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Full text of "École des miracles : ou les oeuvres de la puissance et de la grace de Jésus-Christ"

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JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


H8LÏ  REDEEWtniBRAR 


fu 


ŒUVRES 

DU  R.  P.  VENTURA 


EX-GENERAL   DES   THEATINS 


ECOLE    DES   MIRACLES 

ou    LES    ŒUVRES 

DE  LA  PUISSANCE  ET  DE  LA  GRACE  DE  JÉSUS-CHRIST 


KILS   DK    DIEU    ET    SAUVKUR    DU    MONDE 


A 


^0T5^X.4^ 


Paris,  -  imprimerih:  V"  p.  Larousse  et  c» 

19,    RUE    MONTPARNASSB ,     19 


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ŒUVRES 


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R.  P.  VENTURA 


EX-GENERAL    DES   THEATINS 


ÉCOLE  DES  MIRACLES 

ou    LES    ŒUVRES 

DE  LA  PUÏSSANCE  ET  DE  LA  GRACE  DE  JÉSUS-CHRIST 

FILS   DE   DIEL"    KT   SAUVEUR  nU   MONIjS 
OUVRAGE    TRADUIT    DE    L'ITALIEN 

Par  lie'  LACHAT,  Évèque   de   Bàlc 


TOME  DEUXIEME 


PARIS 
LOUIS   VIVES,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

13,    RUE    DELAMBRE,     13 

188-2 


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REDEEMiR  LIBRARY,  |4#S0R 


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V 


SUR  LES 


DE  JESUS-CHRIST. 


QUINZIÈME  HOMÉLIE. 


L'Hydropique  (1). 

{Luc,  XIY,  1-16), 

Et  misericordia  tua  subsequetur  me. 

(PS.    XVII.) 

Le  Fils  de  Dieu  est,  en  effet,  descendu  du  ciel  sur 
la  terre  de  la  même  manière  que  le  Prophète  l'avait 
prédit  par  les  paroles  que  nous  venons  de  citer  : 
la  divine  miséricorde,  personnifiée  en  lui,  est  venue 
chercher  la  pauvre  humanité  qui  la  fuyait  par  le 
péché.  Toutefois,  le  Sauveur,  avant  d'accomplir  cet 
rote  de  son  infinie  bonté  à  l'égard  des  Gentils,  aux- 
(  3cls  il  a,  en  son  temps,  envoyé  ses  apôtres,  a  exercé 

^1)  C'est  dans  le  courant  du  mois  de  décembre  de  la  troisième 
année  de  sa  prédication  que  le  Sauveur  invité,  un  jour  de  sabbat, 
à  la  table  d'un  prince  des  Pliarisiens,  fit  le  miracle  de  la  guérison 
de  l'hydropique  rapportée  par  saint  Luc.  Cet  évangile  se  lit  à  U 
messe  du  XVI*  dimanche  après  la  Pentecôte. 

II.  l 


(l'une  manitTC  toiilc  imrliculicrc  sa  miséricorde  à 
l'égard  du  ])cuplc  juif,  qu'il  est  venu  lui-même  chcr- 
cluM'  en  personiK>,  et  jiour  le  saint  duquel  il  avait 
été  principalement  envoyé  (1).  Et  comme  les  Pha- 
risiens, les  Scribes  et  les  Docteurs  de  la  loi  étaient, 
parmi  tout  le  peuple,  ceux  qui  s'étaient  le  plus  éloi- 
gnés de  Dieu  par  leurs  \iccs ,  c'est  aussi  pour  leur 
conversion  qu'il  montra  le  plus  de  sollicitude;  c'est  à 
leur  recherche  qu'il  déjiloya  toutes  les  ressources  que 
lui  suggérèrent  le  plus  tendre  amour,  la  plus  patiente 
et  la  plus  généreuse  charité.  C'est  donc  bien,  en  les 
ayant  surtout  en  vue,  que  cet  aimable  Sauveur  accom- 
plit la  prophétie  que  nous  avons  citée  en  commen- 
çant (2). 

C'est  à  cela,  en  effet,  que  se  rapportent  les  ter- 
ribles menaces  qu'il  fait  dans  l'évangile  de  ce  jour 
à  ces  Juifs  endurcis,  par  l'exemple  apporté  de  ces 
ouvriers  perfides  qui,  non  contents  d'avoir  insulté  les 
serviteurs  du  maître  de  la  vigne,  tuèrent  son  propre 
fils,  et  seront,  en  expiation  de  leur  forfait,  sévère- 
ment punis  et  perdus  pour  jamais  (3).  C'est  toujours 
en  usant  de  miséricorde  et  d'indulgence  à  leur  égard, 
qu'il  les  menace,  en  termes  exprès,  de  leur  enlever 
\e  royaume  de  Dieu,  la  vraie  religion,  pour  la  don- 
ner aux  peuples  qui  eu  profiteraient  davantage  (4). 

(1)  Non  sum  missus  niai  ad  ovcs  quae  perioriint  domus  Israël 
[Matlh.xw). 

(2)  Et  misericordia  tua  snbspquctur  me. 

(3)  Malos  maie  pcndct  [Matth.  xxi). 

(4)  Auforctur  a  vobis  regnum  Dci,  et  dabitur  genti  facienti 
fnaclus  ejus. 


—  3  — 

Toutes  CCS  menaces  et  toutes  ces  prophéties  ne 
sont,  en  effet,  que  des  moyens  industrieux  dont  sa 
sert  son  infinie  miséricorde  pour  amollir  les  Pha- 
risiens dans  leur  dureté  et  pour  tâcher  ainsi  de 
les  réveiller,  de  les  attendrir  et  de  les  convertir  ? 
Vainement  ces  hommes,  toujours  rebelles  et  ingrats 
à  la  voix  de  son  amour^  cherchent,  comme  l'atteste 
uotre  évangile,  à  surprendre  le  divin  Sauveur  et  à 
le  perdre  :  quœrentes  eum  tenere  ;  ils  se  lasseront  de 
le  persécuter  avant  que  sa  miséricorde  ne  se  fatigue 
de  les  chercher.  Non  content  de  leur  annoncer,  dans 
les  synagogues  et  dans  le  temple,  les  vérités  les  plus 
importantes,  il  s'abaissa  jusqu'à  user  avec  eux  de  fa- 
miliarité, s'asseyant  à  leur  table  :  il  eût  toujours  eu 
vue  feur  salut,  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  eux-mêmes 
consommé  l'horrible  mystère  de  leur  réprobation. 

Pour  nous,  mes  frères,  ne  nous  contentons  pas  de 
cette  doctrine  générale  ;  considérons-la  plus  particu- 
lièrement mise  en  œuvre  dans  cette  guérison  mira- 
culeuse de  rhydropique,  que  Jésus- Christ  opéra, 
lorsqu'il  était  à  la  table  et  dans  la  maison  d'un  prince 
des  Pharisiens.  Assistons  aussi  nous-mêmes,  par  la 
pensée  et  dans  ua  véritable  esprit  de  foi,  à  ce  festin 
sanctifié  par  la  présence  du  Sauveur.  Voyons  ce 
qu'il  y  fit,  l'enseignement  qu'il  y  donna,  et  tâchons 
de  restaurer  aujourd'hui  nos  âmes  par  la  nourriture 
spirituelle  et  de  sa  sagesse  et  de  sou  amour- 


—  4  — 


PREMIERE  PARTIE. 


L'évangéliste  saint  Luc  rapporte  que  le  Sauveur 
du  monde,  ayant  été  invité  à  manj;cr  chez  un  prince 
des  Pliarisiens,  ne  fit  point  difficulté  de  s'y  rendre, 
et  que  c'était  un  jour  de  fête,  jour  du  Sabbat  (1). 
Ainsi  ce  divin  Maître,  qui  était  venu  sur  la  terre  pour 
nous  enseigner,  entre  autres  choses  par  ses  paroles 
et  par  ses  exemples,  la  mortification,  le  jeûne  et  la 
pénitence,  ne  craint  donc  pas  de  se  faire  voir,  même 
un  jour  de  fête,  à  un  festin.  Ne  connaît-il  donc  pas 
la  malice  et  l'âme  envenimée  des  Pharisiens,  qu'il 
appelait  lui-même  race  de  vipères?  Ne  sait-il  pas  que 
ce  prince  ne  l'a  invité  chez  lui,  ni  par  affection,  ni 
par  dévotion  _,  mais  pour  en  retirer  soi-même  de 
l'honneur,  en  faisant  voir  qu'il  recevait  dans  sa  mai- 
son un  si  grand  personnage,  regardé  par  le  peuple 
comme  un  grand  prophète,  auquel  cependant  il  ne 
portait  nullement  envie  (2)  ?  Oui,  répond  saint 
Cyrille,  le  Sauveur  connaît  la  profonde  perversité 
des  Pharisiens  ;  néanmoins  il  ne  dédaigne  pas  de 
prendre  place  à  leur  table,  afin  de  les  porter  à  la 
pénitence  par  sa  prédication  et  par  ses  miracles^  et, 
de  cette  manière,  leur  obtenir  le  pardon  de  leurs 

(1)  Cum  intrasset  Jésus  in  domum  principis  Pharisaeorum  sab- 
bato  comedere  panem  {Luc.  i). 

(2)  Pharisœuo  iste  tanquam  prophetam  vocavit  Jesum  ad  con- 
vivium,  opiuioDem  venari  cupiens,  quod  ipsi  nou  iuvideret  (Eut., 
Expos.). 


péchés  (1).  Semblable  au  chasseur  qui  tend  ses  filets 
là  où  il  sait  que  les  oiseaux  vont  se  reposer,  le  Sei- 
gneur se  rendait  plus  Yolontiers  au  temple,  dans  les 
synagogues  et  dans  les  maisons  des  grands  aux  jours 
de  fête,  parce  qu'en  ces  jours  et  en  ces  lieux,  il  y 
trouvait  un  plus  grand  nombre  de  personnes  à  ins- 
truire et  dames  à  sauver  (2). 

L'on  peut  dire  aussi  que  c'était  surtout  au  milieu 
des  festins  que  les  Pharisiens,  ces  hommes  aussi  in- 
dulgents pour  eux-mêmes  qu'ils  étaient  sévères  pour 
autrui,  oubliaient  Dieu  et  sa  sainte  loi,  étouffant 
dans  l'ivrognerie  et  dans  la  débauche  tout  remords, 
tout  sentiment  de  probité  et  tout  principe  de  reli- 
gion. C'est  donc  là  que  le  bon  Maître  se  rendait  de 
préférence,  pour  répandre,  par  la  sévérité  de  sa 
doctrine,  au  milieu  des  douceurs  empoisonnées  de 
la  chair,  cette  salutaire  amertume  qui  guérit  les  âmes 
et  qui  les  sauve.  Voilà,  mes  frères,  comment  cette 
divine  miséricorde  vient  tant  de  fois  nous  sur- 
prendre au  milieu  de  nos  joies  insensées^  semer  des 
épines  sur  les  sentiers  de  nos  désordres,  que  le 
monde  avait  jonché  de  roses  homicides;  rendre 
bien  amers  nos  propres  plaisirs  et  faire  naître  du 
péché  même  le  remords  salutaire  qui  détruit  le  péché 
et  qui  sauve  le  pécheur.  La  plaiutive  tourterelle  qui 


(1)  Quamvis  pharisaeorum  cognosceret;  eorrnn  conviva  fiebat, 
ut  per  verba  et  miracula  prœsentibus  prodesset  {Expos.). 

(2)  More  venatorum  Domimis,  qui  ibi  tendunt  retia  ubi  sciunt 
esse  multitudinem  aviiun.  Ideo  diebus  maxime  sabbatorum  ve- 
niebat  in  templum  et  in  synagogas,  et  in  domos  priucipuna. 


voit  SCS  potits  devenir  la  proie  de  la  cmoUo  main 
prête  à  les  lui  ravir,  ne  s'éloigne  pas  de  ces  cliers 
objets  dosa  tendresse;  mais  elle  se  meta  tourner 
autour  du  ravisseur,  battant  les  ailes  et  faisant  en- 
toiulrc  les  cris  de  sa  grande  douleur,  comme  pour 
IVlTraver  et  pour  le  forcer  à  lui  abandonner  ceux 
qu'elle  aime  :  telle  la  miséricorde  du  Dieu  Sauveur, 
nous  vojaiit  sur  le  poin.t  de  tomber  sous  la  main 
homicide  du  démon,  vient,  dit  saint  Augustin,  planer 
autour  de  nous  pour  empêcher  que  nos  âmes,  nées 
et  rachetées  de  son  sang  et  de  son  amour,  ne  de- 
viennent la  proie  de  cet  ignoble  et  lâche  séducteur  (1). 
Et  ces  dégoûts,  ces  ennuis,  ces  angoisses  que  nous 
éprouvons  au  milieu  de  notre  fausse  félicité  et  qui  la 
rendent  quelquefois  si  amère,  sont  la  voix  de  sa  ten- 
dresse qui  nous  avertit  du  danger,  afin  que  nous  y 
échappions,  en  prenant  notre  essor  vers  cette  ai- 
mable miséricorde.  Ah  !  rendons-nous,  mes  frères, 
à  la  voix  si  douce  de  cette  divine  miséricorde,  qui, 
depuis  tant  d'années,  nous  cherche  et  nous  appelle 
en  vain  ;  écoutons-la  avant  que  le  temps  arrive,  où, 
fatiguée  de  chercher  et  d'appeler,  elle  se  taise  ;  car 
alors  nous  serions  abandonnés  aux  châtiments  et  aux 
rigueurs  de  la  justice  éternelle. 

Et,  quant  aux  invitations  que  ces  grands  de  la 
terre  faisaient  au  Sauveur,  savez-vous,  mes  frères, 
pourquoi  il  les  acceptait  quelquefois  ? 

Les  interprètes  nous  apprennent  que  le  Sauveur 
se  rendait  dans  les  maisons  des  grands  pour  faire 

(1)  Circumvolutabat  super  me  a  longe  misericordia  tua. 


entendre  sa  parole  à  leurs  serviteurs  et  se  présenter 
à  eux  comme  l'auteur  de  leur  salut.  Constamment 
occupés  du  service  de  leurs  maîtres^  ils  ne  pouvaient, 
comme  le  reste  du  peuple,  le  suivre  dans  le  temple, 
ou  sur  la  place  publique,  pour  l'écouter.  C'est  ainsi 
qu'il  a  voulu  nous  enseigner  que  sa  miséricorde  s'étend 
à  toutes  les  conditions,  et  que  les  derniers,  parmi  les 
hommes,  sont  l'objet  de  son  amour  et  de  sa  bonté  (1). 

Le  Sauveur  n'allait  donc  point  aux  festins  que 
lui  offraient  certains  personnages  pour  se  rassasier 
des  mets  que  leurs  serviteurs  lui  présentaient^  mais 
bien  pour  distribuer  aux  âmes  de  ceux-ci  une  nour- 
riture spirituelle  et  divine  :  avait-il  donc  besoin  d'un 
pain  terrestre,  celui  qui  est  le  vrai  pain  descendu  du 
ciel  (2)?  C'est  ainsi  qu'il  accomplissait  à  la  lettre 
l'oracle  du  Prophète,  annonçant  que  son  ineffable  mi- 
séricorde s'étendrait  jusqu'aux  plus  petits,  et  qu'il 
irait  chercher  ceux  qui  seraient  empêchés  d'aller  à 
lui,  afin  de  les  attirer  à  sa  connaissance  et  à  son 
amour  :  Et  misericordia  tua  siihsequetur  me. 

Ce  sont  ici,  mes  frères,  des  réflexions  très-fon- 
dées ;  car  les  mêmes  interprètes  sacrés  remarquent 
que  tous  les  festins   auxquels  le  Sauveur  assistait 

(1)  ut  familiae  quoe  iu  dominorum  suorum  aedibus,  servitio 
occupattB  liberam  accedendi  ad  eum  facultatem  non  hab?rcnt, 
per  hanc  occasionem  verbum  salutis  audirent,  et  auctorem  suae 
salvatiouis  agnoscerent.  NuUam  enim  conditionem  speruit,  aut 
sua  misericordia  indignam  ducit  {Expos.). 

(2)  Adibat  carnalia  borainum  convivia,  non  tam  ut  exterioribus 
miniitranlium  epulis  vesceretur,  quam  ut  ipse,  qui  panis  est  vivus 
de  cœlo  descendens,  auditoribus  suis  dapss  superni  consilii  ero- 
garet,  salutem  edoceret,  fidem  requireret. 


liersoiiiiL'llcmcnt,  se  terinhiaiciit  toujours,  ou  par  des 
révélalions  les  plus  sublimos,  ou  par  des  conver- 
sions étonnantes,  ou  enfin  par  quelques  prodiges 
édalanls.  Yovez  plutôt  :  le  banquet  de  Cana  de 
Galilée  fui  illustré  par  le  grand  miracle  du  chan- 
gement de  l'eau  en  vin  ;  celui  de  Zacliéc  fut  suivi  de 
la  conversion  du  maître  même  de  la  maison  et  de 
toute  sa  famille  ;  celui  de  Simon  le  pharisien  se 
termina  par  la  conversion  de  Madelciîic  et  par  la 
révélation  des  mystères  de  la  bonté  do  Dieu  à  l'é- 
gard des  pécheurs  ;  et  enfin,  dans  celui  dont  nous 
parlons,  le  Seigneur fitdeux  grandes  choses:  il  opéra 
un  grand  miracle  et  nous  donna  de  grandes  leçons 
de  sagesse  (1). 

Et  si  nous  voulons  nous  convaincre  davantage  en 
core  de  cette  vérité,  remarquons  que  l'évangéliste 
dit  que  Jésus-Christ  se  rendit  à  ce  banquet  pour  y 
manger  le  pain  (2).  Or,  qu'est-ce  que  Thislorien  sa- 
cré voulait  exprimer  par  ces  mots?  Il  est  vrai  que, 
dans  rÉcriture,  cette  expression  :  manger  le  pain,  si- 
gnifie prendre  une  nounilure  quelconque,  comme 
celte  autre  :  boire  l'eau,  veut  dire  toutes  sortes  de 
boissons.  Mais  ici  l'évangéliste,  en  disant  que  le  Sau- 
veur s'assit  à  table  pour  manger  le  pain,  a  voulu 
nous  apprendre  que,  dans  ces  circonstances,  le  divin 

(1)  Quod  jnde  verum  esse  probatur;  quod  ubicunque  pransu- 
rus  resedit,  aut  aliquid  docuit,  aut  signa  patravit.  —  Quod  factum 
ia  boc  coustat  couvivio  iu  quo  et  iniraculum  patravit,  et  prajdi- 
calioucm  exbibiiit  {Ibid.). 

(^)  Cum  intrasset  Jésus  in  doimiin  principis  Pbarisœoriim  eo- 
i!i  dcre  panem. 


—  9  — 

Maître  se  gardai L  bien  de  toucher  aux  mets  exquis 
qu'on  lui  présentait ,  mais  qu'il  se  contentait  de  ce 
qui  était  seul  nécessaire  pour  prouver  la  réalité 
de  son  humanité  et  pour  la  soutenir  :  c'est  la  doc- 
trine des  plus  judicieux  interprètes  (1).  Voyez  donc, 
chrétiens,  pourquoi  le  Sauveur  adorable  s'assied  à  la 
table  des  hommes  :  il  ne  recherche  point  le  conten- 
tement de  l'appétit,  mais  seulement  le  salut  des 
âmes  (2). 'Fasse  le  ciel  que  ce  bel  exemple  soit  tou- 
jours suivi  de  tous  les  fidèles,  et  particulièrement 
des  personnes  pieuses,  dans  de  semblables  circons- 
tances, afin  que  les  maîtres  et  les  serviteurs  soient 
édifiés  par  leur  sagesse,  par  leur  modestie  et  par 
leur  maintien,  au  lieu  d'être  scandalisés  par  leur 
gourmandise,  par  leur  dissipation,  par  leur  folle  al- 
légresse et  par  leurs  discours  insolents  !  Quel  mo- 
dèle surtout  pour  les  représentants  de  ce  divin 
Maître  !  A  son  exemple,  nous  ne  devrions  jamais  en- 
trer dans  les  demeures  des  grands  et  des  heureux 
du  siècle  que  pour  y  faire  retentir  les  vérités  de  la 
religion,  pour  y  rappeler  les  idées  et  les  principes 
de  la  morale  chrétienne,  pour  y  parler  et  y  agir  de 
telle  sorte,  qu'on  reconnaisse  et  qu'on  respecte  en 
nous  la  sainteté.  Que  toutes  nos  visites  ne  soient  ja- 
mais faites  que  dans  le  seul  but  de  convertir  les  pé- 
cheurs et  d'être  utiles  aux  âmes!  Nous  sommes  ap- 

(1)  In  eo  quod  ad  panem  manducandum ,  Dominum  intrasse 
eviingelista  scribit,  cum  solis  necessariis  cibis  inbiasse  ostendit 
jEiiîis.,  Expos.). 

(2)  Vides  cœnas  Chriàti  :  nempe  in  utilitatem  animarum,  et 
aon  ia  aalicLatem  voutris  couvertuntur  (.Aim-,  Expos.). 


—   10  — 
pelés  par  Jésus-Christ  le  sel  de  la  terre  :  Vos  estis 
sal  terrœ^  c'est-à-dire  des  hommes  dont  la   vie,  la 
doctrine,  les  œuvres  et  les  discours  sont  capables  de 
préserver  du  péché  le  prochain  avec  lequel  nous 
sommes  en  rapport,  comme  le  sel  garantit  les  chairs 
de  la  corruption.  Or,  qu'en  serait-il  de  nous  et  de 
quelle  responsabilité  accablante  nous  nous  charge- 
rions devant  Dieu,  si  le  monde  trouvait  en  nous  l'a- 
pologie de  ses  désordres,  au  lieu  d'y  trouver  la  cen- 
sure qu'il  mérite?  Si,  au  lieu  d'en  être  le  sel  mysté- 
rieux qui  en  empêche  la  corruption,  nous  étions  le 
poison  funeste  qui  l'engendre,  la  propage  et  l'achève, 
devenant  ainsi  le  scandale  du  monde  au  lieu  de  ser- 
vir à  son  édification?... 
Mais  revenons  à  notre  sujet. 
Les  Pharisiens,  les  Scribes  et  les  Docteurs  de  la 
loi  remplissaient  la  salle  du  festin.  Et  quand  chacun 
se  fut  assis  à  sa  place,  tous  les  regards,  dit  le  texte 
sacré,  se  portaient  sur  le  Sauveur  pour  l'observer  : 
Et  ipsi  observabant  eum.  C'est-à-dire,  comme  l'expli- 
quent les  interprètes,  ils  l'observaient  avec  une  cu- 
riosité maligne,  dans  un  esprit  insidieux  et  pervers, 
impatients  d'entendre  quelques  paroles,  ou  de  voir 
quelque  chose  en  lui  qui  pût  servir  de  prétexte  à 
leurs  calomnies  et  à  leurs  accusations  (1). 

Or,  cette  occasion  par  eux  si  désirée  ne  tarda  pas 


(1)  Et  ipsi  observabant  eum  (Lmc.xiv). — Observabant  eum,  id  est 
insidiebautur  ei,  ut  vel  in  cjus  vcrbis  aliquid  audirent;  vel  in  e jus 
aotionibus  aliquid  vidèrent,  unde  eum  reprehendere  et  accusare 
potuiâsent  (Emis.,  Expos.). 


—  11  -— 

à  s'offrir  à  leur  haine  furibonde.  Ea  effet,  un  pauvre 
hydropique,  sacliaut  que  le  Sauveur  était  dans  cette 
maison,  s'y  rendit  aussi  vite  qu'il  put,  et,  dans  le 
triste  état  où  l'avait  réduit  sa  maladie,  il  se  traîna 
devant  le  Fils  de  Dieu,  et  se  tint  en  sa  présence  (1). 
Qui  pourrait  dire  de  quelle  joie  perfide  les  Phari- 
siens furent  animés  à  cette  vue  !  Car,  se  disaient-ils, 
s'il  guérit  cet  infirme,  nous  aurons  l'occasion  de 
l'accuser  comme  transgresseur  de  la  loi  et  comme 
profanateur  du  sabbat  ;  s'il  ne  le  guérit  pas,  nous  au- 
rons raison  de  dire  que  c'est  un  homme  sans  com- 
misération, ou  qui  n'a  pas  le  pouvoir  de  faire  des 
miracles  (2). 

Or,  le  divin  Maître  connaissait  fort  bien  la  mali- 
gnité de  leurs  desseins.  Que  fera-t-il  donc  pour  les 
déjouer?  S'adressant  à  eux,  il  leur  dit  ces  paroles  : 
«  Est- il  permis  de  guérir  un  infirme  le  jour  du 
Sabbat  (3)?  »  Remarquez,  dit  un  interprète,  com- 
ment se  manifeste  admirablement  sa  sagesse  ;  comme 
elle  déconcerte,  réfute  et  confond  l'astuce  humaine  ! 
Le  divin  Maître,  par  cette  question  imprévue,  ferme 
la  bouche  à  ces  méchants,  qui  s'applaudissaient  déjà 
intérieurement  de  l'avo'-i-  surpris  en  défaut.  (4).  Car, 
s'ils  répondent  :  Cela  est  permis,  le  Sauveur  fera  le 

(1)  Et  ecce  homo  quidam  hydropicus  erat  ante  illum 
{Luc.  xiv). 

(2)  Ut  sive  curaret  bydropicum,  damnarent  illum  tanquam  legis 
contemptorem  et  violatorem  sabhali;  sive  non  curaret,  impic- 
tatis  eum  et  impossibilitatis  arguèrent. 

(3)  Dixit  ad  Pharisseos  et  Icgisperitos  :  Si  licet  (Eric,  Expos.). 
—  Sabbato  curare  {Luc.  xiv)  ? 

{h)  Interrogatur  ut  es  sua  responsione  vel  taciturnitate  melius 


miracle  avec  leur  approbaLioii  ;  s'ils  disent  :  Cela 
n  est  point  permis,  ils  comprennent  que  le  divin  Maître 
reprendra  aussitôt,  comme  il  le  fit  en  effet  peu 
après  :  «  Pourquoi  ne  vous  faites-vous  donc  pas  scru- 
pule de  soigner  vos  animaux  le  jour  du  Sabbat.  » 

Ils  prévoient  donc  fort  bien  qu'ils  ne  sauraient  ré- 
Ijondre  à  une  semblable  question  sans  se  condamner 
eux-mêmes;  c'est  pourquoi  ils  prennent  le  parti  de 
ne  rien  répondre  :  et  illi  tacueruent.  Alors,  nonobstant 
le  scandale  que  les  Pharisiens  en  prendraient  et 
quoique  ce  fût  un  jour  de  Sabbat,  le  Fils  de  Dieu, 
comme  pour  leur  dire  qu'il  n'avait  nul  besoin  de 
leur  aj)probation  pour  faire  un  miracle  et  que  tous 
les  jours  sont  également  bons  pour  faire  le  bien, 
étendit  sa  main  toute- puissante  sur  ce  pauvre  in- 
firme, chassa  aussitôt  sa  maladie  ;  puis  il  lui  rendit  les 
forces  et  le  renvoya  parfaitement  guéri  et  plein  de 
joie  (1).  Le  bon  Maître  par  là  nous  donne  cette  le- 
çon instructive  :  qu'une  belle  et  bonne  manière 
de  sanctifier  les  jours  de  fêtes,  c'est  d'exercer,  à 
l'égard  des  malades,  les  devoirs  de  la  charité;  qu'un 
moyen  très-louable  d'honorer  Dieu,  c'est  de  soulager 
l'homme  fait  à  son  image  ;  enfin  qu'on  ne  doit  point 
faire  attention  ni  au  scandale  des  insensés,  ni  aux 
invectives  des  méchants,  lorsqu'il  s'agit  des  œuvres 
de  charité  (2). 

confutentur.  —  Si  dicerent  :  «  Non  licet,  »  Dominus  illico  dice- 
ret,  quod  et  subinde  subjecit  :  «  Quare  vos  pecora  vestra  curatis 
in  Sabbato  {Ibid.). 

(1)  Ipse  vero  appreliensum  sanavit  eum  ac  diuiisit  {Luc.  xiv). 

(2)  Non  curaus  scandaluni  Pliarisaeorum  ;  ubi  eniiu  magna  re- 


—  13  -«- 
Cependant  le  Fils  de  TEternel,  après  avoir  donné, 
par  un  si  grand  miracle,  une  preuve  de  sa  puissance 
infinie,  voulut  aussi  montrer  son  infinie  sagesse,  qui 
pénètre  tout,  connaît  tout,  pèse  et  juge  tout.  En  ef- 
fet, bien  que  les  Pharisiens,  tout  stupéfaits  et  coûtas 
qu'ils  étaient  à  la  vue  d'un  si  grand  prodige  arrivé 
sous  leurs  yeux  ,  n'articulassent  aucune  parole,  ils 
commencèrent  néanmoins  à  murmurer  dans  leur 
cœur,  l'accusant  secrètement,  comme  ils  le  firent 
plus  tard  eu  public  devant  le  peuple,  lorsqu'ils  di- 
saient :  «  Cet  homme  n'a  pas  l'esprit  de  Dieu,  puis- 
qu'il ne  respecte  pas  la  loi  qui  défend  d'opérer  le 
jour  du  Sabbat  (1).  »  C'est  pourquoi  le  Sauveur  leur 
dit  d'un  ton  compatissant  et  sévère  eu  même  temps  : 
«  Qui  d'entre  vous,  voyant  son  bœuf  ou  son  âne 
tombés  dans  un  puits,  ne  l'en  retire  pas  aussitôt,  le 
jour  même  du  Sabbat  (2).  Remarquez,  mes  frères, 
que  l'évangéliste,  en  rapportant  ces  paroles  du  Sau- 
veur, dit  qu'il  les  prononça  en  réponse  aux  Phari- 
siens :  Et  respondcns  ad  illos ,  dixlt.  Mais  pourquoi 
est-il  dit  que  le  divin  Maître  répondit,  puisqu'il  est 
certain  que  les  Pharisiens  ne  l'avaient  point  inter- 
rogé? C'est  parce  qu'il  répondit,  non  pas  aux  paroles 
qu'ils  n'avaient  point  prononcées,  mais  aux  pensées 

sultat    utilitas,  non    est    curandum,    si    stulti   scandalizantur 
(Theoph.). 

(1)  Seorsim  inter  se  murmurabant,  qiiod  postea  ad  populum 
palam  acclamaverunt  :  Non  est  hic  liomo  a  Deo  qui  Sabbatum 
non  custodit  (A  Lap.  in  xiv  Luc). 

(2)  Cujus  vestrum  asinus  aut  bos  in  puteum  cadet,  et  non  cou- 
tinuo  extrahet  illum  die  Sabbati  (Imc.  xiv)? 


—  Ki  — 
perverses  qu'ils  roulaient  dans  leur  esprit  (l).  Quelle 
admirable  preuve  de  celte  sagesse  infinie  qui   pé- 
nètre le  fond  des  cœurs  et  y  découvre  ce  qu'il  y 
a  de  plus  intime  et  de  plus  caché  ! 

Voyez,  toutefois,  combien  cette  réponse  est  claire, 
précise  et  triomphante!  Eu  effet,  c'était  leur  dire, 
comme  le  remarque  un  interprète  :  C'est  vainement 
que  vous  vons  taisez,  ô  hypocrites!  vous  ne  pouvez, 
par  votre  sileuce,  voiler  votre  cœur  à  mes  regards. 
Je  le  pénètre  par  ma  lumière  ;  j'y  découvre  les  pen- 
sées perverses  et  les  affections  honteuses  dont  il  est 
rempli.  J'y  lis  l'accusation  que  vous  portez  contre 
moi,  d'avoir  violé  le  jour   du  Sabbat,  parce    que 
j'ai  rendu  la  santé  à  un  malade.  Voici  donc  ma  ré- 
ponse :  Si,  d'après  ce  que  vous  faites  vous-mêmes,  il 
est  clair  que  la  loi  ne  défend  pas  de  porter  secours, 
le  jour  du  Sabbat  aux  animaux  ;  bien  moins  défend- 
elle,  en  ce  saint  jour,  de  secourir  l'homme,  pour 
l'utilité  duquel  ces  êtres  privés  de  raison  ont  été 
créés  et  pour  lequel  ils  vivent  (2)! 

Remarquez  encore  ce  passage  :  Continuo  extrahet 
illum;  «vous  vous  hâtez  de  l'eu  retirer  aussitôt,  v  Le 
divin  Maître,  par  ces  paroles,  reproche  aux  Phari- 
siens leur  cupidité  et  leur  avarice,  comme  l'observe 


(1)  Quare  dicitur  :  «  rcspondisse,  »  cum  interrogatus  non  Ic- 
gatnr.  Respondit utique  Jésus;  sed ad cogitationes  (Aim.,  Expos.) 
eorum  rospondit. 

(2)  Si  irrationale  animal  a  periculo  extrahi  lex  non  prohibet 
in  sabbato;  muUo  magis  rationale,  cujus  commodo  irrationale 
vivit  (Eutim.,  Expos.). 


— .  15  — 

un  interprète  (1).  Un  autre,  non  moins  spirituel,  dit 
que  le  Sauveur  les  tourna  en  dérision,  comme  con- 
tradicteurs à  eux-mêmes  et  comme  insensés  (2) .  Le 
Vénérable  Bède  ajoute  qu'il  les  condamna  comme 
effrontément  injustes  :  ils  accusaient  le  divin  Maître 
d'avoir  profané  le  sabbat  parce  qu'il  avait,  en  ce 
jour,  opéré  un  acte,  une  œuvre  de  grande  charité, 
en  guérissant  un  malade  ;  et  ils  ne  se  faisaient  pas 
le  moindre  scrupule  de  violer  eux-mêmes  ce  grand 
jour  par  un  acte  d'une  insatiable  avarice  (3)!  C'est 
pourquoi,  confus  et  honteux,  ils  baissent  la  tête,  bien 
fâchés  de  n'avoir  rien  à  répondre  :  Illi  autem  non 
poterunt  respondere  ei.  Ils  ne  pouvaient  donc  faire 
autre  chose  que  de  s'humilier  et  de  garder  le 
silence,  puisque  la  parole  du  Fils  de  Dieu,  qui  est 
une  lumière  resplendissante  de  vérité,  avait  démas- 
qué leur  malice  et  mis  au  grand  jour  leur  impos- 
ture (4). 

Mais  ce  n'est  pas  sans  de  graves  raisons,  disent  les 
interprètes,  que  le  Sauveur,  voulant  parler  de  deux 
animaux,  pour  réfuter  victorieusement  les  injustes 
accusations  des  Pharisiens,  choisit  précisément  le 
bœuf  et  l'àne  (5).  Déjà  le  prophète  Isaïe  avait  parlé 
de  ces  deux  animaux  ;  il  avait  dit  qu'ils  reconnaî- 

(1)  Sic  loquitur,  ut  ostendat  eos  cupidos  et  avaros  (Loco  cit.). 

(2)  Manifeste  irridens  eos  ut  insipientes  (Loco  cit.). 

(3)  Osteudit  eos  violare  sabbatum  in  opère  cupiditatis  ,  qui 
eum  violare  arguebant  in  opère  charitatis  {Com.  in  Luc). 

(4)  Non  poterant  respondere  :  splendidissima  namque  veritatis 
luce  evanescere  videbant  omnes  tenebras  falsitatis  {ht  Luc.  cit.). 

)  Bene  liic  duo  animalia  ponuntur  :  b03  etasinus  (Loco  cit.). 


—  IC  — 
traient  le  Messie,  et  cela,  à  la  honte  éternelle  de  la 
Synagogue,  qui  le  rejetlerail(I).  Or,sclo:i  la  doctrine 
ancienne  des  rèros,  comme  le  remarque  13ède,  Isaïe 
entendait,  sous  l'emblème  du  bœuf,  le  peuple  juif, 
dont  la  tète  s'était  endurcie  sous  le  joug  de  la  loi; 
et,  par  le  symbole  de  l'âne,  il  avait  en  vue  le  peuple 
gentil,  qu'un  si  grand  nombre  de  fabricatcurs  de  re- 
ligions humaines  et  de  philosophes  imposteurs  avaient 
assujetti,  comme  une  vile  bête  de  somme,  à  tant  d'er- 
reurs et  de  superstitions  (2)  ! 

En  rappelant  donc  le  nom  de  ces  deux  animaux 
dont  Isaïe  avait  déjà  parlé,  le  divin  Maître  renou- 
velle cette  prophétie  à  l'esprit  des  Pharisiens  et 
leur  en  donne  l'interprétation,  tout  comme  il  s'est 
dépeint  lui-même  dans  cet  homme  compatissant  et 
en  même  temps  intéressé  qui  vient,  le  dernier  jour 
de  la  semaine,  le  jour  du  Sabbat,  pour  retirer  le 
bœuf  et  l'âne  du  puits  où  ils  étaient  tombés  :  ce 
Sauveur  charitable  est  bien  venu  sur  la  terre  le 
dernier  jour  et  au  dernier  âge  du  monde,  pour  re- 
tirer les  deux  peuples  juif  et  gentil  de  l'abîme  de 
concupiscences  dans  lesquelles  ils  étaient  plongés  (3). 

Tout  cela  peut  se  résumer  en  ces  paroles  :  Je  suis 


(1)  Cognovit  b03  possessorem  suuin  et  asiuus  pi'ïesepe  Domini 
sui  :  lorael  autcm  me  nou  cognovit  {Isa.  i). 

(2)  Per  hœc  duo  animalia  utrumque  populum  significari  soiili- 
mu3  :  judaicum,  cujus  cervicem  legis  juguin  alLiivit;  et  gentilem 
quem  quilibet  seductor,  quasi  brutum  animal,  quovis  errore 
subtrivit  (Loco  cit.)- 

(3)  Dominus  Judœos  atque  Gentiies  in  puteo  concupiscentiae, 
id  càt  carnaliljus  desideriis  demersos  extrîdiit  (Aim.,loco  cit.)- 


venu  faire  par  charité,  dans  un  ordre  plus  noble  et 
plus  important,  ce  que  vous  faites  par  avarice.  Comme 
vous  vous  empressez  de  retirer  du  puits  le  bœuf  et 
lane,  de  même  je  suis  accouru  pour  retirer  le  juif 
et  le  gentil  de  la  profonde  obscurité  des  erreurs  et 
des  vices  dans  lesquels  ils  sont  tombés  :  tel  est  le  but 
de  ma  venue  dans  ce  monde.  Que  je  serais  heureux 
de  commencer  par  rendre  utile  à  vous-mêmes  cette 
mission  que  je  suis  venu  accomplir  sur  la  terre! 
Ayez  donc  confiance  en  moi  :  fussiez-vous  plus  en- 
durcis que  le  bœuf,  plus  stupides  et  plus  rebutants 
que  1  ane  par  vos  vices,  le  secours  de  ma  miséri 
corde  ne  nous  fera  pas  défaut,  ni  le  pardon  ne  vous 
sera  pas  refusé.  C'est  ainsi,  chrétiens,  que  ce  com- 
patissant Sauveur,  après  ^i  voir  donné  aux  Pharisiens 
la  preuve  de  sa  puissi'jice  et  de  son  ineifable  sagesse, 
leur  ouvre  entièrement  hon  cœur  et  leur  manifeste  sa 
tendresse  et  sa  bonté.  Ici  encore  se  montre,  personui- 
jfiée  en  lui,  cette  miséricorde  divine  qui  court  après 
ces  pécheurs  d'un  rang  si  remarquable,  pour  les  con- 
vertir :  Et  miser icoi'dia  tua  subsequetur  me. 

C'est  aussi  pour  la  même  raison  que  ce  divin  Mé- 
decin fit,  en  leur  présence,  le  miracle  de  la  guérison 
de  riiydropique.  L'hjdropisie,  qui  est  une  maladie 
produite  par  l'extra vasiou  des  humeurs  salées  et 
acrimonieuses,  exprime  parfaitement  bien  le  désir 
avide  des  biens  terrestres  et  des  plaisirs  sensuels, 
car  un  tel  désir  vient  lui-même  du  désordre  des  pas- 
sions fortes.  En  effet,  les  Scribes  et  les  Pharisiens, 
réunis  au  festin  dont  nous  avons  déjà  parlé,  étaient 

II.  2 


—  IS  — 
adonnés  à  ces  désirs  insatiables.  C'est  pourquoi  saint 
Grégoire  affirme  que  rindropisie  de  ce  pauvre  ma- 
lade élail  la  figure  véritable  de  celle  dont  le  cœur 
et  l'esprit  des  Pharisiens  étaient  mortellement  at- 
teints (1). 

Comme,  en  effet,  ils  appartenaient  à  la  secte  des 
Sadducécns,  ils  ne  croyaient  ni  à  la  spiritualité  de 
l'âme  ni  à  la  vie  future. Plongés  dans  le  plus  honteux 
matérialisme,  selon  l'horrible  peinture  qu'en  a  faite 
saint  Pierre  Chrysologuc, ils  cherchaient  uniquement 
les  plaisirs  fugitifs  de  la  vie  présente;  ils  n'aspiraient 
qu'aux  dignités,  ils  convoitaient  ardemment  les  ri- 
chesses, parce  que,  avec  l'argent  et  les  dignités,  on 
se  procure  toutes  choses.  Ils  entraient  dans  les 
charges,  n'ayant  d'autres  mérites  qu'une  ambition 
démesurée,  unie  à  une  bassesse  extrême.  Ils  avaient 
profané  les  choses  saintes  et  ils  mettaient  à  prix_,  sans 
aucune  pudeur,  le  pardon  des  péchés,  faisant  ainsi 
un  trafic  sacrilège  de  la  piété  et  de  la  religion. 

De  plus,  dévorés  par  les  flammes  impures  de 
la  luxure  et  par  la  cupidité,  remplis  d'orgueil, 
perdus  dans  le  luxe,  dégradés  et  avilis  par  la  dé- 
bauche, ils  pensaient  qu'il  leur  était  impossible  de 
changer  de  vie,  et  partant  ils  n'espéraient  plus  de 
pardon  (2). 


(1)  Per  alterius  aegritudinem  corporis,  in  aliis  exprimebatur 
languor  seu  segritudo  cordis  et  mentis  {I?i  Evang.). 

(2)  Sacerdotes  profanaverunt  sancta;  et  peccata  mandentes,  in 
protium  veuiam  pietatemque  couverti^rant.  —  Cnpidiîate  iuflam- 
mati,  capti  pompa,  vitiis  sauciati,  vanitatc  ebrii,  madefacti  luxu. 


—  19  — • 

Or^  le  Médecin  charitable,  en  rendant  la  santé  à 
cet  hydropique,  Toulaii  aussi  guérir  ces  malheureux 
esclaves  du  péché,  plus  malades  encore  dans  leur  es- 
prit ;  il  voulait  retirer  ces  pécheurs,  plus  stupides 
que  1  ane  et  plus  endurcis  que  le  bœuf,  de  l'abîme 
de  désespoir  et  de  vices  où  ils  étaient  tombés,  puis 
leur  inspirer  la  confiance  en  sa  miséricorde.  C'est 
ainsi  qu'il  leur  dit  par  ce  fait  miraculeux  mieux  que 
par  les  paroles  :  Considérez,  infortunés  pécheurs,que, 
de  la  même  manière  que,  par  ma  divinité,,  je  rends  la 
ianté  du  corps  à  ce  malade,  ainsi  je  peux  vous  ac- 
corder le  pardon  et  effacer  le  péché  de  vos  âmes,  si 
vous  vous  rendez  à  mes  invitations  (1).  Mais  tout  fut 
inutile  pour  eux,  mes  frères  :  comme  des  malades  en 
délire^  loin  de  profiter  de  ce  remède  ineffable,  ils  en 
prirent  occasion  de  détester  de  plus  en  plus  le  cé- 
leste Médecin  qui  le  leur  offrait.  Ils  furent  humiliés 
par  les  paroles  du  divin  Maître  ;  mais  ils  n'en  furent 
point  contrits  ;  ils  s'en  trouvèrent  confus,  et  non  con- 
vertis. Loin  de  là  ;  car,  ainsi  que  l'évangéliste  le  fait 
remarquer,  peu  après  cela,  le  Sauveur  cherchant  à 
leur  faire  comprendre  que  les  biens  de  la  terre  sont 
vains  et  funestes,  si  on  néglige  de  s'en  servir  pour  se 
faire  des  amis  dans  le  ciel  (2),  ils  se  moquèrent  et  de 
ses  paroles  et  de  sa  personne  adorable  :  c'étaient  vé- 

quia  de  correctione  niliil  cogitare  poteraut,  de  venia  nihil  spera- 
bant  [Scrm.  2). 

(1)  Perinde  ac  diceret  Dominus,  non  verbis  sed  factis  :  sicut 
isti  bydropico  pristinam  sanitatem  restitue;  ita  et  vobis,  si  obe;- 
dierilis  mandatis  nieis,  peccata  dimittere  potero  (Aim.,  loco  cit.). 

(2)  Facile  vobis  amicoô  de  mammona  iniquitatis  {Luc.  xwr}. 


—  -JO  — 
ritablcnient  des  h} dropiques  d'esprit;  ils  avaient  le 
cœur  ^'oullé  par  l'humeur  viciée,  c'est-à-dire  par  Ta- 
varicc  (i). 

Quand  l'ambition  et  l'avarice  se  sont  emparé  du 
cœur,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  personnes  consacrées 
à  Dieu,  elles  l'enorgueillissent,  l'endurcissent  et  le 
rendent  également  insensible  et  à  l'action  de  la  grâce 
de  Dieu,  et  au  spectacle  des  misères  humaines.  La 
prospérité  l'enivre,  la  tribulation  le  désespère,  les 
châtiments  de  Dieu  l'endurcissent,  la  religion  ne  le 
touche  pohit,  les  bous  exemples  ne  l'édifient  pas, 
la  grâce  ne  le  réveille  pas,  l'âge  décrépit  ne  le  dé- 
trompe pas,  une  mort  imminente  même  ne  le  dé- 
tache point  des  biens  terrestres.  Courbé,  attaché  à 
la  terre,  l'homme  ambitieux  et  avare,  vrai  enfant  de 
l'antique  serpent  condamné  à  se  nourrir  de  terre, 
n'aspire  qu'à  la  terre,  n'aime  que  la  terre  et  n'adore 
que  la  terre.  C'est  pourquoi  saint  Paul  appelle  l'avarice 
une  vraie  idolâtrie  (2)  .Et  quel  est  en  réalité  le  dieu  de 
l'homme  possédé  par  l'amour  des  biens  terrestres,  si- 
non Tor  et  les  postes  lucratifs, auxquels  il  sacrifie, avec 
le  même  sang-froid,  et  les  commodités  les  plus  indis- 
pensables du  corps,  et  les  sentiments  les  plus  légi- 
times du  cœur,  et  les  plaisirs  les  plus  honnêtes  de  la 
terre,  et  les  ineffables  délices  du  ciel,  et  le  corps  et 
l'âme,  et  la  mort,  le  bien-être  du  temps  et  la  béati- 
tude éternelle  :  Avaritia,  guœ  est  idolorum  servitus. 

(1)  Audiebant  autem  Pharisaei,  quia  avari  erant,  et  deridebant 
eum  (Loco  cit.). 

(2)  Avaritia  quae  est  idolonim  servitus. 


—  21   — 
Voilà  donc  la  passion  qui,  principalement,  rendit  les 
Pharisiens  si  ingrats  à  la  voix  divine  et  qui,  selon 
la  menace  du  Sauveur,  les  entraîna  à  l'apostasie  et 
les  fit  mourir  dans  leur  péché. 

Mais,  pour  noui;?,  mes  frères,  contrairement  à  ces 
pécheurs  endurcis,  avares  et  orgueilleux,  tâchons  de 
retirer  du  miracle  du  Sauveur  le  profit  qu'ils  ne  vou- 
lurent pas  en  retirer  eux-mêmes  ;  car  sa  divine  misé- 
ricorde, en  cela  même  qu'elle  faisait  pour  eux,  s'é- 
tendait encore  à  nous  :  elle  est  donc  aussi  venue 
nous  chercher.  Il  ne  s'agit  pour  nous  que  d'aller  à 
sa  rencontre.  L'hydropique  sera  encore  notre  guide 
dans  la  seconde  partie  des  réflexions  qu'il  nous  a  ins- 
pirées. 

SECONDE  PARTIE. 

L'hydiopisie  a  trois  caractères  principaux  :  1  "  l'hy- 
dropique, dévoré  par  une  soif  excessive,  a  d'autant 
plus  soif  qu'il  boit  davantage  ;  2°  il  a  la  poitrine 
et  les  régions  voisines  horriblement  gonflées  par  la 
concentration  des  humeurs,  tandis  que  le  reste  du 
corps  est  aride  et  desséché;  3"  enfin, il  a  la  démarche 
faible  et  incertaine,  la  respiration  gênée^,  l'haleine 
infecte.  Or^  voilà  l'image  fidèle  de  notre  âme,  quand 
nous  sommes  dominés  par  Famour  des  choses  ter- 
restres. Alors,  véritables  hydropiques  dans  notre 
esprit ,  nous  sommes  inhabiles  à  respirer  librement 
dans  la  pure  atmosphère  des  choses  divines,  impuis- 
sants à  faire  un  pas  dans  la  voie  du  salut  éternel  ; 
nous  faisons  connaître,  par  nos  discours  tout  pro- 
fanes, toujours  terrestres  et  pleins  de  luxure,  la  cor- 


00 


ruptioii  de  nos  passions  ;  nous  sommes  dégradés  de 
cœur  et  pauvres  d'esprit,  tout  remplis  d'appétits  im- 
purs, sans  aucune  pensée  ni  sentiment  verlucux. 
Kous  sommes  dévorés  par  une  soif  inextinguible  des 
richesses,  des  honneurs,  des  plaisirs  du  luxe,  des 
commodités  de  la  vie,  soif  horrible,  qui  s'excite  à 
mesure  que  nous  cherchons  à  l'apaiser.  Nous  sommes 
avides  de  tout,  contents  de  rien,  vils  dans  notre  or- 
gueil môme,  pauvres  au  sein  de  l'abondance,  mal- 
heureux dans  notre  propre  félicité.  Or,  comment 
ferons-nous  pour  guérir  d'une  si  affreuse  maladie 
d'esprit,  si  nous  avons  le  malheur  d'eu  être  atteints? 
Nous  ferons  comme  l'h}  dropique  dont  notre  évangile 
nous  retrace  la  conduite, afin  de  nous  servir  d'exemple. 
Avant  tout  il  abandonna  les  remèdes  humains  et 
eut  recours  aux  moyens  divins.  Ayant  congédié  les 
hommes  de  l'art,  il  alla  trouver  le  céleste  Médecin, 
Jésus-Christ.  Voilà  donc,  dit  saiiit  Augustin,  le  re- 
mède eflScace,  le  Médecin  tout-puissant  auquel  nous 
devons  avoir  recours,  et  qui  peut  seul  nous  gué- 
rir (1).  Ce  n'est  point  par  la  lecture  des  moralistes 
profanes,  ni  en  assistant  aux  représentations  théâ- 
trales (que  des  hommes  stupides  et  insensés  appel- 
lent l'école  de  la  vertu)  qu'on  guérit  des  infirmités  de 
Tàme.  Ni  la  philosophie,  ni  les  romans,  ni  le  théâtre 
n'ont  jamais  rendu  le  chrétien  meilleur.  Tout  cela 
peut  fournir  un  aliment  passager  à  la  curiosité  de 
l'esprit;  mais  réformer  le  cœur!  jamais!  Une  sem- 
blable guérisonest  réservée  à  la  loi  sainte  de  Die u_, 

(l;  îpse  medicus,  ipse  et  remedium  (August.). 


qui  a  la  vertu  de  convertir  les  âmes  par  la  grâce  di- 
vine dont  elle  est  revêtue  (1).  "Vainement  espère-t-on 
de  la  sagesse  humaine  ce  que  la  grâce  de  Dieu  ne 
donne  point.  Nous  devons  donc  recourir  à  Jésus- 
Christ  ;  c'est  de  lui  seul,  dit  saint  Chrysostome,  que 
nous  pouvons  obtenir  notre  guérison  (2). 

En  second  lieu,  l'hydropique  se  présenta  au  divin 
Médecin  pendant  qu'il  était  à  table.  Et  nous  aussi, 
chrétiens,  ilous  devons  nous  présenter  à  lui  dans  le 
temple  saint,  où,  sous  le  voile  de  la  divine  Eucharis- 
tie, il  est  en  quelque  sorte  assis  à  la  table  de  son 
amour,  non-seulement  comme  un  Dieu  clément,  qui 
brûle  du  désir  de  nous  pardonner  tous  nos  péchés, 
mais  comme  un  médecin  charitable,  prêt  à  nous  gué- 
rir de  toutes  nos  infirmités  (3).  Ah!  notre  guérison, 
s'écrie  Bède,  sera  certaine,  si  nous  allons  trouver  ce 
doux  Sauveur  à  ce  divin  banquet.  Dans  les  habita- 
tions profanes,  on  respire  un  air  charnel  et  mondain, 
qui  assoupit  l'esprit,  corrompt  et  matérialise  insensi- 
blement le  cœur  ;  mais,  dans  le  saint  lieu,  en  présence 
de  Jésus-Christ  caché  sous  le  symbole  eucharistique, 
on  respire  un  air  spirituel  et  céleste,  qui  nous  rend 
insensiblement  meilleur,  et  nous  élève  au-dessus  de 
la  matière,  en  nous  spiritualisant  en  quelque  sorte. La 
divine  Eucharistie  répand  comme  une  atmosphère  de 

(1)  Lex  Domini  immaculata  couverlens  animas  (Ps.  xviii). 

(2)  Hydropicus  est  omnis  qui  ob  dissolutam  et  lubricam  vitam 
in  anima  graviter  œgrotat,  et  Christo  eget  [Caten.). 

(3)  Oui  piopiliatur  omnibus  iniquitatibus  tuis,  qui  sanat  omnes 
infirmilates  tuas.  —  Hos  tamen  si  ad  Christi  convivium  vencrint, 
sanat  Jésus  (Beda). 


—  24  — 
sainteté,  de  grâce  et  d'amour^  au  milieu  de  laquelle 
rhoramc  se  sent  ap;raiidir  le  cœur  et  élever  l'esprit 
vers  les  choses  divines.  Donnez-moi  le  plus  grand  pé- 
cheur ;  s'il  se  présente  et  s'humilie  devant  la  divine 
Eucharistie,  l'adorant  profondément^  il  est  iinj)ossible 
qu'il  ne  conçoive  des  désirs  de  conversion.  Comme 
l'on  sort  toujours  moins  homme  des  assemblées  des 
mondains,  de  même  l'on  est  toujours  meilleur  chré- 
tien quand  on  a  été  en  la  compagnie  de  Jésus.  C'est 
pourquoi  le  démon,  voulant  perpétuer  en  nous  l'hy- 
dropisie  de  nos  vices,  nous  iiis])irc  une  sorte  de  théo- 
phobie^  ou  une  certaine  peur  de  Dieu  et  i'éloignement 
de  son  saint  temple  ;  car  il  n'ignore  pas  que  le  pé- 
cheur qui  fréquente  la  maison  du  Seigneur  et  se  pré- 
sente souvent,  avec  les  dispositions  voulues,  à  ce 
Dieu  qui  y  habite,  se  convertit  à  la  longue,  recouvre 
la  santé  de  l'àme  et  vit  de  la  grâce. 

C'est  donc  mal  à  propos  que  nous  nous  plaignons 
de  la  faiblesse  de  la  nature,  de  la  force  des  passions, 
de  la  multiplicité  des  dangers,,  de  la  chaîne  et  du 
poids  des  mauvaises  habitudes;  car  saint  Grégoire 
nous  apprend  que  la  cause  de  notre  perte  éternelle, 
notre  véritable  tort  consiste  en  ce  que,  étant  grave- 
ment malades,  le  sachant  et  l'avouant ,  nous  vivons 
loin  du  temple,  nous  fuyons  le  médecin  et  dédaignons 
le  seul  remède  qui  puisse  nous  guérir  (1). 

En  troisième  lieu,  l'hydropiquc  se  tenait  en  la 
présence  du  Sauveur  sans  prononcer  une  seule  pa- 
role :  erat  ante  illum.    Mais   s'il  se   tait,   son  cœur 

(1)  Si  infirmns  es,  quaro  non  recurris  ad  nieOicum? 


—  25  — 

parle  ;  il  est  rempli  de  foi  en  la  puissance,  et  de 
confiance  en  la  bonté  du  Sauveur.  Ainsi,  quand  nous 
sommes  en  la  sainte  présence  de  Jésus,  il  n'est  point 
nécessaire  que  notre  bouche  prononce  de  longues 
prières,  puisqu'il  nous  enseigne  que  l'eflacacité  de 
celle-ci  ne  consiste  pas  dans  le  nombre  des  paroles, 
mais  dans  les  vifs  sentiments  du  cœur  (1).  Nous  de- 
vons, dit  saint  Augustin,  crier  vers  Dieu  plus  de 
cœur  que  "de  bouche  ;  car  Dieu  accorde  sa  grâce  non 
pas  à  celui  qui  crie  beaucoup,  mais  à  celui  qui  aime 
bien  (2). 

En  quatrièm_e  lieu,  cette  expression  de  l'évangile  : 
«  il  se  tenait  devant  lui  :  erat  anteillum,  »  indique  que 
l'hydropique,  sans  adresser  la  parole  au  Sauveur 
tenait  toutefois  ses  yeux  fixés  sur  lui,  s'attendant  à 
rencontrer  le  regard  du  Fils  de  Dieu,  et,  par  cette 
voie ,  transmettre  à  son  cœur  divin  le  cri  de  son 
propre  cœur.  Voilà  l'image  parfaite  denotre  pauvre 
humanité,  infirme  et  souffrante,  affaiblie  jusqu'à  ne 
pouvoir  pas  même  exprimer  sa  propre  infirmité  et 
sa  douleur  ;  voilà  aussi  le  moyen  d'attirer  sur  nous  la 
miséricorde  de  Dieu, 

Yoyez  le  pauvre  mendiant  :  il  se  place  quelquefois 
sur  le  passage  ou  en  la  présence  des  riches  ;  il  ne 
leur  adresse  aucune  parole,  mais  il  dirige  de  temps 
en  temps  sur  eux  un  regard  plein  de  tristesse,  pour 
leur  indiquer  sa  misère  et  son  triste  état  ;  il  leur  fait 

(1)  Orantes,  uolite  multum  loqui  {Matfh.  vi). 

(2)  Clama  non  ore,  sed  corde  ;  apud  Deum  non  valet  magous 
clamer,  sed  magnus  amor. 


—  2C  — 
entendre  nnc  humble  plainte,  un  soupir  intérieur  qui 
dit  infiniment  pins  que  tous  les  discours.  Telle  est, 
mes  frères,  la  manière  dont  nous  devons  nous  com- 
j.ortcr  en  la  présence  de  Jésus-Christ  :  nous  devons 
fixer  sur  lui  un  regard  de  respect  et  de  confiance, 
d'humililé  et  d'amour;  un  regard  qui  soit  l'expres- 
sion sincère  de  la  confusion  et  de  la  douleur  de  nos 
infirmités  spirituelles  et  du  désir  d'en  être  guéri  ;  un 
regard  qui  dévoile  notre  misère  et  qui  demande  mi- 
séricorde, lors  même  que  la  bouche  se  tait.  Un  tel 
regard,  sorti  de  notre  cœur,  se  communique  à  celui 
de  Jésus  ;  il  lui  parle  et  en  reçoit  une  réponse  ;  et  les 
cœurs  qui  se  parlent  et  se  répondent,  finissent  par 
s'aimer.  Alors,  mais  seulement  alors,  dit  saint  Chry- 
sostome,  notre  guérison  sera  certaine  (1). 

Enfin  l'évangile  disant,  non  pas  que  l'hydropi- 
que  se  tient,  mais  qu'il  se  tenait  devant  le  Sauveur, 
exprime  la  constance  de  sa  prière,  d'autant  plus  élo- 
quente qu'elle  était  plus  sQencieuse.  Il  ne  reçut  pas 
tout  de  suite  la  grâce  qu'il  implorait,  mais  seulement 
à  la  fin  du  festin.  Et,  en  attendant,  il  n'a  pas  honte 
de  rester  là,  exposé  au  mépris  de  tant  de  monde, 
de  soutenir  les  regards  dédaigneux  des  Pharisiens, 
les  moqueries  des  convives  et  les  insultes  des  ser- 
viteurs. Nul  n'a  pitié  de  ce  malheureux,  personne 
ne  s'intéresse  à  son  sort,  aucun  ne  s'occupe  de  lui. 
Le  Sauveur  même,  qui  avait  déjà  ses  desseins  de 
Traie  commisération  sur  lui,  mais  qui  voulait  éprouver 
sa  foi  et  en  accroître  le  mérite,  feignit  d'abord  de 

(1)  Si  erit  ante  Cbrislum,  plane  sanabitur  {Caten.), 


—  27  — 
ne  pas  faire  attention  à  lui  ;  il  ne  lui  adressa  aucune 
parole,  pas  même  un  regard.  Alors  cet  hydropique 
devient  notre  modèle  etno'rc  maître  dans  la  prière. 
Car^  malgré  tous  ces  motifs  de  découragement,  il  ne 
perd  néanmoins  pas  courage,  ne  se  rebute  ni  ne  se 
fatigue  ;  mais,  toujours  dans  la  môme  attitude,  exci- 
tant la  compassion,  immobile  et  debout  devant  le 
Fils  de  Dieu,  sans  se  lamenter  ni  se  plaindre^  même 
intérieurement,  il  attend,  avec  une  humble  patience 
et  une  religieuse  résignatiou,  le  moment  où  il  plaira 
au  Sauveur  de  le  guérir  :  on  dirait  que  plus  il  est  dé- 
daigné, plus  il  espère.  Or,  voilà  comment  nous  de- 
vons agir  nous-mêmes,  quand  le  divin  Médecin  nous 
fait  attendre  le  remède  qui  doit  nous  guérir:  nous 
ne  devons  point  perdre  courage  ni  manquer  de  con- 
fiance. Selon  le  conseil  du  Prophète,  à  l'exemple 
de  la  pauvre  servante  qui,  tenant  son  regard  attaché 
sur  la  main  de  sa  prévoyante  maîtresse,  attend  pa- 
tiemment et  en  silence  la  nourriture  dont  elle  a  be- 
soin, nous  ne  devons  pareillement  jamais  nous  fati- 
guer de  tenir  fixé  sur  Dieu  Je  regard  de  notre  espé- 
rance et  de  notre  prière,  jusqu'à  ce  qu'il  lui  plaise 
enfin  de  nous  faire  miséricorde  (1).  N'en  doutons 
point,  mes  frères,  le  cœur  tendre  de  Jésus  finit  à  la 
longue  par  se  laisser  toucher  au  spectacle  de  notre 
misère,  son  oreille  par  s'ouvrir  au  cri  d'une  humilité 
confiante.  La  vue  de  nos  infirmités  l'apaise,  l'atten- 
drit, le  touche  et  lui  fait  exercer  sa  charité.  Il  nous 

(1)  Sicut  oculi  ancillae  in  raanibus  dominœ  suse,  ita  oculi  nostri 
ad  Dominum,  douée  misereatur  nostri. 


—  IS  ~ 

rendra  donc  regard  pour  regard,  amour  pour  amour, 
il  étendra  aussi  sur  nous  sa  main  bienfaisante  ;  ilnouj 
guérira  de  toutes  nos  infirmités,  renouvelant  ainsi 
dans  nos  âmes  le  prodige  qu'il  opéra  dans  le  corps  de 
Ihydropique,  si  bien  qu'il  sera  dit  aussi  de  chacun 
de  nous  :  «  Il  le  p.rit  par  la  main,  le  guérit  et  le  ren- 
voya :  El  apprehensum  savanit  eum,  ctdimisit.»  Ainsi- 
it-il! 


SEIZIÈME  HOMÉLIE. 


Saint  Joseph,  époux  de  Marie. 

(S.  Mafth.,  c.  I,  V.  18-25.) 

At  ille  dixit  :  Beati  qui  audiunt  verbum  Dei 
et  custodiuQt  illud. 

{Evang.  du  III«  clim.  de  Carême.) 

Quel  est  donc  ce  Verbe  ineflFable,  cette  importante 
et  précieuse  parole  de  Dieu,  qui,  selon  le  témoignage 
du  Fils  de  Dieu  même,  rend  heureux  celui  qui  l'é- 
coute avec  docilité,  qui  l'accomplit  fidèlement  et  qui 
la  conserve  précieusement  dans  son  cœur?  C'est, 
mes  frères,  la  prédication  de  l'Evangile  en  général; 
mais  c'est  plus  particulièrement  ce  Verbe,  cette  pa- 
role mystérieuse  dont  notre  divin  Sauveur  avait  parlé, 
quand  il  disait  que  tous  ne  l'entendent  point  quand 
ils  lécoutent,  et  que  tous  ne  l'accomplissent  point 
quand  elle  leur  est  annoncée,  mais  ceux-là  seulement 
auxquels  le  Père  céleste  en  a  donné  l'intelligence  et 
la  grâce  :  le  Verbe,  c'est-à-dire  la  parole  de  la  sainte 
et  immaculée  Virginité  (1). 

(1)  Sicut  eunuclii,  qui  seipsos  castraverunt  propter  regnum  cœ- 
lorum,  non  omnes  capiunt  verbum  istud,  sed  quibus  datom  est  « 
Pâtre  meo  {Mat th.  xix). 


—  30  — 

Combien  est  admirable  et  magnifique  l'idée  que  le 
Sauveur  du  monde  nous  a  donnée  de  la  virj;iiiiLé,  en 
l'appelant  Verbe,  Parole  :  Vcrbumislml!  En  ell'et,  le 
Verbe  éternel  représente  eu  lui-même,  comme  dans 
une  image,  toute  la  substance  divine  ;  de  même  la 
■virginité  contient  en  elle-même  et  exprime  tout 
l'esprit,  toute  rexcellence,  la  sainteté  du  Verbe  de 
Jésus-Christ  et  la  grande  parole  de  son  Evangile. 

Par  là,  on  comprend  clairement  le  sens  de  la  ré- 
ponse que  Jésus-Christ  fit  à  la  femme  dont  il  est  parlé 
dans  févangile  de  ce  jour.   Cette  pieuse  et  fidèle 
matrone,  enchantée  de  la  beauté  de  la  face  adorable 
du  divin  Fils  de  3Iarie^  de  la  grâce  de  ses  paroles  et 
de  la  sublimité  de  sa  doctrine,  s'écria,  du  milieu  de 
la  foule  des  ennemis  du  Sauveur,  dans  un  transport 
de  foi  et  dans  une  extase  d'amour,  en  s'adressant  à 
lui  :  «  Bénis  soient  les  entrailles  qui  vous  ont  porté 
et  le  sein  qui  vous  a  nourri  (1)!  »  Le  divin  Maître, 
parla  réponse  qu'il  lui  adressa,  voulut  dire  ceci  :  Oui, 
ma  Mère  est  vraiment  bienheureuse  ;  mais  ce  n'est 
point  parce  qu'elle  m'a  communiqué  sa  chair  et  mis 
au  monde  en  demeurant  vierge ,  mais  parce  qu'elle 
a,  avant  tout,  écouté  et  accompU  ma  parole  mysté- 
rieuse, en  se  consacrant  à  la  virginité,  et  parce  qu'a- 
vant de  m'a  voir  conçu  dans  son  sein,  par  son  obéis- 
sance, elle  avait  attiré  mes  regards  sur  elle  et  m'avait 
conçu  dans  son  cœur  par  sa  pureté  sans  tache  (2). 

(1)  Extollpns  vocpm,  qu.Tedam  mulier  de  lurba  dixit  :  Beatus 
venter  qui  te  portavit  et  ubera  quse  suxisti  ! 

(2)  Beati  qui  audiuut  verbum  Dei  et  custodiunt  illud! 


—  31   — 
Remarquez  que,  bien  que  cette  femme  eût  parlé 
en  particulier  de  celle  qui  l'avait  conçu,  le  Sauveur 
lui  répondit   néanmoins  d'une  manière  générale  : 
«  Heureux  tous  ceux  qui  écoutent  la  divine  parole.  » 
Or,  Marie  ne  fut  pas  la  seule  qui  écouta  la  sublime 
parole  de  la  virginité  avant  la  naissance  du  Sauveur  ; 
le  patriarche  saint  Joseph;,  dont  nous  célébrons  au- 
jourd'hui la  mémoire  glorieuse  (1),  l'entendit  comme 
elle.  Le  Sauveur,  dans  l'éloge  qu'il  fit  de  la  \7ierge 
sa  Mère,  voulut  donc  faire  aussi  celui  de  son  père 
putatif,  de  son  gardien  vierge  ;  il  voulut  dire  que 
saint  Joseph  aussi  était  heureux,   non  -  seulement 
parce  qu'il  était  l'époux  de  la  Mère  de  Dieu,  ayant, 
par  conséquent,  un  Dieu  soumis  à  lui  comme  son 
fils  :  Virutn  Mariœ,  de  qua  natus  est  Jésus  ;  mais  encore 
parce  qu'avant  de  devenir  l'époux  de  Marie,  il  avait 
imité  son  inaltérable  pureté,  et  parce  qu'avant  de 
porter  dans  ses  bras  comme  son  fils,  le  fils  de  l'E- 
ternel, il  avait  écouté  la  parole  de  la  virginité  et 
l'avait  fait  fructifier  dans  son  cœur.  Mon  intention 
étant  de  vous  entretenir  aujourd'hui  de  cet  illustre 
saint,  je  ne  veux  point  m'éloigner  de  l'idée  que  le 
divin  Maître  a  voulu  nous  en  donner  lui-même  en  ce 
jour  de  fête.   L'évangéliste  saint  Matthieu  dans  la 
main,  je  viens,  mes  frères,  vous  parler  du  mariage 
de  saint  Joseph  avec  la  Yierge  Marie,  vous  exposer 
les  mystères  qui  en  furent  le  but,  les  vertus  qui  en 
furent  la  base  et  les  mérites  qui  en  furent  le  fruit. 

(1)  Le  19  du  mois  de  mars,  l'Eglise  célèbre  la  fête  de  ce  grand 
saint. 


—  35  — 
Ce  sujet  est  d'aulaat  [ilus  digne  de  votre  atteiilioii, 
qu'il  lie  s'agit  pas  seulement  de  louer  un  saint,  mais 
encore  d'cxpliciuer  un  des  plus  grands  miracles  do  la 
grâce  et  l'un  des  plub  tendres  et  des  plus  saints  mys- 
tères de  la  religion. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

C'était  une  croyance  universelle  dans  le  monde 
qu'une  vierge  devait  ei'.fjniter.  Dieu  avait  arrêté  le 
prodige  dans  ses  divins  décrets;  les  patriarches  l'a- 
vaient rappelé  par  leurs  actions,  la  loi  ancienne  figuré 
par  ses  rites,  les  prophètes  annoncé  par  leurs  oracles, 
tous  les  peuples  avaient  su  par  tradition  que  le  Ré- 
dempteur du  monde  devait  naître  d'une  vierge.  Le 
Fils  de  Dieu,  dit  saint  Bernard,  voulant  naître  parmi 
les  hommes,  ne  devait  naître  que  d'une  vierge;  et, 
puisqu'une  vierge  devait  devenir  mère,  elle  ne  de- 
vait enfanter  qu'un  Dieu  (1).  Celui  qui,  dans  le  ciel, 
a  un  Père  et  n'a  pas  de  Mère,  devait  naître  sur  la 
terre  d'une  mère  sans  avoir  de  père,  afin  que,  dans 
sa  naissance  temporelle  non  moins  que  dans  sa  nais- 
sance spirituelle,  cet  oracle  d'Isaïe  reçût  son  accom- 
plissement :  «  Qui  pourra  raconter  sa  génération  (2)?» 

Mais  si  cette  Vierge  bienheureuse  était  devenue 
mère  en  dehors  du  mariage,  c'est  eu  vain^  dit  saint 
Ambroise,  qu'elle  aurait  aflSrmé  qu'elle  avait  conçu 

(1)  Neque  euirn  virginem  ducit  altcr  partus;  ueque  Deuin  du- 
cit  Mater  altéra  (Bern.,  sup.  Mis.). 

(2)  Generationem  ejus  quis  enarrabit  {Isa.  uu)1 


—  33  — 

par  un  miracle;  les  Juifs  cliariicls  auraient  cru  le 
contraire,  ils  auraient  dit  qu'elle  voulait  cacher  sa 
faute  (1)  :  ils  Tauraieut  assurément  lapidée,  dit  saint 
Jérôme  (*2).  Tout  au  moins,  reprend  saint  Bernard, 
elle  aurait  perdu  sa  réputation  ;  ce  que  Dieu  ne  de- 
vait pas  et  ne  voulait  pas  permettre  à  l'endroit  de  la 
Mère  de  son  Fils  (3).  Dieu  fut,  en  clTel;,  si  jaloux  de 
riionneur  de  Marie,  dit  encore  saint  Ambroise,  qu'il 
aima  mieux  qu'on  pût  douter  de  la  naissance  miracu- 
leuse du  Fils  que  de  la  pudeur  intacte  de  la  Mère  (4). 
Marie,  devenue  mère  dans  la  condition  du  mariage, 
n'avait  aucune  raison  d'inventer  un  miracle  pour  ca- 
cher une  faute  supposée,  puisqu'il  est  glorieux  pour 
l'épouse  de  devenir  mère.  Marie  devait  mériter  toute 
confiance  quand  elle  assurerait  que  son  enfant  n'était 
pas  le  fils  de  Joseph.  Et  puis  la  loi  condamnait  à 
l'infamie  les  enfants  nés  hors  du  mariage.  Il  était 
donc  très-iudispensabie  que  la  Vierge  mère  du  Messie 
fut  une  épouse,  afin  que  le  Réparateur  du  genre  hu- 
main ne  commençât  pas  sa  vie  par  une  infamie  légale, 
qui  eût  dégradé  sa  personne  et  discrédité  son  minis- 


(1)  Videretur  mentiri  incopta  prœgiians,  et  culpam  velle  adum- 
brare  mendacio;  neque  enim  crederelur,  etsi  diceret  se  esse  vir- 
ginem  (S.  Amb.,  Com.  in  Luc). 

(2)  Damnaretur  ut  adultéra  {Com.  in  Matth.). 

(3)  Videus  matrem  et  non  despoiisatam,  diceretur  meretricem 
potius  quani  virginem,  quod  non  decebat  de  Matre  Dei  (Bern.). 

(4)  Maluit  Dominus  aliquos  de  suo  ortu,  quani  de  Matris  pu- 
dore  dubitare.  —  Fides  Marias  verbis  asseritur,  et  mendacii  causa 
rcmovetur. — Causa  mentiendi  despoasata  non  habuit,  cum  gratia 
nuptiarum  partus  sit  feminarum  (S.  Amb.,  in  Luc). 

II.  3 


—  34  — 
1ère  :  ainsi  s'exprime  saint  Ambroisc  (1).  La  dignité 
de  l'cnfanl,  comme  l'hoinieurde  la  mère,  demandait 
donc  que  le  lUs  de  Dieu  naquît  dans  les  conditions 
indiquées  (2),  afin  que  son  auguste  Mère  ne  lut  pas 
])unie  comme  coupable,  et  le  Fils  méprisé  comme 
illégitime.  Kn  outre,  selon  la  doctrine  de  saint  Paul, 
ce  grand  mystère  de  la  virginité  de  la  Mère  et  de  la 
divinité  du  Fils  ne  devait  être  connu,  dans  sa  vérité 
et  dans  sa  magnificence,  qu'après  l'accomplissement 
de  l'œuvre  de  la  Kédcmption,  par  l'apparente  folie 
de  la  prédication  apostolique,  qui  devait  établir 
cette  croyance  dans  le  monde.  Il  devait  être  jusqu'a- 
lors, selon  la  pensée  de  saint  Ignace  martyr,  cité 
par  saint  Jérôme  ;,  une  énigme  impénétrable  aux 
hommes  et  aux  démous,  à  la  terre  et  à  l'enfer  (3). 

Il  était  donc  nécessaire  que  la  mère  du  Rédemp- 
teur promis  à  nos  maux  eût  un  époux,  mais  un 
époux  qui,  en  consentant  à  s'unir  à  Marie  par  les 
nœuds  d'un  mariage  saint  et  légitime,  fût  décidé 
à  observer  la  continence  ;  ce  devait  être  un  mari 
vierge,  qui  eût  le  titre  réel  d'époux  sans  en  v^xcrcer 
les  droits.  Mais  où  trouver  cet  époux,  je  ne  dis  pas 
dans  l'univers,  qui  était  païen,  mais  même  dans  la 
nation  juive,  qui  seule  adorait  le  vrai  Dieu;  cette 
nation,  dis-je^  qui,  par  l'espérance  dont  chacun  se 
berçait  de  prendre  part  à  la  naissance  temporelle  du 


(1)  Cum  partus  inuptœ  loge  damnctur,  congruum  fuit,  ut  Virgo 
desponsaretur,  ue  vidcrofur  Christns  al)  injuria  logis  cœpisse. 

(2)  Ut  de  desponsata  nasccrotur  (llior.,  loco  cit.). 

(3)  Ut  parlud  ejuâ  cclaretur  diabolo. 


._  Q=i  

Messie,  regardait  comme  maudit  de  Dieu  et  désho- 
noré devant  les  hommes  quiconque  n'avait  point  de 
descendants?  Or,  cet  époux  unique,  cet  homme  si 
au-dessus  de  Thumanité  de  son  temps,  d'une  abné- 
gation si  nouvelle^  jusqu'alors  inconnue  sur  la  terre, 
ce  prodige  de  toutes  les  vertus.  Dieu  l'a  trouvé 
ians  saint  Joseph,  qui  est  appelé  dans  l'Evangile  le 
juste  par  exci^llence  :  Joseph  auiem  cum  esset  justus, 
c'est-à-dire,  comme  Gerson  l'explique,  l'homme  qui 
possède  toutes  les  vertus  dans  toute  leur  plénitude 
et  toutes  leurs  perfections  (I). 

Quand  donc  il  s'agit  d'un  si  grand  patriarche,  d'un 
saint  si  illustre,  c'est  peu  de  dire  qu'il  eut  l'ianocence 
d'Abel,  la  religion  de  Noé,  la  patience  de  Job,  la 
foi  d'Abraham ,  l'obéissance  d'îsaac ,  l'humilité  de 
Jacob,  la  chasteté  de  Joseph,  le  zèle  de  Josué,  la 
générosité  de  Samuel,  la  mansuétude  de  David,  la 
sagesse  de  SalomoU;,  la  piété  de  Josias.  C'est  peu 
d'ajouter  avec  les  Pères  et  les  théologiens  qu'il  fut 
sanctifié  dans  le  sein  maternel  comme  Jérémie  et 
qu'il  naquit  saint  comme  Jean-Baptiste.  Tous  ces 
personnages  étaient  seulement  les  figures,  les  pro- 
phètcS;,  les  hérauts,  les  serviteurs  et  les  précurseurs 
du  Messie  ;  et  d'autres  vertus,  d'autres  privilèges 
devaient  enrichir  l'époux  de  la  Mère  de  DicU;,  celui 
qui,  par  conséquent,  devait  avoir  un  Dieu  pour  Fils. 

La  divine  Ecriture  nous  apprend  qu'une -femme 
vertueuse  et  sainte  est  la  récompense    que   Dieu 

(1)  Joseph  vocari  justum  attendito  propter  virtutum   omniuai 
perlectam  possessionem  (De  S,  Jos.). 


—  30  — 
donne  à  Icpoux  saint  et  vertueux  (1).  11  faut  donc 
que  saint  Joseph  ait  été  le  plus  saint  et  le  plus  ver- 
tueux des  éi)0ux,  puisipie  Dieu  l'a  choisi  pour  être 
le  conipa^aion  de  la  plus  sainte  et  de  la  plus  ver- 
tueuse des  épouses,  de  celle  qui  était  le  trésor  vivant 
de  toutes  les  iiràccs,  le  sanctuaire  visible  do  toutes 
les  vertus.  S'il  y  eût  eu  sur  la  terre  une  créature  plus 
suinle  que  S'arie, elle  eût  été  choisie  à  sa  place  pourêtre 
la  Mère  de  Jésus-Christ;  de  même, s'il  se  fût  trouvé  un 
homme  plus  pur  et  plus  saint  que  Joseph,  il  serait 
devenu  l'époux  de  Marie.  De  ce  que  Marie  a  été 
choisie  pour  être  la  Mère  de  Dieu,  nous  en  tirons 
donc  cette  légitime  conséquence, qu'elle  a  été, comme 
nous  l'apprend  du  reste  la  divine  Ecriture,  la  plus 
sainte  entre  toutes  les  femmes  ;  de  même,  de  ce  que 
saint  Joseph  a  été  choisi  pour  être  son  époux,  il  s'en 
suit  qu'il  a  été  le  plus  saint,  le  plus  parfait  de  tous 
les  hommes,  et  qu'il  possède  au  suprême  degré 
toutes  les  vertus  qui  brillèrent  d'un  éclat  divers 
dans  les  anciens  patriarches. 

Eien  plus,  la  passion  n'étant  point  le  principe  de 
leur  alliance,  mais  bieu  la  volonté  divine.  Dieu,  qui 
les  avait  choisis  l'un  pour  l'autre  par  une  providence 
particulière,  a  dû  les  former  lui-même  tout  particu- 
lièrement l'un  pour  l'autre;  et  comme  déjà  il  avait 
créé  et  donné  au  premier  homme,  dans  la  personne 
d'Eve,  une  épouse  semblable  à  lui  par  nature,  de 
même ,  selon  la  doctrine  de  saint  Pierre  Damieu , 

(1)  Pars  bona,  mulicr  bona  dabilur  viro  bono  pro  facU-i  bonis 
[Eccli.  xxvj). 


Dieu  a  créé  et  donné  à  Marie,  dans  la  personne  de 
Joseph,  un  époux  semblable  à  elle  par  la  grâce;  si 
bien  que,  pour  nous  former  une  idée  vraie  de  la  sain- 
teté de  Joseph,  nous  devons  considérer  la  sainteté 
de  Marie  comme  le  type  de  la  sienne  (I). 

Issus  tous  les  deux  de  la  royale  famille  de  David, 
ils  avaient  les  mêmes  traditions  de  famille,  comme 
ils  nourrissaient  les  mêmes  sentiments  de  religion  et 
de  sainteté  'dans  leur  cœur,  la  même  foi  à  la  parole 
divine,  la  même  confiance  en  ses  promesses,  le  même 
zèle  pour  la  gloire  de  Dieu,  le  même  intérêt  pour  le 
salut  des  hommes,  le  même  goût  pour  la  fuite  du 
monde,  le  même  esprit  d'oraison,  le  même  détache- 
ment de  la  terre,  le  môme  désir  du  ciel,  le  même 
amour  de  Dieu,  la  même  charité  envers  le  prochain, 
les  mêmes  idées,  les  mêmes  desseins,  les  mêmes  af- 
fections de  ferveur  et  de  piété. 

Pais  Dieu  avait  comblé  Joseph  de  toutes  les  béné- 
dictions de  la  grâce  ;  le  docteur  angélique,  après 
avoir  rappelé  qu'il  fut  sanctifié  avant  de  naître,  af_ 
firme  que  la  concupiscence  et  les  rébellions  de  la 
chair  étaient  éteintes  en  lui.  Dieu  en  fit  un  ange 
dans  un  corps  mortel,  en  lui  accordant  le  don  d'une 
virginité  intacte  et  incorruptible.  Cela  se  comprend 
sans  peine  :  celui  qui  ne  voulut,  après  sa  mort, 
confier  la  Vierge  sa  Mère  qu'à  un  disciple  vierge, 
voulut,  à  plus  forte  raison,  pendant  sa  vie  la  confier 
à  un  époux  vierge.  C'est  la  pensée  de  saint  Jérôme, 

(l)  Erat  beatiis  Joseph  factus  in  similitudiuem  Virginis  sponsae 
suae  (S.  Petr.  Dam.) 


—  :i8  — 
commentant  CCS  paroles  de  Marie  à  l'ange:  «Com- 
ment poiirrais-jc  dt; venir  mère,  puisqne  je  ne  con- 
nais aucun  lionnnc  et  n'en  peux  connaître  (I).  »  Ce 
grand  docteur  affirme  que  Marie  prononça  ces  pa- 
roles, non -seulement  à  cause  du  vœu  fait  par  elle 
de  demeurer  vierge,  mais  aussi  à  cause  du  vœu  et 
de  la  résolution  de  saint  Joseph  de  respectera  jamais 
sa  virginité.  Saint  Augustin  confirme  cette  opinion 
en  ajoutant  que  Marie  et  Joseph  avaient  formé  les 
mûmes  desseins  de  pureté,  par  un  même  amour  pour 
la  continence,  un  vœu,  en  un  mot,  et  une  profession 
communes  de  virginité  (2). 

Yoilà  donc  dans  Marie  et  Joseph  deux  âmes  qui 
ont  compris  la  grande  parole  de  la  virginité,  même 
avant  que  le  Fils  de  Dieu  ne  l'eût  prononcée  ;  ils  s'y 
consacrent  avant  que  le  prix  en  soit  connu;  ils  ar- 
borent son  étendard  et  en  ouvrent  le  chemin  pour 
y  attirer  eu  foule  les  deux  sexes,  avant  même  que  la 
récompense  soit  proposée,  et  ils  préludent  à  la  nais- 
sance de  l'auteur  de  l'Evangile  par  la  pratique  de 
la  vertu  la  plus  sublime  et  la  plus  parfaite  que  l'E- 
vangile devait  plus  tard  annoncer. 

Ces  deux  grandes  âmes  ne  se  rapprochent  point 
par  la  force  de  l'inclination,  mais  par  la  sympathie 
de  la  vertu.  C'est  la  grâce  et  non  la  nature  qui  les 
unit  ;  et  cette  union  céleste  est  consacrée  et  perfec- 


(1)  Non  corrupta  fuorat  socianda  puoUa  (S.  Jér.).  —  Quomodo 
Cet  islud,  quoniam  viruin  non  cognosco? 

(2)  Habuit   Joseph  cuia    Maria   communem   virginitatem  (S. 
Aug.). 


—  39  — 
tionnée  par  la  religion  :  la  passion  n'y  a  aucune  part. 
C'est  pourquoi,  selon  Origène,  l'évangéliste  donne  à 
Marie  le  nom  d'épouse  plutôt  que  celui  de  mariée, 
pour  nous  apprendre  que  toute  idée  profane, 
toute  pensée  charnello  fut  étrangère  à  une  telle 
union  (I).  Ce  fut  la  virginité  qui  atlira  Yuuc  vers 
l'autre  ces  deux  âmes  et  devint  la  base  et  le  fon- 
dement de  leur  mariage,  comme  elle  en  resta  la  plus 
belle  parure . 

Oh!  admirable  et  sainte  union!  Vit-on  jamais  rien 
de  plus  pur,  de  plus  saint,  de  plus  sublime?  Partout 
ailleurs,dans  le  mariage, la  virginité  est  formellement 
exclue;  ici  elle  est  spécialement  requise!  Si  Marie 
n'eût  pas  été  décidée  à  demeurer  vierge,  jamais  elle 
ne  serait  devenue  la  Mère  du  Dieu  qui  ne  pouvait 
'avoir  qu'une  vierge  pour  Mère.  Si  Joseph  n'avait 
point  partagé  cette  résolution  généreuse,  il  ne  serait 
jamais  devenu  l'époux  de  celle  qui  ne  pouvait  être 
unie  qu'à  un  époux  vierge.  Ainsi,  chrétiens,  ce  ma- 
riage, selon  la  gracieuse  idée  de  Gerson,  est  non- 
seulement  fondé  sur  la  virginité  des  époux,  non- 
seulement  la  virginité  en  est  la  condition  nécessaire, 
le  lien  mystérieux  ;  mais  il  offrit  pour  la  première 
fois  au  monde  l'exemple  de  la  virginité  s'unissant  à 
la  virginité  (2).  Les  deux  époux  consentirent  l'un 
et  l'autre  au  droit  du  mariage;  car,  sans  cela,  il  n'y 
aurait  pas  eu  une  véritable  union  conjugale;  mais 

(1)  Desponsata  quidem  Joseph^  non  in  concupiscentia  juocta 
(Orig.,  in  Matth.). 

(2)  In  eo  connubio  virginitas  nupsil  (Gerson). 


—  ^0  — 
rEsprit-Saint  leur  inspira  rentière  confiance  que,  loin 
de  violer  réciproquement  ce  dépôt  sacré,  ils  s'aide- 
raient nuitueliement  à  le  conserver  intact.  Tels 
deux  diamants  s'unissent  ensemble  sans  rien  perdre 
de  leur  prix,  se  communiquant  au  contraire  leur  va- 
leur; tels  deux  rayons  se  rencontrent  et  confondent 
leur  clarté  ;  tels  deux  lis  s'entrelacent  sans  ternir 
leur  candeur. 

Donc,  autant  l'esprit  l'emporte  sur  le  corps,  la 
grâce  sur  la  nature,  la  raison  sur  la  concupiscence, 
le  feu  de  l'Esprit  divin  sur  les  flammes  de  l'amour 
charnel  ;  autant  le  mariage  de  saint  Joseph  excelle 
sur  tout  autre.  11  n'y  a  que  l'union  hy])ostatiquc  de 
la  personne  du  Verbe  avec  la  nature  humaine  qui 
soit  plus  noble  et  plus  parfaite.  Oh  !  quelle  gloire 
pour  le  mariage  de  saint  Joseph,  de  s'élever  ainsi  au- 
dessus  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu!  On  peut  lui 
appliquer  ce  qu'un  Père  a  dit  de  Marie  :  cette  œuvre 
ne  connaît  rien  de  plus  grand,  ni  de  plus  auguste,  ni 
de  plus  saint  que  Dieu  son  auteur  :  Opus  quod  solus 
artifex  supergreditur . 

Cependant,  si  sublime,  si  parfait  que  soit  ce  ma- 
riage, par  l'intacte  virginité  qui  en  fut  le  lien,  il  Test 
encore  bien  davantage  par  le  mystère  qui  en  est  la 
lin  dernière.  Quelle  est  celte  lin^  et  quelles  sont 
d'abord  les  fonctions  dont  l'époux  est  investi?  Celui- 
ci  ne  doit  point  altérer  la  virginité  de  son  épouse,  il 
doit  en  être  le  témoin  et  le  gardien.  Il  ne  doit  pas 
se  comporter  comme  un  époux  terrestre,  il  doit  res- 
pecter l'opération  de  l'Epoux  céleste,  F  Esprit-Saint. 


—  41  — 
n  ne  doit  poi.it  chercher  une  fécondité  naturelle, 
mais  laisser  la  voie  libre  à  la  grâce.  Lui,  le  vrai  Gé- 
déon,  il  doit  étendre  au  soleil,  en  la  préservant  de 
toute  tache,  la  toison  mystérieuse,  la  laisser  fécon- 
der par  la  céleste  rosée,  puis  la  conserver  avec  le 
plus  grand  soin.  Joseph,  dit  saint  Augustin,  par  sa 
virginité,  est  comme  insensible,  comme  mort  dans 
ses  rapports  conjugaux  avec  Marie  (I).  Marie  e:t 
donc,  par  cette    sorte  de  mort   spirituelle  de  son 
éponx  terrestre,  libre  de  s'unir  d'une  manière  mys- 
térieuse à  son  Epoux  céleste  ;  elle  peut  olFrir  à  ce 
dernier  un  cœur   intact,  un  corps  consacré  par  la 
virginité  :  c'est  pourquoi  la  vertu  du  Très-Haut  peut 
descendre  librement  sur  elle,  la  remphr,  en  formant 
de  son  sang  très -pur  le  corps  de  Jésus-Christ,  et  y 
opérer  ainsi  un  grand  mystère.  De  la  sorte,  les  deux 
époux  de  Marie,  l'Esprit  divin  et  saint  Joseph,  l'un 
invisible  et  l'autre  visible,  coopèrent,  par  des  moyens 
diiïérentes,  au  même  mystère.   L'un  laisse  la  voie 
libre  et  l'autre  la  suit  ;  celui-ci  prépare  la  demeure 
et  celui-là  vient  l'habiter.  Tandis  que  TEsprit-Saint, 
suppléant  par  sa  vertu  à  l'action  du  père,  rend  Marie 
miraculeusement  féconde  et  change  son  sein  virginal 
en  un  temple  vivant  de  Dieu  (2)  ;  tandis  que,  sans  le 
concours  de  l'homme,  Marie  conçoit  un  Fils  par  l'opé- 
ration divine  (3) ,  Joseph,  le  protecteur  visible  de  la 
îainte  Vierge,  met  à  couvert  l'honneur  du  Fils  et  la 


(1)  Joseph  propter  virginitatem  pro  mortuo  censebatur  (Aug.). 

(2)  Doœus  pudici  pectoris,  templum  repente  fit  Dei. 

(3)  Intacta  nescions  virum,  coucepit  alvo  filium. 


—  42  — 
réputation  de  la  I\I6rc  par  son  mariapje,  le  plus  saint 
cl  le  plus  pur  que  le  Ciel  forma  et  que  la  terre  ad- 
mira jamais.  L'iui  enrichit  de  ^tùccs  1  umc  de  Marie, 
l'autre  a  soin  de  lui  procurer  tous  les  secours  du 
corps;  le  premier  relève  aux  yeux  de  Dieu,  le  se- 
rond  la  défend  devant  les  hommes.  Comme  le  pro- 
dige d'une  Vierge  qui  conçoit  sans  perdre  sa  virginité 
était  au-dessus  des  lois  de  la  nature  et  demandait  un 
Dieu  pour  l'accomplir,  parce  qu'il  surpassait  toute 
croyance  humaine,  il  fallait  un  homme  pour  le  ca- 
cher. L'Esprit-Saint  est  donc  l'auteur  de  ce  grand 
mystère,  mais  Joseph  est  le  voile  qui  le  couvre  :  c'est 
un  ange  nouveau  placé  à  l'entrée  du  vrai  paradis  ter- 
restre, pour  en  garder  soigneusement  l'entrée  ;  il  est 
le  nuage  sacré,  le  voile  du  Temple,  qui  cache  à  tout 
regard  profane  la  vue  de  la  véritable  arche,  du 
vrai  tabernacle  de  Dieu  parmi  les  hommes.  De  sorte 
que  la  pureté  parfaite  qui  détourne  saint  Joseph, 
réel  époux  de  Marie,  d'exercer  son  droit,  est  pré- 
cisément ce  qui  élève  et  ennoblit  son  mariage  et  le 
rend,  dit  saint  Bernard,  coopérateur  visible  et  mi- 
nistre fidèle  sur  la  terre  du  plus  profond  conseil 
du  Très-Haut,  du  plus  grand  mystère  du  ciel  (1). 

Mais  quoi!  à  peine  ce  mariage  auguste  est-il  con- 
tracté, qu'il  est  en  péril  de  se  rompre.  Et  voici  com- 
ment :  Dieu  avait  déjà  opéré  en  Marie  le  grand  pro- 
dige, œuvre  de  sa  puissance  et  de  son  amour.  L'Es- 
prit-Saint était  descendu  eu  elle,  et  l'avait  fécondée. 
Cependant  saint  Joseph  ignorait  ce  mystère.  Quel 

(l)  Solus  in  terris  magni  consilii  coadjutor  fidissimus  ^S.  Bem.\ 


—  43  — 
fat  donc  son  élonnement  et  combien  grandes  furent 
sa  consternatioii  et  sa  surprise,  quand  il  vit  sa  sainte 
épouse,  avec  laquelle  il  vivait  dans  une  chaste  union, 
devenir  mère  par  un  prodige  qu'il  ignorait  venir  du 
ciel  et  qu'il  ne  pouvait  croire  le  fait  de  la  terre  (I)! 
Le  Ciel  le  garde  toutefois  de  former  le  plus  légcï 
soupçon  sur  la  fidélité  de  sa  chaste  épouse!  Marie, 
dès  ses  plus  tendres  années,  avait  grandi  à  l'ombre 
du  sanctuaire,  parmi  les  vierges  du  temple,  où  il 
était  impossible  que  rien  d'impur  surgît,  tant  elles 
étaient  soigneusement  gardées  !  Dieu  avait  ainsi  dis- 
posé toutes  choses  pour  mettre  en  sûreté  l'honneur 
de  sa  Mère  et  pour  entourer  de  toutes  les  preuves 
humaines  le  divin  mystère  de  sa  virginité.  Joseph, 
comme  l'afïïrrae  saint  Augustin,  avait  directement 
reçu  Marie  à  sa  sortie  du  temple  et  l'avait  conduite 
de  la  maison  de  .Dieu  dans  sa  propre  demeure  (2). 
Des  mains  du  saint  vieillard  Siméon,  prêtre  et  pro- 
phète, Marie,  dépôt  précieux,  trésor  vivant,  miracle 
de  la  grâce,  était  passée  directement  au  pouvoir 
d'un  grand  prophète,  d'un  prêtre  plus  saint,  en  un 
mot  de  Joseph.  L'ayant  donc  reçue  dans  sa  maison, 
toujours  vue  auprès  de  lui,  il  était,  comme  l'observe 
saint  Pierre  Chrysologue,  le  témoin  de  son  inno- 

(1)  Qui  maritali  licenlia  uxoris  suée  omnia  noverat  (Hier., 
Coni.). 

(2)  Mariam  de  templo  Doniini  Joseph  acceperat.  —  Ipse  inuo- 
ceutiiE  testis,  ipse  custos  pudoris,  ipse  virgiDitatis  assertor.  — 
Sponsa  prœgnans,  scd  virgo  ;  plena  pignore,  sed  non  vacua  pu- 
dore;  de  couceptu  sollicita,  sed  dô  integritate  secura  (S.  Aug., 
Scrm.  de  Ami.). 


—  ¥\  — 
ccnce,  le  gardien  de  sa  pudeur  et  l'apologiste  de  sa 
\irginité:  Ipse  innocentiœ  trstis,  ipse  custos  pudoris, 
ipse  virginitatis  assertor.  Tl  voyait  qu'elle  allait  dcve- 
lîir  m6rc,  il  est  vrai;  mais  il  remarquait  en  même 
t!m|>s  qu'elle  conservait  toujours  le  rayon  de  la 
Siiinle  virginité,  et  que  le  fruit  qu'elle  portait  n'avait 
nullement  altéré  sa  pndonr  virpinalc;  il  étail  plrin 
de  sollicitude  sur  ce  qu'il  contemplait,  mais  il  étr.it 
certain  de  l'intégrité  de  sa  fidèle  épouse:  ainsi  parle 
le  même  docteur.  Témoin  de  la  pureté  des  pensées 
de  3ïarie,  de  la  sainteté  de  ses  affections,  de  la  mo- 
destie doses  regards,  de  la  délicatesse  de  ses  paroles, 
comme  de  la  réserve  de  ses  manières,  de  la  gravité 
de  son  maintien,  du  soin  de  sa  chasteté,  de  son  amour 
de  la  retraite,  de  la  constance  de  son  recueillement, 
de  son  esprit  d'oraison  et  de  la  ferveur  de  sa  piété, 
il  lisait  dans  ses  regards  la  preuve  de  son  innocence, 
et  ne  pouvait  soupçonner  une  créature  plus  qu'angé- 
liqne,  qui  n'avait,  si  je  peux  le  dire,  rien  d'immain. 
Puis  Dieu  ne  devait  pas  permettre  que  la  pureté 
de  sa  Mère  fiit  révoquée  en  doute,  même  un  seul 
instant,  même  par  un  seul  homme,  surtout  par  son 
époux  ;  il  ne  pouvait  permettre  que  la  plus  sainte 
entre  toutes  les  femmes  fût  jugée  coupable  par  le 
plus  saint  de  tous  les  hommes.  C'est  pourquoi,  selon 
la  pensée  de  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Joseph 
ne  s'arrêta  point  aux  apparences;  il  ne  s'abandonna 
ni  aux  jugements  téméraires,  ni  aux  soupçons  inju- 
rieux, ni  aux  inquiétudes  pénibles;  il  crut  plutôt  à 
son  cœur  qu'à  ses  yeux.  Il  aima  mieux  présumer  en 


—  45  — 
Marie  ua  miracle  de  la  grâce  que  de  croire  à  une 
faiblesse  de  la  nature.  Il  crut  possible  qu'une  vierge 
devînt  mère  sans  le  concours  d'aucun  homme,  plutôt 
que  de  croire  que  Marie  était  devenue  coupable  (1). 

Cependant,  mes  frères,  observez  la  prudente  ré- 
serve et  la  sage  modération  de  saint  Joseph  :  il  ne 
demande  pas  à  Marie  l'explication  d'un  secret  qu'il 
ne  peut  ni  rejeter,  ni  expliquer  ;  car  une  seule  ques- 
tion pouvait  faire  supposer  un  soupçon  de  sa  part, 
et  un  soupçon,  quoique  fort  éloigné,  sur  une  telle 
matière,  aurait  fait  rougir  la  plus  pure  de  toutes  les 
vierges  et  aurait  percé  son  cœur  d'un  glaive  de  dou- 
leur. D'un  autre  côté,  saint  Joseph  ne  veut,  dans  une 
affaire  si  délicate,  consulter  personne,  afin  de  ne 
pas  paraître  mettre  en  doute  auprès  de  qui  que  ce 
soit  la  réputation  de  sa  sainte  épouse.  Ce  silence 
si  prudent  fut  un  hommage  rendu  à  la  vertu  de 
Marie  (2). 

De  plus,  Joseph  était  très-versé  dans  les  divines 
Écritures,  qu'il  méditait  continuellement  et  dont  il 
faisait  ses  délices;  il  savait  d'ailleurs  que  le  Messie 
devait  naître  d'une  vierge  et  que  le  temps  en  était 
arrivé  ;  et  comme  il  avait  été  le  témoin  oculaire  de 
la  sainteté  et  de  la  pudeur  de  Marie,  il  crut  facile- 

(1)  Credidit  plus  castitati  quam  utero,  plus  gratiae  quam  natu- 
rœ.  Conceptionem  maiùfeste  videLat,  fornicationem  suspicari  non 
poterat.  Possibilius  credebat  mulierem  sine  vire  posse  concipere, 
quam  Mariam  posse  peccare  (S.  J.  Chrys.,  Imperf.  Ann.). 

(2)  Hoc  testimonium  Mariae  est,  quod  Joseph  sciens  illius  cas- 
titatem  et  admirans  quod  evenerat,  celât  silentio,  cujus  myste- 
rium  nesciebat  (S.  Jér.). 


—  4G  - 
ment  qu'elle  seule  pouvait  ôlrc  la  Mère  du  Libéra- 
teur promis,  aller.du  qu'elle  était  la  plus  immaculée 
et  la  plus  sainte  de  toutes  les  vierges  (1).  Qui  suis-je 
donc,  se  disait-il  à  lui-même,  comme  l'observe  un 
Père  de  l'Eglise,  qui  suis-je  jioiiroser  retenir  auprès 
de  moi,  comme  mon  épouse,  la  Mère  de  mon  Dieu  ! 
Que  je  suis  loin  d'être  assez  pur  pour  habiter  sous  le 
toit  d'une  si  grande  et  si  noble  créature  (2)  !  Malheur 
à  moi  !  Ozée  tomba  frappé  de  mort  pour  avoir  porté 
avec  trop  de  légèreté  la  main  à  l'arche  matérielle  du 
Testament  ;  quem'arriverait-il  donc  si, une  seule  fois, 
je  manquais  à  la  vénération  due  à  cette  arche  vi- 
vante de  la  nouvelle  alliance  où  est  cachée  la  vraie 
manne  du  ciel,  où  se  trouve  non  pas  la  loi,  mais  le 
Législateur  de  la  terre?  Puis  Dieu  m'a  caché  soi- 
gneusement un  si  grand  mystère,  il  n'a  pas  voulu  que 
je  le  sache  le  premier;  ne  m'avertit-il  donc  pas  claire- 
ment, par  son  silence,  qu'il  ne  me  réserve  pas,  dans 
mon  indignité,  à  en  voir  de  près  l'accomplissement? 
Tels  étaient  les  sentiments  et  les  réflexions  de 
saint  Joseph  en  contemplant  Marie.  Lors  donc  que 
l'évangile  dit  que  ce  fut  à  cause  de  sa  justice  qu'il 
résolut  de  ne  plus  retenir  auprès  do  lui  Marie,  de 
s^en  séparer  et  de  la  renvoyer  secrètement  (3),  il 

(1)  Vidcbat  gravidam  quam  novcrat  castam;  o.i  uon  dilTulebat 
liane  proplieliain  in  ea  esse  iiuplcndam  :  Ecce  Virgo  coucipiel 
et  parint  filium  (S.  Rem.). 

(2)  Major  est  ejus  digoitas,  superexcellit  ejus  taDctitas,  uoc 
mecc  congruit  indignitati  {Imp.). 

(3)  Joseph  autem  cum  esset  justus,  et  nollet  eam  traducere, 
voluit  occulte  dimittere  eam  {Matih.  i,  19). 


'  47  _ 
faut  entendre,  par  cette  justice  de  Joseph,  comme 
l'enseignent  Origène  et  un  grand  nombre  d'autres 
Pères,  la  profonde  humilité  dont  sa  foi  était  la 
source,  qui  lui  fit  croire  que  le  Messie  était  celui 
qui  devait  naître  de  la  Yierge  son  épouse  (1).  En 
effet,  saint  Paul  enseigne  que  la  foi  humble  est  ré- 
putée à  justice  devant  Dieu  (2).  Croyant  donc  que  le 
mystère  de  l'Incarnation  s'était  accompli  en  Marie, 
il  prit  la  résolution  de  s'en  séparer,  parce  que  son 
humilité  lui  persuadait  qu'il  était  indigne  de  demeu- 
rer en  sa  compagnie  (3).  Il  ne  voulait  donc  pas  ré- 
pudier Marie  à  cause  d'un  délit,  mais  ne  plus  habiter 
auprès  d'elle  par  respect.  Sa  résolution  n'était  pas 
un  acte  de  vengeance,  résultat  de  la  jalousie,  pour 
punir  une  infidélité  supposée  :  c'était  un  acte  de 
profonde  humilité  en  présence  d'un  grand  et  ineffable 
mystère.  Par  la  raison  qu'Elisabeth  dit  à  Marie  :«Doù 
me  vient  l'honneur  si  grand  de  recevoir  dans  ma  mai- 
son la  Mère  de  mon  Dieu?  »  qui  porta  le  Centurion 
à  dire  au  Sauveur  :  «  Je  ne  suis  pas  digne  que  vous 


(1)  Justus  erat  per  fidem  qua  credebat  Cliristum  de  Virgiae 
nascilurum  (Orig.). 

(2)  Credidif,  et  reputatum  est  illi  ad  justitiam. 

(3)  Ideo  dimiltere  volebat,  quoniam  magnum  sacramentum  in 
f-a  esse  cognoscebat,  cui  approximare  se  iudignum  existimabat. 
—  Voluit  se  bumiliare  aate  taiitam  et  tam  ineffabilem  rem.  — 
Sic  ut  Elisabeth  ait  :  Unde  hoc  mihi,  ut  Mater  Domiui  moi  veiiiat 
ad  me?  —  Sicut  Genturio  dicebat  :  Domine,  non  sum  dignus,  ut 
intres  sub  tectum  meum.  Sicut  beatus  Petrus  bumilians  se  aiebat 
Domino  :  Exi  a  me,  quiahomo  pcccator  sum  ;  sic  et  Joseph,  juste 
bumilians  se  in  omnibus,  qucerebat  se  longe,  ettimebatsibi  tautae 
sanctitatià  conjunctionem  adhiberc  (Orig.,  Hornil.  1  in  Div.). 


—  48  — 
entriez  dans  mon  habitation  ;  »  qui  fit  dire  à  saint 
Pierre, dans  un  transport d'iiumililé  :  «Eloignez-vous 
de  moi,  Sei2;ncur,  car  je  suis  un  pécheur  :  le  Fils 
de  Dieu  et  le  lils  de  l'homme,  la  sainteté  et  le  péché 
ne  peuvent  se  confondre  ;  »  pour  cette  même  raison, 
dis-je,  saint  Joseph,  humble  en  toutes  choses,  parce 
qu'il  était  sans  cesse  juste  en  tout,  ne  se  jugea  pas 
digne  de  vivre  avec  Marie,  la  sainteté  personnifiée, 
le  vrai  sanctuaire  de  Dieu. 

Eu  veut-on  une  preuve  plus  évidente?  Ecoutons 
l'ange  du  Seigneur  :  le  discours  qu'il  adresse  à  Joseph 
ne  laisse  aucun  doute  à  ce  sujet;  il  atteste  clairement 
que  l'humilité,  la  défiance   de  lui-même,  la  crainte 
révérenlieUe ,  qui  est  comme  la  pudeur  de  l'âme, 
ont  motivé  la  résolution  de  ce  saint  patriarche.  En 
effet,  l'auge  Gabriel  ne  l'accuse  pas,  ne  le  reprend 
point;  au  contraire,  il  le  rassure  et  l'encourage.  Ne 
crains  point,  Joseph,  lui  dit-il  :  ISoli  iimere.  Douces 
paroles  qui,  loin  d'indiquer  un  reproche  mérité  pour 
un  jugement  injuste,  ne  signifient  qu'un  encourage- 
ment donné  à  la  vertu  craintive  el  timorée.  Reniar- 
quez,je  vous  prie,  que  c'est  la  même  parole  adressée 
auparavant  par  le  même  archange  à  Marie,  jjour  la 
délivrer  du  trouble  où  l'avait  jetée  l'annonce  qu'elle 
allait  devenir  mère,  elle  qui  avait  juré  de  demeurer 
vierge  :  JSe  timeas,  Maria.  Ainsi  la  môme  parole  qui 
sert  à  calmer  la  pudeur  effrayée  de  Marie,  sert  aussi 
à  rassurer  riiumililé  craintive  de  Joseph.  L'archange 
lui  parle  avec  la  familiarité,  avec  la  bienveillance  et 
avec  la  douceur  dont  il  avait  usé  à  l'égard  de  la 


—  49  — 
sainte  Vierge,  parce  que  l'un  et  l'autre  craignent  et 
hésitent  pour  des  motifs  vertueux,  surnaturels  et 
divins;  parce  que  Joseph,  en  un  mot,  redoute  d'être 
l'époux  de  la  Mère  de  Dieu  par  le  même  motif  de 
sainteté,  de  justice  et  de  foi  qui  portait  Marie  à 
refuser  cet  ineffable  honneur  :  Ne  timeas, Maria.  JSoli 
timere. 

Mais,  en  lui  disant  de  ne  pas  craindre,  l'ange  se 
sert  de  cette  formule  :  «  Joseph,  fils  de  David  :  Jo- 
seph^ fin  David,  noli  timere.  »  Ces  belles  paroles 
sont  pleines  de  mystères,  dit  saint  JeanChrysostome.. 
L'ange  l'appelle  par  son  nom  pour  lui  inspirer  de  la 
confiance. Il  lui  rappelle  son  origine  pour  lui  renouve- 
ler à  l'esprit  la  promesse  que  Dieu  avait  faite  à  David, 
à  savoir  :  que  le  Messie  naîtrait  de  sa  race,  et  lui  an- 
noncer, dès  le  premier  mot,  que  cette  promesse  s'ac- 
complissait justement  à  cette  heure  en  Marie,  issue 
comme  lui-même  de  la  race  de  David.  Combien  sont 
tendres  ces  paroles  de  Fange  :  «  Ne  crains  point,  Jo- 
seph, de  retenir  Marie  pour  ton  épouse  :  Noli  timere 
accipere  Mariam  conjmjem  tuam  !  »  Saint  Fulgence  les 
traduit  ainsi  :  Joseph,  Marie  est  ta  légitime  et  vé- 
ritable épouse,  et  c'est  F  Esprit-Saint  qui  t'en  a  fait 
don,  qui  a  opéré  en  elle  le  mystère  qui  t'épouvante. 
Mais  cet  Esprit  d'amour  ne  veut  point  rompre  le  saint 
mariage  que  lui-même  a  formé.  Quoiqu'il  ait  rendu 
plus  précieux  et  plus  grand  le  trésor  qu'il  t'a  donné, 
il  ne  veut  pas  pour  cela  te  priver  du  bonheur  de  le 
posséder.  Dieu,  en  faisant  de  Marie  sa  mère,  n'en- 
tend pas  qu'elle  cesse  d'être  ton  épouse  :  Accipere 
il.  4 


—  r)0  — 

conjugem  tuam.  Bien  au  contraire,  celui  qui  te  l'a 
donnée  pour  épouse  veut  non-seulement  te  la  laisser 
en  cette  qualité,  mais  il  la  confie  à  ta  piété;  tu  l'as 
reçue  par  religion,  tu  la  garderas  de  même  (1). 
Ton  ministère  d'époux,  qui  n'était  pas  nécessaire 
pour  que  Marie  conçût  le  Fils  de  Dieu,  sera  indis- 
pensable, dans  les  \ues  divines,  lorsqu'elle  l'aura 
mis  au  jour.  Marie,  en  devenant  bientôt  môrc,  aura 
alors  surtout  plus  besoin  de  ton  assistance.  Ton  de- 
voir sera  de  protéger  son  honneur  et  de  nourrir  son 
Fils  (2). 

Mais  que  cette  crainte  de  Joseph  est  précieuse 
pour  nous!  Cette  crainte,  fille  de  rhumilitc,  sert  à 
confirmer  de  plus  eu  plus  notre  foi.  Elle  nous  a  valu, 
en  effet,  la  déclaration  solennelle  que  le  céleste  mes- 
sager, le  témoin  secret  de  l'union  invisible  de  Marie 
avec  l'Esprit-Saint;,  fit  à  Joseph  et  par  lui  à  nous 
tous,  à  savoir,  que  la  Vierge  porte  dans  ses  flancs 
ce  qui  est  l'œuvre  du  Saint-Esprit  :  Quod  in  ea  natum 
est,  de  Spiritu  sancto  est  ;  que  le  Fils  divin  de  Marie 
devait  sauver  le  monde,  et  que,  pour  attester  cette 
fiu  de  sa  misson  sur  terre,  Joseph  était  chargé  par  le 


(1)  Nomen  exprimit,  timorem  excludit.  —  Genus  commemo- 
rans,  et  filium  David  euni  nominaus,  voluit  in  niemoriam  redu- 
cere  promissionem  David  factaui  :  ut  de  ejiis  semine  nasceretur 
Chriâtus  (S.  J.  Chrys.). 

(2)  Ne  timeas  accipere  tuae  religiositati  coQcroditam  {Glos.  in 
Matth.).  —  Ostendit  quod,  quanivis  non  fuerit  necossarius  con- 
coptui,  utilis  est  procuratioui  ;  et  crit  neccssarius  œatri  et  filio  : 
uialrijUt  eju3  nomen  ab  iufamia  defeudat;  Iilio,ut  nutrial  {Glos., 


Ciel  de  lui  imposer  le  uoin  de  Jésus,  c'est-à-dire  Sau- 
veur (1).  Quelle  grande  et  importante  révélation! 
Nous  savons  donc  d'une  manière  très-certaine  que 
Jésus-Christ  a  été  conçu  par  l'opération  du  Saint- 
Esprit;  que  Marie,  sa  mère,  comme  le  remarque 
l'Evangile  à  cette  occasion,  est  la  Yierge  toujours 
vierge  prédite  par  les  prophètes  (2);  enfin  que  son 
Fils  est  le  vrai  Emmanuel,  c'est-à-dire  le  Dieu  avec 
nous,  le  vrai  'Sauveur  du  monde.  Or,  je  le  rappelle, 
t'est  la  crainte  révérentielle  et  l'humble  piété  de 
jaint  Joseph  qui  ont  donné  lieu  à  cette  révélation 
si  précieuse  et  en  même  temps  si  claire  et  si  évi- 
dente du  plus  grand  mystère  de  Dieu.  Ah!  si  un 
fait  si  grand  eût  été  passé  sous  silence,  si  nous  n'a- 
vions pas  ce  précieux  témoignage  de  Joseph,  qui, 
déclare  humblement  que  Marie  est  sortie  Vierge  du 
temple,  qu'il  a  respecté  son  intégrité,  qu'il  n'a  au- 
cune part  à  l'œuvre  qui  s'est  opérée  en  sa  demeure  ; 
si  cet  état  d'une  épouse  vierge  n'eût  inspiré  à  sou 
époux  vierge  aucune  surprise,  aucune  crainte,  com- 
bien les  héritiques  se  fnssent-ils  montrés  plus  inso- 
lents dans  leurs  blasphèmes,  en  aflBrmant  que  Jésus- 
Christ  était  né  de  Joseph  et  de  Marie  à  la  manière 
ie  tous  les  autres  hommes?  Et,  en  attaquant  la  vir- 

(1)  Quod  in  ea  natum  est,  de  Spiritu  sancto  est  [Matth.  i,  21). 
— Vocabis  noxnen  ejus  Josum  :  ipse  enim  salvum  faciet  populum 
mum  a  peccatis  eorum  {Matth.  i). 

(2)  Hoc  autem  totum  factura  est,  ut  adimpleretur  quod  dictum 
est  a  Domiuo  por  proplictam  dicentem  :  Ecce  Virgo  concipiet  in 
utero,  et  pariet  Filium,  et  vocabitur  nomon  ejus  Emmanuel, 
quod  est  iuterprelalum,  Nobiscum  Dcus  {Matth.  i,  22  et  seqq.)- 


giiiité  do  la  Mère,  combien  plus  audaciensement 
irauraiciit-ils  i)oiiit  par  conséquent  nié  la  divinité  du 
ImIs?  Mais  la  crainte  de  Joseph  ferme  la  bouche  à 
l'hérésie  comme  elle  nous  rassure  nous-mêmes.  Dieu 
permet  que  Joseph  craigne,  afin  que  nous  croyons 
sans  crainte  :  I\(il/  timcre.  De  même  que  saint  Thoma?, 
qui  doute  ù  cause  de  son  peu  de  foi,  est  selon,  le  sen- 
timent desaint  Grégoire,  le  plus  grand  témoin  de  la  ré- 
surrection ;  ainsi  saint  Joseph,  qui  craint  par  un  excès 
d'humilité,  est  la  preuve  la  plus  grande  et  la  plus  cer- 
taine du  miracle  de  l'Incarnation  de  Jésus-Christ  (1). 

Non-seulement  le  mariage  de  la  sainte  Vierge  et 
de  saint  Joseph  fut  noble,  sublime  et  divin  à  cause 
des  vertus  qui  le  précédèrent,  de  la  virginité  qui  en 
fut  la  base  et  des  mystères  qui  en  furent  la  fin  ; 
mais  aussi  à  cause  de  Faugmenlation  de  la  sainteté 
et  du  mérite  qui  en  furent  le  fruit.  En  effet,  comme 
l'exprime  ensuite  l'évangile,  Joseph, rassuré  par  l'ange, 
crut  au  grand  mystère  qui  lui  était  révélé,  et  il  l'a- 
dora ;  il  accepta  la  charge  si  pesante  pour  son  humi- 
lité, de  garder  auprès  de  lui  l'épouse  de  l'Esprit- 
Saiut  et  de  servir  de  père  au  Fils  même  de  Dieu, 
se  soumettant  promptement  à  sa  volonté  (2).  Il  cora 
mença,  en  compagnie  de  la  sainte  Vierge,  à  vivre 
d'une  vie  plus  angélique  qu'humaine. 

Dans  les  autres  mariages  le  sani?  se  mêle  au  sang 


(1)  Sicut  discipulus  dubilaus  fuit  teslis  vcrœ  resurrcctiouis;  ita 
sponsus  timens  fuit  tcstis  intempratœ  Virginitatis  (Div.  Tliom.). 

(2)  Exurgeuri  auleiu  Joseph  a  soiiino,  iVcit  sicut  proicipit  ei  An- 
golus  Domini,  et  acccpit  corjugciii  snani  [Mnttli.  i). 


—  53  — 

et  la  cliair  s'uint  à  la  cliair  :  deux  corps  n'en  for- 
ment qu'un  seul  (1).  Mais  ici  ce  sont  les  vertus  qui 
s'unissent,  les  grâces  qui  s'allient  et  de  deux  esprits, 
dit  saint  Augustin,  ne  forment  plus  qu'un  seul  (2)  ; 
c'est-à-dire  que  les  relations  humaines  sont  rempla- 
cées par  les  relations  spirituelles.  Plus  ils  sont  éloi- 
gnés par  les  affections  chamelles^  plus  leurs  cœurs 
sont  étroitemçnt  unis  ;  si  bien  que  ce  mariage 
ineffable  consiste  spécialement  dans  l'union  de  l'es- 
prit. 

Le  mariage  de  Marie  et  de  Joseph  étant  tout  spiri- 
tuel, la  dot  que  l'épouse  y  apporta  fut  de  même  na- 
ture. Au  lieu  des  biens  de  la  fortune  dont  elle  était 
privée,  elle  enrichit  son  époux  des  vertus  et  des 
grâces  dont  elle  était  remplie  et  dont  elle  fit  une 
propriété  commune.  Semblable,  en  effet,  au  posses- 
seur d'un  jardin  délicieux,  selon  la  bulle  image  du 
Cantique  des  Cantiques,  qui,  en  s'y  promenant,  res- 
pire l'odeur  suave  des  fleurs,  Joseph,  époux  légi- 
time de  Blarie,  ne  put  s'approcher  de  ce  jardin  mys- 
térieux, fermé  à  tout  vent  profane,  mais  ouvert 
seulement  à  l'opération  divine,  sans  se  sanctifier  au 
contact  des  vertus  qui  l'embeinssaient  (3). 

Si,  dans  les  autres  mariages,  il  y  a  une  transmis- 
sion réciproque  et  une  communauté  parfaite  de  biens 
entre  les  époux,  dans  celui-ci,  coiiimo  dans  Fuuion 


(1)  Erunt  duo  in  carne  iina  {Matth.  xix). 

(2)  In  eo  conjugio  unuâ  spirilus  erat  in  cis,  sicut  in  aliis  una 
caro.  —  Conjugcs  fueruut  moito,  non  carnf  (S.  Aiig.). 

(3)  Hortus  couclusus  soror  mea  sponsa  {Cant.  iv). 


—  54  — 
de  Jésus-Christ  avec  sou  Eglise^  il  y  a  une  commu- 
nion parfaite  de  grâces  et  de  vertus.  Joseph  console 
Marie  par  son  assistance,  et  Marie  l'ennoblit  par  sa 
grâce.  Joseph  nourrit  Marie  du  fruit  de  son  travail, 
et  Marie  le  sanctifie  par  ses  vertus.  La  soumission 
de  Marie  est  humble,  et  la  domination  de  Joseph  est 
respectueuse.  Marie  honore  Joseph  comme  le  chef 
de  la  famille,  et  Joseph  vénère  Marie  comme  la  dé 
positaire  du  mystère. 

Voilà  comment  s'accomplit  cet  oracle  d'Isaïe  :  «Le 
jeune  homme  habitera  avec  la  Vierge,  et  l'époux  sera 
heureux  d'avoir  cette  Vierge  pour  épouse  (l).»  Or, 
ce  jeune  homme  et  cette  Vierge,  dit  un  interprète, 
qui  devaient  habiter  ensemble  dans  un  état  d'inno- 
cence et  de  sainteté,  ce  sont  Joseph  et  Marie  (2).  Il 
est  vrai  que  l'usage  de  peindre  le  père  nourricier 
de  Jésus  dans  la  majesté  de  la  vieillesse  a  prévalu 
dans  l'Eglise  ;  mais  c'est  pour  montrer  la  sagesse  de 
ses  conseils  et  la  gravité  de  ses  mœurs  :  on  a  voulu, 
sous  l'emblème  d'un  homme  en  qui  le  feu  de  la  con- 
cupiscence est  éteint  par  la  décrépitude  de  l'âge, 
figurer  le  miracle  d'un  époux  mort  à  la  chair  par  un 
prodige  de  grâces  et  de  vertus,  et,  de  cette  manière, 
donner  aux  fidèles  une  idée  toute  sainte  du  mariage 
des  parents  du  Christ,  etôter  tout  prétexte  aux  hé- 
rétiques,, qui  détestent  et  attaquent  la  virginité  par 


(1)  Gaudebit  sponsus  super  sponsam,  et  habitabit  juvenis  cum 
virgino  [Isa.  LXii). 

(2)  Juveuis  cum  virgine,  iii    est  Josciili  cum  Maria  (Lyrau.  in 
Isa,). 


—  55  — 
tout  où  ils  la  Irouveut  (l).  Du  rcsle  il  est  certain, 
selon  cette  prophétie,  que  Joseph  était  jeune  et  qu'il 
était  en  même  temps  le  plus  pur  et  le  plus  beau  de 
tous  les  hommes  ;  comme  Marie  était  la  plus  sainte 
\  et  la  plus  belle  de  toutes  les  filles  d'Eve. 

Cependant  la  beauté,  qui  est  un  don  de  Dieu  et 
par  elle-même  innocente,  mais  qui,  par  la  malice  ou 
la  faiblesse  des  hommes,  fait  tant  de  coupables,  en 
fomentant  l'orgueil  de  qui  la  possède,  en  faisant  naître 
les  désirs  en  qui  la  contemple  ;  la  beauté,  cette  fleur 
agréable  à  voir,  mais  qui  souvent  cache  sous  ses 
feuilles  le  serpent  perfide,  à  la  morsure  mortelle  ; 
la  beauté  en  ces  deux  époux,  parvenus  par  la  grâce 
à  l'état  de  la  nature  augéliqiie  et  parfaite^  ne  faisait 
qu'augmenter  le  prix  mutuel  de  leur  candeur,  dont 
elle  était  l'ornement  et  l'indice  :  elle  était  pour  eux 
un  enchantement  suave  et  céleste,  qui  purifiait  leur 
cœur  et  les  él-evait  de  la  région  des  sens  à  celle  des 
esprits  ;  enfin,  elle  leur  inspirait  un  respect  récipro- 
que, des  pensées  saintes,  des  affections  pures,  et  les 
fortifiait  par  conséquent  dans  l'amour  de  la  virginité. 
C'est  pourquoi,  loin  de  ressembler  au  mariage  or- 
dinaire, où  les  cœurs  mêmes  des  époux  les  plus  saints 
se  trouvent,  comme  dit  saint  Paul,  partagés  entre  le 
désir  de  plaire  en  même  temps  au  Créateur  et  à  la 
créature,  et  ne  peuvent  être  entièrement  à  Dieu  (2), 

(1)  In  Ecclesia  Joseph  depingitur  senex  propter  morum  gravita- 
tem,  mentis  maturitatem  et  virtutem  castitatis,  ad  removendam 
opinionem  liBereticorum  (A  Lap.,  m  i  Matth.). 

(2)  Qui  cum  uxore  est,  divisus  est,  et  cogitât  quomodo  placeat 
uxori  suae  (/  Cor.  vu). 


—  no  — 

dans  le  mariage  que  je  commente,  l'épouse  n'est 
point  un  obstacle  pour  l'époux  ;  elle  lui  sert,  au  con- 
traire, d'un  slinuilaul  coiitiiiiiLl  pour  s'élever  à  Dieu 
de  toute  la  force  de  son  coeur  et  de  toute  la  ferveur 
de  son  amour.  Josepli  aime  Miirie  à  cause  du  prodige 
de  sa  vertu  ;  il  l'aime  pour  sa  pureté,  sans  consi- 
dérer son  incomparable  beauté.  S'il  l'aime  beaucoup 
comme  épouse ,  il  l'aime  inliiiiment  plus  comme 
vierge,  et  si  la  première  qualité  donne  à  Marie  un 
titre  à  l'amour  de  son  époux,  celle  de  Mère  de  Dieu 
lui  en  donne  tous  les  droits.  Joseph  l'aime  donc  en 
vue  de  Dieu,  comme  son  temple  et  comme  sa  de- 
meure. Tout  en  elle  lui  parle  de  Dieu,  le  lui  rappelle 
et  le  porte  vers  le  ciel,  et,  en  aimant  Marie,  il  aime 
toujours  davantage  la  beauté  infinie  du  Très-Haut. 
Il  semble  que  ce  soit  de  saint  Joseph  que  l'Ecclé- 
siastique ait  particulièrement  parlé  quand  il  a  dit 
que  le  mari  de  l'épouse  parfaite  sera  heureux  (1). 
Car  cet  époux  unique  a  trouvé  dans  son  mariage, 
précisément  parce  qu'il  est  pur  et  saint,  la  liberté 
de  l'esprit,  la  chasteté  du  cœur,  la  facilité  de  s'élever 
à  Dieu  et  de  s'unir  à  lui  ;  ce  qui  est  le  propre,  dit 
saint  Paul,  des  seules  vierges.  Il  a  donc  trouvé  dans 
le  niariage  tous  les  avantages,  les  privilèges  et  les 
grâces  de  l'état  de  virginité,  c'est-à-dire  l'avantage 
d'être  saint  de  corps  et  immaculé  de  cœur  (2).  Ainsi 
s'est  accomplie  la  prophétie  qui  annonçait  que  le  jeune 

(1)  Mulieris  bonae  beatus  vir  [Eccli.  xxvi). 

(2)  Virpo  cogitât  quee  Domini  sunt,   ut  sit   sancta  corpore  et 
Èpiritu  (/  Cor,  vu). 


-^  57  — 
époux,  habitant  avec  Tépousc  vierge,  vivrait  avec 
elle  dans  la  joie  de  la  pureté,  de  la  grâce  et  de  la 
vertu  :  Et  habitabit  juvenis  cum  virgine^et  gaudebit  spon- 
S71S  super  sponsam. 

Mais  que  dirai-je  de  la  mutuelle  affection  de  Jo- 
seph et  de  Marie?  Une  reconnaissance  réciproque 
leur  inspire  cet  amour  mutuel.  Marie  doit  à  Joseph 
d'être  devenue  la  Mère  de  Jésus-Christ ,  parce  qu'il 
a  consenti'  à  respecter  sa  virginité,  et  Joseph  doit 
à  Marie  de  voir  Jésus-Christ  soumis  à  lui  comme 
un  fils,  parce  qu'elle  a  consenti  à  le  prendre  pour 
époux.  Comme  Marie  n'est  grande  que  par  Jésus, 
dont  elle  est  la  Mère ,  de  mêm.e  saint  Joseph  n'est 
grand  que  par  Marie,  dont  il  est  le  compagnon  légal. 
Or,  leur  amour  mutuel  est  proportionné  à  la  gran- 
deur des  privilèges  qu'ils  se  doivent  réciproquement. 

Mais  cet  amour,  fils  de  la  reconnaissance,  est 
ennobli  par  un  amour  plus  parfait.  Comme  l'arche 
de  l'ancien  Testament  était  revêtue  d'or  à  l'intérieur 
et  à  l'extérieur,  de  même  la  sainte  Vierge  est  toute 
ornée  de  la  divine  charité.  Cette  flamme  céleste  dé- 
borde de  son  cœur  jusque  sur  ses  traits,  dans  ses 
paroles ,  dans  toutes  ses  actions ,  et  forme  autour 
d'elle  comme  une  atmosphère  d'amour,  dont  Joseph 
est  constamment  environné.  Ce  feu  divin  du  cœur 
de  Marie  va  pénétrer  celui  de  Joseph  et  l'enflamme 
d'un  amour  toujours  plus  pur,  si  bien,  dit  saint  Au- 
gustin^ que  l'Esp rit-Saint  formait  tout  le  charme  de 
leur  affection  conjugale  (1). L'Esprit  d'amour  qui  forme 

(1)  Spiritus  sanctus  fuit  amborum  coujugali»  amor  (S.  Aug.). 


—  58  — 
dans  le  ciel  l'amour  du  Père  cl  du  Tils ,  formu  sur 
la  terre  l'union  de  Joseph  et  de  M;irie  ;  le  feu  divin 
dont  chacun  d'eux  était  rempli,  et  qu'ils  se  commu- 
niquaient mutuellement ,  par  une  inspiration  suave, 
cil  unissant  leurs  flammes,  formait  un  seul  et  saint 
amour,  par  lequel  ils  s'aimaient  dans  l'Espril-Saint. 
C'est  pourquoi,  en  s  aimant  en  qualité  d'éjjoux,  ils 
s'aimaient  d'une  manière  plus  parfaite  que  les  saiuls 
et  les  anges  dans  le  ciel. 

Oh  !  que  leur  union  fut  auguste,  sublime  et  j^ar- 
faite!  Mariage  vraiment  béni  de  Dieu,  c'est  avec  rai- 
son que  l'Église  te  célèbre  par  une  fête  particulière. 
Elle  veut  par  là  honorer  le  mystère  de  la  pureté,  le 
miracle  de  la  virginité.  Et  vous,  ô  Église  catholique  ! 
si  empressée  à  mettre  sous  les  yeux  de  vos  enfants 
tout  ce  qui  est  pur,  pour  les  soustraire  à  l'empire 
des  sens  et  les  ravir  par  les  chastes  délices  de  l'Es- 
prit-Saint,  recevez  l'hommage  de  notre  amour  et  de 
notre  reconnaissance!  Ah!  comme  dans  votre  doc- 
trine tout  est  contraire  à  l'erreur  ;  de  même  tout, 
dans  vos  pratiques  et  dans  votre  culte,  combat  les 
passions  :  c'est  encore  â  ce  signe  que  nous  recon- 
naissons que  vous  êtes  avec  Dieu  et  que  Dieu  est 
avec  vous,  et  que  nous  nous  glorifions  ,  en  vous  ap- 
partenant, d'être  nous  aussi  de  Dieu  et  avec  Dieu. 

(SECONDE  PARTIE. 

Déjà,  nous  l'avons  vu,  Joseph  et  Marie  échangè- 
rent daus  leur  union ,  comme  des  anneaux  nuptiaux, 


—  59  — 
les  lis  de  la  virginité.  Réciproquement  offerts  et 
reçus,  ces  lis,  confondus  par  le  lien  mystérieux  de 
la  foi,  formèrent  Tunique  mais  précieux  ornement 
de  leur  mariage  (1).  Mais  savez-vous ,  dit  saint  Jé- 
rôme, pourquoi  l'Esprit  choisit  ces  époux  vierges  et 
les  unit  par  ce  lien  pur  et  céleste.  C'est  afin  que  de 
ces  époux  vierges,  comme  de  deux  lis  purs,  sortit  la 
ûeuTnazaréen7ie,  Jésus-Christ,  le  Saint  des  saints  (2). 
C'est  pourquoi ,  continue  ce  même  Père,  le  Fils  de 
Dieu  ne  crut  point  dégrader  sa  majesté,  ni  avilir  sa 
grandeur  en  naissant  de  parents  pauvres  et  en  vivant 
dans  la  pauvreté.  Mais,  s'il  permit  cette  pauvreté,  il 
ne  voulut  point  que  ses  parents  sur  terre  fussent 
privés  du  trésor  de  la  virginité,  qu'ils  ne  fussent 
pas  riches  au  moins  des  ornements  de  la  pureté. 
Par  un  miracle  de  sa  grâce  et  de  sa  puissance,  il  créa 
une  Mère  vierge  et  un  époux  vierge,  afin  de  naître, 
de  croître  et  de  ne  vivre  qu'avec  des  personnages 
vierges  :  ainsi  s'exprime  le  Père  cité  tout  à  l'heure. 
Mais,  tout  en  admirant  ces  belles  paroles,  ne  per- 
dons pas,  mes  frères ,  un  précieux  enseignement. 
Jésus-Christ  demande  donc  avant  tout  la  virginité 
et  la  pureté  dans  ceux  qui  touchent  son  corps  imma- 
culé. Le  célibat  des  prêtres,  qui  consacrent  et  dis- 
pensent aux  fidèles  sa  chair  adorable,  est  donc  un 
état  conforme  aux  desseins  de  Jésus-Christ.  Et  com- 
ment s'en  étonner?  Voyez  les  prêtres  de  l'ancienne 

(1)  In  eo  connubio  Virginitas  nupsit. 

(2)  Ut  ex  virginali  connubio  virgo  filius  nasceretur.  —  Voluit 
Christus  nasci  et  enutriri  in  puritatc  virginali  (S.  Jér.). 


—  (;(»  — 
loi,  dont  le  ministère  était  rcstr(Mnl  à  des  symboles, 
à  dos  ri<]jiires  des  mystères  de  1  >.  ::ouvellc,  ne  de- 
vnieiil-ils  pas,  comme  Dieu  l'aNail.  rigoureusement 
ordonné  par  Moïse,  s'abstenir  d'user  des  droits  du 
mariage  durant  le  temps  qu'ils  servaient  à  l'autel? 
Et  les  nations  païennes  n'ont-clles  juis,  dans  tous  les 
temps  et  dans  tous  les  lieux,  imiiosé  avec  une  plus 
grande  sévérité  encore  la  chasteté  aux  prêtres  de 
leurs  faux  dieux,  du  moins  autant  que  cela  pouvait 
avoir  lieu?  Chacun  connaît  cette  sentence  du  ])oëte 
romain:  «Loin  d'ici, je  vous  l'ordonne,  quittez  l'uutel, 
ô  vous  qui  avez  goûté  les  plaisirs  profanes  (I)  !»  Ce 
cri,  sorti  de  la  bouche  d'un  païen  ,  est  l'expressiou 
de  la  foi,  du  dogme  universel  qu'on  retrouve  dans 
le  fond  du  cœur  de  tous  les  hommes  ;  c'est  le  cri  de 
l'humanité  tout  entière,  qui,  dans  tous  les  temps  et 
dans  tous  les  lieux,  a  cru  que  le  prêtre  de  Dieu,  le 
sacrificateur,  doit  avant  tout  être  vierge  et  pur  (2). 
L'hérésie,  en  abolissant  le  célibat  du  prêtre,  s'est 
mise  en  contradiction  non-seulement  avec  l'esprit 
de  l'Evangile,  mais  encore  avec  toutes  les  religions. 
L'Eglise  catholique,  au  contraire,  en  maintenant  cette 
sublime  institution  avec  une  constance  si  inflexible, 
luttant  pour  cela  contre  toutes  les  passions  appuyées 
des  puissances  de  la  terre,  s'est  montrée  encore 
sur  ce  point  la  seule  dépositaire   fidèle  et  la  seule 

(1)  Vos  quoque  abesse  procul  jubeo  :  discedite  ab  aris,  queis 
tulit  extprna  gaudia  noctc  Wmis  (Tibul.,  lib.  II,  Eleg.  i). 

(2)  Sacris  operaturi  Uomani  uxoribus  abstinebant,  ut  erudite 
oslcndit  Briosouius  in  opère  De  Formulis  (Huet.,  Dém.  Evang.^ 
prop.  4,  c.  iv). 


—  61  — 
interprète   iufaiilible  ,  non-  seulement  du  christia- 
nisme proprement  dit,  mais  de  tous  les  dogmes  tra- 
ditionnels,   de  tous  les  purs  instincts ,  de  tous  les 
sentiments  droits^  de  toutes  les  croyances  vraies,  et 
de  toutes  les  inclinations   légitimes   de  l'humanité. 
Toutefois ,   cette    honteuse   concession  faite   par 
l'hérésie  à  la  plus  violente  des  passions  ne  nous  sur- 
prend pas.  Hé  !  de  quel  droit  et  par  quelle  autorité 
imposerait-elle  aux  passions  une  loi  si  sévère,  elle 
qui  n'est  née  que  du  désordre  de  toutes  les  passions, 
et  qui  ne  se  soutient  qu'à  leur  ombre  et  par  leur 
faveur?  Et  puis,  la  négation  du  dogme  de  l'Eucha- 
ristie a  nécessairement  dû  entraîner  l'abolition  du 
célibat  ecclésiastique.  Qu'a-t-on  besoin  du  vrai  sa- 
cerdoce, quand  on  a  aboli  le  vrai  sacrifice?  Depuis 
que  l'Eucharistie  n'est  plus,  parmi  les  hérétiques, 
qu'une  mémoire  vaine  du  corps  de  Jésus  -  Christ , 
le  prêtre  a  dû  devenir  aussi  un  vain   simulacre  de 
prêtre. 

Mais,  en  pleurant  de  compassion  sur  cette  double 
misère  de  nos  frères  séparés ,  sur  cette  perte  du 
sacerdoce  et  du  sacrifice,  apprenons,  par  le  mystère 
de  ce  jour,  avec  quelle  intégrité  de  cœur  et  d'esprit 
nous  devons  nous  préparer  tous,  les  prêtres  à  con- 
sacrer, les  fidèles  à  recevoir  le  corps  très-saint  de 
Jésus- Christ  ;  quelle  pureté^  quelle  vénération  nous 
devons  apporter  aux  pieds  des  autels,  afin  de  ne  pas 
outrager  Dieu  dans  le  sacrifice  qui  l'honore  davan- 
tage, et  de  ne  pas  prendre  un  poison  mortel  dans 
le  remède  même  du  salut  et  de  la  vie  ;  car  il  est 


écrit  :  a  Celui  qui  traite  iudiguemcnt  le  saiut  sacrifice, 

ui  mange  indignement  le  corps  et  qui  boit  indi- 

cment  le  sang  de  Jésus-Christ,  ne  reçoit  pas  ce  qui 

sauve,  mais  il  avale  un  terrible  jugement,  qui  le 

ndamne  et  le  perd  (I).  »  Ah!  que  Dieu  nous  en 

préserve  !  Ainsi  soit-il  ! 


(1)  Qiii  manducat  et  bibit  calicem  Domini  indigne,  judiciura 
bilii  manducat  et  bibit;  non  dijudicans  corpus  Domini  (/ Co?-.  n). 


DIX-SEPTIÈME  HOMÉLIE. 


L'Annonciation  de  la  Vierg^e  Marie  (1). 

Luc,  I,  vers.  26-38  (2). 

Audite  domus  David  :  dabit  Dominus  ipse 
vobis  signum  :  Ecce  Virgo  concipiet  et  pariet 
filium,  et  vocabitur  nomen  ejus  Emmanuel. 
(Isa.  VII,  13-14.) 

Le  Fils  unique  du  Très-Haut  est  venu  sur  la  terre 
sous  les  apparences  de  la  misère,  de  la  faiblesse  et 
de  l'humilité  ;  mais,  du  sein  de  cette  humilité ,  de 

(1)  Ce  grand  mystère,  qui  est  le  principe  du  salut  du  monde 
et  qui  a  changé  la  face  de  la  terre,  arriva  l'an  3950  depuis  la 
création  du  monde  ;  2293  après  le  déluge  ;  751  de  la  fondation  de 
Rome  ;  42  du  règne  de  César  Auguste  ;  le  sixième  mois  de  la 
conception  de  saint  Jean-Baptiste  ;  à  Nazareth,  petite  ville  de  la 
Galilée,  située  non  loin  du  mont  Thabor,  dans  l'humble  maison 
où  la  sainte  Vierge  vivait  avec  son  chaste  époux  Joseph,  et  que 
l'apôtre  saint  Jacques  convertit  en  église  l'an  42  de  Notre-Sei- 
gneur.  Cette  maison  fut,  dans  la  suite,  transportée  par  les  anges, 
d'abord  en  Dalmatie,  puis  à  Lorette  en  Italie,  où  elle  reçoit  en- 
core aujourd'hui  les  hommages  du  monde  entier. 

(2)  On  lit  cet  évangile  à  la  messe  du  jour  de  Y  Annonciation  :de 
Y  Attente  de  l'enfantement,  18  décembre;  de  la  Pureté  de  Marie, 
troisième  dimanche  d'octobre  ;  du  mercredi  des  Quatre-Temps  de 
l'Avent  et  à  la  fête  de  l'archange  Gabriel.  La  présente  homélie 
est  comme  un  commentaire  du  même  évangile. 


—  G4  — 
cette    faiblesse  et  de  cette  misère,  qui  montrent 
son  humanité,  il  a  fait  admirablement  jaillir,  dit  le 
docteur  saint  Maxime,  la  majesté,  la  gloire  et  la  gran- 
deur, qui  manifestent  sa  divinité  (I). 

Or,  l'histoire  même  de  rincarnation  présente, 
comme  en  abrégé  lumineux,  ce  surprenant  contraste 
et  ce  double  caractère  de  sa  personne  adorable.  Eu 
effet,  le  st}le  eu  est  simple,  les  paroles  en  sont  vul- 
gaires ;  mais,  toute  dépouillée  qu'elle  est  des  artifices 
du  langage  humain,  cette  histoire  porte  en  soi  les 
signes  les  plus  évidents  de  l'inspiration  divine  ;  et, 
tout  en  nous  annonçant,  en  termes  si  ordinaires,  le 
grand  mystère,  elle  prouve  invinciblement  qu'il  est 
le  prodige  des  prodige  qu'Isaïe  prédisait  à  la  royale 
famille  de  David,  quand  il  disait  :  «Ecoutez,  maison 
de  David,  le  Seigneur  vous  donnera  un  signe  :  voilà 
que  la  Vierge  concevra  et  enfantera  un  Fils,  et  il 
sera  appelé  Emmanuel  (2).  » 

Chaque  point  de  cet  admirable  passage  est  impor- 
tant, chaque  parole  est  une  vérité,  et  chaque  circons- 
tance signalée,  une  nouvelle  preuve.  Quoiqu'on  n'y 
remarque  rien  qui  serve  à  l'ornement  du  discours, 
tout  y  est  néanmoins  si  merveilleusement  combiné, 
que  tout  y  contribue  à  montrer  l'accomplissement  de 
l'oracle  ;  si  bien  que  la  manière  môme  dont  ce  mys- 
tère est  raconté  est  une  preuve  éclatante  de  sa  réa- 

(1)  Unigenitus  Altissiiui  sic  humilitor  ingrossus  est  in  mun« 
dum,  ut  indubitata  divinitatis  suœ  deferret  iudicia  {De  Epiph.). 

(2)  Audite  domus  David  :  dabit  Dominus  ipse  vobis  siguum  : 
Ecce  Virgo  coucipiet  et  pariet  filium  :  et  vocabitur  uomeu  ejus 
Emmanuel. 


—  65  — 
lité  ;  et  T  historien  qui  le  décrit  semble  aussi  grand 
que  Dieu  qui  l'a  opéré.  Et  il  doit  en  être  ainsi, puisque 
l'Esprit  qui  a  accompli  ce  prodige  a  inspiré  lui-même 
la  narration  à  saint  Luc.  D'ailleurs,  l'Esprit  de  Dieu 
seul  pouvait  présenter  les  mystères  divins  d'une 
manière  telle,  que  la  simple  exposition  en  fût  en 
même  temps  la  preuve  et  l'apologie. 

Puisque  je  dois,  mes  frères,  dans  ce  jour  où  l'É- 
glise en  célèbre  la  douce  mémoire,  vous  entretenir 
de  ce  fait  immense,  sans  m'arrêter  à  aucune  autre 
idée,  je  me  contenterai  de  commenter  cette  histoire 
divine  :  elle  seule  sufl&t  pour  nous  faire  comprendre 
la  vérité  d'un  mystère  qui  est  le  fondement  de  nos 
espérances,  et  pour  nous  inspirer  les  sentiments 
d'une  foi  humble,  d'une  confiance  solide  et  de  la 
reconnaissance  pleine  d'amour  qu'il  demande. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

L'évangéliste  saint  Luc  raconte  donc  que, le  sixième 
mois  (de  la  grossesse  de  sainte  Elisabeth),  l'ange  Ga- 
briel fut  envoyé  de  Dieu  dans  une  ville  de  Galilée, 
appelée  Nazareth,  à  une  Vierge  qu'un  homme,  nommé 
Joseph,  de  la  maison  de  David,  avait  épousée,  et  le 
nom  de  cette  Yierge  était  Marie  (1).  Quelle  beauté 
dans  ces  paroles,  mes  frères!  Un  historien  ordinaire 
aurait-il  commencé  de  la  sorte  l'histoire  de  la  plus 

(1)  In  mense  autem  sexto,missus  est  angélus  Gabriel  a  Deo  in 
civitatem  Galilaiae,  cui  nomen  Nazareth,  ad  Virginem  despousatain 
viro,  cm  nomen  erat  Joseph,  de  domo  David,  et  nomen  Virginia, 
Maria  {Luc.  i,  26). 

II.  3 


—  on  — 

grande  des  œuvres  de  Dieu  ?  Observez,  en  premier 
lieu,  avec  quelle  dilii^encc  l'historien  sacré  note  le 
temps,  le  lieu,  les  augustes  personnages  du  drame 
divin  qu'il  s'apprête  à  représenter.  Toutefois,  ces  cir- 
constances ne  sont  pas  ici  réunies  seulement  pour 
l'intégrité  de  l'histoire,  mais  encore  pour  l'intelli- 
gence du  dogme  ;  elles  sont  encore  mystérieuses  et 
prophétiques. 

Mais  pourquoi  Thislorien  sacré,  voulant  fixer  l'é- 
poque de  ce  céleste  message,  passe-t-il  sous  silence 
les  années  du  règne  de  César  et  ne  tient-il  compte 
que  du  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  que  le  Précur- 
seur a  été  conçu  ?  In  sexto  aulem  mcnse.  C'est  parce 
que,  devant  le  Très-Haut,  ce  n'est  pas  celui  qui  a  le 
plus  de  pouvoir  qui  est  grand,  mais  celui  qui  a  le  plus 
de  vertu  ;  ce  n'est  pas  celui  qui  commande  aux 
autres  qui  est  agréable  à  Dieu,  mais  celui  qui  com- 
mande à  soi-même  (I)  :  c'est  parce  que  Dieu  n'est  pas 
admirable  dans  les  grands,  mais  dans  ses  saints  (2)  ; 
c'est  enfin  parce  que  tout  ce  qui,  dans  les  choses  hu- 
maines, ne  se  rapporte  pas  à  la  religion  et  à  la  sain- 
teté, est  odieux  au  Maître  suprême.  On  peut  encore 
très-bien  traduire  de  cette  manière  les  mêmes  pa- 
roles :  Le  sixièm^e  mois  après  la  conception  de  saint 
Jean  par  une  mère  stérile,  eut  lieu  l'incarnation  du 
Fils  de  Dieu,  dans  le  sein  d'une  Yicrgc.  L'historien 
sacré  a  dû  réunir  ces  deux  grands  prodiges  pour  in- 
diquer que  le  premier  a  été  la  préparation  et  la  preuve 

(1)  Pro?-.xvi. 

