre  une  exception  en  faveur  «les  Védas. 
s   Ce  nom  me  paraît  être  altéré,  bien  que  je  ne  puisse  pas  dire  quelle  a  du 
en  être  la  forme  première.  Je  croirais  volontiers  que  le  mot  /ni» ,  qui  signifie 

étang,  y  entre  en  composition.  Dans  une  version  de  la  même  fable,  que  j'ai  re- 
cueillie en  mars  i  8  7  3  ,  dans  l'île  d'(  blessant,  le  héros  du  conte,  envoyé  égale- 
ment pour  demander  au  Soleil  pourquoi  il  est  si  rouge,  le  malin,  quand  il  se 
lève,  en  reçoit  la  réponse  suivante  :  «Chaque  matin,  quand  je  quitte  mon  palais, 
je  vois  la  princesse  Poulfanc  (la  princesse  de  la  mare)  qui  se  baigne,  toute  nue, 
dans  ton  étang ,  et  je  ne  puis  m'empêcher  île  rougir  de  honte  en  la  voyant  dans 
cet  état.  ■ 


—  Ce  n'esi  pas  ce  une  je  cherche  pour  le  moment,  bien  que  j'en 
aie  grand  besoin,  dit  le  charbonnier;  c'est  un  parrain  qu'il  nie  faut  pour 
un  vingt-sixième  enfant  que  ma  femme  vient  de  me  donner. 

—  Vingt-six  enfants,  mon  pauvre  homme!  s'exclama  le  roi;  eh  bien! 
trouvez-vous  demain  à  l'église  avec  l'enfant  et  une  marraine,  et  je  serai 
le  parrain,  moi. 

Le  charbonnier  fut  fidèle  au  rendez-vous;  il  emmena  une  marraine 
et  le  roi  arriva  aussi  à  l'heure  convenue.  L'enfant  fut  baptisé  et  nommé 
Louis.  Le  parrain  donna  au  père  une  bourse  pleine  d'or  et  lui  dit  d'en- 
voyer son  filleul  à  l'école,  quand  il  aurait  dix  ans.  Il  lui  donna  encore  la 
moitié  d'une  platine,  dont  il  garda  l'autre  moitié,  en  lui  recommandant 
de  la  donner  à  son  filleul,  quand  il  aurait  atteint  l'âge  de  dix-huit  ans, 
pour  qu'il  la  lui  rapportât  à  sa  cour,  à  Paris.  Il  le  reconnaîtrait  à  ce  signe. 
Il  partit  ensuite. 

L'enfant  fut  mis  à  l'école  à  dix  ans,  et,  comme  il  était  intelligent,  il 
fit  des  progrès  rapides.  Quand  il  eut  dix-huit  ans,  son  père  lui  remit  la 
demi-platine  et  lui  dit  d'aller  la  porter  à  son  parrain,  le  roi  de  France, 
dans  son  palais,  à  Paris.  Jusque-là,  il  lui  avait  caché  qui  était  son  par- 
rain. 11  lui  donna  aussi  un  de  ses  chevaux  à  porter  le  charbon,  une  rosse, 
et  le  jeune  homme  partit. 

Comme  il  passait  dans  un  chemin  étroit  et  profond,  il  y  rencontra 
une  petite  vieille  femme,  courbée  sur  son  bâton,  et  qui  lui  dit  : 

—  Bonjour,  Louis,  filleul  du  roi  de  France. 

—  Bonjour,  grand'mère,  répondit  Louis,  étonne  d'être  connu  de  fi 
vieille. 

—  Tout  à  l'heure,  mon  enfant,  reprit  celle-ci,  tu  arriveras  à  une  fon- 
taine au  bord  de  la  route,  et  là  tu  verras  quelqu'un  qui  t'invitera  à 
descendre  de  cheval  et  à  te  désaltérer;  mais  ne  l'écoute  pas  et  continue 
ton  chemin. 

—  Merci,  grand'mère,  répondit  le  jeune  homme.  Et  il  passa.  11  arriva 
en  effet,  tôt  après,  à  une  fontaine,  près  de  laquelle  était  un  personnage 
de  mauvaise  mine  qui  lui  cria  : 

—  Eh!  Louis,  arrète-toi  un  peu  et  descends  de  cheval. 

—  Je  n'ai  pas  le  temps ,  répondit  Louis  ,  je  suis  pressé. 

—  Viens,  te  dis  je,  te  désaltérer  à  cette  fontaine,  dont  l'eau  est  déli- 
cieuse, et  causer  un  peu  ;  tu  ne  me  reconnais  donc  pas,  un  ancien  ca- 
marade d'école  ? 

Louis,  en  entendant  ces  derniers  mots,  descendit  de  cheval;  mais 
il  ne  reconnut  pas  le  prétendu  camarade  d'école.  Il  voulut  boire  néan- 
moins à  la  fontaine,  et,  comme  il  se  penchait  sur  l'eau  pour  boire  dans 
le  creux  de  sa  main,  l'autre,  d'un  coup  d'épaule,  le  jeta  dedans,  puis  il 
lui  enleva  sa  demi-platine,  monta  sur  son  cheval  et  partit.  Le  pauvre 
Louis  sortit  de  l'eau,  comme  il  put.  et  courut  après  le  voleur.  Le  cheval 


étail  vieux  cl  fourbu,  de  sorte  qu'il  Gnil  par  l'atteindre,  et  ils  en- 
trèrent ensemble  dans  la  cour  du  palais  du  roi.  Celui-ci,  à  la  vue  de 
la  demi-platine,  ne  douta  pas  que  celui  qui  en  était  porteur  ne  fût  son 
filleul,  et  il  lui  lit  bon  accueil,  quoiqu'il  lui  trouvât  bien  mauvaise  mine. 
Il  lui  demanda  aussi  ce  qu' étail  le  jeune  homme  qui  l'accompagnait. 

—  C'est,  répondit-il,  parrain,  un  jeune  homme  de  mon  pays  qui 
m'a  suivi,  dans  l'espoir  de  trouver  un  emploi  à  votre  cour. 

—  C'est  bien,  répondit  le  roi,  on  trouvera  à  l'occuper  quelque  part. 

Il  fut,  en  effet,  employé  comme  valet  d'écurie,  tandis  que  l'autre  sui- 
vait partout  le  roi,  babillé  comme  un  prince,  et  n'avait  rien  autre  chose 
à  faire,  tous  les  jours,  que  manger,  boire  et  se  promener. 

Tôt  après,  le  faux  filleul,  voulant  si'  débarrasser  de  Louis,  dont  la  vue 
l'importunait,  dit  un  jour  au  roi  : 

—  Si  vous  saviez,  parrain,  ce  dont  s'est  vanté  le  valet  d'écurie,  mon 
pays? 

—  De  quoi  s'est-il  donc  vanté?  demanda  le  roi. 

—  Daller  demander  au  Soleil  pourquoi  il  est  si  rouge,  quand  il  se 
lève,  le  matin  l. 

—  Vraiment?  Eh  bien,  il  faut  alors  qu'il  v  aille,  car  je  suis,  en  effet, 
bien  curieux  de  savoir  cela. 

Et  le  pauvre  Louis  dut  se  mettre  en  roule  pour  aller  trouver  le  Soleil, 
bien  qu'il  protestât  qu'il  n'avait  jamais  dit  rien  de  semblable.  Comme  il 
se  dirigeait,  tout  triste,  du  côté  de  la  mer,  il  rencontra  un  vieillard  véné- 
rable qui  lui  demanda  : 

—  Où  allez-vous  ainsi,  mon  enfant? 

—  Ma  foi,  grand-père,  répondit-il,  je  n'en  sais  trop  rien.  On  m'a 
dit  que,  sous  peine  de  mort,  il  me  faut  savoir  du  Soleil  pourquoi  il  est 
si  rouge ,  quand  il  se  lève,  le  matin,  et  je  ne  sais  où  aller  trouver  le  Soleil. 

—  Eh  bien  !  mon  enfant,  je  vous  aiderai  à  le  trouver,  moi.  Et ,  lui  mon- 
trant un  cheval  de  bois  :  Montez  sur  ce  cheval  de  bois,  qui  s'élèvera 
en  l'air,  à  votre  commandement,  et  vous  portera  au  pied  de  la  montagne 
sur  le  sommet  de  laquelle  est  le  château  du  Soleil.  Vous  laisserez  le 
cheval  au  bas  de  la  montagne,  où  vous  le  retrouverez  au  retour,  et  vous 
irez  seul  jusqu'au  château. 

Louis  monta  sur  le  cheval  de  bois,  qui  s'éleva  aussitôt  en  l'air  et  le 
déposa  au  pied  d'une  haute  montagne.  Il  gravil  péniblement  cette  mon- 
tagne.  cl ,  arrivé  sur  le  sommel ,  il  \  il  un  palais  si  beau,  si  resplendissant, 
qu'il  en  fut  ébloui.  C'était  le  palais  du  Soleil.  Il  frappa  à  la  porte.  Une 
vieille  femme  \  int  lui  ouvrir. 


1  Dans  une  autre  version ,  le  héros  doil  demander  au  Soleil  pourquoi  il  est 
rouge  quand  il  se  lève  le  malin,  et  rouge  quand  il  se  couche  le  soir;  —  et 
ailleurs,  —  pourquoi  il  est  rouge  le  malin,  blanc  à  midi,  et  bleuâtre  le  soir. 


—  Monseigneur  le  Soleil  est-il  à  la  maison?  lui  deinanda-l-il  ? 

—  Non,  mon  enfant,  mais  il  arrivera  sans  tarder,  répondit  la  vieille. 

—  Je  l'attendrai,  alors. 

—  Mais,  mon  pauvre  enfant,  mon  fils  aura  grand'faim ,  quand  il  arri- 
vera \  et  il  pourrait  bien  te  manger. 

—  Je  vous  en  prie,  grand' mère,  faites  qu'il  ne  me  mange  pas,  car  il 
faut  que  je  lui  parle. 

—  Eh  bien  !  entre  toujours ,  mon  garçon ,  et  je  tâcherai  d'arranger  cela. 
Et  il  entra.  Le  Soleil  arriva  peu  après,  en  criant  : 

—  J'ai  faim!  j'ai  grand'faim,  mère!  Puis,  ayant  flairé  l'air  :  Je  sens 
odeur  de  chrétien!  Il  y  a  un  chrétien  ici,  et  je  veux  le  manger! 

—  Oui,  comptez  là-dessus,  lui  dit  sa  mère,  que  je  vais  vous  le  don- 
ner à  manger,  ce  pauvre  enfant  qui  est  si  gentil  !  Voilà  votre  souper  qui 
est  prêt,  mangez-le  vite  et  faites  silence,  ou  gare,  à  mon  bâton! 

Le  Soleil  courba  la  tête,  à  cette  menace,  comme  un  enfant  craintif, 
et  se  mit  à  manger,  en  silence.  Quand  il  eut  fini,  Louis,  enhardi  en 
le  voyant  si  doux,  lui  adressa  sa  question  : 

—  Je  voudrais  bien  savoir,  monseigneur  le  Soleil ,  pourquoi  vous 
êtes  si  rouge,  si  beau,  quand  vous  vous  levez,  le  matin? 

—  Je  veux  bien  te  le  dire ,  répondit  le  Soleil  ;  c'est  que  le  château 
de  la  princesse  de  Tronkolaine2  est  ici  près,  et  elle  est  si  belle  qu'il  faut 
que  je  me  montre  aussi  dans  toute  ma  beauté ,  pour  n'être  pas  éclipsé 
par  elle. 

—  Merci  bien,  monseigneur  le  Soleil,  répondit  Louis;  et  il  salua 
profondément  et  partit  alors.  Il  redescendit  la  montagne,  remonta  sur 
son  cheval  de  bois ,  qui  l'attendait ,  et  il  fut  bien  vite  rendu  à  la  cour  du  roi. 

—  Eh  bien!  lui  demanda  celui-ci,  as-tu  été  jusqu'au  Soleil,  et  peux-tu 
me  dire,  à  présent,  pourquoi  il  est  si  rouge,  quand  il  se  lève,  le  matin? 

—  Oui,  sire,  je  peux  vous  le  dire. 

—  Voyons  donc  cela. 

—  C'est  pour  n'être  pas  éclipsé  par  la  princesse  de  Tronkolaine, 
dont  le  château  est  voisin  du  sien ,  et  qui  est  la  plus  merveilleuse  beauté 
qui  existe  nulle  part. 

Le  roi  parut  satisfait  de  l'explication. 

Mais ,  à  quelque  temps  de  là ,  le  faux  filleul  lui  dit  encore  : 

—  Si  vous  saviez ,  parrain ,  ce  dont  s'est  encore  vanté  le  valet  d'écurie  ? 

—  De  quoi  s'est-il  donc  vanté?  demanda  le  roi. 


1  Dans  les  fables  indiennes  aussi,  le  Soleil  rentre  tous  les  soirs  affamé,  après 
sa  course  journalière. 

2  Dans  Grimm ,  c'est  la  Princesse  au  Dôme  d'or,  conte  du  Fidèle  Jean.  Je  ne 
sais  pas  bien  au  juste  si  c'est  par  la  princesse  elle-même,  ou  par  l'éclat  de  son 
château,  qui  est  tout  d'or,  epic  le  Soleil  craint  d'être  éclipsé. 


—  0   — 

—  D'être  capable  de  vous  amener  à  voire  cour  la  princesse  deTron- 
kolaine  elle-même,  pour  que  vous  l'épousiez  1 

—  Vraiment,  il  s'est  vanté  de  cela?  El»  bien!  il  Tant  qu'il  le  lasse, 

alors,  ou  il  n'y  a  que  la  mort  pour  lui. 

Et  le  pauvre  Louis  dut  encore  tenter  cette  aventure,  malgré  ses  pro- 
testations de  n'avoir  jamais  dit  rien  de  semblable.  Heureusement  pour 

lui  qu'il  rencontra  encore  le  vieillard  inconnu,  qui  lui  dit  : 

—  Retournez  auprès  du  roi  et  dites-lui  que,  pour  accomplir  votre 
entreprise,  il  vous  faut  un  bâtiment  chargé  de  blé,  de  lard  et  de  viande 
de  bœuf,  afin  de  distribuer  ces  provisions  aux  rois  des  fourmis,  des  éper- 
viers  et  des  lions,  que  vous  rencontrerez  sur  votre  route,  et  qui,  si  vous 
les  régalez  bien,  vous  seront  utiles,  plus  tard. 

Il  obtient  le  bâtiment  chargé  de  ces  provisions.  Alors  le  vieillard  lui 
donne  encore  une  baguette  blanche,  pour  obtenir  un  vent  favorable  du 
côté  où  il  la  tournera.  Il  s'embarque,  passe  successivement  par  les 
royaumes  des  fourmis,  des  éperviers  et  des  lions,  régale  tous  ces  ani- 
maux de  son  mieux,  et  tous  lui  promettent  de  lui  venir  en  aide,  sitôt  qu'il 
les  appellera  l.  Il  aborde  alors  dans  une  île.  Au  milieu  de  l'île  il  y  a  un 
château  magnifique.  C'est  là  que  demeure  la  princesse  de  Tronkolaine. 
Il  la  voit  au  bord  d'une  fontaine,  peignant  ses  cheveux  blonds,  avec  un 
peigne  d'or  et  un  démêloir  d'ivoire.  Il  cueille  une  orange  à  un  oranger 
qui  est  là  près,  et  la  jette  dans  la  fontaine.  La  princesse  se  détourne, 
l'aperçoit,  lui  sourit  et  lui  dit  d'avancer.  Puis  elle  le  conduit  à  son  châ- 
teau, le  régale  de  mets  exquis  et  de  fruits  délicieux,  et  l'invite  à  rester 
avec  elle.  Au  bout  de  quinze  jours  de  séjour  dans  le  château,  Louis 
demanda  à  la  princesse  si  elle  consentirait  à  le  suivre  à  la  cour  du  roi 
de  France. 

—  Volontiers,  répondit-elle,  quand  vous  aurez  fait  tout  le  travail  qu'il 
y  a  a  faire  ici. 

—  Dites,  princesse,  ce  que  vous  désirez  de  moi.  et  si  c'est  possible, 
je  le  ferai. 

Le  lendemain  malin,  la  princesse  le  conduisit  dans  le  grenier  du  châ- 
teau, et   lui  montrant  \n\  grand  las  de  grains  mélanges  : 

—  Voilà,  dit-elle,  un  tas  de  trois  grains  mélanges,  froment,  seigle  et 
orge'2.   Il  faut  mettre  chaque  sorte  de  grain  dans  un  las  à  pari,  suis  vous 

1  Dans  un  autre  coule  breton ,  et  dans  une  fable  de  Straparole  aussi  (  nuit  III, 
fable IV), le  béros  est  secouru  par  un  loup,  un  aigle  et  une  fourmi,—  un  bour- 
don, dans  le  coule  breton,  paire  qu'il  leur  a  partagé,  de  manière  à  les  sa- 
tisfaire Ions,  une  charogne  qu'ils  se  disputaient. 

2  Cette  épreuve  de  différentes  séries  de  grains  mélangés,  el  qu'il  faul  trier, 
se  rencontre  très-souvent  dans  nos  contes  bretons,  las  conteurs  aiment  à  l'in- 
troduire dans  leurs  récits,  el  en  abusent  parfois.  Ce  sont  toujours  les  fourmis 
qui  viennent  nu  secours  du  héros,  comme  dans  la  fable  de  Psyché,  dans  Apulée. 


—  7   — 

tromper  d'un  seul  grain  .  et   que  ce  soit  fini  pour  le  coucher  du  soleil. 
Puis  elle  s'en  alla. 

Louis  appela  ta  son  secours  les  fourmis ,  et  le  triage  fut  fait  on  ne  peut 
mieux,  pour  l'heure  dite.  Aussi,  quand  la  princesse  revint,  au  coucher 
du  soleil,  fut-elle  bien  étonnée.  Elle  examina  l'ouvrage,  et,  ne  trouvant 
pas  un  seul  grain  d'une  espèce  différente  dans  chacun  des  trois  tas  : 

—  C'est  fort  bien,  dit-elle. 

—  liendrez-vous  avec  moi,  à  présent?  lui  demanda  Louis. 

—  Pas  encore;  j'ai  autre  chose  à  vous  demander,  auparavant. 

En  effet,  le  lendemain  matin,  elle  lui  donna  une  cognée  de  bois,  et, 
l'ayant  conduit  dans  la  grande  avenue  du  château,  elle  lui  dit,  en  lui 
montrant  les  grands  chênes  : 

—  Il  faut  m' abattre  tous  ces  arbres,  avant  le  coucher  du  soleil,  avec 
votre  cognée  de  bois.  Puis  elle  s'en  alla. 

Dès  que  la  princesse  fut  partie ,  Louis  appela  les  lions  à  son  secours , 
et,  quand  elle  revint,  au  coucher  du  soleil,  il  n'y  avait  plus  un  seul  arbre 
debout,  dans  l'avenue.  Son  étonnement  ne  lit  qu'augmenter. 

—  Me  suivrez-vous ,  à  présent,  princesse?  lui  demanda  Louis. 

—  J'ai  encore  un  autre  travail,  une  dernière  épreuve  à  vous  donner, 
répondit-elle ,  et  si  vous  vous  en  tirez  aussi  heureusement  que  des  deux 
autres,  rien  ne  s'opposera  plus  à  ce  que  je  vous  suive. 

Le  lendemain  matin,  la  princesse  le  conduisit  au  pied  d'une  grande 
montagne  et  lui  dit  : 

—  Voici  une  montagne  qui  offusque  mon  palais  et  m'empêche  de 
voir  au  loin,  et  je  désire  qu'elle  ait  disparu  pour  le  coucher  du  soleil. 
Et  elle  s'en  alla  encore. 

Louis  appela,  cette  fois,  les  éperviers  à  son  secours,  et,  avec  leurs 
becs  et  leurs  griffes,  ils  eurent  bientôt,  tant  ils  étaient  nombreux,  fait 
disparaître  la  montagne  et  aplani  le  terrain.  Quand  la  princesse  revint, 
au  coucher  du  soleil  : 

—  Eh  bien  !  princesse ,  êtes-vous  satisfaite  ?  lui  demanda  Louis. 

—  Oui,  répondit  elle,  vous  n'avez  pas  votre  pareil  au  monde,  et,  à 
présent,  je  vous  suivrai,  quand  vous  voudrez. 

Et  elle  lui  donna  alors  un  baiser.  Ils  se  dirigèrent  ensuite  vers  la  mer. 
Le  bâtiment  sur  lequel  Louis  était  venu  dans  l'île  était  toujours  là,  l'at- 
tendant. Ils  montèrent  dessus  et  abordèrent  sans  encombre  au  continent. 
Pendant  le  trajet,  la  princesse  laissa  tomber  dans  la  mer  la  clef  de  son 
château,  sans  en  rien  dire  à  Louis'.  Le  vieillard  les  attendait  de  l'autre 
côté  de  l'eau. 

1  II  doit  y  avoir  plus  loin  une  lacune,  concernant  cette  clef  que  le  héros  du 
conte  doit  retrouver.  Dans  d'autres  versions ,  il  doit  aussi  apporter  le  palais  de 
la  princesse  devant  celui  du  roi,  et  même  aller  quérir  de  l'eau  de  la  vie  et  de 
l'eau  de  la  mort. 


—  8  — 

—  Eh  bien  !  mon  enfant,  demanda-t-il  à  Louis,  avez-vous  réussi  ? 

—  Oui,  grand-père,  grâce  à  vous,  cl  que  Dieu  vous  bénisse. 
Quand  la  princesse  arriva  à  la  cour,  le  vieux  roi  l'ut  tellement  charme 

de  sa  beauté  qu'il  voulut  l'épouser  sur-le-champ. 

—  Holà  !  dit-elle  alors,  je  ne  suis  pas  venue  ici  pour  un  vieux  barbon 
comme  vous,  ni  pour  cet  autre,  —  et  elle  montrait  le  faux  filleul,  — 
que  vous  croyez  être  votre  filleul,  et  qui  n'est  qu'un  démon!  Votre  vrai 
filleul ,  le  voici,  et  c'est  lui  qui  sera  mon  époux.  —  Et  elle  montrait  Louis. 
—  A  présent,  faites  chauffer  un  four,  et  qu'on  y  jette  ce  diable! 

Ce  qui  fut  fait.  Et  comme  le  démon,  autrement  le  faux  filleul ,  poussait 
des  cris  affreux  et  essayait  de  sortir  du  feu,  on  lit  venir  une  jeune 
femme  portant  son  premier  enfant,  et,  avec  son  anneau  de  mariage 
qu'elle  lui  présentait  à  l'ouverture  du  four,  quand  il  voulut  sortir,  elle 
le  força  d'y  rester.  Alors  il  s'écria  : 

—  Si  j'étais  resté  à  la  cour  un  an  seulement,  j'aurais  réduit  le 
royaume  à  un  état  désespéré! 

