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Full text of "Collection complète des oeuvres de M. Dorat"

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V*.t, K^ TJ" & . ii 






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COLLECTION 

C AI PL ETE 



DE» 



. (S UVRES 



T DM E V. 

Gomamnttes Ma/hears de Pinconp^ke; 
Fhricoun , hijloirtfi^mçotfe , &c. 



ANEUCHATELi 

De rimprimerîe de la Société TypograpîiïqHe. 

M. DCC. LXXVL 



D,nn.f.ril>,GOOgle 




by Google 



• K l ' ... '^^•"•, , ' . ^^ 
AVANT-PROPOS. 

J^tf écrivant Us lettres Jx madame de Senanges , 
j'ai voulu prouver que tamour & le devoir ne 
fûrupas toujours incorripatibles. Le but de celles- 
« eji léut-k-fait oppofé , fr peut-être ' nejî - il pas 
moins intérejfant, Lesfoiblejfes £un cœur honnSte 
attirent des malheurs , choquent des préjugés , mais 
ne dètruifeni point la venu. Tejpere que cette vérité 
qu'on peut attaquer , qu'on peut encore mieux dL 
fendre , paraîtra Jenjîble apris la leSure de cet ou~ 
vrage. La femme qui cède eji Jouvent plus couru- 
geufe que celle qui réfjle ; elle s'inimoU , fi con- 
damne aux crairues , aux alarmes , cache des pleUrs, 
dévore des foupçons , rlfqut tout ^ & lU jouit que 
du bonheur defon amant. 

Je n'entrerai dans aucun détail ; le public jugera 
te motif & l'exécution. 

faijuivi les principes que je me fuis faits fur 
ce- genre d^ écrire. J'ai tracé des caractères , je leur ai 
donné des payons ,j'ai eu des fouvenirs , & J'ai 
pris la plume. Nul échafaudage dans les éyénémens , 
r^il épijode qui interrompu taSion principale. La 
morale , autant que je Caipu , eji fondue dans Ciri' 

roMf r. A 



^ri>,Gaoglc . 



3 AV A H T-P K -P S. 

térét. Cefi ajnji ^'elUperfuaJt; étaUe ayecfajltg 

lUe effarvucktf 6* refit fans effa, 

Telfe ma à narrer des kifioriettês , Us unes aprit 
ies autres y le tout enluminé de la couleur du jour ^ 
tel auirefe jette dans la complication des incidens y 
s abandonne aux foutus d'une imagination dêjbr- 
donnée , accumule les invraifimélances : & tous 
deux croient avoir /ait un roman. Peut-être ferai-jt 
moins tien qu'eux ; mais je neferaipas comme eux^ 
Taru que la raifon nefipas coruenie , le cteur riefi 
quefurpris ,& fes impreffions font bientôt effacées^ ' 
Avant tout ij'aï tâche d'être vrai , de n'expofer que 
des êvénemens pojphles , d'offrir aux leSeurs un coin 
du grarui taéleau qu'ils ont tous Us- jours fous les' 
yeux f & de le rendre utile , en couvrant finfiruc- 
tion du charme de la fenjîbilité. On ne rejette point 
la leçon qui s'injînuepar les larmes. Elle fe fait 
jour, & pénètre à finfii même detefprit ^ que l'âme, 
trofnpe alors , pour n'étrepoint contredite dans fis 
plaiftrs. 

J'ai peint dans le duc cette ejpece d'hommes qui 
ont érigé le vice enfyfiême , la frivolité en principe , ' 
qui méprifent les femmes ,fom à la fois leurs délices 
if leurfiéoM , amufent leur têu , m croient point À 
(eurcmir^ Us prennent avec projet , les quittent pat 



D,m.f.ril>,GOOglC 



APANf.P&ÔPÛS. i 

éîr , & mafqiunt leûf corruption profonde £unejhrtt 
de gaîtifdcHct qui fait Jes dupes , parce que la f»^ 
ciété ejè pleine de fois qu'on Jhé/'ugue ^ &'de filles 
qu'on éblouit* Le marquis i dans les Sacrifices de 
l'amour » na aucun^ plan ; c'efi un étourdi fans 
maurs : le duc raijonnè y combine > a^c en confé^ 
quenee ; il ijl confommé dans tart où t autre s'ef- 
faie. L'un tfi un fat inconjïqmnt , P autre un fcélé^ 
tzt méthodique. Les modèles ne m'ont pas manqué. 

iguane au fiyle , je l'ai Joigne le plus qu'il m'a 
étipo£ïbU , & foi tâché d'éviter quelques-uns des 
reproches que fon a faits à celui des lettres de ma' 
dame de Sénàn^si 

Cette, qualité Ji négligée au/otifd'hui t ejî potn** 
tant , dn ni peut trop le répéter , telle qui affure aux! 
fruits de nos veilles C approbation de tous les timsi 
Il <yî bien étrange , qu'entourés de ch^s-^dooivres & 
de modèles , nous ayons fi peu d'écrivains qu'on lifi 
avec intérêt j qui connoiffent ,je tu dis pas cesfinef 
fes innombrables ; ces combinaifons d'harmonie, 
sette înétaphyfique des mots que pojjedoit fi bien 
C auteur de 'èntàïmiaiii mais feulement le méca- 
nijmi de la langue , fes premiers &fes plus fimples 
éUmens. Avant qu'elle fia fixée, avant Us Fénu 
Ion f tes Boffuet , Us Soileau ^ les Labruytte' g 
Aij 



-M>,Google 



4 A V A H T-P R P X. _ 
Pajcal écrivoit Us lettrts provinciales ; UdevijtoÎL^ 
ê* nous mjbmmes plus mime ea étM tC imiter. Cette 
dipravittion prejque générale aauroit-elle point Jk 
Jource dans la manie que nous avûns depuis quel- 
que tems d'être des penfeurs ,dans ce bet^Jprit épi- 
dèmique ^ qui ^ fans rajeunir le fand f travejîii Us 
idées f Uur imprime d^s formes plus bigarres encore 
que nouvelles , donne au fiyU de la contrainte Çf 
de la mor^u ,fi ton peut U dire f^lmâtefa nai. 
veté , fa grâce , fa chaleur , le roi^it ^ U d^ecke , 
U prive de tous fis fucs , & deyientpour nous ce que 
fia à Céloquence latine la diSian fauttUfinte 6r 
hachée du moralijle Séneque? Urudes caufes ert- 
xore de notre décadence dans ce genj* , efi peut-être 
Texc^ve facilité dupublic ; fur~toutfon indul- 
geme'pour certaines produSions barbares ^ qui , à 
taide de quelques effets mal amenés , de la magie 
de lafcem 6* de tadr^e des aSeurs ( * ) » ufurpent 

( * ) Il eft certain que les auteurs dramatiques iit 
Jluent beaucoup plus qu'on ne croit fur la peifeifUon . 
ou la corruption d'une langue. Racine a peut-être 
plus contribué à former la nôtre que tous les écrivains 
du lîecle de Louis XIV réunis. C'eA au cbéatre qu'an 
parle diredlement à la nation. C'ell là fur.tout que fes 
jugemens font loi, portent coup, & perdent les let- 
tres , ou fervent à leurs progrès. Ainfi le morceau 
qu'on va lire , loin d'être une digrcffion , n'eft que 1» 
' fuite immédiate de mes idéss. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



A y A N T-F R F s. j- 

Tadmiration du moment. Quand ks juges ni font 
pas difficiles , Us écrivains ctjfoit de l'être. Le tra~ 
vail du goût efl lem , on s'en affranchit ; un cer- 
veau vaporeux & jbmbre aifante fans peines quel- 
ques Junebres abJurMtis ; on s'en contente ; & la 
peùte\arùté d'avoir créé des monfires^ éteint juf- 
qttau tfUent de Us polir. 

Lethéatre doit être une eJpect\def(aive~gardepour 
la pureté du langage^ Dis qu'il iy décade , la 
coma^on gagne biehtôtlUs autres parties de la lit- 
térature. Chacun afpire à la gloire aifee ; on voit 
que la nation Je ^affionne pour des ouvrages infor- 
mes , où quelques beautés fom confitfèment .éparfes. 
Lapareffe faifit cette amorce ; la tête fermente , ma 
au four fis délires; & t amour-propre , étourdi par 
les applaudijfemem , Ji'efl plus jaloux des fuffra- 
ges. De là ce déUige d'écrits qui régnera à la 
raifort. L'art dégénère , dis qu'on lui aie fis entraves ; 
& la palme r^efiplus glorieufi, dis ^u" il m faut 
plus d'efforts pour l'atteindre. 

La ver/îfication de Phèdre coûta deux ans à 
Racine. Enfixfemaincs oa peut arranger tant bien 
que mal de pompmfes extravagances , faire une 
tragédie à la manière noire ^fupptéer à l'éloquence 
par la pantomime^ jeter quelques faux-brillans fur 
â iij 



h, Google 



a- A f A K T.P R P O 8, 

mu vofijuation lugutn * itn hitn airoee , ^Ui% 
lamentahU , bun jtpulcral , m un mot , rétt^r t 
mais f quand il ^agu ePitre pur , iUgam , /wblt 
fans tmpha/i , énergique fans durui , harmonieux 
\ fans en^rf ,- <ptand il faut dépicyer ItH ricfuffit 
ttun dialogue plein , facile S'/erré , cacher adroite 
ment Us fils dune txpojùioa qfti prépare touifam 
tien montrer ^ graduer des payons , développa- des 
caraSeres , varier par le jeu des fimattons & det 
comrafies un ineirèt qui ne faligue pas , quoiqu 
toujours le m^me; lorjqt^on veut rt employer que les 
T^orts qui pr^nt la marche , fipprimer ceux qid 
la retarderu , ne point eataffir dans un aSe la ma^ 
tière decin^yfairepajferla uagidiedans leazwf 
iKi lieu de laptiadre aux yeux , & rfoppreffir Pam$ 
par la terreur f que pour la fimlagv par Us lermtsf 
lorfqiâenfin on prétend foiisfMre à la fois lafenfi» 
tilité y U goui & U ton fins : <fefi alors que lesfiu^ 
fis coûtent des années ^ & que les années m peuven» 
tiatfurltsfucchs. 



D,nn..ril>,.GOOglC 



SMIMlliollll 



D E 

L'INCONSTANCE. 

LETTRE PREMIERE. 

He ladi Sidley , au comte de ^ Mïrhelle. 
De **• à une lieuede Paris. 
V u 8 me demandiez hier d'où venoit ma trif- 
-tetTe, &fij'avois à rae plaindre de vous. Eft-ce 
-vous qui m'avez fait cette queftton ? eft-ce à moi 
•que vous deviez la faire? Vous le favez , je fuis 
naturellement l^rîeufe. L'habitude du malheur, 
contraâée dès ma plus tendre enfance , a donna 
à mes traits cette -expreflîon involontaire, qui 
ne figniBe rien, & qu'il ne vous eft pas permis 
de mal interpréter. Moi î de la triftcife quand ie 
fuis ffvec toi , qunnd je jouis de ta -préfence , & 
que je Hs mon fort dans tes yeux^ Ai-ie un autre 
bien que cdui - là , d'autres plaiiirs, d'autres 
liens qui m'attai;hent à la vie? Je l'ai foufTcrtCj 
A Vf 



D,™),.rib,GOOglC 



8 LesMalheurs 

tTttl te dire à quel excès tu m'es cher. Ta paffion 
efl: plus foible , lî tu doutes de Is mienne, Aï-je 
à me plaindre de coi > me dis<tu ? Feux - tu le 
Craindte ? dois-tu le penfer ? as-tu donc mérité 
que je m'en plaigne ? Ecoute. 

Le ciel {emble m'avoir fait naître pour let 
chagrins les plus fenlîbles ; & s'il me donna le 
courage > ce fut pour l'exercer par Tinfortune. 
J'ai perdu , après fîx mois de l'union la plus dou- 
ce,, un époux tendrement aimé. J'ai vu mon ver- 
tueux pcre en bute aux perfécutîons de fa patrie; 
je l'ai vu mourir entre mes bras défàUlans , tan* 
dis que lès bourreaux frémiâbient autour de là 
F^fon. Mes premières larmes ont coulé dans un 
cachot , fur un vieillard qui mérïtoit un trône. 

Ma mère me reftoit, une mère adorée, & qui 
inéloit fes pleurs aux ftiienit; je Ta! perdue. Ta 
«n as été le témoin ; c'eft elle qui nous a unis i 
Jbn dernier foupir: je n'ai plus que toîau monde. 
Ceft fur une tombe que le flambeau de l'hy^men 
s'eft allumé pour nous ; hymen facré , quoiqu'il 
n'ait point la fanâion des loix , & que l'appareH 
des autels ne l'aie pas confirmé! Vas, je fuis loin 
de rougir de ma foiblefle, & des droits que je 
t'ai donnés fur mon cœur. Je ne fais point me 
ibumettre à ces petites bienféances qui n'enebaî- 
ncntque les atnes ordinaires: & dans tes bras 



D,™),.rib,GOOglC 



DE l' INCONSTANCE. 9 

même, OÙ je m'enivre d'amour, j'ofetois pren- 
dre l'Etre fuprème à témoin de mon innocence , 
êi lui offrir ton bonheur, comme le garant de 
mavertu. Ne crains donc pas que je t'importune 
par des impatiences Se des craintes qui nous hu- 
milieroient tous deux. Je fuis à toi , je t'appar- 
tiens jufqu'à mon dernier fouffie ; je chéris mon 
fentiment , je m'r attache , 8e. je délire que tu 
ne fois lié que par le tien. Tu dépends de ta fa- 
mille; tu as des devoirs àremplir'; remplis-les 
tous. Je veux que^ mon fouvemr fe mêle à tout, 
& ne (bit obfiacle k tien. Connoîs l'ame d'une 
Angloife. La Técurité e(t dans mon cœur; elle 
ell le fruit de l'eftirae. Si je pouvoîs te foupqon- 
ner un tnftaot , cet inftant feul empoifonneroit 
tout le cours de ma vie. Le calme dontje jouis 
n'efl; que le recueillement d'une fenGbilité pro- 
fonde ;>fî l'orage y fuccédoit, il feroit affreux. 

O mon ami! quel barbare peut travailler lui- 
même à détruire le chatnie de Tes bienfaits ? Tu 
as créé pour moi un nouvel univers. Tu m'as 
placée où tu as voulu ; j'y demeure , & n'y re- 
grette rien. Ce jardin , ces fleurs que je cultive, . 
ces hofquets dont l'ombre nous cache à tous les 
yeux , voilà mes tréfors ; je foule les autres aux 
pie^ds; je dédaigne tout ce qui n'eft pas toi. Ma 
iolitude m'enchamc 3 quand w parois , j'y trouve 



D,™),Pril>,GOOglC 



jo Les m à l « e u m « 

tous les plaiGrs; dans ton abfence, ton image 
les cemplRce. Je me pénçtre de ton idée ; elle 
amené fur mes lèvres le fourire du bonheur; 
elleconfàcre tous les inRans du jour , fe mète 
HQK fonges de la nuit , & &ic le charmé de moR 
réveil. Je me félicùte de t'avoir connu , de t'ai" 
nier , de n'exifter' que pour toi , d'habiter aux 
portes de Paris , &de vivre infendble à Ton tiu 
-multe. Voudrois-tu changer en deuil éternel la 
félicité que je te dois? Voudtois-tu noyer d» 
larmes, des yeuxque tu remplis d'amour? 

Non, je n'ai point, je n'aurai jamais'de re- 
proches à te faire : j'ai l'orgueil de ne point crain- 
dre de rivale. Eh ! quelle femme me reflemble? 
Adieu : je t'attends, à ton retour de***. Je 
lelis Claris pour la troifiente fols. La inalheu- 
jcufe!.... 

^ais pourquoi donc toti abfence a/-t-elle été 
Tp\as longue cette fois-ci ? Jene puis te quitter. 
Adieu. 



LETTRE II. 

Du duc de ***, à Jamarqtiife de Syrcé. 
jLJepuis quinze jours, madame' la marquife, 
j'ai fait de profondes réflexions. Votre conduit* 



1, Google 



i 



&& L*INCOil«TANCE. I| 

■mra: moi, les rigueurs Touteiiuess dont vous 
avez payé la paflion la plus décidée & une conf- 
«Wtce à Foute épreuve, aurorent pu laïflef dan; 
mon cœur quelque fecret dépit, & &tre fuccé- 
der le retfentinient à la furprife. Rien de tout; 
cela. Vous avez, daas le catadere, je ne fais 
spioï .qui défarme le mien. Ma réfolucion eft 
prife i elle e(l violente , mais ftable. Je m'im- 
mole à votre caprice, à votre raifon, Q vous 
l'aimez mieux j & , puifque l'amour vous eft an- 
tipathique , je confens à me réduire pour vous 
fmx langueurs de l'amitié. 

C'eft la première fois que j'accepte un partaga 
iî modefte avec une femme de votre âge & d» 
vTocre tournure. Le facrifice edpénible, je le fais; 
n'importe, je m'y foumets ; & ce nouvel hom- 
mage doit vous paroître d'autant plus délicat, 
jque je fuis l'homme du monde qui fens le plus 
vivement Pamertume des privations. Me voilà 
^onc votre ami. Le iîngulier titre ! Vous me trou- 
verez un peu gauche les premiers jours. Un rôle 
qu'on n'a jamau joué, e^rouche d'abord : mais 
jon s'y accoutume avec te tenu ; & nous n'aurons 
pas exercé, dix ou douze ans , que c'en fera fait 
pour la vie. Convenez donc que vouï en êtes 
quitte à bon marché. Je ne fuis pas lî dange- 
«.Uis que bien des femmes voudroient le faire 



D7™),Prib,GOOgle , 



tZ LES MaLHETIXS 

accroire. Elles n'ont qu'à VOUS interroger ; voi» 
les défabuferez, n'eft-ce pas? 8e vous aur« 
granit foin de ra'enlever une réputation 1^00 
r.iérîte fi peu? 

Eli bien , avez-vous encore mauvaife opinion 
ôtmaii' me refurerez- vous inhumainement la 
c >nfiance que je réclame ? Je la paie aifez cher 
pour en être jaloux. J'ai dans la tête, qu'un hom- 
me un peu intelligent , pour rcflembler à quel, 
que chorc auprès d'une femnie, doit avoir les 
boinicK grâces, fon cœur ou fon fecretî & je 
ne crains point qu'on me taxe de préfomption , 
quand je ne demande que le limplé-aveu du 
vôtre- 

Vous Tentez àmcrveille que la malignité pour- 
Kiit prêter des motits à votre réfiftance. Les 
femmes (tout ceci n'eft que philoPophique & 
général ) ne fontguere capables de cet héroïrme 
àciinvéreSiB , de ce courage tride qui repoulTe 
les foins , & Ce courrouce contre les intentions. 
Ces elForts gigantefques font trop loin d'elles. 
£1Ies ne font rien moins que dupes. Quand la 
raifonnous trompe, l'inftinaies dirige, & j'ima- 
gine qu'il leur faut des vertus d'un ufage facile. 
Ainfi , toutes les fois qu'elles fe défendent con- 
tre un homme qui fait attaquer , ne (èroit-ce pas 
qu'elles font occupées d'une foibleiTe qui leur 



D,™)Wby Google 



s E L' I N C O N s T A H C E. IJ 

donne la force de vaincre, & leur prête les ar- 
mes dont on fait honneur à letns principes? 
^'e(l-ce pas toujours, par l'attrait d'une jouif- 
fance, qu'elles fe privent d'un triomphe? Au 
refte , ce font mes doutes que je propore. Je 
crois excei£vement à la vertu : mais il eft des 
incrédules ( on voit des monftres), & ceux-là, 
par exemple, ne vercoient dans mon délàlire 
que le (ur garant de la félicité d'un autre. 

Cependant-, madame , G vous aviez fait un 
choixC car tout eft poûible ) , qui pourroit con- 
traindre l'union vraiment célefte de nos âmes , 
& l'innocence de leurs épanchemeiis ? Qu'oa 
dillîmule avec un amant, cela Te peut ■ cela Te 
doit méfne> les femmes ont , fur cet article, une 
polkique auflî ancienne que rerpetftable : mais 
l'ami , j'aime à le croire , règne fur un cœur oii- 
vertde toutes parts. Il ell a4«^s dans le fecret 
des arrière - penfées ; il fe fait jour à travers la 
complication des motifs , la dignité des dehors , 
& les réferves de la coquetterie. Tel eft l'emploi 
auquel je me borne. Il efljufle de m'en laîlTec 
jouir i Si plus vous êtes avare de faveurs , plus 
vous devez être prodigue de confidences. Comp. 
tez fur ma difcrétîon. Toute celle que j'aurois 
eue comme amant préféré , je vous l'oiTre à un 
auure titre» malgré la fécfaeieJTe du zôlç & U 



Dim.fMi,. Google 



t4. t É s ;M A t s É fi s' 
diderence des honoraires. Qu'il {croit Hgtfà 
d'envie , le mortel que vous djftinguerbz '. Plu» 
je parcours votre cercle , moins je vois far qui 
}e pourrois arrêter mes foiipt^ons. Ce n'eH (ûre-r 
ment poim le grantl colonel. Auriez •vous été' 
touchée par hafard de fa taille chevalerefque , de 
fe prodigalité bète , de-fon dégingandêgt odieus^ 
de fon importance burlefque , & de fa profonde 
érudition fur l'époque des étiquettes? Pour Itf 
Jetit prince de ***, il a de la jeunefle, de la' 
fraîcheur , & cette in«ptie naïve qirî , dans les 
hommes > dégénère quelquefois en fentiment. lï 
cft doué d'ailleurs d'un bégaiement tout-à-fait 
gracieux î & quelquefois il n'en ftut pas davan- 
tage pour déterminer. Un homme qui b^jhùù f 
a toujours l'air du dcfordre de l'am^mi^; ^% 
petit prince, quoiqu'il foit une heures expédiée 
une phrafe, peut avoir une éloquence de (itua- 
tton qui ne lailTeroit pas que d'être un dédom-i 
magement, 

- Je ne vous parle point du comte de Mirbelle, 
l'ai même refufe dans le tems , de le préfentef 
chez vous. Je tia me charge ppint de pareilles' 
commifllons. Je fais tout ce qu'on s'attire de 
plaintes & de reproches , quand on fe m'èle de 
ces jeunes gens.lài & d vous en êtes mécon- 
tente, je n'aurai pa» du meios le remoids de 



h.Gooi^lc 



*Ê t'^INCOKSTANGE. TfT 
tous 9n a^oir emlrarraâee. Ce a'efl; point qu'il 
n'ait dg/^avantagcs , inSniment de grâces, & 
même des qualités : triais . malgré tout cela , je 
doute qu'il réuflilTe k vous plaire. Il eft trop 
couru, trop fèié; l'homme de toutes les Femmes 
n'efl: pas l'être qu'il faut à votre cccur. Je vous 
connols mieux que vous ne penfez , & j'applau>r 
dis fincéremenc  de H louables dirpo^tions. 
Adieu, madame la marquife. Je compte allée 
vous làire ma cour , & commencée avec vous le» 
graves fondions d'un ami. 

Si vous m'honorez d'un mot deréponfe, cela 
me difpofera au, ftyle de l'amitié , & m'ôtera; 
l'embarras que doit avoir un malheureux gut 
n!cŒ.p9s.itiiiié dans les myfteres de cet auguEle 
ïf^^éâùS^ Je fuis avec refpeâ, &c. 



«^a?== 



LETTRE III. 

De la marquife de Syrcé , au duc de***. 

JE vous avoue, monfieur le duc , que votre 
lettre m'a beaucoup amufée. Mais pourquoi donc 
n'eft-elle pas de votre écriture ? Sans votre cou> 
teur, j'écoiscouc-à-fait dépayrée;)e n'auroispjv 
vous reconnoitre qu'à la légèreté de votre per- 
fiSSsgt, fur -tout à votre prudence. Oh !oui« 



h, Google 



tS Les Malheor« 

vous auriez craint , en m'écrivan't vi^^^èi¥fe# 
de laili'er dans mes mains un litre qim^cpofàc 
contre vous en faveur de ma conduite': maiS) 
Dieu metet, vous ne connoiiTez pas plus mon 
cœur que moQ caradere. Mon honnêteté me 
fuifit > je n'ai pas beloin d'armes étrangères pour 
la défendre. Faites, dites tout ce qu'il vous plaira j 
je vous le pardonne d'avance , & n'ayez pas peur 
que}e me juftiâe. 

Revenons aa genre de votre ftyle. Encore une 
fois , c'eft fur ce ton là que je vous aime. Vous 
ne valez rien quand vous parlez d'amour ivoiïs 
y êtes gauche à force d'adretfei & je vous ai 
trouvé beaucoup trop favant pour moi. La vraie 
fcience d'un homme qui aime , c'efl: d'âtre péné- 
tré de ce qu^il dit, de ne rien chercher, de ne 
lien feindre , de s'abandonner > & de peindre 
fans art le fenttment qui t'occupe. Le fade des 
mots ne fîipplée pa& à la féchereâe du cœur ; & 
tant^uel'émottonne nous gagne pas , nous fom. 
mes toujours armées contre le projet. Un fou- 
pir , une larme , un Hlence expreliîf doit être 
plus pul0ant fur nous que ce vain étalage de ga^i 
lanterie avec lequel on n'a féduit que des fem. 
Utes qui ne valoient pas la peine de l'être. Toutes 
vos phrafes amoureufes n'étoient que les rémi- 
nifcences d'un efptic très-cultivé ;& je fuis ravie 
de 



h.,Go()L^lc 



HErL'lXCOXtTA »,C 1. -Vf 
H stàxiz.veàs Ttaàa à xe'tre nùure).. Voits 
èces fublime dans l'iioilie. Il faut hjen qae cela 
fuitt:puirqu'étanc Fobtjct de la vôtr$^ je ii'eti 
cpnviens^pas nioitu..de .voue fup4tiAricé dans 
Ofl'ganre ÏEUéreâaitt. 
:.Je ne vous reproche : qu'une chofei.ç'sf^ da 
jv*avôir.pM eavetoppé > fous des exprelSons plus 
adrohels elicore 1 lé dépit qui voui: tourmente, 
Sérieiifement i vous voilà :donc . furiei|x , patce 
que >'ateu refpritde'âe pas croire à .un iunouc 
qui vï>iH(nef«n^ii%ttW^Jp vous enlevé le plai- 
ficde mfrtrompecj cela «r^4 vengeance^ & )e ne 
^ifipftès un partit tc^i, 
liadq.jn'o^rir yfttre ami- 
ffl;US(. l'ami d'utte feraniB 
i)t'Qi>eito la figura ! Ri- 
uç Je duc 3 aux fuÎMs flQi 
c^ii8,ht|Dible léfignattofl. D'ai^leUFs. jeXuis:alirez 
tualbeuceiltre pduc' n''a^i[ aucun fscc^ç-à con- 
fier. Ëremis-y garde : aptes avoii; été. iw amant. 
faiis>iiqitréqu«nËe-».vous cobrez'le :Filî)V!^'-<l'ècra, 
ua apiiralisexerCtoer«f Ceroieat.trop de ^ifgraT; 
ces> la foisiVous âairie« pat qie haïr à la morc;-' 
le moyqfrde s'en confoler ? 

}tà m'attends bien à votre InCréduIi^té. On ne 
TOUS ferftjamais convenir qu'une femme à igon, 
âgCAemportéedaos te.toucbilloaoùj^ yis, sCîAn 
Tome y, B 



'D«),.rib,Google 



i^* httMiLtnfvHf 

piasbefoiti à'9 iepoCm ùfn e<ieur'daRs le fein et 
ht confîènoe intime '& de l'ÎAdulgeate amitié. 
Vous n'avez rencontre jii%j'{ci que des fera. 
nies i fèoFfetd. Ces damêfi çit ont heauceup- à dire , 
& plus encore à caciier : mais permeR^inoi de 
Vous reprefe¥itêr qu'il ffe Riudroit pas jvgtr tout 
moii fexe dV[irès quelcfues idées générfffes. Vous - 
^es étranges i yoiis tbttki hoïihtnes i brillsnteb' 
aventures (c'eft aînH que Toti5 les tippellez): 
parce t]H*tm« demi-doazanTed&fx^lesvI^ns re-: 
tenue , fans décence , tet^ïm par mfttnd^ lu 
, ticTtnies fki habitude i f âïeë ^M ceS-femmes-* 
là, 4is-]e* vous prertnent & vxjws qahtenti& 
Viusre^tchhrntpouPVcHHtpaittwendorBîparco 
^ela puWicité de vos pwfidfes & de iemrs dc^. 
ferdrei' les enchaîne à- Fopfirobrfr qu'elles ofeiit 
Kniver, voBs ne manquez ptts de n6us cont- 
prêfi?3i% toutes daiis ces flétrïlfsntes exceptions^ 
Apprenez de mot , tftdttfieur le duc ,- & retenez- 
fi vous pcrtivcz , qu'il eftsncore des femmes ef- 
timables, dont les charmes méritent Tos hom» 
irAiges} & tes mttors, Vos refpéâs. Lés wies- 
cbmb^ttent leur penchant, A en ttioMphent} 
les autres, moins courageufes & plus fenfîbles,' 
ftvent -honorer jufqti'à lear foïbieffis , parvien- 
nent à (?tre de ramoBr -tin' rentîment facré * 
'& ne perdent jamais ^tto putfeor fe«rete â» 



h.,Go(Mjle 



SB t'-l » C D « S T A N'C B. I? 

'TairTM j cette honte délkaie qui, mèn» dain 
leiurft écarts * fiimble toujours les rendre à la 
Tettïi. 

Ah nion dieu ! pardbn. Ne vcHlè-t*îl pai que 
je r«ronn£! VousBeTousyatteadieiiïicement 
point , St je TOUS ptotefté que '}e n'en, avois pas 
1^ pïo'pt. Adieu 1 mtmifiear le duc. Voue -ëtds 
vraiMent plus fufètpt^te d'àhaiài qu'on ne 
penf¥} Mais je ne vHi qu'urte- pceuve de la 
^tAwe t fti^fi^igeit les p^rfcmnes qui compofeni ma 
•fbciitë. ËHtrÉ nduB, l'efprit faiyriqiie iJe fait 
JÉfmafel d'htBinétt. ■ Qu&îqu'e'toiirdi* en (^pâ- 
rence, je n'en fui^p'ils ffloiïis très-bt»nnë~amiêi 
&")« t'eus patd&rttietai vbs jôli^faïtâfnifÉS ,' poilf- 
Vu ^'ils Hè tombent que fut mol. J'ai ta v». 
llité dfe'hie créik eri Ibnds pour jf répondte. Je 
n'en ^Utreîs dire ttutanfc de votre amour. 

P.'S. Bien déS fertme^s à nia placé ne tous 
àufblëiit pÂs éct'xt . je le fais : mais que voulez- 
Vous ? ô'feft Urie làtttalfie i & je iie la crois pas 
dangefeiift. 

■^ LlLL. ■-■ i '-', ■ ( -■■■« i* gL.L-:i=-=- . --''J,.;^,- <!» 

. .; ' p t LLE t 

Du âttcie ***, «ujîeur le Blanc, 
SltH bien , nwris le Blanc » que devient Vexpi- 
dition dont je vous ai chargé ? Vos grifons lont- 
-Bij 



h, Google 



<2cr L&s Malheurs 

iisentarûçegàe? Viendrons-nous àbout étTx 
«harmante Angleife 'i Tâchez de vous ménager 
des intelligences au dehors, au dedans.. AsioC* 
t«z vos argUs, pa^ez des eri>ionSi débauchez 
ics valets.- iËmpbyez »upr« des iemmes-de- 
chambre ^£écte {^duâion que vous poJTédez & 
bien. Seities Vot à pleines mùns > il ne voui 
manquera ^St Voilà ies eirconflances où il feue 
être'prodigue»& vousfavez que je fuis recon- 
<iioiâantdesbQntésqu!Qn a pour mol. Sur-touc 
jieme con)p):onteEeezpas.,Si Vîptrigue édioite^ 
je ne yçuï .point avoir teho.gfe.du revers. N« 
^nommezni.Mirbelle* ni moi; Vous vieil)iâ«2 , 
jnonrïeur le cqquln. Vous n'avez plus cette U^ 
géreté, tiette e0ronterisaâive, quiont figiiaU 
.Vos bewx ans. Vous vous repefez fur vos lau> 
Tiers i & Vfitt m'a dit hier .un mat horrible de 
vous. On prétend que vous avez des remords. 
De quoi diable vous avifez^vous?.Termineï 
^on aiFaii;e i vous ferez honnête après tant^^u'il 
vous plaira. J'ai befoin de votre intrépidité ; & 
&J6 la paieaflez cher . pour que vous remettiez 
à un autre tems vos retours à la venu. J'attends 
de vos nouvelles. Servc2 -' moi un peu mieux 
■qu'auprès de la petite chanteùfe. Sans vôsodieu- 
Tes lenteurs, je Taurois eue qu^ize jours plus 
.tôt. 



D,™)..rii>,.Google 



es L 1 s t a V ST X v c s. ai 

Du zèle-, menrHéur , du xele. Cette avGntiire- 
ci peut vous faire Un 'honneur infini Aiieu , 
inons lé Blanc. Nous verrons fi yous êtes en- 
core Tenfible à la gloire, & capsule d'éniBlarioa. 

■a» ^iii pH ' . II . ' . «> 

LETTRE IV, 

X>ù duc de *** ^oH comte de MirheUe. 

n^ N petit <;ouiïn , je vous ai cherché hier 
inutilsmetftdansphis de vingtmaiiôns. Je fiits 
retombé au fpeâaclo} vous n'étiez nulle part. 
5e n'» pas apperçu non plus la marqullè , & 
cela mê fait croire que vous pourriez bien être 
-tous^eux dans lacrifè des préliniinaires.Tàchez 
éeles abréger, s|H vous plaît, & de ne pas vous 
en tenir nne éternité à la monotonie ^'une 
même attitude : elle a beau être heureufe , il faut 
de -la -diverfité. Ceft la devife des femmes ; ce 
doit être la nôtre. Voilà , monfieur , ce tjue je 
vous ai dit cent fois , & ce qu'il ne faudroît 
jamais perdre de vue.Ondoitbrufquetlcs coti- 
guêtestiH'diVes, & ne rempbrifer qu'avec celles 
qai font trop brufques. U«peu d'emportement 
£ed À votre âge. De la délicateSe dans le pro- 
pos, de la promptitude dan« Paâion , tel elt l'art 
d'iutérefler quand -on a vingt ans. J'ai réfléchi à 
B iij 



■ R;r;>-M>,GOOgle 



ai .Les Malhcvrs 

votre Angloife, Jeté vois, cette paflîon-là ^'eft 
plus quHm Uea d'habitude. IL doit vous pe&r » 
&je vous confeilteiois de prcndr.euti parti fé. 
rwijSj Urie, intrigue de cette tiptu^e çeut nuicç 
- à votre avatrcement, contrarier vos fantaifîes, 
• vous croifer dans vingt aventures toutes plyj 
raillantes les unes que; les atiti^ , &, vous dbnner 
auprès des femmes un vernis de fidélité qai vous 
feroit prendre en averfion. Si vous ne voulez 
pas la quitter dafeqieiK ( & c'eft- ce ^i 8*af pelf« 
ime bonne foiblelTe ) , cQuiiaiencez. du moin» k 
éloigner vos vilkes. Prép^ez-la , pi)ifque v.ouit 
n'ofez la furprendre , S(. défaites -vous de cettf 
beauté britannique , ae. fûï>«e <)uc paf un zel« . 
national,^ un mouvement de p^^tiotirn^e. Ds 
quelle «rpct^ pcMvent Açac ^e VQSCE^qgemea» 
avec elle ? Je ne connofS ayac les fsnimes d'au-; 
trelienqoe Içpfaiidr. On,cefle d'être engagés * 
dès qu'An ce^e-de fe plaire. Tâchez àç vous pé- 
nétrer de cec prindpes. 

Jeparsdefnain paU;r~Sl>i.Ht:Hul>ert. Si vousmo 
faites répMtfe , donnez ordre, 9 vos g<ms qu'oq 
meTappot-çe de bonne heure : tranqutllifezrmoi 
Qif les inquiétudes que vous me cavfez. j'aî 
rpnvpu avec.'raoa lutin lyrique. Je l'ai cédé au 
prince de ***, qui a gagné ces jours- ci deux 
laille Ipuis au vhfgt-ua.Je me âébartaflè , &, 



-M>,Google 



t> t, t* 1 N .C .« K Ç T- A; Mi C 1. ^ 

•.O TB ga gî^T-^aa^;.' .-^ri^ S p-^rrrTnr- .'■■■, .—Lia i». 

jL E T T R E V. 
Dh fiear te Slave , au dite 4e***. 

J3X0»SE10NEUE, 

. Je p'qfç mu prçfeçrçr devant vous. J'ai déjà 
'épuifé toutet le^ cedPM^ces d« l'art, fans qas 
vos aSÀres feienten meilleure podure. Le logis 
été rAngloife cft une elpece dé fort ipacoefiible 
à toutes nofr r4ff«& dç i^^ewre. Ln domeftiques 
n'entendent pas le françcHSi les femine«.de< 
■charabre font fagos { tout eft veruieuS' dans cetts 
.ç^aifoii-là, il hY R F» de l'eau k ^okc Povr ' 
comble de malb^i «Hé eft gardée par ivi^roy 
■dogue anglpis * ^ui a p/a tnes émijSak'es en d^- 
plâiraQcc. Il a jpft^Cé «e^ jourt-çi en dévifaçer iip 
qiji s'étoit dégBÏÏe sa perte r bsllp. On. «ojroit 
que ce vilûa anlaul a deviné v^ iiitentio;ii?* 
j'ai pQHCtaitf dé;> bien écorné les &nd$ ^ue 
tnojifcign^eHc pi'a çopfié?, T(mt pçla U difl>R8. 
eu meiius &nis ■ j^ ]? voi$ avec douleu/ ^^Ç npil^ 
feionsqçQUraints de renoncer à eetts gr^jide eo- 
treprife. je rae 9att4 , q^onfeigneur, <]ue vç^s 
ne m'acouferez pas. de n^tiçeoce, Q.uaat au^ 
B iv 



D«vf.rii>,Google 



aif ■ 'Les' M a t. 'h e' u r s' , ■ 
Tetnords' dbnt on vous a parié, foyez tnmqtnlle t 
je fuis trop philofophê pour mV abnadonrich 
4vec i'aide du ciel, J'erpere finir comme }*aî 
commencé. Mon ^ecle m'a trop bien traité , pour 
que je fois ingrat envers lui; &(iDteu meprète 
vie , je blanchirai dans une profeÛion qui en- 
richit celui qui l'exerce , & aCuie tes ptaiiùs de 
tant d'honnêtes citoyens. 
I Je fuis dans ces fentimens , & avec le plut 
profond refpéâ , monfeieneur , &c- 



LETTREVI. 

Du duc Je-***, im vicomte de ***. 

SHt H bien , mon cher vicomte , comment vous 
trouvcE-vous du beau ciel de Tlulie? Au milieu 
des chefs-d'ceuvres dont ce fol précieux eft femé , 
parmi ces monumens antiques qu'un homme 
aimable volt fouvent mieux qu'un lourd voya- 
geur de proFeflîon , r'egrettez-vous nôtre Paris , 
nos fpe^cles, nos foupés qui ne font gaîs qu*à 
force de bouffons, notre corruption (ï perfec- 
tionnée , notre galanterie li commode , nos fcan- 
daleufes hiftoriettes , l'étourdetie de nos hon- 
nêtes femmes , & la pruderie de nos catins ? 
Quoique fort jeune encore , je le fuis moins 



' Dim^f^vCooi^le 



D2 t'iNCONtTA-WCl. If 
^ae TOtK. J^ai de l'expérience, je vous aimej 
& avant ies grandes confidences que j'ai à vous 
ftrir?, je vais me faafardec à vous donner quel- 
ques confnls. 

Je fais entré dans le -monde prefqu'en^nt'ï 
mats j'y apportoîs une organifation ardente , des 
fens aâifs , une envie démefurée de plaire , Se 
tous Les moyens d'f parvenir. Grâce à ces heu- 
leufes dilpoUtions , j'ai tout vu, toucdévàré, 
tout approfondi (le mot n'ell pas trop fort); & 
par la multiplicité même de mes fenfations , j'ai 
acquis une ïbule de connoiâ*ances qui font à 
moi , quitiennenc à moi , & ne reÛèn^lent point 
à ces pefantes excurlions que des pédans font 
fur refprit des autres. La finetlTe du taâ s'é- 
motiffe par rétude oidve -àa cabinet. Ces pré- 
tendus favans font toujours un peu plus bâtes 
le lendemain qu'ils ne l'étoient la veille. A me- 
fiire que h. Mémoire fe charge , la penfêe fe ra. 
Isntit , te feu du talent s'éteint. On fe noirck 
1& tête de dates , de &its ,' de graves balivernes ; 
«n attrape pac hafard quelques vérités que mille 
^reurs étouâenti en fs jetant fur le paflë, on 
laillè échapper lepréfentjon analyfe le gouver- 
nement de Licurgue , les lois de Solon , le code 
antique de Confutzée, &l'one(l inepte dans la 
politique de fou tems i en un mot , on conveife 



D,m.f.ril>,GOOgle 



9£ tï&MALHEOItS 

familiécement d^ns le fallon des Liontium , i^ 
flora,» dçs Afpalie, & l'on etii:<r« gvochemeqc 
à&m te Wudoifvd'qn^ jolie femme du dix - hui- 
tième fiecle. Vivent ies contemppiaîns! C'e^ 
Avec eux I c'eft r^tiVem^nt à eux , qt]*it faut 
s'ialiruire. Tout le Eeften'eftgqeçfaimere, in- 
certitude 8i fotcUe. J'ai pefé fui ce préambule , 
a6n de ne voitf pQÎn; tro|^ Turiurenilre par U 
moru l« qui va fuf v(«. Fiivole créature qiu vot^ 
èit|s . je n.e votJs.invice pas à vousabjimer dans 
la méditation} eliftn'fft faite ni pour votte état. 
m pour votre âge; laaiji je vous exhorte k voie 
beaucoup & 4 voir bien. Il ne vous en coûtera 
4pe quelques regards attentifs* & chacun de eu 
xegards enricUf^ vq^re raifqn>^faus enlever 
lien à la diiSpAtiop dp votre caraâere. Puifque 
voui voilà en Italie, f^^s-y légèrement |e« 
JDoilTons utiles qw pwt fournir cette terre bril- 
lante , qui fut U patrie deç hérots, devint le ber. 
ceau des uts , & «Q: encoce le j&ege de la polïtU. 
qtie. Ne bailez point la muU 4u pape-, je ne 
TOUS k pardoiifiçirois P9K : mais ioforntez- voua 
des détailsdefïpniâance. Gintioldezlesmœui;* 
ào paupl«>fucrt9itt celles de Ift bonne çomp^ 
£nie. Chaque p^rs a la fienne « & c'eft là que Iqs 
gens de notre otdre q^prennent tout ee qu'ils 
«doiveac lavoir. Moggee-yous d^s roonCgnors ■ 



h, Google 



BCX.MHC0K8TA.KCE. %•/■ 
{[tâchez ie fédoirc leurs f««mef;. Trompez^en 
l£ plus que VQW pouriwï, U n'qft pac. «yiffttOA 
4«^Ic« WTwr', maif d»l^ cçaiu^pre; C'«lï t)ti« 
4twhi pUis ffiendelle qu'on bb Tiajsgine. Toute 
]» âeiK tie VeÇpfh d'uns ajuIoii eft en. quelqua 
fjifts r^^adae fur ce Due chum^at , qui en eft. 
Wyjowfi la mQÏùfi U bUk iwéreCiwit». Celles qui 
jfWH'fionQéw vop&diietu leijr fiwcqt î celtea 
^i HftJiA ^^ itaF vqi)& açcoutiinjeat à le dflvi- 
ner. En un mot, quel que foie leur caraâera , ii| 
Y a.toHJfiu|»,ft,prafic«F bsauco^ Ans Imv com- 
HW^qt } ^ * tovt. Dr«a4re 9 U» fwmes font les 
vr3iFpi:écejiteiirs 4ug«nt;* h^llui|1. Tout «on» 
^fte à pe lei^r pa^ (terowd«r plqn qu'elles nft 
seuveat. Quelques fMs, qui It^ adorent en exU 
gçnt de l^ coql^qce. Un hpnirae inftcqic, qui 
£iit trop bi^n ce qv'atUs foat jtour s'y «(tacher, 
à un certfiin po^it , les abandonne à leur pente 
naturelle , ne s*apperç,ait de Iç urs caftricet que 
pour «n rire , & les eacM^e Touveat par l'af- 
lèâacion miéaie df ne poitU attenter à leur li- 
l^erté. Ce. r«nt des ^tret quct l'on gouverne en 
dédaigna^ l'enifûrfr Ne jsnuts Te coocentret 
4ans une* eft l'an d'être toMJQurs bien «veQ 
toutes. lafupportables dans la n^pnotonie d'un» 
paûîon ,elles font divines pendant l'éclait d'une 
iJMiBii&e- Les délices « le ctta^me y la féerie dq 



D«),.rib,Go.ogle 



âj L es" M À L H KTI » s ■ 

l'omour font dans tes courmens de refpîéranee t 
dans les premiers joârs du bonheur > & les pro- 
jets de la Rupture. Voilà-, je crois , les trois pointt 
, IbftdiHnentaux fur Içfquels s'appuient volontiers 
ces philoPophes aimables , qui entendent tfop 
bien leurs intérêts , ceux des femmes même , 
pour les -iàtîguef 'd'un amour tenace , pour ne 
ïailTer à l'avidité des afptrans que les nitnm' 
d'une, vieille intrigue I & des goûts aiïkilis pn 
rhabitude. 

Vous vouStromperiezfbrt, mondiet vicomte, 
fi dansce moment. ci'vousvousaviûez de me 
croire léger. Cette frÎTolité apparence n*eft ett 
efFet (juel'e^périence déguifêe Ibus des formes 
qui en ôtcnt la rudefle & l'ennui. Il &ut fuir Is 
monde , ou s'«n moquer. J'ai pris le fécond parti 
comme ie pitis amufant , fSc je me voue de bonne 
gface aux conjectures malignes qu'on poiim 
former fur mon caractère. Par exemple , je me 
trouve aâuellement dans une pofîcion délkate , 
mais dont je veux tirer tous les avantages que 
Ferprit d'ordre & de conduite peut arracher i 
la' bizarrerie des clrconftances. Croiricx-vous 
bien qu'à l'inftantoù j'écris , j'édhJippeà peine 
au ridicule d'une paffion ferîenfc ? J'en ai e« 
les fj'mpcomes les plus effiayna». Mon étoile 
itoità bout, mon ft&eadant vaincu. J'étrâ la 



-M>,Googlc 



9 X., t %I K C O S S T A H <r E. I7 

^upedu moindre manège, le martyr de la co- 
quettetie la plus manife&e} je redevenois un 
homme ordinaire , & je ne dois ma guérifon 
qu'à Tun de ce» coups de maUre , q^i changent 
les dirgcaces du cœur en triomphes peur la 
vwiicé. 

Comme je ne vous crois pa$ exce0ivemenC 
occupé , & q«e la tête calculante de votre oncle 
jkertvl n'a pas encore ataené la vôtre aux jouiHi 
{ànces d^ilomatiques, vou^.aucez le tems de me 
lirei'Envo/e?-moi votre journal ,& faites votre 
pi;pfic du mien. La femme qui ^'a mis à deuiç 
doigts de ma perte ,e&'la jolie madame de Sytce. 
Cette épihette de jolie , que Ton prodigue tant* 
& qu'on applique lî mal , femble avoir été ima- 
ginée pour elle. On ne l'eft pas 'davantage , & 
l'on n'a point l'art de Petre plus conftammen^ 
Sa féduâiion etl prompte &, durable > j'en ai ^t 
la cruelle expéiienoe. Je l'ai aimée trois mois 
avec un acharnement qui n'a pas d'exempl^ 
Figurez • vous une bouche qui pe fait que de 
naître , & des. yeux qui ne finUTent point , preC- 
que bleus , quoiqu'elle foit bpune , & armés d^ 
longues jimjpieres noiis < Servant comme de 
voiles aux rayons qui s'en échappent } un tsinc 
d'une blancheur éblouiflante & qui lui appar- 
tient , des bras arrondis par. les grâces > Mn piet) 



D,™),.rib,Google 



que la Chine envierait , une taille au • delTus 3é 
tout , légère , élégante , pleine dé inollefle , & 
majeftuenfe en caâ de befotn. A Ce phyfîque 
Viftorieux , joigiïÈlr un "moral célefté , [*efprii de 
iDut dire , de tout a^^ierCevoir ; âé tom ornec ; 
cette folie qui n'ôtc rien à la décence ; litit co- 
^Uettërie qlii dirérpere & qui plaît , des boufi^es 
d'humeur , de râf iâhntes petites bouâerÏM, des 
lueurs dé («titimeni, queli^ues nuaififeà àe tné- 
iJHiGolie , d'autant pluâ piquantes qu'on n*<ett 
deviné pas la 6iufe i cme aiiie géruïreufe , bien- 
titifante & nobtè ; One i^agiiiatidn atdétlte , Va- 
gabonde & magique , qiri lui crée des pIMHrs oà 
léâ kattes en cherchent , & la promené toUjouri 
Zahi un monde ènchartcé. 

Ëlie n'àvoît que ti:ei2e dns liuand elle a époufS 
S^rcé. Au hobt dé deux ahnéeil d'aine cotiftance 
iiflez équlvbtjuc, p'etidant lefquellcs ilVeftfai« 
'detix héritiers , Il sMt iK'ré à fon goût pour cei 
beâtitéâ facile^ '<ii^on paie , qu'on idblâtre 8t 
ïjù'ôli méprift; citoyenrtcS précieiifts & lièiles, 
qui V6nt de mains en mains , amufetit la t&te'i 
ii'e'ntreprefttlent point fur Te cœur, & teqoi^ 
Vèift dftnit lelirs bras c^mptaifans tes jeunes geni 
oïCih , left épouic tanstuges > & Tes étratigers cré- 
dules , qu'allés ^ont en coifTclence obligées dé 
ïCiner pour (k âûfè mx n&m , St encoa^gcr léttri 
fucceâeucs. 



D«)..M>,Go()ijle 



DE t'iSCONS'TAlïtB. JI' 

.Sfrcé eft libertin ; celi eft unit fimple. Mal. 
luur aux itnbécilles qui le paiBennmt pour le 
Hen conjugal , s'aâoupiSent dans les langueurs 
de cenè crnpute dotneftt^ue , & deviennent les 
tyrans des beautés malheureufes dont ils ne 
font tout au plus qoe tes dépoûtaires ! L'es ma- 
riages aujourd'hui tie diDiveht fttfe & ne font 
que des* cfpeces d'ifcbanfes > des reviremens de 
tmrtics qui làciittcnt la circulation , & tournent 
au profit de la communauté. ' 

Syrcé s'ed convaincu de ce principe* & (k 
conduite en eft la conféqnence. Mais s'il a le 
bon efprit de n'être point fidèle k fa femntoi ce 
qtti léron attoce dans un Gedc delumieret» il 
a dé plus le mérite des mdlleurs-procédésavec 
elle. Il n'ell nî jaloux , ni tyranniqtre t H vit avec 
la marqnifecomme un an>i qui dierche à pbtire. 
U a même quolqucs -.«nés ds ces prévenances 
qde nos mœurs n'ex^ttt point v oins qu'^es 
tolèrent t & après r«s chtroux > fss chiens & Tes 
DAttt-eSfls , nndame de -^cé eft aâbrément c» 
^'il fll&âlcmne l« plus. D^BtUeursifen grade 
militatre l'oblige à des ve^^s firéquens , qui 
le rmdetfc un d^s tilus adorables ntatis que le 
diel ait fiiit hakFe pdùt la commodité dtïs amans. 
Au in -erti)K>Tte-t.{U couifeB tek foie qu'il pfart > non. 
^des regfets (cilftAn^t tn^ iDOdiuit). mais 



1, Google 



t& . L E s M A E H B D k s 

une foule de bénédictions; C'eft alors que Ce 
nniraent tes prétentions j les profets « les erpé- 
Tances de tous ceux qui difputent le cœut^ds 
la msrqutfe. Cette coar déplaît un peu i fa faonner 
femme de mère, chez qui eUeloge depuis qu'elle 
eft mariée , qui eft , dît- on, la plus vénérable 
perfonnç du monde* & qa'auffi }e refpede au- 
delà de tonte expteflloq, pour rendre à ma ma- 
nière hommage à la vertu : mais elles ont leurt 
appactemens féparés,» & l'on appetçottiaiemenb 
cette longue figuie édifiante *qui me donne des 
vapeurs pour quinze jours , quand >'ai le malw 
heur de la rencontrer. 

Vous voyez d'ici que madame de Syrcé e& 
auiH indépendante qu'une jolie fenïme puifle. 
yètre » & je vous aflure qu'elle en profite, ^e 
Qounde fêtes en fêtes, de plaifirs en plaifiis. 
On la voit aux fpeâaclestaux baU, dans leS' 
cercles , aux foupés. Elle fe; multiplie « «R; p9r>^ 
tout à la fois , & par-tootadorée par les hommes ». 
enviée par les femmes , attirant tes uns , fe mo- 
quant des antres « & joui^ant de la jaloufîe dt. 
fenfexe, bien plus que de l'amour dunôtre. 

D'après ces qualités fympatbiques à moi , pou- 

vois-jem'attenibe qu'elle fùc l'écueil où dev&id- 

échouer l'orgueil de mespremiers fuccès? Voili 

pourtant 0$ qù m'amvfe J*û dceÛë toutes met 

batteiies j 



i>v Google 



l^tteries ; j'ai &it pour cène attaqua* les difpo* 
fitions les plus favantes ) rien ne rti'à réu£î. On 
fn'accordoit quelques anémions pnrticBiieres i 
ftle moyen qu'on f^c autrement ! Maisavecles 
femmes, je n'aime point à m'en tenir aux- fur- 
facei , & je me dépèche de )e$ approfondit , aân 
d'en Être plus vite débarraflê. Madame deSyrcé 
ne m'a pas laiâe te tems d'en venir U. Les fats 
fubalternes fe vantent des conquêtes qu'ils n*one 
jamais euei. Les hommes fupéiieuts trouvent 
une forte de dédommagement dans l'aveu mèmti 
de leurs revers ; ils fe Rejettent fur leurs anciens 
trophées ; la gloire du pa0e leur garantit l'avenic 
& les'confoledu préfent. Je lîe fuis donc pas 
très-méc«ntent de moi i & je pardonnerois vo^ 
lontiers à la marquife i fans la nécellité de fairtf 
un exemple. Il feroït dangereux , vicomte , d'ac- 
coutumer les femmes à de pareilles défenfes * 
& à ne pas di(Hnguer des agrefleurs d'un certatii 
genre. Autre raifon de févîr. Quelques perfon'. 
hes prétendent que fous des dehors évaporés 
elle cache des principes foltdes , une fagefle de 
réferve i & une vertu fournoife qui la pcflede k 
l'heure qu'on y penfe le moins. Il ell eflentiel 
peut elle-même de ne pas respofer plus long, 
tems aux foupqons d'un pareil travers. Qu'elle 
aie réniïé par capcice i très. bien ; mais que la 
Tom K C 



D,™)..ril>,.GOOglC 



34 Les Maihbvks 
vertu en dxt , je ne te fouffriraï point ■> & ifett 
par un excès d'eftime pour elbe que je tiavaille à 
la convaincre cfuiie foiblefie. |e n*ai pu Ta déter- 
miner en ma faveur , )e veux la fédiùre par pro. 
curatiott. Ne l'ayant point eue , it efl: de toute 
décence que je la faâe avoir. Far-là je me tran- 
quillife, je fa|iTe fes moeurs de Taffirone d'être 
Sûrpeâées , & rends à mon Hede une femme 
qui doit en être à la fois le modete^^ rornemene. 
Le projet efl; beau , je me charge de l'exécution ( 
le fuccès n'eft pas équivoque. Notre jolie ré- ■ 
voltée ne fe doute pas de l'embulcade , & elle 
fera trop heureufe d'y tomber. Je lui ai détaché 
depuis deux mois le comte de Mirbetle. H a de 
lajeuneSè, une taille par£aite> une de ces phy- 
iîonomies douces , ienfibles , rom&nefques , qui 
trompent lej femmes , leur perfuadcm ce qu'on 
leur die , même ee qu'on ne leur dît pas , alll^ 
ment leur îmagtnatton , les difpoTent enfin à tout 
entendre > à tout .croire & à tout accorder. A 
ces avantages it réunît une feule detalens. Il 
excelle dans tous les exercices qui occupent fon 
âge. Pouf fon caraâere, il eft fubtime, divin t 
puifqu'it Quadre à mes vues; Facile , un pçu 
foible , confiant fur - tout , & fouple à ta main 
qui te gouverne , le comte eft juftenient ce qu'il 
meàiM, 



h, Google 



D E l' I N C O K s T A N C E. ^f 

. ,Sa n»i(ranceeH illuftre , nous romm«s même 
MU peu parens j mais depuis quelques minées 
fa famille étoit privée des grâces de la coût : 
j'ai profit^ de la faveur où je fuis > pour te prc- 
fcnter , & le mener chez les femmes qui don- 
nent le ton. Il prend très • bien i ces dames lui 
trouvent de (a gaicé dans l'elprit , de l'expref- 
fion dans les yeux * elles fe flattent d'en faire 
quelqoe chofe. H vient d'avoir une afiâire d'hon- 
neur , dont il s'eft tiré avec la plus grande dif- 
tinâion. Mirbelle en un mot m'écoute, me cioit, 
e(t reconnoilTant de ce qu'on fait pour lui i il 
doit aller très-loin. 

Vous conviendrez que c'elt punir bien dou- 
cement la tnarquife ■ que de lui fufciter un 
pareil adoreteur, adorateur comme nous l'en, 
tendons. Elle,a, quoi qu'on en dife, mi; plus 
d'une aventure à 6n i mais décemment i à petit 
bruit. Ce n'cft point là mon compte. Il eftim. 
portant que celle-ci Tnffiche. Le fuccès n'eft rieui 
c'eli la publicité que je veux , c'elt l'éclat qui me 
venge. J'ai introduit mon vengeur dnns toutes 
les maifons où elle foupe, La vieille préUdente 
de ^"^t qui eCt toujours auHÎ vicieufe que 11 
elle avoit toujours le droit de l'être , l'a préfenté 
' chez elle à ,raa prière t & ce qu'il y a de char- 
iitanC} c'eft que la petite de Syrcé eft.déjà fur 
. Cij., 



-M>,Google 



)£ Les SliLHÉCHs 

ta dÂFenfîve. Elle aflède de l'humeur ; elle nV . 
pas l'air de prendre gardeà lur, le boude fana 
motif, eu rit aux éclats avec le premier îmbé* 
cille qui lut tombe fous la main , croyant maf- 
quer ainfî fa tendre préoccupation. Elle ne voit 
pointqu'avee ces manieres-là elle va (Ëreâerâent 
à mon but.' pavois befoin de fcs froideurs appa- 
rentes , p.our aiguillonner Mirbelle anéanti dew 
puis dix -huit mois dans les- langueurs d*uK 
autre fentiment, La marquife , qui ne parle point 
à fon cœur , irrite Ton amour-propre ; & les illu-* 
£ons de ce dernier me ierviront mieux peut^ 
fecre que les mouvemens naïfs d'un véritable 
amour> 

Eh bien , à travers tant d^e fils compliqués « 
commencez- vous à entrevoir la pureté de mes 
intentions? La ehere marquife rafelera d'un 
homme à peu près indlSerent , & elle fera punie 
du ridicule de m'avoir combattu , par l'obliga- 
tion de me regretter. Ce n'eft pas tout. En em- 
barquant Mirbelle avec la femme qu:'il n'aims 
' pas, je me facilite les mofens de lui enleVer 
celle qu'il ainie , & vraiment elle vaut les frais 
de l'entreptrfc. 

C*cfl; un roman perfonnffîéque cette femme- 
là. Elle- eft jeane , fvelte .blonde , veuve, & 
fingloifs. Je l'aï quetquef6i»>apperçue à U r<»:tfe 



D,™)..rii>,.GooL^I*: 



V t IIKCOS-ST -AN -C K. ^f 
Ajfpeaacle, où elle ne va qu'en loge grilhie. 
D'autres fois j'Ai todé le macin autour de l'a 
jnaifun fituée à une lieue de Paris , & je me 
Jîiis enivré du pUiGrde la voir. Elle reâemblc 
pour U taille , à ces jeunes Grecciues que U 
pinceau de Vian nous repréfente. Sa phydono- 
jnie eft Ërieufe , mài& noble i ion regard eft im. 
IMïfaat , mais on entrevoit qu'il peut deveiiic 
Cendre, Il fegne dans tous Tes traits une cer- 
vàos Eerté qui iraprîme le rerpe<5t, & une mé- 
{ancolie qui invite à l'amour. Elle a dans fa per- 
fbnne^uelques détails qui dépayrcnt} mais fo El 
enfembte e(t voli^tueux , & il feroit poQible d'a^ 
voir avec elle un commerce très - attachant. Ce 
^i me paroît encore très -piquant chez elle, 
c'eft une (brte d*énergie qui coHtrafte merveiU 
teufement , d(t>on , avec les grâces touchantes 
& là moUeâê'ide Ton extérieur. En bonne foi » 
Je ne fuis pas trop fiirpris -que rhonrvète Mit- ■ 
belle ait quelque peine à la tromper, J*ai en 
^ue je ne psrviendiois jamais à 4e tker de U, 
. pour lui faire peindre un certaïn vol. On a beau 
Uh repréfen-ter qu'aimer une AnglfflCe k une Heoe 
de Paris, c'eft s'expatrier cruellement j il me 
l'épondpar des fonpirs, ^c'eAuneréponfe d'en- 
fant, qm«8 laifle pas que d'cmbarrafler mon élo- 
.quence. U prétend que tout Lui convient dans 
C iij "^ 



-M>,Googlc 



?8 Les Maihiuks 

cette maîtreCe , figure , ePpriti caraâerc ; qu'elle 
fe livre à lui avec fin abandon dont il feroit hoc> 
rible d'abufer; qu'elle n*a plus au monde de coit- 
fblateur que lui. Qiic fais-je enfiii ï il ne finit 
plus , quand il s'agit de judifîer la confiance de 
Ton attachement. Tout le fixe, dit-il, jufqu'au 
myftere répandu fur cette intrigue. Son Angloi- 
fe , demeurant hors de Paris , n'eft point en bute 
Rux regards de fa famille. Elle lui IniSe d'ailleurs 
la plus grande liberté ; fruit de la conâance 
qti'die a dans fon amour. Il va , vient , fans 
qu'elle s'en plaigne , & voilà fur-tout ce qui m'a 
tenté. J'abhorre les femmes inquiètes & plain- 
tives. Ces tourterelles-là Tont excédenies. Quel- 
qu'amoureux qu'on foit, on eft bien-aife de 
n'être pas (î curieufement recherché fur l'article 
des perfidies. 

Enfin , vicomte , vous voyez d'ici quel eft lé 
genre d'intrigue que j'ai à conduire. Vengeance 
d'une part, fédudion de l'autre. Pardonnez ta 
longueur de ma lettre , en faveur de la gravité 
de fon objet. Une légère iadirpolition m'a forcé 
depuis. deux jours de refter chez moi , & je no 
puis mieux occuper cette inadion gu"'en caufant 
avec vous. Mandez - moi ce que vous faites , & 
rendez - moi confid;nce pour confidence. Vos 
aventures ne peuvent avoir lamèmcconlînance 



-M>,Googlc 



O s V 1 H C O IV 8 T A N C ï. ?J 

«foe les nûeiines i elles fiùvcnt les inégalités de 
votre 'marche. N'importe: ira vrai François fatt 
-des «enquêtes ea courant. Moi qui fûts à pofte 
£xe, je trompe avec plus de méthode ; & mei 
tnémoires doivent fereCcHtir nécellàicement du 
lejour où je les écris. 

Répondeie-moi , aimez-moi. Des détails, de 
'grâce, fur vos beautés romaines. On les dit vo< 
luptaeufes. Les nôtres ne le font g.uere; mais 
^lles f(Hit fauâ*es , cpQuettec &.crédules: tout eS: 
.compenfé. Bonjour. 

•^m^ rw.W I ' '^ " V" . 1111 «» 

LETTRE VIL 
Du «PHtfe JsMirbtllettai^c^ #*#/ 

VoUB vous trompes fort, monfieur le duc. 
Non feulement je n'en fuis pas aux prélimi- 
iu»>», comme vous avez l'air de le«roire; maïs 
je vous avoue franche'menc que je fuis décou- 
tagé , & par les difRcuItés que je ttouve auprès - 
de la marquife, & par lesobftacles fecrets que 
mon eœur m'oppofe. Je ne fuis point encore 
aguerri contre les dégoûts d'une intrigue "mal- 
^leureufcou les repentirs inréparables d'une 
perâdic. Je ne me fuis que trop apperi;u de tous 
^s agrémens de madame de Syrcé. C'ed une 
Civ 



D,™),.^b,Google 



49 LesMalhev-r^ 

enchanterelTe. £lie ne dit ras on mot qui ne foEl 
un trait i retenir ; elle n'a pas un mouvement 
qui ne foit uns grâce , & ne jette pas un regatâ 
gui ne donne k rêver. Les heures , fi longties par? 
tout ailleurs , votent auprès d'elle. On ne les 
compte plus, on les regrette. Mais plus elle me 
partie incére^nte , moins je4a trouve âite pour 
ècre facrifiéc à la fantaiûe du moment. 

Dans une eSuflîon de eoïur , dont je fen$ 
Coût le prix , vous m'avez avoué que fa conquête 
vous étoit échappée. Je vous en iàis juge, tTolSr 
je attaquer une femme qui s'eft défendue eotUcs 
vous? Et fi plie 3 déconcerté yo^re.cxjiérience » 
puis-je ra'attendre , moi qui débuté, à un fuccè» 
plus heureux t" Non s il vaut mieux faite une 
retraite honorable que de conilatcr ma difgrau. 
Encore une fois i plus la mnrquïfe eft dange- 
reufe , pli^s elle m'avertit de n'être pas inconfi, ' 
déré. Elle n'a pas même avec moi cette coquet- 
terie vague qu'elle fe permet avec beaucoup 
d'autres. Elle me boude fouvent, me brufqu* 
quelquefois , & me contrarie toujours. C'efl: moi 
qu'elle deftine apparemment à être viâime de 
fon caprice. Je conviens avec vous que pendant, 
quelques jours fa tête a penfé m'en tourner. L'a- 
iBour-propre , le dépit, ta honte d'être maltraité, 
{put S9h peutrètre m'auroit tenu lieu d'amout f 



h.,Go()L^le 



/ftm'aurok ezporé à bien des peines, fi la vo!x 
' Au feadment , celle de l'honnêteté , fi la probité 
même ne m'eût tout>à-faît t'eagagédans les liens 
que j'aime , & ramené vers un objet qui doit me 
devenir d'autant |ylus cher que j'ai été fur le 
point de ie trahir. Madame de Syrcé eft char- 
mante» Ton {buvenir plaira toujoursiïmon ims. 
ginatioD } il ne fera pas même indiifërent à moa 
cocsr. Mais quelle femme que ?adi Sidley !Quoi- 
qu'Ole n'ait rien perdn dfrfes attraits .je l'avoue- 
rai pourtant, je n'éprouve plus auprès d'elle ce 
tumulte des Tens , cette fièvre dévorante , cette 
srdeur Inconcevable & prefque doulouieufe par 
fonexcèsj qui accompagne les premiers tranF- 
{lOrts de l'amour. Ce qu^elteWinfpire eft moins 
yif & plus recueilli. Ceft ohàttendtifferaent in- 
térieur, une émotion douce'; un je ne fais quoi 
qui me fait Un befoin des larmes toutes les fois 
que je me trouve ingrat , où moins léfolu à lui 
refter fidèle. L'amour peut s'afFoiblir dans une 
jame honnête î mais qu'il s'y éteint diiEcilemcnt ! 
{1 eft trop pénible de brifer l'idole qu'on s'eft 
laite , de changer en froideurs humtUanCes les 
edorations d'un cœut bien épris , & de dépouH. 
ier foi-même de tous les charmes qu'on lui prê- 
toit , l'être qu'on avoit choifi poiir le rendre heu- 
Fpux. Qa lui enlevé tout ,' en le privant d'un fegl 



D,™),.rib,Google 



4fl L B s M A X. H B U K s , 

des hommages auxquels on Tavoît accoutuiné. 
Je vous ouvre mon ame , & jie crois pas pou- 
voir mieux placer ma confiance. La légèreté de 
votre ton ne prouve point fans doute celle de 
votre caradere. Les fervices que vous m'avez 
lendus , ainfi qu'à ma famille , tes marques d'a- 
mitié que j'ai reçues de vous, tout m'alfcre de 
votre difcrétion. 

' Vous avez trop d'ufage du mqnde & du cœuc 
humain, pour ne pas faiHr d'un coup-d'çeil I^ 
înconvéniens de ma iîtuation. Mon extrÈme 
jeuncfle, la Ëiciliié de mon caraâer«* une tête 
vive , un cœur honnête , |es illufîons de IV 
mour-propre, l'afcendantdes principes , l'amour 
vrai des procédés t tout cela m'agite , fe coMbat 
en nioi > & ânira par me rendre malheureux. . . . ' 
Non 'y j'écouterai la voix du fèntiment. Cett lui , 
lui feul que je veux fuivrc. Je me fi^e à c«tte > 
idée; elle m'efl: douce , elle ne .tailTe point de 
remords. Je préfère des peines même cruelles» 
àcesplaifirs trilles qui empoifonnentle.cœut*, 
& n'ont rien de durable que les regrets qu'ils 
traînent après eux. Vous me demandes quelles 
raifons li fortes m'attachent à ladï. Eh bien , ap- 
prenez donc tous mes fecrsts. Vous m'arrachez 
_ un avcrt que je n'ai jamais fait qu'à vous. Je con- 
sens à le déporer dans votre fein , peifuadé qu'il 
n'en {ottira pas. 



h.,Go()i^lc 



DE L* I V C 0;N S T A H C E. ^^ 

Ladi'eft d'une famille di{Hnguée en Angle- 
terre , &'connue Aic-toitt par un caraâere d'iiu 
fiexibilitÉ & de hauteur républicaine. Milord 
I Sidley en fut la viâtme. Dans un de ces mo- 
taens orageux , fî fréquens chez les Angtoit , il 
fut opprime par la cour, fans être protégé pat 
la nation. On le mena à la tour ,011 il mourut en , 
héros dans les bras de fa fille & de Ton époufe , 
qu'il avoit fuppliées de ne point s'avilir jufqu'à 
demander fa grâce à fes perfécut-eurs. Après 
avoir recueilli les derniers foupirsde fonpere, 
ladi , pour honorer fa mémoire * jura une haine 
immortelle à la patrie injufte qui l'avoîi aban- 
donné. Cette ame faite pour t'amour , fut haïr 
avec cette énergie courageufe que les grands 
cœurs impriment à toutes leurs E^eâions. Si 
mère partagea ce fentiment , & toutes deux ré- 
folurent de quitter l'Angteterre. Elles raina^&> 
renc les débris d'une fortune que de longs dé- 
faftresaToietitendommagée.QHOt que médiocre, 
elle futïifoit pour les mettre i l'abri des feoouis 
intéreâës des foi.difant bienfaiteurs, efpeces 
d'alTaSïns qui dégradent en obligeant , & vet- 
fent h la Ibts l'opprobre & l'or. Contentes de ce 
qui leur reftoit , rejetant toutes les reâôurces 
-étrangères à eties, ladi & fa mère fortirent de 
Londres , & vinrent s'établir près de Poitîe». 



D,™),.rib,Google 



44 l'Es MAintiTits 

- Mon régiment n'en étoit pas loin. Dans les mo- 
'Biens que me laiâbient mes- exercices militaires, 
î^aDois fouvent chez le vieux commandeur de 
S. Briâbn, qui ralTembloit chez lui ia bonne 
compagnie. Ceft là que je rencontrai Sidley 
pour la première fois î elle étoit veuve , & u'a- 
voit pas vingt ans. Jufques là je n'avois éprouvé 
que l'ivrefle du defir; je la vis, & je connue 
l'amour. De quets toucharis caraAeres la nature 
le plaît à marquer les premières imprelËons 
.d'une ame fénfible ! Tous les objets me paru- 
rent changés autour de moi. Le joue avoit plus 
d'éclat , la nuit plus de volupté. Aiiffi jamaii 
femme ne fut raieuï -faite pour réalifet les chi-' 
mères d'une imagination ardente , & juÛificf 
tous les délires' du cœur. Figurez-vous ce que 
les grâces onr d'attraÎK , & la beauté d'impo- 
fant. Une modefliie noble , une décence natu- 
relle, cette ëeriéintéreifaiitedont peu de fem- 
mes ot» le fecret , un efprit fage & pénétrant , 
{ufceprible à la fois & des 6nefles du goût , & 
de la févérité des réflexions > voilà Sidley. Tels 
font les charmes qui m'enlevèrent à moi. Mes 
xegards s'échappoient furtivement vers elle •, ■& 
lorlque par hafkrd je rencontrois les liens , mon 
front fe couvroit d'une rougeur involontaire. 
Elle s'apperçut bientôt dû fouveratn empire 



D,™),Prib,GOOglC 



&E l'incohstÂack. 4f 

^tt'elle exercjoit fur moi , & fentit elle - mêmff 
quelques étincelles du feu qu'elle avoû allumée 
Elle ne me regatdoit plus : mats {es yeux , quoi- 
que baifles « me lailfoierït encore deviner leur 
cxpreffion. Il fe répandit fur tousfes traits une 
itiélancodre qui en relevoit la beauté. Ce n'ecoit 
point ce (érieux aulïere qui eâarouche le Ten- 
timent , & qui décelé la fécherelfe de l'amei c*é- 
toit cette douce triftdTe qui ne va jamais fans 
quelques difpoGtioils k_ l'amouc , & qu'il nout^ 
lit après l'avoir produite. 

Au bout de Hx mois de langueur , de con- 
trainte , d'eiforts , de combats & de tourmens , 
s'ofant avouer ma paffion à ladi elle-même, je 
me jetai devant elle aux pieds de fa-mere. Je lui 
parlai avec cette éloquence de l'ame qui vaut 
les difcours les plus étudiés. Je ne dis pas un 
mot qui ne fût profondément fenti. D'abord elle 
Voulut s'armer de courroux ; mes yeux fe rem- 
plirent de larmes , je lui montrai tadi , & elle 
n'eut plus la force de rae trouver coupable. Me 
croyant it demi pardonné , )e me livrai à l'éga- 
rement > aux tranfports , à cette joie effrénée 
qu'autorifoienc mon âge , mes efpérances , la vi- 
vacité de mes feux. &la préfencede Sidley .Té- 
moin de cette agitation qu'elle partageoit en 
iccret, & que fa modeftie^ugmentoic encore , 



1, Google 



46 L I s MALHEVK9 

eUe ne put retenir quelques pleurs i }'élois trop 
atteiilif à tous Tes mouvcmens pour les laiJJer 
échapper, je m'élatiçai vers elle. Dans Texcès de 
mon trouble, |e ta ferrai dans mes bras} & comme 
iiirpiré par l'amourt par la force du mometit y 
Sildey, m'écrirai-je, adorable Sildey» G votre 
ame.eft libre , & qu'elle ne dédaigne pas l'hom- 
mage de la mienne , }e jure ici par l'honneur p 
votre mère & le cielt de contraâer avec vous 
des engagemens que tten ne pourra rompre, je 
n'ai pas encore atteint l'âge heureux où l'on eil 
maitredefbi;maisun fentiment légitime & vnû 
ne connoit ni les d^rés de Tâge , ni les entra- 
ves de laloi , ni les caprices de l'autorhé. Ma fs- 
mitle peut fufpendre mon bonheucnonmele 
ravir. Je vous garderai cette foi dont en vain 
ellevoudroit difpoferpour une autre. C'eftdans 
xotrc cœur , dans ce ceeur qui palpite fous nçi 
majn tremblante , que j'en dépofe le ferment. Si 
)e le viole^que l'infortune s'attache à mes jours j 

ou qu'une mort foudaineies termine! 

Cet élan d'une «ne pénétrée , laBamme qu 
étinçejoit dans tues yeux , la vérité de mon émo- 
tion , la candeur de mes difcouis > & plus que 
tout cela , les difpolîtions favorables de Sidlep 
tournèrent à mon avantage l'indifcrétion d'un 
fentiment qû n'fivoit fu Si cpimnandei. Elle 



1, Google 



DE l' I N C O H 8 T A N G 1. 4f 

foupira , rougit, ferra ma main dans la Henné , 
& accepta mon (ètment. Sa mcre y confentit ; & 
j'eus > pour confacrer mon atnour, unfoupir de 
la beauté , & l'aveu même de la nature. 

Deux mois s'écoulèrent. Chacune de mes heu- 
res , durant ce rapide intervitlfe, étoit marquée 
par un plaifîc. Satisfait de celui d'aimer , à peine 
orois-je en {buhaîter iin autre} ou ^m moins 
mes defîrs étoient fî bien voilés par lefentimentt 
que je les confondois avec lui , & que je n'en 
Ipmarquois plus la dùSerenee. Pour qu'une fem- 
me honnête puifie fe croire adorée , il faut, je 
crois , qu'elle fe puifle diflimuler qu'on la délire. 
J'affujettiflbis mes fens à ces facrifices d'une ame 
délicate } j'apprenois de Sidley à jouir même de 
mes privations. 

Je n'avois eu jufques là qu'un bonheur Tans 
mélange. Mais quel fort humain eft à l'abri des 
peines ? Voici l'époque où les miennes coni> 
mencerent. Ma famille me rappel la ; il fallutap. 
prendre cette nouvelle i ladt; il fallut m'en fé- 
pater. Avant de partir, j'obtins d'elle à force d« 
larmes, de prières & d'inftances réitérées, qu'elle 
viendroic bientôt s'établir à Paris. Sa mère y con- 
fentit euËn , & me chargea de lui chercher uti 
logement , à condition qu'il ferott à quelque diC- 
tancffdelaviyr.Monpcemiec f(»a à mou retour 



D,m..M>,. Google 



4è Ies MktHEVUi 

ici, fut d'exécuter les ordres que j'avois reijuii.- Je 
Es arranger cette maifon que Stdle? occupeni-' 
jourd'hul. Sa mère m'avok forcé de prendre des* 
lettres de change pour fubvenir à cous- tes frais- 
de rameublcmem. J'eus foin d'orner l'afyle' 
qu'elle devok etnbéUir y de tout ce que je fa- 
▼ois lui être agréable. Le jardin fur-tout fut l'ob- 
jet particulier de mes-_ attentions. Je l'enrichis' 
des âeurs les plus ïates. Fouvoient-elles être 
8;op précieufes ? Sa main devoit les cultiver oi» 
les cueillir. Q|iitnd jt fus à peu près content , jg 
leur écrivis que tout étoit prêt pour les recevoir. 
Elles arrivèrent , & Sidley me parut entreravec- 
une joie bien vraie dans le temple chanipètre 
dont fon amant avoit été l'architede. Jugez de 
mon enchantement ! farfs être en bute aux re- 
gards , til aux propos , je vojiois- to^s les jours 
ma belle maltrelTe. Le nuage répandu fur mon 
amour fembtoït lui donner un nouveau prix. Je 
jeuiflbisàlafois&de Tattraicdu myftere&dcs 
charmes de la liberté. Je croyols > hélas * qtie nu 
félicité ne pouvoit plus Ënir^ L'événement Is 
plus cruel me détrompa; 

La mère de ladi , depuis la mort de Ton époiuC> 

n'avoitpas eu-un jour feEeîn-,& fefpece de lan- 

gueur dont elle étoic confuméc nous fit bientôt 

aaindrepouc &Tie. Soatei:iiieapprochoii.Uns 

fievta 



Dim.fMi,. Google 



Î)E LIHCONST&lfG£. 4$ 
£ëvre lente s'attacha au corps afibibll de cett« 
infortunée; elle fut en moins d'un mois aux 
portes du tombeau. C'efl ators que je vis l'ams 
entière de Sidiey. Tout ce que la piété filiale 
oiFre de confoJant, tout ce que la tendrelTe a d'hé- 
roïque , fut~prodigué dans ces inftans doulou- 
reux. Après avoir épuifé les foins, elle s'affli- 
geoit de n'en pouvoir rendre davantage. Elle 
Veilloit chaque nuit auprès de fa malheurcufe 
niere, quife ranîmott en vain pour l'inviter à 
prendre du rçpos. QiJelquefois elle imprimott fa 
bouche fur les yeux éteints de cette femme ex- 
pirante , & ne s'en détachoit qu'avec des torrens 
de larmes. Quel tableau ! d'un côté , un fantôme 
i peine animé } de l'autre , les grâces & la jeu- 
neâ'e luttant contre la mort même , & tâchant de 
lui enlever fà proie ! Avec quels tranfports js 
partageois le zèle infatigable de ma chère Sid- 
iey l de quelles inquiétudes j'étois déchiré ! Far. 
tni ces objets lugubres , enfeveli dans le deuil , 
frappé fans ceffe de l'image du trépas , combien 
}e rcgrettois peu les plnidrs de la diflipatien i 
Je rie fouiTrois que quand j'étois abfent ; & j'a- 
. vois befoin , pour me croire heureux , d'être ds 
moitié dans l'infortune de mon amante< 

Voici l'intlant fatal & redouté ; toute efpé- 
tance eft évanouie. La mère courageufe de ladi 
Tom Vi D 



D,m.f.ril>,GOOgle 



fo LesMa&hkvks 

raâemblant fes forces, & retenant fon dernier 
foupir, flous fait approcher tous deux. Noua 
tombons à genoux aupràâ de Ion lit. Ma Sid- 
ley, dit-elte à faille, dont le vifage étoit colle 
for Ta roain , ma chère Sidley , le fort nous fé* 
pare} itiais H ton amant eft vertueux, il peut 
réparer ma perte. Il n'oubliera point fes fermençf 
il n'oubliera point la voix mourante d'une mer* 
qui les lui rappelle. Le ciel en fut le témoin ;> 
fon honnêteté m'en eft le garant. Il t'aimera, 
il t'aimera toujobts stu feras heureufe, tu le feras 
par lui , & fans moi. O mes en&ns , venez , que 
je vous unilfe ! Que ce Ht de mort foît pour vous 
Tautel de l'hymen ! Mon cher Mirbetle . . . jurez* 
moi... je meurs. 

A ces mots , fes yeux fe ferment s fa fille jette 
'en cd, elle veut fe précipiter fur elle, & retombe 
dans mes bras. Elle y refta près d'un quarc- 
' d'heure fans connoiffàilcei & moi.niéme j'étoîc 
trop troublé pour la Tecourir. Muet , immobile, 
les yeux noyés de fleurs , je foutenoîs ce far- 
deau précieux près du Ht funèbre , dont je n'a- 
vois point la force de m'arracher. Enfin , repre- 
nant par dégrés l'ufage de fts fens , 6 mon ami ! 
me die Sidley avec un profond fànglot , vous mt 
reftez feul dans Punivers. 

Ces mots factés font toujours au fond de moft 



-M>,Googlc 



DCllNCONStANCB. fl 

tdar ; i! eft impoflîble qu'ils s'en e&cent. Dès 
que les diilra étions m'emportent plus loin que ;e 
ne veux , je revois SiiUey dans ce moment cruel , 
j'entends les dernières paroles de fa mère j elles 
retentifl'enc à mon oreille , eifraient mon ïmagi. 
nation , & jettent dans mon ame un attendttSe* 
ment dont rien ne peut triompher. 

Voilà, monOeut le duc , fous quels aulpïcet 
s'eft aâermie ma liaifon avec ladi. Quel homme 
peut oublier Une pareille fcene , & facriâerà des 
féduâions pallàgeres un amour appuyé fur des 
motifs fî refpedtables? Celui qui le Voudroit 
feroit un monftre ... & combitn je plaindroî» 
le malheureux qui s'y verroit entrittné ! La força 
d'un attachement dépend , fans douter des cir- 
conftances qui l'ont vu naître. Autant qtie js 
puis m'en 6er à ma foible expérience j la fenfî- 
bilité fe nourrit plus encore dans l'agitation des 
peines , que dans le calme du bonheur. Les plat. 
itrs ne Iniflent dans l'ame qii'une foible trace i 
les fenTatious déchirantes s'y approfbndiflent. 
On aime i fe rappeller lès chsrgrîhs dont le cœur 
s'ell applaudi , & l'on fonge avec une forte de 
charme aux larmes ameres qu'ils ont coûté. 

Pardon s monfieut le duc, pardon mille fois!- 
Quoique vos réflexions vous aient armé contre 
ce que vous appeliez les foihhjfes du fcnùmenci 
Dij 



D,™),.rib,Gopg-le 



ft LesMaiheurs 

îl^efi: impoffible que vous ne foyez pas touch* 
du récit que je viens de vous faire. Je ne me 
lepens pas de ma confiance. D'ailleurs j'avoi& 
faefoin , j'en conviens , de revenir fur tous leï 
, ^vénemens qui peuvent me ramener k ladî. Le 
inonde que vous m'avez (ait connoître & que 
je fuyois , le manège des femmes coquettes « 
l'orgueil de les rendre fenflbles, la variété des 
amufemens , tout cela n'avoit pdnt changé mon 
cœur, mais commençoit à inquiéter ma tète. 
L'envie de plaire à mille êtres à la fois me ren- 
doit moins attentif au bonheur d'un feul , & 
infenfiblement me défaccoutumoit d'aimer. Au* 
trefois le jardin deSidIcy étoit pouc moiruni-^ 
vers. Sous le berceau où je lui parlois de mon 
amour, oii je recevois des gages du fien, je 
n'euâe point fouhaité l'empire du monde. De-- 
fuis quelque tems je n'éprouvots plus cet oubli 
de tout i & cette préoccupation charmante qui 
tient lieu de tout. Auprès de Sidley , je me fur- 
prenois rêvant à ce qilt n'étoit pas elle. Dans 
mon coeur entr'ouvert à mille idées qât: je craî- 
gnois de m'expHquer à moi-même , il fe glifToie 
d'autres images que ta fîenne', & je ne les re- 
{toufTois pas. J'étois toujours tendre & Ëdele } 
mais je n'étois plus heureux. Tel fut l'état de 
t}ion c(eur« dès que j'eus connu madame de 



-M>,Googlc 



BB t'rNCONST ak; c e. n 
Syrcé. Ce qu'elle tn'iiirpîran'étoit point de l'a- 
mour, fans doutej mais c'étoit, après l'amour, 
rimpreiEon la plus vive que l'on piiiôe éprou- 
ver. J^ofai la comparer à Sidtey.j j'ofai entrevoie 
les avantages qu'elle pouvoifavoir fur elle. Pen- 
■dant quelqses jours elle m'a fédah au paint dv 
mt familiarifer avec le crime ... ou le malheut 
d'être incotvftanti Que dis-je ! Moi , l'abandon- 
nerois ladi ! J'afflïgerois le cœur ^ui ne s'ouvre 
qu'à moi , qui n'a que moi peur confident & 
jiour appui ! Je trahirois mes fermens , ces fer- 
mens que la probité fit à l'innocence ! Non, 
non , toutes les jeuiflances de la vanité ne com- 
-^enrent pas le tourment de défefpérer ce qu'on 
timoit ... ce qu'on aime encore. AtTermiflez- 
«loi dans ma réiblution, au lieu de m'en dif-, 
-traire. Le roi , dit-on, revient demain à Choify. 
je tâcherai de vous y voir Je vous ai tout dit, 
mon cœur s'ett épanché. Ma lettre eft longue, 
mais elle contient mon forti à ce titre, j'efpete 
que vous aurez la patience de la lire. 

Adieu , hiorifieur le duc. Madame deSyrcé..; 
n*cft que jolie ; mon Angloife eft belle & fênfiblc;. 
L'une jufqu'ici n'a parlé qu'à mon amour-pro- 
pre i.Pautreatousfes droits dans mon -ame. Je 
rougicois de balancer. Ne me per^ffiez pas trop , 
je vous prie 4 & pardonnez - moi d'être fidèle. 
D iij 



n;r;>-M>,GOOgle 



LES Malheurs 

L E T T R E V I I I. 

Dff la marqtiîfedt Syret, i madame de Lacé. 

V o TB e mari eft cruet avec fa jaloufie. Appa- 
remment qu'il vous fait celer mè^ne pour Ici 
femmes. Vous avez dû me trouver' bien des fois 
écrite à votre porte. Mon amie,je vpulois caufer. 
Hélas ! prefque toujours ce befoin qu'on nous 
reproche prend fa fource dans notre arae. Qup 
la mienne e(l Fatiguée des riens qu'il faut dire! 
Je ne m'en dédommage qu'avec vous', & l'on 
ne vous trouve point! Mais je fuis fùre, bien 
fûre que vous parcagez mes regrets. 

ÉJevées dans le même couvent , nées h pra 
près avec les mâmes goûts , liées par toutes les 
circondances qui invitent les cœurs honnête^ 
àfe rapprocher, nous nous Tommes promis, vous 
le favez, de n'avoir jamais rien de caché l'une 
pour l'autre , & d'adoucir ainfi nos peines. Les 
fermens du premier âge font ordinairement fri- 
voles -, le nôtre ne l'a pas été. Tout ce qui défîi- 
nit les femmes n'a point eu de prife fur nous 
deux, & le lien de l'entance s'eft fortifié par la 
raifon.-Je vous ai pardonné d'être jolie ; vous 
n'avez pas fouhaicé que je fulTe plus laide ; enBi) 



D,™),.rib,GOOglC 



SSLIVCONSTANCB. ff 

«eos avons &ât 4e part & d^utrc nps pEeuve»dc 
fénérofîté. 