(2)  Piial.  LSVlI. 


—  67  — 
du  second.  Ea  effet,  nous  vcrroiis  sous  peu  le  céleste 
messager  citer  à  Marie  la  fécondité  miraculeuse  d'une 
mère  stérile,  pour  prouver  que  Dieu  peut  aussi 
rendre  une  Vierge  féconde.  De  plus  saint  Jean-Bap- 
liste,  en  sa  qualité  de  précurseur  de  Jésus-Christ, 
réunit  en  lui-même  l'esprit  des  patriarches  et  des 
prophètes  ;  il  résuma  et  représenta  en  sa  personne 
tous  les  siècles  qui  avaient  précédé  la  naissance  du 
Messie,  et  durant  lesquels  Dieu  avait  fait  servir  les 
vicissitudes  des  empires  non  moins  que  de  la  religion 
à  la  préparation  de  l'Incarnation.  En  disant  donc  que 
cette  dernière  s'accomplit  au  sixième  mois  du  Précur- 
seur, c'était,  selon  Bède,  dire  qu'elle  s'opéra  au 
sixième  temps  de  la  préparation,  ou  au  sixième  âge 
du  monde  (1). 

Il  semble  que  l'évangéliste  a  voulu  faire  allusion 
au  même  mystère  en  nommant  ici  la  Galilée  :  in  ci- 
vitaiem  Galilœœ.  Isaïe  avait  prédit  que  le  Messie  de- 
vait combler  d'honneur  et  de  biens  spirituels  la 
Galilée  des  Gentils,  les  peuples  qui  étaient  plongés 


(1)  Mense  sexto,  id  est  sexta  mundi  œtate  (Beda,  in  i  tue). 

Ce  sixième  mois  commençait,  d'après  les  calculs  des  inter- 
prètes, le  25  mars,  temps  qui  suit  l'équiuoxe,  quand  les  nuits 
commencent  à  diminuer  et  les  jours  à  croître.  Comme  l'Incar- 
nation de  celui  qui  est  la  lumière  invisible  de  tout  homme  coïn- 
cide bien  avec  ce  temps  où  la  lumière  de  ce  monde  visible 
commence  à  augmenter!  Selon  un  savant  et  érudit  interprète, 
plusieurs  pensent  que  le  monde  a  été  créé  le  25  mars.  Ainsi 
l'évangéliste,  en  disant  que  l'Annonciation  est  arrivée  le  sixième 
mois,  ou  le  25  du  mois  de  mars,  nous  rappelle  que  le  jour 
même  où  Dieu  commença  à  créer  le  monde,  il  commença  aussi 
à  le  restaurer  par  le  moyen  du  Christ. 


—  G8  — 
dans  les  ténèbres  de  l'erreur,  et  qui  verraient  alors  de 
leurs  }cux  le  jour  pur  de  la  vérilé.  Saint  MalUiicu  a 
fait  observer  que  celte  jjrophétic  s'est  accomplie  par 
la  i)rédioalioii  et  i)ar  les  miracles  de  Jésus-Christ  jiré- 
cisément  dans  cette  partie  de  la  Galilée  (1  ).  Saint  Luc 
semble,  à  son  tour,  vouloir  dire  la  même  chose,  en  re- 
marquant que  ce  grand  prodige  s'opéra  dans  la  Ga- 
lilée :  in  civitatem  Galilœœ. 

Et  cette  petite  ville  de  Nazareth,  ville  si  pauvre 
et  si  abjecte,  que  les  Juifs  regardaient  comme  un 
déshonneur  d'y  avoir  reçu  le  jour,  et  de  laquelle  on 
pensait  universellement  qu'il  ne  pouvait  en  sortir 
rien  de  bon  ni  (le  grand  (2)  ;  cette  ville,  dis -je,  si 
méprisable  aux  yeux  des  hommes,  que  Dieu  a 
choisie  pour  y  accomplir  la  plus  grande  de  ses  mer- 
veilles ,  est  nommée  ici  par  une  raison  toute  mysté- 
rieuses :  In  civilalem  cui  nomen  Nazareth.  Dieu  veut 
indiquer  que  le  nom  déjà  donné  par  le  Prophète  à 
cette  ville  fortunée,  commence  aujourd'hui  à  être 
une  vérité  (3)  ;  car  en  ce  jour  elle  devient  la  vraie 
Nazareth,  parole  qui  signifie  sanctifiée,  séparée,  flo- 
rissante :  aujourd'hui  le  vrai  Nazaréen,  (4),  le  Saint 
des  saints  (5),  le  séparé  de  la  foule  des  pécheurs  (6) 

(1)  ut  adimpleretur  quod  dicLum  est  per  Isaiam  prophotam  : 
Via  maris,  Galila^a  geulium.  Populiis  qui  ambula'uat  iu  teuebris 
vidiL  lucem  inagnam  {Matth.  iv). 

(2)  Nazareth  potest  aliquid  boni  esse  {Joan.  i)? 

(3)  Addilur  locus  Nazareth.  Nazareuus,  id  est  Sanctus  sauctorum 
nuutiabatur  venturus  {Glos.  llic). 

(4)  Gènes.  XLix. 

(5)  Daniel,  x. 

(6)  Ikbr.  VII. 


—  i\d  ~ 
naît  sur  ce  sol  béni  de  la  race  de  Jessé,  comme  une 
fleur  précieuse   sur  laquelle  l'Esprit- Saint  se  re- 
pose (1)  et  répand  la  bénédiction  de  Dieu  (2). 

Venant  ensuite  aux  augustes  personnages  de  ce 
grand  événement,  l'Évangile  fait  observer  que  Dieu 
lui-même  est  celui  qui  envoie,  et  que  l'ange  Gabriel, 
l'un  des  princes  souverains  des  troupes  angéliques,  est 
celui  qui  est  envoyé  :  Missus  est  Gabriel  angélus  a  Deo. 
11  n'y  a  donc  "pas  de  doute,  dit  saint  Grégoire,  qu'il  ne 
soit  envoyé  pour  annoncer  la  plus  importante  de 
toutes  les  affaires  (3).  En  outre,  on  peut  traduire  le 
mot  Gabriel  par  vir  Deiis,  homme-Dieu.  Combien,  en 
effet,  il  était  convenable  de  choisir  pour  messager 
celui  dont  le  nom  signifie  déjà  la  double  nature  du 
Christ  !  Ce  nom  signifie  aussi  la  vertu  ou  la  force  de 
Dieu.  Il  y  a  donc  encore  ici  un  heureux  accord  : 
c'était  Gabriel,  c'est-à-dire  Ja  vertu  de  Dieu,  qui  an- 
nonçait le  mystère  que  saiut  Paul  appelle  le  mystère 
de  la  vertu  de  Dieu,  ou  de  la  force  de  Dieu  :  Dei  vir- 
tutum  (4),  le  mystère  de  la  descente  du  Dieu  des 
vertus,  terrible  dans  le  combat,  qui  venait  vaincre 
les  puissances  infernales  (5).  Ce  message,  il  est  vrai, 
est  adressé  à  la  Vierge,  ad  Virginem.  Et  comme  la 


(1)  Isa.  XI. 

(2)  Ps.  CXXXIII, 

(3)  Summum  angelum  venire  dignum  fuerat,  qui  summum 
omnium  uuntiabat  (S.  Greg.,  How.  37  in  Evany.). 

{Il)  Dei  virtulum  (/  Cor.  i). 

(5)  Pcr  Dei  forlitudinem  annuntiandus  erat,  quia  virtutum 
Dominus  et  potens  iu  prcclio,  ad  debellandas  aereas  potestates 
veniebat  (S.  Greg  ,  loco  cit.). 


—  70  — 
jeune  Vicrp:e  est  le  symbole  de  la  pureté,  de  la 
grâce  et  de  l'amour,  uous  compreuons  tout  de  suite 
qu'il  s'agit  ici  d'une  mission  de  paix,  de  réconciliation, 
de  miséricorde  et  de  pardon.  Remarquez  néanmoins 
celte  expression  à  la  Vierge  :  que  signifie  ce  mot  la 
vierge,  pris  dans  son  sens  absolu,  sans  nulle  autre 
addition,  sinon  la  vierge  parfaite,  la  vierge  d'esprit 
et  de  cœur,  la  vierge  modèle  de  toutes  les  vierges, 
la  vierge  par  excellence,  la  vierge  déjà  connue  et 
célèbre  dans  les  divines  Écritures,  dans  les  traditions 
des  peuples  et  par  l'attente  de  tout  l'univers? 

Mais  pourquoi  un  ange  plutôt  qu'un  prophète  est- 
il  envoyé  à  la  Vierge  ?  C'est,  dit  saint  Jérôme,  parce 
qu'il  y  a  entre  les  anges  et  les  vierges  une  certaine 
parenté,  une  amitié,  une  familiarité  spirituelle  et 
divine,  puisque  les  vierges  et  les  anges  sont  l'image 
parfaite,  le  miroir  fidèle  et  le  reflet  ineffable  de 
l'éternelle  pureté  et  des  perfections  de  Dieu  (1). 
Saint  Pierre  Cbrysologue  dit  ceci  :  «  Tl  convenait  qu'un 
ange  vînt  traiter  avec  la  femme  la  grande  affaire  de 
notre  rachat  et  de  notre  salut,  parce  qu'un  ange, 
hélas!  avait  conclu  avec  h  femme  le  traité  funeste 
de  notre  ruine  (2).  »  Ainsi  tout  d'abord  nous  est  ma- 
nifesté ce  dessein  de  la  sagesse  et  de  l'amour  infini 
de  Dieu,   de  sauver   fhomme  par  le  ministère  de 


(1)  Bene  ad  virginem ,  quia  semper  est  angelis  cognata  vir- 
ginitas  (S.  Jer.,  Sei'rn.  de  Ass.). 

(2)  Agit  cum  Maria  angélus  de  salute,quia  angélus  cummuliere 
rgerat  de  ruina  (S.  J.  CLrys.,  Senn.  de  An7i.). 


la  femme,  qui  l'avait  fait  tomber  daus  l'abîme  (1). 
Ecoutons  en  dernier  lieu  le  savant  Bède  :  il  dit 
qu'un  ange  fut  envoyé  de  Dieu  pour  consacrer  la 
Yierge  par  un  fruit  divin,  parce  que  le  serpent  avait 
été  envoyé  par  le  démon  pour  profaner  Eve,  encore 
vierge,  par  un  fruit  infernal  (2). 

Ces  paroles  :  «  l'ange  fat  envoyé  de  Dieu  à  la 
Vierge  »  donnent  encorç  naturellement  lieu  à  cette 
autre  interprétation  :  C'est  un  Dieu  qui  envoie  ;  c'est 
un  ange  qui  est  envoyé  du  ciel,  mais  où?  à  qui? 
Peut-être  dans  l'opulente  cité  de  Jérusalem?  peut- 
être  à  cette  Rome  fameuse,  enivrée  de  gloire,  à  Rome 
la  triomphante  et  la  conquérante?  Ou  bien  est-ce  à 
Hérode?  ou  à  une  reine,  à  une  impératrice?  Non, 
hâtons-nous  de  le  dire  :  c'est  dans  la  petite  ville  de 
Nazareth,  dans  la  pauvre  maison  d'une  ouvrier  et 
d'une  obscure  vierge  que  le  messager  céleste  va 
chercher  la  Mère  du  Messie.  II  n'y  a  dans  tout  l'u- 
nivers aucun  lieu  plus  spleudide,  nulle  personne 
plus  digne  pour  accomplir  l'objet  de  son  ambassade. 
Et  quel  est  le  mérite  de  cette  Yierge  pour  avoir, 
entre  toutes  les  filles  d'Eve,  la  préférence  et  mé- 
riter de  recevoir  un  tel  ambassadeur  de  la  part  d'un 
si  grand  Souverain  ?  Son  titre  unique  à  un  si  grand 
honneur  est  sa  virginité  ornée  des  vertus  qui  en  sont 


(1)  ut  îiomo  eisdem  cursihus  quibus  dilapsus  fuerat  ad  mortem, 
rediret  ad  vitam  [Ibid.). 

(2)  Angeluâ  mitUtur  ad  virginem  divino  partu  conservandam  » 
quia  serpeus  a  diabolo  mittebatur  ad  mulierem  spiritu  superbias 
decipiendam  (Beda,  in  i  Luc). 


la  condition,  rornoniont  ot  le  fruit.  L'Évangile  n'en 
assigne  aucun  autre:   Missus  est  ad  Vir(/inein,  piXTCC 
qu'il  n'}  en  a  pas  de  plus  sacré  ni  de  plus  agréable 
aux  \eux  do  Dieu.  Celte   fortunée  créature,  fdle 
d'un  peuple  où  les  \iergcs,  dans  l'espérance  flatteuse 
d'avoir  part  h  la  naissance  du  Messie,  ne  \ivaient 
que  dans  l'espoir  de  devenir  épouses,  pour  deveuir 
mère  ;  cette  créature  fortunée,  disons-nous,   aime 
mieux  rester  dans  l'opprobre,  et,  ouvrant  une  car- 
rière toute  nouvelle  aux  filles  d'Israël,  elle  jure,  la 
première,  de  conserver  sur  la  terre  iu\c  virginité 
dont  elle  u'a  pu  contempler  le  modèle  qu'au  ciel  ;  si 
elle  consentit  à  devenir  éjjouse,  ce  fut  à  condition  de 
demeurer  vierge  :  ad  Virginem.  Considérez  quel  ad- 
mirable contraste  dans  l'amour  qui  unit  le  Créateur 
à  cette  créature  :  elle  est  la  seule  femme  de  Judée 
qui  renonce  à  la  gloire  d'être  mère,  et  Dieu  la  rend 
la  plus  fortunée  de  toutes  les  mères  de  Judée.   Elle 
renonce,,  pour  demeurer  vierge,  à  l'espérance  d'en- 
fanter le  Messie,  et  elle  enfante  le  Messie  sans  cesser 
d'être  vierge. Son  Fils  célesic  ne  sera  pas  moins  géné- 
reux que  son  fidèle  époux  du  la  terre.  Joseph  respecte 
sa  pudeur,  môme  après  l'avoir  prise  pour  épouse; 
le  Verbe  de  Dieu  la  laissera  vierge,   môme  après 
l'avoir  rendue  sa  Mère,  Oh  !  mystérieuse  force!  oh  ! 
charmes  suaves  de  la  virginité  !  comme  elle  attire 
sur  l'homme  les  regards  et  le  cœur  de  Dieu!  Ecoutons 
saint  Ambroise  :  Cette  sublime  créature,  dit-il,  par 
l'odeur  de  son   lis   virginal,  s'éleva  au-dessus    des 
splières,  par  delà  les  nuages  et  les  eioiius,  par  delà 


—  73  — 
même  les  troupes  angéliques,  et  pénétra  jusqu'au 
plus  haut  des  cieux,  jusqu'au  trône,  jusque  dans  le 
sein  de  Dieu,  qu'elle  fit  descendre  enfin  sur  la  terre, 
dans  ce  parterre  odorant,  dans  le  sanctuaire  de  ce 
cœur  que  Dieu  avait  cultivé  et  paré  lui-même  (1). 

Eve,  bien  que  vierge,  était  épouse  lorsque  l'ange 
des  ténèbres  vint  pour  la  séduire  ;  c'est  pourquoi  il 
est  dit  que  la  Vierge  était  épouse,  quand  l'ange  de  la 
lumière  vint  pour  la  saluer  :  ad  Virginem  desponsatam. 
L'Évangile  semble  donc  vouloir  dire  ceci  :  quoique  la 
nouvelle  Eve  soit  épouse,  elle  est  cependant  vierge, 
et  elle  sera  encore  vierge  quand  elle  sera  devenue 
mère,  tout  comme  son  Fils  divin  ne  cessera  pas 
d'être  Dieu  en  devenant  homme.  Il  était  juste,  ajoute 
saint  Bernard,  que  le  prodige  d'une  Yierge  épouse, 
qui  allait  être  Yierge  mère,  fût  uni  au  prodige  d'un 
Homme-Dieu.  Une  Vierge  ne  devait  concevoir  qu'un 
Dieu, et  un  Dieu  ne  devait  naître  que  d'une  Vierge  (2). 
Joseph  est  le  nom  de  l'heureux  époux  de  cette 
Vierge  épouse  :  viro  ciii  nomen  erat  Joseph  ;  il  est  aussi 
époux  vierge.  Le  texte  sacré  remarque  qu'il  était  de 
la  famille  de  David,  pour  indiquer,  dit  Bède,  que 
l'épouse  était  aussi  de  cette  famille  royale  ;  car,  chez 
les  Juifs,  les  mariages  ne  se  contractant  qu'entre  les 
personnes  de  la  même  tribu  ou  de  la  même  famille, 

(1)  Haec  nubes,  aéra,  angelos  sideraque  transgrediens,  Verbum 
Dei  in  ipso  sinu  Patris  invenit;  et  toto  hausit  pectoi'e  (Lib.  I,  de 
Virrj.). 

(2)  Talis  partus  congruebat  Virgini,  ut  non  pareret  nisi  Deum  ; 
et  talis  nativitas  decebat  Deum,  ut  non  nisi  de  Virgine  nasceretur 
(S.Beru.,  Se/m.  2  de  Adv.). 


la  {généalogie  de  la  iemnie  se  connaît  par  celle  da 
mari,  qui  est  la  seule  tracée  par  les  Ecritures  (1). 
L'évaniiélisle  donc,  en  disant  que  1  c[)Ouse  dc.sccr.dait 
de  David,  nous  apprend  que  Jésus  devait  de  même 
i-n  descendre  ;  il  nous  rappelle  la  prophétique  pro- 
messe que  Dieu  lit  à  ce  saint  roi,  quand  il  annonçait 
que  le  Messie  naîtrait  de  sa  race  (2)  ;  enfin,  il  nous 
fait  connaître  pourquoi  Isaïe  prédisait  à  la  famille  de 
David  le  grand  prodige  d'une  Yiergc  devenue 
mère  (3). 

Mais  quel  est  le  nom  de  l'épouse  Vierge?  L'évan- 
géliste,  après  nous  avoir  jusqu'ici  tenus  en  suspens, 
nous  le  révèle  en  ces  termes  :  «  Et  le  nom  de  la 
Yiergc  est  Marie^  »  parole  qui  veut  dire  maîtresse  ou 
souveraine.  Quel  nom  eût  mieux  convenu  à  celle  qui 
devait  être  la  3Ière  du  Seigneur!  C'est,  en  effet,  le 
titre  glorieux  par  lequel  les  traditions  juives  dési- 
gnaient la  Mère  du  Messie.  Le  rabbin  Haccados, 
comme  on  le  voit  dans  Galatien,  dit  qu'elle  serait 
appelée  3Iaitresse  (4).  Et,  dans  le  vrai,  dans  toutes 
les  Liturgies,  dans  les  Églises,  même  les  mahométans, 
à  plus  forte  raison  tous  les  peuples  chrétiens  ap- 
pellent Marie  Notre  Maîtresse  (dame),  comme  Jésus- 
Christ  son  Fils  est  appelé  Notre-Seigneur.  Elle  est 
appelée  Maîtresse  dans  le  même  sens  absolu  et  gé- 

(l)  De  domo  David  non  solum  ad  Joseph,  sed  adVirginom  hoc 
est  référendum;  Ippi^  enim  erat  prœcepium,  ut  de  sua  quLsque 
tribu  et  famiUa  uxorem  duceret  {In  Luc). 

(^2)  De  fructu  ventris  tui  ponam  super  sedcm  tuam  [Ps.  cxin). 

(3)  Et  nomen  virginis  Maria. 

(4)  Messiœ  Mati'em  Dominam  nuncupatur  (Haccados.,  lib.  Vil). 


—  75  — 
néral  qu'elle  est  nommée  la  Vierge^  c'est-à-dire  la 
souveraine  Maîtresse  par  excellence,  parce  que  son 
empire  n'a  d'autres  limites  que  celles  du  royaume  de 
Dieu  sonFils  :  elle  est,  par  la  grâce,  ce  que  son  Fils, 
Notre-Seigneur,est  par  nature;  rien  n'était  donc  plus 
convenable,  comme  dit  un  Père,  que  la  grandeur  du 
Fils  fût  commune  à  la  Mère  (().  0  Marie!  souveraine 
toute  puissante,  mais  en  même  temps  Maîtresse  dont 
l'empire  est  la  miséricorde ,  dont  la  nature  est  la 
clémence,  dont  le  sceptre  est  la  douceur,  et  doiit 
la  gloire  est  l'amour,  daignez  bénir  et  protéger 
toujours  vos  serviteurs  et  vos  enfants  ! 

«  Et  le  nom  de  la  Vierge  était  Marie  !  »  Oh  !  syn- 
daxe divin!  Oh!  harmonie,  oh!  paroles  sublimes,  de- 
vant lesquelles  pâlit  toute  l'éloquence  des  rhéteurs 
profanes!  Observez,  mes  frères,  comme  à  la  fin  de 
cette  période  évangélique  si  douce  au  cœur  et  qui 
cache,  sous  de  simples  paroles,  une  si  grande  pro- 
phétie, observez  avec  quelle  grâce  apparaît  le  nom 
de  Marie  ;  on  dirait  un  rayon  lumineux  qui  explique 
et  conclut  tout  le  discours  !  Et  nomen  Virginis  Maria. 
Nom,  après  celui  de  Jésus,  le  plus  déliceux  ;  il  est 
l'espéraiice  des  pécheurs ,  le  soutien  des  hommes 
sur  la  terre,  la  joie  des  bienheureux  dans  le  ciel,  la 
gloire  des  anges,  la  terreur  des  démons,  l'ornement 
de  la  création,  les  délices  du  Créateur! 

Mais  pourquoi  saint  Luc  dit-il  que  «  l'ange  entra 
auprès  de  Marie,  »  au  lieu  de  dire  :  l'ange  apparut  à 
Marie  ?  Et  ingressus  ad  eam  angélus,  comme  il  s'était 

(1)  Decebat  enim  Matrem  qua)  filii  sunt  possidere. 


—  7(5  — 
déjà  exprimé  dans  ce  passage  :  apparuit  antem  illi 
(Zacharia^)  aiu/rlus  ?  Saint  Bernard,  qui  semble  avoir 
reçu  d'en  haut  des  yràces  et  des  lumières  particu- 
lières sur  ce  mystère,  dit  que  ces  paroles  :  «  l'ange 
entra  auprès  de  Marie,  »  signifient  que  l'ange,  sous 
une  rornie  corporelle,  pénétra,  les  portes  restant  fer- 
mées, dans  l'humble  cellule  de  la  Yierge,  comme  plus 
tard  Jésus  entra  dans  le  cénacle  (1).  Ce  miracle, 
par  lequel  le  serviteur  entra  dans  la  demeure  de 
Marie  et  en  sortit  sans  ouvrir  les  portes,  fut  une  pré- 
paration, une  preuve  et  une  assurance  du  prodige 
encore  plus  grand  par  lequel  le  3Iaître  devait  entrer 
dans  le  chaste  sein  de  sa  Mère  divine  et  en  sortir, 
sans  altérer  sa  virginité ,  en  accomplissant  ainsi  la 
prophétie  de  la  iwrte  orientale,  par  où  Dieu  seul  devait 
entrer  et  sortir  sans  l'ouvrir. 

Si  nous  désirons  d'autres  interprétations,  nous 
pouvons  écouter  encore  les  Pères,  qui  nous  disent 
que  l'écrivain  sacré  a  voulu  faire  comprendre  que 
Marie  était  renfermée  seule,  méditant  sur  le  grand 
mystère  auquel  elle  a  eu  tant  de  part,  et  s'efforçant, 
par  ses  prières,  d'en  hâter  l'accomplissement;  et  que 
la  Maîtresse  et  le  modèle  des  vierges  leur  a  enseigné, 
par  son  exemple,  que  la  retraite  est  la  gardienne  de 
la  pudeur,  et  que  le  silence  est  l'école  de  la  chasteté  : 
ainsi  parle  saint  Ambroise  (2). 


(1)  Per  clausum  ostiuœ  ad  abdita  Virginis  Angélus  penetravit 
(S.  Bern.,  loco  cit.). 

(2)  Decet  soliludo  verecundiam  ;  et  gymnasium  pudoris  secre- 
tum  est  (S.  Bern.,  Exhort.  ad  Virg.). 


—  77  — 

Plusieurs  interprèles  pensent  que  Tangc,  supé- 
rieur à  Marie  par  nature,  mais  inférieur  eu  pureté, 
en  grâces  et  en  dignité,  fléchit  le  genou  devant  elle, 
et  que  c'est  dans  cette  attitude  de  respect  pour  celle 
qui  allait  devenir  la  Reine  des  auges  et  la  Mère  de 
Dieu,  qu'il  prononça  les  paroles  :  «  Salut,  ô  toi, 
pleine  de  grâces  !  le  Seigneur  est  avec  toi  :  Gratia 
plena,  Domimis  tecum.  Oh!  salut  vraiment  sublime  et 
magnifique*  que  jamais  oreille  mortelle  n'entendit 
sortir  d'une  bouche  céleste  !  Ce  n'est  point,  en  effet, 
une  vaine  parole,  mais  un  augure  céleste,  une  révé- 
lation, un  témoignage  de  ce  qu'est  réellement  Marie, 
comme  aussi  une  admirable  prophétie  de  ce  qu'elle 
allait  devenir  sous  peu  ! 

En  premier  lieu  ce  mol  Ave,  selon  le  témoignage  des 
Pères,  fait  ici  clairement  allusion  au  nom  d'Eve  (1). 
En  effet,  Eve  signifie  ;  vital,  vivifiant,  mère  des  vivants. 
Il  peut,  à  première  vue,  sembler  étrange,  comme 
l'observe  saint  Épiphane,  qu'Adam  ait,  après  le 
péché,  donné  à  sa  compagne  un  nom  si  beau,  en 
l'appelant  Vivante  et  Mère  fortunée  des  vivants,  lui  qui 
avait  entendu  la  sentence  terrible  qui  la  condamnait, 
avec  tous  ses  fils  à  la  tombe  et  la  rendait,  par  consé- 
quent, la  Mère  infortunée  des  morts  (2). Mais  il  n'en  est 
pas  ainsi,  continue  le  même  Père  ;la  conduite  d'Adam 
ne  fut  ni  contradictoire,  ni  vaine  ;  elle  fut  prophétique 

(1)  Dixit  :  Ave,  ut  alludat  ad  nomen  Evse  (A  Lap.)- 

(2)  Eva  mater  viventium  vocata  est  postquam  audivit  :  PLdvis 
es  ;  et  mirum  est,  quod  post  transgressiouem  hoc  maguuiii  no- 
men habuerit.  Beata  Mater  Dei  Maria  per  Evam  signilîcabatur, 
quee  per  euigma  accepit,  ut  Jlater  viventium  diceretiir  (S.  Epiph.). 


—  78  — 
et  mystérieuse.  En  parlant  ainsi,  il  eut  en  vue 
Marie,  et,  u;uidé  par  une  lumière  divine,  il  connut  et 
annonça  que  Marie,  dont  Eve  encore  vierge  et  épouse 
était  le  type  et  la  figure,  serait  la  vraie  ftlère  des 
vivants.  Or_,  elle  ne  commença  à  l'être  qu'au  moment 
où  elle  conçut  l'Auteur  de  la  vie.  L'ange,  par  ce 
salut:  Vis,  ù  Marie!  Gt'e_,  voulait  donc  lui  dire  qu'elle 
était  la  vraie  Eve,  mais  une  Eve  pleine  de  grâces, 
tandis  que  la  première  élait  pleine  de  péchés  ;  qu'elle 
était  fidèle  à  Dieu,  tandis  qu'Eve  lui  avait  été  infi- 
dèle, et  que,  dans  ce  moment  raiême,  l'antique  pro- 
phétie s'accomplissait  en  elle. 

Remarquez,  mes  frères,  que  cette  parole  ave,  que 
les  Latins  ont  emprunté  aux  Hébreux  et  qui  a  la  même 
signification  dans  les  deux  langues,  est  l'anagramme 
du  nom  d'Lve.  Cela  veut  dire,  d'après  saint  Au- 
gustin, que  la  malédiction  d'Eve  se  changea  en  béné- 
diction pour  Marie  ;  que  celle-ci  effaça  la  faute  de 
celle-là,  par  la  grâce  de  Dieu  qui  la  remplissait,  et 
déborda  de  son  sein  sur  le  monde  (1).  C'est  pour 
cela  encore  que  l'ange  l'appela  :  «  pleine  de  grâces  : 
gratta  2^lena,  »  c'est-à-dire,  comme  l'explique  saint 
Bonavcnturc  et  Maldonat,  la  créature  fortunée  dans 
laquelle  toutes  les  grâces,  tons  les  mérites,  dont 
Jésus-Christ  est  la  source,  et  qui  brillent  çà  et  là 
dans  les  saints,  comme  des  rayons  partiels,  se  trou- 
vèrent tous  réuîîis  en  Marie,  comme  dans  leur  soleil, 

(d)  Maria  iinpleta  Prit  gratia,  et  Eva  evacuatur  culpa.  Maledic- 
tio  Evae  in  bcmedictionein  mutatur  Mariae  (Aug.,  Serm.  18  de 
Sanct.). 


—  79  — 
leur  centre  radieux.  On  peut  encore  dire  que  les 
vertus  diverses,  qui  sont  comme  autant  de  ruisseaux 
spirituels  où  chaque  saint  s'abreuve,  étaient  con- 
fondues dans  Marie  comme  dans  leur  mystérieux 
océan  (1).  Qu'il  est  bien,  dit  saint  Jérôme,  de  saluer 
comme  pleine  de  grâces  celle  dont  l'Esprit  sanctifi- 
cateur s'est  servi  pour  répandre  la  céleste  rosée  sur 
toutes  les  créatures  (2). 

De  même  ces  paroles  :  «  le  Seigneur  est  avec 
toi  :  Dominus  tecum,  »  signifient  que  le  Seigneur  qui 
réside,  par  son  immensité  et  sou  efficacité,  dans 
toutes  les  créatures, souvent  avec  les  pécheurs  mêmes 
par  sa  grâce  actuelle,  et  avec  tous  les  justes  par  sa 
grâce  sanctifiante  ;  que  le  Seigneur,  dis-je,  réside 
en  Marie,  non -seulement  sous  toutes  ces  formes, 
mais  qu'il  y  est  encore,  d'une  manière  toute  parti- 
culière et  ineffable,  sous  un  mode  plus  noble  et  plus 
intime.  Saint  Augustin  enseigne  que  c'était  dire 
à  Marie  :  Le  Seigneur  est  avec  toi  d'une  manière 
bien  plus  parfaite  qu'il  n'est  avec  moi  (3),  car  tu  es 
pleine  de  grâces,  pleine  de  Dieu  ;  il  est  en  toi  et  avec 
toi,  comme  tu  es  en  lui  et  avec  lui  ;  tu  appartiens  à 
Dieu,  tu  es  entièrement  possédée  par  lui,  en  un  mot 
tu  es  toute  de  Dieu  ;  et,  pour  cette  raison,  la  créature 
par  excellence  à  laquelle  Dieu  est  le  plus  intime-' 

(1)  Sicut  omnia  flumina  intrant  in  mare,  sic  omnes  gratiae, 
^uas  liabuerant  angeli,  patriarchae,  prophetse,  apostoli,  martyres, 
confessores,  virgines,  in  Mariam  fluxerunt  (S.  Bona.,  Spec,  c.  2). 

(2)  Bene  gratia  plena  par  quam  largo  Spiritus  Sancti  imbre 
perfusa  est  omnis  creatura  (Jér.,  Sei^m.  de  Ass.), 

(3)  Dominus  tecum  magis  quam  mecum  (S.  Aug,), 


—  80  — 
meut  uni,  et  en  réalité,  comme  il  est  dit  dans  les 
cantiques  sacrés,  tu  es  la  vraie,  la  grande,  l'unique 
amie  du  Créateur  (I). 

L'ange,  l'évangéliste  céleste  des  grandeurs  de  Ma- 
rie, ne  s'arrête  pas  encore.  Après  avoir  dit  qu'elle 
était  unique  aux  yeux  de  Dieu,  il  proclame  qu'elle 
est  la  privilégiée  entre  tous  les  descendants  d'Adam  : 
a  Tu  es  bénie  entre  toutes  les  femmes  :  Benedicta  tu  in 
mulieriOus,  »  et  cela  dans  le  même  sens  absolu  et 
substantiel  qu'elle  avait  été  appelée  Vierge,  mère  des 
vivants,  pleine  de  grâces,  parente  de  Dieu  ;  c'est-à-dire 
que  Marie  est  la  femme,  le  modèle,  l'honneur  et  la 
gloire  de  toutes  les  femmes  ;  qu'elle  réunit  seule  en 
elle  toutes  les  vertus,  tous  les  mérites,  tous  les  pri- 
vilèges, toute  l'excellence  de  la  femme  dans  ses  états 
divers  :  la  liberté  d'esprit  de  la  veuve,  la  charité  de 
l'épouse,  la  pureté  de  la  vierge  et  la  fécondité  de  la 
mère. 

De  plus,  Marie  est  la  bénie  entre  les  femmes,  parce 
qu'elle  est  la  seule  qui  ait  reçu  la  faveur  divine  par 
le  fruit  de  son  sein,  heureux  enfant!  où  se  trouvent 
toutes  les  bénédictions  et  dans  lequel  devaient  être 
bénies  toutes  les  tribus  de  la  terre. 

Mais  que  fait  Marie  et  que  répond-elle  à  un  tel 
discours?  La  nouvelle  Eve  se  comporte  tout  autre- 
ment avec  l'ange  Gabriel  que  l'ancienne  avec  l'ange 
des  ténèbres.  Le  discours  du  tentateur  à  Eve  suppose 
et  exalte  dans  cette  femme  imprudente  une  indépen- 
dance,  un  mérite,  une  excellence   qu'elle    n'avait 

(1)  Una  est  arnica  mea,  una  est  {fiant,  iv). 


—  81  — 
pas  (1).  Le  discours  de  l'ange  à  Marie  annonce  dans 
cette  bienheureuse  Vierge  une  grandeur,  une  grâce, 
qu'elle  possédait  réellement  :  Ave,  gratta  plena,  Do- 
minus  #ec^«/^.  Néanmoins  le  langage  de  lange  menteur, 
au  lieu  de  troubler  l'esprit  d'Eve,  l'enivre  d'une 
amour  insensé  d'elle-même  et  la  remplit  d'un  orgueil 
démesuré,  qui  l'entraîne  jusqu'à  mettre  en  doute 
la  véracité  des  menaces  de  l'Éternel  :  Ne  forte  moria- 
mur.  Au  contraire,  le  langage  sincère  de  l'ange,  qui 
aurait  dû,  ce  semble,  rassurer  Marie  et  la  rendre 
contente  d'elle-même,  la  trouble,  la  déconcerte  et  la 
fait  trembler. Elle  ne  se  reconnaît  pas  dans  le  portrait 
tracé  par  Gabriel.  L'orgueil  fit  qu'Eve  prit  un  ange 
de  ténèbres  pour  l'ange  de  lumière,  tandis  que 
l'humilité  fait  que  Marie  craint  de  rencontrer  l'ange 
de  ténèbres  dans  celui  de  la  lumière, bien  qu'elle  soit 
habituée  à  la  vision  des  esprits  et  à  leur  compagnie. 
Marie  se  croyait  indigne  d'un  si  magnifique  salut,  pro- 
noncé avec  un  si  profond  respect  ;  au  lieu  donc  de 
s'en  complaire,  elle  s'en  épouvante  ;  ne  comprenant 
point  pourquoi  il  lui  est  adressé,  elle  reste  muette, 
pensive  et  agitée  (2) . 

Mais  l'ange,  l'appelant  par  son  nom  pour  lui  ins- 
pirer plus  de  confiance,  lui  dit  :  ««  Ne  craignez  point, 
ô  Marie!  car  vous  avez  trouvé  grâce  devant  Dieu  ;  » 
c'est-à-dire,  comme  l'explique  saint  Bernard,  vous 


(1)  Cur  praecepit  vobis  Deus,  ut  non   comederetis  de  omni 
ligno  paradisi  {Gen.  m). 

(2)  Quae  cum  audisset,  turbata  est  in  sermone  ejus,  et  cogitabat 
qualiâ  esset  ista  salutatio  {Luc.  i,  29). 

II.  6 


—  82  — 
qui  avez  mis  loule  votre  gloire  à  plaire  à  Dieu, 
vous  avez  trouvé  ce  que  vous  avez  toujours  cherclié. 
Vous  êtes  plus  gracieuse  à  ses  yeux  que  tous  les 
saints  qui  vous  ont  précédée  et  que  toutes  les  plus 
nobles  créatures  réunies  (1).  Ah!  quel  trésor,  quelle 
précieuse  marguerite  la  Vierge  ,  avant  de  connaître 
l'Evangile,  s'est  procurée  en  s'offrantet  se  consacrant 
entièrement  à  Dieu  (2)  !  Elle  a  obtenu  la  grâce  et 
la  vertu  de  mériter,  comme  l'enseignent  les  théo- 
logiens ,  entre  autres  Suarez  et  Vasquez  ,  la  divine 
maternité  ,  sinon  de  condirjno,  au  moins  de  congruu. 
Et  la  preuve,  c'est  l'ange  qui  la  donne  :  «  Voici  que 
vous  concevrez  dans  votre  sein  et  que  vous  enfan- 
terez un  fils  (3).  » 

Rappelons  ici  tout  d'abord  ce  grand  oracle  dlsaïe: 
«  Dieu  vous  montrera  un  prodige  :  voici  que  la  Vierge 
concevra  et  enfantera  un  fils  (4).  >»  Or  l'auge,  en  di- 
sant précisément  à  Marie  :  «  la  Vierge:  Voici  que  vous 
concevrez  et  enfanterez  un  fils,»  lui  disait  équiva- 
lemment  :  Vous  êtes,  ô  Marie,  la  Vierge  dont  a  parlé 
le  prophète;  voici  que  le  grand  prodige  d'une  vierge 
mère  s'accomplit  en^ous  aujourd'hui. 

L'ange  continua  :  «  Vous  donnerez  à  ce  fils  le  nom 
de  Jésus.  Il  sera  grand,  et  il  s'appellera  le  Fils  du 

(1)  Ne    timeas ,  Maria ,   invenisti  enim   gratiam   apud   Deum 
{Luc.  1,30). 

(2)  luvenisti  quod  quœrebas,  quod  ante  te  nemo  potuit  invenire 
(S.  Bern.,  Serm.  3  sup.  Miss.). 

(3)  Ecce  concipies  in  utero,  et  paries  Fxlium  {Luc.  i,  8). 

(4)  Dabit  Dominus  ipse  vobis  signum  :  Ecce  Virgo  concipiet  «t 
pariet  Fiiium. 


—  83  — 
Très-Haut  (l).Isaïc  avait  dit  aussi  :«  Il  lui  sera  imposé 
le  nom  d'Emmanuel  (2).  »  L'ange  donc  ne  fit  encore  ici 
que  répéter  et  expliquer  plus  clairement  les  paroles 
du  prophète,  en  développant  dans  son  langage  ce 
que  Isaïe  avait  dit  d'un  seul  mot  ;  car  Emmanuel 
signifie  Dieu  avec  nous,  ou  homme-Dieu^  c'est-à-dire, 
Fils  de  Dieu  et  en  même  temps  Fils  de  l'homme  ;  il 
signifie  donc  Jésus ,  ou  sauveur  des  hommes ,  puisqu'il 
n'est  Jésus  ou  sauveur,  et  partant  grand  dans  la  puis- 
sance et  dans  la  bonté,  qu'autant  qu'il  est  Emmanuel, 
soit  homme-Dieu  ou  Dieu  avec  nous. 

L'ange  reprend  encore  :  «  Dieu  donnera  à  votre 
fils  le  trône  de  David  son  père ,  et  ce  fils  régnera 
dans  la  maison  de  Jacob ,  et  son  royaume  n'aura 
d'autres  confins  que  ceux  de  l'univers,  d'autres  li- 
mites que  celles  de  l'éternité  (3).  »  Ce  sont  aussi  les 
paroles  dont  Isaïe  s'est  servi  :  «  Il  s'asseyera  sur  le 
trône  de  David  maintenant  et  pour  l'éternité  ;  et  son 
royaume  pacifique  ne  connaîtra  point  de  bornes.  Le 
Seigneur  a  envoyé  son  Verbe  à  Jacob,  et  il  a  été  ac- 
cueilli par  Israël  (4).»  0  saint  ange  de  Dieu,  combien 
nous  vous  sommes  obligés  !  Combien  il  est  beau  pour 
nous,  fidèles,  d'entendre  de  votre  bouche  céleste 


(1)  Et  vocabis  nomen  ejus  Jesum.  Hic  erit  magnus  et  Filius  Al- 
tissimi  vocabitur  {Luc.  i,  31,  32). 

(2)  Et  vocabitur  nomou  ejus  Emmanuel  (Isa.). 

(3)  Dabit  illi  Dominus  sedem  David  patris  ejus,  et  regnahit  in 
domo  Jacob  in  œternum  ;  et  regni  ejns  non  erit  finis  {Luc.  i,  32). 

(4)  Et  pacis  ejus  non  erit  finis.  Super  solium  David,  et  reguum 
ejus  sedebit  a  modo  usque  in  sempiternum.  Verbum  misit  Do- 
minus  in  Jacob,  et  cecidit  in  Israël  {Isa.). 


~  84  — 
l'application  et  l'interprétation  de  cette  magnifique 
pro[)hctie,  qui  est  le  fondement  et  la  preuve  de  notre 
foi! 

Et  voyez,  en  effet,  mes  frères,  comme  ces  admi- 
rables paroles  de  l'ange  annoncent  clairement  et 
établissent  solidement  le  dogme  si  important  de 
rincarnalion  L'auge  dit  à  Marie  :  «  Vous  concevrez 
un  fils  :  »  Concipies  filium.  Le  fils  de  Marie  est  donc 
un  vrai  homme,  un  vrai  fils  de  l'homme,  puisqu'un 
fils  qui  est  conçu  est  vrai  fils,  et  qu'un  fils  conçu  par  la 
femme  est  vrai  homme.  Voilà  donc  confondue  à  l'a- 
vance l'hérésie  des  Manichéens,  qui  nient  que  Jésus- 
Christ  ait  eu  une  chair  véritable  et  réelle,  et  qu'il  ait 
véritablement  été  homme  et  fils  de  l'homme.  Tou- 
tefois, Isaïe  avait  dit  seulement  :  «  La  Vierge  con- 
cevra :  concipiet  ;  »  mais  l'ange  ajoute  :  «  Vous  con- 
cevrez dans  votre  sein  :  Concipies  in  iitero.  »  Ce  qui 
veut  dire  :  Vous  concevrez  de  votre  substance,  de 
votre  chair,  de  votre  sang.  Voilà  donc  confondue, 
avant  qu'elle  eût  vu  le  jour,  l'hérésie  des  Valenti- 
nienS;,  qui  osaient  dire  que  Jésus-Christ  n'a  pas  pris 
son  humanité  sur  la  terre,  mais  qu'il  l'a  apportée  du 
ciel  et  auil  n'a  fait  que  la  faire  passer,  comme  par 
un  canal,  par  le  sein  de  Marie.  L'ange  ajoute  encore: 
«Et  vous  enfanterez  fad  viryinem) :  Concipies  et  paries.  » 
Il  indique  manifestement  par  cette  conjonction  et 
que  le  mot  vierge  doit  se  prendre  et  s'appliquer  et  à 
la  conception,  et  à  l'enfantement  de  Marie,  dans  le 
sens  composé,  et  non  dans  le  sens  divisé;  c'est  comme 
s'il   avait  dit  :    Vous   qui  êtes  à   présent   vierge. 


—  85  ~ 
vierge  vous  concevrez  et  vous  enfanterez  vierge  ; 
c'est-à-dire,  vous  êtes  vierge  et  demeurerez  tou- 
jours vierge.  Yoilà  doue  établie  la  perpétuelle  vir- 
ginité de  Marie,  avant,  pendant  et  après  l'enfante- 
ment ;  voilà  donc  réduits  à  néant  les  blasphèmes 
d'Elvidius  et  de  Calvin, qui  ont  eu  l'audace  delà  nier. 
L'ange  dit  enfin  :  «Yous  enfanterez  un  fils,  qui  est  le 
Fils  même  du  Très-Haut  :  Paries  filium,  vocabitur  Altis- 
simiFilius  (1).'»  Voilà  donc  Marie  proclamée  Mère  de 
Dieu,  et  détruite  à  l'avance  l'hérésie  de  Nestorius, 
qui  n'a  pas  craint  de  lui  disputer  la  maternité  di- 
vine. Car,  bien  que  Marie  n'ait  point  engendré  la  per- 
sonne divine, mais  seulement  la  chair  de  Jésus-Christ, 
cependant,  comme  dans  Jésus- Christ  l'homme  et 
Dieu  ne  sont  qu'une  seule  personne,  un  seul  supposé 
substantiel,  indissoluble,  un  seul  et  même  Jésus- 
Christ,  Marie ,  la  vraie  mère  de  l'homme  ,  est  aussi 
la  vraie  Mère  de  Dieu,  dans  le  Sauveur  :  tout  comme 
les  pères  de  la  terre  sont  vraiment  pères,  non-seu- 
lement de  leur  fils, mais  aussi  de  leur  âme,  qu'ils  n'ont 
point  engendrée,  mais  qui  forme  avec  le  corps  un 
seul  sujet,  un  seul  homme  (2). 

(1)  n  faut  observer  ici  qu'on  trouve  souvent  dans  l'Écriture 
cette  figure  :  Telle  chose  s'appellera  ainsi,  au  lieu  de  dire  que 
telle  chose  sera  ainsi.  L'expression  s'appellera,  en  parlant  du  Fils 
de  Dieu,  équivaut  à  celle-ci:  il  sera  réellement.  Une  preuve,  entre 
mille,  que  l'on  peut  citer,  est  ce  que  l'ange,  dans  ce  même  pas- 
sage de  l'évangile,  dit  d'Elisabeth  :  «C'est  le  sixième  mois  de  celle 
qui  est  appelée  stérile, c'est-à-dire  qui  était  stérile.»  Elle  s'appe- 
lait telle,  parce  qu'elle  était  telle. 

(2)  Sicut  anima  rationalis  et  caro  unus  est  homo,  ita  Deus  et 
homo  unus  est  Gliristus  (S.  Atban.,  Sijmb.). 


—  8G  — 

Chez  les  Juifs,  le  porc  seul  avait  le  droit  d'imposer 
le  nom  au  fils  qui  lui  était  né  ;  pourquoi  donc  l'ange 
fait-il  une  exception  en  faveur  de  Marie  et  la  cliarge- 
t-il  expressément  de  donner  un  nom  à  son  fils  :  Et 
rocobis  nomcn  ejus  ?  C'est  parce  que  ce  fils,  qui  allait 
être  formé  du  plus  pur  sang  de  Marie  ,  ne  devait 
point  avoir  de  père  sur  la  terre,  comme  il  n'a  pas  de 
mère  dans  le  ciel  ;  ainsi  son  heureuse  Mère  devait, 
pour  ainsi  dire,  lui  tenir  lieu  de  l'un  et  de  l'autre^ 
et  en  remplir  les  fonctions.  Voilà  donc  prouvé  en- 
core une  fois  le  mystère  de  la  virginité  de  Marie. 

Toutefois,ron  pourrait  dire  que  cette  coutume  des 
Juifs  fut  rigoureusement  observée  dans  cette  cir- 
constance. En  effet,  le  même  évangéliste,  en  parlant 
de  la  circoncision  du  Sauveur,  dit  :  u  II  lui  fut  im- 
posé le  nom  de  Jésus,  nom  qui  fut  prononcé  par 
l'ange,  avant  môme  que  l'enfant  fût  conçu  (1).  » 
Mais  l'ange,  dans  cette  circonstance  mémorable,  ne 
fut  que  l'envoyé ,  l'ambassadeur  de  Dieu ,  chargé 
d'annoncer  ses  oracles  et  de  manifester  sa  volonté  : 
Missus  est  angélus  a  Deo.  Il  ne  dit,  pour  cela,  rien  de 
son  propre  chef;  le  nom  même  qu'il  indique  à  Marie 
lui  a  été,  comme  tout  le  reste,  révélé  par  Dieu,  qui 
l'a  envoyé.  Ce  nom  si  auguste,  qui  retentit  en  ce 
jour  aux  oreilles  de  Marie,  est  donc  sorti  de  la  bouche 
môme  du  Très-Haut,  il  est  sorti  du  sanctuaire  de 
l'amour  infini.  Quoique  la  mère  terrestre  ait  été 
chargée  d'imposer  ce  nom,  c'est  cependant  le  Père 


(1)  Vocatum   est  nomen  cjus  Jésus,  quod  vocalum  est  ab  an- 
ge lo  priusquam  in  utero  concipcretur  {Luc.  m). 


—  87  — 
céleste  qui  la  réellement  imposé.  Le  fils  de  Marie  est 
donc  aussi  le  Fils  de  Dieu  ;  car  c'est  Dieu  qui  a  révélé 
le  nom  sous  lequel  il  est  connu  parmi  les  hommes. 

Le  même  mj'stère  est  encore  indiqué  par  ces  pa- 
roles :  «  Il  sera  grand.  »  En  efifet ,  le  même  ange 
avait  dit  à  Zacharie  que  son  fils  serait  grand  :  Erit 
enim  magnus;  mais  en  ajoutant  :  «  devant  le  Seigneur: 
coram  Domino.  »  Il  dit  de  même  à  Marie  que  son 
fils  serait  grand  :  Hic  erit  magnus  ;  mais  il  ajoute  : 
«  parce  qu'il  sera  le  Fils  du  Très-Haut.  »  Jean  est 
donc  grand  devant  le  Seigneur ,  et  Jésus  est  grand 
parce  qu'il  est  le  Seigneur.  Jean  est  grand  parce  qu'il 
est  homme  et  qu'il  est  saint  ;  Jésus  est  grand  parce 
qu'il  est  homme  et  Dieu.  L'ange  voulut  doue  indiquer 
par  ces  paroles ,  selon  saint  Grégoire  ,  que  Jésus, 
quoique  conçu  et  né  de  Marie,  n'avait  cependant  pas 
cessé  pour  cela  d'être  grand,  ne  cessant  pas  d'être 
le  Fils  du  Très-Haut,  attendu  que  le  Verbe  éternel, 
en  prenant  la  nature  humaine,  loin  de  faire  injure  à 
la  majesté  et  à  la  grandeur  de  la  nature  divine,  a, 
par  sa  nature  divine,  élevé  et  ennobli  la  nature 
humaine  (1). 

Ce  qui  suit  du  discours  de  l'ange  démontre 
toujours  de  plus  en  plus  le  même  mystère.  En  effet, 
quand  il  dit  :  «  Le  Seigneur  lui  donnera  le  trône  de 
David  son  père,  »  il  affirme  que  le  Christ  descend  de 
David,  c'est-à-dire   qu'il  est  vrai  homme.   Quand  il 


(1)  Neque  carnis  assumptio  deitatis  derogat  celsitudiui,  imo 
potius  humanitatis  humilitas  subliraatur  ;  unde  sequitur  :  Et 
Filius  Altissimi  vocabitur  (S.  Grég.,  Homil.  37). 


—  83  — 
ajoute  :  «  II  n^'gnera  dans  la  maison  de  Jacob,  »  il 
déclare  que  le  règne,  qui  fui  temporel  pour  David, 
serait  en  Jésus-Christ  spirituel  et  divin.  Les  saints 
Pères  enseignent  que  la  maison  de  David  n'est  autre 
que  la  vraie  Eglise,  composée  déjà  des  descendants 
selon  la  cliairde  ce  patriarche,  et  qui  devait,  sous 
peu,  être  formée  de  ses  descendants  selon  la  grâce. 
Car,  saint  Paul  a  écrit  que  les  vrais  enfants  de  Jacob 
ne  sont  pas  tant  les  Juifs,  ses  descendants  charnels, 
que  ceux  des  Gentils,  qui  en  ont  la  religion  et  la  foi 
gravées  dans  le  cœur.  Cette  maison  de  Jacob  est 
encore  celle  dont  Isaïe  a  parlé  en  des  termes  i)lus 
clairs,  quand  il  dit  :  «  Le  Seigneur  a  envoyé  son  Verbe 
à  Jacob,  et  il  a  été  recueilli  dans  Israël.  Saint  Gré- 
goire fait, sur  ce  passage, cette  réflexion  :  sous  le  nom 
de  Jacob,  le  prophète  fait  allusion  au  peuple  juif,  et 
sous  celui  d'Israël  au  peuple  gentil.  Le  Verbe  donc 
qui  est  envoyé  à  Jacob,  et  qui  est  tombé  en  Israël, 
c'est  Jésus-Christ,  qui,  venu  parmi  les  Juifs,  a  été 
rejeté  par  eux,  tandis  qu'il  a  été  reçu,  accueilli 
par  nous.  Gentils  (I).  Enfin,  l'ange  conclut  par  ces 
paroles  :  «  Le  règne  de  votre  Fils  sera  éternel  et 
infini.  »  Il  proclame  donc  que  ce  Fils  est  Dieu  ;  car 
il  n'y  a  que  le  règne  seul  d'un  Dieu  qui  puisse 
être  éternel  et  infini  ;  or,  tel  est  celui  de  Jésus- 
Christ,  qui  commence  par  la  grâce  sur  la  terre  et  se 


(1)  Quid  per  Jacob,msi  judaicus  populus?  Quid  per  Israël, nisi 
gentilis  populus  designalur?  Ad  Jacob  ergo  Verbum  missum, 
cecidit  ia  Israël,  quia,  quem  ad  se  venientein  judaicus  populus 
respuil,liunc  repente  populus  goutilis  invejiit  [Mural.  II,  30). 


--  sa  — 

perpétuera  étenicUemenl  dans  la  gloire  des  deux. 
Mais  l'humble  et   chaste   Marie    répond   modes- 
tement :  «  Comment  arrivera  ce  que  vous  dites  ;  car 
je  ne  connais  point  d'homme  ?  »  Les  saints  Pères  et 
les  interprètes  concluent  communément  de  ces  pa- 
roles que  Marie  avait  déjà  fait  au  Seigneur  vœu  so- 
lennel de  -virginité  ;  ils  pensent  que  saint  Joseph,  en 
ayant  été  par  elle  informé  avant  de  l'épouser,  non- 
seulement  consentit  à  ce  qu'elle  observât  sa  pro- 
messe,  mais   qu'il  se   consacra    lui-même,    par  un 
semblable  lien,  à  la  virginité.    Ecoutons  le  grand 
Augustin  :    il  dit  que  Marie  épousa  Joseph  le  juste 
par  excellence,  parce  que  l'usage  des  Juifs  ne  com- 
portait pas   que   les   filles   d'Israël  restassent  sans 
époux  ;  elle  l'épousa  toutefois,  non  pas  pour  lui  faire 
le  sacrifice  de  sa  virginité^  mais  pour  trouver  dans 
ce  chaste  conjoint  un   témoin,  un  protecteur,    un 
gardien  de  la  chasteté  qu'elle  avait  juré  de  conserver 
a  Dieu   (1).  Sa  réponse   voulait  donc    dire    ceci  : 
Comment  arrivera-t-il  que  je  conçoive  et  que  j'en- 
fante le  fils  dont  vous  me  parlez,  puisque  je  suis 
vierge  et  que  je  veux  toujours  l'être?  Je  ne  connais 
point  d'homme  et  n'eu  dois  jamais  connaître.  Joseph 
est  bien  mon  légitime  époux,   mais  c'est  pour  pro- 
téger ma  virginité   et  non  pour  me  la  ravir.    Le 
Seigneur  ne  sait-il  pas  ce  que  je  lui  ai  promis  par 


(1)  Quomodo  fiet  istud,  quoniam  virum  non  cognosco  [Luc. 
I,  34)?  —  Quia  hoc  Israelitarum  mores  adhuc  recusabant.  Des- 
ponsata  est  viro  justo,  non  violenter  ablaturo,  sed  potius  contra 
violentes  custodituro  quod  ipsa  voverat(3.Aug.,De  Sanct.Virg.). 


—  90  — 
serment?  Quelle  résolution  magnanime,  s'écrie  ici 
saint  Gré!?oirc  de  Nvsse  !  Oh!  généreux  accents  d'un 
cœur  brûlant  d'amour  pour  la  pureté  !  0  sainte  vir- 
ginité !  6  pudeur  angélique  !  quelle  plus  noble  victime 
fut  jamais  offerte  sur  vos  autels!  D'une  part,  la  gloire 
d'être  Mère  de  Dieu  se  présente  à  l'esprit  de  Marie  ; 
de  l'autre,  le  sacrifice  de  la  vertu  la  plus  chère  à 
son  cœur.  Mais,  sans  hésiter  un  seul  instant,  elle 
préfère  la  grâce  qui  la  sanctifie  à  la  grâce  qui  l'élève  ; 
clic  choisit  de  préférence  un  état  plus  parfait  à  un 
état  plus  sublime.  Elle  aime  mieux  plaire  à  Dieu  que 
de  lui  commander;  elle  renonce  au  titre  de  sa  Mère 
pour  garder  celui  de  son  épouse  (1).  Combien  j'admire 
une  si  sublime  résolution,  s'écrie  saint  Jérôme  !  Quelle 
est  noble  cette  constance  invincible  de  conserver  la 
virginité  qui  n'hésite  pas  un  instant  à  rejeter  la  di- 
gnité d'avoir  pour  Fils  celui  qui  a  Dieu  pour  Père  (2)  ! 
Combien  donc  est  sublime  cette  conduite  de  Marie 
en  opposition  à  celle  d'Eve!  La  première  femme 
résista  et  fut  en  proie  à  la  crainte  avant  de  céder  à 
la  séduction  du  serpent.  Toutefois,  elle  se  décida  à 
encourir  la  disgrâce  de  Dieu  en  violant  son  comman- 
dement ;  de  plus,  l'objet  de  sa  crainte  était  d'en- 
courir la  mort,  dont  Dieu  l'avait  menacée.  Elle  se 
serait  mise  peu  en  peine  de  commettre  la  faute,  si 

(1)  Audi  pudicam  Virginis  vocem  :  angélus  partum  nuntiat, 
ipsa  viiginitati  inhasret,  et  integritatem  augelicae  demoastrationi 
anleponendani  judicat  {Orai.  de  Christ.). 

(2)  Immobile  ^^^ginilatis  propositum,  quod  nec  angelo  uim- 
tiantc,  et  Dei  Filium  prouiiUente,  aliquatenus  titubavil  (Jér.,  De 
Assumpt.). 


—  91  — 
elle  avait  pu  éviter  la  peine.  Ce  n'était  pas  le  péché 
qui  l'arrêtait,  mais  la  mort  qui  pouvait  s'en  suivre, 
si  bien  que,  si  elle  eût  pu  s'assurer  qu'elle  ne 
mourrait  point,  elle  eût  été^,  dès  le  commencement 
de  la  tentation,  prête  à  prévariquer  :  Ne  forte  mo- 
riamur.  Que  la  conduite  de  Marie  est  dififérente  ! 
L'unique  chose  qu'elle  craint  en  devenant  Mère  de 
Dieu,  c'est  de  manquer  à  la  promesse  faite  à  Dieu 
de  demeurer  vierge.  Elle  ne  veut  point  la  dignité  de 
Mère  du  Sauveur  au  dépens  de  la  virginité  ;  non 
pas  qu'elle  redoute  les  sacrifices  que  cette  fonction 
sublime  pourrait  lui  imposer  :  la  cause  unique  de  ses 
angoisses,  c'est  la  perte  de  la  vertu  qu'elle  chérit  le 
plus.  Elle  est  prête  à  se  soumettre  à  ce  que  Dieu 
veut  d'elle,  mais  à  la  condition  de  pouvoir  tenir  ce 
qu'elle  lui  a  promis  :  Virum  non  cognosco. 

La  crainte  d'Eve  fut  donc  l'effet  de  son  excessif 
attachement  à  la  vie,  tandis  que  la  crainte  de  Marie 
naquit  de  son  amour  légitime  pour  la  chasteté. 
Ainsi  la  crainte  d'Eve  fut  une  crainte  d'amour- 
propre,  une  crainte  sensuelle  et  servile,  la  crainte 
de  mourir  ;  ce  qui  fut  un  nouveau  péché  pour  elle, 
peut-être  le  plus  grand  :  la  crainte  de  Marie,  au 
contraire,  fut  une  crainte  généreuse,  sainte,  qui  lui 
était  inspirée  par  l'intérêt  seul  de  la  gloire  de  Dieu, 
la  crainte  de  pécher  ;  et  cette  crainte  fut  pour  elle 
un  nouvel  acte  de  vertu  sublime  et  la  plus  grande 
de  ses  vertus.  Combien,  ô  mon  Dieu!  il  dut  vous 
être  sensible  de  vous  voir  ainsi  aimé  par  celle  que 
vous  aviez  tant  aimée  !  Qu'il  fut  agréable  pour  vous 


—  92  — 
de  vous  voir  ainsi  noblement  préféré  à  vous-même  ! 
Mais  tout  ce  que  l'ange  dit  à  Marie  et  ce  qu'elle 
lui  répondit  fut  l'effet  d'une  particulière  disposition 
de  la  Providence.  Dieu  voulut  par  là  donner  occasion 
il  Marie  de  faire  une  profession  solennelle  de  virgi- 
nité, afin  d'accorder  au  mérite  de  cette  profession 
trénéreuse  l'honneur  delà  maternité  divine  (I).  Par 
cet  acte  sublime,  le  cœur  de  Marie  resta  dédié  et 
consacré  à  Dieu  :  c'est  la  belle  pensée  de  saint  Gré- 
goire de  iVazianze,  Comme  les  temples  matériels  sont 
consacrés  et  dédiés  au  Seigneur  avant  qu'il  n'y 
vienne  habiter  corporcllement  par  l'Eucharistie  ;  de 
môme,  avant  que  le  Verbe  de  Dieu  vînt  habiter  cor- 
porellement,  par  le  mystère  de  l'Incarnation,  dans  le 
chaste  seiu  de  Marie,  il  voulut  que  ce  temple  au- 
guste lui  fût  solennellement  consacré.  Or,  la  solen- 
nelle proclamation  de  son  vœu  de  virginité  fut  pour 
Marie  la  formule  de  cette  consécration.  Elle  accom- 
plit ainsi  la  prophétie  de  David,  qui  annonçait  que 
le  Très- Haut  sanctifierait  son  tabernacle  et  qu'il  le 
rendrait  digne  de  lui  avant  de  venir  l'habiter  sur 
terre  (2). 

Yoici  la  réponse  solide  et  pleine  de  sens  qu'un  an- 
cien Père  de  l'Eglise  fait  aux  Juifs  stupides  et  aux 
incrédules  insensés,  qui  se  scandalisent  du  dogme 
ineffable  de  l'Incarnation  dans  le  sein  d'une  vierge. 
Si  le  Fils  de  Dieu,  dit-il,  avait  choisi  pour  3Ière  la  fille 


(1)  Hoc  audire  volpbat  Deus,  ut  ipsa  per  professionem  virgi- 
nitatis  mererelur  fieri  Mater  Doi  (A  Lap.). 
C2)  Sanctificavit  tabernaculuui  suum  Altissimus  {Ps.  xi.v).     . 


—  93  — 
d'un  monarque  puissant,  et,  pour  naître,  la  cité  maî- 
tresse de  l'univers,,  qui  est-ce  qui  n'aurait  pas  attribué 
au  prestige,  à  la  force  de  la  puissance  humaine  le 
changement  étonnant  que  l'Évangile  devait  opérer 
dans  le  monde  (1)?  Mais  voyez  ce  Dieu  Sauveur  :  il 
choisit  pour  Mère  une  pauvre  vierge  de  Juda,  que 
Sion  rougit  d'admettre  au  nombre  de  ses  filles;  il  vient 
naître  dans  un  endroit  inconnu,  que  la  Judée  se  garde 
bien  de  compter  au  nombre  de  ses  villes  :  il  veut 
que  tout  soit  humble  et  pauvre  autour  de  lui,  aiin 
qu'il  soit  manifeste  que  la  conversion  prochaine  du 
monde  est  l'œuvre  de  la  puissance  de  Dieu  et  non 
celle  de  l'homme. 

Nous  pouvons  ajouter,  avec  saint  Augustin,  que, 
dans  la  manière  même  dont  le  Acerbe  divin  a  disposé 
toutes  choses  dans  son  incarnation,  il  n'a  pas  oublié 
sa  propre  gloire,  ni  les  convenances  et  les  égards 
qu'il  se  devait  à  lui-même  ;  il  s'est  humilié,  il  est  vrai, 
mais  il  ne  s'est  pas  avili  ;  il  est  descendu  bien  bas 
pour  nous  racheter,  mais  il  ne  s'est  point  dégradé  (2). 
L'unique  ornement  de  Dieu,  celui  qui  l'honore  dans 
la  maison  qu'il  veut  habiter,  l'unique  richesse  qui 
contente  ses  regards  et  ravit  son  cœur,  dit  l'Ecriture, 


(1)  Si  masimam  Romam  elegisset,  potentia  civium  mutation  em 
orbis  ten'arum  factam  putarent;  si  filiam  impei'atoris,  potestati 
utilitatem  adscriberent.  —  Sed  quid  fecit?  Pauperculam  elegit 
matrem,  pauperiorem  patriam  :  oinnia  vilia  elegit,  ut  divinitas 
cognosceretur  orbem  transformasse  terrarum  (Theoph.,  Serm.  in 
conc.  Epiph.). 

(2)  Non  cecidit,  sed  descendit. 


—  94  — 
c'est  la  haute  sainlcté  (I)  dont  le  Très-Haut  a  voulu 
embellira  profusion  Marie  avant  i'incarnaliou  de  son 
divin  Fils.  11  l'a  remplie,  en  effet,  de  grâces  dès  le 
premier  instant  de  son  existence,  en  la  préservant  du 
péché  originel,  en  la  gardant  ensuite  de  l'ombre  même 
du  péché,  en  sorte  que  Tango  a  pu  lui  dire  en  toute 
vérité  :  (jratia  plena.  Oui,  Dieu  s'est  intimement  uni 
à  sou  cœur  ;  il  y  a  habité  par  sa  grâce  avant  d'y 
habiter  en  personne  :  Dominus  tecum.  Il  en  a  fait  la 
plus  pure  de  toutes  les  créatures,  il  l'a  bénie  entre 
toutes  les  femmes  :  Benedicta  tu  in  midieribus.  Il  l'a 
donnée,  par  un  vrai  mariage,  au  plus  juste  de  tous  les 
hommes  (2).  Enfin,  il  a  voulu  que  ces  deux  époux, 
missent  la  dernière  main  à  leur  sanctification  par  le 
vœu  de  virginité  :  Virum  non  cognosco.  C'est  de  ces 
lis  admirables  qu'est  sortie  la  fleur  nazaréenne,  et 
qu'elle  a  grandi  :  Qui  pascitur  inter  lilia.  Si  donc  le 
Yerbe  divin  dédaigne  l'appareil  des  grandeurs  hu- 
maines pour  illustrer  et  ennoblir  sa  naissance,  il 
s'entoure  de  la  grandeur  spirituelle  de  sa  Mère  et 
de  Joseph.  Comme  une  vierge  ne  peut,  en  demeurant 
vierge,  concevoir  que  par  la  vertu  de  Dieu,  et 
comme  un  Dieu  ne  pouvait  et  ne  devait  avoir  qu'une 
vierge  pour  Mère,  en  considérant  que  le  Christ  ne 
ressemble  à  aucun  roi  du  siècle,  nous  comprenons 
qu'il  ne  ressemble  à  aucun  d'eux  dans  son  règne  et 
qu'il  n'est  point  un  roi  de  ce  monde  ;  en  un  mot,  en 

(1)  Domum  tuam  decet  sanctitudo  [Ps.  xcxii). 

(2)  Joseph  autem  vir  ejus  cuin  esset  justus  {Matt/..).  —  Qui 
pascitur  inter  lilia  {Cant.). 


—  95  — 
voyant  de  qui  il  naît,  nous  voyons  clairement  quel 
il  est  (1).  Qu'importe  donc  que  tout  soit  humble  et 
pauvre  dans  la  maison  de  Joseph,  puisque  tout  y  est 
saint?  Qu'importe  que  Marie  soit  négligée,  ignorée, 
privée  de  toute  grandeur  profane,  si  elle  est  ornée 
de  la  grâce,  le  reflet  et  la  splendeur  de  la  grandeur 
divine?  Le  Verbe  de  Dieu  s'est  donc  préparé, parla 
sainteté  qui  règne  dans  la  maison  de  Joseph  et  dans 
le  sein  de  Marie,  une  habitation  digne  [de  congruo)  de 
lui.  Cette  humble  demeure  est  riche  et  magnifique 
comme  le  ciel.  L'honneur  de  sa  divine  majesté  est 
sauvé,  sa  gloire  est  hors  d'atteinte.  La  bassesse  de  la 
nature  humaine  à  laquelle  il  s'unit,  et  qui  l'hurniHe 
profondément,  annonce  que  c'est  un  Sauveur  ;  la 
sainteté  qui  l'environne,  et  dont  il  se  montre  jaloux, 
manifeste  que  c'est  un  Dieu. 

Ces  paroles  de  Marie  :  «  Je  ne  connais  pas  d'homme  » 
ne  nous  découvrent  pas  seulement  la  sainteté  et  la 
grandeur  de  ce  mystère  ;  elles  fournissent  encore  à 
l'ange  l'occasion  de  nous  révéler  la  manière  ineffable 
dont  il  s'est  opéré.  Car  le  messager  céleste  répliqua  : 
«  Le  Saint-Esprit  descendra  sur  vous,  ô  Marie!  et  la 
vertu  du  Très-Haut  vous  couvrira  de  son  ombre  :  c'est 
pourquoi  celui  qui  naîtra  de  vous  sera  saint  et  s'ap- 
pellera le  Fils  de  Dieu  (2). Quelles  sublimes  pensées! 


(1)  Non  ita  natus  est,  ut  nascuntur  in  saeculo,  quia  et  ille  natus 
est,  cujus  regnum  non  erat  de  hoc  sseculo.  Nobilitas  fuit  uas- 
centis  in  virginitate  parientis;  et  nobilitas  parientis  in  divinitate 
nascentis  (S.  Aug.). 

(2)  Spiritus  Sanctus  superveniet  in  te,etvirtus  Altissinai  obum- 


—  OG  — 
Quelles  admirables  paroles!  Quelles expressious!  Ah! 
je  comprends  maiuteuaut  !  Le  mystère  de  l'Incar- 
iiatioii  étant  le  fondement  de  tout  le  Christianisme,  il 
a  {)lu  à  Dieu  de  nous  en  révéler,  par  ce  discours  de 
l'ange,  eu  termes  les  plus  clairs,  toute  l'économie. 
En  effet,  l'ange,  en  disant  à  Marie  :  «  L'Esprit-Saiut 
descendra  en  vous,  et  la  vertu  du  Très-Haut  vous 
couvrira  de  sou  ombre,  »  nous  a  fait  connaître  bien 
clairement  que,  quoique  ce  mystère  ait  été  réalisé, 
comme  toutes  les  œuvres  de  Dieu  qu'on  appelle  ad 
extra,  à  l'action  des  trois  personnes  divines,  il  l'at- 
tribue cependant,  d'une  manière  particulière,    au 
Saint-Esprit,  qui  s'appelle  la  vertu  de  Dieu  ;  l'Incar- 
nation^ en  effet;,  est  le  chef-d'œuvre  de  la  bonté  in- 
finie. Or,  les  œuvres  de  l'amour  sont  attribuées  par- 
ticulièrement au  Saint-Esprit,  qui  procède  du  Père 
et  du  Fils  comme  leur  amour  substantiel.  De  même 
on  attribue  la  sagesse  au  Fils,  qui  est  engendré  du 
Père  comme  parole,  Verbe,  et  la  puissance  au  Père 
comme   le  principe  de  la  Trinité  et  de  toutes  les 
choses. 

Mais  quels  mystères  sont  renfermés  dans  cette 
simple  phrase  :  «  Le  Saint-Esprit  vous  couvrira  de  son 
ombre.  »  Selon  saint  Hilaire_,  c'est  une  phrase  d'une 
admirable  réserve;  car,  sous  ce  mot  l'ombre,  elle 
désigne  la  fécondité  opérée  en  Marie  par  la  vertu  de 
l'Esprit  (1).  Saint  Augustin  explique  ainsi  ces  mots  : 

brabit    tibi;   ideoque    quod   nascetur  ex  te  sanctum  vocabitur 
{Luc.  I,  35). 
(1)  Obumbrabit,  id  est  amplexabilur  te  et  sua  virtute  fœcun- 


11 


__  97  ■— 
Comme  l'ombre  est  proporliomiée  au  corps  qui  lu  pro- 
duit, de  même  le  Saint-Esprit  s  est  conformé  à  la  fai- 
blesse naturelle  de  Marie,  incapable  de  soutenir 
toute  son  efficacité  et  sa  vertu  infinie  (1).  Théophile 
les  commente  de  la  sorte  :  La  vertu  du  Très-Haut 
vous  couvrira  comme  d'un  voile  ;  le  plus  grand  des 
secrets  divins  s'opérera  eu  vous  de  la  manière  la  plus 
cachée  ;  en  sorte  qu'il  n'y  aura  ni  ange,  ni  homme 
qui  puisse  jamais  en  avoir  la  plus  simple  notion,  et 
bien  moins  encore  la  claire  intelligence,  sans  une 
révélation  divine  (2).  Maldonat  et  d'autres  inter- 
prètes disent  qu'ils  signifient  :  Tous  serez  investie  de 
nuages,  c'est-à-dire  remplie  d'une  pluie  divine  qui 
vous  rendra  féconde  ;  les  nuages,  en  effet,  se  conden- 
sent d'abord,  puis  s'évanouissent  en  pluie  féconde  qui 
fertilise ,  la  terre.  Il  semble,  partant,  que  l'ange  ait 
voulu  faire  allusion  à  ces  prophéties  :  «  Les  nuages 
donneront  le  Juste  (3).  »  «  Il  descendra  du  ciel  dans 
le  sein  de  la  Vierge  comme  la  pluie  tomba  seulement 
sur  le  voile  de  Gédéon,  laissant  à  sec  le  terrain  en- 
vironnant (4).  »  Comme  la  chaleur  fait  dissoudre  les 
nuages  en  pluie,  de  même  l'Esprit-Saint,  l'amour  in- 
fini, fera  descendre  du  ciel  le  Verbe  éternel  dans  le 
sein  de  Marie. 

dam  cfficiet,  sicut  vxv  feminam  obumbrat  et  fœcundat  in  opère 
generatioûis  (S.  Hil.). 

(1)  Attemperabit  se  tibi,  sicut  umbra  corpori;  nam  totam  eju3 
virtutem  et  efficaciam  capere  non  poteris  (S.  Aug.). 

(2)  Obvelabit  te  ;  arcane  arcanum  maximum  in  te  operabitur, 
ut  nullus  bomo  vel  angélus  illud  penetrare  possit  (Theoph.). 

(3)  Nubes  pluant  Justum  {Isa.). 

(4)  Descendet  sicut  pluvia  in  vellus  {Ps.  Lxxi). 

II.  7 


—  08  — 

Combien  est  admirable  et  pleine  de  charmes  cette 
génération  unique  dans  laquelle  la  pureté  du  Fils 
s'unit  à  la  chasteté  incorruptible  de  la  Mère  (I)! 
C'est  pour  cela  que  l'ange  a  pu  dire  :  «  Celui  qui 
naîtra  de  \ous,  ô  Marie  !  sera  chose  sainte  :  Quod 
Tuiscetur  ex  te  sanclut/i  ;  »  car  Jésus-Christ  est  saint 
non-seulement  par  l'union  hjposlalique  de  la  nature 
humaine  avec  la  personne  du  Verbe,  qui  est  la  sain- 
teté même  ;  mais  il  est  encore  saint  par  le  miracle  de 
sa  conception  toute  divine,  entièrement  saint  par  con- 
séquent. Remarquez  encore,  dit  saint  Bernard,  cette 
expression  de  l'auge  :  «  Celui  qui  naîtra  de  vous  sera 
chose  sainte,  dans  le  sens  absolu  et  substantiel  :  Sanc' 
tum,  parce  que  si  l'ange  avait  dit  :  Il  sera  une  chair 
sainte,  ou  toutes  autres  expressions  semblables,  il 
n'aurait  pas  tout  dit.  Mais,  en  disant  d'une  manière 
indéfinie  chose  sainte,  sanctum,  il  indique  que  leFds  de 
Marie  est  la  sainteté  par  essence  (2).  Et,  parce  qu'il 
n'y  a  que  Dieu  qui  soit  la  sainteté  par  excellence, 
l'ange  put  ajouter  encore  :  «  Et  il  sera  appelée  le  Fils 
de  Dieu  :  Quod  nascetur  ex  te  sanctum,  vocabitur  Fi- 
lms Dei.  » 

Finalement,  pour  rassurer  Marie  et  pour  nous  con- 
firmer de  plus  en  plus  dans  la  foi  en  ce  grand  mys- 
tère, l'envoyé  de  Dieu  termine  ainsi  :  «  Et  voici 
qu'Elisabeth,  votre  cousine,  quoique  âgée  et  stérile, 

(1)  Quam  pulchra  est  casta  goneratio  cum  claritatc  {Sap.  iv). 

(2)  Si  diccret,  sancla  caro,  sauctus  homo,  sanctus  iiifans,  quid- 
qnid  taie  ponoret,  paruui  sibi  dixisse  videretur.  Posuit  iudciiiii- 
tum,  sanctum,  quia  quidquid  illud  sit,  quod  Virgo  geuuit,  sanc- 
tu?n  ac  singulariler  sanctum  fuit  (S.  Bern.,  Serm.  4  siqj.  Miss.). 


—  99  — 
a  conçu  un  fils  et  se  trouve  dans  son  sixième  mois, 
afin  qu'on  voie  par  là  que  nulle  parole  n'est  impossible 
auprès  de  Dieu  (1  ) .  Ces  mots  équivalaient  à  ceci  :  Que 
vous  importe,  ô  3Iarie  !  que  vous  ne  connaissiez  aucun 
homme  ,  Dieu  n'est-il  pas  tout-puissant?  N'a-t-il  pas 
déjà  montré  sa  vertu^  en  faisant  que  votre  cousine, 
stérile  et  vieille,  a  conçu  un  fils?  Six  mois  ne  sont-ils 
pas  écoulés  depuis  ce  prodige  ?  Or,  celui  qui,  par  sa 
toute-puissance,  a  fait  qu'Elisabeth  ait  conçu,  vous 
rendra  aussi  féconde  sans  le  concours  d'aucun  homme; 
comme  il  a  suppléé  pour  elle  au  défaut  de  la  nature, 
il  suppléera  pour  vous  à  l'exigence  de  votre  vertu  ; 
et  le  miracle  qu'il  opérera  en  votre  faveur  ne  sera 
que  la  répétition  plus  noble  et  plus  parfaite  de  celui 
qu'il  a  déjà  opéré,  malgré  la  vieillesse  et  la  stérilité. 
Mais  remarquez ,  avec  saint  Bernard ,  combien  est 
belle  cette  expression,  «  nulle  parole  n'est  impos- 
sible auprès  de  Dieu  ;  »  ce  qui  doit  s'entendre  ainsi, 
dit-il  :  En  Dieu,  la  parole  ne  contredit  point  l'in- 
tention, car  Dieu  est  vérité  ;  ni  l'œuvre  la  parole, 
car  il  est  tout-puissant;  ni  le  mode  l'œuvre,  car  il 
est  la  sagesse  infinie  (2).  Et, au  lieu  de  dire, en  effet  : 
ISulle  chose  n'est  impossible  auprès  de  Dieu,  le  cé- 
leste messager  dit  bien  mieux  :  aucune  parole  n'est 
impossible  ;  ce  qui  est  mieux,  en  effet,  car  cela  signifie 

(1)  Et  ecce  Elisabeth  cognata  tua,  et  ipsa  concepit  filium  in 
senectute  sua;  et  Lie  meusis  sextus  est  illi,  quae  voratur  sterilis 
quia  non  erit  impossUjile  apud  Deum  omue  verbum  {Luc.  i,  36). 

(2)  Apud  Deum  nec  verbum  dissidet  ab  intentioue,  quia  veritas 
est;  nec  faclum  a  verbo,  quia  virtus  est;  nec  modus  a  facto, 
quia  sapientia  est  (S.  Beru.). 


—  100  — 
qu'il  est  aussi  facile  à  Dieu  de  faire  ce  qu'il  veut  que 
de  parler  sa  pensée  et  que  de  penser  sa  parole  (1). 
C'est  dans  ce  sens  qu'il  est  écrit  que  la  création  entière 
est  TelTut  immédiat  et  instantané  de  la  parole  divine: 
l2)se  dixitj  et  facta  sunt  (2). 

Après  avoir  rempli  sa  céleste  mission,  l'ange  se  tut 
en  attendant,  dans  un  respect  plein  d'espérance,  que 
Marie  donnât  la  réponse  qui  devait  consoler  le  ciel 
et  sauver  la  terre.  La  sainte  Vierge  avait  été,  durant 
le  discours  de  l'envoyé  céleste,  comme  absorbée  dans 
un  silencieux  recueillement,  dans  une  profonde 
extase,  en  considérant  la  grandeur  et  la  condescen- 
dance infinie  de  Dieu  et  sa  propre  bassesse.  Elle 
rompt  enfin  le  silence  et  répond  :  «  Voici  la  servante 
de  mon  Seigneur  ;  qu'il  me  soit  fait  selon  votre  pa- 
role (3).»  Considérons  cette  réponse.  Ce  fiât,  qu'il  soit 
fait,  sorti  de  la  bouche  d'une  humble  créature,  fut, 
en  quelque  sorte,  plus  puissant  que  celui  prononcé 
par  le  Créateur,  quand  il  tira  le  monde  du  néant. 

Il  fut  comme  une  parole  sacramentelle  par  la- 
quelle, à  l'instant  même,  la  Vertu  du  Très-Haut  forma 
du  plus  pur  sang  de  la  plus  pure  vierge  le  corps  de 
Jésus-Christ,  qui,  par  suite,  est  vraiment  homme, 
puisque  sa  chair  u  clé  formée  de  la  réelle  substance 
de  la  mère  (4)  ;  il  lui  donna  une  âme  et  unit,  par  un 

(1)  Apud  Deum  tam  facile  est  omne  quod  vult,  quam  verbum 
pronuntiare  (A  Lap.). 

(2)  Ips"  dixit,  et  facta  sunt  [Ps.  cxLvm). 

(3)  Dixit  autom  Maria  :  Ecce  ancilla  Domini,  fîat  mihi  secun- 
dum  Verliiiui  tuum  {Luc.  i,  38). 

(4)  Factum  ex  mulierc  (fiow.).  —  Qaod  in  ea  natura  est,  da 


—  lOi  — 
nœud  admirable  et  indissoluble,  cette  humanité  par- 
faite à  la  personne  du  Fils  de  Dieu.  C'est  ainsi  qu'en 
un  seul  et  même  moment  fut  complété  le  mystère, 
que  naquit,  pour  me  servir  de  l'expression  évangé- 
lique,  dans  le  secret  des  chastes  entrailles  de  Marie, 
tout  Jésus -Christ,  par  l'opération  du  Saint-Esprit  : 
Quod  in  ea  natiim  est,  de  Spiritu  sancto  est  {\).  C'est-à- 
dire  qu'en  ce  moment  même  Dieu  descendit  de  son 
trône,  le  Très-Haut  s'humilia,  l'Eternel  se  manifesta 
dans  le  temps,  le  Créateur  reçut  un  être  nouveau 
dans  l'ouvrage  de  ses  mains  ;  le  Yerbe  éternel  se  fit 
chair  sans  sortir  des  mains  de  son  Père.  C'est  ainsi 
que  le  verbe  intérieur,  la  pensée  de  l'homme,  se  ma- 
nifeste au  dehors  dans  la  parole,  sans  sortir  de  l'in- 
tellect qui  la  conçoit;  Dieu, en  un  mot, devint  homme 
par  amour  des  hommes,  et  il  commença  à  habiter  en 
eux  et  avec  eux  :  Verbum  caro  factiun  est,  et  habitavit 
in  nobis. 

Telle  est  cette  admirable  histoire.  Comme  elle  est 
sublime  dans  sa  bassesse,  magnifique  dans  sa  simpli- 
cité! Que  de  mystères,  que  d'harmonies  on  y  dé- 
couvre! Que  de  prophéties  y  sont  accomplies,  et 
combien  de  vertus  y  sont  recommandées  !  Si  l'homme 


Spiritu  Sancto  est  {Matth.  i).  —  Verbum  caro  factum  est,  et  ha- 
bitavit in  nobis  {Joan.  i). 

(1)  Ainsi,  bien  qu'on  ne  puisse  dire  que  cet  ouvrier  divin  de 
l'bumanité  de  Jésus-CUrist  en  soit  le  père,  puisque  cette  huma- 
nité n'est  point  formée  de  sa  divine  substance,  quoiqu'elle  soit 
son  ouvrage,  il  fut  cependant  l'époux  invisible  de  Marie,  parce 
que  c'est  lui  qui  l'a  rendue  féconde  par  miracle,  et  qui  l'a  fait 
devenir  mère  sans  cesser  d'être  vierge. 


—  102  — 
eût  pu  l'invciUer,  il  aurait  aussi  pu  faire  les  choses 
qu'elle  raconte  ;  comme  il  n'y  a  qu'une  puissance  in- 
finie qui  ait  pu  les  accomplir,  il  n'y  a  qu'une  infinie 
sagesse  qui  ait  pu  en  concevoir  l'idée.  La  raison  n'in- 
vente point  ce  qui  surpasse  la  raison,  ni  ce  qu'elle 
ne  saurait  comprendre.  L'homme  invente,  ou  plutôt 
répète^  diversement  combinés,  les  desseins,  les  pen- 
sées et  les  opérations  de  l'homme  ;  Dieu  seul  peut 
révéler  les  desseins,  les  pensées  et  les  œuvres  de  la 
sagesse  et  de  l'amour  de  Dieu.  La  raison  n'a  donc 
pas  créé  le  dogme  consolateur  de  Dieu  fait  homme; 
elle  l'a  appris ,  elle  l'a  reçu ,  et  cela  en  dépit 
d'elle-même ,  après  qu'il  lui  a  été  clairement  mani- 
festé par  celui  qui  le  maintient  toujours  dans 
vraie  Eglise,  qui  en  perpétue  le  témoignage,  les 
preuves^  la  connaissance,  la  foi,  l'espérance  et  l'a- 
mour. 

0  doux  et  grand  mystère  d'un  Dieu  fait  homme! 
mon  cœur  te  réclame  impérieusement;  sans  toi,  je 
retombe  aussitôt  dans  la  pauvreté  et  l'épouvante. 
Ma  misère  infinie  en  a  besoin;  mais  ma  timidité, 
mon  néant  ne  me  permetteut  pas  même  d'oser  m'ap- 
procher  d'un  ange  ;  il  me  faut  recourir  à  un  homme. 
Mais  cet  homme  n'est  pas  Dieu,  il  ne  peut  ni  me 
sauver  ni  me  secourir,  comme  un  Dieu  qui  n'est  pas 
homme  ne  m'encourage  pas,  ne  me  soutient  pas,  ne 
me  rassure  point.  Je  n'ai  donc  de  salut, de  confiance, 
et  d'espoir  que  dans  ÏHomme-Bieu.  Quiconque,  par 
conséquent,  tente  d'affaiblir  en  moi  cette  croyance 
est  aussi   cruel  contre  moi-môme  qu'impie   envers 


—  103  — 
Dieu.  Reçois  donc  en  ce  jour,  grand  et  incomparable 
mystère,  reçois  l'entier  et  parfait  hommage  de  mou 
esprit  et  de  mon  cœur.  Je  te  crois  et  je  t'aime,  ou 
plutôt, croyant  en  toi,  je  t'aime,  et,  en  t'aimant,  je  te 
crois  ;  ainsi  l'amour  est  ma  foi,  et  ma  foi  est  mon 
amour.  0  foi!  ô  amour  de  V Homme-Dieu!  combien 
■vous  êtes  doux,  suaves,  ravissants!  Nul  ne  pourra 
jamais  vous  ravir  à  mon  cœur.  Je  veux  me  consacrer 
pour  toujours  et,  s'il  le  faut,  m'iramoler,  avec  tout  ce 
que  j'ai  et  tout  ce  que  je  suis,  à  cet  amour  et  à  cette 
foi! 

SECONDE   PARTIE. 

Saint  Bernard,  ce  grand  admirateur  du  mystère, 
aujourd'hui  l'objet  de  nos  méditations,  dit  que  cette 
parole  :  «  Voici  la  servante  du  Seigneur,  »  pronon- 
cée par  Marie,  après  avoir  recule  glorieux  salut  de 
l'ange,  offre  un  contraste  surprenant,  digne  de  l'é- 
tonnement  des  hommes,  de  l'admiration  des  anges  et 
des  complaisances  de  Dieu.  Reconnue  pleine  de  grâces, 
Marie  ne  considère  que  son  néant  ;  comblée  de  tré- 
sors, elle  ne  pense  qu'à  glorifier  le  Très-Haut,  et  elle 
s'abaisse  par  humilité,  d'autant  plus  qu'elle  se  voit 
plus  élevée  par  grâce.  L'ange  la  salue  et  la  proclame 
Mère  de  Dieu,  et  elle  ose  à  peine  s'appeler  sa  ser- 
vante. Là  brille  surtout  sa  perfection,  à  elle  en  qui 
tout  est  extraordinaire  ;  car  elle  est  grande,  parce 
qu'elle  est  vierge  ;  elle  est  plus  grande  encore,  parck 
quelle  est  vierge  et  mère;  elle  est  très-grande, 


^  101  — 
parce  qu'elle  est  mère  du  Dieu  qu'elle  adore.  Et, 
pourtaut,  elle  s'élève  plus  haut  encore, en  s'eslimant, 
elle  si  magnifique  aux  yeux  de  Dieu,  l'égale  d'une 
servante  à  la  lumière  des  siens!  C'est  ainsi  que  Marie, 
par  son  humililé,  se  surpasse  et  se  grandit,  par  sa 
propre  vertu,  plus  haut  que  ne  l'avait  fait  Dieu 
lui-même  (1). 

C'est  ])ar  le  prodige  de  cette  humilité  de  Marie 
que  s'accomplit  le  mystère  de  notre  salut^  comme  le 
mystère  de  notre  perte  s'était  accompli  par  le  pro- 
dige de  l'orgueil  d'Eve.  La  sainte  Vierge,  rei)rend 
saint  Bernard,  avait  plu  au  Verbe  élerncl  par  les 
charmes  de  sa  pureté;  mais  elle  ne  le  conçut,  dans  le 
temps,  que  par  la  confession  de  son  néant,  comme 
le  Père  céleste  l'engendre  dans  l'éternité  par  la 
connaissance  de  sa  propre  excellence  (2).  Cette  hu- 
milité si  nouvelle,  si  singulière  et  si  sublime  donne  à 
celte  parole  prono'.icée  par  Marie  :  «  Qu'il  soit  fait  : 
/■7a/,»refiQcacité  de  restaurer  le  monde  créé  autrefois 
par  le  Fiat  divin. 0  sainte  humilité!  combien  ta  force 
est  immense  !  mais  aussi  combien  est  grande  la  néces- 
sité de  te  posséder  !  Comme  c'est  par  le  moyen  de 
l'humilité  que  s'accomplit  le  mystère  de  la  Réparation 
de  l'homme,  c'est  par  elle  aussi  qu'on  peut  seulement 
en  goûter  le  fruit.  L'orgueil  de  l'ancien  Adam  et 
d'Eve  nous  avait  ouvert  l'enfer  ;  l'humilité  du  nouvel 

(1)  Mater  Dei  salutatur,  et  aticilla  se  uoiiiiuat. — Magiuim,  quia 
Virgo  ;  inajus,  quia  Mater  et  Virgo  ;  maximum,  quia  Mater  Dei  ; 
sed  longe  maximum,  quod  talis  cum  sit,  putat  se  uiliil  esse 
(S.  Bern.). 

(2)  Virginilate  placuil,  lumiililale  concepit  [Ihid.]. 


—  105  — 
Adam  et  de  la  nouvelle  Eve  nous  a  ouvert  le  ciel  ; 
et  comme  les  portes  de  cet  houreux  séjour  nous  sont 
ouvertes  par  l'humilité,  c'est  par  cette  même  vertu 
qu'on  y  pénètre .  Le  divin  Maître  Ta  dit  :  «  Si  nous  ne 
descendons  jusqu'à  la  bassesse,  à  la  candeur  et  à  la 
simplicité  des  petits  enfants,  nous  n'entrerons  point 
dans  le  royaume  des  cieux  (1).  » 

Remarquez  bien,  mes  frères,  cette  expression  du 
Seigneur  •:  «  Si  vous  ne  devenez  comme  des  petits 
enfants;  »  cela  veut  dire  de  même  que  la  Mère  de 
Dieu  s'est  considérée  comme  une  servante,  que  le 
Yerbe  de  Dieu  s'est  fait  chair,  ainsi  l'homme  doit  se 
faire  petit  enfant  pour  se  sauver.  Ah!  les  superbes, 
ces  orgueilleux,  épris  de  leur  propre  opinion,  qui  ne 
peuvent  supporter  de  correction  ni  de  frein,  qui 
croient  se  suffire  à  eux-mêmes  et  n'avoir  besoin  de 
personne,  qui  censurent  les  autres,  réservant  l'adu- 
lation, la  gloire  pour  eux  seuls,  dans  tout  ce  qu'iU 
disent  et  dans  tout  ce  qu'ils  foiît  ;  qui  se  regardent  et 
vcuîeiit  passer  [oar  les  seuls  savants,  les  seuls  habiles, 
les  seuls  prudents,  les  seuls  infaillibles  ;  ces  victimes 
de  la  vaine  estime  de  soi-même,  malgré  leurs  appa- 
rences chrétiennes,  ne  sont  que  les  fils  de  Lucifer, 
le  père  de  l'orgueil  ;  ils  ont  au  fond  du  cœur  une 
infernale  sympathie  pour  le  vice  et  l'erreur  ;  levain 
funeste  résistant  à  l'action  secrète  de  la  grâce,  cor- 
rompant lentement  l'intelligence,  finissant  par  cor- 
Ci)  NLsi  converti  fueritis,  et  ftfficiamini  sicut  parvuli,  non  in- 
trabitis  in  regnum  cœlorum  {MattJt.  xviii).  —  Omnis  qui  se 
exaltât,  humiliabitur,  et  qui  se  humiliât,  exaltabitur  {Luc.  xiv) 


—  lOG  — 
rompre  le  cœur.  Telle  est  la  cause  cachée  de  ces 
chutes  que  Thisloire  ecclésiastique  rappelle  avec 
horreur  dans  tant  dechréîieusqui,  après  avoir  rendu 
hommaye  à  la  loi  de  Jésus-Christ,  par  la  générosité 
de  leur  confession,  l'ont  ensuite  deshonoré  par  le 
scandale  de  leur  apostasie  ;  telle  eslThisloirc  de  tant 
de  savants  qui,  après  avoir  défendu  l'Eglise  parTécIat 
de  leur  doctrine,  l'ont  attaquée  avec  les  blasphèmes 
de  l'erreur  ;  tel  est  l'origine  du  malheur  de  tant  de 
hauts  personnages  qui,  après  avoir  édifié  le  peuple 
chrétien  par  l'héroïsme  de  leurs  vertus,  l'ont  affligé 
par  la  turpitude  de  leurs  vices. 

Au  contraire,  les  humbles,  qui  ne  présument  pas 
d'eux-mêmes,  se  défient  de  leurs  propres  lumières  et 
de  leurs  forces,  et  cherchent  ailleurs  qu'en  eux  la 
vérité  pour  s'instruire,  un  aide  pour  se  soutenir,  un 
conseil  pour  se  guider,  et  qui  aiment  mieux  croire 
que  disputer,  écouter  que  discourir,  obéir  que  com- 
mander ;  ces  hommes,  dis-je,  s'ils  viennent  à  tomber 
dans  l'erreur  ou  dans  le  vice,  à  la  longue  s'en  relè- 
vent. Même  au  milieu  de  leurs  désordres,  ils  tiennent, 
par  une  fibre  secrète,  à  Jésus-Christ,  le  Maître  et  le 
modèle  de  l'humilité  ;  ils  ont  une  céleste  sympathie 
pour  la  vérité  et  pour  la  vertu  ;  ils  conservent  ouverte 
à  la  grâce  la  voie  qui  conduit  au  cœur  et  à  l'intel- 
ligence. Cette  voie,  en  effet,  c'est  l'humilité,  par  où 
peut  toujours  s'introduire  et  s'introduit  réellement 
l'inspiration  salutaire  à  laquelle  ils  doivent  plus  tard 
leur  changement  et  leur  pardon.  Telle  est  la  cause 
secrète  de  ces  conversions  éclatantes  que  l'histoire 


—  107  — 
ecclésiastique  rapporte  avec  admiration  et  avec  joie, 
de  la  soumissiou  àTEglisede  taut  de  persécuteurs  de 
la  religion,  devenus  eux-mêmes  des  martyrs  ;  de  tant 
de  partisans  de  Terreur,  cliangés  en  apologistes  de 
la  vérité  ;  de  tant  de  pécheurs  devenus  des  saints. 
Ah  !  mes  frères,  descendons  des  hauteurs  où  nous 
place  notre  orgueilleuse  raison  ;  quittons  ces  régions 
de  la  prétention  et  de  la  vaine  gloire  ;  ah  !  défions- 
nous  de  nous-mêmes^   humilions- nous  d'esprit  et  de 
cœur  devant  les  hommes  :   voilà  le  moyen  le  plus 
convenable  d'honorer  le  mystère  que  nous  célébrons 
aujourd'hui,  mystère  par  excellence  de  l'humUité  du 
Fils  et  de  la  Mère  de  Dieu.  C'est  le  moyen  le  plus 
sûr  d'acquérir  la  grâce  et  de  la  conserver,  lorsqu'on 
la  possède.  C'est  la  pratique  la  plus  efficace  pour 
TÏvre  en  bons  chrétiens  ou  pour  le  devenir  sous  peu  ; 
c'est  enfin  la  voie  royale  qui  conduitau  ciel  ;  car  on 
accomplit  ainsi,  non-seulement  pour  le  temps,  mais 
pour  l'éternité,  cet  oracle  de  Jésus-Christ  :  «  Qui- 
conque s'exalte,  sera  humilié,  et  quiconque  s'abaisse 
sera  élevé   :   Omnis  qui  se  exaltât^  humiliabitur ,  et 
qui  se  humiliât,  exaltabitur,  »  Ainsi  soit-il. 


DIX-HUlTlÊME 


La   Femme    adultère  (I). 
s.  Joan.,  cap.  vin,  1-H. 

Ipso  autcm  transicns  pcr  mi"'diuni  illoruni 
ibat.  Luc.  IV. 

[Evang.  fcriœ  II  post  dom.  III  Quudrag.). 

Voilà  donc  où  va  aboutir  la  fureur  infernale  dont 
la  Synagogue  était  enflammée  contre  Jésus-Christ, 
au  dire  de  l'évangile  de  ce  jour  :  Et  repleti  siint 

(1)  On  peut  dire  que  l'évangile  de  saint  Jean  est  le  livre  des 
Para/i^o»2èwe5  du  Nouveau  Testament,c'est-à-dire  le  livre  des  choses 
laissées  :  car  ce  grand  évangéliste,  qui  éci-ivit  le  dernier  de  tous, 
y  a  raconté  des  miracles,  des  discours,  des  événements  que,  par 
la  permission  de  Dieu,  ses  collègues  avaient  omis,  et  dans  les- 
quels la  divinité  de  Jésus-Christ  brille  d'une  lumière  et  avec  une 
grâce  particulières.  C'est  pour  cette  raison  que  l'on  ne  trouve 
que  dans  ce  seul  évangéliste  la  plupart  des  choses  sublimes  et 
touchantes  qui  y  sont  racontées.  Tel  est  le  premier  miracle  du 
changement  de  l'eau  en  vin,  aux  noces  de  Cana,  celui  de  la  gué- 
rison  du  paralytique  et  celui  qui  est  l'objet  de  la  présente  ho- 
mélie. Cet  évangile  se  lit  h  la  messe  du  samedi  de  la  troisième 
semaine  de  Carême.  Ce  fait  eut  iieu  la  deuxième  année  de  la 
prédication  du  Sauveur,  la  trente-deuxième  année  de  son  âge, 
sous  le  vestibule  du  Temple  (5^  homélie,  note  3),  le  7  d'octobre, 
le  lendemain  du  dernier  jour  des  l'êtes  desTabernaclos,  qui,  cette 
année-là,  commencèrent  le  27  septembre  et  finirent  le  6  du  mois 
suivant.  Jésus-Christ  était  expressément  venu  de  la  Galilée  à  Jé- 
rusalem pour  les  célébrer. 


—  109  — 

omnes  in  Synagoga  ira.  Le  peuple  et  les  magistrats  se 
lèvent  comme  un  seul  homme  contre  le  Sauveur  ; 
ils  le  chassent  hors  de  la  ville  et  l'entraînent  sur  le 
sommet  d'une  montagne  voisine  pour  l'y  faire  mourir. 
Mais  une  puissance  secrète  et  irrésistible  les  empêche 
d'accomplir  un  si  barbare  dessein  ;  malgré  leur  ani- 
mosité  et  leurs  forces,  ils  ne  peuvent  faire  aucun  mal 
au  Fils  de  Dieu  qui,  à  leur  rage,  passe  et  circule 
paisiblement  au  milieu  d'eux  :  Ipse  autem  transiens  per 
médium  illorum,  ihat.  Ils  ne  pourront  pas  le  sacrifier, 
dit  saint  Augustin,  avant  que  l'heure  soit  arrivée 
où  il  daignera  consentir  lui-même  à  être  sacrifié  (1). 
Jusque-là,  le  divin  Maître  déjoua  les  demandes  in- 
sidieuses par  lesquelles  ses  ennemis  cherchaient  à 
l'embarrasser  et  à  le  surprendre,  aussi  facilement 
qu'il  rendit  vaine  leur  aveugle  fureur  ;  il  démasqua 
leur  noire  hypocrisie,  et  toujours,  quand  il  lui  plut, 
il  sortit  libre  et  triomphant  de  leurs  mains,  et  con- 
fondit leurs  sophismes. 

Nous  en  avons  vu  déjà  une  preuve  dans  la  guéri- 
son  del'hydropique.  L'évangile  de  ce  jour  en  donne 
une  autre  plus  éclatante  dans  la  conversion  de  la 
femme  adultère.  Je  me  fais  un  devoir  de  vous  la 
rapporter  comme  l'un  des  traits  le  plus  beau  et  le 
plus  important  de  la  vie  du  divin  Fils  de  Marie. 

Le  Prophète  avait  dit  que  le  Messie  devait  admi- 
rablement conduire  à  bonne  fin  le  grand  ouvrage  du 
Salut  des  hommes,   en   résumant  merveilleusement 

(1)  Non  tenebatur,  quia  adhuc  pati  non  dignabatur  {Tract.  33 
in  Joan.). 


—  1  1 0  — 
en  lui  la  justice,  m  niaiisucUide  et  la  vérité  :  Propter 
vcr/tdtcui,  inaiistielitdhicin  cl  jiistilium  dcducct  te  mira- 
hiliter  dcxtera  lita.Lc  Docteur  de  la  grâce  nous  apprend 
que  le  Sauveur  des  hommes  apparut,cu  effet, dans  le 
monde,  revêtu  de  ces  trois  vertus  :  de  la  justice, 
par  laquelle  il  pénétrait  les  cœurs;  de  la  vérité,  par 
laquelle  il  était  maître  des  esprits  ;  de  la  mansuétude, 
par  laquelle  il  rachetait  le  genre  humain  (I).  Or,  ces 
trois  vertus  caraclerisliques  du  divin  Messie  ne  se 
trouvent  réunies,  ne  brillent  de  leur  éclat  un  et 
triple  tout  ensemble,  dans  aucun  trait  de  sa  vie  pré- 
cieuse, comme  dans  celui  de  la  régénération,  par 
l'absolution,  de  Fépouse  infidèle.  Considérons  donc 
attentivement  le  prodige,  pour  apprendre  à  écouter 
Jésus  comme  notre  maître,  à  le  craindre  comme  notre 
juge  et  à  l'aimer  comme  notre  libérateur. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Ce  n'est  d'abord  pas  sans  un  mystérieux  dessein 
que  l'évangéliste  fait  précéder  cette  admirable  his- 
toire de  ces  paroles  :  a  Jésus  vint  sur  la  montagne 
des  Oliviers,  et,  au  commencement  du  jour,  il  parut 
de  nouveau  dans  le  temple  (2).  »  La  montagne  des 
Oliviers  signifie,  dit  le  Vénérable  Bède,  la  sublimité 
de  la  divine  miséricorde,  et  le  temple  de  Jérusalem, 
la  Synagogue  et  aussi  l'Eglise.  Jésus-Christ^  après 

(1)  Altulit  veritatem,  ut  doctor;  mansuetudinem,  ut  liberalor; 
juétitiam,  ut  cofçnitor  {Tract,  in  Joan.). 

(2)  Porrexit  in  moatem  Oliveli,  et  diluculo  iterum  venit  iu 
tciuj  lum  (Joan.  viil,  1,  2). 


—  m  — 

avoir  passé  la  nuit  sur  la  montagne  des  Oliviers,  en 
descendant  au  point  du  jour  dans  le  temple,  montre 
qu'après  avoir  passé  les  quatre  mille  ans  de  la  nuit 
du  péché,  caché  sur  la  montagne  de  sa  miséricorde, 
il  en  descend  enfin  au  jour  de  la  Rédemption,  appor- 
tant dans  ses  mains  cette  miséricorde,  pour  la  ré- 
pandre sur  les  vrais  fidèles  réunis  dans  son  Eglise  (1). 
Le  texte  sacré  dit  que  le  Seigneur  vint  une  seconde 
fois  dans 'le  temple  :  Venit  iterum  in  îempliim,  parce 
que,  la  première  fois  qu'il  y  était  descendu,  c'était 
dans  l'obscurité  des  figures  et  des  symboles;  cette 
seconde  fois,  ce  fut  en  personne  et  à  découvert; 
non  plus  comme  la  première,  en  maître  sévère  et  puis- 
sant, mais  en  libérateur  indulgent  et  compatissant. 
Cesse  donc  de  tenir  tes  regards  fixés  sur  les  monts 
éternels  d'où  pouvait  seulement  venir  ton  secours, 
ô  humanité  affligée  (2)  !  La  miséricorde  en  personne 
est  descendue  de  la  montagne  de  la  miséricorde  ; 
Dieu  l'a  envoyée  pour  ton  salut  :  Misit  Deus  miseri- 
cordiam  sitam.  Le  véritable  Orient  est  venu,  avec 
toutes  ses  tendresses,  visiter  son  peuple  (3).  Comme 
il  est  plein  de  douceur  et  de  bonté!  L'évangéliste  a 
soiu  de  nous  en  prévenir;,en  disant  que  le  divin  Maître 

(1)  Mons  quippe  Olive ti  sublimitatem  dominica?  pictatis  et  mi- 
sericordiae  désignât.  —  Venit  diluculo  in  templum,  ut  misericor- 
diam,  cum  iacipiente  Novi  Testament!  lumine,  fidelibus  in  templo 
videlicet  suo  pandeudam  praebendamque  signifîcet  [Cuten.). 

(2)  Levj.vi  oculos  meos  in  montes,  unde  veniet  auxilium  mihi 
(Ps.  cxx). 

(3)  Per  viscera  misericordiae  Dei  nostri,  in  quibus  visitavit  nos 
Oriens  ex  alts  {Luc   i,  78). 


—   112  — 
s'assit  pour  instruire  le  peuple  :  FA  scdcnsy  docebat  eos. 

Jôsus-ChrisL  dcboul  si|^Miifie,  dans  Je  luiiL;ane  sacre', 
qu'il  est  dans  la  i;loire  de  sa  majesté,  et  Jésus-Glirist 
assis,  y  indique  riiumiliation  de  son  incarnation,  i)ar 
laquelle  il  a  répandu  les  trésors  de  sa  miséricorde 
sur  notre  pauvre  humanité  (I).  Tout  le  peuple  qui 
se  presse  religieusement  autour  de  sa  personne  ado- 
rable, précisément  parce  qu'il  la  voit  assise  dans  un 
maintien  propre  à  exciter  sa  confiance  :  Et  oinnis 
populus  vcnil  ad  cuin,  figure  dés  lors  la  multitude  des 
Gentils  qui  devaient  accourir  entendre  sa  parole  et 
croire  en  elle,  du  jour  où  elle  se  serait  rendue  visible 
dans  la  bassesse  de  notre  nature  (2).  Jésus  est  donc 
maintenant  assis ,  confirmant  soleiuiellement  dans 
le  temple  les  dispositions  pleines  d'amour  avec  les- 
quelles il  est  descendu  vers  nous ,  par  sa  miséricorde 
envers  la  femme  adultère, gage  de  celles  dont  il  usera, 
à  l'égard  de  la  gentilité,  dans  son  Eglise. 

Les  Scribes  et  les  Pharisiens  lui  présentèrent 
donc  cette  femme  coupable,  et  ils  dirent  :  «  Voici 
une  infâme  créature,  tout-à -l'heure  surprise  enfante, 
convaincue  d'infidélité  envers  son  légitime  époux. 
Il  nous  est  ordonné  par  la  loi  de  la  faire  lapider. 
Or,  qu'en  dites-vous  (3)  ?  » 


(1)  Sessio  DomiDi  humilitalem  incarnationis  insinuât,  per  quam 
nobis  misereri  dignatus  est  (Beda). 

(2)  Sedente  Domino,  vonil  ad  cum  populus;  quia  postquam  pfr 
susceptam  humauitateiu  viail)ili6  apparuit,  ex  omuiljus  gcntibus 
crfdideruut  in  cum  (Alcuinus,  Calen.). 

(3)  Magister,  hsec  mulier  modo  deprehensa  est  in  adulterio.  lu 
lege  autem  Moyses  mandavit  nobis  hujusmodi  lapidarc.  Tu  ergo, 
quid  dicis  [Joan.  vm,  4,  5)? 


—  113  — 

Quelle  hypocrite  vénération,  s'écrie  le  Vénérable 
Bède  !  Quel  respect  simulé,  pour  cacher  la  perver 
site  de  leur  esprit  plein  d'artifices  (1)!  L'évangéliste 
lui-même  observe  que  ces  traîtres  interrogent  Jésus 
comme  un  maître^  afin  de  pouvoir  ensuite  l'accuser 
comme  un  ennemi  ;  c'est  ainsi  qu'ils  dressent  des 
embûches  à  son  innocence,  en  se  montrant  pleins  de 
zèle  pour  la  justice  (2)  ! 

Ils  savaient  par  expérience  que  le  Sauveur  était 
aussi  miséricordieux  que  juste  ;  car  la  mansuétude 
sans  la  justice  est  faiblesse,  et  la  justice  sans  la  man- 
suétude est  dureté  et  oppression.  Ils  n'ignoraient 
pas  combien  le  Christ  compatissait  à  toutes  les  mi- 
sères des  hommes,  et  quel  était  son  zèle  pour  l'obser- 
vation de  la  loi  de  Dieu.  Et,  par  cette  insidieuse  de- 
mande, ils  lui  tendent  un  piège  dont  il  ne  pourra, 
c'est  leur  secrète  espérance,  sortir  sans  démentir 
en  lui  l'une  ou  l'autre  de  ces  vertus,  devant  néces- 
sairement se  montrer  ou  injuste,  ou  sans  pitié  (3)  : 
si  ce  Jésus-Christ,  se  disaient-ils  entre  eux,  ordonne 
que  cette  femme  soit  lapidée,  il  contredira  sa  répu- 
tation d'homme  indulgent  et  compatissant,  qui  lui  a 
valu  une  si  grande  popularité  et  tant  d'affection  ;  si, 
au  contraire,  il  s'oppose  au  supplice  de  cette  mal- 

(1)  0  captiosa  veueratio!  o  simulatum  captiosae  mentis  obse- 
quium  (Beda)! 

(2)  Hoc  autem  dicebaut  tentantes  eum ,  ut  possent  accusare 
pum  {Joa7i.  VIII,  6). 

(3)  luierrogant,  non  ut  quod  rectum  est  discant,  sed  ut  veri- 
tati  laqueos  ncctant.  Sperabant  posse  se  ostendere  vel  immiseii- 
cordem,  vel  iiijustum  (Beda). 

II.  8 


—  IKi  — 

heureuse,  il  violera  la  justice  et  nous  fournira  Toc- 
casion  de  l'accuser  et  de  le  condamner  comme  pré- 
varicateur et  comme  ennemi  de  la  loi  divine.  Puis  ils 
savaient  que  le  Sauveur  était  bien  plus  porté  à  la 
douceur  qu'à  la  rigueur,  au  pardon  qu'au  châtiment; 
et  ils  ne  doutaient  nullement  qu'il  ne  préférât  les 
intérêts  de  la  charité  aux  droits  de  la  loi.  Ils  se 
tenaient  donc  déjà  pour  assurés  de  leur  triomphe. 
Nous  venons  d'entendre  saint  AuLçustin  (1). 

Mais  leur  l'oUe  n'est  égalée  que  i)ar  leur  perversité, 
continue  le  même  Père  :  ils  ont  oublié  qu'il  n'y  a  ni 
science,  ni  conseil,  ni  force  qui  vaille  contre  Dieu,  et 
que  toute  l'astuce  des  méchants  reste  confondue  de- 
vant sa  sagesse  (2).  Cette  sagesse  infinie,  qui  habite 
eu  Jésus-Christ,  saura  bien  trouver,  dans  sa  réponse, le 
moyen  de  faire  miséricorde  sans  violer  la  justice  (.3). 

Que  fit  donc  le  Sauveur?  Ayant  entendu  cette  ma- 
ligne interrogation,  il  se  tut,  et,  s'ioclinant,  il  se  mit 
à  écrire  de  son  doigt  sur  le  sol  (4).  Or,  cette  action 
du  Christ  fut  aussi  mystérieuse.  Les  Scribes,  eu 
^  effet,  lui  avaient  d'abord  cité  la  loi  donnée  à  Moïse: 
In  lege  mandavit  Moyses,  eL  nous  savons,  par  le  livre 


(1)  Si  eam  dimitti  censuerit,  juilitiam  non  attendit,  et  reum 
Taciemus  eum  tanquam  Icgis  praevaricatorem. — Animadverterunt 
eum  uimium  esse  pium  [Expos.). 

(2)  Non  est  concilium,  non  est  scientia  contra  Dominum 
{Prov.  xxi). 

(3)  Sed  Doœinus  in  respondondo,  et  justitiam  servabit,  et 
mansuetudinem  non  recedet  (Aug.,  loco  cit.). 

(4)  Jcsus  autem  inclip.ans  se  deorsum,  digito  scribebat  in 
l.-rra  (Joan.  viii.  6). 


de  l'Exode,  qu'elle  tut  écrite  sur  des  tables  de  pierres 
de  la  main  même  de  Dieu  (1  ).  Le  Sauveur,  en  écrivant 
aussi  sur  les  dalles  du  temple,  voulut  donc  montrer 
tout  d'abord  que  lui-même  était  ce  Dieu  législateur 
du  Sinaï  (2).  Mais  pourquoi  l'évangéliste  dit-il  que 
le  Sauveur  écrivit  sur  la  terre,  puisqu'il  est  certain 
qu'il  écrivit  sur  la  pierre  :  scribebat  in  terra.  Pour 
comprendre  cela,  dit  saint  Âmbroise,  il  faut  savoir 
que  les  noms  des  pécheurs  et  des  réprouvés  s'é- 
crivent sur  la  terre,  tandis  que  ceux  des  élus  s'é- 
crivent dans  le  ciel  (3).  Que  les  noms  des  justes 
s'écrivent  dans  le  ciel,  cela  est  clair  par  ces  paroles 
de  Jésus-Christ  à  ses  disciples  :  «  Ne  vous  glorifiez 
point  de  ce  que  les  démons  vous  so.it  soumis,  mais 
réjouissez-vous  plutôt  de  ce  que  vos  noms  sont  écrits 
dans  le  ciel  (4).  Que  les  noms  des  pécheurs  soient 
écrits  sur  la  terre,  cela  est  aussi  certain,  d'après  ces 
paroles  du  prophète  Jérémie  :  «  Tout  ceux  qui  vous 
abandonnent.  Seigneur,  et  qui  vous  méprisent,  seront 
iHi  jour  couverts  d'opprobre,  et  leurs  noms  seront 
écrits  sur  la  terre  (5).  »  Partant  de  là,  j'explique 
ainsi  l'action  du  Sauveur  dans  le  temple.  Il  a  écrit 


(1)  Ferens  Moyses  tabulas  lapideas  scriptas  utrasque  digito 
Dei  {Exod.  xxxi). 

(2)  Per  hoc    quod  digito  scribebat  in  terra,  illum  se    esse 
moastravit  qui  quondam  legemscripsit  in  lapide  (Beda). 

(3)  Peccatores  in  terra,  justi  scribuntur  in  cœlo. 

(4)  Nolile  gaudcre,quia  spiritus  subjiciuntur  vobis  ;  gaudete  au- 
tcm,  quia  nomina  vestra  scripta  sunt  in  cœlis  {Luc.  x). 

(5)  Omnes  qui  te  derelinquunt,  confundeutur,  et  recedentos  a 
le  in  terra  scribentur  (Hier.  XYii). 


—  1 1  r,  — 
alors  sur  la  pierre,  pour  nionlrer  qu'il  est  l'auteur 
de  la  loi  et  le  jup;e  suprc-me  à  qui  seul  appartiennent 
le  jugement  et  la  vindicte.  Miiis  l'évangile  dit  cepen- 
dant qu'il  écrivit  sur  la  terre:  c'est  pour  nous  faire 
comprendre  qu'il  exerçait  en  ce  moment  même  sa 
justice  contre  les  Pharisiens,  Tenus  pour  lui  faire  ou- 
trage :  justice  prompte,  sévère  et  terrible  !  Ils  avaient 
cherché  des  prétextes  pour  accuser  le  Fils  de  Dieu, 
et  ce  Dieu  fait  homme  les  juge  et  les  condamne  à 
l'instant  même  où  ils  commettent  ce  grand  crime;  il 
écrit  dés  lors  leurs  noms  dans  le  livre  des  réprouvés, 
et  il  fait  entendre  qu'eux-mêmes  sont  précisément 
ces  malheureux^  cités  par  Jérémie,  qui  seront  con- 
fondus et  dont  les  noms,  mconuus  au  ciel,  seront 
écrits  dans  le  livre  de  la  terre  (1). 

Or  permettez-moi,  mes  frères,  de  vous  demander 
dans  lequel  des  deux  catalogues  dont  je  viens  de  par- 
ler est  écrit  le  nom  de  ceux  qui  se  trouvent  ici  réu- 
nis? Quelle  pensée!  Sommes-nous  inscrits  en  lettres 
d'or  sur  cette  liste  précieuse  à  la  tête  de  laquelle  se 
trouve  le  nom  adorable  de  Jésus,  le  chef  des  pré- 
destmés  ;  ou  bien  le  sommes-nous,  au  contraire,  en 
lettres  de  charbon  sur  cette  page  funeste  oîi  le  pre- 
mier inscrit  est  Lucifer,  le  chef  des  réprouvés?  Som- 
mes-nous auprès  des  Apôtres  dans  le  livre  du  ciel,  ou 
auprès  des  Pharisiens  dans  le  livre  de  la  terre  ?  Il  n'est 
pas  difficile,  nous  dit  saint  Paul,  de  le  deviner;  jetons 
un  regard  sur  nous-mêmes.  Si  notre  conversation  est 

(1)  Tanquam  illos  taies  ia  terra  scribendos  significaret,  et  non 
iin  cœlo  (Aug.). 


—  117  — 
au  ciel  (1),  nous  appartenons  certainement  au  second 
Adam  venu  du  ciel  :  Secundus  homo  de  cœlo,  cœlesiis  ; 
et  alors  nous  sommes  nous-mêmes  célestes  avec  lui  et 
eu  lui,  et  nos  noms  sont  certainement  écrits  dans  le 
ciel  :  Qualis  cœlestis,  ia.les  et  cœlesfes.  Mais  si.  au  con- 
traire, nous  ne  cherchons  que  les  honneurs,  les  ri- 
chesses, les  délices  de  la  terre,  traînant  misérable- 
ment notre  cœur  et  notre  esprit  dans  la  fange  de  ce 
])as  monde,  ah"!  nous  appartenons  au  premier  Adam, 
qui  a  été  formé  d'un  limon  fangeux;  Primus  homo  de 
terra,  terrenns  ;  nous  sommes  terrestres  comme  lui, 
et,  dès  à  présent,  la  divine  justice  écrit  nos  noms  sur 
la  terre  :  Qualis  terrenus,  taies  et  terrent  (/  Cor.  xv). 

Il  y  a  plus  :  le  langage  de  l'homme  trahit  la  patrie. 
Par  exemple,  on  reconnaît  le  Grec,  l'Arabe  à  leur  pa- 
role. De  même  celui  qui  parle  la  langue  du  ciel,  ap- 
partient au  ciel,  et  quiconque  tient  celle  de  la  terre, 
profère  des  mensonges,  des  médisances,  appartient  à 
la  terre  :  or,  de  la  terre  on  tombe  en  enfer.  0  mon 
divin  Sauveur!  de  grâce  effacez  nos  noms  du  catalogue 
funeste  destiné  à  l'abîme,  le  catalogue  aussi  de  nos 
péchés!  Daignez  les  écrire,  avec  un  plume  trempée 
dans  votre  précieux  sang,  dans  le  livre  de  la  vie,  sur 
la  liste  des  candidats  du  ciel  ! 

Mais  revenons. 

Les  Pharisiens  insistent  ;  ils  attendent  avec  impa- 
tience la  réponse  du  Sauveur  (2).  Or  la  voici,  cette 
réponse,  non  telle  que  leur  hypocrisie  et  leur  malice 

(1)  Nostra  autem  convcrsatio  in  cœlis  est. 

(2)  Cum  ergo  perseverarent  interrocantes  emn  {Joan.  viu,  7). 


—  1  I  s  — 
l'espéraient,  mais  telle  qu'il  convenait  à  Celui  qui  est 
la  satiL'sse  et  la  juslici'  dt;  Dieu  de  la  donner.  Le 
Sauveur  venait,  coniinu  le;  veut  saint  Jérôme,  d'ins- 
crire sur  la  terre,  non- seulement  les  noms  de  ces 
criminels,  mais  encore  tous  leurs  [)échés  (I).  11  se 
redressa  enlin,  crexil  se,  c'est-à-dire,  il  prit  l'aLlitude 
de  juge  et  de  Seigneur,  et  il  leur  dit,  d'uu  toîi  grave 
et  solennel,  en  leur  montrant  ce  qu'il  avait  écrit  : 
n  Que  celui  d'entre  vous  qui  est  sans  péché  jelte 
la  première  pierre  à  cette  malheureuse  (2).  »  Saint 
Augustin  fait  observer  que  le  Juge  divin  ne  dit  pas  : 
Je  ne  veux  pas  qu'elle  soit  lapidée,  et,  cela  pour 
ne  pas  s'opposer  aux  paroles  de  la  loi.  Bien  moins 
encore  voulut-il  dire  :  11  faut  la  lapider,  car  il  était 
venu  pour  sauver  les  pécheurs  pénitents,  et  non 
pour  les  perdre.  11  dit  seulement  :  «  Que  celui  qui 
est  innocent  punisse  cette  femme  coupable  !  »  Qu'il 
est  facile  ici  de  reconnaître  la  sentence  et  les  paroles 
d'un  Dieu  !  C'est  sa  sagesse  même  qui  parle  ;  c'est  sa 
justice  qui  décide.  Oui,  voulait-il  dire,  que  la  cou- 
pable soit  punie,  mais  non  par  votre  ministère,  vous 
qui  êtes  les  plus  grands  trausgresseurs  de  la  loi  (3)  ! 


(1)  Eoriim  qui  accusabant,  peccata  descripsit. 

(2)  Et  dixit  cis  :  Qui  sine  ppxcato  est  vestrum,  priinus  in  illam 
lapidom  mittat  {Joan.  viii,  7). 

(3)  Non  dixit  :  Non  lapidetur  mulior,  no,  contra  legem  dicere 
vidoretur.  Absit  autcm  ut  diccret  :  Lapide  fur;  venit  enim  non 
perdere  quod  invenerat,  scd  qusercre  quod  periorat.  —  Qui  sine 
poctalo  est  vostrum,  lapidcm  mittat.  —  Hœc  vox  juslitla;  est  : 
Puniatur  peccalrix,  sed  non  a  peccatoribus  ;  iuipleulur  Icx,  sed 
non  a  prcevaricaLoribus  legis  (Aug.). 


—  119  — 
Comment  peut,  en  effet,  ajoute  saint  Grégoire,  se 
constituer  juge  des  péchés  d'autrui,  celui  qui  ne 
reconnaît  point  ses  propres  fautes  et  ne  s'en  corrige 
pas?  Comment  pourrait-il  condamner  les  passions  des 
autres,  celui  qui  est  le  triste  jouet  des  siennes  (1)  ? 

Ainsi  s'accomplit  l'oracle  de  Jérémie,  que  nous 
avons  rapporté  tout-à-riieure;  car  les  Pharisiens  et 
les  Scribes  furent  non  seulement  inscrits  sur  la  terre, 
mais  démasqués  et  couverts  de  confusion.  En  effet,  à 
ce  défi  terrible  du  Fils  de  Dieu,  en  jetant  un  regard 
sur  eux-mêmes,  ils  se  reconnurent  coupables  du 
même  délit  qu'ils  voulaient  punir  daiîs  la  femme  adul- 
tère, car  ils  étaient  adultères  de  corps  et  d'cspiit  :  ils 
violaient  les  droits  sacrés  du  mariage,  et  ils  altéraient 
la  parole  et  la  loi  de  Dieu.  Enfin,  voyant  que  le  divin 
Maître  les  connaissait  mieux  qu'ils  ne  se  connaissaient 
eux-mêmes,  puisqu'il  avait  écrit  sur  le  sol  l'histoire 
honteuse  de  leur  propre  cœur,  ils  n'osèrent  plus 
insister  sur  la  condamnation  de  la  femme  coupable, 
et  ils  demeurèrent  interdits  et  anéantis.  Se  sentant 
comme  percés  par  un  trait  de  la  justice  divine  et 
avilis  par  le  spectacle  qu'ils  donnaient  publiquement 
de  leur  ignominie;  n'en  pouvant  plus  de  honte  et  de 
confusion,  ils  commencèrent,  pleins  de  terreur  et 
sans  dire  mot,  à  se  retirer  les  uns  après  les  autres, 
les  plus  vieux  tout  les  premiers,  parce  qu'ils  étaient 
d'autant  plus  chargés  de  vices  qu'ils  étaient  plus  avan- 
cés en  âge  :  Audientes  autem  unus  post  iirrnm  exibant, 

(1)  Qui  enim  seipsum  non  judicat,  quid  in  alio  rcalum  judicet 
igorant. 


—  120  — 
incipientcs  a  scniuiibus  (I),  Ce  jugement,  particulier  du 
Fils  de  Dieu  est  réelleniciit  la  (Itiuro  du  jugement 
général,  où  le  Seigneur  dévoilera  les  mystères  d'ini- 
quités qui,  sur  la  terre,  restent  ensevelis  dans  le 
fond  des  cœurs  sous  les  apparences  d'une  probité 
nffectée  et  ])leine  d'hypocrisie  (2);  où  la  conduite  de 
la  miséricorde  de  Dieu,  toujours  si  contrariée  dans 
le  monde  par  l'injustice  diabolique  des  âmes  per- 
verses, triomphera  et  sera  vengée  (3).  En  ce  grand 
jour  de  colère,  de  consternalion  et  d'épouvante, 
les  pécheurs,  confus  en  lisant  l'histoire  de  leurs  j lé- 
chés dans  le  livre  où  il  n'y  a  rien  d'omis,  en  se 
voyant  démasqués  à  la  face  de  l'univers,  subiront 
leur  dernière  condamnation  sans  hasarder  une  seule 
excuse  et  sans  prononcer  une  seule  parole  ;  puis  ils 
tomberont  dans  les  abîmes  éternels  (4). 

Revenons  encore. 

Quel  beau  triomphe  pour  la  puissance  de  notre 
Sauveur  !  Les  Pharisiens  étaient  venus  au  temple 
comme  accusateurs,  et  ils  en  sortirent  convaincus 
d'être  de  grands  coupables  ;  ils  voulaient  insulter  à 
la  majesté  du  Fils  de  Dieu,  et  ils  demeurèrent  cou- 
verts de  honte  devant  tout  le  peuple;  ils  étaient 


(1)  Non  ausi  siuit  tlamnarc  nuiliorom,  qui,  soipsos  intuentes, 
similes  inveii'jruut.  —  Cuui  percussisset  eos  telo  juslitise  (Aug., 
loco  cit.). 

(2)  lUuminabit  abscondita  tenebrarum,  et  inanifcslalnl  consilia 
cordium  (/  Cor.  v), 

(3)  El  vincas  cum  judicaris  {Ps.  h). 

(4)  Oranis  iuiquilas  opilabit  os  suum  {Ps.  cvi).  —  Et  ibunt  ia 
supplicium  Eeteruum  [Matlh.  xx,v). 


—  121    — 
accourus  pour  le  juger,  et  ils  trouvèrent  en  lui  leur 
juge,  leur  Seigneur  et  leur  Dieu.  Ils  restèrent,  comme 
lavait  annoncé  le  Prophète,  pris  dans  les  pièges 
qu'ils  avaient  dressés  à  l'innocence  (1). 

Maintenant  que  nous  avons  entendu  la  voix  de  la 
justice  de  Jésus-Christ,  écoutons,  dit  saint  Augustin, 
le  langage  de  sa  mansuétude  et  de  sa  bonté  (2). 

Saint  Jean  remarque  qu'au  départ  de  ses  accu- 
sateurs, Jésus  resta  seul  avec  la  femme  pécheresse, 
toute  tremblante  devant  lui  (3).  Ainsi  se  trouvent  en 
présence  l'un  de  l'autre,  dit  saint  Augustin,  la  cou- 
pable et  le  Sauveur,  l'infirme  spirituelle  et  le  céleste 
Médecin,  la  misère  de  l'homme  et  la  miséricorde  de 
Dieu  (4).  Or,  serait-il  possible  que  le  pécheur  se  re- 
pente de  son  péché  devant  Jésus,  sans  en  recevoir  le 
pardon?  Se  peut-il  que  l'âme  malade  découvre  sa 
maladie  au  céleste  Médecin,  et  qu'elle  n'en  reçoive 
pas  laguérison?  Non,  mes  frères,  cela  n'est  pas  pos- 
sible, et  c'est  ce  que  l'évangéliste  enseigne  en  ajou- 
tant cette  circonstance,  à  première  vue  insignifiante, 
mais  très-mystérieuse,  que  la  femme  adultère  resta 
au  milieu  du  vestibule  debowt,  en  présence  du  Sau- 
veur :  Et  midier  in  medio  staks.  C'est  plutôt  l'àme 
de  cette  femme  que  la  posture  de  son  corps  que 
saint  Jean  a  voulu  nous  dépeindre  par  les  paroles 

(1)  Comprchenduntur  in  consiliis^  quibus  cogitant. 

(2)  Audivimus  vocem  justitiee  ;  audiamus  vocem  mausuetudinis 
(Aug.). 

(3)  Remansit  solus  Jésus,  et  mulier  in  medio  {Joan.  viii,  9). 

(4)  Remansit  peccatrix  et  Salvator;  remansit  œgrota  et  medi- 
cus;  remansit  miseria  et  misericordia  (Aug.). 


—  i-n  — 

oitt'os.  11  a  Youln  nous  la  nioiilrer  rétablie  dans  l'état 
dont  parle  aussi  rapùlrc  saint  Paul,  on  ces  termes: 
«  Que  celui  qui  est  debout  fasse  bien  attention  de  ne  pas 
toinber  :  Qui  stat,  vident  ne  cadat  ;  »  c'est-à-dire  de  ne 
pas  déchoir  de  l'état  de  j^ràcc  et  d'amitié  avec  Dieu. 
Il  a  voulu  nous  dire,  en  un  mot,  que  cette  femme, 
qui  d'abord  gisait  à  terre  spirituellement,  victime 
de  la  mort  du  péché,  s'était  relevée  tout-à-coup,  et 
qu'elle  était  comme  ressuscitéc  par  sa  confession  et 
sa  douleur.  Au  reste,  ne  soyons  pas  trop  surpris,  car 
Jésus  nous  montre,  par  ce  prodiçje,  qu'il  est  le  Dieu 
qui,  d'une  main,  abat  et  précipite  l'orgueilleux, 
tandis  que,  de  l'autre,  il  élève  et  exalte  l'humble. 
Après  avoir,  par  l'autorité  de  sa  justice,  abaissé  jus- 
qu'à terre  ses  superbes  accusateurs,  il  a  voulu,  par 
un  trait  particulier  de  sa  bouté,  relever  de  son 
abjection  la  pauvre  accusée  qui  s'humiliait  (1).  Ainsi 
cet  Homme-Dieu,  après  avoir  confondu  ses  adver- 
saires par  la  force  de  sa  parole,  jette  des  regards 
miséricordieux  sur  une  pécheresse  (2).  Observons  ce- 
pendant que  cette  infortunée  n'est  ressuscitée  à  la 
grâce  :  Mulier  stans,  que  lorsque  Jésus  se  fut  incliné 
vers  elle  :  Jes2is  inclinavit  se  deorsum.  Il  a  fallu  que  sa 
miséricorde  s'abaissât  jusqu'à  terre,  pour  que  la  pé- 
cheresse pût  remonter  jusqu'au  ciel  (3).  Ah  !  combien 


(1)  Qui  accusatores  juslitiBB  aucioritate   prostravit,  eaiu  (iiia3 
accusabalur,  magno  pietatis  munere  sublevavit  (Eric,  Catcn.). 

(2)  Qui  adversarios  ojus  repaierai  liugua ,  oculod  mauduetudinis 
iu  illain  lovavit  (Aug.). 

(3)  Liberala  est  misera,  labente  misericordia  (Emis.)! 


—  123  — 

il  est  heureux  pour  nous  que  Jésus  s'humilie  de  la 
sorte!  La  femme  adultère  renaît  à  la  vertu  dès  que 
le  Sauveur  se  rapproche  d'elle.  Ainsi  l'homme  ne 
s'élève  que  parce  que  Dieu  s'incline,  il  ne  monte  que 
parce  que  le  Créateur  descend,  et  il  ne  vit  que  parce 
que  Jésus  meurt  pour  le  sauver.  La  faiblesse  de 
notre  Sauveur  fait  notre  force;  soa  Lumilialion  est 
notre  gloire^  et  c'est  dans  sa  mort  que  nous  trouvons 
la  vie.  Efifiu,  depuis  qu'il  est  descendu  jusque  sur 
la  terre,  nous  avons  reçu  comme  des  ailes  pour 
nous  élever  jusqu'au  ciel  (1). 

Jusqu'ici,  mes  frères,  nous  avons  vu  notre  doux 
Jésus  dans  l'éclat  de  sa  justice  et  de  sa  mansuétude  ; 
considérons  maintenant  comme  il  fit,  dans  le  môme 
événement,  régner  et  briller  sa  vérité;  car  c'est 
par  l'union  de  ces  trois  vertus  qu'il  accomplit  l'œuvre 
admirable  de  notre  salut  (2). 

DEUXIÈME    PARTIE. 

La  femme  adultère  se  tenait  donc  devant  le  Fils 
de  Dieu,  pénétrée  de  crainte  et  de  honte,  attendant 
sa  condamnation;  car  lui,  le  pur  et  le  juste,  parce 
qu'il  était  seul  sans  péché,  pouvait  seul  la  con 
Uamner  (3).  Mais  soudain  le  Sauveur  adoucit  cet  air 

(1)  Descendit  Dcus  ad  terrain,  ut  homo  ascenderet  in  cœlurn 
(Aug.). 

(2)  Propter  veritatem,  et  mausuetudiuem,  et  justitiam,  deducet 
le  mirabilitcr  dextera  tua. 

(3)  Credo,  territa  est  muliei",  et  ab  illo  se  puniendam  expecta- 
bat,  in  quo  peccatum  inveniri  non  poterat  (Aug.). 


—  124  — 
sévère  qu'il  avait  pris  contre  les  Pharisiens,  et  lui  dit  : 
a  Femme,  où  sont  ceux  qui  t'accusaient?  Aucun  d'eux 
ne  t'a  condamnée?  »  Et  cette  pauvre  femme  répon- 
dit :  «  Personne,  Seigneur,  personne.  »  Kh  bien!  ré- 
pliqua le  Sauveur,  je  ne  te  condamne  pas  non  plus, 
3Iais  quoi!  l'adultère  n'est -il  pas  le  plus  grand 
de  tous  les  attentats  contre  le  mariage  et  la  famille? 
N'est-ce  pas  le  délit  qui  porte  le  plus  atteinte  à  la 
plus  jalousée  des  propriétés,  qui  viole  la  foi  la  plus 
sacrée,  qui  profane  la  sainteté  du  lit  nuptial,  qui 
brise  un  lien  que  Dieu  lui-même  a  consacré,  qui  di- 
vise les  cœurs,  détruit  la  pudeur  et  introduit  dans 
le  sanctuaire  de  la  maison  conjugale  l'homicide,  la 
discorde,  l'infamie  et  l'infortune?  N'est-ce  pas  le 
crime  que  les  Grecs  et  les  Romains,  les  Parthes  et  les 
Arabes,  les  Perses  et  les  Egyptiens,  nations  barbares 
et  sauvages,  ont  toujours  puni  du  dernier  supplice? 
K'cst-ce  pas  ce  péché  pour  lequel  la  loi  mosaïque  con- 
damnait à  périr  sous  une  nuée  de  pierres?  Comment 
se  fait-il  donc  que  ce  péché,  que  le  Dieu  de  l'ancienne 
loi  ordonne  de  punir  si  sévèrement,  soit  excusé  du 
Dieu  de  la  nouvelle?  Vos  ennemis.  Seigneur, ne  vous 
accuseront-ils  pas  de  favoriser  l'un  des  plus  grands 
forfaits  de  la  terre  (1)?  Non,  il  n'en  sera  pas  ainsi  : 
l'auteur  de  la  justice,  la  source  de  la  miséricorde 
veut  aussi  rendre  hommage  à  la  vérité.  Et  d'abord, 
en  disant  à  cette  femme  :  «  Où  sont  ceux  qui  t'ac- 
cusaient ?  »  il  lui  inspira,  dit  le  savant  interprète 

(1)  Quid  est,  Domine?  Faves  peccatis  (Aug.) 


—  Ï25  — 

Corneille  de  Lapierre ,  une  vraie  douleur  de  ses 
péchés  ;  il  lui  inspira  la  prière  pour  en  implorer 
le  pardon  et  l'espérance  pour  l'obtenir  (1).  Alors, 
dit  saint  Augustin ,  s'accomplit  cette  prophétie  : 
«  L'abîme  appelle  l'abîme  ;  »  car  l'abîme  de  la  pro- 
fonde misère  de  cette  pécheresse  appela,  pour  le 
combler,  l'abîme  de  la  divine  miséricorde  qui  par- 
donne le  péché  (2).  En  effet,  par  sa  réponse  au  Sau- 
veur: «Personne^  Seigneur,  ne  m'a  condamnée,  » 
la  femme  adultère  voulait  dire  :  J'espère  et  j'ai  la 
confiance  que,  selon  ma  prière  ardente,  vous  ne  me 
condamnerez  pas  nos  plus.  Le  Fils  de  Dieu  ne  sera  pas 
moins  miséricordieux  que  les  enfants  des  hommes. 
Si  ceux-ci  ont  cessé  de  m'accuser,  vous  aussi.  Sei- 
gneur, précisément  parce  que  vous  êtes  le  Seigneur, 
vous  vous  abstiendrez  de  me  condamner.  Je  vous 
supplie  de  m'accorder  cette  grâce,  et  je  i'implore 
avec  la  certitude  de  l'obtenir  de  votre  bonté.  Qu'il 
en  soit  ainsi,  afin  qu'en  ce  jour  je  reçoive  mon  pardon 
de  tous  :  du  ciel  et  de  la  terre,  de  Dieu  et  des 
hommes,  et  que  je  puisse  répéter  en  toute  vérité  : 
«  Personne  ne  m'a  condamnée,  personne  :  Nemo  te 
condemnavit  ?  nemo,  Domine.  » 

Le  divin  Maître  voit  donc  l'humilité  avec  laquelle 
celte  pécheresse  reconnaît  et  confesse  son  péché,  et 
la  juste  punition  qu'elle  mérite  ;  il  voit  le  repentir 
avec  lequel  eUe  déteste  sa  faute  et  la  patience  avec 


(1)  Inspiravit  dolorem  de  peccatis, 

(2)  Tune  abysâus  abyssum  invocavit  :  abyss\i3  miserise,  abys- 
fuiu  mioericordiee. 


—  i:n  — 

laquelle  elle  supporte  d'êlrc  exposée  au  mépris  de 
tout  un  peuple;  il  voit  la  ferveur  de  sa  prière,  la 
confiance  de  son  espérance  (1).  A  la  vue  d'un  re- 
lient ir  si  sincère,  d'une  espérance  si  ferme,  d'une 
confession  si  entière,  il  lui  accorde  bénigneraent  son 
])ardon  :  IScque  ego  te  condemno ;  il  l'absout,  dit  Bède, 
et  de  la  peine  et  de  la  faute  :  de  la  peine,  parce  qu'il 
en  a  pitié  comme  liomnic;  de  la  faute,  parce  qu'il 
peut  l'anéantir  comme  Dieu  (2).  C'est  ainsi  qu'en 
faisant  éprouver  les  douceurs  de  sa  bonté,  il  fait 
triompher  la  vérité  des  promesses  qu'il  a  répétées  si 
souvent  dans  les  divines  Ecritures,  à  savoir,  que  le 
repentir  humble,  efficace  et  sincère  est  toujours  as- 
suré d'obtenir  de  Dieu  le  pardon.  La  miséricorde  et 
sa  vérité  se  sont  donc  rencontrées  dans  cette  péni- 
tente (3). 

Mais  écoutez  encore,  dit  saint  Augustin,  et  admi- 
rez comment,  dans  cette  circonstance,  le  Sauveur 
rend  témoignage  et  à  la  vérité  de  ses  prom.esses,  et 
à  la  vérité  de  ses  menaces.  En  renvoyant  la  péche- 
resse absoute  :  «  Va,  lui  dit-il,  mais  prends  bien  garde 
de  ne  plus  pécher.  »  Donc  le  Fils  de  Dieu  a  absous 
le  pécheur  et  il  a  condamné  le  péché.  Il  n'a  point 
excusé  le  mal  ;  car  il  n'a  pas  dit  à  celui  qui  l'avait 
commis  :  Va  et  vis  comme  il  te  plaira,  assuré  de 
toujours   obenir  mon  pardon.  Kou,  ce  n'est  pas  ce 


(1)  Cum  sciret  qiioâ  illa  toto  corde  pœniteret  (Eulim.). 

(2)  Quia  Deus  et  liomo  erat;   miseretur  ut  liomo,  aLsolvit  ut 
Deus  (Loco  cit.). 

(31  Miscricordia  et  ventas  obviaverunt  sihi  iPs.). 


—  127  — 
qu'il  affirme.  En  pardonnant  les  fautes  du  passé,  il  ne 
promit  point  l'impunité  pour  les  fautes  futures.  Bien 
au  contraire,  en  disant  :  a  Fais  bien  attention  de  ne 
plus  pécher,  »  il  voulait  dire  :  Rassure-toi  pour  le 
passé,  mais  tremble  pour  la  venir  (1). 

De  cette  sorte,  le  bon  Maître  découvre  à  tous  le 
ilanger  du  retour  au  péché  et  de  l'habitude  du  crime. 
Il  donne  un  exemple  de  miséricorde,  afin  que  per 
sonne  ne  désespère  ;  mais  il  ajoute  un  avertissement 
sévère,  afin  que  personne  ne  présume  et  que  chacun 
se  rappelle  ce  qu'il  avait  prêché  dans  d'autres  cir- 
constances, à  savoir,  que  celui  qui  se  livre  au  péché, 
dans  la  prétendue  espérance  d'obtenir  miséricorde, 
quand  il  cherche  celle-ci,  ne  la  trouve  plus  pour 
l'ordinaire  et  n^eurt  dans  son  péché  (2),  comme  il 
le  mérite.  Qu'ils  écoutent  cette  grande  leçon,  s'é- 
crie saint  Augustin,  ceux  qui  se  plaisent  à  ne  con- 
sidérer que  la  grandeur  de  la  miséricorde  ;  qu'ils 
tremblent  aux  menaces  divines  (3). 

Le  Dieu  qui  a  promis  le  j:ardoii  au  repentir  n'a  pas 
promis  une  longue  vie  à  la  présomption.  Craignons 
qu'une  mort  prochaine ,  précipitée ,  imprévue ,  ne 

(1)  Attende  quod  sequitur  :  «  Vade,  et  jam  amplius  noli  pec- 
îare.  »  Ergo  et  Dominus  damnavit  non  hominem,  sed  peccato- 
rcm.  Non  dixit  :  Yade  et  vive  sicut  vis,  de  mea  liberatione  este 
ïecura.  —  Non  dixit  :  Quantumcunque  peccaveris  ego  te  ab  in- 
feini  ardoribus  liberabo.  Facta  secura  de  prœterito,  cave  futura 
(Aug.,  loco  cit.). 

(2)  Quœretis  me,  et  non  invenietis,  et  in  poccato  vestro  moric- 
mini. 

(3)  Intendant  ergo  qui  amant  in  Domino  mansuetudinem ,  et 
Dieaut  veritatem  {Ibid.). 


—  128  — 

prévienne  et  ne  rende  impossible  notre  pénitence  ; 
ne  tardons  pas,  comme  l'Esprit-Saint  nous  eu  aver- 
tit par  la  bouche  de  l'Ecclésiastique,  ne  tardons  pas, 
maintenant  que  la  grâce  nous  appelle,  que  la  santé 
nous  assiste,  d'exécuter  ces  plans  de  conversion 
formés  tant  de  fois  et  jamais  exécutés.  Cessons  de 
les  renvoyer  de  jour  en  jour  à  un  temps  qu'il  n'est 
pas  en  notre  pouvoir  d'obtenir,  si  nous  ne  voulons 
nous  exposer  à  la  colère  divine,  qui,  lorsque  l'heure 
de  la  vengeance  est  venue,  éclate  à  l'improviste, 
surprend  et  disperse  sans  pitié  ceux  qui  ont  abusé 
de  la  divine  miséricorde  (1). 

(1)  Ne  tardes  converti  ad  Dominum,  neque  différas  de  die  ia 
diem;  subito  enim  veniet  ira  illius,  et  in  tempore  vindictœ  dis- 
perdet  te  {Eccli.  v). 


DIX-NEUVIÈME  HOMÉLIE. 


La  Barque  de  Pierre  (1)^ 
ou  l'unité,  la  sainteté,  l'infaillibilité  de  l'église  , 

{Matth,,  c.  IV  ;  Marc,  ci;  Luc,  c.  v;  Jo«??.,  c.  xxi.) 

Si  Ecclesiam  non  audierit ,   sit    tibi    sicut 
sthnicus  et  publicanus. 

[Fer.  III  post  Dom.  III.  Matth.  xvii.) 

C'est  Taccusation  et  la  condamnation  de  tous  les 
hérétiques  que  le  Sauveur  du  monde  prononce  au- 
jourd'hui en  ce  peu  de  mots  ;  c'est  leur  péché  et  leur 

(1)  Saint  Pierre,  saint  André,  saint  Philippe,  saint  Jacques, 
saint  Jean  et  plusieurs  autres,  qui  s'étaient  déclarés  disciples  du 
Sauveur,  le  reconnurent  pour  le  Messie  et  pour  vrai  Dieu  au 
miracle  du  changement  de  l'eau  en  vin,  aux  noces  de  Cana  :  Et 
crediderunt  in  eum  discipuli  ejus;  toutefois,  même  après  cet  évé- 
nement, ils  restèrent  simplement  disciples  de  Jésus-Christ  et  ses 
auditeurs  les  plus  assidus,  pour  autant  du  moins  que  le  permet- 
taient leurs  occupations  journalières  et  leur  condition.  Cependant 
le  Sauveur,voulant  faire  ses  apôtres  de  quelques-uns  d'entre  eux, 
les  appela  à  sa  suite  d'une  manière  toute  particulière.  Saint 
Matthieu  et  saint  Marc  racontent  en  abrégé  cette  vocation  par 
rapport  à  Pierre,  à  André,  à  Jacques  et  à  Jean,  se  contentant  de 
dire  qu'elle  eut  lieu  sur  la  mer  de  Tibériade,  où  ces  quatre 
disciples  étaient  occupés  à  la  pêche.  Saint  Luc,  de  son  côté, 
raconte  dans  toutes  ses  circonstances  le  miracle  de  la  pèche  qui 

il.  y 


—  130  — 
châtiment  qu'il  formule  de  la  sorte.  A  vrai  dirc^  les 
hérétiques  judaïsont,  puisque,  au  lieu  de  recomiaître 
l'Eglise,  ils  la  méprisent,  refusent  d'admettre  sa  doc- 
trine ;  comme  les  Juifs  dédaignent  Jésus-Christ,  le 
méconnaissent  et  ne  croient  pas  eu  lui.  Ainsi,  comme 
il  ne  sert  à  rien  aux  Juifs  d'admettre  la  loi,  en  re- 
niant Jésus-Christ,  la  lin,  la  réalité,  la  solution  divine 
des  mystères,  des  figures  et  des  énigmes  de  la  loi  (1); 
de  même  il  ne  sert  à  rien  aux  hérétiques  de  confesr 
ser  l'Evangile, en  reniant  l'Eglise  du  Dieu  vivant,seule 
dépositaire  fidèle,  seule  interprète  infaillible,  seule 
colonne  et  appui  de  toutes  les  vérités  contenues  dans 
l'Evangile  (2).  Quoiqu'ils  se  disent  chrétiens,  on  doit, 
selon  une  terrible  sentence,  les  considérer  comme 

la  précéda.  Il  faut  donc,  comme  l'interprète  nous  en  prévient, 
suppléer  avec  saint  Lue  ce  que  saint  Matthieu  a  passé  sous  si- 
lence, si  nous  voulons  avoir  l'histoire  complète  de  ce  prodige. 
On  lit  la  narration  de  saint  Matthieu  à  la  messe  du  jour  de  saint 
André,  apôtre  ;  celle  de  saint  Luc,  à  la  messe  du  IV^  dimanche 
après  la  Pentecôte.  Mais,  comme  il  s'agit  ici  de  la  pèche  miracu- 
leuse, par  rapport  principalement  à  la  barque  de  Pierre,  sur  la- 
quelle elle  fut  faite,  ou  à  l'Église,  nous  dirons  aussi  quelque 
chose  de  cette  seconde  pêche,  dont  parle  saint  Jean,  parce  qu'elle 
a  des  rapports  avec  le  même  mystère.  —  On  lit  cet  évangile  le 
mercredi  après  Pâques. —  Le  miracle  de  la  première  pêche,  dont 
on  parle  principalement  ici,  arriva  la  première  année  de  la  pré- 
dication de  Jésus-Christ,  la  trente-unième  de  son  âge,  sur  la  fin 
de  février,  qui  précéda  immédiatement  la  seconde  pàque  depuis 
qu'il  avait  reçu  le  baptême  de  saint  Jean,  et  après  avoir  couve rli 
la  Samaritaine,  guéri  le  fils  du  petit  roi,  et  après  avoir  opéré  plu- 
sieurs autres  miracles  à  Capharnaûm  et  prêché  dans  toute  la 
contrée. 

(1)  Finis  legis  Christus  est  {Rom.  x). 

(2)  Ecclesia  Dei  vivi,  columua  et  firmamentum  veritatis  (/  Tim 
m). 


—  131   — 
des  publicaius,  comme  excommuniés  et  hors  du  chris- 
tianisme :  Si  Ecclesiam  non  audierit,  sit  tibi  sicut  eth- 
nicus  et  publicanus. 

Comme  saint  Paul  l'enseigne,  si  un  voile  impéné- 
trable empêche  les  Juifs  d'entendre  les  mystères  de 
l'Ancien  Testament,un  voile  impénétrable  aussi  cache 
aux  hérétiques  l'intelligence  des  mystères  du  Nou- 
veau. Chose  surprenante,  mes  frères!  Ils  ont  conti- 
nuellement l'Ecriture  entre  les  mains,  et  ni  les  uns 
ni  les  autres  ne  voient  ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  dans 
l'Ecriture  :  les  Juifs  n'y  voient  point  Jésus-Christ, 
que  le  doigt  de  Dieu  a  dépeint,  et  par  les  faits  et  par 
les  paroles ,  à  chaque  page  de  l'ancienne  loi  ;  les  hé- 
rétiques, de  leur  côté,  n'y  voient  pas  l'Église,  que 
Jésus  -  Christ  lui  -  même  a  décjite  à  chaque  page 
de  l'Evangile  et  par  ses  œuvres  et  par  son  langage. 
En  effet,  dit  le  savant  Bède^,  qu'est-ce  qu'expriment 
les  prodiges  que  le  Sauveur  opéra  sur  la  Barque 
de  Pierre,  sinon  l'histoire  de  son  Église,  de  tout  ce 
qui  est  survenu  jusqu'à  présent,  de  ce  qui  s'y  passe 
chaque  jour  et  de  ce  qu'il  y  arrivera  jusqu'à  la  fin 
du  monde  (1). 

Les  hérétiques  n'y  voient  et  n'y  entendent  rien, 
parce  que  leur  bandeau  ne  tombera  que  lorsqu'ils 
rentreront  dans  l'Eglise,  tout  comme  le  voile  des 
Juifs  ne  deviendra  transparent  que  lorsqu'ils  seront 
convertis  à  Jésus-Christ  (2).  Et  comme  il  faut  avoir 

(1)  Totius  hujus  facti  ordo,  quid  quotidie  in  Ecclesia  geratur 
osteudit  {In  Luc). 

(2)  Gvim  convertantur  ad  Dominum,  auferetur  velamen  (//  Cor. 
m). 


—  132  — 

vu  une  personne  une  première  fois  pour  [)ouvoir 
reincltreses  traits,  de  nièincil  faut  auparavant  avoir 
cru  en  Jésus-Christ  et  en  son  Ei;lisc  i)our  pouvoir  les 
reconnaître  l'un  et  l'autre  dans  les  dilTérents  passages 
de  l'Ecriture  où  ils  sont  dépeints. 

Nous,  mes  frères,  qui  avons  le  bonheifr  de  croire 
à  cette  Eglise,  nous  pouvons  dire  que  nous  avons 
déjà  vu  des  yeux  de  la  loi  ses  trails  majestueux  et 
enchanteurs,  tous  ses  divins  linéaments  ;  profitons 
de  cette  heureuse  condition  pour  la  recoiniaîlre 
et  la  contempler  dans  le  portrait  fidèle  tracé  par 
Jésus-Christ,  dans  les  grands  miracles  qu'il  a  opérés 
sur  la  Barque  de  Pierre,  afin  que  de  l'amour  de  l'Epouse 
nous  puissions  nous  élever  jusqu'à  l'amour  de  l'Epoux, 
et  que  nous  sojoiis  remplis  de  sollicitude  pour  ac- 
complir ce  qu'elle  prescrit,  comme  nous  sommes 
heureux  d'en  professer  la  foi. 

Et  comme  il  n'est  pas  possible  de  développer  dans 
un  seul  discours  tous  les  mystères  représentés  dans 
ce  prodige,  nous  nous  bornerons  ici  à  considérer, 
dans  la  Barque  de  Pierre,  les  trois  grands  carac- 
tères de  l'unité,  de  l'infaillibilité  et  de  la  sainteté  de 
l'Eglise,  nous  réservant  d'expliquer,  dans  la  suite, 
ses  autres  caractères,  figurés  dans  cette  mystérieuse 
nacelle. 

Appelé  à  prêcher  la  divine  parole  dans  cet  au- 
guste temple  (1),  dépositaire  des  ossements  sacrés 


(1)  Il  nfi  faut  pas  oublier  que  le  célèbre  prédicateur  prêchait 
dans  la  basilique  du  Vaticau,  par  conséquent  sous  les  yeux  du 


—  133  — 
de  Pierre  et  de  la  pierre  sur  laquelle  tout  l'édifice 
chrétien  s'élève,  c'est  un  devoir  pour  moi  de  consa- 
crer quelques  discours  à  l'exposition  des  privilèges  et 
des  grandeurs  de  l'Eglise  de  Pierre.  Je  le  ferai  donc 
dans  un  vrai  transport  de  cœur,et  vous  m'écouterez, 
j'en  suis  sûr,  avec  une  vraie  dévotion. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Le  Fils  de  Dieu,  dans  le  cours  de  sa  vie  et  de  sa 
prédication,  ravissait  les  esprits  et  enchantait  les 
cœurs,  non-seulement  par  l'éclat  de  ses  miracles  et 
par  la  sublimité  de  sa  doctrine,  mais  encore  par  l'a- 
mabilité de  son  visage,  par  la  mansuétude  de  son 
regard,  par  la  douceur  de  sa  parole,  par  la  grâce 


Vicaire  de  Jésus-Christ,  de  l'Église  même.  Le  lecteur  a  déjà  com- 
pris de  quelle  autorité  sont  revêtues  les  vérités  qu'il  proclame  si 
éloquemment.  Que  ces  prédicateurs  prudents,  si  réservés,  quand  i 
s'agit  d'annoncer  aux  fidèles  les  privilèges  et  les  gloires  de  Pierre 
et  de  l'Église,  ne  l'oublient  jamais!  Le  Père  Ventura,  dans  les  dis- 
cours qui  suivent  et  qui  sont  peut-être  les  plus  beaux  qu'il  ait  ja- 
meùs  prononcés,  nous  donne  .un  admirable  modèle  d'exposition 
des  vérités  sur  l'Église  catholique.Puisse-t-il  trouver  beaucoup  d'i- 
mitateurs! Qu'on  nous  permette  de  le  dire  :  l'ignorance  de  ces 
vérités,  occasionnée  par  une  prudence  toute  humaine,  a  fait  un 
mal  immense.  On  le  verra  dans  ces  discours  :  les  Pères  de  l'É 
glise  n'ont  plus  été  nos  modèles;  nous  avons  cru  devoir  être 
plus  sages  que  ces  grands  savants,  sinon  en  laissant  la  lumière 
sous  le  boisseau,  du  moins  en  évitant  de  la  présenter  au  peuple 
chrétien  dans  toute  sa  clarté,  afin  de  ne  pas  éblouir  des  yeux 
habitués  aux  ténèbres!  Et  la  parole  de  Dieu,  devenue  la  nôtre 
seulement,  a  perdu  sa  divine  efficacité  pour  devenir  im  airain 
retentissant,  plus  ou  moins  au  gré  des  mondains. 


—  134  — 

infinie  de  toute  sa  personne;  c'est  saint  Chrysostome 
qui  nous  ra|)|)rend  (1).  Saint  Jérôme,  qui  le  tenait 
d'Orip:ône,  lequel  l'avait  reçu  de  la  tradition,  dit  ù  ce 
sujet  que  la  face  adorable  du  Sauveur  reflétait  la 
splendeur  et  la  majesté  du  Dieu  caché  sous  les 
traits  de  riiomme  (2). 

Voilà  pourquoi  l'évangéliste  dit,  en  annonçant  le 
récit,  que,  le  Sauveur  se  trouvant  un  jour  prés  du 
lac  deGénésareth  (3),  la  foule  s'attroupa  autour  de 
lui,  se  pressant  à  ses  côtés,  de  toute  part,  pour  écou- 
ter ses  paroles  (4),  Or  le  bon  Maître,  appréciant  le 
désir  de  ce  peuple  avide  de  l'entendre,  monta  sur 
l'une  des  deux  barques  qu'il  voyait  amarrées'  au 
rivage  (les  pécheurs  à  qui  elles  appartenaient  étaient 
descendus  à  terre  pour  laver  et  raccommoder  leurs 
lilets),  précisément  sur  celle  qui  appartenait  à  Pierre; 
puis  il  pria  celui-ci  d'éloigner  sa  nacelle  quelque 
peu  du  bord,  et,  s'étant  assis,  il  commença  à  instruire 
la  foule  déroulée  sur  les  rives  du  lac  (5). 

(1)  Neque  solum  cnim  in  agendo  mirabilis  fuit;  sed  visus  ejus 
abundat  plurima  gratia  {Hom.). 

(2)  Gerte  fulgor  et  majestasdivinitatisoccultaeetiam  inhumana 
facic  rolucebat  {Com.  in  ix  Matth.). 

(3)  Ce  lac  était  situé  près  de  la  ville  de  Capliarnavim,  dont  on 
a  déjà  parlé;  l'Evangile,  à  cause  de  son  étendue,  lui  donne  aussi 
le  nom  de  mer,  et  de  mer  de  Galilée,  parce  qu'il  baignait  une 
grande  partie  de  cette  province.  On  l'appelait  aussi  mer  de  Tibé- 
riade.h.  cause  du  voisinage  de  la  ville  de  Tibéria,  qu'Evode  avait 
fait  bàlir  à  l'iionneur  de  l'empereur  Tibère,  qui  régnait  alors. 

(4)  Gum  turbae  irruerent  in  eum,  ut  audirent  verbum  Dei,  et 
ipse  stabat  sccus  stagnum  Genesareth  {Luc.  v,  1). 

(5)  Vidit  duas  naves  stantes  secus  stagnum.  Piscatores  autem 
dcsccuderant,  et  lavabant  retia.  Ascendens  autem  in  unam  ua 


—  135  — 

ft  Quand  il  eut  fini  de  parler  :  Ut  cessavit  autem 
loquî,  »  il  dit  à  Pierre  :  «  Pousse  ta  barque  et  dirige- 
la  sur  la  haute  mer  ;  déployez  tous  vos  filets  de  pêche 
et  jetez-les  à  Teau  :  Duc  in  altinn,  et  laxate  retia  ves" 
ira  in  capturant  piscimn.  »  «  Maître,  répondit  Pierre, 
nous  avons  péché  toute  la  nuit  dans  les  environs,  et, 
malgré  tous  nos  efforts,  nous  n'avons  pu  prendre  un 
seul  petit  poisson.  Mais,  puisque  vous  me  l'ordonnez, 
sur  votre  parole,  je  jetterai  de  nouveau  mon  filet, 
et  serai  assurément  plus  heureux  (1).  » 

L'excellent  apôtre  ne  fut  pas  trompé  dans  son 
espérance.  A  peine  eut-il  jeté  son  filet,  que  celui- 
ci  se  trouva  si  rempli  de  poissons  de  toutes  sortes, 
qu'il  menaçait  de  rompre  sous  son  propre  poids.  Les 
compagnons  de  Pierre ,  quoique  nombreux,  ne  pou- 
vaient le  retirer,  et  durent  appeler  à  leur  aide  les 
pêcheurs  de  l'autre  barque  ;  puis,  joignant  leurs  ef- 
forts, ils  réussirent  à  ramener  le  filet,  dont  le  con- 
tenu rempUt  les  deux  nacelles,  à  tel  point  qu'elles 
menaçaient  de  submerger  sous  leur  charge  (2) 

Yoilà,  remarque  saint  Ambroise,  un  beau  prodige  ; 
une  seule  parole  de  Jésus  suffit  pour  faire  prendre 


vem,  quae  erat  SLmonis,  rogavit  eum  a  terra  reducere  pusillum; 

et  sedeus,  docebat  de  navicula  turbas  {Luc.  v,  2,  3). 

(1)  Prœceptor,  per  totam  noctem  laborantes,  nihil  cepimus;  in 
vorbo  autem  tuo  laxabo  rete  {Luc.  v,  5). 

(2)  Et  cum  hoc  fecissent,  concluserunt  piscium  multitudinem 
copiosam;  rumpebatur  autem  rete  eorum.  Et  annuerunt  sociis, 
qui  erant  in  alia  navi,ut  venirent  et  adjuvarent  eos.  Et  veoerunt, 
et  impleveruut  ambas  naviculas,  ita  ut  pêne  mergereutur  (Imc, 
loco  cit."). 


—  i;^G  — 
une  grande  abondance  de  poissons  dans  un  lieu  où,; 
maliïré  les  efforts  de  toute  une  nuit,  on  n'avait  pu 
en  prendre  un  seul  (1).  Mais  il  ne  faut  pas  s'en  éton- 
ner (2),  ajoute  saint  Grégoire  de  Nyssc  :  la  parole 
de  Jésus-Christ  est  la  parole  du  Verbe  éternel,  et  la 
parole  du  \erbe  est  toujours  puissante  de  toute  In 
puissance  du  Verbe  (3). 

Pierre   et  ceux  qui  montaient  les  deux  barques 
restèrent  frappés  de    stupeur  durant  cette   pèche 
])ro(ligieuse,  accomplie   si  promptement   sous  leurs 
yeux  (4).  Alors  le  premier,  éclairé  par  cette  lumière 
qui  lui  révéla  plus  tard  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
guidé   par  l'instinct  de  son  cœur  rempli  d'amour, 
élevé  par  la  grâce  qui  lui  faisait  comme  deviner  les 
mystères;  Pierre,  dis-je,  ne  se  trompe  pas  un  instant 
sur  l'auteur  de  ce  î)rodige  ;  mais,  tremblant  et  con- 
fus, balançant  entre  l'étonncmcnt  et  la  reconnais- 
sance,  entre  la  pensée  de  la  grandeur  de  Dieu  et 
le  sentiment  de  sa  propre  indignité  ,  il  vint  se  jeter 
aux  pieds  du  Sauveur.  «  Seigneur  ,  dit-il ,  que  faites- 
vous  donc  avec  moi,  qui  suis  un  homme  misérable  et 
un  grand  pécheur?  Ah  !   éloignez-vous,  car  Dieu  et 


(1)  Qui  aute  nihil  ceperant,  magnam  in  verbo  l'omini  conclu- 
jîunt  piscium  mulliludluem  [Com.). 

(2)  On  connaît  ce  que  saint  Antoine  do  Padoue  fit  à  Riniini  : 
comme  les  lialjitants  ne  voulaient  point  l'écouter,  ce  saint  eppcla 
les  poiosons  de  rAdrialicpie,  et  ils  accoururent  eu  foule  pour  l'en- 
tendre [Ilistor.). 

(3)  Ouia  vox  Verbi,  Verbi  scmpcr  virtutis  est  {Calen.). 

(k)  Slupor  ciioUHidederat  eum,  et  onines  qui  c.im  illo  cranLin 
captura  pi^ciiuii,  quàui  (.c(-ciauL  {^Ljc.  U;, 


—  137  — 
riionime,  la  suliitclé  et  le  péché  ue  sont  pas  bien  en- 
semble (1).  Voilà  un  admirable  aveu,  une  confession 
sublime,  s'écrie  un  interprète!  Sans  doute,  c'était  le 
Fils  de  Dieu  qui  opérait  cet  autre  miracle  ;  cepen- 
dant Pierre  l'avait  en  quelque  sorte  mérité  par  sa 
récente  obéissance  :  In  verbum  tuum  laxaho  rete;  tou- 
tefois, il  ne  s'attribue  rien,  il  renvoie  toute  la  gloire 
au  Sauveur,  et  il  ne  réserve  pour  lui-même  que  la 
confusioii  et  l'humilité,  en  se  reconnaissant  et  se  dé- 
clarant pécheur  (2).  Mais  le  bon  Maître  reprit  aus- 
sitôt affectueusement  :  «  Ne  crains  pas,  ô  Pierre,  ta 
misère  et  tes  péchés  n'empêcheront  pas  les  desseins 
de  ma  miséricorde  de  s'accomplir  en  toi.  De  preneur 
de  poissons,  je  te  ferai  pêcheur  d'hommes.  »  D'après 
saint  Matthieu,  la  même  promesse  fut  faite  par  le 
Sauveur  à  André,  à  Jacques  et  à  Jean,  qu'il  appela 
à  sa  suite  pour  les  rendre  pêcheurs  d'àmes  (3). 

Jacques  et  Jean  étaient  accompagnés  de  Zébédée 
leur  père  ;  ils  avaient  des  capitaux  engagés  sur  leur 
barque.  Mais  n'importe  :  ils  renoncent  à  leur  père,  à 
leur  nacelle,  à  tout  ce  qu'ils  possédaient  (4)  ;  puis,  le 
disputant  en  générosité  et  en  zèle  à  Pierre  et  à  An- 


(1)  Quod  cum  videret  Simoa  Petrus,  procidit  ad  genua  Jesu,dJ- 
cens  :  Exi  a  me,  qiuahomo  peccator  sam,  Domine  [Luc.  v,  8). 

[%)  Quod  Petrus  in  verbo  Cbristi  cepit,  negat  suum  mimus 
esse,  quia  ait  :  Homo  peccator  sum. 

(3)  Et  ait  ad  Simouem  Jésus  :  Noli  timere;  ex  hocjamhomines 
eris  capiens  [Luc.  v,  10). —  Venile  post  me  :  faciam  vos  fieri  pis- 
catores  homiuum  {Matth.  i\,  19). 

(4;  Uelicto  pâtre  suo  ^ebedaeo,  cum  mercenariis  iu  navi 
{Marc   :■  20). 


—  ir>s  — 
dré,  d'un  commun  accortl,  ils  liirnt  à  terre  l'esquif 
et  ce  qu'il  conlient,  cl  quillent  tout,  sacrifient  tout 
pour  suivre  Jcsus-Clirist  (1).  C'est  ainsi,  remarque 
saint  Cyrille,  que  la  même  parole  qui  fit  jeter  dans 
les  filets  des  pêcheurs  tant  de  poissons,  pécha  les 
pêcheurs  eux-mêmes,  en  les  attachant  à  la  suite  du 
Sauveur  (2).  Celui-ci  appelle  les  Mages  à  lui  par  le 
miracle  de  l'étoile,  parce  qu'ils  étaient  astronomes; 
il  attira  les  Apôtres  par  le  miracle  de  la  pêche,  parce 
qu'ils  étaient  pêcheurs.  11  agit  ainsi,  dit  saint  Chry- 
sostomc,  pour  nous  faire  comprendre  l'amoureuse 
économie  de  sa  grâce  :  il  veut  triompher  de  notre 
cœur,  le  prendre  par  ses  propres  inclinations  et  par 
ses  propres  habitudes  ;  il  commence  en  quelque  sorte 
par  se  soumettre  à  lui,  pour  ensuite  s'en  rendre 
maître  (3).  Et  ce  second  prodige  est  encore  plus  mer- 
veilleux que  le  premier  ;  car  ce  fut  certainement  un 
plus  grand  miracle  d'avoir,  en  un  seul  instant,  déta- 
ché ses  disciples  du  monde,  que  de  leur  avoir  fait 
prendre  tant  de  poissons. 

Tout  ce  récit  est  mystérieux  ,  figuratif  et  pro- 
phétique, comme  le  proclame  le  témoignage  una- 
nime des  Pères,  des  docteurs,  des  interprètes  et 
des  théologiens.  En  effet ,  la  mer  de  Génésareth  si- 
gnifie le  monde,  et  les  poissons,  les  hommes  qui,  du- 
rant cette  vie,  nagent  dans  cet   océan.  C'est  l'in- 

(1)  Et  subductis  ad  terram  navibus,  relictis  omnibus,  secuti 
sunt  cum  [Luc.  v,  11). 

(2)  Per  piscatoria  mystoria  piscatur  discipulos  [Corn.). 

(3)  Condescendons  honùnibus,  sicut  ma^os  per  sidus,  ita  pisca- 
tores  per  piscatoriam  arlem  vocavil  {Cuten.). 


—  139  — 

terprétation  ae  saint  Ambroise  (I).  Les  filets  repré- 
sentent heureusement  la  prédication,  parce  que  le 
discours  oratoire  est  composé  de  paroles,  de  phrases 
et  de  sentences  liées,  cousues  entre  elles  comme  les 
mailles  différentes  d'un  même  filet  (2).  Ce  sont  les 
propres  expressions  d'Haimon  (évêque  d'Haberstat 
au  IX'  siècle,  disciple  d'Alcuin,  qui  siégea  au  concile 
assemblé  à  Mayence  en  858,  et  mourut  le  25  mars 
863).  Ils  indiquent  donc  bien  la  prédication  de  l'Evan- 
gile, dont  la  doctrine  céleste  attire  les  esprits,  enlace 
les  cœurs  et  rend  l'âme  fidèle  captive  de  Dieu  (3). 
Ainsi  s'exprime  le  Vénérable  Bède,  Il  dit  encore  que 
comme  le  rets  tire  son  nom  du  mot  retenir,  parce 
qu'il  retient  les  poissons  qu'il  prend,  de  même,  et 
beaucoup  mieux,  la  prédication  évangélique,  non- 
seulement  attire  les  âmes,  mais  les  retient  dans 
la  foi,   afin  qu'elles  ne  se  perdent  pas. 

Qu'on  ne  croie  point  que  ces  interprétations  des 
Pères  ne  soient  que  de  pieux  commentaires,  formulés 
arbitrairement  ;  car,  continue  le  même  interprète, 
c'est  Jésus-Christ  lui-même,  l'auteur  du  miracle,,  qui 
nous  en  a  révélé  le  sens  allégorique  et  le  mystère. 
N'a-t-il  pas  dit  à  Pierre  :  «  Désormais,  tu  deviendras 


(1)  Mare  est  mundus,  pisces  ii  qui  par  liane  enatant  vitam 
{Corn.). 

(2)  Par  rate  designatur  pi-œdicatio,  quia  rate  divarsis  nodia 
texitur  :  similiter  et  sermo  diversis  sententiis  adornatur  {Com.)^ 

(3)  Retia  evaugelia  sunt,  quorum  sentantiis  capiuntur  et  illa- 
queantur  fidèles  animoe.  —  Quasi  retia  piscantium  sunt  dictiones 
prtedicantium,  quae  eos,  quos  copariut,  in  fide  non  amittunt  : 
unde  retia,  quasi  a  retinendo  sunt  vocata  (Cu//i.). 


—  KiO  — 
pécheur  d'hommes.  »  Or  cela,  évidemment,  signifie 
que  la  pêche  miraculeuse  du  lac  fut,  dans  les  vues 
de  sou  inlinie  sai;;esse  el  sa  grande  boulé,  la  figure 
prophétique  de  la  pêche  infiniment  plus  importante 
des  Ames  ;  que  l'heureux  filet  de  Pierre  symbolise  la 
prédication  par  laquelle  l'aiJÛlre  saurait  sous  peu 
attirer  les  hommes,  et  que  ce  qui  arrive  aujour- 
d'hui dans  sa  barque  est  l'histoire  et  la  description 
anticipées  de  ce  qui  devait  bientôt  avoir  lieu  dans 
la  vraie  Eglise  (1).  C'est  à  la  clarté  de  cette  di- 
vine lumière,  donnée  par  le  Sauveur  lui-même,  que 
nous  essaierons  d'étudier  et  de  pénétrer  ces  su- 
blimes ymstères. 

Et  d'abord,  écoutons  Bède.  Dans  ces  différentes 
foules  de  peuple  qui  se  pressent  aujourd'hui  autour 
du  Sauveur,  pour  entendre  sa  sainte  parole,  sont 
figurées  les  diverses  nations,  particulièrement  les 
Gentils,  qui,  au  temps  de  la  venue  du  Rédempteur, 
avaient  le  plus  grand  besoin  d'être  instruits  et  qui 
désiraient  et  cherchaient  partout  et  avec  un  désir 
ardent  l'Envoyé  de  Dieu,  pour  en  recevoir  la  con- 
naissance et  la  foi  des  vérités  célestes  (2). 

Les  deux  barques  que  le  Sauveur  trouva  près  du 
rivage,  marquent  la  réunion  des  deux  peuples  juif 
et  gentil.  C'est  avec  une  intention  réfléchie  que  l'é- 
vangéliste  dit  :  «  Jésus-Christ  les  vit  ;  »  car  voir,  pour 

(1)  Exponit  ipse  Dominus  quid  hœc  piscium  captura  signilîcet  : 
quod  videlicet  Petrus,  sicut  mine  per  relia  piscos,  sic  aliquando 
per  verba  homiues  esset  capturus  [Coin.). 

(2)  Turbarum  conventus  ad  eum,  genlium  in  lide  coucurren- 
tium  t>pus  est  (Loco  cit.). 


—  T^r  — 
Dieu,  est  la  même  chose  que  discerner  les  bons  des 
méchants,  ses  disciples  de  ses  ennemis  ;  dans  l'un  et 
l'autre  peuple  il  connut  donc  et  choisit ,  comme  il 
a  été  prédit  dans  les  Ecritures,  ceux  qui  devaient 
être  les  siens  (  l  ) . 

Ces  barques  étaient  vides  ;  leurs  maîtres,  pêcheurs 
de  profession,  étaient  descendus  à  terre,  et  là  ils 
étaient  occupés  à  laver  et  à  réparer  leurs  filets.  Or, 
cette  circonstance  exprime  au  vif  l'état  de  corrup- 
tion dans  lequel  étaient  tombés  les  Pharisiens  :  l'es- 
prit de  cupidité,  de  sensualité  où  gisaient  les  doc- 
teurs, les  prêtres,  les  guides  spirituels  du  peuple 
chez  les  Juifs,  comme  nous  l'avons  vu  ailleurs,  aussi 
bien  que  chez  les  Gentils,  au  temps  de  la  venue  du 
Sauveur.  Ces  docteurs  prétendus,  en  effet,  oubliaient 
le  ciel;  ils  étaient  descendus  à  terre,  ils  ne  s'occupaient 
plus  que  des  intérêts  matériels  ;  ils  s'efforçaient , 
comme  ils  pouvaient,  d'orner,  par  leurs  idées^  leurs 
maximes  et  leurs  principes  charnels,  leur  langage, 
véritable  filet  au  moyen  duquel  ils  attiraient  les 
hommes  à  leur  secte,  à  leurs  opinions,,  et  finalement 
pour  l'avantage  de  leurs  intérêts  particuliers,  au  lieu 
de  travailler  à  leur  bien  spirituel  et  céleste  ;  si  bien 
que  les  deux  barques  ou  les  deux  peuples  étaient 
comme  sans  maîtres  et  sans  pilotes,  abandonnés  à 
tout  vent  de  doctrines  et  aux  flots  des  plus  hon- 
teuses passions. 

Mais  voici  le  mystère  le  plus  agréable  pour  nous: 

(1)  Bene  Jésus  vidisse  naves  perhibetur,  quia,  in.  ulroque  po- 
pulo novit  l>omiijiis  qui  suut  cjus  {îlnd.)^ 


—  142  — 
entre  les  deux  barques,  Jésus-Christ  choisit  celle  de 
Pierre.  Or  la  barque  de  Pierre,  continue  l'interprète, 
fi^'ure  en  premier  lieu  l'Eglise  naissante  (1).  Il  est  dit 
que  cette  heureuse  barque  est  uke  :  In  u>am  navem^ 
parce  que,  selon  le  récit  de  saint  Luc,  dans  la  pri- 
mitive Église,  la  multitude  des  croyants  ne  formait 
qu'»;?e seule  et  même  famille,  n'ayant  (\\xun  cœur  et 
(\\iun  esprit  (2).  L'autre  barque  appartenait  à  Zébé- 
dée,  et  c'est  de  celle-ci  que  Jacques  et  Jean  sont  ap- 
pelés. Maintenant  que  nous  avons  entendu  B6de, 
écoutons  saint  Ambroisc.  La  nacelle  do  Zébédée,  diL- 
il,  figure  la  Judée.  Jacques  et  Jean,  qui  se  réunissent 
au  Sauveur, en  passant  de  leur  barque  dans  celle  de 
Pierre,  montrèrent  dès  lors  que  ceux  qui  apparte- 
naient encore  à  la  Synagogue  judaïque  et  à  Israël, 
devaient  se  réunir  aux  Gentils  dans  l'Église  où  Pierre 
préside,  et  ne  former  ainsi  qu'un  seul  peuple  (3). 

Ce  Jésus-Christ,  qui  monte  sur  une  seule  barque  : 
Super  xmktii.  navem,(\\x\  appelle  les  patrons  de  la  nacelle 
voisine  dans  celle  où  il  se  trouve,  et  qui  de  deux  na- 
vires n'en  fait  qu'wre  seul,  est  le  même  Jésus-Christ 
qui  déclare,  dès  ce  moment,  que  l'Église  dans  laquelle 
il  se  trouvera  aura  pour  premier  caractère  l'unité  ; 
car,  sous  le  gouvernement  d'un  Dieu  un,  il  ne  peut  y 


(1)  Navis  Simonis  est  Ecclesia  primit/va  (Loco  cit.). 

(2)  Multitudinis  autem  credenlium  erat  cor  unum  et  anima  una 
{Act.  Ap.). 

(3)  Alia  navis  est  Judaea,  ex  qua  Joannes  et  Jacobus  eliguiitur. 
Hi  ergo  de  Synagoga  ad  uaveui  Pelri,  id  est  ad  Ecclesiam  conve- 
niunt  (Corn.). 


—  143  — 
avoir  qu'un  seul  symbole,  qu'wwe  seule  loi,  qu'un  seul 
culte,  qiïuîie  seule  religion,  qu'wwe  seule  Eglise. 

Or,  où  se  trouve  cette  précieuse  unité,  ce  caractère 
indélébile,  essentiel  de  la  vraie  Église?  Les  peuples 
idolâtres,  s'ils  sont  coupables  du  même  crime  de 
l'adoration  des  créatures_,  s'ils  injurient  de  la  sorte 
le  Créateur  de  la  même  manière,  sont  néanmoins  di- 
visés entre  eux  par  une  variété  infinie  de  cultes 
honteux  ',  cruels  et  absurdes.  Les  Juifs  dispersés 
sur  la  surface  du  globe  croient  tous  à  Moïse  et  à  sa 
loi;  ils  sont  toutefois  divisés  en  autant  d'écoles  qu'il 
y  a  de  synagogues  ;  chacune  de  celles-ci  entend  cette 
loi  à  sa  mode  et  la  pratique  comme  elle  l'entend;  ils 
n'ont  de  commun  qu'un  déisme  plus  ou  moins  grossier, 
la  circoncision,  l'esprit  d'intérêt  et  la  haine  de  Jésus- 
Christ.  Les  Mahométans  se  vantent  de  croire  à  Ma- 
homet et  au  Coran  ;  mais  ils  forment  autant  de  sectes 
qu'il  y  a  de  chefs  politiques  auxquels  ils  obéissent  ; 
ils  n'ont  de  commun  entre  eux  que  leur  amour  eifréné 
des  plaisirs  de  la  chair  et  leur  mépris  pour  les  chré- 
tiens. Imitateurs  des  Juifs  et  des  Mahométans,  les 
peuples,  séparés  de  nous  par  le  schisme  ou  l'hérésie, 
disent  qu'Us  croient  à  Jésus-Christ  et  à  l'Évangile  ; 
mais  ils  n'ont  d'autre  unité,  d'autre  fraternité  que  la 
fraternité  de  la  haine  et  de  l'injure  contre  l'Église 
catholique.  Au  reste,  qui  dit  hérésie  dit  opinion  parti- 
culière, privée;  qui  dit  hérésie  dit  multiplicité,  variété, 
discordance  dans  la  foi  ;  qui  dit  hérésie  dit  chaos,  Ba- 
bel, confusion.  En  effet,  les  hérétiques  comptent  au- 
tant de  sectes,  non-seulement  diverses,  mais  contra- 


—  i44  — 
dictoires  et  rivales,  qu'il  y  a  dans  le  monde  d'Etats 
non  catholiques;  bien  plus,  (lu'il  y  a  de  laniillcs  dans 
chacun  de  ces  Etats,  ou  plutôt  qu'il  y  a  d'individus 
dans  chacune  de  ces  familles:  ce  n'est  même  pas 
assez;  autant  qu'il  y  a  dans  chaque  individu  de  ma- 
nières (l'opérer  dans  les  divers  à[;es,  dans  les  diverses 
conditions  de  la  vie,  d'aprùs  les  études  et  leslectures 
différentes.  Où  est  donc,  hors  de  l'Église  catholique, 
l'unité  de  caractère  de  l'Église  de  Jésus-Christ? 

Le  protestantisme,  en  particulier,  s'est  défini  lui- 
même  :  La  religion  dans  laquelle  l'on  croit  ce  qui  plaît  à 
chacun^  etdans  laquelle  l'on  vit  comme  on  croit.  Chaque 
individu  des  sectes  protestantes  a  sa  propre  manière 
de  penser,  par  suite  sa  propre  rehgion.  11  n'y  a  pas, 
dans  ces  sectes,  deux  manières  de  croire  qui  soient 
conformes,  comme  il  n'y  a  pas  deux  visages  sem- 
blables. Cependant,  là  oîi  le  symbole  de  l'hérésie 
forme  une  partie  de  la  constitution  de  l'État,  ce 
symbole  présente  une  espèce  d'unité  extérieure.  Mais, 
dans  ces  pays  mêmes  où  tous  le  professent,  tous  le 
jurent,  aucun  ne  le  croit.  L'unité  qui  eu  résulte 
est  purement  politique  dans  son  principe,  extérieure 
dans  ses  formes  ;  elle  n'a  d'autre  garantie  que  la  force, 
d'autre  ressort  que  l'intérêt.  Et.  sous  le  voile  trom- 
peur de  cette  unité,  toute  de  convention,  de  céré- 
monies et  d'apparence,  combien  se  cachent  de 
manières  diverses  de  croire?  C'est  le  cadavre  qui 
semble  encore  conserver  l'unité  vitale  du  corps  hu 
main,  tandis  que  des  milliers  de  vers  attaquent  déjà 
les  jomtures  des  membres,  se  cachent  dans  les  pores, 


—  145  — 

rougent  lout  à  leur  aise  le  squelette  qu'ils  finissent 
par  anéantir. 

Où  se  trouve  donc,  encore  une  fois,  Vunité,  carac- 
tère de  la  vraie  Eglise  ?  Ah  !  elle  n'est  que  dans  l'E- 
glise catholique;  elle  seule  présente,  en  effet,  le 
majeslueiix  spectacle  de  plusieurs  centaines  dérail- 
lions d'hommes  dispersés  surtoute  la  surface  du  globe, 
séparés  les  uns  des  autres  par  un  immense  espace 
de  terre  et  de -mer,  et  par  les  différences  encore  plus 
grandes  de  génie,  d'habitudes,  de  constitutions  po- 
litiques et  littéraires,  et  qui  cependant  professent 
le  même  symbole  dans  leurs  langages  si  divers,  ob- 
servent la  même  loi  au  milieu  de  leurs  coutumes  si 
disparates,  offrent  à  Dieu  le  même  sacrifice  dans 
des  rites  si  variés.  Hélas!  hors  de  cette  Eglise,  il  n'y 
a  que  membres  desséchés,  qu'ossements  arides!  Les 
Catholiques  forment  seul  un  corps  plein  de  force,  de 
santé  et  de  vie^,  parce  qu'il  est  seul  animé  par  l'Es- 
prit de  Dieu,  le  seul  vivificateur.  Il  n'y  a,  hors  de 
l'Eglise,  comme  le  remarque  saint  Cyprien,  que  des 
tlambeaux  apparents,  qui,  grâce  à  mille  artifices, 
donnent  une  lumière  qui  éclaire  peu,  mais  qui 
coûte  beaucoup.  La  seule  Eglise  catholique  est  une, 
comme  la  lumière  du  soleil  est  une ,  quoique  ses 
rayons  soient  infinis  et  se  prolongent  à  travers 
l'espace.  Hors  de  l'Eglise,  il  n'y  a  que  des  bran- 
chages brisés,  que  des  rameaux  séparés  de  la  vigne, 
bois  aride  gisant  de  tous  côtés  sur  le  sol.  La  seule 
Eglise  catholique  est  une,  comme  un  est  l'arbre  dont 
les  racines  sont  fermes,  le  tronc  solide,  quoique 
II.  .  10 


—   lUi  — 
ses  branches  st-lLMideiil  au  loin  v\  au  larj^o  de  tous 
côtés  autour  ilc  lui  (1). 

3Iais  la  barque  de  Zébédéc  a  aussi  des  marins  et  un 
pilote;  elle  a  aussi  part  à  la  poche  et  se  remplit  de 
poissons  jusqu'aux  bords.  Cela  voudrail-il  dire  que  les 
Eglises,  hors  de  l'unilé  catholique,  i)arlicipent  aussi  aux 
mêmes  grâces  et  attendent  les  mêmes  récompenses? 
Kon,  non,  il  n'est  pas  ainsi.  La  barque  de  Zébédée  ne 
s'éloignedu  rivage  qu'en  compagnie  de  celle  de  Pierre. 
Ses  bateliers  sout  appelés  compagnons  par  les  bateliers 
de  celle-ci:  annuerunt  socils,  et  ils  concoururent  à  re- 
tirer les  filets.  Les  deux  barques  font  le  même  chemin, 
respectent  le  même  signe,  obéissent  au  même  chef  et 
travaillent  à  une  même  œuvre.  Elles  ne  sont  dis- 
tinctes que  matériellement  ;  en  réalité,  elles  ne  for- 
ment qu'une  seule  barque:  super  unam  nuvem.  De 
même,  il  y  a  deux  Eglises  principales  :  l'Eglise  grec- 
que unie,  et  l'Église  latine;  l'Eglise  d'Orient  et  l'Eglise 
d'Occident.  Bien  plus,  il  y  a  autant  d'Eglises  catho- 
liques diverses  qu'il  y  ade  diocèses  dans  la  Catholicité. 
Mais  toutes  ces  Eglises  sont  en  communion ,  en  société, 
en  unité  de  foi  et  d'œuvre  avec  Pierre  ;  elles  le  re- 
connaissent pour  chef  suprême  et  universel;  elleg 
dépendent  de  lui  et  lui  obéissent  ;  à  un  seul  signe  de 
sa  main  (2),  elles  se  réunissent  ensemble  pour  jeter  ou 

(1)  Ecclesia  una  est,  quœ  in  multitudinem  latius  incremento 
fecunditatis  extenditur  :  quomodo  solis  multi  radii,  et  unum 
lumen  ;  et  rami  arboris  multi,  sed  robur  unum,  tcnati  radiée  fun- 
datum  {De  Unitat.  EccL). 

(2)  Cela  s'est  littéralement  réalisé  encore  une  fois  de  plus, 
même  de  nos  jours,  quand,  à  un  seul  signe  du  Saiut  Père, le  pape 


—  147  -. 
tirer  le  même  filet  ;  c'est-à-dire,  comme  l'expliquent 
les  Pères^  que  les  prêtres  et  les  évéques  de  toutes  les 
Eglises  travaillent  de  concert  à  étendre  l'œuvre  de  la 
religion,  à  annoncer  au  monde  les  mêmes  vérités  et 
à  condamner  les  mêmes  erreurs  (1).  C'est  donc  dire 
que  toutes  les  Eglises  catholiques  travaillent  à  la 
même  pêche  des  âmes,  emploient  les  filets  de  la  même 
prédication,  administrent  les  mêmes  sacrements  et 
tendcî.t  à  la  même  fin.  Elles  ne  sont,  par  conséquent, 
distinctes  que  parle  nom  et  le  lieu;  en  réalité,  elles 
ne  forment  qu'zme  seule  Église.  Ces  deux  barques, 
qui  se  réunissent  en  ce  jour  en  une  seule,  nous  ap- 
prennent donc, selon  la  remarque  d'Origène, que  nous, 
qui  professons  la  vraie  foi,  nous  avons  tous  le  bon- 
]icur,en  naviguant  sur  la  mer  orageuse  de  ce  monde, 
d'être  dans  la  nacelle  de  la  sainte  Église,  en  compa- 
gnie de  Jésus- Christ  (2).  Elles  nous  font  connaître 
qu'il  n'y  a  plus  deux  peuples,  mais  un  seul  peuple: 
qui  fuit  utraque  iinum;  qu'il  n'y  a  pas  deux  arches, 
mais  une  seule  arche,  dans  laquelle  le  vrai  Noé  est 
entré  avec  sa  petite  famille  ;  qu'enfin,  de  même  qu'il 
n'y  a  qu'un  Dieu,  qu'une  foi,  qu'un  baptême,  il  n'y  a 
qu'une  seule  Eglise,  et  que  quiconque  est  hors  de  son 
sein,  n'échappe  pas  au  naufrage  éternel. 

Pie  IX,  tous  les  évêques  du  moûde  catholique  sont  accourus  à 
Rome  et  ont  rt-pondu  à  son  appel  pour  proclamer  le  dogme  de 
l'immaculée  conception  de  la  sainte  Vierge. 

(1)  Venorunt  socii,  qui  erant  in  alia  navi,  quia  ex  omnibus 
F.cclf'siis  episcopi  et  sacerdotes  convenerunt  in  unum;  verilatem 
nsserunt,  hccrclicos  damnant  (Tlieoph.,  Expos.). 

(2)  Omucs  in  sancla  Ecclesiœ  uavicula  cum  Domino  per  huuc 
niundum  s,uperualâ;uus  (Orig.,  Hom.  6). 


—  I  v-^  — 

C'est  dans  une  ijcilscu  très-mystérieuse  que,  dans 
ce  roènic  jinssaLM',  lïvanpélistc,  après  avoir  dit  que 
JOsus-Christ  monta  sur  une  seule  barque  :  super  vnam 
)}avem,  a  expressément  observé  que  cette  barque,  à 
laquelle  se  réunit  celle  dcZébédéc,  était  îa  barque  de 
Simon  Pierre  :  Et  hic  crat  Si)nonis.  L'Esprit-Saint,  dit 
saint  Ambroisc,  a  voulu  nous  déclarer  parla  que  lai:a- 
cellc  mystérieuse,  dans  laquelle  Jésus-Christ  habite 
exclusivement,  est  la  nacelle  dont  Pierre  est  le  chef 
et  le  maître  (1);  c'est-à-dire^  que  l'Esprit- Saint  a 
voulu  montrer  non-seulement  que  I'ukité  est  le  ca- 
ractère de  la  vraie  Eglise,  mais  que  Pierre  est  le  lien 
mystérieux,  le  fondement  de  cette  précieuse  uinité. 

Or,  Jésus-Christ  n'a  pas  établi  son  Eglise  pour  un 
temps,  mais  elle  doit  durer  jusqu'à  la  consommation 
des  siècles  :  vscji/e  ad  consununationcui  sœculi.  Lors  donc 
qu'il  dit  à  Pierre  :  «  J'édifierai  mon  Eglise  (2),  »  il  est 
de  la  dernière  évidence  qu'il  ne  fit  pas  allusion  seu- 
lement à  la  durée  de  la  \ie  de  l'ierre  et  à  sa  seule 
personne  ;  un  homme  mortel,  en  elTet,  ne  pouvait 
être  appelé  le  fondement  d'une  Eglise  immortelle. 
Jésus-Christ  parlait  donc  de  la  dignité  du  suprême 
})ontificat  de  Pierre,  qui  ne  devait  jamais  finir.  En  par- 
lant à  la  personne  de  l'apôtre,  dit  saint  Chrysostome, 
Jésus-Christ  parla  à  tous  ses  successeurs;  à  ceux-ci, 
non  moins  qu'à  Pierre,  il  confia  le  soin  de  toutes  ses 


(1)  Hanc  solam  EcclesiiB  navem  ascendit  Domious,  in  qiia  Pc 
triis  magUter  p^t  {Serm.  11). 

(2)  Super  hanc  petram  œdificabo  Ecclesiam  {Matth.  xvi,  18). 


—  i49  — 
brebis  (i).  Celui,  d'ailleurs,  qui  a  donné  un  roi  à 
chaque  peuple  (2),  ne  pouvait  manquer  de  donner  un 
chef  suprême  à  son  Eglise.  S'il  n'y  a  pas  de  corps 
sans  tête^  de  famille  sans  chef,  d'armée  sans  général, 
de  vaisseau  sans  pilote,  de  troupeau  sans  pasteur,  d'é- 
difice sans  fondement,  comment  y  aurait-il  une  Eglise 
sans  pontife  suprême  ?  Les  évêques,  sans  la  commu- 
nion avec  le  souverain  Pasteur  et  hors  de  sa  juridic- 
tion ,  seraient  chefs  absolus  et  indépendants.  Or, 
chaque  société  qui  a  un  chef  indépendant  et  absolu 
est  une  société  une,  réellement  distincte  des  autres. 
Il  n'y  aurait  donc  plus  alors  TEglise  vne,  mais  des 
Eglises  midtiples,  autant  qu'il  y  aurait  d'évôchés.  Ce- 
pendant Jésus- Christ  n'a  pas  institué  des  Églises,  mais 
V Église  qu'il  appelle  sienne  :  Ecclesiam  meam  ;  il  a  prié 
son  Père  afin  que  ses  disciples  formassent,  non  pas  des 
assemblées  séparées,  mais  un  seul  corps,  une  seule  fa- 
mille, une  seule  armée,  un  seul  royaume  de  Dieu  sur 
la  terre,  un  seul  édifice,  une  seule  barque,  une  seule 
Eglise,  en  un  mot,  dans  la  mystérieuse  tiniié  de  la 
grâce,  comme  il  est  lui-même  le  Verbe,  au  sein  de  son 
Père,  dans  une  parfaite  unité  de  nature  (3).  Donc  il  a 
dû  préposer  à  cette  Eglise  un  pontife  souverain,  ter- 
restre et  visible  comme  elle;  un  chef  unique,  par 
lequel  l'Eglise  est  une. 

Or,  quel  est  ce  chef?  Où  est- il?  Où  réside-t-il? 
Peut-être  à  Constantinople?  à  Saint-Pétersbourg?  à 

(1)  Curam  omniiim  ovium  tum  Petro,  tum  Pétri  successoribus 
committebat  (Lib.  II  de  Sacerd.). 

(2)  In  unamquamque  gentem  praeposuit  rectorem  {Eccli.). 

(3)  Ut  sint  unum,  sicut  et  ego  et  tu  unum  sumus  (Joan,). 


—  \:à)  — 

Berlin?  à  Genève?  à  Londres?  Hélas!  les  hérétiques 
eux-mêmes  ont  mieux  aimé  dire  que  le  souverain 
Pontificat,  ou  n'a  pas  été  conféré  à  Pierre  par  Jésus- 
Christ,  ou  qu'il  a  fini  avec  Pierre,  plutôt  que  d'ad- 
mettre l'une  de  ces  absurdités,  tout  en  niant  qu'il 
réside  à  Komc.  Opinion  très-absurde,  dureste,  parce 
que,  de  cette  manière,  ils  nient  dans  l'Eglise  chré- 
licnue  le  pontificat  perpétuel  et  successif  qu'ils  re- 
connaissent dans  la  Synagogue  judaïque,  et  ils  refu- 
sent d'accorder  à  la  réalité  ce  qu'ils  concèdent  à  la 
figure,  puisque  saint  Paul  nous  apprend  que  l'antique 
sacerdoce  était  le  symbole  du  nouveau. 

Puisqu'un  suprême  Pontificat  a  été  établi  par  Jésus- 
Christ  et  a  été  réellement  conféré  pour  la  première 
fois  à  saint  Pierre,  il  est  clair  et  évident  que  sou  suc- 
cesseur en  hérite.  Le  pontife  qui  occupe  le  poste  de 
Pierre  et  lui  succède  dans  le  siège  de  Rome,  lui  suc- 
cède donc  dans  la  sublime  dignité  de  chef  de  l'Eglise. 

Le  Pontife  romain  est  donc,  comme  l'appellent 
unanimement  les  Pères  et  les  Conciles,  le  Vicaire  de 
Jésus-Christ,  le  Père  des  pères,  l'Évèque  des  évéques, 
le  Maître  des  maîtres,  le  souverain  Prêtre  des  chré- 
tiens, le  grand  Président,  le  Juge  suprême,  le  Rec- 
teur, le  Pasteur  universel,  la  pierre  fondamentale 
de  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  et,  à  cause  de  tout  cela, 
le  centre  et  le  soutien  de  V unité  catholique. 

Et,  de  fait,  la  multitude  des  Eglises  répandues  dans 
le  monde  sont  unies  entre  elles,  parce  qu'elles  fixent 
leurs  regards  sur  Pierre,  et  elles  sont  unies  ix  celui-ci, 
parce  qu'elles  reçoivent  de  luilcur  iuridictiou,  qu'elles 


—  151   — 
l'exercent  sous  sa  dépendance  et  lui  en  rendent 
raison  :  c'est  à  cette  seule  condition  qu'elles  forment 
l'Eglise  une,  qu'elles  représentent  la  barque  de  Pierre 
où  est  Jésus-Christ. 

Les  Eglises  grecques  schismatiques  sont  la  barque 
de  Photius  ;  les  Eglises  dites  réformées,  celle  de  Lu- 
ther; les  Eglises  évangéliques,  celle  de  Calvin;  les 
Eglises  anglicanes,  celles  d'Henri  VIII  et  d'Elisabeth, 
parce  qu'elles  ont  les  doctrines  et  l'esprit  de  ces  hé- 
résiarques! Loin  donc  d'être  la  barque  de  Pierre, 
elles  lui  font  au  contraire  la  guerre;  elles  réunissent 
leurs  efforts  diaboliques  pour  lui  donner  la  chasse  in- 
fernale, pour  la  surprendre,  pour  la  démanteler,  pour 
la  coulera  fond.  Les  choses  allant  évidemment  de  la 
sorte,  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  conclure  que 
Jésus-Christ,  le  vrai  patron  de  la  barque  de  Pierre, 
n'est  point  dans  les  nacelles  ennemies;  qu'eu  un  mot, 
l'Eglise  qui  reconnaît  pour  chef  le  Pape  est  unie  à 
îa  chaire  de  Pierre,  en  dépend,  en  retient,  dans  son 
intégrité  et  dans  sa  pureté,  la  foi  ;  que  cette  Eglise 
seule  est  la  vraie  barque  de  Pierre,  dans  laquelle 
Jésus-Christ  vit  (1)  et  a  promis  de  demeurer  jusqu'à 
lafm  du  monde  (2). 

Continuons.  Lorsque  notre  divin  Sauveur  fut  dans 
la  barque  de  Pierre,  il  la  fit  quelque  peu  éloigner  de 
terre  :  a  terra  rediicere  pusillum.  Par  là,  il  voulut 
montrer,d' une  part,  que  l'Eglise  devait  s'éloigner  des 
Intérêts  et  des  maximes  terrestres  ;  et,  de  l'autre, 

(1)  Ascendit  super  uaam  navem,  et  haec  erat  Simonis. 

(2)  Ëcce  ego  vobiâcum  sum  usque  ad  coQsximmationem  sœcoli. 


—  iol  — 
que  lui-même,  par  son  ascension  au  ciel,  s'éloignerait 
de  ce  monde,  mais  fort  peu  et  i;our  très-peu  de 
temps,  pusillum.  S'il  devait,  en  effet,  s'en  éloiiïner 
d'un  côté,  il  devait  y  rester,  de  l'autre,  avec  son 
espril;  s'il  s'en  relirait  d'une  manière  visible,  il  de- 
vait y  demeurer  invisiblcment  par  sa  doctrine,  par 
ia  grâce  et  principalement  par  la  présence  réelle  de 
son  corps  adorable  dans  la  divine  Eucharistie. 

Remarquons  encore  cette  autre  circonstance  :  Jé- 
sus-Christ, le  Fils  de  Dieu,  ne  donne  pas  un  ordre  à 
Pierre,  à  l'homme,  mais  il  lui  adresse  une  prière  ;  il 
le  prie  d'éloigner  sa  barque  de  la  terre  :  Tio^/avit  eum 
a  terra  reducere.  C'est  qu'il  voulait  enseigner  à  ses 
apôtres  et  à  tous  leurs  successeurs  qu'en  attirant  les 
hommes  des  choses  terrestres  à  celles  du  ciel,  ils  ne 
devaient  pas  employer  la  force  brutale,  mais  plutôt 
la  douce  persuasion  et  même  l'humble  prière  :  il  ré- 
véla quel  est  l'esprit  et  quels  sont  les  moyens  de  la 
prédication  évangélique  et  du  ministère  ecclésias- 
tique. C'est  pourquoi  saint  Paul,  qui  s'était  formé  à 
cette  école,  dit  ceci  aux  Centils  :  «  Nous,  apôtres, 
nous  avons  une  légation  à  remplir  auprès  de  vous, 
au  nom  de  Jésus-Christ  :  c'est  de  vous  supplier  de 
vous  réconcilier  avec  Dieu  (1).  » 

Donc  le  divin  Maître,assissur  la  barque  de  Pierre, 
à  quelque  distance  de  terre,  instruisait  la  foule 
qui  l'écoutait  du  rivage.  Yoilà,  dit  Haimon,  d'après 
saint  Augustin,  voilà  le  ministère  toujours  permanent 
que  Jésus-Christ,  même  après  avoir  quitté  la  terre 

'1)  Pro  Cl::i-lo  legatione  fungimur,  obsecrantca  vos  :  rocoud- 
liamiui  Deo  {11  Cor.  v). 


—  153  — 
par  son  ascension,  a  continué  jusqu'à  ce  jour  et  con- 
tinuera encore  du  haut  de  la  barque  de  Pierre,  c'est- 
à-dire,  par  la  Yoix  et  l'autorité  du  Pape  et  de  l'Eglise, 
pour  instruire  et  éclairer  le  monde  (1).  Théophile 
fait  ici  cette  gracieuse  réflexion  :  Le  divin  Maître, 
accueilli  avec  tant  de  bonté  par  Pierre,  qui  lui  faci- 
lita de  la  sorte  le  moyen  de  prêcher  le  peuple  de  la 
Galilée,  ne  le  quitta  sans  doute  point  sans  le  récom- 
penser. Or  cette  récompense,  toujours  permanente, 
consiste  à  continuer  de  prêcher  sans  interruption  !a 
terre  du  haut  de  la  chaire  de  Pierre. 

Cette  figure,  en  vérité,  est  à  la  fois  délicieuse 
et  magnifique.  La  barque  d'où  vient  la  parole  qui 
instruit  la  foule  répandue  sur  le  rivage,  est  celle  du 
grand  apôtre  ;  mais  cette  parole  sort  de  la  bouche 
de  Jésus-Christ.  Or,  de  même  c'est  de  l'Eglise  fondée 
sur  Pierre,  de  cette  Eglise  à  laquelle  ce  dernier  pré- 
side toujours  par  ses  successeurs;  c'est,  dis-je,  delà 
chaire  de  Pierre  que  retentit  la  doctrine  évangélique, 
la  parole  de  vie  se  répandant  sur  le  monde;  mais  cette 
parole  sort  de  la  bouche  de  Jésus -Christ  toujours 
assis  sur  la  nacelle  symbolique  ;  et,  quoiqu'elle  soit 
articulée  par  l'homme,  elle  est  verbe  de  Dieu.  Est- 
il  possible,  mes  frères,  de  prouver  plus  clairement 
parle  langage,  ou  par  tout  autre  moyen,  la  divinité  de 
la  doctrine  de  l'Eglise  catholique  ?  Par  le  seul  fait  que 
raconte  l'Évangile,  mieux  peut-être  que  par  de  longs 
discours,  il  nous  est  démontré,  comme  le  dit  le  savant 

(1)  De  nayicula  Pétri  docebat  turbas,  id  est  de  auctoritate 
Pétri,  hoc  egt  Scelesiœ,  docet  geates  {Corn.). 


—  154  — 
Bellarmin ,  (jue  Jésus- Christ  se  trouve  et  enseigne 
seulement  dans  l'Ei^lise,  dont  Pierre  est  le  chef  su- 
prême (1). Ainsi,  nous  pouvons  le  dire  avec  un  inter- 
prète, quand,  dans  la  sainte  Eglise,  l'évéque  ou  le 
prôtre  prêche  l'évangile  de  saint  Matthieu,  ou  de 
saint  Marc,  ou  de  saint  Luc,  ou  de  saint  Jean,  ce  n'est 
pas  l'homme,  mais  c'est  Jésus-Christ  qui  instruit  le 
monde  par  l'autorité  donnée  à  Pierre  et  par  le  minis- 
tère qu'il  a  lui-même  établi  à  la  naissance  derEglise(2). 
Bien  au  contraire,  dans  les  Eglises  que,  pour  leur 
très-grand  malheur,  l'hérésie  et  le  schisme  ont  sé- 
parées de  nous,  si  l'on  y  prêche  les  évangiles,  ce  ne 
sont  point  les  évangiles  de  saint  Matthieu,  de  saint 
Marc,  de  saint  Luc,  de  saint  Jean  ;  ce  sont  plu- 
tôt les  évangiles  selon  Photius,  Luther,  Calvin  et 
Henri  VIIL  Ce  ne  sont  point  les  évangiles  que  l'E- 
glise, dépositaire  infaillible  des  traditions  de  leurs 
auteurs,  a  expliqués,  reconnus  et  maintenus  dans  le 
saint  Concile  de  Trente  ;  ce  sont  ceux  qu'ont  inter- 
prétés, je  voulais  dire  altérés  et  corrompus,  les 
conciliabules,  les  synodes  des  Grecs  schismatiques, 
les  téméraires  hérésiarques  de  la  Germanie  dans 
leurs  confessions,  ou  les  parlements  anglais  dans 
leurs  XXX IX  articles.  Et  lors  même  que,  dans  ces 
Eglises  dégradées,  on  lirait  par  hasard  l'Evangile 

(1)  lulravii  iu  uaviculaui  Siuionis,  et  ex  ea  docebat,  ut  iiitel- 
ligeiemus  iu  ca  laiiluiii  Kcclesia  esse  cl  doccre  Cliristum,  cujus 
{,'uberuator  usl  Pc'.rns  {Coniroc.  (ta  Soni.  Pont.,  lib.  11,  c.  xx). 

(2)  Quando  ovaiigoliiiiii  Maltba,'i,  Mai  ci,  Lucœ,  Joaiiui»  al> 
episcopo,  aut  a  picab} lujo  luuidicatur,  Cbvistus  docet  de  uucto- 
rilaie  Pétri,  id  est  de  magisterio  primilivae  Ecckai*  (Expos,). 


—  155  — 
dans  la  pureté  do  son  texte  primitif,  la  lettre  de 
cette  parole  seraitj à  la  vérité,  matériellement  divine, 
puisqu'elle  serait  tirée  du  véritable  Evangile;  mais 
l'enseignement  serait  toujours  humain,  étant  privé 
de  la  grâce  de  Dieu.  Oui,  Jésus-Christ  ne  prêche 
point  de  ces  barques  aventureuses,  parce  qu'il  n'y 
est  pas  en  la  compagnie  de  Pierre  ;  c'est  plutôt, 
c'est  Satan  qui  y  mugit,  Satan,  présent  toujours  aux 
côtés  des  hérésiarques,  qui  les  gouverne. 

Combien  donc  sont  insensés  ou  méchants,  ou  l'un 
et  l'autre  tout  ensemble,  les  hérétiques,  quand  ils 
nous  reprochent,  à  nous  calholiques,  de  croire  d'une 
foi  divine  à  la  parole  de  l'Eglise  et  de  son  chef,  pa- 
role, selon  eux,  purement  humaine!  Sur  ce  point  en- 
core les  hérétiques  judaïsent.  Ils  imitent,  en  effet, 
les  Juifs,  accusant  les  chrétiens  d'adorer  un  homme^  en 
rendant  à  Jésus  le  culte  qui  n'est  dû  qu'à  Dieu  ;  ils  ont 
la  même  mauvaise  foi  pour  principe,  font  la  même 
fausse  supposition  ;  ils  méritent  donc  la  même  ré- 
ponse, ou  plutôt  le  même  mépris.  Les  Juifs  supposent 
que  Jésus-Christ  est  un  simple  homme,  afin  d'accuser 
d'idolâtrie  les  chrétiens  qui  lui  rendent  les  honneurs 
divins;  de  même  les  hérétiques  supposent  que  le 
successeur  de  Pierre  est  un  maître  faillible  comme 
tout  autre  maître,  afin  d'accuser  les  catholiques  de 
stupidité,  parce  qu'ils  croient  en  lui  d'une  foi  divine. 
Or  Jésus-Christ,  par  sa  prédication  sur  la  barque  de 
Pierre,  convainc  à  l'avance  de  fausseté  cette  sup- 
position des  hérétiques,  et  nous  fait  connaître  d'une 
manière  sensible  que  c'est  de  l'Eglise  romaine,  du 


—    !;)(;   — 
siège  du  Pape,  de  la  chaire,  que  lui-même,  ImIs  de 
Dieu,  instruit  le  monde  par  l'oriiane  de  l'homme. 

Pour  nous  catholiques,  lorsque  nous  croyons  au 
Souverain  Pontife,  qui  n'invente  ni  les  dogmes  qu'il 
faut  croire, ni  les  diverses  règlcsde  morale  qu'il  faut 
suivre  ;  mais  qui,  avec  l'aide  de  l'Ecriture,  dont  il 
est  l'interprète  fidèle,  et  de  la  tradition^,  dont  il  est  le 
gardien  vigilant,  décide  quelles  sont  les  vérités  que 
Dieu  nous  ordonne  de  croire  et  de  pratiquer;  quand 
nous  catholiques,  dis-je,  nous  croyons  au  Souve- 
rain Pontife,  nous  ne  croyons  pas  à  un  maître  qui 
ressemble  aux  maîtres  de  la  terre  :  nous  croyons  au 
maître  à  qui  le  Fils  de  Dieu  a  dit  :  «  Tu  es  Pierre,  et 
sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise  (1),  »  Cela  si- 
gnifie, comme  l'explique  saint  Grégoire  de  Kaziauze, 
que  l'Eglise  est  fondée  sur  la  foi  de  Pierre,  comme 
sur  un  roc  immobile  (2)  ;  ou,  selon  la  pensée  de  saint 
Athanase,  que  les  colonnes  de  l'Eglise,  les  évoques, 
s'appuient  sur  la  foi  de  Pierre  comme  sur  un  fon- 
dement inébranlable  (3).  Nous  croyons  à  un  maître 
auquel  Jésus-Christ  a  dit  :  «  Et  les  portes  de  l'enfer 
ne  prévaudront  jamais  contre  l'édifice  élevé  sur 
toi.»  Origène reconnaît  que,  par  cesparoles,  il  a  été 
accordé  à  Pierre  non-seulement  un  privilège  personnel, 

(1)  Tu  es  Petrus.  Pt  super  hanc  petram  aedificabo  Ecclesiam 
mcam  {Matth.  xvi,  18). 

(2)  Yocatur  petra,  atquo  Ecclesiae  fundamenta  fidei  suœ  cré- 
dita habet  (Orat.  de  Moder.  serv.). 

(3)  Super  hanc  petram  œdificabo  Ecclesiam  meam ,  id  est 
super  fundamenlum  luum  Ecclesiae  columnae,  id  est  episcopi, 
sunt  confirmalaB  (Apud  Bellarm.,  loco  cit.). 


—  157  — 
celui  de  ne  jamais  perdre  personnellement  la  foi  ; 
mais  de  plus  un  privilège  attaché  à  sa  dignité,  qui  Tem- 
péchcrait,  comme  Pontife,  de  jamais  enseigner  l'er- 
reur, de  sorte  que  l'hérésie  ou  le  mensonge,  qui  sont 
les  portes  de  l'enfer,  ne  corrompront  jamais^  d'après 
cette  promesse,  sa  doctrine.  Si  Pierre,  en  effet,  pou- 
\uit  enseigner  Terreur,  les  portes  de  l'enfer  prévau- 
draientcontre  lui,  partant  contre  l'Eglise  universelle, 
qui  est  fondée  sur  sa  personne  (1). 

iXous  croyons  encore  à  un  maître  auquel  Jésus- 
Christ  a  dit  :  et  J'ai  prié  pour  toi,  Pierre,  afin  que  ta 
foi  ne  défaillisse  jamais.  Lors  donc  que  tu  seras  con- 
verti, je  t'ordonne  de  confirmer  par  ta  foi  tes  frères 
dans  la  leur  (2).  »  Ces  paroles,  remarque  saint  Léon, 
signifient  clairement  qu'en  priant  pour  la  foi  seule 
de  Pierre,  Jésus  a  suffisamment  pourvu  au  maintien 
de  celle  des  autres  (le  péril  de  la  tentation  devait 
être  commun  à  tous),  et  que  la  foi  de  Pierre,  comme 
chef  et  comme  pontife,  ne  faillirait  jamais  (3).  Enfin, 
nous  croyons  à  un  maître  auquel  Jésus-Christ  a  dit  : 
«  Si  tu  m'aimes,  Pierre,  pais  mes  agneaux,  pais  mes 
brebis  (4).  »  Il  faut  entendre  par  ce  texte,  dit  saint 

(i)  Manifes'ium  est,  et?i  non  expriinitur,  quod  nec  adversus 
petrum  portte  iiifororum  prœvalere  poterunt;  nam  sipraevalerent 
.nlversuà  Petrum,  in  quo  fundata  est  Ecdesia,  jam  contra  Eccle- 
siam  prœvalereut  (Orig.,  Hom.  in  Mafth.  x\i). 

(2)  Rogavi  pro  te,  Petre,  ne  deficiat  fides  tua.  Et  tu  aliquando 
con versus,  confirma  fratres  tuos  {Liœ.\xn). 

(3;  Pro  fide  Pétri  proprie  supplicatur,  tanquam  aliormn  status 
tertior  futurus,  si  mens  principis  victa  non  fuerit  (Serm.  3  de 
sua  Assumpt.). 

{4;  ïjidiligisnWjpasce  agnos  mecs,  pasce  oves  raeas  {Joan.xw, 


—  I..»  — 
Chrysoloiruc,  que  c'est  à  î^icrrc  que  le  soi:i  d'inslruiie 
toute  l'Etilise  a  été  confié  et  que  Pierre,  toujours 
vivant  sur  sou  siét;e  et  toujours  vigilant,  sait  tracer 
une  règle  toujours  sûre,  distribuer  une  doctrine 
toujours  salutaire  non-seulement  aux  agneaux,  mais 
encore  aux  brebis,  non-seulement  aux  fidèles,  mais 
encore  aux  évèqucs,  par  lesquels  les  fidèles  sont  en- 
gendrés à  Jésus- Christ  (1). 

Donc,  de  même  que  les  chrétiens  adorent  en  Jé- 
sus-Clirist  non  pas  l'homme,  mais  Thommc-Dieu; 
pareillement  les  catholiques  ne  voient  pas  un  maître 
ordinaire  dans  le  successeur  de  Pierre, mais  un  maître 
miraculeuseuraent  iufaillible  :  ils  croient  à  l'oracle 
des  jours  anciens  et  aux  promesses  divines;  ils  croient 
à  la  puisance  du  Verbe  éternel.  Ils  savent  que  si  Dieu 
a  pu  sanctifier  la  parole  profane  d'un  Balaam,  mi- 
posteur  idolâtre,  et  la  conserver  pure  ;  que  s'il  a  pu 
confiera  Caïphe,  pontife  impie,  l'interprétation  de  la 
loi  et  la  faire  maintenir  intacte,  il  a  pu  accorder,  à 
plus  forte  raison,  comme  il  l'a  fait  réellement,  à  sou 
auguste  Vicaire  sur  terre  le  haut  privilège  d'expli- 
quer infaiUiblement  l'Evangile,  et  le  rendre,  par  l'as- 
sistance de  sa  grâce  comme  pontife,  toujours  véri- 
dique  et  toujours  fidèle. 

Qu'importe  donc,  s'écrie  saint  Augustin,  si,  dans  le 
cours  des  siècles,  il  s'introduit  dans  la  série  des  Sou- 
verains Pontifes  un  pasteur  infidèle!  L'Eglise  n'en 
recevra  aucune  atteinte  essentielle,  et,  pour  cela,  ses 

(1)  Petrus,  qui  in  propria  sede  vivit  et  prsesidet,  prœstat  quae- 
rectibus  fidei  veritatem  [Epist.  ad  Euthyc). 


—  159  ~ 
fils  n'en  courront  aucun  périi.  Ce  Dieu,  qui  a  dit  des 
mauvais  supérieurs  :  «  Pratiquez  ce  qu'ils  vous  disent, 
et  ne  vous  inquiétez  pas  do  ce  qu'ils  font,  »  a  pour- 
vu à  ce  que  nul  de  ces  Pontifes  n'enseignât  Terreur 
et  n'entraînât  l'Eglise  à  se  briser  aux  écueils  d'un 
schisme  sacrilège.  En  effet,  la  sécurité  des  fidèles,  en 
croyant  à  renseignement  de  Rome,  ne  se  fonde  point 
sur  l'autorité  de  l'homme,  qui  peut  errer,  mais  sur  la 
providence  de  Dieu,  qui  lui  vient  en  aide  afin  qu'il 
n'erre  point  (I). 

Que  nous  atteste,  d'ailleurs,  l'histoire  catholique? 
Elle  proclameque,  tandis  quetouteslesEglisesfondées 
par  les  apôtres,  comme  celle  de  saint  Jean  à  Ephèse, 
celle  de  saint  André  en  Scvthie,  celle  de  saint  Jacques 
à  Jérusalem,  celle  de  saint  Matthieu  eu  Ethiopie, 
celle  de  saint  Marc  à  Alexandrie,  sont  tombées  dans 
l'erreur,  se  sont  livrées  d'elles-mêmes  aux  portes  de 
l'enfer  (leurs  fondateurs  n'avaient  point  les  promesses 
divines  faites  à  Pierre);  taudis  que  toutes  ces  Eglises 
se  sont  ensevelies  dans  l'abîme  de  l'erreur,  le  siège 
seul  de  Pierre  à  Rome,  dit  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
a  conservé  et  enseigné  la  vérité  toujours  pure,  tou- 
jours sincère,  telle  qu'il  l'a  reçue  des  temps  les  plus 
reculés.  Placé  par  Dieu  à  la  tête  des  Eglises  dispersées 
par  tout  l'univers,  il  était  nécessaire  q*ie  ce  siège  au 

(1)  In  illum  ordinem  episcopornm,  qui  ducitur  ab  ipso  Petro, 
etiamsi  quisquam  traditor  irrepsisset,  nibil  prœjudicaret  Ecclesise 
et  innoceiitibus  Christiania  ,  quia  Deus  provideus  ait  de  prœposi- 
tis  malis  :  «  Omnia  quœcunque  dixerint  vobis  facile  ;  secundum 
autem  opéra  eorum  nolite  facere;  »  ut  certa  sit  spes  fidelis, 
quae  non  in  bomine,  sed  in  Domino  colloeata,  nunquam  tempes- 
tate  sacrilegi  schismatis  dissipatur  (JEpist.  36  ad  Gêner.). 


—  IGO  — 
moins  conservât  dans  son  iDlégrité  la  vraie  foi  (1). 
C'est  ce  qui  faisait  dire  à  saint  C}i)ricn  que  Rome 
est  la  seule  Ei;lise  dans  laquelle  tout  accès  à  l'hérésie 
est  interdit  pour  toujours  (2). 

L'histoire  nous  apprend  en  outre  que,  dansl'espace 
de  dix-huit  siècles,  jamais  une  {jurole  [)rofane  ou  er- 
ronée n'est  tombée  de  la  bouche  des  Souverains  Pon- 
tifes; elle  nous  faitconnaîtrc  qu'ilsontconlinnellement 
enseigné  la  vérité,  encouragé  la  vertu,  réi)rimé  le 
vice,  condamné  l'erreur.  Elle  nous  atteste  enfin  que, 
non-seulement  dans  les  siècles  qu'illustrèrent  les  deux 
Grégoire,  les  plus  grands  de  ce  nom,  le  premier  et  le 
septième,  mais  dans  ceux  encore  où  la  conduite  de 
certains  Papes  ne  fut  pas  très-exemplaire,  leurs  dé- 
cisions dogmatiques  restèrent  cependant  conformes 
àla  tradition  et  àTEvangile.  Sileurvie  montra  qu'ils 
étaient  hommes,  leur  doctrine  prouva  qu'ils  étaient 
les  vicaires  de  Dieu  ;  s'ils  se  courbaient  d'un  côté  vers 
la  terre,  ils  parlaient  de  l'autre  le  langage  du  ciel: 
jamais  les  passions,  qui  parfois  se  traînèrent  autour 
de  la  chaire  éternelle,  n'ont  obscurci  la  vérité. 

Or,  ce  fait  unique  dans  l'histoire  du  monde,  ces 
hommes  si  différents  par  leur  origine,  leur  science, 
leur  aptitude,  leur  caractère,  sujets  aux  passions  et 
aux  illusions  de  l'esprit  comme  les  autreshommes  ;  ex- 
posés au  choc  de  doctrines,  d'intérêts  si  divers  et  à 

M)  Roma  ah  antiquis  tomporibns  liabot  rectam  fifletn,  et  som- 
yior  para  relinet;  sicut  decet  urbom,  quœ  toti  mundo  prœsidet, 
spmper  do  Deo  intcgram  fidem  liabere  (Carra,  de  vita  sua). 

(2)  Apud  Roinanoâ  non  potest  accessum  liabere  perfidia(Lil».  I, 
Epist,  m). 


-  ICI  — 
l'entraîucmeut  des  plaisirs  ierresLros  ;  ces  iiomincs  si 
unanimes  pourtant  durant  le  cours  de  dix-liuitsièclcs, 
pour  donner  un  enseignement  orthodoxe,  pour  parler 
avec  un  accord  si  constant,  qu'on  les  eût  jugés  un  seul 
homme,  une  seule  âme,  une  seule  bouche  ;  ce  fait, 
évidemment  miraculeux ,  puisqu'une  pareille  harmo- 
nie est  hors  des  conditions  de  l'humanité  ;  ce  fait^. 
digne  de  l'admiration  des  philosophes  et  de  la  yéné- 
ration  des  chrétiens,  est  une  preuve  sensible,  pal- 
pable, évidente,  que  c'est  la  même  lumière  qui  les  a 
guidés,  le  même  Esprit  qui  les  a  inspirés,  le  même 
Verbe  qui  les  a  fait  parler,  et  que  cette  lumière,  cet 
Esprit,  cette  parole,  en  un  mot  que  celte  assistance  est 
et  ne  peut  être  que  surnaturelle  et  divine;  elle  n'est 
et  ne  peut  être  que  l'assistance  de  Jésus-Christ. Ainsi, 
quand  le  Souverain  Pontife  ,  de  sa  Chaire,  enseigne 
comme  docteur  de  l'Eglise  universelle ,  c'est  encore 
Jésus-Christ  qui,  de  la  barque  de  Pierre,  enseigne  le 
monde;  c'est  sa  lumière  qui  éclaire,  sa  sagesse  qui  ins- 
truit, sa  vérité  qui  se  manifeste  aux  hommes  ;  c'est  sa 
parole  qui  se  fait  entendre  et  à  l'esprit  et  au  cœur  : 
donc,  croire  à  l'enseignement  du  Pape,  c'est  croire 
à  l'enseignement  de  Jésus-Christ,  dont  le  Pape  est 
l'interprète  infaillible,  l'organe  fidèle.  Oh!  précieux 
privilège ,  conclurai-je  avec  saint  Cyrille  !  ô  gloire 
ineffable  de  l'Eglise  apostolique  de  Pierre  !  tu  es  la 
seule  qui,  selon  les  promesses  du  Très-Haut,  reste 
toujours  vraie,  immaculée,  te  balançant  avec  majesté 
au-dessus  des  floLs  infectés  de  l'hérésie  :  ni  leur 
courroux,  ni  leur  iirofondeur  ne  sauraient  empêcher 
11.  '  H 


I 


—  102  — 
ta  course.  Et,  tandis  que  les  autres  l^i^Iiscs  sont  forcées 
de  jeter  sur  elles-nièmes  un  regard  de  honte,  pour  les 
erreurs  dans  lesquelles  elles  sont  niisérablenicut  tom- 
bées, fiére  de  ton  passé  intact,  toi,  la  seule  fondée  sur 
le  roc  de  Pierre,turcgncs,ôE;j,lise  romaine!  avccgloire 
et  splendeur;  lu  fermes  la  bouche  aux  novateurs,  tu 
imposes  silence  aux  erreurs,  au  nom  de  la  vérité  dont 
tu  demeures  toujours  l'infaillible  interprète. Que  nous 
sommes  donc  heureux,  nous  cathohques,  lils  obéis- 
sants de  cette  Eglise  !  Nous  sommes  les  seuls  qui,  eu 
elle  et  par  elle,  conservons ,  confessons  et  prêchons 
l'Evangile  dans  son  intégrité  originale,  et  la  tradition 
apostolique  dans  sa  sincérité  et  dans  sa  pureté! 

Lorsque  notre  divin  Sauveur  eut  cessé  de  parler 
au  peuple,  la  barque  de  Pierre  reprit  sa  course  sur  la 
haute  mer  et  commença  la  pèche  miraculeuse.  Nous 
expliquerons,  dans  la  suivante  homélie,  le  mystère 
signifié  par  cette  pêche.  Remarquons  seulement  que 
cette  barque, courant  sur  la  mer  de  Tibériade,cst  en- 
core une  ligure  de  l'Eglise  catholique.  Origène,  saint 
Hilaire,  saint  Jérôme,  saint  Ambroise,  saint  Chrysos- 
tome,  saint  Grégoire  de  Naziaiize,  saint  Léon,  saint 
Grégoire,  le  Vénérable  Bède,  en  un  mot  tous  les 
Pères,  tous  les  docteurs  et  tous  les  interprètes  sont 

(l)  Secundum  liane  Doaiini  proinisiionem,  Ecclesia  apostolica 
Pétri  ab  omni  seduclione  et  haeretica  circumvcûtione  mauet  im- 
maculata.  Et  cnm  aliaj  Ecclesiae  quorumdam  errore  sint  verecun- 
datœ,  ip;a  slabilia  inquassabiliter  régnât,  sileulium  imponens, 
omnium  obturans  ora  bœreticorum.  Et  nos  typmn  veiilatis  et 
sanctaj  apostolicaj  traditionis  una  cum  ipsa  coulitemur  et  praedi- 
camud  [In  xxvi  Matth). 


—  iG3  — 
unanimes  dans  cette  iulcrprétaiioii.  L'un  d'eux  dit 
spécialement  qu'il  est  certain  que  cette  barque  symbo- 
lisait l'Eglise  dans  son  pèlerinage  à  travers  le  monde, 
attendu  que  c'est  de  cette  Eglise  que  l'Esprit -Saint 
parle,  quand  il  dit,  par  la  bouche  de  Salomon:  «  Elle 
est  devenue  semblable  à  la  barque  d'un  marchand  qui 
apporte  de  loin  son  pain(I).  Beau  symbole,  en  vérité! 
L'Eglise  est  réellement  un  navire  de  négoce,  cou- 
rant sur  la  mer,  dans  la  personne  de  ses  missionnaires 
et  de  ses  apôtres,  autour  du  monde.  Elle  aborde  aux 
rivages  les  plus  reculés  et  les  plus  barbares;  ses  objets 
de  négoce,  c'est  son  pain;  pain  délicieux,  fortifiant  et 
substantiel,  mais  nouveau,  inconnu  sur  la  terre,  pos- 
sédé par  elle  seule,  qui  l'a  chargé  sur  sa  carène  dans 
une  bien  lointaine  région,  c'est-à-dire  au  ciel;  c'est  le 
pain  delà  vérité,  aliment  nécessaire  de  l'intelligence; 
c'est  le  pain  de  la  grâce  des  sacrements  ;  c'est  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ  ;  pain  divin,  d'un  prix  ines- 
timable et  d'une  valeur  infinie,  avec  lequel  Jésus  a 
racheté  nos  âmes  et  enrichi  l'univers. 


(1)  Nou  dubium  est  navem  ipsam  Ecclcsiam  figurasse,  secun» 
dum  quod  per  Salomouein  de  eaSpiritus  Sauctus  loc[uitur,dicoû3  : 
«Facta  est  quasi  navis  institoris  de  louge  portans  pauem  suum.» 
Quce  navis,  id  est  Ecclesia,  prcedicationis  verbo  ubique  discuiTil; 
portaus  secum  magnum  et  iaeslimabile  prctium,  quo  omne  geuus 
humanum,  vel  potius  totum  mundum  sanguine  Christi  mercala 
est.  —  Ndvigat  iustructa  fidei  gubernaculo,  felici  cursu,  per  hu- 
jus  saeculi  mare,  habeus  gubernatorem  Deum,  navigantes  apos- 
tolos,  rémiges  angeios,  portans  clioros  omnium  sanctorum; 
erecta  in  medio  ipsius  salutari  arbore  crucis,  in  qua  Evangelicaî 
fidei  vêla  suspeudeus,  fiante  Spiritu  Sancto,  ad  portum  paradisi 
et  securitatem  quietis  œternœ  pcrduciLur  {Expos.). 


i 


~  IC'i    — 

Uh!   navire  vraiiuciii,  maj^iiiiitiac  et  cùlcslc!  boa 

i,M'an(l  mal,  élevé  comme  la  nue,  c'est  le  bois  salulaiic 

(le  la  croix;  à  ce  màt  se  déploient  les  voiles  de  la  doc- 

rine  évangéliquc,  qu'enfle  et  pousse  la  vivilianle  ha- 

einc  de  l'Esprit-Saint;  son  gouvernail,  c'est  la  foi;  son 

^apitainc,  c'est  Jésus-Christ  ;  son  pilote,  c'est  Pierre  et 

les  autres  apôtres  qui  naviguent  en  sa  compagnie;  ses 

rameurs,  ce   sont  les  anges;  ses  passagers,  ce  sont 

les  fidèles  et  les  saints  :  il  vogue  ainsi  à  travers  la 

mer  du  siècle;  sa  course  sera  toujours  boinie;  là-bas 

le  port  s'ouvre,  c'est  le  paradis,  oîi  il  fera  sa  statioû 

[)crmanente  dans  la  bienheureuse  éternité. 

3Iais  quelles  sont  ces  barques  qui  fendent  aussi  la 
mer  avec  lui,  s'efforçant  vers  le  même  rivage,  et  cher- 
chant en  vain, il  force  dévoiles  et  de  rames, à  gagner 
le  même  port?  Ah!  je  les  reconnais!  l'arbre  de  la 
croix  leur  manque  (1);  leurs  voiles,  leurs  croyance? 
incohérentes,  pendent  en  lambeaux  le  long  des  verguetî 
brisées  ;  leur  gouvernail  n'est  plus  qu'une  foi  d'aven- 
ture ,  l'Esprit-Saint  ne  les  accompagne  plus,  Pierre 
ne  les  dirige  pas,  et  Jésus-Christ  ne  les  préside  point. 
Je  les  reconnais  à  leur  pénurie  spirituelle ,  à  la 
confusion  qui  y  rcgnc^  à  l'aquilon  infernal  qui  ks 
enveloppe,  au  choc  des  doctrines  co)itraircs  qui  les 
agitent,  aux  flois  des  honteuses  passions  qui  les  fla- 
gellent ;  oui,  je  les  reconnais  :  ce  sont  quelques  ramas 

(1)  Les  modernes  liéréliques  ont  presque  tous  renouvelé  les 
sacriléf^es  des  Iconoclastes  :  ils  ont  aboli  uou-seulcment  le  cuite 
des  saints,  mais  encore  celui  du  Saint  des  Saints.  Dans  leur  zèle 
infernal,  ils  n'ont  pas  même  épar^'ué  le  si,!une  auguste  de  la  ré« 
demptiou,  la  croix,  qu'ils  ont  parlout  abattue I 


—  ÎG5  — 
d'hérétiques,  qui  osent  Lien  usurper  le  nom  d'Eglise, 
se  \antcr  d'être  la  barque  sûre  qui  conduit  les  âmes 
au  port  de  l'éternité  (1);  ce  sont  ces  barques  qu'Isaïc 
(selon  les  Septante)  a  appelées  barques  de  la  mer,  ou 
Au  siècle;  ces  Eglises  prétendues  ne  viennent,  en  effet, 
ni  de  Dieu,  ni  du  ciel  ;  elles  viennent  des  hommes; 
sorties  de  la  terre,  nées  du  siècle  et  pour  le  siècle, 
elles  périront  avec  le  siècle. 

Ces  Eglises  se  vantent,  il  est  vrai,  de  prêcher  aussi 
[a  vérité,  le  mystère  de  la  croix  évangélique  ;  mais 
comment  peuvent-elles  compter  sur  l'arbre  divin 
Iqu'elles  ont  elles-mêmes  abatUi?  Ah  !  c'est  vainement 
qu'on  s'arroge  le  privilège  de  prêcher  les  doctrines 
de  la  croix,  quand  on  ne  professe  plus  la  foi  du  Cru- 
'cifié  (2).  C'est  en  vain  qu'on  fait  acte  d'existence  et 
de  prédication  par  le  monde,  dans  la  personne  de 
soi-disants  missionnaires,  quand  ceux-ci,  hélas!  au 
lieu  de  la  vérité,  répandent  le  mensonge;  au  lieu  des 
vertus,  sèment  les  vices  ;  au  lieu  de  l'amour  du  ciel, 
inspirent  toujours  plus  vivement  l'amour  des  choses 
terrestres,  et  sont  plutôt  les  agents  de  la  politique 
que  de  la  religion,  de  l'avarice  que  de  la  charité,  en 
multipliant  les  esclaves  d'un  pouvoir  tout  humain, 
•ju  lieu  de  procurer  la  liberté  des  enfants  de  Dieu; 
en  étendant  les  confins  du  royaume  temporel  d'une 

(1)  Sunt  coUectiones  hœreticomm,  quaî  sibi  hujus  nomen  Ec- 
closiae  viudicant. —  Has  naves  maris  Isaias  dicit,  quia  hujusmodi 
Ecclesite  non  Dei  sunt,sed  sseculi  [Ibid.). 

(2)  Quae,  licet  habere  in  se  prœdicationem  dominicae  cruels 
vidomilur,  invalidani  tamen  banc  ejus  arborera  ostendunt;  quia 
abi  non  est  veritas  Cdei,  infirma  crucis  assertio  est  {Ibid.). 


—  fCG  — 
compagnie  de  marchands,  au  lieu  de  propager  rem- 
pire  de  Jésus-Christ.  Ces  Eglises,  cm  vérité',  par  une 
pareille  j)ropagaiule,  soiil  comme  des  navires  de  pi- 
rates, armés  et  dirigés  par  Lucifer,  le  grand  corsaire, 
riiomicidc  éternel  ;  elles  perdent  les  âmes  au  lieu  de 
les  sauver,  et,  loin  de  les  conduire  au  ciel,  elles  leur 
ouvrent  les  portes  de  l'enfer. 

0  barques  malheureuses  et  funestes  !  Privées  de 
la  vraie  foi,  répudiées  par  Jésus -Christ,  elles  vont 
de  la  sorte,  sur  la  mer  en  furie  du  siècle,  au  caprice 
des  vents  eL  des  tempêtes,  jusqu'à  ce  que,  usées,  dé- 
mantelées, rasées  jusqu'à  la  carène,  elles  s'enfon- 
cent une  à  une  sous  l'abîme  mouvant,  avec  tout 
leur  équipage,  dans  un  naufrage  éternel  (1). 

Toutefois,quelqucs-uncsdcces  barques  infortunées, 
comprenant  que  les  dangers  encourus  déjà  ne  sont 
que  les  avant-coureurs  de  périls  plus  grands  encore, 
semblent  renoncer  à  ce  métier  de  pirate  et  chercher 
du  regard  la  barque  de  Pierre  :  on  dirait  qu'elles 
l'ont  aperçue  de  loin  et  qu'elles  s'efforcent  de  l'at- 
teindre, pour  courber  le  front  devant  l'étendard  de 
leur  souverain  légitime,  Jésus-Christ,  et  faire  route 
ensemble  vers  l'éternité. 

0  Angleterre  !  c'est  toi  que  j'aperçois  là-bas,  dans 
le  lointain  des  flots!  Oui,  l'Eglise  anglicane,  autrefois 
si  riche,  et  aujourd'hui  si  pauvre  en  vérités  et  en 
vertus,  lasse  d'être,  depuis  trois  siècles,  le  jouet  de 

(1)  Et  ideo  liujusmodi  naves,  quae  gubernari  a  Chriâto  Domino 
non  merentur,  amisso  verae  fidei  gubernaculo,  dominantibus 
adversis  spiritibus,  in  naufraijiom  esternaj  mortis  demerguntur 
Uôid.) . 


—   IG7  — 
Terreur,  de  ses  passions  et  de  ses  tempêtes,  cherche 
l'unité  catholique,  la  barque  de  Pierre  ;  elle  soupire 
après  le  moment  où  elle  sera  admise  à  sa  suite  et 
dans  sa  compagnie.  Déjà  elle  a  arboré  le  drapeau 
de  détresse,  eUe  appelle  au  secours;  déjà  un  grand 
nombre  de  ses  ministres  ont  relevé  dans  leur  temple 
la  croix  et  lui  rendent  un  culte  ;  déjà  Ton  s'y  tourne 
vers  ïétoile  de  la  mer,  l'espérance  et  le  salut  de  ceux 
qui  vont  faire  naufrage  ;  déjà  l'on  y  expose  l'image 
de  Marie  à  la  vénération  publique ,  et  les  passagers 
de  cette  barque  égarée,  les  protestants  mêmes^,  les 
bras  étendus  implorent  à  grands  cris  les  prières  de 
la  charité  cathohque,  afin  que  le  grand  événement 
de  la  réunion  s'accomplisse  au  plus  tôt,  Ah  !  encore 
un  effort,  barque  désormais  intelligente  et  sage,  en- 
core un  dernier  effort  contre  l'aquilon  de  l'orgueil, 
le  seul  obstacle  qui  te  retient,  t'attarde  sur  le  sillon 
de  la  barque  de  Pierre^  dont  tu  n'es  éloignée  que  de 
quelques  pas!  Et  courage!  vois  son  pilote,  le  succes- 
seur de  Pierre,  qui  dirige  vers  toi  la  proue  du  navire 
béni  !  D  vient  à  ta  rencontre  ;  il  veut  t'aider  à  sur- 
monter les  vents  contraires,  il  abrège  ta  route.  Ah! 
encore  un  eifort,  et  tu  déposeras  en  sûreté,  au  sein 
de  sa  nacelle,  tes  passagers  par  là  échappés  au  nau- 
frage. Ne  crains  rien;  il  y  a,  sous  les  ponts  solides, 
une   vaste  enceinte,  des  provisions  suffisantes,  des 
aliments  pour  tous  ;  et  tous  y  trouvent  et  repos  et 
bonheur.  Ah  !  je  t'en  conjure,  hâte-toi  d'accourir  à 
nous,  pour  continuer  avec  nous,  dans  la  paix  et  la 
sécurité,  le  voyage  vers  le  port  de  la  bienheureuse 
éternité. 


IGS  — 


SKCONDE  PARTIE. 


Noire  adorable  Maîlrc  ne  s'est  ^las  contenté  de 
représenter  d'une  manière  sensible, par  la  barque  de 
Pierre,  l'unité  de  son  Eglise,  il  a  aussi  figuré  par  elle 
la  sainteté,  l'une  de  ses  marques  exclusive.  Or  quel 
fut, cil  effet, le  résultat  de  la  pêche  miraculeuse? Pierre 
n'hésite  pas  un  seul  instant  à  reconnaître  Jésus-Christ 
pour  l'auteur  du  prodige.  Prosterné  à  ses  pieds,  il 
l'invoque,  l'adore  comme  son  Seigneur  et  son  Dieu  : 
quelle  foi  en  lui  !  Il  se  reconnaît  ]iéchcur,homme  char- 
nel et,  comme  tel,  indigne  de  rester  un  seul  instant 
dans  la  compagnie  du  Sauveur  :  quelle  humilité!  En- 
lin,  confus,  mais  rassuré,  frappé  de  stupeur,  mais  pé- 
nétré de  reconnaissance,  mais  impatient  de  montrer 
son  amour  pour  Jésus,  le  voilà  qui  quitte  barque,  fi- 
lets, famille  ;  et,  non  content  de  sacrifier  tout  à  son 
maître,  il  veut  se  donner  à  lui,  devenir  son  serviteur 
et  son  disciple,  bien  décidé  à  vivre  et  à  mourir  à  sa 
suite  :  quel  amour  ! 

Puis  son  amour,  son  humilité  et  sa  foi  se  commu- 
niquent à  ses  associés  ;  ceux-ci,  à  son  exemple,  font 
le  même  abandon,  les  mômes  promesses  et  adressent 
au  Sauveur  les  mêmes  adorations,  en  lui  offrant  les 
mêmes  sacrifices  (1). 

Le  bon  Jésus  ne  se  borne  pas  à  sanctifier  de  la  sorte 
Pierre,  son  disciple  chéri;  mais  il  lui  donne  de  plus 
la  mission  de  sanctifier  les  autres.  En  effet,  ne  lui 

(1)  Et  subducUs  ad  tcrram  navibus,  relictis  omnibus,  secuti 
u  nt  eum. 


—  iG9  — 
adresse-t-il  poial  ces  paroles  :«  Jusqu'ici,  tu  as  été  pê- 
cheur de  poissons,  mais  désormais  tu  seras  pêcheurs 
d'hommes?»  Or,  ces  paroles  voulaient  dire:  Dès  ce  jour 
tu  inspireras  en  mon  nom  la  même  croyance  que  ma 
grâce  t'a  inspirée  ;  tu  prêcheras  les  vérités  du  salut 
aux  enfants  de  la  terre,  et  comme  tu  as  rempli  ta 
barque  des  poissons  du  fond  de  la  mer,  tu  rempliras 
l'Eglise  de  fidèles  arracliés  à  l'abîme  de  leurs  vices, 
tu  les  fonneras  à  la  pratique  des  plus  généreux  sacri- 
fices, delà  sainteté  la  plus  parfaite.  Tout  est  donc 
saint  dans  cette  barque  fortunée  :  Jésus-Christ  qui  y 
préside  est  saint,  la  sainteté  par  essence  ;  Pierre  qui 
la  guide  est  déjà  saint  ;  les  autres  apôtres,  en  l'imitant, 
deviennent  saints.  Leur  pêche  enfin  est  sainte  par  sa 
signification  mystique.  Cette  barque  est  donc  l'école, 
le  temple,  le  tabernacle  de  la  sainteté!  Et,  puisqu'elle 
représente  l'Eglise,  il  s'ensuit  que  Jésus-Christ  ;,  dès 
cette  heure,  imprime  à  son  épouse  son  propre  sceau, 
ses  propres  armes,  la  sainteté  en  un  mot,  attribut  né- 
cessaire de  la  divinité.  Dieu,  en  effet,  n'est  Dieu  que 
parce  qu'il  est  saint.  Ainsi  Jésus-Christ  communique 
dès -lors  à  l'Eglise  sa  sainteté  comme  l'un  des  carac- 
tères le  plus  éclatant  auquel  on  puisse  la  distinguer 
et  la  reconnaître. 

Rappelons-nous,en  effet,que  Jésus-Christ  a  dit, dans 
l'évangile  de  ce  jour  :  «  Où  se  trouvent  deux  ou  trois 
personnes  réunies  en  mon  nom^  je  suis  au  milieu 
d'elles  (1  ) .  »  Or,  le  nom  de  Jésus  signifie  Sauveur.  Etre 

(1)  Ubicunque  fuerint  duo  vel  très  congregati  in  nomine  meo, 

ibi  suin  ego  in  inedio  eorum  {Matth,  xviii). 


—  !70  — 
réuni  au  uoiii  de  Jésus  ou  du  Sauveur,  c'est  donc  être 
réunipourcroirc  à  la  véritéet  pour  pratiquer  la  vertu, 
qui  sauvent.  11  n'en  est  pas  ainsi  des  hérétiques,  qui 
ne  se  sont  constitués  à  part  que  pour  professer  libre- 
ment l'erreur,  |)Our  favoriser  l'ambition,  l'orgueil,  les 
sacrilèges,  les  incestes,  les  adultères  et  les  rapines 
de  leurs  auteurs.  C'est  un  fait  écrit  en  caractères 
liurriblcment  lumineux  dans  riiisLoire  des  premiers 
auteurs  de  toutes  les  hérésies.  Ils  ont  renié  lEsprit 
saiictilicaleur,  la  confession,  la  présence  réelle,  le 
célibat  ecclésiaslique,  les  vœux  religieux,  la  stabilité 
du  lien  conjugal,  les  jeiînes,  les  mortifications,  les 
pénitences ,  la  nécessité  de  la  prière  et  des  bonnes 
œuvres.  Ils  ont  proclamé  la  liberté  de  conscience  , 
c'est-à-dire ,  ils  ont  fait  la  couscience  libre  de  tout 
frein,  de  toute  soumission,  et  ils  l'ont  autorisée  à 
croire  ce  qu'il  lui  plaît  et  à  vivre  comme  elle  croit. 
Ils  ne  se  sont,  en  un  mot,  séparés  de  nous  que  pour 
flatter  les  passions  des  grands  et  les  instincts  gros- 
siers des  masses  ;  et  c'est  uniquement  à  cette  licence 
permise  aux  vices,  a  cette  tutelle  facile,  à  ce  patronage 
honteux  accordé,  au  nom  de  l'Evangile,  aux  passions 
humaines,  qu'ils  ont  dû  leurs  passagers  succès.  De 
la  sorte,  leurs  Eglises  sont  unies,  non  pour  réformer 
les  mœurs,  mais  pour  les  corrompre  ;  non  pour  en- 
courager la  vertu,  mais  pour  la  bannir  ;  non  pour 
réprimer  les  vices,  mais  pour  leur  faire  libre  carrière. 
En  un  mot,  ces  tristes  Eglises  n'existent  point  pour  le 
salut  des  âmes,  mais  pour  leur  perte,  pour  leur  ruine 
éten.eiie.  11  est  donc  évident  qu'elles  ne  sont  pas 


—  171  — 
réunies  au  nom  du  Sauveur,  mais  au  nom  du  démon, 
l'ennemi,  l'homicide  éternel:  non,  Jésus-Christ  n'est 
point,  il  ne  peut  être  avec  elles.  Or  comment,  privées 
de  la  grâce,  de  la  préseîice  du  Dieu  principe  et  au- 
teur de  la  sainteté,  pourraient-elles  être  saiiites? 

Mais  l'Eglise  catholique  persévère,  depuis  dix-huit 
siècles,  à  mériter  la  promesse  écrite  dans  l'Évangile, 
la  promesse  de  T assistance  de  Jésus.  Depuis  dix-huit 
siècles,  elle  combat  sans  relâche  les  erreurs,  le  vice, 
les  passions;  elle  propage  la  vérité,  elle  persuade 
de  pratiquer  la  vertu  ;  en  un  mot,  depuis  dix-huit 
siècles,  elle  sauve  les  âmes.  Elle  seule  est  donc  réel- 
lement unie  dans  le  nom  du  Sauveur;  c'est  pourquoi 
Jésus-Christ,  selon  sa  promesse ,  se  trouve  en  elle 
et  avec  elle.  Comment  alors,  puisqu'elle  est  unie  à 
Jésus,  possédée,  présidée  par  lui,  comblée,  inspirée 
par  sa  grâce,  sa  sainteté,  comment  ne  serait-elle  pas 
sainte  ? 

Puis,  disons-le,  parmi  les  autL-urs  de  schismes,  les 
fabricateurs  d'hérésies,  il  n'y  en  a  pas  un  seul  auquel 
ou  puisse  donner  le  nom  d'honnête  homme;  oui,  pas 
un  seul!  Ils  furent  tous,  sans  exception  (leur  histoire 
le  dit  assez),  des  hommes  de  péché;  ils  furent  tous 
des  monstres  d'ambition,  d'avarice,  de  luxure  et  de 
cruautés.  Comment  serait-il  donc  possible  que  leurs 
Églises  fussent  saintes  ?  Dans  la  seule  Eglise  catho- 
lique, évidemment,  la  prédication  de  l'Evangile,  com- 
mencée par  les  apôtres,  a  été  continuée  sans  inter- 
ruption des  évêques,  des  missionnaires,  pour  la 
plupart  irréprochables,  envoyés  dans  le  monde  par 


—  17-2  — 
les  Souverains  Pontifes,  dont  le  caractère  et  la 
mission  ont  donc  toujours  clé  en  rapport  avec  la 
sainte  doctrine  de  Jésus-Christ.  Or,  comme  saint 
Paul  l'a  dit,  des  ])rincipes  saints  produisent  des 
effets  saints,  comme  uue  raciue  saine  porte  des 
rameaux  vigoureux. 

Mais  les  faits,  ici,  confirment  unanimement  la  lo- 
gique. Voyez  la  Grèce,  la  Germanie,  rAnglcterre  : 
aussi  longtemps  que  ces  contrées  restèrent  unies  à 
la  racine  de  l'Eglise,  qui  dispense  le  suc  de  la  sain- 
teté, l'on  vit  fleurir  dans  leur  sein  des  hommes  il- 
lustres par  leurs  vertus,  des  saints  de  tout  âge,  de 
toute  condilioM,  de  tout  sexe,  qui  ont  fait  la  gloire 
de  la  religion  et  l'admiraliou  du  moiide  ;  tandis 
qu'une  malédiction  visible  a  frappé  les  peuples  hé- 
rétiques. Horriblement  féconds  jjour  le  vice,  ils  sont 
d'une  stérilité  radicale  pour  la  vertu.  Ils  n'ont  pas 
donné,  et  ils  ne  le  pouvaient,  un  seul  saint  à  la  terre. 
En  renonçant  au  symbole  de  la  vraie  Eglise,  ils  ont 
clos  leur  Martyrologe.  Ils  ont  perdu,  avec  la  foi,  jus- 
qu'au nom  même  de  la  sainteté.  Ils  ne  citent  que 
des  honnêtes  hommes  parmi  eux  ;  jamais  ils  ne  parlent 
des  saints,  qu'ils  ne  peuvent  produire,  qu'ils  n'espè- 
rent point. 

Dans  tous  les  temps,  au  contraire,  et  dans  tous  les 
lieux,  les  pays  catholiques  voient  surgir  ces  derniers 
dans  leur  sein,  à  la  confusion  des  vicieux,  à  Tétonne- 
ment  de  l'univers;  ils  enfantent  des  âmes  vraiment 
sublimes,  héroïques,  de  vrais  saints,  dont  ils  parent, 
enrichissent  leur  31arty reloge.  L'esprit  de  Pierre  et 


—  ils  — 
des  apôtres  n'a  jamais  faibli  dans  la  barque  où  Jésus- 
Christ  est  monté  et  où  il  s'est  assis.  Les  mêmes  pro- 
diges de  vertu  se  répètent  chaque  jour.  Journelle- 
ment, IVa  voit  des  hommes  de  tous  les  âges,  ie  tous 
les  états,  de  toutes  les  conditions  et  de  tous  les  sexes, 
renoncer  aux  douceurs,  aux  espérances,  à  tous  les 
biens  du  monde,  pour  suivre  Jésus-Christ  dans  la 
pratique  de  la  perfection  évangélique ,  afin  de  vivre 
avec  lui  et  de  mourir  généreusement  pour  lui  (l). 
£t,tandis  que  h  s  Eglises  séparées  sont  toutes  plus 
ou  moins  tarées  iaus  leurs  principes,  leur  morale  et 
leur  mission  ;  tandis  que  leur  corruption  a  quelque- 
fois débordé  jusque  sur  les  contrées  catholiques ;, 
l'on  voit, dans  notre  Eglise, manifestement  resplendir 
le  caractère  auguste  de  la  sainteté  ;  on  la  voit  régner 
en  souveraine  sous  cette  glorieuse  auréole,  aux  yeux 
ravis  du  monde,  par  la  vertu  de  Jésus-Christ,  dans 
laquelle  elle  opère  toutes  ses  œuvres.  En  un  mot, 
elle  est  sainte  dans  sa  fin.  Dieu,  vers  qui  convergent 
toutes  ses  puissances;  elle  est  sainte  dans  la  majeure 
partie  de  ses  pasteurs  ;  elle  est  sainte  dans  la  multi- 
tude des  membres  qui  la  composent  ;  elle  est  sainte 
dans  la  foi  qu'elle  professe  ;  elle  est  sainte  dans  les 
sacrements  qu'elle  administre  ;  elle  est  sainte  dans 
les  lois  qu'elle  impose  ;  elle  est  sainte  dans  les  sacri- 
fices qu'elle  inspire  ;  elle  est  sainte  dans  les  œuvres 
qu'elle  persuade  ;  elle  est  sainte,  enfin^  dans  les  ré- 
compenses qu'elle  attend;  et,  par  suite  de  cela,  elle 

(1)  Et  subductis  ad  tes^aui  Davibus,  relictis  omnibiu,  secut 
simt  eum  {Ibid.). 


—  174  — 
est  hoiilc  la  barque  de  Pierre,  la  véritable  Eglise  de 
Jésus-Christ. 

De  là  (lùcouk-  pour  nous  tous,  ses  heureux  en- 
tants, r()bliij;aii()M  d'être  saints. Si  nous  devons  croire 
l'imité,  la  calliolicilé,  raposlolicilé  de  ri"^glise,  nous 
tlcNons  encore  pratiquer  sa  nioraio.  Non,  mes  frères, 
il  no  suUit  point,  pour  être  ses  membres  vivants,  de 
bien  croire,  il  faut  encore  bien  vivre.  Il  ne  suffit 
l)oint  de  la  reconnaître,  de  s'en  faire  gloire  en  pa- 
role, il  faut  encore  l'honorer  par  les  œuvres.  Ce 
n'est  pas  assez  d  en  partager  les  doctrines,  il  faut, 
de  plus,  avoir  son  esprit  :  il  faut  être  humble  par  le 
cœur,  chaste  de  corps,  détaché  du  monde,  sévère 
envers  soi-même,  charitable  pour  le  prochain,  reli- 
gieux, dévot,  aimant  Dieu;  suion,  nous  ne  lui  appar- 
tiendrons pas,  nous  ne  lui  serons  pas  unis  comme  il 
convient;  car  ses  membres,  à  ce  corps  mystique  dont 
Jésus-Christ  est  le  chef,  ne  sont  véritablement  tels 
que  par  la  grâce,  en  un  mot,  par  leur  sainteté.  Au- 
trement,ou  est  du  corps  et  non  de  l'esprit  de  l'Eglise; 
on  est  catholique  de  nonj,  quant  a  la  jtrofessiou 
extérieure  de  la  foi  devant  les  liommcs;  mais,  dans 
le  cœur,on  estschisnialiciue,  on  est  séparé  du  Christ. 
Or,  il  ne  nous  servira  de  rien  d'avoir  été  pris  dans 
les  lilets  de  la  barque  divine,  si  nous  ne  lui  restons 
pas  unis  par  les  liens  de  la  chanté.  Si  nous  parais- 
sons appartenir  aujourd'hui  à  l'Eglise  militante,  de- 
main nous  ne  serons  pas  moins  exclus  à  tout  jamais 
de  l'Eglise  triomphante. 

Ah!  mes  frères,  ne  rendons  pas  inutile  la  grâce  si 


—   175  — 

partic'JÎière  que  Dieu  lions  a  fuite  eu  nous  faisant 
naître  dans  rEgiise  catholique!  Que  notre  vie  soit 
sainte,  comme  notre  foi  est  sainte,  et  notre  mort 
sera  sainte  et  précieuse  aux  yeux  de  Dieu  (1). 

(1)  Pretiosa  in  coaspectu  Domini  mors  saûctorum  ejus  (P^.cxxv) 


VINGTIÈME  HOMÉLIE. 


La  Pèche  miraculeuse, 

00 

LA  CATHOLICITÉ  ET  l'aPOSTOLICITÉ   DE   L'ÉGLISE. 

{Mat th.  IV ;  Marc,  i;  Luc.  v;  Joan.  xxi.) 

Omiiis  plantatio,  quam  non  plantavit  Pater, 
eradlcabituT. 

{Évangile  de  ce  jour^  fer.  IV  post. 
Dom.  III.  Matth.  IV.) 

Quelles  sont  ces  plantes  malheureuses,  incapables 
de  prendre  racine  en  ce  monde,  si  le  Père  céleste 
ne  les  cultive  lui-même,  parce  qu'une  main  sans  pitié 
les  arrache,  à  mesure  qu'elles  croissent,  jusqu'à  la 
dernière  racine?  Les  Pères  nous  apprennent  que  ce 
sont  les  sectes  diverses  qui  n'ont  pas  la  vraie  religion 
pour  base,  et  dont  les  maîtres  et  les  disciples,  ou- 
bliant le  ciel,  ont  le  cœur  et  l'esprit  attachés  à  la 
terre. 

Ainsi  les  systèmes  absurdes  des  philosophes,  les 
folles  superstitions  des  Juifs,  en  un  mot  ces  doc- 

(1)  Sunt  doctores  eom  sectatoribns  suis,  qui  non  habent  fan* 
damentum  Ghristum,  cor  figeâtes  in  terris  {Glos.^  inter.  ex  PP. 
in  T  Matth,). 


—  177  — 
trines  orgueilleuses,  contraires  à  la  vérité,  à  la  jus- 
tice, à  Dieu  lui-même,  u  ont,  d'après  les  propres  pa- 
roles de  Jésus-Christ,  qu'une  existence  précaire  et 
rapide,  et  leur  destin  est  d'être,  tôt  ou  tard,  arra- 
chées de  la  terre  c'est-à-dire  de  disparaître  avec  les 
insensés  ou  les  perfides  qui  les  pratiquent  ou  les  pu- 
blient (1). 

Il  n'y  a  que  cet  arbre  majestueux,  né  d'un  humble 
gcpme,  l'arbre  de  la  doctrine  catholique,  de  l'Eglise 
romaine,  qui  ne  se  plie  et  ne  se  brise  jamais,  quoi- 
qu'il soit  continuellement  battu  par  la  tempête;  il 
devient  même,  ce  semble,  plus  fort,  plus  solide  à 
mesure  que  se  multiplient  les  orages  ;  il  croîtra  enfin 
jusqu'à  étendre  ses  branches  dans  tout  l'univers  et 
à  couvrir  le  monde  sous  son  ombre  pacifique. 

Mais  comment  cela?  Ne  sont -ce  pas  aussi  des 
hommes,  ne  sont-ce  pas  les  apôtres  qui  ont  implanté 
et  cette  doctrine  et  cette  Eglise?  Ne  l'ont-ils  pas  ar- 
rosée de  leurs  sueurs  et  de  leur  sang  (2)?  Comment 
cet  arbre  peut-il  aspirer  à  l'immortalité,  qui  est  pro- 
mise uniquement  aux  plantations  de  Dieu?  Pour 
comprendre  qu'il  en  est  ainsi,  rappelons  ce  que  l'a- 
pôtre ajoute  dans  le  même  endroit  :  c'est  Dieu  qui, 
en  bénissant  les  fatigues  des  apôtres,  a  donné  à  leurs 
œuvres  et  à  leur  zèle  l'accroissement  et  le  fruit  ob- 

(1)  Omnis  igitur  plantatio  philosoptorum,  omnis  plantatio  hae- 
reticorum,  quaecunque  contra  Deum  est,  etveritatem,et  justitiam, 
eradicabitur  [Ibid.]. 

(2)  Ego  plantavi,  Apollo  rigavit  (/  Cor.  m).  —  Deus  autem 
incrementum  dédit.  —  Dei  enim  adjulores  sumus.  —  Dei  enirn 
agricultura  estis;  Dei  aedificatio  estis. 

II.  12 


—  17S  — 
tenus;  ils  n'oiil   travaillé  qu'iii  qiialilc  de  coopéra 
tours  (le  Dieu.  Quoique,  dans  un   S'.m's,  l'Eglise  ca< 
tholique  ait  été  établie   par  les  apôtres,   en  réalité 
c'est  le  P(>rc  céleste  (jui  j)lante  cette  vigne  chérie; 
c'est  pouniuoi  le  même  apôtre  appelle  les  \rais  ca- 
tholiques les  rejetons,  la  gloire  de  la  culture,  l'édi- 
fice de  Dieu.  Loin  donc  que  l'Eglise  ait  à  craindre 
d'être  déracinée,  parce  qu'elle  a  été  plantée  par  la 
main   des  apôtres,  c'est  j)récisément  parce  que  ce 
sont  les  apôtres,  fidèles  ministres  de  Dieu,  qui  l'ont 
plantée  dans  l'univers,  qu'elle  vivra  éternellement; 
précisément  parce  qu'elle  est   apostolique  et  univer- 
selle, clic  est  la  plante  de  Dieu,  l'Eglise  de  Dieu. 
Le  divin  Maître  a  voulu  aussi  nous  inculquer  cette 
grande  vérité  par  le  prodige  de  la  pêche  miraculeuse, 
que  nous  avons  précédemment  exposée  dans  son  sens 
historique  et  littéral,  et  que  nous  allons  expliquer  ici 
dans  son   sens  mystérieux  et   allégorique.   Voyons 
donc,  en  reprenant  cette  admirable  histoire,  com- 
ment Vuniversalité  et  Vapostolicité  sont  encore  les 
caractères  essentiels  de  la  vraie  Eglise,  et  prouvons 
en  même  temps  qu'ils  ne  conviennent  qu'à  l'Eglise 
romaine.  Ce  sujet,  si  important  pour  l'instruction  de 
nos  esprits,  est  bien  doux  pour  nos  cœurs;   car  qu'y 
a-t'il  de  plus  doux, de  plus  cher  à  des  enfants  fidèles, 
que  de  ra[)peler  à  la  pensée  et  de  proclamer  par  la 
parole  les  privilèges,  les  grandeurs  et  les  gloires  de 
leur  Mère? 


—  179 


PREMIERE  PARTIE. 


Lorsque  notre  divin  Maître,  assis  sur  la  barque 
de  Pierre,  cul  fini  de  parler  au  peuple  de  Galilée, 
qui  I  écoutait  du  rivage ,  il  dit  à  Pierre  :  «  Dirige  ta 
barque  sur  la  haute  mer,  où  tous  déployez  et  jetez 
vos  filets.  »  Dans  le  sens  qu'il  s'agit  d'approfondir, 
CCS  paroles  signifient  que  le  Sauveur,  après  sa  pas- 
sion^ devait  cesser  de  parler  au  peuple  par  lui-même, 
mais  qu'il  chargerait  ses  apôtres  de  l'exercice  de  ce 
ministère  par  tout  le  monde,  en  leur  disant  :  «  Allez 
dans  le  monde  entier  prèclier  l'Evangile  à  toute 
créature  (1).  » 

Mais  la  barque  de  Pierre,  comme  nous  l'avons  vu, 
c'est  l'Eglise.  Or,  en  considérant  le  langage  du  divin 
Maître  ,  qui,  après  avoir  parlé  au  peuple,  commande 
à  Pierre  de  diriger  sa  barque  sur  la  haute  mer,  il 
est  aisé  de  voir  clairement  exprimé  le  mystère  de 
justice  et  de  miséricorde  qui  allait  sous  peu  s'accom- 
plir. En  effet,  après  que  Jésus-Christ,  assis  sur  la  bar- 
que, c'est-à-dire  dans  la  primitive  Eglise  formée  par 
le  zèle  et  sous  la  présidence  de  Pierre ,  eut  prêché 
aux  Juifs,  il  ordonna  au  même  apôtre  de  pousser  sa 
barque  vers  la  haute  mer,  c'est-à-dire  vers  les  Gentils. 

C'en  est  donc  fait,  Jérusalem,  ô  malheureuse  cité! 

(1)  Tune  Dominus  cessavit  loqui,  quando  post  passionem  a 
prœdicatione  quievit.  Tune  quidem  praeccpit  Simoni  aliisque 
apostolis  ut  in  allum  ducerent  et  laxarent  retia,  cum  dixit  : 
«  Euntes  iu  muadum  universum,  praedicate  Evangelium  ornai 
creatufiE  {Expos.),» 


—  180  — 
le  pécheur  qui  ({uillc  les  riva|;cs  de  Galilée  et  prend 
le  lari;e  avecJésiis-Ciirisl  elscscom|)a|^iioiis,  avec  les 
lilels  seuls  ellicaces  pour  uue  pèche  miraculeuse,  c'est 
\*ieni'  :  sous  peu,  il  te  quittera  pour  ne  plus  te  revoir, 
et,  en  i)arlant,  il  te  ravira,  t'enlèvera,  pour  le  faire 
prosi)ércr  aux  rives  ètrant;èrcs,  le  royaume  de  Dieu, la 
vraie  Eglise, que  tu  persécuteras  d'ailleurs, loin  de  l'ac- 
cueillir avec  amour  et  reconnaissance.  Mais,  ô  Pierre  ! 
où  conduis-tu  ta  nacelle,  qui  porte  le  fils  de  Dieu, 
avec  ses  trésors  de  grâce  et  de  salut?  En  avant,  en 
avant  ;  tel  est  le  commandement  qu'il  a  reçu  de  Jésus- 
Christ  :  Duc  in  altitm.  Oh!  barque  céleste,  heureux  le 
rivage  où  elle  aborde  î  heureux  le  port  qui  lui  olï'rc 
un  asile  !  heureux  le  peuple  qui  l'accueille!  Mais  quel 
est  ce  port,  quel  est  ce  rivage,  quel  est  ce  peuple? 
0  saint  pilote!  et  vous  ses  pieux  rameurs,  ô  Esprit- 
Saint!  qui  gonflez  ses  voiles,  ô  souffle  d'Orient!  douce 
brise  de  la  divine  miséricorde,  ah!  dirigez,  poussez 
'cette  précieuse  et  fortunée  nacelle  vers  l'Itaheau  ciel 
bleu  !  Nous  sommes  tout  disposés  à  la  recevoir  au  mi- 
lieu de  nos  acclamations  et  de  nos  cris  de  bonheur  ! 

Oh!  touchant  mystère!  oh!  suavessouvenirs!  Home 
païenne  était  vraiment  la  cité  superbe,  non  moins 
par  la  grandeur,  les  richesses,  la  force  de  son  empire, 
que  par  son  orgueil  sans  bornes;  liome  était  en  même 
temps  la  villo  dégradée,  non  moins  par  la  profondeur 
de  sa  corruption,  que  par  le  nonibre  iiilinide  ses  vices  ; 
c'était  une  nier  sans  rivages,  sans  bornes  ;  un  océan 
déroulé,  sans  fond,  sans  cesse  agité,  soulevé  par  la 
li'îence  ou  par  l'ambition  ;  tel  est  l'abîme  sur  lequel 


—  181  — 
Jésus-Christ  ordonne  à  Pierre  de  lancer  sa  barque  : 
ïhic  in  altiim.  c'est-à-dire  de  tranporter  la  vraie  Eglise 
loin  de  Jérusalem.  0  Rome!  considère  attentivement, 
dans  un  esprit  d'humilité,  l'histoire  de  la  mer  de  Tibé- 
riade  !  applaudis  avec  amour  et  reconnaissance  au  fait 
prodigieux  par  lequel  fat  fixé  ton  destin  et  furent  pré- 
dites ta  félicité  et  ta  gloire  nouvelle  !  Reconnais  le 
mystère  de  ton  élévation  dans  Pierre  tournant  vers 
toi  sa  proue,  s'aventurant  sur  tes  eaux  orageuses,  loin 
de  la  Judée  ;  il  vient  f  orner  de  ses  vertus,  de  ses  pri- 
vilèges et  de  sa  sublime  dignité  ;  il  vient  établir  au 
milieu  de  tes  palais  le  centre  de  la  vraie  Eglise,  la 
Chaire  éternelle,  et  t'enrichir  d'une  pêche  aussi  abon- 
dante que  variée, qui  durera  jusqu'à  la  fin  du  monde  ! 
Et  vous,  ô  peuples  de  l'univers!  rassurez-vous;  ne 
craignez  point  que  Pierre,  en  franchissant  les  hau- 
teurs de  Rome ,  oublie  vos  rivages  ;  n'ayez  aucune 
crainte  d'être  privés  pour  toujours  des  richesses  di- 
vines qu'il  porte  dans  sa  barque  avec  Jésus-Christ.  Oh  ! 
non,  vous  ne  serez  ni  oubliés,  ni  abandonnés.  Ouvrez, 
vous  aussi,  vos  cœurs  à  l'espérance:  Rome  est  la  cité 
reine,  la  cité  qui  a  l'empire  terrestre  du  monde; 
c'est  pourquoi  Jésus-Christ  a  envoyé  ses  deux  princes, 
Pierre  et  Paul,  pour  y  établir  son  royaume  céleste  (î  ). 
Le  divin  pilote,  par  ces  paroles  générales  :  «  Avance 
en  pleine  mer,  »  sans  désignation  spéciale,  a  montré 
qu'en  envoyant  son  apôtre  à  Rome,  il  ne  l'envoyait 
pas  seulement  à  un  peuple ,  mais  à  tous  les  peuples, 

(i)  Ubi  mundus  caput  habet  imperii,  ibi  regni  sui  principes 
coUocavit  (S.  Max.,  in  Nativ.  Petr.  et  Paul.). 


—  !82  — 
à  une  ville,  mais  à  toutes  les  cités,  et  il  figura  par 
là  le  caractère  do  la  calhoUcitc   ou  de  l'universalité 
csscnliel  à  son  Eglise. 

Notre  divin  Sauveur  a  symbolisé  le  même  mystère 
par  le  mode  prescrit  pour  la  pêclic  miraculeuse  dont 
nous  parlons.  Dans  celle  qui  se  lit,  selon  ses  ordres, 
après  sa  résurrection,  il  leur  commanda  seulement 
de  jeter  leurs  filets  à  droite  de  la  barque  (1)  ;  mais 
aujourd'hui  il  ne  désigne  aucun  lieu  particulier.  Que 
les  disciples  jettent  les  filets  d'un  côté  ou  d'un  autre, 
où  il  leur  plaira,  peu  importe  ;  ils  prendront  tou- 
jours du  poisson.  Tous  les  points  de  la  mer  seront 
également  favorables  ;  la  pêche  sera  partout  abon- 
dante et  heureuse,  parce  qu'elle  est  faite  en  son  nom 
et  par  ses  ordres.  Par  là  encore  Jésus -Christ  n'as- 
signe dor.c  que  les  limites  de  l'univers  pour  limites 
à  la  prédication  future  des  apôtres  ;  il  leur  donne 
le  monde  entier  à  convertir,  et  imprime  ainsi  à  son 
Eglise  un  caractère  tout  particulier  :  la  catholicité  ou 
Vîtniversalité. 

J'ai  dit  un  caractère  tout  particulier  ;  car  il  ne 
convient  à  aucune  autre  société  religieuse ,  quelque 
nombreuse  qu'elle  soit  ;  il  ne  se  rencontre  que  dans 
l'Eglise  romaine,  appelée  catholique  par  ses  ennemis 
eux-mêmes.  Cela  est  clair  :  notre  doctrine  seule, 
d'abord,  et  notre  seul  culte  sont  universels.  Les  re- 
ligions séparées,  si  toutefois  il  est  permis  de  donner 
ce  nom  auguste  au  fruit  monstrueux  du  délire,  de 
l'orgueil  et  de  la  corruption  humaine  ;  les  autres  rc- 

(1)  Mittite  in  dexteram  navigii  rete  [Joan.  xxj,  6). 


—  183  — 
ligions  (ridoltïtrie,  le  malioinétisme,  le  schisme  grec, 
le  protestantisme  anglais  et  allemand),  lors  même 
qu'elles  seraient  mille  fois  plus  répandues  qu'elles  ne 
le  sont,  qu'elles  seraient  étendues  à  tout  l'univers, 
ne  seront  jamais  des  religions  universelles,  mais  de 
simples  instihitions  dépendantes  du  lieu  où  elles  re 
curent  le  jour,  des  hommes  qui  les  inventèrent,  et 
des  constitutions  politiques  qui  les  maintiennent. 
Elles  seront-toujours  les  religions  d'un  certain  peuple 
pour  un  certain  temps,  au  profit  de  certains  préju- 
gés ,  de  certains  intérêts  et  de  certaines  passions. 
Elles  seront  toujours,  comme  elles  le  sont  en  effet, 
des  religions  particulières  et  privées.  11  n'est  donné  à 
nul  pouvoir  humain,  si  grand  qu'il  soit,  de  fonder  des 
institutions  propres  à  tous  les  hommes.  Il  n'est  donné 
à  aucune  créature  d'inventer  un  ensemble  de  dogmes, 
de  lois  et  de  cérémonies  du  culte  en  harmonie  avec 
l'universalité  des  êtres,  pas  plus  qu'il  ne  lui  est  pos- 
sible de  les  faire  adopter  au  monde  entier.  L'erreur, 
née  avec  le  temps,  est  nécessairement  bornée  par  le 
temps  et  l'espace;  la  vérité  seule,  qui  est  éternelle, 
est  imiverselle.  La  religion  catholique,  partant  la 
seule  qui  a  pour  auteur  l'Homme-Dieu,  le  Créateur, 
le  maître,  le  monarque  de  tous  les  hommes,  est 
l'institution  propre  de  toute  l'humanité.  Elle  seule 
s'adapte  aux  climats  de  tous  les  pays,  au  génie  de 
toutes  les  nations,  au  degré  de  civilisation  de  tous 
les  peuples,  aux  formes  politiques  de  tous  les  Etats. 
Elle  seule,  parce  qu'elle  est  descendue  du  ciel,  peut 
embrasser,  embrasse  réellement  dans  son  sein  toute 


—  184  — 
la  terre.  Elle  seule,  indépendante  des  circonstances 
de  temps  et  de  lieu,  est  pour  tous  les  lieux  et  pour 
tous  les  temps.  Ses  dogmes,  ses  lois,  son  culte,  ma- 
gnifique révélation  des  attributs  de  Dieu,  do  la  na- 
ture et  de  la  condition  de  l'horame  ;  expression  fi- 
dèle des  rapports  naturels,  nécessaires,  immuables  et 
éternels  entre  le  créateur  et  sa  créature,  sont  seuls 
propres  à  satisfaire  tous  les  besoins,  à  secourir  toutes 
les  misères  et  à  contenter  tous  les  instincts  légitimes 
de  riuimanité.  Elle  n'est  point  dite  calhoHque,  parce 
quelle  se  trouve  répandue  partout,  mais  elle  se 
trouve  partout,  précisément  parce  qu'elle  est,  par 
elle-même,  catholique  et  universelle.  L'universalité 
n'est  point  pour  elle  une  condition  accidentelle,  pas- 
sagère, accessoire;  mais  elle  est  sa  nature,  son  es- 
sence, son  principe,  ce  qui  la  constitue.  Quand  elle 
ne  serait  connue,  pratiquée  que  dans  un  coin  de  la 
terre^  dans  une  petite  cite,  dans  une  obscure  fa- 
mille, elle  n'en  serait  pas  moins  la  religion  de  tous 
les  siècles  et  de  tous  les  peuples.  Il  ne  faut  que  la 
foi  pour  la  connaître,  que  l'obéissance  pour  la  prati- 
quer. Et  quel  peuple,  quel  homme,  quel  que  soit  son 
âge,  son  sexe,  sa  condition,  n'est  capable  de  croire 
et  d'obéir?  Aussi  règne-t-elle  seule  dans  l'univers. 
Les  nations  les  plus  policées  de  l'Europe  (1),  comme 
les  contrées  les  plus  barbares  de  TOcéanie,  sont  sou- 
mises à  son  empire.  La  seule  barque  privilégiée  de 
Pierre  aborde,  prend  terre  partout;  partout  elle  sé- 

(1)  La  guerre  actuelle  le  prouve  par  la  supériorité  des  nations 
catholiques. 


—  185  — 
journe,  partout  elle  se  charge  d'une  pêche  miracu- 
leuse. Le  successeur  de  Pierre  seul  a  des  sujets  dans 
tout  l'univers  ;  il  peut  faire  entendre  la  parole  de  vie 
dans  les  îles  les  plus  éloignées,  dans  les  contrées  les 
plus  inhospitalières  et  jusqu'aux  extrémités  de  la 
terre.  Sa  monarchie  spirituelle  et  sa  juridiction  sont 
sans  bornes,  parce  que  Jésus-Christ  n'a  pas  assigné  de; 
limites  à  Pierre, aux  pécheurs  de  la  mer  de  Tibériade,! 
dont  il  leur  a  abandonné,  au  contraire,  toute  la  sur- 
face, et  par  là^  je  le  répète,  l'univers  entier,  pour  y 
prendre  des  poissons  de  toutes  qualités  et  de  toutes 
grandeurs  :  «  Va  en  ayant ,  et  jetez  vos  filets  pour 
prendre  du  poisson  :  Bue  in  alium,  et  laxate  retia  in 
capturam  piscium.  » 

Quand  le  Sauveur  eut  prononcé  ces  paroles,  Pierre 
reprit  aussitôt  :  «  Mais,  Seigneur,  mes  compagnons  et 
moi  nous  avons  péché  toute  la  nuit  dans  cette  même 
mer  sans  rien  prendre.  »  Cette  déclaration  de  Pierre 
est,  selon  Bède,  la  figure  de  l'inutilité  des  efforts 
tentés  par  les  savants  et  les  sages  pour  attirer  les 
hommes  à  Dieu  durant  la  nuit  séculaire  qui  précéda 
la  venue  de  Jésus-Christ  (1).  De  sorte  que  la  pêche 
abondante  qui  suivit  l'obéissance  des  disciples  au 
commandement  de  Jésus,  est  la  figure  de  l'éclatant 
miracle  opéré  par  les  apôtres,  substitués  aux  anciens 
docteurs,  quand  ils  prêchèrent  et  convertirent  en 


(1)  Tempus  ante  Domini  adventum  nox  erat.  Laboraverunt  au- 
tem  doctores,  qui  ante  Christum  fuerant,  et  nihil  comprehende- 
runt  (Beda,  Com.). 


—  180  — 
peu  de  temps  une  si  grande  multitude  de  peuples  (1), 
au  soleil  de  l;i  résurrection,  au  nom  du  Crucifié  du 
Calvaire. 

Déjà  Jérémie  avait  annoncé  ce  grand  prodige  en 
des  termes  Irés-clairs,  quand  il  prophétisait  :  «Voici 
ce  que  dit  le  Seigneur  :  Un  jour  viendra  où  j'enverrai 
une  troupe  de  pécheurs,  qui  pécheront  les  hommes  ; 
où  j'enverrai  une  troupe  de  chasseurs,  qui  les  chas- 
seront sur  toutes  les  montagnes,  sur  toutes  les  col- 
lines et  sur  tous  les  rochers  (2).  » 

Cependant  la  surprise  de  Pierre  et  de  ses  compa- 
gnons fut  extrême,  à  la  vue  de  la  fécondité  soudaine 
de  cette  mer  rebelle,  toute  une  nuit,  à  leurs  eiïorls, 
à  la  vue,  dis-je,  de  l'abondance  de  poissons  qu'ils 
avaient  pris  (3).  Mais  combien  est  plus  étonnant  le 
proJige  figuré  par  cette  pêche!  Quoi!  des  hommes 
si  pauvres,  si  ignorants  et  si  grossiers  ont  pu  con- 
fondre la  sagesse  du  siècle,  triompher  de  l'orgueilleuse 
philosophie  païenne,  convertir  un  monde  si  dépourvu 
de  vérités  et  de  vertus,  et  enfin  capturer  tant  de 
peuples  à  l'aide  des  filets  de  lavraie  foi,  pour  la  barque 
de  la  vraie  Eglise  !  Et  tout  cela  sur  la  parole  et  au 


(1)  Postquam  autem  venit  Christus,  et  dies  factus  est,  apostoli 
in  locum  lo^iis  doctorum  subrogati,  iu  verbo  ejus,  hoc  est,  iu 
prœcepto  ejus  taxant  retia,  et  maguam  hominum  mullitudioera 
vcnanlur  [Ihid.). 

(2)  Ecce  ego  mittam  piscatores  multos,  dicit  Dominus,  et  pis- 
cabmitur  eos,  et  multos  venatores,  et  venabuntnr  oos  de  omui 
monte,  do  omui  colle  et  de  cavernis  pelrarum  (Hier.  xvi). 

(3)  Stupor  circumdrderat  eum,  et  oiunes  qui  cum  illo  crant 
iu  captura  piscium  quam  ccperant  {Luc.  v,  9). 


—  187  ~ 
nom  seul  de  Jésus-Christ  ;  c'est-à-dire,  eu  prêchant 
Jésus-Christ  et  Jésus-Christ  cruci/fé,  le  scandale  des 
Juifs,  la  folie  et  l'opprobre  des  Gentils  (1  )  ! 

Que  l'économie  de  la  Providence  est  admirable,  dit 
saint  Augustin  !  Jésus-Christ,  afin  de  briser  l'orgueil 
des  sages  du  siècle,  ne  se  sert  point  des  éloquents  pour 
triompher  des  pêcheurs,  mais  de  ceux-ci  pour  vaincre 
ceux-làj  et  avec  eux  les  rois  et  les  empereurs  (2).  Cy- 
prien  filt  certainement  un  grand  philosophe  et  un 
grand  orateur,  et  cependant  il  a,  lui  aussi,  courbé 
le  front  devant  Pierre  le  pêcheur  (3). 

Voyez  ,  continue  le  même  Docteur  de  la  grâce,  la 
sagesse  de  Dieu  dans  ce  choix  des  pêcheurs  pour  ac- 


(1)  Quis  non  stupescat  per  taies  praedicatores  mnndiim  con- 
versum,  philosophos  superatos,  mundi  sapientiam  deslructam,  et 
intra  fidei  retia  tantam  piscium  miiltiiudinem  esse  coUectam; 
prsesertim  cum  prœdicarint  Christum,  et  liunc  crucifixum,  Judeeis 
quidem  scandalum,  Gentibus  autem  stultitiam  (Tlieopli.,  Com.). 

(2)  Saint  Paul  insistait  sur  ce  miracle,  quand  il  disait:  «Chose 
admirable  !  Dieu  a  converti  le  monde,  non  point  par  l'art  de  la 
rhétorique,  de  la  sagesse  humaine,  mais  par  la  simple  manifes- 
tation de  sa  doctrine,  qui  est  esprit  et  vérité.  »  «  Il  ne  s'est  pas 
prévalu,  continue  le  même  apôtre,  des  savants  selon  la  chair,  ni 
des  puissants,  ni  des  nobles  pour  établir  son  Évangile  sur  la 
terre;  mais  il  a  choisi  quelques  hommes  les  plus  faibles,  les  plus 
grossiers,  les  plus  abjects  et  les  plus  méprisables  aux  yeux  du 
monde,  pour  confondre  les  forts;  il  a  choisi  les  plus  misérables 
et  ce  qui  n'était  rien  pour  détruire  ce  qui  est,  afin  que  nul  ne 
se  glorifiât  d'avoir  réussi  dans  une  si  grande  entreprise,  mais 
que  tout  fût  attribué  à  la  puissance  de  Dieu  pour  sa  gloire.  » 

(3)  Volcns  Christus  superborum  cervicem  frangera,  non  quœsi- 
vit  per  oratorem  piscatorem;  sed  per  piscatorcm  lucratus  est 
imperatorem.  Magnus  orator  Gyprianus,  sed  prius  Petrus  pisca» 
tor  (Aug.,  Tract,  in  Joan.). 


—  188  — 
complir  son  œuvre  et  changer  la  face  du  monde  !  Cet 
artisan  obscur  n'emploie  pas  la  violence,  dans  son 
labeur  ;  il  jelle  son  lilet  h  la  mer  et  il  lire  à  lui  les 
poissons  qui  s'y  prennent  volontairement.  Or,  Dieu  l'a 
choisi  pour  convertir  la  terre,  afin  que,  dans  celte 
condition  nouvelle,  il  se  comportât  de  la  même  ma- 
nière, et  qu'en  changeant  de  profession,  il  ne  chan- 
geât pas  de  conduite.  C'est  ce  qui  arriva:  les  apôtres 
ne  contraignirent  personne  à  embrasser  le  christia- 
nisme ;  ils  ne  violentèrent  aucun  homme.  Tant  de 
peuples  divers  ne  se  trouvèrent  réunis  dans  la  môme 
Eglise  que  parce  qu'ils  vinrent  librement  se  précipiter 
dans  les  filets  delà  prédication  apostolique.  La  parole, 
voilà  l'arme  des  convertisseurs,  et  non  l'épée;  iln'y 
eut  point  de  menaces,,  mais  d'aimables  invitations;  la 
ruse  n'y  eut  aucune  part,  la  vérité  seule  fut  montrée 
aux  yeux  des  peuples  (1). 

Mais  ce  miracle  (digne  de  l'étonnement  des  cieux) 
de  la  propagation  rapide  de  l'Eglise,  sans  rem[)loi  ni 
de  la  séduction,  ni  de  la  fraude,  ni  de  la  violence,  ni 
d'aucun  des  moyens  qui  attirent  ou  assujettissent  le 
monde;  ce  miracle,  dis-je,  est  lié,  par  une  merveilleuse 
dépendance,  au  caractère  de  la  calholicilé deVE'^lise . 
Il  faut  que  tous  se  plient  à  admettre  une  religion  qui 
se  présente,  se  déclare  et  se  prouve  instituée  pour 
le  bien  de  tous;  car  l'efficacité  d'une  religion  est  la 


(1)  Piscatores  erant  apostoli;  ncminem  coegerunt,  neminem 
impulerunt;  quia  pijcalor  miUit  in  mare,  et  non  cogit,  sed  tra- 
hit quod  incurrit.  Ita  infidèles  in  Ecclesia  congregati  sunt  (Serm. 
12  de  Util,  jejun.). 


—  Tô3  — 
preuve  ae  la  cathoUciié  de  sa  nature,  amst,  parmi 
toutes  les  communions  chrétiennes,  celle-là  seule 
sera  vraiment  catholique  et  universelle^  qui,  lorsqu'elle 
est  libre  dans  son  action,  se  propage  et  s'étend  avec 
facilité,  en  dépit  de  toutes  les  passions.  Or,  cette 
merveilleuse  efficacité,  ce  pouvoir  surhumain  de  do- 
miner les  esprits  et  d'attirer  les  cœurs  se  trouve  dans 
la  seule  Eglise  romaine. 

Les  instruments  qui  servirent  dans  cette  pêche  des 
hommes  ne  pouvaient,  par  leur  nature,  s'user  avec 
l'usage  ni  vieillir  avec  le  temps.  Pourquoi?  Parce 
qu'ils  n'ont  pas  été  fabriqués  par  l'art  de  l'homme, 
mais  par  la  grâce  de  Dieu  (I).  Les  apôtres  ont  reçu 
du  divin  Maître  des  fdets  que  le  temps  ne  consume 
point,,  des  cannes  que  la  vermoulure  n'attaque  jamais, 
des  hameçons  que  la  rouille  n'atteint  pas.  Ils  se  sont 
assis  sur  une  pierre  inébranlable  que  les  flots  heurtent 
vainement  ;  ils  se  sont  embarqués  sur  une  nacelle  qui 
affronte,  sans  crainte  de  se  briser,  et  les  vagues  et 
les  tempêtes  (2).  Mais  où  trouver,  depuis  les  apôtres, 
ces  instruments  qui  ne  s'usent  pas,  ce  roc  qui  n'est 
jamais  ébranlé,  cette  barque  qui  se  rit  du  naufrage? 
Ah  !  cette  barque  c'est  l'Eglise,  et  ce  rocher  c'est 
Pierre  ;  car  c'est  à  Pierre  qu'il  a  été  dit  :  «  Tu  es  Pierre, 
et  sur  cette  pierre  j'édifierai  mon  Eglise  ;  »  et  ces  ins- 

(1)  Non  veterascunt  tempore  illa  piscatiouis  instrumenta,  quae 
non  humana  arte,  sad  clivina  gratia  sunt  effecta  (fmp.,  Com.). 

(2)  Non  sinum  possederunt  qui  vetustate  putrescit;  non  arun- 
dinem  quem  tempus  corrumpit;  non  hamum  quem  rubigo  con- 
sumit;  non  in  petra  considerunt,  quae  uudis  quatitur;  non  m 
Bcapha  uavigarunt,  quam  tempestas  dissolvit  [kl.  ilid.). 


—  190  — 
tnimcnts  précieux,  c'est  la  prédication  catholique, 
lik'l  divin  dont  ri"]ij;lisc  a  hérilé  des  apûlrcs  el  qu'elle 
jette  toujours  sur  cette  même  nier  du  monde,  et  tou- 
jours avec  le  même  succès. 

C'est  pourquoi  le  miracle  annoncé  en  figure  sur 
la  mer  de  Géuésaretli,  accompli  en  partie  dans  les 
contrées  delà  Judée,  se  continue,  s'achève  à  mesure 
dans  l'univers,  par  l'Eglise.  Les  pêcheurs,  dit  Bèdc, 
sont  encore  les  docteurs,  les  i)rédic.atcurs  del'Kglise, 
ceux  qui  prennent  les  hommes  dans  les  filets  de  la 
foi  et  les  conduisent  comme  au  rivage,  à  la  terre  des 
vivants,  dans  le  ciel  (1).  Maintenant  encore,  chaque 
jour,  se  jette  dans  la  mer  du  siècle  le  divin  filet  de 
l'Evangile.  Chaque  jour  Jésus -Christ  renouvelle  le 
miracle  de  la  pêche,  enremp-Iissantle  ret  céleste  par 
la  conversion,  par  le  salut  des  âmes  gisant  au  fond 
de  l'océan,  c'est-à-dire  daks  le  gouffre  du  vice  et  de 
l'erreur  (2). 

Or,  c'est  Pierre  qui  fait  principalement  cette  pêche 
dans  l'Eglise  (3).  Du  jour  oîi,  par  sa  prédication  à 

(1)  Piscatorcs  suot  Ecclesiae  doclores,  qui  uos  per  rele  fidei 
comprchenduut ,  et  quasi  littori  advehunt  terrae  viveutium  (Beda> 
Corn.). 

(2)  Jacitur  etiam  nunc  Evangelii  rete,  Christo  Domino  illud 
impleutc,  eosque  ad  conversionem  vocante,  qui  in  profundo 
pelago,  hoc  est,  in  mundi  liujus  commotioue  versantur  (Bostr., 
Expos.). 

(3)  Qu'on  fasse  attention  à  la  belle  expression  dont  le  Sauveur 
s'est  servi  en  confiant  à  Pierre  et  à  ses  successeurs  une  sem- 
blable poche,  quand,  selon  le  texte  grec, il  lui  dit  :  «Dès  ce  mo- 
ment lu  prendras  les  hommes  vivants  ;  »  ou  bien,  comme  traduit 
camt  Ambroise  :  «  Tu  vivifieras  les  hommes  :  Vivi/icatis  homi- 
nes.  »  Par  là,  dit  le  même  Père,  nous  a  été  montrée  ladifTérence 


—  191  — 

Jérusalem,  il  couvcrlit  ImiL  mille  personnes  dans 
doux  sermons  ;  du  jour  où,  sur  Tordre  du  ciel,  il  at- 
tira, par  le  filet  de  la  foi,  dans  la  barque  de  l'Eglise, 
comme  prémices  des  Gentils,  le  centurion  Corneille; 
iîe  cet  instant,  dis-je,  où  commença,  par  de  si  heu- 
reux auspices,  la  noble  pêche  des  âmes,  Pierre  n'a 
jamais  cessé  de  pécher  dans  la  personne  de  ses  suc- 
cesseurs. En  effet,  le  Souverain  Pontife  est  encore 
aujourd'lKii  celui  à  qui  il  a  été  dit,  comme  autrefois 
à  Pierre  :  Tu  es  pêcheur  d'hommes.  C'est  donc  au 
Souverain  Pontife  qu'il  appartient  de  convertir  les 
âmes  ;  aussi  est-ce  lui  qui,  dans  l'Eglise,  jusqu'à  pré- 
sent, en  personne  ou  par  ses  légats,  les  évêques,  les 
prêtres,  les  missionnaires  qu'il  envoie  par  toute  la 
terre,  convertit  les  infidèles  et  les  hérétiques,  tout 
comme  les  premiers  Pontifes  convei«  irent  d'abord 
Rome,puis  envoyèrent  convertir  les  autrcspeuples(l). 
Mais,  hors  de  l'Eglise,  qu'est-ce  que  la  prédication? 
Le  schisme,  convaincu  de  son  impuissance, y  a  renon- 
cé. A't-on  jamais  entendu  parler  de  missionnaires 


entre  les  filets  apostoliques  et  les  filets  ordinaires  :  ceux-ci  pren- 
nent vivant  le  poisson,  mais  pour  le  faire  périr;  ceux  de  l'Eglise 
prennent  des  âmes  mortes  par  le  péché,  mais  pour  leur  redonner 
et  pour  leur  conserver  la  vie;  ils  les  retirent  de  l'abîme  des  té- 
nèbres, de  l'erreur  et  du  vice,  et  les  élèvent  à  la  grâce,  à  la 
lumière  de  la  vérité,  et  des  portes  de  l'enfer,  ils  les  élèvent  jus- 
qu'à celles  du  ciel. 

(1)  Pontifex  est  primus  piscator  cui  dicitur  :  Eris  homines  ca- 
piens.  llli  incumbit  per  se,  vcl  per  suos  legatos,  sacerdotes,  reli- 
giosos,  episcopos,  convertere  infidèles  et  haereticos,  uti  primi 
pontifices  converterunt  Romanos,  et  ad  alios  populos  converten- 
dos  miserunt  (/«  Luc). 


—  192  — 
schismaliqucs  qui  aicul quitté,  par  exemple,  la  Grèce 
l^our  s'en  aller  convertir  les  conlrées  idolàlrcs?  Le 
schisme  ne  cherche  qu'à  faire  des  prosél}' les  parmi 
les  catholiques  qui  l'entourent,  sans  s'inquiéter  des 
inlldôles  éloignés.  Quant  à  l'hérésie  protestante,  elle 
a  entrepris,  pour  contrefaire  lîomo,  d'envoyer,  elle 
aussi,  de  [ir étendus  missionnaires  dans  le  monde.  Mais 
des  missionnaires  de  comédie  ne  fout  que  des  con- 
versions de  théâtre.  Quelques  idolâtres,  séduits  de 
loin  en  loin  par  l'appât  de  l'or,  par  l'espérance  d'une 
existence  moins  misérable,  ou  intimidés  par  la  crainte 
des  mauvais  traitements,  se  laissent  baptiser  et  appe- 
ler chrétiens  sans  contracter  l'obligation  de  pratiquer 
le  christianisme  :  voilà  à  quoi  se  réduisent  les  succès 
des  missions  des  Sociétés  bibliques,  des  Anglicans,  des 
t'vangélistes,des  Quakers  et  des  Méthodistes. Il  y  a  plus 
d'un  siècle  que  ces  sacrilèges  profanateurs  du  plus 
auguste  ministère  sont  répandus  en  Asie,  en  Afrique, 
dans  l'Amérique.  Eh  bien  !  où  est,  je  ne  dis  pas  l'em- 
pire, le  royaume,  la  province,  mais  la  ville,  la  bour- 
gade dont  on  puisse  dire  que  d'idolâtre  elle  est  de- 
venue vraiment  chrétienne  ?  Et,  tandis  que  la  vraie 
Église,  de  nos  jours  même,  peut  montrer;,  avec  une 
sainte  fierté,  et  les  villes ,  et  les  provinces,  et  les 
royaumes  que  ses  envoyés  attirent  encore  à  l'Évan^ 
gile,  qu'ils  transforment  en  chrétientés  qui,  par  la 
sainteté  de  la  vie,  par  la  constance  et  par  la  généro- 
sité de  la  foi,  par  la  ferveur  de  la  piété,  rappellent  le 
premier  âge  du  christianisme;  l'hérésie  est  forcée  de 
rougir  et  de  gémir  en  secret  sur  la  stérilité  de  ses 


—  193  — 
efforts  et  sur  les  misères  de  ses  conquêtes.  Et  cepen- 
dant CCS  missionnaires  par  le  nom  seul,  se  présentent 
entourés  de  luxe,  de  richesses,  de  force  matérielle, 
ious  le  patronage  puissant  d'une  grande  autorité; 
iandis  que  les  envoyés  de  F  Eglise  catholique  n'ont 
d'autres  richesses  que  leurs  vertus,  d'autres  subsides 
que  leur  zèle,  d'autre  force  que  leur  confiance  en 
Dieu,  d'autres  protections  que  le  nom  du  Seigneur  (1). 

Ah!  c'est  qu'il  n'est  point  donné  à  l'hérésie  de 
persuader  le  cœur.  La  divinité  de  Jésus-Christ,  par 
exemple,  est  une  vérité  que  beaucoup  d'hérétiques 
paraissent  croire  encore  et  qu'ils  semblent  vouloir 
prêcher  à  autrui.  Mais  cette  vérité,  comme  toutes 
celles  du  christianisme ,  perd ,  en  passant  par  leur 
bouche,  toute  son  efficacité,  toute  sa  grâce;  scmblab!c 
au  démon,  dont  elle  a  l'esprit  pervers,  l'hérésie  ne 
peut  que  précipiter  d'un  mal  moindre  dans  un  mal 
plus  grand  ;  elle  ne  saurait  élever  ses  adhérents  d'un 
état  bon  à  un  meilleur,  à  une  condition  parfaite.  Elle 
réussit  parfaitement  à  détruire,  à  pervertir  et  à  cor- 
rompre ;  elle  ne  sut  jamais  ni  convertir,  ni  édifier,  ni 
sanctifier.  On  l'a  vue  souvent  attirer  à  elle  quelques 
mauvais  catholiques  sans  foi  et  sans  mœurs  et  eu 
faire  de  très-mauvais  protestants  ;  mais  on  n'a  jamais 
vu  qu'elle  ait  gagné  un  seul  infidèle  pour  en  faire  uu 
fervent  chrétien. 

Pourquoi  ne  le  dirais- je  pas  ?  Les  missionnaires 
hérétiques,  privés  de  la  lumière  de  la  foi,  travaillent 


(1)  Hi  in  curribus,  et  hi  in  equis;  nos  autem  in  nomine  Do-. 
mini  (Ps.  xix). 

II.  13 


—  lui  — 

dans  cette  luiit  où  personne  ne  pcnt  opérer  ni  .so»\ 
salut,  ni  celui  d'autrui  (I),  et  où,  par  conséqueut, 
l'on  pèche  toujours  sans  rien  prendre  (2).  Ils  se  ser- 
vent d'engins  usés,  propres  plutôt  à  mettre  en  fuite 
le  poisson  qu'à  le  prendre.  Ils  s'appuyent  sur  l'auto- 
rilé  dujiifjoiient  privé,  oriij;inc  de  toutes  les  erreurs, 
écueil  de  toutes  les  vérités.  Ils  ne  jettent  pa?  leurs 
lilels  de  la  barque  de  Pierre,  mais  de  la  baniue  de 
Photius,  ou  de  Luther,  ou  de  Calvin,  ou  d'Henri  Vlll, 
où  Jésus-Christ  n'est  pas  ni  ne  peut  être.  Kt  cela  au 
nom  des  gouvernements  temporels,  des  trafiquants  et 
des  spéculateurs  qui  les  envoient  ;  et  cela,  plus  dans 
l'intérêt  de  la  politique  et  de  la  cupidité,  que  dans 
celui  de  la  religion  et  de  la  charité.  En  un  mot,  ils 
n'opèrent  pas  au  nom  de  Jésus-Christ,  mais  bien  au 
nom  de  Satan  :  est-il  donc  étonnant  qu'ils  ne  pèchent 
qu'à  l'avantage  du  démon? 

Les  missionnaires  de  l'Eglise  catholique, les  envoyés 
du  Souverain  Pontife,  travaillent  seuls  de  jour,  et  dans 
la  lumière,  à  la  splendeur  d'une  foi  perpétuelle,  cons- 
tante, unanime,  universelle.  Ils  jettent  leurs  filets 
de  la  barque  de  Pierre  ;  dans  les  régions  les  plus 
reculées,  ils  sont  toujours  de  l'Eglise  et  dans  l'E. 
gUge  où  se  trouve  Jésus  -  Christ ,  le  soutien  de  leur 
courage,  le  compagnon  de  leurs  travaux.  Ils  pèchent 
en  son  nom,  par  ses  ordres  :  In  verbo  tuo;  Rome 
n'expédie,  n'envoie  pas  des  missionnaires  pour  a- 
grandir  sa  domination  terrestre,  mais  pour  ouvrir 

(1)  Veniet  nox  quando  nemo  potest  operari  {Joan.  xix). 

(2)  Per  totam  noctem  laborantes  niliil  cepimus  (Loco  cit.). 


—  195  — 

aux  hommes  le  chemin  du  ciel,  pour  propager  la 
connaissance  de  Jésus-Christ,  pour  étendre  sou  em- 
pire et  pour  augmenter  la  gloire  de  son  nom  ;  c'est 
lui-même  qui,  par  la  bouche  de  son  Yicaire  sur  terre, 
envoie  ces  autres  pêcheurs  et  leur  répète  comme 
aux  apôtres  la  grande  parole,  mère  du  prodige  : 
«  Jetez  les  filets.  »  Cette  parole,  qui  retentit  toujours, 
pleine  de  force  et  d'efficacité,  dans  la  barque  de 
Pierre,  est  celle  qui  seule  a  la  merveilleuse  vertu  d'at- 
tirer les  poissons,  de  gagner  les  esprits,  de  conquérir 
les  cœurs,  de  dissiper  les  erreurs,  de  calmer  les  pas- 
sions, de  réjouir  le  ciel  et  de  faire  trembler  l'enfer. 
Aussi,  est-ce  par  ceux  seulement  qui,  en  vertu  de  cette 
parole  et  de  ce  commandement  céleste,  jettent  les 
filets  de  la  prédication  évangélique,  que  s'opère,  dans 
l'ordre  spirituel,  l'expérience  de  chaque  jour  le  dé- 
montre, le  même  prodige  que  les  apôtres  opérèrent 
sur  la  mer  de  Tibériade  :  ils  recueillent  avec  la  môme 
facilité  une  immense  quantité  d'àmes^,  et  ils  en  rem- 
plissent la  barque  de  la  vraie  Eglise  (1). 

En  deux  mots,  cette  parole  n'obtient  des  effets  si 
universels,  que  parce  qu'elle  est  prononcée  dans  l'E- 
glise et  par  l'Eghse  universelle.  Cela  prouve  que  le 
filet  seul  de  l'Eglise  prend  toutes  sortes  de  poissons, 
que  sa  prédication  est  la  seule  qui  soit  partout  ef- 
ficace, que  sou  action  est  la  seule  féconde  dans  les 
lieux  les  plus  divers,  parce  qu'elle  seule  appartient  à 
tout,  etquetoutlui  appartient. C'est  que  Jésus-Christ, 

(1)  Et  cum  hoc  fecissent,  concluserunt  piscium  multitudinem 
copiosam,  et  impleveruut  uaviculai  (^Loco  cit.)- 


—  196  — 
l'héritier,parsonPèrc,clc  ruinvcrsalil(l'dcspcuMlcs(l), 
eu  rclounuuit  au  ciel,  a  légué  son  patrimoine  à  son 
Eglise,  par  cet  ordre  suprême  :  «  Allez  et  enseignez 
TOUTES  les  nations.  »  Celle-ci,  tenant  de  Dieu  môme 
la  mission  de  convertir  tous  les  hommes,  est  donc 
aussi,  dans  l'ordre  du  salut  éternel,  l'arbitre  et  la 
maîtresse  des  hommes.  Ainsi  convertir  les  âmes  n'est 
pas  tant  pour  elle  conquérir  ce  qui  est  à  autrui,  que 
revendiquer  ce  qui  lui  appartient.  De  là  vicjit  que 
partout  où  elle  peut  se  présenter  librement,  à  peine 
a-t-elle  prononcé  son  nom,  formulé  ses  droits  et  ses 
privilèges,  qu'elle  est  reconnue,  accueillie,  vénérée 
•Connue  une  légitime  souveraine  dans  son  propre  em- 
pire. Je  veux  donc  dire  que  TEglise  est  féconde,  pré- 
cisément parce  que,  de  sa  nature,  elle  est  catholique 
ou  universelle. 

Oh  !  quelle  gloire  !  quel  honneur  pour  elle  !  A  dé- 
faut de  toute  autre  preuve,  la  facilité  avec  laquelle, 
à  l'exclusion  de  toutes  ses  rivales,  elle  s'introduit,  se 
dilate  et  se  rend  maîtresse  dans  le  monde,  suffirait 
du  reste  à  montrer  qu'elle  est  catholique,  qu'elle  est 
l'Eglise  de  tout  le  monde  par  droit  de  naissance. 

Avançons.  Dilatés  outre  mesure  par  l'abondance 
des  poissons,  les  filets  allaient  se  briser  et  la  barque 
submerger  (2) .  Ces  nouvelles  circonstances  sont  encore 
mvstérieuses  et  prophétiques  :  elles  figurent  un  des 
traits  caractéristiques  de  la  catholicité  de  l'Eglise . 

(1)  Dabo  tibi  genlod  bœreditalem  tuam  {Ps.  xi). 

(2)  Rumpebatur  autem  rete,  ita  ut  naviculae  pêne  mergerentur 
(Loco  cit.). 


—  197  — 
En  effet,  les  filets  prennent  pèle -mêle  le  bon  et  le 
mauvais  poisson:  ainsi,  dit  saint  Augustin,  la  prédi- 
cation évangélique  s'empare-t-elle  indistinctement  des 
hommes  charnels  et  des  spirituels,  des  réprouvés  et 
des  élus.  Le  filet  qui  se  rompt  et  la  barque  qui  sub- 
merge signifient  que  les  schismes  et  les  erreurs  des 
hérétiques,  les  scandales  des  mauvais  chrétiens,  me- 
naceraient de  compromettre  Y  unité  de  l'Eglise  (1). 
Mais,  en  se  remettant  à  flot,  en  résistant  à  son  poids 
immense,  la  barque  de  Pierre  et  son  filet  prédisent 
aussi  que  ce  serait  en  vain  :  Et  cum  tanti  essent,  non  est 
scissum  rete>  Quel  beau  privilège  dans  l'Eglise  !  son 
filet  mystérieux,  sa  barque  de  construction  divine, 
tout  en  embrassant  l'universaUté  des  hommes,  ne  doit 
souffrir  aucun  dommage  ni  dans  son  Intégrité,  ni  dans 
son  imité!  Quel  prodige  !  Nonobstant  la  multitude 
d'hommes  qu'elle  accueille  dans  son  sein,  tous  si 
différents  par  l'éducation  et  par  le  génie ,  par  le 
caractère  et  par  les  mœurs,  par  les  habitudes  et  par 
le  langage,  par  la  foi  et  par  la  vertu  ;  quoiqu'elle  cn- 
brasse  et  qu'elle  renferme  des  citoyens  de  tous  les 
pays  du  monde,  de  tous  les  climats ,  de  toutes  les 
races  et  de  toutes  les  conditions;  malgré  le  poids 
énorme,  discordant,  turbulent,  qui  menace  toujours 
de  rompre  ses  filets,  l'Eglise  reste  intacte  ;  et  plus 
elle  pêche,  plus  elle  se  remplit,  et  plus  aussi  elle  est 
entière!  Et  cum  tanti  essent,  non  est  scissum  rete. 

(1)  Quod  rete  rumpebatur,  et  naviculae  pêne  mergerentur, 
igniflcat  hominum  carnalium  multitudiuem  tantam  in  Ecclesia 
uturam,  ut  per  hœreses  et  schismata  pêne  scinderetur  (Aug., 
lie  Verb.  Dom.  in  Luc). 


—  198  — 

Semblables  aux  métaux  qui  perdent  d'autant  plus 
en  profondeur  qu'ils  traïAiieut  en  sui)erficie,  les  ins- 
titutions humaines  s'affaiblissent  en  se  dilatant,  et 
leur  grandeur  est  le  signe  certain  d'une  caducité  pro- 
chaine. Aussi  les  grands  empires,  comme  l'histoire 
le  démontre,  sont  de  courte  durée.  Cette  condition 
d'être  des  institutions  politiques  est  commune  aux  ins- 
titutions religieuses  purement  humaines:  les  unes  et 
les  autres  sont  sujettes  aux  mêmes  infirmités  de  na- 
ture. Yoilà  pourquoi  les  sectes  nées  du  christia- 
nisme, en  s' étendant,  s'affaiblissent  et  se  détruisent. 
Pour  elles,  progresser  c'est  reculer;  croître,  c'est 
mourir.  Ces  filets  de  fabrication  humaine  ne  peuvent 
contenir  que  pour  quelques  jours  seulement  une  petite 
quantité  de  poissons.  Le  temps  les  use,  une  pêche 
abondante  les  brise  ;  si  bien  que,  sur  leurs  inutiles 
débris  dispersés  de  toutes  parts,  on  peut  placer  cette 
inscription  :  a  Comme  il  y  en  avait  tant,  le  filet  s'est 
brisé:  Cum  tanli  essent,  scissum  est  rete.  » 

Il  n'y  a  que  la  religion  catholique  qui  soit,  comme 
l'œuvre  de  Dieu,  supérieure  à  tout  ce  qui  détruit 
les  ouvrages  des  hommes.  Elle  seule  a  une  constitu- 
tion divine  et  embellie  par  le  célibat  ecclésiastique, 
qu'elle  a  mis  seule  en  honneur.  Les  constitutions 
humaines  peuvent  l'imiter,  mais  jamais  l'égaler  ;  en 
vertu  de  sa  propre  nature,  les  évêques  reçoivent  du 
Chef  souverain  leur  juridiction,  et  cependant  ils  ont 
un  ministère  divin  qui  leur  est  propre  ;  ils  sont  vrai- 
ment pasteurs  de  leurs  Eglises, tout  en  étant  vraiment 
soumis  au  Pasteur  universel.  Ils  sont  libres  et  en 


—  199  -- 
même  temps  dépendants  ;  mais  leur  dépendance  ne 
nuit  point  à  la  liberté  de  leur  action,  et  leur  liberté 
ne  détruit  pas  leur  dépendance  :  dans  l'Eglise,  la  su- 
jétion est  libre,,  et  la  liberté  est  soumise.  Ils  résol- 
vent ainsi  le  grand  problème  de  la  sujétion  unie  à  la 
liberté.  Dans  notre  Eglise  seule,  par  le  moyen  de  sou 
admirable  hiérarchie,  tout  se  lie,  s'enchaîne,  monte 
harmoniquement ,  par  un  sujétion  graduée,  à  un 
centre  commun,  et  se  termine  à  un  chef  unique,  in- 
dépendant, universel.  Comme  les  siècles  passent  au- 
dessus  d'elle  sans  altérer  sa  durée,  les  nations  entrent 
dans  son  sein  sans  ébranler  sa  solidité.  C'est  un  arbre 
aux  racines  fortes  et  fécondes,  qui,  loin  de  se  dessé- 
cher, croît,  se  développe  et  se  fortifie  sur  sou  tronc, 
à  mesure  que  ses  branches  s'étendent  de  plus  en 
plus  dans  le  lointain.  L'universalité  est  sa  condition, 
sa  loi,  sa  nature  ;  tout  ce  qui  est  naturel  à  un  être,  le 
développant,  le  perfectionnant,  il  s'ensuit  que  plus 
l'Eglise  s'étend,  plus  elle  se  fortifie  ;  que  plus  elle  se 
propage,  plus  elle  acquiert.  Et  quand  un  jour  le  genre 
humain  tout  entier  sera  dans  son  sein,  alors  elle  sera 
au  comble  de  sa  force  ;  un  si  grand  nombre  de  na- 
tions diverses  ne  briseront  pas  un  seul  fil  de  son  di- 
vin filet  :  Et  cum  tanti  essent.,  non  est  scissum  rete. 

Si  donc  il  est  certain,  comme  le  reconnaissent  les 
hérétiques  eux-mêmes,  que  la  catholicité  est  un  des 
caractères  essentiels  de  la  vraie  Église  ;  s'il  est  cons- 
tant, d'après  l'histoire  des  siècles  passés  et  par  l'ex- 
périence des  faits  présents,  que  la  seule  Église  ro- 
maine est  vraiment  catholique  ou  universelle^  en  tant 


—  200  — 

qu'elle  seule  embrasse  tous  les  temps,  tous  les  lieux 
et  tous  les  peuples,  il  est  aussi  certain,  il  est  évident 
que  l'Eglise  romaine  est  la  seule  légitime,  la  seule 
vraie  Eglise  de  Jésus-Christ. 

Mais  la  vérité  qui  ressort  plus  manifestement  de 
l'histoire  de  la  pèche  miraculeuse,  c'est  la  primauté 
de  saiut  Pierre  et  Tapostolicité  de  l'Eglise.  D'abord, 
le  divin  Maître  dit  à  Pierre,  au  singulier  :  «  Conduis 
ta  barque  en  avant;  »  puis  il  continua,  sous  la  forme 
du  pluriel  :  «  Jetez  vos  fdets  pour  prendre  le  pois- 
son. »  Ainsi  Pierre  ;,  comme  premier  pilote,  reçoit 
l'ordre  de  gouverner,  de  conduire  la  barque  et  d'in- 
diquer le  chemin  à  parcourir  ;  ainsi  la  pêche,  que 
doivent  accomplir  ensemble  ses  autres  compagnons, 
est  placée  d'une  manière  toute  particulière  sous  sa 
vigilance  et  sous  sa  direction.  C'est,  en  effet,  ce  qui 
a  lieu;  car  Pierre  répond  au  nombre  singulier: 
«  Seigneur,  en  votre  nom  je  jetterai  le  fdet  ;  »  puis 
l'Evangile  dit  au  pluriel  :  «  Et  ils  firent  cela.  »  Or, 
on  voit  clairement  par  là  que  la  pèche  des  associés 
de  Pierre  se  fait  sous  sa  i)résidence  et  par  son  ordre 
à  lui,  qui  ordonne  et  préside  à  son  tour  sous  l'auto- 
rité de  Jésus-Christ.  De  même  l'autre  barque,  en  ac- 
courant au  signal  donné  par  celle  de  l'illustre  apôtre, 
pour  l'aider  à  tirer  le  filet  et  partager  la  même  pêche  ; 
en  n'agissant,  en  un  mot,  et  en  ne  prenant  part  au 
travail  que  sous  les  auspices  et  d'après  les  ordres  de 
Pierre,  prouve  aussi  qu'après  Jésus -Christ,  ce  der- 
nier est  l'auteur  du  prodige,  qu'il  est  l'interprète 
suprême,  l'organe  immédiat  des  ordres  de  son  maître. 


—  201   — 
et  qu'il  préside  tout  en  son  nom  comme  le  chef  de 
tous. 

D'un  autre  côté,  il  est  certain,  puisque  saint  Mat- 
thieu nous  l'apprend,  que  Jésus-Christ  dit  à  tous  les 
apôtres,  témoins  de  cette  pèche  miraculeuse  :  «Yenez 
à  ma  suite,  de  pêcheurs  de  poissons  je  vous  rendrai 
pêcheurs  d'hommes.  »  31ais  saint  Luc,  sans  faire  men- 
tion des  autres  compagnons  de  Pierre,  raconte  que  le 
Sauveur  *dità  lui  seul  :  «  Dès  ce  jour,  tu  seras  pêcheur 
d'hommes.  »  Cet  évangéliste  nous  montre  par  là  que 
si  la  grande  mission  de  convertir  les  âmes  a  été  don- 
née à  tous  les  apôtres,  cependant  le  Sauveur  l'a  con- 
fiée d'une  manière  particulière  à  Pierre,  comme  au 
chef  de  tous  :  dixit  Petro;  qu'elle  n'a  été  accordée 
aux  évêques  que  dans  la  personne  de  Pierre  (1),  et 
qu'enfin  ceux-là  ne  l'ont  reçue  que  de  celui-ci. 

Pierre  est  donc  celui  qui  dispose  et  pourvoit,  non- 
seulement  dans  cette  pèche,  mais  encore  dans  celle 
qui  arriva  après  la  résurrection  du  Sauveur. En  efiet, 
il  dit  alors  aux  autres  apôtres  :  «  Je  vais  pêcher  : 
Vadopiscari;  »  aussitôt  tous  répondent  d'une  seule 
voix  :  «  Nous  irons  avec  toi  :  Venimus  et  nos.  »  Ils 
voulaient  dire  :  Nous  voulons  faire  aussi  ce  que  tu 
es  le  premier  à  faire;  nous  voulons  pêcher  en  ta 
compagnie  et  sous  ta  direction.  Mais,  quoiqu'ils  aient 
travaillé  avec  lui  à  cette  nouvelle  pêche,  saint  Jean 
dit  du  premier  qu'il  monta  sur  la  barque  et  qu'il  tira 

[l)  Voyez,  dans  Bellarmin,  l'argument  solide  de  Turrecremata, 
par  lequel  le  très-docte  auteur  prouve  que  saint  Pierre  fut  seul 
ordonné  évèque  par  Jésus-Christ,  et  que  les  autres  apôtres  re- 
çurent des  mains  de  Pierre  leur  ordination  épiscopale. 


—  202  — 
le  filet  à  terre  (1).  Oh!  remarquable  prérogative  de 
Pierre,  s'(5crio  à  eu  sujet  un  savant  inlcrprôtc  !  oh! 
insigne  privilège!  Dans  ces  deux  barques  et  dans 
ces  deux  poches,  qui  furent  si  visiblement  la  figure 
des  deux  états  de  l'Eglise,  il  se  trouve  toujours  le 
prince  et  le  chef  (2).  C'est  de  lui  seulement  qu'il  est 
dit  qu'il  monta  sur  la  barque,  qu'il  prit  le  poisson  et 
le  tira  à  lerre  (3).  Or,  est-il  rien  de  plus  expressif, 
continue  le  même  interprète,  de  plus  propre  à  faire 
comprendre  que  c'est  principalement  à  saint  Pierre 
qu'a  été  confié  le  haut  ministère  d'attirer  les  hommes 
dans  le  filet  de  la  foi,  c'est-à-dire  à  l'Eglise  militante, 
par  la  prédication,  pour  les  diriger  au  port,  pour  les 
introduire,  en  un  mot,  dans  l'Eglise  triomphante  (4)! 
Par  ces  prodiges,  par  ces  figures  et  par  ces  mys- 
tères, le  divin  Pasteur  a  donc  établi^,  par  les  faits,  la 
primauté  de  Rome,  avant  de  nous  le  révéler  par  sa 
parole.  En  ordonnant  à  Pierre  de  diriger  sa  barque 

(1)  Ascendit  Petrus,  et  traxit  rcte  in  tcrram. 

(2)  Insignis  praerogativa,  quod  in  utraque  navi  et  piscatione, 
qiiœ  apertissime  totius  Ecclesiae  stalum  significant,  semper  Petrus 
princeps  invenitur  rBellar.,  loco  cit.), 

(3)  Puisque  nous  parlons  de  la  mer,  nous  ne  devons  pas 
omettre  que  Jésus-Christ  fit  le  prodige  de  calmer  la  mer  sous 
Bes  pieds,  en  vue  seule  de  Pierre,  en  sorte  que  cet  apôtre  pût 
marcher  sur  les  eaux  à  pied  sec  et  en  sûreté.  Or,  la  pléaitude 
des  ouux  signifie  l'universalité  des  peuples  :  Aquœ  multœ,  jMpuli 
mulli.  Saint  Bernard  afiirme  que  le  Sauveur,  par  ce  miracle,  a 
voulu  montrer  qu'il  soumettait  tous  les  peuples  à  cet  apôtre  et 
qu'il  lai  donnait  l'empire  souverain  sur  les  âmes. 

(4)  Ergo  Petrus  est  qui  homiucs  de  mundo  ad  fidem,  id  est 
ad  Ecclesiam  militantem,  et  regens  eos  ataue  gubernans,  ad 
Ecclesiam  triomphantem  perducit  {Id.  ibid.). 


—  203  -- 
mystérieuse  vers  la  haute  mer,  il  semble  dès-lors 
lui  dire  :  «  Je  te  donnerai  les  clefs  du  royaume  des 
deux,  c'est-à-dire  les  clefs  de  l'Eglise,  ou  bien  le 
royaume,  l'empire,  la  régence  de  l'Eglise.  En  effet, 
dans  le  langage  usuel  de  tous  les  peuples, c?o«»er  àu7i 
homme  les  clefs  d'une  ville  est  la  môme  chose  que  lui 
en  conférer  le  gouvernement  ou  la  principauté.  Ainsi 
Jésus-Christ,  en  ordonnant  à  Pierre  de  diriger  sa 
barque  où  il  lui  semblerait  bon,  de  déployer  les  fi- 
lets et  de  les  retirer,  de  commencer  la  pêche  et  de 
la  finir,  disait  dès-lors  à  cet  apôtre  :  «  Tout  ce  que 
tu  délieras  sur  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel,  et 
tout  ce  que  tu  lieras  sur  la  terre  sera  aussi  lié  dans 
le  ciel;  »  lui-même  lui  confère  donc  le  souverain 
pouvoir  d'absoudre  et  de  punir,  de  pardonner  et  de 
châtier,  de  faire  des  lois  et  d'en  dispenser,  de  re- 
cevoir dans  sa  communion  et  d'excommunier;  il  le 
constitue  législateur,  juge,  recteur  et  gouverneur  su- 
prême de  l'Eglise.  En  le  chargeant  de  réunir  ses  com- 
pagnons autour  de  lui ,  d'appeler  au  travail  l'autre 
barque,  de  régler  le  prix  et  la  récompense  ;  en  lui 
disant  spécialement  :  Tu  deviendras  l'homme  qui 
prendra  les  hommes  pour  les  vivifier,  c'est  déjà 
lui  dire  :  «  Pais  mes  brebis  ;  »  puis  deux  fois  :  «  Pais 
mes  agneaux;  »  c'est-à-dire,  en  confiant  à  son  zèle  et 
à  sa  charité  les  agneaux,  ou  les  chrétiens  des  deux 
peuples,  et  les  brebis,  ou  les  apôtres  et  les  évoques 
qui  engendrent  les  fidèles  à  la  foi  en  Jésus-Christ  (1), 

(1)  Agnos  fidèles  utriusquo  populi,  oves   qui  acrnos  ipsos  in 
Cliristo  pepererant,  id  est  apostolos  et  episcopos(Bell,,  ioco  cit.). 


—  201  — 
il  charge  par  cela  même  Pierre  de  les  guider,  les  com 
mander,  les  nourrir  et  les  défendre  comme  un  vrai 
pasteur;  il  le  constitue  enfin  su[)rème  et  souverain 
pontife  de  l'Eglise  universelle.  C'est,  en  un  mot,  Je 
sus-Christ  qui  déclare  que  cette  dernière  est  celle 
qui  a  été  fondée  par  les  apôtres  sous  les  auspices  de 
Pierre,  qui  est  gouvernée  i)ar  leurs  successeurs  sous 
la  présidence  de  Pierre,  qui  dépend  entièrement  de 
Pierre,  avec  les  évêques  qui  la  gouvernent;  qui,  par 
l'intermédiaire  de  Pierre,  reçoit  de  Jésus-Christ  toute 
lumière,  toute  grâce,  toute  autorité;  qui  professe 
la  doctrine  que  Pierre  et  les  apôtres  ont  reçue  et 
ont  enseignée  :  c'est  enfin  Jésus-Christ  qui  assigne, 
pour  quatrième  caractère  de  l'Eglise,  Vapostolicité, 
c'est-à-dire  la  profession  de  la  foi  primitive  des 
apôtres  et  de  Pierre  leur  chef. 

Mais  pourquoi  Jésus-Christ  a-t-il  voulu  que  la  vraie 
Eglise  soit  celle  qui  professe  la  doctrine  de  ses  disciples 
et  qu'elle  descende  d'eux  par  une  série  non  interrom- 
pue de  pontifes  ?  C'est  parce  que  les  apôtres  ont  été 
instruits,  envoyés  et  établis  tels  par  lui-même.  L'Eglise 
qui  professe  leur  doctrine,  qui  descend  légitimement 
d'eux,  est  donc  celle  qui  professe  la  vraie  doctrine  de 
Jésus-Christ  et  qui  descend  de  Jésus-Christ  ;  qui  est 
sa  fille  légitime  et  sa  fidèle  épouse. 

N'oubliez  pas,  mes  frères,  qu'il  est  dit  dans  saint 
Luc  que  Jésus-Christ  était  regardé  comme  le  fils  de 
Joseph,  et  que  Joseph  était  fils  d'Héli,  Héli  fils  de 
Mathat,  Mathat  fils  de  Lévi,  Lévi  fils  de  Melchi  (I). 

(1)  ut  putabatur  filius  Joseph,  qui  fuit  Heli,  qui  fuit  Mathat, 
qui  fuit  Levi,  qui  fuit  Melchi  {Luc.  m). 


—  205  — 
Puis,  contraint  ainsi  de  remonter  jusqu'aux  premiers 
patriarches,  jusqu'à  David,  jusqu'à  Jacob,  jusqu'à 
Abraham,  jusqu'à  Koé,  révangéhste  finit  par  dire: 
«  Noé  fut  fils  de  Lamech,  Lamech  de  Mathusalem, 
Mathusalem  d'Hénoch,  Hénoch  de  Jared,  Jared  de 
Malaleel,  Malaleel  de  Caïnan,  Gaïnan  d'Hénos,  Hénos 
de  Seth^  Seth  d'Adam,  et  Adam  de  Dieu  (1).  »  Combien 
cette  pensée  est  profonde,  sublime  dans  sa  simplicité! 
Par  cette  généalogie  de  Jésus-Christ,  l'Esprit-Saint  a 
\oulu  symboliser  celle  de  la  religion  chrétienne;  il  a 
eu  en  vue  de  nous  révéler  cette  vérité  importante  :  la 
vraie  religion  est  une,  elle  est  toujours  la  même  ;  c'est 
celle  qui,  par  Jésus- Christ,  remonte  jusqu'à  Adam, 
jusqu'à  Dieu.  En  effet  elle,  la  pensée  de  Dieu,  éclose 
dans  les  abîmes  de  sa  sagesse  et  de  son  amour,  cette 
religion  eu  un  mot,  apparue  dans  le  temps,  a  son  ori- 
gine dans  l'éternité.  Le  premier  homme,  en  recevant 
l'intelligence,  reçut  en  même  temps  un  symbole  à 
croire,  une  loi  à  observer.  Il  ne  se  forma  pas  une  re- 
ligion de  Uii-môme,  mais  il  la  reçut  toute  faite  du 
Créateur  (2)  ;  il  ne  dut  pas  raisonner  sur  cette  reli- 
gion, mais  s'y  soumettre.  La  religion,  dit  saint  Epi- 
phane,  a  donc  précédé  la  création  de  l'homme.  Elle 
a  fleuri  avant  les  siècles,  avec  le  Yerbe  en  Dieu,  par 
le  concours  libre  des  trois  personnes  (3).  Elle  serait 


(1)  Noe,  qui  fuit  Lamech,  qui  fuit  Mathusale,  qui  fuit  Henoch, 
qui  fuit  Jared,  qui  fuit  Malaleel,  qui  fuit  Cainan,  qui  fuit  Henos, 
qui  fuit  Seth,  qui  fuit  Adam,  qui  fuit  Dei  [Ibid.). 

(2)  Eccli.  XVI II. 

(3)  Gum  Adamo,  imo  an  te  Adamum  ipsum,  ideoque  ante  omnia 


—  20G  — 
humaine,  en  effet,  si  elle  était  née  après  l'homme  , 
si  elle  n'avait  une  origine  antérieure  à  lui.  Saint  i^uil 
enseigne  qu'elle  est  un  édilice  fondé  sur  Jésus-Christ, 
sa  pierre  angulaire,  et  que  les  patriarches,  les  apôtres, 
les  prophètes,  comme  les  évangélistes,  en  sont  les 
fondements  (1).  Donc  son  origine  se  confond  avec 
celle  du  monde  (IJorlibachcr  dit  de  même).  Jésus- 
Christ,  en  donnant  à  l'Eglise  V apostoticiié  pour  carac- 
tère,la  faisait  descendre  de  lui-même, des  patriarches, 
d'Adam,  de  Dieu  ;  il  lui  a  donc  donné  pour  caractères 
distiuctifs  la  perpétuité  ou  l'unité  et  l'universalité  des 
temps,  comme  il  lui  avait  donné  la  catholicité  ou  /'w- 
nité  et  l'universalité  des  lieux. 

Or  où  se  trouve,  en  dehors  de  l'Eglise,  ce  caractère 
si  évidemment  divin?  Quelle  secte  se  présente  mar- 
quée de  ce  cachet  céleste?  ]\on,  ce  n'est  pas  s'expri- 
mer exactement  de  dire  que  la  doctrine  catholique  a 
dix-huit  siècles  d'existence.  Les  dogmes  que  l'Eglise 
catholique  professe,  les  vérités  qu'elle  enseigne,  se  re- 
trouvent, par  leurs  figures,  dans  la  révélation  patriar- 
cale et  prophétique.  L'Eglise,  dit  saint  Thomas,  est  de 
la  sorte  contenue  dans  la  Synagogue,  la  loi  nouvelle 
dans  la  loi  ancienne,  comme  l'arbre  dans  la  semence, 
comme  une  chose  plus  parfaite  dans  celle  qui  l'est 
moins.  Le  premier  catholique  fut  Adam,  qui,  continue 
l'Auge  de  l'École,  par  sa  foi  explicite  au  Christ,  crut 


saecula  cum  Cliristo  floruit  de  Patris  ac  Filii ,  ac  Spiritus  Sancti 
voluntate  [Expos.  Fid.  cath.). 

(1)  Suppreedificati  super  fundamcntum  apostolorum  et  prophe- 
taruin,  ipso  summo  augulari  lapide  Clirislo  Jesu  {^Ephcs.  n,    20), 


—  207  — 
à  tous  les  mystères  futurs^  fut  sauvé  par  le  Rédemp- 
teur, comme  nous  croyons  aux  mêmes  mystères  réali- 
sés maintenant ,  et  comme  nous  sommes  sauvés  par 
le  fait  accompli  du  Calvaire.  C'est  le  propre  d'une 
religion  divine  d'opérer  efficacement  avant  son  entier 
développement,  avant  d'apparaître  dans  toute  sa 
perfection  et  dans  toute  sa  beauté.  Ainsi  pensent  les 
Pères  et  particulièrement  le  grand  évêque  d'Hippone. 
L'histoife  ecclésiastique  indique  le  temps  oîi  et 
les  personnes  par  qui  les  dogmes  de  l'Eglise  catho- 
lique ont  été  successivement  combattus  et  niés,  ven- 
gés et  défendus.  Mais  aucun  monument  ne  nous 
dit  quand  et  par  qui  ils  commencèrent  d'exister  et 
d'être  crus.  C'est  donc  une  preuve  certaine,  évi- 
dente qu'ils  ont  toujours  été  crus;  que  la  foi,  dans 
l'histoire  du  christiauisme,  a  précédé  l'hérésie  :  ainsi 
l'innocence  précède  le  délit  dans  l'histoire  de  l'huma- 
nité. L'Église  catholique  croit  et  admets  en  effet,  ce 
qu'on  a  toujours  cru  et  admis  :  quod  semper;  sa  foi  re- 
monte jusqu'aux  apôtres,  jusqu'à  Jésus-Christ,  et  par 
eux  jusqu'à  Adam,  jusqu'à  Dieu.  Elle  seule  a  des  idées 
saines  sur  le  Créateur  de  sa  nature,  ses  attributs  et 
ses  œuvres.  EUe  seule  a  des  idées  saines  sur  le  Mé- 
diateur, sa  mission,  ses  mystères,  sa  doctrine,  ses 
grâces,  sur  la  rédemption.  Elle  seule  a  des  idées 
saines  sur  l'homme,  son  origine,  sa  fin,  sa  décadence 
et  sa  régénération  :  on  dirait  les  archives  éternelles 
où  se  conservent  inaltérablesles  traditions  du  monde, 
les  notions  sur  Dieu,  les  titres  authentiques  de  la  di. 
vinité  de  Jésus-Christ,  de  l'antiquité^  de  la  noblesse 


—  -208  - 
et  de  la  dignité  de  riiommc,  de  ses  droits,  de  ses 
privilèges  et  de  ses  osiiéraiiccs.  Elle  est  comme  la 
Bulle  d'or,  la  constiliilioii  primitive,  la  grande  charte 
de  l'humanité.  Quiconque  est  désireux  desavoir  quel- 
que chose  de  précis  et  de  certain  sur  les  questions 
les  pins  épineuses,  sur  le  Créateur,  sur  son  Christ, 
sur  l'homme,  doit  interroger  forcément  l'Eglise  ca- 
tholique; rinlidèle,  en  effet,  ignore  Jésus,  le  juif  le 
renie,  l'hérétique  a  altéré  sa  nature,  ses  mystères, 
ses  doctrines  et  ses  œuvres.  Or,  Jésus -Christ  est 
X Homme- Dieu  par  lequel  Dieu  et  l'homme  peuvent 
seulenrcut  être  connus.  Donc  l'ignorance,  la  négation 
ou  l'altération  des  idées  sur  Jésus-Christ  produit  et 
enfante  nécessairement  parmi  les  peuples  séparés  de 
l'unité  catholique  des  notions  grossières  et  absurdes 
sur  Dieu  et  sur  l'homme. 

Examinez, mes  frères,  les  innombrables  sectes  nées, 
comme  naissent  les  vers,  de  notre  boue  humaine,  de 
la  corruption  des  mauvais  chrétiens.  Interrogez-les  ; 
demandez-leur  ce  qu'elles  croient  de  Dieu,  de  l'homme 
et  de  Jésus-Christ.  Elles  vous  diront  plus  facilement 
ce  qu'elles  n'admettent  pas  que  ce  qu'elles  admettent. 
J'affirme  que  vous  ne  trouverez  pas,  dans  leur  sein, 
deux  individus  qui,  à  une  même  question,  fassent  la 
même  réponse.  Jamais  vous  n'en  apprendrez  d'une 
manière  précise  ce  qu'il  faut  croire  et  pratiquer. 
Dans  le  principe,  chaque  secte  sembla  avoir  un  sym- 
bole commun  à  tous  les  individus  quila  composèrent  ; 
mais  à  peine  ce  symbole  fut-il  formulé,  qu'il  com- 
mença à  être  altéré.  IN'est-il  pas  permis,  eu  effet,  de 


—  209  — 

changer,  d'ajouter  et  de  retrancher  quand  il  s'agit 
des  inventions  et  des  œuvres  de  l'iiomme  !  De  Ih  l'in- 
constance de  toutes  ses  législations  ;  de  là  les  varia- 
tions perpétuelles  des  sectes  hérétiques.  Nulle  d'entre 
elles  ne  peut  se  vanter  d'avoir  conservé  deux  jours 
d'unité  avec  elle-même,  ni  d'être  restée  deux  jours 
dans  la  Confession  inventée  par  son  fondateur,  sans 
qu'elle  ne  l'ait  amplifiée  ou  restreinte,  renouvelée 
ou  abandonnée. 

Y  a-t-il  un  protestant  en  Allemagne  ou  en  Angle- 
terre qui  admette,  comme  ses  pères,  la  Confession 
d'Augsbourg,  ou  les  XXXIX  articles?  L'édifice  de 
l'hérésie  se  démolit  par  les  mains  mêmes  de  ceux 
qui  se  vantent  de  l'habiter.  Chacun  en  enlève  une 
pierre,  et  ce  droit  funeste  de  démolition  n'est  et  ne 
peut  être  contesté  de  personne,  puisque  tous  tiennent 
ce  droit  de  leur  fondateur  même.  Vainement  donc 
on  chercherait  chez  les  hérétiques  la  vraie  doctrine 
que  Jésus-Christ  a  révélée  aux  apôtres  :  on  n'y  con- 
serve pas  même  celle  que  l'hérésiarque  a  imposée, 
dausle  principe,  à  leurs  pères.  Pauvres  enfants  pro- 
digues !  sans  raisonnement  mais  riches  d'orgueil,  cette 
vraie  luxure  de  l'esprit,  comme  la  volupté  est  l'or- 
gueil des  sens,  les  hérétiques  s'en  vont  ainsi  dissipant 
la  substance  des  dogmes  et  des  traditions  catholiques 
dérobées  à  la  maison  paternelle,  à  l'Eglise  ;  et  ils  re- 
tiennent à  peine  des  notions  vagues  et  incohérentes 
sur  les  points  les  plus  essentiels.  Les  vrais  protestants 
de  la  Germanie  et  de  l'Angleterre  ne  croient  plus  di- 
vinement au  christianisme,  et  ne  sont,  par  conséquent, 
IL  14 


—  210  — 
})liis  chrétiens  :  Dissipavit  substanliam  suam,  vivcndo 
liijcun'osc.  Vaï  proie  à  la  [)t'iiuric  spirituelle  de  véri- 
tés (|ui  les  ravage  :  Facta  est  famés  valida  in  regione 
il/(i,  c'est  en  vain  qu'à  défaut  du  pain  de  la  vie  et  de 
icntcndcmcnt,  ils  cherchent  un  aliment  à  leur  faim 
dans  la  philosophie  (1).  Mais  la  philosophie  est  dé- 
chue, tombée  elle-même,  parmi  eux,  avec  la  religion 
qui  en  est  la  base  légitime,  et  ne  professe  que  le 
doute  sur  les  plus  grandes  thèses  de  l'humanité  (2). 
Donc,  les  communions  séparées  de  l'Eglise,  privées 
de  la  foi  primitive,  qu'ils  ont  échangée  contre  celle 
de  quelque  hérésiarque  impudent,  ne  peuvent  se  van- 
ter du  beau  titre  d'apostolique. 


(1)  Cette  profonde  indigence  dans  laquelle  sont  tombés  les  hé- 
ré'.iqnes,  cette  faim  de  la  vérité,  qui  les  a  conduits  au  bord  du  sé- 
pulcre :  famé  perco,  est  ce  qui  nous  peut  faire  espérer  leur  con- 
version prochaine.  Réduit  à  cette  extrémité,  l'enfant  prodigue 
prendra  la  belle  résolution  de  retourner  à  la  maison  paternelle  : 
Surgam,  et  ibo  ad  patrem  meum,  où  se  trouve  le  premier-né,  le 
peuple  catholique,  toujours  en  compagnie  de  son  père,  et,  par- 
tant, maître  de  son  héritage  et  en  possession  de  son  amour.  Par 
une  raison  inverse,  les  schismatiques,  qui  semblent,  plus  que  les 
hérétiques,  rapprochés  de  la  vraie  Eglise,  parce  que  leur  symbole 
diffère  peu  du  nôtre,  en  sont,  au  contraire,  plus  éloignés.  Ils 
n'ont  pas  encore  dissipé  l'héritage  paternel  de  la  vraie  foi,  quoi- 
qu'ils en  aient  déjà  dissipé  une  grande  portion;  ils  sout  toujoiu's 
en  progrès  de  dissipation  :  mais,  comme  ils  ont  encore  des  vérités 
chrétiennes  auxquelles  ils  croient,  ils  ont  un  aliment  pour  se 
nourrir.  Ils  oublient  la  maison  paternelle;  ils  ne  s'en  souvien- 
dront que  lorsque  la  faim  les  forcera  à  y  penser,  quand  ils  au- 
ront parcouru  toute  la  carrière  de  l'erreur  et  qu'ils  seront,  eux 
aussi,  tombés  dans  la  misère  d'un  funeste  déisme. 

(2)  Et  cupiebat  implere  ventrem  suum  de  siliquiis,  et  nemo 
illi  dabat  {Luc.  xy^. 


—  211  — 
Et  qui  ne  connaît  ks  variatioiis  perpétuelles  des 
sectes  protestantes?  Que  dis-je,  des  sectes?  Les  va- 
riations des  individus  ne  sont  pas  moins  fréquentes 
que  celles  des  Eglises  auxquelles  ils  appartiennent. 
Tout  protestant  vraiment  tel,  interrogé  sur  sa  religion, 
ne  pourra  affirmer,  sans  mentir,  qu'il  a  passé  toute 
sa  vie  dans  la  même  croyance  :  ceux-là  seuls,  qui 
croient  à  Terreur^  comme  les  catholiques  croient  à 
la  vérité,  c'qst-à-dire  sur  l'autorité  de  leur  Eglise 
enseignante,  peuvent  se  permettre  cette  affirmation 
de  bonne  foi.  Le  vrai  protestant,  celui  qui  croit  seu- 
lement ce  qui  lui  semble  clair  dans  la  lecture  de  la 
Bible,  change  de  croyance  en  changeant  de  manière 
de  voir.  A  chaque  nouveau  pays  qu'il  visite,  à  chaque 
voyage  qu'il  accomplit,  à  chaque  livre  qu'il  lit,  à 
chaque  prédication  qu'il  entend,  à  chaque  nouvelle 
observation  qu'il  fait  en  matière  de  religion,  il  sent 
sa  croyance,  fondée  sur  le  sable  mouvant  de  son  sens 
privé,  s'altérer,  se  transformer;  et,  ce  qui  lui  parais- 
sait plausible  hier,  lui  semble  absurde  aujourd'hui; 
ce  qui  lui  semblait  naguère  une  erreur,  lui  paraît 
bientôt  une  vérité  divine.  Le  catholique  vraiment  tel 
seul  croit  toujours  ce  qu'il  a  cru.  Sa  foi  est  toujours 
la  môme,  parce  qu'il  ne  s'est  pas  formé  son  symbole, 
mais  qu'il  l'a  reçu  de  l'Eglise,  comme  celle-ci  l'a  reçu 
des  apôtres,  de  Jésus-Christ,  de  Dieu  ;  c'est  pourquoi 
il  n'y  ajoute,  n'y  retranche  rien,  la  révélation  étant 
au-dessus  de  l'arbitre  humain.  Ainsi  la  foi  de  l'Église 
est  celle  des  apôtres  et  des  patriarches;  c'est-à-dire, 
la  foi  que  Dieu  a  révélée  aux  patriarches  et  à  Adam, 


-  21-2  — 
qu'il  a  expli(iuùe  aux  uj  ôtrcs  et  à  Pierre,  et  pcrfcclion- 
iiéc  par  Jésiis-Clnisl.  Pour  cela,  noire  Église  a  vrai- 
ment vécu  déjà  dix-iinit  siècles,  parce  qu'ayant  tou- 
jours cru  la  même  chose,  elle  est  toujours  la  même. 
Le  prolestanlisme,  au  contraire,  ne  compte  pas  même 
trois  jours  d'existence,  quoique  Luther  date  de  trois 
siècles,  parce  que,  n'ayant  jamais  conservé  les  mêmes 
croyances,  il  ne  ressemble  jamais  à  lui-même  :  c'est  un 
Prêtée  aux  mille  formes,  un  système  é{)hémère,  fu- 
gitif, sans  durée;  ce  qu'il  admet  varie  de  jour  en  jour, 
sou  nom  seul  demeure.  Où  est  donc,  parmi  les  sectes 
séparées,  la  foi  pure  des  apôtres?  Et  quelle  est  celle 
d'entre  elles  qui  oserait  se  dire  apostolique? 

La  vraie  Eglise  est  appelée  dans  l'Evangile  la 
maison  de  Jacob,  dans  laquelle  le  Verbe  de  Dieu  fait 
homme  doit  habiter  éternellement  (1).  Pourquoi? 
Parce  qu'elle  a  été  fondée  par  Jésus-Christ  et  par  les 
apôtres,  descendants  de  ce  patriarche  selon  la  chair. 
Quelle  sera  donc,  parmi  les  communions  chrétiennes, 
la  vraie  maison  de  Jacob ^  ou  la  vraie  Eglise?  Sera-ce 
la  chrétienté  entière  avec  toutes  ses  sectes  si  diverses 
et  si  hostiles  les  unes  envers  les  autres?  Mais  ces 
sectes  reconnaissent  des  chefs  indépendants,  et  for- 
ment ainsi  des  maisons  ou  des  familles  séparées;  or, 
l'Evangile  ne  parle  que  d'une  seule  maison.  Ah  !  le  fier 
et  orgueilleux  Esaune  peut  habiter  avec  l'humble  et 
paisible  Jacob  !  Que  si  l'on  veut  donner  le  nom  de 
famille  ou  de  maison  à  ce  monstrueux  mélange  de 
croyances,   de  lois  et  de  cultes  divers,  qu'on  l'ap- 

(1)  KegnaLil  in  doino  Jacob  iu  aiternum  {Luc.  i). 


—  213  — 
pelle  la  maison  de  Babel,  mais  non  la  maison  de  Jacob; 
le  repaire  de  la  confusion,  du  désordre,  de  l'anar- 
chie, et  non  la  maison  de  Tordre,  de  Tharmonie  et 
de  la  paix  par  excellence  ;  le  royaume  de  Lucifer,  et 
non  celui  de  Dieu;  enfin,  l'image  de  l'enfer,  et  non 
point  la  figure  du  ciel  sur  la  terre.  Puis  donc  que, 
de  toutes  les  communions  chrétiennes,  une  seule  doit 
être  la  maison  de  Jacob,  quelle  est  cette  heureuse 
demeure,  sinon  celle  qui  remonte  jusqu'aux  fils  de 
Jacob^  qui  est  apostolique  non-seulement  par  la  doc- 
trine, mais  encore  par  les  aïeux?  Or,  les  Eglises  sé- 
parées peuvent-elles  prétendre  à  ce  titre  glorieux? 
Si  elles  remontent  à  leur  origine,  que  trouveront- 
elles?  Un  patriarche  ambitieux, ou  un  moine  apostat, 
ou  un  roi  dissolu,  ou  un  tyran  cruel,  qui,  par  la  vio- 
lence et  la  ruse,  les  ont  retranchées  de  l'arbre  apos- 
tolique  auquel  elles  étaient  unies.  Devenues,  par  le 
fait,  d'inutiles  rameaux,  abandonnées  à  la  fureur  des 
vents,  elles  n'ont  plus  rien  de  commun  avec  le  tronc 
apostolique,  lequel,  au  moyen  de  Pierre,  communique 
à  la  divine  racine,  à  Jésus-Christ. Leurs  évêques  (quant 
à  celles  qui  ont  encore  des  évoques)  reçoivent  leur 
juridiction  de  l'autorité  séculière,  au  lieu  de  la  rece- 
voir du  siège  romain  ;  conséquemment,ces  sectes  sont 
régies  par  un  sceptre  profane  et  ne  sont  plus  placées 
sous  la  houlette  du  pasteur  apostolique. 

Il  y  a  plus  :  nulle  secte  protestante  n'a  foi  dans 
l'apostolicité  de  son  origine.  Reconnaissant  leur  im- 
puissance à  renouer,  sans  Pierre,  la  chaîne  qui  les 
rattachait  aux  apôtres  et  qu'elles  ont  brisée,   elles 


—  214  — 
osent  dire  qu'il  y  a  eu,  dans  la  durée  de  la  vraie 
Eglise,  comme  une  éclipse,  une  interruption,  c'est-à- 
dire  un  état  mort  ;  que,  durant  douze  siècles,  cette 
Eglise  a  été  cachée,  ou  qu'elle  a  défailli,  et  que, 
grâce  à  la  main  pure  de  Luther  et  au  sceptre  philan- 
thropique d'Henri  YIII,  elle  est  ressuscitée,  elle  est 
sortie  de  sa  tombe  pour  briller  du  plus  bel  éclat. 
Cela  signifie  tout  simplement  que  les  hérétiques,  dé- 
sespérant de  pouvoir  faire  remonter  leurs  Eglises 
jusqu'aux  premiers  siècles,  n'ont  pas  craint  de  nier 
que  la  foi  toujours  intacle  et  que  la  succession  con- 
tinuelle des  évoques  depuis  Pierre  jusqu'à  nous,  ou 
Yapostolicilc,  soient  un  des  caractères  essentiels  de  la 
vraie  Eglise.  Voilà  tout  ce  qu'ils  ont  à  dire. 

Or  ici,  le  ridicule  le  dispute  au  mensonge.  Ce  qu'Q 
y  a  de  certain,  c'est  que  ces  Eglises  dégradées  ne 
descendent  ni  des  apôtres,  ni  de  leur  doctrine  ;  elles 
ne  descendent  que  des  hérésiarques  et  de  leurs  blas- 
phèmes. Elles  ne  communiquent  plus  avec  le  ciel, 
mais  avec  l'enfer  ;  elles  n'ont  plus  l'esprit  de  Jésus- 
Christ,  mais  celui  de  Lucifer  ;  loin  d'être  apostoliques^ 
elles  sont  diaboliques.  0  sainte  Église  catholique  !  oh  ! 
comme,  à  ce  caractère,  je  sens  le  bonheur  et  la  gloire 
de  t'appartenir!  Comme  Innocent  I"  l'a  déclaré 
dans  le  concile  de  Carthage,  l'épiscopat  et  l'autorité 
que  ce  mot  indique  nous  sont  venus  de  Pierre  (1)  ; 
l'ordre  sacerdotal,  selon  la  pensée  de  saint  Anaclet, 
a  précisément  commencé  dans  Pierre  après  Jésus- 

(1)  A  Petro  ipso  episcopatus  et  tota  auctoritas  hujus  nominis 
emersit  (Apud  Bellar.). 


—  215  — 

Christ  (8)  :  ainsi  l'épiscopat,  le  sacerdoce  apostolique 
se  maintient  et  se  conserve  seulement  parmi  nous, 
parce  que,  parmi  nous  seulement,  les  évêques  sont 
institués  par  les  successeurs  du  premier  vicaire  du 
Christ,,  et  par  conséquent  notre  hiérarchie  ecclésias- 
tique remonte  à  l'apôtre  saint  Pierre,  à  Jésus-Christ. 
Rome  est  donc  la  seule  qui  retient  l'enseignement, 
reconnaît  et  révère  l'autorité  apostolique  ;  c'est  la 
seule  qui,  p&r  Pierre,  a  la  doctrine,  l'esprit,  la  grâce, 
l'efficacité  et  la  fécondité  des  apôtres  ;  enfin  c'est  la 
seule  apostolique;  je  dirai  mieux,  la  seule  divine,  parce 
que,  unissant  l'unité,  la  sainteté,  l'universalité  à  l'apos- 
tolicité,  elle  est  l'expression  sincère,  le  reflet  admirable 
des  attributs  de  Dieu,  son  image  fidèle,  sa  fille,  son 
œuvre,  la  vraie  barque  de  Pierre,  dans  laquelle  Jésus- 
Christ  est  présent  ;  la  vraie  maison  de  Jacob,  où  Jésus- 
Christ  régnera  éternellement  ;  car,  après  avoir  régné 
sur  la  terre  dans  les  âmes  vraiment  pieuses  et  fidèles 
par  le  moyen  de  la  grâce ,  il  régnera  en  elles  par  sa 
gloire  dans  le  ciel. 

SECONDE  PARTIE. 

C'est  l'opinion  unanime  des  Pères  et  des  interprètes, 
que  les  deux  pêches  miraculeuses  dont  il  est  parlé 
dans  l'Evangile,  signifient  les  deux  Eglises,  ou  plutôt 
le  double  état  delà  même  Eglise:  celui  de  TEglise 
militante  sur  la  terre,  et  celui  de  l'Eglise  triomphante 
avec  Jésus-Christ  dans  le  ciel  ;  ainsi  s'exprime,  entre 

(1)  Post  Christum  a  Petro  cœpit  sacerdotalis  ordo  {IbidX 


—  216  — 
autres,  Ha\mon,  analysant  la  doctrine  de  saint  Aup;us- 
lin  (1).  En  cllct,  la  première  pèche  arriva  durant  la 
vie  mortelle  du  Sauveur, qui  signifie  l'état  de  l'Eglise  : 
état  d'épreuve,  d'humiliation  et  de  souffrances;  la 
seconde  eut  lieu  après  la  résurrection  glorieuse  de 
Jésus-Christ,  figure  de  l'état  de  gloire  et  de  félicité  au 
ciel.  Dans  la  première  pèche  le  filet  menaçait  de  se 
briser:  rumpchatur  relc,  jiarce  qii'il  peut  y  avoir  des 
schismes  et  des  hérésies  dans  l'Eglise  militante;  dans 
la  seconde  le  filet  n'encourait  pas  le  moindre  danger 
dose  rompre:  non  est  scision  retc,  j)arce  qu'il  n'y  a  à 
craindre  ni  schisme,  ni  hérésie  dans  l'Eglise  triom- 
phante. Dans  la  première,  les  poissons  furent  placés 
dans  la  barque  de  Pierre  ,  qui  se  balançait  sur  les 
ondes  ;  c'est-à-dire  que  ,  dans  le  temps,  les  conver- 
tis à  la  prédication  évangélique  sont  réunis  dans  l'E- 
glise toujours  flottante  entre  les  doctrines  diverses, 
les  tempêtes  excitées  par  les  persécutions  ;  dans  la 
seconde,  les  poissons  furent  tirés  et  déposés  sur  le  ri- 
vage :  ce  rivage,  par  sa  stabilité  et  sa  fermeté,  signifie 
claircmciît  l'immobilité  et  la  sécurité  de  la  vie  éter- 
nelle. Il  est  dit  de  la  première  pèche  qu'il  y  eut  une 
grande  abondance  de  poissons  (2);  mais  le  nombre  n'est 
pas  déterminé.  Dans  la  seconde  le  nombre  et  fixé;  il 
se  monte  à  cent  cinquante-trois  ;  car  sur  la  terre,  en 
effet,  dans  l'Eglise  militante  sont  admis  toutes  sortes 

(1)  Per  duas  has  piscatiooes  designantur  duae  Ecclesiae  :  Ec- 
clesia  prœscns  et  Ecclesia  quae  est  regnaliira  cnm  Ghriâto  (£a;- 
pos.  ex  Aug.). 

(2)  Concluserunt  multitudinem  piscium  copiosam  {Tract.  12i 
m  Joan.). 


—  217  — 
d'hommes,  sans  nombre  déterminé  (1);  tandis  que, 
dans  le  royaume  céleste,  le  nombre  précis  des  élus  y 
est  seulintroduit.  Finalement,  dans  la  première  pèche, 
le  Sauveur  ne  détermina  ni  la  droite,  ni  la  gauche 
pour  jeter  les  filets,  mais  il  laissa  toute  liberté  aux 
apôtres  (2).  Par  là,  dit  Haimon,  il  rendit  sensible  le  mi- 
nistère de  l'Eglise  militante  :  ne  pouvant  à  présent 
discerner  les  élus  des  réprouvés,  elle  ne  fait  aucun 
choix  dans.sa  pêche,  mais  elle  admet  tout  indistincte- 
ment, les  bons  et  les  mauvais,  autant  qu'il  s'en  trouve 
de  pris  au  filet  de  la  prédication  évangélique  (3).  Dans 
la  seconde  pêche,  Jésus  Christ  ordonna  que  le  filet 
fîit  jeté  à  droite  (4)  ;  or,  comme  dans  le  langage  de 
l'Écriture  les  objets  placés  à  la  droite  signifient  les 
justes.  11;  bon  Maître  voulut  montrer  par  là  qu'à  la 
fin  des  temps,  les  justes  seuls  seront  accueillis  et 
admis  au  bonheur  éternel  (5). 

Or^  c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui  nous  adonné 
cette  interprétation  de  ses  miracles  ;  car  voici  ce  qu'il 
nous  dit  dans  un  autre  endroit  de  son  Évangile  :  «  Le 
royaume  des  cieux  (soit  TEgiise  sur  la  terre,  comme 
l'expliquent  les  Pères)  est  semblable  à  un  immense 


(1)  Multiplicati  sunt  super  numerum  [Ps.  xciii). 

(2)  Laxate  retia  in  capturam  piscium. 

(3)  In  ista  piscatione  non  est  prœceptum  a  Domino  ut  in  dex- 
teram  vel  sinistram  partem  mitti  deberet  rete,  quia  pressens  Ee- 
clesia  bonos  et  malos  indiscrète  recipit;  neque  eligit,  quia  et 
quos  eligerc  debeatj  ignorât  (Loco  cit.). 

(4)  Mitlitc  in  dexteram  navigii  rete  (Loco  cit.). 

(5)  Quia  soli  boni  in  vitam  seternam  colliguatur  (Bellarm., 
loco  cit.). 


—  218  — 
filet  jeté  dans  la  mer,  où  il  capture  des  poissons  de 
toutes  espèces  et  de  toutes  qualités  (1).  »  Une  fois 
rempli,  l'engin  pêcheur  est  attiré  sur  le  rivage;  puis 
SCS  maîtres  s'asseyeut  et  font  un  choix  diligent  parmi 
les  poissons:  les  bons  sont  placés  à  part,  dans  diffé- 
rentes niasses  ;  les  mauvais  sont  rejetés  et  disper- 
sés (2).  Or,  c'est  précisément  ce  qui  arrivera  à  la  fin 
du  monde ,  continue  le  divin  Maître  :  les  anges  de 
Dieu  sortiront,  et  ils  sépareront  les  pécheurs  des 
justes,  réservant  ceux-ci  pour  le  ciel,  précipitant 
ceux-là  dans  les  fournaises  éternelles,  où  ils  seront 
livrés  aux  pleurs  et  à  un  désespoir  sans  fin.  Et  le 
Sauveur  achève  cet  enseignement  si  terrible  en  di- 
sant :  «  Avez -vous  bien  compris,  avez -vous  bien 
pesé  toute  Tiraportance  de  cette  vérité  :  Iniellixistis 
hœc  omnia  (3)  ?  » 

0  insensés  sectateurs,  misérables  adorateurs  du 
siècle  !  ô  hommes  perdus  dans  le  désordre  de  tous 
les  vices,  qui  ne  pensez  qu'à  vivre  heureux  dans  le 
monde,  comme  si  tout  finissait  avec  le  monde,  avez- 
vous  entendu,  avez-vous  compris  ce  dont  il  s'agit: 
Intellexistis  hœc  omnia?  Oui,  le  monde  finira  :  In 
consurnmalione  sœcii/i;  mais  vous,  vos  âmes  et  vos 
corps,  vous  survivrez  à  sa  ruine.  Du  premier  homme,  (. 

(1)  Simile  est  regnum  cœlorum  sagenae  missae  in  mare,  et  ex 
omni  génère  piscium  congreganti  {Matth.  xiil,  47).  ' 

(2)  Quam,  ciim  impleta  esset,  educentes,  et  secus  littus  seden* 
tes,elcgcruut  bonos  in  vasa,  malos  autem  foras  miserunt  'Jhid.). 

(3)  Sic  erit  in  consummatione  sœculi  :  cxibunt  angeli,  et  sepa-    ^ 
rabunt  malos   de  medio  justonun,   et  mittent  eos  in  caminum 
ignis  :  ibi  erit  fletus  et  stridor  dentium.  —  Intellexistis  haec  om- 
nia [liid.yt 


—  219  — 
créé  de  Dieu,  jusqu'au  dernier  né  de  la  femme,  tout 
le  genre  humain  sortira  de  ses  cendres.  Tous,  tant 
que  nous  sommes,  réunis  à  présent  dans  ce  temple 
de  la  divine  miséricorde,  nous  nous  retrouverons  un 
jour  dans  la  vallée  de  Josaphat  sur  le  grand  théâtre 
de  la  justice  divine.  Toute  chair  retournera  aux  pieds 
de  celui  qui  l'a  créée  (1).  Les  anges,  ministres  de  la 
justice  et  des  vengeances  du  Seigneur,  attireront, 
comme  confondue  dans  un  immense  filet,  l'humanité 
dans  cette  vallée  redoutable ,  désignée  par  les  pro- 
phètes comme  le  rivage  servant  de  limite  entre  le 
temps  et  l'éternité  (2).  Alors  on  ne  verra  plus,  comme 
à  présent,  les  herbes  viles  mêlées  au  bon  grain,  les 
boucs  immondes  avec  les  innocentes  brebis,  les  ré- 
prouvés avec  les  élus  !  Les  anges  de  Dieu,  sans  efforts, 
sedentes,  sépareront  irrésistiblement  les  poissons  vi- 
vants des  poissons  morts,  c'est-à-dire  les  justes,  les 
âmes  saintes  de  tous  les  siècles  et  de  tous  les  lieux, 
de  l'ignoble  populace  des  pécheurs  ;  et  cela  sans 
avoir  égard  ni  aux  liens  de  parenté,  ni  aux  relations 
de  société,  ni  aux  sympathies  des  sentiments.  L'en- 
fant sera  arraché  des  bras  de  sa  mère,  le  frère  séparé 
du  frère,  le  sujet  du  supérieur,  l'ami  de  l'ami  :  qu'im- 
portera alors  d'avoir  été  roi  ou  empereur,  évêque  ou 
prêtre,  noble  ou  savant!  Celui  qui  sera  trouvé 
pécheur,  ira  à  la  gauche  avec  les  pécheurs.  Toute 
grandeur  terrestre  sera  détruite,  toute  distinction 


(1)  Ad  te  omnis  caro  veniot  {Ps.  xiv). 

(2)  Quam,  cum  impleta  esset,  educenles,  et  secus  littus  (Loco 
cit.). 


—  220  — 
abolie,  tout  grade  mécoimu!  On  ne  tiendra  compte 
que  de  la  vertu  et  du  vice  ;  l'unique  cause  de  sépa- 
ration sera  le  péché.  Tout  le  genre  humain  ne  for- 
mera que  deux  seuls  peuples,  deux  seules  familles  : 
la  famille  des  élus,  qui  tressailleront  d'allégresse  et 
triompheront  avecJésus-Clirist  à  la  droite,  et  la  famille 
des  réprouvés,  qui,  en  compagnie  de  Lucifer,  le  front 
daus  la  poussière,  le  désespoir  dans  le  cœur,  palpi- 
teront et  trembleront,  repoussés  dédaigneusement  à 
gauche.  Alors  retentira  la  sentence  du  juge;  le  sort 
de  chacun  sera  solennellement  fixé  pour  l'éternité. 
Et  les  justes,  groupés  par  troupes  joyeuses,  celle 
des  apôtres,  celle  des  martyrs,  celle  des  vierges, 
celle  des  confesseurs  iront  prendre  place  dans  les 
demeures,  les  tabernacles,  assignés  à  chacun  d'eux, 
de  la  Jérusalem  céleste  :  Elegerunt  bonos  in  vasa.  Les 
réprouvés,  formés  aussi  en  tumultueux  bataillons  ;  les 
incrédules  orgueilleux,  les  hérétiques  obstinés,  les 
prêtres  sacrilèges,  les  religieux  parjures,  les  profa- 
nateurs des  choses  saintes,  les  tyrans  oppresseurs, 
les  voleurs,  les  faussaires,  les  homicides,  les  médi- 
sants^ les  calomniateurs,  les  ambitieux,  les  intrigants, 
les  avares,  les  adultères,  seront  chassés  de  la  pré- 
sence de  Dieu  et  précipités  dans  le  gouffre  de  l'enfer, 
où  ils  laisseront  couler  d'intarissables  pleurs  et  écla- 
ter un  désespoir  sans  adoucissement  comme  aussi 
sans  fin. 

Oh!  quelle  pensée,  mes  frères!  Yérité  terrible, qui 
n'a  pas  besoin,  dit  saint  Grégoire,  d'être  expliquée, 
mais  d'être  redoutée  \  car  l'oracle  du  Fils  de  Dieu, 


—  221  — 
qui  dénonce  aux  pécheurs  leur  terrible  sort,  la  peine 
qui  doit  les  rendre  éternellement  malheureux,  est  en 
effet  clair  et  précis  ;  de  sorte  que  personne  ne  peut 
en  douter,  ni  alléguer  l'ignorance  pour  excuse  (1). 
Avez-vous  compris,  ô  vous  qui  vous  obstinez  à  ne 
pas  entendre  pour  ne  pas  être  obligés  de  vivre  sain- 
tement? Avez-vous  bien  compris  la  terrible  catas- 
trophe qui  vous  menace  :  Intellexistis  hœc  omnia?  0 
vous,  s'écrie  ici  saint  Chrysologue  !  ô  vous  qui  vous 
appropriez  le  pain  et  la  sueur  du  pauvre  pour  suf- 
fire à  vos  plaisirs  sensuels  !  vous  qui,  à  force  d'in- 
trigues, de  bassesses  et  d'injustices,  vous  procurez 
une  félicité  trompeuse,  faite  des  débris  de  la  félicité 
d' autrui  !  voilà  le  feu  qui  vous  attend;  voilà  le  châti- 
ment des  honteux  plaisirs  d'un  instant,  dont  vous, 
êtes  si  avides  ;  voilà  le  feu  dont  vous,  tristes  victimes, 
serez  toujours  brûlés  sans  en  être  jamais  consumés  ! 
Oh!  comme  votre  voix  éclatera  en  horribles  hurlements 
au  milieu  de  ces  flammes,  ô  vous  qui  vivez  si  gaî- 
meut  dans  les  délices  du  monde  !  Comme  votre  folle 
joie  d' à-présent,  votre  insolente  ostentation,  votre 
impudence  hautaine,  votre  dédain  satirique,  votre 
mépris  pour  la  vie  pauvre,  humble  et  innocente  des 
justes,  oh!  comme  tout  cela  se  changera  en  amers 
rcgrets_,  en  larmes  de  désespoir,  quand  vous  verrez 
leur  gloire,  leur  grandeur  et  leur  félicité  (2)  1 


(1)  Timendum  est  hoc  potius  quam  exponendum.  Aperfa  enim 
voce  tormcnta  peccantiuin  dicta  sunt,  ne  quis  ad  ignorantiae 
excusatiouem  recurrat  [Rom.  11). 

C2}  Ecce  qui  lue  sibi  delicias,  paupoi'is  l'âme  et  pœuis  prsepa- 


_  '222  

Combien  cette  pêche  symbolique  du  dernier  jour 
sera  diilérente  de  celle  qui  nous  attire  à  présent 
dans  la  barque  de  Pierre,  TE^lise!  Ici-bas,  c'est  la 
tendre  miséricorde  qui  nous  y  appelle  ;  ce  cera  alors 
la  terrible  justice  qui  nous  repoussera  dans  le  filet 
vengeur.  Celle-là  est  pour  la  conversion  des  pé- 
cheurs, celle-ci  sera  pour  leur  ruine.  L'une  appelle 
les  hommes  à  l'observation  de  la  loi,  l'autre  en  pu- 
nira les  prévaricateurs.  Et,  tandis  que  celle  dernière 
apportera  l'épouvante,  la  désolation  et  le  châtiment, 
la  première  offre  la  i)aix,  la  réconciiiatiou  et  le  par- 
don. Telle  est  l'heureuse  condition,  dit  saint  Gré- 
goire, de  la  pêche  qui  se  renouvelle  à  chaque  instant 
dans  la  vraie  Eglise.  Si  les  mauvais  poissons  des  ri- 
vières ne  deviennent  pas  bons  en  entrant  dans  les  filets 
matériels,  nous,  qui  avons  le  bonheur  de  nous  trou- 
ver renfermés  dans  le  filet  spirituel,  dont  Pierre 
tient  la  trame  dans  ses  mains,  de  pécheurs  que  nous 
sommes,  nous  pouvons  devenir  justes;  de  bons,  meil- 
leurs encore  (1).  Ah!  réveillons-nous  donc  de  la  lé- 
thargie funeste  de  notre  vie  voluptueuse  et  terrestre; 
réservons,  pour  le  salut  éternel  de  notre  âme,  quel- 
ques-unes des  mille  pensées  que  nous  consacrons  si 
sottement  aux  soins  charnels  et  aux  fugitives  satis- 
factions du  corps  ;  profitons  du  temps  précieux  de  la 
première  pêche  ouverte  et  se  continuant  encore  dans 

ront  alienis,  quantum  sibi  ignem  dft  exigiia  voluptate  succondunt. 
Quam  maie  stridet  qui  hic  maie  ridet  !  Et  qui  nunc  malis  paupe- 
rum  gaudet,  de  eorum  bonis  tune  lugebit  (Serw.  47). 

(1)  Pisces  qui  capti  fuerint,  inutari  non  possuut;  nos  autem 
mali  capimur,  sed  in  bonitate  mutamur  [^lOid.). 


—  223  — 
la  vraie  Eglise  de  Jésus-Christ  ;  et  cela  pour  nous 
convertir,  pour  vivre  en  chrétiens  et  pour  nous 
sauver.  Ne  nous  laissons  pas  imprudemment  sur- 
prendre par  le  temps  de  la  seconde  pèche,  quand  le 
filet  inexorable  de  la  mort  laisse  1  ame  telle  qu'il  la 
trouve;  craignons  que  la  grande  grâce  d'avoir  été 
accueillis  dans  la  vraie  barque  de  Pierre,  d'avoir 
connu  et  professé  la  vraie  religion,  d'avoir  appartenu 
à  la  vraie.Eglise,  que  cette  grâce,  dis-je,  aujourd'hui 
notre  bonheur,  notre  gloire  et  notre  richesse,  ne 
devienne  pour  nous,  un  jour,  la  cause  d'un  plus  grand 
déshonneur,  d'un  regret  plus  profond,  d'un  jugement 
plus  sévère  et  d'une  condamnation  plus  rigoureuse(l). 
Ah  !  ne  permettez  pas^  Seigneur,  que  nul  d'entre  nous 
encoure  une  telle  disgrâce.  Faites,  au  contraire,  que, 
de  même  que  nous  sommes  séparés  des  infidèles  et 
des  hérétiques  par  la  foi,  après  le  jugement  nous 
soyons  aussi  séparés  des  pécheurs  pour  la  vie  éter- 
nelle :  Inter  oves  locum  prœsta,  et  ab  hœdis  me  séques- 
tra, statnens  in  parte  dextra;  que  nous  échappions  au 
sort  malheureux  des  réprouvés  et  que  nous  partagions 
avec  les  bénis  la  gloire  de  régner  avec  vous  dans  les 
cieux  :  Confutatis  maledictis,  flammis  acribus  addictis, 
voca  me  cum  benedictis.  Ainsi  soit-il  (2)  ! 

(1)  Ibi  erit  fletus  et  stridor  dentium  {Matth.  xin,  50). 

(2)  Inter  oves  locum  prsesta,  et  ab  haedis  me  séquestra,  sta- 
tuens  in  parte  dextra.  —  Confutatis  maledictis,  flammis  acribus 
addictis,  voca  me  cum  benedictis  {Dies  irœ). 


VINGT-UNIÈME  HOMÉLIE. 


La  Tempête  apaîsée, 

ou 
LA   STABILITÉ    ET   LA    PERPÉTUITÉ   DR   LEGLISB. 

{Matih.  VIII  ;  Marc,  iv;  Luc,  vill.) 

Tu  es  Petrus,  et  super  hanc  pelram  œdifi- 
eabo  Ecclesiam  meam,  et  portae  inffri  non 
prœvalcbuDt  advcrsus  eam.         (Mattii.  xvi.) 

Avez-vous  admiré,  mes  frères,  le  raagnilique  pro- 
dige que  vous  venez  d'enteudre  raconter  par  l'é- 
vangile de  ce  jour?  La  bcile-mcre  de  Pierre,  usée 
par  les  années,  exténuée  par  l'inlirmilé  et  consumée 
par  la  fièvre  ardente,  était  déjà  sur  le  point  d'exha- 
ler le  dernier  soupir  (1);  mais  aussitôt  que  le  céleste 
Médecin  se  fut  incliné  vers  elle  et  qu'il  eut  commandé 
à  la  fièvre  de  la  quitter,  elle  fut  à  l'insiant  guérie 
et  se  sentit  si  bien  rajeunie,  qu'elle  put,  pleine  de 
force,  préparer  des  aliments  au  Sauveur  et  à  ses 
disciples. 

Mais  quelle  est,  dans  le  sens  spirituel,  cette  heu- 

(1)  Socrus  Simonis  tcnebalur  magnis  fcbribus.  —  Stauâ  super 
illam,  imperavit  febri;  et  dimisit  illam.  Et  contiuuo  ministrabat 
illiâ  {Luc.  IV  ;  Feria  v  post.  Dom.  lll  Quadrag.). 


—  225  — 

relise  femme  si  admirablement  arrachée  à  la  tombe? 
Pour  le  comprendre,  il  faut  auparavant,  dit  un  in- 
terprète, savoir  quelle  est  la  véritable  épouse  de 
Pierre  (1).  Or,  cette  épouse  c'est  l'Eglise,  que  le  Fils 
de  Dieu,  avant  de  monter  au  ciel,  a  confiée  au  zèle 
et  à  l'amour  du  chef  des  apôtres.  Ainsi  la  belle- 
mère  de  Pierre,  c'est  la  Synagogue,  puisque  celle-ci 
est  la  mère  dont  l'Eglise  est  née.  La  Synagogue  est 
donc  cette  pauvre  malade  gisant  dans  la  maison  du 
futur  apôtre,  aux  prises  avec  la  fièvre  la  plus  obs- 
tinée et  en  grand  danger  de  mourir.  N'est-ce  pas, 
en  effet,  son  triste  sort,  même  de  nos  jours?  n'est 
elle  pas  encore,  parmi  nous  chrétiens,  dévorée  par 
la  fièvre  mortelle  de  l'envie,  de  l'avarice,  travaillée 
par  une  haine  et  un  amour  tout  profanes?  A  la  fin  du 
monde,  cependant,  le  Seigneur,  qui  vit  dans  la  mai- 
son de  Pierre,  c'est-à-dire  dans  l'Eglise,  étendra  vers 
elle  sa  main  miséricordieuse  ;  il  lui  rendra  la  santé  et 
la  vie,  et  les  Juifs  alors  s'uniront  à  l'envi  avec  les 
chrétiens  pour  bénir  le  Seigneur. 

C'est  un  admirable  mystère!  La  mère  guérira  un 
jour  par  le  moyen  de  la  fille  ;  la  Synagogue,  dans  les 
temps  lointains,  trouvera  son  salut  dans  la  maison 
de  Pierre.  Donc,  celle-ci  sera  toujours  saine,,  vigou- 

(Ij  Scire  oportet  quae  sit  uxor  Pétri,  ut  possimus  scire  qu8B 
eit  socrus  ejus.  Pétri  namque  uxor  Ecclesia  est,  quoniam  ei  a 
Domino  specialiter  tradita.  —  Ejus  autem  socrus,  Synagoga  est,' 
quia  ipsa  est  mater  Ecclesiae.  —  Haec  jacet  in  domo  Pétri,  et  fe- 
bricitat ,  quoniam  usque  hodie  inter  Christianos  intlrma  moratur. 
—  Suis  auteni  manilnis  in  fine  muudi  l>ominus  langet;  et  tune, 
febre  fugata,  surget  et  ministrabit  Doniiuo  (Emis.,  Expos.). 
II.  li 


—  22(;  — 

rcusc,  rayonnante  de  grâce  et  de  jeunesse  jusqu  a  la 
fin  du  monde;  et,  jusqu'au  dernier  des  jours,  comme 
Jésus-Christ  lui-même  Ta  prédit,  celte  maison,  fon- 
dée sur  Pierre  qui  la  gouverne  sans  cesse,  subsis- 
tera, restera  toujours  immobile,  victorieuse  des  as- 
sauts de  l'enfer  et  des  injures  du  temps  :  Tues  Petnis, 
etc.  Cette  précieuse  et  importante  promesse  sur  la- 
quelle reposent  toutes  les  espérances  des  Juifs  et  des 
chrétiens;  cette  promesse  de  la  stabilité  et  de  la 
perpétuité  de  l'Eglise  se  trouvait  déjà  figurée  dans 
le  miracle  arrivé  peu  de  temps  avant  la  guérison  de 
la  belle-mère  de  Pierre,  et  lorsque  Jésus-Christ  sauva 
la  barque  de  ce  dernier  d'un  inévitable  naufrage. Ce 
miracle  sublime  dans  sa  réalité,  le  fut  donc  plus  en- 
core par  ce  qu'il  prédisait;  nous  en  ferons  l'objet  du 
discours  de  ce  jour. 

Considérons  dans  le  péril  couru  i)ar  la  fragile 
nacelle,  dans  la  tcnipête  miraculeusement  calmée 
qu'elle  vainquit,  la  prophétie  des  i)ersécutions  que 
l'Eglise  a  souffertes  et  des  triomphes  qu'elle  a  rem- 
portés. Après  avoir  prouvé  que  l'Eglise  romaine  est 
la  vraie  Eglise,  puisqu'elle  seule  est  une,  infaillible, 
sainte,  catholique  et  apostolique,  pour  compléter  le 
tableau  de  ses  grandeurs  et  de  ses  privilèges  et  pour 
nous  confirmer  de  plus  en  plus  dans  notre  foi,  nous 
établirons  donc  aujourd'hui  que  cette  Eglise  est  en- 
core la  vraie  Eglise,  parce  qu'elle  est  la  seule  im- 
muable et  éternelle,  la  seule  dans  laquelle  s'accom- 
plit sans  fin  cet  oracle  du  Fils  de  Dieu  :  «  Tu  es 
Pierre,  »  etc. 


227  — 


PREMIERE  PARTIE. 


A  peine  le  miracle  de  la  guérison  de  la  belle-mère 
de  Pierre  fut-il  opéré,  que  le  bruit  s'en  répandit  aus- 
sitôt dans  tous  les  alentours.  Aussi,  quand  le  bon 
Maître  sortit  de  la  maison  de  la  malade,  bien  que  le 
jour  fût  sur  son  déclin,  comme  le  remarque  l'Evan- 
gile, se  vit-il"  entouré  par  une  multitude  immense  de 
toutes  sortes  d'infirmes  que  leurs  proches  ou  leurs 
amis  avaient  entassés  sur  son  chemin.  Plein  de  misé- 
ricorde, il  impos  it  sur  chacun  d'eux  ses  mains  bé- 
nies et  les  guérissait  (I). 

Que  de  miracles,  que  de  merveilles  s'accomplirent 
de  la  sorte!  et  qui  pourrait  décrire  les  transports 
d'étonnement,  de  reconnaissance  et  d'amour  de  tout 
ce  peuple?  Les  démons,  à  l'approche  du  Sauveur, 
sortaient  des  corps  qu'ils  possédaient,  en  le  procla- 
mant Fils  de  Dieu  ;  l'enfer  partageait  le  respect  et 
la  vénération  de  la  terre  (2).  Aussi,  le  lendemain, 
à  la  première  lueur  du  jour,  l'humble  fils  de  Marie 
eut  beau  s'empresser  d'aller  se  cacher  dans  le 
désert  voisin  (3) ,  la  foule  l'y  eut  bientôt  rejoint 
(car  l'on  trouve  toujours  Jésus  lorsqu'on  le  cherche 
sincèrement  et  de  cœur),  et  tous  le  pressèrent  ins- 

(1)  Cum  sol  occidisset,  omues  qui  habebant  infirmes  varii» 
lauguoribus,  ducebaut  illos  ad  eum.  At  ille  singulis  manusimpo- 
neiis,  curabat  eos  {Luc.  iv,  40). 

{^î)  Exibant  autfm  dcmouia  a  niultis  clamantia  et  dicentia: 
Quia  lu  es  Filius  Dci  {Ihid.). 

(3)  Facta  aulem  die  egre^sud  ibal  in  desertum  locum  {Ihid.). 


—  228   — 
tnmmcnt  de  rester  au   milieu  tic  sou   peuple  et  de 
ne  plus  s'en  éloigner  (1). 

Alors  le  divin  ]M;iilro  déclara  qu'il  devait  aller  an- 
noncer le  royaume  de  Dieu  à  d'autres  nations  (2); 
puis,  pour  se  soustraire  à  rcmprcssemenl  de  la  mul- 
titude qui  le  retenait  comme  prisonnier,  il  ordonna 
à  ses  disciples,  dit  saint  Matthieu,  de  prendre  un  na- 
vire pour  passer  au  rivaL;e  opposé  (3). 

S'étonnera-î-on  de  voir  ce  doux  Sauveur  abandon- 
ner un  peuple  si  dévoué  et  si  reconnaissant?  Oh! 
non,  certes;  car,  en  le  quittant,  il  lui  laissa  son  cœur 
et  son  amour.  C'était  môme  dans  des  vues  de  misé- 
ricorde, dit  Origène,  qu'il  monta  sur  cette  barque, 
pour  confirmer  de  plus  en  plus  ce  bon  peuple  dans 
la  foi  qu'il  lui  avait  inspirée.  Savcz-vous,  en  effet, 
pourquoi  le  Christ  va  maintenant  se  mettre  en  mer? 
C'est  afin  d'opérer  sur  l'élément  liquide  des  prodiges 
encore  plus  grands  que  ceux  qu'il  vient  d'accomplir 
sur  terre;  il  veut  donner  à  ses  fidèles  des  preuves 
invincibles  de  sa  divinité  et  de  son  domaine  souve- 
rain sur  les  flots  aussi  bien  que  sur  la  terre  (4). 

Poursuivons  donc  noire  récit. 

(1)  Et  turbœ  requiiebaut  euni,  et  veacruut  usipe  ad  ipsum; 
et  dctinebant  illum  ne  discederet  ab  eis  {Ibid.). 

(2)  Quia  et  aliis  civitatibus  oportet  me  evangelizare  reguum 
Dei  [ibid.). 

(3)  Videns  Jésus  turbas  multas  circa  se,  jussit  ire  tfans  fre- 
tum  {Mat th.  vin,  18). 

(4)  Cum  multa  magua  el  mirauda  ostendissel  in  terra,  transit 
ad  mare,  ut  et  iljidein  adhuc  excellentiora  opéra  demonstraret, 
quatenuri  terrœ  marisque  Domiuum  se  esse  cunctis  osteuderet 
(Hom.  6  in  Dit.]. 


—  229  — 

Lorsque  le  divin  Maître  fut  monté  sur  sa  barque, 
une  bonne  partie  du  peuple  se  jeta  dans  toutes  les 
autres  nacelles  et  le  suivit  sur  la  mer  (1).  Voilà  donc 
le  Fils  de  l'Eternel  se  dérobant,  pour  ainsi  dire,  sur 
un  frêle  esquif,  disparaissant  de  vague  en  vague,  lui 
dont  l'immensité  remplit  l'univers  qu'il  gouverne  par 
sa  puissance  (2)!  Il  a  déjà  quitté  le  rivage,  et,  assis 
sur  la  poupe,  il  s'abandonne  bientôt  à  un  paisible 
sommeil  (3).' 

Déjà  la  flottille  atteignait  le  centre  de  ce  lac  fé- 
cond en  tourmentes.  Soudain  le  ciel  s'obscurcit,  les 
éclairs  brillent,  le  tonnerre  gronde,  éclate;  les  vents 
se  déchaînent,  des  torrents  de  pluie  se  précipitent, 
la  mer  se  soulève  et  mugit  horriblement,  la  tempête 
est  à  son  comble  (4).  Sous  sa  violence,  les  voiles  se 
déchirent,  les  vergues  craquent  et  se  brisent,  et  les 
ondes  envahissent  la  nacelle.  Bientôt  le  gouvernail 
est  sans  guide  ;  jouet  des  vagues,  tantôt  perdu  dans 
les  abîmes ,  tantôt  jeté  dans  l'espace ,  le  vaisseau 
touche  à  chaque  instant  au  moment  fatal  de  sa  des- 
truction. Le  peuple,  qui  le  contemplait  du  rivage,  le 
croyait  déjà  enseveli  dans  les  profondeurs  des  flots(5). 

(1)  Et  ipse  ascendit  in  naviculam  {Luc.  vin,  23),  et  aliae  navea 
erant  cum  illo  {Marc,  iv,  36). 

(2)  Asceudit  parvam  naviculam,  ut  navigaret,  qtii  totum  mvm- 
dum  divina  sua  virtute  gubernat  [Expos.). 

(3)  ^■avigantibu3  illis  obdormivit  {Luc.  v,  23).— Erat  in  puppi, 
super  cervical  dormiens  {Marc,  iv,  38). 

(4)  Et  descendit  procella  magna  in  stagnum;  et  ecce  motus 
magnus  factus  est  in  mari  {Matth.  vin,  24;  Marc,  iv,  37;  Luc.  vili, 
24). 

(5)  Et  fluctus  procella  mittebat  in  navim ,  ita  ut  navicula  ope- 
riretur  fluctibus,  et  impleretur  UUarc,  iv,  37;  Matth.  vin,  24). 


—  •}:]{)  — 
Les  autres  barques  ne  sont  pas  plus  heureuses  :  dis- 
persées, sans  niûts,  sans  cordages,  elles  ne  peuvent 
nullement  s'entr  aider.  Kenlrer  au  jjorl?  il  n'est  i)lus 
temps;  lutter  contre  les  eaux?  la  force  manque; 
échapper  au  danger?  il  n'y  a  plus  moyen;  le  péril 
est  pour  toutes  le  même,  le  naufrage  inévitable  (1). 
Des  cris  d'effroi  et  de  douleur  s'échappent  alors  de 
tous  côtés;  dans  leur  détresse,  tous,  s'adressant  au 
Sauveur,  s'écrient  :  «  Seigneur,  sauvez-nous,  nous 
périssons  :  Domine,  sah'a  nos,  periinns.  » 

Pourquoi,  s'écrie  ici  saiiit  Pierre  Clirysologue, 
cette  mer  qui  naguère  avait  calmé  l'irrilabililé  de  ses 
ondes,  les  avait  aplanies,  consolidées  en  quelque 
sorte  sous  les  pieds  du  Sauveur,  s'avauçant  sur  leur 
surface  comme  sur  une  terre  ferme  ;  pourquoi  cette 
mer  se  montre -t- elle  aujourd'hui  terrible  jusqu'à 
mettre  en  péril  la  vie  même  de  son  auteur  (2)?  Ne 
vous  eu  étonnez  j)oint,  reprend  Origcne  :  cette  hor- 
rible tourmer.te  ne  s'est  pas  élevée  au  hasard  ;  elle 
a  son  princi-.e  dans  celui  qui;,  quand  il  lui  [)laît,  tire 
des  trésors  de  sa  [iiiissance  ks  lempêtcs  et.  les  orages; 
et  celui  qui,  à  celle  heure,  permet  aux  vents  de  dé- 
chaîner leur  furie,  est  le  même  Dieu  qui  avait  déjà 
affermi  sous  ses  pas  les  eaux  qu'ils  soulèvent  aujour- 
d'hui (3).  Mais  que  fait  ce   Dieu  tout -puissant  au 

(1)  Et  complcbantur  navcs,  et  periclUabanlur  [Luc.  viii,  23). 

(2)  Mare  quod  pedibus  Christi  {Joan.  vi)  terga  submisit,  stravit 
in  ])lauo  verlices  suoà,  motus  fra-uavit,  adilrinxit  lliictus,  et  per 
linqueiitcm  viam  saxca  soliditale  servivit;  qnid  cit  quod  modo 
usque  ad  peri'-iilmn  sui  ïœvit  anctoris  (Serm.)? 

(3j  Ula  luLupeàlas  noa  ex  se  est  oborta;  sed  paruit  poteslali 
imperantis,  qui  educit  voulos  de  thesauris  suU  (Loco  cit.). 


—  231  — 

milieu  du  trouble  général?  D  dort  paisiblement  (1). 
Serait-il  donc  possible  que  celui  qui  veille  éternelle- 
ment à  la  garde  de  son  peuple,  se  soit  réellement  en- 
dormi dans  le  danger  encouru  par  ses  disciples  (2)? 
N'est-il  pas  écrit  que  le  Dieu  gardien  d'Israël  ne  som- 
meillera jamais  (3)?  Oui,  certainement.  Mais  com- 
prenonS;,  mes  frères,  que  tout  ce  que  le  Sauveur  fait 
en  ce  jour,  il  le  fait  pour  notre  avantage.  Il  dort 
pour  nous  comme  il  est  mort  pour  nous.  Assurément, 
il  ne  dormirait  pas,  s'il  ne  savait  que  cette  action 
nous  est  vraiment  utile  (4).  Saint  Augustin  nous  ap- 
prend que  le  sommeil  de  Jésus-Christ  (5)  est  l'indice 
d'un  grand  mystère  (6).  Ce  sommeil  si  tranquille  au 
milieu  d'un  si  grand  désastre  nous  révèle  qu'il  ne 


(1)  Ipse  vero  dormiebai  iMatth.  viii,  24). 

(2)  Dormit  somnum  qui  populum  suum  rigilia  aetema  custodit 
(Imper.,  Expos.). 

(3)  Non  dormitabit,  neque  dormiet  qui  custodit  Israël  {Ps.). 

(4)  Nobis,  fratres,  nobis  facta  sunt  ista.  Pro  nobis  dormit  qui 
nobis  moritur.  Non  enim  dormiret  nisi  nobis  somnum  suum  pro- 
ficere  intelligeret  (Emis.,  Expos.). 

(5)  Somnuâ  Christi  signum  est  sacramenti. 

(6)  Il  ne  dort  point  par  la  nécessité  de  sa  nature  humaine, 
faible  et  infirme,  mais  par  une  libre  détermination  de  sa  volonté. 
Il  dormait,  dit  Origène,  dans  son  corps,  mais  il  veillait  dans  sa 
divinité;  car  il  a  dit  de  lui-même  :  «  Tandis  que  je  dors,  mon 
cœur  veille  toujours.»  Il  dort  dans  son  corps  par  la  même  raison 
qui  fait  que,  comme  bomme  fatigué  de  son  long  cbemin,  il  se 
repose  près  du  puits  de  Sicbar,  pour  nous  montrer  qu'il  a  pris 
un  corps  semblable  au  nôtre.  Il  veillait  par  sa  divinité,  parce 
que  c'est  lui-même  qui,  eu  dormant,  avait  bouleversé  la  mer, 
rempli  d'épouvante  ses  disciples,  occasionné  le  péril,  afin  de  don- 
ner une  preuve  de  sa  puissance  en  faisant  cesser  soudainement 
celte  tempête. 


—  23'i  — 
craint  pas  le  danger, parce  qu'il  sent  qu'il  pmit,  quand 
il  lui  plait,  dominer  d'un  seul  signe  les  éléments,  et 
qu'il  est  le  Fils  de  Dieu. 

Cependant,  aux  cris  suppliants  des  siens,  impuis- 
sants à  dominer  par  leurs  manœuvres  et  leurs  lorccs 
la  furie  de  l'orage, l'Homme-Dieu  se  réveille.  «Maître, 
lui  disaient-ils,  que  faites-vous  donc?  Yous  dormez, 
et  nous  périssons!  Nous  sommes  vos  disciples, et  vous 
êtes  notre  maître  ;  et  vous  ne  prenez  nul  souci  de 
notre  vie  en  péril  (1)!  »  A  ces  paroles,  le  Sauveur  se 
lève  et  dit  :  «  Hommes  de  peu  de  foi,  que  craignez- 
vous?  Votre  croyance  en  ma  puissance  s'est  donc 
subitement  évanouie?  Ne  suis-je  pas  avec  vous  (2)? 
Est-il  donc  possible  qu'après  tant  de  miracles  que 
vous  m'avez  vu  opérer,  vous  n'ayez  pas  encore  con- 
fiance en  moi  (3)?  »  Remarquez  que  le  Sauveur  ne 
reprend  point  ces  hommes  comme  incrédules,  mais 
parce  qu'ils  ont  une  foi  languissante  et  imparfaite. 
En  effet,  par  cela  même  qu'ils  recourent  à  lui,  ils  ont 
la  foi  et  croient  que  lui  seul  a  le  pouvoir  de  les  sau- 
ver; mais,en  interrompant  son  sommeil  et  en  s'écriant 
qu'ils  vont  périr,  ils  font  voir  qu'ils  croient  que, pour 
les  préserver  du  danger,  il  est  nécessaire  que  le 
Sauveur  soit  éveillé,  comme  si  l'on  pouvait  craindre 
quelque  chose  quand  ou  a  Jésus-Christ  dans  sa  com- 

(1)  Accedentes  autem  suscitaveruut  eum,  dicontes  :  Praeceptor, 
perimus  {Luc.  viii,2'i).Magister,  non  ad  te  portinet,quia  perimus 
{Marc.  IV,  38). 

(2)  Dicit  eis  Jfisus  :  Quid  timidi  estis,  modicse  Hdei  {Matth, 
hll,  26;?  Ubi  eoL  Mes  vestra  {Lv.c.  viu,  25)? 

(3)  Nec  dum  habetis  fidem  {Marc,  iv,  40)? 


—  233  — 
pagnie  (I).  Après  avoir  repris  les  disciples  avec  tant 
de  douceur,  le  ui\iii  Maître  se  dresse  sur  la  poupe 
de  l'embarcation  ;  puis,  plein  de  majesté  et  de  puis- 
sance, il  parle  aux  vents  et  il  fait  signe  à  la  mer  :«0 
vent!  dil-il,  reliens  ton  souffle,  et  toi,  ô  mer!  apaise 
tes  flots  (2).  »  Aussitôt  les  cléments  déconcertés  ren- 
trent dans  l'ordre  :  le  ciel  s'éclaircit,  les  vents  s'a- 
paisent, la  mer  se  calme  ;  une  tranquillité  parfaite 
succède  à. une  tcnipèle  épouvantable  (3).  Que  ce  ré- 
cit de  l'Evangile  est  admirable!  Admirez,  dit  Ori- 
gène,  comme  l'historien  sacré  oppose  grandeur  à 
grandeur!  Il  dit  d'abord  que  le  vent,  qui  s'était  dé- 
chaîné, était  grand,  et  que  la  tempête  était  grande; 
puis  il  remarque  que  le  calme  qui  leur  a  succédé  fut 
grand  à  son  tour  :  c'est  évidemment  pour  nous  faire 
comprendre  que  Jésus-Christ  est  grand,  la  grandeur 
même,  et  que  c'est  le  propre  de  sa  puissance  de  faire 
de  grandes  choses  (4). 

C'est  pourquoi  j'admire  infiniment  ce  prodige  du 
Fils  de  Dieu.  David  le  chante  dans  ses  psaumes, 
quand  il  dit  :  «'  Les  eaux  vous  ont  vu,  ô  Dieu  !  et,  en 


(1)  Non  iucredulos  dicit,  sed  parvœ  fidei.  Nam  per  hoc  quod 
dicunt  ;  «  Salva  nos  »  fidem  dmiionstrant;  quod  aiunt  :  «  Peri- 
mus,  »  non  est  fidei,  quia,  illo  simul  navigante,  non  erat  formi- 
dandum  (Thcopli.,  Expos.). 

(2)  Et  comminatus  est  vento,  et  dixit  mari  :  Tace,  obmutesce 
{Marc,  iv,  39). 

(3)  Et  cessavit  ventus,  et  facta  est  tranqnillitas  magna  [Mare. 
IV,  39). 

(4)  De  magno  vento  et  magna  tempestate  facta  est  tranquillitas 
magna;  decet  enim  hune  magnum  magna  et  miranda  facere 
(Loco  cit.). 


—  234  — 
vous  voyant,  elles  vous  ont  reconnu  ;  elles  vous  ont 
craint  et  respect*!' comme  leur  Seiiîneur  (1). C'est  vous, 
ô  Jéhova!  qui  dominez  la  mer  irritée;  c'est  vous  qui 
calmez  ses  flots  et  apaisez  sa  fureur.  » 

Par  ce  prodige  l'on  voit  clairement  que  toutes  les 
créatures  reconnaissent  Jésus-Christ  pour  leur  créa- 
teur, puisque  les  vents  et  la  mer  ont  entendu  sa 
voix  et  obéi  à  son  empire.  Ce  n'est  pas  que  les  choses 
matérielles  aient  une  âme  et  des  sens,  comme  l'ont 
rêvé  certams  hérétiques;  mais  telle  est  la  majesté  du 
Créateur,  que  les  choses  qui  sont  pour  nous  insen- 
sibles, sentent  son  pouvoir:  ainsi  s'exprime  admira- 
blement saint  Jérôme  (2). 

Ce  miracle  fut  instantané  et  public;  ceux  qui  étaient 
embarquéssurlesnaviresetceuxquise  trouvaientsur 
le  rivage,tous  en  furent  témoins(3),en  furent  étonnés. 


(1)  Viderunt  te  aquœ,  Dcus,  videruut  te  aquse,  et  timuerunt. 
Tu  dominaris  potestati  maris,  motum  autem  fluctuum,  ejus  tu 
mitigas  {Ps.). 

(2)  Ex  hoc  intelligimus  quod  creaturae  oontiunt  auctorem; 
quos  enim  increpavit  et  quibvis  impcravit  sentiunt  imperantem, 
uon  errore  haereticorum  qui  pulaat  omuia  animantia,  sed  ma- 
jestate  condiloris  ;  quae  apud  uos  iuseudibilia  sunt,  illi  sensibilia 
iuut  {Com.  in  Maftfi.). 

(3)  Ces  hommes,doiit  parle  saint  Matthieu, étaient  certainement 
les  mariniers,  et  non  pas  les  apôtres,  attendu  que  ceux-ci,  dans 
l'Évangile,  ne  sont  jamais  appelés  hommes,  mais  qu'ils  sont  tou- 
jours honorés  ou  distingués  par  le  titre  à'apôtres  ou  de  disciples. 
Que  si  l'on  s'obstinait,  ajoute  samt  Jérôme,  à  soutenir  que  l'é- 
vangéliste  a  voulu  parler  des  apôtres,  je  répondrai  qu'ils  pour- 
raient fort  convenablement  être  appelés  hommes,  et  que,  dans 
ce  cas,  l'historien  sacré  a  raison  de  les  appeler  ainsi,  puisque, 
comme  ils  s'ètoQuaieni'  du  miracle  qu'ils  venaient  de  voir,  il« 


/ 


remarque  l'Evangile  (1).  Saiut  Augustin  observe  que, 
s'ils  eussent  eu  une  foi  vive  eu  Jésus-Christ,  ils  n'au- 
raient pas  été  si  surpris.  Est-il  donc,  en  eifet,si  étrange 
que  la  mer  obéisse  à  celui  que  le  Prophète  appelle  le 
Maître  de  la  mer(2)?  Mais  à  l'admiration  dont  restèrent 
pénétrés  les  témoins  du  prodige  s'unit  un  grand  res- 
pect, mêlé  de  crainte  pour  la  personne  adorable  du 
Sauveur.  Ils  se  disaient  les  uns  aux  autres  :  Qu'elle 
est  grande  ïa  puissance  de  cet  homme  !  Quel  est  celui 
qui  commande  ainsi  à  la  tempête  et  à  l'Océan  et 
à  qui  r  Océan  et  la  tempête  obéissent  (3)? 

Mais  autant  le  prodige  est  glorieux  pour  le  Sau- 
veur des  hommes,  autant  il  est  humiliant  pour  nous. 
Quoi  !  s'écrie  Origène  ,  Jésus-Christ  commande  aux 
créatures  qui  n'ont  pas  l'ouïe,  et  elles  l'entendent;  il 
parle  aux  créatures  qui  n'ont  pas  la  parole  ,  et  elles 
lui  répondent;  il  fait  signe  aux  créatures  qui  n'ont  ni 
sens,  ni  intelligence,  et  elles  lui  adressent  leurs  hom- 
mages ,  se  plient  à  ses  volontés  ,  le  respectent  et  le 
reconnaissent  pour  3Iaître!  Dans  la  multitude  im- 
mense de  tous  les  êtres  créés,  il  n'en  est  pas  un  seul 
qui  transgresse  ses  ordres  ni  qui  s'oppose  à  ses  vo- 
lontés (4);  et  l'homme  qui  a  eu  l'insigue  honneur,  la 

montraient  qu'ils  n'étaient  pas  encore  élevés  à  l'idée  spiritu 
de  la  puissance  du  Dieu  Sauveur. 

(1)  Porto  bomines  mirati  sunt  {Matfh.  vm,  27). 

(2)  Obedit  mare,  quia  ipsius  est  mare  et  ipse  fecit  illiid. 

(3)  Et  timuerunt  timoré  maguo,  et  dicebaut  ad  alterutrum 
Quis  putas  hic  est,  quia  et  ventis  et  mari  imperat  {Luc.  vm,  25)? — 
Qualis  est  bic,  quia  venti  et  mare  obediunt  ei  [Matth.  vm,  27)? 

(4)  Mandat  verbo  illis  qui  non  habent  verba,  et  obediunt  ei. 
Qui  non  habent  auditum  obtempérant.  Qui  prudentiae  et  intel- 


—  23C  — 

préroîîntivo  niiiqiio  d'avoir  été  créé  à  rimai^e  et  à  la 
ressemblance  de  Dieu;  riioimiie, le  seul  qui  possède 
la  parole,  le  discernement  et  l'intelligence  ;  l'homme, 
comblé  des  muniliccnces  de  Dieu,  désobéit,  résiste 
à  ce  Dieu  et  le  nié[)risc  !  0  homme  !  cesse  donc  ce 
scandale,  mets  lin  à  cet  excès!  Imite,  te  dit  saint  Au- 
gustin, la  docilité  de  la  mer,  la  soumission  des  vents, 
et  obéis  à  ton  Créateur  (1).  Car,  aulroment,  sache 
qu'il  viendra  un  jour  où  tous  les  êtres  inanimés  sur- 
giront contre  toi  comnic  une  armée  formidable, 
comme  les  ministres  des  vengeances  divines  pour 
punir  ta  ré  vol  le  contre  le  Créateur,  dont  elles  ac- 
complissent humblement  ici-bas  les  ordres;  alors  tu 
éprouveras,  ù  homme!  tu  éprouveras,  à  ta  honte, com- 
bien tu  as  été  insensé  en  osant  désobéir  à  ton  Dieu, 
t'élever  contre  lui  et  résister  à  ton  Créateur  :  Pugna- 
hit  pro  eo  orbis  terrarum  contra  insematos. 

Mais  le  prodige  figuré  par  le  récit  évaîîgélique  est 
infiniment  plus  grand  que  celui  qui  lui  sert  ici  de 
symbole.  La  barque  qui  portait  Jésus -Christ  avec 
Pierre  et  les  autres  apôtres,  représentait,  avons-nous 
déjà  dit,  la  véritable  Eglise  :  c'est  la  pensée  de  saint 
Augustin  (2).  Origène  ajoute  que  la  mer  signifie  le 
siècle  présent,  qui,  par  la  multitude  de  ses  vices,  de 
ses  tentations,  de  ses  dangers  et  de  ses  naufrages  spi- 

lecfus  sunt  expertes,  inclinantur  jubenti.  Jubet  omni  creaturœ, 
et  non  siipergreditur  jussionom.  —  Unum  humanuin  gomis  quod 
secimduni  Dei  sirnilitudinem  bonorificatnni  est;  soli  bomines  re- 
sistuut,  soli  iuobodiunt,  soli  contenintmt  (Orig.,  loco  cit.). 

(1)  Imitare  vontos  et  mare  :  obtempéra  Creatori  (Aug.). 

(2)  Navis  illa  Ecclesiam  tigurabat  (Aug.,  loco  cit.). 


I 


—  2.37  — 
rituels,  est  vraiment  miocéau  toujours  agité,  toujours 
plein  decueiîs  et  de  tempêtes  (1).  Les  vents  sont  le 
souffle  empesté  des  esprits  immondes,  des  puissances 
infernales  qui  excitent  ici-bas,  contre  rEgiise^  les  flots 
terribles  des  persécutions  et  des  scandales,  pour  lui 
faire  subir,  s'il  était  possible,  un  irréparable  nau- 
frage. Jésus-Christ  dort  sur  la  barque  de  Pierre, 
quand  il  permet  ces  tourmentes  pour  accroître  les 
mérites  et.reudre  jjIus  pure  la  foi  de  son  épouse.  Les 
cris  des  apôtres  expriment  les  prières  des  justes,  qui, 
en  voyant  les  persécutions  se  déchaîner  et  le  démon 
devenir  furieux,  excitent  le  Sauveur,  comme  s'il  était 
endormi,  afin  que,  par  les  secours  de  sa  miséricorde, 
il  daigne  venir  en  aide  à  tant  de  fidèles  qui,  pour  leur 
faiblesse  humaine,  craignent  de  faire  naufrage  et  de 
périr.  Enfin,  le  réveil  de  Jésus-Christ  au  moment  où 
la  barque  de  Pierre  allait  périr,  et  le  calme  qui  se 
fait  subitement  à  sa  voix,  signifient  qu'il  réprime  la 
r.ige  de  l'enfer  et  qu'il  rend  à  son  épouse  la  sécurité 
et  la  paix,  lorsque  ses  dangers  sont  les  plus  grands. 
Que  les  orages  excités  par  l'enfer  s'élèvent  donc 

(1)  Mare  sœcnlr.m  intelligitur,  quod  divertis  peccatis  et  variis 
tcntationibuj,  quasi  qnil)iisdam  flnctibus,  sestuat.  —  Venti,  ne- 
quitiie  spirituales  sunt,  et  immundi  spiritus,  qui  ad  naufragium 
Ecclesiœ,  per  diversas  ScEculi  tenfationes,  veluti  per  fluctus  maris, 
do.-œviunt.  —  Dormire  autem  Dominus  tune  dicitur,  cum,  ad 
probatiouem  fidei,  Ecclesiam  suam  pressuris  et  persecutionibus 
mundi  istius  tenlare  permittit.  —  Oratio  discipulorum,  preces 
justorum,  qui  orta  persecutiouis  tempestate,  et  sseviente  diabolo, 
pationtiam  Domiui  veluti  de  somno  excitant,  ut  misericordiaî 
suœ  auxilio,  per  timorern  humanœ  infirmitatis,  periclitautibuâ 
subvenire  dignetur  (Imp.  et  Orig.,  Expos.). 


--  238  — 
terribles  et  formidables,  que  les  tempêtes  des  per- 
sécutions surj^is.^c'iil  en  grand  nombre  contre  la  sainte 
Eglise;  les  dangers  auxquels  ils  l'exposent,  les  agita- 
tions qu'ils  lui  font  souffrir,  le  naufrage  dout  ils  la 
menacent  sans  cesse,  ne  servent  qu'à  la  purifier  de 
plus  en  plus  des  affections  terrestres,  qu'à  la  rendre 
plus  agile  et  plus  légère  sur  le  chemin  du  ciel  ;  quant 
à  la  faire  périr,  oh!  jamais!  Ah!  c'est  qu'elle  a  avec 
elle  le  Fils  de  Dieu  pour  guide;  s'il  semble  dormir,  il 
s'éveille  toujours  à  temps  pour  la  sauver.  Elle  ne 
craint  donc  pas  et  ne  peut  redouter  le  naufrage  (I). 
iN'oublions  pas  que  le  Seigneur  a  dit  à  saint  Pierre  : 
«<  Sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise,  et  contre  elle 
les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais.  »  Saint 
Léon  fait  sur  ces  paroles  cette  remarque  :  Jésus-Christ 
est  la  vraie  lumière  du  monde,  le  vrai  sel  mystérieux  qui 
préserve  les  hommes  de  la  corruption  ;  il  est  en  même 
temps  la  pierre  mujidaire,  la  pierre  vive  sur  laquelle 
s'élève  l'édifice  de  la  maison  de  Dieu.  Or,  le  Sauveur 
donna  à  tous  les  apôtres  ces  deux  premiers  noms  et 
leur  fit  à  tous  part  des  prérogatives  qui  y  sont  atta- 
chées, quand  il  leur  dit  :  «  Vous  êtes  le  sel  de  la  terre 
et  la  lumière  du  monde  (2).  »  Quant  au  dernier,  le 
plus  célébré  dans  les  divines  Ecritures  de  l'Ancien  et 
du  INouveau  Testament,  le  plus  magnifique  et  le  plus 
glorieux;  quant  au  nom  de  pierre  vive,  il  ne  l'a  donné 

(1)  Unde  quamvis  Eccle=ia,  vel  infestalione  iniuiici,  vel  sœculi 
tempestate  laborat,  quiburivis  tentationum  flucUbus  purgatur, 
naufragium  facere  non  potest,  quia  Filium  Doi  babet  guberna- 
toreni  [Ihid.). 

{%)  Voo  estis  lux  luandi,  vos  estis  sal  terrie  {Matth.  v). 


—  230  — 
qu'à  leur  chef.  A  lui  seul  il  a  conféré  ce  titre  si  grand, 
qui  lui  convient  en  propre  ;  il  lui  a  transmis  la  dignité 
d'être,  après  lui,  ce  qu  il  est  lui-même,  la  pierre  fon- 
damentale, le  chef  de  son  Eglise.  Entre  eux  deux  seu- 
lement il  a  établi  une  communauté  parfaite  de  titres 
et  de  dignité,  par  ces  mots  :  «  Tu  es  la  pierre  sur  la- 
quelle je  fonderai  mon  Eglise  (l).  » 

Le  miracle  de  la  tempête  apaisée,  de  la  barque 
de  Pierre  sauvée  du  naufrage,  c'est  donc  l'histoire 
anticipée  des  périls  et  des  triomphes  de  l'Eglise,  en 
même  temps  que  l'explication,  le  commentaire  et  la 
preuve  sensible  de  la  grande  parole  adressée  à  son 
chef  visible  et  de  la  magnifique  promesse  qui  lui  a 
été  faite  :  «  Sur  toi,  ô  Pierre,  comme  sur  un  roc  im- 
mobile, je  bâtirai  mon  Eglise,  si  bien  que  les  portes 
de  l'enfer  viendront  battre  vainement  contre  elle.  » 
Jetons,  en  effet,  un  coup-d'œil  rapide  sur  les  quatre 
grandes  époques  de  l'histoire  du  Christianisme,  et 
voyons  comment  le  miracle  figuratif  opéré  sur  la  mer 
de  Tibériade  par  le  Fils  de  Dieu ,  de  même  que  la 


(1)  Hic  in  consortium  individua?  unitatis  assumptus  est;  id 
qtiod  ipse  erat  voluit  nominari,  cum  dixit  :  Tu  es  Potrus,  et  super 
liunc  petram  œdiCcabo  Ecclesiam  meam  (S.  Léon,  Epist.  89). 

C'est  à  cause  de  l'excellence  de  sa  foi  que  Pierre,  ce  grand 
apôtre,  a  mérité,  dit  saint  Basile,  d'être  le  fondement  de  l'E- 
glise. Saint  Ambroise  dit  aussi  que  le  Fils  de  Dieu,  en  donnant 
au  chef  du  collège  apostolique  le  titre  de  pierre  (pclra),  l'a 
établi  comme  un  roc  immobile  qui  soutient  et  supporte  l'admi- 
rable et  immense  édifice  du  christianisme.  Saint  Augustin  ajoute 
que  c'est  sur  Pierre  que  non-seulement  se  fonde,  mais  s'élève 
l'édifice  ecclésiastique  (SS.  Basil.,  lib.II;  Ambr.,  Serm,  47;  Aug., 
Serm.  15  de  SS.). 


—  240  — 
prophétie  solennelle  faite  à  Pierre  dans  la  contrée 
de  Césiirée,  s'est  vérifié  et  accompli  scnlement  dans 
l'Eî^lise  catholique,  dans  la  maison  de  Pierre  ;  puis 
nous  en  tirerons  cette  conséquence  légitime,  qu'elle 
seule  est  i)onr  cela  l'Eglise  que  Jésus-Christ  a  appe- 
lée .son  Eglise. 

La  première  époque  de  cette  dernière  est  celle  qui 
signale  sa  naissance  sur  le  Calvaire.  Or,  qn"arriva-t-il 
en  ce  lieu  à  cette  Eglise  naissante  ?  Alors  Jésus-Christ 
monte  a  entablement  sur  une  barque  pour  na^igue^ 
sur  la  véritable  mer  de  Tibériade  et  pour  passer  au- 
delà,  dans  la  province  des  Céraséniens  :  ainsi  l'expli- 
quent les  interprètes.  Il  monte  sur  le  bois  delà  croix, 
véritable  nacelle  mystérieuse  par  laquelle  on  peut 
seule  éviterle  naufrage  (I  );  il  traverse  sa  douloureuse 
passion,  que  les  prophètes  ont  comparée  à  la  mer  (2)  ; 
puis,  dans  la  personne  de  Pierre,  il  passe  dans  les  pro- 
vinces occidentales  habitées  par  nous  les  Ge;itils.  Le 
Fils  de  Dieu  s'endort  du  sommeil  de  la  mort  sur  la 
barque  mystérieuse  de  la  croix ,  qu'il  a|)pelle  lui- 
même  un  doux  sommeil  (3).  Alors  mugit  à  l'entour 
une  tempête  terrible  :  Fada  est  procclla  mof/na  :  les 
Juifs  blasphèment  contre  elle,  les  Gentils  s'en  moquent, 
les  disciples  eux-mêmes  l'abandonnent.  Sur  les  apôtres 
éclate  particulièrement  la  force  de  l'ouragan  ;  à  la 
vue  de  Jésus-Christ  mort,  leur  esprit  se  trouble,  leur 

(1)  Navicula  quam  Christuà  ascendil,  iutelligitur  arbor  Christi 
(Beda). 

(2)  Magna  est  velut  mare  contritio  lua  (Thren.). 

(3)  Dormire  ChriBti  mori  est  {G /os.).  Ego  dorinivi  et  soporatus 
sum  {Ps.). 


—  241   — 
cœur  se  bouleverse  (1).  Hélas!  la  tempête  a  prévalu! 
La  nacelle  est  à  peine  sortie  du  port,  et  déjà  elle  se 
perd  dans  la  mer  des  passions  des  hommes,  elle  suc- 
combe sous  le  efforts  des  puissances  infernales.  Jésus- 
Christ  a  disparu,  tout  finit  avec  lui,  tout  est  perdu; 
déjà  sa  secte  se  dissout,  ses  disciples  se  dispersent, 
l'Eglise  est  annéantie  ;  on  ne  la  voit  plus,  elle  s'est 
éteinte  à  sa  naissance,  la  divine  barque  est  submer- 
gée (2).  Mais  que  dis-je  ?  Oh  !  combien  la  joie  des  dé- 
mons et  l'allégresse  des  Juifs  furent  de  courte  durée! 
Dans  leur  désolation,  les  disciples  appellent  de  leurs 
vœux  ardents  la  résurrection  du  Sauveur,  et  ils  le  ré- 
veillent (3).  Jésus  ressuscite  de  son  sommeil  mysté- 
rieux, de  la  mort,  parce  que  son  humanité  est  ton- 
jours  hypostatiquement  unie  au  Yerbe  de  Dieu  (4). 
Il  commande  aux  vents,  en  réprimant  l'orgueil  infer- 
nal ;  il  rend  la  tranquillité  à  la  mer,  en  dissipant  les 
illusions  de  la  malignité  judaïque  ;  une  parfaite  séré- 
nité renaît  à  la  vue  du  Sauveur  ressuscité,  et  le  calme 
de  la  foi  rassérène  l'esprit  troublé  des  disciples  (5). 
Et  voilà  cette  nacelle  de  Pierre,  qui  paraissait  déjà 
naufragée,  la  voilà  qui  reparaît  entière  sur  les  flots  ; 

(1)  Motus  magnus  factus  est,  quia  commotEe  sunt  discipulorum 
mentes  de  Christi  ijassione  (Beda). 

(2)  Ita  ut  uavicula  opei'irelur  fluctibus  (Loco  cit.)- 

(3)  Excitant  diicipuli  Dominum,  duni,  turbati  de  ejus  morte, 
maximis  votis  resurrectionem  quœruut  {Glos.). 

(4)  Ego  dormivi  et  soporatus  suiu,  et  exsurrexi,  quia  Dominus 
suscepit  me  {Ps.]. 

(5)  Imperavit  ventis,  quia  diaboli  superbiam  stravit;  mari,  quia 
insaniam  Judaeorum  di^jecit;  fucta  est  trauquillitas  magna,  quia, 
visa  resurrectione,  sedatae  sunt  discipulortyn  mentes  (Glos.). 

II.  1« 


242  

à  son  gouvernail  se  tient  toujours  Pierre, qui  la  charge 
de  nombreux  passagers,  de  nouvelles  cargaisons,  puis 
la  dirige  sur  un  vaste  océan  :  première  preuve  de  cet 
oracle  aujourd'hui  vingt  fois  séculaire  :  «Les  portes  de 
l'enfer  ne  prévaudront  point  contre  l'Eglise  :  Et  por- 
tœ  inferi  non  prœvalcbunt  adversus  eam.  » 

Mais,  pauvre  barque,  à  cette  seconde  époque  de 
ton  âge,  dans  ta  navigation  vers  Rome,  quelle  tem- 
pête furieuse  t'attend  et  te  menace  !  Les  dieux  de 
celte  mer  que  tu  parcours,  ce  sont  les  [)uissances  in- 
fernales, les  honteuses  idoles,  la  philosophie  licen- 
cieuse des  faux  sages,  les  vices  sans  retenue,  sans  pu- 
deur de  ses  navigateurs  accoutumés  :  quel  horrible 
orage  ils  vont  préci[)iter  sur  ta  frêle  carène!  Aussitôt, 
en  effet,  qu'elle  apparaît  sur  cette  mer  irritée,  avec 
son  mât,  —  la  croix,  —  ses  vergues,  —  les  dogmes, 
—  et  ses  voiles,  —  toutes  les  vertus,  portant  avec 
elle  Jésus-Christ  pour  le  faire  connaître  au  monde; 
aussitôt,  dit  saint  Pierre  Chrjsologue  ,  la  malignité 
infernale  amoiicclle  ses  nuages  à  l'entour,  le  souffle 
pestilentiel  de  l'idolâtrie  frémit,  les  vagues  de  la 
haine  des  princes  païens  la  couvrent  de  leurs  lames, 
les  flots  violents  de  toutes  les  puissances  la  batleiit 
à  coups  redoublés  ;  puis  les  traîircs,  les  apostats 
poussent  leurs  cris  de  rage,  les  passions  populaires 
l'assiègent  ;  mille  ouragaiis,  mille  persécutions  écla- 
tent sur  sa  tôle  (1).  Durant  trois  siècles  le    feu, 


(1)  Ubi  Christus  Ecclesiae  suae  iiavim,m;ire  saeculi  transfretatu- 
rus,  ascendit,  ruenint  gentiuii  tiabra,  pcrspcutoruin  procelUe, 
duîmonum  ucbulaj;  regum  ppumabant  undif  ;  fnrvobant  Dotcita- 


—  243  — 
le  fer,  la  calomnie  et  la  fraude,  la  bédiiction  et  la 
cruauté,  sans  pudeur  ni  retenue, ont  fait  effort  contre 
l'Église  :  toutes  les  écoles  l'ont  combattue  par  les  so- 
phismes  de  leurs  doctrines,  tous  les  empereurs  l'ont 
opprimée,  toutes  les  nations  idolâtres  de  l'Empire  ro- 
main l'ont  persécutée  avec  fureur.  Le  monde  entier 
se  souleva  contre  elle  dans  une  universelle  tempête. 
La  divine  nacelle  allait  ainsi  sur  la  mer  grondante, 
seule,  sans  soutien,  sans  subsides,  sans  forces!  Par- 
tout autour  d'elle  l'inévitable  naufrage  (I)  :  ses  pon- 
tifes étaient  immolés,  ses  prêtres  dispersés,  ses  en- 
fants les  plus  purs  égorgés  par  milliers  aux  pieds 
d'infâmes  idoles;  ceux  qui  lui  survivaient  s'enseve- 
lissaient dans  les  catacombes;  elle-même  semblait 
engloutie  dans  une  mer  de  sang  (2) .  0  mon  Dieu  ! 
mon  Dieu!  est-ce  qu'il  n'y  a  plus  d'Église,  plus  de 
fidèles,  plus  de  christianisme?  L'enfer  tressaille,  la 
philosophie  sourit ,  le  paganisme  triomphe  et  érige 
au  monstre  couronné,  souillé  de  cette  horrible  vic- 
toire, un  monument  avec  cette  orgueilleuse  inscrip- 
tion :  Au  divin  Dioclétien^  pour  avoir  détruit  la  supers- 
tition chrétienne  dans  tout  l'univers. 

Mais,  folles  adulations,  vains  rêves  inspirés  par 
l'enfer,  oh  !  comme  ils  disparurent  soudain  !  Aux 
prières  des  saints,  aux  cris  du  sang  des  martyrs,  Jésus- 
Christ  se  réveille  et  parle  à  la  mer,  fait  signe  aux 

tum  Iluctus,  sanabat  rabies  traditorum,  populorum  gurgites  ro- 
tabantur  (Pier.  Chrys.,  Senn.). 

(1)  Totius  mundi  facta  est  una  tempestas,  unum  discrimen 
unumque  naufragium  {Id.,  loco  cit.). 

(i)  Ita  ut  navicula  ooerireiur  fluctibus  'Loco  cit.). 


\ 


—  244  — 
vents,  commande  aux.  flots;  c'est-à-dire,  il  parle  eu 
secret  au  cœur  des  rois,  et  il  les  adoucit;  aux  puis- 
sances, et  il  les  humilie  ;  aux  peuples,  et  il  les  sou- 
met ;  au  monde,  et  il  le  pacifie  (1).  Ce  n'est  pas  assez  : 
Jésus-Christ,  continue  saint  Chrysoioguc,  fait  du 
peuple  romain  un  peuple  chrétien ,  il  change  ses  en- 
nemis et  ses  persécuteurs  en  propagateurs  et  en 
protecteurs  zélés  du  christianisme.  Le  calme  renaît 
du  sein  de  la  tempête  ;  calme  d'autant  plus  miracu- 
leux, qu'il  est  moins  attendu,  qu'il  est  protégé  par 
les  empereurs  eux-mêmes  devenus  chrétiens  ;  calme 
merveilleux,  l'Eglise  le  possède,  la  chrétienté  s'en 
réjouit,  la  gentilité  l'admire  (2)  ! 

Quel  miracle,  mes  frères!  Oh!  événement  digne 
de  l'admiration  de  tous  les  siècles  !  Un  grossier  pê- 
cheur de  la  Galilée  entre  en  lice  avec  l'empereur 
romain,  maître  du  monde,  et  il  reste  vainqueur! 
Le  vrai  Goliath,  la  terreur  de  la  terre  par  le  prodige 
de  sa  force,  par  le  nombre  de  ses  armes,  est  abattu 
par  le  faible  David!  Le  bâton  de  la  croix  a  émoussé 
le  cimeterre  impérial.  La  tiare  pacifique  a  brisé  le 
sceptre  redouté  de  tout  l'univers.  Néron  a  immolé 
Pierre,  et  Pierre  élève  son  trône  immortel  dans  un 


(1)  Sn=ci[;ilii5  a  discipulis  Christus,  mare  corripit,  sedat  fluc- 
tua; boc  eit,  reges  mitigat,  potestatem  plaçât,  coiupouit  popu- 
los, trauquillat  orbem  (Loco  cit.). 

(2)  Romauos  efficit  christianos,  ipsosque  executores  reddidit 
chriàtianfiB  fidei,  qui  fuerant  persecutores  nominis  chiistiam. 
Hanc  trauquillitatem  servant  christiani  principes,  Ecclesia  teuet, 
habet  christiauitas,  genlilitas  admiratur  (Loco  cit.). 


—  245  — 
temple  bâti  sur  les  débris  mêmes  du  palais  de  Néron. 
Les  Césars  persécuteurs  ont  disparu  du  monde  ;  ils 
n'ont  laissé  pour  postérité  qu'un  nom  couvert  d'op- 
probre, symbole  horrible  de  l'infamie  et  de  la  cru- 
auté, et  Pierre,  toujours  se  survivant  sur  sou  siège, 
règne  à  l'endroit  même  où  Néron  le  fit  crucifier; 
son  nom  est  invoqué  comme  l'emblème  précieux  de 
l'espérance,  de  la  miséricorde  et  du  pardon.  De  ce 
sépulcre  sur  lequel  on  prie  toujours  dans  toutes  les 
langues  connues  ;  de  ce  sépulcre  sans  cesse  arrosé 
des  larmes  pieuses  de  toutes  les  nations,  devant  le- 
quel ont  été  déposées  les  couronnes  et  s'est  abaissé 
le  front  de  tant  de  rois  ;  de  ce  sépulcre  entouré  des 
hommages  de  l'univers,  Pierre  donne  toujours  ses 
lois  comme  d'un  trône  immortel.  En  vérité,  la  tem- 
pête n'a  nui  qu'à  ceux  qui  l'excitèrent.  L'Empire 
romain  si  vaste,  si  formidable  et  si  belliqueux,  a 
persécuté  à  mort  l'Eglise,  et  l'Église  si  restreinte,  si 
faible  et  si  pacifique,  est  restée  debout,  à  la  vue  de 
son  persécuteur  s'écroulant,  disparaissant  de  la  face 
de  la  terre  Le  navire  impérial,  puissant  par  son  im- 
mense carène,  sa  riche  cargaison,  ses  agrès  solides, 
si  bien  qu'il  semblait  défier  l'océan  le  plus  redou- 
table, a  succombé  à  la  première  tempête  et  a  péri 
corps  et  biens  ;  tandis  que  la  barque  du  pêcheur^  si 
petite,  si  pauvre,  si  fragile  qu'elle  semblait  ne  pou- 
voir impunément  s'éloigner  tant  soit  peu  du  rivage, 
poussée  sur  l'Océan  sans  borne,  a  triomphé  de  la  fu- 

(1)   L'illustre  prédicateur  proclamait  ces  vérités  dans  l'église 
Saint-Pierre,  à  Rome, 


—  246  — 
reur  des  vents  et  du  tourbillon  des  vagues.  Voilà  le 
miracle  dont  ce  temple  aupjuste  est  la  preuve  sensible; 
tel  est  le  prodige  qu'il  raconte  dans  le  langage  élo- 
quent de  sa  majestueuse  et  magnifique  grandeur;  il 
dit  aux  siècles  qui  passent  sur  sa  tète  :  «  Les  portes 
de  l'enfer  n'ont  point  prévalu  dans  le  passé;  de  même, 
dans  ra\enir,  elles  ne  prévaudront  jamais  contre 
l'Eglise  :  Et portœinferi  non  prœvalebunt  adversiis  eatn.» 
Mais  Tenfer  ne  laissa  pas  l'Église  jouir  longuement 
de  sa  tranquillité.  N'ayant  pu  la  vaincre  par  la  force, 
il  essaya  de  la  comb'iltre  par  le  venin  des  doctrines. 
Epoques  encore  plus  douloureuses  pour  elle  que 
l'ère  du  martyre  :  les  Césars  sévirent  contre  les  corps 
des  saints,  les  hérétiques  dirigèrent  leurs  traits  em- 
poisonnés contre  les  âmes  et  s'cllbrcèrent  de  cor- 
rompre l'enseignement  de  celle  dont  ils  ne  pouvaient 
détruire  l'existence;  ils  laissaient  aux  chrétiens  la 
vie  pour  icur  arracher  la  foi  du  cœur.  Animés  d'une 
èaine  diabolique  contre  Jésus-Christ,  la  base  du  vrai 
.Aristianisme,  les  uns  le  firent  naître  dans  le  temps, 
même  selon  sa  nature  divine;  les  autres  nièrent  sa 
mort,  même  selon  sa  nalure  humaine.  Ceux-ci  lui 
donnèrent  un  corps  sans  âme,  ceux-là  une  âme  sans 
volonté.  Pour  les  uns,  il  est  simplement  un  homme; 
pour  les  autres,  il  est  seulement  Dieu.  Puis  ses  pré- 
ceptes, ses  conseils,  les  mystères,  les  sacrements,  la 
grâce,  le  sacerdoce,  l'Eglise,  sont  niés,  rejetés  tour 
à  tour.  Le  cinquième  siècle  d'abord;  puis,  plus  de 
mille  ans  après,  le  quinzième  ont  vu  ces  doctrines  in- 
fernales patronées  par  des  évêques,  défendues  par 


—  247  — 
des  prêtres,  observées  par  des  moines,  soutenues 
par  des  académies,  imposées  par  des  empereurs, 
acclamées  par  des  peuples  entiers.  On  résiste  diflBci- 
lement  à  Terreur  secondée  de  la  force,  de  la  ruse 
et  des  passions  humaines.  A  Tune  et  à  l'autre  des 
époques  indiquées,  époques  de  si  triste  mémoire, 
l'hérésie  semblait  être  devenue  la  foi  universelle. 
Si,  au  siècle.  d'Arius,  le  monde  chrétien  s'étonna  de 
se  trouver  presque  arien  ;  au  siècle  de  Wicleff  et 
de  Luther,  qui  ressuscitaient  les  blasphèmes  des  an- 
ciens hérésiarques,  l'Europe  catholique  put  s'éton- 
ner de  même,  en  se  voyant  en  grande  partie  protes- 
tante. A  chacune  de  ces  deux  époques  la  barque  de 
Pierre,  sa  doctrine  et  sa  foi  semblaient  méconnais- 
sables au  milieu  des  nuages  du  doute,  de  la  tempête 
d'erreurs  qui  les  emportaient  assombries  sur  le  cou- 
rant de  tant  d'opinions  contraires  ;  on  aurait  dit  l'E- 
glise naufragée  :  Ita  ut  navicula  operiretur  fluctibus. 

Mais  l'heure  qui  paraissait  sonner  sa  ruine,  fut  pré- 
cisément l'heure  de  son  salut.  L'hérésie  ne  pouvait 
être  plus  forte  contre  l'Eglise  que  ne  le  fut  la  cruauté. 
Marcion,  Arius,  Manès,  Pelage,  Nestor,  Donat,  Nova- 
tien,  Wicleff,  Luther,  Calvin  ne  furent  donc  pas  plus 
heureux  que  Néron,  Caligula,  Maximien,  Dioclétien, 
Julien  l'Apostat,  Mahomet.  Nulle  invention  humaine, 
nul  édifice  ne  peut  se  soutenir,  s'il  ne  s'élève  sur  le 
roc  de  Pierre,  que  Jésus-Christ,  selon  le  langage  de 
saint  Léon,  a  donné  pour  fondement  à  l'Eglise  (1). 

(1)  Prœter  illam  petraœ,  quam  Dominus  in  fundaœento  posuit, 
stabiiiâ  erit  uuUa  coustructio  (^Epùt,  54). 


—  24S  ~ 
Les  hérésies  nées  sous  le  sceptre,  favorisées  par  les 
passions,cimcntéesavecdu  .saiig,sc  sont  écrouléessur 
le  sol,  comme  un  bâtiment  sans  fondement.  Toutes 
les  sectes  anciennes,  détruites  les  unes  par  les  autres, 
ont  disparu.  Les  peuples  malheureux  qui  les  accueil- 
lirent, expient,  depuis  des  siècles,  leur  apostasie  par 
la  perte  de  la  science,  de  leur  civilisation  (il  faut 
que  les  nations  chrétiennes  aillent  les  sauver).  Eux 
qui  trouvaient  trop  pesante  la  houlette  de  Pierre, 
sont  forcés  de  gémir  sous  le  joug  honteux  du  croissant 
et  de  trembler  sous  le  sabre  musulman.  Les  sectes 
modernes,  à  leur  tour,  après  s  être  transformées  en 
mille  autres  sectes,  sont  bien  mortes  comme  insti- 
tutions religieuses;  elles  ne  subsistent  que  comme 
institutions  politiques,  maintenues  à  grand'  peine  par 
laraison  d'État,  par  l'intérêt  et  par  l'ambition. 

Au  contraire,  notre  Eglise,  comme  saint  Augus- 
tin parlait  déjà  de  son  tcmps^  notre  Eglise  la  seule 
sainte,  une,  catholique  et  vraie,  par  la  présence  ef- 
ficace de  Jésus-Christ,  par  ses  pontifes,  ses  conciles, 
ses  docteurs,  ses  apologistes,  a  toujours  combattu 
toutes  les  erreurs,  expliqué  et  mis  en  lumière  toutes 
les  vérités.  Les  hérésies  nées  de  son  sein,  chassées 
par  elle  de  sa  famille,  ont  péri  comme  d'inutiles 
rameaux  retranchés  de  leur  tige  ;  elle  reste  debout, 
toujours  unie  à  la  racine  divine  qui  la  vivifie,  à  la 
charité  chrétienne  qui  la  féconde  (1). 

(1)  Ipsa  est  Ecclesia  sancta,  Ecclesia  una,  vera  Ecclesia  catho- 
lica,  contra  omnes  haereses  pugnans;  omnes  hœreses  de  ilia 
exierunt,  tanquam  sarmenta  inutilia  de  vite  rescisa  :  ipsa  autem 


—  249  — 

Les  tempêtes  hérétiques,  si  longues  et.  si  obstinées, 
n'ont  fait  que  la  décharger  du  fardeau  funeste  des 
peuples  corrompus  devenus  leur  proie ,  tandis  que 
Rome  compensait  ces  pertes  par  de  précieuses  con- 
quêtes chez  les  nations  de  l'Asie  et  de  l'Amérique. 
C'est  ainsi  que,  triomphant  de  tous  les  orages,  elle 
a  continué  et  continue  en  sûreté  son  chemin,  mon- 
trant au  monde  son  mât  toujours  glorieux,  la  croix, 
étendard  de  son  symbole;  ses  Toiles,  nos  dogmes, 
toujours  entières  et  toujours  plus  splendides,  flot- 
tant sur  la  magnifique  épigraphe  tracée  en  caractères 
indélébiles  et  d'or  par  une  main  divine  sur  sa  proue  : 
«  Yoici  la  barque  contre  laquelle  les  portes  de  l'enfer 
ne  prévaudront  jamais  :  Et  portœ  inferi  non  prœvale- 
bunt  adversiis  eam  !  » 

Mais  la  plus  terrible  tempête  que  cette  divine 
barque  ait  jamais  essuyée  depuis  qu'elle  vogue. sur 
l'océan  de  ce  monde,  c'est  celle  qui  s'éleva  contre 
elle  au  siècle  dernier,  et  qui  se  prolonge  jusqu'à  nos 
jours,  toujours  plus  menaçante.  Après  mille  et  mille 
variations,  l'hérésie  protestante,  transformée  en  un 
philosophisme  monstrueux,  prononça  enfin  son  der- 
nier mot  :  Incrédulité.  Cette  parole  infernale ,  arti- 
culée dans  la  nuit  de  toutes  les  passions,  trouva  un 
écho  funeste,  universel.  Sous  le  spécieux  vocable  de 
philosophie,  elle  fut  bien  vite  accueillie,  répétée  dans 
les  livres,  dans  les  universités,  dans  les  académies, 
dans  les  antichambres,  dans  les  cercles  des  oisifs, 

manot  in  radice  sua,  in  vite   sua,  in    cbaritate    sua,  Ecclesia 
pugnare  potest,  expugnari  non  potest  (Aug.,  Dg  Mor.  Eccl.). 


—  250  — 

dans  la  société  des  femmes,  dans  la  chaumière  du 
peuple  ;  et  on  l'entendit  quelquefois  prononcer  à 
\oix  basse  jusque  dans  le  cabinet  des  rois,  jusqu'à 
l'entrée  du  sanctuaire  !  Ainsi  la  science  et  le  pou- 
voir, la  littérature  et  l'autorité,  la  richesse  et  la  force, 
même  la  mode,  se  liguèrent  ensemble ,  formèrent 
contre  l'Eglise  de  Jésus-Ciirist  la  plus  vaste  et  la 
plus  puissante  des  conjurations,  et  excitèrent  contre 
le  christianisme  la  plus  terrible  de  toutes  les  tem- 
pêtes. 

Durant  l'espace  d'un  siècle  environ,  cette  conspi- 
ration infernale  fit  son  œuvre,  employant  tour  à 
tour  la  calomnie  et  le  sophisme,  l'hypocrisie  et  le 
ridicule.  Enfin,  par  la  faiblesse  ou  la  malice  de  ceux 
qui  pouvaient  et  devaient  la  réprimer,  elle  se  rendit 
maîtresse  du  pouvoir  public, sous  le  nom  de  révolution 
française^  et,  par  sa  domination  sur  un  grand  peuple, 
elle  régna  en  souveraine  dans  le  monde.  Etonné, 
épouvanté,  l'univers  vit  pour  la  première  fois  l'a- 
narchie érigée  en  gouvernement,  la  sottise  et  la  pé- 
danterie devenir  législateurs,  l'impiété  se  cons- 
tituer maîtresse  de  religion.  Bientôt  aux  sophistes 
succédèrent  les  bourreaux,  aux  livres  les  armes,  aux 
doctrines  la  mitraille  et  la  guillotine.  Ou  dépouille 
les  sanctuaires,  on  abolit  les  cloîtres,  on  viole  les 
asiles  de  la  pudeur,  on  démolit  les  autels,  on  profane 
les  églises,  on  immole  les  prêtres  par  milliers;  les 
évoques  sont  chassés  de  leur  siège,  la  religion  de  la 
société.  Dieu  de  son  temple,  et  l'on  eut  le  triste 
spectacle  d'une  nation,  autrefois  si  chrétienne,  abju- 


—  251  — 

rant  sa  foi,  reniant  Dieu,   roulant  dans  l'abîme  de 
l'impiété  et  de  la  barbarie. 

Or  ce  peuple,  par  son  caractère,  par  le  génie  de 
sa  langue,  par  l'esprit  de  son  prosélytisme,  par  T in- 
fluence de  ses  modes  et  de  ses  coutumes,  exerce  une 
espèce  de  dictature  et  d'empire  moral  dans  tout  le 
monde. L'enfer,  en  entraînant  cette  nation  privilégiée 
dans  les  voies  de  l'impiété ,  voulait  donc  y  attirer, 
par  son  moyen,  toutes  les  autres  nations  catholiques 
et  détruire  ainsi  l'Eglise  de  fond  en  comble  (1).  En 
effet,  semblable  à  un  torrent,  dans  son  impétueux 
essor,  l'esprit  d'irréligion^,  débordant  par  deux  fois 
de  la  France,  inonda  subitement  l'Europe.  Le  dogme 
chrétien  est,  en  dilïérents  lieux,  solennellement  ab- 
juré ,  la.  loi  de  l'Evangile  méprisée ,  la  discipline 
ecclésiastique  abolie,  le  culte  catholique  attaqué  et 
injurié,  les  établissements  ecclésiastiques,  toutes  les 
communautés  religieuses  dépouillées  et  détruites. 
Les  richesses  de  l'Eglise  deviennent  la  récompense 
du  parjure,  de  la  pudeur  outragée,  de  la  foi  reniée; 
les  honneurs,  les  dignités,  le  pouvoir,  la  pâture  du 
juif,  de  l'hérétique,  de  l'athée,  du  matérialiste  ;  le 
catholique  seul  en  est  exclu.  L'apostasie,  la  cruauté 
et  l'infamie  sont  les  titres  les  plus  honorables,  le 
mérite  le  plus  sûr  et  le  plus  universel.  C'est  le  règne 
de  Lucifer  :  aussi  toutes  les  erreurs,  toutes  les  pas- 
sions sont  en  faveur,  tandis  que  la  vertu  est  opr-rimée^ 
proscrite.  Il  y  a  plus  :  Attila  s'arrêta  deux  fois  de- 

(l)  Il  faut  observer  que  c'était  là  un  excellent  moyen;  mais 
Dieu  a  voulu  que  la  Fiance  restât  catholique,  pour  sauver  l'Eglise. 


—  252  — 
vant  la  majesté  de  saint  Léon;  Gcnséric,  au  sac  de 
Rome,  accorda  la  vie  aux  citoyens  à  la  prière  de 
saint  Grégoire.  Les  anciens  Vandales,  sortis  des  con- 
trées barbares  du  Septentrion,  respectèrent  le  Sou- 
verain Pontife,  Les  nouveaux  Vandales,  enfants  du 
pays  le  plus  civilisé  de  la  terre,  le  dépouillent  de 
ses  domaines,  l'abreuvent  d'outrages  et  le  traînent 
en  captivité.  En  couronnant  dans  l'exil  la  vie  d'un 
saint  par  la  mort  d'un  martyr,  l'immortel  Pic  VI 
s'écrie  avec  crainte  et  tremblement  :  «  Grand  Dieu! 
quel  sort  se  prépare  pour  votre  Eglise  !  »  Pic  VII, 
gémit  dans  sa  prison  et  verse  des  larmes  sur  les 
pierres  du  sanctuaire  dispersées,  sur  les  maux  qui 
oppriment  l'Eglise  et  sur  ceux  encore  plus  grands 
qui  menacent  de  l'anéantir.  C'est  ici  le  cri  de  Pierre 
et  des  apôtres  à  Jésus-Christ  :  «  Seigneur,  sauvez- 
nous,  nous  périssons.»  La  foi,  même  dans  les  contrées 
les  plus  catholiques,  est  presque  éteinte  ;  la  disso- 
lution est  en  honneur,  l'impiété  triomphe.  Les 
agneaux  sont  sans  brebis,  la  bergerie  sans  pasteur, 
la  barque  de  Pierre  sans  pilote,  La  tempête  a  pré- 
valu; la  fragile  nacelle,  battue  par  des  vents  si 
violents  et  heurtée  par  des  flots  si  terribles,  va  être 
submergée  :  Ita  ut  navicula  operiretur  fluctibus.  Déjà 
l'on  voit  l'athéisme  applaudir  et  chanter  en  triomphe 
un  hymne  infernal  sur  la  destruction  du  catholi- 
cisme. 

Mais,  Seigneur,  comme  votre  droite  est  puissante! 
comme  votre  parole  est  efficace  !  A  un  signe  de  sa 
main,  cet  empire  gigantesque  qui  semblait  tenir  l'uni- 


vers  enchaîné,  disparaît  sans  laisser  d'autres  vestiges 
sur  terre  que  les  ruines  qu'il  avait  faites.  Le  vent  de 
l'orgueil  se  tait,  le  flot  de  la  persécution  s'apaise; 
l'hérésie  même  et  le  schisme,  par  une  providence 
particulière,  s'entendent,  s'unissent  pour  dissiper  le 
nuage  sombre  d'où  s'échappait  la  foudre  qui  soulevait 
les  eaux  et  menaçait  de  briser  la  barque  de  Pierre. 
Pie  VII  recouvre  la  liberté  et  son  trône.  L'Église 
glisse  de  njouveau,  intacte  et  fière,  sur  la  mer  aplanie; 
ses  pertes  se  changent  en  conquêtes,  ses  craintes  en 
espérance,  son  naufrage  en  sécurité,  ses  défaites  en 
triomphes  ;  victorieuse  dans  un  combat  si  obstiné,  si 
terrible,  elle  navigue  dans  un  calme  profond  (l). 

Mais  cet  événement,  accompli  sous  nos  yeux^  a 
en  outre  quelque  chose  de  particulièrement  extraor- 
dinaire, qu'il  convient  de  relever  ici.  Dans  l'horrible 
conflit  de  tant  d'idées,  de  tant  d'erreurs,  de  tant 
d'intérêts,  de  tant  de  passions,  de  tant  de  guerres, 
de  tant  d'usurpations,  de  tant  de  rapines,  de  tant 
d'injustices,  tout  a  été  foulé  aux  pieds:  les  dynasties 
mises  en  fuite,  les  trônes  renversés,  les  institutions 
changées,  les  conditions  confondues,  les  nationalités 
détruites .   Il  est  vrai   qu'à   la  fin  de  cette  catas- 
trophe si  étrangement  violente,  les  trônes  se  rele- 
vèrent, les  royaumes  se  reconstituèrent,  les  institu- 
tions ressuscitèrent.  Mais,  disons-le,  ils  ne  furent  plus 
lesmèmes.De  tout  ce  qu'a  touché  la  Révolution  fran^ 
çaise,  rien  n'est  rentré  dans  son  premier  état.   Les 

(1)  Imperavit  veutis,  et  facta  est  tranquillitas  magua  (Loco 
cit.). 


—  254  — 
plus  grandes  monarchies,  si  elles  ont  repris  leur  an- 
cien nom,  sont  loin  d'avoir  reconquis  leur  force  et 
leur  stabilité  anciennes.  Que  de  trônes  chancellent  ! 
Que  d'institutions  n'ont  encore  qu'une  existence  pré- 
caire, incertaine  !  Mais  l'Eglise  catholique  est  à  pré- 
sent ce  qu'elle  a  toujours  été.  Elle  seule  est  sortie  de 
ses  épreuves  avec  toute  sa  force,  toute  son  intégrité; 
elle  n'a  rien  perdu,  ni  de  son  autorité,  ni  de  sa  sta- 
bilité! Mais,  quedis-je?  malgré  tout  ce  que  les  portes 
de  l'enfer  ont  fait  pour  la  détruire,  elle  est  sortie  de 
la  lutte  plus  forte,  plus  stable,  plus  majestueuse  que 
jamais. 

Certains  gouvernements  se  sont  matériellement 
restaurés  ou  agrandis  ;  mais  l'empire  des  intelligences 
leur  est  échappé  (fasse  le  ciel  que  ce  ne  soit  pas  pour 
toujours!),  et  il  a  passé  à  l'Eglise.  Rien  de  plus  vrai 
que  cette  parole  de  l'homme  le  plus  extraordinaire 
des  temps  modernes  :  «  Les  prêtres  se  sont  emparés 
des  esprits,  et  ils  ne  m'ont  laissé  régner  que  sur  les 
corps.  »  Aujourd'hui,  il  ne  serait  plus  possible  à  un 
Henri  Ylll  d'imposcr_,  par  la  force,  une  religion  de 
son  caprice  à  un  grand  peuple.  Aujourd'hui,  il  n'y  a 
aucune  nation,  si  faible  soit-ellc,  qui  voulût  recevoir 
un  symbole  élaboré  dans  les  cabinets  des  grands  et 
inventé  par  la  pohlique.  Le  gouvernement  qui  oserait 
en  faire  l'épreuve,  n'ajouterait  que  le  ridicule  à  son 
impuissance  ;  et  il  perdrait  le  sceptre  sans  obtenir  la 
tiare.  La  suprématie  religieuse  est  plus  embarras- 
sante que  la  suprématie  temporelle  pour  ceux  aux- 
quels l'hérésie  ou  le  schisme  l'a  conféré.  L'encensoir 


—  255  — 
qu'ils  ont  usurpé  leur  pèse  plus  que  Tépée,  et  il  leur 
est  bien  plus  difficile  de  le  manier.  Les  rois  pontifes 
sont  tombés  en  discrédit  ;  il  n'est  plus  possible  d'en 
voir  surgir  de  nouveaux.  Quant  à  l'Eglise,  plus  elle  a 
perdu  de  ses  richesses  matérielles,  plus  son  pouvoir 
spirituel  s'est  agrandi;  si  bien  qu'elle  peut  répéter 
avec  saint  Paul  :  «  Je  suis  devenue  plus  forte  et  plus 
puissante,  précisément  par  ce  qui  me  fait  paraître 
plus  faible  (1).  »  Les  évêques  sont  aujourd'hui  plus 
que  jamais  unis  et  soumis  à  leur  auguste  chef.  De 
toutes  les  parties  du  monde,  les  peuples  étendent  les 
bras  vers  le  siège  de  Pierre.  Kome  est  comme  l'étoile 
polaire  vers  laquelle  les  yeux  sont  tournés  et  de  la- 
quelle  tous  attendent  la  lumière  qui  doit  rétablir 
l'ordre  dans  la  société  et  rendre  la  paix  à  l'univers. 
Sans  son  appui,  les  rois  ne  sont  plus  en  sûreté;  les 
peuples  ne  peuvent  se  passer  de  sa  tutelle  (souvenez- 
vous  de  la  république  de  1848)  ;  les  nations  mêmes 
qui  en  sont  séparées,  tout  en  semblant  la  fuir,  s'en 
rapprochent  de  plus  en  plus  par  des  voies  cachées^  for- 
ment des  vœux  pour  lui  être  de  nouveau  ui.ie.  Le 
pouvoir  spirituel  du  Souverain  Pontife  (de  Pie  IX), 
qu'on  a  voulu  détruire  par  tous  les  moyens,  est  le 
seul  qui  soit  demeuré  intact  avec  ses  prérogatives. 
Car,  régner,  ce  n'est  point  manier  la  matière^  mais 
conduire  les  esprits,  enchaîner  les  cœurs.  Or,  en  ce 
sens,  on  peut  dire  que  Pierre  seul,  dans  la  personne 
de  ses  successeurs,  règne  dans  l'univers.  Le  pontife 
romain,  sans  armées,  sans  flottes,  reçoit  une  adhésion 

[1)  Cum  iuiirmor  tuuc  yoLeus  sum. 


—  256  — 
libre  et  gouverne,  dans  l'ordre  spirituel,  un  nombre 
immense  de  nations  difl'érenles;  et,  taudis  que  bon 
nombre  de  rois  terrestres  font  d'inutiles  efforts  pour 
conserver  une  couronne  qui  menace  toujours  de  leur 
échapper,  lui,  sûr  de  son  aulurilé,  certain  de  sa  légi- 
timité, plein  de  foi  dans  sa  force,  institue  des  évêques 
(l'Angleterre,  la  Hollande,  l'Amérique),  envoie  des 
missionnaires,  condamne  les  erreurs,  explique  la  vé 
rite;,  réveille  l'Orient  (il  envoie  une  encyclique  au 
patriarche,  à  Jérusalem),  pacifie  l'Occident,  exhorte 
les  rois,  prêche  les  peuples,  reconquiert  l'Afrique, 
civilise  l'Océanie,  pénétre  dans  la  Chine.  Ses  paroles, 
et  ses  paroles  seules  ont  un  écho  dans  l'univers, 
donnent  à  penser  aux  puissants  (le  Piémont),  portent, 
inspirent  même  aux  trônes  des  sollicitudes  qu'on  au- 
rait mauvaise  grâce  à  cacher  sous  le  masque  d'une 
fausse  sécurité  et  d'un  mépris  affecté!  Sa  juridiction 
seule  est  reconnue,  sa  voix  seule  est  écoutée,  son 
action  seule  peut  se  faire  sentir,  s'étendre  vérita 
blement  sur  le  monde.  Je  puis  donc  dire  que  la  mo- 
narchie de  l'Eglise,  combattue  dans  ces  derniers 
temps  par  tant  d'impies,  méprisée  par  tant  d'héré- 
tiques, décriée  par  tant  de  scandales,  est  seule  réel- 
lement debout.  Des  chocs  si  violents  n'ont  pas  dé- 
rangé une  seule  pierre  de  ce  mystérieux  édifice  : 
sa  base  est  entière,  sa  constitution  intacte. Los  barques 
royales,  atteintes  aussi  par  le  même  ouragan  et  é- 
chappées  comme  par  miracle  au  naufrage,  ont  repris, 
il  est  vrai,  leur  chemin,  mais  avec  d'irréparables 
pertes.Elles  cheminent  avec  plus  d'une  voile  déchirée, 
plus  d'une  vergue  brisée,  plus  d'un  mât  fracassé  jpar 


—  257  — 
la  tempête.  Toutes  portent  les  marques  horribles  du 
choc  violent  qu  elles  ont  soutenu,  du  danger  qu'elles 
ont  encouru.  La  seule  nacelle  de  Pierre,  après  avoir 
été  plus  que  toutes  les  autres  ensemble  agitée  des 
vents,  flagellée  des  ondes,  accablée  de  tempêtes^, 
s'est  conservée  intacte  dans  ses  agrès  et  sa  carène. 
Plus  que  jamais  sûre  d'elle-même,  qu'elle  continue 
donc  sa  course  pacifique,  en  répétant  aux  peuples 
s'inclinant  avec  respect  à  son  passage  :  «Je  suis  cette 
barque  contre  laquelle  les  portes  de  l'enfer  ont  lutté 
et  lutteront  toujours  en  vain  :  Et  portœ  inferi  non 
prœvalebunt  adversus  eam.  » 

11  résulte  de  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  trois 
puissantes  preuves  à  l'appui  des  consolantes  vérités 
que  nous  avons  exposées.       * 

Premièrement  _,  l'œuvre  d'un  ou  de  plusieurs 
hommes  peut  être  anéantie  par  un  ou  plusieurs 
hommes.  La  créature  peut  détruire  pour  jamais, 
mais  elle  ne  saurait  édifier  pour  toujours  ;  elle  peut 
entasser  d'éternelles  ruines,  mais  elle  ne  saurait 
produire  des  œuvres  immortelles.  Les  empires  les 
plus  anciens,  les  constitutions  les  mieux  établies,  les 
édifices  les  plus  solides  n'ont  pas  tenu  devaiit  les  ef- 
forts de  l'homme;  ils  sont  tombés  sous  ses  coups.  Et 
pourquoi?  C'est  que  ces  inventions  des  hommes  dé- 
pendaient des  hommes.  Si  donc  il  y  a  quelque  part 
une  Eglise  que  ceux-ci,  malgré  leurs  efforts,  n'ont  pu, 
non  pas  détruire,  mais  seulement  altérer,  il  est  évi- 
dent qu'elle  n'est  pas  leur  ouvrage,  il  est  évident  que 
ce  que  l'homme  ne  peut  détruire,  il  n'a  pu  le  créer, 
n.  17 


—  2iS  — 
Or,  nous  l'avons  vu,  telle  est  précisénicutla  condition 
(\c  l'Éplisc.  Durant  trois  sièclos  les  empereurs  les 
jilus  j)uissants,  durant  trois  autres  les  hérétiques  les 
plus  furieux,  durant  trois  siècles  aussi  les  {)euples 
les  plus  féroces,  durant  trois  siècles  encore  le  ina- 
homctisme  triompliaut  par  tout  le  monde,  et  dans  les 
trois  derniers  enfin  toutes  ces  forces  diverses  réu- 
nies sous  le  nom  de  protestantisme,  de  philosophie, 
de  révolution,  de  liberté,  de  sensualisme,  de  commu- 
nisme; c'est-à-dire  la  puissance  des  gouverncmenus, 
les  blasphèmes  des  impies,  l'astuce  des  hérétiques, 
la  cruauté  des  nouveaux  Vandales,  l'abject  matéria- 
lisme des  nouveaux  Musulmans,  ont  attaqué  l'Église 
de  tous  côtés,  dans  le  dessein  bien  arrêté,  avec  la 
volonté  diaboliquement  décidée,  obstinée  et  éner- 
gique, de  la  détruire  pour  toujours.  Eh  bien  !  quel  a 
été  le  résultat?  Tant  de  persécutions,  tant  d'assauts 
si  prolongés,  si  divers,  si  terribles,  si  indomptables, 
n'ont  servi  qu'à  la  délivrer  davantage  de  la  poussière 
attachée  à  ses  pieds  pendant  sou  pèlerinage  dans  le 
monde.  Ils  ont  été  pour  elle  ce  que  la  serpe  est  à 
la  vigne,  qu'elle  rend  plus  vigoureuse,  en  paraissant 
lui  enlever  ses  rameaux  ;  ce  que  le  feu  est  à  l'or, 
qu'il  rend  plus  pur,  en  semblant  le  consumer;  ce 
que  le  marteau  esta  l'acier,  qu'il  polit  et  perfectionne, 
en  menaçant  de  1j  briser  sous  ses  coups  multiples. 
Ses  é;n'euves  n'ont  abouti  qu'à  procurer  à  rEglise 
des  forces  nouvelles,  une  gloire  |,h!S  grand',  une 
splendeur  plus  merveilleuse  (1).  Ce  que  l'adulation 

(1)  Inter  ipsos  turbines  ranndi,  inter  ipsas  ssectili  perseeutlo 


—  259  — 
fit  dire  à  un  poète  païen  de  Rome  idolâtre  s'applique 
en  toute  vérité  à  Rome  chrétienne  :  elle  n'a  puisé 
que  plus  de  courage  aux  coups  qu'on  lui  a  portés, 
plus  de  force  au  sang  qu'elle  a  répandu,  une  plus  grande 
abondance  de  vie  aux  combats,  au  carnage,  au  fer 
même  qui  semblait  l'avoir  immolée  pour  toujours  (1). 

Bien  plus,  elle  a  soumis,  ou  affaibli,  ou  détruit  ces 
horribles  phalanges  conjurées  pour  sa  destruction; 
elle  a  été  poui*  ses  ennemis  la  dure  enclume  brisant 
en  mille  éclats  les  marteaux  qui  osent  la  frapper. 
Aujourd'hui  même,  parmi  ses  adversaires,  combien 
n'en  voit-elle  pas  périr  ?  Contre  elle  tout  est  faible  et 
impuissant,  car  elle  résiste  à  tout,  triomphe  de  tout. 
Son  histoire  n'est  que  la  série  non  interrompue  de 
ses  triomphes.  Donc  elle  n'a  pas  été  établie  par  les 
hommes,  donc  elle  est  l'œuvre  de  Dieu,  donc  l'Eglise 
catholique  est  vraiment  l'Eglise  de  Jésus-Clu-ist,  fon- 
dée sur  Pierre  :  Tu  es  Petrus,  et  super  liane  petram 
œdi/icabo  Ecclesiam  nieam. 

Secondement,  tonte  invention  de  l'homme  porte 
l'empreinte  de  sa  faiblesse  et  de  sa  caducité. L'homme 
lui-même,  à  peine  né,  commence  à  mourir  :  chaque 
moment  lui  enlève  une  partie  de  son  existence 
corporelle,  et  chaque  pas  qu'il  fait  dans  la  car- 
rière de  la  vie  est  un  pas  de  plus  vers  le  sépulcre. 
Or,  il  en  est  de  môme  de  ses  œuvres.  Ses  vête- 


nes  plus  glorise'et  virtutis  acquirit,  dum  infirma  et  indissoluliilis 
persévérât  (Chrysol.). 

(1)  Per  arma,  per  caedes,  ab  ipso  ducii  opes  aoimumque  ferrp 
(Horat.). 


—  2G0  — 
menls,  au  moment  môme  qu'il  s'en  couvre,  commen- 
cent à  s'alU'rer  inscnsibk'meut,  ù  s'user  ;  chaque  ins- 
tant de   hur  durée  avance  leur  décadence  et  leur 
destruction  (1). 

Oui,  quelques  soins  que  l'homme  emploie  pour  les 
conserver,  il  ne  peut  prolonger  que  de  quelques 
jours  l'existence  de  ses  créations  ;  il  ne  saurait  leur 
assurer  l'immortalité.  A  défaut  de  toute  autre  cause 
délétère,  le  temps  suflit  seul  pour  les  consumer,  les 
détruire.  Aucune  œuvre  purement  humaine  n'est 
exempte  de  cette  loi  :  Tout  ce  qui  tire  son  ori(/ine  de 
l'homme,  vieillit  et  périt  avec  lliomme.  Si  l'on  trouve 
donc  une  institution  qui,  nonobstant  le  long  cours 
des  siècles,  ue  s'altère  pas,  ne  se  décompose  point, 
ne  perd  rien  de  sa  vigueur,  de  sa  force,  de  sa  beauté 
première, cette  institution, pour  cela  seul,  est  l'œuvre 
de  Dieu,  qui  peut  seul  communiquer  à  ses  créations 
rimnuUabilité  par  laquelle  il  est  toujours  le  même  et 
ne  vieillit  jamais  (2). 

Or,  une  telle  œuvre  existe  dans  le  monde  ;  nous 
la  connaissons,  nous  l'avons  sous  les  yeux  :  c'est  l'E- 
glise. Qmc  de  dynasties,  que  d'empires,  n'a-t-ellc 
pas  vus  naître  et  périr,  s'élever  et  tomber!  Que  de 
républiques,  que  de  peuples,  n'a -t -elle  pas  vu  se 
former  et  disparaître  !  Depuis  sa  naissance,  que  de 
systèmes  philosophiques  en  vogue  et  mis  en  oubli  ! 
que  de  sectes  religieuses  pleines  d'expansion  d'abord, 
et  puis  dissipées  !  Et,  au  milieu  de  tous  ces  débris  de 

(1)  Omnia  sicut  vestimentum  voterascent  {Ps.). 

(2)  Tu  autr-iu  idem  ipsc  l's,  nt  auni  tui  nou  dcficiont  [llid.). 


—  261    — 
sceptres  brisés,  de  couronnes  mutilées,  de  trônes 
abattus,  de  chaires  mises  en  morceaux;  au  milieu  de 
ces  ruines  que  le  temps  a  amoncelées  à  ses  côtés, 
elle  reste  debout,  comme  cette  colonne  de  Foca  qui 
domine  avec  fierté  les  ruines  du  Forum  romain.  Déjà 
deux  mille  ans  sont  passés  sur  son  noble  front,  et  l'E- 
glise n'a  souffert  encore  aucune  altération  essentielle, 
ni  dans  ses  dogmes,  ni  dans  sa  morale,  ni  dans  sa 
constitution,  ni  dans  son  culte,  ni  dans  son  action, 
ni  dans  sa  beauté.  Yingt  siècles  se  sont  écoulés,  et 
elle  persuade  les  mêmes  vérités,  inspire  les  mêmes 
sacrifices,   reçoit  la  même   obéissance,  obtient   les 
mêmes  hommages.  Depuis  deux  mille  ans  elle  en- 
fante toujours  et  forme  jusqu'ici,  avec  la  même  fa- 
cilité, des    apôtres,  des  martyrs,   des   confesseurs, 
des  vierges  en  grand  nombre  ;  aujourd'imi^  comme 
aux  premiers  jours  du  christianisme,  la  foi  de  Jésus- 
Christ  estprêchée  avec  le  même  zèle,  confessée  avec 
la  même  constance,  pratiquée  avec  la  même  perfec- 
tion. Si  le  nombre  des  catholiques  diminue  dans  un 
endroit,  il  augmente  dans  un  autre  ;  quant  au  catho- 
licisme, il  est  toujours  le  même;  il  a  toujours  le  même 
esprit,  la  même  force,  la  même  fécondité,  parce  que 
l'Eglise  qui  le  conserve  et  qui  l'enseigne  est  toujours 
la  même. 

Les  autres  communions  religieuses  ont  eu  des  épo- 
ques de  force  et  de  progrès  ;  mais  bientôt  l'époque 
de  décadence ,  d'affaissement  et  de  mort  a  surgi 
pour  elles.  Ainsi  s'offrent-elles  à  nos  regards  avec  les 
caractères  propres  aux  œuvres  humaines,  avec  la 


—  2(i2  — 
prouve  parlante  ac  leurs  origines  caduques.  L'isla- 
misme li'iiispirc  plus  le  même  fanatisme  qu'autrefois 
conlrc  les  chrétiens  (la  guerre  d'Orient).  Le  protes- 
tantisme n'excite  plus  la  même  fureur  que  naguère 
contre  les  catholiques  ;  le  temps  a  détruit  sourde- 
ment ses  œuvres  infernales  (le  protestantisme  s'est 
uni  ou  plulùt  a  été  absorbé  par  la  révolution  ;  de  là 
SCS  fureurs), cesenfanlemnnts  monstrueux  de  l'orgueil 
et  de  la  luxure  :  ce  sont  de  vrais  cadavres  ambulants 
sans  âme  et  sans  vie.  Et  que  sont  devenues  les  sectes 
si  rombreuses  qui  les  ont  précédés?  Elles  furent, 
et  elles  ne  sont  plus.  Les  religions  de  fabrication 
moderne  ne  seront  pas  plus  fortunées. Encore  un  peu 
de  temps,  et  elles  se  dissiperont  ;  elles  iront  rejoindre 
leurs  sœurs  danslcs  abîmes  du  néant.  Semblables  aux 
météores  éleclriques,  après  avoir  brillé  quelques  ins- 
tants d'une  splendeur  infernale,  elles  s'évanouiront, 
ne  laissant  que  l'horrible  puanteur  de  leurs  vices 
pour  souvenir  de  leur  apparition  et  de  leur  passage. 
Quant  à  l'Eglise  catholique,  elle  n'est  pas  sujette  à 
la  décader.cc  lente  et  con'inuellc  à  laquelle  tout 
ce  qui  est  créé  est  soumis;  sans  cesse  renouvelée, 
selon  les  promesses  de  Jésus-Christ,  par  une  force 
secrète  et  divine,  plus  clic  dure,  plus  elle  est  forte  ; 
plus  elle  avance,  plus  elle  est  belle;  plus  elle  vit, 
plus  elle  se  rajeunit  (I).  Cette  barque  est  d'un  buis 
incorruptible.  Donc  l'Eglise  catholique,  dépendante 
de  Pierre,  est  l'Eglise  dont  on  peut  dire  :  Le  Fils  de 
Dieu  l'a  fondée,  i)uisqu'il  la  conserve  miraculeuse- 

(1)  Reûovahitur  velut  a(-[uila  juvcutus  tua  {Ps.). 


—  263  — 
ment;  elle  est  doue  la  vraie  Eglise  :  Tu  es  Petrus^  etc. 
Troisièmement,  les  œuvres  de  l'homme  ne  peu- 
vent conserver,  même  pour  un  temps,  leur  existence 
si  éphémère  et  si  précaire  sans  la  protection  et  Tapp-ii 
de  l'homme. Que  deviennent,  en  effet,  ces  institutions 
quand  elles  sont  abandonnées  à  elles-mêmjs?  Quy 
deviendrait, en  particulier, l'idolâtrie  indienne  ou  chi- 
noise, si  les  gouvernements  cessaient  de  lu  protégei' 
par  leurs  cruelles  persécutions  contre  le  christianisme. 
Que  deviendrait  le  mahométisme,  si  l'épée  des  sultans 
n'était  pas  toujours  levée  pour  le  soutenir  (voyez  ce 
qui  se  passe)?  Où  en  serait  le  schisme  grec  (les  sectes 
eu  Russie),  le  protestantisme  anglais ,  l'cvangélisme 
allemand,  s'ils  n'étaient  liés  aux  institutions  politiques 
des  Etats?  Ah!  sous  peu,  il  ne  resterait  plus  nul  vestige 
d e  ces  a vortements monstrueux  des passionshumaines, 
et  la  vérité  catholique  irait  pacifiquement  régner  sur 
leurs  ruines.  Hélas!  il  faut  que  ces  plantes  parasites 
enlacent  un  arbre  quelconque,  s'attachent  à  un  sou- 
tien, pour  qu'elles  puissent  déployer^  même  pour  un 
temps,  la  luxuriante  stérilité  de  leur  feuillage.  Il 
est  vrai  qu'elles  empoisonnent,  minent  sourdement 
l'arbre  imprudent  qui  leur  prête  son  appui,  et  qu'à 
mesure  qu'il  tombe,  elles  se  dessèchent,  puis  devien- 
nent... du  foin.  Les  fausses  religions  seront  empres- 
sées, à  leur  naissance,  de  se  couvrir  du  manîeau  du 
pouvoir;  elles  sont  accourues  se  réfugier  à  l'ombre 
des  trônes,  où  elles  ont  caressé  les  basses  passions  de  la 
multitude  pour  s'abriter  sous  l'étendard  de  larébellon 
etderiufamie:  qu'y  ont  gagné  les  trônes  et  les  peuples? 


—  2G1  — 

Si  donc  il  y  a, sur  la  terre, imc  institution  qui  n'a  be- 
soin, pour  se  sonlenir,  d'aucun  appui  humain,  elle 
montrera  par  là  qu'elle  n'est  pas  de  leur  nombre, 
qu'elle  n'est  [las  l'œuvre  de  l'homme. 

Or,  celte  institution  existe  :  c'est  l'Eglise.  Nousavons 
vu  que  non-seulement  elle  n'a  pas  eu  besoin  de  la  pro- 
tcclion  des  Césars  pour  s'établir  et  pour  subsister, 
mais  qu'elle  s'est,  au  contraire,  établie  et  qu'elle  a 
subsisté  en  dépit  d'eux  et  malgré  tous  leurs  efforts. 
L'erreur,  dans  ses  effets,  procède  de  haut  en  bas  :  elle 
commence  par  captiver  les  grands  avant  de  fasciner  le 
peuple.  La  vérité  catholique  procède  autrement  :  elle 
a  d'abord  conquis  les  peuples,  puis  elle  a  attiré  les 
souverains.  L'empire  fut  chrétien  avant  ses  muîtres. 
Le  trône  eut  besoin  de  l'autel  avant  que  celui-ci  ne 
réclamât  son  secours.  Et,  je  le  dirai,  la  protection  que 
l'Eglise  accorde  aux  princes  est  mille  fois  plus  efficace 
que  ccilc  qu'elle  en  reçoit.  Ah!  on  a  voulu  quelquefois 
la  protéger,  cette  Eglise;  mais  que  de  larmes  lui  ont 
valu  ces  protections  intéressées  !  souvent  elle  a  eu 
plus  à  se  plaindre  de  ses  pré'cndassoatiecs  que  de  ses 
persécuteurs! 

Elle  ne  doit  donc  rien  à  la  force  du  pouvoir  ;  doit- 
elle  quelque  chose  à  la  faveur  des  passions?  .Ah  ! 
nullement  :  par  la  mystérieuse  obscurité  de  ses  dog- 
mes, par  la  sévérité  de  ses  lois,  elle  les  irrite  au  con- 
traire, en  fait  des  ennemies.  Quel  est,  en  effet,  le  vice 
qu'elle  n'enchaîne,  quel  est  le  mauvais  instinct  qu'elle 
ne  combatte?  Elle  condamne  également  la  tyrannie  des 
monarques  et  la  rébellion  des  peuples,  la  dureié  des 
riches  et  l'impatience  des  pauvres,  la  superstition  des 


—  2G5  — 
ignorants  et  l'orgueil  des  savauts.  Loin  donc  d'avoir 
reçu  le  moindre  appui  humain,  elle  a  eu  et  a  toujours 
contre  elle  tous  les  intérêts  terrestres,  toutes  les 
forces  des  puissants  et  toutes  les  passions  des  faibles. 
ainsi,  taudis  que  le  schisme  et  Thérésie  sont  toujours 
irosternés  la  face  contre  terre  devant  les  rois,  l'Eglise 
.atholique  ne  plie  le  genou  que  devant  le  Eoidu  ciel; 
tandis  que  les  sectes  demandent  à  l'homme  la  protec- 
tion et  la  vie,  l'Eglise  catholique  ne  demande  à  Dieu 
eue  sa  liberté  :  Vt  Ecclcsia  tua  seciira  tibi  serviat  liber- 
tate,  parce  qu'elle  a  en  elle-même  le  principe  de  sa 
vie  et  de  sa  force  comme  le  droit  de  son  empire.  Elle 
n'a  donc  besoin  de  tendre  à  personne  une  main  sup- 
pliante. Elle  ne  désire  et  ne  demande  que  sa  liberté 
d'action, et;, pouraccomplir sa  missioîi  sur  la  terre, elle 
n'a  besoin  que  d'elle-même.  Comme  le  jour  où  l'appui 
l-olitique  fera  défaut  à  l'erreur,  sera  le  jour  de  sa 
mort  ;  de  même,  le  jour  où  l'Eglise  sera  libre  de  prê- 
cher partout  l'Evangile  et  de  persuader  ses  lois,  sera 
le  jour  de  s<i  gloire  et  de  son  triomphe.  Donc,  puisque 
l'Eglise  catholique  peut  se  passer  du  secours  des 
hommes,  elle  est  cette  Eglise  qui  est  assurée  du  se- 
cours de  Dieu;  elle  est  cette  Eglise  fondée  sur  Pierre, 
que  Jésus- Christ  a  appelée  sienne;  elle  est  cette  Eglise 
qu'il  a  établie,  puisqu'elle  se  soutient  seulement  eu 
lui  et  par  lui  ;  Tu  es  Petriis,  etc. 

Concluons  donc  :  la  jeunesse  perpétuelle  de  l'É- 
glise, sa  fécondité  inépuisable,  sa  force  immortelle, 
sa  durée ,  son  immutabilité  sont  des  faits  incontes- 
tables ,  mais  des  failr»  contraires  à  toutes  les  cou- 


—  ■2fif;  — 

ditions,  à  toutes  les  lois  auxquelles  sout  assujetties  les 
œuvres  humaines.  C'est  doue  uu  miracle  certain, 
évideni, palpable  de  la  puissance  divine. Or,  ce  grand, 
cet  éclatant  miracle  s'est  oi)éré  dans  le  p-assé, en  dépit 
des  calculs,  des  [!ré visions,  des  probabilités  humaines, 
nouobslant  les  oppositions  les  plus  tcnaces,et  il  s'ac- 
conijilira  toujours  ainsi  dans  l'avenir.  Comme  son  di- 
vin fondateur,  rÉglise  catholique  a  passé  par  tous  les 
genres  de  tentations  et  d'épreuves  :  ientutaper  omnia. 
Satan  ne  peut  inventer  rien  de  nouveau  pour  l'abattre. 
Il  n'a  plus  dans  ses  arsenaux  de  la  géhenne  que  des 
armes  émousséesdéjà  contre  elle.  lia  déjàemplo}é, 
;)our  la  perdre,  tous  ses  systèmes  de  destruction, 
tous  ses  efforts;  il  a  épuisé  tous  ses  moyens,  la  science 
et  la  force,  la  cruauté  et  la  séduction,  les  scandales 
au  dedans  et  l'hérésie  au  dehors,  les  sectes  cachées 
et  les  schismes  manifestes,  les  peuples  et  les  rois 
ligués  ensemble.  On  ne  pourra  donc  ,  dans  l'avenir, 
rien  faire  contre  l'Église  qui  n'ait  déjà  été  cent  fois 
essayé  contre  elle.  Or,  elle  est  restée  victorieuse  de 
toutes  ces  attaques  du  passé;,  elle  est  debout  toujours; 
elle  triomphera  donc  encore  de  tous  les  efforts  tentés 
contre  soti  existence  dans  l'avenir.  Ses  triomphes 
passés  sont  le  gage  assuré,  infaillible  de  ses  triomphes 
futurs;  car  elle  ne  les  doit  point  aux  circonstances 
accidentelles  et  variables  de  temps  et  de  lieux  qui 
peuvent  faire  défaut  un  jour,  mais  à  la  puissance  di- 
vine qui  réside  eu  elle  pour  jamais. 

Combien  de  siècles  l'Eglise  catholique  durera-t-elle 
donc?  Toujours.  Quand  fiuira-t-elle?  Jamais.  Le  Fils 


—  2G7  — 
de  Dieu  n'a  point  ùxù  de  terme  à  sa  promesse,  il  n'a 
posé  aucune  condition.  Il  a  dit,  dans  un  sens  univer- 
sel et  absolu,  «  que  les  portes  de  l'enfer  ne  prévau- 
dront jamais  contre  l'Eglise  qu'il  a  fondée  sur  Pierre.» 
Donc  cette  Église  est  immortelle  ;  car,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit ,  éternelle  pensée  de  Dieu  réalisée 
dans  le  temps,  née  dans  l'éternité,  sa  fille,  elle  a  pour 
héritage  l'éternité.  Les  fausses  religions ,  de  même 
qu'elles  n'ont  point  la  catholicité,  qui  est  l'univer- 
salité du  lieu,  ne  peuvent  posséder  de  même  la  per- 
pétuités aui  est  l'îiniversalité  du  temps.  Nées  hier,  elles 
périront  demain.  Toute  religion  qui  est  née  après 
l'homme,  finit  avant  l'homme  ;  toute  rehgion  qui  n'a 
pas  vu  l'origine  du  monde,  n'en  verra  point  la  fin. 
L'Eglise  catholique,  comme  Jésus-Christ  dont  elle  est 
le  corps  mystique,  est  non-seulement  d'hier  et  d'au- 
jourd'hui (1),  mais  de  tous  les  siècles.  L'homme  ne 
l'a  pas  formée;  elle  a  précédé  sa  création.  Elle  a 
reçu  dans  ses  bras  l'humanité  à  sa  naissance,  elle 
l'accompagnera  à  sa  mort  ;  elle  a  sanctifié  son  ber- 
ceau, elle  mettra  le  sceau  à  son  sépulcre  :  née  avant 
l'homme,  elle  mettra  au  tombeau  tous  les  hommes. 
Elle  ensevelira  le  dernier  Antéchrist,  comme  elle  a 
enseveli  tous  les  autres  Anlechrists,  c'est-à-dire  les 
persécuteurs  et  les  hérésiarques  qui  ont  précédé. 
Elle  existait  dans  l'intelligence  divine  avant  la  créa- 
tion du  monde,  elle  survivra  à  la  destruction  du 
monde  ;  et,  quand  elle  aura  accompli  sa  mission 
d'amour  auprès  de  la  race  d'Adam  dans  cet  exil  ter- 

(1)  Christus  lieri  et  hodie,  ipse  et  in  saecula  {HeLr.  xm). 


—  2G8  — 
restre,  elle  se  fera  des  ruines  doruuivers  comme  un 
marchepied,  d'où  elle  prendra  son  essor  vers  le  ciel 
en  chanUuil  l'hAninede  i,doire. 

Les  premiers  chrétiens  n'avaient  que  la  foi  j  onr 
admettre  la  j)erpétuité  de  TEglisc  ;  nous,  nous  avons 
de  plus  rexjiérience  des  faits.  Ceux-là  ont  cru  que 
l'Eglise  serait  immortelle  et  éternelle  ;  nous,  nous  pou- 
vons dire  que  nous  avons  vu,  que  r.ous  voyons  encore, 
que  noi'.s  touchons  de  la  main  celle  imporlanle  vérité. 
L'histoire  de  l'Ilglise  n'est  que  la  |)reuve  continuée 
de  celte  grande  parole  du  Fils  de  Dieu  :  «  Tu  es 
Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise,  et 
les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  jamais  contre 
elle  :  Tu  es  Petrus,  »  etc. 

Quelle  est  sublime  la  pensée  qui  a  fait  graver 
celte  divine  promesse  autour  de  la  coupole  qui 
couronne  ce  temple  auguste  !  Coupole,  prodige  de 
l'art,  majestueuse  rotonde  que  le  génie  païen  avait  à 
peine  osé  placer  sur  la  terre,  et  que  le  génie  chrétien 
a  soulevée  hardiment  dans  les  airs,  jusqu'aux  portes 
du  ciel!  Oh!  comme  il  est  doux  de  voir  dans  cette 
prophétie  réalisée  déjà,  et  se  réalisant  chaque  jour; 
comme  il  est  consolanld'y  voir  sensiblement  exprimét; 
cette  vérité  devenue  un  fait  éclatant:  La  promesse  di- 
vine est  toujours  la  même;  elle  retentit  toujours  avec  un 
écho  majestueux  et  jouissant,  elle  s'accomplit  toujours  sur 
î'Érjlise  de  Pierre.  Sur  ce  monument  gigantesque,  qui 
semble  toucher  de  sa  cime  le  seuil  de  la  Jérusalem 
céleste,  tandis  qu'il  appuie  sa  base  sur  la  Jérusalem 
terrestre,  l'on  est  heureux  de  contempler  le  s}  mboie 


sensible  de  cette  vérité  :  la  promesse  de  .perpétuité 
a  été  faite  seulement  à  l'Eglise  de  Pierre  sur  la  terre, 
et  cette  Eglise  est  l'échelle  solide  qui  monte  au  ciel. 
Comme  l'âme  est  réjouie  en  voyant  sur  ce  colossal 
monument  qui  domine  Rome,  et  par  Rome  le  monde, 
l'étendard  de  la  victoire  annonçant  à  l'univers  les 
triomphes  de  l'Eghse  et  ses  destinées  éternelles! 

Et  nous  catholiques,  soyons  saintement  fiers  d'être 
ses  enfants  !  Toutes  les  questions  religieuses  sont 
résolues  quand  est  résolue  celle-ci  :  Quelle  est  la 
vraie  Eglise  ?  Une  fois  prouvé  qu'une  Eglise  est  di- 
vine, que  Dieu  est  avec  elle  et  en  elle,  il  reste  aussi 
prouvé  que  tout  ce  qu'elle  enseigne  est  vrai  et  que 
tout  ce  qu'elle  pratique  est  saint  ;  car  Dieu  ne  peut 
être  dans  une  Eglise  tombée  dans  le  vice  ou  dans 
Terreur.  Or,  l'Eglise  romaine  est  la  seule  qui  est  une, 
sainte  ^infaillible,  féconde,  apostolique, universelle,  ferme, 
immuable,  éternelle.  Elle  seule  possède  les  caractères 
propres  à  une  Eglise  divine,  les  preuves  extérieures 
qu'elle  est  en  Dieu  et  avec  Dieu,  et  que  Dieu  est  avec 
elle  et  en  elle.  Grand  Dieu  !  combien  je  vous  suis 
donc  redevable!  Que  je  suis  heureux  de  me  trouver 
dans  son  sein!  Oh  !  comme  mon  esprit  se  calme, 
comme  mon  cœur  se  dilate,  comme  mon  âme  se 
réjouit!  Je  tressaille  d'une  sainte  joie  quand  je  pense 
qne  je  suis  dans  la  vraie  Eglise,  avec  l'Eglise  divine  ! 
Je  n'ai  nul  besoin  désormais  de  me  mettre  à  la  torture 
j  onr  examiner  et  discuter  la  religion.  Par  cela  seul 
(îue  l'Eglise,  ma  mère,  est  l'unique  vraie,  l'unique 
divine,  je  suis  certain  que  sa  foi  est  vraie,  que  sa 


morale  est  sainte,  que  son  culte  est  pur.  Je  suis 
certain  d'ôtre  dans  la  vraie  religion,  de  professer  la 
vraie  foi,  de  croire  à  la  pure  parole  de  Dieu,  d'être 
son  disciple,  son  enfant;  je  suis  certain  d'èlre  sur 
la  voie  assurée  du  salut  éternel;  et  si,  possédant 
intérieurement  la  grâce ,  j'appartiens  à  l'esprit  de 
cette  Eglise,  comme  j'ai  le  bonheur  d'appartenir  à 
son  corps  par  la  profession  extérieure  de  la  foi,  je 
n'ai  plus  rien  à  craindre  :  sans  aucun  doute,  je  me 
sauverai!  Si  je  partage  avec  l'Eglise,  ma  mère,  ses 
tentations  et  ses  périls,  vainqueur  avec  elle,  j'irai  au 
ciel  régner  avec  elle  ! 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Les  membres  suivent  la  condition  du  corps  auquel 
ils  appartiennent.  La  condition  de  l'Eglise  militante, 
voguant  sur  la  mer  orageuse  du  siècle,  étant  l'agi- 
tation au  milieu  des  tempêtes  et  des  hérésies  (I),  la 
condition  du  chrétien  est  d'être  combattu  par  toutes 
sortes  de  tentations.  Jésus  s'endort  aussi  pour  nous, 
quand  il  permet  que  la  misère  nous  travaille,  que 
l'iulirmité  nous  désole,   que  la  calomnie  nous  noir- 
cisse, que  l'injustice  nous  opprime;  Jésus  s'endort 
pour  nous,  lorsque  vîous  éprouvons  l'ingrutitutle  des 
proches,  la  dureté  des  étrangers,  riniidélité  des  amis; 
quand,  aux  tribulations  extérieures  que  nous  souffrons 
dans  notre  corps,  s'unissent  les  luttes  intérieures  qui 
jettent  notre  àme  sur  le  bord  du  précipice;  quand  de 

(1)  Oijoilel  liajfcses  ciàd  (/  Cor,  xi). 


fortes  tentations  d'incrédulité,  de  désespoir,  de  haine 
et  de  mépris  de  Dieu  nous  assiègent  de  jour  et  que 
d'impurs  fantômes  nous  poursuivent  de  nuit.  Et 
alors,  ô  Dieu!  notre  esprit  est  rempli  de  ténèbres, 
l'imagination  inconstante ,  le  cœur  froid ,  les  sens 
rebelles,  la  prière  languissante,  le  ciel  de  bronze  ; 
Bos  soins  sont  vains,  nos  efiforts  infructueux,  et  tout 
nous  fait  craindre  un  naufrage  prochain  et  inévi- 
table (l).  • 

Mais  si  le  Seigneur,  dans  ce  mystérieux  sommeil 
semble  fermer  l'œil  sur  nous,  son  cœur  cependant 
veille,  attendant  que  nous  pratiquions  la  patience, 
ou  que  ceux  qui  nous  persécutent  se  repentent  et 
se  convertissent.  Hommes  de  peu  de  foi,  ne  crai- 
gnez donc  point,  ne  laissez  pas  abattre  votre  cou- 
rage (2).  Ce  Dieu  de  bonté  dort;  mais,  dans  son 
sommeil  même,  il  veille,  il  est  le  spectateur  de  votre 
lutte,  il  contemple  d'un  regard  bienveillant  votre 
foi  pour  vous  soutenir,  en  attendant  la  fin  du  combat 
pour  vous  couronner.  Il  n'est  point  de  spectacle  plus 
sublime,  en  effet,  plus  agréable  à  Dieu,  ni  plus  digne 
de  son  infinie  majesté  que  celui  de  l'homme,  fragile 

(1)  Christus  nobis,  inter  sequoris  fluctus,  obdormit,  quando 
crebesceute  immundorum  spirituum,  vel  pravorum  hominum 
impetu,  iuter  medios  virtutum  nisus,  obteuebrescit  splendor 
fidei,  spei  celsitudo  tabescit  (Beda). 

(2)  Etsi  Domiuus  dormiat  pio  somno,  vestram  patieutiam  ex- 
pectans,  vel  impiorum  pœuitentiam  ;  nolite  coutreiniscere,  nolite 
deficere.  Non  dormit  quidem,  sed  prœlium  inluetur;  et  certami- 
nis  finem  et  bellantium  fidem  expectat.  —  Cur  ipse  perturbavit 
mare,  commovit  veuto»,  coucitavit  fluctus?  Ut  disciiiulus  milte- 
ret  in  timorem,  et  suum  auxiliura  postularet  (Beda,  loco  cit.). 


—  272  — 
navire,  aux  prises  avi'c  les  flots  de  l'adversité,  en  lutte 
avec  les  vents  des  tentations,  qui  prie,  qui  résiste,  qui 
se  meurt  par  la  crainte  d'offenser  Dieu  et  de  le  perdre 
La  peine  qu'il  éprouve  alors  J.es  assauts  du  démon, 
les  efforts  qu'il  fait  pour  les  repousser ,  le  secours 
qu'il  implore  pour  en  triomi)her,  ses  prières  et  ses 
cris  :  tout  cela  est  un  ensemble  d'actes  de  foi  vive  en 
l'efficacité  du  soutien  divin;  il  fait  preuve  de  sa 
ferme  espérance  de  roblcnir,  d'une  profonde  humi- 
lité, d'une  grande  déliance  en  ses  propres  forces, 
d'un  amour  tendre  qui  lui  fait  craindre  le  péché  plus 
que  tout  le  reste.  Or,  de  même  que  le  Sauveur  ne 
troubla  la  mer  de  Tibériade,  ne  déchaîna  les  vents  et 
ne  souleva  les  Ilots  que  pour  inspirer  à  l'âme  des 
apôtres,  par  la  crainte  du  naufrage,  ces  précieux 
sentiments,  pour  leur  enseigner  à  recourir  à  lui 
dans  les  dangers,  à  attendre  son  secours;  ainsi,  dit 
saint  Augustin,  Dieu  permet  que  nous  soyons  affligés, 
tentés,  pour  nous  apprendre  à  recourir  à  lui  et  a 
nous  réfugier  sous  sa  protection.  C'est  la  mère  tendre 
qui  fait  peur  à  sou  enfant  pour  l'obliger  à  se  cacher 
dans  son  sein  (1). 

La  temijcte  dont  nous  avons  déjà  tant  parlé,  mit 
en  péril  la  barque  de  Pierre,  mais  elle  ne  la  submer- 
gea point.  De  même ,  si  les  tentations  auxquelles 
nous  nous  exposons  en  aveugles,  nous  entraînent  au 
précipice,  celles  par  lesquelles  Dieu  éprouve  et 
attire  à  lui  les  âmes,  si  elles  excitent  en  nous  l'agi- 
tation et  la  craiute,  ne  compromettent  pas  notre 

(1)  Mala  noilra  ad  Dcuai  nos  ire  compellunt  (Aug.). 


—  273  — 
salut.  Alors  l'homme  chancelle,  mais  il  ne  tombe  pas  ; 
il  tremble,  mais  il  ne  se  désespère  pas;  il  s'humi- 
lie, mais  il  ne  s'abat  pas  :  plus  il  se  reconnaît  faible  par 
lui-même, plus  il  se  trouve  fort  parle  secours  de  Dieu. 
Nulle  barque  ne  peut  tenir  la  mer  sans  lest  ;  de 
même  aucune  âme  ne  peut,  d'ordinaire,  persévérer 
dans  le  service  divin,  au  milieu  de  l'océan  de  ce 
monde,  sans  la  tentation  ou  l'adversité.  Aussi  tous  les 
saints,  sans  exception,  les  plus  grands  amis  de  Dieu, 
de  l'Ancien  et  surtout  du  Noun  eau  Testament,  ont 
été  tentés,  éprouvés,  affligés.  Or,  l'àrae  chrétienne 
qui  veut  vivre  saintement  et  imiter  Jésus-Christ  doit, 
saint  Paul  l'a  écrit,  suivre  leurs  traces  et  marcher  à 
leur  suite  (I)  ;  et,  comme  l'ange  l'a  dit  à  Tobie,  toute 
àme  qui  est  agréable  à  Dieu,  doit  passer  par  la  ten- 
tation (2).  Le  navire  se  soutient  au  milieu  des  flots 
par  son  propre  poids;  l'âme  se  soutient  entre  les 
courants  de  l'orgueil  par  sa  propre  faiblesse.  La  tri- 
bulation,  soit  intérieure  soit  extérieure,  en  lui  dé- 
couvrant son  néant,  le  besoin  absolu  et  continuel  du 
secours  divin,  sauve  celle-ci  de  l'atmosphère  homi- 
cide de  la  complaisance  en  elle-même,  de  la  pré- 
somption, de  la  vanité,  qui  sont  les  aliments  de  tous 
les  vices  et  l'écueil  funeste  !e  toutes  les  vertus. 
Combien  l'on  connaît  mieux  sa  propre  misère  et  h» 
nécessité  de  s'adresser  à  Dieu,  quand  on  est  tenté» 


(1)  Et  omnes  qui  pie  volunt  vivere  in  Christo  Jesu,  persecu- 
tioDpm  patientur. 

2)  Quia  acceptus  eras  Deo,  necesse  fuit  ut  tentatio  probaret 
le  (Tob.). 

11.  18 


—  27  î  — 
troublù,  alîl.}Jié!  Coiniiielc  délaclunieiiLdu  nioiido  est 
alors  plus  fiicilo,  le  (léscnchaiitonuMit  plus  prompt,  le 
recueillement  plus  austère,  riiumililé  plus  profonde, 
la  fuite  des  occasions  plus  active  et  la  prière  plus 
fervente  !  On  n'a  i)lus  d'autres  pensées  que  celle  d'a- 
dresser à  Dieu,  du  fond  de  son  cœur,  ce  cri  de  dou' 
leur  et  d'angoisse  :  «  Seigneur,  sauv(>z-iious,  nour 
périssons;  »  le  recours  à  Dieu  et  la  confiance  en  lu 
nous  rendent  fermes  comme  un  roc  inébranlable  ai 
milieu  des  ondes  irritées  (1). 

Oui,  la  tentation,  quelle  qu'elle  soil,  qui  vient 
combattre  l'homme  sans  qu'il  y  ait  de  sa  faute,  est 
un  poids  qui  le  maintient  debout,  une  infirmité  qui  le 
guérit,  un  feu  qui  le  purifie,  une  brûlure  qui  le  ra- 
fraîchit, un  péril  qui  le  sauve,  un  abaissement  qui  le 
relève,  une  misère  qui  l'ennoblit,  une  humiliation 
qui  le  conduit  à  la  gloire.  La  tribulalion  est  l'école 
de  l'humilité,  la  médecine  de  l'orgueil,  l'antidote  de 
l'amour-propre,  l'enseignement  de  la  prière,  l'ai- 
guilloîi  de  la  vigilance,  la  preuve  de  la  fidéUté,  la 
source  du  mérite,  le  gage  de  la  couronne  et  delà 
récompense  ;  c'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Jacques 
nous  dit  que,  loin  de  nous  affliger,  quand  nous  sommes 
>ntourés  de  tentations  et  de  souffrances,  nous  devons 
plutôt  nous  réjouir  de  tout  noire  cœur,  sachant  bien 
que  si  Dieu  éprouve  notre  foi,  c'est  pour  accroître 
ie  mérite  de  la  patience  qui  nous  rend  purs  et  parfaits 
devant  lui  (2). 

(1)  Qui  confidunt  m  Domino,  sicut  nions  Sion,  non  commove- 
buntur  {Ps.). 

(2)  Omne  gauOium  existimate,  fratres.  cum  in  tentaliones  va. 


—  275  — 
0  voi:s  donc  qui  gémissez,  vous  qui  tremblez  sous 
le  choc  des  tentations  et  des  adversités;  vous  qui  vous 
plaignez  que  le  Seigueur,  sourd  à  la  voix  de  votre 
douleur,,  vous  a  abandonnés,  sachez  que  le  Dieu  qui 
permet  que  vous  soyez  affligés,  qui  vous  expose  à  de 
si  dures  épreuves,  n'est  pas  un  Dieu  qui  vous  haïsse  ni 
qui  vous  oublie!  C'est  le  Dieu  fidèle  à  sa  parole,  qui 
ne  permet  pas  des  attaques  plus  fortes  que  sa  grâce, 
qui  ne  souffre  pas  que  nos  ennemis  visibles  et  invisibles 
décochent  leurs  traits,  sans  leur  présenter  en  secret 
le  bouclier  qui  les  repousse:  c'est  saint  Paul  qui  nous 
en  assure,   lui  qui  en  avait  fait  l'expérience  (1)  !  Le 
Sage,  à  son  tour,  nous  dit  que  Dieu,  plein  de  sollicitude 
pour  notre  salut,  imite  le  potier  qui,  parle  feu,  sèche 
et  durcit  l'argile  :  il  dessèche  votre  âme  des  affec- 
tions profanes  et  la  raffermit  dans  le  bien  par  le  feu 
des  tentations  (2).  C'est,  selon  saint  Jacques,  le  Dieu 
rémunérateur  et  généreux  qui,  spectateur  de  votre 
lutte,  vous  prépare,  après  les  travaux  et  les  ennuis, 
le  repos  éternel  ;  heureux  que  nous  sommes,  tandis 
que  vous  souffrez  des  peines  passagères  pour  son 
amour,  il  tresse,  à  cette  même  heure,  sur  votre  tète, 
la  couronne  immortelle  (3).  Ecoutez  saint  Chryso- 

rias  incidcrilis ,  scientcs  quia  probalio  fidei  vestrœ  paliealiam 
operatnr;  patieutia  autera  opus  perfectum  habct. 

(1)  Fidelis  Deus  qui  lîon  palitur  vos  teutari  supra  id  quod  po- 
testis;  sed  faciat  cum  tcutatione  proventum,ut  possilis  sustiiiera 
(/  Cor.). 

(2)  Vasa  figuli  probat  t'ornax,  et  bomines  justos  tentatio. 

(3)  Beatus  vir  qui  suffert  tentationem  ;  quoniam  cum  probatus 
fuerit,  accipiet  coronam  vitcE,  quam  repromisit  Deus  diligentibus 
se  { Jacob.) . 


—  27G  — 
logiie  qui  vous  crie  :  Ne  [lerdez  pas  courage  dans  les 
tentations  qui  vous  tourmentent,  dans  les  adversités 
qui  vous  troublent;  réveillez  Jésus-Christ  qui  paraît 
sommeiller  en  vous  ;  réveillez-le  par  les  profonds 
gémissements  de  voire  cœur,  par  les  accents  d'une 
foi  vive,  par  les  larmes  confiantes  du  chrétien,  par* 
la  voix  affectueuse  de  l'amour  et  par  ce  cri  des  apô- 
tres :«  Seigneur  ,  sauvez -nous,  nous  périssons.» 
Alors  Jésus-Christ  vous  fera  éprouver  d'une  manière 
plus  sensible  sa  tendre  protection.  Il  fera  succéder 
un  grand  calme  à  la  tempête,  ne  fùt-cc  qu'au  dernier 
de  vos  instants  ;  car  l'expérience  enseigne  que  les 
âmes  affligées  durant  la  vie  sont  les  plus  joyeuses 
et  les  moins  tentées  à  l'article  de  la  mort  ;  vous  pas- 
serez de  ce  calme  du  temps  présent  au  repos  et  à  la 
joie  inaltérable  de  l'éternité  :  Imperabit  ventiSf  et  fiet 
trunquillitas  magna.  Ainsi  soit-il. 


VINGT-DEUXIÈME  HOMÉLIE*". 


La   multiplication  des  pains  (2), 

ou 
LE   MIKISTÈRE   DE    l' ÉGLISE. 

Dei  enim  adjutores  sumus.  Sic  nos  existimet 
homo,  ut  ministros  Christi  et  dispensatores 
mysteriorum  Dei.  (I  Cor.  iv.) 

Ce  n'est  point  une  invention  d'ascète  ni  une 
pieuse  croyance ,  encore  moins  une  opinion  privée  » 
c'est  une  vérité  de  foi  révélée  par  l'Esprit-Saint  dans 

(1)  Pour  suivre  l'ordre  des  évangiles  du  Carême,  il  faudrait 
placer  ici  l'homélie  de  la  Samaritaine  ;  mais  comme  la  multipli- 
cation des  pains  signifie  le  ministère  de  l'Église,  et  que  ce  sujet 
forme  un  tout  avec  les  homélies  précédentes,  on  a  cru  devoir 
placer  celle-ci  en  ce  lieu,  avant  la  suivante. 

(2)  Jésus-Christ  fit  ce  miracle  sur  une  petite  montagne  du  dé- 
sert qui  se  trouve  entre  Capharnaûm  et  Bethzaide,  peu  avant 
la  pàque  de  l'année  32e  je  son  âge.  Les  quatre  évangélistes  le 
rapportent  ;  mais  on  en  lit  la  narration  qu'en  fait  saint  Jean  à 
la  messe  du  IV"  dimanche  de  Carême.  Le  Sauveur  fit  un  pareil 
miracle  environ  un  an  plus  tard,  mais  dans  des  circonstances 
différentes,  rapporté  par  saint  Matthieu  et  par  saint  Marc.  L'en- 
droit de  cette  seconde  multiplication  des  pains  fut  la  montagne 
même  de  la  Judée,  où,  environ  deux  ans  auparavant,  le  Sauv.'ui' 
avait  fait  le  célèbre  discours  de  la  montagne  ;  et  ce  lieu  s'appelle 
encore  aujourd'hui  la  montagne  de  Jésus-Christ,  parce  qu'il  y 
prêcha  et  s'y  retira  pour  prier. 


I 


—  278  — 
saint  i'aiil,  que  le  mariage,  pour  la  proi)aL;aliua  et  le 
mainticMi  du  genre  humain,  est  chez  les  fidèles  un 
grand  sacrement,  un  mystère,  parce  qu'il  représente 
le  sacrement  ineflfable,  le  profond  mystère  de  l'indis- 
soluble union  de  Jésus- Christ  avec  l'Eglise  pour  la 
propagation  et  le  maintien  du  peuple  chrétien  (1). 

De  même  que  Dieu  pouvait  sans  doute,  selon  la 
pensée  de  saint  Thomas,  créer  l'homme  de  manière  à 
ce  qu'il  se  reproduisît  de  lui-même;  ainsi  Jésus-Christ 
aurait  pu  [)ropager  et  maintenir  sa  religion  parmi 
ïes hommes  parle  moyen  des  révélations  immédiates 
et  par  l'action  directe  de  sa  grâce.  Mais  Dieu  dé- 
clara, dès  le  principe  de  la  création,  qu'il  n'était  pas 
bien  que  l'homme  fût  seul,  et  il  lui  donna  la  femme 
pour  compagne  (2);  dès-lors  il  révéla  en  figure  le 
plan  providentiel  qu'il  devait  accomplir  au  commeji- 
cemeiu  de.  la  rédemption  et  selon  lequel  l'homme 
parfait,  l'homme  par  excellence,  Jésus-Christ,  ne  de- 
vait pas  non  plus  rester  seul,  mais  posséder  l'Eglise 
jiour  compagne  dans  ses  générations  spirituelles. 
C'est-à-dire  que  Dieu,  dès  le  commencement,  annon- 
ça d'une  manière  sensible  la  nécessité  du  ministère 
ecclésiastique  pour  la  naissance  et  l'accroissement  des 
fils  de  Jésus-Christ,  pour  la  propagation  et  le  mainlieu 
du  christianisme. 

Or,saint  Paul  annonçait  ce  mystère  déjà  accoaipli. 


(1)  Sacramentum  hoc  magnum  est  :  dico  ego  in  Ghristo  et   in 
Ecclesia  {Epfies.  \). 

(2)  Non  est  bonum  esse  hominem  solum;  faciamus  ei  adjuto- 
rium  {Gen.  ii). 


—  279  — 
quand,  se  servant  des  paroles  mêmes  de  la  Genèse, 
il  disait  de  tout  le  corps  des  pasteurs  de  l'Eglise  : 
«Comme  Eve  a  été  la  cwa^/yi^^nce  d'Adam, nous  sommes, 
nous  aussi,  les  coa(//aieHr5  de  Dieu.  C'est  pourquoi  nous 
ne  devons  être  regardes  parmiles  hommes  que  comme 
les  ministres  de  Jésus-Christ  et  les  dispensateurs  des 
divins  mystères  (1).  »  Ainsi  parlait  saint  Paul  de  la 
nécessité  et  de  rexcellcncc  du  ministère  ecclésiasti- 
que.Le  Fils  de  Dieu,  avant  d'annoncer  au  monde,  par 
son  apôtre,  ces  vérités  si  graves,  nous  les  a  exprmées 
en  action,  en  quelque  sorte,  par  la  multiplication  des 
pains  dans  l'évangile  de  ce  jour,  que  j'entreprends  en 
ce  moment  d'expliquer.  Je  parlerai  aussi  d'un  miracle 
semblable  que  le  Sauveur  opéra  dans  une  autre  cir- 
constance ,  parce  que  ces  deux  prodiges  ont  un 
même  but  et  figurent  le  même  mystère.  Le  dogme 
dont  nous  allons  vous  entretenir,  comprend  toute  la 
religion  ;  il  est  la  source  de  toutes  nos  consolations, 
le  soutien  de  toutes  nos  espérances  ;  il  est  aussi  agréa- 
ble qu'il  est  important  :  hàtons-uous  de  nous  en  con- 
vaincre. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Le  Seigneur  avait  rempli  toute  la  Galilée  du  bruit 
de  ses  prodiges  ;  il  avait  inspiré  aux  peuples  un( 
grande  confiance  dans  l'efiicacité  de  son  pouvoir  ei 
dans  les  tendresses  de  sa  bonté.  Aussi  ne  pouvait-il 

(Ij  Dei  enim  adjutoros  siuuus.  Sic  nos  existimet  homo,  ut  mi- 
DisUoâ  Cliristi  el  dispeusatores  mydteriorum  Dei. 


—  280  — 
paraître  en  aucun  lieu  sans  que  les  foules  accourussent 
à  lui  de  toutes  parts  ;  tous  s'empressaient  à  l'envi  de 
s'approcher  de  lui  le  plus  i)rèîs  possible  et  de  le  tou- 
cher de  la  main;  car,  ditrÊvanL;ilc,une  vertu  divine, 
sortant  de  ses  vêtements,  giiérissail  les  corps  malades  et 
comblait  de  consolation  les  cœurs  (1).  Ne  soyons  donc 
pas  étonnés  que  le  Sauveur,  à  peine  débarqué,  se  soit 
vu  aussitôt,  comme  le  ra;)pûrtc  saint  Jean,  entouré 
d'une  multitude  immense,  sachant  ses  miracles  sur 
les  paralytiques  et  les  lépreux,  et  désireuse  de  les 
voir  se  renouveler  sur  elle  (2). 

Les  évangélistcs  ajoutent  que  le  Sauveur  accueillit 
ce  peuple  avec  une  extrême  bonté  et  se  sentit  touché 
de  la  plus  tendre  compassion  pour  lui,  parce  qu'il 
était  comme  des  brebis  dispersées,  sans  soutien  et 
sans  pasteur  (3).  Il  commença  par  l'instruire  de  la 
vraio  religion  et  des  choses  du  salut  ;  il  lui  parla  du 
royaume  de  Dieu  (4).  Puis  il  se  fit  amener  tous  les 
malades,  qu'il  guérit  sans  exception  (5).  Yainemcnt 
le  Sauveur  se  retira  ensuite  sur  la  montagne  voisine, 
où  il  s'assit  avec  ses  disciples  :  en  lev;nit  les  yeux,  il 

(1)  Et  omuis  turba  quaîrebat  eum  tangere,  quia  virtus  ex  illo 
exibat,  et  sanabat  omnes. 

(2)  Abiit  Jésus  traos  mare  Galilaeae,  quod  est  Tiberiadis;  et  se- 
juebatur  eum  multitude  magna,  quia  videbaut  sigua  quae  facie- 
l>at  super  bis  qui  infirniabantur  {Joan.  \i,  1,  2). 

(3)  Et  excepit  eos;  et  misertus  est  super  eos,  quia  erant  sicut 
oves  non  habentes  pastorem  {Luc.  IX,  11;  Marc,  vi,  34). 

(4)  Et  cœpit  illos  doccre  multa;  et  loquebatur  illis  de  regno 
Dei  {Luc.  et  Marc.  ibid.). 

(5)  Et  curavit  languidos  eorum;  et  eos  qui  cura  indigebant, 
sauabat. 


vit  une  grande  îo.:lc  [iTs.séu  de  i.oavoau  autour  de 
lui  (1).  0  mansuétude,  ô  bouté  de  Jésus  !  Il  ne  s'im- 
patienta pas,  il  ne  donna  pas  le  plus  léger  signe  d'en- 
nui pour  cette  importunité  qui  ne  lui  laissait  pas  un 
instant  de  repos;  au  contraire,  rEvangilc,  en  rappor- 
tant qu'il  leva  les  yeux  et  qu'il  regarda,  veut,  dit 
Bède,  signaler  la  charité  du  Sauveur  qui  ne  se  fatigue 
point  et  qui,  loin  de  faire  défaut,  se  présente  à  ceux 
qui  le  cherchent  sincèrement,  afin  de  les  combler  de 
ses  grâces  et  de  ses  miséricordes  (2). 

Cette  foule  se  composait  d'environ  cinq  mille  âmes 
sans  compter  les  enfants  ni  les  femmes  ;  or  celles-ci, 
vu  leur  curiosité  et  leur  piété  naturelles,  surpassaient 
de  beaucoup  les  hommes  (3).  On  peut  donc  évaluer 
à  douze  mille  personnes  le  nombre  de  ceux  qui 
étaient  autour  du  divin  Maître  sur  la  montagne  (4). 
Déjà  le  soleil  descendait  à  l'horizon;  les  apôtres  se  pré- 
sentèrent au  Sauveur  et  lui  dirent  :  «  Vous  voyez,  Sei- 
gneur, que  l'heure  est  avancée  et  dans  quel  lieu  nous 
sommes;  nous  manquons  de  tout  Que  ferons -nous 
donc,  si  la  nuit  nous  surprend  ici  avec  cette  foule 


(1)  Subiit  ergo  in  montem  Jésus;  et  ibi  sedebatcum  discipulis 
suis.  Cum  sublevasset  oculos,  et  vidisset  quia  multitudo  maxima 
venit  ad  eum  [Joan.  vi,  3,  5). 

(2)  Qute  sublevasse  oculos,  et  venientem  turbam  vidisse  perbi- 
betur;  diviuœ  pietatis  iudicium  est,  quia  cuuctis  a  se  veuire 
quœrentibus  gratia  misericordice  cœlestis  oocurrit  (Beda,  Covi. 
in  Joan.). 

(3)  Numerus  quasi  quiuque  millia,  excoptis  niulieribus  et  par- 
vulis  [Joan.  vi,  10;  Matth.  xiv.  21). 

(4)  Vespere  autem  facto;  dies  incœperat  decliuare  {Matth.  xiy, 
15;  Luc.  IX,  12). 


—  '2H1  — 
qui  n'a  ricii  à  inaiij;cr?  comniciiL  Irouvcr  des  vivres 
dans  ces  alentours  ?  Renvoyez-la  donc  tandis  qu'il  est. 
encore  teui[)s  de  trouver  à  se  loger  dans  les  bourgades 
\oisiacs  (1).  Non,  répond  Jésus  avec  un  indicible 
accent  d'amour,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'elle  s'en 
aille  pour  avoir  à  manger  (2).  Et  que  voudriez-faire, 
Seigneur?  reprirent  les  disciples  ;  nous  sommes  pris 
au  dépourvu  :  si  vous  ne  voulez  point  renvoyer  ce 
peuple,  il  faudrait  au  moins  lui  acheter  du  pain,  mais 
où  prendre  l'argent  nécessaire  (3)?  Alors  le  Sauveur 
se  tournant  vers  Phdippc  lui  dit:  As-tu  entendu, 
Philippe,  il  n'y  a  point  d'argent  :  comment  ferons- 
nous  donc  pour  rassasier  tant  de  monde  (4)?» 

L'Evangile  ajoute  que  le  Sauveur  savait  fort  bien 
ce  qu'il  allait  faire.  Il  {)arle  donc  ainsi  à  Philippe  pour 
éprouver  sa  foi  (5).  Mais  pourquoi,  parmi  tant  de  dis- 
ci|)les,  le  Seigneur  s'adressa- t-il  à  lui  de  préférence? 
Parce  que  cet  apôtre  était  le  plus  avide  de  counaîtrc 
et  de  savoir.  Ce  fut  en  effet  lui  qui,  {dus  tard,  dit  au 
Sauveur:«Seigneur,monlrez-nous  votre  l'ère  céleste, 
et  nous  serous  conteuts,  »  et  à  qui  Jésus  répondit: 

(1)  Accesserunt  ad  oiim  di^cipuli,  et  dixeruut  illi  :  Pesertus  est 
lijcuo  liic,  et  jam  hora  prœteriit.  Diuiitte  turbas,  ut  euiites  in 
cailella,  villasque  quœ  circa  suui,  divertaiit,  et  inveniant  cscas 
{Matth.  XIV,  15;  Marc,  vi,  33;  Luc.  ix,  12). 

(2)  Jésus  autem  dixil  eis  :  Non  liabout  necesse  ire  {Matth.  xiv, 
16). 

(3)  At  illi  dixoruut  :  Quia  hic  iu  loco  doserto  sumus.  Nisi  forte 
nos  eamuo  et  cmainns  iu  ouuieui  liauc  lurbam  escas(Z,«c.î.\,  J2,  13 1. 

(4)  Dixit  ad  Pliilippuui  :  Unde  ememus  panes,  ut  manducent 
hi  {Joan.  vi,  5)  ? 

(5)  Hoc  dicf'hat  tentans  eum;  ipse  euim  sciebat  quid  esset  fac- 
turas [Joan.  VI,  6). 


—  'IS'.i  — 
«Quoi!  il  }■  a  liuiî  de  teiups  que  vous  ètesàmou  école, 
et  vous  n'avez  pas  encore  appris  à  me  connaitre!  Je 
te  le  dis,  Philippe,  celui  qui  me  voit,  voit  mon  Père, 
parce  que  mou  Père  est  en  moi  et  moi  eu  lui.  «Aussi, 
avant  de  lui  faire  cette  révélation,  Jésus-Christ  veut- 
il  y  préparer  son  disciple  par  un  fait  rairacuk'ux,  qui 
prouve  qu'il  est  dans  le  Père  et  que  le  Père  est  en 
lui,  c'est-à-dire  qu'il  est  le  Fils  consubstantieldeDieu, 
tout-puissant  comme  lui.  C'est  pour  cela  que  le  Sau- 
veur, dans  cette  circonstance,  adresse  particulière- 
ment la  parole  à  Philippe  (1). 

Mais,  autant  ce  disciple  était  avide  de  savoir,  au- 
tant il  était  lent  à  comprendre  (2).  Il  répond  comme 
un  homme  qui  ne  soupçonne  pas  même  ce  que  le  Fils 
de  Dieu  peut  et  veut  faire.  «En  vérité,  je  vois  que  cela 
est  impossible  ;  deux  cents  deniers  ne  suiEraient  pas 
pour  donner  quelques  miettes  de  pain  à  chacun  de 
celte  multitude  (.J).  Cependant,  roi)rit  le  Sauveur, 
ce  peuple  a  besoin  de  manger  aujourd'hui;  donnez- 
lui  vous-mêmes  de  quoi  se  rassasier  (fi).» 

(1)  Domine,  ostende  uobis  Patrcm,  et  sufficit  nobis.  —  Taiilo 
tempore  vobiscum  suiu,  et  non  cognovistis  me? —  Philippi:',  qui 
videt  me,  videt  et  Patrem  meum.  —  Quia  Pater  in  me  est,  et  et.o 
in  Pâtre  {Joan.  xiv,  8). 

(2)  Sciscitator  erat,  ac  diiceudi  avidns;  sed  in  percipiendis  di- 
viuis  rébus  non  multvnn  acutior  (Cyril.). 

(3)  Respondit  ei  Pliilippus:  Duceulorum  douaiiorum  panes  non 
sutilciunt  eis,  ut  unusquisque  modicum  quid  accipiat  (Vown.vi,?]. 

(4)  Vos  date  illis  mauducare  [Matth.  xiv,  i6). 

Le  denier  correspondait  à  peu  près  au  paul  romain,  et  valait 
dix  baïoques,  ou  dix  sous  environ  ;  c'est  pourquoi  on  l'appelait 
denier.  Alors  le  pain,  en  Orient,  se  payait  un  baïoque  la  livre-. 
Avec  deux  cents  deniers,  ou  pouvait  avoir  seulement  deux  mille 


» 


—  284  -  - 
Andrt"!  était,  parmi  les  futurs  apôtres,  celui  qui 
avait  la  plus  graiule  idée  de  Jésus-Christ  ;  il  l'avait 
connu  et  confessé  le  premier  pour  être  le  Messie  (t). 
A  cette  manière  si  résolue  de  i)arlcr,  il  pensa  que 
sou  divin  Maître  voulait  opérer  quelque  miracle,  et, 
pour  le  sonder,  il  se  hasarda  à  dire  :  «  Seigneur, 
il  y  a  ici  un  enfant  qui  a  cinq  pains  d'orge  et 
deux  poissons  ;  mais  qu'est-ce  que  cela  pour  tant 
de  monde  (2)?  Et  vous,  dit  le  Sauveur  aux.  dis- 
ciples, voyez  un  peu  combien  de  pains  vous  avez  (3)? 
Ils  répondirent  :  Seigneur,  nous  n'avons  rien,  hormis 
les  pains  et  les  poissons  que  porte  cet  enfant  ;  c'est 
toute  la  provision  que  nous  avons  pour  aujour- 
d'Iiui  (4).  C'est  bien,  reprit  le  divin  Maître,  apportez- 
moi  ces  pains  et  ces  poissons  (5);  en  attendant,  faites 
asseoir  sur  l'herbe  le  peuple  divisé  par  groupes (6).» 
Et  il  fut  fait  ainsi.  Lorsque  tous  furent  assis  sur 
l'hcrb-s  partagés  par  troupes,  selon  l'ordre  de  Jésus, 
de   cinquante  ou  de  cent  personnes   (7),  k    divin 

livi'fri  (If  paiu,  qui,  divisées  entre  douze  mille  personnes,  aurait 
lionne  à  chacune  environ  deux  onces.  Le  calcul  de  saint  Philippe 
était  donc  exact. 

(1)  luvenimus  Messiam  {Joan.  vi). 

(2)  Est  puer  unus  hic,  qui  habet  quinque  panes  hordeaceos  et 
duos  pisces;  sed  hœc  quid  suut  in  1er  tantos  {Joan.  vi,  9)? 

(3)  Quot  panes  habetis?  ite  et  vidcte  {Marc,  vi,  38). 

(4)  At  illi,  cum  cognovissent,  dixerunt  :  Non  sunt  nobis  plus 
quam  quinque  panes  {Marc,  vi;  Luc.  ix,  13). 

(5)  Afferte  illos  mihi  {Malth.  xiv,  18). 

(6)  Facite  honiines  discumberc  per  convivia  quiuquageuos  super 
fœnum.  Erat  autem  fœnum  multum  in  loco  {Joan.  vi,  10  ;  Luc. 
IX,  14). 

(7)  Et  ita  fecerunt  ;  et  discumbere  fecerunt  omnesin  partes  per 
ceïitenoâ  et  quinquagenos  {Luc.  ix,  15;  Marc.  Vi,  40). 


Maître,  levant  les  yeux  au  ciel  et  rendaut  grâces  à 
Dieu  son  Père  (I),  prit  le  pain  dans  ses  mains,  le 
bénit,  le  rompit  et  le  donna  à  mesure  aux  disciples 
pour  le  distribuer  (2). 

Mais  ce  pain  se  multipliant  dans  ses  mains  divines, 
il  en  donne  toujours  aux  disciples,  et  les  disciples  en 
donnent  toujours  au  peuple,  et  les  mains  du  Maître 
et  celles  des  disciples  en  sont  toujours  remplies  (3)  ! 
Quel  étQnnant  prodige  !  La  même  chose  arrive  pour 
les  poissons  :  Jésus  les  prend,  les  bénit,  les  divise,  les 
multiplie;  il  les  donne  aux  apôtres,  qui  les  distri- 
buent à  chacun  autant  qu'il  en  désire  (4),  à  sa  vo- 
lonté, et  tous  se  trouvèrent  admirablement  rassasiés. 
Puis  le  divin  Maître  dit  à  ses  disciples  :  «  Recueillez 
tous  les  fragments  qui  sont  restés,  afin  que  rien  ne 

(1)  Il  rend  grâce  à  son  Père  de  la  puissance  qui  lui  a  été  don- 
née comme  homme,  de  faire  des  miracles.  11  prie  les  yeux  élevés 
vers  le  ciel  pour  montrer,  dit  saint  Chrysostome,  qu'il  n'était 
pas  l'ennemi  de  Dieu,  comme  les  Juifs  l'en  avaient  déjà  plus 
d'une  fois  accusé,  mais  que  c'était  Dieu  lui-même  qui  l'avait  en- 
voyé, et  que  tout  ce  qu'il  faisait,  il  le  faisait  conformément  à  sa 
volonté.  Enfin,  comme  il  voulait  faire  voir  que  son  pouvoir  s'é- 
tendait à  toutes  les  créatures  et  que  toutes  choses  étaient  sou- 
mises à  son  empire,  il  se  sert,  dans  cette  circonstance  comme 
dans  d'autres,  des  créatures  pour  opérer  ce  prodige,  au  lieu  de 
créer  du  pain  de  rien  ou  de  prendre  du  pain  déjà  existant  pour 
en  rassasier  le  peuple. 

(2)  Accepit  ergo  Jésus  panes;  et  respiciens  in  cœlum,cum  gra- 
ias  egisset,  benedixit,  frcgit,  et  dédit  discipulis  panes,  ut  ponc- 
ent ante  turbas  {Joan.  vi,  11;  Luc.  ix,  16;  Matih.  xiv,  19;  Marc. 

VI,  41). 

(3)  Dédit  ;  discipulis  autem  turbis  [Matth.  Ibid.). 

(4)  Similiter  et  duos  pisces  benedixit,  divisit,  et  distribuit  om- 
nibus quantum  volebant  {^Joan.  vi,  11;  Marc,  vi,  41). 


—  28r.  — 

l)éi"isse  (1).  »  Et,  chose  éloniiaiilc!  ajoute  l'évangé- 
lisle,  les  apôtres  remplirent  douze  paniers  des  restes 
de  ce  peu  de  pain  et  de  ces  quelques  poissons  (2)î 

A  la  vue  d'un  prodige  si  public  et  si  solennel,  le 
peuple  stupéfait,  dans  des  transports  d'aJiniialiou 
et  de  joie,  s'écria  :  «  Celui-ci  est  vraiment  le  Pro- 
plièle,  le  Me-^sie  que  nous  attendons,  qui  doit  venir 
au  monde  (3).  » 

Toutefois,  si  grand  que  soit  ce  miracle,  il  n'a  ce- 
pendant rien  d'extraordinaire  pour  nous  chrétiens, 
pour  nous  qui  savons  que  celui  qui  l'opéra  est  le  Fils 
de  Dieu.  A'est-ce  pas  ce  même  Dieu,  dit  saint  Au- 
gustin, qui  chaque  année  fait  d'un  seul  grain  germer 
non-seulement  jilusieurs  grains,  mais  plusieurs  épis? 
Les  cinq  pains  furent  en  ce  jour,  entre  les  mains  di- 
vines du  Sauveur,  comme  une  semence  qu'il  multiplia 
en  un  instant.  Il  fit  donc  alors  en  un  moment  le  mi- 
racle qu'il  opère  chaque  année  avec  le  temps.  Il  y  a 
cette  différence,  cependant,  que  les  grains  se  multi- 
plicp.t  eu  éi)is,  quand  ils  sont  jetés  daus  la  terre,  et 
qu'ici  le  pain  se  multiplie  entre  les  mains  du  Fils  de 
Dieu  fait  homme.  Biais  la  terre  peut-elle  posséder 


(1)  Et  manducaverunt  omnes,  et  saturati  sunt  {Mafth.  xiv,20). 

(2)  CoUigite  quae  superaverunt  fragmenta,  ue  perçant  {Joan. 
Yi,  12). 

(3)  CoUegerunt  ergo,  et  impleveruut  duodecim  cophinos  l'rag- 
inentorum,  ex  quinque  panibus  hordcaceis,  qu£B  superfueruut 
hià  qui  inauducaverant  {Id.,  13). 

(4j  llli  ergo  liomines,  cura  vidisseut  quod  Jésus  fccerat  siguum, 
(Ucebaut  :  Quia  hic  est  vere  propbela,  (]ui  vpulurus  est  iu  uiun- 
ilaui  {Ibid.,  14). 


uue  puissance  plus  grande  que  celui  qui  l'a  créée  (1)? 
Lorsque  le  Sauveur  renouvela  ce  miracle,  une  an- 
née plus  tard  (2),  il  l'accompagna  de  circonstances 
encore  plus  touchantes  et  plus  significatives.  Quatre 
mille  personnes,  sans  compter  les  femmes  et  les  en- 
fants, étaient  assises  autour  de  lui  (3)  ;  et  cette  foule 
ivait  abandonné  maisons,  travaux  et  négoces;  elle 
ivait  passé  trois  jours  et  trois  nuits  en  plein  air  et  à 
jeun,  pour  écouter  avec  une  admiration  croissante  les 
paroles  dû  Fils  de  Dieu.  Quelle  tendresse  réciproque 
entre  le  Sauveur  et  ce  peuple  !  Celui-ci  s'était  oublié 
lui-même  pour  suivre  celui-là,  durant  trois  jours; 
mais  Jésus  ne  l'oubliait  point;  il  jeta  sur  lui  un  re- 
gard d'amour  et  de  tendresse,  il  dit  aux  disciples  : 
«  J'ai  pitié  de  ce  peuple,  »  ou,  comme  porte  le  texte 
grec  :  «  Je  sens  mes  entrailles  émues  de  la  plus 
tendre  compassion  à  la  vue  de  cette  foule;  voici 
trois  jours  qu'elle  me  suit,  et  elle  n'a  rien  à  man- 
ger (4).  »  Ainsi,  d'un  côté,  le  peuple  ne  s'inquiète 
pas  de  la  longueur  du  chemin  (beaucoup  étaient  ve- 
nus de  fort  loin)  (5)  ;  il  ne  songe  ni  à  sa  nourriture^ 
ni  au  sommeil  ;  il  oublie  son  corps,  quand  il  s'agit 

(1)  Unde  mnltiplicat  de  paucis  grauis  segetes,  inde  in  manibus' 
suis  multiplicavit  panes  .  Panes  illi  quasi  semina  erant,  non 
quidem  terra;  mandata,  sed  ab  eo  qui  fecit  terram  multiplicata 
(Aug.,  Tract.  14  in  Joan.), 

(2)  Marc,  vi;  Matth.  xiv. 

(3)  Erant  quasi  quatuor  millia  hominum,  extra  parvulos  et  nni- 
lieres  {Marc,  vi,  44;  Matth.  xiv). 

(4)  Misereor  :  intimis  A'isceribus  commoveor  super  turbam 
{Marc,  vin,  2). 

(3)  Quidam  euim  ex  cis  do  longe  veneruut  {Marc,  viu,  3}. 


--  29  n  — 

dVcoutcr  la  parole  divine,  M\ii  aliment  de  l'àmt  ; 
m;iis,  de  rantr(%  son  bon  31aître,  a[)rès  Ini  avoir 
fourni  cette  nourriture  du  cœur,  pense  à  lui  procu- 
rer celle  du  corps  (I).  Je  ne  veux  point  les  rcnvojer 
ainsi  à  jeun,  ajoule-t-il,  parce  qu'ils  [)ourraient  tom- 
ber d'inanition  et  de  faiblesse  durant  leur  chemin  (2). 
Il  paniît  que  les  apôtres  avaient  déjà  oublié  le 
premier  miracle,  car  ils  répondent  encore  celte  fois- 
ci  aux  paroles  de  leur  divin  Maître  :  «  Qu'y  a-t-il 
donc  à  faire?  Comment,  dans  ce  désert,  trouver  assez 
de  pain  pour  rassasier  luie  si  grande  multitude  (3)?» 
Alors  le  Sauveur  ordoiuia  de  lui  a:. porter  sept  pains 
et  quelques  petits  poissons  que  les  apôtres  avaient 
pris  pour  leur  provision  (4)  ;  puis,  ayant  fait  asseoir 
tout  le  monde,  il  les  prit,  les  bénit,  les  rompit  et  les 
multiplia  ;  puis  il  les  donna  à  ses  disciples,  et  ceux-ci 
les  distribuèrent  au  peuple  (5).  Et  il  y  en  eut  assez 


(1)  Il  montra  par  ce  fait  la  vérité  de  cette  parole  de  l'Evan- 
gile, qu'il  avait,  une  auuée  auparavant,  prononcée  en  ce  même 
li2u:  «Plus  l'homme  s'oublie  soi-même  pour  penser  à  Dieu, plus 
Dieu  vient  au  secours  de  l'homme;  celui  qui  cherche  avaut  tout 
1  ;  royaume  de  Dieu  et  sa  grâce ,  vrai  suuliou  de  l'àuie,  ne 
manque  pas  d'être  abondamment  pourvue  de  Dieu  des  choseà 
nécessaires  au  corps  :  Quœrite  primum  ref/num  IJei  et  justitiam 
ej'us,  et  hœc  omniu  adjicientur  vobis  {Mat th.). » 

(2)  Et  dimittere  eos  jejunos  nolo;  si  dimiicro  eos  jejunos  in 
domum  suam,  dclicient  in  via  {Matfli.  xv,  32  ;  Marc,  viii,  3). 

(3)  Unde  ergo  nobis  in  deserto  panes  tantos,  ut  saturemus 
turbam  tantam  {Matlh.  xv,  33). 

(4)  Sfptem  panes  et  paucos  piàciculos  (Ilid.,  34). 

(5)  Accipiens  septem  pauod  ci  pisces,  benedixit,  fregit,  et  de- 
dit  dibcipulis,  et  discipuli  di.'deruut  populo  {Mure,  vill,  6;  Matth. 
XV,  SH), 


—  289  — 
pour  rassasier  chacun  (1).  Il  y  en   eut  même  de 
reste;  car  les  disciples  remplirent  sept  corbeilles 
des  fragments  (2). 

Qui  ne  serait  touché  de  l'amour  et  de  la  tendresse 
de  Jésus  pour  les  hommes  !  Quelle  sollicitude  !  quel 
intérêt  il  porte  à  ce  peuple!  0  peuple  fortuné!  qui 
a  eu  le  bonheur  d'être  nourri  du  pain  miraculeux 
sortant  des  mains  de  Jésus-Christ  !  Mais  nous  n'avons 
rien  à  lui  envier,  car  nous  éprouvons  chaque  jour 
ce  même  amour  et  cette  même  bonté  de  Dieu  notre 
Sauveur;  nous  allons  nous  en  convaincre  par  l'expli- 
cation allégorique  de  ce  double  miracle. 

Le  Fils  de  Dieu  a  donc,  à  deux  fois,  rassasié  un 
peuple  très-nombreux  avec  quelques  morceaux  de 
pain.  Or  le  premier  miracle,  comme  le  disent  saint 
Augustin  et  Bède,  se  rapporte  à  l'Ancien  Testament, 
et  le  second  au  Nouveau  (3).  En  effet,  la  première 
fois  la  foule  était  de  cinq  mille  hommes,  et  figurait  les 
Juifs  qui  devaient  profiter  du  bienfait  de  la  rédemp- 
tion par  le  Sauveur.  Saint  Hilaire  admire  cette  cir- 
constance, que  le  nombre  de  ceux  qui  furent  nourris 
dans  le  désert  était  précisément  le  nombre  de  Juifs 
convertis  à  la  première  prédication  de  saint  Pierre  (4). 
La  seconde  fois,il  n'y  avait  que  quatre  mille  personnes; 


(1)  Et  comederunt  omnes,  et  saturati  sunt  {Ibid.). 

(2)  Et  su3tulerunt  quod  superaverat   de    fragmentis,  septpm 
sporlas  plenas  [Matih.  xv,  36;  Marc,  vui,  8). 

(3)  lUa  refectio  prius  facta  pertinet   ad    Vêtus  TestameiiLum 
{Expos.). 

(4)  Idem  edentium  numerus  iuveuitur  qui  futurus  erat  credi- 
turorum  {Act.  apost,  m,  Com.  in  Matth.). 

U.  10 


—  290  •— 
ce  nombre,  dit  le  Véiiérable  Cède,  indique  les  Gen- 
tils qui  devaient  venir  au  christianisme  des  quatre 
points  cardinaux,  des  quatre  vents^  comme  parle  l'E- 
vangile, pour  être  nourris  et  restaurés  par  le  pain 
spirituel  de  Jésus-Christ.  11  est  aussi  à  remarquer 
qu'il  est  dit  des  premiers  cinq  mille  qu'ils  étaient  ve- 
nus de  la  contrée  voisine  ;  ils  pouvaient  alors  facile- 
ment trouver  à  manger  dans  les  lieux  environnants. 
Ils  figuraient  donc  parfaitement  les  Juifs  qui,  par  la 
Synagogue,  avaient  la  connaissance  du  vrai  Dieu  et 
pouvaient  être  initiés  aux  mystères  du  Messie  par 
l'instruction  qu'ils  en  avaient  reçue  (1). 

Quant  aux  quatre  înille  hommes  du  second  miracle, 
il  est  dit  qu'ils  n'avaient  rien  absolument  pour  se  ras- 
sasier, qu'ils  ne  pouvaient  rien  se  procurer,  étant 
venus  de  très-loin.  Ils  étaient  donc,  selon  saint  Au- 
gustin, la  figure  frappante  des  Gentils  qui  n'avaient 
ni  la  loi,  ni  les  prophètes  (2),  et  qui  sont  venus  à 
Jésus-Christ  vraiment  de  fort  loin,  c'est-à-dire  du 
milieu  des  turpitudes  et  des  superstitions  idolâtres  (3) . 
Bède  dit  à  cette  occasion  :  «  Les  Gentils  qui  ont  cru 
au  Sau^cur  sont  venus  de  loin,  comme  à  présent 
ceux  qui  reviennent  à  Jésus-Christ  par  le  repentir, 
reviennent  de  loin  (4).  Plus  l'homme  s'abandonne 

(1)  Judaei  de  prope,  quia  leyis  et  prophclarum    litleris  eraut 
edocli  (Ueda). 

(2)  Non  habebant  quod  inanducarent.  quia   legem    non   babe- 
baut  (Aug.,  Expos.). 

(3)  De  longe  veuerunt  gentos,  errantes  per  idola  {Idem.). 

(4)  Credentcs   de  gentibus  de    longe   veuerunt  ad  Christum  : 
qui  a  peccatis  per  pœnitentiam  ad  Dominum  veniunt,  de   longe 


—  291  — 
aux  vices  et  aux  erreurs,  plus  Tinfortuné  s'éloigne 
de  son  Dieu.  C'est  ainsi  qu'il  est  dit  de  l'enfant  pro- 
digue qu'il  abandonna  son  père  et  s'en  alla  dans  une 
région  lointaine  (1).»  Saint  Paul  nous  donne  le  même 
enseignement  quand  il  nous  exhorte  à  réfléchir  que 
nous,  dont  les  pères  étaient  païens,  nous  étions,  à  une 
certaine  époque,  bien  éloignés  de  Dieu  par  notre 
idolâtrie  et  par  nos  péchés,  et  que  nous  devons  au 
seul  mérite  du  sang  de  Jésus-Christ  le  bonheur  et  la 
gloire  d'être  maintenant  si  rapprochés  de  ce  Dieu 
fait  homme,  et  de  le  posséder  au  milieu  de  nous  (2). 
La  première  fois,  les  apôtres  eurent  la  pensée  de 
faire  distribuer  des  aliments  aux  cinq  mille  hommes 
assemblés.  Ils  représentent  par  là  les  patriarches  et 
les  prophètes  qui  s'intéressaient  au  salut  du  peuple 
juif  et  qui  adressaient  des  prières  à  Dieu  pour  l'ob- 
tenir. Mais,  la  seconde  fois,  personne  n'intercéda  pour 
la  foule  affamée  ;  Jesus-Christ  seul  en  eut  pitié.  Ceci 
marque  la  triste  condition  des  Gentils,  l'état  d'aban- 
don dans  lequel  nous  étions  tombés  et  notre  délais- 
sement, puisque  personne  ne  songeait  à  nous;  Jésus- 
Christ  seul,  par  un  excès  de  sa  miséricorde,  a  eu 
pitié  de  nous  (3).  Et  comme,  dans  sa  tendresse,  il 
laisse  échapper  de  son  cœur  plus  que  de  sa  bouche 

veniunt.  Quanto  enim  quisque  pravo  opère  erravit,  tanto  ab  om- 
nipotente Deo  longius  recessit  (Beda). 

(1)  Abiit  in  regionem  longinquam  {Luc). 

(2)  Et  vos,  qui  eratis  longe,  fa 'li  estis  prope  in  sanguine  ip- 
sius. 

(3)  Turbae  omnes  gentes  sigp»*"  ::'■■   pro  quibus  Dominus  mise- 
ricordia  commovetur  (S.  >■ 


—  292  — 
ces  paroles  de  bonté  :  «  Que  j'ai  compassion  de  ce 
peuple  qui,  depuis  trois  jours,  me  suit  sans  avoir  rien 
maugé!  Je  ne  puis  coiiscutir  à  ce  qu'il  se  retire  sans 
aliment  ;  car  il  tomberait  de  lassitude  en  chemin.  » 
C'est  ainsi  qu'il  s'intéresse  aux  nations  idolâtres, 
représentées  par  ces  pauvres  abandonnés;  nations 
qui  soupiraient  en  vérité  après  le  Messie  depuis  Iroii 
jours,  c'est-à-dire  pendant  les  trois  âges  du  monde, 
l'âge  patriarcal,  le  prophétique  et  le  mosaïque. 

Le  chemin  où  le  Sauveur  craint  que  ce  peuple  ne 
tombe  d'inanition,  s'il  n'est  soutenu  par  une  nourri- 
ture corporelle  (1),  signifie,  dit  saint  Rémi,  le  cours 
de  la  vie  présente  dans  laquelle  l'homme,  après  avoir 
écouté  la  parole  de  Jésus-Christ,  après  avoir  cru  en 
lui  et  s'être  voué  sincèrement  à  son  service,  éprouve 
la  faim,  tombe  eu  faiblesse,  s'il  n'est  restauré  et  sou- 
tenu par  un  aliment  spirituel  et  céleste  (2).  Le  Sau- 
veur, qui  a  compassion  du  peuple  accouru,  s'atten- 
drit maintenant  encore  sur  la  condition  des  croyants 
et  de  l'immense  multitude  de  ses  fidèles.  Par  la  mul- 
tiplication des  pains,  dit  Bède ,  il  a  fait  voir  qu'il 
connaît  la  faiblesse  qui  nous  rend  impossible  la  pour- 
suite de  notre  course  terrestre  vers  le  ciel,  si  la  grâce 
ne  nous  soutient  (3). 

De  plus  l'homme,  composé  de  deux  substances,  a 


(1)  Si  dimisero  eos  jejunos,  déficient  in  via  (S.  Remig.). 

(2)  Conversi  ad  Dominum  peieunt,  si  absque  pabulis  dimittun- 
lur  {Caten.). 

(3)  Hoc  miraculo  desiguatur,  quod  viam  prsesentis  srpculi  tran- 
sire  nequimus,  nisi  nos  gratia  redemptoris  nostri  reficiat  (Beda). 


—  293  — 

besoin  de  deux  espèces  d'aliments  :  il  lui  faut  la  nour- 
riture du  corps  et  celle  de  lame.  JXotre  Seigneur 
n'a-t-il  pas  dit  que  l'homme  ne  Tit  pas  seulement  de 
pain,  mais  de  toute  parole  qui  sort  de  la  bouche  di- 
vine (1)?  Or^  ses  paroles  sont  la  grâce  et  la  vérité; 
et  le  pain  et  l'eau  qui  soutiennent  le  corps,  dans  le 
langage  des  Ecritures,  signifient  cette  vérité  et  cette 
grâce,  soutien  de  l'âme  et  sa  vie  propre.  Jésus-Christ 
donc,  par  le  pain  corporel  qu'il  fit  distribuer,  a  voulu 
figurer  l'aliment  spirituel  avec  lequel  il  voulait  nourrir 
les  âmes. 

Mais  les  évangélistes  ne  pouvaient  -  ils  pas  se  con- 
tenter de  dire,  selon  la  remarque  de  saint  Cyrille, 
que  le  Sauveur  rassasia  un  peuple  nombreux  avec 
quelques  pains?  Cela  seul  n'eût-il  pas  suffi  à  constater 
le  miracle?  S'ils  ont  décrit  avec  tant  d'exactitude  le 
nombre  et  la  qualité  des  pains  employés  les  deux  fois, 
c'est  donc  que  ces  circonstances  renferment  quelques 
grands  mystères  (2).  Voyons  plutôt. 

Dans  le  premier  miracle  il  y  avait  cmq  pains^,  pour 
nous  indiquer,  dit  saint  Augustin,  les  rites,  les  cé- 
rémonies de  l'ancienne  loi ,  contenue  dans  les  cinq 
livres  de  Moïse,  où  le  peuple  juif  puisait  son  aliment 
spirituel  (3).  Au  second  miracle  il  y  avait  sept  pains; 

(1)  Non  in  solo  pane  vivit  homo,  sed  in  omni  verbo  quod 
procedit  de  ore  Dei  {Matth.). 

(2)  Quid  cogebat  panum  numerum  notare?  Cur  non  simplici- 
ter  dixit  :  ex  paucis  panibus?  Quod  videlicct  beatus  evangeliâta 
ea  tam  accurate  recensât,  alicpiid  nobis  cogitandum  pPcBbet. 

(3)  Quiuque  panes  significant  legem  (juam  Moyses  quinque  li- 
bris  scripsit  (S.  Aug.). 


—  294  — 
ils  étaient,  dit  Bède,  une  admirable  figure  du  mys- 
tère de  la  loi  évangéliquc,  dans  laquelle  la  grâce 
septiforme  de  l'Esprit-Saint  est  dispensée  avec  abon- 
dance à  loua  les  fidèles  par  la  prédication  et  les  sa- 
crements qu'ils  reçoivent.  En  résumé,  ces  sept  pains 
représentent  les  sept  sacrements  institués  par  Jésus- 
Christ  pour  nourrir  les  chrétiens  durant  leur  voyage 
vers  l'éternité  (1).  Remarquez,  mes  frères,  que  le 
Sauveur  ne  créa  pas  de  rien  ces  pains,  comme  il 
aurait  pu  [le  faire  ;  il  les  prit  réellement  de  la  main 
de  ses  disciples.  Or,  cette  circonstance  nous  rend  en- 
core plus  sensible  la  même  vérité.  Dans  nos  sacre- 
ments il  ne  crée  pas,  il  reçoit  de  l'Eglise  la  matière 
et  les  signes  sensibles  dont  ils  sont  formés.  Les  pains, 
dans  les  mains  des  disciples,  étaient  sans  saveur,  sté- 
riles et  insuffisants  pour  rassasier  tout  ce  peuple. Mais, 
quand  le  Sauveur  les  eut  pris  dans  ses  mains  di- 
vines et  qu'il  les  eut  bénits ,  ils  se  multiplièrent 
prodigieusement;  ils  devinrent  agréables  et  pleins 
de  saveur  ;  ils  acquirent ,  dit  l'interprète ,  la  vertu 
merveilleuse  et  efficace  de  nourrir  et  de  rendre 
dispos  et  agile  le  corps  (2) .  De  même  la  matière  des 
sacrements  (l'eau,  le  pain,  le  vin,  l'huile),  qui  est  par 
elle-même  incapable  de  produire  aucun  effet  moral, 

(1)  Bene  panes  septem  in  mysterio  novi  Testament!  ponuntur, 
in  quo  septiformis  Spirilus  Sancti  gratia  plenius  cuuctis  fidelibus 
credenda  revelatur,  et  crédita  datur.  Aperitionem  signifient  sa- 
cramentum,  quibus  ad  perpetuam  salutem  mundus  erat  nutrien- 
dus  (Beda,  ibid.). 

(2)  Panis  iste  sapidissimus  fuit,  magnaque  vi  nutriendi,  satu- 
randi,  et  exhilarandi  prœditus  (Cor.  a  Lap.). 


—  295  — 

en  vertu  de  la  bénédiction  de  Jésus -Christ  que  le 
ministre  de  l'ÉgUse  y  applique  par  le  moyen  de  la 
forme,  est  devenue  capable  de  conférer  et  d'accroître 
la  grâce  qui  rassasie  1  ame  et  la  remplit  d'une  joie  et 
d'une  jouissance  toute  spirituelle. 

Les  cinq  pains  du  premier  miracle  étaient  d'orge  : 
panes  hordeacei.  Or,  l'orge  est  la  nourriture  des  bêtes 
de  somme  et  des  esclaves  ;  ce  qui  fait  dire  à  Bède  : 
Ces  cinq  pains  indiquaient  parfaitement  quel  était 
l'esprit  de  la  loi  antique  :  un  esprit  de  crainte  et  de 
servitude,  comme  saint  Paul  l'afiBrme  (I).  La  moelle 
de  l'orge  est  en  outre  recouverte  d'un  tégument  très- 
tenace.  Les  pains  de  cette  semence,  poursuit  saint 
Augustin,  représentent  donc  fort  convenablement  la 
loi  mosaïque  dans  laquelle  la  vérité  et  la  grâce,  ali- 
ment vital  de  l'âme,  étaient  recouvertes  par  des  sym- 
boles et  des  figures  corporels  (2). 

n  est  dit,  de  plus,  que  ces  cinq  pains  d'orge 
étaient  entre  les  mains  d'un  enfant  qui  les  portait 
sans  en  manger  (3),  Comment  ne  pas  voir,  dit  encore 
saint  Augustin,  dans  cette  circonstance,  la  condition 
des  cinq  livres  mosaïques,  qui  se  trouvaient  entre 
les  mains  du  peuple  juif  comme  des  pains  dans  la 


(1)  Hordeum  est  alimentum  jumentorum  atque  servorum, 
quia  lex  servis  data  est  (Beda). 

(2)  Panes  hordeacei  significant  ipsam  legem,  quse  ita  data 
erat,  ut  in  ea  vitale  animte  alimentum  corporalibus  sacramentis 
obtegeretur.  Ilordei  enim  medulla  tenacissima  palea  tegitur 
{Quœst.  61,  tom.  IX). 

(3)  Est  puer  unus  hic,  qui  habet  quinque  paues  hordeaceos 
{Joan.  VI,  9). 


—  -206  — 
main  d'un  enfant  inexpérimenté?  Ce  peuple  n'enten- 
dait-il pas  et  ne  continue-t-il  pas  toujours  à  entendre 
cette  loi  divine  dans  un  sens  puéril,  et  ne  l'observe- 
t-il  pas  sans  en  retirer  de  profit  (1)? 

Dans  le  second  miracle,  les  sept  pains  sont  de  fro- 
ment, l'aliment  des  hommes  ;  ceux-ci,  selon  la  pro- 
phétie, devaient  être  nourris  de  la  meilleure  subs- 
tance du  bon  grain  (2),  puis  ils  devaient  se  multi- 
plier par  le  fruit  du  froment  (3).  Voilà  comment  ces 
sept  pains  signifient  l'esprit  de  la  loi  nouvelle,  esprit 
d'abondance,,  de  grâce  et  d'amour. 

Notre  divin  Sauveur  multiplia  de  plus,  et  conjoin- 
tement avec  les  pains,  deux  petits  poissons.  Or,  le 
poisson  passé  par  le  feu,  dit  saint  Augustin,  c'est  Jé- 
sus-Christ depuis  sa  passion  :  Viscis  assus  est  Christus 
passus.  Il  y  a  deux  poissons,  pour  nous  indiquer,  je 
pense,  les  deux  caractères  de  victime  et  de  prêtre 
que  Jésus-Christ  réunit  dans  sa  personne  et  avec  les- 
quels il  subit  la  mort.  Le  poisson  donc  qui  fut  distri- 
bué avec  le  pain,  qui  le  rendit  plus  suave  et  qui  con- 
courut à  rassasier  le  peuple,  signifie  le  mérite  infini 
de  la  passion  de  Jésus- Christ,  d'où  les  cinq  pains 
d'orge,  c'est-à-dire  les  rites  et  les  sacrifices  de  la  loi 
mosaïque,  et  les  sept  pains  de  froment,  ou  les  sacre- 
ments de  la  loi  évangélique, tirent  leur  efficacité  pour 
nourrir  les  âmes. 


(1)  Puer  iste,  populus  Israël,  qui  puerili  sensu  ea  portabat, 
non  manducabat  {Tract.  22  in  Joan.). 

(2)  Cibavit  eos  ex  adipe  frumeiiti  [Ps.  i.xxx). 

(3)  A  fructu  frumeuti...  multiplicati  sunt  {Ps.  Vf). 


—  297  — 

Si,  dans  les  deux  Testaments,  les  pêcheurs  de  pois- 
sons sont  encore  les  prédicateurs  qui,  par  la  foi  et 
l'amour,  possèdent  Jésus-Christ  et  l'annoncent  aux 
autres;  le  poisson  qui,  dans  ces  deux  repas  miracu- 
leux, assaisonne  le  pain,  signifie  la  prédication  de  la 
passion  du  Sauveur.  Celle-ci,  commencée  par  Moïse  et 
les  prophètes  sous  l'observation  de  la  loi,  a  été  con- 
tinuée par  les  apôtres  et  leurs  successeurs,  en  com- 
munauté avec  la  grâce  et  les  sacrements.  C'est  pour- 
quoi saint  Paul,  le  grand  maître  des  prédicateurs, 
ne  prêchait  que  Jésus-Christ  crucifié  (1).  Ainsi,  dans 
les  deux  alliances  figurées  par  ces  deux  miracles,  le 
poisson  est  toujours  avec  le  pain.  Cela  veut  dire  que 
la  prédication  des  mystères  de  Jésus  -  Christ  éclaire 
l'intelligence, tandis  que  le  pain  des  rites  et  des  sacre- 
ments nourrit  le  cœur.  C'est  ce  pain,  uni  à  un  mets 
si  exquis,  qui  est  la  nourriture,  l'aliment  parfait  du 
peuple  de  Dieu, 

Enfin,  on  ne  vit  l'intérieur  des  pains  que  parce  que 
le  Sauveur  les  rompit;  ils  ne  furent  sufîisants  à  nour- 
rir le  peuple  accouru,  que  parce  que  Jésus-Christ  les 
bénit. Le  divin  Maître  nous  fait  donc  connaître  sensi- 
blement parla  que  les  prophéties  et  les  promesses  de 
la  loi  ancienne,  comme  les  mystères  de  la  nouvelle, 
seraient  restés  cachés,  ignorés,  s'il  ne  les  avait  expli- 
qués par  sa  lumineuse  parole  ;  il  nous  apprend  que 
les  rites  antiques,  comme  les  nouveaux  sacrements, 
n'auraient  eu  nulle  vertu  pour  nourrir  spirituelle- 
ment le  peuple  juif  et  le  peuple  chrétien,  s'il  ne  les 

^1)  Praedicamus  Jcsum  Christuir,et  hune  crucifiium. 


—  298  — 
avait  lui-même,  d'abord  eu  figure,  puis  en  réalité, 
comme  fécondés  par  sa  bénédiction  toute-puissante. 
Or,  de  même  que  la  bénédiction  prononcée  au  com- 
mencement du  monde  sur  toutes  les  créatures  cor- 
porelles, leur  doinia  la  vertu  d'engendrer,  de  se  re- 
produire et  de  se  multiplier,  de  même  la  bénédiction 
qu'il  a  prononcée  sur  les  institutions  spirituelles  de 
la  Loi  et  de  l'Évangile  les  a  rendues  fécondes  et  ef- 
ficaces. Le  Sauveur  a  donc  voulu,  dans  le  premier 
miracle,  personnifier  le  passé,  ou  l'ancienne  alliance, 
et  dans  le  second,  la  nouvelle.  Et  comme  c'est  lui 
seul  qui  a  opéré,  dans  l'une  et  l'autre  circonstance, 
il  nous  indique  par  là,  de  la  manière  la  plus  simple, 
la  plus  évidente  et  la  plus  gracieuse  tout  ensemble, 
que  lai,  le  Médiateur  céleste,  né  selon  la  chair,  au 
milieu  des  temps,  est,  comme  Verbe  de  Dieu,  anté- 
rieur au  temps,  le  Dieu  de  la  Loi  et  le  Dieu  de  l'É- 
vangile ;  il  nous  fait  voir  que  c'est  lui  et  qui  a  donné 
aux  prophètes  l'intelligence  des  mystères  futurs  (1), 
et  qui  a  donné  l'intelligence  des  mystères  accomplis 
aux  apôtres  et  aux  évangélistes.  Il  nous  apprend  en- 
fin que  c'est  toujours  lui  qui  a  nourri  le  peuple  juif 
avec  les  sacrements  figuratifs,  qu'il  nourrit  le  peuple 
chrétien  avec  les  sacrements  réels,  et  que,  autant  le 
froment  est  plus  précieux  que  l'orge,  autant  la  loi 
de  l'Evangile  est  plus  noble  et  plus  parfaite  que  l'an- 
cienne. En  un  mot,  il  nous  a  manifesté  l'esprit,  la 
grâce  et  l'économie  de  sa  religion. 

Cependantle  Sauveur  avait  prévu  que  leshérétiques 

(1)  NuUus  propLeta  sine  verbo  Dei  (S.  Aug.). 


—  299  — 
de  tous  les  temps,  partout  où  pullulerait  cette  zizanie 
funeste,  attaqueraient  plus  ou  moins  violemment  les 
prêtres  de  son  Eglise,  nieraient  plus  ou  moins  im- 
pudemment la  nécessité  du  ministère  ecclésiastique 
pour  la  dispensalion  de  sa  doctrine  et  de  sa  grâce. 
Il  avait  bien  prévu  que  ces  satellites  de  l'enfer  au- 
raient la  prétention  de  persuader  au  monde  chrétien 
que,  «  dans  l'économie  de  la  religion  de  Jésus-Christ, 
on  obtient  la  lumière  et  l'inspiration  de  Dieu  sans 
aucun  moyen  humain,  immédiatement  par  la  foi,  et 
que,  par  conséquent,  on  n'a  besoin  ni  d'évêques,  ni 
de  ministère  sacerdotal.  »  Qu'il  est  donc  consolant, 
pour  nous  cathohques,  de  voir  comment  le  Fils  de 
Dieu_,  dans  les  deux  miracles  de  la  multiplication  des 
painsy  a  confirmé  par  les  faits  ce  qu'il  avait  révélé 
par  ses  paroles  !  Il  a  ainsi ,  par  anticipation ,  réfuté 
la  doctrine  de  l'hérésie  qui,  en  détruisant  le  minis- 
tère sacerdotal,  sape  dans  ses  fondements  l'Eglise,  la 
foi,  le  christianisme. 

Il  est  hors  de  doute  que  le  Sauveur  pouvait  au- 
jourd'hui tout  disposer  de  lui-même,  sans  recourir 
au  ministère  de  ses  disciples.  Et  cependant  il  ne  le 
fait  pas  ;  comme  dans  toutes  les  autres  circonstances, 
il  a  voulu,  pour  ce  miracle,  s'associer  ses  apôtres  et 
les  faire  concourir  à  son  œuvre  (1).  Aurait-il  donc 
agi  ainsi  sans  dessein?  Ne  le  croyons  pas.  Quel  est 
donc  ce  dessein,  sinon  celui  que  saint  Paul  a  annoncé 
par  ces  paroles  :  «  Les  apôtres,  leurs  successeurs  et 

(1)  ut  alibi  semper  ita  nunc  hic  quoque    utitur  discipulorum 
opéra.  (Vict.  Antioc,  Expos.). 


—  300  — 
leurs  représentants  ont  seuls  été  choisis  par  Jésus- 
Christ  pour  être  les  ministres  de  sa  grâce  et  les  dis- 
Ijcnsateurs  de  ses  divins  mystères  (1).  » 

Et  de  fait,  Jésus- Christ  commence  par  dire  aux 
apôtres  d'un  ton  impérieux  :  ■  Donnez  vous-mêmes 
à  manger  à  ce  peuple  :  Vos  date  illis  manducare.  » 
Or,  n'est-il  pas  clair,  dit  Origène,  que  le  Sauveur, 
par  ce  mystérieux  langage,  a  donné  exclusivement 
aux  apôtres  et  à  leurs  successeurs  le  pouvoir  de 
nourrir  le  peuple  fidèle  (2)  ?  JN'est-il  pas  clair,  ajoute 
saint  Ambroise ,  qu'il  a ,  par  cette  parole,  fixé  dès- 
lors  le  système  et  l'économie  de  la  prédication  évan- 
gélique  pour  l'alimentation  des  âmes  (3)  ? 

C'était  en  quelque  sorte  leur  dire,  dès  cette  heure, 
en  parabole  :  Allez  par  le  monde,  enseignez  les  na- 
tions, les  baptisant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Espril  ;  celui  qui  croira  à  votre  parole  et  se  fera 
baptiser  sera  sauvé  (4);  c'est-à-dire  que,  dès  cet  ins- 
tant, il  charge  les  ministres  de  l'Eglise  de  prêcher 
l'Evangile  et  d'administrer  les  sacrements;  et  il  fait 
aux  peuples  un  devoir  d'écouter  sa  doctrine  de  leur 
bouche  et  de  recevoir  sa  grâce  de  leurs  mains. 

Ce  sont  encore  les  apôtres  qui  reçoivent  du  Sau- 

(1)  Sic  nos  existimet  liomo,  ut  minislros  Christi,  et  dispensa- 
tores  mysteriorum  Dei. 

(2)  Per  potestatcm  quam  dédit  discipulis  alios  quoque  alendi, 
propterea  dixit  :  vos  date  illis  manducare  (Orig.). 

(3)  Cum  dixit  :  vos  date  illis  manducare,  prœdicationem  ins- 
truit (Ambr.). 

(4)  Evmtes  in  mundum  univcrsum,  docete  omnes  gentes,  bap- 
tizantes  cos  in  uomine  Patris  et  Filti  et  Spii^itus  Sancli.  Qui 
trediderit  et  baplizatus  fuerit,  salvus  crit  {Matth.  et  Marc). 


—  3Ô1  — 
veur  et  transmettent  à  la  foule  l'invitation  de  s'as- 
seoir sur  l'herbe  (1).  Ce  sont  eux  aussi  qui,  selon  le 
commandement  divin,  la  séparent  par  familles  et 
par  groupes  distincts  de  cinquante  ou  de  cent  per- 
sonnes, et  qui  établissent  et  maintiennent  l'ordre 
parmi  ceux-ci  (2).  Il  nous  est  donc  clairement  révélé 
par  ce  fait  qu'il  n'appartient  point  aux  fidèles  de  se 
réunir  en  assemblées  religieuses,  ni  de  se  gouverner 
eux-mêmes  ;  mais  que  c'est  aux  évéques  seuls,  comme 
l'enseigne  l'Apôtre,  d'établir  des  Églises,  de  les  divi- 
ser et  de  les  régir  (3). 

En  troisième  lieu,  les  évangélistes  mettent  une  in- 
sistance toute  particulière  à  remarquer  que  le  divin 
Pasteur  ne  distribue  pas  de  lui-même  au  peuple  le 
pain  miraculeux,  mais  qu'il  le  donna  aux  apôtres,  afin 
que  le  peuple  le  reçiÀt  de  leurs  mains  (4)  ;  et  les 
écrivains  sacrés  répètent  encore  que  ce  furent,  en  ef- 
fet, les  apôtres  qui  partagèrent  cette  nourriture  à  la 
foule,  et  qu'ils  donnèrent  de  leurs  propres  mains  à 
chacun  sa  portion  (5),  Mais  qu'est-ce  que  les  évan- 
géliste  ont  voulu  nous  faire  comprendre  par  là?  Le 
Vénérable  Bède  répond  qu'il  faut  être  voloutaire- 


(1)  Facile  hommes  discumbere. 

(2)  Et  discumbere  fecorunt  omues  per  centenos  et  quinquagé- 
nos. 

(3)  Posuit  episcopos  regere  Ecclcsiam  Dei  (Act.). 

(4)  Distribuit  discipulis  ut  ponerent  ante  turbas  {Luc.  ix,  16). 
Dédit  discipulis  ut  ponei'ent  aute  eos  {Matth.  xiv).  Jussit  apponi 
{More.  VIII,  7). 

(5)  Et  discipuli  dederuut  populo,  et  apposueruut  turbii  {Matlh. 
XV,  36  ;  Marc.  VIII,  6). 


—  30-2  — 
ment  aveugle,  un  pervers,  pour  ne  pas  voir,  dans 
cette  circonstance  indiquée  avec  tant  de  soin  dans 
l'Evangile,  le  système  établi  dés-lors  par  Jésus-Ciirist, 
la  sagesse  même,  à  savoir  :  qu'il  prépare  à  son  Eglise, 
par  les  apôtres  et  leurs  successeurs,  l'aliment  de  la 
vie  éternelle  (i). 

Remarquez  en  outre,  mes  frères,  que  le  Sauveur 
ne  donna  pas  les  pains  entiers  aux  apôtres,  mais  seu- 
lement après  les  avoir  rompus.  Or,  quand  le  pain 
est  brisé,  dit  llaimon,  l'on  voit  sa  blancheur  inté- 
rieure. En  ne  leur  donnant  donc  ces  pains  que  dans 
l'état  indiqué,  Jésus  promettait  dès-lors  de  leur  don- 
ner l'intelligence  des  livres  sacrés,  comme  il  le  lit 
réellement  après  sa  résurrection,  quand,  selon  le  ré- 
cit évangélique,  «  il  leur  ouvrit  l'entendement  pour 
comprendre  les  mystères  cachés  des  Ecritures.  »  Les 
apôtres  distribuèrent  à  tous  les  peuples  ce  pain  rompu, 
lorsqu'ils  allèrent,  comme  il  est  dit  dans  l'Evangile, 
prêcher  la  bonne  nouvelle  à  toute  la  terre  (2).  Com- 
ment ne  pas  voir  dans  ce  fait,  dit  saint  Augustin,  que 
Jésus-Christ  a  confié  aux  évoques  seuls  et  aux  prêtres 
le  sens  véritable  de  ses  mystères,  pour  qu'ils  les  prê- 
chent sans  erreurs?  Comment  ne  pas  comprendre  par 
là  qu'il  a  donné  à  eux  seuls  la  mission  de  nourrir  les 

(1)  Quod  panes  discipulis  dédit,  turbis  apponendos,  significavit 
quod  apostolorum  ministerio  voluit  EcclesicE  suae  vilae  cibaria 
distribui  (Bcda). 

(2)  Quando  panis  frangitur,  interiora  ejus  cernuntur.  Panes 
fractos  dédit  Dominus,  quia,  post  resurrectionein,  aperuit  illi 
sensum,  ut  intelligerent  scripturas.  Discipuli  autem  apposuerunt 
turbis,  quando  profecti  praedicaveruut  ubique  {Ibid.). 


—  303  — 
fidèles  de  l'Eglise  de  raliment,  de  la  saine  doctrine(l)? 
Quand  le  peuple  se  fut  rassasié,  le  Sauveur  or- 
donna aux  apôtres  de  recueillir  les  restes  du  pain 
miraculeux.  L'Evangile  fait  observer  que  la  première 
fois  ceux-ci  remplirent  douze  paniers  ;  cela,  selon 
les  interprètes,  signifierait  qu'après  les  cinq  pains 
d'orge,  soit  les  cinq  livres  de  la  loi  mosaïque,  appa- 
rurent les  douze  apôtres,  hommes  en  apparence  mé- 
prisableSj  inutiles  corbeilles,  mais  remplis  à  l'intérieur 
des  trésors  de  la  doctrine  de  Dieu  (2).  Après  le  se- 
cond miracle  des  sept  pains,  il  resta  sept  paniers  de 
débris.  Saint  Chrysostomc,  rempli  d'admiration  à  la 
vue  de  ce  mystérieux  prodige,  s'écrie  :  «  Pour  moi, 
j'admire  non-seulement  la  multiplication  des  pains, 
mais  encore  le  nombre  précis  des  corbeilles!  Il  y 
avait  sept  pains,  et  Jésus -Christ  dispose  le  tout  de 
manière  à  ce  que  les  restes  ne  remplissent  que  sept 
corbeilles,  ni  plus  ni  moins  (3).  En  effet,  dans  ces  pa- 
niers mystérieux  se  trouvent  figurés  les  sept  sacre- 
ments, toujours  en  la  possession  du  peuple  fidèle, 
toujours  se  survivant,  immortels  toujours  comme  le 


(1)  Quibus  dat  nisi  dlscipulis?  Quia  non  nisi  episcopis  et  sacer- 
dotibus  mysteria  prsedicanda  largitur.  Isti  totam  Ecclesias  turbam 
reliciunt  (Aug.). 

(2)  Duodecim  cophinos  secundum  numerum  duodecim  aposto- 
lorum  (Ghrysost.,  Ham.  41  in  Joan.).  Duodecim  copLini,  duode- 
cim apostoli,  qui  licet,  iu  prœsenti  siut  despicabilcs,  spiritualium 
Bacramentorum  divitiis  iuterius  suut  referti  (Alcuin.,  Caten.  in 
Joan.). 

(3)  Ego  non  solum  panum  multiplicationem  admiror,  sed  et 
certitudiuem  superfluorum  :  neque  plu&,  ne  que  minus  superfluum 
fecit,  sed  tantum  quantum  volebat  (Loco  cit.). 


—  304  -- 

Dieu  qui  les  a  institués.  Mais  que  devinrent  ces  cor- 
Lcillcs?  Kilos  restèrent  à  la  disposition  des  aj)ôlres. 
Par  là,  il  est  aisé  de  comprendre,  dit  Origène,  que  les 
sept  paniers  du  pain  vivant  et  spirituel,  ou  les  sept 
sacrements^,  ont  été  laissés  par  Jésus-Christ  entre  les 
mains  des  ministres  de  l'Eglise,  qui  les  ont  conser 
\és  jusqu'à  ce  jour,  comme  ils  les  conserveront  ju 
qu'à  la  fiu  du  monde  (1). 

Nous  l'avons  vu,  les  sept  pains  figuraient  et  les  sept 
sacrements  qui  nourrissent  le  cœur,  et  les  doctrines 
qui  éclairent  l'esprit.  Cette  figure  devient  plus  frap- 
pante, si  ou  la  complète  par  la  signification  mystique 
du  poisson, qui  représente  la  prédication  évangélique, 
jetée  comme  un  filet  par  Dieu  sur  le  monde. 

Or  le  Sauveur,  en  ne  voulant  pas  que  les  restes  de 
ce  pain  et  de  ce  poisson  demeurent  entre  les  mains  du 
peuple,et  en  les  faisant  recueillir  par  ses  disciples,nous 
dit  bien  clairement  qu'il  ne  permet  pas  à  la  foule  l'in- 
telligence de  ses  mystères  pour  que  chacun  se  fabri- 
que, selon  son  jugement  propre,  un  symbole  à  croire 
et  une  loi  à  pratiquer;  qu'il  n'a  point  constitué  chaque 
chrétien  interprète  de  son  Evangile,  dépositaire  de 
ses  doctrines  et  de  ses  grâces,  mais  qu'il  a  confié 
toutes  ces  choses  à  Pierre  et  aux  apôtres,  au  Souve- 
rain Pontife,  aux  évoques  et  aux  prêtres?  Oh!  comme 
ce  fait  est  éloquent!  Comme  il  nous  découvre  mani- 
festement le  plan  que  le  divin  Rédempteur  a  adopté 

(1)  Sunt  ad  h  ne  usque  diom,  ot  nrunt  usque  ad  consumma- 
tionem  seeculi  cophini  pleni  sacramenlorum  panis  vivi,  quos  Jé- 
sus discipulis  dereliquit  (Orig.,  in  Matth.). 


—  305  — 

pour  le  salut  du  monde!  Non,  il  n'instruit  pas^  dans 
réconoraie  ordinaire  de  sa  providence,  les  hommes 
par  le  moyen  de  révélations  immédiates,  il  ne  les 
sanctifie  point  par  des  communications  directes  de 
sa  grâce  ;  mais  il  a  établi  dans  son  Eglise  un  corps  de 
pasteurs  auxquels  il  a  confié  ses  doctrines  et  ses  sacre- 
ments ;  c'est  par  leur  intermédiaire  et  par  leur  minis- 
tère seul  qu'on  reçoit  la  lumière  de  la  foi  qui  éclaire, 
la  grâce  qui, sanctifie  et  qui  soutient.  Ainsi  que  saint 
Paul  l'a  proclamé,  nous,  ministres  de  la  vraie  Eglise, 
nous  sommes  les  seuls  coadjuteurs  de  Dieu,  les  seuls 
ministres  de  Jésus-Christ,  les  seuls  dispensateurs  de 
ses  divins  mystères  (1). 

On  ne  peut  donc  penser,sans  répandre  des  larmes^ 
à  la  misère  de  ces  pauvres  chrétiens  que  l'hérésie  a 
séparés  de  nous.  Les  protestants  du  libre  examen  et 
de  l'évidence  privée  se  forment  d'eux-mêmes,  par 
la  lecture  de  la  Bible,  une  croyance  selon  leur  juge- 
ment ou  plutôt  selon  leur  caprice  et  leurs  passions. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  leurs  paroles  et  de  leurs  protes- 
tations, en  réalité  ils  n'écoutent  qu'eux-mêmes,  ils  ne 
marchent  qu'à  la  clarté  trompeuse  de  leur  propre 
lumière,  lumière  orgueilleuse,  qui  n'est  cependant, 
comme  Jésus-Christ  l'atteste,  que  ténèbres  et  obscu- 
rité (2).  Ils  n'ont  par  conséquent  qu'une  foi  toute  hu 
maine  ;  car  le  vrai  juge  de  leur  foi  c'est  eu  derniek 
lieu  l'homme,  ou,  pour  mieux  dire,  ils  n'ont  aucune 


(1)  Dei  adjutores  sumus  :  sic  nos  existimet  homo,  ut  ministros 
Christi,  et  dispensatores  mystoriorum  Dei. 

(2)  Vide  ne  lumen  quod  lu  te  est,  teuebree  siut  (Luc.  xi). 

II.  :i(i 


—  3  on  — 

foi.  Ils  sont  doue  hors  des  coudilioiis  du  christianisme, 
dont  la  base  est  la  foi  divine.  C'est  ce  qui  fait  dire  à 
Tcrtullicn:  «  Si  vous  êtes  hérétiques,  si  vous  suivez 
votre  opinion  privée,  vous  n'êtes  plus  chrétiens:  Si 
hœretici  sunt,  christiani  non  simt.»  Nonobstant  le  chaos 
informe  de  leurs  opinions  religieuses,  pénible  enfante- 
ment de  leurs  lectures  de  la  Dib!c,  ils  forment  en  réa- 
lité un  peuple  qui  n'a  rien  dont  il  puisse  se  nourrir  (1  ). 
Ils  sont  toujours  affamés  ;  car  ce  ne  sont  pas  les  opi- 
nions humaines,  toujours  incertaines,  mais  les  dogmes 
rfjym5, clairement  définis,  qui  forment  le  pain,  la  nour- 
riture de  l'entendement,  le  véritable  aliment  de  la 
vie  spirituelle  (2). 

Quant  aux  hommes  du  peuple  que  l'hérésie  tient 
en  esclavage  sous  la  pire  des  tyrannies,  la  tyrannie  de 
l'erreur,  ils  sont  réellement  ces  petits  enfants  mal- 
heureux dont  a  parlé  le  Prophète,  qui  demandent 
toujours  du  pain,  et  qui  ne  trouvent  personne  pour 
le  leur  rompre  et  le  leur  distribuer  (3).  Je  veux  dire 
avec  Bède  que,  parmi  les  hérétiques,  le  peuple  igno- 
rant et  inculte  demande  à  grands  cris  le  pain  quoti- 
dien de  la  parole  divine^  et  qu'il  ne  trouve  personne 
qui  la  lui  annonce,  qui  lui  donne  le  sens  droit  des 
saintes  Ecritures, de  la  loi  et  des  mystèreschrétiens(4). 

(1)  Et  non  habent  quod  manducent  (Loco  cit.). 

(2)  Paui»  vilae  et  intellectus  [Eccli.  XV). 

(3)  Parvuli  petierunt  panem,  et  non  erat  qui  frangeret  eis 
(Tliren.). 

(4)  Quod  est  aliis  verbis  dicere  :  Indocti  petierunt  pabulum 
vorbi  Dei,  nec  erant  magistri,  qui  eis  Scripturarum  arcana  pâte» 
facerent  (Loco  cit.). 


—  307  — 

Et  comment  les  ministres  de  l'iiérésie  pourraicnt-iîc 
préparer  au  peuple,  en  proie  à  la  famine  spirituelle, les 
pains  et  les  poissons  mystérieux  que  Jésus- Ciirist  a 
bénits  et  multipliés,  puisqu'ils  n'ont  pas  les  corbeilles 
dans  lesquelles  furent  recueillis  les  restes  précieux 
légués  à  notre  seule  Église?  Comment  les  ministres 
de  l'erreur  pourraient-ils  préparer  aux  intelligences 
affamées  le  pain  de  la  yérité?  Comment  leur  serait- 
il  possible  d'expliquer  dans  le  vrai  sens  les  Ecritures 
qu'ils  ne  comprennent  pas?  Comment  pourraient-ils 
transmettre  la  véritable  notion  des  mystères  de  Jésus- 
Christ,  dont  ils  ont  altéré  l'idée  ?  Comment  pourraieut- 
ils  expliquer  ses  lois,  quand  ils  en  ont  restreint  ou  nié 
les  obligations  selon  leur  caprice?  De  là  vient  que  la 
prédication  de  l'hérésie,  du  reste  fort  bornée  dans 
son  expansion,  est  si  froide,  si  incertaine,  si  insigni- 
fiante. Les  interprétations  bibliques  de  ses  ministres 
se  réduisent,  en  définitive,  à  des  commentaires  erro- 
nés contre  les  dogmes  catholiques,  tout  comme  ceux 
des  rabbins  juifs  ne  sont  qu'un  tissu  d'idées  stupides, 
de  traits  calomnieux  contre  la  religion  chrétienne. 
L'hérésie  ne  prend  l'Evangile  en  main  que  pour  insulter 
l'Eglise,  comme  la  prétendue  Synagogue  n'explique  la 
loi  que  pour  rendre  Jésus-Christ  méprisable  et  odieux. 
Le  pain  de  l'erreur  est  pétri  de  haine  ;  celui  de  la  vé- 
rité Test  d'amour. L'hérésie,u'enseignant que  l'erreur, 
ne  saurait  apprêter  ce  dernier,  le  seul  qui  fortifie  et 
qui  vivifie  ;  elle  ne  peut  que  préparer  le  premier,  ce- 
lui qui  tourmente  et  qui  donne  la  mort.  Au  lieu  de 
donner  un  aliment,  elle  inculque  le  venin;  loin  de 


—  30S  — 
présenter  le  pain  et  le  poisson  bénils  par  Jésus  Christ, 
clic  offre  les  débris  de  la  ijcche  salanique.  Malgré  le 
faux  zèle  avec' lequel  ces  étranges  apôtres  font  sem- 
blant, de  temps  à  autrc,dcpaitrc  la  foule  afl'amée, leurs 
adhérents  sont  toujours  jjrivés  de  la  vraie  nourriture 
de  l'âme  ;  ils  tombcint  d'inanition  et  périssent  en  che- 
min.Parvuli  petierunt  panem,etnonerat  qui  franyeret  eis. 
Qu'arrivc-t-il  de  cette  impuissance?  Les  docteurs 
de  l'hérésie  prennent  alors  le  parti  le  plus  commode; 
ne  pouvant  expliquer  l'Ecriture,  ils  la  font  lire  :  ils 
répandent  à  profusion  la  Bible;  cela  leur  tient  lieu 
de  sermons.  Siais  si  ceux  qui  distribuent  ce  livre 
sacré  ne  l'entendent  pas,  bien  moins  encore  le  com- 
prennent ceux  qui  le  reçoivent.  La  sainte  Ecriture, 
dans  les  mains  de  l'hérésie  comme  dans  celles  du 
judaïsme,  n'est  qu'un  pain  entier  et  si  dur,  que  per- 
sonne ne  peut  le  rompre,  encore  moins  en  manger. 
Ce  n'est  pas  pour  les  apostats  de  son  Eglise,  comme 
ce  n'est  pas  pour  les  Juifs,  ennemis  de  sa  personne, 
que  Jésus-Christ  l'a  rompu,  en  a  donné  l'intelligence. 
Ces  hypocrites  zélateurs  de  la  parole  écrite  de  Dieu 
disent  Nainement  qu'ils  ont  tout  fait  pour  le  peuple 
quand  ils  ont  distribué  partout  force  Bibles,  afin  que 
chacun  enteude  à  sa  guise  cet  auguste  Gode.  Ils  res- 
semblent à  ces  marâtres  dénaturées,  à  ces  nourrices 
cruelles,   qui  jettent  aux  enfants  affamés   un  pain 
durci  qu'elles-mêmes  n'ont  la  force  ni  de  rompre  ni 
d'entamer.  Ces  pauvres  enfants,  avec  ce  pain  entre 
les  mains,  sont  sans  nourriture  :  tel  est  le  peuple  pro- 
testant; environné,  opprimé  par  le  fardeau  de  tant 


—  309  ~ 
Bibles,  il  reste  privé  de  l'aliment  que  donne  la  vérité. 
Parvuli  pctienint  panem,  et  non  erat  qui  frangeret  eis. 
Privés  de  la  vérité,  qui  est  la  nourriture  de  l'iii- 
telligence ,  les  infortunés  sont  encore  privés  de  la 
grâce,  qui  est  l'aliment  et  le  soutien  du  cœur.  L'as- 
persion faite  sur  plusieurs  à  la  fois,  avec  l'eau  d( 
rose  (1)  ,  n'est  point  le  Baptême.  L'impanation  d( 
Luther  n'est  point  le  sacrifice.  La  cène  de  Zuingie 
n'est  pas  X Eucharistie.  La  conférence  directoriale  do 
Calvin  n'est  pas  la  confession.  Le  7-ite  dérisoire  d'un 
laïque  en  chappe  qui  impose  les  mains  à  un  laïque  à 
genou,  n'est  pas  YOrclre.  Les  quelques  prières  qu'un 
ministre  récite  sur  un  moribond  par  l'organe  d'un 
clerc  de  sacristie,  ne  sont  point  V Extrême -Onction. 
En  un  mot,  les  cérémonies  ridicules  et  sacrilèges  in- 
ventées par  l'hérésie  ne  sont  pas  des  sacrements  qui 
confèrent  la  grâce  et  l'augmentent. Les  rites  religieux 
par  lesquels  l'hérésie  a  prétendu  remplacer  nos  sa- 
crements,qu'elle  a  du  reste  à  peu  près  niés  et  détruits, 
n'opèrent  donc  rien  sur  le  cœur  de  ceux  qui  s'y  assu- 
jettissent et  ne  rendent  personne  meilleure. 

(1)  Il  ne  sert  à  rien  de  le  nier,  le  protestantisme  est  tombé  en 
pleine  indifférence.  Comme  les  dogmes  les  plus  essentiels  sont 
devenus  de  simples  opinions,  le  premier  des  sacrements  n'est 
plus  qu'une  stérile  cérémonie  à  laquelle  on  n'ajoute  plus  aucune 
importance.  Dans  plusieurs  endroits  de  l'Angleterre,  on  ne  bap- 
tise plus  qu'à  Veau  de  rose,  ou  avec  de  Veau  de  Cologne:  on  ar- 
rose les  enfants  par  bandes,  avec  le  danger  que  l'aspersion  u 
les  atteigne  pas  tous  ;  on  n'a  pas  soin  de  prononcer  la  forn,  ■ 
au  même  moment  où  l'on  applique  la  matière;  ou  bien  une  pe:,- 
sonne  prononce  les  paroles  et  une  autre  verse  l'eau.  Voilà  pou^  ■ 
quoi  on  les  baptise  sous  condition  quand  ils  embrassent  la  reli- 
gion catholique. 


—  MO  — 
Il  faut  donc  que  riiôrétiqiie, abandonné  à  lui-même, 
à  son  inconstance,  à  sa  corruption  native,  avec  ses 
seules  forces  si  frôles,  si  vite  usées,  cl  parfois  si 
vaines,  il  faut  que  T hérétique  fasse  seul  son  salut, 
fuie  le  mal,  pratique  le  bien,  s'élève  à  la  vertu  et 
réalise  les  maximes  de  l'Evangile.  3Iais  comme  les 
forces  purement  humaines  ne  servent  à  rieu  pour 
cela,  ou  du  moins  à  peu  de  choses,  il  arrive  que, 
parmi  les  peuples  dominés  par  l'hérésie,  les  vices 
triomphent,  les  vertus  chrétiennes  n'apparaissent 
plus,  les  conversions  de  pécheurs  sont  inconnues,  la 
corruption  se  généralise,  se  prolonge  froidement  de 
l'enfance  à  la  vieillesse,  à  la  tombe,  tandis  que  la 
perfection  chrétienne  n'est  pas  connue,  même  de  nom. 
La  sainteté  du  vrai  christianisme,  les  sublimes  vertus 
de  l'Evangile  ont  fait  place  à  une  espèce  de  morale 
philosophique  et  de  probité  naturelle,  fruit  de  l'édu- 
cation, de  l'intérêt  ou  des  convenances,  et  seulement 
bonne  à  sauver  les  apparances,  sans  réformer  le  cœur. 
C'est  donc  en  vain  que  les  âmes,  chez  ces  nations 
infortunées,  cherchent  cette  nourriture  substantielle, 
ce  pain  fortifiant  de  la  grâce  do  Jésus -Christ,  qui 
élève  le  cœur,  le  purifie,  le  sanctifie  et  le  divinise, 
hélas!  elles  ne  le  trouvent  nulle  part!  Ni  les  fades 
homélies  qu'elles  écoutent ,  ni  les  exemples  qui  les 
entourent,  ni  les  rits  qu'elles  observent  n'ont  d'ac- 
tion, d'efficacité  sur  elles.  Ah  !  elles  ne  peuvent  que 
rester  en  proie  à  une  faim  dévorante, funeste  prélude 
de  la  mort  spirituelle.  Parvuli  petierimt  paiiem^  et  non 
erat  qui  frangerel  eis. 


1 


—  311   — 

Il  est  (lil  des  troupes  faméliques  du  désert  qu'elles 
étaient  comme  des  brebis  sans  pasteur,  abandonnées 
et  dispersées  (1),  parce  que,  selon  les  interprètes, 
les  Scribes  et  les  Pharisiens,  qui  gouvernaient  dans 
l'ordre  spirituel  la  nation  juive,  n'étaient  que  de 
vils,  d'avides  mercenaires,  ne  cherchant  que  leurs 
propres  avantages  dans  les  ofiSces  et  la  dignité 
sacerdotale,  qu'ils  se  disputaient  à  l'envi  par  les 
moyens  les. plus  scandaleux  et  les  plus  ignobles,  et 
non  le  salut  de  leurs  troupeaux  (2). 

Voilà  le  portrait  des  riches  prébendiers  de  l'hé- 
résie. Ils  ne  sont  évêques,  archevêques,  doyens, 
chaqoines,  que  pour  jouir  des  gros  revenus  annexés 
à  leur  dignité ,  dépouilles  sacrilèges  de  l'Eglise  ca- 
tholique; pour  nourrir  un  troupeau  d'enfants,  de 
brus,  de  gendres,  de  neveux,  de  chiens  et  de  che- 
vcaux;  pour  acquérir  des  fonds,  des  droits  de  chasse, 
des  maisons  de  campagne  et  des  palais  ;  pour  par- 
courir joyeusement  le  monde  ;  pour  mener  une  vie 
toute  sensuelle  et  profane  parmi  les  délices  d'un 
luxe  insultant,  et  non  pour  soutenir  les  fonctions 
de  leur  ministère,  devenu  désormais  un  pur  titre 
laïque,  une  simple  profession  civile,  bonne  à  faire 
vivre  les  cadets  de  l'aristocratie.  L'hérésie,  on  le  voit 
maintenant  ou  jamais,  est  tout  à  l'avantage  tempo- 
rel de  ceux  qui  l'ont  faite,  sans  qu'elle  puisse  rien 
pour  le  bien  spirituel  de  ceux  qui  la  suivent. 

(1)  Sicut  oves  non  habentes  pastorem  (Loco  cit.). 
(9.]  Scrihte  enim  non  erant  pastores,  sed  merceuarii,quaerente3 
sua  lucra,  et  non  ovium  salutem  (Corn,  a  Lap.,  m  siv  Matth.). 


—  :\\-2  — 
Kii  effet ,  quel  est  celui  d'entre  ces  faux  pro- 
|)hètes  qui  se  donne  le  moindre  souci  à  l'endroit  du 
pauvre  peuple,  se  corrompant  cliaque  jour  davan- 
tage; à  l'endroit  du  libertinage,  levant  de  plus  en 
])lus  la  tête;  à  l'endroit  de  l'incrédulité,  cliaque  jour 
plus  universelle  ?  Y  en  a-t-il  un  seul,  un  seul  parmi 
eux  tous  qui  fasse  un  effort,  jette  un  cri  d'alarme, 
pousse  un  soupir  pour  arrêter  la  prostitution,  l'usure, 
le  parjure,  l'athéisme,  le  suicide?  Où  est-il  ?  qu'Use 
montre  !  où  sont  ses  livres,  ses  écrits  ?  Les  progrès 
toujours  croissants  de  la  religion  catholique ,  sont 
seuls  capables  de  réveiller  de  temps  en  temps  leur 
bigotisme  d'apparat  (1).  Alors  il  fait  quelques  mouve- 
ments convulsifS;,  éclate  en  quelques  absurdes  calom- 
nies, en  quelques  blasphèmes  atroces  contre  nous; 
puis  il  retombe  dans  son  sommeil  voluptueux.  L'af- 
faire dv  l'âme,  dans  le  système  hérétique,  est  une 
affaire  pour  laquelle  l'homme  ne  peut  compter  que 
sur  lui-même.  Nul  n'y  tend  une  main  fraternelle  pour 
vous  aider  à  sortir  de  l'abîme  du  vice.  Nul  ne  s'in- 
quiète de  la  manière  dont  on  vit,  ni  de  l'état  dans 
lequel  on  meurt  ;  sans  aide,  sans  aucune  direction 
morale  durant  la  vie,  la  plèbe  est  abandonnée  à  la 
mort,  sar.s  consolalion,  sans  espérance  et  sans  sou- 
tien. La  raison  de  ce  triste  état  de  choses,  c'est  que 
la  nulUté  et  ie  vide  du  ministère  ecclésiastique  de 

(1)  Voir  Genève,  où  la  corruption  du  peuple  est  immense;  et, 
parce  que  le  catholicisme  y  est  eu  progrès,  tous  les  ministres 
sonnent  la  cliarge  :  «  Dirigez  vos  efl'orts  contre  le  vice,  et  laissez 
les  catholiques  en  paix  :  réformez-vous  vous-mêmes.  »  {Note  du, 
traducteur.) 


—  313  — 
l'hérésie  est  éj^aleiiieut  senti  et  de  qui  l'exerce  et 
de  qui  devrait  eu  retirer  du  profit.  Les  uns  savent 
fort  bien  qu'ils  n'out  rien  à  donner  dans  l'ordre  du 
salut  éternel  ;  les  autres,  qu'ils  n'ont  rien  à  rece- 
voir. C'est  pourquoi  pasteurs  et  brebis,  ministres 
et  peuples,  laïques  et  clercs,  sauf  de  très-rares 
exceptions,  au  lieu  de  se  rechercher,  se  fuient 
mutuellement,  ne  s'inspirent  et  ne  se  rendent 
qu'une  mutuelle  indifférence,  et  souvent  de  plus, 
une  haine  et  un  mépris  réciproques.  Extérieure- 
ment unis  par  les  liens  des  convenances  ou  de  la 
nationalité  (Genève),  sous  la  dénomination  d'une 
même  Eglise,  ils  sout  toutefois  très-divisés  de  cœur 
et  d'esprit.  Ils  ne  forment  que  des  agrégations 
coalisées  par  l'intérêt  et  par  la  ;;o/<Yegz<e,  au  lieu  d'être 
des  commvnions  religieuses.  Oh  !  troupes  malheu- 
reuses, peuples  infortunés,  que  vous  êtes  à  plaindre 
sous  l'oppression  spirituelle  de  l'hérésie  !  Qu'il  serait 
cruel,  celui  qui  ne  sentirait  dans  le  cœur  aucune 
pitié  pour  vous  !  Vous  présentez  ce  spectacle  d'une 
multitude  d'infirmes  sans  médecins,  de  disciples  sans- 
maîtres,  d'affamés  sans  nourriture,  d'aiiérés  sans  ra- 
fraîchissements ,  d'enfants  sans  nourrices  !  Hélas  î 
héhis  !  vous  ne  pouvez  que  périr  !  Il  n'y  a  parmi 
^ous  ni  bergerie,  ni  troupeau,  ni  pasteurs  !  Tous  y 
sont  pasteurs  d'eux-mêmes,  ou  pasteurs  sans  brebis, 
ou  brebis  sans  pasteurs,  et  par  cela  même  vous  êtes 
sans  pâture,  sans  guide,  sans  défense  :  Erarit  sicut 
oves  non  habentes  pasforem. 

Observez,  mes  frères,  combien  est  différente  notre 


—  314  — 

condition,  à  nons  qui  appartenons  à  la  vraie  Eglise  ! 
Oh  !  combien  ils  sont  tenus  de  rendre  grâces,  ceux 
que  la  divine  bonté  fait  naître  dans  son  sein  ma- 
ternel !  Voyez  ce  peuple  dont  nous  parle  l'évangile 
de  ce  jour.  Dans  cette  multitude  d'environ  douze 
mille  personnes,  la  plupart  femmes  et  enfants,  il  n'y 
a  ni  confusion,  ni  tumulte.  Cette  foule  se  laisse  pai- 
siblement partager  en  centuries, et  chacune  de  celles- 
ci  obéit  et  se  place  sans  bruit  au  lieu  indiqué  par  les 
apôtres.  Personne  ne  murmure,  nul  ne  se  plaint  de 
ceux  qui  sont  servis  les  premiers.  Aucun  ne  craint 
qu'il  ne  reste  plus  rien  pour  lui-même.  Chacun  est 
assuré  de  recevoir  h  son  tour  sa  portion.  Ah  !  les 
apôtres  ont  parlé  à  ce  peuple  au  nom  de  Jésus-Christ; 
de  là  sa  docilité  entière,  son  obéissance  prompte,  sa 
confiance  parfaite.  Les  apôtres  distribuent  le  pain 
béni  de  la  grâce  et  de  l'amour  de  Jésus-Christ  ;  c'est 
pourquoi  personne  n'est  oublié,  personne  n'est  ex- 
clu, chacun  reçoit  et  mange  sa  part  de  la  nourriture 
miraculeuse  :  ^hmducaverunt  omnes.  Tous  en  mangent 
autant  que  chacun  en  a  besoin,  que  chacun  en  veut, 
que  chacun  en  demande  :  Quantum  volebant,  et  tous 
sont  contents,  fortifiés  et  rassasiés  :  Et  satiirati  sunt. 
Or,  voilà  l'image  de  l'Église  catholique,  de  la  vraie 
Église. 

Les  pasteurs  qui  la  gouvernent  sont  les  successeurs 
légitimes  des  apôtres;  ils  parlent  aux  peuples  ca- 
tholiques au  nom  de  Jésus-Christ,  qu'eux  seuls  peu- 
vent invoquer;  seuls  ils  exercent  son  autorité,  car 
seuls  ils  en  sont  revêtus  ;  et  ils  reçoivent  seuls  obc».-*- 


sance  des  peuples;  ils  maintiennent  un  ordre  admi- 
rable parmi  les  millions  de  catholiques  répandus  sur 
la  superficie  du  globe  et  divisés  en  tant  d'Eglises 
particulières.  Ils  en  forment  ainsi  une  seule  Eglise, 
une  seule  bergerie,  un  seul  troupeau  sous  un  seul 
pasteur,  le  vicaire  de  Jésus -Christ.  Où  Jésus-Christ 
est  présent  dans  la  personne  de  son  vicaire,  où  les 
apôtres  sont  présents  avec  Jésus-Christ  dans  la  per- 
sonne des  évoques  leurs  successeurs,  là  doit  de  toute 
nécessité  régner  Tordre,  l'unité,  l'harmonie,  et  il  j 
a  conséquemment  abondance  de  nourriture  et  de 
rafraîchissements  pour  tous. 

Que  nous  sommes  heureux  de  nous  trouver  en  si 
bonne  compagnie,  dans  notre  voyage  à  travers  le 
désert  de  cette  misérable  vie  !  Comme  les  prophètes 
l'avaient  aunoncé,  ce  désert  se  dépouille  à  notre 
égard  de  l'horreur  de  son  aspect  sauvage;  il  perd 
sa  stérilité  naturelle  et  se  change  en  un  champ  fer- 
tile, dans  lequel  la  grosse  abondance  des  fruits  va 
de  pair  avec  l'aménité  du  lieu  (1).  Nous  y  trouvons 
r.otre  pain  découpé,  notre  poisson  préparé,  si  bien 
que  les  femmes  et  les  petits  enfants  eux-mêmes, 
parvidi  et  midieres,  peuvent  s'en  nourrir  sans  diffi- 
ci'lié,  sans  effort.  Nous  possédons,  en  effet,  les  doc- 
iiiiies  de  la  foi,  les  secrets  des  divines  Ecritures, les 
;  romesses,  les  lois  de  Dieu,  les  oracles  réduits  à 
notre  taille,  formulés  clairement,  uniformément, 
avec  détails  dans  les  catéchismes  ,   dans  les  livres 

(1)  Déserta  in  civitatem  versa  (Isa.  v).  Pinguescent  specioia 
deserti  [Ps.  lxivj. 


—  31G  — 
de  piété,  dans  les  instruclioiis  et  les  sermons,  en 
sorte  que  les  personnes  les  plus  ignorantes,  les  in- 
telligences les  plus  rudes  peuvent  facilement  les 
apprendre.  Nous  recevons  cette  divine  nourriture 
des  mains  des  successeurs  des  apôtres  mêmes;  nous 
sommes  donc  certains  que  c'est  le  pain  et  le  poissow 
bénits  par  Jésus-Christ,  le  pain  du  froment  choisi 
sans  mélange  d'ivraie,  d'impostures  des  hommes: 
nous  savons  que  c'est  la  pure  doctrine  de  Jésus. 
Christ,  parce  que  les  apôtres  l'ont  reçue  et  apprise 
immédiatement  de  Jésus-Christ,  et  que  leurs  succes- 
seurs la  maintiennent  intacte,  telle  qu'ils  l'ont  reçue 
d'eux  ;  nous  sommes  sûrs,  en  un  mot,  que  nous  en- 
tendons la  véritable  parole  de  Dieu,  que  nous  sommes 
ses  vrais  disciples,  sa  seule  école  (1). 

Avec  la  nourriture  de  la  doctrine  céleste  nous 
avons  encore  en  abondance  celle  de  la  grâce.  Avec 
le  pain  de  V entendement,  nous  avons  encore  le  pain  do 
la  vie  dans  l'usage,  libre  pour  tous,  des  sacrements. 
Entrés  dans  cette  Eglise  par  le  Baptême;  nous  avons 
la  Pénitence,  pour  recouvrer  la  grâce  perdue  ;  nous 
avons  Y  Eucharistie,  dans  laquelle  nous  recevons  son 
auteur  même  ;  nous  avons  la  Confirmation,  qui  nous 
remplit  de  courage  durant  la  vie  ;  V Extrême-Onction, 
qui  nous  fortifie  à  la  mort  ;  le  31aria(je,  qui  sanctifie 
la  famille  ;  VOrdre^  qui  élève  et  perpétue  le  sacerdoce 
de  Jésus-Christ.  Comme  la  manne  du  désert  conve* 
nait  a  tous  les  goûts,  de  même  la  grâce,  dispensée 
par  les  sacrements,  est  adaptée  à  tous  les  besoins  de 

(1)  Docibiles  Dei  (Joan.  vi). 


—  317  — 
Thomme  spirituel  ;  elle  s'adapte  à  toutes  les  cora- 
plexions,  à  toutes  les  faiblesses  ;  c'est  le  baume  pour 
toutes  les  blessures,  la  médecine  de  toutes  les  infir- 
mités. 

Ce  n'est  pas  vainement  que  Jésus-Christ  a  dit  dans 
la  personne  des  apôtres,  à  leurs  successeurs,  à  nos 
évêques,  à  nos  pasteurs  :  «  Donnez  vous-mêmes  à 
manger  à  cette  foule  :  Vus  date  illis  manducare.  » 
Cette  parole  divine  a,  dans  l'Eglise  catholique,  un 
écho  toujours  durable  et  toujours  puissant.  Comme 
elle  rappelle  toujours  à  nos  pasteurs  l'obligation  qu'ils 
ont  de  nous  paître,  de  même  elle  iuspire  aux  fidèles 
la  confiance  qu'ils  le  seront  toujours.  Elle  lie  pour 
jamais  les  pasteurs  aux  brebis  et  les  brebis  aux  pas- 
teurs, par  les  chaînes  d'un  sentiment  spirituel.  Ainsi, 
dans  les  prêtres  zélés,  nous  en  possédons  qui  nous 
corrigent  quand  nous  faisons  mal,  qui  nous  cherchent 
quand  nous  sommes  égarés,  qui  nous  conseillent  dans 
les  doutes,  qui  nous  soutiennent  dans  les  tentations, 
qui  nous  consolent  dans  l'affliction,  qui  nous  guident 
quand  nous  sommes  incertains  de  I3  ^oute,  qui  nous 
assistent  dans  les  craintes  de  la  mort,  qui  nous  font 
échapper  à  l'enfer ,  qui  abrègent  nos  peines  dans 
le  purgatoire,  qui  nous  ouvrent  les  portes  du  ciel. 
Dans  rÉglise  catholique,  nul  danger  que  les  aliments 
spirituels  nous  manquent.  Les  sept  corbeilles  sont 
toujours  pleines,  les  dispensateurs  toujours  prêts,  le 
pain  et  le  poisson  toujours  préparés  :  nous  pouvons 
il  chaque  heure  manger,  nous  nourrir  de  la  céleste 
manne,  que  ce  soit  une  nécessité  ou  un  plaisir  pour 


—  3IS  — 
nous  (1).  Malheureux,  que  l'hérésie  a  séparés  de 
nous,  vous  mourez  de  faim  à  la  vue  de  cette  abon- 
dance do  la  maison  de  Celui  qui  fut  aussi  votre  Père, 
de  ces  aliments  inépuisables  où  se  rassasient  et  les 
âmes  sublimes  qui  prennent  rang  parmi  les  enfants 
choisis,  et  les  plus  humbles  serviteurs  de  Dieu  (2)  ! 
Ah  !  retournez  à  la  maison  paternelle  que  vous  avez 
abandonnée  pour  votre  malheur.  Venez  partager  les 
biens  patrimoniaux  dont  le  peuple  catholique  dis- 
pose en  maître,  comme  le  premier-né,  heureux  d'être 
toujours  resté  en  la  compagnie  de  sou  tendre  Père 
et  de  lui  avoir  toujours  obéi  (3).  Hâtez-vous  d'ac- 
courir à  la  table  commune  réparer  les  forces  que  vous 
avez  perdues  par  une  si  longue  abstinence  ;  il  y  a 
place  pour  tous  et  toujours.  Vous  mangerez  avec 
nous,  et  vous  serez  rassasiés  comme  nous  (4). 

SECONDE  PARTIE. 

Il  n'y  a  peut-être  rien  dans  l'Évangile  de  plus  tou- 
chant que  ces  paroles  prononcées  par  le  Sauveur 
dai'.s  ce  désert  :  «  Je  me  sens  mourir  de  compassion 
à  la  vue  de  cette  multitude  qui,  pour  me  suivre,  est 
restée  trois  jours  sans  manger,  et  n'a  point  de  nourri- 

(1)  Et  manducaverunt  omnes    quantum  volebant,  et  saturati 
sunt  {Luc.  IX,  17). 

(2)  Quanti  mercenarii  in  domo  patris  mei  abundant  panibus  ; 
ego  autem  hic  famé  pereo. 

(3)  Tu  semper  mecum  es,  et  oraaia  mea  tua  sunt. 

(4)  Et  manducaverunt  omue»,  quantum  volebant,  et  saturati 
uut  U'Oco  cit.). 


—  319  — 
turc  pour  se  restaurer.  Ah!  je  ne  peux  cousentir  à 
ce  qu'elle  se  retire  dans  ce  dénûment  ;  elle  tomberait 
en  chemin  de  faiblesse  (I).  »  Nous  connaissons,  mes 
frères,  par  ces  paroles  du  Sauveur  de  quelle  trempe 
est  son  cœur.  Ce  doux  Jésus  ne  renvoie  personne 
sans  le  soulager.  Ah  !  fasse  le  Ciel  que  tous  les  hommes 
accourent  à  ses  pieds  !  Comme  il  les  accueillerait  avec 
bonté,  les  nourrirait  de  sa  grâce,  les  enivrerait  de 
son  amour  (2)  !  Le  Sauveur,  dit  saint  Ambroise,  nous 
a  révélé  par  cette  tendresse  pour  le  peuple  juif  qui 
le  suivait,  son  ardent  désir  de  guérir  les  infirmités 
du  peuple  chrétien.  Dès  cette  heure  il  bénit  et  brise 
le  pain  de  la  doctrine  et  des  sacrements  ;  il  multiplie 
ce  pain  divin  dans  les  mains  des  successeurs  des 
apôtres  ;  il  leur  ordonne  de  le  distribuer  à  tous  sans 
exclusion  ;  il  est,  dès  cette  heure,  le  restaurateur  et 
le  père  de  tous  (3).  Si  donc  nous  sommes  faibles,  si 
le  plus  léger  choc  de  la  tentation  nous  abat  ;  si 
nous  nous  sentons  oppressés  par  la  langueur  spiri- 
tuelle, incapables  de  nous  tenir  sur  pieds,  ne  pou- 
vant que  tomber  sur  notre  route  si  souvent ,  que 
le  nombre  de  nos  chutes,  dans  la  carrière  de  la  vie, 
est  égal  au  nombre  de  nos  pas,  à  qui  devons-nous  attri- 
buer la  cause  de  tant  de  misères?  Ce  n'est,  certes,  pas 

(1)  Misereor  super  turbas  ;  quia  ecce  jam  triduo  persévérant 
mecum,  et  non  habent  quod  manducent,  et  dimittere  eos  jejunos 
nolo,  ne  deflciant  in  via. 

(2)  Cbristus  neminem  jéjunum  dimittit  :  omnes  enim  viilt  sua 
gratta  enutriri  (Theopb.,  Expos.). 

(3)  Dividit  esca»  Dominus  Jesu»  :  vult  dare  omnibus,  negat  ne- 
mini.  Dispensator  enim  est  omnium  (Ambr.,  Expos,). 


—  320  — 
à  la  divine  bonté  qui,  dans  l'Église  calholique  où  elle 
nous  a  réunis,  et  par  les  malus  de  ses  ministres  pour 
nous  le  luire  distribuer,  préparc  toujours  raliment  de 
sa  grâce,  source  de  toute  force  et  de  toute  vigueur. 
C'est  notre  faute  à  nous  seuls,  puisque  nous  ne  vou- 
lons pas  même  nous  donner  la  peine  d'étendre  la 
main  pour  recevoir  la  nourriture  qui  nous  est  si  li- 
béralement offerte  (1). 

Si  les  hérétiques  sont  coupables  de  ne  pas  accou- 
rir du  sein  de  leurs  Églises  menteuses  "vers  l'unique 
Église  dispensatrice  de  la  vérité  et  de  la  grâce  dont 
ils  sont  privés,  combien  sont  plus  coupables  lescatlio- 
liques  qui  les  ontsiprèsd'eux,et  ne  s'en  soucient  pas; 
qui  les  trouvent  partout  sous  leurs  mains,  et  les  mé- 
prisent :  ils  ont  la  faculté  d'entendre  la  parole  de 
Dieu,  et  ils  ne  l'écouteut  point  ;  de  recevoir  les  sacre- 
ments, et  ils  ne  les  fréquentent  pas  !  Hélas  !  il  y  a  pour 
ainsi  dire  dans  chaque  contrée  catholique  deux  con- 
trées différentes.  A  côté  de  la  mystique  cité  de  Dieu 
édifiée  par  l'amour  divin,  se  trouve  la  cité  du  démon 
fondée  par  l'amour  propre  de  l'homme.  Jérusalem 
renferme  Ninive  et  Babylone,  les  pécheurs  et  le 
peuple  élu,  les  vrais  chrétiens,  les  témoins  vivants  de 
la  sainteté  de  la  loi  et  de  la  vérité  de  la  foi!  Ce 
peuple  saint  et  exemplaire  fréquente  les  églises,  par- 
ticipe aux  sacrements,  suit  avec  une  admirable  dévo- 
tion et  une  constance  invincible  toutes  les  pratiques 


(1)  Sed  cum  illo  panes  fraTic;it,  et  dat  discipulis,  si  tu  manus 
non  extfndis  luas  m  act-ipias  tiln  cscias,  delicies  in  via,  nec  po- 
leris  in  eum  culpam  j'elen'c  (^hl.  iiiid.). 


—  321  - 
delà  religion,  et.  exerce  toutes  les  œuvres  delà  cha- 
rité. Mais,  hélas,  si  le  peuple  pécheur  qui  vit  à  ses 
côtés,  se  dit  catholique;  en  vérité  il  n'appartient  pas 
à  l'esprit  de  l'Église  catholique,  il  en  est  au  contraire 
le  déshonneur.  Profane  dans  ses  pensées,  libre  dans 
ses  discours,  léger  dans  ses  jugements,  corrompu 
et  efféminé  dans  sa  manière  de  vivre,  il  a  l'esprit 
rempli  des  préjugés  et  des  maximes  du  monde  ;  il 
ignore  les  priiicipes  de  la  rehgion.  Comblé  de  vices, 
pauvre  de  vertus,  vous  le  voyez  accourir  en  foule 
aux  divertissements,  aux  jeux,  aux  parties  de  plaisir, 
aux  proraeuades,  aux  spectacles.  Il  ne  va  aux  églises 
que  pour  les  profaner  par  le  luxe  de  ses  habits,  par 
la  licence  de  son  babil,  par  Teffronterie  de  ses  re- 
gards, par  l'indécence  de  sa  tenuc^,  par  le  scandale 
de  ses  irrévérences,  parle  sacrilège  de  son  irréligion. 
n  reste  donc  à  jeun  au  milieu  de  l'abondance,  do 
la  profusion  de  la  nourriture  spirituelle  et  de  tant  de 
moyens  d'édification  et  de  salut  ;  c'est  pourquoi  il  est 
toujours  faible,  il  rampe  sur  terre,  et  peut-être  git- 
il  honteusement  dans  la  fange  de  tous  les  crimes. 

Ah  !  pauvres  misérables!  Il  viendra  aussi  pour  vous 
cet  instant  terrible  où,  dans  la  solitude  de  votre  mé- 
rite absent,  seuls  avec  l'infâme  cortège  de  vos  vices, 
vous  vous  présenterez  au  tribunal  de  Jésus-Christ. 
]Nul  de  vous  ne  pourra  se  soustraire  à  sou  terrible 
appel  (1).  Jésus-Christ  vous  dira  donc,  comme  vous 
l'assure  saint  Ainbroise  :  Et  vous  aussi,  cnlholiqao, 
vous  aussi  ecclésiastique,  religieux,  vous  vous  trouvez 

[l^  Omnes  nos  transite  oportot  anto  Iribunn!  Cliristi  (II.  Cor.). 
II.  21 


—  32-2  — 
devant  moidaiisratliLiidcdupOclieur  cl  ducoupablc? 
Quoi  !  n'éliez-vous  pas  dans  mon  Eglise,  ne  vous  eu 
avais-je  pas  fait  nombre  sans  mérite  aucun  de  votre 
part,  ne  vous  avais-je  pas  comblé  de  toutes  mes 
grâces?  Ne  vous  ai-je  pas  laissé,  préparé  en  abon- 
dance, le  pain  de  ma  doctrine  et  de  mes  sacrements? 
Mes  ministres  ne  furent-ils  pas  toujours  prêts  i\  vous 
le  partager  selon  mes  ordres?  Pourquoi  donc  votre 
nudité  spirituelle  ?  Pourquoi  votre  vie  entière  n'a-t- 
cllc  été  qu'un  tissu  de  scandales  et  de  péché,  sinon 
parce  que  vous  avez  refusé  les  dons  de  ma  libéralité 
et  démon  amour, et  parce  que, de  tant  de  moyens  que 
je  vous  avais  fournis  pour  votre  salut,  vous  n'avez  pas 
voulu  en  choisir  un  seul  pour  vivre  en  chrétien  (I)? 
Eh  bien,  vous  n'avez  pas  voulu  de  ma  grâce,  vous 
n'aurez  pas  non  plus  de  ma  gloire.  Vous  avez  refusé 
le  pain  de  ma  bénédiction  et  de  ma  miséricorde, 
vous  brûlerez  au  feu  de  ma  malédiction  et  de  ma 
justice.  Yous  préférâtes  servir  le  démon  comme  un 
maître;  qu'il  soit  à  présent  votre  bourreau!  Vous 
avez  fidèlement  suivi  ses  inspirations,  allez  main- 
tenant partager  son  châtiment.  Vous  avez  méprisé 
mon  paradis,  voilà  l'enfer  ouvert  sous  vos  pieds;  ce 
sera  votre  éternelle  demeure  (2), 

Ah  !  chrétiens,  devenons  sages  taudis  qu'il  en  est 
temps  encore.  Persuadons-nous  bien  que  notre  Dieu 


(1)  Nonne  panes  fregi?  Nonne  jiissi  dari?  Qua  ergo  ratione 
defecisti  in  via?  Quia  accipere  noluisti  (Ambr.,  Expos.). 

(2)  Discede  a  me,  maledicte,  in  ignem  œtcrnuni,  qui  paratus 
est  diabolo  et  angclis  ejus  {Matth.). 


—  323  — 
est  un  Dieu  dont  la  justice  est  infinie  comme  sa  misé- 
ricorde ;  on  ne  méprise  pas  impunément  les  privi- 
lèges, les  grâces  dont  il  nous  a  comblée  dans  l'Eglise. 
Soyons  bien  certains  que  notre  jugement  sera  mille 
fois  plus  sévère  que  celui  des  peuples  malheureux 
nés  dans  le  sein  du  paganisme^  du  mahométisme,  de 
l'hérésie  ;  que  notre  enfer  sera  d'autant  plus  atroce, 
que  les  moyens  mis  à  notre  disposition  pour  l'éviter, 
ont  été  plus  extraordinaires,  plus  efficaces  et  plus 
abondants  ;  et  n'oublions  pas  que  la  grandeur  et  la 
profusion  des  bienfaits  dont  Dieu  nous  comble  à 
présent,  sera  la  mesure  terrible  de  ses  châtiments. 
Pensons  donc  que  nous  avons  une  mort  à  subir,  un 
compte  strict  à  rendre,  une  âme  à  sauver.  Allons 
souvent  écouter  la  parole  divine  ;  fréquentons  les 
sacrements,,  profitons  de  la  grâce  que  le  Seigneur 
nous  offre  à  présent  avec  tant  de  libéralité,  afin  que, 
fortifiés,  raffermis  par  cette  divine  nourriture,  nous 
puissions,  comme  Elle,  marcher  sans  danger  jusque 
vers  la  céleste  montagne  et  parvenir  à  la  gloire  du 
ciel  (1).  Ainsi  soit-il! 


(1)  Et  ambulavit  in  fortitudine  cibi  hujus  usque  ad  moulem 
Dei. 


VINGT-TROISIÈME  HOMÉLIE. 


La  Samaritaine  (1), 

ou 

LE   MYSTÈRE    DE  LA   GRACE. 

{Joan.  YI,  5-42). 

Attingil  a  fine  usque  ad  linem  fortiter,  et 
disponit  omuia  suaviter.  (Sapiem.  viii). 

Quel  admirable  langage  que  celui  des  livres  saints! 
Par  ces  deux  paroles  de  la  Sagesse,  l'Ecriture  nous  a 
révélé  avec  une  clarté  parfaite  et  une  élégante  beauté 
d'expression  le  mystère  de  l'action  de  Dieu  sur  le 
cœur  de  l'homme,  en  un  mot,  l'incomparable  mystère 
de  la  grâce.  En  effet,  cette  divine  Sagesse  nous  dit 
équivalemment  où   l'action  de  la   créature   exclut 

(I)  Après  qii'Hérode  eut  emprisonné  saint  Jean,  qui  le  repre- 
nait de  sa  vie  incestueuse,  Jésus-Christ,  qui  avait  abandonné  la 
Judée,  se  dirigea  pour  la  seconde  fois  vers  cette  l'égion.  Ces 
doux  provinces  étaient  séparées  par  celle  de  Samarie.  Ce  fut  en 
traversant  ce  royaume  que  le  Sauveur  opéra  le  miracle  si  tou- 
chant de  la  conversion  de  la  Samaritaine  et  de  plusieurs  de  ses 
concitoyens,  qui  crurent  au  Messie.  Ce  fait  arriva  au  mois  de 
janvier,  en  l'an  31  de  l'âge  du  Sauveur  et  avant  sa  prédication 
publique.  Saint  Jean  seul  raconte  cette  admirable  histoire  qu'on 
lit  le  mercredi  après  le  troisième  dimanche  de  Carême. 


—  325  — 
l'amour,  si  elle  s'appuie  sur  la  force  ;  ou  elle  n'obtient 
pas  les  conquêtes  étendues  et  rapides  de  la  force,  si 
elle  a  recours  à  l'amour  :  l'action  seule  du  Créateur 
entraîne  puissamment  d'une  limite  du  monde  moral 
à  l'autre,  du  \'ice  à  la  vertu,  delà  terre  au  ciel  l'âme 
humaine,  mais  sans  lui  faire  violence;  et  l'amour  et 
la  force,  deux  choses  si  contradictoires  entre  elles, 
se  concilient  avec  une  parfaite  harmonie  dans  cette 
action  divine  ;  elles  s'y  trouvent  admirablement  unies 
ensemble  ;  Attingit  a  fine  usque  ad  finem  fortiter,  et 
disponit  omnia  siiaviter.  L'action  divine  sur  l'homme 
le  conduit  donc  où  elle  veut,  mais  sans  le  dépouiller 
de  sa  liberté  ;  elle  opère  en  lui,  et  elle  lui  laisse  tout  le 
mérite  de  son  œuvre;  elle  semble  ne  rien  lui  refuser, 
et  elle  en  obtient  tout  ;  elle  seconde  ses  inclinations, 
et  elle  lui  fait  aimer  la  volonté  du  ciel  ;  elle  lui  cède, 
et  elle  l'attire;  elle  lui  obéit,  et  elle  le  domine;  elle 
se  soumet  à  lui  en  quelque  sorte,  et  elle  s'en  rend 
maîtresse.  Précieuse  servitude  qui  rend  l'homme 
prisonnier  de  Dieu  !  Délicieux  esclavage  dans  lequel 
les  chaînes  donnent  la  liberté  ;  servitude  glorieuse, 
obéissance  dominatrice ,  car  l'amour  et  la  force  y 
conspirent  si  bien  ensemble,  que  le  premier  ne  dimi- 
nue en  rien  les  conquêtes  de  la  dernière,  et  que  celle- 
ci  n'enlève  rien  au  charme,  à  la  suavité  de  sa  com- 
pngne  :  un  amour  violent  et  une  violence  amoureuse, 
une  suavité  forte  et  une  force  suave  triomphent  de 
tout  sans  rien  détruire! 

C'est  ici,  mes  chers  frères,  le  grand  mystère  de  la 
grâce  que  l'incrédule  nie,  parce  qu'il  ne  ie  connaît 


—  326  — 

pas;  que  riiéréliqiic  blaspliômc,  parce  qu'il  le  connaît 
mal,  et  que  le  seul  catholique  croit  et  houorc,  parce 
que  l'Eglise  le  lui  présento  dans  toute  la  pureté  de  sa 
vérité  et  dans  tous  les  charmes  de  sa  beauté.  Ne  me 
demandez  pas  ce  qu'il  est  :  si  c'est  l'attrait  irrésistible^ 
si  c'est  la  délectation  victorieuse  ;  je  ne  saurais  vous  le 
dire,  parce  que  c'est  un  mystère  et  un  grand  mystère. 
Mais  il  a  plu  à  Dieu,  qui  en  est  l'auteur,  de  nous  faire 
voir,  dans  la  conversion  de  la  Samaritaine,  comment 
la  grâce  opère  sur  le  cœur  et  comment  elle  parvient 
aux  conquêtes  de  la  force,  sans  employer  d'autres 
armes  que  celles  de  la  douceur  et  de  l'amour  (1). 
Etudions  cette  belle  et  importante  leçon  dans  le  ta- 
bleau tracé  de  main  de  maître,  par  saint  Jean,  dans 
l'évangile  de  ce  jour.  Voyons  comment  Jésus-Christ 
appelle  la  Samaritaine,  la  convertit,  la  sanctifie  et  la 
couronne,  afin  que  nous  apprenions  à  correspondre 
à  l'appel  divin,  pour  en  obtenir  les  mêmes  effets  et 
les  mêmes  récompenses, 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Etait-il  nécessaire  que  l'évangéliste  commençât, 
pour  raconter  ce  magnifique  prodige,  par  dire  qu'il 
arriva  dans  la  cité  célèbre   de  Sichar   ('2),  dans  le 


(1)  Attingit  a  fine  usque  ad  fînem  fortiter,  et  disponit  omnia 

suaviter. 

(2)  C'est  la  ville  de  Sichem,  appelée  par  corruption  Sichar.  Au 
temps  d'Alexandre-le-Grand,  elle  s'appelait  Néapolis;  aujourd'hui, 
elle  se  nomme  Pelouse  ou  Napelov.se.  Celte  villeest  célèbre  dans 
l'Ecriture.  Saint  Jérôme  pense  que  c'est  la  même  que  Salem,  ùoiii 


—  327  — 

domaine  même  que  le  patriarche  Jacob  avait  légué  à 
son  fils  Joseph,  dix-huit  siècles  auparavant,  auprès  de 
a  fo  ntaiue  appelée,  pour  cette  raison,  la  fontaine  dt 
Jacob  (1)? Pourquoi  nous  faire  connaître  cette  autre 
circonstance,  ajoutant  que  le  Sauveur,  fatigué  de  son 
voyage,  s'assit  près  de  la  source,  vers  la  sixième  heure 
du  jour,  c'est-à-dire  à  midi  (2)*^  C'est  que,  si  ces  cir- 
constances ne  sont  pas  d'un  grand  intérêt  pour  l'inté- 
grité de  l'histoire,  elles  sont  cependant  très -impor- 
tantes pour  l'intelligence  et  pour  l'unité  du  mystère. 
D'ailleurs,  en  voyant  la  diligence  avec  laquelle  saint 
Jean  les  signale,  nous  devons  comprendre,  dit  saint 
Augustin,  qu'il  s'agit  ici  d'un  grand  événement,  et 
être  attentifs  aux  plus  petites  particularités,  pour  tâ- 
cher de  le  comprendre  (3).  Premièrement  les  pro- 
phètes, même  l'archange  Gabriel,  avaient  dit,  en  an- 

Molchisédech  était  roi.  C'est  dans  cette  ville  qu'Abraham,  en  re- 
venant de  la  Mésopotamie,  éleva  un  autel  au  vrai  Dieu  et  qu'il 
reçut  la  promesse  de  posséder  un  jour  cette  terre.  Jacob  y  acheta 
la  terre  qu'il  légua  ensuite  à  Joseph  et  où  il  se  fixa  jusqu'au 
massacre  que  ses  fils  firent  des  habitants  de  Sichem,  ce  qui  l'o- 
bligea à  quitter  cette  région.  «J'rfst  là  que  Joseph  fut  enseveli- 
Josué  la  déclara  ville  de  refuge.  Jéroboam  eu  fit  la  capitale  du 
royaume  de  Samarie,  quand  il  eut  arraché  les  dis  tribus  à  l'obéis- 
sance de  l'insensé  Roboam.  Mais  cette  ville  doit  sa  plus  grande 
célébrité  au  miracle  que  le  Fils  de  Dieu  y  opéra  quand  il  conver- 
tit la  Samaritaine  et  un  grand  nombre  de  ses  concitoyens. 

(1)  In  civitatem  Samariœ,  quœ  dicitur  Sichar,  juxta  praedium 
quod  dédit  Jacob  Joseph  filio  suo;  erat  autem  ibi  fons  Jacob 
{Joan.  lY,  5,  6). 

(2)  Jésus  ergo  fatigatus  ex  itinere,  sedebat  sic  supra  fontem. 
Hora  erat  quasi  sexta  (Loco  cit.). 

(3)  Hœc  omnia  innuuut  aliquid;  attentes  nos  faciunt,  et  ut 
pulsemus  hortantur  (Aug.,  Tract.  20  in  Joan.). 


—  3-28  — 
nonçant  l'incarnation  et  la  naissance  du  Messie,  qu'il 
rôLçnerait  élcrncllement  sur  la  maison  de  Jacob  (1), 
c'c'st-à-dirc  dans  TEglisc,  comme  l'expliquent  unani- 
mement les  Pores  et  les  interprètes.  L'Eglise  est,  eu 
effet,  la  vraie  maison  de  Jacob;  car  elle  est  née  de  Jé- 
sus-Christ, de  Marie  et  dos  Apôtres,  tous  juifs  d'ori- 
gine et  descendants  de  ce  patriarche  :  elle  commence 
sur  la  terre ,  et  elle  durera  étcrnellemeiit  dans  les 
cieux.  L'Évangélistc,  en  disant  que  la  conversion  de  la 
Samaritaine  arriva  dans  le  domaine  légué  à  Joseph, 
auprès  d'une  fontaine  d'eau  vive,  a  voulu  nous  indi- 
quer que  les  conversions  s'opèrent  dans  l'Eglise  don- 
née par  Dieu  en  héritage  à  son  Fils  Jésus-Christ;  que 
la  fontaine  des  eaux  vives  de  la  grùce  se  trouve  uni- 
quement dans  cette  terre  divine  où  Jésus  s'est  assis, 
où  il  demeure,  comme  il  l'assure  par  ces  paroles  :  «  Je 
suis  et  serai  avec  vous  jusqu'à  la  fin  des  siècles  (2).  » 
L'écrivain  sacré  remarque  que  ce  champ  et  cette 
fontaine  étaient  près  de  Sichar,  capitale  du  royaume 
de  Samarie,  qui,  depuis  sa  séparation  d'avec  Juda, 
par  l'altération  successive  des  saintes  Ecritures  et 
des  traditions,  était  devenu,  au  temps  de  Jésus- 
Christ,  à  moitié  idolâtre.  Saint  Jean,  en  rappelant 
cette  vérité,  enseigne  que  si  le  champ  et  la  fontaine 
de  Jacob,  acquis  par  les  patriarches,  pour  leur  foi 
ardente,  avaient  été  enlevés  aux  Juifs,  pour  le  péché 
de  ces  derniers,  pour  l'infidélité  obstinée  des  fds  de 
Jacob,  le  royaume  de  Dieu,  ou  l'Eglise,  la  source 

(11  Et  regnabit  in  domo  Jacob  in  aeternum  {Luc.  i). 

(2)  Ecce  ego  vobiscum  sum  usque  ad  consummationem  s;Eculi. 


—  329  — 
des  grâces,  devait  passer  sous  peu  des  mains  des 
Juifs  dans  celles  des  Gentils  (1).  Cette  Samaritaine, 
cette  étrangère  à  Jérusalem  ,  cette  fdle  d'une  ville, 
schisraatique  et  idolâtre ,  qui  se  convertit  à  Jésus- 
Christ  est,  dit  saint  Augustin,  la  figure  de  notre 
Eglise,  avant  son  état  de  justice  et  de  sainteté,  de 
notre  Église  fondée  par  la  conversion  des  Gentils  (2). 
L'évangéliste  remarque  enfin  que  Jésus-Clnnst  ne 
s'assit  auprès  de  la  fontaine  symbolique  que  lorsqn'il 
fut  harassé  de  la  fatigue  du  chemin  ,  et  seulement 
vers  la  sixième  heure.  Or,  ce  chemin  qui  fatigua  le 
Christ,  continue  saint  Augustin,  c'est  sa  vie  mortelle 
supportée  par  l'humanité  qu'il  nous  avait  empruntée  ; 
car,  comme  Dieu,  il  est  partout,  infatigable  et  ne  passe 
pas  d'un  lieu  dans  un  autre.  Quand  donc  il  voyage, 
c'est  comme  homme,  sous  les  formes  visibles  avec 
lesquelles  il  est  venu  à  nous.  Ainsi  celui  qui,  fatigué 
de  son  voyage,  se  repose  vers  la  sixième  heure,  c'est  le 
Sauveur  adorable  qui,  infirme  et  faible  par  la  misère 
de  notre  chair,  devait,  vers  la  sixième  heure,  s'é-, 
tendre  sur  la  croix  comme  pour  s'y  reposer  (3). 

(1)  Ex  commemoratioue  foutis  et  prœdii  odocemur,  quod  ea 
quse  patriarclise  propter  fidom  adepti  sunt,  Jndœi  prreter  impieta- 
tem  perdideruiit,  et  eorum  loco  gcntibus  tradita  sunt.  Quare 
nibil  novi  niinc  accidit,  quod  Gentiles  pro  Judœis  regnuiii  cœlo- 
rum  consecuti  sint  (Tlieoph.,  Expos.). 

(2)  Hœc  mulier  est  forma  Ecclesiœ  non  justificatte  sed  justifi- 
candae,  quaî  ventura  erat  de  gentibus  et  aliéna  a  génère  JudaeC" 
rum  (Beda,  ihid.). 

(.3)  Iter  ipsius  est  caro  pro  nobis  assumpta.  —  Qui  cnim  ubique 
est,  que  it?  nisi  quia  non  ad  nos  veniret,  nisi  forinam  visibilis 
carnis  assumeret.  —  Fatigalus  ab  itinere,  nibil  abud  est,  nisi  fa- 
tigatus  in  carne  (Aug.,  loco  cit.). 


—  330  — 

Que  ce  mystère  est  beau  !  Si  Jésus-Christ  ne  se  fa- 
tigue pas,  il  ne  s'assied  pas  vers  l'heure  de  acxte  près 
de  la  fontaine;  cette  eau  n'a  aucune  cfïicacilé,  et  la 
Samaritaine  ne  se  convertit  point.  Ainsi  la  suavité,  la 
force  de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  rcfficacité  de  ses 
sacrements  viennent  de  ses  fatigues,  c'est-à-dire  de 
sa  vie  laborieuse,  humble,  pénitente,  de  sa  passion 
et  de  sa  mort  sur  la  croix.  Et  c'est  de  cette  croix, 
des  plaies  cruelles  du  divin  Crucifié,  que  jaillissent 
les  sources  miséricordieuses  où  toutes  les  nations, 
figurées  par  la  Samaritaine,  sont  venues,  pleines  d'al- 
légresse, puiser  les  eaux  mystérieuses  du  salut  (I). 

Jésus-Christ,  reprend  saint  Augustin,  est  fort  et  il 
est  faible  :  il  est  fort,  parce  qu'il  est  le  Yerbe  de 
Dieu;  il  est  faible,  parce  que  ce  Verbe  de  Dieu  s'est 
fait  homme.  La  force  de  Jésus-Christ  nous  a  créés; 
sa  faiblesse  nous  a  rachetés.  Il  a  créé  le  monde  par 
la  puissance  de  sa  parole,  il  a  fait  que  ce  qui  n'était 
pas  fut  ;  il  a  restauré  le  monde  par  les  tourments  de 
son  humanité  ;  il  a  fait  que  ce  qui  était  ne  tombât 
pas  eu  ruine.  Oh!  précieuse  fatigue  de  notre  Sau- 
veur, ajoute  le  même  Père!  nous  lui  devons  toute 
notre  vigueur  ;  quand  nous  en  sommes  abandonnés, 
nous  devenons  faibles,  et  si  nous  lui  sommes  unis, 
nous  devenons  robustes  et  forts.  Sa  fatigue  nous  dé- 
lasse, sa  peine  nous  récrée,  son  épuisement  nous  for- 
tifie, son  infirmité  nous  guérit,  sa  mort  nous  rend  la 
vie  (2). 

(1)  Haurietis  aquas  in  gaiidio  de  fontibns  Salvatoris  {Isa.  xn). 

(2)  Invenieâ  Jesuiu  forlcm  et  infirmum  :  fortem,  quia  vei'bum 


—  331   — 

Admirable  économie  des  divines  Écritures!  Dans 
la  présente  histoire,  il  s'agit  de  Faction  de  la  grâce 
sur  lame,  et  TEsprit-Saint  commence  par  nous  indi- 
quer :  1°  la  source  de  cette  grâce,  c'est-à-dire  la  fa- 
tigue ou  la  mort  de  Jésus-Christ  ;  2"  le  lieu  où  elle 
se  trouve,  c'est-à-dire  la  vraie  Église;  3"  les  per- 
sonnes auxquelles  elle  est  gratuitement  accordée, 
c'est-à-dire  les  Gentils,  étrangers  au  peuple  choisi, 
c'est-à-dire  l'univers  entier.  Tels  sont  les  caractères 
essentiels,  les  qualités  générales  de  la  grâce  ;  consi- 
dérons maintenant  en  détail  son  action,  en  même 
temps  forte  et  suave,  sur  l'âme  humaine. 

Le  Sauveur,  exténué  de  fatigaè  comme  homme, 
s'était  assis  près  de  la  fontaine  de  Jacob  (1);  et  voici 
venir  de  la  ville  voisine,  de  Sichar  la  schismatique, 
pour  puiser  de  l'eau  à  la  même  fontaine,  une  femme 
appelée  Photine  (2),  veuve,  de  mœurs  mauvaises  et 
d'une  réputation  pire  encore  (3).  Comme  les  femmes 
ses  pareilles,  elle  est  arrogante  de  ton,  impudente 

Dei;  infirmum,  quia  Verbum  caro  factum  est.  —  Fortitudo  Christi 
te  creavit  ;  infirinitas  Christi  te  recreavit.  —  Fortis  fecit  ut  esset 
quod  non  erat  ;  infirmiis  fecit,  ut  quod  erat  non  periret.  —  Non 
frustra  fatigatur  per  qucm  faligati  recreantur;  quo  deserente 
fatigamnr,  quo  prœsonte  firmamur  (Aug.,  loco  cit.). 

(1)  Faligatus  ex  itiuere  sedsbat  sic  supra  foutem. 

(2)  On  lit  dans  le  Martyrologe  romain,  le  20  mars  :«  Le  même 
jour  est  la  fête  des  saints  Photine  la  Scwiaritaine  ;  Jose-ph  et  Vic- 
tor, ses  fils;  Sébastien,  capitaine;  Anatole,  Pliocie,  Photis,  Paras- 
cève  et  Cyriaque,  ses  sœurs,  qui  tous  confessèrent  Jésus-Christ  et 
subirent  le  martyre.  »  Le  même  jour,  on  lit  les  mêmes  paroles 
dans  le  Mênéloge  des  Grecs  et  dans  un  très-antique  Martyrologe 
du  Mont-Cassin. 

(3)  Venit  mulier  de  Samaria  haurire  aquam  (JoaJi.  iv,  7). 


—  332  — 
de  regards,  libre  de  manières,  indécente  dans  ses  ha- 
bits; toute  sa  personne  inspire  la  hibricité.  Ne  refu- 
sez pas,  âmes  candides  et  cliasles,  de  la  considérer 
quelque  peu;  car  il  ne  déplaît  pas  au  Dieu  de  pureté 
de  lier  conversation  avec  elle.  En  effet,  lorsqu'elle 
avait  déjà  rempli  ses  vases  d'eau  (1),  lorsqu'elle  par- 
tait, ne  se  doutant  pas  de  l;i  i>ràce  qu'elle  fujait,  ni  du 
bonheur  qui  l'attendait,  le  Sauveur  l'arrête  en  che- 
min et  lui  dit  de  sa  voix  suave  :  «  Femme,  j'ai  soif  : 
ne  me  donnerais-tu  pas  un  peu  d'eau  (2)?  »  A  cette 
demande  inattendue,  Photine,  impatiente  et  surprise, 
répond  :  «  Quoi!  un  Juif  me  demande  à  boire,  à  moi 
qui  suis  Samaritaine?  Ne  devrais-tu  pas  te  rappeler 
qu'il  n'y  a  rien  de  commun  entre  nous  (3)?  «  Il  n'y 
avait,  en  effet,  qu'un  schisme  profond  et  une  haine 
réciproque  de  communs  entre  les  deux  peuples,  au 
point  que,  pour  eux,  c'était  un  sacrilège  de  se  servir 
réciproquement  des  mêmes  vases  ou  des  mêmes  us- 
tensiles (4).  Mais  le  Sauveur,  en  manifestant  ses  be- 
soins à  cette  femme,  nous  fit  connaître,  dès  ce  mo- 

(1)  Tout  puits  est  fontaine,  remarque  à  ce  sujet  saint  Augus- 
tin, mais  chaque  fontaine  n'est  pas  un  puits.  Toute  eau  qui  sort 
de  la  terre  et  à  laquelle  on  peut  puiser,  s'appelle  fontaine;  mais 
si  la  source  est  à  la  surface  du  sol,  on  l'appelle  simplement  fon- 
taine ;  si  elle  est  profonde,  on  l'appelle  puits,  et  en  même  temps 
elle  conserve  aussi  le  nom  de  fontaine.  Voilà  pourquoi  ce  puits 
que  Jacob  avait  fait  creuser  en  ce  lieu  pour  l'usage  de  sa  famille 
et  des  siens  s'appelle,  dans  l'Evangile,  tantôt  puits,  tantôt  fon- 
taine (Aug.,  Tract.  25  in  Joan.). 

(2)  Mulier,  da  milii  bibere  {klem.). 

(3  Q  lomodo  tu  Jiidœus  cum  sis,  bibere  a  me  poscis,  quœ  sum 
mulier  Samaritana  (Ihid.)1 

^4)  Non  euim  coutuntur  Judaei  Samaritanis  {Ihid.). 


—  333  — 
ment,  qu'il  anéantissait  les  scrupules  religieux  qui 
séparaient  les  Juifs  des  Gentils,  qu'il  en  ferait  une 
seule  nation,  et  que  tous  les  peuples,  sans  distinction 
d'origiue  ni  de  mœurs,  en  signe  de  l'unité  de  la  foi, 
devaient  boire  au  calice  consacré  par  ses  lèvres  di- 
vines. 

Mais  comment  le  Sauveur,  la  fontaine  des  grâces, 
peut-il  éprouver  la  soif,  dit  saint  Ambroise?  C'est 
que  Jésus-Christ  a  soif  de  notre  salut,  de  la  rédemp- 
tion des  hommes  (I).  Saint  Augustin  dit  à  son  tour  : 
La  soif  du  Sauveur  provient  plus  de  son  cœur  que  de 
sa  bouche.  Il  ne  désire  pas  l'eau  de  la  Samaritaine, 
mais  sa  foi,  parce  que  ce  Dieu  a  soif  de  la  foi  de  tous 
ceux  pour  lesquels  il  a  versé  son  sang  (2). 

Que  signifie  donc  cette  demande  de  Jésus-Christ  à 
la  Samaritaine  qui  part  déjà?  C'est,  continue  le  même 
docteur,  la  divine  bonté  qui  s'offre  la  première  à 
l'homme  qui  ne  pense  pas  à  elle  et  ne  la  cherche 
point  (3)  ;  c'est  la  grâce  qui  va  sur  les  traces  de  la 
créature  s'éloignaut  de  Dieu  :  elle  fait  les  premières 
démarches,  l'appelle,  court  pour  l'arrêter  dans  le 
chemin  de  la  perdition.  Sans  cela,  dit  saint  Bernard, 
l'homme  ne  chercherait  jamais  Dieu  et  ne  penserait 
jamais  à  lui  (4).  Donc,  la  grâce  est  entièrement  gra- 

(1)  Non  poterat  fons  sitire. —  Sitiebat  plane  non  potum  homi- 
num,  sed  Siilui-'in;  non  aquam  muudi,  sed  rederaptionem  generis 
humani  (S.  Ambr.,  Serm.  30). 

(2)  Sitiebat  Jésus  mulieris  fidem  ;  eorum  enim  sitit  fidem,  pro 
quibus  sanguinem  fudit  fAug.,  loco  cit.). 

(3)  Est  bonus  Deus  qui  ultro  se  offert  non  quaerenti  [kl.  ihkl.). 

(4)  Noverit  anima  se  prœvehentem,  nisi  quecsita  non  qurereret; 
niai  vocata  non  rcverlereLuc  (S.  Bern.). 


—  334  — 
tuile  dans  son  principe,  et  c'est  pour  cela  qu'elle 
s'appr-Ue  (■//•«(•(',  parce  qu'elle  ne  dépend  pas,  comme 
renseigne  saint  Paul,  du  mérite  de  l'iiomme,  mais 
qu'elle  vient  de  la  seule  bonté  de  Dieu  (1).  De  plus, 
cette  grâce  est  gratuite  dans  son  principe,  est  suave 
dans  son  action  (2)  ;  c'est  pour  cela,  dit  l'apôtre  saint 
Pierre  (3),  qu'elle  prend  toutes  les  formes,  parle 
tous  les  langages,  s'adapte  aux  inclinations,  aux  goûts 
de  l'homme,  pour  en  triompher  sans  lui  faire  vio- 
lence ;  elle  choisit,  ajoute  saint  Augustin,  les  voies  les 
plus  faciles,  le  côté  le  plus  faible  du  cœur  pour  y 
pénétrer  (4).  Ainsi,  dit  saint  Cyrille,  pour  convertir 
les  mages,  la  grâce  se  servit  d'une  étoile,  parce  qu'ils 
avaient  du  goût  pour  l'astronomie  ;  pour  attirer 
Pierre  à  la  suite  de  Jésus -Christ,  elle  fit  le  miracle 
de  la  pèche,  parce  qu'il  était  pêcheur  ;  et  aujourd'hui, 
c'est  lorsque  Photine  vient  puiser  de  l'eau ,  qu'elle 
preud  de  là  occasion  de  convertir  cette  femme  (5). 

La  réponse  altière  et  acerbe  de  la  Samaritaine 
nous  indique  le  premier  mouvement  de  l'homme  à 
l'appel  de  Dieu,  mouvement  que  produisent  les  cris 
de  la  conscience  qui  troublent  sa  paix  trompeuse,  et 
les  remords  qui  empoisonnent  sa  félicité  mensongère; 
mouvement  de  surprise  et  d'impatience  qui,  loin  de 

(1)  Si  gratia,  jam  non  ex  operibus;  a'ioquin  gralia  jam  uou 
est  gratia  (Rom.  xi). 

(2)  Disponit  omnia  suaviter. 

(3)  Mulliformiri  gratia  Dei  (Pétri). 

(4)  Vocat  quomodo  ait  congruere  (S.  Aug.). 

(5)  Al)  ipsa  re,  quam  mulier  faciebat,  facto  colloculiouis  initio 
(,S.  Cyril.,  Expos.), 


—  335  — 
l'arrêter,  le  porte  à  continuer  sa  course.  Cependant 
la  voix  de  la  grâce  ne  se  rebute  pas,  elle  continue  à 
faire  entendre  à  l'âme  pécheresse,  à  cette  sœur  in- 
fidèle et  ingrate,  les  accents  de  son  désir  et  de  sa 
douleur;  elle  continue  à  frapper  à  la  porte  du  cœur, 
pour  qu'il  lui  soit  ouvert  (1).  Pour  nous  faire  appré- 
cier sa  longanimité  envers  les  pécheurs,  sa  bonté  in- 
comparable, qui  revient  toujours  à  ceux  qui  le  re- 
poussent, Jésus-Christ  ne  se  montre  nullement  offensé 
ie  la  réponse  inconvenante  et  des  procédés  mépri- 
sants de  la  Samaritaine,  il  lui  réplique  de  nouveau  : 
«  Femme,  si  tu  connaissais  le  don  que  Dieu  t'offre  en 
ce  moment  ;  si  tu  savais  quel  est  celui  qui  te  de- 
mande à  boire  (2),  peut-être  l'eusses-tu  prié  d'étan- 
cher  ta  propre  soif,  et  il  t'aurait  donné  de  ses  eaux 
■vives.  »  Quelle  suavité!  dit  saint  Augustin;  quelle 
bonté  de  cœur  ces  paroles  annoncent  (3)!  «  Si  tu  con- 
naissais le  don  de  Dieu  que  je  t'offre  :  »  par  ces 
mots,  remarque  saint  Cyrille,  le  Sauveur  révèle 
qu'il  est  Dieu,  car  Dieu  seul  peut  être  le  distributeur 
de  ses  dons  (4),  mais  un  Dieu  plein  de  mansuétude, 
de  miséricorde  et  d'amour  (5).  Et  voici  qu'à  l'instant 
même  sa  suave  douceur  commence  à  montrer  son 


(1)  Aperi  mihi,  soror  mea  {fiant. ). 

(2)  Si  scires  donum  Dei,  et  quia  est  qui  dicit  tibi  :  Da  mihi 
bibere,  tu  forsitan  petiisses  ab  eo,  et  dedisset  tibi  aquam  vivam 
{Joan.  IV,  10). 

(3)  Quid  ista  hortatione  suavius!  Quid  benignius  (S.  Aug.).' 

(4)  Deum  se  ostendit  ;  nemo  potest  enim  Dei  dona  lai'giri  nisi 
Deus  (S.  Cyril.). 

(,&)  Dispoaenà  omnia  suaviter. 


—  336  — 
empire  et  à  oblenir  le  triomphe  de  la  force  (ï). 

En  effet,  la  Samaritaine  ressent  en  elle-même  un 
grand  chanyenient.  Elle  compose  sa  légèreté,  r6i)rime 
sa  hardiesse,  humilie  son  extérieur,  et,  se  retour- 
nant vers  Jésus,  elle  lui  parle  comme  à  son  Maître, 
cl  non  plus  comme  à  un  Juif  odieux  :  «  Seigneur, 
dit-elle,  daignez  expliquer  vos  paroles  :  vous  n'avez 
rien  pour  puiser,  et  le  puits  est  profond;  d'où  tire- 
riez-vous  donc  de  l'eau  vive?  Etes- vous  plus  grand 
que  notre  père  Jacob,  qui  nous  a  donné  ce  puits,  où, 
il  a  bu,  lui,  ses  fils  et  ses  troupeaux  (2)?  » 

0  action  de  la  grâce,  action  suave,  forte  et  rapide! 
Déjà  Taurore  de  la  lumière  céleste  commence  à 
poindre  pour  la  Samaritaine  ;  déjà  une  idée  confuse 
de  la  divinité  du  Sauveur  traverse  son  esprit  ébranlé  ; 
déjà  une  étincelle  de  charité  s'allume  dans  son  âme 
glacée  par  la  volupté.  Son  cœur  commence  à  deviner 
le  cœur  de  Jésus-Christ;  elle  entend  sa  voix  secrète 
et  y  répond;  elle  goûte  la  douceur  de  sa  conversa- 
tion, elle  cherche  à  la  prolonger  et  elle  propose  des 
doutes,  parce  qu  elle  désire  d'être  instruite.  Et  l'ai- 
mable Sauveur,  dont  le  désir  ardent  est  de  se  faire 
connaître  à  l'esprit  qui  le  cherche  et  de  se  commu- 
niquer à  l'àme  qui  le  désire,  reprend  :  «  Quiconque 
boit  de  l'eau  de  ce  puits  aura  eucore  soif  (3).  »  Cette 


(1)  AUingil  a  fine  usque  ad  fiiiem  fortiter. 

(2)  Domine,  ueque  iu  quo  haurias  liabes,  et  puteus  altus  est. 
Uiide  ergo  habos  aquam  vivam  ?  —  Numquid  tu  major  es  pâtre 
nostro  Jacob,  qui  dédit  uobis  puleum  (Joan.  iv,"^!,  12)? 

(3)  Omnis  qui  Jjibit  ex  aqua  liac,  sitiet  iterum  {Ibid.). 


—  337  — 
parole,  dit  saïut  AugusLiii;,  se  vérifie  chaque  jour, 
non-seulemeut  quant  à  l'eau  matérielle,  mais  quant 
à  l'eau  symbolique  dont  elle  est  la  figure  (1). 

L'eau  du  puits  signifie  la  volupté  cachée  dans  les 
f-rofondeurs  ténébreuses  du  cœur,  et  que  puise  le 
seau  de  la  concupiscence;  c'est  la  concupiscence,  eu 
effet,  qui  pousse  à  la  volupté.  Mais,  hélas!  une  fois 
que  l'homme  s'est  plongé  dans  les  plaisirs  charnels, 
loin  d'être  satisfait,  il  éprouve  une  soif  toujours  plus 
dévorante  (2). 

Il  n'en  va  pas  ainsi  pour  les  eaux  que  je  t'offre,  et 
que  seul  je  peux  donner^  continue  le  Sauveur.  Elles 
désaltèrent  à  jamais,  deviennent  en  celui  qui  s'y 
abreuve  une  source  d'eau  vive  qui  jaillira  jusque 
dans  la  vie  éternelle  (3).  Cette  fontaine  jaillissante, 
dont  parle  le  Sauveur,  c'est  évidemment  lui-même. 
Considérez-le  debout  dans  le  temple  de  Jérusalem, 
et  criant  :  «  Si  quelqu'un  a  soif,  qu'il  vienne  à  moi  et 
qu'il  boive.  Qui  croira  en  moi  sentira  naître  dans  son 
sein  comme  des  fleuves  d'eau  vive.  »  Saint  Jean,  le 
plus  fidèle  interprète  des  mystères  de  l'amour  de 
Dieu,  après  avoir  rapporté  ces  paroles,  ajoute  :  «  Jé- 


(1)  Quod  verum  est  et  de  sensibili  aqiia,  et  de  ea  quam  illa 
significat  (S.  Aug.,  loco  cit.). 

(2)  Aqua  in  puteo  est  sœcularis  voluptas  in  tenebrosa  profun- 
ditate.  Hic  eam  bauriunt  bomiucs  bydria  cupiditatum.  Nam  qui 
non  praemiserit  cupiditatem,  non  pervcnit  ad  voluptatem.  Cum 
autem  ad  eam  pervenerit,  numquid  non  sitiet  itorum  {Id.  ibid.jî 

(3)  Qui  autem  biberit  ex  aqua  quam  ego  dabo  ei,  non  sitiet  in 
ffiternum.  Sed  aqua  quam  ego  dabo  ei,  fiet  in  eo  fons  aquae  sa- 
lientis  in  vitam  eeteruam  {Joan.  lY,  13,  14). 

II.  .» 


—  338  - 
sus  entendait  yarlor  de  l'Esprit-Saint,  que  recevraient 
en  abondance  tous  ceux  qui  croiraient  en  lui  (1).  »H 
est  donc  certain ,  re{)rend  saint  Augustin ,  que  l'eau 
dont  le  divin  Maître  parle  à  la  Samaritaine  est  la  grâce 
de  riîisprit-Saint,  qu'il  dispense,  comme  sa  source,  à 
ceux  qui  croient  d'une  loi  sincère  et  qui  l'aiment  d'un 
amour  fidèle  (2).  La  similitude  entre  l'eau  naturelle 
et  la  grâce  est  d'ailleurs  très-heureusement  employée 
et  parlante  dans  la  bouche  de  celui  qui,  mieux  que 
personne,  connaît  la  nature,  l'usage  et  la  force  de 
ses  bienfaits  spirituels.  1  °  L'eau  lave  et  purifie  les 
corps  de  toute  immoiidicc,  la  grâce  de  l'Esprit-Saint 
lave  et  purifie  les  âmes  des  souillures  du  péché. 
2°  L'eau  rafraîchit,  et  la  grâce  éteint  en  nous  les 
ardeurs  de  la  concupiscence.  3"  L'eau  étanche  la  soif, 
et  la  grâce  dégoûte  des  plaisirs  charnels,  4°  L'eau  fé- 
conde et  fertilise  le  sol,  et  la  grâce  fait  croître  en 
nous  les  vertus.  5°  L'eau  réjouit  par  sa  vue,  et  la 
grâce  porte  les  cœurs  à  la  sainte  joie  de  Dieu.  G"  L'eau 
vive,  bien  différente  de  feau  stagnante,  est  toujours 
en  mouvement,  et  la  grâce  est  en  nous  le  principe 
de  tous  nos  mouvements  spirituels;  elle  est  toujours 
en  nous  active,  agissante.  7"  L'eau  ranime,  la  bois- 
son est  encore  plus  nécessaire  que  la  nourriture  pour 


(1)  Clamavit  dicens  :  Si  quis  silit,  venial  ad  me,  et  bibat.  Qui 
crédit  in  me,  ilumina  aquaî  vivœ  fluont  de  ventre  ejus.  Hoc  au- 
tein  dixit  de  Spiritu  quem  accepturi  erant  credontes  in  cura 
{Jnnn.  VII,  38,  39). 

(2)  Spiritum  sanctum  rccte  intelligimus  aquam  vivaiii,  quod 
est  donum  Dei  (S.  Aug.). 


—  339  — 
conserver  la  vie,  et  la  grâce  est  l'aliment  qui  fait 
vivre  l'âme  d'une  vie  spirituelle  et  divine. 

Le  divin  Maître,  dans  sa  comparaison,  assimile 
cette  dernière  non-seulement  à  l'eau  vive,  mais  à  une 
source  jaillissant  toujours  dans  le  cœur  de  celui  qui 
la  reçoit  :  Fiet  in  eo  fons  aquœ  saliejitis.  En  effet,  la 
grâce  n'est  jamais  oisive  en  nous  (1)  ;  à  peine  est-elle 
entrée  dans  un  cœur,  qu'elle  y  établit  comme  une 
source,  un  .jet  d'eau  perpétuel  de  faveurs  toujours 
nouvelles,  se  succédant  sans  fin  jusqu'à  l'éternité. 
Ainsi  l'âme,  si  je  puis  dire,  bondit  jusqu'au  ciel  de 
grâce  en  grâce,  de  vertu  en  vertu  (2).  Notons  tou- 
tefois une  différence,  avec  le  savant  Corneille  de  La- 
pierre  :  Dans  les  fontaines  ordinaires,  l'eau  s'écoule 
nécessairement  vers  les  régions  inférieures,  tandis 
que  la  fontaine  spirituelle  de  la  grâce  monte  tou- 
jours (3)  en  jet  puissant  de  l'âme  à  Dieu,  de  la  terre 
jusqu'au  paradis,  où  il  transporte  le  cœur  même 
d'où  il  surgit;  si  bien  que  celui-ci,  même  dans  la 
chair  qui  l'emprisonne,  goûte  les  joies  d'en  haut  (4), 
jusqu'au  jour  où,  non  pas  en  pensée  et  en  désir, 
mais  en  réalité,  il  sera  introduit  dans  les  demeures 
éternelles,  il  sera  mis  en  possession  de  la  vie  bien- 
heureu.se  ;  la  grâce  lui  ouvre  déjà  les  portes  de  la 
gloire,  de  cette  gloire,  dis-je,  dont  il  est  écrit  qu'elle 

(1)  Gratia  eju3  in  me  vacua  non  fuit  (/  Cor.  xv). 

(2)  Fiat  in  eo  fons  aqnse  salieuti;.  —  Ibunt  de  virtute  in  virtii- 
tem  (Ps.). 

(3)  Sursum  versus  feruntur  sacronim  fluminiim  fontes. — Maguus 
hic  saltus  est!  —  Sursum  corda  (A  Lap.;. 

(4)  Nostra  autem  conversalio  iu  cœlis  est  iPhi/ip.  m). 


L 


—  340  — 
éteint  cnticrcracnt  et  la  faim  et  la  soif.  L'âme  pour- 
rait-elle alors  avoir  soif,  au  sein  des  torrents  de  la 
volupté  divine,  de  l'abondance  des  douceurs  de  la 
maison  de  Dieu!  Ainsi  sera  consommé  l'accomplisse- 
ment commencé  sur  terre  jiar  la  grâce  de  cet  oracle 
du  Sauveur  :  Celui  qui  boit  l'eau  de  sa  grâce,  qui  la 
cultive  et  la  conserve,  u'aura  plus  soif  éternelle- 
ment (I). 

Saint  Paul  l'a  dit  :  «  L'homme  de  chair  ne  peut  en- 
tendre les  secrets  de  l'esprit  (2).  »  Comme  l'œil  icté- 
rique  voit  tout  en  jaune,  de  même  l'esprit,  offusqué 
par  les  vapeurs  charnelles,  ne  voit  que  matière  dans 
les  doctrines  spirituelles,  dans  les  mystères.  C'est 
pourquoi  les  Juifs,  les  incrédules  et  les  hérétiques 
ne  trouvent  rien  de  grand,  rien  de  sublime,  rien  qui 
réjouisse  dans  les  divines  Écritures.  Plongés  dans  les 
plaisirs  des  sens,  ils  sont  incapables  d'entendre,  de 
voir  et  de  goiiter  ce  qu'elles  racontent. 

La  Samaritaine  était  infectée  de  cette  maladie  de 
l'âme.  Du  fond  de  son  cœur  corrompu  par  la  luxure, 
s'élevaient  des  vapeurs  qui  l'empêchaient  de  décou- 
vrir et  de  reconnaître  la  lumière  céleste,  le  grand 
mystère  qui  lui  était  révélé.  C'est  pourquoi  elle  prit 
dans  un  sens  charnel  les  paroles  du  Sauveur  :  elle 
crut  qu'il  voulait  parler  d'une  eau  matérielle,  capable 


(1)  Fiat  in  eo  fons  aquae  salientis  in  vitam  aeternam.  -^  Neque 
esurient,  neque  sitient  amplius. — Torrente  voluptatis  turc  potabis 
eo5.  —  Inebriabuntur  ab  ubertate  domus  Dei.  —  Qui  biberit  ex 
aqua,  quam  ego  dabo  ei,  non  sitiet  in  aelerum. 

(2)  Animalis  bomo  non  percipit  ea  quae  sunt  spiritus  DeL 


—  341  — 
d'éteindre  pour  toujours  la  soif  corporelle.  Elle  ré- 
pondit avec  confiance  :  «  Donnez-moi  donc  de  cette 
eau  si  extraordinaire  et  si  précieuse  ;  je  veux  en 
boire  afin  que  je  n'aie  plus  soif  et  que  je  ne  sois  plus 
obligée  de  revenir  puiser  à  cette  source  (1).  » 

Photine  parla  ainsi,  dit  saint  Augustin,  parce  que, 
citoyenne  du  royaume  de  Samarie,  où  le  prophète 
Elie  vécut  et  fit  tant  de  prodiges,   elle  connaissait 
son  histoire.  Elle  savait  que  Dieu  avait  accordé  au 
prophète  la  faveur  de  passer  quarante  jours  sans 
boire  ni  manger,  et  elle  s'imagina  que  celui  qui  l'en- 
tretenait avait  le  secret  pouvoir  de  composer  et  de 
distribuer  une  eau  miraculeuse,  capable  d'éteindre 
la  soif  pour  toujours;  désireuse  de  recevoir  un  tel 
don,  elle  demanda  donc  au  Sauveur  le  don  qu'il  lui 
avait  offert  avec  tant  de  bonté  (2).  Ainsi,  reprend 
saint  Chrysostome,  cette  même  femme  qui  avait  pris 
Jésus  comme  un  juif,  le  considère  à  présent  comme 
un  personnage  extraordinaire,  assez  puissant  pour 
donner  aux  eaux  qu'il  offre  la  vertu  d'ôter  à  l'homme 
la  soif.  Yoilà  comment  les  paroles  qui  retentissent  à 
son  oreille,   et  plus  encore  l'action  secrète  de  la 
grâce  qui  opère  dans  son  cœur,  l'ont  insensiblement 
élevée  à  la  connaissance  de  Jésus -Christ  et  de  ses 
mystères  (3). 

(1)  Domine,  da  mihi  bibere  banc  aquam,  ut  non  sitiam,  noque 
veniam  hue  haurire  {Joan.  iv,  15). 

(2)  Dederat  Deus  servo  suo  Eliae,  ut  per  quadraginta  dies  nec 
sitiret,  nec  esuriret;  delectata  tali  munere,  rogat  ut  ei  aquam 
vivam  daret. 

\^)  Vide  qualiter  paulatim  mulier  ad  dograatum  altitudinem 


—  'M-2  — 

Celle  qui  voiiail  de  refuser  un  peu  d'eau  au  Maître 
de  la  terre,  lui  en  demande  donc  maintenant  avec 
instance.  Or,  ce  divin  Sauveur,  dit  saint  Augustin,  a 
soif  de  sa  foi,  il  veut  lui  communiquer  l'Esprit-Saint, 
principe  de  celte  vertu  ;  et,  s'il  en  a  fait  naître  le  dé- 
sir dans  son  cœur,  c'est  pour  qu'elle  se  décide  à  lui 
demander  précisément  ce  qu'il  désire  lui-même  ar- 
demment de  lui  accorder  (1).  Quel  délicieux  procédé 
de  la  grâce!  Dieu  a  un  plus  :;rand  désir  de  la  ré- 
pandre que  nous  de  la  recevoir.  Toutefois,  elle  ne  se 
donne  qu'à  celui  qui  la  souhaite,  la  demande  et  la 
cherche.  C'est  pourquoi  elle  commence  par  exciter 
dans  l'âme  le  désir  d'elle-même  et  à  réveiller  l'es- 
prit de  prière  ;  c'est  son  premier  bienfait,  bienfait 
entièrement  gratuit,  par  lequel  l'homme,  s'il  se  rend 
et  s'il  prie,  obtient,,  comme  par  un  effort  délibéré 
de  son  propre  cœur,  ce  qui,  au  fond,  est  un  pur  don 
descendu  du  cœur  de  Dieu.  Telle  est  la  douceur, 
la  suavité  avec  laquelle  la  bonté  divine  nous  enrichit 
de  ses  bienfaits^,  en  faisant  que  ce  qui  est  une  lar- 
gesse de  sa  miséricorde  devienne  le  mérite  de  notre 
oraison. 

Le  désir  qu'a  la  Samaritaine  de  recevoir  le  don  de 
Dieu  est  donc  sincère  et  ardent  ;  il  l'a  déjà  disposée 
à  employer  tous  les  moyens  légitimes  pour  l'obtenir; 


ducitur.  Primum  iniquum  existimavit  Judseum;  postea  credidit, 
quoniam  potost  sua  aqua  sitis  necessitatem  toUerc  (S.  Chrysosl., 
hom.  32  in  Joan.). 

(1)  Quia  ipse  sitiebat  {idem  ejus,  eidem  sitiPiili  Spiritum  Sauc- 
tumd  are  cupiebal  (S.  Aug.). 


I 


—  343  — 
et  quand  ropératioii  secrète  de  la  grâce  a  amené 
avec  suavité  cette  femme  à  concevoir  ces  disposi- 
tions préliminaires,  les  œuvres  qu'elle  lui  impose, 
la  Samaritaine  est  déjà  décidée  à  les  accomplir  ;  les 
sacrifices  qu'elle  exige,  la  pécheresse  est  prête  à  se 
les  imposer.  Ainsi  le  Sauveur  lui  dit  :  «  Je  ne  peux. 
te  donner  l'eau  que  tu  me  demandes  tandis  que  tu 
es  seule  :  va,  appelle  ton  mari,  et  reviens  (1).  » 

Il  }  a  deux  sens  dans  cette  réponse  :  d'abord,  le 
littéral;  le  divin  Maître  voulait  donner  à  Photine  la 
preuve  qu'il  était  le  Dieu  à  qui  rien  n'est  caché.  Eu 
effet,  cette  femme  ayant  repris  :  Je  n'ai  point  de 
mari  (2),  le  Sauveur  repartit  aussitôt  :  «  Que  dis-tu? 
Sans  doute  tu  n'as  point  de  mari  ;  mais  tu  en  as  eu 
cinq,  et  l'homme  qui  est  maintenant  avec  toi  n'est 
point  ton  époux.  Tu  as  donc  dit  vrai  (3).  »  Le  se- 
cond sens  est  tropologique  ;  les  Pères  enseignent  que 
le  Sauveur  l'a  eu  directement  en  vue,  entre  autres, 
saint  Augustin,  qui  s'exprime  ainsi  sur  ce  passage 
mystérieux  et  obscur  de  l'Évangile  :  Les  cinq  pre- 
miers maris,  dit-il,  sont  les  cinq  sens  du  corps  de 
l'homme,  en  quelque  sorte  les  cinq  époux  de  l'âme, 
mais  époux  illégitimes  et  adultères,  parce  qu'aussi 
longtemps  qu'elle  vit  avec  eux,  qu'elle  les  seconde 
et  leur  obéit,  elle  reste  corrompue,  dégradée  et  ne 
vit  plus  de  la  vie  chaste  de  l'esprit.  C'est  à  quoi  l'a- 

(1)  Vade,  voca  virum  tuum,  et  veni  hue  {Joan.  iv,  16). 

(2)  Respondit  mulier  :  Non  babeo  virum  [Ibid.,  17). 

(3)  Bene  dixisti,  quia  non  liabeo  virum  :  quiuque  eiiim  vires 
habuisti,  et  nunc,  quem  habes,  non  est  tuus  vir.  Hoc  vere  dixisti 
\lbid.,  18). 


—  344  — 
pôtre  saint  Paul  faisait  allusion  en  parlant  du  passage 
que  uous  venons  de  citer,  quand  il  disait  :  «  L'homme 
animal  n'entend  pas  les  choses  spirituelles.  »  Le 
sixième  mari  siguilic  l'intelligence  ;  celui-ci  est  le  légi- 
time et  le  chaste  époux  de  ràmc,  parce  que  celle-ci, 
après  avoir  répudié  les  sens,  sous  la  direction  de  la 
raison,  ordonne,  règle  ses  actes,  se  porte  et  se  sou- 
lève vers  Dieu.  En  prononçant  ces  paroles  :  «  Afin 
que  je  puisse  te  donner  l'eau  que  tu  me  demandes,  il 
iaut  que  tu  appelles  ton  mari  et  que  tu  viennes  ici 
avec  lui,  »  le  Sauveur  voulait  dire  :  Pour  entendre  et 
goûter  la  révélation  que  je  vais  te  faire,  et  pour  re- 
cevoir les  grâces  que  je  suis  sur  le  point  de  t'accor- 
der,  il  faut  renoncer  aux  plaisirs  charnels,  secouer 
le  joug  des  sens,  rentrer  sous  la  domination  de  l'iu- 
telligeuce  ;  avec  lui,  tu  pourras  recevoir  mes  doc- 
trines et  régler  ta  vie.  Ne  dis  pas  que  tu  n'as  point 
ce  sixième  mari,  cet  époux  chaste  et  légitime  ;  à  cet 
instant  même  où  je  parle,  tu  commences  à  te  réunir 
à  lui,  que  je  t'ai  donné  et  qui  ne  peut  te  tromper  ni 
te  trahir;  à  lui  que  mou  prophète  demandait  pour 
Lien  méditer  la  loi  de  Dieu,  que,  par  le  même  pro- 
phète, j'ai  promis  d'accorder  à  quiconque  le  cherche 
et  le  désire  sincèrement,  et  qui  enseigne  à  l'homme 
la  voie  droite  où  l'on  attire  sur  soi  le  regard  et  les 
complaisances  de  Dieu.  Ne  sois  donc  pas  semblable 
aux  brutes,  qui  n'ont  pas  d'intelligence,  qui  se  lais- 
sent aveuglément  conduire  par  l'instinct  animal  qui 
les  domine  ;  ne  sois  pas  du  nombre  de  ceux  qui  se 
gardent  de  la  raison  comme  d'une  ennemie,  et  qui 


—  345  — 
ne  veulent  pas  bien  entendre,  parce  qu'ils  craignent  de 
bien  vivre  (1).  » 

Quelle  miséricorde  et  quelle  tendresse  le  Sauveur 
ne  montre-t-il  pas  à  la  Samaritaine  par  ces  paroles  : 
«  Tu  as  eu  cinq  maris,  et  celui  qui  est  maintenant 
avec  toi  n'est  point  ton  mari.  »  Il  lui  découvre  ainsi 
toutes  ses  turpitudes  ;  il  lui  reproche  toutes  ses  in- 
trigues; mais  il  ne  la  gronde  pas,  il  ne  l'insulte  point, 
il  ne  l'épouvante  pas;  il  veut  lui  faire  jeter  sur  elle- 
même  un  regard  de  honte  et  de  mépris  pour  qu'elle 
se  connaisse,  se  repente  et  se  corrige  :  Omnia  dispo- 
nit  siiavitcr.  Et  il  obtient  en  même  temps  par  cette 
suavité  et  cette  douceur  un  grand  triomphe  ;  car,  en 
un  instant,  il  transforme  la  pécheresse  ;  du  vice  il  la 
ramène  à  la  vertu,  d'une  courtisane  fameuse  il  en 
fait  une  sincère  pénitente  :  Attingit  a  fine  usque  ad 
finem  fortiter. 

En  effet,  dit  saint  Chrysostome^  considérez  cette 
Samaritaine,  naguère  si  superbe  et  si  altière  ;  elle  est 
réprimandée  par  le  Sauveur  pour  ses  vices,  et  son 
orgueil  de  femme  ne  s'en  offusque  nullement;  elle 
ne  s'irrite  pas,  ne  s'éloigne  point  avec  dédain  du 

(1)  Qujnque  priores  viros  animse  possumus  accipere  quinque 
corporis  sensus  :  intellectus  est  vir  animse.  Cum  enim  ordinata 
fuerit  vita,  intellectus  animam  régit.  — Voca  virum  tuum,  id  est, 
prseseuta  intellectum  tuum,  adhibe  intellectum  tuum  :  virum 
qui  me  intelligat,  per  quem  docearis  et  regaris.  —  Non  habeo 
virum.  —  Nunc  quem  habes  est  tuus  vir.  —  Da  mihi  intellectum, 
ut  scrutabor  legem  tuam.  —  Intellectum  tilji  dabo,  in  via  bac 
qua  gradieris;  firmabo  super  te  oculos  meos.  —  Nolite  fieri  sicut 
equus  et  mulus  quibus  non  est  intellectus.  —  Noluerunt  iutelli- 
gere,  ut  bene  agereut  (S.  Aug.,  Com.). 


346  — 
médecin  charitable  qui  lui  a  découvert  les  plaies  de 
son  àmc  pour  les  guérir.  Elle  connaît  l'ignominie  de 
sa  vie  ;  elle  s'afflige, mais  elle  ne  se  courrouce  pas  ;  elle 
s'humilie  sans  s'avilir;  elle  se  confond  sans  s'abattre. 
Elle  se  tient  devant  le  Sauveur  dans  le  plus  grand 
étonnement,  à  cause  de  la  sagesse  divine,  mais  pleine 
de  confusion,  à  cause  de  ses  désordres  (1).  Puis,  lais- 
sant échapper  un  profond  soupir,  elle  s'écrie  d'une 
voix  respectueuse  et  triste  :  «  Ali!  Seigneur,  ce  que 
vous  dites  n'est  que  trop  vrai,  je  vois  que  vous  êtes 
plus  grand  que  vous  n'apparaissez  ;  je  vois  que  vous 
êtes  un  prophète,  que  vous  lisez  dans  les  cœurs  et 
que  rien  ne  vous  est  caché  (2).  »  Quelle  admirable 
confession  vient  de  sortir  de  ta  bouche,  ô  Photine, 
s'écrie  saint  Augustin!  Mais  je  ne  m'en  étonne  pas  : 
déjà,  sur  l'ordre  que  tu  en  as  reçu  du  Sauveur,  et, 
par  la  secrète  impulsion  de  sa  grâce,  tu  as  répudié 
les  cinq  maris  adultères,  tu  t'es  élevée  au-dessus  des 
sens,  tu  as  rappelé  l'époux  fidèle.  Déjà  tu  entends  la 
voix  de  ce  dernier,  tu  suis  ses  conseils,  et,  par  son 
secours,  tu  commences  à  concevoir  la  foi  des  mys- 
tèr  es  de  Dieu  (3). 

Voyez,  en  effet,  comme  cette  femme  a  perdu  de 
vue  les  intérêts  du  temps  pour  ne  penser  qu'à  ceux 
de  l'éternité  !  Elle  ne  parle  plus  de  l'eau  naturelle 


(1)  A  Christo  comprehonsa  non  contristata  est,  nec  eum  dimit- 
tens  aufugit.  Admiratur  et  immoraLur  {Hom.  32). 

(2)  Domino,  video  quia  propheta  es  tu  {Joan.  iv,  19). 

(3)  Jam  cœpisti  intelleclu  adesse,  jam,  pressente  viro,  est  in  te 
qui  credat  (Id.,  ilicl.). 


—  34  7  — 
qui  éteint  la  soif  du  corps,  mais  elle  cherche  seule- 
ment à  connaître  les  doctrines  célestes  pour  en  ra- 
fraîchir son  âme  et  se  sauver  (!)  ;  elle  ajoute,  en  ef- 
fet :  «  Eclairez-moi  donc  sur  ce  qui  divise  votre  na- 
tion et  la  nôtre.  Kos  pères  communs  ont  sacrifié  à 
Dieu  sur  cette  montagne,  et  vous  diles,  vous  autres 
Juifs,  que  Jérusalem  est  l'unique  lieu  où  il  faille  sa- 
crifier (2).  »  Ou  bien  :  Yous  autres  Juifs,  vous  sou- 
tenez que  le  vrai  culte  de  Dieu  est  celui  qu'on  lui 
rend  à  Jérusalem  ;  cependant  les  patriarches,  d'où 
nous  descendons,  ont  rendu  au  Très-Haut  leurs  de- 
voirs sur  cette  colline.  Yous  autres  Juifs  vous  dites 
que  l'adoration  offerte  ailleurs  qu'à  Jérusalem  ne 
peut  être  agréable  au  Ciel;  et  cc[)endant  nos  pères 
ont  plu  à  Dieu,  en  fadcrant  sur  ces  monts.  Seigneur, 
que  veut  dire  cela?  Suis-je  dans  la  vraie  religion  ou 
dans  la  fausse,  et  que  dois-je  faire  pour  me  sauver? 
Celui  qui  est  descendu  du  ciel  pour  racheter  les 
âmes  ne  pouvait  laisser  sans  réponse  une  demande 
inspirée  non  par  une  vaine  curiosité,  mais  parle  zèle 
du  salut.  Le  divin  Maîlro  commença  donc,  avec  une 
bonté  infinie,  à  instruire  la  pauvre  pécheresse,  si  dé- 
sireuse de  connaître  la  vérité,  et  à  lui  expliquer  l'es- 
prit et  la  nature  do  la  religion.  Il  lui  déclara  que 
Dieu,  étant  esprit,  demande,  avant  tout,  un  culte 
spirituel,  fondé  sur  la  vérité  de  la  croyance  et  sur  la 

(1)  Non  molestatar  siliendo;  pro  doctrinis  sollicita,  nihil  muii- 
danum  cum  iuterrogavit  (S.  Aug.,  loco  cit.). 

(2)  Patres  nostri  in  mouto  hoc  adoraverunt,  et  vos  dicitis  quia 
Jerosolymis  est  locus  ubi  adorai'c  oportcl  {Joa)i.  iv,  20). 


—  348  — 
sainteté  des  œuvres,  et  que  peu  importe  le  lieu  de 
ce  culte  (I);  que  ni  le  mont  Garizim,  dont  les  Sama- 
ritains éiaienl  si  fierS;,  ni  le  temple  de  Jérusalem,  que 
les  Juifs  célébraient  à  l'envi,  ne  le  constituaient  par 
eux-mêmes;  que  le  temps  était  venu  où  les  hommes 
étrangers  à  cette  montagne  et  h  ce  temple  rendraient 
à  Dieu  un  culte  véritable,  et  où  la  vraie  religion  se- 
rait connue  dans  le  monde  entier  par  la  prédication 
évangélique;  que  désormais,  en  un  mot,  le  temple 
divin,  ce  serait  l'univers  (2)  ;  il  ajouta  que  les  Samari- 
tains n'étaient  pas  vraiment  fidèles,  non  point  parce 
qu'ils  ne  fréquentaient  pas  Jérusalem,  mais  parce 
qu'ils  avaient  abandonné  les  traditions  et  les  doc- 
trines antiques;  parce  qu'ils  avaient  altéré  l'idée  de 
Dieu,  devenu  pour  eux  une  idole  locale,  adoré  si- 
multanément avec  les  simulacres  du  démon;  de  sorte 
que  le  Très-Haut  n'était  plus  connu  parmi  eux,  tan- 
dis que  les  Juifs  avaient  conservé  dans  leur  pureté 
sa  notion  et  son  culte  (3).  Le  Sauveur  lui  dit  enfin 
qu'il  n'était  pas  nécessaire  d'adorer  Dieu  dans  le 
lieu  même  où  les  Juifs  l'adoraient,  ni  de  fréquenter 
le  temple  de  Jérusalem  ;  mais  qu'il  était  nécessaire 
d'avoir  la  foi  de  Jérusalem,  parce  que  cette  ville  était 
demeurée  Tunique  dépositaire  des   traditions,   de 

(1  )  Spiritus  est  Deus  ;  et  eos,  qui  adoraut  eura,  in  spiritu  et  ve- 
ritatooportet  adorare  {Joan.  iv,  24). 

(2)  Venit  hora,  et  nunc  est,  quando  neque  in  monte  hoc,  ne- 
que  in  Jeroàolymis  adorabitis  Patrem  ;  quando  veri  adoratores 
adorabunt  Patrem  in  spiritu  et  verilate  {Joan.  iv,  21,  23). 

(3)  Vos  adoratis  quod  uescitis;  nos  adoramus  quod  scimus 
Uoan.  IV,  22). 


—  349  — 
l'interprétalioii  de  i'ËcriLure  et  des  doctrines  du  sa- 
lut éternel  (1). 

Origène  et  saint  Jean  Chrysostome  nous  appren- 
nent qu'il  }  a,  dans  cette  instruction,  une  magnifique 
prophétie  déjà  accomplie  :  le  lieu  consacré  au  vrai 
culte  n'est  plus  le  mont  de  Samarie,  ni  le  temple 
des  Juifs;  c'est  l'Eglise,  dans  laquelle  les  hommes  et 
les  fidèles  aux  doctrines  et  aux  lois  évangéliques  de 
tous  les  pays  du  monde  ofi"reut  à  Dieu  une  oblation 
sainte,  des  victimes  spirituelles^,  lui  rendant  ainsi  un 
culte  digne  de  lui;  dans  l'Eglise,  disais-je,  la  dépo- 
sitaire du  vrai  sacrifice,  parce  qu'elle  possède  la 
vraie  foi ,  la  seule  par  conséquent  dans  le  sein  de 
laquelle  puisse  se  gagner  le  salut.  Les  hérétiques 
qui  ont  fait  schisme  avec  Rome,  de  même  que  les 
Samaritains  qui  s'étaient  séparés  de  Jérusalem,  ne 
soîit  pas  les  ennemis  de  notre  religion  parce  qu'ils 
n'adorent  pas  Dieu  dans  l'Église  de  Eome,  mais 
parce  qu'en  se  séparant  de  Rome,  ils  ont  altéré  les 
doctrines  et  la  foi  de  Jésus.  Semblables  aux  schis- 
maiiques  d'Israël,  qui  se  vantaient  d'adorer  Jéhovah 
selon  les  rites  des  patriarches,  tout  en  détruisant  en 
réalité  le  culte  de  leurs  aïeux ,  les  hérétiques  se 
vantent  d'avoir  réformé  le  christianisme  et  de  l'avoir 
ramené  à  la  simplicité  des  temps  apostoliques,  tout  en 
l'anéantissant  eu  réalité,  en  altérant  l'idée  de  Dieu, 
en  niant  sa  prescience,  comme  les  anciens  mani- 
chéens et  les  modernes  luthériens,  ou  sa  bonté, 
comme  les  antiques  nestoriens  et  les  nouveaux  cal- 

(1)  Quia  salus  ex  Judceis  est  (Ibid.). 


—  .350  — 
•vinislcs,  en  faisant  de  la  sorte  du  Très-Haut  un  être 
insensé  ou  cruel  (1). 

Kt  quelle  est  celle  des  lois  du  christianisme  que 
les  hérétiques  ont  respectée?  Quel  conseil  évaufjjc- 
lique  ont-ils  maintenu?  Quel  est  le  sacrement  de  Jé- 
sus-Christ qu'ils  n'ont  pas  répudié?  Quelle  est  la 
traditiou  qu'ils  ont  laissée  debout?  Toute  hérésie  est, 
plus  ou  moins,  une  altérât ioii  des  notions  vraies  sur 
DieUj  le  médiateur  et  la  religion.  On  peut  donc  dire 
de  ces  faux  fidèles  qu'ils  adorent  un  Dieu  qu'ils  ne 
coiniaissentpas,  et  que,  nous  seuls  catholiques,  nous 
connaissons,  parce  que,  dans  noire  Eglise  seule, 
sont  conservées  purement  les  notions  dont  je  parlais 
plus  haut  (2). 

Surprise  et  hors  d'elle-même  d'étonnement  et  de 
joie,  à  ce  langage  surhumain  du  Sauveur,  la  Sama- 
ritaine reprit  :  «  Je  sais.  Seigneur,  que  le  Messie 
vient.  Quand  il  sera  venu,  il  nous  enseignera  toutes 
choses  (3).  »  Cette  femme  croyait  donc  à  la  venue 
du  Messie,  au  but  de  sa  mission,  qui  était  d'apprendre 
à  l'homme  tout  ce  qui  est  nécessaire  au  salut.  Elle 
savait  que  lui  seul  pouvait  l'instruire,  quoiqu'elle  ne 
le  reconnût  pas  encore  dans  celui  qui  éclairait  ainsi 
sou  esprit  (4).  Mais,  si  elle  ne  le  reconnaissait  pas 

(1)  Quia  miilli  fjutant,  secimdum  spiritum  Deuin  adorare,  noa 
rectam  de  Deo  opinioncm  habentcs,  sicut  liœretici  (Tbeoph.). 

(2)  Vos  adoratis  quod  ncscitis  ;  uos  adoramus  quod  scimiis. 

(3)  Scio  quia  Messias  venit.  Guin  ergo  venerit  ille,  uuljis  aii- 
uuntiabit  omiiia  {Joan.  iv,  25). 

(4)  Sciobat  quis  oam  posset  docere;  sed  jam  doccutoiu  uou 
agnoscebat  (S.  Aug.j. 


—  351  — 
encore,  elle  souhaitait  shicèrcnicnt  le  connaître; 
elle  était  disposée  à  croire  en  lui  et  à  tout  ce  qu'il 
lui  plairait  de  révéler.  Ainsi  ses  paroles  furent  ea 
même  temps  une  profession  de  foi  et  l'expression  du 
désir  ardent  avec  lequel  elle  demandait  que  le  Mes- 
sie se  hâtât  de  venir,  et  comme  une  prière  qu  elle 
lui  adressait  de  l'instruire.  Or,  était-il  possible  que 
le  Sauveur,  la  bonté  même,  refusât  de  se  manifester 
à  une  âme  si  sincèrement  humble,  si  désireuse  de  le 
voir,  en  un  mot,  si  bien  préparée?  Non,  certaine- 
ment. Un  jour  que  les  Juifs  le  pressaient  en  ces 
termes  :  Pourquoi  nous  tenez-vous  toujours  incer- 
tains? Si  vous  êtes  vraiment  le  Messie,  dites-le  fran- 
chement (1).  Le  divin  Maître  leur  répondit  par  des 
paroles  ambiguës,  parce  que,  dit  saint  Chrysostome, 
les  Juifs  ne  demandaient  pas  cette  révélation  pour  y 
croire,  mais  pour  le  calomnier  (2).  Cette  pauvre 
femme,  au  contraire,  parlait  avec  l'humilité  de  l'es- 
prit, la  sincérité  du  cœur  et  la  pureté  d'intention 
requises.  La  grâce  qu'elle  avait  accueillie  dès  le  prin- 
cipe avait  peu  à  peu  éveillé  dans  son  âme  le  désir  de 
connaître  Dieu,  et  le  Sauveur  se  révéla  à  elle  sans 
mystère,  sans  ambiguïté  :  «  Femme,  lui  dit-il,  je  suis 
ce  Messie  que  tu  veux  connaître  ;  en  parlant  avec  toi, 


(1)  ut  quid  animam  nostram  tollis?  Si  tu  es  Christus,  die  nobis 
palam  (Joan.  x). 

(2)  Judeeis  quaerentibus  :  Si  tu  es  Christus,  die  nobis  palam, 
non  manifeste  revelavit  stipsuiu.  Hsec  vero  ex  simplici  corde  io- 
quebatur  (S.  Chrysost.,  hom.  31). 


—  35-2  — 
j'en  remplis  les  fondions  :  ne  vois-tu  pas  que  je  t'ap- 
pelle, <]uc  je  te  converlis,  que  je  le  sauve  (!)?  » 

En  prononçant  celle  grande  parole  :  Je  le  suis, 
parole  que  Dieu  seul  [)eut  dire  de  lui-même,  j)arce 
qu'il  n'}'  a  que  de  lui  qu'elle  soit  vraie.  Jésus  la  lit 
retentir,  en  quelque  sorte ,  dans  l'âme  de  la  péche- 
resse, et  la  bonne  semence  éclaira  cet  esprit,  excita 
son  amour,  sa  confiance  ;  et  aussitôt  la  Samaritaine 
(quoique  l'Evangile  ne  le  dise  pas,  on  le  voit  par  le 
contexte),  comme  l'aveugle-né  plus  tard,  fit  une  pro- 
fession extérieure  de  sa  foi  ;  elle  se  prosterna  aux 
pieds  du  Sauveur  et  l'adora  profondément. 

Puis  elle  se  releva  tout  autre  qu'elle  était  aupa- 
ravant, et,  abandonnant  son  urne,  elle  courut  vers 
la  ville  (2).  L'abandon  de  ce  vase  vulgaire,  dit  saint 
Augustin,  a  une  signification  particulière,  puisque 
l'évangéliste  note  cette  circonstance.  Cette  urne, 
selon  ce  Père,  figure  la  concupiscence  du  siècle,  qui 
porte  les  hommes  à  puiser  aux  eaux  bourbeuses  de 
la  volupté  dans  le  puits  obscur  et  profond  des  pas- 
sions charnelles.  La  Samaritaine,  en  abandonnant  la 
sienne,  montre  qu'elle  a  renoncé  à  ces  plaisirs  men- 
teurs ;  celui  qui  veut  s'attacher  à  Jésus-Christ  doit, 
en  effet,  nécessairement  renoncer  au  monde  et  à  ses 
joies  (3).  Ainsi,  observe  Origène,  par  ce  renoncement 

(11  Dicit  ei  Jésus  :  Ego  sum,  qui  loquor  tecum  {Joan.  iv,  2G). 

(2)  Reliquit  ergo  hydriam  suam  mulier,  et  abiit  in  civitatem 
{Joan.  IV,  28). 

(3)  Hydria  amorem  hujus  saeculi  significat,  id  est  cupiditatem 
qua  homines  de  tenebrosa  profuuditate,  cujus  imaginem  puteus 
gerit,  hauriunt  aquam.  Oportebat  autem  ut  Christo  credeas,  sae- 


—  353  — 

extérieur,  elle  sigulfie  qu'elle  abandonnait  ses  anciens 
désordres  pour  devenir  un  vase  de  chastp5,é  (1).  Ohî 
prodigieux  changement!  Quelle  étonnante  conver- 
sion, s'écrie  saint  Ambroise  !  L'eau  vive  de  la  grâce 
purifie  en  un  instant  une  femme  impure ,  elle  la 
sanctifie  ;  elle  était  venue  au  puits  de  Jacob,  souillée 
de  vices ,  remplie  d'abominatioiis ,  et,  après  avoir 
puisé  à  la  fontaine  du  Sauveur,  elle  retourne  vers  la 
ville,  toute  chaste.  Elle  était  venue  chercher  un  ali- 
ment matériel,  et  elle  se  retire  avec  la  source  d'eau 
vive  de  la  grâce.  Ce  n'est  plus  un  vase  grossier,  au 
contenu  matériel,  qu'elle  porte  à  sa  demeure,  c'est  la 
vie  divine,  dont  son  cœur  déborde  ;  et  celle  qui  sem- 
ble courir  libre  et  sans  fardeau,  est  comblée,  sur- 
chargée des  dons  célestes  (2). 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable  encore  ,  dit  saint 
Ambroise,  c'est  que,  venue  au  Sauveur  comme  une 
pécheresse  effrontée,  elle  le  quitte  en  annonçant  gé- 
néreusement sur  son  chemin  ce  qui  vennit  de  lui  ar- 
river; elle  ne  s'est  dépouillée  de  la  concupiscence 
que  pour  annoncer  plus  librement  la  vérité  (3).  Oh! 

culo  renuntiaret  ;  et,  relicta  hydria,  cupiditatem  ssecularem  se  re- 
liquisse  demonstrat  (S.  Aug.,  loco  cit.). 

(1)  Facta  est  mulier  receplaculum  honestse  disciplinae  :  ea  quaa 
prius  sapiebat  deponens  (^Orig.). 

(2)  Mulierem  fornicantem  vivi  meatus  unda  purificat.  Mulier, 
quœ  ad  puteum  meretrix  advenerat,  a  Christi  fonte  casta  regre- 
ditur;  et  quae  aquam  petere  venerat,  pudicitiam  n/portavit.  — 
Ad  civitatem  uon  fert  hydriam,  sed  refert  gratiam.  Vacua  videtur 
reverti  onere  ;  sed  plena  revertitur  sauctitate  (S.  Amb.,  Senn.  30). 

(3)  QucE  venerat  peccatrix,  revertitur  prœdicatrix.  Projecit  cu- 
piditatem, et  properavit  aununtiare  veritalem  (S.  Anibrod.\ 

U.  :i3 


—  354  — 
force  ineffable!  oh  !  magnifique  triomphe  que  la  grâce 
de  Jésus-Christ  a  remporté  par  les  \oies  de  la  dou- 
ceur (1)!  Le  divin  Maître,  dit  Origène,  ne  l'a  ni  épou- 
vantée par  les  menaces,  ni  attirée  par  les  promesses; 
mais  il  l'a  enflammée,  transformée  en  un  instant  par 
le  seul  charme  de  sa  parole,  par  une  seule  étincelle 
du  feu  sacré  de  son  amour  ;  d'une  femme  de  scan- 
dale, il  en  a  fait  un  apôtre  de  la  foi  et  de  la  vertu  (2). 
Elle  est  maintenant  un  véritable  évangéUste  de  Jésus- 
Christ,  s'écrie  saint  Jean  Chrysostome  ;  à  peine  con- 
naît-elle le  Sauveur,  et  elle  ne  peut  attendre,  il  faut 
qu'elle  le  fasse  connaître  sur-le-champ,  non  pas  à  un 
seul  homme,  mais  à  la  cité  tout  entière  (3). 

Et  voyez,  mes  frères,  comment  elle  accomplit  le 
saint  et  sublime  ministère  que  la  grâce  lui  a  confié. 
Exaltée  par  sa  surprise  et  sa  joie,  toute  transportée 
hors  d'elle-même,  elle  entre  dans  la  ville;  son  re- 
gard brille  d'un  bonheur  inexprimable  ;  dans  son 
zèle  ardent,  mais  toutefois  humble  et  réservé,  elle 
commence  à  parcourir  les  rues  et  à  dire  :  «  Venez, 
venez  tous  considérer  avec  moi  un  personnage  ex- 
traordinaire ;  il  m'a  raconté  l'histoire  scandaleuse 
de  mon  cœur,  toutes  les  turpitudes  de  ma  vie.  Ne 
serait-ce  pas  le  Messie  (4)?  »  Quelles  paroles!  Quel 


(l)  Attingens  fortiter,  disponens  suaviter. 
(2j  Quasi  quodam  apostolo   hac  muliere  utitur;    adeo  verbis 
eam  inflammaverat  (Orig.,  Expos.). 

(3)  Evangelistarum  opus  fecit;  et  non  unum  tantumvocat,  sed 
inlegram  civitatem  {Ho)n.  31). 

(4)  Venite,  et  videte  hominem  qui  dixit  mihi  omnia  quaecun- 
que  fecit.  Numquid  ipse  est  Cliristus  {Joan.  iv,  29)? 


—  355  — 

bel  exemple  du  repentir  humble  et  sincère!  Elle  s'ac- 
cuse publiquement.  Elle  dit  à  tout  le  monde  quelle 
coupable  femme  elle  a  été.  Elle  déclare  vrais  les 
bruits  qui  s'élevaient  partout  contre  ses  mœurs  ;  ce 
cri  public,  qu'elle-même  avait  voulu  naguère  faire 
passer  pour  une  calomnie,  elle  aflBrme  qu'il  reposait 
sur  des  jugements  fondés,  sur  des  désordres  réels, 
qu'elle  ne  cache  plus  et  qu'elle  ne  veut  pas  même 
excuser  ;  loin  de  là,  elle  les  raconte,  elle  les  publie 
et  les  déteste-  souverainement  ;  elle  semble  en  de- 
mander pardon  à  la  cité  tout  entière. 

Mais  quel  besoin  avait-eUe  de  faire  cette  confession 
publique  de  ses  scandales?  C'était  le  besoin,  la  sainte 
impatience  de  faire  connaître  et  de  glorifier  Jésus- 
Christ.  0  zèle  aussi  pur  et  ardent  qu'il  est  sage  et 
discret  !  Si  elle  avait  simplement  dit  :  J'ai  trouvé  le 
Messie,  qui  aurait  ajouté  foi  à  ses  paroles?  Comment 
une  femme  perdue  de  réputation,  aurait-elle  trouvé 
crédit ,  en  annonçant  un  événement  si  intéressant 
pour  les  rois  et  si  important  pour  la  religion  ?  Mais 
elle  commence  par  dire  quelle  a  trouvé  un  homme  qui 
a  lu  dans  le  plus  profond  de  son  cœur,  et  qui  l'a  appelée 
à  la  pénitence  ;  elle  publie  ce  grand  miracle  qui,  pré- 
cisément parce  qu'il  l'humihe,  ne  pouvait  être  attri- 
bué à  l'imagination ,  encore  moins  au  calcul  de  la 
passion  :  c'est  ainsi,  dit  saint  Cyrille,  qu'elle  prépare 
ses  concitoyens  à  reconnaître  Jésus-Christ  pour  le 
Messie  et  à  croire  en  lui  (1).  Aussi  généreuse  que 

(1)  Miraculi  marratione  prxposita,  preeparavit  audxtores  ad  fi- 

dem  (£xpos.). 


—  3oG  — 
sincère  dans  les  intérèls  do  la  vérité ,  elle  ne  s'iii- 
quïMo  nullcniciit  de  sa  propre  ré[)ulaiioii,  qu'elle 
foule  aux  pieds  (1).  De  plus,  avec  quelle  délicatesse 
elle  annonce  la  grande  nouvelle!  Elle  ne  dit  pas  :  Cet 
homme  étonnant  est  certainement  le  Messie;  elle  dit 
seulement  :  «  Ne  serait-il  pas  le  Messie?  Nvi/iquid  ipse 
est  Christus  ?  »  C'est  ainsi  qu'elle  éveille  l'attention  et 
la  curiosité  de  ses  auditeurs;  elle  leur  communique 
la  première  des  grâces  de  Dieu,  qui  est  de  le  désirer, 
désir  qui  est  aussi  le  premier  pas  pour  arriver  à  sa 
connaissance  et  à  son  amour.  Elle  emploie,  i)our  [)er- 
suader  ses  concitoyens,  absolument  les  mêmes  armes 
dont  le  bon  Maître  s'est  servi  pour  la  persuader  elle- 
même  :  la  douceur  et  la  suavité  :  Disponil  suaviler^  etc. 
Observez  enfin  l'humble  défiance  de  cette  nou- 
velle convertie.  Elle  s'en  va  partout,  invitant  tout  le 
monde  :  «  Yenez,  venez  avec  moi  le  voir  :  Vcnitc  et  vi- 
dete.  »  Elle  ne  prétend  donc  point,  comme  le  remar- 
que saint  Jean  Chrysostonie,  qu'on  ajoute  foi  à  ses 
paroles  ;  mais  elle  demande  à  ses  frères  de  se  con- 
vaincre, par  leurs  yeux,  de  la  vérité  (2).  Car  elle 
disait  en  elle-même  :  il  est  impossible  do  le  voir  et 
de  ne  pas  le  reconnaître,  de  le  reconnaître  et  de  ne 
pas  l'aimer.  Oh!  s'ils  entendaient  seulement  le  doux, 
son  de  sa  voix!  Oh!  s'ils  voyaient  l'amabilité  de  sa 
face,  la  bonté  de  ses  manières,  la  majesté  de  sa  pcr- 


(1)  Contemnit  gloriam,  ut  praedicct  vcritatem  (Thnopli.). 

(2)  Volchat  Dou  ex  propria  annunliîilioiio,  sed  ex  .luditu  pro- 
prio  eos  iiiducore.  Novorat  enim  quod  soluin  gustaiitcs  ex  illo 
fonte;  eadoin  passuri  eraiit  quae  et  ipsa  {lloin.  31  idem). 


—  357  — 
sonne  ;  s'ils  goûtaient  la  sublimité  de  sa  doctrine,  ils 
en  seraient  comme  moi  épris  et  enchantés! 

Cette  publication  si  humble  et  si  fervente  par 
toute  la  ville  produisit  son  fruit.  Elle  obtint,  par  la 
grâce  de  la  douceur,  le  triomphe  de  la  force  :  Attingit 
a  fine  usque  ad  finem  fortiier.  Un  grand  nombre,  avant 
même  d'avoir  vu  le  Sauveur,  crurent  que  l'homme 
annoncé  par  Photine  était  véritablement  le  Messie, 
sur  le  seul  témoignage,  dis-je,  de  Photine  devenue 
sainte  d'impure  qu'elle  était,  tout  comme,  nous  autres 
Gentils,  nous  avons  cru  plus  tard  la  même  vérité 
au  témoignage  de  Rome,  d'idolâtre  devenue  chré- 
tienne (1). 

Cependant  le  divin  Messie,  toujours  auprès  du 
puits  de  Jacob,  mais  présent  d'esprit  et  par  sa  divi- 
nité dans  la  ville  de  Sichar,  suivait  avec  une  vive  joie 
la  mission  confiée  par  la  grâce  à  Photine,  qui  l'exer- 
çait avec  tant  de  fruit;  son  cœur  se  complaisait  amou- 
reusement dans  la  pensée  qu'un  grand  nombre  d'âmes 
allaient  le  connaître  et  l'aimer.  Ce  fut  donc  en  vain 
que  les  disciples  le  pressèrent,  le  prièrent  de  prendre 
quelque  nourriture  ;  il  leur  répondit  :  «  J'ai  un  autre 
aliment  tout  préparé,  plus  délicieux  et  plus  substan- 
tiel que  vous  ne  connaissez  pas.  Ce  n'est  point, 
comme  vous  le  penseriez  peut-être,  une  nourriture 
corporelle  ;  c'est  un  aliment  tout  spirituel,  c'est  l'ac- 
complissement de  la  volonté  de  mon  Père,  l'accom- 
plissement de  ma  mission,  mon  œuvre,  en  un  mot,  la 

(1)  Multi  crediderunt  in  eum  Samaritanonim,  propter  verbuna 
muUeris  testimoaiuiu  perhibeutis  ijoan.  iv,  39). 


—  358  — 
conversion  du  monde.  Vous  verrez  vous-mômcs  sous 
peu  les  prémices,  preuve  anticipée  de  cette  œuvre. 
La  moisson  est  prèle  ;  le  grain  choisi  est  mùr,  il 
n'attend  que  la  faucille  qui  doit  le  moissonner,  que 
la  main  qui  doit  le  recueillir  ;  levez  les  yeux,  et  vous 
verrez  (1).  » 

Le  divin  Maître  parlait  encore,  que  la  ville  entière 
se  pressait  déjà  pour  le  voir  et  lui  parler  (2).  El,  en 
le  contemplant  si  beau,  si  majestueux  auprès  du 
puils  de  Jacob,  dans  une  attitude  ceitcndant  si 
humble,  si  pieuse  et  si  douce,  sous  le  reflet  céleste 
qui  brillait  toujours  sur  sa  face  adorable,  la  foule 
resta  suavement  ravie.  Loin  d'imiterles  Juifs  perfides 
qui,  même  après  avoir  vu  les  prodiges  sans  nombre 
opérés  par  sa  main ,  le  chassèrent  de  Jérusalem 
comme  un  misérable,  ces  bons  Samaritains,  qui  ne 
connaissaient  pas  ses  prodiges,  qui,  sans  avoir  vu 
aucun  de  ses  miracles,  venaient  sur  le  seul  témoignage 
d'une  femme  (3),  s'approchèrent  avec  respect,  l'en- 
tourèrent avec  vénération,  avec  amour,  et  le  suppliè- 
rent de  se  rendre  dans  la  ville,  où  ils  Taccueillent 
comme  leur  Dieu  (4). 

(1)  Rogabant  dicentes  :  Rabbi,  manduca.  —  Ego  cibum  habeo 
lianducare,  quem  vos  nescitis.  Meus  cibus  est  ut  faciarn  volun- 
fatem  ejus  qui  niisit  me ,  ut  perficiam  opus  cjus.  —  Ecce  dico 
vobis  :  Levate  oculos  veslros,  et  videte  regiones  quia  albœ  simt 
jam  ad  messein  [Joan.  i\,  35). 

(1)  Exierunt  ergo  de  civitate  et  veniebant  ad  eum  {Ibid.,  30). 

(2)  Gum  venissent  ad  illum  Samaritani,  rogaverunt  euin,  ut 
ibi  maneret.  —  Et  mausit  ibi  duos  dies.  —  Multo  plures  credide- 
runt  in  eum  propter  sermouem  ejus.  —  Jam  nou  propter  tuam 
loquelam  credimus  :  ipsi  euim  audivimus,  et  scimus  quia  hic  est 
vere  salvator  mundi  {Ibid.,  42). 


—  359  — 

Durant  les  deux  jours  que  l'aimable  Sauveur  passa 
auprès  d'eux  pour  les  instruire  par  sa  doctrine  et 
pour  les  sanctifier  par  ses  exemples,  ils  l'écoutèrent 
toujours  avec  une  avidité  nouvelle.  Un  grand  nombre, 
après  l'avoir  entendu,  le  reconnurent  et  l'adorèrent 
comme  le  Messie,,  et  d'une  foi  si  vive  et  si  affectueuse, 
qu'ils  disaient  à  Photine  :  Maintenant,  ce  n'est  plus  sur 
ta  parole  que  nous  croyons  ;  nous  l'avons  ouï  parler, 
et  nous  reconnaissons  qu'il  est  vraiment  le  Sauveur 
du  monde. 

Quel  beau  témoignage,  mes  frères!  Les  Samari- 
tains croient  donc  que  le  monde  est  perdu,  qu'il  a 
besoin  d'un  Sauveur  qu'il  attend,  et  que  ce  Sauveur 
est  précisément  Jésus-Christ  ;  et  ils  croient  que  celui- 
ci  est  ce  régénérateur  promis,  précisément  parce 
qu'il  convertit  les  hommes ,  parce  qu'il  a  converti 
une  femme  coupable,  c'est-à-dire  parce  qu'il  rend 
juste,  guérit  et  rachète  de  la  faute  et  de  la  peine  du 
péché  (5).  Oh!  admirable  triomphe!  Quel  est  le 
héros  qui,  par  le  poids  de  ses  armes,  fit  une  con- 
quête plus  prompte,  plus  importante  que  celle  qu'ob- 
tint à  Samarie  Jésus-Christ,  avec  le  seul  et  suave 
enchantement  de  sa  grâce  (6)!  Ah!  si  c'est  le  propre 
de  l'homme  de  subjuguer  les  peuples  par  la  force  des 
armes,  il  n'y  a  que  Dieu  seul  qui  puisse  dompter  et 
convertir  les  cœurs  par  la  force  de  la  grâce. 

(1)  Audivimus,  et  scimus  quia  hic  est  vere  Salvator  mundi 
{Ibid.). 

(2)  Attingens  a  fine  usque  ad  finem  fortiter,  disponens  emuia 
fluaviter  {Saptent.  \iu). 


—  3G0  — 


SECONDE  PARTIE. 


Quand  le  feu  sacré  de  l'amour  divin  s'allume  dans 
mu'àmc,  celle-ci  perd  aussitôt  de  vue  tous  les  intérêts 
lunnains  et  terrestres;  elle  ne  s'occupe  uniquement 
que  de  cette  flamme  céleste,  et  celle-ci  devient  le  prin- 
cipe et  le  signe  de  toutes  ses  inspirations  et  de  toutes 
ses  œuvres  (1).  Or,  c'est  ce  qui  arriva  à  cette  heureuse 
femme  de  Samarie.  Allumé  dans  son  cœur  par  l'a- 
mour divin,  le  feu  sacré  l'embrasa  tout  entière,  si 
bien  qu'elle  ne  vécut  plus  que  pour  lui  et  par  lui.  A 
partirdece  jour  fortuné,  elle,  ses  deux  fils,  ses  cinq 
sœurs  suivirent  le  Sauveur  ;  elle  fut  bientôt  une  de 
ses  plus  fidèles  disciples  par  sa  ferveur,  et  elle  l'ac- 
compagna, avec  les  saintes  femmes,  jusque  sur  le  Cal- 
vaire. Elle  se  trouva  dans  la  cénacle  lorsque  TEsprit- 
Saint  descendit;  elle  reçut  le  baptême  des  mains  des 
apôtres  et  devint  une  des  plus  saintes  matrones  de 
l'Eglise  naissante.  L'esprit  de  Jésus-Christ,  selon  la 
remarque  d'un  interprète,  inspire  à  ceux  qu'il  con- 
vertit un  zèle  extraordinaire  pour  convertir  les 
autres  hommes  (2):  ce  fut  vrai  pour  la  Samaritaine; 
elle  ne  cessa  plus  d'annoncer  dans  Jérusalem  les  gran- 
deurs et  les  gloires  de  son  divin  Sauveur.  Ce  zélé  ar- 
dent lui  attira  d'abord  la  persécution  des  Juifs,  qui 

(1)  Anima  cum  icrnita  fuorit  igné  divino,  ad  unam  solam,  quœ 
eam  detinet,  Hammam,  et  ad  nihil  eorum  qnae  dunf  in  ti'rra,  de 
reliquo  aipicit  (S.  Clirysost.,  hom.  33). 

(2)  Spiritus  Christi  zelum  a  se  conversis  alio»  convertendi  inji- 
cit.  A  L»p.). 


—  361  — 
Texilèreut  en  Afrique  avec  toute  sa  famille,,  ensuite 
celle  des  idolâtres,  qui,  l'an  60  de  Jésus-Christ, 
sous  Néron^  lui  firent  souffrir^,  à  Cartilage,  tous  les 
genres  de  tourments,  en  haine  de  la  foi,  en  compa- 
gnie de  ses  sœurs  et  de  ses  enfants.  Tel  fut  le  terme 
de  la  vie  héroïque  de  cette  sainte  femme,  la  couronne 
du  martyre  (1). 

Toutefois,  si  c'est  une  joie  de  se  rappeler  ces 
faits  glorieux,  on  ne  peut  penser  sans  horreur  à  ce 
qui  serait  arrivé  à  la  Samaritaine  si  elle  n'eût  pas  été 
fidèle  à  la  première  grâce  de  Jésus-Christ;  si,  quand 
notre  Sauveur  l'appela  et  lui  demanda  à  boire,  elle 
avait  continué  son  chemin  :  elle  n'aurait  pas  connu 
le  Messie,  elle  n'aurait  pas  écouté  ses  doctrines,  elle 
ne  se  serait  pas  convertie  à  son  amour;  elle  serait 
demeurée  dans  la  fange  de  ses  vices  et  dans  la  nuit 
de  ses  erreurs  ;  elle  aurait  donc  terminé  une  vie 
licencieuse  par  la  plus  déplorable  mort. 

Ahî  que  de  fois  s'accomplit  ce  terrible  mystère 
de  réprobation  !  Combien  d'âmes  qui  souffrent  dans 
les  flammes  parmi  les  réprouvés,  jouiraient  de  la 
gloire  éternelle,  si  elles  ne  s'étaient  montrées  sour- 
des aux  premières  invitations  de  Dieu  qui  les  ap- 
pelait à  la  conversion,  à  une  vie  sainte  et  parfaite  ! 

(1)  Ses  reliques  se  conservent  dans  la  basilique  de  Saint-Paul, 
à  Rome,  l'ieu  a  voulu  que  celle  qui  prêcha  la  première  Jésus- 
Cbrist  aux  Gentils  reposât  auprès  des  cendres  du  grand  apôtre 
des  Gentils,  et  que  l'on  vénérât  à  Rome  colle  dont  la  conversion, 
la  foi ,  l'humilité  et  le  zèle  Ogurèrent  si  bien  la  conversion,  la 
foi,  riiumilité  et  le  zèle  de  la  ville  éternelle  ^Vid.  Corn,  a  Lapid, 
in  IV  Joan.). 


—  302  — 
Par  leur  résistance  à  la  première  grûce,  elles  per- 
dirent toutes  les  autres  qui  leur  avaient  été  pré' 
parées  ;  elles  rompirent  d'elles-mêmes  la  mystérieuse 
chaîne  d'amour  réciproque  qui  lie  le  Créateur  à  la 
créature,  et  dont  le  dernier  anneau  est  la  persévé- 
rance finale,  le  salut  éternel.  C'est  que  Jésus-Christ 
n'appelle  pas  toujours  ;  quelquefois  il  appelle,  puis  il 
passe.  Heureux  ceux  qui,  à  cette  première  invitation, 
abandonnent  de  suite  leurs  filets,  leur  vie  de  scan- 
dale, d'ambition,  d'amour  profane,  et  qui,  comme  un 
Pierre,  un  Mallhion,  un  Zachée  et  une  Magdeleine, 
le  suivent  sans  aucun  délai!  C'est  pourquoi  saint 
Augustin  disait  :  Ce  qui  me  fait  le  plus  trembler,  ce 
n'est  pas  Jésus-Christ  qui  humilie,  qui  mortifie  ,  qui 
afflige  et  qui  punit  ;  mais  c'est  Jésus-Christ  qui  ap- 
pelle et  qui  passe  ;  car,  une  fois  passé,  il  ne  se  retourne 
pas  pour  appeler  encore:  Timeo  Jesum  transeuntem. 

Voyez,  au  contraire,  ce  que  gagna  la  Samaritaine 
à  répondre  immédiatement  à  l'invitation  du  divin 
Maître:  il  réalise  lui-même  dans  le  cœur  de  cette 
fortunée  matrone  le  mystère  de  sa  grâce,  au  même 
instant  qu'il  le  lui  révélait  par  ses  paroles.  A  peine 
l'eau  mystérieuse  d'en  haut  fut-elle  tombée  sur  cette 
terre  stérile  et  aride,  qu'elle  fit  surgir  une  fontaine 
dont  le  jet  alla  toujours  s'élcvant  et  croissant  jus- 
qu'au ciel  (1), 

Tâchons  donc,  mes  frères,  d'être  dociles  et  prompts 
à  la  voix  de  Dieu.  Ces   illuminations  soudaines  de 


(1)  Aqua  quam  dédit,  facta  est  in  ea  fons  aquse  salientiâ  in  vi- 
Uun  œteraaiu. 


—  3G3  — 
l'esprit  qui  nous  dLCoavrciit  la  misère  de  notre  état, 
la  sévérité  dos  jugements  divins,  l'horreur  des  châ- 
timents élernels  ;  ces  appréhensions  subites  de  nous 
[îerdre  qui  nous  assaillissent  la  nuit  et  qui  nous  at- 
tristent le  jour  ;  ces  mouvements  salutaires  du  cœur, 
ce  dégoût  du  vice,  ce  désir  de  la  vertu,  ces  envies 
de  nous  élever  au-dessus  de  la  terre  pour  acquérir 
le  ciel;  ces  angoisses,  ces  remords,  ces  palpitations 
que  nous  sentons  naître  dans  le  fond  de  notre  âme, 
en  écoutant  la  parole  de  vie  ;  tous  ces  mouvements, 
dit  saint  Ambroise ,  sont  la  voix  de  Dieu,  l'invitation 
de  son  cœur  à  puiser  aux  eaux  de  la  pénitence  qui 
effacent  les  péchés  et  comblent  des  grâces  éter- 
nelles (1).  Et  si  nous  sommes  prompts  à  répondre, 
dociles  à  écouter,  fidèles  à  suivre  la  voix  si  douce, 
si  affectueuse  qui  nous  appelle ,  nous  sentirons  sou- 
dain se  développer  en  nous  une  force  merveilleuse, 
qui  triomphera  des  plus  coupables  habitudes  et  des 
plus  honteuses  passions  ;  qui  nous  transportera  de  la 
région  du  vice  dans  la  région  des  vertus  :  Attingens 
a  fine  usqiie  ad  fmeni  fortiter  ;  qui  fera  jaillir  enfin  de 
notre  cœur  cette  fontaine  mystérieuse  de  grâce 
dont  les  jets  puissants  s'élèvent  jusqu'à  la  vie  éter- 
nelle. Ainsi  soit-il  (2)! 

(1)  Aquam  postulat,  ut  peccata  condonet;   sitire  se   dicit,  ut 
EÏtientibus  aeternam  gratiam  largiatur  (S.  Ambr.,  loco  cit.). 

(2)  Fiet  iu  eo  fous  aqute  salientis  in  vitam  seteruam. 


VINGT-QUATRIÈME  HOMÉLIE. 


L'Ili'inorroïsse  (1). 

{Mdllli.  ik;  Marc,  v;  Lnc.  Vlll.) 

Quara  bonus,  Isracl,  Deus  his  qui  rocto 
suiit  corde!  (Psal.  xvii.) 

Saint  Jean,  dans  révai:ç;ilc  de  ce  jour,  nous  ra- 
conle  un  fait  qui  semble  vraiment  incroyable  :  une 
multitude  de  Juifs  se  convertissent  et  croient  au 
Sauveur  du  monde,  tandis  que  celui-ci  les  repousse 
et  n'agrée  ni  leur  conversion  ni  leur  foi.  Quoi  !  ce 
Dieu  de  douceur  et  de  miséricorde  ne  veut  plus  re- 
cevoir les  hommages  spontanés  du  peuple  que  lui- 

(1)  Le  divin  Maître  était  sur  le  bord  de  la  mer  de  Tibériade, 
instruisant  le  peuple,  quand  il  vit  venir  à  lui  uu  chef  de  la  Sy- 
nagogue de  Capbarnaum,  dont  le  nom' était  Jaïre.  Cet  homme,  se 
jetant  aux  pieds  de  Jésus,  le  supplia  d'aller  guérir  sa  fille  luiique, 
d'environ  douze  aus,  qui  se  mourait.  Ce  fut  dans  ce  trajet  qu'il 
guérit  aussi  l'hémorroïsse,  en  la  première  année  de  sa  prédi- 
cation et  la  trente-deuxième  de  son  âge.  La  résurrection  de 
la  fdle  de  Jaire,  arrivée  immédiatement  après,  a  une  connexion 
intime  avec  la  guérison  de  rbémorroisse  ;  c'est  pour  cette  raison 
que  ces  deux  miracles,  l'acoutés  tous  les  deux  par  saint  Mat- 
thieu, se  lisent  ensemble  dans  l'évangile  de  la  messe  du  XXIlIe 
dimanche  après  la  Pentecôte.  Mais  comme  ils  sont  deux  prodiges 
dlQérents,  on  en  a  fait  le  sujet  de  deux  homélies,  sans  toutefois 
omettre  le  mystère  qui  les  unit  et  en  forme  ua  seul  tout. 


—  :]G5  — 

même  est  venu  se  réconcilier  par  la  prédication  et 
par  ses  prodiges?  Mais  l'évangéliste,  dans  ce  même 
passage,  a  prévenu  la  difiBculté  et  dévoilé  l'énigme, 
il  ajoute  en  effet  :  Le  divin  Maître  n'applaudit  point  à 
ces  nouveaux  convertis,  parce  qu'il  pénétrait  de  sou 
regard  divin  leurs  sentiments  intérieurs  et  qu'il  les 
connaissait.  A-t-ildonc  besoin  de  preuves  extérieures 
pour  comprendre  l'homme  et  pour  scruter  ses  inten- 
tions les  plus  cachées  et  ses  sentiments  les  plus  inti- 
mes (I)?  Cela  prouve  évidemment  que  si  le  Sauveur 
ne  loua  pas  la  foi  de  ces  Juifs,  c'est  que  cette  foi 
n'était  ni  affectueuse,  ni  sincère. 

Examinons  plutôt  les  faits.  Les  Juifs,  dans  cette 
circonstance,  ne  reconnurent  Jésus  et  ne  crurent  en 
lui,  qu'après  l'avoir  vu,  comme  le  remarque  l'évan- 
géliste, avec  un  fouet  de  simples  cordes,  chasser  du 
temple  les  bœufs  et  les  brebis  réunis  pour  être 
vendus  ,  renverser  les  tables ,  jeter  l'argent  à  terre 
et  mettre  en  fuite  tous  ceux  qui  prenaient  part  à  ce 
trafic  indigne  dans  la  maison  de  Dieu,  sans  que 
nul  eût  osé  se  plaindre  et  encore  moins  lui  résister. 
Ce  fut  seulement  quand  ils  eurent  vu  ces  prodiges  et 
d'autres  semblables ,  par  lesquels  le  Sauveur  laissa 
resplendir  quelques  rayons  de  sa  puissance  et  de  sa 
divinité,  que  ces  hommes  charnels ,  subjugués  par 
l'évidence ,   confessèrent  en  une  certaine  façon  sa 


(1)  Multi  crediderunt  in  eum  :  ipse  autem  Jésus  non  credebat 
semetipsum  eis,  eo  quod  ipse  nosset  omnes,  et  quia  opus  ei 
non  erat,  ut  quis  testimouium  ei  non  perliiberet  de  honiins,- 
ipsG  cnim  àcieljat  quid  esbet  iu  homine  (Joan.  xi). 


—  300  — 
divinité  (I).  Cela  prouve  donc  qu'ils  crurent  plutôt 
par  crainte  que  par  amour,  et  que  leur  foi ,  assez 
senil)lal)le  à  celle  de  beaucoup  de  chrcliens  de  nos 
jours,  avait  son  principe  dans  les  sens  domptés, 
écrasés  sous  le  poids  d'une  si  i;r;nidc  niajcslô,  et  non 
dans  rinimililé  de  l'esprit ,  ni  dans  la  sincérité  du 
cœur.  Ah!  une  telle  foi  ne  saurait  jamais  sauver,  ni 
être  par  conséquent  a;:réable  à  Dieu.  Vu  cœur  droit, 
humble,  affectueux,  croyant,  voilà  le  théâtre  où  ce 
Dieu  aime  à  réaliser  ses  merveilles,  les  prodiges  les 
plus  tendres  de  sa  miséricorde  et  de  sa  bonté  (2). 

Ce  doux  Sauveur  nous  en  a  do::îié  une  preuve 
éclatante  dans  l'admirable  guérison,  qu'il  opéra  à 
Capharnaûm,  d'une  maladie  déjà  ajicienne  et  d'ail- 
leurs sans  remède.  Méditons  en  ce  jour  un  si  beau 
miracle  ;  il  nous  apprendra  la  voie  qu'il  faut  suivre 
pour  parvenir  au  cœur  de  Jésus,  pour  mériter  qu'il 
se  fie,  se  donne  à  nous,  et  qu'il  répande  dans  nos  cœurs 
les  richesses  de  son  amour  qu'il  a  promises  aux  âmes 
droites  et  sincères. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Le  monde  a  toujours  été  aussi  injuste  et  pervers 
qu'op[)Osé  à  lui-ménic  dans  ses  maximes  et  ses  actes. 
Chaque  jour,  par  exemple,  rou  voit,  même  de  notre 
temps,  les  mondains,  atteints  par  la  tribulation, 
réclamer,    dans   l'attitude  la  plus  humble ,  l'inter- 

(1)  Multi  credidoruut  in  cum,  videntes  signa  ejus  quae  faciebat 
[Joan.  II,  23). 

(2)  Quam  bonus,  Israël,  Deus  lus  qui  recio  suut  corde  ! 


—  3G7  — 
cession  des  serviteurs  de  Dieu,  qu'ils  calomniaient 
naguère  et  qu'ils  tournaient  en  ridicule.  Il  eu  était 
ainsi  autrefois  :  les  Pliarisiens,  qui  ne  cessaient  de 
censurer  les  actions  du  Sauveur,  de  nier  ses  mira- 
cles et  de  ternir  sa  réputation,  ne  manquaient  point, 
dans  leurs  adversités,  de  se  présenter  à  lui  avec  les 
démonstrations  de  la  plus  grande  humilité  et  du  plus 
grand  respect,  pour  solliciter  son  secours  et  pour  le 
supplier,  de  faire  des  prodiges  en  leur  faveur. 

IXe  vous  étonnez  donc  pas,  mes  frères,  de  voir  le 
fier  Jaïre,  chef  et  prince  de  la  Synagogue  juive  à 
Capharnaûra,  prosterné,  comme  le  dernier  du  peuple, 
aux  pieds  du  Christ  et  l'adorant  humblement  (1).  Cet 
lîom.me,  hier  encore  si  dédaigneux  avec  le  divin 
3Iaître,  est  aujourd'hui  profondément  affligé  et  plongé 
dans  la  douleur  :  sa  fille  unique,  ûgée  d'environ  douze 
ans,  qu'il  aime  plus  que  lui-même,  est  atteinte  d'une 
maladie  terrible,  elle  se  meurt  (2)!  et  il  supplie  le 
Seigueur,  il  le  conjure  avec  larmes  d'entrer  dans  sa 
maison  pour  imposer  les  mains  (3)  sur  la  moribonde, 
afin  de  lui  rendre  la  santé  et  la  vie  (4). 

Remarquez  d'abord,  dit  saint  Jean  Chrysostome, 

(1)  Ecce  princeps  unus  de  archisynagogis,  nouiine  Jairus,  ac- 
cessit ad  pedes  ejus,  et  adorabat  eum  {Matth.  ix,  18;  Marc,  v,  22; 
Luc.  Yiii,  41). 

(9)  Quia  unica  filia  erat  ei  fere  annorum  duodccim,  et  haec 
moriebatur  (Luc.  viii,  42). 

(3)  Il  avait  entendu  dire  que  le  Sauveur  avait  opéré  plusieurs 
miracles  à  Capharuaûm  par  l'imposition  des  mains. 

(4)  Et  deprecabatur  eum  multum,  ut  intraret  domum  suam, 
dicens  :  Quoniam  lilia  mea  in  extremis  est.  Veni,  inipone  ma- 
oum   super  eam,  ut  salva  sit  et  vivat  {Luc.  viii,  41;     arc.  v,  23), 


—  308  — 
la  stupidité  de  ce  docteur  juif  :  il  rccomiaît  en  J6sus- 
ChrisL  le  pouvoir  diviu  de  rendre  la  sauté  à  su  fille, 
et  il  croit  iiéaiinioins  que  le  Sauveur  ne  pourra  faire 
ce  miracle  s'il  ne  pt'uèlre  dans  sa  demeure,  s'il  ne 
s'approche  de  la  malade  et  ne  la  touche  de  sa  main  (1). 

Le  Centurion,  lui,  et  la  Cliananécniie  rccoinuirent 
eu  Jésus -Christ  le  pouvoir  d'opérer  des  prodiges, 
même  de  loin,  i)ar  la  seule  force  de  sa  volonté  et  de 
sa  parole.  Les  Gentils  ont  toujours  mieux  entendu 
la  religion  que  les  Juifs. 

Quelle  admirable  bonté!  quelle  humilité  le  Fils  de 
Dieu  fit  paraître  à  cette  occasion  !  Quoique  prié  avec 
une  foi  si  languissante  et  si  imparfaite ,  il  consent 
néanmoins  à  se  rendre  à  la  maison  de  Jaïre  ;  et,  sans 
retard,  sans  aucune  parole  de  ressentiment  ou  de  re- 
proches, il  se  lève  du  lieu  d'où  il  instruisait  la  foule, 
il  suit  Jaïre,  avec  les  apôtres  et  l'immense  multitude 
qui  l'accompagnait  presque  toujours  et  l'étouffait, 
en  quelque  sorte^,  sur  son  chemin  (2). 

Une  femme  nommée  Véronique  (3),  qu'affligeait 


(1;  Vide  crassitiem;  duo  expodit  a  Chrislo  :  ut  accederet  ad 
eam,  et  luanuin  imponeret  (S.  Glirysost.,  hom.  32  in  Matfh.). 

(2)  Et  surg'^us  Jésus  al)iit  cum  illo,  et  rinquobatur  eum,  et  dii- 
cipuli  eju6.  Et  sequebatur  eum  turba  limita,  et  comprimebaut 
(MuKh.  IX,  19;  Hlarc.  v,  24). 

(3)  11  n'est  pas  certain  que  cette  femme  soit  Véronique  ;  mais 
il  est  vraisemblable  que  celle  qui  reçut  du  Sauveur  la  faveur  in- 
signe de  pouvoir  essuyer  de  ses  propres  maius  la  sueur  et  le 
sang  de  sa  face  divine,  ait  été  cette  même  matrone  qui,  dans  la 
circonstance  dont  il  s'agit,  toucha  ses  habits  avec  nue  foi  hé- 
roi(jue  et  donna  ainsi  le  plus  beau  témoignage  à  sa  divinité. Cette 
hypothèse,  toutefois,  est  pieuse,  édifiante  et  délicieuse  ;   et  cela 


—  3b9  — 
un  flux  de  sang  depuis  douze  années  (I),  se  trouvait 
le  même  pour  dans  la  contrée  de  Capharnaum.  De 
plus,  elle  était  encore  tombée  dans  l'indigence  par 
la  rapacité  des  médecins  appelés  pour  la  guérir, 
ajoute  l'Evangile,  et  qui, comme  il  arrive  très-souvent, 
n'étaient  parvenus  qu'à  la  faire  souffrir  davantage 
avec  leurs  remèdes  plus  incommodes  et  plus  doulou- 
reux que  la  maladie  même  (2).  Si  du  moins  elle  en 
avait  retiré  quelque  avantage  !  Mais^  hélas!  malgré  les 
belles  promesses  de  ces  docteurs  qui  s'étaient  succédé 
les  uns  aux  autres,  en  l'assurant  de  sa  guérison  pro- 
chaine, selon  l'ordinaire,  nul  d'entre  eux  n'avait  pu 
la  guérir  (3),  et  même  cette  malheureuse  se  sentait 
réduite  à  un  état  pire  qu'auparavant  (4).  Abandonnée 
comme  incurable,  parce  qu'elle  n'avait  plus  rien  à 
dépenser  ;  privée  de  tous  remèdes  humains,,  elle  prit 

nous  suffit  à  nous  pour  la  préférer  à  l'opinion  opposée.  Ce  qu'il 
y  a  de  certain,  comme  nous  le  savons  d'Easèbc  (liv.  VII),  de  So- 
zomène  (liv.  Y)  et  de  Théophile  {Comment.),  c'est  que  l'hémoi'- 
roïssse  était  de  la  ville  de  Césarée.  Cette  ville,  assise  au  pied  du 
mont  Liban,  s'appelait  anciennement  Lesen  ou  Laïs  {Josué  xix), 
plus  tard  Dan,  do  la  tribu  de  ce  nom,  qui  la  possédait,  et  finale! 
ment  Césarée  de  Philippe,  parce  que  Philippe,  fils  d'Hérode,  l'aval' 
réédifiée  et  embellie  en  l'honneur  de  Tibère  César.  Elle  limitai 
la  terre  d'Israël  du  côté  du  septentrion.  Près  de  cette  cité,  deu^ 
petits  fleuves  pi'enuent  leur  source,  Jor  et  Dan,  qui  se  réunisseni 
non  loin  de  là  et  forment  le  fleuve  du  Jour-Dain. 

(1)  Mulier,  quae  fluxum  sanguinis  patiebatur  duodecim  annis 
IMallh.  IX,  20). 

(2)  Et  fuerat  multa  perpessa  a  compluribus  medicis  {Marc,  v,  26). 
—  Et  in  medicos  erogaverat  omnom  substantiam  {Luc.  vjii,  43). 

(3)  Ncc  ab  ullo  potuit  curari  {Vtid.). 

(4)  Et  nihil  profecerat;  sed  magis  deterius  habebat  {Marc,  v, 
56). 

n.  ^i 


—  370  - 
la  résolution  do  recourir  aux  remèdes  de  Dieu.  Elle 
avait  entendu  beaucoup  parler  du  Sauveur  et  de  ses 
miracles  (1);   elle  crut  i'ermemcut  qu'il  pouvait  la 
guérir,  et  qu'il  le  pouvait  seul. 

Mais  comment  faire  pour  se  présenter  à  lui?  La 
loi,  comme  l'observe  saint  Jérôme,  défendait,  sous 
les  peines  les  plus  sévères,  aux  femmes  atteintes  de 
celle  maladie,  d'entrer  dans  la  ville  et  de  se  montrer 
dans  les  lieux  habiles  ;  c'est  pourquoi  cette  malheu- 
reuse restait  en  rase  campagne  (jl).  De  la  sorte,  elle 
était  affligée  et  par  la  maladie  dont  les  médecins  lui 
avaient  fait  désespérer  la  guérison,  et  par  l'impossi- 
jjilité  où  elle  se  voyait  d'aller  trouver  le  seul  docteur 
qui  pouvait  la  guérir.  Mais  voici  qu'un  certain  jour 
elle  aperçoit  venir  de  loin  une  grande  foule  ;  aussitôt 
elle  se  doute  que  le  Sauveur  est  au  milieu  de  ce 
peuple,  et  elle  quitte  sans  délai  sa  demeure,  court 
sur  la  voie  publique  et  attend  le  passage  du  Fils  de 
Dieu.  Un  examen  attentif  le  lui  fait  bientôt  distin- 
guer dans  la  foule,  à  sa  taille  élevée,  à  son  front  majes- 
tueux, à  son  regard  doux,  à  son  aspect  divin,  tandis 
qu'une  voix  secrète  disait  à  son  cœur://  est  Dieu. 
Toute  palpitante  d'espérance  en  ce  divin  Médecin, 
elle  s'occupe  de  lui  demander  la  guérison  qu'elle  no 
oute  plus  d' obtenir  (3). 

(1)  Cnm  audisset  dp  Jesu  {Ibid.,  27). 

(2]  Hœc  mulirr  sanguine  fliieus,  non  in  domo,  non  in  urbe 
accedit  ad  Domiuum,  quia  juxla  legem  (hujusmodi  mulicrcs) 
urbibus  excludcbanlur  {In  Mat  th.). 

(3)  Dcsperans  de  salute  mcdicorum,  cœlestem  adcsse  medicum 
credidit;  et  in  euni  omneni  >iuam  intentionem  collocavit.O^"/-'- 


—  371   — 

Pauvre  femme!  pauvre  affligée  !  pleine  d'une  sainte 
audace,  et  cependant  toujours  humble  ;  malgré  ses 
désirs  et  ses  efforts,  elle  reste  toujours  en  arrière. 
Elle  tâche  cependant  de  percer  la  foule  et  de  s'appro- 
cher du  Sauveur,  et  elle  reste  toujours  loin  de  lui  (1); 
car,  dit  saint  Chrysostome^  elle  a  honte  d'elle-même, 
elle  se  regarde  comme  impure,  elle  se  croit  indigne 
de  se  présenter  à  Dieu  face  à  face  (2) 

Mais  que  veut-elle  donc  faire?  Que  cherche-t-elle? 
Qu'attend-elle?  Ah!  si  vous  saviez!  elle  s'est  dit  en 
elle-même  :  «i  Si  je  puis  seulement  toucher  sa  robe, 
je  suis  sauvée  (3).  »  Quelle  noble  pensée!  Quella 
haute  intelligence  dans  cette  heureuse  femme!  Qu'ad- 
mirer le  plus?  son  humilité  ou  sa  foi?  Son  humilité 
est  réellement  profonde  et  héroïque.  Elle  se  résigne 
à  ne  toucher  que  la  robe  du  céleste  Médecin,  car 
elle  se  croit  indigne  de  tomber  à  ses  pieds  (4).  Et 
encore,  comme  le  remarque  un  interprète,  elle 
cherche  à  toucher,  non  pas  la  partie  supérieure  du 
vêtement  en  contact  avec  le  corps  très-pur  de  Jésus, 
mais  seulement  le  bord  extérieur  de  cette  robe  (5), 

(1)  Venit  in  turba  rétro  {Marc,  v,  27). 

(2)  Rétro,  quia  verecundabatur,  se  imnumdam  existimao* 
(S.  Cbrysost.,  hom.  32  in  Matth.). 

(3)  Dicebat  intra  se:  Si  taQtum  tetigero  vestimentum  ejus, 
salva  ero  {Matth.  ix,  21). 

(4)  Admiranda  bumilitas,  quia  indignam  se  judicavit,  quae  Do- 
mini  pedes  tangeret  (S.  Rémi,  Caten.). 

(5)  Les  Hébreux  avaient  l'usage  de  porter  à  l'extrémité  exté- 
rieure de  leur  vêtement  de  dessus  ou  de  leurs  manteaux  une 
bandelette,  ou  une  frange,  cousue  tout  autour,  ou  superposée ,  ou 
tisàue  avec  l'étoffe,  selon  que  la  loi  même  l'ordonnait  {Nomb.  XY.) 


tant  est  vil  le  Rcntiniciit  qu'elle  a  d'elle-même  (I)! 

Mais  que  dirai-je  de  sa  loi*?  Elle  est  la  censure  du 
celle  des  Juifs.  Jaïre  croit  que  le  Sauveur  ne  pour- 
rait guérir  sa  fille  s'il  n'entre  dans  sa  maison  et  ne  la 
louche  de  sa  main  bénie.  Véronique  pense  au  con- 
traire qu'elle  sera  guérie,  si  elle  a  le  bonheur  de  tou- 
cher seulement  le  bord  de  ses  vêlements,  sans  qu'il 
prononce  aucune  parole,  sans  même  qu'il  s'en  aper- 
çoive. Non-sculcnient  elle  le  pense,  mais  elle  le  croit 
fermement  ;  elle  ne  l'espère  pas  seulement,  mais  elle 
en  est  certaine.  C'est  pourquoi  elle  ne  dit  pas  :  Je  gué- 
rirai peut-être,  mais  :  Je  suis  certaine  d'être  guérie  (2). 

EUene  craignit  pas  non  plus,  en  touchant  le  Sauveur 
de  lui  communiquer  la  tache  légale  (3)  ;  car  elle  sa- 


Les  plus  dévots  la  portaient  plus  large  ;  c'est  de  là  que  le  divin 
Sauveur  prend  occasion  de  reprocher  aux  Pliarisicns  qu'ils  dila- 
taient leurs  franges  en  signe  de  grande  religion,  tandis  qu'ils 
resserraient  toujours  davantage  leur  cœur  à  la  charité.  Ces  fran- 
ges étaient  de  couleur  bleu  céleste,  afin  qu'en  les  voyant,  dit  le 
texte  sacré,  ils  se  souvinssent  de  tous  les  commandements  du 
Seigneur  et  qu'ils  ne  suivissent  ni  leurs  pensées,  ni  leurs  yeux, 
pour  se  prostituer  à  divers  objets.  Aujourd'hui  encore,  les  Juifs 
se  servent,  dans  leurs  prières,  d'une  espèce  de  vùtemcut  (de 
thorax)  sans  manches,  qu'ils  appellent  arhacanphot,  ayant  des 
franges  de  couleur  bleu  de  ciel,  qu'ils  nomment  zotten. 

(1)  Non  est  ausa  tangere  vestimeutum  quoJ  Domini  carnem 
tegebat;  sed  illud  quod  foris  prœminebat  (Drut.,  Expos.). 

(2)  Non  dixit  :  Forsan  ;  sed  :  Certe  salva  ero. 

(3)  La  loi  mosaïque  était  sur  ce  point  très-claire  et  très-sévère  : 
Millier  quœ  2^afitur  multis  diehus  fluxum  sanrjuinis  non  in  tem- 
])ore  mcnst7'uali,  vel  quœ  post  menstruum  san/juincm,  flucre  non 
ccsiat,  quandiu  subjacet  finie  passioiii,  immunda  erit.  Cette  im- 
sureté  légale  se  communiquait  à  quiconque  la  touchait,  ou  dont 
elle  avait  été  touchée,  comme  à  tout  ce  qui  était  à  son  usage. 


—  373  — 
vaitbien,  dit  saint  Pierre  Chrysologue^,  queriiomme, 
si  impur  soit-il,  ne  peut  apporter  aucune  souillure 
à  la  sainteté  de  Dieu,  et  que  si  le  soleil  reste  pur, 
malgré  la  boue  où  plongent  ses  rayons,  à  plus  forte 
raison  le  Créateur  de  cet  astre  ne  peut-il  contracter 
la  moindre  souillure  à  son  contact  avec  notre  boue 
humaine  (1). 

Une  si  vive  confiance  ne  pouvait  être  trompée  :  il 
arriva  précisément  comme  la  malade  avait  cru  ;  elle 
s'inclina,  étendit  le  bras  à  travers  la  foule,  toucha  le 
vêtement  du  Sauveur  (2),  et  aussitôt  le  flux  de  sang 
s'arrêta,  et  elle  se  sentit  guérie  comme  par  une  main 
invisible  (3). 

Femme  vraiment  heureuse ,  s'écrie  saint  Pierre 
Chrysologue  !  Elle  ne  peut  ouvertement  se  présenter 
au  divin  Médecin,  et  elle  parvient  à  lui  par  l'esprit; 
elle  sait,  par  cette  voie  secrète,  trouver  le  remède 
efficace  et  prompt  pour  son  humiUante  infirmité,  et 
si  elle  n'a  pas  dû  supplier  publiquement,  le  Sauveur 
a  su  réussir  d'une  manière  plus  admirable,  en  s' insi- 
nuant secrètement  dans  sou  cœur  par  le  silence  élo- 
quent de  la  foi  (4)  ! 

{Lévit.,  chap.  xv).  Grotius  dit  que  la  raison  de  cette  loi  était 
qu'en  Syrie  et  dans  les  contrées  voisines,cette  maladie  était  con- 
tagieuse et  très-funeste  [In  Levit.). 

(1)  Sciens  quia  Deum  nec  tactum  polluit,  nec  inquinat  humana 
cogitatio.  Si  sol  tangit  stercora,  nec  tamen  inquinatur;  quanto 
niagis  solis  Creator  (S.  Petr.  Ghrysol.,  serm.  35). 

(2)  Tetigit  fimbriam  vestimenti  ejus  {Matth.  ix,  20). 

(3)  Et  confestim  siccatus  est  fons  sanguinis  ejus;  et  sensit 
corpore,  quia  sauata  esset  a  plaga  {Marc,  v,  29). 

(4)  Invenit  mulier  yerecundo  vulneri  qualiter  subveniret,  ul 


—  :i74  — 

D'autre  part,  que  ce  miracle  de  Jésus  est  beau 
et  magnifique  !  Quelle  preuve  éclatante  de  sa  divi- 
nité! Quel  autre  qu'un  Dieu  eût  eu  pitié  de  cette 
femme  se  tenant  cachée  dans  la  foule?  quel  autre 
qu'uu  Dieu,  sans  qu'elle  ait  formulé  sa  demande, 
l'eût  exaucée,  l'eût  guérie  (1)?  Ah  !  le  Verbe  éternel, 
la  vertu  de  Dieu,  en  prenant  notre  nature  infirme 
pour  nous  racheter,  n'a  point  enchaîné  dans  sa  chair 
l'efficacité  de  sa  puissance  divine.  Si  le  Dieu  créateur 
a  donné  à  l'aimant  la  faculté  d'attirer  le  fer,  le  Dieu 
Sauveur  a  communiqué  à  sa  robe  (2)  la  vertu  d'éloi- 
gner les  infirmités  et  de  guérir  ceux  qui  la  touche- 
raient avec  une  foi  vive  (3). 

Mais  le  plus  grand  miracle  de  Notre-Seigneur  dans 
cette  circonstance,  ce  ne  fut  pas  tant  d'avoir  guéri 
Véronique  que  d'avoir,  par  le  don  de  sa  grâce,  éclairé 
son  esprit  et  répandu  dans  son  intelligence  une  telle 
lumière,  que  cette  femme  vraiment  grande  l'emporta 
dans  la  science  divine  sur  les  docteurs,  qu'elle  sur- 
passa les  Juifs  dans  la  connaissance  des  mystères  du 
christianisme,  et  qu'elle  n'eut  rien  à  envier  aux  apôtres 
mêmes  par  la  pureté  et  par  la  fermeté  de  sa  foi.  Eu 

insinuarct  fidei  silentio,  quod  publico  clamore  non  poterat;  et 
sécréta  spiritus  via  pervenerit  ad  medicum  ad  quem  pervenire 
manifesto  carnis  itinere  non  potorat  (S.  Chrysol.,  loco  cit.). 

(1)  Non  nisi  a  Deo  potuit  latius  videri;  audiri  taceus,  celata 
curari  {Id.,  ibid.). 

(2)  La  sainte  robe  de  Notre-Seignour  à  Trêves. 

(3)  Ad  redomptionem  nostram  fragililatcm  corporis  virtus  as- 
suuipsit;  sed  assumptio  corporis  non  naturam  virtiitis  inclusit. 
—  Sicut  auctor  naturae  dat  magueti  virtutem  ferruni  attrahendi; 
sic  Christus  dabat  vcsti  suae  vim  repelleudi  iufirmitates,  et  sa- 
uaudi  ex  fide  tangeûtem  (S.  Hilar.,  Caten.). 


—  375   — 
effet,  les  Juifs  méprisèrent  le  Fils  de  Dieu,  pour  la 

faiblesse  de  sa  nature  humaine  ;  l'apôtre  saint  Tho- 
mas dut,  pour  croire  à  la  résurrection  du  Sauveur, 
toucher  son  corps,  mettre  un  doigt  dans  ses  plaies; 
tandis  que  cette  femme  extraordinaire,  ne  se  laissant 
point  arrêter  par  les  apparences  humaines  de  Jésus, 
ne  douta  point  un  seul  instant  que  la  divinité  eût 
perdu  de  son  eflBcacité  pour  s'être  unie  à  l'humanité, 
et  qu'elle  ci-ut  fermement  que  la  robe  qui  recouvrait 
sa  chair,  dans  la  partie  même  qui  traînait  à  terre, 
possédait  la  vertu  toute-puissante  de  la  robe  d'un 
Dieu.  Elle  ne  douta  point,  dis-je,  que  cette  vertu, 
figurée  par  le  chrême  des  onctions  anciennes,  que 
cette  vertu  qui  rayonnait  du  chef  adorable  du  Sau- 
veur, rayonnait  avec  la  même  puissance  du  bord 
même  de  son  vêtement,  et  qu'en  lui  se  vérifiait  la 
prophétie  ^annonçant  que  l'onction  divine  du  vrai 
Aarou  s'étendrait,  en  conservant  toujours  son  effica- 
cité, jusqu'à  l'extrémité  de  ses  habits.  Quelle  idée 
sublime  elle  avait  ainsi  de  la  personne  adorable  du 
Fils  de  Dieu  !  quels  trésors  de  grâces  et  de  mérites 
elle  contemplait,  par  la  foi,  dans  l'âme  de  Jésus- 
Christ,  puisqu'elle  crut  que  la  vertu  de  sa  divinité 
résidait  jusque  dans  ses  vêtements  (1)  ! 

(1)  Magna  liaec  millier,  quae  scientia  omnes  doctores  vincit; 
sacramento  omnes  Judaeos  superavit;  fide  praecessit  apostolum  : 
nam  Judaea,  cum  scribis  et  doctoribus  suis,  Christum  despexit  in 
corpore;  Tiiomas  apostoius,  ut  Christum  Deum  crederet,  misit 
manus,  patefecit  vulnera.  —  la  Christo  nihil  putavit  extremum , 
quia  nec  Deus  minoratur  in  homine,  nec  virlus  attenuatur  in 
fimbria.  —  Vidit  in  fimbriam  vestimenti  ejus  totam  plenitudinem 


-  37G  — 
Cahin,  cette  âme  noire,  possédée  d'une  haine  infer- 
nale contre  Jésus- Christ,  dont  il  chercha  toujours  à 
rabaisser  les  mystères  et  à  obscurcir  la  divinité,  Cal- 
\in,  dis-je,  prononça  donc  un  blasphème,  quand  il  osa 
dire  que  Véronique  se  montra  superstitieuse,  en  at- 
tribuant une  vertu  divine  à  la  robe  du  Fils  de  Dieu. 
INe  faut-il  pas  avoir  [icrdu  non-seulement  la  foi,  mais 
aussi  la  raison,  pour  taxer  de  superstitieux  un  acte  de 
religion  sublime,  confirmé,  exalté  par  un  si  firaïul 
miracle?  Mais  savcz-vous,  mes  frères,  pourquoi  la  foi 
de  Véronique  a  mis  en  courroux  le  novateur?  C'est, 
dit  un  interprète ,  parce  qu'elle  a  fourni  à  l'Eglise 
catholique  une  preuve  invincible  de  la  vertu  et  de 
l'efficacité  des  saintes  reliques,  et  par  suite  du  culte 
qui  leur  est  dû  (1);  le  vêtemeut  de  Jésus-Christ,  en 


divini  cluismadri,  totara  divini  capitis  Iraxisse  virlutcm;  sicut 
unguontum  quod  descendit  in  ora  vestimenti  ejus.  —  Quid  ista 
inulier  vidit  liabilare  iu  intcrioribus  Cliristi;  quae  in  Cbristi  fiin- 
bria  vidit  divinitatis  habitare  virlutem? 

(1)  Les  modernes  hérétiques  ont  condamné  le  culte  des  reli- 
ques des  Saints  ;  au  commenceuieut  de  la  prétendue  réforme,  ils 
se  mirent  à  les  brûler,  à  les  jeter  à  l'eau  et  à  les  détruire  par- 
tout, avec  une  fureur  infernale.  Et  cependant  le  cœur  du  féroce 
Zningle  se  conserve  encore,  par  ses  sectaires,  en  grande  vénéra- 
tion.Dans  le  Witteniberg  même,  on  montre  encore  de  nos  jours, 
comme  de  précieuses  reliques,  les  culottes  de  Luther.  Et,  dans 
ces  dernières  années,  on  a  vu  rendre  aux  restes  impurs  des  en- 
nemis de  Jésus-Christ  et  des  persécuteurs  de  l'Église,  des  hon- 
neurs tels  que  l'Eglise  catholique  ne  rend  pas  môme  aux  osse- 
ments sacrés  des  martyrs  et  des  saints.  Tant  il  est  vrai  qui' 
l'homme,  en  cessant  d'élre  religieux,  devient  superstitieux,  toul 
comme  il  devient  crédule  en  cessant  d'être  croyant.  Ainsi  Dieu, 
même  en  ce  monde,  humilie  et  confond  l'orgueil. 


—  377  — 
effet,  n'était  qu'une  relique  auguste  (1).  0  vous  donc 
qui  vous  dites  callioliques,  mais  catholiques  de  nom 
seulement,  apprenez  par  cet  exemple  que_,  lorsque 
vous  vous  érigez  en  censeurs  orgueilleux  pour  con- 
damner la  vénération  des  âmes  pieuses  pour  les  pré- 
cieuses dépouilles  des  saints  et  leur  confiance  dans 
leur  efficacité  ;  apprenez ,  dis-je ,  que  vous  parlez 
comme  Calvin  ;  vous  êtes,  sans  vous  en  douter,  l'écho 
des  hérésiarques,  qui  voudraient  que  des  corps,  les 
anciennes  demeures  sur  terre  d'âmes  purifiées  par 
le  mart}  re  ou  la  pénitence^  fussent  profanés  et  foulés 
aux  pieds,  tandis  qu'ils  honorent  d'un  culte  vraiment 
superstitieux  et  ridicule  les  cadavres  des  coryphées 
de  l'impiété  ;  cadavres^  la  sentine  naguère  de  tous  les 
vices,  les  noires  prisons  d'âmes  perverses  et  diabo- 
liques !  Laissons  ces  impies  et  ces  insensés  nous  accu- 
ser de  superstition,  parce  que  nous  vénérons  les  re- 
liques des  vrais  amis  de  Dieu.  Admirable  et  digne 
superstition,  en  effet,  est  celle  qui  obtient  des  mira- 
cles, qui  rend  ferme  dans  la  foi  et  qui  donne  à  la 
piété  chrétienne  le  plus  pur  aliment. 

Quant  à  nous,  prêtres  de  ce  Dieu  fait  homme,  nous 
dit  saint  Pierre  Chrysologue  ;  nous  qui,  chaque  jour, 
nous  nourrissons  du  corps  de  Jésus-Christ,  compre- 
nons quelle  force  médicinale  nous  pouvons  retirer 
de  cette  chair  divine  pour  la  guérison  de  nos  infir- 
mités sprituelles,  puisque  Véronique,  autrefois,  par  le 

(1)  Est  hoc  exempliim  ad  probandam  vim  et  efûcaciam  sancta- 
runi  reliquiarum ;  talis  enim  fuit  veotid  Chriali  (A  Lap.). 


—  378  — 
seul  attachement  de  la  fraugc  de  sou  vôteraeut ,  a 
obtenu  la  santé  du  corps  (I). 

Mais,  hélas!  funeste  pensée,  ajoute  le  môme  Père, 
pensée  qui  arrache  les  larmes  !  Quiconque  participe 
indignement  au  corps  et  au  sang  du  Sauveur,  boit  et 
mange  la  sentence  de  son  supplice  éternel  ;  si  bien 
que,  loin  de  retirer  de  ce  Corps  adorable  le  baume 
précieux  qui  guérit  les  blessures  mortelles,  nous  le 
changeons  trop  souvent  en  un  poison  qui  nous  donne 
la  mort! 

Un  si  bel  acte  de  foi  et  de  religion,  suivi  d'un  si 
grand  miracle,  ne  devait  point  demeurer  caché.  Aussi 
le  divin  Maître,  pour  confondre  les  Juifs  qui  étaient 
présents  et  pour  instruire  les  chrétiens  qui  étaient 
éloignés,  amène,  de  la  manière  la  plus  gracieuse  et 
la  plus  délicate,  cette  femme  qui  avait  fait  cet  acte 
sublime,  à  le  rendre  public.  Lorsque  sa  vertu  secrète 
eut  guéri  Véronique  (2),  il  se  retourna  donc  vers  la 
foule  et  dit  d'un  air  grave  et  solennel  :  «  Quelqu'un 
s'est  approché  de  moi  et  a  touché  mes  vêtements  ; 

(1)  Docuit  mulier  quale  sit  corpus  Ghristi,  quœ  in  fimbria  tan- 
tum  esse  monstravit.  Audiant  Cliristiani,  qui  quotidie  corpus 
Ghristi  attingunt,  quantam  de  ipso  corpore  suniore  possunt  me- 
diciuam,  quaudo  mulii-i'  rapuit  de  sola  Ghristi  fimbria  sauitatem, 
—  Sed  quod  nobis  flendum  est  :  inulier  de  corpore  medicinam 
tulit;  nobis  medicina  ipsa  retorquctur  iu  vulnus.  Hinc  est  quod 
Apostolus  tangentes  indigne  corpus  Ghristi  taUter  admonet  et  de 
filorat  :  qui  manducat  et  bibit  indigne,  judicium  sibi  mauduca 
et  bibit  [Serm.  35). 

(2)  Statim  Jésus  in  semetipso  cognoscens  virlutem  quœ  exierat 
•de  illo  [Marc,  v,  30). 


—  379  — 
quel  est-il  (!)?«  Tous  ceux  qui  en  étaient  le  plus  rap- 
prochés niaient  le  fait  les  uns  après  les  autres  (2). 
Pierre  s'aYança  et,  avec  sa  simplicité  et  sa  franchise 
habituelles,  il  dit  :  «  Maître,  que  dites-vous?  la  foule 
vous  entoure  et  vous  presse  de  toutes  parts;  peu  s'en 
faut  que  nous  ne  soyons  nous-mêmes  étouffes  avec 
vous,  et  vous  demandez  qui  est-ce  qui  vous  a  tou- 
ché (3)?  »  Mais  le  Sauveur  reprit  :  «  Quelqu'un  m'a 
touché,  "car  je  sais  qu'une  vertu  miraculeuse  est  sor- 
tie de  ma  personue(4).  »  Et  il  continuait  à  chercher 
des  yeux  la  femme  qui  avait  fait  cet  acte  de  foi  (5). 
Celle-ci,  qui  se  sentait  guérie',  pensa  qu'elle  avait  été 
aperçue,  et  elle  se  mit  à  trembler  (6).  Ne  pouvant 
ni  le  nier  ni  se  cacher,  elle  vint  se  jeter  aux  pieds 
du  Sauveur,  en  avouant  tout  (7)  ;  elle  n'eut  pas  honte 
de  découvrir  son  infirmité,  ni  de  raconter  à  ce  peuple 
pourquoi  elle  s'était  approchée  de  Jésus  et  comment 
elle  avait  été  guérie  sur-le-champ  (8). 

Mais  pour  quelle  raison  Jésus-Christ  voulut-il  obli- 

(1)  Conversus  ad  turbnm  aiebat  :  Quis  est  qui  me  teligit?  Qr.is 
tetigit  vestimenta  mea  {Marc,  v,  30;  Luc.  viii,  45). 

(2)  Negautibus  autem  omnibus  {Luc.,ibid.), 

(3)  Dixit  Petrus  :  Prfeceptor,  vides;  turbae  te  comprimunt,  et 
te  affliguiit,  et  dicis  :  Quis  me  tetigit  {Ibid.,  45)? 

(4)  Et  dixit  Jésus  :  Tetigit  me  aliquis;  nam  ego  novi  virtutem 
de  me  exiisse  {Ibid.,  46). 

(5)  Et  circumspiciebat  videra  eam,  quse  hoc  fecerat  {Marc,  y,  32). 
(G)  Mulier  vero  sciens  quod  factum   esset  in  se;  videus   quia 

non  latuit;  timens  et  ircmens  {Marc,  v,  33;  Luc.  viii,  47). 

(7)  Venit  et  procidit  ante  pedes  ejus,  et  dixit  ei  omnem  veri- 
tatem  {Ibid.). 

(8)  Et  ob  quam  causam  tetigerit  eum,  iudicavit  coram  omni 
populo;  et  quemadmodum  confestim  sauata  sit  {Luc.  viii,  47). 


—  380  — 

p;er  cette  femme  h  déclarer,  avec  tant  de  honte  et  de 
crainte,  sa  maladie,  et  pourquoi  l'obligea-t-il  à  publier 
sa  guérison?  Ce  n'est  point,  comme  l'observe  saint 
Chrvsostome,  que  ce  tout  aimable  Sauveur  ait  voulu 
riiumilier;  mais  c'était  plulùt  pour  la  consoler,  pour 
la  rassurer,  elle  qui  semblait  craindre  d'avoir  commis 
comme  un  larcin  (J).  Saint  Pierre  Chrjsologue  dit: 
Le  nis  de  Dieu  voulut  que  la  confession  de  Véro- 
nique fût  publique,  d'abord  pour  que  cette  confes- 
sion, si  désintéressée  et  si  sincère,  fût  une  preuve  in- 
vincible qu'il  sait  tout,  qu'il  peut  tout,  qu'il  est  Dieu, 
en  un  mot;  secondement,  pour  que  sa  foi  humble  et 
confiante  fût  connue  de  tous,  afin  que  les  apôtres  et 
les  chrétiens  puissent  l'imiter  (2). 

Quand  le  Sauveur  eut  obtenu  les  résultats  en  vue 
desquels  sa  sagesse  avait  résolu  ce  miracle,  il  se  re- 
tourna vers  Véronique,  toute  confuse  et  toute  trem- 
blante, et  il  lui  dit  avec  une  ineffable  douceur  :  «  Ma 
fille,  aie  confiance  ;  je  confirme  et  ratifie  le  prodige  : 
c'est  ta  foi  qui  t'a  sauvée,  vas  en  paix,  et  sois  délivrée 
pour  toujours  de  ton  infirmité  (3).» 

Quelles  paroles ,  mes  frères  !  Quelles  délicieuses 
promesses!  quelles  belles  déclarations!  Oui,  «  le  Sei- 


(1)  Non  permisit  latcre,  ut  solvcret  timorem  mulieris,  ne  a 
conscientia  [mngatur,  quasi  donum  fnrala  fuisset  (S.  Clirysost., 
loco  cit.). 

(2)  Ut  eam  ad  confossionem  induceret.  —  Monstravit  se  uosse 
(et  posse)  omnia.  —  Omnibus  iidem  ostcudit  {Serm.  35). 

(3)  At  Jésus  couversus,  et  videns  eam,  dixit  ei  :  Coufido,  filia; 
fides  tua  te  salvam  fecit.  Vade  in  pace,  ot  osto  sana  a  plaga  tua 
[Malth.  IX,  22;  Marc.  V,  34;  Luc.  vjn,  48). 


—  381  — 
gncur  est  réellement  doux  aux  âmes  droites  et  sin- 
cères! »  L'ciimable  et  tendre  Sauveur  ne  confirme 
pas  seulement  la  guérison  qu'il  vient  d'opérer  en 
faveur  de  cette  infortunée,  mais  de  plus  il  en  assure 
la  durée  :  Esto  sanaaplaga  tua;  il  loue  sa  foi  et  exalte 
sa  confiance  en  présence  de  tout  le  peuple  sous  les 
yeux  duquel  elle  s'était  humiliée  :  Fides  tua  te  salvam 
fecit  ;'\\  lui  donne  la  paix  du  cœur  et  avec  elle-même 
etaveC'Dieu^  et  parla  il  montra,  dit  saint  Jean  Chry- 
sostome,  qu'il  lui  avait  pardonné  ses  péchés,  qu'en 
guérissant  son  corps  il  avait  sanctifié  son  âme  (1), 
et  qu'enfin  il  ne  se  contente  pas  de  l'admettre  dans 
son  amitié,  mais  qu'il  l'adopte  pour  sa  fille,  fille  tant 
aimée  de  lui,  qu'elle  peut  dès-lors  espérer  de  tout 
obtenir  de  son  amour  :  Confide,  filia. 

Telle  fut  la  conséquence  du  regard  de  tendresse 
que  le  Dieu  de  bonté  daigna  diriger  sur  cette  faible 
créature  :  Couver  sus  et  videns  eam.  Heureux  donc  ce- 
lui sur  qui  le  Fils  de  Marie  daigne  abaisser  les  yeux 
pour  le  guérir  de  ses  infirmités  corporelles!  mais 
bien  plus  heureux  encore,  si  ces  yeux  divins  plongent 
dans  son  âme  !  car  il  se  trouvera  en  un  instant  délivré 
de  ses  maux  et  comblé  de  toutes  sortes  de  biens  (2). 

Dès  ce  moment,  Véronique  devint  vraiment  la  fille 
tendrement  dévouée  du  Sauveur  Jésus.  Elle  le  suivit 
toujours,  et  partout,  aussi  longtemps  qu'il  vécut.  Elle 


(1)  ut  cognoscat  se  etiam  a  peccatis  mundatam  (Loco  cit.). 

(2)  Vidit  oculis  divinis,  non  huiuauis.  Douatur  bonis,  raalis 
caret  queui  vid^rit  Deus  (Emis.). 


—  382  — 
raccompagna  sur  le  Calvaire.  Et  celte  même  femme, 
qui  avait  à  peiuc  osé  toucher,  en  tremblant,  l'extré- 
mité de  sa  robe,  eut  la  faveur  insigne  d'approcher 
SCS  mains  innocentes  de  la  face  adorable  du  Sauveur 
pour  en  essuyer  la  sueur  et  le  sang  qui  en  découlaient, 
et  de  recevoir,  en  récompense,  le  trésor  de  la  saiute 
face  du  Sauveur  sur  le  suaire  de  fin  lin ,  qui  est  une 
des  reliques  et  des  plus  précieux  monuments  oui 
font  à  présent  la  gloire  de  la  basilique  de  Saint- 
Pierre  (1). 

Mais  laissons  le  sens  littéral  de  cette  charmante 
histoire  et  élevons  nos  pensées  au  sens  allégorique 
et  moral  qu'elle  présente;  arrêtons-nous  à  goûter  les 
mystères  qu'elle  nous  offre  et  à  nous  instruire  aux 
solides  leçons  qu'elle  contient.  L'hémorroïsse,  souf- 
frant un  flux  de  sang  qui  la  rendait  impure  selon 

(1)  Véronique,  après  l'Ascension  de  Notre-Seigneur,  se  retira 
à  Césarée,  sa  patrie,  où  elle  fit  élever,  sur  la  place  publique,  une 
statue  en  marbre  précieux,  en  mémoire  du  miracle  que  notre 
divin  Sauveur  avait  opéré  en  sa  faveur.  Dieu  voulut  lui-même 
rendre  célèbre  cet  acte  de  reconnaissance  de  Véronique  par  un 
miracle,  qui  se  continua  bien  deux  siècles  de  suite.  Eu  effet, 
il  croissait  sur  le  piédestal,  tout  autour  de  cette  statue,  une 
herbe  ;  or,  quand  cette  herbe  arrivait  une  fois  à  toucher  le 
bord  de  la  robe  de  celte  statue,  elle  acquérait  une  vertu  prodi- 
gieuse pour  guérir  toutes  sortes  de  maladies,  même  les  plus  dé- 
sespérées. Julien,  empereur  et  le  premier  prince  apostat,  persé- 
cuteur de  l'Eglise,  lit  enlever  la  statue  de  Notre-Seigneor  de  son 
piédestal  pour  y  placer  la  sienne;  mais  ce  fut  inutilement;  car, 
au  lieu  de  produire  une  herbe  miraculeusement  salutaire,  ce  pié- 
destal attira  la  foudre  vengeresse  du  ciel,  par  laquelle  la  statue 
de  ce  vil  ennemi  de  Jésus-Christ  fut  à  l'instant  renversée  et  ré- 
duite en  poudre,  sans  qu'elle  ait  jamais  été  relevée  (Eusèb., 
lib.  VII;  Sozomeu.,  lib.  V;  Théoph.,  Comment.). 


OOO     — 

]a  loi,  est  la  figure  de  l'Eglise  des  Gentils,  souillée  des 
superstitions  de  l'idolâtrie  et  de  la  corruption  des 
vices  (1).  C'est  pour  cela  précisément  que  l'évan- 
géliste  saint  Jean  appelle  enfants  nés  de  la  chair  et 
du  sang  ceux  qui  ne  sont  point  nés  de  Dieu  (2). 

Ainsi  Véronique  qui,  à  cause  de  sa  maladie,  était 
bannie  des  lieux  habités  et  du  commerce  des  hommes, 
représentait  bien  fidèlement  la  triste  condition  des 
Gentils.  Çn  effet, leur  inclination  pour  les  plaisirs  char- 
nels les  avait  fait  exclure  du  nombre  des  fidèles  ado- 
rateurs de  Dieu  ;  aussi,  quand  ils  surent  que  le  Fils  de 
Dieu  était  venu  pour  sauver  la  Judée,  ils  allèrent  à 
sa  rencontre  comme  pour  ravir  à  Jérusalem  le  salut 
qu'il  lui  promettait  (3). 

Pour  rendre  la  chose  encore  plus  sensible,  l'évan- 
géUste  remarque  que  la  fille  de  Jaïre  avait,  quand  elle 
mourut,  douze  ans,  et  qu'il  y  avait  aussi  douze  ans 
que  Véronique  était  infirme  ;  c'est-à-dire  que  son  infir 
mité  commença  à  la  naissance  de  la  fille  de  Jaïre.  Or, 
cela  signifie,  dit  saint  Jérôme,  que  l'idolâtrie,  avec  le 
cortège  de  ses  erreurs  et  de  ses  vices,  ne  commença 
à  devenir  générale  dans  le  monde  que  douze  siècles 
avant  Jésus-Christ,  quand  la  Synagogue  fut  constituée 


(1)  Fluxus  sanguinis  iutelligUur,et  de  pollutione  idolatriae  et 
de  iis  quœ  carnis  delectatione  gerebantur  {Glos.). 

(2)  Ex  sanguinibus  et  ex  voluntate  carnis  {Joan.  i). 

(3)  Sicut  ista  exclusa  erat  domibus  et  turbis,  propter  sanguinis 
immunditiam,  et  propterea  in  viavcnit  ad  Dominum;  sicgentilis 
populus  exclusus  erat  a  cœtu  fidelium,  poUutus  ingenito  carna- 
Ixum  fluxu  ;  sed  cum  verbo  Dei  ceinerct  salvari  Judaeam,  rapuit 
sibi  saluteiu  (Drut.,  Expos.). 


—  :{.si  — 

en  Église  publique,  et  qu'elle  naquit,  en  quelque  sorte, 
des  patriarches  (1).  Cela  vcul  dire  que  ri-l^lise  fut 
iiilirnie  aussi  longtemps  que  la  Synagogue  fut  pleine 
de  force  et  de  vie,  et  quelc  salut  des  Gentils  com- 
nuMiça  lorsque  la  Synagogue  périt,  à  cause  de  sou  in- 
lidélité(2). 

Véronique,  en  écoutant  les  médecins  inhabiles  ou 
imposteurs  qui  avaient  iiuililement  dévoré  tout  son 
patrimoine,  représente  le  paganisme  avec  ses  faux 
docteurs,  ses  devins  et  ses  philosophes  orgueilleux  ; 
c'est  en  les  écoutant  et  en  les  suivant,  que  la  gen» 
tilité  avait  inutilement  dépensé  tout  son  génie  pour 
obtenir  la  sanlé  de  rame  qu'elle  cherchait  comme 
elle  le  pouvait  (3).  Les  leçons  que  les  philosophes  don- 
naient comme  des  remèdes  infaillibles,  n'étaient  au 
fond  qu'un  insipide  verbiage,  qu'une  poésie  ridicule 
qui  tirent  perdre  aux  Gentils  toutes  leurs  richesses 
d'esprit  (4). 

Que  de  disputes  entre  ces  docteurs  sur  l'âme  hu- 


(1)  Jiiiri  filia  duodonnis,  et  mulicr  duodocim  aiiiii^  sauguiue 
fluxit;  scilicPt  tempore  qiio  illa  uala  e^t,  ha?c  cœpit  iiilirmari. 
Una  enim  pfîue  saeculi  œtate  Sj-nagoga  cœpit  ex  palriarchis 
nasci,  et  gentium  nalio  idololatriœ  sanie  fœdari  (S.  Ilieron.  Expos.). 

(2)  Sic  qiiaiidiu  Synagoga  viguit,  laboravit  Ecclesia;  et  illius 
ûîlicto  salus  gentium  facta  est  (Rabau.,  Coin.). 

(3)  Ta  medicos,  id  est  falsos  theologos,  divinos  et  philosophos 
Pentium;  substantiam  suain,  id  est  omnem  iiitellectum  gentilitas 
expeuderat;  scd  nou  potuit  ab  illis  anima;  salutem  recipere 
{Aym.,  Expos.). 

(4)  Omnem  laborem  gentilitas  expcndit  iupoemalibus  pliiloso- 
phorum.  Philosophi  de  anima  disputaverunt,  sed  ad  veram  rne- 
diciuam  gentilium  populum  nou  adduxerunt  (Drut.,  loco  cit.). 


■—  385  — 
maine?  Mais  comme  les  contradictions  des  médecins 
tuent  le  corps  de  leurs  malades  au  lieu  de  les  guérir, 
de  même  les  contradictions  des  philosophes  ne  fai- 
saient qu'empirer  la  misérable  condition  des  âmes, 
au  lieu  de  les  délivrer  de  leurs  yices  honteux. 

La  loi  mosaïque  elle-même  ne  fut  guère  plus  efiScace 
que  la  philosophie  païenne  pour  guérir  la  gentilité, 
dont  Yéronique  était  la  figure.  Ces  peuples  malheu- 
reux, ayant  hérité  du  premier  homme  son  infirmité 
originelle,  couraient  infailliblement  à  leur  perte.  Or, 
la  loi  mosaïque  se  contenta,  à  leur  égard,  de  pres- 
crire qu'ils  fussent  exclus  du  temple,  qu'ils  s'abstins- 
sent d'offrir  des  sacrifices  au  Seigneur  et  de  toutes 
les  cérémonies  de  la  religion  judaïque    (1). 

Tandis  que  la  gentilité  gisait  dans  un  état  si  déses- 
péré, le  Fils  de  Dieu  se  met  à  suivre  Jaïre;  c'est-à-dire, 
il  vint  au  monde  àZa  suite  deMoïse.  Moïse,  en  effet,  avait 
déjà^  en  quelque  façon,  tracé  son  chemin  par  la  loi  et 
les  prophètes  ;  Jésus-Christ  a  rempli  exactement  tout 
ce  que  le  grand  législateur  des  Hébreux  avait  prédit 
de  lui  (2).  C'est  pour  cela  que  le  Sauveur  du  monde 
a  proclamé  3Ioïse  son  prophète  et  son  précurseur, 
quand  il  dit  aux  Juifs  :  «  Sachez  que  les  livres  de  Moïse 
contiennent  l'histoire  de  ma  vie  :  De  me  ille  (Moyses) 

(1)  Ita  est  Ecclesia  gentium,  quae  primi  hominis  vulnerata 
peccato,  tota  fluebat  sanguine,  tota  origiualitcr  decurrebat  ia 
morlem  :  quam  non  valuit  lex  ipsa  mundare  ;  imo  jusserat  ar- 
ccri  tcniplo,  prohibcri  sacris,  sauclis  omnibus  abstinere  (S.  Petr. 
Chrysol.,  serni.  33). 

(2)  Sequeliatur  eum,  quia,  sicut  Moyses  praedixit  de  illo,  sic 
per  omaia  fecit  Deus. 

II.  2S 


-—  586  — 
scrfpfit.yi  L'on  voit  donc  clairement,  comme  l'enseigne 
saint  llilaire,  queledivin  Médecin  qui  suitJaïre  pour 
alkr  ressusciter  sa  lille,  est  ce  Verbe  éternel  qui  est 
venu,  ainsi  qu'il  l'a  dit  lui-même,  pour  sauver  les  en- 
fants d'Israël  ;  et  Véronique  qui,  pendant  le  voyage  du 
Sauveur  à  la  maison  de  Jaïre,  va  à  sa  rencontre,  se 
place  sur  son  chemin  et  est  guérie,  figure  l'Eglise  des 
Gentils,  qui,  guidée  par  vSa  foi,  est  allée  toucher  le 
divin  Maître  et  en  a  reçu  le  salut  éternel,  quoiqu'il 
parût  venir  pour  les  Juifs  seuls  dont  il  était  né  (1). 

Au  reste,  toutes  les  circonstances  de  cette  guérison 
sont  mystérieuses.  En  effet,  il  est  dit  avec  intention 
que  Véronique  ne  s'approcha  pas  en  face  du  Sauveur, 
mais  qu'elle  tâchait  de  s'en  approcher,  en  le  suivant. 
Cette  manière  de  s'approcher  du  Sauveur  signifie 
l'imiter,  l'accompagner,  le  suivre;  car  lui-même  a 
dit  :  «  Que  celui  qui  veut  me  servir  me  suive.  » 
C'est  ce  que  firent  les  Gentils;  quand  le  Fils  de 
Dieu  fut  remonté  au  ciel,  ils  le  suivirent  en  croyant 
en  lui  et  en  se  donnant  à  lui  (2). 

Véronique  fut  guérie  par  le  simple  contact  des 
franges  du  vêtement  du  Sauveur.  Ce  vêtement  de 
Jésus-Christ,  c'est  sou  lncari)ation,  par  laquelle  la 
personne  du  Verbe  s'est  revêtue  de  notre  humanité; 
et  les  franges  ou  le  bord  de  ce  vêtement,  ce  sont  les 

(1)  Ad  hanc  principis  filiam  dum  properat  Verbum  Dci,  ut  sal- 
vos  faceret  filios  Israël,  sancta  Ecclesia  de  gentibus  congregata, 
fide  percepit  isauitatcm. 

(2)  Accoderc  rotro,  est  Chrislum  imitari  et  sequi;  qiiia  cum 
Chrièlus  in  cœlum  ascendit,  gcntcs  credere  cœperunt,  sicut  ipse 
dixit  :  Qui  miLi  ministrat  me  sequatur  (Prut.,  Expos.). 


—  387  — 
dogmes  de  la  foi  qui  ùépeiideut  de  riiicarunlion. 
Cette  malade  qui  en  touche  seulement  les  bords, 
c'est  rÉglise  des  Gentils,  qui,  sans  avoir  vu  Jésus 
dans  sa  chair  mortelle,  mais  pour  avoir  écouté  ses 
apôtres,  a  comme  saisi  de  la  main,  par  leurs  prédi- 
cations, le  mystère  de  l'Incarnation  (I).  Saint  Hilaire 
a  écrit  :  Véronique  qui  s'empresse  de  toucher  le  bord 
du  vêtement  de  Jésus-Christ,  est  la  figure  de  l'Église 
composée  de  nous  autres  Gentils,  laquelle  s'empressa 
de  recueillir  le  don  de  l'Esprit-Saint,  le  fruit,  la  pa- 
rure de  l'incarnation  du  Verbe,  comme  la  frange 
descend  du  vêtement  auquel  elle  est  unie  (2). 

Combien  est  significative  cette  circonstance  que 
Tévangéliste  nous  fait  remarquer,  quand  il  dit  que 
Véronique  fut  guérie  sans  être  aperçue  par  le  Sau- 
veur, que  celui-ci  l'appela  quand  elle  était  éloignée, 
et  qu'il  confirma  le  prodige  en  sa  présence;  qu'elle  ne 
voit  pas  le  Seigneur,  et  que  cependant  elle  éprouve 
les  effets  de  sa  vertu  divine  !  De  même  Jésus-Christ 
nous  échangés,  par  le  moyen  de  ses  apôtres;  quand 
nous  étions,  comme  Gentils,  éloignés  de  lui,  nous 
avons  été  guéris  comme  s'il  eût  été  présent  au  milieu 
de  nous.  Jésus-Christ  n'est  point  parmi  la  geutilité 
comme  il  était  chez  les  Juifs  par  la  présence  visible 

(1)  Vestimentum  Christi  dicitur  Incarnationis  mysterium,  qiio 
divinitas  induta  est.  Fimbria  vestimeuti,  verba  de  ejuî^  iucarua- 
tione  dependentia.  Non  autem  vestem,  sed  fimbriam  tetigit,  quia 
non  vidit  in  carne  Dominum  gentilis  populus,  sed  per  apostoloa 
Verbum  lutarnatiouis  susccpit  (Loco  cit.). 

(2)  Ecclesia  geutium  fimbriam  vestis  per  fidem  festinat  attin- 
gere  :  donum  videlicet  Spiritus  sancti,  de  Christi  corpore,  modo 
flnibriœ,  exeuutis  [Com.). 


—  388  — 
de  son  corps;  mais  il  est  avec  elle  par  s;i  vertu,  par 
sa  i^ràce  et  par  sa  vérilé  (1). 

Kiiiin,  quand  le  divin  i^laîlrc  se  retourna  pour  lixer 
son  regard  sur  Véronique  :  Conversiis  ad  eam,  il  nous 
donna  dès-lors  un  gaf^e  de  la  tendresse  qu'il  aurait 
pour  l'Eglise  et  pour  les  Ames  \raimenl  lidèlcs  qui 
en  sont  l'ornement  et  la  gloire  (2).  Que  dis-je!  il  ne 
se  conlcntc  pas  de  jeter  tendrement  le;,  yeux  sur 
Yéronique,  il  rai)pelle  de  plus  sa  fille  :  Con/idc,  filia. 
La  foi  vivo  qu'elle  avait  en  sa  divinité  l'avait,  dit  saint 
Chrysostonie,  réellement  fait  devenir  sa  fille  (3).  De 
même  l'Eglise,  formée  du  peuple  gentil,  est  appelée 
dans  l'Ecriture  sa  fdle,  pour  la  même  cause  ;  fille  qui, 
par  la  beauté  de  sa  vertu,  ravit  le  regard  et  touche 
le  cœur  du  Roi  éternel  des  cieux  (4) ,  de  ce  Roi  qui 
donne  abondamment  à  chaque  âme  lidcle  sa  part 
dans  le  trésor  des  tendresses  qu'il  a  déposé  dans 
l'Eglise.  Aussilcs  véritables  enfants  d'Israël,  les  chré- 
tiens humbles  d'esprit  et  droits  de  cœur,  sont-ils  réel- 
lement heureux.  Le  regard  paternel  de  Dieu  est  sur 
eux  de  leur  berceau  à  la  tombe  ;  ils  participent  sans 
cesse  aux  droits,  aux  caresses,  aux  douceurs  réser- 
vées aux  vrais  enfants  :  Quam  bonus,  Israël,  Deus  his 
qui  recto  surU  corde  ! 


(1)  Ista  mulicr  abs'^nUnm  corporis  Bomini,  et  prccscntiam  vir- 
tutis  in  omnibus  gentibiis  significavit.  Dominuâ  tanquam  abscn- 
tem  requiiit,  {.auquaiu  prœsenlem  sanat(S.  Aug.,  serm.  G  de  Vcrb.). 

(2)  Conversus  ad  eaui,  clemcnliam  désignât  quam  habut  erga 
Ecclesiam  (Aira.). 

(3)  Quia  eam  fidcs  filiam  fecerat  (S.  Chrysost.). 

(4)  Audi,  filia...  Quia  coacupivit  res  speciem  tuam  {Ps.  x.u). 


—  389  — 


DEUXIEME    PARTIE. 


Il  en  est  ainsi  véritablement,  mes  frères  ;  car  l'E- 
glise n'est  que  la  multitude  des  fidèles  unis  par  la 
profession  de  la  même  foi,  par  la  participation  aux 
mêmes  sacrements  sous  la  conduite  des  pasteurs  lé- 
gitimes qui  les  gouvernent.  Nous  pouvons  donc,  nous 
aussi,  aspirer  à  l'honneur  et  au  bonheur,  le  partage 
de  Véronique  ;  car,  comme  elle,  nous  pouvons  être 
appelés  du  doux  nom  que  le  Sauveur  lui  a  donné  ; 
comme  elle,  nous  pouvons  attirer  sur  nous  son  regard 
d'amour  et  de  tendresse  :  elle  nous  représentait  tous. 
Mais  à  quelles  conditions  pouvons-nous  espérer  un 
sort  si  heureux?  C'est,  mes  frères,  aux  mêmes  con- 
ditions qu'elle  l'a  obtenu.  L'Evangile  nous  apprend 
qu'elle  crut,  parla,  agit.  Or,  c'est  ce  que  nous  avons 
nous-mêmes  à  faire.  Le  vrai  chrétien  est  celui  qui 
croit  du  fond  de  son  cœur,  qui  parle  eu  manifes- 
tant sa  foi,  et  qui  opère  en  pratiquant  les  œuvres  de 
la  loi.  C'est  de  ce  triple  acte  :  croire,  parler  et  opérer, 
que  dépend  la  guérison  de  l'âme,  comme  le  salut 
éternel  (1).  La  foi  sans  les  œuvres  ne  nous  sauve  pas  ; 
de  même  les  œuvres  extérieures  et  la  profession 
publique  du  chrétien  ne  nous  sauvent  point  sans  l'es- 
prit d'une  foi  humble,  sincère  et  fervente.  C'est  pré- 
cisément ce  que  notre  divin  Sauveur  a  voulu  nous 
faire  comprendre.  En  effet,  dire  à  Véronique  :  «  Ma 

(1)  Credidit,  dixit,  letigit,  quia  tribus  hisce  :  fide,  verb©  el 
opère  omnis  salus  acquiritur  ^Fulgent.). 


—  300  — 
fille,  ne  crains  pas,  lu  foi  t'a  sauvée,  »  c'était  lui  dire 
qu'elle  aurait  \aincracnt  touché  de  sa  main  le  bord 
de  ses  vêtements,  si,  en  même  temps,  clic  n'avait  eu 
dans  le  cœur  une  foi  vivo,  entière  et  parfaite,  et  que 
ce  qui  lui  lit  principalement  mériter  le  bienfait  de  la 
guérison,  ce  fut  cette  foi  (1). 

C'est  ici  un  admirable  mystère,  dit  saint  Augustin  ; 
le  Sauveur  était  corporellcmcnt  en  contact  avec  la 
foule  ;  mais  il  n'y  avait  que  Yéronique  qui  fût  spiri- 
tuellement en  rapport  avec  lui  par  la  foi.  Il  était 
pressé  de  toutes  parts  ;  plusieurs  touchaient  non-seu- 
lement ses  vêtements,  mais  encore  sa  personne  ado- 
rable. Cependant  il  ne  dit  d'aucun  de  ceux-ci,  qu'ils 
l'avaient  touché  ;  il  passait  comme  si  personne  n'eût 
été  auprès  de  lui.  Mais  à  peine  Yéronique  eut-elle 
touché  le  bord  de  son  vêtement,  qu'aussitôt  il  veut 
savoir  qui  l'avait  touché  :  Quis  me  teticjit  ?  Il  voulait 
par  là  dire  :  Cette  foule  me  presse,  mais  ne  me  touche 
pas,  et  ce  n'est  pas  celui  qui  me  presse  corporelle- 
ment,  mais  celui  qui  frappe  à  mon  cœur  que  je  cher- 
che ;  le  premier  embarrasse  mon  chemin,  le  dernier 
attire  mon  cœur  (2). 

Or,  la  même  chose  arrive  de  nos  jours.  C'est  la 
réflexion  de  saint  Augustin  :  une  foule  d'hommes 
coudoient  Jésus-Christ,  mais  il  n'y  a  que  la  foi  d'un 


(1)  Ostendit  qnod  nisi  fidem  habuisset,  beneficium  non  rece- 
pisset,  quanquam  sanctas  vestes  teligisset  (Théopli.,  Expos.). 

(2)  Sic  ambulabat  quasi  a  nullo  corpore  tanfreretiir. — Tanquara 
diceret  :  Tangentem  quœro,  non  premeutem.  Caro  promit,  fidem 
taugit  (S.  Aug.,  loco  cit.). 


—  391  — 
petit  nombre  qui  le  touche  (1).  Oui,  on  voit  des  mul- 
titudes qui,  sans  toucher  le  Sauveur,  le  pressent  entre 
elles,  cependant,  et  qui  (selon  l'expression  évidemment 
mystérieuse  de  saint  Luc)  le  fatiguent  de  la  sorte,  le 
désolent  et  le  remplissent  d'angoisses  :  ces  foules  sont 
les  conventicules  des  Juifs,  les  réunions  des  héré- 
tiques qui  se  disent  chrétiens  et  qui,  cependant^  ne 
veulent  rien  savoir,  ni  de  la  vraie  foi,  ni  de  la  véri- 
table loi  de  Jésus-Christ,  puisque  les  uns,  semblables 
aux  Pharisiens,  eu  nient  la  divinité ,  les  autres  son 
humanité  même.  Et  par  cela  même  s'accomplit  un 
grand  mystère  de  justice  et  de  miséricorde.  Voyez 
plutôt  :  tandis  que  ce  peuple  se  presse  inutilement 
autour  du  Sauveur,  l'hémorroïsse  le  touche  et  est 
aussitôt  guérie  ;  de  même  les  Juifs,  toujours  endurcis, 
et  les  hérétiques,  sans  cesse  orgueilleux,  se  perdent 
en  de  vaines  disputes  ;  ils  ont  sous  les  yeux  les 
preuves  de  la  vraie  foi,  et  ils  la  rejettent,  loin  d'en 
profiter  ;  tandis  que  l'âme  humble  et  pieuse  qui  croit 
comme  elle  doit  croire,  parvient  certainement  au 
port  éternel  (2). 

En  second  lieu,  il  y  en  a  qui,  sans  toucher  le  Sau- 
veur, l'oppriment  et  l'affligent  beaucoup  plus  que 


(1)  Sic  etiam  nunc  corpus  Christi  prenait  turba  multorum,  et 
tangit  fides  paucorum  {Id.  ibid.). 

(2)  Turbœ  te  opprimunt  etaffligunt.  —  Turbœ  quae  comprimunt 
sunt  conventicula  bœreticorum  ac  Judaeorum,  dum  rectam  lidem 
m  pectoribus  suis  recipere  noUiiit.  —  Dum  turbae  comprimuut, 
intravit  mulier  et  sanatur  ;  quia  dum  Judaei  et  bseretici  fidei  ve- 
ritatem  respuunt,  gentilis  populus  salvatur  veraciter  credens 
(Àim.;. 


—  392  — 

les  hérétiques  eux-mômes  :  Turhœ  teopprimunt  et  affli- 
giint  ;  c'est  cette  foule  do  mauvais  catholiques  qui 
se  vantent  d'avoir  la  vraie  foi  de  Jésus-Christ  et  qui, 
cependant,  ne  donnent  aucun  signe  de  christianisme, 
ni  par  les  paroles,  ni  par  la  conduite.  Plongés  dans 
les  affaires  du  monde,  attachés  aux  intérêts  du  temps, 
affamés  des  plaisirs  charnels,  orgueilleux  d'esprit, 
corrompus  de  cœur,  licencieux  de  paroles,  dissolus 
de  conduite,  ils  vivent  d'une  vie  toute  sensuelle  et 
terrestre;  ils  ne  parlent  do  la  religion  que  pour  faire 
connaître  combien  elle  leur  est  à  charge,  de  la  piété 
que  pour  la  décrier,  de  la  pudeur  que  pour  l'ou- 
trager. Une  messe  mal  entendue  une  fois  la  semaine, 
une  communion  sacrilège  une  fois  l'an,  ou  moins 
encore,  voilà  toute  la  dévotion  de  ces  tristes  catho- 
liques. Et  ils  passent  les  jours,  les  mois,  les  années 
sans  faire  un  signe  de  croix,  sans  recourir  à  Dieu  par 
la  prière,  sans  avoir  une  seule  pensée  pour  lui,  sans 
prononcer  son  nom  adorable,  sans  jamais  faire  une 
œuvre  de  charité  envers  le  prochain  et  sans  jamais 
pratiquer  un  seul  acte  de  mortification  chrétienne 
sur  eux-mêmes.  Et  vous  croyez  peut-être  qu'ils  sont 
peu  nombreux  ?  Hélas  !  il  y  en  a  des  foules  innom- 
brables :  Turbœ  te  opprimitnt  et  afflUjiint.  Le  Sauveur 
souffre  eu  eux  et  pour  eux  l'opprobre,  et  ils  affirment 
qu'ils  croient  en  lui,  dit  Salvien,  avec  des  sanglots. 
C'est  outrager,  en  vérité,  la  religiou  qu'ils  se  vantent 
de  professer  (1). 

(1)    In  nobis  patitur  opprobrinm   Chrislun;  !n  nobis  patitur 
Cbristiana  lex  maledictum  (Salvicii;. 


—  393  — 

Enfiu,  parmi  tous  ceux  qui  oppriment  et  affligent 
Jésus-Christ  :  Turbx  te  opprimunt  et  afflirjunt,  je  ci- 
terai ces  chrétiens  qui,  par  curiosité,  par  vanité,  par 
l'intérêt,  poussés  par  une  passion  quelconque,  vien- 
nent dans  nos  églises  sans  même  penser  à  Celui  qui 
les  habite  ;  ces  hommes  tout  profanes,  que  Tambi- 
tiou  introduit  dans  la  carrière  du  sanctuaire,  non  pas 
pour  pratiquer  le  saint  ministère,  mais  plutôt  pour 
le  déshonorer  ;  ces  prêtres,  que  les  impies,  en  van- 
tant leur  tolérauce,  eu  flattant  leur  orgueil,  en  les 
faisant  parvenir  aux  honneurs,  ont  corrompus  tout 
exprès  pour  discréditer  la  religion.  Ces  derniers, 
chaque  jour,  non-seulement  touchent  le  vêtement  du 
Sauveur^  mais  se  nourrissent  de  sa  chair  adorable 
sans  le  moindre  sentiment  de  dévotion.  Hélas  !  hélas  ! 
pour  le  petit  nombre  de  ceux  qui,  comme  Véronique, 
touchent  et  honorent  par  leur  foi  le  corps  du  Sau- 
veur, aujourd'hui  plus  que  jamais^  augmentent  les 
foules  qui  l'oppriment  et  le  foulent  aux  pieds  (1). 
Foules  malheureuses,  vous  êtes  à  présent  un  lourd 
fardeau  sur  les  épaules  du  Dieu  des  miséricordes, 
omis  Domini;  mais  un  jour  vous  supporterez  tout  le 
poids  de  sa  justice.  Aujourd'hui  vous  affligez  Jé- 
sus-Christ, vous  l'outragez  ;  mais  bientôt  le  Fils  de 
ï homme  triomphera  de  votre  orgueil,  et  il  vous  fera 
supporter  le  fardeau  de  votre  iniquité  (2). 

Gardons-nous  bien,  mes  frères,  d'être  du  nombre 

(1)  Corpiis  Christi  premit  turba  multorum,  et  langit  fides  pau- 
conim  (S.  Aug.,  loco  cit.). 

(2)  Super  quem  ceciderit,  conteret  eum  {Matth.). 


—  394  -- 
de  CCS  infortunés.  Mêlons-nous  à  ces  âmes  vraiment 
pieuses  et  fidèles  qu'on  ne  connaît  pas,  mais  qui  sont 
en  grand  nombre  parmi  nous. Comme  Véronique,  elles 
^.uivent  toujours  Jésus-Ciirist,  et  tandis  que,  par  leur 
vie  exemplaire,  elles  touchent  extérieurement  ses 
vêtements ,  elles  pénètrent  jusqu'à  son  cœur  par  la 
sincérité  de  leur  foi,  par  l'humilité  de  leur  esprit  et 
par  la  pureté  de  leur  cœur.  Alors,  mais  seulement 
alors,  nous  serons  guéris  de  nos  infirmités  ;  et_,  au  mo- 
ment de  noire  mort,  Dieu  dira  à  notre  âme  comme  à  la 
femme  de  l'Evangile  :  Ma  fille,  tu  n'as  désormais  plus 
rien  à  craindre  :  Confide,  filia  ;  ta  foi  a  été  grande  et 
eflîcacc  ;  elle  t'a  gardé  dans  le  temps,  et,  à  cette  heure, 
elle  te  sauve  pour  l'éternité  :  Fides  tua  te  salvam  fecit. 
Ainsi  soit-ill 


VINGT-CfNODIËME  HOMÉLIE. 


La  fille  fie  Jnire. 

{Matth.  IX  ;  Marc,  v;  Luc.  ynu) 

Clamabat  Jésus  in  templo  docens  et  dicens  : 
Et  me  scitis,  et  unde  sim  scitis;  et  a  me  ipso 
non  veni,  sed  est  verus  qui  misit  me,  quem 
vos  nescitis.  (Joan.  vu.) 

Notre  aimable  Sauveur  enseigne  dans  le  temple 
de  Jérusalem,  et  il  élève  la  voix,  il  crie,  clamabat,  lui 
si  doux  et  si  pacifique  d'ordinaire,  même  dans  son 
langage.  D'où  vient  ce  changement?  Clamabat  Jésus 
in  templo  docens  et  dicens.  La  raison  de  cette  transfor- 
mation de  la  parole  de  Jésus  dans  le  temple,  je  la 
tire  du  texte  même  du  sujet  qu'il  traitait.  Les  Juifs 
lui  disaient  en  face  ,  d'un  air  insultant  :  «  iXous  ne 
savons  qui  vous  êtes,  ni  d'où  vous  venez  :  Hune  autem 
nescimiis  unde  sit  ;  »  le  Sauveur  devait  bien  leur  ré- 
pondre d'une  voix  forte  :  «  Vous  n'ignorez  nullement 
qui  je  suis  et  vous  savez  très-bien  d'où  je  viens  .•  Et 
me  scitis,  et  unde  sim  scitis.  Vous  savez  que  je  ne  me 
suis  pas  donné  à  moi-même  la  mission  que  j'exerce, 
mais  que  je  la  tiens  du  Dieu  qui  m'a  envoyé,  de  ce 
Dieu  que  vous  ne  connaissez  pas  comme  il  doit  être 
connu,  quoique  vous  vous  vantiez  de  le  connaître  : 


—  396  — 

Et  a  me  ipso  non  vcni,  sed  est  verus,  qui  misit  me,  gitem 
vos  nescilis.  »  Ces  paroles  divines  étaient  tout  à  la  fois 
une  leçon  et  une  menace  ;  par  ce  lanj^ai^e,  en  même 
temps  que  Jésus-Christ  se  manifcstail  aux.  Juifs  comme 
leur  Messie,  il  se  déclarait  encore  leur  juge.  C'est 
pourquoi  il  élève  la  voix,  il  crie  par  pitié,  par  com- 
passion, afin  que,  réveillés  par  cet  élan  d'amour,  les 
Juifs  évitent  les  rigueurs  du  Juge  et  éprouvent  la 
miséricorde  du  Messie  descendu  pour  les  visiter  et 
les  sauver. 

Mais  tout  cela  est  inutile  ;  à  ce  cri  de  tendresse, 
ils  répondent  par  un  cri  de  fureur  ;  ils  cherchent 
même  à  se  saisir  de  celui  qui  est  venu  les  racheter: 
Quœrebant  eum  apprehendcre.  Mais  l'heure  que  Jésus 
avait  fixée  à  son  propre  supplice  n'était  pas  encore 
arrivée  :  c'est  pour  cette  seule  raison  qu'ils  ne  pu- 
rent consommer  leur  horrible  attentat  :  Et  nemo 
misit  in  eum  manu  s ,  quia  nondum.  venerat  hora  cjus. 
Toutefois,  par  leur  obstination  rebelle  à  toutes  les 
charitables  industries  du  Sauveur  ,  ils  ont  été  re- 
jetés, et  les  Gentils  appelés. 

Cependant  ce  cri  d'amour  du  Fils  de  Dieu  dont 
l'évangile  de  ce  jour  (Feria  III  post  Dom.  IV  Qua^ 
drag.)  fait  mention,  ne  sera  pas  inutile  pour  le  salut 
même  du  peuple  juif,  malgré  sa  malice.  Le  temps 
viendra ,  comme  l'a  prédit  la  Reine  des  prophètes, 
où  Dieu  se  ressouviendra  de  son  antique  miséricorde 
envers  Israël,  et  où  il  le  recevra  de  nouveau  pour 
fils  :  Suscepit  Israël  piierum  suum,  reeordatiis  miseri- 
cordiœ  suœ»  C'est-à-dire  que,  lorsque  les  Gentils  seront 


—  397  — 
évangélisés,  les  Juifs  ressusciteront  enfin  à  la  -vie 
spirituelle.  C'est  ce  mystère  de  justice  et  de  miséri- 
corde que  le  divin  Maître  nous  enseigne  dans  la  ré- 
surrection de  la  fille  de  Jaïre,  qui  suivit  la  guérison 
de  l'iiémorroïsse.  Continuons  donc  aujourd'hui  le  ré- 
cit évangélique  que  nous  avons  commencé  hier.  Con- 
sidérons comment,  dans  ces  deux  passages,  se  trouve 
exprimé  le  mystère  de  miséricorde  par  lequel  nous 
avons  été,,  quoique  Gentils,  préférés  aux  Juifs,  et 
comment  les  Juifs  se  réuniront  un  jour  à  nous  dans 
la  même  foi  et  dans  la  même  Eglise;  et  apprenons 
ce  que  nous  devons  à  Dieu  pour  une  prédilection  si 
tendre. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Le  Sauveur  parlait  encore  à  l'héraorroïsse  qu'il 
avait  guérie,  lorsqu'on  vint  dire  au  chef  de  la  Syna- 
gogue :  Votre  fille  est  morlc  ;  pourquoi  fatiguer  da- 
vantage le  Maître  (1)  ?  Mais  Jaire^,  le  témoin  du  mi- 
racle opéré  sur  Yéronique  par  le  simple  frôlement 
de  la  frange  des  vêtements  de  Jésus,  pensa  que  celui- 
ci  pourrait  bien  ressusciter  aussi  sa  fille  en  la  tou- 
chant avec  la  main  ;  et,  s'approchant  du  Sauveur  avec 
d'autant  plus  de  confiance  que  sa  douleur  était  plus 
grande,  il  dit  :  Seigneur,  vous  avez  entendu  vous- 
même  la  triste  nouvelle  que  j'ai  reçue  :  Ma  fille  vient 


(1)  Adhuc  eo  loquente,  venit  quidam  ad  principem  Synagogœ, 
dicens  ei  :  Quia  lilia  tua  mortua  est  :  quid  ultra  vexas  Magistrum? 
(Marc.  V,  35  ;  I^uc.  VIII,  49). 


—  308  — 
de  mourir.    Mais  si  vous  daigniez  entrer  dans  niii 
maison  pour  lui  imposer  les  mains,  je  suis  sur  qu'elle 
reviendra  à  lu  vie  (l). 

Pauvre  Juif!  Il  croit,  il  est  vrai  ;  mais  sa  foi,  dit 
saint  Pierre  Chrvsologue,  est  encore  peu  éclairée 
et  trés-imi'arfaiLe.  il  croit  que  Jésus  peut  ressusciter 
sa  fdle;  mais  il  pense  que  le  Sauveur  ne  peut  opérer 
ce  prodige,  s'il  n'a  présente,  devant  lui,  la  défunte, 
et  s'il  ne  la  touche  de  la  main  (2).  Toutefois,  le  bon 
Maître  iie  reproche  pas  à  ce  père  affligé  l'imperfec- 
tion de  sa  foi;  il  l'encourage,  au  contraire,  le  con- 
sole avec  une  indicible  bonté  (3).  Il  lui  recommande 
seulement  de  croire,  l'assurant  que  sa  fdle  sera  sau- 
vée (4). Par  ces  paroles,  il  voulait  dire  à  Jaïre  d'avoir 
la  même  foi  que  Véronique,  et  qu'il  recevrait  comme 
elle  la  faveur  qu'il  désirait.  C'était,  en  effet,  pour 
fournir  à  ce  chef  de  la  Synagogue  le  modèle  qu'il 
devait  suivre ,  que  le  Sauveur  avait  obligé  l'hé- 
morroïsse  à  manifester  publiquement  la  guérison 
qu  elle  avait  obtenue  et  la  foi  qui  la  lui  avait  fait 
mériter  (5). 

Que  de  choses,  en  effet,  ce  docteur  apprit  de  la 


(1)  Domiue,  lilia  luea  modo  dcfuncta  est;  sed  veui,  impoue 
manum  tuam  super  eam,  et  vivet  {Matth.  ix,  18). 

(2)  Stultus  putavit  Christum  noiiposse  suscitare  mortuam,  nisi 
tenei'et  (S.  Chrysol.,  serm.  34). 

(3)  Jésus  audito  verbo  quod  dicebatur,  respondit  patri  puellse  : 
Noli.timere  [Mure,  y,  3G;  Luc.  vni,  30). 

(4)  Tantummodo  crede,  et  salva  erit  {Ihid.). 

(5)  Hoc  miraculo  Syuagogai  priucipem  voluit  emendare,  fidem 
ei  mulieris  aperuit  (S.  Ghrysost.,  hom,  in  Matth.). 


—  399  — 
pauvre  malade,  dit  saint  Pierre  Clirysologue  !  Il  ap- 
prit que  le  Fils  de  Dieu  peut  opérer  des  miracles 
sans  se  transporter  d'un  lieu  à  un  autre,  sans  être 
personnellement  présent  ;  il  apprit  que  le  Sauveur 
est  partout ,  peut  tout  sans  efforts,  d'un  seul  signe  ; 
qu'il  met  en  fuite  la  mort,  non  point  par  le  contact 
de  sa  main,  mais  par  un  seul  acte  de  sa  volonté ,  et 
qu'enfin  il  rend  la  vie,  sans  recourir  aux  remèdes, 
parce  qu  elle  obéit  à  sa  voix  (1). 

Cette  leçon,  Jaire  la  reçut  avec  un  cœur  humble  et 
plein  de  foi,  et  il  mérita  d'être  récompensé.  Lorsque 
le  Sauveur,  accompagné  de  ses  trois  disciples,  Pierre, 
Jacques  et  Jean,  arriva  à  la  demeure  de  Jaïre,  il  la 
trouva  pleine  de  désolation.  Une  troupe  tumultueuse, 
en  désordre,  entourait  la  maison  au  dehors  et  la 
remplissait  au  dedans.  Selon  l'usage,  des  joueurs  de 
flûte  faisaient  entendre  des  airs  lugubres,  et  partout 
retentissaient  les  gémissements  (2).  Le  deuil  était 

(1)  Dedicit  Deum  non  movendum  loco,  non  itinere  ducendum  ;' 
non  trahendiun  prœsenlia  corporali;  sed  credendum  totum  ubique 
praesentem  ;  et  quod  totum  possit  jussu  facere  non  labore  ;  mor- 
tem  non  manu,  sed  imperio  fugare;  vitam  non  arte  reddere, 
sed  prcteepto  (3.  Chrysol.,  senn.  34). 

(2)  C'était  un  usage  assez  commun  chez  les  Juifs,  et  universel 
chez  les  Gentils,  de  payer  des  femmes  pour  aller  pleurer  dans  les 
cérémonies  funèbres.  Il  y  en  avait  aussi  chez  les  Romains,  et  le 
prophète  Jérémie  en  fait  mention,  quand  il  dit  :  «  Appelez  les 
femmes  qui  pleurent  les  morts  (Jérém.  k,  17).  »  Théophile  observe 
que  ces  gémissements  et  ces  plaintes  étaient,  chez  les  Juifs,  ac- 
compagnés du  sou  lugubre  d'une  trompette,  lorsque  le  défunt 
était  un  homme  ou  une  femme  adulte,  et  d'un  flûte,  quand  c'é- 
tait im  enfant  ou  ime  jeune  fille;  c'est  ainsi  qu'il  y  avait  des 
joueurs  de  Ûàtc  dans  la  maison  de  Jaïre.  Le  Christianisme  a  aboli 


—  400  — 
peint  sur  toutes  les  figures  ;  chacun  se  désolait  suf 
riiiforluno  (le  Jaïrc  et  sur  le  malheur  de  sa  fdle  (1). 
Ce[)endanl  le  divin  Maître,  nial.uré  cet  aspect  funèbre, 
dit  avec  un  visage  serein  :  «  Pourquoi  ces  laraeuta- 
tiens  et  ce  désordre?  La  jeune  fille  que  vous  pleurez 
n'est  point  morte,  elle  dort  ("2). -Il  n'est  pas  nécessaire 
d'observer  que  le  Sauveur  parla  ainsi,  non  parce  que 
la  jeune  personne  n'était  pas  réellement  morte,  mais 
parce  qu'elle  n'avait  cessé  de  vivre  que  temporaire- 
ment, pour  un  instant,  d'une  manière  conditionnelle, 
attendu  qu'il  allait  aussitôt  la  rendre  à  la  vie.  Elle  n'é- 
tait point  morte  comme  la  foule  présente  le  croyait, 
d'une  manière  absolue  (3).   Les  paroles  du  Sauveur 

ces  grandes  démonstrations  de  deuil  à  la  mort  des  personnes 
mêmes  les  plu.i  clières ,  parce  que  la  condition  du  chrétien  qui 
meurt  est  tout  autre  depuis  la  venue  et  la  mort  de  Jésus-Christ. 
A  la  Trappe,  par  exemple,  aussitôt  qu'un  religieux  est  mort,  ses 
confrères  entonnent  le  Te  Dcum  dans  sa  cellule  même,  et  l'on 
sonne  les  cloches  comme  aux  jours  de  fête;  cela  se  fait  ainsi 
pour  remercier  Dieu  d'avoir  accordé  à  cette  âme  la  grâce  de 
terminer  sa  carrière  mortelle  dans  la  pénitence  et  la  sainteté,  et 
de  l'avoir  reçue  dans  le  ciel  parmi  les  bienheureux. 

(1)  Et  non  admijit  Jésus  se  sequi  quemquam,  nisi  Petrum,  et 
Jacohum,  et  Joaunem.  Et  cum  venisset  in  domum  principis,  et 
vidisset  tibiciues  et  turbam  tumultuantem,  et  fientes  et  ejulantes 
multum.  Flebant  autcm  omnes  et  plangebant  illam  [Mutih.,  ix, 
23;  Marc.  V,  37;  Luc.  vm,  52). 

(2)  Et  ingressus,  ait  illis  :  Quid  turbamiui  et  ploralis?  Non  est 
mortua  puella,  sed  dormit  {Marc.  \,  39;  Luc.  viii,  52). 

(3)  C'est  pour  la  même  raison  que  le  Sauveur  dit,  en  parlant 
de  Lazare  :  «  Notre  ami  Lazare  dort;  je  vais  le  réveiller.  »  C'est  de 
là  qu'a  prévalu,  parmi  les  chrétiens,  l'usage  d'appeler  dormants 
ceux  d'entre  eux  qui  meurent  dans  la  profession  de  la  vraie  foi  et 
de  la  justice  ;  leurs  sépulcres  se  sont  appelés  cimetières  ou  dortoirs 
(  Leu  de  repos,  champ  du  repos).  Saint  Paul  a  été  le  premier  à 


—  40!  — . 
avaient  donc,  comme  l'explique  saint  Jcrùme,  celte 
signification  :  Elle  est  morte  en  ce  sens,  que  vous  ne 
pouvez  lui  rendre  la  vie;  mais,  pour  moi,  elle  n'est 
qu'endormie,  puisque  je  peux  et  veux  la  ressusci- 
ter (1).  Enfin  saint  Pierre  Chrysologue  pense  que  le 
Sauveur  voulut,  par  là  ,  montrer  à  tous  qu'il  lui  est 
plus  facile  de  ressusciter  l'homme  de  la  mort  à  la 
vie,  qu'il  n'est  facile  à  celui-ci  de  réveiller  quelqu'un 
qui  dort  (2)t 

Mais,  ô  folie  des  Juifs!  ô  dureté  de  leur  cœur! 
ils  ne  comprennent  rien  à  ce  langage,  ils  prennent 
même  occasion  de  ces  paroles  pour  se  moquer  du 
Sauveur  (3).  Aussi  cette  foule  insolente,  indigne 
de  contempler  de  ses  yeux  ce  commencement  de  la 
réalisation  du  mystère  de  sa  résurrection  dans  l'ave- 
nir, pour  la  malignité  avec  laquelle  elle  tourna  en  dé- 


employer  ce  langage  qu'il  avait  appris  à  l'école  même  de  Jésus- 
Christ  ;  le  grand  Apôtre  dit  :  «  En  effet,  lorsque  quelqu'un  d'entre 
nous  s  endort,  gardez-vous  bien  de  le  pleurer  comme  font  les 
Gentils  qui  n'ont  aucune  espérance  d'une  vie  meilleure  :  De 
dormicntibits  noiite  flere,  sicut  et  cœteri  qui  spem  non  habent. 
Saint  Luc,  disciple  de  saint  Paul,  s'est  servi  des  mêmes  termes 
pour  raconter  la  mort  de  saint  Etienne,  premier  martyr  :  «  Et,  en 
disant  cela,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur:  Et  cum  hoc  dixisset, 
obdormivit  in  Domino.  »  Ainsi  tous  les  écrivains  ecclésiastiques  ont 
appris  des  apôtres  à  s'exprimer  dans  les  mêmes  termes  eu  par- 
lant de  la  mort  des  martyrs,  des  saints  et  des  vrais  chrétiens. 

(1)  Vobis  mortua  est;  mihi  dormit  (Hieron.,  Com.). 

(2)  Ut  crederent  quia  facilius  Deus  mortuum  ad  vitam  revocat, 
quam  de  somno  ad  vigiliam  dormiens  revocetur  (S.  Chrysol., 
sei^m.  34). 

(3)  Et  deridebaut  cum,  scientes  quod  mortua  esset  {Luc.  viii,  40). 

n.  26 


—  402  — 
ri^ion  Jésus  (I),  fut-elle  renvoyée  hontcnscmcnt  par 
celui-ci  ;  le  Sauveur  ne  garda  auprès  de  lui  que  les 
trois  apôtres,  avec  le  père  et  la  mère  de  la  morte, 
j)Our  être  spectateurs  du  miracle  qu'il  allait  i)[)érer  (2). 

Il  entra  avec  eux  dans  la  chambre  où  gisait,  sur 
son  lit  mortuaire,  le  cadavre  de  la  jeune  fille;  puis  il 
prit  celle-ci  par  la  main  en  signe  de  son  domaine 
souverain,  il  la  souleva,  et  de  cette  voix  toute-puis- 
sante qui  commande  à  la  mort  et  la  met  en  fuite, 
qui  appelle  la  vie  et  la  fait  accourir  à  ses  ordres,  il 
s'écria,  avec  un  accent  majestueux  et  divin  :  «Jeune 
fille,  lève-toi,  je  te  l'ordonne  (3).  »  Au  même  instant, 
l'ûme  déjà  enfuie  revint  ranimer  le  cadavre,  et  la 
jeune  fille  ouvrit  les  yeux,  et  sa  face  rayonna  de  joie, 
et  elle  se  leva  ressuscitée,  et  elle  marcha  pleine  de 
santé  et  de  vie  (4).  Pour  prouver  que  sa  résurrection 
n'était  point  fantastique,  dit  saint  Hilaire,  le  Sauveur 
ordonna  qu'on  lui  servît  immédiatement  à  manger  (5)  : 
ne  fut-ce  pas  pour  la  même  raison,  ajoute  saint  Jé- 
rôme, qu'il  mangea  lui-même  après  sa  résurrection 
glorieuse? 

Or,  qui  pourrait  exprimer  l'étonnement  plein  d'al. 

(1)  Facti  sicut  indigni,  qui  viderunt  mysterium  rcsurreclionis, 
qui  suscitautem  irriseraut  (Hierou.,  ibid.). 

(2)  Ipse  autciïi,  ejecLis  omnibus,  asàuinit  patrem  et  niatrem 
pnelho,  et  qui  secum  crant  (i>/orc.,  V,  40). 

(3)  Et  irgrodiLur  ubi  puella  erat  jacens;  et  tenens  niauum  ejus 
claraavit,  diceiis  :  Puella,  tibi  dico  :  surgo  {Marc,  ibid.,  40; 
Luc,  y  m,  54). 

(4)  Et  reversus  est  spiritus  fjus;  et  confestim  surrexit  puella, 
et  ambulabat  {Marc,  ibid.  42;  Luc,  ibid.,  55). 

(5)  Et  dixit  dari  illi  niauducare  {Marc,  ibid.,  45). 


—  403  — 
légresse  du  chef  de  la  Synagogue  et  de  sa  famille  à 
la  vue  d'un  si  grand  miracle  (1)?  En  vain  Jésus,  pour 
nous  apprendre  à  ne  point  chercher  notre  propre 
gloire,  mais  uniquement  la  sienne  dans  les  prodiges 
qu'il  opère  par  notre  moyen,  commanda-t-il  de  ne 
parler  à  personne  (2)  de  cet  événement  ;  en  quelques 
instants,  le  bruit  s'en  répandit  dans  toute  la  ville  et 
dans  toute  la  contrée  (3).  Quelle  gloire  pour  le  Sau- 
veur ! 

Laissons  maintenant  le  sens  littéral  et  cherchons  à 
pénétrer  le  grand  mystère  qu'il  cache  et  que  les  plus 
savants  d'entre  les  Pères  y  ont  reconnu. 

Le  nom  de  Jaïre  veut  dire  illuminé  et  illuminant.  Un 
interprète,  se  fondant  sur  saint  Hdaire,  dit  que  le  chef 
de  la  Synagogue  de  ce  nom  rappelle,  en  cette  occur- 
rence. Moïse  tellement  possédé  de  la  lumière  de  Dieu 
sur  le  Sinai,  que,  cette  lumière  répandant  depuis 
lors  son  éclat  sur  sa  face,  les  Juifs  ne  purent  plus  en 
soutenir  l'aspect.  Mais  Moïse  ne  resta  pas  seulement 
illuminé  :  par  ses  enseignements,  par  son  sublime 
Pentateuque,  d'illuminé  par  l'Esprit-Saint  d  est  de- 
venu illuminant,  la  lumière  du  monde  (4). 

En  se  prosternant  aux  pieds  du  Sauveur  et  en 
l'adorant,  Jaïre  représentait  encore  Moïse  recevant 


(1)  Et  stupuerunt  parentes  ejus  {Luc.  vni,  56). 

(2)  Quibus  prsecepit  ne  alicui  dicerent  (Ibid.). 

(3)  Exiit  fama  haec  in  universam  terram  illam  [Matth.  XX,  26). 

(4)  Jairus,  illumicans  et  illuminatus,  sianat  Moysem,  qui,  ac- 
ceptis  verbis  vitse,  dédit  nobis,  et  per  hoc  illuminât  omnes  ipse 
a  Spiritu  sancto  illuminatus  {Helar.,  Raban). 


—  404  — 
de  Dieu  la  connaissance  du  mystère  de  l'Incarnation 
du  Verbe  dans  le  sein  d'une  \iergc,  et  croyant  en  ce 
Sauveur,  comme  l'enseigne  saint  Paul  (//e'ôr.),  et 
l'adorant  dans  ses  visions  célestes  sur  le  mont  Sinaï 
(Exod.),  puis  en  réalité  sur  le  mont  Thabor  {Matth.), 
et  se  soumettant  de  cœur  et  d'esprit  à  l'empire  du 
futur  Rédempteur  du  monde.  La  fille  de  Jaïre,  con- 
tinue le  môme  interprète,  signifie  la  Synogoguc  des 
Juifs  née  de  Moïse,  qui  l'a  constituée  (1).  Cette  fille 
du  législateur  des  Hébreux  était  morte  ;  à  la  venue 
de  Jésus,  les  Juifs,  en  effet,  avaient  à  peu  près  entiè- 
rement oublié  les  traditions,  l'observation  de  la  loi 
de  Dieu,  la  foi  d'Abraham,  comme  les  vrais  caractères 
du  Messie  ;  aussi  ne  reconnurent-ils  point  ce  der- 
nier lorsqu'il  apparut  dans  leur  sein.  Déplorable  con- 
dition de  la  Synagogue,  s'écrie  un  interprète!  le 
Christ,  le  vrai  médecin,  la  sainteté  et  la  vie,  vient  à 
elle,  et  elle  est  morte,  elle  qui  devait  marcher  pleine 
de  force  et  de  vie  (2).  Or,  Jaïre  qui  prie  et  conjure  le 
céleste  Envoyé  de  ressusciter  sa  fille  unique,  c'est 
Moïse  qui,  tant  de  fois,  supplia  le  Seigneur  de  rendre 
à  la  vie  spirituelle  la  Synagogue ,  cette  fille  unique 
qu'il  aima  plus  que  lui-même  (3). 
Saint  Jérôme  observe  que  le  Sauveur  avait  opéré 

(1)  Procidit  ad  pedos  ejus.  Quia  praescius  Moyses  Filium  Dei  in 
mundum  per  Virginem  venturum,  humiliter  se  subdidit  potestati 
ejus.  —  Filia  Jairi  est  ipsa  Synagoga  (Aym.,  Erp.). 

(2)  Venit  medicus,  sanitas  et  vita;  et  cum  sanari  et  convales- 
cere  deberet,  tune  defuncta  est  (Emis.). 

(3)  Est  Moyses  qui  habet  unicam  filiam,  quarn  unico  amoro 
dilexit,  et  pro  ea  fréquenter  Deum  exoravit  (Drutm.,  Exp.). 


—  405  — 
alors  sept  miracles  :  celui  de  la  fille  de  Jaïre  devait 
donc  faire  le  huitième.  Or,  Véronique  s  étant  présen- 
tée la  première  à  Jésus,  sa  guérison  devint  le  huitième 
prodige  du  Rédempteur  ;  de  la  sorte,  cette  pieuse 
femme  obtint  le  rang  réservé  à  la  fille  de  Jaïre,  et 
fut  substituée  à  sa  place.  En  un  mot,  l'Eglise  des  Gen 
tils  a  occupé  le  poste  privilégié  destiné  à  la  Synagogue. 
"Venue  la  dernière  pour  prier  et  demander  secours, 
elle  a  été  néanmoins  la  première  exaucée,  selon  la 
prophétie  de  David,  annonçant  que  l'Ethiopie  (la 
gentilité  noircie  par  ses  vices  innombrables  )  prévien- 
drait Israël,  en  touchant  les  vêtements  du  Fils  de 
Dieu;  qu'elle  élèverait  la  première  des  bras  sup- 
pliants vers  ce  Dieu  Sauveur,  et  qu'elle  serait  guérie 
la  première  (1).  Ace  sujet,  saint  Hilaire  a  dit  avant 
saint  Jérôme  :  la  santé  destinée  à  l'une  fut  donnée  à 
l'autre;  voilà  comment  s'accomplit  le  mystère  de 
l'Eglise  des  Gentils,  mise  en  possession  du  salut  pro- 
mis et  annoncé  directement  aux  Juifs  (2). 

Toutefois,  en  guérissant  Véronique,  le  divin  Méde- 
cin n'oublia  pas  la  fille  de  Jaïre;  ce  fut  pour  nous  en- 
seigner davance,  comme  saint  Paul  le  dit  formelle- 
ment, que,  lorsque  toutes  les  nations  se  seront  con- 
verties à  la  vraie  foi,  le  peuple  juif  se  convertira  à  sou 


(1)  Quod  octavo  loco  principis  filia  oblinere  debebat,  millier 
obtiniiit:  ut  principis  filia  de  hoc  exclusa  numéro,  vcniat  ad 
nonum,  juxta  illud  Psalmitis  :  «  Etliiopia  prteveniet  nianus  cjus 
Deo  »  (S.  Hieronym.). 

(2)  Ita  alteri  salus  dum  alii  afiertur,  reddita  est;  quia  quod 
ïôraeli  parabatur,  plebs  Gentium  occupavit  (S.  Hilar.,  Exp.). 


—  406  — 

loiir(l).  11  est  par  là  l'acilc  de  voir  que  Celui  qui, 
après  avoir  guéri  riiéniorroïsse,  coutiuueson  chemin 
pour  ressusciter  la  iille  de  Jaïre,  est  bien  le  même 
Sauveur  qui,  chaque  jour,  avauce  la  couversion  des 
Juifs,  à  mesure  que  les  nations  embrassent  la  vraie 
foi  (-2). 

Pendant  que  le  Fils  de  Dieu  dirigeait  ses  pas  vers 
la  demeure  de  la  jeune  morte,  la  maison  était,  comme 
nous  l'avons  remarqué,  entourée  d'une  foule  tumul- 
tueuse et  d'une  troupe  de  joueurs  de  llùte  lugubres. 
Selon  saint  Jérôme,  c'était  une  ligure  de  ce  que  nous 
voyons  se  passer  chaque  jour  autour  de  la  Synagogue 
Qu'est-ce  à  dire?  En  deux  mots,  mes  frères,  ces 
joueurs  de  llùte,  cette  foule,  c'est  la  troupe  des  rab- 
bins, dont  le  peuple  juif  est  comme  entouré  de  toutes 
parts;  la  troupe  de  ces  prétendus  docteurs  qui  se 
donnent  pour  les  maîtres  de  la  religion,  pour  les  chefs 
de  la  Synagogue  et  qui,  cependant,  ne  sont  que  les 
tristes  acteurs  des  funérailles  de  son  règne,  de  sou 
sacerdoce,  de  son  temple  détruit  (3).  Saint  Hilaire 
ajoute  qu'ils  ne  font  plus  aujourd'hui  que  répéter, 
dans  les  cantiques  de  la  loi,  les  chants  funèbres  de 
la  Synagogue  expirée  (4).  Cantiques  inutdes  et  sté- 


(1)  Donec  iutraret  ploniludo  geulium,  lime  salvus  fiet  omuU 
ISsrael  (Ro7?i.  xi). 

(2)  Ipse  ad  hujus  puellœ  resurrectionem  vadit,  quia  ad  Jiidœo- 
rum  conversionem  appropinquamus  (Emis.,  Expos.). 

(3)  Usque  modo  jacet  mortua  (Syuagoga);  et  qui  videntur  ma- 
gislrari,  tibicines  sunt,  carmeu  lugubre  cancntes  (S.  llieron.). 

(4)  Cui,  in  canticis  legii,  hymnus  luctuosus  perôonat  (S.  Hilar.) 


—  407  — 
riles  qui  se  redisent  vainement  au  jour  du  Sabbat  ; 
Is  ne  pourront  la  ressusciter  de  la  mort  que  lorsque 
Jésus-Christ  viendra  lui  redonner  la  vie  (I). 

Mais  la  flûte  donne  un  son  doux  à  l'oreille,  elle  n( 
dit  rien  à  l'esprit,  continue  un  autre  interprète.  Or  ces 
joueurs  de  flûte,  ce  sont  les  Pharisiens  qui  expliquent 
au  pauvre  peuple  juif  l'Ecriture  dans  le  sens  littéral, 
lequel  n'apprend  rien,  sans  l'esprit  qui  le  vivifie  (2). 
On  comprend  maintenantpourquoi  le  Sauveur,  à  peine 
entré  dans  la  demeure  de  Jaire,  fait  taire  ces  joueurs 
importuns  et  les  chasse  de  la  maison  :  il  montre  par 
là  qu'un  jour  il  imposera  silence  aux  imposteurs  qui 
trompent  le  peuple  juif  et  qu'il  fera  cesser  l'expli- 
cation de  la  lettre  morte  de  l'Ecriture,  qui,  d'après 
notreinterprétation,  retentit  doucement  à  ses  oreilles 
sans  l'instruire  (3). 

Il  y  a  plus  :  l'aimable  Sauveur  trouva  dans  l'inté- 
rieur de  l'habitation  de  Jaïre  une  foule  tumultueuse 
qui  gémissait  et  poussait  des  cris  :  cette  circonstance 
est  encore  bien  remarquable!  Ecoutons,  en  eflet^  saint 
Jérôme  :  Le  peuple  juif,  dit-il,  est  un  peuple  sans 
tranquillité  dans  le  monde;  il  ne  forme  pas  même  un 
peuple  de  croyants  (4).  Quand  le  Sauveur  exhorta 

(1)  Tumultus,  et  tibicines,  etplanctus  inutiliter  agunt  m  sabbatU, 
quia  nondnm  ad  eos  venit  Jésus  (Drutm.). 

(2)  Quid  tibicines,  nisi  Pharisœi,  legem  ad  litteram  expo- 
nentes?   Tibia  enim   dulcem  sonum,  sine  intelligentia,  reddit. 

(3)  Tune,  jubente  Domino,  tibicines  recèdent,  quia  tune  ces- 
sabit  littera  auditam  suaviter,  sed  in(ructuose  dcmulccus  (Emis., 
Expos.). 

(4j  Turba  Judceorum  non  est  turba  credentium,  sed  tumul- 
luantium  (S.  Hieronym.). 


—  408  — 
les  amis  du  chef  de  la  Synagogue  à  cesser  leurs  cris 
et  leurs  i)leurs,  en  disaut  :  «  Celte  fille  u'cst  point 
morte,  elle  n'est  seulement  qu'endormie,  »  ses  pa- 
roles furent  tournées  en  ridicule  ;  alors  Jésus  les 
chassa,  et  nul  d'entre  eux  ne  vit  le  miracle  qui  s'opéra. 

Or  ces  hommes,  ajoute  saint  llilairc,  c'est  la  ligure 
des  Juifs  que  le  Sauveur  chercha  toujours  à  convertir, 
qu'il  trouva  toujours  obstinés  à  ne  pas  croire,  tou- 
jours prompts  à  se  moquer  sacrilégcment  de  sa  doc- 
trine et  de  ses  prodiges,  et  qu'il  chassa  aussi  par  suite, 
c'est-à-dire  qu'il  n'admet  point  à  voir  la  résurrection 
miraculeuse  de  leur  Synagogue  (1). 

De  plus,  le  céleste  Médecin  retint  auprès  de  lui  le 
père  et  la  mère  de  la  jeune  fdlc  morte  et  ses  trois  dis- 
ciples, parce  que  la  conversion  des  Juifs  arrivera  en 
vertu  de  la  promesse  faite  à  l^loïsc  et  maintenue  dans 
l'Eglise  ;  et  encore  parce  que  la  multitude  du  peuple 
juif  recevra  la  foi  de  Jésus-Christ  par  la  prédication 
de  la  doctrine  des  apôtres  (2).  Le  Sauveur  prit  la  fdle 
de  Jaïre  par  la  main  avant  de  la  rendre  à  la  vie,  parce 
que,  selon  saint  Jérôme,  la  Synagogue  ne  peut  ressus- 
citer, si  le  Sauveur  ne  touche  de  sa  main  celle  des 
Juifs  coupables  de  sa  mort  (.3). 


(1)  Turba  omnis  expulsa  est,  quam  utique  salvare  Dominus 
optasse t;  sed  irridendo  dicta  et  gesta  ejus,  resurrcctionis  non 
fuit  digna  consortio  (S.  Hilar.). 

(2)  Venit  cum  discipulis,  quia  tune  Christi  fidem  et  apostolo- 
rum  doctrinam  suscipiet  multitude  Israël  (Emis.). 

(3)  Tonuit  manum  ejus,  et  snrrexit  puelia.  Quia  nisi  prius 
mundatœ  fuorint  manus  Judœonui),  quse  plenœ  sunt  sanguine 
Synagoga  eorum  mortua  non  rssurget  {S.  Hieronym.). 


—  409  — 
A  la  voix  toute-puissante  de  Jcsiis-Christ,  laressus^ 
citée  se  meta  marclier,  et,  sur  l'ordre  de  son  Sauveur, 
à  manger  :  de  même,  à  la  prédication  du  Christ  reten- 
tissant par  l'organe  de  ses  apôtres,  l'esprit  vivifiant  de 
Dieu  ranimera  la  nation  juive  que  la  lettre  tue,  et  cette 
nation  prendra  place  à  la  table  commune  de  l'Eglise 
pour  se  nourrir  de  la  chair  sacrée  du  Sauveur,  et 
elle  marchera  avec  zèle  et  avec  ferveur  dans  la  voie 
du  salut  éternel.  0  mon  Dieu  !  hâtez  ce  grand  événe- 
ment par  votre  miséricorde  !  Réunissez  bientôt  Ismaël 
et  Isaac,  Esaû  et  Jacob,  les  fils  d'Abraham  selon  la 
chair  et  les  fils  de  ce  même  patriarche  selon  la  foi, 
c'est-à-dire  les  Juifs  et  les  Gentils,  Jérusalem  et  Rome, 
afin  que,  devenus  un  seul  peuple,  une  seule  ville,  une 
seule  famille,  un  seul  troupeau  sous  un  seul  pasteur, 
nous  puissions  tous  louer,  Seigneur,  votre  nom  très- 
saint,  vous  rendre  le  même  culte,  participer  aux 
mêmes  sacrements  et  obtenir  enfin  le  même  héritage 
et  la  même  récompense. 

SECONDE   PARTIE. 

Les  saints  Pères  et  les  interprètes  pensent  com- 
munément que  la  fille  de  Jaïre  a  été  encore  la  figure 
d'un  autre  mystère  touchant,  qui  nous  interresse  très- 
particulièrement,  le  mystère  de  la  mort  des  justes. 

L'Ecriture  dit  des  pécheurs  qu'ils  sont  comme 
des  hommes  qui  dorment  durant   la  vie   (1),  soit 

(1)  Dormieniut  somnum  suuin  viri  divitiarum  {Psalm.  Lïv). 


—  410  — 
pour  l'oubli  de  Dieu,  de  leur  Ame  et  de  leur  éter- 
nité, dans  lequel  ils  vivent,  soit  pour  leur  funeste  sé- 
curité, leur  c  lime  stupide  et  indifférent  au  milieu  de 
leurs  nombreuses  iniquités.  Au  contraire,  il  est  dit 
des  justes,  qui  sont  attentifs  à  expier  leurs  fautes,  ù 
corriger  et  à  sanctifier  leurs  pensées,  leurs  affections 
et  leurs  œuvres,  qu'ils  sont,  comme  des  serviteurs 
fidèles,  toujours  veillants,  dans  l'attente  de  leur 
maître  (1).  Mais  que  la  mort  vienne,  mes  frères,  et 
les  positions  changent.  Le  pécheur  qui  a  toujours 
dormi  se  réveille  à  ce  moment  terrible,  et  alors,  ah  ! 
quel  trouble  dans  son  esprit,  quelle  tempête  dans  son 
cœur,  quelle  agitation  dans  tout  son  être,  implorant 
le  temps  qui  fuit,  la  grâce  qui  lui  manque,  l'espérance 
qui  l'abandonne  (2)!  Tandis  que  le  juste  qui  a  toujours 
veillé  se  trouve,  à  la  même  heure,  sans  remords  du 
passé,  sans  angoisses  pour  le  présent  et  sans  crainte 
pour  l'avenir  ;  ferme  et  constant  dans  son  espérance, 
il  commence  à  reposer  et  à  dormir  dans  le  sein  de 
Dieu  (3). 

Par  conséquent,  mes  frères,  le  Dieu  Sauveur  qui 
dit  de  la  fille  de  Jaïre  :  «  Elle  n'est  pas  morte,  elle 
dort,  »  est  le  Dieu  d'amour  qui  exhorte  le  chrétien 
fidèle,  selon  l'interprétation  de  saint  Ambroise,  à  ne 
pas  craindre  la  mort,  non-seulement  parce  qu'il  l'a 
sauctiflée  et  adoucie  par  la  sienne  propre,  mais  encore 

(1)  Beati  servi  illi  quos,  cum  venerit  Dominus,  invenerit  vigi- 
lantes (S.  Luc). 

(2)  Evigilabunt,  et  nihil  invenient  {Psnlm.  etï.). 

(3)  In  pace  in  idipsum  dormiam  et  requiescam.  Quoniam  tu. 
Domine,,  singulariter  in  spe  couàtituiàti  me  iJPsalm.). 


-  411   — 
parce  que  cette  mort,  à  laquelle  le  juste  sourit  par  la 
grâce  des  sacrements ,  s'est ,  parle  don  de  la  persévé- 
rance, par  le  sceau  delà  prédestination  et  par  le  bai- 
ser de  l'amour  divin,  changée  en  un  doux  sommeil  (1). 
Comment,  en  effet,  pourrait-on  lire  ces  tendres  pa- 
roles du  Sauveur  :  «  Elle  n'est  pas  morte,  mais  elle 
dort,  »  sans  se  rappeler  l'oracle  sur  la  mort  des  élus, 
que  l'Esprit- Saint  a  consigné  dans  l'Ecriture?  Les 
justes,  dit  le  Sage,  semblent,  aux  yeux  des  mondains 
insensés,  mourir  comme  les  autres  hommes  ;  mais  ce 
n'est  pas  tant  une  mort  qu'ils  subissent  qu'un  doux 
sommeil  dans  lequel  ils  se  reposent  tranquillement  (2). 
Voyez  comme  l'enfant  prolonge  paisiblement,  sans 
crainte,  son  repos  entre  les  bras  de  sa  mère  ;  ainsi 
sont  les  justes,  dans  les  bras  de  Dieu,  lorsqu'ils  meu- 
rent :  ils  n'éprouvent  pas  les  tourments  de  la  mort  (3). 
L'enfant  qui  dort  sur  le  sein  maternel  conserve  et  an- 
nonce,par  le  sourire  de  ses  lèvres, la  tranquillité  deson 
cœur;  de  même  le  juste  qui  est  dans  le  sein  de  Dieu, 
sourit  à  la  mort  qui  lui  ravit  son  dernier  instant  sur 
terre  (4).  Comme  il  n'y  a  rien  de  plus  horrible,  rien  de 
plus  funeste,  dit  le  prophète,  que  la  mort  du  pé- 
cheur (5);  de  même  il  n'y  a  rien  déplus  précieux,  de 


(1)  Docuit  Don  formidare  mortem,  quia  ipse  erat  moriturus; 
et  mors,  eo  accedente,  somnus  est  (S.  Ambros.,  Cat.). 

(2)  Visi  suut  oculi  insipientium  mori;  illi  autem  sunt  in  pace 
{Sap.). 

(3)  Justorum  animae  in  manu  Dei  sunt,  et  non  tanget  ill(tf 
tormentum  mortis  [Ihid.). 

(4)  Et  ridebit  in  die  uovissimo  {Prov.  XXXI). 

(5)  Mors  peccatorum  pessima  {Psalm.}. 


—  412  — 
plus  ag:réable  que  la  mort  des  saints  devant  Dieu  (I). 
Et  quelles  furent,  en  effet,  la  douce  surprise,  la  joie, 
l'allégresse  de  la  fille  de  Jaïre,  alors  que,  rappelée  à  la 
lumière  par  le  céleste  Médecin,  elle  se  vit,  eu  ouvrant 
les  yeux,  entourée  des  apôtres,  du  Sauveur  qui  la  te' 
nait  encore  par  la  main  pour  la  rendre  à  l'amour  de 
ses  parents!  Toutefois,  ce  n'est  ici  qu'une  bien  pâle 
image  de  la  profonde  gratitude,  de  la  joie  immense 
qu'éprouvera  l'âme  sainte,  quand,  élevée  par  Jésus- 
Christ,  après  le  sommeil  de  la  mort,  à  la  vie  immor- 
telle, elle  se  trouvera  dans  la  céleste  Jérusalem  parmi 
les  chœurs  des  anges,  en  la  société  des  saints,  dans  la 
compagnie  des  apôtres,  entre  les  bras  mêmes  du  Ré- 
dempteur, qui  la  présentera  à  son  Père  éternel  et  à 
Marie, son  auguste  Mère!  Oh!  comme  le  bonheur  d'un 
pareil  trépas  suffira  à  récompenser  le  chrétien  hum- 
ble, mortifié,  charitable,  de  toutes  les  privations  et 
de  tous  les  sacrifices  qu'il  aura  soutenus  pour  se  main- 
tenir fidèle  à  Dieu,  pour  observer  sa  loi  et  pour  pra- 
tiquer la  vertu!  comme  il  béiùra  mille  et  mille  fois 
une  vie  qui  lui  aura  procuré  une  si  belle  mort!  Ah! 
que  c'est  avec  raison  que  les  pécheurs  sont  appelés  im- 
prudents et  insensés  dans  l'Ecriture  !  Les  justes,  les 
hommes  simples, les  hommes  de  solitude  et  de  retraite,; 
d'oraison,  de  détachement  du  monde,  de  zèle  et  de 
charité  :  voilà,  voilà  les  vrais  sages,  les  vrais  philoso- 
phes^ les  seuls  qui  savent  calculer  et  pourvoir  à  leurs 
avantages  !  Tranquilles  et  contents  de  Dieu  pendant  la 
vie,  ils  le  sont  infiniment  plus  à  l'article  de  la  mort. 

(1)  Pretiooa  in  coiiopeclu  Domiui  mors  sauctorum  cjus  {Psal.). 


Dieu  de  bonté  et  de  clémence,  accordez  à  Vous 
ceux  qui  sont  ici  réunis  Id  grâce  de  terminer  leur  \ie 
par  la  mort  sainte,  douce  et  précieuse  des  justes! 
Faites,  ô  Dieu  bon  !  que  notre  mort  ne  soit  qu'un  som- 
meil dont  le  réveil  sera  au  ciel;  qu'elle  soit  le  pas- 
page  dans  votre  grâce,  Seigneur,  de  cette  terre  au 
lieu  du  repos  dans  votre  gloire  (1)!  Ainsi  soit-il! 

(1)  Moriatxir  anima  nostra  morte  justonim  {Num.  xxxi). 


VINGT -SIXIÈME  HOMÉLIE. 


Le  fils  de  la  veuve  de  Naïm  (1). 

Luc,  vu,  11-16. 

Tulitque  Elias  puerum...,  et  tradidit  matri 
suœ,  et  dixit  illi  :  En  vivit  filius  tuus. 
(lîl  Reg.  xvij.) 

Les  prophètes  qui  ont,  annoncé  ravénement  du 
Fils  de  Dieu,  ont  été  non-seulement  les  évangélistes 
anticipés  de  ce  divin  Sauveur,  mais  ils  en  ont  encore 
été  les  figures.  C'est  pour  le  prouver,  que  le  Messie 
a  voulu  accomplir  littéralement  leurs  oracles,  et  que, 
de  plus,  il  a  reproduit  les  plus  grandes  et  les  plus 

(1)  Naïm  (  parole  hébraïque  qui  signifie  belle),  ainsi  appelée 
à  cause  de  sa  beauté,  est  une  ville  df^  la  Galilée  située  à  deux 
milles  du  mont  Tbabor.  Jésus-Christ  s'y  rendit  au  sortir  de  Ca- 
pharnaûm,  après  avoir  guéri  le  serviteur  du  Centurion.  Le  mi- 
racle dont  il  s'agit  arriva  vers  la  fin  de  mai,  la  deuxième  année 
de  la  prédication  du  Sauveur  et  la  trente-deuxième  de  son  âge. 
Saint  Luc  seul  raconte  ce  prodige  dans  l'évangile  qu'on  lit  à  la 
messe  du  Jeudi  après  le  IV^  dimanche  du  Carême.  On  le  lit  de 
même  le  jour  de  la  fête  de  sainte  Monique,  le  4  mai,  parce  que 
cette  sainte  mère  obtint,  par  ses  prières,  la  résurrection  spirituelle 
de  son  enfant  unique,  Augustin,  comme  la  veuve  de  Naïm  obtint 
par  ses  larmes,  celle  de  son  fils. 


—  415  — 
importantes  de  leurs  actions.  Un  exemple  admirable 
nous  en  est  donné  dans  Elie  ressuscitant  le  fils  de 
la  veuve  de  Sarepta,  la  figure  frappante,  parfaite 
de  Jésus,  qui  ressuscite  pujourd'huile  fils  de  la  veuve 
de  IXaïm.  Et,  pour  qu'on  ne  doute  nullement  de  la  . 
corrélation  de  ces  deux  prodiges  accomplis  à  huit 
siècles  de  distance  l'un  de  l'autre,  le  premier  restant 
le  symbole  du  dernier,  l'évangile  de  ce  jour^  qui 
rapporte  .celui-ci;,  emploie  les  paroles  consignées 
dans  le  troisième  livre  des  Eois,  qui  raconte  celui- 
là.  En  effet,  nous  lisons  dans  l'Evangile  :  «  Le  Sau- 
veur rendit  vivant  à  sa  mère  le  jeune  homme  qu'il 
venait  de  ressusciter  (1),  »  tout  comme  il  est  dit 
d'Elie  :  «  Il  prit  par  le  bras  l'enfant  qu'il  venait  de 
rendre  à  la  vie,  et  il  le  présenta  à  sa  mère  en  disant  : 
Voilà  le  fils  que  vous  pleuriez  comme  mort  (2).  » 

Le  miracle  d'Elie  fut  seulement  la  figure  du  pro- 
dige que  Jésus-Christ  devait  opérer  en  rendant  à  un 
homme  la  vie  du  corps,  tandis  que  celui  que  le  Sau- 
veur opéra  à  Naïm,  est  aussi  la  figure  d'un  grand 
mystère,  c'est-à-dire  de  la  résurrection  des  âmes, 
qu'il  opère  continuellement  parmi  les  hommes.  Oui, 
mes  frères,  le  véritable  Elie,  touché  des  larmes  de 
notre  sainte  Mère  l'Eglise,  ressuscite  ses  enfants  de 
la  mort  du  péché  et  les  rend  pleins  de  vie  à  sa  ten- 
dresse et  à  son  amour. 

Considérons  donc  en  ce  jour  le  tendre  mystère 

(1)  Et  dédit  illum  matri  suse  {Luc.  vu,  15). 

(2)  Tulitque  Elias  puerum,  et  tradidit  matri  suae,  et  dixit  illi  : 
En  vivit  filius  tuus  (///  Re(j.  xvii,  23). 


k 


—  ^  1 6  — 
figuré  dans  riiistoirc  du  jeiino  homme  de  Naïm. 
Dans  CCS  réflexions  sur  la  profonde  mis6re  des  pé- 
cheurs, sur  la  miséricorde  et  la  puissance  du  Dieu 
Sauveur  qui  les  appelle  à  la  vie  de  la  grâce  par  les 
prières  do  son  Eglise,  nous  trouverons  de  grands 
motifs  de  consolation  et  d'édification. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

La  guérison  du  serviteur  du  Centurion  que  le  Fils 
de  Dieu  avait  opérée  de  loin  et  d'une  seule  parole  à 
Capharnaum,  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs,  était 
un  miracle  qu'il  n'était  nullement  possible  de  révo- 
quer en  doute.  Le  même  peuple  qui  avait  entendu  la 
prière  pleine  d'humilité  et  de  foi  que  le  digne  soldat 
avait  faite  au  Sauveur,  comme  la  réponse  si  touchante 
du  divin  Maître  :  «  Qu'il  soit  fait  comme  vous  avez 
cru;  »  ce  même  peuple,  dis-je,  avait  aussi  entendu 
de  la  bouche  des  serviteurs  du  Centurion  que,  de  re- 
tour dans  la  maison  de  leur  maître,  ils  avaient  trouvé 
parfaitement  guéri  le  serviteur  que,  quelques  ins- 
tants auparavant,  ils  avaient  laissé  aux  prises  avec 
une  maladie  mortelle  (1).  Cependant  il  se  trouva 
des  hommes  qui  mirent  en  question  la  gravité  de  la 
maladie  de  ce  serviteur.  Que  fera  le  Sauveur  pour 
les  confondre  ?  Il  va  ressusciter  un  mort  en  la  pré- 
..ence  même  de  ceux  qui  lui  refusaient  la  vertu  de 
tjuérir  un  malade  (2). 

(1)  El  revorsi,  qui  missi  fuerant  domum,  invenerunt  servum, 
qui  languerat,  sanutn  [Luc.  vu,  10). 
(2)  Cum  de  puero  Genturiouis  dixerat  aliquis,  quia  moriturus 


—  417   — 

Il  s'achemine  doue  en  la  compaQ;nie  des  disciples 
et  d'une  grande  multitude  (1).  Or,  la  désolation 
était  aux  portes  de  Naïm.  Ou  emportait  un  cadavre, 
un  jeune  homme,  fils  unique,  seule  espérance,  seul 
soutien  de  sa  mère,  et  celle-ci  était  veuve;  frappé 
par  la  mort  à  la  fleur  de  l'âge,  il  était  emporté  au 
sépulcre,  entouré  de  sa  pauvre  mère,  au  comble 
de  la  désolation,  et  des  habitants  de  la  cité.  L'in- 
fortunée veuve,  ne  pouvant  vivre  sans  son  enfant 
bien- aimé,  eût  voulu  descendre  avec  lui  dans  la 
terre  (2). 

Les  angoisses  de  cette  femme,  deux  fois  frappée 
dans  ses  affections  les  plus  chères^,  avaient  excité  dans 
le  public  un  sentiment  universel  de  compassion  et  de 
deuil.  La  tristesse  était  peinte  sur  les  figures,  la  dou- 
leur avait  gagné  tous  les  cœurs,  et  une  grande  foule 
l'accompagnait,  pleurant  et  gémissant  avec  elle  (3). 
Absorbée  dans  sa  douleur,  la  pauvre  mère  ne  pro- 
nonçait aucune  parole,  elle  n'adressait  aucune  prière 
au  divin  Sauveur.  Mais  il  n'importe  :  le  spectacle 
de  sa  vive  affliction  est  la  prière  éloquente  qui  attire 
et  touche  le  cœur  tendre  de  Jésus.  Seigneur,  vous 
ne  pouvez  voir  les  misères  de  l'homme  sans  en  avoir 


non  erat,  ut  temerariam  linguam  compesceret,  jam  defuncto 
juvoni  (evangeliàlà)  eum  obviare  fatetur  S.  Greg.  Naz.,  Caf.). 

(1)  Et  deinceps  ibit  in  civitatem  qua3  vocatur  Naim.  Et  ibant 
cuui  co  discipuli  ejus  ,  et  multitude  copiosa  {Luc.  vu,  11). 

(2)  Cum  autem  apf  ropinquaret  portai  civitatis,  ecce  defunctus 
efferebalur,  filius  unicus  matris  suée  ;  et  haec  vidua  erat  {Luc, 
{Ibid.,  12). 

(3)  Et  turba  civitatis  multa  cuin  illa  (Loco  cit.) 

II.  27 


—  4IS  — 
piliû  (l).  L'aiiuablo  Sain  car  s'avança  donc  auprès 
de  la  femme  ô|)lor(!'c,  et  lui  dit  avec  la  plus  tendre 
compassion  :  «  Pauvre  mère,  vous  avez  raison  d'être 
aniii^ée,  mais  ne  pleurez  plus  ;  je  suis  venu  pour 
vous  rendre  voire  fils  :  Dixil  illl:  noli  flcre.  »  Puis  il 
s'approcha  du  cercueil  où  se  trouvait  le  cadavre,  le 
toucha  (ceux  qui  le  portaient  s'étaient  arrêtés),  et 
ajouta  d'une  voix  toute-puissante  :  «  Jeune  homme, 
lève-toi,  je  le  l'ordonne  (2).  »  Et  aussitôt  le  mort  se 
leva  plein  de  santé  et  de  vie,  et  il  parla  (3).  Alors, 
son  Médecin  céleste  le  prit  par  la  main,  et  il  le  pré- 
senta à  sa  mère  en  disant  :  «  Eéjouis-toi,  femme  for- 
tunée, voici  ton  fds;  il  est  vivant  (4).  » 

A  la  \  ue  d'uu  pareil  prodige,  le  respect  et  la  crainte, 
unis  à  rétonnement  et  à  la  joie ,  s'emparèrent  de 
tous  les  cœurs  et  enchaînèrent  d'abord  toutes  les 
langues  (5).  Puis,  chacun  donnant  un  libre  cours  à  la 
reconnaissance  et  à  l'admiration  excitées  dans  toutes 
les  âmes  par  la  puissance  et  la  bonté  de  Jésus,,  tous 


(1)  Quani  cum  vidisset  Domiiius,  miscricordia  motus  super  eam 
(£,t<c.  vu,  13). 

(2)  Et  accessit,  et  teligit  loculum  (hi  autem  qui  portabant,  ste- 
teruut),  et  ait  :  Adolesceus,  libi  dico  :  surge  {Luc.^  ihid.,  14). 

(3)  Et  resedit  qui  erat  niorUius,  otcœpit  loqui(Z,MC.,  ibid.,  15) 

(4)  Et  dédit  illum  matri  suae  {Ihkl.).  —  Ainsi  le  Sauveur  a 
montré,  d'une  part,  toute  sa  tendresse  et  sa  bonté  en  prenant 
compassion  de  la  mère  ;  de  l'autre,  il  a  manifesté  l'étendue  de 
son  pouvoir  en  ressuscitant  le  fils,  afin  qu'aimant  et  adorant  sa 
toute-puissance ,  nous  imitions  également  sa  miséricorde  et  son 
amour  à  l'égard  de  nos  frères  ou  du  prochain. 

(5)  Acccpit  autem  omnes  timor  {Luc.  vu,  16). 


—  419  — 
se  mirent  à  glorifier  Dieu  avec  les  plus  \ifs  Irans- 
ports,  en  disant  :  Un  grand  prophète  a  surgi  parmi 
nous,  et  le  Seigneur  a  visité  son  peuple  (1). 

Combien,  en  effet,  ce  prodige  est  plus  éclatant  que 
celui  d'Elie  !  Elie  n'opéra  pas  précisément  le  miracle, 
il  l'obtint  par  ses  prières  ;  tandis  que  le  Sauveur 
n'obtint  pas,  il  opéra  la  résurrection  de  Naïm  par  l'ef- 
ficacité de  son  pouvoir.  Elie  adressa  au  ciel  le  cri  de 
son  cœur,  en  disant  :  «  Seigneur,  mon  Dieu,  je  vous 
supplie  de  faire  redescendre  dans  son  corps  l'âme 
de  cet  enfant  (2);  »  le  Sauveur  n'employa  que  sa 
propre  autorité,  son  empire  ;  il  dit  :  «  Jeune  homme, 
je  t'ordonne  de  te  lever  :  Adolescens,  tibi  dico,  surge.  » 
C'est  qu'Elie  prie  comme  un  serviteur,  et  que  Jésus- 
Christ  commande  comme  Dieu.  Aussi  Elie  fut-il  re- 
connu comme  Vhomme  de  Dieu  par  la  femme  de  Sa- 
repta  (.'$),  tandis  que  Jésus  fut  reconnu  et  béni  par 
le  peuple  de  Naïm  comme  le  Messie  de  Dieu,  Dieu  lui- 
même  daignant  visiter  son  peuple  (4). 

Telle  est  la  belle  et  tendre  histoire  qui  est  si  ad- 
mirablement décrite  par  saint  Luc  dans  l'évangile 
de  ce  jour.  Elle  est  simple  et  claire  dans  le  sens  lit- 
téral ;  mais  qu'elle  est  élevée  dans  le  sens  spirituel 
et  combien  de  leçons  elle  renferme  (5)  ! 

(1)  Magnificabant  Deum,  dicentes:  Quia  propheta  magnus  sur-, 
rexit  in  nobis,  et  quia  Deus  visitavit  plebem  suam  (Ibid.). 

(2)  Clamavit  ad  Dominum  et  ait  :  Domine  Deus  meus,  rever- 
tatur,  obsecro,  anima  pueri  hujus  in  viscera  ejus  (///  Reg.  xvii). 

(3)  Nunc  cognovi,  quoniam  vir  Dei  es  tu  [Ibid.). 

(4)  Propheta  magnus  surrexit  in  nobis,  et  quia  Deus  visitavit 
plebem  suam. 

(5)Juxta  historiam  apertissima  est  :  spiritualiter  autem  Intel- 


—  120  — 

L'évangélislc  fait  d'abord  observer  que  le  mort 
était  dt'jà  sorti  dft  la  ville,  en  dehors  de  ses  portes  : 
Efjcrebdtur  extra  2)ortam  ciritatis.  Or,  par  le  mot  ville, 
disent  les  interprètes,  on  doit  entendre  le  corps 
luiinain  dans  lequel  l'âme  habite  comme  dans  une 
cil6(I).  Cette  ville  mystérieuse  du  corps  humain  a 
ses  portes,  ce  sont  les  sens;  les  portes  de  Naïm,  dont 
révangélistc  fait  à  si  juste  titre  meution,  indiquent 
donc  les  sens  extérieurs  (2). 

Aussi  longtemps  que  Tliommeuse  de  ses  sens  pour 
servir  et  pour  louer  Dieu,  pour  assister  le  prochain  et 
pour  se  sanctifier  soi-même,  ces  portes  mystérieuses 
sont  les  portes  de  la  gloire  et  de  la  vie,  celles  que  le 
Prophète  appelle  les  portes  de  la  fille  de  Sion,  qui  sont 
ornées  des  emblèmes  augustes  de  la  grâce  et  de  la 
sainteté;  lame  fidèle,  en  effet,  reflète  jusque  sur 
les  sens  les  rayons  divins  qui  l'inondent.  Aussi  ces 
portes  brillent  pour  l'édification  du  prochain  et  pro- 
clament les  louanges  et  les  bénédictions  de  Dieu  (3). 
Mais  quand  les  sens  que  Dieu  nous  a  donnés  dans  ce 
but  se  prostituent  aux  passions,  ils  figurent  alors  ces 
portes  de  la  mort  dont  le  même  Prophète  demandait 
à  Dieu  d'être  délivré  (4).  En  effet,  ajoute  un  inter- 

lecta  non  modicam  œdilicatiouem  audieutiiiui  mentibus  submi- 
nislrat  (Eric,  Expos.) 

(1)  Civitas  uniuscujusqiie  animae  est  corpus,  in  quo  tanquam 
in  civitate  clausa  inlialjilat  {Id.,  ibid.). 

(2)  Per  portas  civitatis  sensus  exleriorcs  exprinumtur  ;  sicut 
enim  civitas  habet  portas,  ita  et  corpus  humanuin  habet  sensus 
(Aym.,  Expos.). 

(3)  Ut  annunticm  laudationcs  tuas  in  portis  filia3  Sion  {Psal.  ix). 

(4)  Qui  exaltas  me  de  portis  mortis  {Ibid.), 


—  421  — 
prête,  Jésus-Christ  a  dit  dans  l'Evangile  :  «  Celui  qui 
regarde  une  femme  avec  un  mauvais  désir,  celui-là 
a  déjà  commis  l'adultère  dans  son  cœur.  »  Les  yeux 
deviennent  donc  pour  ce  malheureux  des  portes 
funestes,  lugubres ,  par  lesquelles  il  est  exposé  à  la 
mort  spirituelle  (1). 

On  doit  dire  la  même  chose  de  tous  les  autres 
sens  ;  ils  sont  tous  les  portes  de  la  mort  quand  on 
les  fait  servir  au  péché. 

Ce  mort,  qui  est  porté  hors  de  la  ville  dans  le 
sépulcre ,  signifie  plus  généralement  l'homme  pé- 
cheur qui,  par  le  moyen  d'une  action  extérieure 
mauvaise^  prouve  qu'il  est  mort  dans  son  âme  et  an- 
nonce la  perversité  de  son  cœur  (2).  L'historien 
sacré  dit  expressément  que  ce  mort  était  étendu 
dans  le  cercueil  et  qu'on  le  portait  au  sépulcre  (3). 
Oh  !  que  cette  circonstance  exprime  bien  l'état  fu- 
neste du  pécheur  qui  est  hors  de  la  cité,  c'est-à-dire 
qui  a  déjà  mis  sa  famille^,  ses  collègues,  ses  amis,  ses 
voisins,  tout  le  public  dans  le  secret  de  son  péché! 
La  bière  ou  le  cercueil  représente  la  conscience 
endurcie  ou  indifférente  de  ce  pécheur  se  reposant 
stupidement  dans  un  calme  incompréhensible  (1). 

(1)  Qui  viderit  mulieremad  concupiscendum  eam,  jam  mœcha- 
lus  eot  eam  iu  corde  suo  {Mat th.);  et  iste  talis  per  poitam  sascu- 
loruni  ad  mortem  ducitur  (Ayiu.,  ibid.). 

(2)  Per  hujus  civitatis  portas  mortuus  effcrtur,  cum  per  ali- 
quem  sensum  malae  volimtatis  indicium  ostendens,  niortuum  in 
anima  se  esse  déclarât  (Tit.  Expos.). 

(3)  Loculum  :  ii  qui  portabant  [Luc.  14). 

(4)  Jacet  mortuus  in  fcretro,  cum  anima  peccatrix  requiescit 
in  bua  conscientia  maie  secura  (Beda) 


—  422  — 

Le  fils  de  la  veuve  de  Naïm,  dans  son  cercueil,  est 

égaleniont  insonsibic  cl  au  sort  qui  se  préparc  pour 
son  cadavre  prêt  à  descendre  dans  la  terre,  et  aux 
larmes  que  sa  mère  et  tout  le  peuple  répandent  sur 
sa  mort  prématurée.  De  même  le  pécheur  dont  nous 
parlons  est  insensiblement  entraîné  en  enfer  par  sa 
conscience  devenue  insensible  :  pendant  que  de  tous 
côtés  l'on  s'afflige,  l'on  répand  des  larmes  de  com- 
passion sur  SCS  désordres  présents  et  sur  sa  punition 
prochaine,  lui  seul  semble  ne  pas  comprendre  ni  sa 
propre  ruine,  ni  le  mallienr  d'autrui,  ni  son  triste 
état,  ni  le  chagrin  des  autres;  il  ne  se  soucie  aucu- 
nement de  sa  santé  qu'il  perd,  de  son  patrimoine 
qu'il  dépense,  de  sa  vie  qu'il  abrège,  de  sa  réputa- 
tion qu'il  ternit,  de  sa  famille  qu'il  désole,  de  sa  pa- 
renté qu'il  déshonore,  de  ses  amis  qu'il  compromet, 
de  la  piété  qu'il  contriste,  de  ses  concitoyens  qu'il  af- 
flige, du  public  qu'il  scandalise,  de  la  religion  qu'il 
foule  aux  pieds,  enfin  de  son  âme  qu'il  conduit  à  la 
damnation  éternelle;  et,  quand  tout  le  monde  est 
dans  la  douleur  à  cause  de  lui,  lui  seul  ne  s'alarme 
pas;  au  milieu  du  deuil  universel,  lui  seul  ne  se  dé- 
sole point  ;  insolent,  au  contraire,  fier  de  son  sort,  il 
se  précipite  vers  l'abîme  :  on  dirait  un  chevreau  in- 
sensé, couronné  de  fleurs,  se  hâtant  par  ses  bonds 
joyeux  vers  le  lieu  où  il  doit  être  immolé  (1). 
Les  hommes  qui  s'empressent  de  porter  en  terre  le 


(1)  Ducunt  in  bonis  dies  suos,  et  in  pnncto  ad  infema  descen- 
dant {Job.  XXI). 


—  423  — 
fils  de  la  veuve  de  Naïni  représentent,  dit  le  Véné- 
rable Bède,  les  affections  impures,  les  passions  char- 
nelles, qui,  selon  l'enseignement  de  saint  Paul,  con- 
duisent insensiblement  Thomme  à  la  mort  ;  ils  signi- 
fient aussi  ces  faux  amis  qui,  par  leurs  caresses  em- 
poisonnées, par  leurs  adulations  homicides,  parleurs 
excuses  toujours  au  service  des  péchés  des  Jeunes 
gens,  augmentent  leur  nombre  outre  mesure.  Ce 
sont  ces  hommes  cruels,  occupés  sans  cesse  à  creuser 
des  tombes^  dont  le  Sauveur  a  dit  dans  l'Évangile  : 
«  Laissez  aux  morts  le  soin  d'ensevelir  les  morts  .»  Il 
voulait  parler  de  ces  pécheurs  déjà  morts  à  la  grâce, 
qui^  par  des  faveurs,  des  conseils  réciproques,  s'en- 
couragent à  commettre  le  péché  et  se  vendent  le  ser- 
vice de  s'ensevelir  les  uns  les  autres  sous  la  pierre 
sépulcrale,  où  le  poids  énorme  de  leurs  iniquités  et 
du  respect  humain  ne  leur  permet  plus  même  de 
conserver  l'espérance  de  ressusciter  (1). 

Laissez-moi,  mes  frères,  vous  exprimer  toute  ma 
pensée  :  Dans  l'état  présent  de  corruption  des  mœurs 
publiques,  où  l'impudence  pour  le  mal  est  devenue  si 
audacieuse,  oh!  comme  j'aperçois  se  généraliser,  s'en- 
hardir plus  que  jamais  rémulation  infernale  des  pé- 


(1)  Qui  vero  sepeliendum  portant,  vel  immunda  dcsideria  sunt, 
quae  trahunt  hominem  in  interitum,  vel  lenocinia  blandientium 
Eunt  venerxata  sociorum,  quse  peccata  nîmium  juvenibus  tollunt 
et  accumulant.  —  Illi  sunt  de  quibus  alibi  dicitur  :  Dimitte  mor- 
tuos  sepelire  mortuos  suos.  Mortui  quippe  mortuos  sepeliunt, 
cura  ppccatores  sui  similes  alios  favore  domulcent,  congestaque 
pessimse  adulationis  mole  opprimunt,  ne  qua  aliquando  spe  re- 
surgeudi  potiantur  (Bed.,  Expos.). 


—  424  — 
cheurs,  s'encouragcanl  réciproquement  à  se  livrer  à 
toutes  sortes  de  crimes!  Comme  ces  coupables  fra- 
leruisent  entre  eux  par  la  53  mpatliie  des  mêmes  pas- 
sions! Comme  ils  se  recherchent,  s'appellent  et  comme 
ils  s'attirent  pour  s'inoculer,  pour  se  transmettre  mu- 
tuellement le  péché!  Oii!  comme  ils  se  stimulent  par 
les  paroles  et  par  l'exemple,  pour  s'attacher,  s'incorpo- 
rer à  Satan!  Chacun  d'eux  est  en  môme  temps  maître 
et  disciple,  modèle  et  imitateur,  chef  et  serviteur 
dans  les  voies  désastreuses  du  péché.  Entendez  comme 
ils  se  vantent  de  leurs  turpitudes,  des  excès  mêmes 
qu'ils  n'ont  pas  eu  le  triste  courauc  de  commettre  ! 
Comme  ils  exaltent  leurs  hauts  faits,  comme  ils  y 
poussent  leurs  frères,  pour  tâcher  de  s'y  livrer  eux- 
mêmes,  en  nombreuse  compagnie,  avec  moins  de 
difficultés  et  de  remords!  Hélas!  notre  siècle  ne  sera 
bientôt  plus  que  la  cité  des  morts  et  des  mourants, 
la  cité  où  des  spectres  spirituels ,  horriblement  dif- 
formes, s'occuperont  avec  un  zèle  diabolique  à  s'en- 
sevelir réciproquement  dans  l'abîme  de  tous  les 
vices,  puis  dans  le  sépulcre  du  feu  éternel,  sous  l'ir- 
révocable sentence  de  la  condamnation  éternelle  : 
Mortui  sepeliunt  mortuos  siios. 

Mais  ne  perdons  pas  de  vue  cette  mère  affligée, 
qui,  par  le  spectacle  de  sa  douleur,  obtint  la  résur- 
rection de  son  fils  unique ,  qu'elle  enfanta  pour 
ainsi  dire,  par  ses  larmes,  de  nouveau  à  la  vie.  Cette 
veuve,  dit  saint  Ambroise,  dont  la  douleur  amère  est 
si  éloquente  et  les  larmes  si  fécondes,  qui  marche  en- 
tourée du  peuple,  auquel  elle  communique  sa  désola- 


—  425  — 
tion,  n'est  poiut  une  femme  ordinaire.  Elle  représente 
quelque  chose  de  plus  que  ce  qui  apparaît  (1).  C'est, 
en  effet,  la  figure  de  notre  sainte  et  auguste  Mère  la 
sainte  Eglise,  qui,  après  l'ascension  de  Jésus,  est  de- 
meurée comme  Tcuve  sur  la  terre  (2).  Biais  c'est  une 
■veuve,  ajoute  saint  Ambroise,  qui  n'a  point  perdu 
pour  toujours  son  divin  Epoux,  quoiqu'il  soit  mort 
spirituellement;  car  elle  doit,  au  jour  du  jugement, 
retrouver  ce  bien-aimé  de  son  cœur  (3).  La  véritable 
Eglise  est  formée,  il  est  vrai,  d'une  multitude  de  per- 
sonnes ;  car  elle  est  la  société  des  fidèles  qui,  sous  les 
pasteurs  légitimes,  professent  la  même  foi,  la  loi  de 
Jésus-Christ.  Mais  comme  cette  société  n'a  pour  cette 
raison  qu'une  seule  croyance,  elle  est  justement  ap- 
pelée wwey  par  conséquent,  elle  est  parfaitement  bien 
figurée  par  la  veuve  de  l'Evangile  (4). 

Qu'il  est  grand,  profond,  le  mystère  de  l'Eglise  !  Ses 
fidèles,  pour  la  raison  déjà  dite,  forment  tous  en- 
semble w?2e  Eglise,  l'Épouse  chérie  du  Dieu  Sauveur. 
Mais  parce  que  chacun  d'eux  reçoit  la  doctrine  et  la 


(1)  Hanc  viduam  populorum  turba  circumseptam,  quae,  suarum 
contemplatione  lacrymarum,  unicum  adolescentem  filium  a  pompa 
funebri  revocat  ad  vitam,  plus  video  esse  quam  feminam  (^S.  Am- 
Lros.,  Com.). 

(2)  Sancta  Ecclosia  vidua  est,  quia  virum  suum  Christum  in 
corpore  prœsentem  non  videt,  postquam  abiit  in  cœlum,  et  tan- 
quam  vidua  remausit  in  terris  (S.  Aug.,  Expos.). 

(3)  Ecclesia  vidua,  quœ  amisit  virum  secuudum  corporis  pas- 
sionem;   sed  in   die  judicii  receptura   (S.  Ambros.,  de  Vidais). 

(4)  Sancta  Ecclesia  per  istam  mulierem  designatur,  quœ,  licet 
multis  persouis  constet,  tamen  pr opter  unitatem  âdei  una  dici- 
tur  (Aym.) 


—  426  — 
grâce  comme  dons  de  Dieu  accordés  en  propriété  à 
tout  le  corps  de  l'Ei^lisc,  chaque  fidèle,  dans  ce  sens, 
est  aussi  vérilablcmcnt  fils  de  cette  Ef^liso,  qu'elle- 
même  est  Trainient  la  mère  de  chacun  de  nous  en 
particulier  (I).  I/Eglise  est  réellement  notre  Mère, 
parce  qu'elle  nous  enfante  à  Jésus-Christ  et  nous  fait 
devenir  fils  de  Dieu  (2);  et  cette  3Ièrc  divine  reporte 
sur  chacun  des  membres  du  corps  mystique  du  Sau- 
veur l'amour  qu'elle  ressent  pour  tous  ensemble,  si 
bien  qu'on  peut  dire  en  toute  vérité  que  l'Eglise  nous 
aime  d'un  amour  et  d'nne  tendresse  de  mère.  Si  donc 
nous  tombons  dans  le  péché,  elle  nous  pleure  comme 
des  fils  morts.  Oui,  dit  saint  Pierre  Chrysologue, 
l'Eglise  répand  réellement  des  larmes  par  les  fidèles 
qui  prient  continuellement  Dieu  d'esprit  et  de  cœur; 
elle  sue  le  sang  par  les  martyrs,  les  pénitents,  et  cela 
jusqu'à  ce  que  chaque  individu  du  peuple  chrétien, 
qu'elle  regarde  comme  son  fils  unique,  soit  entré  en 
possession  de  la  vie  éternelle  (3).  Cette  veuve  de 
Naim,  qui  fond  amèrement  en  larmes  sur  les  froides 
dépouilles  de  son  enfant,  c'est  donc  en  figure  la  com- 
munauté des  vrais  fidèles  qui,  unis  ensemble  par  la 
foi  et  la  grâce,  forment  l'Eglise  vivante,  l'Eglise  Mère, 

(1)  Singuli  quippe  fidelium  univorsalis  Ecclesiae  filios  rectls- 
BÏme  nos  fatemur  ;  narn  electus  quisqiie,  quando  ad  fidem  im- 
buitur,  filins  est  (Bed.). 

(2)  Quae  mater  nostra,  quia  ipsa  nos  régénérât,  et  filios  Dei 
efficit  (Aym.). 

(3)  Nam,  per  supplicantes,  Ecclesia  lacrymas  fundit  Jupiter; 
per  martyres  sucs  sacrum  sanf^uinem  sudat,  donec  miicum 
suum,  id  est  populum  christianum,  perpetuœ  vitae  reddat  in  su- 
peraaj  matris  gaudium  sempiternum  (S.  Chrysol.,  serm.  103). 


—  427  — 

et  qui  ne  cesser.!  de  prier  et  de  pleurer  devant  Dieu 
sur  la  mort  spirituelle  de  chaque  pécheur.  0  vous 
donc  qui  censurez,  qui  méprisez,  qui  vous  moquez 
de  le  vie  de  mortification^  de  recueillement  et  de  sa- 
crifice des  âmes  justes,  combien  vous  êtes  insensés  ! 
Savez-vous  ce  que  sont  ces  prières,  ces  pénitences  de 
tant  d'âmes  pures  et  ferventes?  C'est  le  bouclier  qui 
vous  protège,  ce  sont  les  supplications  qui  vous  font 
souffrir  pour  Dieu  en  ce  monde  et  vous  préparent  la 
voie  de  la  grâce  et  du  pardon.  Grand  Dieu  !  que  les 
fléaux  seraient  plus  nombreux  et  plus  terribles  sans 
les  prières  des  justes! 

C'est  par  sa  désolation  et  sa  douleur,  dit  l'Evan- 
gile, que  la  veuve  de  Naïm  attendrit  et  toucha  si 
profondément  le  cœur  du  bon  Maître  (1).  Cet  adO'» 
rable  Sauveur  nous  prouve,  par  sa  compassion  pour 
la  mort  corporelle  du  fils  de  cette  femme,  qu'il  s'at- 
tendrit incomparablement  plus  à  la  vue  des  larmes 
continuelles  et  de  la  sueur  de  sang  que  répand  la 
vraie  Eglise,  son  Epouse,  sur  la  mort  spirituelle  de 
ses  enfants  (2).  Jésus-Christ,  en  disant  à  la  veuve  de 
Naim  :  «  Ne  pleurez  point,  »  promet  dès-lors,  comme 
ie  disent  les  saints  Pères,  d'exaucer  les  prières  de  l'E- 
glise pour  la  résurrection  des  pécheurs,  de  lui  laisser 
même  le  moyen  d'opérer  cette  résurrection ,  de 
lui  donner  le  pouvoir  d'absoudre  sacramentellement 

(1)  Quam  cum  vidisset  Dominus,  misericordia  motus  est  super 
eam. 

(2)  Si  ad  unius  viduce  lacrymas  sic  commotus  est  Christus  ; 
quid  modo  faciet  ad  Ecclosiœ  suse  sponœ  lacrymas  diuturuas  et 
sanguineos  sudores  (S.  Chrysol.,  loc.  cit.)? 


—  428  — 
chaque  péché.  Notre  aimable  Sauveur  prévit  bien  qu'il 
y  aurait  un  jour  des  hommes  assez  ennemis  de  la 
pauvre  humanité  (ce  qui  est  le  propre  de  Lucifer) 
pour  nier  le  dogme  de  la  rémission  des  péchés.  Les 
cruels!  enlever  au  chrétien  qui  est  tombé,  jusqu'à 
l'espérance!  Le  plonger,  dés  la  vie  présente,  dans 
l'abîme  du  désespoir  et,  par  là,  le  poussera  se  livrer 
à  tous  les  vices  et  à  tous  les  excès!  Il  semblerait  ira- 
possible  qu'il  se  fût  trouvé  des  hommes  capables 
d'enseigner  des  doctrines  si  inhumaines,  si  le  Sauveur 
lui-même  ne  nous  avait  appris  ce  fait  monstrueux, 
ne  nous  avait  montré  à  l'œuvre  ces  héritiers  des  sen- 
timents homicides  du  tentateur  d'Eve,  de  son  esprit, 
de  sou  langage,  ses  enfants,  en  un  mot,  sa  descen- 
dance, ses  coopérateurs  et  les  aveugles  ministres  de 
ses  infernaux  désirs  (1  ) .  Or,  tels  sont  les  hérésiarques  ; 
c'est  pourquoi  l'hérésie  est  essentiellement  cruelle  et 
ennemie  de  l'homme;  elle  tend  à  le  rendre  vicieux, 
à  l'abrutir  et  à  le  faire  devenir  malheureux  et  dans 
le  temps  et  dans  l'éternité. 

Tels  ont  été,  en  particulier,  les  anciens  novatiens 
et  les  modernes  calvinistes,  qui  ont  fait  tout  leur 
possible  pour  abolir  le  dogme  consolateur  du  par- 
don de  Jésus-Christ,  "promis  au  repentir  humble  et  sin~ 
cère,  et  pour  enlever  à  l'Eglise,  la  tendre  Mère  des 
chrétiens,  la  consolation  qu'elle  éprouve  dans  l'es- 
pérance de  voir  ressusciter  à  la  grâce  ses  enfants 
dans  le  temps  même  où  elle  les  pleure  comme  morts 

(1)  Vos  ex  patre  diabolo  estis;  desideria  ejus  vultis  perficere 
{Joan.). 


—  429  — 
par  le  péché.  Or,  en  disant  à  la  veuve  de  Naïm  de  np; 
plus  répandre  de  larmes  et  de  cesser  de  pleurer,  il  a,' 
dit  le  savant  Bède,  confondu  à  l'avance  et  condamné 
toutes  les  doctrines  désespérantes  des  hérétiques; 
il  a  accordé  et  assuré  à  rEgiisc  le  grand  pouvoir 
d'absoudre  les  péchés;  en  un  mot,  il  l'a  mise  eu  posses- 
sion d'un  dogme  plein  de  consolation  et  de  miséri- 
corde (1). 

Le  Sauveur,  par  ce  fait  si  touchant^,  ne  s'est  pas 
contenté  de  confirmer  le  dogme  du  pardon  ou  de  la 
rémission  des  péchés;  mais  il  nous  en  a  de  plus  dé- 
couvert la  raison  et  le  mérite,  le  principe  et  le  fon- 
dement. La  bière  ou  le  cercueil  où  gisait  le  cadavre 
du  jeune  homme  de  Naïm,  comme  nous  l'avons  vu, 
siguiûait,  quant  à  sa  forme  et  à  son  usage,  le  funeste 
mystère  de  la  conscience  coupable  et  endurcie  qui 
retient  le  pécheur  comme  immobile  dans  son  péché. 
Quant  à  sa  matière  (de  bois),  elle  indique  le  bois  de 
la  prévarication  primitive,  c'est-à-dire  l'arbre  fatal  par 
lequel  nous  sommes  tous  morts  dans  Adam.  Par  elle, 
comme  les  morts  sont  portés  au  sépulcre^  nous  étions 
précipités  dans  les  abîmes  (2).  Combien  ce  bois  nous 
fut  funeste,  s'écrie  saint  Ambroise!  Mais,  depuis  que 
le  Fils  de  Dieu  s'en  est  approché,  l'a  touché  :  Accessit, 
et  tel igit  locidinn;  c'est-à-dire,   depuis  qu'il  a  étendu 

(1)  Per  vorba  :   Noli  flere,  Novati  dogmata  confunditur,  qui 
liuruilem  (|uidem  pœnitentium  mundationem   evacuare   conatur 
veramque   matrom   Ecclesiam,  de  natorum   suorum   extinctione 
ploreinteiii,  spe  vitae  redonandae  nogat  consolari  debere  (Bed.). 

(2)  Per  loculum  quidam  intelligunt  lignum   primariae  praevari- 
cationis,  in  quo  omnes  mortui  poïiabamur  (Ericius.,  Expos.). 


—  430  — 
ses  bras  sur  le  bois  de  la  croix,  qu'il  s'est  étendu  do 
lui-môme  dans  celle  bière  de  douleur  pour  y  souflrir 
la  mort  que  le  premier  homme  et  ses  desceiidauls 
avaient  méritée,  il  a,  par  ce  contact  divin  et  par  son 
sommeil  myslérieux  sur  l'arbre  sacré,  changé  cet 
appareil  funèbre  en  un  char  de  Iriomphe  et  de  vie. 
Heureux  donc  ce  jeune  homme  de  Naïm  reposant  sur 
le  bois,  ce  consolant  symbole  de  la  résurrection  !  En 
touchant  sa  bière,  en  le  ressuscitant,  Jésus  enseigna 
donc  que  les  hommes  recevraient,  par  le  mérite  de 
la  croix,  le  pardon,  la  vie  spirituelle  et  le  salut  (1). 
L'évangéliste  fait  observer  que  ceux  qui  portaient 
le  fils  de  la  veuve  de  Naïm,  s'arrêtèrent  quaud  le  Sau- 
veur loucha  le  cercueil  :  li  aulem  qui  portabant,  stelc- 
runt.  Qui  ne  voit  figuré  ici  le  mystère  du  contact  du 
corps  de  Jésus  avec  le  bois  de  la  croix,  et  celui  du 
crucifiement?  Mystère  par  lequel  la  concupiscence, 
toutes  ces  passions  qui  nous  entraînent  par  les  désirs 
coupables  dans  le  tombeau  éternel,  qui  sont,  selon 
la  profonde  doctrine  de  saint  Paul,  le  vieil  homme, 
l'homme  de  péché  et  de  mort  ;  mystère,  dis-je,  par 
lequel  ces  passions  perdirent  leur  infernale  énergie 
et  furent  arrêtées  dans  leur  fatal  progrès,  parce 
qu'elles  furent  clouées,  eu  quelque  sorte,  avec  Jésus- 
Christ  sur  la  croix  (2). 

(1)  Spem  resurgendi  habebat  iste  qui  ferebaturinligno;  quod, 
etsi  nihil  proderat,  tamen,  postquam  illud  Christus  teligit,  profi- 
cere  cœpit  ad  Titan,  ut  esset  indicio  salutem  populis  per  crucis 
patibulum  refuudendam  (S.  Ambr.,  loc.  cit.). 

(2)  Nos  scimus  quia  vêtus  homo  ûoster  cruciâxus  est,  ut  des- 
truatur  corpus  peccati  {Rom.  vi). 


—  431   — 

Oui;  mes  frcrcs,  tel  est  le  prodige  accom|;li  [vir  le 
Sauveur  du  monde  sur  la  croix  pour  toute  riiumanité; 
morte  eu  Adam,  crucifiée  en  Jésus-Christ,  elle  est  spi- 
rituellement ressuscitée  eu  Jésus- Christ  et  avec  lui, 
par  le  mystère  de  la  croix.  Or,  cet  aimable  Sauveui^ 
renouvelle  à  chaque  instant  ce  prodige  pour  chacun 
des  chrétiens  auxquels  il  applique  la  valeur  de  sa 
passion.  En  effet,  aussitôt  que  le  divin  Maître,  atten- 
dri par  les  larmes  de  l'Eglise,  s'approche  du  pécheur, 
qu'il  touche  sa  conscience  parla  grâce,  qu'il  en  trou- 
ble la  trompeuse  sécurité  par  le  remords;  aussitôt, 
dis-je,  qu'il  répand  dans  cette  âme  la  componction, 
qui  est  un  des  plus  beaux  fruits  de  l'arbre  de  la  croix, 
les  impurs  désirs  s'en  retirent,  ses  passions  s'arrê- 
tent, parce  qu'elles  n'ont  plus  la  force  de  continuer 
à  l'entraîner  dans  l'abîme  ;  parce  que  les  tentations 
extérieures,  personnifiées  dans  les  apologistes  du 
vice  et  dans  les  maîtres  de  l'iniquité,  se  sentant  déjà 
dédaignées,  méprisées  s'enfuient  et  disparaissent  (1). 

Le  jeune  mort,  qui  ouvre  les  yeux,  se  lève,  ayant 
à  peine  entendu  la  voix  du  céleste  Médecin,  comme 
un  homme  qui  secoue  le  sommeil,  fut  la  figure  de 
tant  d'âmes  mortes  spirituelleuieut,  mais  ressuscitées 
chaque  jour  à  la  grâce  parla  voix  secrète  du  Seigneur. 
Ce  que  celui-ci  fuit  donc  pour  un  seul  homme  dans 
la  ville  de  ISaïm,   c'est  le  gage  de  ce  qu'il  fait  daus 

(1)  Qui  portabant,  steterunt  ;  quia  ubi  compunctio  cœlestis 
mentem  taugit,  conlimio  immuada  dctidoiia  rc-ceduut,  iiiliil 
prcsvalent,  ncc  posàuut  ad  mortem  trahcio.  Omnes  etiarn  adula- 
loros  pro  nibilo  doputaulur  (Aym.^  loco  cit.). 


—  432  — 

un  ordre  plus  important  et  voudrait  faire  toujours 
pour  chacun  des  hommes,  et  qu'il  fail  réellement  pour 
un  srand  nombre  dans  la  vraie  Eglise  (I). 

Le  fils  ressusciîé  fut  rendu  à  sa  mère  :  Et  dédit  illum 
mairi  siiœ;  de  même  le  pécheur,  ressuscité  à  la  grâce 
par  cette  parole  toute-puissante  de  Jésus-Christ  :  Je 
t'absouds,  que  le  ministre  du  ciel  prononce,  est  réel- 
lement rendu  à  sa  mère,  car  il  est  réintégré  dans  la 
communion  spirituelle  de  TÉglise  (2). 

La  surprise  pleine  d'allégresse  de  la  veuve  de  Kaïm 
à  la  vue  de  son  fils  vivant,  plein  de  santé,  brillant  de 
jeunesse  et  de  grâces,  de  son  fils  unique  qu'elle  pleu- 
rait si  amèrement,  est,  dit  saint  Augustin,  une  image 
du  contentement  qu'éprouve  l'Église  quand  elle  voit 
des  coupables  redevenus  des  justes  (3).  Qui  saurait 
dire,  en  effet,  le  bonheur  des  âmes  vraiment  saintes, 
qui  sont  comme  l'âme  et  l'esprit  de  celle-ci,  lors- 
qu'elles voient  la  conversion  des  pécheurs  ! 

Ah!  quelque  grande  que  puisse  être  dans  certains 
cas  la  joie  purement  humaine,  jamais  elle  n'approchera 
de  leur  ineffable  bonheur,  de  cette  joie  pure,  toute 
spirituelle  que  les  bous  éprouvent  sur  les  prodigues 


(1)  Quod  tune  operatus  est  Dominus  in  uno  homine,  ressusci- 
tando  eum  de  morte  ad  vitam,  hoc  quotidie  egit  spiritualiter  iu 
Ecclesia,  cum  mortuos  peccato  sua  gratia  revocat  ad  vitam 
(S.  Aug.,  Expos.). 

(2)  Reddilur  matri,  cum,  per  sacerdotalis  décréta  judicii,  cora- 
munioni  socialur  EcclesiiE  [Ici.,  ibid.). 

(3)  De  juvene  illo  ressuscitato  gavisa  est  mater  vidua  ;  do  ho- 
minibus  quotidie  in  spiritu  suscitatià  gaudet  mater  Ecclesia 
^S.  Aug.,  serm.  44  de  Verbis  Domini)» 


—  433  — 

repontants  î  La  joie  seule  de  la  mère,  qui  retrouve 
soudainement  de \aat  ses  yeux  le  liis  tant  aiiuéqa'elle 
croyait  mort,  peut  en  donner  une  idée  encore  bien 
faible.  Les  pécheurs,  en  effet,  sont  pour  les  justes 
comme  leurs  fds  en  Dieu  et  par  Dieu,  mais  des  fils 
d'ignominie,  de  larmes  et  de  douleur.  Quelle  joie 
donc,  quel  charme  divin  ne  ressentent-ils  point  en 
les  voyant  redevenir  ce  qu'ils  étaient  aux  jours  de 
leur  premiè.re  justice! 

Et  cette  joie  toute  sainte  de  la  terre,  comme 
Jésus-Christ  nous  l'apprend,  monte,  pénètre  jusque 
dans  le  ciel.  Quand  un  pécheur  renaît  à  la  grâce,  se 
convertit  par  la  pénitence,  l'Eglise  triomphante  tres- 
saille d'allégresse  comme  l'Eglise  militante;  les  anges 
et  les  élus  applaudissent  et  s'unissent  pour  bénir  et 
louer  la  divine  miséricorde  (I). 

Cela  sufiSt  à  démontrer  le  prix  de  la  communion 
des  Saints,  qui  se  trouve  dans  la  véritable  Eglise  de 
Dieu.  Quelle  consolation  et  quel  soutien  nous  procure 
notre  foi!  Et  encore  quelle  gloire!  quelle  ne  doit 
doue  pas  être  notre  reconnaissante  estime  pour  elle  î 

SECONDE  PARTIE. 

]Xous  l'avons  dit,  lorsque  ceux  qni  accompagnaient 
au  sépulcre  le  fils  de  la  veuve  de  Naïm,  eurent  vu  le 
miracle  de  sa  résurrection,  ils  s'écrièrent  :  «  Un 
grand  prophète  a  surgi  parmi  nous,  et  Dieu  lui-môme 

(1)  Gaudium  magnum  erit  in  cu'lo  coram  augelis  Dei  super 
uno  peccatore  pœnitentiam  ageute  (L«c.  xv). 

II.  28 


—  434  — 
est  venu  visiter  sou  peuple  (I).  »  Les  saints  ensei- 
gnent que  ces  jiarolcs  d'admiration  furent  mysté- 
rieuses, propliéliques  et  inspirées  par  l'Esprit.  En  ef- 
fet, le  mot  jj/o/^/uVe,  chez  les  Hébreux,  avait  la  même 
signification  que  celui  de  docteur  (2).  Puis  visiter,  dit 
Bôde,  est  lo  propre  du  médecin  qui  va  voir  le  ma- 
lade (3).  Ainsi  le  peuple  de  Naïm,  qui  donne  au  Sau- 
veur le  nom  de  docteur  et  de  médecin,  reconnaît  et 
proclame  les  deux  plus  grands  caractères  du  Messie, 
le  double  but  de  sa  mission  parmi  les  hommes  :  dis- 
siper les  ténèbres  de  leur  esprit  par  sa  doctrine,  et 
guérir  la  corruption  de  leur  cœur  par  sa  grâce,  en 
éclairant  celui-là  par  sa  lumière  et  en  purifiant  celui- 
ci  par  son  sang  précieux.  Qu'il  est  consolant  de  voir 
notre  divin  Sauveur  au  milieu  de  ses  humiliations, 
tandis  que  ses  ennemis  s'efforçaient,  parleurs  calom- 
nies et  leurs  blasphèmes,  de  noircir,  d'avilir  sa  per- 
sonne et  son  nom  !  Qu'il  est  consolant,  dis-je,  de  le 
voir  acclamé  de  temps  en  temps  par  la  voix  libre, 
spontanée  du  peuple,  voix  qui  est  la  voix  de  Dieu, 
quand  elle  n'est  point  corrompue  par  les  passions 

(1)  Quia  proplieta  magnus  surrexit  la  uobis,  et  quia  visitavil 
plebem  suam. 

(2)  En  effet,  notre  divin  Sauveur  lui-même  fit  allusion  au  peu 
de  crédit  que  sa  céleste  doctrine  trouva  auprès  des  Juifs  endur- 
cis, quand  il  dit  de  lui-même  :  «  Nul  prophète  n'est  bien  reçu 
dans  sa  patrie  {Luc.  iv).  » 

(3)  Visitatio  ad  medicum  pertinet  et  segrotum  (Bed.).  —  Le 
Sauveur  lui-même  s'est  appelé  le  médecin  des  âmes,  quand  il 
dit  à  ceux  qui  lui  reprochaient  de  converser  familièrement  avec 
les  pécheurs  :  «  Ce  ne  sont  pas  ceux  qui  se  portent  bien  qui  ont 
bf3soin  du  médecin,  mais  les  infirmes  [Matth.  \x).  » 


—  435  — 

abjectes  ou  par  les  criminels  conseils,  et  d'entendre 
ce  peuple  affirmer  publiquement,  solennellement 
qu'il  est,  comme  nous  le  croyons  nous-mêmes,  le 
vrai  Fils  de  Dieu,  le  Messie  promis  et  le  véritable 
Sauveur  des  hommes  ! 

La  visite  dont  parle  en  ce  jour  le  peuple  de  Naïm 
est  celle  dont  Zacharie ,  père  du  Précurseur,  parla 
trente  années  auparavant,  après  l'accomplissement  du 
mystère  de  l'Incarnation^  quand  il  dit:  Le  véritable 
Orient  est  venu  nous  visiter  du  haut  des  cieux,  pour 
nous  faire  éprouver  la  tendresse  de  la  miséricorde 
du  Dieu  notre  Sauveur  (I),  Comme  le  médecin  com- 
patissant vient  visiter  le  malade  et  lui  indique  le 
remède  qui  peut  rendre  à  son  corps  la  santé  qu'il 
avait  perdue.  Dieu  a,  dans  sa  bonté,  par  l'incarnation 
de  son  Fils,  visité  le  genre  humain  et  lui  a  prescrit 
le  remède  efficace  qui  fait  recouvrer  la  santé  de  i'àme, 
quand  il  a  dit  :  «  Faites  tous  pénitence.  »  Quel  re- 
mède, en  effet,  est  plus  salutaire  ("2)  ? 

Cette  visite  ne  s'est  point  terminée  avec  la  vie 
mortelle  de  l'Homme-Dieu,  Si  Dieu  nous  visita  alors, 
en  unissant  son  Verbe  à  notre  chair,  comme  dit  Bède, 
aujourd'hui  il  nous  visite  encore,  en  envoyant  le 
même  dans  nos  cœurs  (3).  Et  c'est  chaque  jour  et  à 

(1)  Per  viscera  misericordiae  Dei  nostri,  iu  quibus  viàitavit  nos 
Oriens  ex  alto  [Luc.  i,  78). 

(2)  Visitât  medicus  inflrmum,  adliibet  potionem  ut  pristinam 
ei  restituât  sanilatem.  Sic  Deus  Pater,  per  lucarnatiouem  Filii  sui, 
visitavit  tiuinanum  i,'Ouus;    ruedicinain  adtiibuit,  diceus  :  Pœui- 

eatiam  agite*  :  quid  luu;  r!i"diLÙua  uiflius? 

(3)  Visitavit  Deuo  uou  àuiuiu  Yerbum  àuum  iucorporando,  sed 


—  436  — 
chaque  instant  que  ce  Dieu  tout  miséricordieux  nojs 
visite  de  la  sorte,  par  ces  \oix,  ces  inspirations  se- 
crètes, qui  nous  jiresscnt  de  réprimer  nos  passions, 
de  nous  dépouiller  de  nos  vices,  de  nous  corriger  de 
nos  défauts,  de  nous  adonner  à  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes,  de  dire  adieu  au  monde,  de  renoncer 
aux  biens  temporels,  d'attendre,  pour  jouir,  que  nous 
soyons  en  possession  de  la  joie  céleste  et  de  la  félicité 
éternelle. 

Ah!  chrétiens,  mes  frères,  que  ces  voix  divines 
résonnent  depuis  longtemps  dans  vos  cœurs  !  qu'il  y 
a  de  jours  que  le  Seigneur  répète,  fait  entendre  cette 
parole,  à  la  fois  un  ordre  et  une  invitation,  la  voix 
de  son  autorité  et  celle  de  sa  miséricorde  :  «  Jeune 
homme,  je  te  l'ordonne,  sors  du  tombeau  :  Adolesceus, 
tiùi  dico:  surge.»  i\e  vois-tu  pas,  ô infortuné!  la  dégra- 
dation, l'avilissement  où  t'a  réduit  l'esprit  d'ambition 
et  d'intérêt,  de  dissolution  et  de  haine  qui  te  domine, 
te  tyranise,  t'opprime?  Quelle  vanité  et  quelles  tur- 
pitudes dans  tes  pensées!  Quelle  folie  et  quelle  in- 
justice dans  tes  projets!  quelle  corruption  et  quel  dé- 
sordre dans  tes  affections!  Que  de  bassesses,  d'intri- 
gues, de  malicieux  artifices,  que  de  transports  indignes 
dans  tes  œuvres  !  Tu  es  devenu  un  amas  épouvan- 
table de  vices  et  de  péchés.  Que  tu  serais  humilié, 
confus,  si  le  voile  qui  couvre  les  hontes  de  ta  vie,  la 


feemper  in  corda  mittfindo.  —  Non  solum  visitavit,  sed  eliam 
quotidie  visitât,  dum  per  eumdem  Filium  suum  nobis  occulte 
inspirât,  ut  relinquamus  vitia,  virtutes  sequamur  et  gaudia  re- 
quiramus  œterna  (Ayui.,  Expos.}. 


—  437  — 
perversité  de  ton  cœur,  Yenait  à  tomber  soudain  et 
que  tu  apparusses  aux  yeux  des  hommes  tel  que  tu 
apparais  aux  yeux  de  Dieu  !  Or,  pourquoi  t'obstines- 
tu  à  rester  dans  ce  bourbier  infect?  Pourquoi  donc 
ne  veux-tu  pas  ressusciter?  Adolescens,tibi  dico:  siirge. 
Oh!  malheur  à  toi,  si,  comme  Jérusalem,  tu  ne  re- 
connais pas  la  grande  grâce  de  la  visite  de  ton  Dieu! 
Malheur  à  toi,  si  tu  n'en  veux  pas  profiter!  Car,  comme 
Jérusalem,,  tu  seras  abandonné  à  ton  obstination  en- 
durcie, eo  quod  cognoveris  tempus  visitationis  tuœ.  Hâte- 
toi  de  répondre  sur-le-champ  à  la  voix  de  la  misé- 
ricorde qui  retentit  aujourd'hui  dans  ton  cœur  peut- 
être  pour  la  dernière  fois .  Elle  t'appelle  au  repentir, 
à  la  résurrection  :  lève-toi,  siirge,  afin  que  tu  n'aies 
pas  un  jour  à  entendre  cette  même  voix,  t'ordon- 
ner,  d'un  accent  menaçant  et  terrible,  de  ressusciter 
pour  ta  condamnation  et  pour  ton  jugement  ;  Dieu 
vous  en  préserve  tous.  Ainsi  soit-il! 


VINGT-SEPTIÈME   HOMÉLIE. 


La  résurrection  de  Lazare  (!)• 

Jean  xj,  1-45. 

Venit  hora  in  qua  omnes,  qui  in  monu- 
mcnlis  sunl,  audient  vocem  Filii  Dei;  et  pro- 
cèdent qui  boua  feceruut,  in  resurreclionem 
vitae;  qui  vero  mala  egerunt,  in  lesurrectio- 
nem  judicii.  (Joan.  v,  28.) 

Etendu  un  jour  sur  son  vil  fumier,  au  comble  de 
la  misère  et  dans  la  plus  profonde  humiliation,  l'in- 
fortuné Job,  entièrement  couvert  de  plaies,  conser- 
vait cependant  un  front  serein,  un  visage  tranquille, 
et  on  l'entendit  s'écrier  comme  transporté  de  joie  : 
Ah  !  qui  me  donnera  d'écrire  ce  que  je  vois  à  cette 
heure  !  non  point  avec  la  plume  sur  un  papier  fra- 

(1)  Ce  miracle  du  Dieu  Sauveur,  le  plus  grand  dans  l'ordre 
naturel  et  matériel  qu'il  opéra  durant  sa  vie  mortelle,  arriva  à 
Eéthanie  (  petite  ville  de  la  Judée,  située  à  deux  milles  de  Jé- 
rusalem), dans  les  derniers  jours  de  mars  de  la  dernière  année 
de  la  prédication  et  de  la  vie  de  Notre-Seigaeur,  par  conséquent 
vingt  jours  avant  sa  précieuse  mort.  Comme  la  lampe  brille  d'un 
nouvel  éclat  au  moment  de  s'éteindre,  de  même  le  Sauveur  du 
monde,  avant  de  mourir  pour  les  hommes,  voulut  donner,  par 
ce  prodige,  une  preuve  éclatante  qu'il  éiait  vraiment  Dieu,  afin 
de  rendre  les  Juifs  qui  étaient  présents  et  ceux  qui  étaient  éloi- 
gnés inexcusables,  les  premiers  de  sa  mort,  et  les  seconds  du 
scandale  de  ses  opprobres. 


—  439  — 
gile,  mais  sur  le  plomb  avec  un  style  de  fer  et  sur 
l'airain  avec  un  ciseau  solide  (I)  !  Quelle  est  donc, 
ô  saint  homme  !  cette  vision  ineffable  qui  vous  trans- 
porte et  dont  vous  voulez  transmettre  la  mémoire 
éternelle  aux  âges  futurs  ?  Grâce  à  l'esprit  qui  me 
guide,  répond-il,  je  lis  dans  l'avenir  le  plus  éloigné, 
je  me  vois  devant  mon  Kédempteur  vivant.  Oh  !  que 
sa  beauté  est  sublime  !  De  quelle  gloire  il  brille  !  Et 
cette  vue  m'assure  qu'au  dernier  jour  du  monde  je 
ressusciterai,  moi  aussi,  de  la  terre  avec  lui  et  en  lui  ; 
je  reprendrai  ce  même  corps,  je  verrai  à  découvert 
mon  Dieu  dans  ma  propre  chair.  Quel  ne  sera  pas 
alors  mon  bonheur  !  Je  le  verrai  moi-même,  dis-je, 
de  mes  yeux,  qui  le  contempleront,  moi-même  et 
non  un  autre.  Cette  espérance  repose  en  mon  sein, 
et  je  suis  joyeux  dans  mes  peines,  heureux  dans  mes, 
maux  (2). 

Ce  dogme  si  important  et  si  consolant  de  la  résitr- 
rection  universelle  des  morts,  que  TEsprit-Saint  nous 
avait  déjà  révélé  par  Job  en  termes  si  clairs  et  si 
précis,  nous  a  été  confirmé  trois  mille  ans  plus  tard 
par  le  Sauveur  des  hommes,  quand  il  dit  avec  son 
autorité  divine  :  «  Il  viendra  un  temps  où  ceux  qui 
sont  dans  le  sépulcre  entendront  la  voix  toute-puis- 

(1)  Quis  mihi  det,  ut  scribantur  sermones  mei?  Quis  mihi  det, 
ut  exarentur  in  libro  stylo  ferreo,  et  plumbi  lamina,  vel  celte 
eculpantur  in  silice  (Job.  six)? 

(2)  Scio  quod  Redemplor  meus  vivit,  et  in  novissimo  die  de 
terra  surrecturus  sum  ;  et  rui'sum  circumdabor  pelle  mea,  et  iu 
carne  mea  videbo  Deum  nieum  ;  quem  visurus  sum  ego  ipse,  et 
oculi  mei  conspecturi  sunt,  et  non  alius.  Reposita  est  hsec  spes 
mea  in  sinu  mec  ild.,  ibid.). 


—  MO  — 
santé  du  Fils  de  Dieu,  et  à  celte  heure  là  même  ils 
sortiront  tous  du  tombeau  :  celui  qui  aura  bien  fait, 
pour  participer  à  une  vie  d'immortalité  et  de  gloire; 
celui  qui  aura  mal  fait,  pour  subir  un  jugement  sé- 
vère et  une  vie  pire  que  la  mort  même  (1).  » 

Mais,  comme  cette  promesse  magnifique  pour  les 
justes  et  cette  parole  solennelle  pour  tous  ne  doivent 
recevoir  leur  entier  accomplissement  qu'à  la  fin  du 
monde,  il  était  nécessaire  à  notre  faiblesse,  dit  saint 
Augustin,  que  le  Seigneur  agît  dôs-lors  comme  il  Ta 
fait,  afin  que,  par  la  preuve  visible  de  sa  puissance 
qu'il  donnait  à  la  Judée,  nous  puissions  comprendre 
ce  qu'il  pourrait  faire  un  jour  pour  tous,  et  que  nous 
crussions  plus  fermement  à  sa  parole,  en  nous  repo- 
sant plus  tranquillement  sur  ses  promesses  (2). 

C'est  donc  pour  nous  confirmer  dans  notre  foi  et 
mieux  nous  affermir  dans  l'espérance  d'une  résur- 
rectioii  immortelle ,  même  pour  nos  corps ,  qu'il 
opéra  l'éclatant  miracle  de  la  résurrection  de  La- 
zare, le  plus  célèbre,  au  jugement  de  saint  Augustin, 
le  plus  mystérieux  et  le  plus  instructif  de  tous  ceux 
qu'il  a  opérés  sur  la  terre.  Parmi  les  évangélistes, 
c'est  à  saint  Jean  seul  qu'il  a  été  donné  de  le  ra- 
conter, parce  qu'il  n'y  a  que  le  disciple  bien-aimé 

(1)  Venit  hora  in  qua  omnes  qui  in  monumentis  sunt,  audient 
vocem  Filii  Dei;  et  procèdent  qui  bona  fecerimt,  in  resurrectio- 
nem  vilœ  ;  qui  vero  mala  egerunt,  in  resurrectionem  judicii. 
Joan.  V,  28,  29). 

(2)  Sed  hoc  sibi  ad  finem  mundi  reservavit.  Oportebat  ergo, 
ut  modo  aliqua  faceret,  quibus  datis,  veluti  suae  virtutis  indiciis, 
credamus  in  eum  (S.  Aug.,  tract.  49  in  Joan.), 


—  441  — 
de  Jésus-Christ,  le  disciple  vierge  qui  ait  pu  conve- 
nablement être  l'historien  de  ce  fait  si  extraordinaire, 
unique,  qui  prouvait  si  évidemment  la  divinité  du 
Sauveur  (1). 

Considérons  donc  aujourd'hui  ce  prodige  avec  un 
grand  esprit  de  foi  et  avec  un  vrai  sentiment  d'a- 
mour. Voyons  comment  s'y  trouve  figurée  et  ex- 
primée la  résurrection  de  nos  corps,  afin  que  nous 
vivions,  dps  à  présent,  d'une  manière  telle  que  notre 
résurrection  dernière  ne  soit  point  pour  nous  un 
jugement  qui  nous  fasse  mourir  éternellement,  mais 
ressusciter  pour  la  vie  de  la  gloire  (2). 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  famille  de  Lazare  était,  dit  l'Évangile,  très- 
chère  à  Jésus  (3),  parce  que  Marthe  était  le  modèle 
de  l'innocence,  Marie  celui  de  la  pénitence,  et  Lazare 
celui  de  la  charité.  Le  Sauveur  aimait  donc  de  la 
sorte  cette  famille,  parce  qu'il  y  voyait  comme  per- 
sonnifiées, vivantes  et  admirablement  unies  les  prin- 
cipales vertus  qu'il  voulait  voir  fleurir  en  ce  monde 

Ne  soyons  nullement  étonnés,  mes  frères,  que 

(1)  Inter  omnia  miracula,  quae  fecit  Dominus  Jésus,  Lazari  re- 
surrectio  prîecipue  prEedicatur.  —  NuUns  aliiis  Evangelistarum 
hoc  descripsit  :  solo  Joanni  reservatum  est.  Quia  res  tam  unui 
et  tam  egregia  nullum  alium  quam  delectissimum  Christi  virgi- 
nem  meruit  habere  relatorem  (S.  Aug.,  loc.  cit.). 

(2)  Ut  ad  illam  resurrectionem  nos  praeparemus,  quae  erit  ad 
vitam,  et  non  ad  judicem  (Id.,  ibid.). 

(3)  Diligebat  Jésus  Martham,  et  Mariam  sororem  ejus,  et  I,a- 
zarum  [Joan.  xi,  5). 


—  442  — 
Lazare,  qui  avait  en  Jésus  un  Dieu  pour  ami,  i^isc  d'à 
bord  à  Céllianie  sur  un  lit  de  douleur,  très-griève- 
ment malade  (1).  Saint  Jean  Chrjsoslorae  nous 
apprend  que  le  Sauveur  Jésus,  en  permettant  que 
son  ami  tombât  malade  et  qu'il  mourût,  a  déiirénous 
faire  comprendre,  à  nous  qui  sommes  les  membres 
de  son  corps,  que,  bien  que  nous  servions  Dieu  fidè- 
lement et  que  nous  n'aimions  que  lui  seul,  cependant 
ce  Dieu  veut  nous  humilier,  nous  affliger  en  ce 
monde,  non  point  parce  qu'il  ne  nous  aime  pas,  mais 
parce  qu'il  traite  ici-bas  d'une  manière  plus  sévère 
ceux  qu'il  cliérit  davantage,  afin  de  leur  préparer, 
comme  à  Lazare,  une  résurrection  glorieuse  dans 
l'autre  (2).  Ke  perdons  donc  point  courage,  si  nous 
sommes  infirmes  comme  Lazare,  attristés  comme  ses 
sœurs  ;  pourvu  que,  comme  cette  sainte  famille,  nous 
restions  les  disciples  de  Jésus,  nous  sommes  réelle- 
ment aimés  de  Jésus,  nous  sommes  certains  de  re- 
couvrer la  santé  et  d'être  spirituellement  assistés 
et  guéris  par  notre  ami  du  ciel,  par  Celui  qui  est  le 
salut  des  infirmes  et  le  consolateur  des  affligés  (3). 
Tels  étaient  les  sentiments  des  deux  sœurs  quand 
elles  envoyèrent  donner  avis  au  Sauveur  de  la  ma- 
ladie de  leur  frère.  Ces  pieuses  matrones  connais- 

(1)  Erat  quidam  langucns  Lazarus  in  Bcthania  {Joan.  xi,  1). 

(2)  Per  hoc  orudieus  nos  non  tristari,  si  qua  infirmitas  facta 
fuerit  circa  honos  viros  et  amicos  Dei,  juxta  illud  :  Ego,  quos 
amo,  arguo  et  castigo  [S.  Chrysost.,  hom.  Cl  in  Joan.). 

(3)  Ille  languens,  istae  tristes,  omnes  dilccti  :  habebant  ergo 
spem  ab  eo,  qui  est  cousolator  doleutiiun,  languentium  sanator 
(S.  Aug.,  loc.  cit.). 


—  443  — 
saient  bien  quel  était  le  cœur  de  Jésus.  Elles  ne  Im 
font  point  dire,  eu  effet,  de  venir  sur-le-champ  pour 
guérir  leur  frère  ;  elles  lui  envoient  seulement  ce 
message  :  «  Seigneur,  Lazare,  votre  bien-aimé  La- 
zare est  malade  (1).  »  C'était  donc  simplement  dire  : 
Il  suffit,  Seigneur,  que  vous  connaissiez  l'état  dans 
lequel  se  trouve  votre  ami  Lazare,  votre  cœur  vous 
dictera  le  reste.  Quiconque  est  aimé  de  vous,  n'eu 
est  jamais.abandoaué. 

Que  fait  alors  ]\otre-Seigneur  à  cette  nouvelle  ?  Il 
se  contente  de  dire  d'un  air  indifférent  :  cette  ma- 
ladie n'a  pas  été  permise  pour  enlever  Lazare  à  ce 
monde,  mais  afin  que  Dieu  soit  glorifié  et  que  son 
Fils  soit  connu (2).  Que  cette  parole  du  divin  Maître, 
mes  frères,  est  belle  !  Oui,  en  vérité,  cette  maladie 
de  Lazare  n'était  pas  un  avanl-coureur  de  la  mort  ; 
elle  était,  au  contraire,  la  provocation  providentielle 
d'un  miracle  qui  devait  fournir  aux  hommes  la  vertu 
d'éviter  la  mort,  en  les  poussant  à  croire  à  la  divi- 
nité du  Sauveur  (3). 

Continuons  :  le  Sauveur  resta  avec  intention  deux 
jours  où  il  se  trouvait ,  sans  paraître  songer  à  Lu- 

(1)  Non  dixerunt  :  Yeni,  jubé,  et  sic  ùet;  sed  tantum  modo  : 
Ecce  quem  amas  infirmatur.  —  Amanti  enim  tantummodo  nun 
Uaiidum  fuit.  —  Quasi  dicerent  :  Sufficit  tibi  si  noveris;  neque 
puim  amas  et  déseris  (S.  Aug.,  loc.  cit.). 

(2)  Audiens  autem  Jésus,  dixit  eis  :  Infinnitas  haec  non  est  ad 
mortem,  sed  pro  gloria  Dei,  ut  glorlficetur  Filius  Dei  per  eam 
{,oan.  XI,  4). 

(3)  Infirmitas  hœc  non  erat  ad  mortem,  sed  ad  miraculum  :  quo 
facto  crederent  homines  in  Christo,  et  vilarent  mortem  (Tlieoph., 
J£xpos.). 


—  444  — 
Ziire  (I),  qui  mourut.  Le  cadavre  fut  mis  dans  un 
sépulcre,  éloiii^né  de  la  demeure  de  la  faiiiille. 

Qui  dira  la  douloureuse  surpiise  des  deux  sœurs 
à  la  mort  de  leur  frère  ?  Est-ce  possible,  se  disaicut- 
elles  ?  Pourtant,  il  l'a  su  à  temps  !  Quoi!  apprendre 
que  Lazare  est  malade  et  nous  si  aflligécs,  et  ne  pas 
venir?  Comment  concilier  une  si  grar.de  amitié  avec 
uue  si  grande  indifférence  ?  Tel  serait  du  moins, 
mes  frères,  le  raisonnement  de  beaucou[)  dVuncs 
simples.  Un  interprète  répond  à  ces  sœurs  affligées 
que  le  Sauveur  a  tardé  de  venir  guérir  leur  frère,' 
afin  de  pouvoir  le  leur  rendre  d'une  manière  plus 
admirable  en  le  ressuscitant  (2).  11  a  attendu,  ajoute 
saint  Chrysostome,  que  Lazare  fût  devenu  un  ca- 
davre, qu'il  fût  enterré  depuis  quatre  jours,  afiu  que 
nul  ne  pût  révoquer  sa  mort  en  doute  et  encore 
moins  sa  résurrection  (3).  Un  autre  interprète,  s'a- 
dressant  à  Marthe  et  à  Marie-iLideleine,  leur  dit  : 
Connaissez  bien  les  desseins  ineffables  de  la  ten- 
dresse de  Jésus  :  quand  il  semble  abandonner  les 
âmes  qui  lui  sont  le  plus  chères,  aux  humiliations  et 
à  la  mort,  c'est  alors  qu'il  se  prépare  à  les  conduire 
à  la  vie  et  à  la  gloire.  Oh  !  si  vous  saviez  l'honneur 
qu'il  va  faire  à  votre  famille  !  Vous  regrettez  tant 
qu'il  ait  laissé  mourir  votre  frère,  eh  bien!  il  l'a  choisi 


(1)  Ut  audivit  quia  infirmabatur,  tune  qiiîdem  mansit  in  eoJi-'m 
oco  duoburi  diebus  {Joan.  xi,  6). 

(2)  Sanare  distulit,  ut  mirabilius  suscitarpt  (Alcuin.,  Caf.). 

(3)  Exspectavit  ut  sepeliretur,   lU    nullus  posset  dicere   quod 
nondiim  mortuum  suscitasset  {Hom.  61  in  Joan.), 


—  445  — 
pour  eu  fairc^  jusqu'à  la  lin  du  monde,  l'apologiste  de 
sa  divinité.  Il  le  ressuscitera,  et  par  lui  et  eu  lui  il 
se  manifestera  à  l'univers  comme  le  Maître  et  le  Sei- 
gneur de  la  vie  et  de  la  mort  (I). 

Celui  qui  s'était  montré  si  indifférent  pour  Lazare 
malade,  se  montre  plein  de  sollicitude  pour  La- 
zare trépassé.  Il  dit  aux  disciples  :  «  Retournons  en 
Judée  (2).  »  Les  disciples  répondirent  :  Maître  ,  tout 
à  l'heure  ]es  Juifs  voulaient  tous  lapider,  et  vous 
retournez  vers  eux  (3)?  A  ce  sujet,  saint  Augustin 
se  plaint  de  ce  que  ces  hommes  charnels  voulaient 
dissuader  d'aller  chercher  le  trépas  celui  qui  était 
descendu  sur  terre  pour  déUvrer  de  la  mort,  eu 
mourant,  ces  mêmes  disciples  et  toutle  genre  humain. 
Et  puis,  si  le  Seigneur,  il  n'y  a  que  peu  de  jours, 
feignait  de  fuir  les  embûches  des  Juifs  pour  faire 
preuve  d'humanité,  aujourd'hui  il  doit  retourner 
volontairement  eu  Judée  pour  prouver  qu'il  domine 
et  arrête,  comme  il  veut  et  quand  il  veut,  les  volon- 
tés perverses  des  hommes,  avec  un  pouvoir  tout 
divin  (4).  Et  c'est  ce  qu'il  voulut  faire  comprendre 


(1)  Ideo  mori  pei'misit,  ut,  eum  resuscitando,  se  vitse  mortisque 
Dominum  esse  declararet  (Theoph.,  Expos.). 

(2)  Post  liiEC  dixit  discipulis  suis  :  Eamus  in  Judœam  iteruiu 
(Jocm.  XI,  7). 

(3)  Rabbi,  nunc  queerebant  te  Judaei  lapidare,  et  iterum  vadia 
illuc  {Joan.  xi,  8)  ? 

(4)  Voluerunt  consilium  dare  Domino,  ne  moreretur,  qui  mori 
venerat,  ne  ipsi  morcreutur.  —  Discessit  ut  homo;  sed  iu  vc- 
de-iindo,  quasi  oblitus  iiifirmitalem,  osteudit  potestatem  (S.  Aug.^ 
loc.  cit.). 


—  440  — 
à  ses  disciples  en  disant  :  «  IN'y  a-l-il  pas  douze  heures 
dans  lajournéc?Celuiqui  marche  do  jour  ne  trébuche 
point,  parce  (ju'il  a  avec  lui  la  lumière  qui  éclaire  le 
monde;  mais  celui  qui  marche  de  nuit,  est  exposé  à 
tomber,  parce  qu'il  marche  dans  les  ténèbres  (1). 
Par  ces  douze  heures,  dit  saint  Augustin,  le  Sauveur 
faisait  allusion  à  ses  douze  apôtres,  comme  par  la 
lumière  du  monde  il  se  désignait  lui-même,  car  il  est 
appelé  la  lumière  qui  illumine  chaque  homme  venant  en 
ce  monde.  De  même,  en  effet  que  les  heures  reçoivent 
leur  lumière  du  jour,  de  même  les  apôtres  reçurent 
de  Jésus-Christ,  vraie  lumière  du  monde,  la  lumière 
dont  ils  éclairèrent  l'univers  (2).  Selon  un  autre  in- 
terprète, le  jour  du  Seigneur  était  le  temps  qui  lui 
restait  encore  à  passer  sur  la  terre,  et  sa  nuit  celui 
de  sa  passion.  Il  voulait  donc  dire  :  Vous  craignez 
les  embûches  des  Juifs;  ne  devriez-vous  pas  craindre 
plutôt  les  tentations  du  démon?  Il  est  vrai  qu'aussi 
longtemps  que  vous  m'accompagnerez  pendant  ma 
vie  mortelle,  vous  n'aurez  rien  à  craindre  ;  mais  ma 
passion  sera  pour  vous  la  nuit  funeste  de  la  chute 
et  du  scandale  (3). 


(1)  Nonne  duodccim  sunt  horfE  dici?  Si  quis  ambulaverit  in 
die,  non  offendit,  quia  lucem  hv j us  mundi  \idei.  Si  autem  arabu 
iaverit  in  uocte,  otTendit,  quia  lux  non  est  in  eo  {Joan.  xi,  9,10)' 

(2)  Ut  diem  se  esse  ostcuderet,  duodecim  discipulos  elegit. 
Horœ  illustrantur  a  die,  et  per  apostolorum  prEedicaliouem  cre- 
vit  mundus  in  diem  (S.  Aug.,  loc.  cit.). 

(3)  Dies,  teuipus  prœcpdons  passionem,  nox  ipsa  passio.  Dum 
dies  est,  dum  passionis  teuipus  nondum  adveuil,  non  offeûdetis 
^Theoph.). 


—  447  — 

A  ce  discours  quelque  peu  obscur,  les  apôtres  se 
turent  ;  mais  Thomas,  qui  avait  peut-être  mieux  com- 
pris que  ses  compagnons,  leur  dit  :  Allons  et  mourons 
avec  lui  (1).  Pauvre  dîsciple,  s'écrie  Bède!  il  parlait 
selon  son  cœur,  sans  songer  à  la  fragilité  de  ses 
forces  et  sans  implorer  le  secours  de  cette  lumière 
divine  qui  pouvait  seule  empêcher  sa  chute!  Comme 
Pierre  plus  tard,  Thomas  avait  confiance  en  lui  plus 
que  ses  collègues.  Mais,  dans  la  nuit  de  la  passion, 
comme  Pierre  et  plus  que  les  autres  disciples,  il  mon- 
tra de  la  faiblesse  (2).  Ah!  l'homme  sans  Jésus  n'est 
rien  et  ne  peut  rien! 

Le  divin  Maître  était  à  trois  jours  de  marche  de 
Béthanie.  Le  message  que  Marthe  et  Madeleine  lui 
avaient  envoyé,  comme  le  remarque  saint  Augustin, 
parlait  uniquement  de  la  maladie  de  Lazare;  le  Sau- 
veur ne  pouvait  donc,  humainement  parlant,  savoir 
sa  mort.  3Iais  celle-ci,  malgré  la  distance,  pouvait-elle 
être  ignorée  du  Fils  de  Dieu?  Celui  entre  les  mains 
duquel  les  âmes  tombent  en  quittant  leur  corps, 
pouvait-il  ignorer  que  Lazare  avait  cessé  de  vivre  (3)? 
A  l'instant  même  où  il  expirait  à  Béthanie,  le  Sauveur 
annonça  en  Galilée  sa  mort  en  ces  termes  :  «  Lazare, 
notre  ami,  dort,  mais  je  vais  le  réveiller  (4).  »  Et 

(1)  Dixit  ergo  Thomas  ad  condiscipulos  :  Eamus  et  nos,  ut  mo- 
riamur  cum  eo  {Joan.  xi,  16). 

(2)  Immemor  fragilitatis  sute,  sicut  et  Pelrus  (Bed.,  Cat,). 
(3)^Eger  non  raortuus  fuerat  nuntiatus.  — Sed  quid  lateret 

eum,  ad  oujus  manus  anima morientis  exierat  (S.  Aug.,  loc.  cit.)? 
(4)  Lazarus  amicun  noster  dormit  ;  sed  vado  utasomuo  excitcm 
eum  {Joan.  xi,  11). 


—  418  — 
cela  était  vrai,  dit  saint  AugusLiu  :  pour  1( .-  livomracs 
qui  ne  pouvaient  le  ressusciter,  Lazare  était  mort; 
mais  pour  i'Homme-Dieu,  qui  avait  la  puissance  de 
le  rappeler  à  la  vie,  il  n'était  qu'endormi.  C'est  cette 
parole  du  divin  3Iaître  qui  a  appris  à  saint  Paul  à 
ix\)\icicr  donnants  les  élus  qui  sont  morts,  il  est  vrai, 
mais  pour  ressusciter  (1).  On  ne  saurait  cependant 
assez  admirer  ces  paroles  :  «  Lazare,  notre  ami, 
dort.  »  En  disant  notre,  Jésus  parlait  au  nom  des  trois 
personnes  divines.  Oh!  oui,  la  mort  des  amis  de  la 
Irès-sainte  Trinité,  des  amis  de  Dieu  est  un  sommeil, 
un  tranquille  et  délicieux  sommeil  :  Amiens  nosfcr 
dormit!  Quelle  condition  heureuse!  s'endormir  en 
Jésus,  quand  on  meurt  pour  ressusciter  un  jour  glo- 
rieux avec  lui  dans  le  ciel! 

Mais  les  disciples  étaient  encore  trop  chariîels  pour 
comprendre  le  mystère  ;  ils  crurent  simplement  que 
Notre -Seigneur  parlait  d'un  sommeil  ordinaire  et 
non  d'une  mort  (2).  Et  ils  reprirent  avec  une  grande 
simplicité  :  Maître,  si  Lazare  dort,  il  n'y  a  pas  de 
danger  qu'il  meure.  Le  sommeil  tranquille  et  paisible 
n'est-il  pas  l'indice  de  la  santé  (3)  ?  Alors  le  Sauveur 


(1)  Verum  dixit  :  Domino  domiebat,  hominibus  mortuus  erat, 
jui  eum  suscitare  non  poteraut.  Ergo  secundum  potenfiam  suam 
lixit  dormientem  ;  sicut  Apostolus  dormientes  appcllavit,  quos 
resuscitaturos  prœnuntiavit  (S.  Aug.,  loc.  cit.). 

(2)  Dixerat  autem  Jésus  de  morte  ejus;  illi  autem  putaverunt, 
quia  de  dormilione  somni  dicfrot  {.loan.  xi,  13). 

(3)  Si  dormit,  salvus  erit.  —  Tuuc  ergo  Jésus  dixit  ois  manifeste  : 
I*îizaru3  mortuus  est;  et  gaudeo  propter  vos,  ut  credatis,  quo- 
uiam  Dou  eram  ibi  (Joan.  xi,  15). 


—  449  — 
leur  dit  en  termes  plus  clairs  :  «  Que  parlez- vous  de 
sommeil?  Je  vous  dis  que  Lazare  est  mort;  »  et  il 
ajouta  :  «  Je  me  réjouis  à  cause  de  vous  de  ne  m'ètre 
point  trouvé  dans  sa  demeure  à  ce  moment  :  vous 
n'en  aurez  que  plus  de  raison  de  croire  en  moi  (1)!  » 
Saint  Pierre  Chrysologue  enseigne  que,  par  ces  pa- 
roles, Jésus  désignait  que  la  résurrection  de  Lazare 
serait  comme  le  symbole  de  la  sienne,  et  qu'il  allait 
comme  essayer  sur  son  serviteur  le  prodige  incompa- 
rable qu'il  opérerait  sur  lui-même  après  sa  passion; 
de  sorte  que  ces  paroles  signifient  :  Je  me  réjouis; 
car,  après  avoir  contemplé  Lazare  sortant  du  tom- 
beau, où  il  gisait  depuis  quatre  jours  en  proie  à  la 
pourriture,  vous  croirez  mieux  en  moi,  son  maître, 
qui  resterai  incorruptible  daiis  le  sépulcre  ;  par  cela 
que  je  rendrai  la  vie  à  son  cadavre  déjà  rongé  par 
les  vers,  vous  croirez  sans  peine  que  je  puis  me  res' 
susciter  moi-même  (1).  Ou  bien,  selon  un  autre  ir.- 
terprète  :  Si  je  me  fusse  trouvé  à  Béthanie  pendant 
la  maladie  de  Lazare,  je  l'aurais  guéri,  et  ce  prodige 
aurait  été  rangé  dans  l'ordre  des  miracles  que  vous 
avez  déjà  vus;  mais  aujourd'hui,  Lazare  est  mort, 
enseveli;  eu  me  voyant  ressusciter  un  cadavre  eu 
putréfaction,  vous  serez  donc  mieux  assurés  de  ma 

(1)  ut  credatis  quia  in  resurroctione  Lazari  figura  fingebatur 
resurrectionis  Chrlsti.  Prfecedcbat  in  servo  quod  erat  mox  secu- 
turum  in  Domino.  Ut  discipuli  dubium  non  haberent  posse  Do- 
minum,  post  Iriduum,  adhuc  rccontem,  re-urgere;  cum  servum 
vidèrent  post  quatriduum  resurgere  jam  fœtnntem  ;  et  crederent 
illum  facile  sibi  posse  vitam  reddere,  qui  alium  talem  revocaret 
ad  vilaui  (Scrm.  63). 

II.  ti!» 


—  4  50  — 
toule-puissance,  vous  y  croirez  (rmic  foi  inébranlable. 
Voilà  pourquoi  je  nie  réjouis,  c'est  pour  vous,  po-ir 
la  force  que  ce  miracle  doit  ajouter  à  votre  confiance 
filiale  (1)!  Concluons  que  noire  reconnaissance  pour 
ce  divin  Sauveur  doit  ôtre  à  la  hauteur  des  sublimes 
instructions  qu'il  a  daigné  nous  doimer  par  ces  pa- 
roles, et  qui  se  résument  ainsi  :  nous  chrétiens,  nous 
savons  d'une  manière  certaine,  puisque  nous  le  tenons 
de  sa  bouche^,  qu'une  foi  humble,  sincère  et  fervente 
fait  la  joie  et  les  délices  du  cœur  de  Jésus-Christ! 

En  s'entretenant  de  la  sorte,  le  divin  Maître  était 
déjà  arrivé  non  loin  de  la  maison  de  la  famille  de 
Lazare  :  un  grand  nombre  de  Juifs  étaient  accourus 
auprès  de  Marthe  et  de  Blarie  pour  les  consoler  (2). 
Marthe,  à  la  nouvelle  que  le  Maître  approchait,  accou- 
rut sur-le-champ  à  sa  rencontre,  et  laissa  Marie 
répondre  seule  à  ces  consolateurs.  Parvenue  auprès 
du  Sauveur,  elle  se  jeta  à  ses  pieds,  fondant  en 
larmes,  et  lui  dit  avec  des  sanglots  :  «  Seigneur,  si 
vous  eussiez  été  ici,  mon  frère  ne  serait  pas  mort. 
Toutefois,  même  à  cette  heure,  je  sais  que  tout  ce  que 
vous  demanderiez  à  Dieu,  Dieuvousle  donnera  (3).  » 

(1)  Si  fi?titi?snm,  onm  curassom  :  quod  esset  modiciim  sigmim. 
—  Potiud  in  fide  voslra  corroboramiai,  cum  vidoritis  ine  poase 
etiam  defuuetnm  pntrescoutcm  su~citare  (Tlieopli.,  loc.  cit.). 

(2)  Erat  autem  Bethania  jiixta  Jeresolymam  quasi  stadii^  quin- 
decim.  Multi  autem  ex  Judceiâ  vénérant  ad  Martham  et  Mariani, 
ut  consolareutur  eas  de  fratru  suo  {Joan.  xi,  19). 

(3)  Martlia,  \\i  audivit  quia  Jcsus  venit ,  occurrit  illi  :  Maria 
autem  domi  sedebat.  —  Domine,  si  fuisses  hic,  frater  meus  non 
fuisset  mortuus;  sed  nunc  scio,  quia  quœcumque  poposceris  a 
Deo,  dabit  tibi  Deus  {Id.,  ibid.}. 


—  451  — 

H  faut,  excuser  dans  Marthe,  remarque  saint  Pierre 
Chrysclogue,  ce  langage  ambigu,  cette  contradicî ion 
de  sentiments  et  d'idées  par  lesquels  elle  semble 
croire  et  ne  pas  croire  à  la  divinité  du  Sauveur.  La 
douleur  qui  a  bouleversé  son  cœur  a  aussi  mis  le  dé- 
sordre dans  ses  pensées  (1).  Aussi  bien  le  divin  Maître 
ne  lui  en  fait-il  aucun  reproche  ;  au  contraire,  il  a 
compassion  d'elle,  il  la  rassure  et  lui  dit  avec  bonté  : 
«  Console-toi,  Marthe,  ton  frère  ressuscitera  :  Resur- 
get  frater  Unis.  » 

La  croyance  de  la  résurrection  des  morts,  au  jour 
du  jugement  universel,  foi  primitive,  traditionnelle 
et  commune  à  tous  les  hommes,  était  très-vive  chez 
les  Hébreux  qui  lisaient  Job  et  les  prophètes,  à  qui 
Dieu  avait  révélé  en  termes  précis  et  plus  clairs  ce 
grand  mystère.  Or,  le  Sauveur,  ne  déterminant  pas  le 
temps  où  il  affirmait  que  Lazare  devait  ressusciter, 
Marthe  crut  d'abord  qu'il  faisait  allusion  à  la  résurrec- 
tion générale  et  universelle  de  tous  les  hommes;  et, 
laissant  échapper  un  profond  soupir,  elle  dit  :  «  Je 
sais  que  mon  frère  ressuscitera  au  dernier  jour, 
quand  tous  nous  sortirons  du  sépulcre  (2).  » 

Alors  le  Fils  de  Dieu,  prenant  une  attitude  majes- 
tueuse, prononça  ces  mots  sublimes,  qui  firent  frémir 
les  cieux ,  l'enfer  et  la  terre  :  «  Je  suis  la  résurrec- 
tien  et  la  vie  :  qui  croit  eu  moi,  fùt-il  mort,  vivra  ; 


(1)  Credulitatem  incredulitas  confundit;  nimlo  dolore  pertur- 
bata  crédit  et  dubitat  (S.  Chrysost.,  scnn.  Gl). 

(2)  Scio  quia  resurget  in  resurrcclione  iu  uovissimo  die. 


—  452  — 
cl  quiconque  vit  et  croit  en  moi  ne  mourra  point 
pour  rétcrnité  (1).  » 

Quelles  éloiniantcs  paroles,  mes  frères!  Si  Jésus- 
Christ  ne  les  avait  point  prononcées,  l'historien  sacré 
n'aurait  pu  les  inventer,  parce  qu'il  no  {;eut  jamais 
\enir  à  resj)rit  d'une  créature  de  mettre  une  telle 
affirmation  sur  une  lèvre  humaine.  Jésus-Christ  lui- 
même  n'aurait  pu  les  prononcer,  s'il  n'eût  pas  été 
Dieu,  car  Dieu  seul  peut  penser  ainsi,  et  par  suite 
s'exprimer  en  ce  langage. 

Par  ces  paroles  d'abord,  comme  le  remarque  saint 
Chrysostome,  le  Sauveur  se  manisfesta  clairement  à 
Marthe,  il  illumina  sa  foi,  la  rendit  plus  ferme,  car 
elle  était  encore  imparfaite,  chancelante,  incertaine. 
Elle  avait  dit,  en  effet  :  «  Je  sais  que  Dieu  vous  accorde 
tout  ce  que  vous  demandez,  »  et  Jésus  lui  répond  : 
«  Je  suis  la  résurrection  et  la  vie,  »  ou  bien  :  Je  suis  à 
la  fois  Celui  qui  prie  et  le  Dieu  qui  exauce.  Je  n'ai 
besoin  de  l'aide  de  personne,  il  n'est  pas  nécessaire 
que  j'implore  pour  obtenir  :  je  suis  l'arbitre  absolu 
et  le  distributeur  souverain  (2). 

Secondement,  ces  j^aroles  :  «  Je  suis  la  résurrec- 
tion de  la  vie,  »  voulaient  dire  :  Je  suis  la  vie,  par 
conséquent  je  suis  aussi  la  résurrection;  et  comme  je 

(1)  Ego  sum  resurrcctio  et  vita.  Qui  crédit  in  me,  etiamsi 
mortuus  fuerit,  vivet;  et  omuis  qui  vivit,  et  crédit  in  me,  non 
morielur  in  aîternum  {Id.,  ibid.). 

(8)  llla  dixerat  :  Quœcumque  poposceris,  dabit  tibi  Deus.  Ipse 
dicit  :  Ego  sum  resurrectio  et  vita,  ostendens  quod  non  indiget 
adjutorio,  et  quod  ipse  est  distributor  bonorum  {Hom,  61  m 
Joan,). 


vis  toujours,  de  même  je  puis  toujours  ressusciter 
les  morts.  Pourquoi  donc  ne  pourrais-je  pas  en  ce 
moment  ranimer  Lazare,  puisque  je  suis  celui  qui,  un 
jour,  doit  faire  sortir  du  sépulcre  lui  et  tous  les 
hommes  (1)? 

Marthe,  éclairée  de  cette  lumière,  encouragée  par 
la  grâce  qui  accompagne  toujours  les  paroles  de 
THom nie-Dieu,  comprit  l'excellence  de  cette  révé- 
lation divine  ;  et,  sur  l'interrogation  du  Sauveur  : 
Croyez-vous  :  Credis  hoc?  elle  se  hâte  de  répondre  par 
la  profession  de  foi  solennelle  que  Jésus  attendait,  par 
l'acte  de  foi  tbéologique  le  plus  parfait  qui  scit  enre- 
gistré dans  les  divines  Ecriture,  prononcé  avec  le 
vif  sentiment  d'une  conviction  profonde  :  «  Oui, 
Seigneur,  je  crois,  dit-elle,  que  vous  êtes  le  Christ, 
le  Fils  du  Dieu  vivant,  descendu  en  ce  monde  (2).  » 

Cependant  Marie-Madeleine,  prévenue  de  la  part  de 
sa  sœur,  venait  à  la  rencontre  du  Sauveur  qui  s'avan- 
çait vers  la  bourgade.  Arrivée  en  sa  présence,  comme 
Marthe  elle  se  prosterna  à  ses  pieds,  auxquels  elle 
devait  déjà  la  résurrection  de  son  âme ,  et  lui  dit 
aussi  en  pleurant  :  «  Seigneur,  si  vous  aviez  été  ici, 
mon  frère  ne  serait  pas  mort  (1).  » 

Les  Juifs  qui  l'accompagnaient  pleuraient  comme 


<1)  Ideo  resurrectio  quia  vita.  Per  quem  tune  cum  aliis,  per 
eumdem  potest  modo  resurgere  (Cat.). 

(2)  Utique,  Domine,  ego  credidi,  quia  tu  esChristus  Filius  Dei 
vivi,  qui  in  hune  mundum  veuisti  {Ibid.  27). 

(4)  Videns  eum,  ceeidit  ad  pedes  ejus,  et  dixit  ei  :  Si  fuissea 
hic,  non  essct  mortuus  frater  meus  {Joan.  xi,  321. 


—  4  54  — 
elle.  A  la  vue  de  cette  tristesse,  notre  bon  Jc''sus  se 
sentit  saisi  de  la  plus  tendre  compassion  ;  il  frémit, 
se  troubla  et  pleura  lui-même  (1). 

Quoi  de  plus  sublime  et  de  plus  touchant?  S'il  fré- 
mit dans  sou  esprit,  dit  saint  Pierre  Chrysologue, 
c'est  pour  que  la  chair  revienne  à  la  vie  ;  la  vie 
FRÉMIT  pour  mettre  la  mort  en  fuite;  Dieu  frémit 
afin  que  l'homme  ressuscite  ("2).  Mais  le  Sauveur,  en 
outre,  se  trouble  lui-mcurc,  turbavit  se  ipsum,  remarque 
avec  intention  l'Evangile  ;  car,  ajoute  saint  Augustin, 
rien  ne  peut  troubler  celui  qui  est  maître  de  tout 
son  être,  s'il  ne  se  trouble  lui-même.  S'il  se  trouble, 
c'est  donc  parce  qu'il  le  veut,  tout  comme  il  ne  mourut 
que  parce  qu'il  le  voulut  (3).  Mais  non-seulement  il 
frémit,  il  se  trouble,  de  plus  il  pleure,  et  lacn/malus 
est  Jésus.  Quelle  expression!  Et  Jésus  pleura/  Il  semble, 
dit  sain^  Cyrille,  que  l'évangéliste  raconte  avec  un 
sentiment  de  stupeur  ces  larmes  du  Dieu  do  la  na- 
ture, du  Dieu  inaccessible  à  la  douleur  (4)  !  Mais,  s'il 
pleure,  ce  n'est  pas  comme  Dieu,  c'est  comme  homme, 
c'est  pour  monîrev  que  non-seulement  il  est  Dieu, 
mais  qu'il  a  encore  revêtu  notre  humanité,  notre 

(1)  Jésus  frgo,  ut  vidit  eam  plorantom,  et  Judœos,  qui  cum  ca 
veneraut,  plorautes,  infremuit  t^piritu ,  turbavit  seipsum ,  et  la- 
crymatus  est  Jésus  {Id.,  ibid.). 

(2)  Freaiit  spiritus,  ut  caro  reviviscat  ;  frémit  vita,  ut  mors 
fugetur;  frémit  Deus,  ut  resurgat  homo  [Senn.  65). 

(3)  Turbavit  seipsum.  —  Quis  enim  eum  posset  turbare  ?  Tur- 
balus  est,  quia  ipse  voluit,  sicut  mortuus  est  quia  voluit  (S.  .Vug., 
loc.  cit.). 

(4)  Videns  cvangelista  lacrymantem  illacrymabilem  naturam, 
obstupescit  (S.  Cyril.) 


—  455  — 
nature  et  ses  bons  msliticts  (i).  Et  c'est  coque  recon- 
nurent, en  effet,  les  Juifs  quand,  à  la  vue  de  son  cha- 
grin, ils  dirent  :  «Voyez  comme  il  l'aimait  (2)!  » 

Toutefois,  dit  saint  Bernard,  si  Jésus  pleure  coname 
ceux  qui  l'entourent,  c'est  pour  un  motif  bien  diffé- 
rent (3).  Marthe  et  Madeleine  pleurent,  pour  la  dou- 
leur d'avoir  perdu  leur  frère  ;  les  Juifs  pleurent,  par 
compassion  pour  ces  deux  sœurs  désolées.  Les  larmes 
de  Jésus,  continue  saint  Zenon,  ces  précieuses  larmes 
descendent  d'une  source  plus  pure,  plus  digne  d'un 
Dieu  Sauveur  :  il  pleure  parce  que  Lazare,  dans  l'obs- 
curité fangeuse  de  son  sépulcre,  lui  représente  l'hu- 
manité qui,  depuis  quatre  mille  ans,  est  morte  à  la 
grâce,  est  ensevelie  dans  les  funestes  ténèbres  de 
toutes  les  erreurs  et  de  tous  les  vices  ;  parce  que  La- 
zare lui  représente  l'état  de  l'homme,  cette  image 
de  Dieu,  sa  propre  image,  qu'il  s'était  tant  complu  à 
créer,  à  enrichir,  qu'il  avait  destinée  à  une  douWo 
immortalité,  et  que  le  démon  avait  dépouillée,  rendue 
esclave  d'une  double  mort,  de  la  mort  spirituelle  et 
corporelle,  de  la  mort  temporelle  et  éternelle  (4).  En 
se  rappelant  une  si  horrible  catastrophe,  le  cœur 
tendre  de  l'Auleur  et  duSuaveur  de  l'Iiorame  se  sou- 
lève, il  frémit,  il  se  trouble,  il  souffre,  et,  donmiot  uiî 

(1)  Flevit  ad  probandiim  conditionem  humanam  (Theoph.). 

(2)  Dixerunt  ergo  Judœi  :  Ecce  quomodo  amabat  eum  {Joan. 
XI,  36). 

(a)  Plorat  ut  cseteri;  sed  non  quare  ut  cseteri  (S.  Bernard.). 

(4)  Flebat  Deus  quod  eos,  quibus  omnia  donaverat,  disbolus, 
docendo  malitiam,  de  omnibus  pêne  fecit  extorres  (S.  Zenon., 
(le  Luzar,  resnsc.). 


—  45G  — 
libre  cours  à  rémotion  qui  le  pénètre,  le  subjugue, 
il  répand   d'abondantes  larmes  :  Infremuit  spiritu, 
turbavit  seipsiim,  et  lacnjmatus  eut  Jcsu$. 

0  folie  de  l'homme  !  folie,  qui  ôte  le  sens!  0 
aveuglement!  aveuglement  plein  de  ténèbres!  On 
commet  le  péché  comme  en  se  jouant,  on  se  glorifie 
même  de  sa  dégradation  morale,  et  le  souvenir  de 
cette  dégradation  a  fait  verser  des  larmes  au  Fils  de 
Dieu,  en  attendant  qu'il  lui  fasse,  sous  peu,  ré- 
pandre tout  son  sang! 

Gardons-nous  donc  de  croire  que  Téraotion  divine 
que  nous  venons  d'analjscr  ait  été  des  transports 
inutiles  :  c'était  un  mystère  plein  de  miséricorde  et 
d'amour  pour  nous.  Si  Jésus  se  trouble  et  pleure,  dit 
saint  Augustin,  c'est  pour  effacer  dans  ses  larmes  les 
péchés  des  hommes.  Il  pleure,  mais  pour  nous  ob- 
tenir la  joie  éternelle  et  nous  délivrer  de  la  douleur 
sans  fi!î  ;  son  afQiction,  c'est  la  source  de  l'allégresse 
prochaine  du  monde  (1).  Ce  sa  mort  nous  est  venue 
la  vie,  et  de  ses  ignominies  la  gloire  ;  de  même  ses 
frémissements  en  ce  jour  nous  ont  procuré  le  calme, 
et  sa  tristesse  la  sérénité  (2).  En  un  mot,  mes  frères, 
ces  larmes  nous  apprennent  combien  Jésus  nous 
aime  :  Ecce  quomodo  amabat  eum  ! 

Il  va  s'empresser  de  faire  sortir  Lazare  du  sépulcre, 


(1)  Flevit  Dominu3,  ut  lacrymis  suis  mundi  peccata  deleret. — 
Idcirco  lacrymas  fudit,  ut  nos  gaudia  aeterna  mereamur.  Lacrj"-- 
maD  Domini  gaudia  suut  mundi  (S.  Aug.,  loc.  cit.). 

19.)  0  fremitus  pietatis  !  0  turbatio  turbatorum  sublatura  mœs- 
titiani  et  selernam  allatura  lœtitiam  (.Emis.). 


—  457  — 
pour  satistaire,  cii  la  persouuc  de  son  auA,  au  désir 
ardent  qui  le  consume  de  nous  ressusciter  tous  ;  et  il 
dit  :  «  Où  avez- vous  mis  le  cadavre  :  Ubi  j^osnisiis 
eum  ?  »  «  Seigneur,  répondit-on,  venez  et  voyez,  /)o- 
mine,  veni  et  vide.  »  3Iais  pourquoi  cetle  demande  ? 
Est-ce  que  celui  qui,  quoique  absent  et  loin,  a  connu 
le  moment  où  Lazare  a  e:xpiré,  ne  sait  point  où  est 
son  sépulcre  (IjîiXon,  certes,  répond  saint  Grégoire, 
le  Sauveur  sait  fort  bien  où  Lazare  a  été  inhumé, 
et  quand  il  demande  :  Où  est-il,  le  bon  pasteur  en- 
tend parler  du  genre  humain  tout  entier.  Il  voulait 
donc  dire  :  Qu'est  devenu  l'homme  que  j'avais  placé 
dans  le  paradis  terrestre,  dans  la  région  de  la  vie  ? 
0  vous,  esprits  malins,  vous,  m.aîtres  de  l'erreur,  des 
superstitions  et  des  vices,  où  est-il,  dans  quel  état 
l'avez- vous  réduit?  Hélas!  vous  en  avez  fait  un  ca- 
davre, vous  l'avez  placé  dans  la  maison  de  la  mort,^ 
dans  le  sépulcre  de  l'enfer  :  Ubi  posuistis  eum  ? 

Cependant  certains ,  dans  la  foule ,  plus  malveil- 
lants que  les  autres,  comme  pour  mettre  en  doute 
le  miracle  que  le  Sauveur  avait  opéré  en  rendant  la 
vue  à  l'aveugle-né,  disaient  entre  eux,  d'un  air  de 
dérision  :  A  quoi  servent  ces  pleurs  ?  si  vraiment  il 
aimait  Lazare,  lui  qui  a  ouvert  les  yeux  de  l'aveugle- 
né,  ne  pouvait-il  pas  faire  que  Lazare  ne  mourût 
point  (2)?  0  langues  diaboliques  et  perverses,  s'écrie 

(1)  Scitis  quia  morluus  sit,  et  ubi  sit  sepiiltus  ignoras  (S.  Aug., 
Tract. )f 

(2)  Quidam  autem  ex  ipsis  dixenmt  :  non  poterat  hic ,  qui 
aperuit  oculos  caeci  nati,  facere  ut  hic  uou  moreretur  {Joan. 
XI,  37)? 


—  458  — 
saint  Aiignstiii,  quel  est  volro  langage  ?  Oui,  le  divin 
Maître  aime  J.azarc,  et  s'il  ne  Ta  point  guéri,  c'est 
pour  lui  accortler  une  grâce  plus  grande,  c'est  pour 
lui  rendre  la  vie,  à  voire  grande  confusion  (l). 

En  effet  le  Sauveur,  plein  d'un  com;!alissant  dé- 
dain pour  cet  incurable  aveiiglement,  vint  au  tom- 
beau de  Lazare  ;  c'était  une  simple  grotte,  située  sur 
11'  versant  de  la  montagne  (2)  et  qu'on  avait  scellée 
dune  pierre  sépulcrale.  Jésus  dit  :  «  Olez  la  pierre  : 
Tollite  lapidem,  »  afin  que  les  Juifs,  voyant  le  corps 
de  Lazare  non-seulement  sans  vie,  mais  déjà  cor- 
rompu, ne  pussent  avoir  aucun  i)rétextc  de  mettre 
en  doute  le  miracle  qu'il  allait  opérer;  c'est  la  ré- 
flexion de  saint  Chrysostome. 

ÎMalgré  sa  profession  de  confiance  si  récente,  Mar- 
the, cependant,  à  cette  heure  solennelle,  sembla 
vaciller  de  nouveau  dans  sa  foi,  et,  se  tournant  vers 
Jésus,  elle  dit  :  «  11  sent  déjà  :  il  y  a  quatre  jours 
qu'il  est  enterré  (3).  »  Et  qu'importe,  ô  Marthe!  ré- 
pond saint  Pierre  Chrysologue;  que  vous  connaissez 
peu  le  cœur  de  votre  3Iaître!  J\e  savez-vous  plus 
son  affection  pour  Lazare  ?  Ne  savez-vous  pas  com- 
bien l'homme  lui  est  cher  ?  Cette  créature  si  cor- 
rompue, qui  inspire  tant  d'aversion,  même  au  démon 
qui  l'a  séduite,  n'inspire  aucune  répuguauce  au  Dieu 


(1)  Plus  est  quod  facturus  est,  ut  mortuus  suscitetur  {Tract.  49). 

(2)  Josiis  ergo  sursuin  fremens  in  semetipso,  venit  ad  moun 
mentum  :  erat  autem  spelunca,  et  lapis  superpositus  erat  ci. 
{^Joan.  XI,  38). 

(3)  Domine,  jam  fœtet  ;  quatriduanus  est  enitn. 


—  4  59  — 
qui  Ta  créée,  q-ù  veut  la  rétablir  dans  son  état  pri- 
mitif. Que  Satan  ait  horreur  d'une  création  qui  n'est 
pas  la  sienne  et  qu'il  a  détraite  ;  Dieu,  lui,  ne  la 
rejette  point,  parce  qu'il  rccoiiiuiît,  voit  eu  elle  son 
œuvre,  une  œuvre  qui  lui  est  chère  (l). 

Pour  ranimer  l'cspérar.ce  de  Marthe,  le  Sauveur 
répondit  :«  Ne  vons  ai-je  pas  dit  que,  si  vous  croyiez, 
vous  verriez  la  doire  de  Dieu  ?  JSonne  dixi  tibi  : 
qnia  si  credideris,  videhis  gloriam  Dei?  »  C'est-à-dire  : 
Jeté  convaincrai  que,  lorsque, tout-à-l'heure,  tu  m'as 
reconnu  pour  Fils  de  Dieu,  ta  foi  ne  t'a  pas  trompée  ; 
tu  vas  voir  resplendir  ma  gloire,  le  pouvoir  de  ma 
divinité. 

On  enleva  donc  la  pierre ;,  tidenint  ergo  lapidem,  et 
tout  ce  peuple  silencieux  et  incertain  contemplait 
par  l'ouverture  de  la  grotte  le  cadavre  de  Lazare  en 
corruption. 

Parce  qu'il  est  plus  difficile  de  ressusciter  l'huma- 
nité déchue  par  le  péché  ,  que  de  la  créer;  pour 
nous  en  persuader,  Jésus  se  prépara,  par  un  procédé 
tout  nouveau,  à  ressusciter  celui  qui  était  l'image  de 
notre  mort  spirituelle.  Son  aspect  est  sévère  et 
grave,  son  attitude  sublime!  C'est^  assurément,  une 
œuvre  incomparable  que  médite  son  esprit  en  ex- 
tase. Eu  effet,  il  lève  les  yeux  au  ciel  comme  pour 
adresser  une  fervente  prière  au  Très-Haut  (2);  non 


(1)  Quod  fœtet  proditori,  non  fœtet  Creatori.  Quod  horret  alieni 
operis  eversori,  amator  sui  operis  non  abhorret  (S.  Chrysost., 
serm.  65). 

(2;  Josus  autpm  el'^valis  sursum  oculis. 


—  100  — 
qu'il  ail  besoin  de  secours,  dit  salut  Hilaire,  mais 
parce  que  nous  avons  besoin  uous-mômcs  d'ôtre  ins- 
truits; non  qu'il  soit  nécessaire  qu'il  prie  pour  faire 
le  nnraclc,  mais  [)arce  qu'il  est  nécessaire  que  nous 
sachions  qu'il  est  le  Fils  de  Dieu,  11  prie  donc  à 
haute  voix  pour  augmenter  notre  foi,  non  poiiit  pour 
raffermir  son  pouvoir  (1).  Et  il  prononce  ces  pa- 
roles :  <r  0  Pérc,  je  vous  rends  grâces  de  ce  que 
vous  m'avez  exaucé.  Moi,  je  savais  que  vous  m'exau- 
cez toujours  ;  mais  je  le  dis  pour  le  peuple  qui  m'en- 
vironne, afin  qu'il  croie  que  ^ous  m'avez  envoyé  (2).» 
Apprenons  par  là,  observe  saint  Jean  Chrysostome, 
que  le  Verbe  éternel  est  venu  du  ciel,  sans  cepen- 
dant quitter  le  ciel  (3).  Ces  paroles  ferment  la  bouche 
aux  Pharisiens  :  ils  ne  peuvent  plus  dire,  en  effet, 
comme  ils  le  disaient  à  la  guérison  de  l'aveugle-né  : 
«  Cet  homme  n'est  pas  de  Dieu,  »  puisqu'ils  le  voient 
s'adresser  à  Dieu  et  opérer  le  prodige  à  sa  volonté. 
L'envoyé  céleste  ne  se  contenta  donc  point  de  s'ap- 
peler lui-même  la  résurrection  et  la  vie,  et  de  recevoir 
de  Marthe  une  profession  de  foi  publique  eu  sa  di- 
vinité ;  il  voulut  de  plus,  par  cette  prière,  se  faire  re- 
connaître plus  particulièrement  de  tous  pour  Fils  de 


(1)  Non  ipse  inops  auxilii,  sed  nos  inops  doctrinœ.  Non  prece 
eguit,  sed  nobis  oravit.  Ne  Filins  ignoraretur  :  ad  profectum 
nostrae  (idei  loquebatur  (S.  Hilar.,  Com.,  lib.  10). 

(2)  Pater,  gratias  ago  tibi,  quouiam  audisti  me.  Ego  autera 
sciebam  quia  semper  me  audis,  sed  propter  populum,  qui  cir 
cumstal,  dixi;  ut  credant  quia  tu  me  misisti  {Joun.  xi,  41,  42). 

(3)  Ut  sciant  vcnisse  de  cœlo,  non  recessisse  de  cœlo  (S.  Ghry- 
Eost.,  hom.  C3  in  Joan.), 


—  4G1  — 
Dieu,  afin  qu'il  ne  restât  dans  leur  esprit  aucun 
doute  de  notre  résurrection,  dont  celle  de  Lazare 
était  la  figure  et  comme  les  prémices,  et  qui  toutes 
les  deux  sont  l'œuvre  de  la  toute-puissance  de  Dieu. 
Ces  préliminaires  accomplis,  Jésus  s'avança  jusqu'à 
rentrée  de  la  grotte,  et,  se  penchant  sur  l'ouverture, 
il  cria  d'une  voix  forte  :  «  Lazare,  sortez  (1).»  Quel 
commandement  fut  jamais  plus  majestueux?  Quelle 
voix  plus  puissante,  demande  saint  Augustin  (2)  ?  Et 
comment  ne  pas  reconnaître  à  ses  accents,  en  Jésus, 
l'homme  qui  est  en  même  temps  Dieu?  Comment  ne 
pas  reconnaître  en  lui  le  Verbe,  cette  parole  éternelle^ 
qui  parle  au  néant  et  auquel  le  néant  répond  avec 
docilité  (3),  le  Roi  tout-puissant  qui  peut  faire  re- 
vivre sur-îc- champ  les  morts,  et  pour  lequel  vit 
chaque  être  :  Regem  oui  omnia  vivunt  ?  En  effet,  ô 
gloire  à  jamais  incomparable  du  Sauveur  notre  Dieu! 
à  sa  voix  pleine  de  majesté  de  magnificence  et  de 
vertu,  comme  s'expriment  les  saints  Pères,  le  sépulcre 
tremble,  la  mort  obéit  avant  même  que  soit  achevé 
le  commandement  divin  ;  l'âme  de  Lazare  rentre 
dans  son  corps,  et  avec  elle  la  santé  et  la  vie  (4). 
jr  Et  aussitôt  le  mort  sortit  dehors,  les  mains  et  les 
pieds  encore  lies  avec  les  bandelettes  funéraires, 

(1)  Voce  magnâ  claina\'it  ;  Lazare,  vcui  foras  (Joan.  xi,  43). 

(2)  Quae  hiiic  potestati  par  (S.  Aiig.,  loc.  cit.)? 

(3    Vocât  ea  quae  non  sunt,  tanqiiam  ea  qua;  sunt. 

(4)  Deterrita  mors  estad  vocemlaufœ  majestatis  (S.  Ang.,  Si-rtn. 
104  de  Temp  ).  Virtutis  plane  et  magnificcntiœ  voxista;  anteenim 
anima  corpori  rcddita,  quam  sonum  vocis  émiserai  (S,  Cyril.  Alex., 
Eicpos.). 


—  ^10)2  — 
et  la  fijce  enveloppée  de  son  suaire  (I).  »  Et  chacun, 
dit  s;:!  t  Chrysostomc,  put  s'api)rocher  de  lui,  le 
toucher,  le  reconnaître,  chacun  put  s'assurer  s'il  n'é- 
tait qu'un  fantôme  ;  et  il  devient  certain  pour  tous 
que  le  corps  qui  sortait  ainsi  de  la  tombe  était  réel- 
lement le  corps  de  Lazare,  qui  y  a\ait  été  ren- 
fermé (2).  C'est  pour  cette  raison  que  le  Sauveur  ne 
délia  point  lui-même  les  bandelettes  et  laissa  ce  soin 
à  ceux  qui  étaient  présents.  Quand  Lazare  fut  dé- 
barrassé de  ses  liens,  il  se  dressa  et  marcha  pleia 
de  vie  (3). 

Ace  prodige,  manifestation  si  sensible  de  l'action 
de  Dieu,  l'esprit  s'humilie,  l'orgueil  se  confond,  la 
parole  manque,  le  cœur  palpite,  l'homme  entier  se 
trouve  petit;  tout,  jusqu'à  l'étonnement  universel, 
au  silence  de  la  foule,  semble  dire  hautement  de  Jé- 
sus-Christ :  Il  est  dieu.  Et,  en  réalité,  une  grande 
multitude  de  Juifs  croieut  en  lui  (4). 

0  Sauveur  adorable!  nous  qui  venons  de  contem- 
pler des  yeux  de  la  foi  un  si  grand  miracle,  et  qui  le 
croyons  beaucoup  mieux  que  ceux  qui  le  virent  des 
yeux  du  corps,  nous  nousunissons  d'esprit  et  de  cœur 
à  ces  Juifs  fidèles  !  Prosternés  à  vos  pieds,  à  la  face  du 
ciel  et  de  la  terre,  nous  vous  confessons  Dieu  de 

(1)  Et  statim  prodiit  qui  fiieratmortuus,Ugatusmanus  et  pedes 
institis,  et  faciès  illius  sudario  erat  ligata  [Joan.  xi,  44). 

(2)  Ligatus  ne  putaretur  phantasma  :  ut  tangentes  et  appropin- 
quantcs  videaut  quia  vere  est  ille  [Hom  63  in  Joan.). 

(3)  Dixit  eis  Jésus  :  Solvite  eum  et  sinite  aliuo    {Joan.  xi,  44). 

(4)  Multi  ergo  ex  Judajis,  qui  videraut  quse  fecit  Jésus,  credi- 
derunt  in  eum  [Joan.  xi,  45). 


—  463  — 
toute  la  force  de  notre  conviction.,  avec  tout  le  trans 
port  de  notreaffection;nous  nous  faisons  une  gloire  et 
un  bonheur  de  croire  que  tous  êtes  le  vrai  Messie,  le 
vrai  Fils  du  Dieu  vivant,  fait  homme  pour  sauver  le 
genre   humain;    nous  vous  adorons  donc  profondé 
ment.    Seigneur,  réalisez  de  plus  en  plus  en  nous 
l'œuvre  de  votre  miséricorde  et  de  votre  tendresse; 
vous  nous  avez  donne  la  vie  de  la  foi,  donnez-nous 
encore  la  vie  de  la  grâce,  gage  de  la  vie  de  la  gloire, 
afin  que  nous  soyons  du  nombre  de  ceux  dont  vous 
dites  aujourd'hui  que,   s'ils  croient  sincèrement  en 
vous,  vivent  pour  vous  et  vous  aiment,  ils  ne  mour- 
ront point  pour  l'éternité  (1). 

SECONDE  PARTIE. 

Ce  surprenant  miracle,  dont  nous  avons  déjà  dit 
tant  de  choses,  concerne  en  outre  l'avenir.  Le  Fils 
de  Dieu,  par  la  résurrection  de  Lazare,  nous  a 
prouvé  sa  divinité;  il  nous  prouve  de  plus,  dit  saint 
Cyrille,  la  résurrection  universelle  des  morts.  La 
manière  prodigieuse  dont  il  a  rappelé  un  seul  homme 
à  la  vie  est  un  gage  sensible,  une  image  fidèle  de  la 
manière  encore  plus  miraculeuse  dont,  un  jour,  il 
rappellera  tous  les  morts  à  la  lumière  (2). 

Les  Juifs,  en  voyant  le  Sauveur  pleurer  sur  la 
tombe  de  Lazare,  s'imaginèrent  qu'il  pleurait  la  mort 

(1)  Et  omnisqni  vivit  et  crcditinme,noninorieturm  aeternum. 

(2)  Velut  exemplum  quoddam  imivorsalis  resurroctiouis  mor- 
tuorum  focit;  et  qviod  in  uno  implevit,  veluti  totius  uaivcrsalita- 
tis  pulcîiram  imaginem  staluit  {Expos.). 


—  464  — 
de  son  ami.  Or,  l'Homme-Dicu  pleurait  sur  le  sort  du 
fîciirc  humain.  Lnzarc  rappelait  à  son  esprit  tons  les 
hommes  créés  })ar  lui  immortels,  et  que  le  péché 
avait  réduits  à  la  triste  nécessité  de  mourir  (1).  A 
ces  pleurs  de  tendre  compassion  le  Sauveur  ajoute 
le  troubliT;  et  le  frémissement.  Par  ces  mouvements 
extraordinaires  de  son  âme  et  de  son  corps  il  pro- 
clame, ajoute  encore  saint  Cyrille^  qu'il  est  résolu  de 
tirer  veuiïcance  du  démon  et  de  la  mort,  et  qu'un 
jour  il  brisera  leur  empire  (2).  Saint  Augustin  remar- 
que en  outre  que  ce  frémissement  du  Dieu  vivant  est 
l'espérance  de  l'homme  mort  qui  doit  ressusciter  (3). 
Mais  pourquoi  le  Sauveur,  si  doux,  si  paisible,  à  la 
voix  si  modeste  d'ordinaire,  continue  saint  Cyrilie, 
pourquoi  s'exalte-t-il  et  élève-t-il  ses  accents  en  cette 
occurrence,  au  point  de  faire  frissonner  ceux  qu; 
Tentendent?  C'est  pour  nous  donner  une  idée,  ui: 
signe  sensible  du  son  si  terrible  et  tout-puissant  des 
trompettes  angéliques,  au  dernier  jour,  dans  tout 
l'univers,  quand  elles  appelleront,  par  l'ordre  de 
Dieu,  les  morts  à  la  vie  (4).  Le  Sauveur  ne  dit  pas  à 

(1)  Patabant  Judaei  eum  proptcr  mortem  Lazari  flere;  sed  ille 
tolius  liumaui  generis  miseratione  flebal;  non  vmum  Lazarum 
lugens,  sed  quod  olim  acciderat  cogitans;  uriiversum  scilicet 
humauum  genus  factura  obnoxium  inorli  {Id.,  loc.  cit.). 

(2)  Divino  motu  decernit  evertendum  mortis  imperium  {Id., 
ilid.).. 

(?)  Iq  ipsa  voce  frementis  npparet  spes  resiirgeutis  (Loc.  cit.). 

(4)  Insolitum  Cbristo  Salvatori  elata  voce  uti.  —  In  voce  prœ- 
ludit  jussio  Domiui  et  rosuiTcctionis  tessera,  Dci  scilicet  tuba. 
Cogitemus  futurum  clamorem,  clangcnte  tuba,  cujus  impeno 
qui  iu  terra  jacent  excitentur  (S.  Cyr.,  loc.  cit.). 


—  465  — 
Lazare  :  Au  uom  de  mou  Père,  ressuscite;  mais 
bien  :  «  Lazare,  sors.  »  Il  parle  à  ce  mort  eu  son 
propre  nom  et  de  par  son  autorité,  et  il  lui  parle 
comme  s'il  était  vivant  (I).  Et  ce  mort  entend  dans 
le  silence  et  sent  dans  l'iuseBsibilité  de  la  mort  la 
voix  de  son  Seigneur.  La  corruption  n'est  pas  un  obs- 
tacle ;  il  n'est  pas  aveuglé  par  le  suaire  qui  couvre 
sa  face;  ses  pieds  et  ses  mains  liées  ne  l'arrêtent  point: 
il  accourt  aussitôt  que  le  Sauveur  l'appelle  (2).  C'est 
la  personnification  dans  un  homme  du  prodige  qui  se 
répétera  un  jour  sur  chacun  des  morts,  au  même 
commandement  de  Dieu  :  ni  la  corruption  de  leur 
corps,  ni  la  dispersion  de  leurs  cendres,  ni  la  date  de 
leur  trépas  (3)  ne  seront  un  obstacle  à  l'action  de  la 
parole  toute-puissante  et  éternelle,  à  cette  voix  de 
Dieu  convoquant  tous  les  hommes  à  une  vie  nou- 
velle. 

Le  Sauveur  parlait  encore,  que  le  miracle  était 
accompli.  Les  membres  disloqués  de  Lazare  se  re- 
composent, le  sang  coagulé  et  corrompu  reprend  sa 
pureté  et  son  cours  ;  les  chairs  recouvrent  leur  fraî- 
cheur, chaque  organe  son  intégrité,  son  usage,  sou 


(i)  Non  dixit  :  In  nomine  Patris,  surge;  sed  :  Veni  foras.  Mor- 
tuum  tanquam  viventem  appellat  (S.  Aiig.). 

(2)  Vultum  sudario  obductum  videndi  usiim  non  negabat;  vin- 
cula  nibil  cursum  proliibebant  ;  nulle  obstaculo,  agnita  voce  Do- 
mini,  ad  vocantom  currobat  (S.  Cyril.). 

(3)  Nous  traiterons  plus  explicitement  ce  dogme  de  la  résur- 
rection universelle  des  morts  dans  la  trente-unième  homélie.  Ici 
l'on  s'est  contenté  d'iu  présenter  la  figure  ;  là  on  en  trouvera 
les  raisons  et  les  preuves. 


—  IGG  — 
mouvement,  cl  lïiiiu'  se  réunit  au  oovps  ré,û:<^iiér6. 
Comme  hi  llèclic  sorl  de  l'arc,  le  mort  sort  du  sé- 
pulcre; ce  miracle  multiple  fut  l'œuvre  d'un  instant! 
Ku  vérité,  c'est  bien  là  le  svmbolesensil)lc  de  la  ré- 
surrection universelle,  quand  les  séj)ulcres  s'ouvri- 
ront, que  les  cendres  se  rassembleront,  que  les  âmes 
se  réuniront  à  leur  corps,  que  ceux-ci  reprendront 
leur  première  ligure  et  qu(^  les  hommes  ressuscites 
se  réuniront  dans  un  même  lieu.  Et  tout  cela,  au  dire 
de  saint  Paul,  en  un  cliii-d'œil,  au  son  de  la  trom- 
pette. Le  genre  humain  tout  entier  ressuscitera  de 
sa  corruption  avec  hi  même  promptitude  et  avec  la 
même  facilité  que  Lazare  est  sorti  du  sépulcre  (1  ). 

Ce  dernier  des  prodiges  ne  présentera  donc  au- 
cune difficulté.  Jésus-Christ  a  dit  :«  11  viendra  un  jour 
ouïes  morts,  dans  le  silence  du  sépulcre^  eulcndront 
hi  voix  du  Fils  de  Dieu,  et  à  l'instant  même  ils  res- 
siiscileront  (2).  »  Par  ces  paroles,  il  a  voulu  indiquer 
que  la  résurrection  universelle  aura  lieu  en  vertu 
du  commandement  de  Dieu^  vocem  Filii  Dei  vivi  ; 
voix  à  laquelle  rien  ne  résiste,  et  qui  fora  d'autant 
plus  facilement  sortir  les  morts  de  leur  sépulcre^ 
qu'elle  a  tiré  le  monde  du  néant. 

En  second  lieu,  le  Sauveur  a  ajouté  :  «  Je  suis  la 
résurrection  et  la  vie  :  Ego  sumresurrcctio  et  vita ;  »  et 
cela  signifie  clairement  que  Jésus-Christ,  comme  vrai 


(1)  In  momento,  in  ictu  oculi,  in  novissima  tuba  :  canet  euim 
tuba,  f't  mortui  résurgent  incorrupti  (/  Co}\  xv). 

(2)  Veiiit  hora,  quaudo  omues  qui  in  monumentis  suut,  audient 
vocem  Filii  Dei,  et  procèdent  in  resurrectionem. 


—  467  — 
Fils  de  Dieu  et  Dieu  lui-même ,  ?i  en  lui  le  principe 
de  la  vie  et  de  la  résurrection  ;  que  de  même  qu'il  est 
non-seulement  sage,  mais  la  sagesse  même,  de  même 
il  est  non-seulement  toujours  vivant  et  ressuscité, 
mais  la  résurrection  personnifiée  et  la  vie,  c'est-à-dire 
la  résurrection  toujours  ressuscitée  et  la  vie  toujours 
vivante,  l'existence  toujours  immortelle.  Ainsi  Jésus- 
Christ  est  la  vie  et  la  résurrection  infinie,  la  vie  et 
la  résurrection  parfaite.  Or,  qu'y  a-t-il  d'impossible 
qu'il  fasse  partager  à  tous  les  hommes  ses  privilèges, 
qui,  en  se  commnniquant,  ne  sauraient  s'amoiiidrir? 
Qu'y  a-t-il  d'étoiicaut  qu'il  fasse  revivre  ceux  qui, 
par  sa  parole  toute-puissante  et  par  sa  vie  infinie, 
avaient  déjà  vécu  avec  lui  et  en  lui? 

Mais  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  ne  s'est-il  pas  con- 
tenté de  dire  :  «  Je  suis  la  résurrection,  »  et  ajoute- 
t-il  :  «  Je  suis  la  vie  :  Ego  sum  resurrectio  et  vita  ?  » 
Il  n'est  pas  possible  de  ressusciter  sans  vivre,  ni  de 
revivre  sans  ressusciter  ;  la  résurrection  et  la  vie 
n'est-ce  pas  la  même  chose?  Non,  sans  doute,  répond 
saint  Cyrille  d'Alexandrie  :  la  vraie  vie,  c'est  la  vie 
bienheureuse.  Eessusciter  pour  souffrir  est  une  vie 
pire  que  la  mort  (1).  Par  conséquent  Jésus-Christ,  en 
disant  :  «  Je  suis  la  résurrection  et  la  vie,  »  a  indi- 
qué qu'il  est  le  principe  de  la  résurrection  qui  sera 
commune  à  tous,  et  le  principe  de  la  vie  bienheu- 
reuse qui  ne  sera  que  le  partage  des  élus.  C'est  pour- 

(1)  Hua  vera  vila  est,  ut  immortali  beatitate  vivamus;  uihil 
euim  a  morte  dilfprt  iu  hoc  solurn  resui'gere  ut  crucieris  (Loc, 
cit.). 


—  468  — 
quoi  il  a  ajouté  :  «  Celui  qui  croit  en  moi  vit,  et  celui 
qiM  croit  et  vit  en  moi,  ne  mourra  point  pourl'étcr- 
nité  ;  »  car  cela  veut  dire  :  Je  suis  la  vie  de  Tàme  et  la 
résiirrcclion  du  corps.  Celui  qui  croit  en  moi  et  s'unit 
à  moi  par  une  foi  pure  et  parfaite,  parlici[)e  à  la  fois 
et  à  cette  résurrection  et  à  cette  vie,  et  son  âme 
vivra.  Et,  après  la  mort  de  la  terre,  sa  conditron 
ici-bas,  elle  aura  mérité  d'associer  son  corps  à  cette 
vie  divine.  Ce  corps,  non  seulement  ressuscitera, 
mais  il  ressuscitera  pour  le  ciel,  si  bien  que  l'âme  et 
le  corps,  tout  l'homme  triomphera  pour  toujours  de 
lu  mort,  et  sera  éternel  (1). 

Le  Fils  de  Dieu  a  distingué,  en  termes  encore 
plus  clairs,  la  résurrection  de  la  viO;,  quand  il  nous 
révéla  pour  la  première  fois  ce  grand  mystère.  En 
effets  après  avoir  dit  qu'à  sa  voix,  à  sou  commande- 
ment divin,  tous  les  morts  ressusciteront  du  sé- 
pulcre (2),  il  ajoute  :  «  Et  tous  ceux  qui  auront  fait 
le  bien  iront  jouir  de  la  résurrection  de  la  vie;  mais 
ceux  qui  auront  mal  fait  auront  à  subir  la  résur- 
rection du  jugement  (3).  » 

Quelle  sentence  !  Comprenez-le  donc  bien,  ô  chré- 
tiens !  Il  y  a  deux  sortes  de  résurrection  :  la  résur- 
rection de  la  vie  et  la  résurrectiou  du  jugement. 

(1)  Nam  vita  animte  fides  est  ;  et  omnis  qui  vivit  in  carne, 
étiamsi  moriatur  ad  tempus  propter  caruem ,  vivet  in  anima  ; 
donec  resurgat  et  caro,  nunquam  uioritura,  propter  vitam  spiri- 
lus,  et  non  morictur  in  aeternura  [Tract.  49  in  Joan.). 

(2)  Venit  hora,  quando  omnes  qui  in  mouumentis  sunt,  au- 
dient  vocem  Filii  Dei. 

(3)  Et  procèdent  qui  bona  fecerunt,  in  resurrectionem  vit*; 
«jui  vero  mala  egerunt  in  resurrectionem  judicii. 


—  4  G'.)  — 
La  résurrection  pour  vivre  toujours  dans  le  sein  de 
la  miséricorde,  de  l'amour  de  Dieu,  et  la  résurrec- 
tion pour  subir  éternellement  la  justice  céleste;  la 
résurrection  pour  jouir  toujours,  et  la  résurrection 
pour  toujours  souffrir  :  In  resnrrectionem  vitœ  et  in  re- 
surrectionem  judicii  :  Tune  sera  la  récompense  des 
justes,  qui  bona  fecerunt  ;  l'autre  la  punition  des  pé- 
cheurs, qui  vero  mala  egenint. 

Prenez  donc  courage,  âmes  vraiment  pieuses,  qui 
ne  cherchez  d'autre  bien  que  Dieu,  d'autre  honneur 
que  sa  grâce,  d'autre  trésor  que  son  amour,  d'autre 
félicité  que  son  paradis.  Partagées  entre  l'abnégation 
de  vous-mêmes,  les  exercices  de  la  charité  envers 
le  prochain  et  votre  Créateur,  avec  la  droiture  de 
vos  intentions,  avec  la  sainteté  de  vos  désirs,  avec 
la  noblesse  et  l'héroïsme  secret  de  vos  sentiments, 
humbles  d'esprit,  pures  de  corps,  généreuses  en 
tout,  vous  allez,  sans  vous  en  apercevoir,  comblant 
vos  jours  et  toutes  vos  heures  du  mérite  des  œuvres 
vertueuses,  qui  bona  fecerunt;  6  vous,  qui  vous  re- 
connaissez à  ce  portrait,  continuez,  pleines  d'espé- 
rance contre  la  mort,  abandonnez  sans  peine  et  sans 
crainte  votre  corps  à  la  terre,  car  vous  êtes  le  peuple 
choisi,  le  peuple  privilégié  du  ciel!  Il  viendra  le 
jour  où  le  bon  Sauveur,  que  vous  servez  avec  tant 
de  ferveur  et  d'amour,  répandra,  comme  il  l'a  pro- 
mis, jusque  dans  vos  os  son  divin  esprit,  ranimera 
vos  cendres,  vous  rappellera  à  une  vie  nouvelle,  en 
vous  arrachant  à  vos  sépulcres,  radieuses  de  gloire 


—  4  70  — 
et  de  beauté  (1).  Oui,  vous  ressusciterez,  mais  à  la 
vraie  vie,  à  la  vie  môme  de  Dieu,  à  la  vie  bienheu- 
reuse, immortelle,  qui  vous  récom[)ejiscra,  et  quant 
à  1  ïime  et  quant  au  corps,  de  toutes  les  privations, 
(le  toutes  les  injustices  et  de  toutes  les  peines  du 
temps  par  les  joies  divines  de  réternité  (2). 

Et  vous  qui,  au  contraire,  toujours  attentifs  à  fa- 
voriser les  sentiments  ignobles,  les  instincts  liontcuv 
de  la  chair,  êtes  autant  irréligieux  envers  Dieu  et 
injustes  à  l'égard  du  prochain_,  qu'indulgents  pour 
vous-mêmes;  vous  qui  passez  les  années  à  accumuler 
péchés  sur  péchés,  vous  dont  la  vie  n'est  qu'un  hor- 
rible tissu  d'oeuvres  de  ténèbres^  qui  vero  niala  e(/e- 
runt,  vous  ressusciterez  aussi  sans  doute  à  la  voix 
terrible  du  Fils  de  Dieu  (3);  mais,  hélas  !  ce  ne  sera 
que  pour  subir  un  examen  sévère,  pour  entendre 
la  redoutable  sentence  et  pour  être  précipités  dans 
lespehies  immenses  du  jugement  éternel  (4),  Yous  res- 
susciterez, non  point  comme  Lazare,  à  i'amour  de  la 
famille  des  saints,  mais  en  la  compagnie  des  démons 
et  des  réprouvés.  Vous  n  s:n;sciterez,  non  pas  comme 
Lazare,  pour  être  libres,  mais  pour  être,  même  dans 
le  corps,  enchaînés  par  les  liens  des  ténèbres  d'une 
étcinelie  nuit  (5).  En  effets  cette  même  voix  divine 

(1)  Htec  dicit  Domiuus  :  Ecco  ego  iiitromittam  in  voj  sniiitutn 
ineura,  f't  vivoiis;  aperiam  turaulos  vestros,  et  educain  vos  de 
se|)ukris  ve^lri?,  popule  meud  {Ezech.). 

(9)  Et  procèdent  qui  bona  fecorunt,  in  rcsuiTectioiiora  vilic. 

(3)  Oiiraes  qui  iu  monumeiitis  sunt  audient  vocem  Fllii  Dei. 

(4)  Qui  vero  ixiala  egerunt,  procèdent  in  resurrectionem  judicii. 
(5'  Vir.cv.'-i-  Icn.'^brcruni  et  longiE  uoctis  compediti  (Sap.  xvii). 


—  471  — 
qui  a  dit  de  Lazare  :  Déliez-le  et  laissez-le  alleri 
Solvite  eumet  siniteabire,  dira  de  vous,  ainsi  que  l'E- 
vangile vous  en  prévient  :  Liez-leur  les  pieds  et  les 
mains,  et  jetez-les  dans  la  fournaise  de  feu  :  là  il  n'y 
aura  que  pleurs  et  grincements  de  dents  (I). 

Pour  conclure,  mes  frères,  autant  l'oracle  du  Sau- 
veur est  terrible  pour  l'avenir  des  pécheurs,  autant 
il  est,  à  cette  heure,  consolant  pour  tous.  Il  l'a  dit 
lui-même  :  la  sagesse  de  Dieu  ne  peut  se  tromper, 
et  sa  vérité  ne  saurait  nous  induire  en  erreur.  Qui- 
conque vit  bien,  ressuscitera  à  la  vie;  quiconque  vit, 
mal,  ressuscitera  pour  le  jugement  (2).  Dieu  a  donc 
mis  à  ma  portée  la  bénédiction  et  la  malédiction,  la 
vie  et  la  mort.  Je  n'ai  nul  besoin  de  me  fatiguer 
l'esprit  pour  savoir  si  je  suis  prédestiné  ou  réprouvé. 
Ce  que  je  sais  de  certain,  et  ce  qu'il  m'importe  seul 
de  savoir,  c'est  que  si  je  vis  bien,  je  me  sauve,  si  je 
vis  mal,  je  me  damne.  Mon  sort  est  entre  mes  mains. 
Je  serai  au  dernier  jour  ce  que  j'aurai  voulu  être; 
j'aurai  la  vie  ou  le  jugement  que  je  me  serai  choisi, 
que  je  me  serai  moi-même  préparé. 

Insensés  que  nous  sommes  !  quand  est-ce  que  nous 
deviendrons  sages  '^  Stulti,  aliquando  saj^ïYe  ?  Faisons  le 
bien  tant  que  Dieu  nous  eu  donne  le  temps  :  Dum 
tempus  habemus^  operemur  bonum.  Yivons  comme  nous 
voudrons  avoir  vécu  au  jour  de  la  mort.  Assurous- 


(1)  Ligatis  manibus  et  pedibus,  mittitp  eum  in  gehennam  ignis: 
ibi  erit  fletus  et  stridor  dentium. 

(2)  Et  procèdent  qui  bona  fecerunt,  in  resuirpctiocem  TJîit; 
qui  yero  msU  égeruat«  io  retiuirt-ûtiODei»  judicii, 


—  472  — 
nous  dès  à  présent  une  place  parmi  les  élus  et  leô 
saints.  Conduisons-nous  comme  de  vrais  chrétiens,  en 
Vivant  pour  Dieu  et  avec  Dieu  dans  le  temps,  si  nous 
voulons  alors  ressusciter  et  vivre  éternellement  avec 
Dieu.  Ainsi  soit-il  I 


VlINGT-HUiTIÈME  HOMÉLIE. 


Les  trois  morts  ressuscites  (1). 


Amen  dico  vobis  :  quia  venit  hora  et  nunc 
est,  quando  mortui  audient  vocem  Filii  Dei; 
et  qui  audierint,  ■vivent.  (Joan.  v,  25.) 


Permettez-moi,  mes  frères,  de  commencer  la  pré- 
sente homélie  en  vous  faisant  part  de  la  grande  et  belle 
pensée  de  l'ange  de  l'École,  l'illustre  saint  Thomas. 
Ce  grand  docteur  enseigne  que  tout  ce  que  Dieu 
opéra  extérieurement  à  l'égard  du  premier  homme, 
dans  l'ordre  corporel  et  visible,  fut  la  figure  de  ce 
qu'il  opérait  à  la  même  heure  intérieurement  en  lui, 
dans  l'ordre  invisible  et  spirituel.  En  effet,  en  don- 
nant à  Adam  une  âme  intelligente,  ce  Dieu  plein  de 
tendresse  s'unissait  à  cette  âme  par  sa  grâce.  En 
façonnant  l'argile,  en  lui  donnant  la  vie  corporelle. 


(1)  Le  grand  saint  Augustin  ne  s'est  pas  contenté  de  parle 
en  plusieurs  endroits  de  ses  ouvrages  des  trois  morts  ressuscites, 
et  séparément  les  uns  des  autres;  mais  il  a  traité  le  mystère  des 
.trois  réunis,  dans  son  44^  sermon  Sur  les  paroles  du  Seigneur. 
Ce  sermon  a  donné  l'idée  et  foui^i,  en  grande  partie  du  moins> 
la  matière  de  la  présente  homélie. 


—  17-1  — 
en  faisant  du  premier  homme  ie  roi  de  la  icrre,  il 
élevait  son  ùine  à  une  vie  divine,  et  l'établissait  le 
candidat  du  ciel.  Ainsi,  quand  l'Ecriture  dit  qu'Adam 
sortit  (iinc  vivante  des  mains  du  Dieu  créateur  (1), 
elle  veut  dire  qu'Adam  reçut  en  même  temps  de 
Dieu  une  double  vie  :  la  vie  physique,  qui  consiste 
dans  l'union  de  l'âme  avec  le  corps,  et  la  vie  spiri- 
tuelle, qui  résulte  de  l'union  bien  plus  noble  de 
cette  âme  avec  Dieu.  En  effet,  dit  saint  Augustin,  de 
même  que  l'âme  donne  sa  forme  au  corps,  ou,  en 
d'autres  termes,  l'anime  ;  de  même  Dieu,  d'une  ma- 
nière bieu  plus  admirable,  devint  la  forme  de  notre 
âme  et  il  la  vivifia.  Par  suite,  de  même  que  le  corps, 
séparé  de  l'âme,  n'est  qu'un  cadavre  ;  ainsi  l'âme, 
séparée  de  Dieu,  devient  un  cadavre  spirituel  :  la 
perte  de  Dieu  est  une  vraie  mort  pour  elle,  comme 
sa  perte  est  la  mort  du  corps  (2).  C'est  pour  cela  que 
l'Ecriture  dit  qu'une  âme  qui  pèche  est  une  âme  qui 
meurt  (3). 

Or  l'homme,  aveuglé  par  la  maligne  suggestion  du 
serpent,  voulut  s'assurer,  précisément  par  ce  moyen 
fatal,  Timmorlalité  du  corps;  aussi  n'obtint-il  que  la 
mort  du  corps,  sans  recouvrer  la  vie  de  l'âme  ;  il 
devint  ainsi  la  proie  d'une  double  mort  ;  il  perdit, 


(1)  Et  factus  est  in  animam  viventein  (Gen). 

(2)  Sicut  anima  est  vita  corporis;  sic  vita  animae  Deus  est.  — 
Sicut  expirât  corpus,  cum  amittit  animam;  ita  expirât  anima, 
cum  amittit  Deum.  Deus  amissus,  mors  animae;  anima  amissa, 
mors  corporis  (S,  Aug.,  serw.  44  de  Verbo  Domini). 

(8)  Auima  quee  peccaverit,  ipsa  morietui-  {Ezech,  xviii). 


par  un  seul  Cir.iic,  les  deux  \ies  qu'il  avait  reçues 
comme  un  seul  don. 

Mais  l'Artisan  divin  eut  pilié  de  l'ouvrage  de  ses 
mains.  Il  chargea  sur  lui,  en  se  faisant  homme,  le 
fardeau  du  péché  et  de  la  mort  ;  il  délivra  l'homme 
de  l'un  et  de  l'autre;  il  lui  rendit  les  deux  vies  per- 
dues. C'est  lui-même  qui  le  déclare  dans  l'Evangile, 
à  l'endroit  même  où,  dans  saint  Jean,  il  promet  la  ré- 
surrection des  corps  et  la  résurrection  des  âmes  par 
ces  magnifiques  paroles  :  «  Eu  vérité  je  vous  le  dis, 
l'heure  est  enfui  arrivée,  l'heure  de  la  résurrection, 
où  la  voix  du  Fils  de  Dieu  se  fera  entendre  aux  morts 
par  le  péché  (1);  ceux  qui  l'écouteront  avec  docilité, 
recevront  la  grâce  et  vivront  d'une  vie  divine  (2).  » 

Or,  notre  Sauveur  a  voulu  nous  donner  un  gage 
de  cet  inestimable  bienfait  de  sa  venue  en  ce  monde, 
non-seulement  dans  les  conversions  nombreuses  qu'il 
opéra,  mais  particulièrement  par  la  résurrection  des 
trois  morts  dont  nous  avons  parlé.  Nous  avons  déjà  cou- 
sidéré  chacun  de  ces  miracles  dans  son  sens  littéral, 
allégorique  et  anagogique  ;  coiisidérons-les  aujour- 
d'hui ensemble  dans  leur  sens  tropologique  ou  moral. 
Yoyons  comment  Jes  principales  catégories  de  pé- 
cheurs y  sont  exprimées ,  comment  y  sont  indiqués 


(1)  C'est  ainsi  que  saint  Thomas,  sans  compter  les  autres  Pères 
et  Docteurs  de  l'Église,  explique  ces  divines  paroles  du  Sau- 
veur. 

(,2j  Amen  dico  vobis,  quia  venit  liora,  et  nunc  est,  quando 
mortui  audiout  vocem  Filii  Dei;  et  qui  audierint,  vivent  (Loc, 
Cit.). 


—  170   — 
les  moyens  par  lesquels  chacun  peut  ressusciter  à  la 
vie  spirituelle. 

Pécheurs,  mes  frères,  vous  les  morts  h  la  gràce^ 
voici  une  heure  bien  précieuse  pour  vous  :  le  fils  de 
Dieu,  par  le  récit  et  le  langage  de  ses  prodiges,  va 
vous  faire  entendre  la  voix  qui  ressuscite  ;  préparez- 
vous  à  l'entendre  avec  docilité  de  cœur;  vous  eu 
retirerez  un  fruit  éternel  (1). 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Saint  Jean  nous  apprend  que  les  prodiges  rap- 
portés dans  l'Evangile  ne  représentent  pas  tous  ceui 
que  Jésus-Christ  a  opérés,  mais  seulement  une  faible 
partie  (2).  Saint  Augustin  ajoute  que  les  historiens 
sacrés,  dans  le  choix  qu'ils  ont  fait  parmi  tant  de 
miracles,  en  ont  rapportés  autant  qu'il  en  fallait  pour 
rinstruction  des  fidèles  (3).  Il  est  certain,  continue 
ce  même  Père,  que  l'Homme-Dieu,  durant  sa  carrière 
mortelle,  ramena  à  la  vie  un  grand  nombre  de  morts, 
et  que  c'est  par  une  disposition  particulière  de  sa  sa- 
gesse que  nous  ne  trouvons  que  ces  trois  résurrections 
décrites  dans  les  Evangiles  (4).  Ainsi,  d'un  si  grand 
nombre  de  trépassés  que  le  Sauveur  a  ressuscites, 

(1)  Amen  dico  vobis,  etc.  * 

(2)  Multa  quidem  et  alia  signa  fecit  Jésus,  quae  non  sunt  scripti 
in  libro  hoc  [Juan,  xx,  30). 

(3)  Electa  sunt  quœ  scriberentur,  quae  saluti  credentium  suffi- 
cere  videbantur  (S.  Aug.,  tract.  49  in  Joan.) 

(4)  Multi  sunt  sine  dubio  suscitati,  sed  non  frustra  très  coni" 
naemorati.  {Id.,  serm.  44  de  Verbo  Domini). 


l'histoire  de  trois  seulement  nous  a  été  transmise , 
et  cela,  dit  toujours  le  même  Père,  parce  qu'ils  suf- 
fisent, par  la  durée  de  leur  mort  et  par  les  diverses 
rirconstances  de  leur  résurrection,  pour  exprimer 
les  trois  classes  diverses  qui  comprennent  tous  les 
iiommes  pécheurs  (1). 

Ecoutons,  en  effet,  le  grand  pontife  saint  Grégoire, 
suivant  et  exphquant  lui-même  saint  Augustin  :  La  fille 
de  Jaïre,  dit-il,  qui  gisait  morte  dans  la  maison  pater- 
nelle, représente  ces  pécheurs  cachés  que  personne 
ne  soupçonne  morts  à  la  grâce  ;  le  fils  de  la  veuve 
de  IVaïm,  qui  était  déjà  sorti  hors  de  la  ville,  sym- 
bolise ces  pécheurs  publics  qui,  ayant  renoncé  à 
toute  pudeur,  à  toute  retenue,  affichent  le  désordre 
de  leur  vie  et  scandalisent  le  public  par  le  spectacle 
de  leurs  iniquités;  Lazare  enfin,  qui,  demeuré  quatre 
jours  dans  le  sépulcre ,  était  déjà  corrompu ,  est  la 
ligure  expressive  des  pécheurs  endurcis  dans  leurs 
péchés;  en  horreur  au  monde  et  à  eux-mêmes,  ils 
n'osent  plus  penser  à  leur  conversion,  se  sentant 
comme  oppressés  et  écrasés  sous  le  poids  de  leurs 
coupables  h.abitudcs  (2). 

Puis  donc  que  le  pécheur  appartient  nécessaire- 
ment à  Tune  de  ces  trois  classes,  les  trois  morts  de 


(1)  Ista  tria  gênera  mortuorum,  sunt  tria  gênera  peccatoruEr 
}fd.,  ibid.). 

(2)  Adhuc  quippe  quasi  mortuus  jacet  in  domo,  qui  jacet  in 
peccato.  Quaii  extra  portam  ducitur,  cujus  iniquitas  usque  ad 
inverecundiam  publiccc  perpetrationis  operatur.  Sepulturie  vero 
aggere  premitur,  qui  in  perpeli'aticue  nequitiae  etiam  usa  cou- 
suetudinis  pressu»  gravatur  (S.  Greg.,  Moral.,  lib.  4,  25i. 


—  478  — 
i'Evaiigilc  fiLiiiroiil   luiis   les  pécheurs  de  la  lerre. 

De  sorte  que  la  manière  difl'éreiitc  dont  le  Sauveur 
a  rappelé  à  la  vie  ces  trois  morts,  à  des  degrés  di- 
vers, nous  instruit  de  la  manière  différente  dont  les 
trois  catégories  des  pécheurs  peuvent  ressusciter  à 
la  grâce.  Recueillons  donc  {)récicusement  celte  con- 
solante instruction,  afin,  dit  saint  Augustin,  que  ceiLv 
qui  sont  morts  au  péché,  n'importe  à  quel  degré,  sa- 
chent ce  qu'ils  doivent  luire  pour  ressusciter  promji- 
tement  (1). 

Dans  une  homélie  précédente  nous  avons  vu  que 
le  céleste  Médecin,  en  voyant  le  cadavre  de  la  fille 
de  Jaïre  entouré  de  chanteurs  et  de  joueurs  d'instru- 
ments funèbres,  chassa  ceux-ci  de  la  chambre,  et 
qu'il  dit  comme  en  souriant  :  «  Que  signifie  tout  cet 
appareil  de  mort?  cette  jeune  fille  n'est  pas  morte, 
elle  dort  ;  »  puis,  la  prenant  par  la  main,  il  lui  ordonna 
de  revivre,  et  aussitôt  elle  quitta  son  lit  et  marcha. 
Or,  pourquoi  le  Sauveur  a-t-il  opéré  cette  résurrec- 
tion avec  une  grâce  si  exquise  et  une  facilité  si 
grande,  qu'on  la  dirait  être  un  jeu  de  sa  bonté  plu- 
tôt qu'un  effort  de  sa  puissance?  Serait-ce  parce  que 
la  jeune  fille,  expirée  depuis  quelques  heures  seule- 
ment, conservait  encore  la  flexibilité  de  son  corps? 
Non,  assurément;  car  comme  il  est  aussi  impossible  à 
la  créature  de  ressusciter  un  homme  mort  aujourd'hui, 
qu'un  homme  mort  il  y  aurait  un  siècle;  de  même  il 

(1)  ut  quicumque  mortui  sunt,  in  quacumque  harum  Irium 
morte  se  invenerint,  agant,  ut  celeriter  resurgant(S.  Ang.,  w'"' 
de  Verbo  Dornini). 


—  470  — 

est  aussi  facile  au  Fis  de  Dieu  de  rendre  la  vie  aii 
dernier,  qu'au  premier.  C'est  un  mystère,  dit  saint 
Augustin,  qu'il  a  voulu  nous  révéler,  en  agissant  de  la 
sorte.  En  effet,  quoique  pécher  soit  la  même  chose 
^ue  mourir,  il  y  a  cependant  une  dilTérence  entre 
jéclier  une  fois,  et  s'habituer  et  se  familiariser  avec 
e  péché.  Or  cette  jeune  fille,  trépassée  à  peine,  dont 
ic  corps  était  encore  dans  la  maison  paternelle,  est 
la  figure  du  pécheur  qui  n'a  pas  encore  contracté 
l'habitude  du  péché,  qui  n'a  pas  encore  aflBché'au 
dehors  de  son  cœur  sa  mort  spirituelle  (1). 

Or,  si  Jésus-Christ  opère  ce  miracle  avec  tant  de 
promptitude,  c'est  pour  nous  faire  comprendre  que 
le  pécheur  qui  ne  met  aucun  intervalle  entre  sou 
crime  et  la  pénitence,  qui  n'a  pas  commencé  à  se 
corrompre  dans  le  sépulcre  de  ses  coupables  habitu- 
des, que  ce  pécheur,  dis-je,  ressuscite  facilement  (2). 
0  vous,  jeune  imprudent,  qu'un  ami  pervers  a  en- 
traîné dans  les  voies  du  désordre,  eu  vous  insinuant, 
comme  Lucifer  à  Adam,  la  funeste  science  du  mal, 
ouvrez  les  yeux  et  voyez!  0  vous,  jeune  fille  inex- 
périmentée, qu'une  compagne  cruelle,  ou  une  sui- 
vante sans  pudeur,  a  encouragée  à  souiller  votre  in- 
nocence, ouvrez  les  yeux  et  voyez!  0  vous,  épouse 
légère,  que  des  artifices  pleins  de  ruses,  des  sympa- 

(1)  Aliud  est  peccare,  aliud  peccati  consuetudinem  facere.  — 
Est  peccator,qui  non  habet  in  consuetudine  peccatum,  nec  ad  mul- 
1o^5  exemplum  malum  protulit  (S.  Auir.,  senn.  de  Vcrbo  Domini). 

i2)  Qui  peccat  et  continue  corrigitur,  ciloreviviscit;  quia  non- 
trum  est  consuetudine  impUcatus,  nondum  est  sepultus  [Id,,  ilid.) 


—  /i80  — 
thies  funestes,  des  sollicitations  importunes  et  obsti- 
nées ont  entraînée  à  immoler  la  vertu  à  la  vanité, 
la  lidélité  au  plaisir,  ouvrez  les  jeux  et  voyez  !  Ah! 
comprenez  tous  celte  imporlanle  leçon  !  Vous  avez 
fait  preuve  de  faiblesse?  eli  bien!  humiliez- vous. 
Vous  avez  manqué  à  vos  bons  propos?  confondez- 
vous.  Vous  avez  perdu  rinnocence  et  la  grâce  ?  re- 
pentez-vous. Vous  avez  violé  la  loi  de  Dieu,  méprisé 
ses  inspirations,  abusé  de  ses  grâces  et  de  ses  bien- 
faits? déposez  à  ses  pieds  votre  cœur  déchiré  par  la 
douleur,  arrosez-les  dans  vos  larmes.  En  un  mol, 
vous  êtes  tombés?  relevez-vous.  Mais  hâtez-vous,  dit 
saint  Augustin,  ne  différez  point,  ne  mettez  aucun 
délai  à  votre  conversion.  IN'attendez  pas  que  vous 
soyez  tombés  dans  l'abîme  de  tous  les  vices,  que  la 
pierre  sépulcrale  de  l'habitude  mauvaise  recouvre 
votre  cadavre  spirituel  (I).  Oui,  hàlez-vous  pendant 
que  la  ferveur  de  vos  premières  communions  vit  en- 
core en  vous;  que  vous  n'avez  pas  encore  renoncé 
à  toutes  vos  pratiques  de  piété,  que  vous  ne  vous 
ennuyez  pas  encore  de  la  prière,  des  sacrements; 
que  la  pudeur,  le  sentiment  religieux,  les  remords 
régnent  en  vous  ;  que  le  péché  vous  répugne,  vous 
humilie,  vous  confond  à  vos  propres  yeux,  et  que  le 
tourment  que  vous  éprouvez,  après  l'avoir  commis, 
est  bien  plus  grand  que  le  plaisir  que  vous  vous  pro- 
mettiez en  le  commettant.  Ah!  ne  laissez  point  s'af- 
faiblir, se  dissiper,  périr  ces  moyens  précieux  que 

(l)  Pœniteat  facti  de  proximo  ;   non  eat  in  prolundum  sepul- 
tuise,  non  aucipiat  couaueludinis  oiolem  (S.  Aug.,  id.,  ibid,). 


—  4SI  — 
TOUS  avez  cncci'c  en  vous  pour  ressusciter.  Mette?. c». 
profit  la  cor.dilion  heureuse  qui  reud  votre  retour  à 
Dieu  plus  facile  que  la  continuation  de  votre  course 
dans  les  voies  funestes  de  la  perdition. 

Votre  conversion  sera  l'affaire  d'un  moment.  Ee- 
/ourez  à  Jésus-Christ,  priez-le  de  venir  ù  vous,  dites- 
tui  de  bon  cœur  :  Seigneur^,  mon  âme,  ma  fille  uni- 
que, mon  seul  trésor  vient  de  tomber  dans  le  péché, 
et  elle  est  n\orte.  Daignez  venir  vous-même  étendre 
sur  elle  votre  main,  et  elle  retournera  à  la  vie  (1). 
Le  doux  Jésus  ne  résiste  jamais  à  cette  prière  ;  il  ne 
se  refuse  jamais  à  cette  invitation.  Celui  qui  est  des- 
cendu du  ciel  sur  la  terre  en  personne,  ne  dédai- 
gnera pas  de  venir  dans  votre  cœur  par  sa  grâce. 

Puis,  dans  la  grâce  de  cette  visite,  chassez,  dit 
saint  Grégoire,  de  la  chambre  de  votre  cœur  la  foule 
importune  des  affections  désordonnées;  éloignez  de 
vous  ces  prétendus  amis,  ces  joueurs  funèbres,  qui, 
tandis  qu'ils  semblent  plaire  à  l'oreille  par  leurs  dis- 
cours voluptueux,  par  leurs  adulations,  parleurs  pro- 
messes, ne  font  en  réalité  que  chanter  l'hymne  de 
la  mort  à  votre  cœur:  sans  ces  efforts,  votre  âme 
ne  peut  ressusciter  (2).  Mais,  grâce  à  ces  efforts,  le 
Sauveur,  ne  trouvant  plus  d'obstacle  en  vous,  vous 
prendra  comme  par  la  main,  vous  ressuscitera  avec 


(1)  Domine,  filia  mea  modo  defuncta  est  ;  sed  veni,  impoiie 
wanum  tuam,  et  vivet. 

(2)  Turba  foras  ejicitur,  quia  iiisi  prius  secretioribus  cordis 
expellatur  steculariuni  multitudo  curarum,  anima  quœ  iutrinsecus 
jacet  mortua,  non  resurgit/S.  Grcg.,  loc.  cit.j. 

IL  31 


—  482  — 
la  même  facilité  qu'an  homme  qui  dort  se  réveille 
sous  la  maiu  qui  le  louche  (1). 

Remarquez  encore  qu'il  est  dit  que  la  jeune  fille, 
ressuscitée,  se  mit  aussitôt  à  marcher.  Par  là,  dit  le 
Vénérable  Bède,  il  est  indiqué  que  vous,  âmes  pèche, 
resses,  qui  êtes  à  peine  revenues  à  la  grâce;,  vous 
devez,  pour  prouver  la  vérité  de  votre  conversion, 
non-seulement  quitter  l'état  du  désordre  et  du  pé- 
ché, mais  marcher  avec  plus  de  vigueur  et  de  fer- 
veur qu'auparavant  dans  les  voies  des  vertus  chré- 
tiennes (2). 

Knfiu  le  divin  Maître  ordonna  qu'on  apportât  sur- 
le-champ  à  manger  à  la  fille  de  Jaire  :  Et  jussil  illi 
dari  manducare.  Par  là  encore  est  figurée  la  condition 
heureuse  du  pécheur,  dont  cette  jeune  fille  fut  le 
symbole;  c'est-à-dire  qu'il  peut,  aussilôt  qu'il  s'est 
réconcilié  avec  Dieu  par  la  confession,  être  admis  à 
la  table  eucharistique,  pour  se  nourrir  de  la  chair 
adorable  de  Jésus-Christ.  Selon  un  autre  interprète, 
le  Sauveur,  dans  ce  passage,  nous  avertit  que  se 
nourrir  souvent  de  cet  aliment  divin  du  cœur  et  de 
la  parole  de  Dieu,  qui  est  la  nourriture  de  l'intelli 
gence,  c'est  un  signe  que  le  pécheur  est  réellemeut 
ressuscité  à  la  vie  spirituelle,  et  en  outre  que  c'est 
une  condition  nécessaire  pour  ne  plus  mourir  (3). 


(1)  Et  tenuit  inftnum  ojus,  et  surrexit  puella. 

(2)  Quia  anima  a  peccatis  resuscitata ,  non  solum  a  scelerom 
Eordibus  resurgere  débet,  sed  et  in  bonis  operibus  profîcere 
(Beda,  Corn,  in  Marc). 

(3)  Spiritualiter  omnis,  qui  resuscitatur  a  Deo  de  morte  aiiimae 


—  483  — 

Mais,  hélas!  combieu  peu  commelicuL  [c  crime 
seulement  dans  le  secret  de  leur  cœur,  ou  Ircs- 
raremeut,  ou  avec  répugnance,  avec  réserve,  avec 
remords,  se  disputant  à  eux-mêmes,  en  quelque 
sorte,  le  plaisir  du  péché  !  Chaque  pécheur,  au  com- 
mencement, il  est  vrai,  pèche  de  cette  manière  ;  à 
peine  le  péché  est-il  commis,  qu'on  en  rougit  aux 
yeux  d'autrui  et  aux  siens  propres;  car  le  péché 
secret  nous  semble  deviné  par  le  public,  et  ne  se 
produit  qu'avec  confusion,  embarras  ;  il  semble  que 
tous  les  regards  nous  suivent,  que  toutes  les  voix 
nous  nomment  et  que  chaque  visage  nous  condamne. 

Mais,  avec  le  temps,  ce  précieux  sentiment  s'affai' 
blit,  s'éteint  et  se  dissipe  ;  et  peu  à  peu,  par  la  répé- 
tition des  actes,  bientôt  le  péché  ne  paraît  plus  si 
dilTorme ,  on  éprouve  moins  de  répugnance  à  passer 
pour  coupable.  Et  puis  les  précautions,  pour  se  ca- 
cher, à  la  longue  fatiguent;  le  frein  de  la  pudeur 
devient  trop  incommode.  D'ailleurs,  il  n'est  pas  si 
facile  de  dissimuler  longtemps,  sous  le  voile  d'une 
candeur  étudiée,  un  cœur  corrompu.  Ce  voile  est, 
plus  qu'on  ne  le  croit,  transparent  et  subtil.  Souvent 
même  les  plus  simples  devinent  et  découvrent  ce 
qu'il  y  a  de  caché  dessous.  Le  pécheur  sent  parfai- 
tement tout  cela  ;  et  il  s'encourage  et  se  raffermit  en 
disant  :  On  le  sait.  Et  que  m'im);orte  à  moi  ce  qu'on 
dit,  pourvu  qu'on  ne  m'empêche  point  de  faire? 
Ainsi,  de  timide  qu'il  était,  il  devient  hardi;  de  hardi, 

ad  vitam,  manducare  débet,  id  est  vesci  de  varbû  Dei    4  de 
iorpore  Gbriiti  (Aym,,  Expos.). 


—  18^   -  - 
frondriir;  do  froiulciir,  iiniuulcnt  ;  d'inipndcni,  auda- 
cieux; d'audacieux,  vaiilurd  et  Iriompliaut  daus  son 
péché. 

C'est  alors  que  le  cadavre  du  fds  de  la  veuve  de 
Naïm,  sorti  de  la  ville,  porté  eu  rase  campagne,  que 
ce  cadavre  à  découvert,  est  la  figure,  dit  encore  le 
savant  Bédé,  de  ce  pécheur  endormi  du  funèbre 
sommeil  de  la  mort  des  vices,  aux  yeux  de  tous,  à 
la  vue  du  monde  (1).  11  est,  en  un  mot,  la  figure  du 
pécheur  public  et  parlant  scandaleux  dont  Isaïe  a  dit 
qu'il  ne  se  cache  plus,  qu'il  se  découvre  a  tous  et 
se  fiiit  gloire  de  ses  crimes  comme  à  Sodome  (2). 

Oui,  ils  ne  sont  que  trop  scandaleux,  en  effet,  ces 
pécheurs  publics.  Le  scandale,  comme  l'a  bien  dit 
TertuUien,  c'est  l'exemple  donné  aux  autres  de  mai 
faire  (3).  Or,  tout  péché  public  a  une  efficacité  fu- 
neste pour  diminuer  en  ceux  qui  le  connaissent  le 
déshonneur,  l'infamie,  l'horreur  qu'il  inspire,  pour 
détruire  peu  à  peu  la  pudeur  du  prochain;  c'est  un 
effort  diabolique  par  lequel  s'affaiblit  insensiblement 
la  modestie,  le  remords  salutaire  dans  les  esprits 
légers,  dans  les  cœurs  peu  fermes;  c'est  une  plaie 
qu'on  fait  aux  consciences  délicates.  Les  âmes  mêmes 
fortes  et  ferventes,  pour  lesquelles  l'observation  de 
la  loi  de  Dieu  est  une  seconde  nature,  la  vertu  un 

(1)  Multis  intuentilnis  clalus  signiûcat  peccalorom  funere  cri 
minum  soporatum,  et  animée  mortis  non  cordis  cuLili  tegentem  ; 
sed  per  locutionem  operisque  indicium  ad  multorum  notitiam, 
quasi  per  civitatis  ostia,  propalantem  (Beda). 

(2)  De  talilnis  propheta  dicit  {Isaic  m)  :  Peccalum  suum  quasi 
Sodoma  prœdicaverunt,  nec  abscoiidorunt. 

(3j  Scandalum  exeuiplum  rei  lualae. 


—  ^85  — 
besoin,  la  sainteté  un  délice,  la  grâce  une  félicité, 
en  voyant  des  clirétiens  pécher  avec  tant  d'assurance, 
de  calme,  en  sont  souvent  ébranlées,  comme  l'affir- 
mait David  de  lui-même:  elles  se  déconcertent,  s'al- 
tèrent, se  troublent,  se  scandalisent.  Elles  ont  be- 
soiQ  de  recourir  proraptement  à  Dieu,  afin  que  leur 
pied  ne  glisse  pas^  qu'elles  ne  chancellent  et  ne 
tombent  pas  (1). 

Toute  action  vertueuse  faite  ouvertement  est  une 
leçon,  un  encouragement  et  un  stimulant  à  la  vertu  ; 
de  même  tout  péché,  daus  les  mômes  conditions,  est 
un  encouragement,  un  stimulant  au  péché.  Toute 
action  vertueuse  bien  connue  est  une  grâce  exté- 
rieure, une  voix  de  Dieu  qui  attire  au  bien  ;  tout 
péché  public  est  une  tentation  extérieure,  une  voix 
diabolique  qui  entraîne  au  mal.  De  là  ou  comprend 
la  grâce  de  la  parole  édification,  en  un  mot  du  lan- 
gage chrétien.  Par  la  publication  des  actions  ver- 
tueuses, les  vrais  fidèles  se  soutiennent  réciproque- 
ment par  leurs  œuvres,  qui  se  lient,  se  multiplient, 
se  renforcent,  s'élèvent  et  forment  un  édifice  de 
vertu,  qui  est  comme  le  corps  de  Jésus- Christ,  in 
œdificationem  corporis  Christi.  Mais,  par  contre,  les 
mauvaises  actions  des  méchants  se  servent  mutuel- 
lement d'excuse,  d'appui,  de  défense,  et  par  consé- 
quent se  multiplient  et  forment  l'horrible  édifice  du 
délit,  qui  est  la  maison  du  démon,  œdificans  ad  délie- 
tum. 


(1)  Mei  autem  pêne  commoti  sunt  pedes...  pacem  peccatorum 
videns. 


—  480  - 
Les  pécheurs  publics  sont  donc  coupables  non 
seulement  des  péchés  qu'ils  commetlenl,  mais  encore 
de  ceux  qu'ils  font  commettre  par  leurs  mauvais 
exem;.les.  C'est  pourquoi  ils  doivent,  pour  rentrer 
dans  les  voies  du  salut  éternel  et  pour  ressusciter  à 
Dieu,  d'une  main  enlever  le  scandale  et  de  l'autre 
réprimer  leurs  propres  passions;  il  faut  qu'ils  répa- 
rent non-seulement  leurs  fautes,  mais  de  plus  celles 
doiit  ils  sont  cause.  De  là  une  plus  grande  difficulté 
pour  leur  conversion  et  pour  leur  salut.  C'est  ce  que 
notre  divin  Sauveur,  dit  saint  Augustin,  a  voulu  nous 
faire  comprendre  en  montrant  une  certaine  hésita- 
tion, un  certain  embarras  dans  la  résurrection  du 
fils  dvj  la  veuve  de  Kaim,  quoique  tout  soit  également 
facile  à  son  pouvoir  et  à  sa  puissance  (1).  Il  ne  se 
comporta  pas  ainsi  en  rappelant  à  la  vie  la  fdlc  de 
Jaïre.  îl  {...raît  profondément  touché  eu  vo}'anl  les 
pleurs  de  cette  mère  désolée  et  de  tout  le  peuple. 
11  s'approche  du  cercueil,  il  le  touche  d'une  manière 
mjstérieusc,  il  arrête  ceux  qui  le  portent,  puis  il 
fait  retentir  sa  voix  toute-puissante  aux  oreilles  du 
mort.  A  cette  voix,  le  jeune  homme  revient  à  la  vie, 
mais  il  ne  se  lève  point  ;  il  parle,  mais  il  reste  assis 
dans  son  cercueil.  Il  faut  encore  que  Jésus  le  prenne 
par  le  bras,  lui  aide  à  dctcjndre  et  soutienne  ses 
I^rcmiers  pas  dans  sa  vie  nouvelle;  ce  n'est  qu'alors 
qu'il  est  rendu  parfaitement  i:aiu  et  vigoureux  à  l'a- 
inuur  de  sa  mère. 

(1)  Dominus,  cui  facilia  erant  omnia,  qnamdam  ibi  difficulta- 
teai  Oàlendit  [Senn.  de  VevboDomini). 


487  — 
Autant  donc  est  heureuse  la  condition  du  chrétien 
qui  édifie,  autant  est  malheureux  le  sort  du  pécheur 
qui  scandalise.  L'apôtre  saint  Jacques  dit  de  celui 
qui,  par  la  force  de  son  exemple,  par  l'effet  de  ses 
paroles,  par  l'efficacité  et  l'activité  de  sou  zèle,  par- 
vient à  rappeler  un  seul  pécheur  de  la  voie  de  per- 
dition, qu'en  sauvant  l'âme  de  ses  frères  de  la  mort 
éternelle^  il  obtient  que  ses  propres  péchés  lai  soient 
pardonnes,  (1).  Il  semble  que  saint  Jacques,  dans  ce 
passage,  fait  allusion  à  cet  oracle  d'Isaïe  :  //  est  revêtu 
du  manteau  du  zèle  (2).  C'est  que  l'homme  de  zèle  qui 
édifie  et  convertit  le  prochain,  attire  sur  lui  le  man- 
teau de  la  divine  miséricorde  ;  et  il  s'en  revêt,  en 
fait  son  ornement,  cache  et  fait  disparaître  sous  ses 
plis  ses  péchés  propres  aux  yeux  de  Dieu,  et  en  ob- 
tient facilement  le  pardon  (3).  Ces  hommes  d'édifi- 
cation sont  les  hommes  dont  David  disait  :  Bienheu- 
reux ceux  dont  les  péchés  ont  été  couverts,  et  dout 
les  iniquités  ont  été  remises  (4)!  Mais  l'homme  de 
scandale,  pour  une  raison  opposée,  l'homme  qui,  par 
ses  conseils,  ses  discours  et  ses  exemples,  attire  les 


(1)  Qui  converti  fecerit  peccatorem  ab  errore  viae  suse,  saîva- 
bit  animam  ejus,  et  operiet  multiludinem  peccatorum  (  Vers. 
Syriac.)  suorum  {Juc.  v,  20).  —  C'est  aind  que  les  Pères  et  les 
docteurs  expliquent  communément  ce  passage,  à  commencer 
par  Origène. 

(2)  Opertus  quasi  pallio  zeli  (Isàie  55). 

(3)  Zelus  ejus  est  quasi  pallium,  que  velat  sua  peccata  coram 
oculis  Dei,  ut  in  iis  gratiam  inveniat  (A  Lap.,  Comm.  in  v  Jac). 

(4)  Beati  quorum  remisses  sunt  iniquitates,  et  quorum  tecta 
Bunt  peccata  [Psalm.  sxxi). 


—  4  88  — 
niitros  dans  les  voies  du  péché,  demeure  dans  un 
état  d'une  repoussante  nudité  devant  [)ic;i;  les  cri- 
mes qu'il  a  fait  commettre,  qui  se  mulliplieut  et  se 
perpétuent,  sont  toujours  vivants,  font  que  les  siens 
restent  toujours  à  découvert  et  lui  attirent  la  colère 
de  Dieu:  aiiisi,  au  lieu  d'être  revêtu  du  manteau  de 
la  miséricorde  divine,  il  s'entoure  de  l'horrible  \c- 
tcment  de  la  malédiction  du  ciel,  qui  l'ensevelira 
dans  le  temps  pour  l'éternité  (1).  La  justice  divine 
punit  l'homicide  par  la  mort  du  corps;  de  même 
elle  punit  le  scandaleux  par  la  mort  de  l'âme,  en 
sorte  que  l'homme  de  scandale  s'expose  à  se  voir 
condamné  à  la  perdition  éternelle. 

N'y  aura-t-il  donc  pas  de  pardou,  se  demande 
saint  Augustin,  pour  ces  pécheurs  qui,  en  quelque 
sorte,  ont  porté  en  triomphe  leurs  fautes  aux  yeux 
du  public  attristé?  Dieu  me  garde  de  le  prétendre, 
répo::'J.  ce  grand  docteur.  Car  Jésus-Christ,  en  disant 
au  jeune  homme  de  Naim:  Lève-toi,  nous  a  clairement 
indiqué  qu'ils  peuvent  aussi  ressusciter  à  la  grâce  et 
espérer  de  parvenir  au  salut  (2).  Oui,  ô  grands  cri- 
minels !  qui  avez  été  pour  le  prochain  une  pierre  de 
scandale,  ses  conseillers^  ses  maîtres  dans  l'art  de 
l'iniquité,  quoique  votre  culpabilité  soit  éuorme, 
votre  responsabilité  immense  et  votre  condition  ter- 
rible, néanmoins  vous  pouvez  encore  effacer  l'iior- 

(1)  Induet  maledictionem  sicut  vestimenti.im  [Psalm.  cviii). 

(2)  Numquid  isti  qui  tautum  processerunt,  ut  quod  liabebant 
in  secreto  appareat  iu  publico,  desperati  sunt?  Nouiie  illi  juveui 
dictum  est  :  tibi  dico,  surge  {Scnn,  De  Verbo  Dornini)  ï 


—  489  ~ 
rible  sentence  de  la  perte  de  \olre  âme  qui  en  a  perdu 
tant  d'autres;  il  est  encore  en  \otre  pouvoir  de  res- 
susciter à  la  vie  spirituelle!  Et  comment?  Avant  tout, 
faites  que  Totre  mère  pleure  pour  tous,  et  que  h 
peuple  l'imite;  c'est-à-dire,  faites  que  l'Eglise  et  leà 
âmes  ferventes  et  pieuses  implorent  la  miséricorde 
de  Dieu  pour  vous.  Oh  !  si  vous  saviez  avec  quelle  fa- 
cilité ces  âmes  que  vous  afGigez,  que  vous  contristez 
par  la  dissolution  de  votre  vie,  sont  exaucées  de 
Dieu,  quand  elles  prient  pour  votre  salut.  Comme  les 
larmes  de  sainte  Monique^  les  oraisons,  que  cette  il- 
lustre mère  faisait  offrir  par  les  plus  grands  servi- 
teurs de  Dieu  de  sou  temps,  contribuèrent,  plus  que 
les  discours  de  saint  Arabroise,  à  la  conversion  d'Au- 
gustin ;  de  même  souvent  les  conversions  de  tant 
de  pécheurs  qui,  de  temps  en  temps,  viennent  con- 
soler l'Eglise,  ne  sont  pas  tant  le  fruit  de  nos  pré- 
dications, que  l'œuvre  des  supplications  des  justes 
qui  se  présentent  à  Dieu  comme  victimes  des  péchés 
des  hommes.  Très-souvent  ce  sont  ces  prières  qui 
attirent  sur  nos  paroles  la  bénédiction  divine,  qui 
les  féconde  et  les  rend  efficaces.  Implorez  donc,  pé- 
cheurs, provoquez  pour  vous  le  secours  de  ces  inter- 
cessions plus  puissantes  daus  l'Eglise  qu'on  ne  le 
croit  ;  car  c'est  dans  la  comini.Jon  des  Saints  que  se 
trouve  sa  force  et  sa  fécondité  :  vous  en  éprouverez 
les  effets  admirables. 

Puis  rendez-vous  sur-le-champ,  rendez-vous  en- 
tièrement à  la  voix  du  Dieu  Sauveur  qui  vous  rap- 
pelle de  la  demeure  du  sépulcre  public  de  vos  seau- 


—  190  — 
(laies.  Recourez  au  ministre  du  pardon,  qui,  revôtu 
par  Jésus-Christ  de  sou  pouvoir  divin,  arrêtera  l'ira- 
pétuositc  des  mauvaises  passions  qui  vous  entraînent 
au  sépulcre  éternel,  étendra  sa  main  miraculeuse  sur 
le  cercueil  de  votre  conscience,  eu  chassera  le  corps 
du  péché,  le  corps  mort  qui  s'y  trouve  renfermé. 
Vous  ouvrirez  les  yeux  de  l'esprit  à  la  lumière,  et 
votre  cœur  commencera  à  palpiter  do  nouveau  du 
mouvement  vital  de  la  grâce.  Il  est  vrai  que  vous 
ne  pourrez  pas  marcher  tout  d'abord,  mais  peu  im- 
porte :  il  suffit  que  vous  puissiez  déjà  vous  asseoir, 
et  resedit,  ou,  en  d'autres  termes,  que  vous  cessiez 
de  mal  faire. 

Ecoutez  ensuite  ce  que  nous  dit  le  Vénérable 
Bède.  Comme  le  fds  de  la  veuve  de  INVim  commença 
à  parler  de  sa  vie  nouvelle  au  peuple  qui  l'environ- 
nait et  qui  avait  été  témoin  de  sa  mort,  de  même  il 
vous  reste  9.  faire  connaître  votre  conversion  à  ceux 
que  vous  avez  scandalisés,  à  ceux  qui  ont  été  les 
témoins  ou  les  complices  de  votre  péché  (1).  Toute- 
fois, si,  à  ne  considérer  que  la  corruption  humaiiie, 
la  faveur  des  passions  dans  le  monde,  les  sympa- 
thies infernales  que  le  crime  trouve  au  fond  du 
cœur  de  chaque  créature  déchue,  il  est  plus  facile 
de  scandaliser  que  d'édifier,  de  pervertir  que  de 
convertir,  d'entraîner  les  hommes  au  vice  que  de 
les  conduire  à  la  vertu  ;  néanmoins,  ne  désespérez 
pas.  Imitez  le  zèle  de  David  réparant  sou  péché  ;  ue 

(1)  Lncipit  loqui,  cum  reducis  vitae  iadicia  cunctis,  qui  eum 
peccantem  luxerunt,  ostendit. 


—  491  — 

rougissez  pas  de  votre  résurreciion  ;  ne  faites  pas 
atteutiou  au  sarcasme  dédaigneux  de  rimpie  ;  osez 
vous  élever  au-dessus  des  préjugés  funestes  du  res- 
pect humain;  parlez  souvent,  parlez  surtout  avec  un 
aèle  chrétien  des  obligatious,  de  la  sainteté  et  des 
récompenses  de  la  loi  de  Dieu,  en  présence  des 
incrédules  et  des  libertins  (I);  parlez- en  et  do 
bouche  et  par  vos  œuvres;  faites  voir,  et  c'est  pour 
vous  un  rigoureux  devoir,  que  le  monde  vous  dé- 
plaît; montrez-vous  assidus  aux  pratiques  de  reli- 
gion, pieux  et  fervents  dans  la  maison  de  Dieu,  ré- 
servés dans  les  regards,  purs  dans  le  langage,  humbles 
dans  les  grandeurs,  patients  dans  l'adversité,  modestes 
dans  les  manières,  chastes  toujours  ;  alors ,  mais 
seulement  alors  vous  n'avez  rien  à  craindre.  Peut- 
être  aurez -vous  la  consolation  qu'on  profitera  de 
vos  bons  exemples  plus  encore  qu'on  a  abusé  de 
vos  scandales ,  et  impii  ad  te  couver tentur ;  peut-êtrej 
pourrez-vous  rendre  à  Dieu  plus  encore  que  vous  ne' 
lui  avez  ravi.  11  vous  sera  possible  de  régler  vos 
comptes  avec  la  justice  divine,  vous  rendre  propice 
la  miséricorde  du  Seigneur.  Enfin  vous  serez  ren- 
dus, pleins  de  santé  et  de  vie,  comme  des  fils  de 
consolation  et  de  gloire,  à  l'Eglise  qui  vous  pleurait 
comme  morts^  comme  des  fils  de  scandale,  d'igno- 
minie et  de  douleur,  et  dédit  illum  matri  suœ. 

Mais  si  les  pécheurs  sont  les  plus  malheureux  des 
hommes,  les  habitudinaires  sont,  entre  tous,  les  plus 
à  plaindre,  et  partant  leur  condition  est  très-bien 

(1)  Docebo  iûiquos  vias  tuas,  et  impii  ad  te  convertentur. 


—  Î92  — 
figurée  par  la  mort  de  Luziire.  Eu  effet,  l'Evangile 
dit  qu'il  y  avait  déjà  quatre  jours  que  celui-ci  était  . 
dans  le  sépulcre  et  qu'il  commençait  déjà  à  se  cor- 
rompre, jam  fœletf  qualrhluamis  est  cnim.  Or,  telf 
sont,  selon  saint  Augustin,  ces  pécheurs  ensevelit 
depuis  tant  d'années  dans  l'abimc  de  leurs  vices  ei, 
devenus,  par  leur  réputation  détestable,  des  égonts 
de  l'enfer;  tandis  que  les  bons  chrétiens  sont,  selon 
saint  Paul,  l'odeur  agréable  et  déhcieuse  de  Jésus- 
Christ  (1).  L'Evangile  nous  dit  aussi  que  le  cadavre 
de  Lazare  était  renfermé  dans  une  grotte,  dont  une 
grande  pierre  fermait  l'entrée  (2).  Or,  le  pécheur 
dont  il  s'agit,  dit  saint  Augustin,  gît  comme  renfermé 
dans  l'horrible  et  obscure  caverne  de  sa  conscience, 
où  ne  pénètre  que  difficilement  un  faible  rayon  de 
la  lumière  divine,  à  travers  la  pierre  énorme  de  la 
mauvaise  habitude;  d'où  il  résulte  que  l'âme,  se 
trouvant  comme  écrasée  et  opprimée,  ne  peut  plus 
ni  respirer  ni  ressusciter  (3). 

Hélas!  sur  le  chemin  du  désordre,  le  premier  pas 
n'est  point,  d'ordinaire,  le  dernier.  Il  y  a  bien  peu  de 
coupables  qui,  une  fois  le  pied  mis  dans  cette  voie, 
retournent   subitement  en  arrière.  Le  plus  grand  ;■ 
nombre  la  parcourent  jusqu'à  son  terme  funeste.  Si  f 

i 

(1)  Qui  peccare   consuevit,  sepultus  est,  et  bene  de  illo  dici<     . 
tur  :  fœtet  ;  iucipit  enim  habere  pessimam  famem  tanquam  odo 
rem  teterrimum  [Tract,  in  Joan.). 

(2)  Erat  enim  spelunca  et  lapis  superpositus  erat  ei. 

(3)  Moles  sepulcro  imposila  est  ipsa  vis  diree  consuetudinis 
qua  premitur  anima;  nec  resurgere,  nec  respirare  permittitur. 
{^Semm.  44  de  Verbo  J)omini), 


■-  403  — 
chaque  acte  de  vertu  dcYicnt  une  disposition,  un 
moyen  d'en  faire  de  nouveaux,  chaque  œuvre  mau- 
vaise devient  un  moyen  et  une  disposition  d'en  ac- 
complir d'autres.  La  grâce  produit  la  grâce,  et  le 
péché  engendre  toujours  le  péché.  Comme  la  grâce 
sanctifiante  dans  l'âme  est,  selon  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ,  une  source  vivante  de  grâces  nouvelles  (I), 
ainsi  le  péché  creuse  dans  l'âme  comme  une  source 
de  nouveaux  péchés.  Les  justes,  en  montant  de  ver- 
/  tus  en  vertus,  parviennent  à  une  telle  hauteur  sur 
le  chemin  des  cieux,  qu'il  ne  leur  est  plus  possible, 
je  le  dirais  volontiers,  de  retomber;  et  les  pécheurs, 
en  descendant  de  crimes  en  crimes,  tombent  à  une 
telle  profondeur  sur  le  chemin  de  l'enfer,  qu'il  ne 
leur  est  guère  possible  d'en  remonter.  Malheur  doue, 
s'écrie  saint  Bernard,  malheur  à  celui  qui  se  fami- 
liarise avec  le  péché!  ce  qui  lui  faisait  d'abord  hor- 
reur devient,  avec  le  temps,  un  usage,  une  habitude 
indifférente,  une  seconde  nature;  funeste  nature, 
qui  change  le  péché  en  nécessité,  qui  fait  que  comme 
les  âmes  vertueuses  ne  peuvent  vivre  sans  faire  le 
bien,  de  même  le  pécheur  ne  peut  vivre  sans  pécher. 
De  cette  horrible  nécessité  naît  une  sorte  d'impossi- 
bilité morale  de  s'amender,  qui  dégénère  en  déses- 
poir du  salut,  et,  par  ce  désespoir  du  salut,  se  con- 
somme le  terrible  mystère  de  la  damnation  éler- 
nelle  (2). 

(l)  Fiet  in  eo  fons  aquae  salicntis  (Vid.  homil.  23). 

i.%)  Habitus  crebro  peccandi  cousuetudinem  parit  ;  consueludo 
quasi  ageiidi  necessitalem,  uecessitas  impossibilitatein,  impossi- 
bilitas  desperationem,  desperatio  damnatiouem  (S.  Bern,). 


—  404  — 

IN'e  soyons  donc  l'ius  élouucs,  mes  frères,  si  Jé- 
sus-Christ, se  i)réparaiit  à  ressusciter  Lazare,  s'est 
troublé,  s'il  a  frémi,  pleuré,  prié,  jeté  un  grand  cri. 
Par  toutes  ces  démonstrations  de  tri.slesse,  ce  doux 
Sauveur  a  voulu,  dit  toujours  saint  Augustin,  nous 
faire  connaître  d'une  manière!  sensible  combien  est 
déplorable  Télat  des  pécheurs  endurcis  dans  leurs 
vices,  et  combien  il  leur  est  difficile  de  ressusciter 
à  la  vie  de  la  grâce  (I)! 

Voyez,  en  effet,  ces  misérables  pécheurs.  Quand 
ils  apprennent  la  triste  fin  d'un  impie,  qu'ils  écou- 
tent un  sermon,  qu'ils  lisent  un  livre  de  maximes 
chrétiennes;  quand  ils  se  voient  menacés  ou  atteints 
des  fléaux  de  Dieu,  ou  quand  approche  une  de  nos 
solennités,  ils  sentent  naître  dans  leur  cœur  quelque 
désir  de  conversion.  Mais  aussitôt  ils  se  sentent  ar- 
rêtés par  l'idée  du  chemin  qu'ils  ont  à  parcourir  de 
nouveau,  du  grand  nombre  de  péchés  qu'ils  ont  à 
expier,  des  grands  scandales  qu'il  faut  réparer,  des 
habitudes  qu'on  devra  corriger,  des  devoirs  à  rem- 
plir et  des  œuvres  à  exercer  dans  l'avenir  ;  alors  ils 
se  découragent,  ils  s'abattent_,  et  le  dernier  mot  de 
leurs  velléités  de  conversion,  c'est  ce  cri  de  déses- 
poir :  Je  ne  peux. 

Qu'elle  est  donc  funeste,  mes  frères,  l'erreur  de 
ces  chrélicns  qui  se  disent  :  aiitar.t  vant  aller  à  con- 
fesse avec  cent  péchés,  qu'avec  un  seul  ;  autant  vaut 

(1)  Fromuit  spirilu,  turbavit  seipsum,  lacrymatus  est,  voce 
magua  clamavit  :  Quia  difficile  surijit  quem  moles  pravœ  consuc- 
iudinis  premit  S    (Aug.,  Iracf.  49). 


—  495  — 
se  convertir  après  dix  ans  de  mauyaise  vie,  qu'après 
une  seule  année.  Non,  non,  il  n'en  est  pas  ainsi  :  il 
n'est  pas  aussi  facile  de  guérir  d'une  njaladie.  de  plu- 
sieurs mois  que  d'une  indisposition  d'un  jour.  Plus 
l'on  vit  dans  le  péché,  plus  la  volonté  devient  faible, 
plus  les  secours  divins  se  font  rares,  plus  les  grâces 
extérieures  perdent  de  leur  efficacité,  plus  les  pas- 
sions acquièrent  de  forces;  plus  Dieu  s'éloigne,  plus 
l'esprit  s'aveugle,  plus  le  sentiment  religieux  s'affai- 
blit, plus  le  cœur  s'endurcit,  plus  l'homme  spirituel, 
l'homme  chrétien  est  suffoqué  par  l'homme  charnel. 
Devenu  insensible  à  son  malheur  présent  et  à  la 
damnation  qui  l'attend,  le  pécheur  court  froidement 
à  leur  rencontre  comme  un  coupable  va  au  supplice 
qu'il  n'est  plus  en  son  pouvoir  d'éviter  (1). 

Plût  à  Dieu  que  ces  infortunés  fussent  moins 
nombreux!  Hélas!  qu'il  s'en  rencontre,  même  dans 
le  sein  du  christianisme!  que  de  malheureux,  au 
front  joyeux,  mais  au  cœur  endurci  par  un  déses- 
poir froid,  tranquille,  indifférent,  qui  ne  se  soucient 
de  rien,  qui  méprisent  tout^  et  qui  sont  par  consé- 
quent la  personnification  du  désespoir  le  plus  incu- 
rable (2)  !  0  infortunés  !  Au  dehors,  les  plaisirs,  les 
richesses,  les  honneurs,  le  faste  les  entourent;  et, 

(1)  Impossibilitas  desperationem  parit,  desperatio  damnatio 
nem.  —  Il  me  souvient  d'avoir  vu  l'un  de  ces  pauvres  pécheurs, 
qui  mâchait  sans  cesse  de  l'opium  pour  se  procurer  une  mort 
imprévue,  qu'il  appelait  une  belle  mort  pour  un  homme,  disait- 
il,  qui  doit  aller  en  enfer.  Hélas!  ce  malheureux  n'a  été  que 
tropea.tiucéî 

(2)  Cum  iu  profimdam  vcncrit,  contemnit. 


—  496  — 
ftu  fond  de  râmc,  ce  sont  des  Lazarcs  félidés,  d'im- 
niondos  cadavres  ensevelis  dans  leurs  vices;  ce  sont, 
comme  les  appelle  Jésus-Christ,  des  sépulcres  blan- 
chis, parés  à  l'extérieur,  mais  remplis  intérieurement 
(le  vils  ossements,  de  chair  en  pourriture,  répandant 
l'odeur  infernale  que   repoussent  avec  horreur  la 
terre  et  le  ciel  (1).  Me  sera-t-il  permis,  mes  frères, 
do  dire,  avec  saint  Augustin,  que  peut-être,  dans  cet 
auditoire,  j'ai  devant  moi  de  ces  Lazarcs  corrompus, 
qui,  depuis  de  longues  années,  gisent  sous  la  pierre 
si  pesante  de  la  mauvaise  habitude  (2)?  Pauvre  pé- 
cheur, mon  frère!  quelque  triste  que  soiL  voire  mi- 
sère, vous  ne  devez  pas  désespérer,  nec  ipse  despcret. 
Par  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  en  figure,  il  a  prouvé 
ce  qu'il  peut  et  veut  opérer  en  réalité  sur  vous.  Celui 
qui  a  redonné  la  vie  du  corps,  peut  et  veut  vous  re- 
donner la  vie  spirituelle.  Ce  que  la  nature  ne  peut 
opérer,  la  grâce  le  fera  ;  ce  qui  est  impossible  à 
l'homme  est  possible  à  Jésus-  Christ.  Oui,  l'aimable 
Sauveur  veut  et  peut,  par  ses  grâces  intérieures, 
vous  délivrer  de  l'horrible  poids  que  vous  vous  êtes 
volontairement  imposé,  mais  que  vous  n'avez  plus  la 
force  de  repousser  ;  il  veut  et  peut  le  faire,  et  il  le  fera 
moyennant  une  prompte  et  sincère  pénitence  de  votre 
part.  L'histoire  de  la  résurrection  de  Lazare  vous 
servira  encore  en  ceci  de  guide  et  de  leçon. 

(1)  Sepulcra  dealbata  plena  ossibus  mortuorum  {Mat th.). 
2)  Sod  forto  jam  illi  alloquor,   qui  jam  duro   consuetudinis 
lapide   premitur;  qui  jam  quatriduanus  fœtet.  —  Is'ovit  Gliristus 
clamando,  tcrrona  ouera  abrumpere,  inlriusecus  vivificare.  Agaut 
et  taies  fcenit'^iUiam  (S.  Aug.,  serm.  de  Verbo  Dontini). 


—  497  — 

SECOWDE  PARTIE. 

Le  Fils  de  Dieu,  voulant  opérer  le  miracle  de  la 
résurrection  de  Lazare,  commença,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  par  dire  :  «  Je  suis  la  résurrection  et  la  vie  ; 
celui  qui  croit  en  moi,  quoique  mort,  vit.  »  Puis, 
se  tournant  vers  Marllie,  il  ajouta  :  «  Le  croyez- 
vous?  Crcdinhoc?  »  Quel  est  le  sens  de  ces  paroles? 
C'est  que  la  première  condition  pour  que  le  pécheur, 
pourri  de  vices,  puisse  ressusciter  à  la  grâce,  c'est 
qu'il  ranime  sa  foi  languissante ,  presque  éteinte , 
et  qu'il  croie  que  Jésus-Christ  pourra  et  voudra  le 
ressusciter.  Ayez  donc  foi  au  Sauveur,  ô  pécheurs! 
Ayez  foi  eu  sa  parole,  dans  l'assistance  de  sa  grâce, 
dans  la  grandeur  de  son  amour.  Lazare,  quoique  mort, 
est  encore  aimé  de  Jésus,  ecce  quomodo  amabaf  emn. 
De  même,  dit  saint  Augustin,  vous  aussi,  ô  pécheurs! 
vous  êtes  encore  l'objet  de  la  miséricorde  et  de  la 
compassion  du  Dieu  rédempteur.  Ah!  s'il  n'avait  pas 
aimé  les  pécheurs,  il  ne  serait  pas  descendu  du  ciel 
sur  la  terre  pour  les  sauver  (1). 

Déjà,  dans  la  famille  de  Lazare,  le  divin  Maître 
avait,  en  réalité,  opéré  le  même  prodige,  eu  rendant  à 
la  vie  sainte  une  âme  perdue,  depuis  longtemps,  dans 
le  désordre,  accablée  sous  le  poids  des  mauvaises 
passions:  Marie-Madeleine,  qu'il  convertit  à  la  grâce  ; 


(1)  Lazarus  luortiuià  erat,  et  tâin(?n  Lazarum  Clirisins  amnhaf, 
si  enim  peccalovos  non  ainnret,  do  cclo  ad  terrain  nou  doiccii- 
deret  (S.  Aug.,  Tracl.]. 


—  498  — 
prodij^'e  plus  j^^ruiid,  cii  Ncnié,  que  la  résurrection  de 
sou  frère.  Or,  la  divine  bonté  renouvelle  chaque  jour 
ce  miracle,  sinon  jiour  tous  les  pécheurs,  du  moins 
pour  plusieurs .  afin  que ,  d'une  part ,  personne  ne 
présume,  et  que,  de  l'autre,  nul  ne  désespère.  Il 
y  a  plus  :  nous  voyons  quelquefois  certains  habitu- 
dinaires  du  vice,  non-seulement  se  convertir,  mais, 
comme  Marie-Madeleine  et  le  publicain  de  l'Evangile, 
commencer  une  vie  autrement  exemplaire  que  celle 
de  ces  pharisiens,  leurs  censeurs,  qui  se  parent  d'une 
probité  apparente  et  mensongère  ((). 

En  second  lieu,  le  l'ils  de  Dieu  frémi l  en  rendant 
la  vie  au  corps  de  Lazare.  Ainsi  vous,  pécheurs  en- 
durcis, vous  devez  frémir  contre  vous-mêmes,  si 
vous  voulez  vous  disposer  à  revivre  de  la  vie  de 
l'àme.  De  plus,  Jésus  se  troubla,  c'est-à-dire  que  vous 
devez  encore  vous  troubler,  vous  confondre,  vous 
affliger,  en  voyant  l'état  de  misère  incomparable  et 
de  profonde  corruption  où  vous  êtes  tombés;  à 
ce  trouble,  à  ce  frémissement  vous  devez  de  plus 
ajouter  la  désolation  du  cœur,  afin  que  la  pierre  si 
dure  de  la  mauvaise  habitude  s'amollisse  et  se  brise 
par  l'eflScacité  des  larmes  du  repentir.  Et  de  même 
que  l'on  dit  au  Sauveur  :  Seigneur,  venez  et  voyez 
où  est  Lazare  :  Domine,  veni  et  vide,  vous  devez  lui 

(1)  Hœc  ip?a  soror  Lazari,  Maria,  melius  suscitata  est  quam 
frater  ejus  ;  de  magua  mole  consuetudinis  liberata  est.  —  Vide- 
miis  multos,  novimus  multos;  nenio  praesumat,  nemo  desperet. 
—  Videmus  quotidie  liouiines,  pessima  consuetudine  perrautata, 
^lelius  vivere,  quara  ii  vivrint  qui  eos  deprebendunt  (S.  Aug., 
Tract.]. 


—  499  — 
répéter,  en  vous  humiliant  à  ses  pieds,  la  même  siij)- 
plique,  le  conjurer  de  venir  s'attendrir  sur  vous  et 
d'avoir  pitié  de  vous;  car  c'est,  dit  saint  Augustin, 
ce  que  veut  dire  cette  parole  voir,  en  parlant  du 
Sauveur.  Dites-lui  donc  avec  le  Prophète  :  Seigneur, 
voyez  l'état  d'avilissement,  de  dégradation  où  je  suis 
tombé  ;  voyez  ma  confusion  et  ma  douleur,  et 
daignez  me  pardonner  toutes  mes  iniquités  (l)î 

Mais  Lazare,  malgré  tous  ces  préparatifs,  ne  res« 
suscitera  point,  si  l'on  n'enlève  du  sépulcre  la  pierre 
qui  le  couvre.  C'est-à-dire  que  vos  larmes,  vos  prières 
ne  servent  à  rien  pour  votre  spirituelle  résurrection, 
si  vous  n'enlevez  les  pierres  funestes  de  l'occasion  du 
péché.  Tollite  lapidem,  «  enlevez  cette  pierre,  »  vous 
dit  à  vous  aussi  Jésus-Christ;  brisez  avec  cet  ami, 
chassez  cette  compagne,  renoncez  à  cette  pratique, 
brûlez  ces  livres,  fuyez  ces  maisons,  effacez  ces  sou- 
venirs; en  un  mot,  renoncez  avec  courage  aux  oc- 
casions de  scandale,  de  chute,  qui  ont  déjà  été  si 
funestes  à  votre  faiblesse,  où  si  souvent  votre  pu- 
deur, vos  bons  propos,  votre  piété  et  peut-être  votre 
foi  ont  fait  un  si  triste  naufrage  :  Tollite  lapidem. 

Ensuite  il  faut  encore  obéir  à  la  voix  divine  qui 
vous  invite,  vous  ordonne,  ô  Lazares  malheureux! 
de  sortir  du  sépulcre  :  Clamavit  voce  magna  :  Lazare, 

(1)  Fremas  in  te,  si  disponis  revivere.  —  Turbavit  seipsum,  uf 
significet  quomodo  tiirbari  debeas,  cum  tanta  peccati  mole  gra- 
veris.  —  Ut  violentiiB  pœnitentis  cedat  coasueludo  peccandi.  — 
Veni  et  vide.  Videt  Dominus  quando  miaerclurj  unde  dicittir  : 
Vide»  Doninei  hymiUtitcm  maami  et  dcîorsm  $a*ymî  «**  rf«»iiiî« 
•«naift  M*in»*«  »ft|  'JtAuin  h'^th  41)» 


—  500  — 
vcm'  foraa.  Ahî  mes  frères,  quoique  le  monde  en  dise  , 
quoi  qu'en  pensent  les  hommes  qui  Iransigent  si  faci- 
lement avec  l'esprit  du  siècle,  il  est  certain  que  la 
société  profane,  que  l'on  appelle  le  beau  monde,  les 
théâtres,  tous  ces  lieux  où  tant  de  chrétiens,  à  la 
honte  du  christianisme,  dissipent  en  de  vains  amu- 
sements et  en  spectacles  corrupteurs  la  meilleure 
portion  de  leur  vie,  le  temps  précieux  que  la  divine 
honte  nous  accorde  pour  nous  procurer  la  béatitude 
élcrnelle  ;  il  est  cependant  certain  que  ces  réunions 
scandaleuses,  funestes  restes  d'un  matérialisme  dé- 
truit par  le  christianisme  et  rétabli  ])ar  l'hérésie, 
l'incrédulité,  l'iiidiffércncc  religieuse  des  derniers 
siècles  au  nom  et  sous  la  tntèle  de  Satan,  ne  sont-  aux 
yeux  de  la  foi,  que  les  sépulcres  des  âmes  où  l'esprit 
fasciné  se  pervertit,  sans  qu'il  s'en  aperçoive,  en 
oubliant  peu  à  peu  les  idées  et  les  maximes  chré- 
tiennes; où  le  cœur  s'amollit  insensiblement,  s'é- 
nerve, se  déprave;  ou  ce  qu'on  préteîid  foire  passer 
pour  nn  anuiscment  innocent,  finit  toujours  par  le 
culte  de  la  chair  et  par  l'idolâtrie  du  plaisir;  où,  sous 
les  insidieuses  apparences  de  la  gentillesse  et  du  bon 
ton,  tout  est  corruption  et  mort.  Or,  il  faut  que  de 
ces  sépulcres  où,  non-seulement,  pauvres  Lazares, 
vous  venez  en  mourant,  mais  où  vous  mourez  en  vi- 
vant, où  vous  croupissez  depuis  un  si  i^rand  nombre 
d'années  ;  il  faut,  dis-jc,  que  de  ces  sépulcres  vous 
fassiez  divorce  avec  le  monde  corriipteur  et  cor- 
rompu, si  vous  voulez  revivre  à  la  grâce  :  La.^are, 
veni  foras. 


—  501   — 

Et  cela  ne  suflBt  pas  encore  :  sortis  des  sépulcres 
du  monde,  vous  devez  de  plus,  comme  l'explique 
saint  Grégoire,  par  une  confession  sincère  de  toutes 
vos  fautes,  sortir  hors  de  vous-mêmes,  hors  de  l'hor- 
rible tombe  de  votre  cœur,  où  ces  fautes  vous  re- 
tiennent à  présent  renfermés  et  ensevelis  (1). 

Remarquez  que  Jésus-Christ  fit  sortir  Lazare  vi- 
vant de  son  sépulcre,  mais  non  délié  et  libre  ;  ses 
mains  et  ses  pieds  restèrent  avec  leurs  bandelettes 
funèbres  ,  et  sa  face  couverte  du  suaire  (2)  ;  ce  fu- 
rent les  disciples  qui,  par  l'ordre  du  Sauveur,  débar- 
rassèrent le  ressuscité  :  Solvite  eiim,  et  sinite  abire.  Par 
la,  disent  les  Pères,  il  a  confirmé  d'une  manière  sen- 
sible une  grande  et  importante  vérité  révélée  d'ail- 
leurs par  lui-même.  Si  sa  voix  ressuscita  Lazare,  sa 
grâce  vivifie  intérieurement,  cependant,  par  son  ins- 
titution, puisque  c'est  à  ses  prêtres  qu'il  appartient 
de  délier  les  pécheurs  par  l'absolution  sacramentelle 
et  de  les  faire  marcher  libres  dans  les  voies  du  salut  ; 
f  ar  c'est  à  eux  qu'il  a  dit,  dans  la  personne  des  apô- 
tres :  Tout  ce  que  vous  délierez  sur  la  terre,  sera 
encore  délié  dans  le  ciel  (3). 


(1)  ut  qui  intra  conscientiam  suam  absconditus  jacet  per  ne- 
qiiitiam,  a  semetipso  exeat  per  confessionem  (S.  Greg.,  loc.  cit.). 

(2)  Ets  tatitn  prodiit,  qui  fuerat  mortuus,  ligatus  et  pedes  ins- 
titus,  et  faciès  illius  sudario  erat  ligata.  —  Solvite  eum,  et  sinite 
abire.  —  Les  Juifs  avaient  l'habitude  de  lier  étroitement  les  ca- 
davres avec  des  bandelettes  pliées  en  trois  doubles,  imbibés  d'a- 
romates, et  d'envelopper  la  tête  d'un  linceul. 

(3)  Revixerunt  quibus  displicet  quodfecerit;  sed  ambulare  noa 
possxmt  :  haec  sunt  vincula  ipsius  reatus  ;  opus  est  ergo,  ut  qui 


—  502  — 

Mais  si  ce  ministère  sacerdotal  est  nécessaire  à 
tous  les  pécheurs,  dont  Lazare  encore  est  la  figure 
dans  ses  liens  funèbres,  parce  qu'ils  sont  coupables, 
même  après  la  confession,  tant  qu'ils  n'ont  pas  reçu 
l'absolution  (1)  ;  ce  ministère  divin  est  encore  bien 
plus  nécessaire  à  vous,  pécheurs,  qui  voulez  ressus- 
citer parfaitement  à  la  vie  spirituelle,  en  sortant  de 
l'habitude  du  péché.  Ah  !  je  ne  vous  dissimule  pas 
que,  même  après  la  première  confession,  vous  por- 
terez encore  quelque  temps  le  suaire  des  préjugés 
qui  obscurcissent  voire  esprit  et  les  liens  des  mau- 
vaises habitudes,  qui  tiennent  enchaîné  votre  cœur, 
CCS  lugubres  enseignes  de  votre  mort  et  de  votre 
sépulture  spirituelle.  Ne  craignez  cependant  point, 
ne  perdez  pas  courage  ;  fréquentez  souvent,  à  courts 
intervalles,  le  sacrement  du  pardon.  J'ai  appris,  par 
expérience ,  qu'il  n'y  a  pas  d'habitude  si  ancienne 
qui  se  soutienne,  pas  d'inclination  si  violente  qui 
dure,  aucun  lien  si  fort  qui  tienne  contre  cette  fi- 
délité chrétienne.  Elle  déracine  tous  les  préjugés, 
si  enracinés  soient-ils  ;  avec  ce  remède  tout-puissant, 
parce  qu'il  est  divin,  les  chutes  deviendront  toujours 
plus  rares,  les  passions  toujours  plus  faibles,  le 
cœur  toujours  plus  libre,  les  inclinations  toujours 
plus  pures,  l'esprit  toujours  plus  droit,  les  œuvres 

revixit,  solvatur.  Hoc  offîcium  discipulis  dédit,  quibus  ait  : 
Ouodcunque  solveritio  super  terram,  erit  solulum  et  in  cœlis 
(S.  Aug.,  loc.  cit.).  Gliristus  suscitât,  quia  interius  per  seipsum  vivi- 
flcat.  Solvunt  discipuli,  quia  por  ruinisteriiun  Bacerdotum  absol- 
vuntur  vivificati  (Alcuin.,  Cat.). 
(1)  Mortuus  adhuc  ligalus,  est  confltens  adhuc  rena  (Ayin.)« 


—  503  ~ 
spirituelles  toujours  plus  faciles,  et  la  volonté  tou- 
jours plus  forte  ;  c'est  au  point  que,  vous  confrontant 
avec  vous-mêmes,  en  examinant  ce  que  vous  serez  et 
ce  que  vous  avez  été,  vous  vous  étonnerez  de  vous 
voir  changés  en  d'autres  hommes,  entièrement  dé- 
barrassés de  liens  qui  vous  paraissaient  insolubles 
et  éternels.  Ce  remède  vous  coûtera  quelque  peu  ; 
mais  qu'y  a-t-il,  dit  saint  Augustin,  qui  puisse  sem- 
bler pénible ,  quand  il  s'agit  de  la  vie  éternelle , 
quand  on  brave  intrépidement  le  fer  et  le  feu,  pour 
prolonger  la  vie  du  corps  qui  doit  tôt  ou  tard  fi- 
nir (1)  ?  Tout  dépend  d'une  résolution  ferme  et  sin- 
cère ;  tout  consiste  à  dire  une  bonne  fois:  Je  veux. 
Il  suflSt,  dans  les  choses  divines,  de  vouloir,  de  vou- 
loir efiBcacement,  de  vouloir  sur-le-champ,  pour 
réussir. 

Voilà  donc  écoulée  cette  heure  précieuse  pendant 
laquelle  le  Fils  de  Dieu  vous  a,  par  mon  organe,  ap- 
pelés à  une  vie  nouvelle.  Oh  !  soyez  dociles  à  cette 
voix  du  commandement  et  à  la  fois  de  l'amour. 

Répondez  de  suite  :  Oui,  je  veux  sortir  du  péché  ; 
je  veux  véritablement  me  convertir,  je  veux  me 
sauver  :  Venit  hora  et  nunc  est,  quando  mortui  audient 
vocem  Fila  Dei.  Soyez  très-assurés  que  la  privation 
des  plaisirs  charnels  sera  compensée  au  centuple  par 
la  douce  paix  du  cœur,  par  les  délices  immaculées  de 
la  vertu.  Soyez  très-certains  que  Dieu  remplira  le 
vide  que  le  monde  aura  laissé  en  vous  ;  que  les  mor- 

(l)  Laborat  ne  moriatur  homo  naoriturus,  et  non  laborat,  ne 
paccet  hoœo  in  eternum  vlcturus  (S.  Aug.,  strm,  de  Verbo  Dwninii 


—  604  — 
tifications,  les  sacrifices  passagers  du  temps  auront 
uue  immense  récompense  dans  l'éternité,  parce  que, 
en  ressuscitant  maintenant  à  la  gn\ce,  vous  ressus- 
citerez à  la  gloire  et  à  l'immortalité  bienheureuse 
que  je  vous  souhaite,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et 
du  Saint-Esprit.  Ainsi  soit-il  1 


JTOi    DU   TOMK   DRUXIEMIK. 


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îyp.  ©'  Uth,  A.    CLftVEL,  3Ï,  raù  Ps radis-Poissonnière,  Farw. 


TABLE  DES  MATIERES 


Quinzième  homélie.  —  L'Hydropique 1 

Seizième  HOMÉLIE.  —  Saint  Joseph,  époux  de  Marie    ...  29 

Dix-septième  homéue. —  L'Annonciation  de  la  sainte  Vierge.  63 

Dix-huitième  HOMÉLIE. —  La  Femme  adultère 108 

Dix-neuvième  homélie.  —  La  Barque  de  Pierre,  ou  l'unité, 

la  sainteté,  l'infaillibilité  de  l'Église 129 

Vingtième  homélie.  —  La  Pêche  miraculeuse,  ou  la  catholi- 
cité et  l'apostolicité  de  l'Église 176 

Vingt  et  unième  homélie.  —  La  Tempête  apaisée,  ou  la  sta- 
bilité et  la  perpétuité  de  l'Église 224 

Vingt- deuxième  homélie. — La  Multiplication  des  pains  ou 

le  ministère  de  l'Église 217 

Vingt-troisième  homélie.  —  La  Samaritaine  ou  le  mystère 

de  la  grâce 324 

Vingt-quatrième  homélie.  —  L'Hémoroïsse 364 

Vingt-cinquième  homélie.  —  La  Fille  de  Jaïre 396 

Vingt-sixième  homélie. —La  Veuve  de  Naïm 414 

Vingt-septième  homélie.  —  La  Résurrection  de  Lazare.    •  438 

Vingt-huitième  homélie.  —  Les  trois  Morts  ressuscites.    .  473 


fIN  DE  LA   TABLE. 


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