Louis  fut  alors  marié  ta  la  princesse  de  Tronkolaine,  et  il  remplaça 
sur  le  trône  le  vieux  roi,  son  parrain,  qui  n'avait  pas  d'enfants.  Il  fit 
venir  à  la  cour  son  vieux  père  et  sa  vieille  mère,  ainsi  que  ses  frères  et 
ses  sœurs,  qu'il  établit  tous  honorablement. 

Il  faut  remarquer  que  nos  conteurs  populaires,  lorsque  les  héros 
de  leurs  récits  deviennent  rois,  ce  qui  arrive  fréquemment,  ne 
manquent  jamais  de  leur  faire  appeler  à  la  cour  leur  vieux  père, 
leur  vieille  mère,  avec  leurs  frères  et  leurs  sœurs;  touchant 
exemple  d'amour  filial ,  de  leur  sympathie  et  de  leurs  bons  sen- 
timents pour  leurs  proches,  et  généralement  pour  tous  ceux  qui 
souffrent. 

Trégont-a-Baris,  de  mon  quatrième  rapport,  n'est  qu'une  version 
différente  de  ce  conte,  avec  des  variantes  curieuses.  La  Princesse 
de  Tréménézaour,  du  même  rapport,  s'en  rapproche  aussi,  sur 
quelques  points. 

LE  FILS  DU   PECHEUR   ET  LA  PRINCESSE  TOURNESOL. 

Un  pauvre  pêcheur,  qui  ne  prenait  presque  rien,  rencontra  un  jour, 
en  mer,  le  diable  qui  lui  dit  : 

—  Promets-moi  ce  que  ta  femme  porte  en  ce  moment,  et  jure  de  me 
l'apporter  ici,  dans  dix-huit  ans,  et  je  te  ferai  prendre  du  poisson  à  dis- 
crétion. 

Le  marché  lut  conclu.  La  femme  du  pêcheur  était  enceinte,  sans 
qu'il   I''  sut,   et  il   avait  ainsi   vendu  son   enfant  an  diable,  avant    sa   nais- 


—  y  — 

sauce.  Quand  le  lils  qui  lui   naquit  approcha  de  sa  dix-huitième  année, 
on  alla  consulter  un  vieux  moine.  Celui-ci  demanda  à  la  femme  : 

—  Vous  rappelez-vous  ce  que  vous  portiez  au  moment  où  votre  mari 
conclut  le  marché  fatal? 

—  Oui,  répondit-elle,  je  portais  un  fagot  que  j'avais  été  chercher  au 
bois. 

—  Avez- vous  encore  ce  fagot? 

—  Oui ,  il  doit  être  encore  sur  notre  grenier,  car  depuis  ce  jour-là 
le  bois  ne  nous  a  pas  manqué. 

—  C'est  bien,  tout  espoir  n'est  pas  perdu,  alors. 

Le  jour  du  rendez-vous  venu,  le  fagot  fut  trempé  dans  de  l'eau  bénite, 
et  le  jeune  homme  l'emporta  en  mer  sur  son  bateau.  Quand  le  diable  lui 
réclama  ce  qui  lui  était  dû,  il  le  lui  jeta  à  la  figure,  en  disant  : 

—  Tiens,  voilà  ce  qui  te  revient!  c'est  ce  que  ma  mère  portait  quand 
tu  fis  le  marché  avec  mon  père. 

Le  Malin,  trompé,  partit  en  poussant  un  cri  épouvantable,  et  sans 
reclamer  autre  chose.  Mais  le  fils  du  pêcheur  ne  put  retourner  au  ri- 
vage. Il  erra  quelque  temps  sur  la  mer,  et  aborda  enfin  dans  une  île. 
Dans  cette  ile,  il  y  avait  un  beau  château.  C'était  le  château  de  la  prin- 
cesse Tournesol.  Il  y  entra,  et  ne  vit  personne.  En  allant  de  chambre 
en  chambre,  il  finit  par  trouver  une  princesse  d'une  beauté  merveil- 
leuse, endormie  sur  un  lit  de  pourpre.  Il  lui  donna  un  baiser,  et  elle 
s'éveilla.  Elle  lui  dit  que,  pour  la  délivrer  de  ce  château,  où  elle  était 
enchantée,  il  lui  faudrait  souffrir,  pendant  trois  nuits  de  suite,  des  sup- 
plices inouïs.  Il  voulut  tenter  l'aventure.  Pendant  les  trois  nuits  qui  sui- 
virent, il  fut,  en  effet,  si  maltraité  par  des  démons  qui  arrivaient  dans 
sa  chambre,  à  minuit,  pour  ne  s'en  aller  qu'au  chant  du  coq,  qu'ils  le 
laissèrent  pour  mort,  à  chaque  fois.  Mais  la  princesse  le  ressuscitait  à 
chaque  fois  aussi ,  avec  un  onguent  merveilleux  qu'elle  possédait.  Quand 
il  fut  sorti  triomphant  des  trois  épreuves,  il  épousa  la  princesse.  Après 
être  resté  quelque  temps  avec  elle  dans  son  château ,  il  retourna  dans 
son  pays,  pour  voir  ses  parents,  et  la  princesse  lui  recommanda  de 
ne  dire  à  personne  qu'il  était  marié,  sous  peine  de  ne  plus  la  revoir. 
Mais  il  finit  par  livrer  son  secret.  Aussitôt  il  entendit  la  voix  de  sa 
femme  qui  lui  cria,  sans  qu'il  la  vît:  «  Hélas!  tu  m'as  désobéi,  malheureux  ! 
A  présent  tu  ne  me  reverras  plus.  Je  vais,  captive,  sur  la  montagne  de 
PennbœufC?),  bien  loin,  bien  loin  d'ici.»  Mais  il  jure  de  ne  se  reposer 
sous  aucun  toit,  ni  la  nuit,  ni  le  jour,  jusqu'à  ce  qu'il  l'ait  retrouvée,  et 
il  se  met  immédiatement  en  route.  Il  visite  successivement  trois  ermites , 
trois  frères,  vivant  dans  les  bois  et  éloignés  l'un  de  l'autre.  Le  premier 
ne  peut  lui  donner  aucun  renseignement  sur  la  montagne  de  Pennbœuf, 
mais  il  lui  donne  une  boule  qui  roule  d'elle-même  devant  lui  et  le  con- 
duit jusqu'au  second  ermite.  Celui-ci  non  plus  ne  sait  pas  où  est  la  mon. 


—   10  — 

Ligne  de  Pennbœuf.  Il  est  maître  sur  tous  les  animaux  à  poil,  et  il  les  in- 
terroge a  ce  sujet  :  aucun  d'eux  ne  connaît  la  montagne  en  question.  Cet 
ermite  lui  donne  alors,  comme  le  premier,  une  boule  pour  le  conduire 
cbez  son  autre  frère.  Celui-ci  est  maître  sur  tous  les  animaux  à  plumes. 
Il  les  convoque  tous.  L'aigle  sait  où  est  la  montagne  de  Pennbœuf ,  et  l'er- 
mite lui  ordonne  d'y  porter,  sur  son  dos,  le  voyageur,  après  avoir  donné 
à  celui-ci  un  manteau  qui  le  rendra  invisible ,  quand  il  le  mettra  à  l'envers. 
11  arrive  au  cbâteau,  au  moment  où  la  princesse  allait  épouser  le  géant 
qui  la  retenait  captive.  Grâce  à  son  manteau,  il  peut  pénétrer  jusqu'à  elle , 
et  la  l'aire  sortir  du  cbâteau,  sans  être  vu  de  personne,  puis  il  l'épousa. 

Ce  conte,  que  je  ne  fais  qu'analyser  succinctement,  semble 
appartenir  au  même  cycle  que  la  Princesse  de  Tronlwlainr , 
Trégont-à-Baris,  la  Princesse  aux  cheveux  d'or,  et  généralement 
tous  ceux  où  le  soleil  joue  un  rôle.  Le  premier  épisode,  celui  de  la 
vente  de  l'enfant  au  diable,  pourrait  bien  appartenir  à  une  autre 
fable. 


LE  POIRIER  AUX  POIRES   D'OR  ET  LE  CORPS   SANS  AME. 

Un  roi  a  dans  son  jardin  un  poirier  merveilleux  qui  produit  des  fruits 
d'or.  Mais  il  s'aperçoit  que,  depuis  quelque  temps,  une  poire  disparait 
ebaque  nuit  de  l'arbre.  Il  a  trois  fils.  L'aîné  passe,  le  premier,  une  nuit 
au  pied  du  poirier,  armé  d'un  arc,  pour  essayer  de  surprendre  le  voleur. 
Mais  il  s'endort,  et,  le  lendemain  matin,  il  manque  encore  une  poire. 
De  même  pour  le  second  lils,  qui  veut  surveiller  les  poires  d'or,  après  son 
aîné.  Le  cadet  tente  l'aventure,  à  son  tour,  et  il  ne  s'endort  pas.  Vers 
minuit,  par  un  beau  clair  de  lune,  le  ciel  s'obscurcit  tout  à  coup,  et  il 
voit  un  grand  oiseau ,  un  aigle  sans  doute ,  qui  descend  sur  l'arbre,  enlève 
un  fruit  et  s'envole  ensuite,  en  l'emportant  dans  son  bec.  Il  lui  décoebe 
une  flècbe.  L'oiseau  pousse  un  grand  cri  et  laisse  tomber  par  terre  la 
poire  d'or;  mais  il  disparait  néanmoins.  Le  lendemain  matin,  la  poire, 
fut  retrouvée ,  et  aux  gouttes  de  sang  répandues  sur  le  sol ,  on  put  suivre 
la  trace  du  voleur  jusqu'à  un  vieux  puits  d'une  profondeur  inconnue.  Les 
deux  lils  aînés  du  roi  descendirent  dans  le  puits,  l'un  après  l'autre;  mais, 
n'en  trouvant  pas  le  fond,  ils  eurent  peur,  et  se  firent  remonter.  Le 
cadet  entra  à  son  tour  dans  le  seau,  et  descendit,  descendit  pendant 
plusieurs  beures,  si  bien  que  les  cordes  faillirent  manquer.  A  force  de 
descendre,  il  finit  par  arriver  dans  un  autre  monde,  où  tout  était  diffé- 
rent de  ce  qui  se  voit  dans  le  nôtre.  II  se  trouva  au  milieu  d'un  bois,  et 
vit  venir  à  lui  une  vieille  femme,  qui  lui  demanda  où  il  allait. 

—  Je  cherche,  répondit-il,  le  voleur  des  poires  d'or  de  mon  père. 


—  11  — 

—  C'est  mon  lils,  dit  la  vieille,  mais  ne  croyez  pas  qu'il  soit  facile 
de  le  prendre;  vous  le  verrez  dans  un  château  que  vous  trouverez  bien- 
tôt. 

Le  cadet  suivit  une  grande  avenue  de  vieux  chênes ,  et  se  trouva  en 
ellet,  sans  tarder,  devant  un  château  aux  murs  d'acier.  Au-dessus  de  la 
porte  de  la  cour,  il  vit  l'aigle  qu'il  avait  blessé,  triste,  et  paraissant  ma- 
lade. Dès  que  l'oiseau  l'aperçut,  il  s'envola,  en  poussant  un  grand  cri.  Le 
cadet  pénétra  dans  la  cour  du  château,  et  une  belle  demoiselle  vint  à  sa 
rencontre  et  lui  dit  qu'elle  était  fdle  du  roi  d'Espagne  et  qu'elle  avait  deux 
autres  sœurs,  plus  belles  qu'elle,  et,  comme  elle,  retenues  enchantées,  depuis 
plus  de  cinq  cents  ans,  par  l'aigle,  qui  était  un  grand  magicien.  L'une 
de  ses  sœurs  demeurait  plus  loin,  dans  un  château  d'argent,  et  l'autre, 
plus  loin  encore,  dans  un  château  d'or.  S'il  pouvait  tuer  l'aigle,  il  les 
délivrerait  toutes  les  trois,  et  il  pourrait  alors  épouser  celle  qui  lui  plai- 
rait le  plus.  Puis  elle  le  conduisit  jusqu'au  château  d'argent.  L'aigle 
y  était  encore,  perché  au-dessus  de  la  porte  de  la  cour,  et,  en  les 
voyant,  il  poussa  un  cri  effrayant  et  s'envola  plus  loin,  vers  le  château 
d'or.  Les  deux  sœurs  accompagnèrent  le  cadet  jusqu'au  château  d'or. 
L'aigle  y  était  perché  sur  la  plus  haute  tour,  et,  dès  qu'il  les  aperçut, 
il  s'envola  encore  plus  loin,  en  poussant  un  cri  épouvantable.  Les  deux 
princesses  du  château  d'argent  et  du  château  d'acier  s'en  retournèrent 
alors  chez  elles,  et  le  cadet  pénétra  seul  dans  la  cour  du  troisième  châ- 
teau, qui  était  tout  d'or.  Une  princesse,  plus  belle  que  les  deux  autres, 
vint  à  sa  rencontre.  Elle  lui  donna  une  épée  enchantée,  qui  appartenait 
au  magicien  et  dans  laquelle  résidait  toute  sa  puissance,  et  lui  dit  d'aller 
se  placer  au  milieu  de  la  cour  du  château,  de  tenir  la  pointe  de  l'épée 
en  l'air,  et  l'aigle  viendrait  planer  au-dessus  et  continuerait  de  des- 
cendre, en  tournant  et  en  rétrécissant  toujours  les  cercles,  jusqu'à  ce 
qu'il  tombât  sur  la  pointe  de  l'épée,  et  aussitôt  il  se  changerait  en 
homme  et  perdrait  tout  son  pouvoir. 

Le  cadet  se  conforma  de  point  en  point  aux  instructions  de  la  prin- 
cesse, et  tout  se  passa  comme  elle  le  lui  avait  prédit.  .  .  Il  retourna  à 
l'ouverture  du  puits,  avec  les  trois  princesses,  et  tira  la  corde  d'une 
petite  cloche  qui  avait  été  suspendue  au-dessus  de  l'ouverture  supérieure, 
donnant  ainsi  à  entendre  qu'il  voulait  remonter.  Les  trois  princesses  en- 
trèrent d'abord  dans  le  seau,  l'une  après  l'autre,  et  furent  retirées  du  puits, 
et  les  deux  princes  aînés  se  les  disputèrent;  puis  ils  coupèrent  la  corde 
et  laissèrent  leur  frère  au  fond  du  puits.  Mais  le  cadet  avait  retenu  une 
des  pantoufles  de  chacune  des  trois  princesses,  une  d'acier,  une  d'argent 
et  une  d'or.  Ses  deux  frères  voulaient  se  marier,  tout  de  suite ,  l'un  avec 
la  princesse  du  château  d'or,  l'autre  avec  la  princesse  du-chàteau  d'argent. 
Les  princesses  dirent  qu'elles  ne  se  marieraient  que  lorsqu'on  leur  au- 
rait procuré  des  pantoufles  semblables  à  celles  dont  elles  avaient  déjà 


—    12  — 

chac une  seulement    Mais  laissons-les .  un  moment,  et  retournons  au 

cadet. 

La  vieille  femme,  la  mère  de  l'aigle,  vinl  à  lui,  et  lui  dit  : 

—  Rends  son  épee  à  mon  fils  (car  il  ne  s'était  pas  dessaisi  de  l'épée 
enchantée),  et  il  te  fera  sortir  d'ici,  et  te    ramènera  dans  ton  pays. 

Il  rendit  l'épée,  à  cette  condition,  et  l'aigle  le  prit  alors  sur  son  dos, 
et,  s'élevant  avec  lui  dans  le  puits,  il  le  ramena  à  l'ouverture  supérieure. 
Puis,  avant  de  s'en  retourner,  il  lui  dit  de  lui  arracher  une  plume  de  la 
queue,  de  l'emporter  et  de  l'approcher  du  feu  chaque  fois  qu'il  aurait 
besoin  de  secours,  et  il  arriverait  aussitôt.  Le  cadet  arracha  une  plume 
à  la  queue  de  l'aigle  et  l'emporta.  Puis  il  entra  dans  la  ville,  vêtu  comme 
un  mendiant.  11  logea  chez  un  maréchal  ferrant.  Il  s'enquit  des  nou- 
velles de  la  ville;  on  lui  dit  qu'il  n'était  bruit,  pour  le  moment, 
que  des  deux,  fils  aînés  du  roi,  qui  avaient  conquis  sur  un  enchanteur 
des  princesses  d'une  beauté  merveilleuse  avec  lesquelles  ils  étaient  sur 
le  point  de  se  marier;  mais  les  princesses  y  mettaient  pour  condition 
qu'on  leur  procurât,  auparavant,  des  pantoufles  semblables  à  celles 
dont  elles  avaient  déjeà  chacune  une  seulement,  et  on  ne  trouvait  nulle 
pari  d'ouvrier  capable  d'exécuter  un  pareil  travail. 

Le  cadet  livra  au  maréchal  les  trois  pantoufles,  l'une  après  l'autre,  et 
lui  dit  de  se  présenter  avec  elles  à  la  cour,  comme  étant  lui-même  l'ou- 
vrier qui  les  avait  fabriquées  ,  et  de  demander  dix  nulle  écus  decellequi 
était  d'acier,  vingt  mille  de  celle  qui  était  d'argent,  et  trente  mille  de  celle 
qui  était  d'or.  Mais  les  princesses,  ayant  reconnu  leurs  pantoufles,  firent 
rechercher  celui  qui  les  avait  livrées  au  maréchal,  et  le  cadet  fut  amené 
à  la  cour  et  reconnu  par  elles.  Alors  les  trois  princes  épousèrent  chacun 
une  des  trois  princesses,  le  cadet  ne  voulant  tirer  aucune  vengeance 
de  la  trahison  de  ses  frères,  et  il  y  eut  de  grandes  réjouissances  et  de 
grands  festins. 

Le  conte  semble  terminé  ici,  quoiqu'il  présente  des  lacunes. 
Ainsi  le  héros  ne  fait  aucun  usage,  ni  jusqu'ici,  ni  plus  tard,  de  la 
plume  qu'il  a  arrachée  à  la  queue  de  l'aigle.  Ce  qui  suit  est  une 
autre  fable,  et  c'est,  sans  doute,  arbitrairement  et  uniquement 
pour  allonger  son  récit  et  en  augmenter  l'intérêt,  que  le  conteur 
l'a  ajoutée  à  la  première.  Je  crois  pourtant  devoir  donner  le  récit 
de  mon  conteur  dans  toute  son  étendue,  et  tel  qu'il  me  fa  pré- 
senté, pour  rester  fidèle  à  mon   rôle  de  collecteur  exact  et  cons- 


L'aigle  avait  aussi  recommandé  au  cadet  de  prendre  garde  au  Corps 
suis  âme,  qui  pouvait  encore  lui  enlever  sa  femme.  Et  en  effet,  comme 


il  était  un  jour  avec  elle  en  voyage,  elle  lui  fut  soudainement  enlevée 
dans  un  tourbillon  '.  Il  se  rappela  la  recommandation  de  l'aigle  et  se 
dit  :  «  C'est  le  Corps  sans  âme  qui  me  l'a  enlevée  !  Je  ne  cesserai  de  voyager, 
ni  de  nuit  ni  de  jour,  que  je  ne  l'aie  retrouvée.  »  Et  il  se  mit  en  route  sur- 
le-champ.  Surpris  par  la  nuit  dans  une  forêt,  il  monta  sur  un  arbre,  pour 
attendre  le  jour.  Trois  personnages  vinrent  se  reposer  sous  le  même 
arbre.  Un  d'eux  avait  un  chapeau  qui,  mis  d'une  certaine  manière,  ren- 
dait invisible  celui  qui  le  portait,  le  second  avait  des  guêtres  avec  lesquelles 
il  pouvait  faire  cent  lieues  à  chaque  pas,  et  le  troisième  avait  un  arc  avec 
lequel  il  atteignait  tout  ce  qu'il  visait.  Il  les  avait  entendus  se  faire  ces  con- 
fidences, et,  quand  il  les  vit  bien  endormis,  il  descendit  tout  doucement 
de  son  arbre,  s'empara  du  chapeau,  des  guêtres  et  de  l'arc,  et  partit 
alors.  11  allait  vite  à  présent.  Il  rencontra  sur  une  grande  lande  une 
vieille  femme  qui  lui  demanda  : 

—  Où  vas-tu,  ver  de  terre? 

—  Je  cherche  le  château  du  Corps  sans  âme ,  qui  m'a  enlevé  ma  femme, 
grand'mère. 

—  Eh  bien!  tu  n'en  es  plus  bien  loin;  tu  le  verras  sans  tarder  sur  le 
rivage  de  la  mer;  mais  il  n'est  pas  facile  d'y  pénétrer.  Tous  les  matins, 
quand  le  maître  du  château  se  lève ,  il  lance  du  feu  au  loin  par  les  trois  fe- 
nêtres de  sa  chambre,  et  tout  est  brûlé,  jusqu'aux  pierres  mêmes,  dans 
les  environs. 

Le  cadet  met  son  chapeau  de  manière  à  n'être  pas  visible,  et  il  pé- 
nètre facilement  dans  le  château.  C'était  le  soir.  Le  géant  était  à  table, 
avec  la  princesse.  Après  le  repas ,  chacun  d'eux  se  retira  dans  sa  chambre. 
Le  cadet  suivit  sa  femme  dans  la  sienne,  sans  être  vu,  puis  ayant  changé 
de  façon  de  mettre  son  chapeau,  il  redevint  visible.  Grand  fut  l'étonne- 
ment  de  sa  femme  de  le  voir  auprès  d'elle.  Elle  sut  s'y  prendre  de  ma- 
nière à  faire  dire  au  géant,  le  lendemain  matin,  pendant  le  déjeuner, 
où  résidait  son  âme. 

—  11  y  a,  dit-il,  dans  le  bois  qui  entoure  le  château,  une  caverne 
avec  une  porte  de  fer,  dont  j'ai  toujours  la  clef  suspendue  à  mon  cou  par 
une  cbaîne  d'or.  Dans  cette  caverne  il  y  a  un  lion,  dans  le  lion,  un  loup, 
dans  le  loup,  un  lièvre,  dans  le  lièvre,  une  colombe ,  et  enfin  dans  la  co- 
lombe, un  œuf,  et  dans  cet  œuf  est  ma  vie.  Il  faudrait  tenir  l'œuf,  après 
avoir  tué  tous  ces  animaux  renfermés  les  uns  dans  les  autres,  et  mêle 
briser  sur  le  front,  et  je  mourrais  sur-le-champ.  Mais  tout  cela  est  im- 
possible à  un  bomme ,  et  je  suis  bien  tranquille  de  ce  côté. 


1  Nos  paysans  bretons  croient  encore  que  dans  un  tourbillon,  qu'ils  appellent 
korf-choue:,  c'est-à-dire  corps  rempli  de  venl ,  il  y  a  toujours  un  géant,  et  qu'il  est 
possible  de  le  tuer  et  d'arrêter  ses  ravages,  en  lui  lançant  adroitement  une 
faucille  ou  une  cognée. 


—   14  — 

Le  cadet,  qui  était  là,  invisible,  entendit  tout.  Sa  femme  s'empara 
delà  clef  d'or,  pendant  que  le  géant  dormait,  et  la  lui  remit.  Il  se  rendit 
alors  au  bois ,  ouvrit  la  caverne,  tua  successivement,  avec  son  arc,  le  lion,  le 
loup,  le  lièvre,  la  colombe,  s'empara  de  l'œuf  et  revint  avec  lui  au  château. 
Il  le  brisa  sur  le  front  du  géant,  qui  était  étendu  sur  son  lit,  bien  malade 
déjà  et  affaibli  graduellement  par  la  mort  de  chaque  animal,  et  le  monstre 
expira  sur-le-champ,  et  le  château  lui-même  disparut,  avec  son  maître, 
dans  le  puits  de  l'enfer! 

Le  cadet  et  sa  femme  n'eurent  aucun  mal ,  et  ils  retournèrent  alors 
dans  leur  pays  '. 

Ce  conte  semble  composé  par  le  mélange  de  deux  ou  trois  autres 
contes,  que  Ton  trouve  séparément  ailleurs,  par  exemple  les  trois 
récits  que  l'on  peut  lire  dans  le  recueil  de  M.  Alex.  Chodzko, 
Contes  des  paysans  et  des  pâtres  slaves,  sous  les  titres  de  :  l'oiseau 
Ohnivak,  l'Esprit  des  steppes  et  le  Tapis  volant.  Le  géant  Kostey,  de 
l'Esprit  des  steppes,  est  un  Corps  sans  âme.  Comme  dans  le  conte 
breton,  sa  vie  est  dans  un  œuf  qu'on  ne  peut  se  procurer  qu'en 
tuant  successivement  plusieurs  animaux  renfermés  les  uns  clans  les 
autres.  Voici  comment  la  vieille  Yaga  ou  sorcière  du  conte  slave 
donne  ses  instructions  au  prince  Junak,  pour  triompher  du  géant 
Kostey,  qui  a  enlevé  la  princesse  Merveille  :  «Prince  Junak,  tu 
as  entrepris  une  chose  bien  difficile;  mais  ton  courage  te  servira  à 
accomplir  ton  dessein.  Je  vais  t'indiquer  le  moyen  de  faire  périr 
Kostey,  car  sans  cela  tu  ne  parviendrais  à  rien.  Sache  donc  qu'au 
milieu  de  l'Océan  se  trouve  file  de  la  vie  éternelle.  Sur  celte  île 
est  planté  un  chêne,  au  pied  duquel  tu  trouveras  enfoui  sous  terre 
un  coffre  bardé  de  fer.  Dans  ce  coffre  est  enfermé  un  lièvre;  sous 
ce  lièvre  se  cache  un  canard  gris,  dont  le  corps  renferme  un  œuf: 
c'est  dans  cet  œuf  que  réside  la  vie  de  Kostey.  Une  fois  l'œuf  cassé, 
Kostey  est  mort!  Adieu,  prince  Junak,  pars  sans  tarder,  ton  cour- 
sier le  conduira  à  destination.  ■ 

Dans  les  Traditions  populaires  des  Gaëls  d'Ecosse,  recueillies  par 
F.-J.  Campbell,  je  trouve  également  un  Corps  sans  came,  dans  le 
conte  qui  porte  le  titre  de  :  le  jeune  roid'Easaidh  Ruadh.  Là,  comme 
dans  les  contes  bretons  et  slaves,  il  y  a  un  géant  dont  la  vie  réside 
dans  un  œuf,  qu'il  faut  chercher  dans  le  corps  d'un  canard2. 

1  J'ai  déjà  donné  une  autre  version  de  ce  dernier  conte  dans  mon  premier 
rapport ,  sous  le  titre:  le  Corps  sans  âme. 

'  Consulter,  sur  l'ouvrage  de   M    Campbell,  un    travail  fort   intéressant  de 


—  15  — 

Le  résumé  rapide,  qui  va  suivre,  du  conte  slave  l'oiseau  Ohnivak, 
montrera  clairement  que  la  fable,  les  ressorts,  l'esprit  et  la  marche 
générale  du  récit  y  sont  les  mêmes  que  dans  le  conte  breton. 

Dans  le  conte  slave,  comme  dans  le  conte  breton,  un  roi  a  dans 
son  jardin  un  pommier1  qui  produit  des  fruits  d'or,  et,  chaque 
nuit,  il  en  disparaît  un.  Ce  roi  a  aussi  trois  fils,  qui  passent  suc- 
cessivement chacun  une  nuit  au  pied  de  l'arbre,  afin  de  surprendre 
le  voleur.  Les  deux  aînés  s'endorment  et  laissent  enlever  les  pommes , 
comme  à  l'ordinaire.  Le  cadet,  lui,  quand  son  tour  arrive,  ne  s'en- 
dort pas,  et  il  atteint  d'une  flèche  le  voleur,  l'oiseau  Ohnivak,  qui 
laisse  tomber  par  terre  la  pomme  qu'il  emportait  dans  son  bec, 
avec  une  plume  de  sa  queue.  Cette  plume  servit  au  roi,  dans  la 
suite,  pour  éclairer  son  palais,  la  nuit,  car  elle  brillait  dans  l'ob- 
scurité comme  un  véritable  flambeau.  — Dans  un  de  mes  contes, 
la  Princesse  de  Tréménézaour,  il  y  a  aussi  une  plume  lumineuse 
qui  éclaire  le  palais  d'un  roi.  —  Le  roi  du  conte  slave  est  pris 
d'un  tel  désir  de  posséder  l'oiseau  à  qui  appartient  la  plume  mer- 
veilleuse, qu'il  en  tombe  malade.  Dans  un  autre  conte  breton,  il 
y  a  également  un  roi  atteint  d'une  maladie  que  la  vue  de  Y  oiseau 
de  la  vérité  peut  seule  guérir.  —  Les  trois  fils  du  roi  se  mettent 
en  route  à  la  recherche  de  l'oiseau  Ohnivak ,  car  la  couronne  est 
promise  à  celui  qui  l'apportera  à  son  père.  Chacun  d'eux  prend 
une  direction  différente.  Les  deux  aînés  désobligent  un  renard, 
qui  vient  leur  demander  quelques  miettes  de  pain  ,  pendant  qu'ils 
se  reposent  et  mangent  un  morceau,  sur  la  lisière  d'un  bois.  Le 
cadet,  au  contraire,  accueille  bien  le  renard  et  partage  avec  lui 
son  frugal  repas.  L'animal  reconnaissant  lui  promet  aide  et  protec- 
tion, dans  le  besoin.  —  Cet  épisode  du  renard  se  trouve  encore 
dans  un  conte  breton. 

L'oiseau  Ohnivak,  lui  dit  le  renard,  est  dans  un  palais  de  cuivre, 
et  près  de  lui  sont  deux  cages ,  une  d'or,  et  l'autre  de  bois.  C'est  dans 
la  cage  de  bois  qu'il  faut  le  mettre  pour  pouvoir  l'emporter,  —  con- 
dition qui  se  trouve  aussi  dans  le  conte  breton  l'Oiseau  de  la  vérité. 

M.  E.  Morin,  professeur  d'histoire  de  la  faculté  des  lettres  de  Rennes,  portant 
le  titre  suivant  :  Remarques  sur  les  contes  et  les  traditions  populaires  des  Gacls  de 
l'Ecosse  occidentale,  d'après  la  récente  publication  de  M.  F.-J.  Campbell.  —  Edin- 
burgh,  Edmonston  and  Douglas.  4  vol.  in-12,  1860-62. 

1  Je  soupçonne  le  conteur  breton  d'avoir,  de  sa  propre  autorité,  substitué 
un  poirier  au  pommier  du  conte  slave. 


—  16  — 
—  Le  cadet  du  conte  slave  met  l'oiseau  Ohnivak,  endormi,  dans  la 
cage  d'or,  et  aussitôt  il  s'éveille  et  tous  les  autres  oiseaux  qui  se 
trouvent  par  là,  et  qui  dormaient,  s'éveillent  aussi  et  font  un  tel 
bruit  que  des  valets  accourent,  arrêtent  le  voleur  et  le  conduisent 
devant  le  roi.  «Voleur!  lui  dit  celui-ci.  —  Je  ne  suis  pas  un  vo- 
leur, répond  le  cadet,  mais  je  viens  ici  chercher  celui  qui  a  volé 
mon  père,  et  qui  est  chez  vous.  »  Le  roi  promet  de  lui  livrer  l'oi- 
seau Ohnivak,  à  la  condition  qu'il  lui  amènera  à  sa  cour  le  cheval 
à  la  crinière  d'or.  Le  renard  vient  encore  au  secours  du  cadet,  bien 
qu'il  lui  ait  désobéi,  et  il  le  conduit  devant  le  château  d'argent 
où  se  trouve  le  cheval  à  la  crinière  d'or.  Près  du  cheval,  dans  son 
écurie,  sont  suspendues  à  des  clous  deux  brides,  l'une  d'or  et 
l'autre  de  cuir.  C'est  la  bride  de  cuir  qu'il  faut  lui  mettre  en  tète, 
pour  pouvoir  l'emmener.  Malheureusement,  le  cadet  lui  met  la 
bride  d'or,  et  il  est  encore  pris  et  conduit  devant  le  roi,  à  qui  il 
raconte  toutes  ses  aventures,  depuis  le  commencement.  —  Cet 
épisode  du  cheval  à  qui  il  faut  mettre  une  bride  de  cuir  ou  de 
chanvre,  et  non  d'or,  se  trouve  encore  dans  les  contes  bretons, 
ainsi  que  les  châteaux  de  cuivre,  d'argent  et  d'or,  où  le  prince 
slave  doit  accomplir  ses  trois  épreuves. 

Le  roi  du  château  d'argent  promet  au  cadet  de  lui  livrer  le 
cheval  à  la  crinière  d'or,  à  la  condition  qu'il  lui  amènera  à  sa 
cour  la  vierge  aux  cheveux  d'or. 

Le  renard  le  conduit  alors  au  bord  de  la  mer  Noire,  et,  lui 
montrant  le  château,  il  lui  dit:  «C'est  là  qu'est  la  Vierge  aux 
cheveux  d'or.  Mais  elles  sont  trois  sœurs,  et  on  te  les  amènera 
toutes  les  trois  dans  une  salle,  la  tête  couverte  d'un  voile,  qui 
cachera  bien  leurs  cheveux,  et  on  le  dira  de  choisir.  Choisis  celle 
qui  sera  le  plus  simplement  vêtue.  » 

Il  suivit,  cette  fois,  le  conseil  du  renard  et  choisit  la  plus  sim- 
pleménl  vêtue  des  trois  princesses,  et  qui  était  la  Vierge  aux  che- 
veux d'or.  On  lui  dit  alors  qu'il  lui  fallait  tenter  l'épreuve  une 
seconde  fois,  et  on  lui  présenta  encore,  le  lendemain,  les  trois 
princesses  voilées  et  vêtues  absolument  de  la  même  manière. 
Mais  la  princesse  aux  cheveux  d'or  avait  trouvé  moyen  de  lui  dire, 
avant  l'épreuve,  qu'il  pourrait  la  reconnaître  à  une  mouche  qui 
viendrai!  voltiger  autour  de  sa  tête;  et  il  réussit  encore. 

Gel  épisode  du  choix  entre  trois  princesses  voilées,  OU  se 
trou  van  1  dans  une  salle  obscure,  et  le  moyen  employé  pour  recon- 


—   17  — 

naître  celle  que  l'on  désire,  est  pareillement  dans  les  contes 
bretons. 

Le  cadet  ayant  encore  réussi  dans  la  seconde  épreuve,  on  lui 
en  proposa  une  troisième  et  dernière.  Il  fallait,  avec  un  tamis 
qu'on  lui  donna,  épuiser  toute  l'eau  d'un  grand  vivier.  La  Vierge 
aux  cheveux  d'or  vint  à  son  secours,  comme  la  veille ,  et  il  réussit 
encore. 

Alors  il  emmena  avec  lui  la  Vierge  aux  cheveux  d'or.  Mais  il  lui 
était  bien  désagréable  délivrer  une  si  belle  princesse  au  roi  du  châ- 
teau d'argent.  Le  renard  le  comprit  et,  s'étant  métamorphosé  en 
une  belle  princesse,  en  tout  semblable  à  la  Vierge  aux  cheveux 
d'or,  le  roi  du  château  d'argent  l'épousa,  sans  se  douter  de  rien. 
Mais,  le  jour  même  des  noces,  l'animal  reprit  soudainement  sa 
forme  naturelle,  et  partit.  Le  cadet  prit  alors  le  chemin  de  chez 
son  père,  tout  fier  d'emmener  avec  lui  une  si  belle  princesse, 
sur  un  beau  cheval  à  la  crinière  d'or,  et  de  plus,  l'oiseau  Ohnivak. 

Les  trois  frères  arrivent  au  rendez-vous  qu'ils  s'étaient  assigné, 
au  bout  d'un  an  et  un  jour.  Les  deux  aînés,  jaloux  de  voir  comme 
leur  cadet  avait  réussi,  le  mettent  à  mort,  et  se  présentent 
devant  leur  père  avec  l'oiseau,  le  cheval  et  la  princesse,  dont  ils 
se  disent  les  conquérants,  au  prix  de  beaucoup  de  peine  et  de 
prouesses.  Ils  lui  disent  aussi  que  leur  frère  cadet  a  péri  dans 
l'entreprise. 

Cependant  le  renard  ressuscite  le  cadet,  avec  de  l'eau  de  la  vie, 
que  lui  apporte  un  corbeau.  Il  se  présente  chez  son  père,  habillé 
en  paysan,  pour  demander  un  emploi.  Il  est  pris  comme  valet 
d'écurie.  Le  cheval  à  la  crinière  d'or  était  tout  triste,  et  ne 
mangeait  pas,  l'oiseau  aussi  était  triste  et  ne  mangeait  ni  ne  chan- 
tait, et  la  princesse  aux  cheveux  d'or  ne  faisait  que  pleurer;  enfin 
le  vieux  roi  était  plus  malade  que  jamais.  A  l'arrivée  du  cadet,  le 
cheval  hennit  dej oie,  l'oiseau  chanta,  la  princesse  cessa  de  pleurer 
et  le  vieux  roi  guérit  soudainement.  Tout  fut  alors  dévoilé.  Les 
deux  princes  aînés  furent  condamnés  à  mourir,  et  le  cadet  épousa 
la  Princesse  aux  cheveux  d'or. 

Il  n'y  a  pas  un  épisode  dans  ce  conte,  ni  un  agent  merveilleux, 
comme  du  reste  dans  presque  tous  les  contes  du  recueil  de 
M.  Alexandre  Chodzko,  qui  ne  se  retrouve  dans  nos  contes  bre- 
tons, mais  dispersés  de  tous  les  côtés  dans  plusieurs  fables.  Cela 
provient  et  du  caprice  des  conteurs,  qui,  voulant  toujours  allonger 

4 


—  18  — 
leurs  récits.  \  mêlent  des  éléments  et  des  épisodes  étrangers  à  la 
fable  première;  et  aussi  des  fortunes  diverses  subies  par  ces  tradi- 
tions orales ,  dans  leurs  longues  migrations  à  travers  les  âges  et  les 
différents  pays  qu'elles  ont  traversés  avant  d'arriver  jusqu'à  nous. 
Si  les  récits  contenus  dans  différents  recueils,  publiés  en  France, 
en  Allemagne  et  ailleurs,  paraissent  plus  réguliers,  plus  complots 
et  moins  mélangés  que  mes  versions  bretonnes,  c'est  que  les  édi- 
teurs y  sont  intervenus,  assez  souvent,  pour  une  bonne  part. 
Avant  de  les  présenter  au  public,  ils  les  ont  soumis  à  un  examen 
et  à  un  travail  critiques,  comparant,  retranchant',  ajoutant  et 
comblant  les  lacunes,  à  l'aide  de  versions  différentes,  sans  pour- 
tant toucher  au  fond  ni  modifier  la  fable,  ou  le  moins  possible, 
si  cela  leur  est  arrivé  parfois.  Quant  à  moi,  je  le  répète,  je  me 
suis  rigoureusement  interdit  toute  participation  de  ce  genre,  bor- 
nant mon  rôle  à  fournir  aux  savants  et  aux  critiques  des  maté- 
riaux, mélanges  et  incohérents  il  est  vrai,  et  tels  qu'ils  sortent  de 
la  mine  populaire,  mais  dans  lesquels  ils  peuvent  avoir  toute  con- 
fiance quant  à  l'authenticité  de  la  provenance  et  à  l'exactitude 
de  la  reproduction, 

LE    CAPITAINE    LIXUK    ET    I.A    SANTIR1NE1. 

Un  vieux  gentilhomme  breton  vivait  tranquillement  dans  son  château, 
avec  ses  trois  filles.  Sa  femme  était  morte  et  il  n'avait  pas  de  lils.  Voilà 
qu'une  lettre  lui  arrive  tout  à  coup  de  la  part  de  son  roi,  qui  lui  dit 
d'envoyer  son  fils  aine  pour  le  servir,  ou  de  venir  lui-même,  s  il  n'a  pas 
de  fils  en  état  de  porter  les  armes.  La  pins  jeune  de  ses  trois  filles 
s'habille  en  homme,  monte  à  cheval  et  se  rend  à  la  cour,  où  elle  se 
présente  comme  le  lils  aine  du  vieux  seigneur.  Le  roi,  charmé  de  sa 
bonne  mine,  la  nomme  capitaine  tout  de  suite  et  lui  donne  une  compa- 
gnie. On  l'appelle  le  capitaine  Lixur. 

La  reine  le  remarque  à  une  revue,  et  demande  au  roi  de  le  lui  donner 
pour  pige.  Le  roi  y  consent,  et,  à  partir  de  ce  moment,  le  beau  capi- 
taine Lixur  dut  suivre  partout  la  reine.  Celle-ci  était  amoureuse  de  son 
page;  mais  à  toutes  ses  œillades,  à  toutes  ses  avances,  le  page  restait  insen- 
sible,  si  bien  qu'elle  en  fut  profondément  blessée  et  jura  de  se  venger 
île  l'indifférence  qu'il  lui  témoignait.  Elle  l'envoya  d'abord  pour  tuer 
un  sanglier,  un  animal  liès-redoiilable,  qui  était  dans  un  bois  voisin, 
lue   vieille  femme,  une   fée,  vint   en   aide  an   capitaine    Lixur,    lui    en- 

1  Saniirinr  est  une  altération  «lu  mol  Satyre 


—   19  — 

seigna  comment  il  devait  s'y  prendre  pour  combattre  le  sanglier,  et  il 
en  vint  facilement  à  bout.  La  reine  l'envoya  alors  pour  s'emparer  d'une 
licorne,  animal  plus  terrible  encore  et  rpii  transperçait  neuf  troncs  de 
chênes  de  rang  avec  sa  corne  unique.  Mais,  grâce  au  secours  de  la  fée, 
il  prit  aussi  la  licorne  el  lui  coupa  sa  corne.  Il  reçut  l'ordre  alors  de 
prendre  la  Santirine  et  de  l'amener  captive  à  la  cour,  sous  peine  de 
mort.  La  Santirine  habitait  une  caverne,  dans  an  bois,  et  son  baleine 
et  son  regard  donnaient  la  mort,  à  une  grande  distance.  La  fée  vint 
encore  à  son  secours  et  il  prit  la  Santirine,  lui  passa  une  corde  au  cou 
et  l'amena  à  la  cour,  douce  comme  un  agneau,  au  grand  étonnement 
de  tout  le  monde.  Chemin  faisant,  ils  rencontrèrent  le  convoi  d'un 
enfant  qu'on  portait  en  terre.  Tout  le  monde  pleurait,  à  l'exception  du 
bedeau,  qui  chantait  devant  le  cercueil.  La  Santirine  se  mit  à  rire.  Plus 
loin  ,  ils  passèrent  dans  un  village  où  l'on  était  occupé  à  pendre  un  bri- 
gand,  et  tous  les  assistants  étaient  contents  et  joyeux  d'être  délivrés  d'un 
homme  si  redoutable.  La  Santirine  se  mit  à  pleurer.  Plus  loin  encore, 
en  passant  au  bord  de  la  mer,  ils  virent  un  navire  en  perdition.  Tout  le 
monde,  sur  le  rivage,  était  dans  la  désolation.  La  Santirine  riait.  Enfin, 
quand  ils  entrèrent  dans  la  cour  du  palais  du  rci,  tout  le  monde  était 
aux  fenêtres,  pour  les  voir.  La  Santirine  leva  la  tète,  et,  apercevant  la 
reine  à  un  balcon,  avec  deux  suivantes,  elle  rit  encore. 

La  Santirine  ne  pouvait  être  prise  et  domptée  que  par  une  jeune  fille, 
et  elle  disait  la  vérité  à  chacun.  Le  roi  et  la  reine  voulurent  l'entendre, 
parler  et  dire  des  vérités.  Le  capitaine  Lixur  l'amena  au  milieu  de  la 
cour  du  palais.  Le  roi  était  à  un  balcon  avec  ses  ministres  et  ses  géné- 
raux; la  reine  et  ses  deux  suivantes  favorites  étaient  à  un  autre  balcon, 
et  les  valets  et  autres  domestiques  étaient  en  bas,  dans  la  cour.  Le  capi- 
taine Lixur  commença  d'interroger  la  Santirine  et  lui  demanda  d'abord 
pourquoi  elle  avait  ri  lorsque  ,  en  venant  à  la  cour,  ils  rencontrèrent  le 
convoi  d'un  enfant  que  l'on  portait  en  terre,  et  où  tout  le  monde  était 
triste  et  pleurait.  «Je  n'ai  pu  m' empêcher  de  rire ,  répondit-elle,  en 
voyant  le  vrai  père,  le  bedeau,  qui  chantait  devant,  et  celui  qui  n'était 
pour  rien  dans  la  naissance  de  l'enfant,  et  qui  s'en  croyait  le  père,  qui 
pleurait  par  derrière!  »  Tout  le  monde  rit  à  cette  réponse. 

Le  capitaine  Lixur  reprit  :  «  Et  un  peu  plus  loin ,  dans  le  village 
où  l'on  pendait  un  brigand  quand  nous  passâmes ,  pourquoi  vous  ètes- 
vousmise  à  pleurer,  tandis  que  tout  le  monde  était  content  et  joyeux?  »  La 
Santirine  répondit  :  a  Parce  que  ce  brigand  mourait  en  état  de  péché 
mortel,  et  que  je  voyais  sur  la  potence  un  démon  qui  guettait  son  âme, 
pour  l'emporter  dans  l'enfer.  —  Et  en  voyant  un  navire  en  perdition, 
pourquoi  avez-vous  ri,  pendant  que  tout  le  monde  pleurait?  demanda 
encore  le  capitaine  Lixur.  —  Parce  que,  répondit  la  Santirine,  tous 
ceux  qui  étaient  sur  ce  navire   mouraient  en  état  de  grâce,  el  que  je 


—  20   — 

voyais  au-dessus  de  chacun  d  eux  un  ange  qui  lui  tendait  les  bras,  pour 
l'emmener  en  paradis.  » 

Le  roi  prit  alors  la  parole  et,  s'adressant  à  la  Santirine  :  «Et  pour- 
quoi avez-vous  ri  aussi,  Sandrine,  en  regardant  la  reine  à  son  balcon, 
quand  vous  êtes  entrée  dans  la  cour  du  palais?  >> 

Et  la  Santirine  répondit  :  «Je  dirai  la  vérité  jusqu'au  bout,  tant 
pis  pour  ceux  qui  s'en  fâcheront.  Si  j'ai  ri,  sire,  en  voyant  la  reine  a  son 
balcon,  c'est  parce  que  vous  croyez  tous  que  ces  deux  suivantes  qui 
ne  la  quittent  jamais  sont  des  femmes ,  et  moi  je  sais  que  ce  sont  des 
hommes!  »  Et  voilà  tout  le  monde  étonné,  le  roi  furieux,  et  la  reine  et 
ses  suivantes  toutes  troublées.  La  Santirine  reprit  :  «J'ai  encore  une 
vérité  à  vous  dire  :  c'est  que  vous  croyez  tous  que  le  capitaine  Lixur,  qui 
m'a  prise  et  amenée  ici,  est  un  homme,  et  moi  je  vous  assure  que  c'est 
une  jeune  lille  !  —  Tout  cela  sera  vérifié  sur-le-champ I  »  s'écria  le  roi. 

Et  l'on  fit  venir  des  médecins  ,  qui  visitèrent  d'abord  les  deux  suivantes 
de  la  reine,  et,  comme  c'étaient  des  hommes,  ils  furent  trouvés 
hommes  ;  puis  ils  visitèrent  le  capitaine  Lixur,  et,  comme  c'était  une  fille , 
elle  fut  aussi  trouvée  fille. 

Alors  le  roi,  furieux,  fit  chauffer  un  four,  et  on  y  jeta  la  reine  et  ses 
deux  amants.  Puis  il  épousa  le  capitaine  Lixur. 

La  Santirine,  que  mon  conteur  prenait  pour  un  monstre  terrible, 
sans  pouvoir  pourtant  rien  préciser  sur  sa  forme  ni  sa  nature, 
est  une  corruption  du  mot  Satyre.  Il  y  a  dans  ce  conte  de  vagues 
souvenirs  de  Merlin  et  de  Viviane.  L'épisode  du  bedeau  qui  chante, 
et  du  père  supposé  qui  pleure,  au  convoi  de  l'enfant,  se  retrouve 
absolument  comme  ici,  dans  le  roman  de  Merlin,  de  Robert  de 
Borron. 

Dans  une  autre  version  bretonne,  l'héroïne,  toujours  déguisée 
en  homme,  arrive  à  la  cour  du  roi  avec  six  compagnons  merveil- 
leusement doués,  et  qui  l'aident  dans  l'accomplissement  de  ses 
travaux;  mais  la  Santirine,  ou  le  Satyre,  ne  parait  pas  dans  cette 
version. 

Le  même  conte  a  été  recueilli  par  les  frères  Grimm,  sous  le 
titre  de  :  les  six  compagnons  qui  viennent  à  bout  de  tout.  Le  chevalier 
Fortunédc  M^d'Aulnoy  en  est  aussi  une  version.  Il  se  trouve  égale- 
ment dans  Straparole,  nuit  IV.  fable  I,  sous  ce  titre  :  lUchart,  roy 
de  Thàbes,  avait  quatre  filles,  l'une  desquelles  s'en  alla  vagabonde 
liai  le  monde,  et  de  Constance  se  fit  appeler  Constantin ,  et  arriva  a 
la  cour  de  Cacus,  roy  de  lieltinie ,  lequel,  pour  ses  prouesses  et  bonnes 
conditions,  la  prit  en  mariage. 


— .  21 


LE   ROI   SERPENT  ET   LE   PRINCE   DE  TREGUIEli. 

11  y  avait,  au  temps  jadis,  un  prince  en  Tréguier  qui  avait  un  fils 
unique.  Ce  fils,  s'ennuyant  chez  son  père,  voulut  voyager.  Le  vieux  roi 
lui  donna  beaucoup  d'argent,  et  il  partit.  Mais  il  dépensa  tout  son 
argent  au  jeu  et  avec  les  femmes,  et  le  voilà  sans  le  sou  et  bien  embar- 
rassé, ne  sachant  aucun  métier  pour  gagner  sa  vie.  Un  jour,  après  une 
longue  marche,  il  arriva,  exténué  de  fatigue  et  de  faim,  à  une  pauvre 
chaumière,  sur  une  grande  lande.  Il  y  demanda  l'hospitalité,  qui  lui  fut 
accordée.  Il  y  resta  même  quelque  temps,  et  le  propriétaire  de  la  chau- 
mière, qui  était  un  pauvre  petit  tailleur,  travaillant  à  la  journée  dans  les 
fermes  et  chez  les  pauvres  gens  du  pays,  le  voyant  presque  nu ,  eut  pitié 
de  lui  et  lui  lit  des  braies  neuves  et  une  veste  de  grosse  toile  de  fil 
d'étoupe.  Alors  il  se  remit  en  route,  à  la  grâce  de  Dieu.  Il  arriva  à  un 
vieux  château,  au  milieu  d'un  bois.  La  porte  de  la  cour  était  ouverte,  et 
il  entra.  Il  vit  une  vieille  femme  à  longues  dents,  appuyée  sur  un  bâton, 
qui  lui  servait  de  troisième  pied,  et  il  lui  demanda  l'hospitalité  pour  la 
nuit.  La  vieille  lui  dit  qu'il  serait  logé,  et,  après  l'avoir  fait  souper,  elle 
ie  conduisit  à  son  lit,  dans  une  chambre  du  château,  et  lui  recommanda 
de  ne  pas  ouvrir  la  porte  de  la  chambre  à  côté,  ou  il  serait  effrayé  de  ce 
qu'il  y  verrait.  Puis  elle  s'en  alla. 

Mais  la  curiosité  empêchant  le  prince  de  dormir,  il  se  leva  et  ouvrit 
la  porte  de  la  chambre  défendue.  Il  y  vit  un  énorme  serpent  roulé  sur 
lui-même.  Le  serpent  prit  la  parole,  comme  un  homme,  et  lui  dit  que 
s'il  voulait  faire  ce  qu'il  lui  dirait,  il  en  serait  bien  récompensé,  plus 
tard.  «Je  le  ferai,  si  je  le  puis,  répondit  le  prince.  —  Eh  bien! 
reprit  le  serpent,  allez  vite  au  bois,  coupez-y  un  fort  bâton,  puis  revenez 
ici,  et  je  vous  dirai  ce  que  vous  aurez  à  faire  ensuite.»  Le  prince  se 
rendit  au  bois,  qui  entourait  le  château,  y  coupa  un  gros  bâton  de  cou- 
drier, et  revint  à  la  chambre  du  serpent.  Celui-ci  lui  dit  alors  :  «  A 
présent,  fourrez-moi  ce  bâton  dans  le  corps,  par  la  bouche,  puis, 
m' ayant  chargé  sur  votre  dos,  partez  en  silence,  pendant  que  la  vieille 
dort,  et  emportez-moi  d'ici.  Vous  marcherez  tout  droit  devant  vous, 
jusqu'à  ce  que  vous  trouviez  un  autre  château.  Quand  vous  vous  sentirez 
faiblir,  ou  que  vous  aurez  faim  ou  soif,  léchez-moi  la  bouche,  et  aussitôt 
vous  vous  sentirez  réconforté.  » 

Le  prince  suivit  ponctuellement  ces  instructions,  et  le  voilà  hors  du 
château,  portant  le  serpent  sur  son  dos.  Il  marche,  il  marche  et,  quand 
il  se  sent  faiblir,  il  lèche  la  bouche  du  serpent,  pleine  d'écume,  et  les 
forces  lui  reviennent  aussitôt.  Il  aperçoit  enfin,  dans  le  lointain,  un 
château  entouré  de  hautes  murailles,  a  C'est  là!  lui  dit  le  serpent, 
courage!»  Il  arrive  au  château  et  pénètre  dans  la  cour.  Là,  le  serpent 


—  22  — 

lui  dit  :  i  Déposas-moi  à  terre,  à  présent;  et  retirez  le  bâton  de  mon  corps.» 
Ce  qu'il  fait.  Et  aussitôt  le  serpent  devient  un  homme.  C'était  un  roi! 
11  avait  dans  ce  château  trois  biles,  retenues  là  enchantées  depuis  cinq 
cents  ans.  Elles  étaient  toutes  les  trois  à  leurs  fenêtres,  et  elles  s'écrièrent 
ensemble,  en  reconnaissant  leur  père:  «Notre  père,  que  nous  n'avons 
pas  vu  depuis  si  longtemps!  »  Et  elles  descendirent,  en  toute  hâte,  pour 
l'embrasser.  Alors  il  leur  dit  :  «Voici,  mes  enfants,  le  prince  de 
Tréguier,  à  qui  nous  devons  notre  délivrance,  et  je  désire  qu'une  de 
vous,  celle  qu'il  choisira,  le  prenne  pour  époux.  —  Le  prince  de  Tré- 
guier? qu'est-ce  que  cela,  le  prince  de  Tréguier?  répondirent  les  deux 
aînées,  d'un  air  dédaigneux.  —  Moi,  mon  père,  je  le  prendrai  volon- 
tiers, puisqu'il  vous  a  délivré,  dit  la  cadelle.  — Sotte!  lui  dirent  ses 
sœurs;  qu'il  montre  du  moins  ce  dont  il  est  capable.  —  C'est  juste, 
repondit  le  vieux  roi'.  » 

Et  il  donna  au  prince  une  épée  enchantée  et  un  beau  cheval  blanc  et 
lui  dit  :  «  Allez  en  Russie  avec  cette  épée  et  ce  cheval.  Le  cheval  vous 
conduira  et  vous  portera,  et,  pendant  que  vous  tiendrez  l'épée,  vous 
pourrez  être  exempt  de  toute  inquiétude.  Vous  arriverez  en  Russie  au 
moment  d'une  grande  bataille;  vous  pousserez  vptre  cheval  au  milieu  de 
la  mêlée  et  vous  n'aurez  qu'a  élever  voire  épée,  la  pointe  en  l'air,  en 
souhaitant  la  mort  des  ennemis  de  l'empereur  de  Russie,  et  aussitôt  tous 
ceux  qui  la  verront  tomberont  morts  à  terre.  De  même  pour  le  gibier, 
même  les  animaux  les  plus  dangereux,  quand  vous  serez  à  la  chasse. 
L'empereur  de  Russie,  pour  reconnaître  le  service  que  vous  lui  aurez 
rendu,  vous  donnera  la  main  de  sa  fille  unique.  Elle  vous  trahira,  avec 
un  des  généraux  de  son  père,  qui  est  son  amant  ;  mais  ne  craignez  rien 
et  ne  vous  en  désolez  pas,  car  vous  épouserez  un  jour  la  fille  du  roi 
de  Naples.  (Le  roi  de  Naples  c'était  le  roi  serpent  lui-même.)  Quand 
vous  serez  marié,  la  fille  de  l'empereur  de  Russie  viendra  à  bout  de 
vous  enlever  votre  épée,  et,  dès  lors  vous  ne  pourrez  plus  échapper  à 
sa  vengeance  et  à  celle  de  son  amant.  Vous  serez,  mis  à  mort  et  haché 
menu  comme  chair  à  pâté.  Mais,  avant  de  mourir,  demandez  que  l'on 
mette  tous  les  morceaux  dans  un  sac,  que  l'on  charge  ce  sac  sur  votre 
cheval  et  que  l'on  laisse  celui-ci  aller  en  liberté.  On  vous  l'accordera.  Le 
cheval  reviendra  à  la  maison,  et,  avec  de  l'eau  de  la  vie,  que  je  possède, 
je  vous  rappellerai  a  la  vie.  » 

Le  prince  parlil  pour  la  Russie,  avec  sa  bonne  épée  cl  son  bon  che- 
val, et  tout  se  passa,  de  point  en  point,  comme  le  lui  avait  dit  le  roi  ser- 
pent. Il  gagna  la  victoire  sur  les  ennemis  de  l'empereur  et  épousa  sa 
fille.  Mais  il  eut  l'imprudence  de  révéler  à  sa  femme  la  verta  de  son  épée, 
cl  son  aniinl  cl  elle  lu  lui  enlevèrent.  Il    fut  mis  à  mort  par  eux,  hache 

1    \  partir  d'ici .  le  premier  conte  semble  se  perdre  dans  mi  autn 


—  23   — 

menu  connue  chair  à  pâté,  puis,  sur  sa  demande  avant  de  mourir,  tous 
les  morceaux  furent  mis  dans  un  sac,  le  sac  fui  placé  sur  son  cheval  et 
celui-ci,  mis  en  liberté,  rapporta  le  tout  à  la  cour  du  roi  serpent  qui,  avec 
quelques  gouttes  de  son  eau  de  la  vie,  ressuscita  le  prince  de  Tréguier. 

Trois  jours  après,  le  roi  serpent  dit  au  prince  qu'il  lui  fallait  retourner 
en  Russie,  et  sous  la  forme  d'un  cheval,  cetle  fois.  «  Je  vous  mettrai, 
ajouta-l-il,  une  fiole  de  mon  eau  delà  vie  dans  l'oreille  gauche,  car  vous 
en  aurez  encore  besoin.  Quand  vous  arriverez  à  la  cour  de  l'empereur, 
vous  irez  droit  à  l'écurie.  11  y  a  dans  le  palais  une  jeune  fille  méprisée  et 
maltraitée  par  tout  le  monde  et  employée  à  garder  les  dindons,  bien 
quelle  soit  de  haute  naissance,  comme  vous  l'apprendrez  plus  tard.  On 
l'appelle  Souillon,  et  c'est  elle  qui  vous  viendra  en  aide.  Quand  elle  vous 
verra  arriver,  elle  dira  à  votre  femme,  qui  s'est  remariée  avec  son  amant 
le  général:  —  Ali!  madame,  le  beau  cheval  qui  vient  d'arriver  dans  voire 
écurie!  —  Votre  femme  se  rendra  aussitôt  à  l'écurie,  et,  en  vous  voyant, 
elle  dira: — Ceci  doit  être  quelque  chose  de  la  part  de  mon  premier 
mari  !  —  Et  aussitôt  elle  donnera  l'ordre  de  vous  tuer,  de  vous  hacher  en 
menus  morceaux  et  de  jeler  le  tout  dans  un  four  ardent  pour  y  être  con- 
sumé. En  entendant  cela,  Souillon  s'écriera  :  —  Oh!  le  beau  cheval! 
c'est  vraiment  pitié  de  le  tuer! — Et  elle  viendra  vous  caresser  de  la  main. 
Diles  lui  alors,  tout  doucement,  de  prendre  la  fiole  qui  sera  dans  votre 
oreille  gauche,  et  soyez  sans  inquiétude,  car  elle  saura  quel  emploi  elle 
devra  en  faire.  » 

Le  prince  de  Tréguicr  se  rendit  donc  de  nouveau  à  la  cour  de  l'em- 
pereur de  Russie,  sous  la  forme  d'un  beau  cheval.  Sa  femme,  dès  qu'elle 
le  vit,  donna  l'ordre  de  le  mettre  à  mort,  de  le  hacher  en  menus  mor- 
ceaux et  de  jeter  le  tout  dans  un  four  ardent.  Mais  Souillon  s'était 
déjà  emparée  de  la  fiole  d'eau  de  la  vie  qui  était  dans  son  oreille.  Elle 
ramassa  ensuite  une  pelote  de  son  sang  caillé ,  la  déposa  sur  une  pierre , 
au  soleil,  sous  la  fenêtre  de  la  chambre  de  la  princesse,  et  l'arrosa  de 
quelques  gouttes  de  l'eau  de  la  vie.  Aussitôt  il  s'en  éleva  un  beau  ceri- 
sier, portant  de  belles  cerises  rouges,  et  dont  le  sommet  atteignait  à  la 
hauteur  de  la  fenêtre  de  la  princesse.  Celle-ci,  voyant  cela,  s'écria  en- 
core :  «  C'est  quelque  chose  de  la  part  de  mon  premier  mari  !  »  Et  elle 
fit  abattre  le  cerisier  et  le  jeter  dans  le  four,  pour  être  réduit  en  cendres. 
Mais  Souillon  en  avait  cueilli,  auparavant,  une  belle  cerise  rouge.  Elle 
la  déposa  au  soleil  sur  la  pierre  d'une  fenêtre  basse ,  versa  dessus  quel- 
ques gouttes  de  son  eau  de  la  vie,  et  aussitôt  un  bel  oiseau  bleu  s'en 
éleva  et  s'envola  au  jardin  en  faisant:  drik!  drik!.  ...  La  princesse  et 
son  mari,  qui  se  promenaient  dans  le  jardin,  le  remarquèrent  et  ils 
s'écrièrent:  «0  le  bel  oiseau!»  et  ils  essayèrent  de  l'attraper.  L'oiseau 
s'envolait  de  buisson  en  buisson ,  sans  jamais  aller  loin.  Le  mari  de  la 
princesse  déposa  son  épée  à  terre,  afin  de  pouvoir  courir  plus  librement 


—  24  — 

après  lui.  L'oiseau  se  posa  alors  sur  l'épée,  et  aussitôt  il  devint  un 
homme,  le  prince  deTréguier!  Celui-ci,  s' emparant  aussitôt  de  l'épée, 
s'écria  :  «  Ilola  !  tout  va  bien!  »  11  abattit  la  tête  de  sa  femme  et  celle  de 
son  mari,  puis  il  retourna  auprès  du  roi  serpent,  emmenant  avec  lui 
Souillon,  (jui  était  une  princesse  d'une  beauté  merveilleuse.  C'était  la 
plus  jeune  des  trois  filles  du  roi  de  Naples,  que  nous  avons  appelé  jusqu'à 
présent  le  roi  serpent. 

Le  vieux  roi  et  ses  trois  filles  se  trouvaient  ainsi  délivrés  de  la  puis- 
sance d'un  méchant  magicien  qui  les  tenait  enchantés  depuis  cinq  cents 
ans. 

Le  prince  de  Tréguier  lut  alors  marié  avec  la  plus  jeune  des  prin- 
cesses ,  et  il  y  eut  à  cette  occasion  des  festins  et  des  fêtes  magnifiques. 

Ce  conte  parait,  dans  certaines  parties,  confus  et  incomplet.  Je 
regrette  de  n'avoir  pu  en  trouver  jusqu'aujourd'hui  une  seconde 
version ,  pour  le  compléter. 

L'HIVER    ET    LE    ROITELET. 

Pendant  l'hiver,  le  Roitelet  qui  est,  dit-on,  le  plus  lin  de  tous  les 
oiseaux,  sait  toujours  s'y  prendre  de  manière  à  n'avoir  pas  trop  froid. 
L'Hiver  le  voyant  tout  joyeux  et  content,  pendant  que  tous  les  autres 
oiseaux  étaient  tristes  et  malheureux,  lui  dit  un  jour  qu'il  avait  gelé 
bien  dur: 

—  Où  étais-tu  donc ,  la  nuit  passée  ? 

—  Sous  le  toit  de  la  maison  où  les  servantes  du  manoir  faisaient  la 
buée,  répondit-il. 

—  Fort  bien,  cette  nuit  je  saurai  bien  arriver  jusqu'à  toi. 

Et  en  effet,  il  gela  si  fort  cette  nuit-là,  que  l'eau  gela  sur  le  feu , 
dans  la  buanderie.  Mais  le  Roitelet,  prévenu,  n'était  plus  là  et  l'Hiver, 
le  voyant  le  lendemain  matin  gai  et  pimpant,  à  son  ordinaire,  fut  étonné 
et  lui  demanda  encore  : 

—  Où  étais-tu  donc,  la  nuit  passée? 

—  Dans  l'étable  aux  vaches  ,  sous  la  queue  d'une  vache. 

—  Bon!  tu  auras  de  mes  nouvelles  cette  nuit. 

Et  il  lit  si  froid  et  il  gela  si  dur  cette  nuit- là,  que  la  queue  des 
vaches  se  colla  à  leur  derrière.  Cependant  le  lendemain  malin  le  Roite- 
let sautillait  et  chantait  encore,  comme  en  plein  mois  de  mai. 

—  Comment  tu  n'es  donc  pas  mort  ?  lui  demanda  l'Hiver,  tout  étonné 
de  le  revoir. 

—  Mort  ?  et  pourquoi  donc ,  s'il  vous  plaît  P  répondit-il  gaiment. 

—  Où  donc  étais-tu,  la  nuit  passée? 

—  Entre  le  nouveau  marié  et  sa  femme. 


—  25  — 

—  Voyez  donc  où!  Qui  aurait  songé  à  le  trouver  là?  Mais  n'importe, 
cette  nuit  je  viendrai  à  bout  de  toi  '. 

—  C'est  ce  que  nous  verrons  bien  ! 

Et  il  se  mit  à  chanter.  Cette  nuit-là  il  gela  si  fort,  si  fort,  que  le  len- 
demain matin  on  trouva  le  mari  et  la  femme  collés  l'un  contre  l'autre 
et  morts  de  froid!  Mais  le  Roitelet  s'était  retiré  dans  un  trou  de  muraille, 
près  du  four  d'un  boulanger,  et  là  il  ne  sentit  pas  le  froid.  Mais  il  y 
rencontra  une  souris  qui  cherchait  aussi  la  chaleur,  et  il  s'éleva  une 
dispute  entre  eux ,  au  sujet  de  la  place ,  si  bien  que,  pour  vider  le  diffé- 
rend, ils  convinrent  que,  dans  huit  jours,  il  y  aurait  une  grande 
bataille  sur  la  montagne  de  Bré,  entre  tous  les  animaux  à  plumes  et 
tous  les  animaux  à  poil  du  pays.  Avis  en  fut  donné  de  tous  les  côtés, 
et,  au  jour  convenu,  tous  les  animaux  à  plumes  et  à  poil  du  pays  se 
trouvèrent  au  rendez-vous ,  et  le  combat  commença ,  un  terrible  combat. 
Les  animaux  à  plumes  perdaient  et  allaient  être  écrasés ,  quand  arriva 
l'Aigle  qui  rétablit  les  chances  de  leur  côté.  Partout  où  il  passait  il  abat- 
tait et  éventrait  tout... 

Le  Gis  du  roi  assistait  au  combat,  à  la  fenêtre  de  son  palais,  et, 
voyant  que  l'Aigle  allait  tout  détruire,  au  moment  où  il  passait  au  ras  de 
la  fenêtre,  il  lui  porta  un  coup  de  sabre  et  lui  cassa  une  aile,  si  bien 
qu'il  tomba  à  terre.  La  victoire  resta  indécise.  L  Aigle ,  blessé  et  ne  pou- 
vant plus  voler,  dit  au  fds  du  roi  : 

—  A  présent,  il  vous  faudra  me  nourrir,  pendant  neuf  mois,  de  chair 
de  perdrix  et  de  lièvres. 

—  Je  le  ferai,  répondit  le  prince. 

Au  bout  des  neuf  mois,  quand  l'Aigle  fut  guéri,  il  dit  au  iils  du  roi  : 

—  A  présent ,  je  vais  retourner  chez  ma  mère  et  je  désire  que  tu 
viennes  avec  moi,  pour  voir  mon  château. 

—  Volontiers,  répondit  le  prince. 

Et  il  monta  sur  le  dos  de  l'Aigle,  et  ils  partirent2. 

L'Aigle  avait  une  sœur  et  le  prince  devint  amoureux  d'elle,  dès  qu'il 
la  vit.  Cela  ne  plaisait  pas  beaucoup  à  l'Aigle ,  ni  à  sa  mère.  L'Aigle  pro- 
posa au  prince  une  partie  de  boules  dont  l'enjeu  devait  être  la  tête  de 
celui-ci,  s'il  perdait,  et  la  main  de  sa  sœur,  s'il  gagnait.  Le  prince  accepta. 
Mais  les  boules  étaient  de  cinq  cents  livres  chacune  et  le  pauvre  prince  ne 
pouvait  seulement  pas  les  remuer,  de  sorte  que  l'Aigle  gagna  facilement. 

1  Dans  une  autre  version,  l'Hiver  répond  :  «Ah!  là,  je  ne  puis  pas  mettre  le 
nez.»  Et  le  conte  est  fini.  Et  en  effet,  ce  qui  suit  parait  complètement  étranger 
à  ce  débat,  qui  forme  un  petit  récit  à  part,  comme  il  en  existe  plusieurs  sur 
le  Roitelet. 

2  Les  aigles,  les  lions,  les  serpents,  les  dragons  qui  se  rencontrent  fré- 
quemment dans  nos  traditions  populaires  me  semblent  être  autant  d'arguments 
en  faveur  d'une  origine  asiatique. 


—  26  — 

—  Ta  vie  est  à  moi!  lui  dit-il  alors. 

—  Je  demande  ma  revanche,  répondit  le  prince. 

—  Eh  bien!  soit,  à  demain  la  revanche. 

Le  prince  va  trouver  la  sœur  de  l'Aigle,  les  larmes  aux  veux,  et  lui 
conte  tout. 

—  Me  serez-vous  fidèle,  lui  demanda-t-elle,  et  je  vous  ferai  gagner? 

—  Oui,  je  vous  serai  fidèle  jusqu'à  la  mort. 

—  C'est  hien!  Voici  comment  il  faudra  faire:  j'ai  là  deux  grandes 
vessies  (pie  je  peindrai  en  noir,  de  manière  à  les  faire  ressembler  à  deux 
boules,  puis  je  les  mettrai  parmi  les  boules  de  mon  frère  et,  quand  vous 
irez  jouer,  vous  aurez  soin  de  prendre  vos  boules  le  premier  et  de  choi- 
sir les  deux  vessies.  Quand  vous  leur  direz  :  «Chèvre,  élève-toi  en  l'air 
et  vas  en  Egypte,  il  y  a  sept  ans  que  tu  es  ici!  «elles  s'élèveront  en  l'air 
aussitôt,  si  haut,  si  haut,  qu'on  ne  pourra  les  voir.  Mon  frère  s'imagi- 
nera (pic  ce  sera  vous  qui  les  aurez  lancées  si  haut,  et,  ne  pouvant  en 
faire  autant,  il  s'avouera  vaincu. 

Le,  prince  se  conforma  à  ces  instructions  et  l'Aigle,  n'y  comprenant 
rien,  s'avoua  vaincu. 

—  Cela  fait  une  partie  à  chacun  de  nous,  dit-il;  demain  nous  joue- 
rons à  un  autre  jeu. 

Le  lendemain  matin,  l'Aigle  prit  un  tonneau  de  cinq  barriques,  qu'il 
portait  facilement  sur  le  plat  de  la  main  (car  il  était  homme  ou  aigle  à 
volonté),  puis  il  dit  au  prince  de  prendre  un  autre  tonneau  semblante, 
qu'il  lui  montra,  pour  aller  à  la  fontaine  puiser  de  l'eau  à  sa  mère,  pour 
faire  sa  cuisine.   Mais  le  prince,  conseillé  par  la  sœur  de  l'Aigle,  dit: 

—  Bah!  apportez-moi  des  pelles,  des  pioches  et  une  bonne  civière, 
et  laisscz-là  vos  tonneaux. 

—  Pourquoi  faire?  demanda  l'Aigle,  étonné. 

—  Pour  apporter  la  fontaine  ici,  à  la  porte  de  la  cuisine,  et  nous 
n'aurons  pas  besoin  de  nous  fatiguer  à  aller  chercher  de  l'eau  si  loin. 

—  Quel  gaillard!    pensa  l'Aigle  en   lui-même. 

Puis  il  dit:  — Eh  bien!  reslez-là ,  j'irai,  seul,  prendre  de  l'eau  à  ma 
mère.  —  Ce  qu'il  lit,  en  effet. 

I.e  lendemain,  comme  la  vieille  disait  à  son  fils  que  ce  qu'ils  avaient 
de  mieux  à  faire  pour  se.  débarrasser  du  prince,  c'était  de  le  tuer  et  de 
le  manger,  l'Aigle  répondit  qu'il  avait  ele  hien  traité  (lie/,  lui  et  qu'il 
ne  voulait  pas  être  si  dur  à  son  égard,  mais  (pie,  du  reste,  il  allait  le 
soumettre  à  d'autres  épreuves  d'où  il  aurait  bien  de  la  peine  à  se  tirera 
son  honneur.  Et  en  effet,  il  dil  au  prince: 

—  Je  veux  bien  vous  donner  ma  sœur,  mais  il  faut  que  vous  la 
gagniez  et  (pie  vous  nous  prouviez  (pie  vous  êtes  digne  d'elle.  Voilà  une 
cognée  de  bois,  pour  abattre  la  grande  avenue  de  chênes  du  château, 
et  il  faut  que  ce  soit  fui  aujourd'hui  pour  le  coucher  du  soleil. 


—  27   — 

—  C'est  bien,  répondit  le  prince,  ce  sera  l'ait. 

Et  il  prit  la  cognée  de  bois  et  se  rendit  dans  l'avenue,  d'un  air  plus 
rassuré  qu'il  ne  l'était  en  réalité.  Heureusement  pour  lui  que  la  sœur 
de  l'Aigle,  sous  prétexte  d'aller  se  promener  dans  l'avenue,  vint  à  son 
secours  et  lui  dit: 

—  Me  serez-vous  lidèle  ? 

—  Oui,  jusqu'à  la  mort!  répondit-il. 

—  Eh  bien,  ôtez  votre  veste,  mettez -la  sur  les  racines  découvertes 
du  vieux  chêne  que  voilà,  puis  prenez  votre  cognée,  frappez-en  chaque 
arbre  au  tronc,  et,  à  chaque  coup,  vous  en  abattrez  un. 

Le  prince  fit  comme  on  lui  avait  dit,  et  il  eut  bientôt  abattu  tous 
les  arbres  de  l'avenue,  puis  il  revint  tranquillement  au  château. 

—  Comment,  est-ce  déjà  fait?  lui  demanda  l'Aigle,  en  le  voyant 
revenir. 

—  Oui  vraiment,  répondit- il;  quand  vous  n'aurez  pas  de  travaux 
plus  difficiles  que  cela  à  me  donner,  ce  sera  vite  fait. 

L'Aigle  courut  à  son  avenue,  et  quand  il  vit  tous  ses  beaux  chênes  à 
terre,  il  se  mit  à  pleurer,  puis  il  alla  trouver  sa  mère  et  lui  avoua  qu'il  ne 
pouvait  plus  lutter  avec  le  prince  et  qu'il  fallait  lui  donner  sa  sœur  et  les 
laisser  partir.  Le  prince  emmena  donc  avec  lui  la  sœur  de  l'Aigle,  qui 
était  aussi  une  princesse  d'une  grande  beauté,  et  prit  avec  elle  la  route 
de  son  pays.  Quand  ils  arrivèrent  dans  la  ville  où  demeurait  son  père, 
elle  lui  parla  de  la  sorte  : 

—  Nous  nous  séparerons,  à  présent,  pour  un  temps,  car  nous  ne 
pouvons  encore  nous  marier.  Mais  restez-moi  toujours  fidèle,  quoi  qu'il 
arrive,  et,  lorsque  le  temps  sera  venu,  vous  me  retrouverez.  Voici  une 
moitié  de  ma  bague  et  une  moitié  de  mon  mouchoir;  prenez-les  et  ils 
vous  serviront,  au  besoin,  à  me  reconnaître. 

Le  prince  parut  désolé;  il  prit  la  moitié  de  la  bague  et  la  moitié  du 
mouchoir  de  la  sœur  de  l'Aigle,  et  retourna  seul  au  palais  de  son  père, 
où  l'on  fut  heureux  de  le  voir  revenir.  Quant  à  la  sœur  de  l'Aigle,  elle 
se  mit  en  condition  chez  un  orfèvre  de  la  ville,  qui  se  trouvait  être  l'or- 
fèvre de  la  cour. 

Cependant  le  prince  oublia  vite  sa  fiancée.  Il  devint  amoureux  d'une 
belle  princesse,  venue  à  la  cour  de  son  père  d'un  royaume  voisin,  et 
le  jour  fut  fixé  pour  leur  mariage.  On  lit  de  grands  préparatifs  et  de 
nombreuses  invitations.  L'orfèvre  de  la  cour  fut  aussi  invité,  avec  sa 
femme,  et  même  la  femme  de  chambre  de  celle-ci,  c'est-à-dire  la  sœur 
de  l'Aigle.  Celle-ci  se  fit  faire  par  son  maître  un  petit  coq  et  une  petile 
poule  d'or,  et  les  emporta  au  palais,  le  jour  des  noces.  Pendant  le  repas, 
elle  se  trouva  être  vis-à-vis  des  nouveaux  mariés.  Elle  mit  la  moitié  de 
son  anneau,  dont  le  prince  avait  l'autre  moitié,  à  côté  d'elle,  sur  la 
table.  La  nouvelle  mariée  la  remarqua,  et  dit: 


—  28  — 

—  J'en  ai  une  toute  semblable!  —  Son  mari  la  lui  avait  donnée. 

On  rapprocha  les  deux  moitiés  l'une  de  l'autre  et  elles  se  rejoignirent , 
et  voilà  la  bague  entière.  De  même  pour  les  deux  moitiés  de  mouchoir. 
Tous  ceux  qui  virent  cela  en  furent  étonnés.  Le  prince,  seul,  restait 
indifférent  et  semblait  ne  pas  comprendre.  Alors  la  sœur  de  l'Aigle  mit 
sur  la  table  son  petit  coq  et  sa  petite  poule  d'or.  Puis  elle  jeta  un  pois 
dans  son  assiette,  et  le  coq  le  croqua  aussitôt. 

—  Tu  l'as  encore  avalé,  glouton!  lui  dit  la  poule. 

—  Tais-toi,  répondit  le  coq,  le  prochain  sera  pour  loi. 

—  Oui,  le  (ils  du  roi  aussi  me  disait  qu'il  me  serait  fidèle  jusqu'à 
la  mort,  quand  il  allait  jouer  aux  boules  avec  mon  frère  l'Aigle. 

Le  nouveau  marié  dressa  l'oreille.  La  sœur  de  l'Aigle  jeta  un  second 
pois  dans  son  assiette,  et  le  coq  le  croqua  encore. 

—  Tu  l'as  encore  avalé,  glouton!  lui  dit  la  poule. 

—  Tais-toi,  ma  poulette,  le  premier  sera  pour  toi. 

—  Oui,  le  fils  du  roi  me  disait  aussi  qu'il  me  serait  fidèle  jusqu'à 
la  mort,  quand  mon  frère  l'Aigle  lui  dit  d'aller  avec  lui  puiser  de  l'eau 
à  la  fontaine! 

Tout  le  monde  était  étonné,  et  ouvrait  de  grands  yeux.  Le  prince 
aussi  était  très-attentif.  La  servante  de  l'orfèvre  jeta  un  troisième  pois 
dans   son  assiette,  et  le  coq  le  croqua,  comme  les  deux  autres. 

—  Tu  l'as  encore  avalé,  glouton!  lui  dit  la  poule. 

—  Tais-toi,  ma  poulette,  le  premier  sera  pour  toi! 

—  Oui,  le  lils  du  roi  aussi  me  disait  qu'il  me  serait  fidèle  jusqu'à 
la  mort,  quand  mon  frère  l'Aigle  l'envoya  abattre  tous  les  chênes  de  sa 
grande  avenue,  avec  une  cognée  de  bois! 

Le  prince  comprit  enfin.  11  se  leva  alors,  et,  se  tournant  vers  son 
beau-père,  il  parla  de  cette  façon  : 

—  Beau- père,  j'ai  un  conseil  a  vous  demander.  J'avais  une  petite 
clef  d'or,  la  clef  de  mon  trésor,  et  je  la  perdis.  J'en  lis  faire  une  nouvelle, 
qui  était  aussi  bien  jolie.  Mais  je  viens  de  retrouver  la  première,  de  sorte, 
que  j'en  ai  deux,  à  présent.  De  laquelle  convient-il  que  je  me  serve, 
de  l'ancienne  ou  de  la  nouvelle? 

- —  Respect  est  toujours  dû  à  ce  qui  est  ancien  ,  répondit  le  vieil- 
lard. 

—  Je  pense  aussi  comme  vous,  reprit  le  prince  :  eh  bien!  j'ai  aimé 
une  autre  avant  votre  fille;  je  l'avais  perdue  et  je  l'ai  retrouvée  :  la  voici! 

Et  il  se  leva  et  alla  vers  la  servante  de  l'orfèvre,  qui  était  la  sœur 
de  l'Aigle,  et  la  prit  par  la  main,  au  grand  étonnemenl  de  tout  le 
monde.  L'autre  fiancée,  ainsi  (pie  son  père,  sa  mère  et  ses  parents  et 
invités  se  retirèrent,  peu  satisfaits,  on  le  comprend  aisément;  mus  les 
festins,  les  jeux  et  les  réjouissances  de  toute  sorte  n'en  continuèrent 
pas  moins,  pour  célébrer  le  mariage  du  prince  avec  la  sœur  de  l'Aigle. 


—  29  — 

Il  y  a  encore  clans  ce  conte  mélange  de  plusieurs  fables,  deux 
au  moins,  et  probablement  trois.  La  reconnaissance  de  la  fin 
rappelle  un  peu  celle  de  la  légende  allemande  de  Henri  de  Bruns- 
wick, surnommé  le  Lion,  à  cause  du  secours  qu'il  reçut  de  cet 
animal. 

JANVIER  ET  FÉVRIER. 

Une  pauvre  veuve  avait  deux  fils,  dont  l'un  s'appelait  Janvier,  et 
l'autre,  Février.  Janvier,  afin  d'alléger  les  charges  de  sa  mère,  se  décida 
à  voyager  pour  chercher  condition.  11  partit  donc,  promettant  de  revenir 
à  la  maison,  dès  qu'il  aurait  gagné  un  peu  d'argent.  Il  arriva  dans  un 
château  dont  le  seigneur  le  prit  à  son  service  aux  conditions  suivantes  : 
il  devait  faire  tout  ce  que  lui  diraient  le  maître  et  la  maîtresse  et  leurs 
deux  jeunes  enfants,  sans  jamais  se  fâcher  de  rien,  et,  s'il  remplissait 
bien  ces  conditions,  il  recevrait  cent  écus  au  bout  de  l'année;  mais  aussi 
s'il  refusait  d'obéir,  en  quoi  que  ce  fût,  ou  s'il  se  fâchait,  il  serait  ren- 
voyé sans  le  sou ,  et  de  plus  on  lui  enlèverait  un  ruban  de  peau  rouge 
depuis  le  sommet  de  la  tête  jusqu'aux  talons.  L'année  devait  finir  quand 
le  coucou  chanterait.  Le  seigneur,  de  son  côté,  s'engageait  à  se  laisser 
enlever  le  même  ruban  de  peau  rouge,  si  lui-même  il  se  fâchait.  Jan- 
vier accepta.  Trois  cents  francs!  c'était  toute  une  fortune  pour  lui,  et 
comme  sa  mère  serait  heureuse,  s'il  pouvait  les  lui  rapporter  un  jour! 

On  l'envoya,  le  premier  jour,  couper  de  l'ajonc  sur  une  grande  lande. 
Un  grand  chien  l'accompagnait.  11  se  mit  à  l'ouvrage;  mais,  quand  il  se 
sentit  fatigué,  il  voulut  se  reposer  un  peu  et  fumer  une  pipe.  Dès  qu'il 
s'arrêta,  le  chien  lui  montra  les  dents.  Il  lui  fallut  donc  se  remettre  au 
travail,  et  laisser  sa  pipe.  A  midi,  une  servante  vint,  apportant  deux 
écuelles  pleines  de  soupe,  l'une  de  pain  blanc,  pour  le  chien,  et  l'autre, 
de  pain  noir,  pour  Janvier.  Cela  lui  parut  étrange;  il  ne  s'en  plaignit 
pourtant  pas.  11  mangea  sa  soupe,  puis  il  lui  fallut  se  remettre  à  l'ou- 
vrage, jusqu'au  coucher  du  soleil.  Alors  le  chien  prit  la  route  du  châ- 
teau, et  il  le  suivit.  On  lui  donna  encore  de  la  soupe  de  pain  noir,  à 
souper.  Pendant  qu'il  mangeait  sa  soupe,  tout  à  coup  les  enfants  se 
mirent  à  crier  : 

—  J'ai  envie  de 

—  Allons!  Janvier,  dit  alors  la  maîtresse,  accompagnez  les  enfants 
dehors  ! 

Et  Janvier  sortit  avec  les  deux  marmots.  Quand  il  rentra ,  on  avait 
fini  de  souper;  il  n'y  avait  plus  rien  sur  la  table;  on  avait  tout  serré. 

—  N'aurai-je  pas  aussi  un  peu  de  lard?  demanda-t-il  timidement. 

—  C'est  trop  tard,  tout  est  serré!  répondit  la  maîtresse. 

—  Triste  souper,  après  une  si  rude  journée  de  travail!  murmura- 
t-il. 


—   30   — 

—  Vous  n'êtes  pas  content?  lui  demanda  le  seigneur. 

—  Je  ne  suis  pas  lâché  non  plus;  je  n'en  mourrai  pas,  pour  un 
mauvais  souper,  j'y  suis  assez  habitué.  Et  il  alla  se  coucher  là-dessus. 

Le  lendemain,  les  choses  se  passèrent  de  la  même  manière.  11  tra- 
vailla à  couper  de  l'ajonc,  jusqu'au  coucher  du  soleil,  toujours  sur- 
veillé par  le  gros  chien,  et,  pendant  qu'il  mangeait  sa  soupe,  le  soir,  il 
fallut  encore  sortir  avec  les  enfants,  puis  aller  se  coucher  sans  le  moindre 
morceau  de  viande.  Le  troisième  jour  aussi  il  coupa  de  l'ajonc,  comme 
les  deux  jours  précédents,  et  s'en  revint,  le  soir,  de  mauvaise  humeur. 
Comme  les  deux  jours  précédents  aussi,  les  enfants  ne  le  laissèrent  pas 
manger  sa  soupe  tranquille,  et,  quand  il  rentra,  après  les  avoir  accom- 
pagnés dehors,  il  n'y  avait  encore  rien  sur  la  table.  Mais,  cette  fois,  il 
réclama,  car  il  avait  faim. 

—  Vous  n'êtes  donc  pas  content?  lui  demanda  le  seigneur. 

—  Non  certainement,  répondit-il. 

—  C'est  bien  ;  vous  savez   nos  conditions  ? 

Et  on  l'étendit  sur  le  ventre  sur  une  table,  après  l'avoir  déshabillé, .puis 
on  lui  enleva  un  ruban  de  peau  rouge,  depuis  le  sommet  de  la  tète  jus- 
qu'aux talons,  et  on  le  renvoya  alors  sans  le  sou. 

Le  pauvre  Janvier  revint  chez  sa  mère,  triste  et  malade.  Il  raconta  tout 
à  son  frère  Février,  et  celui-ci  voulut  à  son  tour  tenter  l'aventure,  bien 
résolu  à  venger  son  frère.  Il  se  rendit  donc  au  même  château  et  s'en- 
gagea au  service  du  seigneur,  aux  mêmes  conditions  que  Janvier.  Les 
deux  premiers  jours  se  passèrent  pour  lui  absolument  comme  pour  son 
frère:  travail  sur  la  lande,  sous  la  surveillance  du  chien,  importunités 
des  enfants  et  tristes  soupers.  Mais  le  troisième  jour ,  en  se  rendant  à  la 
lande ,  il  se  dit  :  «  11  faut  que  cela  finisse  !  »  Et ,  en  effet ,  après  avoir  travaillé 
pendant  une  demi-heure  environ,  il  voulut  se  reposer  et  fumer  une  pipe. 
Le  chien  grogna  et  montra  les  dents;  mais,  d'un  vigoureux  coup  de 
faucille,  il  lui  coupa  le  cou.  Quand  la  servante  vint,  à  midi,  lui  apporter 
à  dîner,  elle  fut  bien  étonnée  de  voir  le  chien  mort  et  Février  qui  dor- 
mait à  1  ombre  d'un  vieux  chêne.  Elle  courut  annoncer  la  chose  à  son 
maître.  Quand  Février  retourna  au  château,  au  coucher  du  soleil,  le 
seigneur  lui  dit  : 

—  Tu  as  tué  mon  chien,  malheureux! 

—  Oui,  je  l'ai  tué,  répondit-il;  est-ce  que  vous  n'êtes  pas  contenl  ? 

—  Oh!  pour  un  chien,  ce  n'est  pas  la  peine  de  se  fâcher;  viens  souper. 
dit  le  seigneur,  en   dissimulant  sa  colère. 

Pendant  que  Février  mangeait  sa  soupe,  dans  la  cuisine,  les  enfants 
vinrent  encore  l'importuner,  eu  disant: 

—  J'ai  envie!  Je  veux  sortir!... 

—  Eh  bien!  aile/. au  diable!  s'écria  Février  impatienté,  cl  il  les  jeta, 

par  la   fenêtre,  dans  la  cour. 


—  31  — 

—  Qu'as-tu  fait  là  ,  misérable!  tu  veux  donc  tuer  mes  enfantai  s'écria 
le  seigneur,  furieux. 

—  Eh  !  qu'ils  me  laissent  donc  manger  tranquille,  une  fois!  Du  reste, 
ètes-vous  fâché,  monseigneur? 

—  Qui  ne  serait  pas  fâché?  répondit  le  seigneur.  Et  se  reprenant 
aussitôt:  —  Et  pourtant  j'ai  un  si  bon  caractère  que  je  ne  suis  pas  fâché  ; 
je  ne  me  fâche  jamais,  moi;  mais  il  ne  faut  pas  recommencer. 

Voilà  le  seigneur  et  sa  femme  embarrassés  de  savoir  comment  se 
défaire  de  Février,  car  ils  ne  voulaient  plus  le  garder  chez  eux.  La  dame 
trouva  cette  idée ,  qu'elle  crut  excellente  : 

—  Il  est  dit  que  son  année  finira  quand  le  coucou  aura  chanté;  eh 
bien!   le  coucou   chantera  demain;  je  le  ferai  chanter,  moi. 

Et,  en  effet,  le  lendemain  matin,  elle  monta  sur  un  vieux  chêne,  qui 
était  près  de  la  porte  de  la  cour,  et  se  mit  à  crier  :  Coucou  !  Coucou  ! . .. . 

—  Comment,  un  coucou  qui  chante  au  mois  de  février!  s'écria 
février;  je  vais  lui  apprendre,  moi,  à  chanter  en  sa  saison! 

Et,  saisissant  une  pierre,  il  la  lança  dans  l'arbre  et  atteignit  à  la  tète 
la  vieille,  qui  tomba  à  terre  roide  morte. 

—  Ah!  tu  as  tué  ma  femme,  misérable!  s'écria  le  seigneur. 

—  Et  pourquoi  diable  va-t-eïle  aussi  faire  le  coucou,  sur  un  arbre? 
repondit  Février. 

—  Oh  !  scélérat ,  je  te  ferai  pendre 

—  Est-ce  que  vous  n'êtes  pas  content,  monseigneur? 

—  Et  quel  autre,  à  ma  place  ,  serait  content? 

—  Alors,  vous  savez  nos  conditions? 

—  Mais  je  ne  t'ai  pas  dit  que  je  suis  fâché;  va,  vite,  prendre  deux 
pelles  au  château,  pour  que  nous  l'enterrions  dans  le  bois  ;  personne  ne 
saura  ce  qu'elle  sera  devenue.  Tu  trouveras  des  pelles  et  des  pioches  au 
fond  du  corridor,  près  de  la  chambre  de  mes  filles. 

Février  courut  au  château  ;  il  entra  dans  la  chambre  des  demoi- 
selles, qui  avaient,  l'une,  dix-sept,  et  l'autre,  dix-huit  ans,  et  voulut  les 
embrasser.  Mais  elles  se  mirent  à  crier  et  à  se  défendre  de  leur  mieux. 

—  C'est  votre  père  qui  m  a  dit  de  vous  embrasser  toutes  les  deux , 
leur  disait-il;  vous  allez  voir. 

Et ,   se  mettant    a    la  fenêtre ,  il  cria  : 

—  Toutes   les   deux,  monseigneur,  n'est-ce  pas? 

—  Oui ,   deux  ,  et  dépêche-toi. 

Il  voulait  dire  qu'il  fallait  lui  apporter  deux  pelles.  Février  embrassa 
les  deux  demoiselles,  puis  il  descendit  avec  les  deux  pelles,  et  la  vieille 
fut  enterrée  dans  le  bois. 

Cependant,  au  bout  de  quelques  mois  de  là,  le  seigneur  s'aperçut  que 
ses  deux  fdles  étaient  enceintes,  et  quand  il  sut  que  c'était  des  œuvres 
de  Février,    furieux,  et  ne  pouvant  se  contenir,  il  lui  dit: 


—   32  — 

—  Misérable!   pendant!   tu   as  déshonoré  mes   tilles  ! 

—  Ah  1  pour  le  coup,  vous  êtes  en  colère,  monseigneur I  lui  dit 
Février,  tranquillement. 

—  Certainement ,  je  suis  en  colère;  et  qui  ne  le  serait  pas  à  ma 
place  ? 

—  Fort  bien;  vous  savez  nos  conventions  ?  11  me  faut  cent  écus,  plus 
une  lanière  de  votre  peau,  depuis  le  sommet  de  la  tète  jusqu'aux  talons. 

Et  le  seigneur  lut  obligé  de  payer  de  son  argent  et  de  sa  personne. 
Alors  Février  retourna  chez  sa  mère,  ayant  vengé  son  frère,  et,  quand 
il  arriva,  il  y  eut  un  petit  festin  de  réjouissance. 

Dans  une  autre  version  du  même  conte,  ce  sont  trois  frères  qui 
tentent  successivement  l'aventure.  Les  deux  aînés  échouent,  en 
laissant  chacun  une  lanière  de  sa  peau,  comme  Janvier.  Le  cadet 
leur  rapporte  leurs  lanières,  avec  une  troisième,  enlevée  au  sei- 
gueur,  et  de  plus,  une  forte  somme  d'argent.  Quelques-uns  des 
épisodes  sont  différents:  ainsi  le  cadet  est  envoyé  le  premier  jour 
garder  un  grand  troupeau  de  bœufs  dans  un  pré.  Un  marchand 
passe,  allant  à  une  foire,  et  il  lui  vend  tous  ses  bœufs  pour 
douze  cents  francs;  il  y  met  seulement  celte  condition  qu'on  lui 
laissera  la  queue  d'un  d'eux. 

Le  marchand  coupe  la  queue  à  un  des  bœufs  et  la  lui  donne, 
puis  il  part  avec  tout  le  troupeau ,  enchanté  de  son  marché.  Le 
cadet  monte  alors  sur  un  arbre,  avec  la  queue  qui  lui  est  restée, 
et  là  il  se  met  à  crier  à  lue-tête; 

—  Au  secours!  au  secours,  vite!  tous  mes  bœufs  s'en  vont  au 
ciel  ! 

Le  seigneur,  qui  se  promenait  dans  les  environs,  l'entend  et 
accourt. 

—  Qu'y  a-t-il  donc?  demande-t-il;  où  sont  les  bœufs? 

—  Ah!  mon  bon  seigneur,  la  singulière  chose  !  imaginez-vous 
qu'ils  se  sont  tous  pris  par  la  queue  à  la  file  les  uns  des  autres, 
puis  ils  se  sont  élevés  en  l'air,  comme  s'ils  avaient  des  ailes,  et  ont 
disparu  !  J'ai  pu  saisir  la  queue  du  dernier,  et  je  la  tiens  encore; 
montez  vite  sur  l'arbre,  pour  tirer  dessus  avec  moi,  et  peut-être 
pourrons-nous  les  faire  descendre. 

Le  seigneur  se  hâte  de  monter  sur  l'arbre  et  il  saisit  aussi 
la  queue  et  se  met  à  tirer  dessus.  Mais  le  cadet  lâche  prise  en  ce 
moment,  et  le  seigneur  tombe  par  terre,  tenant  encore  la  queue  et 
tout  endolori  de  sa  chute. 


—   33   — 

—  Hélas!  s'écrie  alors  le  cadet,  c'est  fini!  ils  sont  partis  pour 
le  paradis,  où  l'on  en  a  sans  doute  besoin  pour  quelque  grand 
festin! 

Le  seigneur  se  résigna  avec  peine  à  la  perte  de  ses  bœufs; 
pourtant  il  dit  qu'il  n'était  pas  en  colère,  puisqu'ils  étaient  allés  au 
paradis. 

Le  second  jour  ,  le  cadet  fut  envoyé  garder  les  pourceaux.  Il  y 
en  avait  un  grand  troupeau.  Il  les  vendit  encore  à  un  marchand 
qui  passait,  pour  deux  cents  écus  et  la  queue  de  l'un  d'eux.  Le  mar- 
chand parti,  il  entra  jusqu'à  la  ceinture  dans  un  marais  qui  était 
dans  les  douves  du  château,  y  plongea  une  extrémité  de  la  queue 
qu'il  s'était  réservée,  et,  feignant  de  tirer  dessus  de  toutes  ses 
forces,  il  se  mit  à  crier: 

—  Au  secours!  au  secours!  venez  vite,  vite!.  .  .  . 
Le  seigneur  accourut  encore. 

—  Qu'y  a-t-il-donc?  demanda-t-il. 

—  Ah!  mon  bon  seigneur,  tous  les  pourceaux  se  sont  pris  par 
la  queue,  comme  les  bœufs,  puis  ils  se  sont  précipités  dans  le 
marais  et  ont  disparu  !  Mais  je  tiens  la  queue  du  dernier  ;  venez 
m'aider  à  tirer  dessus. 

Et  le  seigneur  entra  sans  hésiter  dans  le  marais  et  saisit 
la  queue  du  pourceau  et  lira  de  toutes  ses  forces.  Mais  le  cadet 
lâcha  prise  alors  en  disant: 

—  C'est  fini!  ils  sont  allés  en  enfer!.  .  . 

Et  le  seigneur  tomba  et  faillit  se  noyer  dans  la  boue. 
Cette  lanière  de  peau  rappelle  la  livre  de  chair  du  Shylock  du 
Marchand  de  Venise,   dans  Shakespeare.  Le  même  épisode  de  la 
livre  de  chair  se  trouve  aussi  dans  le  roman  de  Dolopathos. 
On  trouve  également  dans  Jehan  de  Saintré,  ch.  il\  : 
«  Ha,  madame,  dit  Madame  à  la  royne,  vous  taillez  larges  cour- 
«  roies  d'autruy  cuir.  » 

Plaute  dit  aussi:  «  De  meo  tergo  degilur  corium.  » 
On  trouve  deux  exemples  de  cette  étrange  coutume  qui  consiste 
à  enlever  une  bande  de  peau,  depuis  le  sommet  de  la  tête  jusqu'à 
la  plante  des  pieds ,  dans  les  Contes  et  traditions  populaires  des 
Gaëls  de  l'Ecosse,  rassemblés  par  M.  F.-J.  Campbell.  Enfin,  dans 
nos  campagnes  bretonnes  on  dit  encore  communément,  comme 
terme  de  menace  :  «  Me  a  savo  horeann  d'ezhan!  »  C'est-à-dire  :  «  Je 
lui  enlèverai  courroie!  » 


34 


LE    BERGER    QUI   SAUVE   UNE   PRINCESSE   D'UN   SERPENT. 

Un  pauvre  homme  se  met  à  voyager,  cherchant  condition.  Chemin 
faisant  il  rend  service  à  des  fourmis,  à  une  colombe  et  à  un  lion  !.  11 
arrive  à  la  cour  d'un  roi  où  on  le  prend  comme  berger.  Il  va  garder  son 
troupeau  dans  une  prairie  bordant  un  grand  bois.  Un  énorme  sanglier 
sort  du  bois.  Il  appelle  à  son  secours  le  lion  qu'il  a  secouru.  Le 
lion  vient  et  met  le  sanglier  en  pièces.  Le  berger  pénètre  alors  dans  le 
bois  et  y  voit  un  vieux  château  abandonné.  C'est  celui  du  sanglier  que  le 
lion  a  tué.  Il  y  remarque,  entre  autres  choses,  trois  écuries  dans  cha- 
cune desquelles  il  y  a  un  cheval,  un  chien,  une  épée,  des  harnais  et  un 
équipement  complet  de  chevalier,  et  tout  cela  est  couleur  de  la  lune 
dans  une  des  écuries,  couleur  des  étoiles  dans  une  autre,  et  couleur  du 
soleil  dans  la  troisième. 

Il  y  avait  aussi  dans  ce  bois  un  serpent  à  sept  têtes  qui  ravageait  tout 
le  pays  et,  chaque  année,  il  fallait  lui  livrer  une  jeune  fille  du  sang 
royal.  Or,  le  temps  était  venu  de  lui  sacrifier  la  fille  même  du  roi,  ce 
qui  causait  un  grand  deuil  à  la  cour.  Le  berger  se  présente  trois  jours 
successivement  pour  défendre  la  princesse  contre  le  monstre,  avec  le 
cheval,  le  chien,  l'épée,  les  harnais  et  l'armure  de  chevalier  couleur 
de  la  lune,  le  premier  jour,  les  mêmes  choses  couleur  des  étoiles,  le 
second  jour,  et  couleur  du  soleil,  le  troisième  jour.  Il  finit  par  tuer  le 
serpent.  Le  roi  avait  promis  la  main  de  sa  fille  à  celui  qui  la  délivrerait 
du  monstre,  et,  chaque  jour  ,  le  chevalier  inconnu  qui  avait  combattu 
pour  elle  se  dérobait  après  le  combat.  Il  déposait  cheval ,  chien  ,  épée  et 
armure  de  chevalier  dans  le  vieux  château  du  bois ,  puis  il  reprenait 
ses  habits  de  berger  et  rentrait  chaque  soir,  comme  s'il  était  complète- 
ment étranger  à  tout  ce  qui  se  passait.  Cependant,  sur  l'avis  de  sa  fille, 
le  roi  lit  publier  dans  tout  le  royaume  un  grand  tournoi,  qui  devait  durer 
trois  jours.  Le  berger  ne  manqua  pas  d'y  venir,  équipé  en  chevalier,  et  la 
princesse  le  reconnut,  dès  qu'elle  le  vit.  Le  mariage  se  fit  alors. 

Dans  une  aulre  version,  le  berger,  après  avoir  tué  le  serpent, 
lui  coupa  ses  sept  langues  et  les  emporta.  Mais  un  charbonnier, 
passant  tôt  après  dans  le  bois,  lui  coupa  aussi  ses  sept  têtes,  les 
mit  dans  un  sac  et  se  présenta  avec  elles  à  la  cour,  pour  réclamer 
la  main  de  la  princesse.  Heureusement  que  le  berger  vint  aussi  à 
temps,  avec  les  sept  langues,  et  l'imposture  du  charbonnier  ayant 
été  découverte,  il  lut  patibulé  et  pendu. 

1    II  doit  y  avoir  une  lacune  dans  le  conte,   car   1rs  fourmis  et  la  colombe  n'y 

reparaissent  pas. 


—  35  — 

On  dirait  qu'il  y  a  dans  ce  conte  un  souvenir  lointain  de  la 
fable  de  Thésée  et  du  Minotaure  de  Crète. 

Le  même  conte  se  trouve  dans  Straparole,  nuit  X,  fable  III, 
sous  le  titre  suivaut  :  «  Césarin  de  Berni,  accompagné  d'un  lyon,  un 
ours  et  un  loup,  part  au  desceu  de  sa  mère  et  de  ses  sœurs  et  s'en  va; 
et,  arrivé  en  Sicile,  trouve  la  fille  da  roi  exposée  pour  estre  dévorée 
d'un  dragon,  lequel,  à  l'ayde  de  ces  trois  animaux,  il  occit,  délivrant 
la  princesse ,  qu'il  espousa.  » 

LE  ROI  QUI  VOULAIT  EPOUSER  SA   PROPRE  FILLE. 

Un  roi  d'Espagne  perdit  sa  femme,  et  il  jura  qu'il  ne  se  remarierait 
jamais,  à  moins  qu'il  ne  trouvât  une  jeune  fille  à  qui  la  robe  de  noces 
de  la  défunte  reine  siérait  parfaitement.  Sa  fille ,  qui  avait  dix-huit  ans  , 
mit  un  jour,  en  jouant,  la  robe  de  sa  mère,  et  elle  lui  allait  à  merveille , 
si  bien  que  son  père  voulait  l'épouser.  Effrayée  de  ses  instances,  elle  va 
consulter  une  sorcière  qui  lui  dit  de  demander  successivement  au  roi ,  pour 
gagner  du  temps,  d'abord  un  habit  couleur  du  ciel,  puis  un  autre  couleur 
de  la  lune,  et  enfin  un  troisième  couleur  du  soleil.  Son  père  vient  à  bout 
de  lui  procurer  ces  trois  habits,  l'un  après  l'autre,  et  avec  beaucoup  de 
peine.  Alors  elle  quitte,  de  nuit,  le  palais,  et,  par  le  pouvoir  de  la  sorcière, 
ses  trois  habits  la  suivent  sous  terre ,  dans  une  cassette.  Elle  devient  gar- 
deuse  de  dindons  dans  un  château.  Le  fils  du  seigneur  de  ce  château 
tombe  amoureux  d'elle.  Afin  de  la  connaître  et  de  l'éprouver,  il  se  rend 
dans  une  ferme  attenante  au  château  et  s'entend  avec  le  fermier  et  sa 
femme  pour  se  faire  passer  pour  une  pauvre  femme  bien  malade  à  qui 
ils  ont  donné  l'hospitalité,  par  commisération.  Il  se  fait  mettre  un  ht 
dans  un  endroit  obscur,  sous  prétexte  qu'il  ne  peut  souffrir  la  lumière. 

Trois  demoiselles  nobles,  qui  désiraient  toutes  les  trois  l'épouser,  le 
visitent  là,  successivement,  sans  le  reconnaître,  et  lui  font  d'étranges 
aveux.  La  gardeuse  de  dindons  vient  aussi  à  son  tour,  et,  trompée 
comme  les  autres  et  croyant  parler  à  une  pauvre  femme  ,  elle  lui  avoue 
qu'elle  est  fille  du  roi  d'Espagne.  Alors  le  jeune  seigneur  se  fait  recon- 
naître. Il  épouse  la  prétendue  gardeuse  de  dindons  et  le  vieux  roi ,  de- 
venu plus  sage,  assiste  aux  noces  de  sa  fille  et  cède  sa  couronne  à  son 
gendre. 

On  sait  que  Peau  d'âne  de  Perrault  est  bâti  sur  les  mêmes  res- 
sorts; mais  l'épisode  de  la  ferme  ne  s'y  trouve  pas,  ni  non  plus 
dans  Straparole,  qui  a  le  même  conte,  à  quelques  différences 
près,  nuit  I,  fable  IV,  sous  le  titre  suivant  :  «  Thibaud,  prince  de 
Salerne,  veut  espouser  sa  fille  Doralice;  laquelle,  estant  sollicitée  du 


—  36  — 
père,  arriva  en  Angleterre,  où  Genèse  l'espousa  et  eut  deux  enfants 
d'elle ,  qui  furent  mis  à  mort  par  Thibaud,   dont  Genèse  se  vengea 
depuis.  » 

La  même  circonstance  d'un  père  qui  veut  épouser  sa  fille  se 
trouve  dans  Y  Histoire  de  la  belle  Héleine  de  Constantinople,  mère  de 
saint  Martin  de  Tours  en  Touraine  et  de  saint  Brice,  son  frère.  On 
trouve  encore  une  situation  analogue  dans  un  conte  de  Chaucer 
et  dans  un  conte  lithuanien  intitulé  :  De  la  belle-Jille  d'un  roi, 
dans  le  recueil  de  Schleicber,  Lithauische  Màrchen,  page  10.  Il  y 
a  également  dans  Bonaventure  Des  Périers  un  conte  dont  l'hé- 
roïne, Pernette,  présente  plus  d'un  trait  de  ressemblance  avec  le 
conle  de  Perrault,  Peau  d'âne. 

L'ÉPERVIER    ET    LA    SIRÈNE. 

Un  vieux  pêcheur  prit,  un  jour,  une  sirène  dans  ses  filets.  Celle-ci 
lui  dit:  «Amène-moi  ton  enfant  nouvellement  né  pour  que  je  l'em- 
brasse, puis  remets-moi  en  liberté  et  demain,  depuis  le  lever  jusqu'au 
coucher  du  soleil ,  les  pièces  d'or  ne  cesseront  de  tomber  par  la  chemi- 
née dans  ta  chaumière.  »  Le  pêcheur  s'empressa  d'aller  chercher  son  en- 
fant nouveau-né  et  la  sirène  lui  donna  un  baiser,  puis  elle  le  rendit  à  son 
père  et  plongea  sous  l'eau.  Le  lendemain,  le  pêcheur  et  sa  femme  pas- 
sèrent toute  la  journée  à  ramasser  de  l'or  sur  la  pierre  de  leur  foyer.  Les 
voilà  riches  à  présent.  Quand  l'enfant  eut  dix-huit  ans.il  voulut  voyager. 
Son  père  lui  recommanda  de  ne  s'approcher  que  le  moins  possible  de  la 
mer  et  de  ne  jamais  s'y  baigner  surtout.  Il  partit,  et,  chemin  faisant, 
il  trouva  sur  sa  roule  une  charogne  que  se  disputaient  un  loup,  un  éper- 
vier  et  un  bourdon.  Il  en  fil  le  partage  entre  eux  de  Façon  à  les  contenter 
tous  les  trois,  et  chacun  d'eux,  par  reconnaissance  du  service  qu'il  leur 
avait  rendu,  lui  accorda  de  devenir  à  sa  volonté  loup,  épervier  ou  bour- 
don, et  de  plus,  ils  lui  promirent  de  lui  venir  en  aide  dans  le  besoin, 
en  quelque  lieu  qu'il  se  trouvât. 

Plus  loin,  il  obligea  encore  des  oies  et  des  fourmis,  qui  promirent 
aussi  de  s'en  montrer  reconnaissantes. 

Il  arriva  alors  à  un  vieux  château.  11  n'y  vit  personne  d'abord,  mais 
la  table  clail  servie,  et  il  mangea.  Quand  il  eut  fini ,  une  main  invisible 
prit  une  lumière  sur  la  table,  et  le  conduisit  ta  son  lit.  Les  trois  jours 
qui  suivirent,  une  vieille  femme  lui  imposa  trois  épreuves  :  d'abord, 
retirer  du  fond  d'un  puits  très-profond  une  boule  d'argent  qu'elle  y  jeta, 
puis  trier  un  tas  de  trois  grains  différents  et  mettre  chaque  espèce  à 
part;  enfin  désigner,  dans  une  salle  obscure,  quelle  était  la  plus  jeune 
i't  la  plus  jolie  de  trois  femmes  qui  s'y    trouvaient,  dont  deux  vieilles 


—  37  — 
très-laides,  et  une  jeune  et  jolie.  Jl  eut  recours  aux.  animaux  qu'il 
avait  obligés  sur  sa  route  :  les  oies  lui  retirèrent  la  boule  d'argent  du 
puits ,  les  fourmis  trièrent  et  mirent  en  trois  tas  les  grains  mélangés ,  et 
le  bourdon  l'aida  à  reconnaître  la  jeune  femme  des  deux,  vieilles,  en 
venant  voltiger  autour  de  sa  tête1. 

Il  quitta  alors  ce  château,  et  vint  à  Paris.  H  devint  amoureux  de  la 
fille  du  roi,  qu'il  aperçut  un  jour  à  sa  fenêtre.  Il  pénétra  jusqu'à  elle  en 
se  changeant  en  épervier,  et  passa  alors  toutes  les  nuits  avec  elle,  non 
pas  sous  forme  d'épervier.  mais  bien  sous  sa  forme  naturelle  d'homme. 
La  princesse  mit  au  monde  un  fils,  et  le  roi,  ayant  appris  qui  en  était  le 
père,  pensa  que  ce  qu'il  avait  de  mieux  à  faire  c'était  de  la  lui  laisser 
épouser. 

Un  jour  qu'il  se  promenait  au  bord  de  la  mer  avec  un  prince  qui 
avait  été  aussi  un  prétendant  à  la  main  de  la  princesse,  cet  homme,  d'un 
coup  d'épaule,  le  fit  tomber  du  haut  d'une  falaise  dans  l'eau,  et  aussitôt 
la  sirène  vint  et  l'emporta  dans  sa  grotte.  Il  y  resta  deux  ans  avec  elle. 
Un  jour,  elle  consentit  à  l'élever  sur  la  paume  de  sa  main  au-dessus  des 
flots,  pour  qu'il  put  jouir,  une  dernière  fois,  de  la  vue  de  son  pays 
natal.  Mais,  dès  qu'il  fut  hors  de  l'eau,  il  souhaita  de  devenir  épervier, 
et  s'envola  auprès  de  sa  femme  qui,  le  croyant  mort,  allait  se  marier 
avec  le  prince  qui  l'avait  jeté  dans  la  mer.  Alors,  il  fit  chauffer  un  four, 
et  le  traître  y  fut  jeté. 

Il  y  a  ici  mélange  de  deux  fables.  Ainsi  les  trois  épreuves  me 
semblent  appartenir  aux  récits  concernant  le  soleil  et  la  Princesse 
aux  cheveux  d'or,  où  on  les  trouve  presque  toujours.  Ce  conte  se 
trouve  dans  le  recueil  des  frères  Grimm,  sous  le  titre  de 
VOndine  de  l'étang.  La  partie  interpolée  a  du  rapport  avec  la 
Reine  des  Abeilles  du  même  recueil.  J'ai  une  seconde  version  bre- 
tonne qui  diffère  beaucoup  de  celle-ci. 

LE  PÈRE  QUI  VENDIT  SON   FILS  AU  DIABLE,   ET  LE  BRIGAND. 

Un  pauvre  homme  vend  son  fils  au  diable ,  pour  avoir  de  l'argent. 
Pris  de  remords,  il  va  se  confesser  au  pape,  à  Rome.  Le  pape  refuse  de 
l'absoudre,  et  l'adresse  à  un  ermite,  dans  un  bois.  L'ermite  lui  dit  d'aller 
se  confesser  à  un  prêtre  dans  l'église  la  plus  voisine,  et  de  ne  pas  avouer 

1  Ces  trois  épreuves  me  semblent  ici  une  interpolation.  L'épisode  du  triage 
des  grains  de  différente  sorte,  que  nos  conteurs  aiment  à  intercaler  dans  leurs 
récits,  et  que  j'ai  déjà  reproduit,  se  retrouve  dans  Apulée,  Mélamorplioseon , 
1.  VI.  «Ruunt  alise,  superque  alise  sepedum  populorum,  summoque  studio 
singulse  granatim  totum  digerunt  acervum.  » 


—  38  — 

son  plus  gros  péché ,  la  vente  de  son  fils  au  diable,  afin  de  recevoir 
l'absolution.  11  lui  recommande  encore  de  ne  pas  manger  la  sainte 
hostie,  niais  de  la  lui  apporter  dans  son  mouchoir.  Il  se  conforme  à 
ces  recommandations,  et  apporte  la  sainte  hostie  à  l'ermite.  Celui-ci  la  lui 
coud  dans  sa  poitrine,  entre  chair  et  peau,  et  lui  dit  ensuite  d'aller  lui- 
même  en  enfer,  pour  retirer  le  contrat  de  vente  de  l'âme  de  son  fils.  Il 
lui  donne  une  lettre  pour  un  frère  brigand  qu'il  a  dans  un  bois, 
plus  loin,  et  qui  est  sur  le  chemin  de  l'enfer.  11  part  avec  cette  lettre,  et 
loge  chez  le  brigand.  Celui-ci  lui  dit,  au  moment  de  partir,  de  demander 
à  Satan  de  lui  faire  voir  la  place  qu'il  lui  réserve  dans  l'enfer.  Un  diable 
vient  à  sa  rencontre,  et  ne  fait  aucune  difficulté  de  recevoir  le  père  à 
la  place  du  fils. 

Le  voilà  dans  l'enfer.  Mais  les  démons  ne  peuvent  y  supporter  sa  pré- 
sence, à  cause  de  la  sainte  hostie  qu'il  porte  sur  lui,  et  ils  le  pressent  de 
s'en  aller.  Il  se  fait  remettre  d'abord  le  contrat  de  la  vente  de  son  Bis; 
puis,  il  demande  à  voir  la  place  qui  est  réservée  au  brigand.  On  lui 
montre  un  siège  de  fer  rouge,  entouré  de  feu  de  tous  côtés.  Il  part  alors. 
11  repasse  par  chez  le  brigand,  et  celui-ci,  au  récit  qui  lui  est  fait  de  ce 
qui  l'attend  dans  l'enfer,  congédie  ses  camarades  et  se  soumet  à  une 
pénitence  dont  la  pensée  seule  fait  frémir.  Il  en  meurt,  et  son  âme  est 
sauvée.  Le  père  se  rend  alors  auprès  du  pape,  qui  lui  extrait  la  sainte 
hostie  de  la  poitrine,  et  la  lui  donne  ensuite  en  communion.  Il  reprend 
alors  le  chemin  de  chez  lui.  II  y  arrive  en  mendiant,  et  personne  ne  le 
reconnaît,  car  son  voyage  a  duré  plusieurs  années,  et  on  le  croit  mort. 
Il  y  a  une  grande  fête  dans  sa  maison  ,  à  l'occasion  de  la  première  messe 
de  son  fils,  qui  vient  d'être  ordonné  prêtre.  Après  le  repas,  auquel  il  est 
aussi  admis  par  charité,  il  demande  à  se  confesser  au  jeune  prêtre.  11  lui 
avoue  qu'il  est  son  père.  La  joie  de  la  mère,  du  fils  et  du  père  de  se  re- 
trouver réunis  est  si  grande,  qu'ils  en  meurent  tous  les  trois  sur  la 
place,  et  leurs  âmes  vont  tout  droit  au  paradis. 

La  même  fable  a  été  recueillie  par  Glinski  chez  les  Slaves,  sous 
le  titre  de  :  le  briyancl  Madcy.  On  y  voit ,  comme  dans  le  conte 
breton,  un  père  qui  va  en  enfer  retirer  le  contrat  de  la  vente  de 
son  fils,  et  un  brigand  qui  se  convertit  et  est  sauvé,  après  une 
pénitence  inouïe. 

Les  contes  où  un  père  vend  au  diable  l'âme  d'un  enfanta  naître, 
souvent  innocemment  et  sans  savoir  que  sa  femme  est  enceinte, 
sont  nombreux  dans  le  peuple,  en  Bretagne.  Je  possède  une  se- 
conde version  de  celui-ci,  mais  où  la  mère  de  l'enfant  s'est  mariée 
avec  le  diable,  qui  vient  réclamer  son  lils.  Celui-ci  va  aussi  dans 
l'enfer,   mais  grâce  à   une   ample   provision  d'eau    bénite   qu'il   a 


—  39  — 
emportée,  d'après  le  conseil  d'un  ermite,    et  dont  il  arrose  les 
habitants  de  ces  lieux ,  il  est  prié  de  s'en  aller;  il  ne  se  retire  pour- 
tant qu'après  avoir  reçu  le  contrat  de  mariage  de  sa  mère,  et  il 
la  sauve  ainsi. 

LE    PRINCE    DE    PORTUGAL. 

Un  prince  de  Portugal  se  met  en  route,  accompagné  d'un  bossu, 
pour  aller  conquérir  la  princesse  Konkar,  qui  habite  le  château  de  Mon- 
lauban1.  La  nuit  les  surprend  dans  une  forêt.  Le  prince  se  fourre  clans 
un  tas  de  feuilles  sèches,  où  il  dort  tranquillement,  et  le  bossu  monte 
sur  un  arbre,  et  ne  dort  pas.  Des  brigands  viennent  sous  l'arbre  partager 
leur  or,  et  se  raconter  leurs  exploits  de  la  journée.  Un  d'entre  eux,  un 
boiteux, qui  estleplus  malin  de  la  bande, annonce  aux  autres  la  présenee 
du  prince  de  Portugal  dans  le  bois,  avec  sept  mulets  chargés  d'argent; 
et  de  plus,  il  indique  de  point  en  point  la  manière  dont  il  lui  faudrait  s'y 
prendre  pour  réussir  dans  son  entreprise ,  qui  est  d'enlever  la  prin- 
cesse Ronkar  du  château  de  Montaubau.  Le  prince,  qui  dort,  n'entend 
rien ,  mais  le  bossu  entend  tout. 

Le  lendemain  matin,  quand  les  brigands  sont  partis,  ils  se  remettent 
en  route.  Le  bossu  suit  de  point  en  point  les  instructions  du  brigand 
boiteux,  et  ils  entrent,  à  midi  juste,  comme  il  le  fallait,  dans  le  château 
de  Montauban.  Tout  le  monde  y  dort  à  cette  heure,  et  ils  enlèvent 
facilement  la  princesse.  Le  prince  l'épouse  alors  et  il  a  un  fils  d'elle. 

L'envie  lui  vient,  un  jour,  de  savoir  comment  le  bossu,  qui  est 
devenu  son  ami  intime,  a  pu  le  conseiller  si  sagement  pour  mener  à 
bonne  fin  l'enlèvement  de  la  princesse.  Mais  le  bossu  lui  répond  que 
c'est  là  un  secret  qu'il  ne  peut  révéler,  sans  être  aussitôt  changé  en 
statue  de  marbre  (il  l'avait  aussi  entendu  dire  au  boiteux,  dans  la  forêt). 
Le  prince  insisle  tant,  qu'il  finit  par  lui  dire  tout,  et  aussitôt  son  corps 
devient  de  marbre,  jusqu'aux  épaules.  11  vit  pourtant  encore  dans  cet 
état ,  et  souffre  beaucoup. 

Le  prince,  désolé,  et  cherchant  les  moyens  de  délivrer  son  ami,  re- 
tourne au  bois ,  pour  y  passer  une  nuit ,  et  il  monte  sur  le  même  arbre  où 
était  monté  le  bossu  ,  lors  de  leur  voyage.  Les  mêmes  brigands  viennent 
sous  l'arbre,  partager  leur  or  et  se  raconter  les  exploits  de  la  journée,  et 
il  entend  dire  au  même  boiteux  ce  qu'il  faut  faire  pour  que  le  bossu,  qui 
a  livré  son  secret,  revienne  à  son  élat  naturel.  11  faut  que  le  prince  tue 

1  Le  nom  du  châleau  de  Montauban  est  populaire  dans  nos  campagnes,  et 
cela,  je  présume,  à  cause  du  mystère  breton  des  Quatre  fils  Aimon,  qui  y  est  très- 
répandu.  Lorsqu'on  parle  d'un  château  bien  fort  et  bien  beau,  on  dit  commu- 
nément :  comme  le  château  de  Montauban. 


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lui  même  son  jeune  enfant,  et  qu'avec  son  sang  encore  chaud  il  arrose 
la  Statue  de  marbre...  Quelque  douleur  qu'il  en  éprouve,  le  prince , 
revenu  chez  lui,  tue  son  enfant  el  en  recueille  le  sang  dans  un  vase. 
Avec  ce  sang,  il  arrose  la  statue  du  bossu,  et  celui-ci  revient  a  son  état 
naturel. 

—  Vois,  lui  dit  alors  le  prince,  comme  il  faut  que  je  t'aime,  puisque, 
pour    te   délivrer,    j'ai    moi-même  ôté    la    vie  à  mon  enfant  unique! 

—  Votre  enfant  n'est  pas  mort,  lui  répond  le  bossu;  venez  vous  en 
assurer. 

Et  en  effet,  en  arrivant  dans  la  chambre  de  l'enfant,  ils  le  virent  dans 
son  berceau,  qui  leur  souriait  et  leur  tendait  les  bras. 

Le  boiteux  de  ce  conte,  espèce  de  sorcier  ou  magicien  qui  habite 
les  bois,  rappelle  à  l'esprit  le  roi  Obéron  ,  de  Huon  de  Bordeaux. 

L'épisode  de  l'homme  changé  en  statue  pour  avoir  révélé  un 
secret,  et  qui  ne  peut  être  délivré  qu'en  l'arrosant  avec  le  sang 
encore  chaud  de  l'enfant  tué  par  le  père  lui-même,  se  retrouve 
aussi  dans  le  fidèle  Jean  des  frères  Grimm.  Les  Mille  et  une  nuits 
ont  également  un  homme  changé  en  statue  de  pierre,  dans  le 
conte  :  le  roi  des  Îles  Noires. 

LE    CHAT    ET    SA    MÈRE. 

Une  jeune  fille  avait  une  marâtre  qui  la  persécutait.  Cette  marâtre, 
voulant  se  débarrasser  d'elle  ,  alla  trouver  une  sorcière  de  ses  amies,  dans 
un  bois  voisin.  La  sorcière  lui  donna  un  gâteau  el  lui  dit  :  «  Donnez  ce 
gâteau  à  manger  à  la  lille  de  votre  mari,  et  vous  en  verrez  bientôt  les 
effets.»  La  jeune  fille  mangea  le  gâteau,  et,  quelque  temps  après, 
elle  fut  étonnée  de  se  trouver  enceinte.  Le  père,  voyant  cela,  fut  per- 
suadé que  sa  fille  se  conduisait  mal,  et,  cédant  aux  excitations  de  sa 
femme,  il  la  fit  exposer  sur  la  mer,  dans  un  tonneau.  Elle  aborda  dans 
une  île,  se  retira  sous  un  rocher,  et  y  accoucha  d'un  chat.  Elle  pleura 
beaucoup,  en  voyant  l'être  que  Dieu  lui  envoyait.  Mais  le  chat  prenant 
alors  la  parole,  comme  un  homme,  essaya  de  la  consoler  et  lui  dit 
d'être  sans  crainte  au  sujet  de  leur  nourriture,  qu'il  saurait  y  pourvoir. 
En  effet,  prenant  un  bissac  sur  ses  épaules,  il  se  rendit  à  un  château 
qui  se  trouvait  dans  l'île,  et  en  rapporta  des  provisions.  Pendant  plusieurs 
jours  il  se  comporta  de  la  sorte.  Un  jour,  le  jeune  seigneur  du  château 
fut  mis  en  prison ,  parce  qu'il  avait  perdu  ses  papiers,  ses  titres.  Le  chat 
l'alla  trouver  dans  sa  prison ,  et  lui  promit  de  le  remettre  en  liberté,  el  de 
lui  faire  retrouver  ses  papiers,  s'il  voulait  épouser  sa  mère.  «  Epouser  une 
chatte!»  répondit-il,  on  ne   peut  plus  étonné.  «Faites  ce  que  je  vous 


—  41   — 

demande,  reprit  le  chat,  et  vous  ne  le  regretterez  pas,  plus  tard.)-  Il 
promit. 

Pendant  la  dernière  visite  du  chat  au  château,  une  fée  vint  trouver  sa 
mère,  el  lui  parla  ainsi  :  a  Lorsque  votre  fils  le  chat  rentrera,  prenez 
un  couteau,  évenlrez-le,  puis,  après  l'avoir  écorché ,  jetez  sa  peau  dans 
la  mer,  et,  au  lieu  d'un  chat,  vous  verrez  que  vous  aurez  pour  fils  un 
beau  prince.  » 

Le  chat  arrive;  sa  mère  l'éventre,  l'écorche,  jette  sa  peau  dans  la  mer, 
et  voilà  aussitôt  un  beau  prince  auprès  d'elle,  et  qui  l'appelle  sa  mère. 
La  fée  leur  procure  alors  un  beau  carrosse,  et  ils  montent  dedans  et  se 
rendent  au  château ,  et  le  jeune  seigneur  se  trouve  heureux  d'épouser 
la  mère  du  chat,  qui  est  devenue  aussi  une  belle  princesse,  richement 
parée.  Après  la  noce,  ils  se  rendirent  chez  la  marâtre  traîtresse,  et  la 
firent  brûler,  avec  son  amie  la  sorcière,  dans  un  grand  bûcher. 

Ce  maître  chat  rappelle  le  Chat  botté  de  Perrault.  Le  conte  de 
Perrault  lui-même  se  retrouve  tout  entier  dans  Straparole,  nuit  XI, 
fable  I,  sous  ce  titre  :  Soriane  meurt  et  laisse  trois  enfants  :  Dusso- 
lin,  Tésifon  et  Constantin  le  fortuné.  Ce  dernier,  par  le  moyen  d'une 
chatte,  acquiert  un  puissant  royaume. 

Je  possède  une  seconde  version  bretonne,  avec  des  variantes 
curieuses. 

LES    TROIS    SOUHAITS. 

Un  jeune  garçon  avait  une  marâtre  qui  le  maltraitait  et  l'envovait  tous 
les  jours  garder  les  moutons  sur  une  grande  lande,  avec  une  croûte  de 
pain  noir  et  moisi  pour  toute  nourriture.  Un  jour  que  l'enfant  chantait 
gaîmcnt,  malgré  tout,  sur  le  bord  d'une  petite  rivière  qui  passait  au 
bas  de  la  lande,  deux  voyageurs  inconnus  arrivèrent  et  le  prièrent  de 
leur  passer  l'eau,  en  les  portant  sur  son  dos.  Il  leur  passa  l'eau.  Il 
trouva  le  plus  vieux  assez  léger;  mais  le  plus  jeune  lui  parut  si  lourd, 
qu'il  le  menaça  de  le  jeter  dans  la  rivière,  s'il  ne  descendait.  11  le  mit 
pourtant  sur  l'autre  bord.  «Ne  t'étonne  pas,  mon  enfant,  lui  dit 
alors  le  voyageur  qu'il  venait  de  passer  avec  tant  de  peine,  si  tu  m'as 
trouvé  si  lourd,  car  avec  moi  tu  as  porté  le  monde  entier  sur  ton 
dos!»  Or  ces  deux  voyageurs  étaient  saint  Pierre  et  Jésus-Christ,  qui 
voyageaient  alors  en  basse  Bretagne.  Notre-Seigneur,  pour  reconnaître  le 
service  que  leur  avait  rendu  le  petit  pâtre,  dit  à  celui-ci  de  former  trois 
souhaits,  de  lui  demander  trois  choses,  et  il  les  lui  accorderait.  L'enfant 
demanda  d'abord  une  serviette  qui  lui  procurât  à  manger  et  à  boire  à 
souhait;  puis,  un  arc  avec  lequel  il  atteindrait  tout  ce  qu'il  viserait.  Il 
fut  embarrassé  pour  sa  troisième  demande.  Enfin  il  demanda  un  violon 


—  42  — 

qui  ferait  danser,  bon  gré  malgré,  tous  ceux  qui  l'entendraient.  Tout 
cela  lui  fut  accordé,  et  il  put ,  désormais,  faire  des  festins  sur  l'herbe  à 
discrétion,  et  s'amuser  avec  son  arc  et  son  violon,  et  même  se  venger 
des  mauvais  traitements  de  sa  marâtre  et  de  quelques  autres. 

Ce  conte  est  très-répandu;  on  le  trouve  dans  plusieurs  pays. 
Les  épisodes  varient,  mais  le  fond  en  est  partout  le  même.  J'en  ai 
recueilli  trois  versions  en  basse  Bretagne.  Il  se  trouve  dans  le 
recueil  des  frères  Grimm  sous  le  titre  de  :  le  Juif  dans  les  épines. 

JEAN    ET    JEANNE. 

C'est  le  Jean-Bête,  connu  partout,  et  sur  le  compte  duquel  on 
met  ordinairement  les  naïvetés  et  les  sottises  de  toute  une  région, 
parfois  de  toute  une  nation. 

Aussi  les  épisodes  varient-ils  beaucoup,  suivant  les  pays,  mais  le 
fond  ne  varie  pas,  et  le  héros,  ou  l'héroïne,  reste,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  la  personnification  de  la  simplicité,  des  naïvetés  et  de 
l'ignorance  d'une  caste,  d'une  région,  ou  de  tout  un  peuple.  J'ai 
recueilli  deux  versions  bretonnes  de  ce  conte,  et  j'en  ai  déjà  donné 
une  dans  mon  troisième  rapport,  sous  le  titre  de  Jean  de  Ploubezre. 

LES    FINESSES    DE    BILZ. 

Un  lin  voleur,  pour  répondre  au  défi  d'un  seigneur  peu  doué  du 
côté  de  l'intelligence  et  de  l'esprit,  bien  qu'ayant  la  prétention  d  être  un 
maître  malin,  lui  dérobe  successivement  le  meilleur  cheval  de  son 
écurie,  un  pâté  du  four,  les  draps  du  lit  où  il  est  couché  avec  sa  femme, 
et  enfin,  l'amène  à  se  noyer,  avec  sa  femme,  dans  l'étang  de  son  mou- 
lin; puis  il  épouse  sa  lille. 

J'ai  deux  versions  de  ce  récit,  avec  des  variantes  intéressantes. 
M.  Corentin  Tranois  en  a  aussi  donné  une  version  curieuse,  bien 
qu'arrangée,  dans  la  Nouvelle  lievue  de  Bretagne,  troisième  année, 
page  'i8o  cl  suivantes,  sous  le  litre  de  :  le  comte,  le  curé  et  le 
paysan...  Cette  version  a  été  recueillie  dans  les  environs  de  Bos- 
porden  (Finistère). 

Je  le  trouve  encore  dans  Straparole,  nuit  I,  fable  II,  sous  le 
titre  suivant  :  Un  fameux  larron ,  nommé  Cassandrin,  amy  du  prévost 
de  Pérouse,  lui  desroba  son  lict  et  son  cheval;  puy,  lui  ayant  présenté 
mesure  Séverin  lié  dans  un  sac.  devint  homme  de  bien  et  de  grande 
entreprinse. 


—  43  — 

L'épisode  du  curé  lié  dans  un  sac,  sous  prétexte  de  le  porter 
en  paradis,  se  trouve  aussi  dans  une  de  mes  versions  bretonnes. 

LK  BERGER  QUI   OBTINT  LA   FILLE   DU   ROI   POUR   UNE  SEULE    PAROLE. 

Il  y  avait  une  fois  un  roi  qui  disait  qu'il  n'avait  jamais  fait  un  seul 
mensonge  de  sa  vie.  Comme  il  entendait  sans  cesse  les  gens  de  sa  cour 
qui  disaient  les  uns  aux  autres  :  «Ce  n'est  pas  vrai!  vous  êtes  un  men- 
teur!» cela  lui  déplaisait  beaucoup;  si  bien  qu'il  dit  un  jour  : 

—  Vous  m' étonnez;  un  étranger  qui  vous  entendrait  parler  de  la 
sorte  ne  manquerait  pas  de  dire  que  je  suis  le  roi  des  menteurs.  Je  ne 
veux  plus  entendre  parler  ainsi  dans  mon  palais.  Celui  qui  m'entendrait 
dire  à  un  autre,  quel  qu'il  fût  :  «Vous  êtes  un  menteur!  »  eb  bien,  je  lui 
donnerais  la  main  de  ma  bile. 

Un  berger,  qui  était  aussi  parmi  les  autres,  ayant  entendu  ces  paroles 
du  roi,=se  dit  en  lui-même  :  «Bon!  nous  verrons! » 

Le  vieux  roi  aimait  à  entendre  chanter  d'anciens  giverziou,  des  soniou 
nouveaux  et  conter  des  contes  merveilleux.  Souvent,  après  souper,  il 
venait  à  la  cuisine  et  prenait  beaucoup  de  plaisir  à  écouter  les  chants  et 
les  récits  des  valets  et  des  servantes.  Chacun  chantait  ou  contait  quelque 
chose  à  son  tour. 

—  Et  toi,  jeune  berger,  tu  ne  sais  donc  rien?  dit  le  roi,  un  soir. 

—  Oh  !  si ,  mon  roi ,  répondit  le  berger. 

—  Voyons  donc  ce  que  tu  sais. 
Et  alors  le  berger  parla  ainsi  : 

—  Un  jour,  comme  je  passais  dans  un  bois,  je  vis  venir  à  moi  un 
superbe  lièvre.  J'avais  à  la  main  une  boule  de  poix;  je  la  lançai  au  lièvre 
et  je  l'atteignis  juste  au  milieu  du  front,  où  elle  se  colla.  Et  voilà  le  lièvre 
de  courir  de  plus  belle ,  avec  la  boule  de  poix  sur  le  front.  Il  rencontra  un 
autre  lièvre  qui  venait  en  sens  opposé,  ils  se  heurtèrent  front  contre 
front  et  restèrent  collés  ensemble,  si  bien  que  je  pus  les  prendre  facile- 
ment, alors.  Comment  trouvez-vous  cela,  sire? 

—  C'est  fort,  répondit  le  roi,  mais  continue. 

—  Avant  de  venir  comme  berger  à  votre  cour,  sire,  j'étais  garçon 
meunier  dans  le  moulin  de  mon  père,  et  j'allais  porter  la  farine  aux 
pratiques.  Un  jour,  j'avais  tellement  chargé  mon  âne  que,  ma  foi!  son 
échine  se  rompit. 

—  La  pauvre  bête!  dit  le  roi. 

—  J'allai  alors  à  une  haie  qui  était  près  de  la  et,  avec  mon  couteau, 

j'y  coupai  un  bâton  de  coudrier  que  je  fourrai  dans le  corps  de 

mon  âne,  pour  lui  tenir  lieu  d'échiné.  L'animal  se  releva  alors,  et  il 
porta  bellement  sa  charge  à  destination,  comme  s'il  ne  lui  était  |>as 
arrivé  de  mal. 


—  lik  — 

—  C'est  fort,  dit  le  roi;  et  après? 

—  Le  lendemain  malin,  je  lus  bien  étonné  (car  ceci  se  passait  au 
mois  de  décembre)  de  voir  qu'il  avait  poussé  des  brandies,  des  feuilles 
et  même  des  noisettes  sur  le  bâton  de  coudrier;  et  quand  je  sortis  mon 
âne  de  l'écurie,  les  brandies  continuèrent  de  pousser  et  montèrent  si 
haut,  si  haut,  qu'elles  atteignirent  jusqu'au  ciel. 

—  Ceci  est  bien  fort!  dit  le  roi,  mais  après? 

—  Voyant  cela, je  me  mis  à  grimper  de  branche  en  branche  sur  le 
coudrier,  tant  et  tant,  que  j'arrivai  enfin  dans  la  lune. 

—  C'est  bien  fort,  bien  fort!  mais  après? 

—  Là  je  vis  des  vieilles  femmes  qui  vannaient  de  l'avoine  dépouillée 
de  son  écorce.  Je  me  lassai  bientôt  à  regarder  ces  vieilles  femmes, 
et  je  voulus  redescendre  sur  la  terre.  Mais  mon  âne  était  parti,  et  je  ne 
retrouvai  plus  le  coudrier  par  lequel  j'étais  monte.  Comment  faire?  Je 
me  mis  alors  à  nouer  des  écorces  d'avoine  bout  à  bout,  afin  de  faire  une 
corde  pour  descendre. 

—  C'est  bien  fort  cela!  dit  le  roi;  et  après? 

—  Malheureusement  ma  corde  n'était  pas  assez  longue;  il  s'en  fallait 
de  trente  ou  de  quarante  pieds,  si  bien  que  je  tombai  sur  un  rocher,  la 
tête  la  première,  et  si  rudement  que  ma  tète  s'enfonça  dans  la  pierre 
jusqu'aux  épaules. 

—  C'est  bien  fort,  bien  fort!  et  après? 

—  Je  me  démenai  tant  et  si  bien  que  mon  corps  se  détacha  de  ma 
tête,  qui  resta  enfoncée  dans  le  rocher.  Je  courus  aussitôt  au  moulin 
chercher  un  levier  de  fer  pour  retirer  ma  tète  de  la  pierre. 

—  De  plus  fort  en  plus  fort!  dit  le  roi;  mais  après? 

—  Quand  je  revins,  un  énorme  loup  voulait  aussi  extraire  ma  tête  du 
rocher  pour  la  dévorer!  Je  lui  appliquai  un  coup  de  mon  levier  de  fer 
sur  le  dos,  mais  si  fort,  si  fort qu'une  lettre  jaillit  de  son  corps! 

—  Oh!  c'est  on  ne  peut  plus  fort  cela!  s'écria  le  roi;  mais  qu'y  avait- 
il  aussi  marqué  sur  celle  Lettre? 

—  Sur  cette  lettre,  mon  roi,  il  étail  mai  que.  sauf  voire  respect,  que 
votre  père  avait  élé  jadis  garçon  de  moulin  chez  mon  grand-père. 

—  Tu  en  as  menti ,  fils  de  p !  s'écria  aussitôt  le  roi ,  en  se  levant. 

—  Holà!  sire,  j'ai  gagné!  dil  tranquillement  le  berger. 

—  Comment  cela  ?  qu'as-tu  gagné,  insolent? 

—  N'aviez-vous  pas  dit,  mon  roi,  que  vous  donneriez  volontiers  ta 
main  de  la  princesse  voire  fille,  au  premier  qui  vous  ferait  dire  :  «Tu  as 
menti,  ou  tu  es  nu  menteur?> 

—  C'est  vrai,  répondit  le  roi,  je  l'ai  dit.  Lu  roi  ne  doit  avoir  iprune 
parole,  aussi  tes  fiançailles  avec  ma  fille  unique  seront-elles  célébrées 
dès  demain,  et  les  noces  dans  la  huitaine! 

El  ces!   ainsi  que  !•'  berger  eut  la  fille  du  roi  pour  une   seule  parole. 


—  45  — 

Ce  petit  conte  suffira,  avec  Jean  de  Ploubezre ,  de  mon  troisième 
rapport,  pour  donner  une  idée  des  récits  facétieux  de  nos  paysans 
et  faire  apprécier  la  qualité  du  sel  dont  ils  les  assaisonnent  ordi- 
nairement. 

Le  même  conte  se  retrouve,  sans  différences  bien  sensibles,  dans 
le  recueil  de  M.  Auguste  Schleicher  :  Contes,  proverbes,  énigmes 
et  chants  de  la  Lilhuanie. 

Du  reste,  pour  qu'on  puisse  juger  de  la  ressemblance  qui  existe 
entre  le  conte  breton  et  le  conte  lithuanien,  je  reproduis  ici  ce 
dernier  : 

Il  v  avait  une  fois  un  paysan  et  un  seigneur  qui  firent  un  pari  à  qui 
mentirait  le  mieux  ,  et  ils  mirent  chacun  pour  enjeu  cent  écus. 
Le  seigneur  dit  au  paysan  : 

—  Paysan,  commence  de  mentir! 
Le  paysan  dit  : 

—  Les  seigneurs  commencent  toujours;  pour  mentir  ils  doivent  don- 
ner aussi  l'exemple. 

Alors  le  seigneur  commença  de  mentir,  et  il  dit  : 

—  Mon  père  avait  un  bœuf  qui  avait  de  si  grandes  cornes,  que  la  ci- 
gogne aurait  dû  voler  une  année  entière  avant  d'arriver  de  l'extrémité 
d'une  corne  à  l'extrémité  de  l'autre. 

Le  paysan  dit  : 

—  Cela  se  peut. 
Le  seigneur  dit  : 

—  Paysan,  mens  à  ton  tour. 

Alors  le  paysan  commença  de  mentir. 

—  Mon  père  sema  des  haricots ,  qui  poussèrent  jusque  dans  les  nuages. 
Un  paysan  monta  sur  une  des  tiges.  On  la  coupa,  et  il  ne  pouvait  plus 
descendre.  Il  trouva  pourtant  là  haut  un  tas  de  paille  et  des  coquilles 
d'oeufs,  et  il  s'en  fit  une  corde;  mais  la  corde  était  trop  courte.  11  coupa 
toujours  en  haut  pour  rajouter  en  bas,  et  il  descendit  ainsi  jusque  sur 
l'église.  Par  hasard  il  tomba  sur  une  grosse  pierre,  et  ses  jambes  y  en- 
trèrent jusqu'aux  genoux.  Alors  il  laissa  là  ses  pieds  et  courut  chercher 
une  hache  pour  briser  la  pierre  et  les  ravoir.  Mais,  quand  il  revint,  il 
trouva  un  chien  qui  les  mangeait,  et,  comme  il  le  frappa  avec  sa  hache, 
le  chien  laissa  tomber  un  billet. 

Le  seigneur  demanda  : 

—  Et  qu'y  avait-il  donc  d'écrit  ? 
Le  paysan  dit  : 

—  Sur  le  billet  il  y  avait  que  ton  père  avait,  chez  les  miens,  gardé 
les  porcs. 


—  46  — 

—  Ça  n'esl  pas  vrai  .dit  le  seigneur,  tu  mens! 

—  Si  lu  dis  que  je  mens,  répondit  le  paysan,  alors  j'ai  gagné,  je  sais 
mieux  mentir  qui1  toi. 

Et  sur  ce  le  paysan  prit  les  deux  cents  cens. 

Il  n'est  pas  possible  de  nier  que  ce  ne  soit  la  même  fable  chez 
les  Bretons  et  les  Lithuaniens,  et  que,  très-probablement,  elle  n'ait 
une  source  commune  en  Orient.  Comment  expliquer  autrement 
de  pareilles  coïncidences  chez  deux  peuples  si  éloignés  et  si  étran- 
gers l'un  à  l'autre? 

Mais  je  m'aperçois  que  mon  rapport  est  déjà  bien  long;  aussi 
vais-je  borner  ici  mes  résumés,  et  terminer  par  renumération  pure 
et  simple  des  matériaux  que  j'ai  rassemblés  jusqu'aujourd'hui.  Je 
dois  prévenir  que  parfois  la  même  fable  s'y  trouvera  sous  deux  ou 
trois  titresdifférents,  mais  avec  des  variantes  eu  rieuses.  J'observerai 
dans  cette  énumération  la  division  que  j'ai  déjà  établie  précédemment 
de  nos  traditions  orales,  non  ebantées,  en  trois  classes,  qui  sont  : 

i°  Contes  mythologiques; 

•2°  Contes  légendaires  chrétiens; 

5°  Contes  facétieux  et  plaisants. 

Il  y  a  quelques  récits  qui  ne  rentrent  pas  bien  dans  cette  classi- 
fication, par  exemple  :  les  sept  conseils  du  père  mourant  à  son  fils; 
mais  ils  sont  rares. 

Enfin,  je  dois  dire  encore  que  les  titres,  et  aussi  les  noms  des 
lieux  et  des  personnages,  dans  le  cours  du  récit,  varient  souvent  dans 
les  différentes  versions  d'un  même  conte,  suivant  les  localités  où 
elles  ont  été  recueillies,  chaque  conteur  ayant  la  fâcheuse  habitude 
d'y  introduire  des  noms  d'hommes  et  de  lieux  connus  de  lui  et  de 
son  auditoire,  et  les  substituant  ainsi  à  d'autres  noms  plus  anciens, 
et  peut-être  les  vrais. 

COXTKS   MYTHOLOGIQUES. 

i.  La  princesse  de  Tronkolaine.  2.  Trégont-à-Baris.  —  3. La 
princesse  Troïol. -—  [\.  La  princesse  Tournesol.  —  5.  Ar-Manac'hig, 
ou  le  petit  moine.  6.  Le  petit  teigneux.  7.  Péronig,  ou  le 
domestique  du  diable.  8.  Le  messager  du  diable  cl  le  carillon 
d'enfer,  ou  les    trois  poils  de  la  barbe  d'or  du  diable.  9.   Le 

marquis  deTromelin,  ou  l'enfant  vendu  au  diable  ,  el  le  brigand. 
10.  Le  marchand  qui  se  vendil  au  diable.        11.  Les  enfants 
du   marquis  de  Coadilio.  12.  Les  trois  fils  du   roi   de    France. 


—  47  — 
l3.Le  géant  Calabordin  et  la  princesse  aux  cheveux  d'or.  — 
i/i.  Théodore,  ou  le  château  de  cuivre,  le  château  d'argent  et  le 
château  d'or.  —  i5.  Le  Baptême,  ou  les  trois  poils  de  la  barbe 
d'or  du  diable.  —  16.  Le  Corps  sans  âme.  —  17.  Le  lapin  blanc 
et  le  château  du  Corps  sans  âme.  —  18.  Les  poires  d'or  du  roi  et 
le  Corps  sans  âme.  —  19.  Ancien-la-Chique.  —  20.  Jean  au  bâton 
de  fer.  —  21.  Brise-fer  et  Sans-Pareil.  —  22.  L'homme  aux  trois 
chiens.  —  23.  L'homme  aux  deux  chiens. —  2 !\.  Le  prince  Bleu. 

—  2 5.  L'Hiver  et  le  Boitelet.  —  26.  Le  roi  serpent  et  le  prince 
de  Tréguier.  —  27.  L'homme-poulain.  —  28.  L'homme  à  la 
marmite. —  29.  L'homme-crapaud. —  3o.  Le  loup  gris. —  3i.  La 
truie  sauvage.  —  32.  Le  berger  et  le  dragon  à  sept  têtes.  — 
33.  L'épervier  et  la  sirène.  —  34.  Marie  et  Yvon,  ou   la  sirène. 

—  35.  Les  enfants  de  la  croix  de  Rucluno.  —  36.  Les  trois  fdles 
du  boulanger.  —  37.  L'oiseau  de  la  vérité.  —  38.  Le  merle  blanc 
et  l'oiseau  de  la  vérité.  —  39.  Les  deux  frères  et  la  sœur.  — 
4o.  Koadalan.  — 4i.E\venn  Kongar  (seconde  version  de  Koadalan). 

—  42.  La  vie  du  docteur  Coathalec. —  43.  La  princesse  de  Tré- 
ménézaour.  —  44-  Louizig,  ou  Petit  Louis.  —  45.  Les  quatorze  ju- 
ments et  le  cheval  du  monde.  —  46.  La  princesse  du  château 
enchanté.  —  47-  Le  prince  Blanc.  —  48.  Le  géant  Kolévran.  — 
49.  Le  prince  qui  perdit  sa  tête  au  jeu.  —  5o.  Le  géant  Barbau- 
vert.  — ôi.Le  capitaine  Lixur  et  la  Santirine.  —  52.  Les  trois 
filles  du  marquis  de  Coatléger.  —  53.  Le  chevalier  Fortuné.  — 
54.  Le  chat  et  sa  mère.  —  55.  Le  chat  noir.  —  56.  Le  prince  de 
Portugal  et  le  bossu.  —  57.  Le  roi  Dalmar.  -—  58.  L'Ankou.  — 
59.  Le  roi  turc  Frimelgus.  —  60.  La  fdle  qui  se  maria  avec  un 
mort.  —  61.  Le  roi  qui  voulait  se  marier  avec  sa  fille.  —  62.  Le 
lièvre  d'argent.  —  63.  La  princesse  Blondine.  —  64-  Les  trois 
fds  de  la  vieille.  —  65.  Le  petit  oiseau  à  l'œuf  d'or.  —  66.  Les 
trois  souhaits.  —  67.  Le  géant  Goulaffre.  —  68.  Le  perroquet 
sorcier.  —  69.  Les  aventures  du  tailleur  Cadiou.  —  70.  Le  tail- 
leur et  le  vent.  —  71.  Les  trois  frères,  ou  le  laboureur,  le  prêtre 
et  le  clerc.  —  72.  Le  fds  du  pêcheur.  —  73.  Celle  qui  accoucha 
d'une  couleuvre  en  même  temps  que  d'une  petite  fille.  — 
7/i. L'homme  au  bonuet  rouge. —  75.  Le  grain  de  myrrhe  (talisman). 

—  76.  Crampoues  (talisman). — 77.  Sans-Souci  et  Sans-Chagrin. — 
78.  LeMurlu,  ou  l'homme  sauvage.  —  79.  La  princesse  changée 
en  souris.  — 80.  La  femme  changée  en  cane.  — 81.  Le  mangeur, 


—   '18  — 
le  buveur,   le  tireur,  le  coureur.  —  82.   Le  grand  magicien  de 
la  ville  de  Nismes.  —  (S3.  François  le  pécheur.        84.  Les  deux 
fils  du  pécheur.  —  85.  L'homme  de  fer.  —  86.  Payer  le  tribut 
à  César.  —  87.  Le   prince  Aurèle  et  le  géant  de  Saint-Gily.  — 
88.  La  reine  de  Hongrie.  —  89.  Le  roi  Ohéron.    —  90.  Bihanic 
et  l'ogre.  —  91.  Les  six  frères  paresseux.  —  92.  Les  trois  jeunes 
filles,  ou  le  sort.  —  93.   La  jeune  fille  et  les  sept  sorciers. 
9/i.  Les  deux  bossus  et  les  nains.  —  96.  Le  prince  Pengar,  le  roi 
de  Perse  et  le  Génie.  —  96.  Le  conte  de  Jean.  — -  97.  Les  trois 
fils  de  la  veuve.  —  98.  Sofi  et  Sans-Souci.  —  99.  Les  trois  fils 
du  roi,  ou  le  bossu  et  ses  deux  frères.  —  i  00.  Jean  le  Fort  et  les 
trois  géants. 


CONTES  LEGENDAIRES  CHRETIENS. 

1*.  Jésus-Christ  voyageant  en  basse  Bretagne,  huit  épisodes 
ou  rencontres.  —  2.  Le  fils  de  saint  Pierre.  —  3.  Porpant.  — 
k.  Saint  Philippe.  —  5.  Le  fils  du  diable.  —  6.  L'ermite  qui  ac- 
cusait Dieu  de  n'être  pas  juste.  —  7.  Celui  qui  alla  porter  une 
lettre  au  paradis  (deux  versions).  —  8.  Le  brigand  sauvé  avant 
l'ermite.  —  9.  Le  brigand  et  son  filleul.  —  10.  Le  filleul  de  la 
sainte  Vierge.  11.  Le  bonhomme  Misère  et  saint  Pierre.  — 

1  2.  Le  pont  de  Londres  ,  trois  fois  plus  long  que  la  grâce  de  Dieu. 

—  i3.  Le  pape  Innocent.  —  il\.  Christic,  qui  devint  pape  à  Borne. 
— 15.  La  Mort  et  le  maréchal  ferrant.  —  16.  La  bonne  femme  et 
la  méchante  femme.  —  17.  Le  pom-voyeur  du  paradis.  —  18.  Le 
fils  qui  retira  son  père  et  sa  mère  de  l'enfer.  —  1 9.  Le  petit  mouton 
blanc.  — ■  20.  La  Destinée  (deux  versions).  —  21.  La  femme  qui 
ne  voulait  pas  avoir  d'enfants.  —  22.  Les  trois  frères  qui  ne  pou- 
vaient s'accorder  au  sujet  de  la  succession  de  leur  père.  — 
23.  Quelle  que  soit  la  société  que  l'on  fréquente ,  l'on  en  a  toujours 
sa  part.  —  2/1.  Marie  Petit-Cœur.  —  25.  Le  bon  Dieu  et  la  sainte 
Vierge  parrain  et  marraine.  —  26.  La  bonne  petite  servante.  — 
27.  Les  deux  méchantes  sœurs.  —  28.  L'ermite  et  le  vieux  brigand. 

—  29.  Là  fille  de  mauvaise  renommée  qui  alla  au  paradis.  — 
3o.  L'âme  damnée.  —  3i.  Fantic  Loho,  ou  le  linceul  des  morts. 

32.  Une  courte  prière  dite  de  bon  cœur.  —  33.  Le  pain  change 
en  tête  de  mort.  —  34-  Il  est  bon  d'être  charitable  envers  les 
pauvres.  —  35.  Le  bon  Dieu  et  le  diable.  —  36.  Les  trois  fils, 


—  49  — 
ou  la  fête  de  saint  Joseph.        3y.  La  vertu  crime  courte  prière. 
—  38.  Le  protégé  de  saint  Corentin. 

RÉCITS  PLAISANTS. 

i.  Janvier  et  Février.  —  2.  Fanch  Scouarnee.  —  3.  Jean  et 
Jeanne.  —  à.  Jean  de  Ploubezre.  —  5.  Les  finesses  de  Bilz  (deux 
versions).  —  6.  Le  meunier  et  son  seigneur. —  7.  Petit-Cul.  — 
S.  Marguerite  la  bonne  sœur.  —  9.  Le  matelot,  le  tailleur  et  le 
boulanger.  —  10.  Celui  qui  vendit  sa  vache  trois  fois,  le  même 
jour,  ou  l'avocat  Patelin  breton.  —  11.  Celui  qui  eut  la  fille  du 
roi  pour  une  seule  parole.  —  12.  Petit-Jean  le  devineur  (deux  ver- 
sions). —  i3.  L'abbé  Sans-Souci.  —  \l\.  Le  curé  de  Brélévenez, 
qui  fut  tué  plusieurs  fois.  —  i5.  Quelques  épisodes  du  roman  du 
Renard. 

On  voit,  par  cette  dernière  liste,  que  le  plaisant  et  le  comique 
ne  sont  pas  le  coté  brillant  des  traditions  bretonnes. 

Il  me  resterait,  pour  terminer  mes  recherches  sur  ce  sujet  si 
intéressant  des  vieilles  traditions  populaires  qui  se  sont  conservées 
dans  nos  campagnes  armoricaines,  et  avant  qu'il  soit  trop  tard, 
c'est-à-dire  bientôt,  il  me  resterait,  dis-je,  à  visiter  quelques  îles  de 
la  Manche  et  de  l'Océan ,  comme  Bréhat,  Bâz ,  Ouessant,  Groix ,  où 
ces  anciennes  et  attrayantes  fables  se  sont,  peut-être,  conservées 
plus  pures  des  mélanges  et  des  altérations  qui  les  gâtent  un  peu 
sur  le  continent.  Il  me  manque,  pour  plusieurs  d'entre  elles,  des 
éclaircissements  qu'il  me  serait  fort  utile  de  posséder,  avant  d'en 
arrêter  définitivement  la  rédaction,  et  je  suis  persuadé  que  je  les 
trouverais,  en  partie  du  moins,  dans  les  îles  que  je  viens  de 
nommer. 

J'ai  l'honneur  d'être,  Monsieur  le  Ministre,  de  Votre  Excellence, 
le  très-humble  et  dévoué  serviteur, 

F. -M.  Luzel. 


Imprimerie  Nationale.  —  Septembre  1873. 


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