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COLLECTION
C AI PL ETE
DE»
. (S UVRES
T DM E V.
Gomamnttes Ma/hears de Pinconp^ke;
Fhricoun , hijloirtfi^mçotfe , &c.
ANEUCHATELi
De rimprimerîe de la Société TypograpîiïqHe.
M. DCC. LXXVL
D,nn.f.ril>,GOOgle
by Google
• K l ' ... '^^•"•, , ' . ^^
AVANT-PROPOS.
J^tf écrivant Us lettres Jx madame de Senanges ,
j'ai voulu prouver que tamour & le devoir ne
fûrupas toujours incorripatibles. Le but de celles-
« eji léut-k-fait oppofé , fr peut-être ' nejî - il pas
moins intérejfant, Lesfoiblejfes £un cœur honnSte
attirent des malheurs , choquent des préjugés , mais
ne dètruifeni point la venu. Tejpere que cette vérité
qu'on peut attaquer , qu'on peut encore mieux dL
fendre , paraîtra Jenjîble apris la leSure de cet ou~
vrage. La femme qui cède eji Jouvent plus couru-
geufe que celle qui réfjle ; elle s'inimoU , fi con-
damne aux crairues , aux alarmes , cache des pleUrs,
dévore des foupçons , rlfqut tout ^ & lU jouit que
du bonheur defon amant.
Je n'entrerai dans aucun détail ; le public jugera
te motif & l'exécution.
faijuivi les principes que je me fuis faits fur
ce- genre d^ écrire. J'ai tracé des caractères , je leur ai
donné des payons ,j'ai eu des fouvenirs , & J'ai
pris la plume. Nul échafaudage dans les éyénémens ,
r^il épijode qui interrompu taSion principale. La
morale , autant que je Caipu , eji fondue dans Ciri'
roMf r. A
^ri>,Gaoglc .
3 AV A H T-P K -P S.
térét. Cefi ajnji ^'elUperfuaJt; étaUe ayecfajltg
lUe effarvucktf 6* refit fans effa,
Telfe ma à narrer des kifioriettês , Us unes aprit
ies autres y le tout enluminé de la couleur du jour ^
tel auirefe jette dans la complication des incidens y
s abandonne aux foutus d'une imagination dêjbr-
donnée , accumule les invraifimélances : & tous
deux croient avoir /ait un roman. Peut-être ferai-jt
moins tien qu'eux ; mais je neferaipas comme eux^
Taru que la raifon nefipas coruenie , le cteur riefi
quefurpris ,& fes impreffions font bientôt effacées^ '
Avant tout ij'aï tâche d'être vrai , de n'expofer que
des êvénemens pojphles , d'offrir aux leSeurs un coin
du grarui taéleau qu'ils ont tous Us- jours fous les'
yeux f & de le rendre utile , en couvrant finfiruc-
tion du charme de la fenjîbilité. On ne rejette point
la leçon qui s'injînuepar les larmes. Elle fe fait
jour, & pénètre à finfii même detefprit ^ que l'âme,
trofnpe alors , pour n'étrepoint contredite dans fis
plaiftrs.
J'ai peint dans le duc cette ejpece d'hommes qui
ont érigé le vice enfyfiême , la frivolité en principe , '
qui méprifent les femmes ,fom à la fois leurs délices
if leurfiéoM , amufent leur têu , m croient point À
(eurcmir^ Us prennent avec projet , les quittent pat
D,m.f.ril>,GOOglC
APANf.P&ÔPÛS. i
éîr , & mafqiunt leûf corruption profonde £unejhrtt
de gaîtifdcHct qui fait Jes dupes , parce que la f»^
ciété ejè pleine de fois qu'on Jhé/'ugue ^ &'de filles
qu'on éblouit* Le marquis i dans les Sacrifices de
l'amour » na aucun^ plan ; c'efi un étourdi fans
maurs : le duc raijonnè y combine > a^c en confé^
quenee ; il ijl confommé dans tart où t autre s'ef-
faie. L'un tfi un fat inconjïqmnt , P autre un fcélé^
tzt méthodique. Les modèles ne m'ont pas manqué.
iguane au fiyle , je l'ai Joigne le plus qu'il m'a
étipo£ïbU , & foi tâché d'éviter quelques-uns des
reproches que fon a faits à celui des lettres de ma'
dame de Sénàn^si
Cette, qualité Ji négligée au/otifd'hui t ejî potn**
tant , dn ni peut trop le répéter , telle qui affure aux!
fruits de nos veilles C approbation de tous les timsi
Il <yî bien étrange , qu'entourés de ch^s-^dooivres &
de modèles , nous ayons fi peu d'écrivains qu'on lifi
avec intérêt j qui connoiffent ,je tu dis pas cesfinef
fes innombrables ; ces combinaifons d'harmonie,
sette înétaphyfique des mots que pojjedoit fi bien
C auteur de 'èntàïmiaiii mais feulement le méca-
nijmi de la langue , fes premiers &fes plus fimples
éUmens. Avant qu'elle fia fixée, avant Us Fénu
Ion f tes Boffuet , Us Soileau ^ les Labruytte' g
Aij
-M>,Google
4 A V A H T-P R P X. _
Pajcal écrivoit Us lettrts provinciales ; UdevijtoÎL^
ê* nous mjbmmes plus mime ea étM tC imiter. Cette
dipravittion prejque générale aauroit-elle point Jk
Jource dans la manie que nous avûns depuis quel-
que tems d'être des penfeurs ,dans ce bet^Jprit épi-
dèmique ^ qui ^ fans rajeunir le fand f travejîii Us
idées f Uur imprime d^s formes plus bigarres encore
que nouvelles , donne au fiyU de la contrainte Çf
de la mor^u ,fi ton peut U dire f^lmâtefa nai.
veté , fa grâce , fa chaleur , le roi^it ^ U d^ecke ,
U prive de tous fis fucs , & deyientpour nous ce que
fia à Céloquence latine la diSian fauttUfinte 6r
hachée du moralijle Séneque? Urudes caufes ert-
xore de notre décadence dans ce genj* , efi peut-être
Texc^ve facilité dupublic ; fur~toutfon indul-
geme'pour certaines produSions barbares ^ qui , à
taide de quelques effets mal amenés , de la magie
de lafcem 6* de tadr^e des aSeurs ( * ) » ufurpent
( * ) Il eft certain que les auteurs dramatiques iit
Jluent beaucoup plus qu'on ne croit fur la peifeifUon .
ou la corruption d'une langue. Racine a peut-être
plus contribué à former la nôtre que tous les écrivains
du lîecle de Louis XIV réunis. C'eA au cbéatre qu'an
parle diredlement à la nation. C'ell là fur.tout que fes
jugemens font loi, portent coup, & perdent les let-
tres , ou fervent à leurs progrès. Ainfi le morceau
qu'on va lire , loin d'être une digrcffion , n'eft que 1»
' fuite immédiate de mes idéss.
D,m.f.ril>,GOOgle
A y A N T-F R F s. j-
Tadmiration du moment. Quand ks juges ni font
pas difficiles , Us écrivains ctjfoit de l'être. Le tra~
vail du goût efl lem , on s'en affranchit ; un cer-
veau vaporeux & jbmbre aifante fans peines quel-
ques Junebres abJurMtis ; on s'en contente ; & la
peùte\arùté d'avoir créé des monfires^ éteint juf-
qttau tfUent de Us polir.
Lethéatre doit être une eJpect\def(aive~gardepour
la pureté du langage^ Dis qu'il iy décade , la
coma^on gagne biehtôtlUs autres parties de la lit-
térature. Chacun afpire à la gloire aifee ; on voit
que la nation Je ^affionne pour des ouvrages infor-
mes , où quelques beautés fom confitfèment .éparfes.
Lapareffe faifit cette amorce ; la tête fermente , ma
au four fis délires; & t amour-propre , étourdi par
les applaudijfemem , Ji'efl plus jaloux des fuffra-
ges. De là ce déUige d'écrits qui régnera à la
raifort. L'art dégénère , dis qu'on lui aie fis entraves ;
& la palme r^efiplus glorieufi, dis ^u" il m faut
plus d'efforts pour l'atteindre.
La ver/îfication de Phèdre coûta deux ans à
Racine. Enfixfemaincs oa peut arranger tant bien
que mal de pompmfes extravagances , faire une
tragédie à la manière noire ^fupptéer à l'éloquence
par la pantomime^ jeter quelques faux-brillans fur
â iij
h, Google
a- A f A K T.P R P O 8,
mu vofijuation lugutn * itn hitn airoee , ^Ui%
lamentahU , bun jtpulcral , m un mot , rétt^r t
mais f quand il ^agu ePitre pur , iUgam , /wblt
fans tmpha/i , énergique fans durui , harmonieux
\ fans en^rf ,- <ptand il faut dépicyer ItH ricfuffit
ttun dialogue plein , facile S'/erré , cacher adroite
ment Us fils dune txpojùioa qfti prépare touifam
tien montrer ^ graduer des payons , développa- des
caraSeres , varier par le jeu des fimattons & det
comrafies un ineirèt qui ne faligue pas , quoiqu
toujours le m^me; lorjqt^on veut rt employer que les
T^orts qui pr^nt la marche , fipprimer ceux qid
la retarderu , ne point eataffir dans un aSe la ma^
tière decin^yfairepajferla uagidiedans leazwf
iKi lieu de laptiadre aux yeux , & rfoppreffir Pam$
par la terreur f que pour la fimlagv par Us lermtsf
lorfqiâenfin on prétend foiisfMre à la fois lafenfi»
tilité y U goui & U ton fins : <fefi alors que lesfiu^
fis coûtent des années ^ & que les années m peuven»
tiatfurltsfucchs.
D,nn..ril>,.GOOglC
SMIMlliollll
D E
L'INCONSTANCE.
LETTRE PREMIERE.
He ladi Sidley , au comte de ^ Mïrhelle.
De **• à une lieuede Paris.
V u 8 me demandiez hier d'où venoit ma trif-
-tetTe, &fij'avois à rae plaindre de vous. Eft-ce
-vous qui m'avez fait cette queftton ? eft-ce à moi
•que vous deviez la faire? Vous le favez , je fuis
naturellement l^rîeufe. L'habitude du malheur,
contraâée dès ma plus tendre enfance , a donna
à mes traits cette -expreflîon involontaire, qui
ne figniBe rien, & qu'il ne vous eft pas permis
de mal interpréter. Moi î de la triftcife quand ie
fuis ffvec toi , qunnd je jouis de ta -préfence , &
que je Hs mon fort dans tes yeux^ Ai-ie un autre
bien que cdui - là , d'autres plaiiirs, d'autres
liens qui m'attai;hent à la vie? Je l'ai foufTcrtCj
A Vf
D,™),.rib,GOOglC
8 LesMalheurs
tTttl te dire à quel excès tu m'es cher. Ta paffion
efl: plus foible , lî tu doutes de Is mienne, Aï-je
à me plaindre de coi > me dis<tu ? Feux - tu le
Craindte ? dois-tu le penfer ? as-tu donc mérité
que je m'en plaigne ? Ecoute.
Le ciel {emble m'avoir fait naître pour let
chagrins les plus fenlîbles ; & s'il me donna le
courage > ce fut pour l'exercer par Tinfortune.
J'ai perdu , après fîx mois de l'union la plus dou-
ce,, un époux tendrement aimé. J'ai vu mon ver-
tueux pcre en bute aux perfécutîons de fa patrie;
je l'ai vu mourir entre mes bras défàUlans , tan*
dis que lès bourreaux frémiâbient autour de là
F^fon. Mes premières larmes ont coulé dans un
cachot , fur un vieillard qui mérïtoit un trône.
Ma mère me reftoit, une mère adorée, & qui
inéloit fes pleurs aux ftiienit; je Ta! perdue. Ta
«n as été le témoin ; c'eft elle qui nous a unis i
Jbn dernier foupir: je n'ai plus que toîau monde.
Ceft fur une tombe que le flambeau de l'hy^men
s'eft allumé pour nous ; hymen facré , quoiqu'il
n'ait point la fanâion des loix , & que l'appareH
des autels ne l'aie pas confirmé! Vas, je fuis loin
de rougir de ma foiblefle, & des droits que je
t'ai donnés fur mon cœur. Je ne fais point me
ibumettre à ces petites bienféances qui n'enebaî-
ncntque les atnes ordinaires: & dans tes bras
D,™),.rib,GOOglC
DE l' INCONSTANCE. 9
même, OÙ je m'enivre d'amour, j'ofetois pren-
dre l'Etre fuprème à témoin de mon innocence ,
êi lui offrir ton bonheur, comme le garant de
mavertu. Ne crains donc pas que je t'importune
par des impatiences Se des craintes qui nous hu-
milieroient tous deux. Je fuis à toi , je t'appar-
tiens jufqu'à mon dernier fouffie ; je chéris mon
fentiment , je m'r attache , 8e. je délire que tu
ne fois lié que par le tien. Tu dépends de ta fa-
mille; tu as des devoirs àremplir'; remplis-les
tous. Je veux que^ mon fouvemr fe mêle à tout,
& ne (bit obfiacle k tien. Connoîs l'ame d'une
Angloife. La Técurité e(t dans mon cœur; elle
ell le fruit de l'eftirae. Si je pouvoîs te foupqon-
ner un tnftaot , cet inftant feul empoifonneroit
tout le cours de ma vie. Le calme dontje jouis
n'efl; que le recueillement d'une fenGbilité pro-
fonde ;>fî l'orage y fuccédoit, il feroit affreux.
O mon ami! quel barbare peut travailler lui-
même à détruire le chatnie de Tes bienfaits ? Tu
as créé pour moi un nouvel univers. Tu m'as
placée où tu as voulu ; j'y demeure , & n'y re-
grette rien. Ce jardin , ces fleurs que je cultive, .
ces hofquets dont l'ombre nous cache à tous les
yeux , voilà mes tréfors ; je foule les autres aux
pie^ds; je dédaigne tout ce qui n'eft pas toi. Ma
iolitude m'enchamc 3 quand w parois , j'y trouve
D,™),Pril>,GOOglC
jo Les m à l « e u m «
tous les plaiGrs; dans ton abfence, ton image
les cemplRce. Je me pénçtre de ton idée ; elle
amené fur mes lèvres le fourire du bonheur;
elleconfàcre tous les inRans du jour , fe mète
HQK fonges de la nuit , & &ic le charmé de moR
réveil. Je me félicùte de t'avoir connu , de t'ai"
nier , de n'exifter' que pour toi , d'habiter aux
portes de Paris , &de vivre infendble à Ton tiu
-multe. Voudrois-tu changer en deuil éternel la
félicité que je te dois? Voudtois-tu noyer d»
larmes, des yeuxque tu remplis d'amour?
Non, je n'ai point, je n'aurai jamais'de re-
proches à te faire : j'ai l'orgueil de ne point crain-
dre de rivale. Eh ! quelle femme me reflemble?
Adieu : je t'attends, à ton retour de***. Je
lelis Claris pour la troifiente fols. La inalheu-
jcufe!....
^ais pourquoi donc toti abfence a/-t-elle été
Tp\as longue cette fois-ci ? Jene puis te quitter.
Adieu.
LETTRE II.
Du duc de ***, à Jamarqtiife de Syrcé.
jLJepuis quinze jours, madame' la marquife,
j'ai fait de profondes réflexions. Votre conduit*
1, Google
i
&& L*INCOil«TANCE. I|
■mra: moi, les rigueurs Touteiiuess dont vous
avez payé la paflion la plus décidée & une conf-
«Wtce à Foute épreuve, aurorent pu laïflef dan;
mon cœur quelque fecret dépit, & &tre fuccé-
der le retfentinient à la furprife. Rien de tout;
cela. Vous avez, daas le catadere, je ne fais
spioï .qui défarme le mien. Ma réfolucion eft
prife i elle e(l violente , mais ftable. Je m'im-
mole à votre caprice, à votre raifon, Q vous
l'aimez mieux j & , puifque l'amour vous eft an-
tipathique , je confens à me réduire pour vous
fmx langueurs de l'amitié.
C'eft la première fois que j'accepte un partaga
iî modefte avec une femme de votre âge & d»
vTocre tournure. Le facrifice edpénible, je le fais;
n'importe, je m'y foumets ; & ce nouvel hom-
mage doit vous paroître d'autant plus délicat,
jque je fuis l'homme du monde qui fens le plus
vivement Pamertume des privations. Me voilà
^onc votre ami. Le iîngulier titre ! Vous me trou-
verez un peu gauche les premiers jours. Un rôle
qu'on n'a jamau joué, e^rouche d'abord : mais
jon s'y accoutume avec te tenu ; & nous n'aurons
pas exercé, dix ou douze ans , que c'en fera fait
pour la vie. Convenez donc que vouï en êtes
quitte à bon marché. Je ne fuis pas lî dange-
«.Uis que bien des femmes voudroient le faire
D7™),Prib,GOOgle ,
tZ LES MaLHETIXS
accroire. Elles n'ont qu'à VOUS interroger ; voi»
les défabuferez, n'eft-ce pas? 8e vous aur«
granit foin de ra'enlever une réputation 1^00
r.iérîte fi peu?
Eli bien , avez-vous encore mauvaife opinion
ôtmaii' me refurerez- vous inhumainement la
c >nfiance que je réclame ? Je la paie aifez cher
pour en être jaloux. J'ai dans la tête, qu'un hom-
me un peu intelligent , pour rcflembler à quel,
que chorc auprès d'une femnie, doit avoir les
boinicK grâces, fon cœur ou fon fecretî & je
ne crains point qu'on me taxe de préfomption ,
quand je ne demande que le limplé-aveu du
vôtre-
Vous Tentez àmcrveille que la malignité pour-
Kiit prêter des motits à votre réfiftance. Les
femmes (tout ceci n'eft que philoPophique &
général ) ne fontguere capables de cet héroïrme
àciinvéreSiB , de ce courage tride qui repoulTe
les foins , & Ce courrouce contre les intentions.
Ces elForts gigantefques font trop loin d'elles.
£1Ies ne font rien moins que dupes. Quand la
raifonnous trompe, l'inftinaies dirige, & j'ima-
gine qu'il leur faut des vertus d'un ufage facile.
Ainfi , toutes les fois qu'elles fe défendent con-
tre un homme qui fait attaquer , ne (èroit-ce pas
qu'elles font occupées d'une foibleiTe qui leur
D,™)Wby Google
s E L' I N C O N s T A H C E. IJ
donne la force de vaincre, & leur prête les ar-
mes dont on fait honneur à letns principes?
^'e(l-ce pas toujours, par l'attrait d'une jouif-
fance, qu'elles fe privent d'un triomphe? Au
refte , ce font mes doutes que je propore. Je
crois excei£vement à la vertu : mais il eft des
incrédules ( on voit des monftres), & ceux-là,
par exemple, ne vercoient dans mon délàlire
que le (ur garant de la félicité d'un autre.
Cependant-, madame , G vous aviez fait un
choixC car tout eft poûible ) , qui pourroit con-
traindre l'union vraiment célefte de nos âmes ,
& l'innocence de leurs épanchemeiis ? Qu'oa
dillîmule avec un amant, cela Te peut ■ cela Te
doit méfne> les femmes ont , fur cet article, une
polkique auflî ancienne que rerpetftable : mais
l'ami , j'aime à le croire , règne fur un cœur oii-
vertde toutes parts. Il ell a4«^s dans le fecret
des arrière - penfées ; il fe fait jour à travers la
complication des motifs , la dignité des dehors ,
& les réferves de la coquetterie. Tel eft l'emploi
auquel je me borne. Il efljufle de m'en laîlTec
jouir i Si plus vous êtes avare de faveurs , plus
vous devez être prodigue de confidences. Comp.
tez fur ma difcrétîon. Toute celle que j'aurois
eue comme amant préféré , je vous l'oiTre à un
auure titre» malgré la fécfaeieJTe du zôlç & U
Dim.fMi,. Google
t4. t É s ;M A t s É fi s'
diderence des honoraires. Qu'il {croit Hgtfà
d'envie , le mortel que vous djftinguerbz '. Plu»
je parcours votre cercle , moins je vois far qui
}e pourrois arrêter mes foiipt^ons. Ce n'eH (ûre-r
ment poim le grantl colonel. Auriez •vous été'
touchée par hafard de fa taille chevalerefque , de
fe prodigalité bète , de-fon dégingandêgt odieus^
de fon importance burlefque , & de fa profonde
érudition fur l'époque des étiquettes? Pour Itf
Jetit prince de ***, il a de la jeunefle, de la'
fraîcheur , & cette in«ptie naïve qirî , dans les
hommes > dégénère quelquefois en fentiment. lï
cft doué d'ailleurs d'un bégaiement tout-à-fait
gracieux î & quelquefois il n'en ftut pas davan-
tage pour déterminer. Un homme qui b^jhùù f
a toujours l'air du dcfordre de l'am^mi^; ^%
petit prince, quoiqu'il foit une heures expédiée
une phrafe, peut avoir une éloquence de (itua-
tton qui ne lailTeroit pas que d'être un dédom-i
magement,
- Je ne vous parle point du comte de Mirbelle,
l'ai même refufe dans le tems , de le préfentef
chez vous. Je tia me charge ppint de pareilles'
commifllons. Je fais tout ce qu'on s'attire de
plaintes & de reproches , quand on fe m'èle de
ces jeunes gens.lài & d vous en êtes mécon-
tente, je n'aurai pa» du meios le remoids de
h.Gooi^lc
*Ê t'^INCOKSTANGE. TfT
tous 9n a^oir emlrarraâee. Ce a'efl; point qu'il
n'ait dg/^avantagcs , inSniment de grâces, &
même des qualités : triais . malgré tout cela , je
doute qu'il réuflilTe k vous plaire. Il eft trop
couru, trop fèié; l'homme de toutes les Femmes
n'efl: pas l'être qu'il faut à votre cccur. Je vous
connols mieux que vous ne penfez , & j'applau>r
dis fincéremenc  de H louables dirpo^tions.
Adieu, madame la marquife. Je compte allée
vous làire ma cour , & commencée avec vous le»
graves fondions d'un ami.
Si vous m'honorez d'un mot deréponfe, cela
me difpofera au, ftyle de l'amitié , & m'ôtera;
l'embarras que doit avoir un malheureux gut
n!cŒ.p9s.itiiiié dans les myfteres de cet auguEle
ïf^^éâùS^ Je fuis avec refpeâ, &c.
«^a?==
LETTRE III.
De la marquife de Syrcé , au duc de***.
JE vous avoue, monfieur le duc , que votre
lettre m'a beaucoup amufée. Mais pourquoi donc
n'eft-elle pas de votre écriture ? Sans votre cou>
teur, j'écoiscouc-à-fait dépayrée;)e n'auroispjv
vous reconnoitre qu'à la légèreté de votre per-
fiSSsgt, fur -tout à votre prudence. Oh !oui«
h, Google
tS Les Malheor«
vous auriez craint , en m'écrivan't vi^^^èi¥fe#
de laili'er dans mes mains un litre qim^cpofàc
contre vous en faveur de ma conduite': maiS)
Dieu metet, vous ne connoiiTez pas plus mon
cœur que moQ caradere. Mon honnêteté me
fuifit > je n'ai pas beloin d'armes étrangères pour
la défendre. Faites, dites tout ce qu'il vous plaira j
je vous le pardonne d'avance , & n'ayez pas peur
que}e me juftiâe.
Revenons aa genre de votre ftyle. Encore une
fois , c'eft fur ce ton là que je vous aime. Vous
ne valez rien quand vous parlez d'amour ivoiïs
y êtes gauche à force d'adretfei & je vous ai
trouvé beaucoup trop favant pour moi. La vraie
fcience d'un homme qui aime , c'efl: d'âtre péné-
tré de ce qu^il dit, de ne rien chercher, de ne
lien feindre , de s'abandonner > & de peindre
fans art le fenttment qui t'occupe. Le fade des
mots ne fîipplée pa& à la féchereâe du cœur ; &
tant^uel'émottonne nous gagne pas , nous fom.
mes toujours armées contre le projet. Un fou-
pir , une larme , un Hlence expreliîf doit être
plus pul0ant fur nous que ce vain étalage de ga^i
lanterie avec lequel on n'a féduit que des fem.
Utes qui ne valoient pas la peine de l'être. Toutes
vos phrafes amoureufes n'étoient que les rémi-
nifcences d'un efptic très-cultivé ;& je fuis ravie
de
h.,Go()L^lc
HErL'lXCOXtTA »,C 1. -Vf
H stàxiz.veàs Ttaàa à xe'tre nùure).. Voits
èces fublime dans l'iioilie. Il faut hjen qae cela
fuitt:puirqu'étanc Fobtjct de la vôtr$^ je ii'eti
cpnviens^pas nioitu..de .voue fup4tiAricé dans
Ofl'ganre ÏEUéreâaitt.
:.Je ne vous reproche : qu'une chofei.ç'sf^ da
jv*avôir.pM eavetoppé > fous des exprelSons plus
adrohels elicore 1 lé dépit qui voui: tourmente,
Sérieiifement i vous voilà :donc . furiei|x , patce
que >'ateu refpritde'âe pas croire à .un iunouc
qui vï>iH(nef«n^ii%ttW^Jp vous enlevé le plai-
ficde mfrtrompecj cela «r^4 vengeance^ & )e ne
^ifipftès un partit tc^i,
liadq.jn'o^rir yfttre ami-
ffl;US(. l'ami d'utte feraniB
i)t'Qi>eito la figura ! Ri-
uç Je duc 3 aux fuÎMs flQi
c^ii8,ht|Dible léfignattofl. D'ai^leUFs. jeXuis:alirez
tualbeuceiltre pduc' n''a^i[ aucun fscc^ç-à con-
fier. Ëremis-y garde : aptes avoii; été. iw amant.
faiis>iiqitréqu«nËe-».vous cobrez'le :Filî)V!^'-<l'ècra,
ua apiiralisexerCtoer«f Ceroieat.trop de ^ifgraT;
ces> la foisiVous âairie« pat qie haïr à la morc;-'
le moyqfrde s'en confoler ?
}tà m'attends bien à votre InCréduIi^té. On ne
TOUS ferftjamais convenir qu'une femme à igon,
âgCAemportéedaos te.toucbilloaoùj^ yis, sCîAn
Tome y, B
'D«),.rib,Google
i^* httMiLtnfvHf
piasbefoiti à'9 iepoCm ùfn e<ieur'daRs le fein et
ht confîènoe intime '& de l'ÎAdulgeate amitié.
Vous n'avez rencontre jii%j'{ci que des fera.
nies i fèoFfetd. Ces damêfi çit ont heauceup- à dire ,
& plus encore à caciier : mais permeR^inoi de
Vous reprefe¥itêr qu'il ffe Riudroit pas jvgtr tout
moii fexe dV[irès quelcfues idées générfffes. Vous -
^es étranges i yoiis tbttki hoïihtnes i brillsnteb'
aventures (c'eft aînH que Toti5 les tippellez):
parce t]H*tm« demi-doazanTed&fx^lesvI^ns re-:
tenue , fans décence , tet^ïm par mfttnd^ lu
, ticTtnies fki habitude i f âïeë ^M ceS-femmes-*
là, 4is-]e* vous prertnent & vxjws qahtenti&
Viusre^tchhrntpouPVcHHtpaittwendorBîparco
^ela puWicité de vos pwfidfes & de iemrs dc^.
ferdrei' les enchaîne à- Fopfirobrfr qu'elles ofeiit
Kniver, voBs ne manquez ptts de n6us cont-
prêfi?3i% toutes daiis ces flétrïlfsntes exceptions^
Apprenez de mot , tftdttfieur le duc ,- & retenez-
fi vous pcrtivcz , qu'il eftsncore des femmes ef-
timables, dont les charmes méritent Tos hom»
irAiges} & tes mttors, Vos refpéâs. Lés wies-
cbmb^ttent leur penchant, A en ttioMphent}
les autres, moins courageufes & plus fenfîbles,'
ftvent -honorer jufqti'à lear foïbieffis , parvien-
nent à (?tre de ramoBr -tin' rentîment facré *
'& ne perdent jamais ^tto putfeor fe«rete â»
h.,Go(Mjle
SB t'-l » C D « S T A N'C B. I?
'TairTM j cette honte délkaie qui, mèn» dain
leiurft écarts * fiimble toujours les rendre à la
Tettïi.
Ah nion dieu ! pardbn. Ne vcHlè-t*îl pai que
je r«ronn£! VousBeTousyatteadieiiïicement
point , St je TOUS ptotefté que '}e n'en, avois pas
1^ pïo'pt. Adieu 1 mtmifiear le duc. Voue -ëtds
vraiMent plus fufètpt^te d'àhaiài qu'on ne
penf¥} Mais je ne vHi qu'urte- pceuve de la
^tAwe t fti^fi^igeit les p^rfcmnes qui compofeni ma
•fbciitë. ËHtrÉ nduB, l'efprit faiyriqiie iJe fait
JÉfmafel d'htBinétt. ■ Qu&îqu'e'toiirdi* en (^pâ-
rence, je n'en fui^p'ils ffloiïis très-bt»nnë~amiêi
&")« t'eus patd&rttietai vbs jôli^faïtâfnifÉS ,' poilf-
Vu ^'ils Hè tombent que fut mol. J'ai ta v».
llité dfe'hie créik eri Ibnds pour jf répondte. Je
n'en ^Utreîs dire ttutanfc de votre amour.
P.'S. Bien déS fertme^s à nia placé ne tous
àufblëiit pÂs éct'xt . je le fais : mais que voulez-
Vous ? ô'feft Urie làtttalfie i & je iie la crois pas
dangefeiift.
■^ LlLL. ■-■ i '-', ■ ( -■■■« i* gL.L-:i=-=- . --''J,.;^,- <!»
. .; ' p t LLE t
Du âttcie ***, «ujîeur le Blanc,
SltH bien , nwris le Blanc » que devient Vexpi-
dition dont je vous ai chargé ? Vos grifons lont-
-Bij
h, Google
<2cr L&s Malheurs
iisentarûçegàe? Viendrons-nous àbout étTx
«harmante Angleife 'i Tâchez de vous ménager
des intelligences au dehors, au dedans.. AsioC*
t«z vos argUs, pa^ez des eri>ionSi débauchez
ics valets.- iËmpbyez »upr« des iemmes-de-
chambre ^£écte {^duâion que vous poJTédez &
bien. Seities Vot à pleines mùns > il ne voui
manquera ^St Voilà ies eirconflances où il feue
être'prodigue»& vousfavez que je fuis recon-
<iioiâantdesbQntésqu!Qn a pour mol. Sur-touc
jieme con)p):onteEeezpas.,Si Vîptrigue édioite^
je ne yçuï .point avoir teho.gfe.du revers. N«
^nommezni.Mirbelle* ni moi; Vous vieil)iâ«2 ,
jnonrïeur le cqquln. Vous n'avez plus cette U^
géreté, tiette e0ronterisaâive, quiont figiiaU
.Vos bewx ans. Vous vous repefez fur vos lau>
Tiers i & Vfitt m'a dit hier .un mat horrible de
vous. On prétend que vous avez des remords.
De quoi diable vous avifez^vous?.Termineï
^on aiFaii;e i vous ferez honnête après tant^^u'il
vous plaira. J'ai befoin de votre intrépidité ; &
&J6 la paieaflez cher . pour que vous remettiez
à un autre tems vos retours à la venu. J'attends
de vos nouvelles. Servc2 -' moi un peu mieux
■qu'auprès de la petite chanteùfe. Sans vôsodieu-
Tes lenteurs, je Taurois eue qu^ize jours plus
.tôt.
D,™)..rii>,.Google
es L 1 s t a V ST X v c s. ai
Du zèle-, menrHéur , du xele. Cette avGntiire-
ci peut vous faire Un 'honneur infini Aiieu ,
inons lé Blanc. Nous verrons fi yous êtes en-
core Tenfible à la gloire, & capsule d'éniBlarioa.
■a» ^iii pH ' . II . ' . «>
LETTRE IV,
X>ù duc de *** ^oH comte de MirheUe.
n^ N petit <;ouiïn , je vous ai cherché hier
inutilsmetftdansphis de vingtmaiiôns. Je fiits
retombé au fpeâaclo} vous n'étiez nulle part.
5e n'» pas apperçu non plus la marqullè , &
cela mê fait croire que vous pourriez bien être
-tous^eux dans lacrifè des préliniinaires.Tàchez
éeles abréger, s|H vous plaît, & de ne pas vous
en tenir nne éternité à la monotonie ^'une
même attitude : elle a beau être heureufe , il faut
de -la -diverfité. Ceft la devife des femmes ; ce
doit être la nôtre. Voilà , monfieur , ce tjue je
vous ai dit cent fois , & ce qu'il ne faudroît
jamais perdre de vue.Ondoitbrufquetlcs coti-
guêtestiH'diVes, & ne rempbrifer qu'avec celles
qai font trop brufques. U«peu d'emportement
£ed À votre âge. De la délicateSe dans le pro-
pos, de la promptitude dan« Paâion , tel elt l'art
d'iutérefler quand -on a vingt ans. J'ai réfléchi à
B iij
■ R;r;>-M>,GOOgle
ai .Les Malhcvrs
votre Angloife, Jeté vois, cette paflîon-là ^'eft
plus quHm Uea d'habitude. IL doit vous pe&r »
&je vous confeilteiois de prcndr.euti parti fé.
rwijSj Urie, intrigue de cette tiptu^e çeut nuicç
- à votre avatrcement, contrarier vos fantaifîes,
• vous croifer dans vingt aventures toutes plyj
raillantes les unes que; les atiti^ , &, vous dbnner
auprès des femmes un vernis de fidélité qai vous
feroit prendre en averfion. Si vous ne voulez
pas la quitter dafeqieiK ( & c'eft- ce ^i 8*af pelf«
ime bonne foiblelTe ) , cQuiiaiencez. du moin» k
éloigner vos vilkes. Prép^ez-la , pi)ifque v.ouit
n'ofez la furprendre , S(. défaites -vous de cettf
beauté britannique , ae. fûï>«e <)uc paf un zel« .
national,^ un mouvement de p^^tiotirn^e. Ds
quelle «rpct^ pcMvent Açac ^e VQSCE^qgemea»
avec elle ? Je ne connofS ayac les fsnimes d'au-;
trelienqoe Içpfaiidr. On,cefle d'être engagés *
dès qu'An ce^e-de fe plaire. Tâchez àç vous pé-
nétrer de cec prindpes.
Jeparsdefnain paU;r~Sl>i.Ht:Hul>ert. Si vousmo
faites répMtfe , donnez ordre, 9 vos g<ms qu'oq
meTappot-çe de bonne heure : tranqutllifezrmoi
Qif les inquiétudes que vous me cavfez. j'aî
rpnvpu avec.'raoa lutin lyrique. Je l'ai cédé au
prince de ***, qui a gagné ces jours- ci deux
laille Ipuis au vhfgt-ua.Je me âébartaflè , &,
-M>,Google
t> t, t* 1 N .C .« K Ç T- A; Mi C 1. ^
•.O TB ga gî^T-^aa^;.' .-^ri^ S p-^rrrTnr- .'■■■, .—Lia i».
jL E T T R E V.
Dh fiear te Slave , au dite 4e***.
J3X0»SE10NEUE,
. Je p'qfç mu prçfeçrçr devant vous. J'ai déjà
'épuifé toutet le^ cedPM^ces d« l'art, fans qas
vos aSÀres feienten meilleure podure. Le logis
été rAngloife cft une elpece dé fort ipacoefiible
à toutes nofr r4ff«& dç i^^ewre. Ln domeftiques
n'entendent pas le françcHSi les femine«.de<
■charabre font fagos { tout eft veruieuS' dans cetts
.ç^aifoii-là, il hY R F» de l'eau k ^okc Povr '
comble de malb^i «Hé eft gardée par ivi^roy
■dogue anglpis * ^ui a p/a tnes émijSak'es en d^-
plâiraQcc. Il a jpft^Cé «e^ jourt-çi en dévifaçer iip
qiji s'étoit dégBÏÏe sa perte r bsllp. On. «ojroit
que ce vilûa anlaul a deviné v^ iiitentio;ii?*
j'ai pQHCtaitf dé;> bien écorné les &nd$ ^ue
tnojifcign^eHc pi'a çopfié?, T(mt pçla U difl>R8.
eu meiius &nis ■ j^ ]? voi$ avec douleu/ ^^Ç npil^
feionsqçQUraints de renoncer à eetts gr^jide eo-
treprife. je rae 9att4 , q^onfeigneur, <]ue vç^s
ne m'acouferez pas. de n^tiçeoce, Q.uaat au^
B iv
D«vf.rii>,Google
aif ■ 'Les' M a t. 'h e' u r s' , ■
Tetnords' dbnt on vous a parié, foyez tnmqtnlle t
je fuis trop philofophê pour mV abnadonrich
4vec i'aide du ciel, J'erpere finir comme }*aî
commencé. Mon ^ecle m'a trop bien traité , pour
que je fois ingrat envers lui; &(iDteu meprète
vie , je blanchirai dans une profeÛion qui en-
richit celui qui l'exerce , & aCuie tes ptaiiùs de
tant d'honnêtes citoyens.
I Je fuis dans ces fentimens , & avec le plut
profond refpéâ , monfeieneur , &c-
LETTREVI.
Du duc Je-***, im vicomte de ***.
SHt H bien , mon cher vicomte , comment vous
trouvcE-vous du beau ciel de Tlulie? Au milieu
des chefs-d'ceuvres dont ce fol précieux eft femé ,
parmi ces monumens antiques qu'un homme
aimable volt fouvent mieux qu'un lourd voya-
geur de proFeflîon , r'egrettez-vous nôtre Paris ,
nos fpe^cles, nos foupés qui ne font gaîs qu*à
force de bouffons, notre corruption (ï perfec-
tionnée , notre galanterie li commode , nos fcan-
daleufes hiftoriettes , l'étourdetie de nos hon-
nêtes femmes , & la pruderie de nos catins ?
Quoique fort jeune encore , je le fuis moins
' Dim^f^vCooi^le
D2 t'iNCONtTA-WCl. If
^ae TOtK. J^ai de l'expérience, je vous aimej
& avant ies grandes confidences que j'ai à vous
ftrir?, je vais me faafardec à vous donner quel-
ques confnls.
Je fais entré dans le -monde prefqu'en^nt'ï
mats j'y apportoîs une organifation ardente , des
fens aâifs , une envie démefurée de plaire , Se
tous Les moyens d'f parvenir. Grâce à ces heu-
leufes dilpoUtions , j'ai tout vu, toucdévàré,
tout approfondi (le mot n'ell pas trop fort); &
par la multiplicité même de mes fenfations , j'ai
acquis une ïbule de connoiâ*ances qui font à
moi , quitiennenc à moi , & ne reÛèn^lent point
à ces pefantes excurlions que des pédans font
fur refprit des autres. La finetlTe du taâ s'é-
motiffe par rétude oidve -àa cabinet. Ces pré-
tendus favans font toujours un peu plus bâtes
le lendemain qu'ils ne l'étoient la veille. A me-
fiire que h. Mémoire fe charge , la penfêe fe ra.
Isntit , te feu du talent s'éteint. On fe noirck
1& tête de dates , de &its ,' de graves balivernes ;
«n attrape pac hafard quelques vérités que mille
^reurs étouâenti en fs jetant fur le paflë, on
laillè échapper lepréfentjon analyfe le gouver-
nement de Licurgue , les lois de Solon , le code
antique de Confutzée, &l'one(l inepte dans la
politique de fou tems i en un mot , on conveife
D,m.f.ril>,GOOgle
9£ tï&MALHEOItS
familiécement d^ns le fallon des Liontium , i^
flora,» dçs Afpalie, & l'on etii:<r« gvochemeqc
à&m te Wudoifvd'qn^ jolie femme du dix - hui-
tième fiecle. Vivent ies contemppiaîns! C'e^
Avec eux I c'eft r^tiVem^nt à eux , qt]*it faut
s'ialiruire. Tout le Eeften'eftgqeçfaimere, in-
certitude 8i fotcUe. J'ai pefé fui ce préambule ,
a6n de ne voitf pQÎn; tro|^ Turiurenilre par U
moru l« qui va fuf v(«. Fiivole créature qiu vot^
èit|s . je n.e votJs.invice pas à vousabjimer dans
la méditation} eliftn'fft faite ni pour votte état.
m pour votre âge; laaiji je vous exhorte k voie
beaucoup & 4 voir bien. Il ne vous en coûtera
4pe quelques regards attentifs* & chacun de eu
xegards enricUf^ vq^re raifqn>^faus enlever
lien à la diiSpAtiop dp votre caraâere. Puifque
voui voilà en Italie, f^^s-y légèrement |e«
JDoilTons utiles qw pwt fournir cette terre bril-
lante , qui fut U patrie deç hérots, devint le ber.
ceau des uts , & «Q: encoce le j&ege de la polïtU.
qtie. Ne bailez point la muU 4u pape-, je ne
TOUS k pardoiifiçirois P9K : mais ioforntez- voua
des détailsdefïpniâance. Gintioldezlesmœui;*
ào paupl«>fucrt9itt celles de Ift bonne çomp^
£nie. Chaque p^rs a la fienne « & c'eft là que Iqs
gens de notre otdre q^prennent tout ee qu'ils
«doiveac lavoir. Moggee-yous d^s roonCgnors ■
h, Google
BCX.MHC0K8TA.KCE. %•/■
{[tâchez ie fédoirc leurs f««mef;. Trompez^en
l£ plus que VQW pouriwï, U n'qft pac. «yiffttOA
4«^Ic« WTwr', maif d»l^ cçaiu^pre; C'«lï t)ti«
4twhi pUis ffiendelle qu'on bb Tiajsgine. Toute
]» âeiK tie VeÇpfh d'uns ajuIoii eft en. quelqua
fjifts r^^adae fur ce Due chum^at , qui en eft.
Wyjowfi la mQÏùfi U bUk iwéreCiwit». Celles qui
jfWH'fionQéw vop&diietu leijr fiwcqt î celtea
^i HftJiA ^^ itaF vqi)& açcoutiinjeat à le dflvi-
ner. En un mot, quel que foie leur caraâera , ii|
Y a.toHJfiu|»,ft,prafic«F bsauco^ Ans Imv com-
HW^qt } ^ * tovt. Dr«a4re 9 U» fwmes font les
vr3iFpi:écejiteiirs 4ug«nt;* h^llui|1. Tout «on»
^fte à pe lei^r pa^ (terowd«r plqn qu'elles nft
seuveat. Quelques fMs, qui It^ adorent en exU
gçnt de l^ coql^qce. Un hpnirae inftcqic, qui
£iit trop bi^n ce qv'atUs foat jtour s'y «(tacher,
à un certfiin po^it , les abandonne à leur pente
naturelle , ne s*apperç,ait de Iç urs caftricet que
pour «n rire , & les eacM^e Touveat par l'af-
lèâacion miéaie df ne poitU attenter à leur li-
l^erté. Ce. r«nt des ^tret quct l'on gouverne en
dédaigna^ l'enifûrfr Ne jsnuts Te coocentret
4ans une* eft l'an d'être toMJQurs bien «veQ
toutes. lafupportables dans la n^pnotonie d'un»
paûîon ,elles font divines pendant l'éclait d'une
iJMiBii&e- Les délices « le ctta^me y la féerie dq
D«),.rib,Go.ogle
âj L es" M À L H KTI » s ■
l'omour font dans tes courmens de refpîéranee t
dans les premiers joârs du bonheur > & les pro-
jets de la Rupture. Voilà-, je crois , les trois pointt
, IbftdiHnentaux fur Içfquels s'appuient volontiers
ces philoPophes aimables , qui entendent tfop
bien leurs intérêts , ceux des femmes même ,
pour les -iàtîguef 'd'un amour tenace , pour ne
ïailTer à l'avidité des afptrans que les nitnm'
d'une, vieille intrigue I & des goûts aiïkilis pn
rhabitude.
Vous vouStromperiezfbrt, mondiet vicomte,
fi dansce moment. ci'vousvousaviûez de me
croire léger. Cette frÎTolité apparence n*eft ett
efFet (juel'e^périence déguifêe Ibus des formes
qui en ôtcnt la rudefle & l'ennui. Il &ut fuir Is
monde , ou s'«n moquer. J'ai pris le fécond parti
comme ie pitis amufant , fSc je me voue de bonne
gface aux conjectures malignes qu'on poiim
former fur mon caractère. Par exemple , je me
trouve aâuellement dans une pofîcion délkate ,
mais dont je veux tirer tous les avantages que
Ferprit d'ordre & de conduite peut arracher i
la' bizarrerie des clrconftances. Croiricx-vous
bien qu'à l'inftantoù j'écris , j'édhJippeà peine
au ridicule d'une paffion ferîenfc ? J'en ai e«
les fj'mpcomes les plus effiayna». Mon étoile
itoità bout, mon ft&eadant vaincu. J'étrâ la
-M>,Googlc
9 X., t %I K C O S S T A H <r E. I7
^upedu moindre manège, le martyr de la co-
quettetie la plus manife&e} je redevenois un
homme ordinaire , & je ne dois ma guérifon
qu'à Tun de ce» coups de maUre , q^i changent
les dirgcaces du cœur en triomphes peur la
vwiicé.
Comme je ne vous crois pa$ exce0ivemenC
occupé , & q«e la tête calculante de votre oncle
jkertvl n'a pas encore ataené la vôtre aux jouiHi
{ànces d^ilomatiques, vou^.aucez le tems de me
lirei'Envo/e?-moi votre journal ,& faites votre
pi;pfic du mien. La femme qui ^'a mis à deuiç
doigts de ma perte ,e&'la jolie madame de Sytce.
Cette épihette de jolie , que Ton prodigue tant*
& qu'on applique lî mal , femble avoir été ima-
ginée pour elle. On ne l'eft pas 'davantage , &
l'on n'a point l'art de Petre plus conftammen^
Sa féduâiion etl prompte &, durable > j'en ai ^t
la cruelle expéiienoe. Je l'ai aimée trois mois
avec un acharnement qui n'a pas d'exempl^
Figurez • vous une bouche qui pe fait que de
naître , & des. yeux qui ne finUTent point , preC-
que bleus , quoiqu'elle foit bpune , & armés d^
longues jimjpieres noiis < Servant comme de
voiles aux rayons qui s'en échappent } un tsinc
d'une blancheur éblouiflante & qui lui appar-
tient , des bras arrondis par. les grâces > Mn piet)
D,™),.rib,Google
que la Chine envierait , une taille au • delTus 3é
tout , légère , élégante , pleine dé inollefle , &
majeftuenfe en caâ de befotn. A Ce phyfîque
Viftorieux , joigiïÈlr un "moral célefté , [*efprii de
iDut dire , de tout a^^ierCevoir ; âé tom ornec ;
cette folie qui n'ôtc rien à la décence ; litit co-
^Uettërie qlii dirérpere & qui plaît , des boufi^es
d'humeur , de râf iâhntes petites bouâerÏM, des
lueurs dé («titimeni, queli^ues nuaififeà àe tné-
iJHiGolie , d'autant pluâ piquantes qu'on n*<ett
deviné pas la 6iufe i cme aiiie géruïreufe , bien-
titifante & nobtè ; One i^agiiiatidn atdétlte , Va-
gabonde & magique , qiri lui crée des pIMHrs oà
léâ kattes en cherchent , & la promené toUjouri
Zahi un monde ènchartcé.
Ëlie n'àvoît que ti:ei2e dns liuand elle a époufS
S^rcé. Au hobt dé deux ahnéeil d'aine cotiftance
iiflez équlvbtjuc, p'etidant lefquellcs ilVeftfai«
'detix héritiers , Il sMt iK'ré à fon goût pour cei
beâtitéâ facile^ '<ii^on paie , qu'on idblâtre 8t
ïjù'ôli méprift; citoyenrtcS précieiifts & lièiles,
qui V6nt de mains en mains , amufetit la t&te'i
ii'e'ntreprefttlent point fur Te cœur, & teqoi^
Vèift dftnit lelirs bras c^mptaifans tes jeunes geni
oïCih , left épouic tanstuges > & Tes étratigers cré-
dules , qu'allés ^ont en coifTclence obligées dé
ïCiner pour (k âûfè mx n&m , St encoa^gcr léttri
fucceâeucs.
D«)..M>,Go()ijle
DE t'iSCONS'TAlïtB. JI'
.Sfrcé eft libertin ; celi eft unit fimple. Mal.
luur aux itnbécilles qui le paiBennmt pour le
Hen conjugal , s'aâoupiSent dans les langueurs
de cenè crnpute dotneftt^ue , & deviennent les
tyrans des beautés malheureufes dont ils ne
font tout au plus qoe tes dépoûtaires ! L'es ma-
riages aujourd'hui tie diDiveht fttfe & ne font
que des* cfpeces d'ifcbanfes > des reviremens de
tmrtics qui làciittcnt la circulation , & tournent
au profit de la communauté. '
Syrcé s'ed convaincu de ce principe* & (k
conduite en eft la conféqnence. Mais s'il a le
bon efprit de n'être point fidèle k fa femntoi ce
qtti léron attoce dans un Gedc delumieret» il
a dé plus le mérite des mdlleurs-procédésavec
elle. Il n'ell nî jaloux , ni tyranniqtre t H vit avec
la marqnifecomme un an>i qui dierche à pbtire.
U a même quolqucs -.«nés ds ces prévenances
qde nos mœurs n'ex^ttt point v oins qu'^es
tolèrent t & après r«s chtroux > fss chiens & Tes
DAttt-eSfls , nndame de -^cé eft aâbrément c»
^'il fll&âlcmne l« plus. D^BtUeursifen grade
militatre l'oblige à des ve^^s firéquens , qui
le rmdetfc un d^s tilus adorables ntatis que le
diel ait fiiit hakFe pdùt la commodité dtïs amans.
Au in -erti)K>Tte-t.{U couifeB tek foie qu'il pfart > non.
^des regfets (cilftAn^t tn^ iDOdiuit). mais
1, Google
t& . L E s M A E H B D k s
une foule de bénédictions; C'eft alors que Ce
nniraent tes prétentions j les profets « les erpé-
Tances de tous ceux qui difputent le cœut^ds
la msrqutfe. Cette coar déplaît un peu i fa faonner
femme de mère, chez qui eUeloge depuis qu'elle
eft mariée , qui eft , dît- on, la plus vénérable
perfonnç du monde* & qa'auffi }e refpede au-
delà de tonte expteflloq, pour rendre à ma ma-
nière hommage à la vertu : mais elles ont leurt
appactemens féparés,» & l'on appetçottiaiemenb
cette longue figuie édifiante *qui me donne des
vapeurs pour quinze jours , quand >'ai le malw
heur de la rencontrer.
Vous voyez d'ici que madame de Syrcé e&
auiH indépendante qu'une jolie fenïme puifle.
yètre » & je vous aflure qu'elle en profite, ^e
Qounde fêtes en fêtes, de plaifirs en plaifiis.
On la voit aux fpeâaclestaux baU, dans leS'
cercles , aux foupés. Elle fe; multiplie « «R; p9r>^
tout à la fois , & par-tootadorée par les hommes ».
enviée par les femmes , attirant tes uns , fe mo-
quant des antres « & joui^ant de la jaloufîe dt.
fenfexe, bien plus que de l'amour dunôtre.
D'après ces qualités fympatbiques à moi , pou-
vois-jem'attenibe qu'elle fùc l'écueil où dev&id-
échouer l'orgueil de mespremiers fuccès? Voili
pourtant 0$ qù m'amvfe J*û dceÛë toutes met
batteiies j
i>v Google
l^tteries ; j'ai &it pour cène attaqua* les difpo*
fitions les plus favantes ) rien ne rti'à réu£î. On
fn'accordoit quelques anémions pnrticBiieres i
ftle moyen qu'on f^c autrement ! Maisavecles
femmes, je n'aime point à m'en tenir aux- fur-
facei , & je me dépèche de )e$ approfondit , aân
d'en Être plus vite débarraflê. Madame deSyrcé
ne m'a pas laiâe te tems d'en venir U. Les fats
fubalternes fe vantent des conquêtes qu'ils n*one
jamais euei. Les hommes fupéiieuts trouvent
une forte de dédommagement dans l'aveu mèmti
de leurs revers ; ils fe Rejettent fur leurs anciens
trophées ; la gloire du pa0e leur garantit l'avenic
& les'confoledu préfent. Je lîe fuis donc pas
très-méc«ntent de moi i & je pardonnerois vo^
lontiers à la marquife i fans la nécellité de fairtf
un exemple. Il feroït dangereux , vicomte , d'ac-
coutumer les femmes à de pareilles défenfes *
& à ne pas di(Hnguer des agrefleurs d'un certatii
genre. Autre raifon de févîr. Quelques perfon'.
hes prétendent que fous des dehors évaporés
elle cache des principes foltdes , une fagefle de
réferve i & une vertu fournoife qui la pcflede k
l'heure qu'on y penfe le moins. Il ell eflentiel
peut elle-même de ne pas respofer plus long,
tems aux foupqons d'un pareil travers. Qu'elle
aie réniïé par capcice i très. bien ; mais que la
Tom K C
D,™)..ril>,.GOOglC
34 Les Maihbvks
vertu en dxt , je ne te fouffriraï point ■> & ifett
par un excès d'eftime pour elbe que je tiavaille à
la convaincre cfuiie foiblefie. |e n*ai pu Ta déter-
miner en ma faveur , )e veux la fédiùre par pro.
curatiott. Ne l'ayant point eue , it efl: de toute
décence que je la faâe avoir. Far-là je me tran-
quillife, je fa|iTe fes moeurs de Taffirone d'être
Sûrpeâées , & rends à mon Hede une femme
qui doit en être à la fois le modete^^ rornemene.
Le projet efl; beau , je me charge de l'exécution (
le fuccès n'eft pas équivoque. Notre jolie ré- ■
voltée ne fe doute pas de l'embulcade , & elle
fera trop heureufe d'y tomber. Je lui ai détaché
depuis deux mois le comte de Mirbetle. H a de
lajeuneSè, une taille par£aite> une de ces phy-
iîonomies douces , ienfibles , rom&nefques , qui
trompent lej femmes , leur perfuadcm ce qu'on
leur die , même ee qu'on ne leur dît pas , alll^
ment leur îmagtnatton , les difpoTent enfin à tout
entendre > à tout .croire & à tout accorder. A
ces avantages it réunît une feule detalens. Il
excelle dans tous les exercices qui occupent fon
âge. Pouf fon caraâere, il eft fubtime, divin t
puifqu'it Quadre à mes vues; Facile , un pçu
foible , confiant fur - tout , & fouple à ta main
qui te gouverne , le comte eft juftenient ce qu'il
meàiM,
h, Google
D E l' I N C O K s T A N C E. ^f
. ,Sa n»i(ranceeH illuftre , nous romm«s même
MU peu parens j mais depuis quelques minées
fa famille étoit privée des grâces de la coût :
j'ai profit^ de la faveur où je fuis > pour te prc-
fcnter , & le mener chez les femmes qui don-
nent le ton. Il prend très • bien i ces dames lui
trouvent de (a gaicé dans l'elprit , de l'expref-
fion dans les yeux * elles fe flattent d'en faire
quelqoe chofe. H vient d'avoir une afiâire d'hon-
neur , dont il s'eft tiré avec la plus grande dif-
tinâion. Mirbelle en un mot m'écoute, me cioit,
e(t reconnoilTant de ce qu'on fait pour lui i il
doit aller très-loin.
Vous conviendrez que c'elt punir bien dou-
cement la tnarquife ■ que de lui fufciter un
pareil adoreteur, adorateur comme nous l'en,
tendons. Elle,a, quoi qu'on en dife, mi; plus
d'une aventure à 6n i mais décemment i à petit
bruit. Ce n'cft point là mon compte. Il eftim.
portant que celle-ci Tnffiche. Le fuccès n'eft rieui
c'eli la publicité que je veux , c'elt l'éclat qui me
venge. J'ai introduit mon vengeur dnns toutes
les maifons où elle foupe, La vieille préUdente
de ^"^t qui eCt toujours auHÎ vicieufe que 11
elle avoit toujours le droit de l'être , l'a préfenté
' chez elle à ,raa prière t & ce qu'il y a de char-
iitanC} c'eft que la petite de Syrcé eft.déjà fur
. Cij.,
-M>,Google
)£ Les SliLHÉCHs
ta dÂFenfîve. Elle aflède de l'humeur ; elle nV .
pas l'air de prendre gardeà lur, le boude fana
motif, eu rit aux éclats avec le premier îmbé*
cille qui lut tombe fous la main , croyant maf-
quer ainfî fa tendre préoccupation. Elle ne voit
pointqu'avee ces manieres-là elle va (Ëreâerâent
à mon but.' pavois befoin de fcs froideurs appa-
rentes , p.our aiguillonner Mirbelle anéanti dew
puis dix -huit mois dans les- langueurs d*uK
autre fentiment, La marquife , qui ne parle point
à fon cœur , irrite Ton amour-propre ; & les illu-*
£ons de ce dernier me ierviront mieux peut^
fecre que les mouvemens naïfs d'un véritable
amour>
Eh bien , à travers tant d^e fils compliqués «
commencez- vous à entrevoir la pureté de mes
intentions? La ehere marquife rafelera d'un
homme à peu près indlSerent , & elle fera punie
du ridicule de m'avoir combattu , par l'obliga-
tion de me regretter. Ce n'eft pas tout. En em-
barquant Mirbelle avec la femme qu:'il n'aims
' pas, je me facilite les mofens de lui enleVer
celle qu'il ainie , & vraiment elle vaut les frais
de l'entreptrfc.
C*cfl; un roman perfonnffîéque cette femme-
là. Elle- eft jeane , fvelte .blonde , veuve, &
fingloifs. Je l'aï quetquef6i»>apperçue à U r<»:tfe
D,™)..rii>,.GooL^I*:
V t IIKCOS-ST -AN -C K. ^f
Ajfpeaacle, où elle ne va qu'en loge grilhie.
D'autres fois j'Ai todé le macin autour de l'a
jnaifun fituée à une lieue de Paris , & je me
Jîiis enivré du pUiGrde la voir. Elle reâemblc
pour U taille , à ces jeunes Grecciues que U
pinceau de Vian nous repréfente. Sa phydono-
jnie eft Ërieufe , mài& noble i ion regard eft im.
IMïfaat , mais on entrevoit qu'il peut deveiiic
Cendre, Il fegne dans tous Tes traits une cer-
vàos Eerté qui iraprîme le rerpe<5t, & une mé-
{ancolie qui invite à l'amour. Elle a dans fa per-
fbnne^uelques détails qui dépayrcnt} mais fo El
enfembte e(t voli^tueux , & il feroit poQible d'a^
voir avec elle un commerce très - attachant. Ce
^i me paroît encore très -piquant chez elle,
c'eft une (brte d*énergie qui coHtrafte merveiU
teufement , d(t>on , avec les grâces touchantes
& là moUeâê'ide Ton extérieur. En bonne foi »
Je ne fuis pas trop fiirpris -que rhonrvète Mit- ■
belle ait quelque peine à la tromper, J*ai en
^ue je ne psrviendiois jamais à 4e tker de U,
. pour lui faire peindre un certaïn vol. On a beau
Uh repréfen-ter qu'aimer une AnglfflCe k une Heoe
de Paris, c'eft s'expatrier cruellement j il me
l'épondpar des fonpirs, ^c'eAuneréponfe d'en-
fant, qm«8 laifle pas que d'cmbarrafler mon élo-
.quence. U prétend que tout Lui convient dans
C iij "^
-M>,Googlc
?8 Les Maihiuks
cette maîtreCe , figure , ePpriti caraâerc ; qu'elle
fe livre à lui avec fin abandon dont il feroit hoc>
rible d'abufer; qu'elle n*a plus au monde de coit-
fblateur que lui. Qiic fais-je enfiii ï il ne finit
plus , quand il s'agit de judifîer la confiance de
Ton attachement. Tout le fixe, dit-il, jufqu'au
myftere répandu fur cette intrigue. Son Angloi-
fe , demeurant hors de Paris , n'eft point en bute
Rux regards de fa famille. Elle lui IniSe d'ailleurs
la plus grande liberté ; fruit de la conâance
qti'die a dans fon amour. Il va , vient , fans
qu'elle s'en plaigne , & voilà fur-tout ce qui m'a
tenté. J'abhorre les femmes inquiètes & plain-
tives. Ces tourterelles-là Tont excédenies. Quel-
qu'amoureux qu'on foit, on eft bien-aife de
n'être pas (î curieufement recherché fur l'article
des perfidies.
Enfin , vicomte , vous voyez d'ici quel eft lé
genre d'intrigue que j'ai à conduire. Vengeance
d'une part, fédudion de l'autre. Pardonnez ta
longueur de ma lettre , en faveur de la gravité
de fon objet. Une légère iadirpolition m'a forcé
depuis. deux jours de refter chez moi , & je no
puis mieux occuper cette inadion gu"'en caufant
avec vous. Mandez - moi ce que vous faites , &
rendez - moi confid;nce pour confidence. Vos
aventures ne peuvent avoir lamèmcconlînance
-M>,Googlc
O s V 1 H C O IV 8 T A N C ï. ?J
«foe les nûeiines i elles fiùvcnt les inégalités de
votre 'marche. N'importe: ira vrai François fatt
-des «enquêtes ea courant. Moi qui fûts à pofte
£xe, je trompe avec plus de méthode ; & mei
tnémoires doivent fereCcHtir nécellàicement du
lejour où je les écris.
Répondeie-moi , aimez-moi. Des détails, de
'grâce, fur vos beautés romaines. On les dit vo<
luptaeufes. Les nôtres ne le font g.uere; mais
^lles f(Hit fauâ*es , cpQuettec &.crédules: tout eS:
.compenfé. Bonjour.
•^m^ rw.W I ' '^ " V" . 1111 «»
LETTRE VIL
Du «PHtfe JsMirbtllettai^c^ #*#/
VoUB vous trompes fort, monfieur le duc.
Non feulement je n'en fuis pas aux prélimi-
iu»>», comme vous avez l'air de le«roire; maïs
je vous avoue franche'menc que je fuis décou-
tagé , & par les difRcuItés que je ttouve auprès -
de la marquife, & par lesobftacles fecrets que
mon eœur m'oppofe. Je ne fuis point encore
aguerri contre les dégoûts d'une intrigue "mal-
^leureufcou les repentirs inréparables d'une
perâdic. Je ne me fuis que trop apperi;u de tous
^s agrémens de madame de Syrcé. C'ed une
Civ
D,™),.^b,Google
49 LesMalhev-r^
enchanterelTe. £lie ne dit ras on mot qui ne foEl
un trait i retenir ; elle n'a pas un mouvement
qui ne foit uns grâce , & ne jette pas un regatâ
gui ne donne k rêver. Les heures , fi longties par?
tout ailleurs , votent auprès d'elle. On ne les
compte plus, on les regrette. Mais plus elle me
partie incére^nte , moins je4a trouve âite pour
ècre facrifiéc à la fantaiûe du moment.
Dans une eSuflîon de eoïur , dont je fen$
Coût le prix , vous m'avez avoué que fa conquête
vous étoit échappée. Je vous en iàis juge, tTolSr
je attaquer une femme qui s'eft défendue eotUcs
vous? Et fi plie 3 déconcerté yo^re.cxjiérience »
puis-je ra'attendre , moi qui débuté, à un fuccè»
plus heureux t" Non s il vaut mieux faite une
retraite honorable que de conilatcr ma difgrau.
Encore une fois i plus la mnrquïfe eft dange-
reufe , pli^s elle m'avertit de n'être pas inconfi, '
déré. Elle n'a pas même avec moi cette coquet-
terie vague qu'elle fe permet avec beaucoup
d'autres. Elle me boude fouvent, me brufqu*
quelquefois , & me contrarie toujours. C'efl: moi
qu'elle deftine apparemment à être viâime de
fon caprice. Je conviens avec vous que pendant,
quelques jours fa tête a penfé m'en tourner. L'a-
iBour-propre , le dépit, ta honte d'être maltraité,
{put S9h peutrètre m'auroit tenu lieu d'amout f
h.,Go()L^le
/ftm'aurok ezporé à bien des peines, fi la vo!x
' Au feadment , celle de l'honnêteté , fi la probité
même ne m'eût tout>à-faît t'eagagédans les liens
que j'aime , & ramené vers un objet qui doit me
devenir d'autant |ylus cher que j'ai été fur le
point de ie trahir. Madame de Syrcé eft char-
mante» Ton {buvenir plaira toujoursiïmon ims.
ginatioD } il ne fera pas même indiifërent à moa
cocsr. Mais quelle femme que ?adi Sidley !Quoi-
qu'Ole n'ait rien perdn dfrfes attraits .je l'avoue-
rai pourtant, je n'éprouve plus auprès d'elle ce
tumulte des Tens , cette fièvre dévorante , cette
srdeur Inconcevable & prefque doulouieufe par
fonexcèsj qui accompagne les premiers tranF-
{lOrts de l'amour. Ce qu^elteWinfpire eft moins
yif & plus recueilli. Ceft ohàttendtifferaent in-
térieur, une émotion douce'; un je ne fais quoi
qui me fait Un befoin des larmes toutes les fois
que je me trouve ingrat , où moins léfolu à lui
refter fidèle. L'amour peut s'afFoiblir dans une
jame honnête î mais qu'il s'y éteint diiEcilemcnt !
{1 eft trop pénible de brifer l'idole qu'on s'eft
laite , de changer en froideurs humtUanCes les
edorations d'un cœut bien épris , & de dépouH.
ier foi-même de tous les charmes qu'on lui prê-
toit , l'être qu'on avoit choifi poiir le rendre heu-
Fpux. Qa lui enlevé tout ,' en le privant d'un fegl
D,™),.rib,Google
4fl L B s M A X. H B U K s ,
des hommages auxquels on Tavoît accoutuiné.
Je vous ouvre mon ame , & jie crois pas pou-
voir mieux placer ma confiance. La légèreté de
votre ton ne prouve point fans doute celle de
votre caradere. Les fervices que vous m'avez
lendus , ainfi qu'à ma famille , tes marques d'a-
mitié que j'ai reçues de vous, tout m'alfcre de
votre difcrétion.
' Vous avez trop d'ufage du mqnde & du cœuc
humain, pour ne pas faiHr d'un coup-d'çeil I^
înconvéniens de ma iîtuation. Mon extrÈme
jeuncfle, la Ëiciliié de mon caraâer«* une tête
vive , un cœur honnête , |es illufîons de IV
mour-propre, l'afcendantdes principes , l'amour
vrai des procédés t tout cela m'agite , fe coMbat
en nioi > & ânira par me rendre malheureux. . . . '
Non 'y j'écouterai la voix du fèntiment. Cett lui ,
lui feul que je veux fuivrc. Je me fi^e à c«tte >
idée; elle m'efl: douce , elle ne .tailTe point de
remords. Je préfère des peines même cruelles»
àcesplaifirs trilles qui empoifonnentle.cœut*,
& n'ont rien de durable que les regrets qu'ils
traînent après eux. Vous me demandes quelles
raifons li fortes m'attachent à ladï. Eh bien , ap-
prenez donc tous mes fecrsts. Vous m'arrachez
_ un avcrt que je n'ai jamais fait qu'à vous. Je con-
sens à le déporer dans votre fein , peifuadé qu'il
n'en {ottira pas.
h.,Go()i^lc
DE L* I V C 0;N S T A H C E. ^^
Ladi'eft d'une famille di{Hnguée en Angle-
terre , &'connue Aic-toitt par un caraâere d'iiu
fiexibilitÉ & de hauteur républicaine. Milord
I Sidley en fut la viâtme. Dans un de ces mo-
taens orageux , fî fréquens chez les Angtoit , il
fut opprime par la cour, fans être protégé pat
la nation. On le mena à la tour ,011 il mourut en ,
héros dans les bras de fa fille & de Ton époufe ,
qu'il avoit fuppliées de ne point s'avilir jufqu'à
demander fa grâce à fes perfécut-eurs. Après
avoir recueilli les derniers foupirsde fonpere,
ladi , pour honorer fa mémoire * jura une haine
immortelle à la patrie injufte qui l'avoîi aban-
donné. Cette ame faite pour t'amour , fut haïr
avec cette énergie courageufe que les grands
cœurs impriment à toutes leurs E^eâions. Si
mère partagea ce fentiment , & toutes deux ré-
folurent de quitter l'Angteterre. Elles raina^&>
renc les débris d'une fortune que de longs dé-
faftresaToietitendommagée.QHOt que médiocre,
elle futïifoit pour les mettre i l'abri des feoouis
intéreâës des foi.difant bienfaiteurs, efpeces
d'alTaSïns qui dégradent en obligeant , & vet-
fent h la Ibts l'opprobre & l'or. Contentes de ce
qui leur reftoit , rejetant toutes les reâôurces
-étrangères à eties, ladi & fa mère fortirent de
Londres , & vinrent s'établir près de Poitîe».
D,™),.rib,Google
44 l'Es MAintiTits
- Mon régiment n'en étoit pas loin. Dans les mo-
'Biens que me laiâbient mes- exercices militaires,
î^aDois fouvent chez le vieux commandeur de
S. Briâbn, qui ralTembloit chez lui ia bonne
compagnie. Ceft là que je rencontrai Sidley
pour la première fois î elle étoit veuve , & u'a-
voit pas vingt ans. Jufques là je n'avois éprouvé
que l'ivrefle du defir; je la vis, & je connue
l'amour. De quets toucharis caraAeres la nature
le plaît à marquer les premières imprelËons
.d'une ame fénfible ! Tous les objets me paru-
rent changés autour de moi. Le joue avoit plus
d'éclat , la nuit plus de volupté. Aiiffi jamaii
femme ne fut raieuï -faite pour réalifet les chi-'
mères d'une imagination ardente , & juÛificf
tous les délires' du cœur. Figurez-vous ce que
les grâces onr d'attraÎK , & la beauté d'impo-
fant. Une modefliie noble , une décence natu-
relle, cette ëeriéintéreifaiitedont peu de fem-
mes ot» le fecret , un efprit fage & pénétrant ,
{ufceprible à la fois & des 6nefles du goût , &
de la févérité des réflexions > voilà Sidley. Tels
font les charmes qui m'enlevèrent à moi. Mes
xegards s'échappoient furtivement vers elle •, ■&
lorlque par hafkrd je rencontrois les liens , mon
front fe couvroit d'une rougeur involontaire.
Elle s'apperçut bientôt dû fouveratn empire
D,™),Prib,GOOglC
&E l'incohstÂack. 4f
^tt'elle exercjoit fur moi , & fentit elle - mêmff
quelques étincelles du feu qu'elle avoû allumée
Elle ne me regatdoit plus : mats {es yeux , quoi-
que baifles « me lailfoierït encore deviner leur
cxpreffion. Il fe répandit fur tousfes traits une
itiélancodre qui en relevoit la beauté. Ce n'ecoit
point ce (érieux aulïere qui eâarouche le Ten-
timent , & qui décelé la fécherelfe de l'amei c*é-
toit cette douce triftdTe qui ne va jamais fans
quelques difpoGtioils k_ l'amouc , & qu'il nout^
lit après l'avoir produite.
Au bout de Hx mois de langueur , de con-
trainte , d'eiforts , de combats & de tourmens ,
s'ofant avouer ma paffion à ladi elle-même, je
me jetai devant elle aux pieds de fa-mere. Je lui
parlai avec cette éloquence de l'ame qui vaut
les difcours les plus étudiés. Je ne dis pas un
mot qui ne fût profondément fenti. D'abord elle
Voulut s'armer de courroux ; mes yeux fe rem-
plirent de larmes , je lui montrai tadi , & elle
n'eut plus la force de rae trouver coupable. Me
croyant it demi pardonné , )e me livrai à l'éga-
rement > aux tranfports , à cette joie effrénée
qu'autorifoienc mon âge , mes efpérances , la vi-
vacité de mes feux. &la préfencede Sidley .Té-
moin de cette agitation qu'elle partageoit en
iccret, & que fa modeftie^ugmentoic encore ,
1, Google
46 L I s MALHEVK9
eUe ne put retenir quelques pleurs i }'élois trop
atteiilif à tous Tes mouvcmens pour les laiJJer
échapper, je m'élatiçai vers elle. Dans Texcès de
mon trouble, |e ta ferrai dans mes bras} & comme
iiirpiré par l'amourt par la force du mometit y
Sildey, m'écrirai-je, adorable Sildey» G votre
ame.eft libre , & qu'elle ne dédaigne pas l'hom-
mage de la mienne , }e jure ici par l'honneur p
votre mère & le cielt de contraâer avec vous
des engagemens que tten ne pourra rompre, je
n'ai pas encore atteint l'âge heureux où l'on eil
maitredefbi;maisun fentiment légitime & vnû
ne connoit ni les d^rés de Tâge , ni les entra-
ves de laloi , ni les caprices de l'autorhé. Ma fs-
mitle peut fufpendre mon bonheucnonmele
ravir. Je vous garderai cette foi dont en vain
ellevoudroit difpoferpour une autre. C'eftdans
xotrc cœur , dans ce ceeur qui palpite fous nçi
majn tremblante , que j'en dépofe le ferment. Si
)e le viole^que l'infortune s'attache à mes jours j
ou qu'une mort foudaineies termine!
Cet élan d'une «ne pénétrée , laBamme qu
étinçejoit dans tues yeux , la vérité de mon émo-
tion , la candeur de mes difcouis > & plus que
tout cela , les difpolîtions favorables de Sidlep
tournèrent à mon avantage l'indifcrétion d'un
fentiment qû n'fivoit fu Si cpimnandei. Elle
1, Google
DE l' I N C O H 8 T A N G 1. 4f
foupira , rougit, ferra ma main dans la Henné ,
& accepta mon (ètment. Sa mcre y confentit ; &
j'eus > pour confacrer mon atnour, unfoupir de
la beauté , & l'aveu même de la nature.
Deux mois s'écoulèrent. Chacune de mes heu-
res , durant ce rapide intervitlfe, étoit marquée
par un plaifîc. Satisfait de celui d'aimer , à peine
orois-je en {buhaîter iin autre} ou ^m moins
mes defîrs étoient fî bien voilés par lefentimentt
que je les confondois avec lui , & que je n'en
Ipmarquois plus la dùSerenee. Pour qu'une fem-
me honnête puifie fe croire adorée , il faut, je
crois , qu'elle fe puifle diflimuler qu'on la délire.
J'affujettiflbis mes fens à ces facrifices d'une ame
délicate } j'apprenois de Sidley à jouir même de
mes privations.
Je n'avois eu jufques là qu'un bonheur Tans
mélange. Mais quel fort humain eft à l'abri des
peines ? Voici l'époque où les miennes coni>
mencerent. Ma famille me rappel la ; il fallutap.
prendre cette nouvelle i ladt; il fallut m'en fé-
pater. Avant de partir, j'obtins d'elle à force d«
larmes, de prières & d'inftances réitérées, qu'elle
viendroic bientôt s'établir à Paris. Sa mère y con-
fentit euËn , & me chargea de lui chercher uti
logement , à condition qu'il ferott à quelque diC-
tancffdelaviyr.Monpcemiec f(»a à mou retour
D,m..M>,. Google
4è Ies MktHEVUi
ici, fut d'exécuter les ordres que j'avois reijuii.- Je
Es arranger cette maifon que Stdle? occupeni-'
jourd'hul. Sa mère m'avok forcé de prendre des*
lettres de change pour fubvenir à cous- tes frais-
de rameublcmem. J'eus foin d'orner l'afyle'
qu'elle devok etnbéUir y de tout ce que je fa-
▼ois lui être agréable. Le jardin fur-tout fut l'ob-
jet particulier de mes-_ attentions. Je l'enrichis'
des âeurs les plus ïates. Fouvoient-elles être
8;op précieufes ? Sa main devoit les cultiver oi»
les cueillir. Q|iitnd jt fus à peu près content , jg
leur écrivis que tout étoit prêt pour les recevoir.
Elles arrivèrent , & Sidley me parut entreravec-
une joie bien vraie dans le temple chanipètre
dont fon amant avoit été l'architede. Jugez de
mon enchantement ! farfs être en bute aux re-
gards , til aux propos , je vojiois- to^s les jours
ma belle maltrelTe. Le nuage répandu fur mon
amour fembtoït lui donner un nouveau prix. Je
jeuiflbisàlafois&de Tattraicdu myftere&dcs
charmes de la liberté. Je croyols > hélas * qtie nu
félicité ne pouvoit plus Ënir^ L'événement Is
plus cruel me détrompa;
La mère de ladi , depuis la mort de Ton époiuC>
n'avoitpas eu-un jour feEeîn-,& fefpece de lan-
gueur dont elle étoic confuméc nous fit bientôt
aaindrepouc &Tie. Soatei:iiieapprochoii.Uns
fievta
Dim.fMi,. Google
Î)E LIHCONST&lfG£. 4$
£ëvre lente s'attacha au corps afibibll de cett«
infortunée; elle fut en moins d'un mois aux
portes du tombeau. C'efl ators que je vis l'ams
entière de Sidiey. Tout ce que la piété filiale
oiFre de confoJant, tout ce que la tendrelTe a d'hé-
roïque , fut~prodigué dans ces inftans doulou-
reux. Après avoir épuifé les foins, elle s'affli-
geoit de n'en pouvoir rendre davantage. Elle
Veilloit chaque nuit auprès de fa malheurcufe
niere, quife ranîmott en vain pour l'inviter à
prendre du rçpos. QiJelquefois elle imprimott fa
bouche fur les yeux éteints de cette femme ex-
pirante , & ne s'en détachoit qu'avec des torrens
de larmes. Quel tableau ! d'un côté , un fantôme
i peine animé } de l'autre , les grâces & la jeu-
neâ'e luttant contre la mort même , & tâchant de
lui enlever fà proie ! Avec quels tranfports js
partageois le zèle infatigable de ma chère Sid-
iey l de quelles inquiétudes j'étois déchiré ! Far.
tni ces objets lugubres , enfeveli dans le deuil ,
frappé fans ceffe de l'image du trépas , combien
}e rcgrettois peu les plnidrs de la diflipatien i
Je rie fouiTrois que quand j'étois abfent ; & j'a-
. vois befoin , pour me croire heureux , d'être ds
moitié dans l'infortune de mon amante<
Voici l'intlant fatal & redouté ; toute efpé-
tance eft évanouie. La mère courageufe de ladi
Tom Vi D
D,m.f.ril>,GOOgle
fo LesMa&hkvks
raâemblant fes forces, & retenant fon dernier
foupir, flous fait approcher tous deux. Noua
tombons à genoux aupràâ de Ion lit. Ma Sid-
ley, dit-elte à faille, dont le vifage étoit colle
for Ta roain , ma chère Sidley , le fort nous fé*
pare} itiais H ton amant eft vertueux, il peut
réparer ma perte. Il n'oubliera point fes fermençf
il n'oubliera point la voix mourante d'une mer*
qui les lui rappelle. Le ciel en fut le témoin ;>
fon honnêteté m'en eft le garant. Il t'aimera,
il t'aimera toujobts stu feras heureufe, tu le feras
par lui , & fans moi. O mes en&ns , venez , que
je vous unilfe ! Que ce Ht de mort foît pour vous
Tautel de l'hymen ! Mon cher Mirbetle . . . jurez*
moi... je meurs.
A ces mots , fes yeux fe ferment s fa fille jette
'en cd, elle veut fe précipiter fur elle, & retombe
dans mes bras. Elle y refta près d'un quarc-
' d'heure fans connoiffàilcei & moi.niéme j'étoîc
trop troublé pour la Tecourir. Muet , immobile,
les yeux noyés de fleurs , je foutenoîs ce far-
deau précieux près du Ht funèbre , dont je n'a-
vois point la force de m'arracher. Enfin , repre-
nant par dégrés l'ufage de fts fens , 6 mon ami !
me die Sidley avec un profond fànglot , vous mt
reftez feul dans Punivers.
Ces mots factés font toujours au fond de moft
-M>,Googlc
DCllNCONStANCB. fl
tdar ; i! eft impoflîble qu'ils s'en e¢. Dès
que les diilra étions m'emportent plus loin que ;e
ne veux , je revois SiiUey dans ce moment cruel ,
j'entends les dernières paroles de fa mère j elles
retentifl'enc à mon oreille , eifraient mon ïmagi.
nation , & jettent dans mon ame un attendttSe*
ment dont rien ne peut triompher.
Voilà, monOeut le duc , fous quels aulpïcet
s'eft aâermie ma liaifon avec ladi. Quel homme
peut oublier Une pareille fcene , & facriâerà des
féduâions pallàgeres un amour appuyé fur des
motifs fî refpedtables? Celui qui le Voudroit
feroit un monftre ... & combitn je plaindroî»
le malheureux qui s'y verroit entrittné ! La força
d'un attachement dépend , fans douter des cir-
conftances qui l'ont vu naître. Autant qtie js
puis m'en 6er à ma foible expérience j la fenfî-
bilité fe nourrit plus encore dans l'agitation des
peines , que dans le calme du bonheur. Les plat.
itrs ne Iniflent dans l'ame qii'une foible trace i
les fenTatious déchirantes s'y approfbndiflent.
On aime i fe rappeller lès chsrgrîhs dont le cœur
s'ell applaudi , & l'on fonge avec une forte de
charme aux larmes ameres qu'ils ont coûté.
Pardon s monfieut le duc, pardon mille fois!-
Quoique vos réflexions vous aient armé contre
ce que vous appeliez les foihhjfes du fcnùmenci
Dij
D,™),.rib,Gopg-le
ft LesMaiheurs
îl^efi: impoffible que vous ne foyez pas touch*
du récit que je viens de vous faire. Je ne me
lepens pas de ma confiance. D'ailleurs j'avoi&
faefoin , j'en conviens , de revenir fur tous leï
, ^vénemens qui peuvent me ramener k ladî. Le
inonde que vous m'avez (ait connoître & que
je fuyois , le manège des femmes coquettes «
l'orgueil de les rendre fenflbles, la variété des
amufemens , tout cela n'avoit pdnt changé mon
cœur, mais commençoit à inquiéter ma tète.
L'envie de plaire à mille êtres à la fois me ren-
doit moins attentif au bonheur d'un feul , &
infenfiblement me défaccoutumoit d'aimer. Au*
trefois le jardin deSidIcy étoit pouc moiruni-^
vers. Sous le berceau où je lui parlois de mon
amour, oii je recevois des gages du fien, je
n'euâe point fouhaité l'empire du monde. De--
fuis quelque tems je n'éprouvots plus cet oubli
de tout i & cette préoccupation charmante qui
tient lieu de tout. Auprès de Sidley , je me fur-
prenois rêvant à ce qilt n'étoit pas elle. Dans
mon coeur entr'ouvert à mille idées qât: je craî-
gnois de m'expHquer à moi-même , il fe glifToie
d'autres images que ta fîenne', & je ne les re-
{toufTois pas. J'étois toujours tendre & Ëdele }
mais je n'étois plus heureux. Tel fut l'état de
t}ion c(eur« dès que j'eus connu madame de
-M>,Googlc
BB t'rNCONST ak; c e. n
Syrcé. Ce qu'elle tn'iiirpîran'étoit point de l'a-
mour, fans doutej mais c'étoit, après l'amour,
rimpreiEon la plus vive que l'on piiiôe éprou-
ver. J^ofai la comparer à Sidtey.j j'ofai entrevoie
les avantages qu'elle pouvoifavoir fur elle. Pen-
■dant quelqses jours elle m'a fédah au paint dv
mt familiarifer avec le crime ... ou le malheut
d'être incotvftanti Que dis-je ! Moi , l'abandon-
nerois ladi ! J'afflïgerois le cœur ^ui ne s'ouvre
qu'à moi , qui n'a que moi peur confident &
jiour appui ! Je trahirois mes fermens , ces fer-
mens que la probité fit à l'innocence ! Non,
non , toutes les jeuiflances de la vanité ne com-
-^enrent pas le tourment de défefpérer ce qu'on
timoit ... ce qu'on aime encore. AtTermiflez-
«loi dans ma réiblution, au lieu de m'en dif-,
-traire. Le roi , dit-on, revient demain à Choify.
je tâcherai de vous y voir Je vous ai tout dit,
mon cœur s'ett épanché. Ma lettre eft longue,
mais elle contient mon forti à ce titre, j'efpete
que vous aurez la patience de la lire.
Adieu , hiorifieur le duc. Madame deSyrcé..;
n*cft que jolie ; mon Angloife eft belle & fênfiblc;.
L'une jufqu'ici n'a parlé qu'à mon amour-pro-
pre i.Pautreatousfes droits dans mon -ame. Je
rougicois de balancer. Ne me per^ffiez pas trop ,
je vous prie 4 & pardonnez - moi d'être fidèle.
D iij
n;r;>-M>,GOOgle
LES Malheurs
L E T T R E V I I I.
Dff la marqtiîfedt Syret, i madame de Lacé.
V o TB e mari eft cruet avec fa jaloufie. Appa-
remment qu'il vous fait celer mè^ne pour Ici
femmes. Vous avez dû me trouver' bien des fois
écrite à votre porte. Mon amie,je vpulois caufer.
Hélas ! prefque toujours ce befoin qu'on nous
reproche prend fa fource dans notre arae. Qup
la mienne e(l Fatiguée des riens qu'il faut dire!
Je ne m'en dédommage qu'avec vous', & l'on
ne vous trouve point! Mais je fuis fùre, bien
fûre que vous parcagez mes regrets.
ÉJevées dans le même couvent , nées h pra
près avec les mâmes goûts , liées par toutes les
circondances qui invitent les cœurs honnête^
àfe rapprocher, nous nous Tommes promis, vous
le favez, de n'avoir jamais rien de caché l'une
pour l'autre , & d'adoucir ainfi nos peines. Les
fermens du premier âge font ordinairement fri-
voles -, le nôtre ne l'a pas été. Tout ce qui défîi-
nit les femmes n'a point eu de prife fur nous
deux, & le lien de l'entance s'eft fortifié par la
raifon.-Je vous ai pardonné d'être jolie ; vous
n'avez pas fouhaicé que je fulTe plus laide ; enBi)
D,™),.rib,GOOglC
SSLIVCONSTANCB. ff
«eos avons &ât 4e part & d^utrc nps pEeuve»dc
fénérofîté.
Mon an»ie, ?tm le» «ppwencBS d« U légérçt^ ,
nous valons mieuK qu«- t#s pédsni^s qui nous
Jugent. L'évaporadon de l'erptit eft fouveot I»
fauve-garde du cœur,. & l'elîïoid'un fentiment
ne jetK que dqns des écarts de Hinpte étourdcrie
qui valent mieux que des foiblclTes. Malheu-
reufe ! j'élude malgré moi Tobjet de ma lettre i
j'éloigne ce que j'ai à vous dire. Je tremble....
Ah. que l'on méjuge mal ) qus je fuis peu coiinueî
J'ctois encore enfant quand j'ai épaufé M. de
Syrcé. Fendant lex promieres années- de notre
union , vous en FùteB témoin, je l'adorois en
dépit de nos moeurs > des ËDlies de mon âge, &
de la vanité des flonquêtes. Ma fenfibilitéétok
alors recueiHie fur un letil objet. Je fus mère
deUx (bis dans PefpRoe de deux ansi ces nou-
veaux liens ne 6rent que relierrer l'autre; Je
monivreffeauroit duré» fi M. de Syrcé ii'avoh
<dierché bientôt à la détruira. Afa , fans doute*
il m'auroit moins ôté en m'arritchant là vie!
Tant que je le pus, je m'abtïfai fur fes torts,
& ijj'attribuai le crime de fou changement. L'é-
clat & le fcandale de fes défordres dîffipercnt
mon erreur. Je fus qu'il me facrifioit à ces vil»
créatuies qui fe jouent de la fanté , de l'honneur
D iv
D,™),.rib,GOOglC
f6 Les Malheurs-
& de la fortune de leurs amans. Ce fut le tenu
alors des reproches timides , des larmes fecra.
tes , de tous les tourmens que l'hymen apprête
aux époufes abandonnées. Sous les yeux d'une
mère refpeâable , & qui joint aux principes les
plus féveres l'ame la plus tendre , je cultivoïc
les fruits d'un amour H mal técompenfé { je
veillois moi-même à l'éducation de mes enfant ,
& j'efpéreis par cette manière de vivre , ramenet
M. de Syrcé. Efpojr inutile ! plus on le trompoic
ailleurs , plus il eût trouvé ignoble d'être heu-
reux chez lui. La tranquillité d'un bonheur do-
meftique i'auroït rendu trop étranger i fon
fiecle. D'ailleurs je n'avois point à me plaindre
de fes procédés. Jamais un nuage fur fon front,
jamais de défiance dans fon cœur. Toujours
ferein , toujours tranquille , pourvu que je ne
m'avifalTe point de contrarier fa conduite , il me
laiUbît ablblument maitrelfe de la mienne. Je
ti'abufois point de cette liberté; mais infenfl-
blement l'ennui me gagna , l'humeur me prit ,
mon ame ardente & vive s'échauffa par la con-
trainte, & s'indigna d'aimer fans retour. Fati-
guée de fouffric , effrayée de l'abandon ,' ne
trouvant autour d'elle qu'on vuide affreux , elle
chercha au. dehors toutes ces iltufîons qui ne dé-
dommagent point de la perte des vrais plaifirs. Je
Tolai ver» un monde que j'avais fui i ne pouvant
h.,Go()L^lc
DE LINCONST&NCB. fj
prétendre à la félicité * j'avoîs berotn d'ivre^ ;
j'avois befoin ( it faut bien tenir à quelque chofo)
des adorations de ces mêmes hommes que je nu
promettois de ne jamais aimer. Je tus des romans
^ur amufer mon cœur, j'écoutai les hommages
pour étourdir ma tête , & j'appellai la coquet-
terie k mon fecourfi , pour tromper ma fenlîbî-
lité. Je voulois être ficelle à mes devoirs; mats
je vDulois en même tems pro&ter de tous les
droits de mon âge , de ma 6gure & de mou
caradere. Avec de pareilles dirpolltiona , j'eus
^ntât une cour brillante & nombreufe. Lors-
qu'on ne les effarouche pas trop , les hommes
arrivent en foule > & on les garde tant qu'on
ne leur accorde rien. Ce fut là tout mon art i
les femmes toujours bien intentionnées m'en
foupçonnerent un autre. Il eft vrai que j'eus
quelques apparences contre moi. Plus je me âois
i ma fageâè , moins je m'obfervois fur les iudif-
crétions : ce font elles qui nous perdent. Le
défordre décent s'attire le refpeâ , & l'on fe croit
toute Rccufation permife contre celles qui tien-
nent plus à la vertu qu'aux bienféances. J'avois
vingt adorateurs ; on me donna vingt amans.
Perfonne n'excita plus que moi cette forte de
•déchaînement qui flatte tes unes > afflige les
autres , en aigrit quelques ~ unes > & que touteG
D,™),.rib,Google
fH LesMalheurs'
devroient éviter. Jcrerpirois l'encens; Je maiv
chois fur les fleurs , tout preuoic à mes yeux un
airdefète^&ceteDchantementnaiâbit de mon
indépendance. Que ne l'ai-je confcrvée ! Que
ne puis-je la reprendre ! Hélas > hétas , combien
elle efl; loin de moi ! Voilà ce qui opptelTe mon
c<7eur , ce que je veux vous avAuer, ce que je
crains de vous dire , ce que peut-être vous faviez
déjà. O mon amie , je pleure dans votre fein i &
mes larmes font un aveu. J'aiine!. .oui, j'aime,
mais j'aurai la force de le cacher. O'où vieni
que je frémisî' Je ne fais quel préfage intérieur
m'annonce qua ce fentîmentaura pour mot dei
fuites funeftes. Il troublera mes jours ; il les -
abrégera fans doute. N'importe ; je m'y livre
d'autant plus qu'tt'm'aiarme davantage.
Je n*ai pas befoin de vous nommer l'objet de
mon idolâtrie. Il me femble que tout le monde
doit le deviner ; que lui feul dans la tbule de nos
jeunes gens peut attirer les regards, &, s'il efl:
poÛible, juftiâer une foiblelTe. Une foibledc!
ah, dieu! ne le craignez pas. Félicitez-moi plu-
tôt de mon courage ; il efl; égal à mon amour.
Du moment que j'ai vu te comte de Mirbelle
(ton nom m'échappa* il e(l toujours fur mes
lèvres), de ce moment j'ai fentt ce défordr^
involontaire, avant-coureur des grandes paf.
D,™),.rib,GOOglC
BB L' INCONSTANCE. ff
0ons. Il s'eft nccru de jour en jour , il eft à Ton
comble ; mais j'ai fuie renfermer. Plus mon
ame efl: agitée , & plus jç lui montre de froideur.
Je coura pliis que jamais; je pocte avpc effort
dans le tourbillon d'un monde indi^rent la
bleâiice d'un cœur en^^mmé; je n'y cherche qup
le comte de Mirbelle , & j'ai l'air de )ie t'jr pu
appercevpir. A peine reçoîs-je fes vifîtes,. J'aime
mieux le rencontrée , & même le fuiCt quç de
l'attendre. £n un mot > M m? croie in JMfte pour
^ui > lorfque 1^1 feul m'oçCMPf* Telle efl: ma lîtua-
tiou, il ne la faura jatnais.>Vous êtes la feule
dans l'univers à qui j'ofaSe la çonËer. Jugez Aç
ce que je fouâre, & de ce qqe jevfiis rpuârir!
Aimer Si fe taire ! Aimer , & ne fiivoir p4s même
fi l'on obtiendra du retour \ Craindre cent riva-
les , & n'avoir le droit de fe plaindre d'aucune ;
aimer pour fon tourment) & ^V complaira» -
dévorer fes larmes, fes it^quiétudes^ Tes jaloii-
fies, & mourir lentement d'un f?u dogt<^ ti9
veut pas guérir! Telle ell; pourtiint (^ réfolu-
tion de cette Femme fî légère , Çi frivole i qu'oïl n
jugée fî crueUement , & qu? la n^ltui^o < ^'^us des
dehors fuperficiels * a rendus furceptible d^
plus profondes imprelTions.
Dans l'état de contrainte où je fuis , je n'en^
(revois qu'une lueur de coofolation. Le comte
D«),prih.,Google
4So Les Malheurs
jufqu'ici n'a rendu à aucune femme des foins
fuivis. II les voie toutes fans préférence décidée.
Je ne puis vous exprimer à quel point cette
idée adoucit mes ninux. Soulagement palfager!
il faudra bien qu'il aime. . . Et ce fcroit une
-autre que moi! une autre )ouiioit du bonheur
dont je me prive! une autre recevroit dansfes
hras l'être adoré que le devoir écarte à jamais
des miens ! .... Ma tendre amie', unique con-
fidente de mes peines, jefacrifierai tout, pour-
vu que je lois innocente à mes yeux, que ma
■gloire foit entière ,- & qu'il fe mêle de l'héroïfme
au feul attachement qui m'ait jamais préoccupée.
Je vous inltrutrai du luccès de mes efibrts ; je ne
> parierai qu'à vous de ma tendrefle , de mes com-
bats. Le comte de Mirbellc les ignorera toujours.
J'aifeâerai d'être encore plus dillipée, de peur
qu'il ne'lbupçonne combien je fuisfenfible; &
11 je réloigne,je m'applaudirai en le pleurant,
4'un triomphe .... dont il faudra mourir.
Vous allez vous récrier fur l'extravagance de
mon projet. Que voulez -vous? les extrêmes
«n tout, voilà mon élément. Ah.' laiflez-moi
ïéver î lailTez-moi me repaître de chimères. Ma
prétendue folie cache peut - être un fonds de
raiCon, qui n'attend que des cîrconflences pour
Te développer. Je ne puis vous rendre compte de
-M>,Googlc
DE L'IN CONSTANCE. 6t
tout ce qui fe paâè en moi. Si je lutte contre
mon penchant avec tant de vivacité , c'eft parce
que rinftant où je lui céderois feroit pour moi
répoque de tous les malheurs . . . peut-être dea
plus grands écarts. Il n'eft rien que je n'immo.
Infie à l'amant auquel je me ferois donnée. Quel
ièntiment que l'amour ! fous quels traits il fe
peint à mon imagination ! C'eft là que foii pou-
voir eftabfolu, qu'il jouit de lui-même , & s'é-
pure par ladélicateâe ; c'elltàqu'il eft vraiment
un dieu. Infenfée \ que fais-je ? que dis-je ? Ah !
je ne me repens de rien ; je fuis fùre d'augmen-
ter votre eftime , par la peinture vraie de ce que
j'éprouve. La pailîon , au degré où je la relTens >
ne dégrade point , elle élevé. L'énergie des fem-
mes eft toute dans Pamour. Ne me conTeillez
lien .... Je voiis dirai tout ; je n'ai que vous
qui puiiBez lire dans mon ame. Mon délire , tout
violent qu'il eft, n'afFoiblira jamais l'éternelle
amitié que je vous dois ; & H mes prelTentimens
ieréalifent, elle partagera mes derniers foupirs
entre vous & le mortel que j'aime, i
^to rrS j f ^= I ir aïf
LETTRE IX.
Du comte , ait comte de Mirhelle.
£h vécité , mon pauvre comte, vous êtes d'an
-M>,Googlc
&t LssMALtïetjit's
pathétique auquel on ne s'attend pas. Votftf
lettre efl \iat tragédie toute entière. Quoique
:e ne fois pas fait aux romans lugubres > le vôtre
m'a profondément touché i & fî par haiard vous
aviez encore quelques hiftoires dans ce genre
dramatique, )e vous prierols de m'en faire
grâce, 5t d'épargner mon extrême fenfibilité.
Vous avez raifon j mon extérieur trompe. Quoi-
que jeplaifante alTez volontiers de tout, je n'ai
pas trouvé le mot pour rire dans le détstil que
Vous m'avez fait de votre intrigue avec l'An-
gîbife. J'en ai encore l'ame toute obfcurcie. Je
ne favots pas , monficur , que ta vieille mère ladi
vous eCiC donné en mourant ta bénédiétion nup>
tiale. Aâurémeiit la chôfe n'elt pas gaie ; mais
elle eft édifiante , & cela vaut bien mieux. C'en
efl: donc fait ; vous voilà réduit à votre merveille
de Londres. Je vous vois avec un pareil amour
percer bien avant dans les ûetles. Je veux croire
qu'on n'a point trompé votre inexpérience, &
qu'on ne s'eft point arrangé exprès une potn-
peufe infortune pour amorcer votre "compatif-
fante jeuneflè. Je fuis bon homme j j'ai ta foi
d'un enfant. Le vieillard , la tour, les petfécu-
teurs, les bourreaux, je laifle tout pafier. Je
n'examinerai pas non plus fi cette paffion peut
saûxc à votre avjmccoient , & vous couvrir d'ua.
D,™),.rib,GOOglC
D s L ' I H C N S r A R C E. 6^
ridicule ineffaçable. Qu'eft-ce que le ridicule,
quand on s'en dédommage pat les platlirs dit
cœui! Que vous font les biens de ta fortune,
pourvu que vous pofledie2 à une lieue de Paris
une belle étrangère qui n'a ni parens , ni amis-,
& s'oublie avec vous dans un nouvel éden que
vos mains ont planté ? Cette vîe etl vraiment
attendriûante } c'eft l'âge d'or reiTufcité. Etois-
je aûez fou de vouloir détourner votre atten-
tion fur la petite marquife ? En confcience , elje
n'ell point de force pour lutter contre Sidley.
Une femme Frivole , dont tout le monde parle,
qu'on cite par-tout] bien venue à la cour* tètée
à la ville , courue de nos jeunes gens les plus k
la mode , brillante enân de tout l'éclat de la jeu-
neflè, delà répuwtion desCTrowrj/ Qyellehor-
reur! te moyen de Te charger d'une pareille
maitreffe ! AulH ne vous preâe- je plus de lui
rendre vos hommages. Il lauc vous enterrée
«vec votre Angloife, ne voir qu'elle , ne prifec
qu'elle, filer la paftorale , & méprîfer bien forC
tout ce qu'on en pourra dire. Votre fàmills
criera un peu ; mais qu'importe? On fe fauv*
dans fan jardin ,on s*y barricade avec fon ange»
& l'on fe moque de l'univers. Il vaudroit mieux
que tes parens fe mèlatTent de contrarier nos
goû») & d'enlever i l'injioGsace d'une via
D,™)..rii>,.Google
tf4 Les UkLKEVKt
champêtre, de jeunes cœurs qui femblentit^
pour elle ! Je fuis fîtr. , par exemple , que le che-
valier dcGéracvous entretient de toute fa force
dans ces louables difpofltions. C'eft bien le petit
pédant le plus aufiere que j'aie encore rencon-
tré } & je ne fais quel mauvais vent nous apporte
ici ces minces genttllâtres qui , du fond de leurs
châteaux gothiques, viennent nous affliger pat
des vertus plus gothiques encore. C'eft une vé«
titable irruption [que la nuée de ces gens-là. Je
les compare à ces coups d'air qui nous arrivent
du nord pour attrîfter notre horifon. Vous me
trouverez fans doute bienofé de vous dire mon
fentiment fur le moniteur de Gérac} mais, ne
vous conteflant rien fur vos amours , j'ai cru
qu'il m'étoh permis de critiquer un peu vos
haifons d'amitié : celles-là n'ont point d'excufes.
Il a des vertus , me direz- vouS' ? Des vertus ! dites
des préjugés bourgeois , qui tiennent i la touille
de la province , & au défaut d'éducation. Ces
vertus-là ne datent derien, ne prouvent rien«
ne mènent à rien. Avec cela on recule, au lieu
d'avancer. Elles font des pédagogues de garni-
fon , & à la longue de vieux capitaines mutilés *
qui , après s'être fait caficr bras & jambes fans
que la cour s'en doute , s'en vont dans leur chau-
Biieie natale guerro7et> s'ils lepcuveat , contre
D,™),Prib,GOOglC
fi s 1' I s C O N s T A tf C E. 4f
un pauvre diable de curé qui les maudit de
leur vivant * & le* enterre avec délice. En
voilà trop fur cet article. Au relie « tnonlieui:
le comtâ t TOUS êtes bieil le maître de votre con-
duite. Le zèle ne doit point être une tyrannie.
Le mien fe plie auJE circonfiances. J'avois cru
entrevoir en vous les plus heureufes difp«fitions
pour aller au grand , marquer dans votre fîecle ,
& faire adroitement fervir la frivolité aii fuccèa
des plus hautes prétentions. J'imaginois fur.
tout que vous auriez ta forte d'efprit qui fub-
)ugue les femmes* les pique* les défole* tes
ramené tour à tour, les aflujettitau plan géné-
rât qu'on s'en tracé > tourne au profit de Tam-
fcition la mobilité des intrigues , & fixe le fort
par la variété des plaifirs. Le eomtnandeur de
» ## vous a mieux jugé que mot. L'autre jour «
dzn& Pttil-de-keufiW me foutint que vous ne
prendriez jamais un certain eSbr Je lui dis que)
je vous avois prefqu'arrangé avec madame de
Syrcé : il voulut parier coiitre le fuccès. J'ac-
ceptai la gageure % elle eft perdue pour moi , &
je ne regrette que mon opinion. Madame de
Syrcé, dites-vous »m'eft échappée ; donc vous
ne devez pas l'entreprendre. Excellente logique î
Si vous étiez d'humeur d'entendre , )e vous ré-
pondrais que le moment eft d'autaat plus favo
Twua V. E
D,m..M>,. Google
6S Les Malheurs
rable pour vous, qu'il ne l'a pas été pour moi.
Les femmes, monûeur le comte, n'ont point
des forces de rcfte; & quand -elles viennent
d'être fatiguées par une téfiftance douloureufe,
c'elt une raiibn de plus , je crois , pour qu'elles
ne tiennent pas à une féconde attaque. D'ail-
leurs , que prouve un caprice ? Ne diroit-on pns
qu'avec elles Us rigueurs de la veille fîgniËenc
quelque chofe pour le lendemain ';' Si j'avois eu
deux jours de plus à perdre , voas n'auriez pas
à me faire une pareille objeâion. Croyez - vous
de bonne foi à I3 fageâc de la marquife 'i J'ai
fait une faute , je l'avoue. J'ai trop alHcbé mes
intentions; ma célébrité.lui a fait peur, & c'ell
le public qu'elle a craint. Otez le fcandale , il
n'y aura plus de cruelles , & les femmes feront
tout auŒ complaifdntes qu'on voudra. Elles ne
font jamais làges par fentiment.
Encore une fois, les îuconvéniens qui m'ont
nui n'exilloient plus- pour vousi& vous auriez
fait taire la médifance , ou plutôt la calomnie ,
qui vous limite aux intrigues fubalternes. Il
ne Biut plus penfer à tout cela. La mère de tadî ,
du creux de fa tombe , vous crie d'être fidéte ; Si
les mânes de milord s'éleveroient contre vous,
iî vous celTiez de Tètre.
Adieu , mon cher comte. Je ferai toujours
fttrt aife de vous voir » malgré vos lameotables
;,N>,Go()L^lc
DEtINCONSTAWCB. 67
amours , & la vénération que je ferai ibicé (Ta.
voir pour vous>
L E T T R E X.
Du comte de MirheUe , au duc.
C^OE VOUS Êtes cruel • que vous entrez nul
dans tous les embarras de ma fituatîoïi î La
{lerlîfHage n'eft bon qu'avec ceux qui (ont aflcz
tranquilles pour y répondre : il aigrit les cœurs
bleOes. Permettez- moi de vous le dire, le ton
que vous prenez n'eft celui, ni de ta fupério^
rite , ni de la raifon. L'une cherche des moyens *
l'autre en fournit : vous ne faîtes ni l'un ni
l'autre , & je n'eus jamais plus befoin de ref-
fources ou de confolations. Je vous en veux,
je ne puis le taire. Vous m'avez conduit dans
le piège , & vous m'y laiflez ; & c'efl: du botd
même de l'abyme que vous raillez le malheu-
reux que vous y avez précipité ! Sans vous ,
je n'aurois point connu madame de Syrcé. Dou-
cement enchaîné par mes premiers nœuds , je
n'enaurois point defîré d'autres. C'efi vous qui
m'avez peint cette conquête fous des traits .
dont la plupart ,ont féduit ma vanité . & dont
quetqueS'Uns peut-être font arrivés jufqu'à mon
cœur* Vous n'êtes pas à vous en appercevoir.^
^ E ij
D,m.f.ril>,GOOgle
iH LssMALHEVRf
l'alite ma lettre décelé les combats d'un homnïr
iwnnète qui lutte contre lui-même i prend fe»
repentirs pour des réfolutions , fe diflîmule Ça
foibtelTe , pefe exprès fur les motifs qui h ten-
droient coupable , &s'app1aO'}it()u moins d'ea
méditer le facrifice. Oui, oui , (i )e me fuis re-
pofé avec complaifance fur les détails qui font
paroicre ladt Sidle^ plus intérelTante encwe »
c'étoit pour tous appeller à Ion fecours , ouvrir
Votre ame à Ton infortune , lui acquérir un
défenfeur ; & vous, au lieu de mlnterpréter
comme je Is voulois , vous cherchez à me rem-
plir de défiances injurieufes , vous outrifgez la
candieur même f Ah ! le monfonge n'approchs
jnmais de l*ame de Sidlejr. Tout ce que je vous ,
ai dit,ra*a été confirmé par les perfonnages le»
plus refpeâables. Mais c'eft elle feule que )e
V6ux croire : fan cœur eft Te fanâuaire de la
vérité. O caprice inexcufable de l'homme ! on
rend )ufttce â Tobjet , on fent la force du Hen ■
& Voti auroit le trifte courage de le brifer ! Qu^
cftdoncce vuide 'éternel du cœur? Quelle eft
cette inquiétude que rien ne peut fixer ? Attrait
iu changement , tu promets le bonheur I Hélas t
que d'amertume te fuît f que de regrets t'em-
poifonnent ! Je les préviendrai ^ . . je m'accou-
tumerai à voir la marquife d'un ceit indifférent ,
i ne plus fentir fes dédains , à cire de fes ab-
D,™),.rib,GOOglC
DE t'i 19 C O M S T A S C E. 69
. fènen fîmulées , à vaincre en un mot une faru
taiûe qu'on potirroit dianger en palEon par
t'adrefle des obftacles , te jeu des -caprices , & la
favant emploi de la coquetietie. Avec la fagacité
que je vous oonnors, comment ne voyez- vous
pas t)u*on n*a nulle idée fur moi , & qu'on fe
moqueroit de mon amour,, fuppole que j'eufle
la folie d'en prendre ? Sur quatre vîntes on ma ' -
«eqoit une ; & pendant une froide converfation
qui expire à chaque inftant , on a des yeux dif>
traits qui femblent m*éviter. S'û entre un autre
homme tandis que je fuis là , vite la galté re-
naît, les regards s'animent , il feaible qu^on Toit
foulage d'un fardeau i & j'afflige au point que.
^us ceux qui furvîennent ont L'aird'ètre au-
tant de confolateurs. Voilà pourtantoù j'en fuis^
& je m*en félicite. J*en fèns mieux le charma
de ladi, de cette ame ouverte & Tranche, que '
le manège n^a jamais déshonorée. Peut-être auflî
^e je fuis injufte ; peut-être n^entre.t-il point
d*art dans la condirite de la marquifè. Je ne lut-
înfpire rien , & elle ne fait poinc feindre ^ je la
qrpis étudiée , elle n'eft que aaturelle. . . Voilà
toi^t te iècrct de fa contrainte «vecmoi * de la
Téferve de fes difcours , & des efpeces âe que-
relles que (ôuvent elle me fait fans que je Ifil
W méritées, fieurenfèment je n*ati poux elle
£ iij
. D,™),.rib,Godgle
70 Les Malheurs
qu'un goùE très - équivoque , & qu'il me feni
facile d'éteindre. Le petit dcpit qu'elle me caufe
m'épargnera des peines cruelles ; & dans ce
moment ci, fa cruauté eft un bienfait. Que de-
venois-je, fi ma tète s'étoît BiJumée, & qu'un
peitehant invincible. ... Je ne puis m'arréter
à cette idée. Que feroit devenue Sidley, à qui
j'ai fait quitter Ton premier afyte ,que j'ai en-
traînée ici , qui n'y connoît que moi , n'y veut
connoitre que moi , & qui s'accufetoit d'un
crime , îi elle ofoit former un fbtipqon? Sa fîtua-
tion n'aurott pu qu*ètre niTréufe ; la mienne Veut
été davanta'g»! C'en eft fait: malgré l'amertume
de vos ironies, la malignité de vos repréfenta-
tions , & toute la foupleifc de votre éloquence ,
je m'applaudis de mon entier retour vers l'objelf
dont il eft impoftîble que je me détache, làn;
la plus noire ingratitude. Vous ne vous êtei
point trompé : le chevalier de Gérac m'aâèrmit
dans meà fentimens. Cenfeur inflexible de tout
ce qui n'eft pas honnête * it s'enflamme pour
tout ce qui l'eft; & le titre feul de mon ami au-
roit dû le mettre à l'abri , montreur le duc , du
ptirtrait cruel que vous m'en faites. Je ne m'a-'
muferai point à défendre fa nai0ance. Sans étrç
iUuftre , elle eftancîenne ; elle a fourni de tout'
tems i rétet. de brares gentilshommes qui ont^
D,™),.rib,GÔOglC
DE LINCONSTANCB. ?!
verfé leur fang pour lui. Tant pis pour ia cour ,
Cl de tels fervices font reliés fans cécompeiiret
mais ce qu'il m'importe de défendre , c'eft fon
ame , fbn caraâere , & mon choiic : i^ m'honore ,
& le juftifie. Si Gérac dédaigne les honneurs ,
c'eft par amour pour la gloire ; & s'il n'e4^ pas né
pour écre un courtifan , il a fûïement les quali<.
tés qui forment le âtoyen. Pour peu que vous
leconnoifEez mieux un jour , vous rougirez de
J'avoîr jugé £ mal ,~ & d'itroir emploiré des ex.
prenions de mépris en parlant d'un homme qui
mérite vos égards , les miens > & que fon noble
délîntéreOementmet au-deiïiis des proteâeurs.
Pardonnez la chaleur de mes exprellions au
mouvement d'un coeur que vous avez affligé,
en cherchant à dégrader ce qu'il aime. Malheur
au lâche qui ne fent pas l'outrage qu'on fait k
fon ami !
LETTREXL
Du chevalier de Gérac , au comte de Mirbeïïe.
j'ai été défefpéré , mon cher colonel , de ne
m'ètre pas trouvé chez moi quand vous y avea
pa0e. J'étois occupé de viûtes fort ennuyeufes.
A mon retour on m'a remis votre lettre ; je l'ai
F, iv
.■^Google
li LesMalhedri
tue avec le plus vif intctèt. Vous voilà donc es -
que vous devez être } vous voiU rendu à voue-
même , aux principes qui font en vous , & dont
un mouvement étranger peut feul vous diftraire,
j'étois bien afHigé de vous voir héfit«r eut»
deux fentimens , dont l'un énoic â peu &tt pour
babuicer l'auure.
Je ne connott nî madame de Sytc&t ni Toti«
«harmante Angloife } maïs » vous le favez , j'ai
toujours plaidé en faveur de celle qui vous ^
4k>nné fon coeur , 5: qui a des droits fur le vâtr e.
Je fais qu'ici les hoaunes ne Te font point un
fcrupule de féduine les femmes lâns tes aimer »
de leur prodiguer les hommages tant qu'elles
réfîflent , les affronts dès qu'elles fuccembent *
■Si de les enivrer pcHir les avilir. Cette eruaut^
tli trop itrangereà votr« ame pour que je Vous
■en foupçonne jamais. Ce fexe que nous oppri-
mons mérite «os égards i proponion même d«
fa foibleâe.
Voyez , mon cher comte , quel eft le pouvoir
■de ta contagion. Sans penfetcomnae les autres.
vous étiez près d'agif comme eux. Les malheu-
reux ! ils prétendent à la félicité , & commen*
cent pat en empoifonner la fource. QuUls eu
faientd'eftimer les femmes: ils verront G elle»
ns deviendront pas efUmables. Ont-ils le droit
D,m.f.ril>,GOOgIC
O s S' s N 4: .0 » s T & s C C 71
é»raépnSet les mœprS qu'ils iafpireat, & dt;
punie ce qu^itst^infeUJent;? Quand nos maitceG-
fes nous ttompenc & le dégradent , l'opprobre
en eft à nous. Elles devinent. & leur inconC
tance n'eft que le pr^âènciment de notre per.
£die. J'ai toujours détefténos foi-difans hommes
i bonnes fortunes. L'alpeâ d'un fcul me rappelle
xa»\gté moi l'image de vingt infortunées. Sous
l'aménité des dehors» ces fttres-là cachent une
jinie féroce. Ils reflemblent aux conquérans :.
.comme eux , ils fe repaîâent de pleurs i & vec-
lètoienc le fàng commeeux > s'ils n'étoient pour
l'ordinaire plus lâches encore que vains. Leur
ame eft glacée, leur eCprit aride ; & fans le mou-
veotent de leurs petites intrigues , ils ne feroienc
plus que des automates accablés de home, de
ddicule & d'ennui. Peut-àtre , mon cher comte ,
lie tableau eft41 un peu chargé ; mais il efl; bon
•d'exagér» quelquefois, pour arriver au but'
-qu'on fe propofe. Qiiand l'écueil eH marqué ,
jon ne v^ pas fe brifèr contre.
Vous allez me trouver bien moralifanc pour
mon âge} & cette circoitftance auprès de tout
autre, ûteroit peut>ètre un peu de crédita mea
confeila : mais vous avez trop d'efprit pour que
Cet inconvénient foit à craindre avec vous. Un^
' mentor de vinst-cinq ans , quand il etibien né ,-
D,m..M>,. Google
74 LesMalheoss
peut être nuflî utile qu'un pédagogue dé (oiximtej
La raifon qui ne fft fourient que fur des ruines ,
etfacQUche } & le fentiment de ce qui eft bien ,
vaut quelquefois miffuxque les lenteurs de l'ex-
périence. D'nilleurs , qiuitfd ta vieillelTe inftrilic,
Qii lui fijppofe toujours le chagrin des priva-
tions. Elle défend ce qu'elle àapeutplus faire,
& dèS'Jors fa rigueur paroitintérelTée : mais que
rinlUuâiou acquiert de force , quand eUepart
d'un eCprit fufceptible de toutes les illullons , &
d'un cœur en proieà tous les fentimens ! Alors
plus de fubterfuges pour l'éluder ; il faut en
croire Ton ami , ou s'accufer roi-même.
Je n'ai jamais conçu , mon cher comtç , pour- •
quoi l'on rcfufoit à notre âge le droit des avis
& des leqons même, s'il le faut. Dans l'efFer-
vefconce de la jeunefle , Ci l'on n'eft point hon-
nête par raifonnement , on l'eft par înllinifl ■' ]c%
traces de Nnnocence font plus fraîches ; on n'a
point encore avancé dans la vie , on ne s'cft
point endurci pat fa propre infortune ; t'ame
n'eft point cuvette aux calculs qui la fechent }
m'oins limitée à foi , elle a plus befain de fe
xépandre; elle aime davantage , parce qu'elle
croit au retour, & les fruits empoifonnés que
les ans amènent ne mêlent aucune amertume
à La pureté des impreilîons. Les années formeni;
h.Gooi^le
DE LINeONSTATJCE. 7f
des fages : la jeiinefle eft la faifon des vertus j
vous en êtes la preuve. Pardonnez. moi cette
digrcirion. Elleeit arrivée fous maplunie, &
je ne rejette jamais rien de ce qui m'eil infpiré
par le fentiment. Oui , mon cher comte , à tout
Âge nous portons en nous-mêmes une règle
invariable : c'eft d'après elle que vous revenez
à vos premiers liens , & que je vous affermis
dans ce prpjet. En ngiâiiiit autrement » nous
ferions injudes tous deux. La femme qui doic
vous être la plus chère ■ eii: celle qui vous a le
plus facrlBé , dont le cœur eft éprouvé par Is
tems , & qui , nV^tit rien perdu de Tes char-
mes , ne doit rien perdre de fon bonheur. C^and
1« defir a fa fource dans l'ame * il eft éternel i
& l'efpece de calme où ladi Sidlejr vous a lailTé
quelque tems-, était votre tort beaucoup plus
que te (len. Combien elle me paroic intérel>
Tante! Pour juger à quel point elle vousaimé «
zappetlcz-vous la confiance qu'elle vous mon*
troitdansle tems que vous étiez à la veille de
la trahir. C'eft de vouS-mème que je l'ai fu : elle
fe refugioit avec fécurité dans des bras qui
étoient prêté à s'ouvrir pour une autre. Voua
lui teniez lieu de l'univers ; nulle alarme, nul
foupqon: elle croit qu'auprès de vous rien, n'eft
à craindre poui elle.
-M>,Googlc
?£ Les Maliïsuiii
O mon cher comte , récompenfez ramult
par t'amour, l'eftîme par l'eftime. Ne foyon»
jamais inhumains- avec un fexe foible , avide
de bonheur , & fî bien &tt pour le fentir. Ar-
racher une femme à l'enchantement d'une paf-
£011 tranquille , c'eft plonger le poignard dans
le fein d'un enfant qu'amufe un Tonge agréable.
Je ne nuis {ïoint à madame de Sytcé en d^en-
dattt fa rivale. La première n'agit que fur votro
imagination : elle n'a aucuns droits à voir*
reconuoi^ance. Vous l'avez rencontrée, voue
avez même été cher elle i elle vous a paru joUe,
votre tète s'elï allumée > fon amour-propre en a
joui , fon coeur s'en eft moqué : voità ce qu'elle
vouloit ; elle n'a plus rien à vous demander » &
elle doit être fort contente de vous.
Le feul article que je n'ai pas simé dans
votre lettre, o'eft celui où vous m'en psrlez.
Vous ne tarifiez point fur fon éloge. Dans la
crainte que )e ne la viCe pas telle que vous la
voyez , vous m'avez fait fon portrait vingt fois.
Je ne me conduis guère par l'opinion publique i
mais , vous le favez , elle n'eft pas très-^vorable
àla marquife. Elle eft. dit-on, étourdie, diffî.
pée , Te montrant par-tout , ivre de conquêtes ,
vouée aux imprudences. Je n'en fais rien : il eft
|iol£ble qu'on la calomnie. Auflî ne font-cé-
-M>,Googlc
»i l'isconstakce. 77
]roinc tous ces défauts que }e vous oppuferois »
il vous étiez libre, & réfolu â lui rendre des
foins. J'aurois alors des laifons au moins aulfî
fortes pour contrarier votre amour.
' Mon cher comte , fi la marquife n'y prend
garde « Ton règne ne fera pas long; Jà figure
paâera , Tes torts ( ruppofê qu'elle en ait ) n'au-
ront plus de voile , & Ton efprit lui reliera pour
la punir. Ces fortes de femmes font des éclairs.
Leur éclat eft trop vif pour être durable ; &
quand il ce/fe , la trace même en difparoit
Je ne finis pas , je vous tmiie : il faut que ma-
dame de Sjrrcé ait un charme pour èâte parler
d'elle.
1 Je vous remercie" de vos offres obligeantes.
Songez à votre bonheur; ce fera ne point né-
gliger le mien. Vous me connotdez . je fers de-
puis quatre ans fous vos ordres; & pendant ce
tems , je ne crois pas que vous ayez découvert
en moi la moindre avidité pour les récompenfes.
Je me partage entre les foins de mon métier , &
ceux que je dois à mon père, vieillard refpcâa-
bte , qui vit dans fes terres , chargé de bleffures.
au>deâus des honneurs ■ ignoré de la cour, &
adoré de fes vaSàux. Je me fuis nourri de fes
principes. Tant que les avions ne parleront pas
pour moi , }e ne veux pas que les diftîuâioiis
DinD^PrihyGoogle
78 Les Malheurs
dépofentcomre.Jepréfere la patience laborieufe
àe rhomme courageux à ToiAve atflivité du cour-
tifan: l'un a delà honte à couvrir ,iUuifitutclés
titres i l'autre ne veut que de la gloire , & il au
tend les occafîons.
Adieu, monlieur le comte i encore une fois,
fongez à vous ; parlez un peu moins de madame
de Syrcé , foyez fidèle à votre Angloife , & faîtes
£ bien que je ne fois jamais obligé de la défendre.
■te = ^ gy
LETTRE XIL
D« vicomte de***, au duc.
V' ELà vous plaît à dire, mon cher duc: mais
g'uand on s'ennuie , on n'a la force de rien. Avec
fes indulgences & fes cérémonies éternelles »
Rome eft bien le plus mauflade féjour que J9
connoilTe. Mon oncle , qui eit très-chaud pojiti.
que, eft encore amateur plus zélé des rites reli-
gieux ; de forte que je fuis obligé , trois ou qua-
tre fois par femaine , d'être dévot à mon corps
défendant. Je fuis phitofophe m(ji ; je gcnéra-
lifemes idées* & j'envifage les chofes fous un
certain rapport dont mon oncle ne s'eft jamais-
doute. Qiiant auxmon umens , vous m'avouerez
que c'eit une vue bien froide pour un horams
Dim.fMi,. Google
DB LINCQMSTANC^. 79
de mon âge , qui n'eft pas fou de toiles pein-
tes , & qui n'aime pus plus tes femmes de marbre,
qu'un C . . . . n'aimèroit des pages de bronze.
Que m'importent les allégories de Paul Véro-
nefe ,1a transfiguration de Luc , & la chîtte des
anges de Raphaël!' Je crois que ;e confonds. . . .
N'importe, il faut toujours citer. Je voudroia
bien , vous qui parlez , vous voir réduit à admi-
rer la noce AUobranâine , &les ftatues de Ber~
nin , ou de Bandhielli.
Je faute à pieds joints fur les ruines & lïs
tombeaux. Je ne vous entretiendrai pas non plus
des rpeâacles mefquins de cette augutte ville.
J'aime mieux nos petits intermèdes . nos bal-
lets éiégans, ¬re-opéra, tel qu'il eft, que
les longues repréfentations qu'on nous donne
ici. Je vais un peu vous furprendre ; mais, je vous
le discon6demment , ceque j'y trouva de mieux,
ce font les filles de joie & les arlequins. Voilà»
mon cher duc , le fruit de mes obfervations.
Ne croyez pas cependant que j'aie manqué
d'aventiires , même dans la bonne compagnie.
]>s Italiennes font accommodantes ; elles me
goûtent infiniment, & me trouvent fur- tout
très-fenfé. On dit que les maris font dangereux ,
fur-tputpour tesîndifcrets. J'ai échappé jufqu'à
préfent à leur vigilance. Je n'ai lien eu à démêler
IV Google
avec eozt & n'ai traité qu'ave&leurs fenimefl. &•
)es font âuâes , comme de laifonj maïs elles one
la peau douce , rhumear careflknte ,. & je leur aï
trouvé beaucoup de candeur dans le phyfîque.
. A propos . il Biut que je vous conte ce qui
m'eft anivé avec ta femme chez qui nous lo*
geona . & qui > comme vous en jugerez vous-
même , a une façon charmante d'exercer l'hoC-
pitalîté. Cette dame » dont Tépoux eft t'ami de
mon oncle, eft d'une femille dilHnguée dan»
K>ples : auffî fe conduit- elle avec toute la dif-
tinâion imaginable. Elle a dans l'extérieur une
nonchalance que je n'ai encore vue qu'à elle s
elle laiâe tomber toutes fes^paroles , & n'en pro-
nonce pas une. Sa gorge , qui elt ravivante, n'eft
jamais contenue que par quelques rubans noués
avec négligence , & toujours prêts à fe détacher
en cas de befoin. Son œil eft mourant, & n's
qu'une expreflion de langueur qui invite à tout»
&ns promettre grand'chofe. Le mbindre voile
lèmble tut pefer ; & tout le jour anéantie fur lea
carreaux d'un foplia > elle s'y abandonne aux
plu» féduifantes attitudes. Cette manière d'être
commença par allumer en moi de violens defirs i
mais il fembloit qu'elle n'eût ni la force de s'en
appercevoir , ni la volonté de tes fatisfaire. Je
défefpétois de cette conquête • & ne voyoïs dan»
le»
h.,Go()ijle
O E L' I N C N S T A N C E. ^t
jesréux de Yiàoh aucun indice de fuccès : ane
"circonftance hâta mon bonheur. Le mari , jriouK
■comme tes Italiens l'étoient autrefois , aime (à
femme aveâ faceut} mais it aime encore plus les
tableaux que fa femme. On vendott à c6té de
•lui le cabinet d'un curieux , & il avott acheté
-pluGeuis morceaux du plus grnnd prix , qu'il
vouloit tranfportec lui-mëipe. A peine , ce qui
4ui arrivé rarement , fut-il forti pour le premier
tranrporc, que j'entendii des mules de femme
Air l'eTcaHec qui conduit à mon appariemcntL
•On montoit avec une légèreté incroyable. Dans
-ce moment je ne lôngeois à rien moins qu'à ma
-belle indolente j quelle fut ma furprife quand je
la vis entrer chez moi . dans le déshabillé le plus
■commode , le feÎH découvert , les cheveux flot-
tans jufqu'à la ceinture , & qtie , fe jetant fur
une efpece de canapé * elle me dit * avec une
ingénuité tout-à-fait touchante, Eecomii il mm
foarito ifUari dicafa!
Vous jugez , mon cher duc , que je mis au-
•lant de célérité dans l'a^on , qu'elle «voit mis
de naïveté dans le propos. Jamais je n'avois ren-
contré une femmç plus déliée , plus ardente, plus
vive dans le tète-à-tète. Nous entendîmes quel-
que bruit. & j'eus bkn delapetne.àm'artfKhss.;^
•de fes bras. Ce qui me charma , ce fut 1< promf-
n;,-...-r>,Google
t% LES-MAtHElTKfr
(itude avec laquelle elle leprh Ton air de latSr
gueur & de calme ; riialien le plus intelligent
eu eût été la dupe. Vivent les têmnles paur ces
ehang£mens de décoration ! Elles ont des viOK ,
ges qui fe montent oti le démontent. à volonté y^
& c'efl pour cela fur - tout que je les refpeâe.
Je me rendois compte dé mon bonheur ; je me
lecueillois dans mon ivrefTe , & ne pouvois con-
cevoir ce phénomène. Notre paifible amateur,
qui éfoit revenu, artangeoit fe's tableaux , chetv
ehoic leurs vrais jours, & les difpofoit à plailic
Ibus les yeux de ma Napolitaine , qui» dans ce
moment , reÛembloit à une vierge du Gitide,
jiar fon air d'innocence. Il part pour un fécond
Toyage ; vke elle fe remet en courfe , m'arrive
. une féconde fois , & l'invitant Eccomi n'eit point
«ublié. Je n'eus garde de me plaindre de la récK
dive , & me conduits de manière à' en être quitte
au moins pour la journée. Point du tout , le mari
£t un trâiCeme voyage , & l'on me Bt une troi>
£eme viiîte. Je commençai à (bttîr de mon en-
chantement. Je fouhaicois de la modération dans
mon aimable maîtreffe , & je la priai de me faire
grâce des Euomi, dût fon mari s'abfeuter en^
' cote. Elle eut de la peine de comprendre le fens
de inon difcours , & tomba dans une rêverie qui
ne mVquiéta pas antfemenc : j'étoîfr Six . d*
n;r;>-M>,GOOgle'
DÉ t'iNCONS'TAHCB. fl^
ti'avoir manqué à aucun des procédé^ convena-
bles. EnBn , elle me quitta poiu allée faire cent
carefles k Ton mari > qui fe félicita vingt fois cl&-
vant moi d'avoir une femme auiii âdclle.
Ëh bien , mort cher duc, que dites- vous^ de
cette bonne fortune ? Depuis la chaleur ^e^pre^
mieres apparitions, les Eccom ont été. rares*
parce que les abfences du m^ri fopt.peu frii.
quentes ; maïs de tems en tem&.ils- recommen-
cent , & je me réfigne. A préfent je fuis fait auf
allures de ta femme i ce n'eft plus f]ue ta cois-
Ëanee du maù qui m'gmufe. Je troLtye plus da
plaiGr à tromper l'un i qu'à jouir de tous tes char-
mes de l'autre. . -
Vous voyez que je n'ai point oublié vos prin-
cipes , & que j'étends , autant qu'il efl: en moi,
la gloire du nom franqois. Je fuis édiËé de fout
ce que vous me dites. L* vangeai^ce que voug
«ercez contre madamedeSyfcé eft d'un genre
' neuf & faiilant. C'eft un trait qvi;i^anque. au
caraif^te de Laveïace,'dont on ne dit-point atfez
de bien , & qui m'a-tqt))ours vivement intér£tlc.
Quant à l'At^laire^j ja fens, comme yf)ixs q^'il
efti eifentict de l'^vttir, à quelque prix que ce
fbit. Si ron,»'y;mettoit la main, les t^uzboùrgs
de Paris fe p^u{>t(;roiant de femmes vertueufes,
&la contagion g^c^^it bientôt te centre de la
F ij "
D,™),.rib,Google
84 LësMaihivr»"'
VîHe. Qû'eft-ce donc que le eoratedeMirbélIe?
ÏI faut bien qu'il aie quelques dirpoGdons à la
■fcéléfatefle aimable , puifque vous le choififlez
pour vengeur ; & fi j'étoîs à fa place j il mé
■ïemfele'çire je- punirais cruellement madame de
"Syf-C^. "D'tfprès le portrait que vous m'en faites ,
■elle' mârît^ les traiÉeraens les plus rigoureux.
Que je vous envie ! vous êtes au courant des
vrais plâifirs jpour rtidi , je fiiis trifteracnt exile
dans la Tetre>Sai)ité , & au milieu d'une autre
■faleftiné ,-bù je n'ai pas même IB reflburce de
"tuer des Sitrrazins. Vt»fts ne voira attendiez pas
à ce tfàit (Tétuditiàri. C'eft mon oncle qui m'en
avife } il me parle toujours du voyage d'Outre-
mer , dit roi Artus, & desteaux maflacres qui ,
fc faifoient alors pour le bonheur du monde. l,e
bon homrtie eft toujours te même. Le matin il .
fe brouille dans fcs calails" dipl(ftnatiques } il
dîne le plus long-temc qu'il peut} après foit
dîner* folVi d'ùri l^et aflbupiflemcnt , il joue
^ravenleritauxldhècsi ilperd toujours, & tou-
jours il foutieat que Ce n'eft pas Taute de com*
bin'aifmis. Le jeu fini, k la dl^èftîon faite, ïl
rongea fon faldt, 8c va Vifirer les églifcs. Malt
heur à moi , s'il me rencontre lotfqU'il eft dans
tes ferventes din)OfitionS! L'autre jour il voU*-
IoIe que j^iËftaffit à fou- -fomtneil de l'aprèsi-
.M>,Googlc "
D K. L' I M C Q H s T A H « E. Çf
dînée. Il prétend qu'il lui échappe alors des
chofes très -utiles au gouvernement, dont il
me coiireilloie de ^tre des notes qu'un pour-
roit intituler: Rêves pùUtiques ^uu gantilhomme
Fratifois, Ce livre feroit d'Un grand ufagc , dit-
il , pour tous les rêveurs qui culbutent l'admi-
niiïration. Mais voiljk que, fans m'en douter , je
radote prefqu'âuâî bien que mon oncle ; & vous
avez autre chofeiâire que de lire mes folies.
Adieu , monfîeut le duc. ... Je brûle de ma
ranger fous vos drapeaux.
=^C^
LETTRE XIIL
Du duc , au. comte de 'Mirhette.
£tN mille ans je n'aurais pas deviné > mon
cher comte , le degré d'intérêt que vous prenez
au chevalier de Gérac II falloic, pour m'ouvrit
les yeux , toute la chaleur de votre apologie.
}e vous demande (încérement pardon de la fortie
indifcrete que je m« fuis pcrmife contre lui , &
j'efpere que vous me ferez grâce de la réparation.
Vous avez raifon , cet homme là peut devenir
un excellent citoyen ; raai£ , comme vous dites
vous-même , je ne crois pas qu'il vife à un cer-
tain point au dtre de courtifao. Au relie , nous
F iij
h.GooL^lc
i$ Les MALHB6R8
fommes dans le {îecle des prodiges. E^iiTons 1^
vottç Pilade , & parlons d'«utre chofe.
Vous verrez par ma lettre , que je ne fuis pa»
iS entêté de mon opinion que* je vous l'ai paru. -
Autant je vous invitois à poutfuivre la conquête
de madame de Syccé , autant js vous preâe aur
jourd'htti de n'en rien faire. L'œil le plus exercé
fe trompe. Les fineâes de l'expérience , ni les
reilburces de l'ufagc! ne psuvent parer à ta hizat,
rerie des événeniens. J'avois cru entrevoir que
la marquife n'étoit pas éloif^née de prendre ua
goût léger pour vous , & voilà tout ce qu'il nous
falloit, on ne lui en denlandoit pas davantage;
ce goût là t'eût menée^uHî loin que nous an-
itons voulu : mats vous auriez tort de vous en
flatter ; & puis définiflez les femmes : voici le fait.
Dans une maifoi» qu'il eft inutile de vous
nommer , la converliition tomba fur les jeuiies
gens qu'on cite. Gn vous nomma. Quelques
femmes ( & ce font des Gonnoiifeufes ) foutin-
rent que vous avies tout ce qu'il faut pour plaire,
Madame de Syrcé les contraria cruellement. A
chaque éloge qu'on vous donnoit * elle s'armoit
de la négative! Elle critiqua votre ,6gure, votre
cara^ere, jufqu'à votre contenance. Une d'en^
tre elles inllnua modellemetit , qu'elle vous
croyoit de l'adrefle & de la féduâion. Alors votre
n;r;.M>,GOOgle
DE LINCOHSTAW'BÏ. 87
în^itoyable antagoinde partie d'un éclat âe
lire, qui déconcerta tout l'aréopage. Il n'a pas
tenu à elle qu'il n^ vous Toit rien refïé. En un
mot , elle comment^a , dit-on , pac le dédain , &
finit pat l'amertume. C'eft une antipathie mar-
quée. Les voilà , ce font fouvent les hommes 1^
plus aimables qu'elles prennent en exécration.
J'ai cru devoir vous avertir d'une fcene oà
TOUS êtes intéreSë , & même compromis. Ce qui
vous refle à faire , c'efl de ne plus voir madame
de Syjcé , de l'oublier , &^ la punir , par un Ci-
Jence noble , de l'indécence de fes emportemens.
21 efi vrai qu'elle efl jolie , autant qu'il foie pa0i-
bte de l'être î mais cela ne futHt pas , il faut être
honnête, &nepointaccuferun hojnmede^M>
chérie, quand on n'en apasJscertitude. Adieu*
monfîeur le comte.
LETTRE XIV.
Dh comte de MirbeUe ', au chevalier de Gêrae.
j'ai paflë chez tous ce raadn , mon cher che-
valier. Où étiez- vous donc? Mon Dieu , que
velis^tes matinal ! J'avois befoin de vous trou-
ver ; voiis m'auriez vu dans une belle colère ! Je
vous déâe de deviner ce qui m'ar rive. Madame
F iv
D,m..M>,GOOL^IC
89 LesMalheurs
de SjTcé vous favezceque j'enpeiife, e«
^ que je vous en ai dit.i; vous favez avec quelle
chaleur )*en parle toujours , en jurant toujoiiri
de l'oublier : eh bien;, madame d& Syrcé ....
elle eft ma plus mortelle ennemie ; elle déclame .
contre moi avec ujb. acharnement qui n'a pas
d'exemple. Ç'cft.pcu d'avoir été quelque tems le
jouet de fa coquetterie ; )e fuis l'objet de fa dé-
rillon. Cette femme me hait i la raifon ? Je
l'ignore. Qu'ai- je fait que vanter Tes charmes;
& me livrer pour elle ^es diftraâions dont vous
avez été le cenfeur & te témoin ? Elle me hait ,
quand peut être. ... Ce n'eft point ici une con-
jeiflure vague , c'efl: uniâit.
Dans un cercle aâez nombreux > elle a prit
parti contre moi , a démenti lebien qu'on en
difoit, & s'eft livrée à toute la fougue de fon
averfion. Je n'y voulois pas croire : niais ce
récit , qui m'eût paru au moins exagéré , ac>
quiert de l'évidence, quand je me rappelle fbn
airglacéi la gêne de nos entretiens) & Tefpece
de contrainte qu'elle n'a qu'avec mol Je
fuis bien tenté d'avoir raifond'un te) caprice , &
d'armer contre elle tout ce que le manoge d'un
homme adroit peut oppofer à l'orgueil' d'une
femme.coquelte Non, il faut/avoir fe
commander , & jouir de fa modération. La con^
t
D,™),.rib,. Google
DE LINCONSTANCE. 89
juite de la-mârquife , je l'avoue , m'a courroucé
d'abord ( la réflexion me calme. Me voilà bien
tranquille , bien guéri i )'avQis befoin qu'elle
m'arrachât flUe-mème lé bandeau. . . . Qjie fàis-
je ! fans ce petit événement , il «ât été poflible
qu'il reAât dans mon ame je ne fais q«el intérêt
' qui eût altéré mon bonhrar. It e[l détruit cet itii
térêt i j'entendrai fans troubla prononcer Ton
nom. Sidley régnera dans un cœur tout à elle j ,
uneautfe image ne s'y mêlera pluç à la Hennés
& jenem'éveillo'ai plus avec le remords d'hér
fiter en tre deux împrefBons , St de ravir ma pre-
mière penfée au feul objet qui la mçrite. . . . .
Ainlî donc madame de Syrcé triomphera i fa
haine aura un libre cours , j'en ferai la vjélime,
& je me tairai , & je lui facrifieraî jufqu'à ma
vengeance ! Chevalier, feroic> ce un fi ^aiid
crime de lu} prouver que je tt^ai point autant
de mal-adreâe qu'elle fe l'imagine , de l'amener
par degrés à ta nécelEfé d'un dsfaveU,, & d'ac-
quérir le droit d'éyeitidîfcrett pour donner enr
fuiie piu&d'éclat i ma difcrétion ? Semit-ce être
inâdele à Sidley que de punir fa rivale, & de
lui prouver qu'on peut erre heureux avec elle,
fans ceiTer d'être amourMIx d'une autre? Cette
combinaifon me plaît i j^ la. crois innocence.
Qu'en dites- vous ? LaJlTez vos principes ; jugea
n;,-;.M>,Gooi^le
{9* L E -s M A I, n E V R s
mapondon. J'ai la tète perdue , mille idées Ti-
gitent , je ne fais à laquelle me fixer ; tout cç
> ^ue je vois diftindemenC , c'eft que 'je n*aime
plus madame de Sjrrcé. Je ferois bien furpris
qu'on me prouvât le contraire. Que dis- je! js
ne l'ai jamais aimée ; je me rrnmpsis moi.mème .
toutes mes îllufïons s'évanouiâent.
Adieu. Je me contredis, je déraifonne. Venez
me voir , eu écrivez-moi. Je ne conçois point It
conduite de madame de Syrcé, elle eft vraiment
étrange Hélas 1 quelle fera la mienne 'i ■
==^2S^==
L E T T R E X V.
Du chevalier de Gérac , au comte de Mirheïïe. '
X SONGEZ-Toos ? Quoi , les propos d'uns
femme frivole, ou du moins que l'on croit telle ,
^vol]s tournent la tête , excitent votre reflenti-
inent, & piquent votre fen^bilicé! D'abord.eff-
il bien fôr qu'elle les ait tenus ? Ne Jes a-t-on
point altérés en les rapportant ? £t puis » vous
croye^-vous à l'abri , mon cher comte , de ces
petites mortifications ? Les femmes ont leur
franc 'parler , elles tnftnt ce qu'elles veulent,
c'eft à nous d'apprécier ce qu'elles difeiit. Il ns
tàeiidcoic iqu'à moi, d'après votre lettre, dt
SiMuGoot^le
Dfi I.ItJGOM8T&NÇC. ff
/ftoixe que vous adorez la marquife } mais j'aime
Jbien mieux ne rien attribuer à rémotiou d'ua
^œur malade, & mettre tçut fur te,compced'^i]i
amour-propre e£aroudié. Vous avez eu uns
iantaiûe, elle n'a point rénllî; à notre âge ces
petits dégoûts font fenlîbles > la paŒon s'éveille
aux mouvement du dépit , & ce dépit ell un fe-
pond trophée pour la femmp qui n'a point voulu
de notre amour. Prenez-y garde , on s'il pris,
fbuvem dans te pîege qu'on teudolt pour .un
autre. Voiis medemandez (1 ce &roit un crime de
vous contrefaire çouf ufurper des droitSj $ vous
rendre le maître des conditions- Oui, mon che^
comte , oui , c'en fcroit un , pour vous (ur-tout ,
pour un iiomme délicat , qni rougicoit d'obtenii;
par fraude le prix qui n'eft dû .qu'au femiment.
Interrogez-vous de bonne foi , v^s verrez ce
^ue votre cœur vous répondra. Je retrouve le
duc dans ce projet , je ne vous y reconnoîs point.
Croyez-moi , toutes les fois que l'on veiu fein-
dre ce qu^on ne cç0ent pas, on ne fe venge point,
pn fe punit,
£h ! quand on efi heureux comi^ie vous l'êtes,
pourquoi fe livret a ces petites intrigues qui fati-
guent l'ame , la âétrllfent , & lui âtent cette délir
catelTe , ce charme intérieur , Ikns lequel nos
^uj^ances ne font pl^is deç pl^ifirsî' foi}étJe?
M>,GoogIe
,92 Les m a t h e o a s
tcanquillement ce que l'amour vous prodigue i
ne vous pailïonnez point pour ce qu'il vousre-
ftife. Ne faites point d'éclat. Voyez la marquint
k de longs intervalles} ne lui marquez ni regrets .
ni courroux > & conduirez- vous û bien , qu'elle
rougiiTe en vous comparant à eaux qu'elle aura
préférés. Voilà le feil triomphe qui foit digne
de voiu. Je ne crains point de Vous ennuyer ,
parce que je connols le fond de votre caraâere:
Ami du bien , Ci votre facilité vous en écarte î
Tattrait vous y reporte à la moindre image qu'on
vous en préfente ; & voilà mon rôle » à moi t
trn'il m'eft doux de m'en acquitter !
=5ffi^-=
LETTRE XVI.
Du comte de MirheUe , au chevalier de Gérac.
J B ne conçois pas madame de Syrcé. Cette
femme eft défefpérante ; elle excite en moi des
efpeces de fureurs... & je feroîs bien, je croîs ^
d'en perdre abfolument le fouvenir. Oh! oui.
ce fecoit le plus fîir ; mais il &ut que je vous en
parte pour la dernière fois. . . Il Biuc que vous
fâchiez l'incroyable réception ^qu'elle me &t hier.
D'après vos confcils , j'avoîs étouffé tous mes
teSentimeris. Mon fiont écolt catme , mon coeur
D,™),.rib,GôOgle
D E 1.* I N C O K s T A N C E. 9;
J'écoit davantage. Dans ces pai5bles dirpodûons
j'allai la chercher, bien réfolu à ne jioint lui
laiâerroupçonnerquej'eufleàtneplaindre d'elle.
On me dit qu'elle étoit à fa toilette , & qu'on ne
la vuyoic point , niais qu'elle alloit palfer chez là
mère q ûirecevoit du monde. Je monte , }e trouve
madame de Saiicerre feule , & travaillant k la
tapillrrie. Cette dame a le ton de ta vieille cour ,
une politeâe aïiee, une familiarité noble, &
beaucoup d'çfpriti mais elle po0ede un vifagè
qui , malgré mon refpeâ pour elle, me parut un
peu tritte. Elle me &t beaucoup de qucfiions,
me trouvit imérelfant, & fe mit en conféquence
à mè prêcher. Tout ce qu'elle me difoit étoit bien
penfé, bien feiitij malgré toufcekjjamaisfer-
mon ne fut plus impatiemmeflt écouté. J'atten-
dois une jolie femme, & elle n'arrivott pas. , .
- EnBn, au bout d'une heure éternelle, madame
de Syrcé defcenil , accompagnée de toutes les
grâces , & mîfe avec la plus grande élégance.
Elle me fait des excufes pleines de trouble , ou
plutôt d'embarras , m'adreffe quelques mots avec
inquiétude, fo levé uninftant après, me dit
qu'il eft horrible de m'avoir fait attendre , qu'il
^^ affreux de mfi quitter, me falue Froidement.
& s'échgppe.
Dites4 à ma place feriez-vo>i$ tranquille ? Je
D,m.f.ril>,GOOgle
§4 I/EïMALnÉùfti
ne l'avois jnmais vue fî bells ; Ton image ne iflV
point quitté depuis ce moment. Je voulois t'oui-
blier, j'en avois piis la' rcfolution ... le moyeiï
^ue jele puiflè! II vaut mieux que )e me venge;
il vaut mieux' tâcherde lui plaire, à quelque prix
que ce fait. . . Me hifler deux heures avec fa
Itaere , & ne m'en pas dédommager , du moins
par quelques inftans d'entretien ! Elle atloit i
l'opéra, difoit-elle. A l'opérarMc beau prétexte!
J Y courus > & , pour comble de malheur , je ne
fapperçus point.. Je ne fais dans quelle loge elle
étoif myftérieufemertt placée ; mais je &tiguai eii
vain mes regards à la chercher. Vous voyez qîie
tout cela eft déci'lîf. Croiriez'-vçusbien que ma
préfence la fait rougir ? C'eft de colère apparem-
itient. Elle m'abhorre; & pourquoi? Encore un
coup , je n'eii fais rien i je le faurai. Vous altez
me trouver bien extravagant. Je IfrfuiB i oui , je
Ife fuisi heureufament cette folie n'cft point dan-
gereufe. Je fuis piqué , j'en conviens. Mais . . .-
^^ eft clair que je ne fUis point amoureux; je
ferois au défefpoir de l'être, & c'eft dans la peur
de le devenir que je tiens à mon projet, & que
j<e veux Être fcélérat à mon tour. Les confciences
timorées ne réuilîflent point auprès des femmes.
Voyez le duc , il les trompe , elles en ralFolene.
A propos , qu'eft-ce doncque vous lui avez &it ?
D,m..M>,.GOO'^le
ttt l' I N C H s T A W C s: 9f
£{t.oe" que vous n'êtes pas bien avec lui ? Non
qu'il ip'ait tenu aucuns propos > mais fon air
quand on parle «te vous', ne m'a point contenté-
Si vous pouvez venir me voir demain dans la
matinée* je lefterai pour vous attendre, ou bien
écrivez-moi. Sur-tout plus de confeils ; le tems
en eft paâe. Je fuivrai ma.fantaifie. Cet écart me
préfervera d'un plus grand ; }'ai befoln d'être
Coupable à demi, pour ne pas le devenir tout-è-
Aic . . L'étrange femme que madame de Syrcé î
=^c;^
LETTRE X V I L
Du chevalier de Gérad , au comte de Mtrbelle.
j|ri.us de confeils. dites- vous. Eh ! mon cher
comte , vous n'en eûtes jamais plus de befoin.
Avec quelle facilité votre tète s'allume \ Car , n«
vous y trompez pas, c'eft elle feule qui agit , &
c'eft fur votre cœurqu'en tombera la peine. Vous
• voulezdonc féduire, -tromper, corrompre d'a-
vance vos ptairïrs, en leur donnant la fauCeté
pour principe ? Quand on fe fait un jeu de l'in-
fortune de deux êtres à la fois « on rifque d'être
{bi-mème très - malheureux, & l'on mérite ds
l'être. On ne fe croit que léger, on devient bar-
bare } tes cir6onft9nces,entralsen.tkj la renûbilité
.> Google
$5 Lbs MïLhïurs
B*altere , & la jouiflànce d'un infiant fait te fup.
plice de toute la vie. Quelle jouiâance encore !
Voye2 couler des larmes étemelles': voyez Sidley,
Sidtey G fide41e & Ci tendre , feule dans la nature,
fans paretis, fans appui} fàifant retentir fa re-
traite de fanglots auxiluelB perfonne ne,répon'>
dra , pleurant le jaur où elle vous a connu , celui
où elle a fcellé de fa (bibleâè fa confiance à vos
fermens, fe r^pelladt toutes Tes pertes , n'ayant
que d'hfutibles fouvetûrs, & pas une confola-
tien. Fixez un inftant vos yeux fur cette image ,
& vous frémirez , & vous remercierez l'ami qui
vous la préfente. Ne re)etez point cette lumière >
toute aiïteufe qu'elle eft i qu'elle pénètre dans
votre ame , & la réchauffe e^ l'éclairant. Je n'ofe.
je ne puis , jfe ne veux pas crqire que vous aimiez
madame de Syrçé i t'amour-propre feul vous fàtt
defirér Ik conquête: & c'en i ce motif paâàger
que vous Immolez tout! Où dottc ell la gloirâ
de fub)uguer une cot[Uette , & de filer avec com-
f laifance une trahi(ba dont il &ut rougir quand
elle eft confommée?Si madame de Syrcé n'eft
que ee^ue nous la croyons > elle ne vaut pas \t
remords d'une perfidie : lî fon extérieur; nous
trompe, &cacheuneaniefenfible, cequi^ur-
toit très-bien arriver , jugez de votre embarras*
4e vos repeadci , d« Vos tOHtmens ! L'atnt
humainf
-M>,Googlc
tn l* ï « C Q.K8 t A« C «. 9f
liumaîne i^ peut avoir deux imptellîons égales i
laquelle facri&ecez. vous,? Toutes deux vous
feront chères : l'une des deux l'emportera , St,
l'autre fera toujours aËfez forte pour déchire^
pn cœur où elle ne régnera plus. Alors plus de
véritable tvreâe : quand t'ame a ce^é d'être pure^
les jouilTances ce0eat de l'être, ^amertume fo
tépand fur les plaïlïrs Les plus doux, le regrec
du pafTé jette-un voile Tur le préfent} & dans
les bras làème de l'objeË que l'on préfère, on
tetrouva encore la trace du {eatîment qu'on a
. ferdu.
Mon cher cottti
Vous éte^ maître,
tié ne vous pefe j
" niais elle eft bier
pas le droit} & d^
tre des écarts qi
prête à pleui^er^li
toute dans mon £
la vôtre. Craïgn
lent un autre 1:
abufenc d'utie tl
(l'ufàge , & d'iin
lier des yeux dé
des conventions
fiblement dans i
2>«« Vt
D,m..M>,. Google
98 Ies Malheurs
tinâ précieux de la nature. Je vous plains > Q
vous vous trompez au modèle, de ce portrait; il
faut cannoUre Tes ennemis. Vous me demandez
ce que j'ai fait au duc ? .... Je l'ai pénétré. A tra-
vers les vaines décorations & la trifteélégance du
courtifan , mon regard a fixé l^omme. O mon
cher comte , malheur à ceux qu'on punit en les
devinant ! Le duc ell de ce nombte. Dès. que je
l'apperi^ois', tous les traits de mon vifage pren-
nent d'eux-mêmes l'exptïilîon du dédain; c'eft
une arme fecrete & lute , qui le défole Se. me .
venge. Son perdfflagene m'en impofe point ; it
ii'efl; pour moi que le mafque de la nullité. La
première fois que je le rencontrai. îl m'accabla
de ces polïtelTes fuperbes qui femblent vous mar-
quer au coin de la fubordination : mais je,deTio£
n froid , que je regagnai fur lui l'avantage qu'if
croyoit prendre , & que je le fis redefcendre au
niveau qu'il chcrcholt k détruire. Plus j'aime i
rendre aux autres , moins je veux qu'on exige de
moi , & il me paroit exigeant. Il ell fî peu accou-
tumé à re{lime,'qu'it efl avide d'hommages ; moi.
je n'ai garde d'en être prodigue. Imitez mon
exemple ; défiez - vous d'un homme qui fe dé-
grade à jamais pour obtenir l'exiftence du mo-
ment, qui traîne un grand nom dans l'obfcurit^
des petites intrigues > qui fecÉoic un pei&rï-
D™-..M>,Googlc
D E t. I » C O N s T &' N C E. 99
sage t parce qu'il eft cité dans les aventures det
femme) , qu'il pique leur goût bien moins qu«
leur curiolùé , qu'il influe fur les brouilleries ,
qu'on le oonfuke pour les noirceurs , qu'on la
prend fans l'aimer, qu'on le quitte fans confé-
quence > & qu'il donhe le ton des modes , quand
il doit l'exemple des vertus. Quels fervices a-t-
il rendus à l'état ? Qu'a-t-il But pour Ton pays ?
Eft4l père, époux, citoyen? Connolt-U l'amie
tié ? Tous ces nœuds lui font étrangers. Il pro^
mené dans la {bciété Ton ennui inquieft, qu'il
prend ponr de la diâlpition ; il Te fuit parce qu'il
k crainCi . . . Pardonnez û j'appuie le pinceau }
C'eft l'amitié qui le dirige. Je vois avec douleiur
que cet homme peut vous égarer & fous perdre. '
Souvenez-vous de la lettre que vous m'écrii
vîtes il y a un mois ; vous vous y abandonniez
k votre mouveipent tt,^turel. Que votre ftyte elt
obangé! . . .11 eft impoffîbte que votre cœur ts
foiti c'eftàlui que je m'adrefle, IlBftune autre
gloire que celle de féduire quelques êtres foibles.
Vous avez une maitrcfle eftimable j confervez-
la. Vous convenez qu'à toutes Iss qualités elle
unit tous les charmes , & vous n'êtes pas heu-
reux! Eh bien, s'il manque quelque chofe à
votre ren(îbilité,révetllez-la par de belles aâionsi
fonifi» l'amoHi par cet héreïrme dont il doli
' Gij
D,m.f.ril>,GOOgle
loû Les Malheurs
(tre & la fource & le prix. Ne limitez point fOV
fuccès au petit cercle de la capitale j foyez l'hoffl-
me de la nation. Laiûez>lui préfager ce que vou» i
devez être j diftinguez.vou9 de cette foule d'iiu
fortunés , dont la jeuncfle caduque o£e des rui* >
lies précoces , & trompe refpoir de la patrie.
Mon cher colonel, uniflbiis^noas pour le bien.
Laâamme de l'emhouGafme s'éteint ï onn'ainiff
prefque plus la gloire. Jurons -nous de ne rien
faire que pour elle « deréfîfter au torrent ,& de
Confbler lea gens honnêtes par le Ipeâacle & le
fuccès â« notre émulation. De quels prodiges net
Ibnt point capables deux amis vertueux v échau&
fés par un' grand objet? Leurs forces doublent
jiar l'union i fi l'un des deux aune folbleflèj
1$ courage de l'autre en triomphe , ou Ton amr
ïenfevelir.
:. Adieu. Je vous éctjs de^ campagne , où l'oa
Jn'a renvoyé votre lettre ; j'y fuis encofe pour
i^pK jours : j'irai vous chercher en abrivanc -
LETTRE XVIIL
Du due i au comte de MirhtBe,
J 'ÉT0I9 hier C\ prefle de partir quand vous ête»
yejiueh«2 moi* quején'^iputaiibiiiiei^onm*
-M>,Googlc
Dt LIKCOnSTAVCE. 101
je le voalots , fur tous les articles de votre con-
fidence i mais j'y ai [éfléchi , & le zèle a plus
As force , quand il eft aidé par la méditation. En-
fin , moniîeur, vous voilà donc piqué. Vous
«vez encore du vif dans l'ame , & je vous en fé-
licite. Je n'examine point fî vous aimez la mac-
^uife ] pu non ; cette claui« n'cft point eâentielte
pour ce que nous voulons faire i il s'agit de l'a-
voîr , d'en tirée un parti agréable , & de la rendre
enfuite au flot qui vous l'aura portée. N'eft - ce
^G là ce dent nous fommes convenus ? Com-
inencez donc pat prendre de madame de Syccé
l'idée qu'il &ut qu'on en -ait. N'allez pas vous
mettre à l'eftimer, elle s'en appercevroit, & peut-
tore (-il n'jr a rien dont les femmes ne s'avifent)
peut-être* dis-je , voudroit-elte juftifier ce fen-
■dment. L'orgueil alors croilêrarêtourderieî slle
vous tiendra en hateinefdfs années -entières , ne
£nira rien > & toujouirs temporifant , ne fe ren-
dra qu'avec les Hmagrées délôIsnUs d'une pu-
■deur . . . que vous aurezi vous rejtrocher. Règle
générale i eût - on d'une femme une certaine
opinion , ce qui eft race , il faudrott la cacher
avec foin. Voit-elle-qu'on n'a de fes forces qu'une
idée fort légère? on la met à Ton aifcon la
Uanquillife fur tes fuites ; on ne l'oldige point
Â&iFeunei>elledéfenre, quand rinftant.décilîf
■G lij ,
D,™),prii>,Google
tos Les Malheur- s
approche , & qu*ellc-mèffle eft en train de ter-
tniner. Voici foncilcul: en cédant jenepetdni
lien, &)e gagnerai du temii plutôt heure^Ss,
Je ferai plutôt infidelte. Il ne faut pas non plui
fnuhtpliec les ^rds. Ceft^bten mal connaît»
ces dames que d'imaginer j)u'on les attache par
les langueurs d'une founiiflion mMiiftone , ft
les iàdeurs du madrigal. Tout cela les ennuie.
La contrariété les jveille, les étonne, les met
en valeur en les déferpérant. Elles favent gré à
l'homme qui anime leurs regards du feu de 11m-
{mtience , aiguillonne leur efprit pat la difpute',
êik rend odieux exprès, pour qu'on fe fonyienne
de lui : mais j'anticipe ; allons par ordre. Conf.
menions d'abord par vous tirer dU décourag»^
tnenC; une noble con6ance eft le gage des fuccès.
J'ai bien cru comme vous , que la marquift
he vous goûtoit pas.à an certain point: après
un'jnûr examen, je m'en fuis voulu de cette
i!naniere de voir. Ce qui nous paroiflbie indiffê-
tenoe , antipathie mime , n'eft autre chofe qu'un
{[oût qui Te mafque , une paffion qui dort , un*
amour tout prêt d'éclater. Je l'ai rencontrée plu^
iieurs fois depuis que vous vous plaignez d'elle.
£lte a l'air préoccupé ; je l'ai Turprife dans des
momens de rêverie qui ne lui font pas naturels t
ftàfon âge, à quoi r^e-t-on? Ses yeux, qità
D,m.f.ril>,GOOglC
DE LINCOMSTANeE. lA^
ji'étoi«ot que vifs « font devenus plus tendres.;
elle icgarde pierque fixement. Vous èj:es i coup
fût l'auteur de la métamorphoTe. En elfet ■ pour-
quoi vous Fuicoit-elle ? Pourquoi cette contraiq-
,te , cet embarras , qu^nd elle eft avec vous ?£lle
m'en parle & m^ * que parce qu'elle en penfe
trop bien.
Je me fouvi^ns d'une objeâion que vous
m'avet <a >.&]qvi a réellement quelque çhofe
de fpécieuz. Si elle efl fi légère , fi facile , fi
exercée dans t'intrigue , me difiez-voi)s , pour-
quoi Te conduit^ elle avec moi avec tant de ré-
ferre* de prudence, & de févérité? Ah! c'eft
qu'elle vous aime davantage } elle veut y mettre
plus d'adreflè. Vous êtes fore jeune i très - fêté ;
vous pouvez lui fttre enlevé d'un moment à
l'autre ; il tiut vous lier par la coquetterie. Vous
croyez peut -être qu'elle eu cft à fa première
aveatore? Far exemple je rirois bien de cette
ingénuité. EJifànt que vous êtes! dormez tran-
quille , & que fa vertu ne vous déferpere pas.
Elle ne voua fera languir, ni dniis l'attente de
la jouiâànce, ni dans l'infipidité du bonheur.
Encore une fois , fi je ne l'ai point eue, ce n'eÛ
que partie reraife. C'eit une gaîté convenue
entre nous. Dix aptres dcpofeiit en fa faveur
contre vos tnraintes ridicules. LailTez p la faire.:
G iv
D,m.f.ril>,GOOgle
'ié4 Les Malrsbri
vous n*aurez paspIucAc conclu , qu'elle* mèinî
flfpirera au plaifir de rompre. La matquife veut
jouir , elle vous prendra i condition de ne voug
pas gardïrr. Il Ikudra feulement que cela marqua
dans le monde , qu'on en parle , qu'on s'en
occupe } & ,quatid la ehofe aura fait Ton effet»
VOUE irez , elle de Ton c6té , vous du vôtre i
TOUS rinfcrirez fur votre lifte , vos fuccefleurs
vous demanderont des inftrufftions > vous direfE
tout ce que vous (avez* & vous autez fatisf^C
aux bienleances.
Vous pourrez alors retourner à votre AtU
gloife, puirque c'eft un parti pris. &.que vous
fie voulez abfolument pas vous en défaire. }9
vous ai un peu fermonné à fon fujet ; mais Je
commence à être férieufement 'attendri de tout
ce que vous m'en avez contés & il faut que je
fois ému jufqu'au fond de Tame, pour approuver
«ne conltance d extraordînri#e. Vous retourne-
rez donc it elle , puifque la fatalité le veut i ft
votre cœur , éveillé par un petit remords d'in-
eonftance, en fentitatout le piquant de la fidélité.
L'embarras , je le fens Wen , «ft de la tromper
adroitement» de vous épargrter le fracas des re-
prochés , l'inconvénient des larmes , ces défcf-
poirs touchans qui ne laiflent pas gue de dif-
traire , de retarder , & d'être en tout fort incom*
h, Google
oc ï,'îKCOJTSTAlI.CB^ ÎOf
«noâes. J^ai trouvé ua moyen : il eft violent pouc
«noi j mais je m'immole , rien ne doit coûter à
i*amitié. Vous n'avez , iiu>n cbe^ comte , qu'à me
;prérentar à Sidlefifc répends du relie. Je repeu
f rm met! afikites , j>our ètce entièrement à la vôtre.
iL'envie-de vous abliger* de sous fervir, me
Suggérera tous les jours des reâàurces nouvelles
jioui; détourner les fbupçons de votre maitrelTe,
^amufer ik tète^ raâurerroD£œur4& la contenir
{wndant l'exécution. Cen eft fait, je vais me
livrer au calme de la vie champÈtte i je me &U
<beFg^,;poucitre.utile.à mon ami.
RéSéchiflez > & vous venez .combien il eft
<câentiel dans ce moment.ci qu'il y ait quelqu'un
.auprès de Sidlcf , qui ait l'iatelUgenct du cœur
des femmes > & le long uOigc de leur en fàine
accroire. Ce fera tantôt une commiflion parti*
culi«re dont vous aurez été chargé parla cour*
«antôt un lojvge di»it«lle vous aura nommé,
aujourd'hui une chalfe , demain un foupé dans
les cdbinets. D'ailleurs, -fi j'ai quelques grâces
^dans l'erpiit , je les£cnpIoiecai toutes à diftraîcfl
le fien; & l« lendemain de votes rupture avec
la marquilè^ je lemets dans vos bras fa belle
xivale , qui u'aura tien perdu de Jli fécurité.
Vous i allez en avant, voyez madame de Syrcé»
iiela flattez foi^ trop, âchez-la quelquefois.
D,™)..ril>,;GOOgle
ld$ LES M A L H E t lE S '
La brarqueiie de la vetlte fera mieux reffiirtir
Tbommage & rattention du leTtdtmain. Soyex
gai, étourdit ^7» toujours l'air d'ét^pper.
fmtes des/vilîtes courtes , ne dîtes pas un mot
qui n*aif une intention: Paroifiez bien libre',
TOUS l'enchaineréz plus ^^te.
Ce feroit une bonne chofe encore de coti- -
noltre une femme jolie qu'elle n'aimât guère*
& de lui rendre des foins aflïdus. Ces fecrett
font i tout le monde ; mais ils réufliCent quel-
quefois. Il fane réferver ceux qui fotit moins
communs pour les grandes occafîons. Pourquoi
livrer une bataille, quand il ne faut qu'one ef-
carmouche ?
Adieu , comte. De la hiéthode & du CMg-
&oid , s'il VOUE plaît.
LETTREXÏX.
Du comte de MirbeSt , au chevalier de Gérac.
J'krois hier, chez moi , mon cher chevalier,
quand vous y êtes venn. J'ai craint de vous voir >
je vous ai fiii. . . Ah , mon cœur eft donc cou-
pable! Je me fuis dit, au fujet de Stdley , mille
fois plus que vous ne m'en dites , & mon défeC
poir eft ds tenir encore à ell^ quoique je fois
D,™)..ril>,.GOOglC
Dr L I N t s s T A » C E. I07
«atnlné vers yne autre. Mon goût pour midame
de Sjrroé paâ*era fans doute 1 mais , (suC-il vous
Tavouerlil me tycannlfe : le fommeil ne me
fauve point des impreifions qu'elle me caufé{
mes fonges font brûlans de Ion idée. Sidiey bit
couler mes larmes; la mar^nife allume mes de^'
ùts. Malheurftux de trahir Tune , je me vertoîs
avec tranfport dans les bras de l'autre. Même
en allant chez ladi * c*eft Sytcé que je cherche î
& cette fantaifîe eft d'autant plus impérieufe,
qu'elle efl; combattue & gênée par un autre fctl*
timent. '
Que voulez- vous? Sidiey eft bien tendre;
mais fa rivale ... je ne trouve point d'cxpref-
fiens pour la peindre. . . D'ailleurs , on h dit
inconftante, &, le eroîrieï-vous ? cette accufa-
tion me décide. La marquife , en comblant mes
vœux, n'exlgeroit point de facrîHce j eir«-mènio
hélas ! fauroit me rendre à mes premiers liens. . .
C'en eft fait, elle feule peut me fauver d'cltç. Il
faudroit me plaindre , fî elle étoit fufceptibled'un
véritable attachement : mais , avec les traits de
l'amour', elle en a la légèreté. Cette réEexion me
tranquillife ; & fi je change un moment «c'eil
dans le deâêîn d'être confiant pour toujours.
Mon ami , 11 n'efl plus tems de me vaincre. . .
J'ai eu Piipprudence de lui écrire hier ce que
h, Google'
lûg Les MàLHEUKt
je n'avois plus la force de lui cacher ; je n'en li
ret^u aucune réponfè i je meurs d'inquiécude. . •
N'importe : plus elle me traite mal * plus elle
augmente l'obftiiianon de ma poarTuitei Ta-
mour-propre va quelquefois auffi loin que 1*^
mour. , . Je ne fais te que je veux ; mais je fais
que mon agitation eft affreufe; je fuis tour-
menté par deux fanlimens , j'ignore lequel do-
mine. . . Ne pouvoit-elle pas me répondre un
mot 1 un feul mot ? Sa réponfe m'auroit peuU
Être âéfo!é ... Ion Hlence me tue.
Adieu , chevalier. Nous fommes tous deur
dans l'âge des pafTioas. . . ménagez la mienne:
que dis je ! je n'ai de véritable attachement que
pour Sidiey. Quel charme a donc la marquife
pour m'en diftratre ? Je ne m'explique rien ; je
fuis mécontent de tout ... je fuis bien malheu-
reux. O Sidiejr ! . . . que vous avez une dange-
reufe rivale!
LETTRE XX
Du duc y au comte de MirheBe.
V oiLA vraiment une jolie conduite! on n*
peut vous perdre un inftant de vue , que vous
ne vous égariez. Êtes- vous fou avec votre déda-
D,™),.rib,Google
t»E l'IVCOKSTAKCE. 109
tadon ? Il y a de quoi vous perdre , ou toui
reculer pour des (îesles. II faut tout hafarder
avec les femmes ; mais on ne leur déclare rien j .
£ ce n'efl; une rupture^ ou une inâdélité : alors
la déclaration devient piquante •» & placée à pro-
pos , elle peut réjeuir un moment. Félicitez. vous
bien. La marquife triomphe, je vous en ré-
ponds. Ah ! c'eft tout ce qu'elle demandoit. Elle
TOUS a ^ana Ion porte>fcuille , vous n'irez pas
'plus loin ; vous voilà au rang des morts.
Sachez donc une bonne fois qu'il faut tout
obtenir d'une femme , avant qu'elleTe foit dou-
tée qu'on a de l'amour.. On lui rend quelques
foins , onchoifit les heures où là foule s'éloigne,
on met dans fes yeux Texpreflàon d'un deâr dé-
cidé i elle s'en apperqoiti êllerève, & onlatire
de fa rêverie par uti de ces coups d'éclat qui ne
donnent pas même le tems de figurer la défen-
£ve. Je ne dis pas qu'il faille tout-à-fait débuter
par -là i cette pétulance auroit quelque chofe
d'ignoble. Il eil des délais de btenfeance qu'on
doit accorder à la vertu des femmes d'une cer-
taine efpece , ou plutôt aux imitations de la
vertu i car elles font excellentes comédiennes »
&. très.)aloufes du cérémonial des premiers jours :
mais' perfonne ne fe conduit comme vous. On
m vous ï point fait de réponfeî' Qi! queUe
D,m.«ii>,Google
XIQ L I S M A t, H E U R s
réponfe Toaliez-vous qa'on vous fit ? Vous cèdes
d'être intéreâant, vous n'inquiétez plus ramour-t
propre , & 1« cœur n*s rien à tous dire. Voili
ce que c'eft que de marcher fans Ton guide , Se
d'agir fans confulter ! je n'imagine qu'un taoyea
de réparer le mal > fi toutefoit il eft réparable.
Gardez-voua d'écrire ; ranfermcz de grâce tous
vos beaux fendniens. L'ambafladeur de * * *
donne un bal famedi prochain imadame de Syroâ
n'y manquera pas ( elle n'en manque pas un )^
Madame de Thémines etl priée, fans doute elle
y viendra : il &ut qu'elle vous foît utile. Quand
on n'a pas l'une , il tfft jufie qu'dla f«ve aa
moins à hue avoir Fautre. Madame de Thémi^
nés balance la marqutfe pour la figure ; & ello
a de plus une réputation de lagifle, qui dans ce
moment aura fba utilité. C'efi un de œs ètrca
faâic«s & guindés qui ont la manie des déctaicetf
& joui&nt voluptueufemant du petit orgueil d<
paroltre inreniibles. Oa. voudroît bien gki'ells
tiu coquette : elle le lait , en eft vaine . joue la
défintéreffementivoili là coquetterie. Une tella
femme attire tes refpeâs , & fe fcmne bien vittf
une cour : vous ferez de la lienne , laiflee voui
conduire. Soyez magnifique ce jourjà * t&chet
d'être aimable: nous ferons événement > & ma*
datne de Sytcé n'y Tacs ipouc rien. Noua la ceei
h, Google
DE LINCO» S T A V C E. IIX.
drons furieufe , j:apportez.vou»<en i moi : j'ai
paâe ma vie à çouimucet des amours- propres ds
femmes. Il làuc corriger celle-ci, n'eft-cepas?
& lui apprendre à ne pas répondre.
LETTRE XXI.
De la marquife, à fon amie, ^
XL m'a icrit ■ il m*a fait l'aveu de Tes fcnti*
mens ; & j'épronvois , m lifant fa lettre , une
joie mêlée de terreur. L'amour le phu délicat
ne peut jouir de rien , que l'honnêteté n'ait tout
à craindre. Jufqu'ici j'ai combattu mon pen.'^
chant. Enfereli dans le fond de mon cœur* il
n'avoit point encore paru aux yeux qui l'ont fait
naître. IncertMne d'être aimée, je n'avois que
moi à vaincre ; maïs 'aujourd'hui . . . hélas , au-
joDrd'huiiil me faut triompher d'un ennemi
bien plus redoutable ! On a le courage de fouf-
frir : a-ton celui d'affliger ce qu'on aime ? Tant
9ne je l'ai cru indifférent, j'aiFeâois à fa vus
une froideur qui me raettoit à l'abri de fa péné-
tration. A préfenc que je fais qu'il eft fenfible»
je ne répends plus de pouvoir compofer mon
euéneur: il me trahira. Si je fiiis maicreflè de
mis dHoDun rk fieni-je de connDHider àinea
n;r;>-M>,GOOglC
ii% Les m a & h b « « < '
regards ? Tout , quand on aioie , toat eft f^
£onne , jufqu'au Glence. Auflî , pouit^oi H>*a-t-it
icrit ? Il connoît mes liens , il n'ignore pas quel»
Ibnt mes deyoïrs-^ il m'outrage , s'il douta UB
moment que je les remplifle. Oui > ouï , je le»
Témplitai , je verferai des pleurs qu'il ne verra
|ioint , il n'entendra pas mes foupiis : je ne veux
|)oint qu'il me unfole^ Un amant aimé eft un
conrolateurtiopdangeteuxi II guérit d'unemainy
il Hiffe de l'autre v & chaque fecours qu'on im-
plore enfonce plus avant dans le cœuc le trab
douloureiu ^ cbarnum qu'il fàudioit en acra^
«her. Mon amie. EQa cbere amie, ce qui m'in-<
quiète , ce qui m'occupe fans cefle , c'eft l'opl-^
nion qu'il peut avoir de moi. Je trouve dans fa
lettre plus d'ardeur que de fenâbilirë > elle eft
ylus vive que toucbanteïc'eftplutût l'élan d'uns
imagination embraf^ , q,uc le mouvement doux
' d'un cœut qui a befoin de fe répandre. Le cruel l-
s'il n'avoit point de moi l'idée qu'il en doit avoir f
s'il croyoit aux propos que la jalouiïe des femi*
mes a femés, & qu'a répétés la complaiTance dtf
quelques hommes ! Cette réflexion me défole. Si
je n'ai pas Ton eftime, qu'ai- je befoin de fotl
amour? Je veux que celui qui m'eft cher» me
venge des ipjulHces de la fociété. Seroit-il pofii-
Ue <]fi'il me jugeât comme na monde indiâe->
lent.
D,™),.rib,Google
DE t* INCONSTANCE. IIJ
leaC; & n'eût entrepris de me plaire, que parce
qu'il a compté fur la facilité du fuceês ? ... Je
le fens , il faut le fuir ! Ëft-ce que je le veux ?
eft-ce que je le pourrai ? fuis-je capable de cet
effort , après ce que m'ont dcjà coûté mes com-
bats , ma diflimulation , ma contrainte avec lui ?
Peut-être il m'a cru coquette. . , Ah , dieu , qu'à
préfent Je fuis loin de l'être ! Combien de fois ,
enchantée de le voir , infenlible à tout le relier
& n'ayant pas d'aucre plaiHr, je lui ai marqué
de l'humeur & prefque du dédain ! Souvent je
le quittois, & c'étoit pour cacher mes larmes:
je te déferpérois , & j'étois moi-même défefpé-
lée: fon image reftoie au fond de mon cœur,
pour être en mème'tems le charme & le fuppUce
de ma vie. . . Mais , dites-moi donc , que vais- je
devenir? La première fois que je le verrai , quelle
expre0ion donner à mes peux ? S'il me parle de
Ion amour 1 où me cacher? que rép.ondre? La
, voilà puurtant cette femme qui a eu des intri-
gues, dit-on , & à qui l'on forge des aventures !
La vue de ce qu'elle aime la fait trembler, fon
idée l'elfraie : elle appelle l'amitié au fecours de
ifaraifon, & elle fe reproche comme un crime
une pamon donc elle ne veut connoître que les
tourmens. J'atteQe ici le ciel , & vous , mon
amie t que cette pailîoa dont je vous montt»
Tomt V. H
D,™),prib,Google
zi4 Les Mal H,t'v r s
toute la violence , eft la feule qui ait occupe inon
cœur. Je Tavois donné à M. de Syrcéi & jamais
il ne l'eût perdu , s'il n'avoit'tebuté ma tendreJTe
par des défordrâs qu'il ne Ce donnoit pas même
la peine de me cacher. Je fuis mère tendre ,
i'eulTe été époufe âdelle. . . Je le ferai toujours. . .
Pourquoi le comte n'a-t-il pas refpeélé ces titres
.facrés ? A<t<il cru que mon cœur les abjurât ? Je
' m'en veux déjà comme fi j'étoïs coupable. , . .
Aurois-je ehvïe de l'être ? Oh ! non , j'ai le défît
du contraire} j'en aurai la force.
: I^our commencer cène lutte douloureufe de
l'amour contre il'amour , je n^ai point répondu
à la lettre du comte. Peut-être auffi eft- ce le
traiter avec trop de rigueur. Une réponfe n'en-
gage à rien ; c'eft une honnêteté. Si mon Glence
l'afflige! qu'en peiifeï^vous? que dois-je faire ?
Non, )e ne vous demande rien ; ne me répon-
dez pas fur cet article.
Adieu. Je vous embraUV.
L E T T R E X X I I.
De la mar^uifede Syrcéi à madame de ta£é.
\^ u E L L c nuit ! Je n'en puis plus ; j'ai encore
tout ce tumulte là daEB la tête, & mon cœur n'«
D,m.f.ril>,GOOgle
ÎÏE l'ingonsïancb. llf
jamais été plus agité. Accablée de fatigue « je ne
jiuis me réfoudce à me coucher ; il fàuC que je
Vous écrive. Je ue vous dirai point G le baLçtoiC
b^u jjen'enairien vu.jenepouvoisrienvdir,
excepté une femme qu'on a beaucoup fuivie , St
qui a ridiculement occupé. Je vous défie de la
deviner. On ne s'attend point à ces événemens
là , je n'en reviendrai de long-tems. Ce n'effc
pas qu'elle n'ait de la beauté , des -grâces, de
_ l'efprit . . . tout ce qu'on voudra ( maïs il fcm-
bloit que fon caradere . dût l'éloigner de ces
folles rumeurs . . . dont perfonne ne fe fouciei
Madame de Thémtnea , comme vous favez , eft
une prude à vingt ans i elle affiche delafévé-
rite dans les mœurs, de la méthgde dans la con« -
duite. £h bien , mon amie , il ne faut qu'une
nuit brillante po)ir lui faire oublier tous fe»
principes. Elle n'y étoit plus , fa petite gloire
nodurne l'avoit enivrée. Elle en jouiflbiE aveo
infolence. . ..Cela me donne defatêteunetdés'
fort médiocre. Tant qu'a duré le baU le duc
-de *** ne l'a point quittée, & le comte dï,
Mirbelle > le croirez- vous après fon aveu ? oui ,
le comte lui-même étoit un de fes courtifans les
plus allidus ) il lui a donné le bras , l'a prome-
née , a danfé avec elle ; on les a même applaudis
i^ec une indécence qui n'a pas d'exemple. Sa ■
H ij
h, Google
ii6 Le s m a l h e u r s
fiiire applaudir , fe donner en fpeâacle , Te met-
tre en quelque forte fous la dépendance do pu-
blic ! que dites-vous de cette extravagance i Au
relie * vous ferez moins furprife de la conduite
tlu comte , quand vous faurez qu'il aime madame
de Thémines , & qu'il en ell aimé. Je ne con-
jeAure point ; }e vous redis les propos qu'on m'a
tenus , les cruelles confidences qu'on m'a kàus :
c'étoie le bruit de tout le bal. Concevez ce que
}'ai fouffen ! Et cet homme m'écrit qu'il m'a-
dore! Quelle faulTeté! quelle noirceur ! Que
vouIoit.il ? Quelle îBée a-t-il donc de moi ? O
ciel ! fuis-je slTez heureufe d'avoir étouffe mon
amour diins fa naiflânce , du moins de l'avoir
combattu , de n'avoir pas répondu i fa lettre !
Où en ferois - je ! Il eût abufé làns doute du
moindre avantage que je lui aurots donné
Lui ! mon amie , croyez. vous qu'il en foit capa--
bte ? Lui , donc la phylïonomie charmante an.
nonce tant de candeur ! Quels dehors féduifans ,
& qu'ils font bien &its pour infpirer la confian-
ce! A rin[lant.mème que j'accufe le comte, il
s'élève du fond de mon- cœur une vtûx fecreté
qui te juftifie. Peut - être a<t-it fuivi dans tout
ceci les impulsons de ce malheureux duc, le
plus fcétérat de tous les hommes , & que t9nt do
femmes ont la bonté de trouver aimable. S'û f«
- D;,-S>-.'GO()l^lC
' D^ LINCONSTAWCE. 117
doute que j'aie le moindre goût pour M. de Mir-
belle, -il lui aura fuggéré ce joli manège-, il elb
homme à ameuter un bal entier contre moi, le
tout pour fc réjouir, & donner du piquant à fa
nuit. A quoi vais- je penfer ! Il ell impofllble que
le duc me foupqonne d'aimer Iç comte s rien ne
m'a trahie. Que luiimporte? Il foupi^onne tou-
jours ; & dans une tète comme la fieane , les
roup<;ons le tournent bientôt en certitude. Je ne
fais que croire , que &ire. ... Le plus fur fans
doute. eftii'oubtierjufqu'au nom du comte, de
ne le plus recevoir , d'éviter de le rencontrer , de
m'intcrdtre les maifons où il va , & de laifler le
champ libre à tons les charmes de madame de
Thémines. £IIe efl û belle , n'eft . ce pas ?
Elle doit l'emporter. Ce qui me défoie , c'eft l'é-
talage de là raifon, & le bruit qu'on en a faic.
Quelle raifon ! SI vous t'aviez vue cette nuit
courir après l'encens , provoquer les hommages ^
Mon dieu , qu'elle m'a déplu ! Moi , qui nd ha /"
perfonne , j'étois tentée de la haïr. £t pourquoi ?s
Peut- être "elle n'eft point coupable; c'eft moi
feule qui le fuis ! je rougis de l'être ! ... Il me
vient une idée. Si dans cette circonftance j'écrt-
vois au comte ? (i> je lui (tiifois fentir fes torts 2
Moi, lui écrire! moi!... Sa conduite m'édaire,
& -pourra me rendre i moi-même. ... Je n'auroit
H ii)
D,m.f.ril>,GOOgle
IIS L s 9 M A L H E U R s
Jamais cru qu'il aimât cette femme là. Pourquoi
me tromper ? . . . Pardon,' je me InilTe altei à mon
trouble. Je ne m'en repens pas } j.e fuis fûre qu'il
TOUS attendriL
Adieu , mon amte ! Je fuis d'un abattement
extrême ; mes larmes coulent , & ce n'eft pas ic
dépit qui les (ait couler.
P. S. J'ai reçu vos deux dernières lettres j je
les aime bien , ellos.vous peignent. Votre mari
ne veut donc pas même que vous m'écriviez ?
Ah ! je le vois ; notre fort à nous autres femmes
eft d'être malheureufes.
BILL ET
J)u comte, au due. %
XTL h ! mon cher duc , qu'cft-ce donc que vous
m'avez fait faire? Madame de Syrcé ne me le
pardonnera jamais. Qu'elle étoit belle cette nuit.'
quelle dignité fans orgueil ! que de graoes fans
aifedation ! Madame deThémînes eilbieffîmais
quelle difl'érence! On approuve l'une, l'autre
enivre. Et je rie lui ai point parlé! Vous avex
retenu des hommages qu'elle méritoit feule ï
vous les avez détournés vers fa prétendue rivale.
Q^fl va-t<elle en penfer ? Je ne vous conçois pas.
D,™),prib,Google
D E L* I H G N s T A N C E. I19
J'ai envie , je, brûle de nie juftiBer. Sans vous ,
quelque nœud qui le retint ailleurs, mon cocue
étoit à elle. L'événement du bal m'aura nui Tans
doute; j*en tremble.
J'|ii écrit k Sidlejr; je lui demande la permif-
£on de vous préfehter ; elle ne m'a point encore'
répondu. Je vais me repofer , H pourtant le tepoi
eft compatible avec tout ce qui m'agite.
r=^Ci?=^
LETTRE XXIIL
De ladi Sidky , au comte de MirbeUe.
3 'Al reçu hier une lettre de vous ; mais qu'eft-
ce qu'une lettre pour me dédommager' de votre
abTence ? C'eft vous que je veux , que je délire ,
que j'attends. . . Combien de fiecles écoulés
depuis que tu n'es venu enchanter mon afyle!
Je ne t'accufe point j je te regrette. Le foleil n'a
point paru ici après ton départ ; l'obfcurité eft
.^reufe, le froid infupportabKî je m'enferme
dans ma chambre . . . feule avec tes lettres & ton
portrait. Mon claveifin , l'ouvrage & la lefture
partagent les raomens de ma journée : mais ton
image adorée fe mêle à toutermes occupations ;
& dans le défordre delà nature, heureufe de
-t^mar, de penfçf à toi, je goûte cette faiiC
H iv
-M>,Googlc
}20 Les Mai.het;k8
fadion intérieure qiii fufiit à l'ame quand elle
eft toute entière à t'omour. Il me lembie. que
je t'entends, que je le parle > t» voix fî douce-
domine fur les élcmens , & arrive à mon cœur.
Dès que je t'apperqois , les frimacs difparoiâent :
le bonheur ou la peine font pour moi la variété
des faifotis. Ah! viens, viens . réaiife las rcves
de ma penfée , rends-moi tout ce que m'enlève
ton abfence.
Quel eft donc ce duc que tu dois me pré-
fenter?qu'ai-je affaire de tui?queme veut-il?
Dans l'univers un feul,être m'intéreâe: cet être
facré, c'ffl: toi; c'ell toi, mon ami >^ je ne vois
pas le rede. Tu fais d^ailteilrs que les titres ne.
m'en impoPent pas. Je liiefure l'homme , & non
fon piédeftal ; je ne contiois qu'un orgueil , celui
d'être aimée de toi. Je crois t'avoir entendu par-
ler de ce duci autant que j'en puis juger, même
par tes éloges , c'ed un homme frivole & froid.
Loin de nous les infortunés de ce genre ! Ils n'ont
lien de commun avec moîi ils n'auroîent point
d'organes p«ur me parler , je n'en trouverois
pas pour leur répondre. De grâce, difpenfe-moi
de le recevoir. . . O ciel , quells réflexion vient
foudain ra'agicer ! Si tu commençois auprès d«.
ton amante k t'appercevoir de la folitude ! û ma
fociété te paroiiToit plus langutlTante ! Ci je iCé-
D,™),Pril>,GOOgk-
DE I' 1 N C W S T A NC E. ISI
toÎG pastout pour ton cœur , comme tu l'es pour
le mien ! . . . J'en frémis ; tu vtus l'excès de mon
amour , de ma conBance. Lis JBfqu'au fond de
cette ame tendre & profonde; crains d'y porter
la mort , en y tailTant pénétrer la lumière aifrcufe
du foupçon-Tune peuxrlefi m'ôter, quetu ne
me ravifTes tout. Si le feul delîr d'une inâdélité
pouvoit naître en toi , c*en fersit fait du repos
de ma vie. Une barrière éternelle s'sleveroit sntre
nousï ilnY auroit point de retraite alTcz fombnt
pour cacher.mes pleurs ( je m'en aourrirois juC
qu'au tombeau. Je mcprire les (îcmmes quichani
£ent'. encore plus celles qui pardonnent. Tel èft
HioucaraâBre i )e ne te cache rien. Qu'aurois-je
à te cacher ?'Plus tu me connais, plus tu dois
ètte heureux. Sais^u d'où vient Piiiquiécude à
kquelle j'ai pu m'arrèter » & qu'il ne tient qu'à
toi de détruire ? De quelles înftans de triftejTe'
où je t'û furpris. Ne fois jamais trille ; ioiûs de
tous les plailîrs de ton âge : maia fois d« tctns
en tems ramené à cette félicité tranquille qui
s'alToLbliE dès qu'elle a des confidens ou des .
témoins. Toi , pour qui je relpîre , toi , l'ame.
de mon ame * que ne puîs-jé pa&r ma vie à
tes pieds , dans tes bras , ou à tes côtés , oubliée
du monde entier, m'oubliant moi.même , & ae
fent^t le prix de l'exilteiicç , qu'en la pcodi-
M>,Googlc
six Les Malheurs
g^ant poifc toi ! Aime ton Angloife, aime-la .
jufqu^à ton dernier foupir: tu ne ^remplaceras
jamails. -
BILLET
Du âuCt au comte.
Vous n'y entendez rien. Je ne prétwids pas
non plus que madame de Syrcé vous pardonne;
}e veux qu'elle foit furieufe , jaloufe , déferpérée»
& que vous profitiez de fon dépit , pour placer
votre amour. Apprenez donc à tourmenter une
femme , à lui troubler la vue par toutes les va-
peurs de l'amour-propre > & à vous glifler fous
le nuage que vous aurez formé vous-même.
Dans ce pays-ci , où le tempérament eft rare , &
la coquetterie nniver(elle , les femmes ne cèdent
que quand elles ont des furies dans la tète. . . Ces
furies li (ont à m^s ordres.
Soyez fTir que-la marquife aura dormi fort
légèrement. Ls Thémines d'un côté , vous de
l'autre , aurez les honneurs de l'infomnle. Elle .
vous croira du dtmier bien arec cette prude
dont fai hit une, coquette; & pour peu qu'on
ait d'ame, on s'en vengera en nous prenant.
L'aobre a brillé cette nuit, on en parlera de-
-M>,Googlc
DE L'IS.COUSTAKCE. 12^
inain } voilà 3e ces horreurs qu'on n'oublie
point ! Gardez-vous d'écrire ; vous perdriez touc
Le fruit de mes combinaifons. M» conduite dans
cette circonÇance efl: une de mes belles manoeu-
vres. Prefque tout le bal étoit dans te complot}
& madame de Syrc^ s'attendait à un triomphe
que je lui ai enlevé le plus adroitement du
monde. ■■
' . FrelTez votre Angloife i ii efi de toute nécefiîcé
que je fois là, afin de conjurer Torage, & de
TOUS ménager la douce tranquillité dont vous
avez befoin pour être infidèle fans conttadic-
' ùon. Cela m'ennuiera un peu i maïs ^encore un
coup , je m'exécute.
L E T T R E X X I V.
De ia marquife , au comte.
3 E n'ai poTut répondu à votre lettre* raoniîeur
le comte , parce que je n'avoîs rien du tout à y
répondre i mais j'apprends que madame de Thé-
mines trouve vos vi&es chez moi beaucoup troip
fréquences , & je me détermine enfin à ««ïpte
le ûtence pour vous fervir tous deux. N'en dou-
tez nullement, je làcrifie fans qu'il m'en coûte»
le plaîfirde vous voit à la [ranquillitéide ccll«
h.GooL^lc
J24 Les Malhbvrs
qui vous eft chère: tous voyez que je fuis gi~
nércufc.
Je vous pardonne même , & l'aveu qae vous
m'avez faîr, & la faulTet^ de cet aveu : il m'of-
fenferoic cruellement* (î ce que vous penfez de
moi pouvoit m'intéreder encore ; mais je crouvb
fiu fond de mon ame de quoi me pafier de l'o-
pinion des autres. Oui , monHeur, après ce que
je fais , ce e|ue j'ai vu , ce qu'on m'a dit au bal,
détrompée , charmée de l'être, & n'ayant à re<
Srener qu'une prévention qui vous étoit trop
avantageufe , je ne puis plaindre que vous ; j'ef.
père que vous en êtes bien {br. Au relie* croyez-
moi, pour rendre votre pa0ion plus touchante ,
oiTrez-la moins au public. Votre confiance in-
fatigable à fuivre cette femme, vos yeux uni-
quement attachés fur elle ^ l'espreflion des Hens,
tout, en un mot , tout annonce ce qu'il iàudroïc
renfermer un peu plus ,pour l'intérêt de fa gtoiro
& même de la vôtre.
Ceft depuis fort peu de eems , ce me femble ,
qu'on parle de cette belle paiHon. Il eft vrai que ,
n'examinant les aâions de perfonne , je puis
très.bien me tromper fur la date de votre bon-
heut : pour peu qu'elle foit ancienne ( ce que je
ne-mefoucte pas de favoir), <m ne peut qu'ap-
plaudir à ta chaleur de votre amour ; ît a tout le
D«),.rib,Google
DE l' I M C O N S T A lu C E. 12f
feu de la nouveauté. Aimez madame de Thému
nés, aimcz-Ia toujours i il me parole tout Hmple
que vous Taimiez , que vous l'adoriez , que vous
foyez affidu auprès d'elle. On lui trouve de l'ef-
prit, des grâces ; oïl m'a dit qu'elle avott des
qualités^ SEJ'yclrois: mats comment fe peut-il
que le mortel heureux qu'elle a choilî , fe per-
mette Unefeole dittraâionj qu'occupé d'un objet
qui mérite tous fes foins, il attente à ta liberté
d'une femme;qut ne le chetchoit pas , qui ne lui
avoit laide entrevoir aucune dirpofition favor
rable,&-dont la prétendue coquetterie n'avoie
fiiit aucuns frais pour l'attirer ?
Il vous feroit diiEcile de vous jufHfier ; &
puis , quelque [llâillr que mon amour-propre y
trouvât , je vous difpenfe de cette jullification i
elle vous mettroit dans la néceilité d'être faux
une feeonds.tois, & je ne veux point m'ezpofer
au chagrin de perdre pour vous toute eltimet
Adieu , moiilîeur.
LETTRE XX V.
De la marquife, ifon antie,
jLbs. bruits du bal viennent de m'ècre confie,
mes. Un homme que j'ai vu hlVj m'a dit toute»
-M>,G6ogle
Slâ LSsMALHBUttS
les pacticularités de cette intrigué. Il n'eft qn0=.
ttop Ttai , le comte adore madame de Thenrines:
mais ce qui va vous patoitre incroyable , cette
femme eft jaloufe de moi , jaloufe à )a fureur *
Elle tient les plus mauvais propos. Elle n'en
tiendra plus. Jai écrit à M. de Mirbelle , & vous
ne me défapprouverez point. Je lui défends de
me voir; je l'ai dû. Je ne ferai jamais obftacle
au bonheur de perfonne. Qu'ils s'aiment, qu'ils
foient heuteux ! . . . Moi , je verferai des larmes
dans votre fein. . . M. de Mirbelle eft donc le
plus faux des hommes ! Hélas ! en rejetant fon
hommage , hommage adoré . . . qu'aujourd'hui
je dételle , mourant de cet eflbrt , ce n'étoit pas
moi que je' plaignois. Mon amie , le cneur qu'il
déchire méritoit d'être mieux apprécié. . . Que
je imi celui qui a détruit mes incertitudes ! Tout
ce que peut avoir d'affreux une douleur qu'on
renferme , il me Ta iàtc fentir ; & cet homme
paroillbit appuyer avec un plaifîr cruel fur des
détails indifcrets ou défefpérans. Je ne lui en
demandois pas : d'où vient cette eiTufîon , cette
confiance , cette joie maligne? . . . Si c'étoit un
- émiâàire du duc ! fî l'on nt'avoic trompée ! Ah !
nHmporte; j'adopte, j'embraflè tout ce qui peut
fortifier ma raifon , & me donner des armes con-
tre un objet trop feduifant. S'il fe peut, aggravez
h, Google
» E 1' ï N C N s T A H C E. 117
fes torts, inrpirez>moi de l'horreur pour les
miens: j'ai befoin de le croire coupable .. .je
tremble qu'il ne le roît. Je ne démêle plus ce qui
Ce psâe dans mon ame. L'efiroi, l'indignation .
la violence de mes combats > leur inutilité , une
forte d'efpoir, le remord même de cet efpoir*
le courage de mes projets , rinconfcquence de
mes VŒUX , & le. malheur de n'être pas aimée ,
& la crainte qu'il ne foit pas digtie de l'être; A
mon amie , tous ces tourmens font au fond de
mon cœur ! Je ne le verrai donc plus ! Ma lettre
efl: bien froide . . . elle etl prefque dure. . . Je
voudrois qu'elle ne fût pas partie. . . J'aurois
mieux fait de ne pas écrire. C'eft une démarche
impardonnable : s'il alloit l'interpréter à mon
défavantage! Je fuis une infenfêc; je m'ab-
horre. . . Que je fuis à plaindre ! Et madame de
Thémines eft jaloufe !.. ; & j'excite l'envie !
■LETTRE X X V L
Du comte , à la marquife.
\J\i'k\'iZ lu ! Efl>ce TOUS , madame , e(l-ce bien
vous qui l'avez écrite cette lettre qui contient
mon fort , qui le rend horrible , & dans laquelle
TOUS prononcez mon anêc fur des apparenves
n;r;sM>,GOOgle
118 l'Es Malhevrc,
que vous n'auriez pas dû ft cruellement inter.
prêter ! Vous venez de me Biire éprouver dans
toute fa violence le tourment d'aimer malgré
foi, d'aimer fans e())oir, d'être condamné au
malheur, & de n'infpirer que le mépris: il ne
me refte rien que le fupplice de vous adorer.
Non , madame,, celui que vous accnfez , à qui
vous défendez de vous voir, qui vous fut tou-
jours odieux, n'eft pas indigne de votre eftime.
Ah ! par égard du moins pour la douleur la plui
vraie , daignez m'entendre. Je n'aime poiat ma-
dame de Thémines , je ne l'aï jamais aimée , je
ne fuis pas aflez heureux pour vous en çârir
le facrifice. Si je l'ai fuivie au bal , c'eft de ma
part un délire, une inconréqucnce que je ne
puis vous expliquer. C'eft vous feule, hélas!
vous feule que j'idolâtre. Quand je^vous en 6s
l'aveu , j'y fus entraîné i & peut-être il vous tou-
cheroit. Cl vous pouviez lire au fond de mon
ame , G vous pouviez favoir combien elle eft
agitée. Depuis la lettre que j'ai ofé vous écrire ,
je n'ai pas eu un moment de repos. L'amour qui
me dévore ne peut me rendre que malheureux:
mais , encore une fpis , je n'ai pas été maître de
le vaincre. La féduélion e{l fur vos lèvres , dans
vos yeux s vos geftes , vos difcours , votre (ilence
ia icfpircnt i vous.agiâez avec h même force fur
l'ame
D,™-:„.rib,Google
n8 t'tiîClOMSÏAHet. îld
Vwae & fur l'imagiiiation. On a beau fe défeil.
dre , il efl; iMpoilible qu'on vous échappe : uniS
grâce indéâhiûàbte vous fuit , vous accompagne*
fe mêle à cous vos mouveniens , & tous ne faites
rien qui ne foie un ptege tendu i la liberté de
ceux qui vous approëhenc. Rêvez<Tous ? on aime
Votre rêverie. Redevenez-vous gaie ? vous don-
nez de l'intérêt à la gaité ; vous avez mille moyens
de plaire , tous infaillibles * tous difFérens. . . Ah !
ceflez de me croire (aux t accablez^rtioi de vos
' rigueurs , mais plaignez-moi , vous la devez , j«
le mérite. ÏI eft des polïtions oi^ rhonnètets
lïlînle efl: le tour nieiit du cœur qui la chérît. Rap*-
pfctlez-vous, madame , daignez vous rappellec
rËmpreflerneuc avec lequel je Vous aï cherchée.
En vous reflbuvenant de mes hommages , vou3
vdus fouviendrcz peut-être de vos froideurs... .
ql]6 dis- je! de l'anin^ofîté avec laquelle vous'
déclamiez contre moi dans un cercle qui rece^
voit vos imprellions. Vous jouirez de ce fou-
. venir . i : c'ell iine vengeance de plus que jr
Vous procure.
Qu'ai-je fait pout tjiériÉer votre haine? ...
Permettez du moins que je détruife les idées
outrageantes que vous avez prifes de moi. Puif.
que votre préfence m'ell interdite, par pitié
feuiFrcz que je vous écrive, Je n'ofe m'attendra
Tome r, I
-M>,Goôgle
il des réponfeiït mais du moins je vous dirai*
je vous répéterai cent fois à quel point je vou>
fuis aflervi. Noji j non , croyez-en le ferment do_
ramour* non, madame de Thémines n'eut ja-
mais de d^ts fur mon ame ; $ il me fuiSc iv
vous cofinoitit , pour apurer qu'elle n'en aura
jamais.
■ « ■ '^ X* m
Ji^ETTRE XXVIL
De ta marquife, tifoH »mîe.
C^UE l'univers entier foit aux pieds d« madamo
de Théraines : le feul o^jet qui m'in^érefle n'y
-eft poini; , il n'y fera jam^s ... il n'cft point
, coupable. Que nous étions ii^judes ! c'étott avec
un» forte d'ac^rnement que vous l'acculiez.
Flus timide quelle duc > me difiez'VoEis , it en a
tous les principes. Ce lôup^on efl trop cruel r
que Vous a>uil fait ? Vous m'avez défefpérée. . .
Cardon, mille fois pardon,} je vous dpis de la
reconnoi0ance , & je vous &is des reproches î
J^ai cherché moi-même les fecours de votre
Wnitié , & je m'en plains-î Je oç fais plus ni ce
que je dïs.nicequc je, veux î je fuis bijcn dign^
de pitié. . . Vç^s m'çxcufei;ez , mon amie ; vous
ne m'abaaj(Loi)L^arez,poi;i^ au.tîéivcdjre d'iux i^.
n;r;>-M>,GOOglC
fi (S L* t s C tl f t A s C 8. 131
fetdue, fur. tout aux mouvemens d'un cœut
que j« crains [ilus encore. C*e(l là , ifeft là qu'eft
l'ennemi ; c'efl: là qu'il eft gravé en traits inef-
fa(;ables. .. Ah ! je le fèns , je fuis née pour Vsi-
dorer toujours. Vous voyez mon égarement {
Vous eftimerer mon courage. Si vous en avea
la force , dites-moi du mal de M. de Mirbellci
mats gardez-vous d'en penfer. . . Il n'aime point
madame de Théminés. Aulli je ne concevois pas
fon triomphe } elle n'ell point jolie au point de
tourner les tètesije trouve moi qu'elle l'eft...
avec modération. Soyez- en fîlre, il ne l'aime
point , il me l'a juré. Il efi: fi honnête t il a t'aie
d'être fî vrai ! Le ton de fa dernière lettre m'a
vivement afFeiSéci elle peint le trouble de fou
bme , il a palile. tout enûer dans la mienne.
Mon amie , qu'il eft dangeretuc pour moi , de*
puis que je n'ai plus rien à lui reprocher! Il me
demande la permiifion de m'écrice. Après mes
injuftes foupqons ,dois-je encore l'accabler pat
Un refus qui te mettroitau dérefpoir? qu'en pei^.
^ fera-t-il ? Je ne puis me déterminer à rien. Qu'tt
en coîite pour concilier la prudence & l'amour!
que j'aurai de peine à cacher le mien ! Il aug-
mente à tous les inflans ; il fe rend maître de ma
raifon. Que dis-je, hélas !je n'en ai plus, je ne
Tois plus qu'à travers un nuage les devoirs for-
j:,™),prib,Google
1^1 Les MALHBVRf
midables qui me lient. Vous avez aimé , vein
retrouvez votre lituation dans la peinture de U
mienne. Eh .' comment n^aimerions-nous pas ?
J^alheureufes ! ceux à qui nos parens nous
livrent, nous tyrannifent, ou. nous abandon-
nent. D*abord on Te foulage par des pleurs ; peu
à peu ils deviennent plus rares, les mauvais
procédés les fechent, le cœur Fatigué fe forme
de riantes chimères , il cherche un être qui tes
léalife i l'objet redoutable fe préfente , le trou-
ble de l'ame L'annonce } on le craint , bn le futt »
& en le fuyant on le trouve encore : on fe re-
2>roche moins de jour en jour un tort voilé par
la féduâton , & près de l'abyme on n*apperçott
que tes fleurs qui le couvrent. Hélas , que deve-
nir au milieu des périls qui nous environnent, &
des chagrins qui nous accablent ! Nous fommes
toujours plus à plaindre que crimincttes i nos
fautes à nous ne font jamais que nos malheurs.
Adieu : j'accepte tous tes maux que l'amour
voudra me faire ; ils me feront chers par leur
caufe.
P. S. Je fais une réflexion. Me voilà forcée
de répondre à' M. de Mirbelle: on lui a pec-
fundé que j'avois die des horreurs de lui. Il y a
d'odièufes gens dans le monde ! Il feroit affreux
. de lui jaiflêr une opinion ij iauâc. Il aoic qu»
D,™),.rib,Google
SE L' I N C O » S t A H <S ï. I^î
Je le détefte ! .... il le croit ! Ah , dieu ! il ne Ha
jamais danfi mon cœur ; je TePpere du moins ■ ■ ■
mats il n'eft point de bi qui puifia ine^coouaiOp
are à lui marquer de la haine. „-:;
LETTRE XX VLÏ.E . '
De la marquife « au comte.
XL &utbien, monfîeur, que je vous réponde.
J'ai à me judifiec d'un tort , c'eft-à-dire, à rcpout
fer un menfonge. On pourroitètre plus modefte*
mais it efl; difficile d'être plus franche. Non , aG> -^
Airémem, iln'eftpasvraique dansun cercle je
me fois déchaiifée contre vous. On vpus en a
impofé 1 vous avez été crédule , & fur - tout in-^
jufte pour vouE-mème : voilà ce que je ne vous
pardonne pas.... Je ferai plus indulgente pout
ce qui m'eft perfonnel. Je le vois , vous êtes forts
loin de connoître moji caraftere. On vpus ea
aura donné une idée fàulTe ; p^ut^être ne deviez-
vous pas la prendre : en£n , votre fufirage , ne
m'eft pas indifférent , fie je fuis bien aife de vous
dire que j'ai la méchanceté en horreur., & lea
jnéchans en pitié. La perfécution ne m'a point
aigrie.
Tenez , monGeui le comte , je ménage toute
liij
1^4 LiaMALHBURt
-^rfonne abfente, mieût-elle oSenfêe: je la
leuero» Il elle avoit des vertus > je ta loue*
rois.. ..fans lui pardonner. J'excufe tant qiio
je peux t mime les jolies femmes i je donne avec
jilaiûr des éloges à ceux gui en font dignes , &
ce n*étoit pas i vous à douter des miens. J'ou-
bliois deVbus parler de madamede Thémânes . , .
une explication ne finit pas. Que voulez- vous?
j*ai ajouté foi aux propos du public , & peut-être
&rois-je bien de m^en tenir là. Vous ni l'aimez
donc pas ? Vous m'en aStirez , que ïàire ! Comme
•n fe trompe l On ne peut donc plus croire à rien !
Mais que fîgniËoit votre èmpreiTement ? Au
relte, j& ne pourrois conferver fur cela aucun
foupçon, qu'il n'attaquât votre honnêteté. N'en
parlons plus ... La demande que vous me faites
de m'écrire m'embarraâe. Si je vous refufe dans
cette circonftance, vous perGfterez à me mettre
au rang de vos ennemis, vous penferez que ma
haine eO: implacable, vous direz beaucoup de
mai de moi. ...
Eh bien , monfîeut , je veux vous donner uno
preuve d'eftime, &le ftylede vos lettres m'ap-
prendra fi vous, la méritez.
D,m..M>,. Google
I * C b» s T A M C ï. IJf
LETTREXXIX.
Du comte , au chevalier.
Vos lettres me contra'rioîènt , mon cîier ché-
Valier } votre fitence m'afflige. Cen eft tait , mfe
voilà engagé ; j'at écrit , on m'a répondu : mais
hélàslavecdes remords, de quoi puit-oti? Les
miens fonthortlfaleS. J'afpire i un bonheur qufc
je redoute, je crains d'être heuréUx, )é fr,émiï
de ne pas l'être. J'ai ïtqu de Sidiey la lettre Im
plus louchante , je Pai couverte de larmes ....
«'eft en pleurant ^ue je la trahît! Elle repoufle le
fpupqon , elle baile lamaîn qui l'immole , elle eft
loin de me croire barbare . . . L'infortunée! Ahi
je le fuis plus qu'elle! Cependant, fî rrton amoijr
n'eft qu'un goût, une fantaifie, une préoccu-
pation du momcntî . . . . Madame de Syrcé eft
telle fans doute qu'on me l'a peinte; & dans ce
cas , comme vous te diGez vous-même, fon régné
fera court: Une fois fini , celui de ma Sidlejr
recommence. . . . Que la marquife étoït belle
au dernier bal! con^nié elle écltprdît toutes tes
autres fenimés ! Et j'en fuis réduit à dellreif
qu'une femme charmante manque d'honnêteté,
M principes* & fe dégrade par une de ces foi-
D,™),.rib,Google ■
Ijâ ~'LE8 Maihburs
b1efièspa0ageres,que lerentiment ne juftïSepBs!
Four que je fois fidèle à la vertu de Tune , il faut
que l'autre en manque ! Je rougis de moi-même ,
je rougis & perlîfte O délire du cœur hu-
main ! égarement inconcevable ! Plaignez votre
ami. Que dis -je ! je m'exagère mes torts i qtiî
ne les a pas eus ? Vous ■ m^rae dans ma poûtioa
.vous feriez comme moi. Nous femmes trop fé-
veresi le plaifir eft le dieu de mon âge , c'eft -
à lui qu'il faut facrifier : ta froide raifon n'eft
point la vertu.
BILLET^
Du chevalier , au comte.
V OU S pleurez , vous rougiffez, votre ame
cfttrifte, & vos réfolutions font les mêmes! A
quoifervent donc cesavertiflemens fecrets d'une
ame délicate ? Si ce frein efl; inutile , quel eft
celui qu'il vous faut ? Mais la faifon des confetls
ed paUee ; voici celle de l'amitié : elle doit con.
folerles coeurs qu'elle n'a pu guérir. Je donne-
rois bien des jours de ma vie , pour vous épar-
gner les jours aifreux qui vous attendent. Va
écart d'un moment a fait quelquefois couler des
larmes qpe le tems n'a pu tarir. Fuille-je me
tromper ! pui0lez<vous être heureux !
D,™),.rib,GOOglC
l'inconstance, 137
= " ^ " .
LETTRE XXX]
Du duc, au comte.
SUa bien « me fuis-je abufc? le bal a-t-ïl matu
que Ton e0et ? J'étois fur qu'on vous écriroit.
Tout eft applani , vous voilà aux prifes; c'eft à
vous à mener cela leftement, & à ne pas vons
ennuyer tous deux par l'éternité des premières
façons. De grâce, n'allez point prodiguer le«,
lettres; fur quatre fois qu'on vous écrira, ré-
pondez au plus une , & point trop d'étalage de
fencimens. Grondez, boudez. Faites des repro>i
ches, & ne manquez jamais d'exiger qu'on fe
JurtiSe. Les femmes en^crîvantfe laiiTenc aller,
donnent des armes contre elles . fe familiiirirent
avec les palTions tendres, & font piefque tou-
jours foibles la plume à la irrain. Tout ett làïQ ,
interprété ; on prend date' , & l'on conclut à
rheure qu'elles y penfent le moins.
Le roi part pour huit jours , il va à ... Je le
fuis , je refterai tout le voyage , & j'efpere qu'à ■
mon retour vous aurez 6ni. Dieu merci , vous
avez du tems 1 voilà une mortelle huitaine quff-
je vous laiâe pour faire les chofes dans touteg
les règles de la plus exaâe décence. Après cela ,
h, Google
k;à Les Malheurs
flous n'aurons a fonger qu'à l'article de la publia
cité , qui eft plus elTentiel qu'on ne oroît. Je ma,
chargerai de tout ; }e vous donnerai feulement'
fecret de ces Ulehces favamment indifcrets
qui déshonorent vingt femmes, en nous laillànt
e mérite des procédés. Votre Angloîfe ne veut
donc pas de moi? C'eftuiie barbare que cette
"enimc lâ ! . . . . Adieu,
LETTRE XXXL
De la marquije , au comte.
J^B quoi vous plaignez vous? Je permets que
Vous m'écriviez, j'ai enfin promis de vous ré-
pondre; c'cft peut-être plus que >e ne dois, &
urement tout ce que je peux vous accorder:
niais vous êtes injufte ; vous l'êtes beaucoup,
& rinjuftice ell révoltante. Bon ! je ne me fou-
venois plus d'un autre fujet de colère , & tou-
jours contre vous : comment ne Te fouvient-on
pas de ces chofes-Ià ? . . . C'eft donc par orgueil
autant que par raîlon que je crains d'aimer ? La
belle idée ! qu'elle tn'eft avantageufe ! Paflbn»
régéremenc fur ce reproche. Un diner , une toi-
"ette ( & c'eft une aiFaire grave qu'une toilette)
Ài'occupent eiTentiellement. Sachez en générât»
h.Gooi^lc
D E L* I N C O M s T A M C B. I^j
qne j^ai des principes qu'on ne ne connoît pas ,
& unextéciGur...dontiifitutredé6er. Sur<tout
ne me dites jamais que l'amour embellir, qu'il ,
met dans les yeux un intérêt, un charme, une
cxpreffion .... Malgré cette rare découverte ,
mon cœur reftera libre ; & fi j'étoîs aflez maU
heureufe pourqu'un jour il ceflat deTècre, d'aufS
foiblcs avantages ne me confoleroient p'oint.
Vous me demandez fi je ferai chez raûi ce
fotr?Mondieu!ouii j'aiunmalde tète affreux,
je ne fortiraîpais.D'aillsurs j'ai à vous gronder,
je ne fuis point contente de vos lettres : quoi- '
qu'elles foient charmantes, je leiA: en veux...
Ah , que vous àtes déjà loin de ce que vous m'a-
viez promis!
■<& M II I .1-I" ^V ■ i_ 'I a»
LETTRE' XXXIL
De la iHsrfuife , au comte.
'UELLE vifite vous m'avez fiiite hier! quelle
légèreté! quels propos! Non ,mon(ïeur, n'efpé-
tei pas que je les oublie. Vous ofcz dire que
vous m'aimez ! Ah ! fi j'avois eu de la difpofition
à le croire (& vous favez le contraire)', il ne
m'en refteroît que la honte. Vous ne m'avez
entretenue pendant quatre heares . que de mes
-M>,Googlc
Q'
i4o Les Malheurs
chnrmes , des defirs qu'ils fom naître , du piquant
de l'infidélité & des pbifîrs de l'inconllance :
tout cela avec une chaleur auilî déplacée que
VQsdircours. Eh !qu'avez-Tou^ apperçu, s'il vous
j)lait,dans ma conduite, qui puifle les autonfer ?
J'ai requ l'aveu de votre amour fans colère ,mais»
ce me ferablefBvec .beaucoup de froideur. On
peut être B'dek a Tes devoirs , fans fafte, fans
aigreur , fans nulle oftentation. Je m'y connôls
mal .ou ta vertu etl douce , fa jouïflance inté-
rieure , & fon plaifir fecret. j'ai répondu , il eft
vrai, à quelques-unes de vos lettres ; j'ai cru le
pouvoir : cette marque de mon eftime devoit
augmenter la vôtre. On me juge mal , je le fais,
je m'en confole. Votre' fexe eft vain , le nôtre
envieux: vous ne pardonnez point les refus;
nous voulons plaire exclufivement ; & quand
ces deux motifs de haine Te réuniffent , cela fait
un bruit ... qui en impofe aux tètes Foibles;
c'eft le grand nombre: mais il eft quelques âmes
cburageufes. qui fuivent leur attrait, non le
torreat,qui Te donnent la peine d'examiner, ne
croient qu'aux &iis , & tiennent à leur opî-
nion : voilà ce que j'attcndois de vous. J'avais
donc tort î
,. Adieu , roonfieur. Combien de remercimcns
jevous devrois» Hj'avois cubefoin d'être aftèr-
h.,G6oL^lc
t> B l'inconstance. 141
mie contre votre CnguHer amour! HeureufC'
ment je n'en étois pis là. Je dis heureufement,
parce que cela mec des bornes à ma reconnoiC
fance.
LETTRE XXXIII.
Du comte , à la marqiiife,
JN 'accablez point un malheureux, dont I0
fort eft plus horrible que vous ne penfez. Il
vous a déplu , Ton fupplice eft dans fon cœur.
Ah ! madame , fî vous aviez pu y lire* dans l'info
tanc même de l'entretien d'hier, de cet entre-
tien qui vous a courroucée contre moi , vous
auriez vu combien j'écois loin de vouloir vous,
oiFenfer. Je nenre connoiffois plus: le charme
de votre converlation , ceux de votre 6gure
embrafoient mes fens , m'ôtoienc i'ufage de la
rairon , & m'avoient jeté dans un raviffemenc
que je n'avois pas encore éprouvé. Oui, je me
diPois alors que la maîtreâe la plus adorée au-,
roittouc à craindre û elle vous avoit pour rivale>
&que le cbnn^ement,qiii eft toujours un crime
en amour, celieroit d'en fetre on, fi vous en étiez
& la caufe & l'objet. Que voulez- vous? mon
4ellin e& de vtjs iJuLâtrer ... . vos iojufiicei
h,Go()i^le
14S LKS MAtHËtJftS
ne pourront ialTer mon fentimèni. Si vous Oivicfl
tout ce que j'ai Fnit pour vaincre l'afcendant que
vous avez fur moi, vous me plaindriez ; je voua
inrpirerois plus d'indulgence que décolère, vous
frémiriez de l'état où ')ç fuis. . . Quelle lettre voua
m'avez écrite ! Votre mépris nianquoît à mon
infortune. Votre mépris! ô ciel! eh bien, ma-
dame , tout accablant qu'il eft , )e le préfère au
doute où vous êtes de mon cdime. Moi , ne paft
Vous cflimer ! moi , qui découvre tous les jours
en vous des qualités qui redoublent mon ivreâe*
mon dérefpoir,&mettentlecombleàinesmHux !
Je voudiois ne vous avoit jamais vue; je von-
drois. . . Ah ! pardonnez >ttï: emportemens de
rnmour , de la doulfiur Si du remord. Mon trou-
ble eft extrême . . . daignez mélec quelques lar*
mes aux miennes ', cacbez-les moi fur-tout : R la
compafiton vous en atraclioit une feule i mea
yeux, je ne répondrois. pins de moi. Oui, ma-
dame , fâchez que ce n'ell pas s&ez de votre in-
différence ; fâchez que j'ai befoin de votrchtiino
pour vous obéir , pour renfermer le penchant
indomptable , les vœux ardens , dont voiB ave*
dédaigné l'hotHmage , & dont l'exprefEon voue
révolte. Souffrez que je vous voie ce foir, dai-
gnez Être témoin de mes regrets : ils vods atten-
driront t a vous n'ÂUs.pas tout-à-fait ii^nlïbte*
n;,-;.M>,Google
n « IM N C H s t A N C K. »4J
Ne craignez pas , ne craignez jamais que je von»
parle de mon amour: j'aurai le courage de fouË.
frîr,deme taire, de melbumettreàvouscomme
à ces intelligences cételtes qu'on adore par U
peiifée. . . Au nom de cet effort . ne me refu-
fez pas.
--^^.
J
BILLET
De h mariptife , an comte.
'k'i répondu à votre dernière lettre » j'ai cm
à votre repentir, & vous avez du chagrin! Ahf
n'en ayez point % n'en ayez jamais. Je fuis bien
loin d'être infenfîble à ceux de n»es amis. Vou»
prétendez que je ne leur pafle rien; mais ne
leur doit-on pas la vérité? Si j'ai le courage de
leur déplaire , j'ai la force de les défendre. Pac
exemple , je foutiens à tmit le monde que vous
avez beaucoup de raifon , & cependant il ne tien-
diroit qu'à moi de dire le contraire. Qu'aviez-
Tous donc hier? Vbus étiez d'une triftefle. . . que
jpB ne m'attribue peint: je ferois bien affligé»
£cn être l'objet. . . Sans doute il ne feroit pas
en mon pouvoir de la détruire. Je vous en
conjure , n'^ayez . . . que de l'amitié pour moi >
je fentirois vivemetu la dooltiu As viHis cai^f
la moiodce peine.
n;r;>-M>,GOOgle ■
J44 'LesMaehbuèS ■■ . ,
Je n'ai pourtant pas été hier au fpcâacl^^'ffîà^
prèsvos folltcitations. Ce procédé ett^UaiTezbéau?
■•a 1 ^ il ''S S^ • ^
BILLET
Du comte , an chevalier Je Gèràc.
3*hl été hier au foir thez madame de Syrce^
malgré tout ce (foe Vous m'aviez dit le matin:
mais notre converfation , la plus vive que nou»
ayons eue depuis cette malheureufe intrigue,
étoit toute entière fur mon cœur. J'étois d'utf
fombie . . . dont on s'eft apper<;u , que l'on niB
reproche dans un billet d'aujourd'hui ; & ces
zq>roches même île fervent qu'à l'augmenter*
Kàn ami , mon lèul ami , que l'amitié eit pulf-
fante, qu'elle efl: pei:tualîve, quand elle prend '
le langage de la vertu , fans en aVoir la févéritéf
C'en eft fait .. . duffé-je en mourir (&je ne fuis
pas loin de le foahaiter) je me condamne au plus
douloureux , au plus cruel des facriâccs. Mon
ame,^ toute courageufe qu'elle eft, eft effrayée
de l'effort qu'elle s'impoTe. . , N'importe : il faut
être homme , favoir fouffrir , épargner des larmes
àSidIey; il faut enfin être honnête, & contenter
fon ami. Je vais effayer le combat, je pleure d'à--
vance le uiomphe. . . Adieu.
ILTVRE
D,™),prib,Google
r c ô ii s T À N È, i4f
LETTRE X X X 1 V.
De la marquife , i fon amie,
VOILA huit jours que ne l'ai vu ; je fuis d'tiil
abattement j d'une trifteflè inexprimable j touÉ
fii'importune & m'afflige} je fors pour le cher-
cher t je refte pour l'attendre ; je lui écris à cha-
que inllantt }e brCiIe auHî-tôt ce que je viens
d'écrire. Q.ueIU amertume il répand fur ma vie i
îl me fait fentir tout les degrés de la douceur.
Loin de me trouver heureufe ie n'avoir plus i
ic combattre , fon abandon me tue. Je le redou-
toîs ... il me fuit i & je n'en fûts que plus foible !
Ah t mon amie > s'il m'avoic trompée ! s'il aimoîë
madame de Themines ! ... je ne puis foutenir
cette idée. Plus majaloulie elt fecrete.plus elle'
e& déchirante ; cite fe tourne toute entière contre
moi. O ciel ! il ett donc vrai , mon fort efl: décidé i
Eh , comment pourrois-je en (îouter ! Depuis ces
huit jours éternels que j'ai paflës fans le voir^
j'ai été dans Vingt maifons où ;e ne les ai ren-
contrés ni l'un, ni l'autre'^ ils s'aiment, ils fd
fuiïtfenti & fe dérobent à la foule pour aimer
mieux. Le comte a cru fans doute qu'il pouvoïc
le livrer à une &mat{îepottrmoîj Avouant que'
Tme i^i \ %
D,™),Prib,GOOglC
14^ Les Malheurs
j'attachois à fonpetBde aveu plus d'ïmportanétf
qu'il n'en mettoït lui-même, il aura repris fer
fiemieres chaînes; je i'uis peac-ètre l'objet de
fon dédain. . . Le cruel * que lui ai-je &it , qu'op^
pofer toujours à fon ardeur les fcrupules vrais
d'un cœur honnête, & Jamais le manège de la
coquetterie 'i II ne fait pas combien il va me
rendre malheur? ufe. Mon cœur Te ferme à tout ,
excepté à Ton image i mes plus beaux jours s'é-
vanouiront dans les langueurs d'une paflion qui
concentre mes idées , abforbe mes vœux , & ré-
chaulTera mon dernier foupïr. C'eft aïnG que'
J*aime , c'efi ainH qu'il faut aimer. Ah .' H l'ex-
cès nous ezcufe , je n'ai point à rougir. Je re-
nonce à l'univers, l'amitié feule me relie, je
me jette dans fon fein i'j'y dépofe mes larmes,
Aies foiblelTes, tous les fecrets d'un cœur...
qu'on ne connoif pas.
Adieu. Ecrivez-moi ; vos lettres font tendres ,
elles me confolenti me guériront-elles? Ah!
Jamais, . ..Je ne les aimerols pas tant , fî elles pou-
voient m'ariacher . . . hélas ! à mon malheur.
LETTRE XXXV.
Du comte, an chevalier.
OACHCZ ce que j'ai fait, apptaudiflez-moi de
D,™).prib,Google
DE t'iNCONStAlîOl. 147
l'intention , de l'effort , & mettez le refte fur le
compte de la fatalité: la mienne e(l d'être infi-
dèle ... en pleurant l'objet y le vertueux objet
que je facriËe. Je vous al inflruit de l'aveu que
j'ù rifqué auprès de la marquife , aveu que je
devois m'tnterdire. Enhardi par cette première
démarche , peut-être par quelques dirpolltioits
favorables que j'ai cru appercevoir , j'ai mis dans
mes Toins l'ardeur , l'adUvité , la précipitation
peu âatteufe qu'érige une ^ntaifie qui enivre ,
& qu'on veut iatisfeire aux dépens même de la
délicateûe. Qu'ai-je vu ! nos conjectures ccoicnt
vraie$ , madame de Syrcé n'eit fùrenjent-pas ce
qu'on imagine i fes lettres , ki difcoUK fefpirenc
rhonnèeeté j je la crois fenllble ; toute fa folie efl:
dans là tète, fa morale eft dans {on cœur; c'ett
de lui , de lui feul qu'elle emprunte cette élo.
quence douce, cette innocente féduâion qui la
fait aimer. Jugez de ma furprife , de mes remords .
de ma honte ! . . . Oui , ouï , je rougiflbis de moi-
même i & plus je trouvois de perfeâions dans
cette femme inexplicable , plus je m'eneoura-
geoîs à m'en détacher : enfin « après bien des
combats, tous horribles, j'ai pris fur moi d»
ne plus aller chez elle ,de ne lui point écrire»
je voulois l'oublier , je croyois le pouvoir.' J'ai
ledoublé pendant tout ce tcms mes affiduités
Kij
h, Google
148 L E s M A. L » E u R s
auprès de ladi ; elle n'a jamais été G caintr;:
jamais eHc ne m'a montré tant d'amour. Hélas î
le bandeau eft encore fur fes yeux j elle fourit
' BU perBde qui la trompe. Elle fourit ! ... & je
raflàlEne ! Mille fois j'ai été fur le point de lut
avouer ma fautes j'ai été tetenu mille fois par
]a crainte de la déferpérer. Qu'il eft dur d'arra-
cher des pleurs à des yeux où brille la joie , de
mettre une vérité aifreufeà la place d'une îllu-
lîon doucei & d'éclairer un cœur que Ton igno-
rance rend heureux ! Je n'en al pas eu b» force.
Cependant l'image de madame de Syrcé ne
me quittoit pas. Je lit voyots plus intérelTante &
plus belle i je relirois fes lettres , Tes charmantes'
lettres -, & dans te même inftant , indigné contre
moi-même, j'alloistomber aux genoux de SidleVi
j'y répandois ces larmes cruelles que fait couler
la perte d'un fentiment qu'on a chéri. . . Eh bien î
ces larmes qui auroient dû l'ei&ayer > ne lut
paroiSbient que des preuves de mon amour.
Après ces mouvemens d'une ame en défordre,
je me croyois prefque fur de mon triomphe »
je m'afibrmiflbis de bonne foi dans mes réfo-
lutions, je me rappeilois vos confeilsj je con-'
fuitois mon cd'ur , tout m'y parlott pour Sidley :
mais hier, mon ami (ce moment e(V l'époque
déciiive de fon malheur) hier j'allai fouper chez
D,m..M>,. Google
s* L'iNCONSTA-NfeE. Ij«
ifladame de "^^^j où je rencontrai ik rivage. Je
ne l'y attendoîs point: fa. préfence me caufa un
.frémiilement , un rroublé que je n'avois jamais
feuti. Ses yeux fe toui;nerent fuc moi fans cour-
roux , mais avec une mélancolie qui me pénétra ;
je ne pus rac iSéfendre contre la langueur & le
charme de leur expreflion. 'Pendant le foupet
je tâchai de la diflraire; hélas! ce fut en vain.
Quand on fe retira , je la condùilîs jufqu'Ji là
voiture , hafardant quelques excufes , & de ces ■
demi -mois qui partent du cœur; elle ne me
répondit rien. . . J'ofe interpréter Ton fîlenée : je
viens de lui écrlce la lettre la plus vive Ja plus
palBonnée, la plus remplie de douleur, de re-
gr»ts , & des trtnfports d'un amour éf&éné. Tel
eft. celui qu'elle m'infpire. . . Il eft trop exccffif
pour être durable. L'aitendriâement .que me
caureSidIey.edune habitude de t'ame, qui Fans
doute te fera davantage ; c'eft le plus ardent de
mes voTuic. Que ma Hruation eft horrible ! C'en
eft fait , il faut fubir mon fort. FuilTé - je en
être feul la vîiftimc !
Adieu. Si vous blâmez ma conduite , ma frau-
chife au moins a des droits à votre amitié.
Cuj
D;,-..M>,GoogIe
Les ^itHzVRS
BÏLLET
' De U marquifç , au comte.
Xak chaleur des exprellîons n'en pra-jve pas
toujours la vécité. Non , monfîeur , non, je ns
crois rien de ce que vous me dites. Mats pour-
quoi vous juftjficr ? Vous tie me devez ni regrets
, ni excufes ; votre conduite m*a paru tome naiii-
relle ; vous m'aviez promis d'être plus calme,
vous m'avez tenu parole Ah, je ne m'en
plajiis pas !. Peut-être aufîî que vous obcilTez k
madame de Thémities , & je ne défapprouve que
votre retour vers moi. Ne la trompez point, ne
la trompez jamais i il eft aiFreux de tromper. Je
ne vous recevrai point : je ferois bien fâchée de
lut caufer de l'inquiétude. Vous n'êtes pas R
délicat î & C j'avois eu le malheur d'être fenfible ,
il me l^emble que vous n'auriez pas eu beaucoup
d'égard à la mienne. Soyez de hieilleure foi avec
les autres Femmes. Il faut bien connoître le cœur
qu'on attaque ; fans cette précaution , on eH plus
^u'indifcrec , on rifque d'être cruel.
D,m.f.ril>,GOOglC
DE t I » C O M S T A N C «. ■ f yi
AUTRE BILtET
De la marquife, au comte.
J E ne fais pourquoi votre lettre de ce matia
m'a plus convaincue que celle idiiierj elle eft
moins emportée', & me parolt plus vraie. Je
iuis laûè de vous parler de madame de Thé.
mines. Décidément, ce n'elt donc point elle
qui vous éloigne de vos amis? Vous me le ju-
rez , vous' me fuppliez de le croire f Mais
à quoi cela vous Pervira-t-il ? Vous me deman-
dez de vous recevoir , vous me le demandez avee
tant d'inftance. ... Eh bien, monHeur le comte,
je ferai viûble à fept heures : vous aurez le
tenu de &ire toutes vos vilites... .car je voag
crois fort occupé.
LETTRE XXXyi.
De la marquife , au comte.
X OUTES mes lettres, dites-vous, n'ont jamais
que quatre lignes; confolez- vous, celle -cî ea
aura quelques-unes de plus. Je ne vous ai point
fépoadu ce macio, & tôt ou tard il faut répondre.
Kiv
-M>,Goo^le
ff% Les Malheurs
J'avois mille embarras i je n'avois pas zWe^
^e tems [)OUf écrire à rnafatit^înei &peut-ètrs
gu'il m'en faut pour cela plus que vous ne penfei.
Vous vous plaignez de rnoi) de ma févérité ,
ie ma raifort. Oh ! ouï , j'en ai , je m'applaudis
d'en avoir , & je voudrois fur- toyt que voui
puHiez perdre l'habitude de vous en défefpérerE
mais , que la mienne foit l^uvrage de la froi-
deur, ou le fruit de la réSexion; contente de
l'effet, je ne di(4)iiterai point fur la caufe. Je
demande grâce feulement pour mon fexe. Ne
lui conteftez pas le pouvoir de combattre ce qui
l'onrhantc, de vaincre ce qu'il feat, ou de ren-,
fermer ce qo'il foufFre. Les hommes ^^esinjufteç
créatures qui ne connoîlfent point la peine ,cès
cruels hommes qui^ugent fi mal , qui troTlipenG
fi bien , à qui tout eft permis , pour qui ce n'eft
pas un tort d'aimer , ils font H accoutumés &
fxagérer leiirçfentimen! , qu'ils ne peuvent rien
concevoir à la violence que nous ^ifons au:$
nôtres. Çiiielques femmes cependant' verfenf
des larmes qu'on ne voit point couler , cachent
; fous des dehorï paifîbles un trouble affreux, &
s'en impofent la loi , malgré le foulevement,
malgré le^déchirement d'un cœur .... qu'on ns
ibumet point. Et puis venez encore nous difpu-
f«r le courage !cela m'indigne. Je fuis , au tefts*
i.,Go()ijle
p E L ' I M C O » S T A N- C E. ïf}
trèx^défliicét-ffirée fur tout ceci; & vous voue
tromperiez fort, fï vous en faiGez ta moindcç
application e c'ed le téfultat de notrç entretien
d'hier , & des idées vagues que votre lettre m'a
^c naître. Ah , mon dieu ! partons d'autre cliore ;
ce texte là ms donne de l'humeur. Js ne fats pas
pourquoi je m'j: fuis arrêtée i il ine déplaît . . .
çn vérité, ii me déplaît prçfqu'autant que le.
grand monHeur avaa qui nous avons foupé liier:
c'eft un mauvais finge du duc de ** *iii tran-
che , prononce , décide , dît du bien de lui , pcr-
jîfîle les autres. Vous croyez peut-être qu'il a
une ame. Une ame ! lui ! Comme il parle des feni-
tnts ! Je l'entendois vo«s racotvter qu'être ïnE-
dele , c'étoit une chofe délicieufe. En effet, mon-
tref la fécurité de l'innocence à celle que t'en
vieot de trahir , porter ta perfidie au fein de l'a-
mour , délerpértr le cœur qui cft à foi , ce plaffir
horrible doit avoir des charmes pour lui. Et
vous , i^endant que d'un ton d'oracle tt débitoit
çës belles maximes , pendant que je bâillois, moii
& que perfonne ne l'écoutoît , vous pouviez fou-
rire ! . , . . Vous ne l'avez pas contrarié une feule
fois,& votre filence avoit l'air de l'approba-
tion!. .Tous les hommes ferelTemblent: ardens
à nous réduire , trop Froidsipour nous apprécier ,
- its cpietit en être quittes pour quelques hom-
-M>,Googlc
If4 l'EsM&l.HEORS
mages faux ou întéreifés ,, qu'ils- enlèvent «u£
facilement qu'ils tes prodiguent. Ils. nous trou-
vent jolies a leur indulgence va jufques-là , ils
tombent à nos pieds. A. nos pieds ! Pourquoi?
•comment y font-ils? Commexes incrédules qiù
ne croient à la divinité que lorfqu'ils (Mitbefoin
d'elle. Leur adoration eft momentanée , leur in-
> gratitude extrême , & leur ïnjufiice n'eft jamais
-que fùfpendue. Il Biut les fuir. . . . Adieu, mon>.
£eur le comte.
F. S. Je fuis ejfra^ée de la longueur de ma let-
tre , & fur-tout des méchancetés que j'ai dttes.
Savez -vous que vous avez des coonotâances
qui me donnent une idée médiocxc de vocre
fenfibilité?
«Vu^
D,m..M>,. Google
DEi^'lVSOVfTAIirCE. Jff
LETTREXXXVIÏ.
Uh 'âuc , au comte,
jL^E voyage a été plus lengiju'on ne l'imaginott }
mais enân me voilà, & mon premier foin efide
m'informer de ves progrè; , ou plutôt d« votre
triomphe. Q^u'ell-ce donc que cela veut dire?
Faj la moindre rumeur ! Paris eft - il devenu
tnuet ? J'ai été par- tout, & par>tout un lllence
morne ! Efl-ce que votre aventure n'elt pas eiu
fiore terminée ? Comment Ji'a-t-elie point tranf-
ptré ? J'ai donné VévfiUt , j'ai mis fur les voies «
&, très-heureufement pour vous, je fuis arrivé
9 tems pour les indïfcrétions. Far hafard , file-
liez- vous lefentim£nc? J'en meurs de peur. Ot!
«ui, madame de Syrcé a faifi te foible de votre
icaraâece ; elle vous aura bit accroire tout ce
qu'elle aura vdulu > peut-être même a-t-elle
jjouflek fédudion jufqu'à vous convaincre ds
fa vertu. Elle en eH: capable , & vous Têtes d'a.-
jouter foi à tout ce qu'il lui plaie de vous dire.
Cette femme en fera tant, qu'elle vous donnera
de l'amout... ..La belle avance! Encore une
fois , brufquez cette affaire là ; vous vous perdez
avec vos dtilicatelfes £c vos lenteurs ridicules. .
D,™),.rib,Google
jf6 Les MAtflË0iï8
Faut-il trancher l4Vnot? madame de Syrcé a eu
tout le monde .... excepté vous. Je la mena-
geois > î'ëtois circonrpeâ ; mats vijtre danger
m'inEereflè , & fon manège mC révolte. Songez
doiK à l'importance de tout ceci ; votre réputa-
tion doit vous être plus' chère que la lîcnne , &
jttninolerois vingt honneurs de femmes , pouc
ffluver celui d'un honnête homme. Je deviens
prelTant', parce que vous êtes compromis , cruel-
-lement vexé, & prêt à devenir la fable d'un
monde qui ne pardonne pas. . . . Votre Angloife
perlîfte donc à'm'exclure ? J'en fuis vraiment
affedé , toujours pour vous ; mats }e me confole
de ne la pas connoitre , par le plaillr de vous voie
hifidele. Sojfcz-le bien vite , pour votre fatisfac-
tion & pour la mienne : fut-tout n'oubliez pas
de m'apprendrê votre bonheur. Il e(l s0entiel
que je fois inftruït , je veux l'être à la minute.
En cas que je fulTe abfent , dépêchez>moi un
coorier. Quand il s'agit d*ébniitcr la foiblefle
d'une femme > on ne fauroit faire trop de dili^
genct.
1, Google
LETTREXXXVIIL
De la marquife , ^fon ^mte.
Vous fàvez que ma tnere eft partie pour feS
terres. C'eft la première fois que je ne raccom.>
pagne pas ; j'ai réfilté à fes inftances , j'ai pré-
texté des aAàires^ elle a consenti * parce qu'elle
eft bonne , & ne s'eft point doutée de mes véri-
tables motifs , parce que , bierï loin de croire le
mal , elle n'oferoit même le foupcjonner. Un tien
charmant m'a retenue; mais plus il enchante mon
cœur, plus il eâraie ma raifon. Me voilà feule
ici , feule avec ma foibleâe & mon amour ! Le
retour de la belle fnifon , la fecrete inâuence
qu'elle a ... fur les âmes peut-être» tout cela me
jette dans une rêverie qui m'înquiete. Je n'ai
plus l'exemple de lavertu d'une mère refpeâx-
ble , & tendrement aimée ; je me trouve fans
appui au monde. C'eft à i'inftant même de fon
départ que j'ai vu dans toute fa force le péril
qui me menace. Je pleurois dans fes bras , je ne
pouvois m'en décacher i je pleurois de ta quit-
ter. . . Ah ! je fentois tout le befoin que j'avois
d'elle. Depuis Ion abfence les vifltes du coiTite
font plus fréquentes. Je le 'vois fouveitt têts i
-M>,Googlc
ifS Les Malhi?urs
tète i il a i'air d'être vrai ... & je t'adore. O mon
amie , il faut le fuir , il faut rompre le charme
( qui m'environne ! Puis-je efpérer de vaincre ce
que j'aime , quand je ne fens plus que la lallî-
tude de le combattre ? Ma réfolutïon cft prife.
Le maréchal de * * * qui eft toujours languiflant,
eft à {a charmante matfon de * * * : il y eft pref.
que feut ; j'irai lui tenir compagnie ; )e rêverai
i mon amant avec plus de ptaiGr encore, n'ayant
plus à le craindre. Le maréchal .me mande qu'il
n'a de femmes che2 lui que la docheffe de * * * s
elle ne le quitte pas'; je ferai libre . je vous écri-
rai > & dans le fein de la {blitude , je trouverai
peut-être des armes contre l'amour. Je compte
partir après>demain , & je tremble de le dire à
M. de Mirbelle. Je ferai enforte qu'il n'en foup-
^nne tien. Il tomberoit à mes pieds i j'enten-
drais fes foupirs * je verrois fes pleurs ... & je
ne partirois pas.
jMI
D,™),prib,Google
DE tiNCOHSTANCE. if?
LETTRE XXXIX.
Du comte, à ia marquife,
V/ ciEt! je vous ai Vue hieti votre départ
étoit réfolu , & vous ne nï'en avez lien Ht ! Quel
réveil ! Que vous ai-je fait , madame ? pourquoi
me fuir ? Vous nvci befoin , dites-vous , du cal-
me de la campagne > & vous comptez pour rien
Tagitation où vous me laiiTez ! . . . Pardon . . .
dois-je vous interroger? ai-je le droit de me
plaindre? que puis -je vous reprocher. .-. que
Votre tndiâerence ? Mais vous , quels reproches
avez. vous à me faire ? Vous rci'accafez d'être
grondeur , emporté , peu maître de moi : eh ! le
moyen de ne pas ■gronder avec vous ? Rien ne
Vous perfuade, rien ne vous 6xe, vous courez
fans ceCe ; quoique douce , vous êtes entêtée , &
avec l'air de vouloir comme les autres , vous ne
{Élites que ce que vous voulez. N'importe , je
vous adore j telle eft ma deftinée , votre amen-
dant . . . mon malheur. J'idolâtre jufqu'à vos
défauts i & je demanderois grâce pour eux , fî
vous vouliez vous en défaire. . .
Je ne reviens point du mytlere que vous
R,m..M>,GO()l^lC
jôa Les Malheurs
m'avez fait de votre voyage : voilà donc la cauâf
' de celte gène qui régnoit hier dans tous vos
difcours? Que je le dételle» cet embirras qui
Vous retient quand nous fommes enfemble, qui
ùrrête fur vos lèvres timides des aveux que votrO
cœur peut-être ne condnmneroit pas! Que je
hais ces oppofitions fecretes d'une ame qui Ct
donne & fe retire, dans le même moment! Ah!
croyez- moi , les préjugés font nos ennemis , nos
tyrans 1 ils cmpoifonnent le bonheur, ils détruî.
lent tous nos plaifirs t je tes brave, je les foule
aux pieds , je les abhorre ; je m'abandonne à
£ette ivrefTe brillante comme l'amour, aveugle
comme lui , & qui repoulTe d'une main palTion"
née le trifte voile de la raifon. O vous, qui
TOUS êtes emparée de toutes les facultés de mott
. ame i vous , que je ne devrois pas aimer . . ^ que
j'aime éperdument, employez à fentir, la fores
que vous mettez à combattre. £ft-ce à vous à
douter de mon amour? Soyez (iàre , bien fûre*
qu'en vous adorant j'obéis à l'attrait le plus in~
vinciblej jefenstout, jeneme commande rien<
Quand revenez- vous? Dans quelle circonftance
vous m'ab^andannez! . . . Votre abfençe peut-
itre. ..Par pitiés ne la prolongez pas; & pour
m'accorder ce que je Vous demande, oubliez
N an
D,m.f.ril>,GOOgle
DE L INCONSTANCE. ÏÎ!
lin moment que c^eft moi qui vous eu prié.
Aiiieu i cttielte. ^
LETTREXL.
De h marquife , i fort œniè.
U^ÀI-JB fait! qu'eft'Ce que Pabrence àfi
quelques jours contre une imprefïïon chère &
vainement combattue? Eft-ce qu'on fuit fon
. amant? Ort le trouve par-tout * & fou image
e(l auHî dangereufe que fa prcfence.-
Mon amie t ;e lis Tes lettres , jâ me rappetlêi
tout ce qu'il m'a dit; je prononce en tremblant
fon nom . . . mais fî bas qu'on ne petit m'ênten-
dre< Je ne le prononce qu'avec un trouble qui
feroit apperçu. Que ce lien ell féduifant ! que lii
nature y eft fraîche & aniinée ! Eh bien , malgré
£ous les charmes qncj'^ trouve , mon cœur revote
Tcrs Paris ; tout tne, manque j & je ne fais trop
ce que je dcHre. Je fuis bien heureufe qîie te
comte rie cotinoîflè point le maréchaf. . . Ce
féjour embelli par mon antant, feroit trop i
craindre pour moi. Pourrai-}e , hélas ! lui réfiftcr
toujours? Je frémis de ce qui fe pafle dans mon
cccur. Que mon (intiment efttyranmque! quelle
puiâàncc il exerce fur mcn ame ! avec quelle'
Tomt y. ' t
-M>,Google
Ifia LlîMAtHECRS
force il la maîtrife .' Je cherche en vain le reposT
h retraite nourrit mon agitation, le rommeit
l'augmente. Mon amie, ma tendre amie, je ref-
Jens une langueur , un ennui de tout . . . une
inquiétude qui m'alarme. Quels font donc ces
élalis fecrets vers un bonheur qu'on redoute,
& qu'on expie d'avance par les pleurs qui le
précèdent ? Je me fauve dans votre fein , poury
rougir de cet Aveu : je trouverai grâce devant
l'amitié! ,., •-
Quelles lettres il m'écrit , & combien les mien-
nes m'embarralTant ! Je les recommence dix fois,
j'en fuis tou)ours mécontente. La crainte de me
trahir, celle de l'affliger, tout me défefpere;
tout jufqû'à l'excès de fon amouri & je me fcns
bien foible , hélas ! quand je penfe que peut-être
il eft malheureux.
Ji
LE T T RE XL L
De madame de Syrcé-, au comte de MirheSe.
E ne m'ar|:êterai point, monlleur, fur les mo>
tils de mon dépiirti je ne Cens pas la nécei^té
de vous en inftruirc. Je vous répète ce que je
vous ai déjà dit; j'avois Un dcfîr de repos qui.
ne tourmcmoit depuis quelques jours. . . Cti».
D,™)..rii>,.Google
DE l'INCONSTABCE. iSJ
can fait Tes hefoins. Vos lettres au islie m'occu-
pent bien agréablement , à l'amour près , que )b
n'ai garde d'approuver ; je les lis avec plaifir ,
& ce plaifîr du moins n'eft point m^é d'effroi.
Ici tout me plaît , rien ne me fait peui. Je jouis
de la plus grande liberté. Le maréchataétébiea ~
aife de me voir : il n'a chez lui que quelques
hommes qui lui viennent des campagnes VoiH-
nest & la ducheSe de ***.
Malgré fon afthme , qui la rend la plus aigre
perfonne du monde , elle me contrarie toute, la
journée avec ce qui lui relie de refpiration } elle
fai,t toujours l'éloge des femmes de fon tems ■, &
cetélf^eetlunefatyre amere de celles du nôtre :
mais je fuis douce , trop .peut-être. • . Je la lailTs
dite. Je joue le foir. à la comète , elle y eft d'un
bonhQur inoui > je ne gagne jamais , & cette atten-
tion I» (j^farme ; elle aie trouve délicieufe ...k
la comète.
J'habite le plus b^u lieu du monde. La pein»
ture qu'on en feroit autoit l'Air d'une féerie.
Tantôt c'eft la nature parée de la main des hom-
mes , ^ embellie des tichefles de l'aetî tantôt
c'elt cette même nature abandonnée à fes capri-
ces. Les eaux , comme dans la plupart de nos
pai;cs , n'y font point enchaînées dansdes baf-
Ons ^Cipicsi c'eft; une riviete qiii traverse 1»
Li)
M>,Google
ïiS4 LesMalhéu r s
jardins, & fur laquelle de» gondoles nous pr»;
mènent. J'ouhliois un labyrinthe pterque magi-
que i il faut ma prudence pour ne pas s'c éga-
rer. Toutes les fleurs du prtntems font là , &
tous les oifeaux qui chantent bien s'y ra0em-
blent. Les routes en font bordées d'un double
rang de rocaillestoù Terpencs une eau vive fur
un fable coloré. Les fiatues n'y repTefenlent qut
des B<nions ; car ce font des femmes qui' cedEiu ,
& je n'aime point cela. On conraere nos foiblej-
fes ; où font les raonumens érigés à nos vertus ?
C'eft le tort des hommes , non le nôtre. Où en
étois- je ? je it'en fais rien. . . Dieu me préferve
de mettre de l'ordre dam ce que j'écïis \ Je me-
dépèche d'arriver à la grotte charmante qui ter-
mine le labyrinthe. Qiiand on y elt , il femble
qu'on.foit féparé de l'univers ion y marche fur
les ïofes, & on en eft ceuronné. J'y vais foti-
ventl fur-tout quand le foleil fe couche. L'at-
trait y mené , l'enchantement y retient j on y
rêve ... à ce qu'on veut.
A propos de rêves, il faut que je vous raconte -
celui que. j'ai fait cette nuit ; je l'attribue .imx
idées volatiles qui m'occupent ie jour. Je r&vois^
donc que' j'étois dans un bofquet fumbre; j'y
penfois à bien des chofes, j'y faifois des réfIe-«
,xioiU}eUes:ni'dmeaéreatàrotjha)terun:fiF^he. ■•'
-M>,Googlc
/
DE L' INCONSTANCE* ifif
mais un vm fîlphe. Soudain il m'en npparut un :
il foitoit d'un nuage d'ot, il avoii un vêlement
bleu célede, & une figure . . . que je n'ai point
oubliée. Ses regards étoient pleins de tendrelTe,
& non d'une ardeur inquiétante ; le Ion de fa
voix pénétroit )ufqu'au cœur; il ne demandoit
rien , il ne vouloit qu'aimer. Il commençnit k
m'entretenir des mœurs des lïlphes, de la pureté
d? leurs Feux ; je crois même qu'il me difoit du
mai des homrpes ; je Técoutois > j'avols du plai-
fir à l'entendre . . . quand une de mas femmes
vint m'évciller. Adieu mon filphe, & vraiment
je le regrette.
P. S. Vous me demandez le
retour à Paris. Je ne te fais pas
J'attends que vous ayez de la rail
LETTREXLII.
] D» camte ai MlrbeUe , aii chevalier de Gérac, '
i.L m'efl: venu l'idée la plus Hnguliere, la plus
hardie. Je veux l'exécuter ; je ne puis vivre fans
voir la marquifc. Ma' démarche eft iiidifcretei
l'eiicèsde mon trouble la jufti&e.Il eft impo{Tîl)Ie
que madame de Syrcé foit ce qu'elle me paroit j
elle fcroit trop adorable , & moi je ne puis être
> , L Jij
D,m.f.ril>,GOOgle
l66 LlsMAtHEURS
plus long - teins en proie au fentimcnt qui me
déchire. J'aime mieux lut déplaire ... je vais
tout rifquer. Vous connoiflez rrion cœur; il efl;
fbible & ardent , emporté dans Tes goûts , bouil-
lant dans Tes deflrs. Il &ut que je me fatisfFtâci
quitte après à me repentir, à pleurer mon erreur,
& à me rendre aux remontrances d'un ami. Je
rars.
'■«>i II = ?i^ . ■ ' g»
LETTRE XLIIL
Du comte de Mirhelle , au chevalier de Gérac.
ïn dites jamais d« mal.. .Je l'adore, je
; mon enthouûafme furvit à un bon-
it je n'avois point d'idée. Où fuïs-jeî
t vous peindre mon trouble, mes trans-
ports! Partagez le délire» l'ivrefle, l'enchante-
ment de votre ami.
Mon voyage d'hier étoît au château de ***,
où elle efl: préfentement. Ellem'avoit mandé la
veille qu'elle venoîc de faire un rêve , dans le-
quel elle avoit cru voir un de ces êtres fantaftî-
ques , enfantés par la délicate imagination .des
femmes. C'eft à ce fonge que je dois ult bien ! . . .
O moncher'chevalier! ce n'eft point une mor-
telle ! ... Par où commencer ! Quels fouvenirs î
î's m'enlèvent à moî.mème.
D,™),.rib,Google
© E L' I N C O >I s T A N C E. 1^7
Je pars , j'arrive vers fix heures : le jour avoit
hé brûlant , la fèirée étoit charmante. Je de-
mande l'intendant des jardins- J'avois laiiTé mn
voiture à une lieue de là j rien ne pouvoit me
trahir. Je m'informai de cet homme s'il étoit
poffible de voir madame de Syrcéi il me dit
qu'elle fe promenoit le foi r dans le bbyrinthe,
& que (ûrement je l'y trouverois. Je le priai de
m'y conduire. Sur les difficultés qu'il me Bt, je
lui repréfentai que j'avois à lui remettre des pa-
piers de la dernière importance, & qu'on ne pou-
voit conBer qu'à elle. Rien n'ébranloit fa Bd«-
ïhé; une bourTe de vîngt-cinq louis le défarma ,
toutfotapplani: il me luivît à l'entrée du lieu
qu'il m'avoit indiqué, m'en donna la clef, &
me quitta.
Jugez de mon ravilTement: je me crus tranf-
porté fous un autre ciel ;! je n'étois plus à moL
Mes yeux ne diftiiiguoîent rien ... ils cher-
«hoient madame de Syrcé. A mefure que j'avan-
i;ois dans ce voluptueux dédale, j'éprpuvois un
tremblement involontaire: enân, après bien des
détours , j'entends quelque bruit, je refpire à,
peine. . . . Quel objet i quel moment ! A travers
une charmille, je l'apperc^ois li faut une lettre,
& cette lettre étoit une des miennes! La mar-
quife y gui fe croyoit feule , avoit dans fon a)uf-
Ljv
-M>,Googlc ■
}6B Les Malheurs
tement ce défordre , cette négligence qu'on pcot
de permettre quand on eft fùre de n'avoir pas de
témoins. Je ne fais quelle volupté étoit répan-r
due fur toute fa perfonne j fon fein n'avoit d'aa-
|rc voile quHine gaze légère , que le zéphyr dé-
rangeoit. J'étoïs en extafe, je la dcvprois des
yeiiK i enivré de ce que je voyois , j'aiirois craint
de perdre quelque chofc en ofant davantage, Je
m'enhardis : la porte du fandtuaire s'ouvre , je
parois aux regards delà dcefle: elle jette unctt,
ik main tremblante abandotine la lettre qu'ellt
tenoit,& fa frayeur eft fi grande qu'elle refte
immobile , ftns fonger même à réparer le dé-
Tordre de fa parure .... oubli charmant, dont ;o
remerciai l'amour!
Ne craignez rien, m'écriai- je, en me préck
pitant à fcs pieds , je fuis l'amant que vpus avez
levé , mais l'amant le plus fopmis , le plus ref-
peilueux , le plus tendre. Je vous adore, Je viens
vous le dire , vous le répéter cent fois. O dieu !
dit-elle d'nne voix prefqu'éteinte , eft-ce uiie
illufion ? veillé- je ? eft-ce mon rêve qui fc pro-
longe? Oui , oui, reconiioifTez un filphe à mon
refpeâ ; les deGrs fe taifent , votre beauté l«s
fillume. la délicatejTe les enchaîne. A ces mots
plie fe levé, m'échappe, & me défend de ta fuî-
yte. ^e n'écoute rien , je l'arrête . , , . Eh , pou-
D,m.f.ril>,GOOglC
ïî E L' 1 N C » S T A N C E. I69
Vois- je obéir! Malheureufe! dit-elle , où fuis-
je !* .... Fuyez , comte , fuyez. Qpi vous amena .
ici? Quel mortel a pu vous y introduire ï" Cruel!
voulez-vous que je vous haïfle ? ....
Elle retombe fans lôrce & f^ns couleur fur le
lit de gazon près duquel je l'nvois ramenée ;fe$
regards péiguoient l'eiffoi , mais non la haine.
Alors , fainHànt une de fes mains que je couvrs ^ '
debaifers, çalmez-vogs, lui dis-jç, ce n'ett
point un ennemi qui vient vous furprendre ,
c'eft un amant qui veut mourir à vos genoux.
Elle trembloit , foupirott , fes yeux étoient baif-
fcs> le tnoiivement de fon fein devenoit plus
rapide, un léger frilTon (èmbloit errer fur fes
lèvres; je les réchauffai à la flamme de mon
haleine. Tout me fàvorifoît; l'oiiibre commen-
(çoit à defccndrefurce berceau myftérieux. J'é-
(ois pallionné , je fus bientôt plus preflànt. %
terreur étùit mêlée d'une émotion pleine de
charmes s & jufqu'à fes prières touchantes > tout
redoubloit mes tranfports. Je ne voyois qu'elle,
je n'entendots que la voix de l'amour. . . . L'oc.
çàfion, le lieu, fa furprife , fon faififlement,
l'obfcurité même alTuroient mon triomphe. J'ofài
profiter de tant d'avantages réunis j j'ofaï (pcut-
ècre fon cœur me le pardonne) j'ofaî tout: un
vpilç de verdure «nveloppa la pudeur; lefîlphe
h, Google
I70 Les Malheurs de l'inconStancb.
devint homme, & l*homme devint un dieu. .k.
Il fallut trop tât m'en féparer: malgré mes
efforts pour la retenir , malgré tes foumiiïïons
de l'amour. heureux, qui, brûlant de le devenir
davantage , s'accufoit de l'avoir été , malgré
riiiftant de repentir qu'au fein de la félicité
fupFèmc fa douleur m'avoit forpris. elle s'ar^
racha de mes bras , muette , éperdue , baignée
de larmes : & , jugez de fon pouvoir, fa volonté
une fois l'emporta fur la violence de mes feus !
Je la fuivis long-tcms à travers robfcuritéjÂ
ne difttnguant plus les objets » je croyois encore
la voir.
Je ne vous recommande point le fecret : je ne
me confierai qu*à vousi ik vous feul dans l'uni-
vers. Ah ! mon bonheur ed trop vif, trop bien
fenti , pour que j'aie befom du froid plaiOr de
m'en vanter. Adieu.
Fin de la première partie.
D,m.f.ril>,GOOglC
LES
MALHEURS
DE L'INCONSTANCE.
SECONDE PARTIE.
D,™),prib,Google
h, GocM^lc
t'INCONSTANCE. .
LETTRE PREMIERE.
Du comte, à la marquffet
C_- E n'eft plus un mortel qui vous écrit. Vous
m'avez créé une nme nouvelle . . , .-vous m'avea
trauJinis In vàtre. Je franchis l'intervalle qui me
fépare de vous Je vous vois, vous parle,
vous entends -y }e votis preffe dans mes bms } je
meurs fur votre fein ; tous rrïes fetts frémilTentt
tous mes fouvenirs font brùlans .... Maïs c'eft
mon cœur fcul qui jouit, C'eft là que le bonheur
furvil à rivreiïe,que ]es delîrs fe cachent , &
que la déticatefle renferme tous tes moti& de
moniiardon. Ah ! je ne m'excufe point, je fuis
trop heureux pour avoir été coupable. O (félïces
non encore goûtés, réunion de tous les plat-
ilrs. . .detouslesfentimens, réliftancedel'horï-
Jiëtet« vaincue pae la pafTion , larmes de hr
M>,Google
374 Les Malheurs
pudeur efiuyées par i'nmour, excnfes qui oTivreE
les cieiix, retracez - vous à moi, occupez , em-
brafez ma nuit,, fixez fous mes yeux les traits
enchanteurs de ce que j'aime, tels qu'ils font
gravés dans mon ame ! . . . . Vous que rien n*é-
vlipre , que lien n'égale , vouï que l'on juge fî
mal , que l'on connoit (i peu , honorez de vos
regards l'expreflion vraie d'un cœur pénétré de
reconnoUTaiice & d'amour. ... De quelle foule
de charmes , de quels tiérofs je me fuis tu le
maître ! . . . Que de beautés ! quelle modeftie ! . . .
ah! qu'elle ne craigne tien ; le fentiment jouit*
fe rend compte & fe tait : il s'enveloppe du voile
qu'ofe écarter le dcfîr , coundît tout le prix
d'une voluptueufc réfeive , & tranquiltife la
pudeur au lein même de l'abandon. En ce mo-
ment, que faites -vous? un fommeil paidlile- .
ferme-t-il ces yeux charmans , où mes dcflinées
font écrites? Un rêve favorable me peint-ï) à vos
pieds ardent à la fois & fournis 'i Quand je v^us
ai quittée que dis- je ï quand je me fuïs-arra-
ché à vous 1 quand vous m'avez ordonné «je vous
fuir, votre main n'a point ferré la mienne; vous
étiez tremblante, vous abandonniez le Heu de
mon triomphe ! . . . i'afyle de mon bonheur, plM-
t6t en victime timide qu'en amante idolâtrée, . . .
Quelques foupirs vous échappoient ; j'ai fentt
D,™),Pril>,GOOglc"
»E LIWCOHSTANCB. I??
couler vos pleurs ! . . . Des pleurs ! vous ! ah \
n'en répandez point, gardez -\'ous d'en répan-
dre. . . . Repcfez fans inquiétude , repofez dans
le feîii des illufîons douces , & d'une (ecurîté
profonde : oioi , je veille pour penfer à vous ;
je ne m'en Ëe point à des fonges > du foin de me
zetracer votre image.
1'. S. Je dépêche un courier vers vous ; de-
main dans la matinée voas recevrez ma lettre.
Ne pouvant charmer près de vous les heures
folitaires de la nuit -, je veux m'empacer au
moins des premiers inftans du réveil.
IL-
LETTRE II.
De ta marquife , au eomte.
.ALHEÛREDse ! où fuis-je! Comment pourraî-
je échapper aux reproches de mon cœur ï Ils fonc
affreux. De quel dtoit avez^vous forcé rafye où
je m'étois fauvée ? Je vous fuyots i c'étoit alTez
m'expliquer , c'étoit affez vous dire combien je
tenois encore à des devoirs refpeclables , & que
j'ai violés tous ! Avec quelle force ils Te retracent
à mon efprtt ! Je ne puis fonger fans effroi k
l'époux que je trahis : j'oublie fes torts , je ne
vuisique Us miens. J'ai brtfé cous, les nœuds qui
n;r;>-M>,GOOglC
j-jS T. E s Malheurs
me lioiem à la fociétc ; j'y deviens étrangère : 8s
c'eft vous , hélss ! c'eft vous qui m'ave:^ conduite
dans ce piegc épouvantable ! Quels font ^oï
titres ? Vous avois-je Hit que je Vous airhors ? Eft
quand je vous l'aurois dit, moins coupable que
YOUsn'Stes , vous le feiiez encore. . . Avant
d'obtenir l'aveu de l'amour, vous ert arrachez ,
la preuve ! Qaci dieu m'a livrée à Vous ? Hélas !
il fembloit queia nature entière eût médité nion
malheur. Je vous abhorre , je me détefle , je
tremble en pronom^nt votre nom i fuyez-moi ■
fuyez- moi pour jamais.. .Qpe dis- je,' 6 ciel!
J'en frémis , je ne me connoîs plus « mes foupirs
nie trahilfent , me$ larmes coulent , un crï^e en.
«ttire un autre. Oui « je vous aimois . . . c'eft du
fein des remords , de la plus horrible agitation t
que part lé cri d'un cozùr qui n'a plus rien s
taire ni à cacher ; }t vous aimois , & quand je
dois vous haïr. . . Qu'entends- je? On entre ehez ,
moi , on m'apporte une lettre . . . elle eft de Vous ;
je frilTonne. . . ..Qu'ai-je lu ! celTerok -je dé mé
repentir ? Quel trouble ! qu'eft devenue ma coj
tere ! un nuage que je crains d'écarter m'a pre£t
que dérobé votre crime ; je n'ai plus le couraga
de vons reprocher. . . Ah ! connoîffcï loW l'excès
de ma foiblelfe ; ce A'eft plus que par cet excès
tnême que }e puis me relever âmes yeux> aux
Vôtres r
h.,Go()i^lc
CE t* I N e H S T A H C ï. nf
Vôtres, à ceux de Tunivers. M'aimerez - vous
toujours? m'edimerez-vous encore J! Rien n«
peut ralTurer mon cœur j rien n'égale le déHir-
dre, le déchirement, l'état où je fuis. Jen^oferat
plus vous regarder, je crains de vous revoir, &
je ne peux plus vivre fans vous voir. . . Vous
que j'adore , & qui n'en êtes plus digne , eff-ce
vous qui avez abufé de ma tendrsfl'e, trahi vos
Termens, réfîdé à mes prières le(l-ce bien vous?
Pardon, mille fois pardon! je n'accufequç moi(
j'ai tort , je l'ai feule. J'avois comité fur mes
forces . . . elles m'ont abandonnée. Quels mal-
heurs j'envifage! de quels abymes fuis-je en*
tourée !. . . Vous êtes part
abfcnce me livre à mes ré
la nuit les rend plus fombi
mon cœur a perdue, & qu
m'environne , te repos doi
que l'amour & le repentit
Tentir ce que je ne faifoî
vous étiez près de moîi j
bras , j'y éiois moins malhi
je fuis à vous pour jamai
j]ot]g tout facriSé , honn<
tout ce qui me fut, tout
facré ! hélas ! tout. . '. jûrqt
À votre eftime ! Vqus m*a\
tome K
-M;Google
178 Lev Malheurs
encore plus voue bonheur que mes torts , & tnei
craintes & mes pertes. . . Vpus l'avez voulu ,
cruel t vous avez pu vouloir ce qu'il m'étoîc dé-
fendu àe vous accorder , ce que j'erpërois n'ac-
corder jamais ? Contente de tous atmer , de vous
voir , de pafler tous les momens de ma vie à vous
foubauer , à vousattendre » à m'occuper de vous ,
l'oi-guéit de n'avoir peint de reproches à me faite,
in'adoucilloic la douleur de mes retus }j£pouvois
lever les yeux fur vous, & defcendre dans mon
intérieur fans rougir ; votre cceur fuHJfolt au
mien , & la pureté de mes fetitimens eh étoit
l'excufe : aujourd'hui. . . Dîcuî aujourd'hui ! . .,
que je fuis coupable! Je fôuffre , Si je l'ai mérité.
Vous qui me coûtez bïétl dés larmes < & qui me
les rendez chères, vous qui êtes à préfent le
inaitre'de ma réputation., de'ma vie, de mon fort j ^
vous à'qui j'appartiens toute entière. dulTent un
jour tant de facriBces diminuer de prix à. vos
yeux, vous ne m'ôterez jamiii; le bonheur d'a-
voir fait le vôtre. Ne coiiiptez pas fur ma légèreté
sppaVêtitê i oui , oui , rha ioil)le(re elle-même ell
Je gagé de ma Conftance. Vouspoùvcz me rendre*
Ibien rnalheùreuré; mais riert , rien à préfent ni
pourroit me'^étacher de.vous ... pas jnÊmè
votre in^atitude. . ' " ' " , '
P. S.TX eft huU heutn du inhtin! je «e ta
D,m.f.ril>,GOOglC
DBLi'lSGOirsIfANCE. 179'
luis point couchée. Je fuis d'un accablement! . . .
que }e fuis loia de vous ! Je viens de relire votre
lettre ... je vais la relire encore , elle m'atten-
drit ... me confole i mais hélas ! votre ivreâ*9
eft-elle vraiment de Tamout 'i
^ ^ wi .
L E T T R E I I I.
Du comte 3 à la marquife-,
Quelle lettre! Elle prolonge nron lavidè*
ment > elle ajoute à mon délire , & vous pieu,
rez ! . . . vous pleurez ! c'eft moi qui &is coulée
vos larmes ! Ah I je-tombe à vos pieds , & j'y
implore mon pardon , fans ce0et d'adorer mon
crime. . . Je n'étois plus te maître de mes ttanC'
ports : égaré ■, éperdu d'aroour, je ne voyois plus i
)e n'entendois plus; la foudre auroit lomb^ > fes
éclats ne feroienc point venus JDfqu'i moi } fans
arrêter mon audace > elle eût éclairé mon bon-
heur : ne le troublez point , vos inquiétudes me
défelperent. Vous , étrangère à la fociété! vous
qui e^n êtes l'ornement, qui en ferez toujours
le chantte ! Dites , dites , cruelle , quels foifc. les
liens que vous avez brifés ? Seroient-ce ceux
qui vous uniâenc à un époux dont l'indliférence ■
vous outrage? DeveZ'Vous- le ûctifice dévoue
Mi)
D,™),Prib,-GOOgle
i8o ' L E s' M A L a E U R c
CŒur à qui vous a ravi te fîen ? Les femmn
Ji'ont-elles que la triftc vertu d'être fidelies à dt
perfides époux} & le ciel qui les forma, ordonne-
i-il que dans leurs plus belles nnnées elles k
traînent aux pieds des autels pour y feeller leur
efciavage * Si jurer elles-mêmes leur infortune?
Ce préjugé m'iudigne: il eft barbare, îl n'eft
pas fait pour vous. Feiuroti célelte * mus injufte,
féchez vos pleurs, dtflïpez vos regrets, livrez-
vous fans crainte aux imprefltons d'une ame fen*
£ble; celks qui font les plus vives, celles qui
font les plus chères , doivent être les plus facrées.
Ne craignez point d'-avoic perdu quelque chofc
à mes yeur. Que ne puis-je vous ouvrir mon
cœur , ce coeur où vous êtes fouveraïne ! Que
ne poiiveZ'Vous y voir Us progrès qiie vous f
faites ! Je ferai vrai ; je vous connoiJTois mal. J'en
rougis ... cette erreur ell aiFreufe, plusafireuft
que je tre puis vous l'exprimer : votre dernière
lettre eft un trait de lumière qui m'a pénétré.
Oui, oui I mon bonheur vous embeilîtt il voue
rend dans toute fa pureté l'eftime que vous crai>
gnez d'avoir perdue. Une foiblede telle que la
vôtre n'enlevé rien . & l'anse qui fe donne ainH ■
doit s'enorgueillir de s'être donnée. Je vous
aimois avant mon triomphe; depuis, je vous
adore. Qjie le mpnde t& cruel ! qu'il eft avei^le J
D,m.f.ril>,GOOgle
D E L I N C N 8 T A N C 1. f«I
Vous êtes vengée. Celfez de vous croire coupt-
ble : c'eft moi qui l'ai été , qui )e fuis ... qui n«
veux plus l'être. . . Mon défordre eft extrême . . .
& vous reftez où vous êtes ! & vous n'êtes point
entraînée vers moi ! Qui vous arrête ? pourquoi
n'ètes-vous pas ici ? La folitude nourrit votre
chagrin . . . Revenee * je vous en contre ; n'é-
vitez point mes yeux, ils n« vous oâriront que
h plus tendre amour. ..Je fuis plus agité que
vous . . . mon ame eft opprelTée , elle attend la
vAtre ; je ne rerpire point dans votre abrencK
=^i3P=
L E T T R. E I V.
De la marquife , au comte.
JLf. e(t donc vrai , vous aviez des préventions
contre moi, & peut-être hélas, n'aviez*. vous
point d'amour! Q^i'ai-je dit!... Malbeuréufel
quoi , je me ferois. donnée à un par jute dont |«
ue ferois pas aimée! . . .^on , il n'cfls-pas poffi-
Wcinon, je vous r«irfs iuftice.Si vouirt'avieï
fu pour nui qu'un goût paflàger. vpus n'autâex
pas sKerché à m'înrpirer un fentïmenti vous en
êtes incapable. Je vous adore. LsijTeE dire -un
monde perfide & cruel ; il me juge fans me
COnnolCre, il eft înjulie fans tne fôchert mais
M iij
D,™),.ril>,GOOglC
ISI LkS MA.LHEUtlS-
Tous» mais TOUS, (] vous ofîez, fî vous ppuTÎéz
l'ôtte ! . . . Votre opinion eft tout pout moi , le
lefte ne m'eft rien î j'y renonce. Eh ! que font
les ruffrages de la multitude au cœur qu'un feul
objet occupe , & dant lequel h vanité ne peut
entrer ? Dites-moi , où Te placeroit-elle , quaitd
je ne fuis plus qu'à vous * quand je vous ai con-
làcréma vie ? Puïs-je attacher quelque prix à ce
que difent de moi, à ce qu'en penfent les autt'es?
idolâtre de mon amant, infenlible à tout ce qui
n'ed pas lui , il éteint en mot iufqu'au ptaiiîr
que je trouvols à plaire. Cette émulation que
l'on appelle coquetterie, je ne Tai plus; il eft,
ce changement ,ii eft votre ouvrage , & peut-être
cet abandon de.mon coeur en juftiËe les écarts.
Que vous kes heureux de n'avoir point de rç-
mordsîVous l'êtes bien plus que moi... je me
trompe, vous ne l'êtes patstm, je voUi ai plus
ticiifié. -Vous defîrez donc mon retour? Mais
moi , dombjen je le redoute ! ... Je ne fais cepen-
dant , cet aif^le qui me fembloit R riant , a pouc
tnot'chaflgé d'àlpeâ i tous l«s objets m'y retra--
«en« nia feibleâe. J'ai voulu revoir oe bo^u'et,
«e fatal bofqùet, tombeau de mon ïnnoeencet
jên'ai pu à fon approche me défendre d'dne
frayfftrr fecreteï fon bnabte, où j'alkds cacher
les foupirs de Pàmout , s'eft changée ta ténebretf
i>v Google
DE ï,' IK Ç P H S T A N C E. Igj
forniidsbles , depuis que f y ai fuccombé; & j'ai
cru 1 en y entrant, me fèniîr repoufler par une
voix effrayante qui me reprochoit ma faute , &
m'en annonijoit la peincHélas! d'où naiflent mes
preû*enti{nens ? Ils m'épouvantent. Il me fem-^
ble que tout fe détache de moi. Je n'aurai donc
plus de jours fereins!. . . C'eft à. vous d'écartec
,cqs prérage^-; je remets à vous feul tout le foin
de ma deflinée. . . Que dis-je * à vous qui m'àve^
perdue , qui avez voulu mon déshonneur, à vous
qui pcut>étre me msprïfiez j quand je vous ado-
rois ! . . . C'en eft fait ; je ne quitterai point ce»
lieux, je vous éviterai toujours; jamais hélas!
jamais je ne vous oublierai. Mes'efFôrt's pour
voUs arracher de mon cœur feroieiit inutiles , je
n'en ferai point. . . Mats comment fuuhaiter
votre préfence ? Je vous reprocheroie mes torts »
j'en aurois de nouveaux. . . Ah ! je vous aime
trop pour m'expofer au danger, àla îioilte.".'.
au bonheur de vous revoir. '
■•m |„l ,-L.„ l -U-LU O ft P ■_ l ll-l»„l,4IJ., ll i,.. <»-
LE T T R E V. ■
Hh duc, au comte.- ' '
XÎeureusement jefuis défintéreflej leçlaifîr
d'avoir bien fait efi le ftix le plus douic pour une
jS4 Les Malh.euii8
ame délicate , & l'ingratitude ne refroidit point
ma géaétoGté. Il y a des (îecles que tout elt
conclu entre la marquife & vous. Grâce à moi,
vous voilà enpleîKe béatitude : vous devez même
voir déjà Te former de loin les orages de la rup-
ture ( & je n'entends parler de rien ! vous ne me
voyez point ■ ne m'inftruîfez point ! Je fuis obligé
de deviner tout } & quand vous fetes abymé dans
le calme de la jouilTance, il &ut que devant le
public je fois pour vous en repréfentation ! N'im-
porte > j'y,ai mis un orgueil perfonnel , mon ou-
vrage ne reliera point imparfait. Soyez tranquillf,
l'aventure efl à peu près connue dans toutes les
Xociétés où il ed à propos qu'elle fe répande: elle
jt très-bien pris à la cour. Hier, dans via foupcr de
trente perfonnes , j'en ai inftruit plulîeurs ; oh
a même délîgné les femmes que vous deviez
avoir après la marquife ; je vous en donnerai
la lide. EK bien , font-ce là des foins aâèz recher-
chés , des attentions alTez délicates ? D'après cela,
'nioniîeur le comte, je ne vous crois point aâèz
barbare pour fcvrer mon zèle des conâdences
incérelTantes qu'on a nécelTairement à faire quand .
on eft un penjavant dans l'ititimité d'une femme
qui prête ^ux détails , & peut foulFrir ranalyfe.
J'efperéque vous me fatisferez fur cet article:
d'ailleuts.il eH indîrpenfablé que je vous voie*
D,m...b,Google
i>B lMncomstance. J%f
pour régler avec tous la durée de votre imd-
igiie, & le goût dans lequel il faudra la terminer.
Tâchons d'éviter les tournures communes. La
duchcfle de * * * , qui doit naturellement vous
écheoir après la marquife , efl préfentement aux
eauxi ainlj je vous confeille de garder Tune»
jufqu'à ce que l'autre fbit de retour; à moins
que vous ne preniez , en attendant , une fille de
fpeâacle : ce qui feroit d'un délicieux fcandale ,
& cauPeroit un déchaînement qu'il eft quelque-
fois bon d'eit citer. Nous en raîfonnerons à notre
première entrevue.
Adieu* monlleur le coipte. Vous voiU dxa;
une poGtion brillante , & vous feriez impardon-
nable de n'en pas profiter.
BILLET
Dtt comte , au dup.
Vous m'avez trompé plus crueyement que
vous ne pouvez le croire , & que je n'ofe vous le
dire. Madame de Syrcé eft loin de relTemMer au
portrait que vous m'en avez 'fait. Malgré vos
préventions & vos efforts, elle a trouvé le fecret
d'arracher mon eftime j & chaque indifcrétîon de
votre parc rècafuivic d'un défaveudelamienneJ
D,™),.ril>,GOOglC
iS^ LesMalheukb
Je ne fuis que fon ami , mnis j'en rempliraîhaa^
cemeiu le titre , & je ferai forcé de vous démen-
tir toutes les fois qu'il vous arrivera de l'accufer.
Je regarde votre dernière lettre oorame une ptai-
fanterie; mais fî par hafard ce n'en eft point
une , je vous prie d'y faire attention , & de ref-
peâer déformais une femme dont je me déclare
le défenfcur. J'ai été à la veille de manquer k
tout; & j'ai d'autant plus de zele* que j'ai plus à
réparer.
Adieu * fmonHeur le duc. Encore une fois. '. . .'
vous m'avez trompé.
LETTRE VL
Duducde ***t à ladi Sidlçy.
C^'EST de toui les hommes le plus diflïpé , le
plus frivole en appafence , 'qui met à vos pieds >
madame . cette légérMé qui a .%it long>tems fes
plaifîrs , fon orgueil & fes fucccs. Plus mon cœut
fut indépendant , plus il ell flatteur peut-être de
le fixer. Ses vœux s'épurent depuis qu'ils s'a<
dreffentà vous >il femble que j'aie pris dans vos
^euz une éùucelte de votre ame. Oui , belle
Sidley , TOUS VBuez de faire un prodige qu«
toutes nos Femmes enfemble fe feraient eh vain
-M>,Googlc
DB L*lHCOH3TANeE. t^J
promis : elles font vengées, je brûle d'un feu
refpeâueux ; & mon cœur efl: trop occupé , trop
nta'jttâ , trop digne de vous , pour que le delir
Y prenne le fentiment.
Après cet aveu que la crainte a fufpendu ,
mais qui échappe à la palScm > ofetai-)e voub de-
mander* charmante ladi> quels font les motifs
4e votre retraite & de l'eictl que vous vous im-
poreE?0 ciel !àlaâeutde votre âge , quelle ty-
rantiLe.ou qtiel caprice vous condamne à vivra
dans Ifl falitude ? OrgneîUeufe dans votre dé£etx
des &DinMs fecretea que vous allumez , vous
nous reléguez dsns notre tourbillon, & vous
éteignei de vos mains l'encens que vous gnrdoït
Timour. Dites un root, une carrière brillante
s'ouvre .devant vous. Si la cour tous féduit, les
plaiiirsenfoulevousyattsndenti voùsy)ouirez
derivreffèdeshommesidelajalounedesfemmesi
TOUS embellirez tout } & , s'il eft pollible , le bon-
heur vous embellira. Que fa vez-vous? quelle pré-
tention ell interdite i la beauté? Ses droits n'ont
point de limités. Aimez-vous mieux le féjour de
laTilie?T6uslescœursyfontà vous. Combien
vous fetcs préféndik-à ecs onnots monotones,
donc nos oerdes s'eRorgueitUfiènt ! Avec leurs
gracn de conceation, leur efptit copié, j&lear
iâufieté profeRde., oomàïeflt Dos ïenuaçt tïèa-
h, Google
188 Les Malheors
dront-elles contre la fnîcheor, la nobteJTe Traie»
& tous les dons de la nature?
Le comte de Mirbelle vous aura fans doute
parlé de moi ; U fait combien je t'aime , il fait
tout ce que j'ai &ic pour fon bonheur ; St Ci tous
l'interrogez , il ne pourra que me rendre juftïcek
Jugez de mon amour, puifque je vous immol*
jufqu'ànionami. Je ne me repens de rien} mai*
je fuis fur d'avance que > II ma démarche vous
déplaît} vous ferez allez forte pour ta taire. Une
ame comme la v6tre eft au-delfus des joulflancet
delà vanité. £n6n ,fi vous rejetez monamout,
peut-être, niiidame, ne rebuterez<veus pas tes
foins de l'amitié. J'ai quelques entours ; daignez
. en dirpofer. Mes reflburces dans tous les genrei
vous font offertes , & toutes font ennoblies par
la délicatefle des intentions.
Je fuis avec refpeâ, le duc de***.
.«g , ' ^'Ste-'— :-.g^ = » — a»
BILLET
De ladi Sidley , au duc.
i^ TRAVERS le pompeux arrangement de vos
phrafes , j'ai entrevu la fauâeté de votre cœur,
& votre ûgnaturem'a- convaincue de tout eê que
je foupçonnois. De quel droit , monfiettr le duc»
n;r;>-M>;GOOglC
7Ï E L' I N C O S 8 T A M C E. igj
Tirqoez>vous près de moi une tentative inJLU
rieufe , & qu'avec de i'ufage feul vous auriez dH
vous défendre 'i Je fuis votre égale par le rang, &
j'ai par>defius vous les prérogatives de mon feze ,
qui devroient être le frein du vôtre. Je votu
pardonne votre lettre & votre démarche , en fa-
veur du dédain qu'elles m'infpirent , & du plaiHr
que je vais avoir à les oublier. Ne crûgnez point
que je'me vante d'un triomphe , quand je n'at
qu'à rougir' de votre audace. Je tairai ce qu'il
&udra taire ; & lî je parle au comte deMirbelle ,
ce ne fera que pour le garantir de votre amitié *
non pour m'enorgueillir de votre amour.
■« M I I /^r <».
LETTRE VII.
Du comte , à la tmrqnije.
M^iETBi cruelle , très - bien ! Je ne puis qu'ap.'
plaudir i votre conduite > à votre obftination , k
votre barbarie. Voici la quatrième lettre que je
Tousécris pour prefier votre retourj elle aura
l'eSet dp s autres. Et vous aimez ! vous aimez !
vous ! Ahi quand on aime , on agit autrement i
on n'eft point inflexible aux inftances , fur-touc
à ta douleur de l'amant qui nous eft cher ....
JHier, parexentple, le tendea-yousdela duÛç
-M>,Google
190 LesMalhbcrs
du roi ^toit dans Pendroic de la forêt de * ** quj
touche au château du maréchal. L'univers étoit
là , TOUS feule n'y étiez pMtiC : vous deviniez ap-
fiaremmentque l'efpérance de vous y voir m'y
attireroit ... & voilà pourquoi vous avez sSeâé
de n'y pas paroître. Il n'y a point d'extravagan-
ces qu'un tel caprice ne m'aie tàtt faire, J'avoit
perdu la tète. Figurez-vous un homme en délire
fiir un cheval fougueux, paurois voulu- qu'il
fïit par-tout à ta fois , & ;'allois indîfcrctemenc
regarder dans toutes tes calèches. Jeme fuis fait
trente ennemies par mon air dliumeur, par le
dépit de' ne vous pas trouver, & mon dédain
marqué pour tout ce qui n' étoit pas vous. ... A
un détour du bois j'apperçus un carrofle à la li-
vrée du maréchal j je crus que vous y feriez , )'y
courus. Dans mon empreflement , je m'élanqat
à travers la portière } jugez de ma furprife,
^uand. au lieu de l'amour mrme que je^ler-
ehofs i je ne vis que la vieille Bgure delà du*
ehefle. ... Je penfai tomber à la renverfe ; elle
ine parut furieufe, s'agita comme la fibytie fur
ïbn trépied , murmura quelqties mots, & m'au-
roit étranglé , G elle avoit pu. Je paiie qu'elle
n'eft point encore revenue de mon efcapade ,&
vous avez dA la trouver le foir deux fois ptua
àftbraatiqtte qu'à ibn ordinaire. Voilà pourtuit»
h, Google
DE L'INCOIVSTAITCE, 191
madame , à quoi vous m'expcfez. Qpe failîez*
TOUS donc dans votre Micieufe retraite , pen-
dant que tout le monde en étoit dehocB ? Je ne
vous con(;ots pas ; quelle trRnquillité ! quelle
indiâeretue ! Vous êtes donc bien fure de mon
cœur !que dis- je * peut* être ne vous fouciez.
TOUS point qu'il vous échappe. Si vous faviez
cependant, (i vous faviez... quelles font mes
inquiétudes , mes craintes, vous ne dédaigne-
riez pas de Les calmer. La cha0e finie , j'ai pen-
dant plus de quatre heures erré autour de ce
maudit château que vous ne voulez pas quitter.
J'avois les yeux fixés fur le fallon où l'on fe raf-
femble , je. vous y cherchois : mes regards, mon
ame , mon imagination * tout mon être y étolt
attaché. Voilà comme j'aime ; voilà , voilà , ma-
dame, comme on doit aimer. Vous ne connoif-
fez pas mon cœur , vous ne pouvez pas conce-
voir les excès dont il efl: capable; tremblez de
le pouSer à bout. O vous que j'adore , & qui
m'affligez, ne me privez pas plus long-tems des
charmes de votre préfènce f . . . Elle feule peut
adoucir les tourmens de ma fituatton , & des.
chagrins dont je ne vous dis que la moitié
Ne m'avez- vous h\t entrevoir te bonheur , que
pour me l'arracher foudain ? Je fuis au défcfpoir ,
&V0U8 m'y UiJezI Ah > dieu ! ne me zéf ondes
D,™),.rib,Google
192 Les Malheurs
point -, ce ne font plus vos lettres , c'ed vous-i
TOUS feule que je veux i & fî vous réûilcz k mes
prières. . . . Je ne menace point , je pleure. ....
Revenez, revenez, ô mon adorable mahreffe!
Je tombe à vos genoux pour vom en prier : tout
mes emportepiens ne font plus que de Tamoar. . .
Je vous attends. Je vous aime plus^ qu'on n'a
jamais aîmé.
LETTRE VIII.
Du due Je***, au vicomte de*** t voyageant
dans P Italie.
JE boude l'univers, & je rae fuis jnrrache <J«
Taris pour venir refpirer ici. M . . . eft une ville
charmante. Le commandant de la province, chez
qui je fuis , eft un homme aimable ; c'ell lui qui
m'a formé ; il pleure de joie quand il foogc aux
fuccès de ftm dtfciple , & notre réumon a quelque
jchofe de très^ttendrilTant.
Revenons au fujst de ma tiliEleSe , car chacun
a fes chagrins. Vous vous rappeliez peut-être
te beau plan que je vous développai il y a fix
^ois dans une de mes lettres , l'une de^ 'plus
ittftruâtves que j'aie écrites. Il s'agiflbît d'avoir
.une femme, d'humilier l'autce, &.d'^ter>un
jeune
Dim.fMi,. Google
» fi X. I N O H s T & N G 8. I9}
jeane écervelé la tnaîcrefle qu'il nimoÎE, pour lui
Aire prendre celle que, dans mes décrets, il dé-
voie ne pas aimer. Ëh bien . vicomte , rien ds
tout cela n'a léuiE. Je fuis confus , découragé »
piefque malheureux ; un fécond dégoût tel qus
celui-ci me feroit prendre le monde en haine.
On a eu beau bloquer l'Infulaite ; elle a touG
éludé: la Fran<;oire a donné de meilleure graca
dans les pièges diiferens qu'on lui a drefTés; la
comte s'y eft pris d'abord , & puis tout eft relié là.
Ce maudit comte ! croiriez- vous bien qu'il ell de-
venu plus confciencieux à mefure que madame
de Syrcé eft devenue plus foible î* & , ce qu'il y
a de piquant, c'eft que ce monftre là, avec tous
fes remords , garde deux femmes pour le coiifo*
1er. Je fuis en règle , comme vous fentez bien }
j'ai vite ébruité l'aventure , & je me fu'^ mis
d'autant plus à mon aife fur les indifcrétions *
qu'on étoitplus cîrconfpeâ fur les confidences.
Voilà toujoUES , à bon compte, la vertueufc mar-
quife au rang des femmes courantes , qu'on a ,
qu'on peut avoir, qu'on prend & quitte k volonté.
Le comte nie , moi j'inGlle ; cela fait compenfa^
tion i il eft l'apôtre de la vertu , }e fuis rhiftorietl
des foiblefles ; le moyen qu'il foit cru , & que )«
ne le fois pas ! On rit de fes fables , on dévore
mes récits. Mais concevez . vous qu'il s'avi{<>.
Tonte K ■ N
M>,Googlc
194 LesMalHei^rs
d'être délicat à Ton âge ï'daiis le monde qu'il voit !
dans le fieç^e où il vie ! à portée des bons con-
feils ! . . . Mtrbeile étoit lancé t cette aventure le
f ortoit aux nues ; il pouvoit couler à fond ma-
dame de Syrcéauilî facitement que j'en avûs eu
le projet. Tout étoit dîfporé pour cela ; il en avoit
les honneurs , & les autres femmes lui en au-
roientfu le meilleur gré. Aujourd'hui, ce n'elt
plus qu'un homme comme cent mille autres , un
étourdi qui manque l'occnlîont a des fcrupules
d'eEiranc,&ne fait pas qu'en immoler une,c'eft
le fecret de plaire à toutes. J'ai lait ce que j'ai
pu , & je n'ai fûrement rien à me reprocher. Je
ne m'pttendois pas à me voir barré par une con-
fcience timide , & les oppolîtions d'un génie du
fecond'ordre. Aurefte, ievoilàentre deuxfem-
tnes , & c'ed bien quelque chofe. Ce n'eft point
k lîtuation où je le veulois , mais tl faut s'en
contenter. J'ai déjà déchaîné rAngloife par des
avis clandefïins qui doivent faire un bon çSet.
J'ai mis le flambeau dans la main d'une de Tes
furies i & l'autre, aigrie par le partage & les
négligences inféparables d'une double intrigue,
ne tardera point à jeter tes hauts cris. Ce pauvre
comte! je jouirai un peu renfnellement, je l'a-
voue , de fa petite infortune ; il l'a bien mcri-
'tée. Or dit que je fuis méchant : que ^ous en
-M>,Googic
BÈ LIMCOJISTAKCE. l§f
femble? Voilà pourtant comme on cft juge ! . . J«
puis m'ouvrit à vous , mon cher vicomte. Voua
êtes digne de m'apprécictt St'je fuis bien aife
que ma morale ne foîtpiis perdue. ',
En entrant dans le monde , j'en ai , d'un coup'<
d'œil rapide, embrafle là fupcrficië ; j'ai vu d'un
côté une poignée de pédans triftes, platement
honnêtes i & vertueux avec confuHon , végéter
fans titres , fans récompenfe , '& placés dans la
fociété comme des efpeces d'épouvantails. Ces
gens là ont de l'humeur, s'emportent contre
ceux qui n'en ont pas , crient au fcandale , à la
décadence. Si attriflent fans corriger. D'un*
autre part , j'ai dilHngué ces hommes brillans , &
que l'on croit fuperficiels , qui arrivent à tout ,
en fe jouant de tout, pcrfifHeot les moraliftea
qui les ennuient, les femmes qui les adorent j
& jufqii'au miniftere qui les récompenfe. Ifa
faventque les mœurs ne font point à la mode.
& ils n'ont point de mœurs; ils brifent tous
les liens qui retardent, fe difpcnfent des dé-
voirs qui préoccupent, & fe gUffent à la for-
tune & à la faveur à travers les diftraâions du
plaifir; tels ont été mes modèles. A quoi bon
fe hériffer d'une morale infrudiieufe , quand
tous les agrémens de la vie font le rifu Uac d'uno
utile frivolité ? Q]u'a-t-on à faire dans une mo-
Nij
M>,Google
J$6 L E s M A L H E V R 8
itarchie ? Le gouvernement Te charge de tout.
Les loix veillent . It machine va , les politiques
fe rengorgent : notre fagefie à nous , eft de rire
de leurs calculs* & d'en profiter.
La province, comme vous voyez, m'invite à
réfléchir. J'avois befoin de fon calme ■ j'étois
anéanti ; & , pour ne pas mourir tout-à- Tait , il a
Ëtllu déferter. Tandis que je menois l'intrigue dt
Mirbelle, j'en avois cinq ou Ctx pour mon compte,
qui m'ont cruellement exercé. La Terville d'à-
bord eft venue fondre fur moi , fous prétexte que
je lui femblois un homme à femimens. Notez
que cette femme eft bien le tempérament le plus
inexorable qui me foit encore tombé fous la
main } mais je n'aî point été la dupe de Tes mi.
nés , de Jfes nerfs obéiflàns , de fon crédit acheté ,
de Tes petitu intrigues dont tous les reflbrts iè
rouillent ; & je l'ai plantée là auffî brufquement
qu'elle m'avoit pris.
Après elle , efl; venue madame de Sanci . co.
quette éternelle , s'étayant de la fociété des vieux
feigneurs , & s'érigeant en oracle des jeunes
femmes , qui ne demandent pas mieux que de
la confulter , parce qu'elle confeiUe aujourd'hui
comme elle agilToit autrefois. Celle-là je l'ai eue
par régime; mon médecin me l'avoit ordonnée ,
& je lui en voudrai toute ma vie. J'ai en horreur
let remèdes violeqs.
D,m.f.ril>,GOOgle
DE l'inconstance. ï$J
Four madame de Melleville tj^"^ regrette pas
autrement les huit jours que je lui ai facrlâés.
C'eft un petit fapajou affez agaçant ; elte fait des
lâàttes, des perfidies, de refprit quelquefois,
dernoirceurs toujours» je ne coniioU perfonne
fur-tout qui mette plus de gaité dans une rup>
ture. Tout le inonde aimera cette femme là. '
Mais de tout ce que je viens de vous citer ,
rien n'a été fêrieûz que mon aventure avec
madame de * * * , délicieufe créature ! Caprice ,
étourderie , indécence , elle a tout ce qu'il faut
four intéreflèr } je ne connoh pas une conduite
plus défbrdonnée , des mœurs d'une meilleure
compofîtion. Son mar,i eft une efpece de Holtan-
dois francifé , un bourguemeftre réfugié , qui
raf&le de jardinage. Cet ordinal a la manie des
belles plantations , & des fieurs les plus rares.
Elle ne s'abaiJe point à jouir de tout cela pen-
dant le jour. Après une toilette rapide , on appa.
toit au rpeâacle ; enfuite un grand cercle , un
jeu d'enfer , un foupé des dieux , & , le foupé
fini., la promenade aux dambenuz dans les jar-
dins; jugez du dégât qui s'y fait! J'avouerai que
cette lutin^tie- aimable m'a retenu plus que je.
ne voulois dans les chaînes de madame de***,
à qui d'ailleurs il ne refteroît rien , fi on loi âtoit
ià déraifon.
Nui
n;r;>-M>,GOOgle
i$8 Les Malheurs
Qjioi qu'il en foit , me voilà libre } je mené
ici une vie douce. Le commandanty tient le plus
grand état ; nous caufons fur nos exploits de
tous les génies ; & , quoique je ne fois pas à
mon appreiKiJTage, je trouve encore de qooi
m'inftruiie dans Ton entretien s il m'a donné des
notes lavantes & détaillées fur toutes les fem-
mes de fa fouverainecé. Celle-ci .me difoit^itil y
8 quelque tems , Te défend aflez volontiers quatre
jours de fuite ; celle-là peut tenir quinze; en
voici une qui a léfifté qiiel^efois des mois en-
tiers: c'eft l'exemple de la province. J'ai voulu
vériHer, & )'ai trouvé (es mémoirei de la {>lus
grande exaâitude.
Je bavarde en franc provincial. Adieu , vicom-
te. Quittez donc votre Italie , & revenez parmi
nous. Je ne puis fufEre à la foule de mes occu-
pations ; }'ai befoin d'un fécond un peu délié,
c'cft vous que je choifis. J'ai poiir l'hiver pro-
chain des idées toutes neuves > & en vous cédant
]e quart de mes aifaireSi vous aurez encore un
très-joli département.
L E 1" T R E I X. :
Du C07ute, à la marqnife.
VR&I0K£2 mon amouE, mon défefpoir..;
-M>,Google
DE LINCONSTANCE. I99
craignez.en la violence; Il faut que je meure ,
ou que je vous voie. Je fuis capable de touti
}e vous fuiviai au bout de l'univers j j'ni des
droits fur vous , je les réclame : ils font aH fond
devotre cœur; ils ne forciront jamais du mien }
je n'en coanoîs point de plus facrés.
Le prince de * * * eft pour quelque tems cheï
le maréchal. Pai fu de lui>mènie,il y a peu de
jours, qu'il partoït, parce qu'il venoit d'appren.^
dre que vous y étiez. Et c'efl; à moi qu'i) s^adreiTe !
c'eft moi qu'il choifit pour fcs confidences î . . *
Il vous adore ; je l'ai vu dans fes yeux > dans Tes
^fcours » dans fon trouble ... il vous adore , 8s
vous reftez ! vous reliez , madame , vous avez la
force de me fiiir! . . . Encore une fois , fi vou«
^viez ce que je foulFre ... ce que j'ai à combat*
Ue ! (i vous pouviez connoître & te genre de mes
inquiétudes , & l'excès de mon agitation , & toute
l'horreur de mes tourmcns ! Mais tout cela vous
teucheroit peu fans doute. . . Le prince de * * *
vous paroit-il auffi aimable^quc je le trouve hcu-
rejx? eft-il bien tendre? vous accompagne-t-il
fojs CCS ombrages charmans', où... . Je ne nie-
co.moîs plus: arrachez. vous du li»u où vous
êtes . . . fuyez cet homme qui ra'eft odieux . . .
qui doit vous l'èirs ; fuycz-Ie, madame, ou je
ne téponds point de mes ttanfports. J'imaginerai
N i?
-D,™),.rib,GOOglt^
9100 Les MALHEUR!
plus d'un moyen d'arriver jufqu'à vous, de trou-
bler les momçns paiGbles que vous paflez avec
lui ( de vous rendre le témoin , & lui la viâime
peut-être de mon affreux défçrpoir. Il n'eft poipt
de formes que l'amour ne prenne , il n'eft point
d'obfiacics qu'il ne furmonte , point de reflenti<
. mens où il ne s'emporte , quand il eft dédaigné. . .
Malheureux, qu'ai- je dit ! je m'égare . . , je tombe
à vos pieds ; je reconnois mon crime , je l'abjure ,
je le détefte ; mais gardez-vous de m'^n punir,
Rendez 'VOUS à mes prières, à mes iufiances *
aux vœux enflammés de mon cceur ; ne craignez
point l'amant que vous enivrez ... ne l'affligez
pas plus long>tems . . .Ton idolâtrie eft votre
excufe. Le prince de ♦**pourroit-il vous re-
tenir, me faire oublier ? Ah , dieu ! je voua ou-
trage, ma tète fe perd ; mais je ne fuis pas maître
desjnouvemensdemon coeur. Que je fuis agité!
que vous me rçndez malheureux! Cruelle, quel
moment vous avez choifî pour notre fépara.
tion ! ... Je n'en puis plus ... & j'exige .,. . oti ,
oui , j'exige votre retour » s'il ett vrai que je
fois aimé.]
if Google
LETTRE X.
De la ntarqtàft , au comte.
EhI
[ bien , oui , je refle ici* & (vous ne vous
y êtes pas trompé) c'eftpour Le prince de***,
c*eft pour le voir à chaque inftant} oui. mon-
£eur , c'eft pour lui quc^je refle. Vous devinez
tout ; votre fagacïcé m'enchante , elle m'éclaire y
& je vous en remercie. . . Ah , dieu ! G vous pou-
viez le croire ! fî vous aviez aflcz mauvaife opî-
rtionde moi! . .. Mais vous ne l'avez pas penfé:
je pourroisau rcfte,jedevrois fur-tout préférer
fa fociété à la vAtre. Il n'a point détruit la paix
de mon cœur i la vue ne me fait point rougir.
Eh .' d'où vient le fuirois-je ? Je n'ai jamais craint «
je ne redoute, je n'évite dans l'univers entier
qu'un Ceul mortel , hélas ! le plus aimable de tous •
s'il n'étoit pas inju[ïe,exigeaiu,tyTannique, s'il
ne doutoit pas de Ton pouvoir . . . dont il abufe.
H m'a perdue, me foupqonne, {è fait injure,
m'outrage , nous ofTenfe tous deux. . , Ah ! n'im-
porte, je l'adore , telle efl: ma deftinée, je l'adore
jufque^ dans fes înjuftices. Connoiflez, ingrat,
connoilTez tous les fecrets d'une ams que votre
haine , votre inconftance » votre mépris même nq
D,™),prib,Google
302 , LB8 MaLHKORS
pourroient changer : fâchez qu'en vous voyant.
je fus entraînée vers vous ; que , vous counoif-
faiit davantage < )e vous aimai plus ; que l'aveu
de vocre rentiment fit le défefpoir & le bonheur
de ma vie , & que Tamour vous l'auroit don>
née , eût-elle été plus heuteufe, dans le tems
que l'honneur vous dirputiïît tout. Non , vous
ne comprendrez jamais ■ vons tié pouvez com-
prendre ce que m'ont coûté tnes dédains, mes
refus , tous les tourmens , tous les combats d'une
femme attachée à des devoirs qu'elle frémit de "
violer, fe reprochant une paflïon qu'elle ne peut
vaincre , féfiftant à l'objet qui l'enivre , fe con-
damnant au lupplice inTupportalfle de le voir
malheureux , & dont toutes les démarches font
fuivies du défaveu de ion cœur, ou de celui de
fa raifon. Sachez plus, fabhez qu'accablée de
remords, ne pouvant foutenir votre préfence,
ma contrainte, fur-tout votre douleur, ne pou-
vant ni vous oublier', ni vbus fuir , ni le vou-
loir , j'éprouvois le déchirement afFreux d'une
jaloufie qu'on n'a pas le droit de montrer, que
rien ne raflure, que le fîlence irrite, & dont le
trait envenimé aâure à l'ennemi la victime dont
les bras lui font ouverts. Après cela, ofez douter
de moi; ofez, malgré ma foibleïTc, ofez mcrefu-
fer votre edime. Mais quand je ne l'aurois pas ,
M>,Googlc
DE t'iNCONSTANCE. OOJ
quand je ne la oiériteiois plus , dîtes, ditM-,
cruel , quel bomtne peut être dangereux pou;:
celle qui vous aime ? A quels emporiemens votre
ame fe livre ! GardeZrVous d'imaginer que je les
craigne : fî je cédoïs ... ce feroit à vos prières {
ce ne font point vos fureurs que j'appréhende.
Vous ne paroîtrez point dans ces lieux , du&e-je ,
n'en point Ibrtir} vous nV viendrez point , vou^
ne ferez nulle tentative qui puifle me compro-
mettre i vous refpe<^erez ma volonté, & c'eft
par mon pouvoir fur vous que je jugerai de ve(ife' .
amour. IVla gloire eft aujourd'hui votre dépôt*»
& H vous étiez capable. . . Avez^vous donc beroin
de m'efFrayer pour m'aflervir ? Barbare ! moi , le
témoin/ me autre la vi&ime.' une autre î fi vos
jours, étoient en danger ! . . . une outr» que
moL! . . . J'expircFois i vos yeux i j'cxpireroîs
couverte d'infamie , & jt vous haïrois ... de
m'avi»r &it trembler pour vous. Je veux , je
dois vous fuir ; le pourrai-je , hélas ! Je ne co-
rnets rien, j'ignore ce que je- ferai. Mais mon
abfence vous aflFligc. . .Eh bien , fans le prince
de* **, je partirois demain; c'eft lui , lui feul
qui m*arrête, & je fuit ici pour des llecles...
Adieu, s
1, Google
fto4 Les Malheurs
BILLET
. " I
Deia marquife , au comte.
J 'arbite dans le moment. Venez . mon cher
comte , venez ; je crains votre préfence , mais
je U deHre encore plus que )e ne la redoute.
Je vous attends ; je tremble ... & cependant je
fuis heureufe.
p
LETTRE XI.
He la marquife t au comte.
TE ne peut un amant aimé ! Depuis huit
jdura que je Tuis près de vous , je ne me recon-
nols plus. Mes torts diPparoiâent k mes yeux i
l'ivreffe leur Cuccede. Je ne vois plus le déshon-
neur t vous &tes entre lui & moi ; je fuis toute à
l'amour : j'aime jufqu'à mes remords pâlies ; j'ai
cela de plus à vous offrir. Quel changement !
c'efl k vous que je te dois. Tous les regards me
conf<Hidoient : lorfqu'oa me ëxoît * j'euUb voulu
que la terre s'entr'ouvrit pour me cacher. Je
TOUS ai revu : )e fuis fiere de mon fentiinent. Il
ell impofîîble d'aimer ainlî , & je palTerois.nia vi«
D,™),.rib,Google
DE LMhCONVTANCE. lof
à m'en étonnei , û je pouvois ffiire autre choft
que de m'en applaudir. Le matin, le foir^le
jour , la nuit , fans ceJTe je penfe à vous } vot
lettres, fur-tout celles que vous m'avez écrites
depuis mon retour, }e les baife avec une ardeur
- que, je n'ofe vous montrer toute entière. Je
n'ouvre mes yeux que pour les lire; je ne me
pare que pour vous plaire; je ne veux de Tuffira-
ges que pour mériter le vôtre. Je fus coquette ,
& je n'en difconviens pas ; on me voyoic par-
tout , excepté chez moi , & je me th:ouve heureufe
même de vous y anendre. Je haïs la foule , les
hommages, tout ce que J'ai ahné, tout fce qui
me fauvoit d'un attachement : j'étois content«
de ma figure ; je me croyois jolie , je voudrois
t'ètre mille fois davantage ; vous m'en avez fait
connoitre le deCr. Fixer l'attention de la multi-
tude , me paroi0)ât un triomphe : aujourd'hui il
me feroît odieux. Jen'apperqois que vos regqrdsî
je ne fouhaite des charmes que pour les attirer.
Au milieu d'un cercle oîi vous n'êtes pas , je fuis
feule avec vous , je vole vers vous ; mes fens ,
mon coeur , mon ame, tout m'y reporte, m'é-
loigne du rçfte. Le monde , tout ce qui le com-
pofe , ne m'efl: rien , ne m'infpire rien ; on ne
peut prononcer votre nom fans que j'éprouve
une émotion extrême j tous êtes à mes yeux le
-M>,Google
lo£ i.B9 Malheurs
feul homme aimable , le feul que l'on doive re-
marquer : voilà le tableau de mon cœur. Après
cela , Toyez ingrat , foyez infidèle' , j'en mourrai ~
fans vous haïr: ma vie vous apparrient* je la
donnerois pour votre bonheur , je la perdroîs Ci
vous celTiez un inftant de m'aimer. Moi , rougir',
quand c'eft vous qui êtes l'objet de mon ido-
lâtrie \ Vous me haïriez . . . que je la croirois
julHBée. Je vous aime , oui , je vous aime , je ie
dirots à l'univers , & jç jouiroîs de Tes reproches.
Vous m'avez grondée dans votre dernière lettre
de ce que je vous témoignois quelques craintes
fur la durée de votre attachement. Eh ! mon ami,
j'aime trop pour être tranquille. Portée à vous
croire , je vous aîdefois peut-être à me tromper i
mais , même en vous croyant , je cremblerois
encore. Ne me parlez point d'amour-propre ; eft-
ce qu'il n'ell pas abforbé par le fentiment? Ne
croyez pas que l'habitude de plaire i la foule
raflure contre la crainte d'intéreiTcr moins l'a-
mant auquel on a. cédé. Telle qui fe croyoit par-
faite avnnt d'être fenfible , à qui on le difoit fans
cefle , perd cette confiance avec fa liberté. Celle
dont on a toujours porté les chaînes , eft bien
étonnée lorfqu'il lui arrive d'en porter i fbn
tour: quand on devient efclave après avoir ré-
gnég quand, pour la preâiiete fois , on connolt
r;>-Mv,GO(MjlC
DE t'iNCONSTANCÉ, 20/
un maître , on fent d'autant plus d'nlarmes de
tout genre , qu'elles font plus nouvelles. J'ofe
vous en faire Taveu ( & vous devez me con-
noitre alTez pour que je n'appréhende point de
vousparoitre vaine) avant que je vouscoimulle,
perfonne n'étoit entoaré comme moi ; non que
j'eufle des titres pour juftifier la préférence vague
qu'on me donnoit fur les autres femmes } je ne
le penfe point ; je ne l'ai jamais cru : c'étoit une
manie. . . On étoït plus faux avec mot qu'avec
beaucoup d'autres ; on s'obftinoit à m'offrîr des
hommages qui n'airivoient point à mon cœur ;
j'avois mille Amans, & pas un; tous avoient de
l'efpoirï je n'écoutois perfonne} j'étoïs calme,
conBante , pleine de fécurïté , d'orgueil peut-
être. . . Vous parûtes , ma âerté expira î je connus
le trouble} je me dé6at de moii j'eus tous les
torts , toutes les craintes , plus de repos , plus de
coquetterie, plus rien . . . que le plus tendre
amour, quivauttout, qui me tient lieu de tout»
que je préfère à tout ce que j'ai perdu.
Quel eft donc le projet dont vous me parlez
pour demain? Vous redoutez un refus! Ah!
cruel , vous vous défiez de votre cœur, puifque
vous doutez de tout votre pouvoir fur le mien.
J'accepte ... Eh ! quani^e le voudrois , pourrois-
]e, cher iimant, m'oppofet It un vceu que vous
avczfotmi? ,
Dim.fMi,. Google
2o8 Les Malheubs
■*a . ^^ I I y
LETTRE XIL
De h ntarquife , m comte.
Oette femme qui nous & reconnus , qui nous
a faiués à cette;ptomenade fatale, dans cet afyle
écarté où nous croj'ions être leuls au monde ; ô
mou ami , que dira-c-etle ^que va- t-elle penfer ? . .
Ce cruel public !'il ne pardonne pas un fentimf nt
vrai qu'on a combattu , qu'on n'a pu vaincre ; il
élit inexorable, & moi, je fuis entraînée : fuf-
ceptible de retnords , je ne le fuis pas de réfie-
:c,ion8. Dans te moment où j'ai le plus de torts ,
dans le moment où je les lens avec le plusd'amer-
. tume , fî vous vouliez j'en aurois de plus grands.
Hier , quel oubli des autres , de l'univers , de ma
réputation, de tout! Les plus horribles malheurs
m'attendroient > la perte foudalne de ma vie de-
vroit expier les preuves de mon amour , que je
volerois dans vos bras. .^ (ùre d'y trouver le
. bonheur. Ah , combien il eft dangereux d'aimer >
quand on aime à un tel excès ! Je me craignois ;
cette crainte fit long-tems ma fureté } mais je
n'avois point d'idées de ce que j'éprouve. Mon
ame efl; enivrée ; l'amour fait un exemple de moi )
je l'ai fui , je l'ai bravé* il iè venge. Je fais des
imprudences
D,m.Vri>,Google
t>B l'incoksta^ce. 209
imprudences afireufts i je ne vois plus rien. . «
Cher amant , je ne me plains pas , je m'accufe i
hétas ! de quoi i Vous êtes coupable de mes fau-
tes j ctucl, ce font les vôtres. Vous vous faites
trop aimer * & j'adore votre ouvrage ; j'adore
mon délire , mon égarement^ j'en adorerois les
fuites* fuâent-elles le courroux, le mépris , le
âéchainement de toute la nature. . . Va , îl me
feroit doux de l'endurer pour toi. . . Prenez pitiâ
^ d'une femme qui ne feconnoitplus} empèchez-
la de fe perdre , faites-lui faire pour vous ce
qu'elle ne feroit pas pour elle. Vous avez détruit
fa raifon , vous lui devez votre fecours. Je m'a-
bandonne à vous , & ne vous implore que pouc
en être plus digne.
P. S. Madame de***ne foupoit pas chez elle;
il étoie trop tard pour aller à la campagne. J'ai
été à l'hôtel de * * * , j'ai foupé avec des femmes
vertueufes } je fouplrois en tes regardant , & mes ,
foupirs alloient jufqu'à vous. O vous qui m^ètes
devenu plus cher'que ma vertu même , vous fans
qui je l'aurois conlervée , vous pouvez me rendre
plus que vous ne m'avez ravi ! Votre amour eft
tout à-mes yeux i qu'il foit égal au mien , je n'au*
rai rien à regretter.
h.,Go()L^lc
iiû Les Malheurs
^ , f% j *y , _^^ — ,. ^
LETTRE X IIL
De madame de Smcerre , à la marquife fa fille.
Je m'en veux de ne vous avoir pas encore
écrit : mais vous favez que quand j'arrive ici .
j'ai mes deux mille tours à faire, des comptes
éternels à régler} c'eft à ne pns finir. J'ai trouve
tout dans le meilleur état i je commence à me
xeconnoître; matendrefie TaiGt ce moment de
calme , & je me hâte de caufer avec vous. J'au-
rois bien envie de vous gronder î vous n'avei
pas voulu me fuivre. Que fait -on à Paris dans
]a raifon où nous fommes 'i Vous Tur-tout, qui
(tes fî dtflîpée l'hiver , vous auriez bePoin t'élé
du repos de la campagtie: l'air qu'on y refpirB
rafraîchît le fang , rétablit la fanté , & donne des
forces au moins pour être folle un peu plus impu-
nément i pardonnez - moi répithetc. Vos balj ,
vos veilles , vos foupés , tout cela me défote &
m'alarme. Quand je fais que vous veillez, moi
je ne dors pas bien , & nos infomnies ont deux
caufesbien différentes: la vôtre a l'amufement
pour motifi l'inquiétude produit la mienne.
Vous avez les plus jolis yeux du monde, ils font
(luelquefoii battus à fiùre peut j je np les aime
D,m.f.ril>,GOOglC
DEL'tNeOHSTAHeE. SIX
point comme cela ; les mient ont beau me dira
que vous êtes charmante i mon cœur, oui , mon
cceuT vous trouve laide.
Mon -curé m'-a demandé de vos nouvelles. U
a une grande envie de vous convertir, & m'a'
para bien fâché de votre abfence } mais il prétend
que vous n'échapperez point i il veut vous fau-
ver, en dépit que vous en ayez , & vous prouver
que vos plaiiirs de Paris ne loot rien moins que
desplailîrs. Il aura de l'ouvrage ,n*e(l-ce pas?
& l'habitude qui plaide pour eux , vaudra bien
l'éloquence qui s'élèvera contre ? Il nous fît ces
jours -ci un excellent difcours fur les dangera'
dès pallions ,fur les' maux qu'elles entraînent»
& la fau0èté du bonheur qu'elles promettent.
Réellement il a très - bien parlé ; c'eft un digne
homme, animé d'un zele vrai: il met autant
de façon pour diriger Tes bonnes conlciences de
village , que s'il avolt d'illuflres pécheurs à con-
duire. Vos prédicateurs de I*aris parlent pouc
briller ; cetui-ci n'ouvre la bouche que pour êtrs
utile : les vûtres ne font que des orateurs ; le
_ mien eft un apôtre.
A propos , Orabert mon fermier m'eft venu
Voir : il m'a amené fa fille , cette petite Claudine
que vous appelliez votre ^o»»f amie :eiie étoit
parée, & n'en ayoit pas befoin. Figurez-voui
Oij
h.,Go()ijlc
aia Les Malhevss
une taille une peu forte , mais bien prife > dès
yeux briltans du feu de la iànté, des joues for-
tement colorées » & des lèvres qui font envie.
Elle a un amoureux qui feroit d'elle un portrait
plus détaillé ; mais moi * j'aime mieux la dotex
que de la peindre. Elle aun air de CageSe qui m'a
féduite, & l'on m'aflure que fa conduite y ré-
pond. Oti la propofe pour modèle aux filles de
fon âge. Sous des habits villageois, 'elle s'attire
les hommages & les refpefls de tous ceux qui
rapprochent. Je compte la marier tnceflamment
avec celui qu'elle aime ) c'eft le fils d'un labou-
reur eflimé , qui a déjà fùccédé aux travaux de
Ton père , & qui , dit-on , héritera de fes vertus.
Leur union m'^attendrit d'avance ; la noce fe
fera dans mon château , je ferai ravie quË leur
bonheur commence fous mes aufpices.
Tels font , ma chère fille , les foins qui m'oc-
cupent , & les innocentes diltraâions de la vie
paifibte que je mené ici. Les vûtres font plus
bruyantes; mais laiflènt- elles dans l'ame des
impreilîons aufll douces? Que je le haïs ce mou-
vement continuel & fatigant qui vous emporte ,
vous promené de chimères en chimères , & ne
laifle après lui que rétourdiâ*ement, lé dégoût
& le vuide ! Dans la perfpeâive , le monde efl un
fêjour charmant } de près , e'eft un abyme o&
D,m..M>,GOOL^IC
DE LINCOBSTANCE. 21}
chaque féduâion maÇque un péril» &' chaque
plaifîrune îtifortuiie. Il e{l certains écueils que
je n'ai garJe de craindre pour vous : ii l'imagi-
nation y pouâe , la fierté de l'ame en préferve.
Avec une tète vive , vous avez un cœur honnête ;
l'une peut vous égarer , l'autre vous ramènera
toujours i }e le fats , je le crois , j*aime à le croire ,
& je mourrois de chagrin , fi vous me forciez de
penfer autrement : mais > ma fille , ma chère fille ,
, fouvent les apparences ont perdu celles que leur
intérieur n'accufoit point. La coquetterie ell un
appât empoifonné , auquel on fe lailTe prendre
trop aifément. On ne veut que les hommages , &
l'on ne fait guère ce que l'on veut. L'orgueil des
hommes & la jaloufié des femmes les font payer
bien cher; tes unes calomnient, les autres fe van.
tent : on crie à l'injuHice , on pleure , on fe ré-
voltei tout ce qui amufoic l'efprit vient: s'enve-
nimer dans l'ame ; les principes ont à lutter con-
tre le dépit, & s'aâbihiiCent par le comhat. A la
£n on fè décourage , les reflentimens s'aigriC'
fent , l'imprudence s'y joint , & la vertu même
alors devient le fupplicedu cœur, au lieu d'en
étrelaconfolation. Croyez>en mon expérte4icej
je chéris ce trcfor de mon âge , s'il peut vous
garantir des périls du vôtre- J'ai vécu dans te
monde de très-bonne heure. Grâce à M. dç San-
O iij
D,™),.rib,G00glC
ai4 Les Maï-hpurs
«erre que Je regretterai toute ma vie , j'y aï tou-
jours été faeureufe & tranquille ; f ai eu le temt
d'obferver , de réfléchir, & de plaindre les fem-
mes moins heureufes que moi. Je ne parle point
de celles qui franchisent les bornes de cette pu-
deur, le premier charme d'un fcxo chargé, en ,
quelque forte , du dépôt des moeurs publiques :
ces infortunées là méritent leurs maux; & les
tigueurs de la foctété ne font plus condamnables,
quant] elles vengentia décence , puniffent l'oubli
des devoirs, & roalntiennetit l'honneur par la
flétriffure de celles qui s'en écartent. H n*c{l queC.
tidn ici que de ces cara^eres ardens & foibles,
qui obéiflent volontiers aux împulfions qu'on ^
ïeur donne, qu'on féduit fans ïes corrompre,
qu'on entraîne làns les précipiter. Sufceptibles
d'écarts , ils ne le font poim: de fautes graves ;
mais ce font ces écarts qu'il ne faut pas multi-
plier ; ce font eux, je l'avouerai, que je cràins
pour vous : G l'honnêteté y furvlt , le repos en
fouffre , & je voudrois bien que le vôtre ne fût
pas trouWé. Ma chère enfant, ne t'effarouche
point de ma morale, elle n'eft pas (evere. Va , je
fuis 'loin d'être une pédante qui cenfureles plai-
firs que l'âge lui défend i jouis de tous tes avan-
tages. Tes grâces appartiennent à la fociété , & je
vois avec orgoeil qu'elle en cft embellie. Amufe-
-M>,Googlc
D B L I N e O M S T A K C E. llf
toi > mais que tes amufemens ne nuifent pas à
ton bonheur. Vois peu de jeunes gensi ils font
vains, inconfidérés , préfumpcueuii , prefque
tous Tans délîcateâe ; leur ton te va lî peu , que
je nete demande pas un grand facEÎfke. Au refte*
de pareils hommes ne font pas dangereux >. on
peut les recevoir fans conféquence ; il n'en reite
rien. Ce font les liaifons de femmes qui font itn-
' portantes. On te jugera pat elles ; voilà ce qui .
marque, & ce qu'il ne faut point négliger. Songe
à te montrer quelquefois aveccelles qui donnent
le ton , & qui compenfent par une raifon aima-
ble ce que les minées leur enlèvent d'agrémens.
En te couvrant de leur conddération , & ïnte-
refiant la fociété à tes fuccès , tu pourras te per-
mettre beaucoup de chofesquite feroient tort,
làns ce politique abri qu'il ell bon de fe ména-
ger contre la maiiguitc attentive « & les petites
indifcfétionsinféparablee de ta jeunefle. Sous la
Ikuve-gardeque je t'indique, tu donneras même
s tes plailîrs un caraâere de décence qui ne doit
jamaist'abaiidonner. Tu ne feras point confon-
due dans la foule de ces femmes décriées , que
la diUipation rapproche , que les rivalités brouil-
lent, qui s'adorent aujourd'hui, fe déteftent
denvtin, & donnent au public des fcenes con-
tinuelles d'amour-fropre^quifinlflent par leur
D,™),.rib,GOOglC
iiS Les Malheurs
fitec jufqu'au droit d'en avoir. Lie- toi plutôt avec
des femmes très-jeunes . & dociles encore à rinf-
tinâ de l'honnêteté naturelle, qu'avec ces co-
quettes endurcies , que rendent furieufes le dé-
clin de leurs charmes , la diminution des hom-
mages , la perfpeâive de l'abandon. Ces dames
abhorrent par état toutes celles dont la fraîcheur
infulte à leur mafque , & met les hommes les
moins clair- voyans dans le cas d'une comparaî-
fon qui les humilîe. C'eft leur arracher i'ame
que de leur oiïrîr des attraits naiflans & des grâ-
ces naïves: elles fe débattent contre le temsj
îi'ayant plus d'adorateurs , elles cherchent des
viflimes , & veulent fe faire craindre , ne pou-
vant plus fe &ire aimer. Fuis-les , (1 tu ne veux
|ins être en bute aux noirceurs , aux propos de
tout genre. Rien n'efl; fi terrible que la préten-
tion aigrie qui n'a plus les droits pour excufès.
Je ne te recommande point de fermer ton cœur
k des goûts , ou , fi tu veux , à des palpons tou-
jours déshonorantes quand elles attaquent une
union refpedtîible , que des circonttances peu-
vent traverfer , mais que rien ne doit détruire.
Encore une. fois , l'élévation de teâ fentimepji
me tranquiltife fur cet attlcle.
Je connoîs tous tes torts de M. de Syrcé , )e
n'y fonge pas fans attendfîlTement pour toi , &
M>,Googlc
D E l' 1 N C O M s T 4 H C B. 217
{ans colère contre lui. Tout le monde' s'int^refle
à ton fort ; ne le rends pas plus cruel : que ton
mari rougifie de fa conduite , & rende hommage
à la tienne. Il vient un tems où les liens légitimes^
reprennent toute leur Force , où tous les intérêts
réunis rapprochent les époux les plus froids:
alors , combien ta jouiras de tes facrifices ! com.
bien tu t'applaudiras de n'avoir poné niilte at-
teinte à tes fermens ! Malheur à la femme qui fe
dégrade , oublie fes devoirs > fe met dans la dé-
pendance d'un être qui n'eft heureux que par Va
honte , & autorife le mépris de l'homme qui l'a-
néantit en lui ûtam fon eftime , la reâburce de
tous les tems ! £t qu'eft-ce , bon dieu ! que Us
adorations paSageres de quelques étourdis quï
ne tiennent à vous que par le plat5r> & que le
plaiHr emporte ailleurs dès que roccafion fe pré-
fente? Qui les retiendroitj' Sont-ce leurs pro-
mcfles? ils s'en moquent. Vos pleurs? ils, en
triomphent i St Tinfortunée qu'ils attaquent «■
éclipPe bientôt i leurs yeux iamalheureufe qu'ils
ont déshonorée. Je m'échauffe gratuitement î tu
n'as pas hefoin qu'on t'eifrnie. Donne-moi des
nouvelles de tes enfans. Si leur père te néglige,
ils n'en font pas coupal)les : aime ces innocentes
créatures, infpirc-leur de bonne heure t'amour
de la vertu. Les leçons dHine mère font perfua-
D,™),.rib,G06gle
2tS Les Malhbuks
fivest c'eft ]e cœur qui les donne. Veille toi»
même à leur éducarion ; c'ell un devoir où ttt
trouveras mille douceurs. Ouï, ma chère fille,,
}E voudrois te ramener à ces fondions primitives
& Couchantes , que la délicate oiHveté de nos
femmes abandonne. Sans doute on doit appeller
à Ton recours ceux que l'étude familiarile «Vec
les connoiâànces qu'on nous interdit: il faut
des maîtres pour t'efprtt ; mais nous devons
léferver à nous feuls le foin de former l'ame
de nos enfans.
Adieu. Lis ma lettre un peu attentivement i
fpnge que tu n*as point de meilleure amie que
moi i }e ne puis être infpirée que par le dellr de
te voir auffi heureufeque tu mérites de l'être.
LETTRE XIV.
De la marqtiife , à foti amie.
Vous connoiûez ma foibleflTe, mon repentir ,
mes regrets, & mon amour plus fort qu'eux;
vous avez vu quel fardeau pefoit fur mon ame ,
quel amour l'enivre , quelles terreurs la remplif.
fent, fur-tout ma iàtale réfolution d'aimer ju&
qu'au decnier foupir Tamant qui m'a perdue , &
fouc qui je voudrois avoir plus fait. £fa bic|a«
D,m..M>,. Google
B E X' I K C M S T A N C E. Sï»
■c'eft au mHieu de mes alarmes , de mes craintes y
âes reproche^ dent je m'accable , & de toutes \e%
horreurs de ma fttuation , que je reqois de ma
mère une lettre -qui vient d'y mettre te combl«.
Elle ne foupçonne rien , le -bandeau eft encore
fur fes yeiBc. Si die étoit inftruite, je feroic
moins malheureulè i-c'eft fa fécmité qui me tue,
qui m'arrache des pleurs , & joint au remord de
ma-fauce celui d'ufurper une opinion dont je ne
fuis plus -digne; flélas! c«ce refpeâabte amie ,
elle eft loin de penfer que j'ate étouSe tous lee
principe» qu'elle me retrace aujourd'hui; elle
ignore que je reâèmble aâx femmes qu'elle mé-
prire-:eHeignere que je fuis' tombée dansl'abyme
dont elle cherche k mefauver; que fescoafeils
font inutiles ; que je les iti bravés d'avance. Cha-
que éloge ^u^etle me donne enfonce le poignard
dans mon cœur , & la lettreia plus tendre devient
pour moi la plus doulouceufe des punitions. O
mon amie! qu'il eft affrettx de fe fehtir coUpable,
& de furprendre l'eftime qui eft le prix de la
■vertu ! Ce tourment eft horrible , & cependant je
m'y plais ', î) eft -celui d'une ame honnête. Oui, je
ie fuis , je fe fuis encore. Ne ibmmes-:nous donc
nées que pour les combats , les privations ft' les
facriBces ? L'être te plus fotble doit-il l'exemple
lâe la-force ? Notre cœur, quand on le rsliBtc.
D,m.f.ril>,GOOgle
M* Les M&lheurs-
*
. n'a-til pas le droit de fe repofer ftir quelf}!»
objet qui le confole ? Ne ferions-nous donc que
les jouets de la foeiété >' & les victimes de la
pâture ? Ah ! la honte ne peut être où vit la
Samme du fenù^ent. Les fortes paÛions ont
leur ezcufe dans leur violence , & Tocgueil d'ai-
mer un objet charmant vaut bien certii d'être
6delle à un époux qui ne l'a pas mérité. Si mon
amant cft vrai,je no me reproche tien j ce n'eft
que foQ ingratitude qui peut me défcnchanter^
Ton inconltance feule peuE m'avilir.Jei'idoUtre
plus que jamais. Dans le moment où. jecanfe
avec vous , {on portrait e& d'un côté , la lettre
de madame de Saocetcc e(t de l'autre: je baigne
Tune de pleurs, & couvre l'autre de baifersi je
- le prefle contre mon din ; il s'élance au-devant
de la trop foible image du mortel adoré qui m*a
retbJu coupable. . . Combien }e me fens Ibulagée
de vous avoir écrit! Je draignois que la lettre
de madame de SanÉerre n'eût fait fur moi une
impreŒon funefte àmon amour ; j'appréhendots
de ne plos aimer autant. £h , voilà donp toutce
qu'obtletment de moi les confeïls de Tamîe la
plus faite pour htte icojitée ! Je ne pourrai fou>
tenir fcs rcgardp , les iwens l'inrtruiront , & j'en
fuis réduite à de£r«r qu'elle m'accable de Ton
iniigaatiou pIiKôt .f[ue. de fa douleur. . . Qoi^
-M>,Google
DE L'iHCONST&NCE. »I
-dis- je! pourquoi l*affligerois-je ? Le fentiment
eft le feul bienfait que nous ayons reçu des deux.
Non , mon amie , non , le mien ne me rend point
indigne de la mère qu'ils m'ont donnée.
. P. S. Je vous attettds ce foir. Le comte efl;
à***i fans vous je ferais feule dans Tuniven.
■*» "^ ^ w
LETTRE XV.
De ladi Sidley, au comte.
\Jlii E lettre anonyme ! . . . ô ciel ! qu'ai- je lu !
Vous me trahifiez , vous ! . . . Une autre femme
vous enlevé à moi ! & je trouve des forces pour
écrire ! . . . Non", c'eft un piège qu'on tend à mon
amour , un outrage qu'on Mt au vôtre. Mon
cœur n'eft point convaincu, le menfonge t&
avéré. Ces menées obfcures font d'un lâche*
quel qu'il foit : celle-ci me rappelle les avis myf-
, térieux que depuis quelques jours on donne à
mes gens , afin fans doute qu'ils me parviennent.
Je ferois injufte d'y croire , & foible de m'en
affliger ; je ne veux croire que vous.
Cependant depuis quelques mois je vous
trouve trifte & contraint avec moij vos letini
n'ont plus cette lîmplicité touchante , la marque
d'un cceu r péacné { vos abfcnctfs fc renouvellctit
D,™),Prib,GOOglC
2» Les Malheukï-
plus vit9, & durent plus long-tems. Ytifet,
ibirpqons honteux , je vous abjure à jamais î Sî
le ciel, ce ciel impitoyable qui a poarfuivi ntt
jeuneflè i (i le ciel tui-mème vouloit que tu fulTes
ingrat un jour , je te déâe de te rendife vil. Tu
m'apprendrais mon malheur ; tu Terois inhumaîii
plutôt que d'être perfide , & je t'en remereierois.
J'aime mieux périr d'un coup de foudre , qtle
d'un poifon lent. Une fois bleflee , je veux qu'oit
arrache ma blelTure. Eclairée par toi-même «-tt
me refteroit au moins une confolation : je ne
pourrois te haïr; & viâime^de la Hncérité qui
eft une vertu r je trouverots encore quelque
chofe à louée dans mon amant. Etre abaHdonnée
de ce qu'on aime efl; un fupplîce affreux ; mais
il en eft un'plus horrible , eelui de le méprirer.
Combien le trépas lui eft préiérable ! Eft-ce ua
malheur fi grand d'être anàmtîe quand on n'^
plus aimée ? Ecoute : fî je ne fuis plus tout pour
toi i fi je n'ai plus à ton léveil ta première pen-
fée ; quand tu ouvres les yeux , quand tu vois la
lumière du jour, G tu ne te dis pas ; que tav
feroit-il fans elle ? fi tes fonges ne te retracent
plus mon image ; fî tu es abfent de ta maitrefle
fans inquiétude & fans chagrin : ouvre-moi ton
, cœur , que j'y Ufe mon arrêt , la mort & la vérhc.
Oui , la mott , ou ta froideur , plutôt qu'une
D,™),.rib,GOOglC
SE L'1HC0H8TAIICE.22}
' oteâe involontaire, plutât que l'expreflîon par-
jure de ce que ton ame lièrent pas. Ne crains
point de ma part les mollefies d'une ame com-
mune, ces foupqons importuns , ces vains repro.
ches dont la foiblefle accable l'ingratitude. Je
fuis née dans l'infortune ; j'y ai traîné moQ en-
iànce ; j'y fuis exercée } & Tentant ave.c énergie
le charme d'être aimée , je fupportorai avec cou-
rage l'horreur de ne plus l'être. De t\e plus l'être!
ah > dieu '.... Tu vois mon trouble : eh bien , ua
foupir , un mot > un regard de toi vont me rendre
le calme profond où me laidbit l'amour. Tran-
qililiife mon cœur ; fois tout entier à l'objet qui
t'adore; fonge qu'un doute me déchire , qu'une
certitude me tueroit ; fonge à ma conduite depuis
que je t'aime , à mes chagrins , à mon courage.
On eft l'amant de beaucoup de femmes ; on n'efl:
le dieu que -d'une feule : fois le mien. . . Que
dis< je ! n'obéis qu'à l'attrait i ne te commande
rien. S'il t'en coûte pour ni'être fidèle , n'écoute
point l'amante qui t'invite à l'être. Malheur à
celle qui demande d'être aimée, qui implorv un
fentiment qu'on lui refufe ,& devient lâchement
fuppliante dans le moment de l'orgueil & du
£lence! Je veux que tout vienne de vous: c'eft
parce que l'amour eft libre , qu'il eft le plus flat-
teur des fentimens ; il feroit le plus vtl de tous>
«'il n'avoit que lalfroideur du bienfait.]
D,™),.rib,Google
LrS M&LHBUIL
L E T*r R E X V I.
Du comte , au chevalier de Gérac.
JLoRSQiJB, malgré vos confeils, mes remords»
tnalgcé tout, }e me fuis livré à Tafcendant lïinefte
que vous avez combattu , )'étois loin de prévoir
les tourroens de ma fltuation. Que les retours de
rbounèteté font cruels , quand le cœur s*obftins
à demeurer coupable ! Mon bonheur eft empoï-
fonné ; il coûtera des larmes. . . O ciel ! je n'ai
qu'à vous détailler ce que je fou&e ; vous ou-
blierez que je le mérite, & vous me plaindrez.
Malheureux * je traîne dans t'abyme deux fem.
mes paiement belles , intéreâântes & eftima-
. blés. Je tiens à l'une par le procédé , la probité ,
l'honnenc & mes fermens ; je conviens de fet
droits t je me défefpere , je pleure , & je Ja tra-
his !.. . L'autre m'enchaîne , me féduit , m'atta*
che pur Tes grâces » par fes vertus que je ne Toup-
<;ounois pasi enân par le contralle inoui de ce
qu'elle eftavec ce qu'elle me fembloit être. Elle
me croit libre , fe livre à moi } & quand je l'adorCt
quand je voudrois ne vivre que pour elle , Thon-
nèteté m'en éloigne. . . Je lutte contre moï-
mâms i je me diffimule U vivacité de mes im-
preflktn»))
Dinn.f. l>,GOOgle
SB ï,'iiîcos9TAiicfi. aie
(Keffions ; & jufques (lans les bras (je ma maî>
trèfle , je crois entendre les cris de ma vidimâi
"Je ne fais que devenir , que faire ; je prends urt
parti , je ne peux l'exécuter. O moii cher ch&«
valier! quel barbare réfifteroit à l'amour de ma.«
dame de Syrcé ? Elle c(t: unique) elle ne doit
point avoir de TÎvale. Pouvois-je , fous des de*
hors frivoles, m'attendra à trouver une ams
tendre , délicate , la finefle de l'efprit , la chaleut
de l'imagination , & la prj^tfondeur du fentiment? ■
Je lui dois moins qu'à Sidle^ ; mais elle m'inf-
pire mille fois davantage. Eh bien , je la défole »
je la contrarie , je la néglige. Quelquefois je vou^i
drois qu'elle renon<;ât à moi , & je fuis fur que js
n'y furvivrois pas. Je lui cache l'ardeur de mon
fentiment , atin de- refroidir ie fien ; & fi elle
paroiiToit diliinguer quelqu'un , je fens que js
me'livrerois à tous les emportemens de. ia'jalou»
fici je mourrois de la perdre, & j'alïeâe d'avoir
des torts , pour la décacher '. . , . Sidiey , oui •
Sidleyi elle-même me plaindroit , fi j'ofois , fi je
fouvois luiconfier.ee que j'éprouve. OSidley!-
ne pouvant éteindre mon amour , au moins je t8
t'imniole i jamais Jacrifice n'a été plus pénible y
plus déchirant j il efl: au-deiTus de mes forces^'
Hier j'alfai chez elle, je la trouvai trifte, je la-
&fpïis deux ou tr^is fols attachani fur moi ded-
Tome K P ■
D™-,..M>,Googlc
9,i6 LstMAtnBVus'
yeux pUips de langueur & de mélatiot^ie^^Iiv
miens . malgré moi , fe mouillèrent de larmesr
ti je fortis pour les oacber. Qijand je reotrai^
je me contraignis, je voulus \n dillrsirei mais
liélas ! ma gsUé n'étoic point vraie , elle ne put la
partagée i je lui arrachai feulement ce Joutire
involontaire & vague . qui échappe à la douleur
même , & a'cn impofe point au perfide qui l'ib
eau fée. Concevez-vous mon défordre , mon agi»
tation , mon embarras.? Madame de Syrcé am
verra donc en moi qu'un vil Céduâeur» tandiiî
que je fuis en eSèt le plus paâionné , le plus-
tendre * le plus enivré des amans. Je fuis inhu-
main G je réclaire > mépti^ble 11 je l'ubufe i &
voilà le fruit des confeils d'un homme que j«
«royoîs mon ami ! Lui T. . Son mafque eft tombé i
&M nom feul excite mon courroux ; je détefte
/ufqu'aux fervices qu'il n»'a rendus. Tout cela
làns doute ne lut patolt qu'un jeu. Quel jea
l)arbnre ! Il s'arme d'un poignard , & l*etifonee
dans trois cœurs à la fms. JSi fil par Tes gens «
qu'il a fait auprès de Sidley d'injutieuCès dénur-
ehea ; il a gagé des émiâàires pour tromper ht
marquife i il m'a perfuadé qu'elle fe déchalnotfe
contre moi ; il lui a tait accroire que j'aimoîs
madame de Thémines. .. J'ai tout fu. Le mon£>
tietah!jeiuiMdtH« ôeiii j'aime ilepenfpr»
D,™),prib,Google
' . BE I,MNC0HSTAWC1. 127
fume â meftrouver ingrat. Qpe dis-je!'e{l:-il
poflîble qu'un pareil homme foie jamais l'auteur
d'un bienfait? Il ue tient pas i lui que je n'étoufiè
tout fentiment. . . Non , je ne lui pardonnerai
jamais les pleurs que je vais coûter. J*écois hon.
nète , je TeulTe été tOBJours ; j'aurois eu le bon-
heur Tuprème de rendre heureux l'être conBatit
que mon cœur avoitchoiû. Jen'aurois point vu
le dangereux objet qui m'a perdu , que je préfère,
^ue j'Idolâtre * que j'ofiènfe , qui m'a facriâé tous
Tes devoirs , le repos > le charme de fa vie , &
pour lequel mon fang eft prêt à fe répandre.
Oui , mon ami > c'eft madame de Syrcé , c'efl: elle
feule que j'adore i & , le croiriez - vous ? je fuis
encore entraîné par je ne fais quel douloureux
attrait vers celle pour qui je n'ai plus d'amout ! . .
Cette inconféquerice ne fuiïit pas ; ta faulTeté s'y
joint t je me défie de mes regards , de mes dif>
courstje m'avilis par lemenfonge, tnon amey
répugne , ma pofîtion l'exige , & je rougis tant de
moi-mime , que je n'ofe me montrer te! que je
fuis à celles qui me croient toutes les vertus. On
peut éprouver des revers plus éclatans ; mais il
«'eft point de malheurs plus fcnfibles. Q.ue j'en-
vie votre fort, votre heureufe tranquillité ! Eft- ,
ce que vous partez bientât? Ah ! demeurez : je
prends ceU fui moi j le xégimsnt peut fe psâei
n;r;>-M>,GOOgle
HZ LES Malheurs
de vous i mais tnoi > mais moi, puis>je me pafl'er
^l'un ami?
E
L E T, T R E XVII.
De la marquife , au comte.
H bieiiidéferpcrez-moi, oubliez ce que vous
m'aviez promis. Voulez-vous que je renoace à
tout i* Voulez-vous ma vie ? Prenez-Ia , elle eft à
vous i mais , 11 vous n'avez pas réfolu de me faîie
mourir mille fois , moins d'aigreur & plus d'in-
dulgence. Ne pouvez-vous donc rien p<iur moi?
N'ai-je rien mérité? Les cruels ! ils promettent
tout, tant qu'ils délirent! Efclaves alors, com-
bien î!s s'en vengent après ! De l'humeur ! de
l'humeur contre mot ! Hélas! mon injuflice même
devroit vous être chère , & vous vous emportez
au moindre reproche ? Fenfez^vous me corrigée
ainf) ? Quand on a tort on fe âche, & on fe
répand en excufes qui ne prouvent rien ; on ne
dit qu'un mot i ce moteft tendre, & il perfuadea -
quand il exprime un fentiment!.. .Le connoif-
fenc-ils ? Sentent-ils nos facriHccs , nos dangers,
nos remords , tout ce qu'on fait . . , tout ce qu'on
rifque, tout ce qu'on voudroit en leilr faveur?
Hier au loir, étiez^vous a Jcz contrariant? Votre
D,m..M>,. Google
DE L'iNCONSTAlTiïï. M?
Bonverfation m'a déplu. La raifoii , difiez-vous ,
eft la bafe de contes les vertus. Laraifon* quells
morale! elle me glace; je ne la puis fouffrir. Je
vcuï qu'on fott humain , compatiffant , libéral ,
jufte , vrai, indulgent, fans avoir l'ombre de
raifon. Je veux , je pl'éceiids que l'amour du bien ,
ciue fon feul attrait nous porte à le pratiquer, &
que nous foyons entraînés vers lui fans calcul,
fans réflexion ; j'aime qu'on juge , qu'on agiffe,
qu'on pardonne , & qu'on oblige par fenttment,
non par principes* & je rejeterois les dons de
l'homme froid qui me ferviroit parce qu'il te .
doit. Je lui dirois : quand tu fauras feniir mes
mau::, je te croirai digne de les foulagcr. Ah,
mon ami ! G la divinité defcendotc jufqu'aux
humains , c'eft fous les traits de la renfibilicé
qu'elle.daigneroit Te montrer à nous ; & le mortel
privilégié qui no connut jamais que Ton cnthou-
fiafme, efl: à mes yeux bien au-delTus d'un rai-
fonneur qui n'eft vertuaux que par honte , par
crainte , ou par fyftêmc , ou par orgueil. L'un
cfl: un champ aride qui ne produit qu'à force
de culture; l'autre, un tsrrein que la main de_
l'homme n'a point foignés mais qui, bon par lui-
même, ne peut jamais celTer de rétre. J'adore
les chofès de pur mouvement. Quant à celles
que'la feule raifon dirige, ellesne m'en imporcne
P iij
-M>,Google
2}o Les MAI.H8VRI
pas plus que les rotsi & la pompe des mott.'
comme celle du trône , U'eft pas faîte pour tn'i.
blouir. Un homme droit, faifant le bien par inf-
tînâ , feulement étonné qu'on l'admire * Tant
témoins de Tes aâions , fans efpoir de récom-
penfe , fans étude , fans ofteatatïon , phitoH^hei
de tous les fiedec . voilà mon héros !Les dieux
& les grands hommes dans Cous les genres , font
l'ouvrage de la nature: la raifon n'en forme que
les iîmulacreB. Voilà comme je penfe. Je fuis
bien-aife d'avoir foulage mon cœur aux dépens
de tout votre bel-efprît. Vous parliez d'un air
diftrait , & vous ne parliez pas à ma entaille.
Qu'avez-vous donc? Ofez me te direj mcâ, )e
n'ofe le demandée. Fatdonnez-moima mortelle
iliâèrcatton j venez me voir de bonne heure.
Adieu. Aimez votre maîtreSe» votre amie* «Ils
ne vit que pour vous.
■» ■ - -^ i ^ i «m
LETTRE XVIIL
De fa marquife , oh comte.
SJ c t torts trop fentis pour n'être pas réeïs *
.mon cœur vous les a pardonnés-J'étois , à votre
arrivée , dans l'accablement le plus profond , &
vous avez fufpendu ma douleur i un charas
h, Google
1} E £* r N C O R S T A N C B. S}f
-hi concevable en adouci0bit l'amertume , & mon
ame en votant vers vous devenott moins triftd
à mefure qu'elle étoit plUs agitée. Miflitinfen.
tiraent vrai vous parie en ma Faveur, fi l'amour
le plus tendre a des droits fur vous , épargne^»
nioi des chagrins que je ne poùrroîs fupporter.
La moindre négligence me défcrpcre. Qye vou*
mereflemblezjieii! Songez donc, cruel , fongez
que tout dirpnioit à mes yeux. Il n*eft pour moi
dans la nature que mon amant ; & je cefierois
de m'y compter pour quelque chofe , fi j'étoïi
-peu pour lui. Vous qui me tenez lieu de touc«
vous qui avez dans vos mains ( plus qoe vous ne
croyez peut-être ) & mes jours & leur delttnée ,
meniez ma lènfibilité; craignez de déchirer le
cœur qui elt à vous. Ma tète, qiisi que vouji
dtlîez dans une de vos lettres -, n^tit point la
fource de mes peines j elles partent toutes de
ifion cœur. Mon imagination m'a pu quelquefois
entraînera des étourdertes dangereufes; maïs*
quand je m'afflige, c'eft lui qui eftbicfle, c'eft
là qu'efl tout mon ma).
Seule à préfent, retirée dans mon appartement,
loin d^ autres , près de vous , '}& né fàîs fi met
-chagrins tquejenevous confie pas tous), fi leur
trait douloureux n'ajoutent pas à mon amour. . .
PuilTe-t-it t hélas > n'être funefte qu'à moi I.
P iv
D;,-..M>,Google
252 Les Malheu-r.s- ,/
Être fuprême, pardon hcz au trouble d'une
fçmme éperdu? qui vous offenfe malgré elle,,
qui révère votre bonté , qui en aura befoin . . t
qui vous adore . dans un de vos plus dignes
ouvrages. ... Ah ! fi c'eft un crime , lailfez - moi
mes inquiétudes, laiffcz-nioi mes doutes; moa
çnfcr commence.
Cher amant, puifque l'amour ne fait pas le
fconheur de la vie, fur quoi compter eribore ? Je
fuis d'un noir horrible ; je vous ennuierai. Que
vouiez- vous 'i je fuis vraie i j'épanche mon ame s ■
je Umets dans la vôtre î j'y trouve une douceur
extrême. . .. D'où vient ne pul^-jefuivre mon
cœur '{ D'où vient n'eft-on pas toujours avec ce
qu'on aime ?Scntez-vous comme moi, & les tour-,
mens de la contrainte , & l'ennui de l'abfcnce,
& l'impatience du retour , & cette émotion que
le bonheur change en ivrefle, & la langueur plus
douce , s'il fe peut , qui lui fuccede ? Va , défef,
pcre moi fi tu veux ; je trouverai des charmes
à en mourir. Qye dis-je ! toi ! tu pourrois me
tromper ? tu pourrois adopterle barbare fyftéme.
de ces hommes qui,ne font pas faits pour t'appro-
cher , de ces hommes méprifables jinfenfibies à
l'amour comme aux procédés ,, aflez heureux,
pour s'eflimer , aflez aveugles pour le pouvoir,
& trop vicieu:!f pour fe repentir? Vous favez qui ■
i.,Googlc
DE LIN C O N 8 T A N C E. i^J
]e veiiïpeindre. Les malheureux ! de quoi jouif-
fenc-ils? Ces douces imprellîons , G chères aux
coeurs fenlîblcs , runion pleine de volupté d«
deux âmes bien tendres qui fe croient feules
dans l'univers , ce charme intérieur qui les pénè-
tre , ils ignorent tout cela j ils prd'menent par-tout
indiiFéremment des vœux glacés > & ne Tentent
rien que la dégradation de leur être, & les maux
quiréfuftent de leurs aiFreux plaifîrs. Laiffez , ô
mon ami, lai^ez ces petites âmes à l'ennui d'elles-
mêmes , & ne perdez rien de la dignité de la. ,
vôtre. Les femmes- font une portion de la focié-.
t^ : que la baflefle & l'orgueil à la fois fe faflent
gloire de les abufer ; voyez d'eji-haui l'inhuma-
Hi^é de cetufage, & ne defcendez pas jufqu'à lui.
=^3^
LETTRE XIX.
Du chevalier , au comte.
3iJ È s que j'ai vu , mon cher comte , l'inutilité
de mcsconfeils, je me fuis tCi. Et que voas au-
rois*je dit?, Eft-ce que la pallÇon écoute? Com-'
bien j'ai fouâcrt en fecret des peines que vous
vous prépariez ! Les maux de votre lîtuation.
étoient feutis par moi lors même que vous étiez
Iqin de les prévoir. Ils font Wribles , mais 11 ne
D;,-..M>,Google
a;4 'Les Malheurs
<faut jamais fe dirpeafer du courage } en voici la
momeiic. Vous avez été foible « vous êtes maU
heureux ; t'énergie de l'ame doit ennoblir votra
jnturtune. Vous êtes Aifceptible d'héroïAues
oui ,vouB rites. J'ai lu dans votre cœufijecon.
110Î3 fe> forces , & voici t'occafîon de les exercer.
Vous m'entendez* l'idée d'une belle aAiondoit
être faifie auflî tôt qu'apperçue. Je fais tout w
qu'il vous en coûtera ; je vois votre cœur fc dé-
chirer } j'entends vos foupirs : mais qu'eA-ce
qu'un facrifice qui ne met pas en prelTe le cœur
qui s'y réfout 'i Feut-ftre n'y a-t-ii point de mal-
heurs dont l'eftime de foi ne dédommage. Comp.
tcz-vous pour rien ds perdre des remords?
Vous avez promis à Sidley d'être à elle; ce fer-
ment a été libre de votre part iperfonne ne vont
l'a arraché; & s'il fut indifcret, le parjure feroic
coupable.- Je vais plus loin : plus votre promefle
a été fccrete , plus elle doit être inviolable} moins
Sidley peut rédamer Ces titres , plus vous devez
les refpcfîler. En y portant atteinte , ce n'eft pas
elle , c'eft vous que vous déshonorez. Je ]riains
bien celui qui , pour remplir Tes devoirs , a bs-
foin du fretn de ta loi , & de l'aiguillon des re-
gards publics. Notre frein * mon cher comte •
c'eft l'honneur j notre lot , le fentiment. La
crainte des témoins ne lie que les âmes com-
B,™).prib,Google
B E ï,"" ï » C H S T A W e E. 2^
«nones. Au lieu de rompre un tioèud que vous
avez formé vous - même , voici l'initcuit de i«
ferrer davantage. Sauvez- vous dans lé fein de
iSidlejr, &prencz-y, s'il fe peut, de plus forts
«ngagemensï enchaînez-vous d*un côté, pour
être libre de l'autre; mettez-vous enfin dans
rimpoffibiiité de refufet: toute judifie à celle qui
A tous les droits : voila ce que je vous demande •
-ce que je vous confeille, ce que j'attends de vôUi.
Je vous juge comme je me jugerois moi-même *
& la contadiftion de tous les hommes laCemblés
ne me forceroit pas de penfer autrement. Si le
jiort que je vous ouvre n'a rien qui vous attire.
' il votre cœur tremble de s'y repofer , il ne vous
relie qu'uii parti , celui de détromper Sidley , de
loi enlever encore lepeu d'illufion qu'elle con-
ferve, La feinte n'efl: pas faite pour vous, & la
dureté vaut mieux que la perfidie. Ofez, cruel,
ofez lui plonger un poignard dans le fetn , &
n'en retirez le trait fangtant, que pour le porter
eux pieds de la rivale ! . . . . Devoit-elle jamais
Tètre ? Si elle eft honnête , comme vous le dites
.& comme je te croîs , à quels dangers ne l'expo-
fez-vous pas ? Ceft fur i'infraftion de tous fes
ilevoirs que vous fondez votre bonheur ; vous
ne pouvez trahir l'une fans dégrader l'autre.
Quelles jouiiTaacesjcmpoironnéesf.. Voudrlez-
D;,-;..h.,GOOL^IC
2^6 Les Malheuas
TOUS les connoitre ? Je ne fais > mais il me-.
fe^ble que la félicité vraie efl: inféparable des
mœurs* tous ceux qui en affichent Toublt,
n'ont que des plaiHrs faux & inquiets ; ils ne
tiennent à rien , leur inutilité leur pefe. Je les
compare à l'étincetle qui fe détache du feu, &
va mourir fous la ceitdre. Ils perdent ta fenfa-
tion douce & délîcieufe du beau, du bon, de
l'honnête, & n'ont plus d*organes pour fentir
le bonheur. Mon cher comte, ce n'eft qu'en fe
livrant de bonne foi au charme d'un amour ex-
clufif, qu'en fe donnant toutentïerà un objec
qui peut accepter te don , qu'on trouve en lut ta
félicité , & qu'on fait la Henné. On n'a fans cela
^e des jours d'ennui & de langueur, au fein
même du tumulte. Unefemme négligée, je dis
la plus tendre ,- eft d'abord défefpéréc , enfuite
aigrie , indiiFérente après ; & puis on la regretta
lorfqu'on l'a perdue , parce qu'on perd tout- en
perdant l'être rare qui fait aimer.
. : Encore une fois , faites un eiTort , tirez- vous
du chaos oii vous êtes. Je n'approuve point votre
reiTentiment contre le duc: eft- ce qu'un tel
homme mérite de la colère ? S'il n'étoit qu'un
fot, il feudroit peut-être en avoir pitié ; mais il
çft à la fois frivole & méchanti c'eft te mépris
qu'il lui f^uï, & le méfiiselt tranquille :c'elHa
D;,-..M>,Google
DE LINCOUSTANCE. 3^7
vengeance de la fupériotité. L'arme de la haine
eftà tout le monde. Pourquoi haïr, quand on
peut fe venger mieux , & fouffrir moins ? Vous
appréciez le duc, il eft puni. Je ne craignois pour ^
vous que Ton mafque i il tombe ... le miférable
eft fans défenfç.
Adieu , mon cher comte. Fuifle la voix de l'a-
midé parvenir jufqu'à votre cceuc, & y réveil-
ler tous les femimens qui font dignes de lui ! Je
vous embraâè.
BILLET
Du comte , au chevalier.
JL/'aprés ce que vous m'avez dit, j'ai voulu
écrire à Sidley . . . je n'ai pu m'y réfoudre.. .Ma
main trembloic, mes larmes ont coulé i & j'ai
lailTé tomber la plume. Je fuis à la fois foil^le &
perfide ; je rougis de l'un , l'autre me fait frémir t
& ma honte , & mes frémilTemens . & tout ce
que je foufTre ne change point mon cœur. Je fuis
bien digne de pitié ! Plus j'adbre madame de
Syrcé , plus je m'indigne contre moi, & elle eft
loin de foupçonner le motif de mon humeur. Je
ne lui écris plus, je ne veux pluslui écrireije
tâcherai de la voir moins, o Vains projets ! je at
n;r;>-M>,GOOgle
' iàis ce que je veux « ce que je ferai , ce que je
deviendrai. . . Hélas! je prévois tous les mal-
heurs , & je les aurai tous mérités.
LETTRE XX.
De la marquife , au comte.
j'a! tonjours le befoin de tous écrire, & vont
ne l'avez pus , vous ! d'où vient donc cela ? Ah !
le bonheur e{l dans Texcès du rentiinent...Jes
amans raîfonnables ne font que des amis. Je vous
adore ; & )e vous fuirois au bout dn monde , lî
vous ne me donniez que des vœux diftraits, H
vous n'aviez pour moi qu'on attachement réflé-
chi , ou de l'emportement au Heu d'amour. Par-
donnez Il dans notre convcrfàtion d'hier mon
dérefpoir a éclaté ; je le renfermois depuis plu-
iieurs jours i vous me paroifliez firoid ; j'étois an
fupplice. Plaignez-moi d'avoir requ du ctel uns
«me qui me dévore. Ne vous offenfcz plus de met
craintes. /. Leur motif doit-il vous déplaire ? me
fais- tu on crime de t'adorer? . . . Daignez raJTn.
rer plus tendrement votre amante j vous n*ave«
d*autre reproche à lui faire que de s'alarmer
. trop aifôment. Hélas ! d'où naiffent Tes alarmes?
!Vous le favez , gloire , réputation, grandeur , ft
-M>,Gôoglc
VA £*I2IC01I»TABCB. 2^^
\n biens t & même la vie, elle dédaigne tout
cela i elle ne tient qu'à vous , & ne demande au
ciel que de l'anéantir avant que vous ceilîez de
Taimer. Je ne fuis point exigeante ; je fuis loin
de vouloir prendre fur vous d'autre empire que
celui de l'amonr ; je ne calcule lîe»» je n'obéis
qu'à mon Cœur , & je vous plairoîs peat-ètre da-
Tuitage , fï je mettois plus d'adrefle dans ma con-
duite. Voue connoifle^ tous mes défauts, je ne
TOUS en ai point caché un feuU mais jamais
Torgueil n'arrêtera mes larmes , jamais il ne les
£t couler. Je fupporterois avec fierté , avec cou-
rage «avec infolence peut-être , un renverlèmenc
de fortune , d'autres malheurs encore plue feii-
fiblet. Les peines du cœur ma font aifreufes , je
n>n coonols point d'autres. . . Quelle eft donc
cette féerie que vous inventeriez, s'il falloit*
dites-vous , renoncer au bonheur d'être k moi ?
£n e(l-il d^autre que l'amour? Et croyez-vous
que je puifle vivre un feul inftant fans le vôtre ?
Cette phrafe de votre billet m'a fait frémir. , .
Ecrivez-moi que vous m'aimez «que vous m'ai-
merez toujours ; écrivez-le moi l^ns ceflè. Cher
amant , tes lettres repréfentent pour toi en ton
abiènce ; je les mets fur mon cœur , je les gronde
quelquefois i je les adore toujours. Celles qui
Ssait froides me SùM foupjrer , & Bon pas legret-
D,™).prib,Google
340 Les Malheurs ,
ter d'être àtoî. Même quand tu m'affltges,
c'efl: moi que j'accufe ; je me reproche de ne
favoir pas plaire aflez. Je ne me repens plus de
rien * & je voudrois te donner tous les jours de
nouvelles preuves de ce que je fens tous tes jourp
davantage.. .Epargnez-moi donc ces inquiétu-
des qui font qu'on pleure la nuit, qu'on e(l mé-
chante à fon réveil , qu'on reçoit la réponfe la
plus feche , qu'on l'approche du Feu « & qu'on
tremble qu'il n'y prenne , & puis qu'on fe rac-
commode avec elle , & puis qu'elle n'eft pas bat-
fée , mais relue , mais ferrée tout auiS foigneu*
fement que fi elle en vqloit la peine. . . Je fuis
folle , n'eft-ce pas ? On l'eft toujours quand on
aime; on l'efl à proportion dé ce qu'on aime.
N'oubliez pas que nous foupons enfemble. Je
détefterois le monde fans vous ; je ne fuis bien
qu'où vous êtes. La voilà trouvée la chimère de
mou imagination i je n'ai plus de defirs vagues .
d'inquiétudes fècretes : vous ave? tout fixé.
=C^'
LETTRE XXL
De la marquife , au copite.
JE hais,& l'amour, & le jour où il eft entré
dans mon cœur, & moi flus que tout le xe&s.
Pourquoi ,
n;,-;.M>,GOO^IC
DB L'ii»eoii»TAs<E. a^i
Pourquoi , quand vous cherchiez à me plaire ,
ne vous montriez-vous pas à mot tel que vous
êtes? J'aurois moins de reproches à vous faite :
c'efi à votre fentïment feul'que j'ai cru céder;
& fi vous m'aviez donné des armes cOntreVous ,
J'aurois trouve des forces contre moi-ménK*
Cruel amant ! dont j'avois fait mon dieu , moa
ceeur me trompoit ; je renonce k vous. Je n«
dois plus ... je ne veux plus vous aimer ; je
Veux , s'il ed poâïble , je veux Vousoublier. . .'
Ah ! que plutôt , malheuiebfe par vous , & plus
tnalheureufe que vous ne pouvez le croire ,"votr«.
Amante ne conrioiSe d'autre ptaifir que celui d»
fleurer dans vos bras î qu'elle pleute le refte de
fa vie la perte de-fbn repos > Ton erreur , maifi
)smais votre abfence. Eh! que deviendrois-je
loin de vous ? Vous ne me coniioilTez pas } vaut
me ménageriez davantage ; vous ne pafleriel.
point ttois jours fatis riie voir; vous tie lbupe<
liez point avec itiadame de Thémlnes , 8c fur«
tout vous ne m'en Feriez pas un m^Ilere. Cral*'
gnez ma tète , craignez l' racés de ma féhiibilité i
mats ne craignez que pour moi. Vous pouveB
rendre mes jours affreOx j voua ne pouvez m'cmt
pêcher de veiller à la tranquillité des vôtres^
Quelle lettre ÎVous l'enverrai- je ? Oui* fan*
doute. D'où vient vous cacheiois-je ce qus
Tom V, Q.
D,™),prib,Google
04% ^S» MAt.HlVRS
j'cproove ? J'aîote mieux éirç accufée d'injuIUc*
^ue de fauQèté. Lifez , réponde^ , dices que j'ai
toit , fur-tout perfuadez-Ic moi bien » mon bon-
heur dépend de cette opinion. Oui. oui, prou-
vez-rool que je me trompe : l'un de nous deu:(
eQ. coupables mon cœur me dit que ce n'eft pas
moi i &, puifque je pleure , c'clî voue qui l'êtes.
^ . 1 ■ ■ ■ I M =^i*igh ^
LETTRE. XXIL
De la marquife , au comte.
Je rentrç,,^ ne vous trouve pas! votre nom.
u'eft paf mèD^;^ écrit fur. ma lifte ! Je fiiis à moitié
morte, je you(VQ\s Têtce tout-à.fait. Vous , mpn-
£euti foycz bçureux, foycz-le toujours » vous
sour qvi j'^rAÏs donné mille fois ma vie. . . La
rpienne ,nç., fêta pas longue,: eh! qu'en Feroisr.
)e? , . , jenç/uis ptus aimée. Le feul efpoir d'une
fin prpcî^ine adoucit mes ni3U^...il9 font au
comble f je vous les pardonne} je ns vous Ibu-
baiterai jamais «ive du bonheur. . . Venez de-
naain .. . pour la dernière fois, Kapportez-n»» '
mon portrait j mes lettres. . • Non , gardez-les >
gardez- les tpu jours. Revoyez quelquefois l'ex-
prefïîoB dQ i°a ^endrefle. . . Heha|fl*ez poitu imon
iciage. . . Je ne VQVS f^r^i point 4c ceproi^es î ]%,
Dinn.fMi,. Google
DE -L'INCONSTANCE. 24}
n'ai point le droit de vous en faire. Mon fenti- ■
ment ne vous lie point i vous n*êtes à moi que
par le vôtre : s'il eft éteint , Il eit jufte que je na
vous fois plus rien. La foi des amans eft volon-
taire ) on le fait ; les feimeus de l'amour n'ont
aucune valeur ; les réclamer feioit une injuftice;
ils ne font facrés qu'autant qu'ils font fends j &
l'iiifenfé qui promet , & l'infortunée qui croit ,
s'abufent tous deux. J* n'en puis douter > une
autre vous occupe , une autre vous arrache à
moi . . . une autre ! à ciel ! & dans quel tems ! . . .
Il fuffit. Sans confotation de votre part, fans
efpoir de la mienne , mon ame eft préparée. Heu-i
reufe encore que rien ne touche la vôtre ! Vos^
diagrins m'euiTent accablée ; & dans l'abîme
profond où je fuis , je ne crqignois que votre
fenfîbilité. Je vous demande une feule grâce ,
c'eft de me oonârmer par une lettre ce que vottei
QCHidiiite m'annonce. Dieu ! fi vous étiez encora-
«e que je vous ai cru toujours ! Hélas ! non *> je
n'ofe , je ne puis l'efpércr. Vous n'avez point ces
épanchemens douit , dont la fource eft dans l'amei
qui &rvivcnt au de&r & divinifenc le bonheur.
Ces foupirs d'un amant enivré de fon amour, ce
je tiotis aime, qu'il e{ï Ci charmant de dire &
(feittendre ; le rectleitlement du Clence , fon ex-
BniSon * lorfqu'on fe logacdc & qu'on s'adorej.
. Q-iJ
-M>,GoogIe
Z44 LesMalmëvAs
vous n'.ivez rien de tout cela , & votre çontratnttf
arrête en moi ce que vous y trouveriez , R vous
pouviez , Il vous faviez aimer. Que ce foit votre
faute ou la mienne , je n'ai à me plaindre que du
fort , & je n^xige que de la bonne foi. Peut-être
dnns les- bras d'une autre régretterez-vous. &
ma tenclFelTe que vous ne partagez pas, & Us
foibtes avantages t|ue j'ai reçus de la nature, &
jufqu'à mes dél^uts. .. Quoi qu'il en foit» nv
araignez point de déchirer mon cœur^ne crai-
gnez qse de le tromper, (hi de vous abuTer fur
lesmouvemensdu vôtre. Cenfultez-vous bien»
ne me cachez pas la moindre chofe. N'ai->je plu»
fur vous que tes droits de la rcconnoiSance ?
Ouvrez'Dioi votre amej Pextieilive fenlîbilité'
àe la mienne fait toute ma pénétrations rieti<
ne m'échappe. Il fe peut que l'impatience d'ob-
tenk, en vous prévenant trop fur mon compttr
m'ait prêté ce que ma foiblefle m'enlève. Votre
cœur, (w votre imagination fermée alors, foit !>
mes imperfeâtons , foit aux grâces des autres , a<
pu malgré vous s'y rouvrir. Votre honnètetév
votre raifon peut-être vous difent encore dir
bien .de moi ; mais je fuis perdue , û vous ave»
recours à elles. Que fais<je en6n , que fais-je &
vous n'avez pas des regrets ! Ah , plutôt vou»
perdre pour jamais.. «à Tiaftant, que devotu..
-M>,Google
DE L* INCONSTANCE. Xff
en coûter un! . . . Malheureux ! qui t'aimera
comme je t'aimois ? Mais du motos , fî vous m'a-
bandonnez après tous mes facriBces, & maigre
mes terreurs . . . que vous ne connoillèz pas tou-
tes, louvenez-vous quelquefois de la pallion la
plus tendre, & dont les fuites funettes. ..
Adieu , adieu. Demain )e vous en dirai uit
éternel, . . On me trouve de la 6evre ... ah !
tant mieux.
'=^iS^
LETTRE XXIII.
De la marquife , àfon fxmie.
\3uvREZ-M0l les bras de t'amîtié, que }•
me cache dans Ton fein ; je n'ofe lever les yeux
fur moi , je n'ofe envifager la lumière du jour ,
& je rougis d'avance de l'horrible fecret qui va
m'échapp er. Hélas ! mon amie, en vain je m'a-
bufois , je m'étourdiflôis eii vain fur le motif de
mes frayeurs ; je viens de fentir l'indicatioii
fccrete de ce que je redoutois plus que la mort.
Voilà trois mois que mes craintes durent, l'a£.
fVeufe vérité les remplace. Je frémis j où fuir?
qui me recevra? Il me femble que mon crime
eil écrit dans tous les yeux. MalHeureufe? les
fanglots me Tuffoqucnt» mes larmes coulent, <'
' Q."j
-M>,Goo^le
«4^ LesMalhedss
ne vois plus ce que j'^crtS' . . Vous m'enteniilez. , ~,
vous me devinez , . , )e fuis perdue. Oui , mon
«mie, ma confidente unique, ma feule confola-
tien , voilà le fujet de oette triflelTe profonde
dont vous vouliez connoître In caufe. Fixez, (î
vous l'ofei , Tabyrae où je fuis ,& concevez mon
infortune. Devoir , préjugé , repos , décence , j'ai
tout bravé , tout facri6é , tout oublié. Je brûle
d'un feu fans retour ; mes foupirs rentrent dans
mon feîn opprelTé , fans que mon amant y ré-
ponde. Mes yeux font^noyés dans les'pleurs , &
fa main ne les efluie pas î il me iiég-lige , m'aban-
donne, me trahit fans doute, me hait peut-être;
& dans i'inltant même de fa perfidie , de fa froi-
deur , de fa cruauté , je renferme , je porte dans
mon {èin le gage malheureux de ma faute, de
ma crédulité, de ma foibletTe, hélas! & de mon
idolâtrie. Que deviendrai-je? Vous-même vous
me rcpouflerez , vous ne voudrez plus me voifi
je ferai le rcbat de la fociété. A charge à l'amitié ,
i ma fiiraille , à moi-même , comment foutenir
les regards d'un époux, d'un? mère refpeâable,
les vôtres , les miens ? ... Ma tète fe trouble ;
un nuage m'environne; il ne s'offre à moi qu'un
chaos épouvantable , & je vois tout confufé-
mcnt... excepté le déshonneur. N'importe, je
' m'y roumets,& tous tes défallres fondront fur
D,mîf.ril>,G60gle'
n E 1' I N c •* H s T A s a E. 147
moi avant que je cherche à lut échnpfier par le
renverreraent de toutes les loîx dt U nature.
Jaime mieux Être un objet de mépris pour uA
monde injufte > que d'efiVoi pouf mon propre
cœur, & déclarer une foibtefle, que de caches
un aâafltnat. Qu'e(l-ce que la honte auprès du.
crhne ? J'embrafle l'une pour me fauver de l'an-
tre ; & dans la fituatioiTo)^ je fuis ; il efi honora-
ble peut-être d'accepter l'îiifàmie. Je vous dirai
-plus: quqnd depuis deux ans la conduite de
-M. rfe Syrcé ne m'auroit pas fait prendee le parti
de rompre avec lui toute liaifon intime , je n'au-
rois point la baiTelTe de couvrir ma faute aux ■
dépens de mes enfàns \ je ne donnerois point
leur nom à celui qui va me perdre , dépofer con-
tre moi , & conftater ma fpibleifc , fans me ten-
dre plùS criminelle. Être infortuné, profcrlt dès
ton premier fotiffle , & Condamné dans le fein
même de ta mère , du itioins tu refteras dans ce
fein malheitreux : elle ne t'ôtera point le jour ,
le feul bientàit que tu puiiTes en attendre ! Mon
amie , je fubirai la honte \ elle efl; mon partage ;
mais dites-moi que j'aurai toujours des droits
à votre pitié : c'eft le feul fentiment que vous
ne dcvcB pas me refufer. C'en eftfait, je m'a-
bandonne à la Providence i je fupportetai' Tes
coupa avec courage j rien n'eft eiFrayant pour
-MiyGdoglc
34B h t s Malhedri
moi que de les mériter. Vous ne favez pas encore
jufqu'où va mon égarement. Au comble du mat
heur, je pardonne à celui qui Ta cauré. Son.ex-
cufe eft dans mon cœur , fur mes lèvres ; }e m'ab^
liorre fans lui reprocher rien ; & parmi tous lec
chagrins qui m'accablent, }e pleure avant tout
fon inconllance. Mon Tang fs glace, mon cœur
s*eft ouvert ... je fens le dernier trait de l'infor-
tune. Le cruel ! c'eft cet ïnftant qu'il choifit pour
me laiâer à moûmâme ! Que dis- je , ô mon amial
g^rdez.'Vous de le juger avec une rigueur.. . ,
qu'il ne mérite pas. Je lui ai tû mes maux » il les
ignore , Si cette circonftance Is rend un pe«
moins coupable. Je me forcerai même , (I je puis»
à un nience éternel ; je ne veux point de fa com-
, jnifération. Je dételle d'avance tous les foins
que l'humanité me rendroit,& dont je ne pour*
lois pas rendre grâce à l'amour i mais ce qui m*
décide plus que tout le reflie au parti douloureux
que je prends , c'eft la fatis6iâion de garder un
motif fecret pour juftifier ce que j'aïme , & d'à»
voie à me dire : s'il eût connu mun état ■ peut-
Être il m'eût rapporté fon cœur, & ne fe feroic
pas fait un plaifir barbare de déchirer le mien.
Voilà mon fort: le pafle m'accable, l'avenir
m'épouvante , le préfent me fait rougir. Je palf»
les uuits à pleurer , les jours à me $;o.ntraind» .
D,™).prib,Google ■
D t (,* I V C O V > T A N C E. 249
k dévorer tnei larmes ; vous feule , mon amie ,
vous fe»le receve? Us épanchzmeiis de mon
cœuc. Quand il fuccombe à Ces fouffrances à
chaque instant renouvellées > il ne peut dans
l'univers entier fe repofer fur un feul mortel,
pas même fur celui qui en elt l'auteur. Nul être
n'efl touché de mes maux ; U Tant en gémir en
filence, les renfermer avec effort, montrer uo
vifag« ferein lorfqu'on a la mort dans l'ame,
n^ofec jouir même de fa douleur , & craiudtc un
public qui auroit la barbarie d'y infujter!. . ..
Je ne puis 6tiir ma lettre. ... Je crains de vous
l'envoyer. . . . Sophie , ma Sdclle Sophie vtius la
portera. Cette Bile m'aime tendrement. & tout,
jufqu'à fonaiTeâion , ajoute à mon fupplice. Je
frémis chaque lois qu'elle me regarde ; je n'ai
pas ofé l'iuftruire, & c'efl encore une confola-
tion dont je me prive. Il ii'en e(l pas pour moi ;
lecieleft jufie. ..,
t*» '"' - Il '' ^ ^•f -. ^.ll^'r-f ■ ei^
BILLET
De la marquife, à fan amie.
yn^H, que viens- je de lire!. . . tous mes fens
{ont émus. Mon amie , ma tendre amie , votre
lettre çft un ttieuf^t} ejlp ef): trempée de vo»
D,m.f.ril>,GOOgle
a;* Les Malhbuka
latnmes i je l'ai couvene des miennes. Tous les
cœurs de me font donc pas fermés. ... Un rayon
de joie peut donc luire au fond de l'ame la plus
infortunée ! J'irai vous voir .... oui , oui , je
TOUS Terrai .... vous aurez ptcié de mot } & mal-
gré toute l'horreur de mon fort * je ferai heiu
reufe dans vos bras. Qije je Tous remercie ! qaa
je TOUS aime !
LETTRE XXIV.
Du cointe , à ia marqniff.
Tous aTez la fièvre , dites-vous ? Ah , qu'elle
t'attache à moi '..... c'eft moi , moi feut qu'elle
doit confumer. Votre agitation, votre douleur
etl mon crime} je le. dételle, je le pleure. E.cs
jours que je ne vous ai point Tue , je les ai p»C-
fés dans ramertume , dans les remords > fur- tout
dans le regret d'être éloigné ^s vous. Plus je
vous aime , hélas ! & plus je fuis coupable. De
grâce, ne m'interrogez pas fur ce que je vous
écris ; il n'eft pas tems encore ; vous fautez tout.
Ne me fuivez point dans l'abyme. Cet abyme cft
mon cceur i quand j'y rentre > tout s'obfcurcit
pour moi. . . mais c'ell vous feule que j'y trouve.
Je n'aime . . . . oui , je n'aime , je n'adore que
Df™),Prib,GOOglC
D E 'L' ,1 il C N s T A N C E. ift
VOUS, & je te dis avec un traubie extrême; mais
je vous le dis , }e vous en Tais le ferment -, jr le
jure pflr l'honneur .... qui m'eft encore facré.
A Dieu ne plaife que je prenne jamais d'autre
chaîne ! Si l'on me donnoït à choiGr , d'un poi-
gnard , ou (fun nouvel ahiour > je me jeterois
fur le poignard , & me croirbis heureux. Je re-
nonce .,..]e vouckois renoncer à tout , excepté
i vous. Pardonnez aux horreurs de mon ftyle ;
elles To^t toutes dans mon ame. Le comble de
mes tourmens elb d'être accablé de vos repro-
ches , & de ne pouvoir les trouver înjuftes. Ah i
mon amk , mon unique .... que dis-je , ma plus
chère amie, que je fuis malheureux ! . ...vous
l'êtes. Voilà donc l'amour ! voilà donc fcs abo-
minables effets ! voilà ce que produit le plus beau
préfent de la divinité ... .les pleurs, le défel^
poir , je dirois prefque la barbarie ! On cft bar-
bare , quand on coûte une feule larme à ce qu'un
aime. Oui , je vous aime , oui , je le jure à vos
pieds. . 1 . Ah ! G je vous aimois moins , je ferois
Aïoins à pinin'dre. Encore une fois , ne me pref-
fez pas d'expliquer ce myftere. Contentez-vous «
ô la plus charmante des femmes , de régner feule
8i pour toujours fur un cœur qui , tout crimi-
nel qu'il eR, n'en ed peut- être que plus digne
Ae vous.
D,™).prib,Google .
Lis MiLHfURs
BILLET
De la marquife, an comte.
Votre lettre m'a fait fondre en larmes.
Dieu ! quel eft donc ce myftcce que vous mt
cachez, fur lequel vous ne voulez pas que js
TOUS interroge ? Cruel ! vous me glacez d'eiîroi !
Je ne fais que penfer. . ^ Qp'ai-je encore à crain-
dre! Dites-moi, dites-moi tout; je le mérite: }s
meurs d'inquiétude. J'attends votre réponfc, '
«lie va décider de mon fort. . . It ell horrible. . . .
«=^i5^=
9
LETTRE XXV.
De la marqnîft, au comte.
u'eLI'E ell tendre , qu^elle eft coniôlants
la lettre que vous venez de m'écrire ! Je Taî
baifée mille fois. Cependant vous ne me dîtes
point ce que je vous dcmandois hier avec tant
d'inftance, & ce que vous vous obftinez à me
taire. Qo'cft-ce donc? Que l'incertitude eft
cruelle quand on craint tout , quand l'imagina-
tion fe crée des monftres, 8e quç le cœur les
adopte ! Eh bien , étols -je n^al infpirée ? Oui •
D,™),.rib,GoogIe
DE L'iWCOHÏTAHeî. SfJ
Oui I il e& nu fond de mon atne un àvertifleroens
fecret qui ne me trompe point , qui me rend ou
qui détruit ma confiance ; & quarid fevous fais
du chagrin > quand j'en ni , je fuis d'autant plus
malheureulc, quec'eft yotce ouvrage. Hélas!}e
crois , j'âime à croire tout ce que vous m'écrivez;
mais je déteflerois & vos fermens & vos foins ^
£ l'amour te plus vif ne vous les rendoit pas
iiécellàires > s'ils étoientia fuite d'un fentimenC
plus honnête , plus réâéchi qu'impérieux. Agif-
ièz pour vous , ou ne comptez pas fur ma reoon-
noiûance. Je ne puis être touchée des marquel
de votre lendrefle , que lorfque votre bonheur
en fêta l'objet. ... Il e^ donc, vrai , vous nv'ai-
mezf . . . vous n'aimez que mpi ? Ce n'eil point
|é procédé qui vous arrache cet aveu ; il part d'e
Votre amel.Je défie le ciet de m'accabler. Que
l'homme qui trompe eft à plaindre ! Et commene
Be le feroit.iï pas ? Il "afflige ; il Te condamne à la
£iufl£té, au menfoiige; on le dévoile tôt oU-
tard : il ell perfécuté parcelles qu'il alfoo^à fon
malheur ; entraîné vers Tone , retenu par l'au-
tre, grondé ici, fubjugué là , ibupi^onné par-'
tout.iln'efl content ni . etlimé nulle partj il
âonne de Tfaumeur > il en prend > & finit par
n'intéreâer perfonne. De la bonne foi , mon
«mi , de la candsur. Sans cela , on fait des infoi^-
M>,Google.
' ±T4 i. t s Malheurs
tunées , on Ve& foi-même ; ce qu'on ûrpire èft
va fardeau ; on n'-a que des jouiâances impar*
. feices , on perd fou empire for les cœurs les plus
tendres. Va, le bonheur eft de rendre heureufe
' «elle dont ell aimé , de fe dire : fa félicité eft
mon ouvrage : je fuis à l'objet qui m'a tout (k-
criËé ; je règne fur une ame fenlîble ; elle ne
fera ni déchirée , ni tcFroidle par moi. Voilà ,
Toîlà les feuls plaiQrs dignes de vous : le moin-
dre partage défefpere & tue Tamour.
Adieu. Mais ce fecret, cet inquiétant fecret!
Je me fie à'votre promefle,& j'en attends l'exé-
cution. Hélas ! tous les miens ne vous font pas
«ncore révélés. . . . Adieu.
=^i5^=
LETTRE XXVI.
De la marquife, àfon ami t.
XL n'efl point coupable ; non . mon amie * il n«
l?ell piMU; . je ne fuis plus à plaindre.T.EtvouS'
avez piTle ha'ir, le méprifer ! Lui ! 9h dieu ! . . .
C'efi; moi , hélas ! c'efl: moi feule qu'il Biuc priver
de votre eftime ; je n'f ai plus de droits-, moa
amant les a tous... Il eft fidelej jbue vois, je
n'apprihende plus tien. Qu'ai- je à craindre 't
Soa cceuE m'appaident^ & le mien plus enivrai
M>,Google
DE l'INCQNSTA'N C'E. SJ-f
que jamais ne fent le temord mÂme qu'avec joie.
Je vous eâr^ie : accablez-moi de vos reproches î
je les nx^rice, je ne m'en &is plus. Concevez*
s'il eft pofîîble , quel empire a fur mon ame le
mortel charmant que j'aî cru ingrat fans celTer
de l'idolâtrer. Jugez de mon délire , en diiHpant
mes foupçons » en détruifant mes craintes , mes
doutes inrupportabIes.C*eft peu d'avoirXufpendtt
nies maux, d'avoir charmé, adouci jufqu'aus
horreur^ .de. mit fittiacion ; il me la fait oublier}
<& cet oubli n£ vous étonneroit pas, lî vous pou-
viez defcendre dans mon cœur, il je pQuvoîs
vous peindre Texcès de mon amour, j'ai ofé me
croire heuteufe , lui mander que je l'étois i en
'^m'aâur^nt de fa tendreûe , il a fermé mes yeux k
tout. Je Frémis de Tindruire , je ne lui dévoilerai
ce mylbre atFreuic qu'à ta dernière extrémité. . .
Jetremble de l'affliger. . . Le croiriez<vous, mon
amie, c'eit pour lui que je tremble! En répon-
dant à fes dernières lettres , je pefifois n'avoir
à l'entretenir que de ma félicité ; j'ai pu qia (aire
cette illufion. Je me trompoîs moi-même , pour
mieux l'abufer fur les dangers qui me menacent,
qu'il m'a rendu chers , où je trouve de la dou-
ceur» qui m'attachent plus fortement à lui.,.'
Mon état , tout horrible qu'il efi , eh bien , je
Vadoie comme le gage d« notre union, de nourt
Dim.fMi,. Google
Af9 Les MktatVKt
ivtefie & de nos fentimens. Je ne fuis plus à mol i
je rougis de m'en troover H loin. . . Quel eft doilc
cet afcendant impérieux , quel eft ce pouvoir
étrange de l'amour , cène magie inexplicable qui
change les peines en plaiûrs, entretient le cou-
tage au fcin de la foibleâe , place l'énergie » c6té
du malheur, ennoblit ta délaite« l'abandon de
ibi , l'oubli du ircfte , & fait une jonilTance encore
des périls > des peines , de ta tionte & des tarmes ?
Oui , oui ) fous le poids de l'infortune, fous le
poids plus accablant du crime , )e connois le
bontieur ... je fuis airnée^
LETTRE XXVIL
I)e la marquife , au comte.
XUw bien, reprenons.la donc cette agrtatfon dcf
l'amour, qui fait le malheur , t'in,quiétude, & ttf
charme de la vie } reprenons & Ton trouble. Si
ion défçrdre , & Tes fotbieâès , & Tes alarmes , &
méniere^injuftices. Ne vous plaignez point des'
miennes; plus un fentiment elt profond, plu*
OH doit être bleâe de ne pas trouver dans l'objet'
préféré à l'univers, te retour qu'on mérite, le'
prix de fa tendrefle , de fes facrïfices, une cotl-
Jolacion «Tes torts > un abandoU' égal au fîca. Je-
l'avoue f
-M>,Googlc
nE l'incokstance. 257
l'avoue , j'ai tremblé , j'ai craiot ( & vous y avez
donné lieu ) de ne vous êice pas auflî néce0àire
que vous me l'êtes. Je ne vous ai potni dit tout
ce qae cette idée avoît d'alTreux pour moi , ni la
violence de mes tourmens. Les réfiexions qui
en ont été la fuite me parurem du calme. Se
j'ofài m'en applaudir. Va , ce calme n'étoit que
de l'abattement; le déferpoir étoit au fond de
mon coeur. Je ne mefuis parée, ni d'un vain cou-
lage, ni d'une fàuffe tranquillité. Je ne c'aî point
trompé T je m'aburots.L'amotir reprend fes droits ;
je te rends tous les tiens ; & puiâe-je ne m'en
jamais repentir ! Ah , prenez pitié de votre folle
maltreâè I Oui , je le fuis , je le fetat davantage.
Je -n'entends rien au fentiment pailîble ; je vous
aime avec eîcès , &- je eonferverois.de la raifou !
Je n'en si point , je n'en veux point avoir î j'en
détefterois le retour. Nous y perdrions cous
deux ; vous ne retrouveriez nulle part la vérité
de mon amour;vous'tegTettCFie2 mes înjullices,
mes extravagances , le délire de ma tète , la pro-
fonde fenfîbîllté de mon ame;voas feriez laii-
gui^mment aimé i ot» vous paâcroit tout i on ne
feiidxoit tien , vous ne feriez pas heureux , je
ferois vengée , & rien alors ne manquerolt à moa
infortune. Songez-y bien, mon repos» ma féli-
cité , ma vie font entre VOS mains : vous ptuivez
TcQte K t.
-M>,Googlc
ftfg Les M&lmburs
les anéantir ;. & G votisfaviez combien je m'ab»
horre quand j'ai à me plaindre de vous , fi vous
le favicz è CTueU vou^en feriez effrayé. Ménagez
ma délicatelfe , fi )e vous fuis chère ; & fi vous
m'aimez foiblement, rendez-moi le fervîce de
jji'accabler fans nul égard. Je ne crains point de
ceSec d'être , je ne crains que de fouifrir ; & né
tenant qu'à vous, je ne connoîa de perce que la
vôtre. Mais écartons ces fombres images i tu
m'aimes , tu me rends mon exigence précieufe:
( quels que foient les malheurs qui la menacent )
va ,-je n'ai à peélènt que celle que tu me donnes.
Je compte fur ton'honnêteté, fur tes fermens *
fur ton cccur :' ah ! tout m'aifuce de lui; & s'il
étoit pofiïble ... ma tendreffe en augmenteroit
'Quel pouvoir vous avez fur moi .' Noft , vous
n'imaginez pas à quel point il m'étonne. Je n'ai
jamais été abfolue ; mais J'étois indépendante ,
bien attachée i mes làncnifies * & je n'ai plus que
Je defir de vous phire : vous me'&ites fentîl qu'il
yaune douceur extrême à fouioettre fa volonté
à celle de ce qu'on aime, qiie les plus grands
facctfices font les plus délicienfes jouiâàncos , &
que la libertéque j'adorai, ne vaut pas là i^ninc
que j'adore. Adieu.
D,™),Prib,GOOglC
DE l'inconstance. 2J9
LETTRE XXVIII.
De madame de Sancerre , À la marquife.
^/xh chere enfant, c'eft avam-hteï que j'ai
marié la fille de mon fermier. C'e{l moî-^même
qui l'ai parée; elle étoit jolie comme l'amour,
&. belle comme l'innocence. La noce «*eft faite
dans mon château. Imagine-toi tout te tumulte
de la gaité ruftique, des tonnes couronnées de
fleurs , le vîn ruiflelant par-tout , les danfes dei;
jeunes filles & des jeunes garçons, l'embarras
des mariés ,1a timidité de leur amour , & la naï.
veté de teut expreHion} & moi au milieu de tout
cela ,.fètée,cateirée,enfevelie fous les bouquets,
chantée, célébrée, caufant avec les mères, em-
braâee par les vieillards , & ouvrant le bal cham-
pêtre. . . J'en fuis encore toute réjouie ; cette
petite fèce m'aura rajeunie pour dix ans. Il eft
il' doux de contribuer à la félicité des aticres, &
d'en être le témoin ! Claudine s'appelle à préfent
madame Louis ; elle eft toute fiere de fon nouw
veau iiom , & elle fera digne , je crois > du titre
(Ijépoufe. Je t'ai bien prêchée. M. L6ms eft déjà
ttès^aiméion me paroît toute famîliarifée avec
Jbanmeres un peu brufques , mais qâï peuvent
Rjj
D,™)..rii>,.Google
iS» Les MkinzvKS
iort bien n'en être pas moins tendres. Il ed gaï^
jeune, robu[le> il y a là de quoi faire nn bon
labour&ur-, & vn excellent mari. Je fouhaitâ
ardemment leur bonheur, St je leur ai répéta
. bien destois qu'ils ne le trouveroient que dans
l'accomplilTement de touslçurs devoirs. Tant pis
pour :eux s'ils roubli<:nt::n)ais.Us ne l'oublie-^
lont pas. Les gages de isat union viendront
bientôt' en augmenter les charmes. Loin de»
Jedudlions , au fein des plaifirs tranquilles , fidè-
les à l'hymen , fournis à la nature , fcnGbles à
J'hontieifrT ils feront l'-exemplé de mon village ^
auront mes. regards pour encouragement, &-|'efî>
lime généralçpour récom^renfcQue la vertu cfim
plaie .'Je l'hoflQrc par-tout où jelatrouve. .
Ma chère 611e, vous ne ^voulez donc poin*
venir me vpir V Je ne lais^ mais vàsletcres fonjb
triftes , embarraflees ; je n'y retrouve point cette
l'ibcrcé d'cfprit,$es faillies qui me charmoient^
Si tu as des chagrins > mon enfant, quelle-aulrq
que moi à plus acquis le droit de les connoitre ,
de les partager 'i Eh , quelle peut en être lacaulè?
Fêtée, brillat)te, chérie do la fociété , adorée pix
ta mère , <|ue nianque-t-iU ton botiheur? Je le
devine: tu es avertie par le vuidedâ ton-amê»
de la futilité de fes dilUa^ions ; fa péniblein-
quiétude en ell à la fois l'élogo & le tourment^
h, Google
» E L ' I W e O H 8 T A N C E. J5l
On Pc lafle de l'évaporation , mais fouvent on la
remplace par quelque chofe de pis. Prends-y
gardent vaut mieux Hxer le mal dans la tècei
que de le laîfler defcendre dans i'amej c'éft là
qu'il fait de cruels ravages; 8c la feiiUbtlité qui
eft preCque toujours une peine , devient un fléati
quand le devoir ta contrarie. Ma chère fille, vois
pat mes yeux ce monde qui éblouit les tiens. J'é-
.carterai les illulionsqui t'en voilent les écuetls,
& tu feras enrayée despréci{Hces aijprès deR]uels
tu as joué a long-tems. Ta mélancolie même efl:
un trait de lumière dont tu dois profiter. Va , .on
n'eft heureux qu'en rcfpcdant Tes liens : l'hy-
men, l'amitié, les attachemen's légitimes > voilà
les fources du fteu de bonheur que le ciel nous
accorde. Hors dé là tout eft preftïge j on n'em-
brafle que des ombres. La vérité repofe dans le
feiii de la nacure. Viens , tu la trouveras ici dans
toute fa fraîcheur, & avec tous fes charmes. C'eft
■ici que les nuits font calmes & les jours fereins.
Viens , tu m'aideras à découvrir les malheureux
qui fe cachent, & nous ferons payées de notre
recherche par la joie de tes foulager. Oo forC
toujours plus heureux de la. cabane où l'on a
furpris le pauvre par des fecours inattendus. Je
te l'ai entendu dire bien des fois , la douceur de
..flaire ne vaut pas le plaillr d'être utile. Eh bien-,
R iij
:,Goo;jlc
asa LesMalhiurs
qui t'empêche de le goûter ? Il te détacheroit ds
tous les nutres. Les bénédidions des habïtans
des campagnes ont un charme que ne peuvent
avoir les froids hommages de la ville.
Ton âge a befoin d'amufemens , je le fais : eh !
mon amie , quand Tame efl: pure, on en trouve
jar-tout. Le défordre naïf de mes danfes pafto-
rales me réjouît cent fois plus que la fymmétrie
des vôtres. Mon parc , mon potager , mes étangs i
le bois qtie j'ai planté , tout cela m'occupe &
m'enchante. Ces jeunes arbres que tu as vu
naître I & que j'ai tant {gignés* ils commencent
déjà à me couvrir de leur ombre, & j'aimerots
bien à te voir refpirer le frais fous leurs feuillages.
A propos , j'ai requ des nouvelles dé M. de
Syrcé , que fes infpeâions ont ameàé à quel-
ques lieues de chez lut. Il m'a écrit , je fuis très-
contente de ce qu'il me mande ; il vous rend
jufticfc , & rougit d'autant plus de fes torts > que
- vous n'en avez point avec lui. ..
Adieu. Sur-tout écrivez-mot plus gaîment.
Le ftyle de vos dernières lettres ne va point k
votre âge, à votre pofition , à vos cfpérances,
en un mot, à tout ce que vous êtes. Quand le
cœur cft tranquille , refprit eft enjoué i & à tout
prendre , je me dé6ois moins de ta folie , que je
ne crains ta triftefle. Je t'embraffe bien tetidre-
D,m.f.ril>,GOOgle
1» B L INCONSTANCE. 25]
Djenc Mon dteo , que j'^aurois de joie du retouc.
de M. de Syrcé ! II n'eft qu'écoutdt ; j'en augure
des merveilles i il changera fùremetit; & alors»
n'e(l-ce pas 'i il faudra bien lui pardonner.
=^5p='
LETTRE. XXIX.
Da comte, au chevalier.
1/OlS-Jfi remercier le fort? Dois-je l'accufer?
Dgnsce moment peut-être la malheurenfeSidley
'efl; înllruite de tout > fans que j'aie ofé rompre le
ntence. Voici, mon cher chevalier, fur quoi je
fonde ... dirai-je mon efpoir, ou ma crainte?
n y a deux jours que j'allai chez elle j elle n'étoîc
point viQble. En l'attendant, je me promenai
dans fon jardin, dans ce jardin qui fut H long-
tems mon univers. C'efl; là que , près de Sidiey,
je m'occupois de fa rivale : je parcouroîs une
des premières lettres que madame de Syrcé m'a
écrites T & qui contient les expreflîons les plus
vives de l'amour heureux. Tout.à<coup Sîdley,
l'air abattu , l'air fombre , les cheveux en défor-
dre, paroît à la croifée de là chambre. Je me
liâte de cacher le gage de ma trahîfon : je cours
précipitamment^ la frayeur , la furprife , le trou-
ble me rendirent inattentif; & la fatale lettre.
R iv
-M>,Gobglc
3^4 Iss 'M&lucviis
que je croyois en fôret^ i me fera fans àome
échiippée. En ri;ntrant diez moi , je l'ai cherchée
vainement. Depuis, je n'ai ofé retourner chez
Sidlef ; «lie ne m*a point écrit } je feche dans
les tourmens lie rincerdcude : jamais on n'a
fenti une agitation plus cruelle. Dans ce flux &
reflux de fentîmens t:omraïres , )e me fuis d^
terminé à révéler tout à madame de Syrcé. Eh
iluoi , mon ami , c'efl dans ce moment que voui
m'allez quitter'! Votre père efl malade, & vous
rappelle. Je ne fais, mais votre départ eft pour
moi le prélàge de quelque grand malheur. Adieu*
mon amU
=^i!5^=
LETTRE XXX.
. De Fanit jfiune ferfonm aujervice de SUley ,
au comte.
j\xOW81Etrtl tE COMT'E^
Je TOUS écris en fondant en larmes. Ma.m^
trèfle, ma chère maîtrefle , cette femme ado-
rable, pour qui je donnerois ma vie, cour qui
je la donnerois avec joie , eh 6ien , depuis quel-
ques jours elle eft tombée dans une mélancolie
11 profonde , qu'elle ne me parle plus & -n'iit-
tache fur moi que'des yeux difl:r<)itc ■ oîi roulènc
h, Google
DE, ■l'inconstance, a^f
■Aes pleurs qu'elle veut cacher. Je ne puis devi-
ner la caufe de cet état ; mais vous , monfieuc le,
comte , mais vous . . . ed-il pollîble que vous ne
JacsnnoilSezpasi'Ccn'eflque'parvousqtic ladî
f eut avoir du rhagriii ou d^i ^bonheur. Vous êtes
tout pour elle; & elle -mourFoit de défefpoir , ii
elle n'étoit pas tout pour vous. Il faut que je
roulage mon cœuc: je ne puis rien diUîmuler,
.& j'ai befoin de -vous dire toiitce qiH l'qpprelTe.
■Cette nuit, une heure après qu'cPc s'étoit cou-
chée , elle s' eA levée fans ni''appe]|er , etl: defcen-
.due feule dans le ijartlin^ & s^ eft promenée à
grands pas jufqu'à ]0 pointe du jour. Je l'ai fuivie
.des yeux à lu clarté de la lune , qui me -laifls^t
■diftingucrfes moU'Vemens : elle étoit pâle ,éche-
velée; il lui échappait des foupirs entrecoupés
tde quelques mots : elle prononçoit voBre nom ,
,& fon trouble augmentoit. Enfin , elle a rentré^
.elle a tiré de fon fecretaïre vos lettres & votre
.portrait : 'fes larmes alors ont coulé en abon-
■dance. Elle s'eft penchée fur fon Ht , & eft rcftée
.dans cette attitude jufqu'à l'heure à laquelle j'ai
xoutume d'entrer dans fon appartement. Mes
yeux étoient rouges & gonflés J'avois tant
'pleuré! . . Elle s'en apper(:ut , fourir, & voulut nie
^irequelquesparolesquiexpirerentfur Tes lèvres.
£llelne £xa.3v.ec bonté, méprit la muia f&ms
DisD.Pri'b,. Google-
7:66 Les Malheurs
pria de me retirer. Ah ! monlîeur le comte,
qu'avez- vous fait ? Quelle femme vous affligez?
Venez tomber à ies genoux , venez elTtij'er fes
pleurs , venez rendre la vie au cœur que vous
dsfefpérez. Confolez ladi, ou je vous croirai le
plus barbare des hommes.
LETTRE XXXL
Du comte, i la tnarquife.
O' EST trop me taire : c'cft trop dévorer mes
remords, mes inquiétudes > mes alarmes, fur-
tout les vôtres. ConnoilTez mon crime , ou plu-
tôt mon malheur : fâchez tout. Je vous adore i
je vous aime plus que je ne vous ai jamais aimée.
Je vous adore , & je vous trompe ! voilà mon
fupplice de toutes les heures , de tous les itif-
:; tans. Je meurs de honte, de repentir, de dou-
leur. Ecoutez-moi , & gardez-vous de pronon-
cer mon arrêt, avant d'avoir lu mille fois ma
juftiâcation. Avant de vous connoitre , j'aîmois
un objet . . . (j'oferai en feîre l'éloge à vous-
même ) j'aîmois, dis •je , un objet charmant,
fenfible, honnête, plein de grâces, de qualités
& de vertus. J'étois heureux ; je ne defîroîs rien
que d'aimer , s'il écoit poflible , encore plus ce
Dn-..M>,GO()Qle
P E t' I N C N S T Â N C E. aS?
<|ue j'aimois avec excès. Je vous vis , ce premier
regard emporta vers vous mon ame touce' en-
tière. Je me diflîmulai cette impreffion ; je lut.
tai contre elle. Je retournai à Sidley ( c'eft le
nom de la femme que je vous facrifie), mais j'y
retournai avec votre image dans le cœur. EUe
m'tntérelToit i vous feule m'occupiez. £n6n, je
me peignis mon ingratitude , & Sidley l'emporta
pour un moment. Qiie ce triomphe fut court !
Vos froideurs apparentes , en piqDant mon
amour -propre , réveillèrent ma fenfibilité. Je
me crus haï; je vous en aimai davantage. Je mê
perfuadai alors que ma paUîon n'étoit qu'un
lîmple goùc; je m'ctourdis fur tous les droits
de Sidley: je me promis de lui être fidèle, & il
me fembla que je ceflbis d'èti;e coupable. C'elt
plors que le plus odieux des hommes , que je ne .
nomme pas, mais que vous devinerez , vînt;
s'emparer de moi, m'empoifonna de fes con-
feils, de fes principes déteftables , m'aflbcia
malgré moi aux vites manœuvres qu'il côlorott
avec cet art que fuggercnt l'efprit méchant &
l'habitude des intrigues. Il vouloic m'enlever
mi maîtrefle , fe venger de vous , me dégrader ,
vous perdre. Que fit-il? Il fe moqua de mon
amour , & intcrcfla ma vanité. Il me propofa
votre conquête, comme (telle eût été en fon
h, Google
3.6% L« S M A L H B VU S
pouvoir , mais à condition qu'il feroit le maître
de divulguer mon bonheur. Je frémis de ce
{trojct. Il arma contre mes fcruputes toute la
fcduâion de fa malbeurcufe éloquence, vous
peignit fous les traies les plus étrangers à tous,
vous confondit dans ta foule de ces femmes que
chacun obtient à fon tour , qu'on prend fans
amour, qu'on laifflc avec mépris. Le moiifttc
enfin m'enveloppa fî bien de les rnfes multi-
pliées , qu'il alToiblit ma palfton , qu'il lui ât
changer de nature , & qu'en m'attachant à vous ,
je fongeai plutôt à contenter un delîr vif, qu'à
fatisfaire la délicatelTe d't^n fcntiment. Je ferai
vrai : Sidtey , je l'avoue, fe fortifia dans mon
cœur de tout ce qu'on vous avoir 6té , & )e ne
regardai mon aventure avec vous ^ae comme
une infidélité palTagere qui me lailTeroit bientôt
libre , & n'attenteroit point à mon premier atta-
chement. Combien vous êtes vengée! Combien
vous méritez de Tètre ! Concevez quel fut mon
trouble, mon déchirement, ma confufion , &
mon reflentiment contre le traître qui m'a trom-
pé , quand je vous connus mieux ; quand votre
ame fc déploya devant moi;, quand, du fein
même de votre foiblefle, je vis éclorre toutes les
vertus qu'on admire , & toutes celles qui fe font
aimer. Dès ce moment, je jurai d'être à vous «
-M>,Googlc
DE l'iSCORSTASCE. 4(5?
de n'être qu'à vous, de i^ous confàcrer mes
jours, d'abandonner Stdieyi Sidiey (tho^nnète;
fi confiante , û digne de mes honKnages ! Mais ,
vous le dirai- )e ! la vue de cette femme, le fou-
venir d* Ton bonheur , du micii ; la force de mes
engagemens:, le reproche fecret d'y manquer,
vinrent refiaifîr moQ cœuF , & l'enlevèrent quel-
que tems à l'amour, pour l'enchainer au -pro>
cédé. Plus je vous idoUtrois , plus it me fembidît
généreux de hii facrtfiar m» paflion hième; Cette
aâton fe pcignoic à moi fous les traits de l'bé-
xoïfme,.&je me vouois aux malheurs pour lui
en épargner. L'ame humaine n'eft point capable
d'un tel effort ; la mienne , apiès bien des com-
bats , s'arracBe à tout pour revoter dans les liens
qu'elle aîme, qu'elle préfère, qu'elle veut garder
jufqu'au dernier fbupir. Le cœur que je vous
rapporte , que je vous livre à jamais , fera d'au-
tant plus fidèle qu'il a rencontré plus d'obita-
des. L'honnêteté qui m'a fiit tenir à mes pre-
miers ferméns , vous garantit ceux que je vous
fais. Pardonnez. roei mes abrences, mes froi-
deurs apparentes. J'ai été trop à plaindre pour
fttre eiicoxe puni. Jouet d'un homme abomina-
ble ,-je ne puis vous rendre heureufe , fans vous
immoler une victime; eh, queUe ••fiÔkM en>
«oce ! une fecgime teudce , fidélle » & dont je v^o*
D,™),prib,Google '_
270 Les M&lhbdrs
tetois les charmes, fi les vôties ne mefaîroieiit
pas tout oublier ! Eh bieq , c*en efl; fait .... lar-
mes t prières , reproches , je braverai tout Si
cet eâbrt me coûte quelques foupirs , n'ea fbyez
point jaloufe ; plus il fera douloureux , plus je
fentirai le bonheur d'avoir Toufièrt pour vous.
Sidley eft inftruite .... elle ne m'a point écrit j
je ne la verrai point. Je vous aime avec excès ,
mon façrifice en ell: la preuve i ne le rejetez
point I Ibyez généreufe à votre tour * plaignez.
moi , aimez-moi , & que le fouvenir de mes tmrtt
s'éteigne dans l'ivrelTe de notre amour ! .
=5C^=
Q
LETTRE .XXX M.
De la marquife , au comte.
tj£ m'avez-vous dît! vous avez porté la
piort dans mon cœur. A peine fuis - je revenue
^u long évanouilTeCTieilt qui a fuivi ia leâure
fie votre lettre , de cette letue ïxa)e, où mon
Stcêt eft écrit de votre main! J'efttme : vctre
franchife-i mais je mourrai de cequ'elle m'ap*-
[tfend. Vous aveu aimé une autce que tnoi.! vous
Vaipiiez quand vous m'avez faitVaveadeivotré
AinoyE^vous netne regardiez que.commC'l'olL.
je.(.4'vqe gotfiMiç.! iMqij j'ai pu ètceimJeiitit)!^
-MifGoogle
DE LÏNCOSSTANCE. 27I '
tnnt méprifée par vous! Moi, }c me fuis jetée
dans des bras qui étoient ouverts pour une
nutce ! Sans doute vous l'aimez encore * ... oui >
vous l'aimez , vous m'abufez. Aujourd'hui , qui
me répondra de vosTetraens, quand c'eft fuc
leur foi que je me fuis attiré mes maux ? O ciel !
^I eft donc vrai, à l'inltant mêmeqiie je çroyoii
me donner à l'amour le plus tendre , j'avoîs une
rivale . .. une rivale adorée! Avant que d'être '
conquife , j'étois déjà facrifiée ! Tous mes fens fe
foulevent. Vous allez l'oublier , dites-vous , vous
me le jurez .... Vous le voulez peut-être i moi ,
je ne le veux pas. J'en mourrai , je le £ens ; mais
j'aime mieux la mort qu'un bonheur acheté par
les larmes d'une autre. C'eft mol qu'il faut ban-
nir de votre cœur , c'eft moi qu'il feut accabler.
Rentrez dans vos premiers Ueps ; je vous rends
votre liberté) je vous implore contre moi; &
daas quel moment ! . . '. Celle à qu j je vous cède ,
ou plutôt à qui vous appartenez , a fans doute
plus de charmes que moi>mais je lui défie d'être
j)las itirottunée. . . . N'importe , allez tomber à
feç pieds , eS'uyez fes larmes , laiûez couler les
roiennes. ■ . ■ C'eft mot qui vous en preâè , qaî
vous crie àgenoux, laiâez-moi mouriç, & iàu-
vez l'être fenfible que vous avez promis d'aimer.
Je fuis IoIq de réclamer -mes droits. ... Si vous
n;,-;>-M,GO()glC
273 Les Malheurs
les cpnnoifliez, ii vous faviez dans quel ab7me
de maux vous m'avc2 conduite , & à «ïucl point
vous êtes coupable ! ... Je vous pardonne. PuiG-
£ez.vous ignorer toujours conjbïen mon ame
eft courageufe ; combien , malgré ma foîbleiTe, je
méritais d'ifgards, & de quels efibrcs je fuis capa^
fele-î Vivez Iwureux , ne me voyez plus. Je vous
fers , cruel « & vous m'obéîrez .... Je ftiflbnnc.
Elle va donc jouir de mon làcrifice , & s'apptau-
dii; d'un triomphe , quand je n'aorai plus d'eE-
poir que le tombe^B ^ ; . . Eft - il vrai que vous
vouliez renoncer à elle ,- que vous me préfériez',
que je vous fois plus chère que je ne f ai jamais
été? De quoi vais>}e m'iiiformerf- Votre peiB-
die . . . .'que votre aveu cependant rend moins
hoïtibte , cette perfidie deiltje fuis la viâime',
rompt tous les nœuds qui m'attachoient à voua.
-J'y renonce . . . . }e ieé- dctefte ... je pleure en; les
déchirant , je pleure . . .-. je frémis .... je ne vois
~plusqHelecrime& la honte. Plus d'illulîtïncotl-
folante, plus de mottls de courage; temtënTuc-
cDmbe, je voudroJs parler &je,n'ore. . . L'aft.
iVeufc vérité rentre au fond démon coiur....r
pour n'en jamaiis fortir Ah ! ma iituatioa
excitereit la pitié même de ma rivale.
BILLET
D,™).Prib,G00glC
D E X JN-C-O.W S T A NX E. S??
w' '■ ' " i « i , iftV - ■ iy
RI L L E T
Dh comte , i /a marquife. •
Ou'ansoScint le myftetCj le trouble de
votre (Vyle , & ces' réticences . . . que je n'ofe
interpréter ? J'Uai tomber à vos genoux , je vous
arracherai un fecret quï femble pefer à votre
cœur.^ . Je ne croj^ols pas qu'il me fïiC poflïble
d'être plus àplaindre : Oieu \ G. je l'étois davag.
tage ! . . . Tout ce que j'imagine m'effraie ; je
cours m'éclaircir. Puiâe-je n'être pas encore plus
criminel !
.=g^=
.Q
LETTRE XXXIIL
De laâi Sldley , à Font. ■
UAiiD tu:recevras ma lettre , je ferai déjà
loin du lieu que j'babitois. O toî qui m'as renda
les fervices d!iine amie 1 toi qi^i connoîs mon
ceeur , toi quirm'iùmois & qu£^ je regrette , j'ai
craint de te l'ouvrir , ce coçuc cruellement bleâe,
ce cgeur fait pour fentir l'amour , digne de l'a-
mitié, digne fur-ttout d'un autre fort. Tu as vd
n^tre ma (airion :gour le comte de Miibelle,
.M>,Google
Jamais en n*etit un featiiaeiitplusvmtOttti'«b
prouva jamais une plus noire trahifbn. It aime
ailleurs.' tout efl fini pour moi. Uunivers dif-
paroit avec mon amant. Qu'eft-ce que TunlTers ,
quand on n'cfl; plus aimée 'i Le barbare ! ô ma
chete Faut i ce n'ell point uue conjeâure , ce
n'eft poitft un foup^on } je fuis coniiante, tu le
fais. Mais hélas ! j'ai vu , . . j'ai lu . . . je ficé.
mis ! . . . Que. cet homme eft méprifable , après
tant dti ftrin^fis de fa part, & decrédulitéde la
mienne ! Il ne fti'amenoic ici que pour m'y aban-
donner. GàtdS^tôi de croire que je L'aime en-
core } je lË' fuis } je m'applaudis de te fuir t je
n'en ferai jamais afiez loin. Vaines illufîons de
madoiileurl mon rcffemiment me trompe. Fani!
je l'aime plus que jamais. J'emporte fes lettres,
fon image ^, Iès unesaoront mon dernier regard ,'
l'autre mon der^ieir baifer. Que dis- je ! la retraite
m'armera contre un fouvenir trop cher i j'ou-
blierai le perfide ... je roùblicrai ! . . , Heureufe
de n'avoir dé commun aveC lui que les principes
d'une, teligion qui m'ouvre un afyle ! . . . afyle-
lpoilvàntablé,tirâis qui mè fera- doux, puifqo'il
iious fépare à' jatiiais ! Que ne puis- je au moins
y apporter le iélè d'une ame dëfabufée de tout!
bétachéé des etVèurs pénibles, que ne puis- je
tmbïaffèr q^jeïqioe vérité eoiirolame ! que ne
D,™),.rib,GOOglC
D E L* 1 s C Q s S'T A K ï E. %ff
puis-je m'abfotber dans le fein <)'un Dieu.! Un
pieu ! en eft-il d'autre? ... Tu vois mon trou-
ble , )e renonce à lui ■ non à mou rentimëQt ; j'en
nourrirai le charme funefte * je me plairai dans
fon amertume; & fouffrant par lui* )e ne fou^
faaiterai point le ternie de mes jours. Le néant
fi'e& à defîrer que pour ceux qui n& joulûent pu
des peines du cceur. Ma (hère Fani^ reijois le$
derniers épanchemens d'unç ame où le fotiveni^
de tes foins ne s'éteindra jamais ! . . . Combien
}e fuis agitée!... Il change, il me trahît ,i^ veilf
mon trépas ! Je dois l'abbcvrer, & je lepleure !.. *
oui 1 je le pleure. O toi , que j'aime , que j'aimâ
encore', ne crains pas que je vèuine ,'qne je'puifltJ
me confoler. Auciiit r«gard humain n^ .profa*
nera les traits malheureux qui n'ont fait qu'un
ùiËdele, ils n'auront brillé que pour tôt , ces
charmes que tu vantois. En ceâànt de te plaire «
j'aluraiceSç d'être beH?.& ma douleur m'aura
iècvicFani ,j'épuife avec toi ma fenûbïlïtéic'eft
pour lui , c'ell coatre lui que }e réferve mon cou>
lage. EnfeviQlis dans ton cceur les reftes de mi
foibleflê. Qu'il figriore à jamaù. Mon a^îe (j3
puis te donner ce ;uom), reqois pour récom-
penfe lo^t ce qui m'appartient ; je joins k cectâ
lettre |e papier qui t'en gartntit la polTelSon. Tu
^9 ;Ie f^ f c^uc gui me refte . je te dtûf tpi^t y Si
Sij
h, Google
'iji ■'' Î,'b s Malheuss
fi (u es Héureufe , je jouirai jufqu'à mon dérftîer
foupir, de h douceur de mon bienfait. J'ai ré-
compenfé Sudmer j & jetelertcotnmande. - -
Adieu. Brûle nia lettre,' anéantis le gage d'uil
amourqutmedéshonore. Ta remettras au comtei
ou auxgerts qui Tiendront- de fa part, celle que
Je laifTe pour lui. . . Le malheureux f il n'a plus
d'amie . . . mais fa, viifiime ne lui échappera potm,
j'aurai -la -force de vivre.
L E T T R E X X X I V.
Di tadi Sidley , au comte de Mirheiïe.
O- B n'eft pas l'inftant des reproches , c'eft celui
au courage-. J'ai lu la preuve de ta perfidie , que
!e'liarardoUton adrcAV a fait tomber entre mes
mains.Tu m'astrompée. . iTti ne me verras plus.
Uiie barrière étetnelle s'é^ve entre nous, & tu
ne fauras point le lieu de ma retraite. Ne donne
jamnis un regret à môti fort. Je ne regrette riett
dans un monde où tï ferilibilité etl en proie &
l'ingratitude & Ma trahifon. La fettime qui t'ai-
moit & qui t'oublie , s'enfeVelit voldlitairement
en des lieuxoù elle trouvera la paix . . ; où elle
attendra la deftruiîlion de fon être. . . Aclien. . .
Neciois pas cependant qiie j'acténte à mes jouctn
h, Google
D E L* I M C' O N 8 T i H C E. fjf
îi tii ayois pej-du, la yjç avant [HQo.eflSitiie;, je
t'aucois Tuivi ; majs^tu «s vil à mes yeax, tu tie
m'es plus rieni & je vivrai* noH.ggur'i'I^vh^ine
(fobjet de mon niépri^ Mpeuc lajriérit^rj^
ni^is pour efïàcer à mes proprer.yeux Uib^nte
de t'avoir aimé. ,r;.:-j- ,:;.■::;.;
: ■■ ..;,.ri ..V,:- ,
L E T T a.E X X X.V"-:.,' ■ •
De ladi Sidley , au comte de MirhéKe'.:' '
.tiLVANT que Sudmer s'éloigne, qi^prunivera
ine quitte , & que je retombe fur moi, dans cette
lôlîtude, je ne faïsquet mouvement iaKûlont^ire
me force à t'ccrir^ Ce n'eu point la haine , c'eft
encore moins l'araouç; qu'cft-ce donc^.Le hefyia
de t'accablec de tout le mépris que tu m'infpires.
Si tu n'étois coupable envers mm que du crime
d'avoir changé , je pleurerois ton malheur, le
iniert peut-être. - . Adaîs à.l'inconftanc^ tu joins
eiicore la perfidie ^ ta balTeife me confole de ton.
ingratitude. Rappelle-toi la mort de ma mère,
Tes derniers vœux , ,les dernières paroles (le fa
voix défaillante : rappelle-toi tes promelfes que
je détefte j tes fermens que j'oublie , ma con-
fiance , ma fécurité , njon amour, l'aveugle amour
dont je brùlois pour toi : vois-moi livrée à toi
S iij
h.GooL^lc
S7| " t B t M A E H E U R s -
ieul > a'àyantpoiiit d'autre ap[fui , d'autre objet ;
d'auïi-e::ldéfeî folkaift & hcUreure de l'être*
In'cnivïanrde mon erreuf que tti avois la cruauté
d'efitfètéhir: vois -moi dans la retraite où iù
irt'ayéishiifeV'SÊaans lê défert où je m'enfevclis:
enfin , contemple mon fort , & juge-toi. . . Je nw
fitqtfBt^QH vengée. Je ne m'emporterai point
contre l'infortunée qui m'enlève ton cocue: je
ne la hats pas , je ne l'envie- pas î je la plains,
f eut-èîte tu- l'enverras mourir où je fuis. L'être
que je n'ai pu toucher ,■ ne fera point fenfible à
iju ailtre a'mduri l'être qui m'abandonne ne peut
jamais être fidèle. Non , tu ne le feras point , &
ton inconï^nce te fervira de rupplice. Du creux
de la tombe où je defcends vivante , mon Ibu-
venir ira perfécutci-'ton'cccur. Tu me verras
jiâle , défigurée ,meurtïieTous la haire, déchirée
jiar le cilice , errer autoiir d^ toi } & ma fombre
image , après mon heure fùprême , viendra t'ar-
xacher tes plaiHrs. Ne crois pas cependanl que
)e fois malheureufe par toi.' Non , je ne le fuis
pas. ,. . Non . . . cruet ! J'entre dans rafyle du
repos & de la paix. Puiflent la force de l'exem.
pie , le recueillement & le fîlence élever' enfin
pion cœur vers des objets qui le fixent & le rem-
pliflent! La nuit tombe. Sudraer, le refptfdable
Sudmeï vient prendre "mes derniers ordres, It
D,™),.rib,G0t)gle
DE L INCONSTANCE. 279
pleure,.. & raoi...& moi je ne pleure que lui
& ma fidelle Fani . . .tous deux m'oat aimée.
Quelle folinide ! quelles ténèbres ! Sudoïer em-
brafle mes genoux. . . 11 me quitte : il part ; les
' portes fe referment fur moi. Ne me plains pas ,
. barbare ! Je me. jette dans le fein d'un Dieu. , . Je
.uc fuis point ta vtâîme.
"«a ^f^ a»
L E T T R E X X X V I.
Dm comte de MirbeUe , au chevalier de Gérac.
X^{k.E5 malheurs font au comble, la vie m'elt
à charge , & pour furcroît de maux , je ne puis
me foulager par des larmes ; elles s'am^ifTent fur
.'^oncŒuril'ppprelTentt&n'en fortent pas. C'en
ell fait!...SidIer, l'infortunée! .. .elle a dîf.
paru ... on ne fait où elle eft. . . J'ai interrogé
Sudmer, Fant...ils ne nii'ont répondu que par
des cris. Voilà mon ouvrage. Quelle lettre elle
m'a écrite ! Elle me méprife , m'abhorre ! Je le
lïiérite ! . . , Que ne mérité-je point ! Mon ami ,
:je fuis fi 'malheureux , que ce chagrin même ,
;tout accablant qu'il £&:, eft le moindre de ceux
dont je fuis dévoré. Sidlcy rie peut me reprocher
- , que mon inconlbnce. ma-perfidie : m^is , hélas !
.envers madamedeSyKé je rpiftcoupableie tous
Siv
-M>,Googlc
a3o Les Malhsv?. s
les crimes. Je fuis un monftre , un aflaflùi : oui ,
je le fuis. La plus fenfîbte, la pluseflimable, la
plus charmante des femmes , eh bien . . . elle ell
perdue ; elle Tefl par moi. . . Je la déshonore ; )e
borne fa carrière peut-être ; & voilà le prix du
plus tendre amour ! Je ii'ofe en dire davantage ;
je n'ofe confier au papier. ..Vous m'entendez...
Tous les coups me frappent à la fois: & vous
me quittez ! . . . Quel préfent ! quel avenir ! Un
mouvement de rage lùccede à mon accablement.
Vit artilànde mes mauz,tu en recevras le prix:
j'en irai chercher la fource jiifqu'au fond de ton
infâme cœur. Le miférable ! & je le croyois mon
ami ! Excufcz le défordre de mesfens. Vous me
quittez dotic ! Vous me quittez ! Vous partez
demain!. .. Que dêviendraL-je?. .■ Je vous em-
braiTe. . . Soyez heureux.
==^3?^
BILLET
.Djt fhvvaiier de Gérac , au comte de MirbeUe.
\.^ui, jeparSjft je parsmaVheureux. Je vous
pleins , je pleure vos-'deuk viftimes ,& vous plus
quMIes encore. ..Vous êtes coupable,: . '
La maladie d'un père itdoré pouvoit feule»
4ans ce moment , inç &i|;e -<[uitcec mon ami.
,D,n-;.M>,GOOL^IC
B E iVl N C ■» a TA NC E. agi
Écrivez-moi : j'implore ma part. de toutes' vos
infortunes î& C tout voïisaban.dontie, comptez
fijr un cdcur, que neu ne vous enlèvera jatnais.
LE TT R E XX XV IL
Du comte de Mirhelle , à madame de Syrcé.
.OLfRÈs mon crime, aptes l'aveu terrible que
^SHs/oî'avez fait, quoi, vous me pardonnez!
' Vous fouffrez que je pïeure dans votre fein ;
- vous plaignes les malhenrs d'une femme qui a
caufé une partie des vôtres ! Et c'ell ainil que
vous favez vous venger ! Ah ! votre pitié même
eft un tourment de plus pour moi: je fuis trop
infortwné pour que l'oti me confoie. Accablez-
moi de vos reproches , 4e votre indignation :
peignez-moi votre état dans toute fon horreur;
■empoifonnez mes bleflures ; fervez mon défef-r
^poir i jmgnez>vous à mes remords pour déchirer
ce cœur coupable; c'eA-la feule grâce gue je
veux, que j'implore, que mes prières doivent
obtenir. Je ne puis envifager le gouâre épou-
Vaniable oà je vous ai plongée i & plus vous
m'excufez , plus je me trouve criminel. Quoi ,
mon emportement vous a facdâée! J'ai cé'dé
au liarWre délite des.fens, quand vous édex
D,n-;.M>,GOOL^IC
a82 Les Mal HE ïiR s
toute entière à l'-amoar ; & l'inftant fatal de mon
ivreâè. . . Et vous renfermeE dans votre fein le
gage éternel del'înfortune & du déshonneur!
Je ne me connoîs plus , je me détefte , je fuis
pouc moi-même un objet d'épouvante! C'eft
donc moi qui vous fo'rceraî debailTei; lés yeux,
de redoutée ceux d'un époux , ceux d'une ro£re ,
ceux du public i & je vis! & vous m'aimez !
Vous me cachiez vos peines ! Privée du fommeîl,
abreuvée de larmes, en- proie à toutes les ter-
reurs 1 vous ménagiez mon repes : vous vous
'privîez du feut confo'lateur qui (bit pour vous
dans l'univers ! Que de grandeur, de courage &
de vertu ! Quelle ame ! Vous qui me devenez
facrée, vous que j'idolâtre, que je rerpc<ae,ma
maUrèâè, mon amlej vous enfin à qui mon
=cœur donne en fecret un titre encore plus cher,
'uniflbns-nous pour tromper tous les yeux , pour
né pas laider à iiii monde inexorable le droit de
-vous flétrir. Vous ! Grand Dieu ! Ecoutez. M. de
Syrcé eft abfent , madame de Sancerre n'eft pas
prête à revenir : enveloppons- nous des ombres
-du myftere. L'amour eft ingénieux , il peut voi-
■1er fes crimes. Le mien , n'en doutez pas , créera
-des moyens. Enfant infortuné que j'adore d'a-
•vance , tu vivras : ta naiflànce ne fera point iàtate
'à cameteî je te cacherai dans mot) fein} on nV
M>,Googlc
DE l' INCONSTANCE. Igj'
entendra point tes cris i& .quand ton œil com-
meucera à s'ouvrir aux horreurs de la vie ,'ma
tendièHe courageufe & mon éternelle afïîftance
te vengeront des outrages de la fociété. Ah ! s'il
efl: polHble, reprenez quelque repos: fiez-vous
aux^bins du malheureux qui n'a plus que vous
au monde , & qui ne Teroit déjà plus , fî vou^
n'avez befoin de &>n appui. CheF-d'quivte de
l'amour , combien je vous admire ! Combien je
TOUS applaudis d*ètre reftée fidelle à la nature!
Le préjugé tient au fol ; les forfaits font forfaits
par-tout ; & il vaut mieux rougir , que de s'épac-
gner'la honte pat un crime. Adieu, ma vie,
tnon ame , mon tout ! Tâchons d'en împofer à
l'univers , & puifle-je , hélas, être le feu] pnni !
LETTRE X XX V I I L
De madame de Sancerre , à madame de Syrcé.
j^jLA chère fille, unique objet de mes plus
tendres aâeâions , on me mande de Paris que
TOUS changez tous les jours, que vos traits s'al-
teront. La triftefle de vos lettres me confirme ce
qu'on m'écrit. Je pars : je vais vous porter mes
foins , fî vous êtes malade ; & fî vous êtes cha-
grine a mes confolations. M. de Syrcé m*accom<
D,m.f.ril>,GOOgle
284 Lis MAiHZtrRs
pagnera peut-fetre : il eft , comme moi , trçs-in-
qutct ^e votre fanté , & me charge de vous cora-
muaiguer TeB inquiétudes : s'il' peut s'abfenter
quelques jours, & interrompre Tes occupations *
. vous le reverrez avec moi.
Adieu , mon enfant. Je fuis impatiente dt
t'embraSer.
■«ai ' I ". ■ Pi*f< I'. ' ' <»
BILLET
De madame de Syrcé , au comte de MirheJlt.
V ENEz me.voitije fuis perdue: j'ai reçu une
lettre de ma mère , & fa lettre eft la.mort. Elis
levient, M. de S^'rcé l'accompagne. Je ne vous
en dis pas davatitage. Je fuis pénétrée de terreur.
Adieu.
BILLET
I3e madame de Syrcé , au comte de MirbeUe.
XL eft deux heures après minuit i elle eft arrivée
à dix. . . Mon ami , je refptre ; M. de Syrc» n'ell
point avec elle, fes occupations l'entretenu. Ma
mère m'a accablée de carelTes, & ce font autant
de coups de poignard qu'elle me donne. J'en fuis
D,m..M>, Google
DE L* f N e N S T A N C E. 3gf
réduite' à frémir de Tes bontés. Il me fetnble
qu'elles me rendent plus criminelle. Que je
crains fea regards! Je crains tout; mais fi vous
tn'aimez , )e fupporterai tout. Ne venez^ point
demain , je vous inftruiraï des évéïiemens de
ma journée.
Adieu. Je fuis profondément trifte. . . Que
demain fera long! je ne vous verrai pas.
■ * "t ^ . a»-
LETTRE XXXIX
, pe la marqùife Je Syrcét au comte dt MirheUe.
j\y e z pitié de moi ; ne m'accufez pas ; je vous
ai trahi , je me fuis trahie moi-même, je fuis la
plus malheureufe des femmes. Je vous écris en
langloctant, & je ne fais j'aurai la force de
vous raconte! une fcene à laquelle je ne devois
pas furvivre : ah I je n'y furvivrai pas long-tems.
Après le foupé > j'ai paffé dans le fallon avec ma
mère. Fendant tout le jour, elle avoit attaché
fur moi des regards plus attentif . & dans ce
moment elle avoit un air froid , ne m'adreflbic
prefque point la parole ; ou ce n'étoit pas da
moins avec ce ton afieâueux qu'elle a toujours.
Elle étoit à fon tnétier , moi j'avois pris un livre
fut U cheminée pv contenance feulement ; il
M>,Google
%SS : Les Malheurs
m'étoit ÎRipoiHbte d'y diftinguer ta moîntlrtf
chofe. Le iîlence régnoîtije n'ofois le rompre:
je n'ofois lever les yeux; & quelque effort qua
je iitTe. je lailTai tomber quelques larmes. Elles
nl'ont perdue ; ma mère qui les vit couler , quitta
fon ouvrage , me fixa ; & ce coup - d'odl fou-
droyant > quoiqu'il ne fût point dur , m'avoîc
anéantie. Ma fille , ine dit.ella , qu'avez-vous?
A ce feul mot , les foupirs fe prêtèrent dans mon
fein , mon cœur palpita; je verfai un torrent de
pleurs. Ma mère effrayée , vint à moi : ma fiUe,
que lignifie ce trouble, cette douleur? Vous ine
faites trembler. J'allaime cacher dans fon fein ,
& j'y rèftai fans lui répondre. . . Ma confullon >
moti décliirement , la honte de mon état écrite
malgrémoi datis mes yeux, éclairèrent les liens. . ..
Je vous entends, me dit-elle en me repouflant*
& allant tomber fur un fiege qui étoit à l'autre
' bom de la chambre-, opprobre de ta làmille,
malfaeareufe entant! Oui, m^éctiai- je, en me
profternant à les pieds que je baignai de larmes «
je fuis une malheureufe , une femme déshono^
rée î ne m'ouvrez point votre fein , rejetet-moi*
|e bénis la main qui me irappe , cette qiaïn eSt I9
vôtre i votre rigueur eft un bienfait. La feule
grâce que je vous demande encope , c'a(l< de me
latllèr fuiriaxcc l'être înfbrtHqéj fotmélcleiiVtttst
■D,m.f.ril>,GOOgle
DE l' I W C O « S"T A N C E. ag?
ïàng, & nourri de mes larmes. Je ne veux qud
k tems de lui donner le joar , enfuite je fubirai
ma peine par un trépas que j'implore. Mes yeux
s'éteindront à la lumière dauu l'antre que j'aurai
choilï pour cacher ma honte , & mon dernier
foupir n'arrivera point julqu'à vous. Vous n'en-
tendrez point les cris de ma douleur; je méjuge,
je me condamne , ouvrez-moi vos bras pour la
dernière fois. . . . InfenHUe époux , toi que j'ai-
mai > que j'adoiai , contemple les fruits de ta con-
duite! Mon opprobre eftietien. Rougis, cruel,
roilgis , tu es la caufe de mes malheurs , de mon
ignominie. Sans toi, le cœur d'une mère ne fré-
mirojt point à ma vue-, elle ne m'aùroît point
repouffée de fasbras. Javois à peine achevé ces
paroles , que ma mère étoit dans les miens ; elle
y fut Idng-tems muette , éplorée : ma chère ôUe,
me dit-elle enân d'une voix entrecoupée de fou-
pirs, tu m'as attendrie. La nature a parlé, & je
ne puis rentier à fa voix. Calme- toi ,conrole-
, toi } je couvrirai ton crime ... ta foibleffe. L'Être
fuprème pardonne. L'honneur, la nature & la
religion même ne doivent pas être plus inexora-
bles que lui. Mais , ô malheureufc enfant , il
faut que tu me jures de ne plus revoir l'auteuc
de tes maux ! Che^amant , juge de mon effroi',
& de tout ce qui fe paffiiic en moi à cette propo- -
D,™),.rib,Google
agg L E s M X L H E V R- s
fition î J'ai pleuré , j'ai tremblé , j'ai jeté fiir ma
tnerele regard le plusexpreilîf , le'plus doulou-
teux. J'ai de nouveau embrafic fcs geooux } mais
je n'ai- rien promis. . . . Hétas ! il eft plus aifé de
mourir, que d'arracher de foa cœur le trait qui
l'enchante & k déshonore. Oui , dans ce mo-
jneni , fous les regarda d'une niere . d'un Dieu
quej'ai câenTé pour vous , qui m'en punit, dont
mes maux préfens ne défarmerone. peut-être pas
la rigueur , dans ce moment épouvantable , c'eft
pour vous que je crains } & noyée dans les pleuri ,
je tremble de vous en coûter. ...
Adieu. Ma imin défaillante refure. de tenir ma
plume. .. .'Mes lumières font éteintes î me voilà
dans les ténèbres. Je n'ofe Tonner mes femmes y
)e ne fais quelles images funèbres fe prcfentent
à moi i tout mon corps brûle & friflônnej.je fou-
leve à peine ma tête appeTantie ,:j« ne puis plus
former une idée. ... Adieu. . , ; .
LETTRE XL.
Du comte de MirheSe , à la marquife.
JLXéLAs! hélas! qu'avez- vous dit? Votre in-"
dîlcrétion.nie déferpere; elle fait trois malbeu-
reuiL II falloit m'en croire , il falloit vous reporer
de
h.,Go()i^lc
D E L* I scoyitTkvCet. a8#
et totit fur moi. Jamais >> non , jamats- vous né
deviez foulTriT un tiers , quel qu'il fût, entre
TOUS & votre amant. Que deviendrai-js. Ci l'on
m'interdit votre préfence ? Vous-TOèms r que
deviendrez - vous ? Je périrù mills fois avanC
qu'on nous défunilTe. Votre beauté , vos vertus
Aifiîroiem pour m'attachera vausi votre fîtua-
tion m'y enchaîne, jurqo'à ce que le froid du
trépas vienne glacer mon cœur plein d'admira.
tion & d'amour. J'ai baigné votre lettre de lar-'
mes. Les caraâeres en lont effacés; tiiais mon
»aie les a retenus : ils y (ont gravés en traits pr(^
fonds , que les tems accumulés ne pourront dé-
truire^ Croyez- moi , ne nous bornons pas i
gémtr, à attendre notre artèt. Prévenons l'in-
famie arbitraire dont on tâchera de vous cou-i
vrir. Oui, oui, puifons dans notre amour un^
force qui le mette hors des atteintes de la: fociété^
Si votre merç, votre reJpeâable mère , unefeoift"
fois Cruelle , petfifte. à vouloir notre féparatlon i.
6 vous , fur qui j'aides droits, illégitimes dans^
nos mœurs « mais, facrés pour nous deux , vous t,
fans qui je ne peux plus vivre , vous i^ue nu!»
autre que moi ne peut confoler , forons enfeni-^
J[>le, fuyons des Hommes cruels, tyra uniques^
qui ont des conventions au lieu de fèntim^ijac
des bienféances au lieu de veitus «,^ d^s préji»«
Tamt V, î "
D,™),.rib,Google
ft$o Lets Malhe^ks
gés fifroces au lieu des douces lumières de la nù^
fon. N'héfitons pas, éloignons-nous d'un monde
où la loi même encourage au crime ', oà , fur
mille attentats cachés , s'élève le fant6me de
l'honneur, pour inOilter à la nature'. C'ell elle
feule qu'il iàut fuïvrc , qu'il tâut écouter. Avec
vous , avec le tréfor caché dans votre fetn , j'au-
rai tout. Je n'envierai- rien. Abandonnez vos
parens , ^e quitterai les miens ; renoncez aus
vaines chimères du rang , je renonce à mes eîpé-
riinces. Suivez-moi: allons chercher des lieux
où l'on ait de la commifération par inflinâ , &
non de l'humanité par principe.
11 ell des peuples que nous appelions fauva-
ges : ils nous recevront , ils nous plaindront , ils
admireront notre fermeté , notre amour , notre
dévouement courageux aux lotx faintes , dont
l'infraction facnlege , en vous épargnant le fup-
plice de rougir, nous auroit laifle des remords
plus horribles que lui; Aux extrémités de la
terre, fous quelque climat que nous habitions,
nous trouverons une bonté naturelle qui nous
fera grâce , qui foulagera nos maux. Nous trou-
, Verons, no:> des loix établies par des hommes
aveugles & barbares , mais la fenfîbilité vraie ,
mobile univerfel de teut être que nos politiques
inftitùtioli^ n'ont point dégradé. L'opprobre ne
-M>,Go'ogle
D • L* 1 M C H S T A S t E. a§l
fous fuivra point ; il reftera , chère amante , à
ceux qui vouldient vous en accabler. Ma feniin6^
oui, ma femme à mes côtés, mon enfant dans
trtcs braè, je ne ferai nulle part étranger. Les
lieux où l'on s'attendric Tur Tinforiunet voilà
notre patrie.
Vous direz à l'univers : j'avots Un époux ijus
je croyois honnête & Hdelej mon ame entière
lui fut aflervie; je cultivai avec une tendrefle ,
inquiète tes fruits de. notre union; le cruel m'a
abandonnée , m^prifée , pour les plus viles créa-
tures. Jeune & lenlible, j'ai connu le befoitl
d'aimer , & je me fuis donnée à celui que j'ai
cru le plus digne de mot. C'efl: là mon crime *
lacaufe de tous mes malheurs , des perfécutions
que j'éprouve» & de l'exil volontaire que nous
nous {bmmes împole tous deux. Mon amie i
voilà ce que tu diras , & tous les cœurs -feront
émus.
Ofo adopter ce que }e te confeille , ofons Vexé*
cotec. J'irai ce fbir Vous embrafer de mon idée*
Gardez-Vous de condtfmner ce déliré déma tètej
ilafafource dans mon ame> l'image de votre
déshonneur «le tetid furieux. Je n'y furvivrois
pas i votre billet de ce matin m'apprend que vous
{buffre2 , que vous n'Avez p^.'; eu h force de voua
lever. O ciel! peut-être à l'inliant que je vous
Ti)
n;r;.-M>,GOOglC
1^ Les MstaevKf
écris. . . . Diea t fi votre porte m'alloit être Gifi
atée '. Défohéiffez , ou je ne fépoDds pas àe fav
violence de mon dé(èfpoir.
Adieu! Je ne me connois plBS Daignée
lècondec mon cmir^e , & je fuit prêt à tout ea>
ireprendre pour vous arracher au mépris d'un
moade qui ne roériie pas de vous poâ'éder.
=^Ci^
LETTRE XLL
Du comte de Mirhelle , à madame de Syrcé.
jLiE voila donc arrivé le tnatheur qiie j'ai craint j
que j'flvois prévu! Votre porte m'eft fermée)
jV pa0e à tous les infbits ; toujours les mêmes
ordre». Les gens font concernés. . . . J'ai en«
trevu Sophie > elle éiwt- en pieursj elle parloit
de tranfport .> '. . de redoublement. ... Je ne
lefpire plus. Toutes les nuits j'erre autota: de
votre. maiJôn ; dès le matin j'épie ceox qui en
ibrtent » & je cherche fur leurs vifages les ceuels
ÛldiceS:Cte ce que j'appréhende; Ce fupplicê eft
horrible. Aj'ez pitié de -votre aniant : il meuit
d'inquiétude , de douleur & d'el&oi.. . . ^ '
D,™),.rib,Google
B E XM N C O N S T A 8 C E. I9J
LETTRE XLII.
J>u comte de Mirhelle , à Sophie , Piine desfemtuet
de la marqitife.
JC(LLE eft mourante , Stienepuisla voir!eI!e
eft mourante , & je vis !.. Ma Sophie , ma So-
phie, au nom de Thumanité, du malheur, de
tout ce qui efl; facré , tâchez de m'introduîre chez
elle. Dans fon tranrport , vous dites qu'elle m'a
nommé. Peut-être ma préfence. . . . n'en doutes
pas.... Ma ohere Sophie, ne me refufez point;
choifîiTez un moment où madame de Sancerrp
fera chez elle. Sauvez ta vie à votre maitrelTe,
à moi } venez à mou fecours. Quoi , madame de
Lacé a palle quatre nuits auprès d'elle, & moî
j'en fuis banni ! Que -cette dame eft heureufe*
que i'envie Ton fore ! On accepte les foins de l'a-
mitié , & l'on tëbute ceux de l'amour^ de t'amouc
dérefpéré ! Grand Dieu , s'il falloit la perdre , je
jurfi de ne lui pas furvivre ! Puifle-t-dle enten-
dre mon ferment ! Je compte fiir vos foins. ... Je
ne quitterai point Les environs de l'hôtel i j'y
ièrai à toutes les heures du jour'& de la nuit'i
û vous pouvez me ménager une entrevue , faites-
moi des lignes à tiavecs les ctolfées de l'appac-
Tiij
1, Google
294 Lis Malheurs
tement : j'y attacherai mes regards. Ne m'oublies
pas , lefpeâez mon déferpoir.
LETTRE XLIIL
De la marquifct au cùmtt.
jH. E Y E N u E À moi , je peux donc voue écrire !
II me refte un fouffle, il eft à vous. Ne vous
alarmez point. Au nom de l'amour le plus ten-
dre , ayez du courage. Je crois que je fuis mieux,
, Fardonnez-moi G je ne vous aï point vu ... ce
font les ordres de ma mère qu^on exécute. Qtie
ma fîtuation eft cruelle! Une lettre de M. de
Syrcé m'a porté le dernier coup. Il a écrit à
madame de Sancerre : il la prelTe , il la fupplie
de me donner fes foins ; il voudroit les partager :
il s'accufe , fent fes torts > aggrave les miens ', -
m'accable de fon eftime. . . Ah , Dieu ! je n'étois
donc pas aflez punie. Hélas , combiwi je fouifre !
Si vous m'aimez , lî vous m'en aimez mieux , je
me trouve heureufe. . . Je fuis charmée & Biti-
guée d'écrire ; il me feroit douloureux de quitter
un univers que vous habit^. La mort feule peut
tne foufiraire à la honte ... & vous m'aitachen
M>,Googlc
DE L'ISCONSTAN'CE. 29jr
LETTREXLIV.
Du chevalier de Gérac , à la marquife.
VO T R s lettre , madame . m*a pénétré d'admU
miration & de douleur i & Teffet étonnant qu'elle
a produit fur moi , me prouve qile je ne fuis pas
indigne de la confiance dont vous m'honorez.
Combien votre ame eftTtiblime ! C3mbien votre
conduite afluelle vous venge de mon injuftice
paflee ! Non que je me repente d'avoir confeillé
M. de Miibelle comme vous l'eufliez fait à ma
place. J'ai confulté mon cœur , j'ai parlé comme
j'aurois agi ; mais je ne me cenfolerai jamais de
n'avoir pas démêlé aâez vite , du fein même de
votre f6iblefle , toutes les qualifiés auxquelles je
rends hommage. Quedcgénérofité, d'héioïfme
& de force ! M. de Mirbellc vous a die avec quelle
chaleur je m'oppofois à fa paâîon pour vous j Se
c'eil à moi que vous vous adreflez! Vous me
flhargez du foin cruel de le confoler, de v&illei:
fur fes jours : & dans quel moment! Lorfque
vous êtes la feule qui ne trembliez pas pour les
vôtres. . . Ah ! madame , il n'aura point k mal-
heur de vous perdre ; vous vivrez. Le ciel vous
doit à U terre > non pour rougir d'une faute trop
Tiv
h.,Go()i^lc
996 Les Malhedru
expiée, la bonté n'efl: faite que pour le crines
tnais pour vous en relever avec éclat, & donner
l'exemple des vertus. Votre démarche m'éclaire.
ISoufTcez , madame , fouffroz que je partage l'en-
thouflarme trop jufte ... & fur-tout refpoir de
mon ami. Je vous fais le ferment d'obâr aux
ordres <iue vous me donnez , mais cVft avec la
«ttitudede n'être jamais danslatrifte néceflîté
■de les remplir. Il m'eût été bien doux de vous
«Curer , dans une circonftance moins duulou-
reufe , de mon profond refpedl, & , daignez me
3e permettre , de mon attachement;.
:=^n^=
BILLET
Du chevalier , au comte,
JiLn'] rafureE-moi , mon cher comte. Donnes.
«noi de vos nouvelles ; donnez.m'en de madame
Je Syrcé. Lui fereit-il arrivé de nouveaux m*l.
Sieurs? L'état de mon père, celui où je vous ai
laiflë, & le regret de ne pas être auprès devous«
-& la raifon qui m'en éloigne, tout m'accable.
Votre fîlence m'eâcaie, votre poUtion' m'atten-
drit. VousfoufFrez, je fuis loin de vous ^ un mot,
un feul mot. Je crains tout. J'ai befoin de con-
iblacion , j'en ai bffoin , vqug £tes nialheureuK.
-M>,Googlc
S) E 1'' I » e O N S T A W -C E. 397
LETTRE XLV. ,
De /a mar^uije, au comtt.
ji. voudrois pouvoir voue -cachet mon état II
<n'e(l plus cems , il &ut fe foumettre , il faut nous
féparer. Vivez , je vous en conjure i c'eft du fein
de la mort <]ue je trouve des forces pour vous
Tordonncr, Vivez , fi je vous fus chère; Je ne.
puis croire qu'en ceifantd'étre t je cefle de vous
Jidorer. .. Quelque chofe nous furvit. C'en eft
isXt ! . . . C'ell uo adieu ... un adieu éternel que
je vous dis. Ma main tremble ... je ne puis
achever.,. .Mon arrêt eft prononcé, je ne vous
verrai plus. Mes yeux qui ne s'ouvroient qu'à
vous, qui,. noyés de larmes, vous cherchent
encore , vont fe couvrir de ténèbres. Mais , j'en-
attefte le ciel , je ne regrette ea moi que le fenti-
jnent profond ^isnt vous fûtes -l'objet unique »
& qui va s'anéantir dans ma tombe. Que dis-je,
malhcureufe ! le iiiaÎEre de l'univers me tappelUi
& J'ai un dieu fur la terre! Dans oe moment
d'épouvante , darisce moment horrible , en ptoie
à toutes les douleurs > à tous les maux, aux
remords } trop punie pour n'être pas coupabUi
c'elt pour vous ijue je &émis. Hélas , il ne vern
D,™),.rib,Google
%99 Les Malheurs
donc point la lumière cet enfant malheureux*
né de Tamour, & condamné à fubir la peine du
crime ! Je vais , en m'éteignant , le replonger avec
moi dans la nuit eifrayante ... où l'on n'entend
point la voix de ce qu'on aime, J'aurois> pour
conferver Tes jours , fupponé l'ignominie. J'a-
dore tes décrets , ô eiei ! je ne murmure point
d'en être la vidime : mais foufTre qu'au mitieu
de mes tourmens , H tu ne frappes que moi , je te
rende grâce de ta bonté. J'ai quitté dix fois ma
lettre ... je ne faurois écrire , ni m'arracher à
vous. . . Ne vous reprochez rien i c'eH du fond
de mon cœur .que je vous pardonne.
Adieu > adieu. . . Que , difparue de l'univers >
)e vive dans votre mémoire ! N'oubliez jamaiis
que mes derniers foupirs ont encore été pour
vous.
^^^c^
LETTRE XLVL
I^u comte, à madame de Sancerrt.
ATAR la hardiefle de ma démarche , vous juge-
r.ez,^madame, de l'excès de mon trouble. Le
-défefpoir ne connott aucun frein ; il doit inté<
leljer par fa violence même; & £ les infortunés
ont quelques droits fur^votre ame» vous m*c-
-M>,Googlc
DE- L' INCONSTANCE. 399
coûterez avec bontét vous oublierez que je fuis
coupable, en voyant combien je fuis malheu-
reux. Votre Bile eft mourantes votre Elle... la
plus charmante des femmes , & , j'ofe dire , la
plus refpeâable. Elle eft mourante, j'en fuis la
eaufe, & c*e(l à vous , oui, madame, k vous-
même que je m'aiieSe pour obtenir une grâce. . .
dont fes jours dépendent peut-être. Je ne vous
parle point des miens, ils me pefentic'eftpouc
elle que je vous implore. Il efl: des momens où
les bienféaaces doivent être comptées pour rien ,
où la nature doit parler feule, où les âmes fen-
llbles, les âmes telles que la vôtre, jettent un
cri qu'il eft horrible d'étouffer. Quels que foient
mes torts , mes forfaits , j'ai des titres. Pour être
affreux, ils n'en font pas moins facrés; je les
réclame. Madame de Syrcé m*a cru digne de fon
attachement. Il m'appartient ce cœur fublime &
tendre i fes derniers battemens feront pour moi ,
je le fais,& vous lui enlevez une de fes plus ^
chères confolations ! Dans cet inftant, madame,
dé6ez-vous de vos principes ; la fendbilité êfl; la
première vertu. Tremblez . . . vos ménagemens
vous coûteront des pleurs ; tremblez d'être vous-
même complice d'un malheur. . . Ah ! je tombe
à vos pieds , je les embrafîe. Vous m'avez com-
pris ... me refuferez-vous ? Permettez , fouffm
D,™),.rib/Google
;0O Lt. -s M&LHElIEt
^ue je la voie un inftant,un feul in(lant.Mon
image eft au fond de fon ame ; elle y entretient II
douleur^ elle accroit fon mat, mon rouvenir la
tue , ma prélènce lacalmeroit. C'eft mon efpoir ,
ïi'aliez pas le trahir. Qu'elle life au moins dans
mes yeux noyés de pleurs le prix de Ton amour;
& s'il faut la perdre, m'arracher à tout , que je-
recueille un de-fes fbupirs pour y joindre le der-
nier des miens. La perdre ! Non , non : le oiel
ai'cft point impitoyable 4 H ferait trop de mal-
Jieureux. Dieu jufte , tel qui pardonnes auxfcù-
tleffes , ô mon Dieu ! J] ton bras eft levé , fuf-
]iends le coup terrible. £11 frappant , tu erïleve-
Tois aux mortels ta plus par^ite image. Te faut-
il une vidiime ? frappe, me voKà prêt i ouj fîtu
veux être plus cruel , remplis mes )ours4'amer-
tume ,traine-moi de douleur en douleur à la plus
aiïreufe viejilede, & fais-moi acheter la mort au
'prix de rinfortune; mais fauve, fauve ce que
5'aime. Paifie-je m'emparer de tous fes maux, en
être accablé , les fctttir tous , & jomt ! . . . Vous
•voyçz mon égarementîyfcrez-vous infenfible?
Au nom de mes larmes , de mes tourmens, de
mes crimes même , ouï , de mes crimes , écoutez-
moi; ils me rapprochant de vous. . . Où fuis-je{
■çu'ai-je dit * Je ne me connols plus, . . Frémif-
fez . . .mais ne m'accablez pas ; frémiâèz de ptti^
Dim.fMi,. Google
TÏE l'INCOHSTANCB. JOl'
Je fuis trop à plaindre pour exciter votre colère.
Songez à ma fituation ; etl-elle aScz épouvan-
table? Je plonge au cercueil la femme que j'ido^
lâtre i elle expire par moi , & pouF moi , & je naf
puis m'offrir à fes yeux , me profterner devaiîC
elle , ferrer fa main détaillante , lut montrer le
malheureux qui doit la foivre ! . . . Mes efprita
s'égarent , je ne fens plus , ne vois plus . . . voua
feule ! ... La force me manque. . . J'attends votre
réponfe ou la mort.
^t nm > =^iî^i " .1 er
L E T T R E X L VI I.
Du comte dt MirbeUe « « mndame de Syrci.
V OTRE arrêt eft prortonêé!. Qu'ai- je lu! qui
TOUS l'a dit ? Gardez-veus de le croire. Non , ît
ne l'efl' pas ; n'écoutez point des bartmres qui
vous trompent; n'ajoutez foi qn'à l'amant qui
vous raffure. Vùus , me quitter î vous ! Je ne rei^oîs
point votre adieu , votre'a^eu' cruel. . . Au nom
de mon amour , de l'amour le plus tendre , le'
plus malheureux r le plus défefpéré, reprenez
votre courage. S'il eft un Être jufte , il veille fut
vos jours, il vous protège « il vous aime:. mes
pleursl'attendriront i &B'il déchiroitnos nœuds,
fen bonheur > quel ^u'U foit, fetoit troublé pa«
-M>,Google
9oa LesMalhburs
l'ezcès' de mon infortune. Ne CTaignez rien : U
me fembte que . tant que je refpicc , le ctet même
n*a point de pouvoir fur vos jouts. Cette illu-
fion furpend mes terreurs. Quoi, c'efl: vous*
c*eft bien vous qui m'avez écrit ? Je la mets fur
mon cœur cette lettre icetto précieufe lettre ,
- cher monument d'une feniîbiHté dont il n'y eut
jamais d'exemple. Votre ame y eft toute entière ,
cette ame à la fois douce , courageufç & pro-
fonde , & qui eft vraiment un rayon de la divi-
nité. Quoi, cette ame de feu s'éteindroitï elle ne
fcntiroit plus l'amour! La tombe dévoreroït...
Mes yeux fe couvrent de larmes. Qui, moi! moi,
malheureux , je voi^s aurois connue , pour être
votre bourreau! Sous la riante image du bon-
heur, le rott; implacable nous auroit caché un
avenir aufli funèbre ! J'aurois porté la mort dans
Vutre fein! Le gagedenbtre union s'y.anéanti-
f oit ,.& je perdrois à la fois deux êtres facrés pouc
mon cœur ! Je ne puis envifagercet abyme. O
toi , fans qui je ne faurois vivre un feu! inftant ;
qoe tes craintes s'évanouifient ; ne partage.que
mon efpoir. Il fetâ rempli , fi madame de Son-
cerre n'a peint une ame cruelle. Je lul-ai écrit}
j'implore de fa, bonté la grâce de te yoiryde'te
parler i fans doute elle me l'accordera. Sophie te
(emetcra ma lecïcej les.cara<^eres en.fofU;pre{^
D,™),prib,Google
DE L * I H C O N 1 T A N C E. ;o;
qu'e&cés par mes pleurs; mais fî ces yeux peu-
vent s'ouvrir , ils m'y reconnoitroHC encore. Je
lui ai bien recommandé de cbolllr un moment
où tu ferois moins fotble , pour te la lailTer lire.
Tu y verras l'amour que tu infpires , les craintes
qui m'accablent) les efpéraivces qui me conib-
lent. Ma chère maitrefle, que madame deSan-
cerre tarde à me répondre ! Va , je fouffrc tous
les maux enfemble.Te favoir mourante, & vivre
loin de toi , vivre dans des' tranfes éternctles ,
pleurer le jour, pleurer la nuit» rejeter toute
confolation , relire fans ceCe tes-lettres, couvrit
ton portrait de baifers & de larmes , lui parler
comme s'il pouvoït m'entendre & me répondre,
imprimer ma bouche & mon ame fur les moin-
dres gages de ta tendreJfe , voilà l'emploi de tous
mes inftans, mes occupations douloureufcs &
chères ; voilà ce que je fais Tans ceSe , & je n^
fuis arraché que par un abattement qui reÛem-
bleroit à la mort, s'il n'étoic encore plus horrible
qu'elle. Je ne puis finir ma lettre. En ce moment
où je m'entretiens avec toi ...■. les fanglots m'op-
pteâent. . .
Adieu , mon amie , ma malcreâè ! adieu» toif
répouPe de mon cœur ! . . . On ne m'apporte
point de réponfe. Je frémis , je tremble. , . Quel
eue ! . . .Je me mmi»^ Je t'attors ! . . . Tu-vividS4
Dim.fMi,. Google
^04 LÈsMA&itKtifts
oui . tu vivras ... & ton atnant , ton amant
Êdele ! ... Je te quitte malgré moi. . , Adieu. . . Il
but que je te voie ; il le faut ! . . . Les barbares !
ils ne me priveront pas plus long-tems de ta-
ptéfence,
ft I L L ET
Du comtt , À Sophie.
V7 MA Sophie, je me trouverai à Tlieure ÏH"*
diquée à la pofte de Thôtçl ; je ferai déguifé,
les gens ne pourront me reconnoirre. Ma St>^
phie V... tous les ccBurs font féroces. Madame
de Sancerre ... ah , dieu ! . . . ma Sophie , je te
^ots tout ; ta as remis ma lettre. Ta maitreiTe en
-a lu quelques lignes!... Son froncétoitfereïii*
mais une foibleflè l'a empêchée de pourfuivrc-
Une foibleife! ... Elle e(l plus mal ,' & c*eft i mot
qu'il faut le reprocher 1 Le eiel m'a donc fait
naître pour Ton tourment. Elle expire , & je hâta
I>cu^étre. , . Moi ! qu'aUje dit ! C'en éft trop , j«
fuccombe^ Il mes cris alloient être entendus!
Je fors' de chez mon pcre , je vais errer jufqu'à
l'heure du fatal rendez-j^us. Quel jour * quel
jour funèbre ! S'il m'enJ<^fiM;tf que j'aime , puiffe*
$-U être le dernier pour toute Ja nature ! .
Adieu.
-M>,Google
- Adi4u.-Je te remercie i&^ans icwinâansoà
Inon «ne n'eft ouvctte' qu'à la douteut ^ j'ai ciw
etwE-laiforee de fentU (orebienfaat/ij' .:k, r. -..ii
^-'\ ' ■ "• -^1 '\'v''; y.r
■-■. /::X--E^T Xft^E-X. L■V^l.It....
' ï)u comte ie llirbeHe , m cbevaUeic de Ôéràe, ■
Quelle fcehe ! quelle fcene à ^feisàtteiU
diiianté A sfitture ! Je ii'flurois jainau jiu voue
en faire le lécici J'étDÏs iftuptdei fHas.connbi&
lànct.fana mouvement ïmesyeuâ£xes&moc*
fies ne diftingtuùent {/lus lés objecSiiMon étaè
étoitune mort anticipée^ àiaîs ce tnatinfnuditna
de Syicé eft moins mal.J^eii xeijofeiht h(>u,vp|te :
je Éerpire t & je peux Vous âird psrt de..t<»ut c*
^aim'àgite encore. Héias.'onn'ËlpéMÎt plus lien
de cette ièmme charmantei elle avoi): 04<d«ns la
journée pliilleurs f^îbleâba j oa tedo^tott la nuiLi
A force d'inftaiices.» de pri^rea, dé.Japmes, je
détéi-miae Sophie à me Iai0er eatEer dans &
charahie-, & à me ménageruD inftant pour voit
fa maltrelfe. Comnietit ïéfi^ft au^ emj^ortei^ens
dé l'aitiout & de h doilleur ! Sophie n'en eut pas
lecourage. , ;
D étolt fept beures di) /si^^ 2^(iUii)f ^e Satl->
«tire ne pouvant wiksc fts kim» » monta dana
ïiMw f, , y
D,n-;.M>,GOOL^IC
ùm appaxteotent pourpleurec en libené , & fans
craindre d'itre appen;ue deft fiUe mourante. Ge
fut alors qu'un m'inuoduifit.cha elle. Je crus
entrer dans le tombeau > & je me trouvois heu-
reux d'y être. Muet & tremblant, je me jette aux
pieds de fan Sir. lUuireftoità peine un telle de
fouffle & d,'ext[lence. Je prends une de fes mains,
je la couvre dcbaifers , je la preflè fur mon cœur,
Alix lueurs dont-ja rarroSEi,:Bbx,'fons itoafies de
ma voir, madame daSyrcrf entt'ouvre des.yeux
npirans., & attachp fiir -iboI un regard dont
Kexprefiîon m'efi tou^oDs. préfente. <^et dieu:
Aie rend-à^ vie? Ah* (fvfl:vous,me dit-elle,
«*efl;v<»S'que je vois î J'aurai donc encore un
niftant de bdidMjBi; je pounai voua dire à vcais-
même ave&ifael plaïfir je vous pardonne. J'ai'
Vécu coupable, & je moArrâi contente, le ciel
ne ihe hdk p&s. Adieu . . . fiiyez ... ta force m'a-
bandonne vttitiiB avanede me^quhter , jurez-moî
de vivrez -jé^)e- veux ,:je vous l'ordonne. . .je
TOUS en conjure. Il^&ut renoncer à tout, il le
faut : donne£-moî votre main . . . c'en eftfût . . . >
emportez mes derniers vœux.
A ces mots t elle tomba dans une nouvelle foi-
blcfle. Accablé , anéanti , délirant de l'être tour--
à-fïiit, je n'arois pas eu la force de proférer une
parole: Soudain on attenditmodamc de Ssaceirc-
M>,Googlc
D B L' I N C I^ S T A If Q E. 507
twi defcendoit j je fus obligé de fuir , de m*acra-
clier de ce lieu. Ne fâchant ce que je faifois , où
j'allois > vo.ulaot focùr , rae tromiiant , ne voyant
plus rien, j'entre dans la chambre des enfans de
madame de Sytcé ; je les trouve à genoux , rem-
nliâÀnt Tair de leurs cris, & priant Iç ciel de leuc
cpa^wyei une mère adorée. A la vue de ces inno-
centes créatures , à qui j'enlevois leur appui » je
ne.pus me contenir, je me penchû fui: eux, je.
les fermi dans me$ bras , je les inondai de larmes,.
£^I^,e^rayai dç l'excès de ma douleur. Je vou..
lois leur parler, ,11^ voix expiroit fur mes.levres.
Eniln jp m'élanqaJL Ifois, de cette m^ifon , où j'au-
rois dî^ mourirr. h'iranga du duc alors vint fe
préfenter à moi.. Je vis en lui le bpurrcau de
i^datne de Syrcé ; de Sidlejr , Iç nûen. Je cours >
r^eil ardçn t de cou)to^ , récitant la vengeance. .
Héks ! pies genou.^ fç.déroberent fous moi i je
nçjpouvois,mefputenic,;&i| fallut me ramener
c^z. mpn père, où j'ai pafle la mût la plus hor-»
t'ihle , mais fan^. a^ndonnçr un feul, îfiftant
rjdéc de percer le cœur du perfide qui m'a perdu.
. Je fuis plus calme dans ce moment ; on a une
lueur d'efpérance... Aimez-moi, plaignez-moi.
Je fuis le plus coupable des hommes i mais 11
n'en eft point de plus puni.
Vij
-M>,Google
LETTRE XL IX
^f madame de Sancerre 3 oh marquis de Syrcé, '
jN B partez point, je vous en conjure, ne partez
point. Hélas ! que viendriez-vous faire ? H n'y a
plus d'elpoLr. En vain j'ai compté fur fa jeanefiè ,
fur Ton courage ; il faut fe réToudre à la ptus hor-'
rible réparation. Voici le huitième jour que je ne
tnefuiscouchée; je veille à cûté d'elle, les yeux
attachés fur les Hens. Je ne la quitte que pour
pleurer. Quelle femmefqiie de Qualités que nous
ne connoiflîons pas .' O Dieu , tu lut pardonneras
fes Tautes en faveur de Tes vertus !
Hier, elle a fait venir fés ênfans % eltejes a'
tenus long'tems embrafles. Souvenez>voiis de
moi , leur a-t-ellé dit ; aimêi ^6cre pcre , refpec-
tez-le toujours » & mérhêz les bontés. Je fan-
glottois , je fondois en larmes , & c'eft elle , c'eft ■
elle qui me confoloit ! Je lui ai' montré votre
lettre ; elle en cft bien recortnoiflante. Voici fa
réponiè , qu'elle m'a remife toute cachetée. &
qu^elleme recommande de vous faire tenir. L'in-
fortunée, avec quelle joie je racheterois fcs jours
de tous ceux qui me fout réfèrvés ! Moi, lui fiir-
vivce , moi ! Mon cœur fe fctre , je ne puis tete«
1, Google
DE L I N C O N S T A N C E. ?09
nirmes pleurs > ils inondenc mon papier. Ma-
dame de Lacé entie. Cette digne amie! elle ne
quitte point ma chère fille. Tout le monde Taie-
ine : & il fàudroit ta perdre ! ... Je me meurs . . .
Je vous écrirai demain . . . demain ! O ciel ! . . .
}e n'en puis plus. . . . Adieu.
*^ra^
LETTRE L.
De la marquife , à M. Je Syrci.
JE vais paroUre devant un juge que je ne puis
croire inexorable. Av^nt de Lui rendre compte,
}e .TOUS dois la vérité. Je n'aurois pu foutenir
votre préfence : je ne mérite plus .vos regrets ;. je
ne veux pas les emporter. Je ne vo^s parle point
des horreurs de mon repentir ; une ame telle
que -la vôtre n'a pas belbin de vengeance. La
.roort'Teule pouvojt m'arracher au erît^, au
snalheur , à la honte ; & J'en bénlroïs les appro-
ches, G je ne coûtoîs pas des larmes qui me la
lendent afFreufe. .Pardonnez .... bientôt je ne
,vôus ofFenferai plusv Mon cœur va, fe fermer
même au remord .... bientôt il ne re(tea:a de
moi; que des ceudres froides & inaiiitiiées. . . .
Daignei ne point haïr ma mémoire. ... Vivez
heureux. L'inllaat redoutable s'apprête.... le
V iij ■ ;
_ D,m..ril>,GOOgle
jie LES Malheurs
tombeau s'ouvre pour me recevoir. ... J'y vais
defcetldre .... il faut tout quitter , & pour ja-
mais ! Confolez la mère la plus tendre . . . -. qai
vos enfans vous foient chers. Ne me ptcufe^
point . . . . j« meurs coupable.
«.=»Ci^
LETTRE L I.
D« comte de MirbeUe , au chevalier de Gérae.
v7ùfuis-)e!quevois-je!....un cercueil!..^.
'JVi peine àretenir mes cris. .. .Eft>il vrai? Làtf-
lèz-moi me plonger , me cacher dans \t fein it
Tamitié. . . \ Pat tout perdu ; Si dans fa ïblitudie
immenfe 6û je me tro'uve , d&hiiré de reiriotai ,
-pourfuivi ^^ des ombres, c'eû fur voosijàele
tne jette. Elle étoit mieux, Je lecroyois.... fb
'vous revois mandé )e' refiArois? . . . . Mtéux
îperôde ! tueur formidable » qui brifloît fur uti
fépulcre ! Elle efl morte * . . . . Qpi ? Madame dé
Syrcé!. .. .Oui, c'encft felt.. ..rien n'apa h
fauver; elle e{l morte & vengée. Aurai -je h
force de pourfuivre ? Je l'aurai .... c'eft mon
dernier effort, il cft aâreux> )e me l'impofe.
j'aime à me pénétrer de mes maux, à ta'eh
nourrir , à m'y concentrer.Ma douleur me plaie i
& û quelque bien me refteau monde , c'en Tex-
D,™),.rib,Google
DB L' Ï-S.C © « « T A HTC Ë. JH
.cèsâe<inondé^rpoîr ,., .il fîlijrai.i^tout va
:£nir pour moi. Frém^ez. La nuit dtijour même
'OÙ )« vous, 'cohfon tÉiéi erpéraoces:, j*GrroiSi
ii»imniie j'ai toujours faktdiirantotttcBitale ma-
Aadieyfèixbis'-mtmaàt.i'itiad-dtttbadaxoe de
Sancecre. OpenebUit! gueltes ténèbres f Jamais
:«U«s ne «Cma^eat pwta fi ..in:afdntîes. Je les
■voyâb teintes-cle-jAtig ^ ■& yy raaithois au ha-
SudiSbymé dais-mçà râlextions. Tout-à-coup
Yen tmsMRxtât'ptfànf'aas lugubres. Jrcour^ t
Je m'âancetil ih fflh du minivetaent, -la porte
aVayrci deB^domeftiqliés rorcènt» j'emepréci-
^te ïkta hoetppet^u. J'avance j je nf enhardis »
)c monte , j'èntiQ , poufie par an ateifaît funefte ,
j'entre , ô bieL ! icfaun la chambre du malheureux
objet dont j'ai'eau{l& la perte. Qpel fpeâacle!
JllxdaQiedeSBltceiTe'éVanDDiei Soiihte^au mi-
'Ëeu'desfecerurBi qu'elle hii donne; pouSÈtntdes
TorisfaimeataUf»; ntadamede Lacs'ijai fuit, ef-
Ëa;ée dé moii «Epeâ ! Les- re^s de 'quelques
lonriêres.éokiijoieRt cette fcene fun^re. J'apw
liEoche } j^ouTÏre les rideaux d'une main trent.
-bJante, malgré Jés lâllances , 'l«s;laimes, & tes
ot)poiîtkms'dâ llioeonlàlable Sophie. 'Dieu .'.. .'.
ô Dieu ! :Mon ami , toutes les grâces , toutes
les vertus, tant ce que j'adotois, immobile , en-
ieVeli dass unTommeil étemel .... attendu aa
V ÏT
M>,Googlc
^12 .: .1; r.S M A 1, 'H'Z V R 8 .:
t -fein delà terre! . ...&]'» pu y fiirrivreî...,
\ Madame de'Syrcé „ . , . elle n'étoit tint , elle
venoû ïd'-aspirer .... Elte n^ébik phis; mais la
pâleur dir trépas n'£toit posnt encore fur fon
front, &Ja mort mème-n^voit'pii la défigurer.
Elle vit enoore , m'écripiljè-! A fSnftant , je faiiîs
fes mains , feS'inains gtaceK, que je Escbaiiâè
dans lesniiennes. Je cbecdieal ranimer de tpon
fouffle quelque fouffle égara d'une vioi hélas!
,qui étùt difpamcf. Je lai 'park>is commV Ci ma
Toiï avoit pu airivet ji^qu*ji cUe. C'eft. tm
• nmant , c'eft lut > c'eft lui qtti vêiUe'i tes càti*.
, Rcnnis , '6 la plus tendre ^«''ifonnnfls * la pliR
honnête, la moins connue,;. renais aux cris «le
la douleur, à la voix de l'asiciHl'. Maïs-, quand
! des Hgnes trop certains m'curenit aHuré du maU
■ heur^oxribte-dont je doutais. toujours, je nfl
fus pluS'<ni3ÎtTe' de me* ti^fports. Je m'attsi-
chob.à ces^rieftcs inaniniés,' jeles courroUda
pleurs'tje les preffc^s dansnjes bras, jenepou-
-vois m'en faparer. C'étoittw breTor'qne jédif-
ptitoisjifuej'enviais'àià tombe; En vainSophte
éplorée me: conjuroitrdefàâir auront que ma.
: .dame.de Sancerre ceviiitià.dla..Lài&-moi , lui
. dis- je f je veux que les yeux de cette malheu<
reufe mère me voienc , en s'ouvrent , expirer k
côté delaâUcidefa allé que j'ai^perduQ, de fa
n;r;>-M>,GOOglC
P E. 1 I N C O N 8 TA K C B. r?î^
fille dont je fuis l'aflàffin. Je veux cfueCout raoh
Ding coule fiircelitde mortj&rejaillilTefurma
viâime. Faif monter les domeftiques, qu'ils me
déchirent* qu'ils m'immoleiit à leur m^trefle ,
qu'ils la vengent. ... Ce dernier mot m'éclaira.'
Au milieu de tant d'objets cruels , l'idée , l'af-
freufe idée de l'auteur de tous mes maux vinc
. fe remwrtter à moi. Je forris . je volai cher lui :
tous mes mouvemens étotent convutli^ ij'étois
- pouâe pat Iqs furies. Je trouve le ducqut Ecn>
troiti me reconnoilfcz- vousi lui dis-je':' Vous
voyez le plus mnlheureux des hommes , & le
plus malheureux par vous. Ma pâleur, mon
effroi , mon trouble , voUs annoncent que j'ai
tout perdu. Il ne me refte qUe.ta vie ; elle me
pefe ; veftezriiè l'arracher , ou périr de ma main.
Suivezanoi; IL .y confentit . :. . .. Et cet homme
avoit-ducpurage! ' .
Pendant qUe nous roArcbioA», le monfire plal-
fantoit.lS'j* frémiflbis dexolerc. Arrivé fur fe
lieu , il fe mit m garde aVec un fourire ironique
qui redoubla, ma fureur. Je fondis fuc lui :.fon
■fang Jroid ùe^put le fauver ', &^ défendis de tage
. une mileniUe vie que mon déferpoir auroit fans
doute abandonnée. J'atteignis, je per(;3i le cœur.
: rinfame -cceut qui avoit flétri, corrompu, dé-
chiré te mien. Le duc fe débat »tombe , chancelé
h, Google
;r4 .Les Malheurs'
& meurt. Mais , vous l'avonetai-je ? je ne pus le
voir expirer , fans une pitié que le barbare ne
méritoic pas.
Après ces horribles fecouflês , je fcntis ma foi-
faleCe t & j'eus bien de la peine k me traîner chez
mon père. C'eft de ma chambre que je vous écris,
les yeux rouges de larmes , me déoftant moi-
même , abhorrant la himîere. . , Ah ! Went6c. . .
Adieu 1 le plus vertDcDz des hommes. Dans
l'univers je ne puis plBsregretter que mon père
& vous.. .Mon heure eft venue. ..Adieu.
LETTRE LIL
Du chevalier de Gérac , au. comte 'de MirkeUe.
IVjEon père eft àJ'cztrimité... je ne puis le
quitter , je ne puis voler à vous. Qjie m'avez
vous écrit ! voire kee^t e^ venue ! J« firifiènne. . .
Je dépêche un couriér r j'efpere qu'H arrivent
-affez tûe , & que vous ferez fenOble au dé&fpoir ,
aux crûntes , aux inftances de l^miifié. La dou-
leur ne rend pomt barbare. Hélas \ mes larmes
routent, & je ne prétends pas v«is confoler.
Fleurez , malheureux , pleurez \ 'mais vivez ,
vivez pour votre pete , votre famille, votre ami :
c'eftle dernier vœu de celle que vrnis aimâtes.
D,m.f.ril>,GOOgle
DE L'iNCOirsTANeE. 5 If
& c'eft moi qu'elle en a rendu le dépolîtaire. Je
TOUS oâre une retraite ; venez , vous y ferez
libre > inconnu , fî vous voulez Tètre.Nous avons
des rochers, des forêts , tout ce que cherche unfe
Ame inconfolable. Si vous le defîcèz , je ne vous
Y Tuirrai pas ; H tnes pleurs ne vous font point &
charge , je les confbnârat avec les vôtres. Mais
peut-être en cet infiant. . . Infortuné , prenez
pitié de vous-même , de moi ! Je tremble pout
les jours de mon père. Hélas I s'il ni'eft ravi , me
laifTerez-voàs feul au monde ? Je n'en puis dire
davantage.'. .Les momens me font chers ... un
feul ... Je ne refpire point-. . . je frémis. . .
Adieu. Gardez- vous . . . Adieu , cruel aroî.
=^a^
LETTRE LUI.
Du comte , mu chevalier.
JtrôÙR comble de malheur, je vis 'encore. A
peine j'avois écrit ma lettre , à peine je l'avoiï
remife à mon valet-de-chambre, que mon père
parut à mes yeux ; fon afpeâ me terraOa. Mes
gens, effrayés de mon défefpoir, l'en avoient
averti. If étoît pâle, tremblant ; ii recula d'ef-
froi, lorfqu'il apperçut entre mes mains l'aïme
qui m'altolt délivrer d'une ezifience qiie j'ai en
■D,™),.rib,. Google
ji^ LesMalhbvrs
horreur. . . Malheureux ! me dit-il < . . 61s déni-
turé!... mon fits* mon cher fils!. .'. Elle eft
.morte , m'écriai>je . . . j'en fuis la caufe . . . elle
ell morte ! . . . lailTez-mot mourir. A ces mots , je
tombe évanoui. . . Une fièvre violente , le trans-
port , des accèf de rage fuccéderent à cet état
d'anéaiitiâ*ement. . . Hélas ! je revins à moi. Que
vis>je , 6 mon .ami ! . . . mon père me ptelTanC
contre Ton feiiit m'arrofànt de Tes larmes, me
conjurant de vivre ! Veux-tu déferpérer ma vicil-
' lefle ? Veux-tu que je la tratne dans-)e deuiU
Tamertume , les regrets , fans appui , fans confo-
lation , fans toi ? . . . Veux-tu enfoncer le poi-
gnard dans le cœùr;d'un père ? N'es-tu pas aSet
coupable ? Mon fils , jurez-mot de ne point atten-
ter à vos jours : à ce prix je vous pardonne. J*ai
appris votre combat avec le duc , j'en fais les
fuites ... ne craignez rien , vous ites trop mal-
heureux pour que je vous accable. Fuyez pour
quelque tems , j'obtiendrai votre grâce: mais
faites-moi le ferment que j'exige. Je vous l'or-
donne . . . mon fils, mon cher fils! . ..Je voulus
me précipiter à fcs genoux. La nature comman-
doit. Qu'elle a de pouvoir ! j'ai promis de fouâfrir.
En obéiflànt à mon père , j'aurai le trifte plai-
iir de ^isfaire à des ordres encore plus puillàns
iur|moi que les Cens, aux ordres cruels & tou-
I.; Google
DS lM»co»«taiicï. ?I7
chatu qoi développent R bien l'ame Tenfible,
l'ame aâor&blci-à laquelle enBa vous rendes'
juftioe. . . J'eofle été trop Heureux de ta falire.'
Ma lettre écrite , je pdrs , je vais m'enfevelir
-'dans une^des terres de mon père, à deifx ce'nt^
lieues d'ici. La vôtre, mon cher chevalier, ti({'
trop voîllne de Paris , de ce féjour odieux poui'
mot Je vais dans une folitude profonde 8c qui
ine plaira , être tout entier à nies.ennuis> y^ cher-
cher l'ombre, des bois les plus épais , nt'attàch«i;^
à toutes les images du tombeau , (aire tstetltilf
mon défert des noms facrés de deux objets char-
mans que j'ai perdus, que je regretterai toujours.
Jefuis trop infortuné pour m'offrir même à vos
yeux. J'ai befoin d'qtte feul , de me nourrir de
mes larmi lient
eâbyées d rela-
tion trop t con-
Ibler.' moi [e de
tenirmap surs,
mais les ( arrai
jeune ; je srme
fouhaité. le de
Syrcé repofe , de ne Former aucun lien , de vivre
ÎTolé , d'exider pour la douleur , & de porter au
cercueil un cceur fidèle à l'ombre chère & plain-
tive d'une femtqe idolâtrée. Efi-ii un mortel plus
D,™),.rib,Google
}iS Les Malub^R£ n&L'iNcoMSTANeE.
j^pbùdre que votre «mi ! Je prive l'huinauiité de
4euxf«nroesquU'lK)noroiem:runeefttiiorte.,.
l'avcre s'eft enfevelie dans uo clcûtre. EUe elï
ajix carmélites, de *^*. JefuisoUigédefuirt^e
ip'atracher du fein d'un pcte * 9i je refte feul
4aiis U nature . . . pour ivoii écouté les coufeiU
<f H» homme frivole !
. Fuiflc au moin» mvn exemple effiarez tous
eeuK qui fe font un; jeu de rïnconftancr&'dela.
pccfidie! Qp'ils me contempleat , ils frémiront.
S(. peut-iae ils feront corrigés.
Ftfi de la féconde ^dernière partit.
D^,),.rib;GoOglC
^ ,^^=^ , ..«Pg^ i V^. ^^^^^^^
FLOB-ïCOUIlT,
HJSTOJRE FRANÇOISE.
XiiE chevalier de Florieourt étott un de ces hom-
mes oiâfs & brujpans qui furidisi^ent & embeU
liflèiiC' ta Ibciété. Jeuae, riche, d'une figirre.
charmante , il fe ororoit di{{icnfé d'avoir des ver^
tui. L'inconréquence I la l^^reté, Toahli des
autxes & de lui>mëine,formoietitroncara(^ere;
il étoit &t , indifcrec , fourbe > vicieux mèdie par
air plus que par tempérament. Les femmes le
voyoientavec plaifir; il les amufoit ; il n'en vou-
lait qti''à celles qui lui telTembloient. A peine en
avoic-i) triomphé , qu'il leur cendoit la liberté , &
leur demandott très-inftamment la fîenne. Il
n'étoit amant que dans refpoir d'être infidèle.
Trompeur, trompé, heureux fans lavoir pour-
quoi , il promenoic de cercle en cercle Tes travers,
fes perfidies , (on fafte , là brillante inutilité.
C'était on homme d'un très-bon ton.
■ Un jour que, dans un tourbillon de jeunes
fouf , il Ëiifoit parade ds fes bonnes fortunes ,
il &ut avover , lui dit le marquis de * * "* , que
tu es bieaheareHfcmeatné. F-èté par nos Lak
D,™),.rib,GOOglC
jla FtORICOtillI',
étégaiites ( prerque ttiiné {wr «lles« tu jouis « mott
cher , èe la r^utation la plus diftinguée i il ne
manque ^lus à ta gloï» qu« d'avoir fubjugué
une tionnète femtne , reconnue pout ttlle..^
là . . . une femme à lentLtnqns. ParUeu , teprit
Flpricourt, voilà qui eft bien difficile ! Apprends*
marquis , que lés .honnêtes fealmes i'enl pius
aiCees à vaincre que Iw autre* , parce qu'HIes
font de meilleure ((ii,'& qti'avec beauooup de
décence. . . Si tu veux, j'en entreptendiai une^
A la bonne heure, ajdute le marquii. Tu ea
auras le plailîr , continue Floiicourt > ta en auras
h ptaifir } & pour te prouver combien je fuû-fûir
ik mun firit , je veux te nommer d'annce l'objet
que je compte facrifier à la témérité deton défi :
c'en madame de Tcrville. Tu fais qu*dHi eft très-
hieu , & que nos merveilleux qui rodoîent à t'en-
tout , f ont échoué. La diificulté''me ptqBb. '
La marqulfe de Tetvîlte étoit une Teuve
jeune , bien laite & jolie ; elle n'avoit jamais
cédé à la féduâion , du vivant même d'ub mm
qui ta^endoit malheureufe , & que , midgré fes
mauvais procédés, elle regrettoit ï3tcore.i.a^u«
c«iir« la franchife, la générofitéi cettcfiifliUté
funefte de fuppofec dans les autres les 'VttCusqua
l'on a foi^mème, telles étoient les tiualités da
fi>n cœur & de Ion eQ^c. On applaudit su <hoix
judicieux
i>tCooi^le
HISTjOIKE rR&MÇOISE* ^It
Jodicieux de Flocicourt, & Taréopage de nos fata
contint unanimement que madame de Tervilte
- rnéritoic , à cous égards» l'honneur qu'on vouloic
lui faire.
Le chevalier ne perd point de tems > il part»
vole , arrive chez la Riarquife» qu'il connoiflbit«
& qu'il n'avoit point vue depuis un fiecle. Elle
^toit feule & chagrine. Quoi , c'eft vous , lui^ die-
elle ? & d'où yenez-vous? Cefl un prodige de
TOUS voiri mais vous avez mal pris votre tems:
TOUS me trouverez infupportable , car je fuis
trifte. La trifteffe , reprît vivement Floricourt ,
ajoute à ta beauté. Point de complimens , répond
madame de Tepille} je ne les aime pas j vous
iiugmenteriez mon humeur; ce n'elt Rarement
pas votrç deflein. Il remarque en elfet dans tes
yeux de la marquife les traces d'une douce mé-
lancolie ; mais it feint de ne pas s'en apperce-
voir. It parle d'autre chofe, fans cet air éventé
& préfomptueux qui l'accompagnoit orilinaire-
ment. Il contraint fes gcftes , fes regards , (à kqpa
de s'exprimer i il affliâe même d'être timide &
modefte ; en6n il emploie tout ce qu'il faut pout
préparer un cccurà l'imprellïon qu'on veut lui
donner. Le piège eft d'autant plus inévitable
qu'il eft imperceptible. Eh vérité , lui dit la mar-
i)uife , vous m'étonnez * je ne vous reconnoit
Tome y, X
h, Google
^la . . F L e R I c V R T,
(lus. Je vous alTure que vous êtes devenu trè$-
raifonnable > mai» très-rftiToBnsble. Qih vous s
donc n bien corrigé 'i Moi-même , madamci mec '
réflexions , l'envie de plaire à des femmes qui
le méritent. Jufqu'ici j'ai connu l'ivreOe, & non
ie plaiGri il Te trouve dans la bonne compagnie.
Fout m'en facititer l'accès, )'aî changé de ton,
de hingage , de cœur. Je vous en fais mon com-
pliment, pourfuit la marquife ; vous en ferez
beaucoup plus dangereux, mais bien plus efti-
mabte. Continuez , monfîeuc} avec île telles di&
pofîtions, TOUS ne pourrez manquer de plaire &
d'être heureux. La marquife s'abandonne à un
entretien qui la flatte. Le chevalier le prolonge
adroitement, & y répand cette douce ehaleut.
cet intérêt gradué qui enhardie ramoVr-proprt
des femmes , fans alarmer leur délicateâe. L'une
donne des leqons aimables avec le fourire des
grâces ; l'autre tes écoute avec une doucear con-
certée qui en impofe. Son ame vient , pour ainS
dire , fe placer fur fon front , & y jouer tout
les rôles dont le traître a befoin pour aSurer foa
triomphe. H étoittard^ le chevalier, content de
Tes progrès , fe levé > baife très-rerpeâueufement
la main de la marquife , lui demande la perminioq
de revenir, l'obtient , & la quitte en lui jetant
un regard qui » dans fon plan > dcvoït l'occuper
-M>,Google
H I s T o i R K r K Â ^ 4; o i S e. ^^
-jiendant fou abfeoee. En vétité > fe dtuelle à elle.-
mème , il eft étonnant combien le chevalier s'eÂ
formé ! Mais quelle fantailîe lut a donc pris dp
me venir voir , sprès m'àvoir oubliée Ci long-
tems ? Après tout , que m'importe fon motif? Elle
prend un livre ^ le quitte , fe promené. Elle croie
avoir perdu de vne Floricourt ; elle eft tout éton-
née de fe fiirprendre penfant à luï^ '
Floricourt j à la feoonde vifîte , efi: encore plus
aimable, plus féduilànt, Lb marquife commencé
à craindre fes afliduités ; elle iie veut pourtant
pas les lui interdire) mais elle s'étudie à ne don-
ner aucune prife fur elle. Il léfolut d'être plu.
iieurs jours fans la voir. Ce firatagème réullic.
La marquife ell inquiète , rèveufe > elle craint
, que le chevalier ne revienne plus , & tremble
qu'il ne revienne. Une femaine fe paflè. Un
■ parent de fon mari , un jeune officier , nouvetle-
menc arrivé de la province i fe prélème chez elle.
Floricourt entre prefque en même tems. L'habile
fourbe prend un air dîftrait, embarrafle; il joue
la jaloufie : la marquifes'en apper<joic î elle laifle
échapper un coup-d'ocil qui , en apparence , dé-
concerte le timide Florij:ourL La converfation
expire à chaque înftant dans un froid Glence,
' & ne fe réveille que pat quelques triftes mono-
fyllabes. Le jeune offîcier tient faon i il étoic. dé-
Xij
-M>,Google
5i4 F t o R I c u B t;
fœuvré , peu ïnllruic des ufages ; ÏI ne favoit pat
qu'un homme eft perdu dans l'erprit d'une fem-
me, lorfqu'il dérange Un tète-à-tète fur lequel
elte avoit compté. Fioricourt profite adroitement
de cette circonfiance , pour jeter du trouble dans
le cœur de madame de Tervîlle }il Toit , en priant
qu'on ne prenne pas garde à lui : il fe doutoic
bien qu'on feroit attention à une éclipfe auffî
brofque. La marquife , feule avec fon ennuyeux
& cruel petit parent , prend le parti de bâiller &
de fe taire. A la an il apperçoit qu'il incommode »
qu'il excède , qu'il afibmAie ■> il prend gauche-
ment congé de là marquife , qui , apiès une ré-
vérence glaciale , retombe anéantie dans fon
feuteuil. '
K.efpirons , dit>elle; je n'en puis plus } je me
meurs. Quel homme ! Qu'il eft haîflàble! Que
dira Fioricourt ? J'ai lu Ton chagrin , fon embar-
ras dans fes yeux ; j'ai cru même y remarquer
une nuance de jàlouHe. Pourroli<il , fansm'of-
fenfer , être jaloux d'une pareille efpece ? Que .
dis- je! efUcequeje defire qu'il le fott? L'aime,
roîs-je ? . . . Moi , m'attachcr au chevalier ! Je fai
Ëonnu lî léger , G volage ! Q.u'importe ce qu'il a
été ? Ne fotigeons qu'à ce qu'il eft. Ah , malheu-
teufe, tu l'aimes, ptrif^uetu le juftifies! Ma-
dafne de Tervilte imÂe % timt entière & iouVt
h.Gooi^lc
HiSTOIRB FRANÇOIS 1. ^If
U journée du lendemain dans ces cruelles réSé.
4oos; Le foir, plus agitée que jitmais , fongeant,
au malheur qui 14 menace, elle fe jette fur un
lit (Je repos , & ne peut retenir Tes pleurs. Son
délbrdre , fes cheveux épars , fes larmes même ,
tout en ce moment fembloit fe réunir pour la
rendre encore plus belle.
Elle étoit dans cette fituation , lorrqu'on an-
nonce Florîcourt. A ce nqm , elle fent errer dans
fes veines un dou? frémiflemcnti elle veut en
yqin cacher fon dcfordre. Qu'avez-yo^s , lui dit
le traître avec attendciSement? Quel peut être
le fujet de vos chagrins ? La marquife détourne
l'entretien fur la derniers viGte du chevalier,
fut le jeune homme qu'il trouva chez elle. Flo-
lîcourt faiGt cette occaHon pour préparer l'aveu
iju'il niédite. II lui laide entrevoir qu'il avoit
déliré de ta trouver fpule} qu'il étoit Jotti déref-
péré de ce contre-tems i qu'elle avoit du s'apper-
cevoir de Ton trouble > de Ton embarras > de, . .
IVtais ce coup-d'opil , djt-il , me défend de pour-,
fuivre- Ce coupTd'œlI ne vous défend rien , lui
répond la marquiCe en foiiriant. Quoi, madame,
t^tend F'oricourt avec tranfport , vous me per-
mettriez. ... Je pourrois. ... Ah .' marquife , il
n'eft plus tems de iiTe;t8ire ; mon trouble m'aura
6ns doute trahi. Apprenez qu'à la vue de cpt
Xiij-
D,m.Prib,GOOglc
ga5 Florïcourt,
ïiomme j*ai featî dans mon cœur des mouv««
mens dont je n'étois pas !e maître. Vous m'en,
tendez ... cet aveu ne doit point vous rurpcen*
dre i vos charmes , ma fîncérité juftiâent tout.
Ce n'eft jamais l'amour qui doit oftenfer !es
femmes ; c'en la légèreté > la perfidie ; & )e fens
que je vous aimerai toujours. Jugez de ma pa&
iîon par ma témérité. Mes fentimens s'échap.
pentde mon cœur ; maïs ils font tendres , Ibu,'
mis , refpedlueux', dignes de vous. Pendant cette
déclaration , la marquife regardoit Florîcourt
avec un ceil fixe & tendre. Elle ne lui répond
pfis ) mais Ton filence parle pour elle. Ah * ma-
dame , vous favez mes fecrets i ne puis-)e être
jnftruit des vôtres ? Que craignez- vous de moi?
Qiie craignez-vous d'un homme qui vous adora?
Votre timidité me flatte & m'ofienfe en mèmt
«ems. Ah *. parlez ; rendez - moi le plus heureux
àes mortels. Je tombe à vos pîeds ; je meurs d9
mon amour ou de votre filence. Si nos fecrets ftt
reflfembloient , lui dit la marquife en rougif-
Jànt. . .S'ils fe refiembloient, madame!. . Qu'ai-
je entendu? Puis -je me livrera un efpoir qui
ni'enchante ? Eclaircifleï mon fort. . . Que je
iOrains!.. Qiie je de(î-e1 Que. , je vous aime !;.■
Vous vous taifez ! . . . Ahffele'vots .. . je mé fuis
;abuféî vous n'avez fait baller à mes yeux uii-
M>,Google
HlSTOTRB- FRANÇOisï/ J^f
fayon d*-efpéfance , tfùe t)our me plongée dans
Jedétèrpoir. Nos fentimens n'ont rien de cona-,
Amti. Ken , cruetie'i vous me haïiTez, vous me'
JéteftéE. .. .Arrêta. obevaUet, interrompt la
marqBiTe avec précipitation j eft-ce aihS t^ae,
vous devnez incerpi'éter be qUe vcwâven^d'an.'
-tendre ? Eh -bien , connotdèz>moi , puifqu'il le'
faVt, puifque tneGjreaz ne parlent point aiîèz ,
.^uir^U'ati moins leur langage vous eft faf[»e(ft.
tifez dans mon cœur,' datis ce cœur où tous r«-
gneV". . '. Non , chevalier , je ne veux ^s em-
ployée avec vous ces détours uTés &"puétile5.«
^uifontmoind UsCombatsde l'honneurqueles
manèges de ta faUfleté. Je- vous aime ;-je' crois
^ue vous le méritez : je vous le dis; il feroic
inutile de le taire ^tus long-tem& Je fuis foible s
au moins âi-rje la fermeté de le paroître. J'ima-
gine après cela , que vous "ferez de bonne foi ,
que vous ne chercherez pas à me tromper. Moi*
vous tromper , madame , moi ! Quel foapçon in-
jurieux! Jugez-vonsî vous verrez qu'il -eft im-
poflîble qu'on TOUS fmt infidèle. Ah, ciel, tra-
hir l'efprit, la beauté, les grâces t L'amour que'
vous m'avez inrpiré ne rcflemble point aux au-
tres amours. J'ai cru trouver en vous t'amante
fenl]ble-&ramiérai(ôlitiable. Ah, quevousme
:fl!ittet.en me parlant aïnfi , lui dit ta marquife !
X iv
D,™iprib,GOOglC
jag F- L O R I C O H « T ,
Voilà juftement ramour que je voulois ril n'efl
pas l'enfaat du caprice ; i) fe fuffit à lui-mâmc s-
il vit de lui*tnème) il nevoi^horsde lui que ds;
hax plaifirs * des fenùinens cMUreBiits , le oiaf*.
que du bonheur. Madame de Tecville n'eft pluS;
en.éEat.d£/ormer aucun doute fur la vérité dea
fetitiraeus de FloricourL Mais fi elle a evlafoi-:
bleâ*e d'«vouer fon penchant, elle a encQifsff^
de courage .pQur n'y pas fucconihec. Tous les
eâbrts du chevalier font inutiles. Il Eoafçrmç
foti dépit , & (ait: paflTei fa foumillîon pour 1a
triomphe de l'amour. Là'maFquire donne i iou-
per ce Toir-là ( elle n^ofe le retenk i il faut fs.
féparen II afièâe les regrets les plus touchans i.
à chaque inftant il eft fut le point de Id quitter ,
& il demeure toujours. Il fort enân avec toutes
les marques du défefpoir , & rit en fecret d« 4a
crédulité de madame de Terville. Dès qu'elle eft
ieuie , elle réfléchit fur ce qui s'eft pafl%. L'aveu
de Flortcourt , le ûen > tout cela lui pncoU ui
fonge : cependant elle ne peut fe cefufér à une',
fatisfa^ion fecrete. Elle croit Fiorlcourt ûncere i
le changement de fa conduite juftifie fa con-
fiance. H avoit pouâe l'drtifîce iufqu'à renoncer
à la fociété des jeunes gens defonâgeson ne le;
voyoit plus que dans des maïfons honnêtes * &
de Ktut côté on en àiÇçist du hisn à la m^rsuife ,
D,™),Prib,G0pgle
HiSTOIRB FRA9i;0ISB. 7I9
&n&qu'on foupt^onnât l'intérêt qu'elle pouvoît
y preodre..
Sofi.mQncIe arrive ieU« tt*# à rien. On lui
parle; elle ne répondras. EUç'a ^pendant tou(
le foupé , des diftrat^ons dont elle ne peut f?
défendre. Les plaifanterles qu'on lui iàit la dé^
concertent. Vient le moment, où l'on fe retire^
Elle penfe tqute la nuit à Floricourt ; à fon lever
elle re^it de lui la lettre la plus vive , la plus
paŒonnée,qui lui annpni;oit la viûte du foir.
La marquife l'attend avec impatience ; mais cette
impatience efl: mêlée d'alarmes. Elle n'ofe plus
répondre d'^Ile-nlêine. Elle fç raûure par l'idéie
que Floricourt ne refufera pas de s^unir à fôn
amante par un nccud folemnel. Il paroit. Elle lui
propcfe fa main. Si vous m'aimez véritablement »
diuelle, ma vert,u > monhonneur, ma réputation,
votre félicité même 4oiv«nt vous être chères.
Rendons»nous refpeâables à nos propres y%Dx »
provenons les remords & les difcours d'un mo|ide
frivole & méchant. quiTemppifo^neroisnE les
charmes de notre union. Venez aux pi|Sds deg
autels recevoir le ferment que j'y prononcerai
avec iranrport > de vous aimer toute ma vie. Flor
ricourt paroit enchanté de la prpppfîticm : il fç
contente de repréfentcr ^ I9 marquife» avec une
^guleuï toulée 1 que. la fituation de Tes a&ires
-M>,Google
5ÎO !F t 6 R i e o tf R T,
jie Ibï permet pas dans cemomenc de oontraâer
le plus beau des liens i mais il lui promet , il lui
jure fur tout ce qe'it y a de plus facré > de n'^e
de Tes jours. à d'autre -qu'à etle , & de difporer
tout poui' hâter cet heureux engagement. Il nV
jamais été fi adroit , fî prenant , û* perfualifi
jamais la marquife n'a été Hlbible, Ses regards
deviennent plus tendres , déjà elle laîflè enreï
fur Tes lèvres enflammées cefoufire«RchaMeur
qui peint G bien l'ivreffe de la paffion. Le joue
buif^ i cette obfcurité , en ^argnant à la mia-
guiPe l'embarras de rougir, favorifefâ dé&ice.
Tous fes gens font dehors. Floricouit devient
entreprenant. A peine s'apperçoit-on de fes pro-
grès. Notre lëdùiaeur met dans fon triomphe
toutes les nuances , tous les ménagemens , tou-
tes les gradations d'un amour qui craiht d'être
téméraire. La marquife'ne voit plus le danger
qui la menace; la raifon quïluieft fi-natiirelle.
la vertu & chère à Ton cœur , eeflènt'pouf us
moment de réclaîret ; moment fiiHefte , que
l'amour ne laiâè pas échapper. Rsvenue à elle-
inÈme ,■ elle demeure interdite & tremltlahte ; de
triftes preffentimens viennent la faifir: Florï-
court Ja raflure avec eette éloquence qui femble
panir ducœur. Mais il manque au perâdc un
gage gui puîSe attefter & viâoîre. Il dettiind?
-M>,Google
Histoire Françoise, ^:ji
k madame clé Tcrville Ton portrait; elle le lut
Accorde. H baife mille fois h main qui lui fait ce
rréfentt lui promet tout, bien décidé à ne lut
rien tenir , & la quitte avec les aiîurances réité-
rées d'un attachement qui ne doit finir qu'aVic
fa vie , & qui étoit encore à tiaitrè.
Enchanté de cette aventure , H n'y vait point'
le ma l'heur d'une femme atmnble qu'il a trompée;
iî n'y voit que le triomphe de fa vanité qu'il a
fatisfaîte. Il eft vrai que le défaut de réflexion
yendoit Floricourt un peu moins coupable. Il m
croyoit point aux femmes fenfibles , ni aux pro-'
cédés qu'elles exigent. II s'imaginoit cjutr tout
chez eHes, comme avec lui , étoic l'affiiire du
moment; qu'on ne leur devok plus rien, quand
elles avoient fuccombé. Il puifoit ces grands
principes, ce fyftême profond d'impertinence,
dans la fociété de ces mêmes fous qui avoient
applaudi à fdn projet. Il court les chercher , pour
leur faire part de fa conquête ; il les trouve pref-
que tous au fpeftacle i St leur montre le portrait
> de la marquife. Ils applaudillent à fa vi£l'6ire , &
battent des mains dans les foyers. -Floricôiitt
■voudroit annoncer fon prétendu bonheur au
parterre , aux loges , à iout le public aflèniMé-.
■Quelques Jours après , il apperçoit au ciAcei^
l^e baron dé * '^ * < un de ceux qui avoient alf^ii
n,n--,.rh.. Google
3îa F L R 1 e 6 u R T,
au dé6. Ftoriooutt aimoîc beaucoup ce baron ;
qui lui prètoit de Targent. C'étoit un perfonnage
infipide , pefamment fou ) libertin-avec gravité*
& qui calculoic Tes plaiGrs par fa dépenfe. Il
fegardoit le chevalief comme un homme du plus
grand mérice ; il étoit de toutes fes parties , parce
qu'il payait , & ne fe rendoit fupportable que
par une complaifance ftupide. Floricourt Ta-
borde 1 lui Fait part de là bonne fortune , & pour
Ten convaincre , lui montre te portrait en quef-
tion. Le baron , atterré par un témoignage auiE
authentique , admire & fe tait. Ce n'eft pas tout ,
lui dit le chevalier i il faut ébruiter cette aven,
fure , la répandre , l'exagérer même. C'eft un
coup de partie ; elle doit faire un efiet merveil-
leux. Les courtifanncs commencent uotre répu-
tation ; ce font les honnêtes femmes qui l'achè-
vent. Sais - tu qu'elles font horriblement tena>
ces ? Comment donc ! c'eft une tyrannie. Ne
voilà-t-il pas trois femaines que je foupirecom^
nie un berger du Lignnn ? Mais dis - moi > quel
eftce petit minois chiâbnné que j'appfr<;oisdan9
cette loge , & qui ?.. . Elle lorgne Impitoyable,
n^ent depuis unquart-d'heure. Q.uoi,tunecon-
uoh pas cela , lui dit le-baron ? Non . répond le
cbevtlîer: c'eft fans doute un aflre qui paroît
nouvellement fui l'hoiifon. Il eft vrai , contL-
D,m.f.m>,. Google ^
Hl-STOIKB FRAHÇOISB. )}}
nue le baron, qu'elle ne fait que de paroitret
mais elleeft déjà très-célefare. Je vais quelque-
fois chez elle. Elle fe nomme Koûs. Ah .' j'^ fuiff,
reprend le chevalier. N'eft-ce pas elle qui a cujné
réternel Damis & le roinaudier Farvilte ? Elle les
a menés , dit-on , avec une adreâè , une légèreté,
un fublime de coquetterie ! C'eft un joli fujét
que cela. Avec des foins , de bons eonfeils , elle
ira loin. J'entrevois qu'elle peut înfpicer des de-
firs( je veux lui donnerquelquesmomens. Fais
une chofe ; tu la connoîs } va lui demander i
fouper pour ce foîr. Dis-lui que tu lui mmeras
un de tes amis qui l'adore j que c'eft une paffion
)â*un rapport excellent , un jeune fot fort riche ,
que tu veux lui donner i^ déniaiPer. Tu feras
témoin de la fcene la plus piquante. Tu y con-
fens î cela eft dit. Adieu : je vais chez la du-
cheâe. . . Je ferai chez Rofis fur les dix heures.
Le baron s'acquitte de la commillïon du che.
valier. Rolts &it d'abord quelques difficultés,
prétend k des arrangemens plus foHdes , & finit
par fe rendre , lorfqu'on lui eut alfuré que ce
n'étoit point Floricourt qu'on vouloit prélepter.
Elle le déteftoii. Ces fortes de créatures ont le
ooup-d'ceil juftetla l^tuité ne leur en impotê
pas , & fouvent elles favent bien mieux l'appré-
cier qoe les .ntttres ^mmes. Celle-d 'fuc*tout.
D,m.f.ril>,GOOgle
î?4 ' F-LORICODRT,
quoique très<jeune , ayoic un taâ merTeilIenx.
Elle avoit été formée & l'étoit encore fout les
jreux d'une vieille tante prétendue, qu'une loin,
gue & continuelle expérience des hommes^ ren.
doit l'orscle de la galanterie. RoIÎg profitoti bien
defes leçotu. Le fecret molùte de fa conduite
étoit ce grand priiicipe , que, pour plaire aux
hommes , il faut lès tromper Ella les fetvoit a
fouhait ; elle les attîroit avec douceur, & les mai-
trifoit avee orgueil. Enfin , perfonne n'entendoit
mieux que Rofis le grand !rrt de confetver fes
amam i & de ticer parti ^de leur crédulité.
Après le fpei5lacle> te baron lui donne ta main^
& la conduit chez elle. Dix heures {bnnent:
Floricourt n'arrive point.- On s'impatiente : on
l'entend enËn du fond de la cour. Il fredonne
un ai^t donne très- haut de» ordres à fon cocher >
fait un tapage affreux dans l'antichambre, &
entre en riant eomme un fou. Rofîs eft d'abord
déconcertée en l'appereevantî mais elle avoic
trop d'efprit pour ne pasjïrendre fon parti; Dès
ce moment elle entreprend fa conquête , & jure
en fecret de venger tant de femmes qu'il a â
eruellement trahies. Le baron s'excuPe avee de
pefanies minauderies. Vous vous moquez, lut
dit>elle d'un ton plein d'aifance ; vous m'avez
ménagé une furprife très^gtéable. Qpoi ! tout
P;r;.M>,GOOgle
Histoire FRAK^orisB. j;f
de bon , lui dit Floricourt . ma préfence vou3
dédommage ? . . . Vous ne regrettez point celui
qu'on vous avoit annoncée' Cela e(t fort heu-
reux : j'en fuis prodigieufement fi^tté. Eh , bon
dieu^quels grands mots, répond KoBs avec uil
rire moqueur ! Permettez>moi de vous dire , par
exempte , que pour un homme à ta mode , un
élégant moderne, vous ne devrie? jamais em-
ployer ces redburces puériles de TantiqUe fatuité;
Sd^ez inconfidéré , extravagant dans vos propos*
à la bonne heure ; qu'à fotce d'être rpirituels , ils
. foient quelquefois inintelligibles i pafle encore
Joignez-y j vous le pouvez , les giaces flexibles
d'un graSeyement harmonieux ; âattez , féduirez
l'oreille I mais ne répoiivantez pas. Cornment
diable ! efl^ce fur ce ton que vous débutez , re-
prend le chevalier ? Si cela cpntimic , je vous
avertis que vous nCembarralTerez beaucoup.
Vous embarrafle . pourfuit<etle ! C'eft moi qui
' ne fait comment voue tenir tète , & répondre à
vos brillantes reparties. Vous m'dvez l'air très-
redoutable, i & je vous jure que, G je n'étois
fécondée par le baron , je me ferois déjà rendue.
Le baron qui ne difoii mot , & fe difpofoit à écou-
ter refpeâueufement les balivernes du chevalier,
balbutia pour chercher fa réplique. Floricourt,
enchanté de cette cfpiégleiie , laiâe tomber fur
-M>,Google
3?6 F L O B I C O V R T,
Rolis quelques regards de protedion. Us fefonc
encore quelques agaceries. On efcarmouche} oa
papillonne : le chevalier eft toujours fat , RoGs
toujours fpirituelle , le batoo toujours Tôt. On
vient annoncer i madame qu'elle eft fervie. On
donne par honneur te haut bout de la table à
la duègne niencieuTe : fa charmante élevé fe met
à côté du chevalier , qui ne fonge qu'à fe livrer
BU plainr. Floricourt & le baron font des dieux à
qui la jeune Hébé , fous les traits de RoHs » vCrfe
. l'immortel neâar. Notre adroite déefle fe donne
pourtant bisn de garde de perdre la tête. Une
douce ivreâe brille dans fes yeux ; fon cœur efl:
calme & tranquille. Le fecret defleïn de fubju-
guer le chevalier l'occupe fans ceâe ; pour égarer
fa raifon.il falloir qa'elle confervât la iîenne.
Coups-d'ceil irrltans, ingénteufes faillies , tout
fut mis en ufege. Déjà notre fat favoure à longs
traies le phihre amoureux. Un feu naïâùnt circule
dans fes veines : fes tranfports même deviennent
moins refpeâueux. RoHs l'arrête , & lui en im-
pofe d'un regard ; matscette rigueur n'eft qu'une
,rufe de l'amour. Tout chez eUe , jùfqu'i la dé-
cence , reffemble à ta volupté. On quitte la table.
La duègne dtfparoît On paffe dans une chambre
à coucher «où toutes les délicateâes de l'art font
^puifées. &. chaque pas , dans cet élégant réduit ,
D,m..M>,. Google
H 1 s :f i^ e\.ï.r,an qo 1 8 B. ?Î7
on prouve un nouveau tranfpott.- E^'yopant Le
lieu du trion
deur pour la
.cei^e . riante
.Ses regrets. î
il brûlé de ::
Cgné au ba
bacon obéit.
Tonne fur-le.
£î{)Coporeuti
revient i on j
tout "à fon )
Roïts un gi
Toopirer & d
Après cent 1
niiit ctoii ft
premier cou
texte d'avoi
près du che i
prie de venit.s'en-senger. Elle accompagne cette
invitation d'un regard tendresiltaîloit bien lui
jeter quelque amorce. Il Toupii'e toujours . & fort
aufli amoureux & aiiili fou qu'on puiiie l'être. Il
ne dit pas un mot au baron, qui le quitte fort
fcandalifé du. peu d'égards qu'on a eus pour Ton
iiluftrc mentor.
Depuis le moroenc &tat que madame de TeN
U Tout, K Y
h, Google
5î8 ' ' ï" L R l"C O U R T;
ville ivôît céJé aux perfides iriftances de Florî-.
court, eit"en*avoit point cntciidu parler de lui.
Tout s'ofTre à elle fous les traits du dérerpoîr.
Accablée de Tes peines préfentes , éJle en voit
mille autres ïlans l'avenir j'eTTe contemple ^vec
horrelii: Tabyme d'une paffioh n)alheureiite,&
s'y précipite avec tranfport. Moi , cefler de l'ai-
mer, diùelle quelquefois , les yeux noyés de lar-
mes! Tout ifl^at . tout' parjure, tout barbare
qu'il èfl: , ij à' des droits fut mon cœur } if m'a
liée pat tua propre fàîblé3e,. Ce n'eft que pat
l'excès de famour que nous pouvons réparer Tçs
fautes qu'il nous f^lt Tatré.^l cft jeune , il a les
ridicules, peut-être., nelas^ les vices de fon âgé.
Si je pouvois l'en corrigée ! Au iiioins je me ven-
gerai de liii, démoi-mêniè, en n'oppcfant à Tes
torts que de la tendtefiç & dé ,1a vérité. Cell
aiofi que la marquife chçrcljoit a donner de bel-
les couleurs à un attachement qui rhumîlioitXes
femmes n'ont jamais tant d'hc'roïfme que lorf-
qu'elles ont beaycoup d'amour. La marquiïè le
détermine à écrite au chevalier , & à lui denian-
der mfqn de ïbn horrible conduite. Le papier
fur lequel elle écrit eft trempé de fes pleiirs'i (1
femble que fa plume tremblante fe refufe à tra-
cer Us expreiïîons de fon malheureux amour.
Qiielquefoisi appuyant {à tète fur fes deux mains.
D,m.f.^i>,Google
HtSTOttlE FRÀNiJCHSËi Jj^
elle tombe dans cette mélancolie profonde qui
U'eR: , pour ainfi dire i que le recueUlemetit dfi
la douleur : m'omens affreux , où îl femble que
l'ame raflemble toutes les forces pofit fouflrit*
& où là fardeau de notre infortune pefe touê
entier fur notre cœbn
Le chevalier, de retour chez Iqi, réfléchit fut
fa mauvaife deftinée. On lui remet la lettre dé
la marquife : il la parcourt, & l'interrompt cent
fois pour prononcer le nom d« Rofîs. Il veut fe
venger de Rofis } c'eR R.oOs qui l'occupe. Il va
le lendemain chez un de fes amis , & lui con6tf
fes chagrins i cet amj lui confeille de fevir contre
la petite perfonne , & de la rendre folle de lui .
pour lui apprendre à mieux connoître lesufagei.
Le chevalier court chez elle fans di®rer:oh„
lui dit qu'il n'eft pas jour , que mademoirelle ell
indifpofée , & ne veut voir perfonne. Voilà un
homme au défefpoir; il veut entrer malgré la
duègne , ce lutin oiflog^naire qui vieille aux por-
tes de la déeâe. Le chevalier eft obligé de céden
Le fmr il s'oriente , il cherche où il ira palier foti
tems. Il veut aller au fpe<5tacle: mais il donné la
préférence à la marquife ; il croit lui devoir cette
niarque de fouvenir , & s'applaudit d'un pro-
cédé , lorfqu'il u'eft conduit que par le àéfœu*
' vrement. Le mouvement qu'elle éprouve en 1# '
D,™),prib,Google
34* Floricourt;
. voyant* ne peut fe décrire. Elle pâlît, rougît} Ib
courroux s'allume dans Ton cœur , & vient expi-
rer fur Tes lèvres. Elle veut affeâcr de la froi-
deur ; fes yeux ta démententf fes yeux peignent
Tamour irrité, mais c'eft toujours l'amour. Le
chevalier , qui s'apperçoit du trouble de madame
de Terville , eft d'abord fort embarrafl'é. Enfin ,
de propos en propos * il a Taudace de lui deman-
der le fu^et de fa triftefle. Et c'eft vous , luî
répond^elle vivement, Veft vous qui me faites
cette queftion I Vous voulez vous cacher même
que vous êtes l'auteur de mes peines ! Vous crai-
gniez , fans doute, que cet aveu ne me flattât.
Ah ! Floricourt, que vous avoîs-je fait? Tout
mon crime a été de vous aimer. £toit-ce à vous
de m'en punir ? Je ne fais point , comme vous ,
d^uifer mes fentimens. Je vous ai laiiTé voir
ma tendreâe. Jouilfez de mes reproches ; qu'ils
augmentent votre triomphe. Ah ! madame, que
dites-vous , lui dit Floricourt ? Ils ne ferviront
qu'à me faire fentir mes crimes , & à m'infpirer
le deftr de les réparer. Je ne fais quelle fatalité
m'a privé , depuis quelques jours , du plailîr de
vous voir. Mille occupations , mille importuni-
tés. .. Arrêtez , chevalier, reprend la marquîfe,
vos excufes feroient de nouveaux torts : rien n'a
dû vous dirpenfer de l'obligation où vous étiez
-M>,Google
,HlSTOIRB FRAN(;OISE. ^41
de me voir. La foibleûe d'une femme fenlîble ell
un engagement facré pour un homme qui penfe:.
Ce n'eft point à moi à rougit de ma conduite. Je
fuis amante, & facile à tromper, Kou^iâez de
la vôtre, vous qui vous êtes déguifê peut me
réduire; vous qui avez enhardi des fentimens
que vous ne vouliez point partager , qui m'avez
prife pour viâïme d^une ridicule & barbare
vanité. L'aftioq avec laquelle madame de Ter-
ville parloit , animott Ton teint des plus vives
couleurs i elle n'avoît jamais été (I belle. Le che-
valier, qui fait mettre tout à profit, prend une
réfotution fecrete de-demander fa grâce, & de
iaite fceller fon pardon par la main du pUilîr.
Il tombe aux genoux de la marquife ; il parolt
touché , attendri ; il renouvelle Tes fermens, il
devient même téméraire. Non , lui dit>elle en
Tatrètant , non , mondeur, n'efpérez plus rien
de moi , Jufqu'à ce que vous m'ayez convaincue
de la vérité de vos difcours. Je me croyois aimée»
quand je vous ai donné des preuves de ma ten-
dreffe ; cette incertitude me juftîfioit à mes yeux.
Un amour délicat , lorfqu*il eft payé de retour Se
qu'il eft fondé fur des fermens , peut être avoué
par la vertu. Aujourd'hui , que je doute de votre
coeur , ma foiblelTe n'auroit plus d'excufe. Je
vous donuerois des titres pour me tromper. Si
Yiij'
-M>,Gdogle
141 F I' R I C V R T,
je fuis aflez i^jalheurcufe. pour ne vous point inH.
pirer de Tarnour , je veux au moins me ménager
des droits fui votre efljme.Ne regardez point ma
réGflance comme un raffinement de coquetterie.
Vous vous tromperiez i je n'ai confultéque mon
cœur. Je vous aime autant qu'on peut aimer. Il
ire tient qu'à vous de (aire mon bonheur. Con-
duirez -vous d'après cette affurance, & laifièz.
mot goûter bientôt le plaiGr inexprimable de
vous pardonner. Le chevalier > étonne de la fer-
meté de la marquife, fait encore quelques ten-
tatives i madame de Terville eft plus inflexible
qu'il n'eft entreprenant: il ne con(;eit plus net)
aux femmes.
Cependant la noble Gncérité de la marquife .
en le défefpérani, lui en impofe , & lui înfpire
un refped involontaire. Tant de franchife, de
tendrclfe & de beauté , auroit dû ouvrir tes yeux
au chevalier > mais RoGs écUpfe par fa coquet-
terie les charmes naturels & les grâces de ma-
dame de Terville. Il commence même à compter
les inftans qu'il a pail^s avec elle. Il la quitte en
lui réitérant les plus belles protelïatipns. Vous
fortez , lui dit la marquife ; n'eft.ce pas pour me
trahir ? Ah , chevalier > que vous me rendez mal-
heureufe ! Demeurez. . . (^ue dis-je ! non , partez,
niais ne vous féparez dç moi que pour réfléchif
D,m.f.rii>,Goagle
HlStOIRE FRAIIqOISB. }4}
i mes procédés , à mon attachement, à mes mal-
heurs. . . FloriiCourt prend congé d'elle : iln'avoit
point fait un pas , qu'il avott déjà oublié Tes inC-
tances. IL retourne chez Rods : cite étott rottïe.
Quel coup de foudre ! Il court de fpei^iicle en
rpeflaclc , point de Rofîs. U faut bien Te réfoudre
à ne la point voir. Le lendemain il lui écrit: on
lui répond qu'on Tattend fur le fbir. Que le foir
eft lent à venir ! Il arrive enfin. Floricourt tfole.
Elle étoit dans fon jour de belle humeur. Elle
favoit que le chevalier, fêté comme- il étoit,
pourroit bien lui échapper, fi elle s'armott d'a-
bord d'une rigueur trop marquée. Avant que de
triompher , il fallut aflurer fa viâoïre. Cette foi-
rée étoit deftince à ce projet. Rofis eft négligem-
ment couchée fur un fopha. Son rouge , plus pâle
qu'à l'ordinaire, mêle une nuance de langùeuc
à la vivacité de Tes yeux. C'ed Vénus dans Ton
repos. Que Floricourt fe promet d'heureux mo-
mens ! Il fe place à côté d'elle : la convèrfation
s'anime. Rofis eft d'une gaité extravagante. Flo-
ricourt , qui voudroit que l'entretien devine plus
férieux, lui fait très-promptement fa déclaration.
Elle le trouve on ne peur pas plus plaifanr. Elle
fe levé, faituntour dans la chambre, regarde le
chevalier avec des yeux moitié tendres , ♦noitte
ironiques. C'eft un Protée; Le fcmîment , l'in-
Y iv
D,™).prib,Google
344 Floricourt,
diH^rence, la décence, le lîbertîniigei tout fe
confond & fe peint en un moment dans fes yeux.
Floricnurt la raroene infenfiblementfur le fopha.
11 Te jectc à Tes genoux, il lui prend la main. Il
itoit fur le point d*ètre plus hardi. Venez , venez >
âtt-clle en fe levant brufquemenE, venez voir
une emplette charmante, la plus jolie robe.Fefte
foit de ta robe , dit tout bas le chevalier. En
même tems Rolls prend une botigie, & le con-
duit malgré lui. Il elt obligé de sVxtalïeT fur le
goCtc exquis de cette robe , fur la beauté du
deïliii , la vivacité des couleur^. It eft con{um£
d'nmour , de dépit. Ce n'efl; pas tout ; Rofîs lui
déploie adroitement toutes les richefles de Ton
écnn,& ranïafFc<ftation,a foin de faire obferver
^u'it lui manque une fultane. Il faudra 'quelque
)our , dit-elle , que je me falTe ce cadeau. Ftori-
court entrevoit le fens du propos; mais il ne
fbnge , pour le moment , qu'à alTurer fa conquête.
Kofis revient à ja même plape. il reprend fon
porte. Un fourire de Rofîs lui fait croire l'inftant
décifif. On entend du bruit : on annonce. C'étoit
le comte de * * * , l'amant de feiitaifie. Rofis , qui
vouloit tourmenter Floricourt, avoit prévenu le
comte de venir à cette heure. Ce qu'elle avoît
prévu arriva. Le chevalier devint furieux, ]a,
jalQuCe en peùue fur fou fcom. £n@n , ne ^ou-
D,™)..ril>,.GOO>;IC
Histoire p r a m <; o i s e. 34^
vant pltis la contenir , il rll obligé de fordr. Rolls
le-reconduit avec toutes les grâces imaginables.
Elle avoit juré d'être charmante ce foir-là. Il
rode long-cems autour de la maifon , pour voir û .
le comte en fortira. Il fe Isffç enfin d'errer à la
belle étoile , & de confier fes foupirs aux vents.
Kotre amant retourne chez lut, pour réfléchir
BUS incidiens d'une intrigue auflî furprenante:
l'amouc-propre fe met de la partie. Quoi, dit<il,
j'aurai triomphé d'une honnête femme , & je ne
pourrai venir à boutdeRolislIirongeau moyen
de la fléchir. Il fe reflbuvient qu'elle lui a fait
entendre qu'il lui manquoit une fultane : il veut
lui en donner une. Il n'avoit plus chez lui que
trois cents louis deAinés à acquitter une lettre de
change , dont on pourfutvoit le paiement depuis
dix jours. Il fe réfolut à les fasrifier. On lui ap-
porte la fultane. Il n'a rien.de plus preâë que de
l'envoyer à Rofis. Il n'étoit pas midi ; Refis re-
pofoit.Sa vieille fentinelle hit d'abord quelques
diiïtcultés pour taiffei entrer ; mais comme elle
s'apperçoit que c'eft un préfent,clle fe relâche
iin peu de fa févérité , & croit qu'elle peut en
toute fureté réveiller niademoifelle. Mademot-
felle.en fe réveillant, crie, tempête > s'emporte
contre le chevalier & la duègne; elle demande
ce que c'eft : on lui préfente la boite qui ren-
D,™),.rib,Google
î4* F I, R I c tr R T,"
ferme la fultane; eUe rouvte> y jette un coup-
d'œil .ordonne qu'on mette cela fur la chemi-
née , & recommande qu'on la LaJâe dormir. Le
valeude-chanibre vient rendre compte de fon
meâage à fon maître , qui paroU très-mécontent.
Il refpedle cependant les caprices de fa dédai-
gneufe divinité ; il fe reproche d'avoir troublé
fon fommeil » & fe flatte d'être mieux requ.
Il fe rend chez elle i TilTue de fon dîner. & la
trouve à fa toilette. Elle en avoit pour jufqu*au
foir. La vieille étoit là qui ezaminoit en deûbus
& avec un fourire infernal la figure alongée du
chevalier. En venté. monOeur, lui dit Refis,
vous êtes un cruel homme ! Vous oie faîtes ré-
veiller ce roatin à je ne fais quelle heure. Vous
êtes caufe que j'ai les yeux horriblement battus.
Le chevalier demeure pétrifié > coqfondu par un
pareil reproche i il croyoit bonnement que l'en-
voi du matin. avoit dû dïilïper ces nuages. &
qu'elle n'avoit point à fe plaindre de fon réveil.
Dans une autre circonfliaiice ,.il auroit prodigué
à Rofis tout lemépTÎs qu'elle méritoiti fa paf-
iîon le rend Toupie & fournis ; il adore , il déifie
les caprices de fon impertinente maîtreâè. A
mefure qu'elle efi; plus infolente , il cft plus
amoureux ; de fat , il eft devenu fot. L'amouc
eil lé dieu des métamorphofes. Floùcourt attend
D,™),.rib,GOOglC
Histoire Françoise, 347
avec' impatience la Bn de la toilette. On demande
la fiiltane ; il efpere qu'elle va lui valoir au moins
un coup'd'œil iîtvoFable , un fourire de protec-
tion. On Telfaie avec indifférence; on ne parole
pas même fe fouvenii de qui Ton tient ce pré-
TenL Jo^n'enpuispluS) )e me meurs , dit Rplîs.
Chevalier , laiâez>moi libre , je vous prie. Quel
ordre foudroyant! Il veut murmurer quelques
plaintes : Roiis commande en leine ; il faut obéir.
Il fort enfin , en montrant à Ton tour die l'hu-
meur , dont on ne s'appert^it feulement pas.'
Il raâèmble tous les incidens qui peuvent VaU
grir davantage. Le premier jour qu'il voit Rofis ,
il perd cent louîs avec elle. Quatre fois il eft fur
le point d'en triomphn i il ell quatre fois arrêté
au milieu de fa conquête. Il lui envoie une ai-
grette de diamans maniaque ; cela lui donne
de l'humeur. A ces réflexions il oppofe les pro-
cédés delà marquife , d'une femme jeune , aima,
bte , pleine d'efprit & de ratfon , qu'il trahît , qu'il
déshonore , & qui fe permet à peine la plainte &
le reproche. Ces idées Tagiteiit , l'inquiètent, le
tourmentent , mais ne te changent pas : elles ne
fervent qu'à donner plus de vivacité à Ton amour.
Il eft étonnant que les hommes ne tiennent ja-
mais plus qu'aux attachemens qui les font rougir.
Four comble de dirgrace* il elt arrêté en rentrant
D,m.f.ril>,GOOglC
^48. Flobicourtî
chez iui , & conduit en priTon pour lu lettre dé
change qu'il devoit acquitter. Il écrit à Tes meil-
leurs amis ; it les prefle de le tirer de ce mauvais
pas : les meilleurs amis lui témoignent beaucoup
de regrets .& ne lui donnent aucuti fecours. It
mande à RoHs le malheur qui lui e(l arrivé } elle
^it répondre froidement qu'elle en eftau défer.
poir. En effet , l'accident eft fâcheux , ajoute en
fouriantle comte de***. On rapporte au che-
valier le propos du comte, avec le fourire ironi-
que dont il étoit accompagné. Ce dernier coup
Taccable. Infulté , trahi , privé de fa liberté , ce
n*efl plus ce petit-maltre fuperbe , qui avoit les
charmes & les ailes de l'amour ; c'eft un homme
courbé fous te poids des humiliations , Jc qui ne
jouit pas même du droit confolant de fe venger.
' SoD aventure s'étoit répandue dans le monde.
La marquife avoit appris fa nouvelle pafllon , &
l'accident qui en étoit la fuite. Dans te premier
moment elle éclate en reproches, jure de ne le
revoir jamais , puifqu'il lui a préféré une aufH
Indigne rivale ; it lui échappe tout ce que l'a-
mour-propre irrité , tout ce que la jaloulîe peut
infpirer à une femme outragée. Suis>je alTez avi-
lie, dit-elle , aflez confondue ! Qui fuïs-je donc*
puifque la plus méprilable des Femmes l'emporte
fur moi I Qui fuis-jejmatheureufe I Ah, petâde !..
Dim.fMi,. Google
Histoire Françoise. 349
ah , cruel Floricourt !.. .. Et je raimerois encore !
Moi , t'aimer ! aimer un traître qui me fait rou-
gir ! Non ... je renonce à toi. Va , languis dans
les plus honteuPes chaînes ; n%recueiile dans tes
amours que les fruits amers du repentir. Puiffes-
tu vivre dans la honte & mourir dans les regrets !
Sexe de tyrans , hommes trompeurs & barbares ,
n'efpérezptusmeleduirel Qu'avez • vous à pré-
tendre, vous qui vous armez de notre foibleâè
pour faire valoir l'orgueil de vos droits* qui nous
parez de fieurs comme des viâimes qu'on doit
immoler , qui vous plaifez enfin à jeter le trouble
& les alarmes dans des âmes faites pour te repos
& l'amour ?
Ceft ainû qu'elle laifle échapper les premiers
tranfports de Ton courroux; mais bientôt fagéné-
lofîté 1 fa douceur naturelle prennent le deûiis :
elles*attendrit par degrés fur le fort'd'un malheu-
reux qu'elle aime ; & par une fuite de fon carac-
tère, elle fefaii une obligation de lui être utile.
Elle favoit pour quelle fomme Floricourt étoit
dans les fers. Il n'avoic jamais ofé s'adred'er à
elle; il l'avoittrop ofFenfée. Elle fe détermine i
vendredes bijoux pour trois cents louis ; mais ne
voulant pas que le chevalier pût foupqonner la
main qui brifoit fes liens , elle fait venir un vieux
domeftique i}ai vîvoit de fes bienfaits > & qui par
n;r;>-M>,GOOglC ■
5J-Û. , f L R i C U E Ti
de longs feryices avoit mérité fa confiance. Cet
homme étoU abrolumeiit inconnu à Floricourt*
Elle lui ordonne d*allec lu^ porter la foinnie , &
lui recommande ^xpreâëmenc dene la point dé-> .
cefer. Qiielle fut la furprife du chevalier , en re-
cevant cet argent ! Il cherche à découvrir fon
-bien&iieur. Il abcaupreilètGeluiquiell chargé
du meflàge, il ne peut tirer aucun éclaircide-
ment. Enfin, tavî, enchanté, it envoie payer fa
dette , & fort. Que les paflîons font tyranniques
& aveugles ! le premier pas qu'il fait eft pour fe
rendrecheKRofîs.Ilenfutbienpuni.Surle.point
d'entrer diez elle , il renconue ce même comte
qui s'étoit fî infotemment applaudi de fa déten-
tion. Cetaâront revit dans Ion cœur i un mou-
vement de jaloufie s'y joipc. Il aborde le comte *
lui rappelle le propos qu'il a tenu , & lui en de-
mande raifon. Ils vont fe battre. Floricourt eft
dangereufement blefle. Il fembtoitque tout fe
réunit pour venger la marquife des outrages du
chevalier. Rofîs apprend ce malheur ; à peine en
paroît-elle émue : & madame de Terville n'eft
{las plutôt informée de cette nouvelle, qu'elle
oublie fes reffentimens , & s'abandonne à la dou-
leur la plus vive & la plus fîncere.
Cependant Floricourt commence à fe rétablir.
Dès qu'il peut fe livrer à fes fentimens * il s'c*
D,™),prib,Google
Histoire fr&kçoise. ifi
tonne de renaître , pour ainll dire , avec un cœuc
nouveau ; le voile tombe > le tourbillon qui l*en-
veloppoic fe diflipe. Le feu d'un nouvel amour
circule dansfes veines. Il voit Rofis commeuti
monftre'qiii mérite fon indignation, madame de
Terville comme une divinité digne de fcs hom-
mages i elle eft l'objet de toutes fcs penfées ; U ne
parle que pour prononcer fon nom. Mais quel el!l
fon défefpoir de ne pouvoir aller fe jeter à fes
pieds ! La porte de la marquife lui eft interdite. Il
écrit cent lettrés qui lui fortt retitf&yées fans être
décachetées. La marquilè l'aimoft encore ; & c'eft
parce qu'elle l^raoic, qu'elUlic voulott m le
voir , ni entendre parlerde loi; t>u'on juge de
lantuationde'Floricourt.IIn'enedpointdeplus
cruelle ; il joint à l'amour le plus vif le remords
de la plus aâreufe perËdie. Il adore une femme
charmante, à qui il a donné le droit de le haïr.
Accablé de honte , dévoré de regtets , il eft nfal-
heureux par tout ce qui devroit faire fon bon-
heur. IlfongeaDï trois cents louis qu'il a reçus
dans la prifon. Une voix fecrete lui dit qu'il doit
ce bienfait à madame de Terville. Il voudroit en
être fur ; ce feroit un titre pour hafarder de nou-
velles tentatives : il pourroit couvrir fon amour
du voile de la reconnoiffance î il ne feroit pas
privé du moins duplaifîiiï pur de connoitre, de
h, Google
-Jfa FtORlCPURT,
ch<Srir,d'adorerrabienfàitrice.IL regard^ Ton in<
gratitude involontaire comme un crime, & ne
peut fouffrir une incertitude aufTi humiliante. Il
n'ell plus de.ptaîilr pour lui ; Paris n*e(l plus à Tes
.yeux qu'une rolhudeimmenfe ,où U ne voit que
madame de Terville. S'il va aux Tpeâacles , c'eft
dans l'erpérance de l'.y appercevoir. Un jour qu'il
alloit à l'opéra , il reeonnoit, fur le point d'y en-
tcer , celui qui, comme un dieu tutéjaire,- lui étoît
apparu daus fa prifon ; il Tappelle, le fait monter
dans Ton carrolTe. Chez moi j dit-il au cocher. Il
s'enferme avec eet bomme , qui ne peut rien com-
prendre à cette aventure , ni aux tranfports im-
modérés de Floricourt. Mon ami ^raJfiirez-yous ,
lui di[-îl } nous voilà fèuls ; il fout, que vous me
rendiez le plus grand des fervices. J^ vous aï re-
connu ; vous me reconnoiâez fans-doute. Vous
yous reffbuvenez .des ,çrois cents, louis. que j'ai
reçus de vous : qui vous les avoit donnés;'' C'ett
un Biyftere qu'il^aut iti'éclaircir à l'inftant. Je ne
puis 1 lut répondit le vtei^x domeftique ; î'ai pro-
mis de ne rien dire ;.vous ne voudriez pas , mon-
lieur t me faire manquer à mon devoir & à ma
parole. Veux-tu me défefpérer , reprend Flori-
court ? Apprends que ma vie dépend de cet aveu.
Que crains-cu ? En ce taifant , tu dérobes à l'au-
teui d'une belle aâion la gloire qui doit lui en
revenir.
D,™).pris,Google
.Histoire pSAHi;oi»i. jfi
Revenir* & à moi le plaiHi inexprimable de la re*.
iConnoiâance. Si tu parles» il n'y a rien que tti
ii'ebljieunes de moi; je te prcMnets que ta fortune
«It faire. J'ai déjà des foupçonsi tu ne fer^ qu'«-
dairt^ir mes dQutes. Non , monlîeuc , tépond>il
.au chevalier. &yos offres fontunâraifon de plus
pourqiie je me taîTe.. FlorlÈoiirt hors de lui-mime»
jctut, qu'il falloit l'intimider', puifqii'il ^'avbit pu
le corrompre. Tu parleras , diCriJ, avec fwt9(ir , ou
je ne réponds pfls de. mes traflfpor^.; Apprends
£[^e ton fîlencetne déshonora) qi)^,^ deviens le
cvroftliçe de ma.honte- Je n^ te donne plus qu*un
inomentipaite, ou tremble. Il écdttinébt^inlable.
Floridqurt ne Te poâbde plus i il tire Cùn épée , &
le menace de l'en percer. Ce bon< homme , qu«
l'appât du gain u'avoit pu réduire , ne peut léCiC-
teràlacraintef il tombe prefque Tans connoiC-
fBnce,& avoue d'une voix tremblante, & entre-
coupée , qu'il avoit reçu cet argent de madame da
TerviUe...De madame de* Terville<> s'écrie la
chevalier ! Qu'f neon^je ! . . C'eaf ft aflez. . . N«
ocainsjien. . . Je.nie charge de tpii indircrétiou.
Frein dG toujours cet argent que }e {'ordpniMd'ac-
ceptePi.en attendant denouveaux bieii in\ts. Je ns
puis t^en dira davantage,. Va. . . Je ne me connoîs
plus i tu viens de me rendre le plus heureux des
hommes. Il vole auili - t6l chez la marquife.
Tome y. . Z
D,m..ril>,.GOOgle
^4 FLORteOUKT.HltTOIUnUK^ISt:
Il prie , il pr^ , il follicite en vainï la porte lut
eftrefurée.SapaiEonraveugleîils'oublie}urqu*à
feire violence au Soiflê j il pénètre dans l'apparte-
ment de madame de TerviUe , & fe jette à Ces ge-
noux qu'il arrofe de larmes. La marqnlfe inter.
dite , mais Intériearement flattée de cet emporte-
ment , voulut s*armec de rigueur. Floricourt mie
tant de vérité * tant de dialeur, dans lesexpret
fions de ta reconnoiflànce & de foo amour, qu'elle
confenrit à lui pardonner , à condition qu'il lui
donneroit le tems de l'éprouver. Sa conduite fut
fi fage , Tes mœurs Ghonnites , Tes regrets fi fou-
tenus , Tes égards fi multipliés , qu'il ne lui laldà
plus le moindre nuage. Il créa pour elle , fi jepuis
m'expnmec ainQ ,un nouvel art de -plaire, des
attentions inconnues jufqn'alors. Il ne trouvoît
pas de moyen plus fôr & plus flatteur de mériter
Ton amour, que de fe diftinguer dans le mondes
Chaque honneur qu'il obrenoit étotc un hom-
mage pour la marquife. Il avoir été un modèle do
Jàtuité & d'extravagance i il devint l'exempte des
amans délicats , & prouva qu'il n'y a pointd'hom-
me , quelqu 'étourdi , quelque vicieux qu'il foit*
qu'une femme aimable & fenfible ne ramené ,
pourvu qu'il ait un conir. Floricourt époufa ma-
dame de TerviUe. Il y a deux ans qu'ils fbnt unis t
leur amour & leur bonheur n'ont encore riea
perdu de leur première vivacité.
-M>,Google
LETTRE
D* U N PHILOSOPHE.
ÎNcONSiQUENs que nous fommes ! oui, Baron ^
& coi tout le ptemiert Je t'ai vu tranfplaaté dans
cette ville broyante que j'habite, bâiller aux
balcons de nos fpeiftactes , t'ennuyer de nos plai-
sirs i fronder nos mœurs avec ce flegme qui vaut«
disrtu , notre perlîfflage ; & aujourd'hui que te
Vpilà tapi dans ton défert , tu t'informes aved
tine impatience curieufe de tout ce qui fe paâe
dans notre tourbillon! Paris t^excédoit, quand
tu étou dans fes murs > à pféfent que tu en es
loin , il t'intéreâe : lemblable à ces courtifanncB
adroites*! contre qui l'on murmure tant qu'on
vit avec elles, & qu'on idolâtre plus q^e jamais
dès qu'elles viennent à noue quitter. D y a trois
«os i n je veux t'en croire , que tu n'as entendu
parler de moi ; tien nSurive jufqu'à ta IbUtude :
ç'eft pour te punir de nous avoir abandonnés.
Viens me vanter encore ta iblidité , & cette tèt«
foi-difant raifonnable, quiabefoin, pour être en
action 1 d'avoir des tous en perfpeâive. Eh ! mon
Zij
D,™),.rib,G6ogle
3f« L E T T R B
pauvre hermite , laUTe-nous tels que nous fom-
mes. Chacun végète i fa manière fur ce globa
burlefque, qu^on appelle. le monde. Les uns le
voient à travers des brouillards ; nous le voyons >
comme le prétendent nos heureux imaginaires,
à travers un prtfme cclatanc : il efl vrai que pour
eux la vie eft de toutes couleurs. Elles fe fucce-
dent , fc croifent , fe divifent , forment un faif.
ceau mobile qui les enchante & les promené de
bluettes en blucttes , que fouvent ils ont le'boU
efprit de prendre pour des vérités. Les ridicules
de la veille font effacés par c6ux ^u jour , qui le
font par ceux'du lendemain. Voilà comme nous
vivons depQts deux lîeclesj au grand étottne-
ment de toute l'Europe , qui ne peut concevoir
qu^on extravague avec'aufant de fuite & de fuc-
ces. Nous tenons la baguette. Amufés & diftraits
par la magie du bonheiir, nous nous foûcïôns
fort peu d'en avoir la' réalité. Ou je me trompe-
fort , ou voîlà de la philofophie. HVy a pas jùf-
qu'à nos dames qui ne s'en mêlent i elle s pris
chez elles la place des mccùrs;' Elles t'toiivent
cela moins gênaiit; elles font pliilofotihïs'pout
leur commodité. Il y a tel boudoir où l'on dilTerte
à perte de vue , & il m'eft arrivé de voir f'eunts
Euclide X \cSopha fur la chijfonniere d'une joU«
femme. Avoue que nous fommes charmans.
-M>,Google
d'un Philosophe, jfy
J'ai aujourd'hui l'imagination riante. ProBte
du moraentî car ma gaité, 13 ta t'en fijuviens,
n'eftprefque toujours qu'unemélancblie qui fer-
mente , & le mouvement d'une bile toute prèce^-
à s'allumer. Revenons. Que veux-tu que je te
dife ? Je vais laïfler errer ma piunie j elle écrira
au hafard, & je ne réponds plus des folies qui
vont lui échapper. ■
Le vauzhalt , que nous avons imité des, An-
gloïs , car nous Ibmmes un peu Hnges de notre
nature i ce célèbre vauxhall eft tombé î c'eft
maintenant nne vaftefolitude. On s'eft lafTé de
fe promener en lbng& en large , ou plutôt d'être
coudoyé en tout fens dans un fatlon f & fous des
galeries mal peintes , au Ton d'une mulfque baro-
que. Je ne fais trop pourquoi ce caprice a duré
ii peu ; car il étoit de la force des autres.
L'hiver , l'impitoyable hiver a interrompu les
joHies, autrement dites les fêtes piéîfitnes.Voïikt
Baron , ce qui s'appelle un fpe^acle! Quel dom-
mage que tu n'en aies pas été le témoin ! Il
c'auroit réconcilié avec la flationj tu aurois vu
que le goût du beau a encore des droits fur elle ,
& qu'elle n'eft pas tdut-i-fàit défefpérée. Qu'on
nous cite après cela tes tournois , les courfes de
bague, ^es combatsde gladiateurs, les jeoxdu
Z iij
1, Google
tf8 L » T T R e
drque^de l'amphtthéane,& les fâmeares mm.
piachies des Romains. (*)
Imagine-toi une enceinte de quelques toifesi
fut un bras de la rivière de Seine , où les nau*
tonnicEs de nos galiotes s'avanqant , une gaule
en arrêt, fur des bareeaux barbouillés de teuge
^ de bteu , luttoient majeflueufement i qnî fe
renverferoic , au tnilteu des <s'k de joie des ai£r«
tans i joins à cela les Gngerïes de quelques lûf-
ttions aquatiques , formant des fcefies burlerques
d'intervalle en intervalle. Une querelle s'élevodt.
Vn coraraiiT^ire étoit appelle , il procédoit , veir
halifoic , & on le jetoit à l'eau < comme de raifon *
pour terminer la difpute. Bientôt il çtoît Tuivï
par des abbés & autres animaux amphibies qui
nageoient en maniera de tritons autour d'un îoU
difant char de Neptune vtraiiié par quatre mar*
fouins ou quatre chevaux. Grâce à l'art du pein-
tre t cela ell encore indécis. Une clameur univer^
felle s'élevoit dans Taugulle afTembléej quelqiie-
foison prenoitaux lutteurs un intérétfi vif,qu'il
étoit marqué par un (Ilence impofant qu'inter*
rompo'ient l'adreiTe du vainqueur & la culbute
du vaincu. Je ne te fais ti qu'une fotbte efquiSe f
(:e font de ces chofes qu'il faut voir , & qu'on ne
(*) Elpece de batailles navales. Quel peuple que
Ççs Hpoigùif I tl çtuh çrand ni^me flans fes plaifiis,
D,™),Pril>,GOOglC
d'un Philosophe. ;f9
peut décrire. Nous acquérons de jour en jour j
les grandes idées fe multiplient; notre fVivolité
inventive alTujettit les élémens , les reiid fes tri-
butaires ; & nos mafcarades fur l'eau valent tou-
tes les forces maritimes de nos voilîus. Qu*eft>cQ
après tout que la flotte la mieux équipée f H n'y a
point là le mot pour rire * & c'eft en riant ^ue
npus décidons notre fupérîoritd fur tous les peu-
ples du monde.
Ce n'eft ncn encore : tu vas t'extafier , fi jo
pourfuis. Il s'eft établi parmi nous une troupe
nouvelle , avec le titre modette de comédienf-Je
hois. Nous raffolons de ces marionnettes i nous-
avons fenti la nécefllté d'en pareil Tpedacte pour
les progrès du goût & de la ralfon. O4 s'y tue;
les loges font toujours louées d'avance. Il y s
entr'autres un peUt arlequin, qui eft bien la
créature la plus fpirituelle, la plus intérelTante .
la plus achevée ! ce font les grâces en marqua
noir. Il vient d'avoir un rhume dont les papiers
publics ont dû informer TEurope: l'alarme éioit
générale ; & j'ai vu avec attendriâ*ement que les
vrais talens font encore en honneur dans ma
patrie.
Le moyen après cela de parler de la fcene Iran^
'^ife ! Athalie . Cinna , RhaJamJle , tout cela eft .
inlïpide» après les grands objets dont je viens
, Z iv
f..Googlc
jSo : t - L I X T R È
de t'entretenir y& puis ■ quelques adeurs âe m
théâtre (très-bons d'ailleurs) font des perfon-
nages ambulans , fut lefquels on ne peut plus
compter. Les uns font malades (îx mois de )*an>
née, & voyagent les fix autres mois pour égayer
leur convalefcenoe; d'autres prennent alKrniu
tivcment les eaux, le latt, & prefque toujours
l'air de la campagne : ce qui eft très-fain pour
eux , & fort ennuyeux pour le public ; mais il
leUf fait toujours un gré in6ni , quand ils veu- .
lent bien interrompre leur régime , & compro^
menre leur fanté pour s'occuper deïes plaiOrs.
. On danfe encore à l'-opéras mats depuis la
zetraite de Geliot, on n'y chante plus , ou cela
, eft n rare , que ce n'eft pas la peine d'en parler.
Tu as vu travailler à la nouvelle falle? Elle efl:
enfin conftruite : il ne nous manque que des
aâeurs. On dit que le tniniftcr'e en a commandé
une demi douzaine à notre meilleur raachinilîe i
o^cd la ville qui en paiera la ra(;on.
Les autres parties de la littérature ne fontnt
moins fécondes, ni moins amufantes pour un
aiiginalquipenfe que le fort des chofes humai,
nés eft d'aller mal , & qui trouve ce mal là lo
mieux pofllble. Nous voyons éclorre tous les
}ouES de gros ouvrages économiques , qu'on ne
Ut point 1 vu leur utilité -, dçs traités fur la cuU
Dion.fMi,. Google
U'UW pHitOSOPHl. 56Ï
ture des champs par des fybatites de la ville ; des
obrervations fur le bien public j faites par ds
bons patriotes & de mauvais écrivains ; de petite»
brochures -impies & (àtyriques , mifes au jour
pour rinftruâion delà jtaaeSe & ta propagatioti
de rathéifmeenFrancei d'innombrables romans
qui , en nailTant, cinglent vers les isles , & for~
ment des pacotilles dVnnui pour le nouvenu
monde. Tu vois que tout parmi nous fleiwit au
même degré, Se que tu perds infiniment à t'en-
terrer dans ton chJltel barbare.
A travers toutes les folies que je viens do
pafler en revue , il fe gtiffe quelquefois dtf vraies
jouiffances poui* l'homme de goût. Telle eflrla
produdion qu'on m'apporte à l'inftsnt. C'eft lè
poëme de la peinture (*) par M. leMierre.Vuri
des écrivains qui fait le plnç d'honneur aux let-
tres par Tes talens & fes qualités pef'fonnelles.
Tu i'aï rencontré pendant ton féjour en cette
ville ; tu as vu par toi-même combien il eft vrat,
fenfible & honnête. Que de raifonspour qU'ofi
déchire fon ouvrage j qui d'ailleurs eft plein de
beautés ï
Je connoîs mes chers concitoyens: quand ils
ne peuvent refufer leur encens, ilsi'empoifiMi- ,
nent. Ce font les plus drôles de gens ! Ils fe praF.
(*) Tl Tcnoit de paroUre.'
.M>,Googlc
Jt» L I T T R E
ternent tant qu'on veut devant les pagodes tttréeK
qui les dégradent >& s'arment contre le phitofo-
phe bienfaiteur qui enchante leun loifîrs, répand
autour d'eux la lumière des arts * & ne leur de-
mande rien que de n'ôtre point perfccuté: en
pareil cas ils font inexorables. Les fangliers de
tes Forêts en feroîent autant, s'ils vivoient en
fociéts , & il ne leur manque qu'un peu de cul-
ture pour Être aulH féroces que nous.
Avant de fermer ma lettre , j'attendrai la fen-
Jâtion qu'aura &ite le poème que je t'annonce;
je t'en rendrai compte, & j'y joindrai mes réflé-
xions i car encore faut-il bien réfléchir de tems
en tems. L'extravagance monotone eft auilî en-
nuyeufe que la raitbn même. La variété) la va-
riété! voilà le cri de ralliement pofjt tes erprïts
vraiment franqois j G nous pouvions parvenir i
changer cous les jours de principes . de modèles ,
de.plailîrs, de philofophie «nous toucherions
enfin à cette perfe<ÎUon que nous cherchons en
vain depuis plufieurs fiecles. L'art d'être (ans
oefiè nouveaux, feroît pour nous la monarchie
vniverfetle
Eh bien, ne voilà- 1- il pas ce que j'avots
prévu ? Grande rumeur ! Critique amerc ! Dé-
thaînement ptefque générait ... Le poème a
céuŒ : car tels font dans ce pays-ci les caraiAeret
-M>,Google
d'un Philosophe.' jij
aimables du fuccès. L'émeute a été fî fbite qùs
l'envie a cru un inftant qu'elle avoir fait tombée
un bon ouvrage. Le peuple des dénigrans s'efl
furpaSe. Il ^lloit entendre la dÎTeiiné des opU
nions. Cela prouve bien le peu d'importance
qu'on doit mettre aux premiers cfris de cette
hydre qu'on appelle public. Il reflemble aâèz à
ces animaux fiupides, qui rugiâent^ès qu'on
leur préfente de l'écarlate ou de la pourpre. Les
produâions éclatantes l'eâàcouchént , le mettent
en fureur , & ta moitié de Paris a des convuU
ilons tuuteç les fois qu'il s'agit d'adqiirer. Au
fàuxbourg Saint-Germaîn l'ordonnance du poè-
me a été trouvée belle } pitoyable au fauxbourg
Saint-Hpnotéi on s'extaGoit fur les vers au Ma.,
rais; dans le quartier du Palais c'étoit de la
profe rimée.D'un côté les artiftcs murmuroienr,
de l'autre ils ^rioient merveille ; & quand tous ■
ces juges d'avis difierent venoient à fe rencon-
trer , c'étoit un tapage , une cacophonie , une
ponfuHon tout-à-&tt réjouiâànte. J'en ai vu qui
. écumoienc de rage , faute d'avoir pu prouver le
vice d'un hémïftiche.
Sais-tu quels font aujourd'hui les arbitres du
génie? De jeunes feigneurs bien confîansi qui
radotent fur le goût, comme tes invalides fur la
gloire, manient ^es chevaux le matin ■ dcchirçnt
1, Google
j£4 L C T T E ï
le (oit quelques hommes de mérite , s'ïmaginenC
' qu'ils prononcent quand ils dédaignent , & font
P^nni les gens de lettres ce que font les banne-
tOHt parmi les oifeaux. Des femmes d'une inté-
grité incorruptible, qui fe font emparées de la
balance des. réputations , tiennent en ieâè la
phîlolbphie moderne , mènent te fîecle du fond
de leurs boudoirs V& ne tranchent jamais plus
hardiment que fur les ouvrages qu'elles n'ont
pas lus : ce qui fait que , malgré leurs lumières ,
la délicatefTe de leur taâ , & la prépondérance de
leur fentiment , elles font quelquefois fujettes
à fe tromper.
Les gens de lettres font aflez volontiers du
parti qui opprime. La Fontaine l'a die,
La rairon du plus fort c(t toujours la meilleure.
& les gens de lettres ont la plus grande déféi-
rence pour tout ce qu'a dit la Fontaine.
Il en eft pourtant quelques-uns qui fe font
iingularifés par beaucoup d'honnêteté , & ont
défendu M' le Mierre contre la foule de fes
agrefleurs. M. Vatelet , par exemple , à qui nous
devons un poëmetrès-eftimable fur la peinture,
a loué avec une franchiPe noble l'ouvrage de fon
concurrent. L'auteur a difparu , pour laifler agir
l'homme impartial & vrai , qui n'eft pas toujours
D,™),.rib,Google
r)*uN Fhiiosoprs. jfif
tnvclopf é dans fon propre mérite , que la gloire
d'autrui n'DfFufque pas, & qui augmente la (içnns
en prépf^rant de Tes mains les couronnes de fes . >
rivaux. Voilà de ces traits qu'il faut confacrer.
Un beau poème & ua beau procédé , ce font
deux époques rares dans la littérature.
Ce gui m'amufe encore beaucoup dails tout
ceci , c'eft qae ce publit tizarre eft en contra,
di^ion avec lui-même. Tout Paris connoiâbilî,
avsijt qu'il parût , l'ouvrage qui nous occupe , &
tout Paris en parloir avec enchouHarme. Sans
compter les leiftures paVtïculieres , il avoit Tubi
l'épreuve la plus délicate , dans une letfture faite
à l'académie même de peinture. Jamais fenfatton
n'} ité plus vive , ni fuÀèb ithis décidé. Voilà
ce que' l'auteur expié. Ses critiques fe vengent de
la iîtuation violente oll il les a réduits ,-& de la
néceffitê où ih ont été de l'applaudie. Ils pré-
tendent que c'eft un guet-à-p6ns j qu'iV n-éîEl ni
décent ni honnête d'aÛTcmbl^rainG les gens' pour
)eur faire entendre dé beaux versi avanif'qu'ils
aient eu le tems de fe mettre en garde , & dé' ft
précautionnet contre lenr plaifir. i^'i ■
De î» col acliarnemenr, cette mau^lfe foi',
cette eiFervefcence pnflàgerede quelques Jaloux
fubalternes. Les jours d'été enfantent des eli^ins
de moucherons qui piquent, bourdonnent, &
«leutenc. . .
1, Google
I&j t s t f K fc
Ce qui Joit tr^nquiUifer l'anteui; far rinfâiU
Ubilité de Tes juges , c'efl le cours prodigieuSi
que vient d'avoù dans nos cercles uiie certain*
épine i Nicoleti Elle eft fur toutes lei chemi-
nées > fur coûtes les totlfettes , dans tous les porter
feuilles j on la copie , on ta colporte « on fe paf-
iîonne pour cette charmante produâion. Tu vas
croire peu^ètre qu'on y trouve des grâces , du
f^ntiment , de la philofophie , ou une peinture
délicate & fine de nos ridicules. Foiilt du tout :
c'efl; une fatyre (qui it'èftqu'amere), où trente
citoyens efllmables font oittragés. Quelle jouif*.
fance pour Paris I
Une frivolité enielle devient plus que jamati
le caraâere national. Oii tolère t'honnèiété pu
un refte de pudeur , & pour Ië décorum. On pro-
tège , on accueille * on porte aux nues les mé^
chanS;. Ce font eux qui font législateurs dans nos
focîétést & que nos femiiKS trouvent JivitiSi
Roufleauidont refprlt eft Qngulïer > maïs^ donc
(îktement le cœur eft bon * Roufièau eft calomnié^
tnécoonu i Tes détraâeurf profpereBt i jouilfent
& nuifent avec privilège. Ce qui devroit être une
flétiiâure t eft parmi nousileveàu un état , grâce
aux agréhiens de ta fociabitité. La plupart de
ceux qui conipofent le grand monde > font des
efpeces de dieux ; Ttutatit j il leur fkitt des vie*
n;r;>-M>,GOOgle
D'un F H I L * O » H k. 3tf;
dmes humaines. L'éloge endort ; h Tatyre éveille.
C'ett un Tel pïquaut , qui réjouit le goût ufé de ces
sutomates. Ils font heureux quand ils s'etidor'^
meni fur les débris d'une réputation. Ils paient un
zoîkauili cher qu'une cou rtifanne. 'Qu'importe
qu'on les dégrade » pourvu qu'on les amufe, &
qu'on leur arrache ce lire convutûf qui expire
fur leurs lèvres > & n'efileure point l'ennui radi-
cal qui lès mine & nous venge ? Oui , j'aimeroit
prefqu'autant ces fpeâacles où lés Romains s'af-
fembloient publiquement pour voir b'entr'égor-
ger des hommes , que ces, petits comtés , ces tri-
bunaux clindeftins , où le poignard de la làtyre
ell l'arme de tous les adeptes', la fàuffeté leur
caraâere j où l'on reçoit tes fbts en bonne for-
tune, pour déclamer contre le talent^'on la
baflefle brûle un encens Touillé fur Tautel des
Lucullus 1 & verfe gaîment la ciguë dans la coupe
qui doit erapoifonner Socrate.
Le feul moyen» Baron» de chaSèr les idées
trilles dont j'ai noirci mon imagination , c'eft
de la repofer fur quelque^ tableaux de la galerie
intéreflante que M. le Mierre vient d'ouvrir aux
artiftes & aux amateurs.
Apollon , dans nos dédicaces , a quelquefois été
fupplanté par le commis d'un financier. Il faut
que le trépied foie d^ir» pour que nos ûbylles y '
h, Google
)58 L B V t « K
rendent leurs oracles. M. leMierre, plein du lîni
des anciens , en a confervé les nneacs fit l'indé*
pendance. Le titre de Ton litre n'eft point désho*
noce par le nom d'un proteâeur.
■ U confacre fes vers fur la peinture à Dibo*
tade,cettejeuueGrecque, dont la ipain conduite
par ramour.crayonna^'d'après l'ombre de fon '
aouDC , les premiers traits (le cet art ehchanteur
qui a Ëiit depuis les délices de l^nivecs. L'ef-
quîife de Oibutade fut te germe heoréuK' d'où
font édos le Titien , Rubens & Raphaël.
. L'auteur divireTt») poëme en troif chants ^ le
^Ifîn, le 'coloris, &, l'invention. Je:me diCpep-
ferai de ranalyfe^ j'écris une lettre* & nonpas
un journal ; je xiterai ian$ ordre ce qui m'aura
frappé, .- - - . ■
. Dans le morcenu queje vais mettre' fous ces
yçBX t le beau idéal eft exprimé avec grâce.
Speâacle raviflànt , dans la Grèce éittft !
Sous ce vafte portique Apelle a rafTembU '
Un eflkin de beautés , doux & brïllans modelés :
L'amour vole, incertain où repofer fes ailes : '
^on<£il croit votrén cercle , Hélène i Flore , HébJ,
Théds , Pfyché , Diane, & Vénus ,& ThiBb'É. ■
BéclTes , pardonnez , je vous mëtc aux mortelles .*
C'eft-étre égale à tous que d'être au rang des belles.
Çur les divers appas de Ces jeunes objets ,. ;
Le
D,™-;.M>,Gt>()gle
d'un FhILO S'O p h é. 369
Le peintre laiffe errer fes regards fatisfaits ;
Il préfère ce bras , c'cll ce pied qui l'attire ,
Cet œil l'a plus féduîc , il choifit ce rourtre ,
De lys plus éclatans ce cou paroit femé ,
Ce front efl; plus uni , ce bufte eft mieux formé ;
Plus beau dans fes contours , ce feîn qu'il idolâtre ,
S'élcve & Te fépare en deux globes d'albâtre.
£n raflVmblant ces traita , Apelle tranfporté ,
N'a peint aucune belle , il a peint la beauté.
Le fécond chant , qui traite du colorisj Rebute
par des vers au foleil , ce père brillant de la
couleur. Ils ont toute la pompe & la magniS-
cence que demande une pareille invocation i
ils étincelent en quelque Torte, & rendent pal-
pables à la penfée les rayons de l'adre qu'on
veut peindre.
Globe ref[Jendifrant , océan de lumière ,
De vie & de chaleur fource immenfe & première,
Qui lances tes rayons par les plaines des airs ,
"De la hauteur des cieux aux profondeurs des mer* «
Et feul fois airculer cette matière pure ,
Cette fevc de feu qui nourrit la nature ;
Soleil , par ta chaleur l'univers fécondé ,
Devant toi s'embellit , de lumière inondé ;
Le mouvement renaît , les dlAances , l'efpace ;
Tu te levés , tout luit : tu nous Fuis , tout s'efBice,
Sans les jets éclatans de tes feux répandus ,
L'artifle, le tableau , l'art lui-même n'ell plus.
Tomt V. Aa.
-M>,Google
}7* L E T t It E
VoiU comme on caradérife Berghem.'
JSais n ta veux m'offrir , loin du bruit dts cités ,
Du fpeâacle des champs les tranquilles beautés ,
Dégage de tout foin ton aiue libre & pure ,
Et mets-la dans ce calme où tu vois la nature.
En vain à l'obfervcr ton œil s'eft attaché ,
L'ail fera trouble encoi , fi le coeur n'eft toucha.
£h t d'où vient que Berghem eft au rang de tes maîtres?
D'où vient qu'il a re<;u des déités champêtres
Le feuillage immottel qui Verdit fur Ton front ?
Il connut , il peignit oe renrïMcnt profond ;
SI répancha par-tout fous fes touches divînéc.
lient poDT atteliet le Jbinnetdes collines;
Éptic de la nature & plein de fes attraits ,
Cétoit là qu'il trai^oit de lès pinceaux û vtw
Les mobiles afpeâs des nuances célefles ,
Le repos d'un beau foir fur des lîtes agrefl«s ,
La miïnture du pàtrc & les bélans troupeaux,
Far des chemins âeuiis regagnant les hameaux y
Et ce fdence heureux d'un vafte payfage ,
, Des premiers joun du monde attendriflante Im^.
'Recueilli , folitaire , & plus rapproché que
nous des beautés /impies àe la nature, tu doï&
goûter ces vers qui k peignent fi bien ; fàis-en
retentir ;:es forêts, tes collines & les échos da
tes montagnes ; grave-les fur l'écotce de tes
chênes , & plains la fécherefle de nos âmes algé-
briques, qui font fourdes à leur douce harmo-
nie. Ah! mon ami , dans ce pays de fauvages ,
D,™),prii>,Google
d'us PttitOSOPHE. 'î7i
foi-difant policés > on analyfe le fentimerit, on
mefure les fleurs au compas ; W ciaicul fneuf-
trier a tout éteiilEi bti nous înterdip Bientàc
ce plaifirfubii&'ftoî) délicieux pour être rcôé-
chi , que nouscauîént la vue d'une belle' femme ,
un beau payfage,'dc beaux vers, & en général
toutes ces fenfatitfns: vives , confufes & rapides ,
^ué l'Auteur de notre être nous a données pi^uE
nous dédommager des tqurmens de la raifun.
Je finis mes citations par un tableau digne du
Correge & de l'Albane."
Ell-ce une illuffoo ? Quelle douce magie ,
Quel charme me tranfporte aux bofquets d'Idalie ,
Dans la troupe enfantine & des ris & des jeux ,
Aux autels de Venus près des amans heureux ! '^
La foule des amours de tous cAtés alTiege
L'attelier dé l'Albane & celui du Correge ;
Les uns pour les pinceaux taUlent le myrte en fleur ^
• D'autres fur la palette étendent la couleur.
Celui-ci , d'un genou qu'avec peine il avance ,
Veut placer à lui feul un chevalet immenfc :
lï fue , il fe dépite , il fouleve à moitié ;
Par fort adreffe eniin la machine eft fur pié.
Celui-là , pour tracer un portrait de fa mère ,
Su peintre graveirient conduit la main légère;
ïluG il en férieux , plus fon air eft charmant.
Cet autre plus badin Ta , vient étourdîment ,
D,™),.rib,Google
57» .' L E T T ^ S
JDe fon léger jlambeau dre d^s étincelles, -
De crgyons plu; aigus fait des .flèches nouvelles ,
Touche , dérange tout par fes folâtres jeux :
Sadinraitraitifte, & l'ouvrage en cfi mieux.
Tel ell le Ayle de M. le Mierre , qu'on acçure
d'écrire d'une manière dure, incotxeâe & har,
bare. Peut-être l'habitude, qu'il a de coorir^près
la peufée , lui fait-elle négliger quelquefois la
mignardife de l'cxprelHon. Son pinceau en géné-
ral cd nerveux , précis , rapide \ tes teintes dou-
ces en relTortent davantage.. La Tymméme élé-i
gante d'un parterre ne plaît pas autant que ces
iîces incultes , où la nature lé déploie avec toute
fa force & fa majefté. Si Crébîllon avoit écrit
comme Racine , noui; aurions un auteur origi-
nal de moins } il ne faut point altérer le trait
primitif du génie. Les fruits & les âeurs uVnt'
jamais fur un fol étranger le goîlt & l'éclat qui
leur ell naturel ; de même vos productions per-
dront en quelque forte leur faveur , fî vogs ne
leur traîifmettez pas l'empreinte & la vie de votre
caradere : c'eft l'ame qu'il faut confulter ; le goût
polit , & ne crée jamais. Les poètes ont \eutfairt
comme les peintres. Emprunter la douceur & la
molieâè d'un autre, quand on plait par Ion au(^
térttc , c'etl orner de rofes le bufte de Brutus » &
habiller Hercule de taffetas..
Un ai^ts reproche qu'on a fai{ à M. le Mîeire,
D,™),prib,Google
D' B N P H 1 t O fl O P H E. Î7J
Vtlf-d^voir imité Fabbé- de Marf^ i""qHi 'a -eora-
^ofii'ûn poëme latin fur la peinturé. Ç^'lmportej
fî'l'imitateurferenrf propre ce qùSr'eBfipruntè i
bu ftitdu m6ihsétftt>é11irTes tniHhËf S'atireuffi,
VabbÉÏran'qois.-grahd poëte en tah^^éeimwte,
nVriwî à tédametr fur ce que j'ai'ffiîs féûs tel*
jfeux :fon poëiftê ,-o& Ton trouve' cftf^ftfft^Bfiheur'
&del'h!)rmoniè,<fl:auflîtrop{lérS«^corfiioir-
fances. Je lui préféreroîs encore lfr%borie«x'
Oufrefnoy : i^eft un' lillôn qu'!^t^^C!êVflfi^fe"il y
dépofe des germês^ ïftïles. La poéilïe''de^t'autce
reffemble à ces fables coloras & ftétflWJlîWit on
décore les terraiflès de nos jardins/ '■- ■
Au refte , j'ai une vieille critique (^^fiitte dans
l'autre (îecle fur un des ouvrages les plus eftimés .
niêmc par celuîVcr, qui prouveroit à Si. le Mierre
combien il Faufinettré peu de prix â toutes ces
diatribes du moment. Cette brochure ,qm jouît
de tous les àgréméhs de la vétulïé > s'éll troutle
fous ma main dans un deces tas d'efprit' décré-
dité qu'on étale fur nos parapets. Je (^ouvris, & je
lus à la première page : Sxamen impartiddetart
poétique de M. Défpréaax, Le titre 'nie piqua, &
je fus curieux de voir ce critique célèbre aus
plrifes avec uti journalise. Il lui reproche de
manquer d'enthoufiafme & d'une certaine déli-
O Imprimée chez Serci , au Griffon couronné.
A aiij
n,™),Prib,G00glc
5^4 .-: .1 =r ri* »-.T;T » B :
caceflè .qtù x!eM k la fenâbilhé i do noi»'«roic
doni}^ pImF^.IVc Ju rimetic que .l'art du.poëtet
de délaff^-qf^qaejîois dansçinq. ou fîx v^rç Jës
penfêfîs, qv^Hqvce Ton modeU'renïanpffdant
pn fe)ui iaiie Xaprjfier les gXftfXS ,à l'âpreté d'une
humeur K^';mordante î^i,ô parfit ^uelqM?fo«
des )iugeinens; faux , comme dans les vers où il
€ï«Itft;V^oftut6 & déprilBç Qujiwulti d'être fiât,
leur dtfsgrwdfr» ce qui 'eft^pjs qtie facyriqpeiHl?
fe permec^ des plaifànceH^' 4e mauvais toif ^
fu.r-tQVt^'airiJif.ccop fouveotïfQn art,enjeîatK
de l'opprobcp fUi ceux qui le dtfltïvent.
Horace a bu fon (âoul , fuind il. voit les Ménades ;
, Et libre .du .fouci qui ttouble CglUtet ,
N'atteud^ pour dîner,, le fuççèftdjun fonnec ("),,
. CQn<;ois^Hi qu'on ait tcaitéB«ec:cette hardielle
c(:Iui imi a fixé |a lau^e. Si le. goîit> a donné la
leçon &,rex^tnple de la clarté, d^ la pureté, de
la cprreâion dans les écrits; çç peintre chra qui
1^ raiCon n'aft jamais froide , ^. l'image jamais dé.
raironnabJ.e^çelégislateur,enunmot,delnpoéfie
françoire,.qni, pourmeferyir de Ces termes, a
laiffé un long fpovenîr de fes,|ur«dui5lion8 ?
I^e grand. écrivain lie jouit qu'après fa mort,
des travacx qui ont affligé fa vie^ Tant qu'il tient
C) En cela le journalise a raifon* Il &Hoit , dans
le mauvais poète, rerpeifler l'homme indigent,^
même le foulager. Entre dire du niai, & faire du
tien , je ne crois jias qu'il y ait à héfiter.
-M>,Google
DVo N P H-1 L S O P H B, 37f
i it.Coâété par le plus Toible lieii, il efl: le jouet
^es miférabtçs intérêts qui la divifent. La haine,
J'aiHOur-proprebleffc, toutes Jes furies littéraire»
le tourmentent jufqu'au dernier foupir. Meurt-
il ? on commence à tr.aiter avec lui i & l'envie
acharnée à Ton ombre , lui dirputeroit encore un
honneui; infrutftueux & tardif, fi elle n'avoÎB >
des yivans à poiirfuivre: elle va toujours au
plus prefle.
Quoi qu'il en foit, la critique que je reflurcite
pour un inftantiVa letçHnbcr dans un étetneî
<mhli,&rartpoéliiftu vivra autant que la langue
dans laquelle ïlfift écrit. Voilà pourquoi il eft
jbon quelquefois ^e ferme^r l'oreilte à toutes ces
clameurs contemporaines , d'anticiper ,na , peu
fur fa gloire future , & de prendre quelqu'à-
«ompte fur fon iipmortalité , dont çn e(l averti
par un infljnâ fecret , & fur-tout par le diéchai-
nement de fes rivaux.
Quelle lettre ! elle eft éternelle j. pardonne.
Le plaiGr de caufèr avec toi, & le befotn de
fbulager mon cœur m'ont emporté j j'imaginois»
en ['écrivant, déreaâre<Mon ami devant tout le
public ; l'ai oublié ,qu^ liioo apologie alloït ex-
pirer d^ns toii défert. .Tu verras au moins qu'oa
peut être jufte, quoiqu'on fait homme Je let&es'î
car le fuccès de quelques ^bagatetles m'a vala
A a iv '
D,m.f.ril>,GOOgle
37« Lettre n'uH Philosophe.'
ce titre, dont je m'horiore (*). PuiiTent tûuJ
ceux qui le portent en foutenïr mieux la di-
gnité , fe créer par leurs mœurs un état qu'on
difpute àleurs talens, reprendre ces droits mé-
connus que doivent leur donner des travaux
utiles aux hommes, être les organes de la vé-
rité , tes rtiartyrs s'if le fout , préférer une pau-
vreté libre à un brillant efdavage , ne point fe
livrer fur-tout à ces inimitiés bafTes qui retardent
le génie, attriflent l'ame & corrompent le bon-
heur ! Puiflent-ils reffemblér enfin à ce faméut
baraillon dcLaccdémohiens , à ce corps de héros
& d'amis , que leur union rendoit invincibles ! ,■
Toi, n tu aimes loicalme, & une exiftence
fans témoins; fi, comme je le crois , tues aflei
vertueux pour vivreavcd toi-même', refte dans
tes bois. Nous ne pouvons te donner, en échange
de CCS biens paifiblcs , que du tumulte , des ca-
bales, des inconréqijètices, des vices , des noir-
ccurs, & l'ôpéra-comique.
( * ) Il eft tels de nos inerveilleux , â peine gentils,
■■hommes , êtres ébauchés 5: fiers d'une exiftence de li
veills, à qui l'on (ait accRiirct^'ils dérogeraient s'ils
ceflbient d'to'e des Tots , s'ils exerijoient leur ame &
leur efpnc , s'ils dsignoîent fe livrer aux lettres , que
n'ont point r6i;gî de cultiver'Ies Nevers. les Domaine ,
les Boaillon , les Condé , lei La&re , les d'AguefTeau,
les Irtontefquîeu, & qui font encore aujourd'hui l'a-
mufement d'un grand roi. O Molière, oùes-tu!
-M>,Googlc
REFLEXIONS
sur'
•'me poème erotique.
xJ'S ohat , pendant une nuit ^'orage , fe gltâè
dans une voUere,& emporte une tourterelle:
voilà tout le Tujct de ce poëme. Le fond de Ver»
verd, le plus ingénieux bndinage qu'aucune
_ langue ait jamais produit, n'eft peut -'être pas
plus riche ; mais le fond le plus aride s'étend , fé
féconde, s'embellit fous U main d'un peintre
habile q.ui a le fecret des couleurs ; & malheu- .
reufement, l'aimable & pareâeux auteur de la
Chartreufe > en' renommant à peindre , a jufqu'ici
gardé fon fecret & fes pinceaux. La molle faci-
lité, la mélancolie douce, ces grâces ^ue leur
négligence ne rend que plus intéreHàntes, fe
font avec lui réfugiées dans fa retraite i & il ne
nous 3 lailTé que de froids imitateurs, à qui un
remerd de coafcience Géroit beaucoup mieux
qu'à lui. Cependant, en rendant juftice à fes
m.iîtres, il ne faut jamais perdre l'efpérance de
marcher fur leurs traces. L'admiration exclufîve-
-M>,Google
J78 S. E ï L E X 1 W s
efk le tribut delà foibleâ*e , & Tact a des reflources
qui Ce multiplient à nierure qu'elles femblenC
s'épuifer. La poéile eft un champ vaftc , où l'on
iDoiflbnne daiis tous les Cc'ms ; & qui veut battre
la plaine , rencontre des réduits moins fréquen-
tés , des efpeces de réferves où les fleurs Tout plus
fraîches .plus abondantes & plus nouvelles. Xa
poème erotique, par exemple, me paroit offrir»
dés beautés , iînon tout-à-làit neuves « du moins
beaucoup plus rares dans notre langue. Nous
avons eu , pendant quelque tems , la fureur de
l'épopée : de là font nés la Moylîade , Œilde-
brand,laMagdeleine,IaPUcelIe de Chapelain,
& tous ces mohftres épiques qui font rougir le
goût & la raifon. Lalégéreté de notre caraâere ,
notre religion auguile , mais trille, fur.tbut la
monotonie faftidicufe de notre rime , peuvent
ne pas convenir à cçtte forte de produâion ; & il
iàlloit rheureufe hardieâe de l'auteur de la Hen-
liadc , pour lutter contre tant d'obftacles , qu'il
avoue lui-même n'avoir pas tous furmontés.
Malherbe & Kouflèau ont élevé l'ode à fon
plus haut degré de perfeâion : la Motte , après
«ur, n'a réuffi qu'à être médiocre. Segrais mit
l'écl^ue à la mode ; les madrigaux champêtres
de M. de Fontenelle nous en ont dégoûtés. Ma-
^mc Deshoulieres a réuffi dans l'idylle j & il
D,™),.rib,GOOglC
SUR LtPoEME èRfl'tI<J.UE. î?»
n'eâ plus poffible de ch^ntét , après elle , les
âeurs , les ruîâeaux & tes moutcms. Four la fable
Si. le conte, la -Fontqine »c lailTe prefqtie pliii
lien à Faire. Boileau nous aetldcbis de reus les
tréfors de la poélîe didaâique: heureux, Vil
n'avoit pas euleluccès déshonorant de h ktyit !
Régnier, Grécourt , Vergier-, Se quelques icrii
vains de n»s jours, ont' ports, auffî loin qum
pouvoitallet, le cinifme de la poéiîe libertine*
M. de Voltairêi co compofé -dô tous les efprits;
& » fi l'on peut'U dire , le fubtimé de toutes lés
îmagiBiitions qui l'ont précédé , a été &-eft en-
core touC'Ce ^u'il veut être. EnBn , nous avon^
des richelles' innombrables dans tous les gen-
res, cxceplé'la poélîe erotique ou voluptueufev
Four vingt ^lindidel, à peine pourrions-nouï
«ter un l'Albane. Qu'on ne m'oppofe point la
foule de nos chanfonsà de nos poélîes légères ,
brillantts^ervefcenceï du génie François, en
général plus badines que d^icatcs, plus galantes
que tendres , & plus penfées que fenties. Chau-
lieu , fans doute , a connu la volupté ; mais il ne
l'a chantée que par faillies; il en euttoujoursla
chaleur, jamais le recueillement: fes ouvrages
font des éclairs i & les émotions qu'il donne font
G promptes , que l'ame n'a pas le tems de les
xaâèmblor , & d'en former ce fenttnient, ce taci
D,™),.rib,GOOglC
|8o Jl B F- L E X l-O V S
intérient & délicat , qui feul confUtoe le pItiGr.
Cela n'empêche pas que Cbaulien ne foie un
poète charmant, plein de grâces, de naniret,&
quelquefois dc' philofophte.
Far la forte de poème que j'examine ici , j'en-
tends un ouvrage divifé par chants * dont l'inté-
tét feroit gradué & continu , où l'on trouveroit
tour-à-tour de.la ^ité fans empottement, de
la mélancolie fans trifteHet donc les couleurs
feroient toujours fraîches & animées ; où les
paflîons n'auroient qu'une Bamme infinuante &
douce ,& qui reproduiroit à nos yeux toutes les
teintes riantes du tableau de la nature. La caufe,
de notre difette à cet égard , vient c^ruinement
du fond même de nos moeurs. Toujours diftraîts»
toujours emportés par des courans étrangers»
nous ne fommes.poîtvc aâez maîtres de notr&
ame, pour y recevoir ces feiifations paidbles
dont je viens de parler. Tout gliâè ïai nous:
à force de voir, nous ne voyons rien : notre
imagination efl trop occupée , pour qiïe notre
cosur le Toit. Tous les objets fucceffifs, que notre
tourbillon promené fous nos yeuic > nous fommes
prompts à les faïGr , & lurs de tes bien peindre i
mais le plaifir , qui n'eft guère parmi nous qu'un
délire de conveutton ,,lcs peintures qui s'en ren-
contrent dans nos écrits , font , en général , làc-
,M>,Googlc
SUR LE POEME illOTIQ.UE. Jgt
ticcs , comme ce plaifîr m^e': c'eft un verre
terne, à travers le<iuet on cherche à entrevoit
les rayons du jour : Le tems que nous confumons
à être amufés eft autant de pris fur le tems que
nous devi ions employer à être heureux ; & nous
ne connoiâbns pas l'expreHion du bonheur,
parce que nous en avons rarement la réalité.
• Je crois que plus un peuple cft corrompu
moins il doit être voluptueux : c'eft que la vo-
lupté vraie tient à la naïveté de l'innocence, au
calme d'un cœur que la vertu tninquillife , & au
petit nombre des befoins. Les jouiâances trop
multipliées font néceâairement trop rapides : &
qu'e(l-ce qu'un ptaidr auquel ne furvit pas Le
charme de la réflexion. & qui meurt dans t'ame,
Jans y laifler de traces , H ce n'eft un vuide im-
menlè que d'autres plaiilrs ne rempliront pas
mieux? Tels font les objets que nos écrivains
ont fous lesyeux,& la froideur du modèle doit
naturellement fe communiquer à la copie. Les
Allemands , ces efprits tardifs , à qui nous avons
appris lentement à devenir nos maîtres , les An-
glois n fombres. & fî durs en apparence > font
plus voluptueux que nous dans leurs écrits. Les-
poéfîes des Halier , des Viéland , des Geflner>
chez tes uns ; chez les autres , celles des Chaucer^
des Spenfer , des le Prior, des Pope, rerpixent ce
D,™)..ril>,.GOOglC
38» R 1 fht X 1 o M »
caca^erede tendrefle, ds douceur & de vprité,
^ue nous deltn^riB dans U& nôtres. A trente poè-
mes qu'ils ont dans ce gentÈ> nous ne poBvons
guère o^pt^er que PAdonis de la Fontaine , &
le rajeunificmen^ inattle : je ne parle point du
lutrin î c'efl- un pôëme fatyrique. Verdverd luî-
ménte n'eft qu'une critique légère & badine des
vétilles du cloittfe. Je ne m'appaîerai pas non
plus de quelques poèmes charmans (^*-) que les
grâces ont diâés. & qui la inodeftie renferme;
ce font des fleurs qui n'ont encore paru qu'aux
yeux de l'amitié, & qui gagnerment fans doute
à s'épanouir au grand jour du publie: mais on
ne peat fe vanter des richeâès dont on ne jouit
pas; & d'nilleurs elles ne font pas tout-à-fait dans
le genre dont i) efl queilion.
D'où vient donc que , dans ce même genre , let
deux nations que je viens de citer font infini-
ment plus créatrices & plus fertiles que nous?
C'eit que chez elles les hommes font plus eon>
centrés , & vivent davantage avec eux-mêmes ,
nourriiTent dans le filence cette fenlibilité qui
s'évapore dans nos cercles, & vont chercher Iz
nature dans le fanfluaire de la folitude; c'efl
qu'ayant beaucoup moins de diftra<aions , ils fe
C) L'art d'aimet de AL B. Les Saifoni , de M.
de S, L.
D,™),.rib,Google '
SVR LE FoEME £rotiq.vé. ;S|
Tepofent avec complaifance fur toutes les éincu
tions douces qu'ils éptouvent» & prolengent le»
plailîrs de l'ame par l'exerdce de la penfé& Voil ji
ce qui donne à leurs ouvrages , même agréables y
cette profondeur de feâtiment & cette ehaleut
pénétrante , dont nous n'avons le pius fouvend
que la gtimace & la prétention.
Quoi qu'il en foit , le poëme erotique, comme
on vient de le voir , offre , à qui voudroît ou
poutroît la courir y une carrière beaucoup moin»
rebattue que tes autres : c*eft un rameau de la
poéfle 1 qui a tonte fa fève , toute fa force » & fa
fraîcheur.
Mais nous fottimes dans iin fioCle on ces bran-
ches nouvelles dcHvent être négligées , indépen-
damment même des rilifons qtie je vitns de rap-
porter. L'efprit de recherche & de combinaifon ,
qui a produit d'autres biens , a nui au progrès de
' la poéfie ; de celte fur-tout qui ne fe rapproche
pas de cette influence phîlofophîque, répandue
fur toutes les parties de la littérature.
A togs ces obllacles fe joint le goût exclufîf
que , depuis quelques années, nous avons mon-
tré pour la carrière dramatique i c'eft apurement
I4 plus féduilànte , ta plus flatteufe , celle où les
fuccès doivent enivrer davantage: mais n*e|l.il
pas pitoyable que toutes nos jeunes mufespour-
D,™),.rib,Google
^84 Réflexions
fuivcnt indircrétement ce météore brillani: qui
leur échappe pcefque toujours , & ne latfle à fa
place que l'éclat du ridicule ? Tel fut prédediné
à aire de jolies chanfona , qui a l'intrépidiié
d'écrire une tragédie ; & je crois que fi Scarroa
levenoit parmi nous I on lui coureilleroltdetia.
Tailler dans le genre pathétique ( car on le donne
biea de garde de dérc^c iufqu'à la comédie).
A cet égard , la folie du public me patoît toute
£mple : il entend fes intérêts : le théâtre lui
offire cent plaifirs réunis, auxquels rien ne peut
fuppléet : c'eft là qu'il eft tyran ou protetfteur,
qu'il diftribue la gloire ou le ridicule, & qu'il
forme un corps redoutable , hériffé de tous les
traits de ta malignité: c'eft là qu'on le flatte i
qu'on le carefle , & qu'il s'élève un trophée des
amours-propres qu'il humilie , & des réputations
qu'il fait : il jouit en préfence , & des craintes du
poète, & des foumiifions de l'aâeur: il fatisfaic
iès haines aveugles , Tes prédileâions qui ne le
font pas moins ; en un mot , c'eft un monarque
entouré d'efclaves. dont il affranchit quelques-
uns, & dont il immole le plus grand nombre. U
gloire que l'on acquiert fourdf mem loin de ce
tribunal , eft un larcin que l'on fait à ce public
jhIoux , dont les traits font bien moins à crain-
die , quand ils font éparpillés. Cette gloire eft
cependant
D,™),prib,Google
iÉpemUnt 19 fnile.^uç WplupartdeAos'écnvBtnS
dgvroiaat ambîtioAnet : tcmï les efforts qu'ils
fqnii.pgur atteiniite.îhja-f^EH'e du théâtres nti
feçTent Qu'à le^^puiferj A. les reodce^iiicaiMibles
de^cueillir ipèïQe vi\i«9£l^i^' plus iacile. Vonrti
j[uoi ne pas eonfulœt f&s fotcess faCvEouir ce^
Attx^ic que l'on ^ r^ d«ï.la nature? Lui ieul
^pJ^QJc le» didi^i;iltés.i:dépouille le'' tcavul de ce
^'il a d'épineux , &:a^Fege le cheUiin .qtii tnenc
à.la.poBÛdération., Mais on dlroic aujourd'hui
j^uetous leserpxitsiè reSèmblent».& qu'ils ont
t|erdif..xeu& empreinte originale qui dîftinguoit
chacun d'eux , ilans les beaux lîecles de la iitté^
rature. Un fuçcès dans un genre ei^traîtie toiic lé
troupeau fervile des imitateur^ } ils ne voient
gue le prix , fans, meturer l'imervalle qui lés en
fépare. Cela n'annonceroiuil pai un relâchement
réel dans les reâbrts de Pelprit humain ? La
Variéié de la riàture prouve fa force ^ fes reG
Tourcès ; elle s'appauvrit > feton moi « dès qu^ellâ
devient uniforme.
Au relie, jefoumets ces réflexions nées fous
une plume fans- prétention & fans projet, i des
juges plus éclairés. J'ai le deGr deni'iiiflruîrei
& non l'orgueil .de décider.
' La bagatelle que je préfehte au public, 3 donne
lieu à mes idées.} mais» de bonne toit je fuis
Tome V^ Bb
-M>,Google
^8$ J -K B F t I f I ON t
loin .de. penfer qu'elle en retnpHâè l'^tendtie. Je-
demande, avant de finir, qu'on me permette un
moi^e. }uftifieatk>n poàrtes héroïnes ds l'ott»
vfage^ Ce que c'eft que reTptît philufophique ! Q
ne refpeâe rien : religion ■ ^uvemement ', & le
profane & te hcré «tout eiVfouniis à la cenfure
de ce Hede frondeur & tnftniit î mais , à coup
Itir, un d« Tes plus grantfs attentats etl d'avoir
attaqué la fidélité des tourterelles. En vain les
poètes, toujours fî véridiques , les avoîent miPes
en. poiTelïion de cette vertu ; en vaîn les amans .
les en ont félicitées cent fois , dsms leurs langou-
reufcs complaintes : il exifte * dit-on > une diâër-
tation fcandaleufe & liilmtnante, qui leur dîfl
pute ce précieux avantage , & les range dans la
dafle des oifeaux volages & libertins. M. de VoU
taire lui-même n'ii-t-il pas dit?
; La tourterelle ,
Qu'on a cru faulTcment des amans ic modelé.
Feut-on déshonorer les gens avec cette l^é-
reté ? Voilà comment , d'un trait de plume t on
flétrit les réputations lès mieux établies. Four
moi, à des autorités û graves , je ne veux oppofer
que mon expérience. Je fuis à portée de juger
des mceurs de celles qu'on accufe i j'ai fous mes
Veux leur amoui » l'umou de leur ménage , leurs
.D,m..M>,GOOgle
tendres careSès j & je dois la véricé à Tinnocence
qu'on opprime.
A ré^rd dt ce poëmcj c'eft un huâimgi ^u'e
fa frivolité met à Tabri de ]a critique i & je ne
réclame point l'indulgence de ceux qui ms
' liront, parce que je n'imagine pa$ qu'ils pui0enl
fe donner la peine d'être féveres. D'ailleurs, je
fuis parvenu à badiner avec le foible talent que
la nature m'a donné : ne l'appréciant que ce qu'il
vaut, j'ai éludé fa tyrannie, & n'en ai fait que
rinftrument de mon plaiGr. Malheur à ces écri-
vains fufceptibles , à ces martyrs littéraires , dont
l'amour-propre chatouilleux prête le Sanc de
tous côtés , qu'un rien affecte , qu'un rien aigrit «
qui n'aiment ou nehaïâent qu'à proportion du
prix qu'on attache à leurs ouvrages; infortunés
toujours mécontens des autres à force d'être
contens d-eux- mêmes j qui fubotdonnent letii!
bonheur à l'art puérile d'accumuler des rimes*
& fe repaiâènc triftement du petit orgueil de
tranfmettre leurs rêves à la poftérité ! De tous
les fous fcmés fur ce globe, ce font les piuâ
mornes & les plus infupportables. La gloire e(t
- fans doute une cliimere éblouifl'aiite , que l'hom-
me né feniible & fuperbe ne fnuroit âédaignerj
mais il faut la traiter comme ces mattreâes ca-
pitùeofes & coquettes, dont on n'obùcnt letf
Bbi]
-M>,Google
^S8 RçfUXlOHS'SVR; lE FOEHE ÉKOTIOltE*
faveurs qu'en parolâànE ne les pas trop deûrer.
Ce que la poéHe a de réel pour un philofoplie,
c'eft qu'elle nourrit la fenfîbilité, étend l'ima-
gination , & £xe pour quelques inftans une ame
qui s'évite , & un crprit qui fe redoute : c'eft que
dans ces momèns , où tout eft fombre auteur de
nous, elle devient un prifme heureux qui colore
& embellit l'univers ; c'eft i^u'elle nous aide enfin
à charmer l'ennui , qni eft , après le crime , le
.plus horrible âéau de l'humanité.
h, Google
DE .-Z ELM-rs.*' ...
CHANT f R S M 1 ÏÏR.
3L' HIVER ceHcMt d'attrlfter la nature, . '. ,
L'oifeau déjà chatitoït (bnslj verdure,-'
Et mcditoit de nouTcllé9'flrdet»s ;
L'ail exhaloit les plur douces odeois^^ . :
Sut l'univers l'afflonr battant des ailcs-^ '
De Ton flambeau Teinolt les «tincelles;'
Arrondinant la voûte.des berceaux , v . ■ ■:, :
De Irais iafinths enlaçoît leurs rameaux^ i '
Eioitde voirlaréveufe Egériâ) . . . - ... .
Ënfoupîranti errer dan» la prairie, ^^' 'i' "■"
Cueillir des fleurs ,' &> leTeinagit^,
Sans le favoir , chetchar la volupté. '■ "T '
Dans ces inflans ^M-fiiire'danB lesTJIles? ' '.-
J'abandonnai nos iàltueux alyles V ' - : i
Etm'envplai vers ces fim'ples rédutM,' ■ "■ ■
Voifins des lieothafcttéspar Zelinis. . :. i ; .
OnomiàcréqoejojeaisiaBscefie! ■.>"■;■ -j:i-;
B b iij
D«-;.M>,GooL^lc
1^, Les Tourterelles
O nom C beaiLâe ma' belle msiCRflc 1
Toi qui me peini des fouveiùrs fi cheis ,
A tpot moment t reviens oroei met vers !
Je n'jillQ)^ BP'i\t porter dans ma retiaite
PHin cfleuraré la froideui inquiète ,
Ces froids dégoiiu & ces longs repentir*,
ftefque toujb.nrs nés du fein des plaifirs ;
Pes fens peidus, unefprit ^nsfouplelTe,
Un foible corps , vieilli pat la mollefTe.
J'arois fpuftraît à. l'haleine des vepts ,
Tout ce qn'il (ànt pour jouir au prîntems.
L'oeil enflammé, Tame cnû>F nenre Apurq^-
J'allois cherche; Zclmis 4: Iajiatuir«.
Libre de crainte , exempt d'amtnidaa,
Ivfe d'amour , amant de 1k raifbn »
Je m'occupoit de ces fimples ouvrages ,
f ififibles foins , premiers t^vaux des f»g/th < .
%je bras armé de flexibles ciCeaux , ,
Je dirigeois m^ jeunes arbrifleaux.
Je ramenols les branches égarées ,
Calmais la foif des plantes alticées :
JUi main toujoi)rs du madn jusqu'au Ibif
Tçnoit la Terpe ou penchoU l'arrofoir.
JJj, j'oubliais tdut ce peuple fMvcJe ,
IPciiplç d'en^qs courbés devant l'idole i
11 faut un monde aux. vœux d'un conquérant |
Nais un jardin remplit ceux .d'an amane.
Sqih dçg tillçuls qui , nélantlenf fçq^Iago,
D,nn.f.ril>,GOOglC
. ! D B ;^ I t, H X 8, :.. ^ . Wt
Aoxfenx-du Joor oppQftrieotieBr ombrage-^.
Une voUete, cnce&tédultt.Gharoiaiis, .'',-,-
Emprifoijnoît miUç^ifgaHK digërcnB. * , ,! - ^^ ■
Des fils dorés entooroient cette enceinte* •,■■, .^ . ./■'
Où l'onchàotoit, oùfon ùltfiftraincralltfBi.' - -■ '-i
pe toutes partstnilkarbuftos-feiiiçs ::;.,;:, ,.. - ;
EncouroiMieient leslarabFMi)«Sjinés. ■.,..'-''■!: .
Du fein des fleurs une eau ciaote & paie -.
Eajetsbrillansatteig^r^ *9vcKlttre.' , .. :..:• '
Pour les éius , dan$«ei(eu E^utUsi . : „
L'amour par-tout aroicpal«'âesaids. ,, ■
On y royoie la Imotte-^totirfm,
Allant , venant, touioun vire & hardie * ..
Et la première à Êlueele-joui-,
Rendre gabnent Ton hommage à l^amour ;
AfescAtcs, leferinplusnanqilite,
Amant plus tendre A ehantre plus habile* ■
Qui fetaifolt, pour écouter la-roix ,
Les fons plaintif* de rAntphtqn des boisj
Fuyant U frisle &lM*laïûrs vulgaires, ,,
Des tourtereaux , am»i8 plqs fblitarrei ,
Bornés au roind'étTetaujouis.heureux,
Chantant moins.bienitws'eiTaîniQicntqitemîeu^ ■
J'en rei^us deux , puif-|Ç comptât )eo'S'channes k
Puis je en parler i fans répandre des larmes? .. . ,
Xen requs dpox de 1^ nutqi.de Zeimi»,
Qui dés long-tems m'avoient étç promis.
Tendre Nitor, 6.Bbmiuie{ilustendre,
Bbiv
-M>,Google
S9Ï Les Ta V k fi' r^ L l b «
OifeauK pliw cberi que'fcWï^céujC du MéanirêV' '" '
Leur ci*i d'albâtre en- UiincAeuï fiirpflflà ' ~' '
Le cigne heurciix'qol'ftdiiHtt-tedat" '' -
PlHndroîvje bien )«»« eFaeet^lRëreéUes ,' '
Leors p'ioSi^àt tofc'&targtnt'^ieaii^a^- ■ = - ■ '
Leurs doux fouplra i-tmlr àttèaïftijft StdfcUr, ' ' ' *;
J,eur beau plumage aÛfS parqneleui confT , -"' '^
Zelmts voulut^ fi lôyi'cM&'^iiC'faiihe ! '"■'' " ' ' *
Ihns leur prifon Weftndtihe «lle-iiiéiDe ^' ' •" "■'■'''
Et de fa mamàmet7eoti«#pl4(?ait', ' --■-'■■
IVluItiplicr & parer feu PtÉRmMC'--' - ■ " i " '
Lorfque Zelmts entr'ourîîtic treillage « ''■'■"■ ~ """
Quevis-jc, AdîeDx"'^u%né^Wftb image! ■'" ' ""
Tous les oifeaux, qu'eUe-enthântâ'foudàîS,"-"' '
L'en vironnoiént'de leur fofâlrt «tain"; " ' '^ ""
h fon afpeift, aucun ri'écoît ftroBcKe : - ,°' '■ '
Leurs becs ardens slfUAAftdtenr fur fa bouCil<\ " '
L'un voItigeoitautOufde'fe*«!iwèàx;' .-'"!'?' V
De Tes rubans l'autre *a^Htiit'fe*îi*MdE-ï*'- ■■■" ---^^
Mais ceux , hélaS ! qui I'6rriïwe'Staè^l'ért«!ùi0*i " ■ ' '
Et qu'ellealloitprirer'de' (à prince, ■ "^''■'■^■'■■'_'
Ceux-là fijr-tout ne pctivciit lâ;"^"uittcr :' " ' ~"' '" ' '
A les reprendre ils (èmbléïit'RAviteri ■ <
Semblent rùî dire , implorant f^ tendreflb^ ' '"l
Qu'avons-nous ftit , à cKârmantë maitrcflSt" "- '"['_
ïls fe Tauvoient, fc cachotentiJànî fbnfeîil'i' '" ' '
^s connoilToient un suffi doux diemin. '^■''■'' ''""■
Ënyain çhalTét'par une-main fi belle, '-y-''- ''"'' '~
D«),.rib,Google
.' ■ ■ -D-B Z^î,'*^ t. ' ' -» J9^-
toujours , toDJours Ils rorololentpréi f dlé, ' ' -
El, redoublant-lours aCBtfftîdôuloureiUE, "' -'-"
Xui roucouloîentleepliwtriAëàiiiéû^. ' '. "'* '' '-
^Nqs^douxt^ttfï , peu t^ts-à-l^elclavage, ... <.*
En langs regrets confumoient leur bel âge;
L'amour wlcfrtnè ; ils Vont êtrt ftiHmij ;
tukf^.foinmt-cmfpi^T.A^ 7^^.- : ■■■ . ■ ', >
Jeune Blanddle, il ell tems,x!'éWc,ine» , ,,..,::'_ :,',!
Et queNttor f<;9terotguçi).^Uj[l£çie,' ; "-.i.. -..J
Je vois déjà ton plunwge'atgpq(;é;i ,.;■ -, ., , ,.-. t':i"J
Auprès de lui^ffémirde J'oluitté- ., ■■ . ,;; .,■7
Pour l'attiter.^ tu le^is avec,gra£Sï -■ . ■.tc ï
Son be(>4éià,dqns le tje3)„ï'(;iiîrp)nî!|C : , ,„„' , , , „^)
Enlui ç^(]^t:,Cu CBcheS:%U<4?f'^i. ; . :-::-- -j.^
Et ta pudeur a^i}oHWife(,pIaiSrs.,. .,,:,.'; ,. ;.!
Ce couple ain(îrappaU|U)t.fbiicpiirag<t:, ... ; ,-. '
Se renfèrmoit dans Jcf fpiî)s.^!(,igçMee * :. ; : ; .'o!)
SVntre-baïroiti-rôchau^ltJtuuràftoui . y--/, -.^•■^y'j
Ses tendres cèufs , ,doî>? fr^t^;4^ foa ;iiiu^^- -^j -u
Delà volière il étoitle,ino(leln,-; • , .,,„..jr,;; :.q
On leur laitToit la brani;Hp;f%plu!*:bclle.._ ;;j ;.j-„
Par Ies'attraïts&.fiu:-lp^tj:^r-lef,^{£n» ,.., ,,..„,r .-;
■De jour en ài*''- i'f çpnqo^rqiejitilfs cœnfJ J . -.;- jqj;
' On les citoft i ^A[^.kur çqaftan9e^.jextiBine ..;. . ; h ^.■,:<î
EnirapirC^itiau molncanrftWic^-niéino.,, „; , 7,
Ah ! laîflbns-les pajfiblcment jqijJt , ,,„..., ;;rrni;
De ce bonheur jui »a. s'éyanoujr.^, ..... f-..ij-.
Touticibas cftœ^^.d^Ç^ft'iEfi;?:; ...: -.rm^i:
D«),Pril>,GOOglC
ÎJ4 L E 8 T O.V B T-B » ■ l l E «
La rofe naît , le {oleil laconfume ï ' t."::;
Etles humains, Gon)^^les_to)iuereaux« :- : .
DansIciplailJrsontlegeniiedctinatiXi-.' _ :.
<» —'M il ,'■; J^^pi'M iaaaaÉfeBJaÉmgae»
C KAîiT &.E C OMJ>^
^uiLS douxparfoiïts-, &quci'af iefttîanqinae-f' *
Desarbriffcaiata flgSeft'îirimobîIcî - ■'■" '■■ ' '
te dcl plus pur. DoSs-jt en être Airprist ' '
C'eft aujourd'hui la fitè de Zâtrrits. " -
Humbles ga2on5^ voi»^nvlrez de tTÔties; ■■ ■ "■'
Flore, Zéphirs, pr^^aronsdescDuronDes: ■ ■ ■' ■■
Qiieces bofquets'Rfiéht'peinft de'voscOuIedi»î ' -'
Qve ces rameaux roiehc'de!) branche» de fletif 8.' '
Que l'art id , l'art pa* ijili' tàBt s'alterô ,■' ' - ■ " ■'- \-
Ne méte point là parure étrangère.
Qu*ai-jc befoinde cWdàfs'filîueux, ■■ ':"--■,:,•,;- : ^
Où l'or femé vient fittipret nres-^eux t-^'"''' •'--'•'-■ ''■
De ces tapis ; où radVâiee'JftipoRure '" " ■ ' - ' ' '---
Péniblement contrefâit-fe-iiàtùreT -"■-''■ ■'■'
Seule elle doit fembÉHiv cri" iejour, ' '.^ M (;■?■: ;"-|
EtformerrciiItftmftmîi1épotJi*Paniour. ■ 1^'"'-^ -^
Toi qu'elle anime &-^i3fe"fi)nfiiliffleei'eilBi,f'"'~-: "-
Dieu du ptinfenwi jfféïèatMni'cdrtdHe ;'■'''■ i - ' "'^
Sons ces berceatii',' t'ai' >oiliiilïôneâ>r(ft(ltî',''l''t ''■■'
Uniflez-vous pour «êfertirit Ziteis. -Miri/. ^
Elle va donc , fous'cè''ttïifFaht ômWfage;- "^'^ ■ ' ^' ■
Serepofct, fourire^^witra-oUTnigel ' -'• ^-^ ■■" ■"■'^
h, Google
-DE Z:ï Ï-J» I «. . - ^r
I.'^ , le même air qu'ici j'ai empiré ,
Pénétrera dans fon feia éptiré !
L'arbre odorant <iue j'ai plante pour cll« ,
Sera touché par la maia la plus belle I
Elle va donc , Tur ce liant réjour ,
Lever Tes yeux , pour me Ëitre an beau jont t
FlaiTir facré que le ciel nous diTpenfe *
Ofendment, charme de l'eiUftcnce,
Toi , par qui fcul je goûte le bonheur ,
£t ne crains plus de rentrer dans mon cœaf , '
Toi , dont l'heureufe & touchante magie * ;
Change en inftant le lîecle de la vie ;
O taA brûlant , dans l'ame renfermé ,
Toujours aAif & jamais confumé ,
Qpi doubles tout , nous &is chérir nos ehaihes ,
Et nous appris la volupté des peines , . : .
Combien , hélas t me femble îofbituné ■
Et qui t'ignore & qui t'a profané ! . . .
Qu'ai- je entendu !_c'eft Zetmis !.. ont , c'eft elle. . 4
Elle partnt, & toutlle renouvelle^
Rofes & 17»-^ prêts à s'épanouir ,
Tout dans ces lieux l'attbndoit pour fleurir.
Ses longs cheveux flottant à l'aventure ;
Elle eft parée ^ n'a pcnnt de parure.
Sa robe voie en replis ondoyans :
Son feîn fè cache & l'ombre des rubans.
Elle intérefTe , elle amufe , elle enchante :
Toujours fbUtre * elle e& toujours décente ;
;,M>,Googlc
99tfLB8 TOTJRTERELtÉ»
Elle connoît ce rire prêdeox.,
Q)iî part du coeur , qoahd lecceur eft heureux.
Phcbus déjà} dir|>his baot de fon trAne,
lance les Feux qtil forment fa Couronne.
On Te raflemble ; on a'ek déjà placé
Près de l^utel que Cornus « dreffé.
Elle s'aflled : un paviUon de rfifes ,
Jeunes comme elle, aTecl'aurôre éclolês ,
Parfume l'air & tient lieii de lambris :
L'amour y plane ; il fourit à Zdmîj ,
Et fur Ton Iront balance un diadème
De myrtes frais qu'il a cudllis lui-même.' ■ '
Des inftrumens les accords les plus doux.
Par intervalle ariiventjufqu'ànous.
L'œil de Zelmis & s'aniine & s'enflama^: -' ■
Tout fon efprit elt piriré dans fon ame^
Sa belle main verlè dans les cr;(hux:
Ce jus ambré, mûri' fur les cAteauz.' ^
De fil TEtpenr , réclair.âeliv'faiUîe
Naltfans effort, brille 'ftremultîptiei; ■' ■
Chaque- convive , en.ocsmomens heureux ,'
Boit le plaifir dans la colipe des dieux. ■■-■-
L'air cft plusEtaÏG: le folâtre Zéphire , ' - :
Sous la verdure excrqaqt Ton empire ,-• ' -i:; ■-
Difperfe au loin les plus douces odeurs , - ' '^ '
Qu'il vient d'extiaûe , en cerefTantles Ûexttx. •.
Zelmiss'échappe, K<:atirt,à la volière,'.- .:
Que (on préfent doithii rendre-plus ckeie.;
-M>,Google
b E Z E t M 1 s. . ?&7
site y terolt fes jeunes tourtereaux,
Bien moins heureux , mais toujours aufll beaux.
A peine ils ont apperqu leur maltrcfTe ;
Dieux ! qui pein droit.) euis tranrports , leur ivielTe !
En cris de joie ils changent leurs foupirs;
Us quittent tout , leurs nids & leurs plaïQrs. .
II l^ut les voir lui porter leur hommage ,
Fafler leurs becs à travers le treillage ,
Battre de l'aile , & tous deux s'élancer
Vers cette main qui vient les carefTer.
Ingrats humains , fuivez de tels modèles :
Toujours heureux , & jamais infidèles , ,
Ils font bien plus ; on ne les voit jamais ,
AinG que vous , oublier les bien6iiis.
A ces amans un fils venoit d'éclore ,
Gage chéri qui les unit encore :
Vers Ton berceau rappelles par Tes cris ,
Ils femblent fiers de l'offrir à Zehnis.
Veillez fur eux ; gardez bien , ffle dit-elle ,
Va fi beau couple , un couple fi fidelle.
Pendant ce tems, tous les autres oi féaux
Par mille jeux font plier les rameaux.
Tout s'attendrit , tout brûle en ces afyles ;
On n'y voit point de cœurs froids & tranquiles i
La jouiffance dt un nouvel attrait ;
L'amour renaît de l'amour fatîsfait.
L'affreux dégoût , eniàot de In foiblefie.
N'y conompt point cette iniRiQrteUe irreflf.
■ D,™),.rib,GpOgle"
^9^ L B s T O D Rt E It B L I, B t
Ce ne font point de paflkgers deftrs l
C'cft le bonheor fixé par les plaifiri.
Que de foupirs I que d'ardens facrlfitieil
Que de baiTers , de fèux & de délices I
Chaque panier, dansceféjoUr ctiaiinailt,
Renferme un peie ou renferme un amant-
Trilles mortels , Cœyrs glacés Sc païlîbles «
Ah ! malheureux , qui n'ites point fenlîbles ;
Vous , fages vains , qui raifonnant toujours i
Efiàrouchez l'enfance des amours }
Et vous fur>tout , innombrables coquettes ,
Qpi de nos feux égayez vos toilettes.
Dont le Ëiurire annonce nos tourmens «
Qui par orgueil commandez Ji vos (èns.
Accourez tous autour de ma volière :
Qpe ce tableau vous frappe & vdds éclaire.
Venez y voir l'image du bonheur ,
L'amour fans voile & fans mafque trompeur}
Les defirs vrais & la volupté pure ,
Qu'à chaque tnftant reproduit la nature j
D'un peuple ailé ce délire éternel;
Ces œufs cachés fous le fcia maternel }
Les doux refus de l'amante embellie ,
L'art innocent de la coquetterie.
Venez apprendre avec mes tourtereaut
Tout ce qui feul pourroît charmer vos mau&
Apprenez d'eux le prix de la confiance f
Et des baifera k profonde fcience j
D,m.f.ril>,GOOgle
D B Z Kl Ml 9. J99
Tous les fccrets des tranfiiorts amoureux ,
L'art de jouir , & cetui d'être heureux.
Sur ces objets , renouvelles fans cefTe ,
l'œil de Zelmis féfixe arec tendrefle.
< Son (Vont fe voite ; une douce langueur
Vient s'y lépandre 6 parler à mon coeur.
Sa main fur oiol combe avec négligeac&
Zelmis fe tait : votuptneux fdence t
Bien plus ému , fon feia dans ce moment,
Reflemble au lys agité par le vent.
Près de ces lieux par l'inltinA enchaînée .
De fon défordre eUe femble étonnée ;
Four le cacher accroît foii embarras ,
Veut fiiir, revient, & tombe entre mes bras...
Pardonne , amour ; amour , qu'elle étoit belle !
Tu m'enivrois ; j'étois feul avec elle.
Son voile errant avoît quitté fon fein;
Son coeur battoit fous ma tremblante main,
rofai , grands dieux ! pouvois<je m'en défendre?
3'ofai cueillir le baifer le plus tendre.
Oui , fur fa bouche , où refpirent les fleurs ^
J*ofaî cueillir les premières faveurs.
Premier baifer , que vous avez de charmes !
Mais quelquefois vous coûtez bien des larmes*
Vous arracher ^ c'en vouloir vous ternir ;
Four vous goûter , il faut vous obtenir.
Qu'ai-je entendu ? Précurfeur de l'orage,
Vn Tent afien^ fait gémir le feuillage.^
M>,Google
^0 L E 8 T O U,R^T ;E B Ë t t E »
t'aftre des nuits , dans foji.çoijrs .emporté «:..!,
Ne verfcplus qu'une pâle clarté.
La foudre gronde « &,dédiirant la nu^i
Me lalHe voir une fphe^e inconnue ;
Et dans les cieux ouverts & refermés., '.
L'éclair s'échappe en filions, enflamjnés. ,
Dieux ! voulez- vous ,. daçs cette nuit obfcurjï ^
Four un baifer, cenflcrner la nature t
Zelmis s'enfuit , peut-être fans retour ; -
J'ai troublé feul le fotr d'un fi beau jour.
Le vent Redouble , & pou^. dernier ravage «
De la volière il brîfe te treillage.
Un épervier , 6 défalire ! 6 douleur !
D'un vol bruyant y tombe avec fiireur.
Figuréz-Tous l'alarme univerfelle !
J'entends gémir fous la (erre cruelle ,
Ce peuple doux , pailible & défarmé ,
Fait pour aimer , & fait pour être aimé>
Le raviUenr enfanglante l'afyle
De l'innocence & du f<immeil tranquile:
De toutes parts les nids font renverfés ;
Les tendres œufs , amour , font fracaffés 1
Blandule , hélas ! mets trop malheureufe ,
Couvroit fon fih de fon aile amoureufe ;
Et réfctue à lui fervir d'appui > , . .
En s'oubliant , ne trcmbloii: que pour lui.
Le monftie approche, à fes yeux le dévore;
Teint de fon làng , il la poucfuît encore.
ÎKteï
D,™),Prib,GOOglC
DE Z E L H 1 S. 401
Nkor en vain déploie en fon courroux ,
L'ame d'un père & le cœur d'uii>époux.
^liur blcOc ne fauroit la défendre.
On la ravit à l'époux le plus tendre ;
Et l'épervier , s'élevant dans les airs ,
Forte fa proie au fond de fes déferts.
Malheur nHreux ! à nuit lépouvantable !
Oui , telle fut cette nuit lamentable
Qui précéda les horribles dcftiris
Et le trépas du plus grand des Romains.
CHAUT TROISIEME,
JVR les rameaux abattus par l'orage ,
Au frais matin l'oîfeau vient rendre hommage.
Déjà l'aurore , au front pur & riant,
De fonécharpe embraJTe l'orient;
De fon éclat déjà le ciel fe dore^
Et par degrés l'univers fe colore ;
Elle s'étonne, & oherche en vain des fleurs «
Four y verfer le tréfor de fes pleurs.
Rofes & lys font tombés deleur tr&ne ;
Flwe gémit de fe voir fans couronne.
, Vertumne , en vain rappellant les zépbiis ,
N'étale plus & robe de faphîrs ;
Et le foleil , perqant la nue obfcure ,
Fourra lui feul téchiiuSer la nature.
Tome V, C«
1, Google
4oï Les Tovrtbrellis
Plein de Zelmîs , occupe de mes fenx ,
Je favourois mes enouîs amoureux ;
£t ce baifer , qui l'avoit oSênfce *
Vcnoit toujours s'offrir à ma penfée :
Douces langueurs , aimable HÂuvenir *
Où fe confond la peine & le plaifir t
Je quitte enlin la retraite obicurde ,
Ûù l'homme meurt , la moitié de Ik vie i
Afyle fombre , & qui fert , tonr-à-toifr *
D'antre aux Poucis , & de dais à l'amour.
Sous ces berceaux quelle horreur répandue!
Dieux ! quels objets préfentés à ma vue !
Que je te plains , époux abandonné ,
Des tourtereaux le plus infortuné !
De fes ennuis rien ne peut le diftraire ;
Kien n'interrompt fa douleur folitairej
Il redemande aux échos attendris
Sa jeune amante , & fon unique fils.
Tel autrefois le chantre de la Thrace i
Aux antres fourds apprenoit là dîTgtacej
La redifoic de réduit en réduit,
A la nuit fombre , à l'aftre qui la fuif ;
Du ciel barbare accufoit l'injuftice ,
Et répétoit le beau nom d'Ëuridice.
Amour , amour , fi mon cœur t'eft fournis ,
Rends-moi l'oifcau que m'a donné Zelmis.
Tu fais , amour , combien Zclmit eft belie :
Tu la formas ; tu dois agir pour elle.
h, Google
I> E Z E L M I i< .■ i 4»|
L'ainout alors , arrêté daos Paris ,
Cachoît les pleurs fous le voile des ris î :''■'.
De nos Laïs diiigeoic les caprices ,
Formoit leur cœur fertile en artifices ;
Sur leurs babits & fur leurs chars brillant
Répandoit l'or de nos fots opulens ;
De cent milords réglant les deftinées ,
Dans nos boudoirs il febioic leurs guin^fes ;
D'un feÎD. fànc relcroït les débils ,
Récrépîffoit de vieux attrait! flétris,
Et triompboic de voir l'adroite Kortenfe '
Claire , à trente ans , par un air d'innocence.
Enfin ce dieu, de rufes excédé.
L'aile traînante & le carquois vuidé ,
Las & content, s'en alloit è Cythere,
Se repofer tw le fcin de fa mère.
Sous mes tilleuls il s'arrête un moment;
Sous ces tilleuls , où Nitor gémiflanC
Eaifoit entendre une voix fi touchant^.
Et rappelloit fa malhcureufe amante.
L'amour , avant de retonmer aux deux ,
Veut s'égayer par quelques nouveaux jeux.
Toujours léger , dangereux & frivole »
Il eft cruel , même alors qu'il s'envole ;
Et lorfqu'à nuire il vient de s'occuper.
Le dieu malin fe délalTe k trmiper.
Point de repos ; (ignalons ma puifTaace ■
Et de Nitor éprouvons la conlUoce,
D,™)..ril>,.GbOglC
4e4 LE9 Tëurtk^ellei
Dit-il , voyons t'il 'incrite le prix
Que je lui garde , & les foins de Zehnïs.
Lorfque tout vote à des ardeuis nouvelles.
Les tourtereaux font-îU les feuls fidelles ?
Puis- je le croire ? Il dit ; & de (à main ,
Dans la volière il fntroduit foudaïn
Un autre oilèau , l'image de Biandutc ;
C'eft etlc-méme , ou du moins fon émule.
A cet afpeA Nitor ed enchanté :
Déjà près d'elle il s'eft précipité :
Ivre de joie , heureux pat l'impofture.
L'amant cliarmé ne fent plus fa bteffurc ;
Mais s'élan(^nt vers l'ombre du bonheor ,
Il eft bientôt averti par fon cœur.
Tous les oifeaux autour d'elle s'empieOent :
Leu rs becs ùhîs à l'cnvi la cateflent ;
C'ell leur Blandule échappée au trépas.
Tous foiit trompés ; Nitor feul ne l'ell pas.
Le même inltant voit éteindre & flame ;
L'erreur des yeux ne va point jufqu'à l'ame.
Il eft , il eft d'invifibles attraits ,
Dont le cœur feul a connu les fecrets.
Tendre Blandule , oui , c'cft ta relîemblance ,
C'eft ta beauté , mats non (on innocetice.
Souî ces bofqoets , où la belle Cyptis
Sourit aux jeux de fes oifeaux chéris ,
Son fils lui-même éleva celte Hélène,
Au milieu d'eux prenant des aJrs de reine.
D,m.f.ril>,GOOgle
r :- ' ' B É ^2> BX'M-I s. ■— -^ ;
Elle attiroit cent jeuticGitftircereaux,'^ ._';;;. .j. -
Et leur donnolt cent pigeons pour rfvaiiit. '" '
Combien hélas, fiiMflt quittés par eBe?
Toujours charmante,' éHWjburs inifideHc! ,- '''' '"
Elle amufoiE les toifirs'dc l'amniir ] ' ■ ■' '■ -
Qui laforraa pour brillera fa cour; -'- ■ "'.i'
Comme fou maltMïeHeSft légère ét^Wé',"'' "
toujours enchakîev&À'eft jamais eaptive, ' "
Ce dieu fouventife pàMt fur fou feitt j ■ ' -" - '
Xui [ôurioit , caftJiroit.de la main - ■' ' ""
Leslysmouvansdiï'fettaîlïbadine',''' '"
Mouilloit ronbecfut^^îSWé CTifàntineï^" ■ ' '
Et lui foTjffloit las fblâttfei^èflt^ , '■ -' -"■• ■"-■■■■ '•
Et l'înconftance , & le g'oAÏ (l^'jilaiRnK '
Ton ennemie eft' déjà Ibui lés armës^ ■>.- iv:, ,
Nitor, Nitor , Vaiiicras.tïi tant de charirics-? ^-""
Lorfqu'à fcs yeux le plàîfit'à brillé ; ' '
L'amour féduit cftbiêritftï éônfijlê."' "' ' ' '
Prèsde Nitor, déjà l'eiicliàntcrcne- ,• ■'"' ^"-'' ■
Pour mieux lui plaire, idiice fa trîfldTe. "~''^"' '^ '
Il faut la voir avec empreffem^nt '-■'- --^t ■'"'-■'' -
Suivre les ms defontibuvdiunârit^ï'' --'"'■' ''■^'■'
Le prévenir par mllld foînS' pêrfiiJêr,- --^' "■ " '
Rifquer fou^tfHl' des cartfffts tiihides,''^ '
Ne point quitterHéï'àirtëâu qu'il cKûîfit , ""
Renouveller le duvet de fdîi Ht, ■'- "'
Et fous les foins de l'àmaote inquiettc
Cacher la &aude & t'arË de la coquette.
Ciij
D,nn.f.ril>,GOOgle
4o5 Les TonR^TE*isi.LEs
Nitor liCiRt : on t'anne de courroux ;
On veut IcTuncrc en le rendant jalons.
A cent oileaux elle ati^Ae de [i^Hire;
CorroinptT,liâ^ UeKtaoeimdeU ToBere;
Aux tourtereaux li cooftan* j Jt^inot^ «
Elle apprend l'art dec infîdélit«t i -' '
L'art de trahir. ^Ue entraîne , eUeannfe:
, Des cceurs g^tés Iç platfîr eft'Jc'e:tcpre^
A peine éclos , re^uf pçri^ ("hr fMtt».:
L'époufc en vaîn fait parler f%^q^flH(,î. .
L'épouft ennuie, &n'eft(atïpç^^t4*; , -
La courtitànneeft,[êii]e,T^r99(lï^„'1 .- , ■■ > •;. ■
Divifetout, lirife lespIuç^jçîfiKçu^ ii ■ ',.. ; ■
£t s'embellit, ^^ÙMr.^tff,]te}^e^,-y
Telle autrefois on vit laJQvn^ A^d^ t
Cachant fes vœux fous, un, Qiùntjwp.^.lîde,
De notre foi féduire ies ftçtiçflsr,, . ;
^t divifer tout le camp-dcs çV^^'^'"- ' ~
Parmi ces feux, ce trouble .^ cette ivreflc,
Nitor commence àcraindrc f>t,fqib]c(Iê.
Il interrompt fes higubres acçeij^.t ^ -, - ;
Et le defir vient effleurex.rcsjCcps.;, ; . :
plus fage alors, l'adroite touitorellf;.
Prend un maintien , & lui {^qît plus belle ,,
Vole arec lui de rameau^ ÇT),ra|tieaux |
Avec dédain cconduit Tes rivaux ,
Et fous l'abri d'un tranquille feuillage ,
Vapourluifenldéployer foi),plvçiàfe, ,
-M>,Gooiîle
D E Z 1 L M I s.
La vo]rez.Totis fuivrc le beau Nitdr , -
Le béqueCcr , le béqueter encor ,
Développer mille grâces noureiles ,
Eparpiller l'albitre de Tes ailcS ,
Et s'agiter , & peindre le defir ,
Et roucouler lé (ignal du plailii' ?
Nitor foupire ; il combat , il balance.
Quel dou's chemin nous mené à l'înconftance !
Déjà leurs becs viennent fe carclTer :
Leurs cols déjà font prêts à s'enlacer.
Voici l'inftant . . . ô courage ! 6 prodige l
Nitor Toudain recannoît le preftige.
Nitor s'envole ; il fuit , il eft vainqueur ;
Blandule encor va régner fur ton cceur. .
Triomphe enfin ; ta Blandule. eft làuvée.
Zelmis l'aimoit ; l'amour l'a confervée.
Dans ces momens , fur un ramean voiSn ,
Elle attendojt quel fcroit Ton deflin.
Son cœur dottant, lorfque Nitor balance.
S'ouvre à la crainte fit s'ouvre à refpérance.
Elle retient Tes tendres mouvemens ,
Et tes foupirs , fie fes roucoulemens.
Voyant , hélas ! fa rivale fi belle ,
Elle a tremblé d'aimer un infidelle.
Mais fûre enfin des feux de fon époux ,
Elle fe livre aux tranfports les plus doux ,
Se précipite , & d'une aile légère ,
Faffe , repalTe autour de la volière.
Ce iv
-M>,Google
40S t'Es TOURtBRELLES DB ZeLHIS.
Kitor la voit ; ce n'eft pins une errenri
U croit les yenx ; il en croit plut fon caur.
Qans fes regards <][k d'amour fe déplrae I
fi meurt , renaît , & fe pime de joie.
Que de baifers , par ces tendres oifeanx ,
Donnés , re^s , en dépit des barreaux !
Zelmisaccoart, par moi-même conduite
Dieux ! quel tableau 1 comme (on cœur palpite 1 ,
Déjà Blandule a volé fur nos pas ,
Nous rcconnoit , & tombe entre nos bra),
' Combien Zetniis la flatte & h carcfTc !
Combien Nitor lui prouve fà/tcndrelTe I
Tous deux enfin , par l'amour réunis ,
Vont être hedreax fur le Tein de Zelmis.
Dans leur réduit la paix elt revenue ;
la corruptrice eft déjà difparuc ;
£t dans ce jour , à jamais fortuné ,
Jur^u'au baifet , tout me fut pardonné.
D,™),prib,Google
REFLEXIONS
UNE ÉPITRE A CATHERINE II.
33e tous les objets gui nous environnent , Se
de tous ceux que peut créer l'imagination ,-riea
n'eft étranger à la poéJîe. Auili variée que la
nature , elle lui rend en Ëâions tout ce quelle
en reçoit en réalité. Elles fe prêtent des fecours
mutuels, & les ornemeus de l'une cQtnporeuC
toujours ta parure de l'autte.
Telle eft l'idée que je, me fuis, faite de l'art
des Miltons& des Voltaires : des efprits froids
voudroient en vain lui donner pour limites, les
limites même de leur génie ; la poéHe étend fes
ailes, ^ plane au-de0us d'eux. Elle defcend
quelquefois de cette fphere brillante , & fe mon-
tre fous des traits moins £ers} la flamme qui
brùloit fur fon front , f^it plat
plus doux. La déefTe impofani
mortsllo aimable, qui retrouve
qu'elle vient de perdre en maj
phyfique, Iq monde moral, 1
fecrets du cœur humain, l'éclair de la pcnfée ,
D,m.f.ril>,GOOgle
4lO R.EILBX10HS
tout lui eft aâujetti * tout s'anime & fe repn».
duii par elle.
Mais , panni les fu}ets îonombcables qu'elle
-embellit de Tes couleurs > elle doitpr^fôrer fans
doute ceux qui la ramènent i la noblefle de Ton
origine. Le berceau de la poélîe étoit entouré
de vertus. Les premiers poètes furent les pre.
miers législateurs , les premiers pontifes > ils ne
célébroient que la divinité , & les belles aâions
des hommes qui lui reâemblenr. Ils éternîfoient
la gloire des bienfiiiteùrs du monde , & l'op.
prt)bre de fes tyrans. Quel art fublime! & com-
bien font coupables ceux qui l'ont dégradé !
(^'on ne dife point que fon appauvrilTement
vient de h difette dès modèles. Le bien & te mat
font rïparti^ fur chaque liecle dans une égale
mefure. Il n'y a de différence que dans la forme.
La mfeme alternative de vices & de vertus m-
mené naturellement les mêmes fatyres & les
mètries éloges. Depuis que ce globe cxide , tous
les peuples unis en corps de nation , ft; font ref-
femblési G l'on eu excepte les habits, le lan.
gage , St quelques ufages ridicules que l'oti con-
fond trop fouvent avec les mœurs' générales.
Ces fous mélancoliques , qu'on appelle' mora.
liftes, & qui perdent ta morale, Snt prononcé
'que ce tlecle^l eft plus corrompu qu'un aùttt : je
D,m.f.ril>,GOOgle'
sus t4f ITRE A Catherin e II. 411
ae croîs ni à leur délice, ni à leur décifion. Cha-
que jour fournit de grands e»inples , & des aâe^
de bien&ifance > dignes dwâgei lea plus éputés,
& qui n'attendent que des panéfriiftes.
Parmi ces at^tion* > qui méritent, une plau
dans lesfâftes de rhumamrë*. on ne doit point
oubliei; ce que vient de iaire Fimpératriae de
' Ruflïe pour un homme de lettres célèbre « timis
qu*unf);00itlîdération infEuAueufe ne metlcii;
point, .ft l'abri de l'infoituiie. M. Diderot ,. pac
une de ces circonllancas que le: génie dédaigne
de prévoir, fe trouvoit réduit à fe défaire dâ f^
bibliothèque. Il avoit communiqué fon deâeia
à quelques amis , qui bientôt le teadkent pu-.
hlic.Le-ttvuit.en parvint jufqu'au trûne d'juie
fouveratne i\m protess, à cinq cents lieues de
nouit , les arts Si. la phllotbphie.
Voici la lettre qu'elle a &ic écrire à ce fujet
ï un dg fes cocrefpondans , homme de lettres lut-
même , & ami de M. Diderot.
" j^ Peteribaurg ce ^~t6 mars 1-^6^.
„ La proteâion généreure, monlîeur I que
„ notre âugufle fouvecaine ne celTe d'accorder
u i tout ce qui a rapport aux fciences, &' fou
„ eftime particulière pour tes favans, m'ont
p déterminé à lui faire un £dele rapport des
1, Google
4IA KtiLtxiovs
y motlfît qui , fuivant votre lenre da lo février
j, dernier , engagent M. Diderot à fe défaire de
« fa bibliothetpie. Son cœur compatiâant n'a
„ pu voir fans émotion , que ce phtlofophe Û
M célèbre dans la république des lettres . fe
„ trouve dans le cas de facrîfier à la tendreflc-
„ paternelle l'objet de Tes délices , la lôurce de
„ fes travaux & les compagnons de Tes loïGrs.
» Auffî Sa Majellé Impériale , pour loi donner
M quelques marques de Si 'bienveillance , &
n Tencourager à fuivrefa carrière i m'a chargé
„ de ne faire pour elle l'acquilîtion 4e cette
„ bibliothèque au prix de quinze mille livres
u que vous propdrett * qu'à cette^feule icotidi-
^ tion, qaei/ii 'Diderot, pour ftni'li&ge^ en
^-fera le déponnire jufqu'à ce qa'U:'ph(ire à
„ Sa Majefté de là' fîire demander. Les ordres
» pour le paiement de feiKemUleUvrés {(Au
„ déjà expédiés au prince Galtitzin, fon minif-
„ tre à Paris. L'excédant du prtx^ >& toutes les
„ années autant > etl, encore uiîe nouvelle
„ preuve des bontés ^è ma foiiveraine pour les
^ foins & peines qu'il-fe duineta'ià 'formée
y, cette bibliothèque. Ainfi c'ed uhe,af{àtre ter--
„ minée. - ■ ■;• i3 ' '
„ TémoignEZi'je v»ws prie, à ^M. Diderot
» combien )e fuis Satté de l'occaHon d'avoic
1, Google
vuK L'ÊPiTtiE A Catherine IL 41}
u pu lui être bon i quelque chofe. J'ai l'hon-
„ ueut d'être, monfîeur, &c.
„ Signéy J. Betzkv."
Feut-on fe défendre, en lifant cette lettre*
de cette émotion délicieufe , de cet épanouiâe-
ment de l'ame , que produit toujours le fpec-
tacle ou le récit d'une belle aâton ? Que de
ménagemens & de délicatelTe ! Combien la re-
connoiflanee eft douce , quand la main du bien-
faiteur fe cacbe, & ne laiSe voir que le bien-,
fait ! L'att d'obliger ainJ] , eft un art vraiment
digne du trôAe. Il femble au vulgaire, que le*
fouverains , ces êtres privilégiés , û peu faits à f«
.croire nos égaux , pourroient fe difpen fer , loif-
qu'ils répandent leurs grâces t de ces égards ingé-
nieux qui font des devoirs pour les particuliers.
Mais les grandes âmes dépouilleoC tous ces
préjugés brillans , cette féerie des rangs & des
honneurs, ce trille fentiment de fupérioritc qui
brife tous ,les liens , détruit tous les rapports ,
& corrompt la fource même de la bienfaifance.
jËlles rédutfent le monarque au titre primitif,
au titre facré d'homme , obligé de fecourir fort '
fembtable.
Tels ont été fans doute les motifs fublimes
qui oatcoiiduitrimpérattice dans le bel exemple
-M>,Googlc
4i4 Ken.BX.s0RUiiElnTUACATH.lL
qu'elle vient de doimet aux fouveraias. Quelle
leçon fut- tout poot ces proteâeon fubil-
leraes , qui ne font que vaios . & fe vantent
d'ètte fenfibles , qui tendent vil le malheu.
renx qu'ils obligent , lui font boire la lie du
bienfait , paient des flatteurs « penfionnent iet
efclavet, achètent des viâimes* & ju(H&e-
loient prefque les ingrats qa*its font , fi le plus
bas des vices pouvoit trouver une excufe. Entre
la plus afireufe indigence & la proteAion d'un
fot t il ne faut pas balancer un moment. Le mal-
heur n'eft rien auprès de l'humiliation. L'avitif-
feraent eft une mort lente qui ne latfiè pas mime
à l'ame le droit confolant de fe croire immor-
telle i & l'oipieil , ce vice de la proQtGcité, eft
ou doit être la vertu de Tinfortune.
Mais n'altérons point par ces trilles léSé-
xioni le plaifir pur que doit laiâ*er dans tous
les cœurs feulîbles , le trait que j'ai ,ofé célébret
pour l'honneur du trdne. l'émulation des rois >
& le bien de rhuteanité.
♦23f*
D,™),Pril>,GOOglC
41 f
jé :p X 3C* :jr. j^
A CATHERINE II,
IMPERATHICS DB RVSSIB,
^KILLAHTE êncor des fleurs de l'âge ,
Tu ceignis le bandeau des rois ;
Le Soli>kam te lend hommage ;
LaNsra, fiere de fes droits.
Aime à réfléchit ton image ,
£t CinG envier l'or do Tage ,
Roule fcs glaçons fous tes loix..
Tu régis cet empire immenfè ,
Dont la nuit ourie l'oiient «
A l'inflant que des feux qu'il lance
Le jont embrafe l'ocddent.
Un vafte & merveilleux ouvrage (*)i
Ce lien de deux grands états «
Te fait touchera ces clîmaCi
Où , refpedbtble fans con^ts ,
On efl fournis fans efcUvage ;
A céi rivages florifTans ,
Habités pu ce peuple antique ,
Qui dep)iis prés de' cinq mille ans ,
. Dans un calme philofophique ,
Echappe au ravage des tenu ;
(*) La grani$ muraiili.
h, Google
4i£ Êfitrb a Catherive il
Sons le voile de fcs pagodes
Adore un Être proteâeur ;
, Trafique arec nous de fes modes ,
Et garde pour lut Ton bonheur.
Mais tout ce brillant apanage ,
Ces titres fuperbea Se vains.
Et ce dangereux avantage
Oe gouverner quelques humains.
Ne font rien aux regards du fage*
Il vient , la balance à la maia,
S'afleoir /or les marches du trAne.
Ses 7eux, fermés fur la conionne.
Ne fixent que le fouTentin.
Le cri d'une injufte viifloire ,
Qui Te mêle au cri des monrans «
Egorgés des mains de la gloire ,
Pour l'affreux plaifir des tyrans ;
Tout pouvoir qui nuit & qui blefle ,
Tout fccptrc lâchement porté ,
Et tout laurier enlànglanté ,
Sont vils aux yeux de la làgelTe.
Quand elle ofe élever fa voix ,
C'eft pour ceux que le ciel fit naître
Puiflans & juftes à la fois ;
A qui l'on permet d'être rois ,
Parce qu'ils font dignes de l'être ;
Pour qui l'augufte vérité '
N'a point encoi perdu fes charmes ;
Qjiîi
D,m.f.ril>,GOOgle
Épithi a Catherine II..
Qui , comme toi , fechent les laiiaea
De la plaintive humanité ;
Dont l'inqùicto bïenrairance
Adoucit les fecrets tourmens ,
De la couragcufe indigence ;
Des mufes lanimc les chants ,
Et va répandre l'abondance
Dans l'afyle oCcur des talens.
Combien it faut que l'on t'admire ,
Et qu'on répète à l'univers ,
iQu'une fouveraînc lefpice y
Dont les yeux font toujours ouveita
Sur l'infortuné qui fou pire ,
Qui prévient fes timides vœux.
Du bienfait tremble de l'iBlbraire >
£t dans un tranfpoit généreux ,
Loin des bornes de Ibn empire ,
Cherche à ^re encor des heureux !
ÂinG ce globe de luoiiere ,
Qjii , fous un ciel brillant & pur *
Fourfuivant fa ralle carrière * .
Roule des flots d'or & ^azur ,
D'un fcul point luit fui tous les monde) ,
Eclaire le noir Africain ,
Blanchit la perle au fein des ondes ,
Et dans fes cavernes profondes
Va mûrir l'or du Mexicain.
Far tes foins ij va donc renaître
ToiMt y, Dd
h, Google
4IS Épitre a Catherine It
Ce philoCophc tefpcdé ,
Et qui ftit malheureux, peiM-ôtre
Pour uop aimer la vciitc.
Déformais , vainqueur de l'envifi.
Dans foo heurCufe obfcuritc ,
U peut , fans redouter ta vie «
Aller à l'immBrralité.
Homère , Virgib , Pindare ,
Vous ne lui fcrex point ravis;
Une faveur fublitiie & rare
lui rend fes dieux & Tes amis ;
Ses vrais amis , ies feuls fidellcs ,
Les feols que- l'on retrouve , hélas !
Au fein des difgraCcs Cruelles ;
Les feuis qui ne foienl point ingrats.
Dans le coûts de ces doiftes veilles.
De ces laborieufcs nuits ,
Qui font édorre les merveilles
Dont notiS allorts être enrichis ,
D'un cfprit adUf & ptfifible
D pourfuivra fes longs travaux ,
Sans craindre le retour horrible
Des foucis pires que les maux,
llnura du ploifir encore
A voit , dans fon humble féjour ,
Poindre la chrté de l'autore
It les premiers feux dunbeau jour.
Alors , fi tu viens à paroître ,
D,™),.rib^Google
ÉPiyRE A Catherine. ri. -41^
Toi , fa filte , ohjet di Tes vœux ,
Des pleurs couleront de Tes yeux>
Orgueilleux de t'avoii fait naicie ,
11 ofera Te croire heureux ,
Dans refpoif que tu pourras l'étcc g . .
Et te foulevanc dans fes bras » ; ^ '
Bénira la main tutélaire,
Qui par des fccouts délicats
Tranquillife le cœujr d'un père. :
Quel grand exemple pour les. loiil
Leur Tupréme magnificence
Brille moins datis la récompenfe^ : .
Que daiK l'équité'de leur choix.
Poutruis,iliultrcCATHGRIHSj
Tu lens ces grandes vérités, ...
Par qui font toujours cimeittés. . .
Les trônes que le ffiel deftîne
A de hautes pfofpérîtés. ,.../•.■
Pierre s'élève; la RuiGe, ; ,' - ,
Pour naître, attendoit ce hécflf, ' ,
Sous les ailes <ls (on génie
Il vafécondar.cti chaos, r; f ■
En vain fon laijg hrâle & bouiUonM; ..
Il eft toujours maitre de fôîi . .. .
Il lait defc^ndrcde fan tfdn« ,
Pour y remonter enf rand rcri.
Il foule aux pieds ces vains finnimM »
Qui pouvoicnt retarder lètTotux. :
. . . ..DAii
D,™),prib,Google
429 ËciTRC A Catherine il.
PiEitRBarutecrécrdes hommes.
Et tu faursi les rendte heureD<c.
Borné par toi dans (à puilTanci ,
Far toi lefTer rû dans Tes biens ,
L'oifif clergé que tu retiens
Dans une puQble indolence «
Ne dévare plus la fiibftance
Des plus utiles citoyens.
Déjà dans une cour polie
Tout (fert ftprévient tes deCrs ;
Ta voix excite l'indullrie ,
Le goAt ennoblit tes plaiftrs.
L'efliùn de&smonrs t'environne ;
Je les vais , jouant prés du ttAne ,
A la palme augulle des arts
Enlacer les fleurs les plus vives ;
£c réchauffés par (es regards >
Ne pohit envier d'autres rives.
Tu ne dois pas le dédaigner t
Ce culte flattevr & fincere ;
Plus d'une femme a Tu régner ; -'
' Bien peu de reines ont fu plaire.
Jonif de ces âveurs des deux.
Pour mol , caché fous un nuage ,
Permets que j'échappe 4 tes yeux.
Content , ï l'abri de l'orage ,
Je ne dematMe rien aux dtenx.
Si j'avois été malheureux ,
Tu n'auroispHs eu mon hommages
M>,Google
- FRA GMË.:NS
i?'£W£ TRAGÉDIE. lyALeksTÈ i*},
• Ji m'étots ex«rcéi il p a neufou dix'anstruf
ce (ujct , te plus pathétique qu'on put ii:»îter , s'il
préfentoit un dénouement. En reliTantma pièce .
j'eitai extraie quelques morceaux. -que je vais
mettre fous tes yeux du public , plutôt comme
une:imitation djj grée «que comme. mon propre '
ouvrage. Racine avoit:, dit-on » &tc le i^ab des
trois premiers a&isér.dicejlgt jufqEriaii-quatrîe-
me , il laiâbit ignorer à vi<ff»efe ]e dévouemene
de fort ^ufe. J'ai imité cette adroite fufpcn-
fîon , fans laquelle il eâe ^té îrapoflîlile de trou-
ver matière à cinq aâes. Au lieu d'un 6ts qu'Eu-
ripide donne ï Admète., je ]ui ai donné une fille »
dont je rends Hercule amoureux. Ce] froid épt-
fode dîrparoitroit > il j'avais à recommencer cette
tragédie.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
Hercule, après avoir {àtîsfait aux ordres d'Ev-
f''>CesfragiiKnsaurotenC étémîeuspbcésàlarutte
du Théâtre de M. Dorât; mais .le roraeiVI eût ct6
tr<^ valmidfMÙx,
D d iij
D«),.rib,Google
F_R A G,M-^.M S_
r/^6fir,rêvîeiul P/iere ."pour cherclier dans Ta-
tnour^rébo^pâiire âe Testrâvailxi ït igccTFoge
^mett fur la défolation répanthie dans le j^a-
lais', & U idèÔiK qiii ïe pèmffirrteirsles viJjifges.
Voici Cf>ai9t<nfi>^i/t)i«<9'lui •àxpliqse les motifs v.
Rappellez-véusces tems où le perè'du jour,
Exilé deTolympc, èiMbeliiltoît iiia cour, ' - ,
Lorfçû'fttûHsihéJ-fojets , qui lui fonrfoîcnt tnrteriiplis, ■
Dii relî»ea p6ur Ifes wiis un iHeu donriolE l'exemple.
Il femfalt:(iv(<)ae.n0 peut le icâm^erce ijcs dieux ! ) *
Qu'Apoilià^ ddnsma.ciHiFJeJttt^t)t^n<âies cieur.
Jfe.fççBSilipÏRiOipaiïkïfmîàifei'a préfencc : - : ■
Se&btçRfeifclNsjtiaîosfoiiteijpientiiiapHiffance. .
]I^§>irut,:b41fl8'!.& magtoirCjBî^clul.;--'. ,..■.:
Jeperdian}on,bOnhcur;.,ïi^Pprilp(n^'^RajI>UÎ., , i
J'écoîs-préi d'expirer ;;un,oraplïfbncfte ; ■-■ .
Des joars.ftu'il me.confçrwç pmpoilbMiele refte. / ,■ ;
Ecoutez quelle fut ta Ioidu.dieii4fi^,(B.9rt»... - ...-."-
"âdmete va pérît ,& rouQhç,jH*x,fombreî bords,; , ■ ,
„ Mais aux vœux des mortels Lacliefis peut le rendrje^ .
„ Si quelqu'un à Ta place au tombeau veut defceDdfb.
Eh ÎToudroïs-je-àceprîs éliide^mim irepas?"
A cette afireàfelninifin cifcuiï nQ ToufcrH pais. ' ^
Craignant la piété d'Alcçfte & d^ fille, . .1. ,._■;-
Par ua ferment facré i'ai lié ma famille : , _ ,, ,. ,
X*bjured'Apollon le barbare 'Ty^enfoit^!;' ',;;,;,,
l^t tremble pour les jouis de mon derniec- fnjet.. ..-
D«).prib,Google
. D: A L C ÏÏ s T E. 42,?;
Maîsnulnc s'eÛofFert;& dufcrequil'opprin^e,, ,
Adniçte feiil au moins vamporitiayiaime.. *,, i, ' ^
H E R -C V L E. : , ,.
Non , VDUS pc mourrez point. :.,■:,,■
A D M- E T E. . . : i.r" r.
Où portez-rous VQSvseÇK?^
Sachez qiieJedeflîfl cille maître des dieu*. ■ '^
H E S e « L E.
Et ipoijjefuis leur fils: dans ma fur«ui cxtréfoe^ .
J'irai vous arracher de6bi;as lie la mort sicm^ , . . ,< '
A n M E a" E.
Quoi ! mon ami' veut-il m'aopablcc à fon toat î ., . j
H E K: D U L E. -: o' . > : t
Le ciel , poor vous fauver , i]i'amene.en votre «wt^ - .
Moi , de votre bûcher téoitmi tâche & triaquflb^ •- ■■ \
.]p CToiroh l'honorer par ma douleur ftérHei> . ' >
Mes jo^rs font conlàcréï aux. travaux , atlx tertai-'J ■,,
Je ne fuis/poiotà moi, je fBicàl'unïvetSi..-. ■ --i\' ,
Et périlTent.tous ceux dont l'amitié commune. À '■ ,.
Abandonne un héros ^uc trahit la fortune) , - .■ - .",
■■■" S CE'NE" III. ;";^ ■ '■
ADMETE,EUMi:LIE>//f ^'iiKBrtp.'";
E u M E L I e.
Dans le temple des dieux , au pied de leurs autels,'
j'impIoESis en tecret ces m^jcr«$ des mortels.
* Ddiv'
D,nn.f.ril>,GOOgle
424 FRAGMENS
En proie à la douleur qui me pourruiiTTaiis ceire ,
J'épaochois à leurs yeux ma crainte & ma tendrefTe.
Je leur crjois-: '^ Daignez , daignez fécher mes pleurs ,
» Recevoir mon encens & finir mes malheurs.
M le fuit prête ; frappez , ttanchez mes dcftinécs ;
„ Mais d'un pete chéri prolongez les années.
Oui , malgré le ferment inhumain , odieux ,
Dont vous avez voulu m'enchainer devant eux,
A vos ordres rebelle , & iàlntement parjure ,
Toufrman cœur G'imtnololt aux droits de la nature ,
Lorfqu'unbruic effrayant forti du fein des morts,
Me glace d'çpouvante , & fufpend mes tranrports.
La fbudra avec éclat fur ma tête étincele ;
Le jour fiiit , l'autel trOnble .Aie temple chaneele.
Uneroix formidable , en ces alFreux momens ,
Forte juTqnes à moi ces fonebres acceiis :
« Sors de ce temple. En vain tu veux fàuvei Adnete ;
BUnantreà chaque inftant fubitlaloi poutlui;
u L'oracle eftaccompli , la mort eft fatisfaite ;
M Et la vîdime enfin fe déclare aujourd'hui.
A ces mots , je ne fais quelle joie inconnue
A rafluré fondein votre fille éperdue.
J'ai couru , j'ai volé , làns guide , fans foutien :
IHon perp étQÎt fauve ; je ne craignois plus rien.
Trop heureufe , feigneur , dans l'excès de mon zele ,
De vous en apporter la première nouvelle J
Vot^ prolpérité va reprendre Ton cours : '
Jereconnoîsles <ilieux^ ils protègent vos joun.
1, Google
D' A L C s s T rr 4lf
A D M E T E.
Ma fille , que ta joie cfl chère à ma tendrerfe !
M«iï un trouble fecret m'agite & m'încéreffc.
Ainfi -, o-'cTi cfl donc hit , l'arrêt ed prononcé ;
Et je ne puis favoir quel fang fera verfé.
Les dieux , dans le confell de leur vaftc prudence.
Sous leursbîenfaicsfourent ont caché leur vengeance.
J'aime tous mes fujets ; s'ili m'ont juré leur foi ,
Leur vie eft en dépôt dans les mains de leur roi.
Voudrois-je » enfepelî dans un calme coupable ,
LailTer répandre un fang Sont je Cuis rerponfable ?
ACTE II.
( Alctjle écarte Jet femmet. )
SCENEPREMIERE.
A L C E s T tt feule.
QtjE mes derniers momens font remplis d'amertume!
Une alTrçufe langueur par degrés me confume :
Ma vie k chaque inftant femble s'évanouir. .
Cache tes pleurs , Alcefle ; ils pouiroient te trahir :
J'ai pu jufqu'ji préfcnt les dévorer ans cefîe ,
Et d'un époux que j'aime abufer la tcndreffe :
Je fus avec courage enfreindre le ferment
Qp'a prononcé ma bouche & que mon cceur dément.
O ciel qui me conduis , achevé ton ouvrage ,
Et Ibr les yeux d'Admete épaifTis !c nuage :
Trompe encor fa douleur ; je te remets ce foin :
Ecarte du bûcher ua fi tendre témoin.
h, Google
416 FRAGMENS
Un ïnftant , & jo meurs . . . lolcos ma patrie,
Tiftne , grandeurs , amour , doux charmes de ma vie ,
Déjà vous m'échappez, toutjne quitte & me fuir :
Je tombe , je me perds dans une îmmenlî: nuit.
Palais qui ras bicntât devenir folitaire ,
Tq) , de mes premiers feux fkcté dcpoTitaire ,
Feu^tre dans tes murs ru verras quelque jour
Une autre époufe hélas ! y régner à fon tour.
Qu'à fa teodreflê au moins je ièrve de modèle !
Qu'elle fûitplusheureufe & foicauflj fidèle!
Vous que j'ai tant aimés, frïnes trilles en&ns!
Il faut donc renoncer à'vos embrarfemens !
Qui rous rendit jamais les Iblns de votre nteret
Sans douts yi vaus la! fle un ap^ dans un père ;
Mais chargé de devoirs , entouré de liens ,
Ses yeux feront toujours plus diftraits que les mien*.
Alcefte , ^iraeS'tu mieux que ton époux périlTe ?
Qpi remplit îbn devoir , fett.il un facrifice ?
L'habitude à la terre attache nos delîrs ;
Mais la tombe engloutit nos maux & nos plailirt.
SCENE III.
ALCES T E,EUMELIE.
E u M e L I E.
Je vous cherchois , madame , & je riens avec roi»
D,m"f.ril>,GOOglC
p'AZ c E s r e: . ^a? "
Kendre gr^cp^au cïel en des inflans lï doun. . ^
11 enlevAu trépas votre cpouS & mon père ;
Je viens^m'en applaudir d^ns les bras de ma merc. , ,
Daignez mêles ouvrir; daignez en cçsînllans
Approuver des tranfports renrèrmés fi long-iems.
Si vous favicz , madame ,avé<: quels cris de joie
Pherc a revu le roi que le ciel lui renvoie ,
Avec quelle allégreffe A quel ravilTehient
De l'heureux facritice on attend le biometiC,
A dreffer le bûcher comme Aacun s'cmpreffe ,
Comme tous vas^ujetsiignalentléQrtendre(r« ,
Je vous verroîs foudainïartit de ce palais ,
Et donner ce fpe<Sacic à vos'yeux fatîjfàiiï.
Maia'quoî! quêHe'trifteffe eâ vos regards eft peinte ?
A L C E S T ^,àp9rt.
Que lui ditai-je , ô dél f ;
*' ' E U M E L I,E. ^,
Vous ma glacez lie crainte/ \',
Como^etit?. ' ' ' '. "]' , " '."
■"■ ' ["'■^■-''•^'•t c e"s"-T'É'; • '■ "■' i "■'■■■■■'
MafiUe... ..■-■".:■-.; - r;-:.:- -.1
• Eu W E L-I E. ■ , '
Ëhbien? '■ -'
• Al C -E s ï E. ■
**' ■ '" ' L'oracléadoncpatlét ■
■; •;: '.:■ ■-i'^-'tj m"e"l I 'e." 'J
Il a reîufu lé calmea mon cœur dérolé: ' ' - ■ ' '
- A L C E "S T E. " -" '
Tout Piiere , dices-voos , Fait éclater fou zele ?
D,™),.rib,GOOglC
428, TKAdMEKS
£ U M B L 1 E.
S> joie & fô traniports font d'un peuple lïdel^ .
A L CE s T E.
Ainfî ce jour eft mii au rang des jouri heuieux ?
Le (àcrîfîce approche l...
£ U M E L I E.
II ,Ta combler nàt vceox.
A t c e 8 T E.
On drClTe le bûcher ?
£ U H E t. f B. .
Ce foin eft légitime..
A L C p s T E.
Bt l'on Ignore encor le nom de U vidUme?
EuMELie tfe }ttaxt.4^s les bras Je fa mer*.
Ma mère!...
A L C e' s T E.
Va ; Groig.m(Hj nplle dant ce moment ,
Rus que moi ne prend part à cet événement :
Mais commcjc connais les difgraces foudainu, ,
QuidespIusgrandsçlaifirs-notiEfpntfouventdesprinet,
Je crains de triompher. . . . ' - :■"
E t; H E L I E.
Ah! j'interprète enfin la dooleur qui toos prefTç;
Et (ans douce elle vient d'un excis de tendrelTe ;
Vous ne pouvez foufïrir qu'un autre /malgré tquk^
Vous rsTilTe llionnev de fauycr TQtrs époux.
h.GooL^lc
ly A L C E s T E. 419
O nobles rendmensl Je rcconnois ma mère.
iSermcniitTOp ïî^oareuxoù nous forija idon pe» !
A L C £ S T E.
Que tu pénètres bien dans le fond de tnon cœur 1
Sans doute il fiit jaloux d'tm 11 fubtime honneur ;
Mais ce fermenC , contraire au zèle qui t'anime ,
Parle , n'auroît-on pu le violer ians crime ?
Se peuuil qu'un Céul mot qu'on prononce aux autels ,
Devienne un nœud facré pour les foibles mortels ?
Quoi ! notre être ^ ce point feroit humilié ?
pac devoir à l'opprobre il fe verroit lié ?
Non , le ciel défavoue une loi formidable ,
Qui fbrceroit notre ame à devenir coupable.
La vertu s'affranchitdecejoug odieux :
£lle e& indépendante , & n'obéit qu'aux dieux.
£ U M E L I E.
Oui , madame ; & mon cœur . . . Mais Hercul^ s'avance,!
Hercule fait dans cette fcene le récit de la Gtu3>
tion d'AJmeif , & du fombre défefpoir qui l'a:
gite. L'aifte finit par une fcene entre Htrcult &
Enmilie.
D,™),prib,Google
43» P R 4 G M £NS
ACTE 11 !..
SCENE ÏIL
ALCESTE.EUMELIE.
A i C E s T E.
"( âpart. ) {à Éumélk. )
. . . Je^rcmble. Eh bien , <jue fait Admctet
E y M E L I E.
itUdatne , par quel charme avez-vous Ai calmer
Cette fombre fureur prête à le confitmer ?
Sans'douie votre voix', pùifqu'efleâ tant d'empire ^
EA l'organe facré d'un dieu (jui vons ïnCpire.
Mais d'oiî nailToit enfin ce ténébreux ennui?
Seule TOUS lui parliez ; je n'ai rien fu de lui.
Madame , cftce un fecret que je ne puiflc apprendre ?
A L C E 8 T E.
Ta l'apprendras trop tôt.
' E U" M B L i E.
Dieux , que viéns-je d'entendre l
Vous m'en ayez trop dit. Je tombe à vos genoux.
JSlvoDS m'aime7 encor , de grâce expliqticz-vous.
Tul'apprendrastroptôt ..Ces derniers mots, madame.
Ont porté la terreur jufqu'au (bnd-âemon ame.
Comment les expliquer ? Des préfages confu»
Viennent s'offrir en foule à mes feus éperdus.
Far ces titres fi doqX & de Hlle & de mère ,
An non du nœud lacté qui vous Ue à mon pece »
-M>,Google
ly A L C ES T^E, 4îl
Parlez : quand je d^rois mourir de mes douleur* ,
Ne me refufcz pas l'aveu de vos malheurs. <
A L C E S T E.
Ah ! force<moi plutôt de garder le (îleflce.
Au lieu de l'ébranler , atfermjs ma coniiance :
Réprime les ardeurs de ton zèle indifcret ,
Et crains de m'arradier un funefte fecret.
£ U M E L I E.
Non, je ne puis refter dans cette incertitude:
Pour mes fens défolcs cette épreuve eft trop rudej
£t fi vous prolonge? un fdence odieuT: ,
Sans doute j'ai ceflë d'être chère à vos yeuX.
Elt-ceninlî que j'ai part à votre Confiance?
Ah 1 madame , aî-je dtAc mérité cette oFFenfe ?
Quel ctîme ai-Je commis ? Vous connoilTez mon" eœut.
Votre ïeuie amitié fit toujours mon bonheur.
Pourquoi donc m'cnvier la preuve la plus cliere
Que je puiiTc obtenir de l'amour d'une mère ?
Vous pleurez ! . . .
A L C E s T E.
Pour fes jours ta mère ne craint rien.
Contente de mon fort , je pleure fur le tien.
E U M E L I E.
le malheur me regarde , & vous tremblez encore ?
Et Vous me refufw la grâce que j'implore ?
Ne Craigoeî rien. Mes jours fcroient-îls menaces ,
Mon père vit encor , vous vivez , c'eftalTez.
Peut-être j'crpcrois une autre deftinée j
1, Google
4?! F R A G M ^N s
IHaJa je ?eiiaî la moit, fans en itis étonnée.
A I. C E S T E.
Toi , mourir ! Tes defiios me font trop précieux.
Ton liytnen vabicniAt t'unit au fang des dieux;
Goùccs-en la douceur , & joyis de ta gloire.
Mon otsur el't en fecreC charmé de ta vïâoite.
£ U U E L I E.
Fouvez-vous rappeller , en ce cruel inilant ,
Le fatal fouvenir du bonheur qui m'attend î
Du plus fombrc chagrin mon ame enveloppée ,
Des fêtes d'un hymen peut-elle être occupée ?
Oui , fi voua perfillez à me cacher mon fort ,
. Je fais fur mon amour un géntreux etfort.
Toute entière livrée aux foins de ma triftelfe *
]e renonce à l'hymen , j'étouffe ma tendrelTe,
Hercule en vain voudra rappsller mes fermens >
Votre lUence rompt tous nos engagemens i
Et li par ce refus j'ofe affliger fon ame ,
Qii'it rejette fur vous le mépris de fa flame.
Excufesmes tranfports : duffiez-vousm'en punir.
Dans mon trouble mortel pdis-je tes retenir 1
Vous voyez votre fille éperdue , égarée ,
Qui ne-fc connott plus , (jui meurt défefpérée.
A L C E'ST E ) tlttns le plus grand défordre.
Jctt&toi dans mes bras . . . Ma lîile !.. tu le veux ?
£ U » E L 1 E.
Achevez ,,, f
Alceste.
D,m.f.ril>,GOOgle
D'A L Ç E s T E. ^y
A L E 6 T E.
Je Frémis ; ô Tort ! 6 jour affreux 1
* E U M E L 1 E.
Ncdîfférez donc plus, - : .
A L C S S T E.
Eh bien, ce facrîfioe ,, ,.■, . „ ,
Qp'onprcpaceaujourd'huiiCrois-Eu qu'il s'accom^Ufle^
Eu„fl:*. LIE.., ■,■;■;
Sans doute. ■ 'i
. . , A Ij C E S T E.
. Eiprévois^tuguelfujet Fortuné^ . l .
Aun flammes du bâcher-rocacle-a dcllîné? „ „ , i
.E u :ïi^ E t î-E.
Non; le cUl pourroit-il être l'auteur d'un otîme?
A L Ç E s T E.
Approche-toi , ma fille ; mbrafle la TiAime,
E U M E L I B , tomhant évanquie dam Us bras ^
fa mert, . )
Jeme meurs... - ,- , ■
A L c E s T E.
Malheuieiiiè.! . . . - .. , .
Aclntiete:paroit dans ce n)oinient->.Ie fpcâ^cte
de fa fUlemourantei itde.fyn époufeeo iarmey,
fait rensitre tous f^ foupi^oiis. Cet at&t ènh t^r
unefceneentre^/c^&Iui. : i
Tome K ' '" Ee
D«),.rib,GOOglC
ifî4 tRAGMEHS
ACTE IV,
SCENE PREMIERE.
ALCESTE,PHOEDIME.
A L C E s T E.
Mon époux eft idflTuit de mon fatal fecret
Où fiiir ? on me cacher ? Ma lille , qu'as-tu fàt ?
Ciel ! comment Taborder ? & de que) fiont icpondrf
Au reproche accablant dont il va me confondre ?
Soleil ,allré brillant, témoin de bks beaux j«unf
Cefle de m'édairer , each&idi pour toajoucs I
F H OE D { U t.
Reprenez VOS efprits.
A L G Z s T s. ■
La raiCon m'abandonne :
Dea ombres de la mort la douleor m'environne.
C EUe/eprofterne à un autel de Vtfla. )
Secourable Vefta , déefTe , entends ma voix :
Jfe me jette à tes pieds ponr la dernière fois.
Je dcfcendi aux cnfêis ; prends foin de ma fàmillff :
Je remets en tes mains mon époux & ma fille.
Qu'Admete tefoit cher ; je t'implore pour lui i
' Veille fur mes enfàns } ils ont befbin d'appui..
Ah , Phœdime I aimc>tcs : je réclame ton zèle.
Souvien»-toi de leur mete , en. leur te&anC fidèle. . •
D,m.f.ril>,GOOgle
lyALCESTE 4jf
SCENE IL
ALCESTE, EUMEUE, PHOEDIME,
E u M E 1 1 E éperdue.
Ah , madame ! . , .
A L C F s T E.
Arrêtez,: retenez vos reproches.
Et de ma mort au moins refpedtez les approches.
Je n'ai commis qu'un crime ; il me coûte des plcnit;
C'cft d'avoir fuccombé , ma fille à vos douleurs.
Votre père lait tout O ma chère Eumélie ,
Tu me rends plus cruels les relies de ma vie;
Mais Teconde du moins mon courage ébranlé «
Et cache tes foupirs à mou cœur défolé.
Je fais en pcriflant ce que tu voulois faire :
Je fauve mon époux, & tufauvoisunpere;.
V4 , mon fort c(t trop beau ; celTe de foupirec }
Tu devrois l'envier , an lieu de ie pleurer.
£ U M E L 1 E.
Je vous t'ai difputc ; jf vol9is i ma perte :
Dieux cruels irousTavez queicmcTuis oSçttt'.ti-
{dÂlcçfle.)
Riais je vous fuit au moin; jufques dans les enFen ;
Les chemins aux mortels en fopt toujours ciuvcrts.
Attachée à vos pas fur le rivage fombte ,
Far des pleurs éternels j'appaiferai votre ombre.
Eh , que feroîs-je , hélas 1 que Ferois-je fans vous ?
Qpelle autre main pourrait m'oSrîf à non époux ?
E « i j
. D,™),.rib,Google
4ï<S FRAGMENS
Qtiel!e autre alluineroît les flambeaux ë'hyménée ,
licpitrerottdefieurs ma tête infortunée?
A L C E s T E.
^Ma fille , laifle-moi . . . Quel ertrerten cruel !
Q_ue de coups doulouceus avant le coup mortel !
On entre ; Admete vient, (Jue fcrai-j'e ? Je tremble.
J'éprouve en cet ïnltant tous les malheurs enfenible.
S CE NE, Il I.
ADMETE,ALCESTE,EUMELIE»
PHOEDIME.
A L c E s T E.
terre, engloutis-moi. , . tout mon creora frémi
Admete, avec un âéfefpoir concentré.
Alceftc j il eft donc vrai ? vous m'avez donc trahi ?
Infenfiblc à mes pleurs , aux fermons infidelle ,
Malgré tous mes efforts , vous me quittez , cruelle !
.Vous renoncez au jour , à vos enfàns , à moi ! . . .
A L C E s T E.
Admete ! Eh bien , pardonne : oui , je péris pour toi.
Pardonne , cher époux j épargne ma tendreffe :
De mes derniers momens refpedte la foiblelTe.
je meurs ; je l'ai voulu . . , mais au moins tu vivras :
Z.'infortune d'un peuple tùt fuivi ton trépas. /
Des princes bien&ifans fois long-temsle modèle.
le tems peut mettre un terme à ta douleur mortelle.
Admete.
Oui y Uas doute g le tems en bornera le cours >
D;,-;..h.,GOOL^IC
ly A L C E s T E. 4îr
Si tu nommes le tems le ferme de mes jours.
Ainûtu vas mourir , tu vas mourir » Alcefte.
Je te perds ; mais crois-moi , mon défefpoir me relia-
Je puis ce prévenir.
A L C E S T B.
Qu'entends-je ? Que dis-tu ?
Rappelle ton courage , & fonge à ta vertu.
Tu te dois à con peuple , aux foins du diadème,
A tes enTaas , au^ dieux ;~tu te dois à toi>même :
Et tu pounois , jouet de tes fi^ns égarés ,
ïtenoncer par ta mort à ces titres facrés I ■ .
Cher Admete , le ciel t'a placé fut le trône ,
Pour porter jufqu'au bout le poids de la couronne :
Quelque dure que foiC cette vie à tes yeux ,
Tu ne peuK la quitter fans le congé des dieux.
Deronfangplusqu'unautreunmonarqueeft comptable;
Et lorfqu'il le répand , il en ell plus coupable.
Je (àis que la nature & l'hymen ont leurs droits ;
IVIais qui petit l'emporter fur le devoir des rois !
Et l'hymen , & l'amour , & les plus belles Dames ,
Sans le^ alTujettir , doivent toucher leurs âmes.
Ils doivent, mefurant leur force à leurs deflins ,
: L'ex^ple du courage au rette des humains.
A D M E T E t avec Vemporltment âe la douleur.
J'abjure dans tes bras cette vertu cruelle :
Ah !. ce cœur qui t'adore , efl malheureux par elle . ■ ^
En proie aux mouvemens d'un déferpoir affreux ,
Peut-être en ma douleur offenfé-je les dieux ! . i
E c iij
D,m.f.ril>,GOOgle
4î8 FRAGMEîtS
Mail ne ft font-ils pas atts^chéi à me nuire?
Leur haine m'eût fervi , leur bien&ic me déchire.
3'étoi8 près d'expirer : ils conferïent mes jours ;
Fourfàireunmalheureux, dans leurs fureurs extrêmes.
Us interrompent l'ordre établi par eux-mêmes ;
Et femblcnt , les cruels ! ne prolonger mon fort ,
Que pour fouiller mes yeux des horreurs de ta morL
A L C E S T E-
Où fuis-je i Souï mes pas l'enfer mu^t & s'ouvre :
L'affreux nocher des morts à mes yeux fe découvre ;
Je le vois ; il me preflc , il m'appelle à grands cris :
Qui t'arrête 7 defcends ; tout eft prêt. ... Je ftémîs ;
Phœdime , fouticns-moi : je fcns que l'en m'entraîne.
Une divinité contre moi Te déchaîne.
Quel regard effroyable elle a lancé fur nous !
C'eft Pluton , oui , c'eft lui ,: le vois'tu , cher époux ?
Il vole autour de moi. Q.ue veux-tu , dieu barbare ?
Quelle nuit t quel rempart ii jamais nous fépare !
Dans quel monde inconnu commencé-je d'entrer !
Dieux , qui h fpe Ares plaintifs viennent me déchirer 1
Je ne vols qu'à travers mille nuages fombres :
la mort, la pâle mort me couvre de fes ombres.
Mes enfâns , cher époux , objets de mon amour ,
On m'enlève , an m'airache i la claicé du jour I
-M>,Google ,
D'AtCESTE 4î9
A L ^ E s T E.
Ouvre les yesx , Alcefte ; Alcefte , ccoutC'mol :
Chère époufe , permets que j'expire avec toi.
A L c E 8 T E , fefoulevarit avec effort.
Vis i je le veux , Adtnete , & je te le commande.
Voici tout ce qu'Alcelle en mourant te demande :
Aime nos chers enFans , & ne foulFre jamais i
Qu'on ufurpe les droits qu'ils ont dans ce palais.
Ne va point leur donner une injufte marâtre ,
Avide de mon fang , & du Tien idolâtre ;
Qui fiere , & les traitant peut>étre en étrangers ,
Exporeroic leurs jours à d'éternels dangers.
De notre dernier fils dirige la jeunelTe :
Qiie ce foin important occupe ta vieillefle.
Des devoirs d'un fujet retrace-lui la loi :
Ah ! trop tât les flatteurs lui diront qu'il eft roi.
Pour la dernière fois , viens , ma chère Eumdlie i
Au plus grand des héros ta merc te confie : .
Mérite Ton amour, Confole un père. Adieu.
Qu'on m'entraîne.
C Admets & Eun\iHeft précipitent dam la brai
d'MceJie qu'on emporte. )
Le cinquième aâe eH; rempU par ta douleur &
le défelpoir iCAdmete , qu'on retient malgré lui
dans loti palais. Ses plus jeunes enfans , en habit
de deuil* mettent le comble à Tes regrets par
leurs innocences caieûes : ils lui redemandeiU
£e W
D,™)..ril>,.GOOglC
44« FRAGMENS D-ALCESTE.
leur mère j pour loate rcponfe , it les prefle dans
fes bràs & les baigne de Tes larmes. Hercule e{î
flu bûcher : il femble défier la mort & les dedins.
Le tonnerre gronde. A travers la foudre & les
éclairs , une voix fe fuit entendre ic'eft celle du
iDiiUre des dieux , qui . en faveur de fon è\s * ac-
corde la vie à Alcejie. Hercule la ramené couverte
d'un voile dans le palais de Ton époux. Elle y-
jouit de l'accablement d'Admete^Si s'applaudit
en quelque forte des pleurs qu'elle ^it.répandre
& qu'elle vient eâuyer. Dans le moment qu'il
va fe plonger un poignard dans te fein , elle s'é-
lance vers lui , fc découvre à fes yeux , & lui ar-
rête la main. Il croit d'abord que c'eft une illu-
fîon , que l'ombre de fon époufe vient errer au-
tour .-ds lui. Hercule It taSute , & l'inftruLt delà
feveur de Jupiter.
Voilà le dénouement le moins fabuleux que
j'aie pu imaginer }& peut-être feroit-it quelque
«Set dans l'exécution : il m'a difpenfé de mettre
Hercule aux prifes avec la mort, ce qui feroit
dans nos moeurs une abfurdité intolérable.
, Si l'extrait de cette tragédie ne déplaît pas , je
raflemblerai tous ces membres épars , & je tâche-
rai d'en former un tout que l'on puifTe regarder
comme une imitation fuivie de ÏAlceJle d'Euri*
pide.
h.,GooL^lc
RÉFLEXIONS
SUR LA F O É S J E.
ï^'espRiT rydématique fait de jour en jour de
nouveaux progrès. On bouleverfe les principes
des arcs ; on les alTervic à fa manière de voir & de
fentir:'il femble que chaque homme de lettres
célèbre ait le droit de confacrer Tes erreurs & de
les fceller, pour ainlî dire, du fceau de fa répii-.
tation. Malgré ce vertige général , je penfots que
la poéGe feroit refpeâée. La philofophie peut
enfanter une foule de fyftèmes tous differens.
& tous vntifemblahles ; tes fonges ingénieux de
la métaphyfîque peuvent varier à l'infini : rien
de û vafte que le champ des conjedures. La
vraie poé(ie e(l une : Ton caradere ell fixe, la
beauté invariable : il étoit réfervé à quelques
hommes d'efpric de nos jours , de prétendre la
rabaiâer,de vouloir la fapper juFques dans Tes
fondcmens.
Je vais mettre un feut article de leur fyflème
fbus les yeux des juges éclairés -, qu'ils prouoa-
' cent. La richelTe des images , le (tyle pittorefqDe*
leeolaris, fans lequel iln'ya point de tableaux*
tout ce qu'on exige des poètes * eft piéciiemeitt
D,™),.rib,GOOglC
ee qu'on leur interdit : on veut apparemment
que nos poéHes foient des traités i nos vers des
fentences t DOS poëCés des raifonneurs. II. va-
lott mieux ne point admettre de puéfîe , que de
npus t'otïrir fous des traits lî étrangers. L'inno-
VBtioa de l'ingénieux M. de la Motte, contre la-
quelle on a déclamé avec tant de jufttce & dV
vant9ge,me parok indtcieufe en oompataifon
de celle qu'on veut introduire. Il n'en vouloit
qu'à la rime ; elle n*eft que la forme de ta poélie i
-aujourd'hui c'eil le fond qu'on attaque i fous
prétexte de la perFeâionner , on voudroîc l'a-
néantir. Mais pourquoi tes images choquent-
elles ces meflîeurs? Pourvu qu'elles n'dtent rien
à la jufteflTe des idées, il me femble qae ta phi-
lorophie, mime la plus févere , pourroit les adop.
ter avec fuccès. Le père MallebranchetCe phi-
lofophe il plein de fens, étincelle fouvent ds
beautés vraiment poétiques : fa recherche de la
vérité joint à la force du raifonnement les char-
mes d'une riante imagination. Platon * qui chaf-
fa Homère de fa ville idéale, ne perfuade jamais
mieux que lorTqu'il emprunte les couleurs dg
ritiade.^yle enfin, ce logicien (1 Tubtil , aban-'
donne quelquefois le fil de la diateâique , pour
eueiitir les âeurs qui te préfeatent fous fa main.
Ces auteuis fentoient bien que la véiité a berûn
D,m..M>,. Google
SUR LA Poésie.- 44?
d'embellifleinens. Pourquoi donc enlever à la
poélie des oniemens que la raîron même ne
profcrit point:' Le vrai philofophe , ce me Sem-
ble ,ell celui qui, loin d'ôter aux fcïenccs &auz
arts ce qu'ils ont déjà , ne travaille qu'à les entU
«hir de ce qu'ils n'ont point encore. Il eft beau^
£ l'on peut, d'enchérir fur les découvertes des
âges précédens ; mais doit-oti chercher à éteindre
les lumières qu'ils nous onttranfmifes? Ce feroit
le moyen de nous replonger dans le chaos de la
barbarie. Il faut , du moins je me Timagine , re-
prendre la route où nos grands hommes l'ont
quittée ,fuivre leurs traces immortelles, & s'é-
tayer de leurs efforts. Le génie a toujours aâez
de chemin à faire; & il me parok inutile de
recommencer une carrière immenfe, lorlqu'on
approche du terme , & qu'on pourroit enfuite
en ouvrir une nouvelle. C'eit que malheureufe-
ment la vanité préfide bien plus à nos recherches
.que l'amour défîntérefie des arts : nous détrui-
fons pour obtenir le titre de créateurs. Jamais le
goût des paradoxes n'a été porté fi loin î le der-
nier fur-tout me paroit inconcevable , du vivant
d'un poëte philofophe , & qui doit à ce qu'on
voudroit bannir de la poé6e,la plus grande
partie de fa réputation. Mais rien de nos jouis
n'eA à l'abri de cène fureur de choquer Ies.:^éet«
D,m.f.M>,G0tlgl'e
444 R.6pIexion8'
On ne croit à rien , on ne rcPpeffle tien , Si nos
grands hommes fur .tout font jugés avec une
fuuveraineté qui n'a point d'exemple. Homère,
Virgile , Pindare , Horace , ne font plus ces mai-
très fuperbes que l'admiration de pluûeurs (îe>
des fembloit mettre à l'abri d'un nouvel exa-
men : ils nous font offerts comme des efclnves
fournis , qui viennent attendre qu'on leur renou-
velle, pour ainfî dire, un bail d'immortalité:
heureux encore s'ils font accueillis avec faveur,
&ne fe voient point déchus de leurs prétentions!
Eft-il poflible , par exemple , que des hommes de
goût préfèrent Lucain , le dernier de nos bons
poètes, à Homère, à Virgile ? Lucaïn a fans doute
des morceaux brillansjdes éclairs d'éloquence
qui échauiFent , qui entraînent pour le moment:
mais a-t-it cet enfemble plein de chaleur , cette
connoiiïance profonde du cœur humain, cette
variété de caraâeres » cette imagination enSam-
méc , ce pinceau toujours vrai qu'on admire dans
i'Iliade ? A-t.ii cette fage économie , ces reflbur-
ces del'art , ce fil imperceptible , cette gradation
d'intérêt , cette magie de (lyle , qui caraélérifent
l'Enéide ? Celui de Lucain n'efl ptefque jamais
naturel ; fouvent fes penfées paroiflènt fublimes
i l'oreille t& deviennent puériles lorfqu'6n tes
- décompore. Il aSèâe une pompe d'expceÛioni *
D,™),.rib,Google
SUR LA Poésie. 44^
bri fafte monotone qui fatigue. Son poème eft
dépourvu d'imagination, de machines. Lucaia
eft un hiftorien verfiôcateur îfon poème, une
gazette bourfouâée. Tel .eft le jugement de nos
meilleurs critiques. Je n'ofçrois y joindre le mien,
fi je n'étois enhardi pac leurs décifioiis , & pac
l'arrêt irrévocable de la poftérité. Virgile «noua
dit-on , a foivi de trop près les traces d'Homère.
Qu'importe , pourvu qu'il l'égale , qu'il le fur-
pafle 'i Didon fait oublier Cal^pfo : ce n'eft point
fur les pas d'UlylTe qu'Ènée defcend aux enfers.
Le poëte latin n'emploie cet épifode admirable,
'^que parce qu'il étoit nécelTaire à fon plan. Qpe
de beautés vraiment originales n'en réfulte-t-i}
pas? Quel développement ingénieux de la pliï.
lofophie de fon tems ! Quelle flatterie délicat*
pour la cour d'Augufte ! Virgile imitateur! Ec
depuis quand une noble imitation eft^elle interr
dite aux poètes ?M. de Voltaire n'a-t-il pas pro.
fité lui-même des beautés des anciens ? Dinut^on
pour cela que le mafiacre de ta S. Barthélemi n.'cft
qu'une copie de l'embrafement de Troye?i]ue
c'eft à Didon que nous devons: la belle Gsbrielle?
Nos ariftarques paroiflent pencher beaucoup
pour le Tafle ; mais du moins qu'ils s'aocovdentL
Ilsdéteftent dans le poème épique > ce que nom
«ppellons la machine i c'eft-à<dîrci . l'interv^iv
D,m.f.ril>,GOOglC
3|44 RiPLEXIONS
tion des êtres allégoriques perfonntfiés. Eh!
quel poète les a plus prodigués que l'auteur de
la Jérufalem délivrée ? On rencontre à chaque
pas , dans fon ouvrage, des dieux & des dénions.
L'enfer, tes cïeux, toute la nature 7 eft en mou-
vement. Milton intéreâe de même à Ton aâioti
toutes les puiûànces célelles & infernales. Ho-
mère eft créateur de ces reâbrts .employés de-
puis avec fuccès. C'efl: à ces poètes cependant
qu'on décerne le prix, tandis qu'on le rerufe à
Virgile , cet écrivain fi fage, fi intelligent dans
l'art de remuer les pafltons > fi économe du mer-
veilleux, & qui femble s'être rapproché davan-
tage du fjrftème de fes injuAes critiques. Ils au-
foient dit éviter ces contradiâions , & ne point
s'embarraSèr dans leurs propres pièges. Les
'géans étoient bien armés , lorfqu'ils firent fa
-guerre aux dieuï.
- J'ai cru pouvoir haParder quelques réSexions
fur cette matière , fans blelTer la délicateOe de
ceux dont je combats le fyftème, en rendant )uf-
tice à leur mérite. Rien de plus dangereux que
le (iefpotifine qui s'introduit depuis quelquv
tems dans les lettres : tous les efprtts j font ou
t]rrat»,ouefclaves;fiquelque parti domine^ on
«pplauditi Tes paradoxes, tandis que l'autre oTe
4 peine b^fu quelques vérités. Cette tjrrait-
D,™),.rib,Google
suKiAPoisis: 447
nie annoncerbit, félon moi, la décadence pro>
chaîne des lettres & des arts. La mate liberté' d'é-
crire peut feule hâter la lenteur de leurs progrès }
c'efl; du choc de difTérentes lumières réuaies que
naît enfin le jour de la ratfon. Pour mcâ , enne-
mi des difputes littéraires qui troubleroient mon
jepos , je n'ai élevé une voix foible qui ne fers
peut-être pas entendue , que parce qu'on atta-
quoit des goûts qui contribuent à mon bonheur.
J'aime la poélle , j'adore les anciens , & ;e n?
changerai point de culte jufqu'à ce que les mo-
dernes les furpaflènt. On peut renoncer à de»
fyîtètaes , jamais à des fentîmens.
LA POÉSIE,
ODE.
Vtpiffura,poç/tfi
JtaBPariiafle,,aiitre|bis Çege de l'harmonie » ■
Ce mont, d'où s'élan<;oîeiit les édaÎTS dn génie »
Dans la nuit du chaos eft>il donc reploi^é î
A la froide raifon on foumet Polimme ,
Et fon cutie ariti n'eft point encoi vei^
Je cherche en vain cette déeffe altierat
Qui , dans'fon roi ambidcuf ,
Jitf^tt'aii foyer, de lalumierc ,
, D,™),.rib,GOOglC
448 La P o « t i e.
AfFrontoIt le reçird des dieux.
Je ne vois plus qu'unettiufe Iremblante ,
Dont tous les feux font amortisy '
Qui toujours foibic & chancelante ,
Tniof, en les mefurant, fet pas appefantis,
■*-*■
Ombres des demi-dîeiix , mânes de nos Orphées ,
Dont ies noms échappés de l'abyme des tefns ,
Confervoi'ent parmi nôu.<; leurs honneurs éciatans ,
Et criomphoient des brigues érou(Fées ;
Des attentats de Vos cenfeurs nouveaux
Défendez vos trophées ,
Etl'iminOTtel laurier qui croit Tui ros tombeaux.
*«♦ .
I^a raifon timide & févere
Veut fymmétrifer vos accords ;
Aux loix d'une làgefle auflere
Elle aCTujcttit vos tranfports.
De votre gloire elle difpôfe;
Sous ce joug qu'elle vous irapofe
" Venez courber vos fi-onts ailiers ;
Et briguant de viles entraves ,
A fes genoux , humbles efclaves ,
Venez dcpûfcrvos lauriers.
. ♦-*
Vous qu'Apollon erdiamme encor,
LaiRez vos brlHantcs couleurs ;
Déformais à l» jeune Flore
Atrachez (et utiïes de-ficuis. .
Enlevez
D,m.f.ril>,GOOgle
L A P o é s I I. à
Enlevez les fruits à Fomone ;
A Cérès , fa fbux , fa couronne,
L'or ondoyant de fes guérets;
Et dans vos peintures nouvelles $
Au zéphir dérobez fes ailes ,
A l'amour fon arc & fes traits.
La raifon profcrit ces images ;
C'ell elle qu'il ^ut écouter ;
Et nos poètes font des fages
Qui ne favent que difTerter.
Jaloun d'une palme fragile ,
Homère , Findare , Vy'gile ,
Ont en vain bégayé des vers.
Le munde étoit dans fon enfance ;
Et le jour qu'attendoit la France ,
Va Te lever fur l'univers.
*"♦
Qiielle fainte fureur m'anime ?
Dirparoiflez , barbares loix.
Mufes ,je vous retiens fur leborddel'abyme;
De vos autels il (àut venger les droits.
«"*
Mais quels concerta fe Font entendre t
C'eft toi , noble fille des cîeux ,
Q.a'en ce moment je vois defcendre
Du palais enflammé des dieux.
Tout i'ol^mpe te fert de tr𝔫
Ua nuage d'or t'enviioone.
Ton» K FI
D,m..M>,-GOOglC
^o. l A Fo é S E E^
Du TÎF éclat de tes couleurs
La voûte des airs Te nuance ;
Et l'amour fur ton front balance
Ses fêlions de myite & de fleuri.
1,'aurore vient t'ofFrtr fnn écharpe éclatante.
Le foleil fes rayons ,Hcbé fon doux fovra^
EFevantjiifqu'à toi fa conque trantparente,
La déefle des mers , le front ceint de rubis,
Apporte à tes geneuxjes tréfbrs qu'elle enfant*;,
•-*
Dei champs EfyGens les ininn>rteh berceaux
Par toi fe couvrent de verdure.
Tar toi Taquilon fiffle , & le zéphir murmure ^
Tu coffltnandes à h nature ,
Et tu kl rcpteduiE fous tes brûlans pinceaux.
♦"»
le printems fut tes pas renverfe fes corbcHtes ç.
Lui-même il rajeunit le vctd dc^ arbrîiTeaux ;
Et Bacchns , en riant , t'offre Foublr des maux^
Dans le jus ambré de fes treilles.
Tu parles : les humains con&fcmentépars,
Vent l'affembler fous de communs afyleSk
Je vois naître les loix & s'élever des villes
Les mafiiques rempartE.
*^
la vérité par toi quitte^cnfin l'a rudeffe ;
Empruntant ta parure , eUe a repris Tes droft» ^
i..Go()ijlc . .
À
IL* PoÉsi-E. 4fi
Etfous âes traùs plus doux s'approche avec adre!&
Dei'orêilte des rois.
0' charme heureux de l'harmonie;!
iFlatteufe illufion , fouveraine des cœurs 1
Tout J'nnivets eft plein de ta magie.,
Et le plaiGrarme tes défcnfeurs.
■*->
'Quand la'reine de l'empitée ,
Des Grecs favorlfant les coups.}
Du fils de Saturne & de Rhée
Toulut défarmer le courroux^
£(l-ce donc toi , -froide fageflè,,
iQui fus pTétcràladéeiTc '
Un art & des traits inconnus t , . . ,
f tus belle &Tur.t:out moins fcvere.i
£tle n'emprunta . pour lui plaice.»
-Que laceinture de Vénus, , .
■*-*
Déjàile maître du tonneie
Sourit avec férénité: ; (
'Ses yeux., qu'enflammait; la cdlen^-
Etincelent de volupté,
H s'attendrît , brùlc ,'fuccombe;
Du haut des cieu){ un voile tombe ^
'Soutenu par mille zéphîrs ;
Et l'Ida , que couvre un nuage ,
Voit écloirc un nouveau bocage ,
Où le dieu cache fesplaiû/s,
FFÎi
D,™),.rib,GOOglC,
4f* Stances
Tel eft ton charme , augufte po^fie ,
Qu'on veut emprifonner dans un trille devoir.
Semblable à la beauté par l'amour embellie.
Il ne iàuipoint juger, mais fendr ton pouvoir.
**
O TOUS qu'ofi^nfe un beau dçlire ,
Qui jamaïE d'Apollon n'éprouvez les faveurs ,
Dont l'oreille referme aux accords de la lyre*
N'érigrz plus ep loîx vos ferviles erreurs.
Votre caprice en vain relTeire
L'eflbr d'un val audacieux.
Quand le dmïdç pilèau rafc humblement la terre «
L'aigle s'élance , & fe perd dans les cieu^
STANCES
SUR LA MO RT o"!/ tr A H l,
OOUS le noir cîfeaa de ta parque
fcVeux ont vu tomber tes jours ,
«Mdi , te voilà pour toujours
ïn proie au ténébreux monarque
L'amitié ni l'amour en pleurs ,
Du nooher delà fombrc barque
N'ont pu fufpendre les rigueurs.
Que fais^e ! ma douleur t'ouiragej
Cetinfl:ant , qu'on nomme-la mort ,
N'ell qu'un terme oà l'homme s'endort^
D,™)..rii>,.Google
SUR lamortd'ojï ami.
Apres un pénible voyage.
Ta rcrtn qui vit dans Les deux ,
Ke veut de moi qu'un purhomnugts
La plainte importune les dieux.
Ce tombeau m'tnftrtiît & m'éclaîlf
Sur le néant de l'univers:
Mes yeux enfin Ci font ouvert*.
Oui , ce bonheur imaginaire
. Que nous pourTuîvons ici - bas *
ïl'eft qu'une trompeufe lumleie
Que &it Ëclipfer le trépas.
Jléves bril&ns , voluptés vaines*
Vous ne réduirez plus mon cœur ;
Des efdaves de la grandeur
Je n'irai point briguer les chainci.
Si l'arbitre de l'avenir
Me prépare à fon gré des peines ,
Je neveux point les prévenir.
Entre les bras de la moUeflc , -. ;
Libre de crainte & de defirs ,
loin des bmyans & faux plaifira,
Je verrai couler ma jeunefle.
J'attendrai la mort fans terreurs.
Etquecraîndcois-je? Mon ivrelTe
M'en épargnera les horreurs.
Fin Ja cinquième yolumt.
1, Google
■Les Malheurs de t.inconJianct. jagc i
Floricourt , hifioirefran^a^e. 3 1$
Lettre J'uu pbilojhphe. ^j-f
Jléfîexioas fur le peeme érotiqta. * ^77
iLes Tourterelles de Zelmh. .38?
IRéjJgxion! fur une ipîire à Catherhte II. ^oy
£pitrt à Catkorine Ut.mfpératrkeJe
RuJJie. 41 j
IFragmeJts ^une tragédie $Ak0e. 411
ïRéfiexions fur lii.poéJte. 441
Im Poifte , ode. -447
■Stances fur la mort d'tmantt. 4p
Bii de ia Table.
'l''2397u
D,™),Pril>,GOOglC
i.,Gooijle
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