Mon an»ie, ?tm le» «ppwencBS d« U légérçt^ , 
nous valons mieuK qu«- t#s pédsni^s qui nous 
Jugent. L'évaporadon de l'erptit eft fouveot I» 
fauve-garde du cœur,. & l'elîïoid'un fentiment 
ne jetK que dqns des écarts de Hinpte étourdcrie 
qui valent mieux que des foiblclTes. Malheu- 
reufe ! j'élude malgré moi Tobjet de ma lettre i 
j'éloigne ce que j'ai à vous dire. Je tremble.... 
Ah. que l'on méjuge mal ) qus je fuis peu coiinueî 

J'ctois encore enfant quand j'ai épaufé M. de 
Syrcé. Fendant lex promieres années- de notre 
union , vous en FùteB témoin, je l'adorois en 
dépit de nos moeurs > des ËDlies de mon âge, & 
de la vanité des flonquêtes. Ma fenfibilitéétok 
alors recueiHie fur un letil objet. Je fus mère 
deUx (bis dans PefpRoe de deux ansi ces nou- 
veaux liens ne 6rent que relierrer l'autre; Je 
monivreffeauroit duré» fi M. de Syrcé ii'avoh 
<dierché bientôt à la détruira. Afa , fans doute* 
il m'auroit moins ôté en m'arritchant là vie! 
Tant que je le pus, je m'abtïfai fur fes torts, 
& ijj'attribuai le crime de fou changement. L'é- 
clat & le fcandale de fes défordres dîffipercnt 
mon erreur. Je fus qu'il me facrifioit à ces vil» 
créatuies qui fe jouent de la fanté , de l'honneur 
D iv 



D,™),.rib,GOOglC 



f6 Les Malheurs- 

& de la fortune de leurs amans. Ce fut le tenu 
alors des reproches timides , des larmes fecra. 
tes , de tous les tourmens que l'hymen apprête 
aux époufes abandonnées. Sous les yeux d'une 
mère refpeâable , & qui joint aux principes les 
plus féveres l'ame la plus tendre , je cultivoïc 
les fruits d'un amour H mal técompenfé { je 
veillois moi-même à l'éducation de mes enfant , 
& j'efpéreis par cette manière de vivre , ramenet 
M. de Syrcé. Efpojr inutile ! plus on le trompoic 
ailleurs , plus il eût trouvé ignoble d'être heu- 
reux chez lui. La tranquillité d'un bonheur do- 
meftique i'auroït rendu trop étranger i fon 
fiecle. D'ailleurs je n'avois point à me plaindre 
de fes procédés. Jamais un nuage fur fon front, 
jamais de défiance dans fon cœur. Toujours 
ferein , toujours tranquille , pourvu que je ne 
m'avifalTe point de contrarier fa conduite , il me 
laiUbît ablblument maitrelfe de la mienne. Je 
ti'abufois point de cette liberté; mais infenfl- 
blement l'ennui me gagna , l'humeur me prit , 
mon ame ardente & vive s'échauffa par la con- 
trainte, & s'indigna d'aimer fans retour. Fati- 
guée de fouffric , effrayée de l'abandon ,' ne 
trouvant autour d'elle qu'on vuide affreux , elle 
chercha au. dehors toutes ces iltufîons qui ne dé- 
dommagent point de la perte des vrais plaifirs. Je 
Tolai ver» un monde que j'avais fui i ne pouvant 



h.,Go()L^lc 



DE LINCONST&NCB. fj 

prétendre à la félicité * j'avoîs berotn d'ivre^ ; 
j'avois befoin ( it faut bien tenir à quelque chofo) 
des adorations de ces mêmes hommes que je nu 
promettois de ne jamais aimer. Je tus des romans 
^ur amufer mon cœur, j'écoutai les hommages 
pour étourdir ma tête , & j'appellai la coquet- 
terie k mon fecourfi , pour tromper ma fenlîbî- 
lité. Je voulois être ficelle à mes devoirs; mats 
je vDulois en même tems pro&ter de tous les 
droits de mon âge , de ma 6gure & de mou 
caradere. Avec de pareilles dirpolltiona , j'eus 
^ntât une cour brillante & nombreufe. Lors- 
qu'on ne les effarouche pas trop , les hommes 
arrivent en foule > & on les garde tant qu'on 
ne leur accorde rien. Ce fut là tout mon art i 
les femmes toujours bien intentionnées m'en 
foupçonnerent un autre. Il eft vrai que j'eus 
quelques apparences contre moi. Plus je me âois 
i ma fageâè , moins je m'obfervois fur les iudif- 
crétions : ce font elles qui nous perdent. Le 
défordre décent s'attire le refpeâ , & l'on fe croit 
toute Rccufation permife contre celles qui tien- 
nent plus à la vertu qu'aux bienféances. J'avois 
vingt adorateurs ; on me donna vingt amans. 
Perfonne n'excita plus que moi cette forte de 
•déchaînement qui flatte tes unes > afflige les 
autres , en aigrit quelques ~ unes > & que touteG 



D,™),.rib,Google 



fH LesMalheurs' 

devroient éviter. Jcrerpirois l'encens; Je maiv 
chois fur les fleurs , tout preuoic à mes yeux un 
airdefète^&ceteDchantementnaiâbit de mon 
indépendance. Que ne l'ai-je confcrvée ! Que 
ne puis-je la reprendre ! Hélas > hétas , combien 
elle efl; loin de moi ! Voilà ce qui opptelTe mon 
c<7eur , ce que je veux vous avAuer, ce que je 
crains de vous dire , ce que peut-être vous faviez 
déjà. O mon amie , je pleure dans votre fein i & 
mes larmes font un aveu. J'aiine!. .oui, j'aime, 
mais j'aurai la force de le cacher. O'où vieni 
que je frémisî' Je ne fais quel préfage intérieur 
m'annonce qua ce fentîmentaura pour mot dei 
fuites funeftes. Il troublera mes jours ; il les - 
abrégera fans doute. N'importe ; je m'y livre 
d'autant plus qu'tt'm'aiarme davantage. 

Je n*ai pas befoin de vous nommer l'objet de 
mon idolâtrie. Il me femble que tout le monde 
doit le deviner ; que lui feul dans la tbule de nos 
jeunes gens peut attirer les regards, &, s'il efl: 
poÛible, juftiâer une foiblelTe. Une foibledc! 
ah, dieu! ne le craignez pas. Félicitez-moi plu- 
tôt de mon courage ; il efl; égal à mon amour. 
Du moment que j'ai vu te comte de Mirbelle 
(ton nom m'échappa* il e(l toujours fur mes 
lèvres), de ce moment j'ai fentt ce défordr^ 
involontaire, avant-coureur des grandes paf. 



D,™),.rib,GOOglC 



BB L' INCONSTANCE. ff 

0ons. Il s'eft nccru de jour en jour , il eft à Ton 
comble ; mais j'ai fuie renfermer. Plus mon 
ame efl: agitée , & plus jç lui montre de froideur. 
Je coura pliis que jamais; je pocte avpc effort 
dans le tourbillon d'un monde indi^rent la 
bleâiice d'un cœur en^^mmé; je n'y cherche qup 
le comte de Mirbelle , & j'ai l'air de )ie t'jr pu 
appercevpir. A peine reçoîs-je fes vifîtes,. J'aime 
mieux le rencontrée , & même le fuiCt quç de 
l'attendre. £n un mot > M m? croie in JMfte pour 
^ui > lorfque 1^1 feul m'oçCMPf* Telle efl: ma lîtua- 
tiou, il ne la faura jatnais.>Vous êtes la feule 
dans l'univers à qui j'ofaSe la çonËer. Jugez Aç 
ce que je fouâre, & de ce qqe jevfiis rpuârir! 
Aimer Si fe taire ! Aimer , & ne fiivoir p4s même 
fi l'on obtiendra du retour \ Craindre cent riva- 
les , & n'avoir le droit de fe plaindre d'aucune ; 
aimer pour fon tourment) & ^V complaira» - 
dévorer fes larmes, fes it^quiétudes^ Tes jaloii- 
fies, & mourir lentement d'un f?u dogt<^ ti9 
veut pas guérir! Telle ell; pourtiint (^ réfolu- 
tion de cette Femme fî légère , Çi frivole i qu'oïl n 
jugée fî crueUement , & qu? la n^ltui^o < ^'^us des 
dehors fuperficiels * a rendus furceptible d^ 
plus profondes imprelTions. 

Dans l'état de contrainte où je fuis , je n'en^ 
(revois qu'une lueur de coofolation. Le comte 



D«),prih.,Google 



4So Les Malheurs 

jufqu'ici n'a rendu à aucune femme des foins 
fuivis. II les voie toutes fans préférence décidée. 
Je ne puis vous exprimer à quel point cette 
idée adoucit mes ninux. Soulagement palfager! 
il faudra bien qu'il aime. . . Et ce fcroit une 
-autre que moi! une autre )ouiioit du bonheur 
dont je me prive! une autre recevroit dansfes 
hras l'être adoré que le devoir écarte à jamais 
des miens ! .... Ma tendre amie', unique con- 
fidente de mes peines, jefacrifierai tout, pour- 
vu que je lois innocente à mes yeux, que ma 
■gloire foit entière ,- & qu'il fe mêle de l'héroïfme 
au feul attachement qui m'ait jamais préoccupée. 
Je vous inltrutrai du luccès de mes efibrts ; je ne 
> parierai qu'à vous de ma tendrefle , de mes com- 
bats. Le comte de Mirbellc les ignorera toujours. 
J'aifeâerai d'être encore plus dillipée, de peur 
qu'il ne'lbupçonne combien je fuisfenfible; & 
11 je réloigne,je m'applaudirai en le pleurant, 
4'un triomphe .... dont il faudra mourir. 
Vous allez vous récrier fur l'extravagance de 
mon projet. Que voulez -vous? les extrêmes 
«n tout, voilà mon élément. Ah.' laiflez-moi 
ïéver î lailTez-moi me repaître de chimères. Ma 
prétendue folie cache peut - être un fonds de 
raiCon, qui n'attend que des cîrconflences pour 
Te développer. Je ne puis vous rendre compte de 



-M>,Googlc 



DE L'IN CONSTANCE. 6t 
tout ce qui fe paâè en moi. Si je lutte contre 
mon penchant avec tant de vivacité , c'eft parce 
que rinftant où je lui céderois feroit pour moi 
répoque de tous les malheurs . . . peut-être dea 
plus grands écarts. Il n'eft rien que je n'immo. 
Infie à l'amant auquel je me ferois donnée. Quel 
ièntiment que l'amour ! fous quels traits il fe 
peint à mon imagination ! C'eft là que foii pou- 
voir eftabfolu, qu'il jouit de lui-même , & s'é- 
pure par ladélicateâe ; c'elltàqu'il eft vraiment 
un dieu. Infenfée \ que fais-je ? que dis-je ? Ah ! 
je ne me repens de rien ; je fuis fùre d'augmen- 
ter votre eftime , par la peinture vraie de ce que 
j'éprouve. La pailîon , au degré où je la relTens > 
ne dégrade point , elle élevé. L'énergie des fem- 
mes eft toute dans Pamour. Ne me conTeillez 
lien .... Je voiis dirai tout ; je n'ai que vous 
qui puiiBez lire dans mon ame. Mon délire , tout 
violent qu'il eft, n'afFoiblira jamais l'éternelle 
amitié que je vous dois ; & H mes prelTentimens 
ieréalifent, elle partagera mes derniers foupirs 
entre vous & le mortel que j'aime, i 

^to rrS j f ^= I ir aïf 

LETTRE IX. 

Du comte , ait comte de Mirhelle. 

£h vécité , mon pauvre comte, vous êtes d'an 



-M>,Googlc 



&t LssMALtïetjit's 
pathétique auquel on ne s'attend pas. Votftf 
lettre efl \iat tragédie toute entière. Quoique 
:e ne fois pas fait aux romans lugubres > le vôtre 
m'a profondément touché i & fî par haiard vous 
aviez encore quelques hiftoires dans ce genre 
dramatique, )e vous prierols de m'en faire 
grâce, 5t d'épargner mon extrême fenfibilité. 
Vous avez raifon j mon extérieur trompe. Quoi- 
que jeplaifante alTez volontiers de tout, je n'ai 
pas trouvé le mot pour rire dans le détstil que 
Vous m'avez fait de votre intrigue avec l'An- 
gîbife. J'en ai encore l'ame toute obfcurcie. Je 
ne favots pas , monficur , que ta vieille mère ladi 
vous eCiC donné en mourant ta bénédiétion nup> 
tiale. Aâurémeiit la chôfe n'elt pas gaie ; mais 
elle eft édifiante , & cela vaut bien mieux. C'en 
efl: donc fait ; vous voilà réduit à votre merveille 
de Londres. Je vous vois avec un pareil amour 
percer bien avant dans les ûetles. Je veux croire 
qu'on n'a point trompé votre inexpérience, & 
qu'on ne s'eft point arrangé exprès une potn- 
peufe infortune pour amorcer votre "compatif- 
fante jeuneflè. Je fuis bon homme j j'ai ta foi 
d'un enfant. Le vieillard , la tour, les petfécu- 
teurs, les bourreaux, je laifle tout pafier. Je 
n'examinerai pas non plus fi cette paffion peut 
saûxc à votre avjmccoient , & vous couvrir d'ua. 



D,™),.rib,GOOglC 



D s L ' I H C N S r A R C E. 6^ 

ridicule ineffaçable. Qu'eft-ce que le ridicule, 
quand on s'en dédommage pat les platlirs dit 
cœui! Que vous font les biens de ta fortune, 
pourvu que vous pofledie2 à une lieue de Paris 
une belle étrangère qui n'a ni parens , ni amis-, 
& s'oublie avec vous dans un nouvel éden que 
vos mains ont planté ? Cette vîe etl vraiment 
attendriûante } c'eft l'âge d'or reiTufcité. Etois- 
je aûez fou de vouloir détourner votre atten- 
tion fur la petite marquife ? En confcience , elje 
n'ell point de force pour lutter contre Sidley. 
Une femme Frivole , dont tout le monde parle, 
qu'on cite par-tout] bien venue à la cour* tètée 
à la ville , courue de nos jeunes gens les plus k 
la mode , brillante enân de tout l'éclat de la jeu- 
neflè, delà répuwtion desCTrowrj/ Qyellehor- 
reur! te moyen de Te charger d'une pareille 
maitreffe ! AulH ne vous preâe- je plus de lui 
rendre vos hommages. Il lauc vous enterrée 
«vec votre Angloife, ne voir qu'elle , ne prifec 
qu'elle, filer la paftorale , & méprîfer bien forC 
tout ce qu'on en pourra dire. Votre fàmills 
criera un peu ; mais qu'importe? On fe fauv* 
dans fan jardin ,on s*y barricade avec fon ange» 
& l'on fe moque de l'univers. Il vaudroit mieux 
que tes parens fe mèlatTent de contrarier nos 
goû») & d'enlever i l'injioGsace d'une via 



D,™)..rii>,.Google 



tf4 Les UkLKEVKt 

champêtre, de jeunes cœurs qui femblentit^ 
pour elle ! Je fuis fîtr. , par exemple , que le che- 
valier dcGéracvous entretient de toute fa force 
dans ces louables difpofltions. C'eft bien le petit 
pédant le plus aufiere que j'aie encore rencon- 
tré } & je ne fais quel mauvais vent nous apporte 
ici ces minces genttllâtres qui , du fond de leurs 
châteaux gothiques, viennent nous affliger pat 
des vertus plus gothiques encore. C'eft une vé« 
titable irruption [que la nuée de ces gens-là. Je 
les compare à ces coups d'air qui nous arrivent 
du nord pour attrîfter notre horifon. Vous me 
trouverez fans doute bienofé de vous dire mon 
fentiment fur le moniteur de Gérac} mais, ne 
vous conteflant rien fur vos amours , j'ai cru 
qu'il m'étoh permis de critiquer un peu vos 
haifons d'amitié : celles-là n'ont point d'excufes. 
Il a des vertus , me direz- vouS' ? Des vertus ! dites 
des préjugés bourgeois , qui tiennent i la touille 
de la province , & au défaut d'éducation. Ces 
vertus-là ne datent derien, ne prouvent rien« 
ne mènent à rien. Avec cela on recule, au lieu 
d'avancer. Elles font des pédagogues de garni- 
fon , & à la longue de vieux capitaines mutilés * 
qui , après s'être fait caficr bras & jambes fans 
que la cour s'en doute , s'en vont dans leur chau- 
Biieie natale guerro7et> s'ils lepcuveat , contre 



D,™),Prib,GOOglC 



fi s 1' I s C O N s T A tf C E. 4f 

un pauvre diable de curé qui les maudit de 
leur vivant * & le* enterre avec délice. En 
voilà trop fur cet article. Au relie « tnonlieui: 
le comtâ t TOUS êtes bieil le maître de votre con- 
duite. Le zèle ne doit point être une tyrannie. 
Le mien fe plie auJE circonfiances. J'avois cru 
entrevoir en vous les plus heureufes difp«fitions 
pour aller au grand , marquer dans votre fîecle , 
& faire adroitement fervir la frivolité aii fuccèa 
des plus hautes prétentions. J'imaginois fur. 
tout que vous auriez ta forte d'efprit qui fub- 
)ugue les femmes* les pique* les défole* tes 
ramené tour à tour, les aflujettitau plan géné- 
rât qu'on s'en tracé > tourne au profit de Tam- 
fcition la mobilité des intrigues , & fixe le fort 
par la variété des plaifirs. Le eomtnandeur de 
» ## vous a mieux jugé que mot. L'autre jour « 
dzn& Pttil-de-keufiW me foutint que vous ne 
prendriez jamais un certain eSbr Je lui dis que) 
je vous avois prefqu'arrangé avec madame de 
Syrcé : il voulut parier coiitre le fuccès. J'ac- 
ceptai la gageure % elle eft perdue pour moi , & 
je ne regrette que mon opinion. Madame de 
Syrcé, dites-vous »m'eft échappée ; donc vous 
ne devez pas l'entreprendre. Excellente logique î 
Si vous étiez d'humeur d'entendre , )e vous ré- 
pondrais que le moment eft d'autaat plus favo 
Twua V. E 



D,m..M>,. Google 



6S Les Malheurs 

rable pour vous, qu'il ne l'a pas été pour moi. 
Les femmes, monûeur le comte, n'ont point 
des forces de rcfte; & quand -elles viennent 
d'être fatiguées par une téfiftance douloureufe, 
c'elt une raiibn de plus , je crois , pour qu'elles 
ne tiennent pas à une féconde attaque. D'ail- 
leurs , que prouve un caprice ? Ne diroit-on pns 
qu'avec elles Us rigueurs de la veille fîgniËenc 
quelque chofe pour le lendemain ';' Si j'avois eu 
deux jours de plus à perdre , voas n'auriez pas 
à me faire une pareille objeâion. Croyez - vous 
de bonne foi à I3 fageâc de la marquife 'i J'ai 
fait une faute , je l'avoue. J'ai trop alHcbé mes 
intentions; ma célébrité.lui a fait peur, & c'ell 
le public qu'elle a craint. Otez le fcandale , il 
n'y aura plus de cruelles , & les femmes feront 
tout auΠcomplaifdntes qu'on voudra. Elles ne 
font jamais làges par fentiment. 

Encore une fois, les îuconvéniens qui m'ont 
nui n'exilloient plus- pour vousi& vous auriez 
fait taire la médifance , ou plutôt la calomnie , 
qui vous limite aux intrigues fubalternes. Il 
ne Biut plus penfer à tout cela. La mère de tadî , 
du creux de fa tombe , vous crie d'être fidéte ; Si 
les mânes de milord s'éleveroient contre vous, 
iî vous celTiez de Tètre. 

Adieu , mon cher comte. Je ferai toujours 
fttrt aife de vous voir » malgré vos lameotables 



;,N>,Go()L^lc 



DEtINCONSTAWCB. 67 

amours , & la vénération que je ferai ibicé (Ta. 
voir pour vous> 

L E T T R E X. 

Du comte de MirheUe , au duc. 
C^OE VOUS Êtes cruel • que vous entrez nul 
dans tous les embarras de ma fituatîoïi î La 
{lerlîfHage n'eft bon qu'avec ceux qui (ont aflcz 
tranquilles pour y répondre : il aigrit les cœurs 
bleOes. Permettez- moi de vous le dire, le ton 
que vous prenez n'eft celui, ni de ta fupério^ 
rite , ni de la raifon. L'une cherche des moyens * 
l'autre en fournit : vous ne faîtes ni l'un ni 
l'autre , & je n'eus jamais plus befoin de ref- 
fources ou de confolations. Je vous en veux, 
je ne puis le taire. Vous m'avez conduit dans 
le piège , & vous m'y laiflez ; & c'efl: du botd 
même de l'abyme que vous raillez le malheu- 
reux que vous y avez précipité ! Sans vous , 
je n'aurois point connu madame de Syrcé. Dou- 
cement enchaîné par mes premiers nœuds , je 
n'enaurois point defîré d'autres. C'efi vous qui 
m'avez peint cette conquête fous des traits . 
dont la plupart ,ont féduit ma vanité . & dont 
quetqueS'Uns peut-être font arrivés jufqu'à mon 
cœur* Vous n'êtes pas à vous en appercevoir.^ 
^ E ij 



D,m.f.ril>,GOOgle 



iH LssMALHEVRf 

l'alite ma lettre décelé les combats d'un homnïr 
iwnnète qui lutte contre lui-même i prend fe» 
repentirs pour des réfolutions , fe diflîmule Ça 
foibtelTe , pefe exprès fur les motifs qui h ten- 
droient coupable , &s'app1aO'}it()u moins d'ea 
méditer le facrifice. Oui, oui , (i )e me fuis re- 
pofé avec complaifance fur les détails qui font 
paroicre ladt Sidle^ plus intérelTante encwe » 
c'étoit pour tous appeller à Ion fecours , ouvrir 
Votre ame à Ton infortune , lui acquérir un 
défenfeur ; & vous, au lieu de mlnterpréter 
comme je Is voulois , vous cherchez à me rem- 
plir de défiances injurieufes , vous outrifgez la 
candieur même f Ah ! le monfonge n'approchs 
jnmais de l*ame de Sidlejr. Tout ce que je vous , 
ai dit,ra*a été confirmé par les perfonnages le» 
plus refpeâables. Mais c'eft elle feule que )e 
V6ux croire : fan cœur eft Te fanâuaire de la 
vérité. O caprice inexcufable de l'homme ! on 
rend )ufttce â Tobjet , on fent la force du Hen ■ 
& Voti auroit le trifte courage de le brifer ! Qu^ 
cftdoncce vuide 'éternel du cœur? Quelle eft 
cette inquiétude que rien ne peut fixer ? Attrait 
iu changement , tu promets le bonheur I Hélas t 
que d'amertume te fuît f que de regrets t'em- 
poifonnent ! Je les préviendrai ^ . . je m'accou- 
tumerai à voir la marquife d'un ceit indifférent , 
i ne plus fentir fes dédains , à cire de fes ab- 



D,™),.rib,GOOglC 



DE t'i 19 C O M S T A S C E. 69 

. fènen fîmulées , à vaincre en un mot une faru 
taiûe qu'on potirroit dianger en palEon par 
t'adrefle des obftacles , te jeu des -caprices , & la 
favant emploi de la coquetietie. Avec la fagacité 
que je vous oonnors, comment ne voyez- vous 
pas t)u*on n*a nulle idée fur moi , & qu'on fe 
moqueroit de mon amour,, fuppole que j'eufle 
la folie d'en prendre ? Sur quatre vîntes on ma ' - 
«eqoit une ; & pendant une froide converfation 
qui expire à chaque inftant , on a des yeux dif> 
traits qui femblent m*éviter. S'û entre un autre 
homme tandis que je fuis là , vite la galté re- 
naît, les regards s'animent , il feaible qu^on Toit 
foulage d'un fardeau i & j'afflige au point que. 
^us ceux qui furvîennent ont L'aird'ètre au- 
tant de confolateurs. Voilà pourtantoù j'en fuis^ 
& je m*en félicite. J*en fèns mieux le charma 
de ladi, de cette ame ouverte & Tranche, que ' 
le manège n^a jamais déshonorée. Peut-être auflî 
^e je fuis injufte ; peut-être n^entre.t-il point 
d*art dans la condirite de la marquifè. Je ne lut- 
înfpire rien , & elle ne fait poinc feindre ^ je la 
qrpis étudiée , elle n'eft que aaturelle. . . Voilà 
toi^t te iècrct de fa contrainte «vecmoi * de la 
Téferve de fes difcours , & des efpeces âe que- 
relles que (ôuvent elle me fait fans que je Ifil 
W méritées, fieurenfèment je n*ati poux elle 
£ iij 



. D,™),.rib,Godgle 



70 Les Malheurs 

qu'un goùE très - équivoque , & qu'il me feni 
facile d'éteindre. Le petit dcpit qu'elle me caufe 
m'épargnera des peines cruelles ; & dans ce 
moment ci, fa cruauté eft un bienfait. Que de- 
venois-je, fi ma tète s'étoît BiJumée, & qu'un 
peitehant invincible. ... Je ne puis m'arréter 
à cette idée. Que feroit devenue Sidley, à qui 
j'ai fait quitter Ton premier afyte ,que j'ai en- 
traînée ici , qui n'y connoît que moi , n'y veut 
connoitre que moi , & qui s'accufetoit d'un 
crime , îi elle ofoit former un fbtipqon? Sa fîtua- 
tion n'aurott pu qu*ètre niTréufe ; la mienne Veut 
été davanta'g»! C'en eft fait: malgré l'amertume 
de vos ironies, la malignité de vos repréfenta- 
tions , & toute la foupleifc de votre éloquence , 
je m'applaudis de mon entier retour vers l'objelf 
dont il eft impoftîble que je me détache, làn; 
la plus noire ingratitude. Vous ne vous êtei 
point trompé : le chevalier de Gérac m'aâèrmit 
dans meà fentimens. Cenfeur inflexible de tout 
ce qui n'eft pas honnête * it s'enflamme pour 
tout ce qui l'eft; & le titre feul de mon ami au- 
roit dû le mettre à l'abri , montreur le duc , du 
ptirtrait cruel que vous m'en faites. Je ne m'a-' 
muferai point à défendre fa nai0ance. Sans étrç 
iUuftre , elle eftancîenne ; elle a fourni de tout' 
tems i rétet. de brares gentilshommes qui ont^ 



D,™),.rib,GÔOglC 



DE LINCONSTANCB. ?! 
verfé leur fang pour lui. Tant pis pour ia cour , 
Cl de tels fervices font reliés fans cécompeiiret 
mais ce qu'il m'importe de défendre , c'eft fon 
ame , fbn caraâere , & mon choiic : i^ m'honore , 
& le juftifie. Si Gérac dédaigne les honneurs , 
c'eft par amour pour la gloire ; & s'il n'e4^ pas né 
pour écre un courtifan , il a fûïement les quali<. 
tés qui forment le âtoyen. Pour peu que vous 
leconnoifEez mieux un jour , vous rougirez de 
J'avoîr jugé £ mal ,~ & d'itroir emploiré des ex. 
prenions de mépris en parlant d'un homme qui 
mérite vos égards , les miens > & que fon noble 
délîntéreOementmet au-deiïiis des proteâeurs. 
Pardonnez la chaleur de mes exprellions au 
mouvement d'un coeur que vous avez affligé, 
en cherchant à dégrader ce qu'il aime. Malheur 
au lâche qui ne fent pas l'outrage qu'on fait k 
fon ami ! 



LETTREXL 

Du chevalier de Gérac , au comte de Mirbeïïe. 

j'ai été défefpéré , mon cher colonel , de ne 
m'ètre pas trouvé chez moi quand vous y avea 
pa0e. J'étois occupé de viûtes fort ennuyeufes. 
A mon retour on m'a remis votre lettre ; je l'ai 
F, iv 



.■^Google 



li LesMalhedri 

tue avec le plus vif intctèt. Vous voilà donc es - 
que vous devez être } vous voiU rendu à voue- 
même , aux principes qui font en vous , & dont 
un mouvement étranger peut feul vous diftraire, 
j'étois bien afHigé de vous voir héfit«r eut» 
deux fentimens , dont l'un énoic â peu &tt pour 
babuicer l'auure. 

Je ne connott nî madame de Sytc&t ni Toti« 
«harmante Angloife } maïs » vous le favez , j'ai 
toujours plaidé en faveur de celle qui vous ^ 
4k>nné fon coeur , 5: qui a des droits fur le vâtr e. 
Je fais qu'ici les hoaunes ne Te font point un 
fcrupule de féduine les femmes lâns tes aimer » 
de leur prodiguer les hommages tant qu'elles 
réfîflent , les affronts dès qu'elles fuccembent * 
■Si de les enivrer pcHir les avilir. Cette eruaut^ 
tli trop itrangereà votr« ame pour que je Vous 
■en foupçonne jamais. Ce fexe que nous oppri- 
mons mérite «os égards i proponion même d« 
fa foibleâe. 

Voyez , mon cher comte , quel eft le pouvoir 
■de ta contagion. Sans penfetcomnae les autres. 
vous étiez près d'agif comme eux. Les malheu- 
reux ! ils prétendent à la félicité , & commen* 
cent pat en empoifonner la fource. QuUls eu 
faientd'eftimer les femmes: ils verront G elle» 
ns deviendront pas efUmables. Ont-ils le droit 



D,m.f.ril>,GOOgIC 



O s S' s N 4: .0 » s T & s C C 71 

é»raépnSet les mœprS qu'ils iafpireat, & dt; 
punie ce qu^itst^infeUJent;? Quand nos maitceG- 
fes nous ttompenc & le dégradent , l'opprobre 
en eft à nous. Elles devinent. & leur inconC 
tance n'eft que le pr^âènciment de notre per. 
£die. J'ai toujours détefténos foi-difans hommes 
i bonnes fortunes. L'alpeâ d'un fcul me rappelle 
xa»\gté moi l'image de vingt infortunées. Sous 
l'aménité des dehors» ces fttres-là cachent une 
jinie féroce. Ils reflemblent aux conquérans :. 
.comme eux , ils fe repaîâent de pleurs i & vec- 
lètoienc le fàng commeeux > s'ils n'étoient pour 
l'ordinaire plus lâches encore que vains. Leur 
ame eft glacée, leur eCprit aride ; & fans le mou- 
veotent de leurs petites intrigues , ils ne feroienc 
plus que des automates accablés de home, de 
ddicule & d'ennui. Peut-àtre , mon cher comte , 
lie tableau eft41 un peu chargé ; mais il efl; bon 
•d'exagér» quelquefois, pour arriver au but' 
-qu'on fe propofe. Qiiand l'écueil eH marqué , 
jon ne v^ pas fe brifèr contre. 

Vous allez me trouver bien moralifanc pour 
mon âge} & cette circoitftance auprès de tout 
autre, ûteroit peut>ètre un peu de crédita mea 
confeila : mais vous avez trop d'efprit pour que 
Cet inconvénient foit à craindre avec vous. Un^ 
' mentor de vinst-cinq ans , quand il etibien né ,- 



D,m..M>,. Google 



74 LesMalheoss 

peut être nuflî utile qu'un pédagogue dé (oiximtej 
La raifon qui ne fft fourient que fur des ruines , 
etfacQUche } & le fentiment de ce qui eft bien , 
vaut quelquefois miffuxque les lenteurs de l'ex- 
périence. D'nilleurs , qiuitfd ta vieillelTe inftrilic, 
Qii lui fijppofe toujours le chagrin des priva- 
tions. Elle défend ce qu'elle àapeutplus faire, 
& dèS'Jors fa rigueur paroitintérelTée : mais que 
rinlUuâiou acquiert de force , quand eUepart 
d'un eCprit fufceptible de toutes les illullons , & 
d'un cœur en proieà tous les fentimens ! Alors 
plus de fubterfuges pour l'éluder ; il faut en 
croire Ton ami , ou s'accufer roi-même. 

Je n'ai jamais conçu , mon cher comtç , pour- • 
quoi l'on rcfufoit à notre âge le droit des avis 
& des leqons même, s'il le faut. Dans l'efFer- 
vefconce de la jeunefle , Ci l'on n'eft point hon- 
nête par raifonnement , on l'eft par înllinifl ■' ]c% 
traces de Nnnocence font plus fraîches ; on n'a 
point encore avancé dans la vie , on ne s'cft 
point endurci pat fa propre infortune ; t'ame 
n'eft point cuvette aux calculs qui la fechent } 
m'oins limitée à foi , elle a plus befain de fe 
xépandre; elle aime davantage , parce qu'elle 
croit au retour, & les fruits empoifonnés que 
les ans amènent ne mêlent aucune amertume 
à La pureté des impreilîons. Les années formeni; 



h.Gooi^le 



DE LINeONSTATJCE. 7f 
des fages : la jeiinefle eft la faifon des vertus j 
vous en êtes la preuve. Pardonnez. moi cette 
digrcirion. Elleeit arrivée fous maplunie, & 
je ne rejette jamais rien de ce qui m'eil infpiré 
par le fentiment. Oui , mon cher comte , à tout 
Âge nous portons en nous-mêmes une règle 
invariable : c'eft d'après elle que vous revenez 
à vos premiers liens , & que je vous affermis 
dans ce prpjet. En ngiâiiiit autrement » nous 
ferions injudes tous deux. La femme qui doic 
vous être la plus chère ■ eii: celle qui vous a le 
plus facrlBé , dont le cœur eft éprouvé par Is 
tems , & qui , nV^tit rien perdu de Tes char- 
mes , ne doit rien perdre de fon bonheur. C^and 
1« defir a fa fource dans l'ame * il eft éternel i 
& l'efpece de calme où ladi Sidlejr vous a lailTé 
quelque tems-, était votre tort beaucoup plus 
que te (len. Combien elle me paroic intérel> 
Tante! Pour juger à quel point elle vousaimé « 
zappetlcz-vous la confiance qu'elle vous mon* 
troitdansle tems que vous étiez à la veille de 
la trahir. C'eft de vouS-mème que je l'ai fu : elle 
fe refugioit avec fécurité dans des bras qui 
étoient prêté à s'ouvrir pour une autre. Voua 
lui teniez lieu de l'univers ; nulle alarme, nul 
foupqon: elle croit qu'auprès de vous rien, n'eft 
à craindre poui elle. 



-M>,Googlc 



?£ Les Maliïsuiii 

O mon cher comte , récompenfez ramult 
par t'amour, l'eftîme par l'eftime. Ne foyon» 
jamais inhumains- avec un fexe foible , avide 
de bonheur , & fî bien &tt pour le fentir. Ar- 
racher une femme à l'enchantement d'une paf- 
£011 tranquille , c'eft plonger le poignard dans 
le fein d'un enfant qu'amufe un Tonge agréable. 

Je ne nuis {ïoint à madame de Sytcé en d^en- 
dattt fa rivale. La première n'agit que fur votro 
imagination : elle n'a aucuns droits à voir* 
reconuoi^ance. Vous l'avez rencontrée, voue 
avez même été cher elle i elle vous a paru joUe, 
votre tète s'elï allumée > fon amour-propre en a 
joui , fon coeur s'en eft moqué : voità ce qu'elle 
vouloit ; elle n'a plus rien à vous demander » & 
elle doit être fort contente de vous. 

Le feul article que je n'ai pas simé dans 
votre lettre, o'eft celui où vous m'en psrlez. 
Vous ne tarifiez point fur fon éloge. Dans la 
crainte que )e ne la viCe pas telle que vous la 
voyez , vous m'avez fait fon portrait vingt fois. 
Je ne me conduis guère par l'opinion publique i 
mais , vous le favez , elle n'eft pas très-^vorable 
àla marquife. Elle eft. dit-on, étourdie, diffî. 
pée , Te montrant par-tout , ivre de conquêtes , 
vouée aux imprudences. Je n'en fais rien : il eft 
|iol£ble qu'on la calomnie. Auflî ne font-cé- 



-M>,Googlc 



»i l'isconstakce. 77 
]roinc tous ces défauts que }e vous oppuferois » 
il vous étiez libre, & réfolu â lui rendre des 
foins. J'aurois alors des laifons au moins aulfî 
fortes pour contrarier votre amour. 

' Mon cher comte , fi la marquife n'y prend 
garde « Ton règne ne fera pas long; Jà figure 
paâera , Tes torts ( ruppofê qu'elle en ait ) n'au- 
ront plus de voile , & Ton efprit lui reliera pour 
la punir. Ces fortes de femmes font des éclairs. 
Leur éclat eft trop vif pour être durable ; & 

quand il ce/fe , la trace même en difparoit 

Je ne finis pas , je vous tmiie : il faut que ma- 
dame de Sjrrcé ait un charme pour èâte parler 
d'elle. 

1 Je vous remercie" de vos offres obligeantes. 
Songez à votre bonheur; ce fera ne point né- 
gliger le mien. Vous me connotdez . je fers de- 
puis quatre ans fous vos ordres; & pendant ce 
tems , je ne crois pas que vous ayez découvert 
en moi la moindre avidité pour les récompenfes. 
Je me partage entre les foins de mon métier , & 
ceux que je dois à mon père, vieillard refpcâa- 
bte , qui vit dans fes terres , chargé de bleffures. 
au>deâus des honneurs ■ ignoré de la cour, & 
adoré de fes vaSàux. Je me fuis nourri de fes 
principes. Tant que les avions ne parleront pas 
pour moi , }e ne veux pas que les diftîuâioiis 



DinD^PrihyGoogle 



78 Les Malheurs 

dépofentcomre.Jepréfere la patience laborieufe 
àe rhomme courageux à ToiAve atflivité du cour- 
tifan: l'un a delà honte à couvrir ,iUuifitutclés 
titres i l'autre ne veut que de la gloire , & il au 
tend les occafîons. 

Adieu, monlieur le comte i encore une fois, 
fongez à vous ; parlez un peu moins de madame 
de Syrcé , foyez fidèle à votre Angloife , & faîtes 
£ bien que je ne fois jamais obligé de la défendre. 

■te = ^ gy 

LETTRE XIL 

D« vicomte de***, au duc. 

V' ELà vous plaît à dire, mon cher duc: mais 
g'uand on s'ennuie , on n'a la force de rien. Avec 
fes indulgences & fes cérémonies éternelles » 
Rome eft bien le plus mauflade féjour que J9 
connoilTe. Mon oncle , qui eit très-chaud pojiti. 
que, eft encore amateur plus zélé des rites reli- 
gieux ; de forte que je fuis obligé , trois ou qua- 
tre fois par femaine , d'être dévot à mon corps 
défendant. Je fuis phitofophe m(ji ; je gcnéra- 
lifemes idées* & j'envifage les chofes fous un 
certain rapport dont mon oncle ne s'eft jamais- 
doute. Qiiant auxmon umens , vous m'avouerez 
que c'eit une vue bien froide pour un horams 



Dim.fMi,. Google 



DB LINCQMSTANC^. 79 

de mon âge , qui n'eft pas fou de toiles pein- 
tes , & qui n'aime pus plus tes femmes de marbre, 
qu'un C . . . . n'aimèroit des pages de bronze. 
Que m'importent les allégories de Paul Véro- 
nefe ,1a transfiguration de Luc , & la chîtte des 
anges de Raphaël!' Je crois que ;e confonds. . . . 
N'importe, il faut toujours citer. Je voudroia 
bien , vous qui parlez , vous voir réduit à admi- 
rer la noce AUobranâine , &les ftatues de Ber~ 
nin , ou de Bandhielli. 

Je faute à pieds joints fur les ruines & lïs 
tombeaux. Je ne vous entretiendrai pas non plus 
des rpeâacles mefquins de cette augutte ville. 
J'aime mieux nos petits intermèdes . nos bal- 
lets éiégans, &notre-opéra, tel qu'il eft, que 
les longues repréfentations qu'on nous donne 
ici. Je vais un peu vous furprendre ; mais, je vous 
le discon6demment , ceque j'y trouva de mieux, 
ce font les filles de joie & les arlequins. Voilà» 
mon cher duc , le fruit de mes obfervations. 

Ne croyez pas cependant que j'aie manqué 
d'aventiires , même dans la bonne compagnie. 
]>s Italiennes font accommodantes ; elles me 
goûtent infiniment, & me trouvent fur- tout 
très-fenfé. On dit que les maris font dangereux , 
fur-tputpour tesîndifcrets. J'ai échappé jufqu'à 
préfent à leur vigilance. Je n'ai lien eu à démêler 



IV Google 



avec eozt & n'ai traité qu'ave&leurs fenimefl. &• 
)es font âuâes , comme de laifonj maïs elles one 
la peau douce , rhumear careflknte ,. & je leur aï 
trouvé beaucoup de candeur dans le phyfîque. 
. A propos . il Biut que je vous conte ce qui 
m'eft anivé avec ta femme chez qui nous lo* 
geona . & qui > comme vous en jugerez vous- 
même , a une façon charmante d'exercer l'hoC- 
pitalîté. Cette dame » dont Tépoux eft t'ami de 
mon oncle, eft d'une femille dilHnguée dan» 
K>ples : auffî fe conduit- elle avec toute la dif- 
tinâion imaginable. Elle a dans l'extérieur une 
nonchalance que je n'ai encore vue qu'à elle s 
elle laiâe tomber toutes fes^paroles , & n'en pro- 
nonce pas une. Sa gorge , qui elt ravivante, n'eft 
jamais contenue que par quelques rubans noués 
avec négligence , & toujours prêts à fe détacher 
en cas de befoin. Son œil eft mourant, & n's 
qu'une expreflion de langueur qui invite à tout» 
&ns promettre grand'chofe. Le mbindre voile 
lèmble tut pefer ; & tout le jour anéantie fur lea 
carreaux d'un foplia > elle s'y abandonne aux 
plu» féduifantes attitudes. Cette manière d'être 
commença par allumer en moi de violens defirs i 
mais il fembloit qu'elle n'eût ni la force de s'en 
appercevoir , ni la volonté de tes fatisfaire. Je 
défefpétois de cette conquête • & ne voyoïs dan» 
le» 



h.,Go()ijle 



O E L' I N C N S T A N C E. ^t 
jesréux de Yiàoh aucun indice de fuccès : ane 
"circonftance hâta mon bonheur. Le mari , jriouK 
■comme tes Italiens l'étoient autrefois , aime (à 
femme aveâ faceut} mais it aime encore plus les 
tableaux que fa femme. On vendott à c6té de 
•lui le cabinet d'un curieux , & il avott acheté 
-pluGeuis morceaux du plus grnnd prix , qu'il 
vouloit tranfportec lui-mëipe. A peine , ce qui 
4ui arrivé rarement , fut-il forti pour le premier 
tranrporc, que j'entendii des mules de femme 
Air l'eTcaHec qui conduit à mon appariemcntL 
•On montoit avec une légèreté incroyable. Dans 
-ce moment je ne lôngeois à rien moins qu'à ma 
-belle indolente j quelle fut ma furprife quand je 
la vis entrer chez moi . dans le déshabillé le plus 
■commode , le feÎH découvert , les cheveux flot- 
tans jufqu'à la ceinture , & qtie , fe jetant fur 
une efpece de canapé * elle me dit * avec une 
ingénuité tout-à-fait touchante, Eecomii il mm 
foarito ifUari dicafa! 

Vous jugez , mon cher duc , que je mis au- 
•lant de célérité dans l'a^on , qu'elle «voit mis 
de naïveté dans le propos. Jamais je n'avois ren- 
contré une femmç plus déliée , plus ardente, plus 
vive dans le tète-à-tète. Nous entendîmes quel- 
que bruit. & j'eus bkn delapetne.àm'artfKhss.;^ 
•de fes bras. Ce qui me charma , ce fut 1< promf- 



n;,-...-r>,Google 



t% LES-MAtHElTKfr 

(itude avec laquelle elle leprh Ton air de latSr 
gueur & de calme ; riialien le plus intelligent 
eu eût été la dupe. Vivent les têmnles paur ces 
ehang£mens de décoration ! Elles ont des viOK , 
ges qui fe montent oti le démontent. à volonté y^ 
& c'efl pour cela fur - tout que je les refpeâe. 
Je me rendois compte dé mon bonheur ; je me 
lecueillois dans mon ivrefTe , & ne pouvois con- 
cevoir ce phénomène. Notre paifible amateur, 
qui éfoit revenu, artangeoit fe's tableaux , chetv 
ehoic leurs vrais jours, & les difpofoit à plailic 
Ibus les yeux de ma Napolitaine , qui» dans ce 
moment , reÛembloit à une vierge du Gitide, 
jiar fon air d'innocence. Il part pour un fécond 
Toyage ; vke elle fe remet en courfe , m'arrive 
. une féconde fois , & l'invitant Eccomi n'eit point 
«ublié. Je n'eus garde de me plaindre de la récK 
dive , & me conduits de manière à' en être quitte 
au moins pour la journée. Point du tout , le mari 
£t un trâiCeme voyage , & l'on me Bt une troi> 
£eme viiîte. Je commençai à (bttîr de mon en- 
chantement. Je fouhaicois de la modération dans 
mon aimable maîtreffe , & je la priai de me faire 
grâce des Euomi, dût fon mari s'abfeuter en^ 
' cote. Elle eut de la peine de comprendre le fens 
de inon difcours , & tomba dans une rêverie qui 
ne mVquiéta pas antfemenc : j'étoîfr Six . d* 



n;r;>-M>,GOOgle' 



DÉ t'iNCONS'TAHCB. fl^ 

ti'avoir manqué à aucun des procédé^ convena- 
bles. EnBn , elle me quitta poiu allée faire cent 
carefles k Ton mari > qui fe félicita vingt fois cl&- 
vant moi d'avoir une femme auiii âdclle. 

Ëh bien , mort cher duc, que dites- vous^ de 
cette bonne fortune ? Depuis la chaleur ^e^pre^ 
mieres apparitions, les Eccom ont été. rares* 
parce que les abfences du m^ri fopt.peu frii. 
quentes ; maïs de tems en tem&.ils- recommen- 
cent , & je me réfigne. A préfent je fuis fait auf 
allures de ta femme i ce n'eft plus f]ue ta cois- 
Ëanee du maù qui m'gmufe. Je troLtye plus da 
plaiGr à tromper l'un i qu'à jouir de tous tes char- 
mes de l'autre. . - 

Vous voyez que je n'ai point oublié vos prin- 
cipes , & que j'étends , autant qu'il efl: en moi, 
la gloire du nom franqois. Je fuis édiËé de fout 
ce que vous me dites. L* vangeai^ce que voug 
«ercez contre madamedeSyfcé eft d'un genre 
' neuf & faiilant. C'eft un trait qvi;i^anque. au 
caraif^te de Laveïace,'dont on ne dit-point atfez 
de bien , & qui m'a-tqt))ours vivement intér£tlc. 
Quant à l'At^laire^j ja fens, comme yf)ixs q^'il 
efti eifentict de l'^vttir, à quelque prix que ce 
fbit. Si ron,»'y;mettoit la main, les t^uzboùrgs 
de Paris fe p^u{>t(;roiant de femmes vertueufes, 
&la contagion g^c^^it bientôt te centre de la 
F ij " 



D,™),.rib,Google 



84 LësMaihivr»"' 

VîHe. Qû'eft-ce donc que le eoratedeMirbélIe? 
ÏI faut bien qu'il aie quelques dirpoGdons à la 
■fcéléfatefle aimable , puifque vous le choififlez 
pour vengeur ; & fi j'étoîs à fa place j il mé 
■ïemfele'çire je- punirais cruellement madame de 
"Syf-C^. "D'tfprès le portrait que vous m'en faites , 
■elle' mârît^ les traiÉeraens les plus rigoureux. 
Que je vous envie ! vous êtes au courant des 
vrais plâifirs jpour rtidi , je fiiis trifteracnt exile 
dans la Tetre>Sai)ité , & au milieu d'une autre 
■faleftiné ,-bù je n'ai pas même IB reflburce de 
"tuer des Sitrrazins. Vt»fts ne voira attendiez pas 
à ce tfàit (Tétuditiàri. C'eft mon oncle qui m'en 
avife } il me parle toujours du voyage d'Outre- 
mer , dit roi Artus, & desteaux maflacres qui , 
fc faifoient alors pour le bonheur du monde. l,e 
bon homrtie eft toujours te même. Le matin il . 
fe brouille dans fcs calails" dipl(ftnatiques } il 
dîne le plus long-temc qu'il peut} après foit 
dîner* folVi d'ùri l^et aflbupiflemcnt , il joue 
^ravenleritauxldhècsi ilperd toujours, & tou- 
jours il foutieat que Ce n'eft pas Taute de com* 
bin'aifmis. Le jeu fini, k la dl^èftîon faite, ïl 
rongea fon faldt, 8c va Vifirer les églifcs. Malt 
heur à moi , s'il me rencontre lotfqU'il eft dans 
tes ferventes din)OfitionS! L'autre jour il voU*- 
IoIe que j^iËftaffit à fou- -fomtneil de l'aprèsi- 



.M>,Googlc " 



D K. L' I M C Q H s T A H « E. Çf 

dînée. Il prétend qu'il lui échappe alors des 
chofes très -utiles au gouvernement, dont il 
me coiireilloie de ^tre des notes qu'un pour- 
roit intituler: Rêves pùUtiques ^uu gantilhomme 
Fratifois, Ce livre feroit d'Un grand ufagc , dit- 
il , pour tous les rêveurs qui culbutent l'admi- 
niiïration. Mais voiljk que, fans m'en douter , je 
radote prefqu'âuâî bien que mon oncle ; & vous 
avez autre chofeiâire que de lire mes folies. 

Adieu , monfîeut le duc. ... Je brûle de ma 
ranger fous vos drapeaux. 



=^C^ 



LETTRE XIIL 

Du duc , au. comte de 'Mirhette. 

£tN mille ans je n'aurais pas deviné > mon 
cher comte , le degré d'intérêt que vous prenez 
au chevalier de Gérac II falloic, pour m'ouvrit 
les yeux , toute la chaleur de votre apologie. 
}e vous demande (încérement pardon de la fortie 
indifcrete que je m« fuis pcrmife contre lui , & 
j'efpere que vous me ferez grâce de la réparation. 
Vous avez raifon , cet homme là peut devenir 
un excellent citoyen ; raai£ , comme vous dites 
vous-même , je ne crois pas qu'il vife à un cer- 
tain point au dtre de courtifao. Au relie , nous 
F iij 



h.GooL^lc 



i$ Les MALHB6R8 

fommes dans le {îecle des prodiges. E^iiTons 1^ 
vottç Pilade , & parlons d'«utre chofe. 

Vous verrez par ma lettre , que je ne fuis pa» 
iS entêté de mon opinion que* je vous l'ai paru. - 
Autant je vous invitois à poutfuivre la conquête 
de madame de Syccé , autant js vous preâe aur 
jourd'htti de n'en rien faire. L'œil le plus exercé 
fe trompe. Les fineâes de l'expérience , ni les 
reilburces de l'ufagc! ne psuvent parer à ta hizat, 
rerie des événeniens. J'avois cru entrevoir que 
la marquife n'étoit pas éloif^née de prendre ua 
goût léger pour vous , & voilà tout ce qu'il nous 
falloit, on ne lui en denlandoit pas davantage; 
ce goût là t'eût menée^uHî loin que nous an- 
itons voulu : mats vous auriez tort de vous en 
flatter ; & puis définiflez les femmes : voici le fait. 

Dans une maifoi» qu'il eft inutile de vous 
nommer , la converliition tomba fur les jeuiies 
gens qu'on cite. Gn vous nomma. Quelques 
femmes ( & ce font des Gonnoiifeufes ) foutin- 
rent que vous avies tout ce qu'il faut pour plaire, 
Madame de Syrcé les contraria cruellement. A 
chaque éloge qu'on vous donnoit * elle s'armoit 
de la négative! Elle critiqua votre ,6gure, votre 
cara^ere, jufqu'à votre contenance. Une d'en^ 
tre elles inllnua modellemetit , qu'elle vous 
croyoit de l'adrefle & de la féduâion. Alors votre 



n;r;.M>,GOOgle 



DE LINCOHSTAW'BÏ. 87 
în^itoyable antagoinde partie d'un éclat âe 
lire, qui déconcerta tout l'aréopage. Il n'a pas 
tenu à elle qu'il n^ vous Toit rien refïé. En un 
mot , elle comment^a , dit-on , pac le dédain , & 
finit pat l'amertume. C'eft une antipathie mar- 
quée. Les voilà , ce font fouvent les hommes 1^ 
plus aimables qu'elles prennent en exécration. 

J'ai cru devoir vous avertir d'une fcene oà 
TOUS êtes intéreSë , & même compromis. Ce qui 
vous refle à faire , c'efl de ne plus voir madame 
de Syjcé , de l'oublier , &^ la punir , par un Ci- 
Jence noble , de l'indécence de fes emportemens. 
21 efi vrai qu'elle efl jolie , autant qu'il foie pa0i- 
bte de l'être î mais cela ne futHt pas , il faut être 
honnête, &nepointaccuferun hojnmede^M> 
chérie, quand on n'en apasJscertitude. Adieu* 
monfîeur le comte. 



LETTRE XIV. 

Dh comte de MirbeUe ', au chevalier de Gêrae. 

j'ai paflë chez tous ce raadn , mon cher che- 
valier. Où étiez- vous donc? Mon Dieu , que 
velis^tes matinal ! J'avois befoin de vous trou- 
ver ; voiis m'auriez vu dans une belle colère ! Je 
vous déâe de deviner ce qui m'ar rive. Madame 
F iv 



D,m..M>,GOOL^IC 



89 LesMalheurs 

de SjTcé vous favezceque j'enpeiife, e« 

^ que je vous en ai dit.i; vous favez avec quelle 
chaleur )*en parle toujours , en jurant toujoiiri 
de l'oublier : eh bien;, madame d& Syrcé .... 
elle eft ma plus mortelle ennemie ; elle déclame . 
contre moi avec ujb. acharnement qui n'a pas 
d'exemple. Ç'cft.pcu d'avoir été quelque tems le 
jouet de fa coquetterie ; )e fuis l'objet de fa dé- 
rillon. Cette femme me hait i la raifon ? Je 
l'ignore. Qu'ai- je fait que vanter Tes charmes; 
& me livrer pour elle ^es diftraâions dont vous 
avez été le cenfeur & te témoin ? Elle me hait , 
quand peut être. ... Ce n'eft point ici une con- 
jeiflure vague , c'efl: uniâit. 

Dans un cercle aâez nombreux > elle a prit 
parti contre moi , a démenti lebien qu'on en 
difoit, & s'eft livrée à toute la fougue de fon 
averfion. Je n'y voulois pas croire : niais ce 
récit , qui m'eût paru au moins exagéré , ac> 
quiert de l'évidence, quand je me rappelle fbn 
airglacéi la gêne de nos entretiens) & Tefpece 

de contrainte qu'elle n'a qu'avec mol Je 

fuis bien tenté d'avoir raifond'un te) caprice , & 
d'armer contre elle tout ce que le manoge d'un 
homme adroit peut oppofer à l'orgueil' d'une 

femme.coquelte Non, il faut/avoir fe 

commander , & jouir de fa modération. La con^ 



t 



D,™),.rib,. Google 



DE LINCONSTANCE. 89 
juite de la-mârquife , je l'avoue , m'a courroucé 
d'abord ( la réflexion me calme. Me voilà bien 
tranquille , bien guéri i )'avQis befoin qu'elle 
m'arrachât flUe-mème lé bandeau. . . . Qjie fàis- 
je ! fans ce petit événement , il «ât été poflible 
qu'il reAât dans mon ame je ne fais q«el intérêt 
' qui eût altéré mon bonhrar. It e[l détruit cet itii 
térêt i j'entendrai fans troubla prononcer Ton 
nom. Sidley régnera dans un cœur tout à elle j , 
uneautfe image ne s'y mêlera pluç à la Hennés 
& jenem'éveillo'ai plus avec le remords d'hér 
fiter en tre deux împrefBons , St de ravir ma pre- 
mière penfée au feul objet qui la mçrite. . . . . 
Ainlî donc madame de Syrcé triomphera i fa 
haine aura un libre cours , j'en ferai la vjélime, 
& je me tairai , & je lui facrifieraî jufqu'à ma 
vengeance ! Chevalier, feroic> ce un fi ^aiid 
crime de lu} prouver que je tt^ai point autant 
de mal-adreâe qu'elle fe l'imagine , de l'amener 
par degrés à ta nécelEfé d'un dsfaveU,, & d'ac- 
quérir le droit d'éyeitidîfcrett pour donner enr 
fuiie piu&d'éclat i ma difcrétion ? Semit-ce être 
inâdele à Sidley que de punir fa rivale, & de 
lui prouver qu'on peut erre heureux avec elle, 
fans ceiTer d'être amourMIx d'une autre? Cette 
combinaifon me plaît i j^ la. crois innocence. 
Qu'en dites- vous ? LaJlTez vos principes ; jugea 



n;,-;.M>,Gooi^le 



{9* L E -s M A I, n E V R s 

mapondon. J'ai la tète perdue , mille idées Ti- 
gitent , je ne fais à laquelle me fixer ; tout cç 
> ^ue je vois diftindemenC , c'eft que 'je n*aime 
plus madame de Sjrrcé. Je ferois bien furpris 
qu'on me prouvât le contraire. Que dis- je! js 
ne l'ai jamais aimée ; je me rrnmpsis moi.mème . 
toutes mes îllufïons s'évanouiâent. 

Adieu. Je me contredis, je déraifonne. Venez 
me voir , eu écrivez-moi. Je ne conçois point It 
conduite de madame de Syrcé, elle eft vraiment 
étrange Hélas 1 quelle fera la mienne 'i ■ 



==^2S^== 



L E T T R E X V. 

Du chevalier de Gérac , au comte de Mirheïïe. ' 

X SONGEZ-Toos ? Quoi , les propos d'uns 
femme frivole, ou du moins que l'on croit telle , 
^vol]s tournent la tête , excitent votre reflenti- 
inent, & piquent votre fen^bilicé! D'abord.eff- 
il bien fôr qu'elle les ait tenus ? Ne Jes a-t-on 
point altérés en les rapportant ? £t puis » vous 
croye^-vous à l'abri , mon cher comte , de ces 
petites mortifications ? Les femmes ont leur 
franc 'parler , elles tnftnt ce qu'elles veulent, 
c'eft à nous d'apprécier ce qu'elles difeiit. Il ns 
tàeiidcoic iqu'à moi, d'après votre lettre, dt 



SiMuGoot^le 



Dfi I.ItJGOM8T&NÇC. ff 

/ftoixe que vous adorez la marquife } mais j'aime 
Jbien mieux ne rien attribuer à rémotiou d'ua 
^œur malade, & mettre tçut fur te,compced'^i]i 
amour-propre e£aroudié. Vous avez eu uns 
iantaiûe, elle n'a point rénllî; à notre âge ces 
petits dégoûts font fenlîbles > la paŒon s'éveille 
aux mouvement du dépit , & ce dépit ell un fe- 
pond trophée pour la femmp qui n'a point voulu 
de notre amour. Prenez-y garde , on s'il pris, 
fbuvem dans te pîege qu'on teudolt pour .un 
autre. Voiis medemandez (1 ce &roit un crime de 
vous contrefaire çouf ufurper des droitSj $ vous 
rendre le maître des conditions- Oui, mon che^ 
comte , oui , c'en fcroit un , pour vous (ur-tout , 
pour un iiomme délicat , qni rougicoit d'obtenii; 
par fraude le prix qui n'eft dû .qu'au femiment. 
Interrogez-vous de bonne foi , v^s verrez ce 
^ue votre cœur vous répondra. Je retrouve le 
duc dans ce projet , je ne vous y reconnoîs point. 
Croyez-moi , toutes les fois que l'on veiu fein- 
dre ce qu^on ne cç0ent pas, on ne fe venge point, 
pn fe punit, 

£h ! quand on efi heureux comi^ie vous l'êtes, 
pourquoi fe livret a ces petites intrigues qui fati- 
guent l'ame , la âétrllfent , & lui âtent cette délir 
catelTe , ce charme intérieur , Ikns lequel nos 
^uj^ances ne font pl^is deç pl^ifirsî' foi}étJe? 



M>,GoogIe 



,92 Les m a t h e o a s 

tcanquillement ce que l'amour vous prodigue i 
ne vous pailïonnez point pour ce qu'il vousre- 
ftife. Ne faites point d'éclat. Voyez la marquint 
k de longs intervalles} ne lui marquez ni regrets . 
ni courroux > & conduirez- vous û bien , qu'elle 
rougiiTe en vous comparant à eaux qu'elle aura 
préférés. Voilà le feil triomphe qui foit digne 
de voiu. Je ne crains point de Vous ennuyer , 
parce que je connols le fond de votre caraâere: 
Ami du bien , Ci votre facilité vous en écarte î 
Tattrait vous y reporte à la moindre image qu'on 
vous en préfente ; & voilà mon rôle » à moi t 
trn'il m'eft doux de m'en acquitter ! 



=5ffi^-= 



LETTRE XVI. 

Du comte de MirheUe , au chevalier de Gérac. 

J B ne conçois pas madame de Syrcé. Cette 
femme eft défefpérante ; elle excite en moi des 
efpeces de fureurs... & je feroîs bien, je croîs ^ 
d'en perdre abfolument le fouvenir. Oh! oui. 
ce fecoit le plus fîir ; mais il &ut que je vous en 
parte pour la dernière fois. . . Il Biuc que vous 
fâchiez l'incroyable réception ^qu'elle me &t hier. 
D'après vos confcils , j'avoîs étouffé tous mes 
teSentimeris. Mon fiont écolt catme , mon coeur 



D,™),.rib,GôOgle 



D E 1.* I N C O K s T A N C E. 9; 

J'écoit davantage. Dans ces pai5bles dirpodûons 
j'allai la chercher, bien réfolu à ne jioint lui 
laiâerroupçonnerquej'eufleàtneplaindre d'elle. 
On me dit qu'elle étoit à fa toilette , & qu'on ne 
la vuyoic point , niais qu'elle alloit palfer chez là 
mère q ûirecevoit du monde. Je monte , }e trouve 
madame de Saiicerre feule , & travaillant k la 
tapillrrie. Cette dame a le ton de ta vieille cour , 
une politeâe aïiee, une familiarité noble, & 
beaucoup d'çfpriti mais elle po0ede un vifagè 
qui , malgré mon refpeâ pour elle, me parut un 
peu tritte. Elle me &t beaucoup de qucfiions, 
me trouvit imérelfant, & fe mit en conféquence 
à mè prêcher. Tout ce qu'elle me difoit étoit bien 
penfé, bien feiitij malgré toufcekjjamaisfer- 
mon ne fut plus impatiemmeflt écouté. J'atten- 
dois une jolie femme, & elle n'arrivott pas. , . 
- EnBn, au bout d'une heure éternelle, madame 
de Syrcé defcenil , accompagnée de toutes les 
grâces , & mîfe avec la plus grande élégance. 
Elle me fait des excufes pleines de trouble , ou 
plutôt d'embarras , m'adreffe quelques mots avec 
inquiétude, fo levé uninftant après, me dit 
qu'il eft horrible de m'avoir fait attendre , qu'il 
^^ affreux de mfi quitter, me falue Froidement. 
& s'échgppe. 
Dites4 à ma place feriez-vo>i$ tranquille ? Je 



D,m.f.ril>,GOOgle 



§4 I/EïMALnÉùfti 

ne l'avois jnmais vue fî bells ; Ton image ne iflV 
point quitté depuis ce moment. Je voulois t'oui- 
blier, j'en avois piis la' rcfolution ... le moyeiï 
^ue jele puiflè! II vaut mieux que )e me venge; 
il vaut mieux' tâcherde lui plaire, à quelque prix 
que ce fait. . . Me hifler deux heures avec fa 
Itaere , & ne m'en pas dédommager , du moins 
par quelques inftans d'entretien ! Elle atloit i 
l'opéra, difoit-elle. A l'opérarMc beau prétexte! 
J Y courus > & , pour comble de malheur , je ne 
fapperçus point.. Je ne fais dans quelle loge elle 
étoif myftérieufemertt placée ; mais je &tiguai eii 
vain mes regards à la chercher. Vous voyez qîie 
tout cela eft déci'lîf. Croiriez'-vçusbien que ma 
préfence la fait rougir ? C'eft de colère apparem- 
itient. Elle m'abhorre; & pourquoi? Encore un 
coup , je n'eii fais rien i je le faurai. Vous altez 
me trouver bien extravagant. Je IfrfuiB i oui , je 
Ife fuisi heureufament cette folie n'cft point dan- 
gereufe. Je fuis piqué , j'en conviens. Mais . . .- 
^^ eft clair que je ne fUis point amoureux; je 
ferois au défefpoir de l'être, & c'eft dans la peur 
de le devenir que je tiens à mon projet, & que 
j<e veux Être fcélérat à mon tour. Les confciences 
timorées ne réuilîflent point auprès des femmes. 
Voyez le duc , il les trompe , elles en ralFolene. 
A propos , qu'eft-ce doncque vous lui avez &it ? 



D,m..M>,.GOO'^le 



ttt l' I N C H s T A W C s: 9f 
£{t.oe" que vous n'êtes pas bien avec lui ? Non 
qu'il ip'ait tenu aucuns propos > mais fon air 
quand on parle «te vous', ne m'a point contenté- 
Si vous pouvez venir me voir demain dans la 
matinée* je lefterai pour vous attendre, ou bien 
écrivez-moi. Sur-tout plus de confeils ; le tems 
en eft paâe. Je fuivrai ma.fantaifie. Cet écart me 
préfervera d'un plus grand ; }'ai befoln d'être 
Coupable à demi, pour ne pas le devenir tout-è- 
Aic . . L'étrange femme que madame de Syrcé î 



=^c;^ 



LETTRE X V I L 

Du chevalier de Gérad , au comte de Mtrbelle. 

j|ri.us de confeils. dites- vous. Eh ! mon cher 
comte , vous n'en eûtes jamais plus de befoin. 
Avec quelle facilité votre tète s'allume \ Car , n« 
vous y trompez pas, c'eft elle feule qui agit , & 
c'eft fur votre cœurqu'en tombera la peine. Vous 
• voulezdonc féduire, -tromper, corrompre d'a- 
vance vos ptairïrs, en leur donnant la fauCeté 
pour principe ? Quand on fe fait un jeu de l'in- 
fortune de deux êtres à la fois « on rifque d'être 
{bi-mème très - malheureux, & l'on mérite ds 
l'être. On ne fe croit que léger, on devient bar- 
bare } tes cir6onft9nces,entralsen.tkj la renûbilité 



.> Google 



$5 Lbs MïLhïurs 

B*altere , & la jouiflànce d'un infiant fait te fup. 
plice de toute la vie. Quelle jouiâance encore ! 
Voye2 couler des larmes étemelles': voyez Sidley, 
Sidtey G fide41e & Ci tendre , feule dans la nature, 
fans paretis, fans appui} fàifant retentir fa re- 
traite de fanglots auxiluelB perfonne ne,répon'> 
dra , pleurant le jaur où elle vous a connu , celui 
où elle a fcellé de fa (bibleâè fa confiance à vos 
fermens, fe r^pelladt toutes Tes pertes , n'ayant 
que d'hfutibles fouvetûrs, & pas une confola- 
tien. Fixez un inftant vos yeux fur cette image , 
& vous frémirez , & vous remercierez l'ami qui 
vous la préfente. Ne re)etez point cette lumière > 
toute aiïteufe qu'elle eft i qu'elle pénètre dans 
votre ame , & la réchauffe e^ l'éclairant. Je n'ofe. 
je ne puis , jfe ne veux pas crqire que vous aimiez 
madame de Syrçé i t'amour-propre feul vous fàtt 
defirér Ik conquête: & c'en i ce motif paâàger 
que vous Immolez tout! Où dottc ell la gloirâ 
de fub)uguer une cot[Uette , & de filer avec com- 
f laifance une trahi(ba dont il &ut rougir quand 
elle eft confommée?Si madame de Syrcé n'eft 
que ee^ue nous la croyons > elle ne vaut pas \t 
remords d'une perfidie : lî fon extérieur; nous 
trompe, &cacheuneaniefenfible, cequi^ur- 
toit très-bien arriver , jugez de votre embarras* 
4e vos repeadci , d« Vos tOHtmens ! L'atnt 
humainf 



-M>,Googlc 



tn l* ï « C Q.K8 t A« C «. 9f 
liumaîne i^ peut avoir deux imptellîons égales i 
laquelle facri&ecez. vous,? Toutes deux vous 
feront chères : l'une des deux l'emportera , St, 
l'autre fera toujours aËfez forte pour déchire^ 
pn cœur où elle ne régnera plus. Alors plus de 
véritable tvreâe : quand t'ame a ce^é d'être pure^ 
les jouilTances ce0eat de l'être, ^amertume fo 
tépand fur les plaïlïrs Les plus doux, le regrec 
du pafTé jette-un voile Tur le préfent} & dans 
les bras làème de l'objeË que l'on préfère, on 
tetrouva encore la trace du {eatîment qu'on a 
. ferdu. 

Mon cher cottti 

Vous éte^ maître, 

tié ne vous pefe j 
" niais elle eft bier 

pas le droit} & d^ 

tre des écarts qi 

prête à pleui^er^li 

toute dans mon £ 

la vôtre. Craïgn 

lent un autre 1: 

abufenc d'utie tl 

(l'ufàge , & d'iin 

lier des yeux dé 

des conventions 

fiblement dans i 
2>«« Vt 



D,m..M>,. Google 



98 Ies Malheurs 
tinâ précieux de la nature. Je vous plains > Q 
vous vous trompez au modèle, de ce portrait; il 
faut cannoUre Tes ennemis. Vous me demandez 
ce que j'ai fait au duc ? .... Je l'ai pénétré. A tra- 
vers les vaines décorations & la trifteélégance du 
courtifan , mon regard a fixé l^omme. O mon 
cher comte , malheur à ceux qu'on punit en les 
devinant ! Le duc ell de ce nombte. Dès. que je 
l'apperi^ois', tous les traits de mon vifage pren- 
nent d'eux-mêmes l'exptïilîon du dédain; c'eft 
une arme fecrete & lute , qui le défole Se. me . 
venge. Son perdfflagene m'en impofe point ; it 
ii'efl; pour moi que le mafque de la nullité. La 
première fois que je le rencontrai. îl m'accabla 
de ces polïtelTes fuperbes qui femblent vous mar- 
quer au coin de la fubordination : mais je,deTio£ 
n froid , que je regagnai fur lui l'avantage qu'if 
croyoit prendre , & que je le fis redefcendre au 
niveau qu'il chcrcholt k détruire. Plus j'aime i 
rendre aux autres , moins je veux qu'on exige de 
moi , & il me paroit exigeant. Il ell fî peu accou- 
tumé à re{lime,'qu'it efl avide d'hommages ; moi. 
je n'ai garde d'en être prodigue. Imitez mon 
exemple ; défiez - vous d'un homme qui fe dé- 
grade à jamais pour obtenir l'exiftence du mo- 
ment, qui traîne un grand nom dans l'obfcurit^ 
des petites intrigues > qui fecÉoic un pei&rï- 



D™-..M>,Googlc 



D E t. I » C O N s T &' N C E. 99 
sage t parce qu'il eft cité dans les aventures det 
femme) , qu'il pique leur goût bien moins qu« 
leur curiolùé , qu'il influe fur les brouilleries , 
qu'on le oonfuke pour les noirceurs , qu'on la 
prend fans l'aimer, qu'on le quitte fans confé- 
quence > & qu'il donhe le ton des modes , quand 
il doit l'exemple des vertus. Quels fervices a-t- 
il rendus à l'état ? Qu'a-t-il But pour Ton pays ? 
Eft4l père, époux, citoyen? Connolt-U l'amie 
tié ? Tous ces nœuds lui font étrangers. Il pro^ 
mené dans la {bciété Ton ennui inquieft, qu'il 
prend ponr de la diâlpition ; il Te fuit parce qu'il 
k crainCi . . . Pardonnez û j'appuie le pinceau } 
C'eft l'amitié qui le dirige. Je vois avec douleiur 
que cet homme peut vous égarer & fous perdre. ' 
Souvenez-vous de la lettre que vous m'écrii 
vîtes il y a un mois ; vous vous y abandonniez 
k votre mouveipent tt,^turel. Que votre ftyte elt 
obangé! . . .11 eft impoffîbte que votre cœur ts 
foiti c'eftàlui que je m'adrefle, IlBftune autre 
gloire que celle de féduire quelques êtres foibles. 
Vous avez une maitrcfle eftimable j confervez- 
la. Vous convenez qu'à toutes Iss qualités elle 
unit tous les charmes , & vous n'êtes pas heu- 
reux! Eh bien, s'il manque quelque chofe à 
votre ren(îbilité,révetllez-la par de belles aâionsi 
fonifi» l'amoHi par cet héreïrme dont il doli 
' Gij 



D,m.f.ril>,GOOgle 



loû Les Malheurs 

(tre & la fource & le prix. Ne limitez point fOV 
fuccès au petit cercle de la capitale j foyez l'hoffl- 
me de la nation. Laiûez>lui préfager ce que vou» i 
devez être j diftinguez.vou9 de cette foule d'iiu 
fortunés , dont la jeuncfle caduque o£e des rui* > 
lies précoces , & trompe refpoir de la patrie. 

Mon cher colonel, uniflbiis^noas pour le bien. 
Laâamme de l'emhouGafme s'éteint ï onn'ainiff 
prefque plus la gloire. Jurons -nous de ne rien 
faire que pour elle « deréfîfter au torrent ,& de 
Confbler lea gens honnêtes par le Ipeâacle & le 
fuccès â« notre émulation. De quels prodiges net 
Ibnt point capables deux amis vertueux v échau& 
fés par un' grand objet? Leurs forces doublent 
jiar l'union i fi l'un des deux aune folbleflèj 
1$ courage de l'autre en triomphe , ou Ton amr 
ïenfevelir. 

:. Adieu. Je vous éctjs de^ campagne , où l'oa 
Jn'a renvoyé votre lettre ; j'y fuis encofe pour 
i^pK jours : j'irai vous chercher en abrivanc - 



LETTRE XVIIL 

Du due i au comte de MirhtBe, 

J 'ÉT0I9 hier C\ prefle de partir quand vous ête» 
yejiueh«2 moi* quején'^iputaiibiiiiei^onm* 



-M>,Googlc 



Dt LIKCOnSTAVCE. 101 

je le voalots , fur tous les articles de votre con- 
fidence i mais j'y ai [éfléchi , & le zèle a plus 
As force , quand il eft aidé par la méditation. En- 
fin , moniîeur, vous voilà donc piqué. Vous 
«vez encore du vif dans l'ame , & je vous en fé- 
licite. Je n'examine point fî vous aimez la mac- 
^uife ] pu non ; cette claui« n'cft point eâentielte 
pour ce que nous voulons faire i il s'agit de l'a- 
voîr , d'en tirée un parti agréable , & de la rendre 
enfuite au flot qui vous l'aura portée. N'eft - ce 
^G là ce dent nous fommes convenus ? Com- 
inencez donc pat prendre de madame de Syccé 
l'idée qu'il &ut qu'on en -ait. N'allez pas vous 
mettre à l'eftimer, elle s'en appercevroit, & peut- 
tore (-il n'jr a rien dont les femmes ne s'avifent) 
peut-être* dis-je , voudroit-elte juftifier ce fen- 
■dment. L'orgueil alors croilêrarêtourderieî slle 
vous tiendra en hateinefdfs années -entières , ne 
£nira rien > & toujouirs temporifant , ne fe ren- 
dra qu'avec les Hmagrées délôIsnUs d'une pu- 
■deur . . . que vous aurezi vous rejtrocher. Règle 
générale i eût - on d'une femme une certaine 
opinion , ce qui eft race , il faudrott la cacher 
avec foin. Voit-elle-qu'on n'a de fes forces qu'une 
idée fort légère? on la met à Ton aifcon la 
Uanquillife fur tes fuites ; on ne l'oldige point 
Â&iFeunei>elledéfenre, quand rinftant.décilîf 
■G lij , 



D,™),prii>,Google 



tos Les Malheur- s 
approche , & qu*ellc-mèffle eft en train de ter- 
tniner. Voici foncilcul: en cédant jenepetdni 
lien, &)e gagnerai du temii plutôt heure^Ss, 
Je ferai plutôt infidelte. Il ne faut pas non plui 
fnuhtpliec les ^rds. Ceft^bten mal connaît» 
ces dames que d'imaginer j)u'on les attache par 
les langueurs d'une founiiflion mMiiftone , ft 
les iàdeurs du madrigal. Tout cela les ennuie. 
La contrariété les jveille, les étonne, les met 
en valeur en les déferpérant. Elles favent gré à 
l'homme qui anime leurs regards du feu de 11m- 
{mtience , aiguillonne leur efprit pat la difpute', 
êik rend odieux exprès, pour qu'on fe fonyienne 
de lui : mais j'anticipe ; allons par ordre. Conf. 
menions d'abord par vous tirer dU décourag»^ 
tnenC; une noble con6ance eft le gage des fuccès. 
J'ai bien cru comme vous , que la marquift 
he vous goûtoit pas.à an certain point: après 
un'jnûr examen, je m'en fuis voulu de cette 
i!naniere de voir. Ce qui nous paroiflbie indiffê- 
tenoe , antipathie mime , n'eft autre chofe qu'un 
{[oût qui Te mafque , une paffion qui dort , un* 
amour tout prêt d'éclater. Je l'ai rencontrée plu^ 
iieurs fois depuis que vous vous plaignez d'elle. 
£lte a l'air préoccupé ; je l'ai Turprife dans des 
momens de rêverie qui ne lui font pas naturels t 
ftàfon âge, à quoi r^e-t-on? Ses yeux, qità 



D,m.f.ril>,GOOglC 



DE LINCOMSTANeE. lA^ 

ji'étoi«ot que vifs « font devenus plus tendres.; 
elle icgarde pierque fixement. Vous èj:es i coup 
fût l'auteur de la métamorphoTe. En elfet ■ pour- 
quoi vous Fuicoit-elle ? Pourquoi cette contraiq- 
,te , cet embarras , qu^nd elle eft avec vous ?£lle 
m'en parle & m^ * que parce qu'elle en penfe 
trop bien. 

Je me fouvi^ns d'une objeâion que vous 
m'avet &lta >.&]qvi a réellement quelque çhofe 
de fpécieuz. Si elle efl fi légère , fi facile , fi 
exercée dans t'intrigue , me difiez-voi)s , pour- 
quoi Te conduit^ elle avec moi avec tant de ré- 
ferre* de prudence, & de févérité? Ah! c'eft 
qu'elle vous aime davantage } elle veut y mettre 
plus d'adreflè. Vous êtes fore jeune i très - fêté ; 
vous pouvez lui fttre enlevé d'un moment à 
l'autre ; il tiut vous lier par la coquetterie. Vous 
croyez peut -être qu'elle eu cft à fa première 
aveatore? Far exemple je rirois bien de cette 
ingénuité. EJifànt que vous êtes! dormez tran- 
quille , & que fa vertu ne vous déferpere pas. 
Elle ne voua fera languir, ni dniis l'attente de 
la jouiâànce, ni dans l'infipidité du bonheur. 
Encore une fois , fi je ne l'ai point eue, ce n'eÛ 
que partie reraife. C'eit une gaîté convenue 
entre nous. Dix aptres dcpofeiit en fa faveur 
contre vos tnraintes ridicules. LailTez p la faire.: 
G iv 



D,m.f.ril>,GOOgle 



'ié4 Les Malrsbri 
vous n*aurez paspIucAc conclu , qu'elle* mèinî 
flfpirera au plaifir de rompre. La matquife veut 
jouir , elle vous prendra i condition de ne voug 
pas gardïrr. Il Ikudra feulement que cela marqua 
dans le monde , qu'on en parle , qu'on s'en 
occupe } & ,quatid la ehofe aura fait Ton effet» 
VOUE irez , elle de Ton c6té , vous du vôtre i 
TOUS rinfcrirez fur votre lifte , vos fuccefleurs 
vous demanderont des inftrufftions > vous direfE 
tout ce que vous (avez* & vous autez fatisf^C 
aux bienleances. 

Vous pourrez alors retourner à votre AtU 
gloife, puirque c'eft un parti pris. &.que vous 
fie voulez abfolument pas vous en défaire. }9 
vous ai un peu fermonné à fon fujet ; mais Je 
commence à être férieufement 'attendri de tout 
ce que vous m'en avez contés & il faut que je 
fois ému jufqu'au fond de Tame, pour approuver 
«ne conltance d extraordînri#e. Vous retourne- 
rez donc it elle , puifque la fatalité le veut i ft 
votre cœur , éveillé par un petit remords d'in- 
eonftance, en fentitatout le piquant de la fidélité. 

L'embarras , je le fens Wen , «ft de la tromper 
adroitement» de vous épargrter le fracas des re- 
prochés , l'inconvénient des larmes , ces défcf- 
poirs touchans qui ne laiflent pas gue de dif- 
traire , de retarder , & d'être en tout fort incom* 



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oc ï,'îKCOJTSTAlI.CB^ ÎOf 

«noâes. J^ai trouvé ua moyen : il eft violent pouc 
«noi j mais je m'immole , rien ne doit coûter à 
i*amitié. Vous n'avez , iiu>n cbe^ comte , qu'à me 
;prérentar à Sidlefifc répends du relie. Je repeu 
f rm met! afikites , j>our ètce entièrement à la vôtre. 
iL'envie-de vous abliger* de sous fervir, me 
Suggérera tous les jours des reâàurces nouvelles 
jioui; détourner les fbupçons de votre maitrelTe, 
^amufer ik tète^ raâurerroD£œur4& la contenir 
{wndant l'exécution. Cen eft fait, je vais me 
livrer au calme de la vie champÈtte i je me &U 
<beFg^,;poucitre.utile.à mon ami. 

RéSéchiflez > & vous venez .combien il eft 
<câentiel dans ce moment.ci qu'il y ait quelqu'un 
.auprès de Sidlcf , qui ait l'iatelUgenct du cœur 
des femmes > & le long uOigc de leur en fàine 
accroire. Ce fera tantôt une commiflion parti* 
culi«re dont vous aurez été chargé parla cour* 
«antôt un lojvge di»it«lle vous aura nommé, 
aujourd'hui une chalfe , demain un foupé dans 
les cdbinets. D'ailleurs, -fi j'ai quelques grâces 
^dans l'erpiit , je les£cnpIoiecai toutes à diftraîcfl 
le fien; & l« lendemain de votes rupture avec 
la marquilè^ je lemets dans vos bras fa belle 
xivale , qui u'aura tien perdu de Jli fécurité. 
Vous i allez en avant, voyez madame de Syrcé» 
iiela flattez foi^ trop, âchez-la quelquefois. 



D,™)..ril>,;GOOgle 



ld$ LES M A L H E t lE S ' 

La brarqueiie de la vetlte fera mieux reffiirtir 
Tbommage & rattention du leTtdtmain. Soyex 
gai, étourdit ^7» toujours l'air d'ét^pper. 
fmtes des/vilîtes courtes , ne dîtes pas un mot 
qui n*aif une intention: Paroifiez bien libre', 
TOUS l'enchaineréz plus ^^te. 

Ce feroit une bonne chofe encore de coti- - 
noltre une femme jolie qu'elle n'aimât guère* 
& de lui rendre des foins aflïdus. Ces fecrett 
font i tout le monde ; mais ils réufliCent quel- 
quefois. Il fane réferver ceux qui fotit moins 
communs pour les grandes occafîons. Pourquoi 
livrer une bataille, quand il ne faut qu'one ef- 
carmouche ? 

Adieu , comte. De la hiéthode & du CMg- 
&oid , s'il VOUE plaît. 



LETTREXÏX. 

Du comte de MirbeSt , au chevalier de Gérac. 

J'krois hier, chez moi , mon cher chevalier, 
quand vous y êtes venn. J'ai craint de vous voir > 
je vous ai fiii. . . Ah , mon cœur eft donc cou- 
pable! Je me fuis dit, au fujet de Stdley , mille 
fois plus que vous ne m'en dites , & mon défeC 
poir eft ds tenir encore à ell^ quoique je fois 



D,™)..ril>,.GOOglC 



Dr L I N t s s T A » C E. I07 

«atnlné vers yne autre. Mon goût pour midame 
de Sjrroé paâ*era fans doute 1 mais , (suC-il vous 
Tavouerlil me tycannlfe : le fommeil ne me 
fauve point des impreifions qu'elle me caufé{ 
mes fonges font brûlans de Ion idée. Sidiey bit 
couler mes larmes; la mar^nife allume mes de^' 
ùts. Malheurftux de trahir Tune , je me vertoîs 
avec tranfport dans les bras de l'autre. Même 
en allant chez ladi * c*eft Sytcé que je cherche î 
& cette fantaifîe eft d'autant plus impérieufe, 
qu'elle efl; combattue & gênée par un autre fctl* 
timent. ' 

Que voulez- vous? Sidiey eft bien tendre; 
mais fa rivale ... je ne trouve point d'cxpref- 
fiens pour la peindre. . . D'ailleurs , on h dit 
inconftante, &, le eroîrieï-vous ? cette accufa- 
tion me décide. La marquife , en comblant mes 
vœux, n'exlgeroit point de facrîHce j eir«-mènio 
hélas ! fauroit me rendre à mes premiers liens. . . 
C'en eft fait, elle feule peut me fauver d'cltç. Il 
faudroit me plaindre , fî elle étoit fufceptibled'un 
véritable attachement : mais , avec les traits de 
l'amour', elle en a la légèreté. Cette réEexion me 
tranquillife ; & fi je change un moment «c'eil 
dans le deâêîn d'être confiant pour toujours. 
Mon ami , 11 n'efl plus tems de me vaincre. . . 
J'ai eu Piipprudence de lui écrire hier ce que 



h, Google' 



lûg Les MàLHEUKt 
je n'avois plus la force de lui cacher ; je n'en li 
ret^u aucune réponfè i je meurs d'inquiécude. . • 
N'importe : plus elle me traite mal * plus elle 
augmente l'obftiiianon de ma poarTuitei Ta- 
mour-propre va quelquefois auffi loin que 1*^ 
mour. , . Je ne fais te que je veux ; mais je fais 
que mon agitation eft affreufe; je fuis tour- 
menté par deux fanlimens , j'ignore lequel do- 
mine. . . Ne pouvoit-elle pas me répondre un 
mot 1 un feul mot ? Sa réponfe m'auroit peuU 
Être âéfo!é ... Ion Hlence me tue. 

Adieu , chevalier. Nous fommes tous deur 
dans l'âge des pafTioas. . . ménagez la mienne: 
que dis je ! je n'ai de véritable attachement que 
pour Sidiey. Quel charme a donc la marquife 
pour m'en diftratre ? Je ne m'explique rien ; je 
fuis mécontent de tout ... je fuis bien malheu- 
reux. O Sidiejr ! . . . que vous avez une dange- 
reufe rivale! 



LETTRE XX 

Du duc y au comte de MirheBe. 

V oiLA vraiment une jolie conduite! on n* 
peut vous perdre un inftant de vue , que vous 
ne vous égariez. Êtes- vous fou avec votre déda- 



D,™),.rib,Google 



t»E l'IVCOKSTAKCE. 109 

tadon ? Il y a de quoi vous perdre , ou toui 
reculer pour des (îesles. II faut tout hafarder 
avec les femmes ; mais on ne leur déclare rien j . 
£ ce n'efl; une rupture^ ou une inâdélité : alors 
la déclaration devient piquante •» & placée à pro- 
pos , elle peut réjeuir un moment. Félicitez. vous 
bien. La marquife triomphe, je vous en ré- 
ponds. Ah ! c'eft tout ce qu'elle demandoit. Elle 
TOUS a ^ana Ion porte>fcuille , vous n'irez pas 
'plus loin ; vous voilà au rang des morts. 

Sachez donc une bonne fois qu'il faut tout 
obtenir d'une femme , avant qu'elleTe foit dou- 
tée qu'on a de l'amour.. On lui rend quelques 
foins , onchoifit les heures où là foule s'éloigne, 
on met dans fes yeux Texpreflàon d'un deâr dé- 
cidé i elle s'en apperqoiti êllerève, & onlatire 
de fa rêverie par uti de ces coups d'éclat qui ne 
donnent pas même le tems de figurer la défen- 
£ve. Je ne dis pas qu'il faille tout-à-fait débuter 
par -là i cette pétulance auroit quelque chofe 
d'ignoble. Il eil des délais de btenfeance qu'on 
doit accorder à la vertu des femmes d'une cer- 
taine efpece , ou plutôt aux imitations de la 
vertu i car elles font excellentes comédiennes » 
&. très.)aloufes du cérémonial des premiers jours : 
mais' perfonne ne fe conduit comme vous. On 
m vous ï point fait de réponfeî' Qi! queUe 



D,m.«ii>,Google 



XIQ L I S M A t, H E U R s 

réponfe Toaliez-vous qa'on vous fit ? Vous cèdes 
d'être intéreâant, vous n'inquiétez plus ramour-t 
propre , & 1« cœur n*s rien à tous dire. Voili 
ce que c'eft que de marcher fans Ton guide , Se 
d'agir fans confulter ! je n'imagine qu'un taoyea 
de réparer le mal > fi toutefoit il eft réparable. 
Gardez-voua d'écrire ; ranfermcz de grâce tous 
vos beaux fendniens. L'ambafladeur de * * * 
donne un bal famedi prochain imadame de Syroâ 
n'y manquera pas ( elle n'en manque pas un )^ 
Madame de Thémines etl priée, fans doute elle 
y viendra : il &ut qu'elle vous foît utile. Quand 
on n'a pas l'une , il tfft jufie qu'dla f«ve aa 
moins à hue avoir Fautre. Madame de Thémi^ 
nés balance la marqutfe pour la figure ; & ello 
a de plus une réputation de lagifle, qui dans ce 
moment aura fba utilité. C'efi un de œs ètrca 
faâic«s & guindés qui ont la manie des déctaicetf 
& joui&nt voluptueufemant du petit orgueil d< 
paroltre inreniibles. Oa. voudroît bien gki'ells 
tiu coquette : elle le lait , en eft vaine . joue la 
défintéreffementivoili là coquetterie. Une tella 
femme attire tes refpeâs , & fe fcmne bien vittf 
une cour : vous ferez de la lienne , laiflee voui 
conduire. Soyez magnifique ce jourjà * t&chet 
d'être aimable: nous ferons événement > & ma* 
datne de Sytcé n'y Tacs ipouc rien. Noua la ceei 



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DE LINCO» S T A V C E. IIX. 

drons furieufe , j:apportez.vou»<en i moi : j'ai 
paâe ma vie à çouimucet des amours- propres ds 
femmes. Il làuc corriger celle-ci, n'eft-cepas? 
& lui apprendre à ne pas répondre. 



LETTRE XXI. 

De la marquife, à fon amie, ^ 

XL m'a icrit ■ il m*a fait l'aveu de Tes fcnti* 
mens ; & j'épronvois , m lifant fa lettre , une 
joie mêlée de terreur. L'amour le phu délicat 
ne peut jouir de rien , que l'honnêteté n'ait tout 
à craindre. Jufqu'ici j'ai combattu mon pen.'^ 
chant. Enfereli dans le fond de mon cœur* il 
n'avoit point encore paru aux yeux qui l'ont fait 
naître. IncertMne d'être aimée, je n'avois que 
moi à vaincre ; maïs 'aujourd'hui . . . hélas , au- 
joDrd'huiiil me faut triompher d'un ennemi 
bien plus redoutable ! On a le courage de fouf- 
frir : a-ton celui d'affliger ce qu'on aime ? Tant 
9ne je l'ai cru indifférent, j'aiFeâois à fa vus 
une froideur qui me raettoit à l'abri de fa péné- 
tration. A préfenc que je fais qu'il eft fenfible» 
je ne répends plus de pouvoir compofer mon 
euéneur: il me trahira. Si je fiiis maicreflè de 
mis dHoDun rk fieni-je de connDHider àinea 



n;r;>-M>,GOOglC 



ii% Les m a & h b « « < ' 

regards ? Tout , quand on aioie , toat eft f^ 
£onne , jufqu'au Glence. Auflî , pouit^oi H>*a-t-it 
icrit ? Il connoît mes liens , il n'ignore pas quel» 
Ibnt mes deyoïrs-^ il m'outrage , s'il douta UB 
moment que je les remplifle. Oui > ouï , je le» 
Témplitai , je verferai des pleurs qu'il ne verra 
|ioint , il n'entendra pas mes foupiis : je ne veux 
|)oint qu'il me unfole^ Un amant aimé eft un 
conrolateurtiopdangeteuxi II guérit d'unemainy 
il Hiffe de l'autre v & chaque fecours qu'on im- 
plore enfonce plus avant dans le cœuc le trab 
douloureiu ^ cbarnum qu'il fàudioit en acra^ 
«her. Mon amie. EQa cbere amie, ce qui m'in-< 
quiète , ce qui m'occupe fans cefle , c'eft l'opl-^ 
nion qu'il peut avoir de moi. Je trouve dans fa 
lettre plus d'ardeur que de fenâbilirë > elle eft 
ylus vive que toucbanteïc'eftplutût l'élan d'uns 
imagination embraf^ , q,uc le mouvement doux 
' d'un cœut qui a befoin de fe répandre. Le cruel l- 
s'il n'avoit point de moi l'idée qu'il en doit avoir f 
s'il croyoit aux propos que la jalouiïe des femi* 
mes a femés, & qu'a répétés la complaiTance dtf 
quelques hommes ! Cette réflexion me défole. Si 
je n'ai pas Ton eftime, qu'ai- je befoin de fotl 
amour? Je veux que celui qui m'eft cher» me 
venge des ipjulHces de la fociété. Seroit-il pofii- 
Ue <]fi'il me jugeât comme na monde indiâe-> 
lent. 



D,™),.rib,Google 



DE t* INCONSTANCE. IIJ 

leaC; & n'eût entrepris de me plaire, que parce 
qu'il a compté fur la facilité du fuceês ? ... Je 
le fens , il faut le fuir ! Ëft-ce que je le veux ? 
eft-ce que je le pourrai ? fuis-je capable de cet 
effort , après ce que m'ont dcjà coûté mes com- 
bats , ma diflimulation , ma contrainte avec lui ? 
Peut-être il m'a cru coquette. . , Ah , dieu , qu'à 
préfent Je fuis loin de l'être ! Combien de fois , 
enchantée de le voir , infenlible à tout le relier 
& n'ayant pas d'aucre plaiHr, je lui ai marqué 
de l'humeur & prefque du dédain ! Souvent je 
le quittois, & c'étoit pour cacher mes larmes: 
je te déferpérois , & j'étois moi-même défefpé- 
lée: fon image reftoie au fond de mon cœur, 
pour être en mème'tems le charme & le fuppUce 
de ma vie. . . Mais , dites-moi donc , que vais- je 
devenir? La première fois que je le verrai , quelle 
expre0ion donner à mes peux ? S'il me parle de 
Ion amour 1 où me cacher? que rép.ondre? La 
, voilà puurtant cette femme qui a eu des intri- 
gues, dit-on , & à qui l'on forge des aventures ! 
La vue de ce qu'elle aime la fait trembler, fon 
idée l'elfraie : elle appelle l'amitié au fecours de 
ifaraifon, & elle fe reproche comme un crime 
une pamon donc elle ne veut connoître que les 
tourmens. J'atteQe ici le ciel , & vous , mon 
amie t que cette pailîoa dont je vous montt» 
Tomt V. H 



D,™),prib,Google 



zi4 Les Mal H,t'v r s 

toute la violence , eft la feule qui ait occupe inon 
cœur. Je Tavois donné à M. de Syrcéi & jamais 
il ne l'eût perdu , s'il n'avoit'tebuté ma tendreJTe 
par des défordrâs qu'il ne Ce donnoit pas même 
la peine de me cacher. Je fuis mère tendre , 
i'eulTe été époufe âdelle. . . Je le ferai toujours. . . 
Pourquoi le comte n'a-t-il pas refpeélé ces titres 
.facrés ? A<t<il cru que mon cœur les abjurât ? Je 
' m'en veux déjà comme fi j'étoïs coupable. , . . 
Aurois-je ehvïe de l'être ? Oh ! non , j'ai le défît 
du contraire} j'en aurai la force. 
: I^our commencer cène lutte douloureufe de 
l'amour contre il'amour , je n^ai point répondu 
à la lettre du comte. Peut-être auffi eft- ce le 
traiter avec trop de rigueur. Une réponfe n'en- 
gage à rien ; c'eft une honnêteté. Si mon Glence 
l'afflige! qu'en peiifeï^vous? que dois-je faire ? 
Non, )e ne vous demande rien ; ne me répon- 
dez pas fur cet article. 
Adieu. Je vous embraUV. 



L E T T R E X X I I. 

De la mar^uifede Syrcéi à madame de ta£é. 

\^ u E L L c nuit ! Je n'en puis plus ; j'ai encore 
tout ce tumulte là daEB la tête, & mon cœur n'« 



D,m.f.ril>,GOOgle 



ÎÏE l'ingonsïancb. llf 
jamais été plus agité. Accablée de fatigue « je ne 
jiuis me réfoudce à me coucher ; il fàuC que je 
Vous écrive. Je ue vous dirai point G le baLçtoiC 
b^u jjen'enairien vu.jenepouvoisrienvdir, 
excepté une femme qu'on a beaucoup fuivie , St 
qui a ridiculement occupé. Je vous défie de la 
deviner. On ne s'attend point à ces événemens 
là , je n'en reviendrai de long-tems. Ce n'effc 
pas qu'elle n'ait de la beauté , des -grâces, de 
_ l'efprit . . . tout ce qu'on voudra ( maïs il fcm- 
bloit que fon caradere . dût l'éloigner de ces 
folles rumeurs . . . dont perfonne ne fe fouciei 
Madame de Thémtnea , comme vous favez , eft 
une prude à vingt ans i elle affiche delafévé- 
rite dans les mœurs, de la méthgde dans la con« - 
duite. £h bien , mon amie , il ne faut qu'une 
nuit brillante po)ir lui faire oublier tous fe» 
principes. Elle n'y étoit plus , fa petite gloire 
nodurne l'avoit enivrée. Elle en jouiflbiE aveo 
infolence. . ..Cela me donne defatêteunetdés' 
fort médiocre. Tant qu'a duré le baU le duc 
-de *** ne l'a point quittée, & le comte dï, 
Mirbelle > le croirez- vous après fon aveu ? oui , 
le comte lui-même étoit un de fes courtifans les 
plus allidus ) il lui a donné le bras , l'a prome- 
née , a danfé avec elle ; on les a même applaudis 
i^ec une indécence qui n'a pas d'exemple. Sa ■ 
H ij 



h, Google 



ii6 Le s m a l h e u r s 

fiiire applaudir , fe donner en fpeâacle , Te met- 
tre en quelque forte fous la dépendance do pu- 
blic ! que dites-vous de cette extravagance i Au 
relie * vous ferez moins furprife de la conduite 
tlu comte , quand vous faurez qu'il aime madame 
de Thémines , & qu'il en ell aimé. Je ne con- 
jeAure point ; }e vous redis les propos qu'on m'a 
tenus , les cruelles confidences qu'on m'a kàus : 
c'étoie le bruit de tout le bal. Concevez ce que 
}'ai fouffen ! Et cet homme m'écrit qu'il m'a- 
dore! Quelle faulTeté! quelle noirceur ! Que 
vouIoit.il ? Quelle îBée a-t-il donc de moi ? O 
ciel ! fuis-je slTez heureufe d'avoir étouffe mon 
amour diins fa naiflânce , du moins de l'avoir 
combattu , de n'avoir pas répondu i fa lettre ! 
Où en ferois - je ! Il eût abufé làns doute du 

moindre avantage que je lui aurots donné 

Lui ! mon amie , croyez. vous qu'il en foit capa-- 
bte ? Lui , donc la phylïonomie charmante an. 
nonce tant de candeur ! Quels dehors féduifans , 
& qu'ils font bien &its pour infpirer la confian- 
ce! A rin[lant.mème que j'accufe le comte, il 
s'élève du fond de mon- cœur une vtûx fecreté 
qui te juftifie. Peut - être a<t-it fuivi dans tout 
ceci les impulsons de ce malheureux duc, le 
plus fcétérat de tous les hommes , & que t9nt do 
femmes ont la bonté de trouver aimable. S'û f« 



- D;,-S>-.'GO()l^lC 



' D^ LINCONSTAWCE. 117 

doute que j'aie le moindre goût pour M. de Mir- 
belle, -il lui aura fuggéré ce joli manège-, il elb 
homme à ameuter un bal entier contre moi, le 
tout pour fc réjouir, & donner du piquant à fa 
nuit. A quoi vais- je penfer ! Il ell impofllble que 
le duc me foupqonne d'aimer Iç comte s rien ne 
m'a trahie. Que luiimporte? Il foupi^onne tou- 
jours ; & dans une tète comme la fieane , les 
roup<;ons le tournent bientôt en certitude. Je ne 
fais que croire , que &ire. ... Le plus fur fans 
doute. eftii'oubtierjufqu'au nom du comte, de 
ne le plus recevoir , d'éviter de le rencontrer , de 
m'intcrdtre les maifons où il va , & de laifler le 
champ libre à tons les charmes de madame de 

Thémines. £IIe efl û belle , n'eft . ce pas ? 

Elle doit l'emporter. Ce qui me défoie , c'eft l'é- 
talage de là raifon, & le bruit qu'on en a faic. 
Quelle raifon ! SI vous t'aviez vue cette nuit 
courir après l'encens , provoquer les hommages ^ 
Mon dieu , qu'elle m'a déplu ! Moi , qui nd ha /" 
perfonne , j'étois tentée de la haïr. £t pourquoi ?s 
Peut- être "elle n'eft point coupable; c'eft moi 
feule qui le fuis ! je rougis de l'être ! ... Il me 
vient une idée. Si dans cette circonftance j'écrt- 
vois au comte ? (i> je lui (tiifois fentir fes torts 2 
Moi, lui écrire! moi!... Sa conduite m'édaire, 
& -pourra me rendre i moi-même. ... Je n'auroit 
H ii) 



D,m.f.ril>,GOOgle 



IIS L s 9 M A L H E U R s 

Jamais cru qu'il aimât cette femme là. Pourquoi 
me tromper ? . . . Pardon,' je me InilTe altei à mon 
trouble. Je ne m'en repens pas } j.e fuis fûre qu'il 
TOUS attendriL 

Adieu , mon amte ! Je fuis d'un abattement 
extrême ; mes larmes coulent , & ce n'eft pas ic 
dépit qui les (ait couler. 

P. S. J'ai reçu vos deux dernières lettres j je 
les aime bien , ellos.vous peignent. Votre mari 
ne veut donc pas même que vous m'écriviez ? 
Ah ! je le vois ; notre fort à nous autres femmes 
eft d'être malheureufes. 



BILL ET 

J)u comte, au due. % 

XTL h ! mon cher duc , qu'cft-ce donc que vous 
m'avez fait faire? Madame de Syrcé ne me le 
pardonnera jamais. Qu'elle étoit belle cette nuit.' 
quelle dignité fans orgueil ! que de graoes fans 
aifedation ! Madame deThémînes eilbieffîmais 
quelle difl'érence! On approuve l'une, l'autre 
enivre. Et je rie lui ai point parlé! Vous avex 
retenu des hommages qu'elle méritoit feule ï 
vous les avez détournés vers fa prétendue rivale. 
Q^fl va-t<elle en penfer ? Je ne vous conçois pas. 



D,™),prib,Google 



D E L* I H G N s T A N C E. I19 
J'ai envie , je, brûle de nie juftiBer. Sans vous , 
quelque nœud qui le retint ailleurs, mon cocue 
étoit à elle. L'événement du bal m'aura nui Tans 
doute; j*en tremble. 

J'|ii écrit k Sidlejr; je lui demande la permif- 
£on de vous préfehter ; elle ne m'a point encore' 
répondu. Je vais me repofer , H pourtant le tepoi 
eft compatible avec tout ce qui m'agite. 



r=^Ci?=^ 



LETTRE XXIIL 

De ladi Sidky , au comte de MirbeUe. 

3 'Al reçu hier une lettre de vous ; mais qu'eft- 
ce qu'une lettre pour me dédommager' de votre 
abTence ? C'eft vous que je veux , que je délire , 
que j'attends. . . Combien de fiecles écoulés 
depuis que tu n'es venu enchanter mon afyle! 
Je ne t'accufe point j je te regrette. Le foleil n'a 
point paru ici après ton départ ; l'obfcurité eft 
.^reufe, le froid infupportabKî je m'enferme 
dans ma chambre . . . feule avec tes lettres & ton 
portrait. Mon claveifin , l'ouvrage & la lefture 
partagent les raomens de ma journée : mais ton 
image adorée fe mêle à toutermes occupations ; 
& dans le défordre delà nature, heureufe de 
-t^mar, de penfçf à toi, je goûte cette faiiC 
H iv 



-M>,Googlc 



}20 Les Mai.het;k8 
fadion intérieure qiii fufiit à l'ame quand elle 
eft toute entière à t'omour. Il me lembie. que 
je t'entends, que je le parle > t» voix fî douce- 
domine fur les élcmens , & arrive à mon cœur. 
Dès que je t'apperqois , les frimacs difparoiâent : 
le bonheur ou la peine font pour moi la variété 
des faifotis. Ah! viens, viens . réaiife las rcves 
de ma penfée , rends-moi tout ce que m'enlève 
ton abfence. 

Quel eft donc ce duc que tu dois me pré- 
fenter?qu'ai-je affaire de tui?queme veut-il? 
Dans l'univers un feul,être m'intéreâe: cet être 
facré, c'ffl: toi; c'ell toi, mon ami >^ je ne vois 
pas le rede. Tu fais d^ailteilrs que les titres ne. 
m'en impoPent pas. Je liiefure l'homme , & non 
fon piédeftal ; je ne contiois qu'un orgueil , celui 
d'être aimée de toi. Je crois t'avoir entendu par- 
ler de ce duci autant que j'en puis juger, même 
par tes éloges , c'ed un homme frivole & froid. 
Loin de nous les infortunés de ce genre ! Ils n'ont 
lien de commun avec moîi ils n'auroîent point 
d'organes p«ur me parler , je n'en trouverois 
pas pour leur répondre. De grâce, difpenfe-moi 
de le recevoir. . . O ciel , quells réflexion vient 
foudain ra'agicer ! Si tu commençois auprès d«. 
ton amante k t'appercevoir de la folitude ! û ma 
fociété te paroiiToit plus langutlTante ! Ci je iCé- 



D,™),Pril>,GOOgk- 



DE I' 1 N C W S T A NC E. ISI 

toÎG pastout pour ton cœur , comme tu l'es pour 
le mien ! . . . J'en frémis ; tu vtus l'excès de mon 
amour , de ma conBance. Lis JBfqu'au fond de 
cette ame tendre & profonde; crains d'y porter 
la mort , en y tailTant pénétrer la lumière aifrcufe 
du foupçon-Tune peuxrlefi m'ôter, quetu ne 
me ravifTes tout. Si le feul delîr d'une inâdélité 
pouvoit naître en toi , c*en fersit fait du repos 
de ma vie. Une barrière éternelle s'sleveroit sntre 
nousï ilnY auroit point de retraite alTcz fombnt 
pour cacher.mes pleurs ( je m'en aourrirois juC 
qu'au tombeau. Je mcprire les (îcmmes quichani 
£ent'. encore plus celles qui pardonnent. Tel èft 
HioucaraâBre i )e ne te cache rien. Qu'aurois-je 
à te cacher ?'Plus tu me connais, plus tu dois 
ètte heureux. Sais^u d'où vient Piiiquiécude à 
kquelle j'ai pu m'arrèter » & qu'il ne tient qu'à 
toi de détruire ? De quelles înftans de triftejTe' 
où je t'û furpris. Ne fois jamais trille ; ioiûs de 
tous les plailîrs de ton âge : maia fois d« tctns 
en tems ramené à cette félicité tranquille qui 
s'alToLbliE dès qu'elle a des confidens ou des . 
témoins. Toi , pour qui je relpîre , toi , l'ame. 
de mon ame * que ne puîs-jé pa&r ma vie à 
tes pieds , dans tes bras , ou à tes côtés , oubliée 
du monde entier, m'oubliant moi.même , & ae 
fent^t le prix de l'exilteiicç , qu'en la pcodi- 



M>,Googlc 



six Les Malheurs 
g^ant poifc toi ! Aime ton Angloife, aime-la . 
jufqu^à ton dernier foupir: tu ne ^remplaceras 
jamails. - 



BILLET 

Du âuCt au comte. 

Vous n'y entendez rien. Je ne prétwids pas 
non plus que madame de Syrcé vous pardonne; 
}e veux qu'elle foit furieufe , jaloufe , déferpérée» 
& que vous profitiez de fon dépit , pour placer 
votre amour. Apprenez donc à tourmenter une 
femme , à lui troubler la vue par toutes les va- 
peurs de l'amour-propre > & à vous glifler fous 
le nuage que vous aurez formé vous-même. 
Dans ce pays-ci , où le tempérament eft rare , & 
la coquetterie nniver(elle , les femmes ne cèdent 
que quand elles ont des furies dans la tète. . . Ces 
furies li (ont à m^s ordres. 

Soyez fTir que-la marquife aura dormi fort 
légèrement. Ls Thémines d'un côté , vous de 
l'autre , aurez les honneurs de l'infomnle. Elle . 
vous croira du dtmier bien arec cette prude 
dont fai hit une, coquette; & pour peu qu'on 
ait d'ame, on s'en vengera en nous prenant. 
L'aobre a brillé cette nuit, on en parlera de- 



-M>,Googlc 



DE L'IS.COUSTAKCE. 12^ 

inain } voilà 3e ces horreurs qu'on n'oublie 
point ! Gardez-vous d'écrire ; vous perdriez touc 
Le fruit de mes combinaifons. M» conduite dans 
cette circonÇance efl: une de mes belles manoeu- 
vres. Prefque tout le bal étoit dans te complot} 
& madame de Syrc^ s'attendait à un triomphe 
que je lui ai enlevé le plus adroitement du 
monde. ■■ 

' . FrelTez votre Angloife i ii efi de toute nécefiîcé 
que je fois là, afin de conjurer Torage, & de 
TOUS ménager la douce tranquillité dont vous 
avez befoin pour être infidèle fans conttadic- 

' ùon. Cela m'ennuiera un peu i maïs ^encore un 
coup , je m'exécute. 



L E T T R E X X I V. 

De ia marquife , au comte. 

3 E n'ai poTut répondu à votre lettre* raoniîeur 
le comte , parce que je n'avoîs rien du tout à y 
répondre i mais j'apprends que madame de Thé- 
mines trouve vos vi&es chez moi beaucoup troip 
fréquences , & je me détermine enfin à ««ïpte 
le ûtence pour vous fervir tous deux. N'en dou- 
tez nullement, je làcrifie fans qu'il m'en coûte» 
le plaîfirde vous voit à la [ranquillitéide ccll« 



h.GooL^lc 



J24 Les Malhbvrs 

qui vous eft chère: tous voyez que je fuis gi~ 

nércufc. 

Je vous pardonne même , & l'aveu qae vous 
m'avez faîr, & la faulTet^ de cet aveu : il m'of- 
fenferoic cruellement* (î ce que vous penfez de 
moi pouvoit m'intéreder encore ; mais je crouvb 
fiu fond de mon ame de quoi me pafier de l'o- 
pinion des autres. Oui , monHeur, après ce que 
je fais , ce e|ue j'ai vu , ce qu'on m'a dit au bal, 
détrompée , charmée de l'être, & n'ayant à re< 
Srener qu'une prévention qui vous étoit trop 
avantageufe , je ne puis plaindre que vous ; j'ef. 
père que vous en êtes bien {br. Au relie* croyez- 
moi, pour rendre votre pa0ion plus touchante , 
oiTrez-la moins au public. Votre confiance in- 
fatigable à fuivre cette femme, vos yeux uni- 
quement attachés fur elle ^ l'espreflion des Hens, 
tout, en un mot , tout annonce ce qu'il iàudroïc 
renfermer un peu plus ,pour l'intérêt de fa gtoiro 
& même de la vôtre. 

Ceft depuis fort peu de eems , ce me femble , 
qu'on parle de cette belle paiHon. Il eft vrai que , 
n'examinant les aâions de perfonne , je puis 
très.bien me tromper fur la date de votre bon- 
heut : pour peu qu'elle foit ancienne ( ce que je 
ne-mefoucte pas de favoir), <m ne peut qu'ap- 
plaudir à ta chaleur de votre amour ; ît a tout le 



D«),.rib,Google 



DE l' I M C O N S T A lu C E. 12f 

feu de la nouveauté. Aimez madame de Thému 
nés, aimcz-Ia toujours i il me parole tout Hmple 
que vous Taimiez , que vous l'adoriez , que vous 
foyez affidu auprès d'elle. On lui trouve de l'ef- 
prit, des grâces ; oïl m'a dit qu'elle avott des 
qualités^ SEJ'yclrois: mats comment fe peut-il 
que le mortel heureux qu'elle a choilî , fe per- 
mette Unefeole dittraâionj qu'occupé d'un objet 
qui mérite tous fes foins, il attente à ta liberté 
d'une femme;qut ne le chetchoit pas , qui ne lui 
avoit laide entrevoir aucune dirpofition favor 
rable,&-dont la prétendue coquetterie n'avoie 
fiiit aucuns frais pour l'attirer ? 

Il vous feroit diiEcile de vous jufHfier ; & 
puis , quelque [llâillr que mon amour-propre y 
trouvât , je vous difpenfe de cette jullification i 
elle vous mettroit dans la néceilité d'être faux 
une feeonds.tois, & je ne veux point m'ezpofer 
au chagrin de perdre pour vous toute eltimet 

Adieu , moiilîeur. 



LETTRE XX V. 

De la marquife, ifon antie, 

jLbs. bruits du bal viennent de m'ècre confie, 
mes. Un homme que j'ai vu hlVj m'a dit toute» 



-M>,G6ogle 



Slâ LSsMALHBUttS 

les pacticularités de cette intrigué. Il n'eft qn0=. 
ttop Ttai , le comte adore madame de Thenrines: 
mais ce qui va vous patoitre incroyable , cette 
femme eft jaloufe de moi , jaloufe à )a fureur * 
Elle tient les plus mauvais propos. Elle n'en 
tiendra plus. Jai écrit à M. de Mirbelle , & vous 
ne me défapprouverez point. Je lui défends de 
me voir; je l'ai dû. Je ne ferai jamais obftacle 
au bonheur de perfonne. Qu'ils s'aiment, qu'ils 
foient heuteux ! . . . Moi , je verferai des larmes 
dans votre fein. . . M. de Mirbelle eft donc le 
plus faux des hommes ! Hélas ! en rejetant fon 
hommage , hommage adoré . . . qu'aujourd'hui 
je dételle , mourant de cet eflbrt , ce n'étoit pas 
moi que je' plaignois. Mon amie , le cneur qu'il 
déchire méritoit d'être mieux apprécié. . . Que 
je imi celui qui a détruit mes incertitudes ! Tout 
ce que peut avoir d'affreux une douleur qu'on 
renferme , il me Ta iàtc fentir ; & cet homme 
paroillbit appuyer avec un plaifîr cruel fur des 
détails indifcrets ou défefpérans. Je ne lui en 
demandois pas : d'où vient cette eiTufîon , cette 
confiance , cette joie maligne? . . . Si c'étoit un 
- émiâàire du duc ! fî l'on nt'avoic trompée ! Ah ! 
nHmporte; j'adopte, j'embraflè tout ce qui peut 
fortifier ma raifon , & me donner des armes con- 
tre un objet trop feduifant. S'il fe peut, aggravez 



h, Google 



» E 1' ï N C N s T A H C E. 117 

fes torts, inrpirez>moi de l'horreur pour les 
miens: j'ai befoin de le croire coupable .. .je 
tremble qu'il ne le roît. Je ne démêle plus ce qui 
Ce psâe dans mon ame. L'efiroi, l'indignation . 
la violence de mes combats > leur inutilité , une 
forte d'efpoir, le remord même de cet efpoir* 
le courage de mes projets , rinconfcquence de 
mes VŒUX , & le. malheur de n'être pas aimée , 
& la crainte qu'il ne foit pas digtie de l'être; A 
mon amie , tous ces tourmens font au fond de 
mon cœur ! Je ne le verrai donc plus ! Ma lettre 
efl: bien froide . . . elle etl prefque dure. . . Je 
voudrois qu'elle ne fût pas partie. . . J'aurois 
mieux fait de ne pas écrire. C'eft une démarche 
impardonnable : s'il alloit l'interpréter à mon 
défavantage! Je fuis une infenfêc; je m'ab- 
horre. . . Que je fuis à plaindre ! Et madame de 
Thémines eft jaloufe !.. ; & j'excite l'envie ! 



■LETTRE X X V L 

Du comte , à la marquife. 

\J\i'k\'iZ lu ! Efl>ce TOUS , madame , e(l-ce bien 
vous qui l'avez écrite cette lettre qui contient 
mon fort , qui le rend horrible , & dans laquelle 
TOUS prononcez mon anêc fur des apparenves 



n;r;sM>,GOOgle 



118 l'Es Malhevrc, 
que vous n'auriez pas dû ft cruellement inter. 
prêter ! Vous venez de me Biire éprouver dans 
toute fa violence le tourment d'aimer malgré 
foi, d'aimer fans e())oir, d'être condamné au 
malheur, & de n'infpirer que le mépris: il ne 
me refte rien que le fupplice de vous adorer. 
Non , madame,, celui que vous accnfez , à qui 
vous défendez de vous voir, qui vous fut tou- 
jours odieux, n'eft pas indigne de votre eftime. 
Ah ! par égard du moins pour la douleur la plui 
vraie , daignez m'entendre. Je n'aime poiat ma- 
dame de Thémines , je ne l'aï jamais aimée , je 
ne fuis pas aflez heureux pour vous en çârir 
le facrifice. Si je l'ai fuivie au bal , c'eft de ma 
part un délire, une inconréqucnce que je ne 
puis vous expliquer. C'eft vous feule, hélas! 
vous feule que j'idolâtre. Quand je^vous en 6s 
l'aveu , j'y fus entraîné i & peut-être il vous tou- 
cheroit. Cl vous pouviez lire au fond de mon 
ame , G vous pouviez favoir combien elle eft 
agitée. Depuis la lettre que j'ai ofé vous écrire , 
je n'ai pas eu un moment de repos. L'amour qui 
me dévore ne peut me rendre que malheureux: 
mais , encore une fpis , je n'ai pas été maître de 
le vaincre. La féduélion e{l fur vos lèvres , dans 
vos yeux s vos geftes , vos difcours , votre (ilence 
ia icfpircnt i vous.agiâez avec h même force fur 
l'ame 



D,™-:„.rib,Google 



n8 t'tiîClOMSÏAHet. îld 
Vwae & fur l'imagiiiation. On a beau fe défeil. 
dre , il efl; iMpoilible qu'on vous échappe : uniS 
grâce indéâhiûàbte vous fuit , vous accompagne* 
fe mêle à cous vos mouveniens , & tous ne faites 
rien qui ne foie un ptege tendu i la liberté de 
ceux qui vous approëhenc. Rêvez<Tous ? on aime 
Votre rêverie. Redevenez-vous gaie ? vous don- 
nez de l'intérêt à la gaité ; vous avez mille moyens 
de plaire , tous infaillibles * tous difFérens. . . Ah ! 
ceflez de me croire (aux t accablez^rtioi de vos 

' rigueurs , mais plaignez-moi , vous la devez , j« 
le mérite. ÏI eft des polïtions oi^ rhonnètets 
lïlînle efl: le tour nieiit du cœur qui la chérît. Rap*- 
pfctlez-vous, madame , daignez vous rappellec 
rËmpreflerneuc avec lequel je Vous aï cherchée. 
En vous reflbuvenant de mes hommages , vou3 
vdus fouviendrcz peut-être de vos froideurs... . 
ql]6 dis- je! de l'anin^ofîté avec laquelle vous' 
déclamiez contre moi dans un cercle qui rece^ 
voit vos imprellions. Vous jouirez de ce fou- 

. venir . i : c'ell iine vengeance de plus que jr 
Vous procure. 

Qu'ai-je fait pout tjiériÉer votre haine? ... 
Permettez du moins que je détruife les idées 
outrageantes que vous avez prifes de moi. Puif. 
que votre préfence m'ell interdite, par pitié 
feuiFrcz que je vous écrive, Je n'ofe m'attendra 
Tome r, I 



-M>,Goôgle 



il des réponfeiït mais du moins je vous dirai* 
je vous répéterai cent fois à quel point je vou> 
fuis aflervi. Noji j non , croyez-en le ferment do_ 
ramour* non, madame de Thémines n'eut ja- 
mais de d^ts fur mon ame ; $ il me fuiSc iv 
vous cofinoitit , pour apurer qu'elle n'en aura 
jamais. 

■ « ■ '^ X* m 

Ji^ETTRE XXVIL 

De ta marquife, tifoH »mîe. 

C^UE l'univers entier foit aux pieds d« madamo 
de Théraines : le feul o^jet qui m'in^érefle n'y 
-eft poini; , il n'y fera jam^s ... il n'cft point 
, coupable. Que nous étions ii^judes ! c'étott avec 
un» forte d'ac^rnement que vous l'acculiez. 
Flus timide quelle duc > me difiez'VoEis , it en a 
tous les principes. Ce lôup^on efl trop cruel r 
que Vous a>uil fait ? Vous m'avez défefpérée. . . 
Cardon, mille fois pardon,} je vous dpis de la 
reconnoi0ance , & je vous &is des reproches î 
J^ai cherché moi-même les fecours de votre 
Wnitié , & je m'en plains-î Je oç fais plus ni ce 
que je dïs.nicequc je, veux î je fuis bijcn dign^ 
de pitié. . . Vç^s m'çxcufei;ez , mon amie ; vous 
ne m'abaaj(Loi)L^arez,poi;i^ au.tîéivcdjre d'iux i^. 



n;r;>-M>,GOOglC 



fi (S L* t s C tl f t A s C 8. 131 

fetdue, fur. tout aux mouvemens d'un cœut 
que j« crains [ilus encore. C*e(l là , ifeft là qu'eft 
l'ennemi ; c'efl: là qu'il eft gravé en traits inef- 
fa(;ables. .. Ah ! je le fèns , je fuis née pour Vsi- 
dorer toujours. Vous voyez mon égarement { 
Vous eftimerer mon courage. Si vous en avea 
la force , dites-moi du mal de M. de Mirbellci 
mats gardez-vous d'en penfer. . . Il n'aime point 
madame de Théminés. Aulli je ne concevois pas 
fon triomphe } elle n'ell point jolie au point de 
tourner les tètesije trouve moi qu'elle l'eft... 
avec modération. Soyez- en fîlre, il ne l'aime 
point , il me l'a juré. Il efi: fi honnête t il a t'aie 
d'être fî vrai ! Le ton de fa dernière lettre m'a 
vivement afFeiSéci elle peint le trouble de fou 
bme , il a palile. tout enûer dans la mienne. 

Mon amie , qu'il eft dangeretuc pour moi , de* 
puis que je n'ai plus rien à lui reprocher! Il me 
demande la permiifion de m'écrice. Après mes 
injuftes foupqons ,dois-je encore l'accabler pat 
Un refus qui te mettroitau dérefpoir? qu'en pei^. 
^ fera-t-il ? Je ne puis me déterminer à rien. Qu'tt 
en coîite pour concilier la prudence & l'amour! 
que j'aurai de peine à cacher le mien ! Il aug- 
mente à tous les inflans ; il fe rend maître de ma 
raifon. Que dis-je, hélas !je n'en ai plus, je ne 
Tois plus qu'à travers un nuage les devoirs for- 



j:,™),prib,Google 



1^1 Les MALHBVRf 
midables qui me lient. Vous avez aimé , vein 
retrouvez votre lituation dans la peinture de U 
mienne. Eh .' comment n^aimerions-nous pas ? 
J^alheureufes ! ceux à qui nos parens nous 
livrent, nous tyrannifent, ou. nous abandon- 
nent. D*abord on Te foulage par des pleurs ; peu 
à peu ils deviennent plus rares, les mauvais 
procédés les fechent, le cœur Fatigué fe forme 
de riantes chimères , il cherche un être qui tes 
léalife i l'objet redoutable fe préfente , le trou- 
ble de l'ame L'annonce } on le craint , bn le futt » 
& en le fuyant on le trouve encore : on fe re- 
2>roche moins de jour en jour un tort voilé par 
la féduâton , & près de l'abyme on n*apperçott 
que tes fleurs qui le couvrent. Hélas , que deve- 
nir au milieu des périls qui nous environnent, & 
des chagrins qui nous accablent ! Nous fommes 
toujours plus à plaindre que crimincttes i nos 
fautes à nous ne font jamais que nos malheurs. 

Adieu : j'accepte tous tes maux que l'amour 
voudra me faire ; ils me feront chers par leur 
caufe. 

P. S. Je fais une réflexion. Me voilà forcée 
de répondre à' M. de Mirbelle: on lui a pec- 
fundé que j'avois die des horreurs de lui. Il y a 
d'odièufes gens dans le monde ! Il feroit affreux 
. de lui jaiflêr une opinion ij iauâc. Il aoic qu» 



D,™),.rib,Google 



SE L' I N C O » S t A H <S ï. I^î 
Je le détefte ! .... il le croit ! Ah , dieu ! il ne Ha 
jamais danfi mon cœur ; je TePpere du moins ■ ■ ■ 
mats il n'eft point de bi qui puifia ine^coouaiOp 
are à lui marquer de la haine. „-:; 



LETTRE XX VLÏ.E . ' 

De la marquife « au comte. 

XL &utbien, monfîeur, que je vous réponde. 
J'ai à me judifiec d'un tort , c'eft-à-dire, à rcpout 
fer un menfonge. On pourroitètre plus modefte* 
mais it efl; difficile d'être plus franche. Non , aG> -^ 
Airémem, iln'eftpasvraique dansun cercle je 
me fois déchaiifée contre vous. On vpus en a 
impofé 1 vous avez été crédule , & fur - tout in-^ 
jufte pour vouE-mème : voilà ce que je ne vous 
pardonne pas.... Je ferai plus indulgente pout 
ce qui m'eft perfonnel. Je le vois , vous êtes forts 
loin de connoître moji caraftere. On vpus ea 
aura donné une idée fàulTe ; p^ut^être ne deviez- 
vous pas la prendre : en£n , votre fufirage , ne 
m'eft pas indifférent , fie je fuis bien aife de vous 
dire que j'ai la méchanceté en horreur., & lea 
jnéchans en pitié. La perfécution ne m'a point 
aigrie. 
Tenez , monGeui le comte , je ménage toute 
liij 



1^4 LiaMALHBURt 

-^rfonne abfente, mieût-elle oSenfêe: je la 
leuero» Il elle avoit des vertus > je ta loue* 
rois.. ..fans lui pardonner. J'excufe tant qiio 
je peux t mime les jolies femmes i je donne avec 
jilaiûr des éloges à ceux gui en font dignes , & 
ce n*étoit pas i vous à douter des miens. J'ou- 
bliois deVbus parler de madamede Thémânes . , . 
une explication ne finit pas. Que voulez- vous? 
j*ai ajouté foi aux propos du public , & peut-être 
&rois-je bien de m^en tenir là. Vous ni l'aimez 
donc pas ? Vous m'en aStirez , que ïàire ! Comme 
•n fe trompe l On ne peut donc plus croire à rien ! 
Mais que fîgniËoit votre èmpreiTement ? Au 
relte, j& ne pourrois conferver fur cela aucun 
foupçon, qu'il n'attaquât votre honnêteté. N'en 
parlons plus ... La demande que vous me faites 
de m'écrire m'embarraâe. Si je vous refufe dans 
cette circonftance, vous perGfterez à me mettre 
au rang de vos ennemis, vous penferez que ma 
haine eO: implacable, vous direz beaucoup de 
mai de moi. ... 

Eh bien , monfîeut , je veux vous donner uno 
preuve d'eftime, &le ftylede vos lettres m'ap- 
prendra fi vous, la méritez. 



D,m..M>,. Google 



I * C b» s T A M C ï. IJf 

LETTREXXIX. 

Du comte , au chevalier. 

Vos lettres me contra'rioîènt , mon cîier ché- 
Valier } votre fitence m'afflige. Cen eft tait , mfe 
voilà engagé ; j'at écrit , on m'a répondu : mais 
hélàslavecdes remords, de quoi puit-oti? Les 
miens fonthortlfaleS. J'afpire i un bonheur qufc 
je redoute, je crains d'être heuréUx, )é fr,émiï 
de ne pas l'être. J'ai ïtqu de Sidiey la lettre Im 
plus louchante , je Pai couverte de larmes .... 
«'eft en pleurant ^ue je la trahît! Elle repoufle le 
fpupqon , elle baile lamaîn qui l'immole , elle eft 
loin de me croire barbare . . . L'infortunée! Ahi 
je le fuis plus qu'elle! Cependant, fî rrton amoijr 
n'eft qu'un goût, une fantaifie, une préoccu- 
pation du momcntî . . . . Madame de Syrcé eft 
telle fans doute qu'on me l'a peinte; & dans ce 
cas , comme vous te diGez vous-même, fon régné 
fera court: Une fois fini , celui de ma Sidlejr 
recommence. . . . Que la marquife étoït belle 
au dernier bal! con^nié elle écltprdît toutes tes 
autres fenimés ! Et j'en fuis réduit à dellreif 
qu'une femme charmante manque d'honnêteté, 
M principes* & fe dégrade par une de ces foi- 



D,™),.rib,Google ■ 



Ijâ ~'LE8 Maihburs 

b1efièspa0ageres,que lerentiment ne juftïSepBs! 
Four que je fois fidèle à la vertu de Tune , il faut 
que l'autre en manque ! Je rougis de moi-même , 
je rougis & perlîfte O délire du cœur hu- 
main ! égarement inconcevable ! Plaignez votre 
ami. Que dis -je ! je m'exagère mes torts i qtiî 
ne les a pas eus ? Vous ■ m^rae dans ma poûtioa 
.vous feriez comme moi. Nous femmes trop fé- 
veresi le plaifir eft le dieu de mon âge , c'eft - 
à lui qu'il faut facrifier : ta froide raifon n'eft 
point la vertu. 



BILLET^ 

Du chevalier , au comte. 

V OU S pleurez , vous rougiffez, votre ame 
cfttrifte, & vos réfolutions font les mêmes! A 
quoifervent donc cesavertiflemens fecrets d'une 
ame délicate ? Si ce frein efl; inutile , quel eft 
celui qu'il vous faut ? Mais la faifon des confetls 
ed paUee ; voici celle de l'amitié : elle doit con. 
folerles coeurs qu'elle n'a pu guérir. Je donne- 
rois bien des jours de ma vie , pour vous épar- 
gner les jours aifreux qui vous attendent. Va 
écart d'un moment a fait quelquefois couler des 
larmes qpe le tems n'a pu tarir. Fuille-je me 
tromper ! pui0lez<vous être heureux ! 



D,™),.rib,GOOglC 



l'inconstance, 137 

= " ^ " . 

LETTRE XXX] 
Du duc, au comte. 



SUa bien « me fuis-je abufc? le bal a-t-ïl matu 
que Ton e0et ? J'étois fur qu'on vous écriroit. 
Tout eft applani , vous voilà aux prifes; c'eft à 
vous à mener cela leftement, & à ne pas vons 
ennuyer tous deux par l'éternité des premières 
façons. De grâce, n'allez point prodiguer le«, 
lettres; fur quatre fois qu'on vous écrira, ré- 
pondez au plus une , & point trop d'étalage de 
fencimens. Grondez, boudez. Faites des repro>i 
ches, & ne manquez jamais d'exiger qu'on fe 
JurtiSe. Les femmes en^crîvantfe laiiTenc aller, 
donnent des armes contre elles . fe familiiirirent 
avec les palTions tendres, & font piefque tou- 
jours foibles la plume à la irrain. Tout ett làïQ , 
interprété ; on prend date' , & l'on conclut à 
rheure qu'elles y penfent le moins. 

Le roi part pour huit jours , il va à ... Je le 
fuis , je refterai tout le voyage , & j'efpere qu'à ■ 
mon retour vous aurez 6ni. Dieu merci , vous 
avez du tems 1 voilà une mortelle huitaine quff- 
je vous laiâe pour faire les chofes dans touteg 
les règles de la plus exaâe décence. Après cela , 




h, Google 



k;à Les Malheurs 
flous n'aurons a fonger qu'à l'article de la publia 
cité , qui eft plus elTentiel qu'on ne oroît. Je ma, 
chargerai de tout ; }e vous donnerai feulement' 
fecret de ces Ulehces favamment indifcrets 
qui déshonorent vingt femmes, en nous laillànt 

e mérite des procédés. Votre Angloîfe ne veut 
donc pas de moi? C'eftuiie barbare que cette 

"enimc lâ ! . . . . Adieu, 



LETTRE XXXL 

De la marquije , au comte. 

J^B quoi vous plaignez vous? Je permets que 
Vous m'écriviez, j'ai enfin promis de vous ré- 
pondre; c'cft peut-être plus que >e ne dois, & 
urement tout ce que je peux vous accorder: 
niais vous êtes injufte ; vous l'êtes beaucoup, 
& rinjuftice ell révoltante. Bon ! je ne me fou- 
venois plus d'un autre fujet de colère , & tou- 
jours contre vous : comment ne Te fouvient-on 
pas de ces chofes-Ià ? . . . C'eft donc par orgueil 
autant que par raîlon que je crains d'aimer ? La 
belle idée ! qu'elle tn'eft avantageufe ! Paflbn» 
régéremenc fur ce reproche. Un diner , une toi- 
"ette ( & c'eft une aiFaire grave qu'une toilette) 
Ài'occupent eiTentiellement. Sachez en générât» 



h.Gooi^lc 



D E L* I N C O M s T A M C B. I^j 

qne j^ai des principes qu'on ne ne connoît pas , 
& unextéciGur...dontiifitutredé6er. Sur<tout 
ne me dites jamais que l'amour embellir, qu'il , 
met dans les yeux un intérêt, un charme, une 
cxpreffion .... Malgré cette rare découverte , 
mon cœur reftera libre ; & fi j'étoîs aflez maU 
heureufe pourqu'un jour il ceflat deTècre, d'aufS 
foiblcs avantages ne me confoleroient p'oint. 

Vous me demandez fi je ferai chez raûi ce 
fotr?Mondieu!ouii j'aiunmalde tète affreux, 
je ne fortiraîpais.D'aillsurs j'ai à vous gronder, 
je ne fuis point contente de vos lettres : quoi- ' 
qu'elles foient charmantes, je leiA: en veux... 
Ah , que vous àtes déjà loin de ce que vous m'a- 
viez promis! 

■<& M II I .1-I" ^V ■ i_ 'I a» 

LETTRE' XXXIL 

De la iHsrfuife , au comte. 

'UELLE vifite vous m'avez fiiite hier! quelle 
légèreté! quels propos! Non ,mon(ïeur, n'efpé- 
tei pas que je les oublie. Vous ofcz dire que 
vous m'aimez ! Ah ! fi j'avois eu de la difpofition 
à le croire (& vous favez le contraire)', il ne 
m'en refteroît que la honte. Vous ne m'avez 
entretenue pendant quatre heares . que de mes 



-M>,Googlc 



Q' 



i4o Les Malheurs 

chnrmes , des defirs qu'ils fom naître , du piquant 
de l'infidélité & des pbifîrs de l'inconllance : 
tout cela avec une chaleur auilî déplacée que 
VQsdircours. Eh !qu'avez-Tou^ apperçu, s'il vous 
j)lait,dans ma conduite, qui puifle les autonfer ? 
J'ai requ l'aveu de votre amour fans colère ,mais» 
ce me ferablefBvec .beaucoup de froideur. On 
peut être B'dek a Tes devoirs , fans fafte, fans 
aigreur , fans nulle oftentation. Je m'y connôls 
mal .ou ta vertu etl douce , fa jouïflance inté- 
rieure , & fon plaifir fecret. j'ai répondu , il eft 
vrai, à quelques-unes de vos lettres ; j'ai cru le 
pouvoir : cette marque de mon eftime devoit 
augmenter la vôtre. On me juge mal , je le fais, 
je m'en confole. Votre' fexe eft vain , le nôtre 
envieux: vous ne pardonnez point les refus; 
nous voulons plaire exclufivement ; & quand 
ces deux motifs de haine Te réuniffent , cela fait 
un bruit ... qui en impofe aux tètes Foibles; 
c'eft le grand nombre: mais il eft quelques âmes 
cburageufes. qui fuivent leur attrait, non le 
torreat,qui Te donnent la peine d'examiner, ne 
croient qu'aux &iis , & tiennent à leur opî- 
nion : voilà ce que j'attcndois de vous. J'avais 
donc tort î 

,. Adieu , roonfieur. Combien de remercimcns 
jevous devrois» Hj'avois cubefoin d'être aftèr- 



h.,G6oL^lc 



t> B l'inconstance. 141 
mie contre votre CnguHer amour! HeureufC' 
ment je n'en étois pis là. Je dis heureufement, 
parce que cela mec des bornes à ma reconnoiC 
fance. 



LETTRE XXXIII. 

Du comte , à la marqiiife, 

JN 'accablez point un malheureux, dont I0 
fort eft plus horrible que vous ne penfez. Il 
vous a déplu , Ton fupplice eft dans fon cœur. 
Ah ! madame , fî vous aviez pu y lire* dans l'info 
tanc même de l'entretien d'hier, de cet entre- 
tien qui vous a courroucée contre moi , vous 
auriez vu combien j'écois loin de vouloir vous, 
oiFenfer. Je nenre connoiffois plus: le charme 
de votre converlation , ceux de votre 6gure 
embrafoient mes fens , m'ôtoienc i'ufage de la 
rairon , & m'avoient jeté dans un raviffemenc 
que je n'avois pas encore éprouvé. Oui, je me 
diPois alors que la maîtreâe la plus adorée au-, 
roittouc à craindre û elle vous avoit pour rivale> 
&que le cbnn^ement,qiii eft toujours un crime 
en amour, celieroit d'en fetre on, fi vous en étiez 
& la caufe & l'objet. Que voulez- vous? mon 
4ellin e& de vtjs iJuLâtrer ... . vos iojufiicei 



h,Go()i^le 



14S LKS MAtHËtJftS 

ne pourront ialTer mon fentimèni. Si vous Oivicfl 
tout ce que j'ai Fnit pour vaincre l'afcendant que 
vous avez fur moi, vous me plaindriez ; je voua 
inrpirerois plus d'indulgence que décolère, vous 
frémiriez de l'état où ')ç fuis. . . Quelle lettre voua 
m'avez écrite ! Votre mépris nianquoît à mon 
infortune. Votre mépris! ô ciel! eh bien, ma- 
dame , tout accablant qu'il eft , )e le préfère au 
doute où vous êtes de mon cdime. Moi , ne paft 
Vous cflimer ! moi , qui découvre tous les jours 
en vous des qualités qui redoublent mon ivreâe* 
mon dérefpoir,&mettentlecombleàinesmHux ! 
Je voudiois ne vous avoit jamais vue; je von- 
drois. . . Ah ! pardonnez >ttï: emportemens de 
rnmour , de la doulfiur Si du remord. Mon trou- 
ble eft extrême . . . daignez mélec quelques lar* 
mes aux miennes ', cacbez-les moi fur-tout : R la 
compafiton vous en atraclioit une feule i mea 
yeux, je ne répondrois. pins de moi. Oui, ma- 
dame , fâchez que ce n'ell pas s&ez de votre in- 
différence ; fâchez que j'ai befoin de votrchtiino 
pour vous obéir , pour renfermer le penchant 
indomptable , les vœux ardens , dont voiB ave* 
dédaigné l'hotHmage , & dont l'exprefEon voue 
révolte. Souffrez que je vous voie ce foir, dai- 
gnez Être témoin de mes regrets : ils vods atten- 
driront t a vous n'ÂUs.pas tout-à-fait ii^nlïbte* 



n;,-;.M>,Google 



n « IM N C H s t A N C K. »4J 

Ne craignez pas , ne craignez jamais que je von» 
parle de mon amour: j'aurai le courage de fouË. 
frîr,deme taire, de melbumettreàvouscomme 
à ces intelligences cételtes qu'on adore par U 
peiifée. . . Au nom de cet effort . ne me refu- 
fez pas. 



--^^. 



J 



BILLET 

De h mariptife , an comte. 

'k'i répondu à votre dernière lettre » j'ai cm 
à votre repentir, & vous avez du chagrin! Ahf 
n'en ayez point % n'en ayez jamais. Je fuis bien 
loin d'être infenfîble à ceux de n»es amis. Vou» 
prétendez que je ne leur pafle rien; mais ne 
leur doit-on pas la vérité? Si j'ai le courage de 
leur déplaire , j'ai la force de les défendre. Pac 
exemple , je foutiens à tmit le monde que vous 
avez beaucoup de raifon , & cependant il ne tien- 
diroit qu'à moi de dire le contraire. Qu'aviez- 
Tous donc hier? Vbus étiez d'une triftefle. . . que 
jpB ne m'attribue peint: je ferois bien affligé» 
£cn être l'objet. . . Sans doute il ne feroit pas 
en mon pouvoir de la détruire. Je vous en 
conjure , n'^ayez . . . que de l'amitié pour moi > 
je fentirois vivemetu la dooltiu As viHis cai^f 
la moiodce peine. 



n;r;>-M>,GOOgle ■ 



J44 'LesMaehbuèS ■■ . , 

Je n'ai pourtant pas été hier au fpcâacl^^'ffîà^ 

prèsvos folltcitations. Ce procédé ett^UaiTezbéau? 

■•a 1 ^ il ''S S^ • ^ 

BILLET 

Du comte , an chevalier Je Gèràc. 

3*hl été hier au foir thez madame de Syrce^ 
malgré tout ce (foe Vous m'aviez dit le matin: 
mais notre converfation , la plus vive que nou» 
ayons eue depuis cette malheureufe intrigue, 
étoit toute entière fur mon cœur. J'étois d'utf 
fombie . . . dont on s'eft apper<;u , que l'on niB 
reproche dans un billet d'aujourd'hui ; & ces 
zq>roches même île fervent qu'à l'augmenter* 
Kàn ami , mon lèul ami , que l'amitié eit pulf- 
fante, qu'elle efl: pei:tualîve, quand elle prend ' 
le langage de la vertu , fans en aVoir la févéritéf 
C'en eft fait .. . duffé-je en mourir (&je ne fuis 
pas loin de le foahaiter) je me condamne au plus 
douloureux , au plus cruel des facriâccs. Mon 
ame,^ toute courageufe qu'elle eft, eft effrayée 
de l'effort qu'elle s'impoTe. . , N'importe : il faut 
être homme , favoir fouffrir , épargner des larmes 
àSidIey; il faut enfin être honnête, & contenter 
fon ami. Je vais effayer le combat, je pleure d'à-- 
vance le uiomphe. . . Adieu. 

ILTVRE 



D,™),prib,Google 



r c ô ii s T À N È, i4f 



LETTRE X X X 1 V. 

De la marquife , i fon amie, 

VOILA huit jours que ne l'ai vu ; je fuis d'tiil 
abattement j d'une trifteflè inexprimable j touÉ 
fii'importune & m'afflige} je fors pour le cher- 
cher t je refte pour l'attendre ; je lui écris à cha- 
que inllantt }e brCiIe auHî-tôt ce que je viens 
d'écrire. Q.ueIU amertume il répand fur ma vie i 
îl me fait fentir tout les degrés de la douceur. 
Loin de me trouver heureufe ie n'avoir plus i 
ic combattre , fon abandon me tue. Je le redou- 
toîs ... il me fuit i & je n'en fûts que plus foible ! 
Ah t mon amie > s'il m'avoic trompée ! s'il aimoîë 
madame de Themines ! ... je ne puis foutenir 
cette idée. Plus majaloulie elt fecrete.plus elle' 
e& déchirante ; cite fe tourne toute entière contre 
moi. O ciel ! il ett donc vrai , mon fort efl: décidé i 
Eh , comment pourrois-je en (îouter ! Depuis ces 
huit jours éternels que j'ai paflës fans le voir^ 
j'ai été dans Vingt maifons où ;e ne les ai ren- 
contrés ni l'un, ni l'autre'^ ils s'aiment, ils fd 
fuiïtfenti & fe dérobent à la foule pour aimer 
mieux. Le comte a cru fans doute qu'il pouvoïc 
le livrer à une &mat{îepottrmoîj Avouant que' 
Tme i^i \ % 



D,™),Prib,GOOglC 



14^ Les Malheurs 

j'attachois à fonpetBde aveu plus d'ïmportanétf 
qu'il n'en mettoït lui-même, il aura repris fer 
fiemieres chaînes; je i'uis peac-ètre l'objet de 
fon dédain. . . Le cruel * que lui ai-je &it , qu'op^ 
pofer toujours à fon ardeur les fcrupules vrais 
d'un cœur honnête, & Jamais le manège de la 
coquetterie 'i II ne fait pas combien il va me 
rendre malheur? ufe. Mon cœur Te ferme à tout , 
excepté à Ton image i mes plus beaux jours s'é- 
vanouiront dans les langueurs d'une paflion qui 
concentre mes idées , abforbe mes vœux , & ré- 
chaulTera mon dernier foupïr. C'eft aïnG que' 
J*aime , c'efi ainH qu'il faut aimer. Ah .' H l'ex- 
cès nous ezcufe , je n'ai point à rougir. Je re- 
nonce à l'univers, l'amitié feule me relie, je 
me jette dans fon fein i'j'y dépofe mes larmes, 
Aies foiblelTes, tous les fecrets d'un cœur... 
qu'on ne connoif pas. 

Adieu. Ecrivez-moi ; vos lettres font tendres , 
elles me confolenti me guériront-elles? Ah! 
Jamais, . ..Je ne les aimerols pas tant , fî elles pou- 
voient m'ariacher . . . hélas ! à mon malheur. 

LETTRE XXXV. 

Du comte, an chevalier. 
OACHCZ ce que j'ai fait, apptaudiflez-moi de 



D,™).prib,Google 



DE t'iNCONStAlîOl. 147 
l'intention , de l'effort , & mettez le refte fur le 
compte de la fatalité: la mienne e(l d'être infi- 
dèle ... en pleurant l'objet y le vertueux objet 
que je facriËe. Je vous al inflruit de l'aveu que 
j'ù rifqué auprès de la marquife , aveu que je 
devois m'tnterdire. Enhardi par cette première 
démarche , peut-être par quelques dirpolltioits 
favorables que j'ai cru appercevoir , j'ai mis dans 
mes Toins l'ardeur , l'adUvité , la précipitation 
peu âatteufe qu'érige une ^ntaifie qui enivre , 
& qu'on veut iatisfeire aux dépens même de la 
délicateûe. Qu'ai-je vu ! nos conjectures ccoicnt 
vraie$ , madame de Syrcé n'eit fùrenjent-pas ce 
qu'on imagine i fes lettres , ki difcoUK fefpirenc 
rhonnèeeté j je la crois fenllble ; toute fa folie efl: 
dans là tète, fa morale eft dans {on cœur; c'ett 
de lui , de lui feul qu'elle emprunte cette élo. 
quence douce, cette innocente féduâion qui la 
fait aimer. Jugez de ma furprife , de mes remords . 
de ma honte ! . . . Oui , ouï , je rougiflbis de moi- 
même i & plus je trouvois de perfeâions dans 
cette femme inexplicable , plus je m'eneoura- 
geoîs à m'en détacher : enfin « après bien des 
combats, tous horribles, j'ai pris fur moi d» 
ne plus aller chez elle ,de ne lui point écrire» 
je voulois l'oublier , je croyois le pouvoir.' J'ai 
ledoublé pendant tout ce tcms mes affiduités 
Kij 



h, Google 



148 L E s M A. L » E u R s 

auprès de ladi ; elle n'a jamais été G caintr;: 
jamais eHc ne m'a montré tant d'amour. Hélas î 
le bandeau eft encore fur fes yeux j elle fourit 
' BU perBde qui la trompe. Elle fourit ! ... & je 
raflàlEne ! Mille fois j'ai été fur le point de lut 
avouer ma fautes j'ai été tetenu mille fois par 
]a crainte de la déferpérer. Qu'il eft dur d'arra- 
cher des pleurs à des yeux où brille la joie , de 
mettre une vérité aifreufeà la place d'une îllu- 
lîon doucei & d'éclairer un cœur que Ton igno- 
rance rend heureux ! Je n'en al pas eu b» force. 

Cependant l'image de madame de Syrcé ne 
me quittoit pas. Je lit voyots plus intérelTante & 
plus belle i je relirois fes lettres , Tes charmantes' 
lettres -, & dans te même inftant , indigné contre 
moi-même, j'alloistomber aux genoux de SidleVi 
j'y répandois ces larmes cruelles que fait couler 
la perte d'un fentiment qu'on a chéri. . . Eh bien î 
ces larmes qui auroient dû l'ei&ayer > ne lut 
paroiSbient que des preuves de mon amour. 
Après ces mouvemens d'une ame en défordre, 
je me croyois prefque fur de mon triomphe » 
je m'afibrmiflbis de bonne foi dans mes réfo- 
lutions, je me rappeilois vos confeilsj je con-' 
fuitois mon cd'ur , tout m'y parlott pour Sidley : 
mais hier, mon ami (ce moment e(V l'époque 
déciiive de fon malheur) hier j'allai fouper chez 



D,m..M>,. Google 



s* L'iNCONSTA-NfeE. Ij« 

ifladame de "^^^j où je rencontrai ik rivage. Je 
ne l'y attendoîs point: fa. préfence me caufa un 
.frémiilement , un rroublé que je n'avois jamais 
feuti. Ses yeux fe toui;nerent fuc moi fans cour- 
roux , mais avec une mélancolie qui me pénétra ; 
je ne pus rac iSéfendre contre la langueur & le 
charme de leur expreflion. 'Pendant le foupet 
je tâchai de la diflraire; hélas! ce fut en vain. 
Quand on fe retira , je la condùilîs jufqu'Ji là 
voiture , hafardant quelques excufes , & de ces ■ 
demi -mois qui partent du cœur; elle ne me 
répondit rien. . . J'ofe interpréter Ton fîlenée : je 
viens de lui écrlce la lettre la plus vive Ja plus 
palBonnée, la plus remplie de douleur, de re- 
gr»ts , & des trtnfports d'un amour éf&éné. Tel 
eft. celui qu'elle m'infpire. . . Il eft trop exccffif 
pour être durable. L'aitendriâement .que me 
caureSidIey.edune habitude de t'ame, qui Fans 
doute te fera davantage ; c'eft le plus ardent de 
mes voTuic. Que ma Hruation eft horrible ! C'en 
eft fait , il faut fubir mon fort. FuilTé - je en 
être feul la vîiftimc ! 

Adieu. Si vous blâmez ma conduite , ma frau- 
chife au moins a des droits à votre amitié. 



Cuj 



D;,-..M>,GoogIe 



Les ^itHzVRS 

BÏLLET 

' De U marquifç , au comte. 

Xak chaleur des exprellîons n'en pra-jve pas 
toujours la vécité. Non , monfîeur , non, je ns 
crois rien de ce que vous me dites. Mats pour- 
quoi vous juftjficr ? Vous tie me devez ni regrets 
, ni excufes ; votre conduite m*a paru tome naiii- 
relle ; vous m'aviez promis d'être plus calme, 

vous m'avez tenu parole Ah, je ne m'en 

plajiis pas !. Peut-être aufîî que vous obcilTez k 
madame de Thémities , & je ne défapprouve que 
votre retour vers moi. Ne la trompez point, ne 
la trompez jamais i il eft aiFreux de tromper. Je 
ne vous recevrai point : je ferois bien fâchée de 
lut caufer de l'inquiétude. Vous n'êtes pas R 
délicat î & C j'avois eu le malheur d'être fenfible , 
il me l^emble que vous n'auriez pas eu beaucoup 
d'égard à la mienne. Soyez de hieilleure foi avec 
les autres Femmes. Il faut bien connoître le cœur 
qu'on attaque ; fans cette précaution , on eH plus 
^u'indifcrec , on rifque d'être cruel. 



D,m.f.ril>,GOOglC 



DE t I » C O M S T A N C «. ■ f yi 

AUTRE BILtET 

De la marquife, au comte. 

J E ne fais pourquoi votre lettre de ce matia 
m'a plus convaincue que celle idiiierj elle eft 
moins emportée', & me parolt plus vraie. Je 
iuis laûè de vous parler de madame de Thé. 
mines. Décidément, ce n'elt donc point elle 
qui vous éloigne de vos amis? Vous me le ju- 
rez , vous' me fuppliez de le croire f Mais 

à quoi cela vous Pervira-t-il ? Vous me deman- 
dez de vous recevoir , vous me le demandez avee 
tant d'inftance. ... Eh bien, monHeur le comte, 
je ferai viûble à fept heures : vous aurez le 
tenu de &ire toutes vos vilites... .car je voag 
crois fort occupé. 



LETTRE XXXyi. 

De la marquife , au comte. 

X OUTES mes lettres, dites-vous, n'ont jamais 
que quatre lignes; confolez- vous, celle -cî ea 
aura quelques-unes de plus. Je ne vous ai point 
fépoadu ce macio, & tôt ou tard il faut répondre. 
Kiv 



-M>,Goo^le 



ff% Les Malheurs 
J'avois mille embarras i je n'avois pas zWe^ 
^e tems [)OUf écrire à rnafatit^înei &peut-ètrs 
gu'il m'en faut pour cela plus que vous ne penfei. 
Vous vous plaignez de rnoi) de ma févérité , 
ie ma raifort. Oh ! ouï , j'en ai , je m'applaudis 
d'en avoir , & je voudrois fur- toyt que voui 
puHiez perdre l'habitude de vous en défefpérerE 
mais , que la mienne foit l^uvrage de la froi- 
deur, ou le fruit de la réSexion; contente de 
l'effet, je ne di(4)iiterai point fur la caufe. Je 
demande grâce feulement pour mon fexe. Ne 
lui conteftez pas le pouvoir de combattre ce qui 
l'onrhantc, de vaincre ce qu'il feat, ou de ren-, 
fermer ce qo'il foufFre. Les hommes ^^esinjufteç 
créatures qui ne connoîlfent point la peine ,cès 
cruels hommes qui^ugent fi mal , qui troTlipenG 
fi bien , à qui tout eft permis , pour qui ce n'eft 
pas un tort d'aimer , ils font H accoutumés & 
fxagérer leiirçfentimen! , qu'ils ne peuvent rien 
concevoir à la violence que nous ^ifons au:$ 
nôtres. Çiiielques femmes cependant' verfenf 
des larmes qu'on ne voit point couler , cachent 
; fous des dehorï paifîbles un trouble affreux, & 
s'en impofent la loi , malgré le foulevement, 
malgré le^déchirement d'un cœur .... qu'on ns 
ibumet point. Et puis venez encore nous difpu- 
f«r le courage !cela m'indigne. Je fuis , au tefts* 



i.,Go()ijle 



p E L ' I M C O » S T A N- C E. ïf} 
trèx^défliicét-ffirée fur tout ceci; & vous voue 
tromperiez fort, fï vous en faiGez ta moindcç 
application e c'ed le téfultat de notrç entretien 
d'hier , & des idées vagues que votre lettre m'a 
^c naître. Ah , mon dieu ! partons d'autre cliore ; 
ce texte là ms donne de l'humeur. Js ne fats pas 
pourquoi je m'j: fuis arrêtée i il ine déplaît . . . 
çn vérité, ii me déplaît prçfqu'autant que le. 
grand monHeur avaa qui nous avons foupé liier: 
c'eft un mauvais finge du duc de ** *iii tran- 
che , prononce , décide , dît du bien de lui , pcr- 
jîfîle les autres. Vous croyez peut-être qu'il a 
une ame. Une ame ! lui ! Comme il parle des feni- 
tnts ! Je l'entendois vo«s racotvter qu'être ïnE- 
dele , c'étoit une chofe délicieufe. En effet, mon- 
tref la fécurité de l'innocence à celle que t'en 
vieot de trahir , porter ta perfidie au fein de l'a- 
mour , délerpértr le cœur qui cft à foi , ce plaffir 
horrible doit avoir des charmes pour lui. Et 
vous , i^endant que d'un ton d'oracle tt débitoit 
çës belles maximes , pendant que je bâillois, moii 
& que perfonne ne l'écoutoît , vous pouviez fou- 
rire ! . , . . Vous ne l'avez pas contrarié une feule 
fois,& votre filence avoit l'air de l'approba- 
tion!. .Tous les hommes ferelTemblent: ardens 
à nous réduire , trop Froidsipour nous apprécier , 
- its cpietit en être quittes pour quelques hom- 



-M>,Googlc 



If4 l'EsM&l.HEORS 

mages faux ou întéreifés ,, qu'ils- enlèvent «u£ 
facilement qu'ils tes prodiguent. Ils. nous trou- 
vent jolies a leur indulgence va jufques-là , ils 
tombent à nos pieds. A. nos pieds ! Pourquoi? 
•comment y font-ils? Commexes incrédules qiù 
ne croient à la divinité que lorfqu'ils (Mitbefoin 
d'elle. Leur adoration eft momentanée , leur in- 
> gratitude extrême , & leur ïnjufiice n'eft jamais 
-que fùfpendue. Il Biut les fuir. . . . Adieu, mon>. 
£eur le comte. 

F. S. Je fuis ejfra^ée de la longueur de ma let- 
tre , & fur-tout des méchancetés que j'ai dttes. 
Savez -vous que vous avez des coonotâances 
qui me donnent une idée médiocxc de vocre 
fenfibilité? 



«Vu^ 



D,m..M>,. Google 



DEi^'lVSOVfTAIirCE. Jff 

LETTREXXXVIÏ. 

Uh 'âuc , au comte, 

jL^E voyage a été plus lengiju'on ne l'imaginott } 
mais enân me voilà, & mon premier foin efide 
m'informer de ves progrè; , ou plutôt d« votre 
triomphe. Q^u'ell-ce donc que cela veut dire? 
Faj la moindre rumeur ! Paris eft - il devenu 
tnuet ? J'ai été par- tout, & par>tout un lllence 
morne ! Efl-ce que votre aventure n'elt pas eiu 
fiore terminée ? Comment Ji'a-t-elie point tranf- 
ptré ? J'ai donné VévfiUt , j'ai mis fur les voies « 
&, très-heureufement pour vous, je fuis arrivé 
9 tems pour les indïfcrétions. Far hafard , file- 
liez- vous lefentim£nc? J'en meurs de peur. Ot! 
«ui, madame de Syrcé a faifi te foible de votre 
icaraâece ; elle vous aura bit accroire tout ce 
qu'elle aura vdulu > peut-être même a-t-elle 
jjouflek fédudion jufqu'à vous convaincre ds 
fa vertu. Elle en eH: capable , & vous Têtes d'a.- 
jouter foi à tout ce qu'il lui plaie de vous dire. 
Cette femme en fera tant, qu'elle vous donnera 
de l'amout... ..La belle avance! Encore une 
fois , brufquez cette affaire là ; vous vous perdez 
avec vos dtilicatelfes £c vos lenteurs ridicules. . 



D,™),.rib,Google 



jf6 Les MAtflË0iï8 
Faut-il trancher l4Vnot? madame de Syrcé a eu 
tout le monde .... excepté vous. Je la mena- 
geois > î'ëtois circonrpeâ ; mats vijtre danger 
m'inEereflè , & fon manège mC révolte. Songez 
doiK à l'importance de tout ceci ; votre réputa- 
tion doit vous être plus' chère que la lîcnne , & 
jttninolerois vingt honneurs de femmes , pouc 
ffluver celui d'un honnête homme. Je deviens 
prelTant', parce que vous êtes compromis , cruel- 
-lement vexé, & prêt à devenir la fable d'un 
monde qui ne pardonne pas. . . . Votre Angloife 
perlîfte donc à'm'exclure ? J'en fuis vraiment 
affedé , toujours pour vous ; mats }e me confole 
de ne la pas connoitre , par le plaillr de vous voie 
hifidele. Sojfcz-le bien vite , pour votre fatisfac- 
tion & pour la mienne : fut-tout n'oubliez pas 
de m'apprendrê votre bonheur. Il e(l s0entiel 
que je fois inftruït , je veux l'être à la minute. 
En cas que je fulTe abfent , dépêchez>moi un 
coorier. Quand il s'agit d*ébniitcr la foiblefle 
d'une femme > on ne fauroit faire trop de dili^ 
genct. 



1, Google 



LETTREXXXVIIL 

De la marquife , ^fon ^mte. 

Vous fàvez que ma tnere eft partie pour feS 
terres. C'eft la première fois que je ne raccom.> 
pagne pas ; j'ai réfilté à fes inftances , j'ai pré- 
texté des aAàires^ elle a consenti * parce qu'elle 
eft bonne , & ne s'eft point doutée de mes véri- 
tables motifs , parce que , bierï loin de croire le 
mal , elle n'oferoit même le foupcjonner. Un tien 
charmant m'a retenue; mais plus il enchante mon 
cœur, plus il eâraie ma raifon. Me voilà feule 
ici , feule avec ma foibleâe & mon amour ! Le 
retour de la belle fnifon , la fecrete inâuence 
qu'elle a ... fur les âmes peut-être» tout cela me 
jette dans une rêverie qui m'înquiete. Je n'ai 
plus l'exemple de lavertu d'une mère refpeâx- 
ble , & tendrement aimée ; je me trouve fans 
appui au monde. C'eft à i'inftant même de fon 
départ que j'ai vu dans toute fa force le péril 
qui me menace. Je pleurois dans fes bras , je ne 
pouvois m'en décacher i je pleurois de ta quit- 
ter. . . Ah ! je fentois tout le befoin que j'avois 
d'elle. Depuis Ion abfence les vifltes du coiTite 
font plus fréquentes. Je le 'vois fouveitt têts i 



-M>,Googlc 



ifS Les Malhi?urs 
tète i il a i'air d'être vrai ... & je t'adore. O mon 
amie , il faut le fuir , il faut rompre le charme 
( qui m'environne ! Puis-je efpérer de vaincre ce 
que j'aime , quand je ne fens plus que la lallî- 
tude de le combattre ? Ma réfolutïon cft prife. 
Le maréchal de * * * qui eft toujours languiflant, 
eft à {a charmante matfon de * * * : il y eft pref. 
que feut ; j'irai lui tenir compagnie ; )e rêverai 
i mon amant avec plus de ptaiGr encore, n'ayant 
plus à le craindre. Le maréchal .me mande qu'il 
n'a de femmes che2 lui que la docheffe de * * * s 
elle ne le quitte pas'; je ferai libre . je vous écri- 
rai > & dans le fein de la {blitude , je trouverai 
peut-être des armes contre l'amour. Je compte 
partir après>demain , & je tremble de le dire à 
M. de Mirbelle. Je ferai enforte qu'il n'en foup- 
^nne tien. Il tomberoit à mes pieds i j'enten- 
drais fes foupirs * je verrois fes pleurs ... & je 
ne partirois pas. 



jMI 



D,™),prib,Google 



DE tiNCOHSTANCE. if? 

LETTRE XXXIX. 

Du comte, à ia marquife, 

V/ ciEt! je vous ai Vue hieti votre départ 
étoit réfolu , & vous ne nï'en avez lien Ht ! Quel 
réveil ! Que vous ai-je fait , madame ? pourquoi 
me fuir ? Vous nvci befoin , dites-vous , du cal- 
me de la campagne > & vous comptez pour rien 
Tagitation où vous me laiiTez ! . . . Pardon . . . 
dois-je vous interroger? ai-je le droit de me 
plaindre? que puis -je vous reprocher. .-. que 
Votre tndiâerence ? Mais vous , quels reproches 
avez. vous à me faire ? Vous rci'accafez d'être 
grondeur , emporté , peu maître de moi : eh ! le 
moyen de ne pas ■gronder avec vous ? Rien ne 
Vous perfuade, rien ne vous 6xe, vous courez 
fans ceCe ; quoique douce , vous êtes entêtée , & 
avec l'air de vouloir comme les autres , vous ne 
{Élites que ce que vous voulez. N'importe , je 
vous adore j telle eft ma deftinée , votre amen- 
dant . . . mon malheur. J'idolâtre jufqu'à vos 
défauts i & je demanderois grâce pour eux , fî 
vous vouliez vous en défaire. . . 
Je ne reviens point du mytlere que vous 



R,m..M>,GO()l^lC 



jôa Les Malheurs 

m'avez fait de votre voyage : voilà donc la cauâf 

' de celte gène qui régnoit hier dans tous vos 
difcours? Que je le dételle» cet embirras qui 
Vous retient quand nous fommes enfemble, qui 
ùrrête fur vos lèvres timides des aveux que votrO 
cœur peut-être ne condnmneroit pas! Que je 
hais ces oppofitions fecretes d'une ame qui Ct 
donne & fe retire, dans le même moment! Ah! 
croyez- moi , les préjugés font nos ennemis , nos 
tyrans 1 ils cmpoifonnent le bonheur, ils détruî. 
lent tous nos plaifirs t je tes brave, je les foule 
aux pieds , je les abhorre ; je m'abandonne à 
£ette ivrefTe brillante comme l'amour, aveugle 
comme lui , & qui repoulTe d'une main palTion" 
née le trifte voile de la raifon. O vous, qui 
TOUS êtes emparée de toutes les facultés de mott 

. ame i vous , que je ne devrois pas aimer . . ^ que 
j'aime éperdument, employez à fentir, la fores 
que vous mettez à combattre. £ft-ce à vous à 
douter de mon amour? Soyez (iàre , bien fûre* 
qu'en vous adorant j'obéis à l'attrait le plus in~ 
vinciblej jefenstout, jeneme commande rien< 
Quand revenez- vous? Dans quelle circonftance 
vous m'ab^andannez! . . . Votre abfençe peut- 
itre. ..Par pitiés ne la prolongez pas; & pour 
m'accorder ce que je Vous demande, oubliez 
N an 



D,m.f.ril>,GOOgle 







DE L INCONSTANCE. ÏÎ! 
lin moment que c^eft moi qui vous eu prié. 
Aiiieu i cttielte. ^ 

LETTREXL. 

De h marquife , i fort œniè. 

U^ÀI-JB fait! qu'eft'Ce que Pabrence àfi 

quelques jours contre une imprefïïon chère & 

vainement combattue? Eft-ce qu'on fuit fon 

. amant? Ort le trouve par-tout * & fou image 

e(l auHî dangereufe que fa prcfence.- 

Mon amie t ;e lis Tes lettres , jâ me rappetlêi 
tout ce qu'il m'a dit; je prononce en tremblant 
fon nom . . . mais fî bas qu'on ne petit m'ênten- 
dre< Je ne le prononce qu'avec un trouble qui 
feroit apperçu. Que ce lien ell féduifant ! que lii 
nature y eft fraîche & aniinée ! Eh bien , malgré 
£ous les charmes qncj'^ trouve , mon cœur revote 
Tcrs Paris ; tout tne, manque j & je ne fais trop 
ce que je dcHre. Je fuis bien heureufe qîie te 
comte rie cotinoîflè point le maréchaf. . . Ce 
féjour embelli par mon antant, feroit trop i 
craindre pour moi. Pourrai-}e , hélas ! lui réfiftcr 
toujours? Je frémis de ce qui fe pafle dans mon 
cccur. Que mon (intiment efttyranmque! quelle 
puiâàncc il exerce fur mcn ame ! avec quelle' 
Tomt y. ' t 



-M>,Google 



Ifia LlîMAtHECRS 

force il la maîtrife .' Je cherche en vain le reposT 
h retraite nourrit mon agitation, le rommeit 
l'augmente. Mon amie, ma tendre amie, je ref- 
Jens une langueur , un ennui de tout . . . une 
inquiétude qui m'alarme. Quels font donc ces 
élalis fecrets vers un bonheur qu'on redoute, 
& qu'on expie d'avance par les pleurs qui le 
précèdent ? Je me fauve dans votre fein , poury 
rougir de cet Aveu : je trouverai grâce devant 
l'amitié! ,., •- 

Quelles lettres il m'écrit , & combien les mien- 
nes m'embarralTant ! Je les recommence dix fois, 
j'en fuis tou)ours mécontente. La crainte de me 
trahir, celle de l'affliger, tout me défefpere; 
tout jufqû'à l'excès de fon amouri & je me fcns 
bien foible , hélas ! quand je penfe que peut-être 
il eft malheureux. 



Ji 



LE T T RE XL L 

De madame de Syrcé-, au comte de MirheSe. 

E ne m'ar|:êterai point, monlleur, fur les mo> 
tils de mon dépiirti je ne Cens pas la nécei^té 
de vous en inftruirc. Je vous répète ce que je 
vous ai déjà dit; j'avois Un dcfîr de repos qui. 
ne tourmcmoit depuis quelques jours. . . Cti». 



D,™)..rii>,.Google 



DE l'INCONSTABCE. iSJ 
can fait Tes hefoins. Vos lettres au islie m'occu- 
pent bien agréablement , à l'amour près , que )b 
n'ai garde d'approuver ; je les lis avec plaifir , 
& ce plaifîr du moins n'eft point m^é d'effroi. 
Ici tout me plaît , rien ne me fait peui. Je jouis 
de la plus grande liberté. Le maréchataétébiea ~ 
aife de me voir : il n'a chez lui que quelques 
hommes qui lui viennent des campagnes VoiH- 
nest & la ducheSe de ***. 

Malgré fon afthme , qui la rend la plus aigre 
perfonne du monde , elle me contrarie toute, la 
journée avec ce qui lui relie de refpiration } elle 
fai,t toujours l'éloge des femmes de fon tems ■, & 
cetélf^eetlunefatyre amere de celles du nôtre : 
mais je fuis douce , trop .peut-être. • . Je la lailTs 
dite. Je joue le foir. à la comète , elle y eft d'un 
bonhQur inoui > je ne gagne jamais , & cette atten- 
tion I» (j^farme ; elle aie trouve délicieufe ...k 
la comète. 

J'habite le plus b^u lieu du monde. La pein» 
ture qu'on en feroit autoit l'Air d'une féerie. 
Tantôt c'eft la nature parée de la main des hom- 
mes , ^ embellie des tichefles de l'aetî tantôt 
c'elt cette même nature abandonnée à fes capri- 
ces. Les eaux , comme dans la plupart de nos 
pai;cs , n'y font point enchaînées dansdes baf- 
Ons ^Cipicsi c'eft; une riviete qiii traverse 1» 
Li) 



M>,Google 



ïiS4 LesMalhéu r s 

jardins, & fur laquelle de» gondoles nous pr»; 
mènent. J'ouhliois un labyrinthe pterque magi- 
que i il faut ma prudence pour ne pas s'c éga- 
rer. Toutes les fleurs du prtntems font là , & 
tous les oifeaux qui chantent bien s'y ra0em- 
blent. Les routes en font bordées d'un double 
rang de rocaillestoù Terpencs une eau vive fur 
un fable coloré. Les fiatues n'y repTefenlent qut 
des B<nions ; car ce font des femmes qui' cedEiu , 
& je n'aime point cela. On conraere nos foiblej- 
fes ; où font les raonumens érigés à nos vertus ? 
C'eft le tort des hommes , non le nôtre. Où en 
étois- je ? je it'en fais rien. . . Dieu me préferve 
de mettre de l'ordre dam ce que j'écïis \ Je me- 
dépèche d'arriver à la grotte charmante qui ter- 
mine le labyrinthe. Qiiand on y elt , il femble 
qu'on.foit féparé de l'univers ion y marche fur 
les ïofes, & on en eft ceuronné. J'y vais foti- 
ventl fur-tout quand le foleil fe couche. L'at- 
trait y mené , l'enchantement y retient j on y 
rêve ... à ce qu'on veut. 

A propos de rêves, il faut que je vous raconte - 
celui que. j'ai fait cette nuit ; je l'attribue .imx 
idées volatiles qui m'occupent ie jour. Je r&vois^ 
donc que' j'étois dans un bofquet fumbre; j'y 
penfois à bien des chofes, j'y faifois des réfIe-« 
,xioiU}eUes:ni'dmeaéreatàrotjha)terun:fiF^he. ■•' 



-M>,Googlc 



/ 

DE L' INCONSTANCE* ifif 
mais un vm fîlphe. Soudain il m'en npparut un : 
il foitoit d'un nuage d'ot, il avoii un vêlement 
bleu célede, & une figure . . . que je n'ai point 
oubliée. Ses regards étoient pleins de tendrelTe, 
& non d'une ardeur inquiétante ; le Ion de fa 
voix pénétroit )ufqu'au cœur; il ne demandoit 
rien , il ne vouloit qu'aimer. Il commençnit k 
m'entretenir des mœurs des lïlphes, de la pureté 
d? leurs Feux ; je crois même qu'il me difoit du 
mai des homrpes ; je Técoutois > j'avols du plai- 
fir à l'entendre . . . quand une de mas femmes 
vint m'évciller. Adieu mon filphe, & vraiment 
je le regrette. 

P. S. Vous me demandez le 
retour à Paris. Je ne te fais pas 
J'attends que vous ayez de la rail 



LETTREXLII. 

] D» camte ai MlrbeUe , aii chevalier de Gérac, ' 

i.L m'efl: venu l'idée la plus Hnguliere, la plus 
hardie. Je veux l'exécuter ; je ne puis vivre fans 
voir la marquifc. Ma' démarche eft iiidifcretei 
l'eiicèsde mon trouble la jufti&e.Il eft impo{Tîl)Ie 
que madame de Syrcé foit ce qu'elle me paroit j 
elle fcroit trop adorable , & moi je ne puis être 
> , L Jij 



D,m.f.ril>,GOOgle 



l66 LlsMAtHEURS 

plus long - teins en proie au fentimcnt qui me 
déchire. J'aime mieux lut déplaire ... je vais 
tout rifquer. Vous connoiflez rrion cœur; il efl; 
fbible & ardent , emporté dans Tes goûts , bouil- 
lant dans Tes deflrs. Il &ut que je me fatisfFtâci 
quitte après à me repentir, à pleurer mon erreur, 
& à me rendre aux remontrances d'un ami. Je 
rars. 

'■«>i II = ?i^ . ■ ' g» 

LETTRE XLIIL 

Du comte de Mirhelle , au chevalier de Gérac. 

ïn dites jamais d« mal.. .Je l'adore, je 
; mon enthouûafme furvit à un bon- 
it je n'avois point d'idée. Où fuïs-jeî 
t vous peindre mon trouble, mes trans- 
ports! Partagez le délire» l'ivrefle, l'enchante- 
ment de votre ami. 

Mon voyage d'hier étoît au château de ***, 
où elle efl: préfentement. Ellem'avoit mandé la 
veille qu'elle venoîc de faire un rêve , dans le- 
quel elle avoit cru voir un de ces êtres fantaftî- 
ques , enfantés par la délicate imagination .des 
femmes. C'eft à ce fonge que je dois ult bien ! . . . 
O moncher'chevalier! ce n'eft point une mor- 
telle ! ... Par où commencer ! Quels fouvenirs î 
î's m'enlèvent à moî.mème. 



D,™),.rib,Google 



© E L' I N C O >I s T A N C E. 1^7 
Je pars , j'arrive vers fix heures : le jour avoit 
hé brûlant , la fèirée étoit charmante. Je de- 
mande l'intendant des jardins- J'avois laiiTé mn 
voiture à une lieue de là j rien ne pouvoit me 
trahir. Je m'informai de cet homme s'il étoit 
poffible de voir madame de Syrcéi il me dit 
qu'elle fe promenoit le foi r dans le bbyrinthe, 
& que (ûrement je l'y trouverois. Je le priai de 
m'y conduire. Sur les difficultés qu'il me Bt, je 
lui repréfentai que j'avois à lui remettre des pa- 
piers de la dernière importance, & qu'on ne pou- 
voit conBer qu'à elle. Rien n'ébranloit fa Bd«- 
ïhé; une bourTe de vîngt-cinq louis le défarma , 
toutfotapplani: il me luivît à l'entrée du lieu 
qu'il m'avoit indiqué, m'en donna la clef, & 
me quitta. 

Jugez de mon ravilTement: je me crus tranf- 
porté fous un autre ciel ;! je n'étois plus à moL 
Mes yeux ne diftiiiguoîent rien ... ils cher- 
«hoient madame de Syrcé. A mefure que j'avan- 
i;ois dans ce voluptueux dédale, j'éprpuvois un 
tremblement involontaire: enân, après bien des 
détours , j'entends quelque bruit, je refpire à, 
peine. . . . Quel objet i quel moment ! A travers 
une charmille, je l'apperc^ois li faut une lettre, 
& cette lettre étoit une des miennes! La mar- 
quife y gui fe croyoit feule , avoit dans fon a)uf- 
Ljv 



-M>,Googlc ■ 



}6B Les Malheurs 
tement ce défordre , cette négligence qu'on pcot 
de permettre quand on eft fùre de n'avoir pas de 
témoins. Je ne fais quelle volupté étoit répan-r 
due fur toute fa perfonne j fon fein n'avoit d'aa- 
|rc voile quHine gaze légère , que le zéphyr dé- 
rangeoit. J'étoïs en extafe, je la dcvprois des 
yeiiK i enivré de ce que je voyois , j'aiirois craint 
de perdre quelque chofc en ofant davantage, Je 
m'enhardis : la porte du fandtuaire s'ouvre , je 
parois aux regards delà dcefle: elle jette unctt, 
ik main tremblante abandotine la lettre qu'ellt 
tenoit,& fa frayeur eft fi grande qu'elle refte 
immobile , ftns fonger même à réparer le dé- 
Tordre de fa parure .... oubli charmant, dont ;o 
remerciai l'amour! 

Ne craignez rien, m'écriai- je, en me préck 
pitant à fcs pieds , je fuis l'amant que vpus avez 
levé , mais l'amant le plus fopmis , le plus ref- 
peilueux , le plus tendre. Je vous adore, Je viens 
vous le dire , vous le répéter cent fois. O dieu ! 
dit-elle d'nne voix prefqu'éteinte , eft-ce uiie 
illufion ? veillé- je ? eft-ce mon rêve qui fc pro- 
longe? Oui , oui, reconiioifTez un filphe à mon 
refpeâ ; les deGrs fe taifent , votre beauté l«s 
fillume. la délicatejTe les enchaîne. A ces mots 
plie fe levé, m'échappe, & me défend de ta fuî- 
yte. ^e n'écoute rien , je l'arrête . , , . Eh , pou- 



D,m.f.ril>,GOOglC 



ïî E L' 1 N C » S T A N C E. I69 
Vois- je obéir! Malheureufe! dit-elle , où fuis- 
je !* .... Fuyez , comte , fuyez. Qpi vous amena . 
ici? Quel mortel a pu vous y introduire ï" Cruel! 
voulez-vous que je vous haïfle ? .... 

Elle retombe fans lôrce & f^ns couleur fur le 
lit de gazon près duquel je l'nvois ramenée ;fe$ 
regards péiguoient l'eiffoi , mais non la haine. 
Alors , fainHànt une de fes mains que je couvrs ^ ' 
debaifers, çalmez-vogs, lui dis-jç, ce n'ett 
point un ennemi qui vient vous furprendre , 
c'eft un amant qui veut mourir à vos genoux. 
Elle trembloit , foupirott , fes yeux étoient baif- 
fcs> le tnoiivement de fon fein devenoit plus 
rapide, un léger frilTon (èmbloit errer fur fes 
lèvres; je les réchauffai à la flamme de mon 
haleine. Tout me fàvorifoît; l'oiiibre commen- 
(çoit à defccndrefurce berceau myftérieux. J'é- 
(ois pallionné , je fus bientôt plus preflànt. % 
terreur étùit mêlée d'une émotion pleine de 
charmes s & jufqu'à fes prières touchantes > tout 
redoubloit mes tranfports. Je ne voyois qu'elle, 
je n'entendots que la voix de l'amour. . . . L'oc. 
çàfion, le lieu, fa furprife , fon faififlement, 
l'obfcurité même alTuroient mon triomphe. J'ofài 
profiter de tant d'avantages réunis j j'ofaï (pcut- 
ècre fon cœur me le pardonne) j'ofaî tout: un 
vpilç de verdure «nveloppa la pudeur; lefîlphe 



h, Google 



I70 Les Malheurs de l'inconStancb. 
devint homme, & l*homme devint un dieu. .k. 

Il fallut trop tât m'en féparer: malgré mes 
efforts pour la retenir , malgré tes foumiiïïons 
de l'amour. heureux, qui, brûlant de le devenir 
davantage , s'accufoit de l'avoir été , malgré 
riiiftant de repentir qu'au fein de la félicité 
fupFèmc fa douleur m'avoit forpris. elle s'ar^ 
racha de mes bras , muette , éperdue , baignée 
de larmes : & , jugez de fon pouvoir, fa volonté 
une fois l'emporta fur la violence de mes feus ! 
Je la fuivis long-tcms à travers robfcuritéj 
ne difttnguant plus les objets » je croyois encore 
la voir. 

Je ne vous recommande point le fecret : je ne 
me confierai qu*à vousi ik vous feul dans l'uni- 
vers. Ah ! mon bonheur ed trop vif, trop bien 
fenti , pour que j'aie befom du froid plaiOr de 
m'en vanter. Adieu. 

Fin de la première partie. 




D,m.f.ril>,GOOglC 



LES 

MALHEURS 

DE L'INCONSTANCE. 
SECONDE PARTIE. 



D,™),prib,Google 



h, GocM^lc 






t'INCONSTANCE. . 

LETTRE PREMIERE. 

Du comte, à la marquffet 

C_- E n'eft plus un mortel qui vous écrit. Vous 
m'avez créé une nme nouvelle . . , .-vous m'avea 
trauJinis In vàtre. Je franchis l'intervalle qui me 

fépare de vous Je vous vois, vous parle, 

vous entends -y }e votis preffe dans mes bms } je 
meurs fur votre fein ; tous rrïes fetts frémilTentt 
tous mes fouvenirs font brùlans .... Maïs c'eft 
mon cœur fcul qui jouit, C'eft là que le bonheur 
furvil à rivreiïe,que ]es delîrs fe cachent , & 
que la déticatefle renferme tous tes moti& de 
moniiardon. Ah ! je ne m'excufe point, je fuis 
trop heureux pour avoir été coupable. O (félïces 
non encore goûtés, réunion de tous les plat- 
ilrs. . .detouslesfentimens, réliftancedel'horï- 
Jiëtet« vaincue pae la pafTion , larmes de hr 



M>,Google 



374 Les Malheurs 

pudeur efiuyées par i'nmour, excnfes qui oTivreE 
les cieiix, retracez - vous à moi, occupez , em- 
brafez ma nuit,, fixez fous mes yeux les traits 
enchanteurs de ce que j'aime, tels qu'ils font 
gravés dans mon ame ! . . . . Vous que rien n*é- 
vlipre , que lien n'égale , vouï que l'on juge fî 
mal , que l'on connoit (i peu , honorez de vos 
regards l'expreflion vraie d'un cœur pénétré de 
reconnoUTaiice & d'amour. ... De quelle foule 
de charmes , de quels tiérofs je me fuis tu le 
maître ! . . . Que de beautés ! quelle modeftie ! . . . 
ah! qu'elle ne craigne tien ; le fentiment jouit* 
fe rend compte & fe tait : il s'enveloppe du voile 
qu'ofe écarter le dcfîr , coundît tout le prix 
d'une voluptueufc réfeive , & tranquiltife la 
pudeur au lein même de l'abandon. En ce mo- 
ment, que faites -vous? un fommeil paidlile- . 
ferme-t-il ces yeux charmans , où mes dcflinées 
font écrites? Un rêve favorable me peint-ï) à vos 
pieds ardent à la fois & fournis 'i Quand je v^us 

ai quittée que dis- je ï quand je me fuïs-arra- 

ché à vous 1 quand vous m'avez ordonné «je vous 
fuir, votre main n'a point ferré la mienne; vous 
étiez tremblante, vous abandonniez le Heu de 
mon triomphe ! . . . i'afyle de mon bonheur, plM- 
t6t en victime timide qu'en amante idolâtrée, . . . 
Quelques foupirs vous échappoient ; j'ai fentt 



D,™),Pril>,GOOglc" 



»E LIWCOHSTANCB. I?? 
couler vos pleurs ! . . . Des pleurs ! vous ! ah \ 
n'en répandez point, gardez -\'ous d'en répan- 
dre. . . . Repcfez fans inquiétude , repofez dans 
le feîii des illufîons douces , & d'une (ecurîté 
profonde : oioi , je veille pour penfer à vous ; 
je ne m'en Ëe point à des fonges > du foin de me 
zetracer votre image. 

1'. S. Je dépêche un courier vers vous ; de- 
main dans la matinée voas recevrez ma lettre. 
Ne pouvant charmer près de vous les heures 
folitaires de la nuit -, je veux m'empacer au 
moins des premiers inftans du réveil. 



IL- 



LETTRE II. 

De ta marquife , au eomte. 

.ALHEÛREDse ! où fuis-je! Comment pourraî- 
je échapper aux reproches de mon cœur ï Ils fonc 
affreux. De quel dtoit avez^vous forcé rafye où 
je m'étois fauvée ? Je vous fuyots i c'étoit alTez 
m'expliquer , c'étoit affez vous dire combien je 
tenois encore à des devoirs refpeclables , & que 
j'ai violés tous ! Avec quelle force ils Te retracent 
à mon efprtt ! Je ne puis fonger fans effroi k 
l'époux que je trahis : j'oublie fes torts , je ne 
vuisique Us miens. J'ai brtfé cous, les nœuds qui 



n;r;>-M>,GOOglC 



j-jS T. E s Malheurs 
me lioiem à la fociétc ; j'y deviens étrangère : 8s 
c'eft vous , hélss ! c'eft vous qui m'ave:^ conduite 
dans ce piegc épouvantable ! Quels font ^oï 
titres ? Vous avois-je Hit que je Vous airhors ? Eft 
quand je vous l'aurois dit, moins coupable que 
YOUsn'Stes , vous le feiiez encore. . . Avant 
d'obtenir l'aveu de l'amour, vous ert arrachez , 
la preuve ! Qaci dieu m'a livrée à Vous ? Hélas ! 
il fembloit queia nature entière eût médité nion 
malheur. Je vous abhorre , je me détefle , je 
tremble en pronom^nt votre nom i fuyez-moi ■ 
fuyez- moi pour jamais.. .Qpe dis- je,' 6 ciel! 
J'en frémis , je ne me connoîs plus « mes foupirs 
nie trahilfent , me$ larmes coulent , un crï^e en. 
«ttire un autre. Oui « je vous aimois . . . c'eft du 
fein des remords , de la plus horrible agitation t 
que part lé cri d'un cozùr qui n'a plus rien s 
taire ni à cacher ; }t vous aimois , & quand je 
dois vous haïr. . . Qu'entends- je? On entre ehez , 
moi , on m'apporte une lettre . . . elle eft de Vous ; 
je frilTonne. . . ..Qu'ai-je lu ! celTerok -je dé mé 
repentir ? Quel trouble ! qu'eft devenue ma coj 
tere ! un nuage que je crains d'écarter m'a pre£t 
que dérobé votre crime ; je n'ai plus le couraga 
de vons reprocher. . . Ah ! connoîffcï loW l'excès 
de ma foiblelfe ; ce A'eft plus que par cet excès 
tnême que }e puis me relever âmes yeux> aux 
Vôtres r 



h.,Go()i^lc 



CE t* I N e H S T A H C ï. nf 

Vôtres, à ceux de Tunivers. M'aimerez - vous 
toujours? m'edimerez-vous encore J! Rien n« 
peut ralTurer mon cœur j rien n'égale le déHir- 
dre, le déchirement, l'état où je fuis. Jen^oferat 
plus vous regarder, je crains de vous revoir, & 
je ne peux plus vivre fans vous voir. . . Vous 
que j'adore , & qui n'en êtes plus digne , eff-ce 
vous qui avez abufé de ma tendrsfl'e, trahi vos 
Termens, réfîdé à mes prières le(l-ce bien vous? 
Pardon, mille fois pardon! je n'accufequç moi( 
j'ai tort , je l'ai feule. J'avois comité fur mes 
forces . . . elles m'ont abandonnée. Quels mal- 
heurs j'envifage! de quels abymes fuis-je en* 
tourée !. . . Vous êtes part 
abfcnce me livre à mes ré 
la nuit les rend plus fombi 
mon cœur a perdue, & qu 
m'environne , te repos doi 
que l'amour & le repentit 
Tentir ce que je ne faifoî 
vous étiez près de moîi j 
bras , j'y éiois moins malhi 
je fuis à vous pour jamai 
j]ot]g tout facriSé , honn< 
tout ce qui me fut, tout 
facré ! hélas ! tout. . '. jûrqt 
À votre eftime ! Vqus m*a\ 
tome K 



-M;Google 



178 Lev Malheurs 
encore plus voue bonheur que mes torts , & tnei 
craintes & mes pertes. . . Vpus l'avez voulu , 
cruel t vous avez pu vouloir ce qu'il m'étoîc dé- 
fendu àe vous accorder , ce que j'erpërois n'ac- 
corder jamais ? Contente de tous atmer , de vous 
voir , de pafler tous les momens de ma vie à vous 
foubauer , à vousattendre » à m'occuper de vous , 
l'oi-guéit de n'avoir peint de reproches à me faite, 
in'adoucilloic la douleur de mes retus }j£pouvois 
lever les yeux fur vous, & defcendre dans mon 
intérieur fans rougir ; votre cceur fuHJfolt au 
mien , & la pureté de mes fetitimens eh étoit 
l'excufe : aujourd'hui. . . Dîcuî aujourd'hui ! . ., 
que je fuis coupable! Je fôuffre , Si je l'ai mérité. 
Vous qui me coûtez bïétl dés larmes < & qui me 
les rendez chères, vous qui êtes à préfent le 
inaitre'de ma réputation., de'ma vie, de mon fort j ^ 
vous à'qui j'appartiens toute entière. dulTent un 
jour tant de facriBces diminuer de prix à. vos 
yeux, vous ne m'ôterez jamiii; le bonheur d'a- 
voir fait le vôtre. Ne coiiiptez pas fur ma légèreté 
sppaVêtitê i oui , oui , rha ioil)le(re elle-même ell 
Je gagé de ma Conftance. Vouspoùvcz me rendre* 
Ibien rnalheùreuré; mais riert , rien à préfent ni 
pourroit me'^étacher de.vous ... pas jnÊmè 
votre in^atitude. . ' " ' " , ' 

P. S.TX eft huU heutn du inhtin! je «e ta 



D,m.f.ril>,GOOglC 



DBLi'lSGOirsIfANCE. 179' 
luis point couchée. Je fuis d'un accablement! . . . 
que }e fuis loia de vous ! Je viens de relire votre 
lettre ... je vais la relire encore , elle m'atten- 
drit ... me confole i mais hélas ! votre ivreâ*9 
eft-elle vraiment de Tamout 'i 

^ ^ wi . 

L E T T R E I I I. 

Du comte 3 à la marquife-, 

Quelle lettre! Elle prolonge nron lavidè* 
ment > elle ajoute à mon délire , & vous pieu, 
rez ! . . . vous pleurez ! c'eft moi qui &is coulée 
vos larmes ! Ah I je-tombe à vos pieds , & j'y 
implore mon pardon , fans ce0et d'adorer mon 
crime. . . Je n'étois plus te maître de mes ttanC' 
ports : égaré ■, éperdu d'aroour, je ne voyois plus i 
)e n'entendois plus; la foudre auroit lomb^ > fes 
éclats ne feroienc point venus JDfqu'i moi } fans 
arrêter mon audace > elle eût éclairé mon bon- 
heur : ne le troublez point , vos inquiétudes me 
défelperent. Vous , étrangère à la fociété! vous 
qui e^n êtes l'ornement, qui en ferez toujours 
le chantte ! Dites , dites , cruelle , quels foifc. les 
liens que vous avez brifés ? Seroient-ce ceux 
qui vous uniâenc à un époux dont l'indliférence ■ 
vous outrage? DeveZ'Vous- le ûctifice dévoue 
Mi) 



D,™),Prib,-GOOgle 



i8o ' L E s' M A L a E U R c 
CŒur à qui vous a ravi te fîen ? Les femmn 
Ji'ont-elles que la triftc vertu d'être fidelies à dt 
perfides époux} & le ciel qui les forma, ordonne- 
i-il que dans leurs plus belles nnnées elles k 
traînent aux pieds des autels pour y feeller leur 
efciavage * Si jurer elles-mêmes leur infortune? 
Ce préjugé m'iudigne: il eft barbare, îl n'eft 
pas fait pour vous. Feiuroti célelte * mus injufte, 
féchez vos pleurs, dtflïpez vos regrets, livrez- 
vous fans crainte aux imprefltons d'une ame fen* 
£ble; celks qui font les plus vives, celles qui 
font les plus chères , doivent être les plus facrées. 
Ne craignez point d'-avoic perdu quelque chofc 
à mes yeur. Que ne puis-je vous ouvrir mon 
cœur , ce coeur où vous êtes fouveraïne ! Que 
ne poiiveZ'Vous y voir Us progrès qiie vous f 
faites ! Je ferai vrai ; je vous connoiJTois mal. J'en 
rougis ... cette erreur ell aiFreufe, plusafireuft 
que je tre puis vous l'exprimer : votre dernière 
lettre eft un trait de lumière qui m'a pénétré. 
Oui, oui I mon bonheur vous embeilîtt il voue 
rend dans toute fa pureté l'eftime que vous crai> 
gnez d'avoir perdue. Une foiblede telle que la 
vôtre n'enlevé rien . & l'anse qui fe donne ainH ■ 
doit s'enorgueillir de s'être donnée. Je vous 
aimois avant mon triomphe; depuis, je vous 
adore. Qjie le mpnde t& cruel ! qu'il eft avei^le J 



D,m.f.ril>,GOOgle 



D E L I N C N 8 T A N C 1. f«I 

Vous êtes vengée. Celfez de vous croire coupt- 
ble : c'eft moi qui l'ai été , qui )e fuis ... qui n« 
veux plus l'être. . . Mon défordre eft extrême . . . 
& vous reftez où vous êtes ! & vous n'êtes point 
entraînée vers moi ! Qui vous arrête ? pourquoi 
n'ètes-vous pas ici ? La folitude nourrit votre 
chagrin . . . Revenee * je vous en contre ; n'é- 
vitez point mes yeux, ils n« vous oâriront que 
h plus tendre amour. ..Je fuis plus agité que 
vous . . . mon ame eft opprelTée , elle attend la 
vAtre ; je ne rerpire point dans votre abrencK 



=^i3P= 



L E T T R. E I V. 

De la marquife , au comte. 

JLf. e(t donc vrai , vous aviez des préventions 
contre moi, & peut-être hélas, n'aviez*. vous 
point d'amour! Q^i'ai-je dit!... Malbeuréufel 
quoi , je me ferois. donnée à un par jute dont |« 
ue ferois pas aimée! . . .^on , il n'cfls-pas poffi- 
Wcinon, je vous r«irfs iuftice.Si vouirt'avieï 
fu pour nui qu'un goût paflàger. vpus n'autâex 
pas sKerché à m'înrpirer un fentïmenti vous en 
êtes incapable. Je vous adore. LsijTeE dire -un 
monde perfide & cruel ; il me juge fans me 
COnnolCre, il eft înjulie fans tne fôchert mais 
M iij 



D,™),.ril>,GOOglC 



ISI LkS MA.LHEUtlS- 

Tous» mais TOUS, (] vous ofîez, fî vous ppuTÎéz 
l'ôtte ! . . . Votre opinion eft tout pout moi , le 
lefte ne m'eft rien î j'y renonce. Eh ! que font 
les ruffrages de la multitude au cœur qu'un feul 
objet occupe , & dant lequel h vanité ne peut 
entrer ? Dites-moi , où Te placeroit-elle , quaitd 
je ne fuis plus qu'à vous * quand je vous ai con- 
làcréma vie ? Puïs-je attacher quelque prix à ce 
que difent de moi, à ce qu'en penfent les autt'es? 
idolâtre de mon amant, infenlible à tout ce qui 
n'ed pas lui , il éteint en mot iufqu'au ptaiiîr 
que je trouvols à plaire. Cette émulation que 
l'on appelle coquetterie, je ne Tai plus; il eft, 
ce changement ,ii eft votre ouvrage , & peut-être 
cet abandon de.mon coeur en juftiËe les écarts. 
Que vous kes heureux de n'avoir point de rç- 
mordsîVous l'êtes bien plus que moi... je me 
trompe, vous ne l'êtes patstm, je voUi ai plus 
ticiifié. -Vous defîrez donc mon retour? Mais 
moi , dombjen je le redoute ! ... Je ne fais cepen- 
dant , cet aif^le qui me fembloit R riant , a pouc 
tnot'chaflgé d'àlpeâ i tous l«s objets m'y retra-- 
«en« nia feibleâe. J'ai voulu revoir oe bo^u'et, 
«e fatal bofqùet, tombeau de mon ïnnoeencet 
jên'ai pu à fon approche me défendre d'dne 
frayfftrr fecreteï fon bnabte, où j'alkds cacher 
les foupirs de Pàmout , s'eft changée ta ténebretf 



i>v Google 



DE ï,' IK Ç P H S T A N C E. Igj 

forniidsbles , depuis que f y ai fuccombé; & j'ai 
cru 1 en y entrant, me fèniîr repoufler par une 
voix effrayante qui me reprochoit ma faute , & 
m'en annonijoit la peincHélas! d'où naiflent mes 
preû*enti{nens ? Ils m'épouvantent. Il me fem-^ 
ble que tout fe détache de moi. Je n'aurai donc 
plus de jours fereins!. . . C'eft à. vous d'écartec 
,cqs prérage^-; je remets à vous feul tout le foin 
de ma deflinée. . . Que dis-je * à vous qui m'àve^ 
perdue , qui avez voulu mon déshonneur, à vous 
qui pcut>étre me msprïfiez j quand je vous ado- 
rois ! . . . C'en eft fait ; je ne quitterai point ce» 
lieux, je vous éviterai toujours; jamais hélas! 
jamais je ne vous oublierai. Mes'efFôrt's pour 
voUs arracher de mon cœur feroieiit inutiles , je 
n'en ferai point. . . Mats comment fuuhaiter 
votre préfence ? Je vous reprocheroie mes torts » 
j'en aurois de nouveaux. . . Ah ! je vous aime 
trop pour m'expofer au danger, àla îioilte.".'. 
au bonheur de vous revoir. ' 

■•m |„l ,-L.„ l -U-LU O ft P ■_ l ll-l»„l,4IJ., ll i,.. <»- 

LE T T R E V. ■ 

Hh duc, au comte.- ' ' 

XÎeureusement jefuis défintéreflej leçlaifîr 
d'avoir bien fait efi le ftix le plus douic pour une 






jS4 Les Malh.euii8 
ame délicate , & l'ingratitude ne refroidit point 
ma géaétoGté. Il y a des (îecles que tout elt 
conclu entre la marquife & vous. Grâce à moi, 
vous voilà enpleîKe béatitude : vous devez même 
voir déjà Te former de loin les orages de la rup- 
ture ( & je n'entends parler de rien ! vous ne me 
voyez point ■ ne m'inftruîfez point ! Je fuis obligé 
de deviner tout } & quand vous fetes abymé dans 
le calme de la jouilTance, il &ut que devant le 
public je fois pour vous en repréfentation ! N'im- 
porte > j'y,ai mis un orgueil perfonnel , mon ou- 
vrage ne reliera point imparfait. Soyez tranquillf, 
l'aventure efl à peu près connue dans toutes les 
Xociétés où il ed à propos qu'elle fe répande: elle 
jt très-bien pris à la cour. Hier, dans via foupcr de 
trente perfonnes , j'en ai inftruit plulîeurs ; oh 
a même délîgné les femmes que vous deviez 
avoir après la marquife ; je vous en donnerai 
la lide. EK bien , font-ce là des foins aâèz recher- 
chés , des attentions alTez délicates ? D'après cela, 
'nioniîeur le comte, je ne vous crois point aâèz 
barbare pour fcvrer mon zèle des conâdences 
incérelTantes qu'on a nécelTairement à faire quand . 
on eft un penjavant dans l'ititimité d'une femme 
qui prête ^ux détails , & peut foulFrir ranalyfe. 
J'efperéque vous me fatisferez fur cet article: 
d'ailleuts.il eH indîrpenfablé que je vous voie* 



D,m...b,Google 



i>B lMncomstance. J%f 
pour régler avec tous la durée de votre imd- 
igiie, & le goût dans lequel il faudra la terminer. 
Tâchons d'éviter les tournures communes. La 
duchcfle de * * * , qui doit naturellement vous 
écheoir après la marquife , efl préfentement aux 
eauxi ainlj je vous confeille de garder Tune» 
jufqu'à ce que l'autre fbit de retour; à moins 
que vous ne preniez , en attendant , une fille de 
fpeâacle : ce qui feroit d'un délicieux fcandale , 
& cauPeroit un déchaînement qu'il eft quelque- 
fois bon d'eit citer. Nous en raîfonnerons à notre 
première entrevue. 

Adieu* monlleur le coipte. Vous voiU dxa; 
une poGtion brillante , & vous feriez impardon- 
nable de n'en pas profiter. 



BILLET 

Dtt comte , au dup. 

Vous m'avez trompé plus crueyement que 
vous ne pouvez le croire , & que je n'ofe vous le 
dire. Madame de Syrcé eft loin de relTemMer au 
portrait que vous m'en avez 'fait. Malgré vos 
préventions & vos efforts, elle a trouvé le fecret 
d'arracher mon eftime j & chaque indifcrétîon de 
votre parc rècafuivic d'un défaveudelamienneJ 



D,™),.ril>,GOOglC 



iS^ LesMalheukb 
Je ne fuis que fon ami , mnis j'en rempliraîhaa^ 
cemeiu le titre , & je ferai forcé de vous démen- 
tir toutes les fois qu'il vous arrivera de l'accufer. 
Je regarde votre dernière lettre oorame une ptai- 
fanterie; mais fî par hafard ce n'en eft point 
une , je vous prie d'y faire attention , & de ref- 
peâer déformais une femme dont je me déclare 
le défenfcur. J'ai été à la veille de manquer k 
tout; & j'ai d'autant plus de zele* que j'ai plus à 
réparer. 

Adieu * fmonHeur le duc. Encore une fois. '. . .' 
vous m'avez trompé. 



LETTRE VL 

Duducde ***t à ladi Sidlçy. 

C^'EST de toui les hommes le plus diflïpé , le 
plus frivole en appafence , 'qui met à vos pieds > 
madame . cette légérMé qui a .%it long>tems fes 
plaifîrs , fon orgueil & fes fucccs. Plus mon cœut 
fut indépendant , plus il ell flatteur peut-être de 
le fixer. Ses vœux s'épurent depuis qu'ils s'a< 
dreffentà vous >il femble que j'aie pris dans vos 
^euz une éùucelte de votre ame. Oui , belle 
Sidley , TOUS VBuez de faire un prodige qu« 
toutes nos Femmes enfemble fe feraient eh vain 



-M>,Googlc 



DB L*lHCOH3TANeE. t^J 

promis : elles font vengées, je brûle d'un feu 
refpeâueux ; & mon cœur efl: trop occupé , trop 
nta'jttâ , trop digne de vous , pour que le delir 
Y prenne le fentiment. 

Après cet aveu que la crainte a fufpendu , 
mais qui échappe à la palScm > ofetai-)e voub de- 
mander* charmante ladi> quels font les motifs 
4e votre retraite & de l'eictl que vous vous im- 
poreE?0 ciel !àlaâeutde votre âge , quelle ty- 
rantiLe.ou qtiel caprice vous condamne à vivra 
dans Ifl falitude ? OrgneîUeufe dans votre dé£etx 
des &DinMs fecretea que vous allumez , vous 
nous reléguez dsns notre tourbillon, & vous 
éteignei de vos mains l'encens que vous gnrdoït 
Timour. Dites un root, une carrière brillante 
s'ouvre .devant vous. Si la cour tous féduit, les 
plaiiirsenfoulevousyattsndenti voùsy)ouirez 
derivreffèdeshommesidelajalounedesfemmesi 
TOUS embellirez tout } & , s'il eft pollible , le bon- 
heur vous embellira. Que fa vez-vous? quelle pré- 
tention ell interdite i la beauté? Ses droits n'ont 
point de limités. Aimez-vous mieux le féjour de 
laTilie?T6uslescœursyfontà vous. Combien 
vous fetcs préféndik-à ecs onnots monotones, 
donc nos oerdes s'eRorgueitUfiènt ! Avec leurs 
gracn de conceation, leur efptit copié, j&lear 
iâufieté profeRde., oomàïeflt Dos ïenuaçt tïèa- 



h, Google 



188 Les Malheors 

dront-elles contre la fnîcheor, la nobteJTe Traie» 
& tous les dons de la nature? 

Le comte de Mirbelle vous aura fans doute 
parlé de moi ; U fait combien je t'aime , il fait 
tout ce que j'ai &ic pour fon bonheur ; St Ci tous 
l'interrogez , il ne pourra que me rendre juftïcek 
Jugez de mon amour, puifque je vous immol* 
jufqu'ànionami. Je ne me repens de rien} mai* 
je fuis fur d'avance que > II ma démarche vous 
déplaît} vous ferez allez forte pour ta taire. Une 
ame comme la v6tre eft au-delfus des joulflancet 
delà vanité. £n6n ,fi vous rejetez monamout, 
peut-être, niiidame, ne rebuterez<veus pas tes 
foins de l'amitié. J'ai quelques entours ; daignez 
. en dirpofer. Mes reflburces dans tous les genrei 
vous font offertes , & toutes font ennoblies par 
la délicatefle des intentions. 

Je fuis avec refpeâ, le duc de***. 

.«g , ' ^'Ste-'— :-.g^ = » — a» 

BILLET 

De ladi Sidley , au duc. 

i^ TRAVERS le pompeux arrangement de vos 
phrafes , j'ai entrevu la fauâeté de votre cœur, 
& votre ûgnaturem'a- convaincue de tout eê que 
je foupçonnois. De quel droit , monfiettr le duc» 



n;r;>-M>;GOOglC 



7Ï E L' I N C O S 8 T A M C E. igj 

Tirqoez>vous près de moi une tentative inJLU 
rieufe , & qu'avec de i'ufage feul vous auriez dH 
vous défendre 'i Je fuis votre égale par le rang, & 
j'ai par>defius vous les prérogatives de mon feze , 
qui devroient être le frein du vôtre. Je votu 
pardonne votre lettre & votre démarche , en fa- 
veur du dédain qu'elles m'infpirent , & du plaiHr 
que je vais avoir à les oublier. Ne crûgnez point 
que je'me vante d'un triomphe , quand je n'at 
qu'à rougir' de votre audace. Je tairai ce qu'il 
&udra taire ; & lî je parle au comte deMirbelle , 
ce ne fera que pour le garantir de votre amitié * 
non pour m'enorgueillir de votre amour. 

■« M I I /^r <». 

LETTRE VII. 

Du comte , à la tmrqnije. 

M^iETBi cruelle , très - bien ! Je ne puis qu'ap.' 
plaudir i votre conduite > à votre obftination , k 
votre barbarie. Voici la quatrième lettre que je 
Tousécris pour prefier votre retourj elle aura 
l'eSet dp s autres. Et vous aimez ! vous aimez ! 
vous ! Ahi quand on aime , on agit autrement i 
on n'eft point inflexible aux inftances , fur-touc 
à ta douleur de l'amant qui nous eft cher .... 
JHier, parexentple, le tendea-yousdela duÛç 



-M>,Google 



190 LesMalhbcrs 
du roi ^toit dans Pendroic de la forêt de * ** quj 
touche au château du maréchal. L'univers étoit 
là , TOUS feule n'y étiez pMtiC : vous deviniez ap- 
fiaremmentque l'efpérance de vous y voir m'y 
attireroit ... & voilà pourquoi vous avez sSeâé 
de n'y pas paroître. Il n'y a point d'extravagan- 
ces qu'un tel caprice ne m'aie tàtt faire, J'avoit 
perdu la tète. Figurez-vous un homme en délire 
fiir un cheval fougueux, paurois voulu- qu'il 
fïit par-tout à ta fois , & ;'allois indîfcrctemenc 
regarder dans toutes tes calèches. Jeme fuis fait 
trente ennemies par mon air dliumeur, par le 
dépit de' ne vous pas trouver, & mon dédain 
marqué pour tout ce qui n' étoit pas vous. ... A 
un détour du bois j'apperçus un carrofle à la li- 
vrée du maréchal j je crus que vous y feriez , )'y 
courus. Dans mon empreflement , je m'élanqat 
à travers la portière } jugez de ma furprife, 
^uand. au lieu de l'amour mrme que je^ler- 
ehofs i je ne vis que la vieille Bgure delà du* 
ehefle. ... Je penfai tomber à la renverfe ; elle 
ine parut furieufe, s'agita comme la fibytie fur 
ïbn trépied , murmura quelqties mots, & m'au- 
roit étranglé , G elle avoit pu. Je paiie qu'elle 
n'eft point encore revenue de mon efcapade ,& 
vous avez dA la trouver le foir deux fois ptua 
àftbraatiqtte qu'à ibn ordinaire. Voilà pourtuit» 



h, Google 



DE L'INCOIVSTAITCE, 191 
madame , à quoi vous m'expcfez. Qpe failîez* 
TOUS donc dans votre Micieufe retraite , pen- 
dant que tout le monde en étoit dehocB ? Je ne 
vous con(;ots pas ; quelle trRnquillité ! quelle 
indiâeretue ! Vous êtes donc bien fure de mon 
cœur !que dis- je * peut* être ne vous fouciez. 
TOUS point qu'il vous échappe. Si vous faviez 
cependant, (i vous faviez... quelles font mes 
inquiétudes , mes craintes, vous ne dédaigne- 
riez pas de Les calmer. La cha0e finie , j'ai pen- 
dant plus de quatre heures erré autour de ce 
maudit château que vous ne voulez pas quitter. 
J'avois les yeux fixés fur le fallon où l'on fe raf- 
femble , je. vous y cherchois : mes regards, mon 
ame , mon imagination * tout mon être y étolt 
attaché. Voilà comme j'aime ; voilà , voilà , ma- 
dame, comme on doit aimer. Vous ne connoif- 
fez pas mon cœur , vous ne pouvez pas conce- 
voir les excès dont il efl: capable; tremblez de 
le pouSer à bout. O vous que j'adore , & qui 
m'affligez, ne me privez pas plus long-tems des 
charmes de votre préfènce f . . . Elle feule peut 
adoucir les tourmens de ma fituatton , & des. 

chagrins dont je ne vous dis que la moitié 

Ne m'avez- vous h\t entrevoir te bonheur , que 
pour me l'arracher foudain ? Je fuis au défcfpoir , 

&V0U8 m'y UiJezI Ah > dieu ! ne me zéf ondes 



D,™),.rib,Google 



192 Les Malheurs 
point -, ce ne font plus vos lettres , c'ed vous-i 
TOUS feule que je veux i & fî vous réûilcz k mes 
prières. . . . Je ne menace point , je pleure. .... 
Revenez, revenez, ô mon adorable mahreffe! 
Je tombe à vos genoux pour vom en prier : tout 
mes emportepiens ne font plus que de Tamoar. . . 
Je vous attends. Je vous aime plus^ qu'on n'a 
jamais aîmé. 

LETTRE VIII. 

Du due Je***, au vicomte de*** t voyageant 
dans P Italie. 

JE boude l'univers, & je rae fuis jnrrache <J« 
Taris pour venir refpirer ici. M . . . eft une ville 
charmante. Le commandant de la province, chez 
qui je fuis , eft un homme aimable ; c'ell lui qui 
m'a formé ; il pleure de joie quand il foogc aux 
fuccès de ftm dtfciple , & notre réumon a quelque 
jchofe de très^ttendrilTant. 

Revenons au fujst de ma tiliEleSe , car chacun 
a fes chagrins. Vous vous rappeliez peut-être 
te beau plan que je vous développai il y a fix 
^ois dans une de mes lettres , l'une de^ 'plus 
ittftruâtves que j'aie écrites. Il s'agiflbît d'avoir 
.une femme, d'humilier l'autce, &.d'^ter>un 
jeune 



Dim.fMi,. Google 



» fi X. I N O H s T & N G 8. I9} 

jeane écervelé la tnaîcrefle qu'il nimoÎE, pour lui 
Aire prendre celle que, dans mes décrets, il dé- 
voie ne pas aimer. Ëh bien . vicomte , rien ds 
tout cela n'a léuiE. Je fuis confus , découragé » 
piefque malheureux ; un fécond dégoût tel qus 
celui-ci me feroit prendre le monde en haine. 
On a eu beau bloquer l'Infulaite ; elle a touG 
éludé: la Fran<;oire a donné de meilleure graca 
dans les pièges diiferens qu'on lui a drefTés; la 
comte s'y eft pris d'abord , & puis tout eft relié là. 
Ce maudit comte ! croiriez- vous bien qu'il ell de- 
venu plus confciencieux à mefure que madame 
de Syrcé eft devenue plus foible î* & , ce qu'il y 
a de piquant, c'eft que ce monftre là, avec tous 
fes remords , garde deux femmes pour le coiifo* 
1er. Je fuis en règle , comme vous fentez bien } 
j'ai vite ébruité l'aventure , & je me fu'^ mis 
d'autant plus à mon aife fur les indifcrétions * 
qu'on étoitplus cîrconfpeâ fur les confidences. 
Voilà toujoUES , à bon compte, la vertueufc mar- 
quife au rang des femmes courantes , qu'on a , 
qu'on peut avoir, qu'on prend & quitte k volonté. 
Le comte nie , moi j'inGlle ; cela fait compenfa^ 
tion i il eft l'apôtre de la vertu , }e fuis rhiftorietl 
des foiblefles ; le moyen qu'il foit cru , & que )« 
ne le fois pas ! On rit de fes fables , on dévore 
mes récits. Mais concevez . vous qu'il s'avi{<>. 
Tonte K ■ N 



M>,Googlc 



194 LesMalHei^rs 
d'être délicat à Ton âge ï'daiis le monde qu'il voit ! 
dans le fieç^e où il vie ! à portée des bons con- 
feils ! . . . Mtrbeile étoit lancé t cette aventure le 
f ortoit aux nues ; il pouvoit couler à fond ma- 
dame de Syrcéauilî facitement que j'en avûs eu 
le projet. Tout étoit dîfporé pour cela ; il en avoit 
les honneurs , & les autres femmes lui en au- 
roientfu le meilleur gré. Aujourd'hui, ce n'elt 
plus qu'un homme comme cent mille autres , un 
étourdi qui manque l'occnlîont a des fcrupules 
d'eEiranc,&ne fait pas qu'en immoler une,c'eft 
le fecret de plaire à toutes. J'ai lait ce que j'ai 
pu , & je n'ai fûrement rien à me reprocher. Je 
ne m'pttendois pas à me voir barré par une con- 
fcience timide , & les oppolîtions d'un génie du 
fecond'ordre. Aurefte, ievoilàentre deuxfem- 
tnes , & c'ed bien quelque chofe. Ce n'eft point 
k lîtuation où je le veulois , mais tl faut s'en 
contenter. J'ai déjà déchaîné rAngloife par des 
avis clandefïins qui doivent faire un bon çSet. 
J'ai mis le flambeau dans la main d'une de Tes 
furies i & l'autre, aigrie par le partage & les 
négligences inféparables d'une double intrigue, 
ne tardera point à jeter tes hauts cris. Ce pauvre 
comte! je jouirai un peu renfnellement, je l'a- 
voue , de fa petite infortune ; il l'a bien mcri- 
'tée. Or dit que je fuis méchant : que ^ous en 



-M>,Googic 



BÈ LIMCOJISTAKCE. l§f 
femble? Voilà pourtant comme on cft juge ! . . J« 
puis m'ouvrit à vous , mon cher vicomte. Voua 
êtes digne de m'apprécictt St'je fuis bien aife 
que ma morale ne foîtpiis perdue. ', 

En entrant dans le monde , j'en ai , d'un coup'< 
d'œil rapide, embrafle là fupcrficië ; j'ai vu d'un 
côté une poignée de pédans triftes, platement 
honnêtes i & vertueux avec confuHon , végéter 
fans titres , fans récompenfe , '& placés dans la 
fociété comme des efpeces d'épouvantails. Ces 
gens là ont de l'humeur, s'emportent contre 
ceux qui n'en ont pas , crient au fcandale , à la 
décadence. Si attriflent fans corriger. D'un* 
autre part , j'ai dilHngué ces hommes brillans , & 
que l'on croit fuperficiels , qui arrivent à tout , 
en fe jouant de tout, pcrfifHeot les moraliftea 
qui les ennuient, les femmes qui les adorent j 
& jufqii'au miniftere qui les récompenfe. Ifa 
faventque les mœurs ne font point à la mode. 
& ils n'ont point de mœurs; ils brifent tous 
les liens qui retardent, fe difpcnfent des dé- 
voirs qui préoccupent, & fe gUffent à la for- 
tune & à la faveur à travers les diftraâions du 
plaifir; tels ont été mes modèles. A quoi bon 
fe hériffer d'une morale infrudiieufe , quand 
tous les agrémens de la vie font le rifu Uac d'uno 
utile frivolité ? Q]u'a-t-on à faire dans une mo- 
Nij 



M>,Google 



J$6 L E s M A L H E V R 8 

itarchie ? Le gouvernement Te charge de tout. 
Les loix veillent . It machine va , les politiques 
fe rengorgent : notre fagefie à nous , eft de rire 
de leurs calculs* & d'en profiter. 

La province, comme vous voyez, m'invite à 
réfléchir. J'avois befoin de fon calme ■ j'étois 
anéanti ; & , pour ne pas mourir tout-à- Tait , il a 
Ëtllu déferter. Tandis que je menois l'intrigue dt 
Mirbelle, j'en avois cinq ou Ctx pour mon compte, 
qui m'ont cruellement exercé. La Terville d'à- 
bord eft venue fondre fur moi , fous prétexte que 
je lui femblois un homme à femimens. Notez 
que cette femme eft bien le tempérament le plus 
inexorable qui me foit encore tombé fous la 
main } mais je n'aî point été la dupe de Tes mi. 
nés , de Jfes nerfs obéiflàns , de fon crédit acheté , 
de Tes petitu intrigues dont tous les reflbrts iè 
rouillent ; & je l'ai plantée là auffî brufquement 
qu'elle m'avoit pris. 

Après elle , efl; venue madame de Sanci . co. 
quette éternelle , s'étayant de la fociété des vieux 
feigneurs , & s'érigeant en oracle des jeunes 
femmes , qui ne demandent pas mieux que de 
la confulter , parce qu'elle confeiUe aujourd'hui 
comme elle agilToit autrefois. Celle-là je l'ai eue 
par régime; mon médecin me l'avoit ordonnée , 
& je lui en voudrai toute ma vie. J'ai en horreur 
let remèdes violeqs. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



DE l'inconstance. ï$J 
Four madame de Melleville tj^"^ regrette pas 
autrement les huit jours que je lui ai facrlâés. 
C'eft un petit fapajou affez agaçant ; elte fait des 
lâàttes, des perfidies, de refprit quelquefois, 
dernoirceurs toujours» je ne coniioU perfonne 
fur-tout qui mette plus de gaité dans une rup> 
ture. Tout le inonde aimera cette femme là. ' 

Mais de tout ce que je viens de vous citer , 
rien n'a été fêrieûz que mon aventure avec 
madame de * * * , délicieufe créature ! Caprice , 
étourderie , indécence , elle a tout ce qu'il faut 
four intéreflèr } je ne connoh pas une conduite 
plus défbrdonnée , des mœurs d'une meilleure 
compofîtion. Son mar,i eft une efpece de Holtan- 
dois francifé , un bourguemeftre réfugié , qui 
raf&le de jardinage. Cet ordinal a la manie des 
belles plantations , & des fieurs les plus rares. 
Elle ne s'abaiJe point à jouir de tout cela pen- 
dant le jour. Après une toilette rapide , on appa. 
toit au rpeâacle ; enfuite un grand cercle , un 
jeu d'enfer , un foupé des dieux , & , le foupé 
fini., la promenade aux dambenuz dans les jar- 
dins; jugez du dégât qui s'y fait! J'avouerai que 
cette lutin^tie- aimable m'a retenu plus que je. 
ne voulois dans les chaînes de madame de***, 
à qui d'ailleurs il ne refteroît rien , fi on loi âtoit 
ià déraifon. 

Nui 



n;r;>-M>,GOOgle 



i$8 Les Malheurs 

Qjioi qu'il en foit , me voilà libre } je mené 
ici une vie douce. Le commandanty tient le plus 
grand état ; nous caufons fur nos exploits de 
tous les génies ; & , quoique je ne fois pas à 
mon appreiKiJTage, je trouve encore de qooi 
m'inftruiie dans Ton entretien s il m'a donné des 
notes lavantes & détaillées fur toutes les fem- 
mes de fa fouverainecé. Celle-ci .me difoit^itil y 
8 quelque tems , Te défend aflez volontiers quatre 
jours de fuite ; celle-là peut tenir quinze; en 
voici une qui a léfifté qiiel^efois des mois en- 
tiers: c'eft l'exemple de la province. J'ai voulu 
vériHer, & )'ai trouvé (es mémoirei de la {>lus 
grande exaâitude. 

Je bavarde en franc provincial. Adieu , vicom- 
te. Quittez donc votre Italie , & revenez parmi 
nous. Je ne puis fufEre à la foule de mes occu- 
pations ; }'ai befoin d'un fécond un peu délié, 
c'cft vous que je choifis. J'ai poiir l'hiver pro- 
chain des idées toutes neuves > & en vous cédant 
]e quart de mes aifaireSi vous aurez encore un 
très-joli département. 

L E 1" T R E I X. : 

Du C07ute, à la marqnife. 
VR&I0K£2 mon amouE, mon défefpoir..; 



-M>,Google 



DE LINCONSTANCE. I99 

craignez.en la violence; Il faut que je meure , 
ou que je vous voie. Je fuis capable de touti 
}e vous fuiviai au bout de l'univers j j'ni des 
droits fur vous , je les réclame : ils font aH fond 
devotre cœur; ils ne forciront jamais du mien } 
je n'en coanoîs point de plus facrés. 

Le prince de * * * eft pour quelque tems cheï 
le maréchal. Pai fu de lui>mènie,il y a peu de 
jours, qu'il partoït, parce qu'il venoit d'appren.^ 
dre que vous y étiez. Et c'efl; à moi qu'i) s^adreiTe ! 
c'eft moi qu'il choifit pour fcs confidences î . . * 
Il vous adore ; je l'ai vu dans fes yeux > dans Tes 
^fcours » dans fon trouble ... il vous adore , 8s 
vous reftez ! vous reliez , madame , vous avez la 
force de me fiiir! . . . Encore une fois , fi vou« 
^viez ce que je foulFre ... ce que j'ai à combat* 
Ue ! (i vous pouviez connoître & te genre de mes 
inquiétudes , & l'excès de mon agitation , & toute 
l'horreur de mes tourmcns ! Mais tout cela vous 
teucheroit peu fans doute. . . Le prince de * * * 
vous paroit-il auffi aimable^quc je le trouve hcu- 
rejx? eft-il bien tendre? vous accompagne-t-il 
fojs CCS ombrages charmans', où... . Je ne nie- 
co.moîs plus: arrachez. vous du li»u où vous 
êtes . . . fuyez cet homme qui ra'eft odieux . . . 
qui doit vous l'èirs ; fuycz-Ie, madame, ou je 
ne téponds point de mes ttanfports. J'imaginerai 
N i? 



-D,™),.rib,GOOglt^ 



9100 Les MALHEUR! 

plus d'un moyen d'arriver jufqu'à vous, de trou- 
bler les momçns paiGbles que vous paflez avec 
lui ( de vous rendre le témoin , & lui la viâime 
peut-être de mon affreux défçrpoir. Il n'eft poipt 
de formes que l'amour ne prenne , il n'eft point 
d'obfiacics qu'il ne furmonte , point de reflenti< 
. mens où il ne s'emporte , quand il eft dédaigné. . . 
Malheureux, qu'ai- je dit ! je m'égare . . , je tombe 
à vos pieds ; je reconnois mon crime , je l'abjure , 
je le détefte ; mais gardez-vous de m'^n punir, 
Rendez 'VOUS à mes prières, à mes iufiances * 
aux vœux enflammés de mon cceur ; ne craignez 
point l'amant que vous enivrez ... ne l'affligez 
pas plus long>tems . . .Ton idolâtrie eft votre 
excufe. Le prince de ♦**pourroit-il vous re- 
tenir, me faire oublier ? Ah , dieu ! je voua ou- 
trage, ma tète fe perd ; mais je ne fuis pas maître 
desjnouvemensdemon coeur. Que je fuis agité! 
que vous me rçndez malheureux! Cruelle, quel 
moment vous avez choifî pour notre fépara. 
tion ! ... Je n'en puis plus ... & j'exige .,. . oti , 
oui , j'exige votre retour » s'il ett vrai que je 
fois aimé.] 



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LETTRE X. 
De la ntarqtàft , au comte. 



EhI 



[ bien , oui , je refle ici* & (vous ne vous 
y êtes pas trompé) c'eftpour Le prince de***, 
c*eft pour le voir à chaque inftant} oui. mon- 
£eur , c'eft pour lui quc^je refle. Vous devinez 
tout ; votre fagacïcé m'enchante , elle m'éclaire y 
& je vous en remercie. . . Ah , dieu ! G vous pou- 
viez le croire ! fî vous aviez aflcz mauvaife opî- 
rtionde moi! . .. Mais vous ne l'avez pas penfé: 
je pourroisau rcfte,jedevrois fur-tout préférer 
fa fociété à la vAtre. Il n'a point détruit la paix 
de mon cœur i la vue ne me fait point rougir. 
Eh .' d'où vient le fuirois-je ? Je n'ai jamais craint « 
je ne redoute, je n'évite dans l'univers entier 
qu'un Ceul mortel , hélas ! le plus aimable de tous • 
s'il n'étoit pas inju[ïe,exigeaiu,tyTannique, s'il 
ne doutoit pas de Ton pouvoir . . . dont il abufe. 
H m'a perdue, me foupqonne, {è fait injure, 
m'outrage , nous ofTenfe tous deux. . , Ah ! n'im- 
porte, je l'adore , telle efl: ma deftinée, je l'adore 
jufque^ dans fes înjuftices. Connoiflez, ingrat, 
connoilTez tous les fecrets d'une ams que votre 
haine , votre inconftance » votre mépris même nq 



D,™),prib,Google 



302 , LB8 MaLHKORS 
pourroient changer : fâchez qu'en vous voyant. 
je fus entraînée vers vous ; que , vous counoif- 
faiit davantage < )e vous aimai plus ; que l'aveu 
de vocre rentiment fit le défefpoir & le bonheur 
de ma vie , & que Tamour vous l'auroit don> 
née , eût-elle été plus heuteufe, dans le tems 
que l'honneur vous dirputiïît tout. Non , vous 
ne comprendrez jamais ■ vons tié pouvez com- 
prendre ce que m'ont coûté tnes dédains, mes 
refus , tous les tourmens , tous les combats d'une 
femme attachée à des devoirs qu'elle frémit de " 
violer, fe reprochant une paflïon qu'elle ne peut 
vaincre , féfiftant à l'objet qui l'enivre , fe con- 
damnant au lupplice inTupportalfle de le voir 
malheureux , & dont toutes les démarches font 
fuivies du défaveu de ion cœur, ou de celui de 
fa raifon. Sachez plus, fabhez qu'accablée de 
remords, ne pouvant foutenir votre préfence, 
ma contrainte, fur-tout votre douleur, ne pou- 
vant ni vous oublier', ni vbus fuir , ni le vou- 
loir , j'éprouvois le déchirement afFreux d'une 
jaloufie qu'on n'a pas le droit de montrer, que 
rien ne raflure, que le fîlence irrite, & dont le 
trait envenimé aâure à l'ennemi la victime dont 
les bras lui font ouverts. Après cela, ofez douter 
de moi; ofez, malgré ma foibleïTc, ofez mcrefu- 
fer votre edime. Mais quand je ne l'aurois pas , 



M>,Googlc 



DE t'iNCONSTANCE. OOJ 

quand je ne la oiériteiois plus , dîtes, ditM-, 
cruel , quel bomtne peut être dangereux pou;: 
celle qui vous aime ? A quels emporiemens votre 
ame fe livre ! GardeZrVous d'imaginer que je les 
craigne : fî je cédoïs ... ce feroit à vos prières { 
ce ne font point vos fureurs que j'appréhende. 
Vous ne paroîtrez point dans ces lieux , du&e-je , 
n'en point Ibrtir} vous nV viendrez point , vou^ 
ne ferez nulle tentative qui puifle me compro- 
mettre i vous refpe<^erez ma volonté, & c'eft 
par mon pouvoir fur vous que je jugerai de ve(ife' . 
amour. IVla gloire eft aujourd'hui votre dépôt*» 
& H vous étiez capable. . . Avez^vous donc beroin 
de m'efFrayer pour m'aflervir ? Barbare ! moi , le 
témoin/ me autre la vi&ime.' une autre î fi vos 
jours, étoient en danger ! . . . une outr» que 
moL! . . . J'expircFois i vos yeux i j'cxpireroîs 
couverte d'infamie , & jt vous haïrois ... de 
m'avi»r &it trembler pour vous. Je veux , je 
dois vous fuir ; le pourrai-je , hélas ! Je ne co- 
rnets rien, j'ignore ce que je- ferai. Mais mon 
abfence vous aflFligc. . .Eh bien , fans le prince 
de* **, je partirois demain; c'eft lui , lui feul 
qui m*arrête, & je fuit ici pour des llecles... 
Adieu, s 



1, Google 



fto4 Les Malheurs 

BILLET 

. " I 

Deia marquife , au comte. 

J 'arbite dans le moment. Venez . mon cher 
comte , venez ; je crains votre préfence , mais 
je U deHre encore plus que )e ne la redoute. 
Je vous attends ; je tremble ... & cependant je 
fuis heureufe. 



p 



LETTRE XI. 

He la marquife t au comte. 

TE ne peut un amant aimé ! Depuis huit 
jdura que je Tuis près de vous , je ne me recon- 
nols plus. Mes torts diPparoiâent k mes yeux i 
l'ivreffe leur Cuccede. Je ne vois plus le déshon- 
neur t vous &tes entre lui & moi ; je fuis toute à 
l'amour : j'aime jufqu'à mes remords pâlies ; j'ai 
cela de plus à vous offrir. Quel changement ! 
c'efl k vous que je te dois. Tous les regards me 
conf<Hidoient : lorfqu'oa me ëxoît * j'euUb voulu 
que la terre s'entr'ouvrit pour me cacher. Je 
TOUS ai revu : )e fuis fiere de mon fentiinent. Il 
ell impofîîble d'aimer ainlî , & je palTerois.nia vi« 



D,™),.rib,Google 



DE LMhCONVTANCE. lof 

à m'en étonnei , û je pouvois ffiire autre choft 
que de m'en applaudir. Le matin, le foir^le 
jour , la nuit , fans ceJTe je penfe à vous } vot 
lettres, fur-tout celles que vous m'avez écrites 
depuis mon retour, }e les baife avec une ardeur 
- que, je n'ofe vous montrer toute entière. Je 
n'ouvre mes yeux que pour les lire; je ne me 
pare que pour vous plaire; je ne veux de Tuffira- 
ges que pour mériter le vôtre. Je fus coquette , 
& je n'en difconviens pas ; on me voyoic par- 
tout , excepté chez moi , & je me th:ouve heureufe 
même de vous y anendre. Je haïs la foule , les 
hommages, tout ce que J'ai ahné, tout fce qui 
me fauvoit d'un attachement : j'étois content« 
de ma figure ; je me croyois jolie , je voudrois 
t'ètre mille fois davantage ; vous m'en avez fait 
connoitre le deCr. Fixer l'attention de la multi- 
tude , me paroi0)ât un triomphe : aujourd'hui il 
me feroît odieux. Jen'apperqois que vos regqrdsî 
je ne fouhaite des charmes que pour les attirer. 
Au milieu d'un cercle oîi vous n'êtes pas , je fuis 
feule avec vous , je vole vers vous ; mes fens , 
mon coeur , mon ame, tout m'y reporte, m'é- 
loigne du rçfte. Le monde , tout ce qui le com- 
pofe , ne m'efl: rien , ne m'infpire rien ; on ne 
peut prononcer votre nom fans que j'éprouve 
une émotion extrême j tous êtes à mes yeux le 



-M>,Google 



lo£ i.B9 Malheurs 
feul homme aimable , le feul que l'on doive re- 
marquer : voilà le tableau de mon cœur. Après 
cela , Toyez ingrat , foyez infidèle' , j'en mourrai ~ 
fans vous haïr: ma vie vous apparrient* je la 
donnerois pour votre bonheur , je la perdroîs Ci 
vous celTiez un inftant de m'aimer. Moi , rougir', 
quand c'eft vous qui êtes l'objet de mon ido- 
lâtrie \ Vous me haïriez . . . que je la croirois 
julHBée. Je vous aime , oui , je vous aime , je ie 
dirots à l'univers , & jç jouiroîs de Tes reproches. 
Vous m'avez grondée dans votre dernière lettre 
de ce que je vous témoignois quelques craintes 
fur la durée de votre attachement. Eh ! mon ami, 
j'aime trop pour être tranquille. Portée à vous 
croire , je vous aîdefois peut-être à me tromper i 
mais , même en vous croyant , je cremblerois 
encore. Ne me parlez point d'amour-propre ; eft- 
ce qu'il n'ell pas abforbé par le fentiment? Ne 
croyez pas que l'habitude de plaire i la foule 
raflure contre la crainte d'intéreiTcr moins l'a- 
mant auquel on a. cédé. Telle qui fe croyoit par- 
faite avnnt d'être fenfible , à qui on le difoit fans 
cefle , perd cette confiance avec fa liberté. Celle 
dont on a toujours porté les chaînes , eft bien 
étonnée lorfqu'il lui arrive d'en porter i fbn 
tour: quand on devient efclave après avoir ré- 
gnég quand, pour la preâiiete fois , on connolt 



r;>-Mv,GO(MjlC 



DE t'iNCONSTANCÉ, 20/ 

un maître , on fent d'autant plus d'nlarmes de 
tout genre , qu'elles font plus nouvelles. J'ofe 
vous en faire Taveu ( & vous devez me con- 
noitre alTez pour que je n'appréhende point de 
vousparoitre vaine) avant que je vouscoimulle, 
perfonne n'étoit entoaré comme moi ; non que 
j'eufle des titres pour juftifier la préférence vague 
qu'on me donnoit fur les autres femmes } je ne 
le penfe point ; je ne l'ai jamais cru : c'étoit une 
manie. . . On étoït plus faux avec mot qu'avec 
beaucoup d'autres ; on s'obftinoit à m'offrîr des 
hommages qui n'airivoient point à mon cœur ; 
j'avois mille Amans, & pas un; tous avoient de 
l'efpoirï je n'écoutois perfonne} j'étoïs calme, 
conBante , pleine de fécurïté , d'orgueil peut- 
être. . . Vous parûtes , ma âerté expira î je connus 
le trouble} je me dé6at de moii j'eus tous les 
torts , toutes les craintes , plus de repos , plus de 
coquetterie, plus rien . . . que le plus tendre 
amour, quivauttout, qui me tient lieu de tout» 
que je préfère à tout ce que j'ai perdu. 

Quel eft donc le projet dont vous me parlez 
pour demain? Vous redoutez un refus! Ah! 
cruel , vous vous défiez de votre cœur, puifque 
vous doutez de tout votre pouvoir fur le mien. 
J'accepte ... Eh ! quani^e le voudrois , pourrois- 
]e, cher iimant, m'oppofet It un vceu que vous 
avczfotmi? , 



Dim.fMi,. Google 



2o8 Les Malheubs 

■*a . ^^ I I y 

LETTRE XIL 

De h ntarquife , m comte. 

Oette femme qui nous & reconnus , qui nous 
a faiués à cette;ptomenade fatale, dans cet afyle 
écarté où nous croj'ions être leuls au monde ; ô 
mou ami , que dira-c-etle ^que va- t-elle penfer ? . . 
Ce cruel public !'il ne pardonne pas un fentimf nt 
vrai qu'on a combattu , qu'on n'a pu vaincre ; il 
élit inexorable, & moi, je fuis entraînée : fuf- 
ceptible de retnords , je ne le fuis pas de réfie- 
:c,ion8. Dans te moment où j'ai le plus de torts , 
dans le moment où je les lens avec le plusd'amer- 

. tume , fî vous vouliez j'en aurois de plus grands. 
Hier , quel oubli des autres , de l'univers , de ma 
réputation, de tout! Les plus horribles malheurs 
m'attendroient > la perte foudalne de ma vie de- 
vroit expier les preuves de mon amour , que je 
volerois dans vos bras. .^ (ùre d'y trouver le 

. bonheur. Ah , combien il eft dangereux d'aimer > 
quand on aime à un tel excès ! Je me craignois ; 
cette crainte fit long-tems ma fureté } mais je 
n'avois point d'idées de ce que j'éprouve. Mon 
ame efl; enivrée ; l'amour fait un exemple de moi ) 
je l'ai fui , je l'ai bravé* il iè venge. Je fais des 
imprudences 



D,m.Vri>,Google 



t>B l'incoksta^ce. 209 
imprudences afireufts i je ne vois plus rien. . « 
Cher amant , je ne me plains pas , je m'accufe i 
hétas ! de quoi i Vous êtes coupable de mes fau- 
tes j ctucl, ce font les vôtres. Vous vous faites 
trop aimer * & j'adore votre ouvrage ; j'adore 
mon délire , mon égarement^ j'en adorerois les 
fuites* fuâent-elles le courroux, le mépris , le 
âéchainement de toute la nature. . . Va , îl me 
feroit doux de l'endurer pour toi. . . Prenez pitiâ 
^ d'une femme qui ne feconnoitplus} empèchez- 
la de fe perdre , faites-lui faire pour vous ce 
qu'elle ne feroit pas pour elle. Vous avez détruit 
fa raifon , vous lui devez votre fecours. Je m'a- 
bandonne à vous , & ne vous implore que pouc 
en être plus digne. 

P. S. Madame de***ne foupoit pas chez elle; 
il étoie trop tard pour aller à la campagne. J'ai 
été à l'hôtel de * * * , j'ai foupé avec des femmes 
vertueufes } je fouplrois en tes regardant , & mes , 
foupirs alloient jufqu'à vous. O vous qui m^ètes 
devenu plus cher'que ma vertu même , vous fans 
qui je l'aurois conlervée , vous pouvez me rendre 
plus que vous ne m'avez ravi ! Votre amour eft 
tout à-mes yeux i qu'il foit égal au mien , je n'au* 
rai rien à regretter. 



h.,Go()L^lc 



iiû Les Malheurs 

^ , f% j *y , _^^ — ,. ^ 

LETTRE X IIL 

De madame de Smcerre , à la marquife fa fille. 

Je m'en veux de ne vous avoir pas encore 
écrit : mais vous favez que quand j'arrive ici . 
j'ai mes deux mille tours à faire, des comptes 
éternels à régler} c'eft à ne pns finir. J'ai trouve 
tout dans le meilleur état i je commence à me 
xeconnoître; matendrefie TaiGt ce moment de 
calme , & je me hâte de caufer avec vous. J'au- 
rois bien envie de vous gronder î vous n'avei 
pas voulu me fuivre. Que fait -on à Paris dans 
]a raifon où nous fommes 'i Vous Tur-tout, qui 
(tes fî dtflîpée l'hiver , vous auriez bePoin t'élé 
du repos de la campagtie: l'air qu'on y refpirB 
rafraîchît le fang , rétablit la fanté , & donne des 
forces au moins pour être folle un peu plus impu- 
nément i pardonnez - moi répithetc. Vos balj , 
vos veilles , vos foupés , tout cela me défote & 
m'alarme. Quand je fais que vous veillez, moi 
je ne dors pas bien , & nos infomnies ont deux 
caufesbien différentes: la vôtre a l'amufement 
pour motifi l'inquiétude produit la mienne. 
Vous avez les plus jolis yeux du monde, ils font 
(luelquefoii battus à fiùre peut j je np les aime 



D,m.f.ril>,GOOglC 



DEL'tNeOHSTAHeE. SIX 

point comme cela ; les mient ont beau me dira 
que vous êtes charmante i mon cœur, oui , mon 
cceuT vous trouve laide. 

Mon -curé m'-a demandé de vos nouvelles. U 
a une grande envie de vous convertir, & m'a' 
para bien fâché de votre abfence } mais il prétend 
que vous n'échapperez point i il veut vous fau- 
ver, en dépit que vous en ayez , & vous prouver 
que vos plaiiirs de Paris ne loot rien moins que 
desplailîrs. Il aura de l'ouvrage ,n*e(l-ce pas? 
& l'habitude qui plaide pour eux , vaudra bien 
l'éloquence qui s'élèvera contre ? Il nous fît ces 
jours -ci un excellent difcours fur les dangera' 
dès pallions ,fur les' maux qu'elles entraînent» 
& la fau0èté du bonheur qu'elles promettent. 
Réellement il a très - bien parlé ; c'eft un digne 
homme, animé d'un zele vrai: il met autant 
de façon pour diriger Tes bonnes conlciences de 
village , que s'il avolt d'illuflres pécheurs à con- 
duire. Vos prédicateurs de I*aris parlent pouc 
briller ; cetui-ci n'ouvre la bouche que pour êtrs 
utile : les vûtres ne font que des orateurs ; le 
_ mien eft un apôtre. 

A propos , Orabert mon fermier m'eft venu 

Voir : il m'a amené fa fille , cette petite Claudine 

que vous appelliez votre ^o»»f amie :eiie étoit 

parée, & n'en ayoit pas befoin. Figurez-voui 

Oij 



h.,Go()ijlc 



aia Les Malhevss 
une taille une peu forte , mais bien prife > dès 
yeux briltans du feu de la iànté, des joues for- 
tement colorées » & des lèvres qui font envie. 
Elle a un amoureux qui feroit d'elle un portrait 
plus détaillé ; mais moi * j'aime mieux la dotex 
que de la peindre. Elle aun air de CageSe qui m'a 
féduite, & l'on m'aflure que fa conduite y ré- 
pond. Oti la propofe pour modèle aux filles de 
fon âge. Sous des habits villageois, 'elle s'attire 
les hommages & les refpefls de tous ceux qui 
rapprochent. Je compte la marier tnceflamment 
avec celui qu'elle aime ) c'eft le fils d'un labou- 
reur eflimé , qui a déjà fùccédé aux travaux de 
Ton père , & qui , dit-on , héritera de fes vertus. 
Leur union m'^attendrit d'avance ; la noce fe 
fera dans mon château , je ferai ravie quË leur 
bonheur commence fous mes aufpices. 

Tels font , ma chère fille , les foins qui m'oc- 
cupent , & les innocentes diltraâions de la vie 
paifibte que je mené ici. Les vûtres font plus 
bruyantes; mais laiflènt- elles dans l'ame des 
impreilîons aufll douces? Que je le haïs ce mou- 
vement continuel & fatigant qui vous emporte , 
vous promené de chimères en chimères , & ne 
laifle après lui que rétourdiâ*ement, lé dégoût 
& le vuide ! Dans la perfpeâive , le monde efl un 
fêjour charmant } de près , e'eft un abyme o& 



D,m..M>,GOOL^IC 



DE LINCOBSTANCE. 21} 

chaque féduâion maÇque un péril» &' chaque 
plaifîrune îtifortuiie. Il e{l certains écueils que 
je n'ai garJe de craindre pour vous : ii l'imagi- 
nation y pouâe , la fierté de l'ame en préferve. 
Avec une tète vive , vous avez un cœur honnête ; 
l'une peut vous égarer , l'autre vous ramènera 
toujours i }e le fats , je le crois , j*aime à le croire , 
& je mourrois de chagrin , fi vous me forciez de 
penfer autrement : mais > ma fille , ma chère fille , 
, fouvent les apparences ont perdu celles que leur 
intérieur n'accufoit point. La coquetterie ell un 
appât empoifonné , auquel on fe lailTe prendre 
trop aifément. On ne veut que les hommages , & 
l'on ne fait guère ce que l'on veut. L'orgueil des 
hommes & la jaloufié des femmes les font payer 
bien cher; tes unes calomnient, les autres fe van. 
tent : on crie à l'injuHice , on pleure , on fe ré- 
voltei tout ce qui amufoic l'efprit vient: s'enve- 
nimer dans l'ame ; les principes ont à lutter con- 
tre le dépit, & s'aâbihiiCent par le comhat. A la 
£n on fè décourage , les reflentimens s'aigriC' 
fent , l'imprudence s'y joint , & la vertu même 
alors devient le fupplicedu cœur, au lieu d'en 
étrelaconfolation. Croyez>en mon expérte4icej 
je chéris ce trcfor de mon âge , s'il peut vous 
garantir des périls du vôtre- J'ai vécu dans te 
monde de très-bonne heure. Grâce à M. dç San- 
O iij 



D,™),.rib,G00glC 



ai4 Les Maï-hpurs 

«erre que Je regretterai toute ma vie , j'y aï tou- 
jours été faeureufe & tranquille ; f ai eu le temt 
d'obferver , de réfléchir, & de plaindre les fem- 
mes moins heureufes que moi. Je ne parle point 
de celles qui franchisent les bornes de cette pu- 
deur, le premier charme d'un fcxo chargé, en , 
quelque forte , du dépôt des moeurs publiques : 
ces infortunées là méritent leurs maux; & les 
tigueurs de la foctété ne font plus condamnables, 
quant] elles vengentia décence , puniffent l'oubli 
des devoirs, & roalntiennetit l'honneur par la 
flétriffure de celles qui s'en écartent. H n*c{l queC. 
tidn ici que de ces cara^eres ardens & foibles, 
qui obéiflent volontiers aux împulfions qu'on ^ 
ïeur donne, qu'on féduit fans ïes corrompre, 
qu'on entraîne làns les précipiter. Sufceptibles 
d'écarts , ils ne le font poim: de fautes graves ; 
mais ce font ces écarts qu'il ne faut pas multi- 
plier ; ce font eux, je l'avouerai, que je cràins 
pour vous : G l'honnêteté y furvlt , le repos en 
fouffre , & je voudrois bien que le vôtre ne fût 
pas trouWé. Ma chère enfant, ne t'effarouche 
point de ma morale, elle n'eft pas (evere. Va , je 
fuis 'loin d'être une pédante qui cenfureles plai- 
firs que l'âge lui défend i jouis de tous tes avan- 
tages. Tes grâces appartiennent à la fociété , & je 
vois avec orgoeil qu'elle en cft embellie. Amufe- 



-M>,Googlc 



D B L I N e O M S T A K C E. llf 

toi > mais que tes amufemens ne nuifent pas à 
ton bonheur. Vois peu de jeunes gensi ils font 
vains, inconfidérés , préfumpcueuii , prefque 
tous Tans délîcateâe ; leur ton te va lî peu , que 
je nete demande pas un grand facEÎfke. Au refte* 
de pareils hommes ne font pas dangereux >. on 
peut les recevoir fans conféquence ; il n'en reite 
rien. Ce font les liaifons de femmes qui font itn- 
' portantes. On te jugera pat elles ; voilà ce qui . 
marque, & ce qu'il ne faut point négliger. Songe 
à te montrer quelquefois aveccelles qui donnent 
le ton , & qui compenfent par une raifon aima- 
ble ce que les minées leur enlèvent d'agrémens. 
En te couvrant de leur conddération , & ïnte- 
refiant la fociété à tes fuccès , tu pourras te per- 
mettre beaucoup de chofesquite feroient tort, 
làns ce politique abri qu'il ell bon de fe ména- 
ger contre la maiiguitc attentive « & les petites 
indifcfétionsinféparablee de ta jeunefle. Sous la 
Ikuve-gardeque je t'indique, tu donneras même 
s tes plailîrs un caraâere de décence qui ne doit 
jamaist'abaiidonner. Tu ne feras point confon- 
due dans la foule de ces femmes décriées , que 
la diUipation rapproche , que les rivalités brouil- 
lent, qui s'adorent aujourd'hui, fe déteftent 
denvtin, & donnent au public des fcenes con- 
tinuelles d'amour-fropre^quifinlflent par leur 



D,™),.rib,GOOglC 



iiS Les Malheurs 
fitec jufqu'au droit d'en avoir. Lie- toi plutôt avec 
des femmes très-jeunes . & dociles encore à rinf- 
tinâ de l'honnêteté naturelle, qu'avec ces co- 
quettes endurcies , que rendent furieufes le dé- 
clin de leurs charmes , la diminution des hom- 
mages , la perfpeâive de l'abandon. Ces dames 
abhorrent par état toutes celles dont la fraîcheur 
infulte à leur mafque , & met les hommes les 
moins clair- voyans dans le cas d'une comparaî- 
fon qui les humilîe. C'eft leur arracher i'ame 
que de leur oiïrîr des attraits naiflans & des grâ- 
ces naïves: elles fe débattent contre le temsj 
îi'ayant plus d'adorateurs , elles cherchent des 
viflimes , & veulent fe faire craindre , ne pou- 
vant plus fe &ire aimer. Fuis-les , (1 tu ne veux 
|ins être en bute aux noirceurs , aux propos de 
tout genre. Rien n'efl; fi terrible que la préten- 
tion aigrie qui n'a plus les droits pour excufès. 
Je ne te recommande point de fermer ton cœur 
k des goûts , ou , fi tu veux , à des palpons tou- 
jours déshonorantes quand elles attaquent une 
union refpedtîible , que des circonttances peu- 
vent traverfer , mais que rien ne doit détruire. 
Encore une. fois , l'élévation de teâ fentimepji 
me tranquiltife fur cet attlcle. 

Je connoîs tous tes torts de M. de Syrcé , )e 
n'y fonge pas fans attendfîlTement pour toi , & 



M>,Googlc 



D E l' 1 N C O M s T 4 H C B. 217 

{ans colère contre lui. Tout le monde' s'int^refle 
à ton fort ; ne le rends pas plus cruel : que ton 
mari rougifie de fa conduite , & rende hommage 
à la tienne. Il vient un tems où les liens légitimes^ 
reprennent toute leur Force , où tous les intérêts 
réunis rapprochent les époux les plus froids: 
alors , combien ta jouiras de tes facrifices ! com. 
bien tu t'applaudiras de n'avoir poné niilte at- 
teinte à tes fermens ! Malheur à la femme qui fe 
dégrade , oublie fes devoirs > fe met dans la dé- 
pendance d'un être qui n'eft heureux que par Va 
honte , & autorife le mépris de l'homme qui l'a- 
néantit en lui ûtam fon eftime , la reâburce de 
tous les tems ! £t qu'eft-ce , bon dieu ! que Us 
adorations paSageres de quelques étourdis quï 
ne tiennent à vous que par le plat5r> & que le 
plaiHr emporte ailleurs dès que roccafion fe pré- 
fente? Qui les retiendroitj' Sont-ce leurs pro- 
mcfles? ils s'en moquent. Vos pleurs? ils, en 
triomphent i St Tinfortunée qu'ils attaquent «■ 
éclipPe bientôt i leurs yeux iamalheureufe qu'ils 
ont déshonorée. Je m'échauffe gratuitement î tu 
n'as pas hefoin qu'on t'eifrnie. Donne-moi des 
nouvelles de tes enfans. Si leur père te néglige, 
ils n'en font pas coupal)les : aime ces innocentes 
créatures, infpirc-leur de bonne heure t'amour 
de la vertu. Les leçons dHine mère font perfua- 



D,™),.rib,G06gle 



2tS Les Malhbuks 
fivest c'eft ]e cœur qui les donne. Veille toi» 
même à leur éducarion ; c'ell un devoir où ttt 
trouveras mille douceurs. Ouï, ma chère fille,, 
}E voudrois te ramener à ces fondions primitives 
& Couchantes , que la délicate oiHveté de nos 
femmes abandonne. Sans doute on doit appeller 
à Ton recours ceux que l'étude familiarile «Vec 
les connoiâànces qu'on nous interdit: il faut 
des maîtres pour t'efprtt ; mais nous devons 
léferver à nous feuls le foin de former l'ame 
de nos enfans. 

Adieu. Lis ma lettre un peu attentivement i 
fpnge que tu n*as point de meilleure amie que 
moi i }e ne puis être infpirée que par le dellr de 
te voir auffi heureufeque tu mérites de l'être. 



LETTRE XIV. 

De la marqtiife , à foti amie. 

Vous connoiûez ma foibleflTe, mon repentir , 
mes regrets, & mon amour plus fort qu'eux; 
vous avez vu quel fardeau pefoit fur mon ame , 
quel amour l'enivre , quelles terreurs la remplif. 
fent, fur-tout ma iàtale réfolution d'aimer ju& 
qu'au decnier foupir Tamant qui m'a perdue , & 
fouc qui je voudrois avoir plus fait. £fa bic|a« 



D,m..M>,. Google 



B E X' I K C M S T A N C E. Sï» 
■c'eft au mHieu de mes alarmes , de mes craintes y 
âes reproche^ dent je m'accable , & de toutes \e% 
horreurs de ma fttuation , que je reqois de ma 
mère une lettre -qui vient d'y mettre te combl«. 
Elle ne foupçonne rien , le -bandeau eft encore 
fur fes yeiBc. Si die étoit inftruite, je feroic 
moins malheureulè i-c'eft fa fécmité qui me tue, 
qui m'arrache des pleurs , & joint au remord de 
ma-fauce celui d'ufurper une opinion dont je ne 
fuis plus -digne; flélas! c«ce refpeâabte amie , 
elle eft loin de penfer que j'ate étouSe tous lee 
principe» qu'elle me retrace aujourd'hui; elle 
ignore que je reâèmble aâx femmes qu'elle mé- 
prire-:eHeignere que je fuis' tombée dansl'abyme 
dont elle cherche k mefauver; que fescoafeils 
font inutiles ; que je les iti bravés d'avance. Cha- 
que éloge ^u^etle me donne enfonce le poignard 
dans mon cœur , & la lettreia plus tendre devient 
pour moi la plus doulouceufe des punitions. O 
mon amie! qu'il eft affrettx de fe fehtir coUpable, 
& de furprendre l'eftime qui eft le prix de la 
■vertu ! Ce tourment eft horrible , & cependant je 
m'y plais ', î) eft -celui d'une ame honnête. Oui, je 
ie fuis , je fe fuis encore. Ne ibmmes-:nous donc 
nées que pour les combats , les privations ft' les 
facriBces ? L'être te plus fotble doit-il l'exemple 
lâe la-force ? Notre cœur, quand on le rsliBtc. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



M* Les M&lheurs- 

* 

. n'a-til pas le droit de fe repofer ftir quelf}!» 
objet qui le confole ? Ne ferions-nous donc que 
les jouets de la foeiété >' & les victimes de la 
pâture ? Ah ! la honte ne peut être où vit la 
Samme du fenù^ent. Les fortes paÛions ont 
leur ezcufe dans leur violence , & Tocgueil d'ai- 
mer un objet charmant vaut bien certii d'être 
6delle à un époux qui ne l'a pas mérité. Si mon 
amant cft vrai,je no me reproche tien j ce n'eft 
que foQ ingratitude qui peut me défcnchanter^ 
Ton inconltance feule peuE m'avilir.Jei'idoUtre 
plus que jamais. Dans le moment où. jecanfe 
avec vous , {on portrait e& d'un côté , la lettre 
de madame de Saocetcc e(t de l'autre: je baigne 
Tune de pleurs, & couvre l'autre de baifersi je 

- le prefle contre mon din ; il s'élance au-devant 
de la trop foible image du mortel adoré qui m*a 
retbJu coupable. . . Combien }e me fens Ibulagée 
de vous avoir écrit! Je draignois que la lettre 
de madame de SanÉerre n'eût fait fur moi une 
impreŒon funefte àmon amour ; j'appréhendots 
de ne plos aimer autant. £h , voilà donp toutce 
qu'obtletment de moi les confeïls de Tamîe la 
plus faite pour htte icojitée ! Je ne pourrai fou> 
tenir fcs rcgardp , les iwens l'inrtruiront , & j'en 
fuis réduite à de£r«r qu'elle m'accable de Ton 
iniigaatiou pIiKôt .f[ue. de fa douleur. . . Qoi^ 



-M>,Google 



DE L'iHCONST&NCE. »I 

-dis- je! pourquoi l*affligerois-je ? Le fentiment 
eft le feul bienfait que nous ayons reçu des deux. 
Non , mon amie , non , le mien ne me rend point 
indigne de la mère qu'ils m'ont donnée. 
. P. S. Je vous attettds ce foir. Le comte efl; 
à***i fans vous je ferais feule dans Tuniven. 

■*» "^ ^ w 

LETTRE XV. 

De ladi Sidley, au comte. 

\Jlii E lettre anonyme ! . . . ô ciel ! qu'ai- je lu ! 
Vous me trahifiez , vous ! . . . Une autre femme 
vous enlevé à moi ! & je trouve des forces pour 
écrire ! . . . Non", c'eft un piège qu'on tend à mon 
amour , un outrage qu'on Mt au vôtre. Mon 
cœur n'eft point convaincu, le menfonge t& 
avéré. Ces menées obfcures font d'un lâche* 
quel qu'il foit : celle-ci me rappelle les avis myf- 
, térieux que depuis quelques jours on donne à 
mes gens , afin fans doute qu'ils me parviennent. 
Je ferois injufte d'y croire , & foible de m'en 
affliger ; je ne veux croire que vous. 

Cependant depuis quelques mois je vous 
trouve trifte & contraint avec moij vos letini 
n'ont plus cette lîmplicité touchante , la marque 
d'un cceu r péacné { vos abfcnctfs fc renouvellctit 



D,™),Prib,GOOglC 



2» Les Malheukï- 
plus vit9, & durent plus long-tems. Ytifet, 
ibirpqons honteux , je vous abjure à jamais î Sî 
le ciel, ce ciel impitoyable qui a poarfuivi ntt 
jeuneflè i (i le ciel tui-mème vouloit que tu fulTes 
ingrat un jour , je te déâe de te rendife vil. Tu 
m'apprendrais mon malheur ; tu Terois inhumaîii 
plutôt que d'être perfide , & je t'en remereierois. 
J'aime mieux périr d'un coup de foudre , qtle 
d'un poifon lent. Une fois bleflee , je veux qu'oit 
arrache ma blelTure. Eclairée par toi-même «-tt 
me refteroit au moins une confolation : je ne 
pourrois te haïr; & viâime^de la Hncérité qui 
eft une vertu r je trouverots encore quelque 
chofe à louée dans mon amant. Etre abaHdonnée 
de ce qu'on aime efl; un fupplîce affreux ; mais 
il en eft un'plus horrible , eelui de le méprirer. 
Combien le trépas lui eft préiérable ! Eft-ce ua 
malheur fi grand d'être anàmtîe quand on n'^ 
plus aimée ? Ecoute : fî je ne fuis plus tout pour 
toi i fi je n'ai plus à ton léveil ta première pen- 
fée ; quand tu ouvres les yeux , quand tu vois la 
lumière du jour, G tu ne te dis pas ; que tav 
feroit-il fans elle ? fi tes fonges ne te retracent 
plus mon image ; fî tu es abfent de ta maitrefle 
fans inquiétude & fans chagrin : ouvre-moi ton 
, cœur , que j'y Ufe mon arrêt , la mort & la vérhc. 
Oui , la mott , ou ta froideur , plutôt qu'une 



D,™),.rib,GOOglC 



SE L'1HC0H8TAIICE.22} 

' oteâe involontaire, plutât que l'expreflîon par- 
jure de ce que ton ame lièrent pas. Ne crains 
point de ma part les mollefies d'une ame com- 
mune, ces foupqons importuns , ces vains repro. 
ches dont la foiblefle accable l'ingratitude. Je 
fuis née dans l'infortune ; j'y ai traîné moQ en- 
iànce ; j'y fuis exercée } & Tentant ave.c énergie 
le charme d'être aimée , je fupportorai avec cou- 
rage l'horreur de ne plus l'être. De t\e plus l'être! 
ah > dieu '.... Tu vois mon trouble : eh bien , ua 
foupir , un mot > un regard de toi vont me rendre 
le calme profond où me laidbit l'amour. Tran- 
qililiife mon cœur ; fois tout entier à l'objet qui 
t'adore; fonge qu'un doute me déchire , qu'une 
certitude me tueroit ; fonge à ma conduite depuis 
que je t'aime , à mes chagrins , à mon courage. 
On eft l'amant de beaucoup de femmes ; on n'efl: 
le dieu que -d'une feule : fois le mien. . . Que 
dis< je ! n'obéis qu'à l'attrait i ne te commande 
rien. S'il t'en coûte pour ni'être fidèle , n'écoute 
point l'amante qui t'invite à l'être. Malheur à 
celle qui demande d'être aimée, qui implorv un 
fentiment qu'on lui refufe ,& devient lâchement 
fuppliante dans le moment de l'orgueil & du 
£lence! Je veux que tout vienne de vous: c'eft 
parce que l'amour eft libre , qu'il eft le plus flat- 
teur des fentimens ; il feroit le plus vtl de tous> 
«'il n'avoit que lalfroideur du bienfait.] 



D,™),.rib,Google 



LrS M&LHBUIL 



L E T*r R E X V I. 

Du comte , au chevalier de Gérac. 

JLoRSQiJB, malgré vos confeils, mes remords» 
tnalgcé tout, }e me fuis livré à Tafcendant lïinefte 
que vous avez combattu , )'étois loin de prévoir 
les tourroens de ma fltuation. Que les retours de 
rbounèteté font cruels , quand le cœur s*obftins 
à demeurer coupable ! Mon bonheur eft empoï- 
fonné ; il coûtera des larmes. . . O ciel ! je n'ai 
qu'à vous détailler ce que je fou&e ; vous ou- 
blierez que je le mérite, & vous me plaindrez. 
Malheureux * je traîne dans t'abyme deux fem. 
mes paiement belles , intéreâântes & eftima- 
. blés. Je tiens à l'une par le procédé , la probité , 
l'honnenc & mes fermens ; je conviens de fet 
droits t je me défefpere , je pleure , & je Ja tra- 
his !.. . L'autre m'enchaîne , me féduit , m'atta* 
che pur Tes grâces » par fes vertus que je ne Toup- 
<;ounois pasi enân par le contralle inoui de ce 
qu'elle eftavec ce qu'elle me fembloit être. Elle 
me croit libre , fe livre à moi } & quand je l'adorCt 
quand je voudrois ne vivre que pour elle , Thon- 
nèteté m'en éloigne. . . Je lutte contre moï- 
mâms i je me diffimule U vivacité de mes im- 
preflktn»)) 



Dinn.f. l>,GOOgle 



SB ï,'iiîcos9TAiicfi. aie 

(Keffions ; & jufques (lans les bras (je ma maî> 
trèfle , je crois entendre les cris de ma vidimâi 
"Je ne fais que devenir , que faire ; je prends urt 
parti , je ne peux l'exécuter. O moii cher ch&« 
valier! quel barbare réfifteroit à l'amour de ma.« 
dame de Syrcé ? Elle c(t: unique) elle ne doit 
point avoir de TÎvale. Pouvois-je , fous des de* 
hors frivoles, m'attendra à trouver une ams 
tendre , délicate , la finefle de l'efprit , la chaleut 
de l'imagination , & la prj^tfondeur du fentiment? ■ 
Je lui dois moins qu'à Sidle^ ; mais elle m'inf- 
pire mille fois davantage. Eh bien , je la défole » 
je la contrarie , je la néglige. Quelquefois je vou^i 
drois qu'elle renon<;ât à moi , & je fuis fur que js 
n'y furvivrois pas. Je lui cache l'ardeur de mon 
fentiment , atin de- refroidir ie fien ; & fi elle 
paroiiToit diliinguer quelqu'un , je fens que js 
me'livrerois à tous les emportemens de. ia'jalou» 
fici je mourrois de la perdre, & j'alïeâe d'avoir 
des torts , pour la décacher '. . , . Sidiey , oui • 
Sidleyi elle-même me plaindroit , fi j'ofois , fi je 
fouvois luiconfier.ee que j'éprouve. OSidley!- 
ne pouvant éteindre mon amour , au moins je t8 
t'imniole i jamais Jacrifice n'a été plus pénible y 
plus déchirant j il efl: au-deiTus de mes forces^' 
Hier j'alfai chez elle, je la trouvai trifte, je la- 
&fpïis deux ou tr^is fols attachani fur moi ded- 
Tome K P ■ 



D™-,..M>,Googlc 



9,i6 LstMAtnBVus' 
yeux pUips de langueur & de mélatiot^ie^^Iiv 
miens . malgré moi , fe mouillèrent de larmesr 
ti je fortis pour les oacber. Qijand je reotrai^ 
je me contraignis, je voulus \n dillrsirei mais 
liélas ! ma gsUé n'étoic point vraie , elle ne put la 
partagée i je lui arrachai feulement ce Joutire 
involontaire & vague . qui échappe à la douleur 
même , & a'cn impofe point au perfide qui l'ib 
eau fée. Concevez-vous mon défordre , mon agi» 
tation , mon embarras.? Madame de Syrcé am 
verra donc en moi qu'un vil Céduâeur» tandiiî 
que je fuis en eSèt le plus paâionné , le plus- 
tendre * le plus enivré des amans. Je fuis inhu- 
main G je réclaire > mépti^ble 11 je l'ubufe i & 
voilà le fruit des confeils d'un homme que j« 
«royoîs mon ami ! Lui T. . Son mafque eft tombé i 
&M nom feul excite mon courroux ; je détefte 
/ufqu'aux fervices qu'il n»'a rendus. Tout cela 
làns doute ne lut patolt qu'un jeu. Quel jea 
l)arbnre ! Il s'arme d'un poignard , & l*etifonee 
dans trois cœurs à la fms. JSi fil par Tes gens « 
qu'il a fait auprès de Sidley d'injutieuCès dénur- 
ehea ; il a gagé des émiâàires pour tromper ht 
marquife i il m'a perfuadé qu'elle fe déchalnotfe 
contre moi ; il lui a tait accroire que j'aimoîs 
madame de Thémines. .. J'ai tout fu. Le mon£> 
tietah!jeiuiMdtH« ôeiii j'aime ilepenfpr» 



D,™),prib,Google 



' . BE I,MNC0HSTAWC1. 127 

fume â meftrouver ingrat. Qpe dis-je!'e{l:-il 
poflîble qu'un pareil homme foie jamais l'auteur 
d'un bienfait? Il ue tient pas i lui que je n'étoufiè 
tout fentiment. . . Non , je ne lui pardonnerai 
jamais les pleurs que je vais coûter. J*écois hon. 
nète , je TeulTe été tOBJours ; j'aurois eu le bon- 
heur Tuprème de rendre heureux l'être conBatit 
que mon cœur avoitchoiû. Jen'aurois point vu 
le dangereux objet qui m'a perdu , que je préfère, 
^ue j'Idolâtre * que j'ofiènfe , qui m'a facriâé tous 
Tes devoirs , le repos > le charme de fa vie , & 
pour lequel mon fang eft prêt à fe répandre. 
Oui , mon ami > c'eft madame de Syrcé , c'efl: elle 
feule que j'adore i & , le croiriez - vous ? je fuis 
encore entraîné par je ne fais quel douloureux 
attrait vers celle pour qui je n'ai plus d'amout ! . . 
Cette inconféquerice ne fuiïit pas ; ta faulTeté s'y 
joint t je me défie de mes regards , de mes dif> 
courstje m'avilis par lemenfonge, tnon amey 
répugne , ma pofîtion l'exige , & je rougis tant de 
moi-mime , que je n'ofe me montrer te! que je 
fuis à celles qui me croient toutes les vertus. On 
peut éprouver des revers plus éclatans ; mais il 
«'eft point de malheurs plus fcnfibles. Q.ue j'en- 
vie votre fort, votre heureufe tranquillité ! Eft- , 
ce que vous partez bientât? Ah ! demeurez : je 
prends ceU fui moi j le xégimsnt peut fe psâei 



n;r;>-M>,GOOgle 



HZ LES Malheurs 

de vous i mais tnoi > mais moi, puis>je me pafl'er 

^l'un ami? 



E 



L E T, T R E XVII. 

De la marquife , au comte. 

H bieiiidéferpcrez-moi, oubliez ce que vous 
m'aviez promis. Voulez-vous que je renoace à 
tout i* Voulez-vous ma vie ? Prenez-Ia , elle eft à 
vous i mais , 11 vous n'avez pas réfolu de me faîie 
mourir mille fois , moins d'aigreur & plus d'in- 
dulgence. Ne pouvez-vous donc rien p<iur moi? 
N'ai-je rien mérité? Les cruels ! ils promettent 
tout, tant qu'ils délirent! Efclaves alors, com- 
bien î!s s'en vengent après ! De l'humeur ! de 
l'humeur contre mot ! Hélas! mon injuflice même 
devroit vous être chère , & vous vous emportez 
au moindre reproche ? Fenfez^vous me corrigée 
ainf) ? Quand on a tort on fe âche, & on fe 
répand en excufes qui ne prouvent rien ; on ne 
dit qu'un mot i ce moteft tendre, & il perfuadea - 
quand il exprime un fentiment!.. .Le connoif- 
fenc-ils ? Sentent-ils nos facriHccs , nos dangers, 
nos remords , tout ce qu'on fait . . , tout ce qu'on 
rifque, tout ce qu'on voudroit en leilr faveur? 
Hier au loir, étiez^vous a Jcz contrariant? Votre 



D,m..M>,. Google 



DE L'iNCONSTAlTiïï. M? 
Bonverfation m'a déplu. La raifoii , difiez-vous , 
eft la bafe de contes les vertus. Laraifon* quells 
morale! elle me glace; je ne la puis fouffrir. Je 
vcuï qu'on fott humain , compatiffant , libéral , 
jufte , vrai, indulgent, fans avoir l'ombre de 
raifon. Je veux , je pl'éceiids que l'amour du bien , 
ciue fon feul attrait nous porte à le pratiquer, & 
que nous foyons entraînés vers lui fans calcul, 
fans réflexion ; j'aime qu'on juge , qu'on agiffe, 
qu'on pardonne , & qu'on oblige par fenttment, 
non par principes* & je rejeterois les dons de 
l'homme froid qui me ferviroit parce qu'il te . 
doit. Je lui dirois : quand tu fauras feniir mes 
mau::, je te croirai digne de les foulagcr. Ah, 
mon ami ! G la divinité defcendotc jufqu'aux 
humains , c'eft fous les traits de la renfibilicé 
qu'elle.daigneroit Te montrer à nous ; & le mortel 
privilégié qui no connut jamais que Ton cnthou- 
fiafme, efl: à mes yeux bien au-delTus d'un rai- 
fonneur qui n'eft vertuaux que par honte , par 
crainte , ou par fyftêmc , ou par orgueil. L'un 
cfl: un champ aride qui ne produit qu'à force 
de culture; l'autre, un tsrrein que la main de_ 
l'homme n'a point foignés mais qui, bon par lui- 
même, ne peut jamais celTer de rétre. J'adore 
les chofès de pur mouvement. Quant à celles 
que'la feule raifon dirige, ellesne m'en imporcne 
P iij 



-M>,Google 



2}o Les MAI.H8VRI 
pas plus que les rotsi & la pompe des mott.' 
comme celle du trône , U'eft pas faîte pour tn'i. 
blouir. Un homme droit, faifant le bien par inf- 
tînâ , feulement étonné qu'on l'admire * Tant 
témoins de Tes aâions , fans efpoir de récom- 
penfe , fans étude , fans ofteatatïon , phitoH^hei 
de tous les fiedec . voilà mon héros !Les dieux 
& les grands hommes dans Cous les genres , font 
l'ouvrage de la nature: la raifon n'en forme que 
les iîmulacreB. Voilà comme je penfe. Je fuis 
bien-aife d'avoir foulage mon cœur aux dépens 
de tout votre bel-efprît. Vous parliez d'un air 
diftrait , & vous ne parliez pas à ma entaille. 
Qu'avez-vous donc? Ofez me te direj mcâ, )e 
n'ofe le demandée. Fatdonnez-moima mortelle 
iliâèrcatton j venez me voir de bonne heure. 
Adieu. Aimez votre maîtreSe» votre amie* «Ils 
ne vit que pour vous. 

■» ■ - -^ i ^ i «m 

LETTRE XVIIL 

De fa marquife , oh comte. 

SJ c t torts trop fentis pour n'être pas réeïs * 
.mon cœur vous les a pardonnés-J'étois , à votre 
arrivée , dans l'accablement le plus profond , & 
vous avez fufpendu ma douleur i un charas 



h, Google 



1} E £* r N C O R S T A N C B. S}f 

-hi concevable en adouci0bit l'amertume , & mon 
ame en votant vers vous devenott moins triftd 
à mefure qu'elle étoit plUs agitée. Miflitinfen. 
tiraent vrai vous parie en ma Faveur, fi l'amour 
le plus tendre a des droits fur vous , épargne^» 
nioi des chagrins que je ne poùrroîs fupporter. 
La moindre négligence me défcrpcre. Qye vou* 
mereflemblezjieii! Songez donc, cruel , fongez 
que tout dirpnioit à mes yeux. Il n*eft pour moi 
dans la nature que mon amant ; & je cefierois 
de m'y compter pour quelque chofe , fi j'étoïi 
-peu pour lui. Vous qui me tenez lieu de touc« 
vous qui avez dans vos mains ( plus qoe vous ne 
croyez peut-être ) & mes jours & leur delttnée , 
meniez ma lènfibilité; craignez de déchirer le 
cœur qui elt à vous. Ma tète, qiisi que vouji 
dtlîez dans une de vos lettres -, n^tit point la 
fource de mes peines j elles partent toutes de 
ifion cœur. Mon imagination m'a pu quelquefois 
entraînera des étourdertes dangereufes; maïs* 
quand je m'afflige, c'eft lui qui eftbicfle, c'eft 
là qu'efl tout mon ma). 

Seule à préfent, retirée dans mon appartement, 
loin d^ autres , près de vous , '}& né fàîs fi met 
-chagrins tquejenevous confie pas tous), fi leur 
trait douloureux n'ajoutent pas à mon amour. . . 
PuilTe-t-it t hélas > n'être funefte qu'à moi I. 
P iv 



D;,-..M>,Google 



252 Les Malheu-r.s- ,/ 

Être fuprême, pardon hcz au trouble d'une 
fçmme éperdu? qui vous offenfe malgré elle,, 
qui révère votre bonté , qui en aura befoin . . t 
qui vous adore . dans un de vos plus dignes 
ouvrages. ... Ah ! fi c'eft un crime , lailfez - moi 
mes inquiétudes, laiffcz-nioi mes doutes; moa 
çnfcr commence. 

Cher amant, puifque l'amour ne fait pas le 
fconheur de la vie, fur quoi compter eribore ? Je 
fuis d'un noir horrible ; je vous ennuierai. Que 
vouiez- vous 'i je fuis vraie i j'épanche mon ame s ■ 
je Umets dans la vôtre î j'y trouve une douceur 
extrême. . .. D'où vient ne pul^-jefuivre mon 
cœur '{ D'où vient n'eft-on pas toujours avec ce 
qu'on aime ?Scntez-vous comme moi, & les tour-, 
mens de la contrainte , & l'ennui de l'abfcnce, 
& l'impatience du retour , & cette émotion que 
le bonheur change en ivrefle, & la langueur plus 
douce , s'il fe peut , qui lui fuccede ? Va , défef, 
pcre moi fi tu veux ; je trouverai des charmes 
à en mourir. Qye dis-je ! toi ! tu pourrois me 
tromper ? tu pourrois adopterle barbare fyftéme. 
de ces hommes qui,ne font pas faits pour t'appro- 
cher , de ces hommes méprifables jinfenfibies à 
l'amour comme aux procédés ,, aflez heureux, 
pour s'eflimer , aflez aveugles pour le pouvoir, 
& trop vicieu:!f pour fe repentir? Vous favez qui ■ 



i.,Googlc 



DE LIN C O N 8 T A N C E. i^J 
]e veiiïpeindre. Les malheureux ! de quoi jouif- 
fenc-ils? Ces douces imprellîons , G chères aux 
coeurs fenlîblcs , runion pleine de volupté d« 
deux âmes bien tendres qui fe croient feules 
dans l'univers , ce charme intérieur qui les pénè- 
tre , ils ignorent tout cela j ils prd'menent par-tout 
indiiFéremment des vœux glacés > & ne Tentent 
rien que la dégradation de leur être, & les maux 
quiréfuftent de leurs aiFreux plaifîrs. Laiffez , ô 
mon ami, lai^ez ces petites âmes à l'ennui d'elles- 
mêmes , & ne perdez rien de la dignité de la. , 
vôtre. Les femmes- font une portion de la focié-. 
t^ : que la baflefle & l'orgueil à la fois fe faflent 
gloire de les abufer ; voyez d'eji-haui l'inhuma- 
Hi^é de cetufage, & ne defcendez pas jufqu'à lui. 



=^3^ 



LETTRE XIX. 

Du chevalier , au comte. 

3iJ È s que j'ai vu , mon cher comte , l'inutilité 
de mcsconfeils, je me fuis tCi. Et que voas au- 
rois*je dit?, Eft-ce que la pallÇon écoute? Com-' 
bien j'ai fouâcrt en fecret des peines que vous 
vous prépariez ! Les maux de votre lîtuation. 
étoient feutis par moi lors même que vous étiez 
Iqin de les prévoir. Ils font Wribles , mais 11 ne 



D;,-..M>,Google 



a;4 'Les Malheurs 
<faut jamais fe dirpeafer du courage } en voici la 
momeiic. Vous avez été foible « vous êtes maU 
heureux ; t'énergie de l'ame doit ennoblir votra 
jnturtune. Vous êtes Aifceptible d'héroïAues 
oui ,vouB rites. J'ai lu dans votre cœufijecon. 
110Î3 fe> forces , & voici t'occafîon de les exercer. 
Vous m'entendez* l'idée d'une belle aAiondoit 
être faifie auflî tôt qu'apperçue. Je fais tout w 
qu'il vous en coûtera ; je vois votre cœur fc dé- 
chirer } j'entends vos foupirs : mais qu'eA-ce 
qu'un facrifice qui ne met pas en prelTe le cœur 
qui s'y réfout 'i Feut-ftre n'y a-t-ii point de mal- 
heurs dont l'eftime de foi ne dédommage. Comp. 
tcz-vous pour rien ds perdre des remords? 

Vous avez promis à Sidley d'être à elle; ce fer- 
ment a été libre de votre part iperfonne ne vont 
l'a arraché; & s'il fut indifcret, le parjure feroic 
coupable.- Je vais plus loin : plus votre promefle 
a été fccrete , plus elle doit être inviolable} moins 
Sidley peut rédamer Ces titres , plus vous devez 
les refpcfîler. En y portant atteinte , ce n'eft pas 
elle , c'eft vous que vous déshonorez. Je ]riains 
bien celui qui , pour remplir Tes devoirs , a bs- 
foin du fretn de ta loi , & de l'aiguillon des re- 
gards publics. Notre frein * mon cher comte • 
c'eft l'honneur j notre lot , le fentiment. La 
crainte des témoins ne lie que les âmes com- 



B,™).prib,Google 



B E ï,"" ï » C H S T A W e E. 2^ 
«nones. Au lieu de rompre un tioèud que vous 
avez formé vous - même , voici l'initcuit de i« 
ferrer davantage. Sauvez- vous dans lé fein de 
iSidlejr, &prencz-y, s'il fe peut, de plus forts 
«ngagemensï enchaînez-vous d*un côté, pour 
être libre de l'autre; mettez-vous enfin dans 
rimpoffibiiité de refufet: toute judifie à celle qui 
A tous les droits : voila ce que je vous demande • 
-ce que je vous confeille, ce que j'attends de vôUi. 
Je vous juge comme je me jugerois moi-même * 
& la contadiftion de tous les hommes laCemblés 
ne me forceroit pas de penfer autrement. Si le 
jiort que je vous ouvre n'a rien qui vous attire. 
' il votre cœur tremble de s'y repofer , il ne vous 
relie qu'uii parti , celui de détromper Sidley , de 
loi enlever encore lepeu d'illufion qu'elle con- 
ferve, La feinte n'efl: pas faite pour vous, & la 
dureté vaut mieux que la perfidie. Ofez, cruel, 
ofez lui plonger un poignard dans le fetn , & 
n'en retirez le trait fangtant, que pour le porter 
eux pieds de la rivale ! . . . . Devoit-elle jamais 
Tètre ? Si elle eft honnête , comme vous le dites 
.& comme je te croîs , à quels dangers ne l'expo- 
fez-vous pas ? Ceft fur i'infraftion de tous fes 
ilevoirs que vous fondez votre bonheur ; vous 
ne pouvez trahir l'une fans dégrader l'autre. 
Quelles jouiiTaacesjcmpoironnéesf.. Voudrlez- 



D;,-;..h.,GOOL^IC 



2^6 Les Malheuas 
TOUS les connoitre ? Je ne fais > mais il me-. 
fe^ble que la félicité vraie efl: inféparable des 
mœurs* tous ceux qui en affichent Toublt, 
n'ont que des plaiHrs faux & inquiets ; ils ne 
tiennent à rien , leur inutilité leur pefe. Je les 
compare à l'étincetle qui fe détache du feu, & 
va mourir fous la ceitdre. Ils perdent ta fenfa- 
tion douce & délîcieufe du beau, du bon, de 
l'honnête, & n'ont plus d*organes pour fentir 
le bonheur. Mon cher comte, ce n'eft qu'en fe 
livrant de bonne foi au charme d'un amour ex- 
clufif, qu'en fe donnant toutentïerà un objec 
qui peut accepter te don , qu'on trouve en lut ta 
félicité , & qu'on fait la Henné. On n'a fans cela 
^e des jours d'ennui & de langueur, au fein 
même du tumulte. Unefemme négligée, je dis 
la plus tendre ,- eft d'abord défefpéréc , enfuite 
aigrie , indiiFérente après ; & puis on la regretta 
lorfqu'on l'a perdue , parce qu'on perd tout- en 
perdant l'être rare qui fait aimer. 
. : Encore une fois , faites un eiTort , tirez- vous 
du chaos oii vous êtes. Je n'approuve point votre 
reiTentiment contre le duc: eft- ce qu'un tel 
homme mérite de la colère ? S'il n'étoit qu'un 
fot, il feudroit peut-être en avoir pitié ; mais il 
çft à la fois frivole & méchanti c'eft te mépris 
qu'il lui f^uï, & le méfiiselt tranquille :c'elHa 



D;,-..M>,Google 



DE LINCOUSTANCE. 3^7 
vengeance de la fupériotité. L'arme de la haine 
eftà tout le monde. Pourquoi haïr, quand on 
peut fe venger mieux , & fouffrir moins ? Vous 
appréciez le duc, il eft puni. Je ne craignois pour ^ 
vous que Ton mafque i il tombe ... le miférable 
eft fans défenfç. 

Adieu , mon cher comte. Fuifle la voix de l'a- 
midé parvenir jufqu'à votre cceuc, & y réveil- 
ler tous les femimens qui font dignes de lui ! Je 
vous embraâè. 



BILLET 

Du comte , au chevalier. 

JL/'aprés ce que vous m'avez dit, j'ai voulu 
écrire à Sidley . . . je n'ai pu m'y réfoudre.. .Ma 
main trembloic, mes larmes ont coulé i & j'ai 
lailTé tomber la plume. Je fuis à la fois foil^le & 
perfide ; je rougis de l'un , l'autre me fait frémir t 
& ma honte , & mes frémilTemens . & tout ce 
que je foufTre ne change point mon cœur. Je fuis 
bien digne de pitié ! Plus j'adbre madame de 
Syrcé , plus je m'indigne contre moi, & elle eft 
loin de foupçonner le motif de mon humeur. Je 
ne lui écris plus, je ne veux pluslui écrireije 
tâcherai de la voir moins, o Vains projets ! je at 



n;r;>-M>,GOOgle 



' iàis ce que je veux « ce que je ferai , ce que je 
deviendrai. . . Hélas! je prévois tous les mal- 
heurs , & je les aurai tous mérités. 

LETTRE XX. 

De la marquife , au comte. 

j'a! tonjours le befoin de tous écrire, & vont 
ne l'avez pus , vous ! d'où vient donc cela ? Ah ! 
le bonheur e{l dans Texcès du rentiinent...Jes 
amans raîfonnables ne font que des amis. Je vous 
adore ; & )e vous fuirois au bout dn monde , lî 
vous ne me donniez que des vœux diftraits, H 
vous n'aviez pour moi qu'on attachement réflé- 
chi , ou de l'emportement au Heu d'amour. Par- 
donnez Il dans notre convcrfàtion d'hier mon 
dérefpoir a éclaté ; je le renfermois depuis plu- 
iieurs jours i vous me paroifliez firoid ; j'étois an 
fupplice. Plaignez-moi d'avoir requ du ctel uns 
«me qui me dévore. Ne vous offenfcz plus de met 
craintes. /. Leur motif doit-il vous déplaire ? me 
fais- tu on crime de t'adorer? . . . Daignez raJTn. 
rer plus tendrement votre amante j vous n*ave« 
d*autre reproche à lui faire que de s'alarmer 
. trop aifôment. Hélas ! d'où naiffent Tes alarmes? 
!Vous le favez , gloire , réputation, grandeur , ft 



-M>,Gôoglc 



VA £*I2IC01I»TABCB. 2^^ 
\n biens t & même la vie, elle dédaigne tout 
cela i elle ne tient qu'à vous , & ne demande au 
ciel que de l'anéantir avant que vous ceilîez de 
Taimer. Je ne fuis point exigeante ; je fuis loin 
de vouloir prendre fur vous d'autre empire que 
celui de l'amonr ; je ne calcule lîe»» je n'obéis 
qu'à mon Cœur , & je vous plairoîs peat-ètre da- 
Tuitage , fï je mettois plus d'adrefle dans ma con- 
duite. Voue connoifle^ tous mes défauts, je ne 
TOUS en ai point caché un feuU mais jamais 
Torgueil n'arrêtera mes larmes , jamais il ne les 
£t couler. Je fupporterois avec fierté , avec cou- 
rage «avec infolence peut-être , un renverlèmenc 
de fortune , d'autres malheurs encore plue feii- 
fiblet. Les peines du cœur ma font aifreufes , je 
n>n coonols point d'autres. . . Quelle eft donc 
cette féerie que vous inventeriez, s'il falloit* 
dites-vous , renoncer au bonheur d'être k moi ? 
£n e(l-il d^autre que l'amour? Et croyez-vous 
que je puifle vivre un feul inftant fans le vôtre ? 
Cette phrafe de votre billet m'a fait frémir. , . 
Ecrivez-moi que vous m'aimez «que vous m'ai- 
merez toujours ; écrivez-le moi l^ns ceflè. Cher 
amant , tes lettres repréfentent pour toi en ton 
abiènce ; je les mets fur mon cœur , je les gronde 
quelquefois i je les adore toujours. Celles qui 
Ssait froides me SùM foupjrer , & Bon pas legret- 



D,™).prib,Google 



340 Les Malheurs , 
ter d'être àtoî. Même quand tu m'affltges, 
c'efl: moi que j'accufe ; je me reproche de ne 
favoir pas plaire aflez. Je ne me repens plus de 
rien * & je voudrois te donner tous les jours de 
nouvelles preuves de ce que je fens tous tes jourp 
davantage.. .Epargnez-moi donc ces inquiétu- 
des qui font qu'on pleure la nuit, qu'on e(l mé- 
chante à fon réveil , qu'on reçoit la réponfe la 
plus feche , qu'on l'approche du Feu « & qu'on 
tremble qu'il n'y prenne , & puis qu'on fe rac- 
commode avec elle , & puis qu'elle n'eft pas bat- 
fée , mais relue , mais ferrée tout auiS foigneu* 
fement que fi elle en vqloit la peine. . . Je fuis 
folle , n'eft-ce pas ? On l'eft toujours quand on 
aime; on l'efl à proportion dé ce qu'on aime. 
N'oubliez pas que nous foupons enfemble. Je 
détefterois le monde fans vous ; je ne fuis bien 
qu'où vous êtes. La voilà trouvée la chimère de 
mou imagination i je n'ai plus de defirs vagues . 
d'inquiétudes fècretes : vous ave? tout fixé. 



=C^' 



LETTRE XXL 

De la marquife , au copite. 

JE hais,& l'amour, & le jour où il eft entré 

dans mon cœur, & moi flus que tout le xe&s. 

Pourquoi , 



n;,-;.M>,GOO^IC 



DB L'ii»eoii»TAs<E. a^i 

Pourquoi , quand vous cherchiez à me plaire , 
ne vous montriez-vous pas à mot tel que vous 
êtes? J'aurois moins de reproches à vous faite : 
c'efi à votre fentïment feul'que j'ai cru céder; 
& fi vous m'aviez donné des armes cOntreVous , 
J'aurois trouve des forces contre moi-ménK* 
Cruel amant ! dont j'avois fait mon dieu , moa 
ceeur me trompoit ; je renonce k vous. Je n« 
dois plus ... je ne veux plus vous aimer ; je 
Veux , s'il ed poâïble , je veux Vousoublier. . .' 
Ah ! que plutôt , malheuiebfe par vous , & plus 
tnalheureufe que vous ne pouvez le croire ,"votr«. 
Amante ne conrioiSe d'autre ptaifir que celui d» 
fleurer dans vos bras î qu'elle pleute le refte de 
fa vie la perte de-fbn repos > Ton erreur , maifi 
)smais votre abfence. Eh! que deviendrois-je 
loin de vous ? Vous ne me coniioilTez pas } vaut 
me ménageriez davantage ; vous ne pafleriel. 
point ttois jours fatis riie voir; vous tie lbupe< 
liez point avec itiadame de Thémlnes , 8c fur« 
tout vous ne m'en Feriez pas un m^Ilere. Cral*' 
gnez ma tète , craignez l' racés de ma féhiibilité i 
mats ne craignez que pour moi. Vous pouveB 
rendre mes jours affreOx j voua ne pouvez m'cmt 
pêcher de veiller à la tranquillité des vôtres^ 
Quelle lettre ÎVous l'enverrai- je ? Oui* fan* 
doute. D'où vient vous cacheiois-je ce qus 
Tom V, Q. 



D,™),prib,Google 



04% ^S» MAt.HlVRS 

j'cproove ? J'aîote mieux éirç accufée d'injuIUc* 
^ue de fauQèté. Lifez , réponde^ , dices que j'ai 
toit , fur-tout perfuadez-Ic moi bien » mon bon- 
heur dépend de cette opinion. Oui. oui, prou- 
vez-rool que je me trompe : l'un de nous deu:( 
eQ. coupables mon cœur me dit que ce n'eft pas 
moi i &, puifque je pleure , c'clî voue qui l'êtes. 

^ . 1 ■ ■ ■ I M =^i*igh ^ 

LETTRE. XXIL 

De la marquife , au comte. 

Je rentrç,,^ ne vous trouve pas! votre nom. 
u'eft paf mèD^;^ écrit fur. ma lifte ! Je fiiis à moitié 
morte, je you(VQ\s Têtce tout-à.fait. Vous , mpn- 
£euti foycz bçureux, foycz-le toujours » vous 
sour qvi j'^rAÏs donné mille fois ma vie. . . La 
rpienne ,nç., fêta pas longue,: eh! qu'en Feroisr. 
)e? , . , jenç/uis ptus aimée. Le feul efpoir d'une 
fin prpcî^ine adoucit mes ni3U^...il9 font au 
comble f je vous les pardonne} je ns vous Ibu- 
baiterai jamais «ive du bonheur. . . Venez de- 
naain .. . pour la dernière fois, Kapportez-n»» ' 
mon portrait j mes lettres. . • Non , gardez-les > 
gardez- les tpu jours. Revoyez quelquefois l'ex- 
prefïîoB dQ i°a ^endrefle. . . Heha|fl*ez poitu imon 
iciage. . . Je ne VQVS f^r^i point 4c ceproi^es î ]%, 



Dinn.fMi,. Google 



DE -L'INCONSTANCE. 24} 

n'ai point le droit de vous en faire. Mon fenti- ■ 
ment ne vous lie point i vous n*êtes à moi que 
par le vôtre : s'il eft éteint , Il eit jufte que je na 
vous fois plus rien. La foi des amans eft volon- 
taire ) on le fait ; les feimeus de l'amour n'ont 
aucune valeur ; les réclamer feioit une injuftice; 
ils ne font facrés qu'autant qu'ils font fends j & 
l'iiifenfé qui promet , & l'infortunée qui croit , 
s'abufent tous deux. J* n'en puis douter > une 
autre vous occupe , une autre vous arrache à 
moi . . . une autre ! à ciel ! & dans quel tems ! . . . 
Il fuffit. Sans confotation de votre part, fans 
efpoir de la mienne , mon ame eft préparée. Heu-i 
reufe encore que rien ne touche la vôtre ! Vos^ 
diagrins m'euiTent accablée ; & dans l'abîme 
profond où je fuis , je ne crqignois que votre 
fenfîbilité. Je vous demande une feule grâce , 
c'eft de me oonârmer par une lettre ce que vottei 
QCHidiiite m'annonce. Dieu ! fi vous étiez encora- 
«e que je vous ai cru toujours ! Hélas ! non *> je 
n'ofe , je ne puis l'efpércr. Vous n'avez point ces 
épanchemens douit , dont la fource eft dans l'amei 
qui &rvivcnt au de&r & divinifenc le bonheur. 
Ces foupirs d'un amant enivré de fon amour, ce 
je tiotis aime, qu'il e{ï Ci charmant de dire & 
(feittendre ; le rectleitlement du Clence , fon ex- 
BniSon * lorfqu'on fe logacdc & qu'on s'adorej. 
. Q-iJ 



-M>,GoogIe 



Z44 LesMalmëvAs 
vous n'.ivez rien de tout cela , & votre çontratnttf 
arrête en moi ce que vous y trouveriez , R vous 
pouviez , Il vous faviez aimer. Que ce foit votre 
faute ou la mienne , je n'ai à me plaindre que du 
fort , & je n^xige que de la bonne foi. Peut-être 
dnns les- bras d'une autre régretterez-vous. & 
ma tenclFelTe que vous ne partagez pas, & Us 
foibtes avantages t|ue j'ai reçus de la nature, & 
jufqu'à mes dél^uts. .. Quoi qu'il en foit» nv 
araignez point de déchirer mon cœur^ne crai- 
gnez qse de le tromper, (hi de vous abuTer fur 
lesmouvemensdu vôtre. Cenfultez-vous bien» 
ne me cachez pas la moindre chofe. N'ai->je plu» 
fur vous que tes droits de la rcconnoiSance ? 
Ouvrez'Dioi votre amej Pextieilive fenlîbilité' 
àe la mienne fait toute ma pénétrations rieti< 
ne m'échappe. Il fe peut que l'impatience d'ob- 
tenk, en vous prévenant trop fur mon compttr 
m'ait prêté ce que ma foiblefle m'enlève. Votre 
cœur, (w votre imagination fermée alors, foit !> 
mes imperfeâtons , foit aux grâces des autres , a< 
pu malgré vous s'y rouvrir. Votre honnètetév 
votre raifon peut-être vous difent encore dir 
bien .de moi ; mais je fuis perdue , û vous ave» 
recours à elles. Que fais<je en6n , que fais-je & 
vous n'avez pas des regrets ! Ah , plutôt vou» 
perdre pour jamais.. «à Tiaftant, que devotu.. 



-M>,Google 



DE L* INCONSTANCE. Xff 

en coûter un! . . . Malheureux ! qui t'aimera 
comme je t'aimois ? Mais du motos , fî vous m'a- 
bandonnez après tous mes facriBces, & maigre 
mes terreurs . . . que vous ne connoillèz pas tou- 
tes, louvenez-vous quelquefois de la pallion la 
plus tendre, & dont les fuites funettes. .. 

Adieu , adieu. Demain )e vous en dirai uit 
éternel, . . On me trouve de la 6evre ... ah ! 
tant mieux. 



'=^iS^ 



LETTRE XXIII. 

De la marquife , àfon fxmie. 

\3uvREZ-M0l les bras de t'amîtié, que }• 
me cache dans Ton fein ; je n'ofe lever les yeux 
fur moi , je n'ofe envifager la lumière du jour , 
& je rougis d'avance de l'horrible fecret qui va 
m'échapp er. Hélas ! mon amie, en vain je m'a- 
bufois , je m'étourdiflôis eii vain fur le motif de 
mes frayeurs ; je viens de fentir l'indicatioii 
fccrete de ce que je redoutois plus que la mort. 
Voilà trois mois que mes craintes durent, l'a£. 
fVeufe vérité les remplace. Je frémis j où fuir? 
qui me recevra? Il me femble que mon crime 
eil écrit dans tous les yeux. MalHeureufe? les 
fanglots me Tuffoqucnt» mes larmes coulent, <' 
' Q."j 



-M>,Goo^le 



«4^ LesMalhedss 
ne vois plus ce que j'^crtS' . . Vous m'enteniilez. , ~, 
vous me devinez , . , )e fuis perdue. Oui , mon 
«mie, ma confidente unique, ma feule confola- 
tien , voilà le fujet de oette triflelTe profonde 
dont vous vouliez connoître In caufe. Fixez, (î 
vous l'ofei , Tabyrae où je fuis ,& concevez mon 
infortune. Devoir , préjugé , repos , décence , j'ai 
tout bravé , tout facri6é , tout oublié. Je brûle 
d'un feu fans retour ; mes foupirs rentrent dans 
mon feîn opprelTé , fans que mon amant y ré- 
ponde. Mes yeux font^noyés dans les'pleurs , & 
fa main ne les efluie pas î il me iiég-lige , m'aban- 
donne, me trahit fans doute, me hait peut-être; 
& dans i'inltant même de fa perfidie , de fa froi- 
deur , de fa cruauté , je renferme , je porte dans 
mon {èin le gage malheureux de ma faute, de 
ma crédulité, de ma foibletTe, hélas! & de mon 
idolâtrie. Que deviendrai-je? Vous-même vous 
me rcpouflerez , vous ne voudrez plus me voifi 
je ferai le rcbat de la fociété. A charge à l'amitié , 
i ma fiiraille , à moi-même , comment foutenir 
les regards d'un époux, d'un? mère refpeâable, 
les vôtres , les miens ? ... Ma tète fe trouble ; 
un nuage m'environne; il ne s'offre à moi qu'un 
chaos épouvantable , & je vois tout confufé- 
mcnt... excepté le déshonneur. N'importe, je 
' m'y roumets,& tous tes défallres fondront fur 



D,mîf.ril>,G60gle' 



n E 1' I N c •* H s T A s a E. 147 
moi avant que je cherche à lut échnpfier par le 
renverreraent de toutes les loîx dt U nature. 
Jaime mieux Être un objet de mépris pour uA 
monde injufte > que d'efiVoi pouf mon propre 
cœur, & déclarer une foibtefle, que de caches 
un aâafltnat. Qu'e(l-ce que la honte auprès du. 
crhne ? J'embrafle l'une pour me fauver de l'an- 
tre ; & dans la fituatioiTo)^ je fuis ; il efi honora- 
ble peut-être d'accepter l'îiifàmie. Je vous dirai 
-plus: quqnd depuis deux ans la conduite de 
-M. rfe Syrcé ne m'auroit pas fait prendee le parti 
de rompre avec lui toute liaifon intime , je n'au- 
rois point la baiTelTe de couvrir ma faute aux ■ 
dépens de mes enfàns \ je ne donnerois point 
leur nom à celui qui va me perdre , dépofer con- 
tre moi , & conftater ma fpibleifc , fans me ten- 
dre plùS criminelle. Être infortuné, profcrlt dès 
ton premier fotiffle , & Condamné dans le fein 
même de ta mère , du itioins tu refteras dans ce 
fein malheitreux : elle ne t'ôtera point le jour , 
le feul bientàit que tu puiiTes en attendre ! Mon 
amie , je fubirai la honte \ elle efl; mon partage ; 
mais dites-moi que j'aurai toujours des droits 
à votre pitié : c'eft le feul fentiment que vous 
ne dcvcB pas me refufer. C'en eftfait, je m'a- 
bandonne à la Providence i je fupportetai' Tes 
coupa avec courage j rien n'eft eiFrayant pour 



-MiyGdoglc 



34B h t s Malhedri 

moi que de les mériter. Vous ne favez pas encore 
jufqu'où va mon égarement. Au comble du mat 
heur, je pardonne à celui qui Ta cauré. Son.ex- 
cufe eft dans mon cœur , fur mes lèvres ; }e m'ab^ 
liorre fans lui reprocher rien ; & parmi tous lec 
chagrins qui m'accablent, }e pleure avant tout 
fon inconllance. Mon Tang fs glace, mon cœur 
s*eft ouvert ... je fens le dernier trait de l'infor- 
tune. Le cruel ! c'eft cet ïnftant qu'il choifit pour 
me laiâer à moûmâme ! Que dis- je , ô mon amial 
g^rdez.'Vous de le juger avec une rigueur.. . , 
qu'il ne mérite pas. Je lui ai tû mes maux » il les 
ignore , Si cette circonftance Is rend un pe« 
moins coupable. Je me forcerai même , (I je puis» 
à un nience éternel ; je ne veux point de fa com- 
, jnifération. Je dételle d'avance tous les foins 
que l'humanité me rendroit,& dont je ne pour* 
lois pas rendre grâce à l'amour i mais ce qui m* 
décide plus que tout le reflie au parti douloureux 
que je prends , c'eft la fatis6iâion de garder un 
motif fecret pour juftifier ce que j'aïme , & d'à» 
voie à me dire : s'il eût connu mun état ■ peut- 
Être il m'eût rapporté fon cœur, & ne fe feroic 
pas fait un plaifir barbare de déchirer le mien. 

Voilà mon fort: le pafle m'accable, l'avenir 
m'épouvante , le préfent me fait rougir. Je palf» 
les uuits à pleurer , les jours à me $;o.ntraind» . 



D,™).prib,Google ■ 



D t (,* I V C O V > T A N C E. 249 

k dévorer tnei larmes ; vous feule , mon amie , 
vous fe»le receve? Us épanchzmeiis de mon 
cœuc. Quand il fuccombe à Ces fouffrances à 
chaque instant renouvellées > il ne peut dans 
l'univers entier fe repofer fur un feul mortel, 
pas même fur celui qui en elt l'auteur. Nul être 
n'efl touché de mes maux ; U Tant en gémir en 
filence, les renfermer avec effort, montrer uo 
vifag« ferein lorfqu'on a la mort dans l'ame, 
n^ofec jouir même de fa douleur , & craiudtc un 
public qui auroit la barbarie d'y infujter!. . .. 
Je ne puis 6tiir ma lettre. ... Je crains de vous 
l'envoyer. . . . Sophie , ma Sdclle Sophie vtius la 
portera. Cette Bile m'aime tendrement. & tout, 
jufqu'à fonaiTeâion , ajoute à mon fupplice. Je 
frémis chaque lois qu'elle me regarde ; je n'ai 
pas ofé l'iuftruire, & c'efl encore une confola- 
tion dont je me prive. Il ii'en e(l pas pour moi ; 
lecieleft jufie. .., 

t*» '"' - Il '' ^ ^•f -. ^.ll^'r-f ■ ei^ 

BILLET 

De la marquife, à fan amie. 

yn^H, que viens- je de lire!. . . tous mes fens 
{ont émus. Mon amie , ma tendre amie , votre 
lettre çft un ttieuf^t} ejlp ef): trempée de vo» 



D,m.f.ril>,GOOgle 



a;* Les Malhbuka 
latnmes i je l'ai couvene des miennes. Tous les 
cœurs de me font donc pas fermés. ... Un rayon 
de joie peut donc luire au fond de l'ame la plus 
infortunée ! J'irai vous voir .... oui , oui , je 
TOUS Terrai .... vous aurez ptcié de mot } & mal- 
gré toute l'horreur de mon fort * je ferai heiu 
reufe dans vos bras. Qije je Tous remercie ! qaa 
je TOUS aime ! 



LETTRE XXIV. 

Du cointe , à ia marqniff. 

Tous aTez la fièvre , dites-vous ? Ah , qu'elle 
t'attache à moi '..... c'eft moi , moi feut qu'elle 
doit confumer. Votre agitation, votre douleur 
etl mon crime} je le. dételle, je le pleure. E.cs 
jours que je ne vous ai point Tue , je les ai p»C- 
fés dans ramertume , dans les remords > fur- tout 
dans le regret d'être éloigné ^s vous. Plus je 
vous aime , hélas ! & plus je fuis coupable. De 
grâce, ne m'interrogez pas fur ce que je vous 
écris ; il n'eft pas tems encore ; vous fautez tout. 
Ne me fuivez point dans l'abyme. Cet abyme cft 
mon cceur i quand j'y rentre > tout s'obfcurcit 
pour moi. . . mais c'ell vous feule que j'y trouve. 
Je n'aime . . . . oui , je n'aime , je n'adore que 



Df™),Prib,GOOglC 



D E 'L' ,1 il C N s T A N C E. ift 
VOUS, & je te dis avec un traubie extrême; mais 
je vous le dis , }e vous en Tais le ferment -, jr le 
jure pflr l'honneur .... qui m'eft encore facré. 
A Dieu ne plaife que je prenne jamais d'autre 
chaîne ! Si l'on me donnoït à choiGr , d'un poi- 
gnard , ou (fun nouvel ahiour > je me jeterois 
fur le poignard , & me croirbis heureux. Je re- 
nonce .,..]e vouckois renoncer à tout , excepté 
i vous. Pardonnez aux horreurs de mon ftyle ; 
elles To^t toutes dans mon ame. Le comble de 
mes tourmens elb d'être accablé de vos repro- 
ches , & de ne pouvoir les trouver înjuftes. Ah i 
mon amk , mon unique .... que dis-je , ma plus 
chère amie, que je fuis malheureux ! . ...vous 
l'êtes. Voilà donc l'amour ! voilà donc fcs abo- 
minables effets ! voilà ce que produit le plus beau 
préfent de la divinité ... .les pleurs, le défel^ 
poir , je dirois prefque la barbarie ! On cft bar- 
bare , quand on coûte une feule larme à ce qu'un 
aime. Oui , je vous aime , oui , je le jure à vos 
pieds. . 1 . Ah ! G je vous aimois moins , je ferois 
Aïoins à pinin'dre. Encore une fois , ne me pref- 
fez pas d'expliquer ce myftere. Contentez-vous « 
ô la plus charmante des femmes , de régner feule 
8i pour toujours fur un cœur qui , tout crimi- 
nel qu'il eR, n'en ed peut- être que plus digne 
Ae vous. 



D,™).prib,Google . 



Lis MiLHfURs 



BILLET 

De la marquife, an comte. 

Votre lettre m'a fait fondre en larmes. 
Dieu ! quel eft donc ce myftcce que vous mt 
cachez, fur lequel vous ne voulez pas que js 
TOUS interroge ? Cruel ! vous me glacez d'eiîroi ! 
Je ne fais que penfer. . ^ Qp'ai-je encore à crain- 
dre! Dites-moi, dites-moi tout; je le mérite: }s 
meurs d'inquiétude. J'attends votre réponfc, ' 
«lie va décider de mon fort. . . It ell horrible. . . . 



«=^i5^= 



9 



LETTRE XXV. 

De la marqnîft, au comte. 

u'eLI'E ell tendre , qu^elle eft coniôlants 
la lettre que vous venez de m'écrire ! Je Taî 
baifée mille fois. Cependant vous ne me dîtes 
point ce que je vous dcmandois hier avec tant 
d'inftance, & ce que vous vous obftinez à me 
taire. Qo'cft-ce donc? Que l'incertitude eft 
cruelle quand on craint tout , quand l'imagina- 
tion fe crée des monftres, 8e quç le cœur les 
adopte ! Eh bien , étols -je n^al infpirée ? Oui • 



D,™),.rib,GoogIe 



DE L'iWCOHÏTAHeî. SfJ 
Oui I il e& nu fond de mon atne un àvertifleroens 
fecret qui ne me trompe point , qui me rend ou 
qui détruit ma confiance ; & quarid fevous fais 
du chagrin > quand j'en ni , je fuis d'autant plus 
malheureulc, quec'eft yotce ouvrage. Hélas!}e 
crois , j'âime à croire tout ce que vous m'écrivez; 
mais je déteflerois & vos fermens & vos foins ^ 
£ l'amour te plus vif ne vous les rendoit pas 
iiécellàires > s'ils étoientia fuite d'un fentimenC 
plus honnête , plus réâéchi qu'impérieux. Agif- 
ièz pour vous , ou ne comptez pas fur ma reoon- 
noiûance. Je ne puis être touchée des marquel 
de votre lendrefle , que lorfque votre bonheur 
en fêta l'objet. ... Il e^ donc, vrai , vous nv'ai- 
mezf . . . vous n'aimez que mpi ? Ce n'eil point 
|é procédé qui vous arrache cet aveu ; il part d'e 
Votre amel.Je défie le ciet de m'accabler. Que 
l'homme qui trompe eft à plaindre ! Et commene 
Be le feroit.iï pas ? Il "afflige ; il Te condamne à la 
£iufl£té, au menfoiige; on le dévoile tôt oU- 
tard : il ell perfécuté parcelles qu'il alfoo^à fon 
malheur ; entraîné vers Tone , retenu par l'au- 
tre, grondé ici, fubjugué là , ibupi^onné par-' 
tout.iln'efl content ni . etlimé nulle partj il 
âonne de Tfaumeur > il en prend > & finit par 
n'intéreâer perfonne. De la bonne foi , mon 
«mi , de la candsur. Sans cela , on fait des infoi^- 



M>,Google. 



' ±T4 i. t s Malheurs 
tunées , on Ve& foi-même ; ce qu'on ûrpire èft 
va fardeau ; on n'-a que des jouiâances impar* 

. feices , on perd fou empire for les cœurs les plus 
tendres. Va, le bonheur eft de rendre heureufe 

' «elle dont ell aimé , de fe dire : fa félicité eft 
mon ouvrage : je fuis à l'objet qui m'a tout (k- 
criËé ; je règne fur une ame fenlîble ; elle ne 
fera ni déchirée , ni tcFroidle par moi. Voilà , 
Toîlà les feuls plaiQrs dignes de vous : le moin- 
dre partage défefpere & tue Tamour. 

Adieu. Mais ce fecret, cet inquiétant fecret! 
Je me fie à'votre promefle,& j'en attends l'exé- 
cution. Hélas ! tous les miens ne vous font pas 
«ncore révélés. . . . Adieu. 



=^i5^= 



LETTRE XXVI. 

De la marquife, àfon ami t. 

XL n'efl point coupable ; non . mon amie * il n« 
l?ell piMU; . je ne fuis plus à plaindre.T.EtvouS' 
avez piTle ha'ir, le méprifer ! Lui ! 9h dieu ! . . . 
C'efi; moi , hélas ! c'efl: moi feule qu'il Biuc priver 
de votre eftime ; je n'f ai plus de droits-, moa 
amant les a tous... Il eft fidelej jbue vois, je 
n'apprihende plus tien. Qu'ai- je à craindre 't 
Soa cceuE m'appaident^ & le mien plus enivrai 



M>,Google 



DE l'INCQNSTA'N C'E. SJ-f 

que jamais ne fent le temord mÂme qu'avec joie. 
Je vous eâr^ie : accablez-moi de vos reproches î 
je les nx^rice, je ne m'en &is plus. Concevez* 
s'il eft pofîîble , quel empire a fur mon ame le 
mortel charmant que j'aî cru ingrat fans celTer 
de l'idolâtrer. Jugez de mon délire , en diiHpant 
mes foupçons » en détruifant mes craintes , mes 
doutes inrupportabIes.C*eft peu d'avoirXufpendtt 
nies maux, d'avoir charmé, adouci jufqu'aus 
horreur^ .de. mit fittiacion ; il me la fait oublier} 
<& cet oubli n£ vous étonneroit pas, lî vous pou- 
viez defcendre dans mon cœur, il je pQuvoîs 
vous peindre Texcès de mon amour, j'ai ofé me 
croire heuteufe , lui mander que je l'étois i en 
'^m'aâur^nt de fa tendreûe , il a fermé mes yeux k 
tout. Je Frémis de Tindruire , je ne lui dévoilerai 
ce mylbre atFreuic qu'à ta dernière extrémité. . . 
Jetremble de l'affliger. . . Le croiriez<vous, mon 
amie, c'eit pour lui que je tremble! En répon- 
dant à fes dernières lettres , je pefifois n'avoir 
à l'entretenir que de ma félicité ; j'ai pu qia (aire 
cette illufion. Je me trompoîs moi-même , pour 
mieux l'abufer fur les dangers qui me menacent, 
qu'il m'a rendu chers , où je trouve de la dou- 
ceur» qui m'attachent plus fortement à lui.,.' 
Mon état , tout horrible qu'il efi , eh bien , je 
Vadoie comme le gage d« notre union, de nourt 



Dim.fMi,. Google 



Af9 Les MktatVKt 
ivtefie & de nos fentimens. Je ne fuis plus à mol i 
je rougis de m'en troover H loin. . . Quel eft doilc 
cet afcendant impérieux , quel eft ce pouvoir 
étrange de l'amour , cène magie inexplicable qui 
change les peines en plaiûrs, entretient le cou- 
tage au fcin de la foibleâe , place l'énergie » c6té 
du malheur, ennoblit ta délaite« l'abandon de 
ibi , l'oubli du ircfte , & fait une jonilTance encore 
des périls > des peines , de ta tionte & des tarmes ? 
Oui , oui ) fous le poids de l'infortune, fous le 
poids plus accablant du crime , )e connois le 
bontieur ... je fuis airnée^ 



LETTRE XXVIL 

I)e la marquife , au comte. 

XUw bien, reprenons.la donc cette agrtatfon dcf 
l'amour, qui fait le malheur , t'in,quiétude, & ttf 
charme de la vie } reprenons & Ton trouble. Si 
ion défçrdre , & Tes fotbieâès , & Tes alarmes , & 
méniere^injuftices. Ne vous plaignez point des' 
miennes; plus un fentiment elt profond, plu* 
OH doit être bleâe de ne pas trouver dans l'objet' 
préféré à l'univers, te retour qu'on mérite, le' 
prix de fa tendrefle , de fes facrïfices, une cotl- 
Jolacion «Tes torts > un abandoU' égal au fîca. Je- 
l'avoue f 



-M>,Googlc 



nE l'incokstance. 257 
l'avoue , j'ai tremblé , j'ai craiot ( & vous y avez 
donné lieu ) de ne vous êice pas auflî néce0àire 
que vous me l'êtes. Je ne vous ai potni dit tout 
ce qae cette idée avoît d'alTreux pour moi , ni la 
violence de mes tourmens. Les réfiexions qui 
en ont été la fuite me parurem du calme. Se 
j'ofài m'en applaudir. Va , ce calme n'étoit que 
de l'abattement; le déferpoir étoit au fond de 
mon coeur. Je ne mefuis parée, ni d'un vain cou- 
lage, ni d'une fàuffe tranquillité. Je ne c'aî point 
trompé T je m'aburots.L'amotir reprend fes droits ; 
je te rends tous les tiens ; & puiâe-je ne m'en 
jamais repentir ! Ah , prenez pitié de votre folle 
maltreâè I Oui , je le fuis , je le fetat davantage. 
Je -n'entends rien au fentiment pailîble ; je vous 
aime avec eîcès , &- je eonferverois.de la raifou ! 
Je n'en si point , je n'en veux point avoir î j'en 
détefterois le retour. Nous y perdrions cous 
deux ; vous ne retrouveriez nulle part la vérité 
de mon amour;vous'tegTettCFie2 mes înjullices, 
mes extravagances , le délire de ma tète , la pro- 
fonde fenfîbîllté de mon ame;voas feriez laii- 
gui^mment aimé i ot» vous paâcroit tout i on ne 
feiidxoit tien , vous ne feriez pas heureux , je 
ferois vengée , & rien alors ne manquerolt à moa 
infortune. Songez-y bien, mon repos» ma féli- 
cité , ma vie font entre VOS mains : vous ptuivez 

TcQte K t. 



-M>,Googlc 



ftfg Les M&lmburs 

les anéantir ;. & G votisfaviez combien je m'ab» 
horre quand j'ai à me plaindre de vous , fi vous 
le favicz è CTueU vou^en feriez effrayé. Ménagez 
ma délicatelfe , fi )e vous fuis chère ; & fi vous 
m'aimez foiblement, rendez-moi le fervîce de 
jji'accabler fans nul égard. Je ne crains point de 
ceSec d'être , je ne crains que de fouifrir ; & né 
tenant qu'à vous, je ne connoîa de perce que la 
vôtre. Mais écartons ces fombres images i tu 
m'aimes , tu me rends mon exigence précieufe: 
( quels que foient les malheurs qui la menacent ) 
va ,-je n'ai à peélènt que celle que tu me donnes. 
Je compte fur ton'honnêteté, fur tes fermens * 
fur ton cccur :' ah ! tout m'aifuce de lui; & s'il 
étoit pofiïble ... ma tendreffe en augmenteroit 
'Quel pouvoir vous avez fur moi .' Noft , vous 
n'imaginez pas à quel point il m'étonne. Je n'ai 
jamais été abfolue ; mais J'étois indépendante , 
bien attachée i mes làncnifies * & je n'ai plus que 
Je defir de vous phire : vous me'&ites fentîl qu'il 
yaune douceur extrême à fouioettre fa volonté 
à celle de ce qu'on aime, qiie les plus grands 
facctfices font les plus délicienfes jouiâàncos , & 
que la libertéque j'adorai, ne vaut pas là i^ninc 
que j'adore. Adieu. 



D,™),Prib,GOOglC 



DE l'inconstance. 2J9 

LETTRE XXVIII. 

De madame de Sancerre , À la marquife. 

^/xh chere enfant, c'eft avam-hteï que j'ai 
marié la fille de mon fermier. C'e{l moî-^même 
qui l'ai parée; elle étoit jolie comme l'amour, 
&. belle comme l'innocence. La noce «*eft faite 
dans mon château. Imagine-toi tout te tumulte 
de la gaité ruftique, des tonnes couronnées de 
fleurs , le vîn ruiflelant par-tout , les danfes dei; 
jeunes filles & des jeunes garçons, l'embarras 
des mariés ,1a timidité de leur amour , & la naï. 
veté de teut expreHion} & moi au milieu de tout 
cela ,.fètée,cateirée,enfevelie fous les bouquets, 
chantée, célébrée, caufant avec les mères, em- 
braâee par les vieillards , & ouvrant le bal cham- 
pêtre. . . J'en fuis encore toute réjouie ; cette 
petite fèce m'aura rajeunie pour dix ans. Il eft 
il' doux de contribuer à la félicité des aticres, & 
d'en être le témoin ! Claudine s'appelle à préfent 
madame Louis ; elle eft toute fiere de fon nouw 
veau iiom , & elle fera digne , je crois > du titre 
(Ijépoufe. Je t'ai bien prêchée. M. L6ms eft déjà 
ttès^aiméion me paroît toute famîliarifée avec 
Jbanmeres un peu brufques , mais qâï peuvent 
Rjj 



D,™)..rii>,.Google 



iS» Les MkinzvKS 
iort bien n'en être pas moins tendres. Il ed gaï^ 
jeune, robu[le> il y a là de quoi faire nn bon 
labour&ur-, & vn excellent mari. Je fouhaitâ 
ardemment leur bonheur, St je leur ai répéta 
. bien destois qu'ils ne le trouveroient que dans 
l'accomplilTement de touslçurs devoirs. Tant pis 
pour :eux s'ils roubli<:nt::n)ais.Us ne l'oublie-^ 
lont pas. Les gages de isat union viendront 
bientôt' en augmenter les charmes. Loin de» 
Jedudlions , au fein des plaifirs tranquilles , fidè- 
les à l'hymen , fournis à la nature , fcnGbles à 
J'hontieifrT ils feront l'-exemplé de mon village ^ 
auront mes. regards pour encouragement, &-|'efî> 
lime généralçpour récom^renfcQue la vertu cfim 
plaie .'Je l'hoflQrc par-tout où jelatrouve. . 

Ma chère 611e, vous ne ^voulez donc poin* 
venir me vpir V Je ne lais^ mais vàsletcres fonjb 
triftes , embarraflees ; je n'y retrouve point cette 
l'ibcrcé d'cfprit,$es faillies qui me charmoient^ 
Si tu as des chagrins > mon enfant, quelle-aulrq 
que moi à plus acquis le droit de les connoitre , 
de les partager 'i Eh , quelle peut en être lacaulè? 
Fêtée, brillat)te, chérie do la fociété , adorée pix 
ta mère , <|ue nianque-t-iU ton botiheur? Je le 
devine: tu es avertie par le vuidedâ ton-amê» 
de la futilité de fes dilUa^ions ; fa péniblein- 
quiétude en ell à la fois l'élogo & le tourment^ 



h, Google 



» E L ' I W e O H 8 T A N C E. J5l 

On Pc lafle de l'évaporation , mais fouvent on la 
remplace par quelque chofe de pis. Prends-y 
gardent vaut mieux Hxer le mal dans la tècei 
que de le laîfler defcendre dans i'amej c'éft là 
qu'il fait de cruels ravages; 8c la feiiUbtlité qui 
eft preCque toujours une peine , devient un fléati 
quand le devoir ta contrarie. Ma chère fille, vois 
pat mes yeux ce monde qui éblouit les tiens. J'é- 
.carterai les illulionsqui t'en voilent les écuetls, 
& tu feras enrayée despréci{Hces aijprès deR]uels 
tu as joué a long-tems. Ta mélancolie même efl: 
un trait de lumière dont tu dois profiter. Va , .on 
n'eft heureux qu'en rcfpcdant Tes liens : l'hy- 
men, l'amitié, les attachemen's légitimes > voilà 
les fources du fteu de bonheur que le ciel nous 
accorde. Hors dé là tout eft preftïge j on n'em- 
brafle que des ombres. La vérité repofe dans le 
feiii de la nacure. Viens , tu la trouveras ici dans 
toute fa fraîcheur, & avec tous fes charmes. C'eft 
■ici que les nuits font calmes & les jours fereins. 
Viens , tu m'aideras à découvrir les malheureux 
qui fe cachent, & nous ferons payées de notre 
recherche par la joie de tes foulager. Oo forC 
toujours plus heureux de la. cabane où l'on a 
furpris le pauvre par des fecours inattendus. Je 
te l'ai entendu dire bien des fois , la douceur de 
..flaire ne vaut pas le plaillr d'être utile. Eh bien-, 
R iij 



:,Goo;jlc 



asa LesMalhiurs 
qui t'empêche de le goûter ? Il te détacheroit ds 
tous les nutres. Les bénédidions des habïtans 
des campagnes ont un charme que ne peuvent 
avoir les froids hommages de la ville. 

Ton âge a befoin d'amufemens , je le fais : eh ! 
mon amie , quand Tame efl: pure, on en trouve 
jar-tout. Le défordre naïf de mes danfes pafto- 
rales me réjouît cent fois plus que la fymmétrie 
des vôtres. Mon parc , mon potager , mes étangs i 
le bois qtie j'ai planté , tout cela m'occupe & 
m'enchante. Ces jeunes arbres que tu as vu 
naître I & que j'ai tant {gignés* ils commencent 
déjà à me couvrir de leur ombre, & j'aimerots 
bien à te voir refpirer le frais fous leurs feuillages. 

A propos , j'ai requ des nouvelles dé M. de 
Syrcé , que fes infpeâions ont ameàé à quel- 
ques lieues de chez lut. Il m'a écrit , je fuis très- 
contente de ce qu'il me mande ; il vous rend 
jufticfc , & rougit d'autant plus de fes torts > que 
- vous n'en avez point avec lui. .. 

Adieu. Sur-tout écrivez-mot plus gaîment. 
Le ftyle de vos dernières lettres ne va point k 
votre âge, à votre pofition , à vos cfpérances, 
en un mot, à tout ce que vous êtes. Quand le 
cœur cft tranquille , refprit eft enjoué i & à tout 
prendre , je me dé6ois moins de ta folie , que je 
ne crains ta triftefle. Je t'embraffe bien tetidre- 



D,m.f.ril>,GOOgle 



1» B L INCONSTANCE. 25] 
Djenc Mon dteo , que j'^aurois de joie du retouc. 
de M. de Syrcé ! II n'eft qu'écoutdt ; j'en augure 
des merveilles i il changera fùremetit; & alors» 
n'e(l-ce pas 'i il faudra bien lui pardonner. 



=^5p=' 



LETTRE. XXIX. 

Da comte, au chevalier. 

1/OlS-Jfi remercier le fort? Dois-je l'accufer? 
Dgnsce moment peut-être la malheurenfeSidley 
'efl; înllruite de tout > fans que j'aie ofé rompre le 
ntence. Voici, mon cher chevalier, fur quoi je 
fonde ... dirai-je mon efpoir, ou ma crainte? 
n y a deux jours que j'allai chez elle j elle n'étoîc 
point viQble. En l'attendant, je me promenai 
dans fon jardin, dans ce jardin qui fut H long- 
tems mon univers. C'efl; là que , près de Sidiey, 
je m'occupois de fa rivale : je parcouroîs une 
des premières lettres que madame de Syrcé m'a 
écrites T & qui contient les expreflîons les plus 
vives de l'amour heureux. Tout.à<coup Sîdley, 
l'air abattu , l'air fombre , les cheveux en défor- 
dre, paroît à la croifée de là chambre. Je me 
liâte de cacher le gage de ma trahîfon : je cours 
précipitamment^ la frayeur , la furprife , le trou- 
ble me rendirent inattentif; & la fatale lettre. 
R iv 



-M>,Gobglc 



3^4 Iss 'M&lucviis 
que je croyois en fôret^ i me fera fans àome 
échiippée. En ri;ntrant diez moi , je l'ai cherchée 
vainement. Depuis, je n'ai ofé retourner chez 
Sidlef ; «lie ne m*a point écrit } je feche dans 
les tourmens lie rincerdcude : jamais on n'a 
fenti une agitation plus cruelle. Dans ce flux & 
reflux de fentîmens t:omraïres , )e me fuis d^ 
terminé à révéler tout à madame de Syrcé. Eh 
iluoi , mon ami , c'efl dans ce moment que voui 
m'allez quitter'! Votre père efl malade, & vous 
rappelle. Je ne fais, mais votre départ eft pour 
moi le prélàge de quelque grand malheur. Adieu* 
mon amU 



=^i!5^= 



LETTRE XXX. 

. De Fanit jfiune ferfonm aujervice de SUley , 
au comte. 

j\xOW81Etrtl tE COMT'E^ 

Je TOUS écris en fondant en larmes. Ma.m^ 
trèfle, ma chère maîtrefle , cette femme ado- 
rable, pour qui je donnerois ma vie, cour qui 
je la donnerois avec joie , eh 6ien , depuis quel- 
ques jours elle eft tombée dans une mélancolie 
11 profonde , qu'elle ne me parle plus & -n'iit- 
tache fur moi que'des yeux difl:r<)itc ■ oîi roulènc 



h, Google 



DE, ■l'inconstance, a^f 
■Aes pleurs qu'elle veut cacher. Je ne puis devi- 
ner la caufe de cet état ; mais vous , monfieuc le, 
comte , mais vous . . . ed-il pollîble que vous ne 
JacsnnoilSezpasi'Ccn'eflque'parvousqtic ladî 
f eut avoir du rhagriii ou d^i ^bonheur. Vous êtes 
tout pour elle; & elle -mourFoit de défefpoir , ii 
elle n'étoit pas tout pour vous. Il faut que je 
roulage mon cœuc: je ne puis rien diUîmuler, 
.& j'ai befoin de -vous dire toiitce qiH l'qpprelTe. 
■Cette nuit, une heure après qu'cPc s'étoit cou- 
chée , elle s' eA levée fans ni''appe]|er , etl: defcen- 
.due feule dans le ijartlin^ & s^ eft promenée à 
grands pas jufqu'à ]0 pointe du jour. Je l'ai fuivie 
.des yeux à lu clarté de la lune , qui me -laifls^t 
■diftingucrfes moU'Vemens : elle étoit pâle ,éche- 
velée; il lui échappait des foupirs entrecoupés 
tde quelques mots : elle prononçoit voBre nom , 
,& fon trouble augmentoit. Enfin , elle a rentré^ 
.elle a tiré de fon fecretaïre vos lettres & votre 
.portrait : 'fes larmes alors ont coulé en abon- 
■dance. Elle s'eft penchée fur fon Ht , & eft rcftée 
.dans cette attitude jufqu'à l'heure à laquelle j'ai 
xoutume d'entrer dans fon appartement. Mes 

yeux étoient rouges & gonflés J'avois tant 

'pleuré! . . Elle s'en apper(:ut , fourir, & voulut nie 
^irequelquesparolesquiexpirerentfur Tes lèvres. 
£llelne £xa.3v.ec bonté, méprit la muia f&ms 



DisD.Pri'b,. Google- 



7:66 Les Malheurs 
pria de me retirer. Ah ! monlîeur le comte, 
qu'avez- vous fait ? Quelle femme vous affligez? 
Venez tomber à ies genoux , venez elTtij'er fes 
pleurs , venez rendre la vie au cœur que vous 
dsfefpérez. Confolez ladi, ou je vous croirai le 
plus barbare des hommes. 

LETTRE XXXL 

Du comte, i la tnarquife. 

O' EST trop me taire : c'cft trop dévorer mes 
remords, mes inquiétudes > mes alarmes, fur- 
tout les vôtres. ConnoilTez mon crime , ou plu- 
tôt mon malheur : fâchez tout. Je vous adore i 
je vous aime plus que je ne vous ai jamais aimée. 
Je vous adore , & je vous trompe ! voilà mon 
fupplice de toutes les heures , de tous les itif- 
:; tans. Je meurs de honte, de repentir, de dou- 
leur. Ecoutez-moi , & gardez-vous de pronon- 
cer mon arrêt, avant d'avoir lu mille fois ma 
juftiâcation. Avant de vous connoitre , j'aîmois 
un objet . . . (j'oferai en feîre l'éloge à vous- 
même ) j'aîmois, dis •je , un objet charmant, 
fenfible, honnête, plein de grâces, de qualités 
& de vertus. J'étois heureux ; je ne defîroîs rien 
que d'aimer , s'il écoit poflible , encore plus ce 



Dn-..M>,GO()Qle 



P E t' I N C N S T Â N C E. aS? 

<|ue j'aimois avec excès. Je vous vis , ce premier 
regard emporta vers vous mon ame touce' en- 
tière. Je me diflîmulai cette impreffion ; je lut. 
tai contre elle. Je retournai à Sidley ( c'eft le 
nom de la femme que je vous facrifie), mais j'y 
retournai avec votre image dans le cœur. EUe 
m'tntérelToit i vous feule m'occupiez. £n6n, je 
me peignis mon ingratitude , & Sidley l'emporta 
pour un moment. Qiie ce triomphe fut court ! 
Vos froideurs apparentes , en piqDant mon 
amour -propre , réveillèrent ma fenfibilité. Je 
me crus haï; je vous en aimai davantage. Je mê 
perfuadai alors que ma paUîon n'étoit qu'un 
lîmple goùc; je m'ctourdis fur tous les droits 
de Sidley: je me promis de lui être fidèle, & il 
me fembla que je ceflbis d'èti;e coupable. C'elt 
plors que le plus odieux des hommes , que je ne . 
nomme pas, mais que vous devinerez , vînt; 
s'emparer de moi, m'empoifonna de fes con- 
feils, de fes principes déteftables , m'aflbcia 
malgré moi aux vites manœuvres qu'il côlorott 
avec cet art que fuggercnt l'efprit méchant & 
l'habitude des intrigues. Il vouloic m'enlever 
mi maîtrefle , fe venger de vous , me dégrader , 
vous perdre. Que fit-il? Il fe moqua de mon 
amour , & intcrcfla ma vanité. Il me propofa 
votre conquête, comme (telle eût été en fon 



h, Google 



3.6% L« S M A L H B VU S 

pouvoir , mais à condition qu'il feroit le maître 
de divulguer mon bonheur. Je frémis de ce 
{trojct. Il arma contre mes fcruputes toute la 
fcduâion de fa malbeurcufe éloquence, vous 
peignit fous les traies les plus étrangers à tous, 
vous confondit dans ta foule de ces femmes que 
chacun obtient à fon tour , qu'on prend fans 
amour, qu'on laifflc avec mépris. Le moiifttc 
enfin m'enveloppa fî bien de les rnfes multi- 
pliées , qu'il alToiblit ma palfton , qu'il lui ât 
changer de nature , & qu'en m'attachant à vous , 
je fongeai plutôt à contenter un delîr vif, qu'à 
fatisfaire la délicatelTe d't^n fcntiment. Je ferai 
vrai : Sidtey , je l'avoue, fe fortifia dans mon 
cœur de tout ce qu'on vous avoir 6té , & )e ne 
regardai mon aventure avec vous ^ae comme 
une infidélité palTagere qui me lailTeroit bientôt 
libre , & n'attenteroit point à mon premier atta- 
chement. Combien vous êtes vengée! Combien 
vous méritez de Tètre ! Concevez quel fut mon 
trouble, mon déchirement, ma confufion , & 
mon reflentiment contre le traître qui m'a trom- 
pé , quand je vous connus mieux ; quand votre 
ame fc déploya devant moi;, quand, du fein 
même de votre foiblefle, je vis éclorre toutes les 
vertus qu'on admire , & toutes celles qui fe font 
aimer. Dès ce moment, je jurai d'être à vous « 



-M>,Googlc 



DE l'iSCORSTASCE. 4(5? 
de n'être qu'à vous, de i^ous confàcrer mes 
jours, d'abandonner Stdieyi Sidiey (tho^nnète; 
fi confiante , û digne de mes honKnages ! Mais , 
vous le dirai- )e ! la vue de cette femme, le fou- 
venir d* Ton bonheur , du micii ; la force de mes 
engagemens:, le reproche fecret d'y manquer, 
vinrent refiaifîr moQ cœuF , & l'enlevèrent quel- 
que tems à l'amour, pour l'enchainer au -pro> 
cédé. Plus je vous idoUtrois , plus it me fembidît 
généreux de hii facrtfiar m» paflion hième; Cette 
aâton fe pcignoic à moi fous les traits de l'bé- 
xoïfme,.&je me vouois aux malheurs pour lui 
en épargner. L'ame humaine n'eft point capable 
d'un tel effort ; la mienne , apiès bien des com- 
bats , s'arracBe à tout pour revoter dans les liens 
qu'elle aîme, qu'elle préfère, qu'elle veut garder 
jufqu'au dernier fbupir. Le cœur que je vous 
rapporte , que je vous livre à jamais , fera d'au- 
tant plus fidèle qu'il a rencontré plus d'obita- 
des. L'honnêteté qui m'a fiit tenir à mes pre- 
miers ferméns , vous garantit ceux que je vous 
fais. Pardonnez. roei mes abrences, mes froi- 
deurs apparentes. J'ai été trop à plaindre pour 
fttre eiicoxe puni. Jouet d'un homme abomina- 
ble ,-je ne puis vous rendre heureufe , fans vous 
immoler une victime; eh, queUe ••fiÔkM en> 
«oce ! une fecgime teudce , fidélle » & dont je v^o* 



D,™),prib,Google '_ 



270 Les M&lhbdrs 
tetois les charmes, fi les vôties ne mefaîroieiit 
pas tout oublier ! Eh bieq , c*en efl; fait .... lar- 
mes t prières , reproches , je braverai tout Si 
cet eâbrt me coûte quelques foupirs , n'ea fbyez 
point jaloufe ; plus il fera douloureux , plus je 
fentirai le bonheur d'avoir Toufièrt pour vous. 
Sidley eft inftruite .... elle ne m'a point écrit j 
je ne la verrai point. Je vous aime avec excès , 
mon façrifice en ell: la preuve i ne le rejetez 
point I Ibyez généreufe à votre tour * plaignez. 
moi , aimez-moi , & que le fouvenir de mes tmrtt 
s'éteigne dans l'ivrelTe de notre amour ! . 



=5C^= 



Q 



LETTRE .XXX M. 

De la marquife , au comte. 

tj£ m'avez-vous dît! vous avez porté la 
piort dans mon cœur. A peine fuis - je revenue 
^u long évanouilTeCTieilt qui a fuivi ia leâure 
fie votre lettre , de cette letue ïxa)e, où mon 
Stcêt eft écrit de votre main! J'efttme : vctre 
franchife-i mais je mourrai de cequ'elle m'ap*- 
[tfend. Vous aveu aimé une autce que tnoi.! vous 
Vaipiiez quand vous m'avez faitVaveadeivotré 
AinoyE^vous netne regardiez que.commC'l'olL. 
je.(.4'vqe gotfiMiç.! iMqij j'ai pu ètceimJeiitit)!^ 



-MifGoogle 



DE LÏNCOSSTANCE. 27I ' 
tnnt méprifée par vous! Moi, }c me fuis jetée 
dans des bras qui étoient ouverts pour une 
nutce ! Sans doute vous l'aimez encore * ... oui > 
vous l'aimez , vous m'abufez. Aujourd'hui , qui 
me répondra de vosTetraens, quand c'eft fuc 
leur foi que je me fuis attiré mes maux ? O ciel ! 
^I eft donc vrai, à l'inltant mêmeqiie je çroyoii 
me donner à l'amour le plus tendre , j'avoîs une 
rivale . .. une rivale adorée! Avant que d'être ' 
conquife , j'étois déjà facrifiée ! Tous mes fens fe 
foulevent. Vous allez l'oublier , dites-vous , vous 
me le jurez .... Vous le voulez peut-être i moi , 
je ne le veux pas. J'en mourrai , je le £ens ; mais 
j'aime mieux la mort qu'un bonheur acheté par 
les larmes d'une autre. C'eft mol qu'il faut ban- 
nir de votre cœur , c'eft moi qu'il feut accabler. 
Rentrez dans vos premiers Ueps ; je vous rends 
votre liberté) je vous implore contre moi; & 
daas quel moment ! . . '. Celle à qu j je vous cède , 
ou plutôt à qui vous appartenez , a fans doute 
plus de charmes que moi>mais je lui défie d'être 
j)las itirottunée. . . . N'importe , allez tomber à 
feç pieds , eS'uyez fes larmes , laiûez couler les 
roiennes. ■ . ■ C'eft mot qui vous en preâè , qaî 
vous crie àgenoux, laiâez-moi mouriç, & iàu- 
vez l'être fenfible que vous avez promis d'aimer. 
Je fuis IoIq de réclamer -mes droits. ... Si vous 



n;,-;>-M,GO()glC 



273 Les Malheurs 
les cpnnoifliez, ii vous faviez dans quel ab7me 
de maux vous m'avc2 conduite , & à «ïucl point 
vous êtes coupable ! ... Je vous pardonne. PuiG- 
£ez.vous ignorer toujours conjbïen mon ame 
eft courageufe ; combien , malgré ma foîbleiTe, je 
méritais d'ifgards, & de quels efibrcs je fuis capa^ 
fele-î Vivez Iwureux , ne me voyez plus. Je vous 
fers , cruel « & vous m'obéîrez .... Je ftiflbnnc. 
Elle va donc jouir de mon làcrifice , & s'apptau- 
dii; d'un triomphe , quand je n'aorai plus d'eE- 
poir que le tombe^B ^ ; . . Eft - il vrai que vous 
vouliez renoncer à elle ,- que vous me préfériez', 
que je vous fois plus chère que je ne f ai jamais 
été? De quoi vais>}e m'iiiformerf- Votre peiB- 
die . . . .'que votre aveu cependant rend moins 
hoïtibte , cette perfidie deiltje fuis la viâime', 
rompt tous les nœuds qui m'attachoient à voua. 
-J'y renonce . . . . }e ieé- dctefte ... je pleure en; les 
déchirant , je pleure . . .-. je frémis .... je ne vois 
~plusqHelecrime& la honte. Plus d'illulîtïncotl- 
folante, plus de mottls de courage; temtënTuc- 
cDmbe, je voudroJs parler &je,n'ore. . . L'aft. 
iVeufc vérité rentre au fond démon coiur....r 

pour n'en jamaiis fortir Ah ! ma iituatioa 

excitereit la pitié même de ma rivale. 

BILLET 



D,™).Prib,G00glC 



D E X JN-C-O.W S T A NX E. S?? 

w' '■ ' " i « i , iftV - ■ iy 

RI L L E T 

Dh comte , i /a marquife. • 

Ou'ansoScint le myftetCj le trouble de 
votre (Vyle , & ces' réticences . . . que je n'ofe 
interpréter ? J'Uai tomber à vos genoux , je vous 
arracherai un fecret quï femble pefer à votre 
cœur.^ . Je ne croj^ols pas qu'il me fïiC poflïble 
d'être plus àplaindre : Oieu \ G. je l'étois davag. 
tage ! . . . Tout ce que j'imagine m'effraie ; je 
cours m'éclaircir. Puiâe-je n'être pas encore plus 
criminel ! 



.=g^= 



.Q 



LETTRE XXXIIL 

De laâi Sldley , à Font. ■ 

UAiiD tu:recevras ma lettre , je ferai déjà 
loin du lieu que j'babitois. O toî qui m'as renda 
les fervices d!iine amie 1 toi qi^i connoîs mon 
ceeur , toi quirm'iùmois & qu£^ je regrette , j'ai 
craint de te l'ouvrir , ce coçuc cruellement bleâe, 
ce cgeur fait pour fentir l'amour , digne de l'a- 
mitié, digne fur-ttout d'un autre fort. Tu as vd 
n^tre ma (airion :gour le comte de Miibelle, 



.M>,Google 



Jamais en n*etit un featiiaeiitplusvmtOttti'«b 
prouva jamais une plus noire trahifbn. It aime 
ailleurs.' tout efl fini pour moi. Uunivers dif- 
paroit avec mon amant. Qu'eft-ce que TunlTers , 
quand on n'cfl; plus aimée 'i Le barbare ! ô ma 
chete Faut i ce n'ell point uue conjeâure , ce 
n'eft poitft un foup^on } je fuis coniiante, tu le 
fais. Mais hélas ! j'ai vu , . . j'ai lu . . . je ficé. 
mis ! . . . Que. cet homme eft méprifable , après 
tant dti ftrin^fis de fa part, & decrédulitéde la 
mienne ! Il ne fti'amenoic ici que pour m'y aban- 
donner. GàtdS^tôi de croire que je L'aime en- 
core } je lË' fuis } je m'applaudis de te fuir t je 
n'en ferai jamais afiez loin. Vaines illufîons de 
madoiileurl mon rcffemiment me trompe. Fani! 
je l'aime plus que jamais. J'emporte fes lettres, 
fon image ^, Iès unesaoront mon dernier regard ,' 
l'autre mon der^ieir baifer. Que dis- je ! la retraite 
m'armera contre un fouvenir trop cher i j'ou- 
blierai le perfide ... je roùblicrai ! . . , Heureufe 
de n'avoir dé commun aveC lui que les principes 
d'une, teligion qui m'ouvre un afyle ! . . . afyle- 
lpoilvàntablé,tirâis qui mè fera- doux, puifqo'il 
iious fépare à' jatiiais ! Que ne puis- je au moins 
y apporter le iélè d'une ame dëfabufée de tout! 
bétachéé des etVèurs pénibles, que ne puis- je 
tmbïaffèr q^jeïqioe vérité eoiirolame ! que ne 



D,™),.rib,GOOglC 



D E L* 1 s C Q s S'T A K ï E. %ff 

puis-je m'abfotber dans le fein <)'un Dieu.! Un 
pieu ! en eft-il d'autre? ... Tu vois mon trou- 
ble , )e renonce à lui ■ non à mou rentimëQt ; j'en 
nourrirai le charme funefte * je me plairai dans 
fon amertume; & fouffrant par lui* )e ne fou^ 
faaiterai point le ternie de mes jours. Le néant 
fi'e& à defîrer que pour ceux qui n& joulûent pu 
des peines du cceur. Ma (hère Fani^ reijois le$ 
derniers épanchemens d'unç ame où le fotiveni^ 
de tes foins ne s'éteindra jamais ! . . . Combien 
}e fuis agitée!... Il change, il me trahît ,i^ veilf 
mon trépas ! Je dois l'abbcvrer, & je lepleure !.. * 
oui 1 je le pleure. O toi , que j'aime , que j'aimâ 
encore', ne crains pas que je vèuine ,'qne je'puifltJ 
me confoler. Auciiit r«gard humain n^ .profa* 
nera les traits malheureux qui n'ont fait qu'un 
ùiËdele, ils n'auront brillé que pour tôt , ces 
charmes que tu vantois. En ceâànt de te plaire « 
j'aluraiceSç d'être beH?.& ma douleur m'aura 
iècvicFani ,j'épuife avec toi ma fenûbïlïtéic'eft 
pour lui , c'ell coatre lui que }e réferve mon cou> 
lage. EnfeviQlis dans ton cceur les reftes de mi 
foibleflê. Qu'il figriore à jamaù. Mon a^îe (j3 
puis te donner ce ;uom), reqois pour récom- 
penfe lo^t ce qui m'appartient ; je joins k cectâ 
lettre |e papier qui t'en gartntit la polTelSon. Tu 
^9 ;Ie f^ f c^uc gui me refte . je te dtûf tpi^t y Si 
Sij 



h, Google 



'iji ■'' Î,'b s Malheuss 
fi (u es Héureufe , je jouirai jufqu'à mon dérftîer 
foupir, de h douceur de mon bienfait. J'ai ré- 
compenfé Sudmer j & jetelertcotnmande. - - 
Adieu. Brûle nia lettre,' anéantis le gage d'uil 
amourqutmedéshonore. Ta remettras au comtei 
ou auxgerts qui Tiendront- de fa part, celle que 
Je laifTe pour lui. . . Le malheureux f il n'a plus 
d'amie . . . mais fa, viifiime ne lui échappera potm, 
j'aurai -la -force de vivre. 



L E T T R E X X X I V. 

Di tadi Sidley , au comte de Mirheiïe. 

O- B n'eft pas l'inftant des reproches , c'eft celui 
au courage-. J'ai lu la preuve de ta perfidie , que 
!e'liarardoUton adrcAV a fait tomber entre mes 
mains.Tu m'astrompée. . iTti ne me verras plus. 
Uiie barrière étetnelle s'é^ve entre nous, & tu 
ne fauras point le lieu de ma retraite. Ne donne 
jamnis un regret à môti fort. Je ne regrette riett 
dans un monde où tï ferilibilité etl en proie & 
l'ingratitude & Ma trahifon. La fettime qui t'ai- 
moit & qui t'oublie , s'enfeVelit voldlitairement 
en des lieuxoù elle trouvera la paix . . ; où elle 
attendra la deftruiîlion de fon être. . . Aclien. . . 
Neciois pas cependant qiie j'acténte à mes jouctn 



h, Google 



D E L* I M C' O N 8 T i H C E. fjf 

îi tii ayois pej-du, la yjç avant [HQo.eflSitiie;, je 
t'aucois Tuivi ; majs^tu «s vil à mes yeax, tu tie 
m'es plus rieni & je vivrai* noH.ggur'i'I^vh^ine 
(fobjet de mon niépri^ Mpeuc lajriérit^rj^ 
ni^is pour efïàcer à mes proprer.yeux Uib^nte 
de t'avoir aimé. ,r;.:-j- ,:;.■::;.; 

: ■■ ..;,.ri ..V,:- , 
L E T T a.E X X X.V"-:.,' ■ • 

De ladi Sidley , au comte de MirhéKe'.:' ' 

.tiLVANT que Sudmer s'éloigne, qi^prunivera 
ine quitte , & que je retombe fur moi, dans cette 
lôlîtude, je ne faïsquet mouvement iaKûlont^ire 
me force à t'ccrir^ Ce n'eu point la haine , c'eft 
encore moins l'araouç; qu'cft-ce donc^.Le hefyia 
de t'accablec de tout le mépris que tu m'infpires. 
Si tu n'étois coupable envers mm que du crime 
d'avoir changé , je pleurerois ton malheur, le 
iniert peut-être. - . Adaîs à.l'inconftanc^ tu joins 
eiicore la perfidie ^ ta balTeife me confole de ton. 
ingratitude. Rappelle-toi la mort de ma mère, 
Tes derniers vœux , ,les dernières paroles (le fa 
voix défaillante : rappelle-toi tes promelfes que 
je détefte j tes fermens que j'oublie , ma con- 
fiance , ma fécurité , njon amour, l'aveugle amour 
dont je brùlois pour toi : vois-moi livrée à toi 
S iij 



h.GooL^lc 



S7| " t B t M A E H E U R s - 

ieul > a'àyantpoiiit d'autre ap[fui , d'autre objet ; 
d'auïi-e::ldéfeî folkaift & hcUreure de l'être* 
In'cnivïanrde mon erreuf que tti avois la cruauté 
d'efitfètéhir: vois -moi dans la retraite où iù 
irt'ayéishiifeV'SÊaans lê défert où je m'enfevclis: 
enfin , contemple mon fort , & juge-toi. . . Je nw 
fitqtfBt^QH vengée. Je ne m'emporterai point 
contre l'infortunée qui m'enlève ton cocue: je 
ne la hats pas , je ne l'envie- pas î je la plains, 
f eut-èîte tu- l'enverras mourir où je fuis. L'être 
que je n'ai pu toucher ,■ ne fera point fenfible à 
iju ailtre a'mduri l'être qui m'abandonne ne peut 
jamais être fidèle. Non , tu ne le feras point , & 
ton inconï^nce te fervira de rupplice. Du creux 
de la tombe où je defcends vivante , mon Ibu- 
venir ira perfécutci-'ton'cccur. Tu me verras 
jiâle , défigurée ,meurtïieTous la haire, déchirée 
jiar le cilice , errer autoiir d^ toi } & ma fombre 
image , après mon heure fùprême , viendra t'ar- 
xacher tes plaiHrs. Ne crois pas cependanl que 
)e fois malheureufe par toi.' Non , je ne le fuis 
pas. ,. . Non . . . cruet ! J'entre dans rafyle du 
repos & de la paix. Puiflent la force de l'exem. 
pie , le recueillement & le fîlence élever' enfin 
pion cœur vers des objets qui le fixent & le rem- 
pliflent! La nuit tombe. Sudraer, le refptfdable 
Sudmeï vient prendre "mes derniers ordres, It 



D,™),.rib,G0t)gle 



DE L INCONSTANCE. 279 
pleure,.. & raoi...& moi je ne pleure que lui 
& ma fidelle Fani . . .tous deux m'oat aimée. 
Quelle folinide ! quelles ténèbres ! Sudoïer em- 
brafle mes genoux. . . 11 me quitte : il part ; les 
' portes fe referment fur moi. Ne me plains pas , 
. barbare ! Je me. jette dans le fein d'un Dieu. , . Je 
.uc fuis point ta vtâîme. 

"«a ^f^ a» 

L E T T R E X X X V I. 

Dm comte de MirbeUe , au chevalier de Gérac. 

X^{k.E5 malheurs font au comble, la vie m'elt 
à charge , & pour furcroît de maux , je ne puis 
me foulager par des larmes ; elles s'am^ifTent fur 
.'^oncŒuril'ppprelTentt&n'en fortent pas. C'en 
ell fait!...SidIer, l'infortunée! .. .elle a dîf. 
paru ... on ne fait où elle eft. . . J'ai interrogé 
Sudmer, Fant...ils ne nii'ont répondu que par 
des cris. Voilà mon ouvrage. Quelle lettre elle 
m'a écrite ! Elle me méprife , m'abhorre ! Je le 
lïiérite ! . . , Que ne mérité-je point ! Mon ami , 
:je fuis fi 'malheureux , que ce chagrin même , 
;tout accablant qu'il £&:, eft le moindre de ceux 
dont je fuis dévoré. Sidlcy rie peut me reprocher 
- , que mon inconlbnce. ma-perfidie : m^is , hélas ! 
.envers madamedeSyKé je rpiftcoupableie tous 
Siv 



-M>,Googlc 



a3o Les Malhsv?. s 

les crimes. Je fuis un monftre , un aflaflùi : oui , 
je le fuis. La plus fenfîbte, la pluseflimable, la 
plus charmante des femmes , eh bien . . . elle ell 
perdue ; elle Tefl par moi. . . Je la déshonore ; )e 
borne fa carrière peut-être ; & voilà le prix du 
plus tendre amour ! Je ii'ofe en dire davantage ; 
je n'ofe confier au papier. ..Vous m'entendez... 
Tous les coups me frappent à la fois: & vous 
me quittez ! . . . Quel préfent ! quel avenir ! Un 
mouvement de rage lùccede à mon accablement. 
Vit artilànde mes mauz,tu en recevras le prix: 
j'en irai chercher la fource jiifqu'au fond de ton 
infâme cœur. Le miférable ! & je le croyois mon 
ami ! Excufcz le défordre de mesfens. Vous me 
quittez dotic ! Vous me quittez ! Vous partez 
demain!. .. Que dêviendraL-je?. .■ Je vous em- 
braiTe. . . Soyez heureux. 



==^3?^ 



BILLET 

.Djt fhvvaiier de Gérac , au comte de MirbeUe. 

\.^ui, jeparSjft je parsmaVheureux. Je vous 
pleins , je pleure vos-'deuk viftimes ,& vous plus 
quMIes encore. ..Vous êtes coupable,: . ' 

La maladie d'un père itdoré pouvoit feule» 
4ans ce moment , inç &i|;e -<[uitcec mon ami. 



,D,n-;.M>,GOOL^IC 



B E iVl N C ■» a TA NC E. agi 
Écrivez-moi : j'implore ma part. de toutes' vos 
infortunes î& C tout voïisaban.dontie, comptez 
fijr un cdcur, que neu ne vous enlèvera jatnais. 

LE TT R E XX XV IL 

Du comte de Mirhelle , à madame de Syrcé. 

.OLfRÈs mon crime, aptes l'aveu terrible que 
^SHs/oî'avez fait, quoi, vous me pardonnez! 

' Vous fouffrez que je pïeure dans votre fein ; 

- vous plaignes les malhenrs d'une femme qui a 
caufé une partie des vôtres ! Et c'ell ainil que 
vous favez vous venger ! Ah ! votre pitié même 
eft un tourment de plus pour moi: je fuis trop 
infortwné pour que l'oti me confoie. Accablez- 
moi de vos reproches , 4e votre indignation : 
peignez-moi votre état dans toute fon horreur; 
■empoifonnez mes bleflures ; fervez mon défef-r 
^poir i jmgnez>vous à mes remords pour déchirer 
ce cœur coupable; c'eA-la feule grâce gue je 
veux, que j'implore, que mes prières doivent 
obtenir. Je ne puis envifager le gouâre épou- 
Vaniable oà je vous ai plongée i & plus vous 
m'excufez , plus je me trouve criminel. Quoi , 
mon emportement vous a facdâée! J'ai cé'dé 
au liarWre délite des.fens, quand vous édex 



D,n-;.M>,GOOL^IC 



a82 Les Mal HE ïiR s 

toute entière à l'-amoar ; & l'inftant fatal de mon 
ivreâè. . . Et vous renfermeE dans votre fein le 
gage éternel del'înfortune & du déshonneur! 
Je ne me connoîs plus , je me détefte , je fuis 
pouc moi-même un objet d'épouvante! C'eft 
donc moi qui vous fo'rceraî debailTei; lés yeux, 
de redoutée ceux d'un époux , ceux d'une ro£re , 
ceux du public i & je vis! & vous m'aimez ! 
Vous me cachiez vos peines ! Privée du fommeîl, 
abreuvée de larmes, en- proie à toutes les ter- 
reurs 1 vous ménagiez mon repes : vous vous 
'privîez du feut confo'lateur qui (bit pour vous 
dans l'univers ! Que de grandeur, de courage & 
de vertu ! Quelle ame ! Vous qui me devenez 
facrée, vous que j'idolâtre, que je rerpc<ae,ma 
maUrèâè, mon amlej vous enfin à qui mon 
=cœur donne en fecret un titre encore plus cher, 
'uniflbns-nous pour tromper tous les yeux , pour 
né pas laider à iiii monde inexorable le droit de 
-vous flétrir. Vous ! Grand Dieu ! Ecoutez. M. de 
Syrcé eft abfent , madame de Sancerre n'eft pas 
prête à revenir : enveloppons- nous des ombres 
-du myftere. L'amour eft ingénieux , il peut voi- 
■1er fes crimes. Le mien , n'en doutez pas , créera 
-des moyens. Enfant infortuné que j'adore d'a- 
•vance , tu vivras : ta naiflànce ne fera point iàtate 
'à cameteî je te cacherai dans mot) fein} on nV 



M>,Googlc 



DE l' INCONSTANCE. Igj' 

entendra point tes cris i& .quand ton œil com- 
meucera à s'ouvrir aux horreurs de la vie ,'ma 
tendièHe courageufe & mon éternelle afïîftance 
te vengeront des outrages de la fociété. Ah ! s'il 
efl: polHble, reprenez quelque repos: fiez-vous 
aux^bins du malheureux qui n'a plus que vous 
au monde , & qui ne Teroit déjà plus , fî vou^ 
n'avez befoin de &>n appui. CheF-d'quivte de 
l'amour , combien je vous admire ! Combien je 
TOUS applaudis d*ètre reftée fidelle à la nature! 
Le préjugé tient au fol ; les forfaits font forfaits 
par-tout ; & il vaut mieux rougir , que de s'épac- 
gner'la honte pat un crime. Adieu, ma vie, 
tnon ame , mon tout ! Tâchons d'en împofer à 
l'univers , & puifle-je , hélas, être le feu] pnni ! 



LETTRE X XX V I I L 

De madame de Sancerre , à madame de Syrcé. 

j^jLA chère fille, unique objet de mes plus 
tendres aâeâions , on me mande de Paris que 
TOUS changez tous les jours, que vos traits s'al- 
teront. La triftefle de vos lettres me confirme ce 
qu'on m'écrit. Je pars : je vais vous porter mes 
foins , fî vous êtes malade ; & fî vous êtes cha- 
grine a mes confolations. M. de Syrcé m*accom< 



D,m.f.ril>,GOOgle 



284 Lis MAiHZtrRs 
pagnera peut-fetre : il eft , comme moi , trçs-in- 
qutct ^e votre fanté , & me charge de vous cora- 
muaiguer TeB inquiétudes : s'il' peut s'abfenter 
quelques jours, & interrompre Tes occupations * 
. vous le reverrez avec moi. 

Adieu , mon enfant. Je fuis impatiente dt 
t'embraSer. 

■«ai ' I ". ■ Pi*f< I'. ' ' <» 

BILLET 

De madame de Syrcé , au comte de MirheJlt. 

V ENEz me.voitije fuis perdue: j'ai reçu une 
lettre de ma mère , & fa lettre eft la.mort. Elis 
levient, M. de S^'rcé l'accompagne. Je ne vous 
en dis pas davatitage. Je fuis pénétrée de terreur. 
Adieu. 



BILLET 

I3e madame de Syrcé , au comte de MirbeUe. 

XL eft deux heures après minuit i elle eft arrivée 
à dix. . . Mon ami , je refptre ; M. de Syrc» n'ell 
point avec elle, fes occupations l'entretenu. Ma 
mère m'a accablée de carelTes, & ce font autant 
de coups de poignard qu'elle me donne. J'en fuis 



D,m..M>, Google 



DE L* f N e N S T A N C E. 3gf 

réduite' à frémir de Tes bontés. Il me fetnble 
qu'elles me rendent plus criminelle. Que je 
crains fea regards! Je crains tout; mais fi vous 
tn'aimez , )e fupporterai tout. Ne venez^ point 
demain , je vous inftruiraï des évéïiemens de 
ma journée. 

Adieu. Je fuis profondément trifte. . . Que 
demain fera long! je ne vous verrai pas. 

■ * "t ^ . a»- 

LETTRE XXXIX 

, pe la marqùife Je Syrcét au comte dt MirheUe. 

j\y e z pitié de moi ; ne m'accufez pas ; je vous 
ai trahi , je me fuis trahie moi-même, je fuis la 
plus malheureufe des femmes. Je vous écris en 
langloctant, & je ne fais j'aurai la force de 
vous raconte! une fcene à laquelle je ne devois 
pas furvivre : ah I je n'y furvivrai pas long-tems. 
Après le foupé > j'ai paffé dans le fallon avec ma 
mère. Fendant tout le jour, elle avoit attaché 
fur moi des regards plus attentif . & dans ce 
moment elle avoit un air froid , ne m'adreflbic 
prefque point la parole ; ou ce n'étoit pas da 
moins avec ce ton afieâueux qu'elle a toujours. 
Elle étoit à fon tnétier , moi j'avois pris un livre 
fut U cheminée pv contenance feulement ; il 



M>,Google 



%SS : Les Malheurs 
m'étoit ÎRipoiHbte d'y diftinguer ta moîntlrtf 
chofe. Le iîlence régnoîtije n'ofois le rompre: 
je n'ofois lever les yeux; & quelque effort qua 
je iitTe. je lailTai tomber quelques larmes. Elles 
nl'ont perdue ; ma mère qui les vit couler , quitta 
fon ouvrage , me fixa ; & ce coup - d'odl fou- 
droyant > quoiqu'il ne fût point dur , m'avoîc 
anéantie. Ma fille , ine dit.ella , qu'avez-vous? 
A ce feul mot , les foupirs fe prêtèrent dans mon 
fein , mon cœur palpita; je verfai un torrent de 
pleurs. Ma mère effrayée , vint à moi : ma fiUe, 
que lignifie ce trouble, cette douleur? Vous ine 
faites trembler. J'allaime cacher dans fon fein , 
& j'y rèftai fans lui répondre. . . Ma confullon > 
moti décliirement , la honte de mon état écrite 
malgrémoi datis mes yeux, éclairèrent les liens. . .. 
Je vous entends, me dit-elle en me repouflant* 
& allant tomber fur un fiege qui étoit à l'autre 
' bom de la chambre-, opprobre de ta làmille, 
malfaeareufe entant! Oui, m^éctiai- je, en me 
profternant à les pieds que je baignai de larmes « 
je fuis une malheureufe , une femme déshono^ 
rée î ne m'ouvrez point votre fein , rejetet-moi* 
|e bénis la main qui me irappe , cette qiaïn eSt I9 
vôtre i votre rigueur eft un bienfait. La feule 
grâce que je vous demande encope , c'a(l< de me 
latllèr fuiriaxcc l'être înfbrtHqéj fotmélcleiiVtttst 



■D,m.f.ril>,GOOgle 



DE l' I W C O « S"T A N C E. ag? 

ïàng, & nourri de mes larmes. Je ne veux qud 
k tems de lui donner le joar , enfuite je fubirai 
ma peine par un trépas que j'implore. Mes yeux 
s'éteindront à la lumière dauu l'antre que j'aurai 
choilï pour cacher ma honte , & mon dernier 
foupir n'arrivera point julqu'à vous. Vous n'en- 
tendrez point les cris de ma douleur; je méjuge, 
je me condamne , ouvrez-moi vos bras pour la 
dernière fois. . . . InfenHUe époux , toi que j'ai- 
mai > que j'adoiai , contemple les fruits de ta con- 
duite! Mon opprobre eftietien. Rougis, cruel, 
roilgis , tu es la caufe de mes malheurs , de mon 
ignominie. Sans toi, le cœur d'une mère ne fré- 
mirojt point à ma vue-, elle ne m'aùroît point 
repouffée de fasbras. Javois à peine achevé ces 
paroles , que ma mère étoit dans les miens ; elle 
y fut Idng-tems muette , éplorée : ma chère ôUe, 
me dit-elle enân d'une voix entrecoupée de fou- 
pirs, tu m'as attendrie. La nature a parlé, & je 
ne puis rentier à fa voix. Calme- toi ,conrole- 
, toi } je couvrirai ton crime ... ta foibleffe. L'Être 
fuprème pardonne. L'honneur, la nature & la 
religion même ne doivent pas être plus inexora- 
bles que lui. Mais , ô malheureufc enfant , il 
faut que tu me jures de ne plus revoir l'auteuc 
de tes maux ! Che^amant , juge de mon effroi', 
& de tout ce qui fe paffiiic en moi à cette propo- - 



D,™),.rib,Google 



agg L E s M X L H E V R- s 

fition î J'ai pleuré , j'ai tremblé , j'ai jeté fiir ma 
tnerele regard le plusexpreilîf , le'plus doulou- 
teux. J'ai de nouveau embrafic fcs geooux } mais 
je n'ai- rien promis. . . . Hétas ! il eft plus aifé de 
mourir, que d'arracher de foa cœur le trait qui 
l'enchante & k déshonore. Oui , dans ce mo- 
jneni , fous les regarda d'une niere . d'un Dieu 
quej'ai câenTé pour vous , qui m'en punit, dont 
mes maux préfens ne défarmerone. peut-être pas 
la rigueur , dans ce moment épouvantable , c'eft 
pour vous que je crains } & noyée dans les pleuri , 
je tremble de vous en coûter. ... 

Adieu. Ma imin défaillante refure. de tenir ma 
plume. .. .'Mes lumières font éteintes î me voilà 
dans les ténèbres. Je n'ofe Tonner mes femmes y 
)e ne fais quelles images funèbres fe prcfentent 
à moi i tout mon corps brûle & friflônnej.je fou- 
leve à peine ma tête appeTantie ,:j« ne puis plus 
former une idée. ... Adieu. . , ; . 



LETTRE XL. 

Du comte de MirheSe , à la marquife. 

JLXéLAs! hélas! qu'avez- vous dit? Votre in-" 

dîlcrétion.nie déferpere; elle fait trois malbeu- 

reuiL II falloit m'en croire , il falloit vous reporer 

de 



h.,Go()i^lc 



D E L* I scoyitTkvCet. a8# 

et totit fur moi. Jamais >> non , jamats- vous né 
deviez foulTriT un tiers , quel qu'il fût, entre 
TOUS & votre amant. Que deviendrai-js. Ci l'on 
m'interdit votre préfence ? Vous-TOèms r que 
deviendrez - vous ? Je périrù mills fois avanC 
qu'on nous défunilTe. Votre beauté , vos vertus 
Aifiîroiem pour m'attachera vausi votre fîtua- 
tion m'y enchaîne, jurqo'à ce que le froid du 
trépas vienne glacer mon cœur plein d'admira. 
tion & d'amour. J'ai baigné votre lettre de lar-' 
mes. Les caraâeres en lont effacés; tiiais mon 
»aie les a retenus : ils y (ont gravés en traits pr(^ 
fonds , que les tems accumulés ne pourront dé- 
truire^ Croyez- moi , ne nous bornons pas i 
gémtr, à attendre notre artèt. Prévenons l'in- 
famie arbitraire dont on tâchera de vous cou-i 
vrir. Oui, oui, puifons dans notre amour un^ 
force qui le mette hors des atteintes de la: fociété^ 
Si votre merç, votre reJpeâable mère , unefeoift" 
fois Cruelle , petfifte. à vouloir notre féparatlon i. 
6 vous , fur qui j'aides droits, illégitimes dans^ 
nos mœurs « mais, facrés pour nous deux , vous t, 
fans qui je ne peux plus vivre , vous i^ue nu!» 
autre que moi ne peut confoler , forons enfeni-^ 
J[>le, fuyons des Hommes cruels, tyra uniques^ 
qui ont des conventions au lieu de fèntim^ijac 
des bienféances au lieu de veitus «,^ d^s préji»« 
Tamt V, î " 



D,™),.rib,Google 



ft$o Lets Malhe^ks 

gés fifroces au lieu des douces lumières de la nù^ 
fon. N'héfitons pas, éloignons-nous d'un monde 
où la loi même encourage au crime ', oà , fur 
mille attentats cachés , s'élève le fant6me de 
l'honneur, pour inOilter à la nature'. C'ell elle 
feule qu'il iàut fuïvrc , qu'il tâut écouter. Avec 
vous , avec le tréfor caché dans votre fetn , j'au- 
rai tout. Je n'envierai- rien. Abandonnez vos 
parens , ^e quitterai les miens ; renoncez aus 
vaines chimères du rang , je renonce à mes eîpé- 
riinces. Suivez-moi: allons chercher des lieux 
où l'on ait de la commifération par inflinâ , & 
non de l'humanité par principe. 

11 ell des peuples que nous appelions fauva- 
ges : ils nous recevront , ils nous plaindront , ils 
admireront notre fermeté , notre amour , notre 
dévouement courageux aux lotx faintes , dont 
l'infraction facnlege , en vous épargnant le fup- 
plice de rougir, nous auroit laifle des remords 
plus horribles que lui; Aux extrémités de la 
terre, fous quelque climat que nous habitions, 
nous trouverons une bonté naturelle qui nous 
fera grâce , qui foulagera nos maux. Nous trou- 
, Verons, no:> des loix établies par des hommes 
aveugles & barbares , mais la fenfîbilité vraie , 
mobile univerfel de teut être que nos politiques 
inftitùtioli^ n'ont point dégradé. L'opprobre ne 



-M>,Go'ogle 



D • L* 1 M C H S T A S t E. a§l 
fous fuivra point ; il reftera , chère amante , à 
ceux qui vouldient vous en accabler. Ma feniin6^ 
oui, ma femme à mes côtés, mon enfant dans 
trtcs braè, je ne ferai nulle part étranger. Les 
lieux où l'on s'attendric Tur Tinforiunet voilà 
notre patrie. 

Vous direz à l'univers : j'avots Un époux ijus 
je croyois honnête & Hdelej mon ame entière 
lui fut aflervie; je cultivai avec une tendrefle , 
inquiète tes fruits de. notre union; le cruel m'a 
abandonnée , m^prifée , pour les plus viles créa- 
tures. Jeune & lenlible, j'ai connu le befoitl 
d'aimer , & je me fuis donnée à celui que j'ai 
cru le plus digne de mot. C'efl: là mon crime * 
lacaufe de tous mes malheurs , des perfécutions 
que j'éprouve» & de l'exil volontaire que nous 
nous {bmmes împole tous deux. Mon amie i 
voilà ce que tu diras , & tous les cœurs -feront 
émus. 

Ofo adopter ce que }e te confeille , ofons Vexé* 
cotec. J'irai ce fbir Vous embrafer de mon idée* 
Gardez-Vous de condtfmner ce déliré déma tètej 
ilafafource dans mon ame> l'image de votre 
déshonneur «le tetid furieux. Je n'y furvivrois 
pas i votre billet de ce matin m'apprend que vous 
{buffre2 , que vous n'Avez p^.'; eu h force de voua 
lever. O ciel! peut-être à l'inliant que je vous 
Ti) 



n;r;.-M>,GOOglC 



1^ Les MstaevKf 
écris. . . . Diea t fi votre porte m'alloit être Gifi 
atée '. Défohéiffez , ou je ne fépoDds pas àe fav 
violence de mon dé(èfpoir. 

Adieu! Je ne me connois plBS Daignée 

lècondec mon cmir^e , & je fuit prêt à tout ea> 
ireprendre pour vous arracher au mépris d'un 
moade qui ne roériie pas de vous poâ'éder. 



=^Ci^ 



LETTRE XLL 

Du comte de Mirhelle , à madame de Syrcé. 

jLiE voila donc arrivé le tnatheur qiie j'ai craint j 
que j'flvois prévu! Votre porte m'eft fermée) 
jV pa0e à tous les infbits ; toujours les mêmes 
ordre». Les gens font concernés. . . . J'ai en« 
trevu Sophie > elle éiwt- en pieursj elle parloit 
de tranfport .> '. . de redoublement. ... Je ne 
lefpire plus. Toutes les nuits j'erre autota: de 
votre. maiJôn ; dès le matin j'épie ceox qui en 
ibrtent » & je cherche fur leurs vifages les ceuels 
ÛldiceS:Cte ce que j'appréhende; Ce fupplicê eft 
horrible. Aj'ez pitié de -votre aniant : il meuit 
d'inquiétude , de douleur & d'el&oi.. . . ^ ' 



D,™),.rib,Google 



B E XM N C O N S T A 8 C E. I9J 

LETTRE XLII. 

J>u comte de Mirhelle , à Sophie , Piine desfemtuet 
de la marqitife. 

JC(LLE eft mourante , Stienepuisla voir!eI!e 
eft mourante , & je vis !.. Ma Sophie , ma So- 
phie, au nom de Thumanité, du malheur, de 
tout ce qui efl; facré , tâchez de m'introduîre chez 
elle. Dans fon tranrport , vous dites qu'elle m'a 
nommé. Peut-être ma préfence. . . . n'en doutes 
pas.... Ma ohere Sophie, ne me refufez point; 
choifîiTez un moment où madame de Sancerrp 
fera chez elle. Sauvez ta vie à votre maitrelTe, 
à moi } venez à mou fecours. Quoi , madame de 
Lacé a palle quatre nuits auprès d'elle, & moî 
j'en fuis banni ! Que -cette dame eft heureufe* 
que i'envie Ton fore ! On accepte les foins de l'a- 
mitié , & l'on tëbute ceux de l'amour^ de t'amouc 
dérefpéré ! Grand Dieu , s'il falloit la perdre , je 
jurfi de ne lui pas furvivre ! Puifle-t-dle enten- 
dre mon ferment ! Je compte fiir vos foins. ... Je 
ne quitterai point Les environs de l'hôtel i j'y 
ièrai à toutes les heures du jour'& de la nuit'i 
û vous pouvez me ménager une entrevue , faites- 
moi des lignes à tiavecs les ctolfées de l'appac- 
Tiij 



1, Google 



294 Lis Malheurs 

tement : j'y attacherai mes regards. Ne m'oublies 

pas , lefpeâez mon déferpoir. 

LETTRE XLIIL 

De la marquifct au cùmtt. 

jH. E Y E N u E À moi , je peux donc voue écrire ! 
II me refte un fouffle, il eft à vous. Ne vous 
alarmez point. Au nom de l'amour le plus ten- 
dre , ayez du courage. Je crois que je fuis mieux, 
, Fardonnez-moi G je ne vous aï point vu ... ce 
font les ordres de ma mère qu^on exécute. Qtie 
ma fîtuation eft cruelle! Une lettre de M. de 
Syrcé m'a porté le dernier coup. Il a écrit à 
madame de Sancerre : il la prelTe , il la fupplie 
de me donner fes foins ; il voudroit les partager : 
il s'accufe , fent fes torts > aggrave les miens ', - 
m'accable de fon eftime. . . Ah , Dieu ! je n'étois 
donc pas aflez punie. Hélas , combiwi je fouifre ! 
Si vous m'aimez , lî vous m'en aimez mieux , je 
me trouve heureufe. . . Je fuis charmée & Biti- 
guée d'écrire ; il me feroit douloureux de quitter 
un univers que vous habit^. La mort feule peut 
tne foufiraire à la honte ... & vous m'aitachen 



M>,Googlc 



DE L'ISCONSTAN'CE. 29jr 

LETTREXLIV. 

Du chevalier de Gérac , à la marquife. 

VO T R s lettre , madame . m*a pénétré d'admU 
miration & de douleur i & Teffet étonnant qu'elle 
a produit fur moi , me prouve qile je ne fuis pas 
indigne de la confiance dont vous m'honorez. 
Combien votre ame eftTtiblime ! C3mbien votre 
conduite afluelle vous venge de mon injuftice 
paflee ! Non que je me repente d'avoir confeillé 
M. de Miibelle comme vous l'eufliez fait à ma 
place. J'ai confulté mon cœur , j'ai parlé comme 
j'aurois agi ; mais je ne me cenfolerai jamais de 
n'avoir pas démêlé aâez vite , du fein même de 
votre f6iblefle , toutes les qualifiés auxquelles je 
rends hommage. Quedcgénérofité, d'héioïfme 
& de force ! M. de Mirbellc vous a die avec quelle 
chaleur je m'oppofois à fa paâîon pour vous j Se 
c'eil à moi que vous vous adreflez! Vous me 
flhargez du foin cruel de le confoler, de v&illei: 
fur fes jours : & dans quel moment! Lorfque 
vous êtes la feule qui ne trembliez pas pour les 
vôtres. . . Ah ! madame , il n'aura point k mal- 
heur de vous perdre ; vous vivrez. Le ciel vous 
doit à U terre > non pour rougir d'une faute trop 
Tiv 



h.,Go()i^lc 



996 Les Malhedru 
expiée, la bonté n'efl: faite que pour le crines 
tnais pour vous en relever avec éclat, & donner 
l'exemple des vertus. Votre démarche m'éclaire. 
ISoufTcez , madame , fouffroz que je partage l'en- 
thouflarme trop jufte ... & fur-tout refpoir de 
mon ami. Je vous fais le ferment d'obâr aux 
ordres <iue vous me donnez , mais cVft avec la 
«ttitudede n'être jamais danslatrifte néceflîté 
■de les remplir. Il m'eût été bien doux de vous 
«Curer , dans une circonftance moins duulou- 
reufe , de mon profond refpedl, & , daignez me 
3e permettre , de mon attachement;. 



:=^n^= 



BILLET 

Du chevalier , au comte, 

JiLn'] rafureE-moi , mon cher comte. Donnes. 
«noi de vos nouvelles ; donnez.m'en de madame 
Je Syrcé. Lui fereit-il arrivé de nouveaux m*l. 
Sieurs? L'état de mon père, celui où je vous ai 
laiflë, & le regret de ne pas être auprès devous« 
-& la raifon qui m'en éloigne, tout m'accable. 
Votre fîlence m'eâcaie, votre poUtion' m'atten- 
drit. VousfoufFrez, je fuis loin de vous ^ un mot, 
un feul mot. Je crains tout. J'ai befoin de con- 
iblacion , j'en ai bffoin , vqug £tes nialheureuK. 



-M>,Googlc 



S) E 1'' I » e O N S T A W -C E. 397 

LETTRE XLV. , 

De /a mar^uije, au comtt. 

ji. voudrois pouvoir voue -cachet mon état II 
<n'e(l plus cems , il &ut fe foumettre , il faut nous 
féparer. Vivez , je vous en conjure i c'eft du fein 
de la mort <]ue je trouve des forces pour vous 
Tordonncr, Vivez , fi je vous fus chère; Je ne. 
puis croire qu'en ceifantd'étre t je cefle de vous 
Jidorer. .. Quelque chofe nous furvit. C'en eft 
isXt ! . . . C'ell uo adieu ... un adieu éternel que 
je vous dis. Ma main tremble ... je ne puis 
achever.,. .Mon arrêt eft prononcé, je ne vous 
verrai plus. Mes yeux qui ne s'ouvroient qu'à 
vous, qui,. noyés de larmes, vous cherchent 
encore , vont fe couvrir de ténèbres. Mais , j'en- 
attefte le ciel , je ne regrette ea moi que le fenti- 
jnent profond ^isnt vous fûtes -l'objet unique » 
& qui va s'anéantir dans ma tombe. Que dis-je, 
malhcureufe ! le iiiaÎEre de l'univers me tappelUi 
& J'ai un dieu fur la terre! Dans oe moment 
d'épouvante , darisce moment horrible , en ptoie 
à toutes les douleurs > à tous les maux, aux 
remords } trop punie pour n'être pas coupabUi 
c'elt pour vous ijue je &émis. Hélas , il ne vern 



D,™),.rib,Google 



%99 Les Malheurs 

donc point la lumière cet enfant malheureux* 
né de Tamour, & condamné à fubir la peine du 
crime ! Je vais , en m'éteignant , le replonger avec 
moi dans la nuit eifrayante ... où l'on n'entend 
point la voix de ce qu'on aime, J'aurois> pour 
conferver Tes jours , fupponé l'ignominie. J'a- 
dore tes décrets , ô eiei ! je ne murmure point 
d'en être la vidime : mais foufTre qu'au mitieu 
de mes tourmens , H tu ne frappes que moi , je te 
rende grâce de ta bonté. J'ai quitté dix fois ma 
lettre ... je ne faurois écrire , ni m'arracher à 
vous. . . Ne vous reprochez rien i c'eH du fond 
de mon cœur .que je vous pardonne. 

Adieu > adieu. . . Que , difparue de l'univers > 
)e vive dans votre mémoire ! N'oubliez jamaiis 
que mes derniers foupirs ont encore été pour 
vous. 



^^^c^ 



LETTRE XLVL 

I^u comte, à madame de Sancerrt. 

ATAR la hardiefle de ma démarche , vous juge- 
r.ez,^madame, de l'excès de mon trouble. Le 
-défefpoir ne connott aucun frein ; il doit inté< 
leljer par fa violence même; & £ les infortunés 
ont quelques droits fur^votre ame» vous m*c- 



-M>,Googlc 



DE- L' INCONSTANCE. 399 
coûterez avec bontét vous oublierez que je fuis 
coupable, en voyant combien je fuis malheu- 
reux. Votre Bile eft mourantes votre Elle... la 
plus charmante des femmes , & , j'ofe dire , la 
plus refpeâable. Elle eft mourante, j'en fuis la 
eaufe, & c*e(l à vous , oui, madame, k vous- 
même que je m'aiieSe pour obtenir une grâce. . . 
dont fes jours dépendent peut-être. Je ne vous 
parle point des miens, ils me pefentic'eftpouc 
elle que je vous implore. Il efl: des momens où 
les bienféaaces doivent être comptées pour rien , 
où la nature doit parler feule, où les âmes fen- 
llbles, les âmes telles que la vôtre, jettent un 
cri qu'il eft horrible d'étouffer. Quels que foient 
mes torts , mes forfaits , j'ai des titres. Pour être 
affreux, ils n'en font pas moins facrés; je les 
réclame. Madame de Syrcé m*a cru digne de fon 
attachement. Il m'appartient ce cœur fublime & 
tendre i fes derniers battemens feront pour moi , 
je le fais,& vous lui enlevez une de fes plus ^ 
chères confolations ! Dans cet inftant, madame, 
dé6ez-vous de vos principes ; la fendbilité êfl; la 
première vertu. Tremblez . . . vos ménagemens 
vous coûteront des pleurs ; tremblez d'être vous- 
même complice d'un malheur. . . Ah ! je tombe 
à vos pieds , je les embrafîe. Vous m'avez com- 
pris ... me refuferez-vous ? Permettez , fouffm 



D,™),.rib/Google 



;0O Lt. -s M&LHElIEt 

^ue je la voie un inftant,un feul in(lant.Mon 
image eft au fond de fon ame ; elle y entretient II 
douleur^ elle accroit fon mat, mon rouvenir la 
tue , ma prélènce lacalmeroit. C'eft mon efpoir , 
ïi'aliez pas le trahir. Qu'elle life au moins dans 
mes yeux noyés de pleurs le prix de Ton amour; 
& s'il faut la perdre, m'arracher à tout , que je- 
recueille un de-fes fbupirs pour y joindre le der- 
nier des miens. La perdre ! Non , non : le oiel 
ai'cft point impitoyable 4 H ferait trop de mal- 
Jieureux. Dieu jufte , tel qui pardonnes auxfcù- 
tleffes , ô mon Dieu ! J] ton bras eft levé , fuf- 
]iends le coup terrible. £11 frappant , tu erïleve- 
Tois aux mortels ta plus par^ite image. Te faut- 
il une vidiime ? frappe, me voKà prêt i ouj fîtu 
veux être plus cruel , remplis mes )ours4'amer- 
tume ,traine-moi de douleur en douleur à la plus 
aiïreufe viejilede, & fais-moi acheter la mort au 
'prix de rinfortune; mais fauve, fauve ce que 
5'aime. Paifie-je m'emparer de tous fes maux, en 
être accablé , les fctttir tous , & jomt ! . . . Vous 
•voyçz mon égarementîyfcrez-vous infenfible? 
Au nom de mes larmes , de mes tourmens, de 
mes crimes même , ouï , de mes crimes , écoutez- 
moi; ils me rapprochant de vous. . . Où fuis-je{ 
■çu'ai-je dit * Je ne me connols plus, . . Frémif- 
fez . . .mais ne m'accablez pas ; frémiâèz de ptti^ 



Dim.fMi,. Google 



TÏE l'INCOHSTANCB. JOl' 
Je fuis trop à plaindre pour exciter votre colère. 
Songez à ma fituation ; etl-elle aScz épouvan- 
table? Je plonge au cercueil la femme que j'ido^ 
lâtre i elle expire par moi , & pouF moi , & je naf 
puis m'offrir à fes yeux , me profterner devaiîC 
elle , ferrer fa main détaillante , lut montrer le 
malheureux qui doit la foivre ! . . . Mes efprita 
s'égarent , je ne fens plus , ne vois plus . . . voua 
feule ! ... La force me manque. . . J'attends votre 
réponfe ou la mort. 

^t nm > =^iî^i " .1 er 

L E T T R E X L VI I. 

Du comte dt MirbeUe « « mndame de Syrci. 

V OTRE arrêt eft prortonêé!. Qu'ai- je lu! qui 
TOUS l'a dit ? Gardez-veus de le croire. Non , ît 
ne l'efl' pas ; n'écoutez point des bartmres qui 
vous trompent; n'ajoutez foi qn'à l'amant qui 
vous raffure. Vùus , me quitter î vous ! Je ne rei^oîs 
point votre adieu , votre'a^eu' cruel. . . Au nom 
de mon amour , de l'amour le plus tendre , le' 
plus malheureux r le plus défefpéré, reprenez 
votre courage. S'il eft un Être jufte , il veille fut 
vos jours, il vous protège « il vous aime:. mes 
pleursl'attendriront i &B'il déchiroitnos nœuds, 
fen bonheur > quel ^u'U foit, fetoit troublé pa« 



-M>,Google 



9oa LesMalhburs 
l'ezcès' de mon infortune. Ne CTaignez rien : U 
me fembte que . tant que je refpicc , le ctet même 
n*a point de pouvoir fur vos jouts. Cette illu- 
fion furpend mes terreurs. Quoi, c'efl: vous* 
c*eft bien vous qui m'avez écrit ? Je la mets fur 
mon cœur cette lettre icetto précieufe lettre , 
- cher monument d'une feniîbiHté dont il n'y eut 
jamais d'exemple. Votre ame y eft toute entière , 
cette ame à la fois douce , courageufç & pro- 
fonde , & qui eft vraiment un rayon de la divi- 
nité. Quoi, cette ame de feu s'éteindroitï elle ne 
fcntiroit plus l'amour! La tombe dévoreroït... 
Mes yeux fe couvrent de larmes. Qui, moi! moi, 
malheureux , je voi^s aurois connue , pour être 
votre bourreau! Sous la riante image du bon- 
heur, le rott; implacable nous auroit caché un 
avenir aufli funèbre ! J'aurois porté la mort dans 
Vutre fein! Le gagedenbtre union s'y.anéanti- 
f oit ,.& je perdrois à la fois deux êtres facrés pouc 
mon cœur ! Je ne puis envifagercet abyme. O 
toi , fans qui je ne faurois vivre un feu! inftant ; 
qoe tes craintes s'évanouifient ; ne partage.que 
mon efpoir. Il fetâ rempli , fi madame de Son- 
cerre n'a peint une ame cruelle. Je lul-ai écrit} 
j'implore de fa, bonté la grâce de te yoiryde'te 
parler i fans doute elle me l'accordera. Sophie te 
(emetcra ma lecïcej les.cara<^eres en.fofU;pre{^ 



D,™),prib,Google 



DE L * I H C O N 1 T A N C E. ;o; 

qu'e&cés par mes pleurs; mais fî ces yeux peu- 
vent s'ouvrir , ils m'y reconnoitroHC encore. Je 
lui ai bien recommandé de cbolllr un moment 
où tu ferois moins fotble , pour te la lailTer lire. 
Tu y verras l'amour que tu infpires , les craintes 
qui m'accablent) les efpéraivces qui me conib- 
lent. Ma chère maitrefle, que madame deSan- 
cerre tarde à me répondre ! Va , je fouffrc tous 
les maux enfemble.Te favoir mourante, & vivre 
loin de toi , vivre dans des' tranfes éternctles , 
pleurer le jour, pleurer la nuit» rejeter toute 
confolation , relire fans ceCe tes-lettres, couvrit 
ton portrait de baifers & de larmes , lui parler 
comme s'il pouvoït m'entendre & me répondre, 
imprimer ma bouche & mon ame fur les moin- 
dres gages de ta tendreJfe , voilà l'emploi de tous 
mes inftans, mes occupations douloureufcs & 
chères ; voilà ce que je fais Tans ceSe , & je n^ 
fuis arraché que par un abattement qui reÛem- 
bleroit à la mort, s'il n'étoic encore plus horrible 
qu'elle. Je ne puis finir ma lettre. En ce moment 
où je m'entretiens avec toi ...■. les fanglots m'op- 
pteâent. . . 

Adieu , mon amie , ma malcreâè ! adieu» toif 
répouPe de mon cœur ! . . . On ne m'apporte 
point de réponfe. Je frémis , je tremble. , . Quel 
eue ! . . .Je me mmi»^ Je t'attors ! . . . Tu-vividS4 



Dim.fMi,. Google 



^04 LÈsMA&itKtifts 

oui . tu vivras ... & ton atnant , ton amant 
Êdele ! ... Je te quitte malgré moi. . , Adieu. . . Il 
but que je te voie ; il le faut ! . . . Les barbares ! 
ils ne me priveront pas plus long-tems de ta- 
ptéfence, 

ft I L L ET 

Du comtt , À Sophie. 

V7 MA Sophie, je me trouverai à Tlieure ÏH"* 
diquée à la pofte de Thôtçl ; je ferai déguifé, 
les gens ne pourront me reconnoirre. Ma St>^ 
phie V... tous les ccBurs font féroces. Madame 
de Sancerre ... ah , dieu ! . . . ma Sophie , je te 
^ots tout ; ta as remis ma lettre. Ta maitreiTe en 
-a lu quelques lignes!... Son froncétoitfereïii* 
mais une foibleflè l'a empêchée de pourfuivrc- 
Une foibleife! ... Elle e(l plus mal ,' & c*eft i mot 
qu'il faut le reprocher 1 Le eiel m'a donc fait 
naître pour Ton tourment. Elle expire , & je hâta 
I>cu^étre. , . Moi ! qu'aUje dit ! C'en éft trop , j« 
fuccombe^ Il mes cris alloient être entendus! 
Je fors' de chez mon pcre , je vais errer jufqu'à 
l'heure du fatal rendez-j^us. Quel jour * quel 
jour funèbre ! S'il m'enJ<^fiM;tf que j'aime , puiffe* 
$-U être le dernier pour toute Ja nature ! . 

Adieu. 



-M>,Google 



- Adi4u.-Je te remercie i&^ans icwinâansoà 
Inon «ne n'eft ouvctte' qu'à la douteut ^ j'ai ciw 
etwE-laiforee de fentU (orebienfaat/ij' .:k, r. -..ii 

^-'\ ' ■ "• -^1 '\'v''; y.r 
■-■. /::X--E^T Xft^E-X. L■V^l.It.... 
' ï)u comte ie llirbeHe , m cbevaUeic de Ôéràe, ■ 

Quelle fcehe ! quelle fcene à ^feisàtteiU 
diiianté A sfitture ! Je ii'flurois jainau jiu voue 
en faire le lécici J'étDÏs iftuptdei fHas.connbi& 
lànct.fana mouvement ïmesyeuâ£xes&moc* 
fies ne diftingtuùent {/lus lés objecSiiMon étaè 
étoitune mort anticipée^ àiaîs ce tnatinfnuditna 
de Syicé eft moins mal.J^eii xeijofeiht h(>u,vp|te : 
je Éerpire t & je peux Vous âird psrt de..t<»ut c* 
^aim'àgite encore. Héias.'onn'ËlpéMÎt plus lien 
de cette ièmme charmantei elle avoi): 04<d«ns la 
journée pliilleurs f^îbleâba j oa tedo^tott la nuiLi 
A force d'inftaiices.» de pri^rea, dé.Japmes, je 
détéi-miae Sophie à me Iai0er eatEer dans & 
charahie-, & à me ménageruD inftant pour voit 
fa maltrelfe. Comnietit ïéfi^ft au^ emj^ortei^ens 
dé l'aitiout & de h doilleur ! Sophie n'en eut pas 
lecourage. , ; 

D étolt fept beures di) /si^^ 2^(iUii)f ^e Satl-> 
«tire ne pouvant wiksc fts kim» » monta dana 

ïiMw f, , y 



D,n-;.M>,GOOL^IC 



ùm appaxteotent pourpleurec en libené , & fans 
craindre d'itre appen;ue deft fiUe mourante. Ge 
fut alors qu'un m'inuoduifit.cha elle. Je crus 
entrer dans le tombeau > & je me trouvois heu- 
reux d'y être. Muet & tremblant, je me jette aux 
pieds de fan Sir. lUuireftoità peine un telle de 
fouffle & d,'ext[lence. Je prends une de fes mains, 
je la couvre dcbaifers , je la preflè fur mon cœur, 
Alix lueurs dont-ja rarroSEi,:Bbx,'fons itoafies de 
ma voir, madame daSyrcrf entt'ouvre des.yeux 
npirans., & attachp fiir -iboI un regard dont 
Kexprefiîon m'efi tou^oDs. préfente. <^et dieu: 
Aie rend-à^ vie? Ah* (fvfl:vous,me dit-elle, 
«*efl;v<»S'que je vois î J'aurai donc encore un 
niftant de bdidMjBi; je pounai voua dire à vcais- 
même ave&ifael plaïfir je vous pardonne. J'ai' 
Vécu coupable, & je moArrâi contente, le ciel 
ne ihe hdk p&s. Adieu . . . fiiyez ... ta force m'a- 
bandonne vttitiiB avanede me^quhter , jurez-moî 
de vivrez -jé^)e- veux ,:je vous l'ordonne. . .je 
TOUS en conjure. Il^&ut renoncer à tout, il le 
faut : donne£-moî votre main . . . c'en eftfût . . . > 
emportez mes derniers vœux. 

A ces mots t elle tomba dans une nouvelle foi- 
blcfle. Accablé , anéanti , délirant de l'être tour-- 
à-fïiit, je n'arois pas eu la force de proférer une 
parole: Soudain on attenditmodamc de Ssaceirc- 



M>,Googlc 



D B L' I N C I^ S T A If Q E. 507 

twi defcendoit j je fus obligé de fuir , de m*acra- 
clier de ce lieu. Ne fâchant ce que je faifois , où 
j'allois > vo.ulaot focùr , rae tromiiant , ne voyant 
plus rien, j'entre dans la chambre des enfans de 
madame de Sytcé ; je les trouve à genoux , rem- 
nliâÀnt Tair de leurs cris, & priant Iç ciel de leuc 
cpa^wyei une mère adorée. A la vue de ces inno- 
centes créatures , à qui j'enlevois leur appui » je 
ne.pus me contenir, je me penchû fui: eux, je. 
les fermi dans me$ bras , je les inondai de larmes,. 
£^I^,e^rayai dç l'excès de ma douleur. Je vou.. 
lois leur parler, ,11^ voix expiroit fur mes.levres. 
Eniln jp m'élanqaJL Ifois, de cette m^ifon , où j'au- 
rois dî^ mourirr. h'iranga du duc alors vint fe 
préfenter à moi.. Je vis en lui le bpurrcau de 
i^datne de Syrcé ; de Sidlejr , Iç nûen. Je cours > 
r^eil ardçn t de cou)to^ , récitant la vengeance. . 
Héks ! pies genou.^ fç.déroberent fous moi i je 
nçjpouvois,mefputenic,;&i| fallut me ramener 
c^z. mpn père, où j'ai pafle la mût la plus hor-» 
t'ihle , mais fan^. a^ndonnçr un feul, îfiftant 
rjdéc de percer le cœur du perfide qui m'a perdu. 
. Je fuis plus calme dans ce moment ; on a une 
lueur d'efpérance... Aimez-moi, plaignez-moi. 
Je fuis le plus coupable des hommes i mais 11 
n'en eft point de plus puni. 

Vij 



-M>,Google 



LETTRE XL IX 

^f madame de Sancerre 3 oh marquis de Syrcé, ' 

jN B partez point, je vous en conjure, ne partez 
point. Hélas ! que viendriez-vous faire ? H n'y a 
plus d'elpoLr. En vain j'ai compté fur fa jeanefiè , 
fur Ton courage ; il faut fe réToudre à la ptus hor-' 
rible réparation. Voici le huitième jour que je ne 
tnefuiscouchée; je veille à cûté d'elle, les yeux 
attachés fur les Hens. Je ne la quitte que pour 
pleurer. Quelle femmefqiie de Qualités que nous 
ne connoiflîons pas .' O Dieu , tu lut pardonneras 
fes Tautes en faveur de Tes vertus ! 

Hier, elle a fait venir fés ênfans % eltejes a' 
tenus long'tems embrafles. Souvenez>voiis de 
moi , leur a-t-ellé dit ; aimêi ^6cre pcre , refpec- 
tez-le toujours » & mérhêz les bontés. Je fan- 
glottois , je fondois en larmes , & c'eft elle , c'eft ■ 
elle qui me confoloit ! Je lui ai' montré votre 
lettre ; elle en cft bien recortnoiflante. Voici fa 
réponiè , qu'elle m'a remife toute cachetée. & 
qu^elleme recommande de vous faire tenir. L'in- 
fortunée, avec quelle joie je racheterois fcs jours 
de tous ceux qui me fout réfèrvés ! Moi, lui fiir- 
vivce , moi ! Mon cœur fe fctre , je ne puis tete« 



1, Google 



DE L I N C O N S T A N C E. ?09 

nirmes pleurs > ils inondenc mon papier. Ma- 
dame de Lacé entie. Cette digne amie! elle ne 
quitte point ma chère fille. Tout le monde Taie- 
ine : & il fàudroit ta perdre ! ... Je me meurs . . . 
Je vous écrirai demain . . . demain ! O ciel ! . . . 
}e n'en puis plus. . . . Adieu. 



*^ra^ 



LETTRE L. 

De la marquife , à M. Je Syrci. 

JE vais paroUre devant un juge que je ne puis 
croire inexorable. Av^nt de Lui rendre compte, 
}e .TOUS dois la vérité. Je n'aurois pu foutenir 
votre préfence : je ne mérite plus .vos regrets ;. je 
ne veux pas les emporter. Je ne vo^s parle point 
des horreurs de mon repentir ; une ame telle 
que -la vôtre n'a pas belbin de vengeance. La 
.roort'Teule pouvojt m'arracher au erît^, au 
snalheur , à la honte ; & J'en bénlroïs les appro- 
ches, G je ne coûtoîs pas des larmes qui me la 
lendent afFreufe. .Pardonnez .... bientôt je ne 
,vôus ofFenferai plusv Mon cœur va, fe fermer 
même au remord .... bientôt il ne re(tea:a de 
moi; que des ceudres froides & inaiiitiiées. . . . 
Daignei ne point haïr ma mémoire. ... Vivez 
heureux. L'inllaat redoutable s'apprête.... le 

V iij ■ ; 



_ D,m..ril>,GOOgle 



jie LES Malheurs 
tombeau s'ouvre pour me recevoir. ... J'y vais 
defcetldre .... il faut tout quitter , & pour ja- 
mais ! Confolez la mère la plus tendre . . . -. qai 
vos enfans vous foient chers. Ne me ptcufe^ 
point . . . . j« meurs coupable. 



«.=»Ci^ 



LETTRE L I. 

D« comte de MirbeUe , au chevalier de Gérae. 

v7ùfuis-)e!quevois-je!....un cercueil!..^. 
'JVi peine àretenir mes cris. .. .Eft>il vrai? Làtf- 
lèz-moi me plonger , me cacher dans \t fein it 
Tamitié. . . \ Pat tout perdu ; Si dans fa ïblitudie 
immenfe 6û je me tro'uve , d&hiiré de reiriotai , 
-pourfuivi ^^ des ombres, c'eû fur voosijàele 
tne jette. Elle étoit mieux, Je lecroyois.... fb 

'vous revois mandé )e' refiArois? . . . . Mtéux 

îperôde ! tueur formidable » qui brifloît fur uti 
fépulcre ! Elle efl morte * . . . . Qpi ? Madame dé 
Syrcé!. .. .Oui, c'encft felt.. ..rien n'apa h 
fauver; elle e{l morte & vengée. Aurai -je h 
force de pourfuivre ? Je l'aurai .... c'eft mon 
dernier effort, il cft aâreux> )e me l'impofe. 
j'aime à me pénétrer de mes maux, à ta'eh 
nourrir , à m'y concentrer.Ma douleur me plaie i 
& û quelque bien me refteau monde , c'en Tex- 



D,™),.rib,Google 



DB L' Ï-S.C © « « T A HTC Ë. JH 

.cèsâe<inondé^rpoîr ,., .il fîlijrai.i^tout va 
:£nir pour moi. Frém^ez. La nuit dtijour même 
'OÙ )« vous, 'cohfon tÉiéi erpéraoces:, j*GrroiSi 
ii»imniie j'ai toujours faktdiirantotttcBitale ma- 
Aadieyfèixbis'-mtmaàt.i'itiad-dtttbadaxoe de 
Sancecre. OpenebUit! gueltes ténèbres f Jamais 
:«U«s ne «Cma^eat pwta fi ..in:afdntîes. Je les 
■voyâb teintes-cle-jAtig ^ ■& yy raaithois au ha- 
SudiSbymé dais-mçà râlextions. Tout-à-coup 
Yen tmsMRxtât'ptfànf'aas lugubres. Jrcour^ t 
Je m'âancetil ih fflh du minivetaent, -la porte 
aVayrci deB^domeftiqliés rorcènt» j'emepréci- 
^te ïkta hoetppet^u. J'avance j je nf enhardis » 
)c monte , j'èntiQ , poufie par an ateifaît funefte , 
j'entre , ô bieL ! icfaun la chambre du malheureux 
objet dont j'ai'eau{l& la perte. Qpel fpeâacle! 
JllxdaQiedeSBltceiTe'éVanDDiei Soiihte^au mi- 
'Ëeu'desfecerurBi qu'elle hii donne; pouSÈtntdes 
TorisfaimeataUf»; ntadamede Lacs'ijai fuit, ef- 
Ëa;ée dé moii «Epeâ ! Les- re^s de 'quelques 
lonriêres.éokiijoieRt cette fcene fun^re. J'apw 
liEoche } j^ouTÏre les rideaux d'une main trent. 
-bJante, malgré Jés lâllances , 'l«s;laimes, & tes 
ot)poiîtkms'dâ llioeonlàlable Sophie. 'Dieu .'.. .'. 

ô Dieu ! :Mon ami , toutes les grâces , toutes 

les vertus, tant ce que j'adotois, immobile , en- 
ieVeli dass unTommeil étemel .... attendu aa 

V ÏT 



M>,Googlc 



^12 .: .1; r.S M A 1, 'H'Z V R 8 .: 

t -fein delà terre! . ...&]'» pu y fiirrivreî..., 
\ Madame de'Syrcé „ . , . elle n'étoit tint , elle 
venoû ïd'-aspirer .... Elte n^ébik phis; mais la 
pâleur dir trépas n'£toit posnt encore fur fon 
front, &Ja mort mème-n^voit'pii la défigurer. 
Elle vit enoore , m'écripiljè-! A fSnftant , je faiiîs 
fes mains , feS'inains gtaceK, que je Escbaiiâè 
dans lesniiennes. Je cbecdieal ranimer de tpon 
fouffle quelque fouffle égara d'une vioi hélas! 

,qui étùt difpamcf. Je lai 'park>is commV Ci ma 
Toiï avoit pu airivet ji^qu*ji cUe. C'eft. tm 

• nmant , c'eft lut > c'eft lui qtti vêiUe'i tes càti*. 

, Rcnnis , '6 la plus tendre ^«''ifonnnfls * la pliR 
honnête, la moins connue,;. renais aux cris «le 
la douleur, à la voix de l'asiciHl'. Maïs-, quand 

! des Hgnes trop certains m'curenit aHuré du maU 

■ heur^oxribte-dont je doutais. toujours, je nfl 
fus pluS'<ni3ÎtTe' de me* ti^fports. Je m'attsi- 
chob.à ces^rieftcs inaniniés,' jeles courroUda 
pleurs'tje les preffc^s dansnjes bras, jenepou- 

-vois m'en faparer. C'étoittw breTor'qne jédif- 

ptitoisjifuej'enviais'àià tombe; En vainSophte 

éplorée me: conjuroitrdefàâir auront que ma. 

: .dame.de Sancerre ceviiitià.dla..Lài&-moi , lui 

. dis- je f je veux que les yeux de cette malheu< 
reufe mère me voienc , en s'ouvrent , expirer k 
côté delaâUcidefa allé que j'ai^perduQ, de fa 



n;r;>-M>,GOOglC 



P E. 1 I N C O N 8 TA K C B. r?î^ 
fille dont je fuis l'aflàffin. Je veux cfueCout raoh 
Ding coule fiircelitde mortj&rejaillilTefurma 
viâime. Faif monter les domeftiques, qu'ils me 
déchirent* qu'ils m'immoleiit à leur m^trefle , 
qu'ils la vengent. ... Ce dernier mot m'éclaira.' 
Au milieu de tant d'objets cruels , l'idée , l'af- 
freufe idée de l'auteur de tous mes maux vinc 

. fe remwrtter à moi. Je forris . je volai cher lui : 
tous mes mouvemens étotent convutli^ ij'étois 

- pouâe pat Iqs furies. Je trouve le ducqut Ecn> 
troiti me reconnoilfcz- vousi lui dis-je':' Vous 
voyez le plus mnlheureux des hommes , & le 
plus malheureux par vous. Ma pâleur, mon 
effroi , mon trouble , voUs annoncent que j'ai 
tout perdu. Il ne me refte qUe.ta vie ; elle me 
pefe ; veftezriiè l'arracher , ou périr de ma main. 
Suivezanoi; IL .y confentit . :. . .. Et cet homme 
avoit-ducpurage! ' . 

Pendant qUe nous roArcbioA», le monfire plal- 
fantoit.lS'j* frémiflbis dexolerc. Arrivé fur fe 
lieu , il fe mit m garde aVec un fourire ironique 
qui redoubla, ma fureur. Je fondis fuc lui :.fon 
■fang Jroid ùe^put le fauver ', &^ défendis de tage 

. une mileniUe vie que mon déferpoir auroit fans 
doute abandonnée. J'atteignis, je per(;3i le cœur. 

: rinfame -cceut qui avoit flétri, corrompu, dé- 
chiré te mien. Le duc fe débat »tombe , chancelé 



h, Google 



;r4 .Les Malheurs' 
& meurt. Mais , vous l'avonetai-je ? je ne pus le 
voir expirer , fans une pitié que le barbare ne 
méritoic pas. 

Après ces horribles fecouflês , je fcntis ma foi- 
faleCe t & j'eus bien de la peine k me traîner chez 
mon père. C'eft de ma chambre que je vous écris, 
les yeux rouges de larmes , me déoftant moi- 
même , abhorrant la himîere. . , Ah ! Went6c. . . 

Adieu 1 le plus vertDcDz des hommes. Dans 
l'univers je ne puis plBsregretter que mon père 
& vous.. .Mon heure eft venue. ..Adieu. 



LETTRE LIL 

Du chevalier de Gérac , au. comte 'de MirkeUe. 

IVjEon père eft àJ'cztrimité... je ne puis le 
quitter , je ne puis voler à vous. Qjie m'avez 
vous écrit ! voire kee^t e^ venue ! J« firifiènne. . . 
Je dépêche un couriér r j'efpere qu'H arrivent 
-affez tûe , & que vous ferez fenOble au dé&fpoir , 
aux crûntes , aux inftances de l^miifié. La dou- 
leur ne rend pomt barbare. Hélas \ mes larmes 
routent, & je ne prétends pas v«is confoler. 
Fleurez , malheureux , pleurez \ 'mais vivez , 
vivez pour votre pete , votre famille, votre ami : 
c'eftle dernier vœu de celle que vrnis aimâtes. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



DE L'iNCOirsTANeE. 5 If 

& c'eft moi qu'elle en a rendu le dépolîtaire. Je 
TOUS oâre une retraite ; venez , vous y ferez 
libre > inconnu , fî vous voulez Tètre.Nous avons 
des rochers, des forêts , tout ce que cherche unfe 
Ame inconfolable. Si vous le defîcèz , je ne vous 
Y Tuirrai pas ; H tnes pleurs ne vous font point & 
charge , je les confbnârat avec les vôtres. Mais 
peut-être en cet infiant. . . Infortuné , prenez 
pitié de vous-même , de moi ! Je tremble pout 
les jours de mon père. Hélas I s'il ni'eft ravi , me 
laifTerez-voàs feul au monde ? Je n'en puis dire 
davantage.'. .Les momens me font chers ... un 
feul ... Je ne refpire point-. . . je frémis. . . 
Adieu. Gardez- vous . . . Adieu , cruel aroî. 



=^a^ 



LETTRE LUI. 

Du comte , mu chevalier. 

JtrôÙR comble de malheur, je vis 'encore. A 
peine j'avois écrit ma lettre , à peine je l'avoiï 
remife à mon valet-de-chambre, que mon père 
parut à mes yeux ; fon afpeâ me terraOa. Mes 
gens, effrayés de mon défefpoir, l'en avoient 
averti. If étoît pâle, tremblant ; ii recula d'ef- 
froi, lorfqu'il apperçut entre mes mains l'aïme 
qui m'altolt délivrer d'une ezifience qiie j'ai en 



■D,™),.rib,. Google 



ji^ LesMalhbvrs 
horreur. . . Malheureux ! me dit-il < . . 61s déni- 
turé!... mon fits* mon cher fils!. .'. Elle eft 
.morte , m'écriai>je . . . j'en fuis la caufe . . . elle 
ell morte ! . . . lailTez-mot mourir. A ces mots , je 
tombe évanoui. . . Une fièvre violente , le trans- 
port , des accèf de rage fuccéderent à cet état 
d'anéaiitiâ*ement. . . Hélas ! je revins à moi. Que 
vis>je , 6 mon .ami ! . . . mon père me ptelTanC 
contre Ton feiiit m'arrofànt de Tes larmes, me 
conjurant de vivre ! Veux-tu déferpérer ma vicil- 
' lefle ? Veux-tu que je la tratne dans-)e deuiU 
Tamertume , les regrets , fans appui , fans confo- 
lation , fans toi ? . . . Veux-tu enfoncer le poi- 
gnard dans le cœùr;d'un père ? N'es-tu pas aSet 
coupable ? Mon fils , jurez-mot de ne point atten- 
ter à vos jours : à ce prix je vous pardonne. J*ai 
appris votre combat avec le duc , j'en fais les 
fuites ... ne craignez rien , vous ites trop mal- 
heureux pour que je vous accable. Fuyez pour 
quelque tems , j'obtiendrai votre grâce: mais 
faites-moi le ferment que j'exige. Je vous l'or- 
donne . . . mon fils, mon cher fils! . ..Je voulus 
me précipiter à fcs genoux. La nature comman- 
doit. Qu'elle a de pouvoir ! j'ai promis de fouâfrir. 
En obéiflànt à mon père , j'aurai le trifte plai- 
iir de ^isfaire à des ordres encore plus puillàns 
iur|moi que les Cens, aux ordres cruels & tou- 



I.; Google 



DS lM»co»«taiicï. ?I7 
chatu qoi développent R bien l'ame Tenfible, 
l'ame aâor&blci-à laquelle enBa vous rendes' 
juftioe. . . J'eofle été trop Heureux de ta falire.' 
Ma lettre écrite , je pdrs , je vais m'enfevelir 
-'dans une^des terres de mon père, à deifx ce'nt^ 
lieues d'ici. La vôtre, mon cher chevalier, ti({' 
trop voîllne de Paris , de ce féjour odieux poui' 
mot Je vais dans une folitude profonde 8c qui 
ine plaira , être tout entier à nies.ennuis> y^ cher- 
cher l'ombre, des bois les plus épais , nt'attàch«i;^ 
à toutes les images du tombeau , (aire tstetltilf 
mon défert des noms facrés de deux objets char- 
mans que j'ai perdus, que je regretterai toujours. 
Jefuis trop infortuné pour m'offrir même à vos 
yeux. J'ai befoin d'qtte feul , de me nourrir de 
mes larmi lient 

eâbyées d rela- 

tion trop t con- 

Ibler.' moi [e de 

tenirmap surs, 

mais les ( arrai 

jeune ; je srme 

fouhaité. le de 

Syrcé repofe , de ne Former aucun lien , de vivre 
ÎTolé , d'exider pour la douleur , & de porter au 
cercueil un cceur fidèle à l'ombre chère & plain- 
tive d'une femtqe idolâtrée. Efi-ii un mortel plus 



D,™),.rib,Google 



}iS Les Malub^R£ n&L'iNcoMSTANeE. 
j^pbùdre que votre «mi ! Je prive l'huinauiité de 
4euxf«nroesquU'lK)noroiem:runeefttiiorte.,. 
l'avcre s'eft enfevelie dans uo clcûtre. EUe elï 
ajix carmélites, de *^*. JefuisoUigédefuirt^e 
ip'atracher du fein d'un pcte * 9i je refte feul 
4aiis U nature . . . pour ivoii écouté les coufeiU 
<f H» homme frivole ! 

. Fuiflc au moin» mvn exemple effiarez tous 
eeuK qui fe font un; jeu de rïnconftancr&'dela. 
pccfidie! Qp'ils me contempleat , ils frémiront. 
S(. peut-iae ils feront corrigés. 

Ftfi de la féconde ^dernière partit. 



D^,),.rib;GoOglC 



^ ,^^=^ , ..«Pg^ i V^. ^^^^^^^ 

FLOB-ïCOUIlT, 

HJSTOJRE FRANÇOISE. 

XiiE chevalier de Florieourt étott un de ces hom- 
mes oiâfs & brujpans qui furidisi^ent & embeU 
liflèiiC' ta Ibciété. Jeuae, riche, d'une figirre. 
charmante , il fe ororoit di{{icnfé d'avoir des ver^ 
tui. L'inconréquence I la l^^reté, Toahli des 
autxes & de lui>mëine,formoietitroncara(^ere; 
il étoit &t , indifcrec , fourbe > vicieux mèdie par 
air plus que par tempérament. Les femmes le 
voyoientavec plaifir; il les amufoit ; il n'en vou- 
lait qti''à celles qui lui telTembloient. A peine en 
avoic-i) triomphé , qu'il leur cendoit la liberté , & 
leur demandott très-inftamment la fîenne. Il 
n'étoit amant que dans refpoir d'être infidèle. 
Trompeur, trompé, heureux fans lavoir pour- 
quoi , il promenoic de cercle en cercle Tes travers, 
fes perfidies , (on fafte , là brillante inutilité. 
C'était on homme d'un très-bon ton. 
■ Un jour que, dans un tourbillon de jeunes 
fouf , il Ëiifoit parade ds fes bonnes fortunes , 
il &ut avover , lui dit le marquis de * * "* , que 
tu es bieaheareHfcmeatné. F-èté par nos Lak 



D,™),.rib,GOOglC 



jla FtORICOtillI', 

étégaiites ( prerque ttiiné {wr «lles« tu jouis « mott 
cher , èe la r^utation la plus diftinguée i il ne 
manque ^lus à ta gloï» qu« d'avoir fubjugué 
une tionnète femtne , reconnue pout ttlle..^ 
là . . . une femme à lentLtnqns. ParUeu , teprit 
Flpricourt, voilà qui eft bien difficile ! Apprends* 
marquis , que lés .honnêtes fealmes i'enl pius 
aiCees à vaincre que Iw autre* , parce qu'HIes 
font de meilleure ((ii,'& qti'avec beauooup de 
décence. . . Si tu veux, j'en entreptendiai une^ 
A la bonne heure, ajdute le marquii. Tu ea 
auras le plailîr , continue Floiicourt > ta en auras 
h ptaifir } & pour te prouver combien je fuû-fûir 
ik mun firit , je veux te nommer d'annce l'objet 
que je compte facrifier à la témérité deton défi : 
c'en madame de Tcrville. Tu fais qu*dHi eft très- 
hieu , & que nos merveilleux qui rodoîent à t'en- 
tout , f ont échoué. La diificulté''me ptqBb. ' 

La marqulfe de Tetvîlte étoit une Teuve 
jeune , bien laite & jolie ; elle n'avoit jamais 
cédé à la féduâion , du vivant même d'ub mm 
qui ta^endoit malheureufe , & que , midgré fes 
mauvais procédés, elle regrettoit ï3tcore.i.a^u« 
c«iir« la franchife, la générofitéi cettcfiifliUté 
funefte de fuppofec dans les autres les 'VttCusqua 
l'on a foi^mème, telles étoient les tiualités da 
fi>n cœur & de Ion eQ^c. On applaudit su <hoix 
judicieux 



i>tCooi^le 



HISTjOIKE rR&MÇOISE* ^It 

Jodicieux de Flocicourt, & Taréopage de nos fata 
contint unanimement que madame de Tervilte 
- rnéritoic , à cous égards» l'honneur qu'on vouloic 
lui faire. 

Le chevalier ne perd point de tems > il part» 
vole , arrive chez la Riarquife» qu'il connoiflbit« 
& qu'il n'avoit point vue depuis un fiecle. Elle 
^toit feule & chagrine. Quoi , c'eft vous , lui^ die- 
elle ? & d'où yenez-vous? Cefl un prodige de 
TOUS voiri mais vous avez mal pris votre tems: 
TOUS me trouverez infupportable , car je fuis 
trifte. La trifteffe , reprît vivement Floricourt , 
ajoute à ta beauté. Point de complimens , répond 
madame de Tepille} je ne les aime pas j vous 
iiugmenteriez mon humeur; ce n'elt Rarement 
pas votrç deflein. Il remarque en elfet dans tes 
yeux de la marquife les traces d'une douce mé- 
lancolie ; mais it feint de ne pas s'en apperce- 
voir. It parle d'autre chofe, fans cet air éventé 
& préfomptueux qui l'accompagnoit orilinaire- 
ment. Il contraint fes gcftes , fes regards , (à kqpa 
de s'exprimer i il affliâe même d'être timide & 
modefte ; en6n il emploie tout ce qu'il faut pout 
préparer un cccurà l'imprellïon qu'on veut lui 
donner. Le piège eft d'autant plus inévitable 
qu'il eft imperceptible. Eh vérité , lui dit la mar- 
i)uife , vous m'étonnez * je ne vous reconnoit 
Tome y, X 



h, Google 



^la . . F L e R I c V R T, 
(lus. Je vous alTure que vous êtes devenu trè$- 
raifonnable > mai» très-rftiToBnsble. Qih vous s 
donc n bien corrigé 'i Moi-même , madamci mec ' 
réflexions , l'envie de plaire à des femmes qui 
le méritent. Jufqu'ici j'ai connu l'ivreOe, & non 
ie plaiGri il Te trouve dans la bonne compagnie. 
Fout m'en facititer l'accès, )'aî changé de ton, 
de hingage , de cœur. Je vous en fais mon com- 
pliment, pourfuit la marquife ; vous en ferez 
beaucoup plus dangereux, mais bien plus efti- 
mabte. Continuez , monfîeuc} avec île telles di& 
pofîtions, TOUS ne pourrez manquer de plaire & 
d'être heureux. La marquife s'abandonne à un 
entretien qui la flatte. Le chevalier le prolonge 
adroitement, & y répand cette douce ehaleut. 
cet intérêt gradué qui enhardie ramoVr-proprt 
des femmes , fans alarmer leur délicateâe. L'une 
donne des leqons aimables avec le fourire des 
grâces ; l'autre tes écoute avec une doucear con- 
certée qui en impofe. Son ame vient , pour ainS 
dire , fe placer fur fon front , & y jouer tout 
les rôles dont le traître a befoin pour aSurer foa 
triomphe. H étoittard^ le chevalier, content de 
Tes progrès , fe levé > baife très-rerpeâueufement 
la main de la marquife , lui demande la perminioq 
de revenir, l'obtient , & la quitte en lui jetant 
un regard qui » dans fon plan > dcvoït l'occuper 



-M>,Google 



H I s T o i R K r K Â ^ 4; o i S e. ^^ 
-jiendant fou abfeoee. En vétité > fe dtuelle à elle.- 
mème , il eft étonnant combien le chevalier s'e 
formé ! Mais quelle fantailîe lut a donc pris dp 
me venir voir , sprès m'àvoir oubliée Ci long- 
tems ? Après tout , que m'importe fon motif? Elle 
prend un livre ^ le quitte , fe promené. Elle croie 
avoir perdu de vne Floricourt ; elle eft tout éton- 
née de fe fiirprendre penfant à luï^ ' 

Floricourt j à la feoonde vifîte , efi: encore plus 
aimable, plus féduilànt, Lb marquife commencé 
à craindre fes afliduités ; elle iie veut pourtant 
pas les lui interdire) mais elle s'étudie à ne don- 
ner aucune prife fur elle. Il léfolut d'être plu. 
iieurs jours fans la voir. Ce firatagème réullic. 
La marquife ell inquiète , rèveufe > elle craint 
, que le chevalier ne revienne plus , & tremble 
qu'il ne revienne. Une femaine fe paflè. Un 
■ parent de fon mari , un jeune officier , nouvetle- 
menc arrivé de la province i fe prélème chez elle. 
Floricourt entre prefque en même tems. L'habile 
fourbe prend un air dîftrait, embarrafle; il joue 
la jaloufie : la marquifes'en apper<joic î elle laifle 
échapper un coup-d'ocil qui , en apparence , dé- 
concerte le timide Florij:ourL La converfation 
expire à chaque înftant dans un froid Glence, 
' & ne fe réveille que pat quelques triftes mono- 
fyllabes. Le jeune offîcier tient faon i il étoic. dé- 
Xij 



-M>,Google 



5i4 F t o R I c u B t; 

fœuvré , peu ïnllruic des ufages ; ÏI ne favoit pat 
qu'un homme eft perdu dans l'erprit d'une fem- 
me, lorfqu'il dérange Un tète-à-tète fur lequel 
elte avoit compté. Fioricourt profite adroitement 
de cette circonfiance , pour jeter du trouble dans 
le cœur de madame de Tervîlle }il Toit , en priant 
qu'on ne prenne pas garde à lui : il fe doutoic 
bien qu'on feroit attention à une éclipfe auffî 
brofque. La marquife , feule avec fon ennuyeux 
& cruel petit parent , prend le parti de bâiller & 
de fe taire. A la an il apperçoit qu'il incommode » 
qu'il excède , qu'il afibmAie ■> il prend gauche- 
ment congé de là marquife , qui , apiès une ré- 
vérence glaciale , retombe anéantie dans fon 
feuteuil. ' 

K.efpirons , dit>elle; je n'en puis plus } je me 
meurs. Quel homme ! Qu'il eft haîflàble! Que 
dira Fioricourt ? J'ai lu Ton chagrin , fon embar- 
ras dans fes yeux ; j'ai cru même y remarquer 
une nuance de jàlouHe. Pourroli<il , fansm'of- 
fenfer , être jaloux d'une pareille efpece ? Que . 
dis- je! efUcequeje defire qu'il le fott? L'aime, 
roîs-je ? . . . Moi , m'attachcr au chevalier ! Je fai 
Ëonnu lî léger , G volage ! Q.u'importe ce qu'il a 
été ? Ne fotigeons qu'à ce qu'il eft. Ah , malheu- 
teufe, tu l'aimes, ptrif^uetu le juftifies! Ma- 
dafne de Tervilte imÂe % timt entière & iouVt 



h.Gooi^lc 



HiSTOIRB FRANÇOIS 1. ^If 

U journée du lendemain dans ces cruelles réSé. 
4oos; Le foir, plus agitée que jitmais , fongeant, 
au malheur qui 14 menace, elle fe jette fur un 
lit (Je repos , & ne peut retenir Tes pleurs. Son 
délbrdre , fes cheveux épars , fes larmes même , 
tout en ce moment fembloit fe réunir pour la 
rendre encore plus belle. 

Elle étoit dans cette fituation , lorrqu'on an- 
nonce Florîcourt. A ce nqm , elle fent errer dans 
fes veines un dou? frémiflemcnti elle veut en 
yqin cacher fon dcfordre. Qu'avez-yo^s , lui dit 
le traître avec attendciSement? Quel peut être 
le fujet de vos chagrins ? La marquife détourne 
l'entretien fur la derniers viGte du chevalier, 
fut le jeune homme qu'il trouva chez elle. Flo- 
lîcourt faiGt cette occaHon pour préparer l'aveu 
iju'il niédite. II lui laide entrevoir qu'il avoit 
déliré de ta trouver fpule} qu'il étoit Jotti déref- 
péré de ce contre-tems i qu'elle avoit du s'apper- 
cevoir de Ton trouble > de Ton embarras > de, . . 
IVtais ce coup-d'opil , djt-il , me défend de pour-, 
fuivre- Ce coupTd'œlI ne vous défend rien , lui 
répond la marquiCe en foiiriant. Quoi, madame, 
t^tend F'oricourt avec tranfport , vous me per- 
mettriez. ... Je pourrois. ... Ah .' marquife , il 
n'eft plus tems de iiTe;t8ire ; mon trouble m'aura 
6ns doute trahi. Apprenez qu'à la vue de cpt 
Xiij- 



D,m.Prib,GOOglc 



ga5 Florïcourt, 

ïiomme j*ai featî dans mon cœur des mouv«« 
mens dont je n'étois pas !e maître. Vous m'en, 
tendez ... cet aveu ne doit point vous rurpcen* 
dre i vos charmes , ma fîncérité juftiâent tout. 
Ce n'eft jamais l'amour qui doit oftenfer !es 
femmes ; c'en la légèreté > la perfidie ; & )e fens 
que je vous aimerai toujours. Jugez de ma pa& 
iîon par ma témérité. Mes fentimens s'échap. 
pentde mon cœur ; maïs ils font tendres , Ibu,' 
mis , refpedlueux', dignes de vous. Pendant cette 
déclaration , la marquife regardoit Florîcourt 
avec un ceil fixe & tendre. Elle ne lui répond 
pfis ) mais Ton filence parle pour elle. Ah * ma- 
dame , vous favez mes fecrets i ne puis-)e être 
jnftruit des vôtres ? Que craignez- vous de moi? 
Qiie craignez-vous d'un homme qui vous adora? 
Votre timidité me flatte & m'ofienfe en mèmt 
«ems. Ah *. parlez ; rendez - moi le plus heureux 
àes mortels. Je tombe à vos pîeds ; je meurs d9 
mon amour ou de votre filence. Si nos fecrets ftt 
reflfembloient , lui dit la marquife en rougif- 
Jànt. . .S'ils fe refiembloient, madame!. . Qu'ai- 
je entendu? Puis -je me livrera un efpoir qui 
ni'enchante ? Eclaircifleï mon fort. . . Que je 
iOrains!.. Qiie je de(î-e1 Que. , je vous aime !;.■ 
Vous vous taifez ! . . . Ahffele'vots .. . je mé fuis 
;abuféî vous n'avez fait baller à mes yeux uii- 



M>,Google 



HlSTOTRB- FRANÇOisï/ J^f 
fayon d*-efpéfance , tfùe t)our me plongée dans 
Jedétèrpoir. Nos fentimens n'ont rien de cona-, 
Amti. Ken , cruetie'i vous me haïiTez, vous me' 
JéteftéE. .. .Arrêta. obevaUet, interrompt la 
marqBiTe avec précipitation j eft-ce aihS t^ae, 
vous devnez incerpi'éter be qUe vcwâven^d'an.' 
-tendre ? Eh -bien , connotdèz>moi , puifqu'il le' 
faVt, puifque tneGjreaz ne parlent point aiîèz , 
.^uir^U'ati moins leur langage vous eft faf[»e(ft. 
tifez dans mon cœur,' datis ce cœur où tous r«- 
gneV". . '. Non , chevalier , je ne veux ^s em- 
ployée avec vous ces détours uTés &"puétile5.« 
^uifontmoind UsCombatsde l'honneurqueles 
manèges de ta faUfleté. Je- vous aime ;-je' crois 
^ue vous le méritez : je vous le dis; il feroic 
inutile de le taire ^tus long-tem& Je fuis foible s 
au moins âi-rje la fermeté de le paroître. J'ima- 
gine après cela , que vous "ferez de bonne foi , 
que vous ne chercherez pas à me tromper. Moi* 
vous tromper , madame , moi ! Quel foapçon in- 
jurieux! Jugez-vonsî vous verrez qu'il -eft im- 
poflîble qu'on TOUS fmt infidèle. Ah, ciel, tra- 
hir l'efprit, la beauté, les grâces t L'amour que' 
vous m'avez inrpiré ne rcflemble point aux au- 
tres amours. J'ai cru trouver en vous t'amante 
fenl]ble-&ramiérai(ôlitiable. Ah, quevousme 
:fl!ittet.en me parlant aïnfi , lui dit ta marquife ! 
X iv 



D,™iprib,GOOglC 



jag F- L O R I C O H « T , 

Voilà juftement ramour que je voulois ril n'efl 
pas l'enfaat du caprice ; i) fe fuffit à lui-mâmc s- 
il vit de lui*tnème) il nevoi^horsde lui que ds; 
hax plaifirs * des fenùinens cMUreBiits , le oiaf*. 
que du bonheur. Madame de Tecville n'eft pluS; 
en.éEat.d£/ormer aucun doute fur la vérité dea 
fetitiraeus de FloricourL Mais fi elle a evlafoi-: 
bleâ*e d'«vouer fon penchant, elle a encQifsff^ 
de courage .pQur n'y pas fucconihec. Tous les 
eâbrts du chevalier font inutiles. Il Eoafçrmç 
foti dépit , & (ait: paflTei fa foumillîon pour 1a 
triomphe de l'amour. Là'maFquire donne i iou- 
per ce Toir-là ( elle n^ofe le retenk i il faut fs. 
féparen II afièâe les regrets les plus touchans i. 
à chaque inftant il eft fut le point de Id quitter , 
& il demeure toujours. Il fort enân avec toutes 
les marques du défefpoir , & rit en fecret d« 4a 
crédulité de madame de Terville. Dès qu'elle eft 
ieuie , elle réfléchit fur ce qui s'eft pafl%. L'aveu 
de Flortcourt , le ûen > tout cela lui pncoU ui 
fonge : cependant elle ne peut fe cefufér à une', 
fatisfa^ion fecrete. Elle croit Fiorlcourt ûncere i 
le changement de fa conduite juftifie fa con- 
fiance. H avoit pouâe l'drtifîce iufqu'à renoncer 
à la fociété des jeunes gens defonâgeson ne le; 
voyoit plus que dans des maïfons honnêtes * & 
de Ktut côté on en àiÇçist du hisn à la m^rsuife , 



D,™),Prib,G0pgle 



HiSTOIRB FRA9i;0ISB. 7I9 

&n&qu'on foupt^onnât l'intérêt qu'elle pouvoît 
y preodre.. 

Sofi.mQncIe arrive ieU« tt*# à rien. On lui 
parle; elle ne répondras. EUç'a ^pendant tou( 
le foupé , des diftrat^ons dont elle ne peut f? 
défendre. Les plaifanterles qu'on lui iàit la dé^ 
concertent. Vient le moment, où l'on fe retire^ 
Elle penfe tqute la nuit à Floricourt ; à fon lever 
elle re^it de lui la lettre la plus vive , la plus 
paŒonnée,qui lui annpni;oit la viûte du foir. 
La marquife l'attend avec impatience ; mais cette 
impatience efl: mêlée d'alarmes. Elle n'ofe plus 
répondre d'^Ile-nlêine. Elle fç raûure par l'idéie 
que Floricourt ne refufera pas de s^unir à fôn 
amante par un nccud folemnel. Il paroit. Elle lui 
propcfe fa main. Si vous m'aimez véritablement » 
diuelle, ma vert,u > monhonneur, ma réputation, 
votre félicité même 4oiv«nt vous être chères. 
Rendons»nous refpeâables à nos propres y%Dx » 
provenons les remords & les difcours d'un mo|ide 
frivole & méchant. quiTemppifo^neroisnE les 
charmes de notre union. Venez aux pi|Sds deg 
autels recevoir le ferment que j'y prononcerai 
avec iranrport > de vous aimer toute ma vie. Flor 
ricourt paroit enchanté de la prpppfîticm : il fç 
contente de repréfentcr ^ I9 marquife» avec une 
^guleuï toulée 1 que. la fituation de Tes a&ires 



-M>,Google 



5ÎO !F t 6 R i e o tf R T, 

jie Ibï permet pas dans cemomenc de oontraâer 
le plus beau des liens i mais il lui promet , il lui 
jure fur tout ce qe'it y a de plus facré > de n'^e 
de Tes jours. à d'autre -qu'à etle , & de difporer 
tout poui' hâter cet heureux engagement. Il nV 
jamais été fi adroit , fî prenant , û* perfualifi 
jamais la marquife n'a été Hlbible, Ses regards 
deviennent plus tendres , déjà elle laîflè enreï 
fur Tes lèvres enflammées cefoufire«RchaMeur 
qui peint G bien l'ivreffe de la paffion. Le joue 
buif^ i cette obfcurité , en ^argnant à la mia- 
guiPe l'embarras de rougir, favorifefâ dé&ice. 
Tous fes gens font dehors. Floricouit devient 
entreprenant. A peine s'apperçoit-on de fes pro- 
grès. Notre lëdùiaeur met dans fon triomphe 
toutes les nuances , tous les ménagemens , tou- 
tes les gradations d'un amour qui craiht d'être 
téméraire. La marquife'ne voit plus le danger 
qui la menace; la raifon quïluieft fi-natiirelle. 
la vertu & chère à Ton cœur , eeflènt'pouf us 
moment de réclaîret ; moment fiiHefte , que 
l'amour ne laiâè pas échapper. Rsvenue à elle- 
inÈme ,■ elle demeure interdite & tremltlahte ; de 
triftes preffentimens viennent la faifir: Florï- 
court Ja raflure avec eette éloquence qui femble 
panir ducœur. Mais il manque au perâdc un 
gage gui puîSe attefter & viâoîre. Il dettiind? 



-M>,Google 



Histoire Françoise, ^:ji 
k madame clé Tcrville Ton portrait; elle le lut 
Accorde. H baife mille fois h main qui lui fait ce 
rréfentt lui promet tout, bien décidé à ne lut 
rien tenir , & la quitte avec les aiîurances réité- 
rées d'un attachement qui ne doit finir qu'aVic 
fa vie , & qui étoit encore à tiaitrè. 

Enchanté de cette aventure , H n'y vait point' 
le ma l'heur d'une femme atmnble qu'il a trompée; 
iî n'y voit que le triomphe de fa vanité qu'il a 
fatisfaîte. Il eft vrai que le défaut de réflexion 
yendoit Floricourt un peu moins coupable. Il m 
croyoit point aux femmes fenfibles , ni aux pro-' 
cédés qu'elles exigent. II s'imaginoit cjutr tout 
chez eHes, comme avec lui , étoic l'affiiire du 
moment; qu'on ne leur devok plus rien, quand 
elles avoient fuccombé. Il puifoit ces grands 
principes, ce fyftême profond d'impertinence, 
dans la fociété de ces mêmes fous qui avoient 
applaudi à fdn projet. Il court les chercher , pour 
leur faire part de fa conquête ; il les trouve pref- 
que tous au fpeftacle i St leur montre le portrait 
> de la marquife. Ils applaudillent à fa vi£l'6ire , & 
battent des mains dans les foyers. -Floricôiitt 
■voudroit annoncer fon prétendu bonheur au 
parterre , aux loges , à iout le public aflèniMé-. 
■Quelques Jours après , il apperçoit au ciAcei^ 
l^e baron dé * '^ * < un de ceux qui avoient alf^ii 



n,n--,.rh.. Google 



3îa F L R 1 e 6 u R T, 

au dé6. Ftoriooutt aimoîc beaucoup ce baron ; 
qui lui prètoit de Targent. C'étoit un perfonnage 
infipide , pefamment fou ) libertin-avec gravité* 
& qui calculoic Tes plaiGrs par fa dépenfe. Il 
fegardoit le chevalief comme un homme du plus 
grand mérice ; il étoit de toutes fes parties , parce 
qu'il payait , & ne fe rendoit fupportable que 
par une complaifance ftupide. Floricourt Ta- 
borde 1 lui Fait part de là bonne fortune , & pour 
Ten convaincre , lui montre te portrait en quef- 
tion. Le baron , atterré par un témoignage auiE 
authentique , admire & fe tait. Ce n'eft pas tout , 
lui dit le chevalier i il faut ébruiter cette aven, 
fure , la répandre , l'exagérer même. C'eft un 
coup de partie ; elle doit faire un efiet merveil- 
leux. Les courtifanncs commencent uotre répu- 
tation ; ce font les honnêtes femmes qui l'achè- 
vent. Sais - tu qu'elles font horriblement tena> 
ces ? Comment donc ! c'eft une tyrannie. Ne 
voilà-t-il pas trois femaines que je foupirecom^ 
nie un berger du Lignnn ? Mais dis - moi > quel 
eftce petit minois chiâbnné que j'appfr<;oisdan9 
cette loge , & qui ?.. . Elle lorgne Impitoyable, 
n^ent depuis unquart-d'heure. Q.uoi,tunecon- 
uoh pas cela , lui dit le-baron ? Non . répond le 
cbevtlîer: c'eft fans doute un aflre qui paroît 
nouvellement fui l'hoiifon. Il eft vrai , contL- 



D,m.f.m>,. Google ^ 



Hl-STOIKB FRAHÇOISB. )}} 

nue le baron, qu'elle ne fait que de paroitret 
mais elleeft déjà très-célefare. Je vais quelque- 
fois chez elle. Elle fe nomme Koûs. Ah .' j'^ fuiff, 
reprend le chevalier. N'eft-ce pas elle qui a cujné 
réternel Damis & le roinaudier Farvilte ? Elle les 
a menés , dit-on , avec une adreâè , une légèreté, 
un fublime de coquetterie ! C'eft un joli fujét 
que cela. Avec des foins , de bons eonfeils , elle 
ira loin. J'entrevois qu'elle peut înfpicer des de- 
firs( je veux lui donnerquelquesmomens. Fais 
une chofe ; tu la connoîs } va lui demander i 
fouper pour ce foîr. Dis-lui que tu lui mmeras 
un de tes amis qui l'adore j que c'eft une paffion 
)â*un rapport excellent , un jeune fot fort riche , 
que tu veux lui donner i^ déniaiPer. Tu feras 
témoin de la fcene la plus piquante. Tu y con- 
fens î cela eft dit. Adieu : je vais chez la du- 
cheâe. . . Je ferai chez Rofis fur les dix heures. 

Le baron s'acquitte de la commillïon du che. 
valier. Rolts &it d'abord quelques difficultés, 
prétend k des arrangemens plus foHdes , & finit 
par fe rendre , lorfqu'on lui eut alfuré que ce 
n'étoit point Floricourt qu'on vouloit prélepter. 
Elle le déteftoii. Ces fortes de créatures ont le 
ooup-d'ceil juftetla l^tuité ne leur en impotê 
pas , & fouvent elles favent bien mieux l'appré- 
cier qoe les .ntttres ^mmes. Celle-d 'fuc*tout. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



î?4 ' F-LORICODRT, 

quoique très<jeune , ayoic un taâ merTeilIenx. 
Elle avoit été formée & l'étoit encore fout les 
jreux d'une vieille tante prétendue, qu'une loin, 
gue & continuelle expérience des hommes^ ren. 
doit l'orscle de la galanterie. RoIÎg profitoti bien 
defes leçotu. Le fecret molùte de fa conduite 
étoit ce grand priiicipe , que, pour plaire aux 
hommes , il faut lès tromper Ella les fetvoit a 
fouhait ; elle les attîroit avec douceur, & les mai- 
trifoit avee orgueil. Enfin , perfonne n'entendoit 
mieux que Rofis le grand !rrt de confetver fes 
amam i & de ticer parti ^de leur crédulité. 

Après le fpei5lacle> te baron lui donne ta main^ 
& la conduit chez elle. Dix heures {bnnent: 
Floricourt n'arrive point.- On s'impatiente : on 
l'entend enËn du fond de la cour. Il fredonne 
un ai^t donne très- haut de» ordres à fon cocher > 
fait un tapage affreux dans l'antichambre, & 
entre en riant eomme un fou. Rofîs eft d'abord 
déconcertée en l'appereevantî mais elle avoic 
trop d'efprit pour ne pasjïrendre fon parti; Dès 
ce moment elle entreprend fa conquête , & jure 
en fecret de venger tant de femmes qu'il a â 
eruellement trahies. Le baron s'excuPe avee de 
pefanies minauderies. Vous vous moquez, lut 
dit>elle d'un ton plein d'aifance ; vous m'avez 
ménagé une furprife très^gtéable. Qpoi ! tout 



P;r;.M>,GOOgle 



Histoire FRAK^orisB. j;f 
de bon , lui dit Floricourt . ma préfence vou3 
dédommage ? . . . Vous ne regrettez point celui 
qu'on vous avoit annoncée' Cela e(t fort heu- 
reux : j'en fuis prodigieufement fi^tté. Eh , bon 
dieu^quels grands mots, répond KoBs avec uil 
rire moqueur ! Permettez>moi de vous dire , par 
exempte , que pour un homme à ta mode , un 
élégant moderne, vous ne devrie? jamais em- 
ployer ces redburces puériles de TantiqUe fatuité; 
Sd^ez inconfidéré , extravagant dans vos propos* 
à la bonne heure ; qu'à fotce d'être rpirituels , ils 

. foient quelquefois inintelligibles i pafle encore 
Joignez-y j vous le pouvez , les giaces flexibles 
d'un graSeyement harmonieux ; âattez , féduirez 
l'oreille I mais ne répoiivantez pas. Cornment 
diable ! efl^ce fur ce ton que vous débutez , re- 
prend le chevalier ? Si cela cpntimic , je vous 
avertis que vous nCembarralTerez beaucoup. 
Vous embarrafle . pourfuit<etle ! C'eft moi qui 

' ne fait comment voue tenir tète , & répondre à 
vos brillantes reparties. Vous m'dvez l'air très- 
redoutable, i & je vous jure que, G je n'étois 
fécondée par le baron , je me ferois déjà rendue. 
Le baron qui ne difoii mot , & fe difpofoit à écou- 
ter refpeâueufement les balivernes du chevalier, 
balbutia pour chercher fa réplique. Floricourt, 
enchanté de cette cfpiégleiie , laiâe tomber fur 



-M>,Google 



3?6 F L O B I C O V R T, 

Rolis quelques regards de protedion. Us fefonc 
encore quelques agaceries. On efcarmouche} oa 
papillonne : le chevalier eft toujours fat , RoGs 
toujours fpirituelle , le batoo toujours Tôt. On 
vient annoncer i madame qu'elle eft fervie. On 
donne par honneur te haut bout de la table à 
la duègne niencieuTe : fa charmante élevé fe met 
à côté du chevalier , qui ne fonge qu'à fe livrer 
BU plainr. Floricourt & le baron font des dieux à 
qui la jeune Hébé , fous les traits de RoHs » vCrfe 
. l'immortel neâar. Notre adroite déefle fe donne 
pourtant bisn de garde de perdre la tête. Une 
douce ivreâe brille dans fes yeux ; fon cœur efl: 
calme & tranquille. Le fecret defleïn de fubju- 
guer le chevalier l'occupe fans ceâe ; pour égarer 
fa raifon.il falloir qa'elle confervât la iîenne. 
Coups-d'ceil irrltans, ingénteufes faillies , tout 
fut mis en ufege. Déjà notre fat favoure à longs 
traies le phihre amoureux. Un feu naïâùnt circule 
dans fes veines : fes tranfports même deviennent 
moins refpeâueux. RoHs l'arrête , & lui en im- 
pofe d'un regard ; matscette rigueur n'eft qu'une 
,rufe de l'amour. Tout chez eUe , jùfqu'i la dé- 
cence , reffemble à ta volupté. On quitte la table. 
La duègne dtfparoît On paffe dans une chambre 
à coucher «où toutes les délicateâes de l'art font 
^puifées. &. chaque pas , dans cet élégant réduit , 



D,m..M>,. Google 



H 1 s :f i^ e\.ï.r,an qo 1 8 B. ?Î7 
on prouve un nouveau tranfpott.- E^'yopant Le 
lieu du trion 
deur pour la 
.cei^e . riante 
.Ses regrets. î 
il brûlé de :: 
Cgné au ba 
bacon obéit. 
Tonne fur-le. 
£î{)Coporeuti 
revient i on j 
tout "à fon ) 
Roïts un gi 
Toopirer & d 
Après cent 1 
niiit ctoii ft 
premier cou 
texte d'avoi 

près du che i 

prie de venit.s'en-senger. Elle accompagne cette 
invitation d'un regard tendresiltaîloit bien lui 
jeter quelque amorce. Il Toupii'e toujours . & fort 
aufli amoureux & aiiili fou qu'on puiiie l'être. Il 
ne dit pas un mot au baron, qui le quitte fort 
fcandalifé du. peu d'égards qu'on a eus pour Ton 
iiluftrc mentor. 

Depuis le moroenc &tat que madame de TeN 
U Tout, K Y 



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5î8 ' ' ï" L R l"C O U R T; 
ville ivôît céJé aux perfides iriftances de Florî-. 
court, eit"en*avoit point cntciidu parler de lui. 
Tout s'ofTre à elle fous les traits du dérerpoîr. 
Accablée de Tes peines préfentes , éJle en voit 
mille autres ïlans l'avenir j'eTTe contemple ^vec 
horrelii: Tabyme d'une paffioh n)alheureiite,& 
s'y précipite avec tranfport. Moi , cefler de l'ai- 
mer, diùelle quelquefois , les yeux noyés de lar- 
mes! Tout ifl^at . tout' parjure, tout barbare 
qu'il èfl: , ij à' des droits fut mon cœur } if m'a 
liée pat tua propre fàîblé3e,. Ce n'eft que pat 
l'excès de famour que nous pouvons réparer Tçs 
fautes qu'il nous f^lt Tatré.^l cft jeune , il a les 
ridicules, peut-être., nelas^ les vices de fon âgé. 
Si je pouvois l'en corrigée ! Au iiioins je me ven- 
gerai de liii, démoi-mêniè, en n'oppcfant à Tes 
torts que de la tendtefiç & dé ,1a vérité. Cell 
aiofi que la marquife chçrcljoit a donner de bel- 
les couleurs à un attachement qui rhumîlioitXes 
femmes n'ont jamais tant d'hc'roïfme que lorf- 
qu'elles ont beaycoup d'amour. La marquiïè le 
détermine à écrite au chevalier , & à lui denian- 
der mfqn de ïbn horrible conduite. Le papier 
fur lequel elle écrit eft trempé de fes pleiirs'i (1 
femble que fa plume tremblante fe refufe à tra- 
cer Us expreiïîons de fon malheureux amour. 
Qiielquefoisi appuyant {à tète fur fes deux mains. 



D,m.f.^i>,Google 



HtSTOttlE FRÀNiJCHSËi Jj^ 

elle tombe dans cette mélancolie profonde qui 
U'eR: , pour ainfi dire i que le recueUlemetit dfi 
la douleur : m'omens affreux , où îl femble que 
l'ame raflemble toutes les forces pofit fouflrit* 
& où là fardeau de notre infortune pefe touê 
entier fur notre cœbn 

Le chevalier, de retour chez Iqi, réfléchit fut 
fa mauvaife deftinée. On lui remet la lettre dé 
la marquife : il la parcourt, & l'interrompt cent 
fois pour prononcer le nom d« Rofîs. Il veut fe 
venger de Rofis } c'eR R.oOs qui l'occupe. Il va 
le lendemain chez un de fes amis , & lui con6tf 
fes chagrins i cet amj lui confeille de fevir contre 
la petite perfonne , & de la rendre folle de lui . 
pour lui apprendre à mieux connoître lesufagei. 
Le chevalier court chez elle fans di®rer:oh„ 
lui dit qu'il n'eft pas jour , que mademoirelle ell 
indifpofée , & ne veut voir perfonne. Voilà un 
homme au défefpoir; il veut entrer malgré la 
duègne , ce lutin oiflog^naire qui vieille aux por- 
tes de la déeâe. Le chevalier eft obligé de céden 
Le fmr il s'oriente , il cherche où il ira palier foti 
tems. Il veut aller au fpe<5tacle: mais il donné la 
préférence à la marquife ; il croit lui devoir cette 
niarque de fouvenir , & s'applaudit d'un pro- 
cédé , lorfqu'il u'eft conduit que par le àéfœu* 
' vrement. Le mouvement qu'elle éprouve en 1# ' 



D,™),prib,Google 



34* Floricourt; 

. voyant* ne peut fe décrire. Elle pâlît, rougît} Ib 
courroux s'allume dans Ton cœur , & vient expi- 
rer fur Tes lèvres. Elle veut affeâcr de la froi- 
deur ; fes yeux ta démententf fes yeux peignent 
Tamour irrité, mais c'eft toujours l'amour. Le 
chevalier , qui s'apperçoit du trouble de madame 
de Terville , eft d'abord fort embarrafl'é. Enfin , 
de propos en propos * il a Taudace de lui deman- 
der le fu^et de fa triftefle. Et c'eft vous , luî 
répond^elle vivement, Veft vous qui me faites 
cette queftion I Vous voulez vous cacher même 
que vous êtes l'auteur de mes peines ! Vous crai- 
gniez , fans doute, que cet aveu ne me flattât. 
Ah ! Floricourt, que vous avoîs-je fait? Tout 
mon crime a été de vous aimer. £toit-ce à vous 
de m'en punir ? Je ne fais point , comme vous , 
d^uifer mes fentimens. Je vous ai laiiTé voir 
ma tendreâe. Jouilfez de mes reproches ; qu'ils 
augmentent votre triomphe. Ah ! madame, que 
dites-vous , lui dit Floricourt ? Ils ne ferviront 
qu'à me faire fentir mes crimes , & à m'infpirer 
le deftr de les réparer. Je ne fais quelle fatalité 
m'a privé , depuis quelques jours , du plailîr de 
vous voir. Mille occupations , mille importuni- 
tés. .. Arrêtez , chevalier, reprend la marquîfe, 
vos excufes feroient de nouveaux torts : rien n'a 
dû vous dirpenfer de l'obligation où vous étiez 



-M>,Google 



,HlSTOIRB FRAN(;OISE. ^41 
de me voir. La foibleûe d'une femme fenlîble ell 
un engagement facré pour un homme qui penfe:. 
Ce n'eft point à moi à rougit de ma conduite. Je 
fuis amante, & facile à tromper, Kou^iâez de 
la vôtre, vous qui vous êtes déguifê peut me 
réduire; vous qui avez enhardi des fentimens 
que vous ne vouliez point partager , qui m'avez 
prife pour viâïme d^une ridicule & barbare 
vanité. L'aftioq avec laquelle madame de Ter- 
ville parloit , animott Ton teint des plus vives 
couleurs i elle n'avoît jamais été (I belle. Le che- 
valier, qui fait mettre tout à profit, prend une 
réfotution fecrete de-demander fa grâce, & de 
iaite fceller fon pardon par la main du pUilîr. 
Il tombe aux genoux de la marquife ; il parolt 
touché , attendri ; il renouvelle Tes fermens, il 
devient même téméraire. Non , lui dit>elle en 
Tatrètant , non , mondeur, n'efpérez plus rien 
de moi , Jufqu'à ce que vous m'ayez convaincue 
de la vérité de vos difcours. Je me croyois aimée» 
quand je vous ai donné des preuves de ma ten- 
dreffe ; cette incertitude me juftîfioit à mes yeux. 
Un amour délicat , lorfqu*il eft payé de retour Se 
qu'il eft fondé fur des fermens , peut être avoué 
par la vertu. Aujourd'hui , que je doute de votre 
coeur , ma foiblelTe n'auroit plus d'excufe. Je 
vous donuerois des titres pour me tromper. Si 
Yiij' 



-M>,Gdogle 



141 F I' R I C V R T, 

je fuis aflez i^jalheurcufe. pour ne vous point inH. 
pirer de Tarnour , je veux au moins me ménager 
des droits fui votre efljme.Ne regardez point ma 
réGflance comme un raffinement de coquetterie. 
Vous vous tromperiez i je n'ai confultéque mon 
cœur. Je vous aime autant qu'on peut aimer. Il 
ire tient qu'à vous de (aire mon bonheur. Con- 
duirez -vous d'après cette affurance, & laifièz. 
mot goûter bientôt le plaiGr inexprimable de 
vous pardonner. Le chevalier > étonne de la fer- 
meté de la marquife, fait encore quelques ten- 
tatives i madame de Terville eft plus inflexible 
qu'il n'eft entreprenant: il ne con(;eit plus net) 
aux femmes. 

Cependant la noble Gncérité de la marquife . 
en le défefpérani, lui en impofe , & lui înfpire 
un refped involontaire. Tant de franchife, de 
tendrclfe & de beauté , auroit dû ouvrir tes yeux 
au chevalier > mais RoGs écUpfe par fa coquet- 
terie les charmes naturels & les grâces de ma- 
dame de Terville. Il commence même à compter 
les inftans qu'il a pail^s avec elle. Il la quitte en 
lui réitérant les plus belles protelïatipns. Vous 
fortez , lui dit la marquife ; n'eft.ce pas pour me 
trahir ? Ah , chevalier > que vous me rendez mal- 
heureufe ! Demeurez. . . (^ue dis-je ! non , partez, 
niais ne vous féparez dç moi que pour réfléchif 



D,m.f.rii>,Goagle 



HlStOIRE FRAIIqOISB. }4} 

i mes procédés , à mon attachement, à mes mal- 
heurs. . . FloriiCourt prend congé d'elle : iln'avoit 
point fait un pas , qu'il avott déjà oublié Tes inC- 
tances. IL retourne chez Rods : cite étott rottïe. 
Quel coup de foudre ! Il court de fpei^iicle en 
rpeflaclc , point de Rofîs. U faut bien Te réfoudre 
à ne la point voir. Le lendemain il lui écrit: on 
lui répond qu'on Tattend fur le fbir. Que le foir 
eft lent à venir ! Il arrive enfin. Floricourt tfole. 
Elle étoit dans fon jour de belle humeur. Elle 
favoit que le chevalier, fêté comme- il étoit, 
pourroit bien lui échapper, fi elle s'armott d'a- 
bord d'une rigueur trop marquée. Avant que de 
triompher , il fallut aflurer fa viâoïre. Cette foi- 
rée étoit deftince à ce projet. Rofis eft négligem- 
ment couchée fur un fopha. Son rouge , plus pâle 
qu'à l'ordinaire, mêle une nuance de langùeuc 
à la vivacité de Tes yeux. C'ed Vénus dans Ton 
repos. Que Floricourt fe promet d'heureux mo- 
mens ! Il fe place à côté d'elle : la convèrfation 
s'anime. Rofis eft d'une gaité extravagante. Flo- 
ricourt , qui voudroit que l'entretien devine plus 
férieux, lui fait très-promptement fa déclaration. 
Elle le trouve on ne peur pas plus plaifanr. Elle 
fe levé, faituntour dans la chambre, regarde le 
chevalier avec des yeux moitié tendres , ♦noitte 
ironiques. C'eft un Protée; Le fcmîment , l'in- 
Y iv 



D,™).prib,Google 



344 Floricourt, 

diH^rence, la décence, le lîbertîniigei tout fe 
confond & fe peint en un moment dans fes yeux. 
Floricnurt la raroene infenfiblementfur le fopha. 
11 Te jectc à Tes genoux, il lui prend la main. Il 
itoit fur le point d*ètre plus hardi. Venez , venez > 
âtt-clle en fe levant brufquemenE, venez voir 
une emplette charmante, la plus jolie robe.Fefte 
foit de ta robe , dit tout bas le chevalier. En 
même tems Rolls prend une botigie, & le con- 
duit malgré lui. Il elt obligé de sVxtalïeT fur le 
goCtc exquis de cette robe , fur la beauté du 
deïliii , la vivacité des couleur^. It eft con{um£ 
d'nmour , de dépit. Ce n'efl; pas tout ; Rofîs lui 
déploie adroitement toutes les richefles de Ton 
écnn,& ranïafFc<ftation,a foin de faire obferver 
^u'it lui manque une fultane. Il faudra 'quelque 
)our , dit-elle , que je me falTe ce cadeau. Ftori- 
court entrevoit le fens du propos; mais il ne 
fbnge , pour le moment , qu'à alTurer fa conquête. 
Kofis revient à ja même plape. il reprend fon 
porte. Un fourire de Rofîs lui fait croire l'inftant 
décifif. On entend du bruit : on annonce. C'étoit 
le comte de * * * , l'amant de feiitaifie. Rofis , qui 
vouloit tourmenter Floricourt, avoit prévenu le 
comte de venir à cette heure. Ce qu'elle avoît 
prévu arriva. Le chevalier devint furieux, ]a, 
jalQuCe en peùue fur fou fcom. £n@n , ne ^ou- 



D,™)..ril>,.GOO>;IC 



Histoire p r a m <; o i s e. 34^ 

vant pltis la contenir , il rll obligé de fordr. Rolls 
le-reconduit avec toutes les grâces imaginables. 
Elle avoit juré d'être charmante ce foir-là. Il 
rode long-cems autour de la maifon , pour voir û . 
le comte en fortira. Il fe Isffç enfin d'errer à la 
belle étoile , & de confier fes foupirs aux vents. 
Kotre amant retourne chez lut, pour réfléchir 
BUS incidiens d'une intrigue auflî furprenante: 
l'amouc-propre fe met de la partie. Quoi, dit<il, 
j'aurai triomphé d'une honnête femme , & je ne 
pourrai venir à boutdeRolislIirongeau moyen 
de la fléchir. Il fe reflbuvient qu'elle lui a fait 
entendre qu'il lui manquoit une fultane : il veut 
lui en donner une. Il n'avoit plus chez lui que 
trois cents louis deAinés à acquitter une lettre de 
change , dont on pourfutvoit le paiement depuis 
dix jours. Il fe réfolut à les fasrifier. On lui ap- 
porte la fultane. Il n'a rien.de plus preâë que de 
l'envoyer à Rofis. Il n'étoit pas midi ; Refis re- 
pofoit.Sa vieille fentinelle hit d'abord quelques 
diiïtcultés pour taiffei entrer ; mais comme elle 
s'apperçoit que c'eft un préfent,clle fe relâche 
iin peu de fa févérité , & croit qu'elle peut en 
toute fureté réveiller niademoifelle. Mademot- 
felle.en fe réveillant, crie, tempête > s'emporte 
contre le chevalier & la duègne; elle demande 
ce que c'eft : on lui préfente la boite qui ren- 



D,™),.rib,Google 



î4* F I, R I c tr R T," 

ferme la fultane; eUe rouvte> y jette un coup- 
d'œil .ordonne qu'on mette cela fur la chemi- 
née , & recommande qu'on la LaJâe dormir. Le 
valeude-chanibre vient rendre compte de fon 
meâage à fon maître , qui paroU très-mécontent. 
Il refpedle cependant les caprices de fa dédai- 
gneufe divinité ; il fe reproche d'avoir troublé 
fon fommeil » & fe flatte d'être mieux requ. 

Il fe rend chez elle i TilTue de fon dîner. & la 
trouve à fa toilette. Elle en avoit pour jufqu*au 
foir. La vieille étoit là qui ezaminoit en deûbus 
& avec un fourire infernal la figure alongée du 
chevalier. En venté. monOeur, lui dit Refis, 
vous êtes un cruel homme ! Vous oie faîtes ré- 
veiller ce roatin à je ne fais quelle heure. Vous 
êtes caufe que j'ai les yeux horriblement battus. 
Le chevalier demeure pétrifié > coqfondu par un 
pareil reproche i il croyoit bonnement que l'en- 
voi du matin. avoit dû dïilïper ces nuages. & 
qu'elle n'avoit point à fe plaindre de fon réveil. 
Dans une autre circonfliaiice ,.il auroit prodigué 
à Rofis tout lemépTÎs qu'elle méritoiti fa paf- 
iîon le rend Toupie & fournis ; il adore , il déifie 
les caprices de fon impertinente maîtreâè. A 
mefure qu'elle efi; plus infolente , il cft plus 
amoureux ; de fat , il eft devenu fot. L'amouc 
eil lé dieu des métamorphofes. Floùcourt attend 



D,™),.rib,GOOglC 



Histoire Françoise, 347 
avec' impatience la Bn de la toilette. On demande 
la fiiltane ; il efpere qu'elle va lui valoir au moins 
un coup'd'œil iîtvoFable , un fourire de protec- 
tion. On Telfaie avec indifférence; on ne parole 
pas même fe fouvenii de qui Ton tient ce pré- 
TenL Jo^n'enpuispluS) )e me meurs , dit Rplîs. 
Chevalier , laiâez>moi libre , je vous prie. Quel 
ordre foudroyant! Il veut murmurer quelques 
plaintes : Roiis commande en leine ; il faut obéir. 
Il fort enfin , en montrant à Ton tour die l'hu- 
meur , dont on ne s'appert^it feulement pas.' 

Il raâèmble tous les incidens qui peuvent VaU 
grir davantage. Le premier jour qu'il voit Rofis , 
il perd cent louîs avec elle. Quatre fois il eft fur 
le point d'en triomphn i il ell quatre fois arrêté 
au milieu de fa conquête. Il lui envoie une ai- 
grette de diamans maniaque ; cela lui donne 
de l'humeur. A ces réflexions il oppofe les pro- 
cédés delà marquife , d'une femme jeune , aima, 
bte , pleine d'efprit & de ratfon , qu'il trahît , qu'il 
déshonore , & qui fe permet à peine la plainte & 
le reproche. Ces idées Tagiteiit , l'inquiètent, le 
tourmentent , mais ne te changent pas : elles ne 
fervent qu'à donner plus de vivacité à Ton amour. 
Il eft étonnant que les hommes ne tiennent ja- 
mais plus qu'aux attachemens qui les font rougir. 
Four comble de dirgrace* il elt arrêté en rentrant 



D,m.f.ril>,GOOglC 



^48. Flobicourtî 

chez iui , & conduit en priTon pour lu lettre dé 
change qu'il devoit acquitter. Il écrit à Tes meil- 
leurs amis ; it les prefle de le tirer de ce mauvais 
pas : les meilleurs amis lui témoignent beaucoup 
de regrets .& ne lui donnent aucuti fecours. It 
mande à RoHs le malheur qui lui e(l arrivé } elle 
^it répondre froidement qu'elle en eftau défer. 
poir. En effet , l'accident eft fâcheux , ajoute en 
fouriantle comte de***. On rapporte au che- 
valier le propos du comte, avec le fourire ironi- 
que dont il étoit accompagné. Ce dernier coup 
Taccable. Infulté , trahi , privé de fa liberté , ce 
n*efl plus ce petit-maltre fuperbe , qui avoit les 
charmes & les ailes de l'amour ; c'eft un homme 
courbé fous te poids des humiliations , Jc qui ne 
jouit pas même du droit confolant de fe venger. 
' SoD aventure s'étoit répandue dans le monde. 
La marquife avoit appris fa nouvelle pafllon , & 
l'accident qui en étoit la fuite. Dans te premier 
moment elle éclate en reproches, jure de ne le 
revoir jamais , puifqu'il lui a préféré une aufH 
Indigne rivale ; it lui échappe tout ce que l'a- 
mour-propre irrité , tout ce que la jaloulîe peut 
infpirer à une femme outragée. Suis>je alTez avi- 
lie, dit-elle , aflez confondue ! Qui fuïs-je donc* 
puifque la plus méprilable des Femmes l'emporte 
fur moi I Qui fuis-jejmatheureufe I Ah, petâde !.. 



Dim.fMi,. Google 



Histoire Françoise. 349 
ah , cruel Floricourt !.. .. Et je raimerois encore ! 
Moi , t'aimer ! aimer un traître qui me fait rou- 
gir ! Non ... je renonce à toi. Va , languis dans 
les plus honteuPes chaînes ; n%recueiile dans tes 
amours que les fruits amers du repentir. Puiffes- 
tu vivre dans la honte & mourir dans les regrets ! 
Sexe de tyrans , hommes trompeurs & barbares , 
n'efpérezptusmeleduirel Qu'avez • vous à pré- 
tendre, vous qui vous armez de notre foibleâè 
pour faire valoir l'orgueil de vos droits* qui nous 
parez de fieurs comme des viâimes qu'on doit 
immoler , qui vous plaifez enfin à jeter le trouble 
& les alarmes dans des âmes faites pour te repos 
& l'amour ? 

Ceft ainû qu'elle laifle échapper les premiers 
tranfports de Ton courroux; mais bientôt fagéné- 
lofîté 1 fa douceur naturelle prennent le deûiis : 
elles*attendrit par degrés fur le fort'd'un malheu- 
reux qu'elle aime ; & par une fuite de fon carac- 
tère, elle fefaii une obligation de lui être utile. 
Elle favoit pour quelle fomme Floricourt étoit 
dans les fers. Il n'avoic jamais ofé s'adred'er à 
elle; il l'avoittrop ofFenfée. Elle fe détermine i 
vendredes bijoux pour trois cents louis ; mais ne 
voulant pas que le chevalier pût foupqonner la 
main qui brifoit fes liens , elle fait venir un vieux 
domeftique i}ai vîvoit de fes bienfaits > & qui par 



n;r;>-M>,GOOglC ■ 



5J-Û. , f L R i C U E Ti 

de longs feryices avoit mérité fa confiance. Cet 
homme étoU abrolumeiit inconnu à Floricourt* 
Elle lui ordonne d*allec lu^ porter la foinnie , & 
lui recommande ^xpreâëmenc dene la point dé-> . 
cefer. Qiielle fut la furprife du chevalier , en re- 
cevant cet argent ! Il cherche à découvrir fon 
-bien&iieur. Il abcaupreilètGeluiquiell chargé 
du meflàge, il ne peut tirer aucun éclaircide- 
ment. Enfin, tavî, enchanté, it envoie payer fa 
dette , & fort. Que les paflîons font tyranniques 
& aveugles ! le premier pas qu'il fait eft pour fe 
rendrecheKRofîs.Ilenfutbienpuni.Surle.point 
d'entrer diez elle , il renconue ce même comte 
qui s'étoit fî infotemment applaudi de fa déten- 
tion. Cetaâront revit dans Ion cœur i un mou- 
vement de jaloufie s'y joipc. Il aborde le comte * 
lui rappelle le propos qu'il a tenu , & lui en de- 
mande raifon. Ils vont fe battre. Floricourt eft 
dangereufement blefle. Il fembtoitque tout fe 
réunit pour venger la marquife des outrages du 
chevalier. Rofîs apprend ce malheur ; à peine en 
paroît-elle émue : & madame de Terville n'eft 
{las plutôt informée de cette nouvelle, qu'elle 
oublie fes reffentimens , & s'abandonne à la dou- 
leur la plus vive & la plus fîncere. 

Cependant Floricourt commence à fe rétablir. 
Dès qu'il peut fe livrer à fes fentimens * il s'c* 



D,™),prib,Google 



Histoire fr&kçoise. ifi 

tonne de renaître , pour ainll dire , avec un cœuc 
nouveau ; le voile tombe > le tourbillon qui l*en- 
veloppoic fe diflipe. Le feu d'un nouvel amour 
circule dansfes veines. Il voit Rofis commeuti 
monftre'qiii mérite fon indignation, madame de 
Terville comme une divinité digne de fcs hom- 
mages i elle eft l'objet de toutes fcs penfées ; U ne 
parle que pour prononcer fon nom. Mais quel el!l 
fon défefpoir de ne pouvoir aller fe jeter à fes 
pieds ! La porte de la marquife lui eft interdite. Il 
écrit cent lettrés qui lui fortt retitf&yées fans être 
décachetées. La marquilè l'aimoft encore ; & c'eft 
parce qu'elle l^raoic, qu'elUlic voulott m le 
voir , ni entendre parlerde loi; t>u'on juge de 
lantuationde'Floricourt.IIn'enedpointdeplus 
cruelle ; il joint à l'amour le plus vif le remords 
de la plus aâreufe perËdie. Il adore une femme 
charmante, à qui il a donné le droit de le haïr. 
Accablé de honte , dévoré de regtets , il eft nfal- 
heureux par tout ce qui devroit faire fon bon- 
heur. IlfongeaDï trois cents louis qu'il a reçus 
dans la prifon. Une voix fecrete lui dit qu'il doit 
ce bienfait à madame de Terville. Il voudroit en 
être fur ; ce feroit un titre pour hafarder de nou- 
velles tentatives : il pourroit couvrir fon amour 
du voile de la reconnoiffance î il ne feroit pas 
privé du moins duplaifîiiï pur de connoitre, de 



h, Google 



-Jfa FtORlCPURT, 

ch<Srir,d'adorerrabienfàitrice.IL regard^ Ton in< 
gratitude involontaire comme un crime, & ne 
peut fouffrir une incertitude aufTi humiliante. Il 
n'ell plus de.ptaîilr pour lui ; Paris n*e(l plus à Tes 
.yeux qu'une rolhudeimmenfe ,où U ne voit que 
madame de Terville. S'il va aux Tpeâacles , c'eft 
dans l'erpérance de l'.y appercevoir. Un jour qu'il 
alloit à l'opéra , il reeonnoit, fur le point d'y en- 
tcer , celui qui, comme un dieu tutéjaire,- lui étoît 
apparu daus fa prifon ; il Tappelle, le fait monter 
dans Ton carrolTe. Chez moi j dit-il au cocher. Il 
s'enferme avec eet bomme , qui ne peut rien com- 
prendre à cette aventure , ni aux tranfports im- 
modérés de Floricourt. Mon ami ^raJfiirez-yous , 
lui di[-îl } nous voilà fèuls ; il fout, que vous me 
rendiez le plus grand des fervices. J^ vous aï re- 
connu ; vous me reconnoiâez fans-doute. Vous 
yous reffbuvenez .des ,çrois cents, louis. que j'ai 
reçus de vous : qui vous les avoit donnés;'' C'ett 
un Biyftere qu'il^aut iti'éclaircir à l'inftant. Je ne 
puis 1 lut répondit le vtei^x domeftique ; î'ai pro- 
mis de ne rien dire ;.vous ne voudriez pas , mon- 
lieur t me faire manquer à mon devoir & à ma 
parole. Veux-tu me défefpérer , reprend Flori- 
court ? Apprends que ma vie dépend de cet aveu. 
Que crains-cu ? En ce taifant , tu dérobes à l'au- 
teui d'une belle aâion la gloire qui doit lui en 
revenir. 



D,™).pris,Google 



.Histoire pSAHi;oi»i. jfi 
Revenir* & à moi le plaiHi inexprimable de la re*. 
iConnoiâance. Si tu parles» il n'y a rien que tti 
ii'ebljieunes de moi; je te prcMnets que ta fortune 
«It faire. J'ai déjà des foupçonsi tu ne fer^ qu'«- 
dairt^ir mes dQutes. Non , monlîeuc , tépond>il 
.au chevalier. &yos offres fontunâraifon de plus 
pourqiie je me taîTe.. FlorlÈoiirt hors de lui-mime» 
jctut, qu'il falloit l'intimider', puifqii'il ^'avbit pu 
le corrompre. Tu parleras , diCriJ, avec fwt9(ir , ou 
je ne réponds pfls de. mes traflfpor^.; Apprends 
£[^e ton fîlencetne déshonora) qi)^,^ deviens le 
cvroftliçe de ma.honte- Je n^ te donne plus qu*un 
inomentipaite, ou tremble. Il écdttinébt^inlable. 
Floridqurt ne Te poâbde plus i il tire Cùn épée , & 
le menace de l'en percer. Ce bon< homme , qu« 
l'appât du gain u'avoit pu réduire , ne peut léCiC- 
teràlacraintef il tombe prefque Tans connoiC- 
fBnce,& avoue d'une voix tremblante, & entre- 
coupée , qu'il avoit reçu cet argent de madame da 
TerviUe...De madame de* Terville<> s'écrie la 
chevalier ! Qu'f neon^je ! . . C'eaf ft aflez. . . N« 
ocainsjien. . . Je.nie charge de tpii indircrétiou. 
Frein dG toujours cet argent que }e {'ordpniMd'ac- 
ceptePi.en attendant denouveaux bieii in\ts. Je ns 
puis t^en dira davantage,. Va. . . Je ne me connoîs 
plus i tu viens de me rendre le plus heureux des 
hommes. Il vole auili - t6l chez la marquife. 

Tome y. . Z 



D,m..ril>,.GOOgle 



^4 FLORteOUKT.HltTOIUnUK^ISt: 
Il prie , il pr^ , il follicite en vainï la porte lut 
eftrefurée.SapaiEonraveugleîils'oublie}urqu*à 
feire violence au Soiflê j il pénètre dans l'apparte- 
ment de madame de TerviUe , & fe jette à Ces ge- 
noux qu'il arrofe de larmes. La marqnlfe inter. 
dite , mais Intériearement flattée de cet emporte- 
ment , voulut s*armec de rigueur. Floricourt mie 
tant de vérité * tant de dialeur, dans lesexpret 
fions de ta reconnoiflànce & de foo amour, qu'elle 
confenrit à lui pardonner , à condition qu'il lui 
donneroit le tems de l'éprouver. Sa conduite fut 
fi fage , Tes mœurs Ghonnites , Tes regrets fi fou- 
tenus , Tes égards fi multipliés , qu'il ne lui laldà 
plus le moindre nuage. Il créa pour elle , fi jepuis 
m'expnmec ainQ ,un nouvel art de -plaire, des 
attentions inconnues jufqn'alors. Il ne trouvoît 
pas de moyen plus fôr & plus flatteur de mériter 
Ton amour, que de fe diftinguer dans le mondes 
Chaque honneur qu'il obrenoit étotc un hom- 
mage pour la marquife. Il avoir été un modèle do 
Jàtuité & d'extravagance i il devint l'exempte des 
amans délicats , & prouva qu'il n'y a pointd'hom- 
me , quelqu 'étourdi , quelque vicieux qu'il foit* 
qu'une femme aimable & fenfible ne ramené , 
pourvu qu'il ait un conir. Floricourt époufa ma- 
dame de TerviUe. Il y a deux ans qu'ils fbnt unis t 
leur amour & leur bonheur n'ont encore riea 
perdu de leur première vivacité. 



-M>,Google 



LETTRE 

D* U N PHILOSOPHE. 

ÎNcONSiQUENs que nous fommes ! oui, Baron ^ 
& coi tout le ptemiert Je t'ai vu tranfplaaté dans 
cette ville broyante que j'habite, bâiller aux 
balcons de nos fpeiftactes , t'ennuyer de nos plai- 
sirs i fronder nos mœurs avec ce flegme qui vaut« 
disrtu , notre perlîfflage ; & aujourd'hui que te 
Vpilà tapi dans ton défert , tu t'informes aved 
tine impatience curieufe de tout ce qui fe paâe 
dans notre tourbillon! Paris t^excédoit, quand 
tu étou dans fes murs > à pféfent que tu en es 
loin , il t'intéreâe : lemblable à ces courtifanncB 
adroites*! contre qui l'on murmure tant qu'on 
vit avec elles, & qu'on idolâtre plus q^e jamais 
dès qu'elles viennent à noue quitter. D y a trois 
«os i n je veux t'en croire , que tu n'as entendu 
parler de moi ; tien nSurive jufqu'à ta IbUtude : 
ç'eft pour te punir de nous avoir abandonnés. 
Viens me vanter encore ta iblidité , & cette tèt« 
foi-difant raifonnable, quiabefoin, pour être en 
action 1 d'avoir des tous en perfpeâive. Eh ! mon 
Zij 



D,™),.rib,G6ogle 



3f« L E T T R B 

pauvre hermite , laUTe-nous tels que nous fom- 
mes. Chacun végète i fa manière fur ce globa 
burlefque, qu^on appelle. le monde. Les uns le 
voient à travers des brouillards ; nous le voyons > 
comme le prétendent nos heureux imaginaires, 
à travers un prtfme cclatanc : il efl vrai que pour 
eux la vie eft de toutes couleurs. Elles fe fucce- 
dent , fc croifent , fe divifent , forment un faif. 
ceau mobile qui les enchante & les promené de 
bluettes en blucttes , que fouvent ils ont le'boU 
efprit de prendre pour des vérités. Les ridicules 
de la veille font effacés par c6ux ^u jour , qui le 
font par ceux'du lendemain. Voilà comme nous 
vivons depQts deux lîeclesj au grand étottne- 
ment de toute l'Europe , qui ne peut concevoir 
qu^on extravague avec'aufant de fuite & de fuc- 
ces. Nous tenons la baguette. Amufés & diftraits 
par la magie du bonheiir, nous nous foûcïôns 
fort peu d'en avoir la' réalité. Ou je me trompe- 
fort , ou voîlà de la philofophie. HVy a pas jùf- 
qu'à nos dames qui ne s'en mêlent i elle s pris 
chez elles la place des mccùrs;' Elles t'toiivent 
cela moins gênaiit; elles font pliilofotihïs'pout 
leur commodité. Il y a tel boudoir où l'on dilTerte 
à perte de vue , & il m'eft arrivé de voir f'eunts 
Euclide X \cSopha fur la chijfonniere d'une joU« 
femme. Avoue que nous fommes charmans. 



-M>,Google 



d'un Philosophe, jfy 
J'ai aujourd'hui l'imagination riante. ProBte 
du moraentî car ma gaité, 13 ta t'en fijuviens, 
n'eftprefque toujours qu'unemélancblie qui fer- 
mente , & le mouvement d'une bile toute prèce^- 
à s'allumer. Revenons. Que veux-tu que je te 
dife ? Je vais laïfler errer ma piunie j elle écrira 
au hafard, & je ne réponds plus des folies qui 
vont lui échapper. ■ 

Le vauzhalt , que nous avons imité des, An- 
gloïs , car nous Ibmmes un peu Hnges de notre 
nature i ce célèbre vauxhall eft tombé î c'eft 
maintenant nne vaftefolitude. On s'eft lafTé de 
fe promener en lbng& en large , ou plutôt d'être 
coudoyé en tout fens dans un fatlon f & fous des 
galeries mal peintes , au Ton d'une mulfque baro- 
que. Je ne fais trop pourquoi ce caprice a duré 
ii peu ; car il étoit de la force des autres. 

L'hiver , l'impitoyable hiver a interrompu les 
joHies, autrement dites les fêtes piéîfitnes.Voïikt 
Baron , ce qui s'appelle un fpe^acle! Quel dom- 
mage que tu n'en aies pas été le témoin ! Il 
c'auroit réconcilié avec la flationj tu aurois vu 
que le goût du beau a encore des droits fur elle , 
& qu'elle n'eft pas tdut-i-fàit défefpérée. Qu'on 
nous cite après cela tes tournois , les courfes de 
bague, ^es combatsde gladiateurs, les jeoxdu 
Z iij 



1, Google 



tf8 L » T T R e 

drque^de l'amphtthéane,& les fâmeares mm. 
piachies des Romains. (*) 

Imagine-toi une enceinte de quelques toifesi 
fut un bras de la rivière de Seine , où les nau* 
tonnicEs de nos galiotes s'avanqant , une gaule 
en arrêt, fur des bareeaux barbouillés de teuge 
^ de bteu , luttoient majeflueufement i qnî fe 
renverferoic , au tnilteu des <s'k de joie des ai£r« 
tans i joins à cela les Gngerïes de quelques lûf- 
ttions aquatiques , formant des fcefies burlerques 
d'intervalle en intervalle. Une querelle s'élevodt. 
Vn coraraiiT^ire étoit appelle , il procédoit , veir 
halifoic , & on le jetoit à l'eau < comme de raifon * 
pour terminer la difpute. Bientôt il çtoît Tuivï 
par des abbés & autres animaux amphibies qui 
nageoient en maniera de tritons autour d'un îoU 
difant char de Neptune vtraiiié par quatre mar* 
fouins ou quatre chevaux. Grâce à l'art du pein- 
tre t cela ell encore indécis. Une clameur univer^ 
felle s'élevoit dans Taugulle afTembléej quelqiie- 
foison prenoitaux lutteurs un intérétfi vif,qu'il 
étoit marqué par un (Ilence impofant qu'inter* 
rompo'ient l'adreiTe du vainqueur & la culbute 
du vaincu. Je ne te fais ti qu'une fotbte efquiSe f 
(:e font de ces chofes qu'il faut voir , & qu'on ne 

(*) Elpece de batailles navales. Quel peuple que 
Ççs Hpoigùif I tl çtuh çrand ni^me flans fes plaifiis, 



D,™),Pril>,GOOglC 



d'un Philosophe. ;f9 
peut décrire. Nous acquérons de jour en jour j 
les grandes idées fe multiplient; notre fVivolité 
inventive alTujettit les élémens , les reiid fes tri- 
butaires ; & nos mafcarades fur l'eau valent tou- 
tes les forces maritimes de nos voilîus. Qu*eft>cQ 
après tout que la flotte la mieux équipée f H n'y a 
point là le mot pour rire * & c'eft en riant ^ue 
npus décidons notre fupérîoritd fur tous les peu- 
ples du monde. 

Ce n'eft ncn encore : tu vas t'extafier , fi jo 
pourfuis. Il s'eft établi parmi nous une troupe 
nouvelle , avec le titre modette de comédienf-Je 
hois. Nous raffolons de ces marionnettes i nous- 
avons fenti la nécefllté d'en pareil Tpedacte pour 
les progrès du goût & de la ralfon. O4 s'y tue; 
les loges font toujours louées d'avance. Il y s 
entr'autres un peUt arlequin, qui eft bien la 
créature la plus fpirituelle, la plus intérelTante . 
la plus achevée ! ce font les grâces en marqua 
noir. Il vient d'avoir un rhume dont les papiers 
publics ont dû informer TEurope: l'alarme éioit 
générale ; & j'ai vu avec attendriâ*ement que les 
vrais talens font encore en honneur dans ma 
patrie. 

Le moyen après cela de parler de la fcene Iran^ 
'^ife ! Athalie . Cinna , RhaJamJle , tout cela eft . 
inlïpide» après les grands objets dont je viens 
, Z iv 



f..Googlc 



jSo : t - L I X T R È 

de t'entretenir y& puis ■ quelques adeurs âe m 
théâtre (très-bons d'ailleurs) font des perfon- 
nages ambulans , fut lefquels on ne peut plus 
compter. Les uns font malades (îx mois de )*an> 
née, & voyagent les fix autres mois pour égayer 
leur convalefcenoe; d'autres prennent alKrniu 
tivcment les eaux, le latt, & prefque toujours 
l'air de la campagne : ce qui eft très-fain pour 
eux , & fort ennuyeux pour le public ; mais il 
leUf fait toujours un gré in6ni , quand ils veu- . 
lent bien interrompre leur régime , & compro^ 
menre leur fanté pour s'occuper deïes plaiOrs. 
. On danfe encore à l'-opéras mats depuis la 
zetraite de Geliot, on n'y chante plus , ou cela 
, eft n rare , que ce n'eft pas la peine d'en parler. 
Tu as vu travailler à la nouvelle falle? Elle efl: 
enfin conftruite : il ne nous manque que des 
aâeurs. On dit que le tniniftcr'e en a commandé 
une demi douzaine à notre meilleur raachinilîe i 
o^cd la ville qui en paiera la ra(;on. 

Les autres parties de la littérature ne fontnt 
moins fécondes, ni moins amufantes pour un 
aiiginalquipenfe que le fort des chofes humai, 
nés eft d'aller mal , & qui trouve ce mal là lo 
mieux pofllble. Nous voyons éclorre tous les 
}ouES de gros ouvrages économiques , qu'on ne 
Ut point 1 vu leur utilité -, dçs traités fur la cuU 



Dion.fMi,. Google 



U'UW pHitOSOPHl. 56Ï 
ture des champs par des fybatites de la ville ; des 
obrervations fur le bien public j faites par ds 
bons patriotes & de mauvais écrivains ; de petite» 
brochures -impies & (àtyriques , mifes au jour 
pour rinftruâion delà jtaaeSe & ta propagatioti 
de rathéifmeenFrancei d'innombrables romans 
qui , en nailTant, cinglent vers les isles , & for~ 
ment des pacotilles dVnnui pour le nouvenu 
monde. Tu vois que tout parmi nous fleiwit au 
même degré, Se que tu perds infiniment à t'en- 
terrer dans ton chJltel barbare. 

A travers toutes les folies que je viens do 
pafler en revue , il fe gtiffe quelquefois dtf vraies 
jouiffances poui* l'homme de goût. Telle eflrla 
produdion qu'on m'apporte à l'inftsnt. C'eft lè 
poëme de la peinture (*) par M. leMierre.Vuri 
des écrivains qui fait le plnç d'honneur aux let- 
tres par Tes talens & fes qualités pef'fonnelles. 
Tu i'aï rencontré pendant ton féjour en cette 
ville ; tu as vu par toi-même combien il eft vrat, 
fenfible & honnête. Que de raifonspour qU'ofi 
déchire fon ouvrage j qui d'ailleurs eft plein de 
beautés ï 

Je connoîs mes chers concitoyens: quand ils 
ne peuvent refufer leur encens, ilsi'empoifiMi- , 
nent. Ce font les plus drôles de gens ! Ils fe praF. 

(*) Tl Tcnoit de paroUre.' 



.M>,Googlc 



Jt» L I T T R E 

ternent tant qu'on veut devant les pagodes tttréeK 
qui les dégradent >& s'arment contre le phitofo- 
phe bienfaiteur qui enchante leun loifîrs, répand 
autour d'eux la lumière des arts * & ne leur de- 
mande rien que de n'ôtre point perfccuté: en 
pareil cas ils font inexorables. Les fangliers de 
tes Forêts en feroîent autant, s'ils vivoient en 
fociéts , & il ne leur manque qu'un peu de cul- 
ture pour Être aulH féroces que nous. 

Avant de fermer ma lettre , j'attendrai la fen- 
Jâtion qu'aura &ite le poème que je t'annonce; 
je t'en rendrai compte, & j'y joindrai mes réflé- 
xions i car encore faut-il bien réfléchir de tems 
en tems. L'extravagance monotone eft auilî en- 
nuyeufe que la raitbn même. La variété) la va- 
riété! voilà le cri de ralliement pofjt tes erprïts 
vraiment franqois j G nous pouvions parvenir i 
changer cous les jours de principes . de modèles , 
de.plailîrs, de philofophie «nous toucherions 
enfin à cette perfe<ÎUon que nous cherchons en 
vain depuis plufieurs fiecles. L'art d'être (ans 
oefiè nouveaux, feroît pour nous la monarchie 
vniverfetle 

Eh bien, ne voilà- 1- il pas ce que j'avots 
prévu ? Grande rumeur ! Critique amerc ! Dé- 
thaînement ptefque générait ... Le poème a 
céuŒ : car tels font dans ce pays-ci les caraiAeret 



-M>,Google 



d'un Philosophe.' jij 

aimables du fuccès. L'émeute a été fî fbite qùs 
l'envie a cru un inftant qu'elle avoir fait tombée 
un bon ouvrage. Le peuple des dénigrans s'efl 
furpaSe. Il ^lloit entendre la dÎTeiiné des opU 
nions. Cela prouve bien le peu d'importance 
qu'on doit mettre aux premiers cfris de cette 
hydre qu'on appelle public. Il reflemble aâèz à 
ces animaux fiupides, qui rugiâent^ès qu'on 
leur préfente de l'écarlate ou de la pourpre. Les 
produâions éclatantes l'eâàcouchént , le mettent 
en fureur , & ta moitié de Paris a des convuU 
ilons tuuteç les fois qu'il s'agit d'adqiirer. Au 
fàuxbourg Saint-Germaîn l'ordonnance du poè- 
me a été trouvée belle } pitoyable au fauxbourg 
Saint-Hpnotéi on s'extaGoit fur les vers au Ma., 
rais; dans le quartier du Palais c'étoit de la 
profe rimée.D'un côté les artiftcs murmuroienr, 
de l'autre ils ^rioient merveille ; & quand tous ■ 
ces juges d'avis difierent venoient à fe rencon- 
trer , c'étoit un tapage , une cacophonie , une 
ponfuHon tout-à-&tt réjouiâànte. J'en ai vu qui 
. écumoienc de rage , faute d'avoir pu prouver le 
vice d'un hémïftiche. 

Sais-tu quels font aujourd'hui les arbitres du 
génie? De jeunes feigneurs bien confîansi qui 
radotent fur le goût, comme tes invalides fur la 
gloire, manient ^es chevaux le matin ■ dcchirçnt 



1, Google 



j£4 L C T T E ï 

le (oit quelques hommes de mérite , s'ïmaginenC 
' qu'ils prononcent quand ils dédaignent , & font 
P^nni les gens de lettres ce que font les banne- 
tOHt parmi les oifeaux. Des femmes d'une inté- 
grité incorruptible, qui fe font emparées de la 
balance des. réputations , tiennent en ieâè la 
phîlolbphie moderne , mènent te fîecle du fond 
de leurs boudoirs V& ne tranchent jamais plus 
hardiment que fur les ouvrages qu'elles n'ont 
pas lus : ce qui fait que , malgré leurs lumières , 
la délicatefTe de leur taâ , & la prépondérance de 
leur fentiment , elles font quelquefois fujettes 
à fe tromper. 

Les gens de lettres font aflez volontiers du 
parti qui opprime. La Fontaine l'a die, 

La rairon du plus fort c(t toujours la meilleure. 
& les gens de lettres ont la plus grande déféi- 
rence pour tout ce qu'a dit la Fontaine. 

Il en eft pourtant quelques-uns qui fe font 
iingularifés par beaucoup d'honnêteté , & ont 
défendu M' le Mierre contre la foule de fes 
agrefleurs. M. Vatelet , par exemple , à qui nous 
devons un poëmetrès-eftimable fur la peinture, 
a loué avec une franchiPe noble l'ouvrage de fon 
concurrent. L'auteur a difparu , pour laifler agir 
l'homme impartial & vrai , qui n'eft pas toujours 



D,™),.rib,Google 



r)*uN Fhiiosoprs. jfif 

tnvclopf é dans fon propre mérite , que la gloire 
d'autrui n'DfFufque pas, & qui augmente la (içnns 
en prépf^rant de Tes mains les couronnes de fes . > 
rivaux. Voilà de ces traits qu'il faut confacrer. 
Un beau poème & ua beau procédé , ce font 
deux époques rares dans la littérature. 

Ce gui m'amufe encore beaucoup dails tout 
ceci , c'eft qae ce publit tizarre eft en contra, 
di^ion avec lui-même. Tout Paris connoiâbilî, 
avsijt qu'il parût , l'ouvrage qui nous occupe , & 
tout Paris en parloir avec enchouHarme. Sans 
compter les leiftures paVtïculieres , il avoit Tubi 
l'épreuve la plus délicate , dans une letfture faite 
à l'académie même de peinture. Jamais fenfatton 
n'} ité plus vive , ni fuÀèb ithis décidé. Voilà 
ce que' l'auteur expié. Ses critiques fe vengent de 
la iîtuation violente oll il les a réduits ,-& de la 
néceffitê où ih ont été de l'applaudie. Ils pré- 
tendent que c'eft un guet-à-p6ns j qu'iV n-éîEl ni 
décent ni honnête d'aÛTcmbl^rainG les gens' pour 
)eur faire entendre dé beaux versi avanif'qu'ils 
aient eu le tems de fe mettre en garde , & dé' ft 
précautionnet contre lenr plaifir. i^'i ■ 

De î» col acliarnemenr, cette mau^lfe foi', 
cette eiFervefcence pnflàgerede quelques Jaloux 
fubalternes. Les jours d'été enfantent des eli^ins 
de moucherons qui piquent, bourdonnent, & 
«leutenc. . . 



1, Google 



I&j t s t f K fc 

Ce qui Joit tr^nquiUifer l'anteui; far rinfâiU 
Ubilité de Tes juges , c'efl le cours prodigieuSi 
que vient d'avoù dans nos cercles uiie certain* 
épine i Nicoleti Elle eft fur toutes lei chemi- 
nées > fur coûtes les totlfettes , dans tous les porter 
feuilles j on la copie , on ta colporte « on fe paf- 
iîonne pour cette charmante produâion. Tu vas 
croire peu^ètre qu'on y trouve des grâces , du 
f^ntiment , de la philofophie , ou une peinture 
délicate & fine de nos ridicules. Foiilt du tout : 
c'efl; une fatyre (qui it'èftqu'amere), où trente 
citoyens efllmables font oittragés. Quelle jouif*. 
fance pour Paris I 

Une frivolité enielle devient plus que jamati 
le caraâere national. Oii tolère t'honnèiété pu 
un refte de pudeur , & pour Ië décorum. On pro- 
tège , on accueille * on porte aux nues les mé^ 
chanS;. Ce font eux qui font législateurs dans nos 
focîétést & que nos femiiKS trouvent JivitiSi 
Roufleauidont refprlt eft Qngulïer > maïs^ donc 
(îktement le cœur eft bon * Roufièau eft calomnié^ 
tnécoonu i Tes détraâeurf profpereBt i jouilfent 
& nuifent avec privilège. Ce qui devroit être une 
flétiiâure t eft parmi nousileveàu un état , grâce 
aux agréhiens de ta fociabitité. La plupart de 
ceux qui conipofent le grand monde > font des 
efpeces de dieux ; Ttutatit j il leur fkitt des vie* 



n;r;>-M>,GOOgle 



D'un F H I L * O » H k. 3tf; 
dmes humaines. L'éloge endort ; h Tatyre éveille. 
C'ett un Tel pïquaut , qui réjouit le goût ufé de ces 
sutomates. Ils font heureux quand ils s'etidor'^ 
meni fur les débris d'une réputation. Ils paient un 
zoîkauili cher qu'une cou rtifanne. 'Qu'importe 
qu'on les dégrade » pourvu qu'on les amufe, & 
qu'on leur arrache ce lire convutûf qui expire 
fur leurs lèvres > & n'efileure point l'ennui radi- 
cal qui lès mine & nous venge ? Oui , j'aimeroit 
prefqu'autant ces fpeâacles où lés Romains s'af- 
fembloient publiquement pour voir b'entr'égor- 
ger des hommes , que ces, petits comtés , ces tri- 
bunaux clindeftins , où le poignard de la làtyre 
ell l'arme de tous les adeptes', la fàuffeté leur 
caraâere j où l'on reçoit tes fbts en bonne for- 
tune, pour déclamer contre le talent^'on la 
baflefle brûle un encens Touillé fur Tautel des 
Lucullus 1 & verfe gaîment la ciguë dans la coupe 
qui doit erapoifonner Socrate. 

Le feul moyen» Baron» de chaSèr les idées 
trilles dont j'ai noirci mon imagination , c'eft 
de la repofer fur quelque^ tableaux de la galerie 
intéreflante que M. le Mierre vient d'ouvrir aux 
artiftes & aux amateurs. 

Apollon , dans nos dédicaces , a quelquefois été 
fupplanté par le commis d'un financier. Il faut 
que le trépied foie d^ir» pour que nos ûbylles y ' 



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)58 L B V t « K 

rendent leurs oracles. M. leMierre, plein du lîni 
des anciens , en a confervé les nneacs fit l'indé* 
pendance. Le titre de Ton litre n'eft point désho* 
noce par le nom d'un proteâeur. 
■ U confacre fes vers fur la peinture à Dibo* 
tade,cettejeuueGrecque, dont la ipain conduite 
par ramour.crayonna^'d'après l'ombre de fon ' 
aouDC , les premiers traits (le cet art ehchanteur 
qui a Ëiit depuis les délices de l^nivecs. L'ef- 
quîife de Oibutade fut te germe heoréuK' d'où 
font édos le Titien , Rubens & Raphaël. 
. L'auteur divireTt») poëme en troif chants ^ le 
^Ifîn, le 'coloris, &, l'invention. Je:me diCpep- 
ferai de ranalyfe^ j'écris une lettre* & nonpas 
un journal ; je xiterai ian$ ordre ce qui m'aura 
frappé, .- - - . ■ 

. Dans le morcenu queje vais mettre' fous ces 
yçBX t le beau idéal eft exprimé avec grâce. 

Speâacle raviflànt , dans la Grèce éittft ! 
Sous ce vafte portique Apelle a rafTembU ' 
Un eflkin de beautés , doux & brïllans modelés : 
L'amour vole, incertain où repofer fes ailes : ' 
^on<£il croit votrén cercle , Hélène i Flore , HébJ, 
Théds , Pfyché , Diane, & Vénus ,& ThiBb'É. ■ 
BéclTes , pardonnez , je vous mëtc aux mortelles .* 
C'eft-étre égale à tous que d'être au rang des belles. 
Çur les divers appas de Ces jeunes objets ,. ; 

Le 



D,™-;.M>,Gt>()gle 



d'un FhILO S'O p h é. 369 

Le peintre laiffe errer fes regards fatisfaits ; 
Il préfère ce bras , c'cll ce pied qui l'attire , 
Cet œil l'a plus féduîc , il choifit ce rourtre , 
De lys plus éclatans ce cou paroit femé , 
Ce front efl; plus uni , ce bufte eft mieux formé ; 
Plus beau dans fes contours , ce feîn qu'il idolâtre , 
S'élcve & Te fépare en deux globes d'albâtre. 
£n raflVmblant ces traita , Apelle tranfporté , 
N'a peint aucune belle , il a peint la beauté. 

Le fécond chant , qui traite du colorisj Rebute 
par des vers au foleil , ce père brillant de la 
couleur. Ils ont toute la pompe & la magniS- 
cence que demande une pareille invocation i 
ils étincelent en quelque Torte, & rendent pal- 
pables à la penfée les rayons de l'adre qu'on 
veut peindre. 

Globe ref[Jendifrant , océan de lumière , 
De vie & de chaleur fource immenfe & première, 
Qui lances tes rayons par les plaines des airs , 
"De la hauteur des cieux aux profondeurs des mer* « 
Et feul fois airculer cette matière pure , 
Cette fevc de feu qui nourrit la nature ; 
Soleil , par ta chaleur l'univers fécondé , 
Devant toi s'embellit , de lumière inondé ; 
Le mouvement renaît , les dlAances , l'efpace ; 
Tu te levés , tout luit : tu nous Fuis , tout s'efBice, 
Sans les jets éclatans de tes feux répandus , 
L'artifle, le tableau , l'art lui-même n'ell plus. 
Tomt V. Aa. 



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}7* L E T t It E 

VoiU comme on caradérife Berghem.' 
JSais n ta veux m'offrir , loin du bruit dts cités , 
Du fpeâacle des champs les tranquilles beautés , 
Dégage de tout foin ton aiue libre & pure , 
Et mets-la dans ce calme où tu vois la nature. 
En vain à l'obfervcr ton œil s'eft attaché , 
L'ail fera trouble encoi , fi le coeur n'eft toucha. 
£h t d'où vient que Berghem eft au rang de tes maîtres? 
D'où vient qu'il a re<;u des déités champêtres 
Le feuillage immottel qui Verdit fur Ton front ? 
Il connut , il peignit oe renrïMcnt profond ; 
SI répancha par-tout fous fes touches divînéc. 
lient poDT atteliet le Jbinnetdes collines; 
Éptic de la nature & plein de fes attraits , 
Cétoit là qu'il trai^oit de lès pinceaux û vtw 
Les mobiles afpeâs des nuances célefles , 
Le repos d'un beau foir fur des lîtes agrefl«s , 
La miïnture du pàtrc & les bélans troupeaux, 
Far des chemins âeuiis regagnant les hameaux y 
Et ce fdence heureux d'un vafte payfage , 
, Des premiers joun du monde attendriflante Im^. 

'Recueilli , folitaire , & plus rapproché que 
nous des beautés /impies àe la nature, tu doï& 
goûter ces vers qui k peignent fi bien ; fàis-en 
retentir ;:es forêts, tes collines & les échos da 
tes montagnes ; grave-les fur l'écotce de tes 
chênes , & plains la fécherefle de nos âmes algé- 
briques, qui font fourdes à leur douce harmo- 
nie. Ah! mon ami , dans ce pays de fauvages , 



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d'us PttitOSOPHE. 'î7i 
foi-difant policés > on analyfe le fentimerit, on 
mefure les fleurs au compas ; W ciaicul fneuf- 
trier a tout éteiilEi bti nous înterdip Bientàc 
ce plaifirfubii&'ftoî) délicieux pour être rcôé- 
chi , que nouscauîént la vue d'une belle' femme , 
un beau payfage,'dc beaux vers, & en général 
toutes ces fenfatitfns: vives , confufes & rapides , 
^ué l'Auteur de notre être nous a données pi^uE 
nous dédommager des tqurmens de la raifun. 
Je finis mes citations par un tableau digne du 
Correge & de l'Albane." 

Ell-ce une illuffoo ? Quelle douce magie , 
Quel charme me tranfporte aux bofquets d'Idalie , 
Dans la troupe enfantine & des ris & des jeux , 
Aux autels de Venus près des amans heureux ! '^ 
La foule des amours de tous cAtés alTiege 
L'attelier dé l'Albane & celui du Correge ; 
Les uns pour les pinceaux taUlent le myrte en fleur ^ 
• D'autres fur la palette étendent la couleur. 
Celui-ci , d'un genou qu'avec peine il avance , 
Veut placer à lui feul un chevalet immenfc : 
lï fue , il fe dépite , il fouleve à moitié ; 
Par fort adreffe eniin la machine eft fur pié. 
Celui-là , pour tracer un portrait de fa mère , 
Su peintre graveirient conduit la main légère; 
ïluG il en férieux , plus fon air eft charmant. 
Cet autre plus badin Ta , vient étourdîment , 



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57» .' L E T T ^ S 

JDe fon léger jlambeau dre d^s étincelles, - 

De crgyons plu; aigus fait des .flèches nouvelles , 
Touche , dérange tout par fes folâtres jeux : 
Sadinraitraitifte, & l'ouvrage en cfi mieux. 

Tel ell le Ayle de M. le Mierre , qu'on acçure 
d'écrire d'une manière dure, incotxeâe & har, 
bare. Peut-être l'habitude, qu'il a de coorir^près 
la peufée , lui fait-elle négliger quelquefois la 
mignardife de l'cxprelHon. Son pinceau en géné- 
ral cd nerveux , précis , rapide \ tes teintes dou- 
ces en relTortent davantage.. La Tymméme élé-i 
gante d'un parterre ne plaît pas autant que ces 
iîces incultes , où la nature lé déploie avec toute 
fa force & fa majefté. Si Crébîllon avoit écrit 
comme Racine , noui; aurions un auteur origi- 
nal de moins } il ne faut point altérer le trait 
primitif du génie. Les fruits & les âeurs uVnt' 
jamais fur un fol étranger le goîlt & l'éclat qui 
leur ell naturel ; de même vos productions per- 
dront en quelque forte leur faveur , fî vogs ne 
leur traîifmettez pas l'empreinte & la vie de votre 
caradere : c'eft l'ame qu'il faut confulter ; le goût 
polit , & ne crée jamais. Les poètes ont \eutfairt 
comme les peintres. Emprunter la douceur & la 
molieâè d'un autre, quand on plait par Ion au(^ 
térttc , c'etl orner de rofes le bufte de Brutus » & 
habiller Hercule de taffetas.. 

Un ai^ts reproche qu'on a fai{ à M. le Mîeire, 



D,™),prib,Google 



D' B N P H 1 t O fl O P H E. Î7J 

Vtlf-d^voir imité Fabbé- de Marf^ i""qHi 'a -eora- 
^ofii'ûn poëme latin fur la peinturé. Ç^'lmportej 
fî'l'imitateurferenrf propre ce qùSr'eBfipruntè i 
bu ftitdu m6ihsétftt>é11irTes tniHhËf S'atireuffi, 
VabbÉÏran'qois.-grahd poëte en tah^^éeimwte, 
nVriwî à tédametr fur ce que j'ai'ffiîs féûs tel* 
jfeux :fon poëiftê ,-o& Ton trouve' cftf^ftfft^Bfiheur' 
&del'h!)rmoniè,<fl:auflîtrop{lérS«^corfiioir- 
fances. Je lui préféreroîs encore lfr%borie«x' 
Oufrefnoy : i^eft un' lillôn qu'!^t^^C!êVflfi^fe"il y 
dépofe des germês^ ïftïles. La poéilïe''de^t'autce 
reffemble à ces fables coloras & ftétflWJlîWit on 
décore les terraiflès de nos jardins/ '■- ■ 

Au refte , j'ai une vieille critique (^^fiitte dans 
l'autre (îecle fur un des ouvrages les plus eftimés . 
niêmc par celuîVcr, qui prouveroit à Si. le Mierre 
combien il Faufinettré peu de prix â toutes ces 
diatribes du moment. Cette brochure ,qm jouît 
de tous les àgréméhs de la vétulïé > s'éll troutle 
fous ma main dans un deces tas d'efprit' décré- 
dité qu'on étale fur nos parapets. Je (^ouvris, & je 
lus à la première page : Sxamen impartiddetart 
poétique de M. Défpréaax, Le titre 'nie piqua, & 
je fus curieux de voir ce critique célèbre aus 
plrifes avec uti journalise. Il lui reproche de 
manquer d'enthoufiafme & d'une certaine déli- 

O Imprimée chez Serci , au Griffon couronné. 
A aiij 



n,™),Prib,G00glc 



5^4 .-: .1 =r ri* »-.T;T » B : 
caceflè .qtù x!eM k la fenâbilhé i do noi»'«roic 
doni}^ pImF^.IVc Ju rimetic que .l'art du.poëtet 
de délaff^-qf^qaejîois dansçinq. ou fîx v^rç Jës 
penfêfîs, qv^Hqvce Ton modeU'renïanpffdant 
pn fe)ui iaiie Xaprjfier les gXftfXS ,à l'âpreté d'une 
humeur K^';mordante î^i,ô parfit ^uelqM?fo« 
des )iugeinens; faux , comme dans les vers où il 
€ï«Itft;V^oftut6 & déprilBç Qujiwulti d'être fiât, 
leur dtfsgrwdfr» ce qui 'eft^pjs qtie facyriqpeiHl? 
fe permec^ des plaifànceH^' 4e mauvais toif ^ 
fu.r-tQVt^'airiJif.ccop fouveotïfQn art,enjeîatK 
de l'opprobcp fUi ceux qui le dtfltïvent. 
Horace a bu fon (âoul , fuind il. voit les Ménades ; 
, Et libre .du .fouci qui ttouble CglUtet , 
N'atteud^ pour dîner,, le fuççèftdjun fonnec ("),, 
. CQn<;ois^Hi qu'on ait tcaitéB«ec:cette hardielle 
c(:Iui imi a fixé |a lau^e. Si le. goîit> a donné la 
leçon &,rex^tnple de la clarté, d^ la pureté, de 
la cprreâion dans les écrits; çç peintre chra qui 
1^ raiCon n'aft jamais froide , ^. l'image jamais dé. 
raironnabJ.e^çelégislateur,enunmot,delnpoéfie 
françoire,.qni, pourmeferyir de Ces termes, a 
laiffé un long fpovenîr de fes,|ur«dui5lion8 ? 

I^e grand. écrivain lie jouit qu'après fa mort, 
des travacx qui ont affligé fa vie^ Tant qu'il tient 
C) En cela le journalise a raifon* Il &Hoit , dans 
le mauvais poète, rerpeifler l'homme indigent,^ 
même le foulager. Entre dire du niai, & faire du 
tien , je ne crois jias qu'il y ait à héfiter. 



-M>,Google 



DVo N P H-1 L S O P H B, 37f 
i it.Coâété par le plus Toible lieii, il efl: le jouet 
^es miférabtçs intérêts qui la divifent. La haine, 
J'aiHOur-proprebleffc, toutes Jes furies littéraire» 
le tourmentent jufqu'au dernier foupir. Meurt- 
il ? on commence à tr.aiter avec lui i & l'envie 
acharnée à Ton ombre , lui dirputeroit encore un 
honneui; infrutftueux & tardif, fi elle n'avoÎB > 
des yivans à poiirfuivre: elle va toujours au 
plus prefle. 

Quoi qu'il en foit, la critique que je reflurcite 
pour un inftantiVa letçHnbcr dans un étetneî 
<mhli,&rartpoéliiftu vivra autant que la langue 
dans laquelle ïlfift écrit. Voilà pourquoi il eft 
jbon quelquefois ^e ferme^r l'oreilte à toutes ces 
clameurs contemporaines , d'anticiper ,na , peu 
fur fa gloire future , & de prendre quelqu'à- 
«ompte fur fon iipmortalité , dont çn e(l averti 
par un infljnâ fecret , & fur-tout par le diéchai- 
nement de fes rivaux. 

Quelle lettre ! elle eft éternelle j. pardonne. 
Le plaiGr de caufèr avec toi, & le befotn de 
fbulager mon cœur m'ont emporté j j'imaginois» 
en ['écrivant, déreaâre<Mon ami devant tout le 
public ; l'ai oublié ,qu^ liioo apologie alloït ex- 
pirer d^ns toii défert. .Tu verras au moins qu'oa 
peut être jufte, quoiqu'on fait homme Je let&es'î 
car le fuccès de quelques ^bagatetles m'a vala 
A a iv ' 



D,m.f.ril>,GOOgle 



37« Lettre n'uH Philosophe.' 
ce titre, dont je m'horiore (*). PuiiTent tûuJ 
ceux qui le portent en foutenïr mieux la di- 
gnité , fe créer par leurs mœurs un état qu'on 
difpute àleurs talens, reprendre ces droits mé- 
connus que doivent leur donner des travaux 
utiles aux hommes, être les organes de la vé- 
rité , tes rtiartyrs s'if le fout , préférer une pau- 
vreté libre à un brillant efdavage , ne point fe 
livrer fur-tout à ces inimitiés bafTes qui retardent 
le génie, attriflent l'ame & corrompent le bon- 
heur ! Puiflent-ils reffemblér enfin à ce faméut 
baraillon dcLaccdémohiens , à ce corps de héros 
& d'amis , que leur union rendoit invincibles ! ,■ 
Toi, n tu aimes loicalme, & une exiftence 
fans témoins; fi, comme je le crois , tues aflei 
vertueux pour vivreavcd toi-même', refte dans 
tes bois. Nous ne pouvons te donner, en échange 
de CCS biens paifiblcs , que du tumulte , des ca- 
bales, des inconréqijètices, des vices , des noir- 
ccurs, & l'ôpéra-comique. 

( * ) Il eft tels de nos inerveilleux , â peine gentils, 
■■hommes , êtres ébauchés 5: fiers d'une exiftence de li 
veills, à qui l'on (ait accRiirct^'ils dérogeraient s'ils 
ceflbient d'to'e des Tots , s'ils exerijoient leur ame & 
leur efpnc , s'ils dsignoîent fe livrer aux lettres , que 
n'ont point r6i;gî de cultiver'Ies Nevers. les Domaine , 
les Boaillon , les Condé , lei La&re , les d'AguefTeau, 
les Irtontefquîeu, & qui font encore aujourd'hui l'a- 
mufement d'un grand roi. O Molière, oùes-tu! 



-M>,Googlc 



REFLEXIONS 

sur' 
•'me poème erotique. 

xJ'S ohat , pendant une nuit ^'orage , fe gltâè 
dans une voUere,& emporte une tourterelle: 
voilà tout le Tujct de ce poëme. Le fond de Ver» 
verd, le plus ingénieux bndinage qu'aucune 
_ langue ait jamais produit, n'eft peut -'être pas 
plus riche ; mais le fond le plus aride s'étend , fé 
féconde, s'embellit fous U main d'un peintre 
habile q.ui a le fecret des couleurs ; & malheu- . 
reufement, l'aimable & pareâeux auteur de la 
Chartreufe > en' renommant à peindre , a jufqu'ici 
gardé fon fecret & fes pinceaux. La molle faci- 
lité, la mélancolie douce, ces grâces ^ue leur 
négligence ne rend que plus intéreHàntes, fe 
font avec lui réfugiées dans fa retraite i & il ne 
nous 3 lailTé que de froids imitateurs, à qui un 
remerd de coafcience Géroit beaucoup mieux 
qu'à lui. Cependant, en rendant juftice à fes 
m.iîtres, il ne faut jamais perdre l'efpérance de 
marcher fur leurs traces. L'admiration exclufîve- 



-M>,Google 



J78 S. E ï L E X 1 W s 

efk le tribut delà foibleâ*e , & Tact a des reflources 
qui Ce multiplient à nierure qu'elles femblenC 
s'épuifer. La poéile eft un champ vaftc , où l'on 
iDoiflbnne daiis tous les Cc'ms ; & qui veut battre 
la plaine , rencontre des réduits moins fréquen- 
tés , des efpeces de réferves où les fleurs Tout plus 
fraîches .plus abondantes & plus nouvelles. Xa 
poème erotique, par exemple, me paroit offrir» 
dés beautés , iînon tout-à-làit neuves « du moins 
beaucoup plus rares dans notre langue. Nous 
avons eu , pendant quelque tems , la fureur de 
l'épopée : de là font nés la Moylîade , Œilde- 
brand,laMagdeleine,IaPUcelIe de Chapelain, 
& tous ces mohftres épiques qui font rougir le 
goût & la raifon. Lalégéreté de notre caraâere , 
notre religion auguile , mais trille, fur.tbut la 
monotonie faftidicufe de notre rime , peuvent 
ne pas convenir à cçtte forte de produâion ; & il 
iàlloit rheureufe hardieâe de l'auteur de la Hen- 
liadc , pour lutter contre tant d'obftacles , qu'il 
avoue lui-même n'avoir pas tous furmontés. 

Malherbe & Kouflèau ont élevé l'ode à fon 
plus haut degré de perfeâion : la Motte , après 
«ur, n'a réuffi qu'à être médiocre. Segrais mit 
l'écl^ue à la mode ; les madrigaux champêtres 
de M. de Fontenelle nous en ont dégoûtés. Ma- 
^mc Deshoulieres a réuffi dans l'idylle j & il 



D,™),.rib,GOOglC 



SUR LtPoEME èRfl'tI<J.UE. î?» 
n'eâ plus poffible de ch^ntét , après elle , les 
âeurs , les ruîâeaux & tes moutcms. Four la fable 
Si. le conte, la -Fontqine »c lailTe prefqtie pliii 
lien à Faire. Boileau nous aetldcbis de reus les 
tréfors de la poélîe didaâique: heureux, Vil 
n'avoit pas euleluccès déshonorant de h ktyit ! 
Régnier, Grécourt , Vergier-, Se quelques icrii 
vains de n»s jours, ont' ports, auffî loin qum 
pouvoitallet, le cinifme de la poéiîe libertine* 
M. de Voltairêi co compofé -dô tous les efprits; 
& » fi l'on peut'U dire , le fubtimé de toutes lés 
îmagiBiitions qui l'ont précédé , a été &-eft en- 
core touC'Ce ^u'il veut être. EnBn , nous avon^ 
des richelles' innombrables dans tous les gen- 
res, cxceplé'la poélîe erotique ou voluptueufev 
Four vingt ^lindidel, à peine pourrions-nouï 
«ter un l'Albane. Qu'on ne m'oppofe point la 
foule de nos chanfonsà de nos poélîes légères , 
brillantts^ervefcenceï du génie François, en 
général plus badines que d^icatcs, plus galantes 
que tendres , & plus penfées que fenties. Chau- 
lieu , fans doute , a connu la volupté ; mais il ne 
l'a chantée que par faillies; il en euttoujoursla 
chaleur, jamais le recueillement: fes ouvrages 
font des éclairs i & les émotions qu'il donne font 
G promptes , que l'ame n'a pas le tems de les 
xaâèmblor , & d'en former ce fenttnient, ce taci 



D,™),.rib,GOOglC 



|8o Jl B F- L E X l-O V S 

intérient & délicat , qui feul confUtoe le pItiGr. 
Cela n'empêche pas que Cbaulien ne foie un 
poète charmant, plein de grâces, de naniret,& 
quelquefois dc' philofophte. 

Far la forte de poème que j'examine ici , j'en- 
tends un ouvrage divifé par chants * dont l'inté- 
tét feroit gradué & continu , où l'on trouveroit 
tour-à-tour de.la ^ité fans empottement, de 
la mélancolie fans trifteHet donc les couleurs 
feroient toujours fraîches & animées ; où les 
paflîons n'auroient qu'une Bamme infinuante & 
douce ,& qui reproduiroit à nos yeux toutes les 
teintes riantes du tableau de la nature. La caufe, 
de notre difette à cet égard , vient c^ruinement 
du fond même de nos moeurs. Toujours diftraîts» 
toujours emportés par des courans étrangers» 
nous ne fommes.poîtvc aâez maîtres de notr& 
ame, pour y recevoir ces feiifations paidbles 
dont je viens de parler. Tout gliâè ïai nous: 
à force de voir, nous ne voyons rien : notre 
imagination efl trop occupée , pour qiïe notre 
cosur le Toit. Tous les objets fucceffifs, que notre 
tourbillon promené fous nos yeuic > nous fommes 
prompts à les faïGr , & lurs de tes bien peindre i 
mais le plaifir , qui n'eft guère parmi nous qu'un 
délire de conveutton ,,lcs peintures qui s'en ren- 
contrent dans nos écrits , font , en général , làc- 



,M>,Googlc 



SUR LE POEME illOTIQ.UE. Jgt 
ticcs , comme ce plaifîr m^e': c'eft un verre 
terne, à travers le<iuet on cherche à entrevoit 
les rayons du jour : Le tems que nous confumons 
à être amufés eft autant de pris fur le tems que 
nous devi ions employer à être heureux ; & nous 
ne connoiâbns pas l'expreHion du bonheur, 
parce que nous en avons rarement la réalité. 
• Je crois que plus un peuple cft corrompu 
moins il doit être voluptueux : c'eft que la vo- 
lupté vraie tient à la naïveté de l'innocence, au 
calme d'un cœur que la vertu tninquillife , & au 
petit nombre des befoins. Les jouiâances trop 
multipliées font néceâairement trop rapides : & 
qu'e(l-ce qu'un ptaidr auquel ne furvit pas Le 
charme de la réflexion. & qui meurt dans t'ame, 
Jans y laifler de traces , H ce n'eft un vuide im- 
menlè que d'autres plaiilrs ne rempliront pas 
mieux? Tels font les objets que nos écrivains 
ont fous lesyeux,& la froideur du modèle doit 
naturellement fe communiquer à la copie. Les 
Allemands , ces efprits tardifs , à qui nous avons 
appris lentement à devenir nos maîtres , les An- 
glois n fombres. & fî durs en apparence > font 
plus voluptueux que nous dans leurs écrits. Les- 
poéfîes des Halier , des Viéland , des Geflner> 
chez tes uns ; chez les autres , celles des Chaucer^ 
des Spenfer , des le Prior, des Pope, rerpixent ce 



D,™)..ril>,.GOOglC 



38» R 1 fht X 1 o M » 

caca^erede tendrefle, ds douceur & de vprité, 
^ue nous deltn^riB dans U& nôtres. A trente poè- 
mes qu'ils ont dans ce gentÈ> nous ne poBvons 
guère o^pt^er que PAdonis de la Fontaine , & 
le rajeunificmen^ inattle : je ne parle point du 
lutrin î c'efl- un pôëme fatyrique. Verdverd luî- 
ménte n'eft qu'une critique légère & badine des 
vétilles du cloittfe. Je ne m'appaîerai pas non 
plus de quelques poèmes charmans (^*-) que les 
grâces ont diâés. & qui la inodeftie renferme; 
ce font des fleurs qui n'ont encore paru qu'aux 
yeux de l'amitié, & qui gagnerment fans doute 
à s'épanouir au grand jour du publie: mais on 
ne peat fe vanter des richeâès dont on ne jouit 
pas; & d'nilleurs elles ne font pas tout-à-fait dans 
le genre dont i) efl queilion. 

D'où vient donc que , dans ce même genre , let 
deux nations que je viens de citer font infini- 
ment plus créatrices & plus fertiles que nous? 
C'eit que chez elles les hommes font plus eon> 
centrés , & vivent davantage avec eux-mêmes , 
nourriiTent dans le filence cette fenlibilité qui 
s'évapore dans nos cercles, & vont chercher Iz 
nature dans le fanfluaire de la folitude; c'efl 
qu'ayant beaucoup moins de diftra<aions , ils fe 

C) L'art d'aimet de AL B. Les Saifoni , de M. 
de S, L. 



D,™),.rib,Google ' 



SVR LE FoEME £rotiq.vé. ;S| 

Tepofent avec complaifance fur toutes les éincu 
tions douces qu'ils éptouvent» & prolengent le» 
plailîrs de l'ame par l'exerdce de la penfé& Voil ji 
ce qui donne à leurs ouvrages , même agréables y 
cette profondeur de feâtiment & cette ehaleut 
pénétrante , dont nous n'avons le pius fouvend 
que la gtimace & la prétention. 

Quoi qu'il en foit , le poëme erotique, comme 
on vient de le voir , offre , à qui voudroît ou 
poutroît la courir y une carrière beaucoup moin» 
rebattue que tes autres : c*eft un rameau de la 
poéfle 1 qui a tonte fa fève , toute fa force » & fa 
fraîcheur. 

Mais nous fottimes dans iin fioCle on ces bran- 
ches nouvelles dcHvent être négligées , indépen- 
damment même des rilifons qtie je vitns de rap- 
porter. L'efprit de recherche & de combinaifon , 
qui a produit d'autres biens , a nui au progrès de 
' la poéfie ; de celte fur-tout qui ne fe rapproche 
pas de cette influence phîlofophîque, répandue 
fur toutes les parties de la littérature. 

A togs ces obllacles fe joint le goût exclufîf 
que , depuis quelques années, nous avons mon- 
tré pour la carrière dramatique i c'eft apurement 
I4 plus féduilànte , ta plus flatteufe , celle où les 
fuccès doivent enivrer davantage: mais n*e|l.il 
pas pitoyable que toutes nos jeunes mufespour- 



D,™),.rib,Google 



^84 Réflexions 

fuivcnt indircrétement ce météore brillani: qui 
leur échappe pcefque toujours , & ne latfle à fa 
place que l'éclat du ridicule ? Tel fut prédediné 
à aire de jolies chanfona , qui a l'intrépidiié 
d'écrire une tragédie ; & je crois que fi Scarroa 
levenoit parmi nous I on lui coureilleroltdetia. 
Tailler dans le genre pathétique ( car on le donne 
biea de garde de dérc^c iufqu'à la comédie). 
A cet égard , la folie du public me patoît toute 
£mple : il entend fes intérêts : le théâtre lui 
offire cent plaifirs réunis, auxquels rien ne peut 
fuppléet : c'eft là qu'il eft tyran ou protetfteur, 
qu'il diftribue la gloire ou le ridicule, & qu'il 
forme un corps redoutable , hériffé de tous les 
traits de ta malignité: c'eft là qu'on le flatte i 
qu'on le carefle , & qu'il s'élève un trophée des 
amours-propres qu'il humilie , & des réputations 
qu'il fait : il jouit en préfence , & des craintes du 
poète, & des foumiifions de l'aâeur: il fatisfaic 
iès haines aveugles , Tes prédileâions qui ne le 
font pas moins ; en un mot , c'eft un monarque 
entouré d'efclaves. dont il affranchit quelques- 
uns, & dont il immole le plus grand nombre. U 
gloire que l'on acquiert fourdf mem loin de ce 
tribunal , eft un larcin que l'on fait à ce public 
jhIoux , dont les traits font bien moins à crain- 
die , quand ils font éparpillés. Cette gloire eft 
cependant 



D,™),prib,Google 



iÉpemUnt 19 fnile.^uç WplupartdeAos'écnvBtnS 
dgvroiaat ambîtioAnet : tcmï les efforts qu'ils 
fqnii.pgur atteiniite.îhja-f^EH'e du théâtres nti 
feçTent Qu'à le^^puiferj A. les reodce^iiicaiMibles 
de^cueillir ipèïQe vi\i«9£l^i^' plus iacile. Vonrti 
j[uoi ne pas eonfulœt f&s fotcess faCvEouir ce^ 
Attx^ic que l'on ^ r^ d«ï.la nature? Lui ieul 
^pJ^QJc le» didi^i;iltés.i:dépouille le'' tcavul de ce 
^'il a d'épineux , &:a^Fege le cheUiin .qtii tnenc 
à.la.poBÛdération., Mais on dlroic aujourd'hui 
j^uetous leserpxitsiè reSèmblent».& qu'ils ont 
t|erdif..xeu& empreinte originale qui dîftinguoit 
chacun d'eux , ilans les beaux lîecles de la iitté^ 
rature. Un fuçcès dans un genre ei^traîtie toiic lé 
troupeau fervile des imitateur^ } ils ne voient 
gue le prix , fans, meturer l'imervalle qui lés en 
fépare. Cela n'annonceroiuil pai un relâchement 
réel dans les reâbrts de Pelprit humain ? La 
Variéié de la riàture prouve fa force ^ fes reG 
Tourcès ; elle s'appauvrit > feton moi « dès qu^ellâ 
devient uniforme. 

Au relie, jefoumets ces réflexions nées fous 
une plume fans- prétention & fans projet, i des 
juges plus éclairés. J'ai le deGr deni'iiiflruîrei 
& non l'orgueil .de décider. 
' La bagatelle que je préfehte au public, 3 donne 
lieu à mes idées.} mais» de bonne toit je fuis 
Tome V^ Bb 



-M>,Google 



^8$ J -K B F t I f I ON t 

loin .de. penfer qu'elle en retnpHâè l'^tendtie. Je- 
demande, avant de finir, qu'on me permette un 
moi^e. }uftifieatk>n poàrtes héroïnes ds l'ott» 
vfage^ Ce que c'eft que reTptît philufophique ! Q 
ne refpeâe rien : religion ■ ^uvemement ', & le 
profane & te hcré «tout eiVfouniis à la cenfure 
de ce Hede frondeur & tnftniit î mais , à coup 
Itir, un d« Tes plus grantfs attentats etl d'avoir 
attaqué la fidélité des tourterelles. En vain les 
poètes, toujours fî véridiques , les avoîent miPes 
en. poiTelïion de cette vertu ; en vaîn les amans . 
les en ont félicitées cent fois , dsms leurs langou- 
reufcs complaintes : il exifte * dit-on > une diâër- 
tation fcandaleufe & liilmtnante, qui leur dîfl 
pute ce précieux avantage , & les range dans la 
dafle des oifeaux volages & libertins. M. de VoU 
taire lui-même n'ii-t-il pas dit? 

; La tourterelle , 

Qu'on a cru faulTcment des amans ic modelé. 

Feut-on déshonorer les gens avec cette l^é- 
reté ? Voilà comment , d'un trait de plume t on 
flétrit les réputations lès mieux établies. Four 
moi, à des autorités û graves , je ne veux oppofer 
que mon expérience. Je fuis à portée de juger 
des mceurs de celles qu'on accufe i j'ai fous mes 
Veux leur amoui » l'umou de leur ménage , leurs 



.D,m..M>,GOOgle 



tendres careSès j & je dois la véricé à Tinnocence 
qu'on opprime. 

A ré^rd dt ce poëmcj c'eft un huâimgi ^u'e 
fa frivolité met à Tabri de ]a critique i & je ne 
réclame point l'indulgence de ceux qui ms 

' liront, parce que je n'imagine pa$ qu'ils pui0enl 
fe donner la peine d'être féveres. D'ailleurs, je 
fuis parvenu à badiner avec le foible talent que 
la nature m'a donné : ne l'appréciant que ce qu'il 
vaut, j'ai éludé fa tyrannie, & n'en ai fait que 
rinftrument de mon plaiGr. Malheur à ces écri- 
vains fufceptibles , à ces martyrs littéraires , dont 
l'amour-propre chatouilleux prête le Sanc de 
tous côtés , qu'un rien affecte , qu'un rien aigrit « 
qui n'aiment ou nehaïâent qu'à proportion du 
prix qu'on attache à leurs ouvrages; infortunés 
toujours mécontens des autres à force d'être 
contens d-eux- mêmes j qui fubotdonnent letii! 
bonheur à l'art puérile d'accumuler des rimes* 
& fe repaiâènc triftement du petit orgueil de 
tranfmettre leurs rêves à la poftérité ! De tous 
les fous fcmés fur ce globe, ce font les piuâ 
mornes & les plus infupportables. La gloire e(t 

- fans doute une cliimere éblouifl'aiite , que l'hom- 
me né feniible & fuperbe ne fnuroit âédaignerj 
mais il faut la traiter comme ces mattreâes ca- 
pitùeofes & coquettes, dont on n'obùcnt letf 
Bbi] 



-M>,Google 



^S8 RçfUXlOHS'SVR; lE FOEHE ÉKOTIOltE* 
faveurs qu'en parolâànE ne les pas trop deûrer. 
Ce que la poéHe a de réel pour un philofoplie, 
c'eft qu'elle nourrit la fenfîbilité, étend l'ima- 
gination , & £xe pour quelques inftans une ame 
qui s'évite , & un crprit qui fe redoute : c'eft que 
dans ces momèns , où tout eft fombre auteur de 
nous, elle devient un prifme heureux qui colore 
& embellit l'univers ; c'eft i^u'elle nous aide enfin 
à charmer l'ennui , qni eft , après le crime , le 
.plus horrible âéau de l'humanité. 



h, Google 



DE .-Z ELM-rs.*' ... 



CHANT f R S M 1 ÏÏR. 

3L' HIVER ceHcMt d'attrlfter la nature, . '. , 
L'oifeau déjà chatitoït (bnslj verdure,-' 
Et mcditoit de nouTcllé9'flrdet»s ; 
L'ail exhaloit les plur douces odeois^^ . : 
Sut l'univers l'afflonr battant des ailcs-^ ' 
De Ton flambeau Teinolt les «tincelles;' 
Arrondinant la voûte.des berceaux , v . ■ ■:, : 
De Irais iafinths enlaçoît leurs rameaux^ i ' 
Eioitde voirlaréveufe Egériâ) . . . - ... . 

Ënfoupîranti errer dan» la prairie, ^^' 'i' "■" 

Cueillir des fleurs ,' &> leTeinagit^, 

Sans le favoir , chetchar la volupté. '■ "T ' 

Dans ces inflans ^M-fiiire'danB lesTJIles? ' '.- 
J'abandonnai nos iàltueux alyles V ' - : i 
Etm'envplai vers ces fim'ples rédutM,' ■ "■ ■ 
Voifins des lieothafcttéspar Zelinis. . :. i ; . 
OnomiàcréqoejojeaisiaBscefie! ■.>"■;■ -j:i-; 
B b iij 



D«-;.M>,GooL^lc 



1^, Les Tourterelles 

O nom C beaiLâe ma' belle msiCRflc 1 
Toi qui me peini des fouveiùrs fi cheis , 
A tpot moment t reviens oroei met vers ! 

Je n'jillQ)^ BP'i\t porter dans ma retiaite 
PHin cfleuraré la froideui inquiète , 
Ces froids dégoiiu & ces longs repentir*, 
ftefque toujb.nrs nés du fein des plaifirs ; 
Pes fens peidus, unefprit ^nsfouplelTe, 
Un foible corps , vieilli pat la mollefTe. 
J'arois fpuftraît à. l'haleine des vepts , 
Tout ce qn'il (ànt pour jouir au prîntems. 
L'oeil enflammé, Tame cnû>F nenre Apurq^- 
J'allois cherche; Zclmis 4: Iajiatuir«. 
Libre de crainte , exempt d'amtnidaa, 
Ivfe d'amour , amant de 1k raifbn » 
Je m'occupoit de ces fimples ouvrages , 
f ififibles foins , premiers t^vaux des f»g/th < . 
%je bras armé de flexibles ciCeaux , , 
Je dirigeois m^ jeunes arbrifleaux. 
Je ramenols les branches égarées , 
Calmais la foif des plantes alticées : 
JUi main toujoi)rs du madn jusqu'au Ibif 
Tçnoit la Terpe ou penchoU l'arrofoir. 
JJj, j'oubliais tdut ce peuple fMvcJe , 
IPciiplç d'en^qs courbés devant l'idole i 
11 faut un monde aux. vœux d'un conquérant | 
Nais un jardin remplit ceux .d'an amane. 

Sqih dçg tillçuls qui , nélantlenf fçq^Iago, 



D,nn.f.ril>,GOOglC 



. ! D B ;^ I t, H X 8, :.. ^ . Wt 

Aoxfenx-du Joor oppQftrieotieBr ombrage-^. 

Une voUete, cnce&tédultt.Gharoiaiis, .'',-,- 

Emprifoijnoît miUç^ifgaHK digërcnB. * , ,! - ^^ ■ 

Des fils dorés entooroient cette enceinte* •,■■, .^ . ./■' 

Où l'onchàotoit, oùfon ùltfiftraincralltfBi.' - -■ '-i 

pe toutes partstnilkarbuftos-feiiiçs ::;.,;:, ,.. - ; 

EncouroiMieient leslarabFMi)«Sjinés. ■.,..'-''■!: . 

Du fein des fleurs une eau ciaote & paie -. 

Eajetsbrillansatteig^r^ *9vcKlttre.' , .. :..:• ' 

Pour les éius , dan$«ei(eu E^utUsi . : „ 

L'amour par-tout aroicpal«'âesaids. ,, ■ 

On y royoie la Imotte-^totirfm, 

Allant , venant, touioun vire & hardie * .. 

Et la première à Êlueele-joui-, 

Rendre gabnent Ton hommage à l^amour ; 

AfescAtcs, leferinplusnanqilite, 

Amant plus tendre A ehantre plus habile* ■ 

Qui fetaifolt, pour écouter la-roix , 

Les fons plaintif* de rAntphtqn des boisj 

Fuyant U frisle &lM*laïûrs vulgaires, ,, 

Des tourtereaux , am»i8 plqs fblitarrei , 

Bornés au roind'étTetaujouis.heureux, 

Chantant moins.bienitws'eiTaîniQicntqitemîeu^ ■ 

J'en rei^us deux , puif-|Ç comptât )eo'S'channes k 

Puis je en parler i fans répandre des larmes? .. . , 

Xen requs dpox de 1^ nutqi.de Zeimi», 

Qui dés long-tems m'avoient étç promis. 

Tendre Nitor, 6.Bbmiuie{ilustendre, 

Bbiv 



-M>,Google 



S9Ï Les Ta V k fi' r^ L l b « 

OifeauK pliw cberi que'fcWï^céujC du MéanirêV' '" ' 
Leur ci*i d'albâtre en- UiincAeuï fiirpflflà ' ~' ' 

Le cigne heurciix'qol'ftdiiHtt-tedat" '' - 

PlHndroîvje bien )«»« eFaeet^lRëreéUes ,' ' 
Leors p'ioSi^àt tofc'&targtnt'^ieaii^a^- ■ = - ■ ' 
Leurs doux fouplra i-tmlr àttèaïftijft StdfcUr, ' ' ' *; 
J,eur beau plumage aÛfS parqneleui confT , -"' '^ 
Zelmts voulut^ fi lôyi'cM&'^iiC'faiihe ! '"■'' " ' ' * 
Ihns leur prifon Weftndtihe «lle-iiiéiDe ^' ' •" "■'■''' 
Et de fa mamàmet7eoti«#pl4(?ait', ' --■-'■■ 
IVluItiplicr & parer feu PtÉRmMC'--' - ■ " i " ' 
Lorfque Zelmts entr'ourîîtic treillage « ''■'■"■ ~ """ 
Quevis-jc, AdîeDx"'^u%né^Wftb image! ■'" ' "" 
Tous les oifeaux, qu'eUe-enthântâ'foudàîS,"-"' ' 
L'en vironnoiént'de leur fofâlrt «tain"; " ' '^ "" 

h fon afpeift, aucun ri'écoît ftroBcKe : - ,°' '■ ' 
Leurs becs ardens slfUAAftdtenr fur fa bouCil<\ " ' 
L'un voItigeoitautOufde'fe*«!iwèàx;' .-'"!'?' V 
De Tes rubans l'autre *a^Htiit'fe*îi*MdE-ï*'- ■■■" ---^^ 
Mais ceux , hélaS ! qui I'6rriïwe'Staè^l'ért«!ùi0*i " ■ ' ' 
Et qu'ellealloitprirer'de' (à prince, ■ "^''■'■^■'■■'_' 
Ceux-là fijr-tout ne pctivciit lâ;"^"uittcr :' " ' ~"' '" ' ' 
A les reprendre ils (èmbléïit'RAviteri ■ < 

Semblent rùî dire , implorant f^ tendreflb^ ' '"l 
Qu'avons-nous ftit , à cKârmantë maitrcflSt" "- '"['_ 
ïls fe Tauvoient, fc cachotentiJànî fbnfeîil'i' '" ' ' 
^s connoilToient un suffi doux diemin. '^■''■'' ''""■ 
Ënyain çhalTét'par une-main fi belle, '-y-''- ''"'' '~ 



D«),.rib,Google 



.' ■ ■ -D-B Z^î,'*^ t. ' ' -» J9^- 

toujours , toDJours Ils rorololentpréi f dlé, ' ' - 

El, redoublant-lours aCBtfftîdôuloureiUE, "' -'-" 

Xui roucouloîentleepliwtriAëàiiiéû^. ' '. "'* '' '- 
^Nqs^douxt^ttfï , peu t^ts-à-l^elclavage, ... <.* 
En langs regrets confumoient leur bel âge; 
L'amour wlcfrtnè ; ils Vont êtrt ftiHmij ; 

tukf^.foinmt-cmfpi^T.A^ 7^^.- : ■■■ . ■ ', > 

Jeune Blanddle, il ell tems,x!'éWc,ine» , ,,..,::'_ :,',! 
Et queNttor f<;9terotguçi).^Uj[l£çie,' ; "-.i.. -..J 

Je vois déjà ton plunwge'atgpq(;é;i ,.;■ -, ., , ,.-. t':i"J 
Auprès de lui^ffémirde J'oluitté- ., ■■ . ,;; .,■7 

Pour l'attiter.^ tu le^is avec,gra£Sï -■ . ■.tc ï 
Son be(>4éià,dqns le tje3)„ï'(;iiîrp)nî!|C : , ,„„' , , , „^) 
Enlui ç^(]^t:,Cu CBcheS:%U<4?f'^i. ; . :-::-- -j.^ 
Et ta pudeur a^i}oHWife(,pIaiSrs.,. .,,:,.'; ,. ;.! 

Ce couple ain(îrappaU|U)t.fbiicpiirag<t:, ... ; ,-. ' 
Se renfèrmoit dans Jcf fpiî)s.^!(,igçMee * :. ; : ; .'o!) 
SVntre-baïroiti-rôchau^ltJtuuràftoui . y--/, -.^•■^y'j 
Ses tendres cèufs , ,doî>? fr^t^;4^ foa ;iiiu^^- -^j -u 
Delà volière il étoitle,ino(leln,-; • , .,,„..jr,;; :.q 
On leur laitToit la brani;Hp;f%plu!*:bclle.._ ;;j ;.j-„ 
Par Ies'attraïts&.fiu:-lp^tj:^r-lef,^{£n» ,.., ,,..„,r .-; 
■De jour en ài*''- i'f çpnqo^rqiejitilfs cœnfJ J . -.;- jqj; 
' On les citoft i ^A[^.kur çqaftan9e^.jextiBine ..;. . ; h ^.■,:<î 
EnirapirC^itiau molncanrftWic^-niéino.,, „; , 7, 

Ah ! laîflbns-les pajfiblcment jqijJt , ,,„..., ;;rrni; 
De ce bonheur jui »a. s'éyanoujr.^, ..... f-..ij-. 

Touticibas cftœ^^.d^Ç^ft'iEfi;?:; ...: -.rm^i: 



D«),Pril>,GOOglC 



ÎJ4 L E 8 T O.V B T-B » ■ l l E « 

La rofe naît , le {oleil laconfume ï ' t."::; 
Etles humains, Gon)^^les_to)iuereaux« :- : . 
DansIciplailJrsontlegeniiedctinatiXi-.' _ :. 

<» —'M il ,'■; J^^pi'M iaaaaÉfeBJaÉmgae» 

C KAîiT &.E C OMJ>^ 

^uiLS douxparfoiïts-, &quci'af iefttîanqinae-f' * 
Desarbriffcaiata flgSeft'îirimobîIcî - ■'■" '■■ ' ' 
te dcl plus pur. DoSs-jt en être Airprist ' ' 
C'eft aujourd'hui la fitè de Zâtrrits. " - 
Humbles ga2on5^ voi»^nvlrez de tTÔties; ■■ ■ "■' 
Flore, Zéphirs, pr^^aronsdescDuronDes: ■ ■ ■' ■■ 
Qiieces bofquets'Rfiéht'peinft de'voscOuIedi»î ' -' 

Qve ces rameaux roiehc'de!) branche» de fletif 8.' ' 

Que l'art id , l'art pa* ijili' tàBt s'alterô ,■' ' - ■ " ■'- \- 
Ne méte point là parure étrangère. 
Qu*ai-jc befoinde cWdàfs'filîueux, ■■ ':"--■,:,•,;- : ^ 
Où l'or femé vient fittipret nres-^eux t-^'"''' •'--'•'-■ ''■ 
De ces tapis ; où radVâiee'JftipoRure '" " ■ ' - ' ' '--- 
Péniblement contrefâit-fe-iiàtùreT -"■-''■ ■'■' 

Seule elle doit fembÉHiv cri" iejour, ' '.^ M (;■?■: ;"-| 
EtformerrciiItftmftmîi1épotJi*Paniour. ■ 1^'"'-^ -^ 
Toi qu'elle anime &-^i3fe"fi)nfiiliffleei'eilBi,f'"'~-: "- 
Dieu du ptinfenwi jfféïèatMni'cdrtdHe ;'■'''■ i - ' "'^ 
Sons ces berceatii',' t'ai' >oiliiilïôneâ>r(ft(ltî',''l''t ''■■' 

Uniflez-vous pour «êfertirit Ziteis. -Miri/. ^ 

Elle va donc , fous'cè''ttïifFaht ômWfage;- "^'^ ■ ' ^' ■ 
Serepofct, fourire^^witra-oUTnigel ' -'• ^-^ ■■" ■"■'^ 



h, Google 



-DE Z:ï Ï-J» I «. . - ^r 

I.'^ , le même air qu'ici j'ai empiré , 

Pénétrera dans fon feia éptiré ! 

L'arbre odorant <iue j'ai plante pour cll« , 

Sera touché par la maia la plus belle I 

Elle va donc , Tur ce liant réjour , 

Lever Tes yeux , pour me Ëitre an beau jont t 

FlaiTir facré que le ciel nous diTpenfe * 

Ofendment, charme de l'eiUftcnce, 

Toi , par qui fcul je goûte le bonheur , 

£t ne crains plus de rentrer dans mon cœaf , ' 

Toi , dont l'heureufe & touchante magie * ; 

Change en inftant le lîecle de la vie ; 

O taA brûlant , dans l'ame renfermé , 

Toujours aAif & jamais confumé , 

Qpi doubles tout , nous &is chérir nos ehaihes , 

Et nous appris la volupté des peines , . : . 

Combien , hélas t me femble îofbituné ■ 

Et qui t'ignore & qui t'a profané ! . . . 

Qu'ai- je entendu !_c'eft Zetmis !.. ont , c'eft elle. . 4 
Elle partnt, & toutlle renouvelle^ 
Rofes & 17»-^ prêts à s'épanouir , 
Tout dans ces lieux l'attbndoit pour fleurir. 
Ses longs cheveux flottant à l'aventure ; 
Elle eft parée ^ n'a pcnnt de parure. 
Sa robe voie en replis ondoyans : 
Son feîn fè cache & l'ombre des rubans. 
Elle intérefTe , elle amufe , elle enchante : 
Toujours fbUtre * elle e& toujours décente ; 



;,M>,Googlc 



99tfLB8 TOTJRTERELtÉ» 

Elle connoît ce rire prêdeox., 

Q)iî part du coeur , qoahd lecceur eft heureux. 

Phcbus déjà} dir|>his baot de fon trAne, 
lance les Feux qtil forment fa Couronne. 
On Te raflemble ; on a'ek déjà placé 
Près de l^utel que Cornus « dreffé. 
Elle s'aflled : un paviUon de rfifes , 
Jeunes comme elle, aTecl'aurôre éclolês , 
Parfume l'air & tient lieii de lambris : 
L'amour y plane ; il fourit à Zdmîj , 
Et fur Ton Iront balance un diadème 
De myrtes frais qu'il a cudllis lui-même.' ■ ' 
Des inftrumens les accords les plus doux. 
Par intervalle ariiventjufqu'ànous. 
L'œil de Zelmis & s'aniine & s'enflama^: -' ■ 
Tout fon efprit elt piriré dans fon ame^ 
Sa belle main verlè dans les cr;(hux: 
Ce jus ambré, mûri' fur les cAteauz.' ^ 
De fil TEtpenr , réclair.âeliv'faiUîe 
Naltfans effort, brille 'ftremultîptiei; ■' ■ 
Chaque- convive , en.ocsmomens heureux ,' 
Boit le plaifir dans la colipe des dieux. ■■-■- 

L'air cft plusEtaÏG: le folâtre Zéphire , ' - : 
Sous la verdure excrqaqt Ton empire ,-• ' -i:; ■- 
Difperfe au loin les plus douces odeurs , - ' '^ ' 
Qu'il vient d'extiaûe , en cerefTantles Ûexttx. •. 
Zelmiss'échappe, K<:atirt,à la volière,'.- .: 
Que (on préfent doithii rendre-plus ckeie.; 



-M>,Google 



b E Z E t M 1 s. . ?&7 

site y terolt fes jeunes tourtereaux, 

Bien moins heureux , mais toujours aufll beaux. 

A peine ils ont apperqu leur maltrcfTe ; 

Dieux ! qui pein droit.) euis tranrports , leur ivielTe ! 

En cris de joie ils changent leurs foupirs; 

Us quittent tout , leurs nids & leurs plaïQrs. . 

II l^ut les voir lui porter leur hommage , 

Fafler leurs becs à travers le treillage , 

Battre de l'aile , & tous deux s'élancer 

Vers cette main qui vient les carefTer. 

Ingrats humains , fuivez de tels modèles : 

Toujours heureux , & jamais infidèles , , 

Ils font bien plus ; on ne les voit jamais , 

AinG que vous , oublier les bien6iiis. 

A ces amans un fils venoit d'éclore , 

Gage chéri qui les unit encore : 

Vers Ton berceau rappelles par Tes cris , 

Ils femblent fiers de l'offrir à Zehnis. 

Veillez fur eux ; gardez bien , ffle dit-elle , 

Va fi beau couple , un couple fi fidelle. 

Pendant ce tems, tous les autres oi féaux 

Par mille jeux font plier les rameaux. 

Tout s'attendrit , tout brûle en ces afyles ; 

On n'y voit point de cœurs froids & tranquiles i 

La jouiffance dt un nouvel attrait ; 

L'amour renaît de l'amour fatîsfait. 

L'affreux dégoût , eniàot de In foiblefie. 

N'y conompt point cette iniRiQrteUe irreflf. 



■ D,™),.rib,GpOgle" 



^9^ L B s T O D Rt E It B L I, B t 

Ce ne font point de paflkgers deftrs l 
C'cft le bonheor fixé par les plaifiri. 
Que de foupirs I que d'ardens facrlfitieil 
Que de baiTers , de fèux & de délices I 
Chaque panier, dansceféjoUr ctiaiinailt, 
Renferme un peie ou renferme un amant- 
Trilles mortels , Cœyrs glacés Sc païlîbles « 
Ah ! malheureux , qui n'ites point fenlîbles ; 
Vous , fages vains , qui raifonnant toujours i 
Efiàrouchez l'enfance des amours } 
Et vous fur>tout , innombrables coquettes , 
Qpi de nos feux égayez vos toilettes. 
Dont le Ëiurire annonce nos tourmens « 
Qui par orgueil commandez Ji vos (èns. 
Accourez tous autour de ma volière : 
Qpe ce tableau vous frappe & vdds éclaire. 
Venez y voir l'image du bonheur , 
L'amour fans voile & fans mafque trompeur} 
Les defirs vrais & la volupté pure , 
Qu'à chaque tnftant reproduit la nature j 
D'un peuple ailé ce délire éternel; 
Ces œufs cachés fous le fcia maternel } 
Les doux refus de l'amante embellie , 
L'art innocent de la coquetterie. 
Venez apprendre avec mes tourtereaut 
Tout ce qui feul pourroît charmer vos mau& 
Apprenez d'eux le prix de la confiance f 
Et des baifera k profonde fcience j 



D,m.f.ril>,GOOgle 



D B Z Kl Ml 9. J99 

Tous les fccrets des tranfiiorts amoureux , 
L'art de jouir , & cetui d'être heureux. 

Sur ces objets , renouvelles fans cefTe , 
l'œil de Zelmis féfixe arec tendrefle. 
< Son (Vont fe voite ; une douce langueur 
Vient s'y lépandre 6 parler à mon coeur. 
Sa main fur oiol combe avec négligeac& 
Zelmis fe tait : votuptneux fdence t 
Bien plus ému , fon feia dans ce moment, 
Reflemble au lys agité par le vent. 
Près de ces lieux par l'inltinA enchaînée . 
De fon défordre eUe femble étonnée ; 
Four le cacher accroît foii embarras , 
Veut fiiir, revient, & tombe entre mes bras... 
Pardonne , amour ; amour , qu'elle étoit belle ! 
Tu m'enivrois ; j'étois feul avec elle. 
Son voile errant avoît quitté fon fein; 
Son coeur battoit fous ma tremblante main, 
rofai , grands dieux ! pouvois<je m'en défendre? 
3'ofai cueillir le baifer le plus tendre. 
Oui , fur fa bouche , où refpirent les fleurs ^ 
J*ofaî cueillir les premières faveurs. 
Premier baifer , que vous avez de charmes ! 
Mais quelquefois vous coûtez bien des larmes* 
Vous arracher ^ c'en vouloir vous ternir ; 
Four vous goûter , il faut vous obtenir. 
Qu'ai-je entendu ? Précurfeur de l'orage, 
Vn Tent afien^ fait gémir le feuillage.^ 



M>,Google 



^0 L E 8 T O U,R^T ;E B Ë t t E » 
t'aftre des nuits , dans foji.çoijrs .emporté «:..!, 
Ne verfcplus qu'une pâle clarté. 
La foudre gronde « &,dédiirant la nu^i 
Me lalHe voir une fphe^e inconnue ; 
Et dans les cieux ouverts & refermés., '. 
L'éclair s'échappe en filions, enflamjnés. , 
Dieux ! voulez- vous ,. daçs cette nuit obfcurjï ^ 
Four un baifer, cenflcrner la nature t 

Zelmis s'enfuit , peut-être fans retour ; - 
J'ai troublé feul le fotr d'un fi beau jour. 
Le vent Redouble , & pou^. dernier ravage « 
De la volière il brîfe te treillage. 
Un épervier , 6 défalire ! 6 douleur ! 
D'un vol bruyant y tombe avec fiireur. 
Figuréz-Tous l'alarme univerfelle ! 
J'entends gémir fous la (erre cruelle , 
Ce peuple doux , pailible & défarmé , 
Fait pour aimer , & fait pour être aimé> 
Le raviUenr enfanglante l'afyle 
De l'innocence & du f<immeil tranquile: 
De toutes parts les nids font renverfés ; 
Les tendres œufs , amour , font fracaffés 1 
Blandule , hélas ! mets trop malheureufe , 
Couvroit fon fih de fon aile amoureufe ; 
Et réfctue à lui fervir d'appui > , . . 
En s'oubliant , ne trcmbloii: que pour lui. 
Le monftie approche, à fes yeux le dévore; 
Teint de fon làng , il la poucfuît encore. 

ÎKteï 



D,™),Prib,GOOglC 



DE Z E L H 1 S. 401 

Nkor en vain déploie en fon courroux , 
L'ame d'un père & le cœur d'uii>époux. 
^liur blcOc ne fauroit la défendre. 
On la ravit à l'époux le plus tendre ; 
Et l'épervier , s'élevant dans les airs , 
Forte fa proie au fond de fes déferts. 

Malheur nHreux ! à nuit lépouvantable ! 
Oui , telle fut cette nuit lamentable 
Qui précéda les horribles dcftiris 
Et le trépas du plus grand des Romains. 



CHAUT TROISIEME, 

JVR les rameaux abattus par l'orage , 
Au frais matin l'oîfeau vient rendre hommage. 
Déjà l'aurore , au front pur & riant, 
De fonécharpe embraJTe l'orient; 
De fon éclat déjà le ciel fe dore^ 
Et par degrés l'univers fe colore ; 
Elle s'étonne, & oherche en vain des fleurs « 
Four y verfer le tréfor de fes pleurs. 
Rofes & lys font tombés deleur tr&ne ; 
Flwe gémit de fe voir fans couronne. 
, Vertumne , en vain rappellant les zépbiis , 
N'étale plus & robe de faphîrs ; 
Et le foleil , perqant la nue obfcure , 
Fourra lui feul téchiiuSer la nature. 

Tome V, C« 



1, Google 



4oï Les Tovrtbrellis 

Plein de Zelmîs , occupe de mes fenx , 
Je favourois mes enouîs amoureux ; 
£t ce baifer , qui l'avoit oSênfce * 
Vcnoit toujours s'offrir à ma penfée : 
Douces langueurs , aimable HÂuvenir * 
Où fe confond la peine & le plaifir t 
Je quitte enlin la retraite obicurde , 
Ûù l'homme meurt , la moitié de Ik vie i 
Afyle fombre , & qui fert , tonr-à-toifr * 
D'antre aux Poucis , & de dais à l'amour. 

Sous ces berceaux quelle horreur répandue! 
Dieux ! quels objets préfentés à ma vue ! 
Que je te plains , époux abandonné , 
Des tourtereaux le plus infortuné ! 
De fes ennuis rien ne peut le diftraire ; 
Kien n'interrompt fa douleur folitairej 
Il redemande aux échos attendris 
Sa jeune amante , & fon unique fils. 
Tel autrefois le chantre de la Thrace i 

Aux antres fourds apprenoit là dîTgtacej 
La redifoic de réduit en réduit, 
A la nuit fombre , à l'aftre qui la fuif ; 
Du ciel barbare accufoit l'injuftice , 
Et répétoit le beau nom d'Ëuridice. 
Amour , amour , fi mon cœur t'eft fournis , 
Rends-moi l'oifcau que m'a donné Zelmis. 
Tu fais , amour , combien Zclmit eft belie : 
Tu la formas ; tu dois agir pour elle. 



h, Google 



I> E Z E L M I i< .■ i 4»| 

L'ainout alors , arrêté daos Paris , 
Cachoît les pleurs fous le voile des ris î :''■'. 
De nos Laïs diiigeoic les caprices , 
Formoit leur cœur fertile en artifices ; 
Sur leurs babits & fur leurs chars brillant 
Répandoit l'or de nos fots opulens ; 
De cent milords réglant les deftinées , 
Dans nos boudoirs il febioic leurs guin^fes ; 
D'un feÎD. fànc relcroït les débils , 
Récrépîffoit de vieux attrait! flétris, 
Et triompboic de voir l'adroite Kortenfe ' 
Claire , à trente ans , par un air d'innocence. 
Enfin ce dieu, de rufes excédé. 
L'aile traînante & le carquois vuidé , 
Las & content, s'en alloit è Cythere, 
Se repofer tw le fcin de fa mère. 
Sous mes tilleuls il s'arrête un moment; 
Sous ces tilleuls , où Nitor gémiflanC 
Eaifoit entendre une voix fi touchant^. 
Et rappelloit fa malhcureufe amante. 
L'amour , avant de retonmer aux deux , 
Veut s'égayer par quelques nouveaux jeux. 
Toujours léger , dangereux & frivole » 
Il eft cruel , même alors qu'il s'envole ; 
Et lorfqu'à nuire il vient de s'occuper. 
Le dieu malin fe délalTe k trmiper. 

Point de repos ; (ignalons ma puifTaace ■ 
Et de Nitor éprouvons la conlUoce, 



D,™)..ril>,.GbOglC 



4e4 LE9 Tëurtk^ellei 

Dit-il , voyons t'il 'incrite le prix 
Que je lui garde , & les foins de Zehnïs. 
Lorfque tout vote à des ardeuis nouvelles. 
Les tourtereaux font-îU les feuls fidelles ? 
Puis- je le croire ? Il dit ; & de (à main , 
Dans la volière il fntroduit foudaïn 
Un autre oilèau , l'image de Biandutc ; 
C'eft etlc-méme , ou du moins fon émule. 
A cet afpeA Nitor ed enchanté : 
Déjà près d'elle il s'eft précipité : 
Ivre de joie , heureux pat l'impofture. 
L'amant cliarmé ne fent plus fa bteffurc ; 
Mais s'élan(^nt vers l'ombre du bonheor , 
Il eft bientôt averti par fon cœur. 
Tous les oifeaux autour d'elle s'empieOent : 
Leu rs becs ùhîs à l'cnvi la cateflent ; 
C'ell leur Blandule échappée au trépas. 
Tous foiit trompés ; Nitor feul ne l'ell pas. 
Le même inltant voit éteindre & flame ; 
L'erreur des yeux ne va point jufqu'à l'ame. 
Il eft , il eft d'invifibles attraits , 
Dont le cœur feul a connu les fecrets. 
Tendre Blandule , oui , c'cft ta relîemblance , 
C'eft ta beauté , mats non (on innocetice. 

Souî ces bofqoets , où la belle Cyptis 
Sourit aux jeux de fes oifeaux chéris , 
Son fils lui-même éleva celte Hélène, 
Au milieu d'eux prenant des aJrs de reine. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



r :- ' ' B É ^2> BX'M-I s. ■— -^ ; 
Elle attiroit cent jeuticGitftircereaux,'^ ._';;;. .j. - 
Et leur donnolt cent pigeons pour rfvaiiit. '" ' 
Combien hélas, fiiMflt quittés par eBe? 
Toujours charmante,' éHWjburs inifideHc! ,- '''' '" 
Elle amufoiE les toifirs'dc l'amniir ] ' ■ ■' '■ - 
Qui laforraa pour brillera fa cour; -'- ■ "'.i' 
Comme fou maltMïeHeSft légère ét^Wé',"'' " 
toujours enchakîev&À'eft jamais eaptive, ' " 
Ce dieu fouventife pàMt fur fou feitt j ■ ' -" - ' 
Xui [ôurioit , caftJiroit.de la main - ■' ' "" 
Leslysmouvansdiï'fettaîlïbadine',''' '" 
Mouilloit ronbecfut^^îSWé CTifàntineï^" ■ ' ' 
Et lui foTjffloit las fblâttfei^èflt^ , '■ -' -"■• ■"-■■■■ '• 
Et l'înconftance , & le g'oAÏ (l^'jilaiRnK ' 

Ton ennemie eft' déjà Ibui lés armës^ ■>.- iv:, , 
Nitor, Nitor , Vaiiicras.tïi tant de charirics-? ^-"" 
Lorfqu'à fcs yeux le plàîfit'à brillé ; ' ' 

L'amour féduit cftbiêritftï éônfijlê."' "' ' ' ' 
Prèsde Nitor, déjà l'eiicliàntcrcne- ,• ■'"' ^"-'' ■ 
Pour mieux lui plaire, idiice fa trîfldTe. "~''^"' '^ ' 
Il faut la voir avec empreffem^nt '-■'- --^t ■'"'-■'' - 
Suivre les ms defontibuvdiunârit^ï'' --'"'■' ''■^'■' 
Le prévenir par mllld foînS' pêrfiiJêr,- --^' "■ " ' 
Rifquer fou^tfHl' des cartfffts tiihides,''^ ' 
Ne point quitterHéï'àirtëâu qu'il cKûîfit , "" 
Renouveller le duvet de fdîi Ht, ■'- "' 
Et fous les foins de l'àmaote inquiettc 
Cacher la &aude & t'arË de la coquette. 

Ciij 



D,nn.f.ril>,GOOgle 



4o5 Les TonR^TE*isi.LEs 

Nitor liCiRt : on t'anne de courroux ; 
On veut IcTuncrc en le rendant jalons. 
A cent oileaux elle ati^Ae de [i^Hire; 
CorroinptT,liâ^ UeKtaoeimdeU ToBere; 
Aux tourtereaux li cooftan* j Jt^inot^ « 
Elle apprend l'art dec infîdélit«t i -' ' 
L'art de trahir. ^Ue entraîne , eUeannfe: 
, Des cceurs g^tés Iç platfîr eft'Jc'e:tcpre^ 
A peine éclos , re^uf pçri^ ("hr fMtt».: 
L'époufc en vaîn fait parler f%^q^flH(,î. . 
L'épouft ennuie, &n'eft(atïpç^^t4*; , - 
La courtitànneeft,[êii]e,T^r99(lï^„'1 .- , ■■ > •;. ■ 
Divifetout, lirife lespIuç^jçîfiKçu^ ii ■ ',.. ; ■ 
£t s'embellit, ^^ÙMr.^tff,]te}^e^,-y 
Telle autrefois on vit laJQvn^ A^d^ t 
Cachant fes vœux fous, un, Qiùntjwp.^.lîde, 
De notre foi féduire ies ftçtiçflsr,, . ; 
^t divifer tout le camp-dcs çV^^'^'"- ' ~ 
Parmi ces feux, ce trouble .^ cette ivreflc, 
Nitor commence àcraindrc f>t,fqib]c(Iê. 
Il interrompt fes higubres acçeij^.t ^ -, - ; 
Et le defir vient effleurex.rcsjCcps.;, ; . : 
plus fage alors, l'adroite touitorellf;. 
Prend un maintien , & lui {^qît plus belle ,, 
Vole arec lui de rameau^ ÇT),ra|tieaux | 
Avec dédain cconduit Tes rivaux , 
Et fous l'abri d'un tranquille feuillage , 
Vapourluifenldéployer foi),plvçiàfe, , 



-M>,Gooiîle 



D E Z 1 L M I s. 

La vo]rez.Totis fuivrc le beau Nitdr , - 
Le béqueCcr , le béqueter encor , 
Développer mille grâces noureiles , 
Eparpiller l'albitre de Tes ailcS , 
Et s'agiter , & peindre le defir , 
Et roucouler lé (ignal du plailii' ? 
Nitor foupire ; il combat , il balance. 
Quel dou's chemin nous mené à l'înconftance ! 
Déjà leurs becs viennent fe carclTer : 
Leurs cols déjà font prêts à s'enlacer. 
Voici l'inftant . . . ô courage ! 6 prodige l 
Nitor Toudain recannoît le preftige. 
Nitor s'envole ; il fuit , il eft vainqueur ; 
Blandule encor va régner fur ton cceur. . 
Triomphe enfin ; ta Blandule. eft làuvée. 
Zelmis l'aimoit ; l'amour l'a confervée. 

Dans ces momens , fur un ramean voiSn , 
Elle attendojt quel fcroit Ton deflin. 
Son cœur dottant, lorfque Nitor balance. 
S'ouvre à la crainte fit s'ouvre à refpérance. 
Elle retient Tes tendres mouvemens , 
Et tes foupirs , fie fes roucoulemens. 
Voyant , hélas ! fa rivale fi belle , 
Elle a tremblé d'aimer un infidelle. 

Mais fûre enfin des feux de fon époux , 
Elle fe livre aux tranfports les plus doux , 
Se précipite , & d'une aile légère , 
Faffe , repalTe autour de la volière. 

Ce iv 



-M>,Google 



40S t'Es TOURtBRELLES DB ZeLHIS. 
Kitor la voit ; ce n'eft pins une errenri 
U croit les yenx ; il en croit plut fon caur. 
Qans fes regards <][k d'amour fe déplrae I 
fi meurt , renaît , & fe pime de joie. 
Que de baifers , par ces tendres oifeanx , 
Donnés , re^s , en dépit des barreaux ! 

Zelmisaccoart, par moi-même conduite 
Dieux ! quel tableau 1 comme (on cœur palpite 1 , 
Déjà Blandule a volé fur nos pas , 
Nous rcconnoit , & tombe entre nos bra), 
' Combien Zetniis la flatte & h carcfTc ! 
Combien Nitor lui prouve fà/tcndrelTe I 
Tous deux enfin , par l'amour réunis , 
Vont être hedreax fur le Tein de Zelmis. 
Dans leur réduit la paix elt revenue ; 
la corruptrice eft déjà difparuc ; 
£t dans ce jour , à jamais fortuné , 
Jur^u'au baifet , tout me fut pardonné. 



D,™),prib,Google 



REFLEXIONS 



UNE ÉPITRE A CATHERINE II. 

33e tous les objets gui nous environnent , Se 
de tous ceux que peut créer l'imagination ,-riea 
n'eft étranger à la poéJîe. Auili variée que la 
nature , elle lui rend en Ëâions tout ce quelle 
en reçoit en réalité. Elles fe prêtent des fecours 
mutuels, & les ornemeus de l'une cQtnporeuC 
toujours ta parure de l'autte. 

Telle eft l'idée que je, me fuis, faite de l'art 
des Miltons& des Voltaires : des efprits froids 
voudroient en vain lui donner pour limites, les 
limites même de leur génie ; la poéHe étend fes 
ailes, ^ plane au-de0us d'eux. Elle defcend 
quelquefois de cette fphere brillante , & fe mon- 
tre fous des traits moins £ers} la flamme qui 
brùloit fur fon front , f^it plat 
plus doux. La déefTe impofani 
mortsllo aimable, qui retrouve 
qu'elle vient de perdre en maj 
phyfique, Iq monde moral, 1 
fecrets du cœur humain, l'éclair de la pcnfée , 



D,m.f.ril>,GOOgle 



4lO R.EILBX10HS 

tout lui eft aâujetti * tout s'anime & fe repn». 
duii par elle. 

Mais , panni les fu}ets îonombcables qu'elle 
-embellit de Tes couleurs > elle doitpr^fôrer fans 
doute ceux qui la ramènent i la noblefle de Ton 
origine. Le berceau de la poélîe étoit entouré 
de vertus. Les premiers poètes furent les pre. 
miers législateurs , les premiers pontifes > ils ne 
célébroient que la divinité , & les belles aâions 
des hommes qui lui reâemblenr. Ils éternîfoient 
la gloire des bienfiiiteùrs du monde , & l'op. 
prt)bre de fes tyrans. Quel art fublime! & com- 
bien font coupables ceux qui l'ont dégradé ! 

(^'on ne dife point que fon appauvrilTement 
vient de h difette dès modèles. Le bien & te mat 
font rïparti^ fur chaque liecle dans une égale 
mefure. Il n'y a de différence que dans la forme. 
La mfeme alternative de vices & de vertus m- 
mené naturellement les mêmes fatyres & les 
mètries éloges. Depuis que ce globe cxide , tous 
les peuples unis en corps de nation , ft; font ref- 
femblési G l'on eu excepte les habits, le lan. 
gage , St quelques ufages ridicules que l'oti con- 
fond trop fouvent avec les mœurs' générales. 

Ces fous mélancoliques , qu'on appelle' mora. 
liftes, & qui perdent ta morale, Snt prononcé 
'que ce tlecle^l eft plus corrompu qu'un aùttt : je 



D,m.f.ril>,GOOgle' 



sus t4f ITRE A Catherin e II. 411 
ae croîs ni à leur délice, ni à leur décifion. Cha- 
que jour fournit de grands e»inples , & des aâe^ 
de bien&ifance > dignes dwâgei lea plus éputés, 
& qui n'attendent que des panéfriiftes. 

Parmi ces at^tion* > qui méritent, une plau 
dans lesfâftes de rhumamrë*. on ne doit point 
oubliei; ce que vient de iaire Fimpératriae de 
' Ruflïe pour un homme de lettres célèbre « timis 
qu*unf);00itlîdération infEuAueufe ne metlcii; 
point, .ft l'abri de l'infoituiie. M. Diderot ,. pac 
une de ces circonllancas que le: génie dédaigne 
de prévoir, fe trouvoit réduit à fe défaire dâ f^ 
bibliothèque. Il avoit communiqué fon deâeia 
à quelques amis , qui bientôt le teadkent pu-. 
hlic.Le-ttvuit.en parvint jufqu'au trûne d'juie 
fouveratne i\m protess, à cinq cents lieues de 
nouit , les arts Si. la phllotbphie. 

Voici la lettre qu'elle a &ic écrire à ce fujet 
ï un dg fes cocrefpondans , homme de lettres lut- 
même , & ami de M. Diderot. 

" j^ Peteribaurg ce ^~t6 mars 1-^6^. 

„ La proteâion généreure, monlîeur I que 
„ notre âugufle fouvecaine ne celTe d'accorder 
u i tout ce qui a rapport aux fciences, &' fou 
„ eftime particulière pour tes favans, m'ont 
p déterminé à lui faire un £dele rapport des 



1, Google 



4IA KtiLtxiovs 

y motlfît qui , fuivant votre lenre da lo février 
j, dernier , engagent M. Diderot à fe défaire de 
« fa bibliothetpie. Son cœur compatiâant n'a 
„ pu voir fans émotion , que ce phtlofophe Û 
M célèbre dans la république des lettres . fe 
„ trouve dans le cas de facrîfier à la tendreflc- 
„ paternelle l'objet de Tes délices , la lôurce de 
„ fes travaux & les compagnons de Tes loïGrs. 
» Auffî Sa Majellé Impériale , pour loi donner 
M quelques marques de Si 'bienveillance , & 
n Tencourager à fuivrefa carrière i m'a chargé 
„ de ne faire pour elle l'acquilîtion 4e cette 
„ bibliothèque au prix de quinze mille livres 
u que vous propdrett * qu'à cette^feule icotidi- 
^ tion, qaei/ii 'Diderot, pour ftni'li&ge^ en 
^-fera le déponnire jufqu'à ce qa'U:'ph(ire à 
„ Sa Majefté de là' fîire demander. Les ordres 
» pour le paiement de feiKemUleUvrés {(Au 
„ déjà expédiés au prince Galtitzin, fon minif- 
„ tre à Paris. L'excédant du prtx^ >& toutes les 
„ années autant > etl, encore uiîe nouvelle 
„ preuve des bontés ^è ma foiiveraine pour les 
^ foins & peines qu'il-fe duineta'ià 'formée 
y, cette bibliothèque. Ainfi c'ed uhe,af{àtre ter-- 
„ minée. - ■ ■;• i3 ' ' 

„ TémoignEZi'je v»ws prie, à ^M. Diderot 
» combien )e fuis Satté de l'occaHon d'avoic 



1, Google 



vuK L'ÊPiTtiE A Catherine IL 41} 
u pu lui être bon i quelque chofe. J'ai l'hon- 
„ ueut d'être, monfîeur, &c. 

„ Signéy J. Betzkv." 

Feut-on fe défendre, en lifant cette lettre* 
de cette émotion délicieufe , de cet épanouiâe- 
ment de l'ame , que produit toujours le fpec- 
tacle ou le récit d'une belle aâton ? Que de 
ménagemens & de délicatelTe ! Combien la re- 
connoiflanee eft douce , quand la main du bien- 
faiteur fe cacbe, & ne laiSe voir que le bien-, 
fait ! L'att d'obliger ainJ] , eft un art vraiment 
digne du trôAe. Il femble au vulgaire, que le* 
fouverains , ces êtres privilégiés , û peu faits à f« 
.croire nos égaux , pourroient fe difpen fer , loif- 
qu'ils répandent leurs grâces t de ces égards ingé- 
nieux qui font des devoirs pour les particuliers. 

Mais les grandes âmes dépouilleoC tous ces 
préjugés brillans , cette féerie des rangs & des 
honneurs, ce trille fentiment de fupérioritc qui 
brife tous ,les liens , détruit tous les rapports , 
& corrompt la fource même de la bienfaifance. 
jËlles rédutfent le monarque au titre primitif, 
au titre facré d'homme , obligé de fecourir fort ' 
fembtable. 

Tels ont été fans doute les motifs fublimes 
qui oatcoiiduitrimpérattice dans le bel exemple 



-M>,Googlc 



4i4 Ken.BX.s0RUiiElnTUACATH.lL 
qu'elle vient de doimet aux fouveraias. Quelle 
leçon fut- tout poot ces proteâeon fubil- 
leraes , qui ne font que vaios . & fe vantent 
d'ètte fenfibles , qui tendent vil le malheu. 
renx qu'ils obligent , lui font boire la lie du 
bienfait , paient des flatteurs « penfionnent iet 
efclavet, achètent des viâimes* & ju(H&e- 
loient prefque les ingrats qa*its font , fi le plus 
bas des vices pouvoit trouver une excufe. Entre 
la plus afireufe indigence & la proteAion d'un 
fot t il ne faut pas balancer un moment. Le mal- 
heur n'eft rien auprès de l'humiliation. L'avitif- 
feraent eft une mort lente qui ne latfiè pas mime 
à l'ame le droit confolant de fe croire immor- 
telle i & l'oipieil , ce vice de la proQtGcité, eft 
ou doit être la vertu de Tinfortune. 

Mais n'altérons point par ces trilles léSé- 
xioni le plaifir pur que doit laiâ*er dans tous 
les cœurs feulîbles , le trait que j'ai ,ofé célébret 
pour l'honneur du trdne. l'émulation des rois > 
& le bien de rhuteanité. 



♦23f* 



D,™),Pril>,GOOglC 



41 f 

jé :p X 3C* :jr. j^ 

A CATHERINE II, 

IMPERATHICS DB RVSSIB, 

^KILLAHTE êncor des fleurs de l'âge , 
Tu ceignis le bandeau des rois ; 
Le Soli>kam te lend hommage ; 
LaNsra, fiere de fes droits. 
Aime à réfléchit ton image , 
£t CinG envier l'or do Tage , 
Roule fcs glaçons fous tes loix.. 
Tu régis cet empire immenfè , 
Dont la nuit ourie l'oiient « 
A l'inflant que des feux qu'il lance 
Le jont embrafe l'ocddent. 
Un vafte & merveilleux ouvrage (*)i 
Ce lien de deux grands états « 
Te fait touchera ces clîmaCi 
Où , refpedbtble fans con^ts , 
On efl fournis fans efcUvage ; 
A céi rivages florifTans , 
Habités pu ce peuple antique , 
Qui dep)iis prés de' cinq mille ans , 
. Dans un calme philofophique , 
Echappe au ravage des tenu ; 
(*) La grani$ muraiili. 



h, Google 



4i£ Êfitrb a Catherive il 

Sons le voile de fcs pagodes 
Adore un Être proteâeur ; 
, Trafique arec nous de fes modes , 
Et garde pour lut Ton bonheur. 

Mais tout ce brillant apanage , 
Ces titres fuperbea Se vains. 
Et ce dangereux avantage 
Oe gouverner quelques humains. 
Ne font rien aux regards du fage* 
Il vient , la balance à la maia, 
S'afleoir /or les marches du trAne. 
Ses 7eux, fermés fur la conionne. 
Ne fixent que le fouTentin. 

Le cri d'une injufte viifloire , 
Qui Te mêle au cri des monrans « 
Egorgés des mains de la gloire , 
Pour l'affreux plaifir des tyrans ; 
Tout pouvoir qui nuit & qui blefle , 
Tout fccptrc lâchement porté , 
Et tout laurier enlànglanté , 
Sont vils aux yeux de la làgelTe. 
Quand elle ofe élever fa voix , 
C'eft pour ceux que le ciel fit naître 
Puiflans & juftes à la fois ; 
A qui l'on permet d'être rois , 
Parce qu'ils font dignes de l'être ; 
Pour qui l'augufte vérité ' 
N'a point encoi perdu fes charmes ; 



Qjiîi 



D,m.f.ril>,GOOgle 



Épithi a Catherine II.. 

Qui , comme toi , fechent les laiiaea 

De la plaintive humanité ; 

Dont l'inqùicto bïenrairance 

Adoucit les fecrets tourmens , 

De la couragcufe indigence ; 

Des mufes lanimc les chants , 

Et va répandre l'abondance 

Dans l'afyle oCcur des talens. 

Combien it faut que l'on t'admire , 
Et qu'on répète à l'univers , 
iQu'une fouveraînc lefpice y 
Dont les yeux font toujours ouveita 
Sur l'infortuné qui fou pire , 
Qui prévient fes timides vœux. 
Du bienfait tremble de l'iBlbraire > 
£t dans un tranfpoit généreux , 
Loin des bornes de Ibn empire , 
Cherche à ^re encor des heureux ! 
ÂinG ce globe de luoiiere , 
Qjii , fous un ciel brillant & pur * 
Fourfuivant fa ralle carrière * . 
Roule des flots d'or & ^azur , 
D'un fcul point luit fui tous les monde) , 
Eclaire le noir Africain , 
Blanchit la perle au fein des ondes , 
Et dans fes cavernes profondes 
Va mûrir l'or du Mexicain. 

Far tes foins ij va donc renaître 

ToiMt y, Dd 



h, Google 



4IS Épitre a Catherine It 

Ce philoCophc tefpcdé , 

Et qui ftit malheureux, peiM-ôtre 

Pour uop aimer la vciitc. 

Déformais , vainqueur de l'envifi. 

Dans foo heurCufe obfcuritc , 

U peut , fans redouter ta vie « 

Aller à l'immBrralité. 

Homère , Virgib , Pindare , 

Vous ne lui fcrex point ravis; 

Une faveur fublitiie & rare 

lui rend fes dieux & Tes amis ; 

Ses vrais amis , ies feuls fidellcs , 

Les feols que- l'on retrouve , hélas ! 

Au fein des difgraCcs Cruelles ; 

Les feuis qui ne foienl point ingrats. 

Dans le coûts de ces doiftes veilles. 
De ces laborieufcs nuits , 
Qui font édorre les merveilles 
Dont notiS allorts être enrichis , 
D'un cfprit adUf & ptfifible 
D pourfuivra fes longs travaux , 
Sans craindre le retour horrible 
Des foucis pires que les maux, 
llnura du ploifir encore 
A voit , dans fon humble féjour , 
Poindre la chrté de l'autore 
It les premiers feux dunbeau jour. 
Alors , fi tu viens à paroître , 



D,™),.rib^Google 



ÉPiyRE A Catherine. ri. -41^ 
Toi , fa filte , ohjet di Tes vœux , 
Des pleurs couleront de Tes yeux> 
Orgueilleux de t'avoii fait naicie , 
11 ofera Te croire heureux , 
Dans refpoif que tu pourras l'étcc g . . 
Et te foulevanc dans fes bras » ; ^ ' 

Bénira la main tutélaire, 

Qui par des fccouts délicats 
Tranquillife le cœujr d'un père. : 

Quel grand exemple pour les. loiil 
Leur Tupréme magnificence 
Brille moins datis la récompenfe^ : . 
Que daiK l'équité'de leur choix. 

Poutruis,iliultrcCATHGRIHSj 
Tu lens ces grandes vérités, ... 

Par qui font toujours cimeittés. . . 
Les trônes que le ffiel deftîne 
A de hautes pfofpérîtés. ,.../•.■ 
Pierre s'élève; la RuiGe, ; ,' - , 
Pour naître, attendoit ce hécflf, ' , 
Sous les ailes <ls (on génie 
Il vafécondar.cti chaos, r; f ■ 

En vain fon laijg hrâle & bouiUonM; .. 
Il eft toujours maitre de fôîi . .. . 
Il lait defc^ndrcde fan tfdn« , 
Pour y remonter enf rand rcri. 
Il foule aux pieds ces vains finnimM » 
Qui pouvoicnt retarder lètTotux. : 

. . . ..DAii 



D,™),prib,Google 



429 ËciTRC A Catherine il. 

PiEitRBarutecrécrdes hommes. 
Et tu faursi les rendte heureD<c. 

Borné par toi dans (à puilTanci , 
Far toi lefTer rû dans Tes biens , 
L'oifif clergé que tu retiens 
Dans une puQble indolence « 
Ne dévare plus la fiibftance 
Des plus utiles citoyens. 
Déjà dans une cour polie 
Tout (fert ftprévient tes deCrs ; 
Ta voix excite l'indullrie , 
Le goAt ennoblit tes plaiftrs. 
L'efliùn de&smonrs t'environne ; 
Je les vais , jouant prés du ttAne , 
A la palme augulle des arts 
Enlacer les fleurs les plus vives ; 
£c réchauffés par (es regards > 
Ne pohit envier d'autres rives. 
Tu ne dois pas le dédaigner t 
Ce culte flattevr & fincere ; 
Plus d'une femme a Tu régner ; -' 
' Bien peu de reines ont fu plaire. 
Jonif de ces âveurs des deux. 
Pour mol , caché fous un nuage , 
Permets que j'échappe 4 tes yeux. 
Content , ï l'abri de l'orage , 
Je ne dematMe rien aux dtenx. 
Si j'avois été malheureux , 
Tu n'auroispHs eu mon hommages 



M>,Google 



- FRA GMË.:NS 

i?'£W£ TRAGÉDIE. lyALeksTÈ i*}, 
• Ji m'étots ex«rcéi il p a neufou dix'anstruf 
ce (ujct , te plus pathétique qu'on put ii:»îter , s'il 
préfentoit un dénouement. En reliTantma pièce . 
j'eitai extraie quelques morceaux. -que je vais 
mettre fous tes yeux du public , plutôt comme 
une:imitation djj grée «que comme. mon propre ' 
ouvrage. Racine avoit:, dit-on » &tc le i^ab des 
trois premiers a&isér.dicejlgt jufqEriaii-quatrîe- 
me , il laiâbit ignorer à vi<ff»efe ]e dévouemene 
de fort ^ufe. J'ai imité cette adroite fufpcn- 
fîon , fans laquelle il eâe ^té îrapoflîlile de trou- 
ver matière à cinq aâes. Au lieu d'un 6ts qu'Eu- 
ripide donne ï Admète., je ]ui ai donné une fille » 
dont je rends Hercule amoureux. Ce] froid épt- 
fode dîrparoitroit > il j'avais à recommencer cette 
tragédie. 

ACTE PREMIER. 

SCENE PREMIERE. 

Hercule, après avoir {àtîsfait aux ordres d'Ev- 

f''>CesfragiiKnsaurotenC étémîeuspbcésàlarutte 
du Théâtre de M. Dorât; mais .le roraeiVI eût ct6 
tr<^ valmidfMÙx, 

D d iij 



D«),.rib,Google 



F_R A G,M-^.M S_ 



r/^6fir,rêvîeiul P/iere ."pour cherclier dans Ta- 
tnour^rébo^pâiire âe Testrâvailxi ït igccTFoge 
^mett fur la défolation répanthie dans le j^a- 
lais', & U idèÔiK qiii ïe pèmffirrteirsles viJjifges. 
Voici Cf>ai9t<nfi>^i/t)i«<9'lui •àxpliqse les motifs v. 

Rappellez-véusces tems où le perè'du jour, 
Exilé deTolympc, èiMbeliiltoît iiia cour, ' - , 

Lorfçû'fttûHsihéJ-fojets , qui lui fonrfoîcnt tnrteriiplis, ■ 
Dii relî»ea p6ur Ifes wiis un iHeu donriolE l'exemple. 
Il femfalt:(iv(<)ae.n0 peut le icâm^erce ijcs dieux ! ) * 
Qu'Apoilià^ ddnsma.ciHiFJeJttt^t)t^n<âies cieur. 
Jfe.fççBSilipÏRiOipaiïkïfmîàifei'a préfencc : - : ■ 
Se&btçRfeifclNsjtiaîosfoiiteijpientiiiapHiffance. . 
]I^§>irut,:b41fl8'!.& magtoirCjBî^clul.;--'. ,..■.: 
Jeperdian}on,bOnhcur;.,ïi^Pprilp(n^'^RajI>UÎ., , i 
J'écoîs-préi d'expirer ;;un,oraplïfbncfte ; ■-■ . 

Des joars.ftu'il me.confçrwç pmpoilbMiele refte. / ,■ ; 
Ecoutez quelle fut ta Ioidu.dieii4fi^,(B.9rt»... - ...-."- 

"âdmete va pérît ,& rouQhç,jH*x,fombreî bords,; , ■ , 
„ Mais aux vœux des mortels Lacliefis peut le rendrje^ . 
„ Si quelqu'un à Ta place au tombeau veut defceDdfb. 
Eh ÎToudroïs-je-àceprîs éliide^mim irepas?" 
A cette afireàfelninifin cifcuiï nQ ToufcrH pais. ' ^ 
Craignant la piété d'Alcçfte & d^ fille, . .1. ,._■;- 
Par ua ferment facré i'ai lié ma famille : , _ ,, ,. , 

X*bjured'Apollon le barbare 'Ty^enfoit^!;' ',;;,;,, 
l^t tremble pour les jouis de mon derniec- fnjet.. ..- 



D«).prib,Google 



. D: A L C ÏÏ s T E. 42,?; 

Maîsnulnc s'eÛofFert;& dufcrequil'opprin^e,, , 

Adniçte feiil au moins vamporitiayiaime.. *,, i, ' ^ 

H E R -C V L E. : , ,. 

Non , VDUS pc mourrez point. :.,■:,,■ 

A D M- E T E. . . : i.r" r. 

Où portez-rous VQSvseÇK?^ 

Sachez qiieJedeflîfl cille maître des dieu*. ■ '^ 

H E S e « L E. 
Et ipoijjefuis leur fils: dans ma fur«ui cxtréfoe^ . 
J'irai vous arracher de6bi;as lie la mort sicm^ , . . ,< ' 

A n M E a" E. 
Quoi ! mon ami' veut-il m'aopablcc à fon toat î ., . j 
H E K: D U L E. -: o' . > : t 

Le ciel , poor vous fauver , i]i'amene.en votre «wt^ - . 
Moi , de votre bûcher téoitmi tâche & triaquflb^ •- ■■ \ 
.]p CToiroh l'honorer par ma douleur ftérHei> . ' > 

Mes jo^rs font conlàcréï aux. travaux , atlx tertai-'J ■,, 
Je ne fuis/poiotà moi, je fBicàl'unïvetSi..-. ■ --i\' , 
Et périlTent.tous ceux dont l'amitié commune. À '■ ,. 
Abandonne un héros ^uc trahit la fortune) , - .■ - .", 

■■■" S CE'NE" III. ;";^ ■ '■ 

ADMETE,EUMi:LIE>//f ^'iiKBrtp.'"; 

E u M E L I e. 
Dans le temple des dieux , au pied de leurs autels,' 
j'impIoESis en tecret ces m^jcr«$ des mortels. 

* Ddiv' 



D,nn.f.ril>,GOOgle 



424 FRAGMENS 

En proie à la douleur qui me pourruiiTTaiis ceire , 

J'épaochois à leurs yeux ma crainte & ma tendrefTe. 

Je leur crjois-: '^ Daignez , daignez fécher mes pleurs , 

» Recevoir mon encens & finir mes malheurs. 

M le fuit prête ; frappez , ttanchez mes dcftinécs ; 

„ Mais d'un pete chéri prolongez les années. 

Oui , malgré le ferment inhumain , odieux , 

Dont vous avez voulu m'enchainer devant eux, 

A vos ordres rebelle , & iàlntement parjure , 

Toufrman cœur G'imtnololt aux droits de la nature , 

Lorfqu'unbruic effrayant forti du fein des morts, 

Me glace d'çpouvante , & fufpend mes tranrports. 

La fbudra avec éclat fur ma tête étincele ; 

Le jour fiiit , l'autel trOnble .Aie temple chaneele. 

Uneroix formidable , en ces alFreux momens , 

Forte juTqnes à moi ces fonebres acceiis : 

« Sors de ce temple. En vain tu veux fàuvei Adnete ; 

BUnantreà chaque inftant fubitlaloi poutlui; 

u L'oracle eftaccompli , la mort eft fatisfaite ; 

M Et la vîdime enfin fe déclare aujourd'hui. 

A ces mots , je ne fais quelle joie inconnue 

A rafluré fondein votre fille éperdue. 

J'ai couru , j'ai volé , làns guide , fans foutien : 

IHon perp étQÎt fauve ; je ne craignois plus rien. 

Trop heureufe , feigneur , dans l'excès de mon zele , 

De vous en apporter la première nouvelle J 

Vot^ prolpérité va reprendre Ton cours : ' 

Jereconnoîsles <ilieux^ ils protègent vos joun. 



1, Google 



D' A L C s s T rr 4lf 

A D M E T E. 
Ma fille , que ta joie cfl chère à ma tendrerfe ! 
M«iï un trouble fecret m'agite & m'încéreffc. 
Ainfi -, o-'cTi cfl donc hit , l'arrêt ed prononcé ; 
Et je ne puis favoir quel fang fera verfé. 
Les dieux , dans le confell de leur vaftc prudence. 
Sous leursbîenfaicsfourent ont caché leur vengeance. 
J'aime tous mes fujets ; s'ili m'ont juré leur foi , 
Leur vie eft en dépôt dans les mains de leur roi. 
Voudrois-je » enfepelî dans un calme coupable , 
LailTer répandre un fang Sont je Cuis rerponfable ? 
ACTE II. 
( Alctjle écarte Jet femmet. ) 

SCENEPREMIERE. 

A L C E s T tt feule. 
QtjE mes derniers momens font remplis d'amertume! 
Une alTrçufe langueur par degrés me confume : 
Ma vie k chaque inftant femble s'évanouir. . 
Cache tes pleurs , Alcefle ; ils pouiroient te trahir : 
J'ai pu jufqu'ji préfcnt les dévorer ans cefîe , 
Et d'un époux que j'aime abufer la tcndreffe : 
Je fus avec courage enfreindre le ferment 
Qp'a prononcé ma bouche & que mon cceur dément. 
O ciel qui me conduis , achevé ton ouvrage , 
Et Ibr les yeux d'Admete épaifTis !c nuage : 
Trompe encor fa douleur ; je te remets ce foin : 
Ecarte du bûcher ua fi tendre témoin. 



h, Google 



416 FRAGMENS 

Un ïnftant , & jo meurs . . . lolcos ma patrie, 
Tiftne , grandeurs , amour , doux charmes de ma vie , 
Déjà vous m'échappez, toutjne quitte & me fuir : 
Je tombe , je me perds dans une îmmenlî: nuit. 
Palais qui ras bicntât devenir folitaire , 
Tq) , de mes premiers feux fkcté dcpoTitaire , 
Feu^tre dans tes murs ru verras quelque jour 
Une autre époufe hélas ! y régner à fon tour. 
Qu'à fa teodreflê au moins je ièrve de modèle ! 
Qu'elle fûitplusheureufe & foicauflj fidèle! 
Vous que j'ai tant aimés, frïnes trilles en&ns! 
Il faut donc renoncer à'vos embrarfemens ! 
Qui rous rendit jamais les Iblns de votre nteret 
Sans douts yi vaus la! fle un ap^ dans un père ; 
Mais chargé de devoirs , entouré de liens , 
Ses yeux feront toujours plus diftraits que les mien*. 

Alcefte , ^iraeS'tu mieux que ton époux périlTe ? 
Qpi remplit îbn devoir , fett.il un facrifice ? 
L'habitude à la terre attache nos delîrs ; 
Mais la tombe engloutit nos maux & nos plailirt. 

SCENE III. 

ALCES T E,EUMELIE. 

E u M e L I E. 
Je vous cherchois , madame , & je riens avec roi» 



D,m"f.ril>,GOOglC 



p'AZ c E s r e: . ^a? " 

Kendre gr^cp^au cïel en des inflans lï doun. . ^ 

11 enlevAu trépas votre cpouS & mon père ; 

Je viens^m'en applaudir d^ns les bras de ma merc. , , 

Daignez mêles ouvrir; daignez en cçsînllans 

Approuver des tranfports renrèrmés fi long-iems. 

Si vous favicz , madame ,avé<: quels cris de joie 

Pherc a revu le roi que le ciel lui renvoie , 

Avec quelle allégreffe A quel ravilTehient 

De l'heureux facritice on attend le biometiC, 

A dreffer le bûcher comme Aacun s'cmpreffe , 

Comme tous vas^ujetsiignalentléQrtendre(r« , 

Je vous verroîs foudainïartit de ce palais , 

Et donner ce fpe<Sacic à vos'yeux fatîjfàiiï. 

Maia'quoî! quêHe'trifteffe eâ vos regards eft peinte ? 

A L C E S T ^,àp9rt. 
Que lui ditai-je , ô dél f ; 

*' ' E U M E L I,E. ^, 

Vous ma glacez lie crainte/ \', 
Como^etit?. ' ' ' '. "]' , " '." 

■"■ ' ["'■^■-''•^'•t c e"s"-T'É'; • '■ "■' i "■'■■■■■' 
MafiUe... ..■-■".:■-.; - r;-:.:- -.1 

• Eu W E L-I E. ■ , ' 

Ëhbien? '■ -' 

• Al C -E s ï E. ■ 

**' ■ '" ' L'oracléadoncpatlét ■ 

■; •;: '.:■ ■-i'^-'tj m"e"l I 'e." 'J 

Il a reîufu lé calmea mon cœur dérolé: ' ' - ■ ' ' 
- A L C E "S T E. " -" ' 

Tout Piiere , dices-voos , Fait éclater fou zele ? 



D,™),.rib,GOOglC 



428, TKAdMEKS 

£ U M B L 1 E. 
S> joie & fô traniports font d'un peuple lïdel^ . 

A L CE s T E. 
Ainfî ce jour eft mii au rang des jouri heuieux ? 
Le (àcrîfîce approche l... 

£ U M E L I E. 

II ,Ta combler nàt vceox. 
A t c e 8 T E. 
On drClTe le bûcher ? 

£ U H E t. f B. . 

Ce foin eft légitime.. 
A L C p s T E. 
Bt l'on Ignore encor le nom de U vidUme? 
EuMELie tfe }ttaxt.4^s les bras Je fa mer*. 

Ma mère!... 

A L C e' s T E. 
Va ; Groig.m(Hj nplle dant ce moment , 
Rus que moi ne prend part à cet événement : 
Mais commcjc connais les difgraces foudainu, , 
QuidespIusgrandsçlaifirs-notiEfpntfouventdesprinet, 
Je crains de triompher. . . . ' - :■" 

E t; H E L I E. 

Ah! j'interprète enfin la dooleur qui toos prefTç; 
Et (ans douce elle vient d'un excis de tendrelTe ; 
Vous ne pouvez foufïrir qu'un autre /malgré tquk^ 
Vous rsTilTe llionnev de fauycr TQtrs époux. 



h.GooL^lc 



ly A L C E s T E. 419 

O nobles rendmensl Je rcconnois ma mère. 
iSermcniitTOp ïî^oareuxoù nous forija idon pe» ! 

A L C £ S T E. 
Que tu pénètres bien dans le fond de tnon cœur 1 
Sans doute il fiit jaloux d'tm 11 fubtime honneur ; 
Mais ce fermenC , contraire au zèle qui t'anime , 
Parle , n'auroît-on pu le violer ians crime ? 
Se peuuil qu'un Céul mot qu'on prononce aux autels , 
Devienne un nœud facré pour les foibles mortels ? 

Quoi ! notre être ^ ce point feroit humilié ? 
pac devoir à l'opprobre il fe verroit lié ? 
Non , le ciel défavoue une loi formidable , 
Qui fbrceroit notre ame à devenir coupable. 
La vertu s'affranchitdecejoug odieux : 
£lle e& indépendante , & n'obéit qu'aux dieux. 

£ U M E L I E. 
Oui , madame ; & mon cœur . . . Mais Hercul^ s'avance,! 
Hercule fait dans cette fcene le récit de la Gtu3> 
tion d'AJmeif , & du fombre défefpoir qui l'a: 
gite. L'aifte finit par une fcene entre Htrcult & 
Enmilie. 



D,™),prib,Google 



43» P R 4 G M £NS 

ACTE 11 !.. 
SCENE ÏIL 
ALCESTE.EUMELIE. 

A i C E s T E. 
"( âpart. ) {à Éumélk. ) 
. . . Je^rcmble. Eh bien , <jue fait Admctet 

E y M E L I E. 
itUdatne , par quel charme avez-vous Ai calmer 
Cette fombre fureur prête à le confitmer ? 
Sans'douie votre voix', pùifqu'efleâ tant d'empire ^ 
EA l'organe facré d'un dieu (jui vons ïnCpire. 
Mais d'oiî nailToit enfin ce ténébreux ennui? 
Seule TOUS lui parliez ; je n'ai rien fu de lui. 
Madame , cftce un fecret que je ne puiflc apprendre ? 

A L C E 8 T E. 
Ta l'apprendras trop tôt. 

' E U" M B L i E. 

Dieux , que viéns-je d'entendre l 
Vous m'en ayez trop dit. Je tombe à vos genoux. 
JSlvoDS m'aime7 encor , de grâce expliqticz-vous. 
Tul'apprendrastroptôt ..Ces derniers mots, madame. 
Ont porté la terreur jufqu'au (bnd-âemon ame. 
Comment les expliquer ? Des préfages confu» 
Viennent s'offrir en foule à mes feus éperdus. 

Far ces titres fi doqX & de Hlle & de mère , 

An non du nœud lacté qui vous Ue à mon pece » 



-M>,Google 



ly A L C ES T^E, 4îl 

Parlez : quand je d^rois mourir de mes douleur* , 
Ne me refufcz pas l'aveu de vos malheurs. < 

A L C E S T E. 
Ah ! force<moi plutôt de garder le (îleflce. 
Au lieu de l'ébranler , atfermjs ma coniiance : 
Réprime les ardeurs de ton zèle indifcret , 
Et crains de m'arradier un funefte fecret. 

£ U M E L I E. 
Non, je ne puis refter dans cette incertitude: 
Pour mes fens défolcs cette épreuve eft trop rudej 
£t fi vous prolonge? un fdence odieuT: , 
Sans doute j'ai ceflë d'être chère à vos yeuX. 
Elt-ceninlî que j'ai part à votre Confiance? 
Ah 1 madame , aî-je dtAc mérité cette oFFenfe ? 
Quel ctîme ai-Je commis ? Vous connoilTez mon" eœut. 
Votre ïeuie amitié fit toujours mon bonheur. 
Pourquoi donc m'cnvier la preuve la plus cliere 
Que je puiiTc obtenir de l'amour d'une mère ? 
Vous pleurez ! . . . 

A L C E s T E. 
Pour fes jours ta mère ne craint rien. 
Contente de mon fort , je pleure fur le tien. 

E U M E L I E. 
le malheur me regarde , & vous tremblez encore ? 
Et Vous me refufw la grâce que j'implore ? 
Ne Craigoeî rien. Mes jours fcroient-îls menaces , 
Mon père vit encor , vous vivez , c'eftalTez. 
Peut-être j'crpcrois une autre deftinée j 



1, Google 



4?! F R A G M ^N s 

IHaJa je ?eiiaî la moit, fans en itis étonnée. 

A I. C E S T E. 
Toi , mourir ! Tes defiios me font trop précieux. 
Ton liytnen vabicniAt t'unit au fang des dieux; 
Goùccs-en la douceur , & joyis de ta gloire. 
Mon otsur el't en fecreC charmé de ta vïâoite. 

£ U U E L I E. 
Fouvez-vous rappeller , en ce cruel inilant , 
Le fatal fouvenir du bonheur qui m'attend î 
Du plus fombrc chagrin mon ame enveloppée , 
Des fêtes d'un hymen peut-elle être occupée ? 
Oui , fi voua perfillez à me cacher mon fort , 
. Je fais fur mon amour un géntreux etfort. 
Toute entière livrée aux foins de ma triftelfe * 
]e renonce à l'hymen , j'étouffe ma tendrelTe, 
Hercule en vain voudra rappsller mes fermens > 
Votre lUence rompt tous nos engagemens i 
Et li par ce refus j'ofe affliger fon ame , 
Qii'it rejette fur vous le mépris de fa flame. 
Excufesmes tranfports : duffiez-vousm'en punir. 
Dans mon trouble mortel pdis-je tes retenir 1 
Vous voyez votre fille éperdue , égarée , 
Qui ne-fc connott plus , (jui meurt défefpérée. 

A L C E'ST E ) tlttns le plus grand défordre. 
Jctt&toi dans mes bras . . . Ma lîile !.. tu le veux ? 

£ U » E L 1 E. 
Achevez ,,, f 

Alceste. 



D,m.f.ril>,GOOgle 



D'A L Ç E s T E. ^y 

A L E 6 T E. 
Je Frémis ; ô Tort ! 6 jour affreux 1 
* E U M E L 1 E. 
Ncdîfférez donc plus, - : . 

A L C S S T E. 

Eh bien, ce facrîfioe ,, ,.■, . „ , 

Qp'onprcpaceaujourd'huiiCrois-Eu qu'il s'accom^Ufle^ 

Eu„fl:*. LIE.., ■,■;■; 

Sans doute. ■ 'i 

. . , A Ij C E S T E. 

. Eiprévois^tuguelfujet Fortuné^ . l . 
Aun flammes du bâcher-rocacle-a dcllîné? „ „ , i 

.E u :ïi^ E t î-E. 
Non; le cUl pourroit-il être l'auteur d'un otîme? 

A L Ç E s T E. 
Approche-toi , ma fille ; mbrafle la TiAime, 
E U M E L I B , tomhant évanquie dam Us bras ^ 

fa mert, . ) 

Jeme meurs... - ,- , ■ 

A L c E s T E. 
Malheuieiiiè.! . . . - .. , . 

Aclntiete:paroit dans ce n)oinient->.Ie fpcâ^cte 
de fa fUlemourantei itde.fyn époufeeo iarmey, 
fait rensitre tous f^ foupi^oiis. Cet at&t ènh t^r 
unefceneentre^/c^&Iui. : i 

Tome K ' '" Ee 



D«),.rib,GOOglC 



ifî4 tRAGMEHS 

ACTE IV, 
SCENE PREMIERE. 
ALCESTE,PHOEDIME. 

A L C E s T E. 

Mon époux eft idflTuit de mon fatal fecret 
Où fiiir ? on me cacher ? Ma lille , qu'as-tu fàt ? 
Ciel ! comment Taborder ? & de que) fiont icpondrf 
Au reproche accablant dont il va me confondre ? 

Soleil ,allré brillant, témoin de bks beaux j«unf 
Cefle de m'édairer , each&idi pour toajoucs I 

F H OE D { U t. 
Reprenez VOS efprits. 

A L G Z s T s. ■ 
La raiCon m'abandonne : 
Dea ombres de la mort la douleor m'environne. 

C EUe/eprofterne à un autel de Vtfla. ) 
Secourable Vefta , déefTe , entends ma voix : 
Jfe me jette à tes pieds ponr la dernière fois. 
Je dcfcendi aux cnfêis ; prends foin de ma fàmillff : 
Je remets en tes mains mon époux & ma fille. 
Qu'Admete tefoit cher ; je t'implore pour lui i 
' Veille fur mes enfàns } ils ont befbin d'appui.. 
Ah , Phœdime I aimc>tcs : je réclame ton zèle. 
Souvien»-toi de leur mete , en. leur te&anC fidèle. . • 



D,m.f.ril>,GOOgle 



lyALCESTE 4jf 

SCENE IL 
ALCESTE, EUMEUE, PHOEDIME, 

E u M E 1 1 E éperdue. 
Ah , madame ! . , . 

A L C F s T E. 
Arrêtez,: retenez vos reproches. 
Et de ma mort au moins refpedtez les approches. 
Je n'ai commis qu'un crime ; il me coûte des plcnit; 
C'cft d'avoir fuccombé , ma fille à vos douleurs. 
Votre père lait tout O ma chère Eumélie , 
Tu me rends plus cruels les relies de ma vie; 
Mais Teconde du moins mon courage ébranlé « 
Et cache tes foupirs à mou cœur défolé. 
Je fais en pcriflant ce que tu voulois faire : 
Je fauve mon époux, & tufauvoisunpere;. 
V4 , mon fort c(t trop beau ; celTe de foupirec } 
Tu devrois l'envier , an lieu de ie pleurer. 

£ U M E L 1 E. 
Je vous t'ai difputc ; jf vol9is i ma perte : 
Dieux cruels irousTavez queicmcTuis oSçttt'.ti- 

{dÂlcçfle.) 
Riais je vous fuit au moin; jufques dans les enFen ; 
Les chemins aux mortels en fopt toujours ciuvcrts. 
Attachée à vos pas fur le rivage fombte , 
Far des pleurs éternels j'appaiferai votre ombre. 
Eh , que feroîs-je , hélas 1 que Ferois-je fans vous ? 
Qpelle autre main pourrait m'oSrîf à non époux ? 

E « i j 



. D,™),.rib,Google 



4ï<S FRAGMENS 

Qtiel!e autre alluineroît les flambeaux ë'hyménée , 
licpitrerottdefieurs ma tête infortunée? 
A L C E s T E. 
^Ma fille , laifle-moi . . . Quel ertrerten cruel ! 
Q_ue de coups doulouceus avant le coup mortel ! 
On entre ; Admete vient, (Jue fcrai-j'e ? Je tremble. 
J'éprouve en cet ïnltant tous les malheurs enfenible. 

S CE NE, Il I. 

ADMETE,ALCESTE,EUMELIE» 

PHOEDIME. 

A L c E s T E. 
terre, engloutis-moi. , . tout mon creora frémi 
Admete, avec un âéfefpoir concentré. 
Alceftc j il eft donc vrai ? vous m'avez donc trahi ? 
Infenfiblc à mes pleurs , aux fermons infidelle , 
Malgré tous mes efforts , vous me quittez , cruelle ! 
.Vous renoncez au jour , à vos enfàns , à moi ! . . . 

A L C E s T E. 
Admete ! Eh bien , pardonne : oui , je péris pour toi. 
Pardonne , cher époux j épargne ma tendreffe : 
De mes derniers momens refpedte la foiblelTe. 
je meurs ; je l'ai voulu . . , mais au moins tu vivras : 
Z.'infortune d'un peuple tùt fuivi ton trépas. / 

Des princes bien&ifans fois long-temsle modèle. 
le tems peut mettre un terme à ta douleur mortelle. 

Admete. 

Oui y Uas doute g le tems en bornera le cours > 



D;,-;..h.,GOOL^IC 



ly A L C E s T E. 4îr 

Si tu nommes le tems le ferme de mes jours. 
Ainûtu vas mourir , tu vas mourir » Alcefte. 
Je te perds ; mais crois-moi , mon défefpoir me relia- 
Je puis ce prévenir. 

A L C E S T B. 
Qu'entends-je ? Que dis-tu ? 
Rappelle ton courage , & fonge à ta vertu. 
Tu te dois à con peuple , aux foins du diadème, 
A tes enTaas , au^ dieux ;~tu te dois à toi>même : 
Et tu pounois , jouet de tes fi^ns égarés , 
ïtenoncer par ta mort à ces titres facrés I ■ . 
Cher Admete , le ciel t'a placé fut le trône , 
Pour porter jufqu'au bout le poids de la couronne : 
Quelque dure que foiC cette vie à tes yeux , 
Tu ne peuK la quitter fans le congé des dieux. 
Deronfangplusqu'unautreunmonarqueeft comptable; 
Et lorfqu'il le répand , il en ell plus coupable. 
Je (àis que la nature & l'hymen ont leurs droits ; 
IVIais qui petit l'emporter fur le devoir des rois ! 
Et l'hymen , & l'amour , & les plus belles Dames , 
Sans le^ alTujettir , doivent toucher leurs âmes. 
Ils doivent, mefurant leur force à leurs deflins , 
: L'ex^ple du courage au rette des humains. 

A D M E T E t avec Vemporltment âe la douleur. 
J'abjure dans tes bras cette vertu cruelle : 
Ah !. ce cœur qui t'adore , efl malheureux par elle . ■ ^ 
En proie aux mouvemens d'un déferpoir affreux , 
Peut-être en ma douleur offenfé-je les dieux ! . i 
E c iij 



D,m.f.ril>,GOOgle 



4î8 FRAGMEîtS 

Mail ne ft font-ils pas atts^chéi à me nuire? 
Leur haine m'eût fervi , leur bien&ic me déchire. 
3'étoi8 près d'expirer : ils conferïent mes jours ; 

Fourfàireunmalheureux, dans leurs fureurs extrêmes. 
Us interrompent l'ordre établi par eux-mêmes ; 
Et femblcnt , les cruels ! ne prolonger mon fort , 
Que pour fouiller mes yeux des horreurs de ta morL 

A L C E S T E- 

Où fuis-je i Souï mes pas l'enfer mu^t & s'ouvre : 
L'affreux nocher des morts à mes yeux fe découvre ; 
Je le vois ; il me preflc , il m'appelle à grands cris : 
Qui t'arrête 7 defcends ; tout eft prêt. ... Je ftémîs ; 
Phœdime , fouticns-moi : je fcns que l'en m'entraîne. 
Une divinité contre moi Te déchaîne. 
Quel regard effroyable elle a lancé fur nous ! 
C'eft Pluton , oui , c'eft lui ,: le vois'tu , cher époux ? 
Il vole autour de moi. Q.ue veux-tu , dieu barbare ? 
Quelle nuit t quel rempart ii jamais nous fépare ! 
Dans quel monde inconnu commencé-je d'entrer ! 
Dieux , qui h fpe Ares plaintifs viennent me déchirer 1 
Je ne vols qu'à travers mille nuages fombres : 
la mort, la pâle mort me couvre de fes ombres. 
Mes enfâns , cher époux , objets de mon amour , 
On m'enlève , an m'airache i la claicé du jour I 



-M>,Google , 



D'AtCESTE 4î9 

A L ^ E s T E. 
Ouvre les yesx , Alcefte ; Alcefte , ccoutC'mol : 
Chère époufe , permets que j'expire avec toi. 

A L c E 8 T E , fefoulevarit avec effort. 
Vis i je le veux , Adtnete , & je te le commande. 
Voici tout ce qu'Alcelle en mourant te demande : 
Aime nos chers enFans , & ne foulFre jamais i 
Qu'on ufurpe les droits qu'ils ont dans ce palais. 
Ne va point leur donner une injufte marâtre , 
Avide de mon fang , & du Tien idolâtre ; 
Qui fiere , & les traitant peut>étre en étrangers , 
Exporeroic leurs jours à d'éternels dangers. 
De notre dernier fils dirige la jeunelTe : 
Qiie ce foin important occupe ta vieillefle. 
Des devoirs d'un fujet retrace-lui la loi : 
Ah ! trop tât les flatteurs lui diront qu'il eft roi. 
Pour la dernière fois , viens , ma chère Eumdlie i 
Au plus grand des héros ta merc te confie : . 
Mérite Ton amour, Confole un père. Adieu. 
Qu'on m'entraîne. 

C Admets & Eun\iHeft précipitent dam la brai 
d'MceJie qu'on emporte. ) 

Le cinquième aâe eH; rempU par ta douleur & 
le défelpoir iCAdmete , qu'on retient malgré lui 
dans loti palais. Ses plus jeunes enfans , en habit 
de deuil* mettent le comble à Tes regrets par 
leurs innocences caieûes : ils lui redemandeiU 
£e W 



D,™)..ril>,.GOOglC 



44« FRAGMENS D-ALCESTE. 
leur mère j pour loate rcponfe , it les prefle dans 
fes bràs & les baigne de Tes larmes. Hercule e{î 
flu bûcher : il femble défier la mort & les dedins. 
Le tonnerre gronde. A travers la foudre & les 
éclairs , une voix fe fuit entendre ic'eft celle du 
iDiiUre des dieux , qui . en faveur de fon è\s * ac- 
corde la vie à Alcejie. Hercule la ramené couverte 
d'un voile dans le palais de Ton époux. Elle y- 
jouit de l'accablement d'Admete^Si s'applaudit 
en quelque forte des pleurs qu'elle ^it.répandre 
& qu'elle vient eâuyer. Dans le moment qu'il 
va fe plonger un poignard dans te fein , elle s'é- 
lance vers lui , fc découvre à fes yeux , & lui ar- 
rête la main. Il croit d'abord que c'eft une illu- 
fîon , que l'ombre de fon époufe vient errer au- 
tour .-ds lui. Hercule It taSute , & l'inftruLt delà 
feveur de Jupiter. 

Voilà le dénouement le moins fabuleux que 
j'aie pu imaginer }& peut-être feroit-it quelque 
«Set dans l'exécution : il m'a difpenfé de mettre 
Hercule aux prifes avec la mort, ce qui feroit 
dans nos moeurs une abfurdité intolérable. 
, Si l'extrait de cette tragédie ne déplaît pas , je 
raflemblerai tous ces membres épars , & je tâche- 
rai d'en former un tout que l'on puifTe regarder 
comme une imitation fuivie de ÏAlceJle d'Euri* 

pide. 



h.,GooL^lc 



RÉFLEXIONS 

SUR LA F O É S J E. 

ï^'espRiT rydématique fait de jour en jour de 
nouveaux progrès. On bouleverfe les principes 
des arcs ; on les alTervic à fa manière de voir & de 
fentir:'il femble que chaque homme de lettres 
célèbre ait le droit de confacrer Tes erreurs & de 
les fceller, pour ainlî dire, du fceau de fa répii-. 
tation. Malgré ce vertige général , je penfots que 
la poéGe feroit refpeâée. La philofophie peut 
enfanter une foule de fyftèmes tous differens. 
& tous vntifemblahles ; tes fonges ingénieux de 
la métaphyfîque peuvent varier à l'infini : rien 
de û vafte que le champ des conjedures. La 
vraie poé(ie e(l une : Ton caradere ell fixe, la 
beauté invariable : il étoit réfervé à quelques 
hommes d'efpric de nos jours , de prétendre la 
rabaiâer,de vouloir la fapper juFques dans Tes 
fondcmens. 

Je vais mettre un feut article de leur fyflème 
fbus les yeux des juges éclairés -, qu'ils prouoa- 
' cent. La richelTe des images , le (tyle pittorefqDe* 
leeolaris, fans lequel iln'ya point de tableaux* 
tout ce qu'on exige des poètes * eft piéciiemeitt 



D,™),.rib,GOOglC 



ee qu'on leur interdit : on veut apparemment 
que nos poéHes foient des traités i nos vers des 
fentences t DOS poëCés des raifonneurs. II. va- 
lott mieux ne point admettre de puéfîe , que de 
npus t'otïrir fous des traits lî étrangers. L'inno- 
VBtioa de l'ingénieux M. de la Motte, contre la- 
quelle on a déclamé avec tant de jufttce & dV 
vant9ge,me parok indtcieufe en oompataifon 
de celle qu'on veut introduire. Il n'en vouloit 
qu'à la rime ; elle n*eft que la forme de ta poélie i 
-aujourd'hui c'eil le fond qu'on attaque i fous 
prétexte de la perFeâionner , on voudroîc l'a- 
néantir. Mais pourquoi tes images choquent- 
elles ces meflîeurs? Pourvu qu'elles n'dtent rien 
à la jufteflTe des idées, il me femble qae ta phi- 
lorophie, mime la plus févere , pourroit les adop. 
ter avec fuccès. Le père MallebranchetCe phi- 
lofophe il plein de fens, étincelle fouvent ds 
beautés vraiment poétiques : fa recherche de la 
vérité joint à la force du raifonnement les char- 
mes d'une riante imagination. Platon * qui chaf- 
fa Homère de fa ville idéale, ne perfuade jamais 
mieux que lorTqu'il emprunte les couleurs dg 
ritiade.^yle enfin, ce logicien (1 Tubtil , aban-' 
donne quelquefois le fil de la diateâique , pour 
eueiitir les âeurs qui te préfeatent fous fa main. 
Ces auteuis fentoient bien que la véiité a berûn 



D,m..M>,. Google 



SUR LA Poésie.- 44? 

d'embellifleinens. Pourquoi donc enlever à la 
poélie des oniemens que la raîron même ne 
profcrit point:' Le vrai philofophe , ce me Sem- 
ble ,ell celui qui, loin d'ôter aux fcïenccs &auz 
arts ce qu'ils ont déjà , ne travaille qu'à les entU 
«hir de ce qu'ils n'ont point encore. Il eft beau^ 
£ l'on peut, d'enchérir fur les découvertes des 
âges précédens ; mais doit-oti chercher à éteindre 
les lumières qu'ils nous onttranfmifes? Ce feroit 
le moyen de nous replonger dans le chaos de la 
barbarie. Il faut , du moins je me Timagine , re- 
prendre la route où nos grands hommes l'ont 
quittée ,fuivre leurs traces immortelles, & s'é- 
tayer de leurs efforts. Le génie a toujours aâez 
de chemin à faire; & il me parok inutile de 
recommencer une carrière immenfe, lorlqu'on 
approche du terme , & qu'on pourroit enfuite 
en ouvrir une nouvelle. C'eit que malheureufe- 
ment la vanité préfide bien plus à nos recherches 
.que l'amour défîntérefie des arts : nous détrui- 
fons pour obtenir le titre de créateurs. Jamais le 
goût des paradoxes n'a été porté fi loin î le der- 
nier fur-tout me paroit inconcevable , du vivant 
d'un poëte philofophe , & qui doit à ce qu'on 
voudroit bannir de la poé6e,la plus grande 
partie de fa réputation. Mais rien de nos jouis 
n'eA à l'abri de cène fureur de choquer Ies.:^éet« 



D,m.f.M>,G0tlgl'e 



444 R.6pIexion8' 

On ne croit à rien , on ne rcPpeffle tien , Si nos 
grands hommes fur .tout font jugés avec une 
fuuveraineté qui n'a point d'exemple. Homère, 
Virgile , Pindare , Horace , ne font plus ces mai- 
très fuperbes que l'admiration de pluûeurs (îe> 
des fembloit mettre à l'abri d'un nouvel exa- 
men : ils nous font offerts comme des efclnves 
fournis , qui viennent attendre qu'on leur renou- 
velle, pour ainfî dire, un bail d'immortalité: 
heureux encore s'ils font accueillis avec faveur, 
&ne fe voient point déchus de leurs prétentions! 
Eft-il poflible , par exemple , que des hommes de 
goût préfèrent Lucain , le dernier de nos bons 
poètes, à Homère, à Virgile ? Lucaïn a fans doute 
des morceaux brillansjdes éclairs d'éloquence 
qui échauiFent , qui entraînent pour le moment: 
mais a-t-it cet enfemble plein de chaleur , cette 
connoiiïance profonde du cœur humain, cette 
variété de caraâeres » cette imagination enSam- 
méc , ce pinceau toujours vrai qu'on admire dans 
i'Iliade ? A-t.ii cette fage économie , ces reflbur- 
ces del'art , ce fil imperceptible , cette gradation 
d'intérêt , cette magie de (lyle , qui caraélérifent 
l'Enéide ? Celui de Lucain n'efl ptefque jamais 
naturel ; fouvent fes penfées paroiflènt fublimes 
i l'oreille t& deviennent puériles lorfqu'6n tes 
- décompore. Il aSèâe une pompe d'expceÛioni * 



D,™),.rib,Google 



SUR LA Poésie. 44^ 

bri fafte monotone qui fatigue. Son poème eft 
dépourvu d'imagination, de machines. Lucaia 
eft un hiftorien verfiôcateur îfon poème, une 
gazette bourfouâée. Tel .eft le jugement de nos 
meilleurs critiques. Je n'ofçrois y joindre le mien, 
fi je n'étois enhardi pac leurs décifioiis , & pac 
l'arrêt irrévocable de la poftérité. Virgile «noua 
dit-on , a foivi de trop près les traces d'Homère. 
Qu'importe , pourvu qu'il l'égale , qu'il le fur- 
pafle 'i Didon fait oublier Cal^pfo : ce n'eft point 
fur les pas d'UlylTe qu'Ènée defcend aux enfers. 
Le poëte latin n'emploie cet épifode admirable, 
'^que parce qu'il étoit nécelTaire à fon plan. Qpe 
de beautés vraiment originales n'en réfulte-t-i} 
pas? Quel développement ingénieux de la pliï. 
lofophie de fon tems ! Quelle flatterie délicat* 
pour la cour d'Augufte ! Virgile imitateur! Ec 
depuis quand une noble imitation eft^elle interr 
dite aux poètes ?M. de Voltaire n'a-t-il pas pro. 
fité lui-même des beautés des anciens ? Dinut^on 
pour cela que le mafiacre de ta S. Barthélemi n.'cft 
qu'une copie de l'embrafement de Troye?i]ue 
c'eft à Didon que nous devons: la belle Gsbrielle? 
Nos ariftarques paroiflent pencher beaucoup 
pour le Tafle ; mais du moins qu'ils s'aocovdentL 
Ilsdéteftent dans le poème épique > ce que nom 
«ppellons la machine i c'eft-à<dîrci . l'interv^iv 



D,m.f.ril>,GOOglC 



3|44 RiPLEXIONS 

tion des êtres allégoriques perfonntfiés. Eh! 
quel poète les a plus prodigués que l'auteur de 
la Jérufalem délivrée ? On rencontre à chaque 
pas , dans fon ouvrage, des dieux & des dénions. 
L'enfer, tes cïeux, toute la nature 7 eft en mou- 
vement. Milton intéreâe de même à Ton aâioti 
toutes les puiûànces célelles & infernales. Ho- 
mère eft créateur de ces reâbrts .employés de- 
puis avec fuccès. C'efl: à ces poètes cependant 
qu'on décerne le prix, tandis qu'on le rerufe à 
Virgile , cet écrivain fi fage, fi intelligent dans 
l'art de remuer les pafltons > fi économe du mer- 
veilleux, & qui femble s'être rapproché davan- 
tage du fjrftème de fes injuAes critiques. Ils au- 
foient dit éviter ces contradiâions , & ne point 
s'embarraSèr dans leurs propres pièges. Les 
'géans étoient bien armés , lorfqu'ils firent fa 
-guerre aux dieuï. 

- J'ai cru pouvoir haParder quelques réSexions 
fur cette matière , fans blelTer la délicateOe de 
ceux dont je combats le fyftème, en rendant )uf- 
tice à leur mérite. Rien de plus dangereux que 
le (iefpotifine qui s'introduit depuis quelquv 
tems dans les lettres : tous les efprtts j font ou 
t]rrat»,ouefclaves;fiquelque parti domine^ on 
«pplauditi Tes paradoxes, tandis que l'autre oTe 
4 peine b^fu quelques vérités. Cette tjrrait- 



D,™),.rib,Google 



suKiAPoisis: 447 

nie annoncerbit, félon moi, la décadence pro> 
chaîne des lettres & des arts. La mate liberté' d'é- 
crire peut feule hâter la lenteur de leurs progrès } 
c'efl; du choc de difTérentes lumières réuaies que 
naît enfin le jour de la ratfon. Pour mcâ , enne- 
mi des difputes littéraires qui troubleroient mon 
jepos , je n'ai élevé une voix foible qui ne fers 
peut-être pas entendue , que parce qu'on atta- 
quoit des goûts qui contribuent à mon bonheur. 
J'aime la poélle , j'adore les anciens , & ;e n? 
changerai point de culte jufqu'à ce que les mo- 
dernes les furpaflènt. On peut renoncer à de» 
fyîtètaes , jamais à des fentîmens. 

LA POÉSIE, 

ODE. 

Vtpiffura,poç/tfi 

JtaBPariiafle,,aiitre|bis Çege de l'harmonie » ■ 
Ce mont, d'où s'élan<;oîeiit les édaÎTS dn génie » 
Dans la nuit du chaos eft>il donc reploi^é î 
A la froide raifon on foumet Polimme , 
Et fon cutie ariti n'eft point encoi vei^ 

Je cherche en vain cette déeffe altierat 
Qui , dans'fon roi ambidcuf , 
Jitf^tt'aii foyer, de lalumierc , 



, D,™),.rib,GOOglC 



448 La P o « t i e. 

AfFrontoIt le reçird des dieux. 
Je ne vois plus qu'unettiufe Iremblante , 
Dont tous les feux font amortisy ' 

Qui toujours foibic & chancelante , 
Tniof, en les mefurant, fet pas appefantis, 
■*-*■ 
Ombres des demi-dîeiix , mânes de nos Orphées , 
Dont ies noms échappés de l'abyme des tefns , 
Confervoi'ent parmi nôu.<; leurs honneurs éciatans , 
Et criomphoient des brigues érou(Fées ; 
Des attentats de Vos cenfeurs nouveaux 
Défendez vos trophées , 
Etl'iminOTtel laurier qui croit Tui ros tombeaux. 
*«♦ . 
I^a raifon timide & févere 
Veut fymmétrifer vos accords ; 
Aux loix d'une làgefle auflere 
Elle aCTujcttit vos tranfports. 
De votre gloire elle difpôfe; 
Sous ce joug qu'elle vous irapofe 
" Venez courber vos fi-onts ailiers ; 
Et briguant de viles entraves , 
A fes genoux , humbles efclaves , 
Venez dcpûfcrvos lauriers. 

. ♦-* 
Vous qu'Apollon erdiamme encor, 
LaiRez vos brlHantcs couleurs ; 
Déformais à l» jeune Flore 
Atrachez (et utiïes de-ficuis. . 

Enlevez 



D,m.f.ril>,GOOgle 



L A P o é s I I. à 

Enlevez les fruits à Fomone ; 
A Cérès , fa fbux , fa couronne, 
L'or ondoyant de fes guérets; 
Et dans vos peintures nouvelles $ 
Au zéphir dérobez fes ailes , 
A l'amour fon arc & fes traits. 

La raifon profcrit ces images ; 
C'ell elle qu'il ^ut écouter ; 
Et nos poètes font des fages 
Qui ne favent que difTerter. 
Jaloun d'une palme fragile , 
Homère , Findare , Vy'gile , 
Ont en vain bégayé des vers. 
Le munde étoit dans fon enfance ; 
Et le jour qu'attendoit la France , 
Va Te lever fur l'univers. 
*"♦ 

Qiielle fainte fureur m'anime ? 
Dirparoiflez , barbares loix. 
Mufes ,je vous retiens fur leborddel'abyme; 
De vos autels il (àut venger les droits. 
«"* 

Mais quels concerta fe Font entendre t 
C'eft toi , noble fille des cîeux , 
Q.a'en ce moment je vois defcendre 
Du palais enflammé des dieux. 
Tout i'ol^mpe te fert de tr&nfr; 
Ua nuage d'or t'enviioone. 

Ton» K FI 



D,m..M>,-GOOglC 



^o. l A Fo é S E E^ 

Du TÎF éclat de tes couleurs 
La voûte des airs Te nuance ; 
Et l'amour fur ton front balance 
Ses fêlions de myite & de fleuri. 

1,'aurore vient t'ofFrtr fnn écharpe éclatante. 

Le foleil fes rayons ,Hcbé fon doux fovra^ 
EFevantjiifqu'à toi fa conque trantparente, 
La déefle des mers , le front ceint de rubis, 
Apporte à tes geneuxjes tréfbrs qu'elle enfant*;, 

•-* 
Dei champs EfyGens les ininn>rteh berceaux 

Par toi fe couvrent de verdure. 
Tar toi Taquilon fiffle , & le zéphir murmure ^ 

Tu coffltnandes à h nature , 
Et tu kl rcpteduiE fous tes brûlans pinceaux. 

♦"» 
le printems fut tes pas renverfe fes corbcHtes ç. 
Lui-même il rajeunit le vctd dc^ arbrîiTeaux ; 
Et Bacchns , en riant , t'offre Foublr des maux^ 
Dans le jus ambré de fes treilles. 

Tu parles : les humains con&fcmentépars, 
Vent l'affembler fous de communs afyleSk 
Je vois naître les loix & s'élever des villes 
Les mafiiques rempartE. 

*^ 

la vérité par toi quitte^cnfin l'a rudeffe ; 

Empruntant ta parure , eUe a repris Tes droft» ^ 



i..Go()ijlc . . 

À 



IL* PoÉsi-E. 4fi 

Etfous âes traùs plus doux s'approche avec adre!& 
Dei'orêilte des rois. 
0' charme heureux de l'harmonie;! 
iFlatteufe illufion , fouveraine des cœurs 1 

Tout J'nnivets eft plein de ta magie., 
Et le plaiGrarme tes défcnfeurs. 

■*-> 
'Quand la'reine de l'empitée , 
Des Grecs favorlfant les coups.} 
Du fils de Saturne & de Rhée 
Toulut défarmer le courroux^ 
£(l-ce donc toi , -froide fageflè,, 
iQui fus pTétcràladéeiTc ' 

Un art & des traits inconnus t , . . , 

f tus belle &Tur.t:out moins fcvere.i 
£tle n'emprunta . pour lui plaice.» 
-Que laceinture de Vénus, , . 

■*-* 
Déjàile maître du tonneie 
Sourit avec férénité: ; ( 
'Ses yeux., qu'enflammait; la cdlen^- 
Etincelent de volupté, 
H s'attendrît , brùlc ,'fuccombe; 
Du haut des cieu){ un voile tombe ^ 
'Soutenu par mille zéphîrs ; 
Et l'Ida , que couvre un nuage , 
Voit écloirc un nouveau bocage , 
Où le dieu cache fesplaiû/s, 

FFÎi 



D,™),.rib,GOOglC, 



4f* Stances 

Tel eft ton charme , augufte po^fie , 
Qu'on veut emprifonner dans un trille devoir. 
Semblable à la beauté par l'amour embellie. 
Il ne iàuipoint juger, mais fendr ton pouvoir. 
** 
O TOUS qu'ofi^nfe un beau dçlire , 
Qui jamaïE d'Apollon n'éprouvez les faveurs , 
Dont l'oreille referme aux accords de la lyre* 
N'érigrz plus ep loîx vos ferviles erreurs. 
Votre caprice en vain relTeire 
L'eflbr d'un val audacieux. 
Quand le dmïdç pilèau rafc humblement la terre « 
L'aigle s'élance , & fe perd dans les cieu^ 



STANCES 

SUR LA MO RT o"!/ tr A H l, 

OOUS le noir cîfeaa de ta parque 
fcVeux ont vu tomber tes jours , 
«Mdi , te voilà pour toujours 
ïn proie au ténébreux monarque 
L'amitié ni l'amour en pleurs , 
Du nooher delà fombrc barque 
N'ont pu fufpendre les rigueurs. 

Que fais^e ! ma douleur t'ouiragej 
Cetinfl:ant , qu'on nomme-la mort , 
N'ell qu'un terme oà l'homme s'endort^ 



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SUR lamortd'ojï ami. 

Apres un pénible voyage. 

Ta rcrtn qui vit dans Les deux , 

Ke veut de moi qu'un purhomnugts 

La plainte importune les dieux. 

Ce tombeau m'tnftrtiît & m'éclaîlf 
Sur le néant de l'univers: 
Mes yeux enfin Ci font ouvert*. 
Oui , ce bonheur imaginaire 
. Que nous pourTuîvons ici - bas * 
ïl'eft qu'une trompeufe lumleie 
Que &it Ëclipfer le trépas. 

Jléves bril&ns , voluptés vaines* 
Vous ne réduirez plus mon cœur ; 
Des efdaves de la grandeur 
Je n'irai point briguer les chainci. 
Si l'arbitre de l'avenir 
Me prépare à fon gré des peines , 
Je neveux point les prévenir. 

Entre les bras de la moUeflc , -. ; 

Libre de crainte & de defirs , 
loin des bmyans & faux plaifira, 
Je verrai couler ma jeunefle. 
J'attendrai la mort fans terreurs. 
Etquecraîndcois-je? Mon ivrelTe 
M'en épargnera les horreurs. 

Fin Ja cinquième yolumt. 



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■Les Malheurs de t.inconJianct. jagc i 

Floricourt , hifioirefran^a^e. 3 1$ 

Lettre J'uu pbilojhphe. ^j-f 

Jléfîexioas fur le peeme érotiqta. * ^77 

iLes Tourterelles de Zelmh. .38? 
IRéjJgxion! fur une ipîire à Catherhte II. ^oy 
£pitrt à Catkorine Ut.mfpératrkeJe 

RuJJie. 41 j 

IFragmeJts ^une tragédie $Ak0e. 411 

ïRéfiexions fur lii.poéJte. 441 

Im Poifte , ode. -447 

■Stances fur la mort d'tmantt. 4p 

Bii de ia Table. 